Chapitre III Fiction, biographie et «...
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Chapitre III
Fiction, biographie et « her-story »
Harald Tambs Lyche constate qu'en Inde, Ia shakti est un concept
omnipresent du pouvoir qui est toujours feminin et se manifeste toujours a travers
les femmes 1• En anglais, quand on dit que quelqu'un est 'un puissant', cela signifie
que cette personne est puissante, elle a Ia capacite a controler et a dominer.
L'equation du pouvoir ave~ le 'pouvoir de posseder' y est sous-entendue.
Pourtant, dans le contexte indien, alors que les femmes personnifient Ia shakti,
elles ne Ia controlent pas necessairement, et elles ne prennent pas conscience de ce
pouvoir, fait remarquer Humes. Elle ajoute que Ia stri shakti fait allusion a la
puissance feminine qui est ljee a Ia force pure et douce, mais ferme et tenace2 et
que Ia force d'une femme est normalement mesuree par sa capacite a tolerer les
difficultes.
Kathleen M. Emdl, trouve que l'idee de Ia shakti est extremement attirante,
car, la shakti est un concept polyvalent qu'on peut trouver dans des contextes
differents et qui peut etre utilise, meme manipule, a des fins differentes. Cet aspect
se clarifie a travers l'ecriture des femmes ecrivains franyaises lors qu'elles se
servent des stri shakti indiennes comme le moyen pour atteindre leur propre
objectif intellectuel. II semble done logique de croire que ces femmes ecrivains
valorisent la stri shakti, car elle soutient les constructions positives de la feminite.
II apparait egalement que ces femmes ecrivains fran9aises ne cherchent que des
images exclusivement positives de la stri shakti ideologiquement differente pour
promouvoir leur theorie de la shakti ideale.
1 L YCHE Harald Tambs, Op. Cit., p. 12. 2 HUMES Cynthia Ann, Op. Cit., p. 140.
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Or Ie roman Ja!iu.nara ne traite pas uniquement d'histoire de Jahanara.
L'auteur y a peint !'image de toute une epoque. Cette epoque est marquee dans
l'histoire grace a !'existence de non seulement l'empereur mogole mais egalement
par quelques femmes comme Nour Jahan, Mumtaz Mahal, Jahanara. L'histoire de
!'empire de Jahangir est l'histoire du pouvoir de Nour Jahan, sa femme. Mumtaz
Mahal, la femme de Shah Jahan, n'a jamais pris Ia charge du royaume mais elle
etait la shakti de Shah Jahan. Et, sur les epaules de Jahanara, Ia fille de Shah
J ahan, se reposait le sort de I' empire pendant une vingtaine d 'annees.
Done chez Lyane Guillaume1 auss'i, la shakti se manifeste a travers les
femmes. Dans le roman Jahanara, Lyane Guillaume a peint trois generations de
femmes royales (Nour Jahan, Mumtaz Mahal, Jahanara) et la face changeante de
shakti, ou Jall<:nara devient sa femme « ideale ». Le portrait de Nour Jahan est
celui d'une shakti outree, le portrait de Mumtaz Mahal est celui d'une shakti
voilee. Jahanara etablit I'equilibre entre les deux. Les deux extremes Nour Jahan et
Mumtaz Mahal aident a mettre en valeur I a perfection de J ahanara. Sa
representation est celle d'une femme trop parfaite qui possede toutes les qualites
de deux extremes Nour Jahan et Mumtaz Mahal, sans leurs defauts. Jahanara
represente l'utopie de Ia stri shakti « equilibree » de Lyane Guillaume. Au cours
de ce chapitre, no us tacherons de demontrer cette hypothese a I' aide des ouvrages
theoriques sur I' epoque mogole.
Nous avons deja mentionne Ia tentation des feministes occidentales
d'idealiser les deesses hindoues a cause du manque de symbole d'une femme
puissante dans leur propre societe, dans leur propre religion. Dans le roman de
Lyane Guillaume il existe aussi un effort pour adapter des influences hindoues
1 Lyane Guillaume est professeur de Lettres a Paris. Elle a accompagne son mari, archeologue, en Inde ou elle a vecu quatre ans. Elle a passe egalement quatre ans en Afghanistan, berceau de Ia civilisation mogole.
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chez ces trois femmes. Bien qu'elles appartiennent a un monde musulman, ·
l'auteur cherche ales mettre dans un cadre hindou, car elle trouve son ideal de stri
shakti chez les deesses hindoues.
Cependant, le livre de Lyane Guillaume, Jahanara, est ecrit de maniere
autobiographique, en utilisant Ia premiere personne. L'utilisation de la premiere
personne rend l 'histoire compliquee car la question de point de vue y intervient et
elle cede la place aux diverses interpretations. Dans notre cas de figure aussi la
probleinatique du point de vue joue un role important. Comme Jahanara, elle
meme raconte sa propre vie, il existe la 'volonte de se montrer superieure aux
autres. Dans le roman, Jahanara se sert des personnages de Nour Jahan et Mumtaz
Mahal afin d'achever ce but. Pourtant, c'est Lyane Guillaume qui a pn3te sa voix a
Jahanara d'ou la question: ou est-ce que la voix de !'auteur se mele avec celle de
Jahanara?
Ceci degage de nouveau la problematique du role de l'intellectuel dans les
changements sociaux et met en question l'autorite de l'intellectuel de parler pour
les autres, d'exprimer a travers son reuvre les aspirations, les experiences 'du
peuple' 1. Zedong Mao affirme que pour representer I' autre, I' intellectuel forge un
type de discours propre a son sujet d'etude et il conclut que l'intellectuel, en
parlant des experiences des autres, parle aussi de lui-meme. Ceci renforce la
constatation de Spivak que l'acte de« parler pour les 'autres' »est necessairement
autoritaire et suspecte2• D'apres les historiens, la personnalite de Jahanara est
ombragee par le nom de son pere. Lyane Guillaume, en parlant pour Jahanara,
essaie-t-elle de decouvrir/liberer Jahanara de cette ombre?
1 HAU S. Caroline, Op. Cit., p. 134. 2 Ibid., p. 136.
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Dans la premiere partie de ce chapitre nous allons parler du portrait de Nour
Jahan. L'histoire de Nour Jahan est partiellement une histoire d'ambition, de
pouvoir, de competence militaire et d'endurance de ·ta cour. Le personnage de
Nour-Jahan constitue par Lyane Guillaume est celui d'une femme autocrate et
rebelle. Son portrait est plein de haine et tres peu de cotes positifs sont montres.
Malgre son effort de faire un portrait negatif de Nour Jahan du point de vue de
Jahanara, !'auteur finit par peindre l'image d'une sftakti demesuree. Lyane
Guillaume attribue a Nour Jahan des qualites qui, malgre ses « fautes », peuvent
facilement la distinguer comme un heros typique de !'empire.
La deuxieme partie de ce chapitre porte sur le portrait de Mumtaz Mahal,
une femm~ soumise, dominee par l'empereur. Le roman semble montrer Mumtaz
Mahal comme une vraie pativrata mais en meme temps elle surgit comme ~a
shakti de son mari. Elle se cachait toujours derriere le purdah, mais malgre tout,
elle a fait tout ce qu'elle voulait. C'est la raison pour laque_lle elle est devenue
1 'exemple par excellence de Ia sftakti voilee.
Lorsqu'on parle de !'empire mogol, on ne fait que mentionner le nom de
Jahanara en tant que fille de l'empereur Shah Jahan. Les chroniques imperiales de
1 'epoque font allusion a elle de fa9on discrete : « L 'accent est mis toujours sur sa
beaute et !'interet qu'elle portait aux arts ainsi que le role qu'elle joua dans
}'organisation des festivites de la cour »1. Mais Jahanara de Lyane Guillaume
surpasse cette representation faite par les chroniques imperiales. Sous la plume de
l'auteur, P!!e devient Ia shakti Iegendaire, comparable «a Antigone ou a la
Cordelia de Shakespeare».
1 Jahanara, Avant Propos, p, 10.
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A. Nour Jahan :Une shakti demesuree
Nour Jahan, en effet, etait la tante maternelle de Jahanara mais apres s'etre
mariee avec Jahanguir, elle est devenue sa grand-mere paternelle. Or cette relation
entre Nour Jahan et Jahanara n'etait pas une relation tres « saine » a cause de
plusieurs raisons, comme son attitude autoritaire, son conflit avec Shah Jahan, sa
prise de pouvoir ei ainsi de suite. L'histoire de Nour Jahan est celle d'ambition et
de pouvoir. Comme les autres femmes importantes du moyen age, par exemple,
Raziya Sultan, Rani Durgavati, Chand Bibi\ Nour Jahan possedait aussi une
grande puissance personnelle et les aptitudes requises pour une souveraine. Et
comme Ia plupart des autres femmes qui ont subi une influence politique, elle
savait utiliser le systeme a son avantage2. L'on pouvait distinguer Nour Jahan par
une chance exceptionnelle de ses circonstances, par Ia relation tres particuliere
qu'elle avait avec son deuxieme mari, et parses nombreux talents.
Nour Jahan s'etait mariee avec l'homme le plus puissant de l'Inde et elle
avait vecu Ia peri ode d 'une grande diversite cosmopolite et internationale3. De
plus, sa relation avec Jahanguir semblait etre exceptionnellement intime. En fait,
grace a sa femme Nour Jahan, Jahanguir pouvait vivre une vie luxeuse et qu'il
1 Toutes les trois femmes ont lutte contre Akbar dans differentes parties de l'Inde pour proteger leurs royaumes. 2 FINDL Y Ellison Banks, Nur Jahan - Empress of Mughal India, Oxford University Press, New Delhi, 2000, p. 3. 3 Les Europeens ont fait leur premiere apparence considerable sur le sous-continent pendant son epoque.
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avait pu se consacrer presque exclusivement a l'art et Ia science, s'occupant si peu
des affaires du royaume. 1 Entin, ses capacites personnelles se sont developpees
au-dela des aspects politiques et economiques. Elle avait enormement apporte aux
domaines de !'art et de !'architecture, de Ia litterature et de Ia religion, du voyage
et du jardinage incomparables encore aujourd 'hui. 2.
Cependant, le personnage de Nour-Jahan constitue par Lyane Guillaume est
celui d''une femme autocrate et rebelle. Son portrait est plein de haine et tres peu
de cotes positifs en sont montres. Le ton de mepris peut etre entendu presque
partout dans la construction de son personnage. Pourtant, Nour Jahan est devenue
la Frankenstein de Lyane Guillaume. Malgre son effort de faire un portrait negatif
de Nour Jahan suivant le point de vue de Jahanara, !'auteur finit par peindre
l'image d'une shakti demesuree. Nour Jahan ressurgit comme une femme
exemplaire et suscite la veneration chez le lecteur. Et cette shakti demesuree se
manifeste a travers plusieurs niveaux de sa personnalite : son physique, sa psyche,
ses relations avec les autres.
1 SCHIMMEL Annemarie, The Empire of The Great Mughals - History, Art and Culture, Oxford University Press, New Delhi, 2005, p. 42. 2 FINDL Y Ellison Banks, Op. Cit., p. 4.
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i) Le gout du pouvoir
La description des traits physionomiques de Nour Jahan faite par Lyane
Guillaume est assez interessante car les traits de son visage lui conferent sa shakti
de maniere intrinseque. Pour Jahanara, la beaute de Nour Jahan etait
« eblouissante » et tous les historiens se mettent d'accord sur ce point. 1 Lyane
Guillaume, a travers I a bouche de J ahanara, la decrit comme suit :
Personne, au dire des gens de ce temps, ne pouvait resister a son regard d'un bleu de lapis-lazuli, a son profil aquilin, volontaire, a son front marmoreen au se lisaient le gout du pouvoir et la determination.2
Guillaume apprecie la beaute de Nour Jahan mais la reference au« gout du
pouvoir » devient plus accentue que !'aspect de la beaute du visage. Ce que Braly
appelle 'un visage puissant', devient, pour Lyane Guillaume, le miroir de la
determination de Nour Jahan. Dire qu'elle a utilise sa beaute pour obtenir ce
qu'elle desirait, serait une fa<;on simpliste de decrire ce personnage. Comment se
1 John. F. Richards dit que Nour Jahan fut une beaute persane classique, The Mughal Empire, p. I 02. Abraham Eraly constate qu'elle etait aussi talentueuse que belle. The Last Spring, The Lives and times of the Great Mughals, p. 274; «II est impossible de decrire Ia beaute et Ia sagesse de Ia reine »,a dit Mutamid Khan (Mutamid Khan cite par Eraly, Ibid., p. 276), pour Eraly, les portraits de Nour Jahan faits a l'epoque le prouvent. Bien que ces peintures, dont plusieurs en sont des copies tardives, ou des portraits stylises a Ia mode repandue, et qu'aucun de ces portraits ne soit authentique, il est vrai qu'il existe une coherence des traits qui indique leur authenticite. Dans ces peintures on voit une femme pleine de vivacite, pleine de vie et energetique, ses yeux sont larges et brillants, son front large et ouvert, son nez saillant et pointu. Elle a un menton fort, sa bouche est petite mais bien formee, avec un air souriant. C'est un visage puissant mais pas dur (Ibid, p. 274), Waldmer Hansen note que ses portraits qui existent suggerent beaucoup de choses: Ie nez est fort, Ia bouche assez revelatrice, les yeux merveilleux d'intensite persane, HANSEN Waldmar, The Peacock Throne- The Drama of Mogul India, Motilal Banarsidass Publishers Private Limited, New Delhi, 1986, p. 43. 2 Jahanara, p. 19.
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fai~ ] que parmi une centaine de femmes et concubines de Jahanguir, elle soit elue
non seulement comme Ia favorite du roi mais detienne aussi le pouvoir du
royaume? Evidemment Ia beaute n'etait pas le seul facteur. Nour Jahan etait
egalement une femme d'une energie enorme et aux talents infinis. De plus,
Jahanguir etait « epuise par l'age et les plaisirs » et « envoute par cet amour
tardif » 1•
D 'a pres les historiens, il n 'y a aucun doute qu 'a la derniere etape de son
regne, Nour Jahan a pris le controle politique. Elle avait etabli sa propre armee,
elle etait egalement responsable de plusieurs decisions politiques qui ont ete
couronnecs de succes. Cependant, Nour Jahan avait commis quelques « fautes »,
tel que l'histoire de Lyane Guillaume les revele, qui ajoutent une allure negative
au personnage de Nour Jahan:
Bien que femme, et de sang non-royal, Nour Jahan s'imposa ala Cour par son autorite naturelle, ses talents nombreux et son eblouissante beaute.2
Le fait d'etre femme et de ne pas appartenir a une famille royale par Ia
naissance sont consideres comme de grands defauts de Ia personnalite de Nour
Jahan. Ces deux aspects s'opposent a« s'imposer » eta « autorite naturelle ». Du
point de vue de 1' epoque, c 'etait une infraction mais en meme temps eel a pouvait
devenir egalement un objet de veneration ou meme de jalousie pour les autres
femmes. Paradoxalement, l'ecriture de Lyane Guillaume revele tous ces deux
aspects (Nous allons les traiter en detail au cours de ce chapitre).
lei, consciemment ou inconsciemment, Lyane Guillaume attribue a Nour
Jahan des qualites qui, malgre ses « fautes », peuvent facilement la distinguer
I Ibid., p. 19. 2 Jahanara, p. 19.
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comme un heros typique de !'empire. II est imperatif de noter qu'un admirateur a
proclame que « si tu etais homme ... tu aurais pu regner sur l'Inde » (En depit du
fait que Nour Jahan etait une femme et qu'elle gouvemait l'Inde) 1• Ainsi son sexe
est vu a Ia fois comme un chemin et un obstacle a Ia grandeur. Son plus grand
crime etant d' etre nee femme, on reconnait alors Ia veritable impuissance de sa
position. En depit de son amour-propre arrogant et malgre qu'elle ait atteint une
position politique significative, Nour Jahan etait toujours a Ia merci des lois de Ia
societe et des comportements profondement patriarcaux.
La description de Nour Jahan revele que le pouvoir etait inne chez elle.
Mais sa relation avec Jahanguir a largement contribue a transformer ce pouvoir en
une shakti demesuree. En effet, Nour Jahan a fait une entree plut6t tardive dans la
vie de Jahanguir, il avait 42 ans et Nour Jahan 34 ans. Jahanguir, dans son
memoire, tait la premiere allusion a Nour Jahan deux ans apres son mariage, lors
qu'il ecrit a propos une maladie gardee secrete de tout le monde, sauf de Nour
Jahan. II ecrit qu'il n'y avait personne qui l'aimait plus que Nour Jahan2. Nour
J ahan et J ahanguir etaient de bons compagnons qui partageaient beau coup
d'interets.3
Nour Jahan a regne avec une autorite absolue jusqu'a Ia fin du regne de
Jahanguir, ecrit Inayat Khan, le chroniqueur de Shah Jahan. Vers la fin, son
autorite etait telle que Jahanguir n'avait d'empereur que le nom, dit Mutamid
Khan, courtier de Jahanguir. Muhammad Hadi confirme que s'il y avait quelque
chose qui puisse Ia rendre monarque absolu, c'etait Ia lecture de « khutbah ».4
Lyane Guillaume le decrit comme suit:
1 HUENEMANN Karyn, Op. Cit., p. 244. 2 ERAL Y Abraham, The Last Spring, The Lives and times of the Great Mughals. Penguin, New Delhi, 1997, p. 271. 3 Ibid, p. 275. 4 Ibid, p. 271.
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Profitant de ce que la sante de mon grand-pere, affaibli par l'alcool et l'opium, declinait a vue d'reil, elle se fit accorder par lui un privilege exorbitant: l'acces au sceau royal, sans lequel aucune decision concernant les affaires de I 'Etat ne peut etre val idee. 1
On ne peut pas contester le fait que Nour Jahan a obtenu l'acces au sceau
royal. Annemarie Schimmel note que Nour Jahan a ete autorisee a signer le
Jarman, les dec~ets de l'empereur.2 John F. Richards constate que les rec;us
imperiaux ont ete parfois emis au nom de Nour Jahan.3 Cependant, Lyane
Guillaume presente ce fait de fac;on differente en employant les verbes 'profiter' et
's'accorder'. Selon les sources historiques, l'empereur avait accorde ce pouvoir a Nour Jahan volontairement et consciemment. Ce qui etait plus saisissant, c'etait
que les pieces etaient a l'effigie de Jahanguir d'un cote et de }'autre etait frappe le
nom de Ia Reine Begum, Nour Jahan.4 En ajoutant le nom de Nour Jahan sur les
pieces, Jahanguir avait publiquement proclame le fait que Nour Jahan partageait
son (Jahanguir) autorite. Ceci prouve qu'il avait investi tout son pouvoir en elle.
La fameu~c: phrase de Jahanguir en est la preuve:
Tout ce que je desire maintenant c'est une coupe de vin et quelques kebabs ; pour gouverner le royaume, j 'ai rna N our J ahan. 5
D 'habitude, l 'exercice du pouvoir par les femmes « de derriere le trone » a
toujours ete garde secret. Ce qui etait exceptionnel dans Ia participation de Nour
1 Jahanara, p. 22-23. 2 SCHIMMEL Annemarie, Op. Cit., p. 156. 3 RICHARDS John. F, The Mughal Empire, Cambridge University Press, New Delhi, 2005, p. 102,
, Richards donne meme un exemple pour demontrer !'influence exercee sur Jahanguir par Nour Jahan. Jahanguir a decide de promouvoir un employe, Mirza Nathan, a un rang eleve. L'ordre imperial envoye a Nathan a ete signe conjointement par Jahanguir et Nour Jahan stipulant son nouveau rang et lui accordant un nouveau titre, Shitab Khan. Le nouveau noble a egalement re9u une robe d'honneur. Pour completer Ia transaction, Nathan a envoye un cadeau de 42,000 roupies a l'imperatrice Nour Jahan. 4 Ibid., p. 102. 5 Jahanara, p. 40.
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Jahan Jans les affaires publiques, c~etait qu'au lieu de la cacher, Jahanguir ·
I' exhibait, comme mentionne plus haut. Comme Thomas Roe a temoigne, toutes
les justices ou le soin de quelque chose ou des affaires publiques dependaient de
Nour Jahan. Dans n'importe quel cas que l'on lui presentait, si jamais il y avait
une difficulte quelconque, elle le resolvait immediatement. 1 Pourtant, Abraham
Eraly nous avertit que cette remarque de Jahanguir ne doit pas etre prise au pied de
la lettre, '2'etait justement la fayon de Jahanguir de louer Nour Jahan. Eraly
souligne que Jahanguir n'est pas devenu inefficace ou senile et que Nour Jahan ne
pouvait pas agir contre sa volonte. Me me lorsqu' elle etait au sommet de son
pouvoir, J ahanguir continuait a suivre ses affaires quotidiennes, a maintenir
rigoureusement sa routine quotidienne de I a cour jusqu' a ce que sa sante ne I' ait
aneanti gravement et qu'il soit mort.2
Le gout du pouvoir de Nour Jahan se manifeste egalement a travers sa
relation avec Shah Jahan. Lorsque le prince commenyait ~ se rejouir de son
patrimoine et a se comporter de plus en plus comme le souverain, la tension entre
N our J ahan et Shah J ahan augmentait. Shah J ahan etait le vrai heritier du trone,
pourtant, en realite, c'etait Nour Jahan qui detenait le pouvoir de l'empire. Elle
etait en eff~t l'empereur de facto. N'est- il pas normal qu'e!le ait essaye de tenir
ce role meme apres Ia mort de Jahanguir? Si Shah Jahan succede a Jahanguir, elle
risquait de perdre sa position privilegiee. Done, comme la sante de Jahanguir
continuait a se deteriorer, les interets de Shah Jahan et Nour Jahan ont diverge. La
rupture entre Nour Jahan et Shah Jahan a ete definitive.3
1 GASCOIGNE Bamber, A Brief History of The Great Moghuls, Robinson, London, 2002, Roe Cite par
Gascoigne, p. 149-150. Thomas Roe avait ecrit au Prince Charles, le futur Charles I que la femme favorite de l'empereur "governs him, and wynds him up at her pleasure" et il a informe le gouverneur d'East India Company que "all justice or care of any thing or public affairs either sleeps or depends on her, who is more unaccessable than any goddess or mystery of heathen impiety". 2ERAL Y Abraham, Op. Cit., p. 278. 3 Ibid, p. 267.
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Le cote manipulateur de Nour Jahan est souligne quand elle a arrange le
mariage entre Shahryar, le plus jeune fils de Jahanguir et de sa fille Ladili Begum.
Comme ce fils alne, c'est lui qui a plus de droit que Shah Jahan. Si Shahryar, un
prince faible, aveugle, presque un imbecile, devenait I' empereur, elle aurait un
heritier du tr6ne sous son contr6le apres Ia mort de son mari et cela serait encore
Nour Jahan qui detiendrait le pouvoir derriere le tr6ne. 1 Ceci met en lumiere aussi
l'esprit politique de Nour Jahan. Elle a beaucoup essaye d'empecher Shah Jahan
d'acceder au tr6ne. Mais Shah Jahan etait le favori de Jahangir. II ne pouvait rien
refuser a Shah Jahan.:
Entre Shah Jahan et Nour Jahan, la guerre etait declaree. Elle n'allait que s'envenimer jusqu'au retour demon pere a Agra, sept ans plus tard.2
Neanmoins, apres avoir considere le point de vue d'Abraham Eraly, l'on
commence a remettre en question ia verite et la critique de Nour Jahan faite par
Jahanara. Eraly pose la question suivante: est-ce que c'etait elle qui avait piege
Shah Jahan afin de le ruiner? Eraly n'en etait pas sur, lui-meme, car il etait
impossible de savoir ce qui s'etait veritablement passe. D'apres Eraly, la cour
mogole etait une « fosse aux serpents » dans laquelle on ne sait combien de
rumeurs ont falsifie les faits. Dans une telle ambiance, il etait facile de faire une
histoire majeure a partir d'un petit rien.3 Cependant, dans l'histoire de Guillaume,
Nour Jahan devient Ia mechante belle-mere qui cherche a aneantir Ia fierte et
l'amour-propre, !'ambition et les talents reconnus de Shah Jahan avec ses
complots violents et sa personnalite dominatrice.
1 RICHARDS John. F, Op. Cit., p. 113. 2 Jahanara, p. 30. 3 ERAL Y Abraham, Op. Cit., p. 267.
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Or, d'apres les historiens, apres 1~ ::~ort de Jahanguir, Nour Jahan disparalt
presque completement de l'histoire. Pourtant les temoignages ecrits disent qu'elle
n'etait pas maltraitee. Considerant ses machinations, Shah Jahan avait fixe une
allocation annuelle de deux cents milles roupies pour elle. Fierement, elle a mis sa
robe blanche de veuve et s 'est retiree completement des activites publiques et elle
a cons acre le reste de sa vie a faire des prieres et des actes nobles. 1 Cependant,
Jahanara de Lyane Guillaume raconte cette demiere partie de la vie de Nour Jahan
differemment. La, nous voyons une Nour Jahan qui se trouve a la merci de son
ennemi Shah Jahan. Shah Jahan est devenu l'empereur et Nour Jahan etait comme
une femme soumise devant I' empereur. Sa gloire a disparu, son pouvoir est
detruit:
Elle parut devant 1' ~mpereur dans une tunique de lin blanc, sans fard ni parure. Elle allait se prostemer a ses pieds; d'un geste, mon pere la retient ... Son regard de lapis-lazuli etincelait encore, mais sa longue chevelure sombre etait striee de fils d'argent, et des rides barraient ce front qui avait tant aime les couronnes, les intrigues et le pouvoir?
Ainsi, l'histoire de Nour Jahan selon Guillaume se termine tragiquement.
Toutefois, cette version ne correspond pas a celle de plusieurs historiens. Presque
tous les historiens ont decrit la fin de Nour Jahan comme une fin glorieuse et
gracieuse. Pourtant cela vaut la peine de mentionner que finalement quand elle a
perdu son pouvoir, elle l'a accepte egalement.3 Etant donne la personnalite de
Nour Jahan, cet acte de prosternation devant Shah Jahan ne semble-t-il pas
invraisemblable? Cette representation de Nour Jahan faite par Jahanara de Lyane
Guillaume, ne souffre-t-elle de partialite?
1 HANSEN Waldmar, The Peacock Throne- The Drama of Mogul India, Motilal Banarsidass Publishers
Private Limited, New Delhi, 1986, p. 88. 2 Jahanara, p. 71. 3 ERAL Y Abraham, Op. Cit., p. 275.
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A la fin de l'histoire de Nour Jahan, Jahanara de Lyane Guillaume ecrit
« elle fut pardonnee ». 1 11 est necessaire de poser la question : Nour Jahan « fut
pardonnee » par qui? Par Shah Jahan parce qu'elle n'a plus essaye de rester au
pouvoir? Par Jahanara pour laisser le royaume a son pere? Par Dieu pour avoir
fait des actes de charites et des prieres? Mais pourquoi a-t-elle eu le besoin d'etre
pardonnee ? Quel etait son peche ? Finalement, est-ce qu 'on do it louer ou
condamner Nour Jahan pour son action?
La question se pose: qu'est-ce qu'elle cherche a prouver en donnant une
telle fin tragique a l'histoire d'une telle femme puissante? Est-ce qu'elle partage
encore la meme vision stereotypee enonvant que la femme doit rester au foyer et
qu' elle n 'a pas le droit au pouvoir ? Ou bien, en accordant le dernier sourire a Shah Jahan, veut-elle suggerer que finalement le pouvoir est le droit des hommes
et qu'il (le pouvoir) ne durerait pas longtemps dans les mains des femmes?
Jahanara, a-t-elle eu du mal accepter cette notion de pouvoir chez une femme, une
telle stri shakti demesuree ?
1 Jahanara, p. 71.
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ii) Les actes criminels
La shakti outree de Nour Jahan se manifeste non seulement a travers sa
relation avec Jahanara et Shah Jahan mais elle se traduit egalement par une serie
d'actions considerees comme « criminelles » a l'epoque. Jahanguir etait le roi en
titre, le dit Pelsaert, tandis que Nour Jahan et son frere detenaient fermement le
royaume. Le roi ne se s 'occupait pas des affaires du royaume, il se comportait
comme si cela ne le concernait pas, continue Pelsaert. 1 Si quelqu'un venait a la
cour avec une demande quelconque, le roi 1 'ecoutait attentivement mais rie h.<i
donnait aucune reponse definitive. II envoyait Asaf Khan communiquer la chose a sa sreur, Ia reine, et finalement c'etait Nour Jahan qui prenait I~ decision :
Elle ne pouvait pas gouvemer directement, elle-meme ; elle devait rester derriere le purdah, et elle pouvait communiquer uniquement avec sa famille. 2
Pourtant, Mohamet Khan ecrit que quelques fois elle se mettait au balcon
de son palais et les nobles se presentaient et executaient ses ordres. Mais elle ne
pouvait pas le faire regulierement. 3 Dans le texte de Lyane Guillaume nous
trouvons qu 'elle sort de son purdah et commence a gouverner le royaume :
Nour Jahan regnait le royaume, non plus a l'ombre du parda, comme auparavant, mais en pleine lumiere et sans crainte du qu'en dira-ton. Elle osait se montrer, le visage decouvert, dans le hall d' audience
1 Palsaert cite par Eraly, Op. Cit., p. 277. 2 Ibid., p. 277. "She could not rule directly, by herself; she had to stay in purdah and could interact only with her family members". 3 Ibid., p. 277.
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publique comme dans celui d'audience privee, montait a cheval avec les generaux, s'adressait a eux comme si elle eut ete l'empereui. Elle fit battre monnaie a son effigie et, lorsqu'elle penetrait dans une salle pleine de monde, il fallait que la fanfare royale se mit en branle, privilege accorde jusque-la aux seuls princes du sang. On raconte qu'elle tua elle-meme quatre tigres au cours d 'une chasse et que, certains matins, elle eut l'audace de paraitre au jaroka au cote de Jahanguir, devant le peuple assemble !1
Ainsi, Nour Jahan a brise les normes de la cour et a commis une serie de
« crimes » tel que se mettre en pleine lumiere, se monter, se decouvrir le visage
devant !'audience publique, se comporter comme l'empereur, s'accorder le meme
honneur qu 'un prince de sang, monter a cheval, tuer les tigres a Ia chasse, paraltre
au jarokha avec Jahangir. Parmi eux, le plus grand sacrilege etait celui de se
devoiler en public, car, dans les prejuges de son age, les femmes n'avaient aucun
role public et !'ambition etait le droit des hommes.2
Toutefois, Bamber Gascoigne souligne que c'etait elle qui gouvemait, plus
directement mais toujours de l'interieur du harem. Gouvemer directement de
I 'interieur du harem peut sembler contradictoire. Gascoigne croit que ceci,
combine avec les autres details de la vie de Nour Jahan tel que son gout pour Ia
chasse, a souvent mene a la constatation qu'elle brisa la tradition de purdah et
qu' elle participait aux affaires publiques de favon ouverte. Pourtant, Gascoigne
admet qu'il n'existe aucune preuve de cela.3 Quelque soit la verite, le fait reste que
1 Jahanara, p. 39-40. 2 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 74. II existe beaucoup de controverses sur ce point-lcl. Waldmer Hansen ecrit qu'a Ia mort de ltimad, l'empereur avait assigne les terrains et les richesse du premier ministre a Nour Jahan et avait commande que, apres les siens, les ordres de Nour Jahan seraient respectes. Ace moment-la, c'etait l'imperatrice qui presentait les robes d'honneur aux 44 nobles, comme une amazone legendaire, elle se mettait au balcon de son palais avec ies khans se prostemant devant elle. 3 GASCOIGNE Bamber, Op. Cit., p. 163. Gascoigne a souvent cite Thomas Roe pour prouver son point de vue. A une occasion, quand Roe attendait l'arrivee de Jahanguir dans un jardin, des precautions minutieuses ont ete prises pour empecher les gens de voir Nour Jahan. Jahanguir a emmene Nour Jahan dans un carrosse ouvert, et soudain, on a rer,:u l'ordre d'eteindre les lumieres. L'empereur est arrive. II est entre dans le wagon ouvert, avec sa Nour Mahal, tire par les breufs. L'empereur lui-meme etait charretier,
. 139
Nour Jahan a refuse le statut de !'objet decoratif de reine. Elle s'est renforcee
comme sujet, elle s'est accordee le meme droit qu'un roi, ce qui n'etait pas
acceptable a I'epoque. Elle a fait ce qu'elle desirait. Et ce sont les raisons pour
lesquelles Jahanara de Guillaume lui a donne le statut de femme dictatrice,
autocrate et rebelle.
b 'autres outrages dont N our J ahan a fait preuve sont, monter a cheval et
aller ala chasse. A cette epoque-la, les femmes pouvaient egalement participer aux
sports. 1 Nour Jahan etait une experte en polo. Mais tres peu de femmes de Ia cour
ont participe a Ia chasse. lei Nour Jahan se'distinguait comme tireuse d'elite.2 Elle
etait passionnee pour Ia chass.e comme' Jahanguir, et elle etait une excellente
tireuse, qui. une fois, avait tue quatre tigres en six coups. «On n 'avait jamais vu
une telle chasse jusqu'a maintenant que du haut d'un elephant et de l'interieur
d 'un howdah six coups ont ete tires et aucun n' a ete rate, et quatre betes n 'ont pas
eu meme !'occasion de bouger ou de sauter », ecrit Jahanguir. 3 Ceci nous montre
a quel point Jahanguir etait fier de Nour Jahan. Puisqu'il existe tellement de
variations de la meme histoire, decouvrir la verite devient tres difficile.
Bien que ce portrait de Nour Jahan soit plein de mepris, bien qu'au lieu
d'apprecier les qualites chez l'autre femme, le narrateur decrit Nour Jahan en
~omme une femme mechante, on ne peut pas denier le fait qu'elle est egalement
extraordinaire. On voit l'image d'une stri shakti qui non seulement entre dans le
domaine du male mais qui aussi se declare egale a I 'homme, qui ose declarer la
guerre aux puissants comme Shah Jahan et qui depasse !'imagination de hommes
soi-disant intelligents comme Mohabat Khan. Nour Jahan demeure dans l'histoire
et il n'y avait personne. Ayant pris tellement de soin, ii semble extremement improbable que Nour Jahan n'etait pas voilee. 1 SCHIMMEL Annemarie, Op. Cit., p. 163. 2 Ibid., p. 202. 3 ERAL Y Abraham, Op. Cit., p. 275
140
l'exemple d'une personnalite qui encmc «ujourd'hui souleve des critiques et des
polemiques.
Bien qu'en realite Nour Jahan soit une persane de Ia haute societe et qu'elle
ait une position de privilege, sinon de pouvoir, Guillaume Ia peint comme une
femme d'un milieu ordinaire. Et en depit de ces desavantages Nour Jahan a pu
obtenir Ia position de pouvoir qu'elle detenait pretendument. Ceci illustre le succes
de Ia stri shakti. Nour Jahan etait la preuve de ce que Ia shakti, malgre tous les
desavantages, peut devenir. De cette fa<;on, Nour Jahan peut etre consideree
comme une femme puissante qui fait concurrence avec succes dans I' arene
politique aux hommes qui Ia detiennent d' ordinaire. ·
Le portrait de Nour Jaha11 peint par Jahanara de Lyane Guillaume est celui
d'une femme pleine de maux. Pour renforcer ses cotes negatifs, Jahanara nous fait
voir Nour Jahan a travers les yeux des autres personnes de, l'epoque. Elle cite
directement les opinions des gens de I' epoque afin d' appuyer sa meme opinion.
J ahanara ecrit que le peuple Ia considerait comme une nili, une « demon femelle
qui selon les Hindous apparait a chacun des quatre grands ages de I 'humanite »I. II
est vrai qu'a l'epoque il existait de telle opinion a propos de Nour Jahan, mais on
l'appreciait egalement pour ~e~ vertus. Waldmer est d'avis que dans les termes
d'aujourd'hui, on peut Ia nommer de « salope intrigante », mais elle etait une
« salope » extremement intelligente et fascinante.2 Waldmer note encore que les
marc hands neerlandais a Agra I' ont etiquetee de « femme vicieuse avec Ia
fourberie jusqu'a Ia gorge». Cependant, Nour Jahan etait trap genereuse de
I' exterieure - ses charites quotidiennes etaient legendaires. Elle fournissait des
richesses aux orphelines et donnait des aides financieres aux pauvres.3 Eraly cite
1 Jahanara, p. 71. 2 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 37. 3 Ibid., p. 38.
141
~.Iuhammad Hadi qui dit que Nour Jahan a gagne les creurs et !'approbation des
peuples. I Ses cotes positifs manquent systematiquement dans Ia description de
Jahanara. On a !'impression qu'elle partageait le meme point de vue que le general
Mohabat Khan qui « gardait, vis-a-vis de la nouvelle imperatrice, une distance
mefiante » 2•
La fa9on dont Guillaume presente Nour Jahan, nous donne !'image d'une
femme egoi'ste et avide de pouvoir. Les historiens disent qu'elle adorait le pouvoir,
mais en meme temps, ils constatent qu'elle a egalement travaille pour le bien-etre
des gens communs. Par exemple, tout ceux qui demandaient du secours aupres
d'elle, etaient toujours proteges contre la tyrannie et !'oppression. Sa generosite
etait legendaire. Si jamais elle apprenait qu 'une orpheline etajt sans ressources et
sans amis, elle arrangeait son mariage et lui donnait des richesses, explique
Mutamid Khan.3 Dans le texte de Guillaume, nous n'a~ons aucune mention d'une
telle generosite de Nour Jahan. La question se pose: pourquoi? Est-ce !'auteur l'a
fait expres pour montrer uniquement les mauvais cotes du caractere de Nour
Jahan? Pourquoi Lyane Guillaume n'apprecie que les qualites dites «feminines»
de Nour Jahan comme Ia broderie, Ia peinture etc.? Est-ce parce que ces qualites
n' ont aucun rapport avec Ia shakti ?
Bien encore que Nour Jahan soit toujours representee comme une femme
puissante, en meme temps, elle etait une femme soigneuse, qui jouait de ses
1 BRALY Abraham, Op. Cit., p. 276. 2 Jahanara, p. 19. 3 BRALY Abraham, Op. Cit., p. 276. II affirme que pendant son regne, probablement plus de 500 orphelines ont ete mariees de cette fa9on. Souvent, elle s'est interposee pour reduire Ia severite de Ia justice mougole.
142
charmes sur les autres. Apres son mariage avecJahanguir, elle affirmait ce pouvoi1
en usurpant la position de medecin de la cour. En permettant a Jahanguir
seulement une petite quantite d'alcool par jour et en controlant sa dose d'opium,
Nour Jahan lui assurait une presence imperiale respectable a sa cour. 1 Jahanara de
Guillaume n'en parle pas. Son image de Nour Jahan est celle d'une ambitieuse et
d 'une imprudente.
Les prejuges sexistes de son epoque aussi que de la notre la condamne mais
contre les 6vidences des faits (d'apres Eraly). Nour Jahan a gagne sa place dans
I' empire par I a faveur de J ahanguir mais elle a cree sa place dans l 'histoire par ses
habilites politiques et administratives exceptionnelles. Bernier constate que sa
capacite l'a rendue competente pour gouverner !'empire sans !'interference de son
mari. Jahanguir n'a pas ete force par Nour Jahan, illui a delegue de lu~-meme le
pouvoir. Et, continue Bernier~ eJJe meritait le role qu'illui a assigne et elle l 'a joue
avec une habilite parfaite. Elle a pu sortir de toutes les crises ,qu' elle a affrontees
en exerc;ant son pouvoir avec sagesse et grace.2 C'est peut-etre la raison pour
laquelle le chroniqueur de la cour de Shah Jahan a enregistre la mort de Nour
Jahan comme suit: «le 8 decembre, 1645, Nour Jahan Begum, la veuve de
J ahanguir est decedee. Apres son mariage avec 1 'empereur, elle a obtenu un tel
ascendant sur lui, et a exerce un tel controle absolu sur les matieres civiles et
l'argent pe1"9U, qu'il serait inconvenant de s'etendre sur ce propos ici ». 3
I Ibid, p. 245. 2 ERALY Abraham, Op. Cit., p. 275. 3 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 74.
143
B. Mumtaz Mahal : Ia shakti voilee
Dans le roman de Lyane Guillaume, la comparaison entre Mumtaz Mahal et
Nour Jahan intervient a plusieurs reprises : les prejuges contre Nour Jahan sont
evidents et le portrait de Mumtaz Mahal souffre de partialite. II est important de
noter ici que lorsque Guillaume parle de Mumtaz Mahal, elle la qualifie de « jeune
persane fine et racee ». Toutefois, nous avons deja vue dans la partie precedente
qu'en parlant de Nour Jahan, elle avait mis la valeur de son« sang non-royal» en
question. II est imperatif de mentionner ici que les deux appartiennent a la meme
famille. Itimad ud Daulat avait deux enfants : Asaf Khan et Nour Jahan. Mumtaz
Mahal etait la fille d'Asaf Khan. Done, Nour Jahan etait la propre tante de
Mumtaz Mahal. Si Nour Jahan possedait un sang non royal, la meme aspect serait
valable pour Mumtaz Mahal aussi. Le changement de position de Jahanara ne
montre qu'un jugement tendancieux favorable contre sa propre mere. lei une
question se pose : d'ou vient cette partialite? Qui est partielle? Est-ce Jahanara
qui veut glorifier l'image de sa mere ou bien est-ce Guillaume qui veut degrader
image de Nour Jahan?
Dans le portrait de Mumtaz Mahal fait par Guillaume, la beaute est
accentuee des le debut: lorsqu'elle parle de l'amour de Shah Jahan pour Mumtaz
Mahal, elle 1 'intitule « la belle Arjumand ». Ensuite, Guillaume la decrit comme
une « jeune persane fine et racee, au teint de lis, aux levres de grenade et aux
144
boucles de jais » 1 dont les yeux sont comme des «prune lies de velours vert ».
Cette image de Mumtaz Mahal correspond bien a celle de Waldmar Hansen. 2
La description de Mumtaz Mahal est tres differente de celle de Nour Jahan.
Guillaume avait decrit Nour Jahan comme etant d'une beaute « eblouissante » qui
manifestait egalement son gout du pouvoir, par contre, la beaute de Mumtaz
Mahal est fine et douce. Cet aspect se refh'!te aussi chez Hansen qui constate que
!'ambition de Nour Jahan se voyait dans sa beaute, par contre, Mumtaz Mahal est
connue pour son regard franc et perplexe.3 Guillaume compare Nour Jahan a une
nili ou un demon femelle, en revanche, Mumtaz Mahal devient l'egale d'une
deesse.
lei, il est important de noter que Guillaume compare Mumtaz Mahal a Ia
deesse hindoue : « elle rayonnait comme une deesse hindoue » 4 . Cela, d 'abord,
eleve Mumtaz Mahal au rang de divinite, et ensuite lui accord{! une dimension tres
Speciale. Mais pourquoi Jahanara a-t-elle fait cette allusion a Ia deesse hindoue? A
cause du manque d'exemples similaires dans !'islam ?5 Pour y ajouter !'image de
la puissance avec Ia beaute ? Ou pour se montrer religieusement tolerante dans un
cadre strictement musulman ? Cependant, la deuxieme possibilite parait plus
probable, car, dans Ia phrase suivante, elle pose la question: « N'etait-elle pas le
shakti demon pere? »6 Quelque soit !'interpretation, le fait est que dans le roman,
!'image de Mumtaz Mahal est celle d'une epouse 'parfaite' qui est toujours
1 Jahanara, p. 16. 2 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 37. II decrit Mumtaj Mahal comme une femme charmante aux cheveux noirs tresses, aux yeux noirs et doux, aux sourcils delicats et aux cils longs et soyeux, a Ia peau de velours comme un lys. 3 Ibid., p. 98. 4 Jahanara, p. 72. 5 Fatima Memissi parle du statut des femmes dans I' Islam dans son ouvrage Women and Islam mais on n'y trouve pas de mention des images de Ia deesse puissante dans Ia tradition musulmane, MERNISSI Fatima, Women and Islam (traduit par Mary Jo Lakeland), Women Unlimited (an associate of Kali for Women), New Delhi, 2004. 6 Ibid., p .72.
145
soumise ala volonte de son mari mais en meme temps qui surgit comme la shakti
de son mari.
i) La pativrata par excellence :
Selon l'historien Waiumar Hansen, seulement un edifice de !'architecture
mogol a pu transcender l'histoire: le mausolee du Taj, et la dynastie s'est revetu
d'une hauteur spirituelle ala memoire d'une femme- Mumtaz Mahal. 1 L'amour
de Shah Jahan et Mumtaz demeure veritablement une legende et Shah Jahan le
canonise a travers le Taj Mahal. Dans une societe polygamique telle la societe
mogole, tres peu de mariages ont ete si heureux que celui de Shah Jahan et
Mumtaz Mahal. Les historiens disent que Mumtaz aurait ete belle a tout age,
beaute lustre par son caractere. Elle semble etre la combinaison rare de la modestie
et de la franchise. Une femme simple et directe, ajoute Hansen, elle etait maitresse
de soi2. Extremement intelligente des son adolescence, elle attirait !'attention des
nobles importants du royaume. Jahanguir a du surement beaucoup entendre a
propos de cette fille qu'il a decide ses fian9ailles avec le prince Khurram cinq ans
avant le mariage.
Chob Singh Verma constate que mtse a part la beaute et la douceur,
Mumtaz Mahal possedait un c~Xur pur et genereux ; la gaiete imperturbable, la
patience sous la souffrance directe et un noble sens du devoir. Il ajoute que comme
1 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 105. 2 Ibid., p. 38.
146
une femme devouee, elle a donne son arne et son esprit a son man, qm, en
echange, l'a aimee a un tel point qu'aucun mari n'a jamais aime sa femme d'une
telle maniere auparavant1• Le Taj Ma~al commemore bien Ia purete idyllique de
leur amour. D'apres les historiens, c'est ici que reside la specificite du personnage
de Mumtaz. Le roman de Guillaume met aussi en lumiere l'histoire d'amour de
Mumtaz Mahal et Shah J ahan : « L' amour du fier Khuram pour la belle Arjumand
etait aussi proverbial que celui de Majnoun pour Lalla»2. Pourtant, le portrait de
Mumtaz Mahal est celui d'une femme soumise, dominee par l'empereur mais qui
en meme temps etait !'inspiration de son mari.
Les faits historiques nous montrent que quand Mumtaz Mahal etait
vivante, Shah Jahan etait entierement devoue a elle. 11 negligeait meme ses autres
femmes qui n' avaient de femme que le nom. Guillaume cons tate qu' elle n 'a
jamais vu «Shah Jahan jeter ses rega~ds sur d'autres femmes qu'elle » et que
« l'amour de Shah Jahan pour Mumtaz Mahal etait, et est reste jusqu'au bout, un
amour absolu, passionne et excessif»3. Tousles historiens se mettent d'accord sur
ce point-ci. Selon Amini Qazvini, une des chroniqueurs officiels de Shah Jahan,
l'intimite, !'affection profonde, !'attention et la faveur que l'empereur avait pour la
reine, il n'en avait pas pour une autre personne.4 11 ajoute que la reine etait son
compagnon intime, sa collegue, sa confidente dans la souffrance et le confort, dans
la joie et le chagrin, pendant les voyages ou dans la residence. Inayat Khan cite
que Shah Jahan n'avait pas de sentiments pour les autres femmes qu'il possedait et
il ne lui a jamais permis de se separer d'elle ala maison comme en voyage.5 Peter
Mundy confirme que l'empereur n'ajamais pense a une autre femme pendant que
1 VERMA Chob Singh, Mughal Romance, Prakash Books, New Delhi, 2004, p. 99. 2 Jahanara, p. 16. 3 Jahanara, p. 77. 4 Cite par ERAL Y Abraham, Op. Cit., p. 304. 5 Ibid., p. 304.
147
Mumtaz Mahal etait vivante.1 Done, en ce qui conceme Ia fidelite de Shah Jahan
envers Mumtaz Mahal, il n 'existe pas de doutes.
Ce qui est important de noter ici c'est que Ia fidelite de Shah Jahan est
conditionnee par un cadre musulman a l'interieur duquel les hommes avaient le
droit d' avoir de nombreuses concubines et « il y avait pres de quatre milles
beautes de tous les coins du monde dans notre harem »2. Les femmes royales
n'avaient pas de choix que d'accepter les vies reglementees rigoureusement. Les
empereurs de l'epoque se rejouissaient de ce luxe, par exemple, « Nour Jahan,
cynique et perverse, selectionnait elle-mem'e les jeunes filles destinees a la sieste
de Jahanguir »3. Cette remarque de Jahanara dans ce contexte non seulement porte
un jugement de valeur sur Nour Jahan mais reflete egalement le cote positif de Ia
personnalite de Mumtaz Mahal. Mais d'ou vient le pouvoir de Mumtaz Mahal?
Comment a-t-elle gagne cette fidelite? Pourquoi Shah Jahan l'aimait de Ia sorte?
Le roman semble monirer Mumtaz Mahal comme une vraie pativrata. Les
codes de conduites hindoues reconnaissent uniquement Ia stri dharma comme le
devoir de la femme. Selon la stri dharma, la femme doit etre entierement devouee
a son mari. Cette devotion inclut principalement les taches menageres, les prieres
pour le bien-etre de son mari et donner naissance a ses enfants.4 Mumtaz Mahal
devient I' exemple par excellence d 'une telle femme qui a sui vi les regles de stri
dharma du debut a Ia fin. Elle lui donnait un enfant presque chaque annee. 5 On Ia
I Ibid., p. 304. 2 Jahanara, Op. Cit., p. 77. 3 Ibid., p. 77. 4 SHERMA Rita Dasgupta," 'SA Ham-1 am She': Women as Goddess", dans Is the Goddess a Feminist? p. 29. The smriti literature, foundational to Hindu codes of conduct, recognized only stri dharma as the proper duty for women. Stri dharma stipulates that the focus of a woman's entire religious devotion should be her husband/pati (Lord). Her domestic chores, the bearing of children, prayers for the well-being of the husband, were all seen as devotional service to her pati. 5 SCHIMMEL Annemarie, Op. Cit., p. 151. Deux filles et quatre gar9ons sur un total de quatorze enfants ont survecu.
148
considere comme pativrata car « elle nc ::;c plaignait jamais et pas une parole de
depit ou de decouragement ». 1
Si on balaie les documents officiels de l'epoque, on trouve encore plus
d 'exemples de son devouement envers son mari. Les chroniques de la cour
racontent, lorsque Mumtaz Mahal etait en train de mourir apres Ia naissance de
Gauharara Begum, qu'elle a demande a Jahanara d'appeler Shah Jahan. Quand
l'empereur est arrive, Mumtaz Mahala demande le pardon de l'empereur pour des
infractions qu'elle aurait commis? Mais apres sa mort quand on observe
l'empereur, on comprend d'ou venait Ia 'shakti de Shah Jahan. 11 a subit une
profonde crise a cause de la mort de Mumtaz :
Mon arne souffre, mon corps est brise. Je ne sais s'il me sera possible de continuer comme auparavant. Je souhaiterais comme le Bouddha, renoncer aux biens de ce monde et me retirer dans un lieu de silence et de meditation. J'ai ete jeune et ambitieux, mais sans l'amour d' Arjumand, je n'ai plus qu'un desir, attendre en paix la moq. 3
Les sources officielles confirment que Shah Jahan n'a jamais montre le
meme enthousiasme dans !'administration du royaume. Shah Jahan etait abattu par
sa mort. Pendant une semaine, apres cet evenement penible, a cause du chagrin
pro fond, I' empereur n' a pas fait d' apparition publique, n 'a ni participe aux
affaires de l'etat, ecrit Inayat Khan.4 II a dit plus tard si les devoirs de la royaute
n'etaient pas si empathiques, il serait devenu un reclus complet. Ses cheveux ont
commence a devenir blancs. Son deuil a continue avec la meme vigueur pendant
deux ans. Shah Jahan refusait d'etre distrait ou amuse. Pendant les jours de fete,
quand les femmes du harem se mettaient ensemble, cela lui rappelait !'absence de
1 Jahanara, p. 50. 2 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 110. 3 Jahanara, p. 94. 4 Cite par ERAL Y Abraham, Op. Cit., p. 304.
149
Ia r:::iae, il eclatait en sanglots. Pendant une tres longue periode, il refusait de
porter meme des vetements colores or brodes. II n'apparaissait que dans les habits
blancs - Ia couleur de Ia mort de I 'islam. II a abandonne Ia musique, une
renonciation difficile pour un amateur passionne. II n'a jamais plus utilise le
parfum auquel il etait largement attache. I
Abraham Eraly constate qu'apres cette catastrophe, Shah Jahan devait
utiliser les lunettes car il pleurait continuellement. II voulait meme renoncer au
pouvoir, mais il s 'etait retenu car il considerait la royaute en tant que
responsabilite sacree qu'on ne pouvait pas abandonner a cause des tragedies
personnelles. L'empire n'a aucune douceur, Ia vie meme n'a laisse aucune saveur
pour lui, il s'est lamente. Meme dans le harem, il n'y avait aucun reconfort pour
lui. Aucun visage ne pouvait lui faire plaisir, il regrettait.2
Eraly ajoute que quand Shah Jahan est sorti de son deuil, il avait perdu les
liens de la maltrise de soi qui l'avait attache a une monogamie virtuelle jusque-la.
II ne s 'est ni remade, ni s 'est interesse a d' autres femmes, cependant, il a eu
plusieurs concubines, et il est egalement entre dans de nombreuses relations
illicites. Selon les commerages, il a meme commis l'adultere avec des femmes
mariees, peut-etre meme l'inceste.3 Done, Ia shakti de Shah Jahan provient de
!'amour de Mumtaz. II n'etait rien sans elle. Bien qu'elle n'ait jamais apparu en
public, elle fournissait la force a l'empereur. C'est Ia raison pour laquelle Jahanara
a dit « N'etait-elle pas le Shakti demon pere? »4
1 HANSEN Wa1dmar, Op. Cit., p. 112. 2 ERALY A~r?.ham, Op. Cit., p. 304. 3 Ibid, p. 305. 4 Jahanara, p. 72.
150
ii) La shakti de Shah Jahan :
La shakti de Shah Jahan s'est revelee apres Ia mort de Mumtaz Mahal. Elle
existait toujours, mais derriere le purdah, sous Ia voile. Done, l'on ne pouvait pas
Ia voir. C: est a pres sa mort que I' on a commence a sentir sa presence. A pres que
Nour Jahan ait decide de vivre isolee a Lahore, Ia seule personne, d'apres le
protocole, qui pouvait assumer son role dans Ia hierarchie, etait Mumtaz Mahal.
Elle est devenue l'imperatrice non seulement sur les papiers, mais aussi elle etait
I' eminence feminine supreme a Ia cour mogole. I
Comme la con fiance de Shah J ahan en Mumtaz Mahal continue a augmenter, l'imperatrice feconde de l'Hindoustan avait plus de responsabilites a
assumer. II la consultait sur les matieres privees aussi bien -que les affaires de
I 'Etat. Elle etait sa co-regente, sa conseillere, sa confidente du royaume. Les
suppliants venaient aupres d'elle comme auparavant ils rencontraient Nour Jahan.
A sa mediation, 1 'empereur pardonnait les ennemies ou convertissait la peine de
mort. Bien qu'elle soit celebre, Mumtaz Mahal est restee comme une ombre dans
les chroniques mogols. Elle n'avait pas les pretentions de son predecesseur Nour
Jahan, « fautrice de troubles», elle n'a pas cree d'evenements, elle les a seulement
soutenus en silence. 2
Bamber Gascoigne note que Mumtaz Mahal a ete une compagne auss1
influente que sa tante Nour Jahan avec l'empereur Jahanguir, pourtant, son (Nour
I ahan) role etait celui de domination tandis que le role de Mumtaz Mahal etait
1 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 93. 2 Ibid., p. 93.
151
celui de soutiens et de conseils. c~~ savait bien que Shah Jahan discutait de toutes
Ies affaires de l'Etat avec elle, et quand on faisait l'avant-projet des documents de
I 'Etat, il les envoyait au harem pour qu' elle les approuve. 1 D 'a pres Hansen,
Mumtaz Mahal symbolisait pour Shah Jahan un paradis non corrompu, loin des
jeux imperieux du pouvoir. Elle l'a fascinee comme Nour Jahan avait fascine
Jahanguir mais elle etait plus cachee dans l'arriere plan que Nour Jahan? Elle a
toujours lutte pour que Shah Jahan atteigne a son ambition du pouvoir. Hansen
conclut que Mumtaz Mahal etait une femme excellente, elle meritait le
monument.3
Done, Mumtaz Mahal a fait tout eel a tout ce qu 'elle pouvait faire tout en
restant derriere le purdah. C'est la raison pour laquelle elle est devenue l'exemple
par excellence de hi shu./;ti voilee. Nous avons deja vu que Mumtaz Mahal n'etait
pas simplement une femme dont Shah Jahan etait amoureux; elle etait sa
campagne, son an ere auquel il s 'etait amarre. II etait aussi dependant de Mumtaz
Mahal que Jahanguir en etait de Nour Jahan. Mais Eraly affirme que Shah Jahan
faisait attention aux apparences tandis que Jahanguir ne donnait pas d'importance
a la convention, il faisait fil des gens qui savaient qu'il (Jahanguir) dependait
d'elle (Nour Jahan). Cependant, dit Eraly, tout le monde savait que Shah Jahan
consultait Mumtaz Mahal sur toutes les matieres importantes de 1 'Etat et que
c'etait elle qui mettait le sceau royal sur tous ses jirmans, ce qui lui donnait
!'occasion d'examiner les avant-projets finals des documents. Malheureusement,
elle est morte a pres Ia quatrieme annee de I' ascension au tr6ne de Shah J ahan.
Eraly croit que si elle avait vecu plus longtemps, son influence et son autorite
1 GASCOIGNE Bamber, Op. Cit., p. 176.
2 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 55, "more hidden in the background than Nour Jahan". 3 Ibid., p. 37.
152
seraient indubitablement augmentees et probablement elle aurait pu les exercer
plus ouvertement1•
Mumtaz Mahal etait une femme non seulement « puissante », elle etait
egalement douee d'un grand sens de la politique. Par exemple, pendant la 14eme
grossesse, J ahanara et sa sceur voulaient savoir si c' etait un fils ou une fill e.
Finalement quand c'etait une fille, Mumtaz fut tres soulagee. Elle commente a ce
propos:
« Tant mieux, ( ... ) n'avons nous pas assez de gar<;ons qui deja se querellent dans leurs jeux et plus tard s~ dechireront pour un empire? »2
Ceci dit, meme si elle n'etait pas directement impliquee dans la politique,
elle comp':"~nait la politique pour acceder au pouvoir. Elle savait bien que Shah
Jahan avait commis un fratricide - il a tue Khusrau. En tant que mere elle ne
voulait pas que ses enfants s 'engagent dans cette tradition de fratricide. Et
l'histoire prouvera plus tard qu'elle avait raison dele craindre, Ainsi nous voyons
a quel point Mumtaz Mahal etait politiquement sensible. Une autre instance le
prouve de nouveau. Elle a fait promettre a Shah J ahan de ne pas se remarier car
des enfants « d'un autre lit» pourraient rendre la succession encore plus
problematique.3 Elle avait peur que les fils des meres differentes se battent pour
acceder au trone.
Mumtaz Mahal avait aussi une grande presence d 'esprit. La famille avait
ete une fois emprisonnee par Adil Shah - il fallait en sortir. La fa9on dont elle a
sauve Ia vie de Shah Jahan est une histoire fascinante. Le petit Dwar Bakhsh et ses
partisans ont prevenu le roi de Bijapur de ne pas permettre a Shah Jahan de quitter
les terri to ires du Deccan. Retenu de force, Shah J ahan devait stimuler Ia mort en
1 ERAL Y Abraham, Op. Cit., p. 304 2 Jahanara, p. 91. 3 Ibid., p. 95.
153
buvant le sang de la chevre et en le vomissant devant les soldats du roi de Bijapur.
Puis, comme le decrit Peter Mundy, elle (Mumtaz Mahal) a exprime son desir
d'emporter le corps de Shah Jahan dans son pays pour l'enterrement aupres du roi
et ce dernier lui a accorde la permission. Et ainsi, elle a fait transporter Shah Jahan
du Deccan. Quand la troupe imperiale s'est approchee d'Agra, comme Tavernier
le complete, Shah Jahan s'est leve et s'est mis debout devant les yeux de toute
I' armee. 1 Pour J ahanara, cet incident montre dans quelle me sure Mumtaz etait
prudente.2 Non seulement elle etait prudente, aussi elle etait une femme sensible,
la femme ideale pour Jahanara. Elle le decrit comme suit:
Arjumand egorgea de ses propres mains la chevre qui nous procurait chaque jour notre maigre ration de lait, et emplit de sang vermeil une jarre. Elle en fit boire le contenu a man pere, l'exhortant a supporter l'ecreurementjusqu'a l'arrivee du medecin. Lorsque celui-ci apparut sur le seuil, Shah Jahan.laissa libre cours ala nausee qui le suffoquait et vomit tout le sang de chevre qu'il avait absorbe comme si c'etait le sien propre, tandis que rna mere se jetait aux pieds du visiteur meduse, en le conjurant d'avoir pitie d'une princesse sur laquelle etaient en train de s'abattre les ailes terrifiantes du veuvage. Au milieu des cris et des lamentations, elle demanda a ses esclaves de lui fabriquer en toute hate un cercueil de fortune avec un coffre de bois. So us 1 'reil emu du medecin, on y deposa Shah Jahan, immobile, tout barbouille de sang. Convaincu a present que son prisonnier avait succombe aux fievres, Iklas Khan accorda a rna mere la permission de quitter Bijapour avec sa suite pour aller enterrer son epoux dans la terre de ses ancetres. 3
Aussi, Mumtaz Mahal partageait un rapport excellent avec J ahanara. Elle
lui a confie la responsabilite de la famille, de !'empire - « Jahanara, rna vie se
retire de moi ( ... ) Sauve notre famille et }'empire ... ».4 Ce qui est important ici,
c'est qu'elle confie la responsabilite ala fille. Elle pourrait le faire a Dara, son fils
1 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 86. 2 Ibid, p. 65. 3 Jahanara, p. 64-65. 4 Ibid, p. 92.
154
aine. Mais elle a bien reconnu la sagesse chez Jahanara. Cec1 moritre ausst la
solidarite entre la mere et la fille.
lei, la definition de la shakti chez Jahanara parait assez problematique. Si '
elle considere Mumtaz Mahal comme la shakti, nous aurons une definition qui ne
reflete que le stereotype connu de la femme indienne. Ceci dit, chez Guillaume, la
stri shakti sera une femme pativrata soumise a la volonte de son mari dont le
devoir sera de suivre son mari, de donner naissance au;{ enfants, meme si cela lui
coute sa propre vie et de le soutenir lorsqu'il en a besoin. Elle doit avoir un
pouvoir infini pour faire des compromis et des sacrifices. Ellene doit pas exercer
sa puissance ouvertement. C'est pour ces raisons que Jahanara prefere Mumtaz
Mahal et deteste Nour Jahan. Il semble que le vrai pouvoir est un pouvoir cache
comme daiiS le cas de Mumtaz Mahal, et qu'il faut condamner le pouvoir ouvert
que Nour Jahan avait manifeste. En faisant cela, l'auteur, ne tombe-t-elle dans le
pi~ge des clichees? N' est, elle pas res tee un peu trap en arriere par rapport au
20eme siecle ou on parle deja dele liberation des femmes?
155
c. Jahanara: La shakti Iegendaire
Guillaume compare Jahanara ala deesse Menakshi. Ceci met en lumiere le
fait que la deesse hindoue symbolise le canon de la beaute chez Lyane Guillaume.
La raison en est probablement du au manque d'images appropriees dans les autres
religions. L'image feminine dans le christianisme est celle de la Vierge Marie,
mais 1 'auteur lui trouve de «grands yeux tristes » et dans le mahometisme, il
n 'existe pas de representation imagee de la deesse, car « rep res enter Dieu, c 'est
1 'offenser » 1• Done, pour 1 'auteur, une beaute extraordinaire comme celle de
Jahanara peut trouver un equivalent uniquement chez les deesses de l'hindouisme
« si vivantes et si voluptueuses ». Et comme dans le chapitre precedente nous
avons deja vu que les deesses hindoues incament l'image de la shakti, la
comparmson avec la deesse Menakshi ajoute aussi la puissance a la beaute de
Jahanara:
Elle est plus belle que la deesse Menakshi, plus sage que Lakshmi, plus aimable et plus rieuse que toutes les gopis reunies. - A chaque parole qu'elle prononce, ce ne sont que perles et roses parfumees qui semblent fleurir de sa langue ... 2
11 nous importe de mentionner ici que Guillaume a decrit la beaute de
Jahanara a travers les bouches des servantes, car, comme !'auteur de cette
autobiographie, elle ne peut pas louer sa beaute. Pourtant, d'apres Guillaume elle
savait qu'elle etait la plus belle du harem de Shah Jahan: « Mon humble personne
1 Jahanara, p. 45. 2 Ibid., p. 105.
156
a ete la plus belle »1' et elle en etait tres fl~~·e: Done, ii est sur qu'elle etait d'une
beaute extraordinaire. Meme Fran9ois Bernier ecrit : « Pour ce qui est des filles,
Begum Saheb etait tres belle »2•
Mis a part la beaute, !a Jahanara de Guillaume represente la tolerance
religieuse personnifiee. Guillaume en cite un exemple. Une fois Shah Jahan a
massacre des hindous et a detroit 66 temples a Benares. J ahanara a reagit contre
cette violence de son pere - elle n'a pas pu supporter cette violence, cette
intolerance religieuse. Elle a souleve sa voix contre son pere :
Malgre tout le respect et !'admiration que je vouais a mon pere bien-aime, je ne pus m'empecher de reagir et, pour la premiere fois de rna vie allongeai la langue de l'opposition.3
Non seulement elle a proteste, elle a aussi persuade son pere d'etre non
violent, d'etre tolerant:
Seconde par Dara, je parvins a persuader mon pere de renoncer a persecuter les non-mahcmetans et a pratiquer la tolerance si chere a mon glorieux arriere-grand-pere Akbar. 4
Les historiehs comme Eraly ou Hansen ou Mukhia ne font pas allusion a cet incident. II est done possible que ce soit encore une invention de Guillaume
pour mettre en lumiere la largeur d'esprit de Jahanara dans les matieres religieuses
et pour demontrer qu' elle possedait en meme temps une excellente capacite a amadouer les gens meme tetus.
I Ibid., p. 294. 2 BERNIER Franyois, Voyage dans les etats du Grand Mogol, Fayard, Paris. 1981, p. 35. 3 Jahanara, p. 110. . 4 Ibid., p. 1 I 0.
157
i) Un eguilibre parfait :
Les historiens disent qu'a Cepoque mogole, il existait tres peu de femmes
cultivees et la plupart des femmes dans le serail passaient leurs temps a s'admirer
dans le petit miroir de la hague que chaque femme portait sur son pouce droit. 1
Eraly ajoute que peu de begums passait leurs temps dans les activites politiques,
religieuses, commerciales ou philanthropiques. Seulement quelques unes avaient
sublime leurs frustrations dans les recherches culturelles et Jahanara et Zebunnisa
en etaient deux exemples briliants. Le nom de Jahanara figure le premier non
seulement dans la liste des historiens, Lyane Guillaume aussi la laue enormement.
Guillaume presente J ahanara en tant qu' ecrivain des notes et des patronnes
genereuses de la culture.
Guillaume a amplement valorise !'instruction de Jahanara. Sa description
de Jahanara reflete le fait qu'elle adorait les livres, en effet sa profonde
connatssance de divers sujets demontre qu'elle avait fait de vastes lectures.
Comme Eraly le dit, les empereurs mogoles du 16eme et 17eme siecle etaient taus
erudits et valorisaient les livres et possedaient de grandes bibliotheques. Les
femmes royales comme Salima, J ahanara, Zebunnisa possedaient egalement leurs
propres bibliotheques.2 Bien que Guillaume ne fasse pas allusion ala bibliotheque
de J ahanara, son interet pour les livres est manifestement exprime. Elle a etudie la
langue et la litterature arabe, persane et turque, elle a meme decouvert la litterature
1 ERAL Y Abraham, Op. Cit., p. 652. 2 Ibid., p. 858.
158
sanscrite et puis des philosophes grecs comme Platon et Aristote. Pour elle, les
etudes symbolisaient son bonheur : « j, etudiais, je me divertissais et j, etais
heureuse » 1•
Guillaume note que Ia lecture de Jahanara n'etait pas limitee uniquement
aux textes Iitteraires. Elle s 'initiait a la lecture des textes sacres de I 'hindouisme et
les sufis lui donnaient un enseignement rigoureux de la religion.2 Elle s'interessait
beaucoup aux religions. Elle apprenait le Mahabharata et le Ramayana de
maharana Karan Singh. Sa mere, Mumtaz Mahal lui enseignait le mahometisme3
Et tout cela lui avait donne une ouverture Cl'esprit. Un exemple tire du roman de
Lyane Guillaume elaborera cet aspect du personnage de Jahanara. Apres la mort
de Mumtaz Mahal, dit !'auteur, Jahanara est devenue Ia shakti de Shah Jahan.
Quand Shah J ahan etait desespere a cause de Ia mort de Mumtaz Mahal, quand il
n'avait plus « qu'un desir: attendre en paix la mort»\ elle l'aidait a surmonter sa
douleur, lui donnait le courage de continuer sa vie :
Mon pere bien aime, abandonner cet empire, ce serait trahir un peu~!e qui vous aime et a besoin de vous. En cette circonstance, le Bouddha ne doit pas etre votre modele, mais Arjuna, le guerrier plein de scrupules de la Bhagavad Gita a qui Krishna conseille de rester fidele a son destin de guerrier. Restez fidele, je vous en conjure, au tr6ne que Dieu vous a donne ... 5
Deja, ce n'etaient pas des paroles d'une jeune fille de 17 ans, c'etaient Ies
mots d'une femme sage, mure. Ce qui est plus remarquable ici, c'est !'utilisation
des metaphores par J ahanara. Elle cite 1 'exemple d 'Arjuna et Krishna de
Mahabharata, de Bhagavad Gita. A une premiere analyse, deux aspects du
personnage de Jahanara se mettent en relief d'un cote son instruction et sa vaste
1 Jahanara, p. 84-85. 2 Ibid, p. 110. 3 Ibid, p. 45. 4 Ibid, p. 94. 5 Ibid, p. 94.
159
lecture, de l'autre son respect pour d'autres religions, ce qu(, nous allons voir dans
le cas du Raisin Sec. 11 est evident que cet exemple est la contribution de !'auteur.
Ce qui est plus interessant, c'est que l'auteur elle-meme n'a pas trouve d'autres
exemples que celui d 'Arjuna qui peut s' approprier I a situation. Au lieu de
Jahanara, ceci reflete le point de vue de Guillaume. Elle croit qu'un tel exemple
n'existe ni dans le christianisme, ni dans l'islam et c'est ce qu'elle exprime a travers I a bouche de J ahanara :
Les Christ dechames ou les Vierge Marie aux grandes yeux tristes peuvent-ils rivaliser avec les divinite~ de I 'hindouisme si vivantes, si voluptueuses? ( ... ) cette mythologie coloree de l'hindouisme (qui) contraste tant avec Ia sobriete desincamee du mahometanisme. 1
Sati-un-Nissa, la fille d'une famille persane respectueuse, assistait Jahanara
dans ses instructions. Sous sa tutelle litteraire, Jahanara a appris les suras sacres et
ecrivait le persan. Sati-un-Nissa a inspire les poesies et les biographies de pieux
Musulmans et elle l'a transformee en ecrivain.2 Et selon Hansen, parmi les
princesses, J ahanara, seule, est devenue ecrivain et patronne esthetique. 3 Meme
pendant ses annees d'emprisonnement, elle a acheve une biographie des saints de
Kashmir.4
Guillaume presente J ahanara comme une personne tres dynamique. Elle a
meme pris des leyons d' architecture des maitres venus de I a Perse. 5 Harbans
Mukhia dira egalement que J ahanara etait une personne extremement competente :
elle ecrivait de belles poesies, elle a fait construire de belles mosquees, des
auberges, des jardins, elle adorait le bon vin, grande entrepreneuse des arts et des
1 Jahanara, p. 45-46. 2 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 94. 3 Ibid, p. 133. 4 Ibid, p. 447. 5 Jahanara, p. 83.
160
artistes, elle s'interessait profondement au sufisme.1 Eraly insiste sur le fait qu'il
est absolument vrai qu'elle etait une femme belle, erudite, cultivee d'une
disposition bienveillante, inclinee vers le sufisme, et aussi qu'elle a ete
profondement respectee dans la. societe mogole.2
Selon Guillaume, Jahanara a ete respectee non seulement grace a sa
connaissance ou son dynamisme, on I 'honorait egalement pour I' equilibre
excellent qu'elle maintenait dans sa vie. L'auteur cherche a montrer qu'elle n'etait
pas dominante comme Nour Jahan, ni soumise comme Mumtaz Mahal- elle a pris
un chemin modere qui rend sa personnalite plus equilibree que celles de sa mere
ou de sa grand-mere. Meme Shah Jahan admettait qu'elle etait devenue aussi
brillante que Dara :
Ma timidite avait comph~tement disparu. Je parvenais a m'exprimer avec eloquence et fermete. Mon pere soutenait que jetais devenue aussi brillante que Dara. 3
Or, comme Guillaume le montre, !'existence de Jahanara ne se cachait pas
derriere le purdah comme Mumtaz Mahal, elle n'est pas devenue autocrate,
comme Nour Jahan, non plus. Tout en respectant les normes de Ia cour, elle faisait
sa part, selon l'auteur. Elle s'occupait des activites importantes, comme choisir le
gouverneur, distribuer !'argent, organiser, ordonner, assister aux seances du darbar
etc. De plus, elle etait libre de faire ce qu'elle voulait. Cette liberte lui donnait une
demeure independante. Elle visitait les chantiers de constructions, des ecoles. Elle
discutait avec les architectes, les jardiniers, bavardait avec les enfants. Elle
devenait tres populaire, on Ia traitait avec beaucoup de respect et de tendre
familiarite :
1 MUKHIA Harbans, The Mughals of!ndia, Blackwell, UK, 2004, p. 142.
2 ERALY Abraham, Op. Cit., p. 307. 3 Jahanara, p. 190.
161
Je voulais m'imposer par la modestie, la comprehension, !'amour de la paix. A !'oppose de Nour Jahan, il m'importait peu de ne pas offrir au peuple l'image d'une intrigante qui divise pour mieux dominer, exerce sa tyrannie sur les faibles, seme la discorde. Je n'oubliais pas les levons de rna mere qui exeryait son influence a l'ombre du parda, avec mesure et dignite. 1
L'image de Jahanara de Guillaume est done celle d'une femme tres bien
equilibree. Cependant, Guillaume affirme que Jahanara, comme Nour Jahan et
Mumtaz Mahal possedait beaucoup de pouvoirs. Des son enfance elle a fait « a
1 'ombre du pard a, 1 'apprentissage du pouvoir » 2 A pres Mumtaz Mahal, elle etait la
premiere dame du royaume. Elle participait directement aux travaux du royaume.
Elle detenait un grand pouvoir y compris le privilege de 1' acces au sceau royal :
Aucun secret d'Etat n'etait-il ignore de moi, aucune decision m<!}~ure ne se prenait-elle sans mon assentiment. C'etait moi qui choisissais les gouvemeurs des provinces, les recompensais ou les relevais de leurs fonctions. Le plus clair de mon temps se passait a gerer et administrer mes biens, ecouter des doleances, edicter des firmans, distribuer de l'argent, organiser, legiferer, ordonner. J'assistais, le plus souvent possible, aux seances du dar bar et, en outre, j 'avais rna place au conseil de la tour royale en petit comite.3
Eraly aussi soutient cd aspect. II dit que le seau royal, qui etait a la garde
de Mumtaz Mahal, a ete confie a Jahanara, et Inayat Khan a dit que tous les
devoirs appartenant a Sa defunte majeste, ont ete aussi confies par 1 'empereur a
Jahanara Begum.4. Sa presence dans la Cour mogole etait presque illimitee. Elle
reglait 1 'humour de son pere et exer9ait un pouvoir sur la plupart des affaires
importantes. Guillaume observe que Shah Jahan a accorde ala princesse un statut
egal a sa mere dont on disait qu'elle gouvernait le royaume. Elle ajoute que
I Ibid., p. 189-190. 2 Jahanara, p. 76. 3 Ibid., p. 189. 4ERAL Y Abraham, Op. Cit., p. 306.
162
Jahanara se considerait comme la r.:~diatrice de Dieu. Elle s'est consacree a
maintenir « Ia cohesion au sein de la famille » 1 et a rendre service au peuple.
Guillaume nous dira que Jahanara ·etait a Ia fois la confidente et Ia
conseillere des trois personnes les plus importantes de I'Hindoustan- Shah Jahan,
Dara et Aurangzeb. Eraly soutient cet aspect egalement. Il ecrit que, Jahanara, bien
qu'elle soit alliee avec Dara, etait la sreur favorite d'Aurangzeb et que ce dernier
aspirait a gagner son amour et son respect. Ill' a designee comme Ia premiere
dame du royaume, le statut dont elle jouissait pendant l'epoque de Shah Jahan,
etait plus eleve que celui de Padshah Begum, Princesse Royale, au lieu de Begum
Saheb, Noble Princesse, son titre jusqu'a ce moment-la.2 Elle etait tellement fiere
de son pouvoir qu'elle a declare «je regnais sur !'empire »3.
Mukhia cite un cas qui souligne la finesse d'esprit de Jahanara. Depuis
Babur, les femmes se sont accoutumees a la consommation des boissons
alcoolisees comme l'opium, le bhang (un type d'herbe alcoolise), noix de
muscade, et d'autres drogues; et les interdictions precedentes sur ceux-ci
n 'avaient aucun impact sur le peuple avant le regne d 'Aurangzeb. elle a observe
les ordres mesquins de son frere au nom de 1 'Islam orthodoxe : Ia censure des
morales publiques qui interdisait les boissons alcoolisees et le bhang, le jeu, le
illegal, les opinions heretiques, la blaspheme, et le pain plus long que la longueur
des quatre doigts. Les interdictions ont atteint une telle portee que les musiciens de
Ia cour, les astrologues, les poetes se sont mis hors la loi. Meme les femmes ne
pouvaient pas echapper aux edits moraux. En ~ffet, les femmes s 'en contentaient
en contournant !'interdiction sous pretexte qu'elle etait destinee uniquement aux
1 Jahanara, p. 189. 2 ERALY Abraham, Op. Cit., p. 380. 3 Jahanara, p. 189.
163
hommes. A une telle epoque Jahanara a decide que c'etait le moment de lever
I' etendard de I' emancipation.
Hansen a note que Ies methodes de revolte de Jahanara ont ravi Manucci 1,
sans aucune bataille, elle gagnait le combat. Quand Jahanara a entendu cette
affirmation renouve1ee de cette 1 'interdiction, elle a invite 1es femmes des quazis
chez elle el leur a servi assez d'alcool pour Ies rendre enivrees et inconscientes.
Par Ia suite, elle a invite Aurangzeb pour lui montrer Ia legitimite des demandes
des quazis et 1 'etat reel des affaires. Elle a egalement prononce une homelie pour
son frere de sorte qu'il s'assure que les eiudits de l'Islam mettent leurs propres
maisons en ordre avant d'avoir pour but de faire Ia meme chose avec les autres.
Au lieu d' exercer Ia Ioi sur les autres, ils doivent controler leurs propres maisons.
Ainsi, 1a tempete qui avait eclate contre les femmes, a ete apaisee.
Dans 1e roman, Lyane Guillaume sou1igne p1usieurs fois que Ia femme
ideale de Jahanara etait toujours sa mere- Ia douce Mumtaz Mahal. Elle ecrit que
pendant son adolescence, elle rassemblait beaucoup a sa mere et c'est ce qu'elle
desirait voir - I'image de sa mere en elle. Mais plus elle devenait puissante et
mure, pius ses traits physiques changeaient. Auparavant, son visage ressemblait a celui d'un « jeune homme », peu a peu son visage commence a refleter ses traits
psychiques. Sa vaste connaissance se voyait a travers ses joues creusees2, son
pouvoir se montrait a travers son front haut comme celui de Nour Jahan. Son
visage est devenu tellement majestueux - a la fois severe et fin, que les gens
commencent a 1a comparer a Nour Jahan:
1 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 449. 2 Jahanara, « mes joues se creusaient comme celles des lettres », p. 190.
164
Je ressemblais beaucoup moins que pendant mon adolescence i. rna mere, la douce Mumtaz Mahal. En revanche, on se mit peu a peu, a me comparer a Nour Jahan la majestueuse. 1
II est important de noter ici que c'est un des rares moments ou Jahanara a
peint Nour Jahan de favon positive. L'utilisation de l'adjectif « majestueuse »
montre qu'elle accentue cet aspect en tant que vertu. N'est-il pas presque evident
que son objectifn'est pas de glorifier Ia personnalite de Nour Jahan? Elle cherche
plut6t a se montrer magnifique. II nous importe de mentionner egalement que cette
comparaison entre Nour Jahan et Jahanara est faite par le public, car l'auteur y
utilise le pronom 'on'. II est done possible que c 'est Ia voix de I' auteur qui
intervient ici. C'est l'auteur qui Ia decrit de maniere si soigneuse que le lecteur a
!'impression qu'elle a obtenu toutes les qualites de ces deux femmes -Nour Jahan
et Mumtaz Mahal, sans leurs defauts. Grace a cet equilibre, Jaha~~ra est restee une
figure legendaire dans I 'histoire.
ii) U n scan dale ?
La question de l'inceste entre Shah Jahan et Jahanara est devenue un aspect '
important du personnage de Jahanara chez tousles historiens. Chob Singh Verma
commente que, 1 'attachement qu' elle avait pour son pere et Ia profusion de
!'affection que Shah Jahan avait vers sa fille, ont donne naissance ala suspicion
qu'ils partageaient une relation incestueuse. Guillaume note a ce propos que
Jahanara aimait son pere de telle favon que sa vie s'etait centree autour de son
I Ibid., p. 190.
165
pere : « Ma vie tournait done autour de mon pere comme les planetes autour de Ia
terre. » 1
D'ailleurs, Verma ajoute que Jahanara ressemblait a sa mere a tel point que
1 'empereur lui avait interdit de se marier ou de se meler avec les personnes de
I'exterieur. II etait telle possessif avec Jahanara si bien qu'il voulait qu'elle reste
toujours pres et autour de lui. C'etait Ia raison pour laquelle les gens communs,
quoique injustement, ont deduit qu'elle avait developpe des relations incestueuses
avec son pere :
L'attachement et la profusion d'affection qu'elle avait pour son pere et la passion que Shah Jahan avait pour sa fille, ant laisse soupc;onner que l'inceste pourrait etre lie a leur tendresse mutuelle?
Hansen considere que l'inceste entre Shah Jahan et Jahanara etait un
bavardage du royaume, car, il n'existe aucune source mogole officielle qui osait le
mentionner. Pourtant, presque tous les Europeens en Inde soutenaient Peter
Mundy qui en avait beaucoup parle et repetait cette histoire. L'inceste etait
mentionne a plusieurs reprises dans 1 'histoire de Tavernier, le bijoutier franc;ais,
dans les comptes-rendus des Hollandais, dans les lettres des Anglais qui evaluaient
la scene pour leurs superieurs de «East India Company». Puisque ce scandale
n' etait pas certifie, ils ecrivaient comme « quelqu'un dit », « tout le monde
croyait » ou « selon les reportages ».3
1 Jahanara, p. 132. 2 VERMA Chob Singh, p. I 00. "The attachment she always had for her father, and the profusion of affection, the adoring Shah Jahan had towards his daughter, caused a suspicion, that incest might be blended with their mutual affection." 3 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 116.
166
Beaucoup plus tard, quand le physicien Fran<;ois Bernier est arrive a
I 'Hindoustan, le vieux commerage a propos du pere et de sa fille circulait toujours
comme une histoire irreprochable :
Pour ce qui est des filles, Begum Saheb etait tres belle, avait beaucoup d'esprit, et son pere l'aimait passionnement. Le bruit courait meme qu'ill'aimaitjusques a un point qu'on a de la peine a s'imaginer, et qu'il disait pour excuse que, selon la decision de ses Mollahs, ou docteurs de la loi, il serait bien permis a un homme de manger le fruit d'un arbre qu'il aurait plante. 1
Le bruit courait mais est-ce que l'inceste etait reel? Aucune ambiguYte dans
l'histoire mogole n'etait discutee si passionnement a un moment donne, bien que
maintenant les arguments semblent quasiment antediluviens. Les chercheurs
victoriens et edwardiens, dotes d 'un aper<;u psychologique, ont fait des recherches
sur ce propos en fouillant les cotes emotionnels, en cherchant ceux qui avaient
d'abord ose soulever la question. II leur a semble que ce n'etait qu'un commerage
royal scanJaleux et ils ont dii que le nom de Jahanara parerait toujours les pages
de l'histoire comme un exemple brillant de l'attachement filial et du devouement
heroique auxdevoirs.
En 1930, le biographe indien de Shah Jahan a decide qu'uniquement une
imagination perverse pourrait envisager l'empereur s'engageant dans un tel acte.2
Cependant, Guillaume accepte sans aucune hesitation que cet inceste ait eu lieu
dans la vie de Jahanara: « Oui, Jahanara et Shah Jahan ont commis ensemble le
peche d'inceste. »3 Quand il existe deja tellement de doutes derriere la valeur de
verite de cet inceste, pourquoi Guillaume le fait prononcer par la bouche de
Jahanara elle-meme comme un fait accompli?
1 BERNIER Fran<;ois, Op. Cit., p. 35. 2 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 117. 3 Jahanara, p. 132.
167
Cependant, Hansen pose p!~sieuts questions : queUe etait la source de ce
commerage d'inceste? Qu'est-ce qui l'a inspire? Etait-il tout simplement un
commerage ou ce commerage avait quand meme une base quelconque ? Apres
avoir conduit une brave enquete, le critique anglais, Vincent Smith invoque que
meme si l'on ne peut pas prouver cette accusation contre Shah Jahan et sa fille de
fa9on conc!uante, I' on ne peut ni Ia refuter, ni !'accepter:
Meme si on ne pouvait pas prouver !'accusation contre Shah Jahan et sa fille, on n'a certainement pula refuter. 1
Par ses raisonnements adroits, Smith a meme reussi a determiner le moment
ou cette intimite discutee entre Shah Jahan et Mumtaz Mahal a eu lieu pour Ia
premiere fois : c 'etait dans le decan, immediatement a pres Ia mort de Mumtaz
Mahal.2Hansen trouve cette deduction humainement profonde, bien qu'elle soit
choquante. Etant donne l'anormalite de l'empire mogole ou les princesses
n'avaient pas le droit de se marier, l'amour nature! pour le pere ou les freres
pourrait devenir ouvertemenf expressif.3 Quelque soit la verite historique, chez
Guillaume, Jahanara demeure une personne remarquable, une princesse
majestueu:se ; elle surgira pius tard comme une femme spirituelle traversant des
moments dramatiques avec une dignite profonde.
1 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 118. "Accusation against Shah Jahan and his daughter, even if it be not conclusively proved, certainly is not disproved." 2 Ibid., p. 117. 3 Ibid., p. 119.
168
iii) U ne vocation de mere
Un dernier aspect du personnage de Jahanara, souligne par Guillaume est
son cote maternel. Les historiens decrivent dans quelle mesure Jahanara a pris soin
de ses freres et ses sreurs apres la mort de ~umtaz Mahal. Ils accentuent le role de
Jahanara comme la protectrice, Ia confidente, Ia nourrice, tandis que chez Lyane
Guillaume, a part ces aspects, les sentiments d 'une mere ont ete accentues.
Pourtant, la question se pose, d'ou viennent les qualites maternelles chez
Jahanara? Est-ce uniquement a cause de la mort de Mumtaz Mahal qu'elle est
devenue maternellement soigneuse ?
Pour en trouver la reponse, il est imperatif de mentionner que selon un
decret d 'Akbar, les filles du royaume etaient depourvues de mariage pour des
raisons politiques. Voila done, une femme dont la feminite restera toujours
incomplete. Guillaume nous montre que Jahanara revait de se marier. Quand Dara
allait se m::Jrier, Jahanara, elle meme avait prepare Nadera pour le mariage mais
elle etait melancolique : « J e songeai que, de mes prop res epousailles, il ne serait
jamais question. » 1• Dara a compris sa douleur et a promis d 'abolir le decret sur le
celibat des princesses quand il serait monte au trone.
1 Jahanara, p. Ill
169
Guillaume dit que Jahanara avait adopte Raisin Sec, une fille portuga.ise1• II
faut noter ici que les historiens ne font aucune allusion a Raisin Sec ou a une fille
quelconque que J ahanara avait adoptee.
J' ai la faiblesse de considerer cette reussite comme une victoire. Pour moi, a qui un decret imperial refusait le mariage et la maternite, se dessinait une vocation de mere, de protectrice. Je commen9ai vaguement a songer qu'Allah m'avait mise en place ouj'etais moins pour m'occuper de moi-meme que pour me rendre utile a autrui.Z
II est certain que Raisin Sec est la creation de Guillaume. La question en est
done, pourquoi !'auteur avait besoin de creer ce personnage? Veut-elle nous
montrer simplement sa puissance men tale qu' au lieu de lam enter sur son destin,
elle voulait se rendre utile pour les autres ? Le seul aspect qui manque dans le
personnage de J ahanara, c 'est la veritable matemite. Done, en lui faisant adopter
une fille, veut-elle (Guillaume) combler ce vide? A-t-elle cherche ainsi a lui
accorder le statut de femme complete? N'est-elle pas elle-meme la shakti qui
foumit la force constructrice chez l'autrui? Si l'objectif de Guillaume etait tout
simplement de la rendre « complete », pourquoi a-t-elle invente une fille
portugaise? Est-ce un effort de montrer son ouverture d'esprit? Etant musulmane,
Jahanara a ose adopter une fille chretienne. De plus, elle n'a pas essaye de la
rendre musulmane, certes, elle lui a appris l'islam mais elle lui a egalement appris
le christianisme d 'ell e. Ce n' est pas qu 'elle voulait rendre « 1 'autre » comme
« elle », mais cet evenement montre un grand respect celui qui n'est pas comme
« elle ». Ce respe~t pour l'autre, pour sa religion ne contribue-t-il pas ala creation
d 'une stri shakti trop parfaitement equilibree, meme un peu trop parfaite?
I Ibid., p. 10 I. 2 Ibid., p. ·10 1-102.
170
Non seulement pour Raisin Sec, elle a manifeste un grand sens de la
responsabilite et le meme soin matemel envers ses freres et ses sreurs. Avant sa
mort, Mumtaz Mahala confie la responsabilite de ses enfants a Jahanara. :
Jete confie notre famille. Veuille tes freres et tes sa:urs. Aime-les sans preference car toi seul pourrais eviter le pire1
•
Elle aimait Goharara plus que les autres pour deux raisons. Premierement,
elle n'avait jamais vu sa mere et Jahanara, comme Mumtaz Mahal le lui avait
demande, ne voulait pas qu' elle sente 1 'absence d 'une mere et ainsi essayait de
combler ce manque de la mere. Deuxiemement, comme nous l'avons deja vu dans
le cas de Raisin Sec, les taches matemelles lui (Jahanara) ont offert le plaisir d'etre
merP,. En elevant Goharara, elle ressentait le meme gout de matemite dont elle se
rejouissait en ayant adopte Raisin Sec.
La guerre de succession parmi les freres se refletait egalement dans le
harem imperial, oil Jahanara et Raushanara, sreurs et rivales complotaient l'une
contre l'autre. Jahanara soutenait Dara et Raushanara de s'allier avec Aurangzeb.
Eraly note que Raushanara n'avait aucune pretention, ni intellectuelle ni
artistique. 2 Elle n' etait pas tres belle, a note Manucci, mais elle etait tres maligne,
capable de dissimulation, brillante, joyeuse ; elle aimait les plaisanteries et les
divertissements beaucoup plus que sa sreur Begum Saheb (Jahanara). D'autre part,
Manucci a constate que Raushanara avait des propensions libidineuses et qu' elle
etait une complice peu plausible d 'Aurangzeb le severe et I' ascetique3. Dans son
roman, Guillaume se met d'accord avec les historiens et nous observons que
1 Jahanara, p. 92. 2 ERAL Y Abraham, Op. Cit., p. 338. 3 Manucci cite par Eraly, Ibid., p. 338.
171
J ahanara Ia decrit comme une « pnncesse !aide» 1• Memes les servantes ne
I'aimaient pas,« des crapauds et des serpents lui giclaient de Ia bouche »2.
Aussi, en ce qui concerne les freres, elle n 'a pas pu les mmer sans
preferenct.. Elle preferait plus Dara comme le decrit Lyane Guillaume au long de
son roman. Chaque fois qu'elle mentionne le nom de Dara, elle disait « mon frere
bien aime »3. Elle louait tout le temps les qualites chez Dara. Abraham Eraly
constate egalement que Jahanara et Dara partageaient un lien special. II dit qu'elle
avait constate qu'ils etaient, en effet, une arne dans deux corps, un esprit dans
deux formes physiques4. Par contre, lorsqu' elle parlait d' Aurangzeb, elle lui
donnait !'etiquette de« serpent blanc »5.
Cependant, selon Eraly, Jahanara etait Ia sreur aimee de tout le monde ;
meme Aurangzeb l'aimait beaucoup en depit de ses inclinations pour Dara et cela
ne serait pas possible si elle etait partielle. Chez Guillaume, bien que Jahanara
deteste les comportements et les defauts d' Aurangzeb, cela n'a jamais reduit son
amour po-u;: son frere Aurangzeb. Comme Hansen le mentionne, Jahanara avait
arrange une ceremonie extraordinaire chez elle pour feter le mariage de Jani, Ia
fille de Dara avec Azam, le fils d' Aurangzeb6 ce qui prouve Ia grandeur et
I' impartialite de J ahanara.
Dans le roman de Lyane Guillaume, les relations de Jahanara avec ses
freres et ses sreurs mettent en lumiere un autre trait du personnage de J ahanara -
elle etait le 'bien' personnifie. Elle a toujours soutenu le 'bien', ce qui est 'juste'.
1 Jahanara, p. 107. 2 Ibid, p. 104. 3 Ibid, p. 170. 4 ERAL Y Abraham, Op. Cit., p. 338. 5 Jahanara, p. 170. 6 HANSEN Waldmar, Op. Cit., p. 449.
172
Neanmoins, Jahanara avaii pardonne Aurangzeb malg1·~ toutes ses fautes. Elle a
meme convaincu Shah Jahan egalement de le pardonner malgre tous ses crimes.
Hansen ecrit qu'elle a demande a Shah Jahan de pardonner Aurangzeb.
Hansen note que Parmi tous les personnages de la tragedie mogole , seule
Jahanara surgit avec une dignite invulnerable- plus qu'une Cordelia ou Antigone,
elle est devenue presque une Mumtaz Mahal 1• Chez Guillaume, elle represente en
plus une Image maternelle qui aime et pardonne tout. Comme Priam benissait
Achille pour faire perir Hector et etendait le bras pour toucher le visage du
meurtrier son propre fils, Jahanara a offert'un pardon inconditionnel a Aurangzeb
qui a tue son frere bien aime Dara et qui a fait vivre Shah Jahan dans l'ignominie2.
Seule une mere peut pardonner to us les defauts de son enfant et ici, J ahanara par
son acte de pardon, a atteint lt; 11iveau d 'un pe1sonnage legendaire.
En Jahanara, Guillaume ne cree pas une femme dans un moule inhabituel.
Sa creation de lafemme ideale est tres 'feminine' mais en meme temps impregnee
de plusieurs traits caracteristiques masculins admires par la societe. Aujourd'hui le
feminisme a progresse a tel point qu'on revendique )e fait que les femmes
appartiennent aussi ala societe. Jahanara de Guillaume est un portrait delicatement
equilibre d'une belle femme avec un grand charme feminin, qui possede
1 Ibid., p. 445. 2 Ibid., p. 445.
173
egalement nombreux talents et une grande capacite intellectuelle qui lui avaient
donne la possibilite de surmonter 1 'oppression patriarcale et de reus sir dans le
monde masculin de 1 'In de du 17eme siecle. Une telle creation utopique ne do it pas
etre consideree comme une representation fidele de la Jahanara historique, mais
comme la comprehension de !'utilisation de Jahanara par Lyane Guillaume.
A travers J ahanara, Guillaume a cree un personnage feminin qm est
puissant, motive, et qui, au fond est un etre raisonnable. Guillaume en impregnant
Jahanara d'une abondance de traits feminins positifs, ne cherche-t-elle pas a creer
une image feministe acceptable pour son lectorat franyais ? Quand ces qualites
admirables sont combinees avec la feminite de Jahanara, cela n'est-il pas destine a mettre en valeur la propre vision de Lyane Guillaume d'une stri shakti
utopique parfaitement equilibree? Guillaume, ne cree-t-elle pas finalement une
voix pour J ahanara ? Spivak revendique que la femme subalterne, me me
aujourd'hui ne peut pas parler. Si c'est le cas, est-ce que les autres femmes ont le
droit moral de parler pour les autres, meme a leur propre fin? Est-ce que la
creation d'une « voix pour» une «autre» femme peut constituer un acte politique
positif?
174
Conclusion
Dans ce chapitre nous avons examine le role des femmes royales dans la
cour mogole suivant la perspective de l'auteur. Pour demontrer la puissance
feminine, Lyane Guillaume peint l'image de toute une epoque ou l'empire mogole
temoigne du pouvoir de trois femmes a trois generations differentes: le personnage
de Nour Jahan est marque par son gout du pouvoir, son ambition, sa forte
personnalite et son endurance dans la 'cour. Contrairement a Nour Jahan,
1 'existence de Mumtaz Mahal demeure toujours cachee derriere le voile.
Cependant, elle est la pativrata par excellence, la shakti de Shah Jahan.
Finalemer..~, Jahanara est presentee comme la puissance la plus parfaite et la plus
equilibree. Son pouvoir n'est ni outre comme celui de Nour Jahan, ni cache
comme celui de Mumtaz Mahal. Grace a son equilibre, elle devient la shakti ideale
de l'auteur, la figure legendaire de !'empire mogole.
Dans le roman, Jahanara, Guillaume privilegie la femme - ses trois
personnages feminins entrent dans le domaine masculin et font les travaux
masculins. Elles deviennent les symboles du pouvoir et de l'autorite. Elles ont
exerce leur pouvoir sur 1 'homme, y compris 1 'empereur lui-meme. La seule
difference est que Nour Jahan et Jahanara manifestent leur pouvoir explicitement,
tandis que celui de Mumtaz Mahal reste cache derriere le purdah. Comme Phoolan
Devi, Nour Jahan ou Jahanara ou Mumtaz Mahal n'appartient pas a Ia peripherie
de la societe. Contrairement a Phoolan, elles ne font aucun effort pour entrer dans
le monde masculin. C'est l'homme qui met le royaume entre leurs mains. La
question se pose ici, si les femmes obtiennent le pouvoir si facilement, en quoi
sont- elles puissantes ? La reponse se trouve dans le texte de Guillaume : elle
demontre que la shakti d'une femme ne reside pas uniquement dans !'obtention du
175
pouvoir, Ia veritable shakti de Ia femme reside dans Ia detention, le maniement de
ce pouvoir. Bien que le pouvoir de ces trois femmes provienne de l'homme, elles
sont puissantes dans le monde masculin, car, elles savent manipuler le pouvoir.
Il est done manifeste que Lyane Guillaume idealise la femme. Lors qu'il
s 'agit de Ia puissance feminine, quel cote de Ia femme valorise-t-elle, sa capacite a
controler ou sa potentialite? Chez Guillaume, nous remarquons un va et vient entre
agency et potentialite de Ia femme. A travers Nour Jahan, !'auteur contredit le cote
agency chez Ia femme. Guillaume ctiJ:j.que Ia Nour Jahan autocrate et dominatrice
avec son pouvoir outre. Ainsi, elle (Guillaume) agit au detriment de Ia propension
autoritaire de la femme. Au contraire, elle survalorise !'attitude soumise chez
Mumtaz Mahal. A travers la personnalite de Mumtaz Mahal, nous trouvons une
J;i·emiere definition de stri shakti que tient !'auteur.
Guillaume projette Mumtaz Mahal en tant que sa femme ideale et sa stri
shakti devient une force «pure et douce» mais « ferme et tenace ». Cette shakti
n'est pas manifeste, pourtant, son influence reste incontestable. lei, Ia stri shakti se
redefinit par son existence voilee. Cette stri shakti signifie egalement la capacite a
tolerer des difficultes chez Mumtaz Mahal. Ceci renforce Ia notion de Ia
potentialite par excellence. Cependant, le personnage de Jahanara remet en
question cette definition de stri shakti propre a Guillaume.
L' aspect dominateur de Ia femme que I' auteur ignore au debut du roman,
prend beaucoup d'importance vers Ia fin. Elle accentue toujours la stri shakti en
tant que potentialite, en meme temps, elle commence a souligner 1' aspect
autoritaire de 1a femme. Le changement de 1a position de !'auteur vis-a-vis de 1a
stri shakti se voit a travers ses comparaisons oil Jahanara se ressemble p1utot a
Nour Jahan qu'a Mumtaz Mahal. Ainsi, l'auteur se penche sur 1'aspect d'agency
de Ia stri shakti. Ce glissement entre 1a potentia1ite et 1 'agnecy ajoute une nouvelle
176
· portee ala definition de stri shakti de Lyane Guillaume: elle (la stri shakti) n'est .
ni completement agency, ni entierement potentialite; il s'agit d'une coexistence
equilibree entre les deux. Notons que Guillaume ne fait pas d'allusion a
!'instruction et aux lectures de Nour Jahan et Mumtaz Mahal. Cependant, elle
valorise !'education de Jahanara. Done, veut-elle montrer que l'equilibre de
Jahanara provient de son education?
Pour Lyane Guillaume, la stri shakti se definit egalement par rapport au
monde masculin, en faisant les taches masculines, en detenant le pouvoir que
I 'homme lui accord e. Done, Ia stri 'shakti chez Lyane Guillaume est
inseparablement liee au pouvoir male. La stri shakti ne peut pas exister depourvue
du pouvoir masculin, aussi, le pouvoir masculin a besoin de stri shakti pour se
completer. Done, la stri shakti, n'existe-t-elle pas en dehors du monde masculin?
Ce debat cede place au dualisme entre le monde masculin et le monde feminin,
prakriti et purusha. On ne peut pas separer Prakriti, la puissance feminine de
Purusha, la puissance masculine : l'un perd sa valeur sans l'autre, mais ensemble,
ils symbolisent le pouvoir supreme.
Done, la stri, dependra-t-elle toujours de 1 'homme pour obtenir sa shakti ?
N'arrivera-t-elle jamais a transcender ce dualisme de masculin/feminin, prakriti I
purusha ? La reponse de cette dualite se trouve dans une nouvelle de Marguerite
Y ourcenar, « Kati decapitee », ou Kali, la deesse hindoue depasse la barriere de
toutes sortes de dualismes, et ajoute une nouvelle dimension a la stri shakti au
niveau individuel. Ceci fait le topo de notre prochain chapitre. Dans ce chapitre
nous allons remarquer dans quelle mesure la stri va au-dela du monde masculin/
feminin et acquiert une shakti d'ordre superieur qui n'a aucun rapport ni avec
1 'agency, ni avec la potentialite.
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