Chapitre 1 L’inéluctable est en marche 

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Chapitre 1 L’inéluctable est en marche : ce que nous savons et ne voulons pas croire Ce n’est pas pour rien que le congrès mondial de stratigraphie de Brisbane (Australie) en août 2012 a lancé un groupe de travail pour statuer (en 2016 si possible) sur la proposition faite par Paul Crutzen en 2002 de reconnaître qu’une époque géologique nouvelle est apparue dans la première moitié du XIX° siècle. Ce genre de décision ne se prend pas à la légère. La dernière date de plus de cent ans. C’est en 1885 que fut officialisée l’époque appelée Holocène, commencée avec la sédentarisation de l’homme il y a 12 000 ans. La décision d’officialiser l’Anthropocène serait la reconnaissance officielle par la communauté scientifique mondiale du fait que l’espèce humaine est devenue la principale force géologique, modifiant le climat, la biosphère, l’hydrosphère, la lithosphèreMais, du coup, des risques majeurs de tous ordres menacent la survie même de l’humanité. Ils sont désormais bien documentés et connus ; si les influences exercées les uns sur les autres sont mal évaluées, on sent bien qu’elles ne peuvent qu’aggraver les diagnostics isolés. C’est d’ailleurs ce que visait à mettre en évidence, avec toutes ses limites, la modélisation qu’avait conçue Dennis Meadows pour le Club de Rome 1 : un effondrement. Ce diagnostic est réaffirmé par une étude très récente conduite par 22 chercheurs appartenant à une quinzaine d'institutions scientifiques internationales et publiée dans la revue Nature 2 . Pour ces auteurs, les dégradations exercées par l’homme sur les écosystèmes pourraient conduire à un point de non-retour avant la fin du XXème siècle. Nous allons ici dresser un bref tour d’horizon de ces risques au plan factuel et analyser également les limites de nos systèmes de décision collectifs, au plan mondial. 1 Voir Donnella MEADOWS et Dennis MEADOWS, Jorgen RANDERS et William BEHRENS, Halte à la croissance ? Rapport sur les limites de la croissance, Fayard, 1973. 2 Anthony D.Barnosky et al. Approaching a state shift in Earth’s biosphere, Nature 486,52–58 (07 June 2012)

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Chapitre 1 d'un livre encore à paraître, par Alain Grandjean, économiste

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  • Chapitre 1 Linluctable est en marche : ce que nous savons et ne voulons pas croire Ce nest pas pour rien que le congrs mondial de stratigraphie de Brisbane

    (Australie) en aot 2012 a lanc un groupe de travail pour statuer (en 2016 si

    possible) sur la proposition faite par Paul Crutzen en 2002 de reconnatre quune

    poque gologique nouvelle est apparue dans la premire moiti du XIX sicle. Ce

    genre de dcision ne se prend pas la lgre. La dernire date de plus de cent ans.

    Cest en 1885 que fut officialise lpoque appele Holocne, commence avec la

    sdentarisation de lhomme il y a 12 000 ans. La dcision dofficialiser

    lAnthropocne serait la reconnaissance officielle par la communaut scientifique

    mondiale du fait que lespce humaine est devenue la principale force gologique,

    modifiant le climat, la biosphre, lhydrosphre, la lithosphre Mais, du coup, des

    risques majeurs de tous ordres menacent la survie mme de lhumanit. Ils sont

    dsormais bien documents et connus ; si les influences exerces les uns sur les

    autres sont mal values, on sent bien quelles ne peuvent quaggraver les

    diagnostics isols.

    Cest dailleurs ce que visait mettre en vidence, avec toutes ses limites, la

    modlisation quavait conue Dennis Meadows pour le Club de Rome 1 : un

    effondrement. Ce diagnostic est raffirm par une tude trs rcente conduite par 22 chercheurs appartenant une quinzaine d'institutions scientifiques internationales

    et publie dans la revue Nature2. Pour ces auteurs, les dgradations exerces par

    lhomme sur les cosystmes pourraient conduire un point de non-retour avant la

    fin du XXme sicle. Nous allons ici dresser un bref tour dhorizon de ces risques au

    plan factuel et analyser galement les limites de nos systmes de dcision collectifs,

    au plan mondial.

    1 Voir Donnella MEADOWS et Dennis MEADOWS, Jorgen RANDERS et William BEHRENS, Halte la croissance ? Rapport sur les limites de la croissance, Fayard, 1973. 2 Anthony D.Barnosky et al. Approaching a state shift in Earths biosphere, Nature 486,5258 (07 June 2012)

  • Ces menaces sont en gnral connues mais rarement crues. Comment croire en

    effet quil se passerait quelque chose de vraiment nouveau sous le soleil3 ? Lide

    que nous vivrions une poque charnire soppose au bons sens. Elle est souvent

    interprte comme issue dune pure projection de personnalits se croyant

    indispensables, dont les cimetires sont pleins et dont le dcs ne va pas empcher

    la terre de tourner. Le physicien et prix Nobel Robert Millikan, affirmait en 1930 que

    lhumanit ne pourrait jamais infliger de srieux dgts un systme aussi norme

    de que la Terre qui pse en effet 6*1024 kg, soit 1023 (10 000 milliards de milliards)

    fois le poids dune homme !

    Et pourtant si, il y a bien du nouveau. Pour vaincre le scepticisme, il nest pas inutile

    de rappeler le dynamisme biologique de lespce humaine et de faire un petit arrt

    sur les phnomnes exponentiels dont nous sommes aujourdhui les gnrateurs

    inconscients et dont notre physicien semble avoir oubli les proprits.

    1 Une insolente russite biologique : introduction aux exponentielles

    Avant la sdentarisation (qui sest produite il y a environ 12 000 ans la sortie du

    dernier pisode glaciaire), la population humaine comprenait une dizaine de millions

    dindividus ; elle tait numriquement infrieure celle des babouins. Elle sest alors

    mis crotre pour atteindre, il y a 2000 ans, 200 300 millions de personnes. La

    croissance dmographique sur une priode de 10000 ans fut infrieure 0.1% par

    an. Mais une croissance annuelle dun dixime de pourcent sur 6000 ans conduit

    multiplier par 400 le chiffre de dpart. Telle est la proprit assez contre-intuitive des

    exponentielles : laissez leur un peu de temps et mme avec un taux de croissance

    trs faible, elles atteignent des sommets ! Une bactrie comme Escherichia Coli

    pse environ 1 picogramme (10 -12 grammes, un millionime de microgramme). Elle

    double sa population en 20 minutes. Belle exponentielle ! Sa croissance est

    heureusement limite par la quantit de substrat prsent dans le milieu et par

    laccumulation de dchets toxiques. Elle sarrte gnralement aprs 16 24 h de

    cu l ture dans la mesure o le mi l ieu f in i t par s puiser. Mais si l e t a u x

    d e cro issance resta i t cont inue l lement constant e t maximal , la 3 Ide inspire du titre du livre de lhistorien de lenvironnement John R. MAC NEILL, Op.cit, dont sont extraits les chiffres du paragraphe qui suit.

  • masse microb ienne obtenue en 48 heures sera i t de l o rdre de 4 000

    fois celle de la Terre4. Dans un cycle de vie, la croissance dun organisme sinflchit

    rapidement, se stabilise puis dcroit. Elle suit une courbe en forme de cloche aplatie,

    que lon retrouve trs souvent dans le cas des productions de ressources mme

    renouvelables ds lors que le seuil de reproduction de ces ressources est dpass

    (voir chapitre 8).

    Dans ce cas, lexponentielle est spectaculaire, car le taux de croissance se montre

    trs lev. Mais des taux que nous pensons faibles (de 1 5 % par an qui sont ceux

    de la croissance de la population ou du PIB) ont des effets remarquables comme le

    montre le tableau suivant. Ce tableau montre les effets dun taux de croissance sur

    une quantit initiale soumise ce taux : 1% cette quantit est multiplie par 2,7

    en 100 ans, son cumul sur la priode reprsente 170 fois la quantit initiale. Et on

    voit en dernire colonne la part que reprsente les 10 dernires annes dans ce

    cumul. Si pour un taux de 1 % cette part ne reprsente que 15%, pour un taux de 5%

    elle en reprsente 49% ! Bref dans un processus exponentiel les derniers moments

    peuvent avoir un impact dterminant, pesant autant ou plus que toute lhistoire qui

    les prcde.

    Taux Multiple sur cent

    ans

    Cumul sur cent ans % des 10 dernires

    annes

    1% 2,7 170 15%

    2% 7 320 20%

    3% 19 620 27%

    4% 50 1280 33%

    5% 131 2740 39%

    Si une production (ou une population) suit une croissance exponentielle un rythme

    de 5% par an, elle sera multiplie par 131 au bout de 100 ans. Sur le sicle, la

    production cumule sera gale 2740 fois le montant initial, et prs de 40 % auront

    t produites les dix dernires annes. Ce dernier effet est illustr par limage des

    nnuphars. Si des nnuphars remplissent une mare en cinquante jour en doublant 4 Le calcul est facile : 10-15 (masse en kg de la bactrie) * 2 144 (population au bout de 48 heures) = 2, 2*10 28 = 3 666 * 6*10 24(masse de la Terre).

  • de surface tous les jours, ils rempliront la dernire moiti de la surface de la mare le

    dernier jour, quelle que soit la surface de la mare. Cet effet est majeur pour notre

    propos. Les impacts de lhumanit dans ces dernires annes nont jamais t aussi

    violents dans toute lhistoire.

    Prenons un exemple, celui de lacier, en suivant la dmonstration de Franois

    Grosse5. Nous produisons annuellement de lordre de 1 milliard de tonnes dacier par

    an, soit trente fois plus quau dbut du XXe sicle. La croissance aura t, sur cette

    priode, denviron 3,5 % par an. A ce rythme, la production cumule dacier en un

    sicle est gale 878 fois la production de la premire anne. Si on prolongeait cette

    tendance, la production annuelle serait multiplie par 100 tous les 135 ans. On

    produirait ainsi, dans 270 ans, 10 000 fois plus dacier quaujourdhui !Inutile dtre

    trs prcis dans lestimation des rserves de minerai de fer pour comprendre quun

    tel rythme est impossible maintenir.

    Cet exemple est aisment gnralisable. La priode de croissance des 20

    dernires annes a conduit grosso modo au doublement de la production des

    principaux mtaux () Un alignement de la Chine et de lInde sur les standards

    europens conduirait quasiment un nouveau doublement. 6 Cette hypothse de

    lalignement des standards na rien de thorique comme le montre lui seul

    lexemple de la voiture. En 2010, 1 015 millions de voitures7 ont t vendues dans le monde, contre 980 millions en 2009. Soit 35 millions de vhicules supplmentaires en un an - 95 500 chaque jour ! L'explosion du march chinois contribue pour prs de moiti la croissance du secteur8 . Son parc de 78 millions de vhicules est cependant toujours loin derrire les Etats-Unis (240 millions). Seul un Chinois sur 17 possde actuellement une voiture, soit peine la moiti de la moyenne mondiale, et

    5 Franois GROSSE, Le dcouplage croissance/matires premires. De lconomie circulaire lconomie de la fonctionnalit : vertus et limites du recyclage , Futuribles, Juillet-Aot 2010, numro 365. 6 Philippe BIHOUIX et Benoit DE GUILLEBON, Quel futur pour les mtaux, rarfaction des mtaux : un nouveau dfi pour la socit, EDP Sciences, 2010. 7 Audrey GARRIC, Le Monde.fr, 27 aout 2011. 8 Et il ne sagit pas ncessairement de petites voitures sobres. Selon le Guardian, le constructeur japonais Toyota a russi ne vendre qu'une seule Prius en Chine l'an dernier. La voiture hybride la plus commercialise au monde n'a trouv qu'un seul acheteur au sein du plus dynamique des marchs. Les ventes de 4 4, en revanche, sont en hausse, de 25 %, avec 850 000 modles commercialiss en 2010.

  • bien moins qu'aux Etats-Unis, o ce ratio culmine un vhicule pour 1,3 Amricain. Si la Chine se rapprochait de ce taux, il faudrait compter sur un milliard de voitures supplmentaires. Et quand lInde sy mettra ? Il est utile de bien comprendre cet dynamique du rattrapage en prenant du recul sur les derniers sicles. Citons Michel Beaud9, qui se base sur ltude dAngus Maddison : De 1400 1989, la population

    est multiplie par 15,1 pour la Chine et par 13,6 pour l Europe sans rivage10

    ().La divergence majeure nest donc pas dans les croissances dmographiques

    mais dans les croissances conomiques : au cours de ces six sicles la production

    par tte a t multiplie par un peu moins de cinq en Chine alors quelle tait

    multiplie par plus de trente pour les Europens dEurope et dOutre-Ocan. Selon

    les valuations disponibles la production par tte moyenne en Chine tait en 195011

    du mme ordre que ce quelle tait cinq sicles et demi plus tt .

    Voyons, sur quelques autres exemples, quand arriverait lpuisement des ressources

    nergtiques minrales ou nergtiques, dans lhypothse dun taux de croissance

    limit 2 % par an. Pour les nergies fossiles12, ces ressources seraient puises

    avant le milieu du sicle prochain 13. Lor a dj pass son pic de production tout

    comme largent qui serait puis dici une vingtaine dannes. Le zinc serait puis

    avant 2080, le cuivre avant 2100, le Nickel un peu aprs. Le lithium tiendrait

    quelques annes de plus. Le zinc serait puis avant 2080 et le cuivre avant 2100, la

    bauxite, le plomb, le minerai de fer, avant 2100. Le lithium tiendrait quelques annes

    de plus. Pour dautres minerais, les chances sont encore plus rapproches, mais

    peu importe, dautant quil est tout aussi difficile de se prononcer sur le taux de

    croissance conomique futur que sur les effets systmiques produits par les diverses 9 Michel BEAUD, op. cit, page 16. 10 Qui inclut les territoires de peuplement europen notamment lAmrique du Nord et de lAustralie, ce pour faciliter les comparaisons historiques. 11 Le dcollage chinois date de la fin du XX sicle. 12 Le GIEC estime les ressources totales environ 3 700 GTC et nous en avons consomm, ce jour, environ 600. Le rythme actuel est de 8 GTC par an. Avec 2 % de croissance par an, il faut environ 110 ans pour extraire les 3 100 GTC qui restent. 13 Sans tenir compte du fait que ce dstockage provoquerait une catastrophe climatique. Calculs en GTEC (milliards de tonnes quivalent carbone), les ressources dnergie fossile sont largement suffisantes, sans tenir compte du mthane ni du dstockage de la biomasse, pour conduire la fin du sicle une hausse de plus de 5 C de la temprature par rapport 1850, si lon devait procder ce dstockage dans les cinquante ans venir.

  • tensions dapprovisionnement. Les prix des minerais rares vont connatre des

    croissances fortes qui en limiteront lusage mais pourront conduire de vraies

    pnuries quand le tour du propritaire aura t fait et que nous aurons racl les

    fonds de tiroirs de la plante.

    Contrairement une ide reue, nous ne serons pas sauvs par le recyclage. Dune

    part, le recyclage consomme de lnergie mais, surtout, le recyclage ne rsiste pas,

    lui non plus, aux courbes exponentielles. Supposons (pour simplifier) que le cycle du

    recyclage soit dun an, et que la croissance soit de 10 % par an. Si nous sortons de

    terre, cette anne, 100 units dune quantit de matriaux que nous savons recycler

    80 %, lanne prochaine nous pourrons utiliser ces 80 units recycles et nous

    devrons extraire de terre 30 units (pour pouvoir utiliser 110, 10% de plus que

    lanne prcdente). Lanne daprs, nous pourrons en utiliser 88, mais nous

    devrons en extraire 33. Et nous voil repartis sur une exponentielle (au taux de

    10%). Il est facile de gnraliser ce raisonnement nimporte quelle dure de

    cycle, nimporte quel taux de croissance et nimporte quel taux de recyclage. En un

    mot, le recyclage permet de gagner du temps, mais il ne saurait empcher

    lpuisement dun stock par nature fini du fait dune croissance exponentielle. Le

    recyclage ne devient une solution prenne qu partir du moment o la croissance

    des flux matriels est voisine de zro, ou que le taux de recyclage est trs proche de

    100%, comme dans la nature, ce dont nous sommes trs loin.

    Enchanons sur lensemble des ressources biologiques et des rgulations naturelles,

    qui relvent de la mme problmatique. Cette pression sur les cosystmes nest

    pas limite lnergie, aux GES ni aux mtaux. Chaque anne on libre 160

    millions de tonnes de dioxyde de soufre, soit plus du double des missions

    naturelles ; environ 40% des terres ont t transformes, lpandage dengrais

    azots de synthse a plus que doubl que la fixation naturelle dazote par les

    cosystmes terrestres de la plante ; plus de la moiti des ressources en eau

    accessible sont utilises par les socits humaines () et la biodiversit

    seffondre. 14

    14 Robert BARBAULT, Jacques WEBER, La vie quelle entreprise ! Pour une rvolution cologique de lconomie, Seuil, 2010, page 79.

  • Ce petit tableau15 montre lvolution de la pression de lhomme sur la priode 1890-

    1990. Notons que les 20 dernires annes ont encore trs fortement empir la

    situation. Rappelons les propos de notre premier chapitre : les dernires annes sont

    les plus contributrices leffet dune exponentielle.

    Sujet Facteur daccroissement des annes

    1890 aux annes 1990

    Population mondiale 4

    Proportion urbaine de la population

    mondiale

    3

    Population urbaine mondiale 4

    Economie mondiale 14

    Production industrielle 40

    Utilisation dnergie 13

    Production de charbon 7

    Emissions de dioxyde de carbone 17

    Emissions de dioxyde de soufre 13

    Utilisation deau 9

    Pche de poisson en mer 35

    Nombre de ttes de btail 4

    Nombre de baleines bleues (ocan

    austral)

    0,0025

    Nombre de rorquals communs 0,03

    Nombre despces doiseaux et de

    mammifres

    0,99

    Superficies irrigues 5

    Superficies boises 0,8

    Superficies cultives 2

    Revenons la dmographie. En 1800, lhumanit fte son premier milliard

    dindividus. Elle sest multiplie par 5 en 1800 ans. Sil lui a fallu au total des millions

    15 Extrait de MAC NEILL, op.cit.

  • dannes pour devenir milliardaire dmographique, son deuxime milliard lui a pris

    130 ans, son troisime 30 ans, son quatrime 15 ans, ses cinquime et sixime 12

    ans chacun. Exprime en taux, les chiffres sont tonnamment bas, prouvant la

    puissance des exponentielles. Du dbut de notre re jusquen 1800, le taux de

    croissance dmographique est de lordre de 0.1% par an. Elle passe un rythme de

    0,5% par an au XIX sicle puis 1,3 % au XX sicle. Nous sommes aujourdhui 7

    milliards. La croissance se poursuit mais un rythme infrieur : la transition

    dmographique16 est passe dans la plupart des pays, sauf lAfrique subsaharienne.

    Les projections horizon 205017 conduisent cependant des effectifs compris entre

    9 et 10 milliards.

    En parallle, la capacit de lhumanit transformer son environnement sest

    dmultiplie, grce la puissance thermodynamique de ses machines. En 1800,

    lhumanit consommait environ 250 millions de tonnes quivalent ptrole (TEP)18,

    soit un quart de TEP par personne. Cette consommation a t multiplie sur les 200

    ans suivant par 40, pendant que la population tait multiplie par 6 : la

    consommation individuelle a donc cru dun facteur de lordre de 7. Cette moyenne

    cache bien sr dnormes disparits. Un Amricain moyen consomme environ 8 TEP

    par an, un europen se situe plutt 4 et un habitant dAfrique Sub-saharienne na

    pas accs 1 TEP par an.

    Cette double croissance (croissance dmographique et croissance de la puissance

    disponible) permet lhumanit de sapproprier prs dun quart de la production

    primaire de biomasse19, et 40 % de la production primaire terrestre value environ

    120 milliards de tonne par an. Pas mal pour une espce qui ne reprsente que de

    lordre de quelques centimes de la biomasse plantaire, cest-dire du poids de

    16 Moment o la croissance de la population cesse de dpasser le seuil de renouvellement des gnrations, soit environ 2,1 enfants par femme. 17 Voir par exemple Gilles PISON, Population et socits, N480, juillet-aot 2011. 18 Nous utiliserons dans la suite cette unit de mesure de lnergie. Toute dpense dnergie peut tre exprime en quivalent ptrole . Une tonne quivalent ptrole est lnergie contenue dans une tonne de ptrole. Voir encadr page 161. Les estimations de consommation nergtique au XIX sicle sont sujettes caution. Ce qui compte ici ce sont les ordres de grandeur. 19 Robert BARBAULT, Jacques WEBER, op.cit.

  • lensemble des organismes vivants sur la Plante20! Une belle preuve de la russite

    biologique de lhumanit. Mais cette double croissance est aussi la source principale

    (directe dans le cas du changement climatique ou indirecte pour les autres) des

    menaces environnementales dont nous allons brosser les traits principaux.

    2 Les menaces sont claires La drive climatique et la destruction des ressources dnergies fossiles, Les climatologues 21 comprennent de mieux en mieux les mcanismes et les

    consquences de la drive climatique, mme si les incertitudes restent encore

    larges. La drive climatique actuelle est lie aux missions de gaz effet de serre

    (GES), soit, en 2010, environ 50 milliards de tonnes dquivalents CO222 par an dont

    60 % environ sont du dioxyde de carbone d la combustion dnergie fossile

    (charbon, ptrole et gaz). Depuis le milieu du XIX sicle, lhumanit a mis plus de

    1800 milliards de tonnes de dioxyde de carbone. La concentration de ce gaz est

    passe de 280 ppm23 (un niveau stable en moyenne depuis 400 000 ans) 400 en

    2013. En effet la biosphre (principalement les ocans et les vgtaux) nabsorbe

    que 12 milliards de tonnes de CO2 par an. Cest le niveau dmissions auquel il

    faudrait arriver pour que la hausse de la temprature sarrte en passant en gros par

    une vingtaine de milliards de tonnes en 2050 .

    20 Richard TURCO, Earth under siege ; from air pollution to global change, Oxford University, 1997, page 105. Notre biomasse (de lordre de 300 millions de tonnes) est beaucoup plus leve que celle de nimporte quel mammifre. Mais celle des fourmis est 4 fois suprieure la ntre, et nous sommes battus plate couture par les bactries. 21 Plus prcisment la communaut des scientifiques dont la discipline (qui peut tre de la biochimie, de la modlisation informatique, de la dynamique des fluides ou de la paloclimatologie entre autres) est mobilise dans la comprhension des phnomnes climatiques. Les informations de synthse sur la drive climatique sont fournies par le GIEC (voir www.ipcc.ch). 22 Les missions de Gaz effet de Serre sont mesures en tonnes quivalent CO2 , chaque gaz ayant un pouvoir de rchauffement global multiple de celui du CO2. Une tonne de mthane (CH4) par exemple quivaut environ 25 tonnes de CO2. On les exprime aussi en tonnes de carbone. Du fait du rapport des masses (44/12), 1 tonne de CO2 vaut environ 3,6 tonnes de carbone. 23 Ppm = partie par million.

  • Les scnarios envisags si lhumanit continue faire crotre de manire

    exponentielle ses missions de GES conduisent la fin du sicle une hausse de la

    temprature moyenne plantaire de lordre de 3 6 par rapport la temprature

    pr-industrielle . Lors de la dernire glaciation (il y a environ 20 000 ans), la

    temprature tait infrieure lactuelle de 5 environ. Nous nous apprtons donc

    faire subir notre plante en 100 ans lquivalent dun changement dre climatique.

    Changement largement irrversible du fait de linertie des phnomnes, notamment

    ocaniques. Les consquences strictement lies24 cette drive climatique en sont

    trs lourdes mme si, rappelons-le, les fourchettes dincertitude pour les caractriser

    sont assez larges. Inondation par monte des eaux de grandes zones o vivent des

    populations nombreuses et o ont t raliss de nombreuses infrastructures

    essentielles, canicules, changements de rgimes des pluies, accroissement de

    lintensit des phnomnes mtorologiques extrmes, incendies gigantesques,

    destruction de la fort amazonienne, pression sur la productivit agricole, qui dcroit

    partir dune hausse de 3C, pression sur les ressources hydrologiques dj sous

    pression dans certaines rgions du mondenous promettent lvidence des

    drames conomiques et sociaux touchant des centaines de millions de personnes.

    Le rchauffement tant beaucoup plus fort prs du ple quen moyenne ailleurs, on

    ne peut exclure en outre le dgazage de gigantesques quantits dhydrate de

    mthane contenues dans le permafrost (un sol constamment gel) du nord de la

    Sibrie, ce qui conduirait terme un changement encore plus lourd de

    consquences. Sil est encore possible dinflchir lampleur du changement

    climatique qui va se drouler dans les prochains sicles, il est maintenant

    malheureusement trop tard pour viter les ennuis srieux dans les prochaines

    dcennies.

    En effet les modles scientifiques montrent que de rels problmes peuvent

    commencer apparatre partir dune augmentation de la temprature suprieure 2

    C. par rapport 1850. Les modles ne montrent pas tous les mmes impacts et ce

    chiffre de 2C, retenu par lUnion Europenne comme un objectif majeur dans les

    ngociations internationales, ne peut tre considr comme un seuil irrversible.

    24 Lmission excessive de CO2 dans l atmosphre conduit par ailleurs lacidification des ocans, lorigine de graves dsquilibres de leurs faunes et flores.

  • Mais cest une bonne indication dun niveau quil serait largement prfrable de ne

    pas atteindre. O en est-on ?

    Tout dabord la temprature a dj augmente dun peu moins d 1 C. depuis le

    sicle dernier. En rfrence plusieurs sources scientifiques rcentes25, satisfaire

    lobjectif des 2C nous oblige ne pas mettre plus de 600 1 200 GtCO2 dici

    2050, ces chiffres ne concernant que la combustion des nergies fossiles.

    Conservons lordre de grandeur de 1000 GtCO2,. En 2008, nous avons dj

    consomm le tiers de ce budget . Il nous en reste donc en gros 650 milliards de

    tonnes de CO2. Nous avons mis du seul fait de la combustion des nergies

    fossiles un peu plus de 30 GTCO2 en 2010. A ce rythme, nous aurons dpass les

    650 autorises dans un peu plus de 20 ans, et probablement moins car tout

    sacclre. Serons-nous limits par les ressources ?

    En rserves prouves26 restantes de ptrole, gaz et charbon, nous avons dans le

    monde un potentiel dmissions de lordre de 2 900 GtCO2 sous les pieds, dont plus

    de 1000 GtCO2 en se contentant seulement du ptrole et du gaz. Ces chiffres

    font en outre abstraction des rserves non prouves, au rang desquels les ptroles

    et gaz non-conventionnels. Selon lAIE, les rserves ultimes restantes de ptrole et

    de gaz, cest--dire prouves et non prouves (mais techniquement extractibles),

    correspondraient elles seules des missions suprieures 4 000 GtCO2e. Celles

    de charbon plus de 30 000 GtCO2e... Ce nest donc pas la pnurie dnergie

    fossile qui nous freinera. Il est donc hautement probable que nous dpasserons les 2

    degrs daugmentation du simple fait de linertie de nos consommations

    nergtiques.

    25 600 GtCO2e cumules environ entre aujourdhui et 2050, selon Meinhausen et al . Nature 458, 11581162 (2009). 1 200 GtCO2e cumules environ entre aujourdhui et 2050, selon Allen, M. R. et al. Nature 458, 11631166 (2009). 900 GtCO2 cumules entre aujourdhui et 2050 Selon lAIE (World Energy Outlook 2012), Dans un article rcent paru dans La Revue Durable, numro 48, mars-avril 2013, Bill Mackibben retient un chiffre encore plus bas : 565 GTCO2. 26 Les rserves prouves reprsentent la part des ressources dont lextraction / production est considre comme certaine 90%. Voir par exemple les donnes fournies par la socit BP, une rfrence en la matire, http://www.bp.com/productlanding.do?categoryId=6929&contentId=7044622.

  • Le pic ou plateau de production du ptrole ny changera rien. Nous aurons

    consomm depuis le dbut de lre ptrolire plus de 1000 milliards de barils de

    ptrole conventionnel, soit plus du tiers du ptrole stock sous terre depuis lre

    secondaire. Nous approchons du moment o la production va plafonner, du fait dune

    consommation actuelle de lordre de 30 milliards de barils par an, et de dcouvertes

    chaque anne infrieure cette consommation. Le plafond de production du gaz

    conventionnel approche galement et pourrait tre atteint 20 ans aprs celui du

    ptrole. Nous disposons encore dhydrocarbures non conventionnels (les gaz et

    ptrole de schistes en particulier qui mobilisent les compagnies ptrolires et les

    cologistes) et, surtout, de beaucoup de charbon. Le charbon peut tre liqufi

    (certes grands renforts dnergie, mais nous pourrions mobiliser lnergie nuclaire

    pour ce faire) et satisfaire nos besoins apparemment inextinguibles de mobilit. La

    tentation sera grande de brler ces rserves pour satisfaire notre dsir dnergie

    croissante, alimentant dans nos chaudires la drive climatiqueEt si nous ne

    rsistons pas cette tentation, nous finirons aussi par manquer de charbon Nous

    pourrions alors connatre des tensions dapprovisionnement de ce combustible dans

    les dcennies venir27. Et connatre la pire des situations : des impacts climatiques

    lourds et moins dnergie pour y faire face. Or cest bien laccs lnergie qui

    permet de sortir des difficults, de sauver des vies humaines, dorganiser des

    rinstallations, de reconstruire des villes et des quipements

    La conclusion est sans appel. Sans une inflexion majeure des trajectoires actuelles

    de consommation dnergie, inflexion qui nest pas amorce au niveau mondial ce

    jour, laugmentation de la temprature dpassera les 2C par rapport lre

    prindustrielle. Dans plusieurs scnarios considrs comme ralistes car partant

    des engagements pris par les Etats dans les ngociations internationales elle

    dpassera les 3 4 C. dici la fin du sicle pour poursuivre son ascension

    ultrieurement.

    27 Les estimations des ressources de charbon, et plus gnralement dnergies fossiles sous toutes les formes possibles conventionnelles ou non varient beaucoup. Mais dans tous les cas, la croissance exponentielle de leur consommation se heurte une limite temporelle qui ne se mesure ni en millnaires ni en sicles mais bien en dcennies.

  • La pression anthropique sur les services cologiques

    Cette situation est gnralisable au rapport densemble de ltre humain et de la

    Nature dans des calendriers dchance semblable. Lhumanit exerce une pression

    croissante et bientt intolrable sur les services cologiques , cest--dire les

    services fournis par la Nature. Selon le Millenium Ecosystem Assessment,28 le taux

    dextinction des espces est 50 500 fois plus lev que le taux naturel , tel que

    lvalue les biologistes. Nous sommes lorigine ce que le biologiste Edward Wilson

    a propos dappeler la sixime extinction 29 (la vie ayant connu depuis son apparition sur Terre cinq extinctions majeures). Nous avons dans le mme temps fait

    main basse sur les ressources minrales facilement accessibles. Pour un grand

    nombre de mtaux, les gisements actuellement exploits devraient tre puiss dici

    quelques dcennies. Nous pourrons trouver d'autres gisements, mais un cot

    nergtique et conomique toujours plus lev.

    Nous utilisons annuellement la moiti des ressources d'eau douce disponible, en

    dgradant gnralement sa qualit quand nous la restituons aux cosystmes. Dans

    les mers, la situation n'est pas meilleure. Nous avons vid les ocans de leur faune

    suprieure. Le pic de production pour la pche en mer a t atteint en 1998. La

    production mondiale de poissons plafonne 100 millions de tonnes par an et encore

    cette production tient aussi au dveloppement de laquaculture (qui elle-mme

    consomme des poissons). Le professeur Daniel Pauly30, expert international des

    ressources halieutiques, estime que nous risquons de rentrer, pour les ocans, dans

    lre du Mucus, o rgnent mduses et bactries, du fait de la destruction de leurs prdateurs. Le poids moyen des poissons pchs est, en trente ans, pass de 800

    150 grammes. Il y a autant de thons rouges conservs dans les conglateurs - 60

    C au Japon que dans les mers. Les spcialistes estiment quil ny aura plus de

    poissons comestibles dans les ocans dans la dcennie 204031. Les ocans sont

    transforms en une gigantesque dcharge. Une zone gante de dchets large de

    28 Lvaluation des cosystmes pour le millnaire (MEA) est une tude de 5 ans, lance la linitiative du secrtaire gnral de lONU, Kofi Annan visant valuer l tat des cosystmes mondiaux. Les travaux ont t publis en 2005. Voir http://www.maweb.org/fr/Synthesis.aspx. 29 Voir Richard LEAKEY et Roger LEWIN, op.cit. 30 Daniel PAULY, Five easy pieces, the impact of fisheries on Marine Ecosystems, Island press, 2010. 31 Philippe CURY, Une mer sans poissons, Calmann-Lvy, 2008.

  • centaines de milliers de km2 a t dcouverte dans le Pacifique par locanographe

    Charles J. Moore. Une poubelle de la taille du Texas a galement t repre dans

    locan Atlantique.

    Les forts ont perdu depuis laube de lagriculture une superficie difficile valuer,

    mais de lordre de 15 45 de leur surface. 450 millions dhectares ont disparu des

    rgions tropicales entre 1960 et 1990. Le bilan des ressources en eau est aussi

    difficiles faire, et na de sens que rgionalement. Mac Neill cite lestimation suivante

    qui est quand mme significative : la consommation deau la fin du XX sicle

    reprsente 18% de la quantit deau douce scoulant sur la plante et lutilisation

    directe ou indirecte en reprsente 54%. En 1700, lhumanit prlevait annuellement

    110 km3 deau par habitant, elle en prlve 5190 km3 en 2000, soit 7 fois plus. A ce

    rythme mme leau, une ressource trs abondante sur la plante pourrait manquer.

    La situation nest pas meilleure du ct des sols. Prs dun quart des terres utilises

    par lhumanit est dgrade32 ? Nous perdons chaque anne 0,5% de notre

    capital-sol en soustrayant plusieurs milliers dhectares par accroissement de nos

    cits et de nos routes, par nos pollutions par salinisation, par rosion . La ruine

    progressive des sols va nous conduire de nouvelles famines.

    Ajoutons cet tat des ressources les limites imposes nos activits par le

    fonctionnement mme de la biosphre. Nous avons franchi, ou nous sommes sur le

    point de le faire, si l'on suit une publication rcente de la revue Nature33, un seuil de

    dangerosit dans les neuf domaines suivants : le changement climatique, le taux

    d'rosion de la biodiversit, l'interfrence des cycles de l'azote et du phosphore, la

    dpltion de l'ozone stratosphrique34, l'acidification des ocans, l'usage de l'eau

    douce et celui des sols, la quantit et la qualit de la pollution chimique et enfin

    l'impact des arosols atmosphriques35. Prenons lexemple de lacidification des

    32 Daniel NAHON, Lpuisement de la terre, lenjeu du XXI sicle, Odile Jacob, 2008. 33 Voir larticle de J. ROSTRM et al., Asafe operating space for humanity, Nature, 24 septembre 2009, 461, P.472-475 et son dveloppement dans http://www.ecologyandsociety.org/vol14/iss2/art32/. 34 On se souvient du trou de lozone et de linterdiction, par le protocole de Montral, sign en 1987, de certains gaz propulseurs. La couche dozone nest pas encore reconstitue et sa contraction (ou dpltion) conduit un filtrage insuffisant des ultra-violets solaires ce qui constitue un grave danger pour la vie. 35 Particules fines polluantes mises dans latmosphre et retombant ensuite sur terre.

  • ocans. Les palocanographes36 ont tabli que le PH (potentiel hydrogne, mesure

    de lacidit dune solution aqueuse) moyen des ocans stablissait autour de 8,2

    depuis vingt millions dannes. Au cours des cent dernires annes, du fait de

    laugmentation de la concentration de CO2 dans l'atmosphre, ce pH a diminu de

    0,1 unit, signe d'une plus grande acidit. Selon le GIEC, il pourrait baisser de 0,3

    unit de plus d'ici la fin du sicle. Cette vitesse dacidification et ce niveau nont

    jamais t observs depuis le maximum thermique du passage du Palocne

    l'ocne, il y a 56 millions d'annes37. Cest une cause de plus dextinctions marines

    massives. Et il faudra dans tous les cas au moins 10 000 ans pour revenir au niveau

    du sicle dernier. Finalement, comme l'a tabli le Millennium Ecosystem

    Assessment, plus de la moiti des services cologiques de fourniture et de rgulation

    que nous procurent les cosystmes sont dgrads, et les autres sont en voie de

    l'tre.

    Les autres menaces Si le changement climatique et lrosion de la diversit sont les prils les mieux

    documents ce jour, ils ne rsument en rien lensemble des menaces auxquels

    nous allons tre confronts. Les risques de pandmies, aggraves par le

    drglement climatiques, du fait de mutations gniques de virus sont bien rels et

    pris trs au srieux par lOMS. Lpisode de la grippe H1N1 en 2010 a sembl donn

    raison au bon sens populaire, qui a critiqu les achats massifs de doses de vaccins.

    Rien pourtant ne permet dexclure un pisode tel celui de la grippe espagnole, qui

    avait fait des dizaines de millions de morts, juste aprs la premire guerre mondiale.

    Les consquences sanitaires et conomiques en seraient colossales dans un monde

    de plus en plus inter-reli et o les changes sont de plus en plus rapides. Or un

    biologiste, Ron Foucher, a rcemment fabriqu dans les laboratoires du Centre

    36 Voir les travaux de Carol TURLEY, du Plymouth Marin Laboratory et larticle de HNISCH, et al., The Geological Record of Ocean Acidification, Science, 2 March 2012: 1058-1063.

    37 la suite d'un doublement des taux de CO2 dans l'atmosphre, les tempratures mondiales avaient alors augment de 6C en 5000 ans, avec une monte correspondante des ocans.

  • mdical Erasmus, une forme de ce virus hautement transmissible de mammifre

    mammifre. La capacit de lindustrie pharmaceutique inventer de nouveaux

    antibiotiques (aprs les 25 000 dj conus) se rduit38 alors que les bactries

    multirsistantes se multiplient en raison de leur diffusion incontrle. Il nest pas

    inconcevable que dans une ou deux dcennies, les pays dvelopps se retrouvent

    dans des conditions de vie rappelant les annes antrieures la dcouverte aux

    antibiotiques. Les maladies bactriennes que lon croyait vaincues redeviennent

    mortelles : la tuberculose et le paludisme font des millions de morts. Le progrs de la

    transition pidmiologique sest dores et dj arrt et le retour des grandes

    contagions savre hautement probable.

    On sait maintenant que les perturbateurs endocriniens39, prsents dans nos eaux de

    consommation, envahissent notre environnement et impactent la capacit

    reproductive de lhomme.

    La dose ne fait pas toujours le poison

    Les effets sur la sant des faibles doses de produits toxiques ont t largement

    sous-estims pour des raisons culturelles, scientifiques et technologiques. Ladage

    simple, due Paracelse, que la dose fait le poison (donc que leffet sur la sant

    dun poison est proportionnelle la dose) tait un quasi-dogme ; grce des

    mesures beaucoup plus fines des doses ingres (notamment dans le domaine des

    perturbateurs endocriniens) on saperoit que des doses trs faibles peuvent avoir

    des effets suprieurs des doses plus leves. Que la notion de seuil minimum

    na parfois pas de sens. On commence en outre mettre en vidence des effets cocktail40 (la conjugaison de deux toxiques ayant plus deffet que laddition de leurs effets individuels).

    Dans le domaine de limpact sur la sant des rayonnements, les travaux sur les

    38 Elle se rduit parce que la mise au point dun nouvel antibiotique est trs coteuse mais surtout par un effet de courbe de dpltion car il y a un nombre fini dantibiotiquesvoir par exemple http://www.scidev.net/fr. 39 Un perturbateur endocrinien est un agent qui parat perturber (ou influencer sans contrle) le fonctionnement du systme endocrinien. Les plus connus du grand public sont certains phtalates, le bisphnol A. Clbre pesticide, le DDT est aussi un perturbateur endocrinien. Voir le rapport du PNUE et de lOMS cit note 2. 40 Pour le seul cas de leau voir http://www.ihest.fr/mediatheque/series/les-etudes-de-l-ihest/dossier-l-eau-en-questions/3-la-pollution-de-l-eau#8

  • effets des faibles doses sont trop rcents pour pouvoir arbitrer une controverse

    importante en termes de sant publique : y a-t-il ou non un seuil de radiation en-

    dessous duquel les impacts sur la sant sont ngligeables ? Mais on vient de

    constater rcemment que la radiosensibilit (la rponse de notre corps aux

    irradiations) tait trs variable dun individu lautre41, ce qui remet en cause la

    doctrine mdicale de dtection systmique des risques de cancer, et, par ailleurs,

    les modles dvaluation des consquences des accidents nuclaires.

    Leur taille microscopique et leur omniprsence en font des adversaires redoutables.

    Les effets cocktail issus de la combinaison des effets de particules en dose

    chacune infinitsimale commencent peine tre tudis alors que nous avons

    inond la plante dun milliard de tonnes de produits chimiques organiques entre

    1930 et 2000 et invent plus de cent mille substances aux effets difficiles mettre en

    vidence mais pour certaines cancrignes. La course de vitesse entre le lgislateur,

    le juge et le mdecin dun ct et lindustrie chimique dote dune puissante capacit

    cratrice semble perdue davance pour les premiers. Dautant que la chimie est

    lvidence au cur de nos modes de vie. Comment se passer de toutes ses

    inventions que ce soit dans le domaine de lalimentation, de lagriculture, des

    technologies, des mdicaments, bref dans la vie de tous les jours ?

    Depuis le 11 septembre 2011, nous savons que les terroristes peuvent raliser

    limpossible. Pourquoi nauraient-ils pas recours lusage des armes nuclaires,

    bactriologiques ou chimiques ? Enfin, la biologie de synthse a fait des progrs

    considrable ; il est devenu possible de manipuler de lADN dans son garage. Que

    pourrait-il sortir de ce type dactivits ? Nul ne peut le prvoir.

    3 Le pire est venir Menaces inaccessibles nos sens, poids des sceptiques Ces menaces globales, ont le dfaut dtre... globales. Comment en prendre

    conscience lchelle individuelle? Les sens ne nous le permettent que dans le cas

    41 Voir par exemple guilleminot.sfrnet.org/rc/org/sfrnet/htm/Article//C_COLIN.pdf et les travaux de Nicolas Foray.

  • de pollutions locales. Personne ne ressent la temprature moyenne la surface de

    la plante et encore moins ses variations sur quelques dcennies. Lrosion des

    ressources ou des sols est elle-aussi imperceptible directement. Pour sen faire une

    ide, il faut accder des informations statistiques, variables de surcrot dun

    analyste lautreDu coup, sur ces sujets, lopinion publique est versatile. Elle a du

    mal se faire une conviction stable. Elle est sensible au charme des dmagogues

    qui nient les problmes, ou affirment quils seront rsolus par la science et la

    technique. On sait maintenant que les industriels qui ont intrt limiter les

    contraintes qui pourraient leur tre imposes utilisent de manire dlibre une

    stratgie qui joue sur cette versatilit. Les marchands de doute 42 ralisent ou font

    raliser des tudes scientifiques qui visent dstabiliser lopinion en suscitant des

    hypothses alternatives ou en mettant en cause des rsultats bien tablis. Ces

    travaux sont ensuite diffuss via des think tanks qui peuvent mailler leurs discours

    de rfrences scientifiques. Ils le sont aussi dans leurs communications directes :

    quon pense lindustrie sucrire qui russit ne pas dire clairement, dans son site

    institutionnel43, que lingestion excessive de produits sucrs favorise les caries

    dentairesmais voque plusieurs arguments scientifiques (bien sr fonds)

    expliquant la formation de carie. Il ny dit pas non plus clairement que labus de

    produits sucrs est favorable une forme de diabte et lobsit. Et cest bien dans

    les catgories sociales les plus dfavorises les moins mme de dcoder ce type

    de discours quapparaissent le plus de caries et dobsit

    Ds lors, les lobbys peuvent dire et faire croire quil serait quand mme bien

    excessif de faire de gros efforts pour contribuer la rsolution dun problme dont

    lampleur, non dmontre, est exagre. Le citoyen ordinaire se dcourage face aux

    dbats auxquels il finit pas ne plus rien comprendre. Il finit par se dtourner dun

    souci qui, sil est rel, est dune ampleur qui le dpasse, et prfre soccuper de son

    jardin. On reviendra sur ce point car cette attitude est le fruit dune volution

    culturelle vers toujours plus dindividualisme.

    42 Naomi ORESKES et Erik M. CONWAY, Les marchands de doute, ou comment une poigne de scientifiques ont masqu la vrit sur des enjeux de socit tels que le tabagisme et le rchauffement climatique, Le Pommier, 2012. 43 Voir http://www.lesucre.com/

  • Les religions et le climat Le cas des Etats-Unis en la matire est clairant. Ce pays est dterminant dans la

    rsolution des problmes, du fait de sa puissance militaire et conomique dune part

    et de son mode de vie de lautre. Son modle fond sur une consommation sans

    limite est jalous par ceux qui nen voient pas les cueils : esprance de vie plus

    basse qu Cuba, et probablement dcroissante, augmentation des ingalits

    sociales des violences et de la population carcrale, obsit, ni limpossible

    reproduction ailleurs. A cet gard, les mouvements religieux jouent un rle politique

    dterminant aux USA qui ne pousse pas loptimisme. Les Mormons, par exemple,

    sont convaincus que Dieu va intervenir avant que nos preuves soient trop

    importantes puisquIl sy est engag (aprs la sortie du dluge). Je ne maudirai

    plus jamais le sol cause de lhomme. Certes, le cur de lhomme est port au mal

    ds sa jeunesse, mais plus jamais je ne frapperai les vivants comme je lai fait44 . Ils

    attendent donc sereinement lintervention divine. Les Evangliques, sont convaincus

    au contraire que lApocalypse est une juste punition que Dieu qui nous infligera. Si

    Dieu est dans le coup, ce nest donc pas la faute nos pots dchappement et il est

    inutile de se remettre en cause puisque le chtiment est inluctable Dans tous les

    cas, les fondamentalistes de tous poils ne croient pas aux conclusions des

    climatologues quand bien mme ils utilisent tous les jours les technologies issues de

    lactivit scientifique. Comment esprer de ces mouvements une vraie mobilisation

    qui conduise une rvolution du mode de vie amricain ? Alors que prcisment ce

    mode de vie est lune des causes majeures du changement climatique et quil sera

    manifestement trs difficile faire changer ?

    La faiblesse et linadaptation des institutions humaines Les grandes questions de ressources et denvironnement sont emblmatiques des

    divergences entre intrts individuels et collectifs. Elles posent le dilemme du

    prisonnier 45. Il sagit dune situation, maintes fois tudies par les conomistes

    spcialistes de la thorie des jeux dans laquelle le meilleur choix que va faire 44 Gn, 8, 20. 45 Le dilemme du prisonnier montre que des acteurs sous pression peuvent prendre rationnellement des dcisions contraires leurs propres intrts individuels et collectifs. Voir par exemple Gal GIRAUD, La thorie des jeux, Flammarion, 2009.

  • chaque joueur, compte tenu de ses informations et de ses intrts, est le plus

    mauvais du point de vue de lintrt de lensemble des deux joueurs. Or nous vivons

    une hypertrophie du moi-je et un affaiblissement du sens du collectif qui rendent

    encore plus difficile lmergence de solutions. Sil fallait encore alourdir la

    dmonstration, la difficult est aggrave du fait de notre forte inclination refuser

    toute limite, si enracine quelle semble tre dans le socle de la spiritualit

    inconsciente de notre civilisation. Et comme celle-ci en influence dautres, ce sont

    nombre de sagesses millnaires qui visaient toutes limiter la dmesure humaine qui sont ananties. Nous y reviendrons.

    Lexprience montre lincapacit humaine anticiper les difficults et sa vocation

    ne traiter les problmes que dans lurgence, au pied du mur, au moment o ils

    deviennent palpables. Or quand la crise cologique et notamment climatique, sera

    vraiment sensible, il sera largement trop tard pour en attnuer les effets les plus

    cruels. Lirrversibilit en la matire est dterminante. Dans le domaine du climat,

    elle sexprime en milliers dannes quand elle concerne les ocans.

    Lorganisation conomique dicte par le march est videmment aveugle. Lexemple

    de lusage du taux dactualisation ou du taux dintrt par les acteurs privs crasant

    le long terme est clairant. Un taux de 5 % appliqu une somme donne en divise

    la valeur par 10 aprs 50 ans. Les marchs financiers sont court-termistes parce que

    pouvant gnrer des rendements de plus de 15% grce leffet de levier sur des

    activits spculatives court terme, ils nont aucun intrt prendre des risques sur

    des activits faiblement rentables et forcment plus incertaines, du seul fait de la

    dure.

    Nos institutions ne sont pas non plus armes ni au niveau national ni au niveau

    international. Le rythme de plus en plus rapproch des lections, souhait par

    lopinion, conduit aussi au court-termisme. Or face la complexit du monde actuel,

    les dcideurs politiques sont parmi les seuls pouvoir faire la synthse de domaines

    cloisonns ou en opposition. Mais les lus dterminent leurs actions en fonction de

    leur acceptabilit sociale et de leurs effets probables court-terme. Ils ne sont pas

    non plus incits prparer leurs lecteurs aux mauvaises nouvelles . Si nous

    nexcutons plus le porteur de mauvaise nouvelle, sa popularit nen ptit pas moins.

  • La dmagogie est en gnral plus efficace. Il nest pas difficile de montrer les limites

    des institutions internationales : les rapports de force lemportent sur la coopration.

    Le G20 qui runit les 20 plus grandes puissances mondiales nest quune cabine de

    pilotage o chacun tente daccaparer le manche. LONU est souvent impuissante

    dans les conflits internationaux. Linstitution la mieux arme au plan juridique,

    lOrganisation Mondiale du Commerce, est l pour veiller la conformit de la

    comptition conomique aux rgles de drgulation quelle a dfinies.

    Prosprit et croissance :

    La croissance est encore considre aujourdhui comme la condition du progrs

    conomique et social. Elle est synonyme de prosprit. Dans la croyance commune,

    labsence de croissance fait plonger les bourses et crotre le taux de chmage,

    aggrave la pauvret, rend impossible le remboursement des dettes prives et

    publiques qui ont t souscrites sur le prsuppos dune croissance infinie. Il nest

    pas un gouvernement au monde qui ne mette la reprise de la croissance au cur de

    son programme.

    Or cest lvidence un des leviers majeurs de la catastrophe annonce. En

    caricaturant peine, mieux a va (au plan conomique) plus labme sapproche. Le

    meilleur indicateur global de la pression anthropique de lhomme sur son

    environnement cest le PIB mondial. Il est fortement corrl la disponibilit

    nergtique : sans nergie pas de PIB ! Lvaluation du PIB sur la longue priode est

    bien sr dlicate. Mais les donnes tablies par Angus Maddison font rfrence et

    donnent des ordres utiles de grandeur. Sur une base 100 en 1500 (sicle o les

    diffrentes nations connaissaient un niveau de dveloppement globalement

    identique) il est pass 12 000 en 1992. Cette multiplication par 120 sur environ

    500 ans tablit une croissance environ 1%. Mais pour lessentiel, comme pour ce

    qui concerne la dmographie et lnergie, elle sest produite aprs 1820. Durant les

    seules 170 dernires annes, le PIB sest multipli par 40 soit une croissance

    continue de 2,2 % par anne

    La croissance actuelle du PIB saccompagne invitablement de la destruction de

    ressources non renouvelables, quil sagisse dnergie fossile ou de matires

  • premires. Limitons nous au CO2. En 2009 les missions de CO2 lies la

    combustion dnergie fossile taient denviron 29 Milliards de tonnes pour un PIB

    mondial denviron 58 000 milliards de dollars46. Le poids carbone (limit celui de

    lnergie fossile consomme) du PIB mondial tait donc de lordre de 510 grammes

    de CO2 par point de PIB, variant de 140 grammes pour la France, 1400 pour la

    Chine en passant par 1200 pour lInde et la Russie, 380 pour les USA et 220

    grammes pour lUE 27. Cet cart important (de 1 10 ) provient du fait que le PIB

    des pays mergents est obtenu avec un recours plus important au charbon (trs

    riche en carbone) comme source dnergie lectrique et avec des procds

    globalement moins performants. Certes lintensit carbone du PIB mondial sest

    rduite de 40% de 1970 2005, mais sur la mme priode le PIB a t multipli par

    347. Les missions totales (les seules qui comptent pour le climat !) ont donc en gros

    doubl.

    Les gains defficacit nergtique raliss au cours des dernires dcennies sur les

    articles de consommation courante tels les rfrigrateurs, aspirateurs ou micro-

    ondes ont tous t plus que contrs par laugmentation quantitative de la

    consommation et par la cration de nouveaux besoins. Cest leffet rebond mis en

    vidence par lconomiste William Stanley Jevons. De 1970 2005, lintensit

    nergtique du PIB mondial sest effectivement amliore denviron 30%, mais

    comme on la dit, le PIB a t multipli par 3 entranant un doublement de la

    consommation dnergie.

    Si les menaces terroristes requirent pour tre comprises une analyse complexe, il

    faut souligner quil est simple de cerner la cause des menaces cologiques. Nous y

    contribuons tous de la manire la plus immdiate. Nous sommes tous

    coresponsables de la situation, tous coupables et tous innocents en quelque sorte.

    En matire climatique, par exemple, chacun dentre nous considre comme lgitime

    le droit dmettre au moins lchelle du Franais moyen pour sa consommation,

    soit de lordre de 10 tonnes de CO2eq. Cest malheureusement 5 fois trop.

    Rappelons que larrt de la drive climatique ncessite de ramener les missions 46 Donnes AIE pour le CO2 et Banque Mondiale pour le PIB courant. 47 Source : GIEC, 4 rapport dvaluation, mai 2007.

  • environ 20 milliards de tonnes de CO2eq horizon 2050, soit environ 2 tonnes par

    habitant... Les crises cologiques globales que nous allons affronter ne sont la

    consquence que de la gnralisation lensemble de lhumanit de conditions de

    vie qui nous paraissent minimales. Il ne suffit pas dradiquer un gaz comme les

    CFC, lorigine du trou de lozone. Cest bien notre modle de croissance

    conomique qui nest pas viable, sauf considrer quil pourrait ne pas tre

    gnralis, au moins dans le confort quil permet, ce qui nest manifestement pas

    lavis des populations des pays mergents. Or ces pays ont acquis les moyens de

    faire entendre leur point de vue. Gnraliser lensemble de lhumanit le niveau vie

    du franais moyen, cest se rsoudre multiplier par plus de 3 le PIB mondial

    (passer de 60 000 milliards de dollars plus de 200 000 milliards), ce qui est

    compltement incompatible avec la disponibilit des ressources matrielles

    ncessaires cette croissance. Mais voulons-nous voir cette vidence ?

    4 Lhomme une erreur de la Nature ?

    Bref, lhumanit sacharne dtruire les conditions de sa propre survie. O va-t-elle ? Pour certains, le pire est sr, ce nest quune question de temps. Pour Jean-

    Pierre Dupuy48 , nous sommes en sursis, la seule option tant de croire la

    catastrophe finale pour pouvoir en retarder lchance. Dautres pessimistes

    pourraient sinscrire tels quels dans les remarquables propos de Machiavel49 en

    1513 :

    Il advient alors ce qui arrive aux mdecins dans le traitement de la consomption :

    dans les premiers stades cest une maladie facile gurir et difficile connatre,

    mais lorsquaprs quelque temps elle a fait des progrs sans tre traite

    correctement, elle devient facile connatre et difficile gurir. Il en est de mme

    des affaires dEtat : lorsquon les prvoit de loin ce qui nest donn quaux hommes

    dous de sagacit, les problmes potentiels sont bien vite rgls ; mais lorsque par

    manque de prvoyance on les laisse progresser au point quils frappent tous les yeux

    il ny a plus aucun remde.

    48 Jean-Pierre DUPUY, La marque du sacr, Edition Carnets Nord, 2009. 49 Nicolas MACHIAVEl, Le Prince, Ivrea, 2001, cit par MAC NEILL op.cit, page 470.

  • Si les gouvernements humains ne ragissent fortement quau moment o la

    catastrophe est sensible, cela ne peut qutre plus difficile encore pour lhumanit qui

    na pas de gouvernement mondial pour traiter de problmes sur lesquels les

    dirigeants nationaux nont quune prise partielle et dont les pays ne subissent que

    des consquences limites elles aussi. Il est donc fort probable que les corrections

    de tir seront bien trop tardives. Pour la drive climatique, cest assez clair : on sait en

    effet que quand on prouve ses effets les plus meurtriers, il est trop tard pour

    linverser, en raison de linertie des phnomnes physiques en cause.

    Pour dautres observateurs encore, il est trop tard parce que les citoyens des pays

    dvelopps ne pourront pas rduire rapidement et fortement leur consommation

    dnergie et que les Brsiliens, les Indiens, les Chinois et tous les autres humains

    naccepteront pas de se serrer la ceinture et de ne pas accder rapidement nos

    standards de vie, mme sil est clair que cest bien cette gnralisation massive de

    notre pression sur la nature qui est la cause de lapocalypse annonce. Pour dautres

    enfin, les mcanismes internationaux et dmocratiques sont tout fait inadapts

    pour rgler les problmes actuels et ne pourront pas tre modifis assez vite. En un

    mot, le camp des ralistes-pessimistes croit que lhumanit est incapable

    aujourdhui de faire face temps au danger le pire (cest bien de cela quil sagit, pas

    dempcher les gros ennuis). Les gains microscopiques en termes dmission de

    CO2 du protocole de Kyoto et les checs des ngociations internationales des

    annes 2009-2011 ne peuvent que renforcer le pessimisme.

    Il nest qu observer le cours de lhistoire pour le constater avec sa collection de

    gnocides (industrialiss depuis 1940), ses esclavages (combien desclaves soumis

    par les occidentaux et les arabes, combien de dports aux Antilles ?), son

    colonialisme, son pillage des ressources des pays tiers, ses violences extrmes et

    gratuites, ses brutalits lencontre des animaux, ses cocides50, le dvoiement de

    ses prouesses technologiques (conqute spatiale utilise pour la guerre des

    toiles51 , cyber terrorisme et sa raction liberticide, ).

    50 Franz J BROSWIMMER, Ecocide : une brve histoire de lextinction en masse, Parangon, 2003. 51 Linitiative de dfenses stratgique (IDS) a t lance par Ronald Reagan en 1983 en vue de construire un bouclier de satellites contre le danger (en fait imaginaire) dattaque

  • Lhomme un monstre ; cest parmi mille exemples lavis document de lacadmicien

    Jacques Blamont52. On se souvient aussi de la thorie dArthur Koestler53 : la

    croissance extraordinairement rapide du cerveau humain serait responsable d'un

    dangereux dfaut de coordination entre ses structures anciennes et rcentes de ce

    cerveau, d'o un divorce quasi permanent de l'motion et de la raison. Ce diagnostic

    est partag implicitement par de nombreux philosophes qui voient dans lhomme une

    erreur de la nature.

    Cest au fond ce que lon peut penser naturellement quand on observe

    lindustrialisation du crime par les nazis, lorganisation des purges staliniennes et des

    dportations maostes, le dveloppement des mafias, celui de la banalisation du

    crime financier, notre indiffrence vis--vis des souffrances animales pouvantables

    vcues dans les abattoirs industriels, les dchainements de violence comme ceux

    qui ont conduit au gnocide au Rwanda, notre aptitude mettre nos inventions

    prodigieuses au service de la destruction et de la guerre, etc.

    Que lhomme soit responsable de ces actes ou pas, cest Dieu qui lest quil existe

    ou pas, et si cest le hasard, le hasard est alors monstrueux car il a laiss natre

    une crature doue de la capacit de tuer tout ce qui vit, jusquaux conditions de sa

    propre survie et, cerise sur le gteau, consciente et capable de prvoir et de vivre

    par anticipation le pire. Comment accepter que la conscience, cette particularit

    unique dans le dveloppement de la vie soit donne une crature qui se comporte

    sauf exception comme un animal froce, en toute connaissance de cause,

    contrairement aux prdateurs du rgne animal dont lextraordinaire privilge est de

    ne pas se rendre compte de leurs actes, jouissant ainsi de lexcuse infinie de ny rien

    pouvoir, puisquils sont prdateurs par destine biologique ?

    Comment saimer, comment tre heureux, dans ce contexte ? Quelles soient

    dinspiration stocienne ou orientale, les traditions spirituelles qui refont flors

    aujourdhui, semblent nous inviter nous concentrer sur linstant prsent et sur notre

    transformation intrieure et chasser de lesprit nos constructions mentales. A se sovitique, 3 ans avant la catastrophe de Tchernobyl, qui rvla ltat de dcomposition de lempire sovitique 52 Jacques BLAMONT, Introduction au sicle des menaces, Odile Jacob, mai 2004. 53 Arthur KOESTLER, Le cheval dans la locomotive, Calmann-Lvy, 1967.

  • replier sur soi et accepter le monde tel quil est. Nest-il pas donc prfrable de

    fermer les yeux sur le rel, pour tre heureux, ce qui est quand mme le but de

    lexistence ?

    Nous ne le pensons pas. La lucidit est, plus que jamais, une condition de survie.

    Mais nous allons dabord montrer que nous commettons une faute de logique en

    prolongeant indument sur lavenir des tendances passes. Le pire nest pas

    logiquement sr.