Charnasse Les Recueils Pour Cistre de Le Roy Diss.

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Hélène Charnassé Les recueils pour cistre d'Adrian Le Roy 1564-1565 In: École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques. Annuaire 1962-1963. 1962. pp. 233-243. Citer ce document / Cite this document : Charnassé Hélène. Les recueils pour cistre d'Adrian Le Roy 1564-1565. In: École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques. Annuaire 1962-1963. 1962. pp. 233-243. doi : 10.3406/ephe.1962.4705 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ephe_0000-0001_1962_num_1_1_4705

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Hélène Charnassé

Les recueils pour cistre d'Adrian Le Roy 1564-1565In: École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques. Annuaire 1962-1963. 1962.pp. 233-243.

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Charnassé Hélène. Les recueils pour cistre d'Adrian Le Roy 1564-1565. In: École pratique des hautes études. 4e section,Sciences historiques et philologiques. Annuaire 1962-1963. 1962. pp. 233-243.

doi : 10.3406/ephe.1962.4705

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ephe_0000-0001_1962_num_1_1_4705

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LES RECUEILS POUR CISTRE D'ADRIAN LE ROY

(1564-1565)

par Hélène Charnassé (1)

Le cistre, son histoire.

Les origines du cistre, son histoire et l'évolution de sa facture demeurent encore très obscures. Les plus célèbres théoriciens du xve au xvne siècle, en particulier Tinctoris, Praetorius ou Mersenne se bornent à constater l'existence de l'instrument. Seul Pierre Trichet dans son Traité des instruments de musique (vers 1640) émet une hypothèse : le cistre serait « une espèce de cithare qui retient quelque ombrage ou déguisement de l'Antiquité ». Les récents travaux d'E. Winternitz tendent à prouver le bien-fondé de cette suggestion.

Il paraît probable que le cistre ait été en usage dès le haut Moyen âge. Nous le trouvons, en effet, représenté dans le frontispice du bréviaire de Soissons (vme siècle), mais il faut attendre le xme siècle pour le voir cité, sous le nom de citole, parmi les instruments que doivent savoir utiliser jongleurs et troubadours. Vers 1475, Tinctoris décrit avec précision la cetula qui n'est autre qu'un cistre et nous commençons à en trouver de nombreuses représentations en Italie; les marqueteries du couvent de Monte Oliveto Maggiore, les bas-reliefs du Museo del opéra del duomo à Florence, des peintures de Girolamo dai Libri (Madone au trône) et la coupole du Dôme de Sarrono (due à Gaudenzio Ferrari) nous permettent de saisir l'évolution de sa facture.

Au xvie siècle, le cistre a atteint sa forme définitive et la gravure donnée à titre d'exemple par Adrian Le Roy en tête du recueil

(1) Cette thèse, déposée par MUe Solange Corbin, directeur d'études, le 18 juin 1961, a valu à Mme Hélène Charnassé, par délibération du conseil de la Section en date du 5 novembre 1961, rendue sur le rapport de MM. André Chastel et Robert Marichal, établi après consultation de Mme de Chambures, le titre d'élève diplômé de la IVe section de l'École pratique des Hautes Études.

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de 1565 représente le type classique de l'instrument. Notons qu'un cistre conservé au Musée instrumental de Bruxelles (N° 1524 du catalogue de Mahillon) semble remonter à cette même époque.

U instrument

Le cistre est un instrument à caisse plate dont la forme légèrement ovale rappellerait celle du luth si elle ne conservait encore ses deux volutes héritées de la cithare antique, et qui s'enroulent à l'attache du manche. La table, ornée d'une rosé importante, porte un chevalet mince, long et peu élevé. A l'extrémité de la caisse, la courbe est interrompue par un support appelé « peigne » entre les dents duquel les cordes viennent s'insérer. Le manche, long et étroit par rapport à celui du luth, est recouvert par la touche qui se prolonge sur la table. Des lames de métal ou frettes, généralement de cuivre ou de laiton traversent cette touche ; plus nombreuses que dans les autres instruments à cordes pincées, elles ne sont cependant pas toutes de même longueur; certaines barrent entièrement le manche, d'autres ne passent que sous les deux premiers rangs de cordes, les dernières enfin sous le seul premier rang. Il en résulte que chaque rang de cordes n'est pas susceptible de donner tous les degrés chromatiques de la gamme tempérée, ce qui ne se produit ni pour le luth, ni pour la guitare.

Le cheviller est, lui aussi, très caractéristique. Abandonnant la ligne droite du manche, il s'incurve d'abord vers l'arrière puis se redresse pour former une sorte de crochet terminé par une tête humaine. Les chevilles s'y insèrent latéralement. Les cordes, au nombre de 10, sont tendues sur toute la longueur de l'instrument depuis le peigne jusqu'au cheviller; elles sont de laiton ou d'acier et leur disposition retient particulièrement l'attention. En allant de l'aigu au grave nous comptons quatre groupes ou chœurs; les deux premiers sont montés de deux cordes et les deux derniers de trois cordes. Ces troisième et quatrième chœurs utilisent deux cordes fines (identiques à celles des deux premiers chœurs) et une plus grosse que nous appellerions aujourd'hui « filée ». Notons que cette répartition irrégulière des cordes est une des particularités importantes de l'instrument.

Le cistre dans la société française

De nombreux documents d'archives attestent la présence de cistres chez les facteurs parisiens aux xvie et xvne siècles. La

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«famille» semble complète car nous relevons, au hasard des inventaires, de petits cistres (dessus) des tailles (auxquelles appartient l'instrument d'Adrian Le Roy) et de grands cistres (ou basses). Les joueurs sont des professionnels et des amateurs. L'analyse d'actes notariés faite par M. François Lesure révèle qu'entre 1560 et 1650 le cistre arrive au troisième rang des instruments à cordes pincées et se place avant la mandore ou le théorbe. En Angleterre, son succès est encore plus grand; on l'y trouve accroché en permanence dans la boutique des barbiers, prêt à charmer l'attente de la clientèle. Si l'achat d'un cistre est aussi onéreux que celui d'un luth, son entretien moins coûteux et la plus grande facilité de son accord en font l'instrument populaire par excellence, tandis que le luth reste l'apanage de la société cultivée. Le cistre possède, en outre, une sonorité étincelante due a ses cordes métalliques et à l'emploi du plectre.

Le milieu du XVIIe siècle marque la fin de la période classique du cistre. Peu à peu abandonné, il connaît une éclipse qui dure jusqu'au milieu du xvme. A ce moment, et sous une impulsion qu'il n'a pas encore été possible de déterminer, l'instrument retrouve la faveur du public. Un guitariste de l'Artois, Charles Pol- let, le remet à la mode. De 1771 à la Révolution, il donne des leçons dans les milieux aristocratiques et bourgeois de la capitale et publie des transcriptions d'oeuvres célèbres, notamment des sonates et des airs d'opéras. Ce regain de faveur s'étend sur toute l'Europe et de très nombreux instruments de cette époque nous sont parvenus. Ils affectent des formes moins pures que celles de leurs ancêtres et possèdent un capotasto. Ce système permet de raccourcir la longueur des cordes et de transposer l'accord à la 3e, la 4e ou la 5e supérieure par le simple déplacement d'une lame de métal qui barre la touche au-dessous du sillet. Un clavier est enfin posé sur la table d'harmonie afin de supprimer le jeu du plectre, cependant que le nombre et la disposition des cordes subissent des modifications importantes. La renaissance du cistre se prolonge jusqu'aux première années du XIXe siècle, puis l'instrument tombe définitivement en désuétude.

La notation propre au cistre

La musique pour le cistre est notée en tablature comme l'est celle du luth, de la guitare et de la mandore.

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Le principe des tablatures est très différent de la notation que nous connaissons aujourd'hui et ne vise pas à représenter la hauteur des sons par leur position sur une portée. Les lignes qui sont employées figurent les cordes mêmes de l'instrument, ainsi qu'elles sont disposées sur le manche. Des chiffres ou des lettres placés sur ces lignes indiquent l'endroit précis où doivent se placer les doigts sur la touche pour obtenir le son désiré.

Dans la « Reigle seconde » de son Instruction, Adrian Le Roy explique la tablature qu'il utilise, à savoir que les quatre chœurs du cistre sont représentés par quatre lignes, la plus haute correspondant à la chanterelle. Notons ici une importante particularité du cistre : ce n'est pas le dernier chœur, mais le troisième, qui est le plus grave (ex. 1).

Exemple n° 1.

chanterelle 2e chœur

choeur grave 4e chœur

c

a

a a

a c

a c

a

c

a

c a

la

1 a 1 c

* à a a c

à

a

a c *

Les Bouffons 1er livre de cistre, f ° 8 v°

L'accord du cistre d' Adrian Le Roy

Contrairement à ce que l'on pourrait attendre, l'éditeur ne précise pas l'accord de l'instrument. Il laisse à l'interprète le choix de la note de basse mais indique la nature des intervalles qui séparent les différents chœurs à vide. Pour accorder le cistre, il faut commencer par la corde grave du troisième chœur « sçavoir est celle qui est tortillée ». Les deux plus fines, ses « compaignes » sont montées un octave plus haut. Les deux cordes du second chœur sont montées « une quinte plus haut que lesdictes tierces » ; les deux chanterelles sont « un ton plus haut que les secondes ». Le quatrième et dernier chœur est enfin accordé « un ton plus haut que les troisièmes, sçavoir est la tortillée une octave plus bas que ces compagnes »... Lés rapports de hauteurs entre les différents chœurs sont donc ainsi répartis : un ton, une quinte juste, un ton (ex. 2).

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Exemple n° 2.

1 - 2-

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un ton

quinte juste

,! u n ton au-dessus delà 3èm®

La vérification proposée par Adrian Le Roy permet de conclure que l'accord souhaité est le suivant, sans tenir compte des cordes à l'octave : mi-ré-sol-la. Praetorius nous confirme ces indications, ainsi que différents musicologues du xxe siècle (ex. 3), tandis que Mersenne propose : ré-do-sol-la.

Exemples n° 3.

%j

Praetorius, Syntagma musicum, 1619, livre II, p. 28

-0-0- JLJL

* * 0 0

Johannes Wolf, Handbuch der Notationkunde, Leipzig, Breitkopf et Hartel, 1919, livre II, p. 131

[les cordes graves vibreraient par sympathie]

Mersenne, Harmonie Universelle,

Paris, Cramoisy, 1636, f ° 97 v°

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Les problèmes posés par la transcription des tablatures

En partant de ces données pour transcrire les recueils d'Adrian Le Roy, nous nous sommes vite aperçu que les résultats n'étaient pas satisfaisants. La structure musicale des pièces reposait presque uniquement sur des accords de quarte et sixte (47 %) et certaines se terminaient sur ce même intervalle, ce qui est difficile à admettre au xvie siècle. D'autre part, certains textes, en particulier ceux des psaumes devenaient inintelligibles, car la ligne mélodique sans cesse interrompue passait d'une voix à l'autre et en particulier à la basse, phénomène absolument contraire aux usages du temps. Nos transcriptions de pièces vocales ou instrumentales rapprochées de leur modèle prouvaient enfin que si la structure originale restait respectée, la disposition des accords était curieusement bouleversée. Il devenait alors évident que le système traditionnel de transcription des tablatures de cistre, juste en ce qui concernait les notes de base de l'accord, présentait une grave lacune dans les rapports de hauteur de ces sons entre eux.

La recherche d'une solution satisfaisante

Un examen de nos transcriptions et des résultats obtenus par les divers musicologues qui se sont attachés aux tablatures de cistre a prouvé que les anomalies d'écriture partageaient les pièces en deux groupes, bien distincts :

D'une part, celles où la partie supérieure se trouvait entendue à une voix intermédiaire.

D'autre part, celles où la basse se voyait reportée à l'intérieur de la polyphonie.

Notons que ces phénomènes n'étaient pas constants, qu'ils n'apparaissaient jamais réunis dans une même pièce et qu'une reconstitution correcte du texte pouvait être opérée sans difficulté. Dans certains cas, il suffisait de pouvoir toucher les troisième et quatrième chœurs à l'octave inférieure pour obtenir une réalisation satisfaisante. Or, Adrian Le Roy, dans son instruction, précise bien que ces deux derniers chœurs possèdent une corde à l'octave grave des deux autres. Contrairement à ce qui avait été admis jusqu'à ce jour, la corde grave n'est donc pas destinée à vibrer par sympathie lorsqu'on utilise les aiguës, mais possède son rôle propre. Si le besoin s'en fait sentir, l'interprète peut

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pincer cette corde « tortillée » et la basse de l'accord vient se placer logiquement au-dessous des autres parties. Si cette basse grave crée une mauvaise succession, il suffit de toucher les cordes aiguës pour que les sons obtenus forment une voix intermédiaire — voire le dessus. L'application de ce procédé donne d'excellents résultats dans un bon nombre de cas non satisfaisants. Il ne peut cependant rectifier toutes les pièces, en particulier lorsque le superius suit de très près l'original. Une étude du Quatrième branle de Bourgogne fit alors apparaître qu'il suffisait d'entendre le second rang de cordes une octave plus bas pour obtenir une transcription correcte. Or, le cistre d'Adrian Le Roy offrait-il cette possibilité? Toute la difficulté résidait dans le style compliqué de la règle seizième de YInstruction. « ... Te conduire aux deux secondes que tu hausseras une quinte plus haut que lesdictes tierces... »

Les théoriciens français du XVIIe siècle, en particulier Pierre Trichet et Marin Mersenne apportent d'intéressantes précisions sur les usages du temps. Les cordes « de chaque rang sont toutes à l'unisson quoy que l'on puisse en mettre une à l'octave » (Mer- senne, ouvr. cité, f° 97). Le luthiste strasbourgeois, Sixt Kargel, utilise également ce montage en 1580. Était-ce suffisant pour nous permettre de penser que le cistre d'Adrian Le Roy offrait à l'interprète le choix entre deux sons à l'octave aussi bien pour les chœurs aigus que pour les graves?

C'est alors qu'une nouvelle lecture de la Brève et facile Instruction nous a permis de saisir la pensée du compositeur. « Lesdictes tierces » avaient, jusqu'ici, signifié les deux cordes aiguës du 3e chœur, accordées à l'unisson. Or, ce troisième chœur compte trois cordes, dont une grave. Les deux cordes du second rang sont bien accordées à la quinte supérieure, mais il s'agit, pour l'une, des deux cordes aiguës, et pour l'autre, de la corde grave. Elles sont donc à une octave d'intervalle (ex. 4).

Exemple n° 4.

3e 2e 1cre

J. C. 239184 16

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Les deux chanterelles, un ton plus haut que les secondes, sont, elles aussi, accordées à l'octave. L'interprète peut alors, à son gré, choisir de pincer la corde grave ou la corde aiguë.

L'accord du cistre que l'on avait jusqu'ici considéré comme sommaire, est en réalité très riche (ex. 5) et se trouve formé d'une échelle de huit sons (ex. 6) régulièrement répartis à distance de seconde et de quarte avec une 3e au centre. L'instrument n'offre donc pas les possibilités réduites que l'on pensait; il possède une étendue de trois octaves, plus une 3e majeure, et permet d'obtenir tous les tons et demi-tons de la gamme tempérée.

C'est en partant de ces nouvelles bases que nous avons transcrit les deux livres d'Adrian Le Roy.

Exemple n° 5.

Exemple n° 6.

Les recueils d'Adrian Le Roy

Ces deux livres de cistre offrent un important répertoire aux instrumentistes. « La brève et facile Instruction » est suivie de trente-quatre pièces; le second livre, plus riche encore, en compte

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quarante-trois, ce qui représente un total de soixante-dix-sept œuvres, toutes brèves, mais variées. Dans la plupart des cas, il s'agit de transcription ou d'adaptation de pièces qui, vers 1550, connaissent une très grande vogue.

Le répertoire proposé comprend de nombreuses œuvres profanes, chansons ou danses, quelques motets et comme « musique pure », un prélude placé en tête de chaque recueil.

Les chansons sont peu représentées. Nous n'en trouvons que trois à la fin du premier livre. La mélodie est ici incluse dans la tablature et nous arrivons à une version purement instrumentale de la chanson dont le texte se voit fragmenté et orné de diminutions.

Les danses composent l'élément essentiel des recueils et l'on en compte une soixantaine. Certaines, telles Les Bouffons, les pavanes La Romanesque et j'Aymerois mieux, suivies de leur gaillarde, se trouvent à la fois dans le premier et le second livre.

Les branles forment le fond du répertoire. Ce sont les danses les plus répandues, qu'il s'agisse du branle double, du branle simple ou du branle « gai ». A ces différentes sortes de branles, A. Le Roy ajoute quelques variantes régionales, tels le branle du Poictou, le branle d'Escosse, très à la mode vers 1560, le branle des poix, et le branle des Cordeliers.

D'une esthétique toute différente, la pavane (dont nous trouvons deux exemples dans chacun des recueils) est une de ces danses « belles et graves, et bien séantes aux personnes honorables ». La gaillarde qui lui succède généralement se danse « tumultuairement ». Elle connaît, à cette époque, une très grande diffusion et les deux livres de cistre en proposent seize, dont douze isolées de leur pavane. Ces gaillardes sont construites sur des thèmes connus : chansons, basses obligées, timbres de danses plus anciennes repris et transformés selon les besoins du rythme. Soucieux d'être en accord avec le goût de sa clientèle. A. Le Roy publie en bonne place La Lyonnoise, nouvelle manière de danser la gaillarde.

Certaines pièces enfin sont curieusement construites sur des thèmes de danses préexistantes, telles la Buratte et surtout la Morette qui est le développement d'un fragment de la Morisque.

Les deux livres de cistre renferment, en outre, une très ancienne pièce, Les Bouffons, que nous ne trouvons ni dans le répertoire du luth, ni dans celui de la guitare; selon Arbeau, cette danse remonterait à la plus haute antiquité et s'exécuterait « l'espée au poing droit, le bouclier au poing gaulche »...

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Le choix de ce répertoire prouve bien qu'il s'adresse à un public d'amateurs, heureux de pouvoir retrouver sur son instrument favori la plupart des airs à la mode.

Les sources

Elles sont peu nombreuses; en effet, toutes les pièces, ou presque, sont empruntées à des ouvrages qui ont vu le jour vers 1550.

Les trois chansons de la tablature de 1565 : Une m'avoit promis (Certon) ; La Munière de Vernon (Maillard) ; II a bruslé la hotte (Mitthou), sont extraites du Premier et du Second livre de chansons édité par À. Le Roy et R. Ballard en 1552 et 1554. Les six psaumes de Second livre sont choisis parmi les plus connus. La mélodie de Loys Bourgeois s'y déroule tout entière, placée au superius et soutenue de larges accords.

Les branles sont des adaptations pour un instrument « réducteur » de danseries à plusieurs parties, publiées par Pierre Attain- gnant ou ses successeurs de 1547 à 1557; onze sont extraits du Troisième livre « veu par Claude Gervaise » en 1556; les autres sont empruntés aux livres II, V et VIL

Quelques pavanes et gaillardes proviennent des mêmes recueils; d'autres sont des chansons transformées en danses et se trouvent déjà insérées dans les livres de luth et de guitare publiés par Adrian Le Roy :

Premier livre de Tablature de luth, 1551; A briefe and easye instrution..., 1568; Premier livre... de guiterre, 1551; Deuxième livre... de guiterre, 1555; Tiers livre... de guiterre, 1552;

L'originalité des recueils de cistre

Le répertoire pour le cistre obéit aux mêmes règles d'élaboration que celui du luth et de la guitare. Les pièces transcrites présentent cependant une originalité; en effet, le cistre n'est pas un instrument polyphonique et propose une mélodie ponctuée d'accords. La ligne mélodique se caractérise par sa sobriété ; elle cherche à reproduire fidèlement son modèle, n'y ajoutant que de modestes ornements : notes de passages, broderies. Même lorsque des reprises exigent un style plus orné, le dessus demeure

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simple. Des « diminutions » n'apparaissent que lorsqu'il s'agit d'un double. Les notes de valeurs longues dont la sonorité ne peut se maintenir assez longtemps sont décomposées en valeurs brèves, notes répétées ou ornements, mais leur présence ne détruit en rien la simplicité de l'ensemble.

Les accords qui ponctuent, avec régularité le rythme de la danse, comprennent en général trois sons. Très resserrés, ils occupent rarement un intervalle plus étendu que l'octave et ne conservent que la structure harmonique des pièces originales. Jamais, en effet, le cistre ne restitue la marche de plusieurs voix et le tran- scripteur porte son effort sur la simplification du texte dont l'essentiel est seul retenu. Les accords ou enchaînements trop difficiles à exécuter sur l'instrument sont, en outre, systématiquement modifiés.

D'autre part, certaines tonalités étant inaccessibles au cistre, la plupart des pièces sont transposées en sol majeur et nous ne voyons que quelques rares cas de ré et d'ut majeurs, sol et ré mineurs.

Importance des deux livres d1 Adrian Le Roy

Ces deux recueils ont sans doute connu un grand succès tant en France qu'à l'étranger. Dès 1564, en effet, l'éditeur Pierre Phalèse de Louvain, imitant A. Le Roy, commence à publier des pièces de cistre : Nova et elegantissima in Cythara ludenda carmina de Viaera, bientôt suivies de Nova longeque elegantissima dthara ludenda carmina de Vreedman (1568) et de nombreux autres livres. Les éditeurs anglais et allemands lui font rapidement écho.

Or, il apparaît que toutes les pièces ultérieurement imprimées font de larges emprunts, plus ou moins déguisés, à l'œuvre d' Adrian Le Roy. C'est assez dire l'importance qu'il est logique de lui accorder, non seulement du point de vue français, mais aussi en tant que témoignage de l'influence exercée par la musique instrumentale parisienne sur les Flandres, l'Allemagne et l'Angleterre.