CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

64
CHAPITRE V Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la transition polymorphe V.1 Introduction Ce cinquième chapitre peut être vu comme une charnière. En effet, les chapitres précédents mettent en évidence un certain nombre de notions, a priori indépendantes les unes des autres (forme cristallographique et stabilité des cristaux au chapitre 2, courbe de solubilité au chapitre 3 et écoulement & mélange au chapitre 4), mais toutes étant nécessaires à l’étude d’opérations de cristallisation, tant d’un point de vue cinétique que thermodynamique, bien que le lien entre elles ne soit pas toujours évident. Ce cinquième chapitre et les deux suivants sont consacrés à l’étude de l’opération de cristallisation en elle-même. Ceci est mis en évidence sur le plan schématique de ce travail présenté au premier chapitre (figure I.5) et rappelé à la figure V.1. Figure V.1 – Plan schématique de ce travail.

Transcript of CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

Page 1: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

CHAPITRE V

Compréhension de l’opération de cristallisation et identificationdu mécanisme de la transition polymorphe

V.1 Introduction

Ce cinquième chapitre peut être vu comme une charnière. En effet, les chapitres précédentsmettent en évidence un certain nombre de notions, a priori indépendantes les unes des autres(forme cristallographique et stabilité des cristaux au chapitre 2, courbe de solubilité au chapitre3 et écoulement & mélange au chapitre 4), mais toutes étant nécessaires à l’étude d’opérationsde cristallisation, tant d’un point de vue cinétique que thermodynamique, bien que le lien entreelles ne soit pas toujours évident. Ce cinquième chapitre et les deux suivants sont consacrésà l’étude de l’opération de cristallisation en elle-même. Ceci est mis en évidence sur le planschématique de ce travail présenté au premier chapitre (figure I.5) et rappelé à la figure V.1.

Figure V.1 – Plan schématique de ce travail.

Page 2: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

210Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

Rappelons que l’opération de cristallisation de référence étudiée dans le cadre de ce travailconsiste en l’opération de cristallisation de purification de l’Étiracetam crude ou, en d’autrestermes, au step 3 de la chaîne de production du Lévétiracetam (figure I.2 au chapitre 1), leprincipe actif du Keppra, médicament produit par la Société UCB. L’opération de cristallisationindustrielle est brièvement décrite au chapitre 1. Sa description est accompagnée d’une figureprésentant l’évolution de la température de la solution/suspension au cours du temps lors del’opération de cristallisation (figure I.3 au chapitre 1). Nous la rappelons à la figure V.2, laquelleest recentrée sur les étapes de refroidissement et de maturation.

L’étape de refroidissement (étape 2 à la figure V.2) se caractérise par le refroidissement de lasolution/suspension, lequel induit la cristallisation du morphe II. Ce phénomène se traduit parun premier pic exothermique. L’étape de maturation (étape 3 à la figure V.2) se caractérise parla transition polymorphe, dans des conditions isothermes, à la température de maturation, dumorphe II, métastable à cette température, vers le morphe I, stable à cette même température.Ce phénomène se traduit par un deuxième pic exothermique.

Figure V.2 – Présentation schématique de l’évolution temporelle de la température de lasolution/suspension lors des étapes de refroidissement et de maturation au cours de l’opérationde cristallisation de purification de l’Étiracetam crude (step 3 dans la chaîne de production duLévétiracetam).

L’objectif industriel de ce travail consiste en l’optimisation de l’opération de cristallisation,ceci sous-entendant la détermination des paramètres opératoires permettant de maximiser lerendement (minimiser le temps total de l’opération de cristallisation) tout en maximisant laquantité et assurant la qualité des cristaux produits. Une des nombreuses démarches consisteà procéder à l’aveuglette en effectuant un nombre important d’expériences pour lesquelles la

Page 3: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.1 Introduction 211

combinaison des paramètres opératoires varie de l’une à l’autre et à l’issue desquelles le tempstotal de l’opération de cristallisation est relevé et les cristaux sont pesés et analysés. Cettedémarche a ses limites. En effet, d’une part, elle peut conduire à la réalisation d’un nombreconséquent d’expériences, et d’autre part, malgré les données relevées pour chacune d’entreelles, cette démarche ne garantit pas toujours que la combinaison des paramètres opératoirespermettant l’optimisation de l’opération de cristallisation puisse être déterminée. Cette manièrede procéder est cependant celle qui est très souvent suivie industriellement depuis des années, etparfois encore aujourd’hui, notamment au sein des entreprises chimiques et pharmaceutiques.Il n’est dès lors pas rare que celles-ci soient confrontées par la suite à des soucis de productionou des incidents industriels qui sont parfois difficiles à expliquer ou contrôler.

Les autorités de santé exigent ainsi de plus en plus fortement que le dossier de soumissiondu produit, remis en vue de l’obtention de l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM), soitcomplété d’éléments visant à prouver la compréhension des mécanismes physico-chimiquessous-jacents aux opérations de cristallisation. En effet, cette étude préalable, bien que parfoisfastidieuse, permet ensuite un gain de temps et d’efficacité considérable dans l’étude de l’opti-misation de l’opération de cristallisation étudiée. En outre, cette manière réfléchie de procéderpermet de réduire les incidents industriels restant sans explication ou ne pouvant être contrôlés.

Nous adoptons cette démarche dans le cadre de ce travail. Les études relatives à la com-préhension des phénomènes physico-chimiques sous-jacents aux mécanismes se déroulant lorsde l’opération de cristallisation de référence font donc l’objet de ce cinquième chapitre. Peude stratégies de recherches de ce type sont proposées dans la littérature. C’est donc essen-tiellement à ce niveau que la contribution de ce travail se situe. Ce chapitre est, par ailleurs,essentiellement consacré à l’étude de l’étape de maturation (étape 3 à la figure V.2) avecun accent particulier sur l’identification du mécanisme de la transition polymorphe entre lemorphe métastable à la température de maturation et le morphe stable à cette même tempé-rature. Le chapitre 6 est ensuite consacré à l’optimisation de l’opération de cristallisation vial’étude de l’influence des paramètres opératoires sur les temps caractéristiques des phénomènesphysico-chimiques et sur les distributions granulométriques des cristaux produits.

Ce chapitre est divisé en quatre sections. Il est entièrement consacré à la description età la compréhension des phénomènes physico-chimiques prenant place lors de l’opération decristallisation, tant lors de l’étape de refroidissement que lors de l’étape de maturation (figureV.2). Les concepts théoriques relatifs aux divers phénomènes physico-chimiques sont donnés àl’Annexe B.

La première section est quasi intégralement consacrée à une revue bibliographique permet-tant une première description des phénomènes physico-chimiques qui prennent place lors del’opération de cristallisation, tant lors de l’étape de refroidissement que lors de l’étape de matu-ration. Sur base de ces considérations bibliographiques et de résultats expérimentaux apportésaux chapitres précédents, nous proposons également, dans cette première section, le méca-nisme de la transition polymorphe, tel que nous supposons qu’il se déroule, à la températurede maturation, lors de l’étape de maturation.

Page 4: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

212Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

A la deuxième section, nous présentons des démarches et résultats expérimentaux visant àapprofondir la compréhension des phénomènes physico-chimiques prenant place lors de l’opéra-tion de cristallisation, tant lors de l’étape de refroidissement que lors de l’étape de maturation.Cette section vient appuyer les descriptions données à la section précédente sur base de larevue bibliographique.

Dans les deux dernières sections, nous faisons appel à la théorie et à la modélisation afind’approfondir et de comprendre davantage les phénomènes décrits et observés lors des deuxpremières sections.

– La troisième section est ainsi consacrée à quelques développements théoriques relatifsà l’étape de refroidissement.

– Enfin, à la quatrième section, nous développons un modèle mathématique traduisantle comportement de la suspension au cours de l’étape de maturation et principalementlors de la transition polymorphe. Cette dernière section doit permettre de confirmer lesmécanismes proposés lors des sections précédentes.

Page 5: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.2 Revue bibliographique et définitions 213

V.2 Revue bibliographique et définitions

Cette première section comporte un certain nombre de notions, tirées de la littérature,relatives aux phénomènes physico-chimiques prenant place lors d’opérations de cristallisation.Nous nous focalisons, tout d’abord, sur l’étape de refroidissement (étape 2 à la figure V.2) et,ensuite, sur l’étape de maturation (étape 3 à figure V.2).

V.2.1 Étape de refroidissement : cristallisation par refroidissement

Comme cela est évoqué dans l’introduction, l’étape de refroidissement (étape 2 à la figureV.2) se caractérise par le refroidissement de la solution/suspension. Tel que cela est suggérépar le titre, nous donnons dès lors, ci-dessous, quelques considérations théoriques liées auxopérations de cristallisation par refroidissement.

V.2.1.1 Description des phénomènes : germination - croissance

Afin de décrire les phénomènes physico-chimiques prenant place lors d’une opération decristallisation par refroidissement, nous nous basons sur l’analyse de l’évolution temporelle dela concentration du soluté en solution ainsi que sur celle du chemin de concentration, tracédans un diagramme de phase SLE. Ceci est présenté à la figure V.3. Les échelles de temps etde température étant liées par la vitesse de refroidissement, nous choisissons la températurecomme unité de l’axe des abscisses, à la figure V.3(a). Cela facilite en effet la compréhensiondes explications données par la suite. La figure V.3(a) présente des profils typiques de l’évolutionde la concentration du soluté au cours du temps lorsque la solution est refroidie. Ces profilssont traditionnellement découpés en deux phases [11,28] : la phase d’initiation de la germinationsuivie de la phase de germination et de croissance.

(a) Evolution temporelle de la concentration. (b) Chemin de concentration dans le diagramme de phase

SLE (figure III.2 au chapitre 3).

Figure V.3 – Présentation schématique de l’évolution temporelle de la concentration dusoluté en solution (a) et chemin de concentration dans le diagramme de phase SLE (b) lorsd’opérations de cristallisation par refroidissement.

Page 6: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

214Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

a. Phase d’initiation de la germination

Soit une solution sous-saturée, de concentration initiale, cinit, portée à la température initiale,Tinit (figure V.3(b)). Lors de la diminution progressive de la température de la solution, laconcentration de celle-ci reste égale à la concentration initiale (figure V.3). A la températureT ∗, le chemin de concentration, tracé dans le diagramme de phase SLE (figure V.3(b)), informeque la solution devient sursaturée : S > 0. La concentration du soluté dans la solution, c,dépasse en effet la concentration d’équilibre, c∗ (solubilité ou concentration à saturation). Cedéséquilibre permet l’enclenchement de la cristallisation et, en particulier, de la germinationprimaire (Annexe B). Étant donné la faible sursaturation, la vitesse de germination est lente(Annexe B) et, dès lors, la concentration de la solution reste toujours égale à la concentrationinitiale, cinit (figure V.3(b)). Lors de la poursuite du refroidissement, l’augmentation de lasursaturation relative, S, (figure V.3(b)) favorise l’augmentation de la vitesse de germination(Annexe B).

b. Phase de germination et de croissance

Aux alentours de la température Tind, la cristallisation est responsable de la diminutionbrusque de la concentration de la solution (figure V.3). Le pompage massif de la sursaturation,par la croissance, s’accompagne généralement d’une élévation de la température de la solution,ce qui se traduit par un pic exothermique sur la courbe présentant l’évolution de la températurede la solution au cours du temps (figure V.3(b)). La vitesse de la diminution de la concen-tration de la solution dépend ensuite, d’une part de la vitesse de refroidissement imposée à lasolution, et d’autre part des vitesses globales de germination et de croissance. La concentrationtend progressivement vers la solubilité. Elle est atteinte à la température Tfin (figure V.3). Lerefroidissement de la solution continuant, la concentration de la solution continue égalementà diminuer et à suivre la solubilité (figure V.3).

V.2.1.2 Temps d’induction

Comme nous pouvons le voir à la figure V.3, un intervalle de temps s’écoule entre la créationde la sursaturation (dépassement de la courbe de solubilité), à la température T ∗ et la dimi-nution de la concentration de la solution, à la température Tind. Ce temps est généralementappelé temps d’induction, et noté tind (figure V.3) [28,95]. Bien que la définition stricte de cetemps d’induction soit donnée pour des conditions isothermes [28,95], elle est étendue ci-dessouspour des conditions non-isothermes.

Nous comprenons aisément que ce temps d’induction est en quelque sorte une mesure expé-rimentale liée à la notion de la limite de la zone de métastabilité. Les considérations théoriquesliées à cette notion sont détaillées au chapitre 3 et à l’Annexe B. Il convient néanmoins d’êtreprudent dans les comparaisons effectuées. Quelques notions supplémentaires à ce sujet sontapportées ci-dessous. Ainsi, dans un premier temps, nous analysons les conditions d’existenced’un tel temps d’induction. Dans un deuxième temps, nous abordons les aspects de détermi-nation expérimentale de ce temps d’induction dans le cadre de l’opération de cristallisationétudiée.

Page 7: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.2 Revue bibliographique et définitions 215

L’existence d’un temps d’induction dans une solution sursaturée est contraire aux consi-dérations thermodynamiques liées à l’expression de la vitesse de germination, laquelle préditl’apparition instantanée de germes dès la création de la sursaturation, à la température T ∗

(figure V.3(b)). Or, en pratique, un certain temps, dit temps caractéristique de germination,tb, est nécessaire à la formation des premiers germes. De plus, la surface offerte par ceux-ci,pour la déposition de masse, n’est pas suffisante pour engendrer un pompage significatif dela sursaturation et par conséquent une diminution de la concentration de la solution. A cettefin, une surface, dite critique, doit en effet d’abord être créée [28,95]. La littérature [28] proposeainsi d’exprimer le temps d’induction (équation V.1) comme la contribution de trois tempscaractéristiques : un temps caractéristique de germination, tb (s), un temps caractéristiquede croissance, tg (s), et un temps d’attente, ta (s). Les durées relatives des divers tempscaractéristiques contribuant au temps d’induction sont présentées à la figure V.4(a).

tind = tb + tg + ta (V.1)

(a) Evolution temporelle de la concentra-

tion.

(b) Chemin de concentration dans le diagramme de phase

SLE (figure III.2 au chapitre 3).

Figure V.4 – Présentation schématique de l’évolution temporelle de la concentration dusoluté en solution (a) et chemin de concentration dans le diagramme de phase SLE (b) lorsd’opérations de cristallisation par refroidissement permettant d’expliquer la notion de tempsd’induction.

Le temps caractéristique de germination, noté tb, est inversement proportionnel à la vitessede germination [32]. Ce temps est dès lors particulièrement long si la solution est dans la zonede métastabilité (figure III.2 au chapitre 3 et figure B.3 à l’Annexe B), ou, autrement dit,si la température de la solution de concentration cinit est comprise entre T ∗ et Tb (figureV.4). Par contre, si la solution est dans la zone de germination spontanée (figure III.2 auchapitre 3 ou figure B.3 à l’Annexe B), ou, autrement dit, si la température de la solution deconcentration cinit est inférieure à Tb (figure V.4), la vitesse de germination devient élevée etle temps caractéristique de germination, tb, diminue drastiquement (Annexe B).

Page 8: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

216Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

Une comparaison des ordres de grandeur entre la taille des premiers germes crées, rc(quelques nanomètres), et la taille minimale des cristaux pouvant être observés par l’œil hu-main, ou par la plupart des sondes de mesure (quelques millimètres), suffit à nous persuaderque le temps d’induction englobe non seulement le temps caractéristique de germination, tb,mais également un temps caractéristique de croissance, noté tg [28,96].

De plus, bien qu’une surface critique soit atteinte à l’issue des temps tb + tg, un temps d’at-

tente supplémentaire, noté ta, est également nécessaire avant d’observer la désaturation rapidede la solution, c’est-à-dire la diminution brusque de la concentration du soluté en solution. Cetemps d’attente dépend de paramètres opératoires, tels que les conditions d’agitation ou lesvitesses de refroidissement, ainsi que des méthodes expérimentales permettant la détection despremiers cristaux ou l’observation de la désaturation rapide de la solution (Annexe A).

La littérature [63,97] propose l’utilisation de graphiques du logarithme du temps d’induction,tind (s), déterminé expérimentalement, en fonction du logarithme de la sursaturation relative,S (-), pour l’identification du mécanisme global de cristallisation, englobant la germinationprimaire (homogène ou hétérogène) et la croissance (limitée par la diffusion ou l’intégra-tion) (Annexe B). Les changements de mécanismes se traduisent par des changements depentes [32,63,97].

log(tind) = α+ β1(logS)−1 + β2(logS)

−2 (V.2)

où– α est un terme constant (-)– β1 est le coefficient du premier terme du logarithme de la sursaturation relative, non nullorsque la cristallisation est limitée par la croissance (-)

– β2 est le coefficient du deuxième terme du logarithme de la sursaturation relative, nonnul lorsque la cristallisation est limitée par la germination (-)

Bien qu’un léger dépassement de la zone de métastabilité soit observé, à la figure V.4(b),avant que la désaturation rapide de la solution ne soit enclenchée, ceci étant dû aux tempscaractéristique de croissance, tg, et le temps d’attente, ta, l’hypothèse de la limitation dela vitesse de formation des premiers cristaux, de surface critique suffisante, et détectablesexpérimentalement, par la vitesse de germination, de temps caractéristique tb, est souventcitée dans la littérature [28]. Le temps d’induction, tind, est dès lors souvent utilisé comme unemesure macroscopique simple de la vitesse de germination. Ce temps est, par ailleurs, considérécomme une mesure expérimentale de la taille de la zone de métastabilité, T ∗ - Tind (figureV.4(b)), telle que définie au chapitre 3 et à l’Annexe B. Ceci est, en effet, effectué à justetitre étant donné que la taille de la zone de métastabilité, T ∗ - Tb, est quasiment impossible àmesurer expérimentalement.

Dans ce travail, la détermination expérimentale du temps d’induction consister à déter-miner l’intervalle de temps compris entre le début de l’étape 2 et le début du premier picexothermique, observé, au cours de l’étape 2, sur la courbe présentant l’évolution de la tempé-rature de la solution/suspension au cours du temps (figure V.2). En d’autres termes, le tempsd’induction considéré correspond au temps d’induction exprimé par l’équation V.1 auquel estajouté le temps nécessaire à la solution sous-saturée (à la concentration cinit et à la température

Page 9: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.2 Revue bibliographique et définitions 217

Tinit) pour arriver dans la zone sursaturée (à la concentration cinit et à la température T ∗).Bien que la concentration initiale de la solution est systématiquement la même pour l’ensembledes essais expérimentaux considérés dans ce travail, l’utilisation de vitesses de refroidissementdifférentes nous incite à préférer la notion de température d’induction, Tind, plutôt que le tempsd’induction, tind, comme mesure de la taille de la zone de métastabilité. Cette température estreprésentée schématiquement aux figures V.3 et V.4.

V.2.2 Étape de maturation : transition polymorphe, dans des conditions iso-thermes

Comme cela est évoqué dans l’introduction, l’étape de maturation (étape 3 à la figureV.2) se caractérise par la transition polymorphe, dans des conditions isothermes, du morphemétastable à cette température en le morphe stable à cette même température. Tel que celaest suggéré par le titre, nous donnons dès lors, ci-dessous, quelques considérations théoriquesliées aux transitions polymorphes.

La transition polymorphe traduit le passage d’une forme cristallographique à une autre, gé-néralement de la forme métastable vers la forme stable. Elles sont des conséquences inévitablesdes forces thermodynamiques qui visent à minimiser l’énergie libre du système. Dans un pre-mier temps, nous passons en revue les divers types de mécanismes de transition polymorpherencontrés dans la littérature, ce qui nous permet, dans un deuxième temps, d’identifier celuiqui, parmi eux, caractérise la transition polymorphe observée dans le cadre de l’opération decristallisation étudiée. Nous détaillons alors davantage le mécanisme de transition retenu.

V.2.2.1 Types de mécanismes de transition

Deux mécanismes principaux de transition polymorphe peuvent être distingués pour lesquelsles vitesses de transition polymorphe dépendent des mécanismes moléculaires sous-jacents misen jeu [17,20,32,98,99] : les transitions par déplacement ou réarrangement interne, et les transitionspar reconstruction.

a. Transition polymorphe par déplacement

Lors d’une transition polymorphe par déplacement, la transition des cristaux de la forme cris-tallographique métastable en des cristaux de la forme stable se déroule à l’état solide [17,20,32,98,99].Celle-ci s’opère par le réarrangement interne des molécules et des atomes au sein des cristauxafin de passer de la structure cristallographique du morphe métastable vers la structure cristal-lographique du morphe stable. Ce mécanisme s’effectue par diffusion moléculaire et modifica-tion structurale progressive de l’interface entre les deux formes cristallographiques en présence(figure V.5). La diffusion moléculaire est très faible étant donné la faible mobilité et l’encom-brement stérique des molécules au sein du réseau cristallin. L’initiation de cette transition prenddès lors préférentiellement place au niveau des microstructures et des défauts cristallins descristaux (fissure, joint, dislocation, ... ), car c’est là qu’elle est la plus aisée. La modificationstructurale se propage ensuite au sein des cristaux.

Page 10: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

218Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

Figure V.5 – Principe schématique du mécanisme de transition polymorphe par déplacement :réarrangement interne des molécules et des atomes au sein des cristaux.

Le mécanisme de transition polymorphe par déplacement est celui qui caractérise les tran-sitions solide-solide observées au chapitre 2 et notamment à la figure II.23(b). Cette figureprésente des courbes DSC obtenues en élevant progressivement la température d’échantillonsde cristaux de morphe I. La vitesse de chauffe est suffisamment lente pour laisser le temps àcertains phénomènes, aux cinétiques lentes, de prendre place. Cette figure met clairement enévidence la présence d’un phénomène endothermique aux alentours de 100°C que nous pouvonsattribuer à la transition solide-solide du morphe I, métastable, vers le morphe II, stable.

b. Transition polymorphe par reconstruction

La transition polymorphe par reconstruction implique la destruction de la structure cris-tallographique du morphe métastable en ses molécules indépendantes et la reconstruction, àpartir de ces mêmes molécules, de la structure cristallographique du cristal stable [17,20,32,98,99].Ces deux étapes sont médiées par le milieu environnant, lequel, selon sa nature, conduit à ladéfinition de trois mécanismes différents : la transition médiée par l’état fondu, la transitionmédiée par la solution, ou la transition médiée par la solution interfaciale.

Au cours de la transition médiée par l’état fondu, le morphe stable se forme à partir d’unephase liquide (état fondu) préalablement obtenue par la fusion du morphe métastable. Lacinétique de cette transition polymorphe est plus rapide que celle de la transition polymorphepar déplacement, en phase solide, étant donné la mobilité accrue des molécules.

Nous traitons de ce mécanisme de fusion-recristallisation au chapitre 2 et plus particulière-ment lors de l’analyse des courbes DSC à la figure II.23(a). Cette figure présente des courbesDSC obtenues en élevant progressivement la température d’échantillons de cristaux de morpheI. Les vitesses de chauffe sont plus rapides que dans le cas évoqué précédemment. Les mé-canismes présentant des temps caractéristiques importants, tels que la transition polymorphepar déplacement, n’ont de ce fait pas le temps de prendre place. Nous observons dès lors, àcette figure, un premier pic endothermique caractérisant la fusion du morphe I (aux alentoursde 112°C). Celui-ci est suivi par un pic exothermique caractérisant la recristallisation, en phaseliquide, de des cristaux stables de morphe II. Ce dernier fond à son tour, ce qui se caractérisepar le deuxième pic endothermique de fusion aux alentours de 120°C.

La transition médiée par la solution s’effectue en deux étapes, non nécessairement succes-sives, lesquelles consistent en la dissolution des cristaux de la forme cristallographique méta-stable et la cristallisation en des cristaux de la forme cristallographique stable. Les moléculesindépendantes transitent via la solution au sein de laquelle elles sont présentes sous forme

Page 11: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.2 Revue bibliographique et définitions 219

dissoute. La force motrice d’une telle transition est la sursaturation pour la forme cristallogra-phique stable, liée à la différence entre les solubilités des deux morphes. La cinétique de cettetransition est, de plus, contrôlée par des paramètres opératoires tels que des facteurs thermiqueet mécanique [23] lesquels contrôlent les phénomènes physico-chimiques, de dissolution et decristallisation, mis en jeu (Annexe B).

La transition médiée par la solution interfaciale met en jeu des phénomènes physico-chimiquescomparables à ceux rencontrés lors de la transition médiée par la solution si ce n’est qu’ilsagissent de façon beaucoup plus locale. La dissolution du morphe métastable et la cristallisa-tion en morphe stable s’effectuent de part et d’autre d’une couche microscopique de solutionséparant les cristaux des deux formes cristallographiques.

Que la transition s’effectue via l’état fondu, la solution ou la solution interfaciale, le méca-nisme de transition par reconstruction peut se représenter schématiquement à la figure V.6.

Figure V.6 – Principe schématique du mécanisme de transition polymorphe par reconstruc-tion : destruction de la structure cristallographique du morphe métastable en ses moléculesindépendantes et la reconstruction, à partir de ces mêmes molécules, de la structure cristallo-graphique du cristal stable.

V.2.2.2 Identification du mécanisme de transition

Il s’agit de déterminer ici lequel, parmi les quatre mécanismes de transition polymorphebrièvement décrits précédemment, est responsable de la transition polymorphe des cristaux demorphe II métastables vers des cristaux de morphe I stables se déroulant, dans des conditionsisothermes, à la température de maturation, en suspension, lors de la troisième étape de l’opé-ration de cristallisation de l’Étiracetam crude. A cette fin, nous présentons quelques éléments,déjà évoqués ou non, permettant d’éliminer un à un les mécanismes afin de ne conserver quele plus plausible d’entre tous, que nous détaillons alors davantage dans la suite. L’analyse desquelques observations expérimentales et considérations théoriques suivantes nous est d’une aideprécieuse pour l’identification et la description du mécanisme de transition à priori approprié :le milieu environnant, le temps caractéristique, la distribution granulométrique et les conditionsd’agitation.

a. Milieu environnant

Étant donné le milieu environnant les cristaux (solution) et les conditions de température(température de maturation, de l’ordre de 0°C, inférieure aux températures de fusion des deuxmorphes, de l’ordre de 115°C (chapitre 2)), il est totalement pertinent d’écarter d’emblée lemécanisme de transition par reconstruction via l’état fondu. Il s’agit dès lors de déterminer si

Page 12: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

220Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

la transition des cristaux de morphe II en des cristaux de morphe I, en suspension et dans desconditions isothermes, s’effectue par déplacement (réarrangement interne en phase solide) oupar reconstruction via la solution ou la solution interfaciale.

b. Temps caractéristique

Les divers mécanismes de transition retenus possèdent des cinétiques plus ou moins élevées enfonction des phénomènes physico-chimiques sous-jacents. Quelques observations ou expériencescomplémentaires nous permettent de donner un ordre de grandeur des temps caractéristiquesdes divers mécanismes de transition considérés.

Afin de déterminer le temps caractéristique du mécanisme de transition par déplacement,nous effectuons une expérience de stabilité thermique à partir d’un échantillon de cristauxsecs de morphe II. De l’ordre de 4 mg sont introduits dans un creuset DSC et celui-ci estmaintenu, pendant plus de 12 heures, à 20°C, température à laquelle le morphe II est laforme cristallographique métastable. A l’issue de cette expérience, la température de fusion del’échantillon est déterminée au moyen de la DSC. Il s’agit toujours et uniquement de cristauxde morphe II. Cela conduit à affirmer que 12 heures ne sont pas suffisantes pour induire, à20°C, une transition par déplacement des cristaux métastables de morphe II en des cristauxstables de morphe I.

Nous considérons maintenant des cristaux de morphe II qui, récupérés 30 minutes aprèsl’arrivée sur le palier à la température de maturation (dans l’opération de cristallisation del’Étiracetam crude), sont placés, encore humides, dans une étuve à 20°C. Nous observons quemoins de 12 heures sont nécessaires pour amorcer, à 20°C, une transition des cristaux de morpheII en des cristaux de morphe I. Cette observation, visuelle dans un premier temps, est ensuiteconfirmée par la détermination de la température de fusion des cristaux résultants. La solutionrésiduelle, bien qu’en faible quantité, a plus que probablement facilité la transition polymorphe.Le milieu environnant les cristaux (solution interfaciale) semble ainsi jouer le rôle de médiateur,ou catalyseur, permettant de réduire le temps caractéristique de la transition polymorphe. Cemécanisme de transition polymorphe peut donc être vu comme un mécanisme de transitionpar reconstruction via la solution interfaciale, c’est-à-dire via la solution résiduelle. Cemécanisme est caractérisé par une cinétique un peu plus élevée que le mécanisme de transitionpar déplacement.

Le mécanisme mettant en jeu les phénomènes physico-chimiques les plus favorables d’unpoint de vue thermodynamique et cinétique est généralement celui observé. Nous imaginonsdès lors assez facilement qu’en augmentant la quantité de solution, le mécanisme prépondérantva lentement transiter d’un mécanisme de transition par déplacement vers un mécanisme detransition par reconstruction via la solution, lequel devient le plus favorable d’un pointde vue cinétique, les phénomènes physico-chimiques sous-jacents étant catalysés par le milieuenvironnant. De même, le temps caractéristique de transition est appelé à diminuer [8].

Le mécanisme de transition par reconstruction via la solution est probablement celui rencon-tré au chapitre 2 lors de la détermination de la température de transition solide-solide par l’étudede la stabilité thermique des cristaux. Rappelons que la particularité de la méthode proposée

Page 13: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.2 Revue bibliographique et définitions 221

consiste à travailler de façon isotherme et à mettre des échantillons composés d’un mélange decristaux des deux formes cristallographiques, en masse identique, en suspension dans une solu-tion (solvant et substance dissoute) saturée. Un mécanisme de transition polymorphe s’effectueà priori par dissolution des cristaux métastables dans une solution sous-saturée au profit de lacroissance des cristaux stables dans une solution sursaturée [11]. La température de transitionsolide-solide est déterminée à la température de séparation des domaines de stabilité thermiquerelatifs aux deux formes cristallographiques de l’Étiracetam. Nous pouvons observer qu’endéans8 heures, à 20°C, les cristaux métastables de morphe II se sont transformés en cristaux stablesde morphe I.

Le mécanisme de transition par reconstruction via la solution est également celui rencontréau chapitre 3 lors de la tentative de détermination des courbes de solubilité du morphe II aumoyen de la méthode non-isotherme de détection des cristaux par sonde de turbidité. Auxenvirons de 20°C, moins de 10 minutes sont nécessaires aux cristaux métastables de morpheII, en suspension, pour se transformer en des cristaux stables de morphe I.

Au vu de ces observations, et sachant que l’ordre de grandeur du temps de latence est dequelques heures, il semble raisonnable de supposer que la transition polymorphe du morpheII métastable vers le morphe I stable, en suspension, dans ces conditions isothermes, à latempérature de maturation, suit un mécanisme de reconstruction via la solution [8].

c. Distribution granulométrique

D’après la description des divers types de mécanismes de transition faite ci-dessus, le méca-nisme de transition par déplacement génère à priori des cristaux de la forme cristallographiquestable de taille équivalente à celle des cristaux initiaux, de la forme cristallographique méta-stable, si du moins, nous supposons l’absence de brisure des cristaux au cours de la transition.Les mécanismes de transition par reconstruction, au contraire, se caractérisant par la com-binaison de la dissolution complète des cristaux initiaux et la recristallisation en le produitstable, permettent la création de cristaux de morphe stable de taille différente de celle descristaux métastables de départ. La taille des cristaux stables est alors fonction de la vitesse desphénomènes de cristallisation.

Or, les chapitres 2, 6 et 7 montrent que les cristaux de morphe II et de morphe I présententdes distributions granulométriques significativement différentes l’une de l’autre. En particulier,les cristaux de morphe I sont environ trois fois plus petits que les cristaux de morphe II. Cetteobservation tend à émettre l’hypothèse d’un mécanisme de transition par reconstruction, quece soit via la solution ou via la solution interfaciale.

d. Conditions d’agitation

Comme précisé ci-dessus, le mécanisme de transition par déplacement s’effectue par la dif-fusion moléculaire et se traduit par la modification structurale progressive de l’interface entreles deux formes cristallographiques en présence au sein d’un même cristal. Ce mécanisme n’estdès lors pas influencé par des facteurs mécaniques tels que les conditions d’agitation de la

Page 14: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

222Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

suspension au sein de laquelle se retrouvent les cristaux. En revanche, nous voyons, à l’AnnexeB, que l’intensité de l’agitation peut avoir de l’influence tant sur la cinétique de dissolutionque sur celle de cristallisation.

Nous anticipons ici les résultats présentés au chapitre 6 en annonçant que la vitesse de rota-tion du mobile d’agitation au sein de la suspension influence, bien que faiblement, la cinétiquedes phénomènes physico-chimiques sous-jacents au mécanisme de la transition polymorphe.Ces observations nous conduisent dès lors à émettre, de nouveau, l’hypothèse d’un mécanismede transition par reconstruction via la solution. Lorsque la suspension de cristaux de morpheII est extrêmement dense, il ne peut être exclu que ce mécanisme s’effectue également via lasolution interfaciale, le temps caractéristique de transition étant alors plus important.

Tout comme dans les travaux précédents [18–20,88] et sur la base de l’ensemble des observa-tions évoquées ci-dessus, nous pensons donc que la transition polymorphe des cristaux méta-stables de morphe II vers des cristaux stables de morphe I, en suspension et dans des conditionsisothermes, à la température de maturation, suit un mécanisme de transition par reconstruc-tion via la solution ou la solution interfaciale. Ces deux types de transitions se déroulent endeux temps : l’une consiste en la dissolution de la forme cristallographique métastable initiale,l’autre consiste en la cristallisation en la forme cristallographique stable. Nous comprenonsdès lors aisément que ce mécanisme est également évoqué sous l’appellation de dissolution-

recristallisation.

Comme cela est mentionné à l’Annexe B, ainsi qu’à la section précédente, la cristallisationse déroule en deux temps, la première consistant en la création des germes initiaux, au cours dela germination, et la deuxième consistant en la croissance de ces germes en vue de leur conférerle statut de cristaux. Le mécanisme de transition polymorphe par dissolution-recristallisationprésente donc trois phénomènes physico-chimiques, la dissolution de la forme métastable ainsique la germination et la croissance de la forme stable. Ces phénomènes peuvent être se déroulerde façon consécutive ou concomitante [8–11,32,44,98]. Nous reprenons la figure V.6 à laquellenous ajoutons quelques étapes intermédiaires permettant de mettre davantage en évidence lephénomène de dissolution-recristallisation. Ceci est présenté à la figure V.7.

Figure V.7 – Principe schématique du mécanisme de transition par dissolution-recristallisation.

Page 15: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.2 Revue bibliographique et définitions 223

V.2.2.3 Description des phénomènes : dissolution - recristallisation

Afin de décrire les phénomènes physico-chimiques prenant place, dans des conditions iso-thermes, lors d’une transition polymorphe, nous nous basons sur l’analyse de l’évolution tem-porelle de la concentration du soluté en solution. Ceci est présenté à la figure V.8.

Figure V.8 – Présentation schématique de l’évolution de la concentration de la solu-tion/suspension, lors d’une transition polymorphe s’effectuant dans des conditions isothermes.

L’évolution de la concentration du soluté en solution au cours du temps, lors d’une transitionpolymorphe de dissolution-recristallisation, médiée par la solution, présente un profil typique(figure V.8). Celui-ci est traditionnellement découpé en trois phases [9–12,44,98] : la phase dematuration de la forme métastable et de germination de la forme stable suivie de la phase depseudo-équilibre entre la croissance de la forme stable et la dissolution de la forme métastableet enfin, la phase de croissance et de maturation de la forme stable.

a. Phase de maturation de la forme métastable et de germination de la forme stable

Considérons une suspension initialement constituée d’une certaine masse de cristaux dumorphe métastable. La première phase se caractérise ainsi, initialement, par un équilibre méta-stable entre la solution et les cristaux du morphe métastable, en cours de maturation (AnnexeB). La concentration du soluté en solution est dès lors égale à la solubilité, notée c∗métastable

(figure V.8). La solution est sursaturée par rapport à la concentration de saturation relativeaux cristaux stables, notée c∗stable, lesquels sont appelés à apparaître, d’un point de vue ther-modynamique.

La sursaturation pour ces cristaux stables conduit à une vitesse de germination non nulledes ceux-ci (Annexe B). A ce phénomène de germination, de temps caractéristique tb, vientse greffer celui de croissance, de temps caractéristique tg (figure V.8). La combinaison deces deux phénomènes physico-chimiques est nécessaire afin de créer des cristaux de surfacesuffisante, dite critique, lesquels permettent alors un pompage de la sursaturation, ce qui setraduit par une diminution progressive de la concentration du soluté en solution. Cependant,comme nous le voyons à la section précédente lors des considérations théoriques relatives au

Page 16: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

224Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

temps d’induction et, en particulier, à la figure V.4, un temps d’attente supplémentaire, ta,est nécessaire avant d’observer la désaturation rapide de la solution. Une fois ce phénomèneenclenché, la concentration de la solution tend vers une valeur de pseudo-équilibre, notée ceq

(figure V.8).

b. Phase de pseudo-équilibre entre la croissance de la forme stable et la dissolution

de la forme métastable

La deuxième phase se caractérise par un palier de concentration constante et égale à laconcentration de pseudo-équilibre, ceq (figure V.8). Cette valeur étant supérieure à la so-lubilité pour le morphe stable, c∗stable, les vitesses de germination et de croissance de cetteforme cristallographique sont dès lors non nulles (Annexe B). De plus, ceq étant inférieure àla solubilité pour le morphe métastable, c∗métastable, la vitesse de dissolution de cette formecristallographique est dès lors également non nulle. Ainsi, au cours de cette deuxième phase,s’installe un pseudo-équilibre entre les phénomènes d’une part de germination et de croissancede la forme cristallographique stable, et, d’autre part, de dissolution des cristaux de la formecristallographique métastable.

La durée et la concentration de ce plateau sont influencées par la masse initiale ainsi quepar la distribution granulométrique des cristaux initiaux de la forme métastable [9,10]. En effet,la vitesse globale de dissolution dépend de la constante cinétique de dissolution, inversementproportionnelle à la taille des cristaux, ainsi que du rapport de la surface sur le volume descristaux (Annexe B). Pour une masse donnée de cristaux, au plus les cristaux sont petits (etnombreux), au plus la vitesse globale de dissolution est élevée. En effet, la constante cinétiquede dissolution, de même que le rapport de la surface sur le volume des cristaux, sont élevés. Dansces conditions, le plateau est court et la concentration du palier est proche de la solubilité de laforme métastable. Pour cette même masse donnée de cristaux, au plus les cristaux deviennentgrands (et peu nombreux), au plus la vitesse globale de dissolution devient faible. En effet, laconstante cinétique de dissolution, de même que le rapport de la surface sur le volume descristaux, diminuent. Le plateau devient dès lors de plus en plus long et la concentration dupalier s’éloigne de la solubilité de la forme métastable [9,10].

A la fin de cette deuxième phase, nous observons une diminution progressive de la concen-tration du soluté en solution (figure V.8). Elle traduit l’épuisement des cristaux du morphemétastabl et le pompage de la sursaturation restante par la croissance des cristaux de la formecristallographique stable.

c. Phase de croissance et de maturation de la forme stable

La troisième phase débute au deuxième point d’inflexion sur la courbe présentant l’évolutionde la concentration au cours du temps (figure V.8). D’après la revue de la littérature, ce pointcorrespond à la fin de la dissolution des cristaux la forme métastable [9,10]. A partir de cemoment, seule la croissance de la forme cristallographique stable est présente. Ce phénomènephysico-chimique est responsable du pompage de la sursaturation restante. Elle se traduitpar la diminution de la concentration du soluté en solution, laquelle tend vers la solubilitédu morphe stable, notée c∗stable. Ce phénomène s’accompagne généralement d’une élévation

Page 17: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.2 Revue bibliographique et définitions 225

de la température de la suspension, ce qui se traduit par un pic exothermique sur la courbeprésentant l’évolution de la température de la solution au cours du temps (figure V.8). Lasuspension finale, après la transition polymorphe, est alors constituée d’une certaine masse decristaux du morphe stable, laquelle subit le mûrissement d’Ostwald (Annexe B).

V.2.2.4 Temps de latence

Comme nous pouvons le voir à la figure V.8, un intervalle de temps s’écoule, dans desconditions isothermes, entre le moment où la solubilité pour le morphe métastable, c∗métastable,est atteinte et le moment où la solubilité pour le morphe stable, c∗stable, est atteinte à son tour.Ce temps est appelé, dans le cadre de ce travail, temps de latence, et noté tlatence. L’existenced’un temps de latence est due à la durée de chacune des trois phases du mécanisme de latransition polymorphe.

Nous supposons que le deuxième pic exothermique, observé, au cours de l’étape 3, sur lacourbe présentant l’évolution de la température de la solution/suspension au cours du temps(figure V.2) coïncide avec la troisième phase de la transition polymorphe (figure V.8). Dès lors,la détermination expérimentale du temps de latence consiste à déterminer le temps comprisentre le début de l’étape 2 et le maximum du deuxième pic exothermique, observé, au cours del’étape 3, sur la courbe présentant l’évolution de la température de la solution/suspension aucours du temps (figure V.2). De même, nous pouvons définir le temps de latence réduit, commeétant l’intervalle de temps compris entre le début de l’étape 3 et le maximum du deuxièmepic exothermique, observé, au cours de l’étape 3, sur la courbe présentant l’évolution de latempérature de la solution/suspension au cours du temps (figure V.2). La section suivante nouspermet de relier la courbe présentant l’évolution temporelle de la concentration de la solution(figure V.8) à la courbe présentant l’évolution de la température de la solution au cours del’étape de maturation (figure V.2).

Page 18: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

226Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

V.3 Suivi en-ligne de l’opération de cristallisation

V.3.1 Introduction

Une première revue synthétique de la littérature, concernant les études expérimentales destransitions médiées par la solution, est proposée en 1985 par Cardew et al. [98]. Il en ressort que,dès les années 1970, les opérations de cristallisation impliquant des substances présentant unpolymorphisme cristallin et présentant une transition polymorphe sont l’objet d’études. Afin decomprendre les phénomènes sous-jacents à ces opérations, elles sont, à l’époque, suivies en-lignepar microscopie optique principalement. Le concept des Process Analytical Technology (PAT)promouvant l’introduction de sondes diverses, plus perfectionnées, permettant le suivi de diversparamètres-clés d’une opération de cristallisation (la concentration de la solution, la formecristallographique et distribution granulométrique des cristaux en suspension, par exemple) estplus tardif (Annexe A). Ceci nous permet de disposer de notions théoriques et expérimentalesrelatives aux mécanismes de transition polymorphe par dissolution-recristallisation. Une récenterevue de la littérature [8] reprend l’ensemble des travaux expérimentaux effectués à ce sujetdepuis 1985, parmi lesquels beaucoup d’entre eux servent de référence dans la suite du texte.

S’inscrivant dans la même logique que ces travaux, l’objectif de cette section est d’approfon-dir, par le biais d’essais expérimentaux, la compréhension des phénomènes physico-chimiquesse déroulant lors des étapes de refroidissement et de maturation [15]. En particulier, la com-préhension du mécanisme de transition polymorphe sous-entend la détermination de l’impor-tance relative des divers phénomènes physico-chimiques intervenant lors de la transition pardissolution-recristallisation, observée dans le cadre de l’opération de cristallisation de l’Étira-cetam crude. En outre, il s’agit de déterminer lequel, parmi les trois phénomènes considérés(la germination et la croissance du morphe stable d’une part et la dissolution du morphe mé-tastable d’autre part), est le phénomène physico-chimique limitant la cinétique de la transitionpolymorphe, du morphe II vers le morphe I.

V.3.2 Matériel et Méthode

Afin de répondre à l’objectif de ce chapitre, deux méthodologies expérimentales complémen-taires sont suivies.

Dans un premier temps, nous effectuons un suivi en-ligne de l’opération de cristallisation. Cecidoit nous permettre d’apporter des informations supplémentaires, obtenues expérimentalement,aux considérations théoriques et propositions de mécanismes présentées à la section précédente.Nous tentons ainsi de comprendre les phénomènes physico-chimiques qui se déroulent lors del’étape de refroidissement d’une part, au cours de laquelle le morphe II apparaît, et lors del’étape de maturation d’autre part, au cours de laquelle prend place la transition polymorphetransformant la masse cristalline de morphe II en cristaux de morphe I. Ces essais expérimentauxdoivent nous permettre de déterminer l’importance relative des divers phénomènes physico-chimiques intervenant lors de la transition par dissolution-recristallisation.

Dans un deuxième temps, nous mettons en place quelques expériences annexes visant àdéterminer lequel, parmi les trois phénomènes considérés (la germination et la croissance dumorphe stable d’une part et la dissolution du morphe métastable d’autre part), est le phénomène

Page 19: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.3 Suivi en-ligne de l’opération de cristallisation 227

physico-chimique limitant la cinétique de la transition polymorphe du morphe II vers le morpheI.

V.3.2.1 Opération de cristallisation

Il s’agit de réaliser l’opération de cristallisation de purification de l’Étiracetam crude, àl’échelle du laboratoire, dans des conditions similaires à celles décrites, au chapitre 1, pourl’opération de cristallisation industrielle. Nous reprenons ci-dessous les grandes étapes du pro-tocole expérimental ainsi que le matériel utilisé.

Le concept est d’introduire, dans le milieu réactionnel, un certain nombre de sondes demesure permettant le suivi de quelques grandeurs caractéristiques-clés d’une opération de cris-tallisation, lesquelles doivent nous permettre, après analyse, d’apporter davantage de précisionsrelatives au mécanisme global sous-jacent à l’opération de cristallisation, tant lors de l’étapede refroidissement que lors de l’étape de maturation [15].

a. Installation expérimentale

L’opération de cristallisation est effectuée au sein d’une cuve de deux litres à double en-veloppe, agitée mécaniquement au moyen d’une hélice de type Mixel TT, faisant partie d’unAutomatic Lab Reactor LabMax de METTLER TOLEDO, disponible chez UCB (figure V.9(a)).

(a) Automatic Lab Reactor LabMax de METTLER

TOLEDO comprenant une cuve de 2 litres.

(b) Cuve munie des sondes de mesure : la sonde FTIR

(bras bleu), la sonde FBRM (à l’avant à gauche), la

sonde Raman (boîtier blanc à l’arrière à gauche) et

la sonde de température (à l’arrière).

Figure V.9 – Installation expérimentale comprenant une cuve (a) et des sondes (b) pour lesuivi en-ligne de l’opération de cristallisation (APC-UCB).

La cuve est équipée de divers appareils de mesure ou outils analytiques (figure V.9(b)). Leprincipe de fonctionnement de ces sondes est détaillé à l’Annexe A.

– La sonde FTIR permet le suivi, au cours du temps, de la concentration du soluté ensolution [15,32,53,57,58,100–103].

Page 20: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

228Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

– La sonde Raman assure la détermination, en continu, de la forme cristallographique descristaux en suspension [24,44,45,104].

– La sonde FBRM donne une information relative à l’évolution temporelle de la distributiongranulométrique des cristaux en suspension [15,30,100,105].

– La sonde de température suit la température de la solution/suspension, au cours del’opération de cristallisation.

Il est évident que l’introduction de toutes ces sondes dans la suspension influence considéra-blement l’écoulement. Or les conditions d’agitation contrôlent les cinétiques des phénomènesphysico-chimiques intervenant lors de l’opération de cristallisation (chapitre 6, Annexe B). Celan’est cependant pas gênant dans la mesure où l’objectif de ce chapitre n’est pas de déterminerprécisément le temps de latence, mais plutôt d’en avoir un ordre de grandeur et de comprendreles mécanismes intervenant lors de l’opération de cristallisation. Nous supposons cependantque le mécanisme global n’est pas affecté par ces différences d’écoulement.

b. Protocole expérimental

Dans un premier temps, nous introduisons, dans la cuve, l’Étiracetam crude et le méthanol,dans des proportions telles que la concentration totale soit égale à 0.6 g/gsol. Cette concentra-tion correspond approximativement à 0.85 volume, soit la concentration la plus élevée utiliséeindustriellement (chapitre 1). La température est ensuite portée à 60°C, pendant une heureenviron, afin d’assurer la dissolution complète de l’Étiracetam crude. Une hélice de type MixelTT est utilisée en vue de mettre le fluide en circulation. Son nombre de puissance est de l’ordrede 0.1 [22] et son diamètre est de l’ordre de 5 cm. La vitesse de rotation est fixée à 400 rpm.Ceci permet, en effet, de conserver une puissance dissipée par unité de volume similaire entrel’échelle du laboratoire et l’échelle industrielle, dont les caractéristiques (nombre de puissanceet diamètre) et la vitesse de rotation du mobile d’agitation sont précisées au chapitre 1.

Dans un deuxième temps et afin d’induire la cristallisation, la température de la solution estdiminuée progressivement, selon une vitesse constante de refroidissement de 15°C/h, depuis latempérature initiale de 60°C jusqu’à une température de maturation finale.

La température de maturation fixée industriellement est de l’ordre de 0°C. Nous supposonsque le mécanisme global n’est pas affecté par la température de maturation, pour autantqu’elle soit inférieure à 30°C. Pour les expériences réalisées dans le cadre de cette étude, latempérature de maturation est fixée à 10°C. Elle permet ainsi de limiter la masse des cristauxen suspension. Il s’agit d’une condition nécessaire au fonctionnement optimal des sondes demesure. En particulier, le fonctionnement de la sonde FTIR, bien que théoriquement conçuepour ne voir que la solution, est perturbé par une trop grande densité de particules solides enson voisinage. Cette température de maturation est maintenue pendant le temps nécessairepour observer la transition polymorphe.

Les paramètres-clés de l’opération de cristallisation (température de la solution/suspension,concentration de la solution, forme cristallographique et distribution granulométrique des cris-taux en suspension) sont suivis et enregistrés, au cours du temps, entre le début de l’étape derefroidissement et la fin de l’étape de maturation. Rappelons que ces expériences doivent, entre

Page 21: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.3 Suivi en-ligne de l’opération de cristallisation 229

autres, nous permettre de déterminer l’importance relative des divers phénomènes physico-chimiques intervenant lors de la transition polymorphe par dissolution-recristallisation.

V.3.2.2 Transition polymorphe

En parallèle des expériences en cuve automatisée décrites précédemment, nous réalisonsun certain nombre d’expériences auxiliaires. Ces dernières sont destinées à déterminer lequel,parmi les trois phénomènes considérés (la germination et la croissance du morphe stable d’unepart et la dissolution du morphe métastable d’autre part), est celui qui limite la cinétique dela transition polymorphe, du morphe II vers le morphe I.

Il est évident que, en toute rigueur, il conviendrait de procéder à la réalisation d’expériencestrès variées, en découplant les phénomènes physico-chimiques, afin d’apporter des preuvesscientifiques permettant de conclure en la limitation, ou non, de la cinétique de la transitionpolymorphe par chacun des trois phénomènes physico-chimiques évoqués. En pratique, noustentons de déterminer laquelle des deux premières phases du mécanisme de transition poly-morphe, présentées à la figure V.8, est la phase limitant la cinétique de la transition polymorphe.Ainsi, le temps caractéristique de la transition polymorphe est de l’ordre de grandeur :

– de la durée de la première phase, caractérisée par la création d’une surface critique, si lagermination primaire (temps caractéristique tb) et la croissance (temps caractéristiquetg) sont les phénomènes physico-chimiques limitant la cinétique de la transition.

– de la durée de la deuxième phase, caractérisée par un pseudo-équilibre entre la dissolutiondes cristaux de morphe II et de croissance des cristaux de morphe I, si la dissolution descristaux de morphe II est l’étape limitante.

Sur la base des premiers résultats obtenus dans le cadre de ce travail et des conclusions destravaux précédents [19,88], notre intuition est que la phase limitante est la création d’une surfacecritique. Nous mettons dès lors en place des expériences visant à renforcer cette hypothèse.

a. Installation expérimentale

Nous réalisons l’opération de cristallisation de l’Étiracetam crude au Service TIPs de l’ULB,au sein de la cuve d’un litre à double enveloppe, agitée mécaniquement au moyen d’uneancre, déjà présentée au chapitre 4 à la figure IV.7 (figure V.10). La double enveloppe, ausein de laquelle circule le fluide caloporteur, permet la régulation de la température de lasolution/suspension au sein de la cuve. L’ajustement de la température de ce fluide, constituéd’un mélange de 75 % en volume d’eau et de 25 % en volume d’éthanol, est assuré par uncryostat de type HUBER (figure V.10(a)).

Le seul paramètre-clé suivi lors de ces expériences de cristallisation est la température. A cettefin, nous plaçons un thermocouple PT100 dans la cuve. Celui-ci, relié à un data logger, permetde suivre et d’enregistrer, en continu, l’évolution de la température de la solution/suspension,lors de l’opération de cristallisation (figure V.10(a)).

Page 22: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

230Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

(a) Cuve d’un litre, équipée du crystat HU-

BER et de l’appareillage d’enregistrement de

la température mesurée grâce aux thermo-

couples.

(b) Cuve à double enveloppe contenant la

suspension de cristaux de morphe I à la tem-

pérature de maturation.

Figure V.10 – Installation expérimentale pour les essais expérimentaux de détermination del’étape limitant la transition polymorphe (TIPs-ULB).

b. Protocole expérimental

La vitesse de rotation de l’ancre est fixée à la vitesse de rotation de référence, soit 250 rpm(chapitre 6), bien qu’elle conduise à une puissance dissipée par unité de volume à l’échelle dulaboratoire inférieure à celle de l’échelle industrielle (chapitre 4). Le protocole expérimental estglobalement similaire à celui décrit ci-dessus, autrement dit la température de la solution estdiminuée progressivement, selon une vitesse constante de refroidissement de 15°C/h, depuisla température initiale de 60°C jusqu’à la température finale de maturation de 10°C. La cuve,présentée à la figure V.10(b), est alors remplie, sur une hauteur de 10 cm, d’une suspensionde cristaux de morphe II : il s’agit d’une suspension très dense comportant près de 50 % enfraction volumique de cristaux. A ce moment, entrent en jeu les phénomènes physico-chimiquespermettant la transition de ces cristaux de morphe II en des cristaux de morphe I.

Afin de vérifier l’hypothèse d’une limitation de la cinétique de la transition polymorphe parla vitesse de création d’une surface critique, nous introduisons, volontairement, au sein de lasuspension, des cristaux de morphe I, produits et récupérés lors d’une cristallisation préalable.Le temps s’écoulant entre le début de l’étape de maturation et le moment de l’introductionde la semence dans la suspension est appelé temps d’ensemencement et est de l’ordre d’unedemi-heure. Les notions théoriques relatives à l’ensemencement sont présentées à l’Annexe B.

La masse et la distribution granulométrique de la semence introduite doivent être telles quela surface critique soit suffisante pour amorcer, quasi instantanément, les phénomènes physico-

Page 23: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.3 Suivi en-ligne de l’opération de cristallisation 231

chimiques de croissance du morphe I et de dissolution du morphe II, entraînant la désaturationbrusque de la solution [15]. Environ 3 % en masse de la masse totale devant cristalliser est dèslors ajoutée (Annexe B). Dans ces conditions, il n’est pas exclu que la germination secondairedu morphe I prenne place, laquelle aurait un effet bénéfique car contribuerait à augmenter lasurface critique (Annexe B). Les cristaux de morphe I sont ajoutés soit secs et broyés (voiesèche) soit humidifiés par quelques millilitres de méthanol (voie humide) [15].

Si la première phase, au cours de laquelle la surface critique est créée, est la phase limitantla cinétique de la transition polymorphe, alors, le temps de latence, déterminé à l’issue de cetteexpérience avec ensemencement, doit être significativement réduit par rapport aux expériencesréalisées sans ensemencement. Par contre, si cette première phase n’est pas l’étape limitante,alors le temps de latence, déterminé à l’issue de cette expérience avec ensemencement, estsimilaire à celui déterminé à l’issue des expériences réalisées sans ensemencement.

V.3.3 Résultats et Discussion

Nous présentons ci-dessous les résultats expérimentaux nous permettant de comprendre lesphénomènes physico-chimiques des mécanismes sous-jacents à l’opération de cristallisation depurification de l’Étiracetam crude.

V.3.3.1 Opération de cristallisation

Nous présentons ci-dessous les résultats expérimentaux de l’évolution temporelle des paramètres-clés, suivis en-ligne, lors de l’opération de cristallisation de référence. Celle-ci est réalisée dansune cuve de 2 litres équipées de sondes dont une sonde FTIR, une sonde FBRM, une sondeRaman et une sonde de température (figure V.9). Quatre expériences sont réalisées, en suivantle même protocole expérimental, décrit précédemment. Étant donné que les résultats issus dechacune d’entre elles sont similaires, nous ne nous focalisons que sur l’une d’entre elles, et enparticulier, sur la première car les résultats obtenus présentent le bruit de fond le plus faible.

La figure V.11 présente l’évolution temporelle des paramètres suivants :

– en noir, la concentration de la solution, obtenue par la sonde FTIR. Les valeurs de concen-tration, exprimées en g/gsol, sont multipliées par 100 afin d’être représentées aisémentsur la même échelle des ordonnées que les autres paramètres-clés. Nous représentonségalement, à la figure V.13, le chemin de concentration dans le diagramme de phaseSLE obtenu au chapitre 3 (figure III.12). Celui-ci est tracé sur la base des points expéri-mentaux de la concentration, obtenus par la sonde FTIR, et de la température, obtenuspar la sonde de température. Nous y mentionnons également les diverses concentrationset températures introduites aux figures V.3 et V.4.

– en gris foncé, la température de la solution/suspension, obtenue par la sonde de tempé-rature. Cette courbe ne permet pas de visualiser clairement les deux pics exothermiques.Ils sont mis en évidence de façon plus claire à la figure V.12.

– en gris clair, la longueur moyenne des longueurs de corde des cristaux, obtenue par lasonde FBRM. Dans la suite, nous utilisons abusivement le terme de taille moyenne en lieuet place de longueur de corde moyenne. En effet, la distribution des longueurs de corde

Page 24: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

232Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

(CLD), obtenue par la sonde, peut être reliée, moyennement quelques traitements ma-thématiques, à la distribution des tailles des particules (PSD), plus couramment utiliséecomme caractérisation de la distribution granulométrique des cristaux [30] (Annexe A).Dans la suite, nous nous contentons d’une analyse qualitative des résultats. Cependant,la représentation unique de la taille moyenne des cristaux masque certains phénomènes.Afin de remédier à cette défaillance, nous complétons la figure V.11 par deux figuressupplémentaires (figure V.14) présentant l’évolution temporelle du nombre de coups parseconde par classe de particules. La figure V.14(a) présente les deux classes reprenantles plus petites particules (classe 1 et classe 2) et la figure V.14(b) présente les deuxclasses reprenant les plus grandes particules (classe 3 et classe 4).

– dans la barre en haut de la figure, la forme cristallographique des cristaux, obtenue parla sonde Raman. La zone hachurée de haut en bas vers la droite correspond au morpheII, la zone hachurée de haut en bas vers la gauche correspond à la présence de morpheI en suspension, et la zone intermédiaire correspond à la présence de cristaux des deuxformes cristallographiques.

Sur chacune des trois figures V.11, V.14(a) et V.14(b), nous indiquons la limite entre lesétapes de refroidissement et de maturation, telles que définies précédemment (figure V.2). Demême, nous y présentons le temps d’induction et le temps de latence. Enfin, nous mettons enévidence les plages de températures au sein desquelles se déroulent les trois grandes phaseslors de l’étape de maturation. Nous revenons cependant sur ce point plus loin dans le texte(figure V.16).

Nous détaillons davantage, ci-dessous, successivement les étapes de refroidissement et dematuration.

V.3.3.2 Étape de refroidissement

Nous présentons, à la figure V.15, un agrandissement de la figure V.11, centré sur l’étape derefroidissement. Cette figure présente l’évolution temporelle, lors de l’étape de refroidissement,de la concentration de la solution, de la température de la solution/suspension ainsi que de ladistribution granulométrique et de la forme cristallographique des cristaux en suspension.

L’étape de refroidissement dure 3 heures 20 minutes, soit le temps nécessaire pour abaisserla température de 60°C à 10°C à raison d’une vitesse de refroidissement de 15°C/h. Cettepremière étape peut être divisée en deux phases : la première, au cours de laquelle la solution,dépourvue de cristaux, est le siège de l’initiation de la germination, dont la durée est égale autemps d’induction, et la deuxième débutant avec l’apparition de cristaux en suspension.

a. Phase d’initiation de la germination

Lors de la diminution progressive de la température de la solution, la concentration de celle-ci reste égale à la concentration initiale de 0.6 g/gsol. Une valeur de 0.57 g/gsol est cependantrenseignée par la sonde FTIR, qui, rappelons le, a tendance à sous-estimer la concentrationaux hautes températures (figure V.15). Aucun cristal n’est observé en solution. En effet, lenombre de coups par seconde, pour les 4 classes de particules, est très faible (figure V.14).

Page 25: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.3 Suivi en-ligne de l’opération de cristallisation 233

Figure V.11 – Résultats expérimentaux de l’évolution temporelle, au cours de l’opération decristallisation, de la concentration de la solution, de la température de la solution/suspensionainsi que de la distribution granulométrique et de la forme cristallographique des cristaux.

(a) Premier pic exothermique. (b) Deuxième pic exothermique.

Figure V.12 – Mise en évidence du premier pic exothermique (a) et du deuxième pic exo-thermique (b), observés sur la courbe expérimentale présentant l’évolution temporelle de latempérature de la solution/suspension à la figure V.11.

Page 26: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

234Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

Figure V.13 – Résultats expérimentaux du chemin de concentration, dans le diagramme dephase SLE, suivi au cours de l’opération de cristallisation.

(a) Petites particules : classe 1 et classe 2. (b) Grandes particules : classe 3 et classe 4.

Figure V.14 – Résultats expérimentaux de l’évolution temporelle du nombre de coups parseconde par classe de particules pour les petites particules (a) et pour les grandes particules(b).

Page 27: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.3 Suivi en-ligne de l’opération de cristallisation 235

En pratique, la sonde FBRM ne renvoie jamais un nombre nul de particules, étant donné laprésence inévitable d’un bruit de fond.

Figure V.15 – Résultats expérimentaux de l’évolution temporelle, au cours de l’étape derefroidissement, de la concentration de la solution, de la température de la solution/suspensionainsi que de la distribution granulométrique et de la forme cristallographique des cristaux.

A la température, T ∗, aux environs de 50°C, le chemin de concentration, tracé dans lediagramme de phase SLE (figure V.13), nous informe que la solution devient sursaturée. Laconcentration de la solution devenant supérieure à la solubilité pour le morphe II, le phénomènephysico-chimique de germination de cette forme cristallographique est amorcé. Étant donné lafaible sursaturation, ce mécanisme de formation de germes est lent et, dès lors, la concentrationde la solution reste toujours égale à la concentration initiale de 0.57 g/gsol.

Parmi les cinq mécanismes de germination évoqués à l’Annexe B, nous ne retenons dansle cadre de cette étape de refroidissement que les deux mécanismes de germination primaire,qu’elle soit homogène ou hétérogène. Les mécanismes de germination secondaire ne sont pas re-tenus car la solution est initialement dépourvue de cristaux. Ces mécanismes peuvent cependantvenir se greffer aux mécanismes de germination primaire lorsque la vitesse de refroidissementet/ou l’intensité de l’agitation sont élevées (Annexe B).

Lors de la poursuite du refroidissement, l’augmentation de la sursaturation relative favorisel’augmentation de la vitesse de germination (Annexe B). La germination primaire, entamée dès50°C, de temps caractéristique, tb, contribue à la formation de germes initiaux. La croissance,deuxième stade de la cristallisation, de temps caractéristique, tg, permet aux germes initiaux,

Page 28: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

236Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

de taille nanométrique, de croître et d’offrir une surface critique suffisante pour amorcer ladésaturation rapide de la solution. Un temps d’attente, ta, supplémentaire est enfin néces-saire avant d’observer un changement significatif, et détectable par les sondes de mesure, ducomportement de la suspension (figure V.4).

b. Phase de germination et de croissance

A la température d’induction, Tind, aux environs de 45°C, les premiers cristaux, desurface critique, et détectables par les sondes Raman et FBRM, apparaissent en suspension(figure V.15). Cela se traduit par l’augmentation du nombre de coups par seconde transmis parla sonde FBRM ainsi que par l’augmentation de la taille moyenne des cristaux (figure V.14).La sonde Raman renseigne par ailleurs qu’il s’agit de cristaux de morphe II (figure V.15).La première forme cristallographique apparaissant en suspension étant le morphe stable auxtempératures auxquelles la germination primaire prend place, nous en déduisons que l’opérationde cristallisation considérée est une exception à la loi d’Ostwald (Annexe B).

La cristallisation du morphe II se traduit également par la diminution de la concentration dela solution, depuis la concentration initiale de 0.57 g/gsol, jusqu’à la solubilité pour le morpheII (figures V.13 et V.15). De même, la cristallisation étant un phénomène exothermique, ellese traduit, sur la courbe présentant l’évolution de la température au cours du temps, par unpremier pic exothermique (figure V.15).

Le refroidissement de la suspension continuant, la concentration de la solution continueégalement à diminuer et à suivre la solubilité du morphe II (figures V.13 et V.15). Le nombrede cristaux en suspension augmente. Cela se traduit par l’augmentation du nombre de coups parseconde pour les 4 classes de particules (figure V.14). La taille moyenne des cristaux diminueprogressivement au cours du refroidissement. Nous observons en effet que le nombre de coupspar seconde relatif aux plus petites particules (figure V.14(a)) augmente plus rapidement, aucours du temps, que le nombre de coups par seconde relatif aux plus grandes d’entre elles(figure V.14(b)).

Aux alentours de 30°C, la solution devient sursaturée pour le morphe I (figure V.13). Étantdonné la faible sursaturation, la vitesse de germination de cette forme cristallographique estextrêmement faible. La sursaturation continue dès lors à être pompée préférentiellement pourla croissance des cristaux de morphe II. Cela est confirmé par la sonde Raman laquelle nousinforme que la forme cristallographique des cristaux en suspension reste celle du morphe II(figure V.15).

Au bout de 3 heures 20 minutes, la température de la suspension atteint la températurede maturation, fixée à 10°C (figure V.15). La concentration du soluté en solution se stabilise àla concentration de saturation de la solution, à 10°C, en équilibre avec des cristaux de morpheII. La valeur de 0.24 g/gsol, prédite par la sonde FTIR (figure V.15), est en accord avec lavaleur de la solubilité, à 10°C, déterminée sur la base de la courbe de solubilité du morpheII (figure V.13). La taille moyenne des cristaux ainsi que le nombre de coups par secondesemblent également se stabiliser (figure V.14). C’est à ce stade que la deuxième étape, l’étapede maturation, débute.

Page 29: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.3 Suivi en-ligne de l’opération de cristallisation 237

V.3.3.3 Étape de maturation : importance relative des divers phénomènes physico-chimiques

Nous présentons, à la figure V.16, un agrandissement de la figure V.11, centré sur l’étapede maturation. Cette figure présente l’évolution temporelle, lors de l’étape de maturation, dela concentration de la solution, de la température de la solution/suspension ainsi que de ladistribution granulométrique et de la forme cristallographique des cristaux en suspension.

Figure V.16 – Résultats expérimentaux de l’évolution temporelle, au cours de l’étape dematuration, de la concentration de la solution, de la température de la solution/suspensionainsi que de la distribution granulométrique et de la forme cristallographique des cristaux.

L’étape de maturation peut être découpée en trois phases, lesquelles sont identiques àcelles décrites précédemment et se déroulant, successivement, lors d’une transition polymorphemédiée par la solution (figure V.8) : la première consiste en la maturation de la forme métastableet la germination de la forme stable, la deuxième est la phase de pseudo-équilibre entre lacroissance de la forme stable et la dissolution de la forme métastable, et enfin la troisièmephase se caractérise par la croissance et maturation de la forme stable.

Page 30: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

238Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

a. Phase de maturation de la forme métastable et de germination de la forme stable

La première phase se caractérise entre autres par un équilibre métastable entre la solution etles cristaux métastables de morphe II, en cours de maturation. Le mûrissement d’Ostwald estresponsable de la légère augmentation de la taille moyenne de ceux-ci (figures V.14 et V.16).Ce phénomène physico-chimique, très faiblement marqué étant donné la relative grande tailledes cristaux de morphe II, (Annexe B) agit sur ces derniers, forçant les plus petits d’entre eux àse dissoudre au profit de la croissance des plus grands d’entre eux. Nous observons en effet, parexemple, que le nombre de coups par seconde des cristaux de la classe 3 augmente légèrementau cours de cette première phase (figures V.14(b)) [15].

Au cours de cette première phase, la concentration de la solution reste égale à la solubilitépour le morphe II à la température de maturation : soit 0.24 g/gsol (figures V.13 et V.16).La solution est dès lors sursaturée pour les cristaux stables de morphe I, lesquels sont ther-modynamiquement appelés à apparaître. Cette sursaturation conduit ainsi à des vitesses degermination non nulles pour les cristaux de morphe I. Ces vitesses de cristallisation sont ce-pendant extrêmement lentes. La sonde Raman confirme ainsi la présence, en suspension, demorphe II uniquement au cours de cette première phase.

La durée de cette première phase semble très fortement dépendante des temps caractéris-tiques de germination, tb, et de croissance, tg, des cristaux de morphe I. Cette étape prend finlorsqu’une surface suffisante, dite critique, de germes de morphe I est présente en suspension,parmi les cristaux de morphe II. Nous supposons en effet que cette surface critique est néces-saire pour amorcer l’emballement des phénomènes. Il ne serait, par ailleurs, pas étonnant que,suite à la germination primaire du morphe I, apparaisse également la germination secondairede contact de ce même morphe (Annexe B). C’est à ce moment que la deuxième phase débute.

b. Phase de pseudo-équilibre entre la croissance de la forme stable et la dissolution

de la forme métastable

Au cours de la deuxième phase, s’installe un équilibre entre les phénomènes de croissance de laforme cristallographique stable, le morphe I, crée par germination primaire et/ou secondaire lorsde la phase précédente, et la dissolution des cristaux de la forme cristallographique métastable,le morphe II, initialement présents en suspension.

D’un point de vue théorique, cette phase se caractérise par un palier de concentrationconstante et égale à la concentration de pseudo-équilibre, notée ceq (figure V.8). Cependant,les cristaux de morphe II étant relativement petits, la vitesse globale de dissolution est élevée :le plateau est court et la concentration du palier est proche de la solubilité du morphe II,soit 0.24 g/gsol

[9,10] (figure V.16). Cela tend également à indiquer que la vitesse globale dedissolution des cristaux de morphe II est plus grande que la vitesse globale de croissance descristaux de morphe I.

Les phénomènes concomitants de dissolution des cristaux de morphe II et de croissancedes cristaux de morphe I se marquent essentiellement au niveau d’une part de la distribution

Page 31: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.3 Suivi en-ligne de l’opération de cristallisation 239

granulométrique des cristaux (figure V.14) et d’autre part de la forme cristallographique descristaux en suspension (figure V.16). La sonde Raman renseigne un mélange des cristaux desdeux formes cristallographiques (figure V.16). La sonde FBRM nous informe des changementsradicaux dans la distribution des taille des cristaux (figure V.14). Des cristaux de petite tailleapparaissent en suspension, au sein des classes 1, 2 et 3 (figures V.14(a) et V.14(b)) tandisque les cristaux de plus grande taille disparaissent (classe 4 à la figure V.14(b)). Cela se traduitpar une diminution de la taille moyenne des cristaux (figures V.14 et V.16). Or, rappelons queles cristaux de morphe II sont plus grands que ceux de morphe I (figures II.1 et II.2 au chapitre2).

c. Phase de croissance et de maturation de la forme stable

Le début de la troisième phase coïncide avec la fin de la dissolution des cristaux de laforme métastable [9,10] (figures V.14 et V.16). La sonde Raman informe en effet que seul lemorphe I subsiste en suspension (figure V.16). A partir de ce moment, la croissance du morpheI est l’unique phénomène physico-chimique présent. Celui-ci est responsable du pompage dela sursaturation restante. Ceci se traduit par la diminution de la concentration du soluté ensolution depuis la solubilité du morphe II à la température de maturation, soit 0.23 g/gsol

jusqu’à la solubilité du morphe I à cette même température (figures V.13 et V.16).

La croissance, phénomène exothermique, se traduit par l’augmentation de la températurede la suspension. Nous repérons ainsi, au temps de latence, le maximum du deuxième picexothermique, sur la courbe présentant l’évolution temporelle de la température de la suspen-sion. Étant de l’ordre de quelques dixièmes de degrés, ce pic exothermique est peu visible àla figure V.16 : il est mis en évidence à la figure V.12(b). Cette élévation de la températureest, entre autres, responsable de la dissolution rapide des cristaux en suspension, ce qui setraduit par une diminution brusque du nombre de cristaux de l’ensemble des 4 classes (figuresV.14). Concernant la forte diminution de la concentration de la solution lors de l’élévation dela température, elle est probablement liée à une perturbation du fonctionnement de la sondeFTIR, étant donné la suspension dense de cristaux (figure V.16). Le nombre de coups parseconde minimum (figure V.14) de même que la concentration minimale (figure V.16) sontatteints quelques minutes après le temps de latence.

La température de la suspension diminue ensuite pour se stabiliser à la température de ma-turation fixée à 10°C. Le nombre de coups par seconde, renvoyé par la sonde FBRM (figuresV.14), ainsi que la concentration de la solution (figure V.16) rejoignent leurs valeurs d’équi-libres. Les cristaux de morphe I subissent alors le mûrissement d’Ostwald, phénomène peuvisible (figures V.14) tandis que la concentration de la solution rejoint la solubilité du morpheI à la température de maturation. La valeur de 0.22 g/gsol, prédite par la sonde FTIR (figureV.16), est en accord avec la valeur de la solubilité, à 10°C, déterminée sur la base de la courbede solubilité du morphe I (figure V.13).

d. En guise de conclusion ...

Nous reprenons la figure V.8, présentée précédemment, que nous adaptons, à la figure V.17,afin de tenir compte de la discussion présentée ci-dessus.

Page 32: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

240Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

Figure V.17 – Présentation schématique de l’évolution de la concentration de la solution,lors de l’étape de maturation, au cours de la transition polymorphe.

Nous observons ainsi, assez facilement, que le deuxième pic exothermique, observé sur lacourbe présentant l’évolution de la température de la solution/suspension au cours de l’opé-ration de cristallisation (figure V.11), apparaît relativement tardivement lors du mécanisme detransition polymorphe des cristaux de morphe II vers des cristaux de morphe I (figure V.17).Rappelons que le maximum de ce pic exothermique correspond à la fin du temps de latencetel que il est défini précédemment. Nous pouvons dès lors qualifier le temps de latence réduitcomme étant le temps caractéristique de la transition polymorphe.

D’après l’analyse des résultats expérimentaux dans leur ensemble, et particulièrement destemps liés aux diverses phases, il s’avère que le temps caractéristique de la transition polymorpheest essentiellement fonction de la durée de la première phase (figure V.17). C’est au cours decelle-ci que se forme, par germination et croissance, une surface critique de cristaux de morpheI. Le temps de latence, ou temps caractéristique de la transition polymorphe, serait dès lors del’ordre de grandeur de la somme des temps caractéristiques de germination, tb, et de croissance,tg. La courte durée de la deuxième phase semble exclure une limitation de la cinétique de latransition polymorphe par la vitesse de dissolution des cristaux de morphe II.

V.3.3.4 Étape de maturation : phénomène physico-chimique limitant la transitionpolymorphe

Les expériences précédentes, relatives au suivi en-ligne de l’opération de cristallisation, nousamènent à supposer que le phénomène physico-chimique limitant la transition polymorphe,et par conséquent responsable des temps de latence parfois importants, est le couplage dela germination primaire et de la croissance du morphe I. Il semble que l’obtention d’une sur-face critique de cristaux de morphe I soit nécessaire pour véritablement amorcer la transitionpolymorphe. Cette phase apparaît souvent dans la littérature comme étant celle qui limite latransition polymorphe [8].

Page 33: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.3 Suivi en-ligne de l’opération de cristallisation 241

Afin de renforcer et valider cette hypothèse, nous procédons à des essais expérimentauxsupplémentaires au cours desquels, une fois la température de maturation atteinte, nous en-semençons la suspension par des cristaux de morphe I. Ceci permet dès lors, à priori, des’affranchir du temps d’induction, c’est-à-dire du temps nécessaire à la création de la surfacecritique par la germination primaire, tb, et par la croissance, tg, et d’amorcer plus rapidementla transition polymorphe.

Nous synthétisons, au tableau V.1, les résultats obtenus au cours de ces expériences d’en-semencement, ainsi que ceux relevés lors d’expériences réalisées sans ensemencement. Toutesles expériences reprises dans le tableau sont effectuées dans la cuve d’un litre (TIPs-ULB). Lasolution est agitée au moyen de l’ancre tournant à 250 rpm. La température de maturation estfixée à 10°C. Les vitesses de refroidissement sont précisées (10°C, 15.5°C et 20°C).

Dans la première colonne du tableau V.1, figure le numéro de référence des expériences tellesqu’elles sont référencées dans le fichier Excel de travail : il s’agit de la date de la réalisation pourles expériences sans ensemencement et du numéro de l’expérience pour celles réalisées avecensemencement. La deuxième colonne reprend la vitesse de refroidissement, b. Nous montrons,au chapitre 6, que celle-ci n’a pas d’influence significative sur le temps de latence réduit. Dans latroisième colonne, nous précisons le temps d’ensemencement, tel qu’il est défini précédemment.Dans les quatrième et cinquième colonnes, figurent, respectivement, la nature et la masse de lasemence introduite lors des expériences d’ensemencement. Enfin, les temps de latence réduitssont repris dans la dernière colonne.

Expérience b Temps d’ Nature Masse Temps deensemencement semence semence latence réduit

n° °C/h h sol - liq g hnormal 150109 15.5 / / / 11.6normal 190109 15.5 / / / 7.6normal 220109 15.5 / / / 19.7normal 210209 15.5 / / / 9.3normal 080309 15.5 / / / 7.9normal 070509 10 / / / 5.6normal 090509 20 / / / 10.4

ens 2 15.5 0.78 sol 11 1.96ens 5 15.5 0.39 sol 11 1.64ens 7 20 0.82 sol 11 2.22ens 10 20 0.87 liq 11 2.38

Table V.1 – Comparaison des temps de latence réduits pour des expériences de cristallisationréalisées avec et sans ensemencement. Mobile d’agitation : ancre. Vitesse de rotation : 250rpm. Température de maturation : 10°C.

Nous présentons, à la figure V.18, des profils de températures schématiques obtenus lorsd’expériences réalisées avec ou sans ensemencement, en vue de les comparer.

Page 34: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

242Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

Figure V.18 – Présentation schématique de l’évolution temporelle de la température de lasolution/suspension au cours de l’opération de cristallisation de purification de l’Étiracetamcrude (step 3 dans la chaîne de production du Lévétiracetam) réalisée avec (courbe en traitplein) et sans (courbe en traits discontinus) ensemencement à la température de maturation.

Il ressort très aisément, du tableau V.1 et de la figure V.18, que le temps de latence réduitest significativement plus long lorsque les expériences sont réalisées sans ensemencement parrapport aux expériences réalisées avec ensemencement de la suspension. La première conclusion,d’intérêt industriel appliqué, qui découle de cette série expérimentale, est qu’un moyen efficacepour réduire le temps de latence consiste en l’ensemencement de la suspension par des cristauxde morphe I, dans des conditions isothermes, à la température de maturation [8].

La série expérimentale réalisée nous permet également, et essentiellement, de renforcer l’hy-pothèse concernant la limitation de la cinétique de la transition polymorphe par l’obtentiond’une surface critique de morphe I. La germination, à priori primaire, et la croissance du morpheI sont dès lors effectivement les phénomènes physico-chimiques responsables des temps de la-tence importants.

Nous observons, à la figure V.18, un délai entre l’introduction de la semence, au tempsd’ensemencement, et l’apparition du deuxième pic exothermique, dont le maximum est observéau temps de latence réduit. La durée de cet intervalle de temps, d’environ une heure, estdu même ordre de grandeur que la durée de la deuxième phase du mécanisme de transitionpolymorphe, à savoir la phase de pseudo-équilibre entre la dissolution du morphe II et lacroissance du morphe I. Un temps d’attente, ta, nécessaire pour réellement activer la surfacede la semence introduite, contribue probablement également à la durée de cet intervalle detemps. Nous pouvons, de plus, supposer que la semence introduite ne présente pas directement

Page 35: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.3 Suivi en-ligne de l’opération de cristallisation 243

une surface critique suffisante pour amorcer l’emballement du mécanisme. Cet intervalle detemps dépend dès lors probablement également du temps caractéristique de croissance, tget/ou du temps caractéristique de germination secondaire. En effet, ces deux phénomènesphysico-chimiques contribuent à l’augmentation de la surface totale des cristaux.

V.3.4 Conclusion

Les résultats expérimentaux du suivi en-ligne des paramètres-clés de l’opération de cristalli-sation de l’Étiracetam crude nous permettent d’approfondir la compréhension des phénomènesphysico-chimiques se déroulant lors des l’étapes de refroidissement et de maturation.

Lors de l’étape de refroidissement, les phénomènes physico-chimiques, sous-jacents à la cris-tallisation du morphe II, se révèlent être relativement simples. Grâce au refroidissement, desgermes de morphe II apparaissent dès que la solution, initialement sous-saturée, devient sursa-turée. Ces premiers germes créés n’offrent cependant pas une surface suffisante, dite critique,pour permettre l’emballement des phénomènes. Ce n’est qu’à une température d’induction queles cristaux, de taille critique, permettent d’assurer la désaturation rapide de la solution. Lesphénomènes physico-chimiques sous-jacents à ce mécanisme sont la germination primaire et lacroissance.

Comme nous le voyons dans cette section, les phénomènes physico-chimiques sous-jacentsà l’étape de maturation sont relativement complexes. L’analyse simultanée des profils de tem-pérature de la solution/suspension, de la concentration de la solution, de la forme cristallo-graphique ainsi que de la distribution granulométrique des cristaux en suspension nous permetde confirmer que la transition polymorphe s’effectue par un mécanisme de reconstruction viala solution (ou la solution interfaciale pour des milieux à forte densité en cristaux). Ce méca-nisme, également appelé mécanisme de dissolution-recristallisation, se déroule en trois phases.Des expériences auxiliaires, d’ensemencement de la suspension par des cristaux de morphe I,permettent de mettre en évidence que la première phase, au cours de laquelle se créent, pargermination et croissance, des cristaux de morphe I de surface suffisante, dite critique, est laphase qui limite la cinétique de la transition polymorphe. Ces résultats expérimentaux sont enexcellent accord avec d’autres résultats expérimentaux rencontrés dans la littérature, et reprisdans la récente revue sur le sujet [8].

Nous nous permettons d’insister, encore une fois, sur l’influence significative des phénomènesde germination, de temps caractéristique tb et de croissance, de temps caractéristique tg, sous-jacents au mécanisme de création d’une surface critique, tant sur la cinétique de la cristallisationdu morphe II lors de l’étape de refroidissement, que sur la cinétique de la transition polymorphe,des cristaux de morphe II en des cristaux de morphe I, lors de l’étape de maturation.

Depuis quelques décennies, afin de davantage comprendre les phénomènes physico-chimiquessous-jacents aux opérations unitaires du Génie des Procédés, d’une part, et afin d’optimiserces dernières, d’autre part, de nombreux scientifiques délaissent les essais expérimentaux, bientrop souvent longs et fastidieux [8], pour se consacrer au développement et à l’exploitation de

Page 36: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

244Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

modèles mathématiques [15,98,106,107]. Le développement de tels outils de contrôle et d’optimi-sation des opérations est en effet d’un intérêt indiscutable pour l’industrie chimique en général,et pharmaceutique en particulier [15,106]. Ainsi,

– A la section suivante, nous tentons de comprendre l’ordre de grandeur du temps d’induc-tion observé expérimentalement, sur la base de considérations théoriques relatives auxmécanismes de cristallisation prenant place lors de l’étape de refroidissement.

– A la dernière section, nous procédons à une mise en équation de l’ensemble des phé-nomènes physico-chimiques prenant place lors de l’étape de maturation. Ceci doit nouspermettre de confirmer les observations découlant des essais expérimentaux présentésdans cette section. En particulier, il convient de préciser les importances relatives desdivers phénomènes physico-chimiques et de confirmer la limitation de la transition po-lymorphe par les phénomènes couplés de germination primaire et croissance de la formestable.

Page 37: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.4 Développements théoriques pour l’étape de refroidissement 245

V.4 Développements théoriques pour l’étape de refroidissement

V.4.1 Introduction

Dans cette section, nous souhaitons revenir sur l’étape de refroidissement. Comme cela estexpliqué précédemment, il s’écoule un certain temps, dit temps d’induction, tind, à partir du dé-but du refroidissement, avant de voir apparaître, à la température d’induction Tind, les premierscristaux de morphe II. Ceux-ci apportent une surface critique suffisante permettant l’amorçagede la désaturation rapide de la solution. Ce temps d’induction correspond à la somme de troistemps caractéristiques : le temps caractéristique de germination, tb, le temps caractéristique decroissance, tg, et un temps d’attente supplémentaire, ta. L’objectif de cette section est d’ap-porter des éléments supplémentaires permettant de comprendre l’ordre de grandeur de cettetempérature d’induction. La figure V.13 montre que Tind se situe aux alentours de 45°C.

Comme cela est présenté précédemment, notamment aux figures V.3 et V.4, la germinationsemble être le phénomène physico-chimique limitant la cinétique de cristallisation. Le tempsd’induction, tind, est dès lors de l’ordre de grandeur du temps de germination, tb. Ce tempscaractéristique de germination, ainsi que la température de germination, Tb, sont reliés à lanotion de courbe de métastabilité. Rappelons que la courbe de métastabilité est la frontièreséparant la zone de la solution sursaturée en deux parties : l’une où la vitesse de germinationest élevée (zone de germination spontanée) et l’autre où la vitesse de germination est faible(zone de métastabilité) (figure III.2 au chapitre 3 ou figure B.3 à l’Annexe B). Cette vitesse degermination primaire (équation B.8 à l’Annexe B) est fonction de la densité de germes de rayoncritique (équation B.7 à l’Annexe B) laquelle dépend de l’énergie d’activation de germinationcritique (équation B.6 à l’Annexe B).

Nous présentons dès lors, ci-dessous, l’évolution, lors du refroidissement, du rayon critiqueainsi que de l’énergie d’activation de germination critique en fonction de la température. Demême, nous portons en graphique l’évolution, au cours du refroidissement, du nombre de germesde rayon critique par unité de volume de solution. Ces représentations graphiques, basées surdes considérations théoriques, devraient permettre de comprendre l’ordre de grandeur de latempérature d’induction, Tind, observée à la figure V.13.

V.4.2 Méthode

Nous reprenons les expressions, données à l’Annexe B, du rayon critique (équation B.5), del’énergie d’activation de germination critique (équation B.6) ainsi que de la densité de germesde rayon critique (équation B.7) afin d’en donner les expressions de leur évolution au cours dutemps lors du refroidissement, ou en d’autres termes, en fonction de la température, T .

Les équations V.3 et V.4 donnent respectivement les expressions de la variation du rayoncritique, rc (m), et de l’énergie d’activation de germination critique, ∆Gc (J), avec la tempé-rature.

rc(T ) =2γMm

ρsIIRTln(

CinitC∗II

(T )

) (V.3)

Page 38: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

246Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

∆Gc(T ) =16π

3

γ3M2m

(

ρsIIRTln(

CinitC∗II

(T )

))2 (V.4)

où– γ est la tension de surface cristal-solution (J/m2)– Mm est la masse molaire des cristaux de morphe II (g/mol)– ρsII est la masse volumique des cristaux de morphe II (kg/m

3)– R est la constante des gaz parfaits (J/mol/K)– T est la température (K)– Cinit est la concentration initiale de la solution à 60°C (mol/m3)– C∗II est la solubilité du morphe II lors du refroidissement (mol/m

3)

Il est évident que la germination primaire homogène (équation B.8) est d’autant plus favori-sée que le rayon critique (équation V.3) ainsi que l’énergie d’activation de germination critique(équation V.4) sont faibles.

Le nombre cumulé de germes de rayon critique, nc (-), par unité de volume de solution,V sol (m3), créés, lors du refroidissement, depuis la température initiale, Tinit, de 60°C, jusqu’àla température T , est donné par l’équation V.5. Cette équation découle des expressions de ladensité de germes de rayon critique (équation B.7) et de la vitesse de germination primaire(équation B.8).

nc(T )

V sol= −

∫ T

Tinit

kb

bexp

16π

3

γ3M2m

ku(

ρsIIRuln(

CinitC∗II

(u)

))2

du (V.5)

où– kb est la constante cinétique de germination primaire (germes/m3/s)– b est la vitesse de refroidissement de la solution/suspension (°C/h)– k est la constante de Boltzmann (J/K)

Il est évident qu’au moins un germe de rayon critique par unité de volume de solution estrequis pour véritablement entamer la germination primaire. De plus, nous pouvons faire l’hy-pothèse que, une fois la désaturation de la solution entamée, à la température d’induction, lacroissance est le seul phénomène physico-chimique responsable du pompage de la faible sursa-turation au cours du refroidissement. Il convient dès lors que le nombre de cristaux récupérésà l’issue de l’étape de refroidissement, nref (-), corresponde au nombre de cristaux formés, pargermination primaire, avant que la température d’induction ne soit atteinte. Ce nombre nref

de cristaux est facile à calculer au moyen de l’équation V.6. L’égalisation des équations V.5 etV.6 nous permet ainsi d’avoir un ordre de grandeur de la température d’induction.

nref

V sol=

1

V sol

msol (cinit − c∗

II(Tmat))

43π(

LII,ref

2

)3ρsII

(V.6)

où– msol est la masse de la solution (g)– cinit est la concentration initiale de la solution à 60°C (g/gsol)

Page 39: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.4 Développements théoriques pour l’étape de refroidissement 247

– c∗II(Tmat) est la solubilité du morphe II à la température de maturation (g/gsol)– Tmat est la température de maturation (°C)– LII,ref est la taille des cristaux de morphe II récupérés, en fin de croissance, à la tempé-rature maturation (m)

Nous donnons, dans le tableau V.2, les valeurs numériques des diverses grandeurs apparais-sant dans les équations V.3, V.4, V.5 et V.6.

Grandeur Valeur Unitéparamètre variable

T [30 ; 55] °CC∗(T ) C∗([30; 55]) mol/m3

paramètre connub 15.5 °C/hMm 170 g/molρsII 1258 kg/m3

L 200 10−6 mcinit 0.6 g/gsol

Cinit 3390 mol/m3

c∗II(Tmat) 0.24 g/gsol

n0 1.29 1025 moléculemsol 1336 gV sol 1.39 10−3 m3

R 8.314 J/mol/Kk 1.38 10−23 J/K

paramètre inconnuγ [0.001 ; 0.01] J/m2

kb [1010 ; 1030] 1/m3/s

Table V.2 – Valeurs et unités des grandeurs apparaissant dans les équations V.3, V.4 et V.5.

Les expressions V.3, V.4 etV.5 sont évaluées pour des températures allant de 30°C à 55°C.La solubilité du morphe II, sur cette plage de températures, est donnée au moyen des équationsdéterminées, sur base des résultats expérimentaux, au chapitre 3. Une transformation d’unitésest requise pour passer des g/gsol aux mol/m3. La masse molaire de l’Étiracetam de même quela masse volumique de la solution sont dès lors nécessaires. La masse volumique de la solution,dont la concentration est aux alentours de 0.6 g/gsol et, dont la température est aux alentoursde 60°C, vaut 960 kg/m3.

La vitesse de refroidissement, b, de référence utilisée dans le cadre de ce travail est de 15.5°C/h (chapitre 6). La masse molaire de l’Étiracetam, Mm, ainsi que la masse volumique descristaux de morphe II, ρsII , sont des paramètres physico-chimiques connus. La taille moyenne descristaux de morphe II est déterminée sur base des observations au microscope optique présentéesau chapitre 2. La concentration initiale de la solution à 60°C est exprimée dans les deux systèmesd’unités. La solubilité du morphe II , c∗II(Tmat), à la température de maturation, Tmat, de 10°C,est déterminée grâce aux résultats expérimentaux de détermination des courbes de solubilité

Page 40: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

248Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

présentés au chapitre 3. Le nombre total de molécules de soluté et de solvant présentes ensolution, n0, est calculé sur base des masses initiales de soluté et de solvant introduites dansla cuve de 2 litres, ainsi que de leurs masses molaires respectives. Les masses sont de 803g et 533 g, respectivement pour l’Étiracetam crude et pour le méthanol. Elles permettent lecalcul de la masse de solution, msol. Le volume de la solution, V sol, est déterminé sur base dela connaissance de la masse de la solution ainsi que de sa masse volumique (960 kg/m3). Laconstante des gaz parfait et la constante de Bolzmann sont des grandeurs universelles.

La tension de surface cristal-solution, γ, est un paramètre physico-chimique du systèmeconstitué des cristaux de morphe II et de la solution. La valeur de cette tension de surfacen’est pas connue. Nous balayons de ce fait une gamme de valeurs plausibles sur base devaleurs de systèmes comparables mentionnées dans la littérature [11,28]. Il en est de même pourla constante cinétique de germination primaire, kb, laquelle balaye une très large gamme devaleurs (Annexe B).

V.4.3 Résultats et Discussion

Nous présentons, dans ce qui suit, l’évolution, en fonction de la température de refroidis-sement, du rayon critique (équation V.3), de l’énergie d’activation de germination critique(équation V.4) ainsi que du nombre cumulé de germes de rayon critique par unité de volumede solution (équation V.5).

V.4.3.1 Rayon critique et énergie d’activation de germination critique

L’évolution du rayon critique en fonction de la température est présentée à la figure V.19(a),tandis que l’évolution, au cours du refroidissement, de l’énergie d’activation de germinationcritique est présentée à la figure V.19(b).

(a) Evolution du rayon critique en fonction de la tem-

pérature.

(b) Evolution de l’énergie d’activation de germination

critique en fonction de la température.

Figure V.19 – Résultats du calcul de l’évolution du rayon critique (a) et de l’énergie d’acti-vation de germination critique (b), en fonction de la température, lors du refroidissement.

Page 41: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.4 Développements théoriques pour l’étape de refroidissement 249

Nous observons, à la figure V.13, que la solution ne devient sursaturée que pour des tem-pératures inférieures à 52°C. Il n’est dès lors pertinent de parler de rayon critique, et d’énergied’activation de germination critique, que pour des températures inférieures à 52°C.

Au cours du refroidissement, tandis que, logiquement, la température, T , diminue, la sursatu-ration, S = Cinit / C∗II(T ), elle, augmente. Ces deux grandeurs se retrouvent au dénominateurdes équations V.3, pour le rayon critique, et V.4, pour l’énergie d’activation de germinationcritique, ce qui conduit à une compétition entre elles. Nous observons, à la figure V.19, l’effetdominant de la sursaturation. En effet, tant le rayon critique (figure V.19(a)) que l’énergied’activation de germination critique (figure V.19(b)) diminuent avec la température. Ainsi, auplus la température diminue, au plus la germination primaire du morphe II est favorisée.

A priori, à une concentration et une température donnée, un système cristal-solution estcaractérisé par une et une seule valeur de la tension de surface. Dans le cadre de ce travail,nous supposons la faible dépendance de la tension de surface envers la concentration et latempérature. En revanche, nous utilisons des valeurs élevées de la tension de surface afin demodéliser l’effet de la germination primaire homogène dans une solution pure et des valeursfaibles de la tension de surface pour modéliser l’effet de la germination primaire hétérogènedans une solution impure. En effet,

– Lorsque la solution initiale est exempte d’impuretés, nous la qualifions de solution pure.Dans ces conditions, c’est la germination primaire de type homogène qui est responsablede la formation d’un cristal, celui-ci adoptant par ailleurs une forme sphérique. Le rayoncritique, rc,homo, de même que l’énergie d’activation de germination primaire homogènecritique, ∆Gc,homo, sont donnés respectivement aux équations V.3 et V.4.

– Lorsque la solution initiale présente des impuretés en son sein, nous la qualifions desolution impure. Dans ces conditions, c’est la germination primaire de type hétérogènequi est responsable de la formation d’un cristal. Ce dernier, croissant à la surface del’impureté, considérée comme un support, adopte une forme de calotte. Les valeurs durayon critique, rc,hétéro, et de l’énergie d’activation de germination primaire hétérogènecritique, ∆Gc,hétéro, sont alors inférieures respectivement à rc,homo et ∆Gc,homo (AnnexeB).

Dans ce travail, nous considérons que ce passage entre la germination primaire homogèneet la germination primaire hétérogène peut être modélisé par une diminution de la tension desurface cristal-solution apparente. Ainsi, à la figure V.19, les diverses courbes correspondent àdifférentes tensions de surface apparentes, γ. Les valeurs utilisées sont précisées en légende etexprimées en J/m2.

Sur base de la figure V.19 il n’est pas aisé de comprendre pourquoi la température d’induc-tion, mise en évidence à la figure V.13, est aux environs 45°C. Pour ce faire, nous présentons,dans la suite, l’évolution du nombre cumulé de germes de rayon critique par unité de volumede solution en fonction de la température de refroidissement.

V.4.3.2 Nombre de germes de rayon critique par unité de volume de solution

L’évolution du nombre cumulé de germes de rayon critique par unité de volume de solutionen fonction de la température est présentée à la figure V.20, l’axe des ordonnées étant enéchelle normale à la figure V.20(a) et en échelle logarithmique à la figure V.20(b). Nous y

Page 42: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

250Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

présentons également diverses courbes aux mêmes tensions de surface que celles utilisées àla figure V.19. En revanche, malgré la large gamme de valeurs possibles pour la constantecinétique de germination, kb, (tableau V.2), une utilisons ici une valeur unique moyenne de1020 1/m3/s.

Nous observons, à la figure V.20(a), une explosion du nombre cumulé de germes de rayoncritique par unité de volume de solution, pour des températures de l’ordre de [30°C ; 45°C]. Cetype de représentation permet l’obtention d’une estimation rapide d’un ordre de grandeur de latempérature d’induction. La représentation du nombre cumulé de germes de rayon critique parunité de volume de solution en échelle logarithmique, telle que présentée à la figure V.20(b),permet cependant une analyse plus détaillée.

Nous y observons que, pour les plus faibles valeurs des tensions de surface considérées,le nombre cumulé de germes de rayon critique par unité de volume de solution est égal à1 aux alentours de 45°C. Ce nombre de germes est en effet un nombre minimum nécessairepour espérer voir un emballement de la germination primaire. Nous observons ensuite uneaugmentation progressive du nombre cumulé de germes de rayon critique formés par unité devolume de solution lorsque le refroidissement continue.

Sur base des données numériques, données au tableau V.2, l’équation V.6 prédit que del’ordre de 1010 cristaux par unité de volume de solution sont récupérés à l’issue de l’étapede refroidissement, à la température de maturation. Considérons que ce nombre de cristauxcorrespond au nombre cumulé de germes formés, par germination primaire, avant que la tempé-rature d’induction ne soit atteinte. Nous observons ainsi, à la figure V.20(b), que la températured’induction est de l’ordre de 45°C.

(a) Axe des ordonnées en échelle normale. (b) Axe des ordonnées en échelle logarithmique.

Figure V.20 – Résultats du calcul de l’évolution du nombre cumulé de germes de rayoncritique par unité de volume de solution en fonction de la température : l’axe des ordonnéesen échelle normale (a) et en échelle logarithmique (b).

Page 43: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.4 Développements théoriques pour l’étape de refroidissement 251

V.4.4 Conclusion

Il ressort de l’analyse présentée que l’ordre de grandeur de la température d’induction,observée expérimentalement et mentionnée à la figure V.13 sur le chemin de concentrationdans un diagramme SLE, est relativement bien prédit par la théorie. Les développementsthéoriques de cette section nous permettent ainsi de renforcer l’hypothèse selon laquelle letemps d’induction, tind, est essentiellement fonction du temps caractéristique de germination,tb.

La prédiction relativement bonne de la température d’induction n’est cependant observéeque pour les plus faibles valeurs des tensions de surface apparentes utilisées. Sur base de ladiscussion précédente concernant les valeurs de la tension de surface apparente en fonction dutype de germination primaire considéré, ceci nous incite à émettre l’hypothèse que le type degermination primaire des cristaux de morphe II, lors de l’étape de refroidissement, est hétéro-gène. Ceci apporte une complexité supplémentaire à la prévision de la température d’inductiond’une expérience à l’autre. En effet, en plus d’être un phénomène stochastique, la germinationprimaire hétérogène est un phénomène quasiment incontrôlable, étant donné la difficulté dequantifier les impuretés présentes dans le système (Annexe B).

Page 44: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

252Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

V.5 Modélisation mathématique de l’étape de maturation

V.5.1 Introduction

Dans cette section, nous souhaitons revenir sur l’étape de maturation. Comme cela est expli-qué précédemment, il s’écoule un certain temps, dit temps de latence, tlatence, à partir du débutdu refroidissement, avant que se déroule, dans des conditions isothermes, à la température dematuration, la transition polymorphe des cristaux de morphe II en des cristaux de morphe I. Lemécanisme sous-jacent à cette transition polymorphe se découpe en trois phases : la phase dematuration de la forme métastable et de germination de la forme stable suivie de la phase depseudo-équilibre entre la croissance de la forme stable et la dissolution de la forme métastableet enfin, la phase de croissance et de maturation de la forme stable. L’objectif de cette der-nière section est de développer un outil mathématique permettant de préciser les importancesrelatives des divers phénomènes physico-chimiques (la germination et la croissance du morphestable d’une part et la dissolution du morphe métastable d’autre part) et de confirmer la li-mitation de la cinétique de la transition polymorphe par la première phase, c’est-à-dire par lesphénomènes couplés de germination primaire et de croissance du morphe I.

Étant donné la complexité de l’opération de cristallisation de purification de l’Étiracetamcrude considérée dans son ensemble, nous concentrons nos efforts de modélisation sur l’étapede maturation exclusivement. En effet, les revues scientifiques présentent de nombreux articlestraitant du développement et de l’optimisation numérique d’outils mathématiques pour lecontrôle et l’optimisation de l’étape de refroidissement, lors d’opérations de cristallisation ensolution par refroidissement. Un des derniers articles sur le sujet est celui de Paengjuntuek [107].Les travaux dans ce domaine avancent à grands pas. En revanche, relativement peu d’effortssont consacrés, à l’heure actuelle, à la modélisation du comportement de la suspension enfin d’opération de cristallisation. En particulier, nous ne trouvons que peu de développementsd’outils de contrôle et d’optimisation d’opérations de cristallisation de substances présentantun polymorphisme cristallin au cours desquelles une transition polymorphe est observée. Deplus, jusqu’il y a peu, les modèles mathématiques développés, dans le cadre de la modélisationde l’évolution du comportement de la suspension lors de transitions polymorphes, se basaientessentiellement sur des bilans de matière ou de chaleur [8,98]. Si ces outils de modélisationpermettent l’obtention d’une tendance du comportement des suspensions, une modélisationplus fine est cependant nécessaire afin de traduire au mieux leur comportement réel. Cettemodélisation passe dès lors par l’écriture d’un système d’équations couplant des bilans depopulation, traduisant l’évolution de la distribution granulométrique des cristaux, et des bilansde matière [8]. Ces modèles nécessitent la connaissance des cinétiques des phénomènes physico-chimiques ainsi que de données thermodynamiques du système.

Nous nous focalisons dès lors, dans cette section, au développement d’un outil mathématiquedécrivant exclusivement les phénomènes physico-chimiques se déroulant lors de l’étape dematuration et, en particulier, lors de la transition polymorphe du morphe II vers le morphe I.Le modèle mathématique repose sur la résolution des équations de bilan de population pourdeux populations de cristaux, le morphe II se dissolvant et le morphe I, qui, après avoir germé,croît. A ces équations de bilan de population, nous couplons une équation de bilan de matièrepour le soluté au sein du volume de la solution, laquelle traduit l’évolution de la concentration

Page 45: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.5 Modélisation mathématique de l’étape de maturation 253

du soluté au sein de la solution au cours du temps, à la température de maturation. Nous netraitons pas des aspects thermiques. Ce modèle présente un intérêt triple.

– La comparaison entre les résultats expérimentaux et modélisés doit permettre d’une partde confirmer le mécanisme de la transition polymorphe proposé, et d’autre part, et decomprendre l’ordre de grandeur du temps de latence (réduit).

– Le modèle mathématique peut ensuite être utilisé en vue de prédire l’influence des para-mètres opératoires sur le temps de latence (réduit), ainsi que sur la distribution granu-lométrique des cristaux.

– Enfin, le modèle peut être utilisé comme outil de contrôle et d’optimisation de l’étapede maturation [15].

V.5.2 Méthode

Avant d’entrer dans les détails de la modélisation de la transition polymorphe des cristauxde morphe II en des cristaux de morphe I, nous présentons quelques concepts théoriques relatifsà la résolution des équations de bilan de population. Ensuite, nous développons le modèle endeux temps : le premier au cours duquel nous traitons de la croissance et de la dissolution etle deuxième au cours duquel nous traitons de la germination. Pour terminer, nous présentonsle modèle complet.

V.5.2.1 Méthodes des caractéristiques

Considérons l’expression classique d’une équation de bilan de population, telle qu’écrite àl’équation V.7. Il s’agit d’une équation aux dérivées partielles traduisant l’évolution, au coursdu temps, t, de la distribution granulométrique en nombre des tailles des cristaux en cours decroissance.

∂n(L, t)

∂t+∂ (G(L, t)n(L, t))

∂L= 0 (V.7)

où– n est la fonction de densité en nombre des cristaux, telle que ndL représente le nombrede cristaux, au temps t (s), dont la taille est comprise dans l’intervalle de tailles [L ;L+dL] (nombre/m)

– L est la borne inférieure de l’intervalle de tailles, ou, en d’autres termes, la taille carac-téristique d’un cristal (m), pouvant, à priori, varier de façon indépendante du temps

– G est la vitesse de croissance (m/s) définie comme étant la variation de la taille carac-téristique du cristal au cours du temps

Les méthodes les plus classiques de résolution des équations de bilan de population (équationV.7) sont la méthode des moments d’une part et la méthode des caractéristiques d’autre part.La première ne s’applique que dans des cas particuliers. Ainsi, pour la plupart des cas, et enparticulier lorsque la taille du cristal, L et le temps, t, sont liés, via la vitesse de croissance,G(L, t), il est préférable d’utiliser la méthode des caractéristiques. La distribution granulomé-trique en nombre des tailles des cristaux est alors suivie, de façon lagrangienne, le long d’unecourbe caractéristique, la courbe G(L, t). Ce concept mathématique permet de transformerune équation aux dérivées partielles (équation V.7 par exemple) en un système d’équations auxdérivées droites (ODE) découplées. C’est cette méthode de résolution que nous adoptons dansla suite de ce travail.

Page 46: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

254Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

Afin de résoudre l’équation de bilan de population (équation V.7) par la méthode des ca-ractéristiques, nous procédons à une discrétisation de l’espace des tailles, en Z intervalles detailles, telle que présentée à la figure V.21(a). L’intervalle de tailles i s’étend de la taille Li àla taille Li+1. Le nombre de cristaux dont la taille appartient à l’intervalle de tailles i est notéNi. Nous avons ainsi transformé la distribution granulométrique initiale des cristaux en unedistribution granulométrique discrète, pouvant s’exprimer mathématiquement au moyen d’unesomme de fonctions de Dirac. Nous supposons, ensuite, que la taille caractéristique de ces Nicristaux vaut Li (m), tel que cela est présenté à la figure V.21(a).

Sur ces bases, l’équation de bilan de population initiale (équation V.7) s’exprime par unsystème de 2 * Z équations V.8 et V.9. Les diverses équations V.9 définissent les courbescaractéristiques pour chaque intervalle de tailles.

dNi(t)

dt= 0 pour i = 1, ..., Z (V.8)

dLi(t)

dt= G(Li(t), t) pour i = 1, ..., Z (V.9)

Ni(t) =

∫ Li+1(t)

Li(t)n(L, t)dL pour i = 1, ..., Z(−) (V.10)

(a) Discrétisation de l’espace des tailles. (b) Evolution temporelle de la distribution

granulométrique des cristaux.

Figure V.21 – Présentation schématique de la discrétisation de l’espace des tailles pour lareprésentation de la distribution granulométrique des cristaux (a) et de l’évolution temporellede la distribution granulométrique des cristaux en cours de croissance.

Page 47: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.5 Modélisation mathématique de l’étape de maturation 255

Ces équations traduisent, de façon discrète, l’évolution temporelle de la distribution granulo-métrique des cristaux en cours de croissance. L’équation V.8 traduit la conservation, au coursdu temps, du nombre de cristaux de l’intervalle de tailles i. En revanche, les bornes inférieureset supérieures de celui-ci évoluent au cours du temps selon l’équation V.9, tel que cela estprésenté à la figure V.21(b). Des équations tout à fait similaires peuvent être écrites pour descristaux en cours de dissolution.

V.5.2.2 Dissolution et croissance : nombre constant d’intervalles de tailles

Considérons une suspension constituée de cristaux des deux formes cristallographiques, lemorphe I et le morphe II, à la température de maturation. La discrétisation de l’espace destailles pour la distribution granulométrique des cristaux de morphe I conduit à ZI intervallesde tailles (figure V.22(a)). De façon similaire, la discrétisation de l’espace des tailles pourla distribution granulométrique des cristaux de morphe II conduit à ZII intervalles de tailles(figure V.22(b)). Considérons que les cristaux de morphe I soient en train de croître tandisque les cristaux de morphe II soient en train de se dissoudre. L’évolution de la distributiongranulométrique des cristaux de morphe I et de morphe II au cours de l’intervalle de temps ∆test représenté respectivement aux figures V.22(a) et V.22(b).

(a) Evolution de la distribution granulomé-

trique des cristaux de morphe I.

(b) Evolution de la distribution granulomé-

trique des cristaux de morphe II.

Figure V.22 – Présentation schématique de l’évolution temporelle de la distribution granulo-métrique des cristaux de morphe I en cours de croissance (a) et des cristaux de morphe II encours de dissolution (b).

Sur base des équations V.8 et V.9, nous pouvons écrire les équations discrètes de bilan depopulation pour le morphe I en cours de croissance (G en m/s) et pour le morphe II en coursde dissolution (D en m/s). Il s’agit des ZI équations V.11 et V.12 pour le morphe I et des ZII

Page 48: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

256Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

équations V.13 et V.14 pour le morphe II.

dNI,i(t)

dt= 0 pour i = 1, ..., ZI (V.11)

dLI,i(t)

dt= GI(LI,i(t), t) pour i = 1, ..., ZI (V.12)

dNII,j(t)

dt= 0 pour j = 1, ..., ZII (V.13)

dLII,j(t)

dt= DII(LII,j(t), t) pour j = 1, ..., ZII (V.14)

Les expressions de la vitesse de croissance du morphe I et de la vitesse de dissolution dumorphe II, données respectivement aux équations V.12 et V.14, exprimées en m/s, découlentde bilans de matière à partir respectivement de l’expression de la densité de flux de croissance(équation B.15) et de l’expression de la densité de flux de dissolution (équation B.16), donnéesà l’Annexe B. Ces bilans de matière sont explicités aux équations V.15 et V.16, en considérantd’une part un ordre de la croissance, g, égal à 1, et d’autre part des vitesses de Stokes trèsfaibles (Re < 1).

d

dt

(

kV,IρsIMm

3

(

LI,i(t)

2

)3)

= kS,I4π

(

LI,i(t)

2

)2 2Dm,gLI,i(t)

(C(t)− C∗I (Tmat)) (V.15)

d

dt

(

kV,IIρsIIMm

3

(

LII,i(t)

2

)3)

= kS,II4π

(

LII,i(t)

2

)2 2Dm,dLII,i(t)

(C(t)− C∗II(Tmat)) (V.16)

où– kV,I et kV,II sont les facteurs de forme de volume des cristaux de morphe I et de morpheII (’)

– kS,I et kS,II sont les facteurs de forme de surface des cristaux de morphe I et de morpheII (’)

– ρsI etρsII sont les masses volumiques des cristaux de morphe I et de morphe II (kg/m

3)– Dm,d est le coefficient de diffusion moléculaire considéré dans le cadre de la dissolution(m2/s)

– Dm,g est le coefficient de diffusion global considéré dans le cadre de la croissance (m2/s)– C∗i est la concentration de saturation du morphe i (mol/m

3)– Tmat est la température de maturation (°C)– Mm est la masse molaire des cristaux (g/mol)

En développant les dérivées des équations V.15 et V.16, et en réarrangeant les termes, nousobtenons, à l’équation V.17, la vitesse de croissance du morphe I et, à l’équation V.18, lavitesse de dissolution du morphe II.

dLI,i(t)

dt= GI(LI,i(t), t) =

4kS,IDm,gMmkV,Iρ

sILI,i(t)

(C(t)− C∗I (Tmat)) pour i = 1, ..., ZI (V.17)

Page 49: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.5 Modélisation mathématique de l’étape de maturation 257

dLII,j(t)

dt= DII(LII,j(t), t) =

4kS,IIDm,dMmkV,IIρ

sIILII,j(t)

(C(t)− C∗II(Tmat)) pour j = 1, ..., ZII

(V.18)

A ces équations de bilan de population, nous devons ajouter une équation de bilan dematière pour le soluté au sein du volume de la solution, V sol (m3), traduisant l’évolution dela concentration du soluté dans la solution au cours du temps, lors de l’étape de maturation,à la température de maturation. Il s’agit de l’équation V.19. Les forces motrices entraînantcette évolution sont la sursaturation et la sous-saturation [8] : la sursaturation par rapport à lasolubilité du morphe I est la force motrice pour la croissance des cristaux de morphe I et lasous-saturation par rapport à la solubilité du morphe II est la force motrice pour la dissolutiondes cristaux de morphe II.

V soldC(t)

dt=ZI∑

i=1

(NI,i(t)LI,i(t)) 2πDm,g (C(t)− C∗

I (Tmat))g

+ZII∑

j=1

(NII,j(t)LII,j(t)) 2πDm,d (C(t)− C∗

II(Tmat)) (V.19)

Le comportement de la suspension, au sein de laquelle les cristaux de morphe I sont en coursde croissance et les cristaux de morphe II en cours de dissolution, se décrit mathématiquementpar un système de 2 ZI + 2 ZII + 1 équations différentielles ordinaires à 2 ZI + 2 ZII + 1inconnues. Ce modèle combine

– 2 ZI équations de bilan de population pour le morphe I traduisant l’évolution temporelledu nombre de cristaux, NI,i(t), au sein de chaque intervalle de tailles, i = 1, ..., ZI ,(équation V.11) ainsi que l’évolution temporelle des bornes inférieures, LI,i(t), de chaqueintervalle de tailles, i = 1, ..., ZI (équation V.17), et

– 2 ZII équations de bilan de population pour le morphe II traduisant l’évolution temporelledu nombre de cristaux, NII,j(t), au sein de chaque intervalle de tailles, j = 1, ..., ZII ,(équation V.13) ainsi que l’évolution temporelle des bornes inférieures, LII,j(t), dechaque intervalle de tailles, j = 1, ..., ZII (équation V.18), à

– 1 équation de bilan de matière pour le soluté au sein du volume de la solution tradui-sant l’évolution temporelle de la concentration, C(t), lors de la transition polymorphe(équation V.19)

Dans la pratique, le nombre d’intervalles de tailles des cristaux de morphe II, ZII , est appeléà diminuer au cours du temps, étant donné la dissolution des cristaux de morphe II, et doncleur disparition progressive. De même, le nombre d’intervalles de tailles des cristaux de morpheI, ZI , est appelé à augmenter au cours du temps, étant donné la germination du morphe I, etdonc l’apparition progressive de germes de morphe I, lesquels croissent par la suite.

V.5.2.3 Germination : nombre évolutif d’intervalles de tailles

La prise en considération de l’apparition de cristaux de morphe I et de la disparition decristaux de morphe II au cours du temps nécessite l’adaption du modèle, lequel doit intégrer

Page 50: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

258Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

l’évolution, au cours du temps, du nombre d’intervalles de tailles, ZI et ZII , relatifs auxdistributions granulométriques discrètes des cristaux des deux formes cristallographiques. Acette fin, nous procédons à une discrétisation de l’espace temporel, de façon similaire à celleproposée par Kumar et Ramkrishna [108–110].

Ainsi, comme présenté schématiquement à la figure V.23, à chaque pas de temps k, de durée∆t, allant du temps tk−1 = (k-1)∆t au temps tk = k∆t :

– un nouvel intervalle de tailles pour le morphe I apparaît : ZI,k = ZI,k−1 + 1 = k avecZI,0 = 0. La borne inférieure de ce nouvel intervalle de tailles, LI,k, est égale au diamètrecritique, 2rc, et le nombre de cristaux compris dans ce nouvel intervalle de tailles, NI,k,est donné par l’équation V.20.

– les intervalles de tailles relatifs au morphe II, dont la borne inférieure, LII,j pour j =ZII,1 − ZII,k−1 + 1, ..., ZII,1, devient négative, disparaissent : ZII,k < ZII,k−1.

Figure V.23 – Présentation schématique de l’évolution temporelle de la distribution granu-lométrique des cristaux de morphe I, en cours de germination et de croissance (à gauche), etde morphe II, en cours de dissolution (à droite).

Pour l’instant, dans ce modèle, nous considérons que le morphe I apparaît par germinationprimaire uniquement, quelle soit homogène ou hétérogène, et nous n’intégrons pas la possibilitéde la création de germes par germination secondaire. Ce phénomène physico-chimique intervientcependant plus que probablement à la fin de la première phase du mécanisme de la transitionpolymorphe, dont la durée dépend de la vitesse de création d’une surface critique de cristauxde morphe I. La germination secondaire contribue probablement également à l’emballement

Page 51: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.5 Modélisation mathématique de l’étape de maturation 259

des phénomènes physico-chimiques. Cependant, le manque de compréhension lié à la cinétiquede ce type de germination ne ferait qu’accroître la complexité du modèle (Annexe B). Ainsi,sur base des expressions de la vitesse de germination primaire homogène données à l’AnnexeB (équations B.8 et B.7), nous donnons, à l’équation V.20, une expression de l’évolution, aucours du pas de temps k, du nombre de cristaux de morphe I au sein de l’intervalle de taillesNI,k, soit celui dont la borne inférieure est égale au diamètre critique, 2rc.

dNI,k(t)

dt= V solkb exp

16π

3

γ3IM

2m

kTmat

(

ρsIRTmatln(

C(t)C∗I

(Tmat)

))2

(V.20)

où– V sol est le volume de la solution (m3)– kb est la constante cinétique de germination (1/m3/s)– γI est la tension de surface entre les cristaux de morphe I et la solution (J/m2)– R est la constante des gaz parfaits (J/mol/K)

Le caractère homogène ou hétérogène de la germination primaire dépend essentiellement dela valeur de l’énergie d’activation de germination critique (Annexe B). Elle peut être modifiéeen faisant artificiellement varier la constante cinétique de germination, kb, et la tension desurface cristal-solution, γI .

V.5.2.4 Modèle de la transition polymorphe

Sur la base d’une synthèse de l’ensemble des équations données précédemment, nous présen-tons, ci-dessous, le système d’équations différentielles ordinaires traduisant, dans un langagemathématique, le comportement de la suspension de cristaux au cours de la transition poly-morphe.

Au début de l’étape de maturation, au temps t = t0, la suspension est exclusivementcomposée de cristaux de morphe II en équilibre avec la solution saturée, à la température dematuration. La solubilité du morphe II, à la température de maturation, est une conditioninitiale au modèle. Il en est de même pour la distribution granulométrique en nombre destailles des cristaux de morphe II ((NII,i(t = t0), LII,i(t = t0)), i=1,...,ZII,0), résultant del’étape de refroidissement en amont. Cette distribution granométrique n’est cependant pasévidente à obtenir, comme nous le mettons en évidence à la figure II.4 au chapitre 2 et leprésentons à la figure V.24. Si la tendance de la distribution granulométrique en nombredes tailles, présentée à la figure II.4, est typique [29], les caractéristiques moyennes s’éloignentfortement des caractéristiques moyennes obtenues via les autres types de distributions, ainsi quede l’observation au microscope optique, outil de référence par excellence. Ainsi, afin d’alimenterle modèle, nous décidons de translater la distribution granulométrique en nombre des taillesde sorte que la taille moyenne soit de l’ordre de grandeur du diamètre moyen observé parmicroscopie optique. Il s’agit de la courbe tracée en trait continu noir à la figure V.24. Cettedistribution granulométrique, multipliée par 108, correspondant au nombre total de cristaux demorphe II récupérés à l’issue de l’opération de cristallisation (équation V.6), est la distributiongranulométrique des cristaux de morphe II initialisant le modèle mathématique.

Page 52: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

260Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

Figure V.24 – Méthode de détermination de la distribution granulométrique en nombre destailles des cristaux de morphe II initialisant le modèle mathématique de la transition poly-morphe, sur base de la connaissance des distributions granulométriques en nombre, en volumeet en masse des tailles des cristaux de morphe II, déterminées expérimentalement.

Bien que partant de l’écriture d’équations classiques de bilan de population (équation V.7),la méthode de résolution du modèle se base sur une discrétisation de l’espace des tailles et dutemps. La construction du modèle est dès lors telle que, à chaque pas de temps, le systèmed’équations discrétisées dans l’espace des tailles est résolu avant de passer au pas de tempssuivant.

Au cours du pas de temps k, il s’agit de résoudre un système de 2 k + 2 ZII,k + 1équations (équations V.21 à V.25) à autant d’inconnues et autant de conditions initiales et/ouaux limites.

a. Equations et inconnues

Au cours du pas de temps k, l’évolution temporelle de la distribution granulométrique descristaux de morphe I est donnée par les 2 k équations V.21 et V.22. Le nombre de cristaux ausein de chaque intervalle de tailles pour lequel i < k, NI,i est conservé, tandis que le nombre decristaux de l’intervalle de tailles k, NI,i=k, est déterminé via la vitesse de germination primairehomogène du morphe I (équation V.21). L’évolution temporelle des bornes inférieures des k−1premiers intervalles de tailles, LI,i, s’exprime par la vitesse de croissance (équation V.22). Laborne inférieure de l’intervalle de tailles k, LI,i=k, reste constante et égale au diamètre critique.

Page 53: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.5 Modélisation mathématique de l’étape de maturation 261

Ceci s’exprime mathématiquement par la combinaison de l’équation V.22 et de la conditionaux limites donnée à l’équation V.27.

dNI,i(t)

dt=

0 pour i = 1, ..., k − 1

V solkb exp

16π3

γ3IM2m

kTmat

(

ρsIRTmatln

(

C(t)

C∗I

(Tmat)

))2

pour i = k

(V.21)

dLI,i(t)

dt=

4kS,IDm,gMmkV,Iρ

sILI,i(t)

(C(t)− C∗I (Tmat))g pour i = 1, ..., k − 1

0 pour i = k(V.22)

Au cours du pas de temps k, l’évolution temporelle de la distribution granulométrique descristaux de morphe II est donnée par les 2 ZII,k équations V.23 et V.24. Quel que soit l’intervallede tailles considéré, le nombre de cristaux en leur sein, NII,j , est conservé (équation V.23).L’évolution temporelle des bornes inférieures des ZII,k−1 intervalles de tailles, LII,j , s’exprimepar la vitesse de dissolution (équation V.24). Les intervalles de tailles pour lesquels la borneinférieure devient négative ne sont plus considérés au pas de temps k + 1.

dNII,j(t)

dt= 0 pour j = ZII,1 − ZII,k−1 + 1, ..., ZII,1 (V.23)

dLII,j(t)

dt=4kS,IIDm,dMmkV,IIρ

sIILII,j(t)

(C(t)− C∗II(Tmat)) pour j = ZII,1 − ZII,k−1 + 1, ..., ZII,1

(V.24)

Au cours du pas de temps k, l’évolution temporelle de la concentration du soluté en solution,C(t), est donnée par l’équation V.25.

V soldC(t)

dt=k−1∑

i=1

(NI,i(t)LI,i(t)) 2πDm,g (C(t)− C∗

I (Tmat))g

+

ZII,k∑

j=1

(NII,j(t)LII,j(t)) 2πDm,d (C(t)− C∗

II(Tmat)) (V.25)

b. Conditions initiales

Les conditions initiales pour la résolution des équations différentielles ordinaires V.21 à V.25,au pas de temps k, correspondent aux conditions finales du pas de temps k−1. Une exceptionest faite cependant pour la condition initiale de l’équation différentielle ordinaire V.21 donnantle nombre de germes crées par germination, au cours du pas de temps k, dans le nouvelintervalle de tailles créé : NI,i=k. Il en est de même pour l’équation différentielle ordinaireV.22, donnant l’expression mathématique de l’évolution temporelle de la borne inférieure de ce

Page 54: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

262Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

nouvel intervalle de tailles : LI,i=k. Les conditions initiales sont données aux équations V.26et V.27.

NI,i=k(tk−1) = 0 (V.26)

LI,i=k(tk−1) = 2rc (V.27)

c. Grandeurs, valeurs et unités

Nous donnons, dans le tableau V.3, l’ensemble des valeurs et unités des grandeurs figurantdans les équations V.21 à V.27.

Grandeur Valeur Unitéparamètre connu

Tmat 10 °CC∗I (Tmat) 1061 mol/m3

C∗II(Tmat) 1158 mol/m3

Mm 170 g/molV sol 0.95 10−3 - 10−3 m3

ρsI 1290 kg/m3

ρsII 1258 kg/m3

kS,I 1 -kS,II 1 -kV,I 1 -kV,II 1 -R 8.314 J/mol/Kk 1.38 10−23 J/K

paramètre inconnukb [1010 ; 1030] 1/m3/sγ [0.001 ; 0.01] J/m2

Dm,d [10−9 ; 10−8] m2/sDm,g [10−12 ; 10−9] m2/src [10−9 ; 10−8] m

Table V.3 – Valeurs et unités des grandeurs apparaissant dans les équations V.21 à V.27.

Le modèle de la transition polymorphe, du morphe II métastable vers le morphe I stable,n’est valable que pour des températures inférieures à la température de transition solide-solidede 30°C telle que déterminée aux chapitres 2 et 3. Afin de comparer les temps de latenceréduits expérimentaux et modélisés, une température de maturation de 10°C est requise parle modèle. Les solubilités des deux morphes, à cette température, sont déterminées grâce auxrésultats expérimentaux des courbes de solubilité présentés au chapitre 3. Une transformationd’unités est requise pour passer des g/gsol aux mol/m3. La masse molaire de l’Étiracetam demême que la masse volumique de la solution sont dès lors nécessaires. Cette dernière est del’ordre de 820 kg/m3 pour une solution dont la concentration est de l’ordre 0.2 g/gsol et dont latempérature est aux alentours de 10°C. Le volume de la solution, V sol, est calculé sur base d’un

Page 55: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.5 Modélisation mathématique de l’étape de maturation 263

bilan de matière : il nécessite la masse initiale de la solution avant l’étape de refroidissement(803 g et 533 g, respectivement pour l’Étiracetam crude et pour le méthanol) ainsi que lamasse de cristaux de morphe II ayant cristallisé à la température de maturation fixée, et enfinla masse volumique de la solution. Nous considérons que le volume de la solution reste constantlors de la transition polymorphe malgré le pompage de la sursaturation par la croissance descristaux de morphe I. La masse molaire de l’Étiracetam, Mm, ainsi que les masses volumiquesdes deux formes cristallographiques, ρsI et ρ

sII , sont des paramètres physico-chimiques connus.

Les cristaux de morphe I et de morphe II sont supposés sphériques : les facteurs de forme desurface, kS , et de volume, kV , sont dès lors fixés égaux à 1. La constante des gaz parfaits etla constante de Boltzmann sont des grandeurs universelles.

Les diverses constantes cinétiques apparaissent comme des paramètres inconnus. Des expé-riences auxiliaires doivent être effectuées afin de déterminer leurs valeurs. Dans le cadre de cetravail, nous balayons une gamme de valeurs plausibles pour ces paramètres, déterminée surbase de données issues de la littérature, et étudions la sensibilité du modèle envers eux. Laconstante cinétique de germination primaire, kb, balaye une très large gamme de valeurs. Il enest de même pour la tension de surface, γ, laquelle, précisons-le varie avec la température dematuration et la concentration de la solution. L’ordre de grandeur du coefficient moléculairede diffusion du soluté dans le solvant, Dm,d, est connu. Le coefficient global de diffusion dansle cadre de la croissance, Dm,g, est égal ou inférieur à Dm,d, selon que l’on tienne compted’un mécanisme contrôlé par la diffusion ou par l’intégration. Plusieurs ordres de grandeur dedifférence sont considérés. Enfin, le rayon critique, rc, dépend de nombreux autres paramètrestels que la température de maturation, la sursaturation et la tension de surface.

Le pas de temps est ensuite incrémenté, et, au cours du pas de temps k + 1, il s’agitde résoudre un système de 2 (k + 1) + 2 ZII,k+1 + 1 équations à autant d’inconnues et deconditions initiales et/ou aux limites. Le modèle est relancé, par itérations successives, jusqu’àce que d’une part les cristaux de morphe II aient totalement disparu au profit de la cristallisationdu morphe I, et que d’autre part la concentration de la solution ait atteint la solubilité pour lemorphe I à la température de maturation, C∗I (Tmat).

Ce modèle est implémenté sous Mathematica.

V.5.3 Résultats et Discussion

Nous discutons ici les premiers résultats obtenus par le modèle mathématique, développéci-dessus, de l’opération de cristallisation de purification de l’Étiracetam crude, et plus particu-lièrement de l’étape de maturation. Étant donné le manque important de données numériques(tableau V.3), essentiellement la tension de surface et les constantes cinétiques des phéno-mènes physico-chimiques sous-jacents au mécanisme de la transition polymorphe, il est difficile,à l’heure actuelle, de remplir les trois objectifs avoués d’un tel modèle mathématique. Dès lors,nous nous focalisons tout d’abord sur une présentation et une comparaison, entre les résultatsexpérimentaux et les résultats issus de la modélisation mathématique, de l’évolution temporellede la concentration. Nous analysons ensuite davantage les résultats issus de la modélisation,avant d’effectuer un test de sensibilité permettant de déterminer les paramètres du modèleenvers lesquels il est sensible.

Page 56: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

264Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

V.5.3.1 Comparaison avec les résultats expérimentaux

Nous assignons, par tâtonnement, à chacun des paramètres inconnus (tableau V.3), unevaleur plausible, dans la gamme de valeurs acceptables mise en évidence via la revue bibliogra-phique (Annexe B), afin d’ajuster au mieux l’évolution temporelle de la concentration modéli-sée à l’évolution de la concentration déterminée expérimentalement au cours de l’opération decristallisation et présentée précédemment aux figures V.11 et V.16. En particulier, il s’agit detrouver une combinaison des valeurs permettant d’obtenir un temps de latence réduit de l’ordrede 9 heures à l’issue duquel la concentration de la solution passe de la concentration de satu-ration du morphe II (0.24 g/gsol) à la concentration de saturation du morphe I (0.22 g/gsol).A cette fin, plusieurs combinaisons des valeurs des paramètres inconnus sont possibles : troisd’entre elles sont précisées au tableau V.4. Les résultats obtenus par le modèle, pour chacuned’elles, sont présentés à la figure V.25. Le pas de temps entre deux itérations successives estde 60 secondes.

Grandeur Valeur Choix 1 Choix 2 Choix 3 Unitéparamètre inconnu

kb [1010 ; 1030] 1026 3 1024 1026 germes/m3/sγ [0.001 ; 0.01] 0.0028 0.0028 0.00284 J/m2

Dm,d [10−9 ; 10−8] 10−8 10−8 10−8 m2/sDm,g [10−12 ; 10−9] 10−12 10−11 3 10−12 m2/src [10−9 ; 10−8] 5 10−9 5 10−9 5 10−9 m

Table V.4 – Valeurs des grandeurs des paramètres inconnus utilisées dans le modèle mathé-matique de l’étape de maturation.

(a) Choix 1 (tableau V.4). (b) Choix 2 (tableau V.4).

(c) Choix 3 (tableau V.4).

Figure V.25 – Evolution temporelle de la concentration au cours de l’opération de cristalli-sation déterminée sur base du modèle de bilan de population et des données numériques destableaux V.3 et V.4.

Page 57: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.5 Modélisation mathématique de l’étape de maturation 265

V.5.3.2 Importance relative des phénomènes physico-chimiques

Le figure V.26(a) présente l’évolution de la concentration de la solution, exprimée en g/gsol,au cours du temps, exprimé en minutes, lors de l’étape de maturation, à la température de ma-turation, sur base du premier choix de la combinaison des paramètres inconnus (figure V.25(a)).Les figures V.26(c) et V.26(d) permettent une comparaison de l’évolution, au cours du temps,respectivement de la vitesse globale de dissolution et de la vitesse globale de croissance. Lesdeux profils semblent équivalents. Afin de mettre en évidence les différences, nous portons engraphique, à la figure V.26(b), la somme de ces deux vitesses, laquelle exprime l’évolutiontemporelle de la variation de la concentration de la solution (équation V.25).

(a) Concentration. (b) Variation de la concentration.

(c) Vitesse globale de dissolution. (d) Vitesse globale de croissance.

Figure V.26 – Evolution temporelle de la concentration (a), de la variation de la concentration(b), de la vitesse globale de dissolution (c), et de la vitesse globale de croissance (d) au coursde l’opération de cristallisation déterminée sur base du modèle de bilan de population et desdonnées numériques des tableaux V.3 et V.4.

Nous observons ainsi, à la figure V.26(b), que les vitesses globales de dissolution et decroissance se compensent pendant les 450 premières minutes (environ 7 heures 30). Au coursde ce même laps de temps, nous n’observons dès lors logiquement, à la figure V.26(a), aucunevariation de la concentration de la solution, laquelle reste égale à la concentration de saturationdu morphe II, soit 0.24 g/gsol. Au bout de 6 heures 30, la figure V.26(b) met en évidence unedominance de la vitesse globale de croissance sur la vitesse globale de dissolution. La croissancedu morphe I est alors responsable du pompage de la sursaturation ce qui se traduit dès lors,

Page 58: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

266Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

logiquement, à la figure V.26(a), par la diminution, relativement rapide, de la concentrationde la solution de 0.24 g/gsol à 0.22 g/gsol.

L’analyse de la figure V.26 ne permet cependant pas de mettre en évidence, de façonclaire, les trois phases se déroulant, successivement, au cours de l’étape de maturation. Lesdeux premières phases, la phase de germination du morphe I d’une part et la phase de pseudo-équilibre entre la croissance du morphe I et la dissolution du morphe II d’autre part, ne peuventpas être facilement distinguées ici. La troisième phase, celle où la croissance et la maturation dela forme stable prennent le pas sur la dissolution de la forme métastable, semble, elle, débuteraux alentours de 450 minutes, comme cela est présenté à la figure V.26.

Bien que le modèle soit prometteur, de nombreux efforts supplémentaires sont à mettre enœuvre au niveau de son développement, afin d’améliorer la comparaison entre les résultatsexpérimentaux et modélisés d’une part et afin de permettre une meilleure discussion de cesderniers d’autre part. Ainsi, dans un premier temps, il s’agit de déterminer expérimentalementles valeurs numériques des divers paramètres inconnus (tableau V.4) envers la plupart desquelsle modèle est très sensible. Dans un deuxième temps, il est pertinent de prendre en considérationdans le modèle des phénomènes physico-chimiques supplémentaires tels que la maturation descristaux ou la germination secondaire. Enfin, dans un troisième temps, il convient d’améliorerla robustesse numérique du modèle.

V.5.3.3 Etude de sensibilité du modèle

Nous présentons ci-dessous, à la figure V.27, les conclusions de l’étude de sensibilité dumodèle envers ses paramètres. En particulier, nous nous focalisons sur les paramètres inconnus,à savoir kb, γ, Dm,d, Dm,g et rc (tableau V.3). D’autre part, nous testons la sensibilité dumodèle envers la distribution granulométrique initiale des cristaux de morphe II, et en particulierenvers le nombre et le diamètre moyen des cristaux (figure V.24). A l’heure actuelle, aucuntest de sensibilité du modèle envers les paramètres connus (tableau V.3) n’est effectué.

La figure V.27(a) reprend l’évolution de la concentration de la solution au cours du temps,lors de l’étape de maturation, à la température de maturation, sur base du premier choix de lacombinaison des paramètres inconnus (figures V.25(a) et V.26(a)). Les autres figures (figuresV.27(b) à V.27(f)), mettent en évidence l’influence, sur le temps de latence réduit, d’unevariation des paramètres inconnus, envers lesquels le modèle est sensible.

Le modèle n’est pas sensible à des variations de l’ordre de quelques pourcents de la constantecinétique de germination, kb. Il est néanmoins important de connaître son ordre de grandeur,comme le montre la figure V.27(b), laquelle est obtenue pour une valeur de la constante ci-nétique de germination de 1027. Or, la littérature montre qu’il n’est pas aisé de déterminerexpérimentalement la constante cinétique de germination, à un ordre de grandeur près [111,112].Remarquons que l’augmentation de kb entraîne une diminution du temps de latence, ce qui esten accord avec les descriptions données précédemment concernant les phénomènes physico-chimiques sous-jacents au mécanisme de la transition polymorphe, lors de l’étape de matura-tion.

Page 59: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.5 Modélisation mathématique de l’étape de maturation 267

(a) Modélisation de référence : figures V.25(a) et

V.26(a).

(b) Augmentation de la constante cinétique de

germination d’un ordre de grandeur : kb = 1027.

(c) Diminution de la tension de surface de 2 % :

γ = 0.00275.

(d) Diminution du coefficient de diffusion de dis-

solution d’un ordre de grandeur : Dm,d = 10−9.

(e) Diminution du diamètre moyen en volume des

cristaux de morphe II de 20 %.

(f) Augmentation du nombre de cristaux de

morphe II de 50 %.

Figure V.27 – Etude de sensibilité du modèle envers les paramètres inconnus (tableau V.4)et la distribution granulométrique des cristaux de morphe II.

La tension de surface, γ, entre les cristaux de morphe I et la solution est un paramètre enverslequel le modèle est extrêmement sensible. Ainsi, pour une variation de l’ordre de 2 % de lavaleur initiale, soit pour une valeur de la tension de surface de 0.00275, nous observons, à lafigure V.27(c), un rapport d’environ 2.5 avec le temps de latence prédit à la figure V.27(a).Remarquons de même que la diminution de la tension de surface entraîne une diminution dutemps de latence, ce qui est en accord avec les discussions qualitatives données précédemment.En outre, étant donné le très faible nombre de données relatives aux tensions de surface dansla littérature, nous ne pouvons pas exclure que l’ordre de grandeur soit également erroné. Un

Page 60: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

268Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

ordre de grandeur supérieur est par exemple trouvé dans certains travaux récents consacrésaux déterminations des cinétiques de germination [112].

Le modèle n’est pas très sensible envers de faibles variations (de l’ordre de quelques pour-cents) des coefficients cinétiques de dissolution, Dm,d, et de croissance, Dm,g. En revanche,comme c’est le cas pour la constante cinétique de germination, il n’est pas aisé de déterminerces coefficients à un ordre de grandeur près. Nous observons alors, à la figure V.27(d), que ladifférence des ordres de grandeurs entre Dm,d et Dm,g (il passe de 4 à la figure V.27(a) à 3à la figure V.27(d)) et, en particulier, la réduction d’un ordre de grandeur du coefficient dediffusion de dissolution affecte significativement le profil de la courbe présentant l’évolution dela concentration au cours du temps [12].

Il s’avère que le modèle n’est pas du tout sensible à la taille du rayon critique, rc, que lesvariations soient de l’ordre de quelques pourcents ou d’un ordre de grandeur.

La distribution granulométrique initiale des cristaux de morphe II est une donnée affectantle temps de latence. En particulier, nous observons, à la figure V.27(e), qu’une réduction dudiamètre moyen des cristaux de morphe II de 20 % entraîne une diminution du temps delatence d’environ 30 %. Bien que cette influence ne soit pas réellement significative, il estnéanmoins important de déterminer au mieux la distribution granulométrique en nombre destailles des cristaux initiaux. Or, comme nous le voyons d’une part au chapitre 2, aux figures II.3et II.3, et d’autre part à la figure V.24, il est particulièrement difficile d’obtenir des donnéesexpérimentales fiables, compte tenu des techniques de mesure actuelles. Remarquons qu’iln’est pas étonnant d’observer une durée des deux premières phases de l’étape de maturationplus courte lorsque la taille moyenne des cristaux initiaux de morphe II est plus faible. En effet,pour un même nombre de cristaux initiaux, l’équation V.24 montre que la vitesse de dissolutionaugmente lorsque la taille des cristaux diminue.

Enfin, étant donné les incertitudes sur la détermination expérimentale de la distributiongranulométrique initiale des cristaux de morphe II, il s’en suit une incertitude sur le calculdu nombre de cristaux de morphe II initiaux (équation V.6). Ainsi, une diminution d’environ20 % du diamètre moyen entraîne une augmentation d’environ 50 % du nombre de cristaux.L’influence d’une telle augmentation sur le temps de latence est présentée à la figure V.27(f).

V.5.4 Conclusion

Cette dernière section est consacrée à la présentation de l’état actuel du développementet des premiers résultats de l’outil mathématique permettant de modéliser le comportementde la suspension lors de l’étape de maturation. En particulier, le modèle s’attache à traduire,dans un langage mathématique, les phénomènes physico-chimiques sous-jacents au mécanismede la transition polymorphe des cristaux de morphe II, produits en amont, lors de l’étape derefroidissement, en des cristaux de morphe I.

Étant donné l’avancement actuel dans le développement du modèle, ce dernier n’est pasà même, aujourd’hui, de pouvoir répondre aux trois objectifs évoqués en introduction. Néan-moins, au vu des premiers résultats, le modèle nous semble prometteur. Afin de l’améliorer, il

Page 61: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.5 Modélisation mathématique de l’étape de maturation 269

convient d’une part d’augmenter sa robustesse numérique et d’autre part de prendre en consi-dération des phénomènes tels que le mûrissement d’Ostwald et la germination secondaire descristaux de morphe I. De même, nous estimons ne pas pouvoir prétendre détenir un modèlede l’étape de maturation tant que les paramètres, actuellement encore inconnus, et enverslesquels le modèle est extrêmement sensible, ne sont pas déterminés. A cette fin, il convient demettre en place un certain nombre d’expériences, indépendantes les unes des autres, chacuneétant destinée à la détermination d’un paramètre en particulier. La littérature montre que cen’est pas une chose aisée. Dans le cadre du modèle développé, l’étude de sensibilité, dont lesprincipaux résultats sont présentés à la figure V.27, montre que le paramètre envers lequel lemodèle est le plus sensible est la tension de surface cristal-solution. Davantage de temps doitdès lors être consacré à la détermination de ce paramètre-là en particulier.

Page 62: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

270Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe

V.6 Synthèse et Conclusions

A l’issue de ce chapitre, nous bénéficions d’une meilleure compréhension des mécanismes etdes phénomènes physico-chimiques sous-jacents à l’opération de cristallisation, que ce soit lorsde l’étape de refroidissement ou lors de l’étape de maturation. L’étape de refroidissement secaractérise essentiellement par l’apparition des cristaux de morphe II. La transition polymorphedes cristaux de morphe II en des cristaux de morphe I est le mécanisme majeur de l’étape dematuration.

Aux deux premières sections, ces deux étapes font l’objet de descriptions qualitatives,lesquelles se basent essentiellement sur des considérations théoriques issues de la littérature.S’en suivent alors, à la troisième section, des descriptions davantage quantitatives, basées surl’analyse des signaux de l’évolution temporelle de paramètres-clés de l’opération de cristallisa-tion de l’Étiracetam crude. Cette opération est en effet réalisée au sein d’une cuve automatiséeet équipée de diverses sondes de mesure permettant le suivi en-ligne, au cours du temps, dela température de la solution/suspension, de la concentration de la solution ainsi que de ladistribution granulométrique et de la forme cristallographique des cristaux en suspension. Ala quatrième section, nous revenons sur des aspects théoriques relatifs à l’étape de refroi-dissement, lesquels permettent l’approfondissement de la compréhension des mécanismes. Lacinquième section est consacrée au développement d’un modèle mathématique traduisant lecomportement de la suspension, au cours du temps, lors de l’étape de maturation et, plus par-ticulièrement, au cours de la transition polymorphe. Ce modèle combine des équations de bilande population pour les deux formes cristallographiques à un bilan de matière pour le soluté. Larésolution du système d’équations différentielles ordinaires, discrétisées dans l’espace des tailleset du temps, permet, via la prédiction de l’évolution, au cours du temps, de la concentrationde la solution d’une part et des vitesses globales de dissolution et de croissance d’autre part,d’accroître la compréhension des mécanismes. Au-delà de la compréhension des mécanismes,les modélisations mathématiques doivent également servir d’outils dans le cadre de l’optimi-sation des opérations de cristallisation [15,44]. Cet objectif n’est cependant pas encore atteint,à ce stade du travail, essentiellement à cause d’un manque de données numériques relativesaux cinétiques des phénomènes physico-chimiques sous-jacents au mécanisme de la transitionpolymorphe. Les premiers résultats obtenus sont néanmoins très prometteurs.

En partant initialement d’une solution sous-saturée, progressivement refroidie, nous obser-vons qu’un certain temps, dit temps d’induction, s’écoule avant de voir apparaître, au seinde la solution, alors devenue sursaturée, les premiers cristaux de morphe II. Le mécanismesous-jacent à cette apparition est la cristallisation, laquelle se traduit par un premier pic exo-thermique sur la courbe présentant l’évolution de la température de la solution au cours dutemps. L’ensemble des travaux faisant l’objet de ce travail nous permet de mettre en évidenceque le temps d’induction, traduisant le temps caractéristique de l’apparition d’une surface cri-tique de germes de morphe II, est contrôlé par le temps caractéristique de germination d’unepart, le temps caractéristique de croissance d’autre part, et un temps d’attente pour terminer.Par ailleurs, il s’avère que c’est la germination qui est le phénomène physico-chimique limitantla cinétique de ce mécanisme de création d’une surface critique. De plus, il semble que lagermination du morphe II soit du type primaire hétérogène : ceci rend le contrôle de l’étape derefroidissement particulièrement difficile.

Page 63: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

V.6 Synthèse et Conclusions 271

Le contrôle de l’étape de maturation est encore plus difficile étant donné la complexité desphénomène physico-chimiques s’y déroulant. Sur base d’une brève revue de la littérature ainsique de quelques expériences ou observations préliminaires, nous mettons en évidence que latransition polymorphe s’effectue selon un mécanisme de dissolution-recristallisation, médié parla solution. Ce mécanisme se divise traditionnellement en trois phases. Au cours de la premièred’entre elles, nous observons une maturation des cristaux de la forme métastable tandis quedes germes de la forme stable sont en cours de formation. L’obtention d’une surface critiquesuffisante de morphe I est requise pour amorcer l’emballement du mécanisme de transitionpolymorphe. Cet emballement se traduit par l’apparition de la germination secondaire d’unepart et de la croissance d’autre part. La deuxième phase de l’étape de maturation se traduitensuite par un pseudo-équilibre entre la dissolution de la forme métastable, le morphe II, auprofit de la croissance de la forme stable, le morphe I. Enfin, la troisième phase débute lorsquetous les cristaux de morphe II disparaissent, laissant exclusivement place à la croissance dumorphe I. C’est au cours de cette dernière phase que nous observons la désaturation de lasolution d’une part et le deuxième pic exothermique sur la courbe présentant l’évolution de latempérature de la suspension au cours du temps d’autre part. Il s’avère que c’est la premièrede ces trois phases, au cours de laquelle se crée une surface critique des cristaux de morpheI, qui limite la cinétique de la transition polymorphe. De plus, des trois temps caractéristiques(germination, croissance et attente) contrôlant cette première phase, il semble que ce soit letemps caractéristique de germination primaire qui domine et qui, dès lors, contrôle le tempsde latence.

Page 64: CHAPITRE Compréhension de l’opération de cristallisation ...

272Compréhension de l’opération de cristallisation et identification du mécanisme de la

transition polymorphe