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Chine : nationalisme, médias et minorités ethniques Catherine Goulet-Cloutier Avril 2012

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Chine : nationalisme, médias et minorités ethniques

Catherine Goulet-Cloutier

Avril 2012

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Catherine Goulet-Cloutier est étudiante au Doctorat en science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ses aires de spécialisation concernent les nationalismes chinois et taïwanais, les théories des relations internationales et les études de sécurité. L’auteur est également titulaire d’une maîtrise en science politique de l’UQAM.

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Résumé

Cette recherche exploratoire aborde le nationalisme chinois sous trois dimensions : historique, théorique et médiatique. La première partie du document présente les différentes thèses au sujet de l’émergence du nationalisme chinois, en lien avec l’établissement d’un État chinois multiethnique, ainsi que de la résurgence du nationalisme à partir des années 1990. Suivant cette mise en contexte, la deuxième partie se penche sur l’identité nationale chinoise en tant que représentation discursive. L’application d’un cadre constructiviste critique au cas chinois permettra de dégager les principaux discours de l’identité nationale chinoise aujourd’hui. Ce cadre permettra également de constater l’importance des discours liés aux minorités ethniques et de leur rôle dans la (re)construction de l’identité nationale chinoise. Enfin, la troisième partie aborde le rôle des médias de masse télévisés chinois par rapport au nationalisme, à la représentation des Chinois et des minorités ethniques.

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Table des matières

 1.   Nation et nationalisme chinois, d’hier à aujourd’hui .................................................. 3  

1.1   Émergence d’un nationalisme en Chine ............................................................... 3  

1.2   Établissement d’un État chinois multiethnique .................................................... 7  

1.3   Résurgence du nationalisme ............................................................................... 12  

2.   Identité nationale : représenter la nation chinoise et les minorités ethniques ........... 17  

2.1   La nation comme représentation discursive ....................................................... 17  

2.2   Constructivisme et nationalisme chinois ............................................................ 22  

2.3   Les discours de l’identité nationale chinoise ...................................................... 26  

2.3.1 La nation-État .................................................................................................. 28  

2.3.2 La nation-race .................................................................................................. 29  

2.3.3 La nation-classe ............................................................................................... 31  

2.3.4 La nation humiliée ........................................................................................... 33  

2.4   Les minorités ethniques et la nation chinoise ..................................................... 35  

2.4.1 Création des 56 nationalités ............................................................................ 36  

2.4.2 Les minorités dans l’œil de l’État chinois ........................................................ 38  

2.4.3 Minorités et identité nationale chinoise ........................................................... 40  

3.   Médias de masse, identité nationale chinoise et nationalisme .................................. 43  

3.1   Les médias de masse et l’État chinois ................................................................ 43  

3.2   Médias télévisés et nationalisme en RPC ........................................................... 50  

3.3   Nouvelles avenues .............................................................................................. 53  

Bibliographie ..................................................................................................................... 56  

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La montée en puissance de la République populaire de Chine (RPC) a fait couler

beaucoup d’encre depuis les années 1990. En particulier, les démonstrations nationalistes

populaires comme celles de 1999 suivant le bombardement de l’ambassade chinoise à

Belgrade par les forces de l’OTAN1, la parution de nombreux ouvrages populaires

prônant l’affirmation de la Chine sur la scène internationale, de même que la rhétorique à

saveur fortement antioccidentale du gouvernement chinois, ont fait craindre à plusieurs

l’émergence d’une Chine nationaliste et arrogante, voire agressive, dans sa politique

étrangère. Dans ce contexte, un nombre important de recherches ont été réalisées sur le

nationalisme chinois, aux thèses et résultats très diversifiés.

Pourtant, peu de recherches ont abordé le nationalisme chinois sous un angle

constructiviste critique. Les auteurs qui l’ont fait se sont penchés principalement sur

l’importance pour la (re)construction de l’identité nationale chinoise de la représentation

des « autres » extérieurs (surtout les États-Unis et le Japon) par le gouvernement, dans les

médias d’information ou dans les médias de culture populaire. Or, très peu d’études ont

porté sur la (re)constitution de l’identité nationale par rapport aux « autres internes » que

sont les minorités nationales. Et aucune, à notre connaissance, n’a exploré

systématiquement le rôle des médias de masse dans cette relation intrinsèque. Des auteurs

tel que Yu (2009) appellent d’ailleurs à l’approfondissement des questions d’ethnicité

dans le cadre d’études sur le nationalisme et sur les médias chinois.

Cette note de recherche exploratoire s’inscrit précisément dans la vague de

littérature sur le nationalisme chinois et vise à approfondir la question dans une

perspective constructiviste critique. Plus spécifiquement, il s’agira, d’une part, d’explorer

la relation existant entre le nationalisme pan-chinois2 et les minorités ethniques et, d’autre

part, de mettre en lumière l’importance des médias de masse télévisés pour comprendre le 1 En mai 1999, des manifestations ont été déclenchées dans une vingtaine de villes en Chine par la nouvelle du bombardement de l’ambassade chinoise à Belgrade par des avions américains sous gouverne de l’OTAN. Ces manifestations de masse, qui ont duré quatre jours, ont résulté en l’incendie du consulat américain à Chengdu et au vandalisme des ambassades britannique et américaine à Beijing. Il s’agit, selon Miles (2000-2001), des premières manifestations de masse dirigées contre les puissances étrangères depuis la Révolution culturelle. 2 Nous parlons de nationalisme « pan-chinois » en référence au nationalisme couvrant potentiellement tout le territoire de la RPC, voire ceux de la « Grande Chine culturelle » (i.e. incluant Taïwan, Singapour et la diaspora chinoise). Cette étiquette vise à le distinguer des « micro-nationalismes », par exemple le nationalisme tibétain, ou celui d’immigrants en Chine.

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nationalisme chinois aujourd’hui. Ainsi, le document se divise en trois parties. La

première aborde le nationalisme chinois d’un point de vue historique. Nous y présentons

notamment les différentes thèses au sujet de l’émergence du nationalisme chinois, en lien

avec l’établissement d’un État chinois multiethnique, ainsi que de la résurgence du

nationalisme à partir des années 1990. Suivant cette mise en contexte, la deuxième partie

se penche sur l’identité nationale chinoise en tant que représentation discursive. Après

avoir résumé notre position constructiviste critique sur l’identité nationale de manière

générale, nous appliquerons ce cadre théorique au cas chinois. Nous tenterons notamment

de dégager les principaux discours de l’identité nationale chinoise d’aujourd’hui. Nous

nous attarderons également à la représentation des minorités ethniques et à l’importance

de cette représentation dans la (re)construction de l’identité nationale chinoise. Enfin, la

troisième section aborde le rôle des médias de masse télévisés par rapport au

nationalisme. Après avoir décrit le contexte médiatique chinois actuel, en particulier la

relation entre les médias de masse et l’État chinois, nous détaillerons les différentes

thèses présentes dans la littérature quant au rôle des médias de masse télévisés chinois3

dans la résurgence du nationalisme en RPC. Encore une fois, une attention spéciale sera

accordée à la représentation des minorités ethniques véhiculée dans ces médias, à son rôle

dans la (re)construction de l’identité nationale chinoise et à sa relation avec le

nationalisme chinois.

3 Nous excluons ainsi les médias étrangers en Chine, ainsi que les médias d’Hong Kong et de Taïwan étant donné la différence de régulation dans ces territoires.

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1. Nation et nationalisme chinois, d’hier à aujourd’hui

Avant d’aborder le nationalisme chinois d’un point de vue critique, il nous

apparaît crucial de le considérer dans une perspective historique, afin de mieux

comprendre les circonstances de son émergence, son évolution et sa résurgence. Ainsi,

dans cette première section, nous présenterons d’abord les circonstances sociales,

économiques et politiques entourant la naissance d’une conscience nationale en Chine et

le passage d’un empire à un État moderne. Puis, nous verrons l’évolution de ce

nationalisme dans le contexte de la RPC. En particulier, il s’agira de voir comment l’État

chinois a su conjuguer le nationalisme et l’impératif d’unité nationale avec l’inimaginable

diversité ethnique présente sur son territoire. Enfin, nous présenterons les différentes

thèses concernant la résurgence du nationalisme chinois à partir des années 1990, en

particulier dans son rapport avec l’État chinois.

1.1 Émergence d’un nationalisme en Chine

La majorité des sinologues s’entendent pour dire que le nationalisme chinois est

un phénomène relativement récent, dont la naissance remonte au début du 20e siècle. Si

on relève la présence d’un « nationalisme officiel » avant cette date, ce dernier est si peu

répandu au sein de la population (de la paysannerie en particulier) qu’on ne peut alors

qualifier la Chine de « nation » (Zhao, 2000 : 3). C’est l’érosion de l’autorité de l’État

impérial à partir du milieu du 19e siècle qui aurait créé les conditions d’émergence de

l’identité nationale chinoise (Brassard, 2010 : 22).

Selon la thèse dominante, celle du « culturalisme-au-nationalisme » développée

initialement par Joseph Levenson, (voir Townsend, 1992 et 1996), l’émergence du

nationalisme constitue une rupture radicale avec le passé. Durant la période impériale,

l’idéologie officielle et dominante était, toujours selon cette thèse, caractérisée par le

culturalisme, c’est-à-dire la croyance selon laquelle la Chine est une communauté

culturelle supérieure – la seule véritable civilisation – définie par la tradition culturelle

des élites chinoises. Dans cette idéologie culturaliste, la communauté ainsi définie

n’inclut que ceux qui connaissent et respectent les principes issus de cette tradition

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culturelle et qui obéissent à l’empereur et ses représentants, dont l’autorité et la légitimité

reposent précisément sur leur degré de culture supérieur et leur gouvernement par

l’exemple moral (Townsend, 1996 : 12). La défaite contre la Grande-Bretagne dans la

première Guerre de l’opium en 1840, puis les échecs répétés qui s’ensuivent, auraient

toutefois brutalement remis en cause cette vision du monde en minant le sentiment de

supériorité de la Chine (Cabestan, 1995; Meissner, 2006). Cette défaite militaire marque

donc pour la plupart des auteurs un moment fondateur dans l’histoire du nationalisme

chinois, parce qu’elle constituerait l’élément déclencheur d’une profonde crise identitaire

(Meissner, 2006). C’est ce qui aurait permis au nationalisme de remplacer

progressivement le culturalisme comme idéologie dominante, processus qui se serait

achevé avec le Mouvement du 4 mai 1919.

L’émergence du nationalisme est donc vue par les adeptes de cette thèse comme

une rupture radicale avec le passé et ce, à trois niveaux : d’abord, alors que le

culturalisme accorde la primauté à la culture comme déterminant des frontières de la

communauté, le nationalisme accorde plutôt la primauté au territoire dans l’optique d’une

plus grande intégration; ensuite, le nationalisme repose sur la reconnaissance de l’égalité

des États au sein du système international, ce que le culturalisme ne peut concevoir

puisqu’il fait de la Chine la seule véritable civilisation; enfin, le culturalisme considère la

population comme des sujets, alors que le nationalisme implique de concevoir les

individus en tant que citoyens égaux en droits et obligations (Townsend, 1996 : 23-24).

Si cette thèse a beaucoup été critiquée pour son exagération de la rupture entre le

culturalisme et le nationalisme4, elle a cependant le mérite de mettre en relief le

changement conceptuel opéré au tournant du 20e siècle. Outre ses conséquences

géopolitiques, l’impérialisme occidental a aussi eu pour conséquence la diffusion d’idées

et de théories sociopolitiques occidentales en Chine. Chu et Zarrow (2002 : 10)

4 Prasenjit Duara (1993a, 1993b, 1995, 1996a, 1996b, 2009) est sans conteste le plus important critique de cette thèse du « culturalisme-au-nationalisme ». Cet auteur s’est employé, dans plusieurs ouvrages, à démontrer que l’identification à la nation se situe en continuité et en complémentarité avec de nombreuses autres formes d’identification collective. Ainsi, non seulement le nationalisme n’est pas irréconciliable avec le culturalisme, il coexiste encore aujourd’hui avec cette forme d’identification collective, parmi d’autres. Nous reviendrons plus en détails sur la théorisation que fait cet auteur de la nation chinoise dans la deuxième section de ce document.

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soulignent l’importance de l’emprunt des concepts mêmes de nation et de nationalisme,

ainsi que le recours aux théories comme le darwinisme social, dans l’émergence et la

formation du nationalisme chinois. Ces nouvelles ressources linguistiques ont changé la

perception du passé et du présent et, ce faisant, ont permis de réinventer la conception de

la Chine (Duara, 1995 : 5). En outre, la conception de la nation comme étant composée

d’un territoire, d’une race et d’une langue, prévalant à l’époque, de même que l’idée

répandue selon laquelle les États les plus forts sont ceux composés d’une seule nation,

ont fortement contribué à façonner le nationalisme chinois. Zheng et Fook (2007 : 51)

soulignent toutefois que s’il est vrai que le nationalisme a été importé de l’Occident, la

Chine n’a pas adopté ce concept tel quel et l’a plutôt adapté aux conditions locales.

Dans tous les cas, il importe de conserver à l’esprit que ce qui émerge à cette

époque n’est pas un nationalisme homogène qui ferait consensus au sein de la société

chinoise, mais bien un foisonnement de discours sur la nation. D’un côté, il est vrai que

tous les nationalismes du tournant du 20e siècle ont comme objectif commun la

renaissance d’une Chine puissante et moderne (Brassard, 2010 : 58). Dans le contexte des

défaites militaires répétées de la Chine et le démantèlement de son territoire par les

grandes puissances impérialistes, les nationalistes chinois cherchent à « sauver » la Chine

et c’est dans cette optique qu’ils s’opposent au régime en place (Wu, 2008 : 471-73).

D’un autre côté, malgré leur objectif commun, les solutions proposées par les différents

nationalismes divergent grandement. Ces derniers sont aux prises avec de profondes

tensions, notamment dans leur rapport avec l’Occident. Selon Cabestan (2005), quatre

traditions nationalistes se seraient développées à cette époque. La première, incarnée par

les Boxeurs5, est une tradition nationaliste rurale, populiste et xénophobe, qui prône un

rejet total de l’étranger. La seconde est une tradition nationaliste « instrumentaliste », qui

consiste à promouvoir l’introduction des sciences et techniques occidentales pour

renforcer l’État chinois, tout en conservant le savoir et la spiritualité chinois. La troisième

5 La révolte des Boxeurs est une rébellion populaire qui a éclaté en Chine en 1899-1901, dans les villes de Beijing et de Tianjin. Les Boxeurs, nommés ainsi en raison de leur pratique du kung fu (aussi appelé boxe chinoise), sont les membres d’une société secrète fondée vers 1770, « Poings de la justice et de la concorde ». Ils s’opposaient notamment à la présence d’étrangers en Chine et a été utilisé par l’impératrice douairière Cixi pour contrer les forces impérialistes en Chine. La révolte a été réprimée dans le sang par les huit nations alliées contre la Chine, soit l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne, la France, l’Italie, le Japon, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis (Encyclopædia Britannica, s.d.).

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tradition, développée initialement à la fin du 19e siècle par Kang Youwei, est favorable à

l’introduction des techniques et des idées occidentales, tout en conservant certains

éléments traditionnels chinois comme le confucianisme. Enfin, la quatrième est un

nationalisme globalement pro-occidental. Certains courant du Mouvement du 4 mai 1919,

par exemple, voyait dans la culture traditionnelle et le « caractère » chinois la source du

retard de la Chine vis-à-vis de l’Occident. Liang Qichao et Lu Xun, acteurs et auteurs

clés du nationalisme de l’époque, militaient pour la mise en place des programmes de

restructuration culturelle et spirituelle visant à guérir la nation chinoise de son « caractère

déficient » (Wu, 2008 : 476-77). Comme on peut le constater, ces quatre « traditions

nationalistes » font état de l’ambiguïté du rapport entretenu à cette époque par la Chine

avec un Occident vu tantôt comme un ennemi et une source de « pollution spirituelle »,

tantôt comme un inférieur, tantôt comme un modèle. Comme nous le verrons plus loin,

cette position ambivalente vis-à-vis de l’Occident, loin de s’être éteinte avec le temps,

perdure encore aujourd’hui.

Outre ces tensions vis-à-vis de l’Occident, on constate aussi dès le départ des

tensions entre une conception de la Chine comme « nation-race », dont l’un des partisans

les plus connus est Sun Yat-sen, et une autre vision, celle de la nation multiethnique,

défendue notamment par l’Empire et par les communistes (Leibold, 2006). La première

conception avait pour objectif premier le renversement de la dynastie impériale

mandchoue. Par le développement d’une identité collective assez large pour inclure les

populations du nord et du sud6, mais assez restreinte pour exclure les Mandchous de la

« race jaune », les tenants de cette vision de la nation-race ont pu mobiliser les Hans dans

l’opposition à la dynastie Qing (Chow, 1997). Par extension, les tenants de la « nation- 6 Gladney (1994) argue en effet que c’est principalement pour passer par-dessus les ethnocentrismes sud-nord en Chine que Sun Yat-sen a voulu mobiliser les Hans dans leur ensemble. Sun étant originaire du sud, et parlant le mandarin avec un accent cantonais, il aurait eu beaucoup de mal à mobiliser les non-Cantonais sans un puissant symbole d’unité. En outre, ce sont principalement les différences culturelles entre les Mandarins et les Cantonais, les gens de Shanghai et ceux du Sichuan, qui menaçaient l’unité de la Chine dans l’esprit d’une majorité de Chinois de l’époque. Duara (1993b) montre par ailleurs que l’identification à la Chine, au début du 20e siècle, était fortement influencée par l’identification provinciale. La mobilisation de la « nation Han » a donc constitué, selon Gladney (1994 : 99), la fiction qui a permis l’union entre le sud et le nord. Fiction, en effet, car si la notion de Han ren (personne han) existe depuis plusieurs siècles (elle renvoie aux descendants de la dynastie Han (206 av. J-C à 220 ap. J-C)), la notion de nationalité han (Han minzu ou Han min) est un phénomène entièrement moderne, popularisé avec Sun Yat-sen, lui-même influencé par le nationalisme japonais (Ibid. : 98). Nous y reviendrons dans la deuxième section du document.

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race » chinoise visaient aussi à repousser tous les Mandchous en Mandchourie et

restaurer la Chine d’avant l’établissement de la dynastie Qing (qui correspond au

territoire couvert par les provinces à majorité Han). En d’autres termes, cette vision

prônait le rejet hors de Chine de toutes les provinces occupées à majorité par des non-

Hans, comme la Mongolie, la Mandchourie, le Tibet, etc. La mobilisation autour de cette

première conception de la nation chinoise a résulté dans le massacre d’un grand nombre

de Mandchous (Duara, 2009 : 115).

La seconde vision, celle de la nation chinoise multiethnique, prônait plutôt le

maintien de l’intégrité territoriale de la Chine impériale et, ce faisant, la reconnaissance

officielle des cinq ethnies admises à l’époque (han, mandchoue, mongole, hui et

tibétaine) (Brassard, 2010 : 44-49). Selon Zhao (2006), cette vision de la nation chinoise

multiethnique est héritée de la dynastie Qing qui, pour justifier son propre pouvoir et

l’expansion territoriale en Asie centrale menée sous son règne, a redéfini la Chine.

Rompant avec la vision prévalant sous la dynastie précédente (Ming), selon laquelle la

Chine n’inclut que les Hans, les Qing ont peu à peu développé une idée de la Chine

comme entité multiethnique incluant à la fois les Hans et les non-Hans. À partir de 1900,

dans le contexte de la montée du nationalisme et de la perte de légitimité du régime

impérial mandchou, les Qing ont activement diffusé cette vision de la Chine grâce à un

système d’éducation très développé et à la publication d’ouvrages de référence. Ayant

influencé des millions de jeunes Chinois, cette vision de la Chine comme entité

multiethnique qui doit être unie pour être forte a constitué les bases de ce que l’on connaît

aujourd’hui sous le nom de « Grand nationalisme chinois ». Selon Zhao (2006), c’est

cette vision de la nation chinoise qui a prédominé et prévalu même après les deux

révolutions chinoises.

1.2 Établissement d’un État chinois multiethnique

Comme on peut le constater, l’émergence du nationalisme chinois est

indissociable du projet de constitution de l’État chinois moderne. Pour Fitzgerald

(1996 : 58-59), c’est le développement de l’État chinois qui a définie la nation chinoise et

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lui a donné forme, par des critères (attributs nationaux) qui favorisent l’unité, la

souveraineté et l’indépendance de l’État. En Chine, la question des minorités ethniques et

de leur place dans la nation et l’État chinois sont, comme on l’a vu plus tôt, au cœur des

débats nationalistes du début du 20e siècle. Ces différentes positions se sont répercutées

par la suite au niveau des politiques vis-à-vis des minorités ethniques. En effet, malgré

que l’objectif ait toujours été de préserver l’unité nationale (Mackeras, 1994 : 53), les

différents dirigeants ont proposé la mise en œuvre de politiques extrêmement variées

pour solutionner la « question ethnique » et maintenir l’unité et l’intégrité territoriale.

C’est pourquoi nous survolerons maintenant l’évolution du nationalisme sous l’angle de

la question ethnique, avant de passer à la résurgence du nationalisme dans les années

1990.

La période de la République de Chine (1911-1949), sous la gouverne des forces

du Guomindang (GMD), est caractérisée par une politique fortement assimilationniste.

Dans la vision développée par Sun Yat-sen7, les minorités ethniques peuvent exister au

sein de la Chine, mais elles doivent être prêtes à constituer une seule et puissante nation

avec l’ethnie majoritaire, les Hans (Mackeras, 1994 : 56). Si la position de Sun s’est

assouplie avec le temps, il n’en est pas allé de même pour son successeur. En effet,

Chiang Kai-shek adopte dès le départ une approche assimilationniste qui ne laisse aucune

place à la diversité ethnique. Considérant les minorités comme des « tribus » arriérées, il

encourage ces dernières à « perdre » leur identité nationale (Ibid. : 53). Malgré tout, on

peut relever que plusieurs articles constitutionnels sont adoptés durant la période de la

Chine républicaine, dispositions qui établissent l’égalité des nationalités devant la Loi

(Ibid. : 61).

Une approche plus tolérante est mise en place avec la victoire des communistes en

1949. Avant même l’établissement de la RPC, Mao avait développé et défendu une vision

multiethnique de la nation, reconnaissant davantage de minorités ethniques que les

nationalistes du GMD et leur donnant une place accrue au sein de la nation chinoise. Dès

7 Évidemment, les positions défendues par les auteurs nationalistes comme Sun Yat-sen ont grandement évolué à travers le temps. Nous indiquons ici les grandes lignes de la théorisation développée par Sun Yat-sen, Chiang Kai-shek et Mao Zedong, au risque de simplifier à l’excès leur pensée. Pour une présentation plus détaillée de l’évolution de la pensée de ces auteurs dans le temps, voir Mackeras (1994).

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les premières années de la RPC, le gouvernement communiste entame le Projet de

classification ethnique, qui consiste en une série d’expéditions menées par des

ethnologues et linguistes visant à déterminer une fois pour toutes la composition ethno-

nationale de la Chine, de sorte que les différents groupes puissent être intégrés dans une

communauté politique centralisée et stable au niveau territorial (Mullaney, 2011). En se

basant sur les quatre critères staliniens de la nationalité – langue commune, territoire

commun, vie économique commune et culture commune –, les représentants de la RPC

établissent progressivement la présence de 55 minorités ethniques, ce qui, avec la

majorité Han, fait de la Chine une nation composée de 56 nationalités8 (Mackeras,

1994 : 143).

Ce Projet de classification ethnique est aussi à la base de l’établissement, dès les

années 1950, de territoires autonomes. La constitution adoptée par le Premier Congrès

National Populaire en 1954 officialise, dans son article troisième, les deux principes de

l’égalité entre les nationalités et du droit à l’autonomie, principes qui sont demeurés en

force jusqu’à aujourd’hui (Ibid. : 145). Dans cette lignée, le PCC crée des zones

administratives autonomes dans les régions où les ethnies minoritaires se trouvent

particulièrement concentrées, surtout à l’échelon de la préfecture (14 en 1952, 38 en

1990), du district (43 en 1955, 175 en 1990) ou du canton (2 294 cantons ethniques ou

« de nationalité » en 1985). Enfin, cinq régions autonomes sont établies, soit la Mongolie

intérieure (proclamée en 1947), le Xinjiang (1955), le Guangxi et le Ningxia (tous deux

en 1958), et enfin le Tibet (1965) (Cabestan, 1994 : 446-47).

Bref, les débuts de la RPC sont extrêmement prometteurs en ce qui concerne la

politique des nationalités. Les politiques font alors l’objet d’une relative entente entre les

membres du PCC et les minorités, comme l’illustre Dwyer (2005) avec le cas de la

politique linguistique. Cependant, la situation se détériore drastiquement à partir de 1957,

8 La Chine est composée officiellement de 56 nationalités, dont 55 sont minoritaires et une, les Hans, est majoritaire. Les chiffres officiels tirés du recensement de 2000 rapportent que les Hans constituent 91,59% de la population chinoise (RPC, 2000 : 123). La croissance de la population reconnue comme Han est cependant moins importante en proportion que celle des minorités (116,92 millions de personnes Hans de plus par rapport aux chiffres du recensement de 1990, soit 11,22% d’augmentation, contre 15,23 millions de personnes issues de groupes minoritaires de plus, soit 16,70% d’augmentation) (National Bureau of Statistics of China, 2002).

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avec le Grand Bond en avant9, puis avec la Révolution culturelle10 (1966-76). Alors que

le mot d’ordre est la modernisation, l’ethnicité est vue comme un obstacle au progrès, le

symbole d’un passé obscurantiste et féodal (Bovingdon, 2004 : 19; Dwyer, 2005 : 11).

Les politiques mises en œuvre visent donc l’élimination des différences culturelles,

comme en témoigne l’imposition du putonghua comme langue commune associée à la

Nouvelle Chine.

La Révolution culturelle est aujourd’hui présentée comme la période la plus

assimilationniste dans toute l’histoire de la RPC (Bovingdon, 2004 : 20; Mackeras, 1994 :

150-53). Malgré tout, il semble que les politiques de Mao aient été un échec en ce qui

concerne la construction de l’unité nationale chinoise. En effet, conjuguées aux politiques

maoïstes favorisant l’autarcie locale, les attaques contre les cultures minoritaires auraient

renforcé les identités et langues régionales et auraient ainsi sapé le projet de construction

d’un attachement émotionnel et économique à la nation (Friedman, 1994 : 78).

La mort de Mao en 1976 met un terme abrupt à la Révolution culturelle et à sa

politique fortement assimilationniste, bien que ce ne soit qu’à partir de 1978 que soient

survenus de véritables changements de politique et la réhabilitation d’un grand nombre

d’éléments réactionnaires précédemment marginalisés. Dès les années 1980, la politique

des nationalités devient quelque peu ambivalente, oscillant entre l’ouverture et le

contrôle. Si on craint que la continuation de politiques dures n’augmente la grogne et

l’instabilité dans les régions minoritaires, on craint aussi que des politiques plus

tolérantes qui permettent l’expression culturelle et la liberté de pratique religieuse

ouvrent la porte à l’agitation (Bovingdon, 2004 : 21). Ainsi, d’un côté, la Constitution

adoptée en 1982 appelle à plus d’autonomie dans les aires autonomes et tente de traduire

9 Le Grand Bond en avant est une campagne socioéconomique menée par le PCC entre 1958 et 1961, qui avait pour objectif de faire passer la Chine d’une économie agraire à une économie moderne par la collectivisation, en particulier celle de l’agriculture, et l’industrialisation. Loin de mener à la croissance économique, les politiques du Grand Bond en avant ont eu pour conséquence la décroissance et des famines endémiques menant à des dizaines de millions de morts. Pour plus de détails sur le Grand Bond en avant et ses conséquences, voir Dikötter (2010). 10 Lancée en 1966 par le PCC, alors dirigé par Mao Zedong, la Révolution culturelle visait à éliminer les éléments bourgeois de la société et du gouvernement. Elle a été caractérisée notamment par la rééducation des intellectuels par le travail aux champs, de même que par la critique de masse à l’égard du confucianisme et des traditions, décriés comme des « polluants spirituels » issus de l’Occident (Jian, 1999). La Révolution culturelle s’est officiellement terminée en 1976, avec la mort de Mao.

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11

ce principe d’autonomie en droits concrets (Mackeras, 1994 : 154-55). Deux lois

importantes adoptées en 1984 viennent renforcer les dispositions constitutionnelles : la

Loi sur les nationalités, ainsi que la Loi sur l’autonomie régionale des minorités

nationales. Cette dernière établit en outre plusieurs politiques préférentielles, notamment

pour l’entrée à l’université (Dwyer, 2005 : 11). Dans la pratique, on constate à cette

époque une augmentation régulière du nombre d’aires autonomes, si bien qu’en 1994,

plus d’un quart des préfectures et près de 10% des districts sont autonomes (Cabestan,

1994 : 446-47). Enfin, les politiques mises en place permettent aussi d’augmenter la

représentation des minorités au sein du gouvernement, tant dans les instances centrales

que régionales, notamment dans des postes de cadres où elles sont largement sous-

représentées (Zhao, 2004 : 194-97). Ces politiques témoignent d’une attitude plus

tolérante de l’expression culturelle autonome, d’un certain pluralisme culturel, religieux

et linguistique (Dwyer, 2005 : 12; Zhao, 2004 : 194), ne serait-ce que de manière

pragmatique, c’est-à-dire dans l’optique de (re)gagner l’allégeance des minorités par un

certain favoritisme.

D’un autre côté, en dépit de ces politiques d’ouverture, plusieurs éléments font

plutôt pencher la politique vis-à-vis des minorités du côté de la fermeture, du contrôle et

de la répression. Bovingdon (2004), par exemple, met en évidence le peu d’autonomie

réelle au sein du « système d’autonomie régionale » : les lois nationales viennent en effet

contrecarrer les droits en matière d’autonomie décisionnelle locale accordés en principe

aux aires minoritaires, puisqu’elles stipulent que les organes nationaux doivent approuver

toutes les décisions prises au niveau local (Bovingdon, 2004 : 17). Par ailleurs, les

révoltes au Tibet à partir de la fin des années 1980 et les tentatives de sécession au

Xinjiang et en Mongolie intérieure au début des années 1990, sont interprétées par

plusieurs acteurs politiques chinois comme étant le résultat fâcheux d’une politique trop

tolérante et laxiste, ce qui fait pencher davantage la balance du côté du contrôle et de la

répression (Mackeras, 1994 : 161-64). Il faut dire que les événements entourant la

désintégration de l’URSS en 1991 ne rassurent en rien les dirigeants chinois, qui

craignent que la Chine ne subisse le même sort (Bovingdon, 2004 : 10; Guo, 1998 : 168).

Il est aussi possible que cette crainte ait été particulièrement vive étant donné la hausse

importante de l’identité ethnique dans les années 1980 (Mackeras, 1994 : 144).

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12

En résumé, deux éléments peuvent être dégagés de ce qui précède. D’abord,

comme nous l’avons mentionné plus tôt, le but premier de la politique chinoise vis-à-vis

des minorités ethniques est la préservation de l’unité nationale et de l’intégrité

territoriale. La diversité ethnoculturelle et l’autonomie peuvent donc être tolérées dans

une certaine mesure, qui varie selon les circonstances et les dirigeants, tant et aussi

longtemps qu’elles ne sont pas perçues comme une menace à la souveraineté de l’État sur

son territoire. De ce premier élément découle le second, qui est que les dispositions

constitutionnelles adoptées durant l’histoire de la RPC ont octroyé (à divers degrés) aux

minorités ethniques chinoises une autonomie économique, culturelle et tout au plus

administrative, mais elles n’ont en aucun cas octroyé d’autonomie politique (Cabestan,

1994 : 280).

1.3 Résurgence du nationalisme

Les années 1990 sont marquées par un regain d’importance du nationalisme et de

l’identité nationale en RPC11 (Xu, 2002 : 27-39). Les causes de cette résurgence ne font

pas consensus parmi les sinologues. Pour Wu (2008 : 471-72), de même que Zheng et

Fook (2007 : 53-55), c’est principalement le sentiment de supériorité de la Chine,

attribuable à ses rapides progrès socioéconomiques, qui est à la source de la résurgence

du nationalisme depuis les années 1990. La question ne serait donc plus de savoir

comment « sauver » la Chine comme aux 19e et début 20e siècles, mais plutôt de savoir

comment en faire un leader mondial, le nouveau pôle de puissance après le déclin des

États-Unis. Zheng et Fook (2007 : 53-55) ajoutent que la montée du nationalisme a aussi

été éperonnée par certains événements internationaux qui ont été perçus comme portant

(au moins potentiellement) atteinte à la souveraineté nationale et à l’intégrité territoriale

de la Chine. En particulier, l’imposition de sanctions économiques et politiques par les

11 Évidemment, la montée du nationalisme en Chine ne peut pas être comprise sans la situer dans le contexte mondial de l’époque. La fin de la guerre froide et la chute de l’URSS marquent en effet une résurgence du nationalisme un peu partout dans le monde. Il y aurait par conséquent des liens à faire entre la résurgence du nationalisme en Chine et la montée des nationalismes, dans le contexte de la mondialisation, ce que suggère au passage le texte de Gladney (2003). Malheureusement, les limites inhérentes à notre recherche nous amènent à nous concentrer sur la politique interne, hormis quelques liens inévitables avec l’éclatement de l’URSS et son impact sur la politique chinoise.

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13

États-Unis après les événements tragiques de Tiananmen12, le rapprochement

diplomatique entre les États-Unis et Taïwan et l’affirmation croissante de ce dernier sur

la scène internationale ont été interprétés par plusieurs Chinois comme des affronts, un

traitement injuste de la part des États-Unis et, par extension, une non-reconnaissance de

la Chine comme grande puissance. Ces événements expliqueraient partiellement le

caractère antioccidental (et en particulier antiaméricain) du nationalisme chinois des

années 1990 (nous y reviendrons plus loin).

Par ailleurs, il existe un virulent débat parmi les spécialistes concernant les liens

entre l’État chinois et la résurgence du nationalisme. Une revue de littérature sur le sujet

réalisée par Brassard (2010) permet d’arriver à un constat frappant : il existe deux

lectures contradictoires du phénomène,

l’une attribuant à l’État les manifestations du nationalisme durant cette période […] et l’autre postulant l’existence d’un mouvement nationaliste populaire impliquant certains intellectuels qui, non seulement constitue un défi au monopole discursif de l’État sur la question de la nation, mais place également le gouvernement central dans une position délicate, notamment en ce qui concerne l’élaboration de sa politique étrangère […]. (Brassard, 2010 : 1)

D’un côté, plusieurs auteurs soulignent que le nationalisme actuel constitue une

réponse à une crise de légitimité du PCC et de l’État communiste chinois. Suivant cette

interprétation, les excès de la Révolution culturelle auraient provoqué une démaoïsation

partielle à partir des années 1980 et, subséquemment, un vide idéologique sapant la

légitimité du PCC. Les événements tragiques de 1989 à la place Tiananmen auraient miné

encore davantage la légitimité de la gouverne communiste. À partir des années 1990, le

PCC aurait donc partiellement comblé ce vide de légitimité en mettant l’accent sur le

nationalisme et le patriotisme (Ibid. : 59-60). À ce niveau, la campagne d’éducation

patriotique lancée par le gouvernement central dans les années 1990 constituerait un

moyen utilisé pour renforcer l’unité nationale sous l’égide du PCC (Zhao, 1998). En

somme, les tenants d’une approche stato-centrée (top-down) du nationalisme voient dans

ce dernier le fondement de la légitimité et de la loyauté envers le PCC, qui l’utilise pour

12 Rappelons que ces événements, survenus le 4 juin 1989 à Pékin, ont consisté en la répression par les forces armées de démonstrations estudiantines à la place Tiananmen. Cette répression marque la fin du mouvement pour la démocratie (Jian, 1999), qui faisait suite à la Révolution culturelle.

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légitimer son pouvoir et ses politiques (Guo, 1998; Unger, 1996b : xi; Wu, 2008 : 473-74;

Zhao, 2004 : 209). Hughes (2006 : 156) va même jusqu’à affirmer que le système de parti

unique actuel ne pourrait pas survivre sans le nationalisme, qui lui sert de justification

pour empêcher l’émergence d’une démocratie multipartite.

D’un autre côté, plusieurs autres auteurs adoptent une perspective davantage

centrée sur la société civile (bottom-up) pour expliquer le nationalisme actuel. Dans cette

optique, les années 1990 ont vu émerger un véritable nationalisme populaire en Chine,

qui remet de plus en plus en cause la légitimité de l’État et son hégémonie sur le discours

nationaliste (Gries, 2004). Selon Miles (2000-2001 : 51-52), la résurgence du

nationalisme dans les années 1990 est un symptôme des griefs de la population à l’égard

du gouvernement chinois, attribuables à une défense inadéquate par ce dernier des

intérêts nationaux de la Chine sur la scène internationale, ainsi qu’à l’impact négatif de

plusieurs politiques à l’interne. Ce mécontentement populaire aurait été renforcé par la

détérioration des rapports entre la Chine et l’Occident et, plus particulièrement, par les

médias chinois qui parlent d’une conspiration occidentale visant à empêcher la Chine de

devenir une grande puissance. Pour Zhao (2004 : 130-58), ces événements ont généré le

besoin pour la population chinoise d’articuler clairement son identité culturelle, et de

restaurer la fierté nationale par l’affirmation que la Chine peut « dire non13 » (Zhao,

2004 : 130-58). La diffusion des nouvelles technologies et d’Internet en particulier aurait

favorisé la participation de la population en général dans les débats sur le nationalisme,

tantôt par l’appui aux positions gouvernementales, tantôt par leur contestation (Gladney,

2004 : 158-59; Leibold, 2010).

D’autres auteurs ont examiné la montée du nationalisme d’un point de vue de la

société civile, en se penchant cette fois sur le rôle des intellectuels. Dans le contexte du

déclin du marxisme-léninisme, les élites intellectuelles ont tenté de forger une nouvelle

13 Cette expression renvoie au livre à sensation La Chine peut dire non (Zhongguo keyi shuo bu), publié en 1996. Ce livre « est un amalgame d’essais journalistiques […] proposant une analyse simpliste et manichéenne de l’ordre international où l’hégémon américain est le principal responsable des malheurs d’une Chine vertueuse et irréprochable. » (Brassard, 2010 : 100) Le livre a attiré l’attention d’analystes occidentaux principalement parce que près de deux millions d’exemplaires ont été vendus en à peine quelques mois. Cet ouvrage a été suivi de nombreux autres du même type, qui ont cherché à exploiter cette mouvance à des fins commerciales (Cabestan, 2005 : 10). L’ouvrage est considéré par nombre de spécialistes comme un pilier du nationalisme populaire chinois.

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identité culturelle et nationale de diverses façons, notamment par la revalorisation du

confucianisme, la réécriture de l’histoire pour réhabiliter des héros et personnages

délégitimés dans l’historiographie marxiste-léniniste, ainsi que la valorisation de la

langue Han (Hanyu) comme aspect fondamental de la culture et de l’identité chinoises

(Meissner, 2006). L’intelligentsia chinoise remet donc elle aussi en question le monopole

de l’État et du parti dans la représentation de la nation, par la promotion d’un

nationalisme culturel et souvent ethnocentré (Guo, 2004 : 18). Et, bien que tous ces

mouvements nationalistes populaires posent un défi pour le gouvernement chinois, ce

dernier serait de moins en moins en mesure de les contrôler ou les supprimer et ce, même

lorsqu’ils lui nuisent dans l’élaboration de sa politique (Miles, 2000-2001 : 51-52).

Malgré la présence dans la littérature de ces deux grandes thèses quant au lien

entre le nationalisme et l’État chinois, rares sont les auteurs qui défendent strictement

l’une ou l’autre : ceux qui défendent une position d’abord stato-centrée (top-down) ne

nient généralement pas l’existence de mouvements contestataires, de même que ceux qui

mettent l’accent sur la société civile (bottom-up) ne peuvent évacuer le rôle de l’État dans

la définition de la nation et la résurgence du nationalisme patriotique. Soulignons que

maints auteurs offrent une perspective nuancée du nationalisme chinois contemporain.

Par exemple, reprenant sa typologie des nationalismes (présentée plus haut), Cabestan

(2005) rapporte à la fois une montée en puissance du nationalisme d’État après

Tiananmen, en particulier une instrumentalisation par la direction de PCC des dimensions

antioccidentale et anti japonaise du nationalisme chinois, mais aussi une réémergence de

plusieurs formes concurrentes de nationalisme, rendue possible par le recul des contrôles

sur les débats intellectuels. D’une part, le nationalisme d’État aurait favorisé l’irruption

d’un nationalisme populaire, autonome et populiste dont les manifestations les plus

extrêmes (1995-96, 1999, 2005) rappellent la xénophobie et l’anti-occidentalisme du

« nationalisme primitif » de la fin du 19e siècle (incarné par les Boxeurs). D’autre part, la

prolifération des forums de discussion et l’accès accru à la messagerie électronique ont

permis à de plus en plus de gens de s’exprimer par rapport au nationalisme, ce qui aurait

entraîné une diversification des points de vue et une modération des sentiments

nationalistes.

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Dans tous les cas, il faut reconnaître que malgré l’importance de l’État chinois, ce

dernier ne contrôle pas totalement les mouvements nationalistes. En témoigne la présence

de visions divergentes, souvent contradictoires, de la nation chinoise et des attitudes à

adopter à l’égard de ceux qui ne se conforment pas à cette vision, dissidents ou minorités

ethniques. Au sein même de l’État, on constate la prolifération des acteurs impliqués dans

la contestation politique, résultat de la décentralisation des structures de gouvernance

depuis Deng Xiaoping (Gries et Rosen, 2004b : 5). De surcroît, malgré la tentative du

gouvernement et du PCC de parler d’une seule voix afin de s’établir comme seuls porte-

parole de la nation chinoise, force est d’admettre que de plus en plus d’individus et de

groupes s’arrogent le droit de parler au nom de la nation. Il semble donc y avoir une lutte

de plus en plus virulente entre l’État et le PCC, d’une part, qui cherchent à se représenter

comme l’incarnation de la volonté nationale (Guo, 2004 : 17), et des membres de la

société civile – jeunes urbains, intellectuels, minorités ethniques, opposants au régime,

partisans de la démocratisation, … – d’autre part, qui se réclament du nationalisme, se

l’approprient et, ce faisant, contestent le monopole de l’État dans la définition de la

nation chinoise (Cabestan, 2005; Leibold, 2010; Perdue, 2005b : 114). Il apparaît donc

crucial de se pencher à présent sur la question de la nation chinoise du point de vue de sa

représentation et des luttes qui sont livrées en son nom, si l’on souhaite mieux

comprendre le nationalisme chinois actuel.

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17

2. Identité nationale : représenter la nation chinoise et les minorités ethniques

La première section ayant considéré le nationalisme chinois d’un point de vue

descriptif, historique et explicatif, il nous est maintenant possible de l’aborder dans une

perspective davantage analytique. La mise en contexte nous a déjà permis de déceler

l’importance, pour comprendre la nation et le nationalisme chinois, des luttes de

représentation entre divers acteurs – État et factions en son sein, PCC, intellectuels,

minorités ethniques, jeunes vivant en milieu urbain, internautes, etc. C’est pourquoi cette

deuxième section considère le nationalisme chinois contemporain d’un point de vue

constructiviste critique14, afin de mettre en relief ce que signifie « être chinois »

aujourd’hui. Nous résumerons tout d’abord la position théorique constructiviste vis-à-vis

l’identité nationale en général. Ensuite, nous verrons comment cette perspective théorique

a été appliquée au cas du nationalisme chinois. Dans ce contexte, nous examinerons les

principaux discours qui façonnent l’identité chinoise aujourd’hui. Nous terminerons la

section en nous attardant à la représentation des minorités ethniques et à l’importance de

cette représentation pour l’identité nationale chinoise.

2.1 La nation comme représentation discursive15

De manière générale, les auteurs constructivistes rejettent une conception de

l’identité comme réalité objective et stable. Au contraire, l’identité est produite et

reproduite dans des discours, qui sont des modes de représentation du monde articulés à

14 Dans cette note de recherche, nous avons choisi de puiser à la fois dans la littérature dite « postmoderne », « poststructuraliste » et « constructiviste critique ». Ce choix se justifie par l’ambiguïté des étiquettes théoriques, surtout en ce qui concerne les théories dites « critiques ». Pour Grondin (2008), les différents courants critiques peuvent être regroupés par les types de questions auxquelles ils cherchent à répondre. Campbell (1998) soutient en outre que la distinction entre postmodernisme et constructivisme critique est floue et discutable – les deux courants ayant un bagage intellectuel commun (Campbell, 1998 : 222-3). Il y a donc lieu de considérer ces théories non unifiées comme au moins partiellement complémentaires et c’est pourquoi nous ne tenterons pas ici de nous confiner dans une branche spécifique qui serait par ailleurs illusoire. Par souci de cohérence et de clarté, cependant, nous emploierons principalement (et de manière interchangeable) les adjectifs « constructiviste » et « constructiviste critique » pour qualifier les auteurs auxquels nous ferons référence. 15 Cette sous-section constitue principalement un résumé d’un chapitre de notre mémoire de maîtrise (Goulet-Cloutier, 2010), chapitre qui théorise l’identité nationale pour l’appliquer au cas des États-Unis sous George W. Bush.

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travers le langage16, notamment dans ce que ces auteurs nomment les textes17. Plus

précisément, ces discours sont articulés dans les différents textes par des constructions

discursives, qui sont définies comme étant des « groups of related statements about a

subject that determine its meaning, characteristics and relationship to other discursive

formations » (Hansen, 2006 : 20). Ce sont ces formations discursives qui déterminent la

nature d’un sujet en imposant certaines représentations et significations, qui constituent

son identité, en les opposant à d’autres représentations (i.e. d’autres identités) (Michel

Foucault, dans Debrix, 2008 : 13). En effet, les constructions discursives sont mises en

relation de liaison ou de différenciation pour former un réseau, une véritable cartographie

qui permet d’identifier et de se comprendre soi-même et de comprendre les autres. En

d’autres termes, l’identité est pensée en termes relationnels : elle se définit toujours par

rapport à la différence, qui à son tour se définit par rapport à elle (Hansen, 2006 : 6; Said,

2005 : 358).

Bref, l’identité – qu’elle soit individuelle ou collective – n’est jamais prédéfinie,

homogène, ni stable. Elle est constamment réécrite dans les discours, qui tentent d’en

fixer le sens (Campbell, 1998 : 31). À force d’être répétés, ces discours peuvent finir par

devenir des mythes, c’est-à-dire :

« stories drawn from a society’s history that have acquired through persistent usage the power of symbolizing that society’s ideology and of dramatizing its moral consciousness – with all the complexities and contradictions that consciousness may contain. Over time, through frequent retellings and deployments as a source of interpretive metaphors, the original mythic story is increasingly conventionalized and abstracted until it is reduced to a deeply encoded and resonant set of symbols, “icons,” “keywords,” or historical clichés. In this form, myth becomes a basic constituent of linguistic meaning and of the processes of both personal and social “remembering.” » (Slotkin, 1993 : 5)

16 Il est important de souligner que les discours ne sont pas seulement linguistiques. Ils peuvent aussi être constitués, par exemple, de pratiques institutionnelles et organisationnelles (Hansen, 2006 : 17) ou de représentations visuelles (Debrix, 2008 : 51-2; Grondin, 2008 : 260). Cependant, en raison du caractère incontournable du langage pour représenter la réalité (et de l’impossibilité de comprendre ces représentations non linguistiques sans avoir recours au langage), la dimension linguistique des discours est incontournable. 17 Un texte désigne tout ce qui est dit ou écrit et qui forme un acte signifiant dans un contexte discursif donné (Verdonk, s. d : 17). Il s’agit donc d’une expression concrète, d’un élément « observable » (verbalisé) du discours. Ces derniers sont considérés comme étant, en quelque sorte, le contexte dans lequel s’insèrent les textes et c’est pourquoi ils déterminent ce qu’il est possible ou impossible de dire par rapport à un objet ou un sujet donné (Foucault, 1969 : 63).

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Dans le domaine des relations internationales, par exemple, le discours réaliste est

parvenu à imposer une conception de l’identité nationale comme attribut stable et

prédéfini de l’État (comme en témoigne l’usage de l’expression « État-nation »),

impliquant des intérêts spécifiques déterminant le comportement international de cet

acteur. Mais l’État, ainsi conçu, n’est « réel » que parce qu’il est constamment représenté

comme tel dans les discours. En d’autres termes, l’État est une communauté imaginée; il

n’a aucun statut ontologique distinct des pratiques qui servent à le représenter, et c’est

pourquoi il doit perpétuellement se réécrire dans les discours, sans quoi il cesse d’exister

(Campbell, 1998 : 12).

Pour Campbell (1998), ces discours qui établissent les contours de l’identité

nationale (étatique) sont ce qu’il nomme la politique étrangère/Politique Étrangère. La

politique étrangère réfère à toute pratique de différentiation ou tout mode d’exclusion qui

constitue certains objets comme « étrangers », établit les frontières entre ce qui est

intérieur et ce qui est extérieur au Soi. Ce faisant, ces pratiques génèrent la matrice

d’interprétation de la Politique Étrangère, qui elle est intrinsèquement liée à l’État et

réfère à une conception habituelle de ce concept (Campbell, 1998 : 68-69). En d’autres

termes, la politique étrangère/Politique Étrangère est un processus politique par lequel on

tente d’imposer une interprétation des identités18.

Notons que la différenciation entre le Soi et l’Autre peut se faire de plusieurs

manières, soit dans un rapport géographique – où la ligne de division serait par exemple

la frontière territoriale de l’État –, politique – où la frontière, floue et malléable, se situe à

un niveau idéologique – ou même temporel – où la frontière sert à délimiter ce qui est 18 Si la Politique Étrangère s’occupe surtout d’imposer une interprétation de l’identité nationale (mais aussi de toute identité présentée comme plus large que l’État, comme une identité régionale – l’identité est-asiatique, par exemple – ou encore une identité « civilisationnelle » – comme l’appartenance à la civilisation confucéenne, au Tiers-Monde, etc.), il n’en va pas de même pour la politique étrangère. Cette dernière mène à la définition de l’ensemble des identités au sein d’une société donnée, allant par exemple de « qu’est-ce qu’un vrai Chinois » à « qu’est-ce qu’une vraie femme/un vrai homme ». Ce faisant, la politique étrangère discipline les individus : elle impose une identité et légitime la marginalisation de tous les individus qui seraient jugés déviants par rapport à cette norme. Mais évidemment, cette imposition d’une identité n’est jamais parfaite ni totale, puisque cette identité fait toujours l’objet de luttes de représentation. C’est pourquoi la politique étrangère ne parvient jamais à établir clairement les frontières des identités qu’elle tente de définir. Il subsiste toujours des zones grises, ni complètement à l’intérieur de la communauté/du groupe, ni complètement à l’extérieur (Ashley, 1989). Comme nous le verrons plus loin dans cette section, les minorités ethniques se trouvent souvent dans cette zone grise à la frontière entre la nation chinoise et les « Autres ».

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moderne et ce qui est pré-moderne, développé ou sous-développé, etc. (Hansen, 2006 :

47-50). Dans tous les cas, la fragilité de l’identification de l’État comme domaine

souverain et ordonné, comme entité rationnelle garante de la sécurité des individus, fait

en sorte que l’État doit toujours présenter les dangers comme étant extérieurs afin

d’établir une distinction entre l’intérieur (ordonné) et l’extérieur (anarchique) (Campbell,

1998b : 63). Pour assurer sa reproduction comme sujet souverain, l’État « must

continuously review the difference within itself, as well as between itself and other

subjects, so as to constitute and preserve itself as a single sovereign unitary subject. »

(Dillon, 1999 : 130).

Figure 1. Co-constitution des identités nationales

Si l’identité se définit toujours par rapport à la différence, dans un rapport

d’altérité impliquant une valorisation du Soi aux dépens de l’Autre (Shapiro, 1988 : 123),

ce rapport d’altérité n’est pas nécessairement radical. En d’autres termes, la politique

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étrangère n’implique pas toujours une « démonisation » de l’Autre (Hansen, 2006 : 37).

Duara (1993a, 1996, 2009) propose une conception des frontières entre les communautés

(ou identifications collectives) comme étant perpétuellement en mouvement le long d’un

continuum allant de frontières rigides à de frontières souples, quasiment inaperçues. Étant

donné que les individus s’identifient simultanément à plusieurs collectivités, ils tolèrent

généralement la coexistence de plusieurs identités (frontières souples). Or, un discours

valorisant les différences entre deux communautés peut, par divers processus, devenir

prédominant, ce qui entraîne le durcissement de ces frontières.

La formation d’une identité nationale implique toujours un durcissement des

frontières vis-à-vis d’ « Autres externes » (par exemple, les autres États), ainsi que la

célébration de la différence entre le Soi et les Autres (Duara, 1996). Mais encore une fois,

ce rapport d’altérité n’est pas forcément radical. C’est dans des moments de crise

identitaire, lorsque l’instabilité de l’identité nationale est mise en évidence et

qu’émergent des interprétations alternatives qui la contestent, ou lorsque la frontière entre

le Soi et l’Autre apparaît floue, que les acteurs cèdent généralement à ce que Campbell

(1998 : 131) nomme la tentation d’altérité (temptation of otherness) : pour sécuriser sa

propre identité et notamment se distinguer clairement de l’Autre, l’État procède à une

« démonisation » de l’Autre, qui est présenté non plus simplement comme différent mais

bien comme une menace à l’existence du Soi. L’Autre menace par ses actions, mais aussi

par le simple fait d’être différent, ce qui met en exergue l’instabilité et l’incertitude de

l’identité du Soi comme seule forme d’identité possible et souhaitable (Weldes, 1999 :

221-2). Paradoxalement, donc, cette altérité, qui permet de fixer l’identité nationale,

fragilise du même coup cette dernière, qui doit conséquemment constamment se réécrire

(Seidman, 1995 : 130).

« Because the narrative’s discursive meaning succeeds in privileging certain symbolic meanings as the constitutive principle of a community, it shapes the composition of the community: who belongs and who does not, who is privileged and who is not. Thus if common history is privileged over language and race (extended kinship), language and race always lie as potential mobilizers of an alternative nation that will distribute its marginals differently. Thus within the hard community there will always be other soft boundaries which may potentially transform into hard boundaries, or new soft boundaries may emerge and transform into hard ones. » (Duara, 1996 : 169)

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22

En terminant, bien que plusieurs politologues aient critiqué les approches

constructivistes et poststructuralistes sous prétexte qu’elles seraient trop éloignées de la

réalité concrète, les processus de constitution et de reproduction des identités ne sont

surtout pas des exercices purement académiques détachés du monde et de la politique. En

effet, ces processus sont plutôt

des conflits sociaux à résoudre d’urgence qui recouvrent des problèmes politiques concrets tels que les lois sur l’immigration, la législation sur le comportement des individus, l’élaboration d’une orthodoxie, la légitimation de la violence et de l’insurrection, le caractère et le contenu de l’enseignement, et la conduite de la politique étrangère, tous sujets qui ont très souvent un rapport direct avec la désignation d’ennemis officiels. En bref, la construction d’une identité est liée à l’exercice du pouvoir dans chaque société […]. (Said, 2005 : 358)

Tout ce qui précède permet de saisir l’importance du champ discursif comme

champ de bataille politique où s’affrontent différentes interprétations du monde via des

pratiques de représentation (Shapiro, 1988 : 12). En tant qu’ils (re)produisent la réalité,

les discours sont inséparables du pouvoir (Foucault, 1975 : 36; Grondin, 2008 : 50) et

c’est pourquoi les acteurs se livrent une lutte acharnée pour obtenir la légitimité de parler

(au nom) d’un objet, d’un sujet ou d’un événement (Foucault, 1969 : 90).

2.2 Constructivisme et nationalisme chinois

Quelques auteurs ont appliqué un cadre constructiviste ou poststructuraliste19 à la

Chine pour comprendre la (re)construction de la nation chinoise. La plupart d’entre eux

se sont intéressés à l’importance des « Autres externes », en particulier de l’Occident et

du Japon, dans ce processus (Leibold, 2010). Des auteurs ont notamment développé la

notion d’occidentalisme, en référence à celle d’orientalisme élaborée par Edward Said

(2005). Nous avons vu dans la section précédente à quel point le rapport avec l’Occident

est ambigu, depuis le milieu du 19e siècle, pour les nationalistes chinois. Selon les tenants

de l’occidentalisme, la nation chinoise s’est principalement définie dans son rapport

d’altérité avec l’Occident. Tout comme l’orientalisme essentialise l’Orient et l’Oriental

en les représentant comme fondamentalement primitifs, exotiques et dénués d’agence 19 Voir la note de bas de page 14.

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23

(Said, 2005), l’occidentalisme consiste en la répétition d’un discours stéréotypé sur

l’Occident servant à définir – par contraste – ce qui est réellement chinois (Gries, 2004;

Lu, 2001; Xiaomei, 2002). Jian (1999) critique cette pratique profondément enracinée en

Chine, qui est aujourd’hui principalement incarnée par la Nouvelle Gauche et les

« postistes ». Ces deux mouvances critiquent la tendance des intellectuels et politiciens

chinois à rendre la Chine « Autre » vis-à-vis d’elle-même (self-otherisation). Dit

autrement, ceux qui s’insèrent dans ces courants de pensée dénoncent ce qu’ils

considèrent être l’acceptation passive et pusillanime de la vision occidentale de la

modernité et les tentatives, menées par les nationalistes depuis plus de 150 ans, de se

conformer à l’image que l’Occident a de la Chine. Les membres de ces mouvements

adoptent une vision univoque de l’Occident comme bloc monolithique et tentent de

définir la Chine par contraste, établissant par le fait même une opposition absolue entre la

modernité démocratique et le socialisme. Xiaomei (2002) souligne en outre comment cet

occidentalisme sert l’État chinois, en lui donnant les ressources pour construire une

menace externe qui lui permette de celer l’oppression et la violence politique à l’interne.

En ce sens, l’occidentalisme ferait intégralement partie de la structure sociopolitique,

économique et culturelle en Chine (Ibid. : xiv).

Il est vrai que la modernité (et maintenant, la postmodernité) a été définie dans

une large mesure par et pour l’Occident euro-américain. Dans ce contexte, Lai (2008 :

18-19) souligne que c’est la rencontre avec cette modernité qui a entraîné pour la Chine

une crise identitaire, qui s’est traduite tantôt par un rejet de la « culture chinoise » et des

particularités locales, tantôt par un engouement pour cette culture et la recherche des

« racines ». Après la Révolution culturelle, la politique d’ouverture sur le monde amène

une grande désillusion en Chine. Des entretiens réalisés par Croll (2006) montrent que

durant cette période, les Chinois sont confrontés à une vision d’eux-mêmes, de l’Occident

et du monde radicalement différente de celle véhiculée jusqu’alors par le PCC.

Subséquemment, et culminant dans les années 1980, l’Occident devient un nouveau

destin désiré, une terre d’abondance, un lieu incarnant tout ce que n’est ou n’a pas la

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24

Chine20 (Croll, 2006 : 27). Tout comme au tournant du 20e siècle, l’intelligentsia chinoise

blâme à nouveau la culture traditionnelle chinoise pour le retard de développement de la

Chine (Zhao, 2004 : 130-35). Progressivement, cependant, ce mouvement génère une

tendance inverse : l’engouement pour l’Occident a comme conséquence non anticipée la

peur grandissante, dans les années 1990, que la culture chinoise soit destinée à la

disparition et à l’oubli. En outre, la fin des années 1980 marque une nouvelle désillusion,

cette fois-ci face à la modernité occidentale qui n’est pas sans avoir d’effets négatifs sur

la société chinoise. De plus en plus, on se tourne vers des emprunts sélectifs à l’Occident,

c’est-à-dire l’introduction de la technique, mais pas de la spiritualité ni de la culture

occidentales. Des voix s’élèvent et se généralisent, présentant l’Occident comme une

source de pollution spirituelle en Chine.

Parallèlement à ce rejet de la culture occidentale, on constate un regain

d’enthousiasme pour l’identité nationale chinoise et les tentatives de définir ce qu’est

l’essence chinoise (Chineseness) (Xu, 2002 : 30-31)21. Cette recherche de racines se

développe principalement par un « retour à Confucius »22, une réhabilitation de héros de

l’époque impériale, ainsi qu’un regain d’intérêt pour le maoïsme (Croll, 2006 : 32).

Plusieurs auteurs se sont penchés sur la réhabilitation du confucianisme et le regain

d’intérêt pour cette doctrine, qui est vue comme étant le pilier central de la culture 20 C’est pourquoi, pour plusieurs auteurs, la période suivant l’ouverture ne peut être comprise sans référence à l’introduction et la généralisation du système capitaliste en Chine. Par exemple, Croll (2006 : 27) souligne que pour l’individu et les collectivités, l’acquisition de biens et les modes de vie associés à la consommation ont été des façons de signifier la différence avec un passé révolutionnaire, voire le rejet de ce passé, en faveur de la modernité et du cosmopolitanisme. La culture de consommation naissante amenait son lot d’expériences et de conceptions nouvelles, en particulier l’interpellation du consommateur en tant qu’individu, la valorisation de l’expression individuelle et la possibilité d’abondance. En suscitant des débats au sein de la société chinoise, le discours consumériste véhiculé dans les médias constitue l’une des formes de dissension les plus flagrantes en Chine (Barmé, 1994 : 272). 21 Il est intéressant de noter qu’en plus d’une résurgence de l’identité pan-chinoise, on constate aussi à cette époque une résurgence de ce que Lai (2008) nomme le nativisme, c’est-à-dire la recherche de racines locales, la mobilisation de différences locales spécifiques dans le but de proposer un discours alternatif à la modernité et à l’identité nationale. Ce nativisme s’oppose au nationalisme dans la mesure où il ne concerne pas ce qui unit les Chinois, mais plutôt ce qui les distingue au niveau local (dialectes, habitudes, coutumes et autres éléments culturels propres, etc.). 22 Huard-Champoux (2008 : 50-53) souligne que ce que l’on désigne sous le nom de « confucianisme » est en réalité un néoconfucianisme, résultat d’un mélange notamment entre les enseignements de Confucius, le bouddhisme et le taoïsme. Ces deux derniers courants auraient d’ailleurs profondément influencé l’interprétation et la transmission des principes confucéens à partir des dynasties Tang (618 ap. J.C.) et Song (979-1279 ap. J.C.). À partir du 19e siècle et de la prise de conscience de la supériorité militaire et économique de l’Occident (dynastie Qing), les enseignements confucéens auraient été réinterprétés pour les intégrer dans une perspective académique jugée moderne.

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25

chinoise (Guo, 2004 : 72). Certains auteurs voient dans la réintégration du confucianisme

à l’idéologie nationale à partir des années 1990 une façon de contrecarrer l’influence

politique de l’Occident par une régénération morale et culturelle, ainsi qu’un moyen de

contrôler et limiter les effets sociopolitiques de la modernisation (Guo, 2004; Meissner,

2006). Wu (2008 : 477-78) ajoute que le regain d’intérêt pour le confucianisme traduit

aussi, au plan de la politique internationale, un désir de rétablir la fierté nationale de la

Chine comme grande nation, leader mondial non seulement au niveau économique, mais

aussi au niveau moral et spirituel. Tout ceci permet de comprendre les critiques émises

par certains auteurs, dont Wu (2008), concernant le chauvinisme culturel dont ferait

preuve le nationalisme chinois actuel, qui considère les déficits de la Chine comme étant

dus non pas au caractère chinois déficient (comme lors de l’émergence du nationalisme),

mais bien à l’influence occidentale et à l’éloignement des principes confucéens (Ibid. :

476-77)23.

Par ailleurs, le nationalisme chinois a aussi été présenté, d’un point de vue

constructiviste, dans son rapport avec l’Autre japonais. Selon Gries (2004), le véritable

alter ego de la Chine n’est pas tant l’Amérique que le Japon (que les Chinois,

ironiquement, incluent dans l’Occident).

« Although America has come to represent the West par excellence for Post-Cold War Chinese (and most non-Western peoples), Japan’s proximity to China, the racial and cultural similarities Japanese share with the Chinese, and Japan’s extensive interactions with China in the modern period justify its designation as “China’s Occident.” » (Gries, 2004 : 36)

Lai (2008) ajoute que le Japon est, depuis son émergence comme puissance impérialiste à

la fin du 19e siècle, « l’Autre » de la Chine dans un double sens : il est à la fois l’ennemi

(le colonisateur) et le modèle (c’est-à-dire la preuve qu’une alternative est-asiatique à la

modernité occidentale est possible). Cette vision du Japon a repris de l’importance à

partir des années 1970 et 1980, alors que la croissance économique fulgurante du Japon –

23 Notons cependant que si cette thèse de la résurgence du nationalisme néo-traditionnaliste en Chine, faisant suite à une période d’anti-traditionnalisme, domine largement dans la littérature académique, elle n’est pas incontestée. Hughes (2005), par exemple, la remet en cause par une analyse critique permettant de montrer le caractère fondamentalement problématique de la définition même de l’adjectif « nationaliste », dans la mesure où ce dernier constitue un fourre-tout incluant des éléments souvent inconsistants et parfois même contradictoires.

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accompagnée de la résurgence du discours nativiste au Japon – remettait à l’avant-scène

le questionnement des postulats de la modernité et notamment celui de l’impossibilité de

réconcilier la culture traditionnelle et la modernité. On en vient donc à explorer la

possibilité d’une modernité est-asiatique infusée de valeurs indigènes, qui remettrait en

cause les conceptions universalistes de la modernité « occidentale » (Lai, 2008 : 21-23).

2.3 Les discours de l’identité nationale chinoise

Outre les quelques analyses réalisées sur la (re)construction de l’identité nationale

chinoise par rapport aux « Autres externes », certains auteurs ayant abordé cette question

d’un point de vue constructiviste ont tenté de dégager les discours qui composent

l’identité nationale chinoise. Comment les Chinois se représentent-ils? Et quelles sont les

sources (intellectuelles, historiques, culturelles, économiques, etc.) de ces

représentations?

Nous avons vu que l’identité nationale, dans une perspective constructiviste

critique, est l’objet de luttes constantes entre différents acteurs, qui tentent de

s’approprier le droit de la définir et de parler au nom de la nation. Or, tous n’ont pas la

même légitimité comme porte-parole de la nation. Tout individu ou groupe peut décider

de parler au nom de la nation, mais à moins qu’il ne dispose d’un important appareil de

communication et que la société en général n’accorde du crédit à ses paroles, il y a fort à

parier que ces dernières n’auront au mieux qu’un impact sur son cercles de connaissances

personnelles. Bref, certains individus ou classes d’individus ont plus de poids que

d’autres dans la définition de la nation. Anagnost (1997) parle à ce niveau d’un processus

de détachement de certains groupes et individus : une élite se détacherait ainsi de la

masse pour faire une évaluation critique de l’Autre en soi. Dans le cas chinois, deux

groupes sont reconnus pour avoir un impact déterminant (mais non exclusif) sur la

représentation de la nation chinoise : les dirigeants et membres haut-placés du PCC, ainsi

que les intellectuels et scientifiques chinois (Anagnost, 1997; Baranovitch, 2001;

Cabestan, 2005; Chow, 1997; Dikötter, 1997b et 1997c; Guo, 2004; Mingming, 2002;

Mullaney, 2011; Rose, 2000; Sautman, 1997). C’est notamment en raison de leur impact

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27

déterminant que plusieurs des chercheurs ayant appliqué un cadre constructiviste à la

nation chinoise se sont intéressés à la représentation de cette dernière dans les discours

officiels ou dans les publications scientifiques. Par conséquent, la présente section portera

principalement sur ces représentations et les mythes/discours qu’ils véhiculent24. Bien

que cet exercice implique une simplification du processus de (re)production de l’identité

nationale, l’extrême complexité de ce dernier nous oblige à nous limiter à quelques-uns

des nombreux acteurs impliqués. Nous élargirons cependant cette vision dans la troisième

section de ce travail, qui explore l’impact des médias télévisés d’information et de culture

populaire dans le processus de (re)production de l’identité nationale chinoise.

Il n’est pas aisé de définir une identité nationale, sans tomber dans le piège de

l’essentialisme. Non seulement l’identité nationale est hétérogène, puisqu’elle est l’objet

à chaque moment de luttes entre différentes représentations, elle est aussi fluide dans le

temps. L’identité nationale chinoise a grandement évolué depuis son émergence, en

fonction notamment des interactions que la Chine a eu avec le reste du monde, ainsi que

des interprétations (et réinterprétations) que les différents acteurs font du passé (Gries,

2004). Malgré cette hétérogénéité et cette fluidité de l’identité nationale, il est possible de

relever la présence continue de certains discours, que l’on pourrait nommer, dans ce cas-

ci, les discours principaux de l’identité nationale chinoise. La revue de littérature que

nous avons réalisée dans ce travail nous permet d’identifier quatre discours principaux,

soit : 1) la nation chinoise comme équivalent de l’État (discours de la « nation-État »); 2)

la nation chinoise comme descendant de l’Empereur Jaune (discours de la « nation-

race »); 3) la nation chinoise comme classe révolutionnaire (discours de la « nation-

classe »); et 4) la nation humiliée. Il va de soi que ces discours ne sont, dans les faits, pas

indépendants les uns des autres et nous ne les traitons ici séparément que dans une visée

heuristique. Par ailleurs, soulignons que ces discours ne sont évidemment pas les seuls

qui composent l’identité nationale chinoise, mais nous les explorons ici étant donné

l’importance qu’on leur accorde dans la littérature académique.

24 Évidemment, les mythes associés à l’identité nationale chinoise ne sont pas restés figés à travers le temps. Une généalogie de ces discours s’avèrerait cruciale pour bien comprendre l’évolution de l’identité chinoise, mais ceci dépasse largement les objectifs de notre recherche.

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2.3.1 La nation-État

Le premier discours principal de l’identité nationale chinoise est celui de

l’identification entre cette dernière et l’État chinois. Comme nous l’avons vu plus tôt,

étant donné l’importance du champ discursif comme champ de bataille politique, l’État

chinois tente de s’arroger le droit et la légitimité de parler au nom de la nation et, par le

fait même, d’imposer une vision de celle-ci. Par conséquent, les représentants de l’État

cherchent, en particulier depuis 1989, à établir une triple association entre le PCC, l’État

et le nationalisme (ou patriotisme). Misant sur l’ambiguïté du terme guo, qui peut être

traduit par « pays », « territoire », « nation » ou « État », et sur l’usage du terme guojia

qui signifie, dans le langage courant, le gouvernement ou le PCC, ces derniers tentent

d’amalgamer tous ces éléments (Guo, 1998 : 169). Selon ce discours, la nation est

l’équivalent de l’État et elle ne peut survivre sans lui (Zhao, 2004 : 166).

« […] in the patterns of contentious politics that surround state legitimation and de-legitimation in the Chinese context, it is the government’s capacity to sustain stability and social order that is generally held up as the touchstone value. The very goodness that is imagined to be attendant on social order is, further, closely related to certain very particular high ideals – ideals of seeking and promoting the epistemological and moral Truth, of governing with a degree of humane Benevolence, and of protecting and enhancing the national Glory. » (Shue, 2004 : 41-42)

Dans ce contexte, il devient impossible de critiquer le gouvernement communiste chinois

sans être désigné comme non patriotique, voire comme étant contre le peuple chinois lui-

même (Meissner, 2003 : 209-10). Dès lors, l’amour de la patrie et de la nation devient

aussi forcément l’amour du gouvernement et du PCC (Guo, 1998 : 169).

Malgré tout, ce discours n’est pas incontesté et même, il est aujourd’hui de plus

en plus contourné. En effet, un nombre croissant de nationalistes parlent aujourd’hui de la

mère patrie et de la race chinoise sans faire référence au PCC. De surcroît, ces

nationalistes contestent les revendications de l’État à l’effet que ce dernier incarne le

Bien et la Vérité, tout en étant garant de la stabilité et de l’ordre.

« The state’s antagonists in society, those who doubt or deny its legitimacy, […] “speak back” to power with charges and counterclaims that tend to be constructed along these very same dimensions of value. State claims to be advancing the

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national Glory are met by popular counterclaims of leadership weakness, vacillation, or betrayal. State claims to be governing with Benevolence are met by popular counterclaims of callousness, corruption, and venality. And state claims to be promoting the demonstrable empirical and moral Truth are met by powerful alternative epistemologies, popular counter-truths, and counter-moralities such as those of Falun Gong. » (Shue, 2004 : 41-42)

2.3.2 La nation-race

Le deuxième discours principal est celui de la nation-race. Nous avons déjà vu,

dans la première section de ce travail, comment certains nationalistes partagent, depuis la

fin du 19e siècle, une vision de la nation chinoise comme étant la nation des Hans. Cette

vision est généralement présentée comme étant opposée à une conception multiethnique

de la nation chinoise. Dans les faits, cependant, l’articulation du discours de la nation-

race est beaucoup plus complexe. À la fin de l’empire Qing, la mobilisation de la

population dans l’opposition au régime mandchou nécessitait, comme nous l’avons vu

précédemment, la redéfinition de l’identité chinoise de sorte qu’elle inclût les Hans du

nord et du sud, mais qu’elle exclût les Mandchous. En retournant dans les mythes des

origines historiques, notamment dans la chronologie de l’histoire ancienne établie par

Sima Qian, les nationalistes de l’époque (en particulier Zhang Binglin) ont créé un

puissant symbole, celui de l’Empereur Jaune comme premier ancêtre de la race chinoise

(Chow, 1997 : 48). Ce symbole a donné lieu à un culte de l’Empereur Jaune, centré sur

l’idée selon laquelle tous les Chinois sont ses descendants ou, plus précisément, les

descendants d’anciens rivaux pour la direction de l’État, soit l’Empereur Yan (flamme) et

l’Empereur Huang (Jaune) (Sautman, 1997 : 79). Banni entre 1949 et 1980, ce culte est

repris dans les années 1990 par l’État chinois :

« The Yellow Emperor is extolled for early state leadership, his propagation of the ‘Chinese race’ through his twenty-five sons, and the assimilation into his Huaxia tribe of the peoples of the central plains. He thus serves as a symbol of racial and state nationalism, an overlap reflected in the cult’s official use: for example, Deng Xiaoping argued that the desire for the reunification of the mainland and Taiwan is innately ‘rooted in the hearts of all descendants of the Yellow Emperor’. » (Sautman, 1997 : 81)

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Bien que ce discours de la nation-race ait été véhiculé et promu à tous les niveaux

de la société chinoise, les scientifiques ont plus que les autres contribué à la promotion de

la définition raciale des identités et des différences (Dikötter, 1997c : 28). Par exemple, la

découverte de l’Homme de Pékin25 en 1923-27 et sa représentation comme l’un des

géniteurs de la race jaune a renforcé le mythe des origines raciales communes (Sautman,

1997 : 86-87). En outre, des analyses génétiques ont permis de « démontrer » que les

minorités ethniques ont peu de différences avec les Hans, comparativement aux noirs et

aux blancs, par exemple. Selon ces analyses, les Hans constituent la branche principale de

la race jaune, de laquelle les minorités sont issues. Les conséquences de telles recherches

sont claires : les frontières politiques de la RPC apparaissent comme étant fondées sur des

marqueurs de différences biologiques clairs et irréfutables (Dikötter, 1997c : 29-30). La

formation historique de la nation chinoise apparaît donc comme un processus naturel

d’identification des groupes ethniques à la nation chinoise26 (Zhao, 2004 : 168).

Enfin, le discours de la nation-race a aussi été renforcé par une réinterprétation

historique de la grande muraille. Alors que sa construction a été réalisée notamment dans

l’optique d’établir une démarcation claire entre les Chinois civilisés et les « tribus

barbares » (Perdue, 2005 : 520), et que la muraille a été perçue en Chine jusqu’au 20e

siècle comme un symbole d’oppression et de futilité militaire (Waldron, 1993), elle est

devenue à partir de la fin des années 1970 un symbole de l’unité nationale multiethnique

chinoise. Comme l’explique Sautman (1997) :

25 Il s’agit de fossiles trouvés pour la plupart par Davidson Black lors de fouilles menées à Zhoukoudian, près de Beijing. Ces fossiles dateraient de 700 000 à 200 000 ans « avant les temps modernes » (UNESCO, s.d.). Leur découverte a laissé croire que le berceau de l’humanité serait en Asie. Ce n’est que plus tard qu’il a été localisé sur le continent africain. Suivant ce déplacement, l’Homme de Pékin a été réinterprété comme étant non plus le père de l’humanité, mais plutôt celui de la race jaune ou mongoloïde (Sautman, 1997 : 86-87). 26 Perdue (2005a) montre que cette représentation remonte à bien plus loin que la seconde moitié du 19e siècle. Remontant dans l’histoire ancienne, il montre que lors de l’expansion territoriale sous les Ming (15e-17e siècles), les vainqueurs étaient représentés comme ayant toujours dirigé les terres conquises, peuplées de barbares nomades. L’expansion était donc vue comme la restauration de l’ordre naturel des choses, un processus naturel d’incorporation des peuples qui, en réalité, avaient toujours fait partie du dominion. Ceux qui résistaient à cette incorporation étaient représentés comme des rebelles, des « Autres internes » barbares opposés au Soi civilisé (Ibid. : 83). Par la suite, les Qing ont voulu fixer les frontières entre les cinq peuples (Hans, Mandchous, Musulmans, Tibétains, Mongols) pour établir des distinctions claires entre eux, tout en établissant le contrôle sur cette mosaïque de peuples en incorporant les Musulmans, Tibétains et Mongols comme « Autres subordonnés » (Ibid. : 517).

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« […] the emphasis on the participation of ethnic minorities in the construction of what is now the principal symbol of the Chinese nation is intended to show that the minorities have always been ethnically Chinese. Like the Han, they expended blood and treasure to defend and expand the power of the Chinese state, something they surely would not have done had they not already been part of the [Chinese nationality]. » (Sautman, 1997 : 90-91)

Tous ces symboles ont réussi à faire du discours de la nation-race un discours

prédominant en Chine, si bien que le mythe de l’origine commune forme un élément

central de l’identité chinoise au moins depuis les mouvements nationalistes de la fin du

19e siècle (Dikötter, 1997b : 7). Les cadres raciaux de référence ne sont pas disparus par

la suite et ont même eu tendance à augmenter après la Révolution culturelle, au sein de la

culture populaire, des cercles scientifiques et des publications gouvernementales

(Dikötter, 1997c : 25-26). Soulignons cependant que ce discours est lui aussi contesté,

notamment par les intellectuels issus de groupes minoritaires (Sautman, 1997 : 83).

2.3.3 La nation-classe

Bien sûr, on ne peut aborder la question du nationalisme chinois sans faire

référence à l’idéologie communiste, ne serait-ce que parce que la RPC a été fondée au

moins officiellement sur la base de ces principes. Malgré le déclin du marxisme-

léninisme et du maoïsme dans les dernières années, il ne faudrait pas sous-estimer

l’influence de ces idéologies sur la perception que les Chinois ont d’eux-mêmes et du

monde.

La conception communiste chinoise de la nation a ceci de particulier que cette

dernière n’est pas vue comme étant en compétition avec la classe sociale pour constituer

le sujet historique par excellence. Au contraire, la nation chinoise a été imaginée

d’emblée à travers le langage des classes et de la lutte des classes. Li Dazhao, l’un des

membres fondateurs du PCC, concevait le peuple chinois comme un prolétariat national

au sein d’un prolétariat international, opprimé par les capitalistes occidentaux (Duara,

1995 : 12). Plus encore, les tropes de la classe et des classes sociales ont, selon Duara

(2009 : 108), défini dans une large mesure la nation chinoise. D’ailleurs, le drapeau de la

RPC témoigne de l’importance des classes sociales pour la nation, le peuple étant

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représenté par les cinq étoiles, correspondant au PCC et aux quatre classes

révolutionnaires (prolétariat, paysannerie, petite bourgeoisie et bourgeoisie nationale)

(Guo, 2004 : 39).

Une autre voie par laquelle la nation a été définie à travers le langage

révolutionnaire est la sinisation de la théorie « universelle » de la lutte des classes.

L’élévation Mao Zedong au rang de théoricien suprême du marxisme (à côté de Lénine et

Staline) et la création d’un modèle chinois de révolution sociale ont en effet permis

d’incarner la spécificité nationale chinoise dans un modèle particulier de luttes des

classes mis de l’avant par les Chinois (Duara, 1995 : 13 et 2009 : 109).

Si le discours de la nation-classe a une influence sur le nationalisme chinois

depuis son émergence, c’est surtout durant la Révolution culturelle que ce discours a été

prédominant. Alors que l’objectif avoué était de purger la nation des classes indésirables

(i.e. non révolutionnaires) et de la façonner à l’image d’un prolétariat idéal, « the measure

to which a person approached this class ideal governed admissibility to the national

community. » (Duara, 2009 : 108-09) Cet exemple permet de voir que le discours de la

nation-classe consiste à étendre les attributs de la classe à la nation. Or, ce discours sur la

nation crée des tensions inévitables entre, d’une part, les aspirations transnationales

qu’exsude le langage révolutionnaire et, d’autre part, le caractère délimité de l’espace

national (Duara, 1995 : 12-13).

Aujourd’hui, et depuis la fin de la Révolution culturelle, le discours de la nation-

classe serait en déclin. Selon Croll (2006 : 23), il se serait progressivement opéré un

changement important de perception chez les Chinois, qui se perçoivent de moins en

moins comme des camarades et de plus en plus comme des consommateurs. On a donc

constaté un recul de la classe comme marqueur socioéconomique et politique. Barmé

(1994 : 272) va plus loin en affirmant que la culture de consommation, telle que

véhiculée notamment dans les publicités et les médias de culture populaire, contraste

vivement avec l’idéologie communiste officielle et constitue l’une des formes les plus

flagrantes de dissension en RPC. Par conséquent, le discours de la nation-classe demeure

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33

bien présent au sein de la société chinoise, ne serait-ce que de manière négative par la

prédominance du discours consumériste qui se définit largement par rapport à lui.

2.3.4 La nation humiliée

Le discours de l’humiliation de la Chine est un autre discours central de l’identité

nationale chinoise et du nationalisme aujourd’hui (Gries, 2004a : 45). Nous avons déjà vu

que la défaite de la Chine dans la première guerre de l’opium en 1840 marque, pour la

vaste majorité des auteurs, un moment fondateur du nationalisme chinois. Cette date

constitue le début du « siècle de l’humiliation » et suscite une profonde crise identitaire

chez les élites chinoises, un revirement dans la conception du monde qui prévalait jusque

là et qui plaçait la Chine en haut de la hiérarchie civilisationnelle. Pour Gries (2004a),

toute nation cherche à se donner et à présenter aux autres une image positive d’elle-

même. Dans cette optique, le comportement d’une nation peut être compris par le concept

de « face nationalism ». Ce concept permet de comprendre toute l’importance que prend,

encore aujourd’hui, le discours de l’humiliation.

Le rapport au « siècle de l’humiliation » est ambigu et a évolué dans le temps. Si

la vision que les Chinois ont du siècle de l’humiliation a façonné leur identité, les

changements dans l’identité nationale ont aussi transformé leur interprétation de ce siècle

(Gries, 2004a : 48). À travers l’histoire, cette époque a été interprétée de deux manières

en apparence contradictoires, mais en réalité complémentaires. La première lecture

présente la Chine comme victime et parle d’une histoire tragique de douleur, de

souffrances, d’humiliations. La seconde lecture place plutôt la Chine comme vainqueur et

parle d’une lutte des indomptables Chinois contre l’impérialisme étranger, lutte qui se

serait terminée par la victoire de la Chine durant la guerre de Corée (Gries, 2004a : 50).

Cette victoire marquerait en effet, dans le discours de la nation humiliée, la fin du « siècle

d’humiliation » et la naissance de la « Nouvelle Chine ». L’armistice signé en 1953, qui

officialise la partition de la Corée, serait donc un autre moment fondateur de l’identité

nationale chinoise – la revanche de la Chine face à l’Occident (Gries, 2004a : 56).

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34

Or, la fin de la guerre de Corée n’a pas entraîné la disparition du discours de la

nation humiliée, loin s’en faut. La réintégration de la Chine dans le monde durant l’ère

post-maoïste, la réouverture aux influences économiques et culturelles extérieures

(desquelles la Chine avait été relativement isolée durant l’ère maoïste), « have

restimulated the processes of national identity formation in which reflecting back from

the world are shameful images of what should be a glorious nation. » (Anagnost, 1993 :

70) Durant les années 1980 en particulier, ce discours traverse la culture politique

chinoise contemporaine, dans laquelle les Chinois se représentent en termes de manque

(de civilisation ou de « qualité »), image que leur renvoie le capital étranger. Anagnost

(1997) va même plus loin, affirmant que le discours de la civilisation a pris la place de la

lutte des classes dans la définition des sujets nationaux et comme stratégie pour

transcender la position subalterne de la Chine dans l’économie globale. Le discours de la

civilisation (qui constitue à notre avis une interprétation de celui de la Chine humiliée) est

en d’autres termes un discours du manque, c’est-à-dire de l’incapacité des Chinois à

incarner les standards internationaux de la modernité, de la civilité et de la discipline

(Anagnost, 1997 : 76).

Si ce discours du manque, tel que décrit par Anagnost (1993, 1997), est moins

présent depuis les années 1990, le discours de la nation humiliée ne s’est pas dissipé.

Selon Guo (2004 : 33-37), ce discours de l’humiliation a été récupéré par l’État chinois et

le PCC pour renforcer le discours de la nation-État. L’auteur montre en effet comment la

victimisation de la Chine à travers l’histoire, couplé à un discours de la menace

extérieure, permet de soutenir la position selon laquelle sans le PCC, la Chine ne

survivrait pas. En d’autres mots, la réinterprétation de ce discours a permis d’amalgamer

les intérêts nationaux et ceux du PCC. Par ailleurs, il est aussi possible d’interpréter

certaines politiques contemporaines à la lumière du discours de la nation humiliée. Par

exemple, le développement du concept d’émergence pacifique de la Chine en 2003 par

Zheng Bijian, et sa généralisation par la suite (sous la nouvelle appellation de

« développement pacifique ») au sein des groupes politiques et intellectuels chinois,

traduit notamment la volonté de « rattraper » l’Occident. D’ailleurs, il est révélateur que

la Chine se soit fixé comme objectif de développement économique, depuis Deng

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35

Xiaoping, l’atteinte du niveau moyen des pays industrialisés d’ici 2050 (en termes de

PNB par habitant) (Shaopeng, s. d.).

2.4 Les minorités ethniques et la nation chinoise

Comme nous l’avons vu plus tôt dans cette section, l’identité nationale est

considérée par les constructivistes d’un point de vue relationnel : elle se définit par

rapport à la différence, qui à son tour se définit par rapport à elle. Ainsi, l’identité

nationale chinoise est définie par des discours portant sur la nation chinoise, mais aussi

par des discours portant sur ce que nous avons nommé les « Autres », selon le processus

de politique étrangère tel que conceptualisé par Campbell (1998). Nous avons déjà

abordé l’importance de deux « Autres externes » dans la définition de la nation chinoise,

soit l’Occident et le Japon. À présent, nous nous tournons vers un aspect du nationalisme

relativement peu abordé dans la littérature, soit le rôle de la représentation des minorités

ethniques pour la (re)construction de la nation chinoise.

En tant qu’Autres internes, les minorités ethniques ne sont ni tout à fait à

l’intérieur de la nation, ni tout à fait hors d’elle. Elles sont, dans les termes de Gladney

(2004 : 2), des sujets subalternes, en ce qu’elles qui sont vues comme étant moins

authentiquement chinoises que les Hans, plus éloignées d’une tradition qui serait

purement chinoise. Cette conception est visible dans le monde académique, au sein

duquel la Chine est souvent représentée non comme un État ethniquement, culturellement

et linguistiquement diversifié, mais plutôt comme un État relativement homogène,

composé d’une nation (Han) à laquelle s’ajoutent un grand nombre de minorités peu

importantes (Ibid. : 6). Les minorités sont des êtres « hybrides », situées à la frontière de

l’identité nationale chinoise, dans la zone grise que la politique étrangère s’efforce de

clarifier sans jamais vraiment y parvenir (Ashley, 1989; Campbell, 1998). Or,

paradoxalement, c’est précisément parce qu’elles sont en marge que les minorités

ethniques s’avèrent centrales dans la (re)définition de l’identité nationale chinoise.

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36

2.4.1 Création des 56 nationalités

Avant d’aborder la représentation des minorités ethniques et son importance pour

l’identité nationale chinoise, il importe de mettre en exergue le caractère partiellement

construit des 56 nationalités chinoises. Bien entendu, on ne peut nier l’importance des

facteurs ethnographiques – la migration, la géographie, la différenciation et

l’amalgamation de communautés humaines suivant des lignes linguistiques, culturelles,

religieuses, physiques, etc. – dans l’identification communautaire. Mais, comme l’indique

Mullaney (2011 : 5), aussi centraux que soient ces facteurs dans la constitution des

identités, on ne peut non plus ignorer le rôle de la taxonomie pour comprendre comment,

à certains endroits et en certains moments, des différences spécifiques sont privilégiées

par-dessus toutes les autres comme critères d’organisation sociale et d’infrastructure

étatique. Dans cette optique, pour comprendre la diversité ethnique en Chine telle qu’elle

est conçue actuellement, c’est-à-dire un État multiethnique composé de 55 minorités

ethniques et d’une majorité Han27, il est primordial de revenir au Projet de classification

ethnique mené dans les premières années suivant la constitution de la RPC. Dans son

texte, Mullaney (2011) montre que, loin d’avoir attesté de la diversité ethnique « réelle »

sur le terrain, ce Projet a participé à la constitution même des 55 minorités. En effet, il

démontre que :

« Researchers based their taxonomic recommendations on an estimation of whether or not, based on both objective linguistic date and more affective interview data, a given cluster of applicants could reasonably be merged and transformed into a cohesive minzu [nationality] unit by the state after the Classification was over. » (Ibid. : 12-13)

Par la suite, les citoyens non-Hans se sont vus impliqués dans deux programmes

de nationalisation mis en place par l’État chinois, le premier visant le développement

d’une identité chinoise, le second visant le développement et la consolidation d’une

identité associée à leur « nationalité » (telle qu’établie par la classification) (Idem). Ces

programmes de nationalisation se sont déployés via maints projets d’ingénierie sociale

telle que l’éducation publique standardisée, la standardisation des langues minoritaires, la

27 Et non une Chine composée de centaines de nationalités comme dans l’imaginaire sous les Qing vers la fin de l’empire, ni composée d’une seule nationalité, comme dans l’imaginaire des nationalistes du GMD durant la première moitié du 20e siècle (Mullaney, 2011 : 5).

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37

formation de cadres issus de minorités, etc. Grâce à ces projets, les catégories établies par

l’État lors de la classification ont été progressivement réifiées, de sorte qu’on constate

une convergence de plus en plus grande entre ces regroupements et la réalité. En d’autres

termes, la majeure partie des minorités ethniques s’identifient aujourd’hui selon les

désignations officielles. Malgré tout, il y a encore aujourd’hui plusieurs demandes de

reconnaissance officielle en cours d’examen, et de nombreuses personnes demeurent

« non classées » parce qu’aucune catégorie ne permet de les intégrer (Gladney, 2004).

Selon le recensement de 1990, en effet, 749 341 personnes appartiennent à des

« nationalités non identifiées » (ce qui représente néanmoins un plus petit nombre que

lors du recensement de 1982) (Mackeras, 1994 : 143).

Un autre aspect permet de voir le caractère partiellement construit des nationalités

chinoises, qui concerne cette fois la revalorisation des identités locales28. À partir des

années 1980, « Not only have the ‘official’ minorities in China begun to more strongly

assert their identities, […] but different groups from within the so-called Han majority

have begun to rediscover, reinvent, and reassert their ethnic differences. » (Gladney,

2004 : 23) Suivant cette revalorisation de l’identité ethnique, on constate une grande

augmentation du nombre officiel de personnes issues d’un groupe minoritaire en Chine,

augmentation qui est en grande partie attribuable à une recatégorisation des individus.

Les Hans, notamment ceux du Sud, considèrent de plus en plus leurs particularités locales

comme étant des différences ethniques, ce qui les pousse à se redéfinir comme faisant

partie d’une minorité (Ibid. : 20). Il est possible que, comme le soutient Hoddie (1998),

cette recatégorisation se fasse dans un but instrumental, en raison du traitement

préférentiel accordé aux minorités ethniques depuis la fin de la Révolution culturelle et

les réformes des années 1980. Dans tous les cas, cette tendance permet de voir que la

« nationalité Han », tout comme l’existence des 55 minorités, n’est pas une réalité

évidente et non problématique29. C’est plutôt la représentation des 56 nationalités, ancrée

28 Mackeras (2004 : 221-24) souligne cependant que si on constate une augmentation de l’identité ethnique chez un grand nombre de minorités chinoises, dans certains cas, la conscience ethnique va s’affaiblissant. D’un côté, on assiste effectivement à une revalorisation des cultures traditionnelles en Chine. Mais de l’autre, les processus de modernisation et de mondialisation tendent à atténuer les différences entre les différentes nationalités. 29 Au niveau linguistique, Dwyer (2005 : 81) souligne avec justesse la diversité existant au sein même de la nationalité Han. Les différents dialectes qui composent le mandarin (appelé Hanyu, ce qui signifie

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38

dans le quotidien des individus par l’immense infrastructure politique et économique de

l’État, qui rend leur existence « réelle » (Mullaney, 2011).

2.4.2 Les minorités dans l’œil de l’État chinois

Ce qui précède permet de saisir l’importance de la représentation des minorités

ethniques, notamment dans les textes officiels. Tout d’abord, il est crucial de reconnaître

que la représentation des minorités est principalement l’apanage des « Hans » et de l’État

(Baranovitch, 2001 : 364). En d’autres termes, les productions scientifiques et culturelles

au sujet des minorités ethniques sont principalement faites par des individus qui ne sont

pas considérés comme des minorités, qui s’identifient à la nation Han. C’est en ce sens

qu’il est possible de parler, à l’instar de Gladney (1994, 1999), d’« orientalisme oriental »

en Chine. Cet « orientalisme oriental » consiste d’abord et avant tout en une

représentation des minorités ethniques comme étant exotiques, primitives et colorées30.

D’ailleurs, la vaste majorité des auteurs qui ont étudié la représentation des minorités

ethniques en Chine s’entendent pour dire qu’elles sont quasi systématiquement définies

par la pauvreté, l’analphabétisme et les superstitions (Hoddie et Lou, 2009). De surcroît,

la représentation orthodoxe des minorités en RPC est extrêmement paternaliste : elles y

sont dépeintes comme des enfants qui doivent être guidés par l’État, notamment dans la

justification de politiques préférentielles visant le « rattrapage » des minorités vis-à-vis

des Hans (Sautman, 1998). Par-dessus tout, les minorités sont dépeintes avec le sourire,

heureuses qu’elles sont de faire partie de la mère patrie chinoise (Baranovitch, 2001 :

362-66; Gladney, 1994 : 97; 1999 : 51).

Malgré cette continuité dans la représentation des minorités, la façon qu’a eue le

gouvernement de présenter cette image des « minorités primitives » a changé. Grâce à

une analyse d’articles parus dans le People’s Daily entre 1950 et 2001, Hoddie et Lou littéralement « langue des Hans ») sont dans une large mesure mutuellement inintelligibles. Des recherches archéologiques récentes tendent également à démontrer qu’ils ont des origines divergentes. 30 Schein (2000) emploie quant à elle l’expression « orientalisme interne » pour distinguer cette pratique de l’orientalisme tel que défini par Edward Said. Elle précise en effet que l’orientalisme interne diffère de l’orientalisme externe dans la mesure où ceux qui sont rendus « autres » dans la représentation dominante peuvent simultanément être considérées comme faisant partie du peuple ou de la nation de ceux qui les représentent (Ibid. : 106).

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(2009) arrivent à deux constats quant à la représentation des minorités par le

gouvernement. En premier lieu, selon l’époque, le caractère « primitif » des minorités

ethniques a été dépeint sous un jour positif ou négatif. En second lieu, les thèmes

dominants associés aux minorités ont évolué avec le temps, de pair avec la vision plutôt

positive ou négative de ces dernières. Durant les premiers temps de la RPC (1950-1957),

dans le contexte du Projet de classification ethnique, les minorités sont surtout abordées

du point de vue de la préservation de leurs cultures, dans des termes autant positifs que

négatifs. Par la suite, durant le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle (1958-

1976), elles sont présentées en termes essentiellement négatifs, critiquées pour leurs

habitudes arriérées qui freinent le progrès socioéconomique de la Chine. Enfin, durant la

période des réformes et au-delà (1977 à 2001), elles sont surtout représentées en termes

positifs, comme étant une source de divertissement. Cette représentation se place dans le

contexte de l’adoption de politiques visant à apaiser les minorités en raison des années de

discrimination qui ont précédées, d’une part, ainsi que de la mondialisation économique

et le développement de l’industrie touristique, d’autre part.

Dans tous les cas, la représentation des minorités contraste vivement avec celle

des Hans. Ces derniers sont en effet systématiquement représentés dans des vêtements

simples, unis, modernes, ce qui contribue à donner une image d’eux comme incarnant la

normalité, la civilité, la modernité31. Les femmes issues de minorités, en particulier, sont

représentées comme exsudant la sensualité et la sexualité. Dans les publications

officielles, elles sont souvent présentées nues, dans des poses suggestives, alors que les

femmes Hans sont couvertes, adoptant une attitude conservatrice32. Cette représentation

des femmes issues de minorités fait en sorte que ces dernières sont considérées comme

étant libérées, non enchaînées par les réalités de la vie moderne, ce qui les rend sujettes à

des aspirations romantiques. En d’autres termes, elles incarnent ce que les Hans ne sont

pas, elles qui se considèrent restreintes et inhibées (Gladney, 1994 : 103-05)

31 Gladney (1994 : 97-98) fait le parallèle entre cette représentation des minorités ethniques et la représentation de peuples colonisés par des régimes coloniaux. Ayant montré les similitudes, il affirme que l’on peut en quelque sorte parler de colonialisme interne en Chine. 32 Soulignons que la pornographie et la représentation de personnes nues est illégale en Chine. Pourtant, le gouvernement a à plusieurs reprises demandé la production et l’exposition d’œuvres figurant des femmes minoritaires nues (Gladney, 1994).

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Évidemment, si l’État chinois a un rôle privilégié dans la représentation des

minorités ethniques, il ne faut pas non plus négliger l’agence de ces dernières dans leur

représentation d’elles-mêmes. En effet, les minorités tiennent parfois des discours qui ne

se conforment pas, voire résistent, à la représentation officielle. De plus, grâce à

l’ouverture croissante de la Chine, à la libéralisation économique, à l’introduction de

l’économie de marché et à la revalorisation de l’ethnicité depuis les années 1980, l’État

chinois a perdu son monopole discursif de la représentation des minorités. Les minorités

ont maintenant un accès direct aux médias nationaux et parviennent ainsi à avoir une voix

publique nationale. Elles participent donc activement à la représentation dominante de

leur identité ethnique. Selon Baranovitch (2001) et Gladney (2004), les identités

ethniques en Chine sont négociées entre les groupes minoritaires et l’État, d’une part, et

au sein des groupes minoritaires, d’autre part. La (re)construction des identités ethniques

doit donc être comprise comme « a dialogical interaction of shared tradition of descent

with sociopolitical contexts, constantly negotiated in each politico-economic setting. »

(Gladney, 2004 : 152).

2.4.3 Minorités et identité nationale chinoise

Selon quelques auteurs, cette représentation des minorités ethniques s’avère

centrale à la (re)définition de l’identité nationale chinoise. Pour Gladney (1994, 1999,

2004), c’est la représentation des minorités ethniques comme étant exotiques,

« colorées » et primitives qui rend possible la définition et l’homogénéisation d’une

majorité han définie comme unitaire, mono-ethnique et moderne. Son rôle est donc

double : d’une part, l’accent mis sur la différence linguistique et culturelle entre les Hans

et les minorités ethniques (le caractère « hybride » de ces dernières, leur localisation aux

marges de l’identité chinoise) permet d’atténuer l’importance des différences « internes »

au sein des Hans, ce qui a pour effet d’unifier cette « nationalité majoritaire »33. D’autre

33 Pourtant, loin d’être unitaire, la « nation han » regroupe des individus aux caractéristiques ethnoculturelles et aux langues très différentes les unes des autres, si bien qu’un « Han » d’une région donnée ne peut souvent pas dialoguer avec un « Han » d’une autre région (Gladney, 2009). Rappelons cependant que la vision unitaire de la « nation Han » a eu tendance à perdre quelque peu de sa prédominance dans les dernières années, en raison de l’affirmation des identités locales. Lai (2008 : 117)

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part, la représentation des minorités comme étant primitives et exotiques permet d’établir

une hiérarchie morale entre elles et les Hans, qui valorise ces derniers en les présentant

comme civilisés, avancés, modernes. Ce discours sur les minorités a donc pour

conséquence de légitimer la dominance politique, culturelle et économique des Hans en

Chine, de même que de promouvoir le projet étatique de modernisation et de

« nationalisation » (Gladney, 1994, 1999, 2004; Lai, 2008; Schein, 2000; White, 1998).

Grâce à ce discours, les Hans sont présentés comme étant la « destinée manifeste » de

toutes les nationalités en Chine (Gladney, 1999 : 59).

« Public, state-sponsored minority representation as both more sensual and more primivitive (sic) than the Han supports the state’s agenda: With the proper educational and economic progress they will eventually attain the modernity that the Han have attained, and enter into the same civilized restrictions under the authority of the state as vanguard. Symbolic tribute by minorities becomes an important link with China’s past, establishing their own feudal pasts, and a signal of who will lead the future. It also legitimates the state’s authority to enforce homogeneity, morality, and ‘civility’ among the nearly 92 per cent Han majority, while difference is ‘temporarily’ tolerated among the ‘backward’ minorities. In a socialist society that claims to be post-Confucian, gender and ethnic hierarchies continue to be articulated in a discourse of morality – the proper ordering of the social universe. » (Ibid. : 76)

Cette politique de la représentation en Chine révèle ainsi le projet de l’État de

construction d’une identité nationale en termes binaires de majorité/minorités. Ce

discours transcende la société chinoise, dans la culture, l’art et les médias (Gladney,

1994 : 94). Si cette romanticisation des minorités ethniques à la National Geographics

peut se trouver dans toutes les sociétés, en Chine, « the state is intimately tied to, in

control of, and provides funding for the politicized process of portraying the Other. »

(Ibid. : 113).

Ce discours sur les minorités ethniques recèle toutefois un potentiel contestataire.

En présentant les minorités ethniques comme étant pures et libres, ayant une culture qui

n’a pas été déformée par les excès de la politique, ce discours transforme la « culture

Han » (Anagnost, 1993 : 72). La présentation romantique des nationalités minoritaires,

par contraste avec l’aliénation moderne de la vie urbaine chinoise, peut être vue comme démontre à ce niveau que le discours nativiste, qui valorise les différences locales, déstabilise le discours hégémonique en remettant en question l’unité culturelle des Hans.

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une critique culturelle, voire un rejet de la Chine han moderne, une façon de critiquer

l’État totalisant et dépersonnalisant. En allant puiser dans les sources culturelles et

artistiques indigènes, il devient possible d’articuler, à travers la culture populaire, le

sentiment d’aliénation de ceux qui se reconnaissent comme Hans par rapport à l’ordre

établi34 (Baranovitch, 2001 : 384-92). Enfin, Gladney (1994, 1999) montre comment la

représentation des minorités comme étant sensuelles, libérées et colorées permet

d’aborder des thèmes tabous, voire illégaux, dans la culture populaire. Bref, si le discours

officiel sur les minorités ethniques renforce la définition de la nation chinoise telle que

promue par le gouvernement et le PCC, il offre aussi les ressources métaphoriques pour

contester cette vision dominante et articuler des identités chinoises alternatives.

34 Baranovitch (2001) rapporte à cet effet que de plus en plus de Chinois, surtout des jeunes vivant en milieu urbain, recherchent la spiritualité et l’authenticité qu’auraient les minorités et qui feraient défaut aux Hans. L’auteur donne l’exemple notamment de l’engouement pour les voyages spirituels au Tibet, que plusieurs Hans feraient dans la perspective d’une quête de soi, de spiritualité et d’authenticité. En somme, tout en se définissant par opposition aux « Autres internes » que sont les minorités ethniques, plusieurs s’inspireraient de ces identités alternatives et souhaiteraient, en ce sens, faire « partie de l’Autre » plutôt que de s’en détacher.

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3. Médias de masse, identité nationale chinoise et nationalisme

Dans cette troisième et dernière section de notre recherche, nous nous penchons

sur le rôle des médias de masse par rapport à l’identité nationale et au nationalisme

chinois. Puisqu’il s’agit d’un sujet extrêmement vaste, nous avons choisi de concentrer

les exemples sur les médias télévisés. Ce choix s’impose étant donné que ce type de

médias représente la principale source d’information et de divertissement en Chine (plus

de 90% de la population totale disposant d’un téléviseur) (Latham, 2007 : 43).

Cette section se divise en deux parties. La première fait une revue de littérature

sur les relations actuelles entre les médias de masse et l’État chinois. Après avoir fait un

survol des réformes médiatiques réalisées en Chine durant les années 1980 et 1990, nous

présenterons les deux thèses principales concernant les relations entre les médias de

masse et l’État. La seconde partie aborde plus en profondeur le rôle des médias dans la

représentation des « Chinois » et, par extension, dans la définition de l’identité nationale

chinoise. Nous y verrons en particulier comment s’expriment les tensions entre l’État et

le marché dans le cas spécifique de l’identité nationale, avec lesquelles les médias

doivent conjuguer.

3.1 Les médias de masse et l’État chinois

3.1.1 Conception maoïste des médias en Chine

Afin d’appréhender les relations actuelles entre l’État/le PCC et les médias de

masse chinois, il est essentiel d’éviter le piège de l’occidentalo-centrisme en tenant

compte de la conception chinoise des médias de masse (Curran et Park, 2000b). Dès les

débuts de la RPC35, les médias de masse ont été conçus comme des organes essentiels de

communication à double sens entre le peuple et le PCC (Hood, 1994). Comme l’explique

35 Et même avant, puisque dès la fondation du PCC en 1921, les médias ont été conçus comme étant les porte-parole du parti (Latham, 2007). Mao a d’ailleurs théorisé ce rôle dans les années 1940, dans On Literature and the Arts (De Burgh, 2000 : 549-550).

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Wang Zhixing : « The mass media publicize the party’s principles [regarding] decisions

and policies which are in fact based on information [taken] from the masses in the first

place. » (cité dans Lull, 1991 : 78). Les médias de masse assurent donc une double

fonction essentielle : d’un côté, ils sont responsables de disséminer l’information (les

instructions concernant l’implantation des politiques et les explications au sujet de ce qui

les motive), ce qui a pour but d’encourager la participation de la population. D’un autre

côté, ils sont aussi responsables d’obtenir des informations sur la population, sur les

attitudes populaires, etc. Il ne s’agit donc pas, au moins en théorie, d’endoctrinement et

de coercition, mais plutôt d’un mécanisme crucial dans un système administratif et de

gouvernance plus large fondé sur une philosophie du gouvernement et de la

communication par et pour le peuple (Latham, 2007 : 36).

En Chine, le contrôle du PCC sur les médias est rendu effectif par une

combinaison de trois éléments. Le premier est le « principe du parti », qui stipule que

tous les médias ont la responsabilité d’être les porte-parole du PCC. Le deuxième élément

concerne les restrictions sur la propriété des médias. Puisque les médias doivent être la

propriété du peuple, c’est son représentant, le PCC, qui doit en assurer le contrôle. Enfin,

le troisième élément consiste en un système d’autocensure par les journalistes et les

rédacteurs en chef, qui connaissent les limites de ce qu’il est politiquement correct de dire

et les respectent. Cette autocensure est accompagnée d’une surveillance par les autorités

du PCC (Latham, 2007 : 34-40). D’ailleurs, à la fondation de la RPC, tous les médias qui

n’ont pas été abolis ont été nationalisés et placés sous le chapeau d’une des trois agences

officielles, Xinhua, Red Flag et The People’s Daily (De Burgh, 2000 : 550). En pratique,

cela signifie aussi que les médias sont subventionnés en totalité par l’État (Liu,

1998 : 32).

3.1.2 Réformes médiatiques

Les réformes de la sphère médiatique entamée dans les années 1980 s’inscrivent

dans le contexte plus large des réformes économiques, qu’il n’est pas possible d’explorer

en détail ici. Il faut cependant indiquer que la chute drastique des dépenses publiques a eu

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45

des impacts majeurs sur les médias de masse chinois. En effet, elle a mené à une

réduction importante des subventions étatiques aux médias, subventions qui avaient

assuré leur survie jusque alors (Liu, 1998 : 32). Cette tendance a mené à l’adoption

officielle, en 1992, de nouvelles directives : désormais, la majeure partie des médias ne

pourraient plus compter sur du financement public. En conséquence, il leur serait permis

de diversifier leurs activités en vue d’assurer leur subsistance (De Burgh, 2000 : 551).

Ces développements ont donné le coup d’envoi à la réforme médiatique, qui se

caractérise par trois procédés principaux. Le premier est la décentralisation, c’est-à-dire

que les médias « have changed from being concentrated in the national capital to being

dispersed to localities; from the provincial capitals to the city and county seats; and,

within the central state system, from the power center to different branches, departments,

and bureaus of the government. » (Wu, 2000 : 47). Ainsi, des ministères et bureaux du

gouvernement central, de même que des gouvernements locaux, se sont empressés

d’obtenir leur propre voix médiatique. Soulignons aussi, dans le domaine de la télévision,

l’autonomie croissante des stations locales par rapport à la CCTV nationale (Yu, 1990 :

86). Le deuxième procédé est la socialisation, qui renvoie à la fin d’une structure

médiatique monopolisée par l’État et son remplacement par une nouvelle structure au

sein de laquelle les acteurs non étatiques jouent un rôle de plus en plus important (Wu,

2000 : 53). Si la propriété privée des médias demeure hors de question, plusieurs groupes

de la société civile (organisations de masse, syndicats, groupes de femmes, associations

professionnelles, etc.) ont eux aussi mis sur pied leur propre voix médiatique. Enfin, le

troisième procédé concerne la marchandisation des médias, conséquence directe de l’arrêt

des subventions publiques. Ces trois procédés ont mené à une explosion du nombre de

médias (écrits, télévisés, etc.) et à leur diversification structurelle, ce qui pose de

nombreux défis à l’État quant au maintien de son contrôle des médias (Lee, 1990b : 14).

Simultanément, les échecs de la Révolution culturelle ont amené bon nombre de

journalistes à remettre en question leur rôle au sein de la société chinoise (Ching-Chang

et Mei-Rong, 1990). En tant que porte-parole du PCC, les médias doivent-ils endosser les

politiques mises en place par ce dernier, même lorsqu’elles nuisent au peuple dont ils

sont ultimement les représentants? Ces questionnements, combinés à la libéralisation des

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46

médias durant les années 1980, ont généré des appels à une véritable démocratisation des

médias, qui ont culminé dans le mouvement pour la démocratie en 1989. La répression de

ce mouvement par l’État chinois au cours de cette même année a mis un terme abrupt à

ces revendications. Elle a aussi amené une recrudescence du contrôle de l’État sur les

médias, menant ces derniers à délaisser les thèmes politiques, pour se concentrer sur

l’économique et le divertissement. Dans ce contexte, Latham (2006b) affirme que les

journalistes se concentreraient maintenant sur une commercialisation accrue des médias,

et non plus sur leur démocratisation.

Malgré cela, Latham (2007) constate que depuis la fin de la vague de répression et

de censure post-1989, les journalistes et les producteurs médiatiques repoussent sans

cesse les limites de ce qui est acceptable comme production médiatique, « whether it [is]

by emulating or importing Hong Kong or other foreign programming; making news

reporting more sensational; probing the causes and effects of social problems such as

unemployment, crime, or poverty; or making greater use of pretty, and possibly slightly

more scantily clad, young women in films, advertisements, and television shows. »

(Latham, 2007 : 39-40) Les médias ont effectivement délaissé la rhétorique politique

(Zha, 1995 : 202), mais ce qui est considéré politique change.

« For instance, economic news reporting, television drama or entertainment production, television program distribution, advertising, and various other sectors of the media industries are now considered nonpolitical. This had far-reaching implications as, toward the end of the decade, it meant that private or non-media capital could be invested in these sectors, the governmental and Party surveillance regime became slightly more relaxed, and there were new opportunities for innovation and experimentation. » (Latham, 2007 : 40)

Par ailleurs, en obligeant les médias à s’autofinancer, la commercialisation a eu

pour conséquence le besoin pour ces derniers de tenir de plus en plus compte du

consommateur (De Burgh, 2003 : 802). Cette sensibilité accrue aux attentes des

consommateurs a mené, aux dires de certains, à la « tabloïdisation » des médias, c’est-à-

dire « a shift from hard news (news about politics, economics, and society) to soft news

(news about diversions such as sports, scandal, and celebrities) and a shift from

concentrating on public life to concentrating on private life », de même que « a shift in

style from analysis toward the telling of stories, which often means presenting narratives

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of one individual’s or possibly a family’s or community’s trials rather than a broad

explanation of a general problem. » (McCormick et Liu, 2003 : 152). Dans le domaine

télévisé, on constate ainsi l’apparition d’émissions populaires qui véhiculent une

idéologie contraire à l’idéologie officielle (Yu, 1990 : 86).

3.1.1 Les réformes médiatiques et le contrôle de l’État36

Tout ce qui précède met en relief une problématique majeure, amplement explorée

dans la littérature académique : les réformes économiques ont-elles sapé le contrôle que

le PCC et l’État communiste ont traditionnellement exercé sur les médias? Ou, au

contraire, préservent-ils leur mainmise via d’autres mécanismes que la coercition et le

contrôle direct?

D’une part, plusieurs auteurs voient dans les réformes la source d’une perte de

contrôle de l’État chinois et du PCC sur les médias de masse. Un des éléments clés de

cette thèse est la réduction drastique de la dépendance financière des médias à l’égard de

l’État (Wu, 2000). Selon les tenants de cette thèse, l’économie de marché diminue le

pouvoir de l’État par rapport aux médias et, ce faisant, constitue une force libératrice

(Ma, 2000). Plus spécifiquement, la marchandisation des médias aurait multiplié les rôles

des médias : ces derniers ne seraient plus seulement des porte-parole du PCC et de l’État,

ils assureraient aussi les fonctions de divertissement, d’éducation et d’information

générale (Yong, 2000). Combinées aux avancées technologiques, les réformes

administratives et économiques auraient fait en sorte que le gouvernement n’a plus la

capacité d’imposer, à travers les médias, une définition de la réalité (Lynch, 1999). Plus

encore, avec la prolifération des médias de masse, les politiciens seraient plus exposés

36 Cette section est une généralisation inévitable d’une situation hautement complexe. Dans les faits, les rapports entre les médias et le PCC diffèrent largement en fonction de divers facteurs, notamment le type de média, le niveau où il se situe, la région où il se trouve, ainsi que le contenu traité. Soulignons que, de manière générale, les médias nationaux sont davantage censurés que les médias locaux et provinciaux, qui ont davantage d’autonomie. Le contenu politique est hautement contrôlé, alors que l’information jugée non politique est peu censurée. Les organes du PCC sont plus censurés que les médias semi-indépendants. La presse écrite est la plus censurée, alors que les médias électroniques le sont assez peu. Enfin, les médias d’information ont beaucoup moins de marge de manœuvre que les médias de culture populaire/de divertissement (Ma, 2000 : 22-23; Yu, 1990 : 86).

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aux regards de la population, ce qui aurait pour conséquence que la population est mieux

informée de la politique et que l’opinion publique joue un rôle plus important dans la

régulation de la société et de la politique chinoises d’aujourd’hui (Gries et Rosen,

2004b : 9).

D’autres auteurs considèrent plutôt que le PCC tolère une certaine perte de

contrôle sur les médias parce qu’il tire grand avantage de leur commercialisation. Selon

Akhavan-Majid (2004), par exemple, le PCC a intérêt, tout comme les entrepreneurs

médiatiques, à ce que les médias maximisent leurs profits, ne serait-ce que parce qu’il

gagne en bénéfices économiques à travers la taxation des profits de l’industrie

médiatique, qui est aujourd’hui l’une des plus lucratives en Chine (Akhavan-Majid,

2004 : 558).

Malgré tout, cette perte de contrôle ne signifie pas forcément une

« démocratisation » des médias. Rappelons que les auteurs s’entendent pour dire que la

libéralisation des médias ne touche que les contenus jugés apolitiques, tels que les

nouvelles économiques et le divertissement. De plus, la commercialisation augmente le

pouvoir des consommateurs, non pas des citoyens. Il s’agit donc d’un processus donnant

davantage de pouvoir aux classes possédantes, mais qui marginalise celles non

possédantes (qui ne sont pas le public ciblé par la publicité) (Ma, 2000 : 26-27).

D’autre part, bon nombre d’auteurs soulignent la persistance du contrôle de l’État

chinois sur les médias. Selon Latham (2006a : 7), il s’agit d’une continuité entre l’ère

actuelle et l’ère maoïste. Ainsi, « Traditional propagandistic functions, such as

participating in top-down media campaigns and writing internal reference materials for

Party officials, remain integral parts of a journalist’s job description. » (Zhao, 2004 : 50)

Lull (1991) rappelle à cet effet que la couverture des événements entourant Tiananmen

démontre avec force que le PCC détient ultimement le contrôle des médias et détermine

le traitement de l’information. « This iron fist control is less apparent when things are

going well for the government. But when China faces a crisis, reactionary forces once

again assert their power […]. » (Lull, 1991 : 85).

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He (2000, 2003) est l’un des principaux auteurs s’inscrivant dans la thèse d’un

maintien du contrôle par l’État. S’intéressant à la presse écrite, il argue que les réformes

économiques ont changé l’appareil médiatique officiel pour en faire ce qu’il nomme

« Party Publicity Inc. ». Dans ce contexte, la fonction des médias consiste à promouvoir

l’image et la légitimité du PCC, non plus par de la propagande et de l’endoctrinement,

mais plutôt par des messages adoucis qui rendent divertissants les thèmes politiques, de

façon à attirer l’attention du consommateur. Et, « as an “Inc.,” financially responsible for

its own survival, it operates in many ways more like a business entity than like a purely

party-paid organ, subject as much to economic pressure as to political influence. » (He,

2000 : 143-44)37.

Or, si les réformes médiatiques n’ont pas érodé le contrôle de l’État, elles ont

néanmoins mis de l’avant un nouveau joueur. L’élite économique constitue aujourd’hui

une force de régulation du journalisme de plus en plus importante, de sorte qu’un nombre

croissant de journalistes sont devenus de facto les porte-parole de l’élite économique

chinoise. Cette dernière nuance permet de voir que la réalité est beaucoup plus complexe

que les deux thèses précédentes ne le laissent croire. Certains auteurs considèrent ainsi

que les réformes médiatiques ont placé les médias dans une situation tendue entre l’État

et le marché (Latham, 2006b; Liu, 1998; Polumbaum, 1990; Zhao, 1998, 2004). Malgré

la commercialisation, l’État cherche à conserver le contrôle de la production médiatique.

Par conséquent, les médias doivent opérer en suivant deux logiques – celle du marché et

celle du PCC – ce qui a généré des contradictions et tensions avec lesquelles ils doivent

conjuguer. Les médias doivent donc à la fois réaliser des profits par la vente de publicités

et satisfaire aux demandes du PCC (Latham, 2006b : 85). Pour servir leurs « deux

maîtres », les journalistes improvisent et adoptent de nouvelles pratiques, de façon à

satisfaire les auditeurs, tout en restant à l’intérieur des limites permises en reliant le

contenu à l’idéologie officielle (Lee, 2000c : 16-17; Pan, 2000; Pan et Lu, 2003). Selon

Latham (2006b : 82), cette situation des médias entre le marché et l’État ne remet pas en

cause l’hégémonie du PCC dans la propagande médiatique chinoise, mais elle en rend les 37 Reprenant cette thèse, Lee (2000a : 562) souligne cependant que ce développement peut être vu à la fois comme le renforcement du parti en donnant une nouvelle forme à l’idéologie officielle pour la vendre avec profit, ou comme un affaiblissement du parti, qui tente désespérément d’échanger des privilèges aux médias contre le maintien de leur loyauté.

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50

incohérences et anachronismes de plus en plus évidents. Ceci donne une voix accrue aux

dissidences et positions alternatives – tant que ces dernières demeurent hors du champ

politique.

3.2 Médias télévisés et nationalisme en RPC

Dans ce contexte, il devient clair que le rôle des médias de masse dans la société

chinoise n’est pas univoque ni facile à cerner. Les relations entre les médias de masse et

le nationalisme sont hautement complexes non seulement parce que les médias sont pris

entre l’État et le marché, mais aussi et surtout parce que ces deux « maîtres » sont pluriels

et dotés d’agence. Il ne faut donc pas considérer l’État et le marché comme deux entités

fixes, homogènes et évidentes (Xueping, 2010 : 8-10). L’État lui-même n’est pas exempt

de contradictions, et plusieurs auteurs soulignent les débats et divergences idéologiques

au sein de l’État et du PCC (Dittmer, 1994; Hood, 1994; Xueping, 2010). Les médias de

masse chinois seraient d’ailleurs un des principaux sites de luttes entre les élites

politiques, luttes qui se refléteraient dans les représentations des enjeux sociaux,

politiques et économiques qui y sont faites (Dittmer, 1994; Hood, 1994). En d’autres

termes, parce que le Parti-État chinois est divisé, il n’existe pas une vision idéologique

dominante, unitaire et hégémonique, qui serait véhiculée à travers les médias de masse,

mais bien plusieurs visions concurrentes et parfois contradictoires (Xueping, 2010). C’est

donc en gardant cette complexité à l’esprit que nous procédons, dans ce qui suit, à la

présentation des relations entre les médias de masse et l’identité nationale chinoise, telles

que théorisées dans la littérature académique38.

De manière générale, les médias de masse sont considérés comme une institution

sociale qui tend à diffuser et reproduire l’idéologie dominante, soit celle des élites. Les

routines et contraintes de production, institutionnalisées et empreintes de cette idéologie,

sont reflétées dans les médias, par exemple à travers les personnes citées, les sujets

abordés, les opinions sur ces derniers, etc. Ainsi : « Despite the large ideological variety

38 Rappelons que selon la position adoptée par les auteurs quant aux rapports entre le Parti-État et les médias (perte ou maintien du contrôle), les avis divergent quant au rôle joué par les médias de masse par rapport au nationalisme chinois.

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and confusion of contemporary society, given the increasing control of the elites of the

mass media, and the increasing role of the mass media as the major means of ideological

control of society, elite ideologies will generally tend to dominate. » (Kuo et Nakamura,

2005 : 394-95) Les médias de masse façonnent la culture et la communication au sein

d’une société. Par conséquent, « [t]hey play an important role in building a common

culture by providing the staple diet of news and entertainment to the people in dispersed

locations. » (Patel, 1995, cité dans Ito, 1999 : 12).

Dans le contexte spécifique de la Chine, le rôle des médias de masse doit bien sûr

être considéré en lien avec la réforme. Tout d’abord, comme nous l’avons vu plus tôt, les

réformes médiatiques ont mené à une « tabloïdisation » des médias de masse. Selon

McCormick et Liu (2003), cette tendance a ouvert la voie à de nouvelles représentations

du peuple. Le style tabloïd met un accent particulier sur la sphère privée, et « an

increasing emphasis on matters of private life may provide a more open-ended means of

representing “the people” in Chinese media than has previously been possible. »

(McCormick et Liu, 2003 : 153-54).

Ensuite, la diversification, l’explosion du nombre de médias en Chine et l’accès

accru à ces derniers ont eu d’énormes impacts sur la société chinoise, ne serait-ce qu’en

donnant aux Chinois une variété de nouvelles ressources pour comprendre et la Chine et

se représenter la nation chinoise (Latham, 2006a). Ceci est particulièrement vrai en ce qui

concerne les médias télévisés. Avant les réformes, « audiences were presented with a

fairly unified picture of the nation, centered in Beijing and supplemented by the

complementary perspective provided by local television channels. » (Latham, 2007 : 59)

Par conséquent :

« With diverse satellite stations broadcasting in some cases in incomprehensible dialects or languages and presenting locally produced content with clear elements of local flavor, and hence difference, audiences have come to be faced with subtle forms of diversity within the idea of the nation-state. » (Ibid. : 57-58)

En termes d’identité nationale, cela signifie qu’il y a aujourd’hui coexistence d’une

grande variété de « communautés imaginées » véhiculées à travers les médias chinois. La

diversification et la localisation accrue de la programmation télévisée ont eu deux effets

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interreliés, mais contradictoires : « It has helped stations establish their own specific

identities, but has also accentuated the diversity among Chinese audiences. » (Ibid. : 60).

En voyant de plus en plus de programmes locaux, dans d’autres langues, avec des

éléments culturels différents, les téléspectateurs prennent de plus en plus conscience de la

diversité culturelle au sein de la Chine, des différences entre eux et d’autres Chinois. Ceci

tend à miner l’unité nationale ou, à tout le moins, reconfigure le rôle de la télévision

chinoise dans le maintien et le renforcement de l’unité nationale.

Malgré tout, comme nous l’avons vu, le PCC et l’État semblent conserver un

certain contrôle sur la production médiatique. Selon Cao (2007), les élites politiques et

les médias de masse conservent le monopole du droit de parler au nom de la nation

chinoise, bien que ce monopole ne soit pas incontesté comme nous l’avons vu plus dans

la section précédente. Cette contestation aurait d’ailleurs rendu d’autant plus importante

la communication de masse via les médias, en raison de la fragmentation sociale due à la

libéralisation économique (Cao, 2007 : 433). Ainsi, le Parti-État chinois cherche à utiliser

les médias pour la reconstruction nationale (nation-building), notamment par la

présentation d’événements médiatiques, c’est-à-dire des « national events, rituals and

ceremonies in which national unity, strength and prosperity can be visualized for

television audiences both at home and abroad. » (Sun, 2001 : 27) Ces événements

médiatiques font un certain contrepoids à la diversification dont nous avons parlé plus

haut.

Quelle que soit l’idéologie véhiculée – celle de l’État, du PCC, de l’élite

économique, etc. – on constate certaines représentations dominantes de la population et

de la nation chinoises au sein des médias de masse. S’intéressant précisément à cette

représentation dans les médias d’information, De Burgh (2003) indique qu’à travers les

reportages :

« The audience is being constructed as engaged, patriotic and moral on terms laid down by the mediators [the journalists]. However, there is a process of interaction: the world is framed, ordered and named by the mediators but, even as the inquiries of the investigative journalists legitimate certain attitudes and behaviours, so they stimulate response.

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The process changes or reinforces aspects of national identity […]. It introduces new expectations of what it is to be Chinese, a businessman or woman, an official, a citizen. Some people are excluded: those who do not speak good Mandarin; the marginalized; non-Chinese inhabitants of the Peoples Republic of China; unfortunates. Chinese current affairs TV, doubtless like its equivalents elsewhere, ritually condenses abstract ideas and reformulates them as ‘facts’ or ‘actuality’, creating models in the process. » (De Burgh, 2003 : 812)

Il ne faudrait cependant pas croire que cette représentation a un effet direct sur les

lecteurs/auditeurs. Plusieurs auteurs soulignent en effet le décodage actif des

lecteurs/auditeurs (Arac, 1997; Friedman, 1994b; Lull, 1991; Ma, 2000). En raison des

décennies de fort contrôle idéologique, beaucoup de Chinois auraient développé une

aptitude à lire entre les lignes de textes médiatiques censurés, de façon à en arriver à des

lectures divergentes de celles désirées par l’État, voire à des lectures subversives. En

Chine, l’étroitesse des relations entre le PCC, le gouvernement et les médias de masse

sont connues, de sorte que les consommateurs de médias s’attendent à un biais favorable

envers le PCC et l’État. Peu importe l’attitude personnelle des lecteurs ou des auditeurs

envers le Parti-État, la conscience du rôle politique des médias affecte profondément la

façon dont les Chinois consomment les médias (Latham, 2007 : 74-75). Ce décodage

actif serait même d’autant plus présent aujourd’hui, dans le contexte de la

commercialisation des médias : « Since media producers serve two masters – the state

and the public (sometimes interchangeable with the market) – they get around by

improvising “double coding,” creating textual and intertextual discrepancies. » (Ma,

2000 : 29)

3.3 Nouvelles avenues

En regard de tout ce qui précède, deux avenues de recherche nous semblent

particulièrement prometteuses, et pourtant encore peu explorées, pour comprendre les

liens complexes existant entre les médias de masse et l’identité nationale chinoise. La

première est l’étude de la culture populaire39, notamment celle véhiculée à travers les

39 Notons que le concept même de « culture populaire » demeure polysémique. À des fins de compréhension, nous lui donnerons une définition provisoire, en gardant à l’esprit que cette définition varie d’un texte à l’autre. La culture populaire consiste en un système de croyances et de valeurs généralement

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médias télévisés. Selon Ma (2000 : 31), la libéralisation inégale des médias chinois a

ouvert un grand espace pour la culture populaire. Ces textes populaires ont eux-mêmes

ouvert un espace à l’extérieur du contrôle de l’État, où l’audience peut explorer ses rêves

et aspirations. Selon Wang (1999), « the significance of the rise of popular television is

associated with the emergence on the cultural stage of a previously subordinated social

grouping: ordinary people now establish their own subjectivity and cultural identity. »

(Wang, 1999 : 234)

« I argue that the banal space created by entertainment and popular media should be watched carefully, not independently of, but in conjunction with, the spectacles created by state-controlled electronic media. To obtain a complete picture of the dynamism and complexity of China’s media sphere, we need to study not only the production of spectacles, but also the production – and consumption – of incidents, phenomena, or even moods and sentiments that would otherwise remain the province of individuals in their daily lives, were it not for intervention, promotion or endorsement by the popular media. » (Sun, 2001 : 31-32)

Bref, il est possible que l’impact des médias de culture populaire, surtout les médias

télévisés, sur l’identité nationale soit plus grand que celui des médias d’information. Il

semble par exemple que le décodage sceptique de l’information médiatique soit moindre

dans le cas du divertissement. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que « Television

is quickly becoming the most potent shaper of popular images and values » (Lee, 2000c :

17).

Par ailleurs, les médias de culture populaire sont aussi importants en ce qu’ils

suscitent des questionnements et des discussions sur des enjeux politiques plus larges. La

série Xin Xing, diffusée en 1986, aurait par exemple amené les auditeurs à se positionner

quant à l’enjeu de l’efficacité de la réforme économique mise de l’avant et chapeautée par

le gouvernement (Lull, 1991 : 124-25).

partagé par une population donnée, généralement « nationale » (Slotkin, 1993 : 9). Par ailleurs, soulignons qu’il existe deux positions principales dans la littérature sur la culture populaire en sciences sociales. La première voit un lien causal entre culture populaire et politique. La culture populaire serait ainsi, dans cette perspective, une variable indépendante (la cause du comportement des individus, groupes, États) ou dépendante (le reflet de la société et la politique) par rapport à la politique (Shea, 1999 : 2-3). La seconde position privilégie une approche constitutive et interprétative qui met l’accent sur la performativité du discours (ré)itéré dans les médias de la culture populaire. Cette conception fait de la culture populaire un élément dans le processus de constitution de la réalité géopolitique par ses discours sur le Soi, les Autres et les relations qui les (dés)unissent (Weldes, 1999, 2003; Slotkin, 1993).

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Enfin, l’étude de la culture populaire chinoise permettrait de nuancer l’analyse de

la résurgence du nationalisme chinois depuis les années 1990. Par une analyse de film,

Xiao (2002) révèle par exemple les contestations dont le nationalisme fait l’objet en

Chine. Par la même occasion, l’auteur montre que le nationalisme chinois est complexe et

pas seulement radicalement antioccidental. En somme, l’étude de la culture populaire

nous semble extrêmement fertile pour approfondir notre compréhension actuelle du

nationalisme chinois, notamment en lien avec les minorités ethniques, ainsi que du rôle

joué par les médias de masse dans la représentation de la nation chinoise.

La seconde avenue de recherche concerne l’Internet et les nouvelles technologies.

L’analyse de forums, de blogues, etc. nous semble cruciale dans la mesure où elle

permettrait d’avoir une idée plus juste de ce que dit la population sur la nation chinoise et

le nationalisme. Puisque, comme nous l’avons vu, les consommateurs de médias font une

lecture active de la production médiatique, on ne peut prendre pour acquis que l’idéologie

véhiculée dans les médias ait un impact direct sur les auditeurs, ni qu’elle reflète leur

pensée (ce que font pourtant bon nombre de chercheurs). Il importe à présent de se

pencher sur la représentation que la population se fait de la nation chinoise, ce que rend

possible l’analyse de blogues et de forums Internet. En ce sens, l’émergence de tout un

pan de recherche sur les nouveaux médias et l’Internet est prometteuse. Toutefois, la

problématique de l’identité nationale et de ses liens avec les minorités ethniques demeure

sous explorée.

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56

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