Chabas, Francois (1817-1882). Oeuvres Diverses-5. 1899
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Chabas, François (1817-1882). Oeuvres diverses. 1899.
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BIBLIOTHÈQUE
CONTENANT LES
ŒUVRESDESÉGYPTOLOGUESFRANÇAISdispersées dans divers Recueils
et qui n'ont pas encore été réunies jusqu'àce jour
PUBLIÉEOOVO LA DIRECTION DE
G. MASPERO
TOME TREIZIÈME
F. CHABAS
ŒUVRES DIVERSES
TOMECINQUIÈME
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
1909
ERNESTLEROUX.ÉDITEUR28,RUEBONAPARTE,28
BIBLIOTHÈQUE ÉGYPTOLOGIQUE
PUBLIÉESOUSLADIRECTIONDEG.MASPERO
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PIND'UNESERIEDEDOCUMENTSENCOULEUR
ÉGYPTOLOGIQUE
TOME TREIZIÈME
CHALON-SUR-SAONEBERTRAND
BIBLIOTHÈQUE
CONTE: NT LES
ÉGYPTOLOGUESFRANÇAIS
dispersées dans divers Recueils
et qui n'ont pas encore été réunies jusqu'à ce jour
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
G. MASPEROMembrede l'Institut
Directeur d'études àà l'École prtlque des HautesÉtudes
Professeur an Collègede Fraxe
TOME TREIZIÈME
F. CHABAS
ŒUVRES DIVERSES
TOMECINQUIÈME
PARIS
EltNEST LEROUX, ÉUITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1909
F. CHABAS
ŒUVRESDIVERSES
TOME CINQUIÈME
CHALON-SUR-SAONE
IMPRIMERIEFRANÇAIBE ETORIENTALE DE É. BERTRAND
F. CHABAS
ŒUVRES DIVERSES
PUBLIÉESPAR
G. MASPERO
Membrede l'Institut
Directeurd'étodes àrteett pratiquedes Hautes Etades
Prufesseur » Collegede France
TOME CINQUIÈME
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1909
1
BIBL. ÉGYPT., T. XIU.1
NOTICE
SUR
UN TALISMANÉGYPTIEN
LesÉgyptiensétaientextrêmementsuperstitieux.Ilsre-doutaientpartoutdesinfluencesmalignes,et cherchaientàs'enpréserverenportantsureuxetenconservantdansleursmaisunsdesamulettesde diversesformes.Ona trouvé,parmilesobjetsantiquesdecegenre,desmainsétendues,despoingsferméslaissantpasserlepouceentrel'indexetlemédius,etrappelantainsilegesteaumoyenduquel,chezcertainesnationsmodernesetsurtoutenItalie,ondétournelemauvaisceil.
L'amulettenomméeTet,quiparaitreprésenterunnœudcompliqué,pouvaitêtreportéesuspendueaucoucommeunanneaudecollier.Ilenest dedimensionstropconsidérablespourcetusage.Dansce cas,leTetrestaitplacédansleshabitations.On en connaîten terreémaillée,calcaire,pierresduresdetouteespèce,bois,lapis,etc.Jen'enconnaispasenmétal,maisseulementenboisdoré.L'influencepré-
1.Écriten1873etdemeuréinédit.Nonsdevonslacommunicationdecettenoteàl'obligeancedeMadamePiquemal,quiabienvoululacopiersurlemanuscritoriginal.G.M.
2 NOTICSSUR UN TALISMANÉGYPTIEN
admettre une tnscnptton
a Sang d'Isis1
» Vertu d'Isis!
» Puissancemagique d'Isis!
ce chef.
Aussi une variante de la légendenoms de ce
dieu à la placede ces
mots ce chef. Lesalut d'Osiris
était
grandchef des oeuvres
d'un art, nommé
quiétait censéprononcerla formule.
1. Celui à propos duquel Chabasécrivit cette note. —G. M.
NOTICE
SUR
LE « PIRE-EM-HROU'
4 NOTICE SUR LF. « PIRE-EM-HROU»
tainement sortir de, il est tout à fait invraisemblable, im-
ettain que les,âmesdes réprouvés
étaient retenues sur la
terre et n'étaient pas admises à sortir du jour.
les justifiésencombre, tandis que les non-
justi fiés y étaient soumisdes tortures inouies, incessam-
A mon tour, je proposaide traduire pire-em-hrou par
NOTICE SUR LE « PIRE-EM-HROU n 5
sortir comme le jour, à l'instar du jour. Cette traduction,
au point de vue philologique, est inattaquable; elle rend
d'ailleurs, comme celle de Champollion, une idée exacte du
point de doctrine. Cependant elle n'a pas, que je sache,
réuni beaucoup de partisans.
M. Lefébure, celui des égyptologues qui a compulsé sur le
sujet en discussion le plus grand nombre de textes, est arrivé
à la conclusion que la véritable signification est celle de
sortir pendant le jour, sortir le jour.
Grammaticalement, cette traduction est encore parfaite-
ment juste. Je n'en veux pour preuve que rette prescription
du Calendrier Sallier pour la journée du 27 Athyr
On pourrait cependant objecter que, dans des phrases de
ce geinre, la préposition emest souvent élidée. Si tel
était le sens de pire-em-hrou, on devrait trouver, dans les
milliers de textes que nous connaissons, quelques exemples
de cette élision, surtout dans le, cas qui semblent spécialiser
le jour d,' la sortie, comme, par exemple, pire-em-hrou pena sortir ce jour-ci s, pire-em-hrou menaou u sortir le jour» de l'inhumation u.
Mais l'objection la plus sérieuse contre cette manière de
voir, c'est qu'elle introduit dans la doctrine égyptienne une
nution que nous n'y avons jamais rencontrée. Si les mânes
doivent sortir le jour, c'est que la sortie pendant la nuit leur
est interdite: ils sont, conséquemment. soumis :i la rentrée
obligatoire à la fin de chaque journée. Si une idée de ce genreavait eu cours chez les Égyptiens, elle serait exprimée dans
les textes funéraires, qui sont généralement prodigues de
détails de toute nature sur la vie des mânes. Mais ce qu'ils
6NOTICE SUR LE «PIRE-EM-HROU
»
1
mentionné avec le pire-em-hrou. L'effet immédiat
de la ré-
dans la société des vivants
hrou
Le chapitre si du Rituel funéraireest concluaut. Témoin
le passadesuivant
1. chap. CXLVIII.l. 7.
2. Sharpe,79, l. 17.
NOTICE SUR LE « PIRE-EDd-HROU » 7
Ainsi donc. le pire-em-hrou rendait aux morts la vie de
la terre; les textes décrivent cette vie dans les moindres
détails et nous montrent les mânes s'habillant, respirant l'air
sous les ombrages, se rafralchissant dans les eaux, man-
geant, buvant et subissant les plus vulgaires exigences de la
nature. Les légendes du tombeau du scribe Anna, à Qourna,
rendent la clmse sensible
II est donc bien avére que Ic, mânes avaient, en vertu du
pire-em-hrou, la faculté de reprendre leur vie mondaine,
telle qu'ils en avaient joui sur la terre; ils s'y livraient aux
1. L'égyptien a ici le pronom pluriel (rr qui leur plait) et rend l'idée
rrqui plait aus atrants. De* variantes du chapitre observent mieux
les rapports grammaticaux. Le sens n'est d'ailleurs pae susceptible
d'être min en question.
2. Bruguch, Recucil de Monuments, pl. 36.
8 NOTICE SUR LE « PIRE-EM-HROU »
travaux de la journée et y goûtaientle repos de la nuit.
Cette dernière idée est nettement exprimée dans les in-
scriptions de la stèle de Horemhebi, fonctionnaire de la
XXIIIe dynastie
La nécessité pour les mânes de rentrer chaque nuit dans
leur tombe ne peut guère se concilier avec les détails que
nous venons de développer. Cette étroite limitation de leur
faculté absolue de locomotion, de leur droit d'entrer, de
sortir, d'aller, de venir sans être arrêtés ni repoussés, for-
merait un point nouveau dans la doctrine. On ne saurait rai-
sonnablement accepter cette innovation uniquement en vertu
des considérations soulevées par une difliculV philologique
encore non résolue.
Ces objections paraissent avoir frappé M. le Dr Lepsius.
Dans sa savante introduction :i l'édition des anciens textes
du Livre des Morts, cet éminentégyptologue émet l'opinion
que, dans le titre du Rituel, le mot jour doit s'entendre d'un
jour déterminé, fatal, qu'il était inutile de désigner spécia-
lement, par exemple celui de la mort ou de l'inhumation,
dies illa, que chacun doit avoir présent â l'esprit.
Cette explication, que ne contredit aucune règle philolo-
âique, présente au moins l'avantage de n'introduire aucune
notion nouvelle dans la doctrine. Cependant elle s'accorde
mal avec les textes qui font du pire-cm-hrouune action que
le défunt peut répéter à son gré. ainsi que l'eeplique la clause
tinale du chapitra lerdu Rituel « Celui sur le suaire duquel
» ce chapitre a été peint, pire-em-hrou, tous les jours qu'il
Il ceut,
1. MuséeBritannique,Stèlen°551;voyezGoodwin,dansleJournal
égyptologiquedeBerlin,1876.p. 86.
BIBL. EGYPT., T. XIII. I'L.
FRAGMENT BU RITUEL DE NEBKAT
NOTICE SUR LE « PIRE-EM-HROU » 9
En définitive, il n'est pas un essai d'interprétation qui soit
exempt d'objections graves, et l'on est presque tenté de
penser que les Égyptiens attribuaient une valeur complexe
à la formule pire-cm-hrou.
Les vignettes du Rituel.funéraire représentent le pire-cm-
hrou, notamment celle du chapitre 92, intitulé Chapitre
d'ouvrir la châsse de l'âme; l'ornbre pire-em-hrou Je repro-
duis ci-dessous (pi. I, fig. 1) cette vignette d'après le grand
Rituel hiéroglyphique de la Commission d'Égypte, connu
sous le nom de Papyrus Cadet. On y voit le défunt ouvrant
la châsse dans laquelle l'àme est prisonnière; l'âme sort et
dirige son vol vers le ciel, imitant ainsi la marche du soleil
levant. Le défunt la suit.
Au chapitre 64, qui suffit à lui seul pour procurer le pire-
cm-hrou, le défunt marche à la suite du soleil rayonnant
qui symbolise le jour. L'un et l'autre sortent du sein de la
nuit. L'objet du chapitre est de vaincre les ténèbres, de pré-
server le défunt de ceux qui le soir aveuglent les yeux'. Il
ne s'agit point ici. comme l'a pensé M. Lefébure. de la con-
statation que le défunt ferme les yeux pendant la nuit', et
l'on ne trouve dans le chapitre rien de nature à faire penser
que le défunt dût rentrer la nuit dans son tombeau.
Mais nous possédons dans le Rituel hiératiyue de Nebkat,
l'un des meilleurs manuscrits du Louvre, une figurationbien
1. Todtcnbrtch,chap. Lxiv, 7; Papyrus dr Berlin n' IX, 1. 9
2. Lefébure, Le Pirc-cm-hrou, dans Chabas, Mélanges égyptolo-
giques, série III, t. Il, p. 230.
10 NOTICE SUR LE « PIRE-EM-HROU»
eu lieu en même temps. Si le peintrede cette scène avait
voulu exprimer l'idée que ledéfunt Fort comme le jour ou
la
cettetraductionrendrauncompteexactdetouslesdétails
Souslerapportdelacorrectiongrammaticale,cettever-sion est, comme je l'ai déjà dit, parfaitemeat
inattaquable.
Je puis citer les expressionssi connues
NOTICE SUR LE « PIRE-EM-HROU » 11
pire-em-makherou a sortir en justifié, comme
sort un justifié » (Todtb., chap. XLVIII);
pire-em-bennou a sortir en bennou,
comme l'oiseau bennou, sous la forme de l'oisexu bennou »
(Todlb., chap. cxxi, 1. 1).
Quant au sens aoec pour la préposition em, il est con-
staté par des phrases telles que celles-ci
Lorsque les morts sortaient comme le jour, ils repre-naient leur vie terrestre, ils jouissaient de la vue de la lu-mière du monde, du soleil à son lever
Mais les rois, lesgrands personnageset tous ceuxque lesprêtres jugeaient dignes de cette faveur, sortaient aussicommele soleilet s'identifiaientavecl'astre lui-même,dontilsétaientl'imagevivantesur la terre. AAbydos, RamsèsIIestappelépar sescourtisans notremaître, notre seigneur,notre soleil vivant. Un autre Ramaésreçoit le titre desoleildu mondevivant.
Ici, il nes'agit plusduper-em-hrou,maisdu sehar-er-pe,c'est-à-direde la montéeau ciel.
1.Dümichen,KalendarischeInschriften.pL71,c, 4. Desexemplesdeoestournurespeuventêtrecitésengrandnombre.
12 NOTICE SUR LE « PIRE-EM-HROU »
Les défunts moins favorisés étaient simplementadmis
parmi les dieux de l'équipagede la barque solaire ils
n'étaient pas l'astre, mais ils le suivaient pendant sa course
diurne et pendant sa course nocturne, surveillant et déjouant
les at taques du dragon Apap, qui s'efforce éternellement
d'attirerdans l'abîme le dieu de la lumière, afin de replonger
l'univers dans le chaos.
Mais, soit que, semblable au soleil, le défunt subisse
cliaque nuit une générationnouvelle dans le sein de la déesse
Nou, soit que, en qualité d'escorte du dieu Ra, il suive la
marche de ce dieu à travers les heures du jour et de la nuit,
nous ne trouvons dans cette phase dela vie osiridienne
aucune trace d'une rentrée chaque nuit, qui correspondrait
à la sortie du pire-em-hrou.Si les mouvements cosmiques
auxquels le défunt est censé participeravaient été consi-
dérés par les Égyptiens comme étant en rapportavec le
pire-em-hrou,cette opinion ser'ait clairement exprimée par
les textes, et nous y trouverions concurremment la mention
d'une ak-em-korh« rentrée pendant la
nuit ». On trouverait aussi desindications relatives a la ré-
pétition quotidiennedu pire-em-hrou
et du ak-cm-korh.
Or, comme on ne rencontre rien de semblable dans les docu-
ments originaux qui sont innombrables, il est permis de
révoquer en doute l'explication proposée par M. Lefébure.
Parmi les autres explications,celle de Champollion,
mani-
festation à la lumière. modifiée par M. E. de Itouge en
manifestation.au jour, est philologiquement inacceptable;
celle de M. Birch, sortie du jour, est contraire à la doctrine.
Restent la mienne, sortir comme le jour ou avec le jour, et
celle de M. Lepsius, sortir le jour (de la sortie), le jour fatal.
L'une et l'autre ont au moins le mérite d'être correctes et
NOTICE SUR LE « PIRE-EM-HROU » 13
ment été fidèlement observé pendant des milliers d'années.Si l'expression pire-em-hrou comporte un complément,quelques exemplaires du Livre des Morts nous l'auraient
probablement conservé.
Toutefois la question ne me semble pas encore définitive-ment résolue. La présente notice montre les difficultés inhé-rentres à l'explication des textes mythologiques de l'ancienne
Egypte. A ce point de vue, elle ne sera pas tout à fait inutileà la science.
NAUFRAGE DE « L'EUROPE »1
On nous communique la traduction suivante de quelquesextraits d'une lettre écrite par une personne d'origine amé-
ricaine, qui se trouvait à bord du navire transatlantiquel'Europe, dont nos lecteurs connaissent la
catastrophe ré-cente. Ce récit d'un témoin oculaire de l'événement nous a
paru devoir intéresser nos abonnés
a Bouton,15 avril ¡874.
» Mon cher ami,
» Je sais à peine par où commencer le récit de tout ce quis'est passé depuis mon départ. Assurément le pressentimentsi fortement empreint dans mon esprit, que je ne verraisjamais l'Europe arriver au port, s'est réalisé. Je vais vousdonner un récit aussi clair et aussi précis de l'événement queje le pourrai.
» Depuis l'heure où nous quittâmes Brest, les coups devent furent terribles; pendant trois jours, les averses mêléesde grêle et de tourbillons ne cessèrent pas, et il fut impos-sible de stationner sur le pont. Ma fille May et moi, nous netardâmes pas à être prises du mal de mer, et nous dûmes
1 Cette lettre, écrite par M- de Horrack à sonmari, fut communi-quée à Chsbas. qui en tradnisit quelques passagespour le Courrier deSaône-et-Loire. Satraduction fat publiée dans le n° du 21 mai 1874.J'en dois ta oopieà l'obligeance de M. Pbilippe Virey. G. M.
16 NAUFRAGE DE « L'EUROPE »
nousconsignerdans notre cabineet nous résignera ne voir
de notre bâtimentque le salonprincipal. A quatre heures
du matin, le bruit du canonnousavertit dudanger.Il nous
vint alorsà l'idée d'es.ayer lesceinturesde sauvetagedont
nous nousétionsmuniesau souvenirde la catastrophede
la Ville-du-Havre.u Je crusd'abord qu'il s'agissaitde quelqueaccidentsur-
venuà l'un des matelots cependantje m'aperçusque les
pompes,dont le jeu n'avait pas discontinuédepuis notre
départ, fonctionnaientavecplus de force. Mononcledes-
cendit dansnotrecabine. a Qu'ya-t-il? 1)luidis-je. a Oa
ne saitpas,» répondit-il. Alors, repris-je, ily a quelque
chose:peut-êtreferions-nousbiendenouslever.» «Oui, »
dit-il, et personnede nous n'ajouta une seule parole. Je
passaià la hâte quelquesvêtementssur ma robe de nuit,
j'habillaiMay.et nousmontâmessur le pont.Laconfusion
y était inexprimable:lesémigrantss'y étaiententasséstu-
multueusement.M. Ph. à chevalsur le bastingage,don-
nait desordres: M.A. joignantl'acteà laparole,essayait
de contenirla foule: M.deG. le secondagentcomptable,
travaillait de son cuté. Le capitaineet le docteurétaient
aussi sur le pont, tandisque les autres officiersse prome-
naient et donnaientdesordres. Au lieu de porter secours,
plusieursmatelotsseprécipitèrentdans leur cabine,afin de
sauverlesobjets leurappartenant.Aussitôtquej'arrivai sur
le pont,MmeT. meprit la mainet la gardaserréeentre les
siennes.Voussavezcombienelleestcharmante;ilmesemble
maintenantqu'elle fait partie de ma famille.Nousavions
tous nos ceintures de sauvetage;un vieillard, rempli de
terreur, en portraitquatre. Il s'attacha à nous comme une
sangsue.On nous obligeaà rester où nousnous trouvions
jusqu'àce que tout fût prêt; alorsnousaperçûmesla Grèce
changeantde route et venantà notre arrière. Les matelots
criaient: a Dépêchez-vous,nouscoulons». M.Ph. voyant
qu'on ne comprenaitpas, héla en anglais. Alors la Grèce
NAUFRAGE DR « L'EUROPE » 17
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. 2
s'arrêta et envoya de suite ses embarcations. Il y eut dix-huit
passages aller et retour; mais la mer était si mauvaise qu'ilfut impossible de sauver les bagages. Quand vint notre tour,on nous annonça que, May et moi, nous devions partir
séparément: alors, pour la première fois, la pauvre enfant
pleura. a Vous souvenez-vous d'Hélène Mesiter, lui dis-je,et de la manière dont elle fut sauvée? » (1Oui, me répon-dit-elle. mais elle perdit sa mère. » Je la rassurai de mon
mieux, en lui disant qu'il n'y avait aucun danger maintenant.
Elle cessa de pleurer, fut parfaitement calme, et se com-
porta en véritable héroine. Quel moment terrible fut pourmoi celui où je me sentis enlevée au-dessus du navire horri-
blement secoué, tandis qu'au-dessous la chaloupe était sou-
levée et inondée par les vagues! Je descendis l'échelle de
cordes jusqu'au moment où je me sentis saisir par-derrière.
May descendit à son tour et résista au balancement de
l'échelle. Après un trajet de dix minutes dans les vaguesaffolées, ayant de l'eau jusqu'aux genoux, nous atteignîmesla Grèce. Ce ne fut qu'avec beaucoup de difficultés que nous
pûmes saisir la corde de sauvetage qu'on nous tendait. Les
premier. passagers sauvés furent des hommes qui se hâtè-rent de s'accrocher à la corde. Bientôt après, notre chaloupeheurta la Grèce et fut entr'ouverte par le choc; elle com-
mença alors à se rempln rapidement. Un matelot saisit
May et la jeta dans les bras d'un marin du navire anglais.Il Alors je pris moi-même la corde, la passai sous mes
bras et fermai les yeux. Je sentis d'abord que mon corpsheurtait contre la muraille du steamer tandis que mes piedstrempaient dans la mer. Ce fut l'affaire de quelques secondes,au bout desquelles je me trouvai hissée sur le pont, et dé-livrée de ma ceinture de sauvetage.
» Nous étions enfin sauvées Il était temps, car notre cha-loupe sombra aussitôt. On nous transporta dans le salon des
dames, où nous fûmes l'objet des soins les plus empressés.Les passagers cédèrent leurs cabines et prêtèrent leurs véte-
18 NAUFRAGE DE « L'EUROPE »
ments. Le docteur du bord administra un cordial à chacun
des naufragés.
» L'arrivée subite de trois cent cinquante passagers à bord
de la Grèce était naturellement une cause d'embarras et de
désordre. Mais l'État-major et l'équipage de ce navire pour-
vurent à tout avec un zèle au-dessus de tout éloge.
» Le lendemain, le temps était encore troublé et le ciel
couvert de nuages noirs. Sur les suggestionsde quelques
passagers, le capitaine anglais se décida à envoyer des
hommes à bord de l'Europe, qui était encore à flot. Vingt-
quatre hommes de l'équipage, commandés par deux officiers.
furent chargés d'examiner le navire abandonné. Pendant les
manœuvres nécessaires, l'Europe vint heurter la Grèce et
pratiqua un trou de six pieds à l'arrière de ce bâtiment. A
ce nouveau péril, tout le monde vit naître ses angoisses.
L'équipage se précipita muni de planches, de vieilles voiles
et de matelas pour tamponner l'ouverture. On y employa la
journée entière
» Lorsqu'enfin nous arrivâmes à New-York, avec un
retard de cinq jours, nos parents et nos amis nous atten-
daient sur le port; nos costumes improvisés et délabres nous
rendaient méconnaissables. On nous prit pour des émigrants
en détresse, et nous dûmes nous annoncer nous-mêmes. Il
SPIRITES ET MÉDIUMS1
Depuis quelques années, le magnétisme animal et le
somnambulisme, naguère si bruyants, semblent se résoudre
à se laisser oublier. Les extra-lucides des salons, de chute
en chute, sont tombés dans la baraque d'Arlequin. Parmi
les plus misérables des bateleurs de foire, on est toujourscertain de rencontrer plusieurs émules de Mlle Prudence.
Si, dans quelques grandes villes, un petit nombre d'oracles,à sommeil facultatif, jouissent encore de certain crédit, c'est
que leur art prétendu répond un besoin inné de l'humanitéle besoin du mystère, l'amour pour le merveilleux. Biendes gens ont été, sont et seront encore longtemps les vic-times inconscientes de cette disposition d'esprit. Quoique lascience soit une tête de Méduse pour les illusions du char-
latanisme et de la crédulité, les ignorants ne sont pas seuls
exposés aux égarements de ce genre. Quelques savants lesont subis; un grand nombre de personnes, bien élevées etde saine raison sur tout autre sujet, s'y abandonnent encore
aujourd'hui avec un entraînement qu'elles ne peuvent ma!-triser. Il est fort remarquable que l'esprit libre et inquisi-teur du protestantisme n'est en aucune manière un bouclierassuré contre cette perversion de l'esprit. Les adeptes desidées nouvelles les plus hardies n'en sont pas plus exempts
1. Publié dans le Courrier de Saône-et-Loire, n* du 14 juin 1874.J'en dois la copie à l'obligeancede M. Philippe Virey. G. M.
20 SPIRITBS BT MÉDIUMS
que les catholiques fervents, dont la règle est Crois et
En effet, c'est en Amérique que s'est développée le plus
puissammentla forme nouvelle du magnétisme
animal,
c'est-à-dire la production d'apparitions d'esprits, d'appa-
rences humaines, se livrant dans l'obscurité à une grande
variété d'exercices. Dans le principe, on n'allait pas au delà
de l'esprit frappeur, craqueur, etc.; aujourd'hui, l'esprit est
musicien et acrobate, il écrit sur l'ardoise et lance le atylet.
En Amérique, cet incroyable charlatanisme donne lieu à
une industrie assez active. Un nommé Gordon exploitait n
New-York, il v a peu d'années, un établissement spirite, ou
les places étaient payées 2 fr. 70. Vêtu en grand prêtre,
l'illustre professeur paraissaitdevant son auditoire, abaissait
les lumières; puis, au moyen de cordons et de ressorts, fai-
sait surgir derrière un autel une série de figures humaines,
qui flottaient dans les airs. Plusieurs personnes, grâce à la
demi-obscurité et à la force de l'imagination, crurent recon-
naître les ombres de leurs amis décédés. Or, il arriva que le
thaumaturge se prit de querelle, comme un simple Barnum,
avec son compère. Celui-ci, qui exécutait les manœuvres, en
a dévoilé les mystèresles spectres n'étaient que des pho-
tographies coloriées!
Un tel échec aurait dû compromettre à jamais la conti-
nuation de ces farces; il n'en fut point ainsi pourtant. On
prit quelques précautions,on changea les trucs, on se res-
treignit à un cercle plus limité et plus soigneusement trié,
et l'on se rattrapa sur la taxe. M. le professeur Slade, dont
les séances croûtaient 15 fr. 60 par personne,a élevé le prix
à 26 francs (5 dollars).
On ignore généralement que Paris possède en ce moment
un médium de la plus belle eau, en la personned'un jeune
Anglais, nommé William W. Mais il ne s'agit point encore
d'une exploitation en règle du phénomène;il n'y a pas de
séances publiques à prix fixe, mais seulement des réunions
SPIRITES ET MÉDIUMS 21
privées d'adeptes du spiritisme, auxquelles on admet parfois
quelques profanes bien recommandés. On a pu lire. dans le
Petit Moniteur universel du 12 et du 13 mai dernier [1874],
un article fort spirituel, dans lequel M. Camille Debans rend
compte d'une séance à laquelle il fut invité. Les autres jour-
naux n'ont généralement pas considéré la chose comme
digne d'attention.
Nous possédons la narration, écrite par un autre specta-
teur, d'une séance qui a eu lieu à la date du 7 mai dernier.
Le narrateur n'a point écrit pour le journal, et il n'a pas de
public à amuser; son récit présente, par conséquent, les ga-
ranties les plus parfaites de simplicité et de sincérité. Aver-
tissons seulement qu'il est du nombre des croyants con-
vaincus, bien qu'il possède une instruction très solide et très
variée. Laissons-le parler
« Aussitôt que les personnes invitées, au nombre de seize
» ou dix-huit, eurent été introduites, on ferma les portes à
» clef; on nous fit asseoir autour d'une table ovale, sur la-
» quelle nous nous donnâmes tous la main de manière à
» former une chaîne ininterrompue. Le Médium faisait partie» de la chaîne. Sur la table, étaient placés un tambour de
»basque, une boite à musique, un accordéon, une sonnette
» et des porte-voix en carton. On éteignit les lampes, et
» nous nous trouvâmes dans l'obscurité la plus complète,
H»les portes et les fenêtres étant hermétiquement bouchées.
» En attendant les manifestations, la société entonna des
» chants; tout à coup le tambour de basque s'élance au
» plafond et se promène dans l'espace en battant la mesure.
»Quelques minutes après, il fut reposé sur la table, et ce
» fut le tour de la boite à musique, qui s'éleva et dont une
» main invisible sembla remonter le mécanisme. Elle se mit
» à courir au-dessus de nos têtes en jouant ses airs, accom-
» pagnée d'une étincelle qui nous permit de la suiv re partout» des yeux. Cette course phénoménale dura cinq minutes.
» La boite replacée sur la table, la sonnette se livra aux
22SPlRITES ET MÉDIUMS
» mêmes pérégrinationsaériennes, accompagnée, elle aussi,
» de l'étincelle brillante puis elle redescendit au niveau de
u nos têtes, traversa plusieursfois la table, passa entre deux
» voisins de chaîne, s'élança de nouveau au plafond, et finit
» enfin par retomber lourdement sur la table.
» Alors l'accordéon se mit en mouvement, mais ne fit
» entendre que quelquesnotes.
» Pendant ces exercices, plusieurs personnes de la société
» et moi-même en particulier,nous sentimes un contact de
» mains: une main, qu'il était aisé de reconnaître pour celle
» d'un homme, me frappa sur l'épaule, puis une main d'en-
» fant me caressa la joue, passa les doigts dans mes cheveux,
» serra ma main et celle de ma voisine. A ce moment, le
)1 porte-voix s'agite et fait entendre quelques paroles, trop
» indistinctes cependant pour être comprises. Un des assis-
tants tache de le saisir, et reçoit sur la tête un coup porté
» avec l'instrument lui-même.
1) Un autre assistant se sent soulevé en l'air avec sa chaise
1) un troisième se plaint tout haut qu'on cherche à lui retirer
» la sienne. « Laissez faire! » répond aussitôt le maitre de
1) la maison. Alors plusieurs personnes adressent en anglais
» la parole aux êtres invisibles, auteurs de ces phénomènes.
n et leur demandent de faire d'autres tours, qui sont im-
» médiatement exécutés..
» Ici, se termine la première partie de la séance; les
» lampes sont rallumées, et l'on s'aperçnit que deux chaises
» ont été posées sur la table. Le Médium explique que trois
'1 esprits ont répondu à ses évocations. Le plus important.
» dit-il, est celui de John King, alias Sir Morgan, qui vi-
» vait sous le règne de Charles Il, roi d'Angleterre, et qui
» se rendit célèbre par de. atrocités sunglantes, alors qu'il
» était gouverneurde la Jamaique. Son esprit est encore
» condamné à errer jusqu'à ce que l'expiation soit suffisante.
» Le Médium demande un quart d'heure de repos, et l'oa
» nous fait passer dans une autre pièce, au fond de laquelle
m
SPIRITES ET MÉDIUMS 23
n est une alcôve séparée de la pièce par un rideau. Un lit
» de repos est placé dans l'alcôve; on y aperçoit une porte
» de sortie fermée à verrous. Le Médium se couche sur le
» canapé et offre de se laisser lier. ce à quoi la société refuse
» de consentir. Entre l'alcôve et les assistants se voit une
n table sur laquelle est un porte-voix. J'étais au premier
» rang, mes deux mains posées sur la table et serrant celles
1)de mes voisins de droite et de gauche. Le Médium va nous
Il faire apparaître le féroce John King.
n La lampe fut éteinte et les chants recommencèrent. Au
1) bout de cinq ou six minutes, se montre une légére lueur,
» qui disparaît, puis revient plus forte, et plane au-dessus
de la table: on distingue la figure d'un homme à barbe
» longue, coiffé d'un turban et enveloppé d'une sorte de dra-
u perie flottante. Il porte à la main un objet ovale, de huit
u fi dix centimètres de long, ressemblant à un caillou route.
n enveloppé d'étoffe. De cet objet s'échappe une lumière
» semblable à celle du ver luisant, au moyen de laquelle
n l'esprit peut se rendre visible. J'ai pu le regarder dans les
u yeux et constater que sa draperie, qui a frôlé ma figure.
» est parfaitement matérielle. Il frappa sur la table avec
» l'objet que nous nommerons désormais sa lampe, puis.
n s'élevant rapidement, il alla aussi frapper le plafond. La
»lueur de la lampe faiblissait de temps à autre et dispa-
» raissait ainsi que l'esprit; mais celui-ci la ranimait à son
u grc et se manifestait de nouveau à la vue de l'assistance.
» A la demande de l'un des assistants, l'esprit se dirigea
» vers le Médium endormi sur le lit de repos, et lui projeta
»sur la face la lueur de sa lampe mystérieuse. Enfin, il
1) donna la main aux assistants, saisit le porte-voix et dit
» bonsoir, d'une voix assez basse, mais très distincte.
n C'était la fin. On rallume les flambeaux, et nous voyons
»le Médium se réveiller de son sommeil. »
»Tout cela, en somme, ne parait pas très fort, et ne peut
réellement prétendre en rien, ni à la spiritualité, ni àl'esprit.
24 SPIRITES ET MÉDIUMS
L'idée de transformer John King en Turc, quoiqu'il soit
Anglais, est assezbizarre, mais le supplice du turban me
parait bien douxpour un criminel de sonespèce. A la vérité.
la nécessité d'obéir, comme un pantin, à un médium en-
dormi et de danser entre une table et le.plafond à heure fixe
me parait constituer une aggravation terrible du châtiment.
à moins cependant que l'esprit, né malin, ne se moque
d'une trop créduleassistance, et ne trouve dans les illusions
qu'il produit autant de plaisir qu'en ont les croyants à les
admirer. C'est un point à débattre. Mais, je le répète, nous
avons ici affairedu spiritisme d'ordre inférieur. C'esta ta
libre Amérique qu'il faut s'adresser pour trouver le spiri-
tisme dans toutesa puissance. Une coïncidence heureuse rne
met à même de fournir ici un élément de comparaison.
C'est la relationd'une séance donnée à Boston, le dimanche
10 mai [1874]dernier, par la célèbreMistress Lord, médium
émérite et dame du meilleur monde. Le narrateur est une
jeune dame américaine des plus richement douées sonest.:
rapport de l'intelligence et de l'instruction mais elle a une
foi profondeauxmani feaatinns des Esprits. Je traduis d'une
de ses lettres lecompte rendu suivant
« Dimanchematin. MissS. et moinous sommes allées
» chez MistressLord: nous nous y trouvâmes réunis au
» nombre deseize, huit messieurset huit dames, parmi les-
»quelsétaient deuxjeunes demiuselles, fort disposéesilrire
» (le tout. On nous lit placer en cercle, un monsieur, puis
une dame, et ainsi de suite. Je serrais le poignetdu mon-
n sieur placé ma gauche, et celui qui était ma droiteser-
» rait le mien: nous formions ainsi une chaîne continue.
» MmeLord (leMédium) était assise au milieu du cercle,se
frappant continuellement dans les mains pour montrer
» qu'elle nepouvait agir personnellement d'aucune manière.
» Il y avait dans l'appartement divers objets, tels qu'une
» guitare, uneardoise avec un crayon, une boite à musique.
un éventailut d'autres accessoires.Le gaz ayant été éteint,
SPIRITES ET MÉDIUMS 25
» nous entendimes soudain le son do la guitare, l'éventail
» s'élança autour de la chambre, la boite à musique fut mise
» entre mes mains, puis retirée; la bariue de Miss S. lui
» fut ôtée et placée au doigt d'une autre personne, puis elle
lui fut rendue.
» L'ardoise m'arriva alors entre les mains. Je dis à l'Es-
» prit Voulez-vous écrire? et à l'instant le crayon se mit
» en mouvement et le mot Homes fut écrit, ainsi que nous
Il pûmes nous en convaincre quand les lumières furent ré-
n tablies. Le monsieur qui était à ma droite me dit que
Il Homes était le nom de son beau-frère. Est-ce oous
» Alexandre? dit ce monsieur à l'Esprit, et, en guise de
» réponse, il reçut sur l'épaule une claque telle que je n'en
u ouis jamais d'aussi retentissante.
n Miss S. sentit qu'on la tirait par sa robe; de mon
» côté, j'éprouvai sur la figure la sensation d'une petiteIl main caressante. Qui étesvous? demandâmes-nous, et
n une petite voix répondit doucement, mais cependant de
» manière à être entendue de toute l'assistance Tallie, la
» petite Tallie; puis, s'approchant de moi, elle me dit
» Maman, maman, je suis avec vous tous les jours'. On en-
n tendaitde tous côtés les voix des Esprits: le Médium adres
sait la parole a la plupart d'entre eux. Alors vinrent mes
deux frères Ch. et Ed. Le Médium dit à Miss S.
»J'aperçois près de oous un petit enfant qui mourut de la.
» fiècre scarlatine. Il dit se nommer Ch. Appelle-moi
» par mon nom, dit Miss S. à l'enfant. Alors une main la
» caressa. et une voix dit Tout va bien; nous savons qui
noous êtes. Ed. est aussi présent.» Bientôt
après, une main s'appuya sur ma tête et ren-
nversa ma coiffure. Miss S. qui n'était pas près de moi.
1. Tallie est le num enfantin d'une fille décédé en bas âge de la
damequi écrit 1, Madame de Horrack, femme de l'Égyptologuel.
2. Ces deux frêres sont murtn depuis bien des années.
26 SPIRITES ET MÉDIUMS
» me dit Quelqu'un rne met la mais sur la téte et prétend
» être John. Alors la main, placée sur moi, fit sentir plus
» fortement sa pression puis elle m'étreignit les genoux, le
»corps et la figure, et une voix me dit Ne me connaissez-
» cous pas, ne eous rappelez-vous pas John? Le Médium
» m'expliqua alors qu'il y avait auprès de moi quelqu'un me
» connaissant seulement en esprit, et qui paraissait avoir
» succombé à une mort violente. Ne pouvant le reconnaître,
» je citai au hasard différents noms auxquels il fut répondu
» Non, non; cherchez encore. Finalement Vous êtes C.
» m'écriai-je. Au même instant, ma main fut saisie, forte-
n ment serrée; une main se plaça sur mon épaule, et j'en-
» tendis ces paroles Oui, cui, dises-le (sic) à mon frère'.
» Voilà pour ce qui me concerne personnellementdans
»cette soirée prestigieuse; autant en arriva aux autres assis-
n tants. La conversation était incessante. On entendait des
n multitudes de voix chuchotant à la fois; on sentait partout
» des mains caressantes, des enlacements de bras, et plu-
» sieurs personnes reçurent des baisers. Bien que toutes les
» réponses pussent être entendues de tous, chacun s'occupait
Il de ses propres messages d'outre-monde. La guitare volait
» en tous sens, nous frappait à la tête; elle joua tandis que
» je la tenais, puis m'échappa subitement.
» Le gaz futrallumé. et l'on iutroduisitl'enfant de Mistress
» Lord, âgé de deux ans et demi. que sa mère nous présenta
» comme familiarisé avec les Esprits. Ceux-ci l'entraînent
» quelquefois dans leurs courses vagabondes.Je le gardai
sur mes genoux. La lumière ayant été de nouveau sup
» primée des lueurs brillantes se montrèrent dans l'appar-
tement; l'une d'elles vint droit a moi et murmura mon
» oreille Tnllie, Tallie Quelqu'un ayant demande ou était
l'enfant, je le sentis subitement enlevé de mes genoux et
1. C. est le nomd'un beaufrère, qui fut tué à la batailte de Sa-
dowa.
SPIRITES ET MÉDIUMS 27
u transporté sur les genoux d'une autre personne, placée de
» l'autre côté de la chambre. Ce déplacement fut répété
plusieurs fois sans que l'enfant montrât le moindre signe
» de frayeur. Je considère comme impossible pour une per-
sonne naturelle et en pleine lumière un déplacement aussi
» rapide, même à une distance moitié moindre. »
Tel est le récit convaincu d'une mère qui croit avoir revu
sa fille morte, d'une sœur qui croit avoir parlé à deux jeunes
I frères enlevés par un trépas prématuré. Il serait presque
cruel de chercher à les dissuader. Cependant, à quels écarts
ne s'expose pas l'intelligence humaine, lorsqu'elle aban-
donne la voie de la saine raison pour se laisser aller sur la
pente glissante de l'illusion? Comment ne voit-on pas l'étroite
connexité qui existe entre les prestiges des médiums de
Boston et ceux de leurs faibles émules de Paris? A-t-on
oublié les premiers succès des Davenport? Qu'un homme
décidé fasse un jour briller une lumière instantanée au milieu
de la danse des accordéons et sous la barbe de John King,
les misérables ficelles de ce jeu dangereux seront bien vite
éventées. Mais les victime. de ces illusions ne seront pas
reconnaissantes envers celui qui leur dessillera les yeux. Oh!
merci, mon Dieu, s'écriait l'une d'elles, au contact ardem-
ment sollicité de la main d'un Esprit. Les spirites chérissent
leurs illusions et ne veulent pas être détrompés.
En attendant, la science passe indifférent, et c'est son
devoir, car elle doit imposer ses conditions et non se prêter
à celles des innovateurs quels qu'ils soient. Les croyants
abondent. Mistress Lord ne suffit pas aux exhibitions qui
sont demandées dans Ic· trlus honorables maisons, et l'on se
dispute les cartes, payées à haut prix, au moyen desquelles
un a le droit, chaque samedi, de pénétrer par son moyen
dans les arcanes d'au delà de la tombe et. à Paris, la pho-
tographie spirite fait merveilles. Car le Médium fait des
cliché·, et le premier venu de nos lecteurs peut, moyennant
finance, se procurer sa propre image, fixée par la lumière
28 SPIRITES ET MÉDIUMS
infernale (à moins que ce ne soit celle du magnésium). Il peut
arriver qu'un Esprit ait le caprice de profiter de la pose.
Dans ce cas. le portrait est double. Une forme aérienne en-
veloppe le poseur d'une ombre lumineuse; sous les épais
bandeaux et dans les yeux profonds de l'apparition. tes gens
qui ont un passé et des souvenirs reconnaîtraient facilement
un de. anges de leurs réves de jeunesse. Avouei que cela
est merveilleux!
« L'homme est de glace aux vérités; il est tout feu pour
» le mensonge. » Pauvre humanité!
Chaion-sur-Saône, le 10 juin 1871
NOTE
B SUR
LES FORMES LITTERAIRES
DANS L'ANCIENNE LANGUE ÉGYPTIENNE'
Certains littérateurs méticuleux ont contesté le mérite
des formes littéraires de l'ancienne langue égyptienne. De
l'examen fait par eux des traductions de nombreux textes,
ils ont conçu l'opinion que les compositions variées des
scribes, même de ceux de la grande époque pharaonique,ne constitueraient pas un ensemble méritant le nom de lit-
térature.
Ce verdict sévère est fondamentalement injuste; il
s'explique cependant par des motifs, asvoir
1° Que l'égyptien,comme toutes les langues de :'Orient,
admet des imageas qui paraissent bizarres, ridicules même.
1. Lue, au mois d'août 1874. à l'une des séances du Congrès interna-
tional des Orientalistes, Session de Londres, 1874. Bircb l'annonça
à Chabas dans une lettre en date du 14 octobre, dont voici un extrait
» M. Le Page Renouf read your letter to tbe Hamitic Section, and it waa
resolved tu invite you on its bebalf to send to the forthcoming volume
any essay or translation you would bave the kindnest to do ». La
note est demeurée inédite jusqu'à ce jour. J'en dois la copie à l'obli-
geance de M. Philippe Virey. — G. M.
30 NOTE SUR LES FORMES LITTÉRAIRES
On n'a cependant pas nié le grand mérite de la poésie
hébraïque, à laquelle il est facile d'adresser le même re-
procheles étrangetés du style égyptien n'égaleront jamais
celle du Shir hashirim (Cantique des Cantiques).
2° I,a langue égyptiennen'est pas encore complètement
connue. Parmi les expressions dont nous possédons des
valeurs bien certaines, il en est un grand nombre qui ont
des sens secondaires fort divergents. Ce cas se présente
dans toutes les langues anciennes et modernes. Si, par
exemple, on cherchait à reconstituer la langue anglaise par
les mêmes procédés qui nous servent à retrouver celle des
hiéroglyphes, on arriverait assez facilement à déterminer la
valeur du mot wind. ventus. On pourrait aussi être mis sur
la voie du sens, ,jlare, centilart, to make or to ;liee coind
dans les expressions to wind a horn, to wind a call mais
on hésiterait longtemps en présence des phrasesdans les-
quellesle même mot tcind, quoique avec une prononcia-
tion différente, est employé sous le sens de tourner,
rouler, enrouler, insinuer, remanier, changer, etc. Jusqu'à ce
qu'un interprète possède une idée claire de ces significations
si distinctes, il est exposé a les prendre l'une pour l'autre.
et à donner, comme traductions exactes, des phrases am-
biguës, obscures, souvent inintelligibles. Peu de traductions
de l'égyptien ont échappé complètement à cet écueil.
Les critiques qu'on a adressées aux formes littéraires de
la langue égyptienne peuvent concerner les traducteurs et
leurs traductions, mais elles portent à faux relativement à la
langue antique, que ces traductions représentent d'une ma-
nière si inexacte.
Dans le but de faire apparaltre au public en général sous
un jour plus correct et plus favorable les ressources litté-
raires des hiéroglyphes égyptiens, j'avais formé le projet
de soumettre au Congrès des Orientalistes la traduction
serrée de quelques hymnes datant de la XXe dynastie. Le
temps m'a manqué pour qu'il me fût possible de donner
mDANS L'ANCIENNE LANGUE ÉGYPTIENNE 31
suite à ce projet en temps opportun. Les obstacles qui m'ar-
retent pourront toutefois être levés avant la fin de l'année
je ferai le travail que j'avais en vue et l'offrirai pour les
publications de la session, dans le cas où le règlement ren-
drait possible l'acceptation de cette communication tardive'.
1. Cette promesse ne fut point tenue, et le volume publié par le
Comitédu Congrèsne contient point l'article annoncé ici par Chabaa.
G. M.
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. 3
NOTICE
suit
QUELQUES STATUETTES ANTIQUES
D'ORIGINEÉGYPTIENNE
TROUVÉES A AUTUN'
Les pièces qui m'ont été soumises sont au nombre de
huit, savoir
Trois statuettes funéraires égyptiennesTrois statuettes d'Osiris infernal
Une statuette d'Isis allaitant le jeune Horus;Une statuette de femme.
§ 1. STATUETTES FUNÉRAIRES
D'après les croyances égyptiennes sur le sort des humains
après la mort, chaque défunt devait être assujetti à une pé-riode de travail manuel dans les régions funéraires il avaitdes champs à fertiliser, des sols arides à arroser et à débar-
rasser des sables envahissants. Il ne s'agit point, on le voit,de la vie tranquille des campagnes élyséennes, mais d'une
1. Extrait des Mémoires de la Société Êduenne, 1876,p. 101-112.
34 NOTICE SUR QUELQUES STATUETTES ANTIQUES
espèce de purgatoire d'épreuves. L'imagination des théolo-
giens de l'Égypte avait semé de difficultés et de périls la
voie des morts, même de ceux qui avaient mérité la seconde
vie Ce n'était partout que pylônes gardés par des divinités
monstrueuses, sentiers interceptes par des crocodiles et des
serpents, déserts sans eau, océans de feu, etc. Mais, par
compen-ation,ils avaient multipli0 aussi les prières, les for-
mules mystique- et les talismans au moyen desquels s'ou-
vraient d'elles-mêmes les partes les plus hermétiquement
fermées, s'endormaient les gardiens les plus terribles, et se
transformnicmt en eaux vives les flammes liquides des Phlé-
gétons de l'Amenti.
Les statuettes funéraires n'étaient autre chose que des
talismans par le moyen desquels le défunt était dispensé
d'exécuter lui-méme les travaux agricoles dont nous avons
parlé tout à l'licure. La piété des parents les déposait en
grand nombre dans les tombeaux c'est ce qui explique la
multiplicité des exemplaires de beaucoup de ces petits mo-
numents.
Des statuettes de cet ordre représentent le défunt avec son
costume habituel. C'est le cas le plus rare presque toujours
elles sont momi formes, c'est-à-dire qu'elles représentent un
corps enveloppé de bandelettes, sauf la tête. qui est nue, et
les mains, qui sortent des enveloppes et tiennent des instru-
ments d'agriculture, tels que la houe, la pioche et le sac ou
panier aux semences. Au lieu de ces instruments on trouve
quelquefoisdes insignes d'un autre genre, tels que le tet, le
tat, l'onkh et le flagellum. Ces emblèmes se réfèrent à la
sécurité, à al stabilité, à la vie et à la puissance réservées au
défunt cependant la formule inscrite sur la figurine a trait,
même dans ces cas particuliers, à l'accomplissement des tra-
vaux d'outre-tombe.
Cette formule, dont l'emploi date de l'Ancien Empire, offre
des variantes fort embarrassantes. Lo plus grand nombre des
petits monuments dont nous nous occupons sont grossière-
D'ORIGINE ÉGYPTIENNE 35
ment exécutais. On s'aperçoit animent que la rédaction ori-
ginelle du texte a subi des altérations qui paraissent être
dues à des copies inexactes faites par des mains ignorantes.
L'inscription se développe souvent en plusieurs lignes sur le
devant des statuettes, et les* lignes vont en perdant de leur
longueur. II arrivo souvent que les groupes de ta lin des
lignes sont incomplètement traces et que la liaison des
lignes entre elles n'est pas correcte. Des statuettes ainsi
altérées ont quelquefois servi de modèles pour d'autres quien ont reproduit les erreurs et qui souvent même les ont
encore aggravées.
Le respect traditionnel a ainsi consacré dans l'usàge une
foule de leçons corrompues et même inintelligibles, qu'onn'osait pas réformer de crainte d'enlever a ta formule son
pouvoir mystérieux. Telle est du reste l'histoire de la tota-
lité des chapitres du Rituel funéraire ou Licre des Morts.
Il n'en est pas un où l'on ne rencontre les variantes les plus
disparates.
De crainte de se tromper et de laisser de côté les mots
magiques, on réunissait souvent sur le même Rituel une
longue série de leçons inconciliables, ce qui démontre queces textes mystiques étaient déjà l'objet d'interprétationscontradictoires daus l'antiquité égyptienne. Nous ne pou-vons dès lors nous étonner des difücultés que nous éprou-vons à les traduire aujourd'hui.
La formule qui décore le plus habituellement les sta-
tuettes funéraires est le chapitre vi du Rituel, précédé de
quelques mots qui signifient illumination du défunt. Le
retour la vie était symbolisé par celui de la lumière, et le
soleil, émergeant des ombres de la nuit, formait le type dela résurrection de tous les humains, qui, à l'exemple de cet
astre, s'étaient perdus dans l'Occident, l'infernum, la régionfunéraires.
Le texteduchapitresuitcetteattestationde résurrection.J'en donne ici les mentions principales,sans m'arrêter à
36 NOTICE SUR QUELQUES STATUETTES ANTIQUES
discuter les points de difficulté que j'ai rappelés ci-devant
« 0 vous ces Oushebti (statuettea funér'aires) Que le
» défunt soit reconnu capable d'exécuter tous les travaux qui
» doivent être exécutés par lui dans le Kherneter (l'injer-
» num, l'Hadés), pour rendre la campagne fertile, pour sub-
» merger les rives sablonneuses, pour transporter les sables
» d'occident en orient et d'orient en occident ».
La prière s'adresse aux statuettes elles-mêmes dont le nom
égyptienest oushebii (variantes shabti, shouabti, etc.). Je
crois que ce nom signifie répondant, caution. Consacrées
par la formule et par la cérémonie funéraire, les statuettes
sont mises aux lieu et place du défunt relativement à l'obli-
gation des travaux agricoles.
Le monument de cet ordre qui contient le texte le plus
simple et le plus clair fait partie de la collection qu'avait
rassemblée au chateau de Miramar le savant égyptologue
M. Reinisch, par les ordres de l'infortuné Maximilien d'Au-
triche. On y lit « 0 vous ces statuettes funéraires 1 Que le
» défunt, chef militaire Onkh-hapi, fils de Neitb, soit re-
» connu capable d'exécuter tous les travaux dans le Kher-
» neter. Transportez les sables d'occident en orient; trans-
» portez les sables d'orient en occident' ».
On reconnaît ici les traces de la lutte continuellede l'Égyp-
tien contre le désert qui empiète sans cesse, 1 l'occident
comme à l'orient, sur l'étroite vallée fécondée par les
eaux du Nil. Pour que le sol conserve sa fertilité, il
faut que l'inondation le submerge, et, pour qu'il en soit
ainsi, il est indispensable de lutter contre la marche des
sables. Vieille de quatre mille ans et plus, la mystérieuse
formule donne la loi de la conservation de l'Égypte. L'idée
de soumettre, après leur mort, tous les humains à ces pé-
nibles efforts, dont la fortune dispensait les privilégiés pen-
1. Reinisch,DieÆgyptische Denkmäler in Miramar, pl. 17.
D'ORIGINEÉGYPTIENNE 37
dant leur vie, est réellement philosophique, malgré le facile
expédient fourni par les Oushebti'.
L'intérêt que présentent ces monuments étant expliqué,
je vais décrire ceux du Musée d'Autun et du cabinet de
M. G. Bulliot.
N°' 1 et 2'. Deux figurines de terre cuite vernissée,
toutes les deux brisées par le bas et complétées en ciment.
La main gauche tient la houe; la droite, la pioche et le sac
aux semences, qui pend derrière l'épaule. Le n° 2 n'a pas
d'inscription; le n° 1 était décoré d'une légende verticale
contenant le nom et les titres du défunt. La cassure a enlevé
la fin de ce petit texte et l'on n'y lit plus que L'Osiris, pro-
phéte, chef de fantassins. Ce titre d'Osiris signifie tout
simplement le défunt.
N° 3'. Figurine de bronze représentant le défunt sous ses
bandelettes; les mains tiennent deux sacs aux semences.
Celui qui passait sur l'épaule droite n'est plus distinct, et
probablement il n'a jamais été figuré; on n'en voit que la
corde de suspension. Au-dessous du sac qui se distingue sur
l'épaule gauche, est une petite fleurette d'ornement com-
posée de huit points saillants formant cercle et d'un point
central le même ornement est répété à l'endroit correspon-
dant de l'épaule droite et six fois sur le pilier d'appui de la
statuette.
1. La questiondes statuettes funéraires et le chapitre vi du Rituel
ont été traités avec développements dans F. Chabas, Étude sur le cha-
pitre VI du Rituel (Mémoires deil, Socièié historique ci archéologiquc
de Langres, 1863;S. Birch, ZeitschriJt für Ægyptische Sprache, Ber-
lin, 1864,p. 89 et 103, 1865, p. 4 et 20; Reinisch, Die /Egyptische
Denkmälerin Miramar, p. 143à 158).Letitre du chapitre VIdu Rituel
est: Chapitrcde fa ire que les statuettes Oushebti exèctitentles travaux
daru leKher-neter.
2. Cesdeux figurines, qui font partie du cabinet de M. G. Bulliot à
Autun, ont été trouvées, il y a environ quinze ans. derrière la maison
Tillerot, dans l'angle formé par les rues Guérin et Mazagran.
3. Muséed'Autun, n' C 441du Catalogue.
38 NOTICESUR QUELQUESSTATUETTES ANTIQUES
Une ligne d'inscription garnit le devant de la statuette.
On y lit en assez médiocres hiéroglyphes
Pour que ce texte devienne intelligible, il faut admettre
que le graveur a confondu avec etavec
ce
qui n'est pas absolument invraisemblable, s'il a transcrit
un modèle hiératique. On pourrait traduire dans ce cas
« Illumination de l'Osiris Am-ap-neter-snau Ouah-het-
» phra, fils de la dame Touha ».
Ouah-het-phra est le nom égyptien dont les Grecs ont fait
Aprits. Je ne connais pas d'exemple du nom de femme
Quant au titre sacerdotal Am-ap-netersnau, qui signifie:
celui qui est l'organe cles deux dicn.r, j'en ai rencontré un
autre exemple sur une jolie statuette funéraire de porcelaine
appartenant au richecabinet de M. I;:mile Guimet, de Fleu-
rieux. Ce petit monument est en apparence d'exécution
irréprochable, et cependant l'inscription en est criblée de
fautes grossières. Nuus devrons attendre des documents
moins corrompus pour disserter sur la fonction religieuse
dont nous venons de parler.
Les statuettes funéraires en métal sont extrêmement rares.
Le savant conservateur du Mritish Museum, M. S. Birch,
exclut lo métal de la liste des matières qui pouvaient servir
à la confection de ces figurines mystiques2. Le Musée du
Louvre cn possède une qui serait de l'époque de Ramsès II,
1. Les nécessitésde la typographie en caractères hiéroglyphiques
n'ont pas permisau compositeur de placer les signes dans la même
situation quedans l'original, wais l'ordreen a été respecté.
2. Sgnopsis of the Contenis of the British Maseum, First and second
Egyption Rooms, 1874, p. 75.
D'ORIGINEÉGYPTIENNE 39
mais on doute de son authenticité. En définitive, toutes
celles de métal sont suspectées de fausseté. Le spécimen du
Musée d'Autun ne peut qu'accroître les soupçons des égyp-
tolngues la gaucherie des hiéroglyphes, l'incorrection du
texte, l'état incomplet d'un des sacs à semences, enfin l'or-
nementation exceptionnelle du pilier'. tout porte i croire
que ce petit monument est une inintelligente imitation d'un
modèle en terre cuite de l'époque salte.
§ 2. STATUETTES D'OSIRIS INFERNAL
Ces figurines représentent Osiris dans l'attitude des sta-
tuettes funéraires dont nous venons de parler. Au lieu d'ins-
trumeuts d'agriculture, le dieu tient le fléau et le pedum;
il est coiffé du diadème Alrf, qui se compose de la haute
tiare clonique terminée en boule, flanquée de deux plumes
attributs de la vérilé.
Cette attitude et ces attributs caractérisent Osiris mort et
résidant dans l'Amenli, — l'Occident, l'infernutri. Les Grecs
ont transcrit Petempamenlès et Petempamentis les mots
égyptiens Penlimpament, qui sont le nom de ce dieu et
signifient Celui qui est dans l'Ament. En hiéroglyphes, on
trouve ylus ordinairement Oairis Khentament, expression
(lui a exactement la méme signification.
A l'heure de la mort tous les justes devenaient des Osiris:
ils avarient à subir les mêmes épreuves que ce dieu et de-
vaient, à son exemple, triompher de la mort et reprendre
l'existence.
Aussi les figurines d'Osiris infernal sont-elles extrême-
ment multipliées; elles étaient employées dans les céré-
t. La fleuretten'est pas absolument étrangère à l'art égyptien, mais
le Keulornement que j'aie remarqué sur les piliers des Oushebticon-
siste en nne espècede quadrillage ou de treillis.
40 NOTICE SUR QUELQUES STATUETTES ANTIQUES
monies publiques et privées du culte des morts. On les pla-
çait dans les chapelles domestiques; on les portait comme
insignes dans les fêtes à exode, et, pour ce motif, on les
trouve tantôt munies d'un tenon d'emmanchement, tantôt
placées sur un socle coulé du même jet que la figurine.
D'autres sont munies de bélières.
Les trois statuettes de cet ordre qui appartiennent au
Musée d'Autun sont en bronze l'état de conservation en est
médiocre.
Le n° 1 ne présente rien de particulier.
Le no 2' est muni de deux bélières; sous la base on dis-
tingue encore la naissance d'un tenon qui a été coupé. Cette
figurine était portée au bout d'un bâton et quelque sorte
d'ornement y était suspendue au moyen des bélières.
Le no 3' offre aussi les restes du tenon; sa coiffure est
surmontée du disque solaire, symbole du dieu Ra (le soleil)
dont Osiris n'est qu'une forme dérivée.
§ 3. STATUETTE D'ISI8 ALLAITANT LE JAUNE HORUS4
Isis était la sœur et l'épouse d'Osiris et la mère d'Horus
l'Ancien ou Haroèris. Lorsque'Osiris succomba sous les em-
bûches de Set, cette déesse rechercha les membres dispersés
de son époux et, avant dé les ensevelir dans des lieux diffé-
rents, elle en exprima les principes vitaux, au moyen des-
cluels elle reforma un enfant qu'elle allaita en secret. Cet
enfant, Ilabituellecnent appelé Harsièsi, c'est-à-dire Horus.
fils d'Isis, n'était qu'Osirix revivifié, triomphant de la mort
ea de nouveau investi de son rôle providentiel.
1. Muséed'Autun. a* C 442du Catalogue.
Y. Cabinetde M. G. Bulliot.
3. Cabinetde M. G. Bulliot.
t. Cabinetde M.G. Bulliot.
D'OEUGINE ÉGYPTIENNE 41
Nous bornerons a ces courtes mentions notre Notice sur
ce mythe fondamental de la doctrine égyptienne, qui a
reçu dans la suite des temps des développements multipliés.
Nous en avons dit suffisamment pour faire comprendre l'im-
portance mystique de la légende d'Isis allaitant l'enfant
qu'elle vient d'extraire magiquement du cadavre d'Osiris.
Cette procréation sans génération ni gestation symbolisait
admirablement la résurrection des morts, ce pivot de toutes
les espérances de la vie d'outre-tombe.
Aussi les statuettes qui figurent Isis dans cette attitude
de nourrice ont-elles été très multipliées dans l'ancienne
Égypte. De même que celles d'Osiris infernal, on les portait
dans les cérémonies à l'extrémité de longs bétons. Isis y est
généralement représentée ayant sur la tète le modius devant
lequel se dresse l'urœus et qui sert de base au disque entre
deux cornesde vache. Cette coiffure est celle d'Isis-Hathor.
Le jeune dieu a l'urœus au front, et la boucle de cheveux
spéciale à l'enfance, tombant sur l'épaule droite.
Quelques-uns de ces monuments montrent Horus dans
l'action de prendre le sein dans d'autres, comme dans celui
d'Autun, la déesse s'apprête à le lui offrir. La déesse est
toujours dans l'attitude d'une femme assise, même lorsque,
ce qui est le cas le plus fréquent, le siège ne fait pas partie
du groupe. Les pieds portent généralement sur un socle
carré, au-dessous duquel on voit souvent les restes du tenon
d'emmanchement.
Dans le monument d'Autun, les pieds et le socle ont dis-
paru, mais un tenon encore visible montre que la statue
d'Isis avait dû être fixée sur un siège. Ce petit groupe est
d'un bon style quoique le travail n'en soit pas très finement
achevé.
42 NOTICE SUR QUELQUES STATUETTE? ANTIQUES
Cette figurine, qui est en bronze, est l'objet le plus rare
et, s'il est authentique, le plus curieux de ceux qui ont été
soumis à mon examen.
Elle représente une femme, les cheveux nattés, ramenés
derrière la tête en six longues tresses, qui s'étalent sur le
dos; deux autres tresses encadrent le front, passent au-
dessus des oreilles, qui ne sont pas figurées, et viennent re-
tomber sur les épaules du côté de la poitrine. La robe,
strictement serrée autour du buste par une ceinture nouée
sur le devant, et dont les extrémités pendent jusqu'au bas,
passe sur l'épaule droite et sous l'épaule gauche; son hord
supérieur, traversant la poitrine en biais, modèle les seins,
qui sont très écartés l'un de l'autre. La jupe, lisse et plate,
couvre les pieds, dont la saillie est très peu sensible. Les
deux bras, ployés, a'appuient aux hanches, sur lesquelles les
mains ouvertes sont apptiquees.
Cette statuette est cumplètement étrangère à l'Égypte; je
n'en connais pus non plus d'analogues dans l'art assyrien, ni
dans fart phénicien, et j'aurais été dans l'impossibilité d'en
suggérer une explication quelconque sans l'obligeance de
notre éminent archéologue, M. Adrien de Loypérier. Ce
savant a bien voulu u'e signaler une note par lui insérée
dans le Bulletin de la Société des A ntiquaires de France
(1867, p. 51), il propos de deux statuettes de bronze, trou-
vées près de Pérouse. Je ne puis mieux faire que de re-
produire ici cette note ¡n extenso
« L'état, le style, le 'noue de fabrication des deux sta-
» luettes rappellen d'une manière frappante tous les carac-
1. Musée d'Autun, n° C 440. C'est un pommeau creux, détaché du
manche d'un ustensile f)Hin'a pas été conservé.
D'ORIGINE ÉGYPTIENNE 43
» tères d'une série de bronzes pérugins récemment acquise
» par le Musée de Florence même couleur du métal, même
» poids considerable.» Les deux figurines de femme sont vêtues d'une tunique
» très tondue, sur laquelle sont tracées à la pointe, ou plutôt
» imprimées, des imbrications, et qui est fortement serrée
» par une ceinture. Le bas de cette tunique est. en outre.
n décoré d'une large bordure, chargée d'ornements qui dif-
n forent dans les deux vêtements. L'une des bordures pré-
» sente une série d'S opposés deux a deux. l'autre, une
rangée de nœuds ou fleurons'.
» Les deux personnages ont les cheveux tombant sur le
» dos, avce deux longues tresses descendant sur la poitrine.
» Une des femmes tient ces tresses dans ses mains appliquées
contre son corps: l'autre porte deux tiges, aujourd'hui
« brisées, et qui semblent indiquer deux flambeaux en forme
n de cierges.
Ces ligul'ines sont fort intéressantes; elles appartien-
» nent à l'ancien art étrusque, et les ornements qu'elles pré
sentent se rattachent a ceux qui ont été étudies sur les
» mommnents phéniciens et cypriotes. »
i\1. de Lonogpérier ajoute que. pour la dimension et l'as-
pect plat, la statuette d'Autun ressemblre assez exaclement
certaines ligures de terre noire, servant de supports aux
coupes a quatre pieds que l'on recueille en grand nombre en
Étrurie, notamment à Chiusi et à Vulci.
Les huit statuettes que je viens de décrire ont été trouvées
dans le sol de la ville d'Autun: pour celles du terre cuite, on
connait même t'endroit précis de leur découverte, sur le
bord de la grande voie romaine qui traversait la ville de la
porte d'Arroux à la porte de Home. Il se pourrait donc que
1. Cette particularité manqne iLla statuette d'Autun. mais celle-ci
n'a que ri centimêtres de haut, tandis que celles de l'êrouse sont hautes
de 20 et 21centimètre.
44 NOTICESUR QUELQUESSTATUETTESANTIQUES
quelques-uns de ces antiques eussent été apportés à Autun
dès l'époque de la conquéte romaine. Mais, à quelque date
reculée que puisse remonter cette importation, on n'est pas
fondé à en tirer la moindre conséquence historique. Les
ustensiles du culte d'Isis et de Sérapis chez les Romains
n'ont qu'un rapport très éloigné avec ceux du culte égyp-
tien: ils ne comprennent ni statuettes funéraires, ni figures
d'Osiris infernal. Nous avons donc affaire, ici, à des objets
de curiosité recueillis par des voyageurs en souvenir de leurs
excursions lointaines.
Le Musée de Clermont-Ferrand possède, de même que
celui d'Autun, un certain nombre de figures égyptiennes,
dont M. P. Pognon a rendu un compte sommaire dans les
Mélanges d'archéologie égyptienne et assyrienne (t. III,
p. 65). On y remarque principalement une statuette d'Osiris,
en bronze, haute de 18 centimètres, du modèle des oushebli.
On l'a considérée comme une imitation gallo-romaine d'un
original égyptien. D'autres antiques égyptiens, conservés
dans les collections particulières, sont supposés provenir de
la môme localité, c'est-à-dire du Puy-de-Corent, mine fé-
conde d'armes de pierre taillée et polie, et de monuments
gaulois et romains. L'origine des pièces de type égyptien
attribuées à Corent me parait exiger sérieuse vérification:
mais il n'y a aucun doute à entretenir sur celle de plusieurs
statuettes d'Osiris, en métal, ni sur une Isis nourrice, qui
rappellent les petits monuments d'Autun, et qui ont été
trouvés à Clermont même, près de la caserne de cavalerie
et au faubourg Saint-Allyre. La présence de ces objets
égyptiens dans le sol d'Autun et de Clermont s'explique par
des circonstances qui ne devaient pas être de rare occur-
rence, mais qui ne me paraissent pas avoir d'importance au
point de vue archéologique.
SURUN
PAPYRUSDE FORMULESMAGIQUES
DUMUSÉEDETURIN'
Les auteurs classiques rendent souvent témoignage de la
profondeur de la science égyptienne. Il est, cependant, fort
douteux qu'aucun d'eux ait jamais possédé une idée quelque
peu nette des croyances et des doctrines dont les définitions
n'étaient données que par les écritures hiéroglyphiques.
Mais il est certain qu'ils ont connu exactement quelques-uns
des procédés de la magie égyptienne. Eusèbe avait puisé à
une source authentique lorsqu'il a ridiculisé les injonctions
et les menaces adressées aux dieux par les enchanteurs, qui
pratiquaient encore, à son époque, un art dont on trouve les
traces dans des documents de vingt siècles plus anciens. Les
faits mythologiques que le célèbre évêque de Césarée cite à
cette occasion, tels que le soleil reparaissant et sortant du
limon, le soleil assis sur le lotus, ou naviguant dans une
barque, ou changeant de forme, peuvent tous être rapportés
à leurs sources originales. L'ébranlement du ciel, la divul-
gation des mystères d'Isis, la révélation du secret d'Aby-
dos, la détention de la nacelle sacrée et la dispersion des
1. Lu l'Aca-lémiedes inscriptions et Belles-Lettres, et publié dans
les Comptesrendus des Séances de 1875. IV' série, t. III, p. 57-68.
46 SUR UN PAPYRUS DE FORMULES MAGIQUES
membres d'Osiris sont auai des traits parfaitement exacts
des conjurations qui étaient en usage sur les rives du Nil.
J'ai, dépuis longtemps déja, signalé ces analogies dans ma
traduction du Papyrus magique Harris; Ics textes nouvclle-
ment publiés ont considérablement enrichi la bibliothèque
spéciale de ces compositions ab-truses. sans modifier en rien
les explications générales que j'ai données. Les formules
magiques présentent en elles-mêmes un intérêt médiocre,
mais elles abondent en citations empruntées à l'histoire des
mythes. et offrent une mine presque inépuisable de rensei-
gnements sur ce sujet important.
Parmi les textes de ce genre récemment mis au jour, il en
est un qui offre un tout autre intérêt, en ce sens qu'il nous
ntct sur la voie des préoccupations les plus habituelles des
Égyptions propos de la conservation de la vie. Il fait le
sujet d'un papyrus du Musée de Turin, reproduit sur les
planches 120 à 125 de l'importante publication de MM.Rossi
et Pleyte.
La science a de grandes obligations à ces deux savants
zélés, qui ont mis un terme aux pertes continuelles de textes
résultant de l'incessante détérioration des manuscrits Ógyp-
tiens de ce riche Musée.
Nous ne nous occuperons ici que des trois pages (pl. 120,
121 et 122) qui forment le recto; les trois pages du oerso
traitent aussi d'opérations magiques, mais sans liaison né-
cessaire avec le texte principal.
A la première page (pl. 120), toutes les lignes ont perdu
quelques signes de leur commencement, et de plus les quatre
premières sont usées et illisibles. Le texte déchiffrable ne
commence qu'à la septième; cependant on distingue encore,
dans les groupes conservés de la cinquième et de la sixième,
une indication qui peut servir de titre ou de définition au
document. On y lit qu'il s'agit d'un ordre royal ou décret
d'Osiris qui est dans l'Occident, d'un Jrand mystère caché
dans le palais du roi, d'un rouleau enveloppé. Une men-
DU MUSÉE DE TURIN 47
tion du Ro-sfa mythologique ou d'un passage (Ro-sla), et
de la navigation des cltutnps d'Aalou, l'Élysée égyptien,
apparaît dans les derniers groupes sans qu'il soit possible
d'en discerner la liaison avec le reste du texte. L'état de
mutilation de cette introduction est fort regrettable nous
y aurions lu sans doute les circonstances de lit trouvaille de
l'originai de l'écrit magique, et l'indication du nom du
pharaon ancien sous le règne duquel cette découverte avait
été faite.
Il nous reste, toutefois, l'important renseignement que la
formule magique dont nous allons donner la traduction était
regardée comme compostée et transmise par Osiris lui-méme.
Quant a la date du manuscrit, qui n'est qu'une copie, elle
tombe dans lit grande époque des Ramessides l'vcriture en
est bonne et correcte. En l'attribuant à la XXe dynaste.
M. Pleyte a fait une saine appréciation du caractère gra-
phique du document.
A la ruite du préambule que nous venons d'expliquer,
vient l'importante déclaration que le livre magique a pour
objet de clécruire les germes mortels', quels qu'ils soient2,
dc toutes espèces de morts énumérés nominativement.
Et, en effet, le reste de la page et toute la page suivante
ne contienent plus qu'une longue énumération de genres
ou d'occasions de mort.
1. moutmout, groupe composé du nom de la
mort deux fois répété. Le Papyrus médical de Berlin l'emploie comme
qualificatif et aussi comme désignation d'un mal qui envahissait les
membres et contre lequel dey remédes sont formulés (voyez Papyrus
médical de Berlin. p. 8, 9). Ce mot me semble comporter une significa-
tion générale et se dire de la force destructive des maladies, des gerroea
mortels qui sont censés résider dans les membres malades. Le mot
moutmont désigne peut'être aussi le poison.
2. curieuse variantede
mot qui signifie
quclconque, quiconque, qui que ce soit, quoi que ce soit.
48 SUR UN PAPYRUS DE FORMULES MAGIQUES
Avant de traiter cette liste funèbre, nous donnons la tra-
duction de la formule, œuvre d'Osiris, au moyen de laquelle
toutes ces causes de trépas étaient conjurées. Cette formule
couvre la troisième page du papyrus (pl. 122). En voici
la teneur
u Disparais, opérateurfuneste' 1 Disparais, opératrice
» funestel qui que tu sois, qui as pénétré un tel, fils d'une
» telle'!
» Si l'adversaire mâle, l'adversaire femelle, celui-ci » (en
prononçant ces mots, le conjurateur montrait ou touchait
la partie malade), « si les germes mortels, quels qu'ils
» soient, tardent à être détruits,
» Que l'adversaire du ciel divise le ciel' 1
» Que l'adversaire de la terre renverse la terre et y soit
» tout-puissant'
1. LeuÉgyptiens rapportaient les maladies à l'influencedes divinités
secondaires, et distinguaient entre l'influence des divinités mâles et
celle des divinités femelles. Les Klious, ou morts revivifiée des deux
sexes, étaientaussi regardés commeinvestis de la facultéde s'introduire
dans le corpsdesvivants et d'y occasionner des maladies.
2. men mes en men-t. Cette variante d'une for-
mule très connueest fort curieuaeen ce qu'elle montre l'ancienneté des
capricesgraphiques, si communs aux basses époques.
3. LesÉgyptiensconsidéraient leciel commeun fondsolidesur lequel
roulait l'océandu Noun. La rupture de cette voûte aurait correspondua
la destructionde l'ordre cosmique.Aussi l'image du cicl ouoerttaisait-
elle naltre l'idée d'une choseterrible, effroyable (voyezPapyrus ma-
gique Harris, pl. A, 6).
4. Uneautreimage de ladésorganisationde l'universétaitle renver-
sementdelaterresens dessusdessous.Lemotégyptien pence.
qui l'exprime,estdéterminéparl'imageparlanted'unebarqueretournée.
AuPapyrusmagiqueHarris,setrouveuneformuleanalogueJe feraitomberla terredans l'abîmedes eaux, le neidiprenant la place du
nord,etla terreperdant sastabilité.Plusloin,nousverronsquelacon-
ditiondumaintiende l'ordreuniverselétait liéeà la stabilitéde la
DU MUSÉE DE TURIN 49
BIBL. ÉGYPT.,r. XIII. 4
» Qu'Apap soit dans la bari des millions d'années'
1) Qu'il ne soit pas donné d'eau celui qui est dans
» l'arche2!
» Que celui qui est dans Abydos ne soit pas enseveli3!
u (juc celui clui est dans Tattou ne soit pas caché 4!
n Que celui qui est dans On ne soit pas servi!
» Qu'il ne soit plus présentv d'offrandes dans leurs
» temples3» Que les ltumains ne présentent plus d'offrandes dans
» aucune de leurs fêtes à tous les dieux*
terre dans sa position verticale. Les Égyptiens étaient loin de se faire
une idée juste des antipodes.
1. L'organisation de l'univers était le résultat de la victoire du soleil
sur le serpent Apap (Apophis), que les mythes représentent luttant sans
cesse quoique toujours vaincu. Le triomphe d'Apap et son installation
dans la barque sur laquelle le soleil effectue sa course quotidienne sont
encore une image de la destruction du monde.
2. Il s'agit ici d'Osiris. qui, trahi par Set, fut enfermé dans un coffre
ct livré aux hasards des flots. C'est l'arche sacrée, citée par Eusèbe,
d'après Chœrémon. L'archc aborda, et le dieu fut ressuscité par les
suins d'Isis. La guerre entre Usiris et Set constitue une légendesecondaire de la lutte des deux principes; mais ici il y a un mélangedes idées mythologiques primitives avec les traditions de l'âge fabuleux.
Usiris fut ranimé par l'eau par l'humidité. C'est pour ce motif quel'offrande de l'eau a conservé une importance capitale dans le culte fu:
néraire (voir l'Égyptologie, 1874, p. 95). Refuser l'eau à Osiris dans
l'arche, c'est s'opposer à sa résurrection, c'est assureur le triomphe du
dieu de la destruction, c'est toujours la désorganisation de l'univers.
3. Abydos était le lieu principal de la sépulture d'Osiris. Les riches
Égyptiens se faisaient quelquefois enterrer dans l'hypogée de cette ville
sainte.
4. Le dieu de 'l'attou et celui de On ou Héliopolis sont encore Osiris.
Hérodote a relaté les mystères dont le culte de ce dieu était entouré deson temps. Ce détail est parfaitement exact. Le secret d'Abydos, men-tionné par Eusèbe. ou le secret de Tattou. c'est allument la mêmechose. Set chercha la sépulture d'Oairis pour disperser les membres dece dieu et empêcher sa résurrection.
5. Cessation du culte d'Osiris dans ses trois sanctuaires principaux.6. Cessation complète du culte des dieux.
50 SURUNPAPYRUSDEFORMULESMAGIQUES
» Parce que les germes mortels, l'adversaire mâle, l'ad-
» versaire femelle, l'ennemi mate, l'ennemi femelle, quels
» qu'ils soient, se sont attachés aux chairs, celles-ci, d'un
» tel, fils d'une telle; aux membres, ceux-ci, d'un tel, fils
» d'une telle.
» Mais si cela se détruit et s'éloigne hors' des membres
» d'un tel, fils d'une telle,
» Le ciel restera stable sur ses piliers
» La terre restera stable dans sa position verticalo;
» L'eau sera donnée à celui qui est dans l'arche
» Celui qui est dans Abydos sera enseveli
» Celui qui est dans Tattou sera caché
» Celui qui est dans On sera servi
» Des offrandes seront présentées dans leurs temples;
»Les humains apporterontdes offrandes dans toutes leurs
fêtes à tous les dieux;
» Parce que les germes mortes, l'adversaire mâle, l'ad-
» versaire femelle, l'ennemi mâle, l'ennemi femelle, quels
» qu'ils soient, seront sortis des membres d'un tel, fils d'une
» telle 1 1
Cette formule d'adjuration est d'une extrême simplicité;
la traduction en est absolument certaine. On y trouve quel-
dues traces des idées des anciens Égyptiens sur la cosmo-
graphieet des allusions aux points les plus importants de
leur doctrine sacrée.
Nous revenons à présent à la longue liste des causes de
mort contre lesquelles cette formule devait servir de préser-
vatif. L'énumération ne comprend pa. moins de soixante-
treize cas, dont le classement est tout à fait arbitraire. Le
scribe n'a pas procédé par séries, et sa liste n'embrasse pas
tous les cas possibles mais elle peut être considérée comme
1. Littéralement sur la terre. Dansd'autres formules magiques, le
principe de la maltdie est sommé de tomber d terre, de disparaître
,lans le sol.
mDU MUSÉE DE TURIN 51
étantcomplétéeimplicitementpar lesarticlesdegénéralités.La traductionoffreun petit nombrede difficultésque nous
exposcronsen notes.
Nousreprenonsle texte au pointoù nous l'avonsinter-
« Pour détruire les germesmortels, quelsqu'ils soient,» de tonteespècede morts énuméréesnominativement,de» touteespèced'infection', de douleursdes dieux,de dou-» leursdesdéesses2
1. » Dela mort subite2;2. » Dela mort par sa tête43. » Dela mort par sesdeuxyeux;4. » Dela mortparsonvent:e5. » Dela mort par contagion36. » Dela mort par la fièvreaiguë;7. » Dela mortpar la fièvreintermittente';
1. Le groupe traduit par infection dans une lacune.
2. Nous avons expliqué plus haut que lesÉgyptiens distinguaient les
maladies ou influences funestes dues aux dieux ou aux déesses. Le
groupe que j'ai rendu par douleursest
il est bien souvent
répété dans le papyrus de médeciue et dans les formules magiques. Le
Papyrus médical de Berlin donne, pour guérir ce mal, une recette qui
sert aussi pour les men. Ce dernier mot signifie douleur.
souffrance,mal.
doit avoir un sens analogue. On pourrait
songer aux douleurs rhumatismales qui changent de siège et devaient
faire croire à des influences surnaturelles.
3. Littéralement de la mort par mort, c'est-à-dire de celle dont onne découvrepasles causes apparentes.
4. Quelquefoisle texte exprime le possessif.plus souvent il le sup-prime; nous nousconformerons rigoureusement aux hiéroglyphes.
5.act, la peste. la contagion. Voir mes Mélanges
égyptoluyiques,1resérie, p. 29.
6. Aun' 6, la mort est dite par etc.; au n' 7, par le même
mot, mais au pluriel. C'était une maladie fort répandue, à en juger
52 SUR UN PAPYRUS DE FORMULES MAGIQUES
8. u De la mort au coucher du soleil
9. » De la mort à l'aube du jour'
10. » De la mort par (lacune)
11. » De la mort par le lion;
12. n De la mort par (l'hyène)';
13. » De la mort par le serpent;
14. » De la mort par le scorpion';
15. » De la mort par toutes espèces de carnassier'
16. Il De la mort par la blessure de l'insecte
17 u De la mort par toute espèce de (crocodile)'
d'après les mentionsdont elle est l'objet;elle avait son siège dans les
vaisseaux sanguins(Papyrus de Leyde, I 345,p, 3, 1),Une
formule la sommede sortir du corps (Papyrus de Leyde, I 343,revers,
p. 4. 2). Ailleure,elle est personnifiée,et la conjuration la frappesur
le nez(ibid., 4,3).Ma traduction fiévre estconjecturale. D'unepersonne
qui souffrede la fièvre intermittente, le vulgaire dit encorequ'elle a les
1.Littéralementà l'instant dujour. Lecommencement et la finde
la journéeparaissentavoir étéconsidéréscomme deg momentscritiques.
2, On nedistingueplus dans la lacuneque le déterminatif desnoms
d'animaux. Dansdes textes du mêmegenre, l'hyène est ordinairement
ciales contre la piqûrede ce dangereuxinsecte, si communen Égypte.
4.maaou neb,à lalettre toute espècedr lion.Le
lion est mentionnéau n° 11.Ici, le nomdeceplus terrible deycarnassiers
sert à désignerl'espèce.
5.Le jeune bas officier, rejoignant
son Bonnement par les chemins pierreux de la Syrie, était, dit le
papyrus AnnstasiV, p. 17,5, exposéà cette mésaventure.
6. J'ai remplila lacune avec le nom du crocodile. Il est impossible
que cet amphibiene soit pascomprisdansune énumération si détaillée.
C'était l'animalque les Égyptiens redoutaient le plus; il faisaitchaque
année de nombreusesvictimes. D'aprèsle Calendrier drs jours fastes
ct néjastcs, certains individus étaient fatalement destinés à périr en
proie au crocodile.
DU MUSÉE DE TURIN 53
18. » De la mort par toute espèce d'excès'
19. » De la mort par la guerre2
20. » De la mort avec sépulture
21. » De la mort sans sépultura'
22. » De la mort par chute du haut d'une muraille;
23. » De la mort en se noyant'
24. » De la mort causée par le soleil'
25. » De la mort par sa poitrine"
26. » De la mort par le poumon7
1. Le groupeest entamé et peu lisible.J'y voisn=:,b Ç3
et je comparece mot à qualification desim-
pies et des ennemis des dieux. sur le sens de laquelle on n'est paçd'ascord.
2. le bronze, le métal dont les armes étaient faites. Nous
dirions aujourd'hui muurir par le fer.3. L'homme peut mourir entouré de soins, au milieu d'une famille
ou d'amis qui s'occuperontdesa sépulture, il peut aussi succomberhors
de chez lui, isolé,égaré, et son corps rester sans sépulture. Ce sontces
rleux hypothésesqu'envisagent les n" 20et 21.
4. akaï mot très expressif, déterminé par
la barque renverséeet le signe de l'eau. L'action d'akaï est figuréedans
l'line des scènesqui décorent le sarcophagedeSéti Ier, publié par Bonomirt Sharpe.
5. Je lis ici 0, shou, quoique le premier signe prête au doute.
L'effet. quelquefoismortel, des rayons solairesavait été observépar les
Égyptiens. LeCalendrierdes jours fastes et néfastes défend de s'ex-
poseraux rayonsde Shou le 20de Phaménot.
6.tjerou. Jusqu'à présent,on a rendu ce mot par orteil ou
par talon. Mais les textes publiés par M. Naville, de Genève, nous le
montrent suivi d'un déterminatif qui est une portion des côtes. Letrait
'lui frappel'hippopotameau tjerou est portéla hauteur de la troisièmecôte (Mqllrrd'flurru. pl. IV).
7.oufi, copte o-rwq. pulmo. Ce mot était déjà
connu par les Papyrus de Leyde. oit il est cité comme étant la cavitéqui renfermele cœur (pl. 128, col. I, 22). Voyez aussi Todtenbuch.
54 SUR UN PAPYRUS DE FORMULES MAGIQUES
27. » De la mort par l'intestin grêle'
28. » De la mort par le gros intestin'
29. » De la mort par le dos;
30. oDe la mort par les molaires*
31. » De la mort par les dents'
32. » De la mort par suffocation3;
33. » De la mort par toute espèce de douleurs
34. » De la mort par toute espèce d'air;
35. » De la mort par le ventricule'
36. » De la mort par le cœur7:
chap. 144,28, où l'on voit que les viscères pouvaient faire partie des
oblations.
1. ansham, mot dont 1. ortbograpbea de nom-
2. mast. Un texte nous apprend que le ansham et le
mast étaient contenus dans lecopte
centre. ainsi que le
mot de bien plus rare occurrence,qui pourrait désigner la vessie.
Le ansham et le mast font habituellement partie des offrandes auxj
dieux. mais cesobjets sont présentéssous la formede gàteauxde formes
diverses Cesont évidemmentdes préparationsculinaires. Hérodotecite,
parmi les parties du pourceau distinguées par les Égptiens, la rate, la
graisse et l'épiploon.Comparez le copte pectus.j
3. netjih, copte dent, molaire. Ce mot
nomme aussi la défense de l'élépbant.
4. abh, copte dent. Est-ce une simple répétition.
nu bien le scribea-t-il vouludistinguerentre les molaireset les incisives?
5. a shash. Déterminé par le signe des parties du
corps. ce motdésignele gosier. la gorge,le cou. C'est une formeparticu-
lière devariante
deen copte collum. Avec le
déterminatif de la mort, il semble spécialiser les lésions graves de cet
organe, l'impossibilité de respirer.
7 se prononçant quelquefois héti, d'autrefois ab. Ces deux
groupe ont, dans la plupart des cas. un emploi identique, et désignent
DU MUSÉE DE TURIN 55
37. » De la mort par le derrière'
38. » De la mort par les sycomores;
39. »De la mort par toute espèce de jardin fruitier
40. » De la mort par toute espèce de végétal épineux 2:
41. »De la mort par toute espèce d'herbes
42. » De la mort du mate, qui se fait femme.
43. » Et réciproquement 2:
44. »De la mort par la morsure de l'homme4
45. »De la mort par la morsure de toute espèce de car-
» nassier:
46. » De la mort au poste périlleux'
le cœur, en copte comme siège des senti mentit, des posions et de
l'intelligence.Il semble toutefois que. lorsque les deux groupes ne
suivent, il ne s'agit pas d'une simple répétition;peut-étre les Égyptiens
spécialisaient-il chaque ventrieule.
1. Les maladies du fondement formaient un article important de la
nimecine égyptienue. Le Papyrus médical de Berlin les mentionne.
M. Ebers nous a déjà signalé l'inflammation du fondement, dont traite
un article dn magnitique papyrus qu'il a acquis en Égypte et dont la
science attend la publication.
2. neba. L'un des végétaux sacrés de Uendérah
portait ne nom. Lcdéterminatif
me fait penser à un arbrisseau
:1.Ces deuxarticles sont très singuliers; ils me semblent se référer à
un abus des rapports sexuels que la toi morale des Égyptiens répron-vait sévèrement.
1. Pline (Hist. nul, liv. XXXIII, ch. IV)dit que la morsure d)'
l'homme est particulièrementdangereuse.Celse la mentionne aussi dan.
son traité de médecine.Il est possible que le scribe ait eu en vue non
sentement la morsure.maisencore la médisanceet la calomnie,qui sont
des morsuresnon moins dangereuses. l'ne maxime de la sagesseégyptienne s'exprimeainsi N'entre ni nr sors le premier, de peur que ton
nom n,-soit soli(voir
l'Egyptologie, 1874,p. 87).
Le groupepekon,signific serrer, resserrer, resserre-
ment, rétrécissement.Il désigne spécialementuu passagedroit. l'entrée
d'un col. d'un défilé. Toutlieu de ce genre offre de grandes facilités
puur la défenseet de grands dangers pour t'attaque. Aussi les rois con-
56 SUR UN PAPYRUS DE FORMULES MANQUES
47. » De la mort par entraves'
48. » De la mort par superflu2;
49. 1) De la mort par toute espèce de maladie
50. » De la mort par le bain
51. » De la mort par les os de volaille;
52. » De la mort par les arêtes de toute espèce de
» poisson;
53. » Do la mort par précipitation:
54. » De la mort par immobilité'
55. 1)De la mort par ses deux pieds
56. » De la mort par ses deux mains;
57. De la mort par toute espèce de coup;
58. 1) Dela mort par toute espèce de blessure
59. n De la mort par toute espèce de pierre;
60. » De la mort par une chute
61. » De la mort par toute espèce de bois
62. » De la mort par son dénûment 4
63. Il De la mort par trahison 1
quérants se vantent-ils souvent d'avoir combattu au pekou,d'y être
demeura fermes(Voyage d'un Égyption, p. 87).
1. kahaou. C'est le mot qui exprime l'idée
de dompter, dresser,assouplir un cheval. Dans un texte, il sembledé-
signer des entravesdestinées maintenir des prisonniers de guerre.
2. litt. de ce qu'il y a de trop. Cette idée
est fort remarquablepour l'époque.Elle M'accorde,du reste, très bien
avec ce que noussavons du grand luxedes Égyptiens, et de leursgoûts
pour les plaisirs.
3. Dka,sc reposer,faiblir, s'arrêter, cesserd'agir.
C'est le contrairede la hâte, mentionnéeau n* 53.
4. kaou,prication, indigence, ce sensest certain.
Un Égyptien se vante de ceque sonaffection est la nourriture de l'in-
digent (kaï).
5.atjaou, culpabilité,fausseté, perfidie. La con-
damnation des accusés était prononcéelorsqu'ils avaient été trouvés
atjaou.
DU MUSÉE DE TURIN 57
64. » De la mort par suite de pertes'
65. » De la mort par la faim
66. » De la mort par la soif
67. » De la mort par ivresse2;
fi8. » De la mort, la tête en bas'
69. » De la mort en nourrice;
70. » De la mort par chute de la conception
71. » De la mort par négligence;
72. De la mort par suite de l'enlèvement des biens;
73. n De toute espèce de mort qui arrive ou est causée
» par les hommes et les dieux. »
Ici s'arrête cette curieuse énumération, Nous en avons fait
ressortir les points les plus intéressantes. Il resterait à parler
des acquisitions importantes qu'elle nous permet de faire
pour l'enrichissement du vocabulaire; mais un travail de
cette nature ne saurait trouver place ici.
1. akou, copte perditio.Le déterminatif rem-
plaçant le signe du mal. est une particularité spéciale à notre manuscrit.
2. tekhou, copte cbrietas. En égyptien, ce mot se
dit aussi de l'excès du manger, comme le français être saout.
3.skhet.
Lf déterminatif, un homme renversé la tête
en bas, est parlant Les damnés de l'enfer égyptien sont quelquefois
représente" sous cette attitude intolérable. et l'un des chapitres de
l'ancien Rituel fournit les moyens d'éviter ce triste sort (Aelteste Texte
des Todtb., :1.1,voyez aussi Todth., ch. 53, 2;. Mais. pour que ce genre
de suspension ait été considéré comme une cause de mort, il faut qu'il
ait été en usage, par exemple, comme supplice.
L'inscription d'Amada nous raconte qu'Ameuhotep II tlt pendre la
tête en bas (skhet) à la proue de son vaisseau sept chefs syriens qu'il
avait frappés de sa hache d'armes (Denkm., III, 65. a. 17).
4. Il s'agit évidemment ici de l'accouchement prématuré ou de l'avor
tement.
LES
ÉTUDESPRÉHISTORIQUESETLALIBRE-PENSÉE
DEVANTLASCIENCE
RÉPONSE A M. G. I)E MORTILLET'
MONSIEUR.
En août 1872. j'ai publié un ouvrage intitulé Études
sur l'antiquité historique d'après les sources éyyptiennes
et le; monuments réputés préhistoriques. Cet ouvrage, tiré
au nombre habituel de mes autres livres, a été épuisé très
rapidement. Une seconde édition en a été préparée aussitôt,
et a été mise en vente juste une année après la première.
Vous venez de consacrer à ce livre une critique acerbe'
vous affirmez qu'il fourmille d'erreurs, et vous vous demandez
1. Publiéeen une brochure spécialeà Paris, chez Maisonneuveet C",
à Chalon-sur-Saône,chez J. Dejnssieu,1875,in-8°,55 p. G. M.
2. Les Études préhistoriques devant l'orthodoxie, in-8°. Paris.
E. Leroux, éditeur, 1875. Prix 50 centimes.
60 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBREPENSÈE
si l'on peut ajouter foi à un ouvrage qui contient autant
d'erreurs et surtout de fausses appréciations que celui de
M. Chabas. Vous prenez du reste vos précautions pour que
votre épithète de fausses ait toute sa portée Vous invoquez
les avis des observateurs compétents, et vous exprimez
l'opinion que je ne suis pas du nombre.
C'est au nom de la libre-pensée et contre l'orthodoxie que
vous prenez la plume on le voit par le titre de votre article,
qui s'adresse en xnémo temps à deux autres auteurs, un
religieux de l'Oratoire et un pasteur, au milieu desquels
vous m'encadrez, en me désignant par celui de mes titres
qui répondait le mieux à votre but, celui de Membre de ln
Société d'Archéologie biblique clc
Ce n'est point moi, Monsieur, qui jetterai le moindre doute
sur l'étendue de votre science. Vous avez été choisi par le
gouvernement pour occuper un poste imporlant et ce choix,
honorable pour vous, n'est certainement pas du à une par-
t.ialit6 de nos Ministres en faveur des doctrines avancées
dont vous êtes l'apôtre l'éterminé. ("est votre savoir qui a
été récompensé: je me plai, à le reconnaître.
Vous n'ignorez donc certainement pas ce qu'est la Société
d'Archéologie biblique de Londres, qui occupe aujourd'hui
un rang si honorable parmi les corps savants de l'Europe.
Mais le public, en général, j'ignore: il verra surtout le mot
biblique, et, me trouv ant nommé entre deux ecclésiastiques.
ne manquera pas de me taxer au moins de congréganiste.
Si tel n'est pas le but que vous avez voulu atteindre, vous
nous expliquerez sans doute un jour pour quel motif, puisque
vous ne vouliez citer qu'un seul de mes titres, vous n'avez
pas choisi celui que je dois placer en première ligne et
qu'amis et adversaires no négligeant jamais de me donner
celui de Correspondant de l'Institut de France.
DEVANT LA SCIENCE 61
II
Je ne vous demanderai pas d'expliquer pour quel motif
vous avez donué une analyse si incomplète de mon livre. Il
sera plus simple pour moi d'en résumer ici le sommaire.
Frappé de l'assurance avec laquelle les disciples de votre
ècole tranchent les questions d'histoire et de chronologie
(j'en ai, je crois, cité quelques bons exemples), j'ai cherché
à déterminer, d'une part, les limites les plus reculées de la
véritable histoire, et, d'autre part, les points de contact
entre l'histoire et ce que vous appelez la préhistoire (âges
de pierre, de bronze et de fer).
A l'aide des monuments égyptiens, à propos desquels vous
vouiez bien ne pas décliner ma compétence, j'ai pu reculer
les limites de la civilisation historiques jusqu'au XLe siècle
avant notre ère, sans faire un pas dans le domaine de la
mythologie. Puis, j'ai montré l'antiquité de l'usage des
métaux sur les rives du Ki! et la variété de leurs emplois
comme outils aux époques les plus reculées.
Ensuite j'ai recherché les plus anciens rapports de l'Égypte
avec les autres nations, et tout particulièrement avec les
peuples des îles et des rivages de la Méditerranée. J'ai
rappelé que la navigation sur cette mer était considérée sous
les Ramsès (XIVe et XVe siècle avant notre ère) comme
remontant à l'époque fabuleuse de la guerre d'Horus contre
Set. Mais, en m'en tenant à l'histoire, j'ai pu montrer les
îles de la Méditerranée mentionnées sur un papyrus écrit à
l'époque de la XIIe dynastie, qui raconte une histoire du
règne de Nebkara, le quinzième roi de la longue liste
d'Abydos; il n'est guère possible de croire ce pharaon de
beaucoup postérieur au XXXVe siècle avant notre ère. Un
monument atteste que Soukhkara (XXVe siècle avant notre
ère) avait fait faiblir les Hanebou; tel était le nom que les
62 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET I.A LIBREPENSÉE
Égyptiens donnaient aux peuples européens, et surtout aux
Grecs.
Vers le XVIIIEsiècle avant notre ère, les Pharaons avaient
des fonctionnaires spéciaux chargés de leurs relations avec
les peuples des îles de la Méditerranée ils commerçaient
alors avec tout le pourtour de cette mer, et ce pourtour
avait un nom spécial en hiéroglyphes le pourtour dugrand
circuit, ce qui démontre que le périple de la Méditerranée
était dès lors assez habituel à la marine égyptienne. Les
textes parlent de plusieurs groupes d'iles, et, en particulier,
de celles qui sont dites îles du milieu de la mer, et qui sont
ainsi distinguées des orœ maritimœ.
Sous Ramsès II et sous Meneptah Ier (XIVe et XVe siècles
avant notre ère), aux dénominations générales jusqu'alors
usitées pour désigner les peuples du Nord par rapport à
l'Égypte, viennent s'ajouter les noms de plusieurs peuples
européens Sardes, Étrusques, Sicules, Achaiens et Lyciens.
Dans le siècle suivant apparaissent les Pélasges, les Dauniens
et les Osces. J'ai expliqué dans mon livre les textes et les
scènes monumentales qui nous montrent ces nations en
guerre avec l'Égypte, ou devenues les alliées ou les merce-
naires des Pharaons, à une époque bien antérieure aux rela-
tions qui les concernent dans l'histoire classique. C'est là,
je n'ai pas besoin de vous l'apprendre, un fait de la plus
haute impnrtance. Vous n'ignorez pas non plus qu'il ne s'agit
pas ici d'identilications ducs à de simples rapprochements
phonétiques, tels que ceux qu'affectionnent si particulière-
ment les adeptes passionnés de la philologie comparée, mais
à la traduction de longs textes historiques, à l'étude des
physionomies, des costumes et des coiffures caractéristiques,
des armes, des vaisseaux, etc., etc. Avant que ces rensei-
gnements fussent à la disposition des égyptologues, on a
fait, hélasl appel aux ressources purement linguistiques, et
les Sicules ont été rapprochés des les Dauniens des
et les Osces des Mais, a peine eut-on sous les
DEVANT LA SCIENCE 63
yeux la grande inscription de Médinet-Abou, que la lumière
fut faite, et que M. le vicomte de Rougé la proclama dans
un Mémoire qui reste comme un des meilleurs titres de ce
savant éminent.
Les textes égyptiens nous donnent ici des renseignements
précis, que nous chercherions vainement ailleurs ils nous
fournissent aussi les premiers indices du commerce des
Phéniciens avec l'Égypte, d'une part, et les peuples de la
Méditerranée, de l'autre. Vous savez qu'on possède, dans des
monuments du XVIIO siècle avant notre ère, de très beaux
dessins représentant des présents ou tributs apportés en
Égypte par les Phéniciens et leurs alliés, et consistant en
objets fabriqués avec des métaux précieux, en vases déco-
rés de têtes de gazelles, en rhytons, en larges cratères dont
les bords sont incrustés de grandes fleurs bleues, en ai-
guières d'or et d'argent, en une grande variété de vases
plus ordinaires, etc., etc. Évidemment, ce commerce n'en
était point alors à ses débuts; si nous n'en trouvons pas de
traces monumentales plus antiques, ce qui n'a rien de sur-
prenant, nous savons du moins que, dix-huit siècles plus
loin dans le passé, les Égyptiens étaient renseignés sur les
îles de la Méditerranée, qu'ils n'ont pu connaître que par le
moyen de leur navigation sur cette mer. On voit par là que
les tribus du roi de Tharshish et des lies, mentionnées par
le Psaume 72, remontent à une date énormément reculée.
Ces relations commerciales durèrent très longtemps. Au
VIIIe siècle avant notre ère, les gens pressés de fuir
trouvaient à Joppé des vaisseaux en charge pour Thar-
shish.
De ces faits, dont les preuves sont saisissables pour tous,
il est bien établi que les peuples des tics et du littoral de la
Méditerranée ont pu avoir, il y a plus de cinquante siècles,
des contacts avec les Égyptiens, et par conséquent apprendre
à connaître tuus les métaux, y compris le fer. Pendant une
période qui a été de longue durée sans doute, les expéditions
64 LKS ÉTUDES PRÉHISTORIQUES KT LA LIBREPENSÉE
de la marine des Pharaons dans cette direction n'ont peut-
être pas été fréquentes; un petit nombre de ports auront
donné asile à leurs vaisseaux, et par suite la connaissance et
surtout la possession des outils et des armes de métal ont pu
ne se développer qu'avec lenteur. Mais il est certain que dix
ou quinze siècles plus tard, certaines parties du littoral méri-
dional de l'Europe, Le PéLoponèse, It Grande-Grèce, l'Étrurie,
la Ligurie, l'Espagne et les Iles voisines, étaient déjà dans
un état de civilisation relativement avancé et en possession
des métaux.
Ayant ainsi déterminé la date possible de l'introduction
des métaux eu Europe, j'ai recherché dans un chapitre spé-
cial les traces historiques de l'emploi des outils de pierre et
d'os à des époques où les métaux étaient vulgairement jflconnus. Des faits que j'ai cites, tels que l'usage des flèches
de silex à tranchants droits à une époque presque récente
de l'histoire d'Égypte; l'inscription hiéroglyphique gravée
sur un couteau de pierre polie le silex encore employé
comme rasoir le creusement des mines de Wadi-Magharah
avec la poinlerolle de silex, etc., etc., il est aisé de conclure
que la vulgarisation du métal et de ses emplois n'avait pas
extirpé complètement l'usage de la pierre.
Dans deux chapitres consécutifs j'ai réuni, d'une part,
ce quc les Égyptiens savaient du chameau, qui n'est presque
jamais ni figuré sur leurs monuments, ni nommé dans les
hiéroglyphes, et, d'autre part, les emplois divers qu'ils fai-
saient du cheval. Cette étude rentre dans le plan de mon
ouvrage en ce qu'elle montre que les preuves négatives
tirées du silence des textes égyptiens n'ont qu'une valeur
fort mince. Les Égyptiens ont pu connaitre des animaux
qu'ils n'ont pas représentés', quoiqu'ils aient représenté des
monstres imaginaires.
1. Telleest l'opinion qu'exprime Witkinson d'après l'étude des mo-
numentset deslieux, mais sans recourir aux textes.
DÉVANT LA SCIENCE 65
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. 5
Enfin, dans le dernier chapitre de mon livre, j'ai traité
des résultats acquis par les découvertes faites dans les gise-
ments réputés préhistoriques, et discuté les traces historiques
de l'existence d'un âge de pierre. Je conclus de cette étude
que ni la Bible ni aucun historien no nous parlent d'une
époque de ce genre; mais je conviens aussi que le silenco
de l'histoire ne peut jamais être invoqué comme un témoi-
gnage démonstratif.
Puis, j'étudie les stations dites de la pierre polie, princi-
palement collcs des bords de la Saône, qui se développent
sur une grande partie des berges de cette rivière, à un
niveau moyen de lm 50 en contre-bas du niveau actuel du
sol. Les dépôts romains sont parfois presque en contact avec
la couche néolithique parfois aussi ils remontent jusqu'à
om40 au-dessous du niveau des berges. Quoique l'irrégu-
larité des dépôts ne permette pas de chiffrer avec certitude
l'échelle des accroissements séculaires, il est permis de
penser qu'en calculant par milliers d'années on doit arriver
à une approximation raisonnable. Or, on peut partir de ce
fait que les dépôts romains coupent à peu près en deux
parties égales l'épaisseur des alluvions que la Saône a dépo-
sées depuis le premier gisement de silex travaillés jusqu'à
nos jours. Si l'accroissement périodique a suivi une marche
semblable dans les deux périodes, aux quinze cents ans de
date moyenne de l'époque romaine dans nos localités, il faut
ajouter quinze cents ans pour arriver aux plus anciens dépôts
de la pierre polie, qui remonteraient ainsi à trois mille ans.
Mais l'accroissement des alluvions est en raison directe de la
fréquence des inondations, et les inondations étaient forcé-
ment plus fréquentes lorsque les berges étaient moins élevées.
Notre résultat de trois mille ans semble donc devoir subir
une réduction. Un autre mode de calcul, que j'ai proposé dans
mon livre, donne aussi un résultat moindre. Mais nous ne
pouvons nous promettre d'arriver à une exactitude mathé-
matique. Que l'on admette, si l'on veut, trente-cinq siècles,
66 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES F.T LA LIBRE-FENSÉE
ce qui me parait invraisemblable. nous ne serons pas pour
cela rojetés hors des limites de l'histoire, et l'âge de pierre,
en Bourgogne du moins, n'exigera nulle modification de nos
idées classiques sur la chrnnologie. en tant qu'il s'agit de la
période pendant laquelle la hachette polie et les flèches à
ailerons étaient d'usage habituel.
Dans mon examen de celles des stations à silex dans les-
qnelles on ne rencontre pas de hachettes polies, ni de flèches
;i ailerons, je montre que la ressemblance s'établit par
d'autres points, en particulier par les grattoirs, outils de
travail délicat, dont les gisements archéologiques de Char-
bonnières, de Solutré, de Germolles, etc., m'ont offert des
spécimens qui ne dépassent pas en perfection lesplus belles
pièces de ce genre provenant du camp de Chassoy, station
qui a fourni, en nombre formidable, les plus magnifiques
échantillons de flèches de silex à tail le fine, et la plus grande
variété de haches polies avec leurs manches en bois de cerf.
Entre les jolis petits instruments éclatés à plusieurs enle-
vages, provenant du Périgord, et les objets analogues trouvés
sur les bords de la Saône, où il ne faut pas chercher de
silex de spécialité paléolithique, il y a aussi une ressem-
blance frappante. Quant aux types réputés caractéristiques
de Ia Somme et du Moustier, je ai trouvés à Charbon-
nières sur les berges du Biétors, côté des beaux grattoirs
dont je viens de parler; je les ai trouvés aussi à Neuzy, au
milieu de silex attribués à la pierre polie, à Solutré avec les
belles lances de cette localité célèbre, au camp de Rollan-
pont avec des flèches à ailerons, etc., etc.
En ce qui touche les flèches à ailerons, je n'en ai jamais
rencontré dans les stations dites paléolithiques; mais je
possède, de Solutré, des flèches d'un travail tout aussi
délicat, avec élargissement à la base et pédoncule. Je crois
que le modèle à ailerons est une imitation des flèches de
métal, mais i restait peu de chose à faire pour amener à ce
type celui que je viens de décrire un éclatement capricieux
DEVANT LA SCIENCE 67
du silex sous le percuteur a pu y conduire tout naturelle-
ment.
Je concluais de ces observations, et de beaucoup d'autres
énumérées dans mon livre, qu'il n'est en aucune manière
nécessaire d'admettre un long intervalle entre deux époques
qui ont tant de points d'analogie. Je faisais de plus ressortir
ce fait que l'homme de la période dite paléolithique n'appa-
rait en aucune manière inférieur en adresse et en intelli-
gence fi celui des temps de la hache polie. Mais, si l'on prend
en considération les œuvres artistiques du premier, on serait
plutôt tenté de changer en supériorité l'infériorité prétendue,
sans laquelle il est bien difficile d'échafauder la théorie du
progrès purement naturel qui aurait amené l'homme de l'état
de la brute à celui d'être raisonnable. Non seulement les
Troglodytes du Périgord, les chasseurs de mammouth et de
rennes de Solutré. de Germolles, de Rully, etc. (je ne parle
ici que de ce que j'ai vu de mes propres yeux), pratiquaient
le polissage sur l'os, l'ivoire, la corne, et l'essayaient mêm
sur le silex, mais de plus on a trouvé sur bien des points
des spécimens de leur habileté comme sculpteurs et gra-
veurs, et nous avons d'eux des œuvres sur lesquelles d'autres
que moi ont déjà suffisamment répandu leurs témoignages
d'admiration. Certains calculs cranioscopiques (vous savez
que j'ai peu de confiance dans ces sortes de données) établi-
raient que la capacité cérébrale des hommes de la Vézère
arrivait à dépasser la moyenne de la mesure des popula-tions actuelles de l'Europe. Aussi, un écrivain de mérite
a-t-il pu affirmer tout dernièrement que l'homme primitifétait en posses d'une intelligence au moins égale à la
nôtre. Si cet écrivains'est trompé, vous m'accorderez bien
que ni moi ni mon livre ne sommes pour rien dans son
erreur.
La seule circonstance qui soit de nature à entraîner l'idée
d'une antiquité un peu reculée, c'est la coexistence avec
l'homme, dans nos climats, d'animaux dont la race a disparu
68 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
ou qui ont émigré, J'ai consacre un long paragraphe à ce
sujet important, et me suis efforcé de démontrer que cette
modification de la faune ne nécessite pas l'intervention de
chiffres d'années bien considérables. Que le renne ait encore
erré dans la Forêt-Noire à l'époque de Jules César, c'est un
fait que j'admets pleinement pour ma part, et, si mon autorité
est mince, vous n'ignorez pas qu'elle est appuyée sur celle
d'autres observateurs dont rien ne vous empêche, je l'avoue,
de dénier aussi la compétence. Le très savant et très respec-
table M. Ed. Lartet n'ajoutait pas foi à la haute antiquité de
la disparition du renne. D'après M. Piette, la couche de la
grotte de Gourdan, contenant des gravures qui représentent
un grand nombre d'animaux, entre autres le cerf, le cha-
mois, le renne, l'antilope, et, sous quelques réserves, le lion,
le rhinocéros et le mammouth, etc., se trouve en contact
immédiat avec la couche correspondant à la pierre polie'.Des observations de M. Cazalis de Fondouce me semblent
démontrer que le renne existait encore dans le département
du Gard à une époque beaucoup plus récente qu'à Schlus-
senried'. A la station de Veyrier, M. Gosse a trouvé le
renne dans une sépulture, avec des bâtons de commandement,
des silex grossiers et des plaques d'or portant des dessins au
trait'. Tout cela ne semble pas nous reporter une date
bien reculée
Des autres espèces de la faune quaternaire, les unes se
sont éloignées et ont émigré dans toutes les directions, ou
même simplement en altitude; d'autres ont disparu et sont
aujourd'hui considérées comme espèces éteintes. Mais des
animaux des mêmes genres, éléphants, rhinocéros, hippo-
potames, lions, vivent aujourd'hui sous des latitudes méri-
dionales; les cerfs se trouvent encore au nord comme au
1. Je cited'après lecompte rendudu Journal Officieldu 22 juin 1874.2. Congrèsde Bologne, 1871, p. 362.
3. Congrrsde Lyon, 1873.p. 674.
UHVANT LA SCIENCE 69
sud. L'ours a émigré vers le nord, ou au moins vers les
régions élevées et froides. Enfin, d'autres espèces quater-
naires habitent toujours les localités où nous trouvons leurs
restes fossiles.
Des déplacements de certaines races animales ont été
reconnus à des dates assez récentes de l'histoire. Je citerai,
par exemple, l'ibis, l'hippopotame et le crocodile. yui ne se
trouvent plus aujourd'hui que sous des latitudes beaucoup
plusméridionales qu'autrefois. Il est d'autres exemples,
moins éloignés de nous, que vous connaissez sans doute
mieux que moi aussi ne devriez-vous pas vous étonner que,
sans être trop méticuleux, on demande quelques preuves de
la réalité des longues suites de siècles supposées nécessaires
pour ces sortes de déplacements.
L'éléphant n'est pas moins inconnu à Mossoul de nos jours
que sur les rives de la Saône et de ses affluents. Msis nous
savons de la manière la plus positive que ce proboscidien
errait encore par troupes nombreuses, seize siècles avant
notre ère, aux environs de Ninive, la célèbre capitale de l'As-
svrie, dont les ruines avoisinent Mossoul. Je dis de la manière
la plus positice, car, s'il s'agit d'hiéroglyphes, ce sont des
hiéroglyphes qu'un enfant peut aisément déchiffrer. En effet,
Ica cent vingt éléphants pris à la chasse par Thothmès III
a Ninive sont ainsiindiquées
Vous ne
sauriez méconnaître l'animal, il n'y a pas lieu à équivoque
et, quant au chitïre 120, vous n'avez nul besoin que je vous
l'explique, car vous savez aussi bien que moi que la déter-
mination des chiffres hiéroglyphiques est antérieure à la
découverte de Champollion, et repose sur des preuves telle-
mcnt certaines que personne ne peut raisonnablement
concevoir le moindre doute à ce sujet.
Ce renseignement n'est d'ailleurs pas unique, car nous
savons par d'autres monuments que les Égyptiens tiraientde
l'ivoire de cette partie de l'Asie, et que les Rotennou ou
anciens Assyriens amenèrent on Égypte, à la même époque
70 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
deThothmès III, unéléphantvivant. Destextescunéiformes,
interprétés par M. François Lenormant', prouveraient que
l'éléphant vivait encore, quatre cents ans plus tard, sur les
bords du fleuve Khabour, mais qu'il avait disparu au Xe siècle
avant notre ère. Deux siècles auraient donc suffi pour l'ex-
tinction ou l'érnigration de la race.
lrnfiu, mon livre se termine par quelques observations sur
lus silex tertiaires, l'hommesinge, les incertitudes de
l'anthropologie, et les crreurs déjà anciennes des Volney etdes Dupuis.
Voilà, Monsieur, ce qu'est mon livre vos lecteurs et les
miens conviendront sans peine qu'à côté de l'aperçu déni-
grant que vous en donnez dans une publication répandue à
cinquante centimes, j'avais le droit, et je dirai plus, le devoir
do placer un tableau plus fidèle de mon œuvre.
Ill
Vous savez mieux que personne, Monsieur, que ce livre
a eu malechance auprès des adeptes des idées nouvelles', quiont changé la signification du mot science et ne recon-
naissent comme digne de ce nom que leur science à eux.
celle qui a pour but de détruire l'idée d'un créateur. Il a été,en effet, bel et bien exécuté dans un article, devenu célèbre,des Matériaux pour l'histoire primitive et naturelle de
1. Bulletinde l'Académiedes Inscriptions, 1873.p. 178à 183.2. D'aprèsce que vous m'avezdit de notre ami X. ainsi qu'on le
verra plusloin, je nedois guèrele compter au nombredes partisane demononvrage quant notre ami Y, qui avait directement sollicité demoi l'envoide ce livre, qui l'a obtenu, et à qui vous avez remis vous-mêmemon Ménioire sur les silex de l'vlyu, vous savez qu'il n'a paspeneéquele tout valût mêmeun simple accusé de réception. Et ce nesont paslà les derniers indicesde la malechance dont je viens de me
plaindra.
DEVANT LA SCIENCE 71
l'homme, journal qui s'imprimeà Toulouse, et dont vous
avez l'honneur d'être le fondateur. Ce Recueil a publié,
l'année dernière, longtemps après la mise en vente de ma
deuxième édition et l'épuisement de la première,la nouvelle
à sensation « que M. Chabas a reconnu sa faute, car il a
» retiré son licre du commerce avec le plus grand soin;
» qu'on ne peut se procurerses Études aur l'antiquité
Il historique d'aprés les sources égyptiennes»- Après quoi
l'auteur de la note n'a plus qu'à déclarer complaisamment
que, M. Chabas ayant supprimé son livre, les Maténauax
n'ont rien à ajouter à cette condamnation prononcée par
l'auteur lui-meme.
J'ai répondu de ma meilleure encre à ce ridicule men-
songe, qui a au moins le mérite de n'avoir pas d'analogue
dans les annales de la science et de la littérature. Si j'avais
quelque chose à vous apprendre, j'appelleraisvotre attention
sur lacouverture du cahier qui contient les 5', 6' et 7' livrai-
sons 1874 du Recueil dont s'agit; vous y liriez la courte et
sèche rétractation qu'y a imprimée M. le Directeur des
Matériaux, et vous regretteriezsans doute qu'il ait consigné
cet acte de justice et de loyauté sur une couverture de cahier.
qui doit forcément disparaître lors de la brochure du volume,
et dont il ne restera plus de traces. C'était, j'en conviens,
l'unique moyen de rendre la rétractation illusoire. Le volume
des Matériaux de Toulouse pour l'année 1874 constatera
donc purement et simplement la condamnalion de mes
Études sur l'antiquité prononcée par moi-même.
Ce déni de justice me surprend, car M. le Directeur des
Matériaux n'a eu qu'un tort lorsqu'il a publié son premier
article, celui de s'en être rapporté à un con frère dont la
honne foi est indiscutable.
Je sais que j'ai l'honneur de compter Paries un assez
grand nombre d'envieux, surtout parmi les gens officiels;
mais j'ignorais, je vous l'avoue, qu'il en existât d'assez
légers pour hasarder l'affirmation d'un fait si contraire à la
72 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
vérité, alors que, pour être sûrement renseigné, il suffisait
de se transporter, quai Voltaire, n° 15, chez le libraire qui
vend mon livre. C'est vous, Monsieur, qui m'avez détrompé.
A la réception du numéro de septembre de mon Égyptologie,
où j'ai formulé mes légitimes réclamations, vous m'avez écrit
ce qui suit
Il Je vous remercie beaucoup de l'envoi de vos foudroyantes» réponses indispensables. vraiment cela me fait peur, et
Il grand'pcur. Voilà pourquoi
» D'abord, je suis libre-penseur; c'est, je crois, ce que» vous appelez être matérialiste.
» Ensuite, j'aime passionnément les petits cailloux.
u Mais ce ne sont que peccadilles; voilà bien autre chose
» J'ai partagé dans une certaine mesure l'idée généralement» répandue concernant la première édition de vos Étudea
» historiques. »
Vous êtes, Monsieur, la dernière personne que j'aurais
soupçonnée d'être pour quelque chose dans ces manœuvres
souterraines. Mon livre vous était connu avant le 6 septembre
1872; du moins, à cette date, vous me le demandiez avec
instances dans une lettre qui ne m'a pas trouvé à Chalon-
sur-Saône, car je visitais alors les dolmens de la Bretagne.
Vous me promettiez d'en rendre compte dans votre journal,et do me défendre contre certaines àneries de publicistes,
qui, ce sont vos termes, m'acaient rnesuré à leur aune.
Une quinzaine de jours plus tard, j'étais à Saint-Germain,
dans votre cabinet, où vous m'avez accueilli avec une
extrême obligeance. Je vous ai rendu compte, avec détails,
du succès de mon livre; vous me témoignâtes de nouveau le
désir extréme que vous aviez de le posséder, et il fut ques-tion alors d'un échange entre nous. Ces pourparlers, qui se
continuèrent par lettres, n'aboutirent las, par le motif sur-
tout que mon libraire prit à ce moment pour son comptetout ce qu'il restait de l'édition chez l'imprimeur.
A partir de ce moment, vous n'avez plus semblé connaître
1DFVANT LA SCIENCE
73
cet ouvrage. Vous n'avez eu en mains que pendant quelques
heures l'exemplaired'un de nos Académiciens, m'écriviez-
vous en mai 18i3; quant à l'acheter, vous ne le pouviez pas,
il se vendait, disiez-vous, soixante francs.
En août vous n'aviez encore pu vous procurer ce livre,
que vous n'aviez aperçu que pendant une demi-heccre, grâce
à l'un de nos Académiciens. Vous pouviez toutefois alors
l'acheter pour quarantefrancs au lieu do soixante francs,
mais vous me demandiez de vous considérer comme illettré,
ce sont vos expressions,relativement il cet ouvrage.
Vers la fin du mois suivant, je vous faisais parvenir gra-
tuitement l'un des premiers exemplaires de la deuxième
édition. Il ne vous convenait pas encore, selon toute appa-
rence, de paraltre avoir connaissance de mon liv re, car vous
avez complètement négligé de m'en accuser réception, et,
quant à la publicité gracieuse que vous m'offriez avec tant
d'insistance, elle s'est bornée l'article auquel je répondsen
ce moment.
Revenons à votre lettre d'aveux. Elle contient les cxplica-
tions que vous croyez devoir me donner sur votre partici-
pation à la petite conspiration d'étouffement ourdie contre
mon liv re. Vous êtes allé, dites-vous, le demander chez mon
lilraire, et ce libraire vous a répondu que l'édition était
épuisée mais qu'il pourrait pcut-f'tre vous le procurer pour
cinquante ou soixante francs.
Ici. nouvelle version des événements. Vous me dites que
vous m'avez écrit et que je vous ai répondu que l'édition
était épuisée; que vous avez couru les bibliothèques publiques
et particulières sans trouver mon livre (apparemmentvous
n'avez pas cru devoir chercher à la Bibliothèque nationale,
ni à celle de l'Institut). Vous l'avez cependant er:trecu,
mais un seulement, chez L'Académicien dont il a déjà
été parlé. J'espère que nous sommes à la fin de cette pro-
gression descendante, à moins que vous ne veniez bientôt
74 LES ÉTUDES PRSHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
nous dire que vous n'aviez vn cet ouvrage gênant qu'à l'aide
d'une lunette d'approche.De ces investigations vous tirez une conclusion à votre
manière Voilà pourquoi bien des personnes ont cru et dit
que vous aviez retiré voire première édilion, et voilà aussi
pourguoi ma lettre est muette! Cette phrase linale arrive
ici juste avec le môme à-propos que dans le Médecin
malgré lui.
Ainsi donc, Monsieur, je vous ai rendu compte du succès
de mon livre: je vous ai écrit qu'il était épuisé: mon libraire
vous l'a affirmé de son côté. et a démontré de plus l'intérét
que le public savant y attachait, puisque les derniers exem-
plaires ont pu être vendus au prix des raretés; et c'est de
ces faits que vous tirez la conséquence que j'ai condamné et
supprimé ce livre! Vous m'avez donc regardé comme un
libre-bàbleur? Ce n'est peut-être pas un excès pour la libre-
pensée. Mais ne trouvez-vous pas comme moi que de pareils
procédés laissent planer quelques doutes sur la valeur de vos
investigations, de vos raisonnements et de vos déductions?
Pourriez-vous signaler dans mon livre un exemple compa-rable de fausses appréciations?
Il y a encore autre chose dans votre confession. Vous m'y
apprenez que notre ami commun X. voulant écrire un
livre sur l'Égypte, s'est adressé aux archéologues pour avoir
leur avis et aussi pour les faire battre un peu entre eux,et vous ajoutez avec finesse lis ne sont pas toujours bons
coucheurs, les archéologues!Je ne sais ce que pensera notre ami X. des intentions
que vous lui prétez. La louriuo et très convenable lettre qu'ilm'a écrite le 12 avril 1S73 me questionne sur un grandnombre de sujets, mais elle nc laissait pas prévoir, tant s'en
faut, qu'il eût la moindre idée de me faire batture avec tlui
que ce soit: cette mauiére d'agir se rcssentimit peut-être un
peu de la libre loyauté. C'est ce: que penseront, j'en suis
convaincu, toutes les personnes, et elles sont très nom-
DEVANT LA SCIENCE 75
breuses et souvent de haute notoriété, qui me font l'honneur
de me consulter comme l'a fait notre ami X.
Vous avez écrit à cet ami une lettre destinée à son ouvrage
c'est vous qui voulez bien me l'apprendre. Cette lettre,
dites-vous, le 14 octobre dernier, était muxtte, mais, le
20 novembre, vous m'écrivez que vous avez donné un grand
coup d'épée dans l'eau; que la lettre qui parle de mon livre
n'a pas été imprimée; que vous la retirez, et que voilà ce
cher X. tout à fait en dehors de notre correspondance et
de nos discussions. La chose devient de plus en plus énig-
matique et entortillée; la lettre n'était donc pas muette?
mais de quoi parlait-elle? Quelles discussions existaient
entre vous et moi avant l'apparition de votre petit pamphlet
contre mon livre? Vous ai-je, sans le savoir, attaqué,
dénigré dans quelqu'un de mes écrits? Le seul fait de n'être
pas libre-penseur serait-il contre vous un acte d'hostilité
dont vous auriez besoin de tirer vengeance? Tout ce que je
puis distinguer dans ce fouillis, c'est que vous avez été l'un
des moteurs de la tentative de suppression de mon livre, et
que vous avez écrit, à propos de ce livre, une lettre dont
vous avez aujourd'hui quelques motifs de ne pas désirer la
publication.
Vous aimez, dites-vous, les positions nettes et précises;
je partie vos idées au moins sur ce point. Nos situations
relatives sont à présent bien définies; le lublic, notre juge,
peut prononcer son verdict en connaissance de cause.
IV
Examinons sommairement les points sur lesquels porte
votre critique.
En premier lieu. vous me reprochez d'accepter uu de
rejeter, suivant les besoins de ma cause, le témoignage des
auteurs.
76 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
Vous auriez pu dire aussi qu'en général je n'attache guère
de valeur à ce témoignage les erreurs y sont presque tou-
jours plus nombreuses que les vérités. Je n'ai trouvé, ni dans
la Bible, ni dans les auteurs, aucune trace d'un âge de pierre,
mais je rencontre un peu partout des indices de l'emploi
des outils de pierre et d'os. Cela ne démontre pas qu'il n'ait
jamais existé un âge de pierre. De ce que les Romains ne
disent mot des monuments mégalithiques de la Bretagne,
je ne conclus pas que ces monuments n'existaient pas encore
au temps de Jules César, et le silence absolu des chroni-
queurs ne m'empêche pas dé croire que les cités lacustres
ont subsisté jusqu'à l'époque carlovingienne. Lorsque Plu-
tarque dit que les égyptiens représentaient Osiris par un
œil et un sceptre, j'accepte son témoignage; je le repousse
au contraire lorsqu'il affirme qu'Isis et Coptos sont des noms
grecs. Hérodote a raison lorsqu'il constate qu'une partie du
territoire égyptien est un présent du Nil, mais il se trompe
lourdement lorsqu'il dit que les Égyptiens, n'ayant pas de
vin, boivent de la bière; lorsqu'il raconte que Chéops pro-
stitua sa fille, qui construisit une pyramide avec le prix de
ses faveurs, etc., etc. Diodore, qui donne quelquefois des
notions vraies, est dans une erreur complète dans ce qu'il
di't du jugement des rois après leur mort. Si vous avez pour
règle de tout accepter ou de tout récuser, vous avez certai-
nement un approvisionnement de notions fausses qui doit
singulièrement nuire à la qualité de la haute science que je
me plais à vous reconnaitre. Mais c'est là une hypothèse
gratuite; je suis convaincu que vous pensez absolument
comme moi, et que, si un savant classique, s'appuyant sur
l'autorité de Plutarque, venait vous enseigner qu'avant
Psammétichus les rois d'Egypte ne buvaient pas de vin et
n'en employaient pas même en libations, vous sauriez
bien le conduire devant l'obélisque de la place de la
Concorde et lui montrer la triple ollrande du vin faite a
Ammon par Ramsès II. Ce que vous savez peut-être un peu
DEVAIT LA SCIENCE 77
moins bien que moi, c'est la multiplicité de ces sortes
d'erreurs que les hiéroglyphes nous permettent aujourd'hui
de relever. Comme il n'y a pas de motif pour que les An-
ciens se soient trompés davantage en ce qui concerne l'Égypte
qu'à l'égard des autres nations, je conclus pour ma part que
nous devons nous défier beaucoup de leurs informations eri
général.
Ensuite, vous trouvez surprenant que je considère comme
une poétique donnée le passage de Lucrèce concernant les
premières armes des humaine Les mains, les ongles et les
dents, puis les pierres et les bâtons. Je m'étonne, moi, que
vous y voyiez autre chose, car pierres et gourdins ne me
parlent pas du tout clairement de silex taillés. Tout derniè-
rement, au sein de l'Institut, une voix autorisée appréciait
aussi à sa juste valeur un autre passage du même auteur
affirmant le néant de l'àme « Quand le curps périt, il faut
» que l'âme elle-même se décompose; elle se dissout dans
» les membres. L'âme meurt tuut entière avec le corps ». Le
savant éminent dont je parle fait remarquer à ce propos que
le matérialisme moderne n'a fait que rajeunir les formules
d'Épicure et de Lucrèce; il aurait pu ajouter que les pre-
mières manifestations du doute sont consignées dans des
livres composes plus de trois mille ans avant le traité De
Naturâ rerum. Cependant le christianisme a pris naissance
postérieurement à Lucrèce, et la philosophie athée des An-
ciens, malgré la hardiesse et la netteté de ses leçons, n'a
point empéché le triomphe de l'idée religieuse. Vos opinions
sur Lucrèce sont différentes des miennes et de celles de
M. le Secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. Mais
de quel côté sont les fausses appréciations?
Les erreurs fourmillent dans l'ouvrage de M. Chabas,
dites-vous dans votre troisième grief. II y a d'abord les
citations empruntées on ne sait où, non vérifiées et inexactes.
Comme échantillon, vous vous plaignez que j'aie attribué à
M. Rhôné le compte rendu des expériences faites au Musée de
78 LES ÉTUDESPRÉHISTORIQUESET I.A LIBRE-PENSÉE
Saint-Germain sur la gravure du granit au moyen des haches
de silex. J'ai rapporté les résultats de l'essai, et j'ai renvoyé
pour les détails, par note au bas de la page, aux Promenades
au Musée Saint-Germain, où le fait est consigné, p. 156.
Cet ouvrage est de vous et non de M. Rhôné, qui n'en a fait
que les illustrations. Reprenez, Monsieur, l'intégralité de
votre bien, c'est au mieux: mais convenez que le fait cité
par moi est parfaitement exact, que c'est M. Alex. Bertrand
qui l'a établi et non pas vous, et qu'en aucun cas votre petiteréclamation n'atténue en rien la valeur des considérations
que j'en ai tirées.
Puis. vous vous plaignez que j'aie mal indiqué le volume
de la Revue archéologique dans lequel est inséré le Mémoire
de M. Mariette sur les Tombes de l'Ancien-Empire. Il
parait cependant que vous n'avez pas eu beaucoup de peineà le découvrir. Ici, du reste, votre critique porte à faux le
Mémoire en question. que je dois à l'obligeance de M. Ma-
riette, et que j'ai en ce moment sous les yeux, porte bien
la date de 1868 et non pas celle de 1869. En quoi d'ailleurs
cela peut-il diminuer l'autorité de mon livre?
Après avoir découvert ces deux énormités, vous ajoutezet ainsi de suite; et v oilà, Monsieur, en quoi consiste le
fourmillement d'erreurs dont vous m'accusez! A la vérité,vous voulez bien avouer que ce ne sont que peccadilles, et
que cela ne prouve que de la négligence et rien de plus.
Lorsqu'il vous sera arrivé de publier à vos frais un livre
de l'étendue du mien, pour lequel vous aurez eu à interrogerdes sources si diverses et le plus souvent presque inacces-
sibles lorsque, forçant la nature, vous aurez dû vous faire
graveur, dessinateur, compositeur d'imprimerie, sans pou-voir compter sur l'assistance de qui que ce soit pour les
vérifications et les corrections, il sera temps de voir si vous
êtes plus habile ou plus heureux que moi. Mais, à coup sûr,si vous aviez subi l'épreuve de ces fatigues, vous vous mon-
treriez aujourd'hui plus tolérant. Dans presque tous mes
DEVANT LA SCIENCE 79
ouvrages se sont glissées quelques fautes; il en est d'inévi-
tables. Sans plaider les circonstances atténuantes, je puis
cependant constater ici le fait que. ni en Angleterre, ni Pn
Allemagne, lea ouvrages de mémo nature n'en sont exempts,
et qu'en France, même les livres spéciaux tirés à grands
frais par l'Imprimerie Nationale en vue des Expositions,
n'y ont pas échappé complètement. Ne craignez-vous pas
que l'on vous trouve bien au dépourvu de bonnes raisons en
voyant votre critique descendre jusque-là ? Mais je vais vous
venir en aide et profiter de l'occasion pour rectifier une
coquille plus grave, que vous n'avez pas su apercevoir.
Dans mon livre je cite (p. 1) la phrase suivante du livre
de M. Piètrement Les Arias (l'auteur a écrit Aryas),
ancétres des Indous, des Perses ou Iraniens, de la plupart
des anciennes populations de l'Asie-Mineure et de la majo-
Hté des peuples de l'époque actuelle. C'est de l'Europe
nctuelle qu'il fallait dire. J'ai ainsi donné par erreur à la
phrase de M. Piètrement une portée qu'elle n'avait pas'.
Vous passez ensuite à des erreurs que vous dites plus
graves, et, tout d'abord, au vase de terre cuite à quatre
anses que j'ai cité comme ayant été trouvé à Solutré, dans
la sépulture décrite par M. l'abbé Ducrost. Ce vase n'a
jamais existé, dites-vous, dans cette sépulture. a Quelle
valeur dès lors accorder aux autres faita rapportés P »
Ç'a été une bonne fortune pour mes contradicteurs que ce
vase célèbre ils s'en sont donné à cœur joie. Mais, au lieu
de rire de l'erreur qu'ils allèguent, ils eussent mieux fait
d'expliquer en quel lieu la trouvaille de cet objet a été réelle-
ment faite. Le plus précis de tous dit qu'il a été probablement
retiré d'une sépulture de la pierre polie. Son probablement
1. Des coquilles analogues, qui te sont glissées dans deux comptesrendus de mon livre, m'ont prêté la stupidité suivante (en citant la
page) « L'accroissement des alluvions eat en raison ineerse de la
fréquence des inondations ». Bien entendu, j'avais écrit en raison
directe (1" édition, p. 510.2' édition, p. 518).
80 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
montre assez qu'il n'en sait rien quant à vous, vous êtes
encore plus réservé. Vous vous contentez de dire qu'il n'était
pas dans la tombe entourée d'un cercle de pierres, et, com.ne
preuve, vous excipez du silence gardé sur ce point par
M. l'abbé Ducrost.
Je crois être plus avance que vous dans cette affaire le
vase en question a été découvert par l'archéologue qui le
possède, ou qui l'a possédé le premier, dans le grenier de
Pierre Bulond, à Solutré. Je ne veux point fatiguer nos
lecteurs par le tableau des contradictions qui touchent
malheureusement à tout ce qui concerne cette importante
station, et qui laissent planer de l'incertitude sur les points
les plus intéressants. 11 y a aujourd'hui discussion même
sur le nombre des pierres qui entouraient la tombe décrite
et figurée par M. l'abbé Ducrost, discussion aussi sur la
forme précise de l'enceinte, discussion encore sur la position
du squelette. Si M. l'abbé Ducrost nous alfirmait que les
fouilles et la découverte out été faites sous ses yeux, j'ad-
mettrais que la discussion dût être regardée comme close.
Quant à présent, je dois rendre hommage à la vérité en
faisant savoir que je posséde, depuis 1869, un croquis de la
tombe en question cette sépulture est figurée comme uno
ellipse à courbure peu régulière, sensiblement rétrécie à
l'extrémité opposée à son entrée, ayant cinq mètres de
grand axe et trois mètres de petit axe. M. l'abbé Ducrost
est-il bien certain d'avoir connu tous les objets retirés de la
fouille ?
Seul, le terrassier a vu le vase en place, et il a donné
ensuite des renseignements contradictoires sur l'origine de
ce petit monument. Mettons-le sur la même ligne que les
tombes en caissons de dalles brutes, et retirons le tout du
débat; nous serons probablement forcés d'en retirer d'autres
faits encore, et cela par la faute des collectionneurs pas-
sionnés qui aiment à fouiller incognito et ne se gênent pas
pour dérouter et expulser les observateurs. C'est pour avoir
DEVANT Lt. SCIENCE 81
1
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. ô
été plus d'une fois l'objet d'un accueil de ce genre, à Solutre
et ailleurs. que j'ai pu donner les conseils faisant l'objet de
la note 1, page 6 de mon livre. D'autres voix que la mienne
se sont aussi élevées contre des abus dont on ne peut aujour-
d'hui que déplorer les résultats'.
Cependant le point scientitique que le vase à quatre anses
aurait étay, a savoir que la poterie était connue à l'époque
du renne, n'en subsiste pas moins. A la suite d'une discus-
sion contradictoire, M. de Ferry, maintenant l'opinion qu'il
avait exprimée antérieurement, déclare positivement que
de la poterie d'aspect semblable à lâ poterie néolithique a
été trouvée dans des foyers non remaniés de l'âge de la
station. Il invoque l'incontestable autorité de M. Ed. Lartet,
qui a trouvé, dans ses fouilles à Aurignac (âge du grand
ours), la même anse mamelonnée que celle de la pierre polie'.
M. Perrault aussi a trouvé de la poterie au fond de la grotte
de Rully (renne, mammouth, etc.), et le même M. Lartet,
consulté par lui, a de nouveau manifesté l'opinion que ce
vait n'avait rien d'exceptionnel.
Le passage suivant de votre critique rassemble une foule
de griefs dont je ue saisis pas la portée vous ne paraissez
pas être d'un avis différent du mien. Que les pierres entou-
rant la sépulture de Solutré fussent debout ou à plat, c'est
ce que j'ignore. D'après M. Buland, elles étaient assez éle-
vées pour former un siège commodeà l'intérieurde l'enceinte,
1. Une desplus regrettables contradictions, dueà la funestehabitude
de chercherseulet d'évincer tout collaborateur, tout témoin, porte sur
l'existencedes gaines de haches à Solutré. M. Jsrry en a figuré une,
dans un grand tableau qui a été expreé à Mâcon et que je ne oonnais
pas. M. l'abbé Ducrost révoque en doute l'antbenticité de cette pièce.
M. Arcelina cité cependant, comme provenant de Solntré, une Ratne
en boia de renne, fort semblable aux gaines en bois de cerf de l'époque
de la pierre polie.2. Voyez de Ferry et Arcelin, L'âge du renne en Mâconnais, 1868,
p. 18et 41.
82 LES ÉTUDESPRÉHISTORIQUESisT I.A LIBRE-PENSÉE
2t le croquis que j'a: cité tout à l'heure les représente plus
élevées que le dessin de M. l'abbé Ducrost; quoi qu'il en
soit, cette disposition n'en rappelle pas moins celle des
Hunnebedden.
Vous me reprochez d'avoir dit que j'ai trouvé dans tous les
gisements par moi explorés des silex semblables à ceux
d'Egypte qu'a fait photographierVl. Lepsius. J'ai ces photo-
graphies et quelques spécimens de silex qui peuvent justi-
fier mes assertions sur ce point. Vient le tour des silex
d'Hélouan. que j'ai comparés à d'autres provenant du Péri-
gord, deChassey, des bords de la Saône et de la Norvège.
Prétendez-vous le contraire, par hasard? Les photographies
et les originaux que je possède ont déjà convaincu plusieurs
sceptiques. Peut-étre vous convaincraient-ils vous-même.
Mais qu'est-ce qui vous choque donc dans ce genre
d'études comparatives? Faites-vous un crime à MM. Lartet
et Christy d'avoir comparé les grattoirs des Esquimaux et
les haches des Sauvages avec les grattoirs et les haches
antiques, et d'avoir montré la parfaite identité de forme
d'une tête de lance en obsidienne, provenant de la Nouvelle-
Calédonie, avec un silex des graviers de la Somme? Vous
avez la passion de la classification, et je ne saurais vous en
faire un reproche si vous vouliez bien oublier un instant
l'apostolat philosophique auquel vous vous êtes vogue, quel
utile et intéressant travail ne pourriez-vous pas nous faire
en dressant le tableau de la continuité des types, au lieu
de rechercher des caractères tranchés et des espaces énormes?
Vous avez parle des silex d'Hélouan. Permettez-moi de
mettre sous vos yeux le procès-verbal de la séance du 7 jan-
vier 1872, dans laquelle il en a été rendu compte à l'Institut
Égyptien'a M. Mariette-Bey présente à l'Institut des photographies
1. Le Bulletin de l'Institut égyptien,publié avec la date de 1873. Je
l'ai reçu en 1874.
DEVANT LA SCIENCE 83
» des silex taillés recueillis au Mucéede Boulaq, et maintient
» l'opinion déjà exprimée par lui que ces instruments ne
» remontent pas au delà de l'époque historique. On les
» rencontre en grand nombre partout où il y a eu des
» agglomérations d'ouvriers. Ainsi, dans la presqu'île du
» Sinal, leurs amas, qui se retrouvent devant les anciennes
mines de turquoises, pourraient servir à indiquer l'entrée
» des carrières. Ni leur gisement ni leurs formes ne per-
»mettent donc de croire qu'ils appartiennent à l'âge de
» pierre.u Ils se rapprochent même souvent beaucoup de l'époque
u actuelle.
Il Ainsi, il y en a cinq ou six cents qui sont dus aux
» recherches de M. le docteur Reil, et qui n'ont pas plus de
» sept à huit cents ans: et cela n'a rien qui doive étonner,
»car les Arabes se souviennent encore d'avoir vu les Bé-
»douins armés de flèches à pointes de silex.
Il II en est de même. comme cela a été remarqué, de
» l'usage des coquillages comme ornements, usage qtu»remonte à la plus haute antiquité, mais qui a continué
» jusqu'à nos jours.
o M. le docteur Reil raconte comment il a trouvé les silex
»dont vient de parler M. Mariette-Bey. C'est en cherchant
1) une source sulfureuse. Après avoir épuisé le sable qui»comblait l'ouverture, on trouva de beaux silex taillés,
» parmi lesquels se rencontrèrent également divers objets» évidemment modernes une tête de pipe, un anneau en
»or, un tesson de vase arabe.
» C'était probablement, continue M. Mariette, un ancien
u puits bouché, et il est fort possible que le grand nombre
» de pointes de silex trouvées dans cet endroit provienne» du passage de quelque corps d'armée.
Il Ainsi, dit M. de Lesseps, pour résumer cette discus-
»sion, il est bien entendu que les silex taillés trouvés en
» Égypte appartiennent tous aux époques historiques, et
84 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
» qu'on n'a rien trouvé jusqu'ici qui se rapporte à l'âge de
» la pierre.
» En effet, ajoute M. Mariette, nulle part en Égypte les
» silex en question n'ont été trouvés en compagnie d'osse-
» ments d'espèces perdues, de fossiles pouvant indiquer
» une époque antérieure à l'état actuel, sauf peut-être dans
» l'isthme de Suez. L'Égypte, d'ailleurs, dont l'abord n'était
» pas facile à ces époques reculées, n'a dû être habitée que
» très tard et dans des temps déjà historiques. »
On a voulu me mettre en contradiction avec mon illustre
ami M. Mariette, vous voyez qu'on n'y a pas réussi.
Vous ne dédaignez pas de forcer considérablement le
texte, lorsque vous m'accusez d'avoir cherché à établir que
tous les silex se ressemblent. Ce que j'ai voulu prouver,
c'est qu'il y a partout des silex qui se ressemblent, et que
ces points de rapprochement sont bien suffisants, non pas
pour établir la contemporanéité des gisements, mais le fait
qu'il n'est pas nécessaire de les croire séparés par de longs
siècles. Vous dites que je pose un fait, mais que je ne
prouve pas. Je crois, moi, avoir prouvé; les lecteurs appré-
cieront d'après le sommaire que j'ai donné au § II de cette
réponse.
Mais la question a fait du chemin depuis 1872. Un a fouillé
près de Schaffouse des grottes caractérisées par des débris
d'industrie paléolithique et une faune quaternaire, avec des
ossements d'animaux domestiques. Ce fait est attesté par
M. Desor. Dans la caverne de Wierzchen, M. Zavisza a
trouvé des ossements quaternaires mêlés à des objets de
l'époque néolithique.
M. Louis Lartet et M. Chaplain-Duparc ont exploré la
grotte Duruty, dans le pays basque, et y ont trouvé, en
contact immédiat, une sépulture paléolithique et une sépul-
ture néolithique, contenant l'une et l'autre des objets très
remarquables et très significatifs. Dans le compte rendu qui
en a été fait au Congrès de Stockholm, ou a insisté
DEVANT LA SCIENCE 85
1° Sur l'absence d'hiatus de quelque nature que ce soit
entre le dernier foyer de l'âge du renne et la sépulture
néolithique
2" Sur la persistance sur place d'un même type humain, ne
présentant aucune variation de l'un à l'autre de deux âges
de la pierre rencontrés dans cette caverne.
M. le pasteur Frossard a fait exécuter des fouilles dans
une caverne des Pyrénées, et, d'après le rapport de
M. Alexandre Bertrand, des vingt-deux espères animales
qu'il y a découvertes, il n'y en a que deux d'éteintes dans le
pay: l'une desquelles serait le renne'.
A Cumières (Meuse), le renne et le cheval ont été trouvés
en association avec des silex taillés à éclats, des os travaillés
et des fragments de poterie gri-c, par M. Félix Liénard,
secrétaire perpétuel de la Société philomathique de Verdun'.
M. le chevalier de Rossi a trouvé le renne néolithique à la
caverne du Monte delle Gioie et dans les tombeaux de
Cantalopo, et ce savant éminent considère comme prouvé
jusqu'à l'évidence que t'age néolithique ne peut pas être très
éloigné de la vraie histoire.
Quant à l'intime association de la pierre taillée dite
archéolithique avec les silex de la pierre polie, de deux
choses l'une ou bien vous ignorez les nombreux exemples
qui ont été publiés de cette association, et, dans ce cas, allez
a Pierrefitte, à Diou, à la grotte de Durfort, etc.; ou bien
vous les connaissez, et vous dédaignez de prêter attention
aux constatations d'observateurs évidemment incompétents
pour vous, puisqu'ils ont vu sur place un arrangement fort
1. Tous ces taitn mnt établis par le compte rendu sommaire des
travaux du Congrès prèhistorique tenu s Stockolm en 1874(Indicateur
de l'archéologue,p. 439-463).
2 Voir l'Homme de Comieres. in 8°. Verdun, t874. M. Lienard
dtribne le tout a l'âge du renne, qu'il appelle époque néolithique. Les
silex représentés sur la plancheV de son Mémoire sont de ceux qui ne
trouvent partout. Le" ci,4eaux d'os aigui4& sont dans le même cas.
86 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÈE
différent de celui qui règne sur les rayons de votre Musée.
Mais il serait trop long de vous citer tous les observateurs
qui partagent mes idées, et qui sont convaincus de l'absence
de toute grande faille chronologique entre les deux âges de
la pierres, comme aussi de l'analogie dans le travail des silex
aux deux époques.
Je vous ai autorisé à décliner ma compétence; mais je
commente à craindre que vous n'ayez bientôt à décliner celle
de tous les savants et de tous les observateurs. Il vous faut,
à vous, entre la pierre taillée et la pierre polie, une différence
de physionomie très caractéristique, et vous affirmez qu'à
aucune époque de l'humanité il n'y a eu L progrès relative-
ment aussi grand. Complaisez-vous, si vous y tenez, dans
cette illusion; quelque chose me dit que vous ne la garderez
pas longtemps. Pour ma part, je persiste à penser, et avec
une conviction de plus en plus profonde, que l'homme qui a
su aiguiser et polir l'os et la corne n'a pas eu beaucoup de
peine à inventer le polissage de la pierre; la durée d'une
seule existence humaine a pu suffire pour ce progrès.
Fausse appréciation, incompétence, direz-vous. Soit, le sens
commun et la science seront juges. Vous savez du reste que
ce n'est pas à moi seul que vous adressez ces commodes
invectives; vous tirez peut-étre sur quelques chefs de vos
meilleures troupes.
Si je n'ai pas aperçu, dites-vous ensuite, la grandeur des
changements d'une époque à l'autre, c'est que je n'ai pas
parcouru les galeries du Musée Saint-Germain. Et parbleu
si, Monsieur, je les ai parcourues, assez souvent même. et
en particulier deux fois en votre compagnie. J'y ai vu un
étalage admirable de magnifiques spécimens, classés d'après
un plan fondé sur les définitions généralement données des
expressions époquepaléolithique, néolithique, etc., mais, j'en
conviens, ce n'est pas là que j'ai étudié, et je vous déclare
que je n'y étudierai jamais en vue de la question qui nous
divise. Il y a manière de présenter les choses, et vous le
DEVANT LA SCIENCE 87
savez mieux que personne, vous qui, pour donner une
couleur de polémique religieuse à mon œuvre, m'encadrez,
sous le titre de Membre d'une Société biblique, entre deux
ministres du culte. D'un mot mis en sa place vousconnaissez
la valeur j'ai le droit de craindre qu'il n'en soit de même
d'un silex.
J'ai étudié, et c'est la seule méthode sûre. dans les sta-
tions et dans les grottes j'y ai fouillé, gratté même avec les
ongles pendaut de longues journées. J'ai étudié encore, en
déballant moi-même d'immenses paniers remplis de silex,
d'os, de dents, etc., recueillis dans des foyers de Solutré.
de Chassey, de Rully, etc., et n'ayant encore été l'objet
d'aucun classement. On avait tout pris, tout réuni, et l'en-
semble, s'il n'avait plus autant de valeur que la fouille
elle-même, s'en rapprochait du moins autant que possible.
J'ai encore en ce moment devant les yeux le produit non
trié d'une fouille faite à Solutré. Aucune des vitrines exposées
à Saint-Germain aux yeux du public ne présente cette phy-
sionomie spéciale; je puis en dire autant du reste de celle
qui contient ma petite collection solutréenne, où j'ai réuni
surtout les objets qui se recommandent par leur apparence.
C'est le défaut de toutes les collections publiques et privées,
lors même qu'il n'y a pas idée préconçue de fournir des
arguments en faveur d'une théorie.
Il faut être aveugle, dites-vous, pour ne pas apercevoir
les immenses différences qui vous frappent les yeux, à vous.
Comme on pourrait ne pas vous croire sur parole quand vous
constatez ainsi ma cécité, vous protitez de l'occasion pour
m'attribuer une absurdité M. C'feabas ne raconte-t-il pas
qu'à Khorsabad, dans l'intérieur de l'Asie, Al. Place décou-
rrit dru.r rout.(,a(4.11de silex nuirs, semblables ù ceux du
Mexique? Les couteaux noirs du Mexique, ajoutez-vous
avec un sérieux superbe', sont on obsidienne. l'n homme qui
confond le silex ut l'obsidienne est-il bien à même d'apprécier
les instruments en silex Je connais, Monsieur, aussi bieu
88 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
que vous l'obsidienne, et probablement depuis plus longtemps
que vous, mais ce point n'a rien à faire ici. La phrase que
vous citez est de M. Adrien de Longpérier; vous n'êtes pas
admissible à prétexter ignorance sur ce point, car vous étiez
le secrétaire général du Congrès, et c'est dans les Comptes
rendus de ce Congrès, page 118'. que j'ai copié la citation
sur laquelle vous avez pris texte pour déverser sur moi une
accusation d'ignorance qui retombe sur l'un de nos plus
illustres académiciens. A la vérité, vous y avez ajouté que
Khorsabad est dans l'intérieun de l'Asic. Vous suspectez
gravement l'érudition du public avec lequel vous êtes habi-
tuellement en communion d'idées, et vous avez raison sans
doute. Mais, après tout, s'il était vrai que la ressemblance
entre les couteaux de Khorsabad et ceux du Mexique se
bornât à la couleur noire, le fait de la présence de silex
taillés, associés à des bracelets et des colliers de cornaline,
d'émeraude, d'améthyste et d'autres pierres dures taillées
en forme de grains ou de têtes d'animaux, de scarabées avec
inscriptions phéniciennes, en serait-il moins solidement
établi? En quoi mon raisonnement est-il discuté ou entamé ?
De ce que j'ai dit que la langue et l'écriture de l'Égypte
n'ont pas subi d'altérations sensibles depuis l'époque des
premières dynasties jusqu'aux Romains, vous en tirez la
conséquence que la civilisation de cette contrée s'est immo-
bilisée pendant quatre mille ans. Cette conséquence est toute
vôtre. Vous pensez autrement que moi sur ce qui concerne la
terre des Pharaons, autrement :aussi que mes confrères en
égyptologie. Les grands explorateurs de l'Égypte n'y ont
jamais rencontré de foyers paléolithiques, ni néclithiques,
avec os, poteries, etc., etc., mais ils ont trouvé des silex de
toute espèce, associés à des objets de l'époque historique.
Votre théorie vous prouve bien logiquement que l'âge de
1. Vous ne m'accuserez pas ici d'avoir cité inexactement et incom-
plètement.
DEVANT LA SCIENCE 89
pierre a existé en Égypte. Soit, gardez vos idées particu-
lières. Nous attendrons deux choses pour nous y rallier
1° que vous ayez trouvé des stations 2" que vous ayez dé-
montré que ces stations sont antérieures à l'époque historique.
Les marteaux et les ninterolles de pierre avec lesquels
un a exploité le métal en Espagne vous laissent insensible:
mai, les mines du Sinal creusées avec le silex vous gênent
aux entournures. M. John Keast Lord a décrit une grande
salle, précédée d'une longue galerie, le tout entièrement
creuse avec le silex. Ce; travaux se sont cuatinués jusqu'a
une époque postérieure de trois mille ans à l'introduction des
métaux chez les Égyptiens; c'est un fait très considérable et
cpi donne, j'en conviens, de certains emplois des pointes
de silex une idée un peu différente des vôtres, aussi vous
en faites bonne et expéditive justice. Vous ignorez les
dimensions de la galerie, mais vous déclarez qu'elle n'a pas
plus de cent ou deux cents mètres de longueur; cela, dites-
vous, fait dans le premier cas un mètre d'avancement tous
les vingt-trois ans, et tous les douze dans le second. Ces
chiffres, ajoutez-vous, ne suffisent-ils pas pour réduire à
l'absurde l'entière certitude de M. Chabas?
Puisque le mot est de vous, je puis bien m'en servir il
n'y a en tout ceci d'absurde que votre raisonnement et vos
calculs, et vous ne l'ignorcz pas. C'est évidemment à dessein
que vous ne faites pas entrer en liane de compte la salle
souterraine qui. au rapport de l'explorateur, avait une capa-
cité de 560 pieds cubes. Puis, vous comptez sur deux mille
trois cents ans d'exploitation continue sur le méme point.
Mais où prenez vous cet élément de calcul? Si peu que vous
sachiez de l'histoire d'Égypte, vous n'ignorez pas que cette
base est absolument inadmissible; ce qui peut-être ne vous
est pas connu, c'est que les inscriptions hiéroglyphiques lo-
cales parlent de fonctionnaires égyptiens qui furent envoyésau Sinaï pour reprendre l'evploitation des mines dc mafek.
Les interruptions étaient forcément fréquentes l'espace qui
90 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
s'est écoulé entre la VI* et la XI* dynastie, et la durée de la
domination des Pasteurs enlèvent déjà une douzaine de
siècles au moins. Allons, Monsieur, répondez sérieusement:
de quel côté est l'absurdité?
Puis, vous revenez sur Diodore, dont j'ai déjà assez parlé,
et vous me reprochez de penser que les Gaulois se servaient
encore de silex; pour vous, ceux qu'on a trouvés au Beuvray,
à Alise, à Gerrov ie, à Langres, etc., etc., ne prouvent
rien. Alors qu'en faites-vous? Vous niez, non pas le fait de
l'existence de ces silex, mais l'usage qu'on a pu en faire;
je n'ai rien à répondre à cela, tout le monde sait que nous
pensons fort différemment sur bien des choses.
Mais, lorsque vous me demandez pourquoi je me suis
arrêté aux premiers siècles de notre ère, je suis obligé
d'avouer que j'aurais pu aller un peu plus luin. Je n'avais
pas vu, à l'époque de la rédaction de mon livre, deux tiroirs
de pierres taillées et d'autres polies par frottement, prove-
nant de tombes mérovingiennes. J'y ai remarqué surtout un
beau couteau à deux tailles, et deux grattoirs bien arrondis,
bien finement retravaillés,qui ne dépareraient pas une vitrine
de Chassey. J'ai poussé, ou plutôt M. Mariette a poussé
jusqu'à nos jours pour ce qui concerne l'Egypte, M. Lartet
et beaucoup d'autres jusqu'aux Esquimaux, aux Austra-
liens, etc. Que voulez-vous de plus?
Le public savant, qui sera juge entre nous, dira si, dans
cette critique, portant principalement sur d'insignifiants
détails, vous m'avez convaincu J'erreur sur un seul point
de quelque importance pour la thèse que j'ai soutenue: par
exemple, sur les dates et l'étendue de mon cadre chunolo-
gique de l'histoire, et sur la facilité avec lacluelle, d'après
les faits connus, la plupart des faits qualifiés de préhis-
toriques peuvent entrer dans ce cadre.
J'avais du reste réservé tous les droits de la science
sérieuse, et vous vous êtes bien gardé de le dire. Lisez donc
(p. 552 de mon livre, 20 édition)
DEVANT LA SCIENCE 91
« Mais la géologie pourrait peut-être exiger des apprécia-
» tions chronologiques différentes. Si les savants en cette
u science arrivaient à se prononcer avec une certaine unani-
» mité sur la durée des phénomènes de la période quaternaire,
u depuis l'époque pliocène jusqu'à nos jours, et à constater
» la nécessité des centaines de mille années dont on a parlé,
» la question de l'antiquité de l'homme prendrait un carac-
» tère sérieux. Nous ne sommes pas de ceux qui posent
» d'avance des bornes aux faits d'observation et aux sciences
exactes, et nous reconnaissons hautement, pour l'avoir vu
u de nos propres yeux, que l'homme a été le contemporain
» du diluvium quaternaire ou au moins de la faune qui ca-
» ractérise cette formation.
» Mais jusqu'à présent, si quelques esprits hardis parlent
1) avec une conviction apparente de centaines de mi lle années,
u il s'en faut qu'il y ait unanimité parmi les observateurs, et
»même parmi les géologues. »
Lisez aussi, p. 455
« La Bible n'est ni un livre de science, ni un livre d'histoire;
» si Dieu eût voulu nous instruire en ces matières, il l'eût fait
» en termes sur lesquels il n'y aurait pas à discuter. Mais
Dieu nous a seulement donné l'intelligence qui observe,
Il invente, combine, et c'est un devoir encore plus qu'un droit
» pour nous d'utiliser cette intelligence pour la recherche
» de la vérité, qui jamais ne peut contredire la parole divine,
n à moins que cette parole ne soit mal comprise. Quand tant
»de gens en appellent a la science pour évincer Dieu de
» l'univers, il est bon que d'autres s'efforcent de l'y montrer
» avec l'aide de la science. Cette alliance de la science et de la
» foi est possible, pourvu qu'on s'abstienne de poser aux
'1progrès de l'observation des barrières absolues tirées d'une
» interprétation trop littérale de l'Écriture. Le soleil s'est fixé
» au centre de notre système, et la terre tourne autour de cet
astre sans que la religion ait eu à en souffrir. Les longues
»périodes substituées aux six journées de la création n'ont
92 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
» pas fourni d'armes nouvelles à l'incrédulité. Si, dans l'his-
1)toire très sommaire des patriarches et du déluge, on se
» décide à ne voir qu'un souvenir des tribus primitives
» personnifiées dans quelques individualités, la croyance en
» Dieu n'en sera aucunement affaiblie, et l'on aura mis hors
»du débat et au-dessus du débat le Livre sacré qui fait
»notre loi morale et relicieuse.
Il Nous avons tenu à nous expliquer sur ce point important
» des apparentes contradictions de la science avec lu lettre de
»l'Écriture sainte, et à définir le terrain sur lequel on peut
» se placer pour suivre pas à pas les plus hardis pionniers des
»idées nouvelles, sans arriver, ronune quelques-uns d'entre
»eux, à l'athéisme etau matérialisme. Lorsque des doctrines
n dissolvantes sont hautement professées, lorsque leurs sec-
Il tateurs les justifient au moyen de l'observation scientifique.
n et qu'ils s'efforcent d'opposer leurs découvertes aux doc-
»trines fondées sur l'ancienne exégèse, il ne suffit pas de
Il déserter le débat, de redouter et de fuir le terrain de
1)l'étude, laissant ainsi le champ libre aux novateurs les
o plus téméraires. »
Ces citations auraient détonné dans la caricature que vous
avez voulu présenter de mon ouvrage: la dernière aurait
éclairé d'une vive lumière la pénombre cléricale que, dès le
début de votre attaque, vous vous êtes efforcé de faire
porter sur moi. Vous avez de même passé sous silence
tout ce qui pouvait signaler mon livre comme travail d'éru-
dition. Vous aviez en ettet besoin du coup de poing de la
fin L'œuvre de M. Chabas ne supporte pas la critique
Il y a, Monsieur, quelque chose qui ne supporte pas la
critique, c'est votre pamphlet, et l'esprit dont vous êtes
animé envers moi et envers quiconque n'est pas de votre
orthodoxie, à vous, celle dn matérialisme.
DEVANT LA SCIENCE 93
De toutes vos objections il ne subsiste rien, absolument
rien, contre les vues que j'ai exposées. Mais il m'a été fait
par un homme haut placé dans l'enseignement une obser-
vation sensée. Vous ne présentez pas, m'écrivait-il, une
théorie complète applicable à tous les faits. Hien n'est plus
vrai, je ne me suis jamais proposé un plan aussi vaste, que
du reste toute la science humaine mise en commun serait
bien impuissante à réaliser. Les premières manifestations
des sociétés humaines nous sont inconnues et la véritable
histoire date presque d'hier. Avec les cunéiformes et les
hiéroglyphes nous pouvons pénétrer assez loin dans le passé,
mais il existe encore trop de lacunes. L'étude des gisements
archéologiques, qui nous ont révélé certains faits jusqu'alors
ignorés des usages de nos ancêtres,nous apporte aujourd'hui
un contingent d'informatious de valeur sérieuse entre les
mains de savants sérieux. Malheureusement on a inventé
depuis lors la science préhistorique, et les chercheurs les
moins bien préparés par l'étude ont mis avec assi ince la
main à la réédification de l'édifice de l'histoire pri: iive.
Tandis que les savants formés par de longues et patientes
recherches n'arrivent qu'à grand'peine, à l'aide de docu-
ments écrits, de monuments, etc., à établir solidement
quelque fait historique nouveau; tandis que le site de la
célèbre Troie est encore l'objet de discussions animées. tan-
dis que de bons esprits placent encore en Franche-Comté
l'Alesia de Vercingétorix, que l'on discute aigrement la
question de Bibracte, etc., nous avons vu jalonner les
migrations des Aryens et des Touraniens. Nous avons punous attendrir sur les misères de l'homme de l'époque
quaternaire, mal nourri, mal vêtu, mal logé, et forcé par la
famine à recourir à l'anthropophagie. ll était, nous a-t-on
94 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
dit, de la race mongole pure, d'autres disent mongoloïde.
Puis les Aryas se sont mis en route, et bientôt le mélange
des deux sangs créa les Celtibères, qui sont au nombre de
nos ancêtres directs. On nous a appris qu'à l'époque du
renne la population d'un de nos départements du centre
devait être de un habitant par quatre kilomètres carrés, et
nous avons eu l'extrême satisfaction de connaltre l'année
du XXO siècle avant notre ère à laquelle remonte la domes-
tication du cheval
Voilà quelques-uns des résultats de la science préhisto-
rique. Des citations de ce genre pourraient être multipliées
sans peine, chaque fouilleur heureux ayant voulu apporter
sa pierre à ce facile travail.
Fruits de l'imagination et d'un enthousiasme irréfléchi,
ces illusions se seraient dissipées d'elles-mêmes, et la critique
n'aurait pas eu à s'en occuper, si elles n'avaient pas tenu à
un genre d'investigations qui paraissait offrir à l'école du
naturalisme des ressources précieuses. Les chercheurs de
silex furent enchantés de croire que leurs petites décou-
vertes datent de loin; ils se prêtèrent de bon gré à ce qu'on
attendait d'eux et fournirent, souvent sans en avoir con-
science, « l'irrésistible démonstration de Cantiquité de
l'homme ». On proclama alors la certitude acquise que
l'humanité devait compter son existence par milliers de
siècles et non plus seulement par milliers d'années.
Cette profondeur d'antiquité ouvre un large champ à la
doctrine du transformisme, d'après laquelle l'origine de
l'homme se rattache d'abord à celle des mammifères simiens,
et, d'une manière plus lointaine, à celle des vertébrés
inférieurs.
En mettant en commun la science de l'évolution et celle
des préhistoriques, on forma un système auquel on ne re-
prochera assurément pas de n'être pas complet. En voici les
traits principaux« L'idée d'une force immatérielle créant d'abord la matière
DEVANT LA SCIENCE 95
» est inconciliable avec la science humaine: la création n'a
u pu être l'œuvre d'un créateur agissant conformément à un
u plan. La matière seule est éternelle, et toutes les formes
» de la nature ne sont que des produits des forces naturelles.
»Chaque espèce animale ou végétale est l'expression tran-
u sitoire d'une phase de l'évolution mécanique de la matière.
» L'homme dérive directement, à travers une vingtaine
u de degrés d'évolutions, d'un grumeau mucilagineux,
» mobile et amorphe, formé de substance carbonée albu-
u minoide. Ce grumeau, qui est l'organisme le plus simple
» qu'on puisse imaginer, est appelé monère. Il existe encore
» en immenses quantités des monères au fond de la
» mer. Les monères naquirent par génération spontanée,
» puis se reproduisirent, et, par évolutions successives, se
» développèrent jusqu'à produire les vertébrés inférieurs,
» les prosimiens, les singes catarrhiniens, les anthropoïdes,
» puis, l'homme primitif privé de la parole, et enfin, au
» commencement de la période quaternaire, l'homme
u parlant'.» Issu de l'animal, l'homme n'a acquis qu'à la longue
l'expérience qui l'a rendu maître de la nature; ses pre-
» mières armes ont été ses ongles et ses dents, des branches
» d'arbres et les pierres du chemin. C'est sur ce terrain
» que la théorie de l'évolution se rattache à la science
» préhistorique, qui, elle, a cru découvrir des traces monu-
» mentales de cet état de choses, ou du moins de celui qui
u l'a immédiatement suivi, et qui se caractérise par un pre-
» mier travail grossier donné aux instruments de pierre
» c'est la période paléolithique, dans laquelle on a essayé
» de faire des subdivisions. D'autres dépôts d'outils de
pierre taillée contiennent des haches de pierre polie; on
1. Ce résumé est puisé dans l'Histoire de la création des êtres
organisés par ErunestHaeckel, professeurà l'université d'Iéna,tmduction
de Ch. Létourneau.
96 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
»en a fait la période néolithique. On a créé de la même
manière les âges du bronze et du fer préhistoriques, qui
» se suivent régulièrement, et le tout forme une succession
» chronologique qui permet au plus mince observateur de
» dater les objets de ses trouvailles sans qu'il soit besoin de
u se préoccuper de l'histoire. »
La première partie de ce système, celle qui regarde
l'origine de l'humanité, est fondée sur l'axiome que l'idée
d'un créateur est inconciliable avec la science que l'action
d'une puissance surnaturelle n'est pas nécessaire pour
l'explication des faits; que si, par hasard, quelques faits
semblent échapper à l'observation et à l'analyse, il ne faut
pas admettre qu'on créateur serait intervenu capricieuse-
rnerst sur un seul point, quand d'ailleurs tout marche sans
sa coopération! Puis, la théorie darwinienne de la descen-
dance des êtres organisés n'est-elle pas une vérité indiscu-
table? N'a-t-elle pas dit le dernier mot et peut-elle donner
prise à la moindre objection?
C'est avec cette assurance que parlent les apôtres du
matérialisme, et l'on croirait vraiment que tous les voiles
se sont levés pour eux. Il n'en est point ainsi cependant, et
ils en conviennent en bons termes u En expliquant les plus
» simples phénomènes physiques ou chimiques, nous nous
» heurtons, après avoir découvert et constaté les causes
1)efficientes, soit la pesanteur, soit l'affinité chimique, à
d'autres phénomènes plus lointains encore, et qui dans
Mleur nature intime sont des énigmes. Ne l'oublions
» jamais, l'entendement humain est absolument limité; son
champ d'action n'a qu'une étendue relative.
» L'expérience sensuelle est la source de toutes nos con-
1)naissances, et jamais nous ne pouvons aller au fond réel
» d'un phénomène quelconque. La force de cristallisation,
»la pesanteur, l'affinité chimique demeurent, dans leur
1)essence, tout aussi inintelligibles pour nous que l'hérédité
»et l'adaptation. q
DEVANT LA SCIENCE 'J7
Tout l'échafaudage du transformisme repose sur la création
spontanée de la monère, c'est-à-dire de l'organisme le plus
.imple. Or, même pour nos matérialistes convaincus, c'est
là une pure hypothèse; ils proclament' que la génération
spontanée n'a pas été démontrée par l'expérience. Il se
pourrait, disent-ils, que ce qui n'est plus possible aujour-
d'hui se fût produit à une époque, où les immenses quantités
de carbone existant dans l'atmosphère ont pu se prêter à la
spontanéité de la naissance des êtres.
La chaîne de l'évolution débute donc par cette hypothé-
tique monère de création spontanée, à partir de laquelle les
organismes de tous les groupes se sont progressivement
perfectionnés par voie d'adaptation, sélection, lutte pour
l'existence, etc. Le tableau généalogique des groupes est
dres,é avec une autorité dogmatique que rien n'égale tout yest atfirmé comme étant démontré, évident, manifeste. Cepen-
dant, dans l'exposition de la série, on ne rencontre que des
faits présentés comme probables, oraisemblables, hypothèses
satisfaisantes, etc., etc., ce qui n'empêche pas l'apôtre de
cette étrange doctrine de ne parler qu'avec une espèce de
vénération de nos ancêtres de l'époque silurienne, les pre-miers poissons, des sozobranches, nos plus anciens ancêtres
amphibies, et ainsi de suite.
Jusque présent, on le voit, nous sommes toujours sur le
terrain de l'hypothèse; on nous avoue que a les archives
» archéologiques sur lesquelles repose cette histoire de la
» création sont dans un état d'extrême imperfection, et qu'ilw y existe une lacune des plus grandes et des plus regretta-» bles, tenant à ce que les formes animales intermédiaires
»qui reliaient entre elles les bonnes espèces ne se main-
» tiennent ordinairement pas ». Pour former une série quisatisfasse tant soit peu un esprit méthodique, on a été obligé
d'imaginer des degrés intermédiaires en assez grand nombre.
Voici un exemple Les SOZOURES,qui ont perdu dam l'âgeadulte les branchies dont ils étaient munis dans leur
98 LESÉTUDESPRÉHISTORIQUESET LA LIBRE-PENSÉE
jeunesse;lapreuve de leurexistenceressort de la nécessité
de ce typeinternxédiaireentrele treizièmeet le quin.ième
degré. Le quinzièmedegré est constitué par les PROTAM-
NIOTES,autretype hypothétique.Le seizièmedegré n'est
pasmoinshypothétique; il est formé des PROMAMMALIENS,
qui virentsetransformer lesécaillesépidermiquesen poils.
Trois typesimaginaires consécutifs
Voilâ,on en conviendra, une théorie scientifiquesingu-
lièrementassise et n'a-t-onpaseu bien raisonde dire que
leshommesqui se prétendentvouésau culteexclusifde la
méthodeexpérimentaledépassentaujourd'hui en témérité
les métaphysiciensles plus intrépides?
Cetteabsencedes échelonsintermédiairesne laisse pas
d'embarrasserquelque peu nos théoriciens; ils hasardent
une explication. Les espècestransitoires n'étaient pas.
disent-ils,constituées pour persister comme les bonnes
espèces;d'ailleurs lalutte pourl'existenceestd'autant plus
acharnéeentredeux formesparentesqu'ellessontplus voi-
sinesl'unedel'autre. Quedevientavec celala loidu perfec-
tionnementcontinu et progressif?Puis, quel'hommeait tué
l'hommc-sin;;eet l'anthropoïde,ou que ces espècessoient
mortesnaturellement,leurssquelettesont-ilsété plus com-
plctementanéantis d'unemanièreque de l'autre?
J'énuméraisda.ns mon livre les fossilesdélicatsque les
couchesde l'G-corceterrestrenousont conservés desfruits,
des fleurs,des feuilles, unmonded'animaux detouteespèce,
de légersinsectes, les empreintesdes pas desoiseaux,etc.
Vouscitezà votre tour les gouttes de pluie et les vagues
fossiles,et,de plus, lesâmesfossiles, et c'est là, Monsieur.
une trèsbelleimage dontje vousferais complimentsi vous
donniezaumot âme le mêmesens que moi.Je disais, et je
dis deplusfort aujourd'hui,quenous avonsle droitd'exiger
la productiondes fossilesde toutes les espècespar vous
supposées,surtout ceuxde l'homme-singeet du prosimien.
Si M.Hæckelne donnequ'unevingtainedemilleannéesà la
DEVANT LA SCIENCE 99
période quaternaire, il reporte cependant l'origine de l'homme
à des millions d'années, et il ne peut faire autrement, puis-
qu'il pose en principe que les périodes nécessaires à la trans-
formation des espèces ne peuvent s'évaluer qu'en milliers
de milliers d'annéea. Plus l'homme a été voisin de l'animal,
plus il a eu la charpente solide; la disparition complète, sans
restes fossiles, de races animales évidemment plus résis-
tantes que des gouttes de pluie et ayant duré une longue
série de siècles, est un fait impossible. Si on ne les re-
trouve pas, c'est que ces races sont purement imaginaires.M. Hseckel ne s'illusionne pas sur la valeur de cette objec-
tion, seulement il soulève à la place de l'Océan indien un
continent sur lequel l'homme se serait dégagé de la forme
simienne anthropotde il faut donc aller chercher au fond de
la mer les fossiles réclamés. Voilà une solution commode de
la difficulté 1
Vous la trouvez peut-être un peu trop commode vous-
même, car vous avez découvert, non pas les fossiles, mais
les œuvres du précurseur de l'homme, dans les silex prove-
nant des fouilles de M. l'abbé Bourgeois à Thenay. Ces
silex appartiennent certainement à des couches tertiaires.
M. l'abbé Bourgeois les attribue nettement à l'homme, mais
en faisant de sages réserves quant à l'extrême antiquité que
pourrait faire supposer leur gisement géologique. Vous,
Monsieur, lorsque je vous ai exprimé mes doutes à propos du
travail de ces silex par des mains humaines, vous avez reconuu
avec moi que ce point pouvait paraître contestable si ces
pierres étaient l'œuvre de l'homme, mais que toute difficulté
disparait s'il s'agit de la forme animale qui a précédé l'homme.
Dans votre dissertation, lue le 22 août 1873 devant le Congrèsde l'Association française tenu à Lyon, vous concluez de
même que ce n'est pas l'homme, mais le précurseur de
rhumme qui a taillé les cailloux de Thenay. Ce sont les lois
de la paléontologie qui vous obligent à constater cette dis-
tinction en effet, dites-vous, depuis l'époque du calcaire de
100 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
Besuce, la faune mammalonique a changé au moins trois
fois, et il serait contraire aux lois de la paléontologie que
l'homme seul fût resté invariable. Ce raisonnement paraîtra
peut-être convainquant à ceux qui prennentl'homme pour
un animal. Ma: cassons. et contentons-nous de faire remar-
quer que l'exa son du travail des silex en question ne vous
démontre plus qu'ils doivent être attribués à un animal in-
férieur à l'homme. Quelques-uns des membres du Congrès
ont même soutenu l'opinion qu'ils constituent une industrie
moins pauvre et montrent un homme moins sauvage qu'à
l'époque quaternairec'est affaire à régler entre vous.
M. l'abbé Bourgeois a joint, a sa communication au
Congrès universel de Bruxelles, deux planches représentant
douze des silex lea plus caractéristiques provenant de ses
découvertes. Autant qu'il est possible d'en juger par les
tigures, un ne s'étonne pas que, la question ayant été
soumise à l'appréciationd'une commission, les voix se
soient partagées, et que des autorités aussi respectables
que MM. Desor et Virchow aient nié toute taille inten-
tionnelle. Un travail bien utile aujourd'huiconsisterait à
étudier avec soin et indépendance les formes variées des
roches de toute nature brisées par des chutes, par des chocs
accidentels, éclatées par l'action du feu. du froid, etc.
Une étude de re rcnre un peu complète fournirait des points
de comparaison, qui arrêteraient probablementcertains in-
vestigateurs sur lu pente d'hypothèse,hasardeuses. Lors-
qu'on parle, par exemple, de flèches, de couteaux, de haches,
etc., en calcaire taillé à éclats, je crois qu'on est le jouet
d'une pure illusion. J'ai vu recueillir à Chassey et à Auxey
des éclats de calcaire simulant des formes intentionnelles.
J'en ai rencontré en plus grand nombre (j'en ai conservé
quelques-uns) sur les larges de la Saône, au milieu de la
pierraille provenantdn déchargement de bateaux de pierre
mureuse. Des couteaux à deux et trois enlevage· longitudi-
DEVANT LA SCIENCE 101
naux n'ont pas d'autre origine que le choc-de deux moellons
tombés l'un sur l'autre.
L'un des types les plus fréquents dont ait parle M. l'abbé
Bourgeois consiste en rognons irréguliers, termines en pointe
courte mais aiguë de petits éclats semblent avoir été enlevés
de chaque côté de la pointe. Voici la pièce la plus remar-
quable d'après le dessin yui en a été publié et qui en montre
les deux faces
Je puis placxr à côté, au moins comme singularité d'écla-
tement par choc accidentel, un assez grand nombre de no-
dules ubériformes, tous munis d'un mamelon, et produisant
parfaitement l'apparence d'un travail d'art. J'en figure ici
trois
102 LUS ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
Ces singuliers éclats proviennentdes silex de la craie
dont on trouve un gisement près du village de Germolles;
on les recueille quelquefois dans les chemins sur lesquels
les cultivateurs ont jeté l'épierrage de leurs vignes, mais
plus souvent dans les tas de silex cassés pour l'entretien de
la route. D'autres éclats simulent des grattoirscette dernière
forme se produit toutes les fois que le plan d'éclatement coupe
une surface arrondie, ce qui doit arriver fréquemment dans
les nodules caverneux de Thenay. Les pointes et les couteaux
accidentels ne sont pas rares, mais il en est autrement de
l'apparence du travail en retouche. Je n'en ai trouvé qu'un
seul spécimen près de Volgu, dans les silex cassés pour
l'entretien de la route de Digoin à Gueugnon il consiste en
un petit bloc de silex à base large, facile à saisir avec la
main et terminé en carène tranchante, ayant à droite et à
gauche des encoches très sensibles, qui se suivent et alter-
nent régulièrement.J'ai recueilli des instruments de silex
absolument semblables dans les stations archéologiques de
Charbonnières, de Germolles et de Rully. Ils sont du reste
bien connus; on les considère comme marteaux à fendre
longitudinalementles os longs à moelle, et en effet ils sont
parfaitement disposés pour cet usage.
Pour les personnes qui ne peuvent aller faire de fouilles
à Thcnay, il y a au Musée de Saint-Germain un excellent
moyen d'étudier les silex de cette localité vous auriez bien
pu en dire quelques mots. Il s'agit d'un grand meuble à
tiroirs où l'on a déposé les résultats d'une fouille à fond.
faite au milieu du banc des silex, objet de tant de contro-
verse. Le savant distingué qui a eu l'obligeance de les
soumettre à mon examen, m'a fait remarquer l'enchaînement
de la série, depuis le nodule brut, informe, jusqu'à ceux
qui semblent présenter des traces de travail humain; ce
savant est, je crois, de ceux auquels vous épargnerez votre
quos ego. Ce sont des collections de ce genre que je recom-
DEVANT I.A SCIENCE 103
mandais tout à l'heure comme élément d'étude; celle-ci n'est
pas exposée dans les salles du Musée.
Vous ne me contredirez pas, vous qui parlez au nom de
la méthode expérimentale, lorsque je prétends qu'il est in-
dispensable d'attendre des observations nouvelles, et plus
concluantes, en ce qui concerne l'homme ou l'anthropoide
tertiaire. Pour les côtes d'halithérium, qu'on croyait d'abord
avoir été incisées par la main de l'homme, il a été démontré
llus tard que les incisions étaient l'œuvre d'un squale. Vous
avez vous-même débarrassé le terrain de toutes les autres
observations tendant à démontrer l'existence de l'homme
tertiaire. Si ceux que vous contredisez ne réclament pas,
il ne subsiste plus que les faits signalés par M. l'abbé
Bourgeois et non unanimement admis nous en attendrons
la confirmation.
Mais vous, Monsieur, vous y croyez fermement, et vous
ne nous envoyez pas chercher dans les profondeurs des
océans les restes de l'animal qui a donné naissance à
l'homme: permettez-nous donc de gardeur nos opinions ju.-
qu'a ce que vous nous ayez montré ces restes. La question
n'est d'ailleurs pas moins intéressante pour vous que pour
nous: car, si les silex de Thenay ont été travaillés par
l'homme, vos lois paléontologiques sont renversées, et,
si c'est par un animal anthropoïde, vous devrez convenir
que cette quasi-brute, qui savait allumer le feu pour faire
éclater ses silex, avait dans sa vie habituelle besoin d'ins-
truments assez délicats, de grattoirs pour dépouiller les peaux,
de poinçons pour les coudre, etc. En quoi était-il donc infé-
rieur aux sauvages de l'Australie, dont certaines tribus n'ont
pas su jusqu'à présent tailler le silex et ne possèdent ni armes
ni outila? C'est ce que nous montreront les fossiles de cet
être ambigu et de ses prédécesseurs, clui, selon les grands
pontifes de votre doctrine, ont employé des millions d'années
de sélection et d'adaptation pour se transformer en hommes,
et que l'homme a tous détruits jusqu'au dernier, mais en
104 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
épargnant ses cousins issus de germains, les gorilles, les
oranns. les chimpanzés et les gibbons. Comme cette doctrine
et expérimentale Nous avons sur ce point le précieux aveu
du M. Hæckel Notre philogénie ne peut indiquer que les
grandes liynes de l'arbre généalogiques du genre humain,
et elle court d'autant plus de risques de s'égarer, qu'elle
vent serrcr de plus prcss les détails et faire entrer en scène
Les types géologiquesconnus!l!
Il est en effet à craindre que l'expérience ne donne a. la
théorie du transformisme de terribles démentis, si elle
s'éloigne trop de l'abstraction. C'est le cas de la linguistique
appliquée à ce même ordre de recherches lorsque, s'appro-
chant des langues connues, elle s'expose à devenir saisissable
par la critique.
L'homme issu de l'anthropopithèque réside encore dans
le domaine des plus vagues hypothèses, et c'est sur cette
hypothèse que repose l'enchainement des àges préhisto-
riques: car si, au lieu de tout attribuer au développement
des forces de la nature, dont les archives sont en si mauvais
état, et de n'expliquer par là aucune des causes premières,
nous admettons l'intervention d'un Créateur qui aurait établi
ces lois et en réglerait incessamment l'application, nous ne
pouvons plus guère poser en principe le fait du dénûment
et de la barbarie originelle du premier ou des premiers
hommes. En animant l'e;tre humain dépourvu de griffes,
d'ongles rétractiles et de dents redoutables, en le laissant
nu au milieu d'ennemis protêt par un cuir épais et de
chaudes fourrures, le Créateur l'aura armé contre les périls
sans nombre dont il était forcément menacé à chaque pas.
Dès son apparition sur la terre, il a été le maître des autres
créatures. Malgré sa faiblesse relative, il a vaincu les fauves
les plus terribles il s'est emparé des colosses du règne
animal pour se nourrir de leur chair et se couvrir de leurs
peaux; il a su atteindre les oiseaux dans l'air et les poissons
dans l'eau.
DEVANT LA SCIENCE 105
Dans cette autre hypothèse, qui fait encore, malgré vous
et les vôtres, l'objet de la foi du genre humain, il n'y a plus
nécessité de supposer un état de sauvagerie initiale. Si le
Créateur n'a pas enseigné aux premiers hommes l'art de
fondre le minerai, il les avait, dans tous les cas, suffisamment
armés pour résister aux ennemis les plus dangereux, et, de
cette initiation première, qu'il ne nous est pas donné de
mesurer, jusqu'à la connaissance des métaux, il a pu ne pas
s'écouler de bien longs siècles. L'histoire, nous l'avons dit
tout à l'heure, ne remonte pas très haut dans le passé sans
se perdre dans l'obscurité des temps fabuleux elle nous a
conservé des traditions des temps héroiques, d'une époque
de demi-dieux, où dominent le merveilleux et l'impossible,
mais nulle part il n'est question d'un âge de la pierre qui
aurait été le début de l'existence de l'homme sur la terre.
On peut, en Égypte, suivre pendant près de six mille ans les
traces de l'histoire positive; mais, au delà de Ménès, les
rares documents que nous possédons mentionnent les temps
des Shesou-Hor (suivants d'Horus) intimement liés aux
événements mythologiques. Ces Shesou-Hor connaissaient
la navigation, les métaux, etc., etc. Le déluge par lequel
le dieu Phra (le Soleil), irrité des crimes des hommes, dé-
truisit l'humanité tout entière, est rapporté à une date de
beaucoup antérieure à l'origine du mythe osiridien'. Cette
humanité anéantie par son Créateur avait depuis longtemps
abusé des dons de Dieu ou des ressources de la nature:
elle n'en était plus à lutter avec des cailloux, taillés ou non,
contre les animaux féroces, pour leur disputer leur proie.
Dans le récit assyrien du déluge, raconté par des tablettes
de la bibliothèque de Sardanapale, on voit que l'homme
enseveli sous les eaux par la volonté de Dieu possédait déjà
des trésors d'argent et d'or, savait construire des navires.
1. La découvertedece fait important de la mythologie égyptienneest
dne à M. Naville, de Genève; le texte original n'est pas encorepublié.
106 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
se servait de chars ornés de métaux précieux, etc. Xisuthrus,
le héros du déluge do Béroso, sut construire un vaisseau
de cinq stades de long sur deux de large; il avait écrit une
histoire de l'origine et de la fin de toutes choses, qu'il cacha
dans la ville du Soleil, à Sippara.
Quels faits véritablement historiques sont au fond de ces
légendes? Je l'ignore, mais il n'en est pas moins bien dé-
montré que les traditions humaines, qui partout ont con-
servé le souvenir d'époques fabuleuses, d'événements surna-
turels, ne mentionnent en aucune manière ces longues
périodes d'état sauvage par lesquelles l'humanité aurait
débuté sur la terre; il serait dès lors logique de croire cette
sauvagerie encore antérieure aux âges fabuleux, et alors on
conçoit la nécessité d'admettre des milliers de siècles au
lieu de milliers d'années.
Mais cette théorie des longues périodes d'état sauvage
doit être prouvée par l'étude des stations appelées préhis-
toriques cavernes à ossements, emplacements de foyers,
de campements, abris sous roche, terramares, cités lacustres.
Si donc cette étude venait 1Llaisser apercevoir que non
seulement ces stations ne sont pas nécessairement de date
très reculée, mais encore que la plupart d'entre elles, celle
de la pierre polie, par exemple, rentrent avec la plus grande
facilité dans les limites de l'histoire; que, d'une autre part.
celles-ci se rattachent par des échelons très saisissables à
celles qui sont caractérisées par la première faune quater-
naire, que resterait-il donc pour asseoir un peu solidement
votre science nouvelle?
Mon livre a eu pour objet d'exposer ces points de doute
en regard de la surprenante assurance des novateurs. Il a
démontré que les flottes égyptiennes ont fréquenté les iles
et les rivages de la Méditerranée plus de trois mille ans avant
notre ère; que conséqucmnent, en admettant que les popu-
lations contemporaines ne connussent alors que les outils
de pierre et d'os, elles ont pu voir et toucher les instru-
DEVANT LA SCIENCE 107
ments et les armes de métal dont les avantages n'ont pas
manqué de les frapper. Dès lors, elles ont cherché à se les
procurer.Le commerce les en a d'abord lentement appro-
visionnées, mais bientôt elles ont appris à fondre le bronze
et le fer et se sont suffi à elles-mêmes pour la fabrication de
leurs armes et de leurs outils. Elles ont quelquefois imité les
modèles de leurs initiateurs, mais souvent aussi elles les
ont modifiés d'après leurs instincts artistiques, et ont même
créé des modèles nouveaux.
La marche de l'importation étrangère, et celle de la con-
naissance des procédés industriels dans l'intérieur de l'Eu-
rope et jusqu'aux régions septentrionales, ne nous est pas
connue. Elle n'a certainement pas progressé uniformément
sur toute la superficie du territoire, mais a suivi les bords
des fleuves, les routes naturellement ouvertes au travers des
chaînes de montagnes, et il a dû souvent arriver que le
courant civilisateur ait laissé subsister, non loin de ses
étroites rives, l'usage des instruments de pierre et d'os. Ce
courant a d'ailleurs subi forcément de longues et fréquentes
interruptions, et des cas semblables à celui du Groënland.
revenu à l'âge de pierre après la destruction des premières
colonies scandinaves, ont dû se répéter fréquemment;
certaines stations où l'on ne trouve pas de métal peuveni
être notablement plus récentes que d'autres stations où se
rencontrent le bronze et le fer. Si l'on trouvait, sur les bords
du Rhône ou de la Saône, par exemple, quelques-uns des
magnifiques vases phéniciens du XVII, siècle avant notre
ère, en or, en argent, en bronze, en terre cuite richement
ornée, je ne sais auquel de vos âges vous les rapporteriez,
mais, pour ma part, je les regarderais comme antérieurs de
trois ou quatre siècles à la poterie dite néolithique de
Chassey. Si ce n'est là qu'une supposition, elle s'appuie
tout au moins sur des faits parfaitement historiques', et
1. L'influencede la poterie phénicienne et égyptienne a été constatée
108 LES ÉTUDE'. PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
l'hypothèse d'aujourd'hui peut devenir demain une réalité.
Il est tout naturel de penser que, durant une période
assez longue, le métal a commencé par être fort rare, et que
l'usage des outils de pierre a dû se maintenir très longtemps
en concurrence avev ceux de bronze et de fer, dont le prix
n'était pas à la portée de tous. Il n'aurait pu y avoir transition
brusque et absolue qu'en cas de conquête et d'anéantisse-
ment de race. Ces cas ne se présentent pas souvent dans le
cours de l'histoire de l'humanité; il reste toujours des débris
du peuple vaincu, qui ne s'absorbent complètement dans la
race victorieuse qu'après de bien longs siècles. Les Romains
ne paraissent pas avoir fait usage d'outils de silex, mais
l'Empire romain a compris des populations qui s'en sont
servies presque jusqu'à sa chute, et c'est pour ce motif qu'on
trouve si souvent ces sortes d'outils associés aux métaux
jusqu'à l'époque mérovingienne.
Quels ont été les débuts de l'homme sur la terre? De quelle
manière s'est-il répandu sur les continents et dans les iles ?
L'état sauvage, qui est encore si abondamment représenté
à notre époque, est-il un reste de la barbarie primitive ou
le résultat d'un abâtardissement postérieur? Où a débuté la
civilisation ? l'eut-on en tracer la marche à partir d'un foyer
primitif? Si l'un était à même de répondre à ces questions
d'une manière précise, en se fondant sur des observations
vraiment sérieuses, on arriverait à ce système coordonné et
embrassant tous les faits que quelquesbons esprits recher-
chent, et que l'état actuel de la science ne nous permet pas
d'établir. Au lieu de systématiser, il faut à présent se dé-
pouiller de tout esprit de système, de tout fanatisme de
théorie, recueillir et classer des faits bien observés et bien
étudiés, et s'en remettre à l'avenir du soin d'élever un édifice
dont les idées exagérées de votre école ont pour le moment
bouleversé les fondements.
sur de-vases pré-romains trouvésdans notre departement. Ce fait n'a
pasencoreété publié.
DEVANT LA SCIENCE 109
Mon livre n'a donc pu avoir pour objet de présenter l'en-
semble d'un système, mais seulement d'établir un grand
nombre de faits, de contrôler un grand nombre d'allégations
hasardeuses, de déraciner une foule d'exagérations. Mes
conclusions ramènent la chronologie, sinon dans les strictes
évaluations habituellement fondées sur les données bibliques,
au moins dans des limites ne modifiant pas notablement les
idées vulgairement admises jusqu'à présent. Le Livre sacré
demeure d'ailleurs en dehors de ma thèse je suis d'avis
qu'il faut en laisser l'interprétation et l'adaptation à la
science, aux soins exclusifs de ceux qui ont mission de l'ex-
pliquer; l'intervention des lalques en cette matière ne saurait
avoir de bons résultats. Mais tout laïque a le droit et le
devoir de s'élever contre le matérialisme, contre la doctrine
qui fait de l'homme un animal, et de l'âme un jeu d'organes
:e dissolvant avec la cessation de la vie de l'organisme.
VI
Le livre de M. Chabas, dites-vous à la fin de votre petit
pamphlet, ainsi que ceux des deux ministres du culte que
vous démolissez en même temps, rentrent dan.s cette grand
catégorie d'écrits qui, d'après un homme de Geaucoup
d'esprit, M. le cardinal de Bonald, archevêque de Lyon,
sont d'autanl plus remarquables qu'ils réussissent à com-
promettre tout ic la fois la srience et la religion. Les savants
diront en quoi j'ai compromis la science, moi qui la cultive
avec un désintéressement qui ne peut être méconnu de
personne, et qui ai, j'ose le dire, acquis quelque crédit
dans le monde de l'érudition ils diront aussi si vous n'en
violez pas vous-même les règles, lorsque vous attaquez ainsi
per fas et nefas un ouvrage tel que le mien. Quant aux
hommes religieux, ils riront bien certainement de la candide
piété qui vous porte à faire appel à l'autorité de M. de
110 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
Bonald, et penseront unanimement que vous avez agi avec
prudence en attendant, pour mettre en cause cet illustre
prélat, que sa voix fat étouffée dans le silence de la tombe.
Mais enfin quelle est donc la science au nom de laquelle
vous parlez? Est-ce celle de Buffon, qui a signalé bien long-
temps avant Darwin l'influence de l'action de l'homme dans
la grande variété des pigeons de volière? Est-ce celle de
Pascal ? Est-ce celle de Cuvier, l'un des plus grands génies
du XIXe siècle? celle de Faraday, de la Rive, d'Élie de
Beaumont? Mon Dieu, non! tous ces hommes étaient pro-
fondément convaincus de l'existence d'un Créateur, et
personne ne s'avisera de les suspecter d'avoir accepté le
schisme du transformisme. Serait-ce celle de Chateaubriand,
de Lamartine, ou au moins celle de Victor Hugo ? Pas
davantage; ces grands poètes ont tous rendu à l'immortalité
de l'âme un hommage éclatant. Ce n'est pas non plus celle
d'Agassiz, qui a écrit cette grande et solennelle vérité Les
partisans des transformations indéfinies n'ont rien ajouté
à notre connaissance de L"origine de l'homme et des ani-
maux, nulle découverte, nul fait nouveau ou encore
inaperçu. Ce n'est point, nous l'avons vu, la science de
M. Dumas, de l'Académie des Sciences. Ce n'est pas celle
d'un autre naturaliste du même corps savant, M. Émile
Blanchard, qui a serré de près la discussion, et proclamé
cette conclusion évidente que Darwin luimême a fourni
des preuoes sans nombre du retour constant à la nature
primitive des espèces animales déformées par la main de
l'homme. Sans aller plus loin, je crains déjà, Monsieur, que
votre provision de brevets d'ignorance et d'absurdité ne
s'épuise, si vous en voulez gratifier tous les adversaires de
vos idées!
La science au nom de laquelle vous parlez est celle de
Darwin et de quelques prophètes de Darwin, de Hseckel en
particulier. Votre dévouement, votre zèle ont fait leurs
preuves; nos lecteurs en conviendront sans peine. Vous
DEVANT LA SCIENCE 111
n'avez pas marchandé votre assistance. Cependant vous
n'avez pas encore mérite l'honneur d'être mis au nombre des
oracles accrédités du moins, ceux-ci ne semblent pas vous
connaître et dédaignent de vous citer. Ils vous laissent pour
compte votre précurseur tertiaire de l'homme, qui n'a trouvé
de partisans que parmi les organes de la linguistique, encore
une science nouvelle qu'on reconnaît n'avoir rien de commun
:tvec l'étymologie non plus qu'avec la philologie! Parmi les
soldats les plus déterminés de l'armée dont vous faites partie,il en est qui ont paru sérieusement redouter la découverte
des restes fossiles de l'homme tertiaire de Thenay, parce
que cette découoerte conduirait à des déceptions, ces restes
pouoarct très bien ne différer de ceux de l'homme actuel, quedans la même minime proportion que le crâne de Nearederthal
et la mâchoire de la Nauletle, ces deux vieilleries de votre
magasin d'accessoires, réduites à néant, l'une par M. V irchow,
l'autre par M. Pruner-Bey, et qu'il faut d'ailleurs apprécier
d'après les principes salutaires en matière de craniologie
posés, par M. le docteur Broca, dans l'une des séances du
Congrès de l'Association française tenu à Lyon en 1873 un
argument presque décisif, a dit ce sauvant, pourrait être
tiré seulement d'une série nombreuse, par exemple d'une
centaine de crânes, etc.
Vous voyez que, sur un grand nombre de points, mes
opinions ont de puissants soutiens, même dans les rangs de
vos amis. Dans quel sens d'ailleurs se manifeste le progrèsde la science depuis l'apparition de la première édition des
Études sur l'antiquité icistorique Je vais vous en signalerun indice.
Vous savez avec quelle assurance a été proclamée, au
Congrès universel d'archéologie préhistorique tenu à Paris
en 1867, la certitude que l'existence de l'homme sur la terre
doit se compter par milliers de siècles et non par milliers
d'années. Or, dans une discussion amicale, j'ai eu l'occasionde reprocher cette assertion à son auteur, et j'ai eu l'extrême
112 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE-PENSÉE
satisfaction d'entendre the /ierald o/' the selfsame mouth,
comme dit Byron, me répondre avec une brusquerie
charmante a Qui donc a dit pareille absurdité? à
Faisant application des principes que j'ai exposés dans
mes étudies sur l'antiquité, j'ai rapporté (dubitativement,
car il n'est pas possible d'être affirmatif en pareille matière)
au deuxième millénaire avant notre ère les beaux silex de
Volgu, qui sont de l'époque solutréenne, c'est-à-dire de celle
du renne encore associé au mammouth, et, à ce propos,
vous m'écrivez que tous constates, avec grand plaisir, que
nous nous rapprochons run de l'autre pour ce qui concerne
l'époquede la pierre en France. Si nous nous rapprochons
pour la chronologie des âges de la pierre, si, comme moi.
vous les faites descendre jusque dans le cadre de l'histoire,
il me semble que nous sommes d'accord au fond, et je com-
prends de moins en moins l'animation que vous avez montrée
contre mon ouvrage et mes idées.
La théorie du transformisme, du progrès continu, et vos
idées sur l'histoire de l'humanité d'après cette théorie ne
reposent, en définitive, que sur de hardies hypothèses que
les faits ne cesscnt pas de démentir. Vos maîtres ont reconnu
le danger qu'il y avait poureux à serrer les détails et à faire
entrer en scène les types géologiques connus. Une théorie
de ce genre est-elle fondée à hausser le ton et à s'imposer
d'autorité en traitant d'ignare quiconque demanderait des
preuves? Comment, lorsque les sciences naturelles font
comme un retour sur elles-mèmes, lorsqu'on met en ques-
tion les lois de la gravitation, lorsqu'on proclame l'incertitude
des transitions entre les époques géologiques, lorsqu'on
conteste le parallélisme des formations, lorsqu'on parle du
renversement de l'axiome tels fossiles, tel terrain, lorsque
la théorie du feu central de notre globe est combattue par de
bonnes raisons, lorsque celle des volcans est reconstruite
sur des bases nouvelles; comment, lorsque de toutes parts
on demande à grands cris de la lumière, toujours plus de
DEVANT LA SCIENCE 113
1
BIBL. ÉGYPT., T. uu. 8
lumière, comment, dis-je, pouvez-vous nous ordonner de
nous agenouiller devant votre idole, dont vous nous con-
fessez les vices et les difformités, et de brûler à ses piedstout ce que nous avons adoré jusqu'à présent ?
Nous attendrons que vous nous présentiez v déesse
sous un jour un peu plus complet. Vous trouverez sans doute
tôt ou tard assez d'acide carbonique pour faire une monère,
et puisque la monère a évolué toute seule en amide, syna-
mide, planéade, etc., etc., nous comptons qu'entre les mains
de l'homme, si puissaretes pour faooriser l'évolution, il sera
facile de passer de la monère à ces degrés supérieurs.
Mettez-y de la patience, nous en mettrons aussi; s'il vous
faut des millions d'années, nous attendrons des millions
d'années. Pendant cet intervalle, vous chercherez, au fond
des océans ou ailleurs, les échelons qui vous manquent pourarriver jusqu'à l'homme; et, puisque le Créateur est un
rouage inutile dans la nature, vous aurez le temps de souffler
dans les narines de quelque singe le rouah aïim, ce souffle
de vie qui crée l'intelligence et le raisonnement et qui,
jusqu'à ce que vous l'ayez trouvé expérimentalement, restera
pour nous comme un abîme infranchissable, incommensu-
rable, entre l'homme et la brute.
VII
On conçoit sans trop de peine le sentiment de curiosité
qui fait de quelques personnes instruites des prosélytes de
l'idée nouvelle; de notre temps, Joseph Smith a bien puformer une école puissante et fonder l'état des Mormons, quia encore une certaine vitalité. Mais il est bien plus facile de
s'expliquer comment tant de gens, se souciant peu de l'étude
et des données scientifiques, ont adopté d'emblée la théorie
du transformisme. Elle offre un refuge assuré à quiconqueest en guerre avec sa propre conscience. Tous ceux qui ont
114 LESÉTUDESPRÉHISTORIQUESET LALIBREPENSÉE
contrevenu gravement aux lois divines et humaines ont trop
d'intérêt à croire à l'anéantissement de l'àme pour ne pas
prêter l'oreille à la doctrine qui enseigne que tout meurt et
se dissout avec le corps. Les dangers d'une telle doctrine
ont été exposés plusieurs fois avec beaucoup de force: je
n'insisterai pas sur ce point. Éprouvée par les plus grands
revers qu'ait enregistrés son histoire, la France a besoin de
se retremper dans l'exercice des vertus viriles, dans le sen-
timent du devoir: plus que jamais il lui faut de patrioti-
ques citoyens. Or, les citoyens se forment d'abord dans la
famille, puis dans la société; mais si la mort n'est que la
fin d'un phénomène physique, si l'homme n'est que matière,
s'il n'y a de droits et de devoirs qu'en vertu de conventions
sociales sans cesse modifiables, que signifient ou que signi-
lieront demain ces mots sacrés de devoir, famille, fraternité,
patrie ? La matière organisée se créant des règles de con-
science serait absolument illogique; quel motif aurait-elle
pour renoncer à une satisfaction sensuelle possible, quelle
qu'elle soit et quel qu'en soit l'objet? Certains savants,
enivrés par l'esprit du prosélytisme ou par le fanatisme de
l'innovation, prétendent qu'ils s'ennobliront dans la contem-
plation de la dignité de la matière divinisée; mais si pareil
cas se réalisait, il serait à coup sûr fort rare, tandis que la
grande masse des adeptes ne verra que l'irresponsabilité
tinale, et agira à coup sûr selon ses appétits.
Une autre cause du succès apparent des doctrines de
l'athéisme réside dans le regrettable malentendu d'après
lequel on a fait de la religion l'adversaire de la science, de la
liberté, de la démocratie. On l'a dit avec beaucoup de raison
De nos jours, le matérialisme le plus grossier est l'un des
dogmes les plus chers à toutes les sectes révolutionnaires,
clanx toute l'Europe aussi bien qu'en France. Ce n'est
point ici le lieu de rechercher l'origine de ce déplorable
malentendu. qui menace la société tout entière. Dans les
doctrines pour lesquelles vous combattez, je vois un très
DEVANT LA SCIENCE 115
grand danger, et ce danger, j'ai voulu le siënaler et le com-battre. C'est parce que vous soutenez la thèse contraire quevous m'avez pris à partie.
VIII
Mais rentrons dans notre sujet spécial. Vous, MonsieurG. de Mortillet, conservateur-adjoint du Musée des Antiquitésnationales à
Saint-Germain-en-Lave, vous avez imprimé quemon livre était criblé d'erreurs et de fausses appréciations,qu'on ne pouvait lui accorder aucune confiance, qu'il ne
supportait pas la critique, etc.
Je vous ai déjà fait observer que le succès de cette œuvreet les témoignages favorables qui en ont été rendus par dessavants haut placés contredisent puissamment vos appré-ciations. II est un de ces témoignages que j'ai réservé pourterminer, car il émane de quelqu'un qui avaitoublié de m'ac-cuser réception de ce livre, longtemps sollicité par lui. Ilm'écrivait, plus de huit mois après la réception de mon envoiPour ce qui concerne vos ÉTUDESSURL'ANTIQUITÉ,je les aiparfaitement reçues, et je suis fort étonné d'apprendre queJe ne vous ai pas remercié. En tout
cas, je les considèrecorrernesi importantes que nous avons.fait l'acquisition d'un
exemplaire pour notre bibliothèque du Musée, et rela parl'intermédiaire de la librairie Didier.
Ce témoignage a une valeur spéciale en ce qu'il est donnépar un fonctionnaire agissant dans l'exercice de ses devoirsofficiels; or, ce fonctionnaire, c'est M. G. de Mortillet,
conservateur-adjoint du Musée des Antiquités nationales à
Saint-Germain-en-Laye.J'ai fait justice de toutes vos accusations; il ne me reste
plus qu'à vous remercier de votre favorable témoignage, etc'est ce que je fais avec une véritable satisfaction.
Chalon-sur-Saône, 10 man 1875.
F. CHABAS.
116 LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBREPENSÉE
Note additionnelle. Dans l'ouvrage que la présente
publicationa pour objet de défendre, j'ai eu contredire
quelques opinionsde M. Adrien Arcelin, membre distingué
de l'Académie de Mâcon, principalementen ce qui concerne
la station de Solutré. M. Arcelin a discuté mes vues, et, tout
dernièrement, il a résumé les points en discussion dans
un Mémoire intitulé Études d'archéologie préhistorique,
Revenantâdes appréciations plus rapprochées des miennes,
M. Arcelin dresse comme suit le tableau chronologique des
âges dont les traces se laissent apercevoir sur les berges de
la Saône
Établissements gallo-romains,500 ans après Jésus-Christ.
Age de bronze. 377 avant
Age de pierre.1127
Marnes quaternairescorres-
pondant au minimum d'âge
de la station de Solutré. 4877
Je crois qu'il y a une erreur très forte dans la durée de près
de quatre mille ans attribuée à la pierre polie, et que, quant
aux autres chiffres, il ne les faut accepter que sous de nom-
breuses réserves. Toutefois, ces chiffres, quelle qu'en soit
la valeur scientifique, rentrent facilement dans les limites
d'une chronologie rationnelle, et je n'ai nul besoin de les
discuter. M. Arcelin se trompe lorsqu'il affirme que je ne
connais bien sur la Saône que la station de Sables Rouges.
11 se trompe encore lorsqu'il croit que les mesurages faits
par lui sur les berges de la Saône de 1867 à 1870, et qu'il a
détaillés, p. 40 à 48 de son Mémoire, peuventse prêter à un
calcul de moyennes. Les mentions mêmes de son résumé me
prouvent à moi l'intervention de causes autres que les causes
naturelles dans les niveaux relatifs d'un grand nombre de
stations. On ne peut faire de moyennes sur des phénomènes
d'ordres essentiellementdifférents.
DEVANT LA SCIENCE 117
En ce qui concerne la classification préhistorique queM. Arcelin continue à me reprocher de nu pas admettre, je
crois que ce savant s'arrange lui-même de quelques accom-
modements avec ce gogme de l'École. Dans son tableau,
que j'ai reproduit plus haut, il ne croit plus nécessaire de
comprendre l'âge du fer. Toutefois on peut croire qu'il porteà l'an 377 avant notre ère le début de cette période, qui.dans le Nord scandinave, aurait, d'après M. Worsaae, occupéentièrement les six premiers siècles de notre ère.
Le même M. Worsaae affirme que des fouilles faites en
Asie-Mineure et en Égypte ont démontré l'existence d'une
civilisation de l'6ge du fer, ayant régné plusieurs milliers
d'années avant la naissance du Christ, et d'une civilisation
de l'âge du bronze encore plus ancienne'. Voilà donc t'agedu fer bien reconnu à des intervalles chronologiques qui ne
sont pas moindres de quatre mille ans! Je prends les points
extrêmes, et je passe par-dessus la civilisation de la Gréce
homérique, celle des débuts de Rome, celle des Étrusques, etc.
Range-t-on définitivement ces civilisations dans l'âge du
fer, ou dans cet âge du bronze dont la dégitimité a été
contestée par des savants éminents? Évidemment M. Arcelin
a ses idées sur cette question; s'il place la lin de l'âge de la
pierre à l'an 1127 avant notre ère, il sait, comme moi, que
l'âge du bronze, en admettant qu'il ait existé, et l'âge du
fer préhistorique ont des dates bien plus reculées, et, par
conséquent, s'il nous donnait sa classification, ce ne serait
pas sous la forme d'une échelle chronologique, et il arriverait
alors que nous serions très probablement d'accord sur beau-
coup de points, à propos desquels nos différends pourraientbien n'être que superficiels.
M. Arcelin a plus de confiance que moi dans les solutions
proposées par l'anthropologie. Il ne s'étonnera pas toutefois
1. 127.Wopxaae.Ln colonisation de la Raasic et du Nord scandinacep. 127.
118 LES ÉTUDESPRÉHISTORIQUESET LA LIBRE-PENSÉE
que, en regard de l'importance donnée au squelette mis au
jour le 23 août 1873 devant la Société française à Solutré,
et présenté depuis lors comme pièce de conviction, je ne
puisse m'empêcher de noter les réserves qui ont été faites,
et notamment les circonstances 1° qu'il était placé dans
une orientation exceptionnelle; 2° que les os étaient en si
mauvais état qu'on ne pouvait en tirer aucun parti pour
l'étude. Si c'est en vertu de titres de ce genre que l'accord
s'est fait sur un certain nombre de points que l'on peut con-
sidérer comme acquis à la science, mon honorable contra-
dicteur me concédera bien le droit de conserver quelques
doutes, à moi, qui suis habitué à certaines exigences d'ana-
lyse et de vérification. Je serais surpris que M. Arcelin
eût luimême une foi bien solide dans les conclusions de
l'anthropologie, et, en particulier, dans les systèmes ethno-
logiques fondés sur l'étude des crânes dolichocéphales, mé-
saticéphales, brachycéphales et même très brachycéphales,
de la station préhistorique de Solutré, dans laquelle toute la
série des formes crâniennes est représentée.
LES
FOUILLEURS DE SOLUTRÉ
Lettre ouoerte de F. CHABAS, de C'halon-sur-Saône, en
réponse à une lettre ouoerte de M. l'Abbé DUCROST
curé de Solutré, et de M. Adrien A RCELIN, de
l'Académie de Mâcon'.
MESSIEURS,
Vous m'avez adressé, dans une lettre close, en date du22 juin dernier, signée de vos deux noms, une brochure,sous forme de lettre ouverte, que vous avez imprimée pourrépondre aux attaques par moi formulées, dites-vous, contreles fouilles de Solutré, et vous vous demandez ce qui a putransformer des sentiments de bienveillance en une attitudehostile et agressive.
Nous verrons plus loin ce qu'il faut penser de ces senti-ments et de cette attitude. Mais cette revue rétrospective, àlaquelle vous me contraignez, regarde surtout M. Arcelin etson maître, feu M. de Ferry; aussi ma réponse s'adressera
1. Publiée en une brochure spécialeà Parie, chez Maisonneuveet C".à Chalon-sur-Saône,chez J. Dejaaeieu,1875.in-8°. 30 p. G. M.
120 LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ
d'abord à M. Arcelin, qui s'est fait solidaire de M. de Ferry
pour ce qui me concerne.
J'aurai beaucoup de textes à citer. Pour simplifier, je
donne d'abord les titres des ouvrages auxquels je me réfé-
rerai le plus fréquemment, suivis des abréviations par les-
quelles je les désignerai
« Archives du Muséum d'Histoire naturelle de Lyon,
»tome Ier. Étude sur la station préhistoriquede Solutré,
1)par M. l'abbé Ducrost et M. le docteur Lortet, avec
» 7 planches, petit in-f, 1872 (Ab. Duc.. Études).
» La station de l'âge du renne de Solutré, par Adrien
1)Arcelin, ancien élève de l'École des Chartes, membre de
u plusieurs sociétés savantes. Extrait de la Revue du Lyon-
J) nais, janvier 1868 (A. Arc., Station).
» L'âge du renne en Mâconnais, Mémoire sur la station
» du Clos du Charnier ckSolutré, par H. de Ferry et A. Ar-
» cetin. Mâcon, in-8°, 1868 (F. et A., Age du renne).
» Études d'archéologie préhistorique, par Adrien Arcelin,
1) membre de la Société d'Anthropologie de Paris, secrétaire
1) perpétuel de l'Académie de Mâcon. Paris, in8°, 1873
1) (Arc., Études).
» Association française pour l'avancement des sciences
é Compte rendu dela deuxième session, Lyon, 1873. Paris.
n in-8°, 1874 (Ass. Fr.). »
Maintenant, commençons par mes premiers rapports avec
Solutré.
Le 28 mai 1869, vous, Monsieur Arcelin, vous m'écrivites
pour me demander l'explication d'une légende hiérogly-
phique, et, le 31, après avoir satisfait à vos questions, je
vous exposai mon désir de visiter Solutré.
Le 1" juin, vous me répondiez « Je suis tout à votre
n disposition pour vous servir de guide. La station est
» bien épuisée, et le hasard seul peut maintenant nous faire
1) tomber sur un point intéressant; mais nous pourrons
e tenter l'aventure, et, dans tous les cas, vous aurez vu les
LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ 121
» lieux. Prévenez-moi d'avance pour que j'aie le temps
n d'avoir des ouvriers et de prévenir M. de Ferry, qui
'1 serait charmé de se rencontrer avec vous. Disposez de moi
u comme il vous plaira; il me sera extrêmement agréable
» de vous faire les honneurs de notre station préhistorique. »
La partie s'arrangea pour le samedi suivant. Ce jour-là, à
Màcon, vous m'ouvrites les placards qui renfermaient votre
collection générale et une partie du produit de vos fouilles à
Solutré, dont je vis le reste à Fuisse. Je pris une voiture et
nous partîmes pour cette résidence de madame votre mère,
qui m'honora d'un très gracieux accueil puis, le déjeuner
pris, nous nous dirigeâmes à pied vers Solutré.
Vous aviez témoigné certain étonnement de ne pas trouver
à Fuisse M. de Ferry, que vous aviez convié au déjeuner.
Votre étonnement s'accrut visiblement lorsqu'une femme de
Solutré, que vous aviez interrogée, vous apprit que son mari
était depuis quatre heures du matin à la station avec l'hôte
qui vous avait fait défaut. Vous trouvâtes une eaplication
M. de Ferry aura coulu nous préparer la fouille.
Je connaissais M. de Ferry par les éloges enthousiastes
que m'avait faits de lui M. le docteur Pruner-Bey. Cet excel-
lent homme, qui ne marchandait pas assez l'expression de
ses admirations, m'avait plusieurs fois associé dans ses
conversations au fouilleur émérite de Solutré; il m'avait
affirmé avoir parlé de moi à M. de Ferry dans les mêmes
termes. J'avais donc le plus grand désir de faire la connais-
sance personnelle du personnage qu'on m'avait dépeint
comme étant l'honneur du département de Saône-etLoire,
et je comptais, malavisé que j'étais, sur un peu de réciprocité.
En arrivant au Crot, je vis, assis sur un mur de pierres
brutes, un homme vêtu d'une sorte de blouse garnie d'un
grand nombre de poches. C'était M. de Ferry; du plus loin
que je l'aperçois, je me hâte de le saluer et de le compli-
menter sous l'impression des sentiments que m'avaient in-
spirés les déclarations de notre ami commun, M. Pruner-Bey.
122 LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ
M. de Ferry ne daigna pas répondre à mes salutations,
même par une inclinaison de tête. Trop pressé de faire con-
naître l'accueil auquel je devais m'attendre, il s'adresse à
vous, qui lui reprochiez son abstention à propos du déjeuner,
et vous dit « Je suis ici depuis quatre heures du matin;
» j'ai fait une fouille d'où je vais extraire un bonhomme;
» ensuite j'ai parcouru le Crot et recueilli tout ce qui avait
» échappé à nos rechurches précédentes je n'ai pas laissé
» un bout de silex sur toute la station. J'ai là, et, ce disant,
» il frappait sur les poches de sa blouse, de bonnes pièces,
» et, entre autres, un joli petit os entaillé. » La conver-
sation continua entre vous, tandis qu'à cette réception gla-
ciale et impolie, je demeurais absolument médusé. Je gardai
le silence et me contentai d'observer.
La fouille dont avait parlé M. de Ferry était ouverte à peu
de distance de l'endroit où il était assis personne ne s'en
occupait. A une assez grande distance de là, sur le bord du
chemin qui longe la terre dite de la Colonne, deux ouvriers
semblaient faire un autre sondage; mais ni vous ni M. de
Ferry vous n'approchâtes de ces terrassiers, et vous ne
m'en dites pas un mot. De temps à autre, M. de Ferry leur
criait « Trouvez-vous quelque chose ? » à quoi il était ré-
gulièrement répondu « Rien, absolument rien. »
Vous vous séparâtes un instant de M. de Ferry, et, un
plan à la main, vous me fîtes visiter l'emplacement de vos
fouilles, à l'endroit où il est aujourd'hui indiqué sur la carte
dressée pour les Membres de l'Association française à l'occa-
sion de l'expédition de 1873. Ces fouilles étaient, du reste,
parfaitement reconnaissables, le gazonnement ne s'étant pas
reproduit sur le terrain remué. Cela dura quelques minutes.
Vous rejoignîtes M. de Ferry, qui. de temps à autre, lançait,
au moyen d'une fronde et avec une grande adresse, des
pierres sur les buissons. Pour ma part, je m'éloignai, j'errai
sur le Crot et sur les terres voisines, et je fis l'ascension de
la roche. Je reconnus que la station s'étendait sur une sur-
LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ 123
face beaucoup plus vaste que celle du Crot actuel. De petitséclats de silex et des fragments d'os abondaient à la Colonne
et sur le champ Sève, où se voyaient distinctement les affleu-
rements du mur de magma, encore très caractérisés aujour-d'hui par la maigreur de la végétation superficielle. Ces
promenades me rapprochaient parfois de votre siège de
pierres. Aussitôt qu'il me sentait à portée de la voix, M. de
Ferry répétait aux terrassiers sa question Trouvevous
quelque chose? et, avec la régularité d'un écho, revenait lerien des piocheurs, puis l'affirmation sans cesse renouvelée
que Solutré était une station définitivement épuisée.L'heure de la retraite approchant, M. de Ferry descendit
dans l'espèce de fosse qu'il avait fait ouvrir, et je vins assisterà l'opération; il retira avec précaution de la paroi terreuse.
mélangée de pierres, un crâne et quelques os dont il nousfit remarquer la disposition normale. Ces débris humains,rencontrés à environ 70 centimètres de la surface, ne consti-
tuaient pas un squelette entier, et il n'y avait ni dalles, nicouche cendreuse mélangée de silex et d'os. Mais, les os
retirés, à 30 centimètres plus bas, M. de Ferry recueillitun beau grattoir-pointe dans le genre de ceux qui sont
figurés Ab. Duc., Études, pl. VI, fig. 3 et 4, et Mâconnais
préhistorique (pub. posthume de M. de Ferry, sous la date de
1870, pl. 24, fig. 7 et 8). Il nettoya avec soin ce joli silex;puis, s'adressant à moi « Savez-vous, Monsieur, ce qu'on» fait quand on trouve une pièce comme celle-ci ? Voyez »Ce disant, il porta le silex au haut de son épaule gauche, et, leramenant jusqu'à son épaule droite, avec un mouvement desoldat à l'exercice, l'engloutit dans l'une de ses nombreuses
poches, récipient des produits de la collecte matinale.
Enfin, se baissant jusqu'au fond de la fouille, il réussit àtrouver un éclat de silex de la grosseur de l'ongle du pouce,et, renouvelant son geste emphatique, me le tendit en medisant a Voici, Monsieur, tout ce que je puis avoir l'hon-» neur de vous offrir de Solutré. »
124 LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ
J'acceptai ce préseat ironique, que je conserve, soigneu-
sement étiqueté, comme un des plus curieux objets de ma
collection solutréenne.
L'ironie allait donc jusqu'à l'injure. Il me vint un instant
l'idée de mettre fin à une situation pénible et d'aller re-
prendre ma voiture à Fuisse. Mais j'étais votre hôte, Monsieur
Arcelin, et de plus celui de madame votre mère. Revenant
seul et partant subitement, il m'eût fallu dire mes motifs à
cette respectable dame. Il me semblait, du reste, que vous
ne remplissiez aucun rôle actif dans cette réception brutale.
Une influence irrésistible semblait avoir transformé vos in-
tentions envers moi. Je pris le parti de réprimer un senti-
ment de vivacité. Après beaucoup d'objections, M. de Ferry
accepta votre invitation à dîner. Pendant ces incidents, les
piocheurs s'étaient retirés sans nous aborder.
Nous revînmes tous les trois à Fuissé. Pendant le trajet,
pendant le dîner et dans la conversation qui se prolongea fort
avant dans la nuit, pas un mot ne fut dit, ni des fouilles, ni
de la station, mais il fut traité de sujets variés, que l'esprit
original et paradoxal de M. de Ferry rendit attrayants.
malgré certaine rudesse de formes. Je ne réussis pas à con-
vaincre ce bouillant personnage que certaines langues,
surtout parmi les langues mortes, donnent une saveur par-
ticulière à l'expression des sentiments et des pensées; que
la laconique énergie de l'hébreu ne se rend pas bien dans
une version française, non plus que les images parlantes de
l'écriture des Égyptiens; que l'harmonie et la flexibilité du
grec ancien, et, dans une moindre mesure, du latin, prêtent
non seulement à la poésie, mais encore à la prose, une grâce
inimitable, que ne sauraient apprécier les personnes qui n'ont
pas étudié ces deux langues. M. de Ferry ne démordit pas
de sa thèse, que les livres écrits depuis vingt ans sont plus
intéressants et ont plus fait pour le développement de l'esprit
humain que l'antiquité classique tout entière, dont il ne
serait plus nécessaire de s'occuper désormais. Puis il parla
LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ 125.
de ses courses géologiques, et raconta, non sans charme,
la réception que lui valut un jour sa blouse dans un château
de l'Autunois. A minuit, je remontais en voiture; vous me
fîtes la demande, à laquelle j'accédai volontiers, de conduire
M. de Ferry jusqu'au chemin de sa résidence je partis donc
avec lui. La conversation continua entre lui et moi, bien
entendu sans la moindre allusion au sujet de mon explo-ration avortée; lorsque nous nous quittâmes, nous échan-
geâmes une poignée de mains.
Telle est, Monsieur, la narration fidèle de l'excursion que
j'ai faite à Solutré sous vos auspices. S'il vous avait été
extrémement agréable de me faire ainsi les honneurs de votre
station, croyez-vous, en conscience, que j'eusse des motifs
de partager votre enchantement ?
Votre intervention et celle de M. de Ferry avaient fait
échouer mes projets d'étude sérieuse; je les repris le lende-
main en compagnie d'un ami qui, longtemps avant vos
fouilles, m'avait signalé Solutrécomme un point d'importance
archéologique. Nous empruntâmes une pioche sur le chan-
tier du chemin de fer à Charnay, et, à l'aide d'un ouvrier
amené exprès de Mâcon, je commençai un sondage. Pendant
que nous étions à ce travail, deux hommes vinrent nous
aborder; l'un d'eux, qui était blessé à la main, me dit quenous nous y prenions mal; le maniement de la pioche ne
paraissait point, en effet, être familier à mon manœuvre.
Alors l'homme blessé me fit savoir qu'il était l'auteur de
toutes les fouilles faites sur la station, et particulièrement de
celles de MM. Arcelin et de Ferry a J'ai fouillé pour eux» hier encore, ajouta-t-il; ils avaient amené avec eux un
»monsieur petit, mais bien rempli, dont ils se sont joliment
»moqués. »
« Votre fouille d'hier a-t-elle été fructueuse ? » demandai-
je alors.
a Oui, me fut-il répondu, nous avons trouvé, entre autres,» une belle pièce, une longue et large scie de silex. Il
126 LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ
Ces deux hommes étaient, l'un Pierre Buland, l'autre son
gendre. Ils m'offrirent de travailler pour moi le reste du jour,
et m'affirmèrent que personne n'avait de droit exclusif sur
aucun point du Crot; que tout le monde pouvait y fouiller
librement sans même demander de permission à qui que ce
fût, et que bien des gens déjà avaient profité de cette liberté.
Ce point éclairci, j'acceptai les offres de Buland et fis entre-
prendre un sondage à environ 75 centimètres de la limite de
vos propres fouilles, Buland ayant refusé de s'établir à une
distance moindre, de crainte d'éboulement. La fouille, qui
se continua sur trois ou quatre mètres seulement, avec
une profondeur de 1m60 à 2 mètres, me fournit un petit
nombre de jolis objets en silex et en os, quelquesos de renne
et de cheval, de l'ivoire d'éléphant, deux mâchoires et
d'autres parties d'un squelette humain, des dents, etc. L'em-
placement n'avait pas été fouillé auparavant; j'aperçus au
fond de la tranchée quelques pierres d'assez forte dimension,
qui n'étaient pas des dalles dans le sens absolu du mot, mais
que Buland me signala comme se rencontrant dans ce qu'il
nommait les foyers. Bien que les os humains se fussent
rencontrés en groupe, et qu'ils fussent associés aux os et
aux silex, caractéristiques selon vous, une sépulture en cet
état ne me parut pas pouvoir être rapportée avec certitude à
une époque quelconque, car le voisinage des dalles, des
silex et des débris de renne et d'éléphant pouvait être le
même, qu'il s'agît d'un homme de l'âge du renne ou d'un
mort de date récente.
Je m'enquis alors de la possibilité de trouver une sépulture
en caisson, recouverte de dalles s'arc-boutant ou simplement
juxtaposées, telle qu'on en voit les dessins dans F. et A.,
Age du renne (pl. III). Buland me répondit Jamais ma
piochen'a rencorstré arrangement semblable, et sa pensée
était que le crayon du dessinateur avait considérablement
symétrise les figures.
Je revins à Chalon avec quelques spécimens de presque
LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ 127
toute la série des objets archéologiques que fournit la stationde Solutré, sans compter la parcelle de silex dont j'avais étégratifie par M. de Ferry, et je crus ne pas devoir vous laisserignorer que je n'avais pas été la dupe de vos agissements.'l'out en vous exprimant ma reconnaissance pour votreaimable réception à Fuissé et pour le gracieux accueil demadame votre mère, et en vous invitant à mon tour à essayerde mou hospitalité, je vous ai rappelé ma déconvenue entermes où l'euphémisme domine. Je ne tenais pas à ce quecette affaire mit entre nous une barrière; aussi les démons-trations injurieuses de M. de Ferry se sont adoucies sous maplume en accueil glacial démontrant le déplaisir causé parl'arrivée d'un nouoel e.cplorateur. J'ai tenu cependant àétablir nettement vis-à-vis de vous ma prétention à la libertéde fouiller à Solutré.
Vous avez donc été bien informé de mon appréciation desincidents de ma visite. La naïveté avec laquelle vous affirmezque je vous ai exprimé des sentiments de bienveillance àpropos de l'accueil que j'ai reçu de vous à Solutré est unde ces expédients auxquels vous avez eu trop souvent re-cours dans cette polémique.
Dans votre réponse du 9 juin, vous prenez la défense deM. de Ferry. Au lieu d'un expulseur, j'en avais deux Vousreconnaissiez, du reste, le droit que chacun avait de fouiller,mais vous avez tenu à déclarer que nul autre que vous ouvotre associé n'a fait de fouilles méthodiques. Quelques éru-dits
seulement, dites-vous, comme MM. de Mortillet, Loy-dreau, de Mercez, Landa, etc., etc., sont venus visiter leslieux et vérifier l'exactitude de vos observations. Vous necomptez pour rien quelques collectionneurs-amateurs quiont glané d'insignifiants débris.
Quant à ma petite fouille, vous entendez qu'elle constateauxsi l'exactilude de vos observations; j'ai pu juger, selonvous, que le Crol du Charnier ne renferme ma.Lheureuse-ment plus que des débris épars, sans intérêt
scientifique et
128LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ
n'ayant qu'unminime intérét de collection. En matière de
suis plus difficile que d'autres, à ce qu'il
parait, car j'avais constaté, nous le verrons tout à l'heure,
a6solument le contraire de vos obseroations.
laquelle je m'étais résigné vous avez impriméquelques
Solutré est compl8tement passé sous silence. Si vous élevez
Votrethèse,Monsieur,c'estqu'il n'a été fait à Solutré
ancunefouillesérieusequecellesquivousontétécommunesavecM.deFerryparmicellesquisontpostérieures,vousne
ceux qui pouvaient combattre vos idées. Toutes les autres et
donnés sans discernement, et toutesles collections solu-
tréennes forméessans votre participation ne sont qu'une
M. Cousty et mon ami regretté, M. E. Perrault, de Rully,
doivent en prendreleur parti, et ils ne sont pas seuls. La
ville de Mâcon a donc reçu un triste cadeau du premier, et
l'honorable docteur Jannin n'a fait qu'une déplorable acqui-
sition en achetant la collection du second. Je ne sais rien de
la collection Cousty le conservateur du Musée de Mâcon la
défendra, s'il le juge a propos; quant à celle de M. Perrault,
qui a été faite sans parti pris, sans théories à justifier, par un
maniant la pioche lui-même et ne quittant pas ses terrassiers,
séder ni la vôtre ni celle de M. de Ferry,Les petites séries
que j'ai vues chez deux de mes amis de Chalon ont une
suthenticité manifeste, et, quant à la mienne, je puis en
LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ 129
1
BIBL. ÉGYPT., T. XIII.9
toute confiance la soumettre l'étude des véritables con-naisseurs.
Vous avez traité du haut de votre grandeur les fouilleursqui se sont soustraits à votre toute-puissance sur Solutré. Sil'un d'entre eux a osé concevoir des opinions différentes desvôtres, c'est qû il a donné des coups de pioche sans discer-nement; mais vos propres fouilles ont été méthodiques etsérieuses, les seules
méthodiques, les seules sérieuses, et ilne restait plus aux autres qu'une seule chose à faire recon-naître l'exactitude de vos observations
Voilà, Monsieur, vos prétentions clairement et hardimentproclamées, c'est au mieux, vérifions A jructiGus eorumcuynoscetis eos.
I. Au 11 juin 1869. vous étiez arrivé à la conclusionque le Crot du Charnier était complètement épuisé, qu'ilne renfermait plus que des débris épars, sans intérêt scien-tifique et n'ayant qu'un minime intérêt de collection.
Réfutations: « Dans le foyerque j'ai fouilléen octobre 1869,u j'ai recueilli au moins une centaine de flèches, lances ou» débris de ces deux armes. Les grattoirs et les éclats ne secomptent pas (Ab. Duc.. Études, p. 23). (1 J'ai découvertIl des foyers considérable!! à l'abri de toute profanation (ibid.,» p. 8); j'ai fouillé trois autres grands foyers » (ibid., p. 11).« Depuis le mois d'août 1869, tous les gisements explorés» appartenaient, en vertu de baux réguliers, à MM. Ducrost,» de Ferry et Arcelin. D'où sont donc sortis tant d'objetsIl vendus depuis cette époque? » (Votre Lettre, p. 6.)II. Vos recherches méthodiques et sérieuses ayantépuisé ta station, vous deviez bien t'apprécier. Vous la placezà la fin de l'époque quaternaire et la faites
synchronique deLaugerie-Haute deuxième époque des cavernes (F. et A.,Age du renne, p. 1 et 34: A. Arc.. Station, p. 16).
Réfutations C'est au milieu des débris de l'âge du renne,à Solutré, qu'on trouve les pointes de lance du typeacheuléen;un grand nombre de flèches fabriquées sur la station elle-
130 LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ
même offrent le même type. C'est au milieu des mômes
foyers que gisent en nombre relativement plus considérable
ces pointes en forme de losange qui donnent à la station son
caractère et forment le type solutréen. On y trouve aussi
des flèches avec rudiments d'ailerons. Tous ces types ont été
recueillis par moi-méme dans les mêmes foyers et à la même
profondeur (Ab. Duc., Ass. Fr., p. 643).
La station de Solutré offre plus d'un rapport avec celles de
Laugerie-Basse et de la Magdeleine —quatrième époque des
cavernes. Tout, dans cette station, porte un caractère de
transition (Ab. Duc., Ass. Fr., p. 643; Études, p. 29).Les flèches à rudiment d'ailerons se rapprochent du type
néolithique (ibid., p. 21).
III. 11y a Solutré deux ordres de sépultures d'abord,
les sépultures en dalles brutes (F. et A., Age du renne,
p. 21). Nous les avons considérées comme contemporaines
des foyers (F. et A., Age du renne, p. 30).
Réfutations: Les sépultures formées d'un parallélogramme
de pierres, avec une dalle pour protéger la tète, sont, à mon
avis, d'une date relativement moderne (Ab. Duc., Études,
P. 9).
Les sépultures en dalles brutes ne sont point de l'âge du
renne (le même, Ass. Fr., p. 662).
Je suis fondé à regarder comme beaucoup postérieures
les sépultures découvertes presque à la surface du sol par
MM. Arcelin et de Ferry. Ces sépultures ont été creusées
dans des foyers préexistants (Ab. Duc., Études, p. 29).
IV. Puis, les sépultures dans la terre libre; elles ont
donné des types identiques aux premier. En un mot,
nous concluons, sous la dictée desfaits, que foyers, amas de
débris de cuisine ou d'ossements de cheval, sépultures en
dalles brutes, sur des foyers ou dans le terrain libre, sont
unis par un lien intime et incontestable. La nécropole du
Clos du Charnier est parfaitement homogène (F. et A.,
Age du renne, p. 31, 32).
LES FOUILLEURS DF SOLUTRÉ 131
Les sépultures qui sont dans le sous-solordinaire ne me paraissent pas pouvoir être attribuées àl'époque du renne (Ab. Duc., Ass. Fr.,
V. Enfin, les sépultures sur foyers, qui sont réunies engrand nombre et de manière se toucher presque toutes surl'emplacement des débris de cuisine; les squelettes étendussur le dos sont le plus souvent intacts, complets, les os seprésentant dans leur ordre régulier. Leur conservation estcompléte; quelques sépultures paraissent avoir été anté-rieurement violées (F. et A., Age du renne, p. 23). Lessépultures des foyers sont contemporaines des foyers eteontiennent des ossements
identiques à celles des sépultures
Les foyers intacts sont peu nombreux leshôtes de ces foyers sont encore plus rares. Ces sépulturesont été creusées dans des foyers préexistants (Ab. Duc.,
Il y a, dans ce vaste ossuaire, des individus detout âge et de tout sexe; le nomure de ceux que nous avons
pu reconnaître s'élève actuellement à cinquante —en 1868
trois
quatreprovenantdesfouillesdeMM.deFerryetArcelinansderecherches
lable en fait de crânes, et arrivepéniblement au chiffre
quanute-cinq (Arc., Étude.s, 1875, p. 64).Sur lesvingt-cinq crânes envoyés par M. Arcelin pour
Pour être modernes, les dix-huit autres vaguement préhis-torigues; il y en avait sept dolichocéphales, six brachycé-phales, deux très
brachycéphales et un seul sous-dolicho-
132 LES FOUILLEURS DE SOI.UTRÈ
céphale (Ass. Fr., p. 654). C'est avec ces éléments dispa-
rates qu'on a écrit l'histoire préhistorique de Solutré
VII. Vous affirmez que les masses de magma ne con-
tiennent que du cheval, rien que du cheval, absolument que
du cheval, et partout dans les mêmes conditions (F. et A.,
Age du renne, p. 20).
Réfutations Il n'est pas vrai qu'il n'y ait que du cheval
dans les amas; il y a des spécimens du reste de la faune,
de l'ursus spelœus, de l'éléphant, du renne, etc. (Ab. Duc.,
Asx. Fr., p. G38; ibid., p. 631). La faune est plus variée
dans les amas que dans le magma (loc. cit., p. 639). MM. de
Ferry et Arcelin ont dit qu'on ne trouvait dans ces amas
que du cheval,rien que du cheval. Des fouilles considé-
rables ont démontré qu'on y trouve, en petite quantité il est
vrai, le renne, l'ursus spelœus, l'hyène, le loup, l'éléphant
et le bœuf primitifs (Toussaint et abbé Ducrost, Ass. Fr.,
VIII. Vos calculs basés sur vos recherches métho-
diques. poussées, avez-vous dit, jusqu'à épuisement de la
station, vousont démontré que l'ensemble des amas ne con-
tenait pas moins de 2.122 chevaux, chiffre qui vise à l'exac-
titude (F. et A., Age du renne, p. 21). Vous le commentez
en plus de 2.000 chevaux égorgés (loc. cit., p. 35).
Réfutations La quantité de chevaux, dont nous retrou-
vuns les restes à Solutré, est vraiment prodigieuse. Je ne
crois pas exagérer en disant qu'on pourrait en reconstituer
près de 10.000 (Ab. Duc., Études, p. 15).
Je crois rester bien au-dessous de la vérité en disant que
plus de 40.000 chevaux gisent au pied de la montagne. Ce
nombre est donné pour fixer l'attention, c'est certainement
un minimum: il y en a peut-être trois fois plus. Peut-être
120.000 Comprenez-vous,monsieur Arcelin (Toussaint,
Ass. Fr., p. 595) ?
Ne poursuivons pas plus loin cette énumération de vos
erreurs; nous verrons peut-être un jour comment elles ont
LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ 133
vicié vos vues, en général, sur le passé de Solutré. Faisons
seulement remarquer aujourd'hui
Que vous vous êtes trompé sur la richesse de la station
en 1869. Il n'y avait, selon vous, plus rien à y chercher;
Que vous vous êtes trompé sur t'appréciation de l'âge de
cette station. Vous la rapprochiez do l'époque quaternaire, et
la voici descendue jusqu'au voisinage de la pierre polie:Que vous vous êtes trompé sur tout ce qui concerne les
sépultures, c'est-à-dire sur les seuls faits qui pouvaient per-mettre des appréciations sérieuses dans la question archéolo-
gique. Nous avons, sur ce chapitre, dans une certaine
mesure, le confitentem reum. Vous êtes, dites-vous, disposéa faire toutes les réserves qu'on voudra sur les deux sque-lettes exhumés de tombes en dalles brutes par M. de Ftrry,et vous avouez que c'est seulement depuis la mort de ce
personnage que vous avez aperçu les traces certaines de re-
maniements (Arcelin, Études d'arch. prêhist., 1865, p. 65);Que vous vous êtes trompé, grandement trompé, sur le
numbre des squelettes suffisamment authentiques pour mé-riter d'être soumis à l'étude; et il n'en pouvait être diffé-
remment, puisque vous avez attribué à l'âge du renne des
sépultures plus modernes
Que vous vous êtes trompé, grandement trompé, sur le
cuntenu des masses d'ossements et des magmas, encore da-
vantage sur leur étendue.
Et voilà, Monsieur, ce qui vous a autorisé à imprimer dans
votre lettre du 19 mai dernier (p. 5) Entre.les explorateursde Solutré il n'y a jamais eu contradiction touchant les faitseux-mêmes. Unc seule une diveryence s'est produitesur le nombre (les squelette humains relrourés dans lastation de l'âge du renne; mais elle reposait sur un malen-tendu qui s'e,st éluciclé depuis.
Sérieusement, Monsieur, vous n'êtes pas difficile Vos
contradicteurs, et jusqu'à présent je n'ai rien dit en mon
propre nom, vous ont convaincu d'erreur à peu près sur
134 LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ
tous les points qui pouvaient donner lieu à erreur, et ce sont
ces erreurs que vous avez réussi à faire roconnaitre pourconstatations authentiques par MM. de Mortillet, Loydreau,de Mercey, Landa, etc., etc. Je vous en fais mon sincère
compliment.
La petite fouille que j'ai faite en juin 1969, votre lettre
la caractérise ainsi Le fait de passer quelques heures à
Solutré, dé faire donner cà et là quelques coups de piochesans discernemenl, et de tirer, prix d'argent, de la bouche
d'ouorier. cupides, des renseignements contradictoires, ou
rlc recueillir de la m.eme maniére le plus grand nombre
possible d'objets dont il serait impossible de oérifier la pro-venance. Veuillez d'abord. Monsieur, retirer cette expressionà prix d'argent. J'ai payé 10 francs pour la fouille dont il
s'agit, et n'ai jamais dépensé un sou de plus pour n'importe
quel objet de Solutré; je mets qui que ce soit au défi de
prouver le contraire. Les ouvriers, qui étaient les vôtres et
ceux de tout le monde, ne m'ont pas paru cupides. Vous leur
avez rendu ailleurs pleine justice, et M. l'abbé Ducrost l'a fait
de son côté. J'ai payé leur travail matériel, et je ne suppose
pa. que vous ayexjamais fait autrement. Pendantce travail, et
lorsqu'il m'est arrivé de les revoir, nous avons naturellement
parlé de leurs fouilles anciennes et nouvelles. Votre insi-
nuation que je les aurais soudoyés pour avoir des rensei-
gnements est à la fois absurde et calomnieuse.
Ma fouille avait été faite avec plus de discernement quetoutes les vôtres, car. en quittant Solutré ce jour-là, j'avaisconstaté trois points importants
1° Que vous aviez peu fouillé, eu égard à l'étendue de la
station,
2" Que vous aviez mal fouillé;3° Que vous aviez par suite conçu une opinion complète-
ment inexacte, et formulé des théories plus que hasardeuses
en ce qui touche l'archéologie solutréenne.
Je le répète, Monsieur, afructibus eorum cognoscetis eos.
LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ 135
Pour me faire juger la station de Solutré dont vous étiezsi heureux de me faire les honneurs, vous avez fait pratiquerun sondage loin de mes yeux, loin de l'emplacement de vos
fouilles, dans un endroit ou ni votre plan de 1868, ni celuides Renseignemens généreux (1873), ni celui du volume del'Association française (1874), n'indiquent aucune recherche.Cette fouille fut improductive, m'avez-vous affirmé, sans enêtre bien sûr cependant, car vous vous proposiez de reven-
diquer les objets que Buland m'a déclaré avoir trouvés,mais je vous crois sans peine, et le choix que vous aviezfait de ce point improductif ne prouve qu'une chose, déjàprouvée du reste la fausse appréciation que vous faisiezalors de l'état de la station, ce qui résultaitsans nul doute del'insuffisance et du défaut de mét.hode de vos explorations.Ah 1 saas doute, si vous aviez eu alors de l'état de la sta-tion une opinion moins radicalement fausse, on pourraitadmettre que vos manifestations n'avaient eu pour hut quede m'induire dans une erreur que vous ne partagiez pasvous-même. Votre situation ne serait guère améliorée toute-
fois, mais vous avez, dans votre lettre du 9 juin 1869. repousséavec énergie toute hypothèse de ce genre. Dans ma réponse,je vous ai donc exonéré d'un sentiment aussi mesquin, et mesuis contenté de vous attribuer une prétention absolue,exclusive, à l'exploitation de Solutré et l'intention bienarrêtée d'en évincer quiconque voudraity faire des rechercheslibres et indépendantes. Or, vous étiez absolument sans droitpour en agir ainsi. Je serais bien aise de rencontrer quelqu'unqui ne se prit pas d'un fou rire en présence de la gravitéavec laquelle vous faites appel aux intérêts scientifiques quele hasard vous a confiés (votre Lettre, p. 9)! Le droit du
hasard, voilà qui est bien trouv é
Or. ce hasard, c'est un petit garçon qui, suppléant à votre
clairvoyance absente, ramassa et vous offrit une belle lancede silex elle gisait au milieu d'un grand nombre de débrisde silex que vous, simple promeneur, vous n'aviez pas su
136 LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ
apercevoir (A. Arcelin, La plus ancienne peuplade du Mâ-
connais, Journal de Mâcon, 7 septembre 1869). Vous fites
part de ce que vous appelez votre découverte à M. de Ferry,
et, de concert, vous fites les fouilles dont on connalt les ré-
sultats. Je le répète droit du hasard est bien trouvé!
Je ne crois pas au droit du hasard, et vous n'en possédiez
aucun autre, mais, expulsé une première fois, je me tins
pour battu. Mon essai n'était pas encourageant, et je pré-
voyais dès lors le sort qui serait réservé à quiconque renou-
vellerait ma tentative expressions de dédain méprisant,
injures, accusation de corruption de votre homme de con-
fiance, de pièges tendus à la fidélité et à la loyauté de vos
ouvriers, distraction de pièces de la série de vos foyers, etc.,
rien n'y manque. Votre première expulsion m'a suffi. Je ne
suis retourné à Solutré que trois fois, et toujours en simple
promeneur.
Mais, en abandonnant ainsi la lice, j'ai fait mon possible
pour éclairer et encourager de nouveaux explorateurs. C'est
sur mes indications, surtout celle de s'abstenir de tout contact
soit avec vous, soit avec M. de Ferry, que M. E. Perrault,
de Rully, a fait une fouille de trois jours bien remplis, et a
rapporté chezlui, du sol épuisé par vous, une énorme char-
retée d'objets archéologiques de la station silex de toute
espèce, plus decent lances et flèches, os et cornes travaillés,
dents, ivoire d'éléphant, renne, cheval, crânes et parties de
squelettes humains. Il en a distribué un certain nombre de
pièces, et le reste, que vous pourrez voir chez M. le docteur
Jannin, du Montceau, se recommande assez de soi-même
pour se passer de votre contreseing.
Malheureusement, une mort prématurée a enlevé M. Per-
rault, dont les notes sur Solutré ont été dispersées. Nous
sommes ainsi privés d'observations sérieuses et sincères.
qui nous auraient mis à même de grossir la liste des con-
tradictions signalées par M. l'abbé Ducrost. C'est un malheur
irréparable.
LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ 137
Vous vous flattez de m'avoir accueilli une deuxième fois à
Solutré, lors de la visite des membres de l'Association fran-
çaise, le 23 août 1873. J'y suis venu, Monsieur, en vertu
de ma souscription au Congrès de Lyon j'étais là, comme
les autres, pour mon argent personne n'avait à m'accueillir
et personne ne m'a accueilli vous ne vous êtes pas approchéde moi, vous ne m'avez pas adressé la parole, et, pour ma
part, je ne vous ai pas reconnu. Les non-souscripteurs n'ont
pas été admis sur le Crot lorsque les membres du Congrès
s'y trouvaient; j'étais souscripteur, on m'a laissé entrer; jen'ai personne à remercier pour cela. Le Congrès parti, tout
le monde a pu de nouveau se servir du Crot sans restric-
tion, et depuis cette époque les tranchées sont restées
ouvertes. En l'absence de tout débris archéologique, elles ne
sont aujourd'hui ni moins ni plus intéressantes que le
23 août 1873. Peut-être ceux qui ont fait les déblais y ont-ils
découvert quelques objets intéressants; peut-être eût-il été
instructif d'assister aux fouilles; quant aux membres de
l'Association française, ils n'ont rien vu que le non-choix du
non-choix des trouvailles antérieures, le tout disposé en tas
ou dans des paniers le long du chemin tas et paniers étaient
presque aussi garnis au départ des visiteurs qu'à leur
arrivée.
J'étais arrivé trois heures avant les excursionnistes; je n'ai
pas assisté à leur dîner, la cérémonie capitale de l'affaire, et
je suis demeuré longtemps après eux. J'ai donc pu mieux
observer qu'eux. Debout sur la tranchée, en face du squeletteet assez près du bord pour qu'on m'ait invité à reculer de
crainte d'éboulement, j'ai assisté à l'exhumation, et n'ai
rien vu qui pût me permettre de classer cette sépulture avec
quelque assurance. Quelques pierres du côté de la tête, pasou peu de cendres, pas un silex taillé, pas un os dans le
prétendu foyer, une orientation que vous avez plus tard pro-clamée exceptionnelle, bien que M. Broca l'eùt d'abord
signalée comme conforme à l'usage antique. Du côté des
138 LES FOUILLRURS DE SOLUTRÉ
pieds fut rencontré, à niveau inférieur, un os de renne; du
moins il en fut parlé, mais on no montra rien à l'assemblée.
L'opération no dura guère cllc était à peine terminée quela salle du déjeuner fut envahie. Je descendis alors dans la
fouil le, et, en présence de quelques voisins dont l'un me prêtaune pioche, je fouillai l'emplacement de la sépulture sans yrien trouver, pas même de traces cendreuses perceptibles.Si ces traces existaient réellement sous le squelette, il ne
s'agissait certainemcnt pas d'un foyer avec tous les débris
caractéristiques de l'àge du renne, ossements et silex taillés,
foyer que vous auriez. fait enlever jusqu'à 50 centimètres de
profondeur, ce qui représente de trois quarts de mètre à un
mètre cube de cendres ou de terreau cendreux cela ne se
met pas dans la poche, d il en resterait toujours des traces
significatives.
Nous avons ensuite abattu les parois de la tranchée danstous les sens et recueilli quelques débris de silex, restes
déduises rle vos anciens déblais et de ceux de Buland. Au-
cun dos exploratcurs ne parait avoir été plus heureux, tant
les tranchées avaient été soigneusement expurgées. Aussi
les membres ciu l'Association française ont quitté Solutrésans y avoir aperçu un ;ilex dc quelque valeur. Un très
mauvais plaiaaut a prétendu avoir trouvé sur place le
lendemain une phalange portant encore un anneau. Cette
ridicule histoire vous a mis en un émoi qui s'explique bien
par l'incertitude des constatations faites, mais non pas pourceux qui, comme moi, ont fouillé et vu fouiller le terrain
pendant le déjeuner. Lors même que la trouvaille eût étv
réelle, on n'aurait pu légitimment la mettre en relation
avec votre squelette. Il n'y avait qu'a en rire dès l'abord
comme on a lini par le faire plus tard.Mais qui vous port' Monsieur, à parler de cet anneau
propos de moi? J'ai été un peu surpris de recevoir réguliè-rement tout ce qui a été publié sur cet incident. Voudriez-
vous m'incriminer dans cette affaire grotesque? Que signifie,
LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ 139
à propos de moi, la mention de cette lettre anonyme écritedf- Chaton, le 12 mars 1872, pour vous dénoncer à la Société
géologique de France? M'accusez-vous d'en être l'auteur?Que croyez-vous que j'aie de commun avec les insinuationsassez vagues du (1Progrès de Saóne-et-Loire », journal selonvous radical et
anti-catholique, dont, dites-vous. M. Chabasa été le collaborateur et dont il est resté l'ami depuis sa
suppression Vous excellez, on le sait déjà, en matièred'insinuations habiles. Cette dernière a soulevé le dégoûtdes personnes honorables que vous avez gratifiées de votrelettre. Les grands écrivains qui, à leur manière, défendentla religion, la famille et la propriété, vous ont déjà dit quej'ai écrioaillé dans Ic Progrès (c'est leur terme). J'y ai in-séré, en effet, la traduction de deux Contes chinois, en yjoignant, sur la muralité de notre époque, quelques réflexionconcordant mieux avec les paroles de Mgr l'archevêque de
Paris, lors d'une cérémonie récente, qu'avec la morale relâ-chée qui règne en France aujourd'hui, même parmi les dé-fenseurs du trône et de l'autel. Le Progrès n'était peut-êtrepas aussi anti-religieux que vous le dites. C'est vous, du reste,qui m'apprenez que ce journal a publié des articles de votre
goût, qui ont été reproduits dans les journaux de la France etde l'étranger. Vous le lisiez plus régulièrement que moi. Vous
avez, dans les Matériaux, collaboré avec son directeur,M. L. Landa, que vous avez souvent cité avec éloges, et à
qui vous avez rendu, au nom de M. de Ferry, un légitimetémoignage d'approbation (Le Mâconnais préhistorique,p. 7).
C'est à ce degré que l'on descend quand on défend unemauvaise cause, et vous êtes descendu encore plus bas lors-
que vous avez transformé ma correspondance de manière:i en faire ressortir un satisfecit pour vous. Et c'est vous,Monsieur, qui parlez de documents frelatés, de témoins ré-cusables! Voudriez-vous me dire qui a frelaté. falsifié mesphrases pour m'attribuer une absurdité au paragraphe X de
140 LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ
votre Lettre (p. 19)? De ma réponse â M.de Mortillet, tirée à
plus de 500 exemplaires, il m'en reste près de 200 pour vous
prouver 200 fois que vous avez abusé là de la bonne foi de
vos lecteurs'
Arrivée à ce point, la discussion n'a plus aucune utilité
pratique elle ne pourrait que nuire aux intérêts de la vraie
science. Je suis à même de répondre à toutes vos objections,
et de montrer que, quand il y a par hasard rectification juste,
c'est vous-même que vous rectifiez et non pas moi. Mais
j'espère que le public fera, dès à prêsent, justice de vos
allégations sans que je sois obligé de publier les pièces du
procès.
Pour moi, et malgré tous les procès-verbaux du monde, le
squelette déterré devant l'Association française est absolu-
ment insignifiant. L'assemblage d'objets car-actéristiques de
l'époque du renne manquait à la sépulture s'il existait des
traces de foyer, il faut songer aux inhumations postérieures
qui, d'après M. l'abbé Ducrost, ont pu se continuer dans ces
conditions jusqu'aux temps gallo-romains' l'orientation de
la tombe, dont il ne faudrait, selon vous, rien conclure, s'il
s'agit de l'époque du renne (votre Lettre, p. 12), vous l'avez
cependant déclarée exceptionnelle (A. Arcelin, Ass. Fr.,
p. 636). Cette orientation est celle des sépultures burgundes
et franques, et d'ailleurs de l'antiquité chrétienne et du moyen
1. Je me suis assuréqu'aucun des lecteursde la lettre collectivede
M. Arcelin et de M. l'abbéDucrost. mêmeparmiceux qui possèdentma
lettre à VI.de Mortillet,n'a pris garde à cetteaudacieuse falsification
de ma phrase; ellea produit tout l'effetque mes adversaires pouvaient
attendre de l'ineptie qu'ik m'ont prêtée.2. Lacouchecendreuse,dont jen'ai pasretrouvélestracesdansles
déblais où j'ai travailléplus d'uneheure,étaitdanx toumlescasbien
faibles:Lesfogersquenousacons examinéshiersontpeuconsidérablesils ne semblentpas indiquerun séjourprolongé(Cazaliede Fondouce,Ass. Fr., p. 639).Je nem'explique pas l'expressionles foyers;il n'aété questionqued'unseul.
LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ 141
âge (voyez Ass. Fr., p. 600, et Journal officiel, 16 juin 1874,
20 août 1874, etc.).
Je ne me hasarderais pas à déterminer la place approxi-
mative que cette tombe devrait occuper dans cet intervalle
de 4.000 ans et peut-être plus. Pour l'attribuer l'âge du
renne, j'exigerais un peu plus que le minimum déterminé
par vous-même une simple couche de cendres, d'ossements
et de silex périmétrant le corps (Ass. Fr., p. 635). Il fau-
drait que parmi les os il y en eût de renne, et que parmi les
silex il se trouvat quelques pièces caractéristiques les débris
de tout genre abondaient partout à Solutré, et ne peuvent
rien prouver. Les sépultures authentiques, comme celle qu'a
décrite M. l'abbé Ducrost, nous montrent ce qu'on doit
attendre des tombes intactes. Je conclus sans hésitation que
celle qui a été montrée aux Membres de l'Association fran-
çaise est absolument dépourvue d'autorité.
Je n'ai point caché mes impressions, et, faisant écho à
des Membres de l'Association française, qui témoignaient
sans façon leur étonnement de l'exhibition faite devant eux,
j'ai exprimé tout haut les observations que je viens de repro-
duire. Je les ai communiquées aux principaux savants de
la réunion, en leur exprimant la déception que j'éprouvais
en présence de résultats aussi négatifs d'une exploration
annoncée si pompeusement leur réponse a été à peu près
identiquea Cela ne se passe jamais autrement, et il ne faut
» jamais rien attendre d'important des excursions ainsi
» faites en commun. On voit les lieux, on déjeune très bien
» et très longuement, on parle beaucoup, on fait en somme
» de très agréables parties, et voilà tout! » Le savant très
distingué et très sympathique, qui a reçu en ma présence
un os plat VIEUXDE 10.000 ANS! trouvé par un de ses con-
frères coiffé d'un immense chapeau tromblon, pourra, si bon
lui semble, se rappeler pour sa part cette conversation.
Voilà, Monsieur, la narration fidèle de ce qu'il vous plait
d'appeler votre seconde réception à Solutré.
142 LES FOUILLEURS DK SOLUTRÉ
En ce qui touche le fond de la question, j'exprimais ré-cemment la pensée que sur beaucoup de points nous n'étionspas aussi éloi;;nés qu'on pourrait le supposer. De votrecôté, il vous arrive de renvoyr les lecteurs à vos vuesnouvelles, exposées dans le Maronnais préhistorique deM. de Ferry. En 1869, vous étiez moins avancé, et c'est toutnaturel. Depuis lors, vous avez consenti à apprendre quelquechose sur les leçons de gens que vous aviez fort maltraités.Pour ce qui me concerne, je vous ai enseigné que les Juifsde nos jours ne se servent pas de silex pour la circoncision,et, ce qui est plus important, je vous ai déterminé à baisserconsidérablement les chiffres de vos évaluations chronolo-giques. N'en soyez pas trop ému; tout le Inonde se trompe,surtout lorsqu'il s:agit de l'archéologie préhistorique, quin'esl point une science proprement dite (abbé Ducrost,.Études, p. 8).
Quelques mots maintenant l'adresse de M. l'abbé Ducrost.Sans vous, monsieur l'Abbé. nous n'aurions sur Solutré
que comptes rendus de MM. de Ferry, et Arcelin. Si vouseussiez reçu le même accueil que moi ou si vous n'aviez paseu plus de persistance, les erreurs de vos devanciers, quevous avez si consciencieusement relevées, auraient définiti-vement pris place dans la science. Vous savez de quelle ma-nière ces messieurs se débarrassent des observateurs indé-pendants.
J'ai cité votre travail est le citerai souvent encore. J'enfais presque sans réserves mon catéchisme sur Solutré. Sij'y trouvais figurées quelques-uns des silex de taille trèsévidente, qui abondent la station sans être pièces dites
caractéristiques, si vous y aviez décrit plus en détail chaquesépulture trouvée intacte, j'aurais dit absolument sans ré-serves.
Quelques contradictions se sont élevées à propos de ladisposition de la tombe entourée d'un cercle plus ou moins
LKS FOUILLEURS OK SOLUTRÉ 143
régulier de pierres et d'un vase à quatre anses que vousn'avez pas vu retirer du sol. Pour ce vase, la version quevous avez recueillie diffère de celle qui m'a été faite. La
question est sans importance, et je vous accorderai volon-tiers que vos informations sont plus sûres. Il ue me reste
qu'un regret à ce propos, c'est de voir que les gisementsdits néolithiques' que l'on croit avoir aperçus à Solutrén'aient jamais été décrits, ni signalés avec quelque précision.
Quant à la tombe, on a parlé d'une enceinte de 29 pierres.tandis que vous n'en figurez que 21. Ce chiffre de 29 s'estfait jour jusqu'à Paris, par je ne sais quelle voie, mais j'aiété questionné sur la possibilité d'admettre que les Solu-tréens de l'âge du renne eussent connaissance du mois lu-naire. Ces contradictions, les seules dont j'aie parlé rela-tivement à vous, ne sont pas miennes; elles avaient fait
l'objet d'une polémique entre vous et M. Jarry, en juin 1874.
Mais, en les rappelant dans ma réponse à M. de Mortillet
(p. 20; cf. p. 80 du présent volume), j'ai eu le soin d'ajouterSi M. l'abbé Ducrost nous affirmait que les fouilles et la
1/découverte ont été faites sous ses yeux, j'admettrais queta discussion dût être regardée comme close. »
Ainsi donc, monsieur l'Abbé, je me suis montré appré-ciateur très favorable de votre ouvrage, et plein d'égards etde respect pour votre caractère.
Etcependant vous venez d'accréditer de votre
signature,deux fois donnée, toute une série d'imputations fausses et
d'insinuations calomnieuses dirigées contre moi par M. Ar-
celin. Je ne pense pas avoir mérité cette hostilité, et je
1. M. Chabas aurait pu aisèment ramasser à Solutré. gisant sur lesol. des flèches ri ailerons1 (votre Lettre. p. 19). Il y a une dithculté àcela. c'est que M. de Ferry avait tout ramassé en juin 1869. Si quelquesobjets se sont rencontrés plus tard sur le sol non cultivé, ils ne peuventêtre sortis que des fouilles, et surtout de c·elles de MM. de Ferry et
Arcelin, les sculrs sérieuses, etc.. etc. Ces fouilleurs sérieux ont ainsibouleversé des stations néolithiques sans les apercevoir.
144 LES FOUILLHURS DE SOLUTRÉ
ne saurais trop regretter que vous n'ayez pas cru devoir
exiger de justifications ni faire la moindre vérification des
faits allégués. Si, comme vous le dites, la parole d'un
membre de l'Institut (disons correspondant pour être exacts;
a toujours un certain poids, celle d'un membre du clergé
est, à mon avis, dans le même cas. Vous éprouverez, j'aime
à le croire, le besoin de déclarer que, contrairement à vos
premières affirmations
Il n'est point vrai que la lettre par vous citée déclare que
j'ai été bien accueilli à Solutré;
Il n'est point vrai que j'aie écrit, comme vous l'affirmez
dans votre Lettre collective, paragraphe X, que je n'ai jamais
trouvé de flèches à ailerons dans les stations néolithiques;
II n'est point vrai que j'aie corrompu vos ouvriers, ni payé
à prix d'argent des renseignements contradictoires'.
Vous ne manquerez pas, je l'espère, de vous faire repro-
duire la lettre conservée dans les archives de M. Arcelin
(votre Lettre collective, p. 4), qui. par un hasard inexpli-
cable, est partie de Chalon pour dénoncer les explorateurs de
Solutré. Vous vous assurerez si ce hasard inerplicable vous
donnait le droit de me supposer l'auteur d'une dénonciation
anonyme, et vous vous hâterez de repousser toute solidarité
avec cette insinuation calomnieuse.
1. « Le compagnon fldéle, quelquefois le guide el l'initiateur de vos
» travaux (Ab. Duc., lhudes, p. ao). » « ce petit homme trapu et
» robuste 'e l'œil intelligent, légèrement proKnathe. c'était à croire
u qu'il avait vécu du temps des Mongols, tant il était précis dans la
» description de leurs huttes, de leurs sépultures, de leurs mœurs »
(Arcelin, Sulutré, ou les Chasseurs de rennes, p. 99). Pierre Buland
pour l'appeler par son nom. lorsqu'il m'offrait de fuuiller pour moi,
aurait été plutôt corrupteur que corrompu. Mais. laissant de côté la
poésie et l'amplification, je n'ai reconnu en lui qu'un homme honnête.
simple et passionné pour ses travaux de fouilles. Propriétaire a Solutré,
autorisé par d'autres propriétaires, et. pour le Crot du Charnier, par
le droit commun, il a mis sa pioche et son expérience au service de
tous les fouilleurs, moyennant le salaire de son travail. C'était son droit
et même son devoir. Je suis heureux de lui rendre ici pleine justice.
I.KS FOUILLEURS DE SOLUTRÉ 145
BIBI.. ÉGYPT., T. XIII. 10
Pour ce qui concerne ma collaboration au Progrès, vous
l'apprécierez votre gré. J'insère où bon me semble mes
productions scientifiques et littéraires, et ne fais de politiquenulle part. En matière de religion, je suis convaincu que les
journaux républicains et même jusqu'à présent les prédi-cateurs de l'athéisme sont beaucoup moins dangereux que
l'exemple donné par tant de prétendus catholiques, dont la
conduite semble démontrer qu'ils ne croient point au juge-ment des morts. A mon avis, il y a quelque chose a faire
pour raviver le sentiment religieux dans le cœur du peuple.et ce quelque chose il ne faut pas l'attendre de la part de
ceux qui regardent comme un signe d'infériorité sociale lesnobles stigmates du travail.
Vous êtes spiritualiste et catholique, dites-vous, monsieur
l'Abbé. Je n'en doute pas, mais vos idées sur la longue chro-
nologie ont l'inconvénient de s'accorder mieux avec celles
des matérialistes que les miennes. En admettant, comme
vous l'avei fait, que le dépôt du lehm sur les rives de la
Saône, entre les marnes et les débris romains, ait duré de
sept à huit mille ans (ab. Duc., Études, p. 29), ce qui fait neuf:i dix mille ans jusqu'à l'époque actuelle, vous vous êtes enlevé
tout moyen de réfuter l'orateur qui a proclamé bien haut quele chasseur de rennes de Solutré était beaucoup plus ancien
yue le premier Juif appelé Adam. Cette assertion ne regarde
pas seulement la chronologie, car, si Adam n'est pas le
premier des hommes, si toute la race humaine n'a pointhérité de lui la tache originclle, le christianisme tombe, etle peuple, qui lit les almanachs, et à qui on enseigne que le
Christ est venu sur la terre vers l'an 4000 après la créationdu monde, ne peut qu'être frappé de vous entendre pro-clamer sans commentaire des dates de 4.000 ans antérieuresà ce qu'on lui a dit de l'origine de l'humanité. Je crois, moi
anssi, qu'il faut vieillir le premier homme, mais avec pru-dence et sur des preuves bien déduites. Or, les preuves sur
lesquelles vous vous êtes fondé n'étaient pas dans ce cas.
146 LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ
Vous vous êtes appuyé sur les calculs de M. Arcelin, et
M. Arcelin, après avoir parlé du chiffre de huit à dix mille
ans, convient aujourd'hui que les marnes quaternairesne re-
montent qu'à 6.750 ans (É'tudes d'arch. préhist., p. 39), et,
cette fois, c'est pour lui une certitude chronologique. Cette
reculade de 3.000 ans le ramène ainsi que vous dans les
limites de la chronologie biblique. Ce n'était vraiment pas
la peine d'en sortir.
Vous voulez bien m'inviter à aller mettre fin à mes incer-
titudes à Solutré sous votre direction et celle de M Arcelin.
Je n'ai, monsieur l'Abbé, aucune incertitude, grâce à mes
propres observations et surtout aux vôtres Solutré, station
classée chronologiquement par sa faune quaternaire, touche
à ce que vous appelez l'époque néolithique, qui, selon moi,
tombe dans le premier millénaire avant notre ère; votre allié
d'aujourd'hui la fait remonter environ trois siècles plus haut
les objets caractéristiques des temps quaternaires s'y ren-
contrent mêlés avec ceux qui se rapprochent de la pierre
polie, et cette circonstance exclut toute idée d'intervalle
considérable entre les deux époques, tandis que la perfection
du travail, la notion des arts et celle de l'arithmétique nous
montrent l'homme de Solutré aussi intelligent que celui de
nos jours et, dans tous les cas, bien supérieur à la plupart
des tribus encore sauvages. L'état physique de la région
centrale de l'Europe peut être apprécié par les pérégrinations
de la tribu dont vous signalez les rapports avec les côtes de
l'Atlantique, d'une part, et avec l'Oisans, la Savoie, l'Isère,
d'autre part (abbé Ducrost, Études, p. 24). Il y a quelque
probabilité qu'alors la barrière des Alpes n'était pas infran-
chissable, et que les Solutréens pouvaient aller chercher
jusqu'à la Superga le cerithium et la cardita dont vous avez
parlé. J'espère pouvoir traiter spécialement cette question.
Ces notions généralesme suffisent. La fantasmagorie des
dix mille années a disparu, c'est là l'essentiel.
Cette station, épuisée en 1869 par vos devanciers, ré-
LES FOUILLEURS DF SOLUTRÉ 147
épuisée par vous, épuisée de nouveau par M. Perrault, parM. de Fréminville, par M. Cousty et par tant d'autres, estencore assez riche pour mériter des fouilles subvention-nées 1 Je m'en doutais un peu. Si j'avais eu voix délibérativeIl l'Académie de Mâcon, j'aurais provoyué, depuis 1866, lamesure qu'elle vient de prendre trop tardivement. Permetteztoutefois que je demeure étranger à vos recherches si jeretourne à Solutré, ce sera pour accepter les offres bienveil-lantes que me fait depuis longtemps un propriétaire du pays.Je ne fouillerai que d'une manière complètement indépen-dante de quiconque assume des prétentions à la propriétéexclusive du droit de fouiller et n'accueille les visiteurs quepour les obliger à se faire l'écho de ses propres observations.
Nos lecteurs diront, monsieur l'Abbé, si ce que j'ai écritvous concernant doit étre considéré comme un dénigrementou comme un éloge de vos travaux. Mais quelqu'un vous acontredit sur un point très essentiel que vous n'aviez pasdéveloppé dans vos Études de 1872 avec la même netteté
yu'au Congrès de Lyon en 1873. Je veux parler de la réuniondans les mêmes foyers et à la même profondeur, au milieudes mêmes débris de tous les types de silex taillés, depuis lapniute acheuléenne jusqu'aux rudiments d'ailerons (abbé
Ducrost. Assoc. Fr., p. 643). On a imprimé, en effet, cequi suit dans le Journal de Sa6ne-et-Loire, en juin 1874I d'article est daté du 24 mai)
Solutré, nous pouvons, l'aflirmer hautement, renfermedans la partie archéologique de son terrain trois étages» bien établis
1" Un étage inférieur» 2° Un étage moyen
3° Un étage supérieur, et de grands détails sont donnés» sur les spécialités de chacun de ces étages. »
CI: contradicteur, vous l'avez reconnu, c'est vous-même,monsieur l'Abbé. Si la superposition de couches dont vouspartez existe réellement, c'est un fait des plus importants
148LKS FOUILLEURS DE SOLUTÉ:
pour l'étude, et l'on aurait de bien plus graves motifs encore
pour déplorer l'inintelligente exploitationdes premiers
Franchement, vous n'avez vous
contradictions, si pleines de réserve et de a
mieux ce n'est pas contre moi, mais contre vous, que
M. Arcelin, tant en son nom qu'on celui de M. de Ferry.
aurait le droit de formuler des plaintes.Nos lecteurs ont
déjà une liste assez significatived'errdurs par vous relevées.
Mais veuillez bien vous relire, monsieur l'Abbé
« La station de Solutré a été découverte, exploréepariiel-
» lement et décrite par MM. de Ferry et Arcelin avec un
» zèle au-dessus de tout éloge, mais pent-être dansle prin-
surtout avec une absence de méthode, qui existe né
» cossairement lorsqu'en présence de l'inconnu, etc.
» Venu après eux, j'ai profité de leur expérience et de
» leurs travaux; la voie m'était ouverte, je n'avais qu'à
» suivre en modifiant ce qu'uneobservation attentive
» m'avait apprisêtre défectueux.
» Mes fouilles ont confirmé sur plusieurs points les dé-
» couvertes de mes devanciers.
» Des fouilles opéréessous mes yeux par MM. de Ferry
» et Arcelin me parurent trop superficiellesdans le sen,
» réel du mot. A une profondeurhabituelle de 30 à 40 cen-
» timètres ils rencontraient des traces de foyer, de silex, des
» cà et là sans ordre apparent au milieu de ces débris.
Ces
» moderne. Les hommesdo la pierre polie, des Gallo-romains
» d'une civilisation depuis longtemps disparue »(abbé Du-
adouci dans ces textes
tation du défaut de méthode qui ressort,ait d'ailleurs d'unsi
grand nombre de faits mal observé· et signalés par vous.
LES FOUILLEURS DE SOLUTRË 149
Pour moi, le zèle au-dessus de tout élogc se réduit à un vif
désir d'épuiser la station avant tout contrôle possible. Il
m'étonnerait cependant que vos devanciers n'eussent pas
reconnu, même en fouillant sans méthode, les silex et les os
qui abondaient par centaines de mille kilogrammcs dans le
terrain qu'ils bouleversaient; vos fouilles ont nécessairement
dû confirmer leurs observations sur plusieurs points, mais
cela veut dire pour moi qu'elles les ont contredites sur tous
les autres points, et tout le monde sera de mon avis.
Peut-être, monsieur l'Abbé, aurez-vous aujourd'hui la
curiosité un peu tardive de vous faire montrer la correspon-
dance que M. Arcelin vous a transformée en attestation de la
bonne réception qu'il m'a faite à Soiutré. Vous y verrez que,
dans sa réponse du 9 juin 1869, M. Arcelin se défend et
défend M. de Ferry contre l'accusation d'incapacité despo-
tique. Je n'avais pas formulé cette accusation à vous de
décider si elle résulte spontanément de l'exposé des faits.
Mais vous conviendrez avec moi que c'est là nn singulier
thème dans une correspondance de congratulations! Ne
regrettez-vous pas d'avoir signé ces phrases Serait-il vrai,
monsieur Chabas, que oous eussiez été personnellement mal
accueilli à Solutré ? Veuillez rappeler vos souvenirs?
Mes souvenirs, je les ai rappelés, avec preuves à l'appui.
Trouvez-vous que j'aie répondu pertinemment à votre ques-
tion ?
Cette lettre, monsieur l'Abbé, pourrait aisément prendre
les proportions d'un gros livre. Mais la science est en pos-
session de documents qu'il n'est plus possible d'éliminer du
débat, et, grâce à vous, nous possédons des constatations
sérieuses et des assertions positives qui serviront à l'appré-
ciation des résultats ultérieurs de votre association avec
M. Arcelin. Je vous en exprime de nouveau mon extrême
satisfaction.
Dans l'intérêt de la science, et pour que le caractère trop
personnel des recherches faites à Solutré porte le moins
150 LES FOUILLEURS DE SOLUTRÉ
de préjudice possible à l'appréciation do cette importante
station, j'émets ici le vœu qu'à la liste des publications spé-
ciales par moi énumérées (ci-devant, p. 2; cf. p. 120 du
présent volume), on ajoute le Mâconnais préhistorique,
Mâcon, 4°. 1870, la Lettre collective de messieurs Ducrost
et Arcelin à monsieur Chabas, en date du 19 mai 1875,
et la présente Réponse à cette lettre, et que le tout serve
de préface indispensable aux publications auxquelles pourra
donner lieu votre association présente avec M. Arcelin.
Solutré est partout cité comme une station célèbre de
l'homme à l'époque quaternaire; les crânes de Solutré
occupent une place d'honneur dans les élucubrations anthro-
pologiques. Vous jugerez comme moi qu'il est indispen-
sable de placer sous les yeux du public tous les documents
contradictoires de la question, et de le rendre juge de la
fragilité de l'édifice. Votre attaque collective m'a mis dans
la nécessité de démentir bon nombre désertions, à propos
desquelles votre alliance récente avec M. Arcelin parait vous
avoir fait perdre de vue vos constatations premières. En
me rappelant les faits inexacts que vous avez, sans vérifica-
tion, attestés par votre signature, je suis fondé à craindre
que vous ne soyez amené à en attester beaucoup d'autres
non moins controuvés, et qu'avant peu, en vous opposant
ces reconnaissances imprudentes, on ne vous démontre que
c'est vous-même qui aver fouillé sans méthode et non pas
MM. de Ferry et Arcelin. Ce serait payer un peu chère-
ment votre part du droit exclusif de fouiller. Toutefois le
public, qui est en possession de votre ouvrage, demeurera
juge de la valeur d'un tel désaveu, s'il venait à se produire.
F. CHABAS.
Chalon-sur-Saône, 15 juillet 1875.
SUR
L'USAGE DES BATONS DE MAIN
Chezles Hébreuxet dans l'ancienneÉgypte'
Les nations de l'Orient ont, de tout temps, considéré le
bâton non seulement comme un soutien et une arme, mais
encore comme un insigne de dignité et d'autorité. Il en était
sans doute de même chez les peuples occidentaux, dont
l'antiquité nous est moins bien connue.
Je me propose d'examiner, dans ce mémoire, les emplois
variés du bâton de main chez les Hébreux et chez les Égyp-
ticns.
Le bâton était, chez les Israélites, l'accessoire obligé de
la marche en général, mais surtout du voyage; il servait à
la fois d'appui et d'arme défensive. En instituant la fête de
la Pâque, qui rappelait la sortie d'Égypte, Jéhova enjoignit
aux Hébreux de ne point s'asseoir à ce banquet commémo-
ratif, mais au contraire de le manger en grande hâte, les
reins ceints, les pieds chaussés des souliers de la route et le
bâton à la main'.
Lorsque le patriarche Juda allait inspecter ses domaines
1. Publié dans les Annales du Musée Guimet, t. 1, p.35-48.—G. M.
2. Ezode, ch. XII,v. 11.
152 SUR L'USAGE DES BATONS DR MAIN
dans la montagne, il prenait son bâton, sans doute un bâton
de chef ayant une certaine valeur. Sa belle-fille, Thamar,
exigea de lui le don de ce bâton avant d'acquiescer à ses
désirs'.
Jacob, voulant caractériser l'état de dénuement dans le-
quel il se trouvait lorsqu'il franchit le Jourdain, dit qu'il
n'avait que son bâton Onn'imaginait point alors de voya-
geur sans cet accessoire indispensable.
Le bâton pastoral, qui est devenu la riche crosse des pré-
lats, était dans l'origine une simple branche noueuse, propre
à rassembler le troupeau et à le défendre contre les attaques
des carnassiers. Le berger s'en servait aussi pour châtier
son chien et pour se défendre lui-même des chiens étran-
gers.« Tu me prends donc pour un chien? » criait Goliath
à David, qui s'avançait contre lui armé du bâton qu'il ne
quittait jamais'.
Le bâton était aussi le soutien du malade et du blessé, et
l'appui des pas chancelants du vieillard. On trouve deux
fois répétée au livre de Tobie l'expression baculus senec-
tutis, bâton de vieillesse', aujourd'hui si familière. Celle des
« hommes ayant un bâton à cause de la multitude de leurs
jours fait à à l'idée vieillards dans un passage du
prophète Zacharie
Le texte sacré nommé bâton, de roseau tout appui sans
force. (1Mets-tu ton espoir dans ce bâton de roseau brisé.
dans l'Égypte? » dit l'Assyrien Rabsacès au roi Ézéchias..
Le mot bâton de main était si étroitement lié a l'idée
appui, soutien, défense, qu'il a été de tout temps employé
dans un sens métaphorique. C'était, comme on en peut déjà
1. Genèse,cll. XXXVIII.V.ltt.
2. Genèse,ch. XXXIII.v. 10.
3. Rois, l, ch. XVII.V. 10à 43.
4. Ch. v, v. 23,ch. x. v. 4.
6. Rois. IV,ch. xix. v. 21. Cf. Isaic, ch. xxxvi; Ézèchiel, ch. XXIX.
CHEZ LES HÉRRFI'X ET DANS L'ANCIENNE ÉGYPTE 153
juger par l'oxemple que nous venons de citer, une expres-
sion habituelle chez les Assyriens.
A une date plus reculée, Jéhova menace les Israélites du
fléau de la famine s'ils n'observent pas la loi qu'il leur
donne « Je briserai, dit-il, le bâton de votre pain'. n Cottx
image revient dans les prophètes« Je vous accablerai par
la famine, je briserai le bâton du pain dans Jérusalem'. »
La protection divine est quelquefois caractérisée par l'ex-
pression la verge, le bâton de Dieu'. Les mêmes mots em-
portent aussi l'idée de châtiment « Assur est la verge et le
bâton de ma colère4. » De même ils expriment l'idée pou-
voir, autorité, force. a Le Seigneur a brisé le bâton des
impies, la verge des dominateurs tyranniques'. »
Le bâton expressément nommé bkton de main constituait
une arme qui parait avoir été employée même à la guerre.
En parlant de la déroute des peuples de Gog et de Magog
dans les montagnes de la Judée, Ézéchiel dit que les Israé-
lites n'auront plus besoin du bois des champs pour allumer
leur feu « Ils brûleront des armures, des boucliers, des ja-
velots. des arcs. des flèches, des bâtons de main et des
lances4. »
Chez tous les peuples, la peine de la fustigation a été
appliquée au châtiment de divers délits et à la correction
des enfants. o Qui épargne son bâton, dit l'un des proverbes
de Salomon, a de la haine pour son fils'. n « La verge, dit
un autre précepte, est pour le dos des insensés'. n
1. Lécitique, ch. XXVI, v. 26.
2. Ézéchiel, «li. iv. v. 16; ch. xtv.v. 13.
3. Ps., xxn. v. 4.
4. Isaïe, ch. x. v. 5.
5. Isaïe, ch. xiv. v. 5. Comparez Jérémic, ch. XLVIII, v. 17.
6. Ézéchiel, ch. XXIX, v. 6. L'expression est maqel iad. Elle désigne
une simple branche dans un passage de la Genèse (ch. xxx. v. 37).
mais le maqel pouvait recevoir une armature de métal.
7. Procerbes, ch. XIII, v. 24.
8. Proverbes, ch. xxvi, v. 3.
154 SURL'USAGE DES BATONSDE MAIN
C'est prnbablement par suite du droit de frapper que le
bâton des chefs a été considéré comme un insigne du com-
mandement. Le sceptre ou bâton royal emportela même
idée ce n'était dans l'origine qu'une simple branche. Pour
désigner le pouvoir royal, qui ne doit pas sortir de la race
de Judas, la Genèse se sert du mot SCHEBAT,verge, bâton1,
qui nomme aussi la baguette de la fustigation.Mais le
sceptre royal fut de bonne heure façonné et garni avec un
soin particulier. Celui qu'Assuérus tendit à Esther était d'or
ou du moins garni d'or. Esther en baisa humblement l'ex-
trémité'
I,a puissance irrésistible du bâton levé, dans les mains du
maitre, est passée naturellement dans le bâton de l'enchan-
teur, puis dans le bâton de la rhabdomancie et dans le bâton
augurai.
Toutefois, le premier prodige opéré à l'aide de baguettes
semble tenir à un autre ordre de considérations. Berger de
son beau-père Laban, le patriarche Joseph régla les condi-
tions de son salaire il devait prendre, comme sa propriété,
les agneaux tachetés et ceux qui seraient d'un rouge foncé.
tous les autres restaient à Laban. Mais Jacob fit pencher la
balance dans son intérêt par un proccidé qui montre que
l'influence de la domestication sur les animaux avait été
observée à une époque bien reculée. Il prit des baguettes
(maqelim) de divers bois, y fit des raies blanches en enle-
vant une partie de leur écorce et les plaça dans les auges et
dans les abreuvoirs où les brebis venaient boire. A la vue
de ces baguettes, les brebis entraient en chaleur et produi-
saient des agneaux tachetés'.
Le pouvoir surnaturel du bâton est bien mieux caracté-
risé dans l'histoire de Moise et d'Aaron. Tout le monde a
1. Genèse, ch.xxxxx, v. 9.
2. Esther. ch. v, v. 2-
3. Genèse.eh. xxx, v. 32et suivants.
CHEZ LES HÉBREUX ET DANS L'ANCIENNE ÉGYPTE 155
présents i l'esprit les miracles qui, d'après le texte sacré,
préparèrent et accompagnèrent la sortie des Israélites. C'est
par l'ordre exprès de Dieu que le législateur hébreu devait
tenir à la main son bâton (mitah) pour faire des prodiges'.
Moise donne lui-même à ce bâton le nom de bâton de Dieu
(mitah ha Elohim2).
Changé en serpent, le bâton de Moise dévora les serpents
produits par les magiciens de Pharaon'. II frappa les eaux
et les changea en sang' et présida à toutes les catastrophes
destinées à agir sur l'esprit du souverain de l'Égypte 3. Moise
le tint élevé pour se frayer un chemin au milieu des vagues
de la mer Rouge4 il en frappa le rocher d'Horeb pour en
faire jaillir une source'.
Le bâton (mitah) fut encore l'agent du prodige qui con-
firma les pouvoirs sacerdotaux de la tribu de Lévi, après
la révolte de Korah, Dathan et Abiram. Chacune des tribus
fournit à cette occasion un des bâtons de son chef, et Moïse
déposa tous ces insignes, pendant la nuit, dans la tente d'As-
signation. Le lendemain, la verge qu'Aaron avait déposée
pour la tribu de Lévi se trouvait garnie de fleurs, de bou-
tons et de fruits'.
Un exemple bien caractéristique de la puissance magique
agissant au moyen du bâton se lit dans la touchante histoire
de la Sunamite, dont Élisée ressuscita l'enfant mort. Le
prophète avait envoyé son serviteur Guéhazi avec ordre
d'appliquer son bâton sur la face de l'enfant5.
1. Exodie,ch. IV,v. 17.
2. Erode, ch. vu.v. 20.
3. Erudr, ch. vu, v. 10.
5. Exode, ch. XIV,v. 1621.
6. Exode, eh. xiv, v. 16 &21.
7. Erode, ch. XVII,v. 6.
8. Nombres,ch. XVII,v. 17et suivants.
9. Rois, IV, ch. tv. v. 29 et 31.
156 SUR L'USAGE DES BATTONSDE MAIN
Du reste, l'abus que faisaient les Israélites de la rhabdo-
mancie est condamné par le prophète Osée a Mon peuple
interroge le bois; un bâton (maqel) lui fait des prédic-
tions'. »
Ainsi qu'on le voit par les détails qui précèdent,le bâton
touche à des détails multiples de la civilisation hébraïque;
on en peut dire autant en ce qui concerne la civilisation de
l'ancienne Égypte. Depuis que l'écriture hiéroglyphique
n'est plus un mystère, on s'est aperçu qu'il existait entre ces
deux nations, si importantes par le rôle qu'elles ont rempli,
des affinités étroites qui se rencontrent jusque dans les idées
religieuses. Il a fallu toute l'énergie de Moïse pour diviser
sur le terrain politique des populations entre lesquelles
existait une sympathie marquée. J'ai traité ce sujet dans
plusieurs Mémoires auxquels les présentes recherches
peuvent ajouter un chapitre nouveau.
Comme chez les Hébreux, l'usage du bâton pour la
marche et le voyage était général en Égypte. C'était le pre-
mier objet à préparer pour le départ, ainsi qu'on le voit
dans le Conte des Deux Frères2. Une des grandesmisères
du voyageur consistait à être privé de bâton et de souliers
tel était, d'après un papyrus,le sort qui menaçait le jeune
militaire allant rejoindre son cantonnement par les chemins
pierreux de la Syrie'.
Sur les rives du Nil, comme sur celles du Jourdain, le
bâton était le grand argument do l'éducation de la jeunesse.
« Travaille assidûment, ou tu seras battu n, répètent sans
cesse les maitres à leurs élèves, et ils ajoutenta Les
oreilles du jeune homme sont sur son dos; il écoute quand
on le frappe'. »
1. Osèc, ch. IV, v. 12.
2. Papyrus d'Orbincy. p. 13, 1. 1.
3. Papyrus Sallier l, p. 7, 1. 4.
CHEZLESHÉBREUXETDANSL'ANCIENNEÉGYPTE157
Un scribe, rappelant les punitions qu'il a subies sur les
bancs de l'école, dit qu'il a vécu sous la férule et qu'elle lui
a assoupli les membres'. Dans cette phrase, le nom de la
baguette fustigatrice est pakkha, littéralement l'entameur,
lefendeur.
L'application de la bastonnade est bien des fois figurée
sur les monuments de l'ancienne Égypte; elle faisait partie
du code pénal militaire. Les espions étrangers y étaient
soumis, et on les obligeait ainsi à révéler les plans de l'en-
nemi. Les gymnasiarques de l'époque pharaonique dres-
saient, par ce moyen cruel, les sujets qu'ils montraient en
public et dont les tours d'agilité et de souplesse n'ont pas
été dépassés par les Auriol de nos jours. Dans certaines
scènes de ce genre. on voit même le bâton noueux s'abattre
sur les épaules des jeunes filles*.
Le bâton était aussi un moyen d'instruction judiciaire
qu'on n'a guère le droit de trouver rigoureux dans notre
pays, qui a conservé si longtemps la question ordinaire et
extraordinaire. Il ne parait pas, d'ailleurs, qu'il en ait été
fait usage en Égypte dans d'autres cas que ceux de flagrant
délit et de crime avoué. Le juge ordonnait alors la baston-
nade sur les pieds et sur les mains au moyen d'un bâton
nommé batjana et 6atjara, mots qui rappellent bâton et
battre. Ce n'est toutefois qu'un rapprochement mnémo-
nique'. La verge de la fustigation s'appelait aussi djaba.
Lorsque les scribes du trésor venaient dans les campagnes
percevoir l'impôt en nature, i!s étaient accompagnés de
recors armés de bâtons, et de nègres portant des rameaux
de palmier, pour avoir raison des récalcitrants'. Le texte
qui nous donne ce détail appelle le bâton de l'exacteur
1. Papyrus Anaatasi V, p. 18, 1.1.
2. Wilkinson, The Egyptiansin the Time o/' tkr Pharaohs (p. 17).
3. Voy. Chabas, Mèlanges égyptologiques, 3' série, vol. II, p. 17, et
Goodwin, dans le Journal égyptologiquede Berlin. 1874, p. 62.
4. Papyr·us Sallier I, p. 6,1. 8.
158 SUR L'USAGE DKS RATONS DE MAIN
schebot. Ce nom parait avoir été emprunté à la langue
hébraïque qui l'a appliqué, comme nous l'avons vu ci-
devant, au sceptre royal et à la baguette de la fustigation.
Il s'est conservé tel quel dans le copte.
Le même mot servait quelquefois aussi de nom au bâton
du vieillard. Il est naturel, en effet, que l'homme âgé fasse
respecter sa dignité, le cas échéant, au moyen de l'arme
qui lui sert de soutien. Au nombre des maximes de l'an-
tique sagesse égyptienne, on trouve la recommandation du
respect dû aux supérieurs et l'observation que la réponse du
vieillard portant le bâton sert à abattre la témérité'. Ailleurs,
le même moralisme dit que « réponse grossière fait lever le
bâton' 1).
On sait que, d'aprvs la doctrine sacrée, certaines phases
de la vie d'outre-tombo n'étaient qu'une reproduction de la
vie sur la terre jusque dans ses moindres détails. Aussi les
défunts n'abandonnaient-ils pas l'usage des bâtons de main.
Les scènes funéraires représentent, en effet, le mort revivi-
fié cheminant, son bâton à la main, sur les routes du double
ciel. On trouve dans les textes mythologiques de nom-
breuses allusions à cet usage ils expliquent notamment quu
le défunt se taille le bâton qui doit soutenir ses pas2.
Ayant ce bâton à la main, il se tient debout sur ses pieds4,
et, à l'aide de cet appui, il traverse l'océan céleste*.
Ce bâton mystique du défunt a pu avoir pour type le
bâton d'Horus, qui a joué un certain rôle dans l'histoire
mythologique. Au moyen de ce bâton, Horus avait scellé la
bouche de Set, son adversaire5. Dans une autre occasion,
1. Papyrus Boulaq IV, pl. VI, 1. 8.
2. Papyrus Boulaq Il', pl. XXII, 1.7.
3. Todtenbuch,ch. cxxx. 10.
4. Todtenbuch, ch. LXV.2.
5. Todtenbuch, ch. cxxx, 19.
6. Naville, Mythe d'Horus. pl. XV, 7.
CHEZ LES HÉBREUX ET DANS L'ANCIENNE ÉGYPTE 159
le même bâton avait répandu de la lumière'. Horus s'en
était trouvé privé dans une circonstance grave, qu'un pa-
pyrus expose en ces termes « Horus quitte le pays il
s'éloigne de l'Égypte. Le ciel était orageux, la terre obscure
personne ne l'accompagnait. Sa mère Isis l'avait envoyé,
et il n'avait pas à la main de bâton sur lequel il pOt s'ap-
puyer il n'avait pas au cou son talisman de l'Œil sacré
(l'Oudja) qui lui eût servi de protection. II marche et tombe
sur la terre. »
L'emploi du bâton dans les opérations magiques ne nous
a été révélé par aucun texte jusqu'à présent aussi l'histoire
des magiciens de Pharaon transformant leurs bâtons en ser-
peuts ne peut trouver son corollaire dans les hiéroglyphes.
Cependant l'acte d'Horus, abaissant son bâton et scellant
ainsi la bouche de son ennemi, a dû être imité par les in-
cantateurs égyptiens qui conjuraient les maladies et les
périls par l'évocation des traditions de la guerre typho-
nienne.
Chez les Égyptiens, comme chez les Hébreux, le mot
bâton avait pris un sens métapl.orique. Un haut fonction-
naire sacerdotal se vante d'être le Bûton du roi dares les
temples2.
Les bâtons qui servaient de sceptres aux rois et aux
grands personnages étaient le plus souvent travaillés avec
art et richement ornés; les textes citent des bâtons d'or',
analogues sans doute au sceptre d'Assuérus; d'autresavaient
le pommeau marqueté d'or'. Le grand aounnou de Thot-
mès III semble n'avoir été qu'une branche tlexible de bois
rare.
1. Naville, Mythe d'Horus, pl. XXIII, 64.
2. Papyrus Boulaq VI, p. 5, 1.7 et suivantes.3. Stèle de Pisheremptah;Prisse, Monumentsègyptiens, pl. XXVI.4.4. Leemans, Musée de Leyde, III, k, 24.5. Papyrus Anastasi IV, pl. 17, 3. En égyptieu, la pomme est nom.
mée la main du bâton.
160 SUR L'USAGK DFS BATONS DE MAIN
Une maxime de l'antique sagesse égyptienne exprime, à
propos du sceptre de la puissance, une idée très philoso-
phiqueIl Le morceau de bois brisé tombé dans le champ
et qu'ont frappé le soleil et l'ombre, l'artiste le recueille, le
dresse et en fait le sceptre des grands'.»
Je n'ai pas fait ressortir en détail toutes les affinités qui
existaient entre les idées égyptiennes et celles des Hébreux
dans la plupart des ustiges des bâtons de main. Ces analo-
gies sont frappantes.
Je puis en signaler encore une qui est fort singulière et
qui se rapporte à la formalité de la prestation des serments.
Un document judiciaire, daté de la grande époque pharao-
nique, décrit le serment prêté devant les magistrats in-
structeurs par un ouvrier prévenu de vols dans les hypogées
avant de faire sa déclaration, cet ouvrier prononça un par
la vie du pharaon, en se frappant le nez et les oreilles et
se plaçant.sur la téte du bâtons. Il manifestait ainsi qu'il
connaissait la rigueur de la loi pénale, ordonnant, dans cer-
tains cas, l'ablation du nez et des oreilles il montrait aussi,
en se penchant sur le bâton du juge, qu'il reconnaissait
l'autorité et le droit de frapper représentés par cet insigne7.
On peut comparer ce dernier détail à une particularité
du serment fait par Joseph à son père Jacob. Le patriarche
avait demandé à son fils de lui jurer qu'il ne l'enterrerait
pas en Égypte. Joseph prêta, à la manière des Hébreux, le
serment qui lui était demandé, c'est-à-dire, pour en pro-
noncer la formule, il plaça sa main sous la cuisse de son père.
Ensuite, et sans doute en témoignage de sa reconnaissance
de l'autorité du plus grand fonctionnaire de l'Egypte, le
patriarches'inclina sur la tête du bâton
1. Papyrus Boulaq IV, p. xxm. 13.
2. Voy. Chabas. Mélanges égyptologiques.3' série, t. 1,p. 80.
3. Genèse,ch. XLVII.v.LUà31.LesSeptanteontbientraduitcedé-
tail. LaVulgaterendmitahparlit.etlespoints-voyelles,bienplusré-
centsquela versiondesSeptante,ontétéappliquéscnnformémentà
CHEZ LES IIf:RRRUX ET DANS L'ANCIENNE ÊGYPTE 161
m
BIBL. BOYPT.. T. XIII. 11
Nous allons maintenant dire quelques mots des bâtons
égyptiens qui sont arrivés jusqu'à nous. Il en existe, dans
les musies et dans les collections particulières, un assez
grande nombre. Le riche cabinet de mon savant et actif con-
fière. M. Émile Guimet, en possède un qui est remarquablesurtout par la belle inscription dont il est décoré; je Ic dé-
crirai plus loin. Commençons par quelques généralités.Les bâtons dont se servaient les Égyptiens étaient géné-
ralement d'une grande longueur; il y en a depuis 1m20
jusqu'à 1m50 et. même plus. Les bois le plus souvent em-
ployés sont le cerisier, l'acacia. le perséa (balanites œgyp-
tiaca). Le cerisier semblatit surtout jouir d'une grande
faveur, car l'écorce de ce lmis, enlevée avec soin, recouvré
quelquefois des bâtons faits d'un autre bois. C'est un procédédont on se sert encore de nos jours pour la confection des
pipes turques. Il y a des bâtons a bois dressé et polid'autres ont conservé leur. nœuds. Quelques cannes sont
régulièrement cylindriques. Assez rarement elles vont en
diminuant de grosseur à partir de l'extrémité tenue dans la
main souvent au contraire le gros bout est en bas, disposi-tion qui rendait le bâtons plus dangereux lorsqu'il était em-
ployé comme arme.
Les bâtons égyptiens avaient, comme les nôtres, des têtes
ou pommes de formes variées, telles que boules plus ou
moins rondes, allongées ou aplaties, chapiteaux en Ileurs de
lotus, cônes tronqués renversés, etc., et, pour ces appen-dices, on employait les métaux, les pierres dures, les émaux,les bois durs, l'ivoire, etc. L'une des cannes conservées au
Musée de Leyde est formée d'un roseau à cinq nœuds, sur-
monté de la tête hideuse de Bès, le dieu des recherches
sensuelles. Les pommes étaient fixées sur te bâton au moyen
wtte interprétation. Mais Joseph n'était pas couché; il avait été-mandépar son père. On nc voit pas à quel propos Jacob se serait prosternéauhaut de son lit. L'interprétation gréco-égyptienne, confirmée par tetexte égyptienque je viens de citer. est bien plus certaine.
162sUlt L'USAGE DES BATONS DE MAIN
de clous de bronze, dont on possèdeencore plusieurs spé-
Quelquefois,au lieu de pomme, les bâtons égyptiens
avaient à leur extrémité supérieure un petitbranchement
en forme de corne, constituant un cran sur lequel portait
élémentun des doigts de la main pendant
la marche.
Un assez grand nombre de ces bâtons, même parmi les
plus simples, portent des légendes hiéroglyphiques qui en
nomment les propriétaires.Ces légendes en constituent
l'intérét principal. On y trouve, comme d'ailleurs dans tous
les textes, des informations souvent très intéressantes.
Le monument le plus vénérable de cet ordre qui soit
parvenu jusque nous n'est point un bâton entier; ce n'est
que lavirole de bronze du bâton de Papi (Phiops),
roi de
la IVe dynastie';le cartouche de ce pharaon
est grave sur
le métal. Ce petit objet nous montre l'usage vulgaire du
bronze répandu en dès le XXXe siècle environ
awant notre ère. On ne possède pas beaucoup d'autres objets
de métal d'un age plus reculé, mais on en trouve la mention
dans des tcxtes qu'on peut rapporter a des temps antérieurs
à la construction des grandes pyramides. Les mêmes textes
nous montrent, à la même époque, l'usage du bâton de
main, que certains personnagesne quittaient pas même
lorsqu'ils étaientassis'.
11 faut citer, en second lieu, l'extrémité inférieure du
bâton de bois garni d'or qui porte le cartouche-prénom
d'Amenhotep de la XVIIIe dynastie. Ce riche insigne a
certainement appartenuà ce pharaon il nous parle, dès
lors, d'une époque prospèrede l'histoire égyptienne.
Il fait
partiedes trésors rassemblés au Musée de Leyde'.
1.
2, Voy. Mariette·Bey. Album photographiquedu Musée de Boulaq.
pl. 12; Prissed'Avennes, Histoire de l'Art égyptien,
de sa femme.
3. Leemans. Musèe de Leyde, II, Pl. 81, n* 82.
CHEZ LUS HÉBREUX NT DANS L'ANCIENNE ÉGYPTE 16:1
Le Musée du Louvre possède deux pommes de cannes
ayant appartenu l'une au grand conquérant Séti 1er, l'autre
à son lils, le célèbre Ramsès 11, le pharaon de Moïse.
Je crois qu'ici s'arrête la liste des bâtons royaux mais
ceux des grands personnages sont bien plus nombreux. Il en
existe au Musée de Leyde deux qui nous rappellent une
époque célèbre des annalcs pharaoniques, celle de la réforme
religieuse tentée par Amenhotep IV, prince qui prit le nom
de Khouenaten après avoir proscrit le culte d'Ammon. L'un
de ces bâtons porte la légende du scribe HataI, qui était
attaché au temple d'Aten (le disque solaire, objet du culte
de la réforme) à Memphis'. Sans ce petit monument, nous
n'aurions jamais su que la capitale de la Basse-Égypte, dont
il ne reste pas aujourd'hui pierre sur pierre, avait possède
un édilice consacré au dieu de Khouenaten.
L'autre a appartenu a un personnage nommé Peaten-
emheb, c'est-à-dire le disque solaire dans la panégyrie. Ce
nom. qu'on ne trouve qu'a l'époque de la réforme, avait
remplacv celui d'Amenemheb, Ammon dans la panégyrie,
qui est commun à presque tous les tcmps. mais qui dut dis-
paraître de l'usage pendant la proscription du culte d'Am-
mcm.
La légende de ce bâton est fort curieuse elle nous ap-
prend que Ic possesseur de cet insigne était « très favorisé
du dieu bon (Osiris), aimé du seigneur des deux mondes
(le roi) à cause de ses mérites exceptionnels: qu'il se con-
formait a la vérité, qu'il était bon de parole et s'abstenait de
tout acte mauvais. Il occupait la fonction d'olficier de la
grande reine et d'expert vérificateur' ».
Un autre bâton du même Musée de Leyde nous signale
encore un édilice à ajoutera ceux que nons connaissions déjà
par les textes comme ayant appartenu la villede Memphis
1. Leemans. Musèed,' Leyde,II. pl. 85. n° 86.2. Leemans. loc, laud., pl. 85, n" 88.
164 SUR L'USAGE DES RATONS DE MAIN
il s'agit cette fois d'un temple ou d'une chapelle dudieu
Lunus, en égyptienl'une des formes de La
de ce bâton est très remarquable
« Bâton excellent pour commencer la vieillesse dans la
grande salle du temple, et pour sortir tous les jours avec lui,
en allant voir Ptah du Mur-Blanc. Ceci dit au profit du
On sait que le Mur-Blancest la citadelle de Memphis,
qu'Hérodotea citéesous le mêmenom de Ce
nom désignaitquelquefoislavilleelle-méme et mêmele
Un bâton de moindrelonrueura appartenuâ un membre
de la mêmefamille quele propriétairedu précédent c'dtait
« très favorisédu dieu ptah, seigneurde la coudée,que
son maitrcaimaittous les jours: il se nommaitAnoui,et
sa professionconsistait à être le coureurdu pharaon' 1). Ce
titre curieuxn'a pas encoreété rencontre ailleurs.
LebàtondeNaklrtamennousfaitaussi connaîtreles noms
d'une fonctionet d'un édificequi ne sont pascités sur
neressemblaientguèreà cellesd'As-
à leurmaisonet à leur serviceper-
déjà eul'occasionde citer un ntficierde
la le Le Musée de Leydecontient aussi le bâton
d'Amonneb,gardieu de la reine.qui
de Thoth
bâtons paraissent avoir été donnés
1.II, pl. 85,
n° 84.
2. Leemans. loc. laud.. n' 85.
4. Leemans. loc. laud..
CHEZ LES HÉBREUX ET DANS L'ANCIENNE ÉGYPTE 165
souhait du même genre« Commence une heureuse viei!-
lesse dans le lieu de la vérité ceci est dit au prolit du fa-
vorisé de Ptah, seigneur de la coudée, le scribe Djal'. »
Plusieurs abou, ou artistes en bois et en métaux, nous
ont laissé leurs légendes sur des bâtons que sans doute ils
s'étaient façonnés pour eux-mêmes.
Nous possédons, par exemple, celui d'Amenmès, artine
des travaux d'Ammon, aux ordres de la princesse Bokam-
mon, et celui de Kltratoua, grand artiste d'Ammon. Ce
dernier porte une légende qui contient une prière a Ammon
et à Ptah pour qu'ils accordent vie, santé et force au pro-
priétaire de l'insigne. Ces deux cannes nous reportent à la
XIXe ou à la XX" dynastie, époques des grands travaux du
temple d'Ammon à Karnak. Celui d'Amenmès nous montre
que non seulement les reines, mais encore les princesse.
égyptiennes exerçaient une autorité et avaient des fonction-
naires à leur service. La considération pour les femmes, la
liberté et l'autorité qui leur étaient laissées, est l'un de
traits les plus remarquables de l'ancienne civilisation égyp-
tienne.
Les deux bâtons dont je viens de parler ont été publiés
par M. Prisse d'Avennes, dans son Choix de Monuments,
pl. 462 avec un troisième bâton ayant appartenu Amennai.
compteur des troupeaux de la maison de la reine. Celui-ci,
porte, à son extrémité supérieure, le branchement aigu en
forme de corne, dont j'ai parlé plus haut. Il faut faire re-
marquer, en passant, que les employés supérieurs des trou-
peaux des temples ou des membres de la fxtnille royale
étaient de gran personnages.
Nous n'avons pas encore complété, a beaucoup près, la
1. Leemans, Musèe de Lcyde,11.pl. 85. n"87.
2. Il existe au Musée de Leyde une belle pomme de canne n'ayant
pas moins de 75 millimètres de diamètre et portant la légende d'un
kherp ou chef de brigade d'artistes, qui était f-n même temps hxut di-
gnitaire sacerdotal (Leemans. loc. laud.. pl. 85, n° 89, A et B).
166 SIIR L'USAGE DES BATONS DE MAIN
liste des bâtons de main conservés dans les collections pu-
bliques ou particulières et qui présentent un intérêt scienli-
fique, mails nous n'avons pas la prétention d'épuiser le sujet:
nous citerons cependant encore un bâton d'ébène apparte-
nant au Brilish Muséum et portant la légendede Bai. mes-
sager royal en Mésopotamie.Un personnage
de ce nom était
l'ami, le conseiller, et probablementaussi le parent de
Meneptab Siptali, pharaon dont le règne fut suivi d'une
Période de dvsor;;anisation eld'anarchie, dans laquelle s'étei-
gnit la XIXe dynastie' Sur les monuments de son règne
Meneptal Siptah constate qu'il avait à son service des
envoyés à toutes les nations. Il y a quelque probabilité que
le Bal du bâton d'ébène est le même que le Bai de Meneptah.
Nous terminerons cette revue par la description du bâton
qui fait partie du cabinet de M. Guimet. C'est un simple
rameau d'acacia, encore recouvert de son écorce, et terminé
par un évidement en forme de cheville, qui servait à fixer
le bout. Sa longueur est d'un mètre.
11est décoré d'une légende en très beaux hiéroglyphes,
dont voici la reproduction
Voici la traduction littérale de cette légende
A la personetrès favorisée
du seigneur des deux
mondes2, l'aimé de son maître cleque jour, se conformant
Voir Chabas,Recherches poar servir ri l'histoire de la XIXe dy-
nastie rt des tempsde l'Exode, p. 126et suivantes.
L'expressionseigneur des deux mondes désigne le roi.
CHEZ LES HÉBREUX ET DANS L'ANCIENNE ÉGYPTE 167
h la vérité, excellent par scs mérites exceptionnels, dilaté
de cceur, aimé des hommes, le porte-flabellum du seigneur
des deux mondes, Pesar vivant'.
Le nom du roi ne nous est pas donné, mais, d'après le
type de la gravure et d'après la teneur de l'inscription, qui
rappelle celle de Peatenemheb, précédemment citée, nous
pouvons conclure que le bâton de la collection Guimet date
de la XVIII° dynastie et remonte, par conséquent, a la res-
pectable antiquité d'environ trente-quatre siècles.
Notons en terminant que la fabrication des bâtons de
main constituait en Égypte une profession de certaine im-
portance. Les opérations à l'aide desquelles le bois était
écorcé, durci au feu, dressé et poli, sont figurées sur les
parois de l'hypogée de Nemhotep à Beni-Hassan. entre le
travail du potier et celui' du verrier.
Cbalon-sur-Saôna,le10décembre1874.
1.Desbâtonsétaientquelquefoisconsacrésà desdéfunts,demême
qu'unegrandevariétéd'autresobjets.C'estsansdoutepourcemotifquelalégendeconstatequePesarétaitvivantlorsqu'ilfutgratifiédusien,quiétaitvraisemblablementuntémoignagedelasatisfactionroyale.
LES LIBATIONS
CHEZ LES ANCIENS ÉGYPTIENS
NOTICE
SUR UNE TABLE A LIBATIONS
De la Collection de bl. E. GUIMET'
accompagnées d'offrandes. Nous possédons par milliers les
monuments qui nous font connaître ce détail. Qu'il s'vagisse
de dieux et de déesses adorés et invoqués ou d'ancêtres
qui leurs parents rendent le devoir funéraire, constamment
l'adorateur ou l'olliciant a devant lui une table chargée
d'oblations. Pour les dieux, ce sont des végétaux le plus
ordinairement, et pour les morts des pains, des pâtisseries
variées, des pièces de viande, des oies, du poisson, etc.
toutefois cette distinction n'est pas absolue, et l'on voit
quelquefois les dieux recevoir des offrandes de comestibles.
Accessoirement a l'offrande, le consécrateur tient générale-
H1. Extrait des Mémoires du Congrès des Orientalistes français de
Saint-Étienne, 1875. t. l, p. 69-88. Tirage à part à petit nombre. —G. M.
170 LES LIBATIONS
ment d'une main l'encensoir allumé et de l'autre le vase à
Aunombredes ofTrandes liquides figurent l'eau pure et
le vin, plus rarement le lait et le haq (bière d orge)Le
vin, le lait ei. la bière sont habituellement présentesdans
des vases ronds, et il en était quelquefoisde même pour
l'eau. Mais le plus souvent l'eau était versée par le consé-
crateur sur Ia table d'offrandes, surtout lorsqu'il s'agissait
d'ofïrandes végétales, mais elle était aussi répandue sur les
pains, la viande, les oies, etc. Dans certains cas, l'eau es
projeté enavant de la table d'offrandes, et tombe sur le sol
sans toucher aux objets offerts.
Cette effusion de l'eau constitue la libation proprement
dite, cérémonie qui s'accomplissait quelquefoisisolément.
sans offrandes d'une autre nature. Elle constituait la der-
nière phase de la cérémonie des funérailles; au moment ou
la momie allait être descendue dans le puits de l'hypogée
pt disparaître pour jamaisaux yeux des vivants, le prêtre
officiant versait devant elle l'eau de la libation, qui tombait
jusqu'aux pieds du défunt'.
Le vase habituel des libations est allongé en forme de
balustre avec ou sans couvercle, avec ou sans goulot. L'hié-
roylyphe qui signifie libations, eau fraîche,est la figure
de ce vase, et se prononceKeb et Kebh. Mais l'usage de ce
vase n'est pas exclusif, et on en voit employés de formes très
diverses, ronds, cylindriques.etc. Quelques-uns
sont des
cruches évasées avec couvercles figurant des t6tes d'éper-
vier. Les plus remarquables représentent le signe de la vie,
. vulgairement appelécroix ansée, muni d'un goulot
sur la partie arrondie, et d'un couvercle en forme de tête
disquée de bélier (pl. 11, lig. B) l'appendiceinférieur sert
pour la préhension 2. Ce modèle significatif, puisque c'est le
1. Lepsius.Deukm., III, pl. 232,b: tombeau de l'ennou Anibé.
2. Denkm., III. pl. 180 et 213.
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. PL. 11.
VASES A LIBATIONS
CHEZ LES ANCIENS ÉGYPTIENS 171
symbole même de la vie qui verse l'eau vivifiante. est très
riche et très artistique. Enfin on se servait aussi d'un vase
a trois corps, figurant trois Ke6fe.c réunis ensemble et ver-
sant trois jets (pl. 11. fig. A), ou bien encore de deux vases
distincts'.
Nous ne possédons pas de scènes monumentales repré-
sentant les libations faites avec d'autres liquides que l'eau
pure; il parait cependant que le vin n'était pas exclu. Une
rurieuse inscription hiéroglyphique, publiée par M. ledocteur
humichen, nous apprend « qu'Isis allait tous les dix jours
» l'Abaton de Philac pour faire la libation à Osiris avec
» du vin elle ne lui fit pas alors de libation avec aucune
» eau »1. Nous ignorons en quelle circonstance se pro-
duisit cette innovation on voit par la phase finale que l'eau
n'avait point été employée par Isis, et cette mention prouve
bien qu'il s'agissait d'un cas exceptionnel.
L'eau était considérée par les Égyptiens comme l'élément
essentiel de la vie. La mort était le sec, l'aride: desséché,
pesque carbonisé par le bitume brûlant, le corps momifié
en était l'image manifeste'. La revivification du cadavre
commençait par le retour de l'humidité. De là, le grand rôle
attribué l'eau dans la doctrine et dans les cérémonies du
cuite des ancêtres. Il fallait que l'eau fût répandue par les
descendants du défunt. Quoique les Égyptiens ne fussent pas
sur ce point aussi absolus que les Hindous de l'Inde brahma-
niclue, ils n'en considéraient pas moins comme le plus strict
devoir d'un lils, l'accomplissement des rites funéraires et
nommément l'effusion de l'eau pour son père et sa mère
décédés4. Ce rite se rattachait, du reste, aux plus hautes
conceptions du mythe osirien qui faisaient d'Osiris, dieu
2. Kalend.Inschrift., pl. 48,c.:1. Le signe de la momieest quelqueloisemployé pour exprimer l'idée
mort.
4. Voir F. Chabas, l'Égyptologie, 18741875, p. 16 à 30 et 75 à 100.
172LES LIBATIONS
mort et ressuscité, le type de tous le. humains morts et
appelés à la seconde vie. Osiris avait été ramené à la vie
par l'effusion de l'eau, et chaque nouvel Osiris ne ressus-
citait que par l'emploi du même moyen, dont on conçoit
bien des lors la grande importance liturgique. J'ai commu-
niqué récemment à l'Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres' la traduction d'un papyrus de formules magiques,
destinées à conjurer toutes les espèces de morts. Le conju-
rateur, employant les menaces terribles si bien décrites par
Eusèbe dans sa Préparation évangéligue.fait appel aux cir-
constances qui peuvent produire le bouleversement de l'uni-
vers, la destruction de l'ordre cosmique, et mentionne spé-
ciulement la cessation de l'effusion de l'eau pour le dieu
qui est dans l'arciee'.
On ne s'étonnera pas, des lors, qu'une maxime de l'an-
tique sagesse des Égyptiens conseille à l'homme de se ma-
rier avec une femme jeune, capable de lui donner deN
enfants mâles', et d'assurer dans sa descendance la per-
pétuité du sacrifice funéraire. -age de la nouvelle vie.
Les libations étaient faites avec l'eau pure et fralche; cer-
taines eaux paraissent cependant avoir joui d'une faveur
spéciale d'abord ccllc du Nil4, puis ces eaux que le
drfunt a préférées sur la terre, par exemlrle celle qui s'est
rafraichie seus l'umbrs;,c des sycomoresde sa résidence
enfint l'eau d'Héliopolis5, L'eau de cette ville sainte avait
probablementservi pour les libations d'Usiris, et c'est à un
tnmtif mythologique clu'il faut rapporter la faveur dontelle
a joui ensuite.
1. Complesrendus.1875,p. 57sqq.l;et.p.45-57du preKentvolume].
2. Le dieu 4luiestdans l'archeestOsiris,traîtreusment clouépar
Setdans uncoffre,pui- abandonnéau hasarddesflots.
4. Domichen, Temp.-Inschr.,t. pl. 76. 1.
5. lharpe, Egypt. Inscr., série 2, pl. 79.
Brugsch.
d'Inscr., pl. a6. 1. Louvre, Stele d'Aï, lig. 6.
CHEZ LES ANCIENS ÉGYPTIENS 173
Nous avons expliqué que le retour à la vie était consi-
déré comme le résultat de l'humidité ramenée dans le corps
momitié. Quoique versée sur le, pieds, l'eau de libation
était censée agir sur le cœur, et, en la répandant, l'officiant.
s'adressant au défunt, lui disait ces paroles « Je t'offre
cette eau fraiche, rafralchis ton cœur avec elle. »Le phé-
nomène de la résurrection. par ce moyen, est décrit dans
le Conte clea /Jeux Frères. Baita, le jeune frère, s'était sé-
paré de son cœur: sa femme livra le secret de cette sépa-
ration de l'organe vital, et le cœur fut retiré de son asil«
mystérieux. Au même instant, Balta tomba privé de vie.
Se conformant aux instructions de son jeune frère. Anubi..
son aîné, recueille le cœur et le dépose dans un vase d'eau
fraîche pendant une nuit entière. Dès que l'eau eut été
absorbée par le cœur, la vie se manifesta par un tressaille-
ment. de tons les membres du mort1: tel était l'effet du
rafraîchissement (lit cœur procuré par la libation funé-
Aussi, dans certaines scènes symboliques, représentant la
libation versée par des dieux sur des rois défunts, on voit
quelquefois l'eau qui s'échappe du vase remplacée par une
chaîne d'hiéroglyphes de la vie. enveloppant complètement
le mort' (pl. Il, fig. C). On ne saurait imaginer un meilleur
commentaire du sens mystique de la libation.
Les Égyptiens avaient cependant poussé ce symbolisme
jusqu'à des profondeurs plus abstruses. On voit, en effet,
par une scènefunéraire, figurée sur le beau cotire de momie,
appartenant à la bibliothèque de Besançon, que l'eau de la
libation divine est la substance même d'Osiris: c'est ce dieu
que le défunt boit sous la forme du jet ondulé sortant du
vase a libations, et une légende, écrite à côté, explique que
cette effusion est la vie de l'âme2 (pl. 11, tir. D). C'est,
1. Pupyrusd'Orbincy,p. 13,1.Net âuiv.2. Lepsius, Denkm., III, pl. 231, 238: IV, pl. 71.
3. Voir Chabas, Scène mystique peinte sur un sarcophage éyyptien.
174 LES LIBATIONS
comme je l'ai dit ailleurs, une circonstance bien digne de
remarque, que cette absorption de la substance divine con-
sidérée comme vivification de la créature dans la partie in-
telligente de son être.
Ces préliminaires nous font bien comprendre l'importance
des libations en général et l'intérêt des tables et des vases
qui étaient employés pour l'accomplissement de ce rite. En
ce qui concerne les vases, nous avons expliqué qu'il y en
avait de plusieurs formes. Quelques-uns de ceux qui ont été
recueillis dans les musées et dans les collections particu-
liéres peuvent donc avuir servi pour les libations. Mais le
vase typique enforme de batustre, avec ou sans goulot,
n'a point encore été retrouvé, que je sache. Du moins, je
ne l'ai point encore remarqué jusqu'à présent, et il ne figure
pas parmi les vases publiés par M. Leemans, dans son grand
ouvrage des Monuments ègyptiens du Musée, de Leyde, ni
dans les photographies du Musée de Boulaq. M. Prisse
d'Avennes ne l'a pas reproduit nmn plus dans les belles
planches de l'histoire de l'art. Au grand ouvrage de la Com-
mission d'Égypte (Ant.,V, pl. 75, n" 2), est représente un
yetit vase-batustrc. trouvé dans un tombeau a Éléphantine;
c'est le modèle le plus rapptroché du Kebh,Les
sable.
de la vallée du Nil et les tombeaux nous unt conservé un
nombre considérable de monuments antiques il s'en faut.
toutefois, que la série archéologique soit tant soit peu com-
pléte, et il est très imprudent de se fonder sur les lacunes
des collections pour conclure que certains ustensiles ou des
objets quelconquesn'étaient pas connus des anciens Kgyp-
tiens. De ce côté, il faut toujours s'attendre à des révéla-
tions nuuvelles.
Pour citer un exemple, je rappellerai qu'ilsfaisaient usage
dans la Revue archéologique, 1862; et. t. II. p. 125-130 de ces rEurrry
diverses.
CHEZLES ANCIENSÉGYPTIENS 175
d'huile d'éclairage et de lampes. Or, nous ne connaissions
aucune lampe authentique antérieure à l'épo(lue des Lapides.
C'est d'autant plus extraordinaire que cet ustensile domes-
tique s'est retrouvé, en un assez grand nombre de spéci-
mens, au milieu des débris des habitations lacustres dans
le. boues des lacs de la Savoie, de la Suisse et de l'Italie.
II
Quant aux tables à libations, il nous en est parvenu un
assex grand nombre de toutes les époques de l'histoire
égyptienne, depuis l'ancien empire jusqu'aux bas temps
les musées et les collections particulières en contiennent en
pierre de diverses natures et de dimensions très variées. Il
en existe, à Karnak, d'énormes ce sont des blocs d'albâtre
ou de granit, pesant jusqu'à 8.000 kilogrammes'. D'autre
part, l'on en connaît d'assez petites pour avoir été portées en
guise d'amulettes; celles-ci sont en bronze, en pierre ou en
terre émaillée. Les plus ordinaires sont en forme d'évier et
ont rarement plus d'un mètre de largeur, sur une profon-
deur un peu moindre; elles sont munies d'un appendice ou
goulot d'écoulement, communiquant avec les cavités des-
tinées à recevoir les liquides. Il y en a aussi de carrées et
de rondes. Très souvent leur surface est creusée en godets
et en plats creux ou patères, et des vases, des pains, des
uie, et d'autres offrandes y sont figurés en relief; on y
rencontre même de longues listes d'offrandes, disposées en
petits carrées portant chacun le nom hiéroglyphique d'un
objet offert. Ces carrés sont infiniment trop petits pour qu'ilait été possible d'y placer les objets indiqués. Évidemment
l'offrande n'était pas déposée tout entière sur la table, et la
1. Mariette-Bey,Catalogue d, Boulag, 1864,p. 18.
176LES LIBATION-9
On voit, au Musée de Boulaq,celle d'un prêtre dela pyra-
mide d'Assa; une autre
portelecartouched'unroinomméAmeni-Entef-Amenemha,quidoitapparteniràlaXIIIe
dynastie'. M. Lepsius a publiécelle d'un officier d'Amen-
emha Ier3, et je possèdemoi-même, grâce
de M. Prissed'Avennes, l'estampage d'une belle table à
Deux Nils agenouillés présentent desoffrandes àdroite et
à gauche de cet emblème du Pharaon.
rant la tombe d'Apis. Sur l'architrave de cette enceinte
étaient posées.
composéede deux cnvetteh très
profondes, de forme quadrangulaire:
une troirième cuvetteégalement carrée, maix de profondeur
minime,
est creusée surle massif quiune forme qui n'est pas purement égyp-
tienne. Cette pierre. qui est
maintenant an Louvre, porte une inscrip
tion phénicienne.sur laquelle
a dissertéM. Luynes (Bulletin
archéologique del'Athénœum francais. 1855, p.
69 77). Legrand
tunéraire. 11 ite que que la table qu'a décrite
et figuréeM. le due de
Luynet4ait été apportée de I'hénicie
par un adorateurnon égyptien.
3. Denkm., II. pl. 118,i.
BIBL. ÉGYPT., r. XIII. PL. III
DESSUS de la TABLE.
Table à libations en calcaire blanc, dt la collection de M. É. GUIMET,
dt Flrurirn.
CHEZ LES ANCIENSÉGYPTIENS 177
a
BIBL.ÉGYPT.,T. XIII. 12
2° De chaque côté de la bannière, un vase à libations,
ayant sur sa panse le prénom royal Ra-neb-kherou.
3, Enfin, à chaque extrémité, une grande patère, portantte bord la légende du roi, deux fois répétée en sens
co. vire
a v' vant l'Horus qui a réuni les deux régions. Le roi de
» la Haute et de la Basse Égypte, Ra-nabkherou, vivant
1 éternellement.
e Vivant l'Horus, qui a réuni les deux régions, le fils du
8 Soleil, Mentouhotep, vivant éternellement.
La même légende, en très gros caractères, disposés de la
même manière que sur les pateres, forme le deuxième re-
gistre.
Cette table est un monument intéressant d'un règne sur
lequel nous manquons de renseignements, mais qui doit
avoir eu une assez grande importance politique. Mentou-
hotep Il parait avoir rétabli l'autorité pharaonique sur la
Haute et sur la Basse Égypte, que des troubles avaient sans
doute séparées avant son accession.
Parmi les plus remarquables des monuments de ce genre,il faut compter ceux que possède le Musée de Leyde et queM. le docteur Leemans a publiés dans son grand ouvrage.Trois de ces tables portent en relief la figuration des objetsd'offrande. L'une d'elles est garnie de sept godets, de deux
grandes et de trois petites patères; elle est, en outre,couverte de cases carrées, contenant l'indication des objetsnfferts, et quelquefois celle des quantités. Cette table, quiest ronde, n'a que 48 centimètres de diamètre; il faudraitune surface de plusieurs mètres pour disposer les nombreux
objets qui y sont énumérés. Une quatrième table du Muséede Leyde est creusée de quatre cavités assez profondes, avec
goulot pour l'écoulement des liquides'.
1. Monuments ègyptiens du Musèe d,- Lryde. pi. 38 et 34, nos 14 15.16 et 17.
178 LESLIBATIONS
III
Le riche cabinet de M. Émile Guimet, à Fleurieux. con-
tient deux monuments de cet ordre. Sur le premier, qui
est de la forme d'un évier, avec rebord plat, couvert d'une
inscription hiéroglyphique. est figurée en relief une base
destinée recevoir les offrandes solides, flanquée de deux
vases à libations et de deux painsronds: deux cavités pour
les liquideset des rigoles y sont aussi creusées. Ce monu-
ment est d'un bon style. La légende, qui forme bordure, est
double; elle commence au milieu de la table en face du
goulot. on y lit d'un côté
« Don royal d'offrandes à Osiris infernal dieu grand, sei-
» gneur d'Abydos qu'il accorde tous les dons de 1 offrande
» funéraire, l'encens, l'huile, des vêtements et toutes choses
» bonnes et pures à la personnedu ërand préposé
de l'in-
» térieur (nom douteusx). »
De l'autre côté, même prière, adressée à Anubis, pour
qu'il accorde au défunt une bonne sépulture dans la mon-
tatme de l'Occident.
La seconde table à libations. de la collection Guimet, est
beaucoup plus importanteà un double point de vue archéo-
logique en premier lieu, à raison du texte intéressant qui
en forme la légende puis. par le motif que cette table eet
un des rares exemples, sinon Cunique exemple, d'un monu-
ment de ce genre en plusieurs exemplaires.
Elle consiste en un bloc de calcaire blanc arrondi. creusé
en forme de vase, ayant 49 centimètres de diamètre et
95 millimètres d'épaisseur.Sur le rebord plat, qui est
coupé par la rigole d'écoulement, court une inscription en
beaux hiéroglyphes.Une autre inscription garnit l'épaisseur
du pourtour, à partir d'une jolie tête d'Hstbor a oreilles de
vacbe, qui en marque le commencement et la fin, et corres-
BIBL. ÉRYPT., T. XIII. PL. 1 V.
POURTOUR DE LA TAULE
Inscription gravce *nrl'epaisseur du pourtour rie la tnblr à libations
dr la collection de M. E. GUIMET. de Fleurien.
CHEZLES ANCIENSÉGYPTIENS 179
pond à ta rigole. Le dessous de cette espèce de vase est
simplement dégrossi on devait le placer sur une table ousur un support pour le. cérémonies. Des scènes monumen-tales nous montrent, en effet, les libations versées sur desvases ronds de cette forme, portés sur des espèces de guéri-dons' quelquefois même des pains sont empilés dans levase et reçoivent l'effusion de l'eau.
Voici la traduction de l'inscription du pourtour
monie
a pourlégende iri kebh, faire une libation.
180LES LIBATIONS
Comme on le voit, le monument était consacré à un chef
à l'époque saïte; c,est celui que portait le grand officier dont
la biographie1. Notre Outjahorsoun avait reçu un surnom
commeune appellation d'honneur, celui de Raneferhet neb
pehti, signifiant Raneferhet, seigneur de la vaillance. Rane-
pense de ses services,Uutjahorsoun
avait donc été autorisé
du prénom royal. Les rois saîtes, qui, plus tard, prirent des
réaction contre les innovations. Avec eux étaient revenus
les titres et les fonctions de l'époque des pyramides et lea
antiques formules funéraires. L'usage des noms d'honneur
diverses. t. 11,p. 247-279].
CHEZ LES ANCIENS ÉGYPTIENS 191
remonte ces temps reculés. M. Lepsius a relevé celui d'un
personnage du règne de Papi (Phiops), qui se nommait
Ptahhotep et dont le bon nom était Papionkh (Papi oicant
ou la vie de Papi)'. Des femmesont aussi porté un double
nom'.
Le consécrateur, qui parle à la première personne, devait
être le fils du défunt d'après la régle. C'est ce que montre,
du reste, la phrase Ces li6ations oiennenl de la part de
ton fils. Il pouvait arriver que le fils fût empêché d'accom-
plir ce rite et, dans ce cas, les arrangements avec la règleétaient certainement possibles; peut-être est-ce pour prévoirce cas que la formule ne dit pas plus simplement Ces liba-
tions viennent de ton fils.
La légende du bord plat constate que la libation pro-vient d'Héliopolis et, ajoute le commentaire, que cette liba-
tion a donné la vie aux ordres divins du Temple du Figuierdans cette ville.
Nous avons déjà parlé de la préférence donnée à l'eau
d'Héliopolis. La particularité mentionnée par le texte ne
nous renseigne que bien vaguement sur l'événement mytho-
logique auquel il est fait allusion. Mais nous savons qu'à
l'eaemple des autres grands sanctuaires de l'Égypte, Hélio-
polis possédait des arbres sacrés, parmi lesquels était un
Bak ou,/iguier. Un texte de la terrasse de Deir-el-Bahari,
publié par M. le docteur Dumichen2, mentionne l'œil
d'Horu.s provenant du Baq qui est dans Héliopolis. C'est
ici le cas de donner une explication qui nous servira pour
l'intelligence de nos textes. Les Égyptiens donnaient le nom
d'œil d'Horus à toutes les productions suaves, douces,
agréables ou bienfaisantes. Dans les textes d'Abydos. publiéspar M. Mariette, ce nom désigne des parfums, des extraits
1. Drnkm.. Il, pl. 117. Cf. L. Stern, dans le Journal égyptolo-giquede Berlin. 1875,p. 71.
2. Denkm., II, pi. 114. 1.
3. Hist. Inachr., t. I, pl. 36, 16.
182 LES LIBATIONS
végétaux, des pâtisseries, des mets, diverses espèces de
liquides et même des vêtements et des parures'. Souvent
l'œil d'Horus nomme spécialement une espèce de vin doux,
comme par exemple dans les recettes pharmaceutiques',
mais c'est aussi l'eau pure et fraîche. Une scène du temple
d'Abydos représente une grande offrande faite à Séti. En lui
présentant chacun des objets de l'oblation, tels que pains,
mets, breuvages, essences, oies, pièces de viande, etc.,
l'officiant dit au roi Je te présente l'œil d'Horus. Pour le
lait, la formule est Je te présente l'eau qui sort des ma-
melles de ta mère Isis; et pour l'eau Je te présente l'œil
d'Horus, je t'offre l'eau qui est en lui.
II se pourrait que les riches Égyptiens se procurassent
pour leurs libations l'eau célèbre rafraîchie sous le divin
figuier d'Héliopolis, mais il est encore plus vraisemblable
que les prêtres préparaient, au moyen d'une consécration
spéciale, une eau qui en tenait lieu, et dont la vertu était
particulièrement efficace pour faire vivre le défunt, le com-
bler de biens et satisfaire tous ses désirs.
Telle est l'intention de l'inscription du bord plat.
Les explications qui précèdent rendent très intelligibles
le. mentions de l'inscription du pourtour, qui commence
par constater l'identité de la libation offerte au défunt par
son fils et de celle qu'Horus offrit à son père Osiris. La for-
mule est remarquable par ce double appel Ces libations,
6 Osiris, ces libation, ô Outjahorsoun, viennent de la part
de ton, fils, viennent de la part d'Horus.
Le texte déclare ensuite que c'est l'œil d'Horus qui est
offert au défunt pour qu'il en rafraichisse son coeur, et
apporté sous ses pieds avec l'humidité qui en sort. Nous
avons expliqué la portée de toutes ces formules.
L'effet de cette humidité rétablie dans le corps du défunt
1. Mariette Bey.Abydos, t. 1, pl. 43, 47. etc.
2. Dumichen, Bauurkunde, pl. 32.
CHEZ LES ANCIENS ÉGYPTIENS 183
était la cessation de l'état cadavérique c'est ce que notre
texte désigne par la rtore-cessation du cceur (an-oert-het).Cette formule est importante Oert-het ou cœur cessé est un
des noms les plus habituels d'Osiris. Je l'avais traduit parcœur tranquillisé, calmé, car oert signifie cesser d'agir, de
travailler, et presque tous les égyptologues ont commis la
même erreur. Dans la réalité, oert-het exprime un état pro-duit par la mort, et auquel la libation funéraire met un
terme c'est évidemment la cessation de l'action du cœur,des mouvements de cet organe, et la véritable traduction
est cœur qui a cessé de battre. Le nom Oert-hec se dit sur-
tout d'Osiris mort. C'est d'Oert-het qu'Isis recueillit les
débris dispersés pour en reconstituer un nouvel Osiris'.
La phrase finale Quand vient à toi l'offrande funé-raire n'a qu'un intérêt purement philologique, elle nous
donne le nom complet de cette offrande, compliqué d'un
cas construit'. Nous ne nous y arrêterons pas ici.
Tel est le curieux monument de la collection Guimet quenous nous sommes proposé d'expliquer.
IV
Parlons maintenant de celui qu'a publié la Commission
d'Égypte. Voici la description qui en est donnée dans les
sommaires du tome V des Antiquités« PI. 74. Vase en granit noir, trouvé près de Damanhour
»(Hermopolis parva). Ce beau morceau de sculpture est un
» modèle pour la pureté des figures hiéroglyphiques; le
» poli en est très beau et toute l'exécution très soignée. Il»
parait, ou plutôt il est certain, que ce vase était placé sur
1. Voyezmon Hymne à Osiris, dan ta Bibliothèque nationale uni-rersulle, t. II, p. 17ô[; cf. t. IV, p. 262-266,de ces Œuvres diverses).
2. Cf. S. Bircb, Mémoire sur unepatère du Louvre. p. 72.
184LES LIBATIONS
» un autel, puisque la partie inférieure, sur laquelle il repo-
u sait, n'a été que dégrossie. Ce sont les Arabes qui ont
u creusé la gouttière qu'on voit au-dessus de la tête d'Isis,
u apparemment pour faire de ce vase un bassin à laver.
La table à libations ainsi décrite a probablement suivi,
en Angleterre, la pierre de Rosette et les autres monument
qu'avait recueillis la Commission d'F.gypte. Elle ne s'est
retrouvée ni au Musée égyptien du Louvre, ni dans d'autres
collections françaises. L'exemplaire de la collection Guimet.
acheté chez un marchand qui n'a pas su en expliquer l'ori-
gine, est la reproduction exacte de celle de la Commission
d'Egypte, à cela près que celle-ci est en granit et l'autre en
calcaire. Celle de la Commission d'Égypte a 34 millimètres
de plus en diamètre et 16 millimètres de plus d'épaisseur.
Sous le rapport des hiéroglyphiques et de la tête sculptée
d'Hathor, on pourrait croire que l'une est le décalque de
l'autre, tant les dispositionssont identiques. Elles ont évi-
demment été faites d'âpres le même modèle, ou bien l'une a
servi de modèle à l'autre. Il existe, cependant, une différence
due un singulier lapsus du lapicide de celle de la collec-
tion Guimet. Au commencement de l'inscription du pour-
tour, il a oublié l'œil du nom d'Osiris, au-dessus des hiéro-
glypheset, pour réparer cet oubli, il a transporté ce
signe après le groupie suivant, oit il ne sert qu'à rendre le
mot inintelligible cette erreur serait, du reste, facile à
reconnaltre, même en l'absence du texte bien conçu que
nous fournit le dessin de la Commission d'Égypte.
Le dessous de l'un et l'autre de ces monuments est seule-
ment dégrossi, mais, tandis que celui de granit avait con-
.drvé son poli et la pureté de ses lignes, celui de calcaire
est fruste sur les bords, et les hiéroglyphes ont perdu leur
netteté. La rigole qui, sur tous les deux, passe au-dessus de
la tête d'Hathor limite exactement la ligne d'hiéroglyphes.
Contrairement à l'opinion exprimée par les savants de la
Commission d'Egypte, cette rigole a toujours existé sur ces
CHEZ LES ANCIENS ÉGYPTIENS 185
monuments mais elle a été creusée plus profondément par
les Arabes qui. dans cette opération, ont enlevé sur le monu-
ment Guimet une partie du front d'Hathor. Des têtes
d'Hathor du même style se voient sur une table à libations
en granit noir, qui fait partie des collections du Louvre.
A l'exception de certains petits antiques, tels que les sta-
tuettes funéraires, les scarabées à légendes et les cônes, on
ne connaît presque pas de monuments épigraphiques en
plusieurs exemplaires. Les deux tables à libations de notre
Outjafeorsoun Raneferhet neb pehti sont jusqu'à présent
l'unique exemple qu'on en puisse citer. Le Louvre possède
cependant une double stèle d'un prêtre du roi Téta, nommé
Asa la disposition n des registres, des personnages, des orne-
ments et des légendes est bien la même sur l'une et l'autre
de ces stèles, mais il y en a une plus grande que l'autre, et
quelques variantes dans les légendes rendent l'identité moins
parfaite'.
On connaît aussi des stèles tant des inscriptions de
même teneur, mais dédiées à des personnages différents.
Chalon-sur-Saône,le 1eraoût 1P5.
1. Ces deux stèles sont de la même provenance; elles ont appartenu
au prince Napoléon. Je suis redevable de eu détails à M. Eugène
Revillout, notre éminent égyptologue, attaché à la conservation du
Musée égyptien du Louvre.
SUR LA
CAPACITÉDE LA MESUREÉGYPTIENNE
APPELÉEHIN1
Le hin est la mesure de capacité dont les Égyptiensfaisaientle plusfréquemmentusage elle servaitindifférem-ment pour les liquides et les matièressèches.
Dès1867,j'enai déterminélavaleurà l'aidede documents
d'originecertaineet de significationprécise', et j'ai prouvéque la contenancedu hin était de quarante-sixcentilitres.Ce résultat, théoriquementobtenu, s'est trouvé confirmé
par lemesuragede trois vaseségyptiensconservésauMuséede Leyde,dont la contenanceestexpriméeen hiéroglyphes.
Toutefois,j'ai doconstateralorsque les anciensÉgyptiensfaisaientgénéralementpeud'effortspour arriverà l'exacti-tude rigoureuse.Cest, du reste, une observationqui a étéfaite maintesfoispar d'autreségyptologuesà proposdes di-mensionsdesmonuments,dontlescôtés parallèlesousymé-triques ne se correspondentpas souvent d'une manière
1.Lule vendredi25 août1876à l'AcadémiedesInscriptionsetBellee-LettresetpubliédanslesComptesrendusdessèancesde18'06,IVesérie,t. IV,p.204-205,212-217.Pointde tirageà part. G.M.
2. VoirmonouvrageintituléDéterminationmétriquedt deuxme-sureségyptiennesdecapacité,Chalon-sur-Saône,in-8°,1867]:ef.t. III,p. 77-93,decesŒuvresdiverses].
188 SUR LA CAPACITÉ DE LA MESURE ÉGYPTIENNE
absolue, et aussi :1propes des étalons dc coudées antiques
recueillis par les explorateurs de la vieillv terre des Pha-
raons.
Du reste, dans l'évaluation de la contenance d'un vase
quelconque, il faut toujours tenir compte, non pas seulement
du remplissage comble, mais aussi des nécessités d'un bou-
chage solide et d'un certain vide, pour éviter la déperdition
des liquides dans le maniement du vase, ou le froissement
des substances solides.
Il résulte de ces considérations que la vérification d'une
mesure théorique à l'aide d'un vase-mesure donne lieu à
quelques difficultés. Il n'est toutefois que plus nécessaire de
multiplier ces sortes de vérifications, lorsque l'occasion s'en
présente.
Une occasion de ce genre uous a été offerte par l'un des
monuments de la collection égyptienne de M.Gustave Posno,
qui est en ce moment (déposée à Paris, et sur laquelle l'at-
tention de l'Académie a déjà été appelée par une note de
M. A de Longpérier, relative à des statues antiques de bronze
telles qu'on n'en connaissait pas encore de semblables dans
aucun musée. Le monument dont je veux parler est un
magnifique vase d'albàtre oriental (0m57 de hauteur), dé-
pourvu de son couvercle. La panse est décorée d'un cartel de
quatre colonnes d'hiéroglyphes, qui nous apprennent que ce
vase a été l'un des canopes dans lesquels ont été conservés
les viscères intestinaux d'un Ramsés de la XXe dynastie.
On y lit la légende royale de ce prince ainsi conçue
« Le seigneur des deux mondes Ousormara-Sotep en
Ammon, aimé d'Amset, (lieu grand.
» Le seigneur des diadèmes Ramsès-Mati-Meriamon,
aimé d'Amset. dieu grand. »
Amset est le nom du génie funéraire qui, dans la série des
quatre fils d'Horus, gardiens des entrailles, a seul une face
humaine. Cette observation permettra peut-être de retrou-
ver le couvercle égaré.
APPELÉE « HIN b 189
Mais, même ainsi complété, ce monument, malgré sa
royale attribution, n'aurait qu'un intérêt assez limité. Sa
véritable valeur, et elle est considérable, provient de l'in-
saiption suivante placée au-dessous et en dehors du cartel de
la légende royale
Hnou 40.
Les hiéroglyphes sont ici reproduits de gauche à droite
pour mettre les mots dans leur ordre naturel en français.
Le vase est donc une mesure contenant quarante des
mesures dont j'ai parlé en commençant et que j'ai nommées
hin en souvenir de la mesure hébraïque de ce nom. Les
sons-voyelles sont variables dans l'écriture hiéroglyphique.
On ne peut affirmer ni la prononciation hon ou hno, ni celle
de hin, mais l'une et l'autre sont admissibles. La dernière
doit être préférée parce qu'elle prévient la confusion possible
entre le nom spécial de la mesure et le nom commun des
vases qui correspond au copte rno (hon). Quoi qu'il en soit,
l'expression est parfaitement claire nous avons bien réelle-
ment affaire à un vase de quarante mesures.
Or, un canope n'a pas dû être affecté dans l'origine à un
service de mesurage. Le respect des Égyptiens pour les
morts, le soin religieux avec lequel ils conservaient et
cachaient à tous les yeux leurs dépouilles mortelles, n'auraient t
point toléré un usage profane. Nous sommes donc conduits à
penser que le canope en question a été retiré de la tombe
royale à la suite d'une de ces spoliations d'occurrence si fré-
quente que relatent les papyrus hiératiques. Celle à laquelle
se réfère l'information judiciaire du Papyrus Abbott con-
cernait un hypogée distinct de celui de la Vallée des Rois
à Thèbes. Mais la Vallée des Rois n'a pas été épargnée non
plus, et c'est là qu'il faut chercher les tombes de la XX. dy-
nastie.
190 SUR LA CAPACITÉ DE LA MESURE ÉGYPTIENNE
Vidé de son contenu, le vase a été utilisé comme récipient
de quelquedenrée assez précieuse pour qu'on crût devoir
en noter la mesure. Mais il était peu probable que sa conte-
nance primitive correspondit d'emblée à une capacité exacte
en nombres ronds. Et, en effet, cette contenance était un peu
inférieure à quarante hins, chiffre très commode pour les
comptages, et qu'il était par conséquent désirable d'atteindre.
Ce résultat a été obtenu au moyen de l'usure de douze zones
formant gorge dans l'intérieur du vase, et ne correspondant
à aucune inflexion de la surface de la panse, qui est parfai-
tement lisse partout. La gorge supérieure est assez régulière,
mais celle qui avoisine le fond est incomplète. On a procédé
par tâtonnements en enlevant peu à peu des portions de
l'albatre jusqu'à ce qu'on ait obtenu le calibre cherché.
Ce travail, qu'il est si facile de constater, nous oblige à
reconnaître que la contenance de quarante hins a été réalisée
par les seuls moyens à peu près exacts dont les Égyptiens
pouvaient disposer. Les vases n'étaient pas creusés avec la
précision mathématique du tour: les diamètres ne sont pas
rigoureusementsemblables entre eux l'épaisseur des parois
n'est pas la même partout le plan qui passerait par le fond
n'est pas exactement parallèleà celui qui couvrirait les
bords- Aussi, la hauteur inférieure du vase varie-t-elle de
495 à 500 millimètres. C'est dire suffisamment que le calcul
géométriquedu cylindre évasé représenté par l'intérieur du
vase ne donnerait pas un résultat exact.
Mais ce résultat exact pouvait être obtenu, et l'a été en
effet, par le travail progressif d'évidement dont les traces
se révèlent manifestement à l'observateur.
Il était donc d'une extrême importance de vérifier la con-
tenance du vase. Grâce à l'extrême obligeance de la personne
chez laquelle la collection est déposée, j'ai pu faire à l'aise
J'ai versé de l'eau iusqu'à la ligne du rebord intérieur
correspondanta la surface inférieure du bouchon, c'est-à-dire
APPELÉE « HIN » 191
que j'ai rempli intégralement la capacité vide, sauf l'épais-seur des parois qui est de deux centimètres. J'ai employé
pour cette opération dix-huit litres quatre-vingts centilitres;
par conséquent, si toute cette quantité était comptable pournos quarante hins, la valeur de hin serait de quarante-septcentilitres.
Mais il faut d'abord tenir compte d'une cassure qui a en-
tamé le bord du vase et qui descend dans l'intérieur, au-
dessous du rebord d'une autre part, il faut considérer que, sil'on ne réserve que deux centimètres pour le vide du bou-
chage, le contenu viendrait en contact direct avec la surfaceinférieure du bouchon, et le maniement du vase ainsi rempliserait fort difficile. Pour ce motif, il faut admettre qu'ildevait être réservé au moins un centimètre de jeu; le con-tenu effectif se réduit ainsi à dix-huit litres quarante centi-litres et nous donne pour la valeur du Ain quarante-six ceo-
tilitres, résultat rigoureusement conforme à celui que j'aiobtenu par d'autres données.
C'est par une succession de constatations de ce genre quenous parvenons à introduire dans la science les notions cer-taines sans lesquelles elle reste dans le domaine des hypo-thèses et se prête à des combinaisons trop souvent arbitraires.Sous ce rapport, le renseignement que nous fournit le beauvase de la collection Posno me paraît véritablement impor-tant. L'Académie ne le jugera pas indigne de son attention.
Note additionnelle. Sur les grands canopes, les légendeshiéroglyphiques sont toujours disposées en deux ou plusieurscolonnes groupées sur la panse. Quelquefois elles sont li-mitées par des traits formant cartel, mais, soit que ces traitsexistent, soit qu'ils aient été négligés, aucune légende addi-tionnelle n'est tracée en dehors des cartels. On peut s'enassurer en examinant les canopes du Musée égyptien duLouvre et surtout ceux des Apis, dans la salle du rez-de-chaussée.
192 SUR LA CAPACITÉ DE LA MESURE ÉGYPTIENNE
ce vue a été appliqué à un usage nouveau. 1
BIBL.ÉGYPT.,T. XIII. 13
NOTES
SUR LA
CAVERNE DE GERMOLLES
LETTRE A M. MÉRAY
MON CIIER CONFRÈRE.
Je viens de lire dans le Recueil de la Société d'Histoire
et d'Archéologie de Chalon-sur-Saône l'intéressante notice
que vous avez publiée sur vos fouilles à la caverne de Ger-
molles. On y trouve, très clairement exprimés, tous les
détails nécessaires pour faire connaitre au public en général
les points intéressants de cette découverte. Si la question
des antiquités dites préhistoriques n'était pas étroitement
liée à des considérations philosophiques de l'ordre le plus
t*levé, il pourrait paraître superflu d'insister sur certaines
particularités que vous avez cru devoir abréger.
Mais la portée, exagérée peut-être, yu'on a voulu donner
sous le rapport de la chronologie aux découvertes de ce
1. Publiée sous leti auspices de la Société d'Histoire et d'Archéologie
de Chalon-sur-Saône, dans le Compte rendu des fonilles de la Caverne
dr Germolles par Charles Méray. 1876. Chalou sur Saône, in 4». p. 17-
45. G. M.
194 NOTESSURLACAVERNE
genre, doit être prise partout en sérieuse considération. La
station de Germolles se présente à nous dans des conditions
remarquables de classification par sa faune, qui. sauf le
menaceras comprend tous les animaux de l'époque qua-
ternaire. et par l'absence absolue de hachettes de pierre polie
et de \lèches à ailerons. On peut aussi ajouter qu'elle n'est
pas d'étendue considérable, et que la totalité des objets de
l'industrie humaine qui ont été retirés soit du foyer extérieur,
soit de la grotte elle-même, ne fait pas supposer une occu-
pation de longue durée. La caverne de Germolles présente
conséquemment à l'observateur une station pure de l'époque
quaternaire que l'homme a occupée pendant un temps assez
limité, un siècle ou deux tout au plus, à supposer que la
tribu se composât d'environ vingt personnes.
D'un autre côté, recueilli sous vos yeux et sous votre di-
rection, l'ensemble des produits de la station est aujourd'hui
réuni à Chalon-sur-Saône, soit dans votre collection parti-
culière, soit dans la belle vitrine dont vous avez enrichi le
Musée de cette ville, soit enfin dans trois cartons de mon
cabinet, garnis d'objetsretirés de vos découvertes. Un nombre
insignifiant de silex, quelques dents, quelques os se sont
éparpillés en diverses mains depuis que le propriétairedu
sol exploite la terre du remplissage: mais, parmi ces débris
dispersés, rien de nouveau n'a été signalé, et il est peu pro-
bable que la continuation de ce travail soit plus fructueuse.
La caverne de Germolles a par conséquent donné tout ce
qu'on peut légitimementen attendre, et l'intégralité du pro-
duit des fouilles est à la portée des savants et des amateurs.
1. Quelquesos de cerf ne vour ont pas paru amz signiticatifispour
être déterminéset rapportés au megaceros. M. le docteur Bailleau n'aa
pas nonpluit rencontré àla grotte deChatel-Perron des débridautben-
DE GERMOLLES 195
Si les observations que vous avez publiées et cclles que je
vais développer ici ont de l'intérêt, elles présenteront l'avan-
tage assez rare de pouvoir être contrôlées et vérifiées avec la
plus grande facilité.
Mes observations porteront sur quelques-uns des instru-
ments typiques de la station.
§ 1. Remarques sur les hacheq. Le type de Saint-
Acheul est représenté à Germolles par d'assez nombreux
spécimens, vous en avez figuré deux l'un de 12 centimètres
de longueur, l'autre de 6. La station n'en a pas fourni de
plus grand que celui de 12 centimètres. Les dimensions des
outils de la Somme et du quaternaire de la Seine sont quel-
quefois plus considérables. On peut en voir, dans la collection
de M. Louis Landa, à Chalon-sur-Saône, un de 31 centimètres
de longueur dont le poids dépasse 2 kilogrammes. Mais il
est facile de constater que ces gros instruments sont tout
aussi perfectionnés de forme et de façon que les plus petits.
On conçoit qu'on ne les retrouve pas en grand nombre par
le motif que, lorsqu'ils étaient mis hors d'usage. ils consti-
tuaient toujours d'excellents nuclei, et pouvaient être dé-
bités en menus outils. Les hommes de l'âge quaternaire
avaient à lutter contre des carnassiers d'une grande puis-
sance ils attaquaient l'éléphant et le rhinocéros. Conséquem-ment on ne devrait pas être surpris de lec voir armés d'ins-
truments pesants et d'un volume considérable. Tel n'est pasle cas cependant, et il semble que la race humaine, a cette
époque reculée, n'était pas plus robuste que celle de nos
jours. On n'a encore rien rencontré d'analogue aux haches
de picrre de la vallée du Mississipi, pesant plus de 5 kilo-
grammes, et à certains instruments de la même origine dont
le poids dépasse 12 kilogrammes, le tout associé avec d'élé-
gantes armes de quartz'.
1. De Mortillet. Matériaur pour l'Histoire de l'homme, etc., 1869.
p. T.
196 NOTES SUR LA CAVERNE
Vous parlez d'outils en forme de hachettes très minces
que vous êtes tenté de considérer comme un type à part
(page 8'). A mon avis, ces instruments se classent naturel-
lement, d'après leur taille, en têtes de lances, têtes de piques
et têtes de flèche. J'appelleraitête de flèche le silex repré-
senté fig. 1, longueur 52 millimètres, largeur 33. épais-
.eur 10, que j'ai recueilli dans la caverne en votre présence,
et qui n'est qu'un diminutif de votre figure n° 3. Il présente
Fig. 1. Fig. 2.
la plus grande analogie avec celui de la figure 2 ci-deçcus.
qui est une tête de flèche (longueur 55 millimétres,largeur 30.
épaisseur 0,09). recueillie au camp d'Agneux près Hutty
(haches polies) par notre ami regretté, E. Perrault. dans une
course faite en la compagniede M. Ed. Flouest. le premier
historiographe du camp de Chassey.
Vous avez fait ressortir la circonstance que quelques-unes
des tétes de lances de Germolles présententun enlevage
latéral à surface plaw, que M. Lubbock considère comme un
caractère particulier de l'époque du Moustier. Cette espèce
de marque de fabrique n'est pas spéciale aux grandes têtes
de lances. Germolles vous nn a fourni un spécimen (fig. 3)
qui est presque absolument semblable à la pièce typique du
Musée Saint-Germain, publiée par M. de Mortillet' sous le
1. l.a paginationcitée est celledu tirage à part de votrenotice.
2. Matériaux, etc.. 1869, p. 173.
DE GERMOLLES 197
titre dP Typede Saint-Acheul, du Moustier. Ce groupe
existait aussi i la grotte d'A-,neux (renne, mammouth,
Fig. 3.
ursus spelœus), et j'en possède de cette station un très bel
échantillon, de petite dimension (fig. 4). J'en ai aussi recueilli
à Charbonnières, mais l'enlevage latéral manque le plus
Fig. 4.
suivent sur le; têtes de lances de cet atelier. Parmi les
pièces de cette classe recueillies à Tilly (Allier) par M. le
docteur Bailleau, il s'en trouve aussi qui sont munies de la
19R NOTES SUR LA CAVERNE
manque en question'. On voit que c'est un caractère qui n'a
pas d'étroite spécialité- L'outil le plus grossierde travail et
de matière que je possède en ce genre a été recueilli par
moi au camp de Chassey. Je le représente (fig. 5). Il est en
silex «rossier. mat, d'un blanc jaunâtre, se taillant à éclats
esquilleux.On rencontre cette roche à peu de distance du
Fig. 5.
camp de Chassey, sur le chemin qui mène au camp de Rully.
Elle a été utilisée par les habitant de la grotte d'Agneux,
nui n'avaient pas comme ceux de Gcrmolles le silex de la
craie dans leur proche voisina. Au camp de Chassey elle
a été taillée, l'époque des hachettes polies, en grettoirs,
couteaux, pointes, râcloirs, etc. Cette station ne contient
aucune trace de faune quaternaire.
Chassey n'est pasdu reste la seule station de l'époque des
1. Cet atelier a été décrit par M. le docteur Bailleau dansL'homme
pendantla période quaternaire
dans le Bourbonnais, p. 3. On peut
observer à Tilly, commeM. Méray l'a fait à Germolles, des têtes de
lances très minces, à côté d'autres très épaissesdont quelquefois la
balle
est restée à l'état de caillou brut.
DU GERMOLLES 199
haches polies qui m'ait fuurni des spécimens de hachettes
ou pointes taillées des types quaternaires. J'en possède deux
du camp de Rollanpont, près de Langres, et j'en ai publié
une qui provient de Neuzy, près de Digoin', localité où l'on
a trouvé du reste d'autres instruments du type quaternaire,
mais où ceux de l'époque des hachettes polies abondent.
Il est à observer qu'une section des nodules ovoides de silex
donne naturellement des éclats dits langues de chat, et que
souvent ces éclats croùteux ont l'apparence de pièces taillées
à dessein. La grotte de Germolles m'a montré un grand
nombre de pièces de ce genre dont j'ai conservé quelques-
unes. Les pointes ou hachettes de ce type trouvées dans les
stations de la hachette polie sont moins bien travaillées que
celles des temps paléolithiques'. La hache polie avait rem-
placé la hache de silex éclaté dans ses principaux usages;
cette dernière n'avait plus qu'un emploi restreint. Du reste,
la plupart des instruments appelés haches taillées n'étaient
nullement propres à hacher.
§ 2. Observation ster les couteaux. Vous n'avez re-
présenté que deux couteaux de silex (lig. 12 et 13). Ces deux
formes, l'une a deux, l'autre à trois enlevages, abondent
dans les stations les plus diverses. La caverne de Germolles
a fourni de très jolis spécimens de ce genre avec ou sans
retailles. Deux sont figurés aux nos4 et 5 de la planche qui
accompagne ce Mémoire le n° 4 est un bijou en silex blanc,
veiné et moiré, muni d'un appendice pour l'emmanchement,
et tinement dentelé sur les deux parties tranchantes. L'époque
des haches polies n'a rien fourni de plus délicat, et, par
contre, les stations quaternaires ne possèdent, en fait de
couteaux de silex, rien de plus primitif ni de plus grossière-
ment façonné que celles des âges les plus récents. Pour
1. Mémoiresur les silex deVolgu. pi. IV, n' 2[: nf. t. IV. pi. IV de
2.J'appelleainsi l'époquecontemporaine de la faune quaternaire.
200NOTES SUR LA CAVRNE
s'en convaincre, il suffit de considérer
publiées par Flouest' et par M. E. llerrault'.
Mais on trouve. à l'époque dt-s haches polies et dans les
dolmens, de magnifiqueslames retravaillées à petits enle-
vages dans tout leur pourtour.Telle est celle que M. Ltnda
a recueillic dans les graviersde la Saône et que j'ai publiée
dans mon premier Mémoire sur les silex de Volgu2; le même
instrument s'est rencontré au camp de Catenoy (haches
polies),en deux grandeurs
différentes4. Ceux du tumulus du
Moustoir-Carnac sont de travail notablement inférieur;
ils ont été trouvés avec des vases de belle fabrication et une
hache polie en serpentine.
Ici encore la supériorité de lataille n'appartient pas toujours
à l'époque nélithique2. La pointe de couteau de silex agate,
rubanné, jaune avec nuances variées, que je figure sur ma
plancheau 8, a été trouvée par moi â l'entrée de la ca-
verne de Germolles; le pourtour enest admirablement retaillé
et la pointe très aiguë. Ces sortes d'outils ne pouvaient
trancher que par mouvement de va-et-vient, à l'instar des
scies. Ils sont du reste rarement aigus, et leur courbure les
rend peu propres supporterdes choes ou de grands efforts
sur leur pointe. ll n'est guêre facile par conséquent de de-
viner l'usage auquel les appliquaientles peuplades qui les
taillaient avec tant de soin. On peut faire la méme ob,er-
vation sur le "ilex du même provenantde
Saône, t. V, 3.
2. Fouilles au camp de Chassey, pl. I, fig. 3à 6.
3. Pl. IV. fig. I; ct. t. pl. IV. de ces Œucres dicerses]. —Ma-
p. 48. Voir aussi Chabas. Etudes sur l'Antiquce
historique, 2édition, pi. 5, n' 8.
Le- campde Catenoy, pl.
26 et 27, Hg. à 2.
5. René Galles. Fouilles du tumulus du Moustoir-Carnar, Vannes.
6. Pour moi. ce terme désigne simplement lesstations caractérisées
par la faune actnelle.
DE GERMOLLES 201
publié par MM. de Ferry et Arcelin', et sur celui de Char-
ttonnières. décrit par le même M. de Ferry dans la Reoue
archéologique2. La lance de silex trouvée dans la grotte des
fées à Chatel-Perron par M. le docteur Bailleau' paralt être
d'un travail aussi parfait que le fragment de couteau de
Germolles. Les palafittes ont également fourni leur contin-
gent de ces belles lames'. Pour ce qui concerne la caverne
de Germolles, le même travail soigné de retailles latérales se
distingue sur une belle pointe de flèche, longue de 5 centi-
mètres, que j'ai recueillie moi-même.
§ 3. Obseroations sur les tranchets ou serpettes.Vous
avez donné ce nom à des instruments terminés en pointe
plus ou moins recourbée, et vous avez reproduit deux pièces
de ce type, dont la caverne de Germolles a fourni plus de
vingt spécimens. Le plus parfait d'exécution est celui que je
figure au n° 7 de ma planche; il est formé d'un rognon
oblong de silex opaque, dont une extrémité, laissée brute,
forme un manche de préhension très commode et très lisse;
l'autre bout a été taillé en serpette courbe, très aiguë, et
tranchante des deux côtés; le travail est aussi soigné sur
l'une et l'autre face de l'instrument. C'est un outil remar-
quable qu'on n'a pas trouvé ailleurs avec la même abondance.
Les bords de la Saône m'en ont fourni quelques-uns, mais
sans retailles, et qu'on pourrait conséquemment regarder
comme étant de simples éclats. Un pourrait faire la même
observation à propos de celui que M. le docteur Bailleau a
trouvé dans la grotte de Châtel-Perron2. On rencontre un
peu partout dans les stations à silex ouvrés des pièces trian-
gulaires aiguës, formant pointe dediamant comme le couteau
1. Màconnaisprèhistorique, pl. 26.3.
t. Deuxième série, tome XIV. p. 434.
3. 1)' Bailleau, loc. laud., p. 31.. et pl. Il, n° 5.
4. Voir l'errin, Études prèhistoriquessur ln Saroic, pi. XX, n" fi
5. D' Bailleau, loc. laud, Pl. 11, n* 15.
202 NOTESSUR LA CAVERNE
a rogner. Mais les tranchcts de Germolles forment un type
particulier qui n'a pas encore été décrit.
§ 4. Observations sur les silex à fendreles os. Vous
avez trouvé à Germolles des masses de silex assez grossière-
ment façonnées, de la grosseur du poing et souvent un peu
moindres, caractérisées par une arête médiane assez saillante,
qui a été obtenue au moyen d'enlevages pratiqués de chaque
côté. L'outil forme ainsi une carène en ligne brisée dont le
profil est plus ou moins courbe. Les brisures, dues aux
tailles latérales, se correspondent exactement et montrent
que le travail n'a pu être qu'intentionnel.On a pensé que
ces sortes d'outils avaient dû servir à fendre les os à moelle
dans le sens de leur longueur; ils paraissent,en effet, dis-
pobés pour cet usage. J'en possède cinq spécimens provenant
de Germolles d'autres ont été recueillis par moi à Char-
bonnières, et parmi les silex superficiels d'un lambeau du
terrain de la craie dans lea failles du calcaire jurassique de
Saint-Hilaire. ou vous avez quelquefois trouvé des pièces
bien travaillées. Votre cullection possède un de ces percu-
leurs à moelle' dont la carène tranchante est craquelée et
usée par un long usage, tandis que les surfaces latérales en
sont comme lissées et polies par la fréquence du frottement
des doigts. Cette pièce est caractéristique. La Saône m'en a
fuui'ni de beaux échantillons, évidemment contemporains
dc la hache polie.
§ 5. Observations sur les disques. — On trouve, dans les
stations de toutes les époques, des silex à pourtour plus ou
moins régulièrement rond, formant disques plats, ou calottes
tronquées ou coniques; j'en possède dans ma collection
depuis la largeur d'unc pièce de clinquante centimes jusqu a
un diamètre de 8 centimètres. 11 en existe de plus grands
1. Cesoutils ont été aussi considérés comme des casse-têtes. Vou.
leur avezvous-même conservécette dénomination qui ne me paraîtrait
pas convenir à ceux de petite. dimensions.
DE GERMOLLE8 203
encore. Le travail intentionnel de ces pièces singulières ne
saurait être mis en question. Celle que je publie sur la planche
i tig. 3) peut donner une idée des disques de taille moyenne.
Si quelques-uns de ces instruments ont pu servir comme
pierres de fronde, tel ne saurait être le cas de ceux qui n'ont
qu'un ou deux centimètres de diamètre et qui sont généra-
lement les plus délicatement taillés. Ici encore nous sommes
forcés de confesser notre impuissance à tout expliquer.
§ 6. Obseroations sur les grattoirs. On a donné le nom
de grattoirs à des lames de silex dont l'une des extrémités
a été arrondie et retaillée avec soin, l'autre extrémité servant
uniquement de manche de préhension. Lorsque les deux
bouts sont arrondis, l'instrument est appelé grattoir double.
Tel est le cas de celui que vous avez représenté (fig. 10).
Des outils semblables ont été en usage jusqu'aux temps
modernes pour l'enlevage des poils des peaux échaudées.
Mais si cet emploi est naturel pour les grattoirs formant
tranchant, il en serait autrement des pièces du même genre,
dont le bout arrondi est épais et dont les retailles forment
angle droit ou obtus avec la base. Ces pièces conviendraient
mieux pour servir de marteaux légers à bord tranchant pour
le retaillage des instruments délicats. On les rencontre, en
effet, très fréquemment usées comme par une série de chocs.
Je publie ici un spécimen trouvé par moi à la station de
Germolles (fig. 6); il a 4 centimètres dans sa plus grande
épaisseur et les tailles terminales se développent sur 2 cen-
trimètres 1/2, en angle de 80 degrés avec la base.
Les grattoirs doubles et simples sont les instruments les
hlu, abondants dans toutes les stations. Il y en a de très
grossiers, surtout à l'époque des haches polies; mais on en
trouvé partout de très finement travaillés, et il serait difficile
de se prononcer sur la supériorité relative de Germolles, de
charbonnières, de Solutré, de Chassey, des bords de la
Saône, etc. Trois jolis spécimens ont été trouvés par M. Bau-
dut dans les tombes mérovingiennes de Charnay, ce qui
2Q4 NOTES SUR LA CAVERNE
tendrait à montrer que l'usage des grattoirs, conservé jus-
qu'à nos jours par les Esquimaux, s'était perpétue aussi
Fig. 6.Fig. 7.
ch"7 les Francs. La figure 7 ci-dessus représente un de ces
grattoirs d'arcs un dessin que je dois à l'obligeance de
M. Baudot'.
§ 7. Obseroations sur les scies. — Un donne le nom de
scies à des lame. de silex intentionnellement dentées. Mais
il faut remarquer que les silex ain·i travaillés ne sont les
toujours des outils destinés à scier. Sur de très petites lames.
un observe souvent des dents larges et profondes qui ne
pourraient faire aucun travail utile sur les corps durs. Dans
d'autres cas, on trouve sur des instruments de dimensions
diverses des dents si fines et si régul ières qu'elles pourraient
user et limer plutôt que scier. Sur quelques llèches de
l'époque des hachettes polies, ce travail de denticulation
est quelquefois d'une exécution très soignée; on ne s'ima-
ginerait pas. au premier abord, que le silex ait pu se prêter
à une telle régularité. On conçoit néanmoins que la blessure
causée par la flèche ainsi façonnée devait être plus dange-
reuse que si les bords étaient restés unis. Du reste, certaine,
petites lame, de la Saône présentant la même perfection de
1. l'oor les grattoirs de Chassey, voir Ed. Flouest. Mèmoire cité.
pl. III. et E. l'errau lt. pl. 1,hR.2,4 et 5. Chassey a fournides grattoirs
beaucoup plus délicatement travaillés que ceux qoont représente.
M. FloueetetM. Perrault.
DE GERMOLLES 205
travail, et il faut bien admettre que ces fines scies avaient
un emploi particulier, par exemple pour l'ornementation des
outils et autres instruments fabriqués avec le hois, lesquels
ont tous disparu des stations de l'âge de la pierre' ils de-
vaient servir aussi pour toutes les substances faciles à en-
tamrr, telles que la corne, les schistes, les calcaires, etc.
J'ai recueilli dans la station de Germolles le silex figuré
sur ma planche au n° 2. C'est une scie fine assez régulière,
quoique inférieure d'exécution à celles de la Saône dont je
viens de parler. Mais Solutré m'en a fourni deux (la dernière
trouvée par moi en 1875), dont la perfection ne laisse rien à
désirer.
l'our entamer et diviser les os durs et achever le travail
de la hache, on se servait de scies plus grossières un cou-
teau ébréché, j'en ai fait l'expérience, réussit mieux qu'une
scie délicate. On les enchâssait dans un manche de bois ou
d'ns'. Les scies de silex du Danemark, dont le Musée de
Chalon possède un bon spécimen, étaient taillées en segment
de circonférence et quelquefois régulièrement dentées sur
leur côté rectiligne; la courbe servait pour la préhension,
et, selon toute probabilité, devait, comme les scies lacustres,
être enchâssée dans un manche de bois ou d'os'.
La pièce de Germolles qui fait partie de votre collection,
et que je figure sur ma planche n" H, est une scie du genrede celles du Danemark; elle forme un triangle à deux cotés
curvilignes sur une base droite. Tout le pourtour a été
aminci au moyen de retailles sur les deux faces l'instrument
1 On en a cependant pêché un certain nombre dans les lacustres,mais l'âge en est incertain.
2. Un de ce" outils, muni de son manche, est figuré par Desor, Les
Polafittes, p. 19, fig. 12. On en a découvert avec des manches plus
lones, formant hègoïnes.
3. Voir J. J. A. Worsaae, Nordiske Oldsager. etc., Copenhague. 1859.
p. 15; et pmur la scie e lame convexe. Trutat et Cartailhac. Matériaux,
etc.. 1870. p. 125.
206 NOTESSUR LA CAVERNE
pouvaitservir de scie sur les trois côtés, soit qu on le ttnt
à la main, soit qu'on y mit un manche qui aurait pu s adapter
avec la même facilité sur l'un quelconquede ses angle-.
J'ai recueilli à Solutré une pièce analogue, plus allongée
(fig. 8) et plus semblable de forme aux scies du Danemark.
Elle constitue une double scie, ayant une lame presque rw-
tiligne d'un côté, et de l'autre une lame à courbure convexe.
Fig.8.
On se rappelle encore les trois cartons de silex dentés du
Périgord exposés par M. Brun en 1867. 11 s'en rencontre
d'analogues dans des stations caractérisées par des faunes
très diverses. J'en possède quelques-uns provenant de Hé-
louan, près de Memphis, station très peu ancienne. La scie
de Chassey qu'a publiéeM. Flouest', et qui existe dans mon
cabinet, est une pièce moins bien finie que les piècesde
Germolles et de Solutré dont je viens de parler.
§ 8. Observations sur les pointes de flèches. De même
qu'on coupait avec tout éclat tranchant, qu'on sciait avec
tout couteau ébréché, qu'on hachait avec tout silex à fort
1. Ouvrage cité, pi. IV, fig.3.
DE GKRMOLLES 207
taillant, de même aussi tout éclat pointu, susceptible de re-
cevoir un bois d'emmanchement, pouvait servir de flèche.
Mais il est peu vraisemblable que les populations qui se
moutraient si habiles dans la taille de nombreux instruments
aient négligé d'exercer leur adresse à propos de l'arme quiétait Icur plus grande ressource pour la chasse. J'ai déjà cité
le: flèches taillées qui sont un diminutif des instruments
FiK. 9. Fig. 10. Fig. 11.
Fig. 12. Fig. 13.
improprement appelés hachettes'. Jr réunis ici cinq modèles
difiérents de flèches recueillies par moi dans la grotted'Agneux et à Germolles.
Les nos 9 et 10 n'ont que peu de retouches latérales.
Les nos 11. 12 et 13 sont au contraire soigneusement re-
travaillés sur les bords. Ce dernier numéro est en silex
grossier, ('ommt' la hachette à éclats de Chassey décrite
précédemment2.
1. Voir ci devant, p. 19|. ou p. 195 du présent volume|.2, Ci devant. p. 21|, ou p. 198 du présent volume|.
208 NOTES SUR LA CAVERNE
§ 9. 06servations sur les poinçons, aiguilles,dents et
os troués. Aux objets de ce genre que vous avez publiés,
planche ajoute trois poinçons de petitedimension.
Le
n° 13, que je crois être en ivoire de mammouth, n'est rond
qu'en son milieu; l'une de ses extrémités est aplatie et
l'autre taillée à six pans. probablement parfrottement. Les
pans ne sont pas bien réguliers,ce qui parait tenir à la cir-
constance que l'objet s'est rompu pendant le travail et a été
rebuté avant d'être achevé. C'est une pièce assez rare.
14 est un fragmentd'os à moelle très soigneuse-
ment appointi,mais laissé brut par le bout qui servait à le
Len°15est encorebeaucoupplussimple;c'est uneesquille
de côte, restée brute du côté de la préhension,et symétrisée
par frottement du côté formant poinçon. Des pièces de
ce
Les grands poinçons et les lissoirs que vous
avez publiés
ceux de la station de à cela près que dans cette
dernière station on a trouvé quelques aiguilles à chas (lui
nellementfavorables.LesbordsdelaSaônem'ontlivréun1. M. de Vibraye en avait exposé en 1867 une belle série,
oùl'on
pouvait comparerdegrossesaiguillespareilles
à celles de l'emballeur
p.197).—M.deRochebruneatrouvédans
la Charente une belle ai
guille à chas en bois de renne (ibid., p. 195).
PL.V.
BIBL. ÉGYPT., T. xm.
DF GERMOLIES 209
m
BIBL. ÉGYPT.,r. XIII. 14
M. Flouest, qui a résumé avec soin ce que l'on savait de
Chassey jusqu'en 1868, n'a mentionné que des poinçons
tronqués de l'espèce la plus vulgaire. C'est M. E. Perrault
qui. le premier, a découvert dans cette importante station
un poinçon régulièrement troué pour enfilage. Je crois qu'on
en a depuis lors trouvé plusieurs autres.
Que la tribu qui stationnait à la caverne de Germolles ait
su percer les os les plus durs, c'est ce que démontrent les
dents trouées que vous y avez découvertes. J'ai figuré sur ma
planche (au n" 9) une incisive de ruminant que vous vous
êtes contenté de mentionner le trou en est si régulièrement
arrondi et à bords si lisses, qu'il donne une haute idée du
travail du silex et aussi de l'habileté de l'ouvrier.
Les dents percées pour ornements ou pour trophées de
chasse abondent dans les stations de toutes le, époques;
l'u,al;e s'en est conservé jusqu'à nos jours chez certaines
tribus sauvages. Presque tous les animaux que l'homme uti-
lisait pour se nourrir ou se vêtir, et ceux qu'il tuait pour se
défendre, ont fourni de ces joyaux primitifs. On a cité, par
exemple, le bœuf, le cheval, le cochon, le sanglier, les cer-
vidés, le chien, le loup, l'ours, le putois, la fouine, et même
le requin'. Mais la dent du rhinocéros trouvée par vous à
Germolles est, je crois, une pièce unique: elle est percée
d'un trou pratiqué dans l'intervalle de deux cloisons d'émail.
Ce trou est assez exactement rond. Je ligure cette dent au
n" 10 de ma planche.
Un objet d'ornement dont la moda semble avoir été plus
répandue aux temps de la faune quaternaire qu'aux époques
plus modernes, c'est la partie éburnée de l'os de l'oreille du
bœuf ou du cheval. Ce petit os est percé naturellement d'une
ouverture en forme de petite oreille lorsqu'on en a re-
tranché l'appendice osseux, il forme un ornement propre a
être suspendu en manière de grain de collier ou de pende-
1. A Laugerie-Haute(de Mortillet. Matériaux. etc.. 1967.p. 19S).
210 NOTES SUR LA CAVERNE
loque. Celui de Germolles, que je figure sur ma planche au
n° 11, est assez bien débandé des parties superl1ues de
l'os; toutefois il est notablement inférieur sous ce rapport
un autre qui fait partie de ma cullect ion et que j'ai recueilli
dans la grotte d'Agneux, où, du reste, il ne s'en est pas ren-
contré un second qui lui fut comparable.
Des pendeloques de ce genre ont été trouvées dans plu-
sieurs localités, et notamment à Laugurie-Basse1, à Ver-
gisson2, et dansles grottes du Vivarais, où elles étaient as-
sociées à des fusaioles de terre cuite, il des poteries variées
et à la faune de la hache polio3.
10. Gravures sur os, sifflets; excoriateurs, marteau.
La station de Germolles n'a fourni aucun spécimen de
dessin ni de sculpture sur os, corne ou pierre, comme on en
a recueilli dans les stations similaires du Pérignrd, des
Pyrénées, de Solutré, etc. Un n'y a pas trouvé non plus de
ces phalanges de renne percées d'un trou. qu'on a prises pour
des sifflets. Mais la grotte d'Aqueux a livré plusieurs de ces
sifflets, et j'y ai trouvé moi-même un outil formé d'un frag-
ment de gros canon de ruminant. tailléen biseau et terminé
en pointe mousse, très commode pour écorcher les animaux
dont on voulait enlever la peau sans la lacérer4. Agneux,
par contre, n'a livré aucun marteau de hois de renne ana-
logue à celui de Germolles (planche. fig. 1). dont on possède
plusieurs spécimens de Solutré. Ce sont des marteaux ou
casse-têtes fort analogues aux pomagans dont se servaient
les Indiens de ta rivière Mackensie pour la guerre ou pour
la chasse. Il ne faut pas s'étonner que toutes les grottes et
toutes les stations n'aient pas conservé l'assortiment complet
de l'outillage de leurs occupants antiques, et l'on doit se
1. Trutat et Cartailhac. Matériaux, etc., 1869,p. 355.
2. Par M. de Ferry. Matériaux,1867. p. 115.
3. Ibid., 1870. t.. 262.
4. C'est un instrument unique jusqu'à présent. J'en reproduis ici te
DE GERMOLLES 211
garder de conclure que certains types étaient restés étrangersaux peuplades sur les établissements desquelles ces typesfont aujourd'hui défaut.
§ 11. Os entaillés. L'un des deux os à entailles quevous avez mentionnés me parait mériter une descriptionmoins sommaire. Je l'ai figuré au n° 12 de ma planche. Il est
brisé des deux bouts, et la surface en a été usée vers l'une
de ses extrémités. Quoi qu'il en soit, on y distingue encore
très facilement les traces de onze encoches trois ou quatreont pu disparaître par suite de choes extérieurs. Ces marquesne sont nullement des entailles. mais des trous circulaires
dont on aurait tronqué la partie supérieure. Nous avons ici
évidemment un échantillon du travail du silex pointu utilisé
comme tarière, c'est-à-dire une façon plus recherchée quel'entaille de la hache, du couteau ou de la scie. Deux petitsu· de la caverne d'Agneux présentent des encoches de ce
genre. Je figure ici (fig. 14) celui qui n'en a que deux, sans
compter la trace d'une troisième à son extrémité. Cet ns,
appointi et garni de ces encoches, peut être l'ébauche d'un
dessin sous les deux faces (voir Études sur l'Antiquité historique.2°édition, p. 579)
212NOTES fUR LA CAVERNE
harpon qui se serait rompu pendant le travail il vous est
venu l'idée qu'une série de trous de ce genre pouvait avoir
servi pour la division longitudinale de l'os, dont évidem-
ment ce travail préparatoirefavoriserait l'éclatement. Quoi
Fig. 14.
qu'il en soit, l'os de la tigure 14 montre très
nettement la dispositioncirculaire du trou et
l'emploi des vrilles ou tarières de silex.
Il me semble que des marques de ce genre
devaient avoir plus d'importance que les simples
entailles commecelles que présente parexemple
l'os de Solutré publié par MM. de Ferry et Ar-
celin'.
On pourrait au contraire leur comparer.
pour la recherche du travail, les dentelures
arrondies d'un autre os de la même origine'.
Les populations contemporaines de la faune
quaternairen'avaient probablement pas d'au-
tres moyens pour conserver le souvenir des
choses qui les intéressaient. Peut-être les hommes de ce
temps notaient-ils de cette manière la succession de leurs
année! Cette idée m'est venue à l'esprit à propos d'un
petit os de Solutré qui fait partie de mon cabinet. Cet os
est en forme de fuseau obtus, long de 49 millimètres. Il
présente quatre méplats longitudinaux,sur deux desquels
se comptent vingt encoches ou lignes transversales régu-
lières; la troisième n'en a que quinze, mais il reste dt
l'e:pace pour cinq de plus, et la quatrième est encore lisse.
Ce petit objet se termine en un bouton délimité par une
rainure circulaire pouvant recevoir un cordon de suspeu-
sion; selon toute vraisemblance, il était porté au cou par
1. Voir leR harpone à encochesdu Musée des Antiquités du Nord
(dansMutériaux, etc., 1870.p, 124, tig. 25).
Cro-Magnon,Matériaux, 1869, pl. 4.
3. Ferry et Arcelin, loc. laud., p. 29, Hg. 2
DE GERMOLLESS 213
son propriétaire. On est tenté de te considérer comme le
comput d'âge d'un homme mort dans sa cinquante-sixième
année. Si cette hypothèse était exacte, on pourrait re-
garder le petit monument de Solutré que je viens de dé-
crire comme un indice de la numération décimale en usage
à l'époque du renne et du mammouth. La circonstance que
l'abaque était préparé pour un maximum de quatre-vingt
entailles nous donnerait aussi une idée de la longévité des
hommes de ce temps.
§ 12. Limonite, etc. Indépendamment des marques sur
corps durs, les populations contemporaines de la faune qua-
ternaire prenaient des notes moins durables sur le bois, et
traçaient des comptes sur diverses matières au moyen de
substances colorantes. J'ai recueilli à Germolles et à Agneux
d'assez nombreux fragments de limonite traçante, qui ont
pu servir pour le tatouage; mais j'en possède deux, disposés
en pointes, qui forment évidemment des crayons. Aucune
des notes prises au moyen de ces crayons n'est parvenue
jusqu'à nous, ce dont il n'y a pas lieu de s'étonner. Nous ne
pouvons, en définitive, nous former une idée bien exacte du
développement intellectuel des populations qui les mirent
en œuvre, mais nous sommes bien loin d'être autorisés à
considérer ces populations comme sauvages et sans cul-
ture.
L'usage des substances traçantes ou colorantes a été re-
connu dans d'autres stations de la faune quaternaire. M. le
docteur Bailleau l'a constaté à la Grotte ties fées (Bourbon-
nais)' MM. de Ferry, Arcelin et Ducrost, à Solutré', où
j'ai moi-méme recueilli quelques morceaux de sanguine et
de manganèse.
On a signalé aussi la présence de l'hématite traçante dans
1. DrRailleau, loc. laud., p. 25.
2. Le Maconnais préhistorique, p. 82 certains fragments d'hématite
présentent des traces non équivoques de politwage, de frottement, et
même d'incisions et de taille au moyen du ailex.
214 NOTES stIR LA CAVERNE
les dolmens' et dans les stations et les grottes de l'âge de la
hachette polie. Sur le.s grandes pyramideson peut encore
observer aujourd'hui des inscriptions hiéroglyphiquestra-
cées avec cette matière, entre autres le titre et le nom du
roi Chéops (Khoufou) écrits en très grands caractères. Elle-s
datent de près de cinq mille ans.
§ 13. Coquillages, pierres percées. Un des ornements
les plus usités à l'époque de la pierre consiste en coquillages
percés dont on faisait des pendeloques, des colliers et des
bracelets. Les peuplades de cet âge ne se contentaient pas
toujours des coquilles fournies par leur territoire; elles s'en
procuraientde provenances éloignées. dont la rareté faisait
sans doute un mérite particulier aux yeuxdes beautés qui
s'en paraient: les coquilles fossiles ont été quelquefois em-
ployées'. Les hommes de la caverne de Gourdan dans les
Pyrénées nous ont laissé de nombreux échantillons de ces
ornements économiques: M. Piette y a compté neuf espèces
de l'Océan, deux de la Méditerranée, trois espèces fossiles
des Landes, deux de Perpignan et deux de Dax. La tribu de
Solutré utilisait aussi les fossiles, et même des espèces en-
cure vivantes de l'Océan atlantique'. Il est peu de stations
do l'âge de la pierre où l'on n'ait pas trouvé quelques traces
d'un usage qui n'a pas encore cessé de nos jours; on en a
rencontré à Solutré, dans les lacustres', dans les dolmens-.
Les coquillages d' ornement sont souvent associés aux pierres
percées d'un trou naturel ou artificiel, dont la coquetterie
1. Bulletin de lm Société académique de Brest, 1875,p. 155.
Fouilles duSouc'h.
2. Comme le pectuncletertiaire, à Laugeric-Haute. Matèriaux, etc.,
1867, p. 195.
Abbé Ducrost. Station préhistoriquede Solutrè, p. 24.
4. J. Lemire. Station lacustre de Claireaux, Besançon, in-8°, 1872.
5. H. de Longuy, L'Age de bronze à Santenay, Autun, in-8°. 1872.
— Cazalis de Fondouce, Derniers temps de la pierre polirdans l'Avey-
ron. p. 51.
DK GERMOLLES 215
féminine se contentait faute de mieux: on les trouve aussi
mélangés, dans les colliers de l'Égypte historique, à des
grains d'émail et de pierres lines, à des globules dorés, à
des amulettes finement travaillées. Les sauvages de nos jours
en conservent l'usage. Il n'est pas, dans le fail. de mode plus
générale, plus commune à toutes les époques. Quoiqu'il n'en
ait pas été trouvé la station de Germolles, ni à celle
d'Agneux, il ne viendra à l'esprit de personne l'idée que le,
peuplades qui les occupèrent soient restées étrangères a un
u.aage aussi universel. Il faut seulement conclure une fois de
plu· que les débris abandonnés sur des stations désertées ne
nous initient pas nécessairement tous les détails de la vie
df leur, ancien. occupants.
§ 14. Poterie. — La station d'Agncux a fourni d'assez
nombreux débris de poterie a la main très grossière, dont
quelques-uns font vivement effervescence à l'acide. On a
trouvé aussi la poterie à Aurignac et à Vergisson, autres
stations de Il faune quaternaire. Ces vases imparfaits de-
eaient mal supporter l'action du feu. Sans doute on y cui-
sait le. aliments à l'aide de cailloux rougis. qu'on plongeait
dans les liquides à chauffer. Ce système de cuisson a dû être
usité même à des époques plus modernes'. On trouve souvent
dans les stations de l'époque des haches polies des cailloux
lisses portant la trace du feu, qui. d'après moi, doivent avoir
été employés a cet usage. Ia poterie parait avoir été rare
a Solutré: vous n'en avez pas remarqué à Germolles.
Ix savant explorateur du cimetière lacustre d'Auvernier
a été frappé du fait que, dans ces tombes qui lui ont fourni
des dents perforées pour suspension, des perles d'ambre,
1. Materiaux, etc., 1867,p. 115. M. Ponthieux a décrit un autre
procédéde cuisson par les pierres chauffées(Le Camp de Catenoy,texte.
p. 156). —Les Indiens Assinaboinsse servaient même de récipients de
bois, d'osierou de peaux pour cuire leurs aliments par cette méthode.
Voir Charles Rau, dans Trutat et Cartailbac. Matèriaux. etc.. !869,
216 NOTES SUR LA CAVERNE
des hachettes polies, des perles, des épingles,des bracelets,
etc., de bronze. il n'a pas été rencontré un seul fragment de
poterie,soit de l'âge de la pierre, soit de celui du bronze
Habituellement la poterie abonde dans les stations a pala-
§ 15. Jouets, curiosités, etc. Les contemporains de la
faune quaternaire recueillaient les objets curieux ou singu-
liers qui frappaientleur attention dans le champ de leurs
pérégrinationshabituelles; ils ont laissé dans leurs stations
des fossiles, des fragmentsde quartz hyalin, des spongiaires
de la craie, qu'on peut supposer avoir servi de jouets d'en-
fants. Le plus souvent ces objets ont échappé l'observation
des chercheurs. MM. de Ferry et Arcelin ont cependant
signalé les gryphéeset les bélemnites du lias, et les ammo-
nites du terrain bajocien qu'ils ont recueillies sur la station
de Solutré. Une ammonites planula présentaitdans l'inter-
valle de chacune de ses côtes une raie gravéeau ,ilex'. J'ai
trouvé à Germolles et a Agneux quelques spongiaires allon-
gés, qu'on prendrait pour des symboles phalliques Au mi-
lieu des silex relativement modernes de la station de Sables
rouges, sur les bords de la Saune, j'ai recueilli une ammo-
nite colorée par l'oxyde de fer, qui est un indice de la con-
tinuation de ce goût pour les curiosités naturelles.
§ 16. Considérations générales. — Telles sont, mon cher
conifère el. ami. les remarques qu'il m'a paru utile d'ajuutcr
à votre excellente description de la caverne que vous avez
découverte, fouillée avec soin, et dont vous avez sans retard
fait connaitre le contenu aux investigateurs de l'antiquitc
dite préhistorique'.
Vous faites à la tin de votre Notire une observation à la-
1. DrGross,Lestombeslacustresd'Auvernier,p. 4et 5.
2. Mâconnais préhistorique, p.82.
3. Votre premiermémoire date de 1869, peu
de mois après vos pre-
mières fouilles.
DE GERMOLLES 217
quelle je me rallie complètement, c'est que, entre l'industrie
des occupants de la grotte de Germolles et celle des der-
niires époques de l'âge de la pierre, il n'a pas dû s'écouler
des siècles bien nombreux. Si l'on compare, en effet, le·
instruments travaillés de pierre et d'os qu'on trouve associés
a la faune quaternaire avec ceux du même ordre dans les
stations de la faune actuelle, on est obligé de reconnaître
que les différences d'habileté manuelle se compensent à peu
de chose près. Certains instruments ont été communs aux
deux époques, et ce ne sont pas toujours les moins délica-
tement travaillés. Si les menus outils ne se rencontrent pas
ou se rencontrent rarement dans les sables et graviers du
dilucium, il faudrait être bien hardi pour en conclure que
l'usage de ces petits instruments est resté inconnu aux popu-
lations de l'époque. Les gros et les petits se trouvent mé-
langés dans les stations où les hommes contemporains de
cette faune ont séjourné. D'ailleurs les haches et les têtes
d'épieux de la Somme et du quaternaire parisien témoignent
souvent d'un travail soigné, parfaitement combiné pour
l'usage de ces armes qui n'exigeaient pas de retouches fines.
En ce qui concerne la pierre taillée a éclats. il n'y a pas eu,
a proprement parler, de progrès réalisés dans un ordre chro-
nologique, mais seulement quelques légères modifications
dans les usages locaux, en vertu de·quelles certaines formes
d'outils semblent avoir été plus ou moins communes, selon
les localités. Le classement chronologique de ces modifica-
tions n'a de consistance que lorsqu'il se combine avec des
changements notables de la faune. Puis il faut toujours faire
des réserves sur la portée des observations, même sur celles
yui ont été faites avec soin et compétence. Je l'ai déjà dit
et je le répète ici, nous nc sommes jamais sûrs de trouver,
dans les gisements archéologiques que nous fouillons. des
restes de tous les objets que les anciens occupants avaient
employés à leur usage: il est vraisemblable que tous les
objets rares. précieux ou curieux à un titre quelconque, en
218 NOTES SUR LA CAVERNE
ont été emportés. Parmi les objets qu'on nt, peut supposer
avoir été conservés avec un soin particulier par leurs posses-
seurs, ni avoir tenté la cupidité des pillards, il n'y a pas de
motif certain d'admettre qu'on en doive trouver des traces
dans toutes les stations d'un même âge. On pourrait, par
exemple, multiplier les observations analogues à celles qu'ont
faites MM. E. et C. Frossard sur les grottes de Bagnères et
de Lourdes, dont la faune a laissé des restes très différents,
malgré la position identique de ces antiques stations
Le polissage du silex et des autres pierres dures, de l'os,
de la corne et de l'ivoire peut être constaté à l'époque de la
faune quaternaire ce travail ne suppose en aucune manière
un progrès industriel considérable. Cependant l'usage de la
hachette polie semble avoir été ignoré des populations de cet
âge. Les taillants perfectionnes de ces sortes d'armes me
paraissent avoir été inspirés par la vue du tranchant des
haches de métal. De même, les llèches de silex façonnées à
aillerons, dont l'idée peut cependant avoir été suggérée par le
hasard de l'éclatement, pourraient aussi n'être qu'uue imi-
tation d'une forme bien connue et bien ancienne des flèches
de fer et de bronze. On conçoit que les outils et les armes
de métal, montrés dans les iles et sur les rivages de la Mé-
diterranée vingt ou trente siècles avant notre ère par les ex-
péditions maritimes des Égyptiens, ont pu n'arriver que
bien plu, tard l'usage des habitants de l'Europe centrale.
Ceux-ci avaient pu toutefois Ic· voir et les apprécier long-
temps avant d'être en mesure de se les procurer, et surtout
avant de savoir fabriquer les métaux pour les reproduire'.
t. Trutat et Cartailhac. Matèriaux, etc.. 1870.p. 212. Ces grottes,
ainsi que celles de Tarascon. présentent la circonstance remarquable
que le renne s'y trouve associéà la faune moderne, mais non le mam-
mouth ni les grands fèlins.
2. D'après les renseignements donnês par M. le docteur Comrie, chi-
rurgien du vaisseau Le Basilisk, les Papous d" la Nouvelle-Guinée,
qui en étaient à l'âge de la pierre en 1871, à l'arrivée de ce bâtiment.
DE GERMOLLES 219
D'un autre cote, la possession des premiers instruments de
métal a dti constituer dans l'origine un privilège assez rare.
Quelques aventuriers, revenus de longs voyages, en ont
d'abord rapporté de rares spécimens qu'ils ont gardés soi-
gneusement: même lorsque de hardis pionniers du commerce
ont réussi à les introduire en plus grand nombre au milieu
des peuplades qui savaient se passer de métal, il a dû
s'écouler un temps bien long avant que l'outil de bronze ou
de fer supplantât dans toutes les mains celui de pierre, qui
ne coûtait pour ainsi dire rien. A un moment, le bronze et
le fer ont été plus précieux que ne le sont aujourd'hui l'or
et l'argent. On perdait les silex, on rejetait facilement les
outils imparfaits ou usés de cette substance: mais les outils
de métal étaient gardés avec un soin particulier, même lors-
qu'ils étaient hors d'usage. On trouve fréquemment les mé-
taux et surtout le bronze dans les stations de la hache polie:
peut-être devrait-on les trouver dans toutes ces stations sans
exception, si leurs occupants n'avaient pas pris pour les
i-onserver plus de précautions que pour les outils de pierre.
En définitive, on conçoit très facilement que nous ne
soyons pas assurés de trouver des restes du début de t'age
des métaux, et qu'on ait pu très souvent ne rencontrer que
de la pierre dans des stations où le métal avait été em-
ployé.
Toutefois ces hypothèses ne me paraissent pas être appli-
cables aux stations de la faune quaternaire. La disparition
ont reconnu immédiatement la valeur des outils de fer. et n'ont pas
tardé à préférer ce métal à tous les autres objets d'échange. La même
impression a d6 se produire partout et en tout temps; mais si les nou-
veaux besoins des Papous ne doivent pas tarder être satisfaits par le
commerce et la grande facilité des communications, il en était tout
autrement aux temps anciens, et les hommes dépourvus de métal ont
été pendant longtemps obligés de s'en tenir à l'imitation en pierre ou
en autres matières dores, des outils perfectionnés dont ils avaient pu
reconnaltre l'excellence.
220 NOTES SUR I.A CAVFRNE
des éléphants, du grand ours, des grands félins, du renne,
etc., est un fait assez considérable, quoique ces animaux
aient coexisté avec le bœuf, le cheval et d'autres espèces de
la faune actuelle. Ce fait, bien avéré, semble donner quelque
poids aux théories des long-chronologistes. En effet, l'exis-
tence dans nos localités des puissants animaux que chas-
saient les peuplades des stations d'Agneux, de Germolles.
de Vergisson, de Solutré. etc., nous fait concevoir l'idée
d'un état de choses assez différent de celui dont nous sommes
aujourd'hui témoins. On est en quelque sorte fort excusable
si, en présence d'une telle modification de la faune, on se sent
entrainé à des supputations téméraires.
La question est sérieuse et demande à être traitée sérieu-
sement pour le moment, la meilleure manière de la traiter,
c'est d'explorer avec soin, avec discernement et sans parti
pris, les restes archéologiques de ces temps reculés. D'une
part, les monuments du travail humain rapprochent l'homme
des temps quaternaires de celui de l'époque des haches po-
lies, qui, lui-même, descend jusqu'à la rencontre des temps
romains. D'un autre côté, la modification de la faune favo-
rise la supposition d'un assez long intervalle entre le· deux
premières périodes. Le seul fait historique concluant dans
cette question, c'est l'existence de l'éléphant à Ninive au
XVIe siècle avant notre ère', et le problème se réduit à sa-
voir s'il faut de toute nécessité remonter à une date plus
reculée pour rendre compte de l'existence du même pachy-
derme dans la Gaula, dans l'Europe centrale, dans les !les
de la Méditerranée, etc.
Je ne veux pas revenir ici sur les considérations que j'ai
développées dans les deux éditions de mes Études sur l'An-
1. Voir mon ouvrage intitulé sur l'Antiquité historique.
2' édition, p. ;)74. Voir aussi Les Études prèhistoriqueset la libre
pensée, p. 10: cf. t. V. p. 69-70, de ces Œurrres dircrses]. — Les in-
scriptions cunéitormca ramèneraient l'éléphant d'Assyrie à une date
de plusieurs siècles plus révente encore.
DE GERMOLLES 221
tiquité historique, quoique j'aie depuis lors recueilli un
assez grand nombre d'observations nouvelles. Je réserve ces
observations pour une monographie des silex des berges de
la Saône et des poteries qui leur sont associées. Mes explo-
rations sur ce champ fécond de recherches se comptent par
centaines, et me fournissent sans cesse, non pas précisément
des faits nouveaux, mais de nouvelles preuves de l'exacti-
tude des moyennes stratigraphiques que j'ai déterminées, et
du voisinage chronologique des restes contemporains de la
liachette polie avec ceux des temps gallo-romains. La couche
à silex s'est déposée pendant le cours du premier millénaire
avant notre ère. Au delà de cette date l'usage des silex était
certainement bien plus répandu encore, mais la rivière s'éle-
vait trop souvent au-dessus du niveau de ses berges actuelles
pour en permettre les abords les chemins qui longeaient le
cours d'eau étaient une altitude plus élevée, et c'est là
qu'en creusant plus profondément on pourra trouver une
couche archéologique plus ancienne. Il a pu arriver cepen-
dant que des instruments aient été perdus par des individus
traversant la rivière, que des armes de jet aient été lancées
contre le gibier d'eau, et que par suite il se rencontre dans
les alluvions inférieures quelques silex sporadiques. Le cas
est rare; je ne l'ai encore constaté qu'une seule fois, dix
jours seulementavant la rédaction de ces lignes. De lacouche
de sable argileux rougeâtre sur laquelle repose le gisement
archéologique du foyer de Sables rouges, et à X5 centi-
mètres au-dessous du niveau inférieur de ce gisement, j'ai
recueilli un éclat de silex taillé à deux pans, formant un
bon couteau; il était horizontalement enfoncé dans la berge,
et ne se montrait que par le bord de l'un de ses bouts. Le
terrain ambiant est vierge de tout remaniement. Ce cas ex-
ceptionnel, lors même qu'il serait observé plus souvent en-
core ailleurs, n'a aucune portée au point de vue des suppu-
tations chronologiques; il ne s'agit point ici en effet d'un
monument de la présence de l'homme sur place, mais d'un
222 NOTES SUR LA CAVERNE
objet perdu par l'homme dans des circonstances dont l'ap-
préciation nous échappe absolument-
Au-dessous de cette couche de sables rougeâtres règne
dans cette partie des berges de la Saône un lit d'environ
ti0 centimètres d'argile brune, qui parait bleue lorsqu'elle
est humectée, et dans laquelle se trouvent quelquefois en-
gagés des nodules et des couteaux de silex dont la présence
s'explique encore comme celle du couteau précédemment
décrit, mais dont quelques-uns pourraient simplement avoir
giissé depuis les gisements supérieurs. J'y ai trouvé cepen-
dant, engagé dans toute sa longueur, un petit bois ou cor-
nillon appartenant à une espèce de cerf, peut-être au renne.
car la surface cornée en est lisse. Je me réserve de le faire
étudier. Mais on ne pourra pas, dans tous les cas, le consi-
dérer comme une preuve assurée que le renne a été contem-
porain du dépôt de ces argiles.
On ne s'est pas encore habitué suffisamment à l'idée que
l'usage des armes et des outils de pierre a été longtemps
contemporain de celui des outils de métal' il faudra cepen-
dant s'y résoudre et reconnaître que les historiens et les géo-
graphes grecs et romains, qui nous ont enseigné ce que nous
savions jadis de l'antiquité, n'ont été que de très médiocres
observateurs. Ce ne sont pas seulement ces menus instru-
ments de pierre et d'os qu'ils n'ont pas su voir, mais de plus
les grands mégalithes des temps celtiques et le. curieuses
cités lacustres qui existaient encore à l'époque carlovin-
gieune. A propos des imposants dolmens de la Bretagne et
1. Cetteaseociation du silex et du métal s'est imposée à l'esprit de
M. le colonelLane-Fox enprésencedes résultats de ses fouilles an camp
de Cissbury,où il a trouvédes silex néolithiques dont quelques-uns
présententdes formes se rapprochant de celles de l'âge paléolithique;
quoiquecesretranchements soientantèrieurs aux Romains,le fait que
par les indicationsrésultant desfaits (TravaW du Comitéde la Société
d'Anthropologiede Londres).
DE GERMOLLES 223
des Innrues allées de menhirs de Carnac, on a pu dire avec
raison que peu de monuments étaient susceptibles de pro-
duire une impression lrlus vive sur l'observateur. Les Ro-
mains n'ont cependant pas daigne les apercevoir, quoiqu'ils
ne se soient pas bornés à parcourir la contrée dont ces mo-
nollthes sont encore aujourd'hui le principal attrait. Il y a
juste un an, le savant antiquaire d'Écosse. M. Milne, a dt'
terré, au proche voisinage des Allées de Carnac, des villas,
des temples, des bains avec leurs salles nombreuses. Au mi-
lieu des ruines de ce magnifique établissement romain, il a
recueilli des statuettes de Vénus et de la déesse de la Ma-
ternité, puis des armes de pierre polie, des outils d'os, des
ornements de bronze, des outils de fer, des lames d'épées,
des fragments de verre et de poterie de Samos grise et noir4',
des pavements polis, des cornes de daims, etc., etc. Des
fresques encore très fraîches, entourées de bordures rouges
et quelquefois ornées de petites coquilles, décoraient les
murailles de ces éditices'.
Ce sont des observations pareilles à celle de M. Milne
qu'il est urgent de multiplier autant qu'on le pourra. Les
Sociétés scientifiques de province ont de ce côté un rôle im-
portant à jouer, car il est urgent de fournir à la science des
documents sincères, étudiés sur place, et de réagir contre
les systématisations des théoriciens, quels qu'ils soient.
Nous nous abstiendrons de proposer des solutions chif-
frées pour le problème dont nous venons de dire quelques
mots. Il nous suffira d'affirmer que rien encore n'accrédite
les idées des long-chronologistes; que si, par exemple, la
race des éléphants et des grands carnassiers a été forcée par
les nécessités du climat ou par toute autre cause de déserter
nos localités mille et même deux mille ans2 avant qu'elle
1. Lcdessin des fouilles de \t. Milne a été reproduit par le recueil
anglais The Graphic (n*d'octubm-1875. 3M. texte, p. 347et 348).2. Commeexemplede la disparition récente J'un animal de grande
2U NOTES SUR LA CAVERNE
fat obligée de quitter le nord de l'Assyrie pour descendre
dans l'Inde méridionale, nous ne serions pas pour cela sortis
de la période historique. Si les peuplades contemporaines de
la faune quaternaireavaient existé plusieurs
milliers d'an-
nées avant l'usage de la pierre polie, il y aurait lieu de
s'étonner du peu d'importance des débris qui nous sont restés
pendant ce laps de tant de siècles, et il faudrait se demander
ce qu'était devenu l'Itomme dans l'intervalle qui s'est écoulé
depuis la disparition de cette faune jusqu'à l'époque de
Chassey, Auxey, bords de la Saône, etc.
On a considéré comme une preuve à l'appui du système
des long-chronologistesl'abaissement des lits des tleuves, et
surtout de celui de la Seine dont on trouve les traces à
55 mètres 90 d'altitude, c'est-à-dire à une hauteur de
30 mètres environ au-dessus de l'étiage moderne. Mais. se-
Ion M. Belgrand, le continent était alors de 60 mètres plus
bas qu'aujourd'hui,et c'est au relèvement du continent
qu'est dû l'abaissement des lits entre la Champagne et la
D'aprèsce savant, dont le nom fait autorité en la matière,
le travail d'abaissement des lits est beaucoup plus ancien
dans les vallées jurassiques de la Bourgogne et crétacées de
la Champagne que dans les grandes vallées emprises entre
la Champagne et la mer'. L'ursus spelœus vivait dans les
taille on peutciter celle du dinornis,niseau colossal qui existaitencore
il y a 50ou6Uans. selon l'opininnde M.Gervais (Trutat etCartailhac.
Matériaux, etc.. 18'7U,p. 122).Les rechercha du Challeger ont fait
retrouve, '-état vivant des espècesqu'on neconnaissait qu'à l'état
fossile.Onaaussi récemment acquisla certitude de l'existencede cal
mare gigantesques, démontrant que la pieuvre (les Travailleurs de lei
.Ver n'estnullement un monstrede pure iniagination.
1. Il n'est pas nécessaire de supposer de bien longues périodes géolo
giques pour se rendre comptedes mouvements de l'écorce terrestre- A
l'époque aetuelleon constate un abîment progressif
du sol des plaines
depuis. la Russie jusqu'àla Baltique. Sur d» pointn limités, il se mani
teste encore de temps à autre de brusques soulèvements ou des affaisse
DF GERMOLLES 225
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. 15
grottes d'Arcy, à 3 mètres au-dessus de l'étiage de la Cure,
c'est-à-dire lorsque cette rivière avait abaissé son lit à très
peu près à son niveau actuel. Ainsi donc les mammifères de
la plus ancienne faune quaternaire ont laissé leurs restes
dans les grottes d'Arcy qui appartiennent aux bas niveaux.
tandis qu'à Paris on trouve en abondance, dans les graviers
des hauts niveaux de Montreuil, les restes de grands herbi-
vores qui paraissent moins anciens'.
Les mêmes observations peuvent être faites à propos de
la caverne de Germolles, dont le fond est à moins de 7 mètres
au-dessus du niveau des hautes eaux actuelles de l'Orbize'.
Il y a toute apparence qu'à l'époque de l'occupation de cette
caverne on y accédait, comme de nos jours, par le chemin de
Germolles à Mellecey, qui passe aujourd'hui à 4 mètres en-
viron au-dessous de la grotte.
Dans mes Études sur l'Antiquité historique, j'ai résumé
les degrés de l'échelle chronologique fournie par les monu-
ments égyptiens:le plus élevé remonte à environ 4.000 ans
avant notre ère, aver le règne de Menés. Ce chiffre, qui
n'était alors qu'une grande probabilité, est depuis quelques
jours devenu une certitude une date par moi déchiffrée
sur le magnifique Papyrus médical Ebers établit un syn-
chronisme mathématique entre l'an 9 de Menkara (Mycéri-
nus. constructeur de la troisième grande pyramide de Gizch),
et l'une des années de la période quadriennale 3007 à 3U10
ments considérables.En 1874.au Guatemala, pendant un tremblement
de terre, un torrent qui entraînait des rocherset de gros arbres, s'étant
trouvé arrêté dans sa course, a forméune colline de plus de cent pieds
de hauteur. Plus récemment encore, l'effondrement du Gros-Morne,à
l'île de la Réunion, a enseveli sous un éboulisde 40 à 60mètresd'épais-
seur le village du Grand-Sable (voir Ch. Vélain. La catastrophe du
Grand-Sable, dans le journal La Nature, avril 1876, p. 327).
1. Belgrand, Note sur l'Histoire ancienne de la Seine, Matèriaux.
etc., 1869, p. 50 et suivantes.
2. L'ouverture est à un niveau un peu plus élevé, soit environ 60 à
80 centimètres plus haut.
22t; NOTES SUR LA CAVERNE
avant notre ère1. Les oeuvres d'art de l'époque de ce pharaon
et de ses prédécesseurs abondent. Chacun a pu en admirer
de merveilleux spécimens à l'exposition égyptienne organisée
par M. Mariette-Bey dans le parc du palais du Champ-de-
Mars, en 1867. Entre ces magnifiques produits d'une civili-
sation puissante et l'outillage des tribus qui habitèrent les
stations de Germolles, d'Agneux, de Vergisson, etc., etc., il
y a la même différence qu'entre les chefs-d'œuvre de la ci-
vilisation et de l'art moderne et les timides essais des Néo-
Calédoniens. des Papous, des Fuégiens, des Mincopies, etc.
Il n'est pas nécessaire de supposer alors plus qu'à présent
des races humaines plus primitives ou d'une autre nature
que relles qui existent encore de nos jours.
on a aussi attaché beaucoup de valeur à certaines obser-
vations qui tendraient à démontrer qu'à l'époque quaternaire
la température de nos climats était beaucoup plus basse qu'à
présent. On a cru reconnattre les traces d'une faune et d'une
Ilore boréales; mais, à côté du mammouth, du renne, de la
marmotte, etc., qui indiqueraient une zone arctique, il faut
toujours placer le rhinocéros, l'hippopotame, les grands fé-
lins, qui semblent avoir exigé un climat tempéré. Avec des
mousses arctiques, on trouve dans le quaternaire de nos ré-
gions la vigne, II)figuier, le sycomore, etc., qui se plaisent
encore aujourd'hui sous nos latitudes; et, tandis qui, les uns
croient à un climat très froid, d'autres aflirment, et le savant
Ed. Lartet est de ce nombre, que les hivers étaient alors
moins rigoureux et les étés moins chauds que de nos jours.
C'est le cas de s'écrier avec le poète c Nore nostrum inter
ros tantas componere lites. u Boruons-nous à constater qu'il
n'existe encure nul motif sérieux de vieillir l'homme outre
mesure. Aucunc découverte dans le champ des préltisto-
1. Mon mémoiresur cette découverte a été annoncé à l'Académiedes
Inscriptions et Belles lettres par M. de Saulay, dans la séance du
7 avril dernier; il u'eu a pas encoreété donné lecture.
DE GERMOLLES 227
riques ne nous parle distinctementd'une époque certainementantérieure au cadre reconnu de l'histoire, et l'appellation
préhistorique, fondamentalement inexacte, ne doit être cm.
pluyée qu'avec des restrictions qui en contredisent la signi-fication grammaticale. On ferait bien d'y renoncer plutôt
que de conserver cette dénomination qu'on applique même
á des peuples et des monuments d'hier, comme, par
exemple, à propos des Papous de la Nouvelle-Guinée.
Il n'est nullement démontré, en définitive, que, parmi le.
monuments qualifiés de préhistoriques qu'on a découverts
jusqu'à présent, il en existe d'antérieurs aux premières date.
historiques bien constatées, lesquelles remontent à environ
6.000 ans. M. le chevalier de Rossi, qui a étudié avec soin la
vallée du Tibre, a reconnu que les dernières phases de l'état
quaternaire de cette vallée ont coïncidé avec les premierssouvenirs de l'histoire romaine, c'est-à-dire qu'elles ne sont
pas antérieures au VIIIe siècle avant notre ère. A cette date,l'homme historique civilisé vivait en Égypte depuis plus de
trente siècles, temps bien suffisant pour rendre compte des
autres phases préhistoriques de l'époque quaternaire.Nous avons dit tout à l'heure que les investigateurs des
époques supposées préhistoriques ont dû se laisser entraîner
presque à leur insu à des supputations téméraires. Aujour-d'hui ces témérités se sont un peu calmées, et généralementles explorateurs de- stations antiques font preuve de discer-nement et de modération, mais déjà beaucoup d'idées faussesont fait leur chemin. Par exemple, on ne craint pas d'af-lirmer que l'Égypte a eu un âge de pierre antérieure à celuides métaux, ce qui est d'autant plus inexact que nous ne
possédons pas même de monuments dénotant le comme-cement de la civilisation merveilleuse de ce pay.
Un savant, des plus justement réputés, affirme sans hésiter
que des fouilles en Asie-Mineure et en Égypte ont plei-nement confirmé les assertions de l'histoire sur une civili-sution de l'âge de fer remarquablement arancée, qui y
228 NOTES SUR LA CAVERNE
régnait plusienrsmilliers d'années avant la naissance du
Cierist, mais qu'elles ont en outre mis en lumière les restes
d'une civilisation de l'áge de bronze encore plus ancienne,
et même un âge de pierre antérieur. L'étude sérieuse des
monuioents de l'Égypte ne montre dans la réalité rien de
semblable; mais il est peut-être plus imprudent de hasarder
de semblables supputations à l'égard de l'Égypte, qui a
laissé tant de titres écrits, qu'à propos des découvertes faites
au cimetière lacustre d'Auvernier. On a pu lire au compte
rendu de ces découvertes dans un journal suisse
Cela nous reporte au delà de la grande époque étrusque,
aux tempsoù l'industrie du bronze était largement déne-
loppée dans la plaine du Pô, che: les Pré-Étrusques de
Villanova, c'est-d-dire d un millier de siècles environ
aaant notre ère.
Cent mille ans avant notre ére C'est à n'en pas croire ses
yeux
On nous pardonnera sans doute l'insistance que nous met-
tons à ramener sur le terrain de la froide réalité ces calculs
prodigieux. Déjà, grâce aux efforts d'une critique sérieuse,
la question chronologique tend à descendre des hauteurs
vertigineuses sur lesquelles l'avait juchée un enthousiasme
irrétléchi mais, à quelque point de vue qu'on se place, il est
une nécessité incontestable, celle des études indépendantes,
comme celle que vous venez de faire, comme celle que
M. E. Perrault a publiée sur Chassey1. Il ne suffit pas de
fouiller, même avec soin et méthode, puis d'entasser les pro-
duit- des fouilles. S'il se borne à cette satisfaction de col-
lectionneur, l'investigateur, je ne crains pas de le dire, est
l'ennemi le plus dangereux de la science. Il faut publier sans
retard la description des fouilles. au moins sous forme de
1. Ces étudesabondent en France. Je ne cite ici que cellesqui con
cernent notre localitéet que peuvent vérifieret apprécier les membre
de notre Sociétéd'Histoire et d'Archéologie.
DE GERMOLLES 229
procès-verbal et d'inventaire, avec les indications nécessaire
pour faire exactement connaitre toutes les circonstances
utiles à retenir. Nous avons à faire dans Saône-et-Loire
plusieurs monographies de ce genre qui n'ont déjà que trop
attendu.
Chalon-sur-Saône, 20 avril 1876.
230 NOTES SUR LA CAVERNE
TABLE INDEX
195-199.Remarquexsur les harhex. Rareté de celles de grande
dimension Les sauvages de la vallée du Missis-
sipi en ont employé de plus fortes. Types en pointes
de flèches, de pique et de lance. La marque par
enlevage latéral. Persistance de ces types jusqu 'à
l'époque de ia hache polie.
199-201 Obserrations sur les conteaux. —Lames quelquefois
délicatement travaillées à l'époque quaternaire. que)
quefois restée4 grossières à l'époque des haches polies.
Couteaux des dolmens. — grandes lames de la
Saône, de Solutré. etc.
201-202. Ilhxrrrnliunx xnr les tranchets. Pièce typique de ce
genre provenant de Germolles. Tranchets de la
Saône et de ('hatel-l'erron. Silex taillés en pointe
de diamant.
202. Illixrrratiunx xnr Irx siles à carène saillante. Ce sont
des percuteurs a fendre les os. Les mémes à Char
bonnières, à Saint-llilaire et sur les bords de la Saône.
202 203. Obserrations xnr lex disques. Il s'en trouve dans les
stations de toutes les époques. —Quelques-uns sont
trop petits pour être considérés comme pierrrx de
fronde.
203-204. Observations sur les grattoirs. Les grattoirs épais
sont des pereuteurs. Les grattoirs en général se
trouvent dans toute- les stations, même dans les plus
DE GERMOLLES 231
modernes. Ils sont aussi perfectionnés dans celles dela faune quaternaire que dans les antres. Grattoirsdans les tombes mérovingiennes.
204-206. Observations sur les scies. — On donne ce nnm à deslames de silex régulièrement dentées, qui peut êtren'étaient pas toujours destinées à scier. Scies fines,
Scies à lames curvilignes. Scie de Solutré.Scies du Périgord et de Memphis.
206-207. Observations sur les pointes de flèches. —Cinq variétésde flèches de l'époque de la faune quaternaire.
208-210. Observations sur les poinçons, aiguilles, dentx et ostroués. Poinçon d'o. méplat, taillé a six pans.Esquilles pointues. Pas d'aiguilles à chas à Ger-molles ni à Agneux. Ilents trouées. llent derhinocéros avec trou de suspension. Rochersd'oreille.
210-211. Grarures sur os, sifflets, excoriateurs. marteaux.l'as de gravures sur os à Germolles. —Pas de sifflets
ONtaillé et poli pour écorcher les animaux tués.Marteaux de bois de renne.
211-213. Osentailles. Os troués à l'aide de la tarière de silex.Os de Solutré ayant un bouton de suspension garni
de 55 fines entailles, suggérant l'idée que les hommesquaternaires avaient une numération décimale.
213-214. Limonite, etc. Crayon de Limonite. Sanguine et
manganèse à Solutré. Inscriptions des grandes py-ramides d*Égypte tracées à la sanguine.
214-215. Coquillages percés. — On n'en a pas trouvé dans la ca-verne de Germolles.
215-216. Poterie. —La caverne de Germolles n'en a pas fournide traces, mais on en a trouvé dans celle d'Agneux.
Cuisson des aliments à l'aide des cailloux chauffés.Absence de la poterie dans une station des popula-
tions lacustres.
:'lR. Jouets, curiosités. Fossiles, fragment, de quartz.spongiaires, etc.
232NOTES SUR I.A GAVERNE
216-229.Considérations générales. —Point de faille chronolo-
gique considérable admissible entre l'époque de la
station de Germolles et celle de la hache polie. Les
débris qu'on recueille dans les uns ou dans les autres
de ces gisements ne nous renseignent pas exactement
sur la totalité des objets dont leurs occupants ont fait
usage. Le polissagede la pierre et des autres ma-
tières dures était connu dès l'époque de la faune qua-
ternaire, et ne constitue pas un progrès industriel
considérable. Le taillant des haches polies a dû être
inspiré par la vue des armes tranchantes de métal.
11en est de même des flèches à ailerons. Les mé
taux ont été connus dans l'Europe central longtemps
avant que les populationsaient pu se les procurer ou
les fabriquer. Disparition des grands animaux de
l'époque quaternaire.Est-il nécessaire de la croire
beaucoup antérieure l'émigration de l'éléphant
d'Assyrie? Les foyers et les stations des bords de
la Sa6ne on n'y trouve pas de traces de renne; au-
dessous de la couche archéologique, dont le dépôt s'est
effectué à peu près dans le premier millénaire avant
notre ère, on ne découvre plus d'indices de la présence
de l'homme sur les bords de la rivière. Le terrain
était alors difficilement accessible à cause des inonda
tions; c'est à un plus haut niveau sur les coteaux
qu'on pourrait trouver en place des restes contempo-
rains dé la faune quaternaire. contemporanéité de
l'usage des armes de pierre et de métal. Les Ro-
mains, mauvais observateurs. Découvertes de
M. Milne à Carnac. Réflexions sur les exigences
chronologiques des modifications survenues dans la
faune. —La grotte de Germolles vient à l'appui d'une
observation faite par M. Belgrand à propos des grottes
d'Arcy. Certitude actuelle des dates historique
dans le quatrième millénaire avant notre ère. Opi-
nions contradictoires sur la température de l'époque
quaternaire.Nulle part les objets désignés comme
préhistoriquesne peuvent encore prétendre à une anti-
DE GERMOLLES233
quité supérieure aux premières dates historiques cer-
taines. Des opinions plus modérées semblent pré-
valoir aujourd'hui en ce qui concerne la haute anti-
quité. Quelques idées erronées qui subsistent en-
core, etqu'il est utile de contredire. Les premiers
temps de l'histoire romaine coïncident avec les
dernières phases de l'état quaternaire de la vallée du
Tibre; nous possédons des dates historiques de plus
de trente siècles antérieures à Romulus, ce qui nous
laisse une marge suffisante pour loger à l'aise tous les
faits qu'on a appelés préhistoriques. Conclusion
Nécessité d'études indépendantes et sévères et de
promptes publications descriptives.
NOTICESURUNESTÈLEÉGYPTIENNE
MUSÉE DE TURIN
Après les papyrus et les inscriptions monumentales. les
stèles de bois et surtout celles de pierre fournissent aux
égyptologuesles sources le: plus abondantes d'information.
Elles sont fort heureusement parvenues jusqu'à nous en
quantité à peu près innombrable. Il en existe des plus an-
ciennesépoques jusqu'aux temps romains, et l'on peut ysuivre le progrès et. le déclin de l'épigraphie égyptienne.
Ces monuments ne nous montrent souvent que des scènes
d'offrandeset de courtes prières d'autres nous donnent des
détails biographiques ou nous renseignent sur des faits
historiques. Dans le plus grand nombre. on trouve des no-tionsintéressantes pour la mythologie, la morale et les rites
funéraires. En nunmot, on est bien fondc à allirmer que peud'entre elles pourraient être considérées comme absolumentdénuéesd'intérêt.
Des publications, déjà assez nombreuses, ont fait con-naitre plusieurs de ces monuments mais, parmi les plusimportants, il enest qui n'ont point été encore traduit., telest en particulier Ic cas de celui que M. de Reugé a appeléla reine desstèles, et qui est déjà connu dans la science par
1.Lucà la Sociétéd'Archéologiebibliquele 1ermai 1877,et publiéedansles TransactionsdecetteSociété.t. V. p. 159-174.Tirageà partin-8°á Liexemplaires.—G. M.
236 NOTICE SUR UNE STÈLE ÉGYPTIENNE
des citations partielles qui ont pu en faire apprécier la
grande valeur.
On trouve dans tous les musées de l'Europe un assez
grand nombre dn stèles qui mériteraient aussi d'être pu-
bliées et analysées avec soin. Je viens ici satisfaire à ce
desideratum pour ce qui concerne une stèle du Musée de
Turin, sur laquelle mon attention a été appelée par mes
recherches sur les doctrines religieuses et morales des an-
ciens Égyptiens, dans le cours de mes études pour l'inter-
prétation des Maximes du scribe Ani, que je publie dans le
journal l'Égyptologie.
La stèle dont il s'agit porte aujourd'hui le n° 19 dans le
Musée réorganisé. Pendant ma mission en Italie, en 1869.
j'en ai fait une copie, que j'ai collationnée depuis lors avec
une empreinte à la plombagine, prise à mon invention par
mon savant confrère M. Fr. Rossi, attaché au Musée égyp-
tien de Turin. C'est à l'aide de ces éléments que j'ai dressé
la planche jointe au présent mémoire. Mes confrères en
égyptologie pourront l'utiliser avec confiance.
Le registre supérieur de la stèle, que la planche ne figure
pas, est, comme à l'ordinaire, surmonté d'un symbole d'eter-
nité et d'infinité le disque du soleil superposé au vase et
aux zigzags de l'eau, et tlanqué des deux out'as ou yeux
symboliques.
Dans d'autres monuments du même genre, on trouve, à la
même place. le disque ailé. Au-dessous est représentée la
scène habituelle du culte des anrêtres.
Le défunt assis, tenant un rouleau, insigne de sa dignité
de scrihe, reçoit l'offrande entassée devant lui sur une table.
au-dessous de laquelle sont rangés trois vases, qui sont
censéesrenfermer les liquides de l'oblation; chaque objet est
accompagné dusigne 1
signifiant « mille 1)ou « beaucoup », et
donnant à entendre que chaque objet était offert par mil-
liers. Entre le défunt et la table, trois lignes verticales
disent ce qui suit
DU MUSÉE DF TURIN 237
« Royale offrande pacifique à Ammon-Ra, seigneur des
trônes du monde; bonheur, richesse, justification à la per-
sonne de l'intendant du grenier public, contrôleur de la
Haute et de la Basse Égypte, Béka, justifié. Tout ce qui
sort des autels d'Osiris dans toutes ses fêtes, à l'intendant
du grenier royal, Béka, justifié. »
Cette légende nous donne le nom et les titres du défunt,
que la stèle ne répète nulle part ailleurs d'une manière plus
complète. En voici l'expression hiéroglyphique
l'intendant du grenier public, con-
trôleur de la Haute et de la Basse Égypte. Béka. justifié.
Béka est un nom assez fréquent sur les monuments égyp-tieus: il signifie seroiteur, et correspond au sémitiqueabd. Ce nom ne nous donne aucune indication sur la date
de la stèle: mais, à en juger par le style des hiéroglyphes,on est en droit de l'sttribuer aux temps de la XIX' ou de
la XXe dynastie. Le défunt, qui (circonstance assez excep-
tionnelle) ne nous donne ni le nom de sa mère ni celui de
sou père, devait appartenir à une famille d'origine modeste.
Sa promotion a des postes importants, qui lui permettaientla fréquentation de la personne royale, était donc due uni-
quement à son mérite. Chez les anciens Égyptiens, la
science et les services intelligents primaient les prétentionsde caste avec plus d'avantage que chez beaucoup de peuplesmodernes, où, malgré les tendances démocratiques de l'é-
poque, il reste trop d'intluence aux privilégiés de la nais-
sance et de la richesse.
L'inscription de Béka nous donne peu de détails biogra-
phiques. Comme nous l'avons dit, il ne nomme ni son père.ni sa mère; mais il nous apprend que ses mérites lui avaient
valu la faveur du roi des deux Égyptes, et qu'il était par-venu à une haute situation. Partout il était admis à fré-
1. l.edéterminatif représentant des grains entassés est double.
"nt uneparticularité des noms des établissemens publics uu royaux.
238 NOTICESUR UNE STÈLE ÉGYPTIENNE
quenter et :i approcher le souverain.. Le roi l'avait fait
neb-kat, c'est-à-dire chef d'office, ou quelque chose d'ap-prochant. Malgré cette élévation. et peut-être raison duson origine obscure, Béka affirme que, quoique grand, il
agi comme s'il eût été petit. Ses fonctions d'intendant royal.chargé des greniers publies, devaient comprendre les attri-butions du patriarche Joseph la cour de Pharaon. Békaconserva sa faveur jusqu'à sa mort dans un âge avancé. Lesvertus dont le défunt se fait gloire, aussi bien que les vicesdont il prétend avoir été exempt, forment un abrégé des pré-ceptes principaux de la morale recommandée par la doc-trine égyptienne. On obtiendra un tableau complet de ces
préceptes par l'interprétation d'un nombre suffisant d'in-
scriptions funéraires. Mais leur mise l'n ordre exigera untravail considérable, qui trouvera sa place dans la suite denos études sur les traités de morale des anciens Egyptiens.
Nous nous bornerons à envisager les points spéciaux audocument dont nous allons donner la traduction.
Respectde la vénité. Béka se vante d'avoir été juste et
vrai, sans malice: de s'étre complu a dire la vérité: d'avoirconnu l'avantage qu'il y a de s'y conformer sur la terve, de-
puis la première action jusqu'au moment de la mort Détailnouveau dans les textes de ce genre, il ajoute qu'au momentde subir je jugement et de répondre aux quarante-deux accu-sateurs du tribunal d'Osiris, il considère comme sa défenseefficace la simple confession de la vérité: et, dans le para-graphe suivant, il nous apprend que c'est cffectivement parla vérité qu'il est. sorti de cette épreuve suprême, Dans savie de Sahou, c'est-à-dire de transition entre la vie de cemonde et celle de l'Hadès, n l'état de momie, il s'est cucore
reposé dans la vérité.
A la lin de sou panégyrique. Béka revient encore sur sa
prétention d'avoir vécu d'une vie de vérité jusqu'à une
vieillesse vénérable. Une autre marque de l'importance atta-chée au respect de la vérité se rencontre dans cette phrase
DU MUSÉE DE TURIN239
un peu naïve J'ai dit ce que j'ai entendu, tel que relam'aoait été dit. Les Égyptiens avaient fait une bien justeappréciation desinconvénients de l'intempérance de langage.
Justice. La notion de Ia justice se confond avec cellede la vérité. Béka se contente d'avanrer qu'il a été juste etvrai, ce qui revient dire véritablement juste.
Seuls, les juges professionnels pouvaient avoir a insisterdavantage sur leur impartialité, et c'est ce qu'ils ont faitdans quelques inscriptions funéraire.
Amourfilial. Chez les Égyptiens, cette vertu était re-commandée de la même manière que dans le
Décalogue deMoïse. C'étaient les enfants pieux qui pouvaient computersur une lonriue vie. L'amour lilial et l'ammur paternes étaientpuissxmment entretenus par le culte des ancêtres, qui for-mait en quelque sorte une annexe inséparable des honneur-rendus aux dieux. Chaque année toute la famille, asceu-dants, descendants, alliés et domestiques, se réunissait plu-sieurs fois autour de la tombe des membres défunts, etrenouvelait les prières et les oblations des funérailles. L'in-scription de Béka. différente en cela d'un grand nombre detextes funéraires, ne mentionne pas l'accomplissement desdevnirs envers les mânes, mais notre personnage évoqueune imare délicate sa bonté était dans le cœur de sonpère et de sa mère, et son arrtoun était cn eux. Il n'avaitjamais faussé ce sentiment envers ett.r depuis sa plustendre enfanre. Aimer son père et sa mère, c'est obéir àun besoin naturel plutôt que pratiquer une vertu, mais mé-nier l'amour d'un père et d'une mère. c'est prouver qu'ons'est acquitté convenablement de tous les devoirs de l'en-fant pieux.
Mudeatie, humilité. — Ces deux mots semblent fairedissonance avec la teneur hahituelle des panégyriques desmorts. Les Égyptiens se vantaient, sans vergogne, et épui-·aient envers leur, défuntes les formules de la plus hyper-bolique louange. Cependant, si elles étaient peu respectées
240 NUTICR SUR UNE STÈEL ÉGYPTIENNE
dans la pratique,la modestie et l'humilité n'en faisaient pas
moins partie du faisceau des vertus recommandées par la
doctrine.
En arrivant à l'Hadès, Béka aime à se donner à lui-
même témoignas qu'il n'a jamais cherché à se rendre maitre
d'un plus petit. que lui, et il nous affirme, dans un sutre
passarie, qu'étant grand, il a agi comme s'il eût été petit, et
qu'il n'a pointase reprocher d'avoir évincé un plus méritant
que lui. Les mêmes rérles de modestie se manifestent dans
plusieurs autres inscriptions, mais les formules de celle que
nous étudions ont un style particulier qui les signale à l'at-
Bienfaisance,douceur. Dans tous les monuments du
genre de celui qui nous occupe, nous trouvons l'énonciation
de la bienfaisance et de l'humanité. Les morts prétendent
avoir été bons sur cette terre, et s'être abstenus d'actes
dommageablesenvers autrui. L'inscription de Béka ne fait
pas exception à cette règle seulement ce personnage ajoute
une nuance importante, à savoir qu'il ne s'est réjoui d'au-
cun acte d'iniquité et d'indignité.
Vivant à la cour, au milieu des familiers du Pharaon, il
ne croit pas devoir faire la moindre allusion à ses rapports
personnels en dehors de c-e cercle, et il lui suffit de nous
apprendre qu'il avait mérité les faveurs du roi. l'affection
de ses favoris, et n'avait à redouter aucun fâcheux sentiment
de la part des gens vivant dans la demeure royale. Mais sa
prudence et son amour de la concorde se révèlent dans le
soin qu'il avait eu de parler avec hienveillance et de ne pas
preiparerde querelles.
Religion. —Béka semble avoir eu une religion philoso-
phique; de nos jours, il aurait passé en France pour voltai-
rien. Dans son inscription. il ne fait appel à aucun souvenir
mythologique.Seul entre tous les dieux de l'Égypte.
Ammon-Ra v est nommé, mais simplementdans le vueu
funéraire du premicr registre, qui appelait nécessairement
DU MUSÉE DE TURIN 241
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. 16
aussi la mention des mets d'Osiris. Dans le corps du texte,
il est question des divins magistrats et des seigneurs éter-
nels établis devant les dieux, mais cela se rapporte simple-ment au jugement des morts, et l'on n'aperçoit ici nulle
mention de l'Osiris infernal, ni d'Ilorus, ni d'Anubis, ni de
Thoth. etc.
On croirait avoir affaire à un déiste inhumé par une fa-
mille qui a respecté les opinions du défunt, tout en satisfai-
sant aux exigences do la fête des funérailles. C"est du reste
ce que laisse supposer la formule initiale, qui attribue le
rnyal don d'offrandes directement :i Béka lui-même, sans
intervention d'un dieu quelconque. Mais s'il faisait peu de
cas du formulaire traditionncl et des rites sacerdotaux,
Béka avait, si on l'en croit, une croyance pure et sage, dont
toutes les églises de nos jours pourraient accepter la for-
mule simple mettre Dieu dans xon cœur et bien connaître
les volontés de Dieu. Il y avait en effet, cachée derrière le
voile d'une mythologie compliquée de mystères sans nombre,
une doctrine raisonnable, dont aucune autre doctrine, sauf
le christianisme, n'a surpassé l'élévation.
Béka termine par un vœu passablement épicurien pour
l'époque, et fort différent de ceux que l'on est habitué
rencontrer dans les textes de ce genre. Il s'adresse à tous
les vivants de son pays et leur souhaite de passer leur vie
dans la joie, jusqu'à ce qu'ils arrivent il la tombe, après
laquelle il leur souhaite de jouir, dans l'infernum, du droit
d'entrer et de sortir librement. On sait que telle était la
béatitude principale de l'élu du ciel égyptien elle compor-tait la faculté de se transporter dans tout l'univers sous la
forme qu'on voulait. Ce paradis est, dans tous les cas, bien
supérieur à celui des houris de Mahomet.
Nous donnons maintenant notre version de cette remar-
quable inscription, et nous la ferons suivre de quelques jus-
tifications philologiques.
242 NOTICEsUit UNE STÈLE ÉGYPTIENNE
TRADUCTION
1 Royal don d'offrandes (a) à la personnede l'intendant du
«renier publie, Béka, justifié.
il dit
Moi, je fus juste et vrai, sans malice (b), avant mis Dieudans
mon aeur (c). ayant été habile à discerner ses volontés(d),
2 J'arrive à la cité de ceux qui sont dans l'éternité (e).
J'ai fait le bien sur la terre (f)
Je n'ai pas porté de préjudice (g);
Jn'ai pasété méchant (h);
Je n'ai acclamé aucun acte d'indignité et d'iniquité.
3 Je me suis compluà dire la vérité;J'ai connu l'avantage qu'il y a de s'y conformer sur la terre
depuis le premier acte jusqu'à la tombe (i);
Ma défense efficace (J) est de la dire en ce jour où
.1 j'arrive auprès des divins juges- interprètes habiles(k), tévé-
lateurs des actions, castiKateurs des pé
Pure (l) est mon âme.
Moi, vivant, je n'ai pa, eu de malice (m).
II n'existe pa. d'abus (n) de moi, —pasde Péchés de
moi de-
vant leur main.
Je suis sorti de cette épreuve' par la vérité (o), et voilà\tue je
suis ici dans le lieu des vénérables (p).
Apport des aliments de la vérité (q) à l'intendant
6 du grenier public, Béka, justifié.
Il dit J'ai été le grand remplisseur ducœur du seigneur des
deux régions, l'aimé (r) du roi de la Haute Égypte, le favo-
risé du roi de la Basse Égypte, à cause de mesmérites
excellents, qui ont avancé inon poste.
7 Grand ai-je été dans le lieu des millions de perfections
vraies (s).
Que le roi prospérâten avant ou en arrièore, j'approchais se
1. Littéralement, de là.
DU MUSÉE DE TURIN 243
personne (t), marchant autour de lui en allégresse pour
adorer sa bonté chaque8 jour, et rendre gloire au double aspic de son diadème en tout
temps.
L'intendant du grenier public, Béka, il dit
Je suis un sahou (un mort, une momie) qui s'est complu dans
la vérité, conformément aux lois du tribunal de la double
justice, par moi désirées (u).
9 J'arrive au Kher-neter (I'Hadès).
Il n'est pas d'humbles dont je me sois fait le maître
Je n'ai pas fait de mal aux hommes qui ont célébré leurs
dieux (o).
J'ai passé ma vie dans la vie de vérité (x), jusqu'à ce que je
fusse parvenu à l'âge
10 de vénération, étant dans les faveurs du roi, aimé des grands
dans son entourage.
La demeure royale, ceux qui y résidaient, il n'y avait nul mal
contre moi dans leur coeur (y). Les hommes
Il s venir, tant qu'ils seront, seront ravis de mon mérite émi-
nent.
Celui qui habite dans la demeure de l'efficacité salutaire (le
palais du roi) avait fait de -noi un maitre d'office (z).
Masincérité et ma bonté étaient dans le cœur de mon père et
de ma mère; mon aftection était en eux (aa).
12 Jamais je ne l'ai violée (M) dans ma manière de faire envers
eux depuis le commencement du temps de ma jeunesse.
Crand, j'ai agi comme si j'eusse été petit (cc).
13 Ma bouche a parlé pour dire choses vraies, ne préparant pas
de querelles.J'ai dit ce que j'ai entendu tel que cela m'avait été dit.
0 vous tous! hommes qui existez, vous complaisant dans la
vérité chaque jour dans l'Égypte,14 vous que ne nourrit pas (encore) le dieu, seigneur d'Abydos,
qui vit de la vérité chaque jour, soyez heureux Passez
votre vie dans les délices jusqu'à ce que vous abordiez au
bon occident'. Que votre âme jouisse du droit d'entrer et
1. La tombe du juste.
244 NOTICE SUR UNE STÈLE ÉGYPTIENNE
de sortir librement, comme les seigneurs éternels qui sont
établis devant les dieux.
NOTES PHILOLOGIQUES
(a) Je traduis mot à mot laformule
royal dun
d'oflrandes, à laquelle on a voulu, à tort,donner le sens de pros-
cynème. Le proseynème est un salut accompagnéd'une inclination
profonde. Le don d'offrandes, td qu'il est représenté des milliers de
fois sur les monuments. ne comportait aucune prosternation de ce
genre: il consiste uniquement dans la présentation d'objets divers,
solides et liquides. et dans une prière tendant à ce que le défunt
prenne pari, dans l'autre monde, aux tables d'Osiris. figurées par
celle de la cérémonie.
L'oblation jouaitun grand rôle dans le culte des dieux et dans
celui des mânes. Pour le premier elle portehabituellement le i nom
de et pour le second celui de
L'épithéte de orthographe pleine indique qu'il s'agit
d'une cérémonie telle que la pratiquatent le rois, qui remplissaient
souvent de hautes fonctions sacerdotales. C'est une qualifieation
f'honneur, qui pouvait étre retranchée sans nuire au sens de la
formule. L'ordredes groupes y est souvent interverti, comme, par
exemple. dans motà mot, royal Anubis gift
offerings, pour rogal gift of offerings to Anubis. Des interversions
de ce genre ne sontdu reste pas rares dans les hiéroglyphes.
mal. malice, perrersité (voir Lepsius. Todt., ch. 125, lig. 36. et la
variante du Papyrus C'adet). Dans notre monument, les trois
traits du pluriel un sont quelquefois remplacés par les trois
1. Je représenteles mots égyptiens en lettres coptes, et. pour éviter
toute confusion.lesmots coptes sont toujoursnotés comme tels.
DU MUSÉE DE TURIN 245
graines o 0 0, et le par la barre droite, C'es variantes sont
communes.
(r) Béka dit littéralement ayant mis Dieu dans son coeur. C'e
changement de personne, qui constituait une élégance dans le style
égyptien, n'est pas toujours sans inconvénient pour la clarté. Nous
n'en tenons pas compte dans notre version. Le cas se reproduit
assez fréquemment dans l'inscription.
(d) est une abréviationde
mot qui signifie, expert, experimente, habile. Dans une priére à
Thoth, dieu de l'intelligence, un scribe sollicite la faveur de devenir
dans tous ses travaux (Papgrus. lnastasi V. p.9. lig. 4).
Au Papyrus médical Ebcrs. p. 3B, lig. 4, a le sens de re-
connaissance, diagnostic. Béka se vante d'avoir bicu reconnu les
volontés de Dieu. littéralement, esprits, se réfère à Ia
pensée, la volonté (voir ce que j'ai dit dece mot dans munjuurnal
l'Égyptologie, t. 1, p. 47).
(c) mot à mot, la rille de qui est dans les
millionsd'années.
veut dire un million appliqué à la
mesure du temps, il répond au latin scrcoulascrculorum. C'est une
expression désignant un temps très long, indéfini, et le copte
in sœculum, se trouve en hiéroglyphes sous la forme
(Papyrus Abbou, p. 6. lig. 7). La citè de
l'éternité était l'habitation des morts. Dansune autre stéle de Turin
on trouve l'expression analoguela fosse de qui
est dans l'éternité.
(f) J'aifait
littéralement, chose bonne. Il faut se gardeurde
traduire lien bon.
(g) Ce mot signifie baigner,
détremper. délayer, 1 ne m'est pas arrivé de le rencontrer comme
désignation d'un acte répréhensible. mais les textes du même genre
que celui que nous étudions ont habituellement
mot dont la valeur est tort, préjudice, dommage.
n'a pas d'analogue enwpte. et la définition
246 NOTICE SUR UNE STÈLE ÉGYPTIENNE
exacte du vice ainsi nommé est assez difficile à déterminer. Les
textes nous apprennent seulement que ce vice nedoit pas se trouver
sur la balance du jugement de l'homme méritant la justification.
(i) L'expression littéralement, depuis l'action
jusqu'à la tombe, estassez remarquable.nomme l'acte, l'action
de la main, et, par suite, l'existence actioe il est pris dans notre
texte pour le premier acte, le commencement de la vie effective, à
peu près dans la mêmeacception que dans cette réserve mélan-
colique exprimée dans certaines lettres
nous ne connaissons pas notre acte de demain, c est-à-
dire, ce que nous serons ou ce que nous ferons demain.
(j) Le mot que je rends par défense estde
fort rare occurrence; c'est le troisième exempleque j'en rencontre.
Au Pape Anastasi I on trouve la phrase tu ex seul, car tes
restent derrière toi (p. 5, lig. 5). Ici le mé-
dial est remplacé par final. ce qui ne me parait pas constituer
un mot différent. Un passage mutilé du mêmedocu ment (p. 9, lig. 1)
donne la même orthographe, mais la forme avec se retrouve
au discours d'Amenemha (Papyrus Sallier II, p. 2. lig. 1) dans un
passage où le sens gardes, eacorte, est admissible.
(k) est une abréviation de apprécier.
examiner, juger, estimer.est
une qualification
concernant la science, la pénétration, que les textes donnent quel-
quefois à Thoth.
(l) "TCnT,mot que je traduis par pur, ne m'est pas connu
par d'autres textes. Au Itituel on trouve avecle même
déterminatif. Mais on trouveailleurs
déterminé par le
vase de la purification.
(m) Le texte joue ici sur les mots être, exister et
+ malice, méchanceté. La version ne peut faire sentir
cette allitération.
(n) est le même mot qu'on trouve ailleurs sous la
forme il désigne un vice, un abus, sur
DU MUSÉE DE TURIN 247
l'exacte portée duquel je ne suis pas renseigné. En médecine, ce
mot nomme un mal atteignant différentes parties du corps. La
précision est ici difficile, mais le sens du texte se devine aisément:
Béka veut dire que l'nrtion, la main des juges des morts n aura
pas à s'exercer sur des vices de cette nature à sa charge. Les dé-
terminatifs de sont erronés; il faut admettre ici
unlapsus
du lapicide, à moins de supposer une autre erreur
quinous forcerait a modifier notre version, et à lire
Il n'existe pas d'abus de moi: pas de péchés; ma rertu est dernnt
leur main.
(o) Je rétablis dans la lacune l'hiéroglyphe de la vérité. z=.
(p)Le premier signe est erroné il faut
y voir cette erreur du lapicide est évidente. Ce groupe se dit
de la sainteté, de la renération, qui s'acquiert après une longue vie
de vertu et de piété. Aussi fait-il quelquefois opposition à
enfant età
jeune. scdit aussi de la tendresse,
de l'amour qu'il est louable d'avoir pour la divinité, pour un père,
une mère, les parents, les bienfaiteurs et les rois. Le lieu des réne
rables, c'est la demeure des justes dans l'autre monde.
(q) Cette dernière phrase est elliptique. Le pronom nepeut
se rapporter qu'à la vérité.Les
de la vérité sont des offrandes
faites pour les mânes.
(r) est une faute; il faut lire
(x) Cetteformule, qui constituait
une locution adverbiale, est ici prise pour une indication de la ré-
sidence royale, ce que nous appellerions la cour. Les Égyptiens
se servaient pour désigner le monarque d'un assez grand nombre
d'expressions, dont notre texte emploie quelques-unes.
(t) Le commencement de cette phrase offre des difficultés. Je
l'ai traduite en rétablissant le signe d'Horus signifiant roi.
a la place de la chouettequi
ne donnerait aucun sens; l'usure
de la pierre peut du reste permettre le doute sur l'intention du
lapicide.
248 NOTICE SUR UNE STÈLE ÉGYPTIENNE
pon. signifie croitre, pousser, s'accroitre, prospérer,
("est une expression caractérisant la vie heureuse, analogue à
l'anglis to thrice. Au Rituel, un trouvela série être, exister,
ricre, et prospérer, exprimant un triple mode d'exis-
tence souhaité pour les défunts. Il est tout naturel (jue le dernier.
Incie prospère, fût préféré, lorsqu'il s'agissait de parler du l'ha-
raon. Lt le 'ution ri l'arant, à l'arrière, est un idiotisme ayanttrait à la vie extérieure et à la vie dans le domicile; cela signifietout simplement: Que le foi se montrât en public ou demeurât
dans son palais, etc. doit être lu et constituer une
variante de ou de approcher, s'ap-
procher. Les étaient ceux qui avaient le
droit d'approcher le l'haraon.
(a) littéralement, mon désir. Béka semble
dire que, loin de redouter le jugement suprême, il l'a souhaité.
nous donne le phonétique du nombre trois, en copte,
(lui a été signalé par M. de Rougé dans le porme de Pentaour.
Ici, ce phonétique est pris commeverbe, signifiant désirer, d'aprèsla traduction qu'en a donnée M. Goodwin dans l'histoire de
Sancha.
(ri C'e membre de phrase fait uaitre quelques doutes. Le texte
laisse bien distiguer le groupequi ne me suggére aucun
sens satisfaisant Je soupçonne encore une erreur du lapicide, et
je traduis comme s'il y avait célener, célébror,
exalter.
(x) Par caprice, le seribe a écrit icinir.
souffle, à la place de rérité.
(y) C'ette phrase est un curieux exemple d inversion et d'ellipse.Ma traduction fera suffisamment comprendre monarrangement du
texte; il suffira de suppléer le déterminatifs de
(z) Le Papyrus Prisse rapproche ce
titre de Il y a en effet certain rapport entre l'idée
DU MUSÉE DN TURIN 249
maitre de l'œuvre, chef d'office, et maître dex choses Il ya alàdeuxnuances de.l'idée maitre.
Neb-kat était usité comme nom de personne.(aa) Les derniers signes de ce passage sont illisibles. Je ne dis-
tingue pas si le texte parle de l'affection du fils pour les parent".ou de celle des parents pour leur fils.
(bb) est suivi de deux signes indistincts. Je ne connais
dc cette forme qu'un mot signifiant axxnrtplir, courber. Béka dit
peut-être qu'il n'a jamais faussé, forcé, le sentiment de son affection
pour ses parents. En français on dit, dans le même sens, faireentorse, to sprain.
(cc)souvent déterminé par le signe de la petitesse,
signifie faiblesse, infirmité, épuisement, accablement, C'est un effetde la maladie et de la vieillesse, comme nous dirions l'enfancexénile. Béka assure que, malgré la haute position (lui lui donnaitune grande influence auprès du roi, il n'a pas en quelque sorteanéanti. disabled, un plus méritoire que lui-même.
LETTRE AU COMTE GOZZADINI
SUR
UN SCARABÉE ÉTRUSQUE
TROUVÉ PRÈS DE BOLOGNE1
MONSIBUR LE CHEVALIBR,
J'ai l'honneur de vous envoyer les deux derniers comptesrendus de mon travail sur les fouilles de M. Arnoldi, lu à la
Commission d'histoire.
Dans ces fouilles on a découvert dernièrement un scarabée,en pâte bleue, qui probablement aura orné une bague, et dans
lequel on voit imprimés ou gravés trois signes, peut-être idéo-
graphiques.Je me permets de vous envoyer ci-inclus le dessin, en vous
priant de bien avoir la bonté de me dire s'ils sont vraiment des
signes idéographiques, et, en ce cas, quelle est leur signification,et à quelle écriture ils appartiennent.
COMTE GOZZADINI.
Villa Ronzano, Bologne, le 12 juillet 1876.
1. Inédit. Je dois la copie de ce petit mémoire à l'obligeance deM. Philippe Virey. G. M.
252 LETTRE AU COMTE GOZZADINI
Chalon-sur-Saône, 15 juillet 1876.
Lu scarabée dont vous me communiquez le dessin me
semblu être une imitation d'un original portant le nom de
Khoufou, le Chéops constructeur de la grande pyramide.
L'orthographeordinaire de ce nom est mais la
suppression de l'une des voyelles est un fait assez commun,
de même que le déplacement des consonnes. Limité par
l'étroitesse de l'espace, le graveur a seulement écrit
en renversant les signes de manière à les redresser par l'em-
preintc lorsqu'on se servait du scarabée comme cachet. Je
crois avoir vu déjà un exemple de cette orthographe abrégée,
mais en ce moment je ne retrouve pas ma référence.
Il existe au Musée du Louvre et au Musée Britannique
des scarabées au nom de Khoufou et même à celui de Ménès.
Ceux de Menkara (Mycérinus) sont extrêmement abondants.
Mais il ne faudrait pas croire que ces petits monuments da-
tent de ces époques éloignées. A mon avis, il est douteux que
l'usage en remonte aussi haut, quoiqu'on trouve des scara-
bées aux doigts des momies des le temps de l'ancien empire.
Cequ'il y a de certain, c'est que, jusqu'aux dernières époques
de l'indépendance nationale, les Égyptiens ont fait grand
usage de ces sortes d'amulettes, non seulement pour leurs
morts, mais encore pour les vivants, et ils y ont représenté
les personnages qui étaient l'objet de leur vénération parmi
leurs pharaons. Aussi trouve-t-on, au nom de ces rois, des
scarabées très postérieurs et très grossiers d'imitation. Le
vôtre ne parait pas être de mauvaise facture, quoiqu'on ne
distingue pas bien sur votre dessin les pattes del'oiseau
ni la forme du cérastes Il n'y arien de symboliquedans
les trois signes inscrits le premier est un kh, copte t,
SUR UN SCARABÉE ÉTRUSQUE 253
hébreu n: ledeuxième
est la voyelle ou, et le dernier
la consonne f.
L'étude des objets retirés de vos fouilles en Étrurie m'in-
téresse à un haut degré. Une bonne publication illustrée
d'ensemble rendrait, je crois, de grands services à l'histoire.
Vos comptes rendus ont cuptivô mon attention. J'ai éprouvé
quelque surprise à y lire qu'on n'admettait pas généralementla classification parmi les rasoirs des lames curvilignes,trouvées en si grande abondance en Italie et dans les lacustres.
J'ai donné quelques explications sur les rasoirs égyptiensdans mes Éludex sur l'Antiquité historique (2° édition,
1873, p. 78). Des peintures de la XIIe dynastie (25 siècles
avant notre ère) montrent le travail du barbier. Le rasoir,
tenu tantôt entre deux doigts de la main droite, tantôt dans
la paume de la main, est de cette forme mais il
y en avait aussi à lame curviligne et c'est de cette
dernière forme seulement qu'on a recueilli quelques
spécimens. Il en existait certainement de forme moins al-
longée et plus analogue à ceux que vous avez décrits, mais. à
défaut de dessins, je ne juge peut-être pas bien exactement.
Veuillez croire, Monsieur le Cumte, à mon empressementdans toutes les circonstances où vous croirez devoir me con-
sulter, et recevoir l'assurance de mes sentiments do haute
considération et de dévouement,
F. CHABAS.
NOTICE SUR LA DÉCOUVERTE
D'UNE
COUCHEABONDANTEDECRINOÏDESFOSSILES
DEL'ESPÈCEPENTACRINUS
Dans mes courses aux environs de SennoceyleGrand,au commencement d'octobre 1876, j'ai eu l'occasion d'obser-
ver sur les entassements de déblais pierreux de la montagne
de Sans, du côté qui regarde Saint-Julien, des fragments de
calcaire garnis de ces petites étoiles à cinq rayons, vult;aire-
msnt connues sous le nom de pentacrinites. Ces fossiles ne
sont pas rares dans les roches de l'éta"e jurassique. Sur
d'autres échantillons, où domine surtout l'ostrea amminata,
je remarquai en même temps des pointes d'oursins (hemici-
daris), et des tiges nacrées que je confondis au premier
abord avec ces débris d'échinides. Mes trouvailles se multi-
pliant, je reconnus bientôt que j'avais affaire à des crinoides
qu'il ne m'avait pas été donné d'observer dans d'autres gi-
sements du même étage géologique. Des détails de ces échi-
nodermes, on ne rencontre guère avec quelque abondance
que les tiges ou les anneaux divisionnaires. Les verticilles.
les calices et leurs bras sont fort rares on n'a encore
1. Publié nousce titre, dans une brochure spéciale de turmst in-8°,14 pages et 3 eaux-fortes de Pagnier. d'après lea dessins de Chevrier.en 1877,chez Landa, à Chalon-sur-Saône. G. M.
256 NOTICE SUR LA DÉCOUVERTE D'UNE COUCHE
signalé dans Saône-et-Loire qu'un bien petit nombre de
pièces de cet ordre, encore sont-elles fort incomplètes.
Mes premiers succès m'encouragèrent à pousser mes re-
c:herches, qui ne tardèrent pas à être couronnées du plus
rrand succès, car je réussis à recueillir plusieurs centaines
d échantillons, parmi lesquels sont représentés les racines
de cette pseudo-plante,son mode d'emplantement sur le
rocher, sa tige d'abord irrégulière comme la racine, mais
passant progressivementà la forme pentagonale. et montrant
dans quelques cas des ramuscules latéraux et de longs fila-
ments s'entremélant aux bras du sommet, enfin le sommet
composé de bras contractiles, dont chacun se div ise d'abord
en deux branches alternes, lesquelles, à leur tour, se subdi-
visent de la même manière. Les bras et leurs subdivi-
sions sont d'un côté garnis de brins serrés qui leur donnent
l'apparencede rameaux de végétaux ou, chez les plus petits,
celle d'une plume délicate. L'ensemble forme une espèce de
bouquet que nous retrouvons dans différentes situations,
c'est-h-dire plus ou moins développé, selon les positions
qu'avait prises l'animal pour attirer, saisir ou broyer sa proie
au moyen de cette lleur perfide.Le fond, c'est-à-dire le
centre des organes variés composant le sommet, constituait
l'estomac dans lequel la pâturé était amenée par l'effort des
bras contractiles. Ce viscère était en communication avec
toutes les partiesde l'animal au moyen du trou central de
chaque osselet.
Mais il n'entre pas dans mes vues d'aborder dans la pré-
sente note ni l'étude géologique du terrain, ni la description
scientifique de nos pentacrinus,ni leur classement dans la
série Ces questions ne peuventêtre utilement traitées que
par des savants spéciaux. Nous avons fait à deux des plus
autorisés en France des appels qui, nous l'espérons, seront
entendus1.
1. Ce. études spéciales seront publiéesavecles planches odoerraires.
Notre crinoide, ou l'un de non crinoides (car il est possible qu'il y ep
DE CRINOIDES FOSSILES DE L'ESPÈCE PENTACRINUS 257
1
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. 17
Ici, nous nous proposons seulement de porter à la con-
naissance des curieux et des amateurs l'existence du riche
gisement que nous avons découvert, et que nous avons déjà
révélé à quelques personnes'. Nous désirons que de nouvelles
recherches contribuent à enrichir le Musée de notre ville
par ce motif, nous invitons les investigateurs qui suivront
nos traces, et en particulier ceux qui ont déjà mis à profit
nos indications, à nous communiquer les pièces caractéristi-
ques qu'ils pourraient rencontrer dans leurs fouilles, lors-
qu'ils ne voudront pas les céder au Musée.
Pour bien faire sentir l'intérêt de ce genre de recherches,
nous ferons quelques emprunts aux renseignements fournis
par les naturalistes sur la famille des crinoides.
Encore de nos jours, le fond de la mer est rarement une
surface sablonneuse, sans végétationet sans vie. Dans bien
des endroits on y trouve, au contraire, indépendammentde
la végétation sous-marine qui est fort variée', des animaux-
plantes, dont quelques-uns,fixés sur les tiges flexibles, sont
garnis de radicelles et couronnés de touffes de rameaux
ait de plusieurs espèces), ressemble un peu au Prntnrrinus fasriculosus,
figuré dans Alcide d'Orbigny, Cuurs élémentaire de Paléontologie et de
Géologie, t. Il, p. 459, et mieux encore au pentacrinus innommé. dans
Pictet, Traitè élémentaire dr Palèontologie, t. IV. pl. X. de l'édition Je
1846. Mais le Pentacrinus fasciculosus signalé dans le lias, c'est-à-dire
dans un terrain plus ancien que celui de Saint-Julien, manque de plu
sieurs caractères fournis par nos nombreux échantillons; il en est de
même des échantillons que j'ai vus du Pentarrinus briareus.
1. J'ai annoncé ma découverte dans la première séance de rentrée de
la Société des Sciences naturelles de Chalon, et j'en avais auparavant
entretenu le président decette Société, eu le prévenant que je ne la com
muniquerais au publie qu'après l'avoir fait apprécier par des savantm
compétents. Lorsque j'ai commencé mes recherches, le sol qui m'a
fourni tous les bons échantillons était vierge de toute fouille; pas une
pierre n'y avait été retournée.
2. Voira ce sujet l'article de M. Émile Blanchard Lm rie dans les
profondeurs de le mer (Revue d.·s Drur Mundrs. 15 janvier 1871). Cet
excellent travail forme une lecture des plus attrayantes.
2.S NOTICE SUR LA DÉCOUVERTE 1)'UNE COUCHE
symétriques,formant calice ou cupule et qu'on a comparées
au lis ou à d'autres tleurs. On a pu dire avec quelque rai-
son que les jardins sous-marins pourraient lutter, pour la
beauté des formes et la richesse des teintes, avec nos plus
élégants parterres.
Mais si nos mers actuelles sont encore abondamment pour-
vues de ces curieux produits de la nature, elles sont bien
inférieures sous ca rapport aux mers de certaines époques
géologiques, depuis le temps du dépôt des terrains de tran-
sition. Nous en pouvons juger par l'abondance des débris
fossiles qui nous en sont restés; certaines roches, qui se
rencontrent en couches puissantes et qu'on utilise comme
marbre. sont littéralement pétries de fragments de crinoïdes.
Les plus intéressants de ces crinoïdes forment la famille
des encrines, dont la variété caractérisée par une tige com-
posée d'éléments en étoile à cinq rayons porte le nom de
Penlacrirtus.
Même avant qu'on eût reconnu la nature des encrines,
on les avait déjà regardées comme des productions particu-
lièrement intéressantes, pour lesquelles on multiplia les ap-
pellations singulières. C'est ainsi qu'elles furent désignées
valgairement sous le nom de larm es de géants, grains de
roxaire., pierres de fée, trochites ou pierres étoilées, palmes
marines, etc.
Un en a reconnu dans les mers actuelles deux ou trois
espèces vivantes, mais il en existe probablement un plus
grand nombre, que les sondages entrepris par plusieurs
gouvernementsferont retrouver. La plus anciennement
signalée parmi les espèces encore vivantes est l'encrine des
mers des Antilles, décrite par Ant. Parra dans un ouvrage
imprimé à la Havane en 1787. L'enthousiasme que décèle la
relation de cet auteur fera bien juger de la surprise et de
l'intérêt qu'excita t'apparition d'un peatacrieus.
Il C'est, dit-il, un singulier prodige de la nature et que
» l'on peut considérer comme le vrai prodige de l'histoire
DE CRINOÏDES FOSSILES DE L'ESPÈCE PENITACRINUS 259
naturelle. C'est une plante qui croît au fond de la mer, la
» première de son espèce qui soit venue à la connaissance
» des naturalistes. Semblable à une plante par sa structure,» elle est composée de cinquante bourgeons, divisés chacun
en deux feuilles. La tige est presque ronde elle présente
» cinq faces, ayant chacune, et à chaque articulation, un pistil
(rayon accessoire), cinq par conséquent à chaque articu-
lation. La üge, les pistils, les bourgeons et les parties oui
composent chaque feuille ont tous la même organisation.» C'est une réunion de petits anneaux ou pièces compactes,» offrant la différence que ceux de la tige sont plus grands et
tes autres plus petits en progression. La tige et les autres
parties ont à bur centre un petit trou par lequel elles re-
çoiveat le suc primitif. Chaque anneau est réuni à ses
voisins, mais avec cette particularité que chacun peut se» mouvoir indistinctement. On dit que c'est un animal,
parce qu'on observe, quelques heures après l'avoir retiré
» de l'eau, qu'il a encore un mouvement, non seulement
» dans le corps en général, mais dans chacune de ses parties,même les plus petites. La même chose s'observe dans
» l'étoile rarrneuse, mais sa structure extérieure est un peu» différente. Le plus singulier et le plus digne d'être admiré,
c'est que l'animal parait être une seule pièce, pétrifiée.»
Regardé quelque temps après qu'on l'aretiré, il étonnerait
» le savant le plus profond. Si on considère au microscope» les petites portions de chaque feuille, on y distingue les
» mêmes pièces qu'on observe dans les pistils. Finalement,
» je considère comme très difficile à apprécier l'admirable
prodige de cette planteanimal, dans ses diverses circon-» stances. Je voudrais trou ver des expressions pour la décrire
selon son mérite, mais je me contenterai de la considérer
» et de la donner comme la pièce la plus singulière de tous
les cabinets du monde. u
A côté de la description, exacte mais non irréprochableau point de vue scientifique, donnée par l'observateur du
2W NOTICE SUR LA DÉCOUVERTE D'UNE COUCHR
dernier siècle, il convient de placer les appréciations d'un
savant moderne, au courant de tous les progrès de l'histoire
naturelle. M. Gaston de Saporta'
« Les êtres les plus curieux des eaux profondes, parce
'1qu'ils semblent y avoir été oubliés et perdue, sont ceux
» qui se rattachent directement a des types dont ou ne
» soupçonnait pas même l'existence, parce qu'ils passaient
pour éteints. Retirés au fond des solitudes sous-marines.
ces tvpes. grâce Ii leur isolement relatif, ont pu survivre
» il tous les événements. Il en est ainsi de la famille des
» crinoïdes ou erwrines, qui constituent un des types les
plus singuliers de tout le règne animal. Tout ce que l'ima-
» gination peut rêver de plus gracieux et de plus paradoxal
» par l'association des deux règnes se trouve ici réalisé
comme a plaisirune tige longue, mince, flexible, arti-
» culée attachée au sol par une base fixe, mais susceptible
de balancement, et surmontée d'une couronne de rameaux
» contractiles disposés en étoile autour d'une cavité qui
» contient la bouche et les viscère, telle est la plante ani-
mée et fleurie que l'on a comparée à un lys vivant, et qui
» peuplait de ses colonies innombrables le fone des mers
n primitives.LM crinoides, expression transitoire d'un
» monde cnrore voisin de son berceau, ont disparu peu a
peu devant des tvpes plus jeunes et plus parfaits. dont au-
» cun cependant ne les surpasse en élégance. »
Avant le. sondageseffectués par les expéditions scienti-
liques du Challengeret du Porcupine, qui ont ramené au
jour plusieurs espècesde crinoïdes des mers actuelles, on
connaissait déjà trois espèces vivantes de Pentacrinux.
C'étaient les uniquesreprésentants descrinoidesà tige fixe.
si communes aux époques primaire et secondaire. En 1864,
\1 G.-O. Sars découvrit aux iles Lofoten une espèce nouvelle
à laquelle il a donné le nom de Rhizocrinus lofotensis, et
1. RecuedesDeuxMondes,n° du1"juillet1871.
DE CRINEIDES FOSSILES DE L'ESPÈCE PENTACRINES 261
que M. le docteur Michael Sarb, son père, a décrite et ana-
lysée avec soin (Mémoires pour servir z la connaissance
des crinoïdes oioants, Christiania, 1868, in-4"). Ce crinoide
des régions polaires n'a du reste fourni que de petits indi-
vidus (de 13 à 70 millimètres de longueur). Mais. malgré ces
dimensions exiguës, l'étude d'un grand nombre de surjets
vivants ou conservés dans l'esprit-de-vin a révélé une foule
de particularités de l'organisation et de la vie de ces curieux
animaux et constitue par conséquent un élément fort utile
pour la connaissance des espèces fossiles.
Dans la même série de mémoires, M. le docteur Sars a
résumé les travaux antérieurs dont avait été l'objet le Penta-
,'rinus de l'anthedon rosaceus, et spécialement disserte sur
une espèce du même genre par lui signalée et, de son nom,
appelée le pentacrinoide de l'anthedon Sarsii.
Bien que non spéciales à l'extrême nord, ces espèces vi-
vantes n'ont également offert que des spécimens d'individus
fort petits (depuis 4 millimètres de longueur). Lr plus grand
qu'ait pu étudier M. Sars ne devait pas beaucoup dépasser
40 millimètres. Leur tige n'était pas tixée au rocher, mais
a des objets variables et en particulier à des polyzoaires, à
des tubes d'annélides, à des pointes d'échinides, à divers
coquillages et quelquefois à des individus de leur espèces.
Aussi leur racine n'est pas développée en masse irrégulière:
elle consiste en une sorte d'élargissement discoide de l'os-
selet inférieur, se prolongeant en appendice digitiforme
entourant ou saisissant l'objet qui leur sert de point d'at-
tache.
Notre crinolde appartient à la famille des Pentacrinus,
l'une des plus remarquables, mais non des mieux connues de
la tribu. Parmi les individus qu'on a pu étudier à l'état
fossile, se trouve le Pentacrinus briareus, dont on acompte
le· petits osselets constitutifs de la tiges, des bras et de leurs
rameaux. Ils ne s'élèvent pas à moins de cent cinquante
mille pièces. Ce nombre est loin d'être exagéré, ainsi qu'on
262 NOTICE SUR LA DÉCOUVERTE D'UNF COUCHE
peut s'en convaincre en examinant quelques-uns de nos
échantillons, qui se composent d'un enchevêtrement de tiges.
de branches et de verticilles, toutes composées d'un empi-
lement de pièces rendues solidaires par leur perforation
centrale.
C'est donc en quelque sorte d'un assemblage de chapelets
de pièces aplaties, dont les plus petites sont presque rondes
et les grandes en forme d'étoiles, que notre animal-plante
était composé.
Il y a quelques millions d'années, une colonie nombreuse
de ces belles fleurs animées couvrait le terrain qui est de-
venu de nos jours l'extrémité septentrionale de la colline de
Sans, depuis la hauteur qui domine Ruffey jusqu'à proxi-
mité de la chapelle Saint-Julien. Là se développait alor, un
de ces jardins sous-marins dont nous avons dit quelques mots
en commençant. Les Pentacrinus y étaient multipl iés presque
à s'y toucher les uns les autres, ainsi qu'il est facile d'en
juger par la multiplicité de leurs racines restées engagées
dans le calcaire, et par les amoncellements de tiges et de ra-
meaux qui couvrent et quelquefois pénètrent la roche en
toussens.
Il v avait de fort petits Pentacrinus, mais aussi de fort
grands. Parmi les filaments ou brindilles qui commencent
depuis la tige et se continuent jusqu'au milieu des bras du
sommet, il en est qui mesurent jusqu'à près de 15 centimètres
de longueur, et dont le développement devait, par consé-
quent, former une corolle d'au moins 30 centimétres. On
trouve ces brindilles fossilisées droites et dressées comme spi
elles eussent été rigides; d'autres sont reployées à leur
extrémité en courbes gracieuses, comme par exemple sur un
de mes échantillons qui reproduit exactement la disposition
élégante de la queue de l'Oiseau-Lyre.
Au milieu de ces ures bien réellement animées, se mou-
vaient une m de mollusques, les uns gracieux et
DE CRINOÏDES FOSSILES DE L'ESPÈCE PENTACRINPS 263
élégants comme les nautiles et les ammonites, d'autres plus
nombreux mais plus simples de forme, tels que les oslrees,
les térébratules, etc., puis des céphalopodes de l'espèce cal
mar, dont la variété la plus votumincuse (Belemnites gigan
teus) a laissé des fossiles dans le terrain callovien de Sen
noc;ey. Cet animal saisissait et devrait sa proie au moyen
de bras garnis de ventouses, et d'un bec composé de deux
mandidules cornées, un peu à la manière de ces pieuvres,
qu'un roman de Victor Hugo a rendues plus célèbres 'lue
toutes les descriptions des naturalistes. Les oursins étaient
aussi très communs, surtout ceux de l'élégante famille des
hemicidaris; on en trouve quelquefois d'engagés dans les
bras des Pentacrinus.
La famille des poissons s'était enrichie d'espèces nou-
velles, mais les grands sauriens, moins communs qu'aux
périodes antérieures, ne poussaient probablement pas jusqu'à
Sennecey leurs chasses maritimes.
L'évocation de ces souvenirs géologiques, qui peuvent
donner un charme puissant à toute promenade scientifique
dans cette localité, ne nous permet pas de nous représeuter
les lieux tels que les montrent les reliefs actuels du terrain.
A l'époque secondaire, tout ie bassin de la Saône dans le dé-
partement de Saône-et-Loire, aussi bien que celui du Rhône
jusqu'à son embouchure actuelle, était compris dans la mer
méditerranéenne, qui côtoyait le Plateau central jusqu'à
Beaune. Quelques pointements de terrain primaire formaient
seuls de petits llots sur la v..ste étendue des eaux. Nos Pen-
tacrinus couvraient selon toute vraisemblance un bas-fond
de cette mer disparue, car la belle conservation de leurs
débris prouvent qu'ils se sont déposés dans des eaux tran-
quilles, à l'abri des grandes fluctuations de la surface.
Cependant, il est bon de noter que les recherches des savants
suédois et anglais, clui viennent d'explorer avec un si grand
succès les régions sous-marines, ont fait retrouver des Pen-
264 NOTICE SUR LA DÉCOUVERTE D'UNE COUCHE
tacrmua vivants, à 150 mètres seulement et des Apiocrinus
jusqu'à plus de 4.000 mètres. Les découvertes de ces espèces
actuelles ont excité à juste titre l'attention de tous le- natu-
ralistes; la trouvaille d'un gisement de fossiles, quelque
abondant qu'il soit, ne saurait avoir la même importance,
mais elle sera au moins intéressante pour les amateurs et
peut-être utile à l'étude. C'est ce que nous diront les savants
qui en rendront compte.
Provisoirement et pour suppléer à ce que mes descriptions
ont nécessairement d'incomplet, j'ai rassemblé, sur les
planches jointes à la présente notice, quelques détails em-
pruntés aux échantillons que j'ai recueillis, susceptibles de
faire apprécier les formes et les dimensions du crinoïde.
Du reste, mon cabinet contient les éléments nécessaires pour
multiplier les figures qui seraient utiles pour l'étude appro-
fondie de cet intéressant fossile. A la disposition des savants
que j'ai priés de se charger de ce travail, je mettrai tous les
pécimens que je possède, ceux que j'espère recueillir encore
et ceux que d'autres pourraient me communiquer.
Chalon-sur-Saône, 20 janvier 1877.
I. Une espèce actuelle d'Angleterre se trouve méme par huit a dit
brasses d'eau.
BIBL.ÉGYPT.,T. XIII. PL. VII.
PENTACRINIS DUTERRAINBAJOCIEN
DESI JULIEN (PRÈS SENNECE Y)Plagnier sculp J Che
BIBL.ÉCYPT.,T.XIII. IL. VIII.
BIBL.. ÉGYPT.. T. XIII.PI.. IX
DECRINOÏDESFOSSILESDE L'ESPÈCEPENTACRINUS 265
EXPLICATION DES PLANCHES
Pl. [VII]. Pentacrinus rétabli au moyen de trois pièces de
mon cabinet
1° La pièce basale qui portait sur le fond rocheux et qui est
fonstituée par un bouton irrégulier, amorphe. auquel adhèrent
encore deux des divisions pentagonales.
2" Un fragment de la tige montrant encore quinze divisions
avec les attaches de leurs brindilles, obliques sur la tige. Ces brin-
dille· ne sont pas entières, mais il en reste des traces dont la plus
longue a encore 5 centimètres environ. L'échantillon montre.
a ses deux bouts, la section parallèle aux surfaces d'articulation
des divisions en forme d'étoiles, qui se continuaient en haut et en
has de ce fragment de tige encore long de 27 millimètres. L'espace-
ment entre deux angles contigus d'une étoile est de 5 millimètres.
et le diamètre tiré d'un angle à l'angle opposé de sept à huit.
3° Un sommet vu par sa face inférieure. montrant le développe
ment des bras contractiles et quelques-unes de leurs bifurcations
binaires, avec traces de leurs brindilles. Sur les bras et dans leurs
intervalles se développent les longs filaments ou verticilles qui gar-
nissaient la tige; on distingue facilement leur insertion à la nais-
sance de la couronne. Fossilisée dans cette situation, la partie
supérieure du sommet est restée cachée sous le· bras et les verti-
cilles supérieures, qui, dans quelques échantillons, ont jusqu
15centimètres de longueur et font supposer une corolle de plus de
30 centimètres de développement.
l'l. [VIII]. Sommet de Pentacrinus, d'après un échantillon
recueilli par M. Ch. Méray. Ici le crinoïde n'est pas tombé sur sa
couronne renversée, comme celui de la planche I. mais il s:est
couché sur la tige dans sa position normale. De la tige.
266 NOTICE SUR LA DÉCOUVERTE D'UNE COUCHE
il ne reste que la trace imprimée sur le calcaire, ayant 2 cen-timètres de long et 5 millimètres d'épaisseur. Les bras et lesrameaux du sommet forment un bouquet serré, à l'exception desverticilles qui s'écartent, et se recourbent à leurs extrémités
L'échantillon est fidèlement rendu dans la planche, sauf la tige
qui a été rétablie, d'après la trace qui s'en est conservée, et une
partie du sommet (lui a été restituée au moyen des attachementsenc:ore visibles. Il serait aisé de représenter le Pentacrinus d'unemanière plus complète, au moyen d'autres échantillons qui mon-trent que le bouquet finissait en délicats rameaux garnis de fo-lioles simulant les barbesd'une plume, quelquefois dressés, d'autresfois, au contraire, reployés dans tous les senset retombant en gracieux panaches.
Quelques-uns de ces détails semblent convenir au Pentacrinux
fasciculosus etau Pentacrinus briareux; d'autres, tels que la finessect la rengueur des verticilles, s'opposeraient à cette assimilationIl est très difficile de se prononcer sur la question de savoir si desdifférences de ce genre sont des caractères d'espèce ou des états
particuliers aux individus jeunes, adultes, etc.
Pl |IX|. N° 1. Détails d'un sommet avec verticilles déve-
loppés ne montrant aucune trace des bras. Un autreéchantillon dece genre forme un épi qui a encore plus de 10 centimètres de long.
quoiqu'il ne soit pas complet.N° 2 Détail cl'unrameau du sommet montrant une disposition
partienlière de ramuscules groupés en touffes.N° 3. Division de la tige, grossie quatre fois, montrant un relief
de forme pentagonale autour du canal dit de nutrition.
N° 1 Autre division, même grossissement, avec creux corres-
1b..iitl.arit:tu relief dc 1;.précédente.
NOTICE
UN SCARABÉE SARDE1
Le Musée de Chalon-sur-Saône possède les moulages de
plusieurs objets curieux provenant du l'ilc de Sardaigne.
Ce sont des outils ou des armes de pierre dont le directeur
du Musée, M. Jules Chevrier, a déjà rendu un compte som-
maire2. Nous aurons à en parler plus en détail.
Il n'existe peut-être pas dans le monde entier de sol plus
fécond en reliques archéologiques que celui de la Sardaigne.
Là, sont réunis en abondance les restes monumentaux de
plusieurs races remarquables qui paraissent s'être succédé
dans cette ile, entre autres le peuple qui a construit ces
singulières tours appelées Nuraghe. les Égyptiens ou au
moins une de leurs colonies, les Phéniciens et peut-êtreaussi les Étrusques et les Ligures, puis les Carthaginois, les
Humain", etc.
Lt place chronologique de ces diverses occupations n'est
pas clairement déterminée pour ce qui concerne les époques
anciennes. Le premier de tous les points fixes auquel on
1. Publié sous ce même titre, en 1877,t Chalon sur-Saône, chez
Landa, dans une brochure in-8°de 10 pages. G. M.2. Rapport sur le développement des collections du Musée de Chalon-
sur Saône, en 1874 et 1876, p. 17 (voir la planche gravée qui est jointe
audit Rapport).
268 NOTICE SUR UN SCARARÉE SARDE
puisse s'arrêter, correspond aux guerres entreprises pour ou
contre l'Égypte, vers le XVe siècle avant notre ère, par les
Sardes, alors nommés Shardana dans les écritures hiéro-
Nous aurons l'occasion de traiter plus amplement ce point
important, sur lequel une critique des moins justiliables a
essayé timidement de jeter quelques doutes.
L'identilication des Shardana de la mer avec les Sardes
de l'ile de Sardaigne est venue fournir à la science l'expli-
cation d'un fait en apparence très singulier, celui de la dé-
t-ouverte, en nombre immense, de monuments de style
égyptien, grands et petits, sur divers points de cette île,
et en particuler à Calaris (Cagliari), à Sulcis, et surtout à
Tharros.
Parmi ces monuments, la dassc ta plus nombreuse est
celle des scarabées; tel est aussi le cas en Egypte. Le sca-
rabêe, dont le nom égyptien signifie être, exister, était un
symbole et un talisman de vie pour les vivants, et de résur-
rection pour les morts. Hommes et femmes, vivants et morts.
ne cessaient guêre de porter .ur eux, en colliers ou en sus-
pensions, quelques-unes deces amulettes vénérées; le ltituel
funécraire prescrivait de placer un scarabées à l'endroit du
cœur de la momie, ce qui avait pour effet de rendre le mort
tel qu'il avait été sur la terre pendant sa vie.
Soit 'lue les Égyptiens aient réellement possédé une partie
de la Sardaigne, soit qu'ils y aient laissé une colonie. soit
entin (lue les mercenaires sardes au service de l'Égypte se
soient trouva suffisamment imbus des usages égyptiens
avant, leur retour dans leur patrie, il demeure bien avéré
que 1 influence des doctrines et des arts de l'Égypte se lit
longtemps sentir dans l'ile. C'est par milliers qu'on a dé-
terré à Tliarros les scarabées de diverses matières, dont un
nombre assez considérable en pierres dures. De ces petits
monument, il en est de style purement égyptien: d'autres
présentent des particularités qui m'ont d'abord paru déceler
NOTICE SUR UN SCARABÉE SARDE 269
une origine étrangère à l'Égypte, mais dans lesquelles mon
illustre ami, M. Mariette, juge dont la compétence est in-
discutable. a reconnu des formes communes parmi les sca-
rabées réunis dans les vitrines du Musée de Boulaq. Un doit
donc les tenir pour purement égyptiens.
Enfin il s'en trouve quelques-uns s'écartant trop sensi-
blement des formes et de l'ornemcntation ordinaires pour ne
pas être attribués à un art étranger, qui aurait puisé en
Egypte ses premières inspirations. D'après une observation
du savant archéologue de Cagliari, M. le chanoine sénateur
Spano, il est indubitable que beaucoup de ces monuments
ont dû être fabriqués dans l'ile, puisqu'on en a trouvé d'ina-
chevés et à divers états d'avancement de travail'.
La participation des Sardes et de quelques autres peuples
européens aux guerres de l'Égypte une quinzaine de siècles
avant notre ère est le fait capital de l'histoire de l'extrême
antiquité des nations de notre continent. Les vaisseaux
sardes transportèrent alors sur les rives orientales de la Mé-
diterranée des troupes de hardis pirates armés de longues
épées et coiffés de casques a cornes, que le· Égyptiens ont
représentés avec beaucoup de fidélité, et dont les antiquités
de la Sardaigne nous ont fait retrouver les analogues. Ces
vaisseaux, conduits à la rame et à la voile, avaient un mât
central, supportant une hune en forme de panière évasée.
Ils ont une seule vergue, avec une vaste voile qui se carguait
en plis nombreux Les récentes découvertes faites en Scan-
dinavie ont fait reconnaître sur les rochers de côtes septen-
trionalea de l'Europe la figuration des barques du même
genre3. qui tendent a montrer qu'à une date peut-être aussi
1. Bollctino archcologico Sardo, 1855.p. 84.
2. J'ai reproduit dans mes Études sur l'Antiquité historique, 2° édi
tion. p. 310, le bas-relief de la bataille navale.
3. Le vénérable savant suédois, M. Sven Nilson, a introduit plusieurs
figures de ces barques antiques dans son important mémoire sur les
traces des colonies phéniciennes enScandinavie. Stockholm. in-8°. 1875.
270 NOTICE SUR UN SCARABÉESARDE
reculée, les peuples maritimes du bassin méditerranéen
avaient également envoyé des expéditions fort loin dans
l'Océan du Nord. Nous reviendrons sur cette importante
question.
Vers la même époque. une partie des nations de l'Europe
continentale en étaient encore réduites 1, l'usage continuel,
sinon exclusif, des armes et des outils de pierre et d'os, tels
que ceux qu'on a trouvés en assez grand nombre et qu'on
rencontre encore sur les berces de la Saône, recouverts par
une couclu: d'alluvion de 80 centimètres a 2 mètres, mais
plus habituellement de 1 mètre 50 centimètres. Venue de
l'Égypte et de la Phénicie, la civilisation a d'abord pénétré
chez les nations que visitaient les vaisseaux des ports de
Ramsès et de Tyr, et de là elle s'est répandue dans l'inté-
rieur du continent, non par une marche toujours géographi-
quement progressive, mais un peu au hasard de l'esprit
d'aventures, et selon les attractions offertes par la nature
des lieux la satisfaction des besoins des colonisateurs. Les
premiers pionniers ont pu laisser de grands espaces entre
leurs centres d'établissements nouveaux, et il est tout na-
turel que l'on découvre, à des dates contemporaines, des
restes archéologiques dénotant des civilisations très dis-
tinctes par exemple de pauvres outils de silex et d'os,
comme sur les bords de la Saône, et de formidables glaives
de métal tels que ceux des Sardes guerroyant contre le
pharaon de l'Exode, ou les trones bruts creusés en canots
dont quelques-uns se sont trouvés au fond de nos fleuves, et
les navires bien gréés, a proues et poupes scul-ptées, sur les-
quels les peuples des lies et des côtes du nord de la Médi.
terranée allaient attaquer les flottes égyptiennes en face des
bouches du Nil.
Au milieu des ténèbres de ce qu'on appelle la préhistoire,
ténèbres rendues plus denses par la passion de l'innovation,
l'absence d'esprit critique et l'incompétence d'un grand
nombre d'observateurs, les inscriptions monumentales de
NOTICE SUR UN SCARABÉE SARXH 271
l'Égypte ont jeté un puissant rayon de lumière a l'aide du-
quel il nous sera possible d'arriver a quelques résultats sé-
rieux. Nous continuerons donc a interroger l'Égypte dans
tous lesdocuments qu'il nous sera donné d'étudier, et surtout
dans les monuments élevés ou inspirés loin des rives du Nil
par les armes ou par l'influencc des Égyptiens. Cette étude
sera fructueuse. Pour ce qui concerne la Sardaigne, ce pays
a t'avantage de posséder un archéologue de premier ordre,
patriotiquement fier des antiques foires de sa patrie, et
jaloux d'y conserver les monuments de l'histoire et des arts
trop longtemps livrés au vandalisme des collectionneurs de
toute race.
J'ai déjà nommé M. le chanoine sénateur Spano. à qui
l'«n doit le répertoire Ic plus détaillé des objets archéolo-
giques trouvés dans l'ile, où il continue d'ailleurs des fouilles
fructueuses. Grâce a l'obligeant empressement de ce savant
estimable, j'espère pouvoir réunir les éléments d'une ruono-
graphite générale des scarabées sardo-égyptiens et, autant
que possible, des autres antiques en rapport avec l'Égypte
ou avec l'art égyptien.
Provisoirement je crois devoir reproduire ici la description
d'un beau scarabées de jaspe, que M. le chamoine Spanm a fait
connaître dans son tableau des découvertes faites en Sar-
daigne dans l'année 18761.
Ce petit monument a été trouvé en 1848 dans une tombe
de Tharros; comme tous les scarabées égyptiens, il a la forme
ordinaire de l'insecte vu de dos. Le dessous, qui est llat.
constitue une ellipse peu allon;;ée, cernée par un cordon
torsadé. Une légende de quatre lignes d'hiéroglyphes y est
gravée. Les quatre signes du milieu des lignes représentent
une ligne verticale, de chaque côté de laquelle sont. inscrits
les autres signes, en regard les uns des autres. Cette dispo-
Cagliari, tip. Alagna, 1876.
272 NOTICE SUR UN SCARABÉE SARDE
aition a pour objet, non seulement le respect de la symétrie,
mais encore l'observation d'un usage habituel dans le céré-
monial pharaonique, qui consistait à qualifier de doubles
toutes les attributions royales. Cet usage a dû prendre son
origine à l'époque de la réunion des deux parties de l'Égypte
sous l'autorité du même monarque.
Le scarabée, objet de notre étude, a été utilisé comme
cachet, et, dans ce but, on l'a muni d'un anneau ou bélière de
métal, dont nous ne nous occuperons pas par le motif que
nous n'en pouvons reconnaître l'antiquité. Il est possible que
cette suspension. figurée dans la vignette ci-après, soit bien
pnstérieureà la gravure de la pierre
Nous reproduisons ici la disposition de la légende
Les caractères du milieu de chaque ligne horizontale
fnrment une ligne verticale, qui est comme le pivot de la
légende. Ceux qui sont de chaque côté de cette rangée ver-
ticale doivent être affrontés,c'est-à-dire que les oiseaux,
sphinx d serpents doivent so regarder et non être tournés
dans le même sens notre type hiéroglyphique ne nous a pas
permis d'imiter cette disposition.
NOTICE SUR UN SCARABÉE SARDK 273
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. lu
Cette inscription se lit de la manière suivants
Ligne 1. L'existence double divine.
2. Le roi de la Basse-Égypte Phra-Harntakhis.
3. La vie double divine.
4. Le roi de la Basse-Égypte, à la double couronne
royale rouge.
Nous ne nous arrêterons pas à expliquer ces titres royaux,
qui se réfèrent au régime théocratique de l'Égypte; il nous
suffira de faire observer que toute cette phraséologie signifieseulement le roi, et semble donner à entendre qu'il s'agissaitd'un roi ayant eu au moins quelque motif de préférence pourle titre de souverain de la Basse-Égypte.
Quoique les signes ne soient pas de forme irréprochable,leur combinaison, qui suppose la connaissance de leur va-
leur, ne peut en aucune manière favoriser la suppositiond'une création de fantaisie. Aussi je n'aperçois aucune raison
de révoquer en doute l'origine attribuée au petit monument
en question par son premier possesseur. M. Giovanni Bu-
sachi d'Oristano il provient bien de la colonie sarde-égyp-tienne de Tharros, qui, du reste, en a fourni tant d'autres.
Mais, en considérant la forme particulière donnée l'insecte.
forme dont on ne retrouve pas l'analogue dans le. monu-
ments vraiment égyptiens', on est naturellement porté à le
regardeur comme un produit de l'art hybridé dont j'ai parlé«n commençant. Selon toute vraisemblance, il a été fabriquéen Sardaignc, par les ordres de quelqu'un qui a pu tenir
rendre hommage au souverain de l'Egypte maritime, et qui,
1. Le scarabée,vu de dos. forme trois lobes,séparés par des cordonsplats correspondant à des rétrecissements. La tête est ornée de deuxpoints d'or fixurant lesyeux trois antres points séparent la partie ducorselet de celle qui correspond à l'abdomen, et deux autres points setrouvent sur la lixne de division des élytres. Cette particularité despoints d'or a été observéesur d'autres scarabées sardes, mais on ne l'aconstatée sur aucun de ceux de l'Égypte.
274 NUTICN SUR UN SCARABÉE SARDE
dans tous les cas, a su faire reproduireavec intelligence uue
légende correctement égyptienne.
On rencontre des scarabées parmi les antiquités de la plu-
part des peuplesvoisins de la Méditerranée. La signification
attribuée a cet insecte ne tient à aucune raison de symbo-
liame ni de mythologie, mais seulement à la circonstance
que son nom égyptien, kheper, se prononce exactement
comme le mot qui signifie être, exister, et sert habituellement
décrire ce mot. Pour ce motif, le scarabée représentaiten
égyptien |'existence, la oie. en vertu d'une sorte de jeu de
mots, qui n'était pas possible dans une autre langue. Sur ce
sujet, il faut faire table rase des rêveries des Alexandrins.
Mais cette observation nous démontre que, partout où nous
découvrons do ces sortes d'amulettes, nous devons les consi-
dérer comme des témoignages de l'influence égyptienne,
plus ou moins directement exercée. On ne s'étonnera pas
dès lors que des scarabées se soient rencontrés dans les
tombes étrusques. M. l'ingénieur Zannoni, de Bologne, m'en
a communiqué un qu'il a retiré d'une tombe antique du type
de Villanova, dans les fouilles de Luca. Ce scarabées porte
l'empreinte de quatre oiseaux surmontés d'un poisson. C'est
là un modèle inconnu à l'Égypte, et dont l'explicationreste
a chercher. Mais les Étrusques (Tunha des hiéroglyphes.
TURSCE de· Tables Eugubines) avaient eu avec Ies Égyp-
tiens des contacts aussi anciens que ceux des Sardes leur
civilisation, plus avancée que celle de leurs voisins insu-
laires, offrit moins de prise à l'influence de l'Égypte, dont
il est rependant très important de chercher la trace dans le
sol de l'ancienne Étrurie.
LE LIVREA propos de l'ouvrage intitulé
LES AMOUREUX DU LIVRE
l'ar F. FERTIAULT
(ILLUSTRATIONS DE J, CHEVRIER)1
Dans une note de date récente, nous avons annoncé la
prochaine apparition du livre dans lequel notre compatriote.M. Jules Chevrier, a associé son burin à la plume d'un colla-
borateur d'origine ebalonnaise, le poète F. Fertiault.
Cet ouvrage est, depuis quelques semaines, à la disposi-tion du public. Le succès que nous lui prédisions est
aujourd'hui brillamment assuré. Nous félicitons l'éditeurde l'éclatant démenti qu'il donne à ses auteurs; car, si,comme l'affirme une maxime citée dans la section des
Bibliophiliana (p. 177) Plus un lirre est beau, moins il ade chances d'être vendu, le magnifique volume que nous
avons sous les yeux devrait de plein droit wmmeiller paisi-blement sur les rayons des libraires.
Mais Les Amoureux du Livre ne sont point laissés à cet
abandon, quelque flatteur qu'il puisse paraitre au paradoxal
1. Publié ea 1877, i Chalon-sur-Saône, chez Dejussieu, dans unebrochure in-24, de 44 pages. —G. M.
276 LE LIVRE. A PROPOS DE L'OUVRAGE INTITULÉ
Balzac. Tant s'en faut, l'édition s'épuise, et les tiragesde
luxe sont déjà passésau rang des raretés bibliographiques.
Nous demandons à nos lecteurs la permissionde feuilleter
avec eux quelques pagesde ce livre dont le grand
intérêt
n'est peut-être passoun nné en dehors du public spécial
des amateurs.
II
L'amour du lirre, quellebelle et noble passion!
Jeunesse
ardente, pour quices mots amour, passion,
ont un unique
objectif,si attrayant,
si irrésistihte. qu'on croit n'en devoir
jamaisdétacher sa pensée,
hélas! vous êtes toujoursassez
ti.t détrompée.Vos éblouissantes idoles perdent
leur lustre
leurs vives couleurs s'altêrent. quelquefoissous la moisissure
de la satiété, toujourssous la rouille que laissent les hivers
accumulés, et vos extases quine devaient jamais
finir n'ont
même pasattendu pour
s'évanouir les inévitables morsures
de l'âge et de la maladie. Triomphesde la vanité, faveurs
de la fortune, succès de l'ambition, vous perdrezaussi peu
:1 peutous vos charmes sous la néfaste influence des me-
comptes,de l'ingratitude,
des trahisons et de l'oubli des
services rendus.
Un homme, qui s'yconnaissait bien et dont le nom fait
autorité a écrit ces lignes, recucillies dans les bibliophiliana
de notre beau livre
Aimez l'étude, les tableaux, la musiquefaites-vous.
» s'il le faut, bibliomane ou collectionneur de papillons.
» mais ayezun goût quelconque,
une manie pourvos vieux
jours, sans quoivous périrez.
»
Nous applaudissonsde grand
cœur a ce conseil du célèbre
homme d'État, mais faisons observer que l'étude, quel qu en
soit l'objet, supposeles livres. Que serait l'œuvre du
peintresans les livres qui
lui révèlent l'histoire et les pro-
cédés de ses devanciers'? Quelle valeur aurait la cullection
« LES AMOUREUX DU LIVRE » 277
de l'amateur étranger a la science et dépourvu de livres?
Sans les livres, comment l'inspiration du compositeur pour-
rait-ella se régler et se mûrir? Pour devenir grand artiste,
il faut se faire savant et môme poête. Nous n'éprouvons,
d'ailieurs, aucun embarras à pousser jusqu'au bout, et malgré
leur apparente trivialité, toutes les manies énumérées par le
prince de Metternicli. En effet, il faut beaucoup de livres
pour être entomologiste, et l'on n'est pas collectionneur de
papillons sans avoir compulsé un nombre considérable de
volumes.
En somme, tout repose sur le livre le livre est tout.
Cet en particulier un ami sûr, fidèle, patient, qui ne s'irri-
tera pas de nos négligences, de nos dédains, de nos oublis.
Lorsque, le cœur brisé de déceptions, nous nous éloignerons
des idoles pour lesquelles nous l'avons abandonné, il se re-
trouvera à sa place accoutumée, toujours prêt à nous verser
ses consolations, ses conseils, ses encouragements et ses dis-
tractions. Sans bruit, sans murmure, il panse nos plaies,
amortit nos douleurs et ravive nos joies
« Tu m'étais compagnon quand la nuit je veillais' Il.
1) livres, vous êtes la dernière passion de l'être intelligent!
Ah que n'étes-vous la première! Le ixeur qui a cessé de
battre à tous les amours retrouve encore pour vous un bat-
tement2. Le livre, c'est la nourriture céleste que l'ange de
Dieu offre aux mortels désespérés, pour guérir leurs plaies
et ranimer leurs langueurs2.
Des livres 1 des livres encore
« Des bouquins cela seul est uraent' p.
1. Sonnets Une perte, p. 45.
2. Bibliophiliana, p. 239.
a. Préface, p. 16.
4. Sonuets A. M. Boulnnd, p. 26.
279 LE LIVRE, A PROPOS DE L'OUVRAGE INTITULÉ
§III
L'amour des livres n'est pas toujours le sentiment calme
que le vulgaire suppose. Comme toutes les passions qui s'em-
parent avec force du cœur de l'homme, cet amour connalt
toutes les transes du désir, de l'attente, toutes les extases de
la satisfaction, tous les désespoirs des échecs. Pour l'un,
c'est une flamme ardente qui ne brûle que pour un seul
objet; un autre courtise toute une série particulière; un
troisième, enfin, s'acharne à la collection entière des pro-
duits imprimés ou manuscrits de l'esprit humain.
Les sonnets de M. Fertiault passent en revue les habitudes,
les travers, les caprices, les singularités de quelques-uns de
ces amoureux du livre. C'est là une mine que l'auteur ne
peut se flatter d'avoir épuisée. Mais il saura se contenter
des suffrages que lui vaudra la récolte variée et bien choisie
qu'il a su réunir. Une plume plus familière que la nôtre avec
le culte des Muses fera ressortir les beautés de la versi-
fication, la concision et le tour heureux de la plupart de ses
sonnets. Notre but, à nous, est plus modeste nous nous
bornerons à signaler quelques pensées heureuses et bien
exprimées, que tous les amoureux du livre ont eu l'occasion
de sentir germer dans leur esprit.
Qui d'entre nous, par exemple, resterait insensible aux
plaintes des volumes empilés dans l'étal des brocanteurs,
maniés, rudoyés par des mains souvent peu nettes
« Soleil, poussière, averse. vent,
» Le bouquin souffre vos tortures ».
Qui donc n'aurait des doléances pour les
« Bouquins aux angles tors, aux marges trop coupées.
« LES AMOUREUX Di! LIVRE » 279
» Tomes déshabillés redevenus brochures ».
Mais plus cruel encore est le sort des livres tombés entre
les mains du père Jean
Les livres ont du bon;
» Ony taille une vitre, on y met du jambon.» Mais les lire?. Nenni2».
Pauvres volumes voués au supplice des casiers poudreux
disposés le long des quais Quelle triste histoire est la leur,
depuis qu'ils sont sortis de chez l'éditeur, fraîchement reliés
ou enveloppés de papier satiné, jusqu'au jour où le désordre,
la débauche, la misère et quelquefois la mort les ont fait
entasser dans la hotte du commissionnaire Voyez-les dans
l'eau forte de M. Chevrier, roulant sur le pavé, où un porteur
inepte les a déchargés comme de vils moellons:
n Quand il a gagné ses trente sous.
» Sur le plancher poudreux il fait rouler sa charge' ».
§ IV
Les livres ne connaissent pas seulement ces vulgaires ca-
tastrophes. Comme les hommes, ils sont pleins do vie et de
sentiment, et, comme eux, il leur arrive d'être froissés,
heurtés, broyés, meurtris au cœur. Je ne saurais donc en
vouloir à M. Fertiault pour leur avoir supposé de l'amour-
propre. Écoutons plutôt la réponse hardie de l'humble bro-
chure à son frère ommaroquiné
« Oh tu fais haute mine! Est-ce donc un malheur
1. Sonnets La Tournée, p. 52.
2. Ibid., L'Opinion du père Jean, p. 110.
3. lbid., Lu Tournée, p. 58.
280 LE LIVRE. A PROPOS DE L'OUVRAGE INTITULÉ
» D'être un peu moinsdoré sur mon dos, sur ma tranche'?
» Nous sommesla même œuvre.1 n
La brochure a cent fois raison, mais dans quel siècle la
dorure n'éblouira-t-elle plus les yeux?
Cependant le timbre orgueilleux de la richesse et de la puis-
sance ne garantit pas toujours de la tin la plus obscure les
volumes les mieux dorés. Voyez comment le burin habile de
notre artiste livre aux dents d'un rongeur la reliure blason-
née des de Thou1
Les rats peuvent, a ce qu'il parait, se montrer intelligents
dans ces tentatives dedestruction. C'est lorsqu'ils font justice
d'une oeuvre indigeste
« Quel régal De la marge et du texte il se ):ave
L'œuvre tourde. avec lui. va rentrer dans la cave
Rongeur intelligent! »
La magnifique planche qui accompagne cette pièce est un
petit chef-d'œuvre de patience et de touche, qui vaut à lui
seul tout le prix de l'ouvrage'. Le volume en contient une
seconde de la même importance, où s'étale une diversité
pittoresque de tomes déreliés, éreintés, rongés. Mais le cou-
pable est pris flagrante delicto, et peut désormais aller dans
le purgatoire des rats méditer sur la Peine de mort, épais
in-folio, près duquel il s'est laissé prendre'.
Une autre mésaventure, qui touche moins sensiblement
les livres que leurs auteurs, consiste dans l'abandon brutal
que certaines gens font des volumes qui leur ont été offerts
et dédiés comme témoignage d'amitié.
1. Sonnets, p. 53.
2. Sixième eau-torte.
3. Sonnets Bouquinset Rats, y. 12.
4. Troisième eau-forte.
5. Quinzième eau-forte.
« LES AMOUREUX DU LIVRE » 281
Laissons ici la plume au poète
« Je l'ai, cet exemplaire à l'offre désirée,
»Ce doux gage par toi chaudement attendu!
» Dis si ma défiance était bien inspirée
» Je l'ai. du brocanteur à qui tu l'as vendu.
» La page aux mots aimants, ta main l'a déchirée' 1).
Hélas! quel auteur n'a pas eu à subir cette humiliation!
M. Fertiault s'y montre particulièrement sensible. il con-
sacre un deuxième sonnet a ces pauvres vendus
Pour vous, chers délaissés, je me sens attendri.
» Vous qu'on jette à la porte. n
Nous déplorerons aussi avec lui le triste sort du livre tombé
dans des mains indignes ou ineptes, celles des faux savants,
des faux poètes, qui vont recueillant, quémandant partout
des livres qu'ils ne lisent jamais, et qu'ils jettent aux encans
Pour te débarrasser de reliques si chères.
1) l'auvre, as tu donc senti la dent d'àpres misères?
» Il faut le froid qui glace, il faut la faim qui mord' Il.
Plus fortunés sont ceux qui gardent paisiblement leur
place dans la bibliothèque de l'amateur repu
« Il s'est blasé. Vers ses livres d'étude
» Il ne retourne guère, hélas 1 Par habitude.
» II enachète encore, mais il ne les lit plus' ».
1. Sonnets. p. 2ü.
2. Ibid., Mes Rachetés, p. 86.
3. Ibid., p. 103.
4. Ibid., p. 106.
282 LE LIVRE, A PROPOS DE L'OUVRAGE INTITULÉ
Nous ne nous attendrirons pas trup non plus sur les em-
pilements invraisemblables d'un bouquiniste effréné
« Il en mettrait, je crois, jusque dans les murailles.
» Il n'en peut plus tenir, et toujours il en entre' ».
Au moins celui-la ne les revend pas.
Les livres doivent aussi s'attendre aux revirements des
passions trop vives et trop suhites
« l'our deux Alde jaunis, son désir vient d'éclore
» Désir vif, importun;n Il en prend d'abord un.
» Mais. maintenant qu'il l'a.
» Ce qu'il lui faut, n'est l'autre2 ».
D'autres livres ne sont pas aimés pour eux-mêmes, mais
pour leur reliure, leurs nerfs, leurs beaux titres. Il lui en
faut par bataillons, dit nutre poète, mais il les chérit au
point de ne pas oser en tourner les feuillets
If Vigilant. de son souffle il chasse les atomes.
» 11 ferait sentinelle et mourrait ourses tomes.
» telon lui. c'est aimer les livres. l'animal'! »
L'anatumie du livre conduit à des observations de haute
portée, mais, à moins de donner à notre article des proportions
1. Sonnets, p. 59.2. Ibid, p. 14.
3. Ibid., p. 119.
« LES AMOUREUX DU LIVRE » 283
qu'il ne comporte pas, nous serons obligé d'écourter notre
analyse de l'œuvre de M. Fertiault, considérée à ce point de
vue. Quelques citations seulement
Le double sonnet A certains bibliomanes1, est le fruit
d'une excellente inspiration
a Leçon- de mes penseurs, hymnes de mes poètes.
» J'ai tout ce qui me fait aimer, croire, espérer
» Dans ces pages du cœur. qui. pour eux, sont muettes ».
A coté de ces bibliomanes dont le couteau de bois respecte
trop les feuillets non coupés, il convient de ranger la belle
collection de ce riche amateur, où s'étaient des chefs-d'œuvre
de reliure et de titres pompeux
a Quel fou rire me pritn C'étaient, couverts de peau, de vélin ou de moire.
n C'étaient des dos de bois collés sur une armoire' ».
Au même titre que la langue, ainsi qu'elle est définie par
Ésope, les livres sont ce qu'il y a de meilleur au monde, et
aussi ce qu'il y a de plus mauvais. Mais, nous en avons le
ferme espoir, le bien du livre en tuera le mal, après une
série d'ébranlements et de secousses périlleuses. Il changera
en amitié les haines des hommes entre eux, lorsqu'il aura
suffisamment montré le peu de consistance des barrières po-
litiques et religieuses qui les divisent; il tuera la guerre,
cette folie féroce, qui force à s'entretuer des gens qui ne se
connaissent pas et n'ont aucun motif de se détester.
Ce n'est pourtant pas à raison de son influence pacifique,
ruineuse pour leur métier, que des conquérants ont cherché
à détruire le livre; le fanatisme a eu ici sa large part, et il
n'y a pas eu de Thsin qu'en Chine, ni d'Omar que chez les
Mahométans 1
1. Sonnets. p.6et 7.
2. Ibid., p. 9.
284 LE LIVRE, A PROPOS DE L'OUVRAGE INTITULÉ
M. Fertiault a rappelé ces sinistres auto-da-fé
..A quoi bon ceschoses de l'esprit 1
» Trop savoir ne vaut rien. Exterminons l'écrit.
» Puis. levant sonregard plein de lueurs funèbres
» Aux livres 1 brûleztout!
De sa torche barbare, il a fait les ténèbres1».
Nous avons quelques motifs personnels de remarquer le
sonnet intitulé Un navigateur
« — Mais l'investigateur,
Qui remonte en sa barque. à tous pas retenue.
Les sources d'unelangue à sa fin parvenue.
Plongeant dans chaque idiome un œil inquisiteur'
Nous citerons aussi une Chrysalide
« Le pauvre savant ne savait
» Le premier mot des simpley choses.
» Dans ses chers Wuquins il vivait
» Comme un jardinier dans ses roses.
» Oh bienpartagé,» Qui peut, dans le vieux temps plongé.» Se soustraire nos noirs fantômes
On s'intéresse au patient amateur qui, page àpage. parvientà reconstituer un livre rare
« Volumeentier. fameuse chance
» C'est qu'il est rare ainsi complet.
1. Sonnets, p. 16.
2. Ibid., p. 63.
3. Ibid., p. 97.
a LES AMOUREUX DU LIVRE » 385
» Il ne m'a fallu que douze ans,
Monsieur. et j'ai mon exemplaire'! »
Bonnes idées, bien exprimées, à propos des critiques
amers
« Le dédain à la lèv re et l'épigramme à l'œil.
u Il se charge à mitraille et sa mèche s'allume' Il.
Hélas! 1iln'est pas toujours facile de rester calme et mo-
déré. d'observer cette mesure de la Supplique3, où u rieu
ne huit. rien n'accuse » car, ainsi que le dit notre poète, à
i-e wompte, u c'est tellement raté. que c'en est réussi' »
Qui d'ailleurs ne s'est senti piqué de l'airuillon qui éveilla
la verve de Juvénal:
Semper ego auditor tunturntNunquamne reponam.
Il est des douleurs amères que peuvent seuls connaître les
amuureux des livres
u l'our eux qui m'ont fait ma joie.
u Un sombre avenir se déploie.
» Las! personne à qui les laisser4 »
II y a aussi le sentiment de l'impuissance de tout avoir,
de tout savoir
« Des trésors si nombreux et des instants si courts
« 11mourut du chagrin de ne point tout connaître2 Il.
2 Ibid., p. 105
3. Ibid., p. 49.
4. Ibid., p. 114.
S. Ibid.. p. 76.
286 LR LIVRE, A PROPOR DR L'OUVRARH INTITULÉ
Tout connattre oui, c'est là le but désiré, mais jamais
atteint
u Le savant ne sait pas conjurer la tempête,
» Car le pauvre homme, hélas 1 privé d'air, enfermé,
» A force de songer, se fait tourner la tête' ».
Quelle heureuse inspiration que celle de ce blasé! elle
pourrait convenir aussi à l'invalide du travail mental
a Qui donc découvrira nos temps sont trop bornés
» Une ère où les lecteurs, aujourd'hui forcenés,
» S'assimilent, d'un coup, ueuvre longue et savante?
» L'étincelle s'échappe.
u D'un clin d'œil on a lu la plus vaste épopée' ».
C'est sur ce beau rêve que nous finirons nos glanes dans
le livre curieux de M. Fertiault. Qu'il nous pardonne d'pn
avoir si incomplètement, si incompétemment parlé. Il l'a dit
lui-même Nos temps sont trop bornés!
§ VI
Nous ne dirons rien d«s sections ayant pour titre Fan-
taisies d'un Bibliomane, ni des Notes et Anecdotes; il y
aurait trop à citer. Il suffira d'entamer la lecture de ces
chapitres pour y persister jusqu'au bout. Le choix d'apo-
phtegmes sur les livre, forme un ensemble non moins attra-
yant, où chacun peut s'attendre à rencontrer quelques reflets
de sa propre pensée.
1. Sonnets, p. 69.
2. Ibid., p. 116.
« LES AMOUREUX DU LIVRE u 287
En définitive, bien riche est ce beau volume, et pourtant
combien de tableaux y manquent encore
Croyez-vous, ô poète, avoir envisagé toutes les misères du
livre, toutes les déceptions de ses auteurs ? Vous n'avez pas
songé cependant à l'ouvrage condamné par des ignares, ce
qui est du reste un cas de fréquente occurrence, mais, ce
qui est infiniment plus rare, à celui que les mêmes ignares
font condamner et exécuter par les mains de l'auteur lui-
même? Vous n'avez peut-être pas cru, cette candeur est
pardonnable, au livre annoncé, réannoncé, avec changement
de format et grande augmentation de prix, et qui cependant
n'a pas été imprimé et qui est resté à l'état de désir de ceux
qui le font figurer sur leurs catalogues Au livre copié sur
le manuscrit d'un confrère! et, ce qui est plus fort, au livre
dans lequel un auteur qui s'est trompé retourne contre celui
qui l'a détrompé la le;on dont il a profitéé!
Vous vous êtes montré justement sévère pour « ce fort
» dont la plume prépare au pauvre auteur un rude accueil' n.
Hélas! ce ne sont pas les forts, ce sont les envieux et, par-
dessus tous, les ignorants qui font le plus de fracas, sinon de
mal.
Puis, il y a le livre qui déplaît, non seulement par son
auteur, mais aussi par son lieu d'origine, et qu'on évite de
citer, même en traitant de l'objet spécial que, seul, ce liv re
a décrit. Allez dans le plus bruyant, sinon le plus célèbre des
musées français d'archéologie, vous y verrez un moulage fait
par les soins de savants chalonnais sur un beau monument
trouvé à Chalon-sur-Saône et conservé sur le lieu même
d'où il a été exhumé. Un archéologue compétent l'a décrit
et expliqué dans un mémoire substantiel, accompagné d'une
excellente photographie. Vous lirez cependant, dans un re-
cueil scientifique parisien de 1874, que la pierre sépulcrale
de l'Ubien Albannus (sic, il ne faut pas se montrer exigeant
1. Sonnets, p. 105.
288 LE IVRE. A PROPOS DE L'OUVRAGE INTITULÉ
pnur l'orthographe de critiques sibien informés) a été trouvée
en 1844, à Mâcon, et est dans une maisonparticulière.
Du
mémoire qui l'a fait connaître ni de son auteur, pas un mot,
bien entendu. Pourquoi aussi est-il de Chalon ? Et pourquoi
Volgu, où ont été trouvées ces admirables lames de silex
que tout le monde connait aujourd'hui, se trouve-t-il dans
l'arrondissement dont le chef-lieu est Chalon ? C'est là, pour
les prétendu!' mitres de la science en France, un vice
d'origine irrémédiable. Mais ils s'en prennent au livre qui a
publié la découverte et mis sous les yeux du public les pho-
tographies de ces armes merveilleuses; ils le supprimeraient
si la durée de leur chancelante autorité leur en laissait le
temps-
Vous ignoriez tout cela, poète, puisque vous n'avez pas dis-
aimulé vos attaches chalonnaises. Prenez garde les gens per-
cés à jour dans leurs prétentions ont des rancunes durables.
Mais vous avez peut-être eu confiance dans le progrès. Po-
pulus, le battre de l'époque, en est à son apprentissage du
métier de régner. En ce moment, c'est à qui réussira à lui
eulever, sinon son titre de roi sur lequel il ne plaisante pas.
mais l'autorité, les honneurs, les privilèges dont l'ensemble
constitue l'exercice etiectif de sa royauté, et surtout les
émoluments qui forment sa liste civile et dont il ne touche
pas un centime. Léopards, singes et autres animaux habiles
lui font la cour avec un succès qui ne se dément guère;
car, occupé qu'il est a sauvegarder ses droits contre des
dangers, peut-être illusoires, maia qui font partie de la série
de pièges miroitants disposés autour de lui, il ne s'aperçoit
guère qu'il s'agite sans autre résultat que de remplacer un
abus par un nouvel abus plus criant que le premier. Mais
Sa Majesté Populus, quoique bon prince, est aussi faible
qu'un roi de vieille roche pour ses courtisans et ses Hatteurs.
Ildonne tout à ceux qui lui disent qu'il est tout. qu'il peut
tout, que tout est à lui. Mais il 3 aujourd'hui un caprice in-
telligent, il veut être instruit. On lui a fait croire qu'il fallait
« LES AMOUREUX DU LIVRA » 289
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. 19
créer des chaires de toutes sortes de sciences hypothétiques,de langues dont les professeurs en sont encore à discuter
l'existence, et d'autres langues qui sont plus qu'ignorées de
leurs prétendus maîtres, mais qui n'en restent pas moins
prétextes à gros traitements. On a fait croire à ce mo-
narque débonnaire que tout cela est essentiel à la gloire dela France: que l'Étranger, qui nous jalouse. nous envie lesinstitutions à l'abri desquelles éclosent comme en serrechaude des mangeurs de budget, aussi bien rentés que su-
perflus, quand ils ne sont pas dangereux.Mais ne verra-t-il jamais qu'à côté des gros émargeurs.
qui font peu de chose, végètent, dans les administrations.des agents secondaires, qu'on ne trouve pas assez payés pourêtre en droit de leur demander un travail qui réponde auxbesoins du public? S'il arrivait, par exemple, qu'il fit l'ex-
j'crience des difficultés qu'il y a de faire sortir des tiroirsde certains musées, sinon de tous, les milliers d'objets qu'ony a entassés, souvent ;1grands frais, et qu'on ne peut trouver
ailleurs. grâce à l'incroyable sottise de la province, qui ne secroit pas digne de rien con server de valable, il verra peut-êtrelui-même ce que valent les ordres d'un ministre aux prisesavec la routine et l'inertie bureaucratique, et peut-être alors
fera-t-il comme nous, ira-t-il demander à l'Étranger ce quelui refusent les administrations qu'il paie, à moins que, lasenfin de révolutions inutiles, il ne fasse sentir sa rude maina un édifice d'abus dont les révolutions ne font que consoliderles assises.
Oui! que fera Populus, si jamais il devient assez éclairé
pour s'apercevoir de ces supertluités coûteuses, si jamaison lui apprend que la science, que nous appellerons sciencede luxe, peut, lorsqu'elle est sérieuse et vraie, vivre honnête-ment en France sans subventions d'aucune sorte, sans dis-
tintions, sans emplois, sans traitements, sans missions
payées, et surtout sans relations avec ces institutions que('Étranger nous envie, etc., etc. Peut-ére exigera-t-il qu'on
290 l.h: LIVRE, A PROPOS DE L'OUVRAGE INTITULÉ
rogne les dotations qu'on lui fait augmenteret qu'avec la
Cession de chaque chaire inut ile on c:rée vingt ou trente
Mais comment ce progrès, ensens inverse duque on
d'abord à la décentralisation, à la destruction de cette in-
l1uence de la bureaucratise des ministères, dont la toute-puis-
sance fait éclore les ambitions les plus injustifiables et
devant laquelle le métrite doit s'incliner, s'il ne veut rester
Nousécrironspeut-êtreun jour quelques pages du livre
qui dévoile certains mystères de l'ette organisation.Les
pri.
vilèges sont rudetnent menés aujourd'hui.Grâces en soient
rendues au Livre!
§ VII
A nous deux maintenant, ô mon sympathiqueartiste!
Il est certainement fort honorable de mériter un titre dans
une spécialité quelconque.Nous ne sommes pas de ceux qui
uous chicancront sur votre renom de peintredes rats vous
déchiquetez les bouquins avec un tel amour, vous dispersez
les volumes avec un désordre si bien ordonné,que nous ne
noUS pas de regarder vos petitesscènes de biblio-
phagie. Mais, bien queles rats en soient absents, nous
admirons aussi vos autres scènes, et en particulier votre
1)(,-titgénie se débattant vainement sous le poids des chefs-
d'œuvre que, présumant trop de ses forces, il a cru Pouvoir
embrasser 1. Cette mésaventure n'est pas de rare occurrence.
Comme pendant,vous avez figuré l'esprit. léger et badin,
enfourchant crânement le livre en guise de tnonture', et.
2. Quatorziémeeau turl..t.
« LES AMOUREUX DU LIVRE Il 291
brochant sur le t.out, l'Étude, attentive et recueillie, queles livres reposent sans l'opprimer'. Rien de plus suave auxyeux de l'amateur de livres yue le groupe d'antiques tomesréunis à la fin de l'histoire de la Veure au Cabas1.
Après la lecture de cette touchante légende, nous ne pou-vions manquer de sourire, cntnme devant un vieil ami. a lavue du Psautier de 1157, qui en est le héros principal1.
Puis, nous avons frissonné en apercevant la pauvre veuveelle-même, « maigre .sous sonmince tartan u, portant chezle brocanteur, dans son cabas, sac de misère qui recélait untrésor, les livres, sa dernière ressource'. Votre réchaud'nous plait moins: peut-être nous fait-il peur. Cependant,aussi bien que le diner2, il témoigne de la variété des res-sources de votre inspiration et de votre burin, et nous donnele droit de vous dire que ce n'est pas assez pour vous d'êtrele peintre des rats. Pour en rester là, il ne vous était pasnécessaire d'aller, tout jeune encore, vous former augoût desarts dans les musées d'Italie; et, pour que nous n'attendionspas de vous quelques excursions dans un horizon plus élevé,vous auriez dit éviter de nous ouvrir avec tant d'obligeancele rit-he cabinet de peinture et d'archéologie que vous avezsu former, et denous laisser feuilleter vos riches portefeuillesbourrés de dessins et de notes érudites. Il fallait aussi vousdispenser de prendre rung parmi les archéologues qui ne dé-daignent pas d'écrire.
Allons, convenez-en, vous devez faire plus, sinon mieux.Cependant, vous êtes demeuré inerte devant ce sonnent
fatidique Herculanum! Le poête vous mettait ici sur labonne vuie, vous lui avez vu et touchê ces précieux rouleaux
2. Treizièmeeau lorte.:1.Dixièmeeau-forte.8.Septièmeeau-forte.5. Onzièmeeauforte.6. neuvièmeeau-forte.
292 LU LIVRE. A PROPOS DF L'OUVRAGR INTITULÉ
charbonneux, dans lesquels se sont délectés les grands
esprits de la Rome des Augustes. Au milieu des merveilles
de l'art, dépouilles du monde entier, ces volumes se pava-
naient jadis dans le tablinum des palais du peuple conqué-
rant. Vous pouviez si facilement évoquer ces grands souve-
nirs et montrer les procédés si délicats au moyen desquels
une main habile décolle, développe et rend lisibles ces pré-
cieux débris Comment avez-vous pu parler du livre sans
toucher à cette merveilleuse résurrection ?
Puis. étiez-vous étranger à d'autres rouleaux qui sont les
aieux de tous les livres, à ces papyrus couverts d'une écriture
parlant aux yeux et à l'esprit, et qui nous révèlent ce que
l'homme pensait et savait il y a soixante siècles? Vous
pouviez, de main de maître, nous introduire dans le sanc-
tuaire d'un bibliophile de Memphis, d'un de ces grammates
inspirés dont l'œil nous parle encore dans les statues qu'ils
nous ont laissées. Voyez Ptahhotep déroulant sur ses genoux
le livre de ces puissantes formules qui fournirent aux con-
seillers de Pharaon les moyens d'imiter les miracles de
l'envoyé de Jéhovah Représentez-vous près de lui sa palette.
ses calames, ses pains de couleur, son support de papyrus
encore vierges, son casier de livres écrits, puis, une autre
bibliothèque non moins curieuse, composée de tessons de
poterie. de tuileaux, de pierres plates, etc.. Tels étaient les
carnets de notes volante.s et. aussi les livres des non-favorisés
de la fortune. Dans la pénombre, placez une de ces momies
peintes et dorées, images de la mort, que le peuple philosophe
et religieux de l'Égypte ne perdrait jamais de vue, même au
milieu des festins.
Et Babylone! et Ninive 1 Ne savez-vous pas que ces su-
perbes cités ont possédé des bibliothèques emplissant des
salles immenses, aux corniches richement sculptées. Là, le
livre était une brique. N'était-ce pas sur la brique aussi que
la main de Dieu grava, aux yeux dex satrapes consumés,
les mots terribles de la condamnation de Baltassar?
Il LES AMOUREUX UU LIVRE » 293
Restons en Asie et songeons aux livres japonais, aux
livres chinois, si volumineux mais si légers! aux livres
sanscrits, palis, thibétains, siamois, chingalais, etc., dont
quelques-uns sont de fines écorces découpées par des artistes
aux doigts de fée! Évoquons par la pensée ces voluptueux
monarques de l'Inde, nonchalamment couchés sur la terrasse
de leurs palais, écoutant la lecture des livres sacrés au milieu
d'un concours de porte-ombrelles, de flabelliféres, de chasse-
mouches, et d'un essaim de ces beautés un peu trop dorées
par le soleil, dont les grands yeux de gazelle ont un charme
indéfinissable.
Des anciennes splendeurs de l'Asie il nous reste encore
un pâle reflet dans les rouleaux de la Thorah, enveloppésde velours et coiffés de mitres d'or, que le Rabbin déploiedans la synagogue, près du chandelier à sept branches. lors
yu'il rappelle aux enfants d'Israël qu'ils sont tous obligés dese considérer comme sortis d'Egypte, et qu'il proclame cette
espérance tenace L'année prochaine, à Jérusalem!
Devrait-on aussi ne rien dire des quipos du Nouveau-
Monde, des nalves figurations des Aztèques, de leurs hiéro-
glyphes indéchiffrables sous leurs couleurs bariolées?
Mais oit nous conduirait la continuation de cette énumé-
ration, se bornât-elle aux épisodes principaux de la bio-
graphie du livre? Nous vous en épargnerons la suite, car
déjà vous nous concédez que vous êtes resté bien incomplet.Cet aveu est un commencement d'amendement, aussi nous
allons nous montrer bon prince, et vous faire crédit; mais
votre dette subsiste, gardez-en la mémoire.
§ VIII
M. Fertiault connait bien le livre qui instruit, celui quirécrée, celui qui fait rêver; il a parlé du livre qui transformeen Socrate l'époux d'une Xantippe, du livre qui console, et
294 LE LIVRE, A PROPOS liE L'OUVRAGE INTITULÉ
même du livre de ceux dont les yeux ne peuvent plus lire,
la mémoire.
Mais s'il a loué le livre pour les consolations qu'il procure,
il n'a peut-être pas suffisamment insiste sur les vices que le
livre prévient, sur les passions souvent ignobles auxquelles
il barre le passage dans le cœur de l'homme studieux. S'il est
des ouvrages qui, semblables au beau et ample bréviaire
offert à Rabelais, aient quelques « reigletz avec inscriptions
opportuneset conseillant de boyre vin blanc à prime, à
tierce, et none pareilleneent,et vin clairet à cespres et
compliea u, ils ne passent guère qu'avec le style et l'esprit
du joyeux auteur de Pantagruel, grâce auxquels le remède
est à côté du mal.
Notre poète s'est déchaîné avec raison contre le livre-mi-
traille du critique acerbe, à côté duquel il y avait place pour
le pamphlet violent de l'intolérance, de l'esprit de secte, du
fanatisme religieux ou politique; mais il ne devait pas
oublier ce livre que nous appellerons le livre-chatne, dont les
rudes étreintes serrent jusqu'à l'étouffement des millions de
créatures humaines, martyrs souvent volontaires, victimes
résignées qui vont jusqu'au déchirement des chairs, à la dis-
location des membres, aux flammes du bûcher.
Avec le code des rites et les lois de Manou, qui règlent
tyranniquement les moindres actes de la vie de trois cents
millions d'hommes, on ne peut s'étonner que la doctrine du
Tao ait attiré à elle tant de sectateurs, y compris les déses-
pérés du vide et des souffrances d'une vie décolorée, et leur
ait fait admettre commc fin désirable le nirvana sans reste,
ce huitième affranchissement dans lequel l'homme s'élève
jusqu'à l'anéantisseroent des idées et des sensations.
Le livre-chaîne se retrouve chez nous dans la règle du
cloître, attache plus solide que les verrous de fer, fermant
une porte inexorable, quoique ouverte du dedans, devant
laquelle expirent souvent impuissants les droits d'un père et
d'une mère, ainsi que les devoirs de l'amitié. Mais cet adieu
« LES AMOUREUX DU LIVRE » 295
il la vie de la société, aux relations de la famille n'cst dé-
sormais que volontaire. La porte redoutable n'a pas de
verrous pour quiconque veut sortir: elle ne cache plus que
des asiles où des âmes vor en tonte liberté se nourrir de
pieuses extases.
La chaîne ne pèse plus que sur les consciences: mais le
poids en a été jadis ressenti d'une marnière plus sensible, et
certaines pages des annates des cloîtres pourraient peut-être
offrir à l'historien le même genre d'intérêt que les registres
d'écrou des bastilles.
Le même souffle a dispersé ces ressorts uv, du livre-
chaine, souffle ardent, avivé par le succès, qui tend au-
jourd'hui non plus seulement à balayer des abus, mais à
anéantir les croyances, les principes, les idées, qu'on s'ima-
gine avoir donné naissance aux abus. Plus de lien moral de
l'homme avec un principe supérieur, et par conséquent des
hommes entre eux. Tout n'est que matière, mélanisme et
sensation organique. Le but que peut se proposer dans la vie
l'homme lié par les dogmes odieux de ce nouveau livre-
chaine consistera uniquement à procurer à ses organes les
sensations les plus agréables qu'il pourra réaliser impuné-
ment. Qu'importe le lien qui vous attache a cette agglomé-
ration de cellules dont les charmes vous séduisent, dont le
bien vous agrée Suffisamment imbu des doctrines nouvelles,
vous seriez singulièrement inconséquent, si vous hésitiez, à
en faire la proie de votre lubricité ou de votre amour de
l'or, sauf a l'envoyer, un peu plus tôt, rejoindre le magasin
général de la matière éternelle, dont elle est par hasard
sortie!
Tout horrible qu'elle paraisse, cette abominable théorise
aura sûrement plus de chance de recruter des prosélytes que
«:clle qui inspire les Sutties de l'Inde, les martyrs du pock-
kong, et les suspensions des dévots de la déesse Kali. Il semble
que l'humanité aime à osciller entre les extrême les plus
opposés.
296 LU LIVRE, A PROPOS DE L'OUVRAGE INTITULÉ
Le livre, cependant, lui fraiera quelque jnur le chemin
vers la simple vérité il fera oublier lea erreurs et les crimes
fameux du passé. Rri llant d'un vif cctat au-dessus des sou-
venirs de l'Inquisition, de la Saint-Barthélemy et des guerres
de religion, il nousmontrera la simpleet douce morale chré-
tienne que l'Évangile a concentrée en quelques mots. trop
oubliés, hélas!
Mais si les querelles du Sylla6us doivent .'oublier à la
longue, sauf pour les amateurs du Livre, qui y trouvnrunt
pendant de longs siècles encore des séries à compléter. il est
tout naturel d'attendre le même destin pour les catéchismes
de la doctrine de l'homme-animal. Pour ces livres extra-
vagants il ne sera pas nécessaire toutefois d'appeler l'attention
des bibliophiles. Cela viendra de soi-même.
Oui! ce sont bien des livres-chaînes ces impitoyables
théories du matérialisme, et ils vont plus loin que le niroana
sans reste leur objectif, à eux, c'est la mort sans phrases!
Vous ne les avez peut-être pas connues, ô mon poète, ces
chaînes nouvelles dont l'humanité ignorante et crédule
aimera à se laisser surcharger; mais, heureusement, votre
illustrateur, sans le savoir peut-être, leur a consacré une
admirable eau-forte, la dernière d'; votre volumc, celle que
vous avez intitulée épilogue, mais dont vous n'avez pas soup-
çonné la haute portée.
D'un énorme in-folio. sur le dos duquelon lit en grosses
capitales Sapientia,sort un génie narquois,
coiffé du bonnet
de la folie. Or. Sapientia,c'est la sapience, la science et la
sagesse,la l'intelligence,
et c'est de plusla saveur, le
goûtdes choses. Sapientia,
c'est donc la connaissance perçue
par l'intelligenceet mûrie par l'épreuve
de la sensation
physique.Comme ce mot est bien choisi pour nommer, par
ironie, cette science nouvelle qui se flat te de sonner bientôt
le glasde la science ancienne, avec laquelle,
à la vérité, elle
se montre peufamiliarisée!
C'est ce qu'abien compris votre habile artiste. Mais
1« LES AMOUREUX DU LIVRE » 297
pourquoi la folie moqueuse sort-elle de son livre? C'est
peut-être parce que, instruit par la pratique d'une vie
d'études, il se défie de cette sapienre nouoelle qui peut au-
jourd'hui servir de marchepied aux plus ignorants des
échappés de collège. sapience qui, elle, n'a nul besoin d'étude,
puisqu'il lui suffit ordinairement de beaucoup ignorer et de
nier le reste. Notre malin crayonneur aura peut-étre été
frappé subitement de quelque révélation des apôtres du néant
de l'âme, par exemple de la découverte de l'ataoisme, grâce
à laquelle il cessera de s'étonner que M. Leramard soit le
père de M. Becacorbin, ou bien de celle de la faculté des
conceptions religieuses par les animaux, constatée par une
récente observation d'une Société d'anthropologie dont quel-
ques membres ont eu la bonne fortune inouie de rencontrer
un gros chien se laissant impunément taquiner par un enfant.
Cela prouve bien, dit le rapporteur de ce fait, par lui sans
doute considéré comme extraordinaire, que le sentiment de
la religiosité n'est pas particulier à l'homme
Nous avons tous mille exemples à citer de chiens gros et
petite et d'autres animaux aussi tolérants avec les enfants
que celui dont la Société d'anthropologie a cru devoir re-
cueillir le très vulgaire haut fait. Nous avons nous-méme
possédé un bel épagneul, très méchant, toujours prêt à mordre
et mordant très souvent, que force nous a été de détruire.
Cet animal, dont la dent ne respectait ni l'âge ni le sexe,
avait aussi ses tolérances: il se laissait tracasser et maltraiter
par certains petits polissons, qui lui attachaient des tuyaux
du tôle à la queue ou l'affublaient d'une paire d'énormes
lunettes, qu'il portait avec un imlerturbable sérieux. Mais
Dahlia, c'était le nom du chien, n'avait nulle prétention à la
religiosité. Bien au contraire, nous avons toujours eu des
motifs de le suspecter de n'avoir jamais consenti à mordre au
Syllabus, car il mordait impitoyablement et traîtreusement
les jambes du président de Saint-Vincent-de-Paul.
La religiosité du chien démontrée par la patience de cet
29R LE LIVRE, A PROPOS DE L'OUVRAGE INTITULÉ
animal, connu depuis des sicctes comme léchant la main qui
le frappe La religiosité des animaux démontrée par leur
crainte de l'orage, ce qui permet de conclure à la non-reli-
giosité des gens qui, loin de craindre le tonnerre, en aiment
lus éclata et se plaisent à regarder do leur fenêtre ouverte
la magique illumination des éclairs! Voilà les découvertes
des modernes réformateurs, et tout est à l'avenant dans leur
métaphysique! La folie de notre artiste est donc bien mise
à sa place. Mais, qu'au nom d'une réunion de savant, on
vienne entretenir de pareilles puérilités un public qu'on
devrait respecter, c'est ce qui nous semble déborder consi-
dérablement sur les limites du vraisemblable.
Nous n'en remercions pas moins, pour la joie qu'il nous a
procurée, grâce à sa brochure, l'ingénieux divulgateur de la
suppression des livres qui lui déplaisent. Mais, vous, l'habile
burineur des Amoureux du Livre, n'éprouvez-vous pas
quelque démangeaison de faire sentir à votre planche d'acier
la morsure de votre pointe acérée, et d'enrichir la galerie si
bien commencée parles chiens religieux? Sans faire de longues
excursions scientifiques, vous saurez bien trouvez le serin qui
se précipite aveuglément pour mordre les doigts d'un maitre
qui le provoque amoureusement cette lutte inégale; le chat
miaulant plaintivement sous les étreintes des moutards qui
prétendent l'habiller en poupée et lui faire manger un po-
tage à la cuillére, et qui cependant retient paisiblement dans
leur fourreau de velours des griffes qui le délivreraient en
un clin d'œil de ces petits tyranneaux: et Coco, qui com-
mande l'exercice avec plus d'allure qu'un instructeur de la
territoriale; et Jacquot, qui siffle la Marseillaise; et cent
autres merveilles bien dignes de figurer avec le chien de la
Harraquc ou de La Palisse, c'est tout un
Mais, nous direz-vous, tout cela est connu, usé jusqu'à la
corde depuis six mille ans, depuis le cheval de la Bible qui
crie Allons! le chameau des hiéroglyphes qui sait danser,
le cheval qui se met tout seul en limon, jusqu'à l'araignée
« LES AMOUREUX DU LIVRE » 299
de Pélisson, jusqu'au lézard qui s'arrête chaque jour quand
il nous entend siffler!
Doucement c'était connu, archi-connu, j'en conviens, par
l'homme qui a une âme. Mais cet homme-là ne compte pas
dans la sapience nouvelle il n'a jamais su dire ce que pensent
les animaux Pour l'homme de la nouvelle doctrine, les
illustrations de ces vieilleries, si vous consentez à les entre-
prendre, susciteront des découvertes non moins prodigieuses:
par exemple, celle du sentiment du courage aveugle chez les
serines, de la mansuétude chez le., chats, du militarisme chez
les perroquets, de l'idée révolutionnaire chez les geais!
Et coilà, Monsieur, ce qui fait que votre fille est muette,
c'est-à-dire ce qui démontre que l'homme est un animal, et
qu'il n'y a pas eu besoin de créateur pour fabriquer un être
aussi stupide
Allons, auteurs des .1 moureux du Livre, remplissez votre
galerie! Vous voyez combien il vous reste de cadres vides
ce seront lus plus curieux tableaux de la collection
RECHERCHES
SUR LES
POIDS,MESURESET MONNAIES
I)ESANCIENSÉGYPTIENS1
AVERTISSEMENTPRÉLIMINAIRE
DansleprésentMémoire,je meproposede rassemblerles
pointsacquisence qui concernelespoidset lesmesuresquiétaient en usage dans l'Égypte pharaonique,et de faireconnaîtrequelques faits nouveauxrelativementaux mon-naies ou signes conventionnés d'échange de la même
époque.On ne doit pas s'attendreà trouver ici un traité métho-
diquesur la matière.Je necroispasque lesprocédésactuelsde la sciencede l'ingénieuret du mathématiciensoientap-plicablesau systèmemétriquedes tempspharaoniques;que.parexemple,unemesureou unpoidsétant connu,on puissepar inductionen déduire toute la série. Mais,lors même
que mon opinion sur ce point ne serait pas justifiée,jecroiraisagir prudemmenten laissantà d'autres le soin dedonner aux faits bien constatés les développementsqu'ilscomportent.Le rôle de l'égyptologueconsistesurtout à
1. Luà l'AcadèmiedesInscriptions,parM.deLongpérier.lesven-dredis4et11juin1875;publiédanslesMémoiresprésentéspurdiversSacants,1878,1"série.t. IX.1"partie,p. 65-110.—U.M.
302 SUR LES POIDS. MESURES FT MONNAIES
expliquer les monuments et les inscriptions, et c'est là une
tâche assez vaste et assex ardue. Dans le sujet qui nous oc-
cupe, par exemple, la moindre erreur d'interprétation ou
d'appréciationfausserait la base de toute recherche. Je me
bernerai donc à résumer les données des monuments en dis-
cutant le degréde certitude que ces données nous présentent.
POIDS
Jusqu'en 1861 il a été impossible de se former une idée,
même approximative,sur la valeur d'aucun des poids égyp-
tiens mentionnés par les textes. Le premier renseignement
certain a été fourni par le bel étalon qui faisait partie de la
collection de M. Harris, d'Alexandrie, et que j'ai fait con-
naître dans une dissertation spéciale'. Ce poids, qui est en
serpentinedu désert, est remarquable par sa belle conser-
vation le poli de sa surface n'est pas altéré. Il pèse
698 grains Troy, chiffre que M. Harris porte à 700 pour
tenir compte de l'usure superficielle. Une inscription très
nette en indique la valeur antique
Katis b, Trésor de On (Héliopolis magna).
Nous apprenons ainsi que 5 katis équivalent à 700 grains
Troy, c'est-à-dire à 45gr, 3586, et. par conséquent, que 1 kati
vaut 9gr, 0717.
Le poids kati a un multiple nommé outen. qui vaut
10 katis. c'est-à-dire 90gr,717;j'ai adopté, pour simplifier.
le chiffre de 91grammes.
1. Revue archéologique, nouvelle série. t. II I, p. 12[: cf. t. II. p. 107-
114 de ces Œuvres dicerses].
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 303
II ne paraît pas avoir existé de poids subdivisionnaire du
kati du moins, dans les comptes du laboratoire d'Edfou, iln'est jamais question que de fractions de ce poids. La sériedes dénominateurs va jusqu'à 45, mais il faut faire attention
que les Égyptiens n'employaient presque jamais de numé-rateurs supérieurs à l'unité, sauf pour la fraction2/7; parexemple, pour représenter8/9, ils écrivaient 23+16+130+145.
De même, on ne connait la désignation d'aucun poids mul-
tiple du kati autre que l'outen de 10 katis. Les pesages les
plus considérables étaient nombres en outens; on trouve,
par exemple, des pesages d'anneaux d'or ne s'élevant pas àmoins de 36.692outens' (plusde 3.300 kilogrammes), et des
quantités de blés et de farines pesant près de 400.000outens
(485 hectolitres ou 36.000 kilogrammes). Toutefois, il estcertain que, dans la pratique, les Égyptiens se servaient de
poids beaucoup supérieurs à 91 grammes. Dans les scènesde pesage on voit, soit sur le plateau de la balance, soit àcôté de l'instrument, des poids nombreux, généralementsous formes d'animaux, tels que bœufs, veaux, lions, hippo-potames, etc.; d'autres figurent la tête et l'avant-corps de.mêmes animaux: des poids plus petits ont la forme coniqueavec.calotte arrondie, comme l'ètalon de M. Harris, L'outeuest généralement figuré sous la forme d'une mince tire mé-
tallique reployée sur elle-même1. ou Il a aussiconsisté en une pierre cubique. celle que celle qui sert de0dèterminatif au nom des poids c-n général, et l'on voit surle, monuments une suite de parallélipipèdes du double, du
triple et même du quintuple du cube simple ce sont évi-
demment des poids de 2, 3, 4 et 5 outens. Les légendes hié-
roglyphiques qui accompagnent ces scènes donnent tousces poids, même ceux qui sont sous formes d'animaux, le
1. Denkmäler,III. pi. 39.d.2. Pleyte. Papyras liullin, pl. XI.
3. On de sert encore au Sennir de poids de cette forme (Wilkinson,
ThrEyypfians
in the Time of the Pharaohs. Loodon. 1857).
304 SUR LES POIDç, MESURES ET MONNAIES
nom unique d'outens, ce qui nous indique qu'ils n'ont pas
de dénomination particulière et qu'ils n'étaient désignés
que par le nombre d'outens qu'ils représentaient'.
L'Égypte nous a livré à profusion les monuments de sou
passé; cependant, en ce qui touche les poids et mesures.
il y a une pénurie dont on ne peut s'empêcher de s'étonner.
Le poids de la collection Harris est, à ma connaissance, le
seul échantillon portant la marque de sa valeur. A la vérité.
cette marque a une importance considérable, en ce qu'elle
rapporte le poids dont il s'agit la maixon de l'argent
(pa-hat),c'est-à-dire au trésor d'Héliopolis. On sait que le
trémr des temples et des résidences royales était le magasin
d'entrepôt des richesses de toute nature perçues par l'impôt
ou par la conquête. Il en était tenu une comptabilité très
détaillée. dans laquelle les poids sont constamment évalués
en katis et en outens. L'étalon Harris a donc une valeur
officielle particulière. On a voulu le comparer avec des poids
de même genre sans légendes et sans authenticité; mais les
considérations tirées de ces sorites de rapprochementsne re-
posentsur aucune base sérieuse.
Les poidsen forme d'animaux ont été communs à plusieurs
peuplesde l'antiquité: l'usage
s'en est conservé dans le nord
scandinave jusqu'àune époque
assez moderne'. Les collee-
tions égyptiennesn'en possèdent
encore aucun spécimen
authentiquede l'époque pharaonique
Deux bustes de bronze
munis d'une bélière, qui appartiennent auMusée de Leyde.
ont puservir de poids,
mais ils ne sont pasantérieures aux
temps des empereurs".
Le sol de l'Assyriea été plus
fécond sous ce rapport il a
1. Voir de belles séries de poidx figurés dans Lepsius. Denkmäler.
III. pi. 39; Dumichen. Historische Inschriften, t. I1. pl. XXIII:
Champollion. Notices descriptires.t. I, p. 510. etc.
2. Holmboe, Norske Vacgtlodder.Christiania. in 4', 1863.
3. Leemans. Monuments égyptiensJa Musee de Leyde. 2e partie.
pl. CCL. u" 643 et 644.
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 305
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. 20
livré au Musée Britannique une belle série de tiens de
bronze1. Mais s'il est vrai que les étalons assyriens soient
nombreux, aucun d'eux ne possède une signification aussi
précise que le poids de M. Harris.
§ II
MESURES DE CAPACITÉ
La détermination exacte du poids kati m'a servi à décou-
vrir la contenance de la mesure de capacité la plus usuelle
chez les anciens Égyptiens, celle qu'ils nommaient han ou
hin, et clui servait pour le mesurage des liquides, du
lait. du miel, de certaines graines, du raisin scc, etc. Des
comptes fort clairs et bien concordants m'ont montré que le
hin équivaut en poids a 5 outens d'eau ou de vin et à 7 outens
5 katis ou 7 outens et demi de miel. J'en ai conclu que la
contenance du hin était de 0h, 455. soit 46 centilitres en
nombres ronds et pour tenir compte de l'insullisance pas-.iblc du remplissage de la mesure'.
Le hin avait un multiple dont nous parlerons tout à l'heure.
mais il n'avait pas de subdivisions: les contenance. moindres
sont toujours exprimées en fractions de hin, Par suite des
exigences du système fractionnaire égyptien. la fraction du
hin s'est trouvée poussée jusqu'au trois cent soixantième:
il ne s'agissait toutefois que d'exprimer la fraction 7/120,ce quele scribe a fait de la manière suivante
2. Voir mon mémoire intitulé Détermination métrique dr drnrmesures égyptiennes de eapacité. Chalon-sur-Saóne, in 8°. 1S67): cf.t. III. p. 77-93,de ces Œuvres dicerses].
3. Lilmicben, Recueil d'inscriptions, t. p, 95, 96.
306 SUR LES POIDS, MESURES ET MONNAIES
II existait cependant deux instruments de mesurage exac-
tement divisionnaires dujiin.
L'un se nommait hibn, ou simplement
et servait pour l'encenset les autres parfumsprécieux il
valait 1/2duhin ordinaire,c'est-à-dire11 centilitres,
De la secondemesure divisionnaire,je n'ai rencontré
nullu part l'expressionphonétique;elle est constamment
désignéepar un hiéroglyphequi représenteune coupever-
salit son contenu,de l'ai appelée la tasse; elle était
contenuetrois foisdans le hin, et valait, par conséquent,
1;-)centilitreset 1/3.Elleparaitavoir serviuniquementà cer-
tains dosagesdans les temples,et nepeut guère figurerau
nombresdesmesuresusuellesde capacité.
Quelques-unsdes résultats signalésci-dessussont puicéa
dans les texte publiéspar M. le professeurDûmichen,dont
les nombreuxouvragesont rendu la sciencede si impor-
tant. services.C'estencoreà ce mêmesavantqu'on doit la
publicationdu calendrier sacré de Médinet-Habou,texte
précieuxon nousallonspuiserdes donnéesnouvellespour
le sujetqui nousoccupe.A M. Dümichenrevientd'ailleurs
l'honneurd'avoir le premiersuggérvl'explicationdu mé-
canismedes comptes assez compliquésque donnece ca-
Icndricr'.Onvoit, d'aprèscedocument,que,pour la consommation
du templedeMédinct-Habou,il devaitêtre livréjournelle-
ment desquantités fixesde certainesdenrées.Pour ce qui
concernele miel,la graisse,l'huile, etc., la livraisonquoti-
dienneest indiquéeenhins, et, enregardde chaquearticle,
le textea joute cela fait,parannéede365jours,tant d'apels
et de fractionsd'apet. Lecalculmontreque la mesurenom-
1. Dümichcn,lor.land.,pl.VIII,p.47.
2.' Altœgyptische Kalenderinschriftenan Urt tend Stelle gesammelt,
in-f°, 1866; Eine vor 3000 Jahren abgefassteetc..
in-f°. Berlin, 1870; Ueber einige altœgyptische Rechnungen(Journal
égyptologiquede Berlin. 1870. p. 41).
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 307
mée apet, vaut exactement 40 hins, c'est-à-dire
18ht, 40.
Dans ce tableau de la consommation annuelle du temple,
le groupeplein apet, est inscrit dans une colonne
spéciale, à la suite de plusieurs autres unités de mesure ou
indications d'objets, toutes écrites phonétiquement'. Cet
arrangement ne se retrouve plus dans aucune partie du ca-
lendrier, et l'on n'y rencontre pas davantage le groupe
L'unité de mesure qui y revient constamment
comme type de réduction et de comparaison n'est exprimée
que par le rléterminatif de c'est-à-dire par le saigne
isolé.
Des abréviations de ce genre sont familières à l'écriture
égyptienne. On doit d'autant moins s'en étonner que les cas
d'orthographe pleine pour les noms de mesures sont fort
rares; ces noms sont presque toujours représentés par des
signes conventionnels, soit figuratifs, soit génériques.
Il est donc extrêmement vraisemblable, malgré l'absence
d'une variante directe, que les mesures nommées
et sont les mêmes. J'accepte, des à présent, cette con-
clusion. et. pour simplilier les citations, je me servirai uni-
quement du mot "pet pour les désigner l'une et l'autre.
Nous verrons plus loin que apet ne peut excéder la con-
tenance de 18m, 40 que nous avons déterminée. Une preuve
que cette mesure ne peut non plus être notablement inférieure
a ce chiffre se rencontre dans la constatation qu'il devait étre
livré mensuellement pour l'approvisionnement du temple
Ij apets de braise djabou, copte carbo,
xaq, combustio), et le texte ajoute cela fait par an 72 apets.
1. l)ümicheo.Altœgyptische
Kalenderinschriften, pl. II.
2. On y trouve apet. nom d'une espèce de vase, mais non
pas comme unité de mesures.
30S SUR LES POIDS, MESURES ET MONNAIES
Or, G apets ne font qu'environ 1 hectolitre 10 litres, et l'on
ne peut guère supposer que les besoins mensuels du temple
aient pu être limités une quantité moindre1. En identifiant
le avec 4 0 et en leur attribuant à l'un et à l'autre
la contenance de nous satisfaisons aux vraisem-
blances, et nous pouvons, sans crainte, étendre à la
certitude que nous avons pour
L'absence d'indication phonétique est encore une cause
d'embarras pour l'étude de la mesure multiple de l'apet, qui
est désignée dans les textes et sur les monuments par les
signes ,J, fi. et par ce dernier hiéroglyphe ayant les bran-
ches courbées et arrondies en dehors à leur extrémité infé-
rieure. Le premier d,: ces signes qui sert de déterminatif
à l'idée compter, additionner, est, je crois, le seul qui soit
régulier, les deux autres me semblent provenir de transcrip-
tions arbitraires des abréviations hiératiques correspondant
à U. Quoi qu'il en soit, l'emploi de ces trois hiéroglyphes
pour désigner le multiple de l'apet est parfaitement établi.
Un assez grand nombre de mots ont pour déterminatif.
mais je n'en distingue aucun qui puisse s'appliquer avec
quelquevraisemblance au nom de la mesure en question.
M. Pleyte et M. Dümichen l'ont appelée tam ou tama, sans
développer leurs motifs. Mais ce que je sais des groupes
et ne me permet pas d'y voir l'in-
dication d'un instrument de mesurage. Pour ne pas adopter
un nom égyptien qui peut être inexact, je préfère accepter
provisoirementle nom de grande mesure, qui a, au moins,
le mérite de donner une définition correcte, car le est la
plus grande mesure de capacité que mentionnent les textes.
Dans les comptes du catendrier de Médinet-Habou sont
notés, pour chaque fête, le nombre de pains, gâteaux, mets.
1. Il s'y consommait aussi mensuellement 60 mesures de bois à
brûler; maisil est impossibled'apprécier l'importancede cette mesure.
DES ANGIENSÉGYPTIENS 309
etc., ainsi que la quantité de chaque espèce qui doit être fa-
briquée avec un apet de grains, ce qui fixe les poids obliga-
toires de toutes les pâtisseries. La même indication est donnée
pour ce qui concerne la fabrication du haq, bière. A la lin
de chaque énumération détaillée se trouve un double résumé,
ou l'on voit d'abord les quantités des grains nécessaires,
distingués en grains du Midi et grains du Nord, puis l'addi-
tiun de ces deux quantités. Les résultats chiffrés de ces opé-
rations montrent que le nombre total d'apets est toujours
réduit en grandes mesures a raison de 4 apets pour une
grande mesure; les quantités moindres d'uue grande mesure
sont exprimées en apets et fractions d'apet.
Voici, par exemple, l'addition du 26 de paschons, jour de
l'intronisation de Ramsès III
30,00 pains divers d'offrandes divines;
150mets;
30 cruches de bière.
cela fait
Grains du Midi grandes mesures :1et apets 3.
Grains du Xord grandes mesures 36 et apets 3
Total des grains grandes mesures 40 et apets
La contenance de la grande mesure était conséquemment
de 73lit, 60.
Il est assez remarquable que des mesures à peu près égales
ont été en usage dans un grand nombre de pays. Je citerai
seulement
La mine ou demi-setier de Paris. 84litres.
Le sac ancien de Bayonne. 79
Le setier ancien de Toulouse. 83
1. Dümicheu.,AltœgyptischeKalenderinschriften, pl. XI, c. lignes5
310 SUR LES POIDS, MESURES ET MONNAIES
La corba de Bologne 78 litres.
Le sac de Lucques 73
Le cuarteron d'Alicante. 73
La cuartera de Barcelone 71
La fanegad'O porto. 69
Le stajoancien de Trieste. 81
Le vierteld'Anvers. 80
Le scheffelde Brème. 74
Le scheffelde Cassel 80
Le vierteld'Altenbourg. 73
La coupeancienne de Genéve. 77
Le mut de Zurich. 82
Le loofancien de Riga. 69
Le medimmo de Chypre. 75
Je ne parle pas des mesures antiques dont la détermination
n'est peut-être pas bien assurée. Généralement les métto-
logues ont accepté dans leurs évaluations des éléments em-
pruntés à ce qu'on savait des mesure. égyptiennes, d'après
les données des auteurs. Cette base est moins que sûre. La
question exigera une étude nnuvelle lorsque le tableau des
mesures égyptiennes sera définitivement arrêté en vertu des
documentes originaux.
Quoi qu'il cn suit, la grande mesure égyptienne et les
mesures relativement modernes que je viens d'énumérer
équivalaient à un poids de grains de 55 a 60 kilogrammes.
C'est le fardcau qu'un homme du force ordinaire peut aisé-
ment se charger sur le dos et transporter à une certaine
distance.
Il existe dans le C'onte des Deux Frères un passage de
nature à nous donner quelque idée du poids probable de la
grande mesure. La femmv du frère aine, éprise de son jeune
beau-frère, lui déclare sa passion coupable dans une circon-
stance où elle l'aperçoit chargé d'un énorme vase rempli de
grains pour semences « Quelle est. lui dit-elle, la quantité
que tu as sur l'épaule? — Cinq grandes mesures (), lui
1DES ANCIENSÉGYPTIENS 311
n répond le jeune homme. Quel est cn toi, re-
n prend-elle alors; chaque jour j'admire ta force1. »
Cet épisode du petit roman égyptien nous montre qu'une
charge de cinq grandes mesure. de grains était l'indice d'une
force remarquable. Or cette charge représente 368 litres ou
276 kilogrammes.
S'il est vrai yue quelques-uns cie nos forts de la Halle ne
reculeraient pas devant l'effort nécessaire pour porter pareil
fardeau'. il n'est toutefois guère admissible que le poids do-
la grande mesure fût supérieur à celui yuc nnus avons dé-
terminé, car l'exploit du jeune Égyptien tomberait dans
l'invraisemblance, et il s'agit ici d'un fait dans lequel le
merveilleux n'a pas eu à intervenir.
J'ai expliqué tout a l'heure que les comptes du calendrier
de Médinet-Habou dénombrent la quantité de pains, gâteaux,
pastilles, etc., confectionnés avec chaque apet de céréales.
l'our bien me faire comprendre, je repruduis ici une ligne
du compte
Gâteaux ba, cuits à 20 pour un apet. gàteaux 8.
Ce qui signifie, d'après l'ingénieuse explication donnée par
M. Dumichen, qu'il doit être fourni 8 gâteaux Im, de 20 a
l'apet. Chacune de ces pâtisseries contenant 1/20 d'apet.les huit
seront comptées pour dans l'addition des quantités de
grains.
Il existe un décompte du même genre sur un monument
de Thouthmès III4. L'expression de Médimt-
1. Papyrus d'Orbincy, p. 3. lignes 5 et 6.
2. Assez communément. des sauw de graines pesant près de 200 kilo-
grammes sont portés à une certaine distance et montés par un seul
homme aux étages supérieurs des magasins.
3. Dümichen. AltœgyptischeKalenderinschriften. pl. XVII. 1.
4. Dümichen, loc. land.. pl. XXXIX et Xi..
312 SURLES POIDS, MESURESET MONNAIES
Habou y a pour variantc furmulc (lui su retrouve
aussi sur un édifice de Ramsès III'. II semblerait des lur, que
soit une variante de et, par conséquent, aussi une
designation du la mesure appelée apet, Quelques égyptologues
ont admis celle identité et ont encore donné la même valcur
appartiennent au même système que Le contraire ré-
sulte des mentions de l'inscription du temple de Sammch.
en Nubie, où sont consignées les fondations ùe Thouthmès II1
pour lu culte de Tatoun. Sur ce monument, les de grains
sont énumérés par quantités considérables, plusieurs cen-
taines, par exemple, sans jamais être convertis en ou
grandes mesures. Ensuite, au lieu de divisions fractionnaires.
comme le le6
a une mesure divisionnaire moindre
du vingtième, puisqu'on trouve des totalisations, telles (lue
425 ?et 20
Un décompte semble donncr à la valeur d'une moitié
de grande mesure. Si était égal à on pourrait con-
clure que vaut deux Mais d'autres décomptes in-
scrits sur le mèmu monument dunucnt des résultats tout
différents, de sorte que nous ne pouvons être certains de
bien saisir le mécanisme des chillres dans ces sortes de sup-
putations1.
Il faudrait peu de chose sans doute pour que la lumière
se fit; mais, en attendant, il vaut mieux réserver son opi-
nion que de proposer des valeurs non justifiées.
Les comptes du calendrier de Médinet-Habou présentent.
au premier coup d'œil, des contradictions choquantes. Aussi
M. Dumichena-t-il été amené conclure que, dans ces comp-
1. Champollion, Notices descriptices.t. II, p. 16.
2. Lepsius, Denkmäter, III, pl. 55.
3. Journal égyptologiquede Berlin, 1870. p. 45.
DES ANCIENSÉGYPTIENS 313
tes, le signe a du quelquefois être pris pour deux, trois
et même quatre les indications II.III et inscrites
sous le signe pour en indiquer la multiplication, ont pu être
négligées par les lapicides ou par les copistes. Ondevra aussi
tenir compte de la circonstance que le boisseau versant dus
grains est quelquefois figuré sans addition d'aucune espèce
et, d'autres fois, avec de petites lignes verticales placées
au-dessus. Les copies de M. Dümichen montrent deux de
ces lignes; le type hiéroglyphique de Berlin en a trois;
celui de l'imprimerie nationale les remplace par quatre
grains isolés dans et par trois dans Ces quatre
formes, qu'on a prises jusqu'à présent pour les variantes
d'un même signe, constituent peut-être une série de multi-
ples. l'uur élucider cette question, il faut soumettre à l'étude
des textes nouveaux et vérifier avec soin les copies de ceux
que nous possédons.
Je me dispenserai donc de proposer une valeur pour la
mesure i. ni pour sa subdivision Q,que je crois un peu in-
férieure a l'apet de 1S'40. Ce n'était pas toutefois une
faible contenance, car elle est prise comme type d'une
grande mesure dans la phrase suivante de l'inscription in-
scrite sur la base de l'un des obélisques de Karnak
J'ai donne pour cela (les obélisques) de l'or travaillé, je l'ai mc-
suré aui
comme des pierres'.
L'étude qui précède est fort loin de nous donner un tableau
complet et méthodique des mesures égyptiennes de capacité,
mais elle détermine sûrement la valcur de quelques-unes de
ces mesures et notamment celle des plus usuelles, savoir
Le hin 45 centilitres.
Le hibn111/2
1. Journal ègyptologique de Berlin, 1870, p. 45.
2. Denkmäler, III, pi. 24, o.
314 SUR LES POIDS, MESURESET MONNAIES
La tasse 151 3 centilitres.
L'apet et probablement 18lit, 40
Lagrandemesure 7360
Une autre mesure nommée tena( ) in-
tervient exceptionnellement dans les tableaux ducalendrier
de MédinetrHabou, mais n'entre pas dans les comptes pro-
prement dits. M. Dumichen a trouvé qu'elle équivalait à un
dcmi-apet ou au huitième d'une grande mesure, mais les
exemples qu'il cite sont loin d'être concluants, puisqu'il est
obligé de supposer que, dans ces exemples, est pris
pour deux Dans l'ensemble des comptes, le demi
est toujours représenté par la fraction, jamais par tena. Les
déterminatifs de tena sont et ft, c'est-à-dire l'indication
même de la grande mesure, et ces mêmes déterminatifs ap-
partiennent encore à d'autres noms de mesures. Conséquein-
ment ils ne nous apprennent rien concernant la valcur
spéciale du tena. Le mot tena signifie part, division. Comme
on se servait de cette mesure pour le miel, l'huile et la
graisse d'éclairage, l'encens, etc., il est vraisemblable qu'elle
était de capacité inférieure à l'apet. Je crois toutefois qu'il y
avait des tenas de plus d'une sorte.
Comme on le voit. la question est hérissée de difficultés.
Ajoutons encore que la plupart des noms et des indications
de mesures ne sont pas toujours employés dans les textes
pour leur valeur technique. C'est ainsi, par exemple. que
le signe de la grande mesure remplace quelquefois le
groupe qui s'applique àdes quantités variables de grains
en tas ou en sacs'. Apet nomme une espèce du vase (en copte,
poculum, calix). entre dans la désignation
d'une espèce de farine (sok) yui est mesurée au La
1. Voir mon ouvrage intitulé Mèmoire sur quelques données des
papyrus Rollin, dans le Journal ègyptologiquedr Berlin, 1869, p. 61|;
cf. t. IV, p. 37-50, de ces Œucres diverses].
2. Dümichen, Altœgyptische Kalenderinschriften, pl. X, lig. 24 et 25.
DES ANCIENSÉGYPTIENS 315
plus grande prudence doit, par conséquent, être observée
par l'investigateur dus textes au point de vue de l'élucidation
des questions qui nous occupe.
§ III
MONNAIES
Parvenus un Ilaut degré d'aisance et de culture intellec-
tuellu, les Égyptiens, même dès lu· plus ancienne époques.
avaient dû renoncer au système de simples échanges qu'on
suppose, à bon droit, avoir constitué tout le mécanisme
commercial aux temps de barbarie.
On voit, en effet, dans les scènes peintes sur les parois des
tombes contemporaines de la construction des pyramides,
des marchands assis devant leurs étaux et débitant du puis-
son, des vases, des cordons et autres objets d'ajustement,
des sandales, des éventails, des colliers, etc. Les marchés
publics ou les bazars étaient donc connus il y a cinquante
siècles. Quoique les objets donnés en payement ne soient
ps figurés, on est fondé à supposer qu'un commerce ainsi
organisé est une démonstration de l'usage d'un signe conven-
tiunnul de valeur. Cette conclusion est d'ailleurs en harmonie
avec ce que nous savons de l'état social et politique de
l'Égypte à l'époque dont il s'agit. En effet, le riche collier
garni d'émaux qui a servi à désigner l'or pendant toute
la durée de la monarchie égyptienne et même sous la domi-
nation romaine, se voit déjà sur le monument de Snefrou,
au Sinaï, le plus ancien titre historique qui soit daté par un
cartouche*.
L'usage de I:vbalance est étalement constaté aux dates les
llus anciennes. Déjà, sous la V. dynastie, Ics pharaons
1. Lepsius. Denkmäter, II, pl. 96.
2. Id., ibid., 11, pl. 2.
316 SUR LESPOIDS, MESURESET MONNAIES
possédaient unlieu spécial pour le dépôt des objets précieux
de toute nature (lui formaient leur trésor et celui de l'État.
et ce lieu était appelé la demcure de l'ayent (pa-hat) ou la
double demeure de l'argent'. Le poids de M. Harris provient
d'un établissement de ce genre.
Les monuments de l'ancien empire sont relativement peu
nombreux; je n'en connais aucun qui donne des détails sur
la nature des valeurs conservées dans le trésor. Nous savons
toutefois que Ies expéditions militaires la recherche de l'or
rucnuntent à cette datw reculée. C'est seulement à partir des
débuts du nouvel empirc que les scènes de pèsement des
métaux précieux deviennent communes. L'or et l'argent, en
anneaux de grandeurs variables, sont évalués en outens au
moyen des poids que nous avons fait connaitre. C'est sous
cette forme qu'ils ont servi de valeur conventionnelle
d'échange. Dans une circonstance, au lieu d'anneaux, le
plateau de la balance est chargé de pièces rondes percées
d'un trou au milieu, comme les monnaies chinoises2.
Bien que, comme je viens de ledire, l'or soit pesé en outens
et en katis, il ne parait pa, yuc l'outen et le kati d'or
aient servi de monnaie. Les textes ne mentionnent avec ce
rôle que l'outen et le kati de bronze.
Dès l'année 1862, j'ai signalé l'emploi de cette espèce de
signe monétaire dans un compte donné par l'un des papyrus
hiératiques du Musée de Leyde'. On y voit (lue des objets
de diverse nature, et notamment des outils do métal et des
toiles. sont estimés en outens de bronze. Le ren-
seignement ne peut pas être plus précis, Il est, du reste.
confirmé par plusieur, autres documents, entre autres par
lu décompte des objets donnés en payement d'un taureau.
que j'ai expliqué dans ma troisième série de Mélanges égyp-
1. Lepsius, Denkmäler, 11.pl. 77.
2. Id., ibid., II, pl. 39. fi,
3. Mélangeségyptologiques, 1" série, p. 18.
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 317
tologiques1. Huit articles sont évalués en outens de bronze.
et un neuvième consiste en cinq outens de bronze qui furent
donnés, comme nous dirions aujourd'hui, en numéraire.
Parmi les inscriptions écrites sur matières dures réunies
au Musée Britannique. il en est deux tlui élucident claire-
ment l'emploi de l'outen comme signe monétaire tle valeur*.
Elles ont été expliquées par mon savant collègue et ami.
M. le docteur Birch', dont je modifie sur plusieurs points la
traduction dans les explications qui vont suivre.
II s'agit de deux fragments de pierre calcaire portant des
comptes en beau type hiératique de l'âge des Ramessides.
Ces fragments ont été brisés depuis leur utilisation, aussi
les textes n'y sont plus complet. Malgré la beauté et la
netteté de l'écriture, il y a quelques difficultés de déchiffre-
ment, dues surtout aux abréviations usitées pour les expres-
sions les plus ordinaires des documents de comptabilité.
Je puis toutefois proposer la traduction suivante (n° 5633,
recto)
Pour faire connaitre tous les objets pour payer (iri un groupe
indéchiffrable) la femme Oubkhet4:
Un vase à libations en bronze, en poids 20 pour 5Uoutens'.
1. Mélangeségyptologiques. 3' série. p. 217.
2. Inscriptionsin the Hieratie and Demotic Character, pl. XVI.
n' 5633. recto et verso, et n' 5636.
3. Journal égyptologique de Berlin, 1868, p. 37.
4. C'ext le nom de l'une des victimes du criminel dont le papyru.
Salt expose les méfaits (Chabas et Birch, Mèlanges égyptologiques.
3° série, t. 1. p. 181).
5. On trouve ici la même indication qu'au papyrus n" 352, ligne 2,
dt- Leyde le chiffre 20 suit un groupe assez obseur et ne se réfère ni au
nombre d'objets ni à leur valeur.
6. Le signe hiératique est altéré; il me paraIt impossible d'y voir le
chiffre 1. Au papyrus Je Leyde, yue je viens de citer, il s'agit aussi
d'un objet de bronze pesant 20 et valant 40 outens-monnaie. Les anciens
scribes ont quelquefois transcritou
le groupe par
abréviatiou du signe hiératique de l'anneau ployé.
318 SUR LES POIDS. MESURES RT MONNAIES
line aiguière de bronze. pour.12 outens.
Un vase merekh en bronze, forme de taureau, pour 5'
Un vase ousham en brunze', pour.2
Un couteau, pour.:i
Un djarabou (arrosoir?). pour.2
Un vase batiti. pour. (ici rupture de la pierre).
Une seconde colonne de ce côte de la pierre ne donne que
des mentions incomplètes.
La première colonne du revers est dans le même cas. De
la deuxième, quelques groupes laissent prise au doute. On
trouve aux lignes 1 et 2 de cette colonne l'indication de plu-
sieurs objets cinq vases, quatre nattes, dix trois sièges
et trois cotires funéraires, le tout faisant 11U outens.
Aux lignea suivantes, on lit les évaluations ci-après
Un vase alelou 111outens.
Un rasoir de bronze' 1
Un vase djadj de bronze'4
Une passoire'
Le second compte (calc. n° 5636) laisse distinguer les men-
tions suivantes
1. Le merckh est le vase de la clepsydre. Le chiffre 5 diffère de 1 par
un petit crochet supérieur, qu'on distingue encore assez bien pour m- pas
le transcrire par 1.
2. l'n va-e de cette espèce est figuré sur la stèle éthiopienne du roi
A.palat. En présentantdevant Ammon son épouse Matusenen, ce roi
tenait un ousham d'argent de la main droite et un autre vase d'argent
sans anses de la gaurche (voir P. Pierret. Études égyptologiques.
1" partie. ligne 11).
:1. makhakou, rasoir, de khakou, raser, Le rasoir
égyptiensert de déterminatif.
1. Cette espêce de vase est figurée dans les listes d'offrandes.
comme dans passer au finge.Des vases de ce genre sont figurés ans
Wilkiaton. The Egyptiansin hte Time of the Pharaohs. p. 59.
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 319
Pour faire connaître tous les objets (qui sont) à l'ouvrier
Amenshau
Une natte (ou couchette) de bois. 2 outens
Une chèvre. 2
Une paire de canards.
Uu éventail.
(lacune) coupé.
Outen de bronze donné par la main du porteur
syrien N. 1
Total.
Il y a lieu de penser que ces comptes se réfèrent a un in-
ventaire ou à un partage dans une famille de très modeste
aisance.
Un voit clairement, dans les textes qui précèdent, que
l'outen n'y est pas employé comme mesure de poids. En
effet, une chèvre pèse plus de 180 grammes et une natte ou
couchette de bois, plus de 225 grammes. Le rôle de l'outen-
monnaie ne peut y être méconnu. La mention d'un certain
nombre d'outens donnés en numéraire n'est pas moins con-
cluante. Il y a lieu de remarquer, en outre, que. dans presque
tous les articles, l'outen est nommé sans indication de la
nature du métal, mais que, dans l'addition qui est juste, le
tmtal est spécifié en outens de bronze. L'nuten de bronze
était donc la monnaie courante, et notre dernière citation
textuelle montre qu'il ne se divisait pas en katis comme
l'outen-poids, mais en fractions d'outens nous ne con-
naissons encore que celles de' et;
Divers monuments originaux nous montrent aussi l'outen
de bronze donné en payementde salaires. Certains empluyés
1. M. Pleyte a bien reconnu la valeur des signes représentent dans
ce teste la fraction 1. Voir Journal égyptologigue de Berlin. 1871, p. lti.
Cest fractions sont mentionnées dans les comptes que je viens
d'expliquer et dans un papyrus de Turiu (Pleyte et Rossi. Papyrus de
Turin, XCI. ligue 3).
320 SUR LES POIDS, MESURESET MONNAIES
à lt solde des temples recevaient cinq outens par mois': il
était fait. auxsemtot ou manœuvres des distributions en outens
de bronze1.
Mais aucun texte iLmoi connu ne fait mention de l'nuten
d'or-monnaie; la phrase de l'ostracon Cailliaud, dans laquelle
M. Th. Devéria l'a signalé dubitativement comme repré-
sentant la valeur d'une certaine quantité de poissions, est
tout à fait incertaine3. Un voit cependant, par le compte du
prix du taureau, déjà cité, qu'il a été donné, en payement.
de l'or ou quelque objet d'or1. Mais ici encore le texte n'est
pas complet et ne peut permettre que des conjectures.
Nous ne sommes pas beaucoup plus avancés pour ce yui
cancerne l'outen d'agent. Toutefois, M. Brunch a signalé
à ce propos un monument très important, qui malheureuse-
ment n'a pas encore été publié. Il s'agit d'une stèle historiquc
dc Kom-es-Sultan, à Alydn., datée de la XXIIe dynastie.
dans laquelle est relatée l'accluisition de divers terrains avec
indication du prix payé. D'après les passades cités par l'égyp-
tologue allemand, un champ do 50 mesures sala a été payé
outens d'argentet un autre de 100 satas.
10 outens d'argent Le renseignement est des plus précis,
mais la publicationd'un fac-similé du monument n'en reste
pas moins très désirahlc.
Malgré la rareté des témoignages monumentaux, nous
devons admettre 1existence aux temps pharaoniques de
l'outen-monnaie en or et en argent; il y a seulement licu de
croire que l'usage n'en était pas aussi fréquent que celui de
I'outen de bronze. L'une des belles stèles éthiopiennes dont
M. Mariette a enrichi le Musée de Boulaq fait connaître
1. Papyrus hiératiques deTurin, p. 91. 2.
2. Papyrus Anasiasi III, p. li,l. 12.
3. Mèmoires de la Sociètè desAntiquaires de France,
t. XXY.
01. Mélanges ègyptologiques, 3° série,t. l. p. 222.
5. Journal éyypioioyiyue deBerlin, 1871. p. 85.
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 321
B!BL. ÉGYPT., T. XIII. 21
d'une manière fort précise une subdivision de l'outen d'or
qui se rencontre dans l'énumération des largesses du roi
Horsiatef en faveur du temple d'Ammon à Napata
II arriva, dit le roi, que je portai mon regard sur le temple d'Apetde Nap. On en avait enlevé l'or. Je donnai au temple d'Apet une
masse d'or de 40 outens faisant 5.120 paks.
Puis il cite deux autres actes de libéralité, l'un de la même
quantité de 40 outens, l'autre de 20 outens seulement, et il
constate que le total est de 100 outens d'or'.
Ce texte nous montre qu'il existait une pièce d'or nommée
Notre pièce actuelle de 5 francs d'or pèse 1gr,6. La pièce
éthiopienne devait étre très petite* on ne peut lui supposer
d'autre usage que celui de monnaie, mais rien n'indique que
cette monnaie ait jamais eu cours en Égypte. Il s'agit, selon
toute vraisemblance, d'un fait spécial à l'Éthiopie. Mais, en
ce qui concerne les écritures égyptiennes, il est vrai de dire
que le fonds n'est jamais épuisé. Un document publié par
M. Mariette met en évidence le fait du monnayage de l'or
et de l'argent, ou du moins de l'emploi de ces métaux comme
signets monétaires.
Je veux parler du papyrus hiératique qui porte le n" 11
dans la publication faite par le savant directeur des monu-
ments historiques de l'Égypte3.
D'après les indications sommaires données par M. Ma-
riette, ce manuscrit a été découvert, avec les nos 10 et 12 de
1. Mariette-Bey, Mo numents divers. pl. II, XXIV à XXX. Au pou-
voir actuel de l'or. 100 outens représenteraient plus de 31.000 francs,
mais, à l'époque, cette valeur était bien plus considérable.
2. LesMalgachesdécoupentla piècefrançaised'argentde5francspourformerleursmonnaiesdivisionnairesdontlavaleurestdéterminéeparleurpoids.Ilsdescendentjusqu'àla fraction1/72,valsant7 centimes.à laquelleilsdonnentlenumd'iranambatry.
3. Les Papyrus ègyptions du Musée de Boulaq. t. Il. pl. III et IV.
322 SUR LES POIDS, MESURES KT MONNAIES
la même collection, dans les décombres de l'Assassif, à
Thèbes. Cette origine ne nous fournit, ainsi que l'a fait re-
marquer mon savant confrère, aucun renseignement utili-
sable pour déterminer la date de ces documents; mais leur
type graphique est celui de l'époque dite des Ramessides,
lequel a persisté de la XVIII· à la XXIIe dynastie.
On pourrait peut-être admettre une marge moins ample,
en tenant compte d'un passage inscrit à la dernière ligne du
recto du papyrus n° 10, qui mentionne le nom de l'un des
Aménophis (XVIIIe dynastie). Ce nom n'est nullement in-
troduit dans le texte d'une manière incidente, comme semble
le craindre M. Mariette, et le papyrus n° 10 peut très bien
des lors remonter à la XVIIIe dynastie. Or, ni les particu-
larités de l'écriture, ni la spécialité des noms propres, ni la
nature du texte ne s'opposent à ce que la même date soit
attribuée au n° 11. Toutefois, sans affirmer qu'il ait été écrit
il y a 35 ou 36 siècles, nous pouvons, au moins, le considérer
en toute assurance comme étant l'un des nombreux débris
des écritures égyptiennesà nous légués par la grande époque
pharaonique qui vit les Pisteurs expulsés, l'Asie soumise,
les premières expéditionsdes nations européennes et l'exode
des Hébreux, suivi d'une période de désordres et d'affaiblis-
sement, puis les règnes prospères de Ramsès III et de ses
premiers successeurs.
La détermination de cette date est de quelque intérêt dans
la question qui nous occupe, car elle tombe à une époque de
grand développementde la puissance égyptienne. En aucun
autre temps les armes et le commerce de l'Égypte n'avaient
été portés plus loin: jamais plu, de richesses, plus de dé-
pouilles des peuplesvaincus n'avaient été entassées dans les
trésors des temples; jamais on n'avait construit d'édifices
plus vastes et plus somptueux. C'est la grande époque de
l'indépendance nationale; toutes les indications qu'il nous
sera donné d'y recueillir peuvent être regardées comme
s'appliquaut bien spécialetneutaux sciences et aux usages
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 323
véritablement égyptiens. Nous n'aurions pas la même assu-
rance à l'égard des renseignements puisés dans les documents
de l'époque des Lagides et des
empereurs.Le papyrus, objet de notre
étude, est undocumentdecomp-tabilité de la nature la plus vul-
gaire il consisteen trois pagesaurecto (pl. III) et deux au verso
(pl. IV) de la publication deM. Mariette. C'est dans cettebelle publication qu'on pourraconsulterletextehiératique,dont
jedonneplusloinla transcriptioncomplèteen hiéroglyphes,suivied'une traductionlittérale.
L'écriture de ce documentestunpeu hâtiveet néanmoinsassez
lisible,saufdansun ou deuxpas-sages elle présente cependantunpoint dedifficultédes plusre-grettables dans la ligature quidésigne ou nomme la monnaied'or et d'argent.La mêmediffi-culté existerait pour la plupartdes sigles hiératiques qui dési-
gnent l'outenet lekati 0
dont fort heureusementles ex-pressionshiéroglyphiquesabon-dent sur les monuments. Pourreconnaîtrela formeet la lecturedu nom de la monnaiemention-néeau papyrusde Boulaqnu11.nous serons forcés d'attendre qu'on en ait aussi retrouvé lecorrespondant hiéroglyphique. J'ai rassemblé sur la page
324 SUR LES POIDS, MESURES ET MONNAIES
suivante toutes les variantes, parmi lesquelles on remarquera
des formes très différentes entre elles. Quelques-unes se
prêteraient aux lectures suivies du signe
leur ensemble se réfère augroupe
hirou, qui signifie-
rait faces, figures.Toutefois le point est trop douteux,
quant présent, pour nous permettrede représenter ce
groupe par un mot égyptien quelconque.Afin d'éviter tout
malentendu, je me servirai du mot français pièce, qui, s'il
n'en est pas la traduction, en donne au moins une définition
On voit, au premier coup d-œi1. qu'il s'agit d'un compte et
de denrées diverses livrées à des dates comprises entre le 15 et
le 28 de paophi d'une année qui n'est pasindiquée. A
la co-
lonne B du verso reviennent les dates du 18 et du 19 paophi,
déjà mentionnéesla première colonne du recto seulement
la partie prenanten'est pas la même. Cettte circonstance
nous montre que nous avons affaire, non pas a un registre de
comptabilité, mais a une feuille de notes volantes tenue
par quelque surveillant pendant une quinzaine et rlestinées
à être reportées sur le registre du comptable.
Les individus auxquels sont faites les liv raisons sont des.-
gnés par le groupeshouit, qui ne
se ren-
contre pas souvent dans les textes, exemple le plus signi-
licatif que j'en connaisse se lit dans le long discours de
Séti Ier, sculpté sur la façade principale du temple d'Abydos.
Le pharaon y rappelleà Osiris, dieu du temple, les édifices
qu'il lui a élevés et les richesses dont il a dote son culte
J'ai placé pour toi. dit le monarque égyptien, un vaisseauchargé
de ballots sur la (.randc-Mer. A toi sont présentés les trésors du
To Nuter et des shouti faisant shouti, avec leurs apports et leurs
marchandises, parmi lesquellesil y a de l'or, Je l'argent et du
bronze'.
1. MarietteBey. Abydos,1. 1 pl. VIII et LXXXIV.
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 325
L'idée qui se présente naturellement à l'esprit pour tra-
duire J'expression des shouti (ou shouit) faisant shouti avec
des marchandises, est évidemment celle de marchandes
faisant le commerce. Nous voyons, en effet, que les shouti
du texte d'Abydos s'occupent de marchandises et apports
divers, entre autres de l'or, de l'argent et du bronze. A
ceux de notre papyrus, il est fourni à des dates fort rappro-
chées des quantités de viandca, volailles, vin, pâtisseries,
etc., assez considérables pour écarter l'idée de simples con-
sommateurs. Ce sont donc bien des marchands', et, sur ce
point, la vraisemblance devient une certitude lorsque l'on
considère que le copte a conservé le mot de la langue an-
tique dans negotiari, mercatores.
Cette explication donnée, nous allons traduire le texte
entier, qui n'offre que de médiocres difficultés dans sa dis-
position et dans sa teneur. Nous aurons toutefois a dixuter
un assez grand nombre d'expressions techniques du boucherie,
que nous ne réussirons pas toujours à identifier avec des
termes correspondants de la boucherie moderne. Mais, s'il
reste quelques doutes sur la spécialisation de quelques ex-
pressions de ce genre, l'incertitude ne porte pas sur le point
essentiel de notre étude.
1. Celte interprétation a déjà été proposée par quelques égyptologues,
entre autres par M. l'Icyte.
326 SUR LES POIDS, MESURES ET MONNAIES
PAPYRUS DE BOULAQ Nn 11
(Mariette-Bey,t. II, pl. III)
COLONNE 1a
1 l'aophi 15. Livré au marchand Khemnakht
2. Têtes debœufs' 3; de veau' 9;
3. De bouvillon', cuisse 1 cela fait pièces 3 1/2;
1. aaon. Ce mot ne s'est pas conservé dans le copte, à
moins qu'il nese soit transforméen jumenta. En égyptien, il désigne
le bœuf parvenu à sa croissance, celui dont la tête, armée de cornes,
pouvaitêtre dangercuse (Papyrus magique Harris, pl. A, l. 1 et 2).
L'aaon est flguré nombre de fois ·ur les monuments cormme animal de
boucherie. Il faut. toutefois, supposer qu'il s'agit du bétail dont la tête
était comestible. l)e nos joursla tête de veau x plus de valeur que celle
de bœuf.
2. Ici le texte se sert uniquement du signe hiératique qui représente
le bœuf. Cette différenciation est observée dans la suite du texte. Peut-
être s'agit-il de la vache. La tête dc veau était un morceau de choix
elle figure constamment dansles offrandes. La tête dc bœuf n'est guère
comestible; elle avait peut être quelque autre usage. Je ne connais qu'un
seul exemple de la tète de bœuf, munie de es cornes, présentée en
offrande. Les égyptiens mangeaient le bœuf a ses divers degrés de
croissance.
3. variante de oun, jeune bœuf, Goueillon, tau-
rillon. L'animal est figuré sur les monuments sous la forme d'un gros
veau.
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 327
4. Donné pour l'élevage' cela fait pièce 1 L
5. Total, pièces d'argent 5: cela fait pièces d'or a.
li. t'aophi l6. Livré au marchand Khemnakht
7. Tête de breuf 1 cela fait pièce1/2;
li. De veau, têtes 5; ——1/2;
9. Donne pour l'élevage, cela fait pièce1/2;total pièce 11/2.
10. l'aophi 17. De nuuveau, à lui livré viande de bœuf2
1. kenken. Ce mot signifie battre, frapper, bâtonner,
mais il se dit aussi de l'élevage, du dressage des animaux. Dans an
curieux papyrus du Musée de Lcydc sont énumérécs un grand nombre
de suppositions singulièresavec les conséquences qu'entraînerait
leur
réalisation, il y est question entre autres bizarreries de l'hypothèse de
rois employés à élevcr du bétail et de la volaille. Le texte relatif aux oies
est seul complet: mettez les rois à èlever (kenken) les oics, c'est donne
les dirnr pour payer le bêtail (l'apyrua hiératique de Leyde. n' 344,
p. 8. 1. 12). le dressage des animaux exige l'emploi du bâton; de là
dérive l'acception spéciale du mot kenken. Dans le même ordre d'idées.
le groupe sebaon signifie à la fois corriger, punir et élecer, instrnirr.
2. L'expression viande de bœuf annonce une énumération de mor-
ceux, c'est-à-dire les deux entre-cuisses inscrits à la ligne 11.
328 SUR LES POIDS, MESURES ET MONNAIES
11. Entre-cuisses 2 de veau. cuisses 3 entre-cuisses 1;
12. Pied de devant 1; cela fait pièce d'or1/2.
13. l'aophi 18. De nouveau, à lui livré vin khet2 mine 1:
14. Cela faitpièces d'or 41/2.
15.4. De nouveau. à lui livré viande de veau:
16. Têtes de veau 8: obélisque plein de morceaux de viande l':
1. mesti. ("c,t un des noms des deux jambes. En parlant. des
animaux. il se dit des jambesde derrière et. en particulier,
de la partie
'lui touche aux organes de la génération. Dans les textes d'Edfou. pu-
bliés par M. Naville (pl. V. l. 5). le huitiéme coup de pique ouvre le
mesti de l'hippopotame,et la vignette montre l'arme pénétrant dans le
bas de l'échine, prés de la queue de l'animal et sortant entre ses cuisses.
Le terme exact de boucherie ne m'étant pas connu, je me sers du mot
entre-cuisses qui désigne bien la partie.
2. La lecture khet n'est peut-être pas compléte. Ontrouve quelque-
fois cette abréviation du mot khetem. sceller, fermer. On pourrait
songer a du vin cachete.
3. Passage indéchillrable. On s'attendrait à y trouver la date du
nLes Égyptiens se servaient de vases
ayant laforme d'un obélisque, et auxquels ils donnaient aussi le nom
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 329
17. Mets préparé' 1: poitrine' 1: gras 1 de pnitrine 1 cela fait
pièces d'or (nombreefface).
PAPYRUS DE BOITLAQ N" tl
(Mariette-Bey, t. II. pl. IIII
COLONNE 2
1. Paophi 20. Livré à Khemnakht
2. Viande fumée' 1; entre-cuisses 1
d'obétisques(tekhen). Des vases de cette espèce étaient destinés à len-
cens. D'autres contenaientdes mets préparés (shaï). Dansnotre papyrus.
le contenu de l'obélisque-vasen'est désigné que par le déterminatif dex
mots qui nomment les parties du corps, et le shaï ou mets prèparé
fnrme un article particulier.
1. shaï. Les textes montrent qu'on employaitdela farine
et quelquefoisdu veau et du gibier pour la confectiondes shaï. C'était
un metn préparé analogue à non pâtés; il y en avait de formes très
variées, ronds, oblongs, carrés, coniques,etc.
2. skhen. C'est la partie de l'animal comprile entre les
pattes de devant.
4.auf kapou. Ce dernier mot se dit des
fumigationxplutôt que de la cuisson proprement dite.
330 SUR LES POIDS, MESURES ET MONNAIES
3. Gite à l'os1 1; mets préparé 1; poitrines 2 1/2,oie11/2;cela fait
pièces d'or 1
4. Viande dépecée 2, minc 1; cela fait pièce d'or 1 total.
piéces 21/2;
5. Ce jour-là, livré au marchand Sheraouhan
fi. Cuisses 3; têtes 4 collets32
7. Vin. 1; cela fait pièce d'or 1;
8. Mets préparé 1 (viande') fumée 1 cela fait pièce d'or 1.
1.sont.
Les monuments représentent le sont sousla forme
d'un gros osà deuxcomdyles garni de viande. C'était J'undes murceaux
2.oufter. Trr signifie détruire. C'est peut
être la chair d'un animal tué par accident. Jacob. pasteurde son bt-au-
pére Laban. se vantait de n'avuir jamais ramené de c'est-à-dire
de pecudesdilaniatœ ceferis (Genèse, chap. xxxi. vers. 39).
3. sams. Ce mot se rencontre encore une foisdans notre
papyrus et lie m'estconnu par aucunautre exemple. Mais il existe un
mot samqueje crois être le nom de la nuque: il est quelquefoisdéter-
miné par le signedu cheveu. C'estprobablement le morceauaujourd'hui
nommécollet.
4. Signes illisibles.
5. Le scribeaoublié ici le mot auf, ciunde.
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 331
9. Le 21. Livré au marchand Khemnakht
10. Viande de bœuf tète 1; cela fait pièce d*argent 1/2.
11. Paophi 22. Livré à Khemnakht cuisse 1; cela fait pièces
d'argent1/2.12. Le 23. Livré au marchand Sheraouban
13. Cuisse 1 têtes de bœuf (nombre effacé).
14. Mets préparé 1; poitrines 4; cela fait pièce d'or 1.
PAPYRUS DE BOULAQ N° 11
(Mariette-Bey, t. II, pl. III)
mCOLONNE 3
1. Paophi v4. Livré au marchand Khemnakht
2. Vin khet. cela fait pièce d'or 3
332 SUR LUS POIDS, MESURES ET MONNAIES
3. Livré au marchand Sheraou(ban)1
4. Tête de bœuf 1; cela fait pièce d'argent 1/2;
5. Tête2 1 collet 1: cela fait pièce d'argent1/2.
(i. Paophi 25, Reçu du marchand Beka
7. Pièces or 21/2pour découpage1 de viande.
8. t'aophi 274. Livré à Khemnakht
9. Tête de veau 1 cuisse de bœuf
10. De veau, cuisse 1 cela fait pièce d'argent 1.
1. Le scribea cublié Ix dernière syllabe du nom.
2.Alaligne5.latèteestdésignéeparlegroupe tandisqu'ila
ligne4c'est copte lesdeuxexpressionsontlamême
valeur.3. Les lois rituelles réglaient les opérations du
découpagedes animaux d'oblation.
4. 11sembleque la date du 26ait été oubliée. Mais le scribe négligent
a pu se tromper dans l'indicxtioa des jours: au lieu de 27 et 28. il a
peut-être voulu écrire 26 et 27. La onfusion est facile en hiératique.
5. Le nombre n'est pas inscrit.
DES ANCIRNS ÉGYPTIENS 333
11. t'aophi 28. De nouveau livre' au marchand Khemnakht
12. Viande de bœuf tfte 1 bout de pied 11 onglon.2;
13. Aloyaux3 2: côtes 8 8pointrines 51/44 jambe de devant 1
14. De veau. longe 1 graisse, pains pyramidaux 4 4
1. nn. C'est le nom de la patte, de la gritte des animaux;
pour le bœuf. il faut probablement l'entendre de la partie inférieure de
la jambe.
2. abt. en copte ungula. Nous sommes ici dans les
bax morceaux.
3.sediau.
D'après les papyrus de recettes médicales.
t'est une partie du corps où se produisaient des échauffements ou inllam-
mations. On les guérissait quelquefois au moyen de rouleaux magiques
appliqués sur la partie malade: ce doit être la région des reins. où se
trouve l'aloyau chez le bœuf. la longe chez le veau.
4. Les côtes étaient apparemmentdh isées par quarts nu par quartiers.
comme on dit de nos jours.
5. kab. copte le bars. Dans l'animal, cr doit être
la jambe de devant.
n. Il y avait des pains et des pâtisseries de fnrme pyramidale: les
préparations en forme d'obêlisques étaient moins nombreuses. 11y en
avait aussi qui figuraient des forteresses crénelées et qui pourraient
passeurpour des tours de force culinaires.
334 SURLESPOIDS,MESURESET MONNAIES
PAPYRUS DE BOULAQ Nu 11
VERSO
(Mariette-Bey, t. II, pl. IV)
Aa
1. Livré à Peanirshaouf 1
2. Têtes de bœuf2 2 cela fait pièce d'or1/2.3. Livré à Peanirshaouf
4. Viande de bœuf fumée 1 cela fait pièce d'or 1.
PAPYRUS DE UOULAQ N° 11
VERSO
(Mariette-Bey, t. II, pi. IV)
B a
1. l'aophi 18. Livré à Ab3
1. La dernière syllabe de ce nom propre n'est pas absolument sûre.
2. Le chiffre est altéré il ponrrait y avoir 3.
3. Ce nom, qui signifle la soif et le reau. est déterminé par le veau
sautant. Il a été assezusité à toutes les époques.
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 335
2. Vin khet. 1 cela fait pièces d'or 3.
3. Cuisse de bœuf 1 cela fait pièce d'or1/2;
4. Tètes de veau 5; cela fait pièce d'or total, pièces d'ur 4.
5. Paophi 19. Viande, cela fait pièce d'argent 1/2;6. Vin khet. mine 1 cela fait pièce d'or'.
7. Le 20. Livré à Ab viende d'aloyau (lacnne);9. Fraises' 2; entre-cuisses de veau 1 côtes 2: de bouvillon.
têtes 2; de veau, cuisse 1;
1. haoou. Cette forme alterne avec l'orthographe plus
ordinaire dont l'expression phonétique est la même. Ce mot dh.
signe, en général, dans les textes ordinaires les chairs, les muscles.
le corps, abstraction faite des os qui sont nommés à part. On traduit
quelquefois haoou par les membres, mais le groupe régulier est, dans ce
gronpe a radicalement une valeur particulière. qui a été conservée dans
la technicité de la boucherie. et dont nuus retrouvons peut-être les traces
dans le compte YH,le centre, l'intérieur du corps. Un texte égyptien con-
tirme cette supposition en nous présentant les haoou comme la cavité
336 SURLES POIDS,MESURESRT MONNAIES
9. Cela fait pièce d'agent 1 meta (,pet préparé' 21/2;cela fait
pièce d'or 1.
Pour bien comprendre la signification des comptes qui
précèdent, il suffit de se rappeler que les temples de l'Égypte
possédaientdes domaines dont les produits étaient affectés
principalementaux besoins du culte et surtout au service des
offrandes. Cette affectation identifiait ces domaines d'une ma-
nière si étroite avec la dotation du culte que le même nom de
neter hatapou désignait à la fois les oblations et les propriétés
qui en fournissaient la matière. Ces propriétés comprenaient
des pâturages et des réservoirs pour l'élevage des bestiaux
et de la volaille. A chaque fête, des animaux étaient sacri-
fiés, et la population du temple ne suffisait pas toujours pour
la consommation des viandes présentées devant les,dieux.
Les économes avaient à tirer parti de l'excédent, qui s'écou-
lait à l'aide du commerce. Chaque jour des marchands
venaient prendre livraison des reliquats disponibles, et il
était tenu pour chacun des clients un compte fort semblable
celui qu'un fournisseur de nos jours ouvrirait à ses pra-
tiques. Les prix étaient, selon toute vraisemblance, fixes
par convention pour chaque catégorie de morceaux. Mais
qui contient le cœur (Papyrus dt-Bonlaq. t. III, p. 135). LesÉgyptiens
mandaient lesviscères dea animaux de boucherie. Chez nous, la frais
ou enveloppedes viscères intestinaux est encore un régal pour beaucoup
de personnes.1. Le shaï-apet, mets ou pâté en forme de la mesure apct, est plu
sieurs foiscitéau calendrier de MMinet-Habou. Il en était fabriqué 10
par chaque mesure apet de grains, c'est-à-dire qu'il devait entrer
1 litre 8 decilitresde blé dans chaque mets de cette espèce. Voir ce que
nous avons dit ci-devant. le.75 et suiv.|: cf. p. 30Rsqq. du présent
volumeJ.
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 337
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. 22
on voit par le document que nous venons d'expliquer que,
clans certains cas, des frais d'élevage et de découpage étaient
ajoutés au prix do la viande. Cette augmentation peut corres-
pondre à des commandes spéciales pour lesquelles il fallait
livrer, à jour déterminé, des morceaux indiqués à l'avance.
Il était nécessaire alors de préparer un animal de boucherie,
en sus de ceux qui étaient requis pour le service, et l'on
conçoit que les frais particuliers nécessités par cette excep-
tion aient été à la charge de l'acheteur.
Comme spécimen de la comptabilité détaillée tenue dans
les temples et de l'emploi des hiéroglyphes pour les écri-
tures de l'ordre le plus vulgaire, notre document est réelle-
ment curieux et instructif. Au point de vue de l'usage d'une
monnaie d'or et d'argent à l'époque pharaonique, il est
aussi des plus concluants. Seulement il ne nous fait pas
connaître le poids de ces monnaies, et, par suite, nous ne
pourrons concevoir aucune idée de leur valeur jusqu'à ce
que d'autres textes nous révèlent leur rapport avec l'outen
et le kati.
Le seul renseignement important qu'il nous donne sur ce
chapitre, c'est que 5 pièces d'argent équivalaient à 3 pièces
d'or. Nous apprenons par là, et c'est une notion importante,
qu'à l'époque des Ramessides la valeur de l'or était à celle
de l'argent comme 5 est à 3; aujourd'hui, la proportion est
de 17 à 1. Mais, dans l'Ancien Empire, les deux métaux
n'ont pas dû différer notablement de valeur, si même, dans
l'origine, l'argent, que les Égyptiens appelaient l'or blanc,
n'a pas été regardé comme plus précieux que l'or.
L'avenir nous réserve certainement de nouvelles consta-
tations concernant la question des monnaies de l'ancienne
Égypte. Nos résultats présents sont encore fort limités;
toutefois, ils ne sont pas sans importance, au moins en ce
qu'ils lèvent bien définitivement tous les doutes relative-
ment à l'usage du bronze, de l'argent et de l'or employés
comme monnaie aux temps pharaoniques.
338 SUR LES POIDS, MESURES ET MONNAIES
Les types à nous connus sont
BRONZE.L'outen, pièce du poids de 91 grammes1, ayant
des subdivisions fractionnaires parmi lesquelles les monu-
ments citent le demi-outen et le quart d'outen.
ARGENT. 1° L'outen, connu jusqu'à présent par un seul
texte, qui le cite comme monnaie donnée en payement du
prix do terres 2° la pièce mentionnée par le papyrus de
l3oulaq n° 11, et dont le nom hiéroglyphiquen'est pas dé-
chiffré. Cette pièce d'argent, de valeur moindre que l'outen
d'argent, se subdivisait en fractions. Notre texte ne signale
toutefois que la demi-pièce'.
Uu. 1" La pièce d'or correspondrait a celle d'argent dont
nous veinons de parler. Elle avait le même système de subdi-
vision fractionnaire, et nous ne connaissons aussi que la
demi-pièce d'or comme pièce divisionnaire; 2° le pak d'or
qui pesait1/128d'outen, c'est-à-dire environ 71 centigrammes.
Les musées ne possèdent guère d'antiques qu'il soit pos-
sible de considérer comme ayant serv i demonnaies à l'époque
pharaonique, à l'exception de quelques anneaux d'or. On est
fondé à croire que les Égyptiens se servaient de pièces
de métal, avec ou sans marques, qu'on prenait au poids. Il
y a toutefois, de ce côté, une lacune singulière dans les col-
lections. Une observation de ce genre peut être faite égale-
ment à propos des lampés qui sont mentionnées, ainsi que
l'huile à brûler, dans des textes anciens, et dont aucun
spécimen authentique n'a encore été retrouvé.
1. Ce poids considérable est cependantbien inférieur à celui de
l'ancien ax romain. L'outen pesait un peu moins que quatre de nos
pièces de 5 francs d'argent.
2. D'après la Bible, les frères de Joseph payèrent en argent le blé qui
leur fut livre en Egypte (Genèse, ch, XLII, v. 27). Cet argent se plaçait
dans des burses liées, (ibid.. v. 35). Il i4':tgit certainement J'unc
monnaie quelconque, qui se pesait au temps d'Abraham (Genèse,
ch.XXIII), et se comptait en Égypte au temps de Joseph (ibid., eh. XLV.22).
DES ANCIENSÉGYPTIENS 339
VALEURSDE QUELQUESOBJETS
Dans son savant mémoire sur le papyrus grec qui con-tient l'olTre d'une récompense pour la recherche d'un esclave
fugitif, Lctronnc a proposé, pour le système monétaire de
l'Égypte sous les Lapides, un tableau qui a été admis pardes savants distingues. Les évaluations données par le cé-lèbre archéologue français sont basées sur la proportion parlui admise de 1 à 60 pour la valeur du cuivre comparée àcelle de l'argent. En acceptant cette proportion. Lctronnerectifiait les idées de M. Amédée Peyron, qui avait concluau rapport de 1 à 30. Mais, en vertu des données de diffé-rents documents égypto-grecs, M. Bernardino Peyron com-battit à son tour les conclusions de Letronne et donna la
proportion de 1 à 120 pour les deux métaux.M. Giacomo Lumbroso a résumé la discussion sur ce
point dans son excellent ouvrage sur l'Économie politiquede l'Égypte au temps des Laides2. Ajoutant aux pièces dudébat quelques observations nouvelles et discutant l'en-semble des témoignages, il conclut qu'il est nécessaired'admettre un rapport au moins double de celui qui avaitété établi par Letronne, c'est-à-dire celui de 1 à 120 ou 125au lieu de 1 à 60.
Je rappelle ces divergences pour bien mettre en relief lesdiflicultés de la question, même pour ce qui concerne une
ynclue notablement plus riche en documents que celle dont
je m'occupe spécialement. Sous les Ptolérnées, les docu-ments égypto-grecs donnent aux poids et aux monnaiesalors en usage chez les Égyptiens les noms des poids etmesures des Grecs. Quelle qu'ait pu être la différence entreIe système alexandrin et le système attique, on n'aperçoit,
1. Paris, Imprimerie ruyalc. 1833(extrait du Journal des Sacants).2. Turin, in-8°, 1870.
340 SUR LES POIDS, MESURES ET MONNAIES
quant présent, aucune attache entre le premier de ces
systémes et celui des poids, mesures et monnaies des temps
pharaoniques.Nous n'avons, par conséquent, sa à inter-
venir dans les discussions encore ouvertes depuis la publi-
cation de M. Lumbroso. Nous ne pouvons,it plus forte
raison, nous promettred'arriver à des résultats plus métho-
diques c'est dire suffisamment que notre but est simple-
ment de rassembler quelques matériaux sùrs pour un
édifice dont nous n'essayerons pas de tracer le plan.
Nous pourrions apprécieravec une certaine exactitude la
valeur des métaux précieux dans l'Egypte pharaonique, si
nous découvrions d'une manière sûre le prix de la journée
de travail manuel ou celui d'une quantitédéterminée do
grains. Mais cette condition de sûreté est rarement remplie,
car il faut tenir compte de circonstances particulières qui
nous échappent forcément. Nous avons dit, par exemple.
que des ouvriers a la solde des temples recevaient en numé-
raire 5 outens de bronze par mois (soit 455 grammes de
bronze monnayé). Mais il n'est pas certain qu'il ne leur
pas alloué en même temps une paye en denrées1. Les dis-
tributions en denrées, surtout en grains,sont les cas les
plus fréquents le compte en était tenu en grandesmesures.
On trouve, par exemple, qu'il est distribué à chacun des
portiers2 grandes
mesures 1/22. D'autres fois, il n'est dis-
tribuô aux mêmes employés que 1 grande mesure'; en même
temps, les houtou ou sergents recevaient 4 grandcs mesures,
les hommes sous leurs ordres, 2 grandes mesures, les
esclaves, seulement de grande mesure.
On voit que la paye était proportionnéeà l'importance de
1. SousPhilométor, lesmiliciens macédoniens en garnisonà Mem-
p. 33).2.Papyrusde Turin. pl. CVIII, ligne 4.
3. Ibid., pl. CIX. lignes16et 23.
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 341
l'emploi. L'allocation minimum d'un quart de grande mesure
correspondrait à 18 litres de grains environ. Si la distribu-
tion était faite pour un mois, la ration de l'esclave n'aurait
été que de Om,60 par jour, c'est-à-dire inférieure à celle que
les Corinthiens donnaient à leurs esclaves, au diro d'At.hénéo,
une chéuice. Il n'y aurait lit, toutefois, rien de bien inv rai-
semblable, mais nous ne sommes pas assurés de la pério-
dicité des distributions, et des lors tout calcul est incertain.
La réserve à cet égard est d'autant plus indispensable
que, dans les mêmes comptes, les quantités distribuées
varient sensiblement. Par exemple, on voit les sergents
recevoir 7 grandes mesures au lieu de 4. les hommes sous
leurs ordres, 4 mesures 1/4 au lieu de 2.
Cependant les portiers ne reçoivent encore le même jour
que 1 grande mesure, et les esclaves au lieu de Y avait-
il eu travail exceptionnel? La distribution était-elle faite
po un temps plus long? Nous l'ignorerons toujours.
En ce qui concerne les céréales, nous possédons un docu-
ment assez clair qui nous donne le prix des deux espèces
de blé les plus généralement citées par les textes, savoir
celui qui est nommél'épi,
et celui dont le nom est
liguré par la mesure comble, L'une et l'autre de ces
sortes de grains valaient 2 outens la grande mesure', ce
qui revient à 2 outens? l'hectolitre (253 grammes de cuivre
monnayé). A ce compte, les ouvriers des temples, payés à
raison de 5 outens de cuivre par mois, recevaient la valeur
de 2 hectolitres de blé. De nos jours, cela équivaudrait en
moyenne à une ci, mtaine de francs. On pourrait en
déduire que l'outen uu bronze aux temps pharaoniques repré-
sentait la même valeur que 9 francs à notre époque. Cette
conclusion est parfaitement admissible.
Le prix du grain du Midi est également donné par un
1. Papyrus de Turin, pi. CIX, lignes 21, 22et 24.
2. Ibid., pl. XCI. lignes 4 et 7.
342 SUR LES l'OIDS, MESURES ET MONNAIES
papyrus à raison de 7 outens de bronze par mesure tenu
Malheureusement la contenance de cette mesure ne nous
est pas connue ainsi que je l'ai expliqué, il y avait des tenas
de capacités diverses'. Le grain désigné sous le nom de
blé du Midi était plus rare et probablement plus cher que
celui du Nord il ne figure que pour les7/24dans la quantité
de 192 grandes mesures exigées annuellement pour les céré-
monies du temple de Médinet-Habou, les étant de graines
du Nord.
Le prix de l'huile et celui du miel sont indiqués dans le
compte des objets donnés en payement d'un taureau; mais
il reste quelque incertitude sur la questionde savoir s'il
s'agit du fein, mesure, ou d'un autre vase. Le hin de miel
aurait valu4/5d'outen de bronze, et le hin d'huile10/11.Ces prix
paraissent trop élevés; peut-être les avait-on exagérés en
vue de l'échange. Les calculs faits sur les comptes du Séra-
péum, relatifs à l'huile due aux deux prêtresses jumelles,
font ressortir aussi un prix très élevé; mais ils ne sont pas
plus certains que celui du compte du taureau'.
En deux circonstances, nous trouvons le prix d'une natte
ou couchette de bois. Dans le compte du prix du taureau,
cet objet figure pour 25 outens; au contraire, il n'est porté
que pour 2 outens. dans les actes de partage traduits ci-
devant. Il pouvait, en ellet, exister des couchettes de plus
ou moins grande valeur; mais nous trouvons probablement
encore dans cet article un indice de l'exagération des prix
déjà signalés à propos de l'huile et du miel. Dans les comptes
relevés par M. Lumbroso sur les documents égypto-grecs,
une natte ligure pour 60 drachmes'
Nous connaissons aussi les prix de certaines étoffes, mais
non ceux d'aucune pièce de vêtement. Les indications rela-
1. Papyrus de Turin. pi. XXXIX, lignes 5 et 9.
2. Voir ci-devant. p. 78|: cf. p. 314 du présent volume].
3. Lumbroso, loc. laud., p. 11.
4. IGid., p. 25.
DES ANCIENSÉGYPTIENS 343
tives aux étoffes ne nous apprennent rien par le motif
qu'elles ne sont pas accompagnées des détails nécessaires
sur les dimensions et la nature des tissus.
Dans des actes de partage finurent 1° une chèvre pour
2 outens; 20 un ou deux canards' pour 1/4 d'outen. Ces prix
sont vraisemblables; il en est autrement de ceux de 2.000 et
de 3.000 drachmes données pour une oie dans l'un des pa-
pyrus égypto-grecs du Louvre'.
Nous trouvons dans le papyrus de Boulaq, dont j'ai donné
la traduction complète, une foule d'indications sur les prix
de la viande de boucherie et de diverses autres denrées;
seulement nous n'avons aucune idée de la valeur des pièces
d'argent et d'or mentionnées dans ce compte. En attendant
que ce point soit élucidé, nous devons nous borner à faire
l'observation que la tête et la cuisse de bœuf paraissent avoir
eu la même valeur. Au point de vue culinaire, cette équi-
valence serait inadmissible, même en admettant qu'il s'agit
d'animaux assez jeunes pour que la chair de la tête en fut
encore comestible. Il y a probablement quelque explication
à nous inconnue de ce fait anormal.
On s'étonne moins de trouver des valeurs assez différentes
attribuées aux mêmes morceaux; la qualité de la viande et
son état de fraîcheur justifient des écarts considérables dans
les prix.
Les objets de bronze paraissent avoir eu un prix assez
élevé. Les comptes de partage comprennent des vases de ce
métal de 2, 3, 4, 5 et 12 outens'. Une passoire est portée
pour 5 outens, un couteau pour 3 outens.
Le rasoir de bronze, bien déterminé par la figure de l'ins-
trument valait un outen. Il en existe d'absolument sem-
blables dans les musées. C'est l'objet dont l'identification est
1. Le sens du signe que j'ai traduit par paire [p. 319]n'est pascertain.
2. Lumbroso,loc. laud., p. 10.
3. Je ne parle pas de celui de 50 outens. parce qu'il y a doute sur le
chilTre hiératique.
344 SURLES POIDS,MESURESET MONNAIES
la plus certaine. Un autre objet d'identification non moins
certaine est un shebot ou bâton de main. Les Égyptiens, de
même que les Hébreux, donnaient ce nom aussi bien à la
canne ordinaire qu'à la baguette de la fustigation et au
sceptre du pouvoir; aussi il devait exister des sheGot de
valeurs fort diverses. Un des papyrus de Turin attribue la
valeur d'un demi-outen de bronze à un shebot.
En ce qui concerne la valeur des propriétés immobilières,
le seul document connu est celui qu'a cité M. le docteur
Brugsch et dont nous avons déjà parlé. Ce document est
encore inédit. D'après les citations qu'en a tirées le savant
allemand, deux pièces de terrain auraient été payées à
raison d'un outen d'argent pour 10 mesures sata. M. Brugsch
assimile le sata au feddan actuel (5.929 mètres carrés,
environ d'hectare), mais une telle identification a besoin
d'être démontrée je crois que le sata était moindre que le
feddan. On lit, en ellet, dans l'inscription d'Ahmi;s, chef
des nautoniers, qu'après la victoire il fut distribué à chaque
marin un lot de 5 sta ou sata de terre dans son pays'. Une
allocation de 3 hectares parait bien considérable. Pour se
former une opinion, il faut attendre qu'un texte explicite
nous fasse connaître le rapport du sala avec la coudée.
1. VoirChabas,Les Pasteurs en Ègypte, p. 21, § 11.
DES ANCIENS ÉGYPTIENS 345
NOTES ADDITIONNELLES
1. Sur la valeur du hin
La riche collection d'antiquités égyptiennes rassemblée
par M. Gustave Posno contient, entre autres pièces pré-
cieuses, un vase d'albâtre oriental portant sur la panse la
légende de Ramsès VI et l'indication 40 hins'. D'après mon
estimation de la valeur du hin, cette contenance correspon-
drait à 18lit,40. Le livret de la collection dit que le vase
doit contenir environ 19lit,5(). Il serait à propos d'en faire
le mesurage avec soin. En tenant compte de ce que le
liquide ne pouvait y être versé jusqu'au bord à raison du
bouchage, nous pouvons considérer ce vase comme justi-
fiant la valeur que j'ai donnée au hin.
II. Sur la valeur de quelques objets
M. Maspero a bien voulu me communiquer la première
page d'un papyrus inédit appartenant à une collection parti-
culière. On y trouve l'état détaillé d'objets enlevés à un
personnage nommé Amenemoua par deux serviteurs. et
l'estimation de la plupart de ces objets en numéraire. C'est
un compte qui était destiné à être mis sous les yeux des
magistrats à l'appui de la plainte.
J'y relève les prix des objets ci-après
4 meubles à tiroir, pour 8 outens de bronze.
1 meuble ouvragé, pour 5 outens de bronze.
1 bâton ou massue de cyprès marqueté d'autre bois, pour
4 outens de bronze.
1. Cf., p. 187-192 du présent volume. le mémoire que Chabas avait
consacré à la description et a l'étude de ce vaste. G. M.
34G SUR LES POIDS, MESURESET MONNAIES
1 verge (shebot) de cyprès, pour 1 outen de bronze.
Nous en avons cité une d'un demi-outen.
1 pioche, pour 2 outens de bronze.
Ce dernier objet doit être une pioche ou houe de bois.
D'autres objets sont simplement comptés, mais sans indi-
cations de prix. entre autres des grains, dcux attaches pour
livres écrits et un étui ou sac d'écritures.
PRÉAMBULE
A LA
NOTICEliE M. DE LORIOLSUR LE PENTACRINUS
DE SENNECEY-LE-GRAND'
Dans le courant do l'année lti7G, les circonstances m'obli-
gèrent à transporter mon domicile à Sennecey-le-Grand.
J'y occupai alors une maison située dans le quartier Saint-
Julicn, à proximité de la cliapelle de ce nom et à la base de
la colline que couronnent les ruines de l'église Saint-Martin
de Laives.
Cette situation, à l'angle nord-est de la vallée de la Grosne,
offre a peu près les mêmes ressources que celles qu'a visitées
dans le territoire ci'Asti le savant réologue B. Gastaldi, qui
fait justement observer que l'un des spectacles qui surpren-
nent le plus profondément est la vue d'une vaste extension
de pays, offrant dans sa configuration et dans la disposition
de ses parties une grande variété de reliefs.
En effet, à l'un des angles du vaste lac de la Bresse, dont
les bords s'étagent, depuis la Saône, au travers de toute la
massue des terrains, jusqu'aux dépôts du grès bigarré, et
depuis lescollines qui terminent ce lac et qui nous présentent
Ic, derniers promontoires de la mer méditerranéenne, cette
1. extrait dp la Notice sur le Pentacrinus de Sennecey-le-Grand,
publiée par M. de Loriol. sous les auspices de la Société d'Histoire et
d'Archéologie de Chalon sur Saone, 1878, in-4°, p. I-VIII. G. M.
348 PRÉAMBULE A LA NOTICE DE M. DE LORIOL
localité semble avoir offert à l'homme de tous temps des
attraits sérieux, comme on peut encore en concevoir l'idée
par l'abondance des riches villas de construction moderne,
lesquelles n'ont fait que remplacer les castels d'autrefois. Si
des murs neufs couronnent aujourd'hui les fossés du château
de Ruffey, on trouve encore, presque sur le même emplace-
ment, les débris d'une somptueuse résidence romaine dans
laquelle on a découvert un pavage en mosaïque et des débris
de fresques de fort beau modèle.
Voilà pour l'époque historique; quant à l'époque ainsi-
qu'on la nomme préhistorique, les restes en sont abondants,
depuis les silex éclatés de la forme la plus grossière, tels que
ceux qu'a publiés M. le Dr H. Jacquinot'. On conçoit que
l'on se soit interrogé longtemps avant d'affirmer que certains
d'entre eux fussent de travail humain, surtout lorsqu'ils sont
trouvés isolément. Dans le canton de Sennecey on n'en a
pas encore cité de dépôts donnant l'idée d'une occupation
prolongée. Mais on trouve plus abondamment les silex taillés
en flèches, en grattoirs. qui certainement étaient encore en
usage au début de l'époque romaine. Les chiffres que j'ai
indiqués dans mon Étude sur l'Antiquité historique2 sont
parfaitement conformes aux conclusions posées par M. Ker-
viler dans ses travaux sur les rives de la Loire, aux environs
de Saint-Nazaire. Il nous donne la description suivante de
la population qui habitait les iles de la baie de Penhouët
jusqu'au Ve siècle avant notre ère
« Vers le Ve siècle avant notre ère, les rives de la baie de
u Penhouët étaient habitées par une population de mœurs
» maritimes caractérisées par les pierres de mouillage de
» leurs bateaux. Ces populations, au crâne dolichocéphale,
1. Les temps préhistoriques dans la Niérre, pi. II et XV. Voir
snssi l'Homme pendant la période quaternaire dans le Bourbonnais.
par le docteur Boilleau.
2. Voir cet ouvrage Études sur t Antiquité historique d'aprèsles
sources égyptiennes, Maisonneuve, 1873.
SUR LE I'ENTACRINUS DE SENNECEY-LE-GRAND 349
» vivaient avec le bos primiyenius et le cerf; elles se ser-
» vaient d'instruments en bronze et en corne de cerf et de
» poteries de pâte assez grossière. Le faite de la baie était
» à ce momentà env iron quatre mètres au-dessous des basses
» mers. »
Les sondages de M. Kerviler lui ont permis de constater
que les alluvions ne dépassent guère une profondeur d'environ
seize mètres au-dessous de la couche du bronze, ce qui lui
permet d'attribuer au commencement de la période juras-
sique actuelle un maximum de six mille ans avant notre
ère. M. Kerviler constate qu'on est arrivé au même résultat
par la supputation biblique et par les calculs basés d'après
les alluvions de la Saône. Pour ma part, je n'attribue nulle
portée aux chiffres extraits des abréviateurs de Manéthon,
non plus qu'a ceux dont les chronographes ont enrichi les
récits de la Genèse. Mais la méthode et les conséquences
qu'expose M. Kerviler me paraissent à l'abri de toute con-
testation. On se sent d'ailleurs à l'aise de redescendre cette
ascension vertigineuse dans le passé et de retomber dans des
chiffres modérés.
L'usage de la poterie et des instruments en bronze et en
corne de cerf remonte à la même période de cinq cents ans
avant notre ère. On y trouvera sans doute des armes de
bronze et de fer, et la question de l'antiquité relative de ces
diverses pièces du travail humain se résoudra par la facilité
qu'on pouvait avoir à les obtenir. Conséquemment, on a eu
raison de regarder comme les plus antiques ceux que la
nature fournit d'elle-mème, ou qui peuvent être le plus
facilement imités, comme le sont les éclats de silex que
nous venons de citer. Encore il ne faut jamais perdre de vue
l'influence des circonstances et du voisinage, qui peut avoir
une grande importance sur la question des dates.
Ces réflexions faites sur l'antiquité de la pierre taillée
nous abrègent la voie sur le passage à la pierre à tailles
fines et à la pierre polie. Déjà on était à peu près d'accord
350 PRÉAMBULE A LA NOTICE DE M. DE LORIOL
que certaines de ces pierres avaient été préparées et utilisées
par une génération au fait de l'usage des métaux. Nous
aurons quelques réflexions à faire à ce sujet dans une pro-
chame publication. Toujours est-il que les pierres polies ou
lisses, considérées jusqu'à présent comme œuvres spéciale
du second âge de la pierre, ne sont pas rat es dans notre
terrain de Sennecey. J'en ai recueilli un asser grand nombrc
d'échantillons au pourtour de la colline appelée Le Peut.
Il pourrait y avoir eu là une station ou un établissement
comparable à celui de Chassey, et l'on y retrouve, au point
culminant, un mamelon isolé par le travail de l'homme,
comme pour constituer la tombe de quelque ancien chef.
Autour de la base de ce mamelon, et surtout du cote du
sud-ouest, on trouve fréquemment les silex taillés dont je
viens de parler. Ils se rencontrent encore souvent au has
de la colline, au voisinage de Sans-le-Bas, dans un terrain
coupé en deux par la route et limité par un cours d'eau.
J'ai trouvé là tout récemment des espèces de grattoirs ou de
briquets et une foule de silex taillés, sans caractère bien
spécial.
Ainsi donc, en dehors du cadre de l'histoire, on trouve
sur le sol des traces saillantes de l'existence de l'homme de
toutes les époques, et l'on pourrait même y énumérer
l'liomme antérieur à l'usage vulgaire des métaux, l'homme
du fer, l'homme du bronze. Je ne voudrais pas me mêler de
ces classements seulement, c'est sur le territoire de Beau-
mont qu'on a découvert une lame de couteau de bronze d'une
forme très fréquente à l'àge de bronze'. Cela porte à croire
que la civilisation dont les lacustres nous ont conservé de
si nombreux éclantillons s'étendait beaucoup plus loin.
L. de
Matèriaux L. Landa et Guillemin, p. 127. du trouvé moi-même, surMatériaux L. Landa et Guillemin. p. 127. J'ai trouvé moi-même, sur
les bordj de la Wne, deux poi ntes de couteau semblables et un joli vase.
à la main à rayures concentriques, irrégulièrement espacées par la
faute de l'outil.
SUR LE PENTACRINUS DE SENNECEY-LE-GRAND 351
Les restes de poterie, de silex et d'outils en os, dont on
trouve les entassements dans les Terramares du Modénais,
permettent aussi de faire d'utiles comparaisons entre les
divers produits de l'art présumé préhistorique.Ce sujet d'études est fort intéressant, surtout pour ceux
qui ont voué leurs aptitudes et leurs loisirs à l'examen des
questions de la véritable histoire, de l'histoire qui débute
avec la création de l'homme actuel. Je ne parle pas d'un
autre genre d'espèce humaine entrevu par M. l'abbé Bour-
geois au milieu des silex du terrain tertiaire de Thenay.Cette opinion hardie avait déjà été mise en avant par le
même savant au Congrès des Sciences préhistoriques de
Paris en 1867; il la défend de nouveau dans une publication
récente faite à Louvain. Pour les gens qui aiment les preuves,on aimerait à trouver, après treize ans de recherches sur le
même terrain, quelques outils présentant les caractères né-
cessaires pour couper, percer, racler ou frapper. Mais on est
vivement surpris de voir les quatre figures choisies parmiles meilleurs échantillons que M. l'abbé Bourgeois nous
propose comme étant l'œuvre de l'homme', surtout si on
les compare aux plus mauvais échantillons du même genre.Et l'on se demande si les causes qui ont contribué à la pré-
paration de ces nodules, dont le plus grand nombre est évi-
demment inutilisable, ne sont pas purement accidentelles.
J'en reproduis ici une sous ses deux aspects, qui paraitêtre d'un excellent modèle de taille intentionnelle
1. La question de l'homme tertiaire, Louvain, 1877, p. 75.
352 PRÉAMBULE A LA NOTICE DE M. DE LORIOL
A l'origine, M. l'abbé Deiaunay avait apporté au Congrés
de Paris des ossements d'Halitherium sur leaqueh on voyait
des incisions d'une profondeur et d'une netteté remarquable.
Ce fait fut d'abord considéré cemme une preuve de l'exis-
tence de l'homme tertiaire, et cette nouvelle cause d'erreur
dura jusqu'à ce que M. Delfortrie, de Bordeaux, reconnût
dans ces incisions l'œuvre d'un grand squale, commun dans
le miocène, le carcharodon megalodon. C'est M. l'abbé
Bourgeois lui-même qui se réserva l'honneur de relever
cette erreur grave. Mais il n'arriva pas à temps pour pré-
venir la publication d'un Mémoire de M. le professeur Ca-
pellini', qui a recueilli divers ossements de Baleonotus,
curieusement incisés et qui lui ont paru être du travail
humain. Pour M. l'abbé Bourgeois, qui les a examinés sur
des figures et des moulages. il est obligé de dire qu'il ne
roit là également que le traoail d'un squale.
Je cite avec plaisir ces noms de personnages justement
célèbres dans la science, car on n'abusera plus dorénavant
du reproche d'homnse étranger à la science. On peut main-
tenant laisser la discussion aux soins de M. l'abbé Bourgeois
et de M. le professeur Capellini, savants dont la compétence
ne peut être révoquée en doute par personne de nos jours.
(Jne besogne facile reste à faire, ce serait la description des
recherches faites pour le compte du Musée de Saint-Germain
dans le gisement de Thenay. On verrait par là clairement
combien les silex présumés taillés diffèrent peu d'autres qui
n'ont aucune prétention de cette espèce, et l'on comprendrait
les motifs qui ont fait amener la questionau poi nt oû el le enest.
L'honme tertiaire ferait remonter notre espèce à une
autre époque géologique. Pour en admettre l'existence, il
faudrait des marques plus sérieuses du travail humain que
celles qu'a publiées M. l'abbé Bourgeois, et auxquelles aucun
fait n'est venu prêter assistance.
1. L'uomoplioctllicoin Toscana, Rome,1876,avec quatre planches.
SUR LE PENTACR1NUS DE SENNECEY-LE-GRAND 353
BIBL. isnwr.. r. XIII. 23
Quoi qu'il en soit, le terrain de Sennecey-le-Grand abondeen reliques de toute espbce on y trouverait, et l'on y trouve,en effet, des silex de toutes les formes, et il n'y a pas demotif pour supposer ces derniers forcément étrangers à
l'existence de l'homme, si on lui donnait l'antiquité que l'on
prétend. Quelques novateurs ont voulu faire des collectionsde flèches, de poinçons, de grattoirs, etc., fort remarquables,mais jusqu'à présent se sont bornés à signaler le fait commeun jeu de la nature, qui pourrait dans une certaine mesuresimuler le travail humain. En somme, la question est très
importante, et, quelque idée que l'on s'en forme, l'on doit
espérer qu'elle s'avancera d'un pas rapide, surtout si elle est
étudiée par des savants véritables.
L'originedes pierresde foudreest connuedepuis long-temps.Il ne fautpasdescendrejusqu'àBoucherde Perthes.En 1734,M.Mahudellut devantl'AcadémiedesInscriptionset Belles-Lettresun Mémoireimportant sur ce sujet. LesMémoiresde l'Académienousdonnentdeux planchesrepré-sentant quinzedes objets qu'il avait eu l'occasiond'exa-miner'. Ce savant, bien qu'il eût parfaitement reconnul'usagede cespièceset leur origineterrestre, leurattribuaitencoreune antiquitétrop éloignée,parexemple,il lescon-fondaitaveclesoutilsqui avaientpu servirà laconstructiondesvillesantédiluviennes,etenparticulierla villed'Hénoch;il cite aussi, longtempsavant nosarchéologuesmodernes,lacirconcisiondesJuifsau moyend'un instrument de silexet la mutilationdes prêtres de Cybèle.Ces détails donnéssur des opérationsantiques manquentde précision.LesJuifs n'ont jamaisemployéni verre, ni pierre pour la cir-concision leurs livresdisent tout lecontraire.
C'était du reste un honneur imméritéque ce témoignage
1.Histoirede l'AcadémiedesInscriptionsetBelles-Lettres,t. XII,p.163.
354 PRÉAMBULE A LA NOTICL DE M. DE LORIOL
en faveur de pièces dont quelques-unes remontent au plus
au commencement de notre ère'.
Dans l'établissement celtique qu'il a découvert dans la
cluse de Vorbourg, sur une longueur de plus de deux cents
pas, sur la rive droite de la Berse, M. Quiquerez a déc.ou-
vert aussi d'assez nombreux fragments de poterie dite
celtique, montrant l'âge le plus reculé de l'emploi des argiles
sans le secours de tour à potier. Là abondent les instruments
en pierre on y voit de rares petits outils de bronze, et le
fer y apparaît sous la forme de scories de petite forge, sous
celle de fers à cheval à bords onduleux. Il y avait aussi deux
disques de fer de la grandeur et de l'épaisseur d'un ancien
sol de France.
Des fouilles récentes ont renouvelé le spectacle de la
réunion des trois âges d'antiquité. Cela peut donner à songer
a ceux qui veulent absolument une superposition de l'âge de
bronze et de l'àge de pierre. Au moins faut-il admettre que
les circonstances géologiques doivent être prises en considé-
ration, et qu'un objet n'est pas forcément ancien lorsqu'il
est trouvé avec des objets de fer ou de bronze.
On voit que nous n'en sommes encore qu'à l'étude des
éléments de la science, mais qu'il est toujours sage de se
tenir en garde contre l'imprévu et l'extraordinaire. Il y a
quarante siècles que la sage nation des Égyptiens avait
étudié la nature « Le cours des eaux s'écarte de temps en
» temps et prendparfois une direction difïérente les grands
» océans deviennent des terres arides. Les rivages deviennent
» de profonds abîmes*. n Seulement la sagesse égyptienne
ne se hâtait pas de juger Dieu: elle ne se considérait pas
comme assez ancienne sur la terre pour en publier et en
1. On a prétenduavoir retrouvé en Palestine les tombes de Josué:
mais ce qu'teny a vu de plus remarquableconsiste en scies, grattoirs
de silex, etc.. tousinstruments peu propicespour la circoncision.
2. Voir F. Chabas,Les Maximes d'Ani, t. Il. p. 61.
SUit LE PENTACRINUS Ui: SENNECEY-LE-GRANND 355
discuter les mystères et les difficultés de la création. Nous
gagnerions peut-être beaucoup à observer la même discrétion.M. l'ingénieur A. Quiquerez a public sur l'âge de fer dans
le Jura-Bernois un livre où l'on trouve sur l'industrie dufer des renseignements fort intéressants. Il a exploré plusde deux cents anciennes forges, dont les restes nous mon-trent l'industrie sidérurgique plus répandue dans la période
préhistorique qu'au moyen-âge et dans la période romaine.Cela peut tenir à ce que dans le Jura-Bernois abondait leminerai pisolithique ta surface du terrain, facile à recueilliret fusible sans préparation.
M. Quiqucrez entre dansquelques détails sur l'oppidum cel-
tique du Mont-Terrible, et montre le fer en quantité asseznotable associé à une couche différente de celle qui renfermeles antiquités romaines. Il cite d'abord deux clefs, semblablesà celles de la Tène et qu'on retrouve également mélangéesà des antiquité. romaines à Develicr. Il y avait aussi une deces Icxclces a douille regardées comme appartenant au pre-mier âge du fer et des fragments de fer à cheval à bordsonduleux. Un couteau à lame de fer était emmanché dansune corne de cerf, et de nombreuses scories de fer appar-tenant a un atelier de forgeron, et non pas à un fourneau,
étendues, répandues dans cette même couche avec une mul-
titude de pointes de flèche en silex, des haches et d'autresoutils de pierre et très peu d'objets en bronze, excepté des
monnaies. Ici certains objets métalliques nous mettcnt à
même de juger les dates antiques qu'on avait à tort attri-
buées aux autres. Les recherches faites récemment dans les
cimetières de Caranda et de Sablonnières (Marne)' ont
ramené l'attention des archéologues sur cette question.L'abondance des pierres taillées ne s'explique pas facilement
1. Le cimetière de Caranda et la coexistencede l'usage des instru-ments de pierre avec silex de bruuze et de fer, par M. (;. Millescamps(Bulletin d'Anthropologie, 1875).
9M PRÉAMBULE A LA NOTICE DE M. DE LOitlOt.
par des motifs d'imitation du passé, et il est trop l'ommode
d'appeler flèchede Cépoque néolithique celle qu'on trouvée
dans la tombe de Lizy. On aurait les mêmes facilites pour la
flèhe ci-contre, trouvée dans les dernières fouilles de la
citadelle de Langres.D'un autre côté, les fragmentsde
silex taillésqu'ona trouvés soudéspar la rouilleà deslames
de scramasax,à Carandaet à Sablonnières',ne seraientpas
moins intéressantslorsqu'ilsdateraientd'une époquemoins
éloignée.Des silex employésà l'usagede briquetont été trouvésen
Bourgogne et ailleurs. M. Baudot constate qu'ils appar-
tiennent à l'âgeprimitifdessépulturesbarbaries.Voicitrois
échantillonsdessilexdont il s'agit et quiont été découverts
â Charnay avec une masse d'objets mérovingiens. Je viens
de voir un silex à deux tailles (formes de couteau), qui sort
1. Ed. Fleury,Antiquités,et4.
SUR LE PRNTACRINUS DE FENNRCEY-LE-GRAND 357
d'une tombe romaine, avec débris de bronze et dix médaillesd'un successeur de Constantin le Grand (IIIe ou IVesiècle).Cet objet précieux fait partie de la collection recueillie dansla localité par M. le docteur Rousselot. Le couteau sembleavoir servi comme pierre à briquet. Des silex taillés en
flèches, en hachettes, etc., ont été trouvés dans le voisinage'.
Cependant mes recherches sur les produits antédiluviensde la localité ont porté sur les fossiles, qui y sont fort abon-dants. J'y ai découvert une espèce nouvelle de Pentacrinusdans l'étage situé au-dessus du lias, pt je me suis hâté de lamettre à la dispositiondu public en publiant les circonstancesde la trouvaille'. Rien n'était plus facile à reconnaître quece fossile, dont les longues chaînettes se croisent dans tousles sens sur les couches calcaires d'un banc de terre à foulon,
qui est exploité depuis de longues années comme pierre àbâtir et comme pierre mureuse. Cette formation couvre en
partie l'extrémité nord de la montagne de Sans, où on peutencore la voir sans peine. Pour qu'on puisse juger du terrain
qu'elle occupe, j'ai fait dessiner l'aspect de cette extrémité,vue depuis les dernières fenêtres du clocher de l'église Saint-Julien (pl. X). On trouvait des échantillons de Pentacrir.u.s
depuis la limite inférieure qui est au rameau du chemin ditde La Gaze. A gauche, sont des carrières connues sous lenom de carrières de Sennecey, et, à droite, un mur quilimite au haut de la montagne les propriétés dans la valléede Ruffey. Les terrains sur ces deux versants consistent encalcaire à entroque, calcaire à polypier, et se perdent vers
Ruffey sous les couches du lias.
1. Voir aussi les excavations au camp de Cissbury, par M. le capi-
taine Lane-Fox silex des retranchements antérieurs à la conquête ro-
maine, formes néolithiques et se rapprochant snsai de celles de l'époque
paléolithique.
2. Voir p. 255-266 du présent volume, le mémoire intitulé Notice sur
la découverte d'une couche de Crinoïdes fossiles de l'espèce Penta-
crinus. G. M.
358 PRÉAMBULER A LA NOTICR DE M. DE LORIOL
Le terrain, limité comme nous l'avons dit par les carrières
et par le mur, est une série de calcaires argileux ou marneux,
où l'on a cherché de la pierre depuis longtemps. Chaque
année, des travaux étaient entrepris et de nouveaux décou-
certs faits principalement pour l'entretien des chemins
vicinaux. La couche à Pentacrinus était soulevée, et le plus
souvent négligée comme tout à fait inutilisable. En 1866
notamment, les choses s'étaient passées ainsi, et les dalles
restées sur le sol furent conservées en grand nombre. Il y
avait lieu d'observer que la face du calcaire, maintenue sur
le sol, conservait mieux les traces du fossile et retenait
moins facilement les remplissages calcaires, en sorte que les
plus beaux échantillons proviennent de cette situation.
Le terrain fossilifère s'étendait jusqu'à la hauteur des
carrières actuelles les plus élevées; du moins j'ai trouvé à
ce niveau de la montagne de jolis échantillons sur le sol, et
j'ai mis au jour une couche en place qui n'a pas encore été
dérangée et qui offrira de nouvelles ressources pour l'étude.
Il y a lieu cependant de remarquer que les plus jolis fossiles
sont surtout extraits de la partie inférieure du gisement,
mais cela peut tenir au degré de sécheresse ou d'humidité
qui a plus ou moins respecté les traces cristallines du Pen-
tacrinus, qui sont d'ailleurs plus ou moins riches en silice.
En définitive, la montagne de Sans que représente ma
planche est un lieu très remarquable pour le Pentacrinus
supraliasique. L'extrême abondance des échantillons m'a
déterminé à soumettre ce fait à l'attention des géologues, et
c'est dans ces circonstances que je me suis mis en rapport
avec M. de Loriol, qui écrivait précisément alors un travail
du même genre.
M. de Loriol, à l'exemple de quelques savants français,
considéra d'abord l'espèce comme nouvelle. Mais, des cir-
constances à moi personnelles ayant retardé la publication
de son Mémoire, il est arrivé à y reconnaître un Pentacrinus
déià observé par MM. Terquem et Jourdy comme corres-
SUR LE PENTACRINUS DF. SENNECEY-LE-GRAND 359
pondant au mien. Le Mémoire que j'imprime ici fera jugerdes différences. Il ne parait pas toutefois que le Pentacrinus
Dargniesi soit connu par des échantillons aussi beaux et
aussi entiers que celui qui me semblerait mériter le nom de
Pentacrinus Saiecti Juliarei. On le trouve à tous les états de
grandeur, depuis les lignes simples du pointillé, qui forme
la tige et la chevelure, jusqu'aux amoncellements qui dé-
pendent souvent de plusieurs individus distincts, jusqu'àceux qui nous reproduisent des sommets plus ou moins
entiers, et même des Pentarrinus complets. Toutes les fois
qu'un nouveau travail attaque l'endroit convenable du gise-
ment, il ne manque jamais de s'entasser, sous la pioche et
la pelle du travailleur, des échantillons nouveaux. C'est parcentaines de milliers qu'on a pu les compter depuis que la
carrière offre des facilités à l'exploitation. L'échanlillon que
j'ai sous les yeux provient de mes dernières fouilles et re-
présente un individu entier à partir de la tige, où l'on dis-
tingue encore cinq des pièces du sommet avant leur dédou-
blement d'abord en deux, puis en trois et même en un plus
grand nombre de paires. C'est un beau sj)écimen de Penta-
crinus de dimension moyenne. Indépendamment du calice,
on y reconnaît aisément quatre fragments de tige qui parais-sentctre tombés sur le tas et dont je reproduis ici l'échantil-
lon gravé, Il est difficile d'admettre que la tige
soit d'une autre nature que les autres parties du
Pentacri-nus
et en quclyue sorte caduque. Quoi
qu'il en soit, qu'il se rapproche du Extracri-
nus, ou qu'il reste attaché comme un Pentacrinus ordinaire,
le Pentacrinus de Saint-Julien est digne de toute attention.
Voici une liste des fossiles que j'ai remarqués sur le même
terrain
Ostrea acuminata, quelquefois mélangés de débris de l'entacri-
nus et de lumachelles.
Acrosalenia hemicidarix (Wright).
360 PRÉAMBULE A LA NOTICE DE M. DE LORIOL
Cidaris Wrightii (Sen).
Pseudodiadema hemostigma (Agassiz).
Lima duplicata.
Pecten lens (Sowl.
Pecten (indéterminé).
Opis.Terebratula maxillata (Sow).
Quelques Ammonites, etc.
Ostrea acuminata avec pointes d'oursins, petits Pectens, etc.
Articles de la tige du Pentacrinus, avec section des cirrhes.
Fragments du Pentacrinus, aoec menus débris.
Articles de la tige du Pentacrinus,aoec grand nombre de fossiles.
Ustrea acuminata, Pecten indéterminable.
DÉTERMINATIOND'UNEDATECERTAINE
DANS LE RÈGNE
D'UN ROI DE L'ANCIEN EMPIRE
EN ÉG. PTE'
Les égyptologuesfrançaisse sont généralementabstenusde chercher dans les extraits de Manéthonles bases d'unarrangementméthodiquede la chronologieégyptienne.Destravaux aussi considérablesque ceuxde M. Lepsiuset deM. de Bunsenn'ont pas leurs analogueschez nous. Sansdouteces longueset laborieusesrecherchestémoignenthau-tementde la scienceprofondeet de la sagacité de leursauteurs,mais les résultatsqui en découlentne vont jamaisbeaucoupau delà des vraisemblances;ils n'ont jamaisétéassezuniformeset concordantspour échapperà descontra-dictions sérieusementmotivées.Manéthona été exaltéetdénigré outre mesure,et la chronologieégyptienne, baséesur les donnéesde ses abréviateurs,combinéesavec cellesdes monumentsoriginaux,a besoinencoreaujourd'hui derencontrerquelquespointssolidespouvantservir de jalons
1.LuparM.deSaulcyà l'AcadémiedesInscriptions,les7avrilet26mai1877(Comptesrendus,IVesérie,t. IV, p. 127-135);publiédanslesMémoiresprésentéspnrdirerssavants,1878,1"aérie,t. IX.1"partie,p. 111-138.—G.M.
362 DÉTERMINATION D'UNE DATE CERTAINE
dans la longue suite de règnes dont les listes ne sont qu'un
abrégé.
En fait, les différents chronographe, hien qu'ils aient mis
en œuvre les mêmes éléments, sont arrivés à des résultats
fort disparates; ils ont varié, par exemple, de plus de trois
cents ans pour la détermination de l'époque de l'accession
de la XVIIP dynastie, au delà de laquelle le tableau de la
succession des pharaons s'interrompt à chaque pas et ne
retrouve une suite satisfaisante avec la XIIe que pour la
perdre aussitôt de la Xle à la VI".
En présence de ce défaut de certitude, le chef regretté de
l'école égyptologique française, M. de Rougé, se bornait à
admettre une erreur possible de deux cents ans dans le
calcul de la date d'Ahmès Ier et de l'expulsion des Pasteurs
(vers le XVII° siècle avant notre ère). Pour ce qui regarde
les temps antérieurs, le savant académicien se montrait en-
core plus réservé; il comptait par couches historiques plutôt
que par siècles, et son expression la géologie de Chisloire
rend une idée parfaitement juste.
Les plus grandes vraisemblances nous portent a consi-
dérer Moïse comme contemporain de Ramsès II, et Mé-
nephtah Ier comme le pharaon de l'Exode. Mais la chrono-
logie biblique n'est pas plus rigoureuse que les documents
égyptiens pour ce qui concerne ces dates reculées. Dans la
réalité nous ne possédons, historiquement parlant, aucun
point fixe assuré antérieur à la prise de Jérusalem par
Sheshonk Ier (962 av. J.-C.). Jusqu'à cette date, on peut
rétablir la série chronologique et corriger les défectuosités
des listes manéthoniennes; mais, pour remonter plus haut,
il faut que nous puissions nous rattacher à d'autres indica-
tions de la même solidité.
C'est dans l'espoir de découvrir ces nouveaux points d'at-
tache qu'on a cherché dans les textes hiéroglyphiquesla
mention de phénomènes célestes pouvant se prêter à des
calculs astronomiques. Le premier travail de ce genre est di4
1DANS LE RÈGNE D'UN ROI DE 1.'ANCIEN EMPIRE 363
à M. de Rougé', qui détermina avec sa prudence ordinaire
les données de cinq mentions extraites de divers textes hié-
roglyphiques et susceptibles d'être rapportées à des phéno-
mènes célestes. Au moyen de ces indications, M. Biot a
trouvé que l'an 1444 avant J.-C. tombe dans le règne de
Thothmès III, l'an 1300 dans celui de Ramsès III, l'an 1240
sous l'un des fils de ce dernier pharaon, et enfin l'an 1180
sous le Ramsès XI du Livre des Rois de M. Lepsius.
Ces trois dernières dates sont bien en rapport avec ce que
nous connaissons de la série historique. Entre l'an 1180 et
l'an 960 correspondant à l'avènement de Sheshonk Ier, nous
avons un intervalle suffisant pour la XXIE dynastie et pour
les derniers règnes de la XX*. Mais, si l'an 1300 tombe dans
le règne de Ramsès III, on ne peut raisonnablement placer
l'an 1444 dans celui de Thothmès III. En effet, en prélevant,
sur cet intervalle de cent quarante-quatre ans, les soixante-
six ans de Ramsès II, il ne resterait plus que soixante-dix-
huit ans à répartir entre une douzaine de règnes dont un a
duré cinquante ans, et deux trente ans et plus, ce qui ferait
cent dix ans pour ces trois seulement. Les autres nous ont
laissé des monuments et n'ont pas eu une durée éphémère.
J'ai étudié spécialement ce point de difficulté dans un mé-
moire intitulé Les Leoers de Sothis, l'Ère de Menophré',et je crois avoir démontré que le monument qui a fourni à
M. Biot la date du lever de Sothis au 28 épiphi ne se rap-
porte pas nécessairement au règne de Thothmès III. Il s'agit.en effet, d'un bloc détaché, provenant de la démolition de
l'un des temples d'Éléphantine, et qu'on a trouvé employécomme moellon dans la construction d'un quai de cette Ile.
Ce bloc a fait partie d'un revêtement couvert d'une inscrip-
tion où étaient relatées des fêtes nouvellement instituées ou
1. Mémoire sur quelques phénomènes célestes rapportés sur les
monuments égyptiens aerc leur date de jour dans l'année vague, la à
l'Académiedes Inscriptions et Belles-Lettres, le 24 décembre1852.
2. Mélangeségyptologiques, 2°série,p. 16.
364 DÉTERMINATION D'UNE DATE CERTAINE
ajoutées à la liturgie du temple. Aucun nom royal n'est
inscrit dans cette petite portion de texte, et l'on n'a supposé
celui de Thothmès III que parce qu'on l'a rencontré sur un
autre bloc du même quai. Mais il faut bien faire attention
qu'il y avait au moins quatre de ces blocs dans les mêmes
conditions; que deux d'entre eux contenaient le nom d'Am-
mon que, sur l'un de ceux-ci, ce nom a été martelé avec
soin dans toutes les lignes d'écriture, et que, dans le second,
au contraire, ce même nom a été laissé parfaitement intact,
quoiqu'il soit répété deux fois sur la même ligne'. Il est donc
manifeste que ces moellons ne proviennent pas tous du même
monument, ou du moins qu'ils sont de dates bien différentes,
l'un devant être antérieur, l'autre postérieur au schisme de
Khou-en-Aten. Le dernier était conséquemment bien posté-
rieur à Thothmès III, et pourrait dès lors appartenir à la
date de 1444 déterminée par M. Biot.
Je ne m'appesantirai pas davantage sur les raisons que
j'ai développées dans mon mémoire spécial; il me suffira de
faire observer que, dans des calculs de ce genre, on ne peut
avoir confiance qu'à des données absolument certaines, telies
qu'on ne saurait les trouver dans une inscription fragmen-
taire sans date authentique.
En définitive, des deux plus hautes dates fournies par les
calculs de M. Biot, nous pouvons accepter avec assurance
celle de 1300 comme tombant dans le long règne de
Ramsès III, mais, pour celle de 1444, nous ne savons en-
core à quel pharaon il convient de la rapporter.
Le magnifique papyrus médical de M. le docteur Ebers
va nous permettre aujourd'hui de faire un grand pas dans
cet ordre de recherches. On sait que ce manuscrit comprend
cent dix pages de prescriptions médicales. Au revers de la
première page a été inscrite une page isolée, que nous pu-
blions en facsimilé avec le présent Mémoire.
1. Ces blooesont figurés dans Lepsius. Denkm., III, BI. XLIII, c.
BIBL. ¡¡G\"PTOL., T. XIII. PL. XI.
LA PREMIÈRE PAGE DU PAPYRUS EBERS
DANS LE RÈGNE D'UN ROI DE L'ANCIEN EMPIRE 365
En voici la traduction
Lig. 1 L'an IX, sous la sainteté du roi de la Haute et de la Basse
Egypte vivant éternellement.
2 Fête du commencement de l'année, épiphi jour 9. Lever de
Sothis.
3 Tekhi. mesori jour 9.
4 Menkh-t. thotb jour 9.
llathor paophi jour 9.
Kahika. athyr jour 9.
Shaf-t. choiack jour 9.
Rokh (oer). tobi jour 9.
Rokh (netes) méchir jour 9.
Rannou phamenot jour 9.
Khons. pharmouti jour 9.
Khentkhet. pasbons jour 91.
Apet payni jour 9.
Ce texte est d'une extrême précision; il nous apprend
qu'en l'an IX d'un pharaon, sur le nom duquel nous aurons
à revenir, ta fête du commencement de l'année correspondait
au 9 du mois d'épiphi et que de même les autres fêtes
mensuelles, dans l'ordre habituel bien reconnu par M. le
docteur Brugsch, se faisaient au 9 des mois subséquents.
Le fait que le commencement de l'année égyptienne était
rattaché au lever de l'étoile Sothis nous est connu par des
témoignages certains 1, et par les données de textes originaux
indiscutables. La lutte d'Horus contre Set-hippopotame
avait commencé lorsqu'apparaît l'étoile Sothis au commen-
cement de l'année( )2.
Un autre texte nous
apprend que c'est en son nom d'étoile Sothis, reine des Dé-
1. Le nom hiératique du premier mois de l'été (pasbons) est incor-
rectement écrit, mais la série ext complète, et l'orthographe correctese
retrouve au troisième mois (épiphi).2. Voir Lepsius, Chronologie der Argypter, Einleitung, p. 151.3. Naville, Mythe dHorus, pi. 1, lig. 1 et 2.
366 DÉTERMINATIOND'UNE DATE CERTAINE
cans, tlu'lsis gouoerne lecommencement de l'année1. Au
décret de Canope, nous lisons que le jour de l'apparition
de la dioine Sothis était appeléreouoel an par
Cependantdestextesnon moins précis nous av aient mon-
la fête du lever de Sothis n'était pas célébrée le jour
phantine, et au 9 du mêmemois sur le Papyrus Ebers. Elle
Ramsés IIIqu'à cette date a
commencé une période sothiaque, le premier juur de l'année
fête dont il s'agit était
liée au phénomène dont elle porte le nom. Par conséquent,
est de fixer l'époque à laquelle a eu lieu dans l'année vague
le lever de l'étoile Sothis qui commençait l'année naturelle.
Nous verrons plus loin quelle pouvait être l'utilité de cette
Sauf pour ce qui regardela lecture du cartouche, qui a
donné lieu à des discussions encore ouvertes, le renseigne-
thiaque2. Puis M. le docteur Eisenlohr a publié le texte du
en a donné la transcription et lu traduction4.
3.JournalégyptologiquedeBerlin,1870,P.4. lbid., 1870.p.
DANS LE RÈGNE D'UN ROI DE L'ANCIEN EM,PIRE 367
A son tour, M. Goodwin, l'éminent égyptologue anglais, a
tente l'explication du texte. C'est lui qu'est due la véritable
lecture du chiffre hiératique 9 que ses devanciers avaient
considéré comme étant un 3'.
M. Dumichen. aidé d'une meilleure copie du texte, a dé-
veloppé les résultats obtenus par les premiers investigateurs
et dressé le tableau de la marche de la période sothining
dans l'intervalle qui s'étend de l'an 1322 à l'an 3010 avant
notre ère, époque à laquelle le lever de Sirius (Sothis) eut
lieu le 9 épiphi, selon la donnée du Papyrus Ebers'.
Dans son introduction :i l'édition du papyrus médical,
M. le docteur Ebers a résumé la discussion, et étudié, à di-
vers points de vue, les mentirons chronographiques fournies
par le texte'. Enfin, en dernier lieu, M. Lepsius, qui avait
une première fois abordé le sujet', vient d'y consacrer une
étude fortement raisonnée'.
Tous ces savants sont aujourd'hui d'une opinion unanime
sur la portée du document ils y reconnaissent tous la men-
tion d'une date astronomique, fixée par un phénomène sidé-
ral et rattachée a une date de l'année vague. Les seuls points
d'incertitude ou de divergence consistent dans l'attribution
du cartouche royal et dans l'appréciation de l'utilité possible
de ce double calendrier à la place qu'il occupe sur le papyrus
médical.
Le phénomènedont il s'agit consiste dans le lever hé-
liaque de Sothis, correspondant au commencement de l'an-
née naturelle, rapporté au 9 épiphi, c'est-à-dire au U du
1. Journal égyptologique de Berlin, 1873, p. 107. L'erreur sur le
chiffre s'explique par l'insuffisance de la copie sur laquelle on a d'abord
travaillé. Elle n'aurait pas été possible avec l'original.
2. Die crste bis jrtzt aufgefundene sichere Angabe, etc. Leipzïg,
in-8'. 1874.
3. Papyros Elers, Vorœort, p. 7.
4. Journal égyptologique de Berlin, 1870, p. 167.
5. Ibid., 1875, p. 145.
368 DÉTERMINATIOND'UNEDATECERTAINE
onzième mois de l'année usuelle, qui a toujours été l'année
vague. Cette coïncidence n'a pu se produire, avant l'ère
chrétienne, qu'aux périodes quatriennales 90 à 87, 1550 à
1547, 3010 à 3007 et ainsi de suite.
Or nous n'avons pas à songerà l'époque ptolémaique,
ni
méme à la seconde période, qui tombe sous les derniers rois
de la XVIII' dynastie ou sous les premiers de la XIXe. Les
séries royales nous sont bien connues aux époques corres-
pondantes et ne nous fournissent pas de cartouche à com-
parer avec cxlui que nous cherchons à reconnaître.
p'autres raisons nous forceraient d'ailleurs à remonter
jusqu'à la troisième période sothiaque, celle qui répond aux
années 3010 à 3007 avant notre ère.
Il ne s'agit donc plus que d'étudier avec soin le cartouche,
objet de la discussion.
M. Ebers a été le premier des savants qui ait pu examiner
le manuscrit original. Ceux qui se sont occupés avant lui du
texte hiératique n'ont pu l'étudier que sur des copies plus ou
moins imparfaites, qui ont notablement ajouté à la difficulté
du problème graphique. On avait d'abord pu supposer que
la page du verso était une addition qu'une main peu exercée
aurait inscrite à une époque postérieureà la confection du
manuscrit. Mais le fac-similé, qui fait partie de la publica-
tion de M. Ebers, a rectifié cette appréciation, et il est bien
avéré que les deux parties du papyrus sont non seulement
de la méme époque, mais encore, ainsi que l'a fait remarquer
M. Lepsius, de la méme main; la spécialité de la forme du
chiffre 9, d'abord pris pour un 3, mais que le livre médical
emploie constamment avec la valeur 9 dans des suites numé-
riques, servirait au besoin de démonstration'.
On a de même été forcé de renoncer aux diverses lectures
1. Voici le nombre39 du fac-similé de M. Ebers (pt. XXXIX),
La formeordinaire du 0 à l'époque pharaonique est plus
simple
DANS LE RÈGNE D'UN ROI DE L'ANCIEN EMPIRE 369
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. 24
proposées pour le cartouche, telles que celle de
M. Goodwin avait indique comme
probable le nom dequ'il
lisait Remenbara et
qu'il comparait au Bichéris de la IVe dynastie mané-
thonienne.
Mais, d'une part, les monuments ne nous ont jamais pré-
senté de cartouche ainsi composé, et. d'un autre côté, la
valeur phonétique du signe est très complexe. Ce signe,
rarement employé sans l'accompagnement de ses expressions
alphabétiques, peut à la rigueur représenter tous les sons
qu'il détermine, tc!s que kah, kab, rek, roua, hab, hos, han,
khems, etc. Il répond aussi à l'articulation kerh, que M. Dû-
miclven a préférée à remen, tout en admettant la forme
orthographique signalée par M. Goodwin et la môme iden-
tification avec Bichéris (Ba-kcrh-ra).
Par divers motifs, que je développerai plus loin, M.
docteur Lepsius a combattu la lecture Ba-kerh-ra, dont il
démontre fort bien l'impossibilité; mais le savant allemand
n'en propose pas d'autre, et sa conclusion, c'est qu'il n'est
pas encore possible de se prononcer sur l'identification des
signes hiéroglyphiques, et par conséquent de reconnaître le
nom représenté par le cartouche'.
Dans ma note sur les travaux de M. Dümichen, tout en
rendant hommage aux patientes recherches de cet égypto-
logue, j'avais exprimé mes doutes sur la lecture Ba-kerh-ra
par lui proposée, et subordonné la solution du problème à la
découverte de quelque variante du même cartouche.
Mais, après avoir soumis la question à un examen appro-
fondi, j'ai acquis aujourd'hui la certitude qu'il ne faut pas
compter sur une découverte telle que celle que j'indiquais.
Nous ne trouverons jamais, je puis l'sffirmer, de cartouche
de la forme Fruit d'une transcription fautive, ce
1. Journal égyptologique de Berlin, 1875,p. 146.
371) DÉTERMINATIOND'UNEDATE CERTAINE
nom royal n'existe pas, et, dans la réalité, nous avons affaire
à un autre nom royal des mieux connus, celui de Menkara
(Mycérinus), écrit sous sa forme la plus simple
Le cartouche de Menkara se classo très naturellement à
côté des deux aut. cartouches que contient le Papyrus
Ebers, et qui sont
1° Celui du roiTéta,
l'Athothis des listes, le
premier des successeurs de Ménès. La reine Shasht, mêre
de Téta, a composé, pour activer la pousse des cheveux, une
espèce do pommade, dont le papyrus donne la recette'.
Manéthon attribue à ce pharaon des travaux sur la méde-
cine
2° Celui deHusapti, Ousaphaïs, cinquième roi
de la 1re dynastie, selon la liste d'Africain. Au règne de nc
prince est rapportée la trouvaille d'un ouvrage médical com-
pris dans le Corpu.s du Papyrus Ebers 2. Un le connaissait
déjà par une autre copie, qui fait partie du papyrus médical
de Berlin3, et qui présente des variantes notables. Ce der-
nier document relate la circonstance qu'après la mort d'Ou-
saphais le livre, dont la valeur avait été reconnue, fut porté
au roi Senet. Ce nouveau roi est le Séthénès de la IIe dy-
nastie, le treizième successeur de Ménès, et aussi le treizième
cartouche de la grande liste d'Abydos.
Comme on le voit, les recettes médicales du Papyrus
Ebers nous reportent à la plus haute antiquité historique de
l'Égypte. li est à croire cependant que le Corpu., a dû s'ac-
croitre de toutes les découvertes utiles reconnues jusqu'à
l'époque de la copie que nous en possédons, et que l'auteur
de cette recension des moyens thérapeutiques a pu y intro-
duire des formulés d'invention récente relativement à son
1. Papyrus Ebers. pl. LXVI. 16.
2. Ibid.,pl.CIII.:1. Papyrus médical dr H''rlin, éd. Brugsch, p. 15.
DANSLE RÉGNE D'UN ROI DE L'ANCIENEMPIRE 371
temps. C'est sans doute pour ce motif. que les remèdes an-
tiques sont quelquefois désignés comme tels, même lorsqu'ils
ne sont pas rapportes â un règne détermine'.
Je considère comme relativement récent le remède pour
les yeux que le Papyrus Ebers nous donne comme ayant été
enseigné de vive voix par un Syrien de Byblos 2. Quoique
cette ville soit cn rapport avec les plus anciennes légendes
du mythe osirien, je ne crois pas que le commerce familier
des Égyptiens avec cette région puisse être antérieur aux
conquêtes de la XVIIIe dynastie (XVIIe siècle avant notre
ére). Mais, vers cette époque, et surtout au début de la
XIX. dynastie, les relations entre les deux pays devinrent
très intimes; la littérature et les sciences de l'Égypte s'im-
prégnèrent fortement des idées syriennes, et les hiéroglyphes
admirent un très grand nombre de mots sémitiques. A cote
du médicament emprunte au Giblite, on peut citer les tertres
des champs de la soif fhébreu
) à Khaleb
(Alep), qui figurent dans une formule magique des papyrus
de Leyde destinée ;1 combattre la maladie samaouna2. Le
nom de cette maladie est lui-même d'importation aramLenne
ou arabe; on peut, en effet, le rapporter la racine
arabe sam, d'où It: nom du vent empoisonné samoun. Un
ne trouve l'indication de la maladie samaouna dans aucun
des écrits médicaux â nous connus. Ce mot ne représente
donc pasune maladie spéciale, mais seulement une cause
morbide, le poison par exemple, qu'on neutralisait, non par
des moyens thérapeutiques,mais par des formules magiques,
1. Tel est le cas cie l'explication des propriétés de l'arbre Tekem
trouvée dans des ÉCRITS ANTIQUES pour le bien dr l'humnnitê. Les
rameaux de ce bois, broyés dans l'eau et appliqués sur la tête, gué-
rissent le mal de tête comme si le malade n'en avait pas eu. et sa graine
prise dans de la buifotun de grains (haq. bière) favorise les selles (/'n-
pyrus Ebers, pl. VI, 4).
2. Papyrus Ebers, pl. LXVIII. 8.
3. Papyrusde Legde 343, pl. VII, 8.
372 DÉTERMINATIOND'UNE DATECERTAINE
dans lesquelles le nom étranger de samaouna était supposé
avoir une part d'influence.
Si la mention du Syrien de Byblos nous fait songer aux
débuts de la XVIIIe dynastie, le nom du prêtre Khoui nous
ramène au contraire dans l'Ancien Empire. Ce personnage
est cité comme ayant été le préparateur d'un collyre'.
Là s'arrête la liste des noms mentionnés par le Papyrus
Ebers, car c'est à tort, selon moi, que mes devanciers ont
attribué à un prêtre du nom de Nebsekhet la composition
d'un traité spécial incorporé dans ce papyrus. Il s'agit d'une
composition ayant quelque rapport avec le contenu du livre
trouvé sous le règne d'Ousaphais, et présentant les mêmes
caractères d'antiquité. Le nom de Nebsekhet ne peut guère
être supposé antérieur au Nouvel Empire'.
L'étude du texte hiératique m'a démontré que le texte du
passage n'autorise pas l'arrangement supposé par le savant
éditeur du papyrus. Voici, en effet, de quelle manière je
traduis le titre du traité dont il s'agit
Commencement du secret du médecin science de la marche du
cœur; science du cœur. Les vaisseaux qui en viennent vont tous
les membres. Ainsi, lorsque tout médecin, tout maitre purificateur,
tout aide, pose ses doigts sur la tête, sur l'occiput, sur les mains,
sur l'endroit du coeur, sur les deux bras, sur les deux jambes, il
mesure le cœur, parce que tous ses vaisseaux vont à tous les
membres par lui désignés, et dans les vaisseaux de tous les
membres'-
Ce texte semble se rapporter à la circulation du sang et a
la pratique en usage pour toucher le pouls. Cette pratique
offre assez d'analogie avec celle des médecins chinois, qui
1. Papyrus Ebers, pl. LXVIII, 4.
2. Le nom de la déesse Sekhet se rencontre souvent dana les noms
de femme, par exemple, Sekhetemheb, Sekhetnefer, Sekhethatap, etc.
Neb-Sekhet ne m'est pas connu. C'est une forme peu vraisemblable.
3. Papyrus Ebers, pl. XCIX, 1 à 15.
DANS LE RÈGNED'UN ROI DE L'ANCIENEMPIRE 373
interrogent le pouls à onze endroits différents, savoir l'occi-
put, sous les oreilles, sous les mamelles, à la partie anté-
rieure et inférieure des bras, à droite et à gauche du ventre,
a la cheville et sous la plante du pied'.
Les applications de doigts dont parle le texte égyptien
sont attribuées trois ordres de personnes
Ce n'est point ici le cas d'aborder les recherches philolo-
giques qui pourraient nous expliquer la nature des deux
dernières fonctions. Il s'agit évidemment de professions en
rapport avec les soins à donner aux malades. Ce qu'il nous
importe de constater, c'est que le passage ne contient aucun
nom de médecin', et que le traité médical, qui décrit une
pratique suivie par tous les assistants médicaux au commen-
cement du Nouvel Empire, nous atteste en quelque sorte que
l'origine de cette pratique n'était déjà plus connue, et nous
donne un nouvel indice de la haute antiquité de la médecine
en Egypte.Au résumé, nous n'avons encore rencontré aucun nom
d'auteur ou de vulgarisateur de procédés médicaux qu'on
puisse légitimement considérer comme appartenant au Nou-
vel Empire; les remèdes passaient vraisemblablement pour
d'autant plus efficaces qu'ils étaient réputés plus anciens. Le
nom le plus récent qui nous. soit connu jusqu'à présent dans
cette catégorie est celui de Chéops (Khoufou), le construe-
1. Notes sur la Chinr, F. Cbaulnes, dans le Journal officiel,1875.
2. Le nom supposé de Neb-Sekbet serait composépar la réunion du
signe nrb, qui signifie tout dans l'expression tout médecin, avec le
groupe que j'ai rendu par maître dans tout maître purificateur. Le
contexte n'autorise pas cet arrangement; aussi le déterminatif desnoms
d'hommes manque-t-il après Sekhct. Il faut donc rayer Neb-Sekhet de
la liste des médecinségyptiens.
374 DÉTERMINATION D'UNE DATK CERTAINE
teur do la grande pyramide. Un papyrus récemment acquis
par le Musée Britanuiquc contient un texte qui aurait été
découvert pendant la nuit a la clarté de la lune, dans le
temple de Coptos', et qu'on aurait ensuite apporté dans les
trésors du roi Khoufou1.
On remarquera, du reste, que les cartouches que nous
avons cités jusqu'à présent ne servent à dater que les dé-
couvertes des livres médicaux, mais non leur composition,
qui pourrait remonter beaucoup plus haut encore dans l'an-
tiquité. A la série de ces cartouches, j'ajoute aujourd'hui
un nouveau nom, celui de Menkara, qui serait le plus mo-
derne, puisque c'est celui du fils du second successeur de
Chéops, le ou d'Hérodote et de Diodore,
le de Manéthon. Les traditions rapportées par les
auteurs grecs, d'après lesquelles ce pharaon est repré-
senté comme un prince religieux et juste, sont en concor-
dance avec les monuments originaux, qui lui attribuent la
reconstruction des temples, tombés en ruines par la négli-
gcnce ou l'impiété de ses prédécesseurs. Nous savons par le
témoignage de plusieurs textes que le chapitre LXIV du
Rituel funéraire avait été trouvé sous le règne de Menkara
par un prince royal chargé d'une inspection générale des
temples 2, et que ce chapitre particulièrement important du
Livre des Morts4fut apporté dans les trésors de ce pharaon,
comme le livre mentionné par le papyrus du Musée Britan-
nique l'av'ait été dans ceux de Khoufou, et celui d'Ousaphaïs
dans ceux dc Senet.
1. S. Birch. Journal égyptologiquedr Berlin, 1871, p. 61.
2. Dans les ruines de Coptos on a truuvé le cartuuche d'un Entef de
la XI' dynastie Lc papyrus ;le Londres nous appprend aujourd'hui que
cette villc est d'origine beaucoup plus ancienne qu'on ne le supposait,
puisqu'elle avait un temple à l'époque de la grande pyramide.
3. Todtb., ch. LXIV, lig. 30.
4. Voir Papyrus Anastœ 1, p. 10, etc., et Vogage d'un Égyption,
p. 43 a 46.
DANS LE RÈGNE D'UN ItOI DE 1.'ANCIEN EMPIRE 375
Menkara fut coup sûr un souverain vénéré; on trouve à
son nom un certain nombre de scarabées', qui certainement
ne datent pas de son époque, mais qui démontrent que son
souvenir était cher aux Égyptiens. On en a découvert un
très beau de ce genre dans l'lie de Sardaigne, qui a fourni
par milliers des monuments de style égyptien',
On s'explique aisément la multiplicité de ces scarabées au
nom de Menkara. Il était, en effet, tout naturel de rappeler
la mémoire de ce roi sur les talismans dont la description
est détaillée dans le livre découvert de son temps et conservé
par ses soins. Ces talismans étaient précisément des scara-
bées de pierres dures ou de terre cuite, qu'on déposait à la
place du cœur de la momie, et sur lesquels on gravait une
formule mystique dont l'effet était de charmer le cœur pour
l'empécher de se présenter comme accusateur ou comme
juge du défunt, au suprême tribunal d'Osiris. Les petits
monuments de cette espèce ne sont pas tous pourvus de la
formule, mais on ne manquait jamais de la réciter comme
partie essentielle de la cérémonie appelée ap-ro, c'esta-dire
ouverture de la bouche, laquelle était supposée rendre au mort
toutes ses facultés et l'usage de tous ses membres. C'était,
selon l'expression du scribe qui a écrit le l'apyrtcs Anas-
tasi I, un trés grand et très redoutable nig.4lére', auquel
est demeuré lié le souvenir de Menkara à toutes les époques
de l'histoire égyptienne.
Il est assezremarquabled'avoirconstater que les pha-
raonsdont le règne nous est signalécommeayant procuré
ladécouvertedes livres de médecinesont tous mentionnes
par les historiens grecs ou par les listes manéthoniennes.
Téta ou Athothis, Husapti ou Ousaphals.Senet ou Séthé-
nés, Khoufouou Chéopsformentune sériede degrésbien
1.MuséedeTurin,CatalogueOrcurti,p. 15°,n'28: BritishMu-
séum,Cataloguede 1874,p.75,n' 3921,etc.2.Chau.Spano,BolletinoarcheologicoSardo,1855,p.42.
3. Voir Chabas. Voyage d'un Égyption, p. 46.
376 DÉTERMINATION D'UNE DATE CERTAINE
déterminés dans la chronologie des premières dynasties.
Menkara ou Mycérinus est un nom qu'il est très vraisem-
blable de rencontrer dans la même liste.
Mais nous avons un moyen bien plus certain que les vrai-
semblances pour la solution de la question, c'est l'étude ap-
profondie des signes hiératiques du cartouche qui a donné
lieu à tant d'hésitations de la part des égyptologues. Cette
étude, dont je vais résumer ici les résultats, m'a conduit à
la certitude que le cartouche en question se lit très naturel-
lement MENKARA,qu'il n'admet pas d'autre lecture, et que
par conséquent il est inutile de recourir à l'hypothèse de
cartouches encore inconnus et purement imaginaires.
Ce cartouche, dont voici la forme hiératique
se compose de trois signes que nous allons examiner succes-
sivement.
Le premier (en commençant par la droite, selon la règle)
est un simple crochet, une espèce de virgule employée pour
représenter le cercle avec point central, qui figure le mot
soleil (ra). Cette forme sommaire, qui n'est pas même une
abréviation, est assez rare. Je n'en connais d'autre exemple
que dans le même texte; elle y revient treize fois pour le
mot jour et dans le déterminatif du mot année, où elle se
trouve liée au segment. Comme on s'attend naturellement
à trouver le signe du soleil en tête des cartouches, on n'aurait
pas hésité à en déterminer la valeur, lors même qu'on n'eût
pas rencontré d'autre exemple de cette forme exceptionnelle.
Elle nous montre que le scribe du papyrus a tracé avec une
certaine précipitation la page du verso, ainsi qu'on peut
d'ailleurs en faire la remarque d'après d'autres indices. Il
est nécesaire de prendre en considération cette circonstance
pour l'appréciation des deux autres signes.
Le deuxième signe est une abréviation facile à
DANS LE RÈGNE D'UN ROI DE L'ANCIEN EMPIRE 377
comprendre de en hiéroglyphes La forme régu-
lière hiératique figure, au moyen de deux lignes, l'épaisseur
de la table du damier; mais la ligne supérieure se continue
en une troisième, destinée a représenter la saillie des pièces
du jeu. Ce tracé pouvait être fait d'un unique trait de plume
se terminant par le relèvement de la ligne inférieure. Le
signe hiératique régulier peut être observé au Papyrus
Ebers, pl. XXXIX, 21, pl. YXXV1I, 10. etc. Au Papyrus
Prisse, la forme en est un peu simplifiée; on n'y remarque
plus la saillie des pièces (voir pl. XIII, 10), et quelquefois
elle diffère dans la disposition des deux lignes du damier
(pl. Il. 8). On y trouve de plus une abréviation qui rappelle
celle qui fait l'objet de cette étude, 1q (pl. XVII, G)'.
Aux Papyrus de Berlin nOS1 et 2, manuscrits contem-
porains du Papyrus Prisse, le signe en question offre
lca mêmes variantes (voir n° 1, l. 25, 83, 84, 103, etc.) et
d'autres du même genre, telles que (no 1, 49), où l'on
peut observer la marge que se donnait le caprice des scribes.
Mais nous n'avons parlé ici que de la forme hiératique qui
imite le mieux celle de l'hiéroglyphe, et de ses variantes
régulières. Cette forme a subi dans tous les temps des
altérations considérables, surtout lorsque l'écrivain a
voulu comprendre dans son abréviaton le complémen-
taire. Au Papyrus Ebers, notre signe devient alors
(pl. XXXVI, 4) et (yl. LVI, 4). On voit que les lignes
verticales figurant l'épaisseur tendent à disparaître de plus
en plus, de telle sorte que le signe pouvait être tracé sans
reprise ni temps d'arrêt. Sur cette voie les scribes n'avaient
pour ainsi dire pas de limites; notre signe se réduit souvent
à trois lignes liées, plus ou moins égales de longueur, qui,
1. La différencetient surtout à ce que l'écriture du Papyrus Prisse
est beaucoupplus massive.
378 DÉTERMINATION D'UNE DATE CERTAINE
considérées isolément, répondraient à une grande variété
d'hiéroglyphes, tels que J,etc. Voir Pap. Ebers, pl. LXVIII, 10, L, 1,
LII, 2, CIII, 11, etc.. et Pap. Berlin l, I. 112, etc.
Une de ces variantes reproduit de près celle qui nous
occupe; en voici la forme distraction faitedela barre
qui représente le (Lepsius, Austcahl, etc., pl. VI,
col. 10). Elle se compose d'une anse à gauche, superposée
à la base horizontale, et d'un trait terminal à droite, et ce
sont bien les points caractéristiques que nous présente le
signe du cartouche discuté. Nous les trouvons sous une
forme encore plus simplifiée dans les exemples que nous
venons de citer et qu'il serait facile de multiplier à l'infini,
et il est absolument vrai de dire que, sous ce rapport, nous
n'avons pas affaire à une forme exceptionnelle et sans pré-
cédents, mais à une forme connue par des analogues, et
beaucoup moins difficile à reconnaître que celle du mêmo
si«ne dans la même page du papyrus, oü elle se rencontre
dans mot qui serait absolument illisible si l'on n'en
connaissait pas l'orthographe hiéroglyphiquedans
la liste des dieux du mois.
Au nombre des signes dont le tracé hiératique peut être
confondu avec les abréviations de celui de il faut citer
celui qui correspond à l'hiéroglyphe du bras étendu ayant la
paume de la main en dessous Les exemples de ce signe
abondent au Papyrus Ebers. C'est a bon droit que M. Good-
win l'a comparé à celui du cartouche. Cependant, on re-
marquera dans la disposition des deux tracés une différence
caractéristique; le crochet droite, qui, dans le signe du
bras étendu, figure la main renversée, a plus d'importance
que le crochet terminal de l'hiératique de lequel cor-
respond simplement à l'épaisseur du damier. On voit la
différence dès la première page du papyrus (aux lignes 5
et 7) on nous trouverons la forme Le signe
DANS LE RÈGNE D'UN ROI DE L'ANCIEN EMPIRE 379
n'est donc, comme ceux que nous avons énumérés plus
haut, qu'une des nombreuses suppositions permises par l'in-
certitude de l'écriture. Mais, ainsi que nous l'avons déjà
fait observer', nous avons des motifs puissants pour ne pas
admettre hypothétiquoment un signe de raleurs multipliées
qui ne se rencontre, comme figuratif, dans aucun cartouche
ancien ou moderne.
Passons au troisième signe qui se compose d'un hié-
roglyphe suivi de la barre droite, qui accompagne habituel-
lement un assez petit nombre de signes, mais qui peut
exceptionnellement se rencontrer avec beaucoup d'autres.
Voici la liste de ceux qui présentent cette particularité et
qui peuvent entrer dans les cartouches
1 et 2 et s, si (fils);
3 b, ba (âme);
4 et 5 neb (maître, seigneur, tout);
6 et 7 l, r, ro (bouche)
8 lri, hir (sur, face);
9 het (cœur);
10 UI, lea (personne, personnification, noni).
Nous pouvons tout d'abord mettre hors de cause sept de
ces dix signes, dont le tracé hiératique n'a aucun rapport
avec celui que nous avons à étudier. Notre examen portera
dès lors seulement sur les trois ci-après
1° Le n° 2, qui est l'oie notée, signe de l'idée fils,
quelquefois employée pour exprimer ou pour doubler la
consonne s. Sa forme hiératique abonde dans les manuscrits
de toutes les époques. En voici les principales variantes
Pap. d'Orbiney, pl. XIX;
Pap. Prisse, V, 6;
1. Ci-devant, p. 119(; cf. p. 369du prient volume].
380 DÉTERMINATION D'IINF DATF CFRTAINE
Pap. AGbott, III, passim;
Pap. Sallier III, p. 2, 3:
Pap. Rhind, p. 24, 7.
Ces formes diverses présentent toutes un détail qui manque
au signe du cartouche, c'est le trait transversal ou crochet
qui commence le signe et correspond à la tête de l'oiseau.
Cette particularité caractéristique se reproduit dans tout le
Papyrus Ebers; en voici deux exemples
I, 16;
LXIX, 3; LXIX, fi.
Cette simple observation nous suffit pour nous faire renoncer
au signe auquel du reste personne n'a encore songé.
2° Le n° 3, oiseau caractérisé par une touffe saillante
en avant du cou. L'emploi n'en est pas moins fréquent que
celui du précédent. Nous en reproduirons également les
formes hiératiques usuelles
Pap. Prisse, VII, 12:
Pap.Berlin I, 1. 253:
Pap. Berlin I, 1. 363:
Pap. Anast. III, p. 4, 9;
Pap. Berlin VII, 1. 60.
On pourrait multiplier sans mesure ces citations; elles
amèneraient toutes au même résultat, à savoir que, dans ce
signe, le crochet firurant la tête de l'oiseau est encore plus
DANS I.E RÉGNE D UN kUl DE l'ANCIEN EMPIRE 381
accentué que dans l'hiéroglyphe précédent. Au Papyrus
Ebers, non seulement ce crochet ne manque jamais, mais de
plus, au lieu d'une simple base droite, le signe présente des
traits fortement accusés destines à figurer les pattes de l'oi-
seau. En voici doux exemples
p. 99, 8
p. 73, lï.
Nous n'hésitons conséquemment pas à conclure que nous
devons rejeter l'hiéroglypheaussi bien que l'hiéroglyplre
Ces éliminations faites, il ne nous reste plus que le
groupe U, dont le premier signe V représente deux bras
élevés poses sur une barre droite, tantôt unie, tantôt munie
d'un petit relief qui en indique le milieu. La forme hiéra-
tique diffère souvent très peu de l'hiéroglyphe lorsque les
deux appendices qui figurent les mains sont tracés, mais,
comme dans tous les autres hiéroglyphes, les scribes ont de
plus en plus visé à la simplification, et le signe étudié s'est
plus ordinairement réduit à deux barres à peu près verti-
cales et parallèles, portant sur une base plus ou moins hori-
zontale, droite ou légèrement arquée, habituellement tracée
au moyen d'un trait spécial de plume; ce que l'on reconnaît
aux saillies formées par cette base à droite ou à gauche des
lignes verticales, et aussi au crochet terminal, qui est aussi
tantôt à droite, tantôt à gauche, selon le côté par lequel le
scribe avait commencé.
Je reproduis ici quelques-uns des types fournis par les
principa.ux manuscrits
1. L'hiératique de l'oiseau à ailes éployées est encore plus différent
du signe du cartouche. On peut s'en assurer en comparant les formes
qui se trouvent au Papyrus Ebers, p. 96, 16, et 103b.
382 DÉTERMINATION D'UNE DATE CERTAINE
Pap. Prisse, VII, 5:
ibid., XIII, 8;
Lepsius, Auswahl, pl. VIII; Königsb., VIII, 18;
Rituel funéraire de Leyde, p. 14, col. 23, 15.
La dernière forme est la plus hâtive ou du moins la plus
négligée;le parallélisme des bras est très défectueux et le
trait de jonction est interrompu. Elle se rencontre dans un
cartouche'. Dans le corps du Papyrus Fbers, le signe U ne
se trouve pas avec sa valeur particulière personne, indici-
dualité, à laquelle est habituellement attachée la barre ou
note verticale. On n'y trouve que les formes ordinaires d'écri-
ture soignée
p. 102, 2.
A t'exception de deux des variantes ci-dessus, ces formes
ont exigé trois reprises de la plume. Lorsque l'écrivain vou-
lait aller vite, il réunissait les traits autant que possible de
manière à éviter les reprises mais, pour arriver à la jonction
des deux barres parallèles, il était nécessaire de leur faire
subir une déviation et de les réunir à la base; c'est ce qui
est arrivé dans notre cartouche. Dans on reconnaît faci-
lement une forme cursive du signe, ne différant des exemples
cités plus haut que par la jonction que je viens d'expliquer.
Le seul indice de précipitation qui se décèle ici consiste uni-
quement en ce que le scribe n'a pas assez noyé cette liaison
1. Précisémentlecartouche de Menkara.
DANS LE RÉGNE D'UN ROI DE L'ANCIEN EMPIRE 383
dans la base. Ce défaut est moins sensible dans la forme
(Pap. leiérat. de Leyde 350, revers, 165, 28). Mais il l'est
bien davantage dans (Pap. rie Berlin n° 1, lig. 203).
Un pourra très aisément utulliplicr le nombre de ces
observations, mais, dés à présent, je crois pouvoir dire avec
une entière certitude que j'ai prouve jusqu'à l'évidence la
lecture du cartouche Menkara1.
Nous avons maintenant nous expliquer les motifs pour
lesquels le scribe du Papyrus Ebers a inscrit sur la page la
plus apparente de son manuscrit la date et le double calen-
drier dont nous venons de discuter toutes les particularités.
Cette explication est des plus simples; elle est pour ainsi
dire écrite en toutes lettres dans le papyrus. Dans le Mé-
moire auquel je me suis déjà plusieurs fois référé. M. le
docteur Lcpsius l'a exposée d'une façon très lucide.
Au nombre des prescriptions médicales fournies par le
livre, il en est pour lesquelles on devait avoir égard aux
saisons. Par exemples, une potion ayant pour effet de dé-
truire les vers intestinaux devait être filtrée en été1.
Un topique pour renforcer la vue se préparait au premier et
au deuxième mois de l'hiver2.
Un autre qui guéris-
sait les vaisseaux saignants dans les yeux devait être fait au
troisième mois et au quatrième mois de l'hiver (phamenot
et pharmouti)4.
Ces indications restrictives sont corroborées par la men-
tion d'indications contraires dans certains cas un autre
collyre pouvait être fait en été, en hiver et dans la troisièine
1. Dans les cartouches, U est souvent A'rit sans la barre latérale. On
la trouve cependant quelquefois, mais plus ra rement, dans les hiéro-
glyphes que dans l'hiératique (voyez Papyrus Abbott, pl. III, 12;
Königsbuch, VIII. n'43. 19, ibid., pl. XXII, trois exemples, etc.).
2. Papyrus Ebers, p. 18, 2.
:1. Ibid.. p. 61. 14.
1. Ibid., p. 61, :t. 1 et 5.
384 DÉTERMINATION D'UNE DATE CERTAINE
tétraménie de l'année égyptienneOn trouve aussi
un remède pour que la femme ouvre la conception dans la
première,la deuxième et la troisième saison2. Ici les saisons
ne sont pas désignées par leur nom, mais seulement par leur
numéro d'ordre.
Citons entin l'onction parfumée au moyen du layuelle
était combattue la mauvaise odeur en été3.
Maintenant rappelons-nous que l'année de 365 jours, com-
posée de 12 mois de 30 jours, et des 5 jours complémen-
taires, a été en usage 11 toutes les époques à nous connues de
l'histoire d'Égypte; elle a même survécu aux dispositions
formelles du décret de Canope par lesquelles était presrrite
l'introduction d'un jour intercalaire tous les quatre ans'.
Cette année civile rétrogradait sur l'année naturelle et, pour
ce motif, était appelée année vague.
Voici en quels tcrmes le texte hiéroglyphique du mo-
nument bilingue, que je viens de citer, rend compte des
effets du phénomène sur le calendrier
Mais comme il arrive que se transfère le lever de la divine Sothis
à un autre jour chaque quatre ans. et que la fête n'est pas trans-
fériée.
Donc, pour faire que les choses soient faites en leur temps fixé
en toute saison, en conformité de l'état où se trouve établi le ciel en
ce jour, et pour que ne se produise pas l'événement que des fêtes
usitées dans toute l'Égypte, ayant été faites en hiver, soient faites
en été en un certain temps, à cause du transfert du lever de la
divine Sothis d'un jour tous les quatre ans, et que d'autres fi·tes
célébrées en été à présent soient faites en hiver dans l'avenir,
comme l'év'énement est arrivé aux temps anciens; parce que, en
effet, il en sera ainsi si l'année est de 36b jours, et des 5 jours ex-
ceptionnels ajoutés à la fin.
1. Papyrus Ebers, p. 61, 6.
2. Ibid., p. 93, 6.
3. Ibid., p. 86, 8.
4. Dècretde Canope,texte hiér., lig. 22 et 23;texte grec, lig. 44 et 45.
DANS LE RÈGNE D'UN ROI DE L'ANCIEN EMPIRE 385
1
BISL. ÉGYPT., T. XIII. 25
Qu'il soit ajouté, comme fête des dieux Évergètes, à partir d'au-
jourd'hui, un jour chaque quatre ans en addition aux cinq jours
complémentaires, avant la fête du commencement de l'année'.
Ainsi donc le mouvement de l'année vague dans l'année
naturelle déplaçait les saisons à raison d'un jour tous les
quatre ans, de telle sorte que 1.460 années caniculaires repré-
sentaient exactement 1.461 années vagues. Pendant cette
période, sans que les indications du calendrier usuel eussent
été changées, les jours, les mois et les trois saisons avaient
successivement occupé toutes les positions dans l'année;
l'hieer et l'été s'étaient remplacés l'un l'autre, et ce qui se
passait pour les fêtes arrivait forcément pour toutes choses.
S'il n'avait pas existé un moyen facile de ramener à leur
véritable signification les prescriptions liées aux saisons, ou
recommandées pour certains mois à l'exclusion des autres, il
aurait été indispensable de changer ces indications en les
ramenant au comput du calendrier usuel contemporain des
éditions successives du livre médical. Et même, dans ce
cas, il fallait indiquer avec soin la date de chaque copie, car
les Égyptiens avaient la prétention d'écrire pour les siécles,
et il sutfisait de 120 ans pour amener un déplacement d'un
mois dans les saisons.
Au lieu d'employer ce moyen précaire, le scribe du Papy-
rus Ebers a placé en tête de son livre la date de sa composi-
tion, et celle du commencement de l'année correspondant au
lever de Sothis. Cette indication aurait pu suffire à la ri-
gueur; elle montrait qu'en l'an IX de Menkara, le 9 épiphi
correspondait au premier jour du premier mois de l'année
fixe, mais le scribe a voulu y ajouter la même indication
pour la correspondance des onze autres mois. L'utilité de
1. Décret de Canopc, texte hiérog., lig. 20 à 23. Le texte grec cor-
respondant est identique, mais un peu plus bref. Les motifs donnés
pour la réforme de Jules COsarsont identiques (voyez l'lutarque, Vie
de César).
386 DÉTERMINATION D'UNE DATE CERTAINE
son petit paradigme ne saurait être méconnue. Il facilitait
la réduction des dates de toute époque de l'année usuelle en
dates de l'année fixe, et permettait au médecin de mettre
ses ordonnances en harmonie avec la marche des saisons.
Ces considérations nous montrent que la première pagedu papyrus est bien à sa place naturelle en tête du rouleau,
pour lequel elle est une clef indispensable. Le Papyrus Ebers
l'a reproduite d'après l'original, que son auteur a daté du
J épi phi de l'an IX de Menkara. Nous comprenons aisément
la nccessitd d'une date exacte en pareille matière, et il ne
nous est plus permis d'entretenir le moindre doute sur la
haute antiquité du livre médical. Il est extrêmement pro-bable que tous les traités de médecine étaient munis d'un
calendrier du même genre, sans lequel certaines de leurs
prescriptions ne pouvaient être employées à propos. Nous
ne possédons pas d'autres ouvrages complets du même
ordre, mais l'avenir nous enrichira probablement sous ce
rapport.
Ma dissertation ne modifie nullement les opinions les plusaccréditées parmi les égyptologues concernant les dates re-
culées de l'histoire de l'Égypte. Mais elle donne aux vues do
notre école une autorité et une précision qui leur manquaientencore. Pour me résumer, je ne crains pas d'affirmer qu'iln'existe pas de date historique plus avérée que celle de
l'an IX de Menkara, tombant dans l'intervalle qui s'est
écoulé entre l'an 3007 et l'an 3010 avant notre ère, ou, si
l'on veut, pour simplifier, 3.000 ans avant J.-C. C'est un nou-
veau point fixe à rattacher à l'an 1300 qui appartient au
règne de li.amsés III. Pour les 1.700 ans d'intervalle, les ma-
tériaux historiques abondent, mais il nous reste beaucoup de
questions à résoudre, dont la plus importante est celle de la
durée de la domination des Pasteurs.
Au delà du trentième siècle, les calculs d'Africain nous
donnent un intervalle de 937 ans entre la première année
de Menés et la neuvième de Menkara; c'est pendant cette
DANS LE RÈGNE D'UN ROI DE L'ANCIEN EMPIRE 387
période que furent construites les plus grandes pyramidesde Gizélr et les pyramides moins considérables des pre-mières dynasties. Nous possédons trop do restes imposantes
des arts, des sciences et de la littérature de cette époque
reculée pour être tentés d'hésiter a lui attribuer une aussi
longue durée. Ménés date bien réellement du quarantièmesiècle avant notre ère, et les arrangements clwonologiqucs
proposés par M. Lepsius ne partissent pas devoir être sen-
siblement altérés.
Il y a près de six mille ans, l'Égypte était civilisée, di-
visée en haute et basse région et gouvernée par un seul
maitre; l'art des constructions, la fabrication des métaux,
l'astronomie, la médecine, etc., y étaient cultivés. Rien n'y
rappelait un àgc de pierre quelconque; l'histoire est ici
beaucoup antérieure à la plupart des débris inexactement
appelés préhistoriques.
RÉPERTOIRE SCIENTIFIQUE ET LITTÉRAIRE
SOUS LA DIRECTION DE M. P. CHABAS'
AVERTISSEMENT
Je me propose de publier sous ce titre, mais sans pério-dicité réôuliére, une série d'articles destinés à porter à la
connaissance du plus grand nombre possible de lecteurs
tous les faits intéressants dans le domaine de la science, des
lettres et des arts. Le but principal que je me propose
d'atteindre, c'est d'offrir une publicité suffisante aux trou-
vailles archéologiques, aux découvertes du ressort des
sciences naturelles, aux observations nouvelles, aux con-
statations obtenues par l'étude et par l'analyse dans toutes
les branches de l'activité humaine.
Un grand nombre de faits très intéressants et quelquefois
importants passent inaperçus, ou à peine mentionnés en
entrefilets dans les colonnes des journaux, où ils s'oublient
avec les faits divers dans lesquels ils sont encadrés. J'en
pourrais citer bien des exemples, mais je me bornerai à
1. Les articles de vulgarisation réunis sous cette rubrique ont été
pnbtiéedans les numéros des 8, 20, 21, 24 et 25 janvier 1877,du Pro-
grès de Saônc-et-Loire. Je doMà l'obligeance de M. Virey la copiequim'a permis d'en donner ici l'avertissement et l'analyse. L'entreprisefut arrétée presque dès ses débnts par les premières crises du mal quidevait plus tard enlever Chabas. —G. M.
390 RÉPERTOIRE SCIENTIFIQUE ET LITTÉRAIRE
rappeler celui de la caverne dite de la Mére-Gnand, à
Rully, découverte et fouillée à fond par M. E. Perrault,
qu'une mort prématurée a enlevé si jeune à la science. P,our
l'étude de « l'âge de la pierre », cette caverne, abandonnée
par l'homme avant l'usage des hachettes polies et de la
flèche n ailerons, offrait des ressources au moins aussi abon-
dantes et aussi significatives que celle do Germolles'.
Mais, tandis que la caverne de Germolles a été décrite
dans deux mémoires spéciauc', il ne nous est resté de celle
de Rully que quelques notes éparses dans la correspondance
privée de M. E. Perrault.
La récolte de débris d'animaux quaternaires, d'os tra-
vaillés et de silex ouvrés, si précieuse et si intéressante
pour notre localité, a été, il faut bien l'avouer, dédaignée
par ceux à qui il appartenait d'en assurer la possession à
notre ville.
Elle est entrée en entier' dans la collection d'un spécia-
liste du département, qui possède aussi la liste des débris
de la faune, classés par M. E. Lartet, document aujourd'hui
d'inappréciable valeur, et des notes assez détaillées que
M. Perrault avait préparées pour la publication de sa décou-
verte.
Qu'on me pardonne si je donne ici tous ces détails. Je
désire vivement que le possesseur actuel de ces précieux
documents et de ta collection de M. Perrault donne a cette
belle découverte la publicité depuis longtemps désirée et
attendue.
1- Parmi lesdécouvertesnon publiées dumêmeordre, nous pouvons
çiter l'exploration.faite par nous de la belle grotte de Culle-3.Nous
nous préparonsà enfaire connaître les résultats. L. Landa.
2. Landa et Guillemin,Matériaux d'archéologie et d'histoire, 1869,
p. 82; Ch. Méray,Comptercndu desFouillea,et Notes additionnelles,
par F. Cbabas[; cf., pour celles-ci, les pages 193-233 du présent
volume].3. A la seuleexceptionde trois petits cartonsde silex, tailles et d'os,
produit de mes fouillesavec E. Perrault.
RÉPERTOIRE SCIENTIFIQUE ET LITTÉRAIRE 391
Les trouvailles archéologiques de moindre importance se
comptent annuellomcnt, pour ainsi dire, par centaines. Elles
excitent le plus souvent un mouvement de curiosité dans un
petit cercle d'amateurs, puis on les perd do vue dans les
tiroirs de quelque cabinet; bientôt les objets se mélangent,
et il devient impossible d'en constater l'origine.
Les documents scientifiques sont des anneaux d'une
chaîne qui ne doit pas être interrompue. S'ils ont un intérêt
particulier pour la localité dans laquelle on les a découverts,
c'est moins à raison de leur valeur intrinsèque, quelle
qu'elle soit, que pour l'importance de l'information nou-
velle qu'ils apportent ou de la lacune qu'ils comblent.
A ce point de vue, il est vrai de dire que toutes les décou-
vertes sont en quelque sorte solidaires. Notre Répertoire
contiendra pour ce motif des renseignements sur les faits
scientifiques signalés ailleurs, soit en France, soit :i l'étran-
ger. Il admettra aussi les comptes rendus littéraires, les
nouv elles des arts, etc.
Une œuvre de cette nature appelle un nombre indéfini de
collaborateurs. Nous n'avons pas besoin de dire que le Ré-
pertoire n'est cnaucune manière destiné a publier in extenso
des mémoires d'une grande étendue, ni des études tech-
niques il formera une collection de notices ou d'analyses
sommaires sur les mémoires et les études qu'il serait bon de
signaler à l'attention publique, et sur les découvertes et les
faits qui mériteraient d'être traités dans des publications
spéciales.
Ce cadre admettra donc sans difficulté des indications et
des renseignements succincts de tout genre, et des notes
consulter pour l'étude, sans exclure cependant les courtes
dissertations.
Sous les auspices de la Société d'histoire et d'archéologie
de Chalon-sur-Saône, les numéros du Répertoire seront
transformés en petites brochures paginées, de manière à
former des volumes d'environ trois cents pages chacun. Lors
392 RÉPERTOIRE SCIENTIFIQUE ET LITTÉRAIRE
de cette mise en pages, les articles recevront les additions
nécessaires, et notamment celles de planches ou de vi-
gnettes, que la composition du journal ne comporte pas.
Les collectionneurs de tout genre trouveront dans le
Répertoire un moyen facile de faire connaître et apprécier la
richesse de leurs cabinets à mesure qu'ils se les procureront.
Ils pourront ainsi créer â tous les objets de quelque valeur
un titre d'origine qui leur manque presque toujours, et qui
est cependant indispensable lorsqu'il y a lieu de les faire
servir à des études scientifiques.
Toute communication de cet ordre sera accueillie et exa-
minée avec impartialité; il en sera de même des observations
scientifiques ou littéraires portant sur des faits anciens ou
nouveaux, qu'il pourrait être utile de recueillir ou de si-
gnaler. Du reste, l'expérience montrera suffisamment les
améliorations dont ce plan est susceptible, en vue du but à
atteindre.
Chalon-sur-Saône, le 15 janvier 1877.
NOTABENE. Une premièreétudeest souspresse;elle
complétera,à la suite de l'avertissementqui précède,leno 1 du Répertoire.
N° 1
Notice sur un Scarabéesarde
C'estletexte mêmedupetitmémoirepublié auxpages267-276 du présentvolume. Chabas,le transformanten bro-chure ainsiqu'ilavait dit danssonavertissement,a ajoutéles paragraphesde notre page272,qui contiennentlefac-similé de l'objetet le texte hiéroglyphiquede la légendequ'il porte. Après la phrase « Cet usage a dû prendre» sonorigineà l'époque de la réuniondes deuxpartiesde
RÉPERTOIRE SCIENTIFIQUE ET LITTÉRAIRE 393
» l'Égypte sous l'autorité du même monarque Il, il a con-
tinué par « On lit dans l'inscription Ligne 1. L'existence
» double divine n, et tout ce qui suit sur nos pages 273-274
jusqu'à la fin du mémoires. G. M.
N" 2
Notice sur la découverte d'une couche abondante de
crinoïdes fossiles, de l'espèce Pentacrinus
C'est le mémoire publié sous le même titre aux pages 255-
264 du présent volume, moins le paragraphe de la page 260,
qui commence par les mots « Avant les sondages effectués
» par les expéditions scientifiques au Challenger. », et les
deux premiers paragraphes de la page 261. Après cette
lacune, le développement, interrompu à notre page 260 sur
les mots « aucun cependant ne les surpasse en élé-
gance », reprend à notre page 261 sur les mots « Notre
» crinoide appartint à la famille des Pentacrinus. u, et
continue sans interruption jusqu'à notre page 264. Là, il
s'arrête sur la phrase « C'est ce que nous diront les savants
» qui en rendront compte u. Le dernier paragraphe de
notre page 264, commençant par « Provisoirement et pour» suppléer à ce que mes descriptions ont nécessairement
» d'incomplet, », est remplacé dans l'article du Progrès
par le paragraphe suivant
« La brochure, dans laquelle le présent article sera publié» pour la librairie, contiendra une planche représentant un
» Pentacrinus reconstitué au moyen de trois échantillons
» de mon cabinet provenant do la collection Saint-Julien.
» II s'agit d'un individu que la catastrophe finale, qui l'a
» précipité dans la boue calcaire, tombeau de sa race, a sur-
» pris les bras ouverts et prêt à appréhcnder sa proie. Mais
» d'autres individus ont été saisis dans d'autres positions» aussi possédons-nous des sommets que les curieux ont
394 RÉPERTOIRE SCIENTIFIQUE ET LITTÉRAIRE
» comparés à de grandes araignées à longues pattes minces;
» d'autres, dont les bras sont encore plus resserrés, figurent
» exactement un épi de blé à barbe; cette diversité nous
» laisse présumer qu'il y avait dans le gisement plusieurs
» espèces. Cette question sera traitée, ainsi que nous l'avons
» déjà dit, par un spécialiste liabile, à la disposition duquel
» nous mettrons nos nombreux fossiles et ceux que nous
» pourrions trouver encore ou que d'autres pourraient nous
» communiquer. u
N° 3
Archéologie1
Les fouilles et démolitions pratiquées dans le vieux châ-
teau de Ruffey ont mis à découvert une de ces pierres a
cavités, qui sont depuis quelque temps un objet de curio-
sité, connu sous le nom de « pierres à écuelles ou à bassins u.
Comme l'indique leur nom, il en existe de différentes
formes consistant le plus souvent en un bloc, à la surface
duquel on aurait pratiqué diverses cavités. On conçoit
aisément qu'un grand nombre de pierres ainsi creusées aient
pu être rapprochées des antiquités de l'àgo de la pierre.
Des études intéressantes ont été tentées de ce côté, et M. le
professeur Desor a constaté dans le Lyonnais des blocs à
écuelles analogues à ceux de la Suisse.
La pierre découverte à Ruffey ne nous ramène pas aussi
loin en arrière.
C'est en effet une masse de grès taillée en prisme sur une
longueur d'environ quatre-vingts centimètres de diamètre.
Sur le sens de l'épaisseur, elle est brisée par un bout, tandis
que, de l'autre bout, elle représente un tourillon avec un
crochet. Par le moyen de ce tourillon, on pouvait la faire
1. Publiée dans le Progrès de Saône-et-Loire du 22 septembre1878.
RÉPERTOIRE SCIENTIFIQUE ET LITTÉRAIRE 395
mouvoir facilement, de manière à verser le contenu des
récipients. On se fera une idée de ce mécanisme en recou-
rant aux planches publiées par M. l'abbé Cochet dans sa
note sur les vases de pierre découverts à Metz (Bulletin
de la Société des Antiquaires de France, 1865, p. 152 et
suiv.).
Mais il existe un ustensile encore bien plus semblable à
celui de Ruffey il s'agit d'un mortier qui, en 1867, se
voyait encore dans la cour d'une ferme voisine de l'ancien
château de Toulenjon, canton de Mesvres (Saône-et-Loire).
M. de Charmasse, qui l'a publié dans le Bulletin des Anti-
quaires de France (1868, p. 84), l'appelle avec raison un
simple mortier, dont le possesseur actuel lui a parfaitement
expliqué l'usage. On s'en servait encore il y a à peine
trente ans. L'appareil était alors fixé sur des montants en
pierre percés de deux trous dans lesquels s'adaptaient les
tourillons placés aux extrémités du mortier, de façon à faire
manœuvrer celui-ci très facilement, et par un simple mou-
vement de bascule.
Quant au nombre des récipients, qui est souvent de
quatre, il est de six dans celui de M. de Charmasse, et il
off mit ainsi un récipient spécial pour chaque matière, de
manière à éviter la communication des goûts. Ainsi, l'une
des assiettes était consacrée à recevoir les deux noix dont
on voulait extraire l'huile; la seconde, la navette employée
au même usage la troisième, le froment, céréale rare alors
dans le pays et dont la farine servait seulement à faire des
gâteaux; la quatrième, l'avoine; la cinquième, le sarrasin,
et la sixième, le mais.
Voilà assurément une explication satisfaisante de la pierre
de Ruffey. Mais elle ne fournit par elle-même aucun indice
nouveau, si ce n'est qu'on l'a observée dans l'un des murs
reconstruits dans la cour du château. Il y a lieu de penser
que l'objet ne provenait pas de plus loin; c'était comme à
Toulenjon un instrument de ferme, d'un usage peu ancien.
396 RÉPERTOIRE SCIENTIFIQUE ET LITTÉRAIRE
Nous découvrirons sans doute quelques-uns des usages de
certains objets antiques rapportés à l'époque préhistorique
et qui, comme nos pierres, redescendront à l'époque mo-
derne. Le caractère artistique de la pierre de Ruffey ferait
supposer un travail du XIVe ou du XVe siècle.
L'ORAISON I
COPTEMEMPHITIQUE IIIÉROG
1. Placard composé par Cliabas p"ur Jules Dejussieu.et (lui figura à l'Exposition
)OMINICALE1
LYPHES EGYPTIENENLETTRESCOPTES
universelle de Paris en 1878, dans la vitrine de son imprimerie.—G. M.
LE PAPYRUS ANASTASI N° 6'
1recol. (1. 7 et 8)
Le scribe' pour la satisfaction de son maltre3.
Cet envoi est fait pour faire savoir à mon maître, à savoir
j'ai exécuté toutes les commissions qui m'ont été données
d'une manière complète et entièrement parfaite. Je ne
serai pas21col.
1 repris par mon maître.
1. Publié incomplètement par M. Revillout dans la Rcouc égyp-
iologiguc, 1885, t. III, p. 37-41. M. Bénédite a bien voulu me prêter
le manuscrit original, ce qui m'a permis d'ajouter, à la portion que
M. Revillout avait donnée. ce qui reste des dernières parties de la
transcription et de la traduction. G. M.
2. An commencementdu papyrus, on lit en six lignes le protocoledu
roi Séti Ménéptab Il, protocolequi ne présenteaucune difficulté et que
M. Chabas n'avait pas traduit. —(E. R.)
3. La leçon complète du texte est a Son maître le scribe du trésor
Kagabu —vie, santé, torce » (E. R.)
39S LE PAPYRUS ANASTASI N" G
II est que j'ai fait un voyage à l'endroit oit est mon
maitre, conduire l'ouaou' de
2 harque, qui mc livra son cultivateur; il fut placé dans
l'Ath2, en la ville de Teben-t 3.
3 Il laboura pour le scribe militaire Pamer-Menmon, qui
est établi dans la ville de TeLcn-t;
1. Le capitaine ou lieutenant de barque portait ce titre. Voir l'inscrip-
tion d'Ahmès et Brugsch, Dictionnaire, p. 242 a 243 et 664. (E. It.)
2. Brugsch-Pacha, dans son Supplément au lexique, p. 165, traduit
ce mot ath (d'après notre document même) par prison ou cachot (das
Gefängniss). (E. lt.)
3. Brugsch-Pacha, dans son Dictionnaire gèographique, p. 644 et 931
à 932, assimile la ville de Teben ou Teben-t à la Daphnæ d'Hérodote,
Tell-Dcfcnneh de nos jours. Elle était située, selon lui, non loin de
Tanis-Ramsès. Il cite, à ce propos, notre passage du Papyrus Anas-
tasi VI, qu'il traduit ainsi « 11 fut emprisonné dans la ville de Taben,
en Iabounnt la terre du grammate des soldats Pemermenmen qui est
stationné dans la ville de Taben. On le retenait ainsi pendant vingt-
trois jours ». Il faudrait plutôt traduire a Il fut placé dans la garde
(custodia) des gens qui sont dans la ville de Tcbcn. Il y laboura 1), etc.
Le mot que l'on peut traduire par custodia, comme l'a fait
M. Brugsch, répond au mot copte ligare, qu'on retrouve en démo-
tique sous la forme ath, détcrminé par le bras armé, et qui signifle
lirr, saisir, faire proie. Voir Iterrec ègyptologique, 2' année, n" II
et 1/1, pl. 15, 2° col., 1. 3. (E. R.)
LE PAPYRUS ANASTASI N° G 399
—qu'il fit'
4 abandon ving-trois jours et sa ferme' fut abandonnée;
l'intendant Tiaou y fit toute espèce de mal il fit aller
5 trois serviteurs
— et on fut à conduite devant le Mer militaire Hui et
le scribe Ptahemheb
-et l'on fut à faire
6 que j'inventoriasse les Mérous en un rôle, et il emmena
l'atelier et il fut dans sa ville.
7 — Et il arriva qu'il me fit inventorier dans le temple
de Ramsès Mériamen, et les hommes furent
1. Brugsch-Pacha transcrit au lieu de
(E. R.)
2. Lire et non Le syllabique est écrit en hiératique.
comme plus haut dans le mot que M.Chabas avait
d'abord transcrit puis corrigé, comme ci-dessus (cf.
Brugsch. Dictionnaire, p. !r73).— (E. R.)
400 LE PAPYRUS ANASTASI N° 6
8 aveclui' dans sa ville,et il ne se présentapasdevantles magistratsavecmoi
qu'il' fit emmener9 l'atelier' dans le templedo la déesse Nebliotep;et il
emmenadeux autresouvrières4de moi,en disant10 qu'il nenégligeaitpaslesordres du Merhatpa3.
1. Motà mot a danssamaini) Cf. Brugsch,Dict.,
p. 1665. (E.H.)2.M.Chabas,ici (commeàla findela ligne3 etdanstoutle reste
du récit),considère commedépendantde la locution
plusComplète et il arrivaqu'il
fit(voirligne7)ou (ligne1),etc.Il traduitdonc
paraqu'il»en sous-entendantaarriva ». (E.lt.)
3. M.Chabastraduitles
Mèrouset
l'atelier. Commel'a fortbienditM.Brugsch(Dict.,p. 672),ce
mot,quiprendl'articleplurieletl'articlefémininsingulier,signifielamassedeshabitants,le vulgaire.etc.C'estun mottrèsvague. (E.R.)d.CemotestcomparéparBrugsch agricoladanssonsup-
plémentaulexique,p. 506. (E.li.)5. Onpourtraduireletitre del'intendantdutrésor. (E.li.)
LE PAPYRUS ANASTASI N° 6 401
BIBL. ÉOYPT., r. XIII. 26
11 m'obligea à inventorier les Mérous, et il mit deshommes après moi, pour dire que le travail des Méroussoit chez lui,
12 et je fis passer le travail des Mérous devant le Merhalpa,et que fut fait prendre
13 leur travail, le 2 de Paoni, au soir (vide Pap. Salt.), et
après son commencement cinq mois.
14 Et il emporta les toiles.
II est que je les ferai passer devant le Merhatpa.Note' pour faire savoir à mon maître les toiles qu'il a
emportées, pour les faire voir au Merltatpa.
1. M. Chabas a donné deux traductions de ce passage. Je prends ladernière. Il avait écrit d'abord a Tableau pour faire connaftre àmon maitre lestoilesqu'il a emportéeset que le Merhatpa a vues Il,etc.
(E.R.)
402 t-E PAPYRUSANASTASIN° 6
15 toile Souten pièce 87
toile Mak » 64
» 27
Total 178.
16 Après le recolement, j'ai fait juger les hommes par les
Oérous, et les Oérous
3' col.
1 lui dirent « Laisse les-hommes là où est leur maitre »,
et il m'en ajouta quatre selon (le jour de) l'ordre'
2 qu'avaient fait les Oérous. Il fit aller deux scribes mi-
litaires2 1 pour recueillir l'impôt',
3 et ils emmenèrent deux autres ouvrières de Peschemou,
1. Ici, noteillisible deM. Chabas. (E. 4.)
2. 11fautlirc « le scribe militaire». (E. R.)
3. Ceciestune correction postérieurede M. Chabas.Il avait d'abord
écrit « hourinspecter. ». —(E. R.)
LE PAPYRUS ANASTASI N° G 403
en disant « Qu'on lui donne Oua, enfant de.4 et il n'était pas avec moi, et il était après le bétail de
l'intendant. Mesou, et fut l'homme qui était aveclui comme aide, il fut avec le scribe Ptahemheb,
5 qui fit le recensement avec le Mer de troupes Hui'.6 Lui, il s'occupa des grains dans le temple de Nebhotep.
Or, l'enfant s'enfuit et aborda dans la ville'7 d'où était l'enfant; il fut à ne point ramener. Je
ramenai
1. Voir page2, 1.5 (note de M. Chabas).2. Pour les lignes 6, 7, 8, 9 et 10 de cette page, nous avons encore
deux traductionsde M. Chabas. J'ai choisila plus récente. Voicil'autre« Or. le garçonétait avec lui et il arriva à la ville où était le garçon.Il fut ne pas l'emmener. Il n'amena pas Ici travailleurs à l'hommequi était avec lui. Moi, étant avec lui, je suis en Khati. Il fait que jesois commeun homme qui n'a pas de maître. Qu'on lui fasse selon ce
404 LE PAPYRUS ANASTASI N° 6
8 les ouvrières à l'homme que lui était avec lui. Moi, je
suis comme quelqu'un qui fut avec lui un Khati.
U 11 me fait être comme un homme auquel on ne donne
pas de supérieur. Ce qui a été fait avant que je ne parle
devant
10 les Oérous sur la conscription que tu as ordonnée des
esclaves Mérou de l'atelier devant le Merhatpa, avant
11 que je ne parle.« parle au Mer militaire Hui des
vols, afin qu'il ne les prenne pas »;
12 il dit au bler militaire Hui. de ne pas les prendre
le otui.
qui m'a été dit devant les Oérous sur la conduite nue tu as faite des
étoffes des Mêrous devant tc Dirrlmtpa. » —(E. R.)
1. Ici s'arrête la partie du manuscrit de Cliabas, qui a été publiée
par M. Revillout. — G. M.
2. J'ai remplacé ici la première transcription par la nou-
LE PAPYRUSANASTASIN" G 405
13 le scribe Sherau du Hatpati, lorsqu'il parla au gardien
des livres de la double demeure de Sa Majesté après
la
14 merveilleusement honteux! Or, mon maitre donne le
chef de maison.
15 par le scribe « Moi, comment? nous ne savons pas
marcher sur le chemin.
16 toiles chaque jour avec leurs gens, avec ceux qui taillent
des avirons. Donnés
4' col.
1 Cela ne s'était pas vu jusqu'à ce jour. Ayant été
conduit aux
2 Oérous, lui s'enfuit au temple de Nebhotep, puis [il
obtint] des rations de grains jusqu'à ce jour.
velle. ainsi que Cliabas lui-mêmea fait partout aillcurs dans son texte.
G. M.
406 LE PAPYRUS ANASTASI N° 6
3 Or, voyez? Il a volé au Mer-pa Tiaou deux femmes de
4 le dernier jour du mois de Méchir. Que mon maitre
mande au Mer-pu Tiaot, qu'il laisse les
5 ouvriers. Moi, je l'ai déféré; allons, que les affaires du
Mer-pa Tiaou soient.
6
7 le scribe du Merhatpa de Sa Majesté. Comme le grand
de Maison Hckh envoie pour mes quatre hommes ci
8 disant « dans le de sa ville », que mon
maître fasse
9 être ramenés les travaillcurs qui sont restés dans le temple
LE PAPYRUS ANASTASI N" 6 407
de Nebhotop; qu'ils soient réorganisés;
10 ils sont assis; il n'y a plus de missions sur m:main.
Ceci est envoyé pour l'information de mon maître.
INDEX
DV
VOCABULAIRE MYTTIOLOGTQUE1
M. Chabas avait recueilli un vocabulaire mythologiquetrès considérable. Ce vocabulaire formait deux volumes
compris dans un lot de manuscrits que M. Maisonneuve
avait estimé cinq cents francs dans son catalogue imprime.Le Louvre fit, par mon intermédiaire, l'acquisition de ce
lot. Mais, avant qu'il nous parvint et méme avant quenous ne l'ayons vu et acheté au prix marqué, un des autres
amis de M. Chabas, M.de Horrack', avait emprunté chez Mai-
sonneuve le volume contenant le vocabulaire et n'y avait
laissé que l'inder. Lorsque nous lui parlâmes de ccla, M. de
Horrack nous promit, du moins, de remettre le vocabulaire,
si l'Etat faisait la publication des (euvres de M. Chabas.
Mais, comme on pourrait attendre longtemps, nous croyonsdevoir obtempérer à la demande de plusieurs égyptologues,en commençant tout de suite la publication de l'index, seul
1. l'ublic incomplètement dans la Revueègyptologique, t. I, p. 41-13,101-102.J'en ai reproduit ici le froment imprimê Irnurne rien négligerde ce qui avait paru tle-,4écrit.-4dt-Cliabas. mais il n'aura de valeur
qu'aprés la publication du Vocabulaire mythologique, dont M. Itcvil-lont parle dans sa petite notice. G. M.
2. M. de Horrack avait déja reçu de la famille le magnifique diction-
naire manuscrit de M. Cliabas r·t plusieurs autres œuvres inédites trés
importantes. M. de Horrack n'a encore fait paraître que quelques tra-
ductions choisies sans textes ni commentaires. Mais tes vrais trésors
de M. Chabas restent toujours inédib. (E. R.)
410 INDEXDU VOCABULAIREMYTHOLOGIQUE
entre nos mains. Les numéros indiqués en tôte de chaque
article se rapportent à la pagination du cahier de M. Chabas,
contenant le corps même du vocabulaire. Mais il y a aussi
des indications supplémentaires, dont les renvois ont été
alors soigneusement indiqués par notre illustre maitrc. Mal-
heureusement ces renvois sont souvent peu nets, et il nous
a été souvent aussi impossiblc de les vérifier, vu la pauvreté
de la bibliothèque du Louvre. La difficulté était plus grande
encore quand nous n'avions que les numéros se rapportant
au Dictionnaire mythologique de M. Chabas. qui n'est pas
entre nos mains. Aussi prions-nous le lecteur d'excuser les
fautes nombreuses de cette publication provisoire. Nous
avons pensé qu'il était utile de donner d'abord d'une
façon telle quelle ces premiers matériaux —en attendant
la publication définitive de cette œuvre. (E. R.)
INDEX DU VOCABULAIRE MYTHOLOGIQUE 411
412 INDEXDUVOCABULAIREMYTHOLOGIQUE
INDEXDUVOCABULAIREMYTHOLOGIQUE413
414 INDEX nu VOCABULAIREMYTHOLOGIQUE
INDEXbUVOCABULAIREMYTHOLOGIQUE415
416 INDEX DU VOCABULAIREMYTHOLOGIQUE
INDEX DU VOCABULAIRE MYTHOLOGIQUE 417
BIBL. ÉGYPT., T. XIII.27
CHOIX
DE
TEXTES EGYPTIENS
TRADUCTIONSMEDITESDEFRANÇOISCHABAS
AVANT-PROPOS
Les traductions de textes égyptiens que nous publions ci-aprèssont tirées des papiers laissés par notre illustre maitre et ami,M. François Chabas. de Chalon-sur-Saône, enlevé à la science, le17 mai dernier[ 1882]. par la terrible maladie qui l'avait frappé il yacinq ans, et qui. depuis cette époque, l'avait condamné à une inac-tivité absolue. Sans doute, ces traductions, s'il avait été donné àl'auteur d'y mettre la dernière main, auraient offert un plus hautdegré de précision. grâce aux progrès de la science dans cesdernières années. Mais telles qu'elles sont, on les trouvera d'unegrandie utilité pour l'interprétation de bien des passages obscurs oudiffieiles que l'illustre savant de Chalon n'a pas compris de lamême manière que ses confrères.
Tous les savants, nutammcnt les égyptologues, connaissent la
1. Publié sousce titre après la mort deChabav, par M. de Horrack età ses frais, enun volume in-8-de 79p.. et mis en dépôt chez Klingsieck.Mmede Horrack a bien voulu nous auturiser à joindre t-e Choix wrautre œuvresde Cliabas. —G. M.
420 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
part considérable qui revient à M. Chabas dans le développement
de la science du déchiffrement des hiéroglyphes- li a doté cette
science d'un grand nombre de notices, de mémoires et d'ouvrages
importants ayant tous pour objetl'interprétationet l'explication
analytique de textes orignaux. C'est surtout le Voyage d'un
Egyptien, rédigé en collaboration avec M. Goodwin, qui a fait
faire à la philologie égyptienne un « pas de géant », comme l'a fort
bien dit M.Le Page Renouf. Cetouvrage, qui. à bon droit, est con-
sidéré comme le principal titre de gloire de M. Chabas, et qui a
assuré à sonauteur une place brillante parmi les premiers maitres
de la science égy ptologique, reste jusqu'à ce jour le plus beau mo-
dèle d'étude de texte égyptien yuc nous possédions.Mais le but
constant desefforts de Chabas était de populariser ces études par
des publications utile- et peu coûteuses. Peu de personnes savent
avec quelsobstacles l'émincut ,avant. qui menait de front ses tra-
vaux scientifiques et des fonctions publiques, avait à lutter pour
publier les résultats de ses recherches. Jusqu'au moment où la
générositéde M. Lepsius le mit en possession de la collection des
types égyptiens de \'Imprimerie royale de Berlin, il était obligé de
dessiner et de graver lui-même les caractères hiéroglyphiques né-
cessaires à l'impression de ses livres.
D'un caractère franc et honnête. plein d'ardeur pour la science,
M. Chabas s'est toujours élevé avec force contre les traductions
fantaisisteset contre le charlatanisme scientifique en général. On
peut dire que les polémiques auxquelles parfoisil .'cst laissé en
trainer n'avaicnt jamais eu d'autre motif que la recherche de la
vérité.
P.-J. DE IIORRACK.
Paris,janvier1883.
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 421
MANUSCRITHIERATIQUESUR CUIR
DUMUSÉEROYALDEBERLIN
Ce document a été publie et traduit en allemand par L. Stern dans la Zert-
sebrift fur égyptische Sprache, t. XIII, p. 85 et suiv. Le même savant
en a publié une traduction anglaise dans les Recurds of the Pastl. 1er Seriest.
vol. XII, p. 51. (P.-J. de II,)
PAGE 1
1 L'an III, 3" mois (choiak). sous la Majesté du roi de
la Haute et de la Basse Égypte, Kheper-ka-ra, fils du
soleil, Osertasen, justifie, vivant éternellement et pourdes siècles.
2 le roi couronné du Sekhet, il y eut séance dans la Salle
du Conseil, conférence de ses serviteurs. les Samerou du
3 palais ruywl V. S. F. et tes Oérou, au sujet d'un cndrmit
pour jeter Ics fondements d'un édifice;. Discours adresse
lorsqu'on eut obéi (à l'ordre) « Qu'ils délibèrent en
4 manifestant leurs opinions. Indiyucz à Ma Majesté tes
œuvres nécessaires, souvenirs do faits d'illustration,
5 d'après (lesquels) je fasse des monuments, j'établisse des
stèles de pierres de taille a Ilarniachis. Il m'a enfanté
6 pour faire ce qui lui est fait, pour faire être ce qu'il veut
que ce soit. Il m'a placé pour gardien de ce pays; il sait
l'organiser:
7 il m'en a confie la garde. Je fais luire mon œil sur ce
qu'il contient, faisant en conformité de ce qui lui plait.Aussi mon nom
8 commence et être connu. Je suis roi de par son œuvre,chef suprême V. S. F. Rien tic me fut concédé. Devenu
tmmme,
9 tout le monde m'adorait. Dans l'œuf, je fus préposé aux
422 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
chemins d'Anubis. Il me dilata pour être seigneur des
deux provinces. Étant enfant,
10 je n'avais pas quitté les enveloppes, quand il mc nomma
Seigneur des humains, en m'cxattant
11 la face des hommes. Il me lit passer mon temps dans
le palais comme un enfant qui n'est pas encore sorti du
sein; il me donna
12 sa longueur et sa largeur; j'étais allaité et c'était lui qui
me prenait. Le monde me fut donné et je fus son Sei-
gneur. Je parvins jusqu'aux esprits.
13 jusqu'à la hauteur du ciel, actif pour accomplir sur-le-
champ mon muvrc, me conciliant dieu. Il n'avait pas de
lils, pas d'héritier: il a voulu
14 que je possédasse ce qu'il avait possédé. Je suis vonu :r
toi. Horus-Ap-djet; j'ai institué des ordres divins;
15 j'ai exécuté des travaux dans le temple de mon père
Tum; il m'a donné sa largeur comme il m'avait donné
ma puissance.
16 J'ai fait abonder ses autels sur la terre; j'ai construit mon
temple. souvenir de mes bienfaits
17 dans sa demeure. Mlln nom est un palais, ma fondation
un district; des centaines sont ce que j'ai fait de splen-
dide.
19 Innombrables sont tes appels du roi par ses actes multi-
pliés: inconnus les. qu'il dit. Son nom sera
célébré
19 en réalité d ne sera pas détruit par l'effet des siècles.
Mes actes subsisteront; ce qu'il me faut,
20 c'cst l'illustration mon frein la perfection.
la vigilance sur toute chose éternellement. »
PAGE II
1 Les Samerou royaux dirent, répondant à leur dieu
« Le dieu Hou est (dans) ta bouche, le dieu Sa
2 est en toi, chef suprême, V. S. F.! Tes intentions
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 423
s'accomplissent, roi intronise, pour réunir les deux
Égypte;
3 dans ton temple; c'est une richesse yuc de le voir au
matin; c'est le honheur rio la vie. Rien ne dure
4 sans toi, car Ta Majesté est les deux yeux de l'humanité.
Très durables tu as fait tes monuments,
5 .des dieux. Puis, ton porc, le seigneur du palais,
Tum, taureau des ordres divins, a fait exister ton palais,
6 qui est construit de porphyrc qu'ont fait les ouvriers de
la statuaire; ce qui est dans l'intérieur, ce sont tes images
pour joie éternelle. »
7 Le roi lui-même dit au chef de service, Samer unique,
intendant du trésor royal de l'or
8 et de l'argent, préposé aux écrits du pharaon Occupe-
toi de faire les travaux que
9 Ma Majesté désire effectuer: qu'un chef supérieur, pris
parmi vous, y soit préposé; qu'ils soient faits selon mon
intention que des artistes
10 surveillent: que cela se fasse sans relâchement; que tous
les travaux soit conformes
11 au plan (un-hi); qu'un contremaitre y donne ses soins.
Ton heure (présente) est le temps de te mettre à l'œuvre,
12 même avant tes propres affaires. En prescrivant les
choses, fais être un emplacement selon les désirs.
13 J'ordonne que toutes les choses soient prêtes avant que
tu commences. » Lc roi couronné du double
plume,
14 toute l'assistance le suivant, le kher-heb supérieur du
livre divin, étendirent
15 le cordeau, enfoncèrent le piquet dans le sol,
16 et l'on travailla pour cet édifice. Sa Majesté fit partir (?)
17 un scribe royal qui était présent,
18 pour assembler.
424 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
LE CONTEDES DEUXFRÈRES
Ce texte, publié dans les Selcet Papyri from the Collertions of the British
Maseum, a été traduit et analysé par E. de Rougé (Recue archeologique,
1852), traduit en allemand par H. Brugsch (Aus dem Orient, 1864), en
français par G. Maspero (Recue des Cours iittéruaires, 1870. et Recue ar-
chéologique, mars 1878), et en anglais par Le Page Renouf (Records of the
Past[, 1st Series], t. Il, p. 137-152). (P.-J. de H.)
Pages
1 Ceci est relatif à deux frères, d'une seule mère et d'un
seul père. Anubis était le nom de l'ainé, Baïta était le
nom du plus jeune. Anubis prit une maison et se maria.
et son jeune frère était avec lui dans la condition d'un
enfant: c'était lui [Anubis] qui lui fournissait des vête-
ments. [Baïta] suivait ses troupeaux aux champs c'était
lui qui faisait le labourage, c'était lui qui recueillait la
moisson, c'était lui qui exécutait, pour [son frère], tous
les travaux des champs. Aussi, le jeune frère devint-il
un excellent agriculteur il n'existait pas son pareil dans
le pays entier. Ainsi [vivaient-ils ensemble].
Quelque temps le jeune frère, qui [menait] scs
bestiaux, selon son habitude de chaque jour, et [revenait]
à sa demeure chaque soir, était chargé de toutes tes
herbes des champs, et tenait dans la main unc cruche de
lait [qu'il rapportait] de la champagne. Il présenta [ces
objets] à son frère,, qui était assis avec son épouse; il but
et maugea, et [se retira] à son étal)le pour [couclier près]
de ses bestiaux.
Le lendemain matin, [le jeune frère cuisait tes pains
et les mettait devant son frère ainé, qui lui donnait des
pains pour les champs; puis il poussait ses bestiaux pour
les faire paitre dans les champs, marchant à la suite de
ses vaches. Elles lui disaient que les herbes étaient
CIIOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 425
2 bonnesen Iciendroit. Il comprenaittout ce qu'elles di-saient, et il les conduisaitaux endroits tes plus favi-rables pour tes herbes qu'eues désiraient. Aussi lesvaches qui étaient avec lui devenaient très belles et
multipliaientextraordmairementleurs portées.Quandvint la saisondu iabouragc,son frère aine lui
dit fi Prenons l'attelagepour labourer,car la terre estsortie [des caux de l'inondation];elle est bonnela-bourer.Aussi,tu partiras pour tes champsavec les se-mences,car nous allons exécuter le labourage[en ce
moment].»Ainsiluidit-il. Le jeunefrèreexécutatoutesles chosesque lui avait dites son frèreaine.
Le lendemainmatin, ils partirent pour les champsavec leur [attelage].alin d'edectucr le labourage; ilsprenaient [un plaisirj extrêmeà leur travail, et ils ne
l'abandonnèrentpas.Plusieurs jours après cela, ils se trouvaient encore
dans leschamps n travailler].Anubisexpédiasonjeunefrère, en disant «Va.rapporte-nousdes semencesdu
village »
Le jeunefrère trouva la femmedu sonfrèreaineassisese coiffer.Il lui dit. « Lève-toiet donne-moides se-
3 mences;je retourneauxchamps,car c'est monfrère quim'a diligenté.[en disant] Ne perds pas de temps. »
Elle luidit Va, ouvre le coffreet prends-yce quetu voudras.Ne mefais pas interromprema tresse.»
Le jeune hommeentra dans son étable; il prit ungrandvase,carson intentionétaitd'emporterunegrandequantité de semences;il le chargeade blé et d'orge,etsortit avec [sonfardeau).
Ellelui dit « Quellequantiteasslu sur [sonépaule]?»
Et il lui dit « Troismesuresd'orgeet deuxmesuresdeblé. en tout, cinq mesures,voilá ce que j'ai sur mon
épaule. Ainsi lui dit-il.Elle [lui parla ainsi] Il Quellegrande forcetu as
426 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
J'ai remarqué ta vigueur chaque jour! » Son cœur le
connaissait de la connaissance du [désir]. Elle se leva,
se saisit de lui et lui dit (1Viens, passons une heure
couches ensemble! Quel bonheur pour toi! oui! je te
ferai de beaux vêtements. »
Le jeune homme devint semblable à une panthère du
Midi en fureur, à cause de la déclaration honteuse qu'elle
lui faisait: aussi elle conçut une frayeur extrême,
Il lui parla ainsi « Quoi donc tu es pour moi dans
la situation d'une mère, et ton mari est pour moi dans la
condition d'un père, car il est mon ainé, et c'est lui qui
4 a pourvu à mes besoins. AL! qu'elle est grande, l'infa-
mie que tu m'as dite. Ne me la dis pas de nouveau. Pour
moi, je n'en parlerai :1 personne je n'en laisserai rien
sortir de ma bouche avec qui que ce soit. »
Il chargea son fardeau et partit pour les champs. Il ar-
riva près de son frère aine, et ils accomplirent le travail
de leur tâche. Puis, lorsque vint le temps du soir, le
frère [aine] retourna vers sa demeure, et son jeune frère
suivait ses bestiaux, chargé de toute espèce de produits
des champs. Il poussait ses bestiaux devant lui pour les
faire coucher dans leur étable.
Voici que la femme du frère aine eut peur causc de
la déclamation qu'elle avait faite. Elle apporta un pot de
graisse et prit l'attitude [d'une femme] qui a subi une
violence de la part d'un malfaiteur, dans le but de dire à
son mari « C'est ton jeune frère qui a commis la vio-
Icncc i'
Son mari retournait le soirseton son habitude de chaque
jour. En arrivant à sa demeure, il trouva sa femme éten-
due et malade d'un attentat. Elle ne lui versa pas l'eau
sur les mains selon son habitude, et n'alluma pas la
lampe devant lui. Sa maison était dans les ténèbres, et
elle [sa femme] restait étendue et souilléc.
Son mari lui dit « Qui donc a parlé avec toi? » Alors
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 427
elle lui dit « Personne n'a parlé avec moi, à l'exception
5 de ton jeune frère. Lorsqu'il est venu pour prendre des
semences pour toi, m'ayant trouvée assise seule, il m'a
dit « Viens passons une heure couchés ensemble;
rattache ta tresse. » Il me parla ainsi, mais je ne l'écoutai
pas « Ne suis-je donc pas ta mère, et ton frère ainé
n'est-il pas pour toi dans la situation d'un père? » Ainsi
lui dis-je. Il eut peur et il me maltraita pour que je ne
te fisse pas de rapport. Mais, si tu le laisses vivre, je me
tuerai. Vois! quand il reviendra [des champs, frappe-le],
car je souffre; la déclaration honteuse, certainement, il
la fera demain comme il l'a faite la veille. »
Le frère aîné devint semblable à une panthère du Midi
il aiguisa son poignard et le prit dans sa main. Le frère
aine se tint derrière la porte de son étable, afin de tuer
son jeune frère, lorsqu'il reviendrait le soir, pour faire
rentrer ses bestiaux à l'étable.
Or, au soleil couchant, le jeune frère, s'étant char;é de
toutes les herbes des champs, selon son habitude de
chaque jour, se mit en marche. La vache qui marchait en
tête, en entrant dans l'étable, dit à son gardien « Prcnds
garde ton frère aine se tient devant toi, avec son poi-
gnard, pour te tuer. Éloigne-toi de lui 1)Il entendit ce
que disait la vache qui marchait en tôte: une autre, en-
6 trant aussi, lui ayant dit la même chose, il regarda sous
la porte de son étable, et il aperçut les pieds de son frère
aine, qui se tenait derrière la porte, son poignard à la
main. Il jeta sa charge par terre, et se prit à courir â
toutes jambes. Son frère aine s'élança après lui, tenant
son poignard.
Le jeune frère invoqua Phra-Harmakhis, en disant
a 0 mon bon seigneur, c'est toi qui distingues le faux du
vrai! 1 Alors Phra écouta toute sa prière et lit exister
entre lui et son frère ainé un vaste amas d'eau rempli de
crocodiles; l'un d'eux était sur une rive, et l'autre sur
428 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
l'autre. Le frère aîné lança doux fois sa main, sans pou-
voir frapper [son jeune frère]. Ainsi fit-il.
Son jeune frère l'appcla de la rive, en disant « At-
tends jusqu'au matin. Lorsque le soleil luira, je m'expli-
7 querai avec toi devant lui, et je te ferai découvrir la
vérité. Mais je ne vivrai llus avec toi jamais, et je ne
serai plus en aucun lieu nu tu seras: je partirai pour la
Vallée du Cèdre. »
Or, le lendemain matin, lorsque Phra-Harmakhis s'était
levé, chacun d'eux aperçut l'autre. Le jeune homme parlaà son frère aine en ces termes « Pourquoi me poursuis-
tu pour me tuer traîtreusement, sans avoir écouté l'expli-
cation de ma bouche ? Cependant, je suis bien réellement
ton jeune frère, et tu es pour moi dans la situation d'un
père, et ta femme est pour moi dans la situation d'une
mère! Ne serait-ce pas, lorsque tu m'as envoyé pour
nous apporter des semences, que ta femme m'a dit
« Viens, passons une licurc couchés ensemble » Or,
vois! Elle t'a tourné cela un autre chose. » 11lui lit con-
naitre tout ce qui s'était, passé entre lui et la femme [de
son frère aîné]. Il jura par Phra-Harmakhis, en disant
« Tu as voulu me tuer traitreusement; tuas pris ton poi-
gnard sous l'influence d'une bouche de tissu d'abomina-
tiona » H prit une lame tranchante, se coupa le phallus,
et le jeta à t'eau. Uncrocodile le dévora.
l'uis, il s'abaissa et s'évanouit. Son frère aine éprouva
8 une peine extrême. Il resta à pleurer à sanglots, ne pou-
vant pas traverser [pour aller] près dueson jeune frère, à
cause des crocodiles.
Le jeune frère l'aplula et lui dit « Ainsi donc, tu t'es
figuré que c'était une abomination Ainsi donc, tu ne
t'es pas figuré que c'était un acte de vertu, ou une des
choses que j'avais faites pour toi! Ah pars pour ta de-
meure, occupe-toi de tes bestiaux, car je ne resterai plus
dans un lieu où tu seras; je vais partir pour la Vallée
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 429
du Cèdre. Or, ce que tu aulas iLfaire pour moi lorsque
tu seras retourna à tes occupations, j': vais te le faire
connaitre. Écoute! Des choses m'arrivet:ont je retire-
rai mon cœur ut ju le poserai sur lu sommet de la fleur
du Cèdre. Si le Cèdre est coupé, il [le cœur] tombera à
terre. Tu viendras le chercher. Si tu as sept années de
recherches à faire. ne tu dégoûté pas, et quand tu l'auras
trouvé, tu le placeras dans un vase d'eau fraîche. Oui
je revivrai alors, et je porterai plainte de la trahison.
Or, tu sauras que ces choses me sont arrivées, lorsque,
t'étant mis une cruche de bière à la main, elle fera effer-
vescence. Ne t'arrête point quand cela te sera arrivé. »
II partit pour la Vallée du Cèdre, et son frère aîné re-
tourna à sa demeure, la main sur la tête, barbouillé de
poussière. Aussitôt qu'il fut arrive à sa maison, il tua sa
femme et la jeta aux chiens: puis, il demeura en deuil
de son jeune frère.
Bien des jours après ces événements, le jeune frère
était à la Vallée du Cèdre: personne n'était avec lui. Il
passait son temps à chasser les animaux du pays, et ve-
nait se couchcr le soir sous le Cèdre, sur le sommet de la
Ileur duquel son cœur était posé.
9 Quelque temps après, il sc construisit, de sa main, dans
la Vallée du Cèdre, une habitation elle était remplie de
toute espèce de bonnes choses, car il désirait s'établir.
Ktant sorti de son habitation, il rencontra le cycle des
dieux qui venait pour présider aux destinées de leur
pays entier. Les dieux demandèrent à l'un d'eux de lui
dire a Alr Baita, taureau des dieux, ne restes-tu pas
seul ? Tu as quitté ton village à cause de la femme
d'Anubis, ton frère aîné. Apprends qu'il a tué sa femme,
car tu l'avais accusée de trahison contre toi. »
Leur cœur était extrêmement affligé à cause de lui.
Phra-Harmakhis dit à Khnumis « Oh fabrique une
femme pour Baita, atin qu'il ne reste pas seul. »
430 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
Khnumis lui fit une compagne pour demeurer avec
lui elle était belle dans ses membres, plus que toute
autre femme du pays entier, [car] toute divinité était en
elle.
Les sept Hathors vinrent la voir; elles s'écrièrent
unanimement « Qu'elle meure de mort violente »
Balta l'aima à l'excès; elle demeurait dans sa maison,
10 tandis qu'il passait le temps à chasser les animaux du
pays, et à lui apporter le produit [de sa chasse].
Il lui dit « Ne va pas dehors, de crainte que la mer
ne te saisisse. Je ne pourrais te sauver d'elle, car je suis
une femme comme toi. Mon cœur est placé sur le som-
met de la fleur du Cèdre; si un autre le trouve, je souf-
frirai à cause de lui. » II lui fit connaître son cœur dans
toutes ses particularités.
Quelque temps après, Baita étant parti pour chasser,
selon son habitude de chaque jour, la jeune femme sortit
pour se promener sous le Cèdre qui était près de sa de-
meure. Voici qu'elle aperçut la mer qui poussait [ses]eaux contre elle; elle se prit à courir devant elle et ren-
tra dans sa maison.
La mer invoqua le Cèdre.en ces termes « Oh! que je
me saisisse d'elle! n Et le Cèdre apporta une boucle de
ses cheveux. La mer la porta en Egypte et la déposa à
l'endroit [où se tenaient] les blanchisseurs du roi.
L'odeur de la boucle de cheveux se mit dans les vê-
tements du roi. On eut des discussions avec les blanchis-
seurs du roi, en disant « Une odeur a imprégné les
11 vêtements du roi. » On se mit à discuter avec eux chaque
jour, et ils ne savaient plus ce qu'ils faisaient.
Le supérieur des blanchisseurs du roi vint au rivage;son cœur était dégoûté, à l'excès, des discussions qu'onavait avec lui journellement. Il s'arrêta et se tint sur la
terre en face de la boucle de cheveux qui était dans
l'eau. Il lit descendre quelqu'un, et on la lui apporta.
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 431
Ayant trouvé une odeur extrêmement délicieuse, il la
porta au roi.
On amena les scribes et les savants de Sa Majesté. Ils
dirent au roi a La boucle de cheveux appartient à une
fille de Phra-Harmakhis l'essenco de chaque dieu est
en elle. Comme la terre entière te rend hommage, fais
partir des messagers vers tout pays pour la chercher.
Quant au messager qui ira à la Vallée du Cèdre,
qu'on envoie des hommes nombreux avec lui pour la
ramener. »
Alors Sa Majesté dit « C'est très bien, ce que vous
nous avez dit. » Et l'on fit partir [les messagers].
Quelque temps après, les hommes qui étaient partis
pour toute la terre revinrent pour rendre compte à Sa
Majesté, mais ceux qui étaient allés à la Vallée du Cèdre
ne revinrent pas Baita les avait tués, ayant laissé un
seul d'entre eux pour faire rapport au roi.
Sa Majesté fit partir des hommes de guerre nombreux
et aussi de la cavalerie, pour l'amener de nouveau. Il y
12 avait avec eux une femme, chargée de lui mettre aux
mains toutes sortes de belles parures de femme.
La femme revint en Égypte avec elle, et l'un se réjouit
à cause d'elle [de la fille de Phra-Harmakhis] dans tout
le pays. Le roi en fut excessivement épris; il l'éleva à la
dignité d'Auguste Favorite.
On s'entretint avec elle pour lui faire dire ce qu'était
son mari. Elle dit au roi « Que l'on coupe le Cèdre, et
il sera an li. »
On fit partir des guerriers, munis de leurs haches,
pour couper le Cèdre. Arrivé auprès du Cèdre, ils cou-
pèrent la fleur sur laquelle était posé le cœur de Baita,
et celui-ci tomba mort en cette heure fatale.
Le lendemain, au lever du soleil, après que le Cèdre
eut été coupé, Anubis, le frère ainé de Baita, entra dans
sa maison; il s'assit et se lava tes mains; on lui apporta
432 CHOIXDETEXTESÉGYPTIENS
unecruchede bière,et ellelit effervescence;on lui endonnauneautredovin,et elledevinttrouble.
13 IIprit sonbâtonetseschaussures,ainsiquesesvête-mentset ses instrumentsdetravail,et semitil marcherverslaValléedu Cèdre.II entradansla demeuredesonjeunefrère,et le trouvaétendumortsursanatte.Ilpleuralorsqu'ilaperçutsonjeunefrèreétendumort.Puis,ilsortit pourcherchcrle cœurdcsonjeunefrèresousleCèdre souslequelcelui-citouchaitle soir.Il
passatroisannéesà lecherchersansletrouver.Commeilcommençaitlarecherchelaquatrièmeannée,soncœurdésirareveniren Égypte:il dit » le partiraiau ma-tin.»Ainsidit-ilenlui-même[litt. ensoncœur].
Lelendemain,lorsqu'ilfitjour,[Anubis]allasousleCèdreetpassasontempsàchercher[lecœur].Il revintausoirets'occupaa lechercherdenouveau:il trouvaunfruitet le retournapar-dessouslecœurdesonjeunefrèreétaitlà. Il apportaunvased'eaufraîche,y jetalecœurets'assitselonsonhabitudedechaquejour.Lors-
14qu'illitnuit, lecœurayantabsorbél'cau.Baitafrémitdanstousses membres:il se mità regardersonfrère
alné,maissoncœurétaitcommeenparalysie.Anubis,lefrèreaine,pritlevased'caufraichedanslequelétaitlecœurdeson jeunefrère;celui-ciayantbu [l'eau],soncœurrevintàsa lrlace,et il redevinttelqu'ilavaitété.Ilss'embrassèrentl'unl'autreet se mirentà converserensemble.Baïtadit à sonfrèreainé IfVuis je vais
prendrela formnd'ungrandtaureauayanttouteslesbonnescouleurs,maisdonton neconnaîtrapasla na-ture.Toi,tu t'assiérassurmondos,et,dèsquelesoleilluira,nousseronsdanslelieuouestmafemme,et jel'accuseraide trahison.Toi.,tu meconduirasoùest leroi.Certainement,onteferatoutebonnechose,et l'ontechargead'argentet d'orpourm'avoirconduità Sa
Majesté,car je seraiunegrandemerveilleet l'onse ré-
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 433
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. 28
jouira à cause de moi dans lupays tout entier; puis, tu
t'en retournerais à ton village. »
15Le lendemain, loraqu'il lit jnur. Bai ta prit la forme
[d'un taureau], ainsi yu'il l'avait dit à son frère aine.
Anubis, le frére ainé, s'assit sur son dos, au lever du su-
et à l'endroit où était le roi.
Un en prévint Sa Majesté, qui vint regarder [le tau-
reau] et fut dans une joie extrême. Elle lui lit unegrande
oblation, en disant « C'est une grande merveille, celle
qui est arrivée et l'on s'en réjouit dans le pays entier.
Un chargea d'argent et d'or le frère ainé, qui s'établit
dans son village. On donna[au taureau] beaucoup
d'hommes etbeaucoup de choses, et Sa Majesté l'aima
extrêmement, bien plus que toute personne dans le pays
entier.
Quelque temps après, letaureau] entra dans le sanc-
tuaire, se tint a l'endroit où était l'Auguste Favorite, et
se mit à lui parler cn ces termes «Vois je vis bien
réellement. » Elle lui dit « Toi, qui es-tu donc? » Il
lui répondit « Je suis liaita. Tusavais que je cesserais de
16 vivre si tu faisais détruire par Sa Majesté le Cèdre qui
tenait licu de moi. Vois! je vis bien réellement: je suis
taureau. Il
L'Auguste Favorite fut extrêmement effrayée de la
déclaration que lui avait faite son mari. Celui-ci sortit
du sanctuaire.
Le roi se mit à faire un jour de fête avec [l'Auguste
Favorite] elle était à la table de Sa Majesté, qui se mon-
trait extrêmement bonne pour elle.
Elle dit à Sa Majesté Jure-moi par Dieu, disant
«Quoique chose que demande [l'Auguste]. je la lui ac-
corderai. » Il consentit à tout ce qu'elle demandait.
« Fais-moi manger le foie (?) du taureau, car il ne sert
rien. » Ainsi lui dit-elle. Le roi fut extrêmementaflligé
de ce qu'elle avait dit, et son cœur en fut très malade.
434 CHOIXDE TEXTES ÉGYPTIENS
Le lendemain, lorsqu'il lit jour, on célébra une grande
fête avec ovations au taureau; puis, l'on fit partir l'un
des premiers contrôleurs royaux pour faire tuer le tau-
reau. Or, après qu'on l'eut fait abattre, et lorsqu'il était
entre les mains des hommes, il secoua son cou et. lança
deux gouttes dc' sang du côté des deux pylônes de Sa
Majesté l'une d'elles tomba d'un coté de la grande porte
du roi, et l'autre de l'autre côté. Elles poussèrent en
1 deux grands perséas, et chacun d'eux était remarquable.
Un al la dire à Sa Majesté « !)eux grands perseas ont
poussé par miracle à Sa Majesté, cette nuit, près la
grande porte de Sa Majcstd. Tout le pays s'en réjouit,
et on leur lit des olirandcs.
Quelque temps après, le roi, portant le lectoral de la-
pis, ayant une guirlande de toute espèce de fleurs a son
cou, était sur son char d'or et sortit du palais royal pour
voir les perséas. L'Auguste Favorite sortit sur un char
deux chevaux, :i la suite du roi.
Sa Majesté s'étant arrêtée sous l'un des perséa4.
[l'autre] se mit à parler à sa femme [à celle qui fut la
femme de Baïta Ah traitresse Je suis Baita et je
suis vivant: tu es deçue. Tu savais bien que, si tu laissais
abattre par le roi ce qui tenait lieu de moi, aturs que
j'étais taureau, c'est comme si tu me faisais tuer. »
Quelque temps après. l'Auguste Favorite se tenait la
table (lu rni. (lui se montrait bon pour elle. Elle dit à Sa
Majesté« Jure-moi par Dieu, en disant « Quelque
chose que fasse et que me demande l'Auguste Favorite,
je la lui accorderai. Dis-Ie » Il consentit :i tout ce
qu'elle demandait. Elle dit a Qu'on coupe les deux per-
18 séas et qu'on en fasse de beaux meubles! » Il accorda
tout ce qu'elle demandait.
Quclque temps après, Sa Majesté lit. partir des ouvriers
habiles. Un coupa tes perséas du roi. l'épouse de Sa Ma-
jesté, l'Auguste Favorite, se tenant là regardant [l'opé-
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 435
ration). Un copeau s'envola et entra dans la bouche de
l'Auguste Favorite. Alors elle s'aperçut qu'elle était de-
venue enceinte. [Quant aux perséas], on en lit tout ce
qu'elle voulut.
Quelque temps après, elle mil au monde un enfantmâle. On alla dire au roi Il t'est né un lils! » On l'ap-
porta, on lui donna une nourrice et des gouvernantes, ctl'un s'en réjouit dans le pays tout entier. Le roi se mit à
faire un jour de fête, et l'on en établit un en son nom.
Le roi l'aima à l'excès sur l'heure. Il l'éleva la dignitéde FILS ROYALDE KOUSH.
1J Quelque temps après, Sa Majesté le nomma prince hé-ritier du pays entier.
Après bien des années, lorsqu'il avait passe beaucoup[d'années] comme prince héritier, le roi s'envola au ciel.
Le prince dit « Que l'on introduise auprès de moi mes
grands chefs royaux, que je leur fasse connaître tous les
événements qui me sont arrivés. » On lui amena sa
femme, et il s'expliqua avec elle en leur présence. Il
s'éleva un cri parmi eux.
Puis on lui amena son frère ainé, et il le lit princehéritier de son pays tout entier. Il régna trente ans sur
l'Égypte. Ayant termine son existence, son frère aîné oc-
cupa sa place, le jour même de son inhumation.
C'est fini heureusement et paisiblement.De la part du scribe Kakebou du Trésor royal, du
scribe Hora. du scribe Meri-em-ap.Fait par le scribe Ennana, maître des écrits.
Quiconque parlera sur cet écrit. que Thoth lui soit un
compagnon hostile!
436 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
PAPYRUSDE BERLINN° V
Ce texte aété traduit une première lois, par F. Chabas dans la Bibliothèque
dans son Histoire ancienne des peuples de l'orient, p. 33 et suiv., Paris.
1875. —(P.-J. de II.)
1 Adoration à Ra-Har-em-Akhouà la pointe du jour. On dit:
Que ton lever est beau, ô Ammon-Ra-Har-em-Akhou!
Tu t'éveilles triomphant, ô Ammon-Ra, seigneur du
double horizon'!
O toi qui es le bon, le resplendissant, l'éclatant!
Ils voguent, ces tiens nochers qui sont les Akhimou-Oértou!
Ils naviguent, ces tiens nochers qui sont les Akhimou-
Sekou!
Tu parais, tu t'élèves, tu culmines dans ta beauté.
Elle avance, ta barque. [celle] dans laquelle tu navigues,
Toi, le justifié de ta mère, la déesse Nou'. chaque jour.
Tu atteins le sommet du ciel, et tes adversaires sont
abattus;
Tu tournes ta face vers l'occident, et tes os sont éprouvés.
Tes membres organisés; vivantes sont tes chairs,
S Solides sont tes veines, forte est ton âme.
Ton auguste puissancedivine est adorée
1. Le nom de Har-ent-akhou signifie Horus auxhorizons. C'est le
soleil dans toute l'étendue de sa course diurne. Les tirees ont fait de c
nom lc dieu Ce dieu s'assimile d'ailleurs a toutes les autres
formex solaires: il est ici identifié avec AmmonRa.
2. Les Akhimon-Oèrton et les Akhimon-Sckou sont des porsonnages
qu'on voit, dans curtaines scènes mythologiqus. tirer à la corplelle la
barque du solcil
3. La décsse Nou représente la voûte céleste
CHOIXDE TEXTES ÉGYPTIENS 437
Ta Majesté est accompagnée sur les voies des ténèbres;
Tu entends l'appel des dieux de ton cortège, derrière ton
arche:
En allégresse sont les nautoniers de ta barque;
Leur cœur est inondé de diyceyrm [car] le seigneur du
ciel est comblé de joie.
Les divins seigneurs du ciel inférieur sont en exultation:
les dieux et les hommes en acclamations,
Adorant lia, (lui est sur son pavois, le justifié de sa mère,
la déesse Nou.
Leurs cœurs sont inondes de douceur, [car] Ra a abattu
ses ennemis.
Le ciel est dans l'allégresse, la terre dans la joie; les
dieux et les déesses, en fête,
lfi Alin de rendre gloire Ra-Har-em-Akhou, lorsqu'ils le
voient monter dans sa bnni, et renverser ses adversaires
à son heure.
L'arche est en sûreté, [car] le serpent Mchen est à sa
place'
L'aspic Aara frappe les adversaires
Oh rejoins ta mère, la déesse Nou. toi, seigneur du ciel,
toi. qu'on vénère avec crainte!
La satisfaction dans les entrailles, Isis1 et Nephthys sont
relevées lorsque tu sors (lu sein' de ta mère, la déesse
Nou.
Oh brille, Ra-Har-em-Akhou! brille, toi. le brillant.
Ie resplendissant! Triomphe de tes ennemis!
1. I.r serpent Mchen enveloppe de ses plis le soleil dans sa barque.
et lui sert ainsi de défense.
2. L'aspic Aara[. l'umrus]. placé devant les coiffures des dieux ou des
est considéré comme un emblème de la force divine dont ils
sont supposés doués pour exterminer les coupables ou les ennemis.
:1. Lu texteécrit ici Osiris c'est une erreur facile à commettre en hié-
ratirtuc.
4. L'expression égyptienne désigne plus spécialement l'organe.
438 CHOIXDE TEXTES ÉGYPTIENS
Fais ouvrir l'arche de ta bari! détourne de toi l'impie, à
son heure! qu'il ne te rejoigne pas un seul instant'.
Anéantis le courage de tes adversaires
L'ennemi de Ra tombe dans le feu de la désolation,
lorsqu'il revient à ses heures3:
24 Les enfants de la révolte ne l'emportent pas; Ra maitrise
ses ennemis.
Les égarés de cœur2 tombent frappés du glaive.
Fais vomir au serpent Sou ce qu'il a mangé4!
Sois relevé, ô Ra, au milieu de ton sanctuaire
Que puissant soit Ra! Que débiles soient les impies!
Qu'élevé soit Ra Que bas soient les impies!
Que vivant soit Ra Que morts soient les impies
Que grand soit Ra Que petits soient les impies
Que rassasié soit Ra Qu'affamés soient les impies
Qu'abreuvé soit Ra Qu'altérés soient les impies
Que bri I lant soit Ra Que ternes soient les impies!
Que bon soit Ra! Que mauvais soient les impies
Qu'opulent soit Ra Que misérables soient les impies!
Que Ra soit frappant du glaive le serpent Apap [Apophis]!
a2 O lia accorde la plénitude de la vie au Pharaon
Accorde la nourriture à ses entrailles, l'eau à son gosier.
le divin parfum à sa chevelure"!
1. Littéralement po.-n&4ntlu duréc d'un instant.
2. Cette ex pressionri aon moment, à son heure, est d'occurrence fré
quente dans le style égyptie. Il s'apit ici de la lutte perpétuelle, renon
velée chaque jour, entre le Soleil, principedu bien, et le Serpent.
principe du mal. Lc Soleil triomphe chaque jour, mais la lutte est
éternelle.
3. Les èyarès de cœur. C'est une désignation ordinaire des impie".
des ennemis du Soleil.
4. Cette image, quoique grossière. est d'une grande énergie. Le ser
pent Sou est Set. t'adversaire d'Osiris.
Cr. Ce texte forme une litanie à contrastes, fort importante pour la
lexicologie égyptienne.
6. Uaas le Contr dxs Ueur Frères, il est question d'un parfum dont
CHOIXDE TEXTES ÉGYPTIENS 439
0 l'excellent Ra-Har-em-Akhou! navigue avec lui en
triomphe'
Ceux qui sont dans ta divine bari sont dans l'allégresse
troublés et confus sont les impies.
Un bruit de réjouissance est dans le lieu grand
L'arche de la barque est en allérresse; exultation dans la
bari des millions d'années
Les nochers de lta, leur cœur est inonde de douceur ils
aperçoivent Ra, qui, lui, se réjouit au haut du ciel.
Les grands ordres divins, comblés de joie, sont à rendre
gloire à la grande bari divine, à adorer dans le mysté-
rieux sanctuaire.
Oh! brille, Ammon-Ra-Har-em-Akhou. qui s'est formé
lui-même.
Les deux sœurs sont debout a t'orient. Accorde qu'elles
40 soient accueillies, qu'elles soient portées dans ta bari,
cette bonne bari de toutes tes délices.
O Ra, qui procrées le bonheur Viens, ô toi. Ra qui s'est
formé lui-même!
Fais que le Pharaon reçoive les offrandes dans IIahenben
sur les autel, du Dieu dont lu nom est caché!
Honneur à toi, vieillard qui sort son heure, yui pos-
sède des faces nombreuses
était imprégnée la chevelure d*une jeune fille lormée par les dieux. Ce
parfum était un indice de divinité: c'est sans doute celui qui s'échap
pait du corps d'Isis, au dire de l'lutarque, et qui l'ut communiqué aux
jeun'" lilles coiffées par la déesse. L'odeur aber, dont il est ici question.
est mentionnée par les textes hiéroglyphiques comme employée pour
parfnmcr les vêtements des déesses. Le même aromate servait aussi de
remède pour les maux d'oreilles.
1. L'hymne demande que le mi soit admisà taire partie de l'équipage
de la barque du Soleil.
2. C'est le nom de la barque solaire.
3. Suivant M. Brugsch, Habenben serait le temple du phénix
Héliopolis. Le déterminatif employé dans notre texte montre bien qu'il
s'agit de l'oiseau Brnnou.
440 CHOIXDE TFXTFS ÉGYPTIENS
Uræusproduisant le rayonnement qui détruit les ténèbres!
Toutes tes voies sont remplies de tes rayons.
C'est à toi 4lue les singes sacrés présentent ce qui nst
dans leurs mains'
Ils te célèbrent par leurs chants et par leurs danses
Ils te consacrent les bénédictions de leurs formules
Ils s'y appliquent au ciel et sur la terre;
Ils sont conduits à tes gracieux levers:
48 Ils t'ouvrent' les portes de l'horizon occidental du ciel:
Ils réunissent Ha. en paix et en allégresse, à ta mère', la
déesse Nou.
Ton âme divine porte son examen sur ceux qui sont dans
le ciel inférieur.
Et les àmes divine sont dans le ravissement dans l'un et
l'autre temps'.
Tu a· donné le fléau qui tue. et tu as adouci la wuffrance
d'Osiris
Tu as donne le souffle à ceux qui étaient dans la vallée
[funéraire]
Tu as itlutniné la terre. alors qu'elle était dans les té-
nèbres
Tu as adouci la souffrance d'Osiris,
1. Ceci fait allusion à la scène que j'ai figurée et expliquée dans le
Papyrus magique Harris, p. 91.
2 An lieu tic l'expression ourriv. le texte emploie une variante. le
mot enlever. détruire..
3. fln s'attendait à lin et non ta mère Cependant cette
tournure est correcte: c'etait même une éléggance de stylc. dont les
4. Cette expression désigne le jour et la nuit.
5. Hl s'agit i'-i des morts. Le texte dit seulement dons la callec, Mais
on vit. par une fole di vemples recueillis dans les excellentes publi-
cations de M. Dumichen que le mot AN. vallèc, gorge de montagne.
remplace souvent les expressions occident. cicl infèricur. etc, pour
désigner le tombeau,
CHOIX DH THXTES ÉGYPTIENS 441
Et ceux qui existent goûtent le souffle respiratoire'
Ils te célèbrent par leurs acclamations et par leurs danses.
Sous cette forme qui est la tienne, de Seigneur des formes.
Ils adressent des adorations à ta puissance.
Sous ton apparence, cette apparence magnifique de Matin'.
Les dieux tendent leurs bras vers toi, eux qu'a enfantés
ta mère. la déesse Nou.
Viens au Pharaon! accorde-lui sa félicité dans le ciel et
sa puissance sur la terre 1
0 Ra en toi se réjouit le ciel
0 Ra 1 devant toi la terre est dans la crainte
0 toi, l'excel lent Ra-Har-em-akhou!
5X Tu as soulevé le ciel en élevant ton âme divine:
Tu as caché le ciel inférieur dans tes mystiques emblèmes:
Tu as élevé le ciel a la longueur de tes bras
Tu as élargi la terre par ton embrassement'
Tu as réjoui le ciel par la grandeur de ton âme.
La terre est saisie de crainte devant toi à cause de la
sainteté de ton image divine.
Épervier auguste. à l'aile de tahen'
Divin oiseau symbolique, aux couleurs multiples
Grand lion divin, se protégeant lui-méme!
Toi. qui rends accessibles tes voies de l'arche divine!
Ton rugissement frappe te· ennemis et fait avancer la
grande bari divine.
Par toi. hommes se livrent à l'allégresse: les dieux te
redoutent:
1. Ce texte egt très remarquable Ammon y remplit le rôle da dieu
unique; les soins qu'il donne à 0-iris sont l'embléme de la création et
de la conservation des êtres
2. Le rhapitre xvn du Rituel explique, en effet, que Ha est le mation,
c'est-à-dire la vie qui commence. Osiris est le passé, la vie qui s'est
achevée rt qui recommence r':lr l'action de Ra.
3. Le ciel soulevé, la t'-rr'' étendue au-dessous, tel est le premier ta-
bleau de la Genèse égyptienne.
4. Le tahen eot un minéral precieux, peut-être le cristal de roche.
442 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTtENS
Par toi, les impies tombent sur leurs faces.
Coureur du ciel qu'on ne saurait atteindre,
Qui illumines la terre à ta naissance,
Qui es plus élevé que les dieux et les hommes,
Brille pour nous, qui ne connaissons pas ton image!Sois donne à notre face, à nous, qui ne connaissons pas
ton corps'!0 toi, l'excellent Ra-Har-em-akhou
68 Tu t'approches, toi, le mâle pour les femmes, l'éper-
vier d'or:
Taureau la nuit, seigneur le jour beau disque de mafek2,
Roi du ciel, chef suprême sur la terre, divin symbole à
l'horizon céleste!
71 C'est Ra, qui a créé les êtres, Totnen, qui donne la vie
aux intelligents.
1. Le poète égyptien constate ici que la véritable image du dieu reste
inconnue; tontes les figures sous lesquelles on le représente ne sont que
des symboles.
2. Le mafek est un métal na minéral. On a d'abord pensé que c'était
le cuivre natif. M. Brugsch a trouvé au Sinai les mines de turquoies
en exploitation, dans le même lieu où s'exploitait, jadis, le mafck, et
il propose de traduire mafek par turquoise. Cettf solution s'accorderait
peu avec la comparaison qu'emploie notre texte.
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 443
PAPYRUSDE BERLINN° VI
Page 1 Fragment avec cartouche de Ramsès IX.
Il Sauve-le de toute chose mauvaise qu'il ne lui en
arrive pas à jamais.
Ces paroles sont dites par une personne lavée et pu-
rifiée, et qui s'est fumiguée avec de l'encens. Le
soleil se couchant, qu'elle mette de l'encens sur le
feu à Ptah sous tous ses noms.
Salut à toi, âme, à la forme de seten,
Disque solaire, éclatant, rayonnant
Seigneur du divin lever à l'apparence de tahen
Dieu qui s'enfante lui-même,
Venu en Dieu unique, aux millions de formes,
Et que tous les dieux ont suivi.
Le très-caché, dont la divine figure n'est pas connue.
Au-dessus des. tant qu'ils sont.
Illuminateur du ciel, il donne ses rayons,
Et rend la terre brillante comme l'or.
Venu le matin (en enfant),
11est en nemoui renouvelé, traversant l'éternité.
Il a passé par le Noun,
Et le monde qui est dans le sommeil de la nuit
Est éclairé par les clartés de sa jeunesse.
Les dieux sont sortis de sa bouche.
Les hommes de son œil.
Ils respirent la terre, pénétrés de sa crainte.
C'est lui qui a affermi le sol à la première phase de
son existence.
444 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
Il a créé le monde: il a enfanté toutes choses:
II a fait tout ce qu'il contient.
On exulte à ton divin lever, dans ta jeunesse.
On tremble devant ta redoutable majesté.
Les dieux du circuit céleste se courbent près de toi:
ils reconnaissent un maitre en toi.
19 Tu te places à l'horizon, et (le monde) s'éclaire.
Ton adoration ne cesse pas.
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 445
PAPYRUSDE BERLINN° VII
Le texte hiératique a été transcrit en hieroglyphes et traduit par Paul
Pierret, dans ses Etudes egyptologiques. p. 1 rt suiv., Paris, 1873.
il' .-J. de H.)
Page 1 levé et couché, tu te lèves en paix, tu te lèves.
P.2.1.5 qui s'est procréé lui-même, incréé.
Tout ce qui existe dans le monde provient du fait de
sa volonté.
Auteur de ses propres formes
Géniteur enfantant toutes choses
Fécondateur créant les êtres.
Salut à toi, Ptah-Totnen
Dieu grand dont l'image est cachée
Découvre ta face, lève-toi en paix 1
0 père des pères de tous les dieux
Le disque céleste est son oeil
La terre s'illumine de ses clartés. En paix
L'adoré de la déesse Nou.
Le. du dieu Seb;
Qui a commencé toutes choses après avoir (créé) le
monde. En paix!
Noum, mère qui a enfanté les dieux,
Fécondateur qui a enfanté tous les hommes.
Et qui les fait vivre. En paix
Grand Noun, qui a créé la nourriture,
Et fait prospérer la végétation. En paix
Qui a recueilli le Nil et l'Océan
De l'eau qui vient des montagnes. En paix
Qui a fondé la terre, les montagnes, les pays;
446 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
Qui les rend verdoyants par l'eau qui vient du ciel.
En paix
Qui a fait le vent,
Et animé la flamme du souttle de sa bouche. En paix
L. 19 Guide des siècles et de l'éternité,
Seigneur des aliments;
Qui donne des provisions à qui il lui plait. En paix!
Qui écoute les prières qu'on lui adresse.
Tous les humains tremblent devant lui
Toutes les âmes divines le révèrent avec crainte dans
tous les pays. En paix
Viens au Pharaon, ir Ptah
Viens à lui, ô dieu aux formes multiples
Salut à toi et à tes ordres divins!
Tu agissais lorsque tu étais membre divin,
Toi, qui construisis tes membres toi-même.
Le ciel n'existail pas
La terre n'existait pas;
L'eau ne coulait pas.
Tu as organisé le monde,
Tu as rassemblé tes chairs:
Tu as compté tes membres.
Et tu te trouvais seul, occupant une place,
Dieu formant le monde.
Tu n'eus pas de père, étant engendré de ton acte
(propre);
Tu n'eus pas de mère, étant enfanté de ta jonction
avec toi-même.
Être doué, investi, à ton apparition, de la force agis-
sante.
Tu es célui qui se tient sur la terre par ses racines;
Qui lui donne ensuite son organisation,
Lorsque tu es sous ton apparence de Totnen,
Sous ta forme de réunisseur des deux mondes.
Créateur de ta bouche,
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 447
Producteur de tes mains,
Tu l'as retiré (le monde) du Noun, à la pointe de tes
deux mains.
Pour adorer tes beautés,
Ton fils grandit dans son œuvre.
L. 28 Tu détruis les ténèbres de la nuit par la lumière de
tes yeux;Ferme pour accomplir ton devoir,
Tu parcours le ciel à toc gré.
Voyageur, voyageur! Ascenseur, ascenseur
Embellisseur des heures dans leurs barquesIl (ton ftls) brille (à son lever) sur ta tête;
Il se couche sur tes mains
Tu le guides sur les chemins mystérieux.Ses deux baris divines voguent sur le ciel,
Par le souffle sorti de sa bouche.
Tes deux pieds portent sur la terre,
Ta tête au haut du ciel,
Sous ta forme (de dieu) qui est dans le ciel inférieur.
Tu soutiens les choses que tu as créées;
Tu progresses par ta propre force:
Tu es supporté par la vigueur de tes bras.
A toi l'oblation
Ton nom est permanent sur ta retraite mystérieuse.Le ciel est au-dessus de toi
Le ciel inférieur (l'enfer) est au-dessous de toi.
Ton fils bienfaisant te cache.
On ne connaît pas les formes qui sont dans tes membres.
Ta force souiève les eaux au haut du ciel
Le rugissement de ta bcuche est dans l'orageTon souffle. sur les montagnes.
L'eau de la végétation couvre les arbres qui sont sar
la terre entière.
Du pourtour des deux mondes du dessus l'Ouax-OEr
(l'océan)
448 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
Jusqu'au bras de Nou.
L. 37 Les mondes sont ouverts sous ton au;tion;
Ils circulent sur la route que tu as dite:
Ils ne transgressent pas (la route) que tu leur as or-
donnée et que tu leur as ouverte.
Tout ce qui vit. n'est-il pas de tes doigts?
De ton nez sort le souffle.
De ta bouche, l'eau.
Les végétaux croissent à ta suite
Tu enrichis la terre
Tu combles les dieux et les hommes:
Les troupeaux se voient dans la campagne.
Tu te couches, et les ténèbres sont:
A la clarté de tes yeux se fait la lutnière.
Tu jettes des rayons du dedans de ton œil.
Comme ta sainteté, ô dieu Her. tes deux yeux
s'assemblent,
Et les autres se mettent en marche.
A la vue de tes deux yeux, il· circulent en leurs deux
saisons.
Ton œil droit est le disque solaire;
Ton œil gauche est la lune.
Tes guides, le· AkkimouOértou, sont en allégresse,
ainsi que les divins Oérou,
I:.orsqu'ils t'aperçoivent sous toutes tes formes ma-
gnifiques.
Tes nautoniers, ils te rendent gloire:
Les ordres divins de ta paut-ape adressent des accla-
mations à ton lever.
46 Des exultations a ton coucher rlaua la Corelnér de Vie.
Ils te disent « Gloire Gloire »
Tu ouvres les voies du ciel et de la terre
Tu t'élèves sur ta barque toi-même à ton lever.
Toi, le plus élevé des dieux.
Tu détruis la nuée obscure,
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 449
BIBL. ton-r., T. XIII.29
En faisant l'office du ciel inférieur.Afin de faire entrer les âmes à l'occident,
Lorsque tu te couches dans le Manoun.Tu rassembles l'espèce humaine dans Auker;Tu fais sortir ceuxqui sont dans leurs fosses funérairesTu fais l'office des OccidentauxTu détruis les ennemis d'OsirisTu fais taire la déesse qui se lamente;Tu accordes les souftles à qui t'invoque en secret
On se tourne lorsqu'on t'aperçoit,
(.J'rom the tomb).
Esprit doué de la puissance d'anéantir les formes (des
choses) provenant de toi,On t'adore à ton coucher.
Les anciens d'entre eux disent« Soit donnée à lui l'acclamation,La prostration à celui qui les fait vivre,Tremblement devant lui
Qu'il lui soit fait des invocations,
(A) ce dieu bienfaisant de nos arcanesOh 1 faisons-lui des invocations »
L. 56 Dieu qui a soulevé le ciel,
Dont le disque vogue sur le sein de Nou,Et s'introduit dans le sein de Nou,En son nom de Ra:
Celui qui a formé les dieux, le. hommes, toutes les
générationsQui a fait toutes les terres, les régions et le grand
Océan,En son nom de Kheper-to [créateur du monde].Celui qui a amené le Nil de son trou mystérieuxQui fait végéter les plantes,
Qui a fait toutes les choses sorties de lui,En son nom de Noun-Uér;
450 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
Qui a recueilli le Noun du ciel
Qui a fait sortir l'eau du sommet des montagnes,
Afin de faire vivre la race intelligente,
En son nom d'auteur de la vie
Qui a fait le ciel inférieur (l'enfer),
Pour l'effet de détruire le brûlement des âmes dans
leurs tombes.
En son nom de Roi des mondes,
De Roi des siècles et de l'éternité.
Seigneur de la vie dans Malestes,
Supérieur de l'hypogée d'A lver.
En son nom de Supérieur du ciel inférieur.
La terre fertile est de sa création
Il a disposé les régions et toutes les terres cultivées,
Arrêtant le frauduleux dès qu'il commence.
En son nom d'organisateur des régions.
Esprit divin du jour,
Lion divin de la nuit,
Qui se féconde de ses actes excellents,
En son nom d'Ètre des Êtres.
Seigneur de la Vérité,
Antiques sont ses grâces;
Le très-vaillant sur son lieu grand,
En son nom de Seigneur de la Vérité.
L. 65 Venez faisons-lui des acclamations
Donnons gloire à son émanation auguste,
En tous ses noms excellents
0 toi qui ouvres les chemins
0 toi qui déclos les clôtures
0 toi qui brilles en Soleil
0 toi qui te formes en Khepra 1
Ceux qui sont dans le double horizon,
C'est toi qui tes réveillew.
Tu leur fais parcourir le chemin du ciel (Nou).
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 451
Tu les présentes au Très-Grand
Pour accomplir les actes des siècles, les devoirs de
l'éternité.
Enfant, enfanté chaque jour 1
Vieillard â l'extrémité des siècles
Vieillard qui a parcouru l'éternité!
Toi qui es si bas qu'on voit toutes ses (les) faces,Toi qui es si élevé qu'on ne peut t'atteindre
Seignaur du lieu mystérieux dont le nom est caché;Le caché dont on ignore la forme;
Le maître des années qui donne la vie à qui il lui plaîtCelui qui ordonne l'anéantissement de quiconque lui
est hostile
Viens, ouvre les voies
Ouvre les sentiers de l'éternité!
Déclos les portes de l'enfer et du Noun
Toi qui fais l'office de ceux qui y sont,
Donne la vie,
Fais durer les années pour les hommes auprès des
dieux
Qu'ils t'adressent paisiblement leurs adorations,
(Mehen) se dresse devant ta face;L. 78 La maîtresse de la crainte est installée sur ta tête.
Tes nochers sont en adorationTon fils aîné est adoré sous ta forme (propre),Toi qui es le plus beau des dieux,
En ta forme de créateur des créations.
Ton fils t'adresse la parole« Splendide es-tu, mon père, duquel je suis sorti »
Auteur des familles humaines.
Créant dans le Noun,
J'ai soulevé le ciel,
J'ai relevé la terre;
452 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
Je vogue sur le sein de Nou;
Je parcours les chemins mystérieux.Il m'a écarté de mes ennemis,
Vuulant que je voyage sur la voie élevée;
Et je touche à.
Salut à toi, dieu grand,
Seigneur des têtes vivantes,
Terreur des deux horizons,Aux formes saintes,
Qui élèves la double plume
Seigneur des ornements,
Grand Sahou dans son sanctuaire 1
Salut à toi, Ptah 1
Salut a ces dieux qui sont avec tni
On a grandi en présence de ta nature divine double.
L. 87 Tu triomphes par ta vérité:
Thoth l'apporte à toi;
Tu reposes en elle
II est parmi les hommes, il est auprès des dieux,
Lorsqu'ils vivent, lorsqu'ils meurent.
Sans cesse il donne la main à leur existence:Ils sont en lui éternellement:
Ils sont en lui, ceux qui adorent dans le lieu du Khou
auguste.Les dieux d'en bas,
Les dieux d'en haut,
Sont en suspens à ses terreurs, à sa crainte.
C'est ce dieu qui prend soin de vous;
Faites des acclamations à sa puissance
Vous reposez auprès de ses deux yeux;Ses paroles sont à pondérer le monde;Il a fait grande son nom
Auteur des fléaux, à la face terrible.
Son âme redoutable gouverne parmi les dieux
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 453
La force de sa vérité est grande parmi les familles
divines.
Sage dès son a mmencement,
Sa puissance fut subite.
11a imposé son tremblement aux dicux;Ils vénèrent en son nom le lieu mystérieux,C'est lui qui a produit la végétation des mondes par
son action bienfaisante;L. 97 II a dressé les échines, consolidé les têtes
Il a détruit la fraude, anéanti le mensonge.La douceur de l'air sort à son gré,
Horus-Sct, double Seigneur, qui réunit les sceptres.Qui calme la grande déesse dans ses fureurs,
Qui apporte (la vérité) à son fils liu.
Il dirige les humains et les dieux par la sagesse de
sa puissance.Oh viens diriger le roi de la Haute et de la Basse
Égypte, Nefer-ka-ra Sotepen-Ra.De la même manière que tu diriges les dieux qui sont
auprès de toi
Toi, tu es leur roi;
Ta Majesté (commande) à toutes les nations,Car tu règnes, le puissant des puissants, en maitre à
ton gré.Tu as fait le haut être au-dessous de toi:
Tu es pour les siècles.
W7 Accorde-lui la vie qui est en toi pour les siècles
Qu'elle soit avec lui éternellement,
Avec le roi Nefer-ka-ra Sotep-en-ra qui t'aime,
o TotnenFais qu'il partage la vie de Ra,
Lui, qui est dans le monde des vivants!
Allonge ses années dans les triomphes
454 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
Que la vie soit à sa dévotion!
Le fils du soleil, Ramsès Meri-Amon,
Qu'il soit honoré!
Renforce-le, guide-le. éternellement 1
Paroles dites par une personne lavée et purifiée, et
qui s'est fumiguée avec de l'encens. Le soleil se cou-
chant, qu'elle mette de l'encens sur le feu à Ptah.
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 455
STÈLE DE PIANKHI-MERIAMON
Cette inscription, publiée par Mariette dans ses Monuments divers, pi. 1 à 6,
a été analysée par E. de Rougé (Revue archéologique, 1863) et traduite
en français par lui dans sa Chrestomathie égyptienne, 4° faacicule: elle
a été traduite en allemand par Lauth (Mémoires rlc l'Academie rogale de
Ravière, 1870) et par Brugsch (Geschichte Ægyptens, p. 681 et xuiv., 1877).
et en anglais par F. C. Cook (Reorde of the Past, t. Il(. 1" Séries], p. 79
et suiv.- (P.-J. de H.)
Lignes
1 L'an 21, au mois de Thoth, sous la Majesté du roi de
la Haute et de la Basse Égypte, Piankhi-Meriamon,
vivant à toujours, Ordre Sa Majesté dit « Ëcoutez
ce que j'ai fait de plus que les ancêtres, moi le roi,
d'issue divine, image vivante de Tum. » Au sortir du
sein maternel, glaive en souverain, les chefs le redou-
taient, (de son père),
2 intelligence de sa mère, destiné à régner dès l'œuf, le
dieu bon, aimé des dieux, le fils du soleil, formé de ses
mains, Piankhi-Meriamon.
On vint dire à Sa Majesté Il Il se passe que l'Oér de
l'Occident, le grand commandant de la ville de Neter,
Tafnekht, est dans le nome de Ka-heseb, dans Hap,dans.
3 dans An, dans Pa-noub, dans Memphis. Il s'est emparé
de l'Occident tout entier, depuis les localités reculées
jusqu'à Tataui. Il remonte le fleuve avec une nombreuse
armée. Les deux pays réunis sont auprès de lui. Les
commandants et les gouverneurs de châteaux sont
comme des chieas auprès de ses pieds. N'ont pas fermé
leurs murailles (les villes)
4 des nomes du Midi Meritum, Pa-sekhem-kheper-ra,
Neter-ha-Sebek, Pamadj, Teknash; toutes les villes de
456 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
l'nccident ont ouvert leurs p«rtes, de peur de lui. Ils'est tourné vers les nomes de l'Orient, et ils lui ont ou-vert de la même manière Habennou, Ta-ioudji, Sou-
ten-lia, Pa-neb-ape-ah. Il a
;1 investi Souten-khenen et l'a mise en état de blocus, nelaissant pas sortir les sortants, ne laissant pas entrer les
entrants, et combattant journellement. Il la ravage surtout son pourtour. Quiconque des chefs connaît son mur,il l'établit sur son partage, commandant et gouverneurde châteaux. Voilà qu'il.
6 le cœur enflé, émerveillé. Il arrive que les Oérou, lescommandants et les chefs des troupes qui sont dansleurs villes envoient vers Sa Majesté continuellement
pour dire « Ne gardes-tu pas le silence sur cela? Le
pays méridional est-il donc dans l'oubli? Les nomes dela Thébaïde. Tafnekht s'en emparera: il ne trouvera
personne qui résistera à son bras. Nimrout.7le commandant de Ha-oér, a abattu la muraille de Ne-
frous il a renversé sa ville lui-méme, de crainte qu'il(Tafnekhd) ne s'y mette à la bloquer comme une autreville. Aussi, lui, est-il parti pour être à ses pieds. Il aviolé la foi de Sa Majesté. Voilà qu'il est avec lui.comme un (de ses serviteurs),
H dans le nome de Uabuab. Il lui donne des approvision-nements autant qu'il en veut, en toute espèce de choses
qu'il trouve. » Alors Sa Majesté manda aux comman-dants et aux chefs de l'armée qui étaient en Egypte, au
général Pouarma, ainsi qu'au général Lamcr·kani, ainsi
qu'à tous les généraux de Sa Majesté qui étaient en
Égypte Passez aux hostilités, disposez le combatautour de la ville de (Oun),
9 saisissant ses hommes, ses bestiaux, ses barques sur le
fleuve; ne laissez pas aller les cultivateurs aux champs:ne laissez pas labourer les laboureur; bloquez la partieantérieure de Oun et combattez-y continuellement. »
CHOIX DU TEXTES ÉGYPTIENS 457
Ils firent ainsi. Alors Sa Majesté amena une armée en
Egypte en l'exhortant beaucoup o (Partez)10 la nuit, comme s'il s'agissait d'un jeu attaquez avant
qu'il (l'ennemi) ne voie à disposer le combat de loin.
S'il dit fi Que mon infanterie et ma cavalerie se re-
plient sur une autre ville », oh' Ptablissez-vous alors
sur le trajet de son armée et attaquez avant qu'il n'ait
parlé. S'il arrive que se préparent ses forces dans une
autre ville,
11 que les commandants se retournent contre elles. Il a
amené dans ses forces les Tabennou, guerriers méritant
approbation que l'on dispose contre eux la guerre de
mon ancétre disant fi Nous ne savons pas qui il nomme
dans la revue des soldats Selle Kennou, la premièrecavale de l'écurie
12 qu'elle fasse le massacre dans la bataille. Tu le sais,
Ammon, ô dieu qui nous commande! n Quand vous arri-
verez au sanctuaire de Thèbes, en face des Apetou.entrez dans l'eau; baignez-vous dans le fleuve: revétez-
vous près du canal Tap déposez l'arc, ôtez la flèche
qu'aucun chef
13 ne s'oppose au Seigneur de la vaillance: il n'est pointde force dans l'homme qui le méconnait. Il fait un bras
brisé en un fort-de-bras il fait fuir un grand nombre
devant un petit nombre; seul, il s'empare de mille.
Aspergez-vous avec l'eau de son autel; prosternez-vousdevant lui. dites-
14 lui « Accorde-nous la voie du combat a l'ombre de ton
glaive. A toi viennent les générations: celui qui craint
devient en redouté de plusieura.Ils se prosternèrent devant Sa Majesté « Ton nom
ne formet-il pas pour nous un glaive? Ta pensée n'af-
fermit-elle pas les guerriers ? ton pain n'est-il pas dans
notre ventre partout? ta liqueur15 n'éteint-elle pas notre soif ? Ta vaillance ue nous donne-
458 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
t-elle pas l'arme de la victoire, et n'a-t-on pas de l'effroiau souvenir de ton nom ? Une armée ne subsistera pasdont le général est un fuyard Qui est donc pareil àtoi? Tu es le roi victorieux agissant de ses mains, ledirecteur de l'œuvre de la bataille. Il Ils partirent endescendant le fleuve
16 et arrivèrent à Thèbes; ils firent tout ainsi qu'avait ditSa Majesté: ils partirent en descendant le fleuve et
rencontrèrent des vaisseaux nombreux ayant remontéle fleuve avec des soldats, des marins et tous les vail-
lants généraux du pays du Nord, munis d'armes17 pour combattre contre l'armée de Sa Majesté. On fit un
grand carnage parmi eux: on n'en connaît pas le
nombre; on prit leurs guerriers avec leurs navires, et onles amena prisonniers vivants à l'endroit où était Sa
Majesté. Ils partirent ensuite pour Soutenkhenen poury porter la guerre. On le fit savoir aux commandants etaux Souten du pays septentrional qui étaient alors leroi Nimrout et
18 le roi Ouauput; l'Oér de Ma, Sheshonk, de Pa-Osiris-
neb-tattou et le grand chef de Ma, Djet-amen-au-
fankh, de Pa-bai-neb-tattou, avec son fils aîné qui étaitle chef des soldats de Pa-thoth-ap-rehehou: l'armée du
prince héritier Beken-nefi, et son fils ainé, le chefde Ma,
19 Nesenasekhemâa, du nome de Ka-heseb; et tous les
Oérou portant la plume, qui étaient au pays septentrio-nal, ainsi que le roi Osorkon, qui commandait daus Pa-bast et dans le territoire de Nefer-ra. Tous les comman-
dants, tous les gouverneurs de châteaux de l'Occident,de l'Orient et des îles intérieures s'étaient assemblés
d'une volonté unique aux pieds du grand chef de l'Oc-
cident, gouverneur des châteaux du pays du Nord, pro-phète de Neith, dame de Saïs, et
20 Sam de Ptah, Tafnekht. Ils s'avancèrent contre eux et
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 459
en firent un grand massacre, plus grand que toutes
choses, en prenant leurs navires sur le fleuve. Ceux qui
restèrent partirent par eau, et abordèrent à l'Occident,
au delà de Pa-peka. Le lendemain matin, l'armée de
Sa Majesté partit par eau
21 contre eux. Les deux armées se choquèrent. Alors ils
tuèrent parmi eux beaucoup d'hommes et de chevaux;
on n'en sait pas le nombre. De l'effroi qu'eurent ceux
qui restaient, ils prirent la fuite vers la Basse Égypte,
dans une grande défaite, manquant de tout.
Compte du massacre fait parmi eux hommes, indivi-
22 dus. (resté en blanc). Le roi Nimrout remonta
vers le Sud, lorsqu'il eut appris que Hermopolis était
au pouvoir des braves soldats' de l'armée de Sa Majesté,
et que ses hommes et ses troupeaux étaient pris. Alors
il entra dans la ville de Oun. Les soldats de Sa Majesté
étaient sur le fleuve, au mouillage
23 de Oun. Alors ils apprirent cela. Ils bloquèrent Oun
des quatre côtés, ne laissant pas sortir les sortants, ne
laissant pas entrer les entrants. Ils envoyèrent informer
Sa Majesté le roi de la Haute et de la Basse Égypte,
Piankhi-Meriamon, de toute l'épouvante qu'ils avaient
inspirée aux forces du roi (Nimrout). Voici que le roi
devint furieux contre eux comme une panthère « Lais-
sera-t-on subsister
24 les débris de l'armée du pays du Nord? Laissera-t-on
sortir un d'entre eux pour qu'il dise qu'il est parti ? Ne
les fera-t-on pas périr dans le carnage auquel ils sont
parvenus ? Par ma vie par l'amour de Phra par la
faveur de mon père Ammon je vais descendre le tleuve
moimême; je renverserai
25 ce qu'il a fait je ferai reculer sa marche, combattant
jusqu'à la fin des temps. Après avoir accompli les céré-
1. Le déterminatif de neferui est fautif.
460 CHOIX DU TEXTES ÉGYPTIENS
monies de la fête du commencement de l'anhée (fête aureom royal), je présenterai l'offrande à mon père Am-mun dans sa bonne panégyrie où il fait son exode ma-
gnifique, le jour de la fête du commencement de l'année.Je partirai en paix pour voir Ammon dans sa bonne
panégyrie de la fête d'Apet: je le ferai sortir dans sonsymbole divin
26 vers l'Apet méridionale, dans sa bonne panégyrie de lafête d'Apet, la nuit, pendant la panégyrie établie dansla Thébaide, panégyrie eue lui fit Phra la première fois;je le ferai sortir vers sa demeure, le portant sur sontrône; le jour où l'on fait rentrer le dieu, le 2 d'Athyr,je ferai sentir aux deux pays septentrionaux le goût demes doigts. » Voilà que l'armée qui était restée en
27 Égypte entendit l'acharnement montré par le roi contreelle. Alors ils attaquèrent la métropole du nome Ouab-Ouab, Pamadj, et s'en emparèrent comme un torrentd'eau. Ils envoyèrent vers le roi: il ne se calma pas pourcela. Ils attaquèrent alors Ta-taben, (dite) Oér-Nakhtou;ils la trouvèrent remplie
28 de guerriers de tous les braves du pays du Nord. Ilsfirent un bélier et le ramenèrent contre elle son murrenversé, on fit un grand carnage parmi eux; on n'ensait pas le nombre fil y avait] aussi le fils du chef deMa, Tafnekht. Ils envoyèrent a ce sujet au roi il ne secalma pas pour cela.
29 Alors ils attaquèrent Ha-bennou: elle ouvrit son en-ceinte, et l'armée de Sa Majesté y entra. Alors ils man-dèrent au rui il ne se calma pas pourcela. Le 9 d'Athyr,Sa Majesté partit en descendant vers Thèbes, et inclutune panégyrie d'Ammon dans la panégyrie d'Apet. SaMajesté repartit en
30 descendant le fleuve, vers la ville de Oun. Sa Majestésortit de la cabine de la barque, tit harnacher les ca-vales et monta sur le char. La terreur de Sa Majesté,
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 461
qui atteignait jusqu'aux Sati, mit tous les cœurs sous
sa crainte. Voilà que le roi sortit pour se jeter sur les
haisseurs
31 de ses troupes, furieux contre eux comme une panthère« Est-ce qu'ils résistent ? Attaquez ces contempteurs de
mon mandat: l'année ayant clos sa fin, ma crainte sera
placée dans l'Égypte du Nord; on les châtiera hau-
tement, sans coup férir. » Sa tente fut plantée au sud-
ouest d'Hermopolis magna. On la bloqua32 continuellement, faisant des redoutes pour l'enserrer
d'un rempart, élevant des estrades pour porter plushaut les archers, afin qu'ils lancent leurs flèches; fai-
sant des balistes pour jeter des pierres, afin de tuer
des hommes parmi eux continuellement. Il arriva qu'entrois jours Oun fut puante à respirer et infectée de son
33 odeur. Alors la ville de Oun se rendit, s'humiliant de-
vant le roi. Des messagers en sortirent avec toute espècede belles choses à voir de l'or, des pierreries de toute
espèce, des étoffes en. (Sa Majesté) se leva, ayantsur sa tête l'uraeus qui répand la terreur. Ils ne cessèrent
pas pendant plusieurs jours de supplier son royal dia-
34 dème. Alors il (Nimrout) envoya sa femme, royale
épouse, royale fille, Nastent, pour supplier les épouses
royales, les royales concubines, les filles royales et les
sœurs royales. Elle se prosterna dans la demeure des
femmes devant les royales épouses « Allons au dieu,
royales épouses, royales filles, royales soeurs apaisez
l'Horus, seigneur du palais, dont les esprits sont grandset la parole triomphante qu'il nous.
(lacune de 16 lignes, de 1. 35 à l. 50)
51 (Nimrout parle ici). (Si tu refuses)52 la voie de la vie, c'est comme s'il pleuvait des traits. Je
suis (à tes pieds: soumises sont les provinces)
53 du Midi, courbées celles du Nord. Reçois-nous à ton
ombre. Est-il dangereux (celui qui vient)
462 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
54 avec ses offrandes ? C'est un cœur fort qui repousse son
maître dans lequel sont les esprits du dieu; il voit du
feu dans un étang (d'eau pure).
55 Un vieillard n'est pas regardé comme au-dessus de son
père, et ses nomes ne sont remplis que d'enfants. » Alors
il se prosterna devant Sa Majesté (et dit)
56 0 Horus, seigneur du palais je suis l'un des esclaves
du roi qui sont taxés de produits pour le trésor:
57 compte lenrs tributs je t'en fais plus qu'eux. » Alors
il s'scquitta d'argent, d'or, de lapis, de mafek, de
bronze, de pierreries en grand nombre.
58 Voici qu'on remplit le trésor de ce tribut. Il amena
aussi un cheval de la main droite, (tenant) un sistre
dans la main gauche, un sistre d'or et de lapis. Alors le
roi sortit
59 de sou palais; il alla au temple de Thoth, seigneur
d'Hermopolis; il sacrifia des vaches, des taureaux et des
oies à son père Thoth, seigneur d'Hermopolis, et aux
huit dieux, dans le temple
60 de Sesennou. Les troupes de Oun se réjouirent. Les
Khennou dirent
« Heureux est l'Horus qui séjourne dans sa
61 ville, le fils du Soleil, Piankhi Tu nous as mis en fête
comme si tu avais protégé le nome de Oun. » Le roi
partit pour
62 la demeure du roi Nimrout. Il s'empara' de toutes les
chambres du palais royal, de son trésor et de ses ma-
gasins. Il fit venir
63 à lui les femmes et les filles royales. Elles l'invoquèrentà la manière des femmes. Il ne tourna pas sa face vers
64 elles. Le roi alla à l'écurie des chevaux et au dépôt des
jeunes chevaux. Il vit (qu'on les laissait)
65 souffrir de faim. Il dit a Par l'amour de Phra par la
1. Le signehiéroglypbique est fautif.
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 463
jeunesse de mon souffle de vie! il manque de me plaire,ce (crime) qui laisse
66 affamer mes chevaux, plus que tout crime que tu as
commis. Ne t'obstine pas. Que je sois apprécié Que la
crainte du maître soit chez
67 tous les hommes Est-ce que tu ignores que l'ombre
divine est sur moi? On n'échappe pas à ma volonté.
Oh! si
68 un autre à moi inconnu me faisait ce a, ne le ferais-je pasmettre au gibet? Moi, enfanté dans le sein, étant encore
dans l'œuf divin, la semence
69 du dieu était en moi. Par sa personne je n'ai rien fait
sans qu'il le sache. C'est lui qui m'oidonnait d'agir. »
Voilà qu'il destina ses biens pour le trésor,
70 ses greniers pour la divine propriété d'Amen-em-ape-tou. Vint le souverain de Soutenkhenen. Pef-nife-
aa-bast. avec ses tributs
71 pour la divine maison royale or, argent, pierreries de
toute espèce, avec chevaux de choix de l'écurie offi-
cielle. Il se prosterna devant Sa Majesté, en disant
« Salut à toi, Horus
72 roi puissant! taureau qui épouvante les taureaux
L'abîme m'a saisi; je suis plongé dans l'obscurité; queme soit accordée
73 la lumière du jour Je n'ai pas trouvé, au jour du dénû-
ment, un ami qui se levât au jour de la bataille, exceptétoi, ô roi victorieux! Repousse
74 de moi les ténèbres! Je serai ton serviteur, ainsi quemes sujets. Soutenkhenen est tributaire
75 de ton palais, car tu es l'image de Harmakhis qui est
au-dessus des Akhimou-Sekou; tel il est, tel tu es
comme roi; il ne défaillit point,
76 tu ne défaillis pas, ô roi de la Haute et de la Basse
Égypte, Piankhi, vivant à jamais Le roi descendit
le fleuve Ap-sha, à l'endroit où
464 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
77 est le Ro-hun. Il trouva la ville de Seklem-kheper-radont les murs étaient relevés. Elle avait clos son rem-
part qui était rempli de hardis combattants du pays duNord. Sa Majesté leur envoya dire o Vivants dans lamort! I nsés
78 imsérables! vivants dans la mort! S'il se passeun instant sans que vous m'ouvriez, alors vous serez aunombre des abattus sous l'indignation de Ma MajestéNe fermez pas les portes de votre vie pour rechercherle billot de décapitation aujourd'hui même, comme ai-mant la mort et haïssant la vie
79 (Acceptez) la vie devant le pays entier » Ils envoyèrentdire à Sa Majesté «
Puisque l'ombre du dieu est surta tête, et que le fils de Nou te donne ses deux bras,ce que désire ton cœur se réalise sur-le-champ, commece qui sort de la bouche du dieu; car, lui, il t'a engendréen dieu pour nous voir à la merci de tes mains. Commetoute la ville et tout ce qu'il y a dans ses maisons
80 (est en ton pouvoir), que l'entrant entre et que sortentles sortants. » Sa Majesté fit ce qu'il lui plut. Alors il.sortirent avec le fils du chef de Ma, Tafnekht. Les
troupes du roi y entrèrent. Il ne frappa aucun deshommes qu'il trouva
81 (en elle. Il envoya des scribes) et des officiers poursceller ses richesses on destina ses trésors pour le tré-sor royal, ses greniers pour la divine propriété de son
père Ammon-Ra, seigneur des sièges du monde. Le roicontinua sa route en descendant le fleuve. Il trouva
Meri-Toum, demeure de Sokar, seigneur de la lumièredu matin, laquelle était fermée impossible d'y pénétrerelle avait préparé le combat dans son intérieur. Prit
82 la crainte et le respect avaient fermé leurbouche. Alors Sa Majesté leur envoya dire « Vousavez deux voies devant vous choisissez selon votre in-clination ouvrez, et vous vivrez, fermez, et vous pé-
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 465
BIBI. ÉGYPT., T. uu. 30
rirez! Je ne passe pas devant une ville fermée. » Ils
ouvrirent sur-le-champ. Le roi entra dans la ville. Il
offrit
83 à Menhi dans Sehat. Il réserva ses trésors
et ses greniers pour la divine propriété d'Amen-em-
apetou. Le roi descendit le fleuve vers Ta-taui. Il trouva
la muraille fermée et les remparts remplis de guerriersvaleureux du pays du Nord. Voilâ qu'ils ouvrirent
leurs clôtures et se prosternèrent
84 (devant Sa Majesté. Ils dirent à) Sa Majesté, Ton
père (dieu) a voulu que tu fusses sa substance (même).Tu es le maître des deux mondes, le maltre de ceux
qui les habitent, le maltre de ceux à venir. Il LorsqueSa Majesté fut partie, on fit une grande oblation aux
dieux qui sont en cette ville, en vaches, jeunes tau-
reaux, oies et toute espèce de choses bonnes et pures.Puis on destina ses trésors pour le trésor public, ses
greniers pour la divine propriété
85 (d'Ammon-Ra. Le roi s'approcha de la ville de) Mem-
phis. Alors il envoya vers elle, en disant « Ne ferme
pas ne résiste pas sanctuaire du dieu Shou de la pre-mière fois; mon entrée, c'est son entrée: ma sortie,
c'est sa sortie. Que ma marche ne soit pas opposée.J'offrirai une oblation à Ptah et aux dieux de Mem-
phis je comblerai le dieu Sokar dans la chambre my-térieuse. Je verrai le dieu de Anbou-rcs-f et je partiraien paix,
86 (laissant la ville de) Memphis sauve et en bon état; les
enfants (même) ne pleureront pas Regardez les nomes
du Midi: il n'y a été tué personne que les impies qui
outrageaient dieu; on les avait livrés au supplice, le,
corrompus de cœur. » Voici qu'ils fermèrent leurs clô-
tures et firent sortir des soldats vers quelques-uns des
soldats de Sa Majesté, eu ouvriers, architectes, marins,87 (qui se dirigeaient vers) le port de Memphis. Voici que
466 CHOIX DH TEXTES ÉGYPTIENS
le chef de Sais arriva à Memphis pendant les ténèbres,exhortant son armée, ses marins, tous les généraux de
ses troupes, en tout 8.000 hommes, et les encourageant
beaucoup (1 Memphis. est pleine de troupes de l'élite
du pays du Nord, (et remplie) d'orge, de blé et de toute
espèce de grains; les greniers débordent et
88 les armes (sont nombreuses on a renforcé) la muraille,en bâtissent un bastion immense, fait d'après la science
des ingénieurs le fleuve entoure le côté est on ne peut
pas attaquer par là. Les parcs à bétail sont remplis de
bœufs; le trésor public est muni de toutes choses ar-
gent, or, bronze, vêtements, encens, miel, résine odo-
riférante. Je pars. Je laisse ces choses aux chefs de la
Basse Egypte et je leur ouvre leurs nomes. Je dois
89 pour revenir. (1 Il s'assit sur son cheval et
ne désira pas son char: il partit de peur de Sa Majesté.Le lendemain matin, le roi arriva devant Memphis
et aborda au nord de la ville. Il trouva l'eau élevée
jusqu'au rempart. Des barques de transport abordèrent
jusqu'au
90 (mouillage) de Memphis. Alors le roi la vit dans sa
force; un rempart élevé, reconstruit à neuf, et des bas-
tions bien fortifiés; on ne trouva pas de chemin pour
l'attaquer. Chacun di.ait son avis dans l'armée de Sa
Majesté sur toute espèce de moyen d'attaquo. Chacun
disait « Bloquons-la
91 (sans l'attaquer), car ses troupes sont nombreuses. 1)
D'autres disaient « Faisons une chaussée contre elle
élevons le sol plus que ses rempart; assemblons une
plate-formc; dressons des mâts, faisons des voiles contre
elle dans son pourtour; séparons-la de cette manière de
tous côtés, au moyen d'épaulements avec
92 du côté du nord, afin d'élever le sol au-
dessus de son rempart; nous trouverons ainsi un chemin
pour nos pieds. » Alors Sa Majesté devient furieuse
CIIOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 4f7
comme la panthère. Elle dit « Par ma vie! par mon
amour pour Phra par les bontés de mon père Ammon
pour moi! Je trouve que ces choses arrivent ainsi, en
cette affaire, par la volonté d'Ammon. Voilà ce qu'ontdit les gens
93 (de cette ville), et les nomes méridionaux lui ont ouvert
de loin. Ammon n'inspirait pas leurs cœurs: ils mécon-
naissaient sa volonté. Mais il a fait ainsi pour manifester
ses esprits, pour montrer sa puissance redoutable. Je
vais prendre la ville comme une flaque d'eau. Je veux
que
94 Il Alors Sa Majesté fit partir ses barquesde transport et ses troupes pour attaquer le. port de
Memphis. Ils lui amenèrent tous les vaisseaux, djoi,
makhen, seheri et des hai autant qu'il y en avait. Le
débarquement eut lieu au port de Memphis, l'avant-
garde débarquant dans ses maisons.
95 (Mais pas) un petit enfant ne pleura par le fait d'aucun
des soldats de Sa Majesté. Le roi vint piloter lui-même
les barques de transport tant qu'il y en avait. Sa Ma-
jesté ordonna à ses troupes « Faites attention; entourez
les remparts, et entrez dans les maisons par le fleuve.
Si l'un de vous entre par-dessus la muraille, on ne tien-
dra pas devant sa voie.
96 ne faites pas rétrograder les généraux; cela serait
méprisable. Or. fermons le Midi, abordons le Nord et
installons-nous à Makhitau. HAlors Memphis fut prisecomme une flaque d'eau; on y tua beaucoup d'hommes
et on amena dos prisonniers vivants l'endroit où était
Sa Majesté,.
97 (Lorsque le soleil) se leva le jour suivant, Sa Majesté y
envoya un homme pour prendre soin des temples du
dieu, ayant la haute main sur le sanctuaire des dieux,
pour pourvoir aux libations dos divins seigneurs de
Memphis, pour puritier Memphis par le natron et l'en-
468 CHOIX DR TEXTES ÉGYPTIENS
cens, et pour rétablir les prêtres leur place habituelle.
Le roi se dirigea vers le temple de
98 (Ptah) il fit sa purification dans la chapelle de l'adora-
tion, et accomplit tous les rites obligatoires qui sont
faits par un roi. Il entra dans le temple, et y fit une
grande oblation à son père Ptah-Anbou-res-f, en bœufs,
jeunes taureaux, oies et toutes sortes de bonnes choses.
Puis, Sa Majesté partit pour sa demeure. Alors tous
les territoires qui étaient dans les environs de Mem-
phis apprirent (cela): Heri-pa-temi, Peni-na-
99 Ouaa, la ville de Biou, la bourgade de Bi, dont les lia-
bitants ouvrirent. leurs remparts et s'éloignèrent en
fuyant: on ne sait où ils allèrent. Ouapout vint avec le
chef de Ma, Makanashou, le noble chef Petisis et
100 tous les commandants du pays septentrional, apportantleurs présents, pour contempler les beautés de Sa Ma-
jesté. Alors furent attribués les trésors publics et les
greniers de Memphis aux propriétés divines d'Ammon,de Ptah et des ordres divins de Memphis. Le lendemain
matin, le roi alla vers l'Orient. On fit à Tum dans
Kherau
101 et aux ordres divins dans le temple des ordres divins
dans lequel se trouve le Amhu des dieux, une oblation
en bœufs, jeunes taureaux et oies, pour qu'ils accordent
vie, s:mté, force, au roi de la Haute et de la Basse
Egypte, Piankhi, vivant à toujours. Sa Majesté partitpour Héliopolis par la montagne de Kherau, sur la
route du dieu Sep vers Kherau. Le roi alla vers sa tente,
(plantée) à l'occident de Mer-ti. Il fit sa purification etse baigna
102 dans le bassin d'eau fraiche; il lava sa face dans le laitde Noun (l'eau du Nil), dans lequel Phra se lave la
face. Il alla aux hautes dunes de sable dans Héliopolis.Il lit une grande offrande sur les hautes dunes de sabledans Héliopolis devant Phra à son lever, en vaches
CHOIX DE THXTHS ÉGYPTIENS 469
blanches, lait, parfum Anti, encens et toute espèce de
103 substances douces d'odeur. Lorsqu'il vint vers la de-
meure de Phra, le gouverneur du temple le salua, et le
Kherheb supérieur lui rendit l'honneur divin qui chasse
du roi les influences fatales. Le lieu de l'adoration fut
préparé, le voile disposé, et il fut purifié par l'encens est
l'eau froide on lui présenta les fleurs symboliques de
Ha-benben, et on lui apporta des semences fralches. 11
monta
104 l'escalier vers le grand reposoir pour contempler Phra
dans Ha-benben, lui, lui-même. Le roi demeura seul:
il tira les deux verrous et ouvrit les portes: il vit son
père Phra dans Ha-benben le saint, et la barque de
Phra, et la barque de Tum. Il referma les portes, appli-
qua l'argile, y posa
105 lui-méme le sceau royal, et ordonna aux prêtres « J'ai
vérifié le sceau; qu'aucun autre des rois n'y entre 1 Il Il
se tenait debout, et (les prêtres) se prosternèrent devant
Sa Majesté, en disant « Qu'à jamais il n'arrive aucun
mal l'Horus qui aime Héliopolis. -) Il entra ensuite
dans le temple de Tum, afin de servir l'image
106 de son père Tum-Khepra, seigneur d'Héliopolis. Lp
roi Osorkon vint pour voir les beautés de Sa Majesté.
Le lendemain matin, Sa Majesté se rendit au port
la meilleure de ses barques de transport partit pour le
port de Ka-kem. La tente de Sa Majesté fut plantée au
midi de Kahani, à l'orient du nome de
107 Ka-kem. Les rois et les chefs du pays du Nord, tous
les Oérou, ptérophores, tous les magistrats, tous les
Souten-rekh de l'Occident, de l'Orient et des îles inté-
rieures vinrent pour contempler les beautés de Sa Ma-
jesté. Le Repa Petisis se prosterna
108 devant Sa Majesté, en disant « Viens à Ka-kem con-
temple le dieu Khent-Khetti donne tes soins à la
déesse Khoui: acquitte-toi d'une offrande à Horus,
470 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
dans son temple, en bœufs, jeunes taureaux et oies!
Entre dans ma demeure je t'ouvre mon trésor encom-
bré des biens de mon père: je te donnerai de l'or jus-
qu'aux limites de ton désir,
109 du mafek entassé devant toi, des chevaux nombreux.
les meilleurs de ma petite et de ma grande écurie. »
Le roi alla au temple d'Horus-Khent-Khetti, et fit ac-
complir une offrande de bœufs, de jeunes taureaux et
d'oies à son père Horus-Khent-Khetti, seigneur de
Kam-Oér. Il alla à la demeure du Repa Petisis, qui lui
fit l'offrande d'or,
110 de lapis, de mafek, d'une grande quantité de toute es-
pèce de choses, d'étoffes, de toiles royales en toute
quantité, de lits entourés de cotonnades, d'huile en
jarres, d'étalons et de juments, les meilleurs de son
écurie. Il (Petisis) se purifia par un serment en la pré-sence de ces rois et de ces grands chefs du pays
111 septentrional « Quiconque d'entre vous cache ses che-
vaux et couvre ses objets précieux mourra de la mort
de son père Je dis cela pour votre intimidation. Agissezdonc d'après tout ce yue vous savez de moi. Oui, dites:
« J'ai cache à Sa Majesté une partie des choses
112 de la maison de mon père, or, argent avec pierreries,toute espèce de vases, menfi pour bracelets, or pour
colliers, et périscélides garnis de pierreries, toute espèced'amulettes des membres, couronnes pour la tête, an-
neaux pour les oreilles, tous joyaux du roi, tout vase de
la toilette royale en or et pierrerie; tout cela, autant
qu'il y en a, j'offre
113 devant le roi. Les toiles royales et les étoffes, par mil-
liers, sont les meilleures de ma maison. Je sais que tu
t'apaiseras pour cela. Va à l'écurie et choisis, à ton gré,les chevaux qui te plaisent. » Alors Sa Majesté fitainsi.
Les rois et les chefs dirent à Sa Majesté « Nous par-tons pour nos villes; nous ouvrirons nos trésors; nous
CHOIX IIH TEXTES ÉGYPTIENS 471
choisirons ce que tu désires, et nous t'amènerons les
prémisses de nos écuries, les meilleurs de nos chevaux. »
Alors Sa Majesté lit ainsi.
Tableau de leurs noms
Le roi Osorkon de Pa-beset et du territoire de Ra-
nefer
Le roi Ouapot de Tentremou et de Taanta;
Le chef (ha) Djet-amen-aufankh de
115 Mendès, qui est le grenier de Phra:
Son fils ainé, commandant de l'armée dans Pa-Thoth-
upreheh (Hermopolis du Delta), Ankh-IInr;
Le chef Makanash de Neter-tel) (Sebennys), de Pa-hebi
et de Samhut (Samanhoud):
Le chef de Ma, Patenef de Pa-septi, du grenier du Mur
blanc:
116 Le chef de Ma. Pema de Bu·iris:
Le chef de Ma, Nasnckati, dan.; Ku-heseb:
Le chef de Ma, Nekht-Hor-na-shennou de Pa-kerer:
Le Oér de Ma, Penta-Oér;
Le Oér de Ma, Pentabekhen
Le prophète d'Horus, seigneur de Létopolis,
117 Pet-Hor-Samtui;
Le chef Hurubas de Pa-sekhet-nebt sa et de Pa-sekhet-
neb-ruhesaui
Le chef Djet-khiaou de Khent-nefer:
Le chef Pabesa de Kherau et de Pa-hapi.
apportant tous leurs tributs excellents
118 en or, argent. lits entourés de cotonnades, parfum
anti
119 en jarres. (en bracelets), beaux joyaux, chevaux,
120. aptès cela on vint dire
121 à Sa Majesté « l'armée. Il a entouré
122 il a mis le feu au trésor. au milieu du
fleuve, il a enveloppé la ville de Meset
472 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
123 de troupes » Le roi envoya ses troupes124 pour voir ce qui était arrivé par le fait du pervers (en-
nemi) du Repa Pctisis. On vint rapporter125 à Sa Majesté, en disant « Nous avons tué tous les
hommes que nous avons trouvés lá. n Sa Majesté donnades récompenses
126 au Repa Petisis. Voici yue ie royal chef de Ala, Taf-
nekht, apprit ces choses. Il fit
127 partir un messager pour le lieu où était Sa Majesté, afinde l'adoucir, en disant Il La paix avec toi Que je nevoie pas ta face aux
128 jours d'irritation Je ne tiens pas devant ta flamme: jeredoute ta terreur, car toi, tu es le dieu Noub dans le
pays méridional, le dieu Month,
129 taureau victorieux. Est-il une chose à laquelle tu t'ap-pliques, que tu ne réussisses pas à exécuter? J'avaisatteint les îles de la
130 Méditerranée, et j'ai eu peur de tes esprits sur cette
parole brûlante que tu agissais en ennemi contre moi.Est-ce que n'est pas apaisé
131 le cœur de ta Majesté par ce que tu as fais contre moi?car je suis un vrai malheureux. Ne me frappe pas plusque l'infraction, pas plus que le crime; mesure à la
132 balance, compte par le poids: tu les multiplies pour moien triple. Jette la semence, tu la recueilleras en la mai-son. N'abats pas
133 un bois pour ses feuilles. Par la prospérité de ton être! 1Ta crainte est dans mon sein ta terreur est dans mesos 1 Je ne m'assieds plus dans
134 une maison de boissons. On ne m'apporte plus de harpe.mais je mange le pain de l'affamé, je bois l'eau de
135 l'altéré (c'est-à-dire je ois d'aum6nes). Depuis qu'ilest arrivé que tu as entendu mon nom, la maladie estdans mes os; ma tête est chauve,
136 mes vêtements sont usés. Puisse Neith être propitiée
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 473
pour moi, détournant ta venue contre moi, ta face
contre moi.
137 Mon être se brise. Purifie le serviteur, ne l'immole pasPrends tous mes biens pour le trésor,
138 l'or et les pierreries et les meillleurs de mes chevaux.
Paie-toi de tout. Que vienne à moi
139 un messager, au plus vite, qui détruise la crainte dans
mon cœur! Oui, je sortirai devant lui vers le temple. Je
me purifierai par un serment »
140 Sa Majesté envoya le Ker-heb supérieur, Pet-amen-
nesa-toui et le chef militaire Pouarma.
141 Il (Tafnekht) les gratifia d'argent, d'or, d'étoffes, de
pierreries de toutes sortes. Il sortit vers le temple et adora
le dieu.
142 II se purifia par un serment sacré, en disant « Je ne
violerai pas l'ordre du roi je ne pervertirai pas ses
143 paroles je ne causerai pas de préjudice à un chef sans
toi j'agirai selon les ordres
144 du roi je ne violerai pas sa volonté. » Alors Sa Majestése calma sur cela. On vint dire
145 à Sa Majesté « La ville de Neter-ha-Sebek a ouvert
ses portes, celle de Matennou s'est rendue: il n'y a
plus de
146 nome fermé contre Sa Majesté parmi les nomes du Midi.du Nord, de l'Occident et de l'Orient. Les iles intérieures
se sont rendues de peur du roi147 elles offrent leurs biens dans le lieu où est Sa Majesté.
comme sujets de la cour. u Le lendemain matin,148 les deux Hag de la Haute Egypte et les deux Haq de
la Basse Égypte vinrent, couronnés de leurs diadèmesà aspics, pour se prosterner devant les esprits
149 de Sa Majesté. Puis aussi les rois et les chefs du pays
septentrional vinrent pour voir les beautés de Sa Ma-
jesté.
150 Leurs jambes étaient comme des jambes de femmes. Ils
474 CHOIX DK TEXTES ÉGYPTIENS
n'entrèrent pas dans le palais, parce qu'ils étaient im-
purs et qu'ils
151 mangeaient du poisson, ce qui est une abomination
dans la demeure royale. Mais le roi Nimrout entra
152 dans la demeure royale, parce qu'il était pur et ne man-
geait pas de poisson. Ils se tinrent
153 debout ensemble sans entrer au palais. Alors furent
chargés des navires avec argent, or, bronze,
154 étoffes, toute espèce de choses du pays du Nord, toute
espèce de produits de Kharou (Syrie) et toute espèce de
parfums de Taneter.
155 Sa Majesté remonta le fleuve, le cœur joyeux, tout
son entourage se livrant à l'allégresse: l'Occident et
l'Orient reprirent disposition
150 à la joie, à l'exemple du roi. Jubilants et pleins d'allé-
gresse, ils disaient « O Haq annihilateur ô Haq an-
nihilateur
157 Piankhi, ô Hay annihilateur Tu es venu, et tu t'es
rendu souverain du pays du Nord. Tu as changé les
mâles
158 en femelles. Joie à la mère qui a enfanté un (tel) mâle!
Celle qui était féconde de toi est dans la vallée funé-
raire. Gloire lui soit rendue,
159 à la génisse qui acnfanté le taureau 1 Tu existeras pour
des siècles ta victoire sera durable, ô souverain, ami de
la Thébaïde »
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 475
LA STÈLEDU SONGE
Ce texte a été puhlié par Mariette dans ses Monuments dirers, pl. 7et 0, et
traduit par Maspero en français, dans la Recue archèologique, t. I, p. 329
et suiv., 1868. et en anglais, dans les Rerords of the PlUt[, 1" Séries l,
vol. 1\ p. 79 et suiv. (P.-J. de H.)
Lignes
1 Le dieu bon au jour de son apparition, celui qui est le
dieu Toum des êtres intelligents, le seigneur des deux
cornes, le gouverneur des vivants, le prince qui s'est em-
paré du monde entier, fort de glaive au jour du combat,
terrible de face le jour (de la bataille),
2 seigneur de la victoire comme Month, très vaillant
comme un lion, terrible, magnanime comme le dieu qui
réside dans Heser, magnifique lorsqu'il parcourt le Ouat-
Oér (la Méditerranée) jusqu'à son extrémité, celui qui
s'empare des extrémités (de la terre, qui s'est saisi)
3 de ce pays sans combat, sans que personne se soit levé
contre sa marche rapide, le roi de la Haute et de la
Basse Egypte. Ra-ba-ka, fils du soleil, Amen-meri-nouat,
l'aimé d'Ammon de Nap. L'année en laquelle il s'éleva
en souverain,
4 le roi vit une vision pendant la nuit deux serpents, l'un
à sa droite, l'autre à sa gauche. Sa Majesté, s'étant ré-
veillée, ne les trouva plus. Elle dit « (Pourquoi)
5 ce qui m'est arrivé ? » Alors on le lui interpréta, en di-
sant « Le pays méridional est à toi empare-toi du pays
septentrional. Que le double diadème s'élève sur ta tête;
le monde t'est donné dans sa longueur et dans sa lar-
geur (personne)
6 ne pourra te le disputer. » Le roi monta sur le trône
d'Horus cette année-là. Sa Majesté sortit du lieu où
476 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
elle était, comme sortit Horus de son kheb. Lorsqu'ellesortit.
7 des millions et des cent mille erraient à la suitede sa marche. Sa Majesté dit « Elle est donc bien
vraie, cette vision Heureux qui y ajoute foi, perverscelui qui la méconnaît » Le roi alla à Nap il n'y eut
point d'arrêt à
8 sa marche rapide. Le roi arriva au temple d'Ammon de
Nap, qui réside dans la montagne sainte. Il eut le cœurheureux lorsqu'il eut vu son père Ammon-Ra, seigneurdes trônes du monde, qui réside dans la montagne sainte.On lui apporta les plantes vivificatrices de ce dieu.
9 Alors le roi fit une fête à Ammon de Nap: il lui fit une
grande offrande, en instituant des panégyries avec of-frande de 36 boeufs, haq et liqueur ash 40 mesures,
plumes 100. Le roi descendit le fleuve vers le pays duNord: il vit
10 celui des dieux dont le nom est le plus caché. Il arriva à
Éléphantine. Voilà que le roi, ayant traversé vers Élé-
phantine, arriva au temple de lVum-lta, seigneur de Keb.11 Il fit une fête Ùce dieu et lui fit une grande offrande; il
donna du pain et du haq aux dieux de Ker-ti il fit un
sacrifice propitiatoire à l'eau (du Nil) sortant de sontrou. Le roi descendit le fleuve vers Kheft-hi-nebs, la
Thèbes d'Ammon. Sa Majesté12 aborda dans Thèbes, et entra au temple d'Ammon-Ka.
seigneur des trônes du monde. Vinrent vers Sa Majestéle prophète Sent-0ér et le. quatre horoscopes du templed'Ammon-Ra,
13 seigneur de. trônes du monde. Ils lui apportèrent les
plantes vivificatrices du dieu dont le nom est caché. Le
cœur du roi fut en allégresse auprès qu'il eut vu le temple.Il fit une fête à Ammon-Ra, seigneur des trônes du
monde, en fondant une grande panégyrie dans le paysentier. Sa Majesté
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 477
14 descendit le fleuve vers le pays septentrional. L'Occident
et l'Orient furent en joie, grandement en joie. Ils dirent« Toi qui es venu en paix, paix à ta persunne c'est toi
qui rais vivre les deux mondes, c'est
15 toi qui relèves les temples parvenus à la ruine, qui in-
stalles leurs effigies divines dans leurs emblèmes, donnant
des offrandes aux dieux et aux déesses, et des offrandes
funéraires aux mânes,
16 mettant le prêtre à sa place, faisant toutes choses pourles propriétés divines. » Ceux dont le cœur était disposéà la lutte étaient devenus joyeux. Le roi arriva à Mem-
phis.
17 Les fils de la révolte sortirent pour combattre Sa Ma-
jesté. Le roi en fit un grand carnage; le nombre n'en est
pas connu. Il s'empara de Memphis. Il alla au temple de
18 Ptah-res-anbu-f il lit une grande offrande à Ptah-Sokar
et un sacrifice propitiatoire à Sekhet, la bien-aimée. Il
plut à Sa Majesté de les présenter à son père Ammon de
Nap, faisant un décret pour
19 lui faire bàt:r une salle couverte toute neuve. Elle ne se
trouvait pas construite au temps des ancêtres augustes.Le roi la fit construire en pierres incrustées d'or
20 ses boiseries étaient en bois de cèdre,
21 parfumées d'Anti de Poun ses portes étaient en or, et
22 leurs gonds (?), en plomb. Il lui bâtit un autre local à
sortie par derrière pour faire le lait
23 de ses troupeaux. nombreux par dix mille, (mille). cen-
taines et dizaines: le nombre n'est pas connu des jeunesveaux
24 (suivant) leurs mères. Après cela, le roi descendit le fleuve
pour combattre les chefs du pays du Nord.
25 Il entra dans leurs murs. Ils (se sauvaient) dans leurs
cavernes (?). Le roi passa des jours nombreux devant eux
pas un seul ne sortit
26 pour combattre avec Sa Majesté. Le roi retourna a Mem-
478 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
phis; il se reposa dans son halaic, en réfléchissant afin
de faire arriver des troupes
27 pour les réduire. Des explorateurs qui étaient arrivés
pour lui rendre compte lui parièrent, en disant a Ces
mêmes grands chefs sont venus a l'endroit
28 où est Sa Majesté pour parler à notre seigneur. u Sa Ma-
jesté dit « Sont-ils venus pour combattre, (ou) sont-ils
venus pour me servir? Dans ce cas, qu'ils vivent sur
l'heure » Ils dirent
29 à Sa Majesté « Ils sont venus pour servir le chef su-
prême, notre seigneur. n Sa Majesté dit « Mon maître,
ce dieu auguste, Ammon-Ra, seigneur des trônes du
monde, résidant dans la montagne sainte, dieu grand et
bienfaisant pour qui connait son nom, veille
30 sur qui lui plalt; il donne la victoire à qu: est de son
germe; pas de trahison à celui qui est sous son action,
pas d'obstacle à celui qu'il guide. Car ce qu'il m'avait dit
pendant la nuit,
31 je l'ai vu pendant le jour. » Sa Majesté dit a (Je vais
sortir) à l'instant. » Us dirent devant Sa Majesté (1 Ils
restent debout devant la maison. » Le roi sortit
32 pour (les voir. Il était) semblable à Ra-Har-em-akhou.
Il les trouva s'étant jetés sur leurs ventres, et respirantla terre, (de peur) de lui. Sa Majesté dit « Elle est donc
vraie la sentence que
33 Voilà que je vais faire se réaliser le décret di-
vin, celui que je fasse vivre qui il me plalt, le jour que
j'ai célébré Ammon dans sa demeure, et que j'ai fait na-
viguer ce dieu auguste, Ammon de
34 Napati, résidant dans la montagne sainte. Il ne se tint
pas contre moi; il me dit « Je serai ton guide dans
toutes les voies; si tu dis « Oh a moi » je disposerai
pour toi le lendemain. » II partit
35 et je fus semblable un esclave. u Alnrs
ils lui répondirent, en disant « Puisque ce dieu
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 479
36 t'a donné la primauté, en te jurant que tout serait heu-
reux pour toi. ne (le contredis pas) dans ce qui est sorti
de sa bouche, ô seigneur suprême, notre maître » Voilà
que se leva le noble chef de Pasept, Pakrer. pour parler;il dit
37 (CTue qui tu veux, laisse vivre qui tu veux: ne sera
lésion aucune à la double justice. Alors ils lui répon-dirent unanimement, en disant « Accorde-nous toute
la respiration de la vie point de vie à qui38 ne te connaît pas: servons-le comme gens à ses ordres,
ainsi que tu l'as dit à ce propos la première fois, le jouroù tu fus roi. » Le cœur du roi fut dans l'allégresse lors-
qu'il eut entendu ce discours; il leur
39 lit distribuer des pains, du haq et toute espèce de bonnes
choses. Le jour après cela, il leur en fit donner une se-
conde fois. (Alors) ils dirent « Nous restons si c'est le
désir du chef suprême, notre maître. »
40 Sa Majesté paria, en disant « Soit u. Ils dirent devant
Sa Majesté « En retournant à nos villes, nous rassem-
blerons des ouvriers, nous travaillerons, nous fabrique-rons pour le temple. » Sa Majesté les laissa partir
41 pour leurs villes: ils eurent la vie sauve. Les gens du
Midi descendirent le fleuve, les gens du Nord remontèrent
auprès du roi avec toute espèce de bonnes choses du pays
méridional, et les délicieux produits42 du pays du Nord, pour satisfaire le coeur de Sa Majesté.
C'était le roi de la Haute et de la Basse Egypte. Ra-ba-
ka, fils du soleil, Amen-meri-nouat, V. S. F. élevé sur
le trône d'Horus éternellement.
480 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
STÈLE DE L'INTRONISATION
Le texte a été publie par Mariette dans ses Monuments dirers, pi. 9, tra-
duit par G. Maspero en français, dans la Rroue archèologique, t. 1, 1873,et en anglais, dans les Records of thr Paxt[, 1" SeriesJ. vol. VI, p. 71.
(P.-J. de M.)
Dans le cintre de la stèle, au-dessous du disque ailé,une reine tenant deux sistres devant Ammon-Ra, à tête
de bélier, assis sur un trône, ayant devant lui le roi age-nouillé. Légendes
Dit par la royale soeur, royale mère, présidente de
Koush () « Je viens près de toi, Ammon-Ra,
seigneur des trônes du monde, dieu grand dans son apet,qui renverse, qui donne la victoire à qui est de son es-
sence. Affermis ton fils qui t'aime, vivant à
toujours sur le trône (?) de Phra; qu'il y grandisse!
Seigneur de tout dieu et de toute déesse! multiplie sesannées de vie sur (la terre) comme le disque du ciel,donne-lui toute vie heureuse qui est en toi, toute satis-faction qui est en toi qu'il soit élevé sur le trône d'Ho-rus à jamais »
Réponse d'Ammon Dit par Ammon de Napet « Monfils que j'aime, (), je t'accorde la domination de
Phra, son règne sur son trône j'établis la double cou-ronne sur ta tête, comme est établi le ciel sur ses quatresupports. Que tu sois vivant, puissant, triomphant, ra-
jeuni comme Phra éternellement Que pays et régionstous soient rassemblés sous tes pieds u
Dit par Mau, maîtresse du ciel Il Je te donne toutevie heureuse, toute force, toute joie, à jamais. »
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 481
BIBL. ÉGYPT., T. XIII. 31
Lignes
1 L'an I, Méchir 15, sous la Sainteté de l'Horus bon,coiffantla doublecouronne,coiffantl'épervierd'or, ma-
gnanime,le roi de la Hauteet de la BasseÉgypte, sei-
gneurdes deux mondes,(cartouchemartelé)|.filsdu soleil,seigneurdes diadèmes,(cartouchemartelé)',aimé d'Ammon-Ra,seigneurdestrônesdu mondedans la montagnesainte.
2 L'arméeentièredeSa Majestéétaitdans lavilledite lamontagnesainte (Barkal), et dont le dieu est TatounKhentinefer.C'est le dieude Koush. Lorsquel'épervierdivinfutétabli sur sa châsse(c'est-à-dire quand le roifut enterré),
3 alorsil y eut des fonctionnairesdévouésdans le rangdel'arméeroyale,six personnes;et il y eut des fonction-nairesdévoués,chanceliers,six personnes; ily eut
4 desdirecteursdes écritures, six personnes;puis encoreil y eut des chefset des intendantsdes servicesdu pa-lais royal, six personnes.Alors ils dirent à l'arméeen-tière « Allons,élevons
5 notreseigneur nous sommescommeun troupeau sansconducteur.» Cettearméecria très fort, très fort, en di-sant « Qu'il y ait un seigneurà nousqui reste avecnous Nousn'en connaissonspas.
GAh si nous le connaissions,nous entrerions sous luinousle servirionscommelesserviteursdesdeuxrégionsont serviHorus.filsd'Isis, aprèsqu'il fut arrivéau trônede sonpère Osiris; nousrendrionsgloire aux deux as-
picsdesacouronne.»
7 Alorsils se dirent entre eux « Personnene le connaîtsi ce n'estPhra lui-même,quidissipetoutdanger contrelui dans tout lieu
8 où il se trouve. IlAlors ils se dirent entre eux a Phra
(le dernier roi) s'est couchédans la terre de oie, et son
règneest dans nos cœurs. n Alors ils se dirent l'un à
482 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
l'autre « C'est une vérité, c'est une révélation de Phra
depuis qu'existe
9 le ciel, depuis qu'existe la royauté du roi; il l'a donnée à
son fils qu'il aime, parce qu'il est l'image de Phra, le roi
parmi les vivants. Phra ne le donne-t-il pas au pays,afin de pacifier ce pays ? » Alors ils se dirent
10 entre eux « Phra n'est-il point allé au ciel? Son trône
manque de souverain, et sa dignité reste entière entre
ses mains; qu'il la donne à son fils qui l'aime PuisquePhra peut parler, qu'il fasse une bonne disposition pourson trône »
11 L'armée tout entière s'écria, en disant « II n'est pointde maître à nous, demeurant avec nous: nous n'en con-
naissons pas. » L'armée royale tout entière dit d'une
seule bouche « Mais ce dieu, Ammon-Ra, seigneur des
trônes du monde, qui réside dans la montagne sainte,est le dieu de Koush.
12 Allons près de lui; ne faisons rien sans lui; rien de bon
n'est fait sans lui. Que la chose soit décidée par le dieu,
qui est le dieu de la royauté de Koush, depuis le temps de
Phra qu'il nous dirige
13 La royauté de Koush est en ses mains; qu'il la donne à
son fils qui l'aime. Nous rendrons gloire à sa face; nous
nous prosternerons sur nos ventres; nous dirons devant
sa face « Nous venons auprès de toi, Ammon Donne-
nous notre seigneur pour nous faire vivre, pour bâtir des
temples à tous les dieux et à toutes les déesses de la
Haute et de la Basse Égypte, pour augmenter14 les divines propriétés. Nous ne faisons rien sans toi. C'est
toi qui nous conduis; ce n'est pas le moyen de fairo
quelque chose que d'agir sans toi. n Alors toute cette ar-
mée dit o Parole excellente des milliers de fois 1 Les
généraux de Sa Majesté partirent
15 avec les samerou du palais royal, pour le temple d'Am-
mon. Ils trouvèrent les prophètes et les grands-prêtres se
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 483
tenant à la porte du temple. Ils leur dirent « Nous ve-
nons auprès de ce dieu Ammon-Ra, qui réside dans la
montagne sainte, pour faire qu'il nous donne notre sei-
gneur pour nous faire vivre, pour bâtir des temples16 à tous les dieux et à toutes les déesses de la Haute et de
la Basse Égypte, pour augmenter leurs divines proprié-tés. Nous ne faisons rien sans ce dieu; c'est lui qui nous
dirige. » Les prophètes et les grands-prêtres entrèrent
dans le temple et firent tout ce qu'il y a à faire pour la
purification et l'encensement. Les généraux17 de Sa Majesté et les Oérou du palais royal entrèrent au
temple, et se placèrent sur leurs ventres devant ce dieu.
Ils dirent « Nous venons auprès de toi, Ammon-Ra,
seigneur des trônes du monde, qui réside dans la mon-
tagne sainte. Accorde-nous notre seigneur pour nous
faire vivre, pour bâtir des temples aux dieux de la Haute
et de la Basse Égypte, pour augmenter les divines pro-
priétés. Le pouvoir demeure entier
18 en tes mains; donne-le à ton fils que tu aimes. u Alors
ils placèrent les frères du roi devant ce dieu il ne pritaucun d'eux. On plaça une seconde fois le royal frère,fils d'Ammon, né de Mau-t, dame du ciel, fils du soleil,
(cartouchemartelé)|,vivant à jamais. Alors ce dieu,19 Ammon-Ra, seigneur des trônes du monde, dit e Lui,
c'est le roi, votre seigneur; c'est lui qui vous fera vivre,c'est lui qui bâtira tous les temples de la Haute et de la
Basse Égypte c'est lui qui augmentera leurs propriétés.Son père, c'était mon fils, le fils du soleil, (cartouchemartelé)|,
justifié; sa mère, la royale sœur, royale mère, régente de
Koush,
20 fille du soleil, (cartouchemartelé)|,vivante à jamais, dont la mère
était la royale sœur, divine adoratrice d'Ammon-Ra,roi des dieux de Thèbes, (cartouchemartelé)|,justifiée, dont la mèreétait la royale sœur, (cartouchemartelé)|,justifiée, dont la mère
était la royale sœur, (cartouchemartelé)|,justifiée, dont la mère
484 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
était la royale sœur, (cartouchemartelé)|,justifiée, dont la mère
était la royale sœur, (cartouchemartelé)|21 justifiée, dont la mère était la royale sœur, régente de
Koush, (cartouchemartelé)|,justifiée. Qu'il soit votre seigneur! 1/
Puis les généraux de Sa Majesté, ainsi que les Oérou du
palais royal, se mirent sur leurs ventres, devant ce dieu,
pour respirer la terre beaucoup, beaucoup, afin de rendre
gloire à ce dieu pour
22 la puissance qu'il avait donnée à son fils qu'il aime, le
roi de la Haute et de la Basse Égypte, (cartouchemartelé)|,vivant à
toujours. Le roi entra pour être couronné devant son
père auguste, Ammon-Ra, seigneur des trônes du monde.
Il trouva les couronnes des rois de Koush et leurs
sceptres placés devant ce dieu. Sa Majesté dit devant
ce dieu
23 « Viens à moi, Ammon-Ra, seigneur des trônes du monde,
qui réside dans la montagne sainte 1 donne-moi la royauté
qui demeure complète Je n'en avais pas envie c'est toi
qui as voulu me donner la couronne, de ta propre vo-
lonté, ainsi que le sceptre. » Alors ce dieu dit ci A toi
lacouronne de ton frère, le roi de la Haute et de la Basse
Égypte, (cartouchemartelé)|,justifié!
24 Que son diadème demeure sur sa tête, comme demeure
sur ta tête; que son sceptre soit dans ta main,
renversant tes ennemis tous » Alors on couronna Sa
Majesté du. et on lui mit le sceptre à la main.
Sa Majesté se prosterna devant ce dieu
25 pour respirer la terre beaucoup, beaucoup, et dit « Viens
à moi. Ammon-Ra, seigneur des trônes du monde, qui
réside dans la montagne sainte toi que les grands im-
plorent. qui donnes toute vie stable et fortunée,
toute santé, toute joie, semblable Phra, éternellement.
La très heureuse vieillesse, donne-la-moi.
de mon temps ne me fais pas coucher.
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 485
eux sont en prosternation. Accorde ton amour dans
Koush
27 » Ce dieu dit:« (Ces biens), je te les accorde tous. Ne dis pas « à moi
davantage en cela, à jamais. »
28 Sa Majesté sortit du temple au milieu de son armée, et
toute son armée se mit à pousser des acclamations, beau-
coup, beaucoup.
étaient très satisfaits de lui; ils lui donnaient
adoration en disant
29 « Viens.
au milieu de son armée. le sceptre dont Sa Ma-
jesté était armé Alors il fonda des panégyries
30
bière 140 vases.
486 CHOIX DF TEXTES ÉGYPTIEN8
STÈLE DE L'EXCOMMUNICATION
Le texte a été publié par Mariette dans ses Monuments divers, pl. 10, traduit
par G. Maspero: en trançais, dans la Rerue archéologique, t. 1. l'. 8 ct suiv
1871, et en anglais, dans les Record. of the Part 1st Series], vol. 1 V. p. 93
et suiv.- (P.-J. de H.)
Lignes
1 Ledieu bon,pareilàPhra, Tum, quiacommencé.
rapidedemarche,un secondaten,qui accorde
lesouffle à toutes lesnarines, qui faitvivreles intelli-
gents,qui l'emporteparsa puissancecommecelui qui2 l'a engendré, qui guideSa Majestéen toute occasion
dansses actes; seigneurbienfaisant, fils aîné,vengeurdeson père, qui
3 répondalternativementavec lui, le roi de la Haute et
dela Basse Égypte (cartouchemartelé)|,fils du soleil(cartouchemartelé)|,aimé
d'Ammon-Ra, seigneurdes trônes du monde,résidant
dansla montagnesainte,vivificateuréternel.
4 L'an II desonélévation,Sa Majesté,étantsur le trône
deSeb, alla au templedeson père Ammonde Nap, quirésidedans la montagnesainte, pourexpulser
5 cette secte, hainede dieu, appelée Tem-PesiPer-tat-
khaF,c'est-à-dire, pourne pas les laisser
6 entrerdans le templed'Ammon de Nap,quiréside dans
lamontagne sainte,à cause de l'acte,horrible à dire,
qu'ilsont commisdansle temple d'Ammon.Ils ont fait
7 unacte que dieu n'ordonnepas de faire;ils ont dit en
leurcœur qu'ils tueraientun hommeinnocent.Dieu ne
veutpas8 qu'onle fasse;dieua faitqu'ils disentde leurbouchece
qu'ilsont fait,afindemanifesterleurs vices.Illes frappa;il fit passer le feu. afindefaireque
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 487
9 tous les prophètes et tous les prêtres qui entrent auprès
de ce dieu auguste fussent saisis de crainte de la gran-
deur de ses esprits, et de l'étendue de sa puissance. Sa
Majesté a dit « Tous les prêtres qui commettront des
actes iniques dans les temples, qu'on les frappe,
10 qu'on ne laisse pas exister leurs pieds sur le sol de la
terre, qu'on ne laisse pas subsister leur race après eux,
car le temple ne se garnit pas de qui le souille; ce qu'il
contient, c'est ce dont il a besoin. »
488 CHOIX DE TEXTKS ÉGYPTIENS
LE DÉCRETDE CANOPE
Cette inscription a été publiéc et traduite par Lepsius Dax bilingue De-
kret oon Kanopas. Berlin, 1866, et par Keinisch et Rœssler Die ci-
sprachige lnxrhrift con Tanis, Wien, 1866; traduite en anglais parS. Birch dans les Records of the Past[. 1st Séries], vol. VIII, p. 81 et
suiv., et en français par P. Pierret Le Décret trilingue dr Canope, Paris,1881. (P.-J. de H.)
Lignes
1 L'an IX, Apellaios jour 7, Tybi jour 17 de ceux quisont en Egypte, sous la Sainteté du roi de la Haute et dela BasseEgypte, Ptolémée. vivant à toujours, aimé de
Ptah, fils de Ptolémée et d'Arsinoë, dieux Adelphes,étant prêtre d'Alexandre défunt et des dieux Adelphes
2 et des dieux Évergètes, Apollonides, fils de Moskhion,étant Ménékrata. fille de Philammon, canéphore d'Ar-sinoë Philadelphe,
ce jour-là, décret
Les supérieurs des temples, les prophètes, les diacres,3 les divinspurificateurs habillant les dieux dans leurs or-
nements, les scribes des livres sacrés, les savants, lesdivins pères et tous les prêtres venus Ces temples de laHaute et de la Basse Égypte, le 5 de Dios, où se célèbrela fête de naissance de Sa Majesté, et le 25e jour dumême mois, où Si Majesté a pris le pouvoir suprême à
4 la placede son père, étant rassemblés au temple desdieux Évergètes, lequel est dans Pakot (Canope), furentà dire
Puisque le roi Ptolémée, vivant à toujours, aimé dePtah, fils de Ytolémée et d'Arsinoë, dieux Adelphes,ainsi que la reine Bérénice, sa sœur et son épouse, dieux
Évergètes,accomplissent des bienfaits5 nombreuxet grands pour les temples de l'Égypte, en
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 489
310
tout temps, et honorent le culte des dieux à l'extrême;
Qu'ils prennent constamment soin des choses d'Apis,
de Mnévis et de tous les animaux sacrés, vénérés en
Égypte; qu'ils donnent beaucoup de choses et provisions
nombreuses;
6 Qu'ils se sont occupés des images sacrées emportées
par les vils Perses hors de l'Égypte, [car] Sa Majesté
partit pour ie pays de Sati (l'Asie), les recouvra, les
ramena en Égypte, et les plaça en leur lieu dans les
temples d'où elles étaient sorties jadis;
Qu'il a préservé l'Égypte du désordre
7 en combattant au dehors d'elle dans des pays lointains
contre des peuples nombreux et les chefs qui les gouver-
naient
Qu'ils maintiennent en ordre tous ceux qui vivent en
Égypte et tous les peuples assujettis à leurs Majestés;
Que, s'étant faite la saison du Nil insuffisante en
8 leur temps, le cœur de tous ceux qui vivent en Égypte
étant défaillant à propos de ce qui était ainsi arrivé, lors-
qu'ils se rappelaient la catastrophe survenue autrefois,
du temps des rois anciens, où il arriva que le Nil fut
insuffisant pour ceux qui étaient en Égypte de leur
temps, Sa Majesté elle-méme et sa sœur
9 furent pleins de sollicitude et enflammés [de zèle) pour
les habitants des temples, et pour tous ceux qui habitent
l'Égypte; qu'ils songèrent à beaucoup de choses; qu'ils
dédaignèrent des revenus nombreux, dans le désir de
faire vivre les hommes; qu'ils firent apporter des grains
en Égypte du Ruten oriental, du pays de Phénicie, de
l'île de Chypre qui est dans l'intérieur de la Méditer-
ranée,
10 ainsi que de beaucoup de pays, en donnant beaucoup
d'argent pour leur paiement, pour les transporter et les
amener, sauvant [ainsi] les habitants de l'Egypte, et leur
faisant connaître leur bienfaisance jusqu'à l'éternité,
490 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
ainsi que leurs actes nombreux à l'égard de ceux qui sont
et de ceux qui viendront après eux
Les dieux ont rendu durable leur fonction de souve-
rains de la Haute et de la Basse Égypte, en échange
11 de cela, et ils les récompenseront par toutes sortes de
bienfaith l'éternité.
Salut et santé!
Ont résolu les prêtres de l'Égypte
D'augmenter les nombreux honneurs religieux [quisont rendus] au roi Ptolémée, vivant à toujours, aimé de
Ptah, et à la reine Bérénice, dieux Évergètes, dans les
temples; et ce qui est aux dieux Adelphes, leurs auteurs,
ainsi que
12 ce qui est aux dieux Soters, leurs aïeuls, de les augmenter
[aussi]
Que les prêtres qui sont dans tous les temples de
l'Egypte soient nommés prêtres des dieux Évergètes, en
outre du nom de la fonction de leur sacerdoce qu'ils
inscrivent leur nom sur tout acte et qu'ils gravent le
titre de prophète des dieux Évergètes sur l'anneau gardéà leurs doigts
Qu'on forme une autre
13 classe parmi les prêtres qui sont dans tous les temples,
en addition aux quatre classes existant à ce jour; qu'elle
soit appelée cinquième classe des dieux Évergètes.
Puisque a été événement heureux et salut et santé, la
naissance du roi Ptolémée, vivant a toujours, aimé de
Ptah, fils des dieux Adelphes, le 5° de Dios, et que ce
jour a été le principe de
14 beaucoup de satisfaction pour tous ceux qui vivent, queles prêtres introduits par le roi aux temples depuis l'an I
de Sa Majesté, ainsi que [ceux qui] auront été introduits
jusqu'à l'an IX, au mois de Mésori, soient placés dans
cette classe, ainsi que leurs enfants, jusqu'à l'éternité;
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 491
que les prêtres qui étaient avant eux jusqu'à l'an I
restent dans les classes
15 dans lesquelles ils étaient auparavant; de même, relati-
vement à leurs enfants, depuis ce jour jusqu'à [la fin des]
siècles, qu'ils soient inscrits dans les classes dans les-
quelles étaient leurs pègres. Au lieu de vingt prétrescon-seillers choisis d'année en année dans les quatre classes,étant cinq individus d'entre eux pour chaque classe, qu'il
y ait vingt-cinq prêtres16 pour le conseil, cinq individus étant introduits en supplé-
ment dans la cinquième classe des dieux Évergètes;
qu'on donne part à ceux qui sont dans la cinquièmeclasse des dieux Ëvergètes, à tous les prélèvements de
l'entrée pour faire les sacrifices propitiatoires dans le
temple, et à toutes les choses qu'on observe dans les
temples; qu'un phylarque soit en exercice en cette classe,
comme cela est dans les autres quatre classes
Et comme ii est célébré une fête
17 des dieux Évergètes dans tous les temples, chaque mois,
le 5" jour, le 9* jour et le 25" jour, par l'effet d'un décret
promulgué précédemment, et qu'il est aussi célébré une
panégyrie aux grands dieux, avec un grand exode par-tout en Étypte, en son temps de l'année, qu'il soit fait un
grand exode, en son temps de l'année, au roi Ptolémée,
vivant à toujours, aimé de Ptah,
18 et à la reine Bérénice, dieux Évergètes, dans les templesde l'Égypte tout entière, le jour du lever de la divine
Sothis, nommé fête du commencement de l'année parles écrits de la Demeure de vie, (cet exode) ayant été fait
en l'an IX, le 1er du mois de Payni, auquel mois se font
la fête du nouvel an. la fête de Bast et le grand exode de
Bast, parce que le temps de la
19 récolte de tous les fruits et la montée du Nil sont en lui
Et comme il arrive que le lever de la divine Sothis
passe à un autre jour tous les quatre ans, que ne soit pas
492 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
transféré le jour de faire cette fête a cause de cela;
qu'elle soit faite de même au 1er Payni, jour où se faisait
la panégyrieauparavant,en l'an
20 IX; que cette panégyriesoit faite pendantcinq jours,
qu'onporte sur la tête descouronnesde fleurs, et qu'on
disposeles chosessur l'autel, en faisantdes libationset
toutes les chosesqu'il est établi de faire. Mais, afin de
faire que (ces fêtes)arrivent aussi dans leur temps, et
pour les conserveren tout temps, d'après la situation
danslaquellelecielestétabli en ce jour,21 et pourqu'il n'arrive pas le faitquedesfêtes,partouten
Égyptecélébréesen hiver, soientcélébréesen été, dans
un temps futur, à causedu déplacementdu Iever de la
divine Sothis d'un jour tous les quatre ans, et qued'autres fêtes, célébréesen été encemoment,soientcé-
lébréesen hiver en des temps à venir, commel'événe-
menta eu lieu
22 auxépoquesanciennes, car il arriveraainsi s'il est quel'année soit de 360 jours et de cinq jours ordonnés
d'ajouter à eux postérieurement, qu'il soit (donc)
ajoutéun jour commefête des dieux Irvergétesà partirdece jour, tous lesquatreans, ensusdescinq jours sup-
plémentaires,avant la fêteducommencementde l'année;
celaétant, tout le mondesaura qu'il est ainsi arrivé quela quelque insuffisancedans l'assiettedes
23 saisonset de l'année,et les formulesqui sont les règlesde la sciencedesvoiesdu ciel, ontété rectifiéeset com-
plétéespar les dieux Évergètes;Et commeil fut né au roi Ptoléméeet à la maîtresse
des deux mondes.Bérénice, dieux Évergètes,une fille
appeléeBérénice,qui avait été consacréereine,24 il estarrivé que cette déesse, étantvierge, est entrée au
cielsubitement; lesprêtres qui viennentde l'Égypteau-
prèsdu roi chaqueannée,étant (encore)dans le lieu où
était Sa Majesté,firentun grand deuilsur-le-champsur
CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS 493
l'événement arrivé, et furent à prier devant le roi et la
reine pour les persuader de faire
25 reposer cette déesse auprès d'Osiris, dans le temple de
Canope, qui est parmi les temples de premier ordre; car,étant (le plus) grand parmi eux, il est dans la vénération
du roi et de tous ceux qui vivent en Égypte.
Lorsque se fait l'entrée d'Osiris dans sa bari sacrée en
ce temple,
par chaque année, (venant) du temple26 d'Akbaram, le 29 de Choiak, tous ceux qui sont dans les
temples de premier ordre sont à faire des holocaustes
sur les autels des temples de premier ordre, à droite et
à gauche du dromos du temple. Après cela, toutes les
choses qu'il est d'usage de faire pour sa déification et
pour la purification de son deuil, ils les firent
2T religieusement, leur cœur étant enflammé de (zèle),comme il est établi de faire pour Apis et Mnévis;
Ils décidèrent de faire rendre des honneurs religieuxéternels à la reine Bérénice, fille des dieux Évergètes,dans tous les temples de l'Egypte. Comme il est arrivé
qu'elle est allée parmi les dieux en Tybi, mois
28 où la fille du Soleil est entrée au ciel jadis, et que (ce
dieu) appelait Œil du Soleil au serpent Mehen à son
front, parce qu'il l'aimait, et à laquelle il est fait des
fêtes à périple dans la plupart des temples de premierordre en ce mois où Sa Majesté a été déifiée autrefois,
qu'il soit célébré une fête à périple à la reine Bérénice,fille
29 des dieux Évergètes, dans tous les temples des deux ré-
gions, au mois de Tybi, à commencer le 17e jour, où se
sont faits son périple et la purification de son deuil pourla première fois, pendant quatre jours:
Qu'on élève une statue sacrée à cette déesse, en or,
garnie de toute espèce de pierres précieuses, dans tous
494 CHOIX DE TEXTES ÉGYPTIENS
les temples de premier ordre et dans tous les temples de
deuxième ordre; qu'on
30 la place dans le temple, et que le prophète, ou l'un des
prêtres choisis pour le grand sacrifice et l'habillement des
dieux dans leurs ornements, la porte entre ses bras, au
jour des sorties et des fêtes de tous les dieux, afin que
tout le monde voie que la prostration pour son culte est
appelée Sortie de Bérénice,
31 princesse des oierges
Aussi, pour que la figure de cette statue ne soit pas
prise pour être la figure des images de sa mère, la reine
Bérénice, qu'elle soit faite de deux épis, l'aspic étant
entre eux et le sceptre de papyrus dressé derrière cet
aspic, comme il est aux mains des déesses; et la queue
de cet aspic, qu'elle enroule
32 ce sceptre, afin que cette disposition constitue la lecture
du nom de Bérénice d'après son expression dans l'écri-
ture de la Demeure de vie.
Et lorsque se font les jours des Kikellies, au mois de
Choiak, avant le périple d'Osiris, que les jeunes filles et
les femmes des prêtres placent une autre image de Bé-
rénice,princessedes vierges qu'ellesfassentholocauste
et leschoses33 qu'ilest d'usagede faireauxjoursdecetteféte afinqu'il
soit liciteque d'autres jeunes fillesfassentaussi ce quiest instituépour cettemêmedéesse,à leurgré,quecettedéessesoit adoréeaussipar lesjeunesprétresseschoisies
pour le servicedes dieux, couronnéesdescouronnesdes
dieuxdans le sacerdocedesquelsellessont.Et lorsques'approche l'ensemencementprécoce,que
lesjeunesprétressesportentdesépisau sanctuaire34 et les mettentà la statue decettedéesse;
Qu'ilsoit chantéà son imagepar les chœurs (?)des
chanteurs,hommeset femmes,aux jours des sortieset
des panégyriesdes dieux selonles hymnes promulgués
CHOIX DE TCXTES ÉGYPTIENS 495
par les écrivains de la Demeure de oie, remis au chef-
musicien des chanteurs, et écrits pareillement sur les
livres de la Demeure de vie.
Et comme aussi il est donné des pains aux prêtres par
les temples lorsqu'ils sont introduits
35 par le roi au temple, qu'il soit donné des pains aux filles
des prêtres, depuis le jour de leur naissance, sur les re-
venus sacrés des dieux et sur les pains ordonnés par les
prêtres du conseil, dans tous les temples, selon la mesure
des revenus sacrés; les pains donnés
36 aux femmes des prêtres, qu'il (leur) soit fait une marque
sur la miche et qu'ils soient appelés pains de Bérénice.
Ce décret, qu'il soit rédigé parles épistates des temples,
et les chefs des temples, et les scribes des temples; qu'ilsoit gravé sur une stèle
37 de pierre ou de bronze en écriture de la Demeure de vie,
en écriture des livres et en écriture des Grecs; qu'on la
dresse dans la grande salle publique des temples de pre-
mier ordre, des temples de deuxième ordre, et des
temples de troisième ordre, afin de faire distinguer à
tout le monde que le culte rendu par les prêtres des
temples de l'Égypte aux dieux Évergètes et à leurs en-
fants est une chose établie de faire.
TABLE DES MATIÈRES
Notice sur un talisman égyptien, nommé Tel 1-2
Notice sur le Pire-em-hrou. 3-13
Naufrage de l'Europe. 15-18
Spirites et Médiums. 19-28
Note sur les formes littéraires dans l'ancienne langue
égyptienne. 29-31
Notice sur quelques statuettes antiques d'origine égyp-
tienne, trouvées à Autun. 33-44
Sur un papyrus de formules magiques du Musée de
Turin. 45-57
Les Études préhistoriques et la libre-pensée devant la
science. Réponse it,M. G. de Mortillet. 59-118
Les Fouilleurs de Solutré. Lettre ouverte de M. Chabas,
de Chalon-sur-Saône, en réponse à une lettre ouverte
de M. l'abbé Ducrost, curé de Solutré, et de M. Adrien
Arcelin, de l'Académie de Mâcon. 119-150
Sur l'usage des bâtons de main chez les Hébreu et dans
l'ancienne Égypte. 151-167
Les Libations chez les anciens Égyptiens. Notice sur une
table à libations de la collection de M. 9. Guimet. 169-185
Sur la capacité de la mesure égyptienne appelée hin. 187-192
Notes sur la Caverne de Germolles. Lettre à M. Méray. 193-233
Notice sur une stèle égyptienne du Musée de Turin. 235-249
Lettre au comte Gozzadini, sur un scarabée étrusquetrouvé près de Bologne. 251-253
Notice sur la découverte d'une couche abondante de cri-
noîdes fossiles de l'espèce Pentacrinus. 255-266
Notice sur un scarabée sarde. 267-274
498 TABLE DES MATIÈRES
Le Livre, à propos de l'ouvrage intitulé Les Amoureux
du Livre, par F. Fertiault(illustrations deJ. Chevrier)
Recherches sur les poids, meaures et monnaies des an-
ciens Égyptiens. 301-346
Préambule à la Notice de M. de Loriol sur le Pentn-
crinun deSenneceyle-Grand.
Détermination d'une date certaine dans le règne d'un
roi de l'Ancien Empire en Égypte.
Répertoire scientifique et littéraire, sous la direction de
M. Fr. Chabas 389-396
Papyrus Anastasi n° 6. 397-407
Index du vocabulaire mythologique. 409417
Choix de texteségyptiens. Traductions inédites de Fran-
çois Chabas. 419-495
Le Manuscrit hiératique sur cuir du Musée royal
de Berlin. 421-423
Le Conte des Deux Frères. 424-435
Le Papyrus de Berlin n° V. 436-442
Le Papyrus de Berlin n° VI. 443-444
Le l'apyrus de Berlin n° VII. 445-454
La Stèle de Piankhi-Meriamon. 455-474
La Stèle du Songe. 475-479
La Stèle de l'Intronisation. 480-485
La Stèle de l'Excommunication.
Le Décretde Camope. 488-4y5
CHALON-SUR-SAÔNE,IMP. PRANÇAISEET ORIENTALE K. BERTRAND. 548