Chaân, La caverne des trois soleils

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CHAÂNLa caverne

des trois soleils

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© Flammarion, 2004, 2011© Flammarion pour la présente édition, 2020

87, quai Panhard-et-Levassor – 75647 Paris Cedex 13ISBNþ: 978-2-0815-1567-3

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CHRISTINE FÉRET-FLEURY

CHAÂNLa caverne

des trois soleils

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Pour Carole

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ers 3þ500þans avant notre ère, les peuplesnomades, qui vivaient uniquement de lachasse et de la cueillette, deviennent séden-

tairesþ: éleveurs et cultivateurs, ils bâtissent desmaisons, se regroupent en villages, perfectionnentdifférentes techniques, comme la taille de la pierre,le tissage, la poterie. Ils construisent également des

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sépultures pour les mortsþ: les dolmens. C’est la der-nière période de la Préhistoire, le Néolithique, quis’achève avec la fabrication des premiers outils enmétalþ; le climat et le paysage ne sont pas très dif-férents de ceux que nous connaissons aujourd’hui, lesdinosaures et même les mammouths ont disparudepuis bien longtemps. Sans doute les hivers sont-ilsplus froids et plus longs, et l’existence plus précaire,surtout dans les vastes steppes où vit Chaân, l’héroïnede ce livre…
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RÉSUMÉ DU TOMEÞI

haân a douze ansþ; c’est l’âge où les filles duPeuple du Lac songent à se marier et aban-donnent les jeux d’enfants pour des activités

réservées aux femmesþ: le tissage, le tannage despeaux, la préparation des repas… Mais Chaân larebelle ne veut pas de cette vie-làþ: elle rêve de chas-ser, comme un homme, et surtout d’être libre. À la

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mort de Joran, un chasseur qui lui a transmis toutson savoir, elle prend sous sa protection Lûn, safille unique. Lûn boiteþ; elle est défigurée par unbec-de-lièvre et surtout elle connaît les plantes etleur usageþ: c’est assez pour que tous se méfientd’elle et lui attribuent, sans preuve, des pouvoirsmaléfiques. Très vite, les deux jeunes filles sontmises à l’écart, montrées du doigt. Le jour où la fillede Joran est blessée par un jet de pierre, elles réalisentqu’une seule issue leur est offerteþ: suivre la poi-gnée de chasseurs qui vont partir pour le Grand

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Déplacement, chercher des terres plus fertiles etdéfricher l’emplacement du nouveau village. Levoyage est long et difficile. Alors que la petitetroupe est prise dans un orage violent, Lûn s’écartedu groupe. Chaân, qui s’est lancée aussitôt à sarecherche, retrouve sa trace près d’une grotte isolée…

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CHAPITRE 1

am-bam. Bam-bam.Ce n’était pas le son feutré d’un tambour depeau, ni les soubresauts d’un monstre lové

dans les entrailles de la terreþ: des talons frappaient laparoi rocheuse, obstinément, à intervalles réguliers.Par moments, le bruit cessaitþ; puis il reprenait, maisplus faible à chaque fois. Les pauses étaient aussi de

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plus en plus longues. Quelqu’un – un être humain –gisait là, à bout de forces, et appelait au secours.

Chaân savait, au fond d’elle-même, que c’étaitLûn. La jeune fille, égarée, avait été surprise parl’orageþ; elle s’était réfugiée dans cette petite grottepour tenter de se sécher et de se réchauffer, aban-donnant au-dehors son bâton de marche. PourquoiLûn s’était-elle enfoncée aussi loin dans ce boyauobscur où Chaân ne pouvait avancer qu’en ram-pantþ? Était-elle tombéeþ? Avait-elle été prise dansun éboulement, ou attaquée par un prédateurþ? On

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était encore loin des montagnesþ; mais les ours, par-fois, venaient rôder dans les grandes plaines.

Bam-bam. Bam-bam.—þNe t’arrête pasþ! cria Chaân.Elle avait l’impression que des monceaux de terre

et de roc la séparaient encore de son amie. Mais lesbruits, sous terre, pouvaient se révéler trompeursþ;Lûn était peut-être tout près d’elle. Chaân roula sur leflanc et tâta, au-dessus de sa tête, la voûte basseþ: illui sembla qu’elle s’élevait à nouveau. Prenant appuisur les coudes et les genoux, elle gagna encore unpeu de terrain et bientôt put se redresser. Assise dansl’obscurité totale, elle écouta, cherchant à s’orienter.

Bam-bam. Bam-bam.Elle en était sûre, à présentþ: le bruit s’accompa-

gnait d’un léger écho, comme s’il montait du fond

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d’un puits.«þIl faut que je fasse très attention, se dit-elle. Il

doit y avoir un trou, une fosse, tout près… Je nepourrai pas sortir Lûn de là si je bascule dedans,moi aussi.þ»

Les dents serrées, elle reprit sa progression,explorant chaque pouce du sol devant elle. La gale-rie faisait un coudeþ: au moment où elle franchit cetournant, elle sentit un faible souffle sur son visage.

«þC’est là. Mais je ne vois rien. Pourvu qu’elle nesoit pas trop gravement blessée…þ»

Doucement, elle appelaþ:

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—þLûnþ!—þChaânþ! N’avance pasþ! Tu vas tomberþ!La voix de l’adolescente était rauque, angoissée.—þJe saisþ! Ne t’inquiète pas pour moiþ! Est-ce que

le trou est profondþ?—þPas très, je crois, mais je suis tombée sur un

rocher pointu… je ne peux plus me releverþ: majambe me fait trop mal.

—þJe vais t’aiderþ!—þComment le pourras-tu, sans lumièreþ? Il faut

que tu retournes à l’entrée de la grotte pour faire dufeu, allumer une torche…

—þÇa prendrait trop de temps. Et puis, je ne veuxpas te laisser… Je vais descendre jusqu’à toi. Parle-moi, surtoutþ: ta voix me guidera.

Un sanglot lui réponditþ:

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—þJe croyais que personne ne viendrait jamais,que j’allais mourir là, dans le noir, toute seule… etpuis j’ai entendu des cailloux rouler… J’avais peurque ce soit un lynx… Alors j’ai commencé à tapersur la paroi avec mon pied valide, pour l’effrayer,l’éloigner. Comment m’as-tu retrouvéeþ? Quand j’aientendu ta voix, j’ai cru que je rêvais.

—þTu oublies que c’est ton père qui m’a appris àsuivre une piste, répondit Chaân. Joran était ungrand chasseur…

Tout en parlant, elle déroulait la corde de fibresvégétales tressées qu’elle portait toujours enroulée

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autour de la taille. Elle ne l’avait pas laissée dans lecairn1 où les autres voyageurs s’étaient réfugiés pen-dant l’orage, et s’en félicitait, tout comme elle seréjouissait d’avoir pensé à emporter une corde derechange, malgré son désir d’alléger le plus possiblela charge qu’elle traînait. Cette précaution lui avaitdéjà sauvé la vie une fois…2

Elle tâtonna autour d’elle, le long des parois, etfinit par buter sur une saillie rocheuse qui parais-sait assez solide pour supporter leurs deux poids.Elle y fixa la corde et la secoua violemment plu-sieurs fois. Le nœud tenait.

—þLûn… continue à parlerþ! Continueþ!La fille de Joran émit un petit rire tremblant.—þJe ne sais plus quoi dire…—þN’importe quoiþ! Chanteþ! Ou plutôt, implore

les Esprits de la Terre de nous laisser sortir d’ici

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saines et sauves…Très lentement, Chaân commença à descendre.

Elle avait ôté ses chaussures de peau souple pourmieux sentir les aspérités du solþ; sous ses pieds, depetits cailloux roulèrent.

—þAttentionþ! cria Lûn.Un «þplocþ» étouffé se fit entendre.

1. Butte de pierres de forme circulaire ou allongée, qui peutmesurer 6 à 8þmètres de hauteur. Le cairn surplombe unechambre funéraire.

2. Voir le tomeþI, Chaân, la rebelle.

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—þIl y a de l’eau, un peu en dessous, continua lajeune fille.

—þLa rivière a creusé son lit dans la falaise, ditChaân. Il y a longtemps, elle a dû passer par cettegalerie.

Elle glissa un peu plus bas, poussa un léger criquand une main lui saisit la cheville.

—þLaisse-moi faire, dit Lûn. Il y a un petit replat.C’est ce qui a arrêté ma chute. Sinon, j’aurais rouléjusqu’à la rivière et je me serais noyée.

Chaân posa un pied, puis l’autre, sur une surfacedure et s’accroupit avec précaution. Lûn était cou-chée sur le dos, les jambes repliées. Chaân toucha sonvisageþ: les joues de l’adolescente étaient mouillées delarmes.

—þTu as très malþ?

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—þOui. Je n’y arriverai jamais… je ne pourrai pasremonter.

—þIl le faut. Tu ne vas pas rester là. Je vais passerl’extrémité de la corde autour de toi, puis j’escalade-rai la pente et je te hisserai. Ce sera douloureux,mais il n’y a pas d’autre solution.

Lûn poussa un profond soupir.—þVas-y, dit-elle enfin.

La remontée fut longue et pénible. Chaque foisque sa jambe blessée heurtait le sol, Lûn poussaitun gémissement de douleur. Chaân, arc-boutée

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contre la paroi de la galerie, sentait la corde glisserentre ses mains moitesþ; la sueur ruisselait sur sonfront. À plusieurs reprises, elle crut qu’elle allaitlâcher. Elle suffoquaitþ; les ténèbres qui la cernaientse zébraient d’éclairs rouges. D’atroces visions défi-laient devant elleþ: le nœud cédait, Lûn tombait ànouveau, rebondissant sur le replat pour tomberencore plus bas, jusqu’à la rivière, son corps déchi-queté au passage par les rochers coupants…

Enfin, elle put passer les bras autour du torse frêlede la jeune fille et, dans un dernier effort, la hisser surla corniche. Haletante, elle s’affaissa à ses côtés.

—þMaintenant, il faut qu’on sorte de là, dit-ellequand elle eut un peu repris son souffle.

La respiration saccadée de Lûn trahissait sa souf-franceþ; pourtant, elle répondit avec courageþ:

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—þJe vais essayer de ramper derrière toi.—þNon, ta jambe va frotter sans arrêt contre la

roche… tu risques de t’évanouir. Je vais ramper avectoi sur mon dos.

—þMais c’est impossibleþ!—þLe passage n’est pas très longþ; après, je pour-

rai te porter ou t’aider à marcher. Tu es plus petiteque moiþ: tu te tiendras à mes épaules et tu poserastes jambes sur les miennes. J’essaierai d’avancer enme servant seulement de mes bras. Ce ne sera pasfacile, mais nous y arriverons, tu verras.

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Quand elles émergèrent enfin de l’étroit boyau,Chaân ne sentait plus les muscles de ses épaulesþ;elle avait l’impression qu’ils étaient devenus durscomme du bois. Elle aida Lûn à s’allonger sur le solsablonneux, puis s’assit et se massa le haut des brasen grimaçant.

—þNous allons rester ici pour cette nuit, dit-elled’une voix entrecoupée. Demain, nous reprendronsnotre route. Ma besace doit être par là… J’ai monnécessaire à feu. Et j’ai même tué un lièvre, tout àl’heure, en suivant tes traces. C’est encore une chanceþ!Je vais aller chercher du bois mort et nous allumeronsun feu à l’entrée de la grotte. Ensuite, je regarderai tajambe… Est-ce que la plaie est très profondeþ?

—þJe ne crois pas, répondit Lûn. Il suffira de lanettoyer et de poser dessus un emplâtre fait avec lesherbes que je t’indiquerai. Mais il y a pire…

—þQuoiþ?—þJe crois… je crois que ma jambe est cassée,

Chaân. Je ne pourrai pas reprendre la route demain.Ni les jours qui suivront. Je ne pourrai pas marcheravant longtemps…

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CHAPITRE 2

e feu crépitait, jetant dans l’obscurité des poi-gnées d’étincelles rougeoyantes. Assise au borddu tapis de braises, le dos appuyé à la paroi

moussue, les genoux remontés contre sa poitrine,Chaân regardait Lûn dormir. La jeune fille avait finipar sombrer dans un sommeil fiévreux, après avoirbu une infusion d’écorce de saule, dont elle avait

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encore une assez bonne provision dans sa boîte àremèdes. Heureusement, le récipient de joncs tres-sés, qu’elle portait attaché autour des hanches àl’aide de deux lanières de cuir, était tombé tout prèsde l’entrée de la caverneþ: Chaân, pour le récupérer,n’avait pas eu à redescendre dans la fosse.

—þPourquoi es-tu allée si loin à l’intérieur de lagrotteþ? Tu devais bien te douter que c’était dange-reuxþ! lui avait demandé la jeune chasseresse ennettoyant les nombreuses écorchures laissées par sachute.

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Lûn avait désigné, au-dessus de sa tête, la voûteoù les flammes projetaient leur lueur dansante.

—þRegarde, avait-elle répondu.Chaân avait levé les yeux. Sur la pierre poreuse,

ravinée par les eaux, criblée de minuscules etinnombrables cavités, d’étranges signes se déta-chaient.

—þQu’est-ce que c’estþ? avait demandé Chaân.—þRegarde mieux. Tu ne vois pasþ?—þOn dirait… Oui, ce sont des empreintes de

mains humaines… C’est de l’ocre, cette couleur rou-geâtreþ? Des hommes ont vécu ici, en tout cas.

—þNon, avait répondu la fille de Joran. Vois lataille des paumes, la finesse des doigtsþ: ce sont desmains de femmes. Toutes. Et ce n’est pas de l’ocre,c’est du sang.

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—þDu sangþ? s’était écriée Chaân, effrayée. Mais…qu’est-ce que ça signifieþ?

—þC’est une caverne sacrée. Elle a été utilisée,depuis bien des saisons, bien avant notre naissance,celle de nos parents et celle des parents de nosparents, par des guérisseuses qui s’y rassemblaientpour y célébrer un culte secret. Ce culte comportaitde nombreux rituels, notamment des sacrifices d’ani-mauxþ: leur vie était offerte aux Esprits des Ténèbresen échange d’autres vies.

—þJe ne comprends pas, avait dit Chaân. D’autresviesþ?

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—þDes vies humaines. Celles que les femmes-qui-savent réussissent à préserver, grâce à leursremèdes.

Lûn avait souriþ:—þEn fait, les guérisseuses se retrouvent surtout

pour échanger des plantes, demander des conseils,faire part aux autres de leurs découvertes… C’estainsi qu’elles deviennent de plus en plus savantes.

—þMais comment sais-tu tout celaþ? Souvent, ondevient guérisseuse de mère en fille… Et toi, tu n’asmême pas été initiéeþ!

—þJe ne t’ai pas tout dit, Chaân. Ma mère, eneffet, est morte il y a déjà plusieurs hivers. Quant àOfa, la femme-qui-soigne de notre village, elle medétestait, et je le lui rendais bien. De toute façon,elle n’aurait pas pu me transmettre grand-chose, car

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sa science était plutôt minceþ! Ce que je sais, je l’aiappris toute seule… enfin, presque.

—þPresqueþ? Que veux-tu direþ?En s’appuyant sur ses avant-bras, la fille de Joran

s’était péniblement redressée.—þAïe… il va falloir que tu trouves des morceaux

de bois bien droits pour me faire une attelle. Sinon,ma jambe ne se remettra pas…

—þIl y a un grand tas de bois flotté sur la berge,un peu plus bas. J’irai dès qu’il fera clair. Raconte-moi, en attendant… si tu ne souffres pas trop.

—þNonþ; je préfère te parler, j’oublie mon mal…

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Mais des gouttes de sueur perlaient à son front etsa bouche se crispait de douleur. Elle avait fermé lesyeux quelques instants, puis avait commencé sonrécit à voix basseþ:

—þUn matin, au printemps dernier, je me suiséloignée du village pour aller cueillir des simples,comme à l’accoutumée, mais je suis allée très loin,vers une partie de la forêt que je n’avais jamaisexplorée encore. J’ai fait une bonne récolte deplantes, je m’en souviens, j’étais contente. Vers lemilieu du jour, j’ai voulu me reposer un peu, man-ger les provisions que j’avais emportéesþ; j’aigrimpé sur un rocher plat et je me suis assise ausoleil. Il faisait doux et, après avoir pris mon repas,je me suis endormie. À mon réveil, j’ai senti uneprésence. Une femme était accroupie près de moiþ;

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elle examinait le contenu de mon panier. D’abord,j’ai eu peur, mais son attitude n’avait rien de mena-çant. Elle a touché mon front, puis ma lèvreþ; samain était douce. Et il émanait, de ses doigts, unecurieuse chaleur.

—þEst-ce qu’elle t’a parléþ?—þOui, et même si je ne le connaissais pas, nous

parlions le même langage… Elle m’a posé beaucoupde questionsþ: elle m’a demandé d’où je venais, quiétait ma mère, et qui m’avait enseigné à reconnaîtreles plantes. Quand je lui ai dit que personne n’avaitguidé mon apprentissage, elle a paru étonnée. Elle