Charlotte et Anne au jardin · Charlotte et Anne au jardin. Les sœurs Deblois – Tome 1 –...

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Charlotte et Anne au jardin

Les sœurs Deblois

– Tome 1 –

Charlotte

DU MÊME AUTEUR CHEZ LE MÊME ÉDITEUR:

Les années du silence Tome 1 : La Tourmente, roman, 1995

Les années du silence Tome 2 : La Délivrance, roman, 1995

Les années du silence Tome 3 : La Sérénité, roman, 1998

Les années du silence Tome 4 : La Destinée, roman, 2000

Les années du silence Tome 5 : Les Bourrasques, roman, 2001

Les années du silence Tome 6 : L’Oasis, roman, 2002

Entre l’eau douce et la mer, roman, 1994

La fille de Joseph, roman, 1994 (réédition de Le Tournesol, 1984)

L’Infiltrateur, roman basé sur des faits vécus, 1996

« Queen Size », roman, 1997

Boomerang, roman en collaboration avec Loui Sansfaçon, 1998

Au-delà des mots, roman autobiographique, 1999

De l’autre côté du mur, récit-témoignage, 2001

Les demoiselles du quartier, nouvelles, 2003

Visitez le site web de l’auteur :

www3.sympatico.ca/louise.tremblay5

LOUISE TREMBLAY-D’ESSIAMBRE

Les sœurs Deblois

– Tome 1 –

Charlotte

G u y S a i n t - J e a nÉ D I T E U R

Catalogage avant publication de la Bibliothèque nationale du CanadaTremblay-D’Essiambre, Louise, 1953-Les sœurs DebloisL’ouvrage complet comprendra 3 v.Sommaire : t. I. Charlotte.ISBN 2-89455-157-6 (v.1)I. Titre. II. Titre : Charlotte.PS8589.R476S63 2003 C843’.54 C2003-941607-0PS9589.R476S63 2003

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programmed’Aide au Développement de l’Industrie de l’Édition (PADIÉ) ainsi que celle de la SODEC pournos activités d’édition. Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notreprogramme de publication.

Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — GestionSODEC

© Guy Saint-Jean Éditeur Inc. 2003Conception graphique: Christiane SéguinRévision: Nathalie ViensIllustrations : Toiles peintes par Louise Tremblay-d’Essiambre/Page couverture : «Charlotte en attente...», inspiré de «Lady in Yellow» de Susan Warkins.

Dépôt légal 4e trimestre 2003Bibliothèques nationales du Québec et du CanadaISBN 2-89455-157-6

DISTRIBUTION ET DIFFUSIONAmérique: PrologueFrance: ViloBelgique: Diffusion Vander S.A.Suisse : Transat S.A.

Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.

GUY SAINT-JEAN ÉDITEUR INC.3154, boul. Industriel, Laval (Québec) Canada. H7L 4P7. (450) 663-1777.Courriel : [email protected]. Web: www.saint-jeanediteur.com

GUY SAINT-JEAN ÉDITEUR FRANCE48 rue des Ponts, 78290 Croissy-sur-Seine, France. (1) 39.76.99.43.Courriel : [email protected]

Imprimé et relié au Canada

ISBN PDF 978-2-89455-549-1

À ces trois petits diables, Raphaël, Madeleine et Alexie,mes enfants, mes amours.

Vous faites de ma vie de tous les jours une parcelle de paradis

À Julie, parce que je peux encore dire je t’aime au quotidien

À mes grands enfants qui vivent maintenant loin de moi.Il y en a un peu partout ! Je pense à vous chaque jour

avec une tendresse immense

À mes petits-enfants, Claudine, Samuel, Simon,Jean-Nicolas et Marie-Maude,

je vous embrasse très très fort

Remerciements

Un merci amoureux à Alain, mon mari, mon compagnon, monhomme, pour sa présence et son soutien. Sans lui, je n’y arrive-

rais pas…Merci à la maison d’édition qui croit toujours en moi et qui sait

garder la flamme bien vivante quand, parfois, quelque vent contrairela fait vaciller…

Merci enfin à vous, fidèles lecteurs. Vous êtes des dizaines demilliers à me lire, à dire que vous aimez ce que j’écris. Alors, mercipour cette fidélité qui fait de ma passion un métier dont je vis hono-rablement. De ce fait, ma gratitude va bien au-delà des mots qui sau-raient la décrire. Je vous aime.

Note de l’auteur

Je commence l’écriture de ce livre en sachant que vous l’attendez.Vous me l’avez dit. Vous m’avez dit aussi que vous aimez la façon

que j’ai de décrire les émotions et les mots simples que j’emploie.Malgré cela, ce roman sera différent. L’écriture aussi. On ne parle pasde désordres mentaux comme on parle de la maternité, même si elle aété douloureuse à tous points de vue. On ne parle pas de la folie sur leton dont on parlerait d’une vie en quête de bonheur. Car c’est bien cedont je veux parler ici, une forme de folie. Il n’y aura ni complaisanceni facilité. Quand un être malade remorque sa famille dans son pi-toyable voyage au bout de lui-même, volontairement ou non, il nepeut y avoir de compromis.

Elles sont trois. Des sœurs, des gamines, bientôt des femmes. Ellesont eu une enfance comme il y en a tant. L’école, la maison, les amis.Elles vivent dans cette apparence de normalité confortable. Commeailleurs. Comme presque partout quand on se contente de la surfacedes choses. Chez les Deblois, il y a des rires, des pleurs, des espérances,des grands désirs, des chagrins. Il y a aussi des discussions, des puni-tions, des encouragements. La vie, quoi ! Trois filles différentes que lehasard s’est amusé à regrouper sous un même toit. Trois sœurs quiauraient pu devenir des amies, qui le sont peut-être à leur manière,qui ne le seront jamais vraiment. Et cela, à cause de cette autre femmequi veille, qui les sépare et les unit irrémédiablement. Comme uneombre qui plane, les enveloppe, les soustrait petit à petit à cette réaliténormale pour en fabriquer une autre, difforme, malsaine et pourtantamoureuse à sa façon. Leur mère, Blanche. Femme de tête, femme decœur, femme de rêves, femme malade…

Trois filles, trois sœurs prénommées Charlotte, Émilie et Anne,

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parce que Blanche Deblois est une femme cultivée et qu’elle passe untemps infini à lire. Elle a adoré Jane Eyre et les Hauts de Hurlevent,alors elle a choisi de prénommer ses filles du nom des sœurs Brontë,Anne s’inscrivant dans une continuité prévisible même si la mère neconnaît rien de son œuvre. Pourtant, les trois sœurs anglaises sonttoutes mortes très jeunes et pour quelqu’un de superstitieux, cela au-rait dû être suffisant pour s’abstenir. Mais Blanche tenait au symbole.C’est la vie que de mourir jeune dans la famille de Blanche Gagnon-Deblois, c’est dans la normalité que d’être malade, d’être soigné,d’être pleuré. L’entendement que Blanche a de la vie ne déborde pasde ces limites mais les inclut toutes. Cela avait même un petit quelquechose d’excitant que de défier la loi des probabilités. Nul doute que cebébé tout rose et paisible cachait quelque mal sournois. Comment aurait-elle pu se soustraire à l’hérédité maternelle qui avait fait deBlanche une femme de si faible constitution? C’est ce qu’elle a pensé,Blanche, quand elle a décrété que sa fille aînée serait baptiséeCharlotte. Parce que Blanche, même si elle est une femme de cœur etqu’elle aime sincèrement ses filles, est d’abord et avant tout unefemme malade.

Le reste n’est qu’accident…

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LES SŒURS DEBLOIS

Extrait du journal de Charlotte

Montréal, automne 1942Je vais partir.Je dois partir.Tout laisser derrière, tout quitter, faire le vide autour de moi pour

retrouver ma dignité et tout recommencer.Je vais fuir comme si j’étais coupable. Je suis peut-être coupable

d’avoir trop aimé.On me dit forte et c’est comme si j’entendais le reproche dans la voix.

Je n’ai besoin ni de sollicitude, ni de soins, ni de présence inquiète, alorsje ne suis d’aucun intérêt. Par contre, on attendait de moi que je sois ef-ficace alors qu’on attendait des autres qu’ils soient malades. Et n’est-cepas que j’ai été efficace tout au long de ces années ? Malgré cela, j’ail’impression que c’est un crime que d’être forte et en santé. J’ai l’im-pression qu’on me montre du doigt. Je suis celle qui dérange le coursétabli des choses. Je suis différente. Mais je crois bien que ma force, cettepulsation que je sens battre en moi et qui accompagne celle du cœur,elle me vient justement de cette différence.

Peut-être…Pourtant, je vais partir comme on quitte le bateau qui fait naufrage.

Sentiment d’urgence pour sauver ma peau.J’essaie de me souvenir, de rattacher ce pitoyable présent à quelques

doux moments de l’enfance qui pourraient expliquer, atténuer la souf-france. Pour l’instant, il n’y a rien de précis. Une espèce de grisaille en-vahit ma tête, telle la brume opiniâtre qui gomme les côtes du nord del’Atlantique alors qu’on avait prédit le soleil. J’essaie encore. Il doitbien y avoir quelque chose, un instant magique, une main qui s’égaresur mes cheveux, un lever du jour partagé en chuchotant…

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Un souvenir s’impose, remonte en moi comme un haut-le-cœur sou-haité afin de soulager l’inconfort.

Pourquoi est-ce l’image de ma sœur Émilie qui s’imprime sur l’écrande mes souvenirs ? Je veux me rappeler mon enfance et c’est elle quiprend la place, qui envahit l’espace de mes émotions. Émilie bébé,Émilie enfant… D’aussi loin que je me souvienne, il y a Émilie dansl’ombre. Ma sœur, celle qui aurait pu être mon amie, ma complice.

Une étrangère…J’aurais tant voulu réussir à la protéger, mais je n’ai pas su. D’être

des étrangères l’une pour l’autre était peut-être une réalité que seul letemps pouvait me faire comprendre petit à petit… Émilie était si diffé-rente de moi. Elle était une passive alors que déjà je trépignais devantla vie. Elle était si petite ! J’avais l’impression que sa fragilité rejoignaitla vulnérabilité.

Et voilà que les souvenirs qui se refusaient à moi il y a quelques ins-tants refluent brusquement en un torrent impétueux.

C’était l’été 1928. J’avais quatre ans et maman avait décidé de memontrer à lire. Ce fut une des plus belles découvertes de ma vie. Lamagie des mots… Malheureusement, j’ai l’impression que cet été etl’année qui a suivi n’auront été qu’un incident de parcours. Un mor-ceau d’enfance à l’état pur égaré dans une enfance vécue en pièces dé-tachées.

Pièces détachées…Les mots me viennent à l’esprit et l’image naît. Je vois une courte-

pointe. Ma vie est une courtepointe. La rosace du milieu est cette annéede tendresse et de découvertes entre ma mère et moi. Colorée, vive,joyeuse. Le reste des découpes est fait de pointes sombres, piquées par-fois de fils clairs mais uniquement comme si on les avait utilisés par er-reur.

Je revois maintenant cette autre journée qui ressemblait à aujour-d’hui quand septembre joue à l’été. Une journée faite pour être heu-reux à cause de la brise qui est douce et de l’air qui sent bon la feuillemorte.

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LES SŒURS DEBLOIS

Il fait beau, il fait chaud, pourtant j’ai des frissons plein la peau.Je sens encore ces bras qui me serraient, j’entends cette voix qui mur-

murait et il y a cette nausée incroyable qui me tordait le ventre. C’étaitil y a si longtemps déjà, c’était hier, et c’est toujours là en moi, à m’op-presser le cœur.

Alors pourquoi est-ce que j’ai envie de dire que ce souvenir en est unde tendresse ? Car malgré l’horreur, je le sais, je le sens, c’est d’amourqu’il me faut parler. Cette tendresse, je la percevais dans l’étreinte desbras maigres de ma mère. Elle me rejoignait, m’enveloppait, même sielle venait d’un égoïsme maladif. Je ressemblais à ma mère, finalement,puisque j’aurais pu être malade. Alors elle m’entourait et me cajolaitcomme elle le faisait pour Émilie. J’entendais le cœur qui battait dansla poitrine creuse de ma mère et j’osais croire qu’il battait pour moi,afin de donner un sens à cette enfance qu’on était en train de me voler.

Mais ce n’était qu’une intuition, car je n’étais encore qu’une toutepetite fille.

C’est depuis ce jour que je déteste la maigreur. Je n’ai que méprispour cette fausse faiblesse. Les bras frêles de ma mère maquillaient àmerveille la force nerveuse qui me retenait malgré moi. Je me méfie desgens trop maigres…

Je sens la colère et la rancune qui se soudent en moi et je n’aime pascela. Je voudrais être capable de renier cette famille qui est la mienne,et en même temps j’aimerais tous les tenir contre mon cœur.Ambivalence des sentiments qui ont dicté mes gestes et mes pensées aufil des années.

Oh ! Comme j’aimerais être capable d’indifférence. L’indifférence,c’est l’absence d’émotion et pour moi, ce serait enfin le repos.

Mais il y a toutes ces images emmagasinées au fil des ans…Suis-je donc condamnée à porter le poids de mes souvenirs tout au

long de ma vie ? Je voudrais tant les effacer, ne garder que le bon, que lebeau.

Être capable de ne voir que du bon, que du beau. Mais comment lepourrais-je ?

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Charlotte

C’est vraiment après cette journée que j’appelle encore ma journée-moutarde que j’ai eu l’impression très nette que ma vie venait dechanger. D’autant plus que papa n’a jamais reparlé de ce momentdans notre vie familiale. Pourtant, Dieu m’est témoin qu’après cet évé-nement, j’ai espéré que papa admettrait enfin que maman n’était pasnormale. Enfin, pas comme les autres mères que je connaissais. Quellesorte de mère peut donc décider de faire souffrir sa petite fille commeelle l’avait fait ? Dans ma tête d’enfant c’était illogique, incompréhen-sible. Dans mon cœur de femme, cela l’est toujours.

C’est à cette même époque que papa a acheté sa première auto. Iltravaillait comme un forcené et nous ne manquions de rien. Sauf peut-être de sa présence. Mais l’enfant que j’étais ne pouvait le savoir, etl’horreur dans laquelle nous plongions ne pouvait m’apparaître claire-ment.

Il y avait de bonnes et de mauvaises journées et j’apprenais à m’yfaire. Comme mon père probablement. Que pouvions-nous y changer ?Moi, rien. Mon père, peut-être un peu, parce que lui devait savoir cequi se passait réellement. Était-ce pour fuir cette triste réalité qu’il tra-vaillait de plus en plus ? J’espère que non. J’ose croire que seuls les be-soins financiers de notre famille l’amenaient à être de plus en plus sou-vent absent. Autrement, son abandon aura été encore plus lâche quetout ce que je pourrais imaginer.

J’essaie de me souvenir… Il y avait un mot que j’aimais bien. Unmot qui semblait décrire certaines de nos journées. Un mot quim’échappe et qui aurait dû me faire peur au lieu de me faire rire.

Mais les occasions de rire de bon cœur étaient si rares…Ça y est ! Je me rappelle. C’est effervescence, le mot que je cherchais.

Je me souviens que je trouvais ma mère effervescente, comme la boissongazeuse que papa rapportait parfois le vendredi soir. Ces jours-là,Blanche Gagnon oubliait qu’elle était sujette à migraines et à troublesdivers et se contentait d’être drôle et gentille. Elle me faisait bien rire.Mais si j’avais su ce qui se passait vraiment, j’en aurais probablementpleuré…

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LES SŒURS DEBLOIS

Oui, ce matin, il fait très beau. J’aime l’automne. La limpidité del’air me stimule, les couleurs flamboyantes m’interpellent et exaltent lavie qui trépigne en moi.

Je veux vivre, aller de l’avant, croire que c’est moi qui ai raison.Je sais que j’ai raison. Comme avant. Comme souvent. Comme j’au-

rais tant voulu que papa le comprenne avant que le retour soit impos-sible, avant que l’irrémédiable se produise pour Émilie. Cette petitesœur qui aurait pu être si proche par le cœur et l’âme comme nousl’étions par l’âge.

Est-ce pour cela que je veux partir ?Même si j’ai l’impression de déserter, je vais mettre un océan entre

ma famille et moi. Peut-être lâcheté, peut-être lassitude, je n’ai pasenvie de me battre. J’espère seulement que l’absence saura dire ce queles mots n’arrivent pas à exprimer.

Mais voilà que je déforme la vérité. Ce n’est pas à cause de ce qui estarrivé à Émilie que je pars.

C’est pour moi que je le fais. Uniquement pour moi.Et tant pis pour les autres, ce n’est pas ma faute s’ils n’ont rien com-

pris. J’ai si souvent eu cette impression qu’ils ne cherchaient même pasà comprendre qu’aujourd’hui, j’y suis indifférente.

Mais voilà que je mens encore. Je me justifie par l’exagération et lemensonge. Pitoyable distorsion de la réalité. C’est trop facile de me direque si c’est bon pour les autres, c’est aussi bon pour moi. Je suis néed’une femme malade qui excusait tout par la maladie. Ce n’est pas uneraison pour me disculper.

Je vais tout simplement me dire que c’est la vie qui me pousse à fairece choix et que j’ai raison de m’y fier.

Je vais m’y accrocher, je vais m’en convaincre pour trouver le couraged’aller jusqu’au bout.

Je sais que je vais laisser derrière moi une partie de mon cœur parceque la vérité, c’est que je les aime…

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Charlotte

À suivre…

LES SŒURS DEBLOIS