Chasseuse de vampires - Tome 8: L'énigme de...
Transcript of Chasseuse de vampires - Tome 8: L'énigme de...
NaliniSingh
CHASSEUSEDEVAMPIRES–8
L’énigmedel’Archange
Traduitdel’anglais(États-Unis)parLuceMichel
NaliniSingh
L’énigmedel’Archange
Chasseusedevampires–8
Collection:CrepusculeMaisond’édition:J’ailu
Traduitdel’anglais(États-Unis)parLuceMichel
©NaliniSingh,2015Pourlatraductionfrançaise:©ÉditionsJ’ailu,2016Dépôtlégal:juin2016
ISBNnumérique:9782290129425ISBNdupdfweb:9782290129449
Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782290124703
CompositionnumériqueréaliséeparFacompo
Présentationdel’éditeur:Lorsqu’unerumeurfaitétatd’uncomplotvisantàassassinerl’ArchangedePerse,NaasirestaussitôtdépêchéparRaphaelpourleretrouveravantqu’ilnesoit troptard.Eneffet,unAncientirédesonSommeilpeutengendrer lespirescatastrophesetmenacer l’avenirdel’espèceangélique.
Durantcettetraque,Naasirdevracollaboreravecl’éruditeAndromeda.Fascinéeparlafélinemaisinexplicablenaturedesonpartenaire,cettedernièreaimeraitpartageravecluisessecretslesplusintimes.DessecretsquipourraientmettreenpérilleurmissionetleCadretoutentier…
Biographiedel’auteur:NALINISINGHest née en1977.Elle est l’auteur denombreux romans régulièrement présents sur la liste des best-sellers duNewYorkTimes.AvecL’énigmedel’Archange,découvrezlehuitièmetomedeChasseusedevampires.
Couverture:d’après©A.Long/Shutterstock
©NaliniSingh,2015
Pourlatraductionfrançaise:©ÉditionsJ’ailu,2016
DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu
LesangdesangesChasseusedevampires–1
N°9504
Lesouffledel’ArchangeChasseusedevampires–2
N°9677
Lacompagnedel’ArchangeChasseusedevampires–3
N°9887
Lalamedel’ArchangeChasseusedevampires–4
N°10178
Latempêtedel’ArchangeChasseusedevampires–5
N°10372
LaLégiondel’ArchangeChasseusedevampires–6
N°10892
Lesombresdel’ArchangeChasseusedevampires–7
N°11083
LemurmuredesangesN°10628
Sommaire
TitreCopyright
Biographiedel’auteur
DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu
Laprophétie
Chapitre1
Chapitre2
Chapitre3
Chapitre4
Chapitre5
Chapitre6
Chapitre7
Chapitre8
Chapitre9
Chapitre10
Chapitre11
Chapitre12
Chapitre13
Chapitre14
Chapitre15
Chapitre16
Chapitre17
Chapitre18
Chapitre19
Chapitre20
Chapitre21
Chapitre22
Chapitre23
Chapitre24
Chapitre25
Chapitre26
Chapitre27
Chapitre28
Chapitre29
Chapitre30
Chapitre31
Chapitre32
Chapitre33
Chapitre34
Chapitre35
Chapitre36
Chapitre37
Chapitre38
Chapitre39
Chapitre40
Chapitre41
Chapitre42
Chapitre43
Chapitre44
Chapitre45
Chapitre46
Chapitre47
Chapitre48
Chapitre49
Chapitre50
Chapitre51
Épilogue
Laprophétie
ZhouLijuancontemplaitlelargedisquemétalliquequipendaitaumur,faceàsontrône.Ils’agissaitd’uneœuvred’art qu’unadmirateur lui avait offerte il y avait très longtempsde cela.L’admirateur enquestions’étaitperdudansleslimbesdesamémoirelourdedemillénairesdesouvenirs,maiselleavaitconservélecadeau–quelquechosel’émouvaitdanscedisqueétincelant,sidélicatementciselé.
Elleletrouvaitfascinant,mêmeaprèsdesmilliersd’annéesdeprésencedanslasalledutrônedesaforteresse laplus reculée.Peut-êtreparceque ledisque la reflétaitaussinettementquen’importequelmiroir,sanspourautantenavoirlafragilité.Ilpourraitsecabosser,maisnesebriseraitjamais.Ilavaitréfléchi sa force et sonambition, lorsqu’elle était une jeuneArchange,puis la sagesse et lapuissancequ’elleavaitacquisesenvieillissant.Aujourd’hui,illuirenvoyaitlesravagesdelaguerre.
Beaucoup la croyaient morte. Et elle n’avait aucune intention de les détromper tant qu’ils necherchaientpasàmettrelamainsursonterritoire.Sesgénérauxveillaient,maismêmeMichaelan’auraitpasl’arrogancedetenteruneincursion.Touslacraignaient.
Tantmieux.Mais pour que cette peur perdure, il ne fallait pas qu’ils voient la femme qui se reflétait dans le
miroirmétallique.Pasencore.Cettefemmeavaitunechevelured’unblancglacéfamilier.Àsanaissance,lescheveuxdeZhouLijuanétaientnoirscommelanuit,maisleurteintes’étaitatténuéeaufuretàmesuredesamontéeenpuissance,commesisaforcelesenavaitlavés.Lorsqu’elleavaitatteintsesmilleans,ilsétaient«blancscommelaneige».
Samèreluiavaitditque,sielleessayaittrèsfort,Lijuanarriveraitparfoisàseremémorerlevisagedelafemmequiluiavaitdonnélavie.Notammentparcequ’elleavaitléguéàsafillesestraitsémaciés.Ledisquedemétalluirenvoyaitsespommettesspectaculairesquisaillaientcontresapeautranslucide,sifinequ’elledonnaitl’impressionderisquerdesedéchireraumoindrecontact.Demincesveinesbleuespalpitaient dessous.Mais c’était les vaisseaux sanguins rouges autour de ses iris perle qui retenaientl’attention.
Commes’ilsnageaientdanslesang.Cequiétaitbienlecas–Raphaell’avaitblessée.Unefureurglaciales’emparaitd’elleàcetteidée.
Personne ne blessaitZhouLijuan.Elle anéantirait cemorveux d’Archange deNewYork pour l’avoirinsultéeainsi.Toutd’abord,ellecommenceraitparl’obligeràregarderlorsqu’elleréduiraitsonaffiliéemortelle en esclavage. Et pour cela, il lui fallait faire preuve de patience, achever sa guérison, satransition.
Parcequ’ellenes’étaitpasrégénéréeexactementcommeavant,souslaformequeRaphaelavaittentéd’exterminer.
Elle leva sa main auxmuscles faibles et tremblants, et examina ses ongles. Ils avaient repoussé,couleurrubisétincelant,etserecourbaientauboutdesesdoigtscommelesserresd’unimmenseoiseaudeproie.Sesincisivesn’étaientpasnonpluslesmêmes.Sesautresdentsétaienttoujoursd’unblancpur,maiscelles-ciétaientdésormaisd’uncarminsombre.
Celaavaitunebeautéétrange.Commeilseyaitàunedéesse.Malgré tout,ces incisivesne fonctionnaientpasencore.Elleavait tentédesenourrirà ses fidèles
sujetsquisouhaitaientsesacrifierpourqueleurdéessepuisseseremettreplusviteetensouffrantmoins,envain.Sesnouvellesdentssemblaientfortes,maisellesn’avaientpasatteintleurmaturité.Lijuanétaitincapabledepercerlapeau.Mêmeenutilisantuncouteaupourinciser,elleneparvenaitàsucerqu’unefaibleetinutilequantitédesangetnonlaforcevivedumartyr.
Unedouleurlancinantebrûlaitsansdiscontinuerdanssesextrémitésnerveuses.Sesosluifaisaientmal.Sesailesnepouvaientlaporter.Seulsonespritfonctionnaitparfaitement.Reposant samain droite entièrement guérie sur le bras de son trône de jade sculpté demotifs de
cauchemarsetderêves,untrésorauxyeuxdetousceuxquiavaienteulachancedelecontempler,elleseconcentrasurlasilhouetteangéliqueagenouilléesousledais.Frontausol,l’angemaintenaitavecgrâcesesailescontresondos.Elleneparvenaitpasàsesouvenirdepuiscombiendetempsilsetrouvaitlànimêmeàdiscernersasilhouetteavecprécision.
Sesyeuxensanglantésn’étaientpasencoretrèsfiables.—Parle,ordonna-t-elle.Lemots’échappadesagorgeravagéeenunchuchotementrauquequin’encontenaitpasmoinsdes
hurlements.Relevant la tête, l’homme… Ah, il s’agissait du Scribe. Oui, elle reconnaissait maintenant ces
cheveuxblondsquiluidescendaientauxépaules.Ilposalesmainssursescuissesetgardalatêteinclinéeensignederespect.
—J’aiachevémontravailsurlaprophétie,VotreMajesté.Sonsangs’emballa,sessenss’aiguisèrent.Ellesesouvenaitdeluiavoirassignécettetâchedansles
moisquiavaientprécédé labataillecontreRaphael, se souvenaitmêmed’avoir lu laprophétie surunvieuxparcheminalorsqu’ellen’étaitencorequ’uneange.Àl’époque,cesmotsn’avaientriensignifiédeprécis,etellelesavaitoubliéspendantuneéternité.Puissonpouvoirs’étaitaccru,etaveclui,lefaiblemurmuredusouvenirluisoufflantqueleparcheminétaitimportant.
Ilavaitfallupresqueunanàseséruditsetpisteursavantderedécouvrirletexteancien.Depuis,lesmotsrésonnaientenpermanencedansunrecoindesonesprit.
ArchangedelaMort.DéesseduCauchemar.Spectresansombre.Élève-toi,élève-toi,élève-toidanstonRègnedeMort.
Cartafinviendra.Desmainsdelajeunesseetdelavieillesse.UnArchangeembrasséparlamortalité.
UnDormeurauxailesd’argentquis’éveilleraavantlafindesonSommeil.Lerêvebriséauxyeuxdefeu.
Anéantiront.Anéantiront.Anéantiront.
—Raconte-moi,ordonna-t-elleauScribe.D’unevoixcristalline,celui-cirépondit:—Jesuisremontéauxoriginesdelaprophétie,jusqu’àl’ArchangeCassandre.
Lijuan serra le brasdu trônede jade.Les contours aigusdes sculptures lui entrèrent dans la peaualorsquesescheveuxsehérissaientsursanuque.
—Tuenessûr?Cassandres’étaitEndormieilyavaitsilongtempsqu’elletenaitplusdumythequedusouvenir,une
Ancienne parmi les Anciens. Mais un élément de son histoire n’avait jamais varié : le jour de sonascension,elleavaitacquisledonterribledevoirlefutur.
Lalégenderacontaitqu’elleavaitchoisideDormirpeudetempsaprèss’êtrearrachélesyeuxdansune vaine tentative de mettre un terme à ses visions. Ses yeux avaient repoussé le jour même. Dansl’heure qui avait suivi, elle avait disparu, portant encore sa robe ensanglantée. La plupart de sesprophéties s’étaient perdues dans les méandres du temps, et celles qui restaient étaient souventconsidéréescommelesscribouillagesdequelquefantaisisteinconnu.
—Raphaelestceluiembrasséparlamortalité.LijuannecomprenaitpascommentunArchangesiaffaibliavaitpresqueétécapabledelamettreà
terre.Ellenecommettraitpasunenouvellefoisl’erreurdelesous-estimer.—Jen’aipasderéponsepourlederniermentionné,pourlerêvebriséauxyeuxdefeu,réponditle
Scribe.MaispourleDormeurauxailesd’argent,ilnepeuts’agirqued’uneseulepersonne.LamaindeLijuansecrispaviolemmentsursontrôneetsondosseraidit.Sesailesavaientrepoussé
après son cerveau et sa colonne vertébrale, selon l’ordre de ce qui était le plus vital pour le genreangélique,maiselles restaient faiblesetpromptesà luiprovoquerdesspasmesmusculaires,cequinefaisaitqu’exacerberlesblessuresdontellesouffraitencore.
Chaquesoufflelatorturait.Elleplongealeregarddansledisquemétalliquequiluiservaitdemiroir,etprononçalenomduDormeurquidevaitmourir.
—Alexander.
Chapitre1
Naasir était en chasse depuis septmois. Tout ce temps s’était écoulé depuis qu’il avait appris àAshwiniqu’ilétaitprêtàtrouverunefemelle.Septmois,etsafuturepartenairenes’étaittoujourspasfaitconnaître.Nesavait-ellepasqu’illarecherchait?
AccroupiàunbalconsansrambardedelaTour,ilgrogna.UncombattantdelaLégionquivenaitjustedeledépasserluiaccordaunregardévaluateur.Naasir
claqua des dents en direction de l’homme aux ailes de chauve-souris et prit plaisir à voir le guerrierchangerdetrajectoirepourserendreaunouveaudomiciledelaLégion.Naasiraimaitcelieu,mêmes’ilavait desmurs. C’était un gratte-ciel transformé en serre géante. Les fenêtres avaient été retirées auxbalcons,lesmursremplacéspardespanneauxdeverremassifslàoùc’étaitpossible,etuntunneldevolavaitétécreuséensoncentre,suffisammentlargepourdesailes.
Commel’automneétaittombésurlavilledansuneexplosionderouge,orangeetjaune,lesingénieursavaient ajouté des « rideaux » transparents au bâtiment. Illium avait expliqué à Naasir qu’ils étaientconçusdansunematièreextrêmementsophistiquéequipermettaitàlaLégiond’entreretsortirenvolantàvolonté tout en conservant une température douce à l’intérieur. Chaque fois qu’un combattant lestraversait,ilsretombaientautomatiquementenplace,piégeantlachaleurdansl’immeuble.
Naasirs’était faufilédans legratte-cielpeude tempsaprèssonretouràNewYork,deuxsemainesplustôt.L’intérieurétaitstructurédemanièreàcequelesplanchersetplafondsrestantspointentàdesangles inhabituels, àbonnedistance lesunsdesautres.Naasiravait apprécié lanatureverdoyantedeslieux : le lierre qui grimpait déjà sur les murs pour s’y accrocher fermement, les petits arbres quiprenaientracineetlesfleursquis’épanouissaient.Iln’enavaitpasmoinspoursuivisoncheminjusqu’ausommet–sansquelaLégionnes’aperçoivedesaprésencesurleurterritoire.
LePrincipaln’avaitpasdûêtreravidelevoirapparaîtresurletoitdeverre,maislemeneurdelaLégion était loyal à Raphael, et Naasir appartenait aux Sept de l’Archange. Ils se côtoyaient doncpacifiquement,maisavecméfiance.
Lesmembres de la Légion étaient si âgés et si différents que Naasir devait souvent refouler sonimpulsiondelesmordre.
Malgrécela,oupeut-êtreàcausedecela,ilavaitparfoislesentimentquelesétrangesguerriers,avecleursailessansplumes,luiressemblaientplusquequiconquedanslemondeentier.Naasirn’avaitpeut-être pas d’ailes, mais il était différent. Mais là où la Légion comptait sept cent soixante-dix-septmembres,luiétaitseul.
«Tuesencolèrecontrenousparcequenoussommesnombreux,maisauplusprofonddetoi,tusaisque tu es l’un des nôtres. Un enfant de la terre. Profondément jeune comparé à notre existence deplusieurséternités,maisdotéd’unlienaveclavieprimitive.»
Lechefde laLégionavait fait cettedéclarationàNaasiravecsérieux.L’homme–mêmes’iln’enétaitpasvraimentun–croyaitvraimentcequ’ildisait.IlnecomprenaitpasqueNaasirn’avaitriendenaturel.Iln’étaitpasnédelaterre;ilavaitétécrééparunmonstre.
Unmonstreauquelsacréatureavaitarrachélefoieetlecœurpourlesdévorer.Touscrocsdehors,ilbaissalatêteverslebalcondeuxétagesplusbassursagauche.L’undesrares
pourvud’une rambarde.DmitriavaitditàNaasirqu’ilnedevaitpassauterde l’immeubleparcequ’ilfiniraitécrasécommeunecrêpeausol,maiscebond-làn’étaitpasénorme,etlevent,bienquevif,nel’entraîneraitpasdanslevide.Musclesbandésunefractiondesecondeaprèsquesonregardfuttombésurl’autrebalcon,Naasirsauta.
L’airfroidluifouettalevisage,collasontee-shirtàsoncorpsetluipiqualesyeux.Puissespiedsnusheurtèrentladuresurfacedubalcon.Soncorpstoutentierabsorbal’impactcarilavaitdélibérémentatterrienpositionaccroupie.Ildécouvritqueleventl’avaitdéviédesatrajectoireplusqu’ilnes’yétaitattendu–quelquescentimètresencoreetilheurtaitlehautdelarambarde.
Ilavaiteuchaud,cequilefitsourire.Ilentenditalorsquequelqu’unseprécipitaitsurlebalcon.Iln’avait pas besoin de se retourner pour savoir de qui il s’agissait : l’odeur d’Honor lui était aussifamilièrequelasienne.Ilseredressadetoutesatailleensetournantpourdécouvrirquelajeunefemmeavaitpâlisoussapeaudoréeetquesesyeuxvertsétaientécarquillés.
Elles’élançaversluietpalpafrénétiquementsesépaulesetsesbras.—Naasir!Tut’esblessé?Cederniercompritalorsqu’ilvenaitdes’attirerdesennuis.—Non,larassura-t-il.Cen’étaitqu’unpetitsaut.—Unpetitsaut?répétaHonor,unemainsurlecœur,l’autreagrippéeaubrasdeNaasircommesi
ellecraignaitqu’ilnetombedubalcon.J’aifaillimourirdepeur!Il se déplaça lentement afin de ne pas l’effrayer davantage, la prit dans ses bras et frotta sa joue
contrelescheveuxdelajeunefemme.—NedisrienàDmitri,murmura-t-il.«Tuesunepersonne,avaitdéclaréleredoutablevampireetcompagnond’HonoralorsqueNaasir
n’était qu’un enfant sauvage. Tu es Naasir. Je perdrais unmorceau demoi si tu mourais, et je ne leretrouveraisjamais.»
Avantcetinstantquis’étaitgravéàtoutjamaisdanssamémoire,Naasirn’avaitpascomprisqu’onpouvaitleconsidérercommeunepersonneàpartentière,unêtrequiseraitregrettés’ildisparaissait,etquiavaitdroità l’amour, l’affectiondesautres,droitàcequ’onsesouciede lui.Ce jour-là,dans lesyeuxsombresdeDmitri, il avait lu sadouleurà l’idéed’unmonde sansNaasir, tout comme lacolèrebrutequianimait levampireenconstatantqueNaasirs’étaitencoreunefoismisendanger.Celaavaitchangéàtoutjamaislegarçonqu’ilétaitalors.
Debiendesmanières,cemomentmarquaitsavraienaissance.LanaissancedeNaasir,unepersonne.Aujourd’huiencore,bienqu’ilaitatteint l’âgeadulte,Naasirn’aimaitpasqueDmitriaitpeurpour
lui,ousoitencolèrecontrelui–etiléprouvaitlamêmechoseencequiconcernaitHonor.ElleétaitlacompagnedeDmitrietappartenaitmaintenantàlafamilledeNaasir.Ellele traitaitcommesic’étaitàelledeprendresoindelui,delegâter,etdeletouchercommecelasefaisaitentremembresd’unemêmefamille.Celaauraitdûluiparaîtreétrange,maiscen’étaitpaslecas.Iln’avaitaucunmalàsuivrelesordresd’Honor,alorsmêmequ’ilétaitunprédateurbienplusdangereuxqu’elle.
Peut-êtreparcequ’elleétaitàDmitri…etpeut-êtreparcequ’elleprocuraitàNaasirunsentimentdesécurité.Celan’avaitaucunsens,maislorsqu’ilétaitavecHonoretquesondouxparfumluiemplissait
les narines, il se sentait comme un lionceau auprès de la chaleur réconfortante de sa mère. Elles’occupaitdelui,etsanslehérisserpourautant.
Elleluicaressaitmaintenantledos,sonlégerrireencoretremblant.—Jenedirairien,promit-elle,maistunepeuxpascontinueràfairedeschosespareilles.EllesepenchaenarrièreetplantasesyeuxlumineuxcommedesjoyauxdansceuxdeNaasir.—Queferais-jes’ilt’arrivaitdumal?Il inclina la tête, l’observantà traverssescils.Toutcommelescheveuxà lacoupeanarchiquequi
entouraientsonvisage,ilsétaientd’uneteinteargentmétallique,inhumaine,quimarquaitsadifférence.—Jesuisdésolé.Parfois,j’oubliederéfléchircommeunhumain.Honorsecoualatête,pritlevisagedeNaasirencoupe.—Tues absolument parfait tel que tu es,murmura-t-elle avec tant d’amourqu’il eut l’impression
qu’ellevenaitdeleserrercontreelle.Jetiensseulementàcequetufassesattentionàtoi.Ilsourit,sachantqu’elleluipardonnaitsafrayeur.Illasoulevadusolpourl’étreindrevivement.Elle
rit,sasilhouettesedécoupantsurlecielsansnuaged’unbleuchrome.Lorsqu’illareposa,elleprécisa:—Soisàl’heurepourledîner.J’aidemandéàMontgomerydepréparerlarecettedeviandeépicée
quetuaimes.IlleluipromitetrentraavecelledanslaTourpourserendrecomptequ’ilavaitatterrisurlebalcon
quijouxtaitlebureaud’Honor.Ilréfléchissaitàlapossibilitédeseroulerenbouledanslefauteuilquiprenaitlesoleildansuncoindelapiècepours’octroyerunesiestelorsqu’ilsentitledéferlementd’unevaguefroidesoussoncrâne.LavoixdesonArchange.
Naasir,ilfautquejeteparle.J’arrive,Sire.IllaissaHonoraprèsavoirfrottésajoueàlasienne,cequ’elleluiautorisaavecunsourire,puisse
dirigea vers le bureau de l’immeuble depuis lequel Raphael régnait sur son territoire. La Tour del’ArchangeperçaitlecieldeManhattanetabritaitunnombresansfindepièces,quiremplissaienttoutesunefonctionbiendéfinie.Au-dessusdecetétagesetrouvaientlesappartementsprivés.
Naasirendisposaitd’un,maisilpréféraitresteravecHonoretDmitri.Pourquoiaurait-ilsouhaitéêtreseulquandilpouvaitêtreenfamille?EnentrantdanslebureaudeRaphael,ilfutdéçudeconstaterqu’Elenanes’ytrouvaitpas.Ilaimait
s’entraîner avec l’affiliée de son Sire, ce qui était arrivé à plusieurs reprises depuis qu’il avait étédéchargédesalonguemissionàAmanat,lavilletenueparCaliane,lamèredeRaphael.
LesforcesdeCalianes’étaientrenforcéesaufuretàmesurequeceuxquisesouvenaientdesonrègnerevenaientàellepourluiprêterdenouveauallégeance.Iln’étaitdésormaisplusnécessairequeRaphaelenvoieàAmanatl’undesesSeptpourlaseconder,maisNaasirsavaitquelefilscontinueraitd’aidersamèreàs’adapteraumondemoderne.
—Sire.Depuis la position queRaphael occupait, derrière son bureau, ses ailes étaient à contre-jour. Ses
plumes renvoyaient un éclat d’or blanc aussi métallique que celui des cheveux de Naasir. Il avait leregardposésurdeslames.Cesdernièresétaientétaléessurlapierrevolcaniquepoliedanslaquelleétaittailléesa tablede travail.MêmeaprèsdessièclesauxordresdeRaphael,Naasiréprouvaitunevagued’émerveillement devant la puissance phénoménale qu’incarnait l’Archange. Cette vague prenaitnaissanceaucœurmêmede sanatureprimitive,dans cettepartiede luiquin’avait jamais été conçuepourseretrouverdansunetelleproximitéavecunArchange.
—T’es-tureposé?
Levantlatête,RaphaelsoutintleregarddeNaasirdesesyeuxd’unbleusipurqu’enfantcedernierpensaitqu’ilétaitcomposédevraiesgemmes.
Fasciné,ilrampaitalorssurRaphaelpouressayerdelestoucher.L’Archangeavaitd’ailleurseulapatiencededissuader les efforts persistants deNaasir sans jamais le terrifier ou le blesser.Cene futqu’arrivéàl’âgeadultequecedernieravaitcompriscombienRaphaels’étaitmontrétolérantetindulgentenverslui.
CarmêmeavantdedevenirunArchange,Raphaelétaitdéjàuneforceconsidérable.—Oui,dit-ilenréponseàlaquestiondel’Archange.Jesuiscontentd’êtreici.Travailler à Amanat ne le gênait pas – il appréciait et respectait sa partenaire sur place. Et les
missions d’infiltration au sein du territoire deLijuan étaient amusantes.Mais il se trouvait loin de safamille.
SiVenin,Raphael,JanvieretAshwinin’étaientpasvenusluirendrevisiteàAmanatdurant lessixmoisécoulésdepuissondépartdeNewYork, il seraitprobablement revenuàses racinessauvages. Ilavait même imposé à Janvier et Ash de prolonger leur séjour d’une semaine, ravi d’avoir descompagnonsdejeuquicomprenaientlefonctionnementdesonesprit.
—Jeneveuxpaspartir,annonça-t-ilàl’Archangeàquiilavaitoffertsaloyautélejouroùcedernierl’avaitdécouvert.
Naasirn’étaitalorsqu’untoutpetitgarçonquisenourrissaitàlapoitrinetailladéeàcoupsdegriffesdel’angeAncienquil’avaitTransformé.Ildevaitavoirl’aird’unpetitmonstrecouvertdesang.Aulieudeletuer,Raphaelavaitsoulevésoncorpsd’enfantféroceetgrondant.
—Calme-toi,luiavait-ilintimé.Tunetienspasàmangerdecetteviande-là.Naasirn’étaitalorspassûrdecomprendrelesensdesmots,danslamesureoùsoncréateurnelui
parlaitpascommes’ilétaithumain,maisletondelavoixdeRaphaelavaitsuffi.Ils’étaitimmobiliséetavaitpermisàRaphaeldeleporterdanslesnuagesjusqu’àsademeureauseindelaforteresseangéliqueduRefuge.Pasuneseulefoisdepuiscejouriln’avaitéprouvélebesoindedéfierl’hommequil’avaitarrachéàlaglaceetaumal.
Raphaelétaitl’alphadesafamilleetDmitriétaitleseconddel’alpha.Naasiravaitétéunbébéfélin,maiscetemps-làétaitrévolu.Raphael contourna son bureau pour le rejoindre au centre de la pièce, ses ailes maintenues
machinalementau-dessusdusolaveclaforceetladisciplined’unguerrier.—JesaisquetuveuxresteràNewYork,dit-il,lebleudouloureuxdesesyeuxnelâchantàaucun
momentleregarddeNaasir.Maistun’espasfaitpourcetenvironnement–tutemettraisàruerdanscettepeauciviliséequ’iltefautporterenville.
Naasirsentitsespoingsseserrertandisqu’ungrognementnaissaitdanssapoitrine.Ilvoulaitmentir,direàRaphaelqu’ilseraitcapablederesterenvilleà jamais,mais lemensongenevoulaitpassortir.Déjà, sa nature commençait à se rebeller, à éprouver le désir douloureux des grands espaces où ilpourraitcourir,escaladeretexplorer.
—Mafamilleestici,secontenta-t-ilderépondre.Jeneveuxpasd’unemissionsolitaire.—TuasaussidelafamilleauRefuge.Uneétincelled’intérêtluienflammalesang.—C’estlàquejevais?Honornes’ytrouveraitpas,maisJessamy,si–larelationqu’ilentretenaitavecelleétaitdifférente
decelle qu’il avait avecHonor,mais il aimait l’enseignante et historienne angélique dumême amourqu’ilportaitàHonor.Àl’heureactuelle,VeninetGalenétaienteuxaussibasésdans lesmontagnesduRefuge.
—Tatâchecommenceralà-bas,repritRaphael.TuaurasàquitterleRefugeettafamillependantuntemps,maismalgrétout,jecroisquetuapprécierascettemission.
DanslamesureoùRaphaelluiaussicomprenaitNaasir,cedernierattenditlasuite.—JeveuxquetudécouvresoùDortAlexander.Naasirsefigea.L’endroitoùreposaitunangeouunArchangeétaitunechosetaboue.MêmeNaasir,
quin’avaitpasbeaucoupderespectpourlesrègles,n’avaitjamaisbrisécelle-là.—Vousvoulezletuer?Si Raphael avait besoin de mettre un terme à la vie d’Alexander, Naasir l’aiderait. Parce que
Raphaelnedégageaitpas,n’avaitjamaisdégagéuneodeurdeviandeavariée.Unefois,avantElena,ilavaitcommencéàsentirlefroidetlaglaced’unemanièreperturbante,maisçaaussi,c’étaitterminé.
Maintenant,ilavaitsapropreodeur,avecdestouchesd’Elena.Naasir voulait lui aussi sentir comme sa femelle, pensa-t-il avec un grognement intérieur féroce.
Pourquoisecachait-elledelui?—Non, je n’ai aucune intention de tuerAlexander, répondit l’Archange d’un ton glacial. Jason a
passélemoisécouléaucœurduterritoiredeLijuan.Naasircrachaaunomdecettedernière.Celle-làn’étaitqueviandeavariée.Enfant,ils’étaitunefois
imaginévouloir la tueret lamanger,mais il savaitmaintenantqu’ilne la toucherait jamais,mêmes’ilmouraitdefaim.Enrevanche,ilsouhaitaittoujourslavoirmorte.
—Elleestenvie,n’est-cepas?—Jasonn’apasréussiàl’apercevoir,maistoutconcordeàpenserquec’esteffectivementlecas.L’airsombre,Raphaelétirasesailesavantdelesrepliercontresoncorps.Lefeublancquienléchait
lesplumesdonnaitl’impressiond’êtreuneillusionnéedelalumièredusoleil.Les ailes angéliques captivaientNaasir depuis son enfance. LorsqueRaphael l’avait découvert, il
s’était durement agrippé à ses plumes pour en arracher une grande, blanche avec des filaments dorés,qu’ilavaitenserréeavecpossessivité. Ilnesavaitpasalorsqu’iln’étaitpassupposé toucher lesailesdesanges,quecetteintimitéétaitréservéeauxamisetauxamants.Iln’avaitdorénavantpluscetteexcuse.Malgrétout,ilcontinuaitàl’occasiond’entouchersansdemanderlapermission.
Maisseulementcellesdesesamisetdesafamille.Desgensquineleregarderaientpascommes’ilavaitcommisquelquechosed’horrible.Laveille,alorsqu’ilétaitallongésurl’herbeavecElenaaprèsleurentraînement,elleavaitplacésursapoitrinesonailed’unebeautéracéeafinqu’ilpuisselacaresserautantqu’il levoulait.Noir, indigo,bleudeminuit et d’aube,orblanc : lesplumesd’Elena étaient sifascinantesqueNaasiravaitététentéd’envolerunedechaqueteinte,saufquelescouleurssemêlaientdélicatementlesunesauxautres.
PuisElenas’étaitendormieàcôtédelui.Ilavaitpenséluirappelerqu’ilétaitdangereux,maiscommeilnecomptaitpaslablesser,ill’avait
laisséeàsonsommeiletavaitjouéavecsesplumes.CellesdeRaphaell’envoûtaient,maisilrésistaàlatentationdelesagripperlorsquecederniersedétournapoursedirigerverslebalcon.Naasirn’étaitpassûrdenepasseretrouverbrûléparcefeublancimprévisible.
Ilsuivitl’Archangeetallas’accroupirauborddubalcondanssapositionpréférée.Delà,ilvoyaitleflot deminuscules taxis jaunes qui s’écoulait le long du ruban droit de l’avenue.À cette hauteur, lesodeursétaientfaibles,maisilsaisitunetouchedufleuveetdesplantesquipoussaientdanslamaisondelaLégion.Ceteffluveluidonnaitenviedeselibérer,des’ébattrecommeilnepouvaitlefairedanscetteville,mêmeàCentralPark.
—Lijuans’estlancéeàlarecherched’Alexander?
—Jasonn’enestpascomplètementsûr,maisilavudesgroupesdechasseurspartirdelacitadelledeLijuan.Unmembredel’und’entreeuxaunpeutropbulorsqu’ilsontfaithaltepourlanuit.Jasonl’aentendusevanterqu’ilsprévoyaientdemettrelamainsurAlexander.
—Iln’estpascommeLijuan,n’est-cepas?Naasirn’avaitquedeuxcentsans lorsqueAlexanders’étaitEndormi. Ilnese rappelaitpasgrand-
choseausujetdecetêtreauxailesargentetauxcheveuxd’or.Ilgardaitdeluilevaguesouvenird’unêtrepuissant accroupi devant lui alors que lui-même n’était encore qu’un enfant. Des yeux d’argentsemblablesauxsiensavaientrencontrésonregard.
—Jecroisqu’ilm’adonnél’unedesesplumesunjour.Jelavoulaisparcequ’elleétaitdelamêmeteintequemescheveux.
Ilétaittropjeuneàcetteépoquepourcomprendrelaraisonquisecachaitderrièrecetraitcommun.—Jel’imaginebienfairecela,ditRaphaeld’untoninsondable.Ilnes’est jamaismontrécruelou
sans cœur, et encoremoins avec les enfants. Il a gardé l’œil sur toi jusqu’à ce que tu atteignes l’âgeadulte.
Fronçantlessourcils,Naasiressayadeconvoqueràsamémoirel’imagenettedecetterencontreavecl’Ancien.Peineperdue,ilétaitalorstropjeune.
—C’étaitunbondirigeant?—Ungrandmeneur,réponditRaphaeld’unevoixcalmeoùaffleuraienttantd’échosindéchiffrables.
C’étaitaussiunArchangeàlapuissanceimmensequipréféraitfaireleschosesàl’ancienneetquipensaitquejen’étaisqu’unmorveux.Ils’enestfalludepeuqu’ilnemedéclarelaguerre,maisilafinalementchoisideDormirplutôtquedecéderàlaviolence.
Dans un bruissement de plumes, l’Archange vint se tenir directement derrière le vampire. Sapuissanceirradiaitcontrelapeaudecedernier,maisc’étaitunesensationfamilièreaprèstantdesièclespassésàsescôtés.
—IlestpossiblequeLijuanvoieen luiunallié,compte tenudecettevieille rancœurcontremoi,poursuivitRaphael.Maiscommeelleestpersuadéed’êtreunedivinité,ilestplusqueprobablequ’elleveuilletuerquiconquesusceptibledes’opposeràelle.
LesinstinctsdechasseurdeNaasirs’éveillèrent.—Alexanderestassezpuissantpourça?Sitelétaitlecas,alorspeut-êtrequecettefois-ciLijuanresteraitmorte.—Impossibleàdire.Ilétaitplusfortqu’ellelorsqu’ilestpartiDormir,ilyaàpeuprèsquatrecents
ans,maislepouvoirdeLijuanagrandidemanièreexponentielledurantcemêmelapsdetemps,pendantqu’Alexander,lui,stagnait.
Naasirsavaitque,lorsquelesangesDormaient,ilsnechangeaientpas.Pourtant,cen’étaitpascequil’inquiétaitàlasecondeprésente.
—J’aibesoind’uneodeurpourmelancerenchasse,etAlexanderadisparudumondedepuistroplongtemps.
Mêmeluinepouvaitpoursuivreunfantôme.Cequil’ennuyait.Iln’aimaitpasêtreincapabledetrouversaproie.Ousafemelle.Quisecachaitdelui.— Tu auras de l’aide, répondit Raphael avant de marquer une pause pour étudier un combattant
solitairequipratiquaitdesmouvementsdevolcompliquésavecunearbalète.Uneéruditequi travaillesous la supervision de Jessamy, spécialisée dans les Archanges Endormis. Ta tâche est d’assurer sasécuritéetd’explorerleslocalisationsqu’ellesuggérera.
Naasirfronçalessourcils.
—D’autressontaucourantdesaspécialité?LorsqueRaphaelrépondit,cefutd’unevoixsuffisammentglacéepourgelerl’air.—Oui. Il est peu probable que Lijuan ordonne l’enlèvement d’un ange au sein du Refuge, mais
comme elle a déjà brisé certains tabous angéliques par le passé, j’aimalgré tout demandé àGalen etVenindegarderl’œilsurAndromeda.
—Jeprendraisoind’elle.Naasirsavaitêtreunbonchiendegardequandillefallait.—Tatâcheseraaussidelasurveiller,ajoutaRaphael.C’estlapetite-filledeCharisemnon.Naasir montra les dents en entendant le nom de l’Archange responsable de la Chute, le terrible
événement qui avait blessé et tué tant d’anges. Il était aussi à l’origine d’une maladie vampiriquemortelle.
—Pourquoitravaillons-nousavecelle?—Jessamym’assurequ’Andromedaest une érudite jusqu’à lamoelle et qu’elle a rompu tout lien
avecsafamillelorsqu’elleestarrivéeauRefuge.L’idéequ’onpuissetuerunDormeurl’horrifie.Galensoutientl’opiniondeJessamy.
Naasiropina.—LesinstinctsdeGalensontbons.(QuantàJessamy,elleétaitintelligente,maisavaituncœurtrop
tendre.) Je serai capable devoir si l’éruditement. (Que lesmenteurs soientmortels ou immortels, ilsdégageaientuneimmanquableodeuramère.)MaiscommeleshommesdeLijuanontcherchésanssuccèsjusque-là,ilsembleraitqueGalenetJessamyaientraisonsurlaloyautéd’Andromeda.
—Oui.CharisemnonestprochedeLijuan,ilauraitpartagésesinformationsavecelles’ilenavait.Nousaccorderonslebénéficedudouteetunechancedefairesespreuvesàcettejeuneérudite.
—Quilasurveilleralorsqu’ilfaudraquej’ailleexplorerleslieuxqu’ellemedésignera?—Tul’emmènerasavectoi.NaasirlevalesyeuxversRaphael.Cilla.Puisgronda.—Jenepeuxpasmetrimbalerunehistorienne.Ellescassent.Il avait un jour brisé le bras de Jessamy en sautant sur elle depuis l’étagère la plus haute de la
bibliothèque tant il était contentde lavoir.Elle lui avaitdit denepas s’inquiéter,qu’elle savaitbienqu’ilne l’avaitpas faitexprèsetqu’elleguérirait rapidement,mais iln’avait jamaisoubliésoncridedouleuretdesurprise–oulebruitd’écrasementhorriblequesonbrasavaitproduitensefracturant.
LescheveuxdeminuitdeRaphaelfouettèrentsonvisagesousunebrusquerafaledevent.—Tatâcheestdeveilleràcequ’ellenecassepas,Naasir.Andromedaestnotremeilleurechance
d’atteindreAlexanderenpremier–nousnepouvonsnégliger l’âgedeLijuanouceluideséruditsàsacour.Ilestpossiblequ’elleaitunelongueurd’avancesurnous.
Reportant son attention sur le métal, le verre et l’eau scintillante de la ville, Naasir tenta des’exprimerd’unevoixhumaineetsereine.Sansyparvenircomplètement.
—Commentsuis-jesupposéetrouvermacompagnesijetraîneuneautrefemmeavecmoi?demanda-t-ilavecunaccentencoretropguttural.
—Tuas survécu six cents ans sans compagne, rétorquaRaphael, une touched’amusementdans lavoix.Pourquoisoudainunetelleimpatience?
—Parcequelemomentestvenu.Naasirvivaitaurythmedesonsangetdesonâme.Etcerythmepoursuivaitdésormaisunseulbut.—Est-cequecetteéruditeestsauvageetintéressante?demanda-t-il,pleind’espoir.
ToutcommeRaphael,ilnejugeaitpaslesgensselonleurascendance,maisseulementsurleursactes.—Passelontadéfinition.Ilsembleraitqu’elleaitfaitvœudechasteté.Naasirgrogna.—Jecroisque je feraismieuxdeme jeterde l’immeublepouratterrirenpleinecirculation.Cela
seraitmoinsdouloureuxqu’unetelletorture.Naasiraimaitlesexe.Ilaimaittoucherlapeaudesfemmes,leurscorpschauds.Ilaimaitpénétrerleur
fourreauétroitethumidequandellescriaientsonnom.Ilnes’yétaitpluslivrédepuislanuitoùilavaitdécidé de partir en chasse de sa partenaire. Ce n’était donc pas le vœu qui le frustrait parce qu’ilprévoyait de séduire l’érudite – non, il était frustré parce que ce vœu confirmait qu’elle n’était passienne.Etmaintenant,ilallaitêtrecoincéavecelle.
Ilétaitimpensablequesacompagnefassevœudechasteté.C’étaitridicule.—Quelgenredepersonnebizarreprendunetelledécision?Legenreangéliquen’étaitpasexactementréputépoursatempérance.Raphael rit.C’étaitun rire franc,profond,queNaasirn’avaitplusentendudepuis longtempsavant
qu’Elenan’entredanslavieduSire.VoilàcequevoulaitNaasir–unepartenairequijoueraitaveclui,quileferaitrire,quiledéfierait.Etquis’accoupleraitaveclui.Encoreetencore.Aucunstupidevœudechastetétoléré.
—Quelquespersonnages étranges, réponditRaphael, une fois son éclat de joiepassé.Les éruditscroientparfoisquemettreuntermeauxdistractionsphysiquesélèvel’esprit.
—Danscecas,jepréfèreresterpeuéclairé,rétorquaNaasirenseremettantdebout.Jememetsenroutesur-le-champ,Sire.
Il raterait le dîner avec Honor et Dmitri, mais ils comprendraient – et à son retour, il serait lebienvenuàleurtable.
Raphaelsecoualatête.Sesmèchesdecheveuxnoirescommel’encremasquèrentlebleudouloureuxdesesyeuxquandunenouvellebourrasquesefitsentir.
—Pastoutdesuite,Naasir.TupasserascettesoiréeàNewYork,avectafamille.
Chapitre2
Naasirdétestaitvoyagerdansleventredemétald’unjet,maisc’étaitlemoyenleplusrapidepourunêtredépourvud’ailesdeparcourirlaplusgrandepartiedutrajetjusqu’auRefuge.Ilpassatoutlevolàarpenter la cabine et en sortit à peine l’avion posé, avant même que la porte ne soit complètementouverte.Iléprouvaunpurplaisiràretrouverlesoleiletlebaiserduventsursonvisage.
Avalant goulûment l’air pour la première fois depuis des heures, il s’ébroua, puis attrapa son sacmarinqu’onluijetadel’appareil.Ilaffichaunlargesourireetsalualecopilotequ’ilavaitrendudinguependantlevol.Levampireauxcommandesdujet,lui,étaithabituéàNaasiretdévoilasescrocsdansunsourireavantdedisparaîtredenouveauàl’intérieurducockpit.
Naasir rit. Il balança son sac sur l’épaule, puis courut à grandes foulées souples jusqu’au garageprivéoùsetrouvaitsamoto.Auloin,ildiscernaitlesmontagnescouronnéesdenuages.Cen’étaientpascellesduRefuge.Ilenétaitencoretroploin,carlesangess’étaientéloignésdelacivilisation.
Un vampire non autorisé ou unmortel qui pénétrerait accidentellement sur le territoire duRefugel’oublieraitvite,sessouvenirsdes lieuxeffacésendouceur.Lepaysage lui-mêmeétaitsi inhospitalierqu’il maintenait la plupart des gens à distance. De plus, les anges puissants qui demeuraient enpermanenceauRefugeétaientcapablesdeproduireunesubstancequienveloppaitlesenvironsduHavreangéliqued’unbrouillardépais.
Lesgrimpeursacharnésquiinsistaientpours’aventurerplusloinseretrouvaientauxprisesavecunerégionhostile,glacée,dontonressortaitàtouslescoupsavecdesmembresbrisés.Quiconqueretentaitsachanceunedeuxièmefoisn’ensortaitpasvivant : lesangesneplaisantaientpaslorsqu’ils’agissaitdeprotégerlelieuabritantleurspetits.
Naasirsedirigeadirectementverssamotoaprèsavoirsaluéd’unmouvementdetêtelemécaniciendegarde.
—Elleestprête,luiannonçacedernierdanslalanguelocaleenvenanttapoterlacarrosseriebleuélectrique.Jet’envie.Lamétéoestparfaitepourunevirée.
Naasir avait appris à piloter avec Janvier dès que ces machines étaient devenues rapides etexcitantes.Tousdeuxenétaienttombésplusd’unefois.JamaisNaasirn’avaitportédecasque.Ilenpritun ce jour-là – la dernière fois qu’Ashwini l’avait vu en selle tête nue, elle s’étaitmise tellement encolèrequ’ils’étaitexcuséetétaitalléenacheterunavecelle.
LacompagnedeJanvieravaitperdusonfrèreetsasœurmoinsd’unanplustôt.ElleavaitétésitristependantsilongtempsqueNaasirsouffraitdelavoirainsi.Ilnetenaitpasàlareplongerdanscetétatenseblessantsigrièvementquemêmesonimmortaliténesauraitlesauver–parcequecontrairementàcequelesmortelscroyaient,personnen’étaittotalementimmortel.
Enfin,àpartLijuanpeut-être.
L’ArchangedeChineavaitlamauvaisehabitudederevenird’entrelesmorts.Toutenréfléchissantunefoisencoreàcequil’yferaitrester,ilenfilasoncasqueetmitlecontact.La
moto s’éveilla dans un grognement soyeux. Toujours au point mort, il leva le pouce en direction dumécanicien,puisroulaverslasortie.Ils’étaitnourridesangenbouteilleetdeviandefroidedanslejet,cequiluifourniraitsuffisammentd’énergiepourlaprochaineétapedesonvoyage.Lamotoauraitelleaussibesoind’êtreapprovisionnéeenessence,maisJanvier,Naasiretquelquesautresquiutilisaientcemoyendelocomotiondisposaientdeplanquesdansuncertainnombredelieuxdiscrets.
Pourl’instant,ilpouvaitsecontenterderoulersurlescheminsdemontagneetdesavourerleventquiluifouettaitlevisage,menaçantdeledésarçonnerpourl’envoyeraufondd’unegorgemassive.Relevantledéfi, ilmontra lesdents,sebaissasursonguidonetpoursuivitsa route.Aprèsqu’ileut ralentiafind’admirerunerivièredont leseauxmiroitaientsous lesoleil, il remarquaunpanneaumettantengardecontrelaprésencedetigresdanscesecteur.
Cequiluirappelalestentativesd’Elenadedevinersesorigines.Ilenritsifortqu’ilentombapresque.Ilremitalorslesgazetrepartit.Ilnes’arrêtapaslorsquela
lumièreécrasantedusoleillaissalaplaceauxombres,puisauxténèbres.Ilvoyaitaussibiendejourquedenuit.Ilcontinuasonvoyage,utilisantunecached’essencequandcelas’avéraitnécessaire.Ildutfinirparmarquerunepausequelquesheuresplustardpourchasser.Mêmes’iln’avaitpastrouvédeproie,iln’auraitpasrisquédemourirdefaim.Ilétaitsuffisammentâgépourquesoncorpsnebrûlepaslamêmequantitéd’énergiequeceluid’unvampireplusjeune.
Même s’il n’en était pas exactement un. Cela restait malgré tout le mot que les gens utilisaientgénéralementpourledécrire.Elena,elle,letaxaitde«créature-tigre».Sanslesavoir,ellen’étaitpastombéeloindelavérité.Ilaimaitlataquinerenlapoussantàdeviner,etàsagrandesurprise,Raphaelaussiétaitentrédanslejeu.L’ArchangerefusaitàsontourdefourniruneréponseclaireàElena.
Naasirn’avaitjamaisvul’Archangeseprêteràdesjeux.Entoutcas,decetype.Desrèglessecrètesentrepartenaires.Commelessecretsqu’ilpartageraitavecsaproprefemellequandilluiauraitmislamaindessuset
montrélescrocspours’êtrecachéedelui.Oupeut-êtrenegronderait-ilpas.Ilpourraitsecontenterdelamordre.
L’espritaccaparéparsoninsaisissablefuturecompagne,ilcontinuaàroulertoutelanuitetlajournéesuivante,nesereposantquelorsquelesoleilétaittropcuisant.Iltrouvaitalorsunarbre,s’installaitsurunebrancheetrelâchaittoutelatensiondesoncorps.Dmitril’avaitdécouvertdanscettepositionlorsqueNaasirétaitencoreunenfantetl’avaitinterpellépourluidemandercequ’ilfabriquait.
—Jedormais!avaitréponducedernier,renfrognéd’êtretirédesasieste.Vêtud’unpantalonnoirà lamatièrerêche,debottes,et le torseensueuraprèsunentraînementau
combatavecRaphael,Dmitriavaithausséunsourcil.—Tunecrainspasdetomber?—Non.C’estpourcelaquejedorsdanscetteposition.Pourappuyersadémonstration,ilavaitagitésesmembresquipendaientdechaquecôtédelabranche
oùils’étaitinstallé.—Danscecas,repose-toibien.Ce qui était bien le cas à la minute présente. À son réveil, il se mit en quête d’eau. Cela ferait
l’affaire,mêmesicen’étaitpasaussibonquedusang.À la finde l’après-midi, il finitpararrêter samotoàunautregarage.Celui-ciétaitconstruitdansleflancdelamontagneetsibiendissimuléqu’ilétaitimpossibledel’apercevoirsionignoraitqu’ilsetrouvaitlà.
L’empreintedesapaumeluipermitdel’ouvrir.Ilroulasabécanedanslelieusilencieuxetlagaraprès d’un certain nombre de véhicules tout-terrain usagés et d’autresmotos qui lui étaient familières.Danssondos,lamontagnesereferma.LegaragefutplongédansuneobscuritétotalecarNaasirn’avaitpasalluméles lumièresenentrant. Ilsedébarrassadesoncasquepour lependreavecprécautionà lapoignéedesamoto.Ainsi, lesautrescomprendraientqu’ils’agissaitdusien.Ilattrapaensuitesonsacmarin,sepassalamaindanslescheveuxetsedirigeaversl’arrièredelacaverne.
Ildétestaitlapartieduvoyageàtraversletunnel.Aumoins,cedernierétaitlarge.Ilserralesdentsets’élançaàpetitesfouléesafindetraverserleplusrapidementpossiblelepassage
sousterre.SelonlesdossiersqueJessamyavaitunjourconsultéspourlui,cetunnelmesuraitàpeineplusd’un kilomètre cinq cents. Pas grand-chose, donc, en tout cas pour Naasir. Sauf que ce dernier nesupportaitpaslesespacesclos.
Une fois enfin dehors, il s’étira, puis courut librement à travers les montagnes, ses poumons sedilatantafindes’accommoderà l’airplusvif. Iln’aimaitvraimentpas le froid,aussi fit-il lamoueenvoyantlaglaceetlaneigequirecouvraientlesabordsduRefuge.Lacitéelle-mêmeenétaitgénéralementdébarrasséepardesmoyensquepersonnenecomprenaittotalement.
Une fois, alors que Naasir était très jeune, Raphael avait répondu à sa curiosité en lui racontantl’histoiredesAncêtresquiDormaientsousleRefuge.
—Lestoutpremiersreprésentantsdenotreespèce,avait-ilexpliquéenentourantdesesbrasmuscléslecorpsdeNaasiràquiilapprenaitàmanierl’arbalète,ceuxquivivaientavantqu’ongardedestracesécritesdel’histoire,avanttouslesAnciensconnus,sivieuxqu’ilsappartiennentpresqueàd’autresraces.
La légende disait que c’était sous l’influence de cesAncêtresEndormis que leRefuge bénéficiaitd’unclimattempéré,sil’onexcluaitquelquesépisodesdeneigeetdeverglas.
—Lorsquevientl’hiver,avaitmurmuréRaphael,c’estqu’unAncêtreaétédistraitparunrêve.Voilàentoutcasl’histoirequemeracontaitmamèrelorsquej’étaispetit.
Personnenesavaitsilalégendecomportaitunepartdevérité,maisilyavaitbienquelquechosededifférentdanslesloisdelaphysiquequis’appliquaientauRefuge,sansquoilacitéseraitpriseparlesneigesetlaglace.
Le nid d’aigle secret deNaasir se trouvait hors duRefuge proprement dit,maisAodhan lui avaitinstallé un système de chauffage par le sol qui lui permettait d’y maintenir la température qui luiconvenait.Letoutétaitalimentépardediscretspanneauxsolairesplacésàquelquedistancedunidlui-même.Personneneseraitainsisusceptibledeledécouvriraccidentellement.
Cejour-là,Naasirévitaaussilongtempsquepossibledegrimperversdesaltitudesplusfroides.Lorsque cela fut inévitable, il se lava dans un torrent alimenté par un glacier. Il en eut le souffle
coupé.Puisilseséchaetattrapadesvêtementspropres.IlenfilasurunechemisegrisfoncéofferteparHonorlepullencachemirenoirqu’ilavaitachetéàNewYork.IllaissapendrelespansdelachemisehorsdesonjeanetendossalavestedecuiruséequeJanvierluiavaitoffertedixansplustôt.
D’épaisseschaussettesetsesbottesfourréesdotéesdesemellesspécialementconçuespouradhéreràlaglacecomplétaientsonéquipement.Ilétaitparé.
Iln’avaitpasvraimentbesoindetoutça.Iln’allaitpasgeler,sonsangétaittropchaud.Maisilfallaitbienlereconnaître,ildétestaitavoirfroid,etpasqu’unpeu.Ilespéraitquesafemellen’aimeraitpasçanonplus,qu’ellenesouhaiteraitpasvivredanslaneigesanschauffagepourcompenserlestempératuresnaturelles.Ce serait horrible. Il faudrait qu’il la persuade de s’installer dans un climat intermédiaire,froidmaispasglacial.Malgrétout,siellenevoulaitpasvenir,ilresteraitavecelle.Évidemment.
Sijamaisilparvenaitàlatrouver.
Lorsqu’ilenfouitsesvêtementssalesaufonddesonsac,ilremarquaquequelquechosescintillaitaufond.Unépaisbraceletenacierpoli.Iladmiralamanièredontsonnoms’étiraitdessusavantd’arracherlacartequiyétaitattachée.
Sois prudent et n’oublie pas de porter ton écharpe. J’ai aussi échangé tes chaussettes pourd’autres,demeilleurequalité,etmisdesgantsdanslapocheavantdusac.Bisous.Honor.
Il sourit etmit le bracelet à sonpoignet avant de ranger avecdélicatesse la carte dansunepocheintérieuredesonbagage.Uncoupsec,unautre,etlesgantsdecuirdoublésétaientenfilés.Ilfléchitlesorteilsdansseschaussettes,enroulal’écharpevertfoncéautourdesoncou,dissimulantaupassagelebasdesonvisage,puisbalançadenouveausonsacsurl’épaule.
—Jeseraiprudent,promit-il,macompagnem’attend.Ilparvenaitpresqueàentendrelerired’Honor.Ladernièrefoisqu’illuiavaitdéclarécela,ellelui
avaitposéunequestion.—Etquesepassera-t-ilsiellet’enveutdel’avoirfaitattendresilongtemps?Naasirenétaitrestéabasourdi–iln’avaitjamaisvraimentpenséquepeut-êtresafuturepartenaire
vivait depuis plus longtemps que lui, avait attendu que lui soit prêt. Des choses pareilles arrivaient.HonorétaitplusjeunequeDmitri,maisJessamyplusâgéequeGalen.
— Je lui ferai la cour, avait-il répondu après avoir soigneusement réfléchi à la question. Je laconvaincraiqueçavalaitlapeined’attendre.
Cette idée présente à l’esprit, il occupa les heures qui lui restaient avant d’atteindre le Refuge àélaborerdesplansde séduction. Il enoubliapresque le froidmordantet ledangerque représentait leverglas.Lespierresacéréesquil’entouraientn’étaientpasdesmenacesmaisdesadversairesfamiliers.Contrairementauxmalheureuxgrimpeursquisecassaientunejambeavantmêmed’arriversihaut,Naasirsavait comment naviguer entre les dents aiguisées qui gardaient la forteresse angélique. Il n’avait pasbesoindemarcher, ilpouvait courir. Il avait lavueperçanteet lepiedsûr, sesbottes luiassurantuneprisefermesurlaglacequ’ilpréféraitàlapoudreuse.
Aucrépuscule,l’ombredelargesaileslebalaya.C’étaitGalen,avecsescheveuxd’unrouxviftirantaucramoisi sous lesderniers rayonsdusoleilet sesailesgris foncéstriéesdeblanc.L’anges’inclinapourrépondreausalutdeNaasir,puisdécrivitdescerclesavantdeseposernonloin.
— Tu guettais mon arrivée ? demanda Naasir une fois qu’il eut rejoint l’homme à l’imposantecarrure.
Lemaîtred’armesétreignitsoncomparseetluiassénadesclaquesdansledosd’unetellepuissancequecedernierfaillitenperdrel’équilibre.
—Jem’attendaisàdevoirallerjusqu’auxcontreforts,répondit-il.Tuasmisaubasmotdeuxheuresdemoinsquelorsdetondernierpassage.
—Jesuisplusrapide.IlsedéveloppaitdemanièresquemêmeKeirnecomprenaitpas,etleguérisseurcomprenaitpourtant
beaucoupdechoses.L’uniquecertitude,c’étaitqueNaasiravaitbienatteintsatailleadulte,maisquesescompétencesetdonsn’avaientpasencoreacquisleurformedéfinitive.
«Tuesleseuletuniquemembredetonespèceàavoiratteintl’âgeadulte.Nousignoronscommenttuvasévolueretnousn’avonsaucunmoyendeprédirequelleserataforceultime.»
—Lorsquetuaurasletemps,ilfaudraqu’ontestetavitesse,ditGalen,brisantl’échodesmotsdeKeir.Tuprévoisdecourirjusqu’auRefuge?
—Oui.
Enfant,Naasir se laissait porter par des anges et aimait ça.Cequi n’était dorénavant plus le cas.Maintenant, ilavaitbesoindesentir lesolsoussespieds– iln’aimaitpasplusse retrouversuspendudanslespaniersquelesescadronsutilisaientpourtransporterdesinvitésdépourvusd’ailes.
—PréviensJessamyquejeserailàpourledîner,ajouta-t-il.Sonsourireilluminantlevertclairpeucommundesesyeux,Galendéployasesailes.—Ellet’attenddepuisl’aube.Ce qui enchanta Naasir. Il attendit que Galen ait décollé dans un puissant battement d’ailes qui
projetaunebourrasquedeneige,puisrepartitenaccélérantencore l’allure.Quiconquel’aurait regardén’aurait aperçu qu’une forme floue.De nouvelles ailes firent leur apparition une heure plus tard et letrafic aérien augmenta ensuite régulièrement jusqu’à ce que parviennent aux oreilles de Naasir labousculadedesatterrissages,lerythmedesdécollages,lesriresetconversationsdegensquivaquaientàleursoccupations.
Lecielétaitd’undouxnoirpercéderaresétoilesquandlaneigedisparutetquel’airsefitpluschaudsurlevisageglacédeNaasir.
IlserenditdirectementàlamaisondeJessamyetGalensurlafalaise.—Naasir!Unvampireauxyeuxvertpoison fenduscommeceuxd’unevipère le serracontre luidans lacour
pavéedevantlamaison.Sescheveuxmarronfoncédescendaientdésormaisjusqu’aucoldesontee-shirt.TapantVenindans ledos,Naasir laissa tomber sonsacsur lesdallesducheminbordédepotsde
fleurs.—JevoisqueGalenn’apasencoreeuraisondetoi.Tuasabandonnélescostumes?Il évaluait du regard le jean et le tee-shirt noir tout simples du jeune homme, célèbre pour son
éléganceetsagrâceaussifluidequemeurtrière.—Porterdescostumesest lecadetdemes soucisquand jeme faisbotter lecul tous les joursau
terraind’entraînement,commentaVeninenfaisantlagrimace.Dudoigt, il indiqualebleuvirantaunoiràsamâchoire.Lacouleurs’endétachaitvivementsurle
marronclairdesapeau.—Parfois,ajouta-t-il,jemedemandesiGalenm’entraîneoutentedemetuer.Naasirsouritdetoutessesdents.—Sic’étaitlecas,tuseraisaucourant.Ilt’endurcit.Lemaîtred’armesneluttaitpascommeNaasirouVenin.Sonstyleétaitpluslourd,plusfrontal,mais
l’angeétaitd’unepuissanceredoutable.Veninétaitunjeunehommedangereux,quiavaitreçuendonunpoisonmorteldanssonsang.Àpeine
âgédetroiscentcinquanteans,ilétaitleplusjeunedesSept.Ildevaitencoreapprendreàrefrénersesardeurs.—Tevoilà!Jessamy se précipita hors du cottage, le jaune vaporeux de sa robe légère qui lui arrivait aux
chevillesmoussant autourde ses jambes.Sescheveuxondulés, couleurnoisette, étaient retenusenunenatte lâche. Ses yeux d’unmarron profond brillaient contre sa peau crème.Elle rayonnait d’accueillirNaasir,commeentémoignaitsonsourirelumineux.
Ilattrapaentresesbrassasilhouetteminceetdélicate,sapeaueffleurantl’intérieurdesesailes,pourlafairetourbillonnerdanslesairsjusqu’àcequ’elleproteste.
—Oh,commetum’asmanqué,dit-elle,lesyeuxembuésdelarmesavantdel’embrassersurlesdeuxjoues.Viens,rentre.Uneboissont’attend.
Sonestomacsemitàgronderàcetteévocation,maisiln’enoubliaitpaspourautantsamission.
—L’éruditeestensécurité?—Oui, elle travaille à la bibliothèque. J’ai pensé que tu pourrais te reposer et grignoter quelque
choseavantquejenefasselesprésentations–jeprévoisdel’inviteràsejoindreànouspourledîner.Jessamy,VeninetNaasirsedirigeaientverslecottageaumomentmêmeoùGalenseposaderrière
eux.Naasirpoussaunsoupirdecontentement.C’étaitbond’êtredenouveauenfamille.
Andromedaessayaitdeseconcentrersurlemanuscritenluminéqu’elleavaitposésurunpupitreaufonddelabibliothèque.Maistoutcequ’elleparvenaitàvoir,c’étaientlesmotsdelalettrequ’elleavaitreçueuneheureplustôt.
Dans vingt-deux jours, tu auras quatre cents ans. Tu as profité de nombreuses annéesd’indulgence.Noustel’avonspermis–mêmequandtuaschoisidereniertafiliation.
L’heureestmaintenantvenuepourtoidereveniràlamaisonetdetechargerdetesobligationsenverstafamilleettonArchange.Noust’attendonspourledébutdescérémoniesdecélébration,sixjoursavantlejourdetanaissance,àlasuitedesquellestuterendrasàlacourdetongrand-pèrepouroccupertaplaceàsescôtés.
Leséruditsneluisontpastrèsutiles,maistuessonuniquepetite-filleetentantquetelle,ilestprêtàfermerlesyeuxsurteséchecstantquetuteconduiscommeuneprincessedelacourdurantletempsdetonservice.Neledéçoispas,Andromeda.Tongrand-pèreneferapasindéfinimentpreuvedemiséricorde.
Sesmainssecrispèrentsurlepupitre.Samèrequalifiait«d’indulgence»lessièclesqu’Andromedaavaitpassés à étudier, à acquérirun savoirgrâce auquel elle avait puvenir enaide àd’innombrablesImmortelsquivenaientchercherassistanceàlabibliothèque.Conservatricedeshistoiresangéliques,elleenseignaitaussiauxpetits.Pourtant,après troiscentvingt-cinqansence lieu,àquelquesannéesprès,ellen’étaitencorequ’unenovice.Illuirestaittantàapprendre.
Etlesvoyagesqu’elleavaiteffectués…Lemondechangeaitsanscesseetellevoulaitcontinueràledécouvrir.Maiscetteépoquetouchaitàsafin.Elleavaittoujourssuqu’ilenseraitainsi,suqu’unjourelleauraitquatrecentsansetdevraitretourneràlacourdel’ArchangeCharisemnon–pourremplirlestermesd’unsermentfamilialscelléparlesangquesesparentsavaientprononcéensonnomalorsqu’ellen’étaitqu’unnouveau-née.
Jessamy lui avait demandé si elle était liée par un serment de ce genre la première foisqu’AndromedaétaitvenueauRefuge.Effrayéeàl’idéedenepasêtreacceptéecommeélèvesitelétaitlecas,sielleadmettaitêtreobligéed’interrompresesétudesàquatrecentsans,AndromedaavaitmentietdéclaréqueCharisemnon l’avait relevéede sonengagementpuisquede toute évidenceellen’était pasfaitepourlavieàlacour.Lesannéespassant,ilavaitétédeplusenplusdifficiled’avouercemensonge.
Riendetoutcelanecomptaitplusmaintenant.Enmettantdecôtélajournéenécessaireauvoyage,illuirestaitquinzejourssupplémentairesdelibertéavantd’avoiràretourneraupayssublime,àcouperlesouffle,qu’elleavaitquittéavantmêmed’êtreadulte.Agirautrementseraitconsidérécommedelahautetrahison,punieparlapeinecapitale.
Personne,ennemiouami,ne luioffriraitunhavresûr.«Voler» lesenfants issusde la lignéed’unautreArchange était considéré commeune attaque déguisée et pouvait entraîner une guerre.Elle avaitenvisagédedemander asile àRaphaelouTitus,dans lamesureoù ils étaientdéjà enguerre avec songrand-père,maisellesavaitquemêmes’ilsprêtaientattentionàlarequêted’uneélèvedebasétage,lesdeuxArchangesneseraientpasencapacitédeluidonnercequ’ellevoulait.
Luiaccorderl’asiledérangeraitlesArchangeslesplusconservateursquis’étaientralliésàRaphaelet Titus contre lamort et lamaladie que son grand-père et sa propre alliée cauchemardesque avaientrépanduesdanslemondeentier.Etquandbienmême,siellefuyait,elleseraitpourchasséejusqu’àlafindesesjours.Ilvalaitmieuxservirlescinqcentsansrequisetespérerquesonâmeensortiraitintacte.
Entantqueprincessedelacour,onattendraitd’ellequ’ellesoitlebrasdroitsanspitiéetcrueldeCharisemnon.Songrand-pèrenelatueraitpeut-êtrepaslapremièrefoisqu’ellerefuseraitderépondreàunordreentorturantouenhumiliant,maisilmettraittoutenœuvrepourlabriser,pourqu’elledeviennesamarionnette.Ilnetoléreraitpasuneattitudededéfi.
Plusquequinzejours…Elleprituneprofondeinspiration,lesouffletremblant.Elletentaitdenouveaudeseconcentrersurle
manuscrit, cherchant un terrain stable auquel se raccrocher, lorsque tous les poils de sa nuque sehérissèrent.Toutàcoup,elleauraitaiméquesescheveuxnesoientpasprisdanssanatte,quesoncounesoitpassiaccessible,vulnérable.
Lagorgesèche,méfiante,ellesetournacalmementenmêmetempsqu’elleposaitlamainsurlalametranchantecommeunrasoirqu’elleportaitàlacuisse.Elleyavaitaccèsàtraversuntroudanslapochede sa fine robe couleur framboise. Lorsqu’elle se rendit compte qu’il ne s’agissait que de Jessamyavançantverselle,ellesemitàsourire…puiss’aperçutquesamentorn’étaitpasseule.
Uneombreavançaitàsescôtés.Uneombreauxyeuxd’argentquiladévisageaitsansciller.Cettefois-ci,cefurenttouslespoilsdesoncorpsquisedressèrent.Ellesavaitdequiils’agissait–
toutlemondeconnaissaitNaasir,mêmesi,toutcommeelle,laplupartdesgensn’avaientaucuneidéedesesoriginesoudesanature.Ilétaituniqueensongenreavecsapeaud’unmarronchaud,profondetauxrefletsdorésquiinvitaitauxcaresses,sesyeuxargentetsescheveuxdelamêmeteinte.Argent,etnonpasgris.C’étaitcommesisesirisetsachevelureétaientnésdumétalpourêtrepolisjusqu’àétinceler.
Unhommequ’onnerisquaitpasd’oublier.Biensûr,jamaisauparavantellenes’étaitretrouvéesiprèsdelui.NaasirétaitpasséauRefugeàde
nombreuses reprisesdurant les troissièclesetquartqu’elleyavaitpassés.Maiselleavaitveilléàcequ’ilsneserencontrentjamais.Audébut,elleétaittropjeuneettropdéterminéeàréussirdanssesétudespour se soucier de quelque homme que ce soit.Mais plus tard…Naasir lui inspirait des choses quin’étaient pas correctes pour une femme ayant fait vœu de chasteté. Il donnait envie à l’animalincontrôlableenelledes’éveiller.
Celanevoulaitpasdirequ’ellenel’avaitpasobservédeloin.Il se déplaçait comme un chat sauvage, se nourrissait de sang et pourtant mangeait de la viande,
voyaitdanslenoiretséduisaitmortellescommeImmortellesavecfacilité.MêmesiAndromedanes’étaitjamaislaisséealleràdetelsinstinctsprimaires,ellecomprenaitlafascinationqu’ilexerçaitsurtantdegens.Ajoutezàcelasabeautémeurtrière,siattiranteethypnotique,ainsiquel’étenduedesaforce,etilincarnaitunevéritablemenace.
—Andromeda,est-cequetoutvabien?luidemandaJessamy,têtepenchéesurlecôté.Se rendant compte qu’elle s’était figée sur place pour observer le vampire, qui n’en était pas un,
avancerverselle,elles’efforçadedétendresesmusclesraidis.—Oui,biensûr,parvint-elleàmarmonner.J’étaisperduedansmespensées.Jessamyneremitpassadéclarationencause,soninquiétudelaissantlaplaceàunsourireaffectueux.
ElleeffleuralebrasdeNaasir.—JevoulaisteprésenterNaasiravantledîner.Tuleprendrasavecnous?
Lecœurbattantcommesiellevenaitdeselivreràunecoursedifficile,Andromedaétaitsurlepointde dire qu’elle préférerait rester seule pour achever une recherche de dernièreminute lorsqueNaasirbougea.Ilétaitàmoinsdecinqcentimètresd’elleavantqu’ellen’aiteuletempsdeprononcerunmot.Lesnarinesfrémissantesetlescheveuxéparssursapeauaffriolante,ilbaissalatêteverslagorgedelajeunefemme.
Le sang de cette dernière se précipita jusqu’à ce point où battait son pouls tandis que sa mainagrippaitlagardedesonarme.
Chapitre3
Naasir inspiraprofondémentet semit à saliver.L’odeurde la jeune femmeétait labonne. C’étaitcellequedevaitavoirsafemelle.Iln’étaitpasencoresûrqu’ils’agissebiend’elle,enparticulierparcequ’elleétaitsipetiteetavaitdesyeuxsigrands,effrayés.Maisilsavaitqu’ilvoulaitlalécher,lagoûter,lamordre.
IlallaitfrottersonnezcontrelecoudelajeunefemmelorsquelavoixdeJessamyl’arrêtanet.—Naasir.Ilserenditcompteque,danssonexcitation,ils’étaitcomportédemanièrenoncivilisée.Ilserésigna
àreculer.Maisilétaitincapablededétacherlesyeuxdel’angequisentaitsimerveilleusementbon.Sapeauétaitcommelemiel. Ilaimait lemiel.Etavait l’intuitionqu’ilaimerait toutautant lapersapeau.Elleavaitdesirisd’unmarrontranslucide,avecdespaillettesd’unorlumineuxautourdelapupille.
Joli.Ses ailes, d’après ce qu’il en distinguait, étaient d’une teinte luxuriante, proche du chocolat noir
qu’Honorappréciaitparticulièrement.Et ses cheveuxétaient épais,d’unmarrondoréde soie. Ils étaientnattés,maisNaasir auraitparié
qu’ilsbouclaientunefoislaisséslibres.Ilprévoyaitdéjàdedéfairecettenattepourpouvoirjoueravec.Biensûr,ilauraittoutd’abordàlapersuaderqu’iln’envisageaitpasdeladévorer.
—Bonjour,dit-il,faisantlapreuvedesabonneéducation.Jevoulaisjustevousrenifler.—Oh.Vousagissezainsiavectousceuxquevousrencontrez?ElleavaitfroncélessourcilsetletondesavoixdonnaitenvieàNaasirdefermerlesyeuxetdese
contenterdel’écouter.Souriantenlui-mêmeàlacuriositéquelajeunefemmeneparvenaitpascomplètementàdissimuler,il
répondit:—Non.Seulementaveclesfemmes.Ilinspiradenouveausonparfum,discrètementcettefois.—Pourquoi?—Jesuisàlarecherchedemacompagne.Un brusque sourire illumina le visage de l’érudite. En un battement de cils, toute trace de peur
disparut.—Ah,jevois.Puis elle se tourna vers Jessamy comme si cela expliquait tout. Tandis que les deux femmes
discutaient,ilrestalà,perplexe.Rienn’étaitexpliqué.Elleavaitlabonneodeur,uneodeurdélicieuse.Ilvoulaitlagoûter.
Pourquoinevoyait-elleplusenluiunemenacedorénavant?
Levœudechasteté.Il se renfrogna à cette idée. Ce n’était pas parce qu’elle avait fait ce vœu qu’il n’était plus une
menace.Ilravalaunsouriresatisfait.L’angeauparfummerveilleuxpensaitqu’ellenecraignaitrien.Parconséquent, elle lui permettrait probablement de se rapprocher d’elle, suffisamment pour qu’il puissedéterminersielleétaitbiensapartenaire,oupas.
Pourdirelavérité,siattirantefût-elle,ilneparvenaitpasàvoirenquoielleluicorrespondrait–elleavait l’air trèscassableetdoux.Maisiln’étaitpasprêtà laisser tomberavantd’enavoir lecœurnet.Peut-êtreétait-ilécritquesafemmedevaitêtrecassable,mêmesicetteidéeluisemblaitridicule.
Oupeut-êtredissimulait-ellesavéritablepersonnalité.L’idéequesafemellepotentiellepourraitavoirunefacecachéelefascinait.
Andromeda avait eu l’intention de refuser l’invitation à dîner de Jessamy. Non pas parce qu’elle
n’aimaitpaspartagerlerepasdesamentoretdesonmaîtred’armes–ilscomptaientparmilespersonnesqu’elle préférait au monde et ils l’avaient acceptée pour ce qu’elle était, voyant en elle la femmequ’elleétaitdevenueetnonpaslalignéedontelledescendait.
QuantàVenin, levampireétaitunfamilierà la tabledeJessamydepuissontransfertauRefuge.Ilétaitdotéd’unhumourmordantetd’uneintelligencefroidequ’Andromedaappréciait.
Cen’étaitmêmepasparcequeNaasirladéconcertait.Mais parce qu’elle savait que Jessamy avait attendu avec impatience l’arrivée de ce dernier, tout
commeGalenetVenin.Tousquatreétaientdevieuxamis,lestroishommesétantliésaumêmeArchange.Ellenetenaitpasàs’imposer.
Quoiqu’ilensoit,lorsqu’elleouvritlabouchepourrefuserl’invitation,Naasirlarenifladenouveau.Lachaleurtoutemasculinedesoncorpsenvahitsonespacepersonnel,etelleenperditsesmots.
—Vousnepouvezpasfaireça,dit-ellelorsqu’elleretrouval’usagedelaparole.Jessamyavaitalorsdéjàprissonsilencepouruneacceptationettoustroissetrouvaientàmi-chemin
delademeurequel’angepartageaitavecGalen.Degrandsyeuxargentlaregardèrent,affichantl’airleplusinnocentquisoit.—Fairequoi?—Reniflerlesgens.Naasirhaussalesépaules…etrecommençaimmédiatement,delourdesmèchesdesescheveuxargent
effleurantlapeaudel’ange.—Désolé.Yeuxétrécis,ellepinçaleslèvres.—Vousn’êtesabsolumentpasdésolé.LedouxriredeJessamyemplitl’air.—Nelelaissepastetaquiner,Andromeda.Ilestpassémaîtredanscetart.Lajeuneangedécidad’ignorerlevampirequin’étaitpasunvampireetquirôdaitautourd’elle.Sauf
qu’ilétaitabsolumentimpossibled’ignorerNaasir,enparticulierlorsqu’ilétaitdéterminéànepasl’être.Ilattrapalanatted’Andromedaettiradessus.Lorsqu’elleladégagea,ilpinçaletissulégerdesarobeentreleboutdesesdoigtsetlefrotta.
S’éloignerdeluinel’arrêtapas.Ilserapprochaimmédiatementd’elle.QuandJessamypritlesdevants,agitantlamainendirectiondeGalenetVenin–quilesattendaient
danslacour–,Andromedaétaitprêteàgrogner.Libérantsanatteunefoisdeplus,ellefitvolte-facepourconfronterlamenaceauxyeuxargent.
—Vousnepouvezpasvousmontrerciviliséneserait-cequ’uneseuleseconde?
Àsongrandétonnement,Naasir se figeaaussitôt et sonexpressiondevint indéchiffrable.L’hommequil’avaittaquinéeetirritéen’étaitsoudainpluslemême.
—Biensûr,dit-ild’unevoixdegorgecultivée.Veuillezm’excusersijevousaioffensée.Andromeda sentit son ventre se nouer. Mais ils avaient maintenant atteint la cour. Les lanternes
accrochéesauxarbresydiffusaientunelumièredouce.—J’aipenséquenouspourrionsmangerdehors,proposaJessamy,aussitôtapprouvéeparlapetite
troupe.Attirant l’enseignante à lui de sa grandemain posée sur sa nuque, Galen planta un baiser sur sa
bouche qui la laissa pantelante, rougissante et souriante.Une lueur satisfaite dans le regard, lemaîtred’armesdit:
—Nousallonssortirlatable.Quand Andromeda avait appris que sa mentor, intelligente, éduquée, naturellement élégante, était
follement amoureuse de ce barbare qu’était le maître d’armes de l’Archange Raphael, elle avait étésurprise. Elle ne parvenait pas à imaginer deux personnes aussi différentes l’une de l’autre. Puis elleavaitvulatendressedel’expressiondeGalenlorsqu’ilposaitlesyeuxsurJessamy,avaitététémoindel’éclatdansleregarddecettedernièreausondesailespuissantesdesoncompagnon.
Lecœurdelajeuneangeseserraitfaceàlabeautédulienquilesunissait.—Venin,Naasir,lançaGalen.Et les troishommesentrèrentdansunpetit bâtimentqueGalenutilisait commeatelier lorsqu’ilne
voulaitpastravaillerdansl’arène.Ilsenressortirentavecunetable.Cette table portait les traces des armes innombrables qui y avaient été posées, mais rutilait.
Andromedayinstallalanappequ’elleétaitalléechercher,plusquejamaistroubléeparlaprésencedeNaasir.Ilsetenaitdel’autrecôtédelatable,puisdisparutpourrapporterl’undesdeuxbancs.Quelquesminutesplustard,latableétaitdressée.Toutétaitenplacepourlerepas.
CommeAndromedasavaitqueGalenetJessamyaimaientêtreassisl’unàcôtédel’autre,ellepritplace face à eux.Trois paires d’ailes se partageant lemême espace pouvaient se gênermutuellement.VeninetNaasirvinrentl’encadrer.Tousdeuxprenaientsoindenepastouchersesplumes.
—Pourcommencer,untoast,annonçaGalenenremplissantleursverresdechampagne.Àl’arrivéedeNaasircheznous.
LevisagedeJessamyrayonnaitsouslalumièredelalampe.—Tunousasprofondémentmanqué,ajouta-t-elleenlevantsonverre.Laprochainefois,net’absente
passilongtemps.Naasirbaissalégèrementlatêteensigned’assentiment.Delàoùellesetrouvait,Andromedaavaitdu
mal à distinguer son visage,mais quoi que Jessamy y lût, cela étira ses lèvres d’un large sourire. Ilstrinquèrentetburent.Lesbullespétillaientsurlalangued’Andromeda.Legoûtduchampagneétaitceluidusoleilmisenbouteille.
Saterrenataleneproduisaitpasuntelnectardoré,maisellepossédaitunebeautésauvageàbriserlecœur qui manquait follement à la jeune femme depuis sa fausse défection. Au moins, lorsqu’elle yretournerait pour ses cinq cents ans de service, elle respirerait de nouveau l’air chaud de l’Afrique,observeraitlebleutroubled’uncielquin’avaitpassonéquivalentsurterre.
Celaseraitsarécompensepourchaquejourd’horreuràlacourdesongrand-père.—Voudriez-vousunpeudepain?Ces mots ne furent pas la raison de sa surprise. Non, ce qui l’étonna fut leur politesse absolue,
comptetenudel’identitédeceluiquilesprononçait.PrenantlacorbeilleàpaindesmainsdeNaasir,elle
luijetauncoupd’œilméfiant.Iln’affichaitqu’unintérêtcourtois.Aucunelueurmeurtrièrecommeplustôt,etcertainementaucunetentativedel’embarrasser.
Sescheveuxsedressèrentdenouveausursanuque.Perturbéepar lasoudainepolitessedeNaasiret incapabled’endéterminer laraison,elleposasur
sonassietteunépaismorceaudepainchaudavantdetendrelacorbeilleàVenin.Levampireauxyeuxdeserpentetàlasombresensualitéquiattiraitd’innombrablesfemmesdanssonlitétudialajeunefemme,puisNaasir,maisneditriend’autreque:
—Merci.— Tiens, dit Jessamy en passant un petit bol à Naasir. J’ai préparé ton plat préféré. Honor m’a
envoyélarecettedeMontgomery.Naasirpritlebol,remplidecequisemblaitêtreuneviandequelconquesaignante–crue?–avecun
sourire épanoui qui coupa le souffle à Andromeda. Il avait néanmoins retrouvé son masque civilisélorsqu’ilsetournaverselleàmi-repas.
—Avez-vousbesoindequelquechosedececôté-cidelatable?EllesecoualatêteetavalaunebouchéetandisqueVeninetNaasirbuvaientlesangquileuravaitété
servidansdepetitsgobelets.Veningrignotaitde-cide-là,maiscontrairementàNaasir,ilnemangeaitpasvraimentdenourrituresolide.
CequinefaisaitquesoulignerqueNaasirn’étaitpasunvampireordinaire.Lajeunefemmeprenaitsontempspourdîner,écoutaitlaconversationquisetenaitautourd’elle…et
frissonnait chaque fois que Naasir s’adressait respectueusement à elle. Remarquant un froncement desourcilsdeJessamy,elleserenditcomptequ’elleavaitraisond’êtretendue.Lalogiqueluisoufflaitquecela n’avait pas de sens. D’ordinaire, les gens se montraient polis avec des inconnus… sauf qu’ellen’avaitjamaisrencontréquelqu’uncommeNaasir.
Etilnesecomportaitpasainsiavantqu’ellenelerembarre.—Donc,tamissionestderetrouverAlexander,ditGalenverslafindudîner.Paroùcommenceras-
tu?LesyeuxargentdeNaasirseposèrentsurAndromeda.—Onm’aditquevousaviezidentifiédeslieuxquenouspourrionsexplorer.—D’unecertainemanière.Sapeau lapicotait sous l’emprised’unepeurglacéequin’avait rienàvoiravec lecomportement
déstabilisantdeNaasiret toutavecsondépartprochaindont ilsétaient loindesedouter.Bientôt,elleseraitobligéedesemontrerloyaleenversleurennemi,forcéed’êtresubordonnéeàCharisemnonparlesliensdusang.
Maispasdurantlesquinzejoursàvenir,serappela-t-elleàelle-même.Untempssuffisammentlongpourtenterdesauverlavied’unAncien.
—Jen’ai jamaisétudiéAlexanderdans lebutde trouver l’endroitoù ilDormait. Jen’aiquedeshypothèses.Jeneprétendspascomprendrel’espritd’unAncien.
—Unechasseàl’aveuglette,méditaVenin.AvecleshommesdeLijuanàvostrousses.GalenaffichauneexpressionneutretandisquelamaindeNaasirsecrispaitsursongobelet.—Quandfinira-t-elleparmourir?J’aitentédeparveniràcerésultatdepuismonplusjeuneâge.Andromedaécarquillalesyeux.—Est-cequecettehistoireestvraie?demanda-t-ellesanspouvoirs’enempêcher.Qu’unjourvous
vousêtesintroduitdanslaforteressedeLijuanauRefugeetavezfaitsemblantdemangersonchat?Ellereçutunregardenbiaissifroidqu’ellesentitpresquelegelcontresapeau.
—Oui, répondit Naasir avant de retourner à sa conversation avec les autres. Il nous faut aussidécouvrirpourquoiellesemblesoudainsidécidéeàassassinerAlexander.(Ilbutunegorgéedesang.)Parce que je suis d’accord avec le Sire : il est bien plus probable qu’il s’agisse d’éliminer laconcurrenceplutôtquederéveillerunalliépotentiel.
Jessamysecoualatête,troublée.—J’aivuLijuans’approchertoujoursplusdesténèbres,maisjenem’attendaispasàcela.Tuerun
AnciendanssonSommeil.C’estunehorreurinnommable.Andromedanevoyaitrienàajouteràcetteatrocevérité.
Deuxheuresaprès le repas,Naasirsortitdeson lit. Ilétaitcensésereposeravantdese lanceren
chasseavecAndromedalelendemain,maisilétait troptendu.Elles’enétaitpriseàluienluiintimantd’êtrecivilisé.Visiblement,ellen’étaitpassafemellemêmesiellesentaitsibonqu’ilparvenaitencoreàhumer son odeur en dépit des murs qui les séparaient. Mais qu’elle lui mette l’eau à la bouche necomptaitpas;sapartenaireneluidiraitjamaisd’êtrecequ’iln’étaitpas.
« Une femme quime connaisse, qui comprenne ce que je suis, et qui veuille partager des règlessecrètesavecmoi.»
IlavaitdéclaréàAshwiniquec’étaitcequ’ilrecherchaitchezunecompagne,etiln’avaitpaschangéd’avis. Sa femelle n’exigerait pas qu’il porte une peau différente, n’attendrait pas de lui qu’il soit« normal ». Il ne l’était pas, et à plus d’un titre, mais il n’en était pas moins une personne, et lespersonnesavaientledroitdesemettreencouple.Ilavaitledroitdesemettreencouple.
Serrant les dents contre le besoin urgent de suivre l’odeur envoûtante de l’ange qui à l’évidencen’étaitpassafuturefemme,ilenfilasonjeanetsedirigeaverslapetitearèned’entraînementàl’arrièrede la forteresse. Ilnes’agissaitpasdu terraind’exercicesprincipal,maisplutôtd’unecour ferméeaubord d’une falaise, où ceuxqui avaient à travailler à la citadelle pouvaient s’entraîner ou étirer leursmuscles.
Ilsauteraitsurlemur,descendraitlelongdelafalaiseetiraitjusqu’aufonddelagorgequitraversaitleRefuge,puisrentrerait.Letrajetétaitsuffisammentdifficilepourl’épuiser…
Ungrondementmontadesapoitrinequandsonodeuràelle se fitplusprégnanteàmesurequ’ilserapprochaitdelacour.Iln’yavaitpasdechambresàcetteextrémitédelaforteresse.Qu’est-cequecetteodeurfaisaitlà?
Aprèstout,aucuneimportance.Ilallaitcontinuersonchemincommesiderienn’était.Musclesbandés,ilsortitdanslanuitetfronçalessourcilsàlalumièrediffusequiprovenaitdedeux
lampesquequelqu’unavaitalluméesàfaibleintensité.Savisions’ajustarapidement,maisilpréféraitlanuitcomplète.Lafemmequiselivraitàquelquesexercicesaucentredel’arène,elle,nevoyaitpasdanslenoir.
Elle ne portait plus la robe flottante couleur framboisesmûres dans laquelle il l’avait rencontréetantôt, mais un pantalon noir qui épousait ses formes pulpeuses. Son haut était de la même teinte etressemblaitàuntee-shirt.Lesfentespourlesailesétaientferméespardesboutonsdiscrets,ledouxtissucollantàsontorsetoutenlaissantsesbrasengrandepartienus.
Lalumièreseréfléchissaitsurlesmèchesd’ordesescheveux,sapeaumielluisait.Lorsqu’elle bougeait, ses ailes bruissaient, mais elle les tenait scrupuleusement au-dessus du sol.
Galenn’avaitpasdûluilaisserderépit–lemaîtred’armesétaitsanspitiésurcepoint.Laissertraînerses ailes ne signifiait pas seulement qu’elles risquaient de s’abîmer. Cette habitude affaiblissait lesmuscles.Ceuxdesailesd’Andromedaétaientpuissants,sesmouvementspleinsdegrâce.
Cesmêmesailess’évasèrenttandisqu’elleeffectuaitunmouvementpivotantcontrôléetilsentitsonventre se serrer. Elles n’étaient pas seulement chocolat noir, ce qui aurait déjà largement suffi à luidonnerenviedelescaresser.Ellesétaientornéesdemotifsauxgradationsdecouleurcomplexesallantjusqu’àunmarronpâle,doré.Maiscesecretn’étaitvisiblequelorsqu’ellelesdéployait.
Elles se refermèrent une seconde plus tard quand Andromeda se tourna pour effectuer un autremouvement.
IlavaitvudesgenspratiquerquelquechosedesemblablesurlesterresdeLijuan.Onappelaitcelaletai-chi.Ilpréféraitdeloindesartsmartiauxplusrapides,plusdurs,commelekaratéouletaekwondo.Iln’auraitjamaislapatiencedes’approprierdetelsmouvements.
RegarderAndromedalespratiquer,enrevanche…—Oh.Elle s’arrêta sous le coup de la surprise quand le tour suivant la laissa face à lui – et ses yeux
luisants.Naasirpouvaitfaireensortequ’ilsnereflètentrienoulesabriterdesescilslorsqu’ilnesouhaitait
pasêtrevu,maisàlaminuteprésente,iln’étaitpasd’humeur.L’effrayeravecsonregarddeprédateurlefitsesentirmomentanémentmieux.
Ilétaitsur lepointdesauterenhautdumurafind’entamersadescente lorsqu’il futarrêtéparuneridiculequestionféminine.
—Vousrecherchezunpartenairepourvousentraîner?Illadévisagea.—Vousenavezassezdevivre?Naasirétaittrès,très,trèsbon,etàmoinsqu’ilnecontiennesapuissancelétale,tuerquelqu’und’une
natureaussidoucequ’Andromedaseraitpourluid’unefacilitédéconcertante.—Non,répondit-elle.Etsoussesyeux,elleeffectuaunnouvelétirement.Lemouvementcollasonhautcontresesseinsetdévoilaunemincebandedepeauauniveaudeson
ventre.Ilsedemandasiellelenarguait.Sonsangs’enflammaettoussesinstinctsdeprédateurrugirent.—Sivousvousentraînezavecmoi,vousmourrez,lamit-ilengarde.Ilavaitenviedelamordreafinqu’ellesacheexactementàquielles’enprenait.—VotreSireseraitdéçusivoustuiezvotrepartenaire.Ellen’étaitpassapartenaire.Elleétaituniquementquelqu’unavecquiilavaitàtravailler.Maiselle
avaitraison:Raphaelneseraitpascontents’iltuaitleurexperte.—Raisondepluspourquenousnenousentraînionspasensemble.Ilseretournaverslemurqu’ilavaitl’intentiond’escalader.—Onapeur?Naasirsefigea,incrédule.Ilseretournalentementetvintrôderjusqu’àelle,aupointqueleursorteils
setouchent.Ilsétaienttousdeuxpiedsnus.—Qu’avez-vousdit?
Chapitre4
Unsourirededéfiétiraleslèvresdelatendrepetiteéruditequileprovoquait.— Je vous ai demandé si vous aviez peur, répéta-t-elle sans flancher, malgré son pouls qui
s’emballait.—Voulez-vousquejevousmorde?demanda-t-ilsérieusement.Ellereculaenfronçantlessourcils.—Bien,sivousnevoulezpasvousentraîner,jetrouveraiquelqu’und’autre.Ilparvintàpeineàretenirungrognement.Ellevoulaitqu’ilsecomporteenêtrecivilisé?Soit.Ilse
couleraitsibiendanscettepeauquejamaispluselleneverraitlevraiNaasir.—Lesrèglesducombat?demanda-t-il.Hormiscelledenepasvoustuer.—J’auraiuneépée.Vousvousbattrezàmainsnues.Ilhaussalesépaules.—Çarendleschoseséquitables.Pourdirevrai, c’était suicidairede lapartd’Andromeda.Ellepourraitbienavoirdixépéesqu’il
parviendraitencoreàfranchirsagardeenunbattementdecils.—C’estlavôtredanslecoin,là-bas?—Vousarrivezàlavoir?demanda-t-elle.Elleestdansl’ombre.Iln’ajoutarien,secontentadelaregarderjusqu’àcequ’ellemetteuntermeàleuréchangemuetet
aillechercherl’épéequ’elleavaitposéeavecsoincontrelemur.Elleétaitdanssonfourreau,etlorsquelajeunefemmel’ensortit,ilvitlalamebriller.SoitGalenluiavaitrabâchédenettoyersesarmes,soitcelle-ci n’avait en fait jamais été utilisée lors d’un combat sérieux. Elle servait probablement justed’accessoirelorsdesétirementspatients,fluides,réguliersdel’érudite.
Ileutunreniflementméprisantsoussabarbe.—Prêt?s’enquit-elle.Ellesepositionnasuffisammentloindeluipoursecroireensécurité,jambeslargementécartées.—Oui.—Danscecas,trois,deux,un!Naasirse jetaenavant,sans riencontenirdesonexplosivité.Toutcequ’ilavaità faire,c’était la
plaquerausoletcetexerciceridiculeserait terminé. Ilpourraits’enalleretcesseraitdebaverfaceàcette odeur envoûtante qu’elle dégageait. L’air siffla devant ses yeux, le monde si lent comparé à saproprevitesse,lesétoilessemêlant…
—Grrr!Ilgrondaenretombantsursespiedsetposalesyeux,incrédule,surlehautdesonbras.Unefineligne
rougetraversaitsonbiceps.Secouantlatête,ilregardadenouveau,maisc’étaittoujourslà.Lablessure
superficielleguéritsoussesyeux.Maislesangrestasouslacicatrice,marquantlepointd’impact.—Tum’ascoupé,dit-ilàAndromeda.
Lecœurtambourinantàsescôtesetlesoufflehaché,Andromedasedemandaitsiellesavaitbience
qu’elle faisait. Elle n’avait pas voulu le défier,mais il avait été si horriblement poli depuis le dînerqu’ellen’avaitpuseretenirdeleprovoquer.Ilavaitvisiblementdécidéqu’ilnel’appréciaitpas,etpouruneraisonoupouruneautre,celalamettaitenrage.
Il l’observaitmaintenant à travers sesyeuxétrécisd’unargentbrillant, desmèchesde cheveuxentraversduvisage.
—Commentas-tufait?Ilexigeaituneréponse.Cettefois-ci,cefutautourdelajeunefemmedehausserlesépaules.—J’aitriché.Ilcillalentement.—Cen’estpasautorisé.— Si. Tu es plus grand, plus rapide et bien mieux entraîné que moi. Si je ne triche pas, on ne
s’amuserapas.Unautrelentbattementdepaupières…etilsemitenmouvement.Elleaussi,réagissantintuitivement.
Tousdeuxtournaientmaintenantl’unautourdel’autre.Danssonesprit,elleseréfugialàoùellenefaisaitqu’unaveclalameetagitdenouveauàl’instinctlorsqu’ilfonditsurelle.Elleeffleuraleslignesduresdel’abdomendesonadversaire.Seulement,cette fois-ci, ilnes’arrêtapassous lecoupde lasurpriseetcontinua.
Jamaisdesavieellen’avaittravailléaussiduravecunelame.Ilparvintmalgrétoutàl’épinglerausolenmoinsdetroisminutes.LachaleurducorpsdeNaasirsur
elle créait entre eux une intimité troublante. Les genoux encadrant les hanches de la jeune femme, ilagrippaitdesmainssespoignetsau-dessusdesatête,rendantsonépéeinutile.Ilsepenchajusqu’àcequesonsouffleembrasselesien.Ellepouvaitplongerdanssesyeuxétonnants.Ilssefrôlaient.
Ses yeux étaient clairs, si clairs, et extrêmement beaux.Leur argent brillait dans la nuit, les striesdansleursirisd’unargentplussombre.
—Tum’ascoupéseptfoisetdemie,annonça-t-il.Savoixconservaituntongrondant,grinçant.Haletante, elle tenta de hausser de nouveau les épaules, comme si elle n’était pas piégée sous un
prédateurtoutsaufamical.—Pasmalpouruneérudite.Ilserapprochaencoreplus,jusqu’àcequesonneznesoitplusqu’àunsouffledeceluidelajeune
ange.—Tuasdessecrets,dit-illentement.Toiaussi,tuportesuneautrepeau.Andromedas’immobilisa.Lejeuétaitsoudaindevenudangereux.—Non,répondit-elle,lagorgesèche.Jen’aipasdesecrets.Etjesuistoujoursmoi-même.Dumoinsjusqu’àlafindesesquinzederniersjoursdeliberté,quinzejoursdurantlesquelslesgens
qu’ellerespectaitcroiraientencoreenelle,auraientencoreconfianceenelle.—Uneéruditequimaniel’épée?—As-tujamaisentenduparlerd’érudits-guerriers?Ilcontinuaitàl’observerdesesyeuxargentésoùellecroyaitvoirtournerdesgalaxies.—Tuasdestachessurlevisage.
—Quoi?Çadoitêtrelapoussièrequandtum’asfaittomber.Ildéplaçalespoignetsdel’angepourlestenird’uneseulemainpuissanteetduboutd’undoigtàla
peaurugueuse,ileffleurasonnezetsesjoues.—Destaches.Leregardnoird’Andromedatransperçal’argentquivoulaitsepropagerenelle.—Cesontdestachesderousseur!s’insurgea-t-elle.L’arête de son nez et le haut de ses joues en étaient saupoudrés. Elles n’avaient fait que ressortir
davantageaufildutemps,jusqu’àcequel’angerenonceàtoutespoirdeparaîtreéléganteetdistinguée.Leprédateurnetintpascomptedesesprotestationsetentrepritdecompterses«taches».—Naasir.Ilrelevalesyeux,l’airmortellementsérieux.—Mecouperaprèsm’avoirtrompéavectapeauextérieuren’étaitpasgentil.Cen’étaitpascivilisé.—Jen’aipaspromisdel’être,dit-elle,avantderegretterdenepasêtrerestéebouchecousue.Elleavaitpassélaplusgrandepartiedesavied’Immortelleàseconduireselonlesrègles,àadopter
uncomportementconvenableetànepasêtredépendantedessensationsnéesdesesbasinstincts.Naasirclaquadesdentssoussonnez.Lorsqu’elle sursauta, il rit et s’étira sur elle, unemain la tenant toujours aux poignets. Son odeur
chaude,masculine,lapénétraitàchacunedesesinspirations.—Danscecas,jeneseraipascivilisénonplus.C’étaitétrange.Ellen’avaitfaitsaconnaissancequequelquesheuresplustôt,etpourtantcesmotsla
soulagèrent.Commesielleavaitperduquelquechosemaiss’étaitdébrouilléepourlerécupérer.—Je t’aidemandédebien teconduirepourseulementuneminute, se retrouva-t-elle àdire alors
qu’elleauraitdûluidemanderdelalâcher.Tum’agaçais.LesdoigtsdeNaasirfléchirentcontresapeau,maisilnelalibérapas.—Jenetefaisaispasdemal,dit-il,renfrogné.—Non,reconnut-elleensongeantdenouveauàcettelettrefatidique.J’étaisencolèreàcaused’autre
choseetjem’ensuispriseàtoi.Jesuisdésolée.Sesyeuxétonnantssoutinrentsonregardtandisqu’ilserapprochaitencore.—Jeveuxléchertapeau.Cettemêmepeaulapicotait.Maispasdepeur,loindelà.Elletentadesedébarrasserdeluid’une
ruade.Sanssuccès,évidemment.Ilétaitlargementpluslourdqu’elle.—Jenepeuxpasrespirer.—TuesuneImmortelle.—Mesailessontécrasées.Ilsesouleva.—Déploie-les.Elleobtempéra,soulageantsadouleur,maislorsqu’elletirasursespoignets,ilraffermitsapriseet
ramenasoncorpssurlesien.—Maintenantquetesailesnesontplusécrasées,onpeutparler.Dans lamesure oùAndromeda pouvait sentir son érection, dure et imposante, elle imaginait sans
peine le genre de conversation qu’il avait à l’esprit. Si elle lui montrait le moindre signed’encouragement,ilsseretrouveraienttousdeuxnusenmoinsdetempsqu’ilnefallaitpourledire.
—Non,murmura-t-elle.Etpourlapremièrefoisdesonexistence,elleregrettasonchoix.Ilinclinalatêtesurlecôté.
—Non?—J’aifaitvœudechasteté,etc’estunedécisionquej’aimûrementréfléchie.(Ellel’avaitsoupesée
durantcentans.)Monhonneurdépendenpartiedecevœu,quifaitdemoicellequejesuis.PaslapetitefilledeCharisemnon.PaslafilledeLailah.Niuneautreprincesseblaséedelacour.
MaisAndromeda.Éruditeetguerrière.Un sonbas,grondant, s’échappade lapoitrinedeNaasir, dont lesyeuxargentbrûlaient au-dessus
d’elle.—Lerutn’estpasundéshonneur.Lesjouesdel’anges’enflammèrent.—Çal’estpourunefemmequiapromisdenepass’ylaisseraller.Naasir se déplaça pour se frotter contre l’entrejambe d’Andromeda. Elle retint son souffle, ses
muscles internes se contractant sur ce vide douloureux, tandis que son intimité s’humidifiait. Narinesdilatées,Naasirsepenchapourvenirtaquinersoncoudesonnez.
—Tumedésires.C’étaitunronronnementsatisfait.Elleavaitlagorgesisèchequ’illuifalluts’yreprendreàplusieursfoisavantderépondre.—Celanechangerienàmonchoix.Illuimontralesdentsenserrantsespoignetstoutenrestantattentifànepaslablesser.—Qu’est-cequilechangera?Lesmotsfranchirentrapidementseslèvres,commetoujoursenprésencedeNaasir.—LadécouverteduGrimoireÉtoile.C’étaitlaclausequiluipermettraitderenonceràsonvœu–elleenseraitlibéréelorsqueleGrimoire
referaitsurface.—C’estquoi,unGrimoireÉtoile?—Unlivre.Unlivreperdudanslesmystèresdutemps,raisonpourlaquelleellel’avaitchoisi.—Unlivreancienquepersonnen’avudepuismilleans.Untrésorangélique,précisa-t-elle.Naasirrestasilencieuxpendantunlongmoment.—Sijetrouvecestupidegrimoire,tutelivrerasaurutavecmoi?Lesjouesdel’anges’enflammèrentencoreplus.Sestétonsétaientsitendusqu’ilssemblaientprêtsà
palpiter.—Tunepeuxpasletrouver.—Etsij’yparviens?—Danscecas,tupourrasfairecequetuveuxdemoi,dit-elleimprudemment.LesouriredeNaasirétaitpurpéché.Sescrocs luisirentdans la lumière tamisée.Ilsesouleva, lui
tenditlamain,etlorsqu’elles’ensaisit,laremitsurpied.—Quit’aapprisàmanierl’épée?Tonstylen’estpasceluideGalen.—Monautrementor.Ellevitqu’ilobservaitl’épéeavecadmirationetlaluipassapourqu’ilpuissel’examiner.Naasirs’ensaisit,reculaettranchal’airdelalamesurunrythmerapideetdangereux.—Quelqu’undelaforteressedeCharisemnonauRefuge?—Non.Jenememêlepasauxgensdemongrand-père.Pasencore.Paspourlesquinzeprochainsjours.—Ils’agissaitdeDahariel,ajouta-t-elle.Unsontranchantcommelaglacesefitentendrelorsqu’ilcessadejoueravecl’épée.
—Daharielestlesecondd’Astaad.—Les enseignants et les érudits ne sont pas liés à unArchange en particulier, àmoins qu’ils ne
prêtentallégeance.On considérait que Jessamy était plus loyale envers Raphael qu’envers les autres Archanges en
raisondesarelationavecGalen,etpourtantlesmembresduCadren’hésitaientpasàveniràellequandilsavaientbesoind’informations.
QuantàAndromeda, elleavaitprouvé sa fidélité à ses recherches impartialesdurantplusde troiscentsansdedurlabeuretdedisciplineinflexible.Laplupartdesgensavaientmêmeoubliéqu’elleétaitdelalignéedeCharisemnonetnevoyaitenellequ’unesavantedévouéeauxArchives.
Naasirluimontralesdents.—Tuluirendsdescomptes?—Non.Niàluiniàpersonned’autre.—Etpourcettemission?RetrouverAlexander?—Enacceptantcettetâche,jemesuisengagéeànepastrahirlaconfiancedeRaphael.Personnenelapousseraitàdévoilerlessecretsqu’elledécouvriraitdurantlesjoursdelibertéqu’il
luirestait.Etsoninstinctluisoufflaitquelejourdesesquatrecentsans,cettequêteseraitachevée,d’unemanièreoud’uneautre.Lesévénementsseprécipitaienttantqu’ilétaitimpossiblequ’ilensoitautrement.
Naasirluirenditsonépée.—Daharieln’estpasunhommebon,dit-ildurement.Ilfaitdumalauxgens.Parfoismêmeàcertains
quinesontpasencoreadultes.Andromedavacilla.—Peut-être,admit-elle,maisilm’asauvée.Petite, elle n’était qu’une possession sur laquelle on veillait jalousement, sans pour autant lui
accorderquelqueattentionoutendressequecesoit.SeulDahariell’avaittraitéecommeunepersonneàpart entière.L’ange aux traits aquilins lui avaitmisune lamedans lamain et lui avait appris cequ’ilmaîtrisaitlemieux.
«Lalametedonneralemoyendeméritertaplacedanslemonde.»Ils’avéraitqu’ellen’avaitpaseuàmanierl’épéepourtrouversaprécieuseliberté.Maislorsqu’elle
avait quitté ses parents alors qu’elle n’était encore techniquement qu’une enfant, cela lui avait donnéconfiance,celaluiavaitpermisdecroirequ’ellesauraitsedéfendresurlescheminsduciel.Cetteépéeet un léger bagage. Voilà tout ce qu’elle avait avec elle lorsqu’elle était arrivée au Refuge et avaitsollicitéauprèsdeJessamyl’éducationqu’onluiavaitsilongtempsrefusée.
Charisemnon faisait appel à des érudits,mais n’avait quemépris pour eux. Il ne respectait que laforce–cequi,àsacour,signifiaitdeshommesetdesfemmescruellementendurcisquipouvaientinfligertortureethumiliationsansaucunétatd’âme,quipouvaientobligerunêtrehumainàsupplier,ramperetsaigner.Lailahavaitappriscette leçonauxpiedsdesonpère,etelleavaitélevéAndromedadansunemaisonoùrégnaitenpermanencelabrutalité…etl’odeurdusexe.
Plusilyavaitdeperversion,mieuxc’était.Àcestade,lesparentsd’Andromedaétaientplusqueblasésparladébaucheordinaire.«Jeprometsd’apprendreetdetraiter labibliothèqueet lesArchivesavecrespect,avait-elledità
Jessamycejourlointain.Jen’abîmeraiaucundesvolumes.»Elleavaitdûajoutercettedernièrephrase,car tous les érudits endevenirn’avaientpas eupourparentsdesgensbannisdesArchives.« Jeveuxapprendre.»Pouravoirunechanced’êtreplusqu’unemarionnetteguidéeparladouleuretobsédéeparledésirsexuel.«Jevousenprie,enseignez-moi.Jevousensupplie.»
Penchantversellesontorsenusitentant,Naasirluidemanda:
—Qu’est-cequeDaharielaexigéencontrepartie?Lecœurd’Andromedaseserraausouvenirdecettedouleurprofondeetancienne.—Rien,murmura-t-elleense rappelantcequeDaharielavaitdéclaréà la jeune fillequ’elleétait
alors.«Peut-êtrees-tumabonneaction.Maismabontén’estpasinfinie,etjel’aiépuisée–n’attendsrien
deplusdemapart.»—Nousdevrionsnousreposer,dit-ellepourempêcherNaasirdelarelancer.Nousnousmettronsen
chassedemain.Naasirnelalaissapaspasser.Iltenditlamainetenroulaunemèchequis’étaitéchappéeàlanattede
lajeunefemmeautourdesondoigt.—Parle-moiduGrimoire.Andromedanesedérobapas.Celalanceraitlemauvaissignalàcevampirequin’enétaitpasun.Il
étaitunprédateuretellenetenaitpasàdevenirsaproie.—LalégenderacontequeleGrimoireétaitunrecueildechoses,êtresettrésorssecretsquionttous
disparuilyalongtemps.Naasirtirasurlamèchequ’ilavaitcapturée.—Tuaimeslessecrets?—J’aimelesperceràjour.Unsouriredangereux.—Moiaussi.MaisAndromeda avait comme l’intuition qu’il ne partageait pas saméthode de recherche lente et
méthodique.
L’aube se manifesta par de douces nuances de couleur à l’horizon. Après avoir discuté avec lesgardesenfactiondevantlaforteressedeRaphael,oùellerésidaitpourlemoment,Andromedaentrepritunelonguepromenadesurlesfalaisesquisurplombaientlagorge.Danslamesureoùellen’avaitaucuneintentiond’êtreenlevéeparleshommesdeLijuan,ellerestavisibledelaforteresseetdesgardes.
Oui, ellepouvait sedéfendreavec lescouteauxqu’elleportait attachésà sescuisses sous sa robelégère couleurmenthe,mais elle ne gagnerait pas face à un escadron de guerriers entraînés. Il valaitmieux ne pas courir ce risque – de plus, se contenter de cette partie du Refuge pour sa promenadematinalen’étaitpasunepunition.Toutétaitcalme,seulsquelquesangesavaientdéjàquittéleurdomicileouleurnidd’aigle,tandisqu’aucundesvampiresduRefugenesemblaitêtredéjàdebout.
Danscettepaix,elleserecentraitdenouveau.L’ordre.Lasérénité.Lesavoir.Lestroisfondationssurlesquelleselleavaitconstruitlaviequ’elles’étaitchoisie.Desyeuxsauvagesargentésetladansed’uneépéequiluicoupaientencorelesouffle.Andromedasecoualatête,serralespoingsetfermalesyeux,inspirantprofondémentl’airfraisdela
montagneaupetitjour.Iln’yavaitpasdeplacedanssaviepourlegenredesauvageriequereprésentaitNaasir ; elle n’avait que deux semaines précieuses pour construire des boucliers émotionnelssuffisammentrésistantsafindesurvivrecinqcentsansenenfer.Cesboucliersrequerraientunedisciplineabsolueetunevolontédefer.
Ellesentitlaclaqueduventsursajouequisignalaitqu’unangeseposaitnonloin.Ellesoulevadenouveau les paupières. Elle était déterminée à se montrer polie malgré le caractère grossier d’unatterrissageaussiproche,maissonsouriredecirconstancedisparutàl’instantoùellevitlespommettes
tailléesàlaserpeetlesailesgrisfoncéstriéesderougedel’angeauxcheveuxnoirsquisetenaitàpeineàquelquescentimètresd’elle.
Xi.L’undesgénérauxdeLijuan.Andromeda n’hésita pas. Elle fit un pas en arrière, tomba de la falaise et ouvrit brutalement ses
ailes…maisXin’étaitpasvenuseul.Lapaniques’emparad’ellequandsesailess’empêtrèrentdanslesmaillesd’un filet.Aucunechanced’en sortiroud’attraper sesarmes.Enquelques secondes, elleétaitétroitementficelée.
Puis l’équipe toutentièrese laissachoirau fondde lagorgeàunevitessevertigineuse.Ellehurlasans discontinuer, non pas par peur mais pour donner aux gardes une piste à suivre, même si sonpragmatismeluisoufflaitquetouts’étaitdéroulétropvite.Lesgardesn’étaientprobablementmêmepasencore arrivés au sommet de l’à-pic. Et il y avait peu de chances que quelqu’un d’autre l’entende – pratiquement personne ne volait aussi bas dans la gorge, si bas qu’elle sentait l’éclaboussure de larivièrerugissante.
LeshommesetlesfemmesdeXiavaientdûlasurveiller,découvrirseshabitudes.Sonrespectdesrèglesetsongoûtpourl’ordreetlaroutines’étaientretournéscontreelle.Levisagepressécontrelesmailles,elleparvintàinsinuersamainsurlecôtédesacuisseetàsortir
l’une de ses deux lames. Elle était finement aiguisée,mais il lui fut impossible de trancher les filinsmétalliquesquiluicisaillaientlapeau.EllenesortiraitpasdelàavantquelesgensdeLijuanneleluipermettent.
Elle travailla àdissimulerdenouveau la lame.Dans lamesureoù ellene s’était jamais entraînéedansdeslieuxpublicsprévusàceteffet,Xin’avaitpeut-êtrepasconsciencequ’ellen’étaitpasuneciblefacile. S’ils ne la fouillaient pas lors de leur arrivée aux quartiers deLijuan auRefuge, elle pourraitutilisersesarmespourfuir.Ellen’étaitpasaussiàl’aiseaveccescouteauxqu’avecsonépée,maiselles’étaitentraînéeavecVenindepuisl’arrivéedecedernieretilluiavaitapprisquelquesbottessecrètes.
Malgrétout,alorsquelesminutespassaientetqueleterrainsousellechangeait,elleserenditcomptequ’ils quittaient le Refuge. Son cœur se glaça quand elle comprit qu’il n’y avait qu’une explicationpossible.Onl’emmenaitdirectementàlacitadelledeLijuan,unendroitoùellen’avaitniamisnialliésetquiavaitlaréputationd’êtreéloignédetoutecivilisation.
Unlieuoùlesvivantsétaientsacrifiésetoùlesmortsmarchaient.
Chapitre5
Lorsqu’il sortit,Naasir saisit l’odeur d’Andromeda portée par la brise. Il était sur le point de lasuivrelorsqu’ilaperçutunpetitcorpsquivolaitfrénétiquementnonloindelui.Ilfronçalessourcils.Ilsavaitquel’enfantétaitbientropjeunepourêtredeboutsitôt.Deplus,ildiscernaitleparfumacidedesapeur.Ils’élançaàsapoursuiteetplongeaenavantpoursesaisird’unemincecheville.
SamcriaquandNaasir le tiravers lesol.Puis ilse jetaàsoncou.Sesbouclesbrunesenbatailleluisaientetsesailesmarrontachetéesdenoirs’affaissaientsurlebrasduvampire.
—Naasir,Naasir,ilsontprisAndromeda!Naasirsefigea.—Quiça?demanda-t-ilaupetitgarçon.Poitrinehaletante,Samfitdesonmieuxpourparler.—Unangeavecdesailesgrisesetrouges,dit-ildansunsouffle.J’aicruqu’ils’agissaitd’unjeu,
maisl’angeetsesamisontenrouléAndromedadansunfiletetl’ontemmenée!Toutenécoutantl’enfant,Naasirseprécipitaitverschezlui.—Versoùsesont-ilsdirigés?Unseulangeavaitdesailesgrisesstriéesderouge,etilétaitliéàLijuan.Samtenditledoigt,sesyeuxmarronécarquillés.—Jesuisarrivéàlesvoirmêmes’ilssontalléstoutaufonddelagorge,oùj’aipasledroitdevoler.
Jejurequec’estvrai.—Jetecrois.Ladirectionpriseparl’escadronenneminemenaitpasàlaforteressedeLijuanauseinduRefuge,
maispermettaitdelequitter.Lesangbouillantdubesoindechasser,deselancersurunepiste,Naasirpassaencourantlaporte
ouvertedechezSam.La mère du petit, une femme très menue, était dans la cuisine. En voyant le léger fardeau que
transportaitNaasir,elleenrestabouchebée.—Sameon!Jecroyaisquetudormaisencore.Samsejetadanslesbrasdesamère.—J’étaispartipourm’asseoirsurlafalaiseetregarderl’escadrondeGalens’entraîner.Maisc’est
làquej’aivulesangesmauvaisenleverAndromeda.Ilsétaientméchantsavecelle,Maman.Serrantcontreellesonfilstremblant,elleluifrottaledos.Puissonregardassombriparl’inquiétude
rencontraceluideNaasir.—Jelatrouverai.
Surcettepromesse,Naasirrepartitencourantetsuivitl’odeurd’Andromedajusqu’àunpointdel’à-picoùelles’évanouissaitensuitesanslaisserdetraces.Soitlajeunefemmes’étaitenvoléepourtenterd’échapperàXietsestroupes,soitonl’avaitpoussée.
Quelques pas plus loin sur la gauche, il put confirmer que c’était bienXi que le petit Sam avaitrepéré.L’odeurdugénéralluiétaitfamilièreaprèslesannéesqueNaasiravaitpasséesauRefuge.Elleaussidisparaissaitbrutalement.
Conscientqu’ils’engageaitdansunecoursecontrelamontre,Naasirseprécipitaàl’arèneoùGalenpréparaitsonescadronàunentraînementmatinal.Enentendant le rapportdeNaasir, lemaîtred’armesemmenaimmédiatementsestroupesdanslesairs,s’élançantenflèchesurlecheminaériendésignéparSam.
Naasirne s’arrêtapas là. Il se rendit sur le territoireduRefuged’Astaadoù il repéra rapidementDahariel.Que l’angedangereuxetcruelaitapprisàAndromedaàsebattresans jamais rienexigerenretourtémoignaitd’unlienaffectifplusprofondquelajeunefemmenel’avaitestimé.
Daharieln’étaitpasréputépoursagentillesse.Leregarddel’angeseglaçaàl’écoutedurapportdeNaasir.—MonescadronrejoindraceluideGalen,dit-ild’untonfroid.TuessûrqueSameonabienvuce
qu’ilcroit?Cen’estqu’unenfant.—Oui.(Samnementaitpasetétaitintelligent.)JemèneraimespropresrecherchesauRefugeaucas
oùXiseraitrevenusursespasetsecacheraitici.UnbrefhochementdetêteetDaharieldécolladesesailespuissantesauxdessinsquiressemblaientà
ceux d’un aigle, avec des tonsmarron et noir. Il était possible que la poursuite aérienne permette derattraperXietseshommes–siIlliums’étaittrouvélà,celaauraitétéunecertitude.Maisl’angeauxailesbleues et à la vitesse inégalable était àNewYork. EtXi avait une longueur d’avance. Il lui suffisaitd’emprunterunevoieaérienneatypiqueoudeseposerdansunlieudiscretenattendantquelanuittombe.
Grinçantdesdents,NaasirsefaufiladansleterritoiredeLijuan.Aucunsigned’Andromeda.Paspluslàquedans lesdifférentesenceintesduRefugeappartenantauxautresArchanges.Sonodeurétaitplusprégnanteenhautdelafalaise.Pourautant,mêmelà,elleavaitcommencéàfaiblirquandileutterminésarechercheintensiveausol.
LesescadronsdeGalenetDaharielnerevinrentqu’aucrépuscule.Ilsn’avaientpasAndromeda.Naasir savait qu’elle devait maintenant se trouver àmi-chemin de la Chine. Pour la retrouver, il
auraitàpénétrerdanslatanièreducauchemar.
Chapitre6
Raphael était ennage aprèsune sessiond’entraînement avec les lames jumelles qu’il affectionnaitquandMontgomeryapparutsurleterraindelamaisondel’Enclave.Ilsurplombaitl’Hudson,etau-delàdu fleuve, l’acier et le verre deManhattan.Oui,Montgomery ? dit-il sans interrompre la fureur deslames.
Sonaffiliéeseraitamèrementdéçueenrentrantdesachassepourdécouvrirqu’ilavaitprisletempsdes’entraîner.Elleadoraitleregarder,maismêmeElena,courageuse,impétueuseetsublime,netentaitpasdelerejoindre.
—Jen’arrivemêmepasàdécomposertesmouvementstellementtuesrapide,avait-elleditunjourqu’ellel’observait,sesyeuxbrillantd’uneappréciationnondissimulée.Etjesuisassezfandematête,doncjepréféreraisqu’elleresteattachéeàmoncorps.
—Moidemême, avait-il réponduavantde l’emporter sur l’herbepourunautregenredebataillechaudeethaletante.
Àvraidire,personnesursonterritoirenepouvaitpratiquercetexercice-làaveclui.Pasmêmesonsecondmeurtrier.Parmi lesArchanges, seuleNehaenavait lacompétence, la rapiditéet la force.Lesautrespréféraientdesarmesdifférentes.L’Archangedel’IndeetRaphaels’étaiententraînésunefoisavecdeslamesjumelles.Neha,fineetpleinedegrâcedanssoncuirdecombat,attaquaitetsedéfendaitàpartségales.
Raphaelneregrettaitpasd’avoirexécutélafilledeNehapoursescrimes.Enrevanche,ildéploraitque cela ait durement détérioré la relation qu’il entretenait avec une Archange qui, malgré sontraditionalisme forcené et sa cruauté occasionnelle, se préoccupait de son peuple et n’hésitait pas àpartagersonsavoiravecdesArchangesplusjeunes.
Sire, réponditMontgomery tandis que ces pensées traversaient le cerveau de Raphael en à peinequelquessecondes,Galensouhaiteraitvousparler.Ilditquec’esturgent.
RaphaelsedirigeaitdéjàverssonbureauavantqueMontgomeryn’aitpufinirdepréciser.Galenneprenaitcontactques’ilavaitquelquechoseàdire.Enentrantdanslapièce, l’Archangevitsur l’écraninstallésurlemurlevisagedesonmaîtred’armes.
—Quesepasse-t-il?luidemanda-t-il.—XiaenlevéAndromeda,annonçaGalenavantd’entrerdanslesdétails.Toutenl’écoutant,Raphaelposaseslamessursonbureaupuiss’essuyalevisageavecuneserviette
apportée par Montgomery. Le verre d’eau glacée offert par le majordome était aussi bienvenu. Levampirequittalapiècesansattendre,maismêmes’ilétaitresté,celan’auraitnullementinquiétéRaphael.
LaloyautédeMontgomeryluiétaitacquise.
—Naasir estdéjàen routepour laChine,poursuivaitGalen, levisage sombre.Monescadron l’adéposéà l’aéroport.Le jet l’emmènera jusqu’au Japon, aprèsquoi il ditqu’il a sespropresméthodespourentrersansêtredétectésurleterritoiredeLijuan.(Ilsepassalamaindanslerouxprofonddesescheveux.)Ilarefuséqu’oncouvresesarrières.IlaffirmequeseulsJasonetluipeuvents’yrendresansêtrerepérés.
—Attends,ditRaphael,qui,divisantl’écran,pritcontactavecJason.Oùes-tu?demanda-t-ilàcedernier.
Ils’avéraquelemaîtreespionétaitsurleterritoiredeNeha,limitrophedeceluideLijuan.—Mahiyan’estpasencoreprêteà retournersursa terred’origineetàparleràsamère,expliqua
l’angeauxailesnoires,évoquantsacompagne.Maisellem’ademandédem’enquérird’elle.—J’aibesoinquetuaillesàlarencontredeNaasir.LorsqueRaphaeldétaillapourquoi,levisagedeJasonsedurcit.Letatouagecompliquéd’inspiration
polynésiennequiencouvraitlapartiegaucheressortitd’autantpluscontresapeaumarron.—J’aitoujoursinterditàNaasirdes’introduiredanslacitadelledeLijuanpourunebonneraison.Galen,quipouvaitentendrelaconversationàlaquelleRaphaell’avaitassocié,acquiesça.—Ilesttroptéméraire,necraintpaspoursavie.Cequin’étaitpascomplètementvrai.Naasirtenaitàlavie.Simplement,ilneconnaissaitpaslapeur.
Résultat, il courait bien tropde risques etRaphael craignait queLijuanne luimette lamain dessus –contrairementàcequis’étaitpassélorsqueNaasirétaitenfant,cettefois-ci,Lijuannepardonneraitpasl’intrusion.
—Tuesentrédanslacitadelle,dit-ilàJason.Est-cequeNaasirpeutyarriver?Cejour-là,lescheveuxdumaîtreespionn’étaientpasretenusdansleurqueue-de-chevalhabituelle.
Desmèchesnoiresbalayaientlesarabesquesd’encrequimarquaientsonvisage.—Oui. Ilestaussi suffisammentsournoispourensortir, s’ilne laissepasses instinctsprendre le
dessus.— Cela pourrait poser problème, intervint Galen avec une pointe d’inquiétude. Il maintenait
qu’Andromedarelevaitdesaresponsabilité.Galenavaitraisondesefairedusouci.UnefoisqueNaasirselançaitdansunetelletâche,ilmourrait
plutôtqu’échouer.—Vas-y,ordonnaRaphaelàJason.Retrouve-leetaide-leàsortirl’éruditedelà.Il savaitque l’apprentiedeJessamyneseraitpasblessée…oupasgrièvement,en toutcas.Lijuan
voulaitlesinformationsquedétenaitl’ange.Etlesangquicoulaitdanssesveinesétaitceluiduplusprochealliédel’ArchangedeChine.—Sire,saluaJasonavantdesedéconnecter.—Est-cequel’éruditeestsusceptibledecollaboreravecLijuanafindesauversapeau?demanda
RaphaelàGalen.—Non.(Uneréponsequinecontenaitnilapluslégèrehésitationnilemoindredoute.)Chaquefois
quej’aidiscutéavecelled’Alexander,elleaffirmaithautetfortsondégoûtpourcequeLijuanprojettedefaireselonnous.
—LaforteressedeLijuanauRefuge?—Elletient–elleyalaisséunescadroncompletetaujourd’hui,çagrouille.Raphael avait cru que Lijuan avait compris les limites qu’elle avait franchies lorsqu’elle avait
provoqué une bataille au Refuge, mais visiblement son arrogance ne faisait aucun cas des règles quiliaientceuxdeleurrace.
—CombiendetempsAndromedaest-ellecapabledesurvivredanslebastiondeLijuan?
—Très peu savent qu’elle est une guerrière parfaitement entraînée et compétente, lui apprit sonmaître d’armes. Donc, elle survivra – mais je ne sais pas si elle survivra entière. Les méthodes depersuasiondeLijuanpeuventêtrehorrifiques.
Les pâles yeux verts de Galen reflétaient une certitude sinistre. Personne ne sortait indemne del’«hospitalité»deLijuan.
Chapitre7
Andromedaavaitrenoncéàlutterdurantlevoyage.Inutiledes’épuisereneffortsvainsetd’arriversansdéfenselorsqu’ilsatteindraientleurdestination.
«Nepassemontrerstupide.C’estlapremièreleçonlorsd’unebataille.Réfléchir.»SerépétantsilencieusementlesmotsdeDahariel,ellerestatranquille,nonsansdifficulté.LebataillondeXis’arrêtaàdeuxreprises.Lapremièrefois,cefutdansunecavernetailléedansla
glacequisetrouvaitàplusoumoinsuneheureduRefuge.Ilsrestèrentlàjusqu’àcequelalumièredujour décline. Pour autant, Xi ne relâcha pas Andromeda, en dépit des requêtes répétées de la jeunefemme.Ellefinitparcomprendrequ’ilslavoulaientattachéeetprêteaudépartaucasoùilleurfaudraits’envolerbrusquement.
Endolorie et frigorifiée après tant d’heures passées dans une position si peu confortable, elle futpresque soulagée lorsqu’ilsdécollèrent enfindenouveau.Aumoins,decette façon, elleavaitde l’airfrais.Lesecondarrêt intervintaucœurdelanuit,surunepetiteîlequin’étaitqu’unpointsurl’océan.Elle aurait pu être tentée de s’enfuir, mais ses ailes souffraient de sévères crampes après avoir étéécraséesdanslefilet.Deplus,ellesavaitquesavitesseenvoln’étaitenriencomparableàcelledeXi.Ilvalaitmieuxqu’elleattendesonheure,fassepreuved’intelligenceetguetteunemeilleureopportunité.
—Jesuiscapabledevoler,dit-elleaprèsuncourttempsderepospendantlequelonluiavaitdonnéde l’eauetdupaincompletpourreprendredesforces. Iln’estpasnécessairedemeligotercommeunpoulet.
Xineréponditpas.Ilsecontentadeluijeterunbandeaupourlesyeux.—Mets ça.Autrement, je peux te rendre aveugle, dit-il sur le ton de la conversation lorsqu’elle
rechigna.Comptetenudetonâgeetdelacomplexitédusystèmeoculaire, il faudraprobablement troismois,plusoumoins,pourquetesyeuxrepoussent.
Unfiletdesueurfroidecouladansledosdelajeunefemme.—JenesuispassûrequetonArchangeseraittrèscontented’unteltraitement,avança-t-elle.Lijuanavaitbesoind’elle.—Tun’aspasbesoindevoirpourdireàmadamecequ’elleabesoindesavoir.Alors,quechoisis-
tu?Legénérall’observait,sesyeuxaussisombresetdursquel’onyx.Elleplaçalebandeau,sedemandantunefoisdepluspourquoilediablen’étaitpaslaid.Songrand-
père,avecsapeaudumarronleplusriche,avaitétébeauavantd’êtreravagéparlamaladie,etleseraitdenouveauunefoissoncorpsguéri.Unpoètemortelavaitunjourécritsurlui:
LesangdemoncœurpourunseuletuniqueinstantMonâmepourlagloireinsoutenabledesoncontact
Unetellebeautén’estpasfaitepourlesyeuxdesmortelsEllerendfolle.Elledévaste.Elleassassine.
Xi,luiaussi,étaitunbelange.EtAndromedasavaitqu’ilnemanquaitpasdemaîtresses.Ilyavaitlongtempsdecela,avantqu’ellenecomprennequelecœurquibattaitdanssapoitrineétait froid,elleavait admiré sa silhouette en vol – il était une machine élancée et superbe, dotée d’ailes uniques etsingulièrementbelles.
Pourtant,mêmesielles’interrogeaitsursoncaractère,ellesavaitquepoursonescadroniln’étaitpasdémoniaque. Iln’étaitqu’ungénéral loyalservantsadame.Maissa fidélité inébranlableaprèsqu’elleavaitmaintesfoisprouvésonabsencedeconsidérationpourlesviesdeceuxsurlesquelselleprétendaitrégner,voilàcequilerendaitdémoniaque.
—Comment vous justifiez-vous ? lui demanda-t-elle lorsqu’il la remit sur ses pieds sans aucunedélicatesse.
Ilneréponditpasetluiattachalespoignets.NerienvoirrendaitAndromedatéméraire.—Prêter allégeance à uneArchange qui fait de son peuple desmorts-vivants ? (LesRessuscités
étaientdescauchemarsambulantslâchéssurlemondepourdévorer,infecter,tuer.)Sicelan’estpasuncrime suffisant, elle se nourrit des forces vives de ses sujets. Il ne reste d’eux que des cadavresdesséchés.
En tant qu’érudite et enseignante stagiaire travaillant sous la supervision de Jessamy, Andromedaavaiteuaccèsàdesrapportsremplisparlesdeuxcampslorsdelabataillesauvagequis’étaitdérouléedanslecieldeNewYork.Lestermesutilisésdifféraient,maislesfaitsrelatésétaientbienlesmêmes:Lijuans’étaitnourriedelaforcevitaledesesgensjusqu’àdevenirsaturéedepuissance.
Andromedasesouvenaitencoredecetteligneluedansuncompterenduquil’avaitfaitefrissonner:«Sabouchedégoulinaitdesangquandellel’arelevéeducoudesonsacrifié.»
LecampdeLijuanavaitstatuéquelessoldatsdel’ArchangedeChines’étaientportésvolontairesenmasseafindeluipermettred’atteindrelagloire.Encela,lessoldatsavaientconnul’honneurau-delàdel’entendementmortelouimmortel,laissantunfierhéritageàceuxdeleurlignée.
Danscetteaffaire,Andromedaavaitlesentimentquelesdeuxtémoignagesétaientégalementvrais.Uncampavaitvul’horreur,l’autrel’honneur.Ellen’avaitrienàreprocheràXiencequiconcernaitladépositionqu’ilavaitlui-mêmeofferte:il
s’étaitmontrébrutalementhonnêtesurlespertesetlesprogrèsdelabataille.Iln’avaitpasnonplustentéde faire comme siLijuan avait gagné–bienqu’il ait adouci sa chute, comme le ferait n’importequelgénéralloyal,écrivantquesadames’étaitretiréeduchampdebatailleafinderassemblersesforcespourlaguerrequis’annonçait.
Soninterprétationdifféraitdemanièrefrappanteavec lesécritsd’Illium.LecommandantaérienenchefdeRaphael avait rapportéqueRaphael « avait fait volerLijuan en éclats ».Mais lui aussi avaitajoutéunenoteprécisantqueLijuanpourraitavoirsurvécu :«ZhouLijuanestuneArchange,et ilsnemeurentpasfacilement.»
—Jesersmadamedepuis laplusgrandepartiedemesneufcentsanssurcette terre, réponditXiaprèsqu’unautremembredel’escadroneutattachéleschevillesdel’érudite.Tunesaisriend’elle.Tatâcheestdeconsigner,pasdejuger.
Andromedainclinalatête,carsurcepoint,ilavaitraison.—Mais,ajouta-t-elle,unepetitepartdejugementestrequiselorsquenousenregistronsleshistoires.
Ilnousfautsouventchercherlavéritéparmilesaffirmationsgrandiloquentes, lesmensongeséhontésettoutcequisetrouveentrelesdeux.
Jessamyluiavaitapprisquec’étaitlaraisonpourlaquelleilsplaçaientsisouventdestémoignagesantagonistesdans l’histoireofficielle.CeuxdeXietd’Illiumfiguraientdans lespagesconsacréesà labatailledeNewYork,auxcôtésd’unedescriptiond’ensemblerédigéeparJessamyaprèsqu’elleeutlu,regardéetécoutétoutcequiavaittraitàcettebataille.
—Sinousenregistronstoutsansaucundiscernement,nousvalonsàpeinemieuxquedesmachines.—Comme tout ceque j’ai rapportéestvrai, répliquaXi, tun’as rienàmedireà ce sujet. (Il lui
agrippalementon,fermementmaissansluifairemal.)Jevaistedonnerunconseil,érudite.Capabledesentirlepouvoirdel’anges’écrasantsurelle,plusfaiblecependantqueparlepassé–ce
quiconfirmaitlesdiresd’IlliumselonlequelLijuansenourrissaitdesesgénéraux–Andromedasefigea.—Contente-toid’obéir,repritXidesontonfroidetraffiné,etilneteserafaitaucunmal.(Ilrelâcha
sonmenton.)Contrairementàtonseigneur,madameaunfaiblepourlesérudits.—Merciduconseil.Elleétaitsincère.LadéclarationdeXiluiapprenaitcommentellepourraitjouerlapartiejusqu’àce
quel’opportunitédes’échapperseprésente–parcequ’ellen’avaitpaslamêmefoienLijuanqueXi.Lesangesgrièvementblessésseconduisaientcommen’importequelleautrecréaturefaceàlasouffranceetàlafrustration.Ilsfrappaientsansprévenir.
Lijuan avait déjà un tempérament imprévisible avant ses blessures et sa déroute. S’ajoutait à celaqu’elleétaituneArchange…Non,AndromedanesurvivraitjamaisàuneconfrontationsielleéveillaitlacolèredeLijuan.Qu’importecequ’elleverrait,entendraitouvivrait,elledevraitsecomporterenhumbleéruditeàmillelieuesdechezelle.
Xiaboyaunordre,etAndromedase trouvasoulevéesanscérémoniedans l’écharpeforméepar lefilet.Ilseurentcettefois-cilacourtoisiedeluipermettredes’allongersurlecôté,veillantàcequesesailesne soientpasécrasées,mais lesmaillespénétraientmalgré tout sachair.Tandisque levent salésifflaitàsesoreillesdurantledécollage,ellesesurpritàpenseràlacréaturesauvageaveclaquelleelles’étaitentraînéeàlalumièredeslampes.
Ellen’avaitjamaisluttécontrequelqu’unquisedéplaçaitcommeNaasir.Ellevoulaitrecommencer,voulaitvoirsesyeuxlancerdeséclairsdansl’obscuritéetcesourirenarquoisétirerseslèvrespendantqu’ilprenaitduplaisirdanscettedanse.Ilyavaitquelquechosedefascinantchezcevampirequin’enétaitpasun…fascinantetdangereux.
Andromeda souhaitait s’échapper pour de nombreuses raisons, mais la toute première était lacompulsiondedanserdenouveauaveclui,devolerprèsdecetteflamme,qui,pourlapremièrefoisdesonexistence,luifaisaitremettreenquestioncettedisciplinedessensquiladéfinissait.
Unvœudechastetéétaitfacileàrespectertantquelatentationn’étaitpasaurendez-vous.
Chapitre8
Elenagrimaça toutencontinuantdeplanerau-dessusdu toitde laTour.Sonesprit lui repassait laconversationqu’elleavaiteuetantôtavecunRaphaelenpriseàunecolèrefroide.
—SiLijuanparvientàtrouverAlexanderetàletuer,celabriseralecœurmêmedugenreangélique.Durantnosmillénairesd’existence,untelcrimen’ajamaisétécommis.
Elenan’avaitpasbesoindesonArchangepourdevinerqu’unetellefractureconduiraitauchaosetàla guerre totale. Certains suivraient Lijuan sur son chemin de perversion tandis que d’autresl’affronteraient. Des centaines demilliers – desmillions – demortels et d’Immortels mourraient. Lemondeenseraitmarquéàjamais.
—FoutueCascade,marmonna-t-elledansunsouffle,lasueurcollantsontee-shirtàsapeau.—Ellie,tuasditquelquechose?luidemandaAodhan.Ilsetenaitàsescôtés.Sescheveuxd’unepâleurdebrumeétincelaientcommedesdiamantssousle
soleildel’après-midietsesyeuxextraordinairesenéchardesbleuesetvertesbrillaientdemillefeux.Comparéeàcelled’Aodhan,lachevelurepresqueblanched’Elenan’avaitriendeparticulier.—Jemaudis laCascade, lança-t-elle,muscles tendus.Merde– jecroisque j’aiatteintma limite.
(Elle se laissa tomber sur le balcon le plus proche.)Comment jem’en suis sortie ? demanda-t-elle àAodhanquiseposaitprèsd’elle.
Lesplumesdecedernierattrapèrentlalumière,envoyantdesétincellesdanstouteslesdirections.—Tuastenudeuxminutesdeplusquelorsdenotrederniertest.Tuasréussi.Lecorpsdel’angeavaitentièrementrécupérédesblessuresreçuessurlechampdebataille.Ilreleva
lesmanchesdesachemise.—Jemesenscommelorsdemonpremierjouràl’AcadémiedelaGuilde,commentaElenaenétirant
sesmusclesraidisavantdes’asseoirsurleborddubalcon.Ilfautquejegagneenpuissance.Laguerreseprofilaitàl’horizon–siellen’éclataitpascetteannée,celaseraitpourbientôtetElena
devaits’endurcirpourpouvoirsebattreauxcôtésdeRaphael.Aodhans’installaprèsd’elle,sesailesrepliéesavecsoinafinqu’ellesnetouchentpascellesdela
jeunefemme.—Tunepeuxpastoutcontrôler.Tudoisgrandirdanstonimmortalité,commeunenfantquiatteintsa
tailleadulte.Elenalesavait.Celalarendaitfolle.Pourtenterdecanalisersafrustration,ellesemitàjoueravec
unelamequ’elleavaitmortellementaiguisée,toutenobservantlavillequineportaitplusaucunetracedelabataille.Celaavaitnécessitéuntravaildetitan,maisNewYorkétantaucœurduterritoiredeRaphael,illuifallaitoffriraumondeunvisagevaillant.
—Jem’inquiètepourNaasir.
Seul,ilétaitunfantômeinsaisissable.Maissitoutsepassaitbien,ilseraitaccompagnésurlecheminduretour.Ilescorteraitl’érudite.Qu’ellesoitunecombattanteaguerrienecomptaitpas–personne,Elenaincluse,nepouvaitsedéplaceraveclacéléritédupeut-être-vampireauxyeuxargentquirefusaitdeluiparlerdesesoriginesetquis’étaitfrayéunchemindanssoncœur.
—J’aiapprisànejamaislesous-estimer.Aodhansepencha,lesavant-brassurlescuissesetlesyeuxsurleseauxdel’EastRiver,l’Hudson
n’étantpasvisibledepuisleurpositionactuelle.—As-turemarquéleschangementsenIllium?demanda-t-il.—Difficiledepasseràcôté.La puissance de l’ange aux ailes bleues s’était accrue dans lesmois qui avaient suivi la bataille,
jusqu’àflamboyerdansl’ordesesyeuxetpalpitersoussapeau.IlcontinuaitàtaquinerAodhansansrelâcheetinsistaitpourl’appelerStrass.Ilfaisaittoujoursrire
Elena avec son flirt ouvert et impénitent,mais il s’éloignait aussi d’eux et c’était douloureux.Elle nesupportaitpasl’idéed’unNewYorksansIllium,parcequesiellerespectaittouslesSept,lelienqu’elleentretenaitavecluiétaitdifférent.
Ilétait lepremierqu’elleavaitvraimentconnu.Sonhumouretsonespritcritiquel’avaientaidéeàs’adapter.MêmeparmilesSept,ilsemblaitoccuperuneplaceàpart:personnen’étaitjamaisvraimentencolèrecontreCampanule.L’idéequelepouvoiraitlafacultédelechanger,deglacercecœurjoyeuxluiétaitintolérable.
—Ilesttropjeune.Toutcommetuesincapabled’accomplircertaineschoses,iln’estpasassezâgépoursupporterphysiquementtantdepuissance.
Aodhans’exprimaitd’unevoixcalme,maissonpoingseserrasursacuisse.Elena,unebouleauventre,setournaafind’étudierleprofilparfaitdel’ange,dontlapeaun’étaitni
blanchenicrèmemaisquelquechosed’autre,del’albâtretouchéparlesoleil.—LaCascade?demanda-t-elle.Aodhanhochalatête.— Le Sire pense qu’elle accélère le développement naturel d’Illium – seulement, son corps ne
tiendrapasladistance.Elenaagrippalesbordsdubalconsidurementquesesosblanchirentcontreleteinthâlédesapeau,
héritédesagrand-mèremarocaine.—Ya-t-ilquoiquecesoitquenouspuissionsentreprendre?Aodhansecoualatête,éparpillantdeséclatsdelumièreautourdelui.—Personnenepeutstopperlacroissanced’unange.Le cœur glacé,Elena se dirigea directement dans les bras deRaphael lorsqu’elle rentra chez eux
aprèsunentraînementenmer.—Pourquoinem’as-turienditausujetd’Illium?—Parcequ’ilesttonpréféréetquetut’inquiéteraisalorsqu’iln’yarienàfaire.Ledéveloppement
detonCampanulenepeutêtrefreiné.Desailesd’unorblancléchéesparuneflammefroidequiapparaissaitetdisparaissaitsansprévenir
s’enroulèrentautourdelachasseuse.—Pourrait-ildevenirunArchange?—Unjourlointain,oui.Sisonascensionseproduitmaintenant…Iln’estpasprêt.(Raphaellatint
serréecontre lui, et savoixétait tendueparuneémotionvibrante lorsqu’il ajouta :)Lecorpsd’Illiumcéderasouslacharged’énergieetiln’estpasassezâgépoursurvivreàunetelleannihilation.
Elenavoulaitserrerlespaupièreseteffacercettehorribleimage.Etsielleéprouvaitcessentiments,elleimaginaitsanspeinelasombrecolèreetl’inquiétudedesonArchange.IlconnaissaitIlliumdepuisquecedernierétaitpetitgarçon,etSharine,lamèred’Illium–connueparmilesangessouslesobriquetduColibri–,occupaituneplaceparticulièredanssoncœurpuissant.Cecœurquisavaitaimer,quisavaitêtreloyal.
—Maisqu’est-cequisepasse,bonsang,Raphael?demanda-t-elleenluirendantsonétreinte.L’undenosamissedirigetoutdroitverslecœurduterritoiredecettetimbréeetunautreestsurlepointdevivreunchangementcatastrophique.
Le baiser froid et familier de la voix de Raphael s’écrasa dans son esprit comme une mertumultueuse.LaCascadeneprêteallégeanceàpersonneetnechoisitpassoncamp.Personnen’enestàl’abri.
Chapitre9
NaasirfranchitlafrontièreduterritoiredeLijuanjusteavantl’aube,lelendemainmatin.Cen’étaitpas la première fois. Lors de ses précédentes incursions, il était chargé de prendre la température dupays,d’évaluerl’étatd’espritdeshabitants.Ilavaitrôdédanslesombresdesvillagesetdesvilles,tendul’oreilleetrapportécequ’ilavaitsurpris.
Cejour-là,ilfonçaitàtraversunpaysagefouettéparlesvivescouleursdel’automne.Sil’escadrondeXiavaitvolédirectementduRefugeàlacitadelle,AndromedadevaitsetrouverentrelesserresdeLijuandepuisaumoinsdouzeheures.
Naasirnepensaitpasqu’ellesurvivraitplusdequarante-huitheuressupplémentaires,aumieux.Elleétaituneguerrièreetuneérudite,maisellen’étaitpassournoise.D’accord,peut-êtreunpeupuisqu’ellel’avaiteuavecsapeaucivilisée,maiscertainementpassournoisedansl’âme.Saurait-elletromperLijuanassezlongtempspourqu’ilpuissel’atteindre?
Parce que s’il y avait bien une chose dont il était sûr, c’était qu’Andromeda ne révélerait pas cequ’ellesavaitsurAlexander.D’autresdouteraientdesonallégeanceàcausedesalignée,maisilavaitvuqui elle était vraiment lorsqu’il l’avait tenue épinglée contre le sol. Son honneur était une partieindélébiledesapersonnalité.
Oragesd’hiveretéclairs.Ilchangeadedirectionàcetteodeur,courantàtraverslesherbeshautessanssesoucierdesebaisser.
Le soleiln’étaitpasencore levé, la lumièreétait faible,grise.Maismêmeàmidi,personnenevoyaitNaasirquandilnetenaitpasàl’être.Ilétaituneombre,unmirageàrayures.L’angequil’attendaitsouslesbranchesdéployéesd’ungrandarbreparédefeuillescarminetdoréesétaituneautreformed’ombre.
Avec ses ailes noires tenues étroitement contre son corps totalement immobile, Jason aurait puéchapperàlavigilancedeNaasirsicederniernel’avaitsenti.Ilapprouva.Àsesyeux,lemaîtreespionavaittoujoursétéleplusdangereuxdesSept.Naasirnefutd’ailleurspassurprisqueJasonl’aittrouvé.Silui-mêmeétaitcapabledesuivreunepisteàl’odeur,Jasonavaitsespropresméthodes.
—Tueslàpourm’aideràsauverAndromeda?demanda-t-ilenrejoignantl’angeauxailesnoires.CarsiJasonétaitaffectéàuneautremission,Naasirnepourraitluiprêterassistance.MaisJasonopina.Ilavaitnouésescheveuxenunequeue-de-chevalbassesursanuquequilaissait
pleinementvoirsontatouage.Naasirl’avaitunefoisaccompagnélorsdel’undesesvoyagessurl’îleduPacifique où résidait l’artiste à l’origine de ce travail. Jason se déplaçait seul depuis de nombreusesannées,maisparfoislaprésencecurieusedeNaasiràsescôtésnesemblaitpasledéranger.
Naasiréprouvaitlesmêmessentimentsenversladouleurqu’enverslefroid:illasupportait,maisnechoisissaitpasdelasubir.Malgrétout,ilcomprenaitladéterminationdeJasonàtraverserleprocessus
péniblequipermettait à son tatouagede«coller» à sapeau immortelle.Ce tatouageétait comme lesrayuresdeNaasir–unemarquedelasauvagerieexistantàl’intérieurdeJason.
Maintenant, cedernier évasait ses ailesdeminuitpour les étirer,puis les replia.Dans l’obscuritésilencieuse,lemouvementavaitlafluiditéd’unevague.IlétaitleseulangequeNaasirconnaissecapabledebougersesailessansaucunbruitquandillesouhaitait.Aucunmurmurenibruissement.Riend’autrequ’unsilenceabsolu.
—J’aipuconfirmerquel’éruditeavaitétéemmenéeaubastioncentraldeLijuan.Enentendantcela,Naasirravalaunsondurquin’avaitriend’humain.Ilnes’agissaitpasderemettre
encauselesinformationsdumaîtreespion–Jasonnesetrompaitjamaissurcegenredesujets.C’étaitl’idée d’Andromeda enfermée avec cette immondice de Lijuan qui lui fit sortir les griffes, les lamesincurvéesscintillantmêmedanslalumièretamisée.
—Peux-tulafairesortirdelà?demanda-t-il.Toutcequicomptait,c’étaitmettreAndromedaensécurité,quelquesoitceluiquis’enchargerait.Et
lavoiedesairsétaitlaplusrapide.Jasonsecoualatête.—Passeul.Deplus,ellenemeconnaîtpas,cequirisquedenousretarderdangereusement.—Alors,onyvaensemble,etonlasortdelà.—Tudoisapprendreàfairepreuvedepatienceendetellescirconstances,Naasir,letempéraJason
enserapprochantdelui.Jesaisquetupeuxentrer,maisilvanousfalloirentreretsortiravecellesansêtrevusetsansalertersesgardiens.
—Tuesfort.Tupeuxlestuer.(IlavaitvulefeunoirdeJasonenflammerleciel.)Jet’aiderai.Naasirétaitcapabledeluttercontredenombreuxadversairesenmêmetemps.—Nousnesommespasassezpuissantspour l’emporter.Lenombrede troupesstationnéesdanset
autourdelacitadelleestdémentiel,réponditJasond’unevoixcalmemaisdure,exigeantqu’onl’écoute.Tudoistefieràtanaturedanscettesituation.Tudoistemontrermalin,furtifetinvisible.
NaasirfléchitlesdoigtstoutenméditantcequeJasonavaitdit.—Jepeuxentuerquelques-uns?Ils avaient pris – et probablement effrayé, peut-être blessé – quelqu’un dont il avait la charge. Il
tenaitàinfligerunepunition.—Seulementsicelanenousmènepasàêtreexposés.Obligeantsesgriffesàserétracter,ilfixaJason.—D’accord,finit-ilparconvenir.IlavaitconfiancedansleconseildeJason.L’angeétaitunmembredesafamilleets’était toujours
tenuàsescôtésquandcelas’étaitavérénécessaire.—Je peux entrer,mais si je dois emmenerAndromedahors de là sans que les forces deXi s’en
rendentcompte,tudoismefournirunplandelacitadelle.Jasonsortitunecartedesapocheetladéplia.Durant les dix minutes qui suivirent, Naasir contint son impatience, écouta, et apprit. Il était
intelligent.Dmitrileluiavaitditlorsqu’ilétaitenfantetqu’ilavaitrefuséd’alleràl’écoledeJessamy;levampirel’avaitdécouvertassissurunehauteétagèredelabibliothèquedelaforteresse,brascroisésetvisagedur.
Naasirjouaitlesfortestêtes.Envérité,ilnesavaitpascommentsecomporteraveclesautresenfantset ne comprenait pas les mots qu’il avait vu Jessamy écrire au tableau lorsqu’il s’était faufilé pourespionnerparlesfenêtres.
—Tuesintelligent,avaitaffirméDmitri,accroupifaceàluiaprèsluiavoirdemandédedescendre.Tuasplusd’espritquebeaucoupd’adultes.
—Pourquoij’aibesoind’étudier,alors?—Parcequecelatefourniraunearmesupplémentaire.LesyeuxsombresdeDmitrin’avaientpasquittéceuxdeNaasir.Laprésencedeceprédateurbien
plusdangereuxqueluil’apaisait.Personnenepourraitluifairedemaltantqu’ilferaitpartiedelamêmefamillequeRaphaeletDmitri.
—Deplus,avaitpoursuivicedernier,d’autresdécouvrirontdeschosesque tu ignores,aurontdessecretsquetunepourrasdéchiffrer.
Naasirdétestaitl’idéed’êtremisdecôté.Ilétaitdoncalléàl’école.Illuiavaitétédifficiledeteniren place pendant de longues périodes,mais Jessamy ne l’avait pasmis dehors,même lorsqu’il avaitgrimpéaumurpours’accrocherauplafond.Aulieudequoi,elleavaitsourietcontinuéd’enseigner.Luiavaitapprissesmots.Etmêmeàcompter.Puis,defilenaiguille,ilavaitfiniparnouerdesamitiésavecdesenfantsquiaimaientfairedesbêtisesaveclui.
Unemèreavaitétésifurieuseaprèsunjeuqu’ilavaitapprisàsonfilsqu’elles’étaitrendueàl’écoleaupasdechargeetavaitexigéquele«salegossesauvage»ensoitexclu.Cejour-là,Naasirs’étaitfaitsilencieux.Dmitrin’étaitpaslàpourleprotégeretl’angequis’étaitrendueàl’écoleétaitpuissante,bienplusquelaminceetcassableJessamy.
Ilétaitprêtàplantersesgriffesdanscetteangesielleosaits’enprendrephysiquementàsagentillemaîtresse,maisàsagrandesurprise,ilavaitvuJessamyl’affrontersansjamaiséleverlavoix.Ilavaitalorscomprisdeuxchosesfascinantes:
Premièrement, Jessamy ne se contentait pas de le tolérer, elle était prête à lutter pour lui ; ellel’appréciait.
Deuxièmement,ilétaitparfoispossiblederemporterunebataillesanssortirlesgriffes.Àlaminuteprésente,c’étaitcettesecondeleçonqu’ilgardaitàl’esprit.—Et siAndromedaétait retenuecaptivedans l’undecesendroits ?demanda-t-il en indiquantdu
doigtlasalledutrôneainsiqueplusieursautresespacespublics.—Tuattends,réponditJasonenéloignantlacarteaprèss’êtreassuréqueNaasirl’avaitmémorisée.
Mêmesielleestblessée,mêmesiellehurleetsupplie.Tuattends.LesgriffesdeNaasirnedemandaientunefoisencorequ’àsortir.—Attendrais-tusitaprincesseétaitblessée?NaasirneconnaissaitpasencoretrèsbienlacompagnedeJason,maisilavaitdanséavecellelors
d’un dîner chez Elena et Raphael. Elle était jeune, douce, et absolument pas dangereuse. Parce qu’ilrespectaitJason,ilavaitfaittrèsattentionànepaseffrayerlajeunefemme.
L’expression de Jason était indéchiffrable, mais Naasir le connaissait depuis des siècles et sentitl’électricitédansl’air.
—Simeprécipiteravaitpourconséquencederedoublerses tortures,oui, jepatienterais, finitparrépondrel’ange.Situtemontres,tumourrasouserasprisenotage.Lijuant’utiliserapourlafaireparler,oupoursevengerdeRaphael.Danstouslescas,tuserasinutileàAndromeda.Donc,tuattends.Mêmesiellesaigne.
Naasirouvritetfermalepoing,ungrondementmontantdanssapoitrine.—Là,toutdesuite,j’aienviedem’enprendreàtoi.—Tusaisquej’airaison.Naasirhochalatêteàcontrecœur.—J’attendrai.
CarJasonaussiétaitintelligent.Très,trèsintelligent.IlavaitpénétrélacitadelledeLijuanetenétaitressortisansquel’Archangesedoutederien.
—Oùtetrouveras-tu?demanda-t-il.—J’entreraiavectoietmechargeraidedétournerl’attentiondutrajetchoisipourtafuite.Tuasun
téléphone?(Naasirconfirmad’unmouvementdetête.)Envoie-moiunSMSunefoisquetuas localisél’érudite,afinquejepuisseagir.EtdisàAndromedadenepasvolerunefoisquevousserezdehors–lecielesttropbiengardé.
—Jenet’abandonneraipaslà-basseul.Naasirnelaissaitpassafamilleenarrière.— Je ne serai pas loin, lui assura Jason. S’il t’est impossible de me prévenir pour m’indiquer
l’emplacementoùvousvoustrouvez,continuezàavancer.Jevoustrouverai.—Nesoispaslong,oujereviendraitechercher.Jasonsoutintsonregardeteutungestequ’iln’avaitpasosédepuislongtemps.Iltenditlamainpour
luiagripperfermementl’épaule.—Jesais,dit-il.Maintenant,enchasse.Naasirdévoiladenouveausesdentsetopéraunevolte-facepourreprendresacourseàtraversles
herbestandisqueJasonsepréparaitàdécoller.Naasir,réfléchissantàl’accoladedesonami,seditqu’ilyavaitplusdebénéficesàl’accouplementqu’ilnelepensait.Jasonétaitdésormaisheureux,mêmeavecunecompagnedouceetcassable.Orilnel’avaitpasétédurantdescentainesd’années.Jusque-là,ilétaitemplidenoirceur.
Cequin’étaitpas lecasdeNaasir…mais ilétaitseul.Uniquereprésentantdesonespècedans lemondeentier.Ilavaitdesamis,unefamille,maispersonnequiluiressemblait.S’accouplernechangeraitpascela.Maisquelqu’un lui appartiendrait et il appartiendrait àquelqu’un.Etpeut-êtrequ’un jour ilsauraientunpetit.Ilyauraitalorsunêtreàsonimagesurterre.
Ilsouritàlapenséed’unpetitpolissonpendutêteenbasàlabranched’unarbre.Personnenesavaitsi Naasir pouvait se reproduire. Pour autant, Keir considérait que rien ne l’empêchait. Il n’était pascommelesvampiresTransformésquin’étaientfertilesquedeuxcentsansaprèsleurTransformation.IlétaitnéaussibienqueTransformé…etilétaitessentiellementautrechosequ’unvampire.
CequemêmeKeirn’étaitpascapabledeluidire,c’étaits’ilétaitbiologiquementcompatibleavecunefemme,mortelleouImmortelle,vampireouange.Naasirn’avaitjamaisessayédesereproduire–ilsavaitquandilétaitenchaleur,lesentaitetneprenaitjamaisdemaîtressesdurantcesmoments-là.
Ilnevoulaitpasquesonenfantaitunemèrequileconsidéreraitcommeun–ouune!–sauvage.Iltenait à avoir confiance en l’amour de cette femmepour leur petit. Et jusqu’alors il n’avait pas l’âged’êtrepère.Cetempsétaitmaintenantarrivé.Ilavaitaussitrouvéuneangequidissimulaitsavéritablepeau,maisquil’avaitdévoiléepourlui.
Ilavaitenviedejouerdavantageavecelle,dedécouvrirsiellepourraitêtresacompagne.Etpourcefaire,ildevaitd’abordlatirerdel’enfer.
Andromedaavaitfinipars’assoupirdurantladernièrepartiedutrajetjusqu’àlacitadelledeLijuan.Ce qui n’était pas dû au hasard. Dahariel lui avait appris à agir ainsi après une centaine d’annéesd’entraînement. Un guerrier capable de dormir dès qu’il en avait l’opportunité était un guerrier plusendurantaucombat–outombéentredesmainsennemies.Âgéedepresquequatrecentsans,ellen’avaitpas besoin de sommeil toutes les nuits. Elle parvenait à s’en priver pendant des jours et même dessemaines.
« Le sommeil est une arme. Il régénère et soigne. Utilise-le comme n’importe quelle arme à tadisposition.»
Jamais elle n’avait apprécié la valeur de l’entraînement et des conseils qu’il lui avait prodiguéscommecejour-là.
Lorsqu’ilsarrivèrentàlacitadellejusteavantleleverdusoleil,elleétaitalertegrâceàsesheuresderepos.Ilss’étaientàpeineposésqueXiordonnaqu’ontranchesesliensetl’autorisaàretirerelle-mêmelebandeauquiluicouvraitlesyeux.
—Es-tusouffranteouéprouves-tulemoindresentimentdemalaise?Cetteprévenancene la surprit pas.Xi était ungénéral jusqu’à lamoelle.Celanevoulait pasdire
qu’il ne l’exécuterait pas ou ne la torturerait pas si cela s’avérait nécessaire, mais jusque-là, il latraiteraitavecuneparfaitecourtoisie.
—Unpeuraide,répondit-elleenétirantsesailesetgrimaçantplusquenécessaire.Puis-jerecevoirl’autorisationd’effectuerunvolbaspourdétendremesmuscles?
Aumoins,elleauraitainsiuneidéedelaconfigurationdeslieux.Malheureusement,Xiétaittropavisépourpermettreuntelécartaprèsl’avoirgardéeaveuglependant
silongtemps.—Non,répondit-il.Maistupeuxdéployertesailesdanscettecouravantquenousrentrions.Andromedapritsontemps.Elleétaitbienengourdieetavaitbesoindesedéplacerendouceursielle
tenaitàsaisirl’opportunitédefuirlorsqu’elleseprésenterait.Elleeffectuaquelquesexercicesbasiquesque la plupart des anges apprenaient durant leur enfance, ne trahissant rien de l’entraînement auquelDahariel l’avait soumise. Personne ne devait savoir qu’elle avait travaillé en secret ses talents decombattanteavecDaharieletGalen.
Lesdeuxangesnevoyaientaucuneobjectionà tairecettecompétence.Galen l’aidaitparcequ’elleétaitl’unedesélèvesdeJessamy,maislesmotifsdeDaharielétaient…compliqués.Andromedan’aimaitpaspassertropdetempsàyréfléchir.Quoiqu’ilensoit,lesleçonsdeDaharielsignifiaientqu’elleavaitunechancedes’ensortirdansunenvironnementhostile.
«Tuasdessecrets.»LavoixprofondedeNaasir résonnadanssa têteetellesedemandacequ’ilavait faitaprèsavoir
découvertsadisparition.Ildevaits’êtrejointauxrecherches,maismêmeunvampireauxyeuxargentquin’enétaitpasunnepouvait infiltrer la citadelle.Pourautantqu’elle le sache,personneendehorsdeshommesdeLijuanneconnaissaitmêmesonexactelocalisation.
Siellesurvivaitàcelaets’échappait,ellenepourraitcompterquesurelle-même.Ironiedusort,salignée impressionnerait peut-être suffisamment Lijuan pour qu’elle épargne Andromeda, mais cettedernièren’étaitpasunehypocrite.Ellenetenteraitpasdefairejouerlenomdefamilleauquelelleavaitchoisiderenoncer–etquoiqu’ilensoit,comptetenudelamanièredontelleavaitétéenlevée,Lijuannesesouciaitpasd’offenserCharisemnon.
—Merci,dit-elleàXiaprèsavoirachevésesétirements.Elleavaitprofitédel’occasionpourremarquerlesgardesarméspositionnéssurleshautestourelles,
tout comme les escadronsvolants.Étrangement, bienqu’elle ait été témoinde labeautédélicate et del’élégancemajestueusedelaCitéInterditeavantsadestruction,elles’attendaitàcequelacitadelledeLijuansoitunemonstruositéhorriblepleinededésespoir–orelleétaitconstruiteavecdespierresgrisfoncéquiresplendissaientausoleillevant.
Desfleursauxteintesfeutréess’épanouissaientdansdelargespotsdisposésautourdelacour,oùsecôtoyaient des soldats des deux sexes, mais aussi des jeunes femmes vêtues de cheongsams en soie
délicateetderobeséthérées.Oncroisaitégalementdescourtisansavenantsportantdessoiesbrodéesetdestuniquesàlamode.
Del’eaubrillaitàtraversunpassageàl’extérieurdelacour,avecdeséclatsverdâtres.Andromedaserenditcomptequ’il s’agissait d’unemare.Peut-êtred’un jardin conçuautourde cette sourced’eau.Sansdoutelavraiecour,oùLijuandéambulaitparmisessujets.Celleoùlajeunefemmesetrouvaitavaituncaractèrepluspratique,maislàaussilespavésscintillaientdeminérauxétincelants.
Lestoituresqu’elleparvenaitàobserverdesapositionétaientbordéesdedragonssinueux.Despontsdepierreminutieusement taillésreliaient lesdifférentessectionsde lacitadelle.Cespontsdonnaientàl’édifice, sans doute énorme dans son ensemble, une apparence de fragilité. Un tour de forceimpressionnantdanslamesureoùilétaitsculptédanslapierreetprobablementcapabledesoutenirunlongsiège.
—C’estsuperbe,murmura-t-elle.Jem’attendaisàunbâtimentd’apparenceplusmilitaire.Xiavaitadoptélaposturerigideduguerrieraurepos.—C’estlademeuredenotredame,dit-ilavecunetouchederéprimandedanslavoix.Elleatoujours
adoréetsoutenulesartistes,bienqu’ellenelesaitjamaisexhibéscommeMichaela.Cettecitadelleaétédessinéeilyabienlongtempsparunearchitectedouée.
—Ah.Andromeda passa ses doigts sur la pierre, tremblant jusqu’aux os sous le sentiment de l’histoire
incrustée dans ces blocs polis. Comme si tant de mains avaient touché cette pierre pendant desmillénairesqu’elleenavaitétéérodéejusqu’àsonessencelapluspure.
—Suyin?demanda-t-elle,émerveillée.Xihochalégèrementlatête.—ElleaétémiseaumondeparlasœurdeDameLijuan.Andromedasentitsoncœursoupirer.Êtreautoriséeàvoir,àtoucherl’unedesœuvresd’artperdue
deSuyin…elleenoubliaitpresquelescirconstancesl’ayantpermis.Tendantlecou,elleauraitsouhaitépouvoircontemplerlacitadelledesairs–nonpaspours’échappercettefois,maisparcequesoncœurd’éruditebattaitlachamadeàl’idéed’explorercequiétaitpeut-êtrebienleplusgrandbâtimentjamaisconçuparl’architecte.
Xiluidonnaletempsd’admirerlespartiessurlesquelleselleavaitunaperçuavantdeluifairesignedelesuivredanslacitadelle.
—LemondeaperduunegrandeartisteàladisparitiondeSuyin,ditAndromeda,sesmainsmourantd’enviedesesaisird’uncrayonetd’uncarnetàcroquis.
—Oui.ToutencontinuantdesavourerlagrâceetlasplendeurquiillustraientlapattedeSuyin–toutcomme
lepalaisqu’elleavaitconçupourAlexander–ellesesouvenaitdescirconstancesmystérieusesentourantlamortdel’architecte.
—CommelecorpsdeSuyinn’ajamaisétédécouvert,j’aitoujoursespéréquesalettred’adieuxétaitpeut-êtreunfaux,écritepourluipermettredes’enallerDormircommeellelevoulait.
LesailesdeXifrôlèrentcellesdelajeunefemmedansuntournantétroit.—Je tepriedem’excuser,dit-il enmettant immédiatementquelquescentimètresdedistanceentre
eux. Je n’étais pas encore venu aumonde à l’époque où Suyin a créé cette citadelle, maisma damepourraitt’endireplus.Nousallonsmaintenantlarencontrer.
Andromedasentitsonsangsefiger,l’émerveillementlaissantlaplaceàunepeurglaçante.
Chapitre10
Elledéglutitdansl’espoird’avoirlagorgemoinssècheetdit:—Meserait-ilpossibledemerafraîchiravantderencontrerl’Archange?Ellen’estpasréputéepour
fairemontrededouceurenversceuxquil’offensent.(Unevéritéindéniable.)Jepréféreraismeprésentersousmonmeilleurjour.
—Unchoixavisé.LesyeuxpresquenoirsdeXiparcoururentsasilhouettepoussiéreuse,maissansqu’elleyliseriende
désobligeant.Non,c’étaitplusleregardd’ungénéralévaluantl’undeseshommes.—Tu as quinzeminutes, finit-il par annoncer. J’irai parler àma dame pendant ce temps-là et lui
annoncerquejet’aiaccordéunmomentpourteremettre.Ileutunpetitgeste,etunvampirechinois trapusedétachadesboiseriesets’inclinaprofondément
devantlegénéral.Lecœurd’Andromedas’emballaviolemment.Ellen’avaitpasremarquélevampireencostumenoir,
n’avaitmêmepassuspectésaprésence.Elledevaitsemontrerbienplusvigilantesielleavaitl’intentiondesesortirdelà.Elleemboîtalepasauvampirelelongd’uncouloir,puisd’unautre,etencoreunautre.Soitilluifaisaitdélibérémentemprunteruntrajettortueuxetdéroutant,soitcettecitadelleétaitundédale.Celan’avaitpasd’importance–sonespritétaitsaplusgrandearmeetelleavaitapprisdepuislongtempsàyemmagasineretàyretrouverdesinformations.
Ilsfinirentparatteindresachambreetlevampireluifitsigned’yentrer.— Je vous attendrai, honorable invitée, dit-il dans l’un des principaux dialectes parlés sur le
territoiredeLijuan,avantderépéterpresqueimmédiatementlamêmechoseenfrançais.Andromedalevalamain.—Jecomprends.Commelaplupartdesanges,mêmelesplusjeunes,elleparlaitdenombreuseslangues.Maisentant
qu’intellectuelle souhaitant travailler aux côtés de Jessamy, on attendait d’elle qu’elle apprenne toutescellessusceptiblesd’êtreutiliséesparlesmortelscommeparlesImmortels,ycompriscellestombéesendésuétude.
«Carcommentunehistoriennepeut-ellegarderunetracevraiedesévénementssiellen’entendpasetnecomprendpastouteslesvoix,mêmelesplusassourdies?»
C’étaitlàlesmotsdeJessamylejouroùelleavaitexpliquél’importanced’étudierleslanguesàunejeuneAndromedaquiétaitencoreunenovicemaisquisouhaitaitdésespérémentapprendre.Letauxactuelderétentiondelajeunefemmeétaitdecinquante-huitpourcentetincluaittoutesleslanguesprincipalesdumonde,ainsiqu’àpeuprèsuntiersdesmineures.
Restaientaussisursalistelessous-dialectesainsiquecertaineslanguesparléesuniquementdansdespoches isoléesde laplanèteet les langues«mortes».Biensûr,cepourcentagen’atteindrait jamais lacentaine–leslanguesétaientdesorganismesvivantsquichangeaientjouraprèsjour,annéeaprèsannée,siècleaprèssiècle.
Jessamyelle-mêmeconsidéraitqu’ellen’atteignaitquequatre-vingt-dix-huitpourcentdemaîtrise.—Jeneseraipaslongue,promit-elleauvampireavantderefermerlaportederrièreelle.La chambre qu’on lui avait allouée était élégamment meublée dans des tons gris foncé avec des
touchesdebleujoyau,et,àsasurprise,étaitpourvued’unefenêtresuffisammentgrandepourendécoller.LorsqueAndromedaensoulevaleloquet,elles’ouvritversl’extérieur,laissantl’airfraispassercommeunbaumesurlapeautenduedelajeunefemme.
Soussesyeuxs’étalaientdeschampscouvertsdefleurssauvagesquirésistaientàlafindel’été.Au-delà,desarbres couvertsde leur feuillaged’automne resplendissaient sous ladouce lumièrematinale.Andromeda n’avait aucune idée de sa localisation exacte, mais le paysage montagneux et l’air fraissuggéraientquecettepartieduterritoiredeLijuanaccueilleraitlaneigeavecl’hiver.
Ilseraitbienplusdifficiledes’échapperdanslaneigeousousdespluiestorrentielles.Lesfleursluifaisaientsigned’avancerd’unpas,des’élancerlibrementdansleciel.Lafenêtreétaitlarge,faciled’accès,toutindiquéepouruneévasion.CommesiXivoulaitqu’elles’envole.Agrippantétroitementlechambranle,ellesepencha,pritune
profondeinspiration,faisantdesonmieuxpourdonnerl’impressionqu’ellesecontentaitd’apprécierlavue.Enmêmetemps,elleobservaittoutautourd’elle.Malgrétout,ellel’auraitmanquésiDahariel,puisplustardJessamy,nel’avaientformée.
Daharielluiavaitenseignéàévaluerunesituationmenaçante.L’historienne,nonseulementàregarder,maisàvoir.Et les champs étaient peut-être vides,mais pas les cieux. Pourtant, elle n’aperçut pas lamoindre
paired’ailesnilemoindreéclatd’uneépéedanslesairs.Non,maisuneplumesolitairedescenditpourvenirseposersurl’herbenonloindesafenêtre.Elleétaitpetite,commecelled’unoiseau,saufqu’elleétaitd’unjaunepâlestriédebleu.
Unecouleurtrèsdistinctive,celledesplumesdePhilomena,l’unedesgénéralesdeLijuan.Seulunidiots’attendraitàbattrePhilomenaetsonescadronsurleurpropreterrain.S’éloignant de la fenêtre, Andromeda avança vers le lit pour constater qu’on y avait déposé des
vêtementsderechangeàsonintention.Elleseseraitattendueàdeshabitsdélicats–etpeupratiquespours’enfuir–,desatoursdecourtisane,mais ils’agissaitd’une tuniqueetd’unpantalond’unstylequ’elleauraitpuchoisirelle-même.Lacoupedelatunique,quiarrivaitàhauteurdecuisse,copiaitcelled’uncheongsam.Le tissu en soie était d’unbleudeminuit, ornédeminuscules fleurs blanchespeintes à lamain.Lepantalonétaitlarge,blancetresserréauxchevilles.
Letoutàlafoischarmantetaustère–etsansaucundouteàsataille.Lesdessousplacésàcôtédansundiscretsacàvêtementsétaientencoredansleuremballage…etlà
aussiàlabonnetaille.CelalapoussaàsedemanderdepuiscombiendetempsexactementleshommesdeXil’observaientdansl’ombre,attendantlebonmomentpoursesaisird’elle.
Sesentantterriblementvulnérable,ellesebaignarapidementavantd’enfilersanouvelletenue.Ensetortillantunpeuetenutilisantdemanièrecréativedesbandesdetissuarrachéesàsarobesaleetdéjàenmauvaisétat,elleparvintàdissimulerses lames le longdeseshanches,à laceinturedesonpantalon.Elleavaitprissoindedéchirerlarobelelongdesaccrocsdusaufiletquandelleyavaitétéprisepourlapremièrefois,etiln’yavaitdoncaucuneraisond’éveillerainsilamoindresuspicion.
Quantauxvêtementsqu’elleportaitmaintenantsurledos,lepantalonétaitsuffisammentlégerpournepaslaralentirsielleavaitbesoindecourir.Elleauraitmalgrétoutpréféréqu’ilsoitd’uneautrecouleurqueleblanc;elleavaitplusdechancesderéussiràs’enfuirdenuit,quandpersonnenesoupçonneraituneéruditesansdéfensed’oserserisquerdansl’inconnu.
Maiscespréoccupationsattendraient.Pourlemoment,illuifallaitsurvivreàLijuan.Ses cheveux une fois lavés, elle les noua encoremouillés à la base de sa nuque, puis enfila les
ballerinesdesoieblanchequ’onluiavaitfourniesetouvritlaporte.—Mercidem’avoirattendue.Levampires’inclinadenouveauetpivotapourluiouvrirlechemin.Lescouloirsqu’ilsempruntèrent
étaient larges, et, grâce à la myriade de fenêtres, profitaient pleinement de la lumière du matin. Desœuvresd’artcouvraient lesmurs :dedélicatsdessinsaucrayonetdes tableauxdétaillésdecertainesparties du territoire de Lijuan s’entremêlaient aux petites tapisseries complexes. De superbes fleursodorantesoccupaientdegrandsvasesenporcelainedontlatailleatteignaitpresquecelled’Andromeda.
—Oh,neput-elles’empêcherdes’exclameràlavuedel’und’euxenparticulier.En caressant le chef-d’œuvre d’un ange disparu depuis longtemps, elle sentit son cœur sangloter.
Lijuanvivaitdepuissilongtemps,avaitététémoindetantdebeauté,enavaitétélamécène…commentétait-elledevenuececauchemarignoble?
—Honorableinvitée.Ravalantlaboulequis’étaitforméedanssagorge,Andromedarejoignitsonescorte.Plus ils se rapprochaient de son centre, plus l’atmosphère gracieuse et emplie de lumière de la
citadellechangeait.Lesténèbresenléchaientlesmuraillescommeunebêterampante,créantdesmaresd’ombrequelesluxueuseslampessemblaientincapablesdepénétrer.Lalumièredujourn’arrivaitplusjusque-là.Etlesfleurs…quelquechosen’allaitpas.
L’instinctd’Andromedaluisoufflaitqu’ellesprovenaientdumêmestockquecellesqu’elleavaitvuesplustôt,maisunesombrepuissanceavaitvoilécesboutonsunefoiscueillis.Lamêmeénergiemaléfiquedonnalachairdepouleàlajeunefemme.Elleétaitprisedenausées.
Contrôlantsonestomac,ellepritsoinàcequ’aucunepartiedesoncorpsnetouchelesombres…toutdumoinsjusqu’àcequ’ellessefassentsiépaissesquepasmêmeunenfantn’auraitpuleséviter.Lefroidchuchotait sur ses plumes et sa peau, un froid qui ne rappelait pas à la jeune femme l’hiver,mais latombe,lesmortsetladécomposition.
Elle tenta de se convaincre qu’il ne s’agissait que de son imagination, mais les courtisansmuetsqu’elledépassaitdanslecouloir,avecleursvisagespincésetleurregardapeurétandisqu’ilsavançaientrapidementdansladirectionopposée,luiprouvaientquecelan’étaitpaslecas.
—Noussommesarrivés,honorableinvitée.Son guide s’était arrêté face à une immense porte à deux battants ouverte vers l’extérieur. Deux
vampires ymontaient la garde, tous deux vêtus d’uniformes gris foncé qui ne portaient qu’une simplebanderougesurlecôtégauche.
LesmêmescouleursquecellesdesailesdeXi.Dans la mesure où Lijuan utilisait ces couleurs depuis son ascension, Andromeda se demanda si
l’ArchangeavaitprêtéuneattentionparticulièreaujeuneXiàcausedesteintespatriotiquesdesesailes.LefuturdeXiavait-ilétéécritàl’instantoùsesplumesavaientprisleursteintesdéfinitives?
Siellesurvivaitàcetentretien,elleposeraitpeut-êtrelaquestionaugénéral.Devantelle, lesgardesnesemblaientmêmepasrespirer.L’unétaitunblondauxyeuxbleusetàla
mâchoirecarrée,l’autreavaitlesyeuxetlescheveuxnoirs,lestraitsanguleux.Maisilnefaisaitpasde
doutequ’ilsavaienttrempédanslemêmecreusetimpitoyable.Laissant son guide à l’extérieur, elle dépassa les deux vampires pour se retrouver dans une vaste
salle caverneuse et vide, à l’exception d’un trône. Celui-ci était taillé dans un jade dont les teintess’étendaientdublanccrémeuxauvertsi foncéqu’ilenétaitpresquenoir. Installésurundaisque l’onatteignaitaprèscinqgrandesmarches,ilétaitéclairéparunedoucelumièredoréequifaisaitressortirlachaleurdelapierreetscintillerlessculptures.
Attiréeparcetrésorsansprix,Andromedajetauncoupd’œilautourd’ellemaisnevitpersonne.Elleneputyrésister.Grimpantlesmarches,ellenetouchaàrienmaissebaissapourexaminerdeprèscessculpturesàlafoisétranges,envoûtantesetperturbantes.Sesdoigtsladémangèrentunefoisdeplusdes’emparerd’uncrayonetd’unpapierpourpouvoirnotercequ’ellevoyait.
—Éblouissant,n’est-cepas?La voix spectrale était emplie de milliers d’échos, de cris sans fin. Comme si elle recelait les
plaintesd’innombrablesâmespiégées.Lapeausoudainglacée,Andromedapivotaavecraideursursestalonspourregarderautourd’elle,maisledisquemétalliquesurlemuropposénereflétaitquesapropreimage.
Celanevoulaitriendire.Paslorsqu’ils’agissaitdel’ArchangedeChine.Lesmusclesabdominauxverrouillés,elledescendit lesmarchesetprit ladécisiondefairefaceau
trône,mainsjointesdevantelle.—Oui,madame,répondit-elle.Veuillezm’excusersij’aioutrepassémesdroits.—Ilestdanslanatured’uneéruditedesemontrercurieuse.Uneboufféed’airglacéetZhouLijuanapparutsurletrônedansunmurmuredelumièreetd’ombre
quel’espritd’Andromedaluttaitpouranalyser.Lesailesdel’Archangeavaienttoujoursétéd’ungriscolombesublime.Unecouleurquiconvenaità
sonâgeetàsapuissance.Sesailess’étalaientmaintenantderrièreelle,aussiélégantesetparfaitesquetoujourset,pendantuninstant,AndromedapensaqueLijuanavaitretrouvél’apparencequiétaitlasienneavantlabataillecontreRaphael.
Puisellevitlesyeuxnageantdanslesang…etl’absence.Pasdejambessouslarobedesoierougequiflottaitdepuislesépaulesdouloureusementmaigresde
Lijuan.Paslemoindreosquisaillaitcontrelajupe.Iln’yavaitrien,rienqueduvide.Samanchegauchependaitaussiàsoncôté,informe.
Andromedasentitsonestomacseretourner.Si les jambes et le bras de Lijuan – et peut-être d’autres parties du corps de l’Archange
qu’Andromedanepouvaitvoir–n’avaientpasencorerepoussé,alorsRaphaelavaitprovoquédesdégâtsquepersonnen’auraitpuprédirelorsd’uneconfrontationentreunArchangequin’avaitpasencoreatteintson deuxième millénaire et une presque-Ancienne. Cela signifiait aussi que Lijuan était bien plusdangereusequ’Andromedanel’avaitmêmeanticipé.
Une femme qui se voyait comme une déesse n’apprécierait pas le rappel quotidien et atrocementdouloureuxdesafaiblesse.
Sesyeuxetsamaigreurmisàpart,levisagedel’Archangeressemblaitàcequ’ilavaittoujoursété.Lesmêmespommettestailléesàlaserpe,lesmêmesiriscouleurperle,lesmêmescheveuxblancscommelaglace.Sapeauparaissaitfragile,mais…
Andromedaravalauncri.Le visage de Lijuan s’était transformé en un crâne aux orbites noires où rampaient des asticots
hurlants. Cela ne dura qu’une fraction de seconde avant que son visage ne redevienne normal, maisAndromedan’oublieraitjamaiscettevisiond’horreur.LatempedroitedeRaphaelportaitmaintenantune
empreinteviveetancienned’unbleusauvageéclairéeparunfeublanc,tandisquelesdernièresnouvellesenprovenanceduterritoiredeTitusannonçaientqu’ildéveloppaitunemarqueétonnanteressemblantàuntatouaged’unorprofondquibarraitsontorseimposant.MaisaucundesArchangesn’avaitaffichéquoiquecesoitdemacabre.
Évidemment, personne n’avait vu Charisemnon depuis des mois. Et Michaela… elle n’était pasapparueenpublicdepuisbienlongtempspourunefemmequiaimaittantlescaméras.AndromedaauraitpuinterrogerDaharielàcesujet,puisqu’onledisaitamantdeMichaela,maisleurrelationétaitunepetitechoseauxfrontièresbiendélimitées.Illuiapprenaitàsebattre,etsielleleluidemandait,illuiparlaitdelapolitiqueangéliqueetluiexpliquaitsesméandrescomplexes.
C’étaittout.Etcelan’iraitjamaisplusloin.LevisagedeLijuanchangeadenouveau,etcettefois-ci,Andromedaneputretenirunhoquet.Sila
premièremutationavaitétéhorrible,celle-ciallaittellementau-delàdelabeautéqu’ellefaisaitmonterles larmes aux yeux et rendait le cœur douloureux. L’Archange de Chine luisait de l’intérieur. Sapuissanced’unblancaveuglantl’illuminaitd’unsensdelavieféroce,primaireetquirappelaitNaasiràAndromeda. Les traits de l’Archange semblaient plus doux, ses yeux brillaient, ses cils étaient plusprofondsetépais.
C’étaitcommesiAndromedaavaitunaperçudecequeLijuanavaitétéunjour.Alorspeut-être…peut-êtrequel’autrevisionmontraitcequ’ellefiniraitpardevenir.Naasirpréférasesustenterplutôtquesereposer.Ilnetuapas,neblessapas.Ilpoursuivitsimplement
saroute jusqu’auxenvironsd’unpetitvillage isoléetsouritàune jeunefilledans leschamps.Elle luiretournasonsourire, lèvresentrouvertes.Lorsqu’ils’avançaverselle,ellenes’enfuitpas. Ilentendaitbattresonpouls,sentaitsonodeurchangertandisquesoncorpssepréparaitpourlui.
—J’aifaim.Elletremblaàcesmots,penchalecouetilybut,berçantlatêtedelajeunevierged’unemainalors
quecettedernièrehaletaitetquesoncorpspulsaitdecesangchaudetrichequicoulaitdanslabouchedeNaasir.
Il semontradoux,ne segoinfrapasnineprit plusqu’ellenepouvaitoffrir.Une foisqu’il eneutterminé, ils’assuraqu’ilnelui laissaitpasdemarques.Il traitait toujoursbiensanourriture,conscientquesanselleilmourrait.
—Merci.Elleagrippasonpoignet,desétoilespleinlesyeux.—Reviendras-tu?—Non.Nem’attendspas.Mentiràsonrepasn’étaitpasunebonnemanièredeletraiteretdonc,ilnes’ylivraitpas.Deux grosses larmes coulèrent sur le visage de la jeune fille. Elle le suivit de son regard embué
jusqu’à ce qu’il disparaisse de nouveau dans les bois, revigoré par ce don de sang. Il avait tenu unnombreinfinideconversationsdumêmegenreaufildesans.Lorsqu’ilétaitenfant, ils’étaitnourrideDmitri,RaphaelouKeir.Àcetteépoque,ilnecomprenaitpasl’immensehonneurquiluiétaitaccordé.Ilsavaitsimplementquetroishommesquin’étaientdéfinitivementpasdelanourritureluipermettaientdeboireleursang–alorsils’étaitmontrésagecommejamais.
Toustroisétaientsipuissantsqu’iln’avaitbesoinqued’unegorgéetouslesdeuxjoursauplus.Ledélaiauraitmêmepuêtrepluslongs’ilavaitétécapabledesenourrirplusenprofondeur,maisilétaitalorstrèspetitetnepouvaittolérerqu’uneinfimequantitéd’unsangsifort.C’étaitversDmitriqu’ilsetournait le plus souvent. Le vampire l’avait réprimandé plus que n’importe qui d’autre, mais Naasir
aimait ça, aimait savoir que Dmitri se souciait suffisamment de lui pour lui apprendre des choses.Lorsqu’ilavaitbesoindemanger,ilallaittrouverDmitriquiluitendaitsonpoignet.
Ilneleluiavaitjamaisrefusé,pasmêmelorsqueNaasiravaitdesproblèmes.QuandlestroishommesétaientabsentsduRefuge,ilétaitcensésetournerversJessamy,maisdans
sonespritd’enfant,ilavaitdécidéqu’elleétaittropfaiblepourpartagersonsang,etdoncilsecontentaitdusangenbouteillequeDmitriconservaitpourlui.
Toutcelaavaitchangéengrandissant.Ilavaitdécouvertquelesfillesl’aimaientbien.Etpasjustelesfilles, lesfemmesaussi.Vampires,anges,mortelles…Enexplorant lemonde, ilavaitcomprisquedesfemmes de tous âges et de toutes races étaient attirées par lui. Leurs parfums fondaient lorsqu’ils’approchait.
Voilàque,soudain,ilavaitplusdenourritureàsadispositionqu’ilnepourraitjamaisenconsommer,mêmeensemontrantglouton.
Nonpasqu’iln’aitpasessayé.
Chapitre11
Aprèsavoirdécouvertpourlapremièrefoissasoudaineirrésistibilitéauxyeuxdesfemmes,Naasirenavaittiréavantage.Puis,repensantàtouteslesleçonsqu’ilavaitreçuesdeJessamy,etcequ’ilavaitapprisdel’honneurenobservantDmitri,ils’étaitrenduauprèsdecedernierpourluiavouerqu’ilétaitpossiblequ’ilaitcontraintdesfemmes.Ilétaitunique–lui-mêmenemaîtrisaitpassesproprescapacités.
Dmitriavaitprissesinquiétudesausérieux.Leréduisantàconsommerdusangenbouteille,ilavaitinterrogéplusdecinquantefemmesquiavaientabreuvéNaasirdepuisqu’ilavaitcommencéàtrouversaproprenourriture.Àlafindesonenquête,ilétaitrevenuversNaasir,unsourireamuséauxlèvres.
—Tun’asforcépersonne,Naasir.Cesfemmessontsainesdecorpsetd’espritetsesouviennentdevotrerencontreavecplaisir.(Unsourcildressé.)Sijenelesterrifiaispastant,jesuissûrquej’auraisétébombardéd’invitationspourqueturetourneslesvoirchaquefoisquetuasfaim.
Le rire de Dmitri avait contenu une veine de cette cruauté sensuelle qui attirait d’innombrablesfemmesverscethommequiétaitlepèredeNaasirdetouteslesmanièresquicomptaient.
—Ilapparaîtquetuproduissurcertainesfemmeslemêmeeffetqu’unfélin–ellestetrouventbeauetveulentfairedetoileuranimaldecompagnie,t’apprivoiser.Avoirunecréaturesauvageàleurgorgelesexcite.
CommeNaasirnepouvaitêtredomestiqué,lespenséesdecesfemmesnelemettaientpasencolère.À l’occasion, leur attitude était malgré tout énervante – car cela rendait la chasse trop facile. Sanscompterqu’ellesréagissaientàsaprésencesurunplanpurementphysique,sansmêmesavoirquoiquecesoitdelapersonnequ’ilétait.
Andromedanel’avaitpasaiméoun’avaitpasfondupourlui.Elleavaitluttéaveclui.Ileutunlargesourire.Il feraitensortequ’elle l’aimeunefoisqu’il l’auraitsortiede lacitadelledeLijuan.Et lorsqu’il
boiraitàelle,illanourriraitenretour,commeça,ellesauraitqu’ellen’étaitpasqu’unalimentpourlui.Ilsedemandacequ’elleaimaitmanger.Ilauraitàledécouvrirafindepouvoirluifairelacouretconfirmerqu’elleétaitsafemelle.Iln’avaitjamaiseuàséduirequiquecesoitauparavant,maisilavaitobservédesgensselivreràcemanège.Ilsavaitqu’ilétaitsupposéluioffrirdescadeauxetlafairesourire.
Afind’yparvenir, il lui faudrait découvrir lespetits secrets d’Andromeda.Pour avoir regardé lesautresgagneretperdrelorsdeleursentreprisesdeséduction,ilavaitcomprisquelescadeauxdevaientconvenir à lapersonne.Peut-être lui trouverait-il uncouteau.Elenaaimait celuiqueRaphael lui avaitdonné,etAndromedaétaitelleaussiuneguerrière.Maisilfallaitqu’iltrouveleboncouteau.Oupeut-êtreluiprendrait-ilquelquechosed’autre.
DmitriavaitoffertàHonordesbijouxqu’ilconservaitdepuisdessiècles,commesiunepartdelui-même avait toujours su qu’il attendait que sa femelle en prenne possession. Le regard d’Honor
s’adoucissait chaque fois que ses doigts touchaient ces joyaux. Naasir n’avait pas vu Andromeda enporter,mais il ne la connaissait pasdepuis longtemps.Peut-êtrequ’elle aimait les chosesquibrillent.Naasir,oui,parfois.Ilavaitunegrandecachetteoùsetrouvaittoutcequ’ilavaitcollectéaufildesans.Laplupartdesobjetsn’avaientpasétévolés–ilavaitcessédevolermêmelesgensqu’iln’aimaitpasquatrecentsansplustôt,unefoisadulte.
Celaluiavaitprisplusdetempsqu’auxautresImmortelsparcequ’ilétaitdifférent.Ungrognementsefitentendrenon loinde lui. Ilyréponditsur lemêmetonetseretrouvaavecun
compagnonderoutependantunpeuplusd’uneheureavantquel’autrecoureurgrondeunaurevoirbrutaletretournesursonterritoire.Continuantsacourseàlamêmeallureimplacable,Naasirlevalesyeuxverslecielpouressayerd’ytrouverJason.Impossible.Lemaîtreespionétaittropbon.
Lorsqu’ilaperçutunecamionnettegaréeàl’autreboutd’unchamp–commesisonpropriétaireétaitpartiàpiedauvillagequ’onapercevaitauloin–ilygrimpa.Court-circuitantledémarreur,ilconduisitl’engin jusqu’à se retrouver à court de carburant puis reprit sa course jusqu’à tomber sur un autrevéhicule.Ilallaitaussivitequecelaluiétaitpossiblesansquesoncorpslelâche,maisleterritoiredeLijuanétaitvaste.Ilauraitbesoind’unejournéedepluspouratteindreAndromeda.Vingt-quatreàtrente-sixheuressupplémentairesoùelleseraitseuleavecZhouLijuan.
Grondant, ilserappelaquelafemmequisentaitcommesafemellen’étaitpasuneproie.Elleétaitfutée.Elleavaitdessecrets.Ellesurvivrait.
Lehoquetd’Andromedaplanaitencoredansl’airlorsqueLijuansourit.—Ah,tuasvumesvisages?Jecontinued’évoluer,expliqua-t-ellesansattendrederéponse.Bientôt,
jeseraimême plus puissante que les êtres légendaires dont la rumeur raconte qu’ilsDorment sous leRefuge.
Andromeda ne doutait pas que Lijuan changeait, mais elle n’était pas sûre d’appeler cela uneévolution.
— Ma dame, dit-elle au lieu de cela d’un ton respectueux, selon les rapports remplis après labataille,vousavezpéridanslalutte.
IlfallaitqueLijuancontinuedeparler.Elledisposeraitainsid’untempsprécieuxpourréfléchiràlamanièredesesortirdecettesituation.
—Jenesuispassifacilequecelaàtuer.(LavoixdeLijuanrésonnadenouveaudecrissurcesdeuxderniersmots,commesilesâmesqu’elleavaitavaléessebattaientpours’enfuir.)J’aiépargnéRaphaeletchoisidebattreenretraiteparstratégie.
AndromedasegardabiendecontredirelaversiondesfaitsdeLijuan.Semontrerréservéen’étaitpasseulement l’attitude la plus courageuse à adopter pour lemoment, c’était peut-être sa seule chance desurvie.
—Rejoindrez-vousleCadre?—LeCadreestunestructurefaibleetdépassée,réponditLijuanavecunreversdemaindédaigneux.
Il est temps de voir émerger un nouvel ordre mondial. (S’appuyant contre son trône, elle sourit, sonvisage continuant d’apparaître et de disparaître sous ses différentes formes. C’était étrange etétonnammentattirantenmêmetemps.)Jecréeraiunmondemeilleur.
Durantl’heurequisuivit,AndromedaécoutaLijuanparlerdumondequ’elleprévoyaitdeconstruire.Les mots de l’Archange étaient bredouillants, se chevauchaient, et parfois, s’évanouissaientcomplètement.LecorpsdeLijuansuivait lemêmerythme.Malgrétout,Andromedasavaitquelasous-estimer serait une erreur fatale. ZhouLijuan comptait aumoins neufmille ans de vie et d’expériencederrièreelle,probablementplus.
—Tusaisécouter,érudite.Andromedainclinalatête.—Matâcheestd’écouteretdenoter.Lijuan sourit juste au moment où sa tête se changeait en crâne. Le sourire se transforma en une
grimacegrotesqueempliedehurlementsatrocesquidonnaientenvieàlajeuneangedeplaquersesmainssursesoreilles.Contrôlantsarespirationauprixd’ungrandeffort,elleserraplusfortsesmainsdevantelle.
—Alors,entendsceci,ditl’Archangedesavoixsépulcrale.J’aibesoindeparleràAlexander.—L’AncienDort.Ons’attendraitàcetteréponsedesapart.Iln’enrésulteraitprobablementaucunetortureouviolence.
Celan’enrestaitpasmoinsunrisquecalculé.—Personnen’estsupposéperturberleSommeild’unange,ajouta-t-elle.C’étaituntabouaussiprofondémentancréqueceluiinterdisantlamaltraitancedesenfants.— Je comprends tes scrupules, mais le monde change et l’on doit accompagner le mouvement,
rétorquaLijuandontlesyeuxsanglantssoutenaientleregardd’Andromeda.Xim’ainforméequetusaisoùDortl’Ancien.
—Non,maDame, je n’en sais rien, affirma la jeune ange alorsmême qu’elle suffoquait sous lapuissanceécrasantedeLijuan.Alexanderétaituntropbongénéralpourqu’ilensoitautrement.Jenesuisparvenuequ’àunesimplehypothèsesurlelieuqu’ilauraitchoisipours’enterrer.
—Mementirneseraitpasunebonneidée.Unfroidétranges’insinuadanslesairsàladéclarationdeLijuan.Andromeda avait le sentiment qu’à chaque inspiration des éclats de glace s’inséraient dans ses
poumons.—Jenemelepermettraispas.AlexanderétaitunAncienquandils’estEndormi.Ildevaitavoirla
facultédesecachercommel’afaitCaliane.La mère de Raphael avait emmené dans son Sommeil une ville entière, et lorsque la cité s’était
éveilléeplusdemilleansplustard,c’étaitdansunlieuéloignédesonsiteoriginal.— Il est impossible de savoir s’il a choisi de pénétrer sous terre ou sous le lit de lamer, ajouta
l’érudite.Lijuanfinitparopineretlefroidinhumainrecula.—C’est juste.Jenedoispasoublierqu’Alexandera toujoursétéungrand tacticien.Les légendes
quesespairsracontaientsurluiquandilétaitunjeunecombattant…(Ellesecoualatête,etc’estd’untonpresqueaffectueuxqu’elleajouta:)Lorsquejel’interrogeaissurceshistoires,ilrefusaittoujoursdelesconfirmeroudelesdémentir.
Conscienteque l’humeurdeLijuan risquait debasculer enun clind’œil,Andromeda se concentrafortementpourgarderunevoixposée,malgrélapeurquiluinouaitleventre.
—L’éruditequejesuispourrait-ellevousimportuneràcesujet?Carceshistoiressesontperduesdansletemps.
Lijuanrit,etpendantuninstant,Andromedaeutunaperçudel’Archangequ’elleavaitétéautrefois.UneArchangeduCadreâgéeetarrogante,maisaussiaviséeetàlatêtefroide.Cellequis’étaitamuséed’unpetitgarçonsauvagequiavaitfaitsemblantdemangersonchat.
—Sijeuneetcurieuse,commentaLijuansurunhochementdetête.Oui,jeteraconteraiceshistoires,érudite,maispourcommencer,tuindiquerasàXilelieuoùAlexanderDortpeut-être.(C’étaitunordre.)Mongénérallanceralesrecherches.
LedosraidepournepasfléchirfaceàlapuissancedeLijuan,Andromedanecédapas.
—Madame, en tantqu’historiennenovice, j’ai prêtédes sermentsque jenepeux renier. Ilm’estimpossibledevousrévélercelieusanscompromettrecesserments.
—Tesscrupulest’honorent,maiscommejeledisais,lemondeachangé.Glacéeparlefroidquiétaitrevenu,lesosdouloureux,Andromedaluttaitpourconserversoncourage
etpuisasaforcedanslesouvenird’unedansemenéeàl’épéeavecunvampireauxyeuxargentquin’enétaitpasun.Naasirpensaitqu’elleavaitunepeausecrète.Àlaminuteprésente,elleportaitcelled’unejeuneéruditeperdue.Celaseraitsonmasqueetsonbouclier.
—Puis-jeprendreletempsdepesermadécision?demanda-t-elle.Ellen’estpasaiséecarmêmesimessermentssontsacrésàmesyeux,jesaisquelemondeabesoindelapuissanced’Alexander.
LevisagetoutcommelecorpsdeLijuandisparurentpresquecomplètementsansprévenir.—Danstesveinescoulelesangd’unallié.Jevaisdonct’offrircetteopportunité,répondit-elled’une
voixterrifianteoùrésonnaientdeshurlements.Varéfléchir.Elleappuyasesdiresd’unmouvementdemaintandisquesoncorpsreprenaitforme.Andromedapartitavantquel’Archangenechanged’avis.Sonescortenesetrouvaitplusdevantles
portesimposantesdelasalle.Enrevanche,Xisepréparaitàlesfranchir.— Général, le salua-t-elle calmement, luttant contre son désir oppressant de s’enfuir jusqu’à en
perdrelesouffleloindesombressinueusesethurlantesdelasalledutrône.M’est-ilinterditdevisiterlacitadelle?JesuiscurieusedevoirlacréationdeSuyin.
—Vaoùbontesemble, luirépondit-il.Si tuasbesoind’aidepourtrouvertonchemin,demandeàceuxquetucroiseras.(Unbrefhochementdetête.)JedoismeprésenteràmonArchange.
Andromedas’efforçades’éloignerd’unpascalme,maissoncœurbattaitsirapidementqu’ilcouvraittouslesautresbruitsàsesoreilles.LaréponsefavorabledeXiàsarequêteconfirmaitlessuspicionsdelajeunefemme:Lijuann’avaitaucuneintentiondelalaisserpartir.Jamais.
Andromedanepaniquapasalorsmêmequ’elleprenaitpleinementconsciencedecettedouloureusevérité.Réagirainsinelamèneraitnullepart.Unefoisqu’elleeutquittélapartiecentraledelacitadelle,ellenotalenombredegardes,essayaderepérerlessortiespossiblesqu’ellepourraitutiliser,maisdutreconnaîtrequelechâteauétaittropgrandpourqu’ellepuisses’imaginerenavoirvisitéplusdudixièmelorsdesesexplorations.
ElleessayadepenseràcequeNaasir,réputépoursacélérité,entreprendrait.Lorsqu’ilsedéplaçait,ilétaitd’unebeautéincroyable,unprédateuràsonapogéequin’avaitpeurderiennidepersonne,dotéd’unegrâcesombre,meurtrière.
«Tuasdessecrets.Toiaussi,tuportesuneautrepeau.»Lepoingserrécontreleventre,lajeunefemmeravalalasoudainepousséed’émotionbrute.C’était
stupide,ridicule.Ellen’avaitfaitquelecroiser.Laperspectivedeneplusjamaislerevoir,denepluss’adonneràdesjeuxquiébranlaientsamaîtrised’elle-mêmesidurementacquisen’auraitpasdûavoird’importance.
Maisc’étaitlecas.Celacomptait.Desheuresaprèscetinstantpoignantoùelleavaitéprouvéuntelsentimentdeperte,laterreurs’était
impriméedans sonesprit.Parcequecettecitadelleétait inviolable.Elleavaitusé ses semellesà s’enmartyriser lespieds sansdécouvrir lamoindre issue.Elle ravala legoût amerde lapeur et refusadelaisser tomber. Elle marchait à pas feutrés le long d’un couloir calme lorsqu’elle entendit unfredonnementbas.Lechantlafrappadroitaucœurtantilétaitévocateur.
Elle remonta le fil de ce son délicat jusqu’à une double porte ouverte au bout du couloir. Elle yfrappadélicatement.
—Bonjour?
Lefredonnements’interrompit.—Oui?répondit-ond’unevoixdouce.Andromedaentrapourseretrouverdansunepiècebaignéedelumièreetdécoréedetissusblancset
decoussinsdecouleur.L’angequilevalesyeuxsurelledepuislecanapéoùelleétaitinstallée,uncarnetà croquis sur les genoux, jambes croisées, avait lesmêmes pommettes taillées à la serpe queLijuan,lesmêmescheveuxd’unblancdeglace,lamêmepeaupâle,maissesyeuxétaientd’unnoird’obsidienne.Unminusculegraindebeautémarquaitsapeaujustesouslecoingauchedesonœil.
«Tuasdestachessurlevisage.»L’échodelavoixgrondanteetfascinéedeNaasirlasortitbrutalementdesonétatdechoc.Carles
traits distinctifs de l’ange ajoutés à ses ailes d’un blanc neigeux aux primaires bronze qu’Andromedaapercevaitdanssondosnelaissaientaucundoutesursonidentité.
—Suyin.LaniècedeLijuanetl’unedesplusgrandesarchitectesquelemondeaitjamaisconnue.L’angeluiadressaunsourire.Ilétaitsaisissantdelireunaccueilsichaleureuxetouvertsurunvisage
quiétaitlarépliquedeceluideLijuan,lacouleurdesyeuxetlegraindebeautémisàpart.—Etquiêtes-vous,jeunette?Andromedasupposaitqu’elleétaitjeune,eneffet,comparéeauxmilliersd’annéesdel’ange.—Andromeda,seprésenta-t-elle.Érudite.Reportant le regard sur soncarnet,Suyin lui indiquad’ungestede la tête le canapéqui lui faisait
face.—Ah.Asseyez-vous,Andromeda, lui suggéra-t-elle dans lemême dialecte qu’elle avait employé
plustôt.Racontez-moicequevousfaitesici.Lajeunefemmenevoyaitaucuneraisondementir.Suyin l’observa, les yeux tristes et le crayon immobile sur son carnet une fois qu’Andromeda eut
terminésonrécit.—Matantenevousautoriserapasàpartir.—Jesais.AndromedanevoyaitdorénavantplusLijuanenSuyin.L’espritdecettedernièreétaittroplumineux
etdouxpourça.—Avez-vousétéemprisonnéeicitoutcetemps-là?Cequiavaitdûluidonnerl’impressiond’êtreunemorte-vivante.SiAndromedasefiaitauxhistoires
qu’elleavaitlues,Suyinadoraitvoleràtraverslemonde.—Onm’adonnélechoix:Dormiroumourir.Etencela,j’aieu…delachancecarlesautresquiont
aidé à la construction de cette citadelle et par conséquent en connaissaient les secrets ont tous étéexécutés.(Elleexhalaitlatristesseentournantsapagepourcommencerunnouveaudessin.)J’aichoisideDormir,mais jeme réveille toutes les quelques centaines d’années pour voir si la prison que j’aiconstruite s’est écroulée et si je peux voler vers la liberté.Malheureusement, chaque fois,ma tante agagnéenpuissance,estdeplusenplusuncauchemar.
LacalmehorreurdesadouleurpoussaAndromedaauborddeslarmes.Elle voulait avoir confiance en cette femme qui semblait être captive comme elle, mais sans y
parvenir.Passirapidemententoutcas.Pourtant,elleserisquaàdemander:—Vousn’avezjamaischerchéàvousenfuir?Suyinposasoncarnetàdessin,selevaetpivota.Andromedalaissaéchapperuncritandisqu’ellese
couvraitlabouched’unemaintremblante.IlmanquaitàSuyinlaplusgrandepartieinférieuredel’unedesesailes.Lesmusclesettendonsàsabaseétaientexposés,brûlantsetrouges.
—J’aiessayéàmonpremierréveil,expliqua-t-elleunefoisrassise.Seulsonsoufflelégèrementcourtindiquaitqueladouleurdevaitêtreatroce.Elleindiquad’unmouvementdetêtelesépéescroiséesmontéessurlemurderrièreAndromeda.—Voilàleslamesutiliséesàchacund’entreeuxpourtaillermesailes.Andromedaétaitincapabled’imaginercetteatrocitésansfin.—Commentparvenez-vousànepassombrerdanslafolie?murmura-t-elle.—Jen’ensaisrienmoi-même,répondit-elleencaressantdesesdoigtsfinslespagesdesoncarnet.
Peut-êtreparcequej’étaissuffisammentâgéeavantmonemprisonnementpourcomprendrequeletempspassecommeunerivièreinexorable,amenantdanssoncoursdeschangements.
Unregard triste, intelligent, rencontraune foisdeplusceluid’Andromedaetpendantun instant, lapeaudelajeunefemmelapicotad’unsentimentdedéjà-vu.CommesiellesetrouvaitdenouveaufaceàLijuan,saufquecetteLijuanétaitcequel’Archangeauraitdûdevenir.
—DesrumeursmesontparvenuesausujetdelaCascade,ditSuyin.Est-cevrai?Iln’yavaitaucuneraisondeleluidissimuler.—OnditdelaCascadequ’elleestunepériodedurantlaquellelepouvoirdesArchangesaugmente
demanièresibrutalequ’onrisquedevoirvolerenéclatslesfondationsdumonde.«LesArchangesn’étaientpascequ’ilsdevaientêtre,etlescorpspourrissaientdanslesrues,etle
sangpleuvaitdescieuxpendantquelesempiresbrûlaient.»Rienn’adoucirait jamaisl’impactlugubredecesmots,premièrementionspécifiqued’uneCascade
antérieuredontJessamyavaittrouvélatracedanslesArchives.—Unpetitnombred’angesordinairesontaussiétéaffectés.Illiumenétaitl’exempleleplusfrappant.TouslesautresImmortelsavaientremarquél’accélération
violentedudéveloppementdel’angeauxailesbleues.DesrumeursledisaientprêtàquitterlesSeptdeRaphaelpourchercheràrégnersurunterritoire,maisceuxquicroyaientunetellechoseavaientoubliéDmitri. Le vampire était l’un des êtres les plus puissants aumonde. Pourtant, il avait choisi d’être leseconddeRaphael.
—Sil’universestàl’aubed’unchangementcatastrophique,repritdoucementSuyin,alorspeut-êtrequ’àmonprochainréveiljeserailibre…etlemondeseraenruines.Uncauchemaraprèsl’autre.
Naasircourutsouslaluneaprèsavoirépuisél’essenceduderniercamionqu’ilavaitvolé.Sapeauétaitcouverted’unemincecouchedesueur,sesmusclesdouloureux,maisilétaitencoretropéloignédelacitadelledeLijuan.Soisfutée,envoya-t-ilenpenséeàAndromeda.Montre-toisournoise.J’arrive.
Chapitre12
Andromedaseréveillaensachantqu’iln’yavaitqu’uneseulechoseàentreprendre.Aprèssonbain,ellenattasescheveuxencorehumides.C’étaitl’uniquemoyendes’enrendremaître
danslamesureoùellen’avaitpasaccèsauxdispositifsmodernesqui luiavaientrendulaviesifaciledernièrement.Avant,elleavaitsimplementl’habitudedenouersescheveuxenunchignonétroit.Jessamyjugeaitquecestylesévèreneconvenaitpasàsajeunesse,maisAndromedaavaitrepoussél’observationd’unhaussementd’épaulesetrétorquéquec’étaitpratique.
Cequiétaitvrai,maiselleavaitoptépourlechignonpourunetoutautreraison.Proprecommeunsouneuf,elleenfilaunpeignoiretpetit-déjeuna.On luiavaitapportéunplateau
peudetempsaprèssonréveil.Elles’habillaensuiteaveclesvêtementsamenésenmêmetempsquesonrepas:uneautretuniquedetypecheongsam,celle-cid’unroseprofondetintenseauxaccentssombres,etunpantalonnoirquiluimoulaitlesjambes.Charmant,maislacoupedeceshabitsl’empêchaitdecacherseslamessursoncorps.
Sanselles,ellesesentaitnue.Enmêmetemps, lajeunefemmeavaitconsciencequ’ellenepouvaitrisquerdetrahirsonseulpetitavantage.Ellelesdissimuladoncloinsouslematelas,enfilalesballerinesdesoienoirequiaccompagnaientsatenueetouvritlaportedelachambre.Cettefois-ci,sonescorteétaitune vampire à la peau aussi crémeuse que du lait frais, aux larges pommettes, aux yeuxplats noisettefoncé.Sonuniformeétaitdunoirformeletfamilierportéparlesdomestiquesdelacitadelle.
Letrajetjusqu’àlasalledutrônes’effectuaensilence.Àsonarrivée,AndromedatrouvaLijuanenpleineconversationavecXi.Elleavança jusqu’aubas
des marches du trône et attendit poliment que tous deux en finissent. Avec un Archange aussitraditionaliste que Lijuan, de simples bonnes manières suffiraient peut-être à lui sauver la vie. Pasquestiondelaisserpassercettechancealorsquecelaneluicoûtaitrien.
Cenefutqu’uneminuteplustardqueLijuanluiadressaunregard.Sonvisageparaissaitencoreasseznormalpourlemomentbienquelacolèreassombrissesestraits.
—Avantquetunem’annoncestadécision,érudite,ilmefautm’occuperd’unepetiteaffaire.Soulagée de ce répit, Andromeda se plaça sur le côté du trône. Peu après, un ange aux ailes
marronnassesfuttraînédanslapièce.Ilportaitlessoiescoloréesdescourtisans,sonlargevisageétaitpâle,sesyeuxlarmoyantssuppliaient.
—Madame…Jen’avaispasl’intentiondevoustrahir,balbutia-t-ilentredeuxhoquets.—Pourtant,tuastransmisàMichaeladesinformationssurmacour.ChaquemotsortantdelabouchedeLijuanétaitglacial.Lapoitrined’Andromedaseserraàlacertitudedecequiallaitsuivre.Prostréaubasdesmarches,l’angesanglotait.
—Sabeautém’aséduit,madame.Elleaprofitédemafaiblesse.—Tuesun idiot, réponditLijuan avecunehauteur et une indifférence royales.Mais jevais faire
preuvedemansuétudecarilestvraiqueMichaelaaunemanièrebienàelled’ensorcelerleshommes.Ilteserapermisdevivre.
L’angecommençaàbredouillersesremerciements,maisAndromeda,l’estomacrévulsé,savaitqu’ilseréjouissaittropvite.Elleavaitvulecadredeboisqu’onavaitsortidesombresdanssondos.Deuxminutesplustard,lecourtisanauxyeuxécarquillésyétaitmenotté,ailesdéployées.Ilportaitencoresesvêtements,maisilsfurentlentementetméthodiquementcoupésparlegardeblond,jusqu’àcequel’angeseretrouveentièrementnu.
Puis le chevalet fut tourné à l’horizontal par quatre gardes, chacun supportant l’un de ses côtés,laissantl’angepunifaceausol.
—Viens,ditXiàAndromedatandisquelesgardessortaientlecadredelasalledutrône.Madamecroitquetupourraistrouvercelaédifiant.
La bile lui brûlant la gorge, Andromeda sortit aux côtés du général favori de Lijuan. Les gardesemportèrent lechevalet jusquedans lacouret leplacèrentsurquatrepoteauxquisemblaientavoirétéérigésaucentredecetespaceouvertàceseuleffet.L’angeétaitmaintenanttournéverslespavés,àpeuprèstrentecentimètresau-dessusdecesderniers,soncorpsdéployéexposéauxélémentsetauxregardsempreintsdepitiédesprésents.
L’undeshommesdeXis’avança jusqu’à l’angesanglotantetcommençaà lecouper.Desentaillesrelativementpeuprofondes.Lesvaguesdansl’estomacd’Andromedasecalmèrenttandisqu’elleprenaitsapremièrevraierespirationdepuisquel’angeavaitétéemmenédanslasalledutrône.Sic’étaitlàsapunitionpourunetrahisonsigrave,ils’enétaitsortiavecriendeplusqu’unetapesurlamainentermesimmortels.Elleespéraitqu’ilcomprenaitàquelpointilétaitchanceux.
Peut-êtreétait-ilunfavorideLijuan.LegardearméreculaalorsetAndromedaentenditlesaboiements.—Non,murmura-t-elleenavançantinstinctivementversl’angeimpuissant.Xiluiattrapalebrasd’unepoigneinflexible.Ilnequittaitpasdesyeuxlascènebrutalesurlepoint
deseproduire.—N’intervienspas,oùleschiensteréduirontenmiettes.Deuxsecondesplustard, lepremierchiendechasseapparut.Attirépar lesang, l’animalnoirracé
léchal’angeenpleurs…puislemordit.L’angehurla.Andromedabaissalespaupières,maisnepouvaitempêcher lessonsde luiparvenir.Elleserésolutàsoulever lespaupièresunesecondeplus tard.Elleéchapperaitàcetendroit,etlorsquecelaseraitfait,ellerapporteraitcettehorreur.
Biensûr,lagrandemajoritédugenreangéliquenetrouveraitrienàredireàlapunition.Êtreimmorteln’étaitpastoujoursunebonnechose.Celasignifiaitqueceuxquiprononçaientlasentenceavaienteudessièclespourréfléchiràdespunitionsappropriées…etquiétaientparfoisbrutalespourêtreàlahauteurducrimecommis.Iln’yavaitaucunintérêtàfouetterunangeâgéquandlesblessuresnedemanderaientquequelquesjourspourguérir.
MêmeRaphael,quin’avaitpaslaréputationd’êtrecruel,avaitunjourbrisétouslesosd’unvampirel’ayanttrahi.Lemalheureux,dontlesmembresnetenaientplusquepardestendonsfilandreuxmisànu,lesosbrisésenpetitsmorceauxquiluiperçaientlapeau,avaitétélaisséexposéàlavuedetousàTimesSquareduranttroisheures.
TrahirunArchangeétaitcommettreuneerreurquerienn’effaçait.Celui qui en payait le prix sous ses yeux se retrouva couvert de morsures en quelques minutes.
Bientôt,ilnefutplusqu’unamasdechairsanguinolente.Ilmanquaitaussidesmorceauxàsoncorps.La
frénésiesepoursuivitjusqu’àcequeseshurlementsdeterreuretdedouleurfinissentparsetransformerengémissements,puisquelesilences’installe.Celanevoulaitpasdirequ’ilétaitmort–Lijuanluiavaitdonnésaparolequ’ilvivrait;ilenseraitdoncainsi.
Des plumes volèrent dans les airs quand les bêtes commencèrent à déchirer ses ailes par simpleamusement,semblait-il.
—Combiendetemps,demanda-t-elled’unevoixrauque.Combiendetempsvadurercettepunition?—Jusqu’àcequemadéessesouhaitequ’ilensoitautrement.Tusaisquececrimen’enméritepas
moins.Pourquoies-tuchoquée?Xiavaitfiniparrelâcherlepoignetdelajeunefemme.Elledéglutit.—Jen’aiplusététémoind’unetellechosedepuisdessiècles.Depuislescentainesd’annéesquis’étaientécouléesaprèsqu’elleavaitfuiunedemeureoùlaterreur
étaitomniprésente,demeureoùelleétaitnée.—Oui,tuesuneérudite,réponditXicommesicelaexpliquaittout.Viens.Tandis qu’ils se détournaient pour rentrer dans la citadelle, Andromeda essaya de tempérer sa
réactionviscérale,maisellesavaitqu’elleétaitpâle,lapeauglacée.Lijuann’enseraitpassurprise.Ellesouhaitaitinstillerlapeurenveillantàcequ’Andromedaassisteauchâtiment.Uncrilamentables’élevadansl’airàcetinstant,commesil’angeavaittrouvéundernierfilondeforce.
Lesmainsd’Andromedasecrispèrent.—Ilenperdralaraison,dit-elleàXi.—Uneffetsecondaireinévitable,réponditcedernierens’arrêtantsansprévenir.(Illaregardasans
ciller.)N’importe quel autreArchange duCadre aurait élaboré une punition aussi sévère que celle-cipourunetelletrahison.Hengétaitunmembredelacourrapprochée,dignedeconfiance.
SespenséesretournantunefoisencoreauvampiredeTimesSquare,Andromedaopinaàcontrecœur.Raphaeln’étaitd’ailleurspasleseuldesautresArchangesàrendreunejusticeimpitoyable.Astaadavaitunefoisplantéunangefourbedansunfosséremplid’abeillesvénéneusesdontlespiqûresprovoquaientune nécrose de la peau. Il l’avait laissé là unmois entier. Quant àMichaela, elle avait ordonné quechaquepartied’unangesoitécorchéevive,morceauparmorceau,sespaupièresincluses…etquandlatâchefutachevée,l’angeavaitcommencéàsuffisammentrégénérerpourquelecyclerecommence.
Unfrissonparcourutledosd’Andromeda.—Jevoiscequevousvoulezdire, répondit-elleàXialorsqu’elle se sentaitprêteàclaquerdes
dents.Notremondeestdur.Xiseremitenroute.—Pourbeaucoup,l’immortalitéestsynonymed’arrogance.Andromeda sedemanda s’il percevait l’ironiede sapropredéclaration. Il était horsdedouteque
LijuanétaitlaplusarrogantedetouslesArchanges.Ellepensaitêtreunedéesseetpeut-êtreétait-celecas:unedéessedevaitêtrecapablededonnerlavie,etLijuanavaitcrééuneentitéentièrementnouvelle.
SesRessuscités étaient d’atroces simulacres de vie,mais Lijuan n’en avait pasmoins la capacitéd’altérerlanaturemêmedesmortelsetdesImmortels.
Cette fois-ci, quandAndromeda pénétra dans la salle du trône, les gardes en refermèrent la portederrièreelle,annihilantlemondeextérieur.TandisquelajeunefemmeetXiavançaientverselle,Lijuanjetauncoupd’œilàXi,s’entretenantsansaucundouteavecluiàlamanièredontunArchangelepouvaitavecceuxqu’ilchoisissait.
Quelquesoitlerapportremisainsiparlegénéral,ilsemblasatisfairel’ArchangedeChine.
Andromeda s’était préparée à faire face à l’attention de Lijuan, mais son regard ensanglantéprovoquait encore dans son cerveau supérieur, primitif, conduit par l’instinct de survie, le besoin detenterdefuir.
—Maintenant,érudite,ditLijuan,tuaseulanuitpourpesertadécision.Partageras-tucequetusaisd’Alexander?
Lamenacenonformuléeplanaitdansl’air:siAndromedan’obtempéraitpas,elleconnaîtraitunsortsimilaireàceluidel’angeinfortunédanslejardin.
— Ma dame, répondit-elle, il m’est difficile de briser mes vœux lorsqu’il s’agit de ceux quiDorment, mais je crois que vous êtes dans le juste. Les Dormeurs doivent se réveiller pour aider àstabiliserlemonde.
—Dis-noustout.Alors qu’une sueur froidemenaçait de recouvrir sa peau,Andromeda baissa le regard, comme en
signededéférence.—L’ensembledemesrecherchessuggèrequ’ilauraitconfianceenTituspourprotégersonSommeil.L’amitiéentrel’Ancienetunangequiavaitétéautrefoisenfantàlacourd’Alexanderétaitlégendaire.LeregarddeLijuansefitaiguisé.—Oui.Andromedapoussasonavantage.—Ladifficultéestd’identifierl’exactelocalisationdel’Ancien.(Tituscontrôlaittoutel’étenduede
l’Afriqueméridionale,lafrontièrequiséparaitsesterresdecellesdeCharisemnoncoupantlecontinentendeux.)Quoiqu’ilensoit,aprèsavoir lu tousles témoignagesdeleuramitié, jepensequ’AlexanderdoitreposersousoudanslemontKilimandjaro.
Lijuan sourit au moment précis où son visage affichait cette beauté envoûtante, impensable. Etpendantuninstant,elleenfutdouloureusementrajeunie.
— Je me souviens des histoires racontant ce que ces deux-là faisaient sur les sommets duKilimandjaro, dit-elle avec un rire léger, insouciant. Un jeune Titus à la tête dure a un jour défiéAlexander lorsd’unconcoursd’escaladeetagagné.Arrivés là, ils se sontaffrontéspour redescendredanslenoir.
Andromeda fut surprise par la chaleur du ton de Lijuan. C’était comme si elle était une femmedifférente.Etsamémoireétaitunetellehistoireenelle-même…Lajeuneangen’auraitpasétéunevraiehistoriennesicelanel’avaitpasattirée.
—Connaissiez-vousTitusdanssajeunesse,madame?—Oui.Ilatoujoursétéobstiné,celui-là.Maisavecuncœursigrandquepersonneneluientenait
rigueur.(Sourireetjeunesses’évanouissant,Lijuanelle-mêmedisparutetrepritformed’unemanièrequisemblait plus… floue qu’auparavant.) Je peux imaginer Alexander choisissant de Dormir sous lamontagnequ’ilaimaitbien,surlesterresd’unamienquiilavaitconfiance.
—Alexanderétaitréputépoursonattachementenverssonpeuple,intervintXidanslesilenceemplidemurmures qui s’était installé.Et a laissé derrière lui un fils quimaintenant encore réside dans sonpalais.
— Rohan était un enfant présomptueux, rétorqua Lijuan dont les traits s’étaient transformés ensquelette.(Lesasticotsquirampaienthorsdesesorbitesretournèrentl’estomacd’Andromeda.)Aulieud’informer leCadre après que son père a choisi deDormir, il a tenté de contrôler le territoire de cedernier,causantpresqueunbaindesangvampirique.
—Quoiqu’ilensoit,insistaXi,sonpèreluifaisaitgrandementconfiance.Lijuaneutunpetithochementdetête.
—Érudite,qu’as-tuàrépondreàcela?Andromedasemorditlalèvreetespéraquesavoixnelatrahiraitpas.Ellesecoualatête.— J’ai pris en considération l’attachement d’Alexander à son peuple et à son fils, dit-elle, mais
commevous l’avez vous-mêmenoté, c’était un grand tacticien. Je ne pense pas qu’il opterait pour unchoixaussiévident.
—Lesémotionsvousaveuglentparfois,soulignaLijuanavantdejeteruncoupd’œilàXi.Ilestaussitoutàfaitpossibledesoutenirqu’AlexandernemettraitpassonfilsendangerenallantDormirsoussonpalais.
Xis’inclina,exprimantainsiqu’ilacceptaitcetteidée,puisavança:— Il pourrait aussi s’agir d’un double bluff. (Il se tourna versAndromeda.) L’amitié n’est pas la
seuleraisonpourlaquelletupenchesenfaveurduKilimandjaro.—Non,effectivement.Andromedaleurparlaalorsdesparcheminsqu’elleavaitlus,deshistoiresqu’elleavaitdécouvertes
danslesArchives,demandamêmequ’onluiamèneunpapieretydessinal’endroitoùilétaitpossiblequ’Alexandersetrouvesouslamontagne.
—Àpeineunanavantsadisparition,Alexanderaétévuàcetendroitprécisparunautreange,etpourtant,onaapprisplustardqueTitusn’avaitpaseuconnaissancedecettevisite.
Lajeunefemmeavaitétésiexcitéelorsqu’elleétaittombéesurcetteinformationmystérieuse.— Je vois, dit Xi en examinant sa carte dressée à la main. Aucun Archange ne traverserait le
territoired’unautresanspermissionsaufencasdenécessitéabsolue.Etnepasensoufflermotàsonamisuggèrequ’AlexandertentaitdeprotégerTitusdupoidsdusavoir.
Lepoulsd’Andromedas’emballa.—Exactement.—Rends-toiauKilimandjaro,ordonnaLijuanàXi.Jedécideraidelasuitedesévénementsunefois
que tu auras trouvéAlexander ou rayé la région de la liste des possibilités. (Ses yeux noyés de sangrencontrèrent de nouveau ceux d’Andromeda.)QuandXi sera parti, tu noteras sur le papier toutes lesautresoptions,sipeucrédiblessoient-elles.
Uneseuleréponsenelamettraitpasendanger.—Oui,madame.—Jevaisenvoyerdeséclaireursaujourd’huiet fairemespréparatifspourpartirdemainà l’aube.
Nous devons nous montrer extrêmement prudents. Titus a renforcé ses mesures de sécurité depuis lamontéedeshostilitésavecCharisemnon.
LesailesdeXiattrapèrent la lumièredorée tandisqu’il les remettaitenplacedansunmouvementsec.Ilnes’agissaitpaslàd’unsigned’impatience,Andromedalesavait,maisdelasimpleprécautiond’un guerrier pour que ses ailes ne soient pas prises de crampes. Le général se tourna vers la jeunefemme,l’intensitédesonregardunelamenoireluisante.
—TuessûrequeleKilimandjaroarriveentêtedetaliste?«Tuasdessecrets.Toiaussi,tuportesuneautrepeau.»Andromeda s’accrocha au souvenir des mots de Naasir et se dissimula derrière son apparence
d’éruditeintimidéeeteffrayée.—Oui.Lijuanserenfonçasursontrône,lecorpstranslucide.—Souviens-toidececi,érudite,dit-elled’unevoixoùserépercutaienttantdecrisquelestympans
d’Andromedamenaçaientdesaigner.Sijedécouvrequetum’asmenti, lechâtimentdeHengparmileschiensdechassesemblerabienléger.
Andromedas’inclina.—Madame,ilvousfautcomprendrequejenepeuxoffriraucunecertitude.(Personnenelepouvait.)
Jenesuisqu’unenovice.Pas de réponse. Lorsqu’elle releva la tête, Lijuan avait disparu. Comme si elle était passée à sa
formenoncorporelle.Alorsmêmequ’Andromedaavaitunhoquetdevantcettepreuvede«l’évolution»deLijuan,ellesedemandaitsilechoixdechangerdeformeavaitétéconscient.IlluisemblaitqueLijuanétaitsimplementtropfatiguéepourmaintenirlamanifestationphysiquedesaprésence.
—J’espèrepourtonbienquetun’aspasmenti.LavoixdeXiétaittranchantecommeunscalpel.—Ceseraitidiotdemapart,répondit-elle,fièredenepasentendresavoixtrembler.Nullepartje
n’échapperaisauchâtiment.
Chapitre13
Naasirpénétrasurleterritoiredelacitadelleaprèslatombéedelanuit.Les espions dont disposait Jason dans les villages qui se trouvaient directement sous les chemins
aériensmenantàlacitadelleavaientconfirméqueXietsonescadronétaientrevenusàl’aube,laveille.Ilstransportaientdansunfiletunfardeaunonidentifié.
Andromeda.Ungrognementmontadans lapoitrinedeNaasirà l’idéeque la jeune femmesoitpiégéeet traitée
commeuneproie.Maissacolèresetransformaenunsourireéclatantlasecondesuivante.Parcequ’Andromedan’était
pas une proie.Quoi qu’il en soit, elle était suffisamment intelligente pour persuaderXi et Lijuan quec’étaitlecasetbénéficierainsidelasolitudedontelleavaitbesoinpourtrouverlemoyendes’échapper.Ilgrinçadesdentsàlapenséequ’ellepuissetenterdepasseràl’acteavantqu’ilnesoitlàpourassurersesarrièresetcontinuadecouriràgrandesenjambéesdansl’ombredesmontagnes,uneombreparmilesombres.
Lecielétaitbasetlourdau-dessusdesatête.UnefoisparvenudansladernièrepartiedelaforêtavantlaprairiedontJasonluiavaitditqu’elle
entourait la citadelle, Naasir saisit l’odeur pourrissante, immonde qui dénotait la présence desRessuscités.Ilexpiradansunsifflement.LemondecroyaitlescréationsinfectieusesdeLijuanrayéesdela surface de la terre. Visiblement, elle s’était débrouillée pour sauver ce nid. Afin de survivre, lesRessuscitésavaientsûrementreçul’autorisationdesenourrirdechairmortelleouimmortelle–ouonlesavaitnourris.
Naasirvoulaitlesexterminerl’unaprèsl’autre,maisAndromedal’attendait.Lapoitrinevibranted’ungrondementdecolère, il évita les créatures–cequin’étaitpasdifficile
comptetenudelapuanteurqu’ellesimposaientàsesnarines–etpritladirectiondelaprairie.C’étaitlàunebonneprécautionpriseparlesgénérauxdeLijuan:riennevenaitobstruerlavuedessentinelles.
Dommagequ’onait laissé lesherbespousser àhauteurdegenoux.Elles étaient ainsi assezhautespourdissimulerlasilhouettedeNaasir,etunepartiedesanaturesavaitinstinctivementcommentutiliseràsonavantageuntelenvironnement.Ilatteignitlemurextérieurdelacitadellesansêtreremarqué.Delà,iln’étaitpasdifficiled’éviterlesgardesvampiriques,maisilluifallaitselanceraubonmomentafinquel’escadronailénelerepèrepas.
Ilhumadansl’airlapluieportéeparlesvents.Atoutouhandicap?Celadépendraitdescompétencesde la femme aux secrets qui sentait comme sa femelle. La lourde couche nuageuse, en revanche, étaitassurémentundonduciel,danslamesureoùelleempêchaitlalumièredelalunedefiltrer.Naasirétait
capabled’utilisercettedernièreàsonavantage,soncorps,celuid’unfantômeenmouvement,maisellesouligneraitlapeaucouleurmielsitentanted’Andromeda.
Rôdant le longdesanglesdumur, ilobserva lesgardes,écouta leursconversationset lorsque l’und’euxréponditàl’appeldelanatureaumomentexactoùl’escouadeaérienneinclinaitsesailesdansuneautredirection,ilseglissapar-dessuslemurjustesousleurnez.
Rusé,furtifetinvisible.Se souvenant des conseils de Jason, il ne fit pas couler le sang et ne laissa aucune trace de son
passage en franchissant le second mur d’enceinte pour sauter dans la cour intérieure. Sans aucunedifficulté, il atterrit en position accroupie sur les pavés, ses pieds nus absorbant l’impact de tout soncorpssansqu’iltressaille.
Viandelégèrementavariée,sang,etlesmiasmeshorriblesdelapeur.Prédateur à l’aise dans la nuit sans lune, il avançavers la viande sale qui avait dû rester sous le
soleilpendantdesheures.Lachosevivait,s’aperçut-illorsqu’ilfutplusprès.Envie,etmarquéeparlesodeurs de nombreux chiens. Les plumes lui apprenaient qu’elle avait été un ange avant de servir denourritureàdesmolosses.L’angeétaitmaintenantenpièces,bienquesatêterestâtattachéeàsonépinedorsalequiluisait,exposée.
Qu’elle soit épuisée ou simplement affaiblie, la viande était immobile. Seule papillonnait unepaupièreclose–commesil’angeétaitentrainderêver.Sonautreorbiteétaituntroubéantobstruépardes liquides visqueux qui soit avaient séché au soleil, soit prouvaient que le corps cherchait à serégénérer.
Labrutalitén’intéressaitpasNaasir.Ilavaitététémoindeplusd’unchâtimentsanspitiéaufildessièclesetn’allaitpascondamnercelui-làsansenconnaîtrelesdétails.Cequil’intéressait,enrevanche,c’étaitleparfumquis’attardaitautourdel’homme.
Andromeda.Elles’étaittrouvéelàpeuauparavant.Pourquoi?Ilregardadenouveauletasdechairetlapenséeluivintquelafemmequisentaitcommesafemelle
avaitpeut-êtrelecœurtendre.D’aprèslestracesolfactivesqu’elleavaitlaissées,ilpouvaitendéduirequ’elles’étaittenue,oumêmeassise,prèsdelatêtedel’ange.Probablementpourtenterdeluiapporteruncertainréconfort.
Il décida qu’il aimait l’idée d’une partenaire au cœur tendre, avant de suivre sa trace dans lacitadelle.Repérantuncourtisanangéliquedevantlui,ilsautaauplafondets’yaccrochadesesgriffes.Ilselaissaretomberausoldèsquelecourtisanfuthorsdeportéed’oreilleetcontinuaàtraquerl’odeurunique,délicieuse,desonérudite-guerrière.
Lespistesserecoupaientàmaintesreprises.Ilnefaisaitaucundoutequ’Andromedaavaitexplorélacitadelle dans le but de s’en échapper. Mais les sens de Naasir étaient aiguisés et il n’eut aucunedifficultéàidentifierlaplusfraîche.
Alors qu’il s’était glissé derrière un mur afin d’éviter un garde, il se retrouva piégé entre deuxindividus venant de directions opposées. Il ne perdit pas de temps et grimpa de nouveau au plafond.Personnene levait jamais lesyeux.Onauraitpenséque lesanges le faisaient,maisune foisentredesmurs, cela n’arrivait jamais. C’était comme si leurs ailes leur faisaient oublier qu’il y avait d’autresmoyensdes’éleverquelevol.
Ilavança le longduplafondà l’aidedesgriffesdesesmainsetdesespieds,attentifànepas lesplanter tropprofondémentafinquesonpassagenedégagepasdepoussièreetn’effritepas laparoi. Ils’amusadeseretrouverjusteau-dessusdelatêteroussedePhilomena.Ilavaitenviedesautersurelleencriant«bouh!»maischoisitd’attendreunautrejourpourcela.
Cesoir-là,saprioritéavaitpournomAndromeda.Ilescaladaladernièrepartied’unmur,prituntournantetsefigeadanslesombres.Xi.Sil’onsefiaitàcequ’ilsavaientapprisaucoursdelabatailleau-dessusdesruesdeNewYork,Xi
n’atteignaitunniveaudepuissance terrifiantque lorsqueLijuan lenourrissaitdepouvoir,maiscelanechangeait rien à son esprit tactique et à son entraînement militaire. Il était dangereux et Naasir lerespectait,voyantenluiunautreprédateur.SiXin’avaitluttédanslecampennemi,Naasirl’auraitinvitéàallerboireunverrepourdiscuterstratégiesaveclui.
Leschosesétantcequ’ellesétaient,ilrestaimmobile.Xis’arrêtajustesousl’endroitoùNaasirétaitaccrochéaumur,sonattentionattiréeparunvampire
quiémergeaitd’unautrecouloir.—Oui?L’hommeminces’inclinaprofondément.— L’érudite a rejoint sa chambre. Elle est restée avec Heng jusqu’à ce qu’il perde de nouveau
conscienceetluiaracontédeshistoiressurdesêtresfantastiques.Naasireutunlargesourire.Ilnes’étaitpastrompé,elleavaitlecœurtendre.—Une tellegentillesseest à attendrede lapartd’une intellectuelle, réponditXi aumême instant.
Autrechoseàsignaler?—D’aprèssesdéplacements,ilsemblequ’ellechercheunmoyendes’échapper.—Cequin’estguèresurprenant, rétorquaXi, sansqueson ton laissepercer lamoindre irritation.
Fais-luivisiter labibliothèquedemain.Celaladistrairaet luioffriraunautreexutoireàsafrustration.(Ximarquaunepause.)Faisattentionavecelle.
Naasir entendit lamême chose qui poussa le vampire à s’incliner de nouveau profondément : unelégèretouchedepossessivité.IlsemblaitqueXitrouvaitAndromedaattirante.Naasireutenvied’égorgerl’ange,etdutplanterplusprofondémentsesgriffesdansleplafondpours’empêcherderéagiràl’instinct.SiXipensaitparveniràséduireAndromeda,ilavaittoutfaux.
Legénéralétaittropcivilisépourelle.Xinecomprenaitpaslessecrets,nevoyaitpasquel’éruditedeNaasir aimait fairedanserune lameet sebattre, qu’elle avait le sang chaud.Cette vérité cachée àl’esprit,ilconservasapositionétiréependantuneminuteentièreaprèsledépartduvampireetdeXi.Cene fut qu’alors qu’il se laissa tomber sans bruit sur le sol de pierres et traqua la piste olfactived’Andromeda.
Lesgardesétaientmoinsnombreuxdanscetteaile.Naasircomprenaitpourquoi–situéedansunangledelacitadelle,elledonnaituneimpressiondelibertéàcausedunombredesesfenêtresetdesesportes,maisl’extérieurétaitlourdementsurveillé.Andromedaavaitfaitpreuved’intelligenceenn’essayantpasdefuirdanscettedirection.Sielleétaitpartieparlavoieterrestre,elleauraitétéclouéeausolparleschiensdemeutequeNaasirsentait.Parlesairs,lesescadronsvolantsl’auraientinterceptée.
Leschienspouvaients’avérerproblématiquessilapluienevenaitpas.Naasirétaittoutàfaitcapabledesechargerd’eux,maiscelaseraitunedistractionennuyeuse.Deplus,ilyavaittoujourslerisquequequelqu’un remarqueque les chiens s’éloignaient engémissant,queueentre les jambes,depuisunpointbienprécis.
Ilatteignitlaportederrièrelaquelleilreniflaitlaprésenced’Andromeda.Oreilletendue,ilpatienta.Aucun bruit. Il sourit et, au lieu de tourner la poignée, gratta légèrement au panneau de bois sculpté.Quelquessecondesplustard,onluiouvrait.Andromedal’agrippaparsontee-shirtvertoliveetletiraàl’intérieur,avantderefermersilencieusementderrièrelui.
Elleavaitlesjouesmarbréesderougelorsqu’elleseretournaverslui.
—Qu’est-cequetufaislà?demanda-t-elle.Ilvitàsoncouquesoncœurbattaitlachamade.Ilavaitenviedel’embrasser,maissecontentadece
qu’ilrestaitsurunplateaudenourritureposésuruneconsole.—Jeviensàtonsecours.
Andromeda en resta bouche bée. Son cerveau luttait pour analyser ce qu’elle venait d’entendre.
Naasirétaitvenulachercher.Aucœurmêmeduterritoireleplusdangereuxaumonde.—Est-cequeRaphaelt’envoie?Naasirterminalaviandequ’elleavaitlaisséedanssonassietteetrepoussalescheveuxargentquilui
étaienttombésdevantlenezpendantqu’ilmangeait.—Jen’avaispasbesoinqu’onm’envoie,dit-il,unbasgrognementsefaisantentendredanssavoix.
MaisleSirem’aidedansmatâche.Jasonestici.—Lemaîtreespion?Vousêtestousdeuxentrés?Jambesflageolantes,elles’assitsurlelit.Elleneparvenaitpasàimaginercommentilss’yétaient
prisalorsqu’elle-mêmes’étaitcreusélesméningessanssuccèspourchercherunmoyendefuir.—Onracontequepersonnen’ajamaisinfiltrélacitadelle.Commentavez-vousréussi?Naasirs’accroupitfaceàelle.Illuidonnaunepichenettesurleboutdunez.—Sionteleditetquetulenotesdansteslivresd’histoire,celaneseraplusunsecret.(Seposant
sursonarrière-train,ilsepenchaverselle.)Nemetspasçadansteslivres.—Promis,murmura-t-elle.Elleétaitfascinéeparcettecréaturesauvage,absolumentsuperbe,quiétaitvenuelasauver,elle.Ellen’étaitpasfemmeàavoirlecontactfacileetd’ailleurs,onl’avaitrarementtouchéeelle-même.
MaiselleseretrouvaàprendreencoupeunejouedeNaasiretàlabercer.Ilinclinalatêteetsefrottacontresapaume.Ilavaitlapeaudouce,sansaucunebarbenaissante,etAndromedaenfrissonna.LorsquelesmèchesdecheveuxdeNaasirvinrentcourirlelongdudosdesamain,elleeutviolemmentenviedeplongerlesdoigtsdanscettesoieépaisse.
—Plustard,dit-il,paupièreslourdes.Nousdevonsd’abordnouséchapper.Ilselevaetluitenditlamain.Ellelapritsanshésiteretluipermitdelaremettresurpied,remplied’espoiretd’excitation.—Attends,l’arrêta-t-ellealorsqueNaasirsepréparaitàavancerverslaporte.Récupérant ses couteaux, elle sortit et déroula un dessin de la citadelle que Suyin avait
subrepticementréalisépourelle,puisparlaàNaasird’unportailquel’architecteluiavaitconfiéavoirdissimulédanslemurextérieur.
—Jenepensepasqu’ellemente,conclut-elle.Naasirplialecroquisetlerangeadansunepochedesonpantalondetreillis.—J’enparleraiàJason,maisnousnousenfuironsparunautrechemin.Illuipritdenouveaulamainunefoisqu’elleeutrassemblésescouteauxdansl’autre.Butée,ellenebougeapasd’unpouce.—EtSuyin?Naasirseretournaverselle.Sesyeuxargentétincelèrent.—T’extraired’iciseradéjàassezdifficile–nousnepouvonspasprendrequelqu’unenplus.—Elleestmonamie,prisonnièreicidepuisdesmilliersd’années.Andromeda voulait croire que la nièce de Lijuan n’était pas une espionne mais bien une autre
captive.Elleétaitprêteàcourircerisque.Siellesetrompait,ellevivrait–oumourrait–aveclepoidsdecetteerreur,maiss’enallerétaitimpossible.LesouvenirdelatristessedeSuyinlahanteraitàjamais.
Unsondur,primitif,s’échappadelapoitrinedeNaasir.—Où?demanda-t-ild’unevoixrâpeusequiembrasalessensdelajeunefemme.Elleréprimalefrissonqu’ilavaitprovoquéetdécrivitoùsetrouvaitlasuitedeSuyin.—Valarejoindre,luidit-ilunefoisqu’elleeutterminé.Comporte-toicommesitun’arrivaispasà
dormiretavaisbesoindecompagnie.Attends-moichezelle.Alorsqu’elleétaitsurlepointdequitterlapièce,ellesetournaversluieteffaçaunplidutee-shirt
deNaasirqu’elleavaitcauséenletirantàl’intérieur.Àl’instantoùelleavaitentendulegrattement,elleavaitsu.
—Mercid’êtrevenupourmoi.Naasiresquissaunsourireféroce.—JetrouveraileGrimoire,alorsprépare-toiàt’accoupleravecmoi.Enunclind’œil,lapeurqu’elleéprouvaitenverscequ’ilssepréparaientàaccomplirsemuaenune
chaleuragitée.—Concentre-toisurnotrefuite.—Jelesuis.Toutcommejesuisimpatientd’obtenirmarécompense.Venantd’uneautrebouche,cesmotsl’auraientmisemalàl’aise,commes’iltentaitdefaired’ellesa
débitrice.Mais de la part deNaasir, la déclaration était si honnête, si ouverte qu’elle n’en était queflattée.Ettroublée.
—Onserevoitvite.—File.Ellequittalachambre,laissalaporteouverteetsedirigead’unpastranquilleverslasuitedeSuyin.
Ellesavaitqu’onlasurveillait,maisnejetaaucuncoupd’œilautourd’elle,concentrantsonattentionsurlesœuvresd’artauxmurs.
Suyinétaitéveillée.—Jedorsrarement,luiavoua-t-elledepuissoncanapépréféré.Ilflottaitdansl’aircommeuneétrangeodeurdechairgrillée.Andromeda frissonna en se rendant compte que quelque chose d’horrible s’était produit depuis
qu’ellesavaientdiscutéensemble,seulementquelquesheuresplustôt.Elleremarqualesnouvellesridesquimarquaientlabouchedesonamie.Elleallas’agenouillerdevantelleetprit lamainmoitedecettedernièredanslasienne.
—Tusouffres.Unlégersourire.—Xiestvenumerendrevisiteaprèstondépart.Ilestimaitquemonaileserégénéraittropvite,eta
doncordonnéqu’ellesoitexciséejusqu’àsacourbeinterne.Poings fermés et dents serrées à tel pointque sa joue en fut agitéed’un tic,Andromedavérifia la
cicatricefraîchementcautérisée.Ladouleuravaitdûêtreatroce.Sachantqu’ellenepouvaitrienyfairemaintenant,elleravalasafureuretsoupesaduregardlarobed’unblancéthérédeSuyin.
—As-tuunetuniqueetunpantaloncommelesmiens?L’expressiondeSuyin,altéréeparladouleur,sefitplusvive.—Oui,mais si tuprévoisde t’échapper,n’essaiepasdem’emmeneravec toi. Jene feraisque te
retarder,dit-elle,leregardclair,lesyeuxemplisdelarmes.Matantenemetuerapas–aprèstout,jefaispartiedelafamille.
AndromedaserralamaindeSuyin,sifine,sidélicate.— Je ne partirai pas sans toi, rétorqua-t-elle d’un ton sans réplique. Alors change-toi, parce
qu’autrementtaroberalentiratesmouvements.
LeslèvresdeSuyintremblaient,maissesmotsrésonnaientd’unerésolutiondefer.—Jeunette,jen’aiqu’uneaile,dit-elleentapotantlajoued’Andromedadesamainlibre.Jechérista
loyauté,maisjerefused’entireravantage.Jenepeuxpasvoler,jeseraiunfardeau.—Nousnevoleronspas,coupaAndromeda.(Ellesongeaàlacréaturesauvagequ’elleavaitlaissée
danssachambre,cellequiavaitpénétréenterritoireennemipourelle.Pourelle.)Nousnousdéplaceronscommedestigres.
C’étaitlapremièreimagequiluivenaitàl’espritlorsqu’ellepensaitàNaasir:untigre,meurtrieretfurtif.
—Destigres?—Tuverras.Maintenant,vatechanger.Suyinnecherchaplusàargumenter,mêmesià sonexpressiononvoyaitbienqu’ellepensaitqu’il
s’agissaitlàd’unrisqueidiot.Elledisparutdansuneautrepartiedesasuitepourenrevenirvêtued’unepaire de leggings bleu foncé et d’une tunique d’un bleu légèrement plus pâle. Elle porta la main àl’écharpemarronfoncédontelles’étaitcouvertlescheveux.
—J’aienfilécequej’avaisdeplussombre.Lecieltremblaaumêmeinstantsousuncoupdetonnerre,etlapluiesemitàtambouriner.—Leschiensnepeuventsuivreunepisteaveccetemps,remarquaAndromedaensouriantdetoutes
sesdents.Ilestécritquenousdevonsfuircesoir,aucundoute.EllefinissaitàpeinesaphrasequeNaasirseglissaitdanslapièce.Yeuxécarquillés,Suyinportala
mainàsabouche.Naasir,aprèsl’avoirobservéedehautenbas,lança:—Vousn’avezqu’uneaile.Est-cequevotreéquilibreenestaffecté?Laquestionbrutalefitcillerl’angequilaissaéchappersaréponse:—Oui.Celameretardeaussisijedoiscourir.Les yeuxdeNaasir rencontrèrent ceux d’Andromedaqui se tendit.Elle savait que la solution que
Naasir n’avait pas pris la peine de formuler tout haut était la bonne, mais il faudrait encore torturerl’architectealorsqu’elleneleméritaitpas.
Lorsque cette dernière reprit la parole, sesmots prouvèrent qu’elle aussi était arrivée à lamêmeconclusionqu’eux.
— J’aurais déjà coupé mon aile restante moi-même pour m’échapper si ça ne causait pas unsaignement aussi important. La douleur de l’excision est terrible et il est probable que je resteinconscientependantuneheureaumoins.Quantàlapertesanguine,ellem’affaiblirapendantbienpluslongtemps.
Andromedabouillaitdecolère,maiselles’efforçaderéfléchir.—Nouspouvonsbrisertonaile.Une alternative qui serait également douloureuse, mais qui ne devrait pas provoquer
d’évanouissementoulegenred’hémorragiedonts’accompagnaitl’excision.Andromeda s’était cassé une aile lorsqu’elle était bien plus jeune. Elle avait été prise dans une
bourrasque qui l’avait projetée contre l’à-pic de la gorge. Elle connaissait le type de douleur qui enrésultait – de ce qu’elle avait pu voir, Suyin avait développé un seuil de tolérance bien plus élevé,conséquencesdecesexcisionsrépétées.
—Unefoisqu’elleseracassée,ajoutal’érudite,onl’attacheraàtondos.Commeunéventailreplié.Ainsi,l’airnes’yengouffreraitpas.Suyinprituneprofondeinspirationetopina.—Lesosguérissent.
Surcettedoucepermission,Naasirserapprochad’elle.Ilattrapaunpetitcoussinquisetrouvaitsurl’undescanapésetleluitendit.
—Étouffezvoscris.Tandis que Naasir se livrait à son horrible tâche et que Suyin en supportait les conséquences,
Andromedagrimpasurunechaiseetdécrocha lesépéessuspenduesaumur.Peut-êtreavaient-ellesétéinstallées là pour narguer et terroriser Suyin, mais elles étaient aiguisées comme des rasoirs et bienentretenues.L’éruditeenlaissauneàregret;ellenepouvaitemporterlesdeuxsansunfourreau.
Quant à ses couteaux, elle les mit de côté pour Suyin, qui n’avait aucun entraînement dans lemaniementdel’épéeetlatrouveraitencombrante.Lescouteaux,enrevanche,s’utilisaientàl’instinct.
Cecifait,elleportal’épéejusqu’auxdrapsmalheureusementblancsdeSuyin.Quandelleeutfinidelesdécouper,Naasiravaitluiaussiachevésasombremission.L’ailedel’architectependaitsansvie,etbienquesonvisagesoitaussiblancquesescheveux,ellen’avaitpasperduconnaissance.Utilisantleslonguesbandesdetissu,AndromedaetNaasirattachèrentl’ailebriséeetrepliéedeSuyincontresondos.
—Onapresquefini,larassuraAndromedalorsqu’ellesentitSuyintrembler.ElleenroulaladernièrebandeautourdescôtesdeSuyin,avantdelanouer.—Voilà.Ellenes’arrêtapaspourréfléchiretpritavecdouceursonamiedanssesbras.Ellelatintcontreelle,
laberçantlentementjusqu’àcequeSuyinlaisseéchapperunsoupirhachéetserecule.—Vous avez été forte, commentaNaasir d’un ton approbateur tout en sortant de sa poche ce qui
ressemblaitàunpetittéléphone.Est-cequevotreéquilibreestmeilleur?Suyinpritlescouteauxqu’Andromedaluitendait,puismarcha,avantdecourirsansbruitautourdela
pièce.—Oui.Maisjenesuispashabituéeauxexercicesfatigants.—Nousnecourronspasbeaucoup,luiassuraNaasirquis’étaitrapprochéd’Andromedapourtirer
sursanatte.Prête?Elleleval’épée.Sonfilmeurtrierbrilladanslalumière.Naasireutunlargesourire,Suyinaffichaitunesatisfactioncoléreuse.—Quellesuperbeironiequel’instrumentdematorturenousaidemaintenantdansnotrefuite.—J’aicontactéJason,leurappritNaasir.(Soudain,ilétaitredevenul’hommedangereuxappartenant
aucercledes intimesd’unArchange.) Ilvabientôtprovoquerdes troublesdansuneautrepartiede lacitadelle.Vous devrez alors devenirmes ombres, ordonna-t-il. Je suis l’alpha.Vous suivez. (Ses yeuxextraordinairessoutinrentleregardd’Andromeda.)Paspourtoujours.Maispourlemoment.
Ellefutétrangementheureusequ’ilaitclarifiésesdires.—Jusqu’àcequenousnoussoyonséchappés,acquiesça-t-elle.Naasir se fit silencieux, tête légèrement penchée.Puis il sourit de nouveau.Ses dents étaient d’un
blancéclatantcontrelenoirluxuriantdesapeau.—Jasonesttrèsintelligent.Andromeda ne savait pas ce qu’il avait entendu, mais le sol vibra sous le martèlement de pas
précipitésquelquessecondesplus tard.Toussedirigeaientvers l’autreboutde l’enceinte.Descris sefirententendrepeuaprès.
—LesRessuscités,commentaNaasiravecunsourireféroce.Jasonlesaramenéschezeux.(Ilprituneprofonde inspirationet son regardscintilla.)Et ilaalluméun incendie. Iln’yapluspersonne ici,conclut-ilenouvrantlaporte.Allonsjouer.
Chapitre14
«Allonsjouer.»Unetellebravadeauraitpupasserpourdel’inconscience,maiselleétiraleslèvresd’Andromedaen
unfrancsourire.Lorsqu’ellejetauncoupd’œilàSuyin,elles’aperçutqu’elleaussiavaitl’airréjoui– elle affichait un sourire étonné. Naasir provoquait ce genre de réaction. Tous trois traversèrentrapidementlecouloir.Naasirnefaisaitaucunbruit;AndromedaetSuyinn’étaientpasaussisilencieuses,maiss’yappliquaient.
LorsqueNaasir leva lamain, la jeune ange se figea et rattrapa l’architecte quimanqua trébucher.Posantundoigtsurseslèvres,Naasirbondit.Ilétaitaccrochéauplafondavantqu’Andromedanesaisissecequ’ilsepassait.Sabouches’assécha.Leregardanttourneraucoinducouloir,elledutseretenirdelesuivre.Soninstinctprotecteurétaitréveillé.
Naasirfutvitederetour.Lorsqu’ilsempruntèrentensemblelemêmechemin,elledécouvrit l’undesesgardesvampiriquesaffalécontrelemur.
—Ilest…—Vivant,lacoupaNaasir,qui,sansprévenir,ouvrituneporte.Entrez.Ellesplongèrentdanslapièceoùillessuivit.Ilrepoussalebattantderrièrelui,ycollal’oreille,ses
yeuxluisantd’unargentliquidedansl’obscurité.—XiaenvoyédesgensvérifiercequeSuyinettoifabriquiez.Ilouvritetsortit.Cettefois-ci,Andromedalesuivit.Naasiravaitdéjàimmobiliséungardeet,soussesyeux,enattrapaunautreparlecouetleluitordit.
Propresetefficaces,sansdésirdecauserunedouleurinutile.Elleretournaàlapiècequ’ilsvenaientdequitter,ensortitSuyinettoustroisavancèrentaussivite
que possible le long du couloir. Ils durent se glisser dans une autre chambre pour échapper à unepatrouille.Tandisqu’ilss’ytrouvaientencore,Suyinlançabrusquement:
—Jeconnaiscettepièce.J’yaiconstruituneentréespécialepourletunnel.NaasiretAndromedaladévisagèrent.—Queltunnel?demandalajeunefemmequisedemandaitsifinalementsonintuitionnel’avaitpas
trompée.Tum’asditqu’iln’yavaitpasd’autrespossibilitésdefuirqueleportailsecretdanslemur.Levisagedélicatdel’angeaffichaitunairsipenaudqu’ilétaitimpossibledenepaslacroire.—J’oubliedeschoses,admit-elle.LeSommeilaceteffet,commejenereste jamaissuffisamment
éveilléepourm’enremettrecomplètement.Jecroisquelatrappeestlà,dit-elleenavançantjusqu’àunsofaélégantauxpiedsdebois.
Naasirledéplaçaetrepoussaletapispourexposerunplancherlisse,sansdéfaut.
—Où?Suyinsebaissa,aprèsavoirenfoui lescouteauxdans lesbandesde tissuquimaintenaientsonaile
contresondos.Andromedaluiattrapalebras.—Attention,murmura-t-elle.Nepenchepasledos,utilisetesgenoux.Mêmece simplemouvement imprimadesplisdedouleur auxcoinsdesyeuxdeSuyin,mais c’est
avec des doigts assurés qu’elle commença à appuyer sur ce qui semblait être des points de pression.Andromedaenprofitapourbloquerl’accèsàlapièceencoinçantunechaisesouslapoignéedeporte.Derrièreelle,latrappes’ouvritdansunnuagedepoussière.
Agitant la main devant son visage après avoir étouffé un éternuement qui crispa violemment sesmusclesetluifitmonterleslarmesauxyeux,Suyinbaissalatête.
—Letunnelmèneàl’extérieur.IlaétéconçucommeuneéchappatoirepourlesgensdeLijuan.Naasirselaissatomberdansletrou,puisenressortitavecuneforceetuneagilitéquidonnaientenvie
àAndromedadelecontemplerpendantdesheures.—Nousn’ironspasparlà,déclara-t-ild’untondéfinitif.Déçue,maispasvraimentsurprise,elledemanda:—C’estunpiège?—Oui.Ils’endégageuneodeurd’excrémentsfraisetdeRessuscités.Seslèvresserelevèrentpourrévélersescrocs.—Jenesavaispas.(Elledéglutitnerveusementetsefrottalescuissesdesesdoigtstremblants.)Sur
monhonneur.—Vous ne puez pas lesmensonges, la rassuraNaasir en jetant un coup d’œil au tunnel.C’est un
piège,maisnouspouvonsleretournercontreceuxquil’ontconçu.Ilabaissalatrappeetregardaletapisetlesofaqu’ilsavaientrepousséssurlecôté.—Maintenant,onsecache,ordonna-t-il.Andromedan’étaitpassûrequecesoitunebonneidée,maiselleavaitpromisd’avoirconfianceen
Naasir.Ellelesuivitdoncdansledressingsurlecôtédelachambre.Toustroiss’yengouffrèrentetn’enbougèrentplus. Ilsn’eurentpas longtempsàattendre.Descoups retentirentbientôtcontre laporte,quifinitparcéder.Unflotdegardessedéversadanslapièce.
Desexclamationsfusèrent,puisilsentendirentqu’onsoulevaitlatrappe.AndromedasesaisitdelamaindeSuyinlorsquecelle-cisemitàtrembler.Elleétaitprobablement
terrifiéeàl’idéedecequeLijuanluiinfligeraits’ilsétaientdécouverts.Andromedanefutpassurprisede sentirNaasir étreindre l’angeblessée. Ilpouvaitbienêtremeurtrier et sansaucunecivilitédans savraiepeau,ilétaitégalementdouéd’unebontéd’âmedontXiseraittoujoursdépourvu.
Lavoixdugénéraltranchal’airaumêmemoment.—Donnez-leur la chasse.Maintenant.Ne permettez pas auxRessuscités d’atteindre l’érudite. (Il
juradanssabarbeavantdelancerdenouveauxordres.)Assurez-vousquel’autreextrémitédutunnelestsoussurveillance,sijamaisilsparvenaientdel’autrecôté.
—Àvosordres,général.Lecalmerevintpeudetempsaprès.LorsqueNaasir confirmaque lapièceétaitvide, ils seglissèrenthorsdudressinget sedirigèrent
verslaporte.Cettefois-ci, ilsnerencontrèrentpersonnedanslescouloirs.Sortantdanslanuitcingléepar la pluie,Andromeda aperçut la langued’une flamme jaunequi s’échappait d’une fenêtre dans unesectiondistantedelacitadelle.
Lapluienesuffiraitpasàéteindreunincendiequiavaitdémarréàl’intérieur.Oui,lemaîtreespionétaitrusé.
LorsqueNaasirluitenditlamain,ellelapritsanshésiter.Commedel’autreelletenaitlagardedel’épée,elledemandaàSuyindes’accrocheràlabandedesonpantalonsoussatunique.
Lemondeétaituneobscuritéopaqueetmenaçante,maisNaasirs’ydirigeaitcommes’ilyétaitné.LorsqueSuyintrébucha,sesjambesmenaçantdelalâcher,NaasiretAndromedalaprirententreeux,
lasoutenantpar la tailledechaquecôté toutenprenantgardedenepaspesersurelle. Ils l’aidèrentàatteindreuneportelelongdumurintérieur.Ducoindel’œil,Andromedaperçutunmouvement.Elleagitsanshésiter,tranchantl’airdesonépéeaupointdepresquedécapiterunvampire.
Iltombaausolenémettantdesgargouillements.C’étaitlapremièrefoisqu’elleblessaitréellementquelqu’unetunepartied’ellevacilla,labilelui
montantàlagorge.Cettepartied’elleportaitlenomdelajeunefillequ’elleavaitété,cellequis’étaitenfuied’unedemeureoùlabrutalitérégnaitauquotidienetoùlagentillesseétaitconsidéréecommeunefaiblesserisible.Lerested’ellecomprenaitqu’ilnes’agissaitpasdeviolencegratuite.Maisdesurvie.Etpasuniquementdelasienne,maisaussicelledeSuyinetNaasir.S’ilsétaientpris,lechâtimentseraitsanspitié;cesmêmesgardeslestortureraientsionleleurordonnait.
LesyeuxdeNaasirscintillaienttandisqu’illaregardaitàtraversledéluge.—Arrêtedejouer,ondoityaller.Elleallaitserenfrogner,puisserenditcomptequec’étaitluiquijouait–avecelle.Pourqu’ellene
pensepasausangqu’ellevenaitderépandre.Elleenéprouval’enviedel’embrasser,maissecontentad’aiderSuyinàpasserleportailtandisquelapluielavaitlestachesécarlatesquimarquaientsonépée.
Lachancelesabandonnaalors.Troissentinellestournèrentàl’angledumuretrepérèrentaussitôtleurpetitgroupe.Naasirfutsureux
unesecondeplustard,maisilétaitseulcontretrois.LaissantSuyinappuyéecontrelemur,Andromedasejetadanslabataille.Impossibledelaissercesgardessonnerl’alarme.
Sa cible était entraînée,mais ne s’attendait pas à ce qu’elle le soit. Elle lui trancha la gorge, lelaissant agripper désespérément l’entaille sanglante. Quand elle se tourna vers Naasir, il s’était déjàchargé des deux autres. Remarquant la sentinelle dont elle s’était occupée, il frappa l’homme sur latempe,luifaisantperdreconnaissance.
—Ilauraitpuvoirladirectionquenousprenionsetnoustrahir.—Désolée.J’étaisinquiètepourtoi.Ilinclinalatête,lapluieluidégoulinantsurlapeau.Puisilsouritetallaprendredanssesbrasune
Suyintremblante.Colléeàsoncôté,Andromedasurveillaitleursarrièrestandisqu’ilscouraientjusqu’àuneportedeserviceménagéedanslemurextérieur.Cettefois-ci,personnenelesremarquaetilsfurentvitedehors,maisloind’êtrelibres.
L’enceinteétaitcernéedevastesprairiesdontlesherbesétaientpourlemomentcouchéesparleventet la pluie. Elles n’offraient aucune cachette. La distance jusqu’à la couverture des arbres semblaitinterminablequanddessentinellesvolantestraversaientconstammentlescieux.
—Commentallons-nousnousyprendre?demanda-t-elleàNaasir.—Couchez-vousetlaissezleventpencherlesherbessurvous.(IldéposaSuyinausoletrecouvrit
délicatementsesbandagesdeterrepourqu’ilssoientmoinsblancs.)Rampezsurleventre.Soyezlechatàl’affûtdesaproie.
—Mesailes?—Tiens-lesaussiserréesquetupeux.Pasdemouvementsbrusques.Allez!Lesolétaithumideetboueux,maisAndromedaobéitauxconseilsdeNaasir.Toustroiss’éloignèrent
suffisamment les uns des autres pour que, vu du ciel, chacun ne semble être rien de plus qu’un carréd’herbesboueux.Laprogressionétaitdifficile. Ilsdurent s’immobiliseràplusd’une reprise lorsqu’un
angevolaittropprèsd’eux.Lesoufflehaché,Suyinfaisaitdesonmieux,maiselleperditconnaissanceàmi-chemin.
AndromedaaidaàlamettresurledosdeNaasiretilportal’angeblesséetoutlelongdelaroute.Quandilsatteignirentenfinlesarbres,lesmusclesd’Andromedatremblaient.Elleétaitcouvertede
boue.Elleutilisa lapluiequi luidégoulinaitduvisagepourse laveretconstataqueNaasiravaitdéjàassisSuyincontreunarbre.
—Jen’arrivepasàcroirequeçaamarché.Elletournaitsouslapluiedansl’espoirdesedébarrasserduplusgrosdesessalissures,etregardait
ladistancequ’ilsavaientparcourue.—Lapluieaaidé.Autrement,ilnousauraitfallunouscacheretattendrequ’uneautreopportunitése
présente.Aprèscettecourtepause,Naasirsoulevadenouveaul’architecteetconduisitAndromedaà travers
lesarbres.Cesderniersneparvenaientpasvraimentàlesabriterdudéluge.—JasonaprobablementchassélaplupartdesRessuscités,maisleurodeurestencoreprégnante.Il
enrestepeut-êtrequelques-uns.L’épéebrandieenpositiondecombattandisquel’aversecontinuaitdetomber,Andromedarestaitaux
aguets,cherchantduregardlesignoblescadavresambulants.LorsqueNaasirlâchadansunsifflement:—Àgauche.Ellepivota,l’épéedéjàdressée.Unetêtetranchéeroulasurl’herbequelquessecondesplustard.LesangjaillitducorpsduRessuscité
quandiltomba,maisAndromedaréussitàsedéplacersuffisammentvitepouresquiverleséclaboussures.—Mercipourlamiseengarde.Unefoisencore,lapluienettoyasalame.Tout comme celle de son père lorsqu’il avait un jour méthodiquement découpé un vampire en
morceaux.Naasircherchaitàliresursonvisage,commes’ilpouvaitsentircombienelleétaitperturbéeparla
violenceimpitoyabledontellefaisaitpreuve.—C’esteuxounous.TunetorturespaslesRessuscités,tunelesblessespassansraison–tuluttes
pourtasurvie.C’estledroitden’importequellecréature.Andromedahochanerveusementlatête.—Oui.Peut-être que les Ressuscités avaient été des innocents avant leur transformation, mais ils étaient
maintenant une abomination. Quant aux gardes, ils auraient tué Naasir s’ils en avaient eu la moindreopportunité.
Mâchoireserrée,lamainagrippéeàlagardedesonépée,Andromedadéclara:—Jenelaisseraipersonnetefairedumal.Aulieuderiredecettedéclarationquidevaitparaîtreridiculeàunhommeaussidangereuxquelui,
seslèvress’incurvèrentenunsouriresatisfait.—Jesavaisquetum’aimaisbien.Andromeda se surprit à rire doucement, puis vérifia le pouls de Suyin. Il était encore plus faible
qu’ellenelecraignait.—Ellerisquedetomberenanshara,commenta-t-elle.Entempsnormal,lesommeilréparateurquis’accompagnaitd’unétatdesemi-conscienceaidait,mais
ilseraitunsérieuxhandicapsiNaasirdevaitporterSuyindurantleurfuite.
—Lesangesseraientbienplusefficacess’ilspouvaientboiredusang,réponditNaasirsurletondelaconversation.
— Eh bien… j’imagine que ce n’est pas faux. (Cela procurerait un regain d’énergie immédiat àSuyin.)As-tujamaisnourriquiquecesoit?
Naasirluilançaunregardintrigué.—Tuveuxmegoûter?Ellenefutpasrebutéeparlaquestion,commen’importequelleéruditeciviliséeleserait.—Non,finit-ellepardire,toutenayantlesentimentdeprononcerunmensonge.—Moi,jeveuxtegoûter.Tumenourrirassij’enaibesoin?Laquestions’accompagnaitd’unsouriremalicieux.— Bien sûr, affirma-t-elle en essayant d’adopter un ton pragmatique alors que l’idée de Naasir
prenantsonsanglarendaitfébrile.Tuesmaseulechancedemesortirdelà.Il grogna dans sa direction et resta silencieux durant les dix minutes suivantes tandis qu’ils
progressaientàtraverslaforêt.Ellefinitparneplusytenir.—Arrêtedebouder.Unnouveaugrognement.Ilpivotaverselleetluiclaquadesdentssouslenez.Ellesursauta,mêmesielleavaitcruêtrepréparéeàune réactionagressive.Mâchoire tendue,elle
lançaunregardfuribondàNaasir.—Montre-moilesdentsencoreunefoisetjetemordrai.Ellenesavaitpasd’oùcesmotsluivenaient,probablementdesonirritation.Lesyeuxfixéssurelle,ilallaitluirépondrelorsquesesnariness’évasèrent.—Ressuscités,annonça-t-il.IldéposaSuyincontreunarbredontletroncétaitassezépaispourlaprotéger.Andromedan’avaitpasbesoinqu’onluidiseoùsemettre.EllesepositionnaderrièreNaasir,Suyinà
sagauche.LedosdeNaasirappuyaitcontresesailes,maisellesavaitquepourunefoisilnesemontraitpasprovocateur.
—Prendsgardeàtesailes.Ellesesouvintalorsqu’ilétaitmainsnues.—Tudisposesd’armes?Unrirejoyeuxluirépondit.—Oui.Puis ilsn’eurentplus le loisirdeparler.LescréaturesaffaméesauxyeuxvidesdeLijuanjaillirent
desboisquilesentouraient.
Chapitre15
Naasirpuisajusqu’aucœurprimairedesanature.Sesgriffessortirentetsescaniness’allongèrent.Sa vision trancha dans le noir comme une lame et son odorat se décupla. Tous signes extérieurs decivilisationeffacés,ilsetournaetressentitl’enviedefrottersonnezcontrelecoudelafemmequisentaitcommesafemelle,maiscelaattendrait.
D’abord,illuifallaittuerlescréaturesinfectesquihurlaientdansleurdirection.LesRessuscitéstraînaientlespiedsetétaientridiculementlentscomparésàlui,maisilsprésentaient
un risque de contagion. Par conséquent, il ne pouvait lesmordre.D’après toutes les preuves dont ilsdisposaient à ce jour, il semblait que lesRessuscités aient besoin de tuer leur victime pour que cettedernièrerejoigneleursrangs.Pourautant,Naasirn’allaitpascourirlerisquequ’ilsaientmutéetsoientdevenussuffisammentfortspourinfecterdelachairvivante.
Sesdentsavaientbeauêtresorties,ilseservaitdesesgriffescommedelames,coupant,arrachant,déchirant.Danssondos,ilsentaitAndromedasedéplaceravecunegrâcedeguerrière,sonépéefendantl’airdansunsifflementmeurtrier.
Lestêtesroulaientdanslesfeuilleséparpilléessurlesol.—Naasir?En réponse à la question inquiète d’Andromeda, il grogna. Il était incapable de parler rapidement
lorsqu’ilétaitrevêtudecettepeauquin’étaitqu’unautreaspectdesanature,maisilétaitcontentqu’ellepenseàlui.
Un sifflement se fit entendre lorsque l’épée de la jeune femme trancha de nouveau la nuit, suivied’unegicléedesang.
Ilserralesdentsfaceàl’odeurputrideettenditlebraspourarracherlatêted’unRessuscitédesesépaules.Desflotsdesangnoirjaillissaientautourd’eux,leséclaboussaientdetoutesparts,maisilfallaitbien se débarrasser des créatures contaminées.D’un coup de pied griffu, il en éviscéra un tout en endécapitantunautre.Iln’aimaitpasfairesouffririnutilementlesRessuscités–ilétaitprobablequeLijuanaitutilisédesvillageoisinnocentscommematièrepremière–maisnepouvaitdécapiterdeuxpersonnesenmêmetemps.
Derrièrelui,ilentendaitlesoufflehaletantd’Andromeda.Elles’appuyacontrelui.—Ilssonttousmorts?Il acheva celui qu’il avait éviscéré et se concentra sur lesmots qu’on lui avait appris après que
Raphaell’avaitemmenéauRefuge.—Oui.Celasortitcommeungrondementprofondquin’avaitriend’humain.
Ilpivota,agrippalamâchoired’Andromedad’unemaingriffueetensanglantée.Illuitournalatête–avecdouceur–d’uncôté,puisdel’autre,avantdevérifierl’étatdesanuqueetdesoncorps.Sesailesétaientrecouvertesdesang,maiscen’étaitpaslesien.
—Tun’espasblessée,laissa-t-iléchapper,aumomentoùunepartiedelui-mêmeserendaitcomptequ’ill’avaitprobablementeffrayée.
Lesfemmesn’aimaientpassesgriffesnilamanièredontsesyeuxluisaientaprèsunechasse.Andromedarepoussasamainet,àsontour,sesaisitduvisagedeNaasir.Ilenfutsisurprisqu’illa
laissaletirerverselleetluitournerlatêted’uncôtéetdel’autre.Ellelerelâchapourlecontourneretreleversontee-shirt,puisfitdemêmeavecledevantduvêtementtrempédesang.
—Tun’espasblessénonplus.(EllebaissalesyeuxverslespiedsdeNaasir.)Tuasétécoupéoumordulà?
Il lâchaunreniflementdeméprisenguisederéponseàcettequestionridicule.Ellerelâchaletee-shirt,l’airrenfrogné.
—Est-cequeceschosessonttoutesmortesoutucroisqu’onvaencroiserd’autres?Ilyréfléchit,toutenpensantauxmotsetàleurfonctionnementpuisdit:—Ilsauraientétéattirésparl’odeurdusang.—Bien, commenta-t-elle en s’agenouillantpour examinerSuyin.Tupeux laporterpendant tout le
trajet?—Oui.Celalesralentirait,maisilnelaissaitpasdesgenssansdéfenseenarrièrepourqu’ilssoientmangés
pardesmonstresouemprisonnésparLijuan.
AndromedaseremitsurpiedtandisqueNaasirsebaissaitpoursouleverSuyin.Songestenesemblapas lui coûter lemoindre effort. Il était éclaboussé de sang, jusqu’aux cheveux.La jeune femme avaitenviedel’endébarrasser;NaasirétaitsincèreetfrancalorsquelesRessuscitésétaientdesabominationscontrenature.
Lapluieennettoyalaplusgrandepartiependantqu’ilspoursuivaientleurchemin.—Pourquoias-tudécidédetravaillersurlesArchangesEndormis?interrogeaNaasirquelquetemps
plustard.La jeune femme remarquaque sa voix étaitmaintenantmoinsgrondante – elle aimait les deux.La
seule qui ne lui plaisait pas était ce ton froid, cultivé, qu’il avait emprunté lorsqu’elle l’avaitmis encolère.
—L’idéedecesêtrespuissantsquisereposentdansdeslieuxcachéssuretsousterremefascine,toutsimplement.
—Ilyenacombien?—Personnenelesait.LesAncêtressontdeshistoiresquel’onraconteauxenfants,maisilexistedes
légendespluscrédiblesd’Anciensayantdormisilongtempsqu’euxaussisontdevenusunmythe.(Ellesemorditlalèvreetavouasonvœusecret.)Jessamyditqu’Alexanderselaissaitparfoisamadoueretparlaitdesépoquesdumythe.Cesontlàsessouvenirs.AvecluietCalianeprésents,nouspourrionstellementapprendre.
—Calianeteparle?—Àmoi,non,maisavecJessamy,oui.Mêmesicelaneseproduitpassouvent.Jessamyluiarendu
visitepeudetempsaprèsquetuasquittéAmanat.Ellem’aditqueCalianeétaitdesplusgracieusesetgénéreuses.
L’historienne,avecsonailedifformequil’empêchaitdevoler,restaitpleinementconscientequelesmortelsordinairesnedevaientpasl’apercevoir.Ilétaitinconcevablequ’onleslaisseêtretémoinsd’unetellefaiblesseparmilegenreangélique,maiscen’étaitpasunproblèmeàAmanat.
LorsqueJessamyvoulaitdécouvrirdeschosesdansdeslieuxpluspeuplés,ellesurvolaitlepaysagedans un avion léger ou dans un hélicoptèremodifié afin que des ailes puissent y tenir sans être vues.Généralement, le seul occupantde l’appareil était un angemince. Jessamyavait discrètement appris àpilotercesdeuxmachinesvolantes.
PourAndromeda,ladéterminationdeJessamyfaisaitd’ellesonhéroïne.L’enseignanteavaitsurvécupendantdesmilliers d’années avantque les inventeurs lui offrent lemoyendeparcourir le ciel seule.Andromedaparviendraitdoncbienàsurvivrecinqcentsansdansunecourdépourvued’espoir.
—SelonCaliane, reprit-elleenmettant l’inévitabledecôté, ilyaaujourd’hui septArchangesquiDorment,Alexanderinclus.
—Etsitousseréveillentenmêmetemps?—Celaseraitcatastrophique.Nousnousretrouverionsavecuneguerreentrevoisinsjusqu’àceque
l’équilibresoitretrouvé.LesArchanges ne pouvaient rester longtemps proches les uns des autres sans que leur agressivité
n’augmente.Dix était lenombreparfait pour separtager lemonde.Unoudeuxdeplus, passe encore,maisau-delà…
—C’estlaloidelanature,ditNaasirsansmâchersesmots.Lanaturechercheratoujoursàgarderl’équilibre.
—Oui,réponditAndromedaenvérifiantencoreunefoisl’étatdeSuyin.(EllesecoualatêtelorsqueNaasirsetournaverselle.)Pasd’amélioration,annonça-t-elle.
Levisagedur,Naasirpoursuivitsaroute.—Jenemecontentepasd’étudier lesArchangesEndormis,relançala jeunefemmepourtenterde
garderleurespritéloignédeleursituationpeuréjouissante.Situprometsdenepasrire,jeteparleraidemesautressujetsderecherche.
Illaregardaavecunefranchecuriosité.—Dis-moi.—Promets-moid’aborddenepasrire.Naasirétiraleslèvresetprétenditlamordrepourjouer.—Commentpeux-tumeledemanderaprèsça?Ellelefusilladuregardpourl’avoirfaitsursauterunenouvellefois,maisfinitparseconfier.—Jetravaillesurlescréaturesfantastiques.(Elleattenditdedécouvrirl’amusementcondescendant
qu’elle lisait si souvent sur levisagedesescollègues,mais lorsqu’elleconstataqu’il secontentaitdel’écouter,ellepoursuivit.)Commelessirènes,lesgriffons,leschimères…deschosescommeça.
—Pourquoiétudierl’impossible?—Parcequeceshistoiresdoiventbienprendreleursourcequelquepart.Et…j’aimeàpenserqu’il
restedesmystèresàpercerdanslemonde.—Pourmoi,lessirènesfontsens.—Vraiment?demanda-t-elle,regardétréci,maispours’apercevoirqueNaasirnesemblaitpasse
moquerd’elle.Pourquoi?—Laplanèteestrecouverted’eau.Pourquoiuneespècen’aurait-ellepasévoluéaupointdepouvoir
yvivre?répondit-ilaprèsuncoupd’œildeses irisargent.Tudevraisposer laquestionauPrincipal.Peut-êtrequelaLégionestlavéritéquisecachederrièrelalégende.Ilsontbienvécuuneéternitédanslesprofondeursdel’océan.
Lespoilsdelajeunefemmesehérissèrentsursesbras.—Jedésespèredem’entreteniraveceux,murmura-t-elle,soncœurd’historiennedébordant.Jesais
queJessamyaeuquelquescontactsaveclePrincipal,maisjenevoulaispasluifaireperdresontempsavecmaspécialitéobscure.
—Jeteleprésenteraiquandtuserasprête,promitNaasir.Jeteferaimêmerentrerendoucedansleurnouvelleserre.
Andromeda en dansa presque de joie, oubliant pendant un instant qu’elle n’aurait pas la libertéd’entreprendredetelleschoses.
—Etlesgriffons?Ilpritletempsdepeserlaquestionavantderépondre.—Àmonavis,ceshistoiresdoiventtrouverleursourcedansleslargesoiseauxdeproiequivivaient
audébutdel’humanité.—C’estaussimathéorie,confirma-t-elle,heureusecommeuneenfantdedécouvrirqueNaasirétait
siouvertd’esprit.Etlescréaturescapablesdechangerdepeau?— Non, répondit-il. Mais j’ai connu un guérisseur autrefois qui était guidé par un esprit. Il
comprenait la terreet toutes sescréaturesmieuxquequiconque, expliqua-t-il avecuneadmirationnondissimulée. Les mortels disparaissent trop vite. Ce guérisseur était plus avisé que de nombreuxImmortels,maisilavaitquittécemondepresqueavantquejeleconnaissevraiment.
—Iltemanque,ditAndromedaavecdouceur.—C’étaitmonami.Lagorgedelajeunefemmeseserra.—Meparleras-tudelui?—Oui,plustard.(Seslèvress’incurvèrentsursescrocs.)Monamiétaitunhommequivivaitdans
lesplainessousleciel.Iln’appartientpasàcetteforêtinfestéedeRessuscités.Quellessontlesautrescréaturessurtaliste?
—LesChupacabras.—J’espèrequ’ilsexistent.Ilsgagnentlapalmedumeilleurnom.Andromedagloussa.—Leschimères?—Unanimalàqueuedeserpentaveclecorpsd’unlionetlatêted’unechèvresurledos?(Ileutun
reniflementméprisant.)Cette têtedechèvre ledéséquilibreraitavantmêmequ’iln’ait faitunpas,et ilserait immédiatement dévoré par quelque chose de plus gros que lui. Et est-ce que la tête du lion netenteraitpassanscessedemangercelledelachèvre?
Andromedadutreconnaîtrequ’ilavaitraison.Ellen’enrestaitpasmoinsfascinéeparcequ’unetellecréatureauraitpuêtre.
— Je n’ai jamais réussi à comprendre comment cela marcherait, avoua-t-elle en se tapotant lementon.Maisquelleidéeétranged’imaginerunecréaturepareille.Toutcommelekarakasa-obake.
—Celui-là,jeneleconnaispas.Et,alorsquelapluielaissaitplaceàunefinebruine,elleluiparladuparapluieparlantàunœilet
unejambe,etilspoursuivirentleurroute.
Naasirs’amusaitdesadiscussionavecAndromedaetdejoueravecelle–bienqu’ellenelesachepas encore – lorsqu’il sentit l’odeur d’un éclair noir. Une ombre passa au-dessus de leur tête et unmorceaudelanuitsedétachaducielpourseposerdevanteux.Jasonremarqualeurétatensanglanté.
—Vousavezéradiquélesrestesdunid.
—Oui.Lemaîtreespionavança.—Suyin.NaasirnefutpassurprisqueJasonconnaissel’identitédelafemmequ’iltenaitentresesbras;selon
lui,Jasonsavaittout.—ElleabesoindessoinsdeKeir.Xiaordonnéque l’unedesesailessoitexcisée,et j’aidû lui
briserl’autre.Jasonouvritlesbras.— Je vais l’emmener. Avec son aile attachée, elle ne sera pas gênante – j’irai à Amanat et
demanderaiàKeirdenousyrejoindre.(IlsetournaalorsversAndromeda.)Tudoisresterausol.Tunepeuxpasvolerassezhautpouréviterlesescadrons.MaisNaasirtesortirad’ici.
—Compris.Jet’enprie,prendssoind’elle,dit-elleeneffleurantl’épauledeSuyin.Elleestrestéelongtempsprisonnière.
—Comptesurmoi,réponditlemaîtreespion.NaasirsavaitqueJasonnelâcheraitpasl’ange.—Faitesattentionàvous,lançacedernier.Surcesmots,ilreculaetdéployasesailes.Ilréalisaundécollageverticalparfaitetfutavaléparlanuitentroisbattementsd’ailes.Naasirsavait
quepersonneneleremarqueraitjamais.—Incroyable,soufflaAndromeda,têtelevéeversleciel.Naasirserenfrogna.—Jasonn’apasdegriffes,lui,dit-ilenluimontrantlessiennes.Andromedalesobservaavantdeleverlatêteversleurpropriétaire,unlégersourireilluminantses
yeux.—Ellessonttrèsaiguisées.Commentexpliques-tuquetunem’aspascoupéelorsquetut’essaiside
moi?—Jen’enavaispasenvie.Ilgrondafaceàcettequestionquin’auraitmêmepasdûêtreposée.—Ilfautquenoustrouvionsdel’eau,enchaînalafemmequiseconduisait–etparlait–deplusen
pluscommesafemelle.Jedétesteêtresaleetcouvertedesang.—Ellen’estpasbonneici.Infectée.Ellegrimaça.—Alors,partons.Décidantqu’iln’yavaitrienàajouter,Naasirleurfitprendrelecheminquilesconduiraithorsdela
forêt.Desescadronslessurvolaient,maisaucunneseposa.Naasirpensaitqu’ilsneleprenaientpasenconsidération – à supposer même qu’ils sachent qu’il s’agissait de lui. Et pour eux, il était évidentqu’Andromedaétaitdansleciel.Lesidiots.
Durantlestroisheuresquisuivirent,ellesoutintlerythmequ’ilavaitinstauré.C’étaitlentpourlui,mais il savait qu’il lui en demandait beaucoup – les anges n’étaient pas faits pour couvrir une telledistanceausol.C’étaitdanslesairsqu’ilsétaientpuissants.Surterre,leursailesétaientunpoidsmortquilesretardaitconsidérablement.
Deplus,lesballerinesdelajeunefemmesedéchirèrentàmi-chemin.—Cenesontquedesblessuressuperficielles,dit-ellelorsqu’ils’arrêtapourvérifierdansquelétat
étaientsespieds.Lescoupuresguérirontlorsquenousnousarrêterons.
Naasirn’aimaitpaslavoiraveclespiedsblessésetensanglantés,maisilsavaitqu’elleétaitcoriaceets’ensortirait.Malgrétout,ilpritsoindechoisirunsentierpeurocailleux.Quandilsfurentenfinsortisde la forêt auparavant infestée de Ressuscités, il la conduisit jusqu’à une vallée encadrée de deuxmontagnes. Il lui fallut une heure de plus pour repérer unemare alimentée par une rivière, dont l’eauprofondeétait clairecomme lecristaletd’un froidglacial sous lecielmaintenantdébarrasséde toutepluie.
—Lave-toi,luidit-il.(Lajeunefemmefaisaitdesonmieuxpourdissimulersonépuisement,maisilavait remarqué que ses ailes commençaient à traîner au sol.) Nous ne pouvons être visibles lorsquel’aubeselèvera.
Andromedadéposasonépéesurl’herbeavecsoin.—Tourne-toi.—Moiaussi,jeveuxmenettoyer.L’odeurdesRessuscitésétaitatroce.—Jemonterailagardependantquetutebaignessitumerendslapareille.Jenemedéshabillerai
pastantquetumeregarderas.Brascroiséssurlapoitrine,ellenebougeaitpasd’unpouce.Illuimontralesdents,maiss’inclina.Dmitriluiavaitapprisqu’ilnedevaitjamaisprendrecequ’une
femmenevoulaitpasdonner.«Nevolepascequin’adevaleurquelibrementoffert.»Naasiravaitbesoindesel’entendredire.Iln’avaitpasmauvaisfond,maisilnesavaitparfoispas
comment se comporter. Il se contentait alors de donner le change en adoptant une attitude civilisée.Lorsqu’il était plus jeune et avait commencé à éprouver le besoin de s’accoupler – et avant qu’il aitsuffisammentgrandipourquelesfemmeslui trouventunattrait irrésistible– ilavaitessayédeséduiredesfillesenleurapportantdelaviandeetdeschosesclinquantes.
Cequiavaiteupourrésultatdelesfairefuir.—Laplupartdesfemmesetdesfilles,luiavaitditDmitri,nesaventpascommentréagirquandun
hommejettedansleursmainsunmorceaudeviandecrue.Eneffet,ellessemettaientàhurleretlaissaienttomberuneviandeparfaitementbonnequ’ilavaitpris
dutempsàchasseretdépecer.Lorsqu’ilétaitrevenuavecdeschosesclinquantes,ellesl’avaientregardélesyeuxécarquillésetilavaithumélapuanteurdelapeur.Celal’avaitmisencolère.Ilétaitperdu.IlétaitdoncretournévoirDmitri.
—Jenevaispasleurfairedemal.—Malheureusement,ellesvoiententoiunemenacemaintenant.Laprochainefois,commenceparce
quibrilleetoublielaviande.Situsenslapeursurunefemme,va-t’enetnerevienspas.LeconseildeDmitriavait fonctionné.Certaines femmesaimaient leschosesbrillantesetêtrenues
aveclui,maisalorsilleseffrayaitaulit.Apparemment,mordren’étaitpastoujoursautoriséetpilonnerl’humiditéd’unefemmen’étaitpastoujoursacceptable.Cesfemmesl’avaientrepousséenhurlantqu’ildevaitêtre«doux»et«courtois»etnonpasune«bêtesauvage».Irrité,ilenavaittrouvéd’autresquesesmorsuresetpilonnagesnegênaientpas.
Dorénavant,denombreusesfemmesdisaientdeluiqu’ilétaitunbonamant.Cequ’ellesignoraient,c’estqu’ilnelaissait jamaisentièrementlibrecoursàsondésirdepuisqu’ilavaitcompriscequiétaitacceptableounon,mêmeaveccellesquineluienvoulaientpass’ilétaitbrutal:ellesnepourraientlesupporter.EtavecAndromeda…ilétaitsiprofondémentaffamédesexequ’ilvoulaitsejetersurelleetréalisertoutesleschosesqu’ilnes’étaitjamaisautoriséesauparavant.
Unbruitd’éclaboussuresrésonnaderrièrelui,accompagnéparunpetitcouinementdesurprise.
Unlargesourireauxlèvres,ilpivotaetvints’accroupirauborddel’eau.
Chapitre16
—Hé ! protestaAndromeda en envoyant de l’eau dans sa direction. Tu es supposé rester le dostourné.
—Jeneregarderaipassousl’eau,promit-il.Tuasfroid?Ils’étaitlevéetrôdaitauborddelamare.Elleréponditenclaquantdesdents:—Su-suisgelée.Maisles-sang.Veuxqu’ils’enaille.Lapluien’apassuffi.Trouvantcequ’ilcherchait,ilarrachaunetouffed’herbesetrevintverselle.—Approcheetjetelaverailescheveux.Elle lui accordaun regard suspicieux,mais s’exécuta et se retrouvados appuyécontre lebordde
l’étang.Ils’agenouilladerrièreelleetluitapotal’épauled’uneseulegriffe.—Là.Cetteherbet’aideraàtenettoyer.Lesbrinsdégageaientuneodeurpuissante,citronnée.—Oh!dit-elleenlevantlatêteverslui.Ilsesentitbien.Écrasantlamottequ’iln’avaitpaslâchée,ilrétractasesgriffes,défitlanattedelajeunefemmeet
utilisal’herbecommesavon.Ilagitrapidementparcequ’elletremblaittantquesesoss’entrechoquaientpresque.
—Lesangessontconçuspourrésisteraufroid.Pourleslieuxglacéshautsau-dessusdelaterre.—Cen’estpasparcequenouspouvonslesupporterquenousl’aimonstous,bougonna-t-elle.—Plongesousl’eauetrince-toilescheveux.Elle prit une profonde inspiration, disparut sous la surface de la mare et y resta suffisamment
longtempspourenressortiraveclescheveuxlissesetbrillants.—Jedétestelefroid.Jedétestelefroid.Jedétestelefroid.Ilregardaautourdeluilesvêtementsqu’elleavaitéparpillés.—Teshabitssonttoutensanglantés.Etiln’yavaitnullepartoùilpourraitluienvolerd’autres.—Lavons-les.Lesportermouillésnemegênepas.L’odeurdesRessuscitésestépouvantable.Iltrouvadenouvellespoussesd’herbescitronnéesetlesécrasacontrelatuniquedelajeunefemme
avantdelaluijeterpourqu’ellelalave.Ilrépétal’opérationavecsonpantalonetsaminusculeculottequinesentaitpascommelesRessuscités,maiscommeelle.Uneodeurchaude,musquéeetfémininequidonnaitàNaasirenviedelalécher.
—Enlèvetontee-shirtetjevaisfairedemême,luidit-elletoutenrinçantsesvêtements.
Ils’endébarrassaetleluitendit.Enéchange,ilrécupéralesaffairestrempéesdelajeunefemmeetlesétenditsurlesbranchesdesarbresquilesentouraient.Puis,décidantqu’iln’avaitaucuneraisondegardersonpantalon,ilcommençaàl’enlever.Envidantsespoches,ilserenditcomptequesontéléphoneavaitdisparu.IlétaitprobablementtombédurantlabataillecontrelesRessuscités.
Sa famille s’inquiéterait s’il ne prenait pas contact avec eux ; il s’en chargerait à la premièreoccasion.
—Naasir!—Fermelesyeux,grogna-t-ilinvolontairement.Riennenousmenaceicietjeveuxêtrepropre.Ilsetrouvafaceauxailesd’Andromedaquidéclara:—Oui,jesuisdésolée.Jen’auraispasdûtefaireattendresilongtemps.Ilabandonnasonpantalonsur lariveavecuntasd’herbeetplongeanudans l’eau.Latempérature
glacialelefitgrincerdesdents,maisilaimaitsetrouverdansl’eau,aimaitsonglissementfroidcontresapeau.Brisantlasurface,ilrepoussasescheveuxetvitqu’Andromedal’observait.Ilsouritetnageaverselle.
—Tumeregardes.—Jenepeuxpasvoirdanslenoir,répondit-elleenessayantd’afficherunairagacé.Maisilsentaitlachaleursurlapeaudel’ange,commesisonfluxsanguins’étaitaccéléré.—Oùesttonpantalon?—Sur la rive,dit-ilparesseusementen luivolantquelquesbrinsd’herbepours’en frotteret faire
disparaîtrelapuanteurdesRessuscités.—Tourne-toi.Lorsqu’ilobéit,ellel’enrécompensaenluimalaxantlescheveuxavecl’herbeécrasée.Ilselaissa
allerenarrièreenronronnant.Ilsentitqu’elles’arrêtait,maisellerepritsatâcheunesecondeplustard,sesdoigtsfins,vifs,massantsoncuirchevelu.Lorsquesesmainssedéplacèrentpourfrotterl’herbesursesépaules,ilsentitpalpitersonsexedéjàérigé.
C’étaitunebonnechosequ’ellenepuissevoirdanslenoir,oùelleseraitdéjàpartie.Ilnevoulaitpasqu’elles’enaille.Ilvoulaitjoueravecelle.—Sousl’eau,ordonna-t-elleenluiappuyantsurlesépaules.Ils’exécutaetretiralesbrinscollésàsescheveux.Cettefois-ci,lorsqu’ilémergea,ellepataugeait
dansl’eaupourattraperlepantalondeNaasiretlelaver.Sesailesétaientdéployéessurlasurfacedelamare,lesangenavaitétélavéàgrandeseauxetilvoulaitvraiment,vraiment,vraimentytoucher.Ilserapprochaenglissanteteffleuralesprimairesdelajeunefemme.
Ellesursautaetluijetaunregardpar-dessussonépaule.—Tusaisquecelanesefaitpas.Il sedirigeavers laberge, attrapa son tee-shirtmouillémaispropreet le jeta sur labranched’un
arbre.Ils’yaccrochaets’yétendit.—Jemecomportesouventmal,dit-ilavecsincérité.J’aimetesailes.Aulieudepoursuivresurcesujet,lajeunefemmeseretrouvarougebrique.—Hum,voilàtonpantalon.Jel’airincé.—Merci, dit-il car il savait que c’était la chosepolie à répondrequandquelqu’un avait ungeste
gentilpourvous.Pourquoies-turouge?Ellesemitànagerplutôtquederépondre.Iljetasonjeanendirectiond’unarbreetparvintàlefaire
atterrirsurunebranche.Puisilplongeaàsasuite,lepoulsemballé.Jouait-elleaveclui?Maislorsqu’ilressortitdel’eauàcôtéd’elle,elleeutunhoquet.
—Tuasditquetuneregarderaispas!
—Jen’aipasregardé,j’avaislesyeuxfermés.Brisersapromesseavaitététentant,maisilfallaittenirsespromesses.C’étaitl’unedespremières
chosesqueDmitriluiavaitapprises–enn’oubliantaucunedessiennes.—Jet’apporterailaviandeséchéequetuveuxàmonretour.—Promis?—Oui.Dans l’espritde l’enfant,Dmitriétaitpartipendant longtemps–aumoins troismois.Mais lepetit
Naasirn’avaitpasoubliélapromesse.Pourautant,ilnes’étaitpasvraimentattenduàcequeDmitris’ensouvienne.Ilétaitjusteexcitédevoirrevenirceluiqu’ilconsidéraitcommesonpère.
—Dmitri!Dmitri!Dmitri!Ils’élançaverslaporte,échappantaumalheureuxvampirequiétaitlàpourlesurveiller.Desbraspuissantssesaisirentdeluiet lesoulevèrentdusol.Dmitrisouriait,mêmesisesyeux
sombresrestaienttristes.NaasirnesavaitpaspourquoiDmitriétaittriste,maisilavaitremarquéquesonregardcommençaitàseréchaufferquandilspassaientunmomentensemble,etilsavaitdoncqu’iln’étaitpasresponsabledecettetristesse.
—Tuasétésage,Naasir?L’enfantbaissalatête.—Non.Ilavaitmangélelapindelaclasse.Iln’enavaitpaseul’intention,maisl’animalsetrouvaitjuste
soussonnez,etilétaitaffamé.—Jevaismefairegronder,ajouta-t-il.—Ah.(Leprofondriremasculinluifitleverlatêteetmontrerlesdentsenunsouriresauvagecar
ildevinaitqueDmitrin’étaitpasencolère.)Tupourrastoutmeraconterendégustantça.Naasirpritlepaquetetendéchiral’emballagepourdécouvrirlecadeauqu’ilavaitdemandé.—Tut’enessouvenu!LatristesseétaitrevenuedanslesyeuxdeDmitriquiluiébouriffalescheveux.—Unhommetientsespromesses,Naasir.—Naasir?Il secoua la tête pour se débarrasser du souvenir d’enfance et soutint le regard pétillant, superbe,
d’Andromeda.—Jen’aipasregardé,répéta-t-il.Sijelefais,celaseraàtoninvitation.Lesjouesencoreembrasées,elleluisourit.—Onfaitlacourse?—Jetebattrai,lamit-ilengarde.Tesailesteralentiront.—Laisse-moiunelongueurd’avancepourqu’ilyaitcompétition.Nedémarrepasavantquejesois
aumilieu.Raviàl’idéed’unejouteintimeavecelle,ilacquiesça.—OK.Elena lui avait dit que tricher était permis lorsqu’un des concurrents était plus faible que l’autre.
Commelorsqu’ilss’entraînaient,qu’Andromedatrichait,maisc’étaitunebonnetrichequileurpermettaitdejouerensemble.
Quandlajeunefemmes’élançaendirectiondubordopposé,ilremarquaqu’elleétaitplusgracieuseetrapidequ’ilnes’yétaitattendu.Safemelleavaitgardéd’autressecrets.Riantenlui-mêmedelanatureruséedelajeunefemme,ilattenditqu’ellesoitbienaumilieupuiscommençaàfendrel’eau.Ilétaitnéensachantnager.
Lorsqu’illarejoignit,ilauraitpuladépassersanseffort,maischoisitdesemontrermalin.Ilralentit,comme s’il était fatigué, afin de nager à sa hauteur.Et aumoment d’atteindre l’autre rive, il la laissatendrelebraspourattraperlabergeenpremier.
—J’aigagné!dit-elle,levisageradieux.Tumedoisungage.—Queveux-tu?demanda-t-ilens’appuyantsurlebordcommeellelefaisaitelle-même.J’aitoutun
trésordechosesbrillantes.—Vraiment?répondit-elle,yeuxécarquillés.(Maisellesecoualatête.)Jeneveuxpasdequelque
chosequibrillecettefois–peut-êtreàmaprochainevictoire.Naasiraimaitl’idéequ’ilyauraitd’autresjeux.—Jeveuxquetufassesquelquechosepourmoi,dit-elle.—Quoi?Ilserapprochasubrepticement,etl’ailed’Andromedaeffleurasonbras.—Accompagne-moiàundînerorganiséparmesparents.Naasircilla.Lesfemmesaimaients’accoupleraveclui,maisiln’avaitjamaisétéinvitéàundîner.
DanslamesureoùAndromedanevoulaitpascoucheraveclui,ilnecomprenaitpassarequête.Àmoinsque…
—Tuveuxchoquertesparents?Naasir était différent et unique. Il était recherché pour ses compétences, mais il était aussi
profondémentautre.Ils’acceptait.Safemelleauraitàfairedemême,etnepasletraitercommeunmonstredefoire.Andromedaéclataderirecommes’ilavaitlancéunebonneplaisanterie.Ilserenfrognaetvoulutsortirdel’eau.
En voyant l’eau dévaler sur le corps musclé de Naasir, Andromeda perdit l’esprit pendant une
seconde.Cene futque lorsque la courbe supérieurede ses fesses apparutqu’elle couinaetplaçaunemainsurlebraspuissantettendudesonpartenairepourletirerenarrière.
—Tuesnu!luirappela-t-elle.Ilhaussalesépaules,laregardantdesesyeuxargentquibrillaientd’unelueurdefeu.—Jem’enmoque.—Ehbien,moipas.Soncœurbattaitencorelachamadeàcettevision.Ilétaitbâticommelaplusbellestatuequ’elleait
jamaisvue.Seulement,ilétaitdechairetdesang.—J’aifroid.Jeveuxsortir.Elleavaitoubliélefroidtantelles’étaitamuséeaveclui.—Oh.Ladéceptionpesacommeunepierredanssonestomac.Ellefermalesyeux.—Vas-y,tupeuxsortir,finit-ellepardire.Ilnebougeapas.—Pourquoias-turi?—Quoi?Ellebattitdespaupièressousladuretédesonton.Envoyant la colèrequ’il ne cherchait absolumentpas àdissimuler, elle comprit tardivementqu’il
avaitmalinterprétésamanifestationdejoie.— Rien ne peut choquer mes parents, admit-elle en cachant les réminiscences de ses blessures
d’enfancederrièreunhaussementd’épaules.Jamais.
Sonexpressionaffichantmaintenantunefascinationincrédule,Naasirsepenchaverselle.—Mêmepasmoi?—Mêmepastoi,luiassura-t-elle.Ilssesontessayésàtouteslesdébauchesimaginables.(Lesexe,la
violence, les substances toxiques rares, c’était là la manière de vivre de Lailah et Cato. Leur désircompulsifdefaireplus,d’éprouverplus,étaitsansbornes.)Ilsteferontprobablementdespropositions.
Naasirfronçalessourcils.—Maisjeseraiavectoi.—Ilsn’ontpasdelimites.Ellerepensaàce jeuneangepour lequelelleavaitéprouvéunamourenfantin,etàce jouroùelle
étaitentréedanslegrandsalonpourlesdécouvrir,samèreetlui,nusetenpleineaction.Sonpèreétaitassisdansunfauteuilàlesregarder,pendantqu’unvampiresuçaitsonmembreérigé.
Gorgeserrée,Andromedadutplongersousl’eaupourchassercesouvenir.Ilyavaitcertaineschosesdontunenfantnedevraitjamaisêtretémoin.Lepire,c’étaitquecetincidentàretournerlecœurn’avaitpasétélepremierniledernier,loindelà.Ilyavaittropd’imagesdecegenrequihantaientl’espritdelajeune femme, des images auxquelles elle refusait résolument de penser, mais qui ne voulaient pass’effacer.
Elle s’essuya le visage d’unemain et se mit à côté de Naasir, trop près. Si près que leurs brasappuyèrentl’uncontrel’autre,etquel’ailedelajeunefemmeluieffleuraledos…maisilnelarepoussapas.Ill’observaitaveccesyeuxsauvagesquiétaientsoudainexcessivementperçants.
—Jenem’accoupleraipasavectesparents.(Unepromessesolennelle.)Celateblesseraitetjeneveuxpasteblesser.
Les yeux d’Andromeda la piquaient, elle avait la gorge serrée. Pendant quelques instants, elledemeuraincapabledeparler.Lorsqu’elleyparvint,cefutd’unevoixrauque.
— Techniquement, le dîner est donné enmon honneur. Ceux demon sang ont pour obligation derentreràlamaisonànosquatrecentsans.
Elle savait qu’elle aurait dû lui dire qu’il lui serait impossible ensuite d’en partir pour les cinqsièclessuivants,maislesmotsrestèrentcoincésdanssagorge,dursetobsédants.
—J’aipenséqueceseraitplusdrôlesituétaislà.LesjouesdeNaasirsecreusèrent,sesyeuxs’illuminèrent.—Ons’amusera,promit-il.J’amèneraiuncadeauàtesparents.L’instinctdelajeunefemmesonnal’alerte.—Euh,Naasir…Riantàsontondubitatif,ilsesoulevaetsortitdel’eausansprévenir.Ellevitlalignefermedeses
fesses,lesmusclespuissantsdesescuisses,saforceracéequandilsedressasurlabergeetsesecouapourseséchercommeungrandchat.Sescheveuxargentscintillaientmêmedansl’obscurité.
Ilcommençaàpivoterverselle.Lapeausichaudequ’ellelabrûlaitdel’intérieur,Andromedas’obligeaàbaisserlespaupièresetà
plonger sous l’eau glacée. Elle y resta jusqu’à ne plus être menacée de combustion. Lorsqu’elle enressortit,elleconstataqueNaasiravaitenfilésonpantalonmouillé,cequin’avaitpasl’airdelerendreheureux.Narinesfrémissantes,ilramassaquelquesobjetsqu’ilavaitdûlaisserausoletlesglissadanssespoches.Puisilexaminasontee-shirtetdécidafinalementdelemettre,pensantsansaucundoutequ’ilsécheraitplusvitesurlui.
—Jeneregarderaipas,luiannonça-t-il,lesyeuxscrupuleusementposéssurlesarbresfaceàlui.Commeelleavaitconfianceenlui,ellesortitdel’eauetrécupérasesvêtements.Ellecommençapar
regarder ses dessous, se rendant compte un peu tardivement qu’il avait dû s’en occuper plus tôt. Se
souvenant aussi que lui ne portait rien sous son pantalon, la peau de nouveau rouge et la poitrinedouloureuse, elle tira sur sa tunique encore trempée.Elle descendait quelques dizaines de centimètressoussesfesses,protégeantsapudeur.
—Jeneveuxpasenfilerlereste,reconnut-elleàvoixhaute.Considérantquesadéclarationvalaitpermission,Naasirluijetauncoupd’œil.—Alors, ne le fais pas. Je porterai tes vêtements comme tu as l’épée, et nous pourrons les faire
sécherausoleilquandilseralevé.—Tutiensvraimentàavoirtontee-shirtsurledos?Commes’iln’attendaitquecesmots,ilsedébarrassaaussitôtduvêtementpourrévéleruntorsequi
menaçaitdefaired’elleunebriseusedeserments.Elledevintrougecommeuneécrevisse.Il l’observatandisqu’ellenouaitenunpetitpaquetsonpantalon,saculotteetletee-shirtdeNaasir.Ils’ensaisitetdit:
—Enfiletesballerines.Ellesprotègentquandmêmeunpeutespieds.Elles’exécuta.Ellesétaientenlambeaux,maiscommeNaasirl’avaitfaitremarquer,ellesoffraient
tout demême unemince protection à ses pieds à la peau tendre et abîmée.Quand ils se remirent enmarche, l’air venait embrasser les parties les plus intimes de l’ange, ses tétons frottant contre la soiemouillée.Ellesesentaitscandaleuse,sauvageetaventureuse.
À côté d’elle, Naasir avançait nonchalamment. De toute évidence, ils suivaient un rythme trèstranquille pour lui. Ils restèrent silencieux tandis que lemonde passait du noir au gris. Ellemarchaittrempéeetàmoitiénue…etpourtantjamaisellenes’étaitsentieaussiàl’aiseavecquiquecesoitdetoutesavie.
Jusqu’à ce queNaasir lui jette un coup d’œil, tende lamain et fasse rebondir les boucles de sescheveuxdanssespaumes.
—Jepréfèretescheveuxcommeçaquenattés.Sagorgeseserra…puiselleserenditcomptequecelan’avaitdésormaisplusd’importancequ’on
lui trouve une ressemblance frappante avec Lailah, fille de Charisemnon ; sa mère avait les mêmesbouclesbrunesstriéesd’oretlesmêmestraits.Maisaulieudetachesderousseur,lapeaudeLailahétaitlisse,desoie,etpeut-êtrelégèrementplusfoncéequecelledesafille.
EtlesbouclesdeLailahnefrisaientjamaiscommecellesdesafille.Ellesétaienttoujoursbrillantesetparfaites.
Cesdifférences faisaientdeLailahunebeautéque touthommeconvoitait,etd’Andromeda l’enfantbien plus ordinaire. Une enfant qui savait depuis son plus jeune âge que les gens la regardaient etvoyaientenelleunepâleimitationdel’original.
—Vraiment?murmura-t-elle, sedemandantsiNaasir luiaussi lescomparerait.Mescheveuxsontcomplètementincontrôlables.
Unsouriredelacréaturesauvageàsoncôté.L’étauquienserraitsapoitrinesedétenditetAndromedarit.—Ons’arrêteici,annonçaNaasir tandisquelesdoigtsdel’aubecaressaient l’horizon.Ilyatrop
d’activitédansleciel.Onauraaussisûrementdemandéauxvillageoisdesemontrervigilants.—Nousnevoyageronsquedenuit?Unhochementdetête.—J’aiunavantagedansl’obscuritéetilsnes’attendrontpasàcequ’uneéruditerecherchelecouvert
delanuit.—Jesuisfatiguée,avoua-t-elle.
Galen et Dahariel lui avaient tous deux appris à se montrer honnête avec un partenaire dans labataille–etc’étaitlàungenredebataille.
—Êtreclouéeausoletmaintenirmesailesenhauteurtoutenmarchantsurdetellesdistanceséreintemesmusclesdudos.
Naasiresquissaunmouvementcommes’ilallaitdétendrecesmêmesmuscles.Maisils’interrompit,se souvenant à l’évidence de l’intimité d’un tel geste. Effleurer une partie d’aile était une chose – enpresserlesarcsenétaituneautre.
—Nousnousreposerons,dit-ilavantd’inclinerlatête.Attendsici.Netefaispasprendre.—Jeferaidemonmieux,répondit-ellesèchement,épéetendue.Unbreféclatdedentscontrecettepeausansdéfaut,prêteàêtrecaressée,etildisparut,siapteàse
fondreentrelesarbresqu’ellenelevitpass’évanouirdanslesombres.
Chapitre17
Raphael ne s’attendait pas à être convoqué à une réunion du Cadre dans un futur proche. Aussidevina-t-ild’embléequelasituationdevaitêtregravequandl’appelarriva–ettoutparticulièrementenprovenancedeTitus.Il interrompitunentraînementdenuitenmerà l’instantoùAodhanlui transmit lemessageetpritladirectiondelasalledescommunicationsdelaTour.
Lebruitdessirènesmontaitdesruestandisqu’ildépassaitàtire-d’ailedesgratte-cielilluminés,untaxijaunequienavaitemboutiunautre,etlesremorqueurssurl’Hudsondontrésonnaientlescornesdebrume.Quedessonsetdesimagesfamiliers,savilledenouveauentière.
Cequinevoulaitpasdirequelaguerreétaitgagnée.Elena,dit-ilaprèsavoiratterrisurletoitdelaTour,sachantqu’elles’ytrouvaitpouraiderlejeune
Izakdanssathérapiephysique.JesuissurlepointdeparlerauCadre.Ilrepliasesailesetavançaversl’ascenseur à grands pas. Je veux que tu viennes écouter. Non seulement il était essentiel qu’Elenacomprenneleclimatpolitiqueactuel,maisenplussachasseuseavaitl’espritvifetleregardacéré.
J’arrive.Ilnel’attenditpasmaissutàquelmomentpréciselles’étaitglisséedanslapièce,horsdevuedes
camérasquilereliaientauxautresArchanges.Ilaperçutlalégèrearbalèteattachéeàlacuissedelajeunefemmeet les lamesdans lesfourreauxqu’elleportaitauxavant-brasavantque l’écranfaceà luinesedivisepourrévélerFavashi,Titus,Astaad,Elijah,Michaela,NehaetCaliane.
LijuanetCharisemnonmanquaientàl’appel.L’absence de l’Archange de Chine n’était pas une surprise, mais depuis l’ascension de Raphael,
Charisemnon n’avait raté aucun rendez-vous, qu’importent les guerres et les batailles. Son absencedonnaitducréditàlathéorieselonlaquellel’Archangedel’AfriqueduNordavaitétéfortementatteintparlamaladiemêmequ’ilavaitcréée–ilneréapparaîtraitpasenpublicavantd’êtretotalementrétabli.
—Titus,demandaNeha,quelleestl’urgence?Sonvisageétaitdégagédesescheveuxqu’elleportaitrassemblésenundouxchignonàsanuque.Elle
avaitdissimulésesformessousunsariensoieverteauxéclatsor.Lorsque l’Archange qui contrôlait lamoitiéméridionale du continent africain prit la parole, il ne
s’exprimapasaveclecalmehabitueldontilfaisaitpreuvedurantlesréunions.Savoixn’étaitplusqu’ungrondementdebasseoùvibraitunecolèreàl’étatbrut.
—L’undemeslieutenantsestunamidelonguedatedeJariel,quil’ainvitéàséjournerchezlui.Àson arrivée, il a découvert la famille de Jarielmassacrée, la tête de ce dernier déposée au centre del’entrée.Ilnerestaitqu’untasdecendresdesoncorps.
Sesyeuxonyx luisantet lesmuscles saillantcontre sapeau,Titus fracassaunbocaldeverre.Descendresnoiresserépandirentsurtoutelasurfaceenboisdevantl’Archange.
—Nous savons tous qu’un feu ordinaire ne génère pas une pile nette de cendres dans un endroitdéfini.Ilnedétruitpasnonpluslecerveautoutenlaissantleresteducrâneintact.
Unsilencehébété.Archange?OnpensequeJariel était sur lepointdedevenirunArchange, lui réponditRaphael.D’ici deux
décennies,peut-être.—Tuenescertain?demandaAstaadàTitus,sonboucnoirsedétachantnettementsurleblancdesa
peau.Nousdevonsêtresûrsdenous.LesnarinesdeTitusfrémirent.—Monhommeenverradesimages,maisj’enmettraismamainàcouper.D’aprèslesautresrestes,
celas’estproduitilyaaumoinsunesemaine,dixjourssansdoute.Peudetempsavantl’enlèvementd’Andromeda,notaElena,dontl’espritsuivaitàn’enpasdouterle
mêmecheminqueceluidesonArchange.Unecoïncidence?Jenecroispasenunecoïncidencesimeurtrière.Quelqu’unravalasonsoufflequandlesimagespromisesparTituscommencèrentàdéfilersurleurs
écrans.La têtede Jariel, enétatdedécomposition, les regardaitde sesyeuxaveugles recouvertsd’unvoileblanc.Lesprisesdevuedurestedesamaisonmontraientlescadavresdevampiresetd’angesauxailes écrasées. Tous assassinés demanière définitive,même pour ceux que les humains considéraientcommeimmortels.
CefutMichaelaquirepritlaparole,levertvifdesesyeuxfixésurlescendres.—Iln’yaqu’unemanièred’enavoirlecœurnet.Titusramassasilencieusementlacendrenoireetlarapprochadelacaméraquilefilmait.Lescendres
néesdufeuetcellecrééesparunecompétencearchangéliquesemblaientsimilairesàl’œilnu,maissionregardait de plus près, des étincelles de pouvoir s’attardaient au cœur des secondes pendant unmoisaprèslesfaits.
— Donc, dit Neha d’une voix tranchante qui laissait deviner son opinion sur ce massacre, leresponsableestbienunmembreduCadre.
Ilsétaient lesseulsêtressur laplanètecapablesd’une telle incinération.Le feud’angen’étaitpasnécessairement requis, pas si l’Archange était proche de sa cible : une simple décharge de pouvoirarchangéliqueconcentréauraitlemêmerésultat.
—Pourquoi?demandaAstaadensecouantlatête,visiblementprofondémentperturbé.IlnefaisaitpasencorepartieduCadre,iln’intervenaitaucunementdansnoschoixpolitiques.
LespenséesdeRaphael retournèrentà l’enlèvementde l’éruditeetauxplansdeLijuanconcernantAlexander.
—Peut-êtrequequelqu’unavoulusedébarrasserd’unconcurrentavantqu’iln’atteignesamaturité,dit-ilenprenantsoindenepastropendévoiler.
Lesalliancesn’étaientpasgravéesdanslemarbreetilétaittoutàfaitpossiblequequelqu’unprésentàcetteréunionenaitconcluuneavecLijuan.
— Si c’est le cas,murmuraNeha d’une voix soyeuse d’où suintait son venin, tu feraismieux desurveillertonCampanulepours’assurerquesatêteresteattachéeàsoncorps.
—Jen’ymanqueraipas,répondit-ild’untonneutrequinetrahissaitrien.Elijahs’étira,caressantdelamainunpetitpuma–oupeut-êtreunlionceau–quivenaitdegrimper
sursonbureaupours’yinstaller.—Uneseuled’entrenousestcapabled’unacteaussihaineux.
—Tu parles trop vite, Elijah, intervint Favashi de son ton doux et dur comme l’acier.N’importelequeld’entrenouspourraitprendreavantagedelanotoriétédeLijuanpourtenteruncoupdeforce.(SonregardseverrouillaàceluideMichaelaquisecontentadesourirefroidement.)N’importelequel.
Ils continuèrent à discuter pendant dix minutes sans parvenir à un consensus sur l’identité del’agresseur. Ils arrivèrentmalgré tout à tomber d’accord pour prévenir les sept autres anges les pluspuissantsaumondeendehorsduCadre.Illiumnefiguraitpassurcetteliste…maisauraitdûs’ytrouver.EndépitducommentaireacerbedeNeha,lesautresn’avaientpasencoreprislamesuredesafulgurantemontéeenpuissance.
Mettantuntermeàlacommunicationaprèsavoirpasséquelquesminutesdeplusàdiscuteravecsamère,Raphaelse tournaversElena.Ellevint lerejoindre,sescheveuxpresqueblancsramenésenunequeue-de-cheval et une lame jouant entre ses doigts tandis qu’elle observait l’image figée à l’écran –celledecettecendrenoireparseméedepaillettesdanslamaindeTitus.
—Favashiaraison,dit-elleenrangeantsonarme.Celaauraitpuêtren’importelequeld’entrevous,mêmesipersonnellement je t’élimineraisde la listedessuspects. (Sedressantsur lapointedespieds,elleréclamaunbaiserquidéversaenluisachaleurdemortelle,faisantfondrelaglacequis’étaitforméeaucoursde la réunion.)JedevraisaussiéliminerCalianeparceque tamèreveut justequ’on la laissetranquilleavecsonpeuple.
Raphaelpritsajoueencoupe,faisantcourirsonpoucesurlespommettesdelajeunefemme.—Depuisquelquetemps,Elijahetmoi-mêmesommesencontactpratiquementtouslesjours.(Tous
deux avaient décidéde travailler ensemble à défendre cette région contre d’autres attaques.)Même simon instinctnemesoufflaitpasqu’ilest trophonorablepourcommettreunacted’une telle lâcheté, jesaisqu’iln’ajamaisquittésonterritoire.
Serapprochantencore,Elenaposaunemainsursapoitrine.—Jen’imaginepasnonplusAstaadouNehaentreprendreunechosepareille.— Aastad préfère rester hors des conflits lorsqu’il le peut. Je suis donc d’accord avec toi.
(L’Archangedes îlesduPacifiquen’avait rejoint la coalitioncontreLijuanque lorsque l’ArchangedeChine avait osé envoyer sesRessuscités survoler son territoire.)Quant àNeha…oui, c’est une reine.Ellenes’abaisseraitpasàtendreuneembuscadeàunangeplusfaible,plusjeune,etchezluienplus.
—Michaelaal’airétonnammentnormal,soulignaElena,regardétréci.Jem’attendaisàcequedescornesluisoientpousséesouquelquechosedecegenre,àvoircommeellegardaitlatêtebasse.(Ellefronçalessourcils.)Saufque…(SedétachantdeRaphael,ellesetournaversl’écranprincipal.)Est-cequecetrucenregistre?
—Biensûr.TuveuxMichaela?Illuimontracommentrepasserl’enregistrement.—Oui.Elenaregardadeuxfoisl’extrait.—Merde,souffla-t-elle.ElleacemêmetrucfragilequeBethlorsqu’elleétaitenceinte.Danslamesureoùilterrifiaitlasœurd’Elena,Raphaelavaitpassépeudetempsensacompagnie.
En revanche, il avaitvud’autresmortellesou Immortelles enceintes aucoursde savie.Etmaintenantqu’Elenal’avaitsouligné,ilremarquaitlanouvelledélicatessedelapeaudeMichaela–deplus,alorsqu’elleutilisaitvolontierssoncorpscommeunearme,ellene l’avaitpasdévoiléce jour-là.Elleétaitseulementfilméejusqu’auxépaules.
—IlsepourraitqueMichaelaattendeeffectivementunenfant,dit-illentement.—BonDieu, sifflaElena. Penses-tu qu’elle plantait juste le décor lorsqu’elle nous amenti ?De
manièreàcequepersonnen’ycroielorsquecelaarriverait?
Raphaelsecoualatête.—Lesgrossesses immortelles sont trop rarespourêtreanticipéesavecprécision. Ilyauneautre
possibilité. (Il repensaà sadécouverted’uneMichaelablessée,uneboulede feu rougedans lacavitésanglanteoùsoncœurauraitdûsetrouver.)Quoiqu’Uramluiaitfait,dessignesextérieurscommencentpeut-êtreàapparaître.
—Est-cequ’uneconfirmationdel’uneoudel’autredecesoptionsestpossible?(Elenasecoualatêteavantmêmed’avoirfinideparler.)Siellesecacheparcequ’elleestvulnérable, laissons-lafaire.(Sonaffiliéedéglutitnerveusement.)Jen’oublierai jamaisdequoielleavait l’airauRefuge, lanuitoùSamaétéenlevé.Jemesuistoujoursdemandésic’étaitlapertedesonenfantquiluiavaitnoircilecœuràcepoint.
CeluideRaphaeln’étaitpasaussidouxqueceluid’Elena,etilnepensaitpasquelamaternitéavaitchangé ou changeraitMichaela. En revanche, si elle était effectivement bien enceinte, il espérait quel’enfantéchapperaitaupoisond’Uram.
—Si elle attend un enfant, il s’agit peut-être d’une autre conséquence de laCascade, avança-t-il,l’espritconcentrésurlaluttequemenaitIlliumpourcontenirlapuissancequinecessaitd’enflerdanssoncorps.
Elenapoussaunsoupirets’appuyacontrelui.—TuaseudesnouvellesdeJasonouNaasir?Déployantsonailepourvenirlaglissersurcelledelajeunefemme,Raphaelopina.— Jason est en sécurité hors du territoire de Lijuan et transporte une otage blessée. Aucune
informationenprovenancedeNaasiretdel’érudite.L’otageétaitunefemmequ’oncroyaitmortedepuislongtemps.Elenasaisitlamaindel’Archange.—C’estNaasir.Ilpeutsesortirden’importequoi.Uneconfianceaveuglesouslaquellesedissimulaitunesombreinquiétude.RepensantàlacendrenoiredanslamaindeTitus,Raphaelsongeaqu’elleavaitraisondesefairedu
souci.Naasirétait fort, rapideetd’uneintelligencevive,mais ilétaitactuellementpiégéaucœurd’unterritoireennemi,etcetenneminerespectaitaucunerègle.
Chapitre18
Naasir suivit la légère piste olfactive de nourrituremortelle jusqu’à un petit hameau sur la berged’une rivière. Il était composé de seulement trois maisons, toutes largement espacées. Devant deuxd’entreelles,amarréàunpontbranlant,setrouvaitunbateaudepêchedetaillemodeste.
Lacheminéedelamaisonlapluslointainefumaitetsonjardinétaitparfaitemententretenu.C’étaitdelàqueprovenaientlesodeursdecuisineetdenourriture.Unvieilhommeetunevieillefemmemangeaientdansdesbols,installéssousleporchedelamaisonsuivante.Tousdeuxétaientridéscommedesnoixetsemblaientavoirpasséleurvieàrire.
Naasirsouritàleurvue.Iladoreraitpasserunevieàrireavecsafemelle.Seconcentrantsurlatroisièmemasure,ilinspiraetneperçutaucunnouveaufumet.Ilsefaufilaàl’arrièredesbâtiments,horsdevuedesmortels,pourécouteràlaportedeladernière.
Seullesilenceluiparvint.Aucunerespiration,aucunbattementdecœur.Lorsqu’iltournalapoignée,laporte s’ouvrit sans résister. Il entrapourdécouvrir un intérieur rangé,maisvide. Il y avait un lit et iltrouva des draps dans un placard, des assiettes, tasses et ustensiles de cuisine dans un autre,mais neremarqua aucun signe prouvant que les lieux aient été récemment habités. Aucune nourriture, pas deserviettespendues,etlefoyerdelacheminéeétaitproprementbalayéetfroidautoucher.
Ils’agissaitprobablementd’unecabanedepêcheoudechasse,pensaNaasirquipercevaitdefaiblestracesdesangdepoissonetdevieilanimalsurlatableduporchearrièrelorsqu’ils’aventuradenouveauàl’extérieur.Lesdeuxautresmaisons,avecleursjardinsflorissants,ressemblaientplusàdesrésidencesprincipales.Celleoùilsetrouvaitn’offraitqu’unjardinenvahiparlesherbesetlesmauvaisesgraines.Enfouillantunpeuplus,iltombasurunpetitbateauremiséavecsoindansunabrientôle,commesisonpropriétairel’avaitrangélàpourlasaison.
Ildécidaquelelieuétaitsuffisammentsûrpourleurservirdecachettedanslamesureoùilpourraitentendre quiconque essaierait d’y pénétrer. Il repartit aussi discrètement qu’il était arrivé et rejoignitAndromeda.Ilneputtoutd’abordlavoir,maissonparfumparvenaitàsesnarines.Unlargesourireluiétiraleslèvresdevantl’intelligencedontlajeunefemmeavaitfaitpreuve.Illevalesyeux.Ehoui,elleétaitbienlà,assisesurunebranche.
—Jenousaitrouvéunecachette,annonça-t-il.Ellesautaàterre,utilisantsesailespourconserversonéquilibre.—Jerisqued’avoirbesoindemanger,avoua-t-ellesuruntond’excuse.Jebrûleplusd’énergiequ’à
l’ordinaire,etjesuistropjeunepourmepasserdenourriturependantdelonguespériodes.Ilenétaitdéjàarrivéàcetteconclusion.Siellenemangeaitpas,ellecommenceraitàs’affaiblir,son
corpssecannibalisant.—J’aiunplan,luidéclara-t-ilenluifaisantsignedelesuivre.Soisuneombre.
Elle était trop bruyante pour cela,mais cela importait peu.Quand ils parvinrent à destination, lesdeuxbateauxdepêcheavaientdisparuettoutétaitsilencieux.Naasirvérifiafurtivementlesmaisonnettespours’assurerquepersonnen’étaitrestéenarrière–oun’avaitpénétrédanslamaisonvidedepuisqu’ill’avaitquittée.
Lorsqu’ilfutsûrqu’iln’yavaitaucundanger,ilentraînaAndromedaàl’intérieur.—Resteici,dit-ilenprenantunpetitcouteauqu’ilavaitvuplustôtsurlatabledelacuisine.Jevais
chercherdequoimanger.Ellesecoualatête.—Onnepeutpasvolercesgens-là–ilsn’ontpasl’aird’avoirgrand-chose.—Cen’étaitpasmonidée.Fais-moiconfiance.Unlégeracquiescement.—J’airepéréunecanneàpêche.Jepourraisessayercelapendanttonabsence.—Non.Tuseraistropvisible.Leslignesàlacommissuredeseslèvressedurcirent,maisellenecommentapas.—Prendssoindetoi.Jet’attendrai.Avantsondépart,ileffectuaunnouveautourafindevérifierencoreunefoisqu’iln’yavaitpersonne
danslecoin.Puisils’élança,courantàtoutevitesse.Ilneluifallutpaslongtempspourtrouvercequ’ilcherchait.Cenefutqu’unefoisderetour,faceàAndromedaquiluiavaitouvertlaporte,qu’ilserenditcomptequ’il lui avait apportéde laviande.Tout fierde lanourrir, il enavaitoubliéqu’iln’étaitpassupposéenoffriràunefemme.
Les yeux d’Andromeda se posèrent sur le lapin qu’il avait ramené de sa chasse.Naasir avait faitpreuvede rapidité,etdemiséricorde. Ilétait toujoursvifetne faisait jamaissouffrir saproie.Elle lenourrissait, et de cela, il lui était reconnaissant.Naasir était unprédateur. Il lui fallaitmanger.C’étaitdansl’ordrenatureldeschoses.Etilsemontraitattentifànejamaisseservirdansdesespècesdontlesmembresétaientcomptés.Ilnevoulaitpasqu’elless’éteignent.
Cejour-là,ilauraitmieuxfaitd’allerpêcher,mêmesic’étaituneméthodebienmoinsefficacepourtrouverdelanourriture–sionpouvaitconsidérerlepoissoncommedelanourrituredignedecenom.Avantqu’ilnepuisseouvrirlaboucheetempêcherAndromedadehurler,elledéclara:
—Oh, tu as trouvé quelque chose. (Froncement de sourcils.)Tu penses qu’il n’est pas dangereuxd’allumerunfeuici?Ondiraitbienqu’iln’yapasl’électricité.
Ilentraàsasuiteetposasaprisesurlatabledelacuisine.—Iln’yaaucuneraisonquequelqu’uns’eninquiètedepuisleciel,dit-ilenmarchantsurdesœufs
carilnesavaitpassiAndromedaétaitsincèrementsipeuencolèrequ’illuiaitramenédelaviande.Lesvoisinsquisaventqu’iln’yapersonneicisontpartis.
—Super.Jevaisdénicherdequoilancerlefeu.Elle le prépara enutilisant lesbranches et bouts deboisqui se trouvaient dansunpanier prèsdu
foyer,puisl’allumaavecundoigtédénotantsacompétence.Commeilavaitdéjànettoyéetvidélelapinavantdeleluiramener,ilsn’eurentplusqu’àmettrela
viandeàrôtirsurlabrochedéjàenplace.Naasirsoupiraenvoyantgrillerunenourritureaussiparfaite,maisneditrien.Ilsavaitqu’Andromedanevoudraitpaslamangercrue.
Ils placèrent leurs vêtements près de la cheminée afin qu’ils sèchent, puis la jeune femme s’assit,tournantlabrocheparintermittence.
—Tuasététrèsrapide.—Jen’aipaseuàallerloin.(Ilavaitsentisaproiedèssapremièreincursionhorsdelamaison.)
J’aiattrapéleplusâgédugroupe,celuidontl’heureétaitvenue.
Ilnesesaisissaitjamaisdesjeunes,carceladétruiraitl’écosystèmeauquellui-mêmeappartenait.—Mes remerciements au chasseur, et à la créature qui a donné sa vie afin que nous puissions
poursuivrelanôtre.Naasirobservasonprofil.—Tuesuneérudite.D’unemanièreoud’uneautre,ellecompritlaquestionimplicite.—Onnem’apasélevéecommeuneérudite.Mesparentssontinstallésdansunepartiesauvagedu
territoiredeCharisemnon.(Àlamentiondesongrand-père,Naasirmontralesdents.Ellehochalatêteetlançasansprendredegants:)Oui.Iln’estqu’unArchangeécœurant.
L’émotionqu’ilperçutdanslavoixdelajeunefemmelefitgrogner.—T’a-t-iltouchéelorsquetuétaisplusjeune?Naasir connaissait les appétits de Charisemnon et savait qu’il entraînait dans son lit celles qui
n’étaientpasencorecomplètementformées.Andromedahaussalesépaules.—Non…Mais ilme regardait d’une tellemanièreque j’avais le sentimentquedes araignéesme
grimpaientsurledos,avoua-t-elleavantdesesecouer,visiblementpoursedébarrasserdusouvenirdecettesensation.Mesparentscontrôlentensonnomunsecteurreculé,etc’estunespaceétenduemplidecréaturessauvagesetlibres.
Sontonchangea.Sonamourpoursalointaineterrenataleyperçait.—Engrandissant,j’aiététémoindecequelanatureadeplusféroceetdeplusimpitoyable.Ilya
les prédateurs et il y a les proies. Les lions clouent les antilopes au sol, et les guépards chassent lagazelle.C’estl’ordrenatureldeschoses.Seulsceuxquichassentalorsqu’ilsn’ontpasbesoindemangerperturbentcetordre.
Naasirétenditlesjambes.Ilsesentaitplusàl’aisemaintenantquesonpantaloncommençaitàfumergrâceàlachaleur,séchantenfincomplètement.Sontorsenuseréchauffaitaufeu.
—Jesuiscontentquetunesoispasvégétarienne,avoua-t-il.Ilconnaissaitdesintellectuelsquinemangeaientquedeschosesàfeuillesettrouvaitqu’ils’agissait
làdecréaturesfascinantes.Quipouvaitsurvivreainsi?Undouxriresefitentendre,provenantdelafemmeàcôtédelui,celledontl’odeurétaitencoreplus
délicieuse que celle de la viande et dont les cheveux joliment indomptés lui donnaient envie de s’yfrotter.
—As-tubesoindesang?Ilavaitréfléchiàlaquestion.Ilmangeraitunpeudeviande,mêmecuite,etils’étaitbiennourrilors
desonvoyageverslaforteressedeLijuan.—Non.Pasencore.Setournantverselle,ils’autorisaàcontemplerlepoulsdelajeunefemme.Quimarquaunenetteaccélération.Ils’obligeaàdétournerlesyeuxquandsonsexecommençaàdurcir,etseconcentrasurlesflammes.—Etpasdutien,dit-il, lavoixrauque.(Ilvoulait l’épinglerausoletplantersescrocsenelleen
mêmetempsquesonsexe.)Tuasbesoindetoutestesforces.Jetrouveraiquelqu’und’autre.Elle ne commenta pas.Mais elle s’était raidie tandis qu’ils observaient la viande qui finissait de
cuire.Lorsquecettedernièrefutprête,ilsladégustèrentensilence.Illuidonnalesmeilleursmorceaux,maismalgrécela,elleneluiparlaplusaussilibrementqu’avant.Incapabledecomprendrecequ’ilavaitfaitdemal,ildécidad’aborderunautresujet.
—As-tuprononcétonvœuparcequetesparentsnecontrôlentpasleursbesoinsdes’accoupler?
Elle releva vivement la tête. Elle était soudain si pâle que ses taches de rousseur ressortaientviolemmentsursapeau.Elleterminasonassiettepuisselevapourlalaver.Ellesedirigeaensuiteverslelitqu’elleavaitfaitenutilisantlesdrapstrouvésdansleplacard,ets’allongea.
Nesouhaitantpaslablesserdavantageenposantd’autresquestions,Naasirfinitluiaussisonrepasensilenceavantd’allermonterlagardeàlafenêtreafinqu’ellepuissedormirensécurité.
— En partie, avoua-t-elle timidement depuis le lit, une dizaine de minutes après. Mais pascomplètement.
Il attendit. Il savait se montrer patient. Parfois, il restait immobile pendant des heures quand ilchassaitdesproiesrusées.
Andromedas’assit,brasautourdesgenoux,etleregardadanslesyeux.—C’estsurtoutàcausedemoi,dit-elled’unevoixrauque.J’ailesmêmesinstinctscharnelsquema
mère.—Tuveuxt’accoupleravecpleindepartenaires?Ilessayadenepasgrognerenprononçantcesmots,maisilcomptaitbiengardersafemellepourlui.
Illasatisferaitàautantdereprisesqu’ellelevoudrait,maispersonned’autrenelatoucherait.Andromedadéglutit.—J’aibienpeurdedevenirexactementcommeellesijemelaissealleràmespulsions.Naasirbataillaitpourcomprendre.—As-tujamaiscouchéavecquelqu’un?—Non,admitAndromeda,conscientequ’ilnecomprendraitpassonchoix.Ilétaitunecréaturevibrante,crûmentsexuelle.Ensaprésence,sespropresinstinctssexuelsendormis
luttaientpourseréveiller;elleavaitenviedesefrotteràlui,delegoûteretqu’illagoûte.Sonfroncementdesourcilsencoreaccentué,Naasirvints’accroupirdevantelle.Elles’étaitassiseau
borddulitetserenditsoudaincomptequ’ilseraitcapabledevoirdirectementsonentrecuissesiellenefaisaitpasattention.Saculotteétaitencoreprèsdelacheminée,probablementsèchedésormais.
—Etçanetepèsepasd’êtreseule?luidemanda-t-il,sescheveuxglissantsurlecôtédesonvisagequandilpencha la têtedecettemanièrequin’appartenaitqu’à lui. J’aimeêtrecaressé.Tun’enaspasbesoin,toi?
LasincéritédeNaasirappelaitlasienne.—Jem’efforcedenepasenavoirbesoin.(Cequin’étaitpaschosefacilealorsquesoninclination
naturellelapoussaitàs’ycomplaire.)C’estpourcelaquejemesuismiseàl’épée.Pourcanalisermonénergiesexuelleenviolencecontrôlée.
Mieuxvalaitçaquelespratiquessadiquesdesesparents.—Lutter, c’est comme s’accoupler, commentaNaasir, les yeux brillants. Ce n’est pas exactement
pareil,maiscelamefouettelesang.Lorsque, instinctivement, lesyeuxdelajeunefemmesebaissèrent,elleseforçaàlesrelever.Elle
n’avaitaucuneraisondevérifiers’ilétaitexcitéoupas.—Leplaisirsexuelestcommeunedrogue,dit-elle.Onendevientdépendantaupointqu’ilprendle
dessusdansnosvies, etque leplaisir seulne suffitplus.La recherchede lanouveautéest sans finetréclamedesexpériencesdeplusenplusviolentes.Entoutcas,c’estcommeçadansmafamille.
—Tesparentscontrôlentunsecteur,soulignaNaasir.Ilsnefontpasqueça.—C’estunterritoirereculésansgrandeimportance.Charisemnonpouvaitêtredotéd’appétitsdéviants,iln’enrestaitpasmoinsunArchangeetn’étaitpas
stupide.Ilsavaitquesafilleetsongendreétaientincapablesdesechargerd’unvasteterritoireetdonc,illesavaitcantonnésdansunpetitcoinsansenjeuentermespolitiques.
—Ilsontaussideuxrégisseursquipeuvents’occuperdetoutsansaucuneinstructiondelapartdemesparents,carilss’enchargentdepuislongtemps.(Lesjumeauxvivaientlàbienavantlanaissancedupèreoudelamèred’Andromeda.)Mesparentssontsuffisammentpuissantspourêtredangereuxlorsqu’ils’agitdedéfendrecesterres,maisàpartça…
Elle se tordit lesmains, les serrant fort pour refréner lebesoinde les tendre et de jouer avec lescheveuxdeNaasir.
—Depuisleurjeunesse,ilsmènentuneexistencedissolue,blaséeetsexuellementviolente.Elle avait lu des histoires sur les débauches de ses parents. Chacun de leurs faits et gestes était
rapportéàcausedelafiliationdesamère.—Leurincapacitéàcontrôlerleurspulsionslesrendfaibles,commentaNaasir.(Sonregardsemblait
latraverserdepartenpart,commeunéclairquiauraitilluminésessecretslesplusenfouis.)Unefemmequiluttecontresesinstinctssensuelsdepuisdescentainesd’annéesnel’estpas.
Andromedaravalasonsouffle,souhaitants’accrocheràsesmotsetlesconserverenelle.—Celademandeuncontrôledetouslesinstants.Ilhaussalesépaules.—Jedoismesurveilleraussipournepasagirdemanièretropinhumaine.—Netesurveillepas,sesurprit-elleàrépondre.Pasavecmoi.Ilclaquadesdentssoussonnezetsouritlargementlorsqu’ellesursauta.—Jecroyaisquetuvoulaisquejememontrecivilisé.—Argh! J’ai dit çauneseule fois, alors que j’étais furieuse. (Il rit, le regardmalicieux, et elle
repoussa ses épaules nues et chaudes.)Tumedonnes envie deme conduire demanière complètementbarbare.
LesyeuxdeNaasirs’éclairèrent.—Bien.Puis,semettantsurpied,ilajouta:—Jedoiscontinueràmonterlagarde.Repose-toietréfléchisauxchoixquis’offrentàtoi.Elleenvoyaunregardnoiràsondostournéalorsqu’ilreprenaitsaplaceprèsdelafenêtre.—N’essaiepasdemedonnerdesordresquandonn’estpasentrainderamperaumilieud’ennemis.Illuijetauncoupd’œilpar-dessussonépaule,sourcillevé.—Dors,outuvas tomberdefatiguequandonreprendralaroute.Etsachequetunemaîtrisespas
encorel’artderamper.Elleluijetaunoreiller.Ill’attrapa,ritd’unplaisirnondissimulé,sesgriffesvisiblessurladouceurdutissu.Soninsolence
impénitenteamenaunsourireauxlèvresd’Andromedaquandelleselaissatombersurlelit.Elletiraledrapà elle etprogrammasonesprit pour se réveillerdansquelquesheures afinqueNaasirpuisse luiaussi se reposer. Il était plus âgé et plus fort qu’elle,mais avaitmalgré tout besoin de sommeil.Toutcommedesang.
Sonhumeurs’assombritdenouveauàlapenséedeNaasirsenourrissantd’uneautrefemme.Mais cela aussi, c’était dans l’ordre naturel des choses. Naasir était une créature sexuelle et les
femmesétaientattiréesparlui.Iln’yavaitaucuneplacedanssaviepouruneéruditeayantfaitvœudechastetéavantmêmed’avoircompriscequ’étaitledésir,d’avoirsidésespérémentenviede…regarderdansdesyeuxd’argentfonduetd’ydécouvrirunfuturbienplusextraordinairequeceluiinscritdanssonsang.
Ilsquittèrentlecottageàlanuittombée,ayantrevêtuleursvêtementssecs.Naasirluiavaitordonnédecouperundrapetd’enutiliserlesbandespouremmaillotersespiedspuisquesesballerinesl’avaientlâchéedanslesheuresprécédantl’aube.Elles’étaitserviedudrapleplusvieuxqu’elleavaitputrouver,vraisemblablementoubliédansleplacard.
Revigoréepar lesommeilet lanourriture,sespiedssuffisammentprotégéspourquelespierresnel’entaillentpas,ellefutcapabled’avancersansflancherpendantdesheures.
— Pourquoi es-tu venu à mon secours ? demanda-t-elle à Naasir à mi-chemin. Par mesure desécurité,j’avaislaisséàJessamyunecopiedétailléedemesrecherches.
Desyeuxargentluisirentenseposantsurelle.—Arrêtedem’insulter.Il se détourna pour poursuivre sa marche. L’air renfrogné, elle lui donna un petit coup d’épée à
l’épaule,prenantbiensoindenepastranchercettesuperbepeauquiappelaitlescaresses…etlescâlins.—C’estunequestionparfaitementraisonnable.Jesuisenformationetn’appartiensàaucunecour.Unmensonge,maisunmensongequ’elleavaitchoisidevivre…etvivraitpourlesquelquesjoursde
libertéqu’illuirestait.— Jessamy n’appartient à aucune cour et à toutes à la fois, et il en va de même pour ceux qui
travaillentpourelle.(Ilgrognaquandellelefrappadenouveaulégèrement.)Situnefaispasattention,jevaisfinirpartemordre.
Lescuissesdelajeunefemmeeurentunspasmeàcetteidéeetelleessayadeseconcentrersurdeschoses froides, sans aucune sensualité. Mais sa discipline semblait l’avoir abandonnée. Lorsqu’elledépassaNaasir, tentant ainsi de fuir le désir qui faisait frémir sa peau, il revint à sa hauteur, prit uneprofonde inspiration et afficha un sourire narquois. Elle brandit l’épée avant qu’il puisse ouvrir labouche.
—Prononceunseulmotetjet’entransperce,prévint-elle.—Tumeblesserais?—Tuesunvampiredesixcentsans.Tut’enremettrais.Il lui montra les crocs et ils poursuivirent leur route. Il fallut une éternité à Andromeda pour
recouvrerunsemblantdecontrôlesursoncorps.Chaquefoisqu’ellevoyaitNaasirbouger,chaquefoisquesonparfumluiarrivaitauxnarines,chaquefoisqu’ils’exprimaitdecettevoixbasse,grondante,quiressemblaitàunedurecaresse,lapartiesensuelledesanatureluiaccordaituneattentiontremblante.
Elleaccéléral’allure,testantseslimites.Troisheuresplustard,Naasirrepéraunvéhicule.Malheureusement,ilétaitimpossiblequelesailes
d’Andromeda y rentrent. Ils poursuivirent donc leurmarche jusqu’à ce que l’aube chatoie de nouveaudansleciel.Tapisdansl’ombred’unemontagne,ilssereposèrentàtourderôletandisqu’au-dessusdeleurtêtelesoleilsefaisaitbrûlant.
Lesescadronsderecherchesemblaientavoirrebrousséchemin,maisnielleniNaasirnepouvaientse permettre de baisser la garde. Si des villageois les repéraient et les signalaient à leur déesse, unescadrons’élanceraitverseuxdepuislacitadelle,tandisqued’autresvenusdesfrontièreslesprendraiententenaille.Ilsseraientencercléssansmoyendes’ensortir.
Pendantqu’ellemontaitlagardeetsurveillaittoutsignedevieauxalentours,Naasirdormait.Elleneputseretenir.Ellesemorditlalèvreinférieureettenditlesdoigtsavecbeaucoup,beaucoup,beaucoupdeprécautionpourluitoucherlescheveux.Ilsétaientd’unesoiefraîcheetbienplusdouxqu’ellenesel’étaitimaginé.Ellevoulait…
LamaindeNaasirs’élançapourcapturersonpoignetalorsqu’ilavaitencorelesyeuxclos.—Andi,qu’est-cequetufais?
Chapitre19
Andi?Celan’avaitriend’unnomangélique…maisilluiplut.—Jetouchetescheveux,admit-ellepuisqu’elleavaitétépriselamaindanslesac.Illarelâchaenbâillant.—Tupeux.Ilsemblareplongerimmédiatementdanslesommeil.N’y croyant pas vraiment, ses doigts se remirent à serpenter dans les mèches d’une douceur
séduisante.Naasirneseréveillapas,nes’étiramêmepas,maisilnedormaitsansdoutequed’unœil,commeungrandchatsauvagequiseprélasse.Ilétaitmêmerayécommeuntigre.
Quoi?Ellecilla,puisobservadenouveaulesbrasetlevisageduvampire.L’illusionpersista.Ellelevala
tête,sedemandantsiunecombinaisonparticulièredebranchesd’arbreenétaitresponsable,maisriennesemblaitexpliquerledessinombrésouslemarronprofondnuancéd’ordelapeaudeNaasir.
—Qu’es-tu?murmura-t-elle.Maiscettefois-ci,ilnes’éveillapas–ous’ill’entendit,ilchoisitdegarderpourluisessecrets.Elle lui caressa les cheveux pendant un longmoment, et le plaisir qu’elle retirait de ce geste la
touchait jusqu’au plus profond de son être.C’était comme s’occuper d’un animal sauvage qui l’auraitacceptée. Il n’était pas apprivoisé et quiconque commettrait cette erreur le regretterait, mais pour lemoment,ilavaitdécidéqu’ill’aimaitbien.Ellesavaitquecelachangeraitàlasecondeoùelleprendraitlaplacequiluiétaitimposéeauseind’unecourennemie.Cetteissueétaitinévitable.
Elleeutlesentimentquesoncœurétaitécraséparunpoingd’acier.
Cettenuit-là,Naasir eut à senourrir. Il laissaAndromeda l’attendre sous l’épaisbosquetd’arbresprès d’un petit village où il se rendit. Il y trouva sa proie, lui prit son sang et revint. Le tout ne luidemanda que six minutes tout au plus, mais même cela parut trop long à Naasir. Il avait consciencequ’Andromedapouvait sedéfendre toute seule, tout comme il savaitque s’il ne se sustentait pas il neseraitpluscapabledelaprotéger.Malgrétout,ilparaissaitmalvenudesenourrirdequiquecesoitalorsqu’Andromedaétaitdanssavie.
Ellenesetrouvaitpluslàoùill’avaitlaisséeenpartant.Ilneluifallutpaslongtempspoursuivresatrace jusqu’à un petit cours d’eau non loin. Elle se tenait sur la rive, le dos raide, ses jolies ailessemblablesàcellesd’unoiseautenuesau-dessusdusol.
—C’estbon?s’enquit-ellesansseretourner.—Oui.
Ellerepritsaplaceàsoncôtépourlasuitedeleurvoyage,maisNaasirsentaitquequelquechosenetournait pas rond.Comme il le lui avait prouvé, il était capable de revêtir une peau civilisée lorsquec’étaitnécessaire.Laplupartdesfemmesqu’ilavaitentraînéesdanssonlitn’avaientjamaisentrevucequ’ilétaitvraiment.Ellesn’avaientrencontréquesonavatardétendu,cultivé,quifaisaitnaîtreenellesunfrissondepeurprimairequidécuplaitleurplaisirsexuel.
C’étaitunjeuquin’enétaitpasun.Plutôtunmensongequin’avaitriend’instinctifchezlui.Ilavaitappris à endosser ce rôle seulement après s’être rendu compte qu’autrement les femmes nel’autoriseraientpasàsetrouverprèsdeleurcorpsdouxetdeleurpeaudélicate.
«Netesurveille.Pasavecmoi.»Certes,Andromedasursautaitquandill’effrayaitparjeu,maisellen’avaitpasflanchéuneseulefois
lorsquecelacomptait.Elleavaitétéheureusequ’illuiapportedelaviande,l’avaitlaissélatoucherdesesgriffes,nel’avaitpasregardéavecuneaversionterrifiéeuniquementparcequ’ilneressemblaitpasauxautreshommes.Non,ellel’avaitregardécommesiellevoulaitlecaresser,lemordreetjoueraveclui.
Saufcesoir.Cesoir,elleévitaitmêmesesyeux.—J’aichoisiunhomme,dit-ilaumilieudusilence.Elletrébuchaetsereprit.—Oh.Unelonguepause.—Jenepensaispasquetuaimaisleshommesdecettemanière-là,finit-elleparajouter.Elleavaitlavoixtendue,commesiellenerespiraitpasnormalement.—C’estunenourriturecommeuneautre.Tantqu’ellen’étaitpascontaminée, comme le sangqui couraitdans lesveinesdesRessuscitésde
Lijuan,ellelemaintiendraitenvie.Andromedaluibalançaunregardtranchantcommel’acier.Ilfutheureuxdeconstaterquesafemelle
avaitdesgriffes–etencolèrequ’ellelesutilisecontreluiquandiln’avaitrienfaitdemal.— J’ai entendu les femmes du Refuge raconter combien c’était sensuel lorsque tu te nourrissais
d’elles.Naasirhaussalesépaules.—Unrepasquiseportevolontaireestmeilleurqu’unautrequinel’estpas.Lorsqu’ilavaitbesoindechasser,ils’élançaitaprèsuneproiedechair.Pourlesang,iln’acceptait
personnequinesoitd’abordconsentant.—Mais lanourritureduRefugeest tropenthousiaste, ajouta-t-il engrommelant.Elles s’imaginent
quejepeuxingurgitercombiendelitresdesang?Andromeda en resta bouchebée, puis secoua la tête.Elle avait denouveaunatté ses cheveux afin
qu’ilssoientlemoinsgênantspossible,maissesirisbrillaientd’unéclatsauvage.Puisellesemitàrire,étouffantseséclatsdejoied’unemaincolléeàsabouche.Fasciné,Naasirsecontentaitd’observersesyeuxétincelants, lumineux.Chaquefoisqu’elleessayaitdeparler, lerire lareprenait. Il la laissadoncfairejusqu’àcequ’elleselassetouteseule.Deplus,ilappréciaitsonplaisir.
—Qu’ya-t-ildesidrôle?demanda-t-ilquandellefinitparbafouillerentredeuxgloussements.—Toutescesfemmes,murmura-t-elle,leregarddenouveauenflammé.Ellessevantentquetusois
venuàelle,commesitutrouvaischacuned’entreellesprofondémentattirante–ettulesvoiscommedelanourriture!
Ellesepliadenouveauendeux,lesépaulessecouéesparlerirequ’elleessayaitenvaind’étouffer.Cequin’avaitpasd’importance;iln’yavaitqueluipourl’entendre.
Lajubilationmalicieusedontelleluiavaitdonnéunaperçulefitsourireetilcaressalecentredesesailesd’ungestetendre.
—Lesangdechacuned’ellesaungoûtdifférent,luiapprit-il.Jepensequecelatientàleurrégimealimentaire.J’aimelavariété.C’estcommechangerderestaurant.
Elleentombaparterretantelles’esclaffait.Leslarmesluimontaientauxyeux.—Arrête,parvint-elleàarticulerentredeuxgloussementsavantdeposersonépéedansl’herbeetde
collersesdeuxmainssursaboucheens’allongeantsurledos.Ilvintchevauchersafemelleàl’odeurdélicieuseetautempéramentéclatant,sauvage.Ils’appuyasur
sespaumespourseredresserau-dessusd’elle.—Tuveuxquejeteconfieunsecret?Elleétaitencoreauxprisesaveclerireetsecoualatête.MaisNaasirpouvaitvoirqu’elledésirait
savoir.Ils’abaissajusqu’àn’êtrequ’àquelquescentimètresdeslèvrescharnuesdelajeunefemmequ’elle
dissimulaittoujoursderrièresesmains.— Si Dmitri ne m’avait pas appris à être civilisé, murmura-t-il, à l’heure actuelle, j’aurais
probablementdéjàmangéquelques-unesdecesfemmes.Lorsque Andromeda écarquilla les yeux, il comprit qu’il avait commis une erreur, qu’il lui avait
dévoiléunetropgrandepartdesanature.Ilétaitsurlepointdesereleveravantqu’ellenesemetteàhurlerdepaniqueouàsedébattre,cariln’étaitpassûrdepouvoirsupporterunetelledouleur,maiselleleretint.
Letirantplusprèsd’elle,ellechuchota:—Tutemoquesdemoi?Ilsavaitquelemensonges’imposait,maisilnevoulaitpasêtreavecquiquecesoitquis’attendaità
ce qu’il dissimule sa vraie nature. Janvier et Ashwini ne se cachaient pas l’un de l’autre. HonorconnaissaittouslessecretsdeDmitri.
—Non, répondit-il. Je suis parfaitement capable demanger quelqu’un,mais il faudrait que je lehaïsseviscéralementetquejesoisvraimentaffamé.
Ilenvisageadeluirévélercequ’ilavaitfaitàl’angequil’avaitcréé,maischoisitdevoircommentelleencaissaitcettepremièrevérité.
Deminusculesridess’imprimèrentsurlefrontdelajeunefemme.—Est-cequejesuisdelanourriturepourtoi?grogna-t-elle.—Non,répondit-il,et,lesmusclesplusdétendus,ilfrottasonnezcontrelesien.Sijetemords,cela
seraparjeu.Etsijetedévore,celaseraparcequej’auraimalanguedansta…ElleplaquasamainsurlabouchedeNaasir.
Lepoulsemballé,Andromedaplantasesyeuxdansceuxdelasuperbeetférocecréaturequifaisait
volerenéclatschaquebarrièrequ’elleavaitconstruitedanssavolontédemenerunevied’honneuretdedisciplineoùellenesecontenteraitpasdeprendre,maisaussicréeraitetdonnerait.Ilétaitsipur,avecau tréfondsdesonâmeunehonnêtetébrutequi l’attiraitcomme lepapillon l’étaitpar la flammede labougie.Ellesavaitqueplusjamaisellenerencontreraitquelqu’uncommelui,pasmêmesiellevivaitdixmilleans.
Unepartied’ellevoulaitacceptersoninvitation,êtreaveclui,engrangerlessouvenirsmémorablesenprévisiondecequil’attendait.Elleétait liéeauservicedelacourdeCharisemnonpourcinqcentsans.Connaissantsongrand-père,cescinqsièclesneseraientqu’unesuccessiond’horreurs.Danscecas,luimurmuraitledésespoir,pourquoinepasprofiterdelaprésencedeNaasirjusteunpetitmoment?
Etquesepassera-t-ilquandtuintégreraslacourdeCharisemnon?Ce froid rappel lui fit l’effet d’une claque.L’idéequeNaasir la déteste ou se déteste après avoir
partagéunetelleintimitéavecellelapétrifiait.Ellesesentaitplusvulnérableetfragilequ’unesculpturedeverre.
—Souviens-toidemonvœu,dit-elled’unevoix rauquede toutescesémotionsqu’ellen’étaitpasautoriséeàexprimer.
ElleretirasamaindelabouchedeNaasiretl’expressiondecederniersefigea,soudainsérieuse.—Situétaismienne,jenetelaisseraispast’accoupleravecd’autres.Ellenesavaitpass’ils’agissaitd’unemenaceoud’unepromesse.Ilsedétachad’ellepourseremettredeboutavantqu’ellenedécidedesaréponse.Illuioffritsamain
etl’aidaàseredresser.—Parle-moidetonstupideGrimoire.Leventreserré,ellesoupira.—Tunepeuxpasletrouver.Lesyeuxd’Andromedalabrûlaientparcequ’ellevoulaitqu’illetrouve,mêmesicelanechangerait
rien.— Je peux tout trouver. (Sa confiance en lui dénotait une arrogance folle,mais une arrogance qui
donnaitenvieàAndromedadel’embrasser.)Ilestgroscomment?Oùa-t-ilétévupourladernièrefois?—C’estbien là leproblème,avoua-t-elle.Onn’aplus tracedesonexistencedepuismilleansou
plus…Etavantcela,ilestmentionnédansdevieilleshistoiresquipourraientaussibienêtredesmythes.C’étaitmêmelaraisonquiexpliquaitcechoix.Elles’étaitainsiassuréequelaporteresteraitcloseà
jamais.Naasirserenfrogna.—Iln’existepaspourdevrai?—Si.(Sonâgeétaitjusteincalculable.)Enfait,Calianeestàl’originedutémoignageleplusfiable
desonexistence.Bienavantqu’ellenesoituneAncienne,elleyafaitallusiondansunelettreàunami.Pour une raison ou pour une autre, cette lettre vieille de plusieurs siècles avait survécu et était
conservéedansunesectionspécialedesArchives.—Oùl’a-t-ellevu?—Danslademeured’unalchimiste.(Àuneépoqueoùmêmelesangescroyaientendetelleschoses.)
Lui est mort depuis longtemps, la ville où il a vécu a disparu, et les érudits ont passé des milliersd’annéesàessayerdetrouverlatracedulégendaireGrimoireÉtoile,sanssuccès.
—Parle-m’en,exigea-t-ildenouveau.Bêtementheureusedesadéterminationbutée,elleselaissafléchir.—C’estunlivresurlescréaturesfantastiquesetlesmystèrescachés.Onpensequ’ilaétéécritpar
une ange il y a si longtemps que son nom s’est perdu dans les Archives. On dit que ses pages sontparsemées d’illustrations de la plus grande beauté, peintes à lamain par le compagnon bien-aimé del’ange.
—Àquoiressemble-t-il?—Couverturedecuir,avecunfermoirdoré.(Unedescriptionfrustrantetantelleétait incomplète.)
Personnenesemblevouloirjamaisdécriresonapparence,maisuniquementsoncontenu.Naasir l’observaavecune telle intensitéqu’elle sutqu’il envoulaitplus.Alors, elle lui endonna
plus, et ce faisant, elle apprit qu’il aimait l’écouter raconterdes récits suruneépoque révoluedepuislongtemps.L’histoirequerecelaitsonespritnel’ennuyaitpas,etsesinterventionsapportaienttoujoursunéclairagenouveau.
Oui,jamaisellen’oublieraitNaasir.Pastantqu’ellerespirerait.
Chapitre20
Elena pénétra dans le bureau de Raphael à la Tour pour y découvrir le Principal au lieu de sonArchange.LemeneurdelaLégionobservaitunécranoùlevisagedeJessamyavaitfaitsonapparition.
—Oh,pardon,ditlachasseuseenreculant.—Ellie, attends, l’arrêta Jessamy tandis que le Principal se tournait pour l’épingler de ses yeux
superbesetétranges,translucidesetauxiriscerclésdubleudelamontagne.—Affiliée.Sonsalutfutprononcéd’untonplat,maiselleyentenditseptcentsoixante-dix-septvoixs’adressant
àelledansunmurmure.—Bonjour.Lesvoix se turent.Dieumerci.Aprèsquelques incidentsdeparcours, laLégionenétait arrivée à
comprendre qu’elle ne pouvait recevoir toutes leurs voix dans sa tête, contrairement à Raphael. Ilsavaientcommencéàapprendrequ’ellelesvoyaitcommeautantd’individusetnoncommeuneentité.Elleignoraitenrevanchesieux-mêmesavaientacceptécetteidée.
— As-tu été en contact avec Amanat ? demanda-t-elle à l’historienne après s’être approchée duPrincipal.
LesyeuxmarrondeJessamys’emplirentdecompassion.—Keirestsurplaceencemomentmême.IlditqueSuyinestenansharaetquec’estpourlemieux–
lesexcisionsrépétéesdesesailessansqu’elleaiteusuffisammentde tempspourvraimentguérirontaggravésonétat.
Elenaneparvenaitpasàimaginerl’horreuràlaquellel’architecteavaitsurvécu.— Aucun des espions de Jason n’a réussi à prendre contact avec Naasir, apprit-elle à Jessamy,
sachantquel’historienneentretenaitunlienprofondaveclemembredesSeptauxcheveuxargent.Jasonlui-mêmeavaitvoléjusqu’auterritoiredeTitusaprèsavoireuventderumeurs.Desheurtsàla
frontière séparant les territoires de Titus et Charisemnon se seraient produits, potentiellementannonciateurs de guerre. Lemaître espion était persuadé queNaasir s’en sortiraitmaintenant que sonéruditeet lui-mêmeavaientéchappéà lacitadelledeLijuan,maisElenaneserait rassuréequ’unefoisqu’elleauraiteudesnouvellesdirectesdecettesatanéecréature-tigre.
—Ilestunêtredecéléritéetd’ombre;ilestnépourça.LePrincipal avaitunemanièrede rester si immobilequ’il était faciled’oublier saprésence,mais
quandilparlait,ils’exprimaittoujoursdemanièresensée.LesouriredeJessamyétaittremblant,maissincère.— Il serait de lamême opinion que vous. Il n’y a rien qu’il aime plus que se faufiler à droite à
gauche.(ElleopinaendirectionduPrincipal.)Nousparlionshistoire.Ouplutôt,j’enparlais.
—Lessouvenirsquenousavonsdenotretempsdesommeilcommencentàs’estomper,expliqua-t-ilàElena.C’est…uneffetsecondairedenotreretourdanslemonde.
—Etmalgrétout,ilneveuttoujourspasmeracontertoutcedontilsesouvientafinquejelenote.—Certaineschosesnedoiventpasl’être.(LavoixduPrincipalcontenaitdeséchosinnombrables.)
Lavien’aplusdesenssitoutestconnu.Ceci,nousl’avonsappris.—Maisnouspourrionsaussiapprendredeserreurspassées,pournepaslesreproduire,argumenta
Jessamy.—Chaquegénération,chaqueCascadeasonproprerythme.Lecontre-argumentduPrincipalétaiténoncésanspassion,maisn’enrestaitpasmoinspuissant.Un
étrangesentimentd’éternitéimprégnaitchacundesesmots.—Ilvousestimpossibledeprédirelefuturenregardantlepassé,ajouta-t-il.Sefaufilantàl’extérieurtandisquetousdeuxpoursuivaientleurdiscussion,Elenaserenditàcequi
avaitétél’étagedel’infirmerie.Laplupartdesblessésétaientmaintenantpartis.Seuleunepetitesectionaunord-estdubâtimentétaitencoreoccupée.
Ellen’ytrouvaqu’unseulange.Izak,torsenu,setenaitdeboutsursesjambestremblantes,soulevantdespoidsavecdétermination.Sesbouclesbondesavaientrepoussé.Lesosdesesmainsavaientexploséenmilliersd’échardesdurantlaChute,maisilnes’agissaitlàquededégâtsmineurscomparésàceuxdeses jambes,amputéesauniveaudescuisses.Cesdernièresvenaient justedefinirdese régénérer, lorsd’unprocessusd’unedouleuratroce.
—Izzy,dit-elleenavançantrapidementvers le jeuneange, tusaisquetun’espascenséfairecelasanssurveillance.
Illuiadressaunregardcoupablemaistêtu.—Jenepeuxpasresterencorelongtempsici,Ellie,jedeviendraisfou.Ilnerésistapaslorsqu’elleéloignalespoidsetlesposasurlecôtéaprèsavoirvulesmusclesdes
bicepsd’Izzytrembler.Lecœurdelajeunefemmeseserra.Izakétaitl’undesplusjeunesangesàavoirsurvécuàlalâche
attaquequiavait envoyé tantd’angesnew-yorkais s’écraserau sol.Lanature terriblede sesblessuressignifiaitque lecheminqu’ilavaitparcourupourenarriveroù ilenétaitavaitété longetdouloureux.Charisemnonavait à répondredebeaucoupdechoses etdes comptes lui seraientdemandés :Raphaeln’oublieraitjamaiscecrimedeguerre.Sonpeuplenonplus.
—Izzy,dit-elleenconservantuntonléger, tuasdesabdosquiferaientpâlirdejalousien’importequelhomme.
Elleluitapotaleventre,heureusedesentirsapeauchaude,saine,làoùiln’yavaiteuquedelachairàvifetsanglante.
Ilévitasonregardenrougissant.—J’aiparléàtonguérisseur,continua-t-elle.Ilditquetuesunpatientremarquablequirécupèrebien
plusvitequ’ons’yétaitattendu.Galenaétésiimpressionnéparsondernierrapportqu’ilt’aenvoyédesdevoirs.
Izzyn’avaitquecentdix-septans.Unbébésoldatentermesangéliques.—Encore?Lejeuneangeavaitl’airsihorrifiéquec’enétaitcomique.Ses jambes flageolantes le lâchèrent et il tomba assis sur un lit d’infirmerie, ses ailes déployées
autourdelui.—J’arrivedéjààpeineàterminerceuxqu’ilm’afaitparvenir.
Refoulantsonriredepeurquecejeunecœurnel’interprètemal,Elenaluimontralatablettequ’elleavaitpriseensortantdubureaudeRaphael.
—Cen’estpascegenrededevoirsettoutnevientpasdeGalen.UnepartieestdeJessamy.—Jessamy?—Mmhmmh.Elle s’assit à côté de lui.Leurs ailes se superposèrent dans un geste d’intimité affectueuse qui ne
manqueraitpasdeleréconforter.—Fairepartiede laGarded’uneaffiliéen’estpasqu’unequestionde forcephysique,expliqua-t-
elle.Danslamesureoùelles’étaitretrouvéeavecuneGardesurlesbrassanstropsavoircomment,elle
faisaitdesonmieuxpourensaisirlefonctionnement.— Apparemment, poursuivit-elle, tu dois comprendre tous ces trucs de politesse afin de ne pas
insulterparaccidentunArchangeet,tusais,provoqueruneguerre.Izakdéglutit.Luitapotantlebras,elleprécisa:—Net’inquiètepas.Sijepeuxapprendrecesmachins…(Oudumoinssuffisammentpournepas
m’emmêlerlespinceaux.)…Alorstuseraspremierdelaclasse.—Est-cequejepeuxrepenseràmonaffectationdanstaGarde?—Trèsdrôle.Etparcequesonpetitsouriremalicieuxétaitadorable,elleluiplantaunbaisersurlajoue.Sonteinttournaaurougebrique.—Qu’est-cequisepasse,ici?Uneorgie?lançaunelentevoixmasculineàl’accentcajun.Ondirait
bienqu’onaétéinvitésicisousunfauxprétexte,madouce.ElenalevalesyeuxpourdécouvrirJanvieretAshwinisurleseuil,tousdeuxvêtusdevestesencuir
et casqueà lamain.Les longscheveuxnoirsd’Ashétaient lâchés, ses couteauxattachésà sescuissesseulesarmesvisibles.
—Cesdeuxmécréantssonttescopainsdeclasse,expliqua-t-elleàIzak.—Hé,s’indignaAshwinisansbougersoncorpsagileetmusclédedanseuseduseuillorsqueElena
avançaverselle.Etpastoi?—Jesuisdescoursderattrapagedel’étiquettedepuisquejesuisdevenuel’affiliéedeRaphael.J’ai
denombreuseslongueursd’avancesurvous.Ashréponditàcetteprovocationparunsourire,maissesyeuxdemeurèrentsombres.Sitoutlemonde
aimaitNaasir,ilétaitparticulièrementprochedeJanvieretAsh.—Aucunenouvelle,souffladoucementElena.Janvierpassasamainlibredanssescheveuxébène,unsourirenarquoisauxlèvres.—Net’inquiètepas,cher,dit-ilenprenantAshparl’épaulesanslâchersoncasque.Naasirnousa
unefoissortistousdeuxd’unmaraisinfestéd’alligatorsenpleinmilieud’unouragan,denuit,etatrouvéçamarrant.Toutirabien.
Les deux femmes dévisagèrent le vampire cajun. Les yeux rieurs et les crocs luisants, il offrit unsourirecanaillequiillustraitàlaperfectionpourquoiils’entendaitaussibienavecNaasir.
—Jevousraconteraicettehistoirequandilseralàpourmedonnerlaréplique.Ildit toujoursquej’oublielesmeilleuresparties.
—Oui,ditfermementAsh,c’estNaasir.Furtif,fortetavecl’odeurdutigreenchasse.
Chapitre21
Mêmeaveclehandicapquereprésentaientlesailesd’Andromedaetlarepriseinattenduedevolsderecherchequilesobligèrentàrestercachéspendantcinqheuresdanslaforêt,Naasirparvint,deuxjoursplustard,àfaireatteindreàcettedernièrelafrontièremaritimelaplusproche.Ilsyétaientarrivésauxheureslesplussombresdelanuit.
Cela s’expliquait en partie parce qu’à un certain point il l’avait autorisée à voler de nuit pendantqu’ilcourait.Ellen’avait jamaisvuquelqu’unsemouvoiravecune tellegrâceféline.Commeun tigreargentstriéderayuresplussombres.
Leurarrivéeàlafrontièreentoutetranquillitéétaitpresquedécevanteaprèsladiscrétionrequiseparle reste de leur voyage. Elle s’attendait à tomber sur des vampires bardés d’armes et des escadronsaérienscroisantdanslesairs,maislesgensdeLijuanserendaienttousversunautrepointdelafrontière.
—Jason?—Ouunmembredesonéquipe.—Commentsavaient-ilsquandintervenir?—Ilsn’ensavaient rien.Jesupposequ’ilyadesescarmouchesetdesdiversions le longdecette
lignedepuisaumoinsvingt-quatreheures.(Illevaundoigtàseslèvresquandungardepresséledépassaencourantpoursejoindreàlamêlée.)Maintenant,ordonna-t-ilquandlegardeeutdisparu.
Etiltenditlamainàlajeunefemme.Elles’ensaisitpour lesuivre jusqu’àunebargeenpiteuxétatdontNaasir luiavaitapprisqu’elle
étaitmanœuvréepardesvampiresalliésd’Astaad.Ilsemblaitquel’ArchangedesîlesduPacifiqueavaitchoisidebrandirsondrapeauàcôtédeceluideRaphael.
—Naasir,dit-elledoucementunefoisqu’ilss’ytrouvèrentensécurité.Sesailesauraientpuladénoncer,maispersonnenelesavaitremarquéslorsqu’ilsétaientmontésà
bord,etdèsqu’elleétaitarrivéesurlepont,elles’étaitinstalléedemanièreànepasêtrevuedepuislarive.Iln’avaitpasbesoindeluidirequ’ellenepourraitdécollerqu’unefoisqu’ilsauraientdépassélessentinellesaériennes.
—Qu’ya-t-il?luidemanda-t-il,tandisqu’ilfouillaitduregardlerivage.Àpeinequelquessecondesplustard,labarges’enéloignait.—JepensequenousdevrionsalleràAmanat,nouséquiperetpartirpourlelieuleplusprobable.—Enas-tuparléàLijuan?Elleroulalesyeux.—Biensûrquenon.J’aimenti.(Êtreobligéed’assisteràlatortureàlaquelleHengavaitétésoumise
n’avaitfaitquerenforcersadétermination.)Demanièretrèsconvaincante,medois-jedepréciser.Àlaminuteprésente,XiestprobablementquelquepartducôtéduKilimandjaro.
—Jesavaisquetuétaissournoise,fit-ilavecapprobation.(Ilpritlajeunefemmeparl’épaulepourl’attirervers lui.Cettefois-ci,sonclaquementdedentsétait joueur.)Unefoisquenousseronshorsdeportéedessentinelles,envole-toipourAmanat.Jemedébrouilleraipourterejoindre.
L’instinctetlecœurdel’éruditeserebellèrent.—Jenetelaisseraipasseul.—Jepourraivoyagerplus rapidementdanscesconditionsquandnousaurons touché terre. (Ilprit
quelque chose dans sa poche. C’était une lourde bague en or sur laquelle était gravée un N serti dediamants.) Cela te permettra d’entrer dansAmanat. Reste à l’extérieur du bouclier jusqu’à ce qu’unesentinellesemontre.Montre-luialorslabague.
Ellepritlebijouetcaressadupoucelespierresprécieuses.Ellen’auraitpaspenséquec’étaitsongenre–lebraceletàsonnomqu’ilportaitétaitbienmieux.
—Pourquoinel’as-tupasaudoigt?Latenanttoujoursparl’épaule,ilfrottasamâchoirecontrelatempedel’ange.—J’aime leschosesquibrillent,maispassurmoi.Calianem’adonnécebijouen remerciements
pouravoirprotégésacitélorsqu’elles’estéveillée.—J’enprendraisoin,promitAndromeda.Aumêmeinstant,ildétachalasimplechaîneenorqu’elleportaittoujoursautourducouetquiavait
survécuàtoutesleursaventures.Ilyattachalabague,effleurantlanuquedelajeunefemmeduboutdesdoigts.
Sesseinsdurcirent,unfrissonlaparcourut.Elleauraitdûprotesteràlafamiliaritédugeste,maisilnesemblaitpasdéplacé–toutcommeilne
lui avait pas semblé déplacé de caresser les cheveux deNaasir.Andromeda ne tenait pas vraiment às’arrêteràcespenséesouellecommenceraitàsouffrirauplusprofondd’elle-même.
— Qui dois-je demander en arrivant à Amanat ? interrogea-t-elle en détournant le regard pourempêcherNaasird’yliretoutcequ’ellecherchaitàcacher.
— Isabel, répondit-il en l’attirant contre la chaleur et les muscles de son corps. Elle était macoéquipièreletempsdemamissionlà-basetelleachoisideresterenville.
Andromedan’avaitaucuneintentionderepousserl’étreintedeNaasir.—Jel’aivueauRefuge.Isabelétaituneguerrièredegrandetaille,compétente,quiavaitchoisilavoiedel’ascétisme.Quatreheuresplustard,l’éruditedéployaitsesailes,prêteàdécoller.—Jet’attendrai.Soisprudent.Rienneseraitàsaplaceavantqu’ilnesoitdenouveauàsescôtés.Naasirlaregardasefondredansleciel.Lescheveuxargentduvampirebrillaientsousl’éclatdela
lune.
Chapitre22
XietsonescadronavaientpassédenombreuxjoursàsillonnerleKilimandjaro,fouillantceterraindifficile à la recherche du moindre signe d’Alexander. Ils avaient saisi l’opportunité d’une nouvelleagression sur la frontière séparant les territoires de Titus et Charisemnon pour s’introduiresubrepticement sur celui dupremier.Xi avait volé le longdes trois cratères volcaniquesde la chaînemontagneuse,étudiécelui,profondetfroid,quimarquaitl’undesmonts.Ilavaitmarchésurdesglaciers,et,bienloindessous,dansdesgrottes.
Il n’avait rien trouvé. Ce qui, d’ailleurs, n’était pas étonnant si Alexander s’était enterré commeCalianeensontemps.Malgrétout,mêmelesvillageslesplusprochesn’avaienteuventd’aucunerumeur,ne conservaient aucune légende à ce sujet. Xi savait que les habitants disaient la vérité parce qu’ilsétaienttropeffrayéspourmentir.Entempsnormal,ilauraitignorédesmortelsaussifaibles,maisilnepouvaitpermettreàceux-làdevivre.SiTitusdécouvraitcette intrusion, il seraitsusceptiblede lanceruneattaqueenreprésaillesetDameLijuanavaitbesoindeplusdetempspourrecouvrertoutesaforce.
—Est-il possibleque l’érudite aitmenti ?demanda l’unde ses lieutenants aprèsunautre jourderecherchesinfructueuses.
Xirepensaàl’insistanced’Andromedapourresterauprèsd’Heng,mêmeaprèsqueXilui-mêmeluiavaitditquec’étaituneidiotie.
—Non.Soncourage est celui du cœur et de l’esprit, pas celui d’unguerrier.Elle est convaincuequ’ils’agitlàdelarouteàsuivre.
Le monde était en plein chaos. La sagesse que Lijuan puisait dans son existence de plusieursmillénairesétaitnécessairepouryrétablirl’ordre.
LaprophétiedeCassandreétaitclaire:Alexanderétaitunemenacepourcettepaixfuture.Xinetoléreraitaucunemenaceàl’encontredesadame.— Quoi qu’il en soit, l’érudite s’est peut-être tout simplement trompée dans son estimation de
l’attachementqu’Alexanderporteàsaterreetàsonfils.ContrairementàXi,Andromedan’avait jamaiseuaucuncontactdirectavecAlexander.Sonerreur
étaitdonccompréhensible.—L’amourpeutfaireperdrelatêtemêmeàunAncien.Cequiétaitextraordinaire,c’étaitqueXicomprenaitlesinstinctsd’Alexandercarilétaitmenépar
lesmêmes.Malgré la faiblessestratégiquequeprésentaitun telchoix,si jamais ildevaitDormir,celaseraitprèsdesadame.
Sonlieutenants’étira.—NouspartonspourleterritoiredeFavashi?Foyerdufilsuniqueetbien-aiméd’Alexander.
—Oui. Laisse deux hommes ici pour continuer les recherches, au cas où l’érudite aurait raison.Préparelesautresaudépart.
Chapitre23
Andromeda vola directement vers Amanat. Son sens de l’orientation était suffisamment bon pourl’avoirmenéetroiscentvingt-cinqansplustôtauRefugealorsqu’ellen’étaitpasencoreuneadulte.Àchaquebattementd’ailes,elleluttaitcontreledésirdefairemarchearrière,deretournerversNaasir,des’assurerqu’ilnecraignaitrien.
Ellesavaitquesespenséesétaient irrationnelles.Cen’étaitpaspourrienqueNaasir faisaitpartiedesSept–ilétaitpuissantetmeurtrier.Elles’enétaitrenducomptelorsqu’ilss’étaientbattuscontrelesRessuscités.Pourchacund’euxqu’elleéliminait,ilenterrassaittrois.
Ilétaitsibeauàregarderlorsqu’ilétaitenmouvement,puregrâceetbeautésauvage.Profitantd’unpuissantventmarin,ellese laissa tomberassezbaspoursentir l’airsalé.Souselle,
l’eaus’étendaitàpertedevue.Pasunseulnavire,pasd’oiseaux,rienquelanuitetl’océan.Unprofondsentimentdepaix s’endégageait, tout commede sentir levent repousser sescheveux tandisqu’elle lechevauchait.
Ellesedemandasic’étaitcequeNaasiréprouvait lorsqu’ilselibéraitdesesentravesetcouraitàpleinevitesse.Elleluiposeraitlaquestion,pensa-t-elleavecunsourirequis’évanouitbientropvite.LafoliedeLijuanavaitaumoinseupourméritedeluipermettrederencontrerNaasir.Elleallaitpouvoirpassersesderniersjoursdelibertéavecunhommetellementextraordinairequ’ellesavaitquel’éternitéàsescôtésseraitunesurpriseconstanteetmerveilleuse.
Soncœurétaitdouloureux.L’éternitéavecNaasirétaithorsdeportée.Enrevanche,ilétaitàsaportéedel’aideràempêcherun
crimehaineux.CarassassinerAlexanderdanssonSommeiln’enverraitpasseulementvolerenéclatsundesplusprofonds tabousde la raceangélique,maisdétruiraitaussidescentainesdemilliersd’annéesd’histoire.Alexanderportaitcettehistoiredanssesos,sonesprit,sessouvenirs.
OnnepouvaittolérerqueLijuanmènesonplanàbien.Mâchoire serrée, elle profita d’un autre vent fort… et ses pensées retournèrent à un vampire aux
cheveuxargentquin’enétaitpasun,sonpartenairedanscettequêtecruciale,etàlamanièrequ’ilavaitdelafairesesentirjeuneetlibrecommejamais.Cettefois-ci,elleneluttapascontrelesfantasmesquimurmuraientàsonesprit,rêvesd’uneéternitéqu’il luiseraitpossibled’explorer,oùellejoueraitetsemêleraitàluipourtoujours.
Durantcettenuitoùellevolaseuleau-dessusd’unemersombreetsouslescintillementdesétoiles,cela n’importait pas. Durant cette nuit, elle était libre, sauvage, loin de cette cour construite sur ladouleur,labrutalitéetlesactessexuelsdénuésd’amouretmêmed’affection.
Évidemment,lanuit,secrèteetdouce,neseraitpaséternelle.
L’aubeétaitunbaiserrosevifdansleciel,lalumièredumatinfroidetandisqu’ellevolaitau-dessusdes forêts d’un vert foncé deKagoshima, au Japon, se dirigeant en ligne droite vers une ville qui nedevrait pas exister là. Le brouillard murmurait autour de la cime des arbres, amant sinueux ; lesmontagnesétaientcouvertesdenuagesblancsauxformesalanguies.Andromeda,quantàelle,n’étaitpasle moins du monde somnolente. Elle avait le souffle coupé d’avance à l’idée de voir la cité perdues’éleverdenouveau,demarcherdanssesvieillesrues,deparleravecceuxqueCalianeavaitemportésavecelledanssonSommeil.
Lajeunefemmeavaitlutouslescomptesrendus,examinédeprèslesdessinsréalisésparlesartistesayant visité la ville. Il n’existait pas de photos car quelque chose à Amanat provoquait desdysfonctionnementsdanslesappareils,peut-êtretoutsimplementl’aurad’uneAncienne.
Quoiqu’ilensoit,rienn’auraitpulaprépareràsonpremieraperçudelacitélégendaire.Amanat se dressa hors du vert comme un mirage, une ville de pierres et de fleurs, de courbes
protégéesparunbouclierd’unedélicateteintebleu,véritablemiseengardeàceuxquisouhaiteraientypénétrer illégalement.La bouche rendue sèche par la soif et l’émerveillement,Andromeda effectua unatterrissage passable juste devant le bouclier, les ailes fatiguées par ce long vol après des joursd’inactivitépresquetotale.
Ellen’eutàattendrequequelquessecondesavantqu’unangeauxcheveuxauburnensortepour luifaireface.
—Quelestlebutdevotrevisiteici?Sesyeuxvertsétaientaussifroidsquesavoix.Soncorpsétaitprisdansleharnachementdecuirdes
guerriers.Elle le reconnut aux descriptions qu’on en donnait dans les rapports : Avi, l’un de ceux en qui
Caliane avait le plus confiance. L’ange était tranquillement revenu à ses côtés dès qu’elle s’étaitréveillée.
— Jem’appelleAndromeda, dit-elle. Je suis une érudite et jeme suis récemment échappée de lacitadelledeLijuan,grâceàJasonetNaasir.JesuisvenuevoirIsabel.
Cedisant,elletirasurlachaîneàlaquellependaitlabaguedeNaasir.—Naasirn’estpasavecvous?Lemasquefroidd’Aviavaitmaintenantdisparupourlaisserplaceàuneinquiétudequiassombrissait
sonregard.—Ilarriveparvoieterrestre.Ilsemblaitlogiquequejeprennecelledesairs.Elle serra le poing. L’inquiétude qu’elle éprouvait pourNaasir résonnait en permanence dans son
esprit.L’ange,surunbrefacquiescement, laconduisitenvilleaprèsavoirouvertd’unemanièreoud’une
autrelebouclier.Oupeut-êtreétait-cesonArchangequis’enétaitchargé.—Suyin?demanda-t-elle.—Enanshara,luiréponditbrièvementAvi.Andromedarefusaitd’êtrerepousséecommeuneenfantimportune.—Elles’ensortira?s’enquit-elle.Elle était incapable d’oublier la peine profonde et douloureuse qui se lisait dans les yeux de
l’architecte.Pivotant pour l’épingler de ses iris verts pénétrants, Avi prit son temps pour lui répondre.Mais
lorsqu’illefit,sontons’étaitadouci.—Keirditquec’estlameilleurechosepourelle.Sesblessuresphysiquesguériront,etlorsqu’ellese
réveillera,celaseradansunevilleoùelleétaitsouventuneinvitéedemarqueavantsonemprisonnement.
(Unepetitetapeaffectueusesurlescheveuxd’Andromeda,commecelled’unpèreàsonenfant.)N’ayezaucune crainte, jeune fille, Suyin compte ici des amis qui la protégeront et l’aideront à panser sescicatricesinvisibles.
Andromedaopina,gorgenouée.Laissantretombersamain,Avil’entraînaplusprofondémentenville.Lajeunefemmeeutbesoind’uneminutepourpouvoirreprendrelecontrôledesesémotions.Illuifallutalorslutterpournepasseretrouverbêtementbouchebée.
Pourunehistorienne,Amanatétaitunrêvedevenuréalité.Àchacundesespas,ellemarchaitdansl’histoiremême.L’architecture,lesgravureséthéréessurles
murs,lespavésauxveinesminéralessurlesquelsAvietelleavançaient,lesfleursquis’épanouissaientauxfenêtres, lemoindredétailcaptivait sonattention.Maiselleseconcentrad’abordsur leshabitantsd’AmanatquiavaientDormisilongtempsauxcôtésdeleurArchange.
Lesfemmesquin’étaientpasdesguerrièresétaientvêtuesderobesfluidesauxcouleursvives.Leshommes,eux,portaientdespantalonsetdestuniquesbrodées.Quelques-uns,plusrares,avaientoptépourunetenueprocheducaftan.Parcontraste,lesguerriers,commeAvi,ressemblaientàceuxqu’oncroisaitpartoutailleursdanslemonde.Jusqu’aumêmeregardsombreetàl’attitudevigilante.
Dans l’ensemble, ils n’étaient pas si différents des femmes et des hommes de la cour de Lijuan.Seulement, ici, personne n’évitait le regard d’Andromeda.Au lieu de lire une peur tremblante sur lesvisages, lajeunefemmeentendait lesriresquidérivaientaumilieudesrues,étaitrécompenséeparlessouriresdeceuxquin’appartenaientpasàl’armée,etpardebrefssalutsdelatêtedesautres.
Etc’étaitlàlademeured’uneArchangeautrefoisjugéefolle,uneArchangequiavaitpoussédesonchant lapopulationadultededeuxvilles florissantesà se jeterdans lamer.Descadavresboursouflésjonchaientlaplageàlasuitedel’événement,picorésparlesoiseaux.Lesenfantsorphelinslesavaientdécouverts.L’horreurdontilsavaientététémoinslesavaittanttraumatisésqu’ilss’étaientrecroquevillésetétaientmorts«d’unepeinetellequelesImmortelsn’enconnaîtrontjamais».
C’étaientlestermesdeKeir,telsqu’ilsavaientétéconsignésparuneJessamyaucœurbrisé.Était-il possible que Lijuan aussi, un jour, puisse devenir une meilleure version d’elle-même ?
Andromedasemorditlalèvreinférieure,incapabled’imagineruntelfutur.LeSommeilavaitbalayélafoliedeCalianealorsqueLijuanavaitl’intentiondesenourrirdelaforcevitaledesonpeuple.
—Érudite.Arrachée à la teneur perturbante de ses pensées, elle s’aperçut qu’ils s’étaient arrêtés devant une
arche.—Isabelestparlà,ditAvi.Jevaisvouslaisserdiscuteravecelle.—Merci.Andromedafranchitl’archeetseretrouvadansunecourombragéeencercléedemaisonsàunétage.
Une seule ange s’y trouvait, en pleine session d’entraînement aux arts martiaux. Elle était grande,musclée,lecorpsàlafoisfluideettonique.Sescheveuxnoirsétaientsoigneusementnattésetsesailesblanchesétaientéclabousséesd’unvertdélicatsurlesprimaires.
Aulieudecuirdecombat,elleportaitunjeannoiravecdesbottesdelamêmeteinte,unhautblanclarge et àmanches longues, auxmanchettes resserrées.Rien de cela n’altérait le fait qu’elle était unecombattante entraînée et dangereuse qui se déplaçait avec une économie de mouvements rigoureuse.Isabelnecherchaitpasàêtrespectaculaire,maisefficace.
Malgré sa fatigue, Andromeda recula d’un pas, détestant l’idée d’interrompre Isabel. Elle aussitrouvaitlapaixdansunesuccessiondemouvementscalmes.Laguerrièresepréparaitpoursajournée,etladéconcentrerbriseraitsonéquilibre.
Andromeda retrouva elle-même une certaine paix rien qu’en suivant des yeux lesmouvements del’autrefemme.
Cettedernièreterminasonkataquelquesminutesplustardetpritunmomentavantdeleverlatête.Elleaffichaitunsourirecalmemaisprofond.Sesyeuxétaientplussombresqueleplusnoirdeschocolatset sa peau d’un or fauve. Jolie plutôt que belle, elle dégageait une confiance en elle souveraine quiprouvaitqu’ellepouvaitimposersesordresàdesarméessanssourciller.
—VousêtessûrementlafameuseAndideNaasir.L’éruditesetrouvaprisedecourt.—Commentest-ilpossiblequevoussachiezunechosepareille?Nonpassonidentité,maislesurnomdontl’avaitaffubléeNaasir.—Naasir a emprunté un téléphone satellite au capitaine de la barge après votre départ, expliqua
Isabeldontlesourires’étaitélargi.Celaneluiestpasnaturel,maisilapprendtoutdelatechnologieavecIllium.
—Ilestplusintelligentquedenombreuxintellectuels,commentaAndromedaenessayantdenepasparaître trop fière et possessive. (Elle n’était pas certaine d’y être parvenue au vu de l’éclat dans leregardd’Isabelquisemblaitse retenirderire.)Plusperspicace,aussi,ajouta-t-elle, incapabledes’enempêcher.
Ilétaitévidentqu’Isabelpartageaitcetteopinion.—Ehoui,repritAndromeda,jesuisbienAndi.Ici, elle pouvait bien être cette femme, cette jeune et heureuse érudite téméraire qui partageait les
aventuresd’unhommesauvageetmerveilleux,porteurdesrayuressecrètesdutigresoussapeau.—Naasira-t-ildonnédesnouvellesdepuis?demanda-t-elle.Elleavait l’estomacnouéetsavaitquecelanechangeraitpasavantde levoir, le toucher,plonger
danssonparfum.—Non,réponditIsabel.MaisilparviendraàAmanatenbienmoinsdetempsqu’iln’enfaudraitpour
unautrevampire.Jen’aiaucundoutelà-dessus.Venez,jevaisvousmontreroùfaireunbrindetoiletteetvousreposer.
L’affectionnondissimuléedontIsabelfaisaitpreuveenparlantdeNaasircontredisaitlesmauvaiseslanguesquinevoyaientenellequ’unautomatedépourvudesentiments.
Andromeda mourait d’envie de lui demander à quoi ressemblait la vie d’une ascète, asexuée etsereine,aprèstantdetemps,maisneparvintpasàentrouverlecourage…parcequ’ellesavaitquesaproprerésolutionvacillait.
—J’auraibesoinderassemblercedontnousavonsbesoinpournotrevoyage,secontenta-t-ellededire,lavoixplombéepartantdedésirrefouléetdesolitudepesante.
—Naasirm’enatouchéunmot.Reposez-vousd’abord,puisvousirezprésentervosrespectsàDameCaliane.Pendantcetemps-là,jemechargeraidureste.
Andromedatrébucha,entendantàpeineladernièrephrased’Isabel.—Quoi?—Vousêtesdans saville, expliqua laguerrièreavecgentillesse.C’estunequestiond’étiquette…
maiscommeelleaconnaissancedevos liensdesang,elle risquedevoussoumettreàunexamenplusapprofondi.
Andromedaeneutlagorgenouée.—Mercidem’avoirprévenue.Isabel la guida vers la volée de marches à l’extrémité opposée de la cour et la conduisit à un
appartementdupremierétage,emplidelumière.Lesfenêtresétaientouvertes.Desvoilagesendentelle
avaient été repoussés pour révéler des jardinières pleines de vie. D’autres fleurs poussaient dans degrandspots installés sur lepetitbalconqu’onatteignaitaprèsavoirpasséunedoubleporte, elleaussiouverte.
Un vent frais faisait voler les rideaux qui venaient frôler le lit à baldaquin dont les draps étaientornésdedessinsdélicatsblancssurblanc.Souslespiedsmeurtrisd’Andromeda,l’épaissemoquetteétaitd’unbleuprofond.Unbouquetdefleurssauvagesavaitétédisposédansunpetitvaseenverreposésurunsecrétaire.
Cebouquetjoyeuxdonnaitàl’élégantechambreunairaccueillantetunetouchedefantaisie–commesiquelqu’unétaitsortilecueillirjustepourelle.
—C’estadorable,merci.Enparticulierpourlesfleurs.—Ah,maislecréditnem’enrevientpas,avouaIsabelquisetenaitappuyéecontrelechambranlede
laporte,brasnégligemmentcroiséssurlapoitrine.J’aimentionnéàl’unedesservantesqu’uneamiedeNaasirvenaitséjournerici,etelleaprissurelledefaireensortequevousvoussentiezlabienvenue.Ilestlechouchoudesesdames.
Andromedaavaitsoudainenviedebalancercestupidebouquetparlafenêtre.—Etellem’accueilleàbrasouvertsalorsquejepourraisêtreunerivale?—ToutesacceptentqueNaasirsoittropsauvagepourapparteniràuneseulefemme,expliquaIsabel
avantdequittersapositioninitiale.Jevouslaisseàvosablutions.Quandvousaurezdormietserezprêteà voir Caliane, vous me trouverez soit chez moi, porte suivante, soit au temple. (Un léger sourire.)Calianem’ademandéd’apprendreàsesviergesàsedéfendre.
Andromedapensaauxcréaturesaudouxvisage,certainesauxformesjolimentpulpeuses,d’autresdelaminceurduroseau,qu’elleavaitaperçueslorsdesatraverséedelaville.
—Oh.Isabelgloussa,unemainposéesurlagardeducouteauqu’elleportaitàlahanche.—Oui.C’estparfoisunetâchefrustrante,maisellesontunteldésird’apprendrequejen’arrivepas
àmemettreencolèrecontreelles–enparticulieraprèsqu’ellesontpassétantdetempsàcoudreleurs«tenuesdecombat»pourcessessions.
Andromedaneputréprimerunsourireàlapointed’ironied’Isabel.Elleétaitcurieusedevoirl’idéequecesjeunesfillessefaisaientd’unhabitmilitaire.Alorsqu’Isabels’apprêtaitàpartir,ellelaretint.
—Attendez.Avim’aditqueSuyinétaitenanshara.Est-cequeKeirapréciséquandellepourraitseréveiller?
Labonnehumeurdisparutduvisagedelaguerrière.—Celaprendradessemaines,voiredesmois–elleesttrèsfragile.(Unepause.)Ilsemblequeles
Immortelspeuventmourirdetristesseoudesolitude,d’uneexistencesansespoir.Jenelesavaispas.Latristesseserraitlagorged’Andromeda.—Suyin…Elle secoua la tête, incapable de mettre en mots la douleur qu’elle avait lue dans les yeux de
l’architecte.L’expressiond’Isabelreflétaitcequ’Andromedaneparvenaitpasàénoncer.—Calianeditqu’onpeutcesserd’existerparuneffortdevolonté.Celaprenddutemps,maisSuyina
eu des millénaires à sa disposition. Elle ne se serait probablement pas réveillée de son prochainSommeil.
Isabellalaissasurcesmotssolennels,refermantlaportederrièreelle.Andromedaavait le sentimentdeporterunpoids écrasant sur le cœur.Ellene s’autorisapas à se
laissertenterparlelitetpritdirectementladirectiondesasalledebains.Lapiscined’eaudéjàremplie
etfumantelafitgémirdedésir,maisayantpeurdes’yendormir,ellenesepermitd’yresterqu’unepetiteminuteavantdesereleverpoursedoucher.
Tandisquelesépaissesgouttesd’eaus’écrasaientsursapeau,elleauraittoutfaitpoursetrouverdenouveauoùelleétaitlorsdesondernierbain,danscettemareglacéedelavallée.Ellepouvaitpresquesentir les doigts puissants deNaasir dans ses cheveux qu’il lavait, l’effleurement de samain sur sesplumes.Ellesesouvenaitdeleurcoursedansl’eau.
—Dépêche-toi,murmura-t-elle,maintenduecommepourl’attraperàtraversl’espaceetletemps.Tumemanques.
Chapitre24
Naasirne futpas surprisquandJasonatterrit àcôtéde luipeude tempsaprèsqu’il eutatteint lesrivesduJapon.Labargenel’avaitpasmenéjusque-là–ilavaitembarquésurunautrenavirebienplusrapidepeuaprès ledépartd’Andromeda.Lorsqu’il avaitplongéde labargepournager jusqu’aupetityachtélancé,lesdeuxmembresd’équipageenétaientrestésbouchebée.Quelqu’unavaithurlé.
Iln’avaitpascomprispourquoi.Cen’étaitpascommes’iln’étaitpascapabledenager.—Andi?s’enquit-ilauprèsdeJason.Tousdeuxdiscutaientàl’écartsurunquaifourmillantd’activité.— Isabel dit qu’elle est en sécurité à Amanat. Je viens juste de rentrer de la frontière entre les
territoiresdeTitusetCharisemnon.LevisagedeJason,d’ordinaireimpassible,affichaitdesridesdefatigue.—Laguerre?L’angeauxailesnoiressecoualatête.—Seulementunepetiteescarmouche.Aucundesdeuxcampsnesouhaiteenvenimerlasituationpour
lemoment.—Celanedurerapas.Titus etCharisemnonne s’appréciaient pas depuis des siècles, voire desmillénaires, et lemonde
courantdroitversl’enfer,cetteanimositémèneraitàlaguerretôtoutard.—Non,reconnutJasondontl’unedesplumesvoltigeajusqu’aubétonscarifiéettachéduquai.Mais
la région est suffisamment stable pour lemoment pour que Raphael n’ait pas à s’inquiéter d’un effetdomino.
Naasir avait toujours bien aimé Jason,mais en vieillissant, il avait commencé à s’apercevoir quel’ange aux ailes noires était seul.Peut-êtremêmeplus seul que lui. Il avait tentéd’amener Jason à seconfier,soninstinct luisoufflantqu’iln’étaitpasbonpourunanged’êtreaussirenfermésur lui-même,maisJasonétaitrestémuetetdistant.Cequin’étaitpluslecas.
—Tudoismanqueràtacompagne,luidit-il.Tudevraisrentrercheztoi.LesyeuxsombresdeJasons’illuminèrentuninstant.Naasireutletempsdevoirdanscetéclatlepur
besoindesonamideretournerauprèsdesaprincesse.—Andromedaettoiaurezbesoind’unsoutienarrière.—Sic’estlecas,jecontacterailaTour.Iln’estpassûrquenouslocalisionsAlexander.Naasiravaitréfléchiàunplandurantleurfuite,etenavaitdiscutéavecAndromeda.L’éruditeavait
étéclaire:sonexpertiseavaitdeslimites–personnenepouvaitprévoirlesactionsd’unArchangeavecunecertitudeabsolue.
— Et il vaut mieux que nous ne soyons qu’une équipe de deux, ajouta-t-il. Il nous faudra nousdéplacerfurtivementpourquepersonnenenousremarqueetnepréviennelesgensdeLijuanqu’ilsnesetrouventpasaubonendroit.
Jasondépliaetrepliasesailesensilence.—Tusaisquej’aideshommeséparpillésdanslemondeentier.Situasbesoind’aide,appelle-moi.—J’achèteraiunnouveauportableavantdequitterlepays.Il avait de l’argent disponible surune cartede crédit rangéedansunemincepochette étanche.Au
début, quand Illium la lui avait donnée, il avait passé des heures à la regarder fixement, essayant decomprendrecommentelle fonctionnait. Ilétaitenfinparvenuàassimilerque lacarteétaitunesortedemachinequidéplaçaitdel’argentd’unpointàunautre.
Lorsqu’ill’utilisaitdansuneboutique,lacartedéplaçaitl’argentdesonbutinàceluidelaboutique.DmitrietIlliumgardaientl’œilsursesfonds,etducoup,iln’avaitpasvraimentàpenserauxmécaniquesdetoutlesystème.Cequ’ilsavaitenrevanche,c’étaitquesesfondsétaientimportants.Raphaels’étaittoujoursmontréplusquegénéreuxenverssesSept,etNaasirétaittrèsbonlorsqu’ils’agissaitdechasserdestrésorsquetoutlemondecroyaitperdus.
DestrésorscommecestupideGrimoire.—Dis-moiceque tusaisd’un livreappelé leGrimoireÉtoile,ordonna-t-ilàJason,parcequece
derniersavaittout.Unsourcildressé.—C’estunlivremythiqueconvoitéparceuxquicollectionnentdetelleschoses.—Tusaisoùilsetrouve?Jasonétrécitleregard,intrigué.—Non…Mais ilyadeuxcentsans, j’ai rencontréunmembreâgédenotreracequiparlaitde la
reliureencuirrougeetdesbordsdorésduGrimoire.Jasons’arrêtadansuneimmobilitéparfaitedontluiseulétaitcapableparmilesanges.Naasir se garda bien de l’interrompre dans sa réflexion. Les Immortels avaient une mémoire
considérable.CelledeJasonétaitpresquesansfautes.Ilavaitjusteàremonterlapistemenantàlabonneinformation.
—«Etcelivredemystèresinsondablesaunfermoirenorgravédel’imageterrifianted’ungriffonassis»,récitaJasonselonunrythmequin’étaitpaslesien.
CesparolesrappelèrentvaguementquelquechoseàNaasir.Iltenaitpresqueunindice,illesentait.Malheureusement,cetteréminiscencesedérobaquandilcherchaàs’ensaisir.C’étaitennuyeux.
—Ya-t-ilquoiquecesoitd’autred’uniqueàsonsujet?—Oui,réponditJasonaprèsuneminuteentièredesilence.Unebêtesauvagemythiqueenor,frappée
ougravéesurlecuirdelacouverture.Lesouvenirfrémitdenouveau,uniquementpourdisparaître.Qu’importe.Naasiravaitmaintenantle
mors aux dents. D’abord, il trouverait Alexander. Ensuite, ce serait le tour du Grimoire. Parcequ’Andromedaétaitsafemmeetilvoulaitlaréclamerentantquetelle.Ilsepourraitqu’ellenesoitpasd’accordaveclui,maiselleavaitl’odeurdesafemelleetellel’aimaitsoussavraiepeau.Elleétaitaussiférocequesafemelledevaitl’être.
Ilappréciaittoutenelle,saufsonvœudechasteté.Au moins, s’il trouvait le Grimoire, il lui serait possible de la courtiser vraiment. Il voulait la
séduire,lafairefondre.Maisplusquetout,ilvoulaitlagarder.
Andromedas’éveillasousdescieuxstriésdesvioletsetorslesplusvifsducoucherdesoleil.
Elleportaitencorelepeignoirqu’elleavaitdécouvertderrièrelaportedelasalledebains.Elleselevaetconstataquesesailesétaientreposéesetquesespiedsn’étaientplusaussidouloureux.Peut-êtredevenait-elle plus fortemaintenant qu’elle approchait de ses quatre cents ans. Se frottant les yeux surcettepenséeensommeillée,elleserendittranquillementàlasalledebainspoursejeterdel’eaufroidesurlevisageavantdesesécheretd’allerexplorerlecontenuduplacard.
Quatre robes aux riches teintes variées s’y trouvaient, ainsi que trois tuniques et leurs pantalonsassortisetmêmeunjeanetunechemise.Ellechoisitunensemblenoir,auxlignessombressoulignéesparledélicatargentpeintaucoldelatunique.IlluirappelaitlacouleurdesyeuxdeNaasir.
Oùétait-il?Laquestionpulsaitdanssonsangtandisqu’elles’habillait.Elleramassasescheveuxfous–carelle
s’était endormie alors qu’ils étaient encore humides – et parvint d’une manière ou d’une autre à lesdomestiquerenunenatte.Puiselleglissasespiedsdansdesballerines.Ilyavaitaussidesbottesdansleplacard, de différentes tailles, et elle savait déjà qu’elle en porterait une paire lorsqueNaasir et ellequitteraientAmanat.
Pourquoin’était-ilpasdéjàlà?Ellelaissasonépéedanslachambre–ellenepensaitpasqueCalianeseraitimpressionnéeparune
visiteuse venant lui présenter ses respects armée d’une lame – et sortit à la recherche d’Isabel.Cettedernièren’étaitpaschezelle,etAndromedaarrêtadoncunhommequipassaitparlàpourluidemanderoùsetrouvaitletemple.Elleutilisalalanguequ’elleavaitentenduparlerlorsqueAvil’avaitconduiteàlacourd’Isabel.
Radieux, lecitoyend’Amanat,unbelhommeà lapeaud’ébène, réponditdans lamêmelangue, luioffrantdel’escorterjusqu’àsadestination.
—Merci,refusaAndromeda,maisj’aimeraisyallerlentementetmelaissercaptiverparcettevillemerveilleuse.
Sesjouesencorepluscreuséesparsonsourire,l’hommeluifournitlesindicationsdemandéesetellepoursuivitsaroute.
Lesjeuxdelumièresducoucherdesoleilavaientcommencéàs’estomperenunepalettepluspâle,mais iln’étaitpasencorebesoind’allumer lesréverbèresquibordaient lesallées.Lorsqu’elle leva latête,elles’aperçutque,malgréleferouvragéquisemblaitavoirvieilliaumêmerythmequ’Amanat,leslampesétaientélectriques.
Visiblement,lavilles’équipaitpourcesiècle.SoitCalianeétaitplusprogressistequ’Andromedanel’avaitcru,soitelleavaitunconseillerquil’était.Lajeuneéruditepariaitsurcettedeuxièmepossibilité.Ils’agissaitprobablementdeJelena, labien-aiméed’Avi.Aussi loyaleenversCalianeque l’étaitAvi,Jelena vouait un intérêt passionné aux inventions et à la technologie et s’était souvent rendue à labibliothèque,cherchantàaccéderàdesmanuels.
Poursuivantlelongduchemin,Andromedaaperçutunpetitchiotnoir,àlafourruredouceetluisante.Ilcouraitverselle.Lorsqu’ils’étalaàsespiedscommes’ilétaitépuisé,elleritetlesouleva–àlasuitedequoi il récupéra toutesonénergie,véritablepetitebouleexcitéedéterminéeà lacouvrirdebaisershumides.
Andromeda le tint quelques instants, son corps chaud et les battements rapides de son cœur luiredonnantdel’assurance.C’étaitquelquechosedefamilierdansunenvironnementquinel’étaitpas.Sonenfanceavaitparfoisétélugubre,maiselleavaitaussiconnudesmomentsdegaietégrâceàlamyriaded’animauxquiavaientétésonrefuge,sesamis,sescompagnons.Ilsnementaientpas,nelajugeaientpas,n’étaientpasdéçusparsoninclinationpourleschosesintellectuelles,neluidonnaientjamaislesentimentd’êtreuneerreur.
Laressemblancecrianted’Andromedaavecsamèreétaitunebonnechose–celaévitaitlesquestionsmaladroitessurl’autrecôtédesaparenté.Andromedas’étaittoujoursdemandésiLailahavaitenpartiechoisiCatoparcequ’il l’autorisaitàdonnerlibrecoursàsespenchants.Aprèstout, ilétaitexactementcommeelle.
«Situétaismienne,jenetelaisseraispast’accoupleravecd’autres.»Sonvisages’embrasa,tandisquelechiotsemettaitàgigoter.Elleledéposasurlesoletleregarda
s’éloignerencourantsursespetitespattescourtaudes,maissonespritétaitailleurs.Avecunprédateurauxyeuxargent.
Naasirétaitcommelesanimauxquiluipermettaientderestersained’espritdurantsonenfanceparailleursvidedetouteamitié.Ellenepensaitpasqu’ilsesentiraitinsultéparlacomparaison–pasalorsqu’ilpartageaitlemêmefondd’honnêtetéquecesanimaux.Ilétaitmeilleur,etdeloin,quelaplupartdesgens«normaux»qu’elleavaitrencontrésaucoursdesespresquequatrecentsansd’existence.
—Andi!Elle releva vivement la tête pour découvrir Isabel qui lui faisait signe. Elle se tenait devant
l’immensedoubleportequimenaitautemplecreuséàmêmeleflancdelamontagne.Uncertainnombredejeunesfemmes,l’airépuisé,s’enéchappaientpoursedirigerverslesmaisonsproches.
Unetuniqued’unorangeprofondetunpantalonrelevéparuneceintureentissuvertnouéesurlecôté,undébardeurrosevifassortiàunpantalonblanclarge,unetuniquebleuarrivantàmi-cuisseportéeavecdesleggingsnoirs:c’étaientlestroistenuesparmilesplussobres.
Ravalantunrire,AndromedarejoignitIsabelprèsdesportes.—Destenuesdecombat?Unelueurd’amusementaffectueuxenvahitlesyeuxdelaguerrière.—Jepensequ’ellesconsidèrent toutcequiserapprochedupantalonouqui laissevoirunpeude
jambescommescandaleuxetmilitaire.(Contrairementàsesélèvesépuisées,ellenesemblaitmêmepasavoirtranspiré.)Calianeestdanslechampd’orangersàl’autreboutdelaville.Nouslarejoindronsparlesairs.
—Un champd’orangers, dans ce climat ? s’étonnaAndromeda avant de se rendre compte que lebouclier autour d’Amanat permettait à la mère de Raphael de contrôler la température qui y régnait.N’abaisse-t-ellejamaislebouclier?
— Pas depuis qu’une jeune vierge a été tuée par l’une des maladies de Charisemnon. Il pensaitutiliserKahlacommevecteurduvirus,maiselleestmorteavantd’infecterquiquecesoit.Calianeenaeulecœurbrisé.
Isabelavaitleslèvrespincées.Andromedasentitunepierreluitombersurl’estomac.— Je suis désolée,murmura-t-elle, écœurée que cemeurtre ait été commis par unmembre de sa
familleetterrifiéeparlesreprésaillesqueCalianerisquaitdeluifairesubir.—Cen’étaitpasdevotrefait,ditIsabelenluiserrantl’épaule.VousêtesaussiinnocentequeKahla.Surcettecalmeassertion,Isabeldéployasesailesetdécolla.Andromedasuivit,pleinementconscientequeCalianepourraitbiennepassemontreraussiclémente.L’Anciennesetrouvaitloindanslevergeretn’étaitpasvêtuedel’unedeceslonguesrobeslâches
aveclesquelleselleétaitsisouventdécritedanslesparcheminset lesmanuscrits illustrés.Elleportaitdescuirsaumarronpassésemblablesàceuxd’Avi,sescheveuxdeminuittirésenarrièredansunenattequiressemblaitàcelled’Andromeda.
— Isabel, salua Caliane quand la guerrière se fut posée. Est-ce que mes femmes progressent ?demanda-t-elled’unevoixd’unepuretéenvoûtante.
—Commedesescargots,madame.
LesouriredeCalianeétaitinattenduetétonnammentbeau,seslèvresd’undouxrosecontresapeaucouleurcrème.
—Tudoistemontrerpatiente–cesontdesfleursdeserrebrusquementexposéesauxintempéries.(Sonsourires’effaça.)Jepréféreraisnepasavoiràlesformer,maislesténèbresenvahissentlemondeetlesinnocentsn’ysontplusensécurité.
Isabelinclinalégèrementlatêteensignederespect.—JevousaiamenéAndromeda.C’estl’amiedeNaasirdontjevousaiparlétantôt.—Ah.(Lebleud’unepuretédouloureusedesyeuxdeCaliane,dontsonfilsavaithérité,seposasur
Andromeda.)Lapetite-filledeCharisemnon.(Desdaguesdeglacesefaisaiententendredanscettevoixcapablededevenirunesuperbearmeterrifiante.)Etpourtant,vousavezlebongoûtdevouséchapperdesmainsdeLijuanpouraideràsauverAlexander.
—Madame.Andromeda,nesachantpasvraimentcequ’ellepouvaitajouter,secontentad’inclinerprofondément
latête–contrairementàIsabel,ellen’étaitpasuneguerrièreenquionavaitconfiance,maisuneinvitéebienplusjeune.
—Pour quelle raison devrais-jem’abstenir de vous exécuter sur-le-champ pour le crime commisdansmaville?
Le sang tambourina aux oreilles de la jeune femme qui osa malgré tout rencontrer le regard del’Archange.
—Silesangestlaseulechosequinousdéfinit,aucunenfantnenaîtlibre.LesailesdeCalianeluisirentpendantunesecondeinterminableavantderetourneràlanormale.—Biendit,oisillon.Etn’ayezpasl’airaussiterrifié–jen’aipaspourhabitudedefairepayeraux
enfants les crimes de leurs aînés. (L’Archange se tourna vers Isabel tandis qu’Andromeda essayait derefrénersestremblements.)Vas-y,Isabel.Jesaisquetudoisopérertonvolau-dessusdelaville.
—Madame.Isabelpartitsuruneautrelégèreinclinationdelatête.—Ellesurveillemavilleavecautantdediligenceques’ils’agissaitdelasienne,ditCalianesurle
tondelaconversation toutenfaisantsigneàAndromedadese joindreàellepoursamarcheentre lesrangéesd’arbres.J’aiditàmonfilsquejetenteraisdelagarderauprèsdemoi,maisilaconfianceenlaloyautédesesgens.VotreamisauvageétaitimpatientderetournerauxcôtésdeRaphael,ajouta-t-elleenjetantuncoupd’œilàl’érudite.
Cette dernière s’accorda le temps de réfléchir. Des anges plus âgés étaient capables de prendreombraged’unseulmotdetravers,etellen’avaitaucuneenviedefiniréviscérée.
—Votrevilleestétonnante,dit-elleennetentantabsolumentpasdedissimulersonémerveillement.Pour moi, c’est comme si on ouvrait une malle aux trésors. (Elle pourrait passer des semaines à sepromenerdanslesruesd’Amanat,àécouterlesintonationsdanslavoixdesgens.)MaisNaasirestfaitpourdeslieuxplussauvagesetdesaventuresmoinscivilisées.
—Commemonfils.(L’amourdeCalianepoursonfilsétaituneflècheféroceenpleincœur.)Raphaelattireàluilescœurssauvages.
—Ilest l’Archangelemoinsfigédansle temps,s’aventuraAndromeda.MêmeMichaela,qui jouesouventaveclescaméras,conserveunecourquifonctionnecommeilyacentans.
LeblancpurdesailesdeCalianesemblaitmiroitermêmedanslalumièretamisée;Andromedaétaitsoulagéequ’ellesne luisentpluspourdevrai,parceque lorsqu’unArchange luisait,généralement, lesgensmouraient.
—Ilestmonfils,dit-ellecalmement,etceluideNadiel.Ensemble,nousavonsconçuunenfantquiunjourvoleraplushautquenousdeux.
AyantlesentimentqueCalianeseparlaitplusàelle-mêmequ’autrechose,Andromedanecommentapas.
—Aujourd’hui,ilmerendencoreplusfièreencherchantàprotégerAlexander.JeDormaisàcetteépoque,maisJelenam’aapprisqu’AlexanderapenséautrefoisàleverunearméecontreRaphael.
LestraitsroyauxdeCalianeaffichaientunefroidetension.Andromedapritsondestinenmain.—Pourtant,ilnel’afinalementpasfait,dit-elle.Jepensequ’ilétaitfatiguéetvoyaitenRaphaelun
jeuneintrus.Laguerreétaitlaréponsefacileàsonbesoindetrouveruneraisonpourcontinueràvivredanscemonde.Auboutducompte,ilafaitpreuvedesagesseetlaissélemondeauxjeunes.
CalianeépinglaAndromedadesesyeuxilluminésdepouvoir.Lagorgedecettedernières’assécha,sonpoulss’emballa.
Chapitre25
—Toutcommemoiàmonépoque,finitparreprendreCaliane,dontl’attentionseportadenouveausur les arbres d’un vert brillant tandis qu’elles continuaient leur marche. Alexander était moncompatriote, mais nous n’avons jamais été amis. Enfant, c’était une vraie terreur, toujours prêt à serompre le cou et s’érafler les genoux, alors que j’étais une petite fille qui préférait garder ses robespropresetprendrelethéloindesgarçonssales.
Andromedasesentitprised’émerveillement.LessouvenirsdeCalianevenaientd’untempssiancienquepersonned’autreéveillédanscemondeneleconnaissait.
— Vous sentez-vous seule ? demanda-t-elle impulsivement. D’être l’unique Ancienne au monde,commeAlexanderautrefois?Laseuleavecdessouvenirsd’uneépoquedepuislongtempsrévolue?
LijuanpouvaitbienseconsidérercommeuneAncienne,maismêmesielleétaitplusâgéequ’onnelesavait,celanes’approchaitenriendelavieillessedeCaliane.
Cettedernièrenelarabrouapaspourcettequestionimpertinente.Aucontraire,ellesourit.—JevoispourquoituesamieavecNaasir,l’érudite.Tuesaussitémérairequeletigreenlaissede
monfils.Naasirn’estpastenuenlaisse,pensaAndromeda.Ilavaitsimplementchoisid’offrirsa loyautéà
Raphael–etelleavaitlesentimentquec’étaitlàquelquechosequel’ArchangedeNewYorkcomprenait.Autrement,leurlienneseraitpassifort.
— Oui, répondit enfin Caliane après une minute de silence. Cela serait un plaisir d’avoir uncompatrioteaveclequelparlerd’époquesdontpersonnenesesouvient–peut-êtreinviterai-jeAlexanderàAmanatlorsqu’ilseréveillera.Ilestdevenuungrandgénéral,etmalgrésafaçonidiotedetraitermonfils,ilsembleavoiracquisunminimumdemanièresciviliséesaufildutemps.
Andromeda se rendit compte que Caliane en disait plus qu’il ne semblait. Sa déclaration sous-entendaitquelquechose.CalianeetAlexandern’avaientpasétéamis,maissoninstinctdictaitàlajeunefemmequ’ilsavaientétéplusquedesétrangersl’unpourl’autre.Pasdesamants,cen’étaitpasça.Maisilss’étaientcôtoyésauxmêmesréunionsduCadre–avaientpeut-êtreéchangédesinsultessèchespar-dessuslatabledesnégociations,toutensachantqu’auboutducompteseulunAncienavait lacapacitéd’encomprendreunautre.Cen’étaitpasunlienanodin.
—Avez-vousuneidéed’endroitssecretsperdusdans le tempsoùilpourraitDormir?demanda-t-elle,brûlanted’espoir.Serait-ilsusceptibledes’êtrecachésousterre,commevous?
Sitelétaitlecas,l’ArchangeEndormiétaitensécurité.MaisCalianesecoualatête.—Non.Alexandern’avaitpaslamoindreinfinitéaveclaterre.
Andromedaeutalorsunerévélation:bienqu’ellesesoitélevéedelamer,selonlarumeur,laLégion,elleaussi,étaitdelaterre.Raphaeldevaitavoirhéritédecertainsdesdonsdesamère,bienquelesiensesoitmanifestésousuneformedifférente.
—Sicen’estlaterre…—Chut,enfant. (Un froncementdesourcilsaccentué.)Messouvenirs sontdesécheveauxemmêlés
qu’ilmefautdévider.Unedemi-heureplustard,alorsquelemondeétaitplongédanslegris,Calianerepritlaparole.—Lemétal.L’affinitéd’Alexanderavec leséléments,c’estcelle-là : lemétal. Ilparvenaità faire
coulerlefercommesic’étaitdel’eauetextrairel’oretl’argentdusol.Lesyeuxd’Andromedas’écarquillèrent.Cecin’étaitmentionnédansaucunedesHistoires.—LorsqueAlexander n’était qu’un jeune prétentieux, il a retiré de l’or du sol devantmoi et l’a
façonné en un bracelet. (Caliane secoua la tête.) Nadiel et lui étaient dans une telle rivalité…maisAlexanderapleuréavecmoiquandlecœurdemonamouracessédebattre,etilserappelaitceluiqueNadielavaitétéautrefois.
Andromeda entendait la douleur deCalianemêmemaintenant encore.Cela avait dû tant lui coûterd’exécutersoncompagnonfou.Andromedanepouvaitimaginerlaprofondeurdesapeine.Elleétaitsurlepointdes’excuseretdelaisserCalianeàsessouvenirspersonnelsquandelle l’entenditravalersonsouffle.
—Si je neme trompepas surAlexander, il se sera construit une chambre forte enmétal dans unendroitsecret.(LavoixdeCalianeétaitsiassuréequecelaconfirmaAndromedadanssonintuitionquelesdeuxAnciensavaientétéplusprochesquequiconquenes’enétaitrenducompte.)Àl’époqueoùils’estEndormi,seullefeud’angeauraitpupercercettestructure.MaisJelenam’aapprisqu’ilexistaitdenouvellesmachinesquiutilisaientunelumièrechaude.
—Deslasers?devinaAndromedaquandCalianesetut.—Oui. Je pense qu’une telle machine parviendrait à transpercer le métal d’Alexander, même si
Lijuann’étaitpaslàenpersonnepourutiliserlapluienoireempoisonnéequecrachentsesmains.C’étaitunenouvellequ’Andromedanevoulaitpasentendre.—Seréveillera-t-ils’ilestdérangé?— S’Éveiller est normalement un processus long et lent, lui apprit Caliane. Si le subconscient
d’Alexandervoitenvousunemenacequandvousledérangerez,vousrisquezdemouriravantd’arriveràluiexpliquerquoiquecesoit.Jevousrecommanderaisdenepasperdreunesecondedèsquevousaurezsonattention.
Andromeda déglutit, mais n’envisagea pas une seconde de renoncer. Il valait bienmieux que sesderniersinstantssurterresoientpassésencompagniedel’hommeleplusincroyablequ’elleait jamaisrencontré,àtravailleràsauverlavied’unAncien,plutôtqu’àsentirsonâmeseflétriràlacourdesongrand-père.
NaasirétaitentraindegrimperverslacimedesarbresdeKagoshimasouslecielétoilédudébutdelanuit.Lessingesquiyrésidaientprotestaientcontrel’invasiondeleurterritoire,etAmanatétaitpresqueenvue lorsque soudain le silence tomba.Les singesdans les arbres, les chevaux sauvages au sol, lesoiseauxdanslecielcessèrenttoutbruit.Naasirdemême.
Il garda sa position sans que son souffle brise l’air, et tendit l’oreille. Les poils de sa nuque sehérissèrent,premiersignedemiseengardequelesêtrescivilisésavaientapprisàignorer,contrairementàlui.
Ilsentitdonclesodeursinconnuesportéesparlabrise,entenditlesbattementsd’ailesannonçantunatterrissageprochain.Ilpivotaavecprécautionetavançasansbruitd’unarbreàl’autre.Lessingesneletrahirentpas–ilspouvaientbienluiadresserdesregardsmauvais,maislorsqu’ils’agissaitd’unanimalcontreunechoseautre,ilsleconsidéraientcommel’und’entreeux.
IlssavaientaussiquiappartenaitàcetteforêtsiprocheduterritoiredeCalianeetquin’yappartenaitpas.
LesailesqueNaasirapercevaitmaintenantn’enfaisaientdéfinitivementpaspartie.Ilsemblaitqu’ilavaitsous-estimélesgénérauxdeLijuan–ilnetenaitqu’àlachancequel’escadronlégersoitarrivétroptardpourenleverAndromedadansleciel.S’appuyantlelongdesabranche,Naasiraiguisasessenspourentendrecequelesquatreangesdisaient.
—…Àl’intérieur?—Négatif,tranchaleplusgranddeshommesenréponseàlaquestiondelaseulefemmedugroupe.
Nousnevoulonspaslancerleshostilités.Philomenaaétéclaire:DameLijuanad’autrespriorités.Notretâcheestseulementderécupérerl’érudite.
L’angesurlagauche,celuidontlapeauétaitaussisombrequecelledeNaasir,opina.—Elledoitsetrouverlà.Ladernièrefoisquel’undesnôtresl’aaperçuedanslepays,c’étaitau-
dessusdelapartieméridionaleduKunamoto.Iln’yapasd’autreabrisûrdanslecoin,etelleesttropjeunepouravoirl’endurancenécessaireàunvolpluslong.
—Jesuisd’accord,confirmaledernierhomme.Son dialecte était différent des autres, mais suffisamment familier aux oreilles de Naasir qui en
maîtrisaitlesbases.Lorsqu’il était enfant, Dmitri lui avait dit qu’il devait apprendre autant de langues que possible.
Ainsi,personnenepourraitrienluicacher.Cen’étaitpaslapremièrefoisquececonseils’avéraitutile.—On guette, et on attend, reprit l’ange qui semblaitmener le groupe. Elle ne peut pas rester là
indéfiniment.Lafemmeparutdubitative.—Amanatestunjoyaupourn’importequelhistorien.— Mais elle a certaines responsabilités au Refuge. Si elle décide de rester, nous envisagerons
d’autresoptions.—Pouvons-nousnouspermettred’attendre?—Philomenaditqu’ellelaveutaussivitequepossible,maisonpeutpatienterjusqu’àcesoir.Sià
l’aubeellenepartpas,jecontacterailegénéral.Naasircontinuad’écouteretappritquel’escadronavaitl’intentiondesedéployerautourd’Amanat.
Ilréfléchitàlapossibilitédeleséliminerl’unaprèsl’autre,maiss’ilsétaienthabituésàsecontacteràintervalles réguliers, ils comprendraient qu’il s’agissait de lui. Il décida donc de les laisser à leursurveillanceet,voulants’assurerqu’aucundesquatren’avaitsuspectésaprésence,ilrevintsursespasjusqu’àsetrouveràuneheured’Amanat.Puisils’élançaverslavillesanssecacher.
Contrairement à Andromeda, il n’avait pas besoin d’attendre une escorte pour pénétrer dans leterritoiredeCaliane.Lebouclierdelavilleleconnaissaitets’ouvritautomatiquement,l’accueillantavecune vague de pouvoir archangélique qui vint effleurer la peau de Naasir. La seule personne ayant lafacultéderévoquercetaccèsétaitCalianeelle-même.
Ilrepéral’odeurd’Andromedaàl’instantoùilpénétradansl’airtempérédelaville.Elleétaitunfilbrillantetdélicieuxdanslacitéfourmillante.
—Naasir!
Iladressaunsignedelamainàl’amiqui l’avait interpellédepuislepremierétaged’unimmeubleproche,maisnes’arrêtapas.Latracefraîcheetpropred’Isabelcroisaitcelledel’éruditeàuncertainmoment, puis les deux parfums suivaient une ligne parallèle jusqu’à la courmurée qu’Isabel utilisaitcommeterraind’entraînement.
Ileutunlargesourireenentendantlefracasdesépées.Sautantsurunmursurlecôtédelacour,ils’accroupitàsonfaîteetobservalesdeuxfemmesdanser
avecleurslames.SonanciennepartenaireàAmanatétaitbonne…MaisAndromedaétaitmeilleure.Ilnes’yétaitpasattendu.Pasplus,constata-t-il,qu’Isabel.Naasirlaconnaissait,étaitcapablededéchiffrerlesexpressionsdesonvisage,direquandlesmouvementsd’Andromedalasurprenaient.
Parcequ’Andromedasebattaitàl’instinct.Daharielluiavaitdonnéd’excellentesbases,maiselleadaptaitsesmouvementsaufilducombat,ce
quicontraignaitIsabelàrepensersonstyle,plusclassique.Naasirétrécitleregard.Comptetenudel’âged’Andromeda,ilnes’agissaitpasquedecompétencesacquises–elleavaitcetinstinctenelle.
Elleétaitlapetite-filled’unArchange.Maisalorsquesamèregaspillaitlapuissancequicoulaitdanssesveines,Andromedal’avaitpolie,
se l’était appropriée.Lorsqu’elleposa sonépéecontre lagorged’Isabeld’unmouvement signalant savictoire, lapoitrinehaletante,mais lamainferme, ileutenviedegrognerdefierté.Aulieudequoi, ilattendit que les deux femmes se séparent et lèvent leurs épées devant leur visage avec l’inclinationrespectueusededeuxguerrières.
Sautantausol,ilvitAndromedatournervivementlatête.—Naasir!Ellecourutdirectementsejeterdanssesbras,l’épéerapidementglisséedansunfourreauquipendait
àsacuisse.EtquandAndromedapritsonvisageentresesmains,toutcequ’ilputdiscernerfutlemarronclairde
sesiris,leséclatsdorésautourdesespupilleslumineuses.—Tuesenvie!s’exclama-t-elle.Ilglissasesbrassouslesailesdelajeunefemme,lasoulevadeterreetlafittournoyer.—Tut’inquiétaispourmoi.Il était tout à fait capable de prendre soin de lui-même, mais il semblait juste qu’une compagne
s’inquiète.—Biensûrquejem’inquiétais,rétorqua-t-elleenfaisantsemblantdelefrapperauxépaulestandis
qu’il lamaintenaiten l’air,maisc’étaitplusunecaressequ’uneréprimande.Tuaspris tontempspourarriverici.
Il brûlait d’envie de l’embrasser – stupideGrimoire –mais il la reposa et tapota furtivement sesailes.
Elle lui envoya un regard menaçant, mais la commissure de ses lèvres s’étirait et ses yeuxétincelaient.Ellejouaitdenouveauaveclui.Leurproprepetitjeusecret.Lorsquelesdoigtsdelajeunefemmeeffleurèrentlessiens,ilpritsamaindanslasienne.
—J’aidûéviterunescadrondeLijuan,leurapprit-il.Ilsattendentqu’Andisorted’Amanat.Mainssurleshanches,Isabeldemandaàensavoirplus.—Hum,dit-ellequandNaasireneutfini.Laissons-lesrôder làpour lemoment.Nouséliminerons
cesquatre-làdel’équationquandAndiettoiserezprêtsàpartir–pasquestiondedonnerunechanceàPhilomenad’envoyerdesrenfortsouunremplacement.
—Onpeutyarrivernous-mêmes,réponditNaasir,incluantlesdeuxfemmesdanscettedéclaration.Isabelsecoualatête.
—LesescadronsdeCalianeontbesoinde l’expérienceetde laconfiancedonts’accompagneunevictoirecontrel’ennemi.
Naasirdécidaqu’ilpouvaitleleurpermettre;cetteproien’étaitpastrèsintéressante.—Ilfautquejem’entretienneavecCaliane.L’Anciennes’attendraità levoir. Ilne luiappartenaitpas,maiselleconsidéraitqu’ilenétaitainsi
quandilétaitchezelle,etillarespectait.MêmesiCalianeétaituneArchangeréputéepoursagrâceet labeautéenvoûtantedesavoix,elle
étaitdotéedumêmeinstinctmeurtrierqueNaasir–etdelamêmedévotionenverssafamille.
Andromeda était encore étourdie de soulagement quand, une heure plus tard,Naasir grimpa à sonbalconetentradanssachambredontlesportes-fenêtresétaientouvertes.Ils’étaitbaigné,avaitrevêtuunjeanpropreetunechemiseblanchesanscoldontilavaitroulélesmanchesjusqu’auxcoudes.D’unfincotonoudelin,elleétait lavéedefraiset luiallaitsibienquela jeunefemmesutquelevêtement luiappartenait.IlavaitdûenlaisseràAmanat.
Ilavançaverselle.Elleétaitinstalléesurleborddulit,prenantdesnotessurunpetitblocdepapier.Ilvints’asseoiràsoncôtéetsefrottacontreelle.Elleauraitdûl’arrêtermaisn’enfitrien.Sonhaleinechaude,sapeauquil’étaitencoreplus,sonparfummasculin,l’humiditédesescheveuxtoutjustelavés,toutcelaétaittropbon,commesic’étaitlameilleurechosequ’elleéprouveraitjamais.
—Tut’esnourri?demanda-t-elled’unevoixrauque,ayantremarquéàsonarrivéelesfineslignesquelatensionavaitimpriméesàsonvisage.
—Oui.As-tuvul’angequenousavonssauvée?Ils’étaitétendusurlelitderrièreelle–commes’ilavaittouslesdroitsd’envahirsonespace.Andromedasetournaverslui.Elleserralepoingpours’empêcherdecaresserlacuissemuscléede
Naasir.—Non,elleestenanshara.—Elles’estmontréecourageuse.Ellesurvivra.—Soncorps,oui,maisjem’inquiètepoursonespritetsoncœur.—Lorsqu’elleseréveillera,elleauraàchoisirentrevivreouselaissermourir.(Desmotscrûment
solennels.)Personnenepeutdécideràsaplace.Lamainmétalliqueétaitderetour,écrasantlapoitrinedelajeunefemme.—T’es-tujamaisretrouvéfaceàunetellealternative?murmura-t-elle.—Oui,quandj’aiétécréé.J’aidécidédevivreetd’êtremoi.Cettedéclarationn’auraitpasdûavoirlemoindresens,carquelenfantsesouvenaitdesanaissance?
Pourtant,ellesavaitqu’ils’agissaitlàdelapurevérité–Naasirnementaitpas.—J’ensuiscontente,dit-elle.Jet’aimebien.Unéclatargentsouslacourbedesescils.—Allonge-toiàcôtédemoi.Lecœurdouloureux,elleneluttapascontreleursbesoinsrespectifs.Selaissantallersurlelit,elle
appuyasatêtesurunemain…etdéployaunedesesailessurNaasir.Sonsourire la retenaitcaptive,et il touchasesailesavecunedouceur inattendue.Bienqu’il restât
éloignédeszoneshautementsensibles,sescaressesluifirentrecroquevillerlesorteils.—Joliesplumes,murmura-t-il,paupièresbaisséestandisqu’ilsavouraitl’instant.Sais-tuquetuas
desfilamentsdebronzequireflètentlalumière?—Non.
Ellesavaitenrevanchequesesailesn’avaientriendesurprenant,maisqu’ellesétaientfortesetluioffraientlalibertédescieux.C’étaitplusquesuffisant.
Naasirlissauneplume.—Regarde.Lorsqu’elles’exécuta,elleaperçut lefaibleéclatd’unfilamentdebronzecachépar touslesautres
surlacouchemédianedesesprimaires.L’émerveillementlasaisit.—Commentas-turemarquécela?—Parcequejet’airemarquée,toi.Surcecommentairequiluicoupalesouffle,ilrecommençaàlacaresser.—Confie-moitespenséesàproposd’Alexander,ajouta-t-il.La jeune femme baissa les yeux sur le carnet qu’elle avait laissé tomber sur le lit à hauteur de
poitrine.Elles’enétaitserviepourmettredel’ordredanssesidées.—Jepensequ’ilyauneforteprobabilitépourqu’ilsetrouvesursonancienterritoire,maispassous
sonancienpalais.Ellesoupira.—J’aiessayédedirigerlesgensdeLijuanloindetoutecetterégion,maisjenesuispassûrequeXi
ait étéconvaincu. (Lemince fil sur lequel elleavait avancédans la salledu trônedeLijuan la faisaitencorefrissonner.)S’ils’yrend,jesuiscertainequ’ilseconcentrerasurlepalais.
—Rohanesttrèspuissant,illesretardera,affirmaNaasir,braspliésouslatête.Sionluiposaitlaquestion,ilseporteraitvolontairepourêtreenpremièrelignepourdéfendresonpère.
—Devrions-nousleprévenir?Enréponse,Naasirsortituntéléphonenoirbrillantdesapoche.—Jelenaenavaitunderechange,luiexpliqua-t-ilavantd’appelerRaphael.LeSireparleraentêteà
têteavecRohan,luicommuniqueralesplansdeLijuan,rapporta-t-ilaprèsunebrèveconversation.Rohannourrituneloyautéindéfectibleenverssonpère.
Ayantconfianceensonjugement,elleacquiesça.—EtFavashi?—Ellen’apaschoisisoncamp–etsiAlexanderselève,ilestpresquecertainqu’elleneseraplus
l’ArchangedePerse.Rohanneprendrapaslerisquedeluiparler.(Surcetteanalysefranche,ilposalamainàplatsurl’ailedelajeunefemmedansungestepossessif.)S’iln’estpassouslepalais,oùalors?
Souhaitant désespérément réduire la distance entre eux, elle saisit son bloc-notes et luimontra lacartegrossièrequ’elleavaitesquissée.
—Ilexisteunréseaucomplexedegrottesàenvironcinqheuresdevoldupalais.Assezreculéespouroffriruneintimitétotale.—Certainesgaleriessontsiprofondesquepersonnen’estparvenuàlesexplorerentièrementavec
succès,malgrédenombreusestentatives.Laplupart,ajouta-t-elle,lespoilsdesesbrassedressant,ontabandonnéaprèss’êtreblessés.Lesautresontdisparusanslaisserdetraces.
—Alexandernedortqued’unœil?—C’étaitungénéral.Cédantàsondésir,ellesemitàcaresserlescheveuxdeNaasir.Elleserralescuissesenréactionà
son ronronnement. Ses seins lui donnaient l’impression d’être gonflés… et son cœur menaçait de sebriser.
Elleparvintàsurmonterlenœudquis’étaitformédanssagorgepourcontinuer.—Unexplorateurmortelquis’enestsortidejustessearapportéqu’àl’extrémitédescavernes,loin
sousterre,ilyavaitungrandgouffreemplidelaveenfusion.
Depuis qu’elle avait lu le rapport fragmentaire et confus de l’explorateur, elle n’avait cesséd’imaginercettevueterrifiantedebeauté.
—Laplupartdesgensn’accordentpasdecréditàcerapportparcequel’hommeaperdularaisonàcausedecequ’ilavu,quoiquecepuisseêtre.Maisilanotébientropdedétailspourquej’écartesontémoignage. Un certain nombre de choses concordent avec l’idée que je me fais du sanctuaire d’unAncien.
Elleétaitsurlepointd’endireplussurcequel’explorateuravaitracontéquandellestoppanet.Elles’assitbrusquement,lesyeuxécarquillés.—Peut-êtrequecequ’ilavun’étaitpasdutoutdela lave,maisdumétalenfusion…Calianedit
qu’Alexanderauneforteaffinitéaveccettematière.Desyeuxargentlaregardaientenbrillant.Naasirbougeasansprévenirpourl’attraperparunbraset
l’attirercontresapoitrine.—Naasir!—Pourarriveràcegouffredemétalenfusion,dit-il,nousauronsàinfiltrerleterritoiredeFavashi.Il ne tint absolument pas compte du froncement de sourcils de la jeune femme et la maintint,
rougissante,contreladurechaleurdesontorsed’unbraspasséautourdesataille.Mains sous le menton, sentant le cœur de Naasir battre sous elle avec un énorme plaisir, elle
s’abandonnaaubonheurd’êtresiprochedelui.—Tupeuxtefaufilern’importeoù.C’estmoi,leproblème,conclut-ellesurunegrimace.—J’aibesoindetoi.(Desmotssimples,directs,quilaravirent.)TesconnaissancessurAlexander
sontprécieuses,ellespourraientnouspousseràchangerdecheminencoursderoute.Lathéoriedel’érudites’appuyaitsurdesdonnéeshistoriquesetl’instinct.Impossibledesavoiravec
certitudesielleavaitvujuste.—Oui.Detoutemanière,jenetelaisseraipaspartirseul.C’estdangereux.Unlentsourirequisetransformaenungrognement.Lajeunefemmesesentitsoudainàl’étroitetson
sangsefitdemiel.—CestupideGrimoire, lançaNaasiren luimontrant lesdents.Jen’aipasoublié tapromesse.Je
seraiautoriséàtefairetoutcequejeveuxaprèsl’avoirtrouvé.Andromedaneparvenaitplusàrespirer.— Tout ce que tu veux, murmura-t-elle, la voix rauque et les seins si tendus qu’ils en étaient
douloureux.Toucher,lécher,mordre…Tout.LesourirerevintauxlèvresdeNaasir,etcettefois-ci,ilétaitsibestialqu’ellesutque,sijamaisilla
prenait,illaposséderait.Chaquecentimètre,chaquemillimètre,sonêtretoutentier.
Chapitre26
IlliumsurvolaitNewYork,d’excellentehumeur.JasonetNaasirétaienttousdeuxhorsdedangeràprésent,etilavaitparléavecsamère.Grâceàl’appeldeRaphaelquiavaitimmédiatementsuivilesien,leColibriavaitacceptéuneinvitationàserendreàNewYork.
Ilétaitdéterminéàcequel’anniversairenesoitpassiterriblecetteannée.Iloccuperaitsamèredemanière à ce qu’elle ne pense pas à ce qu’elle avait laissé derrière elle au Refuge. Occupée etsuffisammentheureusepourqu’ellenesouhaitepasretournerrapidementàsaveilledouloureuse,àvousbriserl’âme.
Ilremarqualalumièreéclatéedesailesd’Aodhannonloindanslecieldel’après-midi.Ilsouritetsedirigeaverssonami.SamèreadoraitAodhan,etIlliumsavaitlaréciproquevraie.Aodhanpasseraitdesheuresavecellesic’étaitcedontelleavaitbesoin.
—Tamèreaunegrandecapacitéàaimer,luiavaitunjourdéclarécedernier.C’étaitvrai–etc’étaitaussilaplusgrandefaiblesseduColibri.Unefoisparvenuàlamêmealtitudequesonami,ilsiffla,deuxdoigtsentreleslèvres.Aodhan jeta un coup d’œil dans son dos et lui adressa un léger sourire. Il n’y avait rien de plus
réconfortantquedelevoirsourireaprèsdeuxsièclesdouloureuxdurant lesquelsIlliumn’avaitpasétécapabledel’atteindre,endépitdetoussesefforts.Lescicatricespsychiquesd’Aodhanpourraientbiennejamaiss’effacer,maisillesdépassait.Ilfaisaitpreuved’uncranetd’uneforcequeceuxquinesavaientpascequ’ilavaittraversén’étaientpasvraimentcapablesd’appréhender.
Lesvingt-troismoisdurantlesquelsAodhanavaitétéportédisparuétaientlapériodelaplushorribledelavied’Illium…pirequelorsqu’ilavaitperdusamaîtressemortelle.Ilavaitsurvécuàcetteperte.Ilnesavaitpass’ilseremettraitdecelled’Aodhan.
Jamaisauparavantcettevériténeluiétaitapparueaussiclairementetcelalesecoua.—Qu’est-cequinevapas?luicriaAodhan,àsagauche.Leboutdeleursailessetouchaitpresque.Illiumallaitsecouerlatête,abasourdiparcetteprisedeconscienceetpasencoreprêtàendiscuter,
lorsqu’ilsentitsoncœurlittéralementexploser.Ladouleurétaitabominable.Ailesemmêlées,ilcompritqu’iltombait.Il avait joué ce tour des milliers de fois : faire semblant de tomber en chute libre, les ailes en
pagaille.Aodhanavaitcessédemarcher ilyavaitdessièclesdecela. Illiumn’avaitmaintenantaucunmoyendeluisignalerqu’ilnes’agissaitpasd’uneblague.Ladouleurformaitunetacherougedanssonesprit. Les gratte-ciel de Manhattan se précipitaient vers celui à une vitesse assassine. Si l’impactséparaitsatêtedesonépinedorsale,aveclecerveauetsesorganesinternespulvérisés,ilnesurvivraitpas.
Il n’était pas prêt à quitter ce monde. Poussé par la certitude atroce que son décès briseraitdéfinitivementsamèreetAodhan, il tentadedéployersesailes.Unenouvelleexplosiondesouffranceabominableprovoquaunaffluxdesangdanssabouche…etilsombradansl’inconscience.
Aodhanvitl’expressiond’Illiumchangerjusteavantquesesailesnelâchent.Illiuml’avaitpiégéàd’innombrablesreprises,maisquelquechoseluisoufflaitqu’ilnes’agissaitpasd’unjeu.Sansréfléchir,il replia les siennes et se laissa choir comme une pierre vers la silhouette d’Illium qui s’éloignaitrapidement,sessuperbesailesbleuargentpendantesetinutiles,tandisquel’angechutaitverslemétal,leverreetlecimentàunealluremeurtrière.
Sire!Illiumtombe!ToutenalertantsonArchange,Aodhansavaitquecedernierétait tropéloigné. Il l’avait repéréde
l’autrecôtédelavillepeudetempsavantqu’Illiumnelesiffle.Soncœurhurlaittandisqu’ils’efforçaitd’augmentersavitesse.Ilfouillalescieuxàlarecherched’uneautreaide,maistoutallait tropvite, leventluibrûlaitlapeau.Sonuniqueavantageétaitqu’ilfusaitcommeuneballeaérodynamique,tandisquelesailesempêtréesd’Illiumleretardaient,leralentissaientdequelquesfractionsdesecondes.
Aodhannequitta pas des yeux la formebleue…puis la dépassa. Il ouvrit brutalement ses ailes àmoinsdedeuxcentsmètresdutoitd’ungratte-cielet,tournantledosàIllium,sepréparaàl’impact.
Quilesecouajusqu’auxos,fits’entrechoquersesdentsetl’envoyadansunechuteincontrôlableenspirale.IlpouvaitsentirIlliumglisserdesondosmaisétaitincapabledeleralentir.
Ilsallaientfrapperletoitàunevitessemortelle.Aodhann’étaitpassûrqu’aucund’euxn’ysurvive.Non,pensa-t-il,non.Ilsedébrouillapouragripperlepoignetdesonamietsentitsonbrassedéboîter.Ilrefusadelâcher
prise.Cefutalorsqu’unfeublancentradanssonchampdevision,Raphaels’élevantverseuxetattrapantIlliumdanssesbrasàquelquesmètresseulementdutoit.Jel’ai.
Aodhanlâchasonami.Lui-mêmeétaitmaintenanttropprochedutoitetsavitesse,tropimportantepouréviterlacollision.Il
sepréparapourunnouvelatterrissagedifficilealorsqu’ilvenaitjustedeserétablirduprécédent.Instinctivement, ilavait fermélesyeux.Parconséquent, ilnesutpasdansunpremier tempscequi
l’avaitfrappé.Ilcompritjustequ’ilavaitétépercutésuffisammentfortpoursebriserplusieurscôtes.Sespaupièressesoulevèrentbrusquement:ilavaitétérepoussédansl’airlibre.
Déployant ses ailes, il tourna à plusieurs reprises sur lui-même avant de retrouver son équilibreaérien.Trempédesueuretlecœurbattantlachamade,illevalatêtepourdécouvrirElenaetlePrincipalquivolaientverslui.
—Tuvasbien?hurlaElenaquandellefutassezproche.Onnet’auraitpasattrapéàtemps,alorsont’estrentrésdedans.
—Merci,parvint-ilàprononcer,toutenremarquantlebleuquiseformaitdéjàsurlevisaged’Elenaetsurlehautdesonbras.Illium?
Unregarddésolé.—Jenesaispas.ToustroisfoncèrentendirectiondelaTour.Ilsseposèrentsurlebalcondel’infirmerie.Aodhanet
Elenaseprécipitèrentàl’intérieurtandisquelePrincipalattendaitdehors.LeguérisseurleplusaguerridelaTouretRaphaelétaientpenchéssurlasilhouetteinaniméed’Illium.
Aodhan n’avait pas l’habitude de voir son ami aussi immobile. Illium ne tenait jamais en place.Mêmeallongé,sesyeuxenvoyaientdesétincelles,saboucheriait.
—Aodhan,ditElenaen tendant lamainpoursesaisirdecellede l’ange,avantdes’arrêteràmi-geste.Ilestvivant,affirma-t-elled’unevoixféroce.Tul’assauvé.
Aodhanavaitlesentimentdecontinueràtomber.—Iladusangsurlui.Celasortitcommeunmurmure.Lesouffled’Elenaétait tremblant.Bienqu’elleneconnût Illiumquedepuisquelquessecondespar
rapport à l’amitié vieille de plusieurs siècles d’Aodhan, ce dernier savait qu’elle aussi était près depaniquer.Letempsnefaisaitquepeudedifférence;c’étaitlecœurquicomptait,lafacultéd’aimer.EtElenaaimaitavecunepassionquiavaitfaitfondrelesboucliersfroidscommelaglaced’unArchange.
LapeurnondissimuléedelajeunefemmeincitaAodhanàtendrelamainetàprendrelasienne.Iln’hésitapasàprovoquervolontairementuncontactphysiqueavecquelqu’und’autrequesonamileplusproche.Àn’importequelautremoment,untelgesteauraitétéinconcevable;àcetinstant,sonespritetsonâmen’avaientpasdeplacepourd’autresémotionsquecellequimenaçaitdéjàdelenoyer.
Aodhanvoulaitquesonamiseréveille.Ilessayaitdenepasvoirsesailesquigisaientsimollesdechaquecôtéducorpsd’Illium,leslarmesdesangquis’étalaientsursesjoues.S’ilperdaitIllium…
Samainresserrasaprisesurcelled’Elena.
Chapitre27
Toutaulongdelanuit,NaasirrestaencontactaveclaTour.DmitriavaitappelétouslesmembresdesSeptquisetrouvaienthorsdeNewYorkdanslesminutesquiavaientsuivilachuted’Illiumafindes’assurerqu’ilsentendraientlavéritéetnonpasdesrumeurs.
Deux heures avant celle prévue pour le départ de Naasir et Andromeda, unDmitri profondémentsoulagéleuravaittransmislesdernièresnouvelles.
—Ilnes’estpasréveillé,avait-ilapprisàNaasir.Maisleguérisseurditqu’ils’agitd’unsommeilnaturel.Ilestprobablequ’ilouvrelesyeuxquandtuserasenchemin.Jet’eninformeraiimmédiatement.
Naasir,luiaussiextrêmementsoulagé,avaitrépondu:—EtleColibri?Naasirn’avaitpasdemère,maisilaimaitcelled’Illium.Elleétaitdouceetgentille,etavantmême
d’avoirIllium,elles’étaitmontréeattentionnéeenversNaasir.Durantlescoursd’expressionartistiqueàl’école,ellenes’étaitpassouciéequ’ilutilisesesmains
pourpeindreouqu’ilsoitpeusoigneux.—Celaval’effrayer,ajouta-t-il.LeColibri avait toujours été si fragile.Maismaintenant,Naasir savait faire attention à elle. Elle
portaitsesblessuresenelle.— J’ai demandé à Jessamy de lui apprendre la nouvelle en personne – elle m’a raconté qu’elle
n’avaitpasvuleColibriaussisecouéedepuisdessiècles.—Sonpetitestblessé.—Oui.ElleestenroutepourNewYork.Naasir raccrocha afin queDmitri puisse informerGalen etVenin de l’évolution de la situation, et
rapporta sa conversation à Andromeda. Il s’était faufilé dans sa chambre après le premier appel deDmitri et l’avait réveillée, incapable de rester seul alors qu’un membre de sa famille était blessé.Andromedan’avaiteuqu’àleverlesyeuxsurluipoursedresseretvenirleprendredanssesbras.
Elleletenaitdenouveauserrécontreelle.—Jesuissiheureusequ’ilaillebien.Collé à elle, il frotta sa joue contre le visage et les cheveux de la jeune femme, recouvrant
progressivementsoncalme.Elleluitapotaledos,émettantdedouxpetitsbruitsapaisants,l’amadouantpourqu’ilsedétende.Lorsqu’ellel’attiraverslelit,ill’ysuivit.
Ilsdormirentdurantlesdeuxheuresprécédantl’aube,doigtsmêlés,faceàface,l’unedesailesdelajeunefemmedoucecommelasoiesurlevampirequin’enétaitpasun.
Ilseréveillaavantelle,maisrestaimmobileetlaregardadormirencomptantsescils,lesminusculestachesderousseursursonvisage,ensentantlerythmedesarespiration.Aprèslanuitpassée,iln’yavait
pluslemoindredoutedanssonesprit:elleétaitsafemelle.Alorsmêmequ’ilétaitainsiéloignédesafamilledanscettepériodedifficile,iln’avaitpasétéencolèrenipaniquécommec’étaitlecaslorsqu’iln’étaitpasdanssabonnepeau.
CarAndromedaétaitlàetlecomprenait.Mêmes’ilsseconnaissaientdepuispeu,elleavaitsaisiqu’ilétaitvenuàelleparcequ’ilavaitbesoin
d’un contact, de quelqu’un pour le soutenir tandis qu’il attendait des nouvelles d’Illium. Dans la vieordinaire,ellepouvaitbienjoueretlutteraveclui,maislorsquelasituationl’exigeait,elleétaitprésenteetsemontraitaffectueuseetpassionnémentprotectrice.
Illagagnerait,àn’importequelprix.EtiltrouveraitcestupideGrimoireafindepouvoirlamarquerdesonodeur,surelle,enelle.Ilquittalelitavantd’êtreincapabledes’empêcherdelaroulersurledos,deluiécarterlesjambes
etdeplongerdanssonhumiditéétroite.Iltiraavecdouceursurlanattedelajeunefemme,quiinsistaitpourdompterainsisesbeauxcheveux.
—Réveille-toi.C’estl’heure.
Andromeda jaugea l’expressiondeNaasir à l’instant où elle s’éveilla et fut heureuse de constaterqu’ilétait redevenu lui-même,oupresque.Lesheuresdouloureusesqui s’étaientécouléesdepuisqu’ill’avait sortie du sommeil au milieu de la nuit attestaient de l’attachement profond qu’il portait à safamille…Nuldoutequ’ilenseraitdemêmepourlafemmequiseraitsienne.Ellesouhaitaittantêtrecettefemmequec’enétaitdouloureux.
Ellerepoussacedésiravantqu’ilne laparalyseetseprépara.Isabel luiavait trouvédescuirsdecombatàsataille,dontlamatièreuséeet la teinted’unmarronpoussiéreuxseraient idéalespourcettemission.Lepantalonépousaitsesjambestandisquelehaut–qu’elleportaitsurundébardeurconçupourlesailes– laissait sesbrasnusmaismontait jusqu’à soncouet s’ajustaitdouillettement autourde sesailes.
Peu après son entrevue avec Caliane, Andromeda s’était mise à porter les bottes qu’elle avaittrouvéesdansleplacard,etbienqu’ellesrestentraides,ellesluiconvenaientbienmieuxquesesfragilesballerines.Quantaufourreauqu’Isabelluiavaitoffert,ilétaitparfait.
—Jesuisprête,annonça-t-elleenrejoignantNaasirsurlebalcondixminutesaprèss’êtrelevée.Ilétaitvêtud’untee-shirtcouleursableetd’untreillisdecamouflage,bottesauxpieds.Pendantquetousdeuxavalaientunrapidepetitdéjeuner,ArvietIsabels’élancèrentdanslecielavec
unescadronpoursechargerdeleursquatreennemisàl’affût.DanslamesureoùAmanatétaitlecœurdeCaliane,lavillen’avaitpasétéconstruitepouraccueillirdesprisonniers.Unseulchoixs’offraitàAvi:soitilexécuteraitlesprisonniers,soitillesenverraitailleurs.
—Ilprévoitdelesdétenirsurunbateauunefoisqu’ilaurafinidelesinterroger,annonçaIsabelàAndromedaetNaasiraprèsêtrerevenuepourconfirmerquetouts’étaitdérouléexactementcommeprévu.Il est ancré loin dans l’océan. Par conséquent,même si les gens deLijuan découvrent où les leurs setrouventetplanifientuneévasion,celaneprésenterapasunemenacepourAmanat.
Andromedapritlesmainsd’Isabelentrelessiennes.—Merci pour ce havre sûr, et je t’en prie, remercie aussiCaliane pourmoi, demanda-t-elle à la
guerrièreenprenantcongé. (Calianeétait avecsacourde jeunesviergesetnepouvaitêtredérangée.)J’espèrequenousauronsdenouveaul’occasiondenousentraînerensemble,Isabel.
—Évidemment ! Je dois reconquérirmonhonneur. (Sur un léger sourire, elle ajouta :)Quevotrevoyagesedéroulebien,mesamis.
Tousdeuxs’enallèrentsilencieusement,seglissantdehorscommedesspectresdansl’obscuritédupetitjour.Ilsavaientdécidéqu’ilnefallaitpasqu’Andromedavole,passitôt.DanslamesureoùtoutlepaysétaitunepartieduterritoiredeLijuanavantleréveildeCaliane,l’ArchangedeChineydisposaitd’espionsetdegensquiluirestaientloyaux.SiAndromedaétaitrepérée,l’ennemipouvaitdéciderdeluitirerdessusoudel’emporterdanslesairsoùNaasirseraitincapabledeluiportersecours.
—Tout est tellementpaisible à cetteheurede la journée,dit-elle tandisqu’ils avançaientdans laforêthorsd’Amanat.Mêmelessingesdorment.
—Ilsnedormentpas–c’estjustequ’ilsnesaventpasquoipenserdetoi.(Samaincourutlelongdesailesdelajeunefemme.)Maintenant,ilssaventquetuesmienne.
Elleneputréprimerunfrisson.LesyeuxdeNaasirsemblaientluire.—JetrouveraileGrimoire,affirma-t-il.Cette promesse énoncée d’une voix profonde envoya à travers les veines de la jeune femme une
pousséedepurdésir.Latentationétaitunedouleurdanssesseins,unetensiondanssonventre,etlepointentresesjambesétaitprêt,humide.
—Jebriseraismonvœupour toi,murmura-t-elle, lecœurravagéà l’idéequ’ellepourraitbiennejamaisleconnaîtreaussiintimementqu’unefemmeconnaissaitunhomme.
Crocs visibles, Naasir se pencha sur sa gorge pour prendre une profonde inspiration.Mais alorsmême qu’Andromeda commençait à fermer les yeux, enivrée par l’instant, il recula et secoua la tête,l’argentépaisdesescheveuxscintillantdanslalumièretamiséedel’aube.
—Tudoistenirtespromesses,dit-il.Mêmecellesformuléesenverstoi-même.Lalèvreinférieuredelajeunefemmetrembla.—Tuvoiscombienlecontrôlequej’aisurmesbasinstinctsestfaible,chuchota-t-elle.C’esttoiqui
doismerappeleràl’ordre.Naasirsouritcommesielleavaitditquelquechosedemerveilleux.—Oùestleproblème?Ilestnormalquemafemellemetrouveirrésistible.Ellesouhaitaittoutàlafoisembrassercetteboucherieuseausourireimmoraletluimontrerlesdents
poursonarrogance.—Jenesuispastafemelle.Etellenepourraitjamaisl’être.Elleétaitliéeparlesangàl’ennemi.Naasirgronda.—Jeteferaichangerd’avis.Andromedaavaittellementenviedejoueravecluiqu’ellefitquelquechosed’impardonnable–elle
l’encourageaàpenserqu’unfuturcommunseraitpossible.—Oh?Etcommentça?—Tuverras.Lessingescommencèrentalorsàcrier,l’und’euxsebalançanttêteenbasdepuisunebranchepour
regarder la jeunefemmedroitdans lesyeux.Lorsqu’ellepoussauncriet reculad’unbond, lesingeetNaasirsemirentàrire.Lesautressejoignirentàeux,tapageurs.
Envoyant un regard noir à son partenaire impénitent, elle repoussa son bras musclé. Nullementdécouragé,ilattrapalamaindujeuneangedansungestepossessif.
ElleenroulasesdoigtsautourdelapaumedeNaasir,sansluicontesteruneseulesecondeledroitdelatoucher.
Deuxheuresplustard,ilsétaientarrivésàl’endroitoùNaasirs’étaitarrangépourqu’unvéhiculedebonne taille les attende. Le vampire qui le surveillait salua Naasir avant de prendre la direction
d’Amanat.Leurmoyendetransportavaitétémodifiépourtransporterdesangesblessés,etdisposaitd’unespace suffisant pour les ailes de la jeune femme.Le reste du trajet jusqu’au terrain d’atterrissage sepassarapidement.
Puisqu’ilétaitplusqueprobablequePhilomenasurveilleaussilespistes,ilsavaientdûprendreunedécision:utiliserunjetdifférentouagirdemanièreinattendue.Commeilyavaitpeudechancesqu’ilspuissenttrouverunautreavionaussirapidequeceuxdelaflottedeRaphael,ilsavaientdoncretenulaseconde option. Ils conduisirent jusqu’au jet afin de compenser les risques d’une attaque surprise etdemandèrentaupiloted’établirunplandevolqui les ferait traverser le territoiredeFavashipour lesmenerauseindeceluideMichaela.
UnefoisquePhilomenaauraittransmisl’informationàXi,soitillessuivraitjusqu’àdestination,soitil enverrait un escadron tout en poursuivant sa propre intuition – ce qui, selon toute probabilité, lemèneraitaupalaisdeRohan.Dansuncascommedansl’autre,ilseraitàaumoinscinqheuresdevoldeladestinationréelled’AndromedaetNaasir.
Quand l’avion eut atteint son altitude de croisière, Andromeda se mit à l’aise tandis que Naasirarpentaitl’alléecentralecommeunebêteencage.
—Viensici,luiordonna-t-elleaprèsdixminutes.Elles’étaitinstalléedansunfauteuildetrèsgrandetailleconçupouraccueillirdeuxangesdésirant
voyagercôteàcôte.Ils’avança,renfrogné.—Jeneveuxpasm’asseoir.—Allonge-toietposelatêtesurmesgenoux.L’œil toujours noir, il s’étira sur le siège proposé. Il était toujours aussi tendu. Malgré tout,
lorsqu’ellecommençaàpasserlesdoigtsdanslasoielourdedescheveuxdeNaasir,ilfermalesyeuxetun ronronnement s’échappade sapoitrine.Andromeda sourit, tout simplementheureusedepartager cetempsaveclui,etcontinuadelecaresserjusqu’àcequ’ils’endorme.Mêmealors,ellenes’arrêtapas.Leplaisirqu’elleéprouvaitàluioffrircelaluiréchauffaitlecœur.
Lorsqu’il s’étira un bonmoment plus tard, avant d’ouvrir les yeux sur un bâillement, ce fut pourl’observer,leregardensommeillé,etluidire:
—C’estcequeferaitunefemelle.Effectivement.—Vraiment?répondit-elleavecunsourireenjôleur.Sijesuistafemelle,nefaudrait-ilpasquetume
rendeslapareillealors?Iltenditunemainàlapeauchaudeetunpeurugueusepourlaposersurlanuquedelajeunefemme.
Lepoulsdecettedernières’emballaàcecontact,sessensperdusdanslemystèreargentédesyeuxdeNaasir.
—Siçanetenaitqu’àmoi,jenemecontenteraispasdetecaresserlescheveux,déclara-t-il.Maisaussitesailesetenparticulierlesendroitsquejen’aipasencoreledroitdetoucher.
—Naasir,murmura-t-elleensepenchantsiprèsdeluiqueleurssoufflessemêlèrent.Pourquoinem’as-tupastrouvéeplustôt?
Ilsauraientpuavoirdessièclesentierspoureuxaulieudequelquessemaines.—Jen’avaispasfinidegrandir,répondit-ilenfaisantcourirlesdoigtsdesamainlibresurlajoue
del’érudite.Jenecomprenaispasencorecequesignifiaitavoirunefemelle.Ellelevalatêteavantd’effacerlafaibledistancequilesséparaitetdeluivolerunbaiser.—Maistuassixcentsans.
Ilcessadelamasserpourpasserunbrasautourdesataille,soussonaile.Lachaleurdesoncorpsenflamma le dos d’Andromeda tandis que la partie supérieure du bras deNaasir effleurait la surfaceinternedesesailes.Ilsétaientprisdansuneétreinteprofondémentintime.
Ettoutsemblaitparfaitementàsaplace.— Je ne suis pas comme les autres Immortels du même âge, dit-il avec un sérieux qui surprit
Andromeda.Jeneressembleàpersonne.— Je sais, répondit-elle, caressant de nouveau les cheveux de Naasir. Tu es unique, sauvage et
extraordinaire.—Jesuisparfoisplusanimalqu’humain.Ellehaussalesépaules.— Si je me fie à ma propre expérience, les animaux sont souvent bien meilleurs que les gens.
(Souriante,ellelelaissaguidersamainjusqu’àsanuque,qu’ellecommençaàmasser.)Tunepeuxpasm’effrayer.Jemesuisdéjàretrouvéefaceàdesmonstres–jesaisquetuenesl’opposé.
LeregarddeNaasirs’assombrit.—J’aimeraisvraimentpouvoirtuerLijuan.Serendantcomptequ’ilavaitprissaréférenceàCharisemnonetsacourpouruneallusionàLijuan,
elleopina.—Penses-tuquelesmortelsquirecherchentl’immortalitéprennentenconsidérationlerisquedese
retrouvercoincéavecdesgensqu’ilsméprisentpendantdessiècles,voiredesmillénaires?Naasirneréponditpas,sespaupièress’abaissèrent.—Utilisetesongles,demanda-t-ild’unevoixparesseuse.Lorsqu’ellesemitàlegratter,ilronronna.Elleentressaillitetpoussaunsoupirchevrotant.—As-tujamaisétéhumainoues-tunéainsi?interrogea-t-ellelorsqu’ellefutcapablederetrouver
l’usagedelaparole.Elleéprouvaitunbesoininfinideleconnaître.Ilsoulevalespaupières.—Laplupartdesgensdemandentquim’aTransformé.Elle comprenait pourquoi – êtreTransformé par un ange était la seulemanière connue de devenir
vampire.— Mais tu n’es pas un vampire, affirma-t-elle d’un ton définitif. Tu as suffisamment de
caractéristiquesvampiriquespourqu’il soitplus facilepour lesgensde te rangerdanscettecatégorieplutôtqued’accepterl’inconnu.Moi,jetel’aidéjàdit,j’aimepercerlessecretsàjour.
LeslèvresdeNaasirs’incurvèrentenunsourirejoueur.—Elliem’appelle lacréature-tigre.ÇalarendfollequeRaphaelne luidisepasceque jesuiset
gâchemonjeu.Andromedaluitiralégèrementlescheveux.—ToiettonSire,vousêtesvisiblementaussimauvaisl’unquel’autre.LeriredeNaasiremplitlacabine.Lorsqu’ilrepritlaparole,ilexpliqua:—J’aiétéautrefoishumain…etjen’étaispashumain.Puisjesuisdevenumoi.Elleétrécitleregardenentendantl’énigme.—Jecroisquel’affiliéedeRaphaeletmoi-mêmedevrionsjoindrenosforces.Unsourireépanoui.—C’estunjeu.—Donne-moiunautreindice.—Jesuisunechoseconstituéedeplusd’unechose.
—Tun’espasunechose, rétorqua-t-elleen fronçant lessourcils.TuesNaasir,unhommebeauetdangereux.
Il s’assit sans prévenir, et le cœur de la jeune femme s’emballa. Il s’appuya d’une main surl’accoudoirà lagauched’Andromeda,sonbrasen traversducorpsde la jeunefemmeetsonvisageàquelquescentimètresdusien.
—Jesuisunepersonnepourtoi.Cen’étaitpasunequestion,maisellesesentitobligéederépondre.—Tueslapersonnelaplusfascinante,laplusmerveilleuseetlaplusexaspérantequej’aiejamais
rencontrée.Ilpenchalatête,souriantautoutderniermoment,etfrottasonnezcontreceluid’Andromeda.—Ettoi,Andi,tueslafemmelaplusintelligente,étincelanteetauparfumleplusdélicieuxquej’aie
jamaisrencontrée.Sescuissesseserrèrentausouvenirdecequ’ilavaitditqu’illuiferaitsijamaisilplantaitsesdents
enelle.— Je découvrirai quel mystère vit en toi, dit-elle, jetant le gant. Et lorsque cela sera fait, me
raconteras-tutouteslesaventuresquetuasvécuesdanstonenfance?Ilrepritsapositioninitiale,têtesurlesgenouxdelajeunefemme,braspasséautourdesataille.Il
repliaunejambe,étiral’autresurlesiège.—Jepeuxtelivrerunehistoiremaintenant.LapremièrefoisquejesuisarrivéauRefuge,j’étaistout
jeune,unpetitgarçoncommeSameon.Andromeda essaya de l’imaginer enfant, sans y parvenir.À ses yeux, il était et serait toujours un
hommefort,meurtrier.—Jenesavaispasquejen’étaispassupposétoucherlesailes,commença-t-ilenfrottantledosde
samaincontrelasurfaceinternedesplumesdel’érudite,lespaupièreslourdeslorsqu’elleenfrissonna.MêmesiRaphaelmel’avaitexpliquéaprèsquej’aitirél’unedesesplumes,c’étaitquelquechosequejecontinuaisdenepascomprendre–jen’avaispasgrandicommelesgarçonsdelamêmetaillequemoi,etmonespritn’analysaitpasdeschosespareilles.
—Maisilétaitcapabled’enanalyserd’autres,devina-t-elle.Ilopina.—Jesavaisquiétaitunebonnepersonneetquinel’étaitpas.Jesavaisquejenedevaispasrester
seulaveccertaines,etjesavaisquejepouvaisjoueraveclesautresenfants,maissanslesblesserdemescrocsoudemesgriffessansquoijeperdraismesamis.Jememontraisparticulièrementattentionnéaveceux–lesbébésangessonttrèsfragiles.
—Oui,j’imagine.(Surtoutcomparésàungarçondotédegriffesetdecrocs.)Tuasditquetuétaisàlafoishumainetnonhumain.Lorsquetuétaisjeune,tuétaisdavantagenonhumain?
Unsourirelent,rusé.—Tuesfutée,Andi.Elleluitiradenouveaulescheveux.—Répondsàmaquestion.Illuimontralesdents.—Oui, j’étais davantage non humain.Mais je savais comment jouer avec les autres enfants. (Ses
yeux s’obscurcirent brusquement.) Je n’avais jamais joué avec des enfants anges oumortels avant devenirauRefuge.Mesamisd’avantétaientdesloupsdesneiges.Lesautresenfantsétaienttousmorts.Desfantômes.
Chapitre28
L’éruditeensonforintérieursouhaitaitpoursuivreau-delàdecettesombreconfession,maislafemmequis’étaitenflamméepourcethommesavaitqu’iln’yavaitquedeladouleurpourluisurcettepente-là.
—Jesuisdésolée,dit-elleavecdouceur.T’es-tufaitdebonsamisauRefuge?Sescrocsluisirent.—Oui.Certainsparentsdisaientquej’avaismauvaiseinfluence,maislesenfantsm’aimaientbien.—Évidemment,ritAndromeda.Es-turestéprochedecesamis?— Oui, en particulier de deux d’entre eux. L’un travaille avec Galen, l’autre est un scientifique
installé sur une île tropicaledu territoire d’Astaad.Lorsque je lui rendsvisite, ilme sert dupoisson.(Naasiraffichaunairdubitatif.)Jelemangeparpolitesse,maisjenecomprendspaslepoisson.
Andromedaretintunsourire.Elleétaittoutàfaitcapabledesel’imaginerentraind’avalersonplattoutenessayantdecomprendrepourquoivoudrait-ond’untelrepas.
—Tuesunbonami.Raconte-moilerestedetonhistoire.Ileffleuralahanchedelajeunefemmeduboutdesdoigtsetsourit.—Parcequejenecomprenaispasquejen’étaispassupposétoucherlesailes,jefaisaisdeschoses
commeattendreenhautd’uneétagère,oum’accrocherauplafondetmelaissertombersurdesangesquine se doutaient de rien. Avant qu’ils aient le temps de comprendre ce qui leur arrivait, j’avais déjàarrachéunedeleursplumesetdétaléencourant.
Lesépaulesd’Andromedaétaientsecouéesparlerire.—Unevraiepetiteterreur.—Oui,répondit-ilfièrement.Puis,unjour,j’aisautésurMichaela.Leriredel’angesetarit.—Ellet’afaitdumal?L’Archangeconnuepoursesyeuxd’unvertvifetsapeauparfaitedelateinteduchocolataulait,qui
avaitétélamusedespoètesetartistesàtraverslesâges,n’étaitpasréputéepoursapatience.— Michaela n’était pas une Archange à cette époque, mais elle était tout aussi dangereuse.
Seulement,sonodeurn’étaitpas…cequ’elleestdevenue.(Naasirfronçalessourcils,commes’iltentaitd’expliquer le changement.) Elle était rapide, malgré tout. Elle m’a attrapé par le pied avant que jeparvienne à m’enfuir.M’empoignant par la cheville, tête en bas, le bras tendu afin que je ne puissel’atteindredemesgriffes,elleadit:«Tuesdansdesalesdraps.»
Andromedadéglutit.—Qu’as-tufait?—J’avaiscachédansmamainunedesesplumesetjelaluiaitendue.Commeellenel’apasprise,
j’aigrogné,grifféetessayédem’échapper.
Andromeda avait le cœur au bord des lèvres, bien qu’à l’évidence Michaela n’ait infligé aucundommagepermanentàNaasir,puisqu’ilétaitlàpourracontersonhistoire.
—Ellet’aemmenéchezRaphael?—Non,chezJessamy.Elleluiaditquej’avaisbesoinqu’onm’apprennelesbonnesmanières.—JessamyaconvaincuMichaeladetelaisserpartir?Naasirsecoualatête.—J’avaisdéchirétousmeslivreslaveilleetmangélelapindelaclasse.Andromedasavaitqu’ellen’auraitpasdû,maiselleéclataderire.—Tun’aspasfaitça!—Ilétaitlà,etj’avaisfaim.Personnenem’avaitexpliquéquejen’avaispasledroitdelemanger,
dit-il,l’airaffligé.Pourquoimettreunlapinlà,sinon?—PauvreJessamy,commentaAndromedaenséchantseslarmesderireetensecouantlatête.Qu’a-t-
ellefait?—Elle a fermé toutes les fenêtres et portesde sonespacede travail auxArchives, puism’a tenu
jusqu’à ce que Michaela se glisse dehors et s’assure d’avoir bien verrouillé derrière elle. LorsqueJessamym’arelâché,j’aipiquéunecolèrenoireettoutrenversédanslapièce.J’aidéchirédeschoses,griffélesmeublesetmêmemorduJessamy.
Lesourired’Andromedas’évanouit.—Tutesentaispiégé.—Jessamyneconnaissaitpastoutdelaviequej’avaismenéejusque-là,necomprenaitpasceque
cela provoquerait enmoi deme retrouver en cage.Dès qu’elle s’est rendu compte que je n’étais pasuniquementencolère,maisaussieffrayé,elleaouvertlaporte.
—Et tu t’esenfui?devina-t-elle,soncœursaignantpourcepetitgarçonapeuréquinesavaitpascommentseconduiredanscemondepeufamilier.
LaréponsedeNaasirlasurprit.—Jessamypleurait.Mêmesi j’avaispeur, je savaisquec’étaitmauvais,et je suisdoncallévers
elle.J’aitapotésamainetmesuisexcusédel’avoirmordue.Lespropresyeuxd’Andromedalapiquaient.—Elles’estmiseàgenouxetm’aexpliquéquecen’étaitpaspourcelaqu’ellepleurait,maisparce
qu’ellem’avaiteffrayéalorsqu’ellecherchaituniquementàavoirl’opportunitédeparleravecmoisansquejem’enfuiequandcelam’auraitennuyé.
Andromedaparvenaittrèsbienàimaginerledésarroidel’enseignante.Cettedernièreavaitsigrandcœurqu’elleaimaittouslesenfantsdontelleavaitlachargecommesic’étaitlessiens.
—Tuasdécidéderester,n’est-cepas?—Jen’aimaispasqu’ellepleure–elleétaittoujoursgentilleavecmoi,mêmelorsquejedéchirais
seslivres.J’aimismamaindanslasienneetnoussommesallésnouspromenerdansunlieuoùilyavaitdesjardins.Elles’estassisesurunbancdepierre,m’aprissursesgenouxetacommencéàm’apprendreceque j’avaisbesoindesavoirafindevivredansunmondeoù lesgensneseraientpas tout le tempsfâchéscontremoi.
Andromedaenéprouvaunpincementaucœurterrible.—PendantcombiendetempsJessamyt’a-t-elleenseignédetelleschoses?—Des années, réponditNaasir, lavoix emplied’uneprofonde affection.Celam’aprisdu temps,
maisJessamyestpatiente.Chaqueaprès-midi,nousnousasseyionsdanslejardin,etellem’apprenaitdeschosesquelesautresenfantsconnaissaientdéjà.Parexemplequejenedevaispasgrognerfaceauxgensmêmesijenelesaimaispas,etqu’ilnefallaitpasmangerleslapinsetlesautresanimauxduRefuge.
Ilfrottasondoigtcontrelahanchedelajeunefemme.—Dmitris’estaussichargédemonéducation,maisluisemoquaitquejemangeleslapins,quejelui
sautedessus.Iln’étaitpaslemeilleurdesmaîtressurcessujets.Andromedan’avaitaucunmalàs’imaginerl’indulgenceduseconddeRaphaelenmatièred’étiquette
etdecomportement.Lorsqu’onétaitaussidangereux,onétablissaitsespropresrègles.—Etmaintenant,tupeuxtemontrersiciviliséquec’enesteffrayant.Unhaussementd’épaules.—J’enfileunepeaudifférentequandc’estnécessaire.Dmitrim’aapprisça–iladitquejen’avais
pasàchanger,maisquemavieseraitplusfacilesijepouvaisparfoisleurrerlesgens.—Jesuissiheureusequetuneportespasd’autrepeauquelatienneavecmoi,murmuraAndromeda,
lecœurgrandouvert.Unregardargentseverrouillaausien.—Jeserai toujoursNaasiravec toi, luipromit-ilsolennellement,avantdesourire.Mêmesi tume
demandesdememontrerciviliséneserait-cequ’uneseconde.Ellegrognaetfeignitdelefrapperdesamainlibre.—Tunemepermettrasjamaisd’oublierquej’aiditça,n’est-cepas?—Peut-êtrequesi,situmeracontesunehistoiredetapropreenfance.
Enquelquessecondes,denombreusesexpressionssesuccédèrentsur levisagede la jeunefemme.
Naasirneputlessaisirtoutes,maisilylutladouleur,lacolère,lahonte,etenfinlajoie.Riendetoutcelanelesurprit;l’immortalitéétaitsynonymedenombreusesexpériences.Bienquela
hontenesoitpasunechosehabituelle–maisbon,Andromedan’étaitpasuneImmortelleendurcie.Elleavait le cœur tendre. Elle éprouvait probablement ce sentiment pour une transgression que d’autresauraientoubliéedepuislongtemps.
— Je ne suis jamais allée à l’école du Refuge, commença-t-elle. Je n’ai même jamais vu leRefugeavantd’yvolermoi-mêmeaprèsmonsoixante-quinzièmeanniversaire.
—Àcetâge-là,unangen’estpasadulte. (Elleauraitétéproched’uneadolescentedequinzeans,selonuneéchellemortelle.)Tut’yesrendueseule?
L’expressiondelajeunefemmes’altéra,leséclatsdorésdesesyeuxsoudainplussombres.—Oui.Moncorpss’estformétôt,messeinssesontépanouis.Jen’avaisplusl’apparencedel’enfant
que j’étais encore et un certain nombre des invités de mes parents commençaient à me détaillerouvertementd’unœillubrique.
Naasirsentitsesgriffesluipicoterlapeauetluttapourlesgarderdissimulées.—Jenelesupportaispas.Entantqueprincesseàlacour,jesavaisquejenerisquaisprobablement
rien,mais la lueurdans leursyeux…jemesentaissaleetpetite.Et la façondontmesparentset leursamistorturaientbrutalementlesautrespourleplaisir…(Ellesecoualatête.L’effroiqu’elleavaitressentialorsselisaitsursonvisage.)Jeleuraifaitpartdemesplans,puismesuisenvolée.
Unsouffletremblant,puisellereprit.—Jepensequemèreetpères’attendaientàcequej’abandonneetrevienneàlamaison.Quandils
ontvuquejem’entenaisàmarésolution,ilssesontlavélesmainsdemonsort.Andromedamentait.PasausujetdesonvolauRefuge,maisd’uneautrepartiedesonrécit,fausse.
Cela donnait envie à Naasir de dévoiler ses crocs et d’exiger qu’elle dise la vérité, mais il s’enchargeraitplustard,lorsqu’ellenesembleraitpasaussifragile.
—Avecquijouais-tuquandtuétaischeztesparents?
—Lesanimaux.(Lajoieremplaçalesombres.)Unefois,alorsquejedînaisà lanursery,unbébégirafeapassélatêteparlafenêtreetmangémonfruitdirectementdansmonassiette.
Naasireutunlargesourire.—C’estvrai?Ellehochalatête.—Ilestaussirevenu.J’avaisl’habitudedeprépareruneassiettespécialepourlui,jusqu’àcequema
nounoumesurprenne–etmêmeaprèsça, j’attendaisqu’ellenemeprêteplusattentionpourouvrir lafenêtreetpermettreàlagirafed’ypasserlatête.
Enchantéparcettevisiond’Andromedadînantavecunegirafe,Naasirdemanda:—Est-cequed’autresanimauxsejoignaientàtoipourlesrepas?Unnonsilencieux.— Avec les guépards, on faisait la course. J’étais dans les airs, eux étaient au sol. (Elle laissa
échappersonsouffle.)Ilsétaientrapides.—Jeferailacourseavectoi,ditNaasir.Lorsquenousn’auronspluslesespionsdeLijuansurledos.—Çamarche.Tandisquel’avionfendaitlescieuxetquelemondetournait,elleluiracontad’autreshistoiresdeson
enfance.Toutestrahissaientuneabsencetotaledepetitscamarades.Iln’yavaitpasmêmeuncompagnonde jeu humain. Seulement des animaux. Peut-être était-ce pour cela qu’elle le comprenait si bien,acceptaitsanscillersasauvagerie.Ilenétaitheureux,maisn’aimaitpaspenseràlasolitudequ’elleavaitconnue.
Uncarillonrésonnadansl’airuneminuteaprèsqued’importantesturbulenceseurentmenacédelesenvoyervaldingueràtraverslacabine.
—Ildoits’agirdenotresignal,ditAndromeda.Naasirselevapourregarderparlehublot.—Oui.Ilattrapalesacquigisaitsurunautresiège,lemitàsesépaulesetattachalessanglessursapoitrine
avantd’enfilerunmincebonnetentricotquiempêcheraitsescheveuxdebrillersouslalumièredusoleil.—Prête?Elleluidécochaunimmensesourire.—Ohoui.Surcesentrefaites,lecopilotesortitducockpit.— Deux choses. Tout d’abord, Illium s’est réveillé et va bien – le message vient littéralement
d’arriver,etsetrouveaussiprobablementsurvotretéléphone.(Sonsourirerépondaitauxleurs.)Ensuite,nous n’avons pas réussi à nous stabiliser au-dessus du point de largage initial. Pouvez-vous traverserl’oasis?
—Oui,réponditNaasirquisuivaitlevampirebarbujusqu’àl’arrièredel’avion.Mauvaisvent?—Le lieuest réputépourcela–descourants aériens imprévisibles, commesi le cielvousdisait
d’allervousfairefoutre.Naasir rencontra le regard d’Andromeda tandis que le copilote s’attachait à la carlingue à l’aide
d’unecourroie.—Andi,jecroisquenoussommesaubonendroit.Lecopiloteouvritlalargeporteconçueàceteffetavantqu’ellenepuisserépondre,l’airhurlantdans
lacabine.Iljetadanslevidedeuxpaquets,avantdesaluerNaasird’unsignedetête.—Bonnechance!Leventluiarrachapresquesesmots.
Levant le pouce,Naasir sauta après un dernier sourire àAndromeda.Avec une descente calculéeaussiprécisément,ilfallaitqu’ilsortedel’appareilàexactementlabonnealtitudepourqueleparachutefonctionneparfaitement.Ill’ouvritàl’instantoùilfutsuffisammentéloignédel’avionetpoussadescrisdejoieàlasensationduvoletcelledel’airglacéquil’enveloppait.
Il entendit un rire non loin et lorsqu’il regarda derrière lui, il découvrit Andromeda déployantbrusquement de jolies ailes dessinées comme celles d’un oiseau. Sourire aux lèvres, il chevaucha lesventsdelafind’après-midijusqu’aupointd’atterrissageprévudanslepaysagedésertique,notantdanssonespritlestachesdecouleurquisignalaientlesendroitsoùlespetitsparachutess’étaientouvertspourdéposerleuréquipement.
Ilcommençaàrassemblerlatoiledusienàl’instantoùilseposaausol,tandisqu’Andromedaviraitsur la gauche, vers le premier paquet d’approvisionnement. Il ne fallut àNaasir quequelquesminutespourreplier la toile.Aulieude l’abandonnersur lesable, ilprit le tempsde l’enterrerafindenepastrahirleurprésence.
Il terminait juste quand Andromeda revint avec le deuxième paquet, ayant déjà laissé tomber lepremiernonloindelui.Naasirrangealespetitsparachutesdansdescompartimentsspéciaux,puisattrapalesaclepluslourdetaidalajeunefemmeaveclepluspetit.Ilétaitconçupourêtreportésurleventre.Naasirn’avaitpasvouluqu’ellesauteavec,carlepoidsauraitpuladéséquilibrer.
—Tuesàl’aise?demanda-t-ilaprèsavoirfixéladernièresangle.Elleopina.—Nousdevrionsquitterlesable.Jemesenstellementexposéeici.Ilpartageait sonopinion. Il lui conseilladeprendre la têteetdevoler jusqu’auxpalmiersdans le
lointainquidélimitaientuneancienneoasishabitéeparunpetitnombredevillageois.—Resteauniveaudelalignedesarbres.S’élevantdanslesairs,ellelança:—Onfaitlacourse!Ils’élança.Ilpréféraitêtrepiedsnus,maisilporteraitdesbottespourcettemission,danslamesure
oùilsauraientàavanceràtraversdesgrottes.Cesbottesfurentbientôtrecouvertesdepoussièretandisqu’ilcouraitdanslesableverslesarbres.
Tousdeuxconservèrentlemêmerythmeetilavançadansl’ombredesailesd’Andromedapendantlamajeure partie de leur course, qu’ils menèrent au coude à coude. Il accéléra sur la fin, la poitrinehaletante.Unefoissouslesarbres,ilretirasonbonnetetl’enfouitdanslapochedesonpantalon.
Andromedavintseposeràsoncôtédansuneexplosiondevent,lesoufflecourtelleaussi.—J’aibesoindesprinterplussouvent.Naasirpritunebouteilled’eausurlecôtédesonsacetlaluitenditavantdesedésaltéreràsontour.—Onpourras’entraînerensemble.Maisplusdevolpourlemoment,précisa-t-ilenrangeantl’eau.Il
suffiraitd’unseulcoupd’œildelamauvaisepersonnepourquenotrelocalisationsoitconnue.Selon les recherches menées par Andromeda, cette oasis appartenait à une tribu qui n’était pas
réputéepoursonhospitalité.Sonregardsurvolalesgrenadiersetlesfiguiersqu’ondiscernaitau-delàdespalmiers-dattiers.—Ildoits’agirdelasourcederevenusdelatribu.—Cequi signifie qu’onnepeut pasgarantir qu’il n’y ait pas desgensvenusvérifier l’état de la
récolte.Ilsavancèrentavecprécaution.Uneheures’étaitécouléequandAndromedaditd’unepetitevoix:— Et si j’avais tort, Naasir ? Et si les hommes de Lijuan trouvent Alexander en premier et
l’assassinent?
—Alors,elleprouveraunefoisdeplusqu’elleestdémoniaque,dit-ilenpassantlamainlelongdel’ailedelajeunefemme.Tun’esresponsableenriendescrimesdeLijuan.(Etparcequ’ilcomprenaitlespenséesquilahantaient,ilajouta:)Toutcommetun’espasresponsableduchoixdetesparentsdefairedumalpourleplaisir.
Levisagesombre,Andromedaluifitface.—TrouveleGrimoire.C’étaitunordre…maisénoncéd’unevoixtremblante.—J’aibesoinquetuletrouves,ajouta-t-elle.—Jeleferai.Alors,illaréclameraitetlagarderait–etexigeraitqu’elleluiconfietoussessecrets,enparticulier
celuiquiluiétaitsidouloureuxchaquefoisqu’elleleconsidérait.
Chapitre29
—Dmitrivientderecevoirdesnouvellesdupilote,annonçaRaphaelàElena.NaasiretAndromedasontloin,ensécurité.
Tousdeuxsetenaientsurletoitdel’immeubledelaLégion,dominantManhattanenveloppédanslapénombredespremièresheuresdujour.
—Jen’endoutaispas.Nouslesrejoindronslorsqu’ilsaurontlocaliséAlexander?demanda-t-elleenresserrantsaqueue-de-cheval,sescheveuxlançantdesrefletsblancssousleslumièresdelaville.
—Nous?Sonaffiliéehaussaunsourcil,leregardtranchantcommelesilex.—N’essaiepasd’utilisercetond’Archangeavecmoi.—JesuisunArchange.Avecunsourire,sachasseusedéployasesailesafinquel’orblancdesesprimairesfrôleceluide
Raphael.—Tuesaussimien,etjeteleferaipayersituosestedresserseulfaceàLijuan.Nejouepasavec
moi,insista-t-elleensortantsonarbalète.L’attirantàlui,l’arbalèteàplatcontresontorse,Raphaelpritsabouche.Ellel’avaitconquisparce
qu’elleétaituneguerrière.Aufildutemps,ilavaitapprisàaccepterqu’ellenesetiendraitjamaissurlatouche.Mais cette fois-ci… J’ai besoin que tu restes en ville, que tu aides à la tenir pendantmonabsence.
Elenamituntermeàleurbaiseravecunemouerenfrognée.—Dmitriestbienassezgrandpourça.—Mais toi,hbeebti, tun’esplusuniquementunechasseusedésormais, souligna-t-il enutilisant le
mot « aimée » dans la langue que la grand-mère de son affiliée avait ramenée avec elle d’une terrelointaine.Tuesunsymbole.Mêmesijedoism’absenter,tantquemonpeuplepeuttevoirdanslesairs,ilsesentiraensécurité.Parcequetoutlemondesaitquejenelaisseraispasmonaffiliéedansunevillequineseraitpasàl’abridetoutdanger.
—Merde,marmonnaElena.Jedétestequandcequetudisestlogique.(Rattachantsonarbalèteàsacuisse,elleallaseposterauborddu toitoùelleattenditqueRaphael la rejoigne.)Jesupposeque lessymbolessontplusquejamaisnécessairesencemoment…
Raphaelréponditenglissantsonailesurcelled’Elena, tousdeuxconscientsquelemondeétaitaubordduprécipice.Leventébouriffantsescheveux,RaphaelportasonattentionendirectiondelaTour.DmitriysortaitsurunbalconaccompagnéparAodhan.
—Jenedevraispasêtreabsentlongtemps.JedoisjusteprotégerAlexanderdurantlapartiedesonréveiloùilseraleplusvulnérable.
Elenaacquiesça,lesyeuxtournésdanslamêmedirectionquel’Archange.—Ilva falloirqu’onparlede lamanièredont tu t’y esprispour arriver aussi rapidement auprès
d’Illium.C’étaitunedistanceimpossibleàparcourir,mêmepourtoi,Archange.Raphael observa les reflets étincelants que renvoyaitAodhan et repensa aumoment où il avait vu
Illiumtomberduciel.Ilavaitcruàunjeujusqu’àcequ’Aodhanappelleàl’aide.—LeColibrinepeutleperdre.Luiseulpréservesasantémentalefragile.Raphaelaimaitlamèred’Illium,avaitleplusgrandrespectpourelle,maisilcomprenaitaussique
c’étaitquelqu’undebrisé.Unemainàlapeaulégèrementendurcieseposasurlasienne.—Toinonplus,tunepeuxpasleperdre.Ilestl’âmedetesSept.Lesyeuxd’ElenareflétaientuneconnaissancedeRaphaelquidémentaitlabrièvetédeleurrelation
entermesimmortels.Oui. Illiumpouvaitbienêtreplus jeunequeplusieursdes autres et semontrer irrévérencieuxplus
souventqu’àsontour,ilétaitcequilesunissait,lapiècemaîtressequilesliaitlesunsauxautres.—AvantMahiya, quand Jason était perdu dans l’obscurité, la seule fois où je l’ai vu proche de
sourire,c’étaitquandIlliuml’adéfiéenunduelselonlesrèglesdel’ancientemps.Raphael revoyait dans son esprit le visage impassible de son maître espion, se souvenait de la
manièredontleregarddecederniers’étaitréchauffé.—TonCampanuleétaitun jouvenceaudont Jason s’est rapidement rendumaître,mais Illiums’est
contentéderireetademandésilaprochainefoisilpourraitavoirunerapièrepluslonguepourtoucherJasondeloin.
Elenasourit.—Çaluiressemblebien.Bienqu’Illiumsesoitréveilléuneheureplustôtetsemblâtallerbien,hormisdelégersvertiges,elle
éprouvaitencoreunefrancheterreuràl’idéedecedontelleavaitététémoindansl’après-midi.C’étaitparpurechancequ’elles’étaittrouvéesuffisammentprochepourapportersonaide–lePrincipaletellevolaientendirectiondel’immeubledelaLégionlorsqu’elleavaitaperçulebleusauvageetlalumièreéclatéed’IlliumetAodhanhautsdansleciel.
Elleavaitsouri,sesouvenantdequelquechosequ’Aodhanluiavaitdit.«Celavalaitlecoupdejoueravecmonamidenouveau.Jusqu’àcequejejettecetteballeàIllium
au-dessusdufleuve,jen’avaispascomprisquejenem’étaispassentivivantpendantdeuxcentsans.»LorsqueIlliumétait tombé,elleavaitsecoué la tête,persuadéequ’ils’agissaitd’un jeu.Toutavait
changéàl’instantoùelleavaitvuAodhanplonger,entendul’alertelancéeparRaphaelàtouslesangessetrouvantàproximité.Seulement,aucunn’étaitassezproche–Raphaelencoremoinsquelesautres.
—Tesailesétaienten feu,murmura-t-elle,encore incapabledecomprendrecomplètementcedontelleavaitététémoindanscessecondesquel’horreuravaitétiréesenheures.
—Raconte-moicequetuasvu,luidemandaRaphael.J’aisentimavitesseaccélérer,maisj’aimisçasurlecomptedel’urgence.
Elenacillaetsetournaversl’Archangequiavaitmarquésonâme.Ilneluiétaitpasvenuàl’espritqu’ilnesavaitpaslui-mêmecequis’étaitpassé…maistoutétaitallésivite,etilétaitconcentrésuruneseulechose:sauverIlliumetAodhan.
—Lefeublancquilècheparfoistesailes,commença-t-elleentouchantduboutdesdoigtsl’orblancscintillantdesplumesdesonaffilié,aprisledessus.C’étaitcommesitun’avaispasd’ailesphysiques–commesiellesn’étaientqu’unepureflammeblanche.
Unevisionsublimequ’ellen’avaitassimiléequeparlasuite.
—L’effets’estdissipédèsquetuaseuIlliumdanslesbras.Raphaeldéployasesailes,encourbauneversl’intérieur,puisl’autre.Ilenexaminalesplumesavant
delesreplier.—Aucunsignedecelamaintenant.Maiscequetudécrisressemblepresqueàlacapacitéqu’àLijuan
d’abandonnersaformecorporelle.Danslemêmecontinuumaumoins.Lesangd’Elenaseglaça.—Ouais,peut-être.EllerelâchalamaindeRaphaeletagrippaledevantdesachemiseblanchepourletirerverselle.—T’aspasintérêtà«évoluer».Mefaispascecoup-là.Ellenepourraitlesuivredanscetautreétat,mêmesiellesetueraitàessayer.LeslèvresdeRaphaels’incurvèrent.—Necrainsrien,hbeebti,dit-il,j’aimetroplachair.Illuicaressalahanche,luidonnaunbaisergourmand.Pourtant,alorsmêmequelamerbattueparlesventss’infiltraitdanssessens,Elenasavaitquemême
unArchange n’avait pas la capacité de freiner les changements parfois catastrophiques induits par laCascade.
—Jetesuivrai,murmura-t-ellecontreseslèvres.Oùquetuailles,jeseraiàtescôtés.Desyeuxd’unbleuinfinibrûlèrentd’uneflammeincandescente.—Ensemble,monElena.Toujours.L’enveloppantdesesailes,illatintjusqu’àcequ’ilsentesoncœursecalmer,lapeurreculersous
unevaguededéterminationfarouche:riennipersonneneluivoleraitsonArchange.— J’ai entendu quelques rumeurs en provenance d’Amanat, reprit-elle une fois qu’elle put de
nouveauparler.—Commentunragotpeut-ilteparvenird’Amanat?Àmoinsquemamèreettoinesoyezdevenues
lesmeilleuresamiesaumonde?Elleluidonnauncoupdecoude.—Trèsdrôle.ElenaetCalianepouvaientbienavoirfaitlapaix,Calianen’enrestaitpasmoinsuneAncienneetune
belle-mèreflippante.—Jemesuisfaitd’autresamislorsdenotredernièrevisite.Notamment une jeune femme futée et drôle qui dansait avec la même grâce que Belle, la sœur
d’Elena,avantqu’unvampireassassinnelaprivedesavie.—Belle!Belle!Jepeuxdanseravectoi?—Vienslà,morveuse.Tiens-toicommeça.Lapoitrinedouloureusement serréeau souvenird’unepertequ’elleporterait à jamaisenelle, elle
reprit:— Apparemment, il y a de fortes chances que Naasir et son érudite ne soient pas de simples
collègues.«Illaregardecommejen’aijamaisvuNaasirregarderquiquecesoit.Commesielleétaituntrésor
qu’ilvoulaitgarder,protéger.»—Tuprendstonaffiliéparsurprise,murmuraRaphael.Enparticuliercommel’éruditeenquestiona
faitvœudechasteté.—Hé,c’estdeNaasirqu’onparle,lançaElenaavecungrandsourire.Ilauncertaincharme.Tout
commesonArchange–jen’avaispasnonplusprévudemetrouvernueavectoi.
Meurtrier et inhumain, l’Archange de NewYork n’était pas un homme avec qui Elena Deveraux,ChasseusedelaGuilde,avaiteul’intentiondejouerunjour.
Unelueurdanscesyeuxquirecelaientdesocéans,mêmedansl’obscurité.— Prévois-lemaintenant, dit-il en décollant, la tenant toujours dans ses bras. Cela fait bien trop
longtempsquenousn’avonspasdansédansleciel,etaujourd’hui,j’éprouvelebesoindecélébrerlavie.Lamâchoiredel’Archangesedurcit.Lapeausoudainélectrique,Elenaencaressa la ligne,puisattira la têtedesonamantàhauteurde
lasienne.—Lavie,murmura-t-elleavantqueleurslèvresneserencontrentdansunetempêtedesensations.
Chapitre30
Aprèsdeuxheuresderandonnée,AndromedaetNaasirseretrouvèrentàlapériphéried’unvillage,dernier bastion de la civilisation avant les grottes. Les maisons étaient construites autour de ce qui,depuis les airs, était un lacbleu-vert d’unepureté étonnante.Unpetit bijoudans l’océande sablequientouraitl’oasisdetoutesparts.Pourautant,lelacn’avaitpaslaformed’unesphèreparfaite.
Non,c’étaitunelarmeallongée.Levillageétaitinstalléautourdelacourbesupérieuredelalarme.Ilss’installèrentpourattendrequeledébutdesoiréelaisseplaceàl’obscuritécomplète,enprenant
biensoindenepasalerterleshabitantsdeleurprésence.Tousdeuxmangèrentlanourritureséchéequ’ilsavaientachetée,maisAndromedasavaitque,sicela
lasustentait,cetyped’alimentsn’étaitpassuffisantpourNaasir.—Boisàmoi,dit-elleenlevantsonpoignetjusqu’auxlèvresdeNaasir.Ilravalasonsouffle,leregardadoucietlescrocssortis.—Jetevideraisdetonsang.C’étaituneduremiseengarde.—Non. (Elle savait à quel point il pouvait semontrer protecteur.)Bois, ou je vais commencer à
croirequetunem’appréciespas.Un grondement s’échappa de la poitrine de Naasir. Il attrapa le poignet de la jeune femme alors
qu’elleallaitleretireretfrottasonnezcontresonpouls.Onauraitditquetoutlesangd’Andromedaseprécipitaitverscepointprécis,sedéversantversNaasir.
—Andromeda.C’étaitunronronnementchaud,lascif,avantqu’iln’égratignedesesdentslapeaudelajeunefemme.L’entrecuissedelajeunefemmeseserra.Soufflecoupé,poitrinedouloureuse,ellesentitl’aiguillon
delajalousielatourmenterdenouveau.—C’estainsiquetutenourrisdesautres?Illuiléchalapeau.—Jenemenourrispas.(Unautrecoupdelangue,unsoufflechaud.)Jeteséduis.Etilyparvenait.Lentement,avecunepatienceprimitive.Lorsquesescrocségratignèrentdenouveau
l’intérieurdesonpoignet,ellefrissonnaetsepenchaplusavant,sesailess’incurvantautourd’euxpourcréeruneenclaveombrée,intime.
Lamorsurefutunedouleurlumineusequitrépidaenunplaisircuisant.Étouffantàpeinesoncri,elleenfouitlesdoigtsdanslescheveuxdeNaasiretlemaintintcontreelle.Ilredressalatêtetropvite,léchantlepointdemorsuredepichenettesjoueusesjusqu’àcequelesminusculesblessuresserefermentetqu’ilneresteplusqu’unlégerbleu.
—Tuenasassezpris?Andromedas’exprimaitd’unevoixrauque.LescheveuxdeNaasireffleuraientsapeauendesmilliersdepetitescaresses.Ildéposaunbaisersur
sonpoulsavantdereleverlesyeux.—Pourlemoment,répondit-il.Tuesdélicieuse.Samainremontajusqu’aucoudedelajeunefemme.Elleeneutlachairdepoule.Elleposalasiennesurlajoueduvampireetsepenchajusqu’àceque
leursfrontssetouchentetqueleurssoufflessemêlent.—Suis-jedelanourriturepourtoi?Ilagrippasanuqueetluimordillalalèvreinférieure.—Tuesmienne.Desmotsquinesonnaientpasentièrementhumains.—Naasir.Unesuppliquemurmurée.Illafittombersurluiquandilselaissaallerenarrièrepours’appuyeràuntroncd’arbre.Puis…il
lacaressa.Delonguesetparesseusescaressessursesailes,jouantdesesdoigtsàtraverslescheveuxdelajeunefemmequ’ilsortaitdesanatte.
Elle dormit, la tête sur son épaule, tandis qu’il la tenait contre lui, un bras passé sous ses ailes.Jamaisauparavantellen’avaitdormiavecquelqu’un–mêmeenfant,elles’étaittoujourscouchéeseule.Le sentir chaud et fort contre elle, son cœur battant à un rythme régulier, lui donnait un sentiment desécurité.Elletombadansunsommeilprofond,sansrêve.
Elle aurait pu continuer ainsi, lovée contre lui, mais elle avait réglé son horloge interne pour seréveillerdeuxheuresplus tard.Naasirfrottasonnezcontreelle lorsqu’ellesoulevalespaupières,sonodeurprimitive,sensuelleetfamilière.
—Dors, luidit-il.Nousdisposonsencored’uneheureetdemieàdeuxheures,selonleshabitudesdesvillageois,avantquelanuitsoitassezprofondepourqu’onpuisseatteindrelesgrottessansêtrevus.
Lesdoigtsenfouisdanssescheveux,ellesecoualatête.—C’esttontourdetereposer,etnediscutepas–nousdevonstousdeuxêtreenpossessiondetous
nosmoyenssinousvoulonsdécouvrirAlexander.Ilgrognadanssadirectiontandisquelesarbresbruissaientsousunesoudainebourrasque.Elleavait
enviedel’embrasser.Elleseredressa,pritpositioncontreletroncd’arbreetl’attiraàelle.—Fermelesyeux,ordonna-t-elle.Lapoitrine toujoursgrondante, il s’étiradans sapositionpréférée, tête sur lesgenouxde la jeune
femme,etbaissalespaupières.Ellerenouarapidementsanatteafind’êtreprêteàpartirquandl’heureseraitvenueetmontalagarde,écoutantlessonsétouffésdesderniersvillageoisallantsecoucher.Plussouventqu’àsontour,ellecaressaitlescheveuxdeNaasircommeill’aimait,etserepaissaitdesavue,déterminéeàserappelerchaquepetitdétaildutempsqu’ilsauraientpasséensemble.
Environ quaranteminutes après que tout fut devenu silencieux, alors que la lune éclairait le ciel,Andromedaentenditquelquechose.Unbourdonnementbasquisemblaitserapprocher.
—Naasir.Ilbattitdespaupières.Ilétaitsursonarrière-trainavantmêmequ’ellel’aitvubouger,tournédansla
directiond’oùprovenaitlebruit.—Courons.Illuipritlamainpourlarelever.Etilss’élancèrent.
—Etsijevolais?hoqueta-t-elle,lapoitrineserréeparlavitesse.Tuseraisainsiplusrapideausol.Ilsecoualatête,l’argentdesescheveuxs’envolant.—Ilssontdansleciel.Elledéglutit,souhaitants’emparerdel’épéequ’ellen’avaitpasquittéemêmedanssonsommeil,mais
eut le sentiment que cela n’aiderait pas. Pas contre ça.Lorsqu’elle jeta un coupd’œil par-dessus sonépaule,unemasseplussombresedétachaitcontrel’obscuritéduciel.Dessouvenirsdesrapportsqu’elleavaitlussurlaChutes’emparèrentd’elle–desmilliersd’oiseauxavaienttrouvélamortentombantsurterreavantquelesangesnesemettentàs’effondrer.
—Charisemnon.Son aile gauche se prit dans une branche basse. Elle se dégagea en ravalant un cri de douleur et
poursuivitsacourse.Malgrétout,lebourdonnementserapprochaitàchaqueseconde.Pasdesoiseaux.Desinsectes.Sauterelles?Abeilles?Naasirstoppasansprévenir,regardantenarrière.—Pasassezdetempspours’abriter.Il laissa tomber lamaind’Andromeda et semit à quatre pattes.De ses ongles, il s’attaqua au sol
aride.Andromedacommençaàcreuseràcôtédelui,presquecapabledesentirlesinsectesdanssondos.En
tempsnormal,lesbestiolesluidonnaientlachairdepoule,maisnepouvaientleurfairedemal,àelleouà Naasir. Mais s’il s’agissait là de l’œuvre de Charisemnon, elles n’auraient rien de normal. Lesminusculescréaturesétaientpeut-êtreinfectéesparlamêmemaladiequiavaitenvoyéausollesangesdeNewYork.
Cesderniersavaientétéblessésparcequ’ilsétaienttombésducielsurlavilleimplacable,maislamaladieavaittuédesvampires–etNaasirétaitdotédecaractéristiquesvampiriques.Mêmesielleétaitensécurité,luinel’étaitpas.
Ellecreusasifortquesesonglessebrisèrent.Naasirjetauncoupd’œildanssondos,lasueurdégoulinantlelongdesestempes.—Dedans,ordonna-t-il,lajetantpratiquementdansletrouenlatirantparlebras.Visageausol!Andromedavoulaitluidirequ’ilétaitleplusvulnérabledesdeux,maissavaitqu’ellen’avaitpasle
tempsdediscuter.Pluselleobéiraitvite,plusviteilsemettraitensécurité–parcequ’ellesavaitqu’ilnese soucierait de sa propre survie qu’une fois elle-même protégée. Cette idée présente à l’esprit, elleobtempéra, lesmainsencoupedevant laboucheet lenezpoursecréerunepoched’air– ils’agissaitplusderépondreàunbesoinpsychologiquequ’àunenécessité.
Même un manque prolongé d’oxygène ne la tuerait pas. Elle risquait malgré tout de resterinconsciente pendant des heures ou même des jours – temps durant lequel n’importe qui pourrait luitrancherlatête,luiarracherlecœuretlecerveau.
—N’aiepaspeur.CefutlaseulemiseengardedeNaasiravantqu’ilnecommenceàl’ensevelir.Laperspectived’êtreenterréevivanteétaitterrifiante,maisellerestaallongée,immobile,souhaitant
queNaasirailleplusvite.Lapeurqu’elleéprouvaitpourluilapétrifiait.Puis elle fut complètement recouverte. Elle ne percevait plus dumonde que des bruits assourdis,
tandisquelesangluigrondaitauxoreillesdeplusenplusfort.Unesecondeplustard,luisembla-t-il,unbourdonnementétouffél’entoura.Lapaniquelasaisit.OùétaitNaasir?Ensécurité?Soncœurbattaitsifortquec’enétaitdouloureux.Elletendaitl’oreilleautantquepossible,maistoutcequ’elleparvenaitàsaisirétaitceronflement,commesilesinsectesétaientexactementau-dessusd’elle,déterminésàcreuserlesol.
MaisNaasiravaitpasséuntempsprécieuxàl’enterreretlesinsectessemblèrentenfinrenoncer.Bienquesoncœurluihurlâtdesortirdelà,deletrouver,ellepritlarésolutionderesterdanssontrouencoredixminutes.ElleneréduiraitpasànéantleseffortsetlesacrificedeNaasirenfaisantd’elleunecible.
Lorsqu’ellecommençaàs’étirerpourémergerdesacachette,cefutaveclenteur.Lesinsectesavaientdisparu, aucun bruit ne venait troubler l’air. Secouant la terre dont elle était couverte, elle frotta lapoussièredesonvisageetregardaautourd’elleàlarecherchedumoindresignedeNaasir.
Rien.Pasdetraces,aucunelueurargent,lenéant.Sarespirationétaithachée,difficile.Elleréfléchitàcequ’ilauraitpuentreprendre.Iln’avaitpaseu
letempsdecreuserunautretrou,maisilétaitrapide.Vraiment,vraimentrapide.Ilsedéplaçaitaussivitequ’elle volait. Ce qui signifiait qu’il aurait pu rejoindre une petite cavité qu’ils avaient dépassée enchemin.
Elleallaits’ydirigerquandellehésita.Iltiendraitprobablementàcequ’ellel’attende.—Bonsang,pasquestion,marmonna-t-elle.S’ilétaitblessé,ilfallaitqu’elleletrouve.Etsicen’étaitpaslecas,iln’auraitaucunedifficultéàla
pister.Ellesortitl’épéedesonfourreauetsemitenmarcheàgrandesenjambéesverslagrotte.Dixminutes
plustard,ellenel’avaitpasencoreatteinteetriennepermettaitdecroirequeNaasirétaitpasséparlà.Une partie d’elle affirmait qu’il n’avait pas pu aller aussi loin. Peut-être s’était-il en fait dirigé versl’eau.
Elle hésita, ne sachant quelle option choisir. La grotte aurait procuré un abri, mais rien n’auraitempêché les insectes d’y entrer. L’eau, en revanche l’aurait effectivement protégé – etNaasir était unpresque-Immortel. Iln’avaitpasbesoinde respirerpendantde longuespériodes,bienquecegeste fûtinstinctif.
Elle traversa en courant unverger depêchers pour se diriger vers l’extrémité étroite de la larme,qu’onnepouvaitvoirdepuislevillage.Sesailestraînaientausolets’accrochaientauxbranchesetauxbuissonsépineux.Ellesavaitqu’ellelaissaitdestraces,maiss’enfichait.Lapoitrinedouloureuse,elledébouchasur labergeet regarda frénétiquementdans toutes lesdirections, à la lumièrede la lunequibalayaitlemondedesonfaisceaugrisargent.
Rien.Enyregardantdeplusprès,elledécouvritdeminusculescorpsramenésparl’eausurlespierresnon
loind’elle.Commesilessauterelles–oulesinsectes,quelsqu’ilssoient–avaienttentédeplongerdansl’eauets’yétaientnoyés.
—Naasir,appela-t-elledoucement,afinquesavoixneportepastroploin.Naasir.Aucune réponse. Elle rangea son épée et se concentra sur les cadavres des insectes. Ils étaient
rassemblésautourd’unpointbienparticulier,maisilyavaitunlégercourant.Leremontant,ellerepérasur labergeunendroitoù l’herbeétaitécraséeet la terre remuée–commesi le talondeNaasiravaitglisséquandilavaitplongé.
Ellesemitàgenouxetobserval’eau,sansparveniràdistinguergrand-chose.Toutétaittropboueux.Il n’y avait qu’une seule option et Andromeda n’hésita pas : laissant son arme sur la rive, elle sedébarrassadesesbottesd’uncoupdepiedetselaissaglisserdansl’eautrouble.Nageràlasurfaceétaitunechose,sousl’eauenétaituneautre.Elledevaitlutterenpermanencecontrelaflottabilitédesesailespournepasremonter.
Lorsdesonpremierpassage,ellenetrouvarien.Pasplusaudeuxième.Enfin,autroisième,samaindroitefrappaquelquechosequin’étaitpasunepierre,maisdelachairrecouverted’untissu.
ElleremontalelongducorpsdeNaasiretremarquaquesatêtependaitmollement.Sesmusclesseraidirent au point d’être douloureux – Naasir était assez âgé pour survivre à une nuque brisée, pourautant,celadépendaitdelagravitédelablessure.
Luttantcontresoninstinctquilapoussaitàrespirer,elleessayasanssuccèsdeletirerverslehaut.Elleserésignaàlerelâcher.Ellefarfouillaautourdeluietdécouvritenfinlalargebranchequis’étaitpriseàuntroudanssonpantalon.
ElleladétachaetparvintàremonterNaasiràlasurface.Ellehoquetaàlarecherched’airavantdeluiassénerunelégèreclaque.
—Naasir.Réveille-toi.Aucuneréaction.Lesdentsserrées,elleravalasapaniqueetpalpasanuqueavecdouceurpourdéterminersielleétait
brisée. Bien qu’Andromeda ne fût pas une experte, cela ne lui semblait pas être le cas. Ses doigtspoursuivirentleurexplorationetdécouvrirentunebosseàl’arrièreducrânedeNaasir.Leregarddelajeunefemmesedirigeaalorsverslesgrandespierreséparpilléesparmilesherbesdelarive.
Ilavaitprobablementglisséets’étaitcognélecrânequandilétaitentrédansl’eau.Ilysurvivrait,tantquesanuquen’étaitpasbrisée.Elleflottaavecluijusqu’àlaberge,toutencontinuantàluiparler.Ellenevoulaitpasrisquerdetirerviolemmentsursoncouenessayantdelesortirdel’eauetelleyrestadoncaveclui,lesoutenantdemanièreàcequesatêten’ysoitpasimmergée.
Ses bras commençaient à fatiguer, et sa gorge à se serrer sous le coup de toutes les émotionseffrayantesauxquellesellerefusaitdelaisserlibrecours,lorsqu’elles’aperçutqu’elleétaitstupide.Elleinclina la têtedeNaasirenarrièreetappuyadélibérémentsonpoignetcontre labouchedecedernier.Unefoisencore,aucuneréaction.Elleregardaautourd’elleàlarecherchedequelquechosepourouvrirlachair.Sonépéeétaittropéloignée.Enrevanche,elle-mêmesetrouvaitsuffisammentprèsd’unepierreaiguëquipourraitl’égratigneretlafairesaigner.
Andromedapassaàl’acteavantdereposersonpoignetcontrelabouchedeNaasir.Rien.—Bois,bonsangdetoi,ordonna-t-elle,cinglante.LescrocsdeNaasir luibrûlèrent lapeau. Il n’yavaitpasdeplaisir cette fois-ci, juste la succion
qu’ilprovoquaitenbuvantsonsang.À chaque goulée, sa gorgemontait et descendait et le sourire d’Andromeda s’agrandissait.Même
lorsqu’ellecommençaàsesentirlatêtelourde,sonsangseprécipitantenlui,elleneretirapassamain.Lasuccions’arrêtabrutalement.Naasirouvritlesyeuxdansunbattementdecils,unéclaird’argent
apparutlorsqu’ilrelevalatête.—Tun’aspaslanuquebrisée,constataAndromedad’unevoixconfuse.Naasirsedéplaça,lasortantdel’eauavecuneforceprodigieuse.Puisildisparut,lalaissantsurla
berge. Elle observa le ciel nocturne indistinct, son esprit essayant d’accrocher des pensées sans yparvenir.
Soudain,Naasir réapparut à soncôté. Il tenaitunpaquet.Unpaquet ?L’undes leurs, comprit-ellepéniblement.Ilsl’avaientlaisséderrièreeuxlorsqu’ilss’étaientenfuisfaceàl’essaim.
Naasirl’ouvritetensortitdelaviandeséchée.—Mange!luiintima-t-il.Lorsqu’ellesecontentadeledévisager,ilsemitàdéchirerlaviandeenminusculesmorceauxetl’en
nourrit.Elledétournalatêteaprèsquelquesbouchées.—Salée.Illuiagrippalamâchoiredesesdoigtsgriffus,l’obligeantàleregarderdenouveau.
—Mangeçaoujechasseraiettuserasobligéed’avalerdelaviandecrue.Ellelefusilladuregard,maisobéit.Àvoirsonexpressiongrave,ilneplaisantaitpas.Ilattenditde
voir qu’elle ne se dérobait pas et alla chercher de l’eau au lac, puis y laissa tomber une pastillepurifiante.
—Nousn’avonspasbesoindeça,marmonna-t-ellealorsquel’eaus’éclaircissait.Laviandelarendaitmalade.—Celaaurameilleurgoût.Ill’aidaàs’appuyercontreluietamenalabouteilleàseslèvres.Ellebut.—Mangelereste,luiconseilla-t-il.Elle obtempéra, sentant lentement son esprit s’éclaircir tout comme l’eau l’avait fait une fois que
Naasiryavait jeté lapastille.Lorsqu’il lui tenditunepoignéedesucreriesàhautevaleurénergétique,ellelesavalaaussi,puisbutdenouveau.
—Celasuffit,finit-ellepardire,jemesensmieux.Ilsetintfaceàelleetl’observapendantunlongmomentavantd’opiner.Puisilattrapasonpoignetet
léchalesmarquesdemorsurespourencicatriserlablessure.—Tun’auraispasdûfaireça,dit-ilensuiteavecsévérité.Elleroulalesyeux,serrantdoucementlespoings.—J’auraisdûtelaissertenoyer?—Lesvampiresnepeuventsenoyer.—Tuenessûr?(Ellenesavaitpassicettethéorieavaitétéétayéepardesimmersionslongues.)Et
tun’espasunvampire.Delapulpedupouce,ilfrôlalebleuaupoignetdelajeunefemmeetluimontrasescrocsétincelants.—Tuasfailliyrestertoi-même.—Tuconnaislemot«merci»?UnbasgrondementdanslapoitrinedeNaasir…maisilbaissalatêteetildéposaunbaiserdouxet
tendrementinattendusurlebleu.Lecœurdelajeunefemmes’emballa,plusquejamaisàlamercideNaasir.—Derien,murmura-t-elle.J’étaissiinquiètepourtoi,ajouta-t-elle.Etlorsqu’ilrelevalatête,elleleserracontreelle.Ill’enlaça,frottantsamâchoirecontresatempeenunecaressequidevenaitintimementfamilière.— Je suis allé trop vite parce que les insectes étaient déjà presque sur moi. (Il la serra.) Nous
sommestousdeuxmouillés.—Aumoins,cettefois-ci,nousavonsdesvêtementssecs.Iln’yavaitpasdepantalonencuirpourelle,maisunetenuetoutaussisolideetrésistante.Ilsrestèrentlonguementaccrochésl’unàl’autre,puismirentfinàleurétreintepoursechanger.—J’aicamouflénostraces,luiannonça-t-ilunefoisqu’ilseurentenfiléleurstenuesderechangeet
enterrédesplumescassées.(Sessourcilssefroncèrent.)Quelleestlagravitédetesblessures?—Ellessontdéjàen traindeguérir–sur lemoment,çaaétédouloureux,mais jen’aisubiaucun
dégâtmajeur.Andromedalaissasescheveuxtoujoursnattéscommeilsétaientetsedirigealàoùl’eauavaitpiégé
lesinsectesmortscontrelesrochers.Elleétaitsurlepointd’ensaisirunlorsqu’elledécidadenepascourirlerisquedeletoucherdeses
doigts. Elle trouva deux bâtons et, tandis que Naasir, accroupi, l’observait, les utilisa comme desbaguetteschinoisespourattraperl’und’eux.
Ilavaitlecorpsd’unesauterelleetétaitd’uneteintejaunâtre,avecdesmarquesd’unlégerbleu-vert–àencroireNaasir,puisquelaperceptionqu’elle-mêmeavaitdescouleursétaitfausséeparlalune.Cequ’elleconstataitenrevanche,c’étaitquelesailesdelabestioleétaientargent,uneteinteluisanteaussilumineusequelesyeuxetlescheveuxdeNaasir.Etcesailesdonnaientl’impressiond’êtrecomposéesdeminuscules,minusculespiècesdemétal.
—Cen’estpasCharisemnon,murmura-t-elletandisquesesyeuxs’écarquillaient.—Alexander?Ellehochalentementlatêteaprèsavoirvérifiélesautrescorpsailésqu’elleparvenaitàdiscerner.
Tousétaientpourvusdesmêmesailesmétalliques.Plusd’unétaitécraséàcausedel’impactcontrelespierres,cequirendaitleurcompositionencoreplusévidente.
—Ildoits’agird’ungenredemécanismededéfensepouréloignerlescurieux.Naasirsoupesaitduregardl’insectequ’elletenaitentresesbâtonnets.—Nousavonsprononcésonnom.Ilaentendu.Celafaisaitsens.Aprèstout,Alexanderétaitungrandtacticien.—S’ilécoute,dit-elleenluttantpournepaschuchoter,jenecroispasquecelasoitconscient.Durant
notreavancée,nousavonsévoquélesplansdeLijuanetcombiennousvoulionsl’arrêter.Lesdéfensessesontquandmêmeactivées.
—Ellessontpeut-êtrecommandéesparunepartieprimitiveducerveau.—Donc, d’autres pourraient s’enclencher sansmise en garde. (Elle déposa trois insectes dans le
petitsacplastiquequiavaitcontenulesfruitssecs.)J’espèrequ’ellessurvivrontauvoyage.JeveuxlesmontreràJessamy.
Naasirlaregardaitrangerlesachetdansunepocheintérieure.—Noussommesdéfinitivementaubonendroit.Andromeda en eut le souffle coupé.Elle s’était tellement concentrée sur lesmenus détails qu’elle
n’avaitpasprisencomptel’aspectglobaldelasituation.—Oui,confirma-t-elleendéglutissant.Devrait-onprévenirRaphael?SiAlexanderDormaitsouslalave–qu’ils’agissebiendelaveoudemétalenfusion–seulunautre
Archangeauraitlaforcenécessairepourl’atteindre.Naasir acquiesça et sortit le téléphone qu’il gardait dans la poche frontale de l’un des sacs – il
n’avaitpasvoulucourir le risquede leperdrecommec’étaitarrivéavecsonautreportable lorsqu’ilsfuyaientlacitadelledeLijuan.Andromedas’attendaitpresqueàsonimprécationviolente.
—Ilnemarchepas,c’estça?—Ildevraitpourtantcapterdepuisn’importeoù,lançaNaasirenappuyantenvainsurl’écran.Mort.—Alexanderyestpourquelquechose.Cen’estpeut-êtrepasvolontairedesapart.Aprèstout,lapuissancedeCalianeempêchaitbientoutephotographieàAmanat.Naasirrangeal’appareil.—Tantpis.Detoutemanière,sijenedonnepasdenouvelles,onenverradesrenforts,déclara-t-il
aveclaconfianced’unhommedontlafoiensonSireetsescamaradesétaitabsolue.—Avantcela,ilfautqu’onlocalisel’endroitexactoùAlexanderDort,commeçaRaphaeln’aurapas
besoinderesterlongtempséloignédeNewYork,ajouta-t-ilenselevant,maintendue.AllonsembêterunAncienquiaunepréférencenotablepourl’âgeplutôtquepourlajeunesse.
AndromedaglissasamaindanscelledeNaasirensouriantetlelaissal’attirerverslui.—Iln’yapersonned’autreavecquijepréféreraisfairecela.Unsouriremalicieux–suivid’unmarmonnement.—StupideGrimoire.
Chapitre31
XimassaitsestroupesauxabordsdupalaisdeRohanavecl’intentiondes’ensaisiravantmêmequeFavashi ne soit informée de l’attaque, lorsque l’un de ses commandants avança vers lui, visiblementpréoccupé.
—Qu’ya-t-il?—Nousavonseuventderumeursconcernantunessaimd’insectesau-dessusd’uneoasisàl’est,à
peuprèsàcinqheuresdevold’ici.Xiattendit.L’hommesolideetéquilibréquisetenaitdevantluineviendraitpasàsongénéralavec
unetelleinformationsiellen’avaitdesconséquencessurlesplansqu’ilsavaientprojetés.—Notreagentleplusprochedanscettezoneareçucerapportdelapartd’unangequipassaitparlà.
Cedernieradmetqu’iln’aaperçul’essaimquedeloin,etauclairdelune,maisilditqu’ilavaitquelquechosedepeunaturel–selonlui,laformationdevoldesinsectesétaittropparfaite.
Xi réfléchit. Il s’agissait peut-être d’un signe du réveil d’Alexander. Cela pouvait être aussi unemanièreintelligentededétournerl’attentionouencoreunrêveéveillédelapartdecetange.LelieuoùXi lui-mêmese trouvaitétait la solution laplus logique,malgré les tentativesdeRaphaeldebrouillerl’équationenmettantl’éruditedansunavionàdestinationduterritoiredeMichaela.
SelonleshommesdeXi,lejetn’avaitpasbougédutarmacdepuisqu’ils’yétaitposé,toutesportescloses.Aucunmoyendesavoirsil’éruditeetl’énigmeauxyeuxargentdeRaphaels’ytrouvaientencore.
—Emmèneundemi-escadronetvavérifier,dit-il,aucasoùilyaurait lamoindrechancequesonintuitionl’aittrompé.
Après que son commandant l’eut froidement salué,Xi se concentra de nouveau sur la question dujour : comment s’introduire dans la demeure de Rohan ? Le fils d’Alexander avait évolué durant lesquatresièclesécoulésetavaitsuretenirlesleçonsdesonpère.
Rohanétaitdorénavant l’undesgénérauxdeFavashi lespluscraints,etavaitchoisid’accordersaloyautéàcettedernièrelorsqu’elleétaitdevenueArchangedePerse.Avantcela,techniquement,iln’avaitétéliéàaucunArchange,cequepersonnen’avaitremisencause,àlafoisparcequeRohansuscitaitlerespectet l’affectiondecentainesdemilliersdepersonnescompte tenudesesorigines,etparcequ’ilétaituncombattantpuissantetunmeneur.
AucunArchange ne tenait à détruire un atout lorsqu’il ou elle avait une chance de le rallier à sacause.
—OùsetrouveFavashi?demanda-t-ilàl’éclaireurquivenaitjustedeseposer.Sicettedernièreétaitproche,illuifaudraitchangersesplansenconséquence.—Sur le territoire d’Astaad, répondit l’homme, poitrine haletante. Elle a accepté d’assister à un
festivalquis’ytient.
Le territoired’Astaadse trouvaitde l’autrecôtéde laplanète.Mêmesielleenpartaitaupremiersignedetroubles,illuifaudraituntempsconsidérablepourrevenir.
— Préparez vos escadrons à attaquer le palais, ordonna-t-il à ses commandants. Nous prendronsRohanparsurprise.
La décision prise, il envoya unmessage àLijuan.Ce faisant, il repensa à l’érudite aux yeuxd’unmarron doré translucide et aux ailes délicatement dessinées comme celles d’un oiseau. Elle lui avaitdemandécommentilpouvaitsuivreLijuanaprèstoutcequ’elleavaitfait.Ilnel’avaitpaspuniepoursonimpudence,àlafoisparcequ’elleétaituneintellectuelle,etqu’entantquetelleonattendaitqu’ellesemontrecurieuse,etparcequecettefemmel’intriguait.
Xiavaittoujourspréférél’intelligenceàlabeautéordinaire.SiAndromedanes’étaitpaséchappée,ilauraiteu l’intentiondedemanderàLijuan lapermissiondecourtiser la jeune femme. Iln’auraitpaspris l’érudite sans son total consentement – ce n’était pas la manière de procéder d’un véritableguerrier…etc’étaitunerèglequeLijuanluiavaitenseignéelorsqu’ilétaitentréàsonservice.
Il était alors ungarçonmaigrichonqui avait déçu sesparents guerriers.La courdeLijuan était laseuleprêteàl’accepter.Ils’attendaitàêtreplacéàunpostedepeud’importanceetàyêtreoublié,maisLijuans’étaitintéresséàluidèsledébutàcausedescouleursrougeetgrispatriotiquesdesesailes,letraitantpresquecommeunfils.Sesmeilleursentraîneurss’étaientoccupésdelui,desprécepteursdouésl’avaientinstruitetilavaitreçudesleçonssurl’étiquetteauprèsdecourtisansdehautrang.
Cela avait pris cent ans, au bout desquels il était devenu un homme et avait gagné le respect desautres. Sa loyauté envers sa dame était elle aussi gravée dans le marbre. Elle avait changé ces dixdernières années, passant de l’Archange avisée – et parfois arrogante,mais à juste titre – qu’il avaitconnueàquelquechosed’autre,maisellecontinuaitdeletraiteravecconsidérationetdepartagersonnouveaupouvoiraveclui.
Parfois, lorsqu’il était loin d’elle, dans ses pensées les plus secrètes, il remettait en question sarécenteattitudebelliqueuse,maisilcroyaitenelle.Lijuanavaitdesprojetspourlemonde,etelleétaitunedéesse.Espérercomprendresavisionétaithorsdesaportée.Ildevaitsecontenterdesuivre,commeunloyalsoldatdelatroupe.
Cejour-là,ilparlaàsadameetdit:—Nousnouspréparonsàenvahirlepalais.(Lijuanétaitlaseulecapabled’éliminerlamenaceque
représentaitAlexander,carseulunArchangepouvaitentuerunautre.)Ilm’estimpossibledeconfirmerdèsàprésentsiAlexanders’ytrouvebien.
Lijuan évitait les commodités modernes comme les avions, et était actuellement trop faible pourvoyager surde longuesdistancespar elle-même, raisonpour laquelleXi avait suggéréqu’elle attendejusqu’àcequ’ilconfirmelaprésencedel’Ancien.
Elleavaitacceptésonconseil lorsde l’explorationduKilimandjaro,maiscette fois,elle réponditd’untontranchantcommel’acier.
— Je viendrai.Tu as raison,Alexander ne quitterait pas sa terre bien-aimée – je n’aurais pas dûdouterdetoninstinctett’envoyersurleterritoiredeTitus.
Sa voix s’assourdit en des hurlements étranges pendant un instant, pour revenir, palpitante depuissance.
—SiAlexandern’estpassouslepalais,iln’enserapaséloigné.(Pasdehurlements,seulementunevoixsipurequ’elleenétaitdouloureuse.)Trouve-le,Xi.Jem’occuperaidureste.
Chapitre32
Naasirgrimpasurunarbresuffisammenthautpourpermettred’espionnerlevillagequilesséparaitdes grottes, mais il n’y avait rien à voir.Minuit était passé depuis longtemps, les lumières dans lesmaisonsétaientéteintesetleseauxdulacmiroitaientsousl’éclatdelalune.Silesvillageoisavaientvul’essaim,ilssavaientprobablementqu’ilvalaitmieuxgarderleursvoletsclosetresterchezeux.
Ilchoisitderedescendreparlemêmecheminplutôtquedesauterausolafindeneprovoqueraucunbruitouvibrationinutile.Unefoisàterre,ilpritlamaind’Andromeda.
—SiAlexanderDort ici,murmura-t-elle tandisqu’ils avançaientpour contourner levillage, il nepeuts’agirdupremierincidentbizarredontlesvillageoissonttémoins.
LessensdeNaasirétaientconcentréssurdesmenacespotentielles,maisilcompritoùellevoulaitenvenir.
—Tupensesqu’ilssontloyauxenversAlexanderetgardentsessecrets?—CommeCalianeetlepeupled’Amanat.EllelesaemmenésavecelledanssonSommeil.Peut-être
qu’Alexanders’estcontentédeprendrecette tribuavec luietd’avoirconfianceenellepoursurveillersonlieudeSommeil.
—Celaexpliqueraitlenombredevampirespuissantsdontjesensl’odeurparmilesmortels.Des vampires aussi âgés et aguerris choisissaient normalement de se mettre au service des
Archanges,soitensupervisantdepetitsterritoires,soitentravaillantdirectementdansleursbastions.C’étaitlàqu’ilsrencontraientleplusdedéfis.Quelques-uns s’orientaientparfoisversunevieplus simple,maisNaasir enavait repéréplusieurs
lorsqueAndromedaetluiétaientarrivésauvillage.Ilenavaitconcluqu’ils’agissaitdulieudenaissanced’ungroupedesoldatsdeFavashienpermission,maislasuggestiond’Andromedaétaitplusjuste.
— Les mortels seuls n’auraient pas la force physique nécessaire pour maintenir à distance lesennemisimmortelsd’Alexander.
Un chien aboya après eux depuis le jardin d’une petitemaison bien tenue qui se fondait dans sonenvironnement.LorsqueNaasirgrondadanssadirection,l’animalgémitetsetut.
Naasir se sentit mal. Généralement, il essayait de ne pas effrayer des prédateurs plus petits. Ilapporteraitauchiendelaviandequandtoutserait terminécarcederniernefaisaitquecepourquoiilétaitentraîné,àsavoirchasserlesintrus.
IlsetournaversAndromeda,undoigtsurleslèvres.Ilsdépassèrentlevillageensilenceetsansencombres.—Mêmes’ilssontlesgardesd’Alexander,repritNaasirunefoisqueleursvoixnerisquaientplusde
lesdénoncer,ilsneviventpasdanslepassé.Ilavaitvudumatérielélectroniqueetaperçutdesvêtementsauxcoupesmodernes.
—Ilsdoiventquitterlevillagerégulièrementetsefondredanslemondeafindegarderl’œilsurcequipourrait affecter leSommeild’Alexander, commentaAndromeda, sespenséesdenouveau tournéesversCaliane.Selonmoi,lesarbresfruitiersquenousavonsvussontlàseulementpourfournirunefaçadeet ne pas soulever de questions dérangeantes sur lamanière dont la tribu survit. Alexander leur auralaissé des fonds suffisants pour subvenir à leurs besoins pendant des siècles incalculables. (Elle semorditlalèvreinférieure.)Nousn’avonsvuaucuneaile.Alexanderdisposaitpourtantd’escadronstrèsloyaux.
— Les ailes sont facilement repérables, souligna Naasir. Alors que les vampires peuventtranquillement déménager sans que personne y prête attention, tant que les vampires en questionn’occupentpasunepositiondehautrangcommeDmitri–ou si leurArchangen’estplusdecemonde.Certainsneveulentenserviraucunautre.
—Tuasraison.Aucunatterrissageoudécollagepourattirerl’attentionsurcetendroit.Cen’étaitqu’unvillagecalme,
tenupardesvampiresquis’étaientretirésdumondeaprèsqueleurArchangeavaitdécidédeDormir,etceux qui, probablement, descendaient d’alliances entremortels et vampires, ou qui avaient un lien defamilleaveccesderniers.
Seulsceuxenquilaconfianceétaitabsoluedevaientvivrelà,carc’étaitl’uniquemanièrepourqu’unsecretaussilourdnes’ébruitepas.Siunenfantétaitélevécommeguerrierparmilesguerriersetqu’onluidisaitdemonterlagardepourunArchange,Andromedanepensaitpasquecetenfantbriseraitjamaiscetteconfiance–carquelplusgrandhonneurexistait-ilaumonde?
Àcet instant,Naasirportaunenouvelle fois sondoigtà ses lèvres.Andromedase tut, auxaguets,maiselleneperçutriend’autrequelesbruitsnormauxd’unenuitoùlalunebrillait.Lebruissementduvent,lesarbrescraquantlégèrement,l’aboiementd’unautrechiendel’autrecôtéduvillage.Quoiqu’ilen soit, Naasir restait en alerte totale, muscles bandés, prêts à parer à une attaque tandis qu’ilspoursuivaientleurroute.
Iln’yeneutpas.Pasàcemoment-là.Elleseproduisitjusteavantl’aube,quandlemondeétaitd’ungris brumeuxet qu’ils se croyaient en sécurité.Le carreaud’une arbalètepassa à trois centimètresduvisaged’Andromeda–ets’yseraitfichésiNaasirn’avaitbondiàladernièresecondepourladégagerduchemin.
Réagissant instinctivement, elle s’écrasaderrière un arbre tandis qu’il se laissait tomber au sol etrampaitpourlarejoindre.
—Ilssontnombreux.Andromedapointadudoigt lecarreau tremblantplantédans le troncd’unautrearbre. Ilétaitnoir,
avecdesgravuresargentées.L’argentavaittoujoursétélacouleurd’Alexander.—Nous sommes des amis ! cria-t-elle, laissant parler ses tripes et jugeant que leurs agresseurs
étaientlesgensd’Alexander.Maisl’ennemiapproche!Pour toute réponse, une pluie de carreaux s’abattit. Pressant le dos contre l’arbre, ses ailes
étroitementcourbées,ellejetauncoupd’œilàNaasir.—Çavalaitlecoupd’essayer.Ses yeux brillaient autant que l’argent des carreaux, mais d’une teinte plus liquide, plus vivante.
Mêmesielleadmiraitsabeautésauvage,sacuriositéd’éruditelapoussaitàs’interrogersurlacouleurquimarquaitNaasir.L’argentétaituneteintedistinctiveencequiconcernaitlesailesangéliques.Illiumpossédait de fins filaments argent dans ses plumes, et il en était de même pour d’autres anges, maisAlexanderavaitportédesailesdepurargent.
Dans les Archives se trouvait une plume de l’Ancien. Andromeda n’avait retrouvé cette teintescintillante sousune formeaussi concentrée suraucunautreêtrevivant, exceptéNaasir.PasmêmesurRohan. Les ailes de ce dernier avaient leur pointe d’un argent pâle, couleur qui évoluait en un grisanthracite.Ilavaithéritédecettecolorationdesesdeuxparents.
D’oùNaasir tenait-il la sienne ? Si quelqu’un l’avait Transformé, si ce cas particulier impliquaitmême uneTransformation ordinaire, était-il possible qu’Alexander ait quelque chose à y voir ?Maisdanscecas,pourquoiNaasiraurait-ilgrandidanslaforteressedeRaphael?
Et comment aurait-il pu grandir s’il avait été Transformé ? Seuls les adultes l’étaient, car nonseulement le processus arrêtait le tempspour la personnequi le subissait,mais enplus les enfants enperdaient laraison,quandilsnemouraientpas.Aucunn’avaitsurvécuàunetelle tentative–tentativesquiavaientétéréaliséespardesangeseux-mêmesatteintsdefolie,ouquicroyaientpouvoirflouer lesloisangéliquessansqu’ilyaitdeconséquences.
Or,cetteconséquenceétaitunemortinévitable.Personnen’yéchappaitetlejeun’envalaitdoncpasla chandelle.Quoi qu’il en soit,Alexander n’était pas un ange ordinaire. Il aurait pu faire ce qui luichantaitetéchapperàuneexécution.Malgrécela,s’ilavaitTransforméunenfant,ilauraitétérejetépartoutsonpeuple.Iln’yavaitaucunetraced’untelrejet,etriendanscequ’Andromedasavaitd’Alexandern’indiquaitqu’ilaitenfreintunerègleaussifondamentale.
Alexandercroyaitauxlois,auxrègles,àunesociétéfondéesurladiscipline.Les pensées tourbillonnaient dans le crâne de la jeune femme durant les quelques secondes qui
précédèrent le mouvement suivant de Naasir. Il attrapa une branche et se balança sur un arbre.Comprenantsonintention,elleluiaccordasuffisammentdetempspourarriverdirectementau-dessusdessentinellesd’Alexander,puisellesesaisitdequelquescarreauxtombésnonloinetcommençaàlesjetersurleursassaillants.Commediversion,cefutunsuccès.
Uneautrepluiedecarreauxyrépondit.Andromedasemitàgenouxpouroffriruneciblemoinsfacileauxtireurs,etutilisasonépéeafinde
dévierquelquescarreaux.ElleespéraitqueNaasirétaitensécurité.
Cedernierétaitmontésansbruitlelongdescimes,sedirigeantversdesodeursàpeinedécelables.L’aubesansventn’avaitpastrahilessentinelles,maislatrajectoiredeleurstirsavaitoffertunindiceàNaasir.
Iln’auraitpaspuemprunterlavoiedesarbressil’oasisn’avaitétéentouréequepardespalmiers.Mais lesvillageoisavaientplantéet laissépousser toutessortesd’arbres,notammentdesespècesdontles branches se déployaient. Andromeda avait raison de penser que les plantations étaient utiliséescommefaçadepourrepousserlescurieux,pourautantlavéritableexplicationétaitprobablementdecréerlesombresnécessairesàuneembuscade.
Naasirnepouvaitreprocherauxvillageoisdenepass’êtreinquiétésd’unennemigrimpeur.Aprèstout,Naasirétaitleseuldesonespèce.Ilétaitmaintenantau-dessusd’eux,maisleshommesétaientdéployésdetellemanièrequ’illuiétait
impossibledes’attaqueràtousenmêmetemps.Celasignifiaitaussiqu’ilavaitseulementbesoindelesneutraliser un par un. Il se concentra sur celui en habit de camouflage directement sous lui, dont lescheveuxétaientrecouvertsd’uneécharped’unmarronpoussiéreuxnouéeàl’arrièredesoncou.Ilavaitlevisagerecouvertdepeinturedecamouflage,enbandesvertesetd’unmarronterne.Naasirn’hésitapas.
Ilselaissatomber,emportantlasentinelleavecluidesonbrasplantédanslagorgedecedernierafinqu’ilnepuissecrier.
—Nousnesommespasvosennemis,souffla-t-ildansl’oreilledel’homme.NoussommesicipourmettreAlexanderengarde.
L’hommetentadeselibérer.Grinçantdesdents,Naasirfitlaseulechosepossibleetl’assomma.Ilagitdemêmeavecdeuxautresvampiresavantqueleurscamaradesneserendentcomptequ’ilyavaitunprédateurdansleursrangs.
—Enhaut!crial’und’eux.Naasirs’aplatitcontresabranche…avantdecomprendrequelesvampiresneréagissaientpasàsa
présence,maisàdesailesbattantauloin.Sedéplaçantfurtivement,illevalesyeux.Lesailesquifirentleurapparitionmoinsdetroissecondesplustardn’étaientpascellesqu’ilvoulait
voir. Sous lui, les sentinelles d’Alexander s’accroupirent, arbalètes pointées vers les êtres volantsrevêtusd’uniformesgrissombreportantdesaccentsrouges.Maisilsnetirèrentpas.
Bien.Si les hommes deLijuan se contentaient d’une reconnaissance aérienne – probablement après que
quelqu’unavaitrepérél’essaim–alorslameilleurechoseàfaireétaitdegarderprofilbasetdenepasleur donner une raison de croire que la zone présentait le moindre intérêt. L’escadron effectua demultiples repérages, jusqu’à ce que l’aube soit passée.Naasir,Andromeda et les sentinelles restèrentsilencieuxetimmobilespendanttoutcetemps.
Même lorsque l’escadron se posa non loin du village, personne ne broncha. Les familles dessentinelles étaient sans aucun doute entraînées pour feindre l’innocence quand on leur posait desquestions,oulesecretn’auraitpasétégardésilongtemps–etsiNaasirnesetrompaitpassurlecomptedeceshommesetfemmes,mêmelesnon-combattantsauraientapprisdestechniquesdeluttesuffisantespourseprotégerjusqu’auretourdessentinelles.Uneheureplustard,alorsquelesoleilmatinalbrillaitdansleciel,l’escadronredécollaenfinetdisparutdanslelointain.
CelalaissaNaasir,Andromedaetlessentinellesdanslapositionqu’ilsoccupaientavantl’arrivéedel’escadron.
Lavoixdel’éruditerésonnadanslesilence.—Nous sommes avec Raphael ! Cet escadron portait les couleurs de Lijuan, au cas où vous ne
l’auriezpasremarqué!Elleestl’ennemiemortelledeRaphael!Les hommes qui se trouvaient sous Naasir ne bougèrent pas, mais une voix masculine profonde
s’éleva sur la gauche. Utilisant le même dialecte local bien connu qu’avait emprunté Andromeda,l’hommedit:
—Cetteterreestinterditeauxétrangers.Partez.—Impossible.LijuanvientpourtuervotreArchange.Unepause,puislavoixreprit:—Nousécouterons.Dansunface-à-face.—Jurezsurl’honneurd’Alexanderquevousnenousferezaucunmal!Cettefois-ci,lapausefutpluslongue,maislorsquelavoixrepritlaparole,elleétaitrésolue.—Surl’honneurd’Alexander.Naasiravaitdéjàrepéréceluiquis’exprimait.C’étaitungrandvampirecostaud,àlapeautannéeet
auxcheveuxdissimuléssouslemêmegenred’écharpequeNaasiravaitremarquéesurd’autresmembresdugroupe.Ilselaissatomberjustederrièrel’hommedontilpensaitqu’ilconduisaitlegroupe,unchoixdélibéréafindes’assurerquelesautresnelestraiteraientpascommedesproies.
Lasentinellepivota,sesyeuxgrispâleluisantetsonarbalètepointéesurlecœurdeNaasir.
Chapitre33
—Labêteauxyeuxargent.(Malgrécettedescription,letondumeneurn’étaitpasinsultantquandilabaissasonarme.)Combiendemeshommesas-tutués?
—Aucun–cen’étaitpasnécessaire,réponditNaasirenhaussantlesépaules.Ilsaurontmalaucrâneàleurréveil,àsupposerqu’ilsn’aientpasdéjàreprisleursesprits.Tudevraisleurrappelerdenejamaisoublierdeleverlatête,mêmes’iln’yapasd’ailesdansleciel.
L’hommeinclinalégèrementlatête.—Unpointbienillustré.À la même seconde, Andromeda apparut d’entre les arbres. Son pantalon marron foncé était
poussiéreuxetsatuniqueajustéed’uneteinteplusclaireportaitdestracesdeterre.ElleposalesyeuxsurNaasir,leparcourantduregard,etsestraitsnesedétendirentquelorsqu’ellefutassuréequ’iln’étaitpasblessé.Naasirvoulaitserengorgerd’avoirunefemellequisesouciaitdelui.Ilavaitenviedesefrotteràelle pour que son inquiétude disparaisse. Il désirait en plus étudier chaque centimètre du corps de lajeunefemmepourconfirmerqu’elleaussiétaitindemne.
—Donc,dit-elle,l’épéeaucôté,nousvoilàréunissansquenoustentionsdenousentretuer.Pourquoineretournerions-nouspasauvillage?J’aibesoind’uncafé.
Naasirn’objectapas.Jusqu’àcequ’ilsaientconvaincuceshommesdubien-fondédeleursintentions,ilsn’iraientnullepart.
—Voussavezdéjàquijesuis,dit-ilàleurchef.EtvoiciAndromeda.—Moi, c’estTarek, répondit-il. (Sapeauétait lisse sur sespommettes anguleuses et samâchoire
s’ombraitd’unebarbedetroisjours.)Nousironsauvillage,maisnevousenprenezpasauxvillageoisounotreaccordestcaduc.
Lorsqu’ilretirasonécharpeetqu’ellevints’enroulerlâchementautourdesoncou,ilapparutquesescheveuxn’étaientpasnoirs,maisd’unmarronprofondauxfilsd’or.
—Nousn’avonsaucuneraisondenousenprendreàquiquecesoit,assuraAndromeda.Et tous trois retournèrent vers le village, les autreshommesdugroupe sans aucundoutedans leur
sillage.Lesvillageoislesregardèrentbouchebéelorsqu’ilsyentrèrent,tandisqu’uneenfantpiedsnus,aux
cheveuxnoirsetàlapeauàpeineplusclairequecelledeNaasir,seprécipitaencourantversTarek.—Grand-père!Levampire,quin’avaitpasl’aird’avoirplusdetrenteansetqui,pourtant,avaitdegrandeschances
denepasêtreseulement«grand-père»maisplusieursfoisarrière-grand-père,attrapalapetitefillesansralentirl’allure.Illatenaitavecuneaisancequiprouvaitcombiencegesteluiétaitfamilier.LafilletteobservaitNaasiraveccuriosité.Elleavaitlesyeuxdumêmegrisclairquesonancêtretoujoursenvie.
Naasirsourit,dévoilantsescrocs. Immédiatement, lesfossettesde l’enfantsecreusèrentetelle luiadressaungestede lamain.Lesenfants l’aimaient. Ilssavaientd’instinctqu’ilnes’enprendraitpasàeux.Quel’enfantporteunepeau,delafourrureoudesécaillesn’entraitpasenlignedecompte.
Osirisavaitenlevéettuésansremordslespetitsdeplusieursespèces.C’étaitl’unedesnombreusesraisonspourlesquellesilavaitfallulerayerdelasurfaceduglobe.L’unedesnombreusesraisonspourlesquellesAlexanderavaitdûl’exécuter.
Ce queNaasir n’avait appris qu’une fois plus âgé. Il avait toujours pensé queRaphael s’en étaitchargé,maisàl’époqueRaphaeln’étaitpasunArchangeetOsirisétaitlefrèred’unAncien.
— Quels qu’aient été nos désaccords ultérieurs, avait dit Raphael à Naasir cent ans plus tôt,Alexanderetmoi-mêmeavonstoujoursétéd’avisqu’Osirisdevaitmourir. (Untoninébranlableauquelfaisaitécho ladure lignedesamâchoire.)Lefrèreaînéd’Alexandern’étaitpasseulement fou. Ilétaitvicieuxetilacommisl’infanticideàunniveauhorrifiant.Qu’ils’ensoitsimplementprisàdesenfantsdemortelsetdesanimauxnerendpassescrimesmoinshorribles–danssonobsession,ilaexterminédesespècesentières.
Naasirsavaitqu’Osirisauraitadoréavoirunenfantimmortelsurlequelmenersesexpériences–plusfort,moins susceptibledemourir–mais il n’avait jamaispuenenfanterunavec les concubinesqu’ilgardaitéloignéesdesacitadelleetauxquellesilnerendaitquerarementvisite.Etmêmeluin’avaitpasoséenleverunpetitange.
Pasàcetteépoque.Maiss’illuiavaitétépermisdevivrepluslongtemps…Tareklançaunappeldansunsous-dialectequ’Andromedanecomprenaitpascomplètement,puisles
conduisitjusqu’àuneclairièreentouréedemaisonsetdeseauxbleu-vertdulac.Quandilsyparvinrent,unetableyavaitétéinstallée,ainsiquedesbancs.Grâceàlavélocitédesvillageois,delanourritureetdesboissonsyétaientoffertes.
Lasuspicionselisaitdanslescoupsd’œilcurieuxetrapideslancésàAndromeda,bienqu’elleaitremarquéquelesfemmesquin’étaientpassoldatsréservaientàNaasirdesœilladesaguicheuses.Ellevitl’unedessentinellessoumettreNaasiràuneinspectionpoussée.Etadmirative.Ellesutalorsquel’intérêtqu’ilsuscitaitneselimitaitpasauxcivilsouauxfemmes.
Ellenepouvait leuren tenir rigueur ; ilyavaitquelquechosedanssamanièredesedéplacerquipromettaitbeaucoupdeplaisiràunemaîtresse.Lechoixd’Andromedademeneruneviedecélibatnel’avaitpasrendueaveugleàl’attractionsexuellenin’avaitchangésoncorpsenpierre,etNaasir…rienquedel’observeravanceroudesentirsonsoufflecontresonoreille lorsqu’ilyfrottait lenezpoussaitsondésiràdesniveauxintolérables.Quantàl’avoirvunulorsqu’ilétaitsortidelamaresurleterritoiredeLijuan…
Àcetteseulepensée,sonventreseserraetsapeaus’embrasa.UnefemmelançaàNaasirunsourireséducteurjustesouslenezd’Andromedaquiserralagardede
sonépée.Aucunedecesbeautésauxyeuxdebiche,se rappela-t-elle,nedureraituneheureavec lui soussa
vraiepeau.Ilétaittropsauvage,tropfort,tropexigeant,tropénervant.Ilétaitparfait.Maiselleétaituneidiote,àjugercesautresfemmesquandelle-mêmeétait lamoinsappropriéede
toutes.—Nouspartagerons lepain,ditTarekens’attablantaprèsavoir tendu lapetitequ’ilportaitàune
mortelled’unequarantained’années.AndromedaetNaasirseglissèrentsurlebancopposé.
LestroupesdeTarek,danslemêmetemps,s’étaientéparpilléesàtraverslevillage,maisn’allèrentpas loin, clairement prêtes à reprendre l’offensive à l’instant où la jeune femme ou Naasir aurait lemoindregestemenaçant.
OnplaçaunepetitetassedecaféchaudetfortdevantAndromedaetdesgalettesaucentredelatable.Aumêmemoment,unevillageoiseamenadeuxpetitsverresdesangpourTareketNaasir,lacondensationsurcesderniersprouvantquelaboissonavaitétéconservéedansunendroitfroid.LafemmepulpeuseethonnêtementtrèsbellequiservaitNaasirenposaundevantluietluimurmuraquelquechoseàl’oreille.Sonexpressions’affaissalorsqu’ilsecoualatête.
Andromedasedoutaitqu’elleavaitdû luiproposerdesenourrird’elle.Elleéprouvaà la foisducontentementparcequ’ilavaitdéclinél’offreetdel’amertumeparcequ’elleseraitbientôthorsdesaviealorsqued’innombrablesfemmesseraientlàpourenprofiter.
Faceàelle,Tareklevasonverreaprèsavoirlancéàlaserveusequis’attardaitunregardaiguquilapoussaàs’éloignerprestement.
—Àl’honneur.—Àl’honneur,répétèrentd’unemêmevoixAndromedaetNaasiravantdeboire.Reposantsatasse,AndromedapritunmorceaudepainetenrompitunpetitmorceaupourNaasir.Son
effortdeconsommerlanourriturecérémonialesemblafaireplaisirauchefdessentinellesquiterminasonverredesangavantdemangeràson tourunboutdepain. Il repliaensuite lesmanchesdesachemisecouleursable,dontletissuétaitombrépardestacheslégèrementplusfoncéesquiluipermettaientdesefondredanslepaysage.
Le tatouage qu’il portait sur son avant-bras gauche, d’une encre d’un argent impossible, retintl’attentiond’Andromeda.
Uncorbeau.Cen’étaitpasunesurprise.L’oiseauétaitlesymboled’Alexander.Lalégendedisaitquelorsdeson
ascensionuncorbeaus’étaitélevéaveclui,pourmourirdansl’explosiondesonpouvoir.Pourlesgensd’Alexander,lecorbeausymbolisaitlecourage.Maiscerenduparticulièrementstylisé…
Andromedaétrécitlesyeux,sûredel’avoirdéjàvuauparavant.—Vousditesquevousêtesdesamis,ditTarekdanslesilence,maislesgensdeLijuansontarrivés
dansvotresillage.AyantsaisileregarddeNaasir,Andromedapritlaparole.—NotretâcheestdetrouveretdeprévenirAlexanderavantquel’enneminelelocalise.Tarekaffichaunemineaustère.—EnrecherchantAlexander,vousbrisezuntabouimmémorial.Andromedasavaitquesadéclarationsuivanterisquaitdeleurfaireperdrelaconfiancedecethomme
etdepotentiellementmettreleurvieendanger.—Oui,répondit-elle.Nousbrisonsuneloi.Maissinousn’agissonspas,Alexanderseraimpuissant
faceàLijuan.Vousnepouvezleprotégercontreelle.Mêmefaiblecommeellel’était,Lijuanannihileraitfacilementcevillage–siXines’enchargeaitpas
enpremier.—Vousmourrezsivousêtesdécapités,etunefoisdisparus,personnenesedresseraentrel’Ancien
etLijuan,continua-t-elleensoutenantsonregard.Lemondenepeutleperdre.Ilest leplusgrandanged’Étatàavoirjamaisvécu.Ilamisuntermeàdesguerresetfondédesvillesencoredeboutàcejour.SesplansdebataillesontenseignésauxjeunessoldatsetsesstratégiespolitiquesétudiéesparlesArchangeseux-mêmes.
Tarekl’observatrèsattentivement,l’intensitédesesyeuxfaisantdresserlespoilsdelanuquedelajeunefemme.
—Commentensavez-vousautantsurl’Ancien?—Jesuisuneérudite.Ils’intéressaàNaasir.—Quant à toi, cela fait longtempsque je suis éloignéduRefuge,mais je sais que tu n’as jamais
revendiquécetitre.LescrocsdeNaasirétincelèrentsouslesoleillorsqu’ilsourit.—Jesaislire,affirma-t-il,rieur.Jesuisunlimieretcommetoi,unchiendegarde.—Tuestellementplusqueça,intervintAndromeda,incapabledesetaire.Tuesextraordinaire.—Oui,acquiesçaTarekd’untonénigmatique.Iln’yapersonned’autrecommetoi–levampireaux
yeuxargentdontlescheveuxetlesyeuxsontdelamêmeteinteuniquequelesailesd’Alexander.Andromeda fronça les sourcilsdevant le lien explicite, sespensées revenantune foisdeplus à la
plumemétalliquequisetrouvaitdanslesArchives.—Alexandernem’apasTransformé,réponditNaasiràlaquestionquin’avaitpasétéposée.C’était
sonfrère,Osiris.Andromedaeutunhoquettandisquel’expressiondeTareksefaisaitmeurtrière.—Osirisaétépurgédelalignéefamiliale.Toutetracedeluiaétéeffacée.—Saufmoi,lançasereinementNaasir.Il acceptaundeuxièmeverrede sangapportéparune femmeplus âgéedont le souriren’était que
courtois.— Sauf toi, répéta Tarek sans ciller. Comment as-tu survécu à la destruction de tout ce qu’était
Osiris?—J’aiaidéàcettedestruction,réponditNaasiravantdeboire.J’aidévorésonfoieetsoncœur.(Un
regarddecôtéàAndromeda.)Osirism’affamaitpourtestermaforce.LajeunefemmepritlamaindeNaasir.—Alors,ilétaitunangeidiotquiméritaitdemourir.Unprofondsourireépanouiauxlèvres,Naasirmêlasesdoigtsàceuxdelajeunefemmeettournases
yeuxsombresversTarek.— Je n’ai jamais appeléOsiris Sire, et ne l’aurais jamais faitmême siAlexander ne l’avait pas
exécuté.LaloyautédeNaasirallaitàRaphael.Lasentinelleledévisagea.—Ily adeuxcents ans, jeme suisbrièvement aventuré jusqu’àuneautrepartiedumondeet j’ai
rencontréunhommeinstruit.Ilm’aditavoirentendudesrumeurssurunelégendevivante,unechimèreauxyeuxargentquin’estpasunmaisdeux, etm’ademandé si j’enconnaissais lesorigines, car seulsAlexanderetOsirisavaientdesyeuxdevéritableargentettousdeuxavaientdisparudumonde.
—Detelleshistoiressontdesmythes.LesyeuxdeNaasirétaientrieursquandAndromedaluilançaunregardnoir.Ilamenalamaindelajeunefemmeàseslèvres,enembrassalesphalanges,puisluifermalabouche
qu’elletenaitgrandeouverte.Ellepinçaleslèvres.—Jeneteparleplus.Ellesetournapourfairefaceàlasentinellequinedissimulaitpassonamusement,etreprit:
—SivousnecroyezpasquenoussommesicipournousopposeràLijuan,vousdevriezchercheràsavoircequ’ilestentraind’arriveraupalaisdeRohanencemomentmême.
L’amusementdisparut.—Est-ceunemenace?Ellenelâchapasprise.— J’ai dû raconter quelque chose à Lijuan lorsqu’elle m’a kidnappée et demandé où se trouvait
Alexander.J’aiessayédel’éloignerdeceterritoire,maiscomptetenudelaprésencedel’escadron,marusen’aclairementpasfonctionné.
—NousavonsdéjàprévenuRohan,ajoutaNaasir.Ilneserapasprisparsurprise.—Rohansaurasedéfendretoutseul,rétorquaavecconfianceTarek.Maismêmesivousêtesicipour
vous opposer à Lijuan, nous ne pouvons briser notre vœu qui est de protéger ce lieu contre touteintrusion.
—Danscecas,réponditNaasir,jevaisdevoirvousmettretoushorsd’étatdenuire.Onauraitditqu’ilplaisantait,maisAndromedasavaitqu’ilétaitabsolumentsérieux.—MêmelabêteauxyeuxargentnepeutvaincreàelleseulelaFraternitéAilée.Biensûr.C’étaitlàqu’elleavaitdéjàvucetatouage.Généralementsurdescrânesrasésdeprès.Tarekavaitdûremarquerquesonregardavaitpapillonnéverssoncrânecarilreprit:— Nous acceptons tous cette marque lors de nos dix-huit ans. Ceux qui vivent ici tondent leurs
cheveux.C’estunritedepassage,unrappeldeladisciplineetdel’honneurdanslequelilsontétéforgés.—Vosgenssesontbeaucoupéloignésdevosterresd’origine.La Fraternité Ailée, recluse et meurtrière, accomplissait des missions pour divers individus et
groupes,maistoujourssurcontrat.Jusqu’àmaintenant,personnen’avaitjamaissud’oùellevenait–onsupposaitquesesmembresappartenaientàunangequipréféraitresterdansl’ombre.
—Certainsdemescamaradesplusjeunesaimentvolerdeleurspropresailes,ditTarek.Nousnelesen empêchons pas. Tous finissent par revenir, car c’est là notre foyer. Souvent, ils ramènent descompagnesquicomprennentnosmanières,etquirajeunissentnotrelignée.
— Personne n’a révélé ce secret en quatre cents ans ? murmura Andromeda. Comment est-cepossible?
—L’honneur, la loyauté et un creuset qui ne permet pas la faiblesse de l’âme. (Il se leva.)Vouspouveznouscombattreoupartir.Nousvousescorterons.
Naasirselevaàsontour,lesdoigtsnouésàceuxd’Andromeda.—Vousdevezpenserauprésent,etnonresterdanslepassé.Le chef de la Fraternité Ailée ne dit rien. Il se contenta de placer la main sur l’arbrier de son
arbalète.Naasir,soudainrevêtudesapeauéléganteetpolicée,jetauncoupd’œilàAndromeda.— Il semble que nous ayons épuisé notre temps d’accueil – et la garde d’Alexander ne s’est pas
laisséavoirparmonbluff.Ellehaussalesépaules.—Nousdevionstenterlecoup.(SetournantversTarek,elleajouta:)Sivousnenouspermettezpas
d’alleràAlexander,alors,chargez-vousdelemettreengardevous-même.Unvisageimpassible.—L’AncienDort.Aucunêtrevivantnepeutentrerdanssachambreetsurvivre.—PasmêmeLijuan?L’expressiondeTarekdemeuraimperturbable.—EllepeutbienprétendreêtreuneAncienne,ellen’aaucunpouvoircomparéeàAlexander.—Tunel’aspasvuedepuisledébutdelaCascade,ditAndromeda.
Maisellesavaitqu’ellegaspillaitsasalive–lasentinelled’Alexanderétaittropconcentréesurcequidevaitêtrepourdiscernercequiarrivaitvraimentdanslemondeactuel.
Ilss’éloignèrentescortésparunfortcontingentde laFraternité. Ilsavaientquitté levillagedepuisuneheure lorsqueNaasir lâcha lamaind’Andromeda.Elle laissa tomber sonsacet avait sonépéeenmainenmoinsdedeuxsecondes,maisétaitencoremortellementlentecomparéeàlui.
Utilisantsesgriffes,ilmitàterretroisdesfrèresailésavantqu’ilsnepuissentmêmecomprendrecequileurarrivait.Lesangcoulait,maisNaasirnecherchaitpasàdonnerlamort.Andromedanonplusnetenaitpasàprovoquerderéelsdégâtsavecsonépée,cequilagênaiténormément.Maisellen’étaitpasassezrapidepoursebattreaucorpsàcorpscontredeshommesetdesfemmeshautemententraînés.
Prenant toutes sesprécautionspournepas finirotage, elle restaitprèsdeNaasir et assommait lescombattantsquecederniermettaitausol.Auboutducompte,elleparvintàsedébarrasserdeplusieursd’entreeuxenleurassénantungrandcoupsurlecrânedelagardedesonépée.Mêmeenpleinmilieudelabataille,elleprenaitsoind’utilisermoinsdeforceaveclesmortels.
Alexandernepardonneraitpasàceuxquiauraientinfligédesblessuresfatalesàsesgens.—Andi,vole!Tout en elle se rebellait contre cet ordre, contre le fait de le laisser entouré de combattants aux
regardsmeurtriers,maiselleavaitpromisquedansdetellescirconstanceselleluiobéirait.Grinçantdesdents,elleplaçasaconfianceetsafoidanslescompétencesdeNaasiretdécolla.
Descarreauxfusèrentaussitôtdanssadirectionensifflant.
Chapitre34
Naasirdévoila sesdents lorsqu’ilvit qu’il avait juste assez ralenti laFraternitépourqu’aucundeleurscarreauxn’atteigneAndromeda.Àl’instantoùilfutassuréqu’elleétaitensécurité,horsdeportée,ilsautadanslesarbresetsemitàbondirdebrancheenbranche.
Lescarreauxcriblaientlefeuillage,maislesfrèresailésneparvenaientpasàsedéplaceraussiviteque Naasir et leurs tirs frappaient toujours là où il se trouvait quelques secondes plus tôt. FaisantconfianceàAndromedapoursedirigerdanslamêmedirectionquelui,ilpartitverslevillage.C’étaitlavoielaplusrapidepourarriverdel’autrecôté.
Iln’étaitpasarrogantetsavaitpertinemmentquesesadversairescomptaientparmilesguerrierslesmieux formés au monde. Si son coup avait marché, c’était seulement parce qu’ils pensaientqu’Andromedaétaituneéruditeinoffensivemalgrésonépéeetqu’ilsl’avaientsous-estimée.Lesoutienqu’elle lui avait apporté lui avait donné une précieuse longueur d’avance. Une minute de plus, et lasituationauraittournéenleurdéfaveur.
Le cœur battant à tout rompre, il traversa le village en se mettant à couvert des arbres qui lebordaient,bienavantquelescrisdessentinellesn’alertentlescombattantsquiyétaientrestés.Illesvitse rassembler derrière lui, partant dans lamauvaise direction,mais il ne relâcha pas pour autant sonattention.Lesfrèresailésétaientéparpilléssurtoutelazone,etsansaucundoutedanslesgrotteselles-mêmes.
Ilavaitlesmusclestendus,sespoumonslebrûlaient,maisilcontinuad’avancer.Iln’yavaitpasd’arbressurladernièresectiondutrajetmenantauxcavernes.Lesoleilresplendissait
sur le sable findudésert.Mêmeàcettevitesse,un sniperpositionnéau-dessusdesgrottespourrait ledescendre.S’ilcouraitdanscettepeau.Commeiln’étaitpasidiot,ilsedéshabillapourrevêtirlapeauquiétaitsienne,maisqu’iln’avaitpasencoremontréeàAndromeda.
Ilvoulaitlasurprendre.Auxyeuxdequiconqueleregarderaitmaintenant,ilétaitunmiragerayésurlequelonn’arrivaitpas
vraimentà faire lepoint.Àcausedusacqu’il avaitdécidédenepasabandonner,unsniper le repérabien,mais ilmanqua sa cible de plusieurs dizaines de centimètres. Naasir n’était jamais là où on lepensait. Sa vitesse, associée au fait que son corps était plus proche du sol, sansmême parler de soncamouflagenaturel,faisaitdeluileprédateurparfait.
Ilnes’arrêtaqu’arrivéausommetde lamontagnequicachait lescavitésnaturelles, loindusniperdépité.Il repéraà l’odeurunruisseaudissimulé.Ils’aspergealevisageavantdeboire,puisremitsonpantalon.
Àlasecondesuivante,sessensrevenaientàdesniveauxhumains.
Ildevaitattendrequelesbattementsdesoncœursecalmentavantdesuivrelatraced’Andromeda.C’était frustrant,mais après avoir couru à une telle vitesse, son corps avait besoin de temps pour se« recalibrer».Lorsqu’il avait été enâgedecomprendre,Keir lui avait expliquéque sonétat instableaprèsunebrusquedépensed’énergie était undéfaut inhérent à sanature.Maispuisqu’il en tirait cetterapiditéincroyablejamaisenregistréechezaucunautreêtreterrestre,àquatreoudeuxpattes,Naasirnes’enplaignaitgénéralementpas.
Cejour-là,pourtant,ilrefoulaitsarage.À l’instant où son sang cessa de bouillonner à ses oreilles et que les battements de son cœur
s’apaisèrent, ses sens reprirent vie. Il ne lui fallut que quelques secondes pour repérer l’odeurd’Andromeda.
Il avançaàgrandes enjambées sur la surface escarpéedans sapeau secrète en restantdenouveauprès du sol. Lorsqu’il baissa les yeux, il la découvrit plus bas, à l’ombre d’une crête. Il eut un largesourire;safemelleétaitfutée.Elleétaitcachéeduciel,etnes’étaitpasapprochéedel’entréedesgrottesquelesfrèresailéssurveillaientsûrement.
Ilétaitsurlepointdesauterlorsqu’ilsesouvintduchocd’Honorlejouroùilavaitatterrisursonbalcon.Cherchantduregardautourdelui, il trouvadeuxpetitsgaletset lesjetaendouceur.Lorsqu’ilsfrappèrentlesépaulesd’Andromeda,ellerelevabrusquementlatête,unsourireradieuxvenantilluminersonvisage.
D’unbond,illarejoignit.Ilpritsajoueencouped’unemaingriffuelégèrementirritéeparsamarcheausol.
—Tuasétéblessée?Ellesecoualatêteetsautaàsoncou,leserrantfort.Ill’enlaçaétroitement,savourantsonparfum.Sa
vie.Unlongmoments’écoulaavantqu’ellenerecule.Ellelerepoussaauxépaules.—Unechimère?Ettun’auraispaspumeledire?Tuasprétenduquec’étaitunechoseridicule!—Celledeslégendesestridicule,marmonna-t-il.Unlionavecunetêtedechèvresurledos?Quel
imbécileaeuuneidéepareille?Elleluilançaunregardnoir,cillapuissecoualatête.— Tu n’étais pas un tigre ordinaire, n’est-ce pas ? murmura-t-elle, semblant remarquer la peau
secrètedeNaasirpourlapremièrefois.Ilserenditcomptealorsqu’Andromedalevoyaitpourcequ’ilétait,quellequesoitsonapparence.Dedouxdoigts frôlèrent sapoitrine, lacouleurdemiel sombrede la jeune femmecontre leblanc
argentrayédenoirquilerendaitpresqueimpossibleàrepérerdansl’éclataveuglantdusoleil.—Untigreblanc?Lemurmured’Andromedaétaitencoreplusdoux.Ileutunlargesourireenpermettantàsonapparencehabituelledereprendreledessus.—C’estunebonnepeaupourlajournée,maisjen’aipasl’air«humain»quandjelaporte.Résultat,
j’ainormalementcelledenuit.L’unevenaitdupetitgarçon.L’autredubébétigre.ToutesdeuxappartenaientmaintenantàNaasir.—Tuesuneimpossibilitéquimarcheetparle.Bien que ses yeux envoient toujours des éclairs, elle continuait à lui caresser les cheveux, les
épaules.— Il y a une raison à cela, une raison pour laquellemon espèce n’existe pas dans la nature. (Il
l’obligeaàdéployersesailespours’assurerqu’ellen’avaitpasététouchée.Illacontournapourvérifiertouteleursurface.)J’auraistrèsbienpuêtreunebêtesauvageprivéederaisonouunmonstrehandicapé.
Ladouleuretuneviolentefureurs’emparèrentdeluisibrusquementqu’ildutpressersontorsecontreledosd’Andromedaetenfouirsonvisagecontresoncou.
— Ils ont été nombreux avantmoi…mes frères et sœurs, d’une certainemanière, bien que nousn’ayonsjamaisétéenvieaumêmemoment.J’aivubeaucoupdeleurssquelettesdifformes.
AndromedasesaisitdesmainsdeNaasir,lesverrouillantàsataille.—Osirisaexécutétouslesautreslorsqu’ilssesontavérésdéfectueux.Surtroismilletentatives,j’ai
étéleseulphysiquementviableetquisemblaitsaind’esprit.Lesdoigtsd’Andromedatremblaient.—Ilatuétroismilleenfants?Frottantsonnezcontresanuque,Naasirsecoualatête.—Non,sixmilleenfants.Tousn’étaientpasdeshumains. (Commelebébé tigrequiavaitdonnéà
Naasir sa forme secrète pour le jour.)Une chimère requiert deux entités « de base », l’une humaine,l’autredifférente.
Leslarmescoulaientsurlevisagedelajeunefemme.—Commentest-cepossible?Pourquoin’a-t-ilpasétéarrêté?L’attirantencoreplusàlui,sebalançantlégèrement,illuidit:—Andi,jerépondraiàtoutestesquestions,maisnousavonsd’abordunemissionàaccomplir.Sapartenaireacquiesçaenbalayantseslarmes.Naasirlacontournapourvenirenfilersontee-shirt.—J’airepéréuneentréepossibledanslescaverneslorsquej’aisurvolélarégion.Ellesembleêtre
relativementrécente,peut-êtrecauséeparunéboulis,ouunlégertremblementdeterre.Maisilpourraitmalgrétouts’agird’unpiège.
—Montre-moi.Ilsrampèrentàtraverslepaysagearide,escarpé,Naasirlessensenalerteàlarecherched’éventuels
frèresailéspostésaussihaut.QuantàAndromeda,elledevaitprendresoinquesesailesnesecoincentpas.
—Là,dit-elleenmontrantunpointau-dessusd’eux.—Surveillenosarrières.Illaissaleseulsacrescapéàsagardeetsedirigeaversletroudanslamontagne.Lesoleilétincelantluifaisaitregretterdenepasavoirgardésapeausecrète,maisellefonctionnait
mieuxlorsqu’ilétaitnu,riennevenantalorsenbriserledessin.Etilnetenaitpasparticulièrementàêtredévêtusurdesrochersanguleuxquidéchiraientmêmeseshabitsetégratignaientsesbras.
—Alors?luidemandaAndromedalorsqu’ilrevint.—Iln’yaaucuneodeurautourémanantdecréaturesvivantes.Apparemment, lesfrèresailésn’ont
pasencoreconnaissancedecettenouvelleentrée.Ellerampaavecluijusqu’autrouetgrimaça.—Çavaêtreuncauchemarpourmesailes.Lesangesnesontpassupposésserendredansdesgrottes
enpassantpardespetitstrous.Ilserenfrognaàl’idéequ’ellesoitblessée.—Attendsquejeneutraliselesfrèresailésquisetrouventàl’intérieur.Tuentrerasensuite.—Celaprendraittropdetemps–nousn’avonsaucuneidéedeleurnombre.(Unsouriredéterminé.)
Quelquesécorchuresnemetuerontpas.Maispassedevant.Commeça,tupourrasmeprotégerquandjemefaufilerai.Jepensequelespérilssontplusnombreuxlà-dedansquedehors.
Naasir dutmettre en balance le danger connu qu’ils encouraient ainsi exposés au sommet avec ledanger inconnu qui les attendait sous terre ; il finit par se ranger à l’opinion d’Andromeda. Il laissa
d’abordtomberlesacàl’intérieur,puissautasurlesolsablonneuxdelacaverne.Ilsemitsurlecôté,aprèsavoirécartélesacduchemind’Andromedaafinqu’ellenetrébuchepasdessus.
Il fallut à cette dernière quelques minutes pour entrer. Quand elle y parvint, ses ailes étaientméchammentégratignées,desplumesdumarronleplusfoncéaupluspâlevoletantautourdeNaasir.
Ravalantsongrondementlorsqu’ilconstatal’étenduedesdégâtsetaperçutleslarmesqu’elletentaitderetenir,Naasirl’obligeaàsepostersouslalumièredel’ouverturependantqu’ill’examinait.
—Jesuisimmortelle,luirappela-t-elledoucement,maisd’unevoixrenduerauqueparladouleur.Jeguérirai.
Il luimordit lehautde l’oreille.Ellebondit,puispivotapourprendreavec tendresse levisagedeNaasirentresesmains.
—Jevaisbien,insista-t-elled’unevoixposée.Dèsquetoutceciseraterminé,noustrouveronsunesourcechaudeetnousreposerons.
Ellementait.Naasirsaisitimmédiatementlechangementdanssonodeur,lacassuredanslerythmedesonpouls.Enrevanche, iln’encomprenaitpas laraison.Mais ils’enoccuperaitunefois leurmissionaccomplieetelleensécurité. Il luiprit lamainetaccrocha légèrement lesdoigtsde la jeunefemmeàl’arrièredesonpantalonaprèss’êtrechargédusac.
—Jepeuxvoirdanslenoir.Mêmedansleslieuxtotalementdépourvusdelumièreambiante.Unrésultatdumélangeentrelachimèreetlevampire.—Jenetelâcheraipas.Oreilletendueafindes’assurerquelesfrèresailésnelesavaientpasrepérés,ils’engageadansle
couloir.Lorsqu’ilsatteignirentunembranchement,ildemanda:—Àdroiteouàgauche?Iln’yavaitpasd’odeurpourlesguider.Ilsdevaientdoncs’enremettreauxrecherchesd’Andromeda.—Droite, répondit-elle, ses ailes bruissant dans le noir total.Nous sommes sur une légère pente
montante–pouratteindreAlexander,ilfautdescendreetnousdirigerverslenord.C’estlàquelarumeurplacelegouffredelave.
Naasirgardasesmotsàl’espritpours’orienter.—Peut-onparler?chuchotaAndromedaaprèsletroisièmevirage.Ilcompritcequ’ellevoulaitdire.—Oui,cesgrottesneporterontpaslebruitsinousnousexprimonsàvoixbasse.— Jeme sens piégée, dit-elle en resserrant sa prise sur lui. Dans un espace aussi étroit, je suis
complètementinutile.Ilpensaauxailesquilarendaientsibelledansleciel.Ici,cesmêmesailesreprésentaientunsérieux
handicap.—Tucontinuerasà lutter,dit-il,car la jeunefemmeétaitpétriedecourage.Tune te laisseraspas
vaincrepartaclaustrophobie.—Tuasraison.Merci,çaaide.Ellerelâchasonsouffleetillesentitpassersursanuque.Tendantlamainderrièrelui,illuiserralepoignet.—Souhaites-tuquejeteparled’Osirisetdecommentj’ensuisvenuàexister?Unelonguepause.—Non.Raconte-moiceladanslalumière,souslesoleiletdansunlieuquiparleàtonâme.Ilavaitenviedel’embrasser.Safemellevoyaitlasauvageriedanssoncœur,comprenaitque,même
s’ilpouvaitsedéplacerdansdesendroitssombres,sonchoixétaitdevivredansleventetlesoleil,la
pluiesursonvisageetl’herbesoussespieds.—JepossèdeunendroitspécialprèsduRefuge,oùjeréside, luiapprit-il.Pour toi,çareprésente
une distance de quinze minutes de vol. C’est dans les forêts qui commencent plus bas le long desmontagnes.
LeRefugelui-mêmeétaitpleindefleurssauvagesetd’autresfeuillus,maisnecomportaitquepeudegrandsarbres.
— Vraiment ? (La voix d’Andromeda contenait une faim de le connaître qui était une véritablecaresseverbale.)Tul’asconstruitdanslesarbres?
Oui,ellelecomprenait,safemelleàl’odeurdélicieuse.—Aodhanm’aaidéàleconcevoir.(L’angen’étaitpasentièrementfamilieraveclapenséedeNaasir,
maissonespritparvenaitàtoutvoiretreprésenterendessinsetformescompliqués.)C’estunemaisonhautperchéedansunarbreetouvertedetouscôtés.
Pourlaisserentrerleventetlesoleil.—Ilyauneplate-formed’atterrissagepourmesamisailés.Il n’avait pas parlé à beaucoup de gens de samaison secrète, et tous ceux qui étaient au courant
étaientattentifsànejamaismentionnersalocalisation.—Letroncdel’arbreestsidroitetsihaut,avecsipeudebranchesbassesqueseulsceuxcomme
moipeuventl’escalader.Simesamisvampiresveulentmerendrevisite,jelanceuneéchelledecorde.—Etàl’intérieur?Oùdors-tu?—Quandilpleutouqu’ilneige,jefabriqueunnidàl’intérieur,maislorsquelecielestclair,jedors
dans un hamac pendu à l’extérieur entre les branches. (Là où il pouvait voir les étoiles et écouter laforêt.)Ilyfaitbonparcequ’Illiumacachédepetitspanneauxsolairesnonloinquicapturentlachaleurdurantlajournéeetlaredistribuelanuit.(Ilcherchadenouveausonpoignet.)Jeconcevraiunhamacplusgrand,suffisammentlargepourtesailes.
Unhoquetderrièrelui,avantqu’Andromedanechuchote:—J’aimeraisvoirtamaison.—Jet’yemmènerai,après.Siellevoulaitydéposerdesaffaires,ilnediraitpasnon.C’étaitsonterritoire,maisillepartagerait
avecelle.Ilavaitenviedel’odeurdelajeunefemmedanssonespace,sursesaffaires.—Jen’aiquequelques livres, admit-il.Deschosesque Jessamym’adonnéesafinque j’acquière
quelquesconnaissances–maisjepréfèreapprendreenécoutantlesgens.—Tudoisavoirunemémoiredéveloppée.Ils’agissaitapparemmentd’undonquiluivenaitdelalignéedupetitgarçonquivivaitenlui.—Oui.Depuislehamac,tupeuxvoirlesétoileslanuit,siclairesetlumineuses,etparfois,lesailes
desescadronsquipassent.—Ilsneterepèrentpas?—Lehamacesttroppetitpourêtreremarquédesihaut,etlamaisonelle-mêmeestcamoufléeparles
branchesets’intègrecomplètementàl’arbre.Aodhanditqu’iln’yenapasunepareilleaumonde.Commesil’angeavaitarrachél’imageauxpenséesmêmesdeNaasir.—Ilauntalenttellementincroyable.(Lavoixd’Andromedacontenaitunepointedetristesse.)Illui
estarrivéquelquechosedeterrible,n’est-cepas?Naasirsavaitexactementcequ’Aodhanavaittraversé.IlavaitaidéRaphaelàpisterlatracedujeune
ange–auquel ilpensaitcommeàunbébédans leurunité familiale.Lepetitétait sigrièvementblesséquand ils l’avaient découvert que Naasir avait un peu perdu la tête en se vengeant. Il n’en était pasdésolé.PersonnenetouchaitàlafamilledeNaasiretn’ensortaitindemne.
—Ilsouritdenouveau.IlajouéuntouràIlliumlorsquecedernierl’atroptaquiné.Cesouvenirluiréchauffaitlecœur,etilsavaitqu’ilenseraitdemêmepourAndromeda.—Jen’aijamaisvuAodhanfaireunechosepareille.Naasireutunlargesourire.—Cen’estpaspourrienqu’ilestlemeilleuramid’Illium.Naasiravaitcentvingtanslapremièrefoisqu’ilavaitrencontrélesdeuxautres.Iln’avaitpasencore
complètementatteintl’âgeadulte,maisilétaitsuffisammentâgépoursavoirquecesdeuxpetitsangesnedevraientpasplongerd’unefalaisejusqu’àlamareaupiedd’elle.
Lorsqu’illesavaitattrapésparlapeauducou,lesdeuxgaminstrempéss’étaienttortilléscommedespoissonspourtenterdes’échapper.IlavaitgrondéetlesavaitdirectementamenésàJessamy.Andromedaaimeraitcesouvenir.Illepartageraitavecelleplustard,pensa-t-il,àlasecondeoùelleluidemandait:
—Raconte-moiletourd’Aodhan.L’ingéniositédontavaitfaitpreuvel’angedonnaitàNaasirenviederire.— Il s’est faufilé dans la chambre d’Illium pendant que ce dernier dormait. En temps normal,
Illium se serait réveillé d’un coup… (Le petit chenapan qui se tortillait était devenu un guerrieraccompli.)…Maissonespritavaitdûanalyserqu’Aodhannereprésentaitpasunemenace,etdonc,iln’apasbronché.
ToutcommeNaasirleferaitsiAndromedaétaitdanssachambre.—Aodhanaattenduqu’Illiumse retournesur leventre,etapeint sur la surfaceextérieuredeses
ailes en utilisant une encre spéciale qui s’infiltrait mais séchait sans laisser une impression collante.LorsqueIlliums’estréveillé,iln’arienremarqué.
Andromedagloussa.—Qu’est-cequ’Aodhanavaitécrit?—Ehbien,lorsqueIlliumestsortirejoindrelescommandantsdesonescadronpourunexercice,ils
luionttapotél’épauleendisant«désolé,t’espasmongenre».Naasirn’avaitrienmanquéduspectacledepuisunpointdevueprivilégiésurunbalcon.—Nemefaispaslanguir,demandaAndromedaenluimartelantl’épaule.Naasireutunlargesourire.—«BaisersgratuitsdeCampanuleàlademande».Andromedaétouffaungloussement.—Lemieux, c’est que la peinture n’est pas partie sous l’eau, en tout cas, pas durant trois jours.
IlliumafiniparpourchasserAodhanetl’aobligéàeffacerlesmotsavecdel’encre,ducouponauraitjusteditqu’ilavaitdestachesnoiressurlesailes.
—Illiums’estvengé?—Biensûr. (Aodhan,Naasirenétaitpersuadé,avaitsûrementété terrifiépar l’accidentd’Illium.)
Maisilsseronttoujoursamis,qu’importentlestoursqu’ilssejouent.Naasiravaitlesentimentqueriennerompraitjamaiscelien.Ilsétaientincapablesdesetrahirl’un
l’autre.—As-tuunamipareil?demandaAndromedad’untonmélancolique.—J’aiunefamille.Desamis.Bienplusqu’ilne l’aurait jamais imaginé lorsqu’ilétaitunpetitgarçonsauvagequinecomprenait
pascequ’êtrecivilisésignifiait.—JanvieretAshwinimevoient,mecomprennent,sontmesamis,ajouta-t-il.(Toutcommelesautres
membres des Sept et Raphael, ils l’acceptaient tel qu’il était.)Mais ils appartiennent d’abord l’un àl’autre.(Commeceladevaitêtre.)Jeseraitoujoursamiavecmafemelle.
Andromedarepritlaparoled’unepetitevoix.—Elleseraunefemmechanceuse.Ilserenfrogna.Dequipensait-ellequ’ilparlait?Avantqu’ilnepuisseladéfier,ilsaisitlespremiers
effluvesd’uneodeur.—On doit se tairemaintenant, murmura-t-il. Cette odeur est ancienne, mais elle signifie que les
frèresailéspatrouillentici.Letunnels’élargitpeudetempsaprèsetAndromedaputalorsmarcheràsescôtés,maindanslamain
avec lui. Les yeux de Naasir pénétraient l’obscurité, mais il savait que les ténèbres demeuraientinsondablespourelle.Pourtant,elleavançaitsansfléchir.
Illevalamaindelajeunefemmepourydéposerdesbaisers.L’ailede cettedernière effleura ledosdeNaasir enune réponse silencieuse et pleined’affection.
C’estalorsquel’obscuritédutunnelfutatténuéeparunelumièredouce.N’entendantrienetnepercevantaucunetraceolfactiverécente,Naasirpoursuivit jusqu’àcequ’ils
parviennent à la source de la lumière. Elle provenait d’une grande caverne – dont le plafond étaitlégèrement craquelé. Pas assez pour permettre d’y accéder, mais suffisamment pour qu’un rayon delumières’yinfiltre.
— Nous sommes encore bien trop hauts, annonça Andromeda, ses lèvres effleurant l’oreille deNaasir.Nousdevonsnousenfoncerplus.
Ilopinaetétudiaattentivementlagrotte.Pointantdudoigtuneentréedetunneldel’autrecôtédelasalle,ilexpliqua:—C’estl’optionlaplusfacilepourdescendre.Pasd’odeursrécentes,maisj’encaptedesanciennes,
cachées.—Unpiège?—Mestripesmedisentqueoui.Andromeda et lui-même traversèrent la salle avec les plus grandes précautions. Il perçut le
changementdansl’inclinaisondusablesousleurspiedsàl’instantoùAndromedafaisaitunpas.
Chapitre35
Latirantenarrièreavantquesonpiednesepose,Naasirplaqualajeunefemmecontresontorse.—Ilyaquelquechoselà-dessous.Defineslignesblanchesvinrentencadrerlabouched’Andromeda,maisellesecontentad’opiner.—Jenebougeraipas.Unefoisassuréqu’elleavaitretrouvésonéquilibre, il larelâchaets’accroupit.Ilallaitbalayerle
sablelorsqu’ilsongeaquesesdoigtsrisquaientd’appuyertropfort.— Tiens, lui dit la jeune femme en lui tendant une plume d’unmarron pâle virant au noir à son
extrémité.Detoutemanière,elleétaitprêteàtomber.Il lui caressa gentiment lemollet, sachant que ses ailes égratignées devaient la faire souffrir.Être
immortelnesignifiaitpasêtreindifférentàladouleur.Lorsqu’ilsepenchaenavant,unemaintoujoursposéesurelle,etbalayalesable,iltrouvaceàquoi
ils’étaitattendu.—C’estuninterrupteurréagissantàlapression.Lemuscledumolletdelajeunefemmesetendit.— Je ne pense pas que les craquelures au plafond soient accidentelles, dit-elle lentement. Cette
caverneestconçuepours’écrouler.—Enterrantsouselletouslesintrus,conclutNaasirenseremettantsurpied.Nousnepouvonscourir
lerisquedelatraverser–nousn’avonsaucunmoyendesavoircombiend’interrupteurssontdissimuléssouslesable.
Ilsrebroussèrentcheminsansproblèmejusqu’autunnelpar lequel ilsétaientarrivés.Cenefutquetrenteminutesplustardqu’ilsentrouvèrentunautresedirigeantverslebas.Illesconduisitaussibientropprèsdel’entréemenantauxcavitéssouterraines.Siprèsqu’àuncertainmomentNaasirentenditdeuxmembresdelaFraternitédiscuter–unhommeetunefemme.
Ilpressaimmédiatementundoigtsurleslèvresd’Andromedapourqu’ellerestesilencieuse.—…Danslesgrottes.—Aucun signe jusque-là.Mais s’ilsy sont, ilsnepourrontpasnousdépasser. (Unevoixbourrue
pleined’expérience.)Touslespointsd’accèspossiblesàlachambresontétroitementsurveillés.—Cetexplorateurabienréussi,lui,réponditunefemmevisiblementplusjeune.—Shaviétaitnouveaudansnosrangsàcetteépoque.Unvraibleu.Ils’estlaissédistraire.C’esttout
aussibienquel’explorateuraitperdulaboule,ouonauraiteuunsacréproblèmesurlesbras.Unelonguepause.Naasirétaitsurlepointdebougerlorsquelaplusjeunedesdeuxrepritd’unton
quimanquaitd’assurance.
—Jemesuistoujoursinterrogéesurcepoint.Lesautresm’ontditqu’ilétaitentrélàsaind’espritetprésomptueux,pourensortirenhurlantaprèss’êtrearrachélesyeux.C’estpourcelaquenousnel’avonspastué–parcequ’ilauraitétédéshonorantdemettreàmortunfou.
Ungloussement.—Ilssesontmoquésde toi, jeunefille.On l’aépargnéparcequ’ilavaitperdu la tête,c’estvrai,
maisilnehurlaitpasounes’arrachaitpaslesyeux.—Oh.—Ilestarrivéàlavillelaplusproche,grâceàlachancequisouritauxfousetauxidiots,maisafini
catatoniqueàl’hôpitalpeudetempsaprès.Lorsqu’ils’estréveillé,unanplustard,ilavaitdestrousdemémoire,etsesdiscussionsétaientsirarementcompréhensiblesquepersonneneprêtaitattentionàsesradotages.
—LeSireluiabrouillél’esprit?demandalafemmedansunmurmured’effroi.—Cen’estpasparcequ’ilDortqu’iln’estpasconscientdumondequil’entoure.(Uncliquètement
lourdquipourrait indiquerqu’uncarreaud’arbalèterejoignaitsesfrères.)Souviens-toi,onracontequeCalianes’estlevéeavantsontempsparcequ’elleaentenduLijuanquicomplotaitlemeurtredeRaphael.
Cen’étaitpasl’exactevérité,maisladémonstrationétaitfaite.Naasirécoutapluslongtemps,maislesdeuxfrèresailéssemirentàévoquerunhommequelajeune
femmeaimeraitapprocher.Souhaitantsilencieusementbonnechanceàcettedernièredanssonentreprisedeséduction,NaasiréloignaAndromedadel’entréepourlameneràunespacequisemblaitsûr,dépourvud’odeursrécentesetassezdistantpourqu’onnelesentendepas.
Puis,leslèvrescolléesàsonoreille,illuirépétalaconversationqu’ilavaitsurprise.Setenirsiprèsd’elle,toutcontresachaleurdouceetféminine,luidonnaitenvied’arrêterdesemontrercivilisé.Ilnesouhaitaitqu’unechose:laposséder,laissers’exprimerlapartieprimitivedesonêtrequinecomprenaitpaspourquoiildevaitattendre.
Lorsqu’ellel’attiraàellepourluirépondre,ilposasamainsurunepartiedel’ailedelajeunefemmequi n’avait pas été blessée afin d’apaiser son désir.StupideGrimoire, pensa-t-il. Et encore une fois,quelquechosefrémitdanssamémoire–lesouvenirténud’unpetitlivrerougeavecundessindorésurlacouverture.
Sonespritnecessaitdeluidirequ’ill’avaitdéjàvu.Maisoù?—C’estvrai,murmuraAndromeda,quieffleuraitdeseslèvreslelobedeNaasir,faisantnaîtrede
choquantséclairsdeplaisirsurlapeaudecedernier.Lerécitdecetexplorateurétaitdécousuethaché.Presquecommeunehallucination.Jel’aiprisausérieuxpouruneseuleraison:jesavaisqu’Alexanderavaitvécudanscetteoasisquandilétaitencoreuntrèsjeuneange.
Cettevérités’étaitperduedanslesméandresdutemps,enseveliesousl’ascensiond’Alexanderetlecontrôle final de tout son territoire. Andromeda en avait connaissance parce que, cent ans plus tôt,elle avait traqué les Anciens encore de ce monde et les avait écoutés. Contrairement à Caliane etAlexander,cesAnciensn’étaientpaspuissants,maissouventavisés.
Tousceuxavec lesquels elle avaitparlé étaientdenouveauEndormis, s’étant réveillésdeconcertpourcinquanteansafinde«goûter»aunouveaumonde.Aprèsavoirdécidéqu’ilsnesouhaitaientpasyvivre,toustroisluiavaientditqu’ilslaretrouveraientdansmilleans.
—Mettezdecôtévosautresquestionspourcemoment-là,enfant.C’estplutôtcharmantd’avoirdejeunesoreillesdésireusesd’écouternoscontes.
L’undecescontesnarraitcommentilss’étaientrendusdanslamaisondel’oasisoùAlexander,toutjeuneadulte,organisaitune«fêtedeguerrier».L’hydromelcoulaitàflots,ondansaitfollement.
—Il ne nous a jamais oubliés, avait dit l’un desAnciens.Même lorsqu’il est devenuun puissantgénéral, puis un Archange. Nous étions toujours les bienvenus chez lui – qu’il s’agisse du palaisarchangéliqueoud’unecabanedechasse–etils’asseyaitavecnousetbuvaitunverreoudeux,riantenévoquantdevieilleshistoires.
Lesautresavaientopiné,leurssourirescontenantuneprofondeetsincèreaffectionpourunArchangequiétaitpoureuxl’amiauprèsduquelilsavaientgrandi.
—J’espèrequ’unjouroùnousnousréveilleronsilleseraaussi.J’aimeraispartagerunverreavecluietvoircequ’ilfaitdecemondeoùdesmachinesmétalliquesvolentdanslecieletoùunArchangenetientpascour.
Repensantà toutessesconversationsaveclesAnciens,elles’appuyade lamaincontre le torsedeNaasiretdit:
—SiAlexanderestsensibleàlaprésencedegensdanscesgrottes,alorsnoussommespeut-êtreensécurité.Iln’étaitnicapricieuxnicruel.
—Mais si c’estun systèmededéfenseautonome, commeavec les sauterelles, alorsnous finironscatatoniques,achevaNaasirdecetonbasetlégèrementgrondantquelajeunefemmeadorait.
—Devrions-nouspartiretessayerdenouséloignersuffisammentpourqueletéléphonefonctionne?—J’airatél’appelpermettantdevérifierquetoutallaitbien–Raphaelestdéjàenroute,affirma-t-il
enplaçant unemain chaude, à la peau rugueuse, sur celle qu’Andromeda avait posée sur lui.Mais seréveillerprendradu tempsàAlexander, etLijuanaun trajetpluscourt à effectuerqueRaphael.Nousn’avonspaslechoix,ilnousfautlancerleprocessusafinqu’AlexandernesoitpasimpuissantsiLijuanserendcomptequ’ilesticietarrivelapremière.
AndromedaseremémoralaformephysiquedeLijuanquiprenaitpuisperdaitdesaconsistance,sonvisage mince et ses membres amputés. L’Archange de Chine était visiblement faible, mais selon lesnouvelles qu’elle-même avait reçues de Jessamy lorsqu’elle était à Amanat on ne pouvait exclure laprobabilitéqueLijuanaittuéJariel–unangedontilsedisaitqu’ilétaitpeut-êtresuffisammentfortpourdevenirunArchange.
Etsielledevaitfrapper,Alexanderétaitactuellementsansdéfense.—Qu’attendons-nous ?demanda-t-elle àNaasir, échauffée.Allons embêterunAncien en espérant
qu’ilnenoustransformerapasenidiotsbredouillants.Le rire deNaasir était étouffé ;mais la dent qui égratigna le haut de l’oreille de la jeune femme,
acérée.—Jesavaisquetuétaismafemelle.
Chapitre36
Lijuan n’avait parcouru qu’un quart du trajet vers le palais de Rohan lorsque ses forcesl’abandonnèrent. Elle se dirigea vers le sol avant de s’y écraser, ses ailes déjà faibles, appendicesinutiles,etrepritsaformecorporelle.
Ellebrûlaitderagegisantlà,impuissante,untorsepourvud’ailesquibougeaientàpeinelorsqu’elletentaitdebasculer sur leventre.Nonpasquecelaeût faitunedifférence.Ellen’auraitpaspu ramperassez vite ; son seul bras pleinement régénéré n’avait pas plus de force que ses ailes : ses musclestremblaientaumoindreeffortphysique.
Incapable de contenir sa fureur, elle frappa l’air d’une main aux bouts rouges. Des éclats noirsjaillirent, détruisant les arbres devant elle, les réduisant en poussière.Elle eut un sursaut, puis sourit.Cettefaiblessehumilianteétaitsupportablesisescapacitésmeurtrièresretrouvaienttouteleurpuissance.UnAlexanderEndormin’auraitaucunedéfensefaceàcela.Elleétaitunedéesse,alorsqu’ilavaitpassélesquatrecentsdernièresannéesdansunétatd’inertie.
Ilauraitpulabattreaucombatlorsqu’elleétaituneangesurlepointdedevenirArchangeetquelui-même était déjà un Ancien, mais elle était maintenant plus puissante que lui. Cette fois-ci, il ne ladédaigneraitpas,cettegrandecréatureauxcheveuxdorésetauxailesd’argentquiavait refusécequed’autreshommesconvoitaient.
Pendantunmoment,ellehésita,deséchosdecette jeunefillepleined’espoir,douceet intelligenterésonnantdanssonâme.Cettejeunefillen’avaitvudanslemondequ’émerveillement.Cettejeunefillesavait qu’Alexander était une flamme qui brûlerait à travers l’éternité, un homme de guerre qui avaitacquisunesagesseincommensurableaufildesâges.
—MasuperbeZhouLijuan,disait-il,sesdoigtseffleurantlespommettesdelajeunefemme,sesyeuxargentlacaptivant.Sidélicate,forteetemplied’untelpouvoir.
Sapaumelapicotaausouvenird’avoirrefermélamainsurl’épaispoignetd’Alexander.—Pourquoineserais-tupasavecmoi?avait-elledemandé,carelleavaitremarquéqu’ill’admirait.
J’avanceraisàtescôtés,jeseraistapartenairecommetuseraislemien.Ilavaitsecouélatêteavecdouceur.—Tudoisfairetonapprentissage.Peut-êtrequenousnousretrouveronsdansseptmilleans.Lorsque
tu auras atteint ta toute-puissance et que nous serons des égaux.Aujourd’hui… je t’écraserais sans levouloir,alorsquetuesdestinéeàlagrandeur.
Septmilleans.Ilsavaientpassé,serendit-ellecomptebrutalement.Peut-êtrequeletuern’étaitpaslasolution…Safureurrevintenungrondementnoir.Nonpasparcequ’Alexanderl’avaitrejetée;elleavaitoublié
cela longtemps auparavant, était tombée follement amoureuse d’un autre homme. Durant une éternité,
Alexander n’avait été rien d’autre qu’un doux souvenir de sa jeunesse, un souvenir qui provoquait satendresseamusée.Ellen’étaitalorsqu’unegosseéblouieparunsuperbeAncien.
Non, sa fureur venait de l’idée qu’Alexander, ce Dormeur aux ailes argent de la prophétie,chercherait un jour à la détruire.Personne n’avait ce droit. Et ils n’étaient pas des égaux. Personnen’était son égal. Elle était Zhou Lijuan et elle régnerait sur le monde avant que cette Cascade soitachevée.
Rejetantlatêteenarrière,elleritpourlapremièrefoisdepuisqueRaphaell’avaitblessée.
Chapitre37
Naasirdétectadeuxpiègessupplémentairesdanslestroisheuresquisuivirent.Andromedaenperçutun autre, alertée par un changement dans les courants d’air qu’il avait lui-même écartés comme étantnaturels.Ils’avéraquec’étaitunvieuxtourquelajeunefemmeavaitapprisdansunlivre.
—Tudevraislireplus,letaquina-t-ellelorsqu’ilmarmonnaausujetdupiègeraté.—Tupeuxmefairelalecture.J’aimeécouterleshistoires.—Comptesurmoi.Mêmedans l’obscurité, ilvit la tristessedesonexpression, sutqu’une foisencoreelle luicachait
quelquechose.Frustrédenepouvoirmettrecettesituationauclairsur-le-champ,ilsepenchaetmordilladenouveausonoreille.
Ellesursautaetlerepoussa.—Arrêteça,prévint-elle, leregardnoir.Nousdiscuteronsplustarddecettehabitudequetuasde
mordre.—Le jouroùnousdiscuteronsdecelleque tu asdegarderdes secrets, rétorqua-t-il pourvoir le
visagedelajeunefemmes’effondrer.Lestunnelscommencentàdescendrerégulièrement.—Sinous tombons surun frèreailé,ne le tuepasoune leblessepas,dit-elled’un tonpressant.
Imagine qu’Alexander nous observe d’unemanière ou d’une autre : cela le retournera immédiatementcontrenous.
Naasirserenfrogna.—J’avaisprévudelesassommer.—Onpourraitlesattacheretlesbâillonner.Ilyauntee-shirtdanslesac,onn’aqu’àledéchireren
bandes.Naasir n’était pas convaincu que de telles mesures seraient efficaces contre des hommes et des
femmes autant entraînés que les frères ailés, mais savait qu’elle avait raison : risquer de mettreAlexanderencolèren’étaitpasjudicieux.Lesimplefaitd’attacheretderéduireausilencelessentinellesrisquaitd’êtreinterprétécommeuneattaque,risquequ’illeurfallaitcourir.
Ilsetournasurlecôtéafindeluiprésenterlesac.—Donne-moiletee-shirt,luidemanda-t-il.Lorsqu’elleleplaçadanssamain,illecoupasilencieusementdesesgriffes.Elleenfouitlesbandes
dansunepochesurlecôté,àl’aveuglette.Ilavaitdenouveauenviedel’embrasser.Ildétestaitêtrelà,sousterre,etpourtant,ilvoyaitdansle
noir.Celadevaitêtrecentfoispirepourelle,maiselleneflanchaitpas.—Prête?—Onyva.
Doigtsenlacés, ils reprirent leur route. Ils tombèrentsurd’autrespièges,notammentunqueNaasirdéclencha pour qu’ils puissent passer. Une centaine de carreaux d’arbalète se fichèrent dans le muropposéavecuneforcemeurtrièreunefractiondesecondeaprèsqu’ileutprovoquélemécanismeetsefutmis hors du chemin. Quand tous les carreaux furent passés, Naasir rampa dessous, tandis qu’uneAndromedaanxieuse l’attendaitde l’autrecôté. Ilpoussait le sacdevant lui aucasoùdesdétonateursauraientétédissimulésdanslesoldutunnel.
Ils s’arrêtèrent ensuite un court moment, burent à la bouteille et avalèrent de la nourrituredéshydratée.Dieumerci,ilsavaientpréparédesréservesdanslesdeuxsacs.
—Plusdeviandeséchée,marmonnaAndromedaenlaluitendant.Jeprendrailesnoixetlesfruitssecs.
Ildécidaquecelaneposaitpasdeproblème,puisqu’elleenavaitmangé lorsqu’ilsétaientencoredehors.MâcherlaviandecaoutchouteuseneprocuraaucunplaisiràNaasir,maisc’étaitducarburantetcelaluipermettraitdetenirsansboiredusangpendantunmoment.
Ilfitpasserletoutavecl’eau,selevaetaidasapartenaireàseredresser.—Onn’estplustrèsloindubutmaintenant.—Tantmieux.Jesuisimpatiente.(Unsourirequiilluminalesombres.)Noussommesprobablement
surlepointderéveillerunAncien.Àlaminuteprésente,jenemesouciemêmepasqu’ilpuisseêtreencolère.
Frottantsonnezcontreelle,ilsourit.—Sauvage,sanspeuretunpeurebelle.Parfaite.Lesyeuxpétillants,Andromedasemorditlalèvreinférieurecommepourréprimerunrire.Ilavaitenviedegronder.Selonlui,lesvœuxdecélibatauraientdûêtreinterditsparlaloi.Quoiqu’ilensoit,danslamesure
oùAndromedas’yétaitsoumise,illerespecteraitparcequel’honneurdelajeunefemmeétaitimportantet qu’il ne le lui volerait pas. En revanche, il serait heureux de mettre un terme à cette situation entrouvantcestupidelivrerouge.
—Finissons-en.Afinqu’ilselanceàlarechercheduGrimoire.Ilsseremirentàmarchercôteàcôtejusqu’àcequ’ilsenteunautreêtrevivant,hormiseux-mêmeset
quelquesinsectesdebonnetailledetempsàautre.Iln’avaitpasmentionnéceux-ciàsafemelle–elleétaitendurcie,mais ilavaitvudesguerriersexpérimentés,hommeoufemme, tremblerà lapenséedesinsectes. Il testerait la toléranced’Andromedaplus tard, lorsqu’ilsneseraientpaspiégéssous terreetqu’elleneseraitpasaveugle.
Ilrelâchasamain,touchasonvisagepourlarassurer,puisposalesacausoletcontinuatoutseul.Unfrèreailésetenaitàl’entréed’unepetitegrotte,scrutantsansrelâcheletunnel.Ilbrandissaitunearbalète,prêtàtirer.Celui-cin’avaitriend’unbleu.
QuandNaasirrejoignitAndromeda,elleavaitlesouffleplushachéqu’auparavant,maisn’avaitpaschangédeposition.Ill’étreignit,posasamainsurlanuquedelajeunefemmeetluiparladirectementàl’oreille.
— Ils sont deux. L’un est dans la grotte, l’autre garde son entrée. Je peux neutraliser ce dernierrelativementsilencieusement.Tulebâillonnesetl’attaches.
Elleacquiesça.—Siceluiquiestàl’intérieurentend,ilfaudraquej’assommelepremierenespérantqu’Alexander
comprendramongeste–notreseulavantageestl’effetdesurprise.Andromedaluitouchalamâchoire.Sesdoigtscoururentjusqu’àsespaupières.
— Oui, répondit-il. Ils peuvent voir dans le noir. Ils ont des lunettes à infrarouge. (Son visagecaressaitceluidelajeunefemme.)Ont’envoleraunepaire.Lesgardesserontsecourusbienasseztôt.
Cenefutqu’unefoisNaasirpartiqu’Andromedasongeaqu’elleseraitincapabledesavoirs’ilavaitneutralisélefrèreailéetoù.Passansqu’ill’alerte.Deplus,danslamesureoùlesdeuxgardesportaientdeslunettesdevisiondenuit,siellebougeait,ellerisquaitdetrahirNaasir.Pourautant,ellenevoulaitpasqu’ilsoitseullà-bas.
Semordantlalèvre,elleseconcentraetdiscernaunfiletdelumièreextrêmementténu.Cen’étaitpassuffisantpourluipermettedevoir,maispeut-êtrequ’enserapprochant…Elleétaitsurlepointdesortirson épée et d’avancer le plus discrètement possible lorsqu’elle sentit quelque chose la frapperlégèrementàlapoitrine.Elleneparvintpasàattraperl’objet,maisquandellesemitàgenouxetfouillalesolsablonneux,sesdoigtsglissèrentsurlacourbedistinctivedelunettes.
Ellelesenfilaaussitôt.Lemondeautourd’ellefutsoudainteintéd’unvertsurnaturel;lavueluiétaitrevenue.
Naasiravaittirésoncaptifjusque-là.Ils’étaitdébrouillépourconserversaprisesurluietleréduireau silencemêmequand il avait lancé les lunettes àAndromeda.Cettedernière rejoignit soncomparsesansunbruitpourl’aideràbâillonneretattacherlefrèreailédontlesyeuxétincelaientdecolère.
Cette tâcheune fois accomplie,Naasir sautaauplafondavecune telle facilitéqu’elle s’enétouffapresque. Il lui adressa un clin d’œil et s’engagea dans la caverne.Quant à elle, ellemarchait le plusfurtivement possible.Elle nequitta pasNaasir desyeuxquand il se laissa tomber au sol et neutralisal’autregarded’unemainsursaboucheetdegriffessursagorge.Ilplaquaausoll’hommearmé,écrasésoussonpoids.
Andromeda se précipita pour ligoter et bâillonner le frère ailé. Après quoi, elle murmura à sonoreille:
—Jesuisdésolée.—Andi.ElleserelevaenentendantsonnomprononcéàvoixbasseettraversalagrottepourrejoindreNaasir.
Il se tenaità l’entréedecequi semblaitêtreun tunneldescendant.Lorsqu’elle repoussaun instant seslunettes,ellen’eutplusaucundoute :c’était là lasourcede lafaible lumièreambiante–ellesemblaitirradierdelapierrebrutedesmurs.
Lunettesdenouveauenplace,ellerelâchaunsouffletremblant.—Oui,çadoitêtreça.—Commenceàvérifiers’ilyadespièges.Jevaisrécupérerlesac.Cefutfinalementellequiletrouva,aprèscinqminutesatrocementlonguesdurantlesquellesNaasir
eutàreficelerungardequis’étaitpresquedébarrassédesesliens.Aucoursdelarixe,Naasirdécouvritquelesolétaitenréalitéunfaux,conçupours’effondrersilesfrèresailésactivaientlepiège.
Selon lahauteurde lachute, elleavait sûrementpourconséquence la fractured’uncertainnombred’os.C’est-à-dire,sil’éboulementprévudanslabouchedutunnelnevousavaitpasdéjàécrasé.
—Jecommenceàéprouverdelacompassionpourtouslesexplorateursdecescavitéssouterraines,marmonnaAndromedaendébarrassantsesbrasde lapoussièredont ilsétaient recouvertsaprèsqu’ilseurentpénétrédansletunnelsansdéclencherlepiège.
Puisilsprovoquèrentvolontairementl’éboulementdesrocspourralentirleurspoursuivants.Lessentinellesd’Alexanderavaientsûrementd’autresmoyensd’accès,maisaumoinsNaasiretelle
n’auraientpasàs’inquiéterd’undangerseprésentantdansleurdos–depuiscepassage-làentoutcas.
—Jesaisqu’ilsvontselancerànotrepoursuite,maisjenepeuxm’empêchermalgrétoutd’espérerquelesfrèresailésn’aurontpasàattendrelessecourstroplongtempsdanslenoir.
—Tuaslecœurtendre,ditNaasiravecunsourireindulgent.Ilfaudraquejeveilleàcequelesgensneprofitentpasdetoi.
Elleauraitdûlemorigéner,maissoncœurfondit.Naasirsemblaitsiheureuxdesechargerdecettetâche.Etcommeilattendaitd’ellequ’ellesebatteàsescôtésetutilisesescompétencesquandc’étaitnécessaire,cen’étaitpascommes’ilsemontraitcondescendant.Non,ilétait justeprotecteurenverslafemmequ’ilsouhaitaitfairesienne.
Elle rougitdehonte, lagorgenouée.Elleétait soulagéequ’il aitdétourné lesyeuxetnepuisse lavoir.Elleauraitdûluidirequ’elleneseraitpascettefemme-là,maislesmotsrefusaientdesortir.Ellevoulaitpréserverl’illusion;tantqu’ellenediraitrien,cetteréalitén’existeraitpas.
Devantelle,Naasirlevalamain.Elles’arrêta.Maislegardelesavaitdéjàrepérés.Avantqu’ilsneparviennentàserendremaîtresdelui,ilavait
lancéuncripuissant.Despasmartelèrentlesolvenantdeplusieursdirectionsdifférentes.Abandonnanttoute discrétion,Andromeda etNaasir s’élancèrent. Les ailes de la jeune femme saignaient beaucoup,s’accrochaientauxparoisdel’étroitpassage.Naasirlatenaitfermementparlamain.
Lorsqu’ill’attiradansunepetitegrotteetluiindiqualemécanismed’unautreéboulement,ellesortitson épée et le déclencha. Les pierres s’effondrèrent dans un fracas retentissant et un épais nuage depoussière.
Toussantentresesmainsàcausedesfinesparticulesqu’elleavaitrespirées,AndromedalevalatêteversNaasir.
—Etmaintenant?Ilneluiauraitpasdemandédeprovoquerl’ébouliss’illespiégeait;elleensavaitassezsursessens
pourdevinerqu’ilavaitvu,sentiouentenduquelquechosedontellen’avaitpaseuconscience.—Parlà.Elle suivit la tracede ses pas dans le sable pour se retrouver devant un autre tunnel auxmurs de
pierresbrutesquipulsaientdecettelueurétrange.Seulement,cettefois-ci,lapentedutunnelétaitsiraidequ’elledescendaitpresqueverticalementetlesolétaitlisseetbrillant.
—Bonsang,marmonna-t-elleenrengainantsonépée.Jepasseraienpremier.Tumesuivrasetmepousserassimesailessecoincent.
Naasirsecoualatête.—Non.Jenem’étaispasrenducomptedelaraideurdelapente.Noustrouveronsunautrechemin.Quanddesbruitsenprovenancede l’entréede lagrotteparvinrentauxoreillesd’Andromeda,elle
compritquel’amasdepierresneretiendraitpaslongtempsleurspoursuivants.Ellepoussaunlongsoupiretramenaderrièresonoreilledesmèchesdesescheveuxbouclésquis’étaientéchappéesdesanatte.
—Aucunmoyen d’y parvenir sans tuer un grand nombre de frères ailés – je ne pense pas qu’ilssoientencored’humeuràdiscuter.
—Tesailessontdéjàtrèsabîmées,grogna-t-ileneffleurantunepartieencoreintacte.Tupourraistecasserquelquechose.
D’unelégèrecaresseàlamâchoire,ellelerassura.—Celaguérira.Elles’introduisitdansletunnel,jetaunderniercoupd’œilauvisagebien-aimédanssondos,replia
sesailesaussiserréquepossibleetrelâchasaprisesurlesbordsextérieursdumur.Elledévalaitleconduitens’éraflantlapeauetens’arrachantdesplumescontrelesparois.L’effluve
dusangparfumal’air.Ellerefoulaseslarmesdedouleur.Lesdégâtsimposésàunechairsisensiblela
lancinaient.Puisellebasculapiedsenavantdansunfossédesableetroulaaussitôtsurlecôté.Lesacarrivaàbonportquelquessecondesplustard.Enfin,Naasiratterritàsoncôtéàquatrepattes.Ilseprécipitaversl’endroitoùAndromedagisaitsurleventre,àessayerdesurmontersaviolente
douleurpourrespirer.Illuieffleuralatêteetsebaissapourfrottersonnezcontreelle.—Onyestpresque.S’accrochantàlatendressedecethomme,ellesemitàquatrepattes,avantdes’asseoirlentement.
Auboutducompte,ellen’étaitpasparvenueàrefoulerseslarmes.Lesables’yétaitcollé.Sonsouffleluiéchappaitenpetitshoquets.Entempsnormal,elleseseraitsentiehumiliéequ’onlavoiecommeça…maispasavecNaasir.
Naasirnepenseraitjamais,augrandjamais,àutilisersasouffrancepourlarabaisser.Ilpritlevisagedelajeunefemmeentresesmainsetcollasonnezausien.—Tuestrèscourageuse,déclara-t-ilavecfierté,sesyeuxargentluisantdansl’obscurité.—Toiaussi,répondit-elleenprenantentresesdoigtstremblantslespoignetsdeNaasir.Alexander
feraitmieuxdenepasnousabattreaprèstoutça.Unsourireféroceetilseremitsurpiedavantdeluitendrelamainpourl’aideràseredresser.Quand
sesblessurescuisantesnemenacèrentplusdelafaires’effondrer,elleétudialeslieux.Ilsétaientaufondd’unecuveenpierrepoliequinesemblaitprésenteraucuneissue.LesbordsenétaientsilissesquelesgriffesdeNaasirn’auraientaucunechancedes’yaccrocher.
—Jepourraisvoler,dit-elle,carsisesailesétaientgrièvementendommagées,elles laporteraientmalgrétout.Pourvoirs’ilyaunesortieparlehaut.
Naasirrefusa.Mêmeàtraverslavisionteintéeofferteparleslunettes, lemétalvifdesescheveuxressemblaitàdumercureliquide.
—Lesonn’estpasnormalici.Ils’accroupitetposaunemainsurlesable,l’autresursacuisseetinclinalatête.Andromedarestaimmobile.Ellescrutaitminutieusementtoutcequitraversaitsonchampdevision.
LorsqueNaasirchangeadeposition,elleexaminalesmursderrièreelle.Sesyeuxs’écarquillèrent.—Naasir.—Ilyaunmoyendesortird’ici,grommela-t-il,têtetoujoursinclinée.Jepeuxl’entendre.Elleseprécipitaverslemurquiluifaisaitface.—Tunevoispas?Ilvint larejoindre.Unefoisplusprèsde laparoi, ilpassasesdoigtssur lesfines lignescreusées
danslapierre.—C’estunfragmentd’undessinplusgrand.—Oui.Elle recula jusqu’à l’extrémité de la grotte. Des parties du dessin avaient été érodées, mais
Andromedaendiscernaitmalgrétoutl’ensemble.—Uncorbeau.Crééàpartirdemyriadesd’imagesentrelacéesquireprésentaientcetteterre.—Lachambred’Alexanderdoitêtre…Lesolgrondacommeunchienpeudisposéàrelâchersaproie.Naasirlapritdanssesbrasalorsquelespierress’effondraientautourd’eux…puislesoldisparutet
ilstombèrentàunevitesseàcouperlesouffle.—Déploietesailes!hurlaNaasir,sesbrassedétendantcommes’ils’apprêtaitàlarelâcher.Elles’accrochaàluid’unepoignedefer.
—Jenepeuxpas!Quelquechosenousaspireverslebas!Lapression intensemenaçaitd’écraser lespetitsosdesesailes.Cesderniersétaientextrêmement
forts, conçus par la nature pour lamaintenir en vol,mais à laminute présente, elle avait le sentimentqu’ilsétaientàquelquessecondesdecéder.
—Nemelâchepas!—Net’enfaispas.Sescheveuxargentrejetésenarrière,ilessayadetendrelecoupourmieuxvoircequidéfilaitautour
d’eux,maiscettefollepressionétaittropfortepourluiautorisercemouvement.Soudain, Andromeda sentit que l’air se réchauffait. Comprenant ce qu’il se passait, sa gorge
s’assécha.Elleparvintàinclinersuffisammentlatêtepourregarderplusbas.Audébut,ellenediscernarien.Cenefutqu’àcemoment-làqu’ellecompritqueleventavaitarraché
leslunettesàsonvisage.MaiselleavaitpudistinguerNaasir…etcen’étaitpasgrâceàlaluminescencedesmurs.
Unelueurrougeenfusionentralentementdansleurchampdevision,pluschaudeàchaquesecondedeleurchute.
—Lepuitsdelave,devina-t-elle.—Jelevois.Essaiedenouveautesailes,Andi.LasensationdusouffledeNaasirsurlapeaudelajeunefemmeétaitintense,mêmeaveccevent.Elleessayasi fortqu’elleeut lesentimentque lesvaisseauxsanguinsdesesyeuxavaientexplosé,
maisc’étaitinutile.Lorsqu’ellesecoualatête,Naasirgronda.—Mafemelleessaiedesauvervotrefoutuevie,Archange!La chaleur commençait à les brûler, bien que le chaudron bouille beaucoup plus bas.Andromeda
compritalorsquelamortviendraitbienavantqu’ilsnes’approchentmêmedelasurfacedelalave.Lachaleur liquéfierait leurs organes internes et fondrait leur chair sur leurs os avant que cesmêmes oscraquentettombentenpoussière.
Ilsfiniraientdésintégrés,carl’immortalitéabsolueappartenaitaudomainedumythe.Comptetenudesarésurrection,ilétaitpossiblequeLijuanaitatteintceniveaud’évolution.Andromedaétaittropjeunepoursurvivreneserait-cequ’àlamoitiédecequiétaitsurlepointdeseproduire,tandisqueNaasir…Elleneconnaissaitpasseslimites,maissavaitqu’ellerefusaitdeleregardermourir.
—Alexander,cria-t-ellededésespoir.Vousêtescenséêtreunhommeavisé!Lasemelledesesbottesfondit,lesplumesauboutdesesailescommencèrentàroussir.L’airchaud
etsecmenaçaitdecalcinersespoumons.—Non,c’estunidiot!tonnarageusementNaasir.Etilss’arrêtèrentdansunsursautaumilieudesairs.
Chapitre38
Lesyeuxécarquillés,Andromedaétirasesailes.Ellesbougeaient,maislajeunefemmesavaitsansavoirbesoind’essayerque,sielletentaitdevoler,elleseraitdenouveauaspiréeverslebas.Ellen’enavaitpas lavolontéde toute façon,carellen’avaitpas la forcenécessairepoursouleverNaasiravecelle.Ellegardalesbrasserrésautourdelasilhouettemuscléedesonpartenaire.Tousdeuxregardaientdanstouteslesdirections.
Iln’yavaitriendansceboyaudepierre.Riend’autrequ’euxetlalavebouillonnante,voracesouseux.Lecœurd’Andromedabattaitàtoutrompreetchaquesouffleluicoûtait.
—Jepensequetuasattirésonattention,parvint-ellemalgrétoutàdire.Naasirmontralesdents.—Tuesmieuxéduquée–àtoidemenerladiscussion.Desgeysersfusèrentdelalave,commesiAlexanderperdaitpatience.—Archange,commença-t-elleens’adressantàlalave.Lemondeestenpleinmilieud’uneCascade
etlapuissancedesmembresduCadreactuels’embraseviolemment.Lalavebouillitetuneéruptiond’innombrablesgeyserss’élevatandisquelecoupledégringolaitde
nouveaud’unmètre.Lachaleurbrûlaitlaplantedespiedsdelajeunefemmeàtraverssesbottesenlambeaux.Naasir poussa un grognement plus féroce que jamais qui se répercuta sur la pierre pour résonner
jusquedanssesos.—LijuanveutvoustuerdansvotreSommeil,vieuxsalaudbuté!Ellecroitêtreunedéesse.Andromeda grimaça. Alexander avait été un Archange avisé, certes, mais aussi doté d’un
tempéramentdefeu.Lapierregronda,maisilsnetombèrentpasplusbas.— Il rit, murmura Andromeda, incrédule. (De quoi la faire sortir de ses gonds.) Écoutez, satané
Archange,Lijuann’estpluscelledontvousvoussouvenez!Elleaperdul’espritetelleestcapabledevoustuer–pendantquevousDormiez,elleestdevenuel’ArchangedelaMort.
AndromedasentitlachaleurémanantdelapeaudeNaasirtandisquelatempératureaugmentait.Uneodeurdechairbrûléemontaitdansl’air.Pasquelasienne.Non.Non.
—Mêmesivoussurvivez,vossentinellesn’aurontpascettechance!NaasirluiappartenaitautantquelaFraternitéappartenaitàAlexander–ilsvalaientlapeinequ’onse
batteetqu’onmeurepoureux.Ellereprit:— Vos hommes et femmes de troupe qui n’ont pas brisé leur serment pendant quatre cents ans
trouverontlamortlesunsaprèslesautresdansdesdouleursatrocesplutôtquedevousabandonner!
Ellehurlaquandilstombèrentdenouveau.L’odeurdesesailesenflamméesemplitl’air.Elleavaitlesentimentquesonsangétaitàdeuxdoigtsdebouillir,sesyeuxsichaudsqu’elleneparvenaitpasàleslaisserouverts.
LavoixdeNaasirn’avaitplusriend’humain,ils’exprimaitd’unemanièregutturale.—Jereviendraid’entrelesmorts,vieillerelique,pourpourchassertonculimmortelsitut’enprends
àmafemelle!—LaFraternité,parvintàmurmurerAndromeda,certainequelelienqu’Alexanderentretenaitavec
sessentinellesétaitleurseulespoirdel’atteindre.Naasir appuya sa joue contre celle de la jeune femme, essayant de courber son corps autant que
possibleautourdusien.—Quantàvosgardes,Lijuanpourraitbiendéciderd’enfairedesRessuscités.Desmorts-vivantsse
traînant,affamésdechair.Vousn’êtespasunSiresivouspermettezcela!Toutàcoup,ilsfurentcatapultésverslehautàlamêmevitessesuicidairequ’ilsavaientétéattirés
verslebas.Toujoursplushaut, jusqu’àcequel’airsoitfraisetqu’il leursoitdenouveaupossiblederespirer.
Lavoix,lorsqu’elleretentit,étaitpartout.Jemeréveille.Préparez-vousàlabataille.
AndromedaetNaasirseretrouvèrentpropulséshorsdutunnelventéetjetéssurlesolsablonneuxde
lachambredepierre.Legouffrequilesavaitavalésserefermasansaucunheurt.Riennemontraitqu’ilsesoitjamaistrouvélà.
Naasirserelevaavecunegrâcefélineavantdes’accroupirdevantAndromedaquis’asseyait.Illuipassalamaindanslescheveux,puis,avecunegrandedouceur,surl’arcdesesailes–c’étaitunezoneàlasensibilitéexacerbée.Lecontactenétait intime,maiselleenfouit levisagecontresapoitrine,ayantbesoindesatendresse,nesouhaitantriend’autrequ’êtreprèsdelui.
Lamort,avait-ellecomprisdanscetunnel,pouvaitsurveniràn’importequelmoment.—Embrasse-moi,dit-elleenlevantlatêteverslevisaged’unemasculinitéprimitivedeNaasir.Sila
mortarrive,jeveuxavoirconnutesbaisers.Aulieudequoi,illuimordilladurementlalèvreinférieure.—Ons’embrasseraunefoisquej’auraitrouvétonstupideGrimoire.Lefrontplissé,lajeunefemmesecoualatête.—OublieleGrimoire.Naasirattrapasonmentonetplantasesyeux–sienvoûtantsetsuperbes–dansceuxdel’érudite.—Tonhonneurcomptepourtoi.Comptepourtoncœur.Tuel’unetjetuerail’autre.Elle se mit alors à pleurer, car il connaissait son cœur. Il l’enlaça, son souffle contre la joue
d’Andromedatandisquedesonvisageilcaressaitlesien,maisellesavaitqu’ilsn’avaientpasletempspour la tristesse.Volantun instant supplémentairede sa chaleur,de sa forceetde saviolence, elle seremitsurpied.
La plante de ces derniers était sévèrement brûlée, provoquant une douleur intolérable, mais ellesentaitdéjàquesoncorps tentaitdeguérir sesblessures.Plus important, elleparvenaitàmarcher tantqu’elleneseconcentraitpassurlapulsationdesouffrance.
—Mesailesdevraientmeportersurdecourtespériodes,dit-elleenlesétirant.Jepeuxvolerplushaut,rechercherunesortie.
LesyeuxdeNaasirflambaientd’unargentliquidetandisqu’ilprenaitlamesuredesplumesnoirciesetbrûléesdelajeunefemme,maisilopina.
—Vas-y.Jevaisregarderparici.Ilyaencorequelquechosequiclochedanscescourantsd’air.Cene futque lorsqu’il se tournaqu’elledécouvrit sondos.Uncripeiné luiéchappaetelle tendit
instinctivementlamainavantdelaretirerdepeurquelecontactnesoitdouloureuxpourlui.—Tondos,dit-elled’unevoixtremblantederage.Alexandert’ablessé.Le tee-shirt de Naasir était presque totalement brûlé sur ce côté de son corps, exposant sa peau
carbonisée.Il pivota pour lui faire face, prit sa joue en coupe, son pouce effleurant la pommette de la jeune
femme.—Cen’estqu’unebrûluresuperficielle.Elleauradisparud’iciquelquesheures.Vieuxetfort,serappela-t-elle.Plusâgéetpluspuissantqu’elle,ilétaitunechimèrelégendaire.—Est-cevraiquetupeuxguériraussibien,voiremieuxqu’unange?C’étaitundétailsurlequelelleétaittombéedurantsesétudessurlescréaturesmythiques.—Oui.Ilsepenchaenavantetfrottasonnezcontreceluidelajeunefemmecommeill’avaitfaitàlafinde
leurchevauchéedansletunnel.—Jetediraitoutsurleschimèresquandnousseronssortisd’ici.Ellesentitses lèvress’incurveràcettepromesse–commes’il luioffraitunerécompense.Etpour
dire la vérité, c’était bien le cas : elle était une érudite, adorait les informations nouvelles…et cettechimèresauvageavaitcompriscelaparcequ’illaregardaitetvoyaitquielleétait.
—Jetelerappellerai.Elle déploya ses ailes tandis qu’il souriait, et s’éleva dans les airs. Les décollages verticaux
demandaientplusdeforcequ’unesimpleenvolée,maisgrâceàl’entraînementdrastiqueauquelDaharieletGalenl’avaientsoumise,ellenerencontraitgénéralementpasdeproblèmespouryarriver.Cejour-là,malgrétout,elleavaitlasensationquedesmilliersdepetitesépinglesrentraientdanschaquecentimètredesesailes,essayantdelaclouerausol.
Elle serra les dents, refusant d’échouer, et prit de l’altitude.Elle commença à décrire des cerclesdans lesairs.Hormis cettepente abrupte impossible à remonter sur laquelle ils avaientglissé jusqu’àcettefosse,ilnesemblaitpasyavoird’autresfissuresoubouchesdetunnel.
Elles’élevaplushaut.
Naasirobservalajeunefemme,s’assurantquesonvolétaitstableavantd’arracherleslambeauxdesesbottesinutiles.Puisilrôdadanslasalleàlarecherched’uneissue.Quelquechoseclochaitdanslescourantsd’airdelapièce.Sursapeau,sesrayuresondulaientdoucement.Enrevanche,lafinecouchedefourrurequiapparaissaitàl’occasionsursapeaun’étaitpasvisible,àmoinsquequelqu’unnelecaresseexactementaubonmoment.
Peut-êtreneparlerait-ilpasàAndromedadecetteparticularité–illalaisseraitladécouvrirunjourqu’ilsjoueraientnus.Celaneposeraitpasdeproblèmesàlajeunefemme,illesavaitmaintenant.Ellel’aimait, bien qu’il ne soit en aucun cas « normal ».Non, ce n’était pas tout à fait ça.Andromedanel’aimaitpasmalgrésanatureinhabituelle.C’étaitjustequ’ellel’aimait,lui.
Mêmelorsqu’ellelefusillaitduregard,ellel’aimait.Ilsetintàdifférentsendroitsdelafosse,assimilantcettecertitudejusqu’auplusprofonddesonêtre,
puis il se concentra sur les courants d’air qui traversaient le silo. Lorsqu’il sentit qu’Andromedacommençaitàdescendre,illevalatête.
—Peux-turesterenl’airunpeupluslongtemps?Sonatterrissageperturberaitl’airquis’étaitcalméaprèssondécollage.
Elleacquiesçaetcommençaàdécriredelentscerclesau-dessusdelui.Naasircompritquemaintenirune position stationnaire lui était trop douloureux.Les pieds brûlés et les ailes écorchées de la jeunefemmeluidonnaientenviederugir.Ilserralamâchoireetsedirigeaversuncoinparticulierdumur.Là,l’airétaitplusfrais,sedéplaçaitplusvite.
—Andi.SurungestedeNaasir,elleseposadélicatement.Ellesedébarrassaàsontourdecequ’ilrestaitde
sesbottespuisclopinajusqu’aumur.—Quevois-tu?(Ellecillabrusquement,lecorpsfigé.)Etpourquoimoi,jesuiscapabledevoir?Naasir,pourquil’obscuritén’étaitpasunproblème,n’avaitpasremarquéqu’ellen’étaitplustotale.
Laluminescencedesmursavaitcrûenintensité.—Alexander.—Jesupposequecelaveutdirequ’ilnousaimebien,finalement.—Pasassezpournousguiderhorsd’ici.—Iln’ajamaiseularéputationd’êtreunArchangefacile.Grognantsonassentiment,Naasircommençaàpasserlapaumelelongdeslignesoùilavaitsentiun
airplusfrais.—Ilyauneporteici.Andromedasemitàgenouxpourexaminerlemurauniveaudusol.—Parfois,lepointdepressionestcachéplusbas,làoùlesgenssontmoinssusceptiblesde…Sesdoigtsglissèrentsurunlégerrebord.Il vint la rejoindre, confirma que lui aussi pouvait le sentir. Posant un doigt contre lamarque, il
appuya.Pasdeporte.Aucuneffet.—Jepensequ’ilfautqu’onentrouvedeux,ditAndromeda.Ellerepensaitàunancienmécanismedeportequ’elleavaitdécouvertdansunlivred’histoire.—Espéronsqu’ilnefautpasappuyerselonunrythmeprécis,ajouta-t-elle.— Alexander peut se contenter de jeter ceux qu’il n’apprécie pas dans une fosse bouillonnante,
soulignaNaasiravecunhaussementd’épaules.Ceuxquisontautorisésàvivredevraientsevoiroffrirlemoyendesortirdelà.
—Bienvu.AndromedadécouvritlesecondpointenmêmetempsqueNaasir.—Jel’ai.Touchantl’endroitqu’illuiindiquait,elleopina.—Jepousserailà,ettoiici.Lorsqu’ilnesepassarien,soncœurseserra.L’idéed’êtreenterréevivanteétaituncauchemar.Ungrondementdurbrisal’airlasecondesuivante.Desgrainsdepoussièrebrillaientdanslalumière.Andromedaseleva.Sespiedsétaientlégèrementmoinsdouloureux.EllepritNaasirparlamain.Ils
reculèrent au cas où le mécanisme ouvrirait la porte vers l’intérieur, mais lorsqu’elle bougea enfin,ce futvers l’extérieurde la fosse.Un tunnelapparut,gris,emplid’épaisses toilesd’araignéeprouvantquepersonnenel’avaittraversédepuisdessiècles.Maislesmursluisaientdelamêmeluminescencequelachambrecentrale.
—Jedétestelestoilesd’araignée.Elless’accrochaientobstinémentàsesplumes.Ces toiles-làétaient siépaissesqu’ellespourraient
mêmeaffectersacapacitéàvolerunefoisqu’ilsseraientsortisdesgrottes.Naasiraffichadenouveaucesourireaffectueuxquilafrappaitdroitaucœur.
—Jepasseraienpremieretnettoieraipourtoi.Ilavançad’unpasetcommençaàjouerdesesgriffespourarracherlamassecollante.Épéeenmain,ellesechargeaitdesfilamentsqu’ilavaitratés.Àeuxdeux,ilsparvinrentàépargner
engrandepartiesesailes.—Jefaisdemonmieuxpournepaspenserauxaraignéesquilesonttissées,ouàcequivientjuste
demerampersurlepied,avoualajeunefemmeenfrissonnant.—Tun’aimespaslesinsectes?—Pasceuxquiontplusdesixpattes.Oudescoquilles.Oudesantennes.Ilgloussaetilsseremirentenroute.Ilsavaientlasensationd’avoirarpentéletunnelpendantdeux
heures sur leurs pieds brûlés avant qu’il ne les recrache dans une petite grotte offrant la mêmeluminescencequiavaitéclairéleurspasjusque-là.Comptetenudumanquedelumièrenaturelle,ilétaitévidentqu’ilsavaientpénétréenprofondeurdanslescavitéssouterraines.
Oùilsrisquaientderesteràtoutjamaisàcausedesfrèresailésfurieuxquilesattendaient,arbalèteaupoing.
Troisheuresaprèslarencontretendueàl’extérieurdelachambred’Alexander,lanuitétaittombéesur l’oasis et les frères ailés étaient informés de ce qui s’annonçait. La nouvelle du réveil de leurArchangeavaitprovoquéunevagued’émerveillementchezlesplusjeunesmembresdelaFraternité,dontlesyeuxétaientécarquillés.Lesplusâgésbrûlaientd’unesombrejoie.
—JesuisheureuxdesavoirquejevaisrevoirleSire.J’auraisseulementpréféréquesonSommeilnesoitpas interrompudemanièresiprécipitée. Iln’avaitpasprévudese réveilleravantdesmilliersd’années.
L’émotionfermementmaîtriséedanslavoixdeTarektémoignaitdelaloyautéqu’Alexanderinspiraitàseshommes.
Le chef de la Fraternité partageait un repas avec Naasir et Andromeda sous le ciel étoilé. Cettedernièreétaitsurlepointdeprendrelaparolepourluiposerdesquestionssursonlongservice,quandunéclaireurarrivaencourant.Ils’avéraquelestéléphonesdesfrèresailésnemarchaientpasnonplusici–ilscommuniquaientavecl’extérieurdepuisunbunkersecretquisetrouvaitàunedistanceconsidérabledel’oasis.
Ce qui n’était d’aucune utilité à la minute présente. Tous les systèmes de communication avaientcessédefonctionnerpeudetempsaprèsqu’AlexanderavaitannoncéàNaasiretAndromedaqu’ilétaitsurlepointdes’éveiller.D’aprèscequelaFraternitéavaitpudéterminer, leterritoiretoutentierétaittouché et cela s’étendait peut-être plus loin encore. Les informations circulaient grâce à un relais decoureursetdevieuxsignauxlumineuxétablisselonuncodedelaFraternité.
—Le combat continue au palais, annonça l’éclaireur en acceptant une bouteille d’eau qu’il avalad’untrait.IlsemblequeRohanaitrappelétoussesescadronsetsestroupesausolavantl’attaque.
—Grâceàvotremiseengarde,précisaTarek.LesyeuxdeNaasirluisirentdansl’obscurité.—Quialedessus?—RohanetXisontdeforceségales.Lecombats’enlise.Andromedasavaitquecelanedureraitpas.—LijuanferapencherlabalanceàmoinsqueFavashinerevienneàtemps.L’ArchangedePersedevaitêtreinforméedel’assaut,commeilavaitétélancéavantleblack-outdes
communications.UneveinepulsaitàlatempedeTarekdontlepoingserréreposaitsurlatable.
—Nousnepouvonsquitternotrepostepournouslanceràsonsecours.Deplus,jenepensepasqueRohanlesouhaiterait.
—Espéronsque l’étatde faiblessedeLijuan l’empêcherad’arriverbientôt.La tempêtedontvousavezparlé–pourrait-ellesuffireàretarderRaphael?
Naasirs’étaitattenduàcequesonSirearrivelesoirmême.—Selon le dernier rapport que nous avons reçu avant que tout s’éteigne, répondit Tarek, l’orage
frappelemondeentier,saufsurceterritoire.Leséclairssontsiviolentsquetouslesavionsetlesangesont reçu l’ordrede rester au sol.VotreSireapeut-êtreétéobligéde seposeràmi-chemin–ouaétéfrappéetdoitserétablir.
—Ilseralà.Naasiravaitrevêtuunelargechemiseenlinsursondosravagéaprèsquel’undesfrèresailésavait
proposéderemplacersontee-shirtenlambeaux.Ildéplaçaunautremorceaudeviandedesonassietteàcelled’Andromeda.
Ellesouritetmangeacequi luiétaitoffert.C’étaitagréabled’avoirquelqu’unqui tenaitàprendresoind’elle.Elleavaitl’intentiondefairedemêmepourlui–lesfrèresailésavaientfournidusangenbouteille,mais elle voyait bien qu’il n’en aimait pas le goût. Si elle prenait un bon repas, il n’auraitaucuneexcusepournepassenourrird’elle.
Lesolgrondaàcetinstant,etuneauroreargentéequiondulaitcommedel’eauinondalecielaussiloinquel’œilportait.C’étaitàcouperlesouffle.
—LeSire.LechefdelaFraternitélevalatête,ému.Andromedaaussiétaitbouleverséejusqu’aufonddesonâmeparcespectacled’unebeautéétrangeet
d’unpouvoirprodigieuxquirisquaitbiendenepasserépéterdetoutesavied’Immortelle.—Tantque l’aurores’étendsur tout le territoire, leshommesdeLijuanneserontpascapablesde
repérerl’oasisoulesgrottes.—Profitonsdelasoirée,ditNaasird’untonbienpluspragmatiquequeceluidelajeunefemmeou
deTarek.Laissezdessentinellesmonterlagardeetreposezautantdevosgensquepossible,suggéra-t-ilàTarek.S’ilexisteunabrisûroùcacherlesplusvulnérables,emmenez-les.Lijuannelesépargnerapas.
Levisagede son interlocuteur se fitgrave, l’amourqu’il éprouvaitpour sonSire remplacéparunfaroucheinstinctdeprotection.
—Venez.Conduisantlecouplejusqu’àunepetitemaisonàlalisièreduvillage,ilditàNaasir:—Tessenssontexcellents.Tupourraism’êtreutile.—Jelancerail’alertesijerenifledesintrus.AndromedaetNaasirdirentbonsoiraufrèreailéavantdepénétrerdanslamaison.Composéed’une
uniquepièce,elleétaitmeubléed’unlitsuffisammentgrandpouraccommoderlesailesd’Andromeda.Ony trouvait aussi une petite table où étaient posés de la nourriture et de quoi boire, ainsi qu’un espaceséparépourlescommodités.
Naasirallaouvrirlagrandefenêtreprochedulittandisqu’Andromedaserendaitàlasalledebainspourse rafraîchir.Leshommesde laFraternitéavaient récupéré lesacqu’elleavaitabandonnédurantleur fuite le matin même, et même si elle aurait préféré se changer avec la chemise de nuit qu’unevillageoiseluiavaitdonnée,elleenfilasadernièretenuedecombatpropre.
Silabatailles’engageaitaumilieudelanuit,elletenaitàêtreprête.Naasirl’effleuraquandilssecroisèrentsurleseuildelapièce.Ellesutàsonsourirequ’ilavaitfait
exprès.Commeunchatquiseseraitfrottéàelleenpassant.Ellesouritàsontouretattenditqu’ilaitfini
deprendresadouche.Ellel’obligeaalorsàpivoterafind’examinersondos.Cheveuxmouillés, il avait enfilé un tee-shirt blanc propre qu’elle avait trouvé dans le sac et un
pantalondetreillisd’unmarronfoncéqu’ilavaitemprunté.Cedernierpendaitbassurseshanches.Sedébarrassantdutee-shirt,illejetasurunechaiseetattendit,immobile,sondiagnosticinquiet.Lajeunefemme ravala son souffle ; lesmuscles nettement dessinés deNaasir ondulaient sous sa peau chaude,richeetsansdéfaut.Pasétonnantquelesfemmessebattentpourlecaresser.
Maissibeaufût-il,cen’étaitpaslà-dessusquesonattentionseconcentraitpourlemoment.—Effectivement,tuguérisvite.Ya-t-ilunpointdouloureux?Ilneportaitaucunecicatrice,aucunsignetrahissantqu’ilétaitpasséàuncheveud’êtrebrûlévif.—Non.Ilpivotaverselleetlasaisitauxépaules,latournantverslafenêtre.Ilétudiasesailesavecunsoin
méthodique.—Certainespartiesdetesailesontétéécorchéesjusqu’auxtendons,constata-t-ildansungrognement
sourd.Faisattentionendormant.Elle opina, capable de sentir l’étirement, la pulsation de douleur qui dénotait le processus de
guérisondestissus.—Tespieds?s’enquit-il.—Guéris.En tempsnormal, toute l’énergie se seraitdirigéevers ses ailes,mais soncorpsavaitvisiblement
décidéquesespiedsprésentaientdesblessuressuffisammentmineurespourqu’ils’enchargerapidement.Grimpantaulit,elles’allongeasurleventre.LorsqueNaasirs’yglissaàsoncôté,ellesoulevason
ailepourlaplacersurlui.Illatapotaavecdouceursursessectionsintactes.—Jepourraiavoirl’unedetespluspetitesplumesquandellemuera?Nelatirepas,ordonna-t-il.Lesorteilsdelajeunefemmeserecroquevillèrentsousladuretébrutedesavoix.—Cellequiestsoustonindex,luiindiqua-t-elle,jenelasenspas.Jepensequ’elles’estdétachée.Lesplumesdesangesétaientleursixièmesens.Ilsavaientconsciencedeleurprésencejusqu’auplus
profondd’eux.Naasir touchacelledont il étaitquestionavecdélicatesse, et lorsqu’elle sedétacha, il s’en saisit,
sortitdulitetserenditauseulsacquiavaitsurvécu.Ilenrevintavecunefinelanièredecuiràlamain,commecellesqueleshommesutilisentparfoispourattacherleurscheveux.Tandisqu’ellel’observait,ils’assitsurlelitetattachaproprementlaplumeaufildecuir,puistressalabandeenunefinenattesurlecôtédesatête,lafixantd’unnœudastucieuxàsonextrémité.
—Voilà,dit-ilavecsatisfaction.Etilsetournasurleventreàcôtédelajeunefemme.Lecœurfonduaupointqu’iln’étaitplusqu’unmielépaisetchauddanssapoitrine,elleledrapaune
foisdeplusdesonaile.—Tuasbesoindetenourrir.—Jeboirailerestedelabouteille.SesdoigtscoururentsurlanuquedeNaasir,jusqu’àcequ’ilémetteungrognementbasetlourd.—Boisàmoi.J’aibienmangé.Elleglissalepoignetdesonautremainsoussabouchelorsqu’ildressalatête.Il déposa unbaiser sur son pouls tandis que ses doux cheveux extraordinaires l’effleuraient, leurs
mècheshumidestelleunecaressefraîche.Lesbattementsducœurdelajeunefemmeseprécipitèrent.Lesnarinesévasées,Naasirléchasapeaumaisnelamorditpas.
—Unjour,jeboiraiàtoi,monsexeenfouidanstonfourreauétroit,etcelaseralent,profondetlong.
Respirerdevintsoudaindifficile.—Maiscettenuit,toncorpsabesoindetoutesonénergiepourréparerlesblessuresinfligéesàtes
ailes.Un autre baiser, celui-là si tendre que la lèvre inférieure de l’érudite trembla, et que ses yeux
s’emplirentdelarmes.Commentpourrait-ellesurvivrecinqsièclessanslui?
Chapitre39
LetonnerreéveillaAndromeda.Naasir,lui,étaitdéjàenpleinepossessiondesesmoyens.Allongésurledos,l’undesesbrasautourd’elleafinqu’elleutilisesonépaulecommeoreiller,ilcaressaitsonailetoutenobservantl’oragederrièrelafenêtre.Leséclairsscintillaient,aussilumineuxquelescheveuxdeNaasir,sansqu’aucunepluieadoucisseleurviolentéclat.
—Combiendetempsavons-nousdormi?demanda-t-elleensepelotonnantcontresoncorps,chaudcommelabraise.
—Lejourselèveàpeine.Uncoupdetonnerrenoyapresquesesparoles.—Jen’aijamaisvulecieldecettecouleur.(Unvioletsombre,agité,quiprojetaitdesrefletsetdes
ombressurlaterre.)C’estsuperbe.(Toutcommelachimèresauvagequilatenaitavectantd’affection.)Celadoitêtrelamêmetempêtequiadéjàrecouvertlerestedumonde.
—Jen’airienditdevantTarek,maisRaphaelpeutvolerpar-dessusleséclairs.Lajeunefilleécarquillalesyeux.—Oui,aucunArchangenedevraitavoirdeproblèmespourleséviter.Pourtant, à moins que quelque chose n’ait changé durant la nuit, ni Raphael, ni Lijuan, ni
Favashin’étaientparvenusàrejoindreleterritoire.Cen’étaitpasunecoïncidence.—Onditquelorsqu’unArchangeeffectuesonascension,reprit-elle, lemondechangedemanières
inexplicables.C’estpeut-êtrelamêmechoselorsduréveild’unAncien.—Leséclairsnesontpasnormaux,convintNaasir.LeréveildeCalianeaétéviolent,maispasàce
point.—Alexanderétaitungénéral,Calianeuneangeconnuepoursagrâceetsonchant.—Elleestaussiuneguerrièreavertiequis’est levéepourprotégersonfils, luirappelaNaasir.Je
pensequelaCascadeprendencoredel’ampleur.Les poils se dressèrent sur la nuque de la jeune femme à l’idée de ce que cela signifiait. Elle en
trembla.—Labonnenouvelle,c’estquejenecroispasqueLijuanprendraitlerisqued’exposersaformenon
corporelleàlafoudre.LapoitrinedeNaasirronronnasoussamain.—Peut-êtrequelatempêterendraserviceaumondeentierenanéantissantLijuan.Tous deux savaient pourtant qu’un tel cadeau était peu probable. Ils restèrent allongés en silence
jusquecequ’Andromedademande:—Tesouviens-tud’avoirétédeuxavantd’êtreun?Ilnesemblaitpasmalvenudel’interrogeràcesujetici,aumilieud’unteldéchaînementdelanature.
—Oui.Lepetit humain jouait avec le bébé tigre. (On l’entendait sourire.)C’étaient lesmeilleursamisdumondedansunlieuoùiln’yavaitpasd’autresêtresvivantsqu’Osirisetlesloupsqu’ilgardaitcommeanimauxdecompagnie…etquandOsirislesaforcésàn’êtrequ’un,l’amitiéentrelegarçonnetetletigreapréservél’équilibredelachimèrequejesuisdevenu.
Sixmillemorts. Le bébé tigre et l’enfant auraient pu compter parmi les pertes… et elle n’auraitjamaisconnuNaasir.
Repoussantviolemmentcetteidée,elleécoutabattrelecœurdecedernier,etserappelaàelle-mêmequ’ilétaitextrêmementfortetvivant.
— Les deux parties ne se sont pas affrontées pour prendre l’une ou l’autre le dessus, mais onttravailléensembleàsurvivre,ajouta-t-il,sonbrasseresserrantsurlajeunefemme.C’estpourcelaquemoncorpsn’estpasdifforme.Etmaintenant,iln’yaquemoi.Jesuismoi.JesuisNaasir.
Lasimplicitédecettedéclarationnelarendaitquepluspuissante.—As-tuchoisitonnom?Danssonesprit,ellen’avaitaucundouteque,mêmesiOsirisl’avaitdotéd’uneidentité,Naasirne
l’auraitpasconservée.—Non,luiapprit-il.C’estDmitriquis’enestchargé.Enhommageàunamiquiavaitperdulavie
poursauverlasienne.(Uneémotionnondissimuléedanslavoix.)Jesuisfierdeleporter,desavoirqueDmitriatoujourspenséquejeseraisdigned’unnomsihonorable–etquejeseraisassezsolidepourmel’approprier.
— Personne ne peut t’enlever ça, affirma Andromeda. Tu es Naasir, une légende à travers lescontinentsetletemps.
Soussamain,ellesentitseformerunecouchedefourruresifineetdoucequ’ellenepouvaitlavoir,maisseulementensentirlatexture.Enrevanche,elleparvenaitàdiscernerlesrayuresdutigresurlapeaudeNaasir.Sesoulevantsurlecoude,ellemurmura:
—Jesuissiheureusedeteconnaître.Illuimontralesdents.—Quelssecretsmecaches-tu?—Jeteleconfieraiaprèsledînerchezmesparents.Tuvienstoujours?Saquestionrecelaitunepointededésespoiretellepriaitpourqu’ilnel’aitpasremarquée.—J’aipenséàuncadeaupourtesparents,répondit-ild’untonsolennel.Quandj’étaisàNewYork,
j’aivuuneémissiontéléviséesurdespoupéesquiparaissenthumainesetneprésententaucundéfautsurleplananatomique.Ellesferaientdeparfaitesconcubines,jamaisfatiguées.
S’étranglantderire,elleessayad’afficherunairsévère.—N’ypensemêmepas.Ilaffichaunsourireimpénitent.—J’aioffertàEllieuneplantecarnivore.Ellel’aaimée.—Devrais-jeêtrejalouse?Elleavait remarquécomment ilparlaitde l’affiliéedesonSire–avecadmirationetaffectionà la
fois.Rapidecommelevif-argent,ill’attiraàluienluitirantlescheveux,latenantsiprèsqu’ellepouvait
compterchacundesescils.— Elena est l’affiliée de Raphael et une partenaire d’entraînement pour moi. (Sa voix était de
nouveaugutturale.)Ellen’estpastoi.Personneneserajamaiscequetuespourmoi.Lecœurdelajeunefemmesebrisa.Enunmilliondepetitsmorceaux.
Chapitre40
LijuanarrivaàlaforteressedeRohanbienplustardqu’ellenel’auraitdû.Elleétaitfollederagequelapreuveirréfutableduréveild’Alexanderl’aitclouéeausolpendantdelonguespériodes.Sonintuitionluiavaitsouffléqueceséclairsd’argentpourraientprovoquerdesérieuxdégâtsàsoncorpsencoursdeguérison.
Il apparut que Favashi, elle aussi, avait été retardée, et queRohan ne bénéficiait d’aucun soutienarchangélique.
Bien.Àvoir laviolenceet lavitessede la tempête,Alexanderseréveillaitdans l’urgence,cequiétaituneautrebonnenouvelle.Ilseraitfaible,alorsqu’elle-mêmesentaitsaforceluireveniràchaqueheure qui passait. Même ses ailes paraissaient dorénavant assez puissantes pour de courts vols. EtcontrairementàRaphael,Alexandern’auraitpasdéveloppéquelquedéfensequecesoitcontrelapluienoiredeLijuan–sielleparvenaitàletoucheraucœur,elleletuerait.
Lameilleureoption,malgrétout,consistaitàl’exécuteravantqu’ilneselève.Lijuann’allaitpassous-estimerAlexander.Elles’adressaàXidepuissonfauteuilinstallédanslatentedecampagnedecedernier.—Tudoisbrisercesiège.(Elle-mêmeauraitpuutilisersesdonspourinverserlatendance,maisil
lui faudrait puiser dans ses réserves d’énergie.)Rohan n’est pas son père et tu es un général aguerri.Pourquoiest-cesilong?
Leséclairsétaientdangereux,maisnefrappaientplusenpermanencedorénavant.Bien qu’il luttât depuis des heures, l’expression de Xi était aussi froide et intelligente qu’à
l’ordinaire.— Rohan est mieux préparé et dispose d’un grand nombre de troupes en garnison au palais,
davantage que ce qui avait été rapporté par nos éclaireurs. Je pense qu’il a été prévenu. Il a aussiamélioré les lieux grâce à de nouvelles technologies qui entravent la progression de nos hommes.L’ardeurdontilfaitpreuvepourdéfendrecetendroitsembleconfirmerqu’Alexanders’yrepose.
—Oui.Lepetitatoujoursétédévouéàsonpère.Lijuansoupesaleschoixàsadisposition,etdécidaqueladépensed’énergiesejustifiait.Plusvite
elleatteindraitAlexanderetplusilluiseraitfaciledeletuer.Elleattendit seulementd’avoirentièrement récupéré–bienquecela restâtdérisoirecomparéàce
que serait sa force une fois qu’elle serait complètement guérie – et s’éleva dans les airs pendant uneéclaircie.Elleabattitsapluienoiresur lepalais.L’attaquepulvérisaunepartiedesbâtiments,ouvrantunelargebrèchedanslesdéfensesdeRohan.LaissantXisesaisirdecetavantage,elleenvahitleslieuxsoussaformenoncorporelle.
Ellen’échappaàlafoudrequedequelquesmillimètres.
C’étaituneperted’énergieprécieusequedemaintenirsaformeimmatériellealorsquelepalaisétaitune ville fantôme, tout lemonde se concentrant sur ses défenses.Mais elle n’avait pas de jambes etutilisersesailesattireraittropl’attention.
Elleneremarquaaucunsignedelaprésenced’Alexander.Mêmelorsqu’elles’infiltrasousterre,laprésencede l’Ancien auxailesd’argentne se fit pas sentir.Revenant à la surface juste avantque soncorps ne prenne forme d’unemanière humiliante sur le sol carrelé du palais, elle sut qu’il n’y avaitqu’uneoption.
ParcequeZhouLijuannerampaitpas.Avant qu’elle ne puisse demander àXi de lui fournir un sacrifice, son regard tomba sur un vieux
domestiquequitraînaitdespiedsdansuncouloiràl’arrière.Déployantsesailespourbalayerleslargescouloirsdessinéspourdesanges,elles’ensaisitsilencieusement,et,luitranchantlagorgeavecleproprecouteaudecérémoniede l’homme, lapa le sangqui s’enéchappait àgrosbouillons.C’étaitunpauvresubstitutaufaitdesucerdirectementsaforcevive,etsonsangavaitungoûtabominablesouslespapillesde l’Archange,mais le processus transféra assez de la vitalité de l’homme àLijuan pour qu’elle soitcapabledeserégénérertemporairement.Siellesesentaitdenouveaufaible,elleprendraitunenouvellevie.Ilyavaittoujoursdescorpschaudsdisponiblespourunedéesse.
Prêteàmettreuntermeàtoutceciafindeseconcentrersursaguérison,elleattenditqueleséclairss’apaisent,puiss’élevaau-dessusdupalaisetlerecouvritdesapluienoire.Xi,trouveRohan.Jeleveuxenvie.
Quaranteminutes supplémentaires et deux autres repasmédiocres furent nécessaires avant queXiparvienneàécraserlestroupesdeRohan,etcapturecedernier.Lepalaisétaitàmoitiédétruit,laplupartdeshommesdeRohanmorts,toutcommeungrandnombredecivilsquis’étaientcachésdansunepiècedontletoits’étaiteffondrésouslepouvoirarchangéliquedeLijuan.
Cette dernière ne les avait pas tués délibérément – une déesse ne se souciait pas de fourmis sansarmes–,pourautant,ellen’éprouvaitaucuneculpabilité.Rohanauraitdûserendreàl’instantoùilavaitconstatéqu’ilsedressaitfaceàuneArchange,comprendrequ’illuiseraitimpossibledel’emporter.
Pourtant,mêmemaintenant,tandisqu’ilsetenaitdanslesruinescarboniséesdecequidevaitavoirétésagrandesalle, lesmainsliéesdansledosetlesailesàmoitiétranchéesetcautériséesparlefeu,alorsqueLijuanluifaisaitfaceassisesurunfauteuil,lefilsd’Alexanderladéfiait.
—Jene saispasoùmonpèreDort,dit-il avecun rire insolent.Pensez-vousvraimentqu’il seraitassez idiot pour confier cette information à son fils ? Cela ferait demoi une cible. Pas plus qu’il neresteraitsursonterritoire,quiestlepremierlieuoùunennemistupideiraitchercher.
—N’oubliepasquetut’adressesàuneArchange,lemitengardeLijuan.Etravaletesmensonges,carnoussavonstousdeuxquetonpèreaimaitsonpeupleetnel’auraitpasquitté.
Pendantlongtemps,Lijuanavaitjugéquecetamourétaitunebêtisedelapartd’Alexander.Raphaelpartageaitlamêmefaiblesse,toutcommeElijah,TitusetAstaad.MêmeNeha,malgrétoutesacruauté,secouperait lesveinespourprotégersonpeuple.Lijuann’étaitpas totalementsûrequ’ilensoitdemêmepourFavashi.Quant àMichaela, elle se faisait passer enpremier, en cela semblable àUram.Le seulparmieuxtousàpensercommeLijuanétaitCharisemnon.
ÊtreunArchange,c’étaitêtreundieu.Lijuansesouciaitdesonpeupleenveillantàcequ’ilsoitensécurité et qu’il ait àmanger,mais elle ne l’aimait pas.Elle utiliserait ses sujets pour ses guerres, sic’étaitnécessaire.Ilsétaientjetables.Deplus,nombreuxseraientengendrésetempliraientlemonde.
Alexandernevoyaitpasleschosesainsi.Ilavaitcréésursesterresdesorphelinatsquiprocuraientencoreàcejourunabrietuneéducationàdesenfantsdesrues.Ilavaitétésifierdecesmaisonsetdesécolesqu’ilavaitfondées.
Illuiavaitunjourdéclaré,s’appuyantdesmainscontrelarambardedubalconsupérieurdecemêmepalais:
—Chaque enfant surmes terres aura la chance de devenir quelque chose demieux qu’un débrisperdu,flottantàlasurfaced’unerue.
Elleavaitrietsecouélatête.—Que tuesbête,Alexander. (Lesmotsamuséset affectueuxd’uneamie.)Lesmortelsnaissentet
meurentenunbattementdecils.Quelestl’intérêtdegaspillertesressourcesettesémotionspoureux?Alexander,sescheveuxdorésenflammésparl’éclatdusoleil,avaitsouri.—N’as-tupasadmirélatapisseriedanslehall?Elleaétédessinéeetcrééeparunmortel.Ils’agit
dutravaild’unevieet ilestbienplusbeauquen’importequelautrequej’aivuachevépardesmainsimmortelles.
Riant de nouveau au piège astucieux qu’il lui avait tendu,Lijuan avait concédé qu’à de très raresoccasionsunmortelexceptionnelavaitdelavaleur.Leplusgrandnombre,quoiqu’ilensoit,n’étaitrien.Desinsectessurlesquelsmarcher.
Elle n’avait pas présenté les choses ainsi à l’époque. Cela ne faisait que mille ans qu’elle étaitArchange, et elle était… indulgente. De plus, malgré tous leurs désaccords, elle admirait encoreAlexander et ne voulait pas le décevoir.Mais ce temps était révolu depuis longtemps. Elle le voyaitmaintenantcommelacréaturefaiblequ’ilavaittoujoursété,menéparsesémotionsetsoncœurplutôtqueparlefroidpragmatismed’undieu.Celacauseraitsaperte.
—Tusaisquelquechose,dit-elleaufilsd’Alexanderquecedernierluiavaitprésenté,âgéd’unjouràpeine.
Lijuanavaitfélicitélepère,maisdanscepaquetminusculeetgémissant,ellen’avaitvuqu’unefailledansunearmure, l’incarnationde savulnérabilité.Lijuanavait tué longtempsauparavant lemortelquiavaitfaitvibrersoncœur,etquiauraitpudevenirsaproprefaiblessesiellen’avaitpaschoisid’agirdemanièrepréventive.Chaoxiangétaitaussisombrequ’Alexanderétaitjuste,etilriaitaussivolontiersquelecommandantauxailesbleuesdeRaphael.
«Bien-aimée»l’appelait-il,leregardpétillant.Sesyeuxd’unnoirprofondn’avaientpasquittéceuxdeLijuanquandelleluiavaitplantéunedague
danslecœur.Ilnes’ylisaitaucunerécrimination,seulementunamourfaroucheetlepardon.Sonderniermotavaitétéunmurmure.
«Lijuan.»Cejour-làmarquaitsavéritableascension,celuioùelleétaitdevenueinvulnérable.ContrairementàAlexander.—Situneparlespas,disait-ellemaintenantàRohan,j’annihileraicequ’ilrestedecepalaisetde
tesescadrons,ainsiquelesvillagesetvillesenvironnants.Ilyauradesdizainesdemilliersdevictimes.LesyeuxdeRohan,d’uneébèneprofondeetnondel’argentd’Alexander,scintillèrent.—Vousêtesunmonstre,cracha-t-il,sapeaud’unmarronpâleenflamméeparlarage.—Jesuisl’évolution.Elle l’attrapa par la nuque, planant en utilisant ses ailes, et le souleva de terre. Elle s’était de
nouveau nourrie de cette manière inefficace qui lui procurait malgré tout un regain de puissance,puissancedontellebrûlaitmaintenant.
Rohanétantattaché,illuiétaitimpossibledeluttercontreLijuan,maissonregardneflanchaitpas.—Mon peuple se tient aux côtés de mon père et moi, dit-il. Tous savent que si vous prenez le
pouvoirlemondeplongeradanslamort.—Lemondeserapurifié.(Débarrassédetoutefaiblesse.)Parle,oumeurs.
—VousdéclareriezlaguerreàFavashipourça?—Favashiestjeune.Oùesttonpère,Rohan?Maintenantqu’ellepouvaitdenouveausesustenter,mêmedemanièrepeusatisfaisante,Lijuansavait
qu’elle serait capable de tuer l’Archange bien plus jeune si ce dernier semontrait assez bête pour semettreentraversdesonchemin.
Lefilsd’Alexander,lebébéqu’elleavaitautrefoistenudanssesbras,laregardasansciller.—JesuisRohan,fierfilsduplusgrandArchangeàavoirjamaisvécu,etvousêtesuneabomination
quinebriserajamaismavolonté.—Misérableinsolent!Luiécrasantlanuquejusqu’àcequesatêtependeenavant,ellelelaissatomberausol.Ilvivrait–
c’étaitunangefort,d’unâgeassezavancépourguérirdesesblessures.—Meshommesontretournélepalais,maisaucunsigned’Alexander,luiappritXi.S’ilestcapable
desecacherloinsousterrecommeCaliane,ilestpossiblequenousneletrouvionspasàtemps.Alexanderaimaitsonpeuple.Maisilaimaitencoreplussonfilsunique.L’intérêtdeLijuanseportasurlasilhouettedeRohan,quiseremettaitdéjà.Seslèvress’incurvèrent.—Alors,nousnousdébrouilleronspourqu’Alexandervienneànous,murmura-t-elle.ElleattenditquelquesminutesqueRohanrécupèresuffisammentpourouvrirlesyeux.—Tonpèreseréveilleraàunevitessedangereusepourtevenger.Àcesmots,Rohanserralamâchoire.Maisilnesuppliapas,necriapasquandleslamesnoiresde
Lijuanplongèrentenlui.Ilallaàlamortaveclafiertéstoïqueetprovocatriced’unvraiguerrier.Une partie de Lijuan pouvait admirer cela, et, si cela avait été possible, elle aurait ordonné que
Rohanreçoiveleshonneursmilitaires.Maissapestenoireavaitréduitencendreslecorpsdel’ange.Rohann’étaitplus.Lemondehurla,vacillantsouslespiedsdeXi.
Chapitre41
NaasiretAndromedaavaientquitté leur lit et étaient sur lepointde rejoindreTarekpourdiscuteravec lui lorsque la terre rua, prise d’une rage violente. Ils sortirent difficilement de lamaisonnette ettombèrentàgenouxsurlesol.Letremblementsemblaitnejamaisdevoircesser.
—Naasir!Suivantladirectionqu’ellepointaitdudoigt,Naasirregardaverslaligned’horizon.Lesablejaillissaitdusol,s’élevaitdanslecielenspirales,brûlantunchemindestructeuràtraversle
paysage.Deséclairsd’unepuissanceaveuglantefrappaientsansrelâche,encoreetencore.Letremblementcessadansunsursautàbriserlesos,maislesnuagesbouillonnantsavaientviréau
noirargentéetjetaientsurlamatinéeuneobscuritédeminuit.Danslelointain,laterrecraquait,déversaitdelalaveenfusiond’unrougeécarlatequirampaitsurlesolàunevitesseindescriptible.
Andromedasentaitsoncœurcognercontresescôtes,maissapeurnel’empêchapasderemarquerundétailsaisissant.
—Levillage!hurla-t-elleàNaasirpourcouvrirlevacarmeenvironnant.Iln’esttouchéparaucunéclair!Paraucuneexplosiondesable!
Mêmeletremblementdeterren’avaitrenverséaucunemaison.—Àl’intérieur,beugla-t-il.Tousdeuxrentrèrentdanslamaisonnette.Naasirfermalafenêtrepourétoufferlebruitetsepassaunemaindanslescheveux.—QuelquechoseamisAlexanderencolère.Heureusement,mêmedanssafureur,iln’apasoublié
lesfrèresailésquil’ontprotégédurantdessiècles.—Ilétaitsupposéaimersonpeuple.Tucroisqu’ilestentraindel’exterminer?Lajeunefemmerajustaitsanattedesesdoigtstremblants.— Il faudra attendre que tout ceci soit fini pour le découvrir, répondit Naasir. En protégeant ce
village,c’estcommes’il luiaccrochaitunecibledans ledos.Lijuansauraqu’elledoitsedirigerversl’œildelatempête,devineraqu’Alexandernedoitpasenêtreloin.
Andromedasesaisitdesonépée.—Ondevraityaller,voircommentonpeutaiderlesfrèresailés.Naasir acquiesça, ouvrit de nouveau la porte. Ils sortirent dans le vent fort où tourbillonnait la
poussière.IlneleurfallutpaslongtempspourtrouverlaFraternité–sesmembress’étaientrassemblésdansunegrandesallederéunion.DanslamesureoùNaasiretAndromedan’avaientremarquépersonneen chemin, pasmême un visage à une fenêtre, il semblait que les civils avaient déjà été emmenés ensécurité.
—Cesontlesprésagesqu’onnousavaitdemandédesurveiller,lesinformaTarek.Maisilsétaientsupposéscommencerbienplusdoucementetleprocessusdevaitsedéroulersurunan.
Andromeda réfléchit. Serait-il bonqu’elle prenne une autre armedans l’arsenal des frères ailés ?Ellepenchapourunearbalèterelativementlégère.
—Lavitesseàlaquellel’Ancienseréveillesignifiequ’ilvaêtrebienplusfaiblelorsqu’ilselèvera.Tarekserralespoings.—SinouspouvonsdistrairelestroupesdeLijuan…commençaNaasir.Ilfutinterrompuparuneviolentebourrasquedeventetlefracasd’unéclairtoutproche,suivispar
uneaccalmieétrange.Ilsecoualatête,puisreprit.—SinouspouvonsdistrairelestroupesdeLijuan,celaluidonneraaumoinsunpeuplusdetemps.Andromeda n’ajouta rien, mais tous deux savaient que le désavantage d’Alexander serait encore
catastrophique.D’après cequ’Andromedaavait ludans lesArchives, quandunArchange se réveillaitaussivite, ilnedisposaitquedelamoitiédesaforce,aumieux,etsonenduranceétait réduite.Lijuann’auraitqu’àrésisterpluslongtempsqueluietàletuerlorsqu’iltomberait.
—Cachetestroupesdanslesarbresettire,proposaNaasiràTarek.Toutestquestiondevitessedanscetassaut.LijuanvoudraatteindreAlexanderavantqu’iln’aitrassemblésesforces.Xinesesoucierapasd’attendredesrenfortsausol.Iln’yauraquedesescadronsailés.
—Nousdisposonsd’armesanti-aériennes,réponditTarekd’untonimpitoyable.Enterréesdanslesterres autour des grottes et du village. Je ne voulais pas les activer avec les tempêtes de sable et lestremblementsdeterre,etilfautdeuxheurespourqu’ellessoientprêtesàtirer.
Naasir choisit sesmots avec soin, conscient qu’il parlait à un homme habitué àmener un groupemeurtrier. Mais lui-même avait aussi passé des siècles à travailler aux côtés d’un Archange. Ilconnaissaitlavaleurdesescompétences.
—Jeterecommanderaisdelefaire,dit-ilensoutenantleregarddesoninterlocuteur.Jelediscarj’étaisprésentàlabatailledeNewYork–jesaiscommentsebattrefaceàunennemiailédepuislesol.
Lerespectqu’iléprouvaitpourTarekgranditquandlechefde laFraternitéAiléesecontentad’unbrefhochementdetêteavantd’ordonneràseshommesd’activerlesarmes.SetournantdenouveauversNaasir,illança:
—Dis-nouscequetusaisd’autresurlamanièredeluttercontrelesanges.Naasirconseillaauxfrèresailésdetirerprofitdeleursatouts(lescompétences,laconnaissancedu
terrain,etl’élémentdesurprise).Illeursuggéraaussid’utiliserleuragilitépourinstallerdeslignesdanslesarbresenchoisissantdescâblessifinsqu’ilsenétaientpratiquementinvisibles.Unangequitenteraitdeseposers’yretrouveraitpris,commeuninsectedansunetoiled’araignée.
— Nos chances de succès seront meilleures si nous parvenons à les maintenir dans les airs, enparticulierpuisquevouspossédezdesmissilessol-air,ajouta-t-ilunefoisqueTarekeutacceptédeposerlespièges.Ausol,celaserauncombataucorpsàcorps,etlesescadronsdeLijuansontremplisd’angesâgésdontlescompétencesnoussontinconnuesetdangereuses.Ilssonttropvieuxpourêtreralentisparleursailes.
—S’ilsseposent,lançaTarekàsestroupes,visezlatêteoulecœur.Pasdesommation.Ilfautlesneutraliseraussirapidementquepossible.
—Etvousavezuncombattantailéparmivous,soulignaAndromeda.Naasirluijetauncoupd’œil.Àcetinstant,ilétaitpluslecommandantexpérimentéetaguerrid’un
Archangequ’unechimèreprimitive.C’étaitlégèrementintimidant.—Tesblessures?s’enquit-il.
Sonexpressionnechangeapas,maiscefutd’unemaindoucequ’iltouchalesprimairesdelajeunefemme.
Ilétait toujoursNaasir,serendit-ellecomptedansunevagued’amour.Cen’étaitpas làunefaussepeau,maisuniquementunautreaspectdesapersonnalité.
—Suffisammentremisespournepasêtreunproblème.(Enparticuliers’ilsnevoulaientqu’ellevolequedurantdecourtespériodes.)Jesuisbonnedanslesairsavecuneépéeàlamain,maisjenepourraipascauserbeaucoupdedégâtssijesuistouteseule.
—Tut’occuperasdesretardatairesquenousseronsparvenusàcoincer.(Laplumequ’ilavaitplantéedans ses cheveux en une déclaration puissante, silencieuse, tomba en avant lorsqu’il se pencha pourprendresonvisageencoupe.)Outu lesmènerasdans lespièges,ajouta-t-ilavecun légergrognement.Entre-temps,turesterasausol.
Un sentiment d’urgence palpitait en Andromeda qui n’avait qu’une seule envie : se mettre sur lapointedespiedspourécrasersabouchesurcelledeNaasir.
—Àtonavis,onaencorecombiendetemps?Unéclaireurpoussiéreux,lesjouesbrûléesparlatempêtedesable,entraenvacillantdanslapièceà
peinelajeunefemmeavait-ellefinideposersaquestion.—Jemesuisrenduaurelais,hoqueta-t-il,mainssurlesgenoux.Lemessageétaitbrouilléparceque
beaucoupdemiroirspourlessignauxontétébrisés.Maisdeuxchosesenressortentclairement:LijuanaassassinéRohanetelleestenroutepourici.
Andromedasentit lefroidl’envahir.Pourlegenreangélique,lesenfantsétaientsacrés.EtbienqueRohann’enfûtdésormaisplusun,ilétaitlefilsuniqueetadoréd’unArchange.
Autour d’elle, les frères ailés – mâchoires contractées et muscles bandés – baissèrent la tête,marquant ainsi silencieusement leur respect enversRohan.Lorsqu’ils la redressèrent, leur rage et leurenvie de vengeance se lisaient dans leurs yeux. Tarek, d’une voix froide, interrogea l’éclaireur. Sesréponsesfournirentundétailglaçant:l’escadrondeXisetrouvaitàpeineàquatreheuresdelà.
—Personnen’arepéréLijuan,ajoutal’homme.Mais…unepartiedumessageparlaitdesacrificesdesang.
Andromedaserralagardedesoncouteau.Naasirgronda.—Elle se nourrit de la vie des autres pour augmenter sa force, dit-il d’une voix qui dénotait un
savoirdepremièremain.AucunsignedeRaphael?Lasentinellesecoualatête.—Rien.Despartiesdelachaînedessignauxlumineuxsontbriséesdanscertainesdirections,mais
lesmessagespassentquandmême–iln’aétérepérénullepartsurleterritoire.— Allez-y, lança Tarek à ses frères ailés. Installez les pièges pendant que je m’assure que les
batteriesanti-aériennessontenplace.Puis rejoignezvospositionsetn’enbougezplus. (Ilmarquaunepause, son regard s’arrêtant sur chacun de ses hommes.) Aujourd’hui, nous nous battons pour notreArchange,faitescepourquoinousavonsprêtéallégeanceilyaquatrecentsans.Sinoustombons,celaseraavechonneuretnousnous réveilleronsauxcôtésdenotreArchange lorsque l’heuredequitter cemondeaurasonné.Maiscetteheurenesonnerapasaujourd’hui.
LeshommeslancèrentuncridebataillequienflammalesyeuxdeNaasir.Lorsqu’ilssedispersèrent,Naasir et Andromeda les accompagnèrent pour les aider à poser les pièges. Andromeda devait aussimémoriser leurs positions exactes pour y diriger les anges ennemis. Le temps s’écoula comme si sesgrains tombaientd’unemainouverte, jusqu’àcequ’elle regardevers l’ouest.Elleétait alorsenvoletaperçutlatachequelaissaitunegrandeprésenceailéeàl’horizon.
Elle cria pour alerter les autres, puis se posa, l’arbalète dans une main, son épée pendant à saceinture.Ellen’étaitpasaussidouéeàl’arbalètequ’ellel’étaitàl’épée.Malgrétout,danslamesureoùlesforcesennemiesétaientensurnombre,ilseraitplussûretefficacequ’ellegardesesdistancesautantquepossible.
LorsqueNaasirsautaàsoncôté,ellediscernachezluiunesortedejoiemeurtrièreàlaperspectivedelabataille,maissouscetteémotionprimaires’endevinaituneautre.
—Tunecroispasquel’onpuissegagnersansRaphael?murmura-t-elle.Ilsecoualatête,sesmèchesargentglissantlesunescontrelesautres.—Alexandera laisséceshommes icinonpaspoursebattre,maispourque lemomentvenu il se
réveille entouré de ceux en qui il avait confiance.Ainsi, il pourrait se reposer dans le calme tout enreprenantdesforces.LatâchedelaFraternitéétaitdeprotégerlesgrottesdescurieux,pasd’ytenirunsiègecontreuneArchangeennemieetsonescadron.Ilssontplusquecourageux,maisilsserontréduitsencharpie.
Andromedanevoulaitpaspenseràcefutur,unfuturoùTarekneseraitplus,levisageensanglanté,sonespritetsoncœurperduspourcemonde.
—Penses-tuqueRaphaelsoitloin?—Jenepeuxpasl’entendre.Naasirsetouchalatempeetlajeunefemmecompritqu’ildevaitavoirl’honneurdecommuniquerpar
l’espritavecsonSire.—Jesuiscapabledeparleravecluid’aussiloinquejemesurelesdistances,luiexpliqua-t-il.Sije
n’y parviens pas encore, alors, il n’arrivera pas à temps, ajouta-t-il sombrement. Il est possible queLijuanl’aitrepéréetaitenvoyésespuissantscommandantsleretarder.
Leventrenoué,AndromedaposalamainsurlajouedeNaasir.—Quoiqu’ilarriveaujourd’hui,sachececi : j’auraisétésifièred’êtreà toi.Rienn’auraitpume
rendreplusheureuse.Ilplantasesgriffesenelleenl’attirantàlui.—Allonsnousbattre,femme.(Lalueursauvageétaitderetourdanssesyeux.)Puisjetrouveraiton
stupideGrimoireetnouspourronsnousaccoupler,tumecaresserasalorsquejeserainu.Ellerit,lesjouesenflammées.Illaserraunedernièrefoisavantdedisparaîtredanslesarbrestandis
qu’elleconservaitsaposition.Toutétaitmaintenantcalme,pasd’éclairnidetonnerre,pasd’explosiondesable.Malgrétout,cesilencen’étaitpasunsilencedepaix–non,ilcontenaitunetensiondemauvaisaugure.
Commeunevaguesurlepointdes’écraser.Ce qui arriva. Les escadrons de Lijuan déferlèrent sur la zone, cette dernière, dans sa forme
corporelle,à leur tête.Elledirigea immédiatementsapluienoireà labeauté incongruesur levillage ;chacundeseséclats,unmorceaud’onyxvivantquibrillaitderefletsbleus,noirsetverts.
Aucundesdéfenseursnebougea.Il ne restait plus aucun être vivant dans le village –même les animaux avaient été évacués. Que
l’ArchangedeChinegaspillesonénergie.Bien trop tôt, l’ennemi commença à se diriger vers l’une des grottes, comme si Lijuan avait eu
l’intuition que l’Archange reposait là. La Fraternité devait agir, repousser les escadrons du lieu deSommeild’Alexander. Ilauraitétépréférabledeposterplusdesnipersdans lescollines,maiscommeAndromedaetNaasirl’avaientdécouvert,lelieuoffraitpeud’abri,presqueaucunecachette.
La première volée de carreaux emporta au moins dix des hommes de Lijuan. Lorsque les angestombaient,onneleurlaissaitaucunechancedeserelever.Lesfrèresailéscachésdanslesarbresetau
sol jouaient sans remords de leurs lames pour les achever. L’escadron, tirant leçon de cette premièreattaquesurprise,volaplushaut,horsdeportéedesarbalètes.
Tareklançalesmissilessol-air.Cela fonctionnapourdisperser les angesordinaires,dont aumoinsdixdeplus trouvèrent lamort,
mais Lijuan était une Archange. Elle envoya sa pluie d’échardes noires dans les arbres. Andromedaentenditaumoinsdeuxcorpsfrapperlesolnonloind’elle,desfrèresailésquiavaientétédirectementtouchés par une lame noire. Tandis qu’elle se dirigeait en courant dans cette direction, les arbres semirent ànoircir et s’effriter autourd’eux, commesi lamortportéeparLijuanétaitmaintenant si fortequ’elleflétrissaitmêmelaterre.
Andromedaserenditcomptequetousleursplanstomberaientàl’eausiLijuandétruisaitlesarbres.Elles’élevadanslesairsjusteassezpouravoirlaDéessedelaMortdanssalignedemire.Lijuan,danssonarrogance,nes’attendaitpasàuneattaquesifrancheetletirl’atteignitàl’aile,cequilafitchuterenunespiraleincontrôlable.Elleserétablitàunevitessemeurtrière.Ellehurla,levalamaincommepourfaire pleuvoir de nouveau les échardes noires… et le ciel entra en éruption. Des éclairs d’argents’abattirentsurlesforcesdel’ArchangedeChine,lesprécipitantausol.
Lesailesemmêléesetlesosbrisés,lesangess’écrasaienttouràtourcontrelesarbresetparterre.Andromedaenprofitapourseprécipiter làoùétaient tombés les frèresailés.Mais ilsavaient juste…disparu.Réduitsenpoussière.
Danslesairs,Lijuans’étaitdétournéedesarbresetavaitrevêtuunboucliernoirquitenaitleséclairsàdistance.Sonnouveauplandevolétaitunelignedroitejusqu’auxgrottes.Elleavaitl’intentiondelesdétruire, enconclutAndromeda.Mêmesi ellene lesattaquaitqueduciel, lapuissancede sonpoisonrisquaitdes’yinfiltreretdetuerAlexander…ainsiquetouslescivilsprobablementcachésàl’intérieur.
—Levez-vous,Alexander ! hurlaAndromeda tout en courant à découvert afind’avoir vue sur lescavités.Ellevaempoisonnervotredemeure!
Elle n’était pas sûre d’être écoutée, mais il lui était impossible de rester plantée là à regarder,horrifiée,LijuanassassinerunAncien.
Leséclairsstoppèrent.Unefractiondesecondeplustard,larocheau-dessusdescavernescraquadansunefureurvive.On
auraitditquelaterrehurlait.Unangeensortit.Sesailesétaientd’unargentpur,sescheveuxd’unorricheetsapeaud’unorpluspâle.Sabeautéétaitparfaite.Commecelled’unestatuetailléedanslemarbre.Maiscettestatueavaitétéforgéedanslarage;sesmainsluisaientd’unfeuargent.
CefeufusaendirectiondeLijuan,commeunéclairlancédirectementsurelle.Lijuanritlorsquelefeud’Alexandernepénétrapassonbouclier,puiselleripostadesapluienoire
meurtrière.Alexandervolasurlecôtésuffisammentvitepouréviteruncoupdirect,maisiln’enétaitpasmoinslent.SiAndromedaétaitcapabledes’enrendrecompte,Lijuanaussi.
L’Archange de la Mort battit des ailes pour s’élever plus haut, dans un mouvement décisif.Andromeda sut qu’elle avait l’intention de faire pleuvoir sa mort sur Alexander d’en haut. Il étaitimpensablequ’ilpuissesedéplacerassezvitepourl’éviter.
Naasirbrisaitlecoud’unangequis’étaitprécipitédansl’undespiègeslorsqu’unepartiedel’ailedecedernierflambasousunéclairdelumière.Naasirsedéplaçaalorspourvérifierl’étatd’unfrèreailétombésouslapluiedeLijuan.Ilavaitdisparu.Seuluntasdecendrestémoignaitencoredesonexistence.Haletant,Naasircourutpours’assurerqu’Andromedan’avaitrien.
Ellen’étaitpasausol.
Illevalatête,lecœurbattant,etdécouvritsaforteetcourageusefemelledanslesairs.ElleavançaitversLijuanàtire-d’aile.Miraculeusement,ellen’avaitpasencoreétérepéréeparlamoitiédel’escadronquiavaitsurvécuauxéclairs.
—Occupezlesanges!hurla-t-ilauxfrèresailésàportéedevoix.Ilsrenouvelèrentleurseffortsàcoupsd’arbalète.LessniperssurlesommetdelagrottevisaientLijuan,maisellerestaithorsd’atteinte.Lesmissilesà
longueportéeavaientcesséd’êtredequelqueutilitéquecesoitdèsqu’Alexanders’était levé.Comptetenu de sa force diminuée, une vague de chocs aériens risquait de le faire tomber. Tout commeAndromeda.
Naasirdévoilasesdentsetpromitsilencieusementàsafemellequ’illapuniraitpourcela.Maisenattendant,ilattrapadansl’arsenalqu’ilsavaientcachéàtraverstoutelazoneunlance-missilesportatifetl’épaula. L’onde de choc provoquée par cette arme serait bien moins violente. Tandis que l’éruditeenvoyaitdescarreauxdansledosdeLijuan,s’efforçantdedonnerainsiunpeuplusdetempsàAlexanderpourrassemblersesforces,Naasirfitfeu.
Lijuan se débrouilla pour éviter le projectile, mais la manœuvre lui fit perdre l’équilibre assezlongtempspourqu’Andromedasoitcapabledeselaissertombercommeunepierredroitverslesarbres.Le sang deNaasir rugit dans ses veines quandLijuan pivota et tenta de poursuivreAndromeda,maisAlexander la frappa d’un éclair d’argent, et cette fois-ci, le bouclier de l’Archange de laMort étaitabaissé.
EllepoussauncrihautperchéetseretournapourenvoyercettepluienoireplusdurequelediamantsurAlexander.L’Ancienneputl’esquiver.Lapluielefrappadepleinfouet,etlàoùelleletouchait,sapeaunoircissait,toutcommesescheveuxetsesailes.
Il commença à tomber, comme si ses ailes imposantes, puissantes, n’étaient plus capables de leporter.
Sescheveuxd’unblancdeglacepassantàunnoirchatoyantetcrépitantdepouvoir,Lijuanrejetalatête en arrière, geste qui n’échappa pas àNaasir depuis le sol. Alors qu’elle levait son uniquemainrégénéréepourdélivrersoncoupmortel,Naasirchargeaitunsecondmissile.Ilétaitsurlepointdetirerlorsqu’ilentenditlapluies’écraser,lamorsurefraîchedelamerdanssonesprit.
Naasir,concentre-toisurl’escadron.JemechargedeLijuan.
Chapitre42
Raphaelnes’embarrassapasdesubtilité.Il se laissachoirà travers la lourdecouchedenuagesenunplongeoncontrôlépourvenir frapper
violemmentLijuandesonfeusauvage.Antithèsede lapluiemortelledeLijuan, ilnaissaiten luimaisétait embrassé par le cœur mortel de sa chasseuse. Complètement prise au dépourvu, l’Archange deChineétaitvulnérable.
Lesmains de Raphael s’écrasèrent dans le dos de Lijuan, juste au-dessus de son cœur, et le feusauvagerampaenelle,sefrayantuncheminàtraverssesailesetvêtementspourtoucherlapeau,luttantafin d’atteindre ses organes internes. Bien qu’elle hurlât, Raphael constata qu’elle se battait pour lerepousser.
Illafrappadenouveau.Elleparvintàsedétournerpours’éloigneràtire-d’aile.Àcetinstant,ilavaitlechoix:luidonnerla
chasse et l’achever, ou sauverAlexander.Ce fut l’unedesdécisions lesplusdifficilesde savie.S’iltuaitLijuan, ilpourraitsauverdesdizainesdemillionsdevies.Maiss’il laissaitAlexandermourir, ilperdraitunalliépuissantsusceptibledel’aiderdanssaluttecontreLijuansijamaiselles’ensortait.
Iln’yavaitaucunegarantiequelefeusauvagesoitassezpuissantpourlatuer–elleavaitsurvécuàladernière tentativequeRaphael etElena avaientmenéede concert pourmettre un terme à sa vie.À laminuteprésente,justeavantqu’ellenes’enfuie,Raphaelavaitconstatédequellemanièrelapluienoiredévoraitlefeusauvage,avaitvucommentLijuanavaitrelevésesdéfensescontrelesravagesprovoqués.Quoi qu’elle devienne, Lijuan n’était désormais plus comme le reste du Cadre. L’instinct viscéral deRaphaelluisoufflaitqu’unArchangeseulneseraitpascapabledel’exécuter.
DescendantversAlexandertandisqueNaasiretlesautresdéfenseursdulieutiraientendirectiondel’escadronquis’étaitélancéàlasuitedeLijuan,ilseposaprèsducorpsdel’Archange.L’Ancien,dontlesvêtementsn’étaientpastrèsdifférentsdeceuxdesescombattants,avaitdurementatterrisurlapierrebrutedescollines,àquelquedistancedessnipersqueRaphaelavaitrepérés.
Quittezcetendroit,ordonna-t-ilàcesderniers.Allezporterassistanceàvoscompagnonsd’armes.L’ailegauched’Alexanderétaitfripéesouslui,sajambedroitesigrièvementatteinteques’ilavait
étémortelilauraitétéimpossibledelaréparer.Lesangs’écoulaitdesabouche,maisilavaitlesyeuxouvertsetilsétaientd’unpurnoirobsidienne.
Raphael se souvint comment lui-même s’était retrouvé aveugle après l’attaquedeLijuan. Il prit lamaindel’Anciendanslasienne.
—Alexander,c’estRaphael.Il l’atteignit par l’esprit, l’interférence qui l’avait empêché de contacter Naasir – probablement
causée par la présence d’Alexander s’éveillant – ne posant plus problème.Elle avait disparu lorsque
l’Ancienétaittombé.Jevaisenvoyerquelquechosedans toncorpspourcontrer lepoisondeLijuan.En leprévenant
ainsi, il espéraitavoir l’attentionduguerrierbuté. Il relâchadirectementdans l’ailedecedernierunepetitebouledefeud’orblancoùtournoyaitunbleulumineux.
Quandlefeusauvagelepénétra,lecorpsdel’Ancienseraidit,tendonsétirésàl’extrêmeetmusclescrispés,samainécrasantcelledeRaphael.Maisiln’émitpasunson.Ilétaitungénéral,ilsupporteraitladouleurensilence.SouslesyeuxdeRaphael,lenoirreculalentementdecettepartiedel’aile.
Larespiration lourde,AlexanderdévisageaitRaphaeldesonregardaveugle.Tonremèdeestaussidésagréablequelamaladie.
Raphaeln’avaitpasentenducettevoixprofondeteintéed’arrogancedepuisquatrecentsans.Etbienqu’àl’époqueAlexanderl’aitmenacéd’uneguerre,iléprouvaunsentimentdebienvenueinattendupourcethommequ’ilavaittoujoursrespecté.Jedoismemontrerprudent.Lefeusauvagepeuttetuersij’enutilisetrop.Siladosedépassaitcellenécessairepourcontrerlepoison,lefeudevenaitunearmeenlui-même.
Duranttouteladuréedel’opération,Alexandersouffritlemartyre.Illesupportaavecl’aplombd’unguerrieretlorsquesesyeuxfinirentpars’éclaircir,ilregardaRaphaeletdit:
—Ehbien,jeuneRaf.C’esttoutaussibienquejenet’aiepastué,non?Raphaelsentit lacommissuredeses lèvress’étireràcenomquepersonnen’avait jamaisutilisé–
saufAlexanderquirefusaitdevoirl’Archangequ’ilétaitmaintenant.—Essaiedenepasl’oublier,Xander.Alexanderesquissaunsouriretremblantàcetteadressefamilièrequ’iln’autorisaitqu’auxintimes.—Elleaarrachémonfilsàcemonde,dit-il,chaquemotempreintdefureur.Jenem’arrêteraipas
avantdel’avoirclouéeausoletd’avoirtranchésoncœurvénéneux.Voilàcequebeaucoupdegensavaientoubliéausujetd’Alexander,pensaRaphael:ilétaitavisé,fort
etenclinàlapaix,maisilavaitdémarrésaviecommecombattantetc’étaitlecœurassoiffédesangd’unsoldatquibattaitdanssapoitrine.
—Jeseraiàtescôtés.Raphael étudia le corps de l’Ancien afin de voir s’il pouvait en accélérer la guérison. De telles
blessuresinfligéesàlasuited’unréveilintervenutroptôtrisquaientdelaisserAlexanderbrisépendantdesjours.
—Qu’est-il arrivé à Lijuan ? demanda ce dernier, dont la confusion était perceptible derrière safureur sanguinaire.Elleétaitplusqu’arroganteaprès sonascension,maisnemontraitpasde signesdegrandeur.
—C’étaitvraijusqu’àilyacentans.RaphaelavaitparfoistrouvéLijuanétrange,voiredérangeante,maisceuxdeleurraceàatteindreun
grandâgeétaientsouvent légèrementenretraitdumonde.Aufildessiècles, ilavaitcherchéconseilàLijuansurd’innombrablessujets,etenavaitreçudesréponsessincères.
Aprèsavoirpasséuneéternitéàsedemandersilafoliedesespropresparentsrisquaitdel’atteindreunjour,RaphaelavaitététémoindeladégradationdeLijuanetnepouvaits’empêcherdeconsidérerquel’âgeseultuelesâmes.Serait-ilpossiblequeLijuann’aitpaslechoixdumal,quel’éternitéelle-mêmel’aittrahie?
«Nousnesommespascommetesparents,et tun’asabsolumentrienàvoiraveclaReineduMal.Elle a tué son amantmortel, tu te souviens ? Toi, tu as fait de tamaîtresse ton affiliée. Elle avait lechoix.»
Lavoixd’Elenarésonnadanssonespritaussinettementquesiellesetrouvaitàsescôtés,toutaussimordanteetagacée.Ilsavaitquec’étaitexactementcequ’ellediraits’illuiexprimaitsesinquiétudes.
La chaleur d’Elena dissipa aussitôt le froid naissant dans son cœur, puis Raphael s’adressa àAlexander.
—Jenesaispascequiaprécipitésonchangement,maisLijuanestdevenueunfléauquis’estabattusurlemonde.Elleseprendpourunedéesse–nousautresnesommesquedesobstaclesàsondésird’unrègneomnipotent.
Alexandertournalatêteverslevillagedétruitquisediscernaitdanslelointain.—Mesgensarrivent.Jeneveuxpasd’euxici.Raphael le comprenait. C’était pour cette raison qu’il avait ordonné aux snipers de s’en aller.
Atteignantl’espritdeNaasir,illuidit:Naasir,demandeàceuxquisontavectoidepréparerunlieuconvenablepourrecevoirAlexander.Ildescendraquandcelaserasonheure.Ilsnedoiventpasveniràlui.
AucunArchangenevoulaitêtreaccueilliparsonpeupledansuntelétatdefaiblesse.Jeferaiensortequ’ilsobéissent,réponditNaasiraveccettehonnêtetébrutaleinhérenteàsanature.—L’ordreenestdonné,rapportaRaphaelàAlexander.—Tun’esdorénavantpluslejouvenceauquej’aiquitté.RaphaelétaitâgédeplusdemilleanslorsqueAlexanderavaitchoisideDormir.Iln’avaitriend’un
jouvenceau.Bienque,auxyeuxd’unAncienquiavaitvécudeséternitésindénombrables,cetteimagesoitpeut-êtreassezjuste.
—JefaispartieduCadre,Alexander.Etj’aimenémaproprebataillecontreLijuan.Tuferaisbiendenepasl’oublier.
Raphael respectait Alexander, mais savait aussi que ce dernier avait des instincts militaires – lafaiblesseétaitméprisée,laforceadmirée.
—Lacréaturesauvagequiestvenuemeprévenir,ditAlexandertandisquesesoscommençaientàseressouder, résultat combinéde saproprecapacitéangéliqueà laguérisonetdespouvoirsdeRaphael,c’étaitlachoseindomptéequetuassecouruechezOsirisetadoptéeàtacour?
—Naasirestaujourd’huiunguerrierànulautresemblable.Féroce,loyaletdotéd’unesoifdevivreinsatiable.—Ilapeuderespectpourquiquecesoit.Raphaelhaussaunsourcil.—Ilestl’undesmiens.Alexanderrit,lesonrauque.—Oui, toinonplus, tun’as jamaiseuassezderespectpour tesaînés. (Sonrires’évanouissant, il
observal’horizon.)Monfilsaquittécemonde,Raphael.Lebébéquej’aitenudansmesbras,legarçonàqui j’ai appris à manier une épée, l’homme aux côtés duquel je me suis battu. Il est parti à jamais,conclut-ild’unevoixoùladouleurperçait,nueetinfinie.
Raphaelrestamuet,laissantletempsàl’autreArchangedepleurerlefilsqu’ilnereverraitjamais.Rohan avait commis des erreurs, en particulier lorsqu’il avait tenté de contrôler tout le territoire
étendu de son père après que ce dernier avait choisi deDormir ;mais à la fin, il s’étaitmontré à lahauteur.
—Tonfilsétaitunhommelargementrespecté,dit-ilunlongmomentplustard,unefoisquelajambed’Alexanderavaitpresqueguérietquelesnuagesavaientcommencéàsedissiper.Ilatenucetteportionduterritoirepourl’Archangevenueaprèstoi…etaeuunenfantàsontour.
Leregardd’AlexanderseverrouillaàceluideRaphael,lebonheurs’ylisantaprèslapeine.
—J’aiunpetit-fils?—Oui. Il n’était pas aupalais–Rohan l’avait confié àTituspourqu’il apprennede ses troupes.
C’estunjeunehommededeuxcentsans.Ils’appelleXander,commesongrand-père.Unepurejoiesurlevisaged’Alexander.—Rohanavaitunecompagne?—Oui.IlétaituniàlamèredeXander.Maisilestplusqueprobablequ’ellesoitmorte.Ellevivait
avecluiaupalaisetilsaurontsansdouteluttécôteàcôtejusqu’àlafin.(CommeElenaavecRaphael.)Ellel’aimaitettousdeuxaimaientleurfils.
—Legarçonauraunfoyerauprèsdemoi,ditAlexanderd’untonoùs’entendaitl’âpretédesapeine,desajoieetdesafureur.Etunjour,iltiendrasavengeance.
Chapitre43
AndromedaetNaasiraidèrentlesfrèresailésàrapidementrassembleretentasserlesdécombresdeleursmaisons.Touteunepartieduvillageavaitpurementetsimplementdisparu,volatiliséeenpoussière.Leresten’étaitqueruines.
—IlnousfaudraaccueillirleSireàcielouvert,constataTarek.Ilcontrôlaitsavoixetl’expressiondesonvisage,maisonnepouvaitendireautantdesestroupes.
Leurdésespoir à l’idéedenepas avoir lesmoyensd’honorer leurArchange comme il se devait étaitperceptible.
Andromedaréfléchitàtoutcequ’elleavaitentendusurAlexander.—Danslesrécits,ilestditquevotreSirepréféraitboiresonhydromelautourd’unfeuencompagnie
deseshommesplusquedormirconfortablementdansunetentesomptueuse.LeshommesdelaFraternitésedétendirentsensiblement.—Oui,reconnutTarek.Ilestl’undesnôtres.Ils décidèrent de nettoyer l’espace proche du lac, puis l’un des éclaireurs fut envoyé quérir les
habitantsmisàl’abri.Àlasurprised’Andromeda,ilsedirigeaverslesarbresendommagésetnonverslesgrottes.Dessecrets,encoredessecrets.
Elletournadélibérémentledosafindenerienvoirqu’ellepourraittrahiràlacourdeCharisemnon– la douleur lui poignarda les entrailles à cette pensée– et continua à aider à ramasser et empiler desmorceauxdeboisbrisés,duverreetdesboutsdetoiture.Lorsqu’ellecommençaàtombersurdeseffetspersonnels,ellelesentreposaenunepilenettedansunemaisonquin’avaitplusdetoitmaisdonttroismurssubsistaient.
Celaconviendraitpourlemomentcommeespacedestockage.Les civils envahirent le village une demi-heure plus tard, bouillant d’excitation. Leur désarroi en
découvrantl’étatdedestructionduvillagelaissarapidementlaplaceàunejoieteintéedeterreuràl’idéedejouerleshôtesnonseulementpourleurArchange,maisaussipourceluiquil’accompagnait.Laplupartdesgensnes’approchaientmêmepasd’unseuld’entreeuxdetouteleurvie.
Tendusoupas,lescuisiniersparvinrentàlancerlefeuetàcomposerunragoûtdeleurinventionenutilisantlesalimentsrécupérésdanslesmaisonsdévastées,ainsiqu’àfairedesgalettes.Lorsqu’unfrigofut retiré des débris, tout lemonde applaudit en découvrant les fruits intacts qu’il recelait.Quelqu’und’autre s’aperçut que les conserves de fruits secs étaient cabossées mais entières. Bientôt, un platfraîchement lavéetàpeineébréchécontenaituneabondancede figuessèchesetd’autresdouceurs.Unadolescent ledéposa sur lagrande tableenboisque les frèresailésavaientassembléeaveccequ’ilsavaienttrouvé.
LorsqueNaasirdéterraunebouteilled’hydromelenfouie sous lespoutresd’unemaison,une salved’acclamations s’éleva.Un large sourire aux lèvres, il la passa àAndromeda et partit en chassepourd’autresapprovisionnements,sonodoratayantfaitdeluilechouchoudescuisiniers.Chaquefoisqu’ilsavaientbesoindequelquechose,ilsluienfaisaientpart,etilsedébrouillaitbiensouventpourmettrelamaindessusaumilieudesgravats.
Levillageétait aussiproprequepossiblequand le soleil stria le cielde rose sombreetd’orangeprofond à l’heure de son coucher.Non seulement les villageois étaient prêts pourAlexander,mais ilsavaient conçudes abrispour lesplus jeuneset lesplus faibles, et s’étaient lavésde leurmieux.Tousétaientconscientsqu’Alexanderavaitétéblesséetilsétaientsurdescharbonsardents.
Alorsquelecrépusculesemontraitencoreplusépoustouflantetquelesnuagesscintillaientcommedesrubisauxdernièreslueursdujour,lesilences’installasurlevillage.
—Papa!Desanges!Andromedasuivitladirectionindiquéeparledoigttendud’unpetitenfantetlevalatêteversleciel
éclaboussédecouleursau-dessusdesgrottes.Desailesd’unargentscintillantvolaientauxcôtésd’uneautrepaired’unorblancétonnantquisemblaitenfeu.
D’unepuissancerenversanteetd’unebeautésublime,cettevisionluicoupalesouffle.—Ilsnesontpascommenous,murmura-t-elleàNaasir,frappéeparceconstatjusqu’auplusprofond
desonêtre.Ilsn’ontriendecommunavecnous.Aussidifférentsd’ellequ’ellel’étaitd’unmortel.Danssondos,Naasirenlaçasesépaulesetfrottasonvisagecontrelatempedelajeunefemme.—Ilsaimentavecautantdeforce,Andi.Etsebattenttoutaussisauvagement.Ses mots rendaient leur différence d’âge si criante. Pour lui, Raphael n’était pas un Archange
inaccessible, un membre redoutable du Cadre. Pour Naasir, Raphael était avant tout son Sire et unguerrier,lerestenevenantqu’ensuite.Elleauraitaimévoirl’ArchangedeNewYorkàtraverslesyeuxdeNaasiraufildesansetapprendreàconnaîtrecetêtred’unepuissanceaveuglantequiseposaitencemomentmêmenonloind’elledansunimposantmouvementd’ailes.
LepouvoirquiémanaitdesdeuxArchangesluibrûlaitlesyeux.Tandis que les sujets d’Alexander, jeunes et vieux, s’agenouillaient devant lui dans un geste
d’allégeancesilencieuxetdévoué,Raphaels’avançapourvenirrejoindrelajeunefemmeetNaasir.Cedernier étaitmaintenant à côtéd’elle. Il saisit l’avant-brasde l’Archangeen signede salut lorsquecedernierleluitendittoutenrefermantàsontoursamainsurceluidesonhomme.
— Bien joué, Naasir, dit Raphael, sa voix aussi pure que le bleu virulent de ses yeux. SelonAlexander,tun’asaucunrespectpourquiquecesoit.
Naasirsourit.—EnparticulierpourdesAnciensbutésquirefusentd’écouterlavoixdelaraison.RaphaelaffichaunlentsourireavantdesetournerversAndromedaetdeluiprésentersonavant-bras.
Lajeunefemmeseretrouvalabouchesèche,lecœurbattant.— Mon affiliée est une guerrière, érudite, souligna Raphael lorsqu’elle se montra incapable de
réagir.Jelesreconnaisquandj’encroise,mêmelorsqu’elleschoisissentdemanierlestyloplussouventquel’épée.
Émerveilléeetstupéfaite,elleagrippal’avant-brasdel’Archange,laforcequivivaitdanslecorpsde ce dernier provoquant une douleur lancinante dans ses os. Et pourtant, son affiliée avait été unemortelle avant sa transformation, était encoreunangenouveau-né.Àcet instant,Andromeda souhaitaitdésespérémentrencontrerElenaDeveraux,connaîtrelafemmequiavaitlaforcedetenirsonrangcontreunArchange.
—Grâce à la volonté et au couragedontNaasir et vous avez fait preuve, repritRaphael une foisqu’ilseurentmisuntermeàleurétreinte,Alexanderestaujourd’huienvie.Ilnel’oublierapas.
Andromedaretrouvaenfinsavoix,etmêmesielles’exprimad’untonrauque,aumoinselleyparvint.—Jesuisheureusequelemonden’aitpasperduunAncien.RaphaelopinaetsetournapourregarderAlexandersaluersessentinellesloyalesl’uneaprèsl’autre.
Ilavaitdemandéàtoussesgensdeserelever.—Mamèreseraheureused’avoiruncompatrioteaveclequelbavarder.Andromedapritalorsconscienced’unevéritésidérante.—IlyamaintenantonzeArchangesenviedanslemonde,dontdeuxsontdesAnciens.Àdetrèsraresoccasions,leCadreavaitcomptémoinsdedixmembres,maisjamaisplus.Jamais.— Il semble que la Cascade ait modifié l’équilibre naturel du monde plus profondément que
quiconquepeutl’appréhender,réponditRaphael,latêtelevéeverslecielpeint,maisAndromedasavaitqu’il y voyait la bataille qui en avait brisé la paix peu de temps auparavant. Dix était suffisant pourmaintenir cet équilibre à travers les âges. Ce qui, apparemment, n’est plus le cas. D’autres Ancienspourraientbienencoreseréveilleravantquetoutcecisoitterminé.
ParcequelaCascadenefaisaitquecommencer.
Chapitre44
Raphael escorta sans encombre Naasir et Andromeda hors du territoire de Favashi avant d’allerrejoindrecettedernière.Minuitétaitmaintenantpassédepuislongtemps,etillatrouvadansl’obscuritéétoilée des ruines du palais deRohan. Ses yeuxmarron étaient cassants, ses traits anguleux saillaientcontresapeaud’uncrèmedoré.
Sesailesdelateintedel’ivoirevieillitouchaientlesdébrisquil’entouraient.—C’estdoncvrai,dit-elle,leregardants’avancerverselleàtraverslesruinesdésertes,commesi
Favashiavaitdemandéàresterseule.Alexanders’estréveilléettuasluttécontreLijuanpourleprotéger.—Oui.Ilcomprenaitsonincrédulité–tantdechosessemblaientimpossiblesdanscesévénements.Un:unAncienavaitDormiaucœurduterritoirequ’ellecontrôlait.Deux:cemêmeAncienétaitdenouveauéveillé.Trois:LijuanavaitcherchéàtuerunArchangeEndormi.—Rohanatoujoursétéloyalàsonpère,repritFavashidesavoixéléganteetcultivée,maisquin’en
exposaitpasmoinspourunefoissoncœurdurcommel’acier.JesavaisquesiAlexanderselevaitjeleperdrais.Maisjusque-là,ilm’étaitdévoué.(Lesventsdeminuits’infiltrèrentdanslebrunfoncéluxuriantde ses cheveux, les emmêlant. Elle ne se soucia pas de rectifier sa coiffure.) J’ai toujours su que jepouvaisavoirconfianceenluipourdéfendremesintérêts.
—Ilabienprotégélesgensdecetterégion.LorsqueFavashisetournaversRaphael,ilfutsurprisdevoirdeslarmesdanssesyeux.L’Archange
de Perse donnait peut-être l’apparence d’une femme douce, mais elle était aussi impitoyable quen’importequelautremembreduCadre,l’archétypedelamaindeferdansungantdevelours.
—Ilaétémonamant,autrefois.Avantmonascension.(Ellelaissaéchapperunhoquetrauque.)Fortetfidèle.J’auraisdûlefairemien,maisjevoulaisquelqu’undepluspuissant.
Quelqu’uncommeDmitri,pensaRaphael,conscientqueFavashiavaitoffertuneplaced’affiliéàsonsecond.
—Jesuisdésolépourcela,Favashi.S’iln’avaitvuses larmes, iln’auraitpascruquesoncœurétait impliqué.Maiscespleursétaient
sincères,toutcommelagrimacedesonvisagealorsqu’elletentaitdelesrefouler.Favashirelâchaunsouffletremblant.—Ilmefaisaitrire,murmura-t-elle.Mêmeaprèsquelavienousavaitséparésetqu’ilavaittrouvé
unecompagne,ilestrestémonami,capabledemefairerire.Jenem’étaisjamaisrenducompteàquelpointj’enavaisbesoinjusqu’àmaintenant.(Ellebalayaitcequil’entouraitd’unregardperdu.)J’auraisdûlefairemien,répéta-t-elle.Aujourd’hui,iln’estplus,etpersonnenem’amuserapluscommelui.
Unsilencepesant.Puis,poingsserrés,Favashiprituneprofonde inspiration,et lorsqu’ellese tournadenouveauvers
Raphael, la femme perdue, au cœur brisé, avait disparu. À la place se tenait une Archange furieuse,n’ayantquelavengeanceàl’esprit.
—SiLijuans’imaginequejeluipardonneraisoncrime,elleeststupide.RaphaelsedemandasiLijuanavaitconsciencequesonarrogancepourraitbienluiavoircoûtéune
Archangequisanscelaseraitrestéeneutredanslesbataillesàvenir.—L’arrogancedeLijuanestdangereuse,dit-il,maissespouvoirsgrandissantslesontencoreplus.Il n’avait pas échappé à Raphael que l’Archange de Chine avait perdu sa forme corporelle
lorsqu’elles’étaitenfuie.Cepouvoir,associéàsaviolentepluienoire,àsescapacitésdesenourrirdelaforcevitaledesautresetàcelledecréerdesRessuscitésinfectieux,faisaitd’ellel’êtreleplusdangereuxdelaplanète.
—Ellen’estpaslaseuledontlespouvoirsaugmentent,rétorquaFavashi.Etbrusquement,unetornadelesentoura.Cesventstombèrentaussivitequ’ilss’étaientlevés,maiscettedémonstrationconfirmaitlesrumeurs
selonlesquellesFavashiavaithéritéd’unenouvellecompétencenéedelaCascade.Raphaelréfléchitauxutilisationsoffensivesd’unetellecapacité,puisdéclara:—Iln’estpaspensablequ’Alexanderettoicohabitiezsurlemêmeterritoirepourlongtemps.LesterritoiresdesArchangesétaientséparéspardesdistancesconsidérablespourunebonneraison.
Deux Archanges ne pouvaient rester proches l’un de l’autre au-delà d’une durée de temps limitée.L’étendue exacte de cette période dépendait des Archanges impliqués. Tôt ou tard, leurs pouvoirscommençaientàs’exercerl’uncontrel’autre,créantunetensionquirisquaitdedégénérerenbaindesang.MêmelesparentsdeRaphaeln’avaientpastoujoursétécapablesdevivreensemble,bienquel’amourprofondqu’ilspartageaientaitconsidérablementamélioréleseffetsdecetteproximité.
Commesilanaturesavaitqu’ilétaitimpossibled’obligerleurscœursàêtreéloignésl’undel’autre.—Le Cadre en décidera, répondit Favashi en déployant ses ailes. Pour lemoment, je vais aller
l’accueillirdanslemonde.Raphael s’éleva dans le ciel avec elle pour la conduire au village. Et il prévint Alexander de
l’arrivéeimminentedel’ArchangedePerse.Lorsqu’ilsseposèrent,l’Ancienriaitavecsessentinelles.Riendanssonallureousonexpressionnetrahissaitsavulnérabilité.Ils’étaitéveilléàunevitessebientroprapideetauraitbesoind’aumoinssixmoispours’enremettre.Jusque-là,lamoindreattaquerisquaitdeluiêtrefatale,maisseulementsiquelqu’unserendaitcomptedel’ampleurdesafaiblesse.
Raphaelseseraitinquiétéd’unnouvelassautdeLijuansiellen’avaitpasaussirapidementbattuenretraite.Sil’onsefiaitàcedontAndromedaavaitététémoindanslacitadelledeLijuan,l’ArchangedeChine n’avait que partiellement guéri lorsqu’elle avait décidé de se lancer dans cette mission. Unedeuxième blessure due au feu sauvage devrait la tenir à l’écart assez longtemps pour qu’Alexanderrecouvretoutessesforces.
—Peut-onlatuer?demandaplatementFavashiunefoisqu’elleetAlexandereneurentterminéaveclessalutationsofficielles.Pendantqu’elleestfaible?
Alexanderfronçalessourcils.Raphael,connaissantl’attachementdel’Ancienàl’honneuretauxrèglesducombat,s’attendaitàce
qu’ilrefusecetteoption.Maisc’étaitoubliertropvitelaragequifaisaitdorénavantbouillirlesangdel’Ancien.
—UnArchangequiattaqueunDormeuretassassinesonfilsneméritepaslerespect,dit-il,chacundesesmotsdeglace.Jenevoisaucuneraisondenepaslafrapperalorsqu’elleestblessée.
—Nousyavionspenséaprèssonattaquecontremaville,ditRaphael.MaisLijuann’estpasstupide.Nimonmaîtreespionniceuxdemesalliésn’ontétécapablesdetrouverlelieuoùelleseterre.
Malgrélesapparences,celan’avaitpasétédanssacitadelle.LesailesdeFavashiluisirent.—Peut-êtrea-t-elledéveloppélamêmecapacitéàs’enterrerqu’AlexanderetCaliane.Alexanders’étira,plusdétendu.—Caliane?Elles’estréveillée?—Oui,réponditRaphaelenrencontrantleregarddesoninterlocuteur.Elleseraheureusedetevoir.
Jepeuxd’oresetdéjàt’assurerquetuseraslebienvenusursonterritoire.Calianes’attendraitàunetelleinvitationdelapartdesonfils,cars’ilétaitCadre,ilétaitaussila
chairdesachair.Leurrelationneseraitjamaissimple.Alexanderinclinalatête,acceptantl’offreavecgrâceavantdereportersonattentionsurFavashi.—Cetteterreétaitmienneautrefoisetchanteencoreàmonsang.Pourtant,tul’asgardéeensécurité
depuistonascension.L’implicationétaitclaire:Alexandervoulaitrécupérersonterritoire.Favashinereculapas.—Commetoujours,ladécisionduCadreferaloi.—Entendu.—Quoiqu’ilensoit,ajoutal’ArchangedePerse,jusqu’àcequeleCadreseréunisse,lapartiede
monterritoiresousl’égidedeRohanesttienne.(Lechagrinrenditsavoixplusépaisse.)Ildisaittoujoursqu’ils’enoccupaitcommetul’auraissouhaité.
Leregardd’Alexanders’aiguisa.—Tupleuresmonfils.—Oui,reconnutFavashiavecuneexpressionamèreavantdedéployersesailes.Jeparsrejoindre
monbastion, dit-elle àAlexander.Le palais deRohan– ton ancien foyer – est fortement endommagé,maisjepeuxenvoyeruneéquipequiaideraàleréparersitusouhaitesl’utiliser.
—Non, réponditAlexander d’unevoix légèrement adoucie. Je te remercie,maismesgens etmoinousoccuperonsdetout.
Favashipartitsansrienajouter,maissonespritatteignitceluideRaphaeltandisqu’ellesedirigeaitverslesétoiles.
Jeteremercie,Raphael,pouravoirempêchéqu’unacteaussiinfâmesoitcommissurmonsol.Jemesuistenueenretraittroplongtemps–àcompterd’aujourd’hui,considère-moicommetonalliée.
Raphaelaccusaréceptiondesadéclaration,maisnelapritpaspourargentcomptant.LesintentionsdeFavashiétaientplustroubles.Ilnepouvaitécarterlapossibilitéqu’ils’agisselàd’undoublejeubienmené.EllepleuraitRohan,certes,maiscelanesignifiaitpaspourautantqu’elleneseréjouiraitpasdelamortd’Alexander.
Commel’Ancienvenait justedeleprouver, iln’allaitpasrestersur la toucheencequiconcernaitson territoire. Et dans ce dernier, il bénéficiait encore d’une loyauté solide. Favashi avait gagné lerespect durant le peu de temps où elle avait régné, mais même parmi les mortels, la légende del’Archangeauxailesd’argentétaitracontéeavecémerveillementetenvie.
AlexanderavaittenucesterrespendantunmillénaireavantdeDormir.Favashiavaitd’ailleurstoujourssuques’ilselevaitelleperdraittoutouuneimmensepartiedeson
territoire actuel, et serait obligée de tout recommencer. La décision du Cadre n’était qu’une simpleformalité.
—Raphael?—Oui?—Mesescadronsmereviendront,ditAlexanderavecuneconfianceenluiqui trahissaitsapropre
arrogance.Ilsfinirontleurscontratsetvolerontversleurfoyerdesquatrecoinsdelaplanète.Maispourlemoment,jen’aipersonnepourserendresurleterritoiredeTitus.
Raphaelentenditlarequêtenonformulée.—Jedoisrejoindremonpropreterritoire.(Luiaussiavaitsonpeupleàprotégeretuneaffiliéequi
s’inquiéteraittantqu’ellenel’auraitpasrevusainetsauf.)Quoiqu’ilensoit,jetraverseraileterritoiredeTitusetluidemanderaiderenvoyerXanderchezlui,sousescorte.TupeuxavoirconfianceenTitus.Iln’apaschangé.
—Directethonnête,acquiesçaAlexander.Dis-luiquejeluiparleraipersonnellementunefoisqueleschosesserontenordre ici. (Il se tournavers lesgrottesdans lesquelles ilavaitDormi.)Unfilsnedevraitpasavoiràpleurerunpèrequandcepèreestdanslafleurdel’âge,etunpèrenedevraitjamaisavoiràpleurerunfils,maisXanderetmoiferonsface.NousferonsvivrelesouvenirdeRohanàtraverslamortetlavengeance.
Chapitre45
Après tout ce qui s’était passé, le retour vers le Refuge sembla passer à la vitesse de l’éclair.AndromedaetNaasirutilisèrentlejetaussiloinqu’ilpouvaitlesmener.Auxyeuxdelajeunefemme,letempsqu’il leur restait à passer ensemble était plusqueprécieux.Une fois posés,Naasir récupéraunpetit paquet de vêtements pour le froid queGalen avait laissé pour lui à l’aéroport, et conseilla à sacompagne de voler en ligne droite jusqu’auRefuge tandis qu’il semettait en selle sur lamoto que lemécanicienétaitalléluichercher.
—Tesailesontbesoinderepospourguérircorrectement,luidit-ilavecunfroncementdesourcils.Ladistancesurlaquelletudevraisvolerpoursuivrelemêmecheminquemoilesfatigueraitinutilement.
Ellenevoulaitpasêtreséparéedelui,maissavaitqu’ilavaitraison.Aussielles’élevahautdanslesairs,lecompteàreboursquiavaitdébutéenellesefaisantplusaudibleàchaquebattementd’ailes.EllecomprenaitmaintenantqueNaasirnelarejetteraitjamais–iln’étaitpasfaitainsi.Illarevendiqueraitetlagarderait,qu’importelereste.Maisilnepouvaitsedressercontreuneéternitédetraditions,carcestraditionsgardaienttoutlemondeensécurité.Siellefuyaitpourunautreterritoire,etquel’ArchangeàsatêtenelarenvoyaitpasàCharisemnon,celabriseraituntaboufondamental.
Mêmedesennemisnesevolaientpasleursenfants.C’étaittoutsimplementinacceptable.Ses larmes balayées par le vent, elle fendit le ciel d’un velours étoilé jusqu’à en avoir les ailes
douloureuses. Elle atteignit les montagnes du Refuge aumilieu de la nuit. Volant bas, elle essaya derepérer lamaison secrète deNaasir dans les forêts qui défilaient sous elle,mais elle était trop biendissimulée.Luiseulpourraitluimontrersonemplacement.
ElleseposadiscrètementauRefuge,sedirigeantnonpasverssasuitedanslaforteressedeRaphael,maisvers lenidd’aiglequ’ellepossédaitaubordduprécipice.Tout soncorpsétaitdouloureux,maisc’étaitsoncœurquisouffraitleplus.Déjà,Naasirluimanquait.Mêmeavecsarapiditéspectaculaire,illuifaudraitaumoinsvingt-quatreheurespourarriverparlaroute.
Ellesefitcoulerunbain,s’yassit,serrantsesgenouxcontresapoitrine,essayantdésespérémentdepenseràunemanièredesesortirdupiègedans lequelelleétaitprise.Rien.SeulCharisemnonétaitàmêmedeluirendresaliberté.
Sabouchesetordit.Songrand-pèreattendaitdeceuxdesonsangqu’ilsremplissentleur«devoir».Ellesortitde l’eausurcettepenséepeuréjouissante, seséchaetse résolutàallerdormir.Ellene
voulaitpasperdreuneminutedecellesqu’ellepouvaitvivreavecNaasir,tenaitàêtreforteetreposéeàsonarrivée.
Sonreposforcél’emmenajusqu’aumilieudelajournée.Tantd’heuresencoreàpasser.
Nesouhaitantparleràpersonne,ellerestachezelleets’attelaàlatâchefastidieusedecataloguerlesprojetsensuspens.CelarendraitleschosesplusfacilespourJessamylorsqu’ellepartirait,pournepasreveniravantcinqcentsans.
Letempsavançaitàlavitessed’unescargotalorsqu’ellesouhaitaitlevoirs’accélérer.Enfin,lanuittomba,etlecalmes’installaaprèsminuit,tandisquelemondeentierparaissaitdormir.Lagorgeserréeàl’idéederevoirNaasir,elleenfilaunsimplepantalonnoiretunejolietuniquerose
brodéed’unfinfilbleuautourdesoncolenV.Ellelaissasescheveuxlibres,lesrepoussantjustesurlescôtésdesonvisageenutilisantdeuxpeignesornésdepierresqueJessamyluiavaitofferts.
Naasiraimaitqu’elleaitlescheveuxlâchés.Elle alla se poster sur la falaise, à la recherche d’une démarche de rôdeur familière, d’un éclat
d’argent sous la lumière des étoiles.Ce ne fut qu’après deux heures passées ainsi qu’elle songea queNaasirpourraitbienserendredirectementchezluiplutôtquedevenirlà.
Unepierreluitombasurl’estomac.Illeurrestaitsipeudetemps,etsiellerataitcesoir,iln’yauraitplusdenuits.Elleétaitobligéede
partirlelendemainpourl’Afrique.—Naasir,murmura-t-elledanslevent,jet’attends.Jet’enprie,viens.Comme s’il l’avait entendue, il apparut dans le lointain, courant sans aucune difficulté à grandes
enjambéessurlespierresdelamontagne.Respirerfutsoudaindifficilepourlajeunefemme,sesyeuxlapiquèrent. En la remarquant, Naasir leva un bras avant de s’évanouir à sa vue. Cela n’avait pasd’importance.Ellesavaitoùilallait.Elledécollaetvolajusqu’audélicatpontdepierrequireliaitlesdeuxpartiesdelagorge.
Ilyétaitdéjà.Ilsautadangereusementhautpourl’attraperparlachevilleetlatirerverslebastandisqu’elleplanaitau-dessusdelui.
—Naasir!Elleritetvintsependreàsoncou.Couvertdesueur,lachaleurirradiantdesapeau,ilétaitsauvage,beauetelleavaitsiterriblement
enviedelui.— Tu es sûr que tu ne veux pas accepter mon offre ? murmura-t-elle, dévorée par un espoir
douloureux.Ilcaressasonnezdusien.—Jeleferai.Tumedoisdenombreusesfaveursaulitpourmafrustrationetmapatience,dit-il,ce
derniermots’accompagnantd’ungrognementénervé.Maisjelesrecevraidelabonnemanière.—Etsituneletrouvespasàtemps?—Jesuisbonquandils’agitdetrouverdeschoses,dit-ilenclaquantdesdentsdevantlevisagede
lajeunefemme.Jeveuxmebaigner.Elle le conduisit à son nid d’aigle, où elle l’attira à l’intérieur avant de repousser la porte. Sa
demeureétaitcelled’uneérudite,empliedelivresetd’œuvresd’art,etNaasirétaitunesuperbecréatureabsolumentpasapprivoisée,quinesemblaitpasapparteniràcetenvironnement.Puisilretirasaveste,sonpulletsontee-shirtpourlesjetersurunechaise,sedébarrassadesesbottesetdeseschaussettes,etsoudain,cefutcommes’ilavaittoujoursvéculà.
Iltrouvalechemindelasalledebainssansaide,puisqueAndromedaétaittoujoursmuettefaceàsabeautéracée.Illaissalaporteouverte.
—Tuasfaitcoulerl’eau,lança-t-il.Unbruissementparvintauxoreillesdelajeunefemmequandilenlevasonjean.—Oui.
Elleavaitlagorgesisèchequ’elleduts’éclaircirlavoix.—C’étaitilyadeuxheures,reprit-elle,maiselleétaitpresquebouillante.Iltesuffirad’ajouterun
peud’eauchaude.Unbruitd’éclaboussureslorsqu’ilyentra.—C’estsuffisammentchaud.Lapierreamaintenulatempérature.Elle était àpeuprès autant capablede lui résisterqu’unenfantde refuserunbonbon.Elle avança
donc jusqu’au seuil de lapiècepour regarder à l’intérieur. Il avait la tête sous l’eau, et lorsqu’il l’ensortit,illuioffritunsourireimmoral.
—Andi,viensmelaverledos.Ellen’essayamêmepasdeleluirefuser,deleurrefusercela.Nonseulementellefitcourirlesavon
surledosdeNaasir,maiselleluilavaaussilescheveux,luimassantlecuirchevelujusqu’àcequ’ilenronronne,lesyeuxclosdeplaisir.Denouveau,lesrayuresétaientvisiblessoussapeau,unefinefourruredélicatesensiblesouslesdoigtsdelajeunefemmetandisqu’elleexploraitlanuqueetlesépaulesdesonvisiteur.
—Àquoipenses-tu?demanda-t-ilenouvrantbrusquement lesyeux,narinesévasées.Tonodeurachangé.
Les joues rouges,Andromeda allaitmentirmais s’arrêta net. Si c’était là ses dernières heures deliberté avec lui, elle lui dirait toutes les vérités qu’elle pouvait. Et tenterait de le séduire. Que sonhonneurailleaudiable.
—Jemedemandaiscommentcelaseraitdefrottermoncorpsnucontreletien.Les yeux deNaasir étincelèrent. Il posa une grandemain humide sur la cuisse de la jeune femme
assise aux bords de la baignoire de pierre, et l’attira plus près de lui. Il se pencha jusqu’à êtredangereusementprochedelachairquipulsait,gonflée,entrelesjambesdecettedernière…etlamorditdurementàl’intérieurdelacuisse.Ellecouinadedouleuralorsmêmequ’unechaleurliquidebattaitentresesjambes.
—Cetteidéeneteplaîtpas?s’étonna-t-elle.Ilgrognadanssadirection,dévoilantsescrocs.—Impossibledenourrirdetellespensées.Tuasfaitunvœu.Conduis-toibien.Elleseretrouvabouchebée.—Jen’arrivepasàcroirequetumedisesàmoidebienmeconduire.—Jenetedéroberaipastonhonneur,dit-il,buté.JevaistrouvertonGrimoiretrèsstupideafinque
nouspuissionsnousaccouplersansculpabilité.Chaque fois qu’il prononçait lemot« accoupler », le corps tout entier de la jeune femmevibrait.
C’étaituntermesicharnel,sicru,sieffronté.—Jeveuxsavoircequetumeferais,murmura-t-elle,sepenchantaupointqueseslèvresn’étaient
plusséparéesdecellesdeNaasirqueparquelquescentimètresàpeine.Dis-moi.Ungrognementsourdfutl’uniquemiseengardequ’ellereçutavantqu’ilnelabasculedansl’eau.Lorsqu’elle en sortit la tête, postillonnant et repoussant ses cheveux de ses yeux, il la fusilla du
regard.—Tiens-toibienouj’ouvrelerobinetd’eaufroide.Àbout,elleluimontralesdentsàsontour.—Essaiepourvoir.Ilritetbonditsurelle,laprenantcontresapoitrine.Ilfrottadenouveausonnezàceluidelajeune
femme.Lorsqu’ellemenaçadelemordre,sonsourires’élargitencoreplus.—J’aitoujourssuquemafemelleseraitaussisauvagequemoi.
Personnenel’avaitjamaisqualifiéedesauvage.Elledécidaqu’elleaimaitça.Lorsqu’illapelotonnacontresoncorpsnu,lesvêtementsmouillésd’Andromedaluicollantàlapeau,
elle ne résista pas. Parce que dans ses bras, recevoir ses caresses pleines d’affection tandis qu’ilsparlaientde leuraventureétait simerveilleuxqu’elleenavait lecœurdouloureux,cecœurquibattaitd’unpurbonheur.Lesyeuxde la jeune femmelabrûlaientaupointqu’elledutserrer lespaupièresdepeurqueseslarmesnecoulentetnelatrahissent.
Naasirlaissasacompagnetroisheuresaprèsl’aube.—JeparscherchertonfoutuGrimoire,marmonna-t-il,l’airrenfrogné.—Naasir,c’estunelégende.Safemelle,futéeetsauvage–bienqu’elleprétendelecontraire–lefusilladuregard,mainssurles
hanches.—Jet’aiditquejerenonçaisàcesermentidiot!insista-t-elle.—Tunepeuxpas.Quelquechoseenelleétaitbrisé,etilneseraitpasceluiquiaugmenteraitsessouffrances.—Jeteverraidansunesemaineaudomiciledetesparentspourdîner,ettumedirascequetume
caches.Finilessecrets,lança-t-ild’unevoixrageuse.Lesyeuxécarquillés,elleopina.Puisellecourutàlui,l’enlaçantdansuneétreinteviolente.—NeteblessepasdanstaquêteduGrimoire.Etnesoispasenretard.Jet’attendraiàmidi,dans
septjoursàcompterd’aujourd’hui.(ElleappuyasajouecontrecelledeNaasir.)Jenousprépareraiunpique-niqueetmerendraiàl’ancienpointd’eaudeséléphantssurlapropriété–tuletrouverasensuivantlevoldeshérons.Ilsaimentcetendroit.
Ilsavouraitsonparfumdélicieux.Illasoulevadeterrepourlafairetournoyer.—Jeserailà,promit-illorsqu’illareposaausol.Pensebienànepascuirelaviande.EllejouaitdesdoigtsdanslescheveuxdeNaasir,làoùilavaittresséunesecondeplume.—Promis.—Ilyaquelquechosequetudevraissavoir,dit-ilquandilsseséparèrent.—Oui?— Lorsque nous serons unis, je ne m’éloignerai plus ainsi. Nous serons ensemble. (Naasir ne
comprenaitpaspourquoiquiconquevoudraitavoirunecompagneetnepasêtreavec.)SijedoisalleràNewYorkouquelquepart ailleurs, tuviendras avecmoi.Si tunepeuxpas à causede ton travail, jedemanderai àRaphaeldemepermettrede rester ici – il nedirapasnon.Lui aussi aimeêtre avec safemelle.
SesmotsbrisèrentAndromeda.BienqueNaasiroccupâtunepositionbienplusélevéequ’elledanslahiérarchieimmortelle,ilnepartaitpasduprincipequesesdésirspassaientenpremier.
—J’irain’importeoùavectoi,murmura-t-elle,l’émotionluinouantlagorge.VatrouvercestupideGrimoireafinquenouspuissionsfairedevilaineschosestousdeuxnus.
Sur un sourire féroce, il quitta le Refuge en courant. Elle le suivit des yeux jusqu’à ne plus voirmiroiter lemoindre éclat d’argent. Puis elle se détourna pour attraper son petit sac préparé pour sonvoyageversl’Afrique,cetteterrequichantaitàsesoreillescommeleterritoired’Alexanderchantaitauxsiennes,etquipourtantallaitêtresaprison.
Chapitre46
Naasirdétestait le froid. Il ledétestait. Ildevraitmalgré tout lesubirafinde trouver leGrimoire.Toutlemondepensaitqu’ils’agissaitd’unelégende,maispendantlevolentreleterritoired’AlexanderetleRefuge,ilavaitenfincomprispourquoiilluisemblaitaussifamilier:ill’avaitvu.
C’était ilyavait très, très, très longtemps,alorsqu’ilavaitdeuxans.Lebébé tigreétait celuiquiavaitremarquélelivrerougeavecsagravuredoréesurlacouverture.Cen’étaitpasquelquechosedontilauraitgardélesouvenir,saufquel’expériencedelacréationdelachimèreavaiteulieucettenuit-là.Onavaitforcélegarçonetletigreàn’êtreplusqu’un.Lessouvenirsdutigreetdugarçons’étaientmêlés.Maisparcequ’ils étaient issusdedeuxespèces si différentes l’unede l’autre, rienn’avait eude senspendantunlongmoment.
Celaavaitétéunepériodetrouble,terrifiante,etlachimèrequ’ilétaitavaitdepuislongtempsoubliélelivreaperçuparletigre.MaislorsqueJasonavaitdécritleGrimoire,lessouvenirsétaientrevenusàlasurfacetandisquetoutsonêtretendaitversunseuleffort:conquérirsafemelle.Ilsavaitdoncoùlelivres’étaitun jour trouvéetoù il se trouvaitencoreselon touteprobabilité.Malheureusement,ce lieuétaitdorénavantenfouisousdestonnesdeglaceetdeneige.
Courantsur lasurfaceblancheglacée, lecorpsprotégéparuneépaissecouchedevêtementset lespieds au chaud dans des bottes isolantes, Naasir grognait contre la neige qui lui frappait le visage àchaquefoulée.Ilnefutpassurprislemoinsdumondequandunangeauxailesnoiresseposanonloindelui.Ilsetrouvaitauboutdumonde,maisilluisemblaitparfaitementnaturelqueJasonsoitcapabledel’ydénicher.C’étaitcequefaisaitJason–connaîtrelessecrets.
—Quefais-tuenAntarctique?demandalemaîtreespionenrepliantsesailes.Commentmêmees-tuarrivéici?
Naasirhaussalesépaules.—J’aisautéd’unavion.Sur le continent, loin, loin de sa destination actuelle, raison pour laquelle il avait dû courir si
longtempsetpasserdeuxnuitsdanslaglace.Etparcequ’ilétaitimportantdegardercelasecret,ilavaitdemandéàIlliumdefaireensortequen’importequiayantdesyeuxdansleciellesdétournejusqu’àsonretour.
Seulessafamilleetsafemellepouvaientêtreaucourantpourcetendroit.—Tuauraisdûporterdesvêtementsblancsetteindretesailes,fit-ilremarqueraumembredecette
mêmefamillequisetenaitdevantlui.Tudétonnesdanscelieusansombre.—Iln’yapersonned’autrequetoipourmevoir–ettudétesteslaneige.(Jasonnecédapas.)Alors,
quefais-tuici?—JesuisvenucherchercestupideGrimoire,gronda-t-ilquandunfloconluitouchalenez.
Ils’endébarrassaetlevalesyeuxversJason,soudainparfaitementimmobile.Pourlapremièrefois,ilpouvaitpresquelirelasurprisesurlevisagedecedernier.
—Tusaisoùilest?s’enquitlemaîtreespion.— Je sais où il était autrefois. (Et puisque Osiris avait pour habitude de s’accrocher à ses
possessionsetquelaforteressetoutentièreavaitétéenterréetellequ’elleétait, ildevraitnepasavoirbougédeplace.)Tuveuxveniravecmoi?
Naasir appréciait l’esprit rusé de Jason – peut-être penserait-il à une méthode plus rapide deparvenirsoustoutecetteglaceetcetteneige.
—Tacompagneseraencolère?ajouta-t-il.—C’estMahiyaquim’aordonnédetetrouverquandIlliumnousaannoncéoùtuavaisdisparu.Ma
princesset’aimebien,ajouta-t-ilendéployantsesailes,prêtàdécoller.Pourquoin’as-tupasdemandéàl’undenous?Noust’aurionsaccompagné.
—Illiumvoulaitvenir,maislesguérisseursneleluiontpaspermis,etjesavaisquetumetrouverais.JasonavaitunfondtoutaussicurieuxqueNaasir.Seulement,illecachaitmieux.Unlégersourire.—Tucomprendslesgensmieuxquequiconquenel’imagine.IldécolladansunebourrasqueglacialequienvoyadesfloconssurlevisagedeNaasir.Cedernier
grinça des dents avant de grogner dans la direction de l’ange. Il crut presque que Jason riait. Celal’intrigua,carJasonneriaitjamais.
Àmoinsque…ilnelefasseavecsaprincesse.PrenantnotederendrevisiteàJasonetMahiyaafindevoirs’ilparviendraitàsurprendreJasonen
pleine hilarité, il reprit sa course. Le sac qu’il portait au dos ne le ralentissait en rien. Ce derniercontenait du sanggelé. Il ne l’était pas au départ,mais ce lieu n’était qu’un frigo géant à ciel ouvert.Naasirdétestait le sanggelé.Malheureusement,avant l’arrivéede Jason, iln’yavaitpersonnedans lecoindequiilauraitpusenourrir…etilnepensaitpasqu’Andromedaappréciaitquandilprenaitdusangàd’autres.
Parcequ’ilétaitsonterritoire.Ilaffichaunimmensesourire.Ilaimaitêtreson territoire.Siellevoulaitqu’ilnesenourrisseque
d’elle, iln’hésiteraitpas.Jusque-là,ilboiraitdusangenbouteille–oumangeraitcesécœurantscubesgelésquise trouvaientactuellementdanssonsac.Et il rêveraitdeserepaîtreà laveined’Andromedapendantque son sexe serait enfoui en elle et qu’il aurait déjà jouiunepremière fois, l’inondantde sasemence,l’imprégnantdesonodeur.
Lecœurtambourinantsousl’effortetl’excitation,ilpoursuivitdansl’immensitéblanche.—Tut’esperdu?hurlaJasonplusieursheuresplustard.Naasirs’efforçaitdenepasalleràtouteallureparcequ’ilnepouvaitsepermettredes’arrêterpour
sereposer.—Non ! hurla-t-il à son tour. (C’était comme s’il avait en lui une balise réglée sur ce foyer, le
conduisantlàoùilavaitétécréé.)Encoreuneheure!Jasons’élevadenouveaudanslesairs,sansaucundoutepouréchapperàlalumièreaveuglantedela
neigequiirritaitNaasir.Andromedaferaitmieuxdelecaresserpourtoutça,etpasqu’unpeu–ilétaitallédanslaneigepourelle.
Ilcourait,l’espritemplidesjeuxauxquelselles’adonnaitaveclui.Exactementuneheureplustard,ils’arrêta.Jasonseposaàsoncôté.
—Iln’yarienici.Celaressemblejusteàn’importequelleautrepartiedupaysage.
—Unemaisonsedressaitlàautrefois,luiappritNaasir.Uneforteresse.L’angequiyvivaitaimaitlefroidparcequecela empêchait ses expériencesd’aller trop loin si elles s’échappaient.Malgré tout, àl’intérieurdesaforteresse,ilfaisaitbon–parcequelesenfantsetlespetitsanimauxmouraientsilefroidétaittropvif.
LesyeuxsombresdeJasonsoutinrentceuxdeNaasir,eteneux,cederniervitlacompréhensionsefaire.
—Raphaelaenterréleslieux,n’est-cepas?—Non,Alexanders’enestchargé.Raphael n’était pas encore un Archange, mais sur le point de le devenir. Il avait été capable de
maîtriserOsiris,maisensevelircelieud’horreursallaitau-delàdesescapacités.—Raphaelm’a raconté qu’Alexander avait enfoui la citadelle dans la neige,mais l’avait laissée
intacte,repritNaasirencommençantàtournerenrond.Ici,dit-ilenpointantdupiedunpoint.Laporteestici.Sijeparviensàentrer,j’arriveraiàprendrecedontj’aibesoin.
—Recule.Naasirserenfrogna,maisobéit.— J’allais creuser, expliqua-t-il. (Ses griffes étaient très puissantes, mais il s’était aussi muni
d’outilspointus.)Tupeuxm’aider.C’esttrèsprofond.Siprofondquepersonnenedécouvriraitaccidentellementcebastiondanscepaysageinhospitalier.—Ou,ditJason,jepourraisfaireça.Unéclairnoirjaillitdesesdoigts.Naasiravaitdéjàvuauparavantl’éclairdeJason–ilcréaitdesténèbrescapablesdetoutengloutir
dansleursprofondeurs,allantjusqu’àsuffoquerettuersiJasonlesouhaitait.Aujourd’hui,ildécouvraitquel’éclairdesonamipouvaitaussibrûlercommelafoudre.
La chaleur qu’il dégageait trancha à travers la neige et la glace comme si de rien n’était. CelademandadutempsàJasonseulementparcequ’ilsemontraitprécautionneuxafindenepasabîmercequisetrouvaitdessous.Maisilcreusauntunnelatteignantuneprofondeurincroyabledanslesdixminutesquisuivirent.
—Attends,ditNaasirenôtantsonsacàdos.Jevaisdescendreetvoirsiçavaassezloin.Toutenparlant,ilavaitretiréunpetitpaquetdusacpourlemettredansunepochedesadoudoune.—Si c’est bon, lui répondit Jason ennequittant pas le troudesyeux, remonte suffisammentpour
m’eninformerafinquejesachequelaneigenet’apasrecouvert.Naasirpromit.Ilnesautapasdansl’ouverture,maisydescendit,utilisantsesgriffespours’assurer
d’une bonne prise. Si Jason avait percé trop loin, il sentirait la porte lors de sa descente. Il s’avéraqu’ellesetrouvaitencorequelquesmètresplusbas,maisildécidadesefrayerunpassagedesespropresmains,entassantlaneigesurlesparoisdutunneldeJason.
PuisilremontaafindesefaireentendredeJason.—Envoie-moilahachequiestdansmonsac!J’aibesoindebriserlaglacedevantlaporte.Jasonlatrouvaetconseillaàsonamidesecollerauboyau,puisilylaissatomberl’outil.Naasirs’ensaisitetcommençaàdégagerlaneigeetlaglacequileséparaientdelaporte.Celalui
pritdu temps.La transpiration luicoulait le longdudossoussescouchesdevêtementschauds.Mêmealors, laportenevoulutpas s’ouvrir, tant elle était gelée. Il utilisadenouveau lahachepourpiler laglace,toutenprenantsoindenepasdétruirelesceau.
Lorsqu’ilpartirait,ilcondamneraitdenouveaucelieu.CarsiAlexanderavaitchoiside recouvrircetendroitplutôtquede ledétruire,c’étaitparcequ’il
s’agissait d’une tombe. Les frères deNaasir, qu’il n’avait jamais rencontrés de son vivant, ne lui en
voudraientpass’ilvenaityprendrequelquechose.Ilétaitl’und’eux.Maispersonned’autren’yétaitlebienvenu,etilnepermettraitpasàquiquecesoitdeprofanerleslieux.
Uneplumenoirevoletajusqu’àlui.IldevinaqueJasondevaits’inquiéteretrepartitenarrièreafindefairesigneaumaîtreespion.Puisil
se laissa tomber de nouveau, et, après avoir taillé encore plus profondément la glace en semontrantprudent, il tourna enfin la poignéede laporte tout en la poussant de toutes ses forces.Uncraquementretentit.Naasirpercutalebattantdesonépaule.Unefois,deuxfois…etiltombadanslapièceglacéeoùilétaitnéetoùtantd’autresavaienttrouvélamort.
—Cen’estqueNaasir,dit-il àceuxquidormaient làdans lescercueilsdepierrequ’Osirisavaitcréésetdisposésunparunautourd’unepetitemaison,jusqu’àcequ’ilsdeviennentlesmursetleplafondd’uneimposanteforteresse.
Chaquebloccarrécontenaitunenfantdistorduquiétaitdeux,oudescorpsbrisésquineformaientencorequ’un.
— Je suis venu pour un livre, dit-il, capable de les sentir autour de lui, curieux et excités par saprésence.Ilestrougeavecunsigneenorsurlacouverture,etilaunfermoirestampillédelasilhouetted’ungriffon.C’estungenredecréaturemoitiéoiseau,moitiélion.
Sonsoufflegelaitdansl’airpendantqu’ilparlait.Lesgriffesdesespiedsavaienttraversélasemelledesesbottespourmieuxagripperlaglacequirecouvraittouteslessurfaces.
Desstalactitespendaientdesplafonds.Desstalagmitess’élevaientdusol.C’étaitunlieufroid,désolé,maisNaasirn’éprouvaitaucunsentimentdedangeroudemal-être.Seuls
sesfrèresvivaientlàmaintenant.AlexanderavaitincinéréOsirisetemportésescendresloind’iciavantd’ensevelircetendroit.
—Jevousaiapportéquelquechose.Ilmit lamainàlapocheetensortitunjouetquifaisaitdelamusique.Il legardadanssamainen
descendantlesmarchesquimenaientauniveauinférieur.Là,danslelaboratoire, ildéposasoncadeausurlagrandetableblancheoù,selonlesnotesprises
par Raphael et gardées en sécurité jusqu’à ce que Naasir soit prêt à les lire, Osiris avait découpéd’innombrablescorpsmalformés,alorsquenombred’entreeuxétaientencoreenvie.
—J’aiunefemelle,informa-t-illesautres.Ilnepensaitpasauxchosesabominablesquis’étaientdérouléesdanscettepièce,maisàcomment
elleavaitétéengloutie.—Lelivreestpourelle.C’estuneérudite.Unestalactitetombaduplafonddanslesprofondeurslointainesdulaboratoire.Suivantcetindice,il
avançajusque-làetdécouvritquetoutétaitprisparlaglace.Ilremontalesmarches,trouvasahacheetrevintsursespas.Encoreunefois,ilfittrèsattentionenlapilant.
Le livregisaitpar terre,emprisonnédansunblocdeglacequeNaasirdécoupa jusqu’àparveniràsouleverl’ouvrage,toutenluilaissantunecoucheprotectrice.
Illetintdanssesmainsgantées.—Merci, dit-il à ses amis. Un jour, j’emmènerai ma femelle ici. Elle a des ailes, mais elle est
courageuseetelledescendra.Andromedanes’étonneraitpasqu’ilsachequesesamisétaienttoujoursprésents,jouantjoyeusement
entreeux–ellelecomprenait,savaitqueleursespritsnefonctionnaientpasdelamêmemanière.Uneautrestalactitesedétachadansunesymphoniedetintements.Il sourit, se détourna et sortit. En remontant lesmarches, il entendit lamusique qui commençait à
s’éleverdanssondos,etsutquesonjouetétaitbienaccueilli.Ilenfouitlegrimoirecouvertdeglacedans
sapoche,refermalaporteets’assuraquelesceautenaitbien.Puisilpassadutempsàrassemblerdelaneigeautour.
Enparvenantàlasurface,ildit:—Ilfautreboucherletrou.Personnenedoitsavoircequigîtici.Sesfrèresméritaientlapaix.—La neige qui tombe s’en chargera,mais rien ne nous empêche de lui donner un coup demain,
réponditJason.Ensemble,ilscommencèrentàemplirletunnelmanuellementens’aidantdespellestélescopiquesque
Naasiravaientdanssonsac.Pendantcetemps,lelivredeglacesemitàfondreàlachaleurducorpsdeNaasir.Ilsongeaqu’ilpourraits’abîmer,etleposasurlehautdesonsacoùilresteraitaufroid.
Lanuittomba,etilspelletaientencore.Mêmeaprèsqueletrounefutplusvisible,ilsrestèrent,attendantd’êtresûrsdenelaisserderrière
euxaucunetracedeleurvisite.Quandl’aubemurmuradoucementsurlepaysage,iln’yavaitplusaucunsignemontrantquequiconques’étaittrouvélà,hormislesempreintesdepasdeNaasirquis’éloignaientdusite.Ellesfurentrapidementrecouvertesparlaneigefraîchequitombaitenunedoucepluie.
LesamisdeNaasirétaientdenouveauensécurité.EtilavaitleGrimoire.
Andromeda ignorait comment elle avait survécu aux cinq jours écoulés. Ses parents n’avaient
absolumentpaschangédepuissondépart.Seuleslesspécificitésdeleursexcèsavaientévolué.LailahetCatos’abandonnaienttoujoursàunetorturesexuellebrutaleavecdespartenairesdejeu«consentants»qui,peut-être,avaientsimplementététropeffrayéspourprotester.Detempsàautre,lecouplesemontraitviolentpourleseulplaisirderomprel’ennuiquicoloraitchacunedeleursactions.
Mêmecejour-là,unjeuneangemalchanceuxhurlaitdanslesquartiersdeLailah,pendantquelepèred’Andromedaétaitassisdanslesalonderéceptionuniquementvêtud’unpantalondesoierougetandisquedeuxvampiresdansaientpourlui.Ilavaitinvitésafilleàsejoindreàlui,pourregarderlespectacle–Catoétaitsiblaséqu’ilenavaitoubliécequ’êtrepèresignifiait.
Andromedamarchaitàpeinelapremièrefoisqu’elleavaitététémoindesébatsdesonpèreavecunefemmequin’étaitpaslasienne.Ilétaitentraind’étranglerlafemme,fouettéeetensanglantée.Choquée,lapetiteavaitpleuré.Ce jour-là,sonpère l’avaitcalméeetemportéehorsde lapièce. Ilnes’enétaitplussouciélesfoissuivantes,etelleavaitapprisànepasentrersanss’annoncerdansquelquepiècequecesoitdelaforteresse.
Quant à Lailah, elle avait accueilli sa fille à son arrivée et lui avait dit avoir placé un triptyquespécialdanssachambre.Sesentantimmédiatementprochedelanausée,Andromedaavaitespérés’êtretrompée.Maiscen’étaitpaslecas.Elleavaittrouvétroishommesnusl’attendantsursonlit.
Unange.Unvampire.Unmortel.Untriptyque.Lapetiteplaisanteriedesamère.Delapointedesalame,Andromedaleuravaitordonnédequitterleslieux.Cemidi, le sixième depuis son arrivée et le septième depuis qu’elle avait quitté le Refuge, elle
serraitlespoingsàl’idéedecinqcentsannéessupplémentairesd’uneexistencedepeurabrutissante,deviolenceetdedécadence.Contrairementàsesparents,songrand-pèren’accepteraitpasd’êtrebravé.EtsiAndromedaneselivraitpasàlatorturesoussesordres,ilseretourneraitcontreelle,labrutaliseraitjusqu’àcequ’ellenesoitplusqu’unepoupéevide.
—Laissetomber,Andi.
Elle s’efforça de desserrer les doigts, repoussa sa frustration et sa colère et sourit, absolumentdéterminéeànepaspermettreàcesombrefuturdeluivolercettejournée.
—Aujourd’hui,tuesAndi,etaujourd’hui,tuserasheureuse.Saisissant le panier de nourriture qu’elle avait préparé, une couverture pour le pique-nique déjà
poséesurlebras,ellesortitdanslejardinarrièreets’élevadanslesairs.Sespoumonssedilatèrent,emplisd’uneboufféed’airpur.
Chapitre47
Peuaprès, elleétait assise sur sacouverture, sous le soleilbrumeuxde lami-journée.Elle s’étaitinstallée sous la canopée distinctive en forme d’ombrelle d’un arbre qui comptait autant de noms quel’Afriqueadelangues.Aqba,nyoswa,samor,Acaciatortilis…lenomouledialectenecomptaitpas.Cequi comptait, c’était que ces arbres offraient une ombre bienvenue sur les prairies vallonnées de lasavane.
Delàoùellesetrouvait,ellepouvaitvoirleshéronsvolerau-dessusdel’ancienpointd’eau;leursailes,deséclairsblancs.Maintenantquelesroseauxautourdel’eaun’étaientplusrégulièrementécraséssous lespiedspesantsdes éléphants, ils poussaient, luxuriants et verdoyants, quandpartout ailleurs lasavanerevêtaitlevertdoréd’unesaisonoùlespluiesétaientpassées.
Andromedaaimait leshéronset le feuillageabondantautourdupointd’eau,mais leséléphants luimanquaient. Ilyavaitquelquechosede tellementaviséet calmechezcesmagnifiquescréatures.Et lamanière dont ils s’occupaient de leurs enfants ? Quand elle-même était petite, elle jalousait ceséléphanteauxmaladroitsquis’éclaboussaientdansl’eau,assurésqueleursparentslesprotégeraientdeslionsquiaimaientrôderdanslecoin.
Mais leséléphantsétaientpartispourdes raisonsconnuesd’euxseuls,etbienque la jeune femmesacheoùsetrouvaitleurnouveaulieudeprédilection,ellen’yallaitpas.Ellenevoulaitpaslestrahirparinadvertanceauprèsdesinvitésdesesparents.C’étaitarrivéunefois.Elleavaitaccidentellementmontréàungrouped’entreeuxoùsetrouvaitlerhinocérosnoir.
Les troismonstresavaientabattudeuxdecesmajestueusescréaturesdevant sesyeuxalorsqu’ellehurlaitetlessuppliait,essayantmêmedelesarrêter.Poureux,ilnes’agissaitqued’unjeu.
D’unjeu.Ce jour atroce était aussi le seul où elle s’était sentie fière de ses parents. Lorsqu’ils avaient
découvert le carnage, Lailah et Cato, livides, avaient infligé des châtiments presque mortels sur-le-champ.Lesparentsd’AndromedanevoyaientaucuneobjectionàtortureretmutilermortelsetImmortelssanspitié,maisilsn’admettaientpaslamaltraitancedesanimauxouqu’onlestuesansraison.
Andromedaavaitunjourdemandépourquoiprotégerlesunsetpaslesautres?L’explicationdesamèreavaitétésimple:
—Lesanimauxn’ontpaslechoixd’entrerounondanslejeu.—Est-cebienlecasdetoustespartenaires?avait-elleosérépondre.—Suffisammentpourqu’ilsnesoientpasaussiinnocentsquelesanimaux.Conséquencedeleurpointdevuesurlaquestion,leterritoiredeLailahetCatoregorgeaitdebêtes
sauvagesetétaitconsidérécommel’undesendroitsàlafaunelaplusricheetvariéeducontinent.
Pourtant,bienquelesrépercussionsdumassacredurhinoaientétéconnuesdetousceuxvenantsurcesterres,Andromedaneprenaitplusderisquesaveclesanimaux.Siquiconqueapprochait,leshéronspouvaients’envoler,etgénéralement,detoutefaçon,ilsn’étaientpasunecible.
OùétaitNaasir?Elleselevaetavançajusqu’àlalégèrebuttederrièrel’arbrepourladixièmefois.Delà,elleavait
unevuepanoramiquesurlasavane.Maisellen’yaperçutaucunedémarchefélinefamilière,aucunéclatd’unargentscintillant.
Refusantdelaissertomber,ellerevintàsacouvertureetvérifialanourriturequ’elleavaitpréparéeelle-même,avectoutl’amourdesoncœur.Elleavaitemballélaviandedansdelaglacepourlaprotégerde la chaleur, puis l’avait rangéedansun récipient isotherme.Mais elle ne tiendrait pasplusdedeuxheures, compte tenu des températures. Elle aimait la sensation du soleil sur sa peau, les odeurspoussiéreuses dans l’air, entendre le grondement lointain d’un lion. Tout cela lui avait désespérémentmanquéquandelleétaitauRefuge.
Uneheureplus tard, leshéronsétaientpartis, la laissant seule avec l’herbepour toute compagnie.Même le léger vent était tombé, lemonde immobile.Lorsqu’elle avança de nouveau sur la butte, toutn’étaitquevide.
—Naasir!cria-t-elledanslepaysagemoqueur,situn’arrivespasbientôt,jemangerailaviande!—Menteuse.Soncœurcognacontresescôtesetellepivotasivitequ’elleenperditpresquel’équilibre.Etilétait
là,lesoufflecourtetlapeauchaude,sescheveuxemmêlésparlacourse.Ilouvritlargementlesbrasetelle lui sauta au cou. Naasir l’attrapa sous ses ailes, comme s’il l’avait fait des millions de foisauparavantetsavaitexactementcommentlatenir.Illasoulevadusoletlafittourbillonner.
Riantetpleurantàlafois,elles’agrippafarouchementàlui.—Tuesenretard,l’accusa-t-ellelorsqu’ilcessadelafairetourner.Jet’attendsdepuisdessiècles.Laberçantcontrelui,ilfrottasajoueàcelledelajeunefemme.—J’aifaim.Elleprétenditluiasséneruncoupàl’épaule,maislorsqu’illaposaausol,elleletiraàsasuitevers
le pique-nique…et là, aumilieu de la couverture se trouvait un livre qui n’était pas supposé exister.Bouchebée, elle hoqueta avant de tomber à genoux.Elle tendit lamainvers l’ouvragemais la reculaprestementavantquesesdoigtsn’aientpueffleurerlecuirrougegravéd’or.
Cetorquitraçaitlecontourd’unecréatureailéesauvageausouffledefeu.—Tupeuxletoucher,l’informaNaasirens’allongeantsurleflanc.J’aidemandéàJessamycomment
ledécongelersansdanger.—Ledécongeler?Naasirneréponditrien.D’unechiquenaude,ilavaitouvertlaboîteisothermeetdécouvertlaviande
épicée.Souriantdetoutessesdents, ilenjetaunmorceaudanssabouche…etronronnadeplaisir, lespaupièreslourdes.
—Quiapréparéça?Andromedasemorditlalèvreinférieure.—Tuaimes?—Oui.J’espèrequetuenasapportéplein.Ildévoraplusieursautrespavésdeviande.ElleenoublialeGrimoirependantuneseconde,rayonnante.—C’estmoi.J’aiutilisédesépicesspécialesqu’onnetrouvequedansuneboutiquedeMarrakech–
jemesuisfaitexpédierlepaquetpourqu’ilarriveàtemps.
LesyeuxdeNaasirs’éclairèrent,maislesmotsqu’ilprononçaensuiteétaientungrognement.—Ouvrelelivre,commeça,tuserassûrequec’estbientonstupideGrimoire.Elleritàlamanièrequ’ilavaittoujoursd’évoquerleGrimoireÉtoileetsoulevalelivreavecleplus
grandsoin.Lecuirétaitpresqueintact,seuleunepetiterideseremarquaitsurlatranche.—Commentpeut-ilêtresivieuxetsiparfait?—Ilétaitcaché,réponditNaasir.Peut-êtrequ’Osirisl’atrouvédanslaglacelorsqu’ilaconstruitla
maisonquiestdevenuesaforteresse.(Unhaussementd’épaules.)Plustard,ilestretournéàlaglace.—Meparleras-tudetanaissance?Là,souslechaudsoleilafricainoùaucunenoirceurnepouvaits’attarder.Ilgrondaets’emparaduGrimoire.Ouvrantsonattached’ungesterapideetbrutalquifitcouinerla
jeunefemme,illeluitendit.—C’estbiença?Elle comprit qu’il ne lui dirait rien avant qu’elle n’ait confirmé s’il s’agissait bien duGrimoire.
Jambes en tailleur, elle l’ouvrit avec soin. Le texte couvrait la page, seulement interrompu par deuxillustrationsencadréesauxdétailsdélicats.
Lescouleursenétaientvives.Oretargent,vertetrouge,commesileslignesenavaientététracéeslaveille.L’encrenoiredutexteétaittoutaussibienconservée.Andromedatournalapageetdécouvritquelasuivanteétaitentièrementoccupéeparledessind’ungriffon.Lesailesdelacréaturemythiqueétaientglorieusementarquées,soncorpsceluidulionetsesyeuxd’unnoirobsidiennehypnotique.Ellecaressadélicatementl’image,sentantsagorgeseserrer.
—C’estunjoyau,murmura-t-elleàNaasir.L’unedesSeptMerveillesAngéliquesPerdues.Elle balaya les larmes qui dévalaient sur ses joues avant que leur sel ne tombe et ne détériore la
page.Naasir sedéplaçademanièreà regarderpar-dessus l’épaulede la jeune femmeetenlaçasa taille
d’unbraspuissant.—Tuarrivesàdéchiffrercetteécriture?—Oui.C’estuneanciennelangueangélique.(Bienquelesangessoientimmortels,leurslanguesn’en
avaientpasmoinsévoluéau fildu temps.)Si je le lisais àvoixhaute, tu encomprendraisdegrandesparties.C’estuniquementlacalligraphiequiachangédemanièresinotable.
LescheveuxdeNaasireffleurèrentsajouequandilsepenchapourtournerlapage,soncorpschaudetpuissantl’entourant.
—Donc,c’estlelivredetonvœu?—Oui.—Bien.IlluiretiraleGrimoiredesmainsetlelaissatombersurlecoinopposédelacouverture.Lorsqu’elle
setournapourluidemanderpourquoiilavaitfaitça,ilécrasasabouchesurcelledelajeunefemme,samains’emparantdesescheveux.
Le choc provoqué par ce contact était aveuglant. Puis vint la poussée dure, brûlante, d’un violentplaisir.Celafaisaitmal,carelleledésiraitdepuissilongtemps.Ellegémit,setournadanssesbrasafindepouvoirs’accrocheràsoncou.Ilavaitd’autresidéesentête.
Unesecondeplustard,elleseretrouvaitsurledos,Naasirsurelle.Ilmêla ses doigts à ceux de la jeune femme pour les épingler de chaque côté de la tête de cette
dernière.Sescheveuxargent–oùl’unedesplumesd’Andromedaétaitencoreenplace–vinrentencadrerlevisagedeNaasir tandisqu’ilsepenchaitverselle,sesyeuxbrillantd’unargent lumineux.Seigneur,
qu’ilétaitbeau.Ils’emparadesaboucheetlecœurdelajeunefemmetambourinaviolemmentdanssapoitrine.
Elle lui rendaitdesbaisers tout aussi ardentsque les siens, sa langue léchant celledeNaasir, sesdentsluiégratignantleslèvres.Ilmordit.Évidemment.Cequin’étaitpasunproblèmecarils’agissaitdeNaasir.Ilétaitsienàcompterdecemoment,decetinstant,decettejournée.
Ils’appuyadetoutsonpoidssurelle,sefrayantavecdouceuruncheminentresescuisses,etfrottantsonsexedurcontrelesreplisgonflésdel’intimitédelajeunefemme.Lesmusclesdecettedernièresecontractèrent tandis qu’un cri haché lui échappait. Elle enroula ses jambes à la taille de Naasir etcommençaàsebalancercontrelui.Ilgronda,sabouchecontrecelled’Andromeda,dontilrelâchal’unedesmainspourvenirplacerlasienneentreeux.
Desgriffeséraflèrentlapeaudel’érudite.Ellesursautaensentantsonpantalonsedéchirer.Naasirnes’arrêtapaslà–ilarrachatoutjusqu’àce
qu’il ne reste que quelques lambeaux du vêtement pendus aux bottes de la jeune femme. Sa culottedisparut toutaussi rapidement, et lesdoigtsdeNaasir,dorénavantdépourvusdegriffes, lacaressèrentdansungested’uneintimiténaturelle,humide,quiluidonnatoutàlafoisenviedesupplier,deprendreetde donner. Elle tremblait. Ses seins étaient douloureux et ses tétons insupportablement sensibles. Ellerepoussaletee-shirtdeNaasiret,lorsqu’ilnemontraaucunsignedecollaboration,luimordilladurementlamâchoire.
Ellereçutenréponseungrognementetunregardargententredescilsquiétaienttoutaussibeaux.—Enlèveça,ordonna-t-elle.Aulieudequoi,undoigtentraenelle.Ellearqua ledos, sabouches’ouvrit suruncri silencieux.Soufflecoupé, soncorps secontractait
autourdecettepetiteinvasionpossessive.LeslèvresdeNaasireffleurèrentsagorge.Elletressaillitaucontactdesescrocs,maisilnelamorditpas.Chaquemuscledesoncorpsétaitsi
tenduqu’ilsemblaitprèsdecéder.Elleavaitl’espritconfus,maissavaitinstinctivementcequin’allaitpas.EmmêlantsesdoigtslibresauxcheveuxdeNaasir,elleavalasuffisammentd’airpourparler.
—Oui.Tupeuxtenourrirdemoi.Prends-moi.LatensiondeNaasirsefitchaleurenfusion.Sescrocségratignèrentdenouveaulachairavidedela
jeunefemme.Ilretirasondoigtdesonintimitéausonliquidedesondésir.Ellegémit.Naasirenvoyasonjeanvoler…etune secondeplus tard, son érectionpressait avec exigence contre elle. Il lui releva legenoujusqu’àcequ’ilappuiecontresonsein,etcommençaàs’introduireenelle.
Elle s’était attendue à ce qu’il s’enfonce sauvagement, s’était préparée à de premières sensationsdésagréables,maisilfrottasonnezcontreelleetl’embrassatoutenentrantlentementenelle.
—Tuestrèsétroite,femelle.LecœurdelajeunefemmefonditentrelesmainsdeNaasir.Ellesecontentaitdes’accrocheràlui
avecundésespoiraffamé.L’unedesesmainsrestaitverrouilléeàcelledesonamanttandisquesoncorpss’étirait pour accommoder son sexe long et large. Tout en l’embrassant, il avança encore d’unbalancementdehanches.Elles’agrippaàsondos.Ilgrondadanssonbaiser,avançaencore.
Etencore,etencore.Jusqu’àêtrecomplètementenfouienelle.Ladouleurqu’ilprovoquaitledisputaitàlavolupté,etla
sensationd’appartenanceétaitsiprofondequeleslarmesmontèrentauxyeuxd’Andromeda.—Naasir.Gardantunemainàl’arrièredugenoudelajeunefemme,ildescenditlelongdesagorge,respirant
contresapeau.
Elleretintsonsouffle.Ilplantaalorssescrocsenelletoutencommençantàalleretvenir,parpousséeslentesetprofondes,
chaquemouvementfrottantcontrelachairoffertedelajeunefemme.Leplaisirs’écrasacontresessens,imposantetbrut.Naasirlachevauchasurcettepremièrevague,
provoqualasuivanteenluisuçantlesangetencaressantdupoucelepointquipulsaitentrelescuissesdelajeunefemme.Lasecondevaguel’anéantit,lalaissasansforces,lesmusclestremblants.
C’étaittoutcequ’ellepouvaitfairepourgarderlajambeautourducorpsdeNaasir.Ilaugmentalavitessedesesva-et-vientunefoisquelecorpsd’Andromedacessasesspasmesautour
desonsexe.Relevantlatêteducoudelajeunefemme,ils’emparadesaboucheunefoisencoretoutenla pilonnant sur la couverture. Elle se sentait prise, marquée, aimée avec une férocité sauvage etauthentiquequitrouvaitéchoenelle.
Neluttantpascontresoninstinct,ellelemorditaucoulorsqu’ilbaissadenouveauleslèvresverssagorge. Un grognement profond, inhumain, unemain affermissant sa prise… et les crocs de Naasir seplantèrentenelletandisqu’ilconduisaitsonmembreàdestination.
Naasirselaissatombersursafemelle,toujoursenelle,toutencaressantparesseusementl’unedesescuissessoyeuses. Ilentendait lecœurdecettedernièrepalpiter sous lui, sentait les frissonsdeplaisirinattendus qui secouaient sa silhouette alanguie. Le choc de la surprise avait dilaté les pupilles de lajeunefemme,jusqu’àcequ’ellesendeviennentdeslunesnoires.
Souriant d’un air suffisant, il l’embrassa, puis nez contre sa peau, descendit pour lécher lesminusculesblessuresàsagorgeimposéesparsescrocs.
—Tuesdélicieuse.Ilsenourriraitsouventd’ellelorsqu’ilss’accoupleraient.Appréciantleurscorpsglissants,heureuxdel’avoirdorénavantmarquée,illacaressadesonsexeen
elle.Cedernierrecommençabientôtàdurcir.—Tuasmal?—J’ai des courbatures, répondit-elle en caressant les lèvresdeNaasir, les paupières lourdes.Tu
m’emplis.(EllesouritquandNaasirmordillaleboutdesesdoigts,avantdefrissonneraumouvementdehanchesdecedernier,taquineriesensuelle.)N’arrêtepas.
Réjoui, il glissa sa main le long du corps d’Andromeda pour l’introduire sous sa tunique et ledébardeur moulant qu’elle portait pour soutenir sa poitrine. Les muscles internes de la jeune femmeserrèrentavecpossessivitélemembredeNaasirlorsqu’ilsaisitsonseindouxetchaudavantdeleserrer.Ilaimaça,etrecommença.
En réaction, elle cambra lanuquequ’il vint lécher et embrasser avantde semettre àbouger.Pluslentement cette fois,mais tout aussi profondément. Il pouvait continuer ainsi pendant une heure, et s’ylaisseraitallersielleleluipermettait.Illuiléchaitparesseusementlecoutouteneffleurantdesonpouceletétondelajeunefemme.Lorsqu’elleluiattrapalescheveuxettira,ilfitsemblantdelamordre.
Elletiraplusfort.—Embrasse-moi.Embrassersafemellen’étaitpasuneépreuve.Ils’étirasurelleetséduisitsabouched’unemanière
joueusejusqu’àcequ’elletiredenouveausurletee-shirtdesonamant.—Aide-moiàtel’enlever.Suffisammentrassasiépoursemontrerpluspatient,ilcoopéra.Bientôt,l’airchaudembrassalapeau
nuedesondos.Ilallaitladébarrasserdesatunique,maiselleluiattrapalepoignet.—Jen’aidéjàplusdebas.
Ellefitpasserlevêtementpar-dessussatête.Ledébardeursuivit,libérantsesseins,dontlescourbesgénéreusesétaientsurmontéesdetétonsd’unmarronfoncé.
—Joli,ronronna-t-il.Ilsedéplaçademanièreàseretrouveràgenouxentre les jambesécartéesde la jeunefemme,son
sexeencoreenfouienelle,etsoupesalesdeuxseinsdesesmainspossessivestoutenlaregardantbattredescils.Ellesemorditlalèvreinférieurelorsqu’illapiquadesesgriffes,legémissementquiquittaitsagorgerenforçantledésirdeNaasir.
Toutepatiencel’abandonna.Unefoisencore,ilrecouvritdesoncorpsceluidelajeunefemme.Ilcaresserait,suceraitetlécherait
sajoliepoitrineplustard.Pourlemoment,ilvoulaitsefrotteràelle,enelle,voulaitlasubmergerdesonodeurjusqu’àcequepersonned’autren’osejamaislarevendiquercommesienne.
Andiétaitàlui.Elleluicaressaitletorse,ledos,soncorpscommençantàbougerenrythmeavecceluideNaasir,en
delentsva-et-vient.—C’est…Unnouveaugémissementquandils’aplatitsurelle.Ilsesaisitdesfessesdelajeunefemme,lasoulevantpourallerencoreplusloinenelle.—Naasir…Elleenfonçasesonglesdanslesépaulesdesonamant.Sesailess’agitaientsurlacouverture.Incapablederésister,ilpenchalatêteetlamorditdenouveauaucou.Ellejouitviolemment.Grognantparcequ’ilétaitheureuxquesafemelleletrouveaussiirrésistible,il
resserrasaprisesursesfessesetbutsonsangtoutencontinuantsesmouvementsdehanches.Songoûtsursalangueétaitunedrogue,sesonglessursapeauunplaisirsombre.L’odeursaléedevoluptéquiémanaitd’elleachevadelefairebasculer.
Sondosseraiditquandilentraviolemmentenelle,aupointquesesboursesbutèrentcontrelecorpsdelajeunefemme.
Ill’entenditcrier,maiscen’étaitpasdedouleur,etdonc,toutallaitbien.
Chapitre48
Naasirétaitétendusur ledos. Ilavait retiréson jeanpourqu’Andromedapuisse leporteravecsatunique.Ilcontemplaitsafemellequiluirendaitsonregard.Ilnesavaitpaspourquoi,maisellen’étaitpas à l’aise, nue sous le soleil.Qu’elle lui emprunte ses vêtements ne le gênait pas si cela la rendaitheureuse,tantqu’ellelelaissaitladéshabillerchaquefoisqu’illesouhaitait.
Enrevanche,ellesemblaitaimerqueluineporterien.Lesyeuxdelajeunefemmenecessaientdes’égarersurlui,etellesoupiraitavantdesepencherpour
l’embrasser. Ou elle lui caressait la poitrine. Ou la cuisse. Ce qui avait un effet prévisible, mais ilpouvaitsecontenirmaintenantqu’ilavaitsatisfait lapremièrevaguedesondésir.Mangeantleboutdeviandecarrédontellelenourrissait–qu’elleavaitcuisinépourlui–ill’observaprendreleGrimoire.
—Ilestsibeau,dit-elleeneneffleurantlacouvertureavantdel’ouvrirpourenliredenouveaulespages.
Ellevints’asseoircontreleflancdeNaasir,unbrassursontorse.Sescheveuxétaientélectriquesetenbatailleaprèsleurséanceamoureuse.Elleluilutdespassages,traduisantaufuretàmesurelesmotsqu’ilneconnaissaitpas.
—Etilestécritquelegriffonétaitlapluspuissantedescréatures,maisqu’elleétaitporteused’unefoliequerienneguérissait.Cettebêteétaitinapprivoisable.Lesangdétrempaitlesoloùellemarchait,etbien qu’elle fût une combattante sans égale, il était impossible de la contrôler. Sa sauvagerie neconnaissaitpaslamaindel’homme.
Elletournalapage.—Ceuxquivoyaientungriffonétaientmarquésàjamaisparsonapparenceroyalecarriennelaissait
deviner son cœur exaspéré et violent. Sa fourrure dorée luisait sous la lumière du soleil et ses ailesl’emmenaient aussi haut que les anges.Malgré le danger qu’elle représentait, cette créature était tropsublimepourêtretuée.
Ellesetournapourluimonterl’illustrationreprésentantungriffonvolantauxcôtésd’unange.—Tupeuximaginer?Lacolèredusouvenirs’éveillaenlui.— C’était ce genre de légendes qui poussaient Osiris. Il voulait les rendre vraies. (Ses griffes
sortirent.)Lefrèred’Alexanderétaitun«mélangeur»,iladoncdécidédemélangerlesêtresvivants.Andromedareposal’ouvrageetsetournaverslui.—Je suisdésolée,dit-elled’unevoix tremblante.Tellementdésolée.Toutce temps, jeparlaisdu
Grimoireetjen’aijamaisprisenconsidérationàquelpointcelapouvaitteblesser.Naasirn’avaitpasvoululuifairedepeine.
—Tesréflexionsettonémerveillementpourlescréaturesmystérieusesnemesontpasdouloureuses,dit-ilenlaprenantdanssesbrasetencalantsatêtecontresoncou.Avectoi,c’estamusant.
Unjeu.—Vraiment?—Oui.J’aimeécoutercequetuasàdire.Andromedan’étaitpastordue,etellen’avaitaucundésirdemettreencageetdeposséderaucunede
cescréatures.Puis,parcequeletempsétaitvenu,illuiparladumalquis’étaitdéroulédanslaglace.—Avant, je ne savais rien de laCascade,maismaintenant que c’est le cas, je pense qu’Osiris a
probablementacquissescompétenceslorsdeladernière.IlétaitunAncien,commesonfrère,etdevaitdéjàêtredecemondeàl’époque.
QuandAndromedaopina,ilsentitsatêtebougercontresontorse.— Selon les recherches menées par Jessamy, bien que la Cascade affecte de manière plus
significativelesArchanges,ellepeutaussiavoirunimpactsurunpetitpourcentaged’anges,confirmalajeunefemmeenluicaressantletorse.
SesonglescoururentsurlapeaudeNaasiretlafinefourrurequilarayait.Songesterendaittolérablecetteplongéedanslamortetl’obscuritédudébutdesonexistence.—Osiris avait la capacitédemettredeuxchosesensemblepouren faireune. (Personnen’yavait
prêtébeaucoupd’attention,celasemblait si frivole.)Audébut, ilamêlédesobjets inaniméspoursonamusementetceluidesautres–unechaiseavecunbalai,ouuneépéeavecunepierre.Puisiladécidédevoirs’ilpouvaitagirdemêmeavecdeuxorganismesvivants.
ToutcelaétaitconsignédanslesjournauxintimesqueRaphaelavaitconservéspourNaasir.—Ilacommencéavecdesplantes,etcelaamarché. Ilaàsonactifbeaucoupdes fleurs lesplus
merveilleusesaumonde–desfleursquin’ontpasuneseulecouleurmaisdenombreuses,ouquisontdeshybridessiinhabituellesquepersonneneparvientàcomprendrecommentleurspollenssesontintriqués.
Lesouffled’Andromedaluieffleuraitlecou.Ilfermalesyeuxsoussonbaiser.—AprèsqueRaphaelm’atrouvéetemmenéauRefuge,j’arrachaislestêtesdetouteslesfleursque
j’avais vuOsiris créer devantmes yeux.Au bout d’unmoment, j’ai décidé qu’elles l’avaient battu etdevaientêtreautoriséesàexister.Commemoi,ellesvivaientalorsquelui,non.
—Aprèsuncertaintemps,intervintAndromeda,poingserrécontreletorsedesonamantetlavoixvibrante de colère, il a décidé de passer des plantes auxgens, aux enfants.Comment peut-on justifierquelquechosed’aussiabominable?
—Selonsespropresnotes,celaacommencéparhasard–ilatrouvéunenfantdesruesetl’aramenédanssonvieuxlaboratoire,surleterritoired’Alexander.Sonintentionétaitdel’employercommehommeàtoutfaire.Maissonchiendechasses’estprécipitédanslapièceetl’idéedelesmélangeragermé.Ilaappeléçaun«glorieuxmomentdegénie».
Naasirinstallalajambed’Andromedasurlui,demanièreàcequ’ellesoitentraversdesoncorps.Ellesetournaunpeuplusetposasonailesurlui.Cettechaleurlourde,l’odeurdelajeunefemme,toutcelal’ancraitdanssonprésentheureuxoùiltenaitsafemelleentresesbrasetdontOsirisavaitdisparudepuislongtemps,pourneplusjamaiscommettredetellesatrocités.
— Il a essayé d’associer le gamin et le chien sur-le-champ. Tous deux sont morts dans unenchevêtrement anarchique de membres et d’organes. (Le cœur de Naasir rageait de savoir qu’ils’agissaitlàseulementdudébutdelafrénésiemeurtrièred’Osiris.)Sonéchecn’afaitqu’alimentersesdésirsmonstrueux.Ilaachetédesenfantsàdesfamillespauvres,oulesasimplementenlevés,apayédesbraconniersetdeschasseurspourqu’ilsluiramènentdejeunesanimaux.
Illevalamaind’Andromedaàsabouche,embrassasapaumeets’efforçadesesouvenirdelapaixqu’ilavaitéprouvéesouslaglace.Pasdetristesse.Nisouffrancenihorreur.
—Le garçon qui est une partie demoi a grandi seul jusqu’à l’arrivée du bébé tigre. SoitOsirisl’avaitenlevé,soit ilavaitachetélegarçonnetalorsqu’iln’étaitqu’unbébé–jen’ai jamaissuquelleoptionétaitlabonne.
Sa main se perdit dans les cheveux d’Andromeda, les serrant avant de les relâcher dans uneexplosiondecouleuretdevie.Joli.
—Danssesjournaux,ilnousappelleson«espoir».(Undévoiementsiatrocedecemot.)Etmêmesij’auraispréféréqu’ilneconnaissejamaiscettesatisfaction,ilaréussiavecletigreetl’enfant.Osirisn’a jamais compris pourquoi et je peux te dire que c’est parce que le garçon et l’animal étaient lesmeilleursamisdumonde,etqu’ilssesontmutuellementaidésàsurvivre.
Lemomentoù laTransformation s’étaitopéréeétait floudans samémoire,mais il savaitquecelaavaitétédouloureux,horriblementdouloureux.
Andromedaseredressa,sonvisagenudetoutestracesdecivilité,etdéclara:—Jesuisheureusequ’ilsoitmort.Illuiserralatailledubrasquil’enlaçait.—J’aitentédeletuerimmédiatementaprèsmaTransformation,maisj’étaistropfaible.Ilavaiteulesentimentd’êtreunepoupéebrisée,sesmembresinutilesetsonespritémoussé.—Desmoisetdesmoissesontécoulésavantquejerecommenceàpenserclairement,mêmesimes
cheminementsintellectuelsn’étaientpas«humains».Nibestiaux.(Ils’agissaitplutôtd’unamalgamedesdeux.)J’aidûréapprendreàmarcher,àparler.Osirisvoulaitsavoirpourquoij’avaisdeuxjambesetnonquatre, pourquoi la forme corporelle de l’enfant avait pris le dessus sur celle du tigre. Résultat, il aconduitdesexpériencessupplémentaires.
Lesyeuxd’Andromedaluisirent.—Jesuisheureusequ’ilsoitmort,répéta-t-elle.Maisjeveuxlerameneràlaviepourtrancherson
cœurnoiretleluifairemanger.Naasirluimontralesdents.—Jesavaisquetuétaismafemelle.Laprenantparlecou,illarapprochadelui,luiouvritleslèvresdessiennesetluiléchalalangue
jusqu’à ce que l’aile de la jeune femme papillonne sur lui et qu’elle frotte sa cuisse contre celle deNaasir.
Ilintroduisitsamainsouslatuniquequil’habillaitpourvenirtouchersonseinetlafitroulersurledos.Sesnariness’évasèrentsousleparfumdelajeunefemme.Ildéplaçasamainsurleventretremblantdesamaîtresse,laglissasouslaceinturedujeanetcaressasonhumiditédedeuxdoigts.Lorsqu’ilrelevalatête,elleavaitleslèvresplusgonfléesetlesouffleinégal.
—D’autresquestions?Sescilsombraientsesyeuxtandisqu’ilobservait lapoitrinedelajeunefemmequisesoulevaitet
s’abaissait.Dupouce,iltraçaitdescerclesautourdumontglissantentreleVdesescuisses.Elles’agrippaauxbicepsdeNaasir,essayadeluienvoyerunregardnoir,maisleplaisirnecessait
d’ondulerenelle.—Bête.Ilsouritlargement.—Tabête.Il luimordilla la lèvre inférieure,utilisant sesdentspour tirer lachairdouce toutenbougeant ses
doigtsavecunedextéritéjoueuse,arrachantàsapartenaireungémissementsurpris.Ellejouitendedoux
petitsmouvementsagités.Ileneutl’eauàlabouche.Collantseslèvresàl’oreilledelajeunefemme,ildit:—Tuserasmondessertaprèsledînerdecesoir.Jevaisteléchercommedumiel,plantermescrocs
danscettechairdélicateetpleineentretesjambes.Elle tressaillit, ses cuisses étreignant la main de Naasir. Elle ne sursauta pas lorsqu’il sortit ses
griffes même s’il tenait entre elles une chair si douce et fragile. Ce qui n’était pas une surprise. Safemelleétaitaussisauvagequeluietellesavaitquejamaisilneluiferaitdemal.
EllepassasesdoigtstremblantsdanslescheveuxdeNaasir.Enrevanche,sesdentssurlamâchoiredesonhommeétaientaiguisées.
—Passij’arriveàmettrelabouchesurtoienpremier.Ilgronda,luiarrachasonjeanetdixminutesplustard,Andromedagisait,trempéedesueuretnuesur
luidontlecœurbattaitlachamade,toutsonêtreétirésouslesoleildansunétatdebéatituderepue.LorsqueAndromedafinitpars’appuyersurNaasirpourluifaireface,elleportaitencorelamarque
deleursébats,desesmorsures,desesbaisers.Etsonregardbrillaitd’unelueurd’affectiondont ilsedélectait.
—Ilnousrestecombiendetempsavantd’avoiràrentrer?demanda-t-il.—Desheuresencore.(EllerepoussalescheveuxhumidesdeNaasirdontlesyeuxsefermaient.)Ne
t’endorspasdéjà.J’aiuneautrequestion.Paresseux,ilnesesouciapasd’ouvrirlesyeux.—Hum?—Quetusoisunechimèren’expliquepastonvampirisme.Naasirbâilla.—Osiriscraignaitquejenesoispasunevéritablechimèreimmortelle,quejemeureavantqu’iln’ait
trouvétoutessesréponses.Ilvoulaitaussimegarderenfant,afinqu’ilsoitplusfaciledemecontrôler.En particulier après la dernière attaque deNaasir, qui avait laissé le visage de l’angemarqué de
griffures.—Maisçanel’auraitpassauvépourautantsij’étaisrestéenfant.LejouroùRaphaelm’atrouvé–
aprèsavoireuventdesagissementsd’Osirisparuncoursierquiavaitvuplusdechosesqu’iln’auraitfallu–j’avaissautésurOsirisdepuisleplafond,luiavaitarrachélesyeuxetl’avaitfaitglissersurlesmarches.Soncrânes’estbrisécontrelapierre,suffisammentfortpourqu’ilresteinconscient.
Naasirluiavaitalorstranchélagorgeetavaitouvertsacagethoraciqueàcoupsdegriffes.—Maisc’étaitcommecelaqu’OsirisavaitrationalisémaTransformation.L’horreuretlacolèreavaientfigésafemelleau-dessusdelui.—Transformerunenfanteststrictementinterdit.Ilsenperdentlaraison.Ilsenmeurent.—Celaabienfaillim’arriver,maispeut-êtreparcequej’étaisunechimère,j’aisurvécu,etpasplus
fouquelorsqu’ilavaitlancéleprocessus.—Tun’asjamaisétéfou.—Non,j’étaissauvage.—Cen’estpasdelafolie.Elleluiembrassalajoue.Ils’abandonna,réclamad’autresbaisers,sansaucunehonte.Andromedaluioffritcequ’ilexigeait,
seslèvresaussidoucesquesonamourétaitviolent.Naasirouvritlesyeuxpourlirecesentimentdansceuxdelajeunefemme.Illuipritlamain,mordilla
etembrassaleboutdesesdoigts.
—Ceuxquisaventquej’aidévorélecœurd’Osirisdisentquejesuispeut-êtreaussifortparcequej’aimangélecœurd’unAncienalorsquejen’étaispasencoreadulte.
—Etçatetracasse?—Non,réponditNaasirenmontrantlesdents.J’aimel’idéed’avoirdévorémonennemietdem’être
appropriésonpouvoir.— Moi aussi, avoua sa femelle intelligente et sauvage, le regard brillant. Ta croissance s’est
poursuiviemalgrélaTransformation.—Oui.Personnenes’yétaitattendu.Ceuxquileconnaissaientsepréparaientàfairefaceaudésespoiretàla
douleurd’unenfantquinegrandirait jamaismaisdontlacompréhensiondeschosespourraitaugmentersansdiscontinuer.
—Macourbedecroissances’apparentaitàcelledesenfantsanges.Personnenesavaitpourquoi,mais la théoriequiprévalaitétaitqu’en tantquechimère ilétaitdéjà
naturellementimmortel.CequiexpliquaitquesoncorpsaitluttécontrelestoxinesdelaTransformation.Quoiqu’ilensoit,parcequ’ilétaitalorspetitetfaible,iln’avaitpastotalementremportélecombat,et,enconséquence,avaitgagnécertainescaractéristiquesvampiriques.
—Toutcommelegenreangélique,jen’aipasvraimentvieillidepuismonentréedansl’âgeadulte.Nouspouvonsêtreensemblepourl’éternité.
Levisaged’Andromedapâlit,toutetracedebonheureffacée.Ilgrogna,lafittombersurledosets’appuyasursesbraspourvenirlasurplomber.—Çasuffit,femelle,dit-ild’untonquin’étaitpascomplètementhumain.Quemecaches-tu?Elledéglutitdemanièrevisibleetlorsqu’elleparla,cefutd’unevoixrâpeuse.—Demain,jedoismerendreàlacourdeCharisemnon.Naasirpritsonoreilledanssabouche.—PourprésenteruntributàtonArchange?Jeviendraiavectoipourteprotéger.Lajeunefemmerespiraitdemanièrelaborieuse,commes’illuiétaitdifficiled’amenerl’airjusqu’à
sespoumons.—Non.Jedoisservircinqcentsansàsacour.Naasirsefigeaau-dessusd’elle.—Pourquoiserais-tusonesclave?—Unsermentfamilialdesang.Nonnégociable.Naasirgrondadevantsontondéfinitif.—Personnen’aimeCharisemnon,dit-il.Tun’asqu’àrejetercetteobligation.Il luimordillalalèvreinférieure,puisrecommençaparcequ’elleluiavaitcachédeschosesquila
faisaientsouffrir.Elleplantasesonglesdanslesépaulesdesonamant,yeuxétrécis.LamaindeNaasirsepromenasur
sajoue,unemaindontlesgriffesétaientsorties,enmiseengarde.Ellen’eutpasl’aireffrayélemoinsdumonde.
—J’aimeavoirtesonglesenmoi,dit-ilavecunsourire.Enfonce-lesplus.Sonhommelançaungrrrdiscret.—Jesuisobligéedem’yrendre,lança-t-ellebrutalement.TusaiscommentsontlesArchanges–ils
peuvent bien se battre entre eux, mais ils n’acceptent aucune rébellion au sein de leurs famillesrespectives.
—Leschosesontchangé,dit-il enprenantappui sur sesavant-bras.RaphaeldétesteCharisemnonpouravoirétéàl’originedelaChute.Ilteprendrasoussaprotection.
Parcequ’elleappartenaitàNaasiretqueRaphaelsoutenaitsesSept.Ellesecoualatête.—Celapourraitluicoûterl’allégeancedesplustraditionnels,commeAstaad.Naasir grogna, mais n’argumenta pas – tous deux savaient qu’elle avait raison. Astaad voyait en
Charisemnonunennemi,maissiRaphaelbrisaitun interditangéliquesigrave,celarisquaitderompreleur alliance. Et n’importe quelle lutte intestinale ou désaccord entre ces alliés offrirait à Lijuan unefaiblesseàexploiter.Mais…
—JasonaemmenéMahiyahorsdelacourdeNeha.—Malgré lesapparences,nossituationssont trèsdifférentes. (L’espoirétaitnéenelle lorsqu’elle
avaitappriscetteunion,etelleavaitdéterré toutcequ’elleavaitpusur laprincesse.)L’obligationdeservirestspécifiqueàlacourdemongrand-père.
—Jedétestelesserments,marmonnaNaasir.Maintenantquenoussommesensemble,tunepeuxpasenformerd’autre.
—Etceluidet’aimerpourtoujours?demanda-t-elledoucement.—Là,c’estpermis,dit-ilenluiégratignantlenezdesescrocs.Jet’aimeaussi,mêmesitun’arrêtes
pasdefairedespromessesidiotesquejedoisbriser.Elleluimontralesdents.—Celle-là, jene l’aipaschoisie, sedéfendit-elleaveccolère. Jeneveuxpas y aller,mais si je
n’obtempèrepas,Charisemnonmedéclarera hors la loi etmettrama tête à prix.Même siRaphael sefichedecesermentdesang,quelqu’uns’ensouciera–ousouhaiterajusteraflerlarécompense.Onmepourchasseraduranttoutlerestedemonexistence.(EtNaasiravecelle.)Cen’estpasunevie.
—Ettonpère?—CatonesedresserajamaisfaceàsonArchange.Naasirplantasesyeuxargentdansceuxdelajeunefemme.— Tu sais que Cato n’est pas ton père biologique. Pourquoi prétends-tu le contraire ?Même si
Daharielnet’avaitpasaccordéuneattentiondémesurée,tesailesportentdesmarquespeuéloignéesdessiennes.
Andromedadétournaleregard,maisNaasirluisaisitlamâchoire.Elleserenditetavoualavérité.—Quand j’ai compris, j’étais si contente, confessa-t-elle. Je pensais qu’il était courageux, fort et
intelligent–etill’est,maisilestaussicapabled’unecruautésansnom.Elleinspira,lesoufflehaché.—Dix ans avantmon départ pour le Refuge, je suis entrée dans une pièce de lamaison demes
parents pour le découvrir en train de torturer un garçon mortel à peine majeur. (Cela avait détruitAndromeda,laissésoncœurbriséenmorceauxsurlesoldelachambre,toutespoirenelleétouffé.)Ilvoulaitquejesache,murmura-t-elle.Ilpouvaitvoirlesétoilesdansmesyeuxettenaitàleseffacer,àmemontrersavéritablepersonnalité.
Luiapprendrequemêmes’iln’étaitpasperdudansunequêtecompulsivedesensationscommesesparents,ilétaittoutaussiblaséetcruel.
Andromedal’avaitsuppliédelaisserpartirlemortel.Sonpèrebiologiques’étaitcontentédeleverunsourciletd’asséneruncoupdefouetsupplémentaireaudosdugosse,lefaisantgeindretandisquelesangruisselaitsursapeauravagée.
« Avoir le cœur tendre peut être une faiblesse fatale dans lemonde immortel, un appât pour lesprédateurs.Situveuxsurvivre,tuferaismieuxd’apprendreparl’exemple.»
Aulieudequoi,elleavaitvomi.
—Dahariel estun salaud, reconnutNaasir.Mais il est le secondd’Astaadetpeutdemander asilepourtoi.Personnen’interférerapuisquetuessafille.
Andromedasavaitqu’ilavaitraison.LesArchangesetlesangesâgésjugeraientqu’ils’agissaitd’uneaffaire familiale puisque Dahariel – et par conséquent Astaad – avait autant de droits sur elle queCharisemnon.
—Jeluiaidemandé,admit-elled’unepetitevoix.Ilyacinquanteans.Elleétaitalorssuffisammentdésespéréepourrisquercettehumiliation,sachantquemêmesiDahariel
étaitcruel,lacourd’AstaadneressemblaitenrienàcelledeCharisemnon.L’expressiondeNaasirsedurcit.—Iladitnonàsonproprepetit?Lesangesaimentleursenfants.—Jepensequ’ilm’aime,àsamanière.(Cequirendaitsonabandond’autantplusdouloureux.)Ilm’a
ditqu’ilm’avaitdonnétoutcedontilétaitcapable,etqu’ilcontinueraitàm’entraîner,maisquepourtoutlerestejenedevraiscompterquesurmoi-même.
—Beaucoupdechosesontchangéencinquanteans.—Pourtant,ilnem’ajamaisfaitcetteoffre,bienquejel’aievuàdenombreusesrepriseslorsdenos
sessionsdecombat.(EllerepoussalescheveuxdeNaasirenarrièred’unecaresse.)Jenepensepasquenotrelienaitjamaisétéassezprofondpourqu’ilmereconnaisse–ilnes’estpasaperçuquej’étaissafilleavantmescinquanteansoupresque,lorsquemesailesontatteintleurdessinadulte.Ilétaitalorstroptardpourqu’ilmevoiecommeunbébé.
Etpouréprouverl’instinctprotecteurd’unparent.—Tuveuxdoncquej’attendecinqcentsans?Oui.—Jenepeuxexigercela,dit-elleàvoixhautetandisquesonâmesefendaitendeux.Ilgrondadanssadirection,sifortetdemanièresicoléreusequ’ellesursauta.—Vas-tut’accoupleravecd’autresàlacourdeCharisemnon?—Non ! s’écria-t-elle en le repoussant aux épaules,mais il refusa de bouger. Pourquoi dire une
chosesihorrible?—Pourquoimediredenepast’attendre?gronda-t-il.Situesmienne,tuesmienne.Etjesuistien.
Aujourd’hui,demain,toujours.Andromeda semit àpleurer.Des sanglotsdurs, étouffants,qui contenaient toute sa souffrance, son
amour,sesrêves.Roulantsur ledos,Naasir l’écrasacontre lui,émettantdesronronnements touten luicaressantlescheveuxetledos.
—Pardond’avoirgrognécontretoi,dit-il.Jenevoulaispasteblesser.—Jesais,parvint-elleàbalbutieràtraversseslarmes.Quelquesminutesplustard,elleravalalesdernières,allongéecontrelui.—Jenepleuraispasàcausedeça.Maisparcequetuesmerveilleuxetquejenesupportepasl’idée
detequitter.—Ildoitbienyavoirunesolution.—C’estunsermentdesang.—Jesuisunechimèrenéed’unfarouchepetitgarçonetd’untigretoutaussipetitetfarouche.Jepeux
trouveruneissue.Iln’allaitpaslaissersafemellecroupiràlacourdel’ArchangedelaPesteetdelaMaladie.
Chapitre49
Unjourplustard,pourtant,illuifallutlaregarderpartirpourcettemêmecour.—Cinqcentsans,dit-elle,unemainsurlapoitrinedeNaasir,surcecœurquibattaitpourelle.Tu
m’attendrasvraiment?—Si je ledois, répondit-ilenprenantsabouchedansunbaiserravageur.Mais jene leferaipas.
Guette-moi.Jeviendraitechercher.(Ilserralespoingsdanslescheveuxdesacompagne.)Resteenvie.IlconnaissaitlesrèglesimmondesdelacourdeCharisemnon,savaitàquelleshorreursAndromeda
auraitàfaireface.—Promis.Maisdanssonregard,Naasirlutqu’ellesavaitquecelanesuffiraitpeut-êtrepas.Lamortprenaittantdeformes.Ettoutesn’emportaientpaslecorps.
Chapitre50
Une semaine après leur séparation,Andromeda était incapable de s’empêcher de regarder par lesfenêtresde sachambreetde scruter lepaysage.Elleavaitbienconsciencequ’il était impossibleà sasauvage chimère de trouver une réponse à un serment de sang dû à un Archange, mais elle ne l’enattendaitpasmoins.Ilsefaufileraitpourlavoirdèsqu’il lepourrait,ellen’endoutaitpas,bienqu’ilsn’aientpascommuniquéuneseulefoisdepuisleursdépartsrespectifs.
Andromedan’osaitpasgarderuntéléphone.Onrisquaitdeleluiconfisquer,etcelafait,Charisemnonsaurait que Naasir était son cœur et non pas un simple compagnon de galipettes. Son grand-pèretrouveraitunmoyend’utilisercelacontreelle,dedistordrelepurpourl’enlaidir.
Cinqcentsans.Ellelutteraitpoursurvivre…maisellepourraitbienneplusêtrelamêmeunefoiscetempsécoulé.Cejour-là,songrand-pèrel’avaitconvoquéepourunetâchespéciale.Elleavaitvulevampireplacé
sur un chevalet dans la cour, remarqué les outils de torture. Elle n’y toucherait pas. Ils seraient doncretournéscontreelle.
Parcequ’elleétaituneprincessedelacour,soncorpsnuseraitmaintenusousbonnegardedansundonjonetnonpasexposéaupublic.EtlapunitioninfligéeparCharisemnon,MaîtredelaTorture,etnonpaspardesmainsinexpérimentées.Jusqu’àcequ’elledeviennecommeCato,commeLailah.
LafilledeCharisemnonetsadescendanteélevéesaumêmerang.Descoquillesvidesrepeintesàl’imagedeCharisemnon.Pour la première fois, elle comprit que ses parents étaient peut-être ensemble parce que personne
d’autre n’avait les clés pour comprendre ce à quoi ils avaient survécu.Ungenre d’amour brisé,maisd’amourmalgrétout.
L’estomacnoué et sa peau s’enflammant avant de se glacer, elle enfila sonuniforme : unpantalonmarronfoncéetunetuniqued’untonplusclairavecledessind’unarbreimprimésursoncôtégauche– de lamême espèce que celui sous lequel elle avait aiméNaasir. Ce souvenir était un secret qu’ellegardaitenelle.Ellenattasoigneusementsescheveuxetceignitsonépée.
Ellenedisposaitplusdetemps.Naasir.LuttepourNaasir.Neleurpermetspasdetelevoler.Elle sortit, descendit à grands pas les couloirs jusqu’à l’endroit où se réunissait la cour de
Charisemnon.Deseffluvesd’alcooletdesubstancesnarcotiquesassezfortespouravoiruneffetsur laphysiologieimmortelles’attardaientdansl’air.Uncertainnombredecourtisansétaientencoreaffaléssurlestablesoùilsavaientripaillélaveille.
Desailestraînaientmollementausol.Unvampirerassasiédormaitsurunechaiselongue,sonbraspassédansungestepossessifautourd’unmincegarçonmortelquinedevaitpasavoirplusdeseizeans.
Entendant un grognement, Andromeda leva la tête. L’un des généraux angéliques de son grand-pèrecopulait avec une vampire qui portait déjà des bleus à cause de sa poigne de fer.Mais elle semblaitapprécierd’êtrepriseainsisurlatabledelasalleàmanger.
Poursuivant son chemin sans s’arrêter, longeant des corps tombés et endormis et ignorant despropositionsbredouillées,elleavançajusqu’auxportesmajestueuses.Gravéesavecunsoindélicieuxetincrustéesdepierresprécieusesetd’or,ellesétaientaussisplendidesquelecœurdesongrand-pèreétaitpourri.Lesgardes–auregardaiguiséetalerte–lesluiouvrirentd’unseulmouvement,etellecontinuadanslesanctuaireintérieur.
Elleravalasarépulsionavantdepousserlaportenongardéeàl’autreboutdelasalle,luttapoursefrayerunpassageàtraverslesrideauxdesoieetentradanslachambremême.Charisemnonétaitaulit.Soncorpsauparavantenbonnesantéetmuscléétaitagitédefrissonsetmarquédecicatrices.Lamaladiequ’ilavaitrépandues’étaitretournéecontreluicommeunchienméchant.Qu’ilrecouvremalgrétoutlasantén’étaitpasunesurprise.
Aprèstout,ilétaitunArchange.Les cicatrices finiraient par s’évanouir. La soie froissée acajou de ses cheveux clairsemés
reprendraitde lavigueur, samassemusculaire reviendrait.Extérieurement, il seraitdenouveauunbelhomme,unArchangeauxcheveuxfoncésavecunepeaud’unorprofondetdesyeuxdelamêmeteinte,misàpart leséclatsdemarronqui s’y trouvaient, la formesansdéfautdeses lèvrescharnuespleinesd’unepromessesensuelle.
LesmortelscommelesImmortelsneportaientpastoujoursleurlaideursurleurvisage.Prenant bien soin que ses yeux ne tombent pas sur les filles à peine nubiles qui dormaient, nues,
autourdeCharisemnon,elleseconcentrasursongrand-père.—Sire,dit-elle,lemotsecollantàsagorge.—Ah,ma chèreAndromeda, répondit-il d’unevoixque lamaladie avait rendue rocailleuse,mon
intendantmeditquetoninstallationsepassebien.—Oui,Sire.Charisemnonneréagitpasimmédiatement,distraitparunefillequivenaitdes’éveiller.Lesjeunes
concubinesdel’Archangeavaientsubiuntellavagedecerveauqu’ellessepoignarderaientlesuneslesautresdansledospourresterdanssesbonnesgrâces.
Lorsqu’ellesdevenaienttropvieillesàsongoût,ilenfaisaitdescourtisanesoudesservantesquienpréparaient d’autres à prendre leur place.Cela rendaitAndromedamalade,mais elle ne voyait aucunmoyend’arrêtercela.Elleavaittentédediscuteravecladernièrerécoltedefilles,leuravaitproposéunmoyendes’ensortir,maisellesavaientrietdéclaréqu’ellessesentaientvraimentchanceusesd’êtreàlacour.
—SijesersleSire,avaitexpliquéunejoliepetite,mavaleuraugmenteralorsqueletempsseravenudememarier.Monmariserahonorédem’épouser.
C’étaittristementvrai:Charisemnonavaitconditionnésonpeupleàacceptersesperversionscommeunhonneur.Andromedapouvaitseulementouvrirl’œilaucasoùunejeunefemmenesembleraitpasaussiconsentantequelesautres.Sietquandcelaarriverait,elletrouveraitcommentl’aider.
—J’aiunetâchepourtoi,mapetite-fille,ditCharisemnon,unemainsurleseinnaissantdel’enfantaulitaveclui.
Lanauséemontaàlagorged’Andromeda.—Sire.Toutcequ’elleavaitàfaireétaitderesterenvie.Tantqu’ellevivrait,ilyauraitdel’espoir.Naasir
sebattaitpourelle.Ellesebattraitpourlui.Jusqu’àsonderniersouffle,ellelutteraitets’accrocheraità
sasantémentaleetàsonâme.—Humm.J’avaisl’intentionquetutemontresdignedetalignéedevantlacourcematin.Caraucun
demesdescendantsnepeutdonnerl’apparencedelafaiblesse.Ilaffichaitunsourirevicieux.—Vousavezététémoindemescompétencesàl’épée.Ilrepoussasadéclarationd’ungestedelamain.—Tuesconnuepourtonérudition.Uneprincessedelacourabesoind’êtreplusimpitoyable.Ledosdelajeunefemmesecouvritdesueur.—Oui,Sire.—Commejeteledisais,c’étaitmonplan,maisceladevraattendretonretour.Ellen’éprouvaaucunsoulagementfaceàcesursis.Peut-êtrequ’unsortbienpirel’attendait.—Monretour?—Ilapparaîtqu’Alexandersouhaiteteparler.Incapabledecachersasurprise,ellesecontentadedévisagersongrand-père.Lesouriredecederniers’élargit,commesilechocdesapetite-fillel’emplissaitdeplaisir.—Ilalesentimentquetuméritesunerécompensepourlerôlequetuasjouédanssonsauvetage.Lapoitrineserréeetlapeauglacée,Andromedamarchaitsurdesœufs.—Mesactesn’ontpaseuuneffetdélétèresurvotrerelationavecl’ArchangeLijuan?Depuissonretour,elles’attendaitàcequ’onleluifassepayer.Charisemnon repoussa ses compagnes. Dressées et obéissantes, elles se glissèrent hors du lit et
sortirentsanscouvrirleurnudité.L’Archangequittaàsontourlesdrapstandisqu’Andromedadétournaitleregard,etenfilaunerobedechambredelacouleurd’unmerlotd’âge.Ilrevintensuiteverselle.
—Celaauraitpuêtrelecas,ettuseraspuniepournepasavoirclarifiélasituationavecmoi,dit-il.(Et soudain, il n’était plus un homme aux appétitsmalsains,mais unArchange au pouvoir aveuglant.)Quoiqu’ilensoit,commeilestévidentqu’Alexanderauneinclinationpourtoi,jenevoisaucuneraisonpourquenousnecapitalisionspaslà-dessus.
—Voussouhaitezquejecultivecetterelation?demanda-t-elle,uneexpressionpolieetrespectueusesur le visage alors qu’elle avait le sentiment de chercher à tenir en équilibre sur une corde simincequ’elleluitranchaitlaplantedespieds.Est-cequecelan’irriteraitpasLijuanetnemenaceraitpasvotrealliance?
—AlexanderestunAncien.Sinouspouvonsgagnersesfaveurs,Lijuanperdenimportance,expliqual’Archangeenseservantunverred’unebouteilleopaque.
Malgré cette confidence, Andromeda ne se faisait pas d’illusion sur le peu de valeur qu’il luiaccordait.
—Biensûr,Sire.Ilposasonverre,seslèvresneformantplusqu’uneligne,sesyeuxdesmorceauxdeglace.—Lijuann’aurait jamaisdû toucher à un enfant dema lignée, et elle aurait dûm’informerde ses
plansconcernantAlexander.Ah.Andromedasavaitqu’ellenesignifiaitrienpourCharisemnonentantquepersonne.Enrevanche,
entantquesymboledesonrègne,si.Là,Lijuanavaitfranchiuneligne.Maismêmeça,suspectait-elle,n’auraitpassuffisanslatransgressionsuivante.
Resserrantlaceinturedesonpeignoir,Charisemnonricana.—J’auraisétécapabled’assurerlesuccèsdelamission.Elles’estmontréeidiotedem’ignorer.—Oui,Sire.
Andromedaattenditdevoirs’iln’yavaitriendeplus,maissongrand-pèrelarenvoyaaprèsl’avoirinforméequ’Alexanderseraitchezsesparentslelendemainetqu’elledevaits’yrendrelejourmême.
Andromedapartitsur-le-champ,luttantpournepasvomirdesoulagementàlaremisetemporairedelatorture.Ellerefusamêmel’offreduMaîtredelaGarded’êtreescortée.Elleétaituneéruditeguerrièreetlacompagned’unechimèresauvage;elleétaitcapabledesedéplacerd’unboutàl’autreduterritoiresansgarde.
Elledécolla,restasouslesnuagesblancscommelesucre.Ensepositionnantaussibas,ellevoyaitles territoires qu’elle survolait. Il lui fallut près de trenteminutes pour traverser la ville. Le bastionétendudeCharisemnonsetrouvaitensoncentre.Ensuite,elleseretrouvaau-dessusdesterressauvagesdesonpayspropresàfairenaîtrel’émerveillement.Untroupeaud’antilopescourutsousellependantplusd’unkilomètre,commesiellesfaisaientlacourseavecl’ombredel’ange,etellevitdeséléphantsquisedéplaçaientdeleurallurerégalienne,deshippopotamesnagerdanslesfleuves,desgroupesdebabouinsquibavardaientetsebattaientsouslesarbreslargementespacés.
Soncœurgonfla.Ilsemblaitsiinjustequ’unetelleabondanceseretrouveentrelesmainsrépugnantesdeCharisemnon.
Silavieétaitjuste,ildisposeraitd’uneterreaussiaridequesonâme,etlapluienoiredeLijuannesemanifesteraitpasaveclabeautédesombresdiamantsscintillantsd’eau.
Elleprofitad’uncourantascendantpoursedistrairedecespenséesdéprimantesetsongeràl’amourqueNaasirportaitàcette terreoùelleétaitnée. Il luiavaitapprisqu’ils’yfaufilaitaussisouventquepossible pour courir avec les animaux. Elle adorait cela, adorait que quelqu’un d’aussi courageux,honorableetpurtrouveduplaisirdanscespaysages.C’étaitluiquidevraitêtreenchargedeceterritoire–mêmes’ilrefuseraitsansdoutecettecharge.
Elles’arrêtaunmomentsurlarived’unpetitlacquiondulaitsouslalumièredusoleil.Elledétestaitl’idée d’avoir à passer plus de temps que nécessaire chez ses parents. C’étaitmieux qu’à la cour deCharisemnon,maistoutétaitrelatif.L’empathiequ’elleéprouvaitpourl’enfancequ’avaientconnueLailahetCaton’allaitpasjusqu’àcomprendreleursmœursdépravées.
Lorsqu’ellearrivaenfin,lanuitétaittombée.Elleessayadedormir,sanssuccès,etpassalanuitsurletoit,àobserverlesétoiles.
—Naasir, murmura-t-elle, la foi qu’elle avait en l’amour de cet homme le socle de sa nouvelleexistence.Tumemanques,moncœur.
Cettefois-ci,iln’apparutpasdanslasavane,nelafitpasbasculerausol.Iln’yavaitquelanuitetlesilence.
Tôtlematinsuivant,elleallaseposersurunecollineetobservalescieuxquipassèrentd’unléger
grisàuneaubeéclatantedelumièrepuisaffichèrentundouxbleupoussiéreuxqu’onnevoyaitnullepartailleurs sur terre. Elle aurait souhaité rencontrerAlexander ici.Mais lorsque l’Archange apparut uneheureplustard,l’argentdesesailesluiévoquantimmanquablementNaasir,ilinclinacesdernièrespourluifairecomprendrequ’il l’avaitvue,maiscontinuasarouteverslaforteressedesparentsdelajeunefemme.
Elleserésignaàfairedemême.Alorsqu’elleneportaitqu’unesimpletuniquevertd’eauetunfuseaunoir,sesparentssemontrèrent
en tenue d’apparat. Andromeda s’occupa des présentations, espérant qu’elle suivait le bon protocole.Elle n’avait jamais vu l’intérêt d’apprendre comment présenter unAncien à d’autres anges puissants.Danslamesureoùpersonnenelareprit,elledevaits’enêtresortiecorrectement.
—Jevousenprie,ditsamèreenmenantAlexanderdanslesalonderéception,unepièceéléganteoùsetrouvaientdenombreuxchefs-d’œuvreinestimables.
Andromedaneserenditcomptequ’auboutdequelquesminutesqueLailahetCatoétaientintimidésparl’Ancien.
—Votrefilleamissavieendangerpoursauverlamienne,dit-il.Jenesuispashommeàl’oublier.Ilétaitvêtudesatenuedeguerrierauxcouleursd’ungrisanthraciteetd’unnoircorbeau.—Elleatoujoursétéforte,dotéed’unevolontéplusincroyablequebiendesadultes.Stupéfaiteparlafiertédansletondesamère,Andromedasetournaverscettedernière,maisLailah
avaitdéjàreportésonattentionsurAlexander.Lestraitsdesonvisageétaientfinementdessinésdeprofil,sadoucepeaud’unmielsombresansdéfaut,etsesbouclesportéesenungracieuxchignon.
Àsoncôté,Catosemblaitd’unepâleurcadavérique.Sapeaun’avait jamaissupportélachaleurdusoleil.Sesyeux,d’unbleudélavé,n’enétaientpasmoinsenvoûtantsdansleurbeauté.Sesfinscheveuxblondstombaientjusqu’àsesépaules,etsonvisageavaitétédessinéplusd’unefoispardesartistes.Ilslereprésentaienttoujoursavecunefiguredesplusinnocentes.
—Oui,repritAlexanderdanslesilencequis’étaitinstallé.Votreenfantestfortepourquelqu’undesonâgeetsuffisammentcourageusepourtireruncarreausurunArchangeafind’ensauverunautre.(Unlégersourire.)C’estpourcetteraisonquejelavoudraisàmanouvellecour.
Andromedasefigea.Naasir.Ilavaitréussicela.D’unemanièreoud’uneautre,sonhomme,sournoisetfuté,avaitréussicela.FaceàAlexander,sesparentsétaientbouchebée.Samèrefutlapremièreàreprendresesesprits,ses
yeuxmarrondoréécarquillés.—Vousaimeriezquenotrefillefassepartiedevoscourtisans?— Je n’ai pas de courtisans à proprement parler, répondit Alexander d’un ton froid. Mais en
revanche,jedisposebiendeguerriersetd’éruditsdansmoncerclerapproché.Etjedoisreconstruiremacouraprèsquetantdesesmembresonttrouvélamortenluttantauxcôtésdemonfils.
Un froid tomba sur la pièce.Lapuissanced’Alexander était soudain sourced’unepression atrocecontrelestympansd’Andromeda,lesailesdecedernierayantprisunelueurdontpersonnenesouhaitaitjamais être témoin. Non pas parce qu’elle n’était pas sublime – oh que si –, mais parce que lesArchangesluisaientgénéralementavantd’infligerunemortterribleetdéfinitive.
—J’ensuishonorée,intervintAndromedaquandilapparutquesesparentsavaientperdul’usagedelaparole.Uneplaceà lacourd’unAncienn’estgénéralementpasproposéeàunangeaussi jeunequemoi.
Les lèvres d’Alexander s’incurvèrent et elle put découvrir le « superbe guerrier » décrit dans lesrécitssursonrègne.Maiselleétaitincapabledelevoirentantqu’homme,cardanssesyeuxellelisaitunâge d’un poids écrasant. Elle ne savait pas quelle femme serait jamais apte à supporter sa puissanceintrinsèque. Caliane ? Mais Caliane était réputée pour aimer encore le compagnon qu’elle avait dûexécuter.
Personned’autresurlaplanèten’étaitl’égaled’Alexanderenpuissanceetenâge.—Ah,maistun’espasbanale,n’est-cepas,érudite?dit-ilenplantantsonregarddansceluidela
jeunefemme.PeudegensoseraientlanceràunAncienEndormi:«Écoutez,satanéArchange!»Tandisquesesparentss’étouffaient,incrédulesethorrifiés,Andromedaseretrouvaàsourire.—Pourmadéfense,jetentaisdesauvervotrevie,etvousvousmontriezterriblementarrogantetde
mauvaisehumeur.
Alexander rejeta la têteenarrièreetéclatad’unriresonore.Ellecompritalorspourquoi l’AncienentretenaitdesliensamicauxavecTitus.L’Archanged’Afriqueméridionales’esclaffaitluiaussiavecunplaisirnondissimuléetsincèrelorsqu’ilétaitamusé.
—Oui,repritAlexander,tun’espasbanale,Andromeda.(Unsourireauxlèvres,ilsetournaverslesparentsdecettedernière.)Onm’ainforméquevotreenfantétaitliéeparunsermentdesangetqu’ellenepeutacceptermonoffre.
—Oh, répondit le père d’Andromeda d’un ton impressionné, si vous voulez bien nous donner unmoment,nousallonsparleravecl’ArchangeCharisemnon.Luiseulpeutluirendresaliberté.
NiAndromedaniAlexandern’ouvrirentlabouchedurantl’absencedesparentsdelajeunefemme.Pour elle, les enjeux étaient trop élevés. Quant à l’Ancien, il devait avoir d’autres sujets depréoccupationentête.Commereconstruiresonpalaisetreprendrelecontrôledesonterritoire.Iln’avaitpas le tempsde faire tout cecheminpouroffrir àAndromedauneplaceà sa cour,mêmesi elle avaitparticipé à lui sauver la vie. Sansmêmementionner que cela posait un risque pour lui en termes desécurité,comptetenudesonétatdefaiblesseactuel.
CommentNaasirs’yétait-ilpris?Elleréprimasacuriosité,essayadenepaspermettreàsonespoirdes’enflammeretattendit.Lorsque
samèrerevintdanslapièce,cefutpourdire:—Andromeda,tongrand-pèreaimeraitteparler,danslebureau.La jeune femmes’excusaet se rendit rapidementdans lapièceenquestionoùse trouvait legrand
écranqui affichait à laminuteprésente levisage ravagéde songrand-père–prisdans lesombresdemanièreàlaissercroirequ’iln’avaitaucunecicatrice.Catosortitàl’instantoùelleyentra.
—Sire,dit-elleens’inclinantprofondément,vousavezentendu?LesyeuxdeCharisemnonluisaient,âpresaugainetsatisfaits.—Accepte.Avoirquelqu’undemonsangdanslacourd’Alexanderestuncoupinimaginable.—Jesuisliéeparmonsermentdesang.Charisemnonrepoussasaremarqued’ungestedelamain.—Jet’enlibère.Le sang de la jeune femme tempêtait, la tête lui tournait. Serrant le ventre et se débrouillant pour
resterdeboutalorsquesesgenouxmenaçaientdelâcher,ellerencontraleregarddesongrand-père.— Je pense que l’Ancien souhaitera l’entendre de votre bouche. Il est de la vieille garde et
susceptibledesemontrertraditionnelsurdetelssujets.(Elleespéraitqu’Alexanderlasoutiendraitcarelleavaitbesoindeluicommetémoin.Personneneremettraitjamaissaparoleenquestion.)Dois-jeallerlechercher?
—Oui.J’aimeraisluiparler.Elleretournadanslasallederéceptionsursesjambesflageolantesettransmitlarequête.Unelueur
d’amusementinattendueselisaitdanslesyeuxd’Alexanderlorsqu’ilselevapourlasuivre.—Jeteremerciepourtamansuétude,dit-ilàCharisemnonlorsquecedernierlalibéraformellement
desonvœu.C’estuneperted’envoyerunetellepetite-filledanslacourd’unautre.— Elle sera toujours de la famille, répondit Charisemnon, une fois de plus un Archange pulsant
depouvoir.J’espèrequecelaconduiraàl’émergencedeliensfortsentrenosdeuxcours.Alexandersecontentad’inclinerlégèrementlatêteetsoninterlocuteurnesemblapasremarquerque
l’Ancienn’avaitabsolumentpasindiquéqu’ilnourrissaitlemêmeespoir.—As-tubesoindepréparertesbagages?demandacedernieràAndromedad’untonsecetsérieux
dèsquelaconversationfutterminée.—Non.Jepeuxpartirimmédiatement.
Elleavaitsonépée.Lereste,Naasiretelles’enoccuperaientplustard.—Bien.Jedoisregagnermonterritoire.Ilrejoignitàgrandspaslesparentsdelajeunefemmeencoresouslechocet luidonnauneminute
pourattraperunpetitsacdefruitssecsàhauteteneurénergétiquepourlevoyage.Puisilluiordonnadelesuivredehors.
AndromedaditrapidementaurevoiràLailahetCato,etfutsurpriselorsquesamèrelapritdanssesbrasetluimurmuraàl’oreille:
—Volelibrement,mafille.Soiscequejen’aijamaispuêtreetquittecettecageàjamais.Andromedaladévisagea,lesmotsobsédantsserépercutantdanssoncrâne.Maisfaceàelle,Lailah
étaitdenouveaucettemèrebelleetcruellequ’elleavaittoujoursconnue,etAlexanderétaitdéjàdanslesairs.
Elledécolla.
Chapitre51
Il était impensablequ’Andromedapuisse semaintenir à lahauteurd’Alexander,mêmes’iln’allaitpasàsapuissancemaximale.C’étaituneimpossibilitéphysiquepouruneangeaussijeunequ’elle.Quoiqu’ilensoit,l’Ancienvoyageaàsoncôtéjusqu’àlafrontière.Àlasecondeoùilsatteignirentlamer,illuirecommandadetrouverlechemindesonterritoireàsapropreallure,puiss’éloignahautetvite,sedirigeantverssonpeuplequiavaitbesoindelui.
Andromedanetraînapas,battantdesespropresailesaussirapidementquepossiblepouratteindreunhavre sûr. Contrairement àAlexander, elle ne pouvait effectuer le voyage d’une traite. Elle devait sereposer,etlorsqu’ellelefaisait,ellechoisissaitdesendroitsisolés.Illuifallutplusdetrente-sixheurespour atteindre les terres de l’Ancien. Le soleil commençait à décliner à l’ouest, ses rayons dorésilluminant le ciel. Elle n’était pas sûre de savoir où aller, et décida de se rendre au village de laFraternité.
Ilétaitencoreenruines.Lesfrèresailésavaienttousdûpartirs’installeraupalais.Elleétaitsurlepointdefairedemi-tour
quandelleremarqualamaisonoùNaasiretelleavaientséjourné.Elleétaitdeboutetbienréparée.Lajeunefemmeétaittropsoulagéepoursedemanderpourquoiseulcebâtimentavaitétéreconstruit.
Elle avait besoin d’un lieu sûr pour reprendre des forces et trouver ses repères, et cettemaisonnetteempliedesouvenirsdeNaasirferait l’affaire.Cen’étaitqu’unpâlesubstitutàl’hommequ’elleaimait,mais mieux que tout ce qu’elle avait eu à sa disposition avant l’offre d’Alexander. Elle trouveraitl’intendantdelacouretapprendraitquellesétaientlesobligationsquil’yattendaientlelendemainmatin.
EtAlexandernesesoucieraitsûrementpasqueNaasirluirendevisite.L’espoirluienflammaitlecœur.Ellepoussalaporte,franchitleseuiletserenditàlasalledebains.
Laplomberiefonctionnait.Avecreconnaissance,ellesedéshabillaetsedébarrassadelapoussièreetdelasaletéduvoyage.Lorsqu’ellecoupal’eauetsortitaprèsavoirfrottésescheveuxpourlessécher,sesyeuxseportèrentinstinctivementsurlaportedelasalledebains.Larobedechambreensoienoirequiypendaitsemblaitneuve…etleGrimoiresetrouvaitdansl’unedesespoches.
Andromedal’avaitrenduàNaasirpourqu’illedonneàJessamy.Elleenfilalevêtement,nouavaguementlaceintureetseprécipitadanslapièceprincipaledulogis.
Son visage se fendit d’un sourire quand elle courut au lit pour sauter sur l’homme qui y étaitnonchalammentallongé.
—Commentes-tuentré?Desyeuxargentluisirent,affichantuneexpressionfaussementoffensée.—Tuviensvraimentdemeposercettequestion?dit-ilenprenantleGrimoirepourlejetersurune
petitetable.StupideGrimoire.
Ellerit,luicouvrantlevisagedebaisers.Naasirluiouvritsonpeignoiretglissalesmainscontrelapeauhumidede la jeune femmequ’il serra contre lui. Il tourna la tête demanière à cequ’elle puissel’embrasserpartout.
—Tum’asmanqué,disait-elleentrechaquebaiser.Tum’asmanqué.Tum’asmanqué.Ilronronnaitsouselle,sapeauportantsesrayuresdetigre.—Ilestnormalquejetemanque.Jesuistonmâle.Ilsemblaitsiassuréqu’ellel’embrassadenouveau.—Pourquoin’es-tupasvenu?Jet’aiattenduetattenduencore!Jet’aicherchétouteslesnuits.Ellelefrappaàlapoitrine,etsemitàgenoux.Ilserenfrogna.—IlfallaitquejeréfléchisseaumoyendetesortirdesgriffesdeCharisemnon,dit-ilenmontrantles
dents.Puisj’aidûdonnerlachasseàAlexanderetluifaireremarquerqu’ilnousdevaitàtousdeuxunegrossefaveur.
Elleenrestabouchebée.—Tuluiasvraimentditça?couina-t-elledansunmurmure.—Pourquoipas?répondit-ilenhaussantlesépaules,mainsderrièrelatête.Alexanderatoujoursété
réputépoursonsensdel’honneuretilt’aimebien.Encore sous le coup de l’étonnement à l’idée qu’il se soit effrontément rendu auprès d’unAncien
pourexigerdesevoirretournerunefaveur,ellefrissonna.—Souslecoupdelacolère,ilauraitputetuer.Etellel’auraitperduàjamais.—Non,ilm’aimebien,moiaussi.IlamêmeessayédemevoleràRaphael,maispersonnenepeut
mevoler.Unlargesourireauxlèvres,illabasculasouslui.Elleluicaressalajoue,sentantsoussesdoigtscettefourrurefine,presqueinvisiblequiapparaissait
parfoisenmêmetempsquelesrayuresdeNaasir.Ellesentaitsesyeuxlabrûler.—J’avaissipeur.Uneconfessionlancéed’unsouffleirrégulier.L’expressiondeNaasirsedurcit.—Est-cequequelqu’unt’afaitdumal?—Non.Sachimèresauvagen’avaitpasbesoindesavoirqu’ellen’enétaitpaspasséeloin–ellegarderait
celapourelle,parcequ’ilensouffriraitinutilement.—Jesavaisquetuviendrais,luidit-elleàlaplace.LeregarddeNaasirluiappritqu’illisaitsessecretsenelle.—Etmoi,jesavaisquetuseraisforte,queturesteraisenvie,àn’importequelprix.Lesyeuxbrûlantsethumides,elles’accrochaàlui,etillatintainsiunlongmoment.Lorsqu’ilbougeaenfin,cefutpourprendrequelquechosedanssapoche.—C’estpourtoi.Surpriseparsafaçonpresquetimidedebaisserlatête,ellesepencha.Etportalesmainsàlabouche.—Pourmoi?—Lescouplesportentdel’ambre.Naasir luiéloignaunemaindes lèvresetglissaàsondoigt labagueenorquiportait lapatinede
l’âge.Soncœurétaitdel’ambreleplussombre.
—Oh, murmura-t-elle sans la quitter des yeux, reniflant et souriant à la fois. Tu m’as donné del’ambre.Elleestsibelle.
Elletouchaitlabague,émettantdesbruitsincohérentsdejoiepure.—Elleaunpassé,unehistoire,luiapprit-il,visiblementtrèssatisfaitdeluifaceàsaréaction.J’ai
penséquetupréféreraisçaàunebagueneuve.—C’est le cas, affirma-t-elle en le couvrant de nouveaudebaisers. J’en ai dessiné unepour toi,
admit-elleensuitetimidement.Jenepouvaispaslafairefabriquerdéjà.(Ilyavaittropderisquesquesongrand-père en entende parler, apprenne qu’elle était si profondément liée à un autre.)Mon nom serainscritàl’intérieur,ajouta-t-elle,ledéfiantdediscuterlachose.
LesyeuxdeNaasirscintillèrent.—Parcequejesuistonterritoire.Femellepossessive.D’unemaingriffue,illuicaressalevisage.—Oui,très,confirma-t-elleenclaquantdesdentsdevantsonnez.Ilrit,luirenditlapareille,etilssebattirentsurlelitcommedeuxgroschats.Lorsqu’elleseretrouva
de nouveau sous lui, elle avait le souffle court. Repoussant les cheveux qui lui étaient tombés sur levisage,elledit:
—Raconte-moicommenttut’yesprispourqu’Alexanderaccepte.Effrontéetcourageux,soncompagnonnecessaitdelasurprendre.Ilsoupira.—On ne pourrait pas d’abord s’accoupler ? demanda-t-il en frottant son érectionmassive contre
elle.Jeteveux.Ilétreignitsonseinnu.Andromeda frissonna. Elle écarta les jambes et enroula ses bras autour du cou de Naasir. Il se
plongeadanssonbaiserpendantqu’illacaressaitentrelesjambes.Lorsqu’ilenfonçasesdoigtsenelle,ellesecambra,sesoulevantpourleréclamer,maisiln’enétaitpaslà.Ill’embrassatoutlelongducorps,lalécha,lasuçaavecuneattitudejoueuseetfélinequilafitgigotersurlelit,lepeignoirqu’elleportaitencoresetortillantsouselle.
D’une prise puissante sous les cuisses de la jeune femme, il lui souleva les hanches pour larapprocherde sabouche, et lécha son intimité, la précipitant dansunorgasmedévastateur. Il continuasans relâche.L’effleurementde sescrocs la faisaitgémiret la rendaitencoreplushumide,mais lui secontentaitdes’amuser.Commesielleétaitsonjouetpréféréetleplusdélicieux.
—Naasir.Ungrondementprocheduronronnement,unsuçonmouilléàsonclitoris.Leventredelajeunefemme
secontracta, son dos se raidit et elle jouit de nouveau.Vidée de ses forces, elle geignait tandis qu’ilégratignaitdoucementdesescrocsl’intérieurdesacuisse,avantderetournerserepaîtredesonintimité.Elleavaitlesoufflesiirrégulierquec’enétaitpresquedouloureux,etleplaisircoulaitdanssesveines.
Lorsqu’ilécorchaunenouvellefoissacuisse,ellefrissonna.Etillamordit.Ellecria,luiempoignalescheveuxetserenditaubaiserdesangdesonmâle.
Naasirbuttoutsonsoûl;aucunebatailleneseraitlivréecettenuit-là,etilavaitemportéavecluide
quoisustentersacompagne.Ensuite,illanourrirait,lacâlineraitetdiscuteraitavecelle.Pourlemoment,il se rassasiaitde sonsangenivrant.Leparfummusqué,chaud, saléde la jeune femme l’enrobait, sonsangétaitchaudsurlalanguedeNaasiretelleleretenaitcontreelledesajambeenrouléeautourdesondos.
Entremblant,ellemurmuraitsonnomencoreetencore,cequifaisaitpulsersonmembred’excitation.Il luicaressait lacuissetoutenbuvant,savouraitsatexturesoyeuse.Andromedaétaitsidouceetavaitunetelleforceintérieure.Ilvoulaits’entraîneraucombatavecelle,croiserleferavecelle.Ilvoulaitêtrenuaulitavecelleetlataquiner.
Il lécha lesminusculesblessurescicatriséesune foisqu’il eutbuà satiétéet se soulevaau-dessusd’elle. Elle avait les paupières lourdes, les lèvres pleines et les seins rosis. Elle leva la main pourramenerlecorpsdesonamantàelletandisqu’ildéplaçaitlajambedelajeunefemmepourpénétrersonfourreauétroitetglissant.Ill’embrassapendantqu’ilssebalançaient.Ellenelelâchaàaucunmoment.
Cen’étaitpasainsiqu’ilavaitimaginéleschosesensongeantàsafuturefemelle.Ilavaittoujourscruquecela serait brutal et cru.C’était sexy et tendre, et il aimait ça. Il reprit ses caresses sur la cuissed’Andromedatoutenbougeantenelle,etcontinuaàl’embrasser.Leurslanguesjouaientl’uneavecl’autreetlorsqu’ellefitminedelemordre,ilgrogna,etellerit.
Illuimordillalenez,pinçasapeau.Lesouriredelajeunefemmes’élargitetelleletintencoreplusserré,sesjambesverrouilléesautour
delui.—Jet’aime.—Jesais.Il rit de nouveau, ses yeux étincelants emplis de lumière, et elle réclama un autre baiser. Et ils
continuèrentàjoueràleurpetitjeuérotiquequilerendaitprofondémentheureux.Lorsqu’elles’accrochaàluilorsd’unorgasmeétonnant,illachevauchajusqu’auboutavantdesepencherpoursuceretléchersesseinsjusqu’àcequ’ellegémisseetluiredresselatête.
Iladoraitl’embrasser,alorsilsesoumitàsarequêtesilencieuse.Etlorsqu’iljouit,illarendittoutecollante,aupointqu’ilnerestaitpasunepartieducorpsdelajeunefemmequineportesonodeur.Enfin,ilfrottasajouecontrecelled’Andromeda,etrestalongtempsallongésurelle,s’assurantdesoutenirsonpoidsd’unbraspournepasl’écraser.Lorsqu’ilfinitpars’étirersurledos,elleémitunpetitsonplaintif.
Illaberçacontresapoitrine,lesailesd’AndromedaétaléestoutautourdulitetentraversdutorsedeNaasir.
Ilbâilla,luicaressal’aileetdit:—J’ainégociétonretourauRefuge.—Humm,commenta-t-elle,unemainpossessivesurlecœurdeNaasir–commesedevaitdel’être
unecompagne.Alexanderyinstalleunbastion?— Oui. Techniquement, tu y seras rattachée, mais tu es libre de poursuivre tes recherches aux
ArchivesavecJessamy.Elle se dressa sur un coude, les cheveux emmêlés, et cilla à plusieurs reprises comme pour
s’éclaircirlesidées.—Jen’arrivepasàcroirequetuaiesdemandécelaàAlexanderetqu’iltel’aitaccordé.Tuasdû
abandonnerquelquechoseenéchange?Sonfronts’étaitsoudainridésouslecoupdel’inquiétude.Naasireffaçalamarquenouvellementforméedesonpouce.—Nousluiavonssauvélavie.IlnousestreconnaissantdenepasêtreenpleinSommeilpendantque
sonpeupleabesoindelui.Cequej’aidemandéétaitpeuenéchange.Maintenantquel’Ancienétaitdecemonde,ilcomprenaitàquelpointleschosesavaientmaltourné
avecLijuanetlaCascade.Naasirjouaaveclescheveuxd’Andromeda.
—Alexander a offert de te libérer de sa cour,mais cela pourrait causer des problèmes avec lesautres Archanges. Tu resteras donc officiellement à son service, mais tu n’auras pas à te charger dequelqueobligationquecesoit,saufsitulesouhaites.
—Mongrand-pèreneserapasraviquejenel’abreuvepasd’informations.—Celatetracasse?—Non. Ilm’a libéréedusermentdesangdevantAlexander–cequ’ilveutn’apasd’importance,
affirma-t-elle avec un joyeux sourire. La seule chose qui compte, c’est ce que nous voulons, nous.M’emmèneras-tuàtonnidd’aiglesecret?
—Nouspartonsdemainpourcheznous.—Cheznous,répéta-t-elle,levisagenoyédelarmes.Cheznous.Pourlapremièrefoisdesavie,sonfoyerseraitunendroitsûroùelleseraitaiméeetchérie,oùêtre
elle-mêmesansdissimuleroucraindrequoiquecesoitseraitpossible.—Cheznous,murmura-t-elledenouveau.Naasirlesfitbasculerdemanièreàseretrouversurelleetessuyaseslarmesdesesbaisers.Puis,de
manièretaquine,ilsemitàembrasserchacunedes«taches»delajeunefemme.—Cheznous,ronronna-t-illorsqu’ellesemitàsourireetàcompteraveclui.Chezmafemelle,moi
etnospetits.—Oui,murmura-t-elle,sonesprits’emplissantdeminusculesenfantssauvagesquilarendraientfolle
etqu’elleaimeraitaussiviolemmentqu’elleaimaitleurmerveilleusechimèredepère.Oui.
Épilogue
Raphaelmitun termeàsaconversationavecAlexanderetéteignit l’écran.L’Ancienavaitaccordéuneimportantefaveuràl’undesSeptdel’ArchangedeNewYork,etbienqu’ilaitdéclaréquecedernierneluiétaitpasredevable,Raphaell’avaitmalgrétoutcontactépourleremercier.
—Pourquoi cet appel ? demandaElena.N’aurait-il pasmieux valu laisser les choses se tasser ?ajouta-t-elletandisqu’ilsmarchaientlelongdesfalaisesderrièreleurmaison.
Sousleursyeux,l’Hudsoncoulaitmollement,ternesousuncielnuageux.Manhattanétaitplongédansl’ombreàcaused’un temps lourd,et les lumièress’étaientalluméesdansuncertainnombredegratte-ciel,bienqu’onfûtencoreendébutd’après-midi.
—N’oubliepasquemêmesiAlexandersembleàpeineplusâgéquemoi,ilcomptedescentainesdemilliersd’annéesdeplus.
—Ilestcommetamère–ils’attendàunecertainecourtoisie?—Tudeviensuneaffiliéeencorepluséléganteetinstruitedejourenjour.Sesproposauraientpupasserpourune taquinerie,mais ildisaitvrai.Elenaavaitdûabsorberune
quantitéphénoménaledeconnaissancesenuntempsincroyablementcourt.—Tutiendrasbientôtrégulièrementdesbalsangéliques.—Hé,nem’insultepas!dit-elleenpointantuncouteaudanssadirectionavantdeleranger.C’est
délicatmalgrétout,non?LorsquetudiscutesavecAlexander,cen’estpascommequandtut’adressesàElijahoumêmeTitus.
Raphael observait dans le lointain les silhouettes distinctives des combattants de la Légion quientraientetsortaientdeleurbâtiment.
—Viens.Ondiscuteraenvol.TudoisêtreàlaGuildedanspeudetemps.Elena déploya ses ailes et décolla en frôlant l’Hudson avant d’utiliser les courants aériens pour
s’éleverdansleciel.Raphaeln’avaitpasbesoindefairedemême.Maisilchoisitpourtantcetteoptionafinqu’ilspuissentvolerdeconcertverslaville.Titusm’aaidéàm’entraînerlorsquejen’étaisqu’unjouvenceau,dit-ilunefoisqu’ilsfurent tousdeuxenposition,maisaprèsmonascension, ilaacceptéquejesoisunArchangeetsonégalauseinduCadre.
Alexander, quantà lui, a toujours eudumalavec le fait que jedevienneArchangeà seulementmille ans. Ce qui faisait de Raphael le plus jeune des anges à avoir jamais atteint ce stade. Parconséquent, je ne peux lui laisser la moindre occasion de me traiter comme un gamin. Il pouvaitplaisanteravecTitusetletraiterde«vieilhomme»tandisquel’autrel’appelait«lechiot»,maisdetelsjeuxn’arriveraientjamaisavecAlexander.
OK.Lanatted’Elenaglissasursonépaulequandelletournaàgaucheaveclevent,virevoltantdanslesairsavecunejoievisible.C’estcommeunpèrequirefused’accepterquesonfilsaitgrandi.
Unebonneanalogie.Alorsqu’ilsétaientpresquearrivésàManhattan,ilreprit:Regarde.La réponsed’Elena était dépourvuede l’inquiétudequi l’avait rongéedurant les jours qui avaient
immédiatement suivi la chute d’Illium. Campanule et Strass se sont lancés dans une nouvellecompétition.
Non loin de la Tour, les deux anges faisaient la course, s’élevant verticalement dans les nuages.TandisqueRaphaellesobservait,Aodhanpritlatête,Illiumledépassa,seulementpourseretrouverdenouveausecond…etcefutl’enfersurterre.
Illium fusa dans la stratosphère pendant que lemonde explosait en une pluie bleu or. Elle frappaElena,scintillanteetcollante,striantsescheveuxetsapeau.
Raphael,quesepasse-t-il?Ils’élève,répondcedernier,soncœurbattantàtoutrompre.Pose-toi.Immédiatement.Ilsavaitque
sonaffiliéeintelligentenerechigneraitpasàsonordrebref.Lescourantsaériensétaientdéjàturbulentsautourd’eux.Lui-mêmemontadanslesairsàlasuited’Illium.
Ilétaitincorrectd’interféreravecl’ascensiond’unange,maiscedernierétaittropjeune,decentainesd’années.Àlaminuteprésente,Raphaelnepouvaits’empêcherderevoirIlliumàl’époqueoùill’avaitrencontrépour lapremière fois, l’Illiumqui l’avaitsuivià travers tout leRefugepour lui racontersesaventures.Lepetitgarçonauxailesbleuesqui,avecAodhan,sonamipluscalme,avaitjouéplusdetoursquetouslesautresgaminsréunis.
Illiumavaitaujourd’huiàpeineplusdecinqcentsans,etsoncorpsn’étaittoutsimplementpasassezdéveloppépoursupporterlepouvoirquicoulaitdanslesveinesd’unArchangeàchaquesecondedesonexistence.Àmilleans,c’étaitdéjàpousserleschosesunpeuloin–Raphaelavaitsurvécuavecpeineàlatransition.Ilavaitsentisapeauprêteàcraquerlorsqu’ilétaitredescenduausolaprèssonascension.Ilavaiteubesoindetoutesavolontépourtenirlecoupaulieudevolerenéclats.
Cejour-là,ilutilisalamêmepuissanceviolentepourcouperàtraverslescourantsaériensinstablesquienvoyaientlesautresangesseposersurlessurfaceslesplusprochesoùunatterrissageétaitpossible.IlsedirigeadirectementversIllium.Cedernierluisait,doré.Untelpouvoirs’échappaitdeluiquecelamenaçaitdel’enflammeretdel’annihiler.Ilavaitlecorpstenduenarrière,sesailespendaientsansvie.Ilserraitlespoings,mâchoireverrouillée.
Raphaeln’hésitapas.Transperçantlaflambéedoréedepuissance,ilagrippalesbicepsd’Illium.—Illium!Leregarddel’angeauxailesbleuesrencontralesien,unepureterreurlisibledanslesprofondeurs
doréesempliesd’unfeud’unrougebrûlant.Commesisonsangbouillait.—Sire,dit-ild’unevoixtendue.Jenepeuxpas…Satêtefutrejetéeenarrière,lalumièresedéversadesesorbites,desabouche,desapeau.Refusantdevoirlesbrèchesirrégulièresquicraquelaientlecorpsd’Illiumpendantquecetteénergie
brutesefrayaitunpassagehorsd’uneenveloppecorporellequin’étaitpasconçuepourl’abriter,Raphael«attrapa»cefeuaveclesien.Ilagissaitpurementàl’instinct,n’avaitaucuneraisondepenserquecelamarcherait.Bienqu’ilyeûtdesrumeursselonlesquellesLijuanavaitacquislacapacitédesiphonnerlepouvoird’autresArchanges,d’aprèscequeRaphaellui-mêmeavaitpuconstaterlorsdelabatailleau-dessusdeNewYork,elleétaitpeut-êtreseulementcapabledesenourrirduCadredelamêmemanièrequ’elleopéraitavecn’importequid’autre.
AucunArchangen’avaitlacapacitédes’approprierlevraipouvoird’unautre.Etpourtant…
Celuid’IlliumdéferlalelongdesbrasdeRaphaeletdanssonfluxsanguin.Ildirigealesurplusverslecieloùilsetransformaenunéclairbrisé.Lorsquel’éclairtentadesedéverserdenouveauenIllium,Raphael le tint à distance avec un bouclier de bleu léché par un feu sauvage incandescent, tout encontinuantdecapturerlanouvelleénergiequis’échappaitd’Illium.
Le pouvoir qu’il dispersait pressait contre son bouclier,mais c’était un pouvoir naissant, fragile.Raphaelenvoyalesienpourlecontrecarrer,lefracassant.Encore,encoreetencore.Lapluiecontinuaitdescintillerd’unbleuorautourdelui,maisIlliumcommençaitàrespirerunpeuplusfacilement.
La lumièredoréepulsait toujours sous la surfacede lapeaude l’ange,maisne s’échappaitplusàtravers ses blessures qui ne saignaient pas. Elles luisaient. Raphael n’avait aucune idée de ce qui sepasseraits’ilcapturaittoutecettepuissance,sicelatueraitIlliumoumettraituntermeauxchancesquecedernieravaitdes’élever.Ilarrêtadonc.
—Tupeuxredescendreenvolant?Ilsétaientsihautetavaientétéentourésparunelumièresiaveuglantequepersonnen’avaitpuvoirce
queRaphaelavaitfait.Pourautant,siIlliumdevaitrejoindreleCadre,ilétaitimpensablequ’ilparaissefaible,maintenantmoinsquejamais.
Les traits tiréset lesyeuxbrillantsd’unorvif, Illiumagrippadurement lebrasdeRaphael toutendéployantsesailes.
—Oui.(Puisilajoutad’unevoixtoujourstendue:)Pasloin.—Suis-moi.Dirige-toiversAodhan.LebalcondelaTouroùilavaitvul’autreangeseposerétaitlepointviableleplusproche.Raphaelselaissatomberdansl’airmaintenantmortellementcalme,ayantjugéqu’Illiumnecontrôlait
pas complètement lesmuscles de ses ailes. La nouvelle énergie contenue dans le corps plus jeune del’angelesubmergeait.Toutlelongduchemin,Raphaelgardamentalementlecontactaveccedernier.Ils’assurad’atterrirlepremierafind’intervenirsiIlliums’écrasait.Maisl’angeauxailesbleuesparvintàarriversursespieds…avecdifficulté.
Aodhan,levisagedur,tenditlamain,puislalaissaretomber.Lesyeuxd’Illium,poséssurRaphael,reflétaientunecentained’émotionsdifférentes.—Sire,dit-ild’unevoixsiempliedepuissancequ’elleétaitàpeineaudible.Jenesuispasprêt.Desbullesde sang se formaient à la commissurede ses lèvres,balayéesparune lourdepluiequi
n’étaitdorénavantplusstriéed’unbleuor.Raphaelserenditcomptequelepouvoirécrasaitlesorganesinternesd’Illium.Sionlelaissaitfaire,
illetueraitenquelquesminutes.L’ArchangeagrippalanuquedeCampanule,plantasonregarddanslesienetenattiraà luiune touchesupplémentaire. IlnevoulaitpasvolercequiappartenaitàIlliumpardroitdenaissance,maisilnelaisseraitpasl’undesesSeptmourir.
—Concentre-toi pour le contrôler, disait-il aumoment oùElena se posait sur le bord du balcon.Tiens-leétroitement.
Illiumserralesdents,nequittapasRaphaeldesyeux,maissonsangcontinuaitàbouillonner.Soudain,Aodhanfutlà,étreignantIlliumpar-derrière,soutenantsonami.—Concentre-toi,ordonna-t-il.Tuteconcentres!NonloindeRaphael,Elenaétaitdéjàautéléphone.—DameCaliane,lança-t-elled’untonmordant.Non,jenepeuxpasattendre!Allezlachercher!Àpeinequelquessecondesplustard,ellereprenait:—Dame,jesuisdésoléedememontrersiimpolie,maisIlliums’estélevéetcelaletue.S’arrêtantàcettesalutationabrupte,elleplaçaleportablecontrel’oreilledeRaphael.
—Mère, dit-il, jepeux ledébarrasserde sonpouvoir,maisquelles seront les conséquencespourlui?
Pour ce qu’il en savait, aucune ascensionn’avait jamais été interrompue, ou le processus inversé,maiscomparéàsamère,iln’avaitvécuquepeudetemps.
—Legarçonestliéàtoi?demanda-t-elledurement.Parlesang?—Oui.LeliendataitdujouroùIlliumétaitdevenul’undesesSept.C’étaitenpartiecequiexpliquaitque
lesSeptpuissentinitialiseruncontactmentalavecRaphael,qu’importeleurâge,leurnatured’angeoudevampire.
—Absorbel’énergie.Toutel’énergie.Immédiatement,avantqu’ilnesoittroptard.Raphael ne discuta pas alors qu’Illium s’étouffait dans son sang face à lui. Il ouvrit ses sens et
poursuivitcequ’ilavait instinctivementaccomplidans leciel.Lepouvoirdéferlaen lui,doréetpleind’unejoiedevivrequiétaitpurementIllium.Déjà, ilsemêlaitsiparfaitementàceluideRaphaelquec’étaitpresquecommes’ilavaitétéfaitpourlui.
Cepouvoirétaitpuissant…maisjeune.Mêmeainsi,lalumièredoréeseliaauxcellulesdeRaphaeld’une manière indiquant clairement que sa force en serait définitivement décuplée. Comme si unenouvellepièceavaitétéajoutéeauxfondationsdesaproprepuissance.
Il ne s’agissait pas d’une simple augmentation de puissance. C’était une évolution qui avait prisquelquessecondesplutôtquedessiècles.
Avalantdegrandesgouléesd’air,Illiumvacillait,maisAodhanlemaintenaitdroittandisqueRaphaelcontinuaitl’impossibleetabsorbaitl’énergied’unautreArchange.Saufqu’IlliumnefaisaitpaspartieduCadre.LorsquedeuxmembresduCadresetenaientprèsl’undel’autre,ilyavaituninfimeeffetrépulsif,commes’ilsn’étaientpas faitspourêtresiproches.C’était suffisamment légerpourêtre ignorésurdecourtespériodes,maistoujoursprésent.
Raphaeln’éprouvaitriendelasorteaucontactd’Illium.— Oui, entendit-il Elena déclarer dans son dos tandis qu’il drainait la dernière goutte de cette
nouvelleénergied’Illium.Jecroisqueçaamarché.(Unepause.)Oui,jeleferai.Elleraccrocha.—Allonsàl’intérieur,dit-elle.Raphael et Aodhan parvinrent à aider Illium à pénétrer dans le bureau adjacent au balcon – qui,
s’avéra-t-il,étaitceluid’Honor–etrefermèrentderrièreeux.ElenaappuyasurleboutonquiopacifiaitlesvitresetalorsseulementIlliumselaissatombersurlachaiselaplusproche,sesailesdéployéesdechaquecôté.
—Ques’est-ilpassé?demanda-t-il.Iltremblaitdetoutsoncorps.Lorsque Aodhan s’accroupit devant lui et repoussa les cheveux dégoulinants de l’ange aux ailes
bleues,cederniertressaillitets’abandonnaaugeste.Illuifallutdutempsavantdecesserdetrembler,etlorsqu’ilyparvint,illevalatêtepourrencontrerleregarddeRaphael.
—Sire,jenesuispasunArchange.—Non,reconnutcedernier.Celaarriverapeut-êtreunjour,maistoncorpsettonespritnepeuvent
gérerunetellechargeàtonâge.EtavecsonpouvoirmaintenantvivantenRaphael,Illiumnemontraitaucunsigned’ascension.Elenaavait trouvéunebouteilled’eaufraîchequ’elledonnaàsonCampanuleadoré.Puis,perchée
surlebrasdesachaise,elleluitapotatendrementledos,effleurantduboutdesdoigtslesailesdesonami.
—Est-cequemamèreaditautrechose?luidemandaRaphael.Legrisdesyeuxdelajeunefemmeétaitsombre,leurcercled’unargentvif.—Elleademandéquetularappelles.L’Archangeneperditpasdetemps,decraintequ’Illiumrecommenceàluire.Ilutilisaleportablede
sonaffiliée.Ilmitlehaut-parleur,quetouspuissententendrecequeCalianeavaitàdire.Ils’attendaitàavoiren ligne le technicienquigérait le systèmedecommunicationsqu’Illiumavaitmisenplaceà sademandeàAmanat,maiscefutlevisagedeCalianequis’affichasurlepetitécrandel’appareil.
—Fils,s’enquit-elle,lestraitstirés.Est-cequetavilleesttoujoursdebout?—Oui.Saquestioninquiètelepoussaàcomprendreunevéritésidérante:s’iln’avaitpasétélàpourmettre
un terme à l’ascension prématurée d’Illium, lamort du jeune ange aurait provoqué une onde de choccatastrophique.
—Mère,as-tudéjàététémoind’unetellechose?demanda-t-il.—Oui,lorsd’uneCascade,àl’aubedemonexistence.AvantquejesoisuneArchange.Raphael ne parvenait pas à imaginer une telle époque – à ses yeux, sa mère avait toujours été
puissante.—Qu’est-ilarrivé?—Unangequiétaitlecommandantd’unArchanges’estélevésansprévenir.Iln’avaitqueseptcents
ansetsoncorpsétait incapabledeconteniruntelpouvoir. (Ilémanaitd’elleunetristesseà lapertesilointainedecetange.)Ilestmortdansunefureurtonitruanteetaemportévingtmillepersonnesaveclui.
Laissantéchapperdurementsonsouffle,Illiumseremitsurpied.Ilflageolait,maisparvintàavancerjusqu’àRaphaelpoursemontreràCaliane.
—Dame,dit-ilens’inclinantprofondément,vousm’avezsauvélavie.Merci.Caliane lui rendit son salut tandis que Raphael attrapait Illium qui serait tombé en arrière en se
redressant.—Assieds-toi,petit,ordonnalamèredeRaphael.Tuesabîmé.Illiumnediscutapas.—Abîmé ? demanda d’un ton tranchant Elena.Y a-t-il quoi que ce soit dont nous devrions nous
inquiéter?—Non.Maintenant que le pouvoir est hors de lui, il va se rétablir. (Caliane s’appuya contre le
dossier de son siège, ses cheveux retenus en arrière par une natte et le corps pris dans une tenue decombatencuirtrèssimilaireàcelled’Elena.)Bienquedansmajeunessel’angesoitmort,ilyaeudesrumeursconcernantunautre jeuneangequi s’étaitélevé trop tôtmaisavait survécugrâceàun liendesang – et de confiance – entre lui et son Archange. Après le transfert, il était faible, mais il s’estcomplètementremis.
ElleobservafixementRaphael.—L’Archange,cependant,agagnéenpuissance.Raphaelsentitsonsangseglacer.—Jen’aipasl’intentiondevolercequiappartientdepleindroitàIllium.Iln’avaitagiquepoursauverlaviedel’angeauxailesbleues.—Vouspouvezlegarder,Sire,j’insiste.Ignorantlesbredouillementsd’Illium,Raphaelsoutintleregarddesamère.—Jenepeuxarrêterdeforceuneascensionsic’estcequ’ilestsupposédevenir.— Les brusques ascensions des trop jeunes ne se produisent que durant une Cascade, souligna
Caliane. Lors des trois occasions dont j’ai connaissance, l’ange en question était soit le second d’un
Archange,soitappartenaitàsoncercleleplusrestreint.—Vouspensezque ce transfert est lebut, analysaElenaqui s’était rapprochéedemanière àvoir
l’écran.(Soncorpsetsesailes touchaientceuxdeRaphael,dansuneintimitésilencieuseetpuissante.)MaissiRaphaelnes’étaitpastrouvélà?
—Affiliée, la Cascade est imprévisible, répondit Caliane, une sensation d’âge écrasante dans lavoix.Iln’yaaucunmoyendeprédiresiuntelincidentsereproduiraousilegarçonesthorsdedanger.(Ellesoutintleregarddesonfils.)Toutcequejepeuxtedire,c’estquesituneprendspascetteénergieilmourraenemportantavecluidesdizainesdemilliersdepersonnes.Iln’yapasd’autreissuepossible.
—Le fait que tu puissesmême l’absorber, dit lentementElena, cela doit signifier quelque chose,non?
Calianehaussaunsourcil.—Unpointessentiel.Unevéritableascensionnepermetaucuneinterférence,pasmêmedelapartdu
plusfortdesAnciens.Ils poursuivirent leur conversation, mais Caliane n’avait pas grand-chose à ajouter. Raphael
raccrochaetseretournapourdécouvrirqu’Illiums’étaitremisdeboutpéniblement.Sonvisagedépouillédetoutmasqueparaissaitsoudainsijeune,tropjeune.
—Jenesuispasprêt,répéta-t-ild’unevoixtremblante.JenesuispasprêtàquittervosSept.Raphaell’attrapaparlecou,commeill’avaitfaitplustôt,etl’attiradanssesbras.—Jenesuispasprêtàtelaisserpartir.Son regard rencontra celui d’Elena par-dessus l’épaule de l’ange aux ailes bleues qu’il tenait
fermement.Mamèrearaison.Sonheuren’estpasvenue.Un jour, Illiumdeviendraitunepuissanceàpartentière,maiscettepuissancedevaitgrandirenluietnonpasluiêtreinfligéeparlaviolencedelaCascade.
Àcôtéd’ElenasetenaitAodhan,levisagepâle.Ilauramaintenantbesoindetoiplusquejamais,luiditRaphael.Maintiens-leancrédansleprésent,pastournéversunfuturincertain.
Desyeuxd’unbleufracturéetd’unvertcristallin,auxéclatssaillantdepuisdespupillesd’unnoirdejais,rencontrèrentceuxdeRaphael.Oui,Sire.
RaphaelnerelâchaIlliumqu’unefoisquecederniereutcessédetrembler.Ilplantasonregarddanslesien,redevenunormal.Sesirisavaientretrouvéleurorvifhabituel,etlaflammed’unrougeprofondavaitdisparu.
—Retourne dans tes appartements. Repose-toi.Nous reprendrons cette conversation à ton réveil.Maissacheunechose:sicelasereproduit,jeserailà.
—DameCalianeditquec’estimprévisible.—Silatransmissiond’énergieest lebutdecettemontéeenpuissance,commecelasembleêtrele
cas,soulignaRaphael,alorscelaarriveralorsquejeserainonloin.Lesoulagementtremblantd’Illiumfutbrusquementsubmergéparuneémotionquitenditsapeausur
sespommettes.—Mamère…— J’ai déjà demandé à Dmitri d’informer le Colibri que tu vas bien et que ce qui s’est passé
aujourd’huin’étaitqu’unesimpleexpérienceenrapportavectescompétencesetlesmiennesquiaunpeudéraillé.(Lamèred’IlliumsetrouvaitencoresurleterritoiredeRaphael,elleétaitalléerendrevisiteàJasonetMahiyacejour-là.)Jasonconfirmeraet lagarderaéloignéedetoutenregistrementdelascènequiauraitpuêtreréalisé.
Lesyeuxdel’angeauxailesbleuesbrillaientdelarmes.—Merci,Sire.Elle…
—Jem’occuperaid’elle,Illium.Vas-ymaintenant.RaphaelsemontraittoujoursdouxavecleColibri.Ilattenditquelejeuneangeaitquittélapièce,soutenuparAodhan,poursetournerversElena.—Tantqu’Illiumnecraintrien,leColibriaccepteraunevagueexplication,maisnousdevonstrouver
lemoyendejustifiercelaaumondeimmorteldanssonensembleetaffirmerqu’ils’agitd’autrechosequed’uneascension.
SiquiconqueauseinduCadrevoyaitenIlliumunArchangefaible,ildeviendraitunecible.Dmitrientraencourantdanslebureau.—J’aiuneidée.JetravailledessusdepuisquevousêtesmontéversIllium.(LeseconddeRaphael
sepassalamaindanslescheveux,sontee-shirtnoirépousantsontorse.)Toutcequ’onavraimentvu,c’est Illium et vous vous précipitant dans le ciel. Les images prises par télescopes et satellites nemontrentqu’unelumièreaveuglante.
Ildéposaplusieursimagesimpriméessurlatabledetravaild’Honor.Impossiblededirequisetrouvaitaucentredecettelumière.—Onvafairecirculerl’informationqu’Illiumetvousétiezentraindetesteruntransfertdepouvoir
commeceuxqueLijuanpeutréaliseravecsestroupes,repritDmitri,lestraitssombres.Jelaisseraiaussientendrequequelquechose s’estmalpasséetqu’Illiumaperdude lapuissance lorsd’une surtensionincontrôlée,responsabledelapluieetdeséclairs.Personnen’oublieralapureviolencedel’incident–expérienceratéeoupas,auxyeuxdumonde,vousn’apparaîtrezpascommeuneciblefacile.(Unecourtepauseavantqueses lèvress’incurventenunsouriresinistre.)Cettehistoired’expériencesdangereusesavecluirépondraaussiauxquestionsquipourraientseposersursachuterécente.
Au fil des siècles, Raphael avait apprécié l’esprit de tacticien de son second à de nombreusesreprises,maisjamaisautantquecejour-là.
—Tuasmonfeuvert.Personnen’estprêtàaccepterqu’unangedeseulementcinqcentsanseffectuesonascension.Toutcequ’ilnousfaut,c’estuneexplicationplausible.
Elenapritl’unedesphotosaprèsledépartdeDmitri.—Raphael,est-cemonimaginationoutuesplusfort?Bien sûr, sonaffiliée sentiraitun tel changement. Ils étaient trop intimement liéspourqu’il en soit
autrement.—Cequej’airetiréàIlliumnes’estpasdéverséhorsdemoi.Celas’esttisséàmoncorps,comme
unesortedegénérateurauxiliaire.Elenalaissatomberlaphotoetluifitface,lapointedeleursbottessetouchant.—Si la théoriedu transfertd’énergiedeCalianeest juste,alors Illiumestdevenu temporairement
plusfortparcequetuasbesoindeplusdepuissancequetunepeuxengénérertoi-même.Quelquechosedemauvaiss’annonce.Pirequ’avant,conclut-elleenposantunemainprotectricesurlecœurdeRaphael,effleurantdel’autrelatempedroitedesonaffilié,oùsetrouvaitlamarquedelaLégion.
L’enfermantdanssesailesetsesbras,Raphaelneditrien.Tousdeuxsavaientqu’elleavaitraison.OnzeArchanges.Uneascensioninterrompuequiavaitfaillidétruireunevilleentière.DeuxAnciensmarchantsurlaTerre.UneArchangecapabledecréerlaviesousuneformeignoble.LaCascadequigagnaitenintensité.Pékinavaitdéjàdisparu.NewYorketleterritoired’Elijahavaientsurvécudejustesse.Personnene
pouvaitprédirecequ’ilresteraitdumondeunefoislaCascadeterminée.—Ensemble,hbeebti.
—Toujours,Archange.