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Chapitre I. TEXTES DE CADRAGE GÉNÉRAL Mobilité résidentielle et mobilité sociale dans l’agglomération algéroise : quelques pistes de réflexion MADANI SAFAR ZITOUN Professeur, Département de Sociologie, Université d’Alger [email protected] INTRODUCTION Cette contribution n’a pas pour finalité de développer une analyse détaillée et approfondie de la question de la relation entre mobilité résidentielle et mobilité sociale dans le contexte algérois, non pas du fait de sa complexité, dans la mesure où elle renvoie à des niveaux de conceptualisation et de problématisation assez ardus du point de vue de la théorie sociologique, mais du fait de l’absence d’un certain nombre de données sociologiques à l’échelle de l’agglomération qui rendent difficile un tel exercice. Si l’indisponibilité d’informations sur les « Catégories socio-professionnelles » à l’échelle de l’agglomération constitue la première entrave de taille au travail d’analyse de la distribution des CSP dans l’espace à des périodes différentes, la spécificité même des modes d’accès au foncier et aux biens résidentiels dans le contexte algérien constitue en elle-même une limitation méthodologique de taille. En effet, le système urbain algérois semble fonctionner selon des particularités sociologiques qui rendent difficile, sinon impossible, la prise en compte de la thèse classique développée dans des contextes sociaux différents faisant de la détention de ressources économiques — qui sont elles-mêmes liées à des statuts sociaux bien « fixés » — la clé de la mobilité résidentielle dans un marché de biens résidentiels régi par les lois de l’offre et de la demande. L’histoire même du peuplement de la ville depuis la « révolution urbaine » de l’Indépendance, qui a contribué à produire des strates de catégories de résidents en situation de forte dissonance entre leur statut social et les biens qu’ils ont acquis par des voies non-marchandes, couplée à la mise en branle de dispositifs de distribution non-marchande des biens résidentiels depuis lors, compliquent de manière considérable ce modèle de causalité mécanique. Il est évident de ce point de vue qu’à partir du moment où l’accès aux biens fonciers et immobiliers ne procède presque pas du tout de la détention de ressources économiques mais d’autres « espèces de ressources » comme le disait Bourdieu — en l’occurrence l’enchâssement des individus dans des réseaux et filières clientélistes ou leur appartenance à des groupes détenant de fortes capacités de mobilisation communautaire —, la CSP devient inopérante en terme de critère discriminant. Dans ces conditions particulières où la mobilité résidentielle contribue souvent, et de manière très puissante, à modifier le statut, donc l’identification statistique des individus dans des catégories préexistantes, et à permettre de déterminer s’il y a mobilité sociale ascendante, tout travail de comparaison intercensitaire s’avère dénué de toute pertinence scientifique.

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Chapitre I.

TEXTES DE CADRAGE GÉNÉRAL

Mobilité résidentielle et mobilité socialedans l’agglomération algéroise :

quelques pistes de réflexion

MADANI SAFAR ZITOUNProfesseur, Département de Sociologie, Université d’Alger

[email protected]

INTRODUCTION

Cette contribution n’a pas pour finalité de développer une analyse détaillée et approfondiede la question de la relation entre mobilité résidentielle et mobilité sociale dans le contextealgérois, non pas du fait de sa complexité, dans la mesure où elle renvoie à des niveaux deconceptualisation et de problématisation assez ardus du point de vue de la théoriesociologique, mais du fait de l’absence d’un certain nombre de données sociologiques àl’échelle de l’agglomération qui rendent difficile un tel exercice.

Si l’indisponibilité d’informations sur les « Catégories socio-professionnelles » à l’échellede l’agglomération constitue la première entrave de taille au travail d’analyse de ladistribution des CSP dans l’espace à des périodes différentes, la spécificité même des modesd’accès au foncier et aux biens résidentiels dans le contexte algérien constitue en elle-mêmeune limitation méthodologique de taille. En effet, le système urbain algérois semblefonctionner selon des particularités sociologiques qui rendent difficile, sinon impossible, laprise en compte de la thèse classique développée dans des contextes sociaux différents faisantde la détention de ressources économiques — qui sont elles-mêmes liées à des statuts sociauxbien « fixés » — la clé de la mobilité résidentielle dans un marché de biens résidentiels régipar les lois de l’offre et de la demande. L’histoire même du peuplement de la ville depuis la« révolution urbaine » de l’Indépendance, qui a contribué à produire des strates de catégoriesde résidents en situation de forte dissonance entre leur statut social et les biens qu’ils ontacquis par des voies non-marchandes, couplée à la mise en branle de dispositifs dedistribution non-marchande des biens résidentiels depuis lors, compliquent de manièreconsidérable ce modèle de causalité mécanique.

Il est évident de ce point de vue qu’à partir du moment où l’accès aux biens fonciers etimmobiliers ne procède presque pas du tout de la détention de ressources économiques maisd’autres « espèces de ressources » comme le disait Bourdieu — en l’occurrencel’enchâssement des individus dans des réseaux et filières clientélistes ou leur appartenance àdes groupes détenant de fortes capacités de mobilisation communautaire —, la CSP devientinopérante en terme de critère discriminant. Dans ces conditions particulières où la mobilitérésidentielle contribue souvent, et de manière très puissante, à modifier le statut, doncl’identification statistique des individus dans des catégories préexistantes, et à permettre dedéterminer s’il y a mobilité sociale ascendante, tout travail de comparaison intercensitaires’avère dénué de toute pertinence scientifique.

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Cette causalité « inversée », qui fonctionne de manière puissante dans les quartiersd’habitat individuel, de quelque type qu’ils soient et qui constituent le nouveau frontd’urbanisation dans la périphérie algéroise (lotissements « réguliers », « clandestins »,« illicites », etc.), difficile à évaluer et à cerner statistiquement sinon par des études fines àl’échelle micro, a cependant pour pendant une causalité plus familière à la traditionsociologique : celle que l’on retrouve dans les quartiers d’urbanisme planifié d’originepublique dans lesquels l’accès est déterminé par des critères de sélection administrative.

Les programmes de logements conçus, réalisés, distribués et gérés par l’État à travers unemultitude d’intervenants et d’acteurs institutionnels, présentent la particularité de cibler descouches sociales diverses en fonction des formules de financement et en fonction de critèreset de dispositifs administratifs « gelant » en quelque sorte ces mouvements de changement destatuts. Ils permettent à cet égard d’avoir une image concrète de la manière selon laquelle cesdifférentes catégories sociales sont réparties au gré de la localisation des programmes dans lesdivers sites et quartiers de la capitale, contribuant à produire des effets de concentration depopulations homogènes dans des portions d’espaces urbains nettement identifiables du pointde vue de leur typologie, créant de ce fait des territoires urbains possédant de fortescaractéristiques sociologiques en forte dissonance par rapport à leur environnement.

L’objet de cette communication consiste à identifier la manière selon laquelle cesnouveaux ensembles d’habitat — les grands ensembles d’habitat social —, comme lanouvelle formule de logements en location-vente (ou formule AADL) contribuent à produiredes dynamiques nouvelles de mobilité de certaines couches sociales vers la périphérie etinscrire dans le paysage social algérois des « enclaves » sociologiques particulières. Avantcela, quelques rappels des grandes tendances d’urbanisation, de croissance démographique etdes grands mouvements de déplacement des populations algéroises sont nécessaires.

I. LA CROISSANCE DE L’AGGLOMÉRATION ALGÉROISE :QUELQUES TENDANCES RÉCENTES

1. Étalement urbain et densification de l’occupation résidentielle

Les deux photos aériennes prises en 1987 et 2000 montrent le processus d’étalement del’agglomération algéroise dans trois directions privilégiées :

— un premier axe Centre-Est se déployant selon la ligne Hussein Dey-El Harrach-BabEzzouar-Dar El Beïda,

— un deuxième autre axe Centre-Ouest se déployant selon la ligne El Biar-BenAknoun-Chéraga-Staouéli,

— un troisième axe Centre-Sud se déployant selon la ligne El Harrach-Gué deConstantine-Baraki-Les Eucalyptus.

Les deux images satellites montrent également l’effet d’agglomération et d’intégration despetites bourgades et villages périphériques de la banlieue rurale sud comme El Achour, Drariaet Baba Hassen constituant la deuxième ceinture d’urbanisation. D’un point de vuegéographique, si les trois axes d’urbanisation semblent avoir été facilités par l’existenced’axes routiers importants (rocade sud et routes nationales), ce ne semble pas avoir été le casdu phénomène de densification et de croissance des petites agglomérations secondaires duSahel algérois comme El Achour, Draria et Baba Hassen qui semblent obéir à une autrelogique : celle de la disponibilité de lotissements privés ou publics réservés à des clientèlesassez particulières.

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Photo satellite 1 : L’agglomération d’Alger en juin 1987.

Photos satellite 2 : L’agglomération d’Alger en février 2000.

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2. La déconcentration résidentielle algéroise

Ce phénomène de croissance du tissu urbain et d’étalement en périphérie traduit desmouvements de croissance démographique et de transferts des populations des quartierscentraux vers ces localisations périphériques tels qu’ils ont été enregistrés dans lerecensement de 1998.

La carte 1 montre bien à cet égard le report de la croissance démographique des communescentrales qui affichent des taux de croissance négatifs (Alger-Centre, El Madania, etc.) oufaibles par rapport au taux de croissance intercensitaire moyen, vers certaines communespériphériques, avec une prédilection pour sept d’entre elles (Bab Ezzouar et Dar El Beïda àl’est, Birmandreis, Bir Mourad Raïs, Draria et Baba Hassen au sud et Béni Messous etZéralda à l’ouest).

Carte 1. Taux de croissance urbaine entre 1987 et 1998.

Si l’on examine les modalités d’installation résidentielle, selon le type d’habitat et selon lecaractère régulier ou non (taux d’illicité), on constate également que la période 1987-1998 aété une période faste de développement de l’habitat illicite, dont nous retrouvonsparadoxalement les taux les plus élevés dans deux types d’espaces agraires différents : lesmicro-propriétés privées s’égrenant dans la zone collinaire du Sahel algérois d’une part, et lesterres du domaine public privé de l’État situées dans les zones de plaine Sud et Est de lawilaya d’Alger.

Si les faits d’urbanisation dans la première zone procèdent de phénomènes de reconversiondes terres agricoles en terrains à bâtir continuant les pratiques de vente sous seing privéobservées auparavant, celles procédant de la cession illicite de terres appartenant à l’Étatrelèvent quant à elles de l’épisode des Délégations exécutives communales qui ont remplacéles APC élues de 1992 à 1997, distribuant à des clientèles locales ou extra-algéroises des« attestations de bénéfices de lots à construire » de manière irrégulière.

Ce qu’il faut souligner en terme de peuplement de ces quartiers, c’est l’extrême diversitéqui les caractérise. Entre les lotissements de type administré, qu’ils fussent licites ou illicites,qui regroupent des réseaux de clientèles ou des groupes catégoriels (fonctionnaires, militaires,etc.) et les quartiers spontanés de faible valeur urbaine regroupant des lignées familiales

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complètes ou des ressortissants originaires du même douar, les situations sont très contrastées.Les communautés résidentielles ainsi formées se structurent généralement autour de critèresd’appartenance qui préexistent à la formation même des quartiers, et conservent ainsi leuridentité fondatrice même quand les règles de la spéculation contribuent à renouveler unepartie d’entre eux.

Carte 2. Typologies d’habitat et taux d’illicité par communes.

Le processus de libéralisation du marché foncier et immobilier qui s’est mis en place après1990, conjugué au phénomène de mise en crise de l’autorité administrative de l’État sur lefoncier à partir de 1992, aggravant les pratiques de distribution informelles, ont contribuéainsi à inscrire dans le paysage social algérois une véritable mosaïque de territoires urbainsaccolés les uns aux autres, mais sans véritable principe organisateur à l’échelle macro-urbaine. Le mélange social reste la règle, même si on observe ces dernières années quelquesphénomènes de reclassement résidentiel générés par un phénomène de spéculationimmobilière effréné.

En tout état de cause, cette phase de l’histoire urbaine d’Alger a eu pour effet majeurd’accélérer les phénomènes de mobilité sociale par le jeu de la mobilité résidentielle.

II. LES PROCESSUS DE PEUPLEMENTDANS LES PROGRAMMES D’HABITAT PLANIFIÉS :« GENTRIFICATION » DE L’HABITAT COLLECTIF OU GHETTOS URBAINS ?

À côté de ces processus largement « spontanés », dans la mesure où ils ne sont régis paraucune logique planificatrice, mais par des logiques entrecroisées mêlant à la fois les critèresde présence des auto-constructeurs dans les bonnes filières et réseaux d’accès fonctionnantdans la sphère de l’administration et les règles de la spéculation marchande, se superposentdes logiques plus formelles, plus facilement identifiables de distribution des populations pardes filières administratives.

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Il s’agit des deux filières de distribution en vigueur dans deux types de programmes : laformule du « Logement social locatif » destinée aux populations démunies disposant derevenus familiaux faibles (le niveau du SNMG ou salaire minimum garanti, équivalent à12 000 DA, soit 120 €) et du programme public de « Location-Vente » (dit programmeAADL) réservé aux catégories moyennes disposant de revenus égaux ou supérieurs à quatrefois le SNMG1, sur lesquelles nous disposons de données sociologiques consistantes.

1. La mobilité résidentielle planifiée par l’État : la déportation en périphérie

Sans aller trop dans le détail des modalités de distribution des logements de type socialdans le pays qui a vu ses règles juridiques s’affiner et se préciser au fur et à mesure de la miseen œuvre de la panoplie de formules ciblant des catégories particulières à partir de 1998, il y alieu de souligner l’infléchissement observé ces dernières années dans la stratégie delocalisation des grands ensembles d’habitat collectif social. Depuis 2000, on remarque uneffort de localisation de ces programmes dans les communes de la banlieue Ouest d’Alger,jadis réservée uniquement à l’implantation de lotissements d’habitat individuel. Cettenouvelle dynamique ne semble toutefois pas procéder d’une quelconque stratégie derecherche de la « mixité sociale », mais de considérations beaucoup plus triviales liées à ladisponibilité d’assiettes foncières. Il est vrai qu’au détour de quelques déclarations deresponsables du secteur se profile l’idée de la lutte contre l’excessive concentration del’habitat collectif dans les communes de l’Est de l’agglomération, mais sans plus.

Le résultat le plus spectaculaire de cette nouvelle réorientation spatiale se lit à travers deuxexemples de sites hébergeant ces deux programmes : celui de la « Cité des 617 logements »sociaux de Draria, implantée en 2003 et celui du programme AADL en cours de réalisation àtravers l’ensemble du territoire de la wilaya. Dans les deux cas de figure, on relève le mêmemouvement de déplacement des catégories bénéficiaires dans des localisations périphériquessouvent très éloignées du lieu de résidence antérieur.

Les cartes 3 et 4 illustrent ce phénomène. On y remarque les éléments suivants :

- Un large mouvement de déplacement des communes centrales vers la périphérie,intéressant les deux types de populations analysées — les catégories démuniescomme les couches moyennes —, avec cependant une particularité pour Draria, ledéplacement périphérie Est/périphérie Ouest pour les habitants des bidonvilles deBoumati et Gué de Constantine.

- Un saupoudrage des sites AADL dans toute la zone périphérique, allant jusqu’enpériphérie lointaine, distante de 40 km du centre-ville (Douéra par exemple).

Carte 3. Origine géographique des résidents de la Cité des 617 logements (Draria).

— à venir —

Carte 4. Origine géographique et sites d’installation des souscripteursau programme location-vente AADL.

— à venir —

1 La troisième formule, supportée et subventionnée par l’État, dite formule LSP (Logement social participatif)réservée à la couche intermédiaire (du SNMG à quatre fois le SNMG) et la dernière dite LogementPromotionnel, réservée aux catégories supérieures, qui brillent par leur absence dans le contexte algérois, ne sontpas intégrés dans l’analyse.

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Il est patent dans ces conditions que nous sommes en présence, en ce qui concernenotamment les 25 400 souscripteurs de la formule location-vente AADL à un véritablephénomène de déportation en périphérie de catégories sociales appartenant à la couchemoyenne provenant des quartiers centraux. Cette déportation est en effet ressentie et vécuecomme telle par les « bénéficiaires », dans la mesure où l’analyse des choix de localisationformulés par ces derniers (du moins pour ceux qui en ont eu la possibilité, c’est-à-dire 45 %de l’ensemble) montre que seule une faible proportion d’entre eux ont été logés dans leslocalisations proches du centre (La Concorde, Les Bananiers) qui avaient rallié la majorité deleurs suffrages.

Il faut souligner enfin les conséquences en termes d’éloignement par rapport aux lieux detravail de ces catégories sociales cultivées et diplômées qui exercent majoritairement leursactivités dans les administrations et autres organismes situés en centre-ville.

2. Vers un processus de « gentrification » des ensembles d’habitat collectif ?

L’autre aspect qui mérite l’attention de l’analyste consiste en le phénomène inédit deconcentration de populations de profils plus ou moins homogènes dans les sites d’habitatcollectif, qu’ils soient de type social ou de type intermédiaire.

Le tableau ci-dessous, construit à partir de la compilation de plusieurs enquêtes et à partirdes données fournies par l’AADL, donne une image représentative de la structuration socialede ces nouveaux ensembles d’habitat collectif érigés dans la périphérie algéroise.

Tableau 1. Structuration sociale d’ensembles d’habitat collectif algérois.

Cités AADL Cité 617 logts(Draria, 2003)

Cité Garidi II(Kouba, 1980-84)

N = 8 152 N = 444 N = 600

Agriculteurs exploitants 0,2 % —

Artisans, commerçantset chefs d’entreprise

2,1 % 8,1 % 22,3 %

Cadres et professionsintellectuelles supérieures

33,4 % 4,5 % 43,3 %

Professions intermédiaires 44,4 % 11,3 %

Employés 13,5 % 19,6 %33,0 %

Ouvriers 4,5 % 24,1 %

Retraités 1,6 % 20,7 %

Autres personnes inactives 0,2 % 9,2 %

1,3 %

Non précisé 0,3 % — —

Emplois informels — 2,3 % —

Total 100,0 % 100,0 % 100,0 %

Sources : AADL, Enquête Safar Zitoun / PRUD 2004 et Enquête Safar Zitoun-Garidi, 2003.

Il permet de saisir la relative homogénéité sociale qui découle des procédures de sélectionadministrative dans les sites les plus récemment peuplés ou en voie de peuplement, commeles sites AADL, d’une part, et les sites de logements sociaux tels la Cité des 617 logements deDraria, d’autre part. Dans le premier cas, ce sont les catégories de « Cadres et professionsintellectuelles supérieures » et les « Professions intermédiaires » qui dominent, tandis quenous sommes en face d’une majorité de gens appartenant aux catégories d’employés, ouvriers

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et retraités dans le second. Le site de Garidi, peuplé plus anciennement dans les années 1980,montre quant à lui une configuration particulière où l’on remarque la forte proportion de lacatégorie « Artisans, commerçants et chefs d’entreprise » qui découle principalement duprocessus de renouvellement des populations de ces sites d’habitat collectif anciens qui ontconnu un fort processus de revente sur le marché, à des prix spéculatifs accessibles seulementaux nouvelles élites affairistes induites par la libéralisation et la « bazardisation » del’économie nationale.

Ces données illustrent de manière relativement nette le processus de « migrations » descouches moyennes urbaines vers des localisations périphériques et extrêmement dispersées,continuant, sous un autre mode, le processus de migration des strates supérieures vers leslotissements des périphéries Ouest et Sud, après la fantastique ouverture du marché foncier etimmobilier observée dans les années 1990.

Mais ce qui est intéressant à observer, c’est que ces nouveaux quartiers d’habitat àcoloration sociale homogène s’inscrivent doublement dans le paysage urbain et social algéroiscomme des sortes d’« enclaves », de territoires très nettement circonscrits et identifiablesphysiquement et statutairement. Ce qui contribue de manière puissante à renforcer lescaractéristiques de fragmentation sociale de l’espace périphérique algérois. Sans aller jusqu’àidentifier ce phénomène comme procédant d’un mouvement de « gentrification » de lapériphérie, il est tout de même légitime d’un point de vue sociologique de s’interroger sur leseffets de ce processus en terme de développement de modes d’urbanités modernes, c’est-à-dire ne s’inscrivant pas en terme de consommation de proximité. Ces cadres et fonctionnaires« déportés » en banlieue lointaine, éloignés de leur environnement de vie professionnelle etsociale, disposant de véhicules particuliers, vont contribuer à accroître les mouvementspendulaires quotidiens et à vider le centre ville algérois d’une vitalité qui lui manque déjà trèsfortement

CONCLUSION

Il est patent que nous sommes en face d’un processus sociologique particulier dans lequella vie urbaine algéroise se dirige à grands pas vers des situations de tension entre ce que nouspourrions appeler des mouvements de « fusion » d’une part et des mouvements de « fission »d’autre part, pour emprunter quelque chose au vocabulaire bourdieusien2. Les premiersprocèderaient de ces dynamiques de regroupements catégoriels, communautaires observablesdans tous les types et formes d’établissement résidentiel (lotissements et quartiers spontanésd’habitat individuel, quartiers d’habitat collectif) et le seconds procéderaient des logiques deconsommation délocalisée de la ville, qui provoqueraient la mise en place de « systèmesrésidentiels » à l’échelle de l’ensemble de l’agglomération3.

Mais ce serait peut-être là payer un peu chèrement le prix de la modernisation de la sociétéalgéroise.

2 Cf. Bourdieu P., « Stratégies de reproduction et stratégies de domination », Actes de la Recherche en sciencessociales, n° 100, décembre 1994.3 Nous empruntons ce terme à É. Lebris et A. Osmont dans leurs travaux sur l’Afrique de l’Ouest.