C'est ici que tout a commencétopetflop.o.t.f.unblog.fr/files/2020/12/odyssee-dun... · 2020. 12....
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Odyssée d'un turfiste ordinaire
C'est ici que tout a commencé...
Vouloir nager avec les dauphins tout en ne quittant pas sa
baignoire est la pire vie qu’il peut arriver à l’être humain.
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Préface
17H40 : un soir de réveillon de Noël sur l’hippodrome de
Vincennes côté pelouse…
Quelques habitués par – 3 degrés essaient de se réchauffer en
brûlant dans le brasero qui sert de chauffage l’hiver, les “Paris
-Turf ” abandonnés par les frileux ! Un corbeau perché sur les
barrières enneigées, croasse en attendant la fin de la réunion
afin de pouvoir récupérer les cacahuètes que nous avons fait
tomber de nos mains gelées.
En cette veille de Noël va se disputer la dernière et ultime
course de la journée sur l'hippodrome de Vincennes. Les espèces
de pendules aux aiguilles jaunes nous indiquent les cotes.
Certaines nous font rêver à une possibilité de se refaire,
d'autres moins...
Pierre- Désiré Allaire, un des cracks de la profession, au sulky
d'un de ses pensionnaires passe devant nous dans le tournant dit
de la "cuvette'.
- Monsieur Allaire, vous avez une chance ? (il y avait 2/1)
Réponse de l'intéressé : non, allez jouer le 'Baudron' les mômes,
il va gagner !
Résultats des courses : 1er le 'Baudron'. Disqualifié le 'Allaire'
Les huîtres et la bûche était assurées...
A ma mère...
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1- Taupin
Comme toutes passions qui durent dans le temps, il faut vraiment
avoir été frappé par la pierre de foudre pour rester fidèle toute sa
vie aux courses de chevaux. Comment cet amour, cette folie des
courtines m’a rendu addict ?
Au départ, uniquement pour l’admiration de ces sublimes animaux
que sont les chevaux, puis ensuite par esprit de compétition
J'ai eu mon premier flash chevalin à l'âge de 6 ans. Ayant perdu
mon père à 4 ans je vivais à la campagne chez mes grands-parents.
À l’âge où certains de la plus-part de ses congénères passaient une
retraite paisible à la pêche ou à discuter de politique devant un
verre de rouge, mon grand-père travaillait encore.
Bien que retraité des chemins de fer Français, en ces temps-là,
joindre les deux bouts n’est pas une sinécure. L’époque était
difficile. De plus avoir un môme quasiment à charge, n’était pas là
pour aider mes grands-parents à profiter d’une vraie retraite si
méritée.
Tout cela pour vous dire que mon grand-père améliorait l’ordinaire
en travaillant pour un agriculteur, Monsieur Dupuis. C'était plus un
ami qu'un patron. D'ailleurs sa fille est devenue quelques mois plus
tard ma Marraine de baptême.
Lorsque Monsieur Dupuis s’absentait, mon papy venait nourrir le
Percheron de la ferme. Un énorme cheval de labour nommé Taupin
m’occasionnait quelques peurs bleues à chaque visite. Rien que de
l’apercevoir à l’entrée de son écurie, je me sentais vraiment tout
petit. Pas question que l’animal me marche sur les pieds ou me morde.
La méfiance était de rigueur.
Bien que tremblant quelque-peu, je m’armais de courage. Devant mon
héros qu’était mon papy, il était hors de question de passer pour une
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poule mouillée. En ces temps-là, on disait : ” tu n’es pas une gonzesse
pour avoir peur”. Avec les théories personnelles de mon Grand-Père,
si tu étais né de sexe masculin, pas question de jouer à la poupée, ni
de pleurnicher. Il est certain que maintenant il serait montré du
doigt par les "politiquement corrects". Très timide devant le
Percheron, mais me voulant homme, je m’avançais parfois jusqu’à lui
tentant une rapide caresse sur son poitrail. Puis, ma bonne action du
jour exécutée, je m'éclipsais discrètement vers des horizons qui me
semblaient bien moins dangereux. Les cages des lapins me
semblaient bien plus sécurisantes ainsi que le poulailler. Bien que
parfois le coq me faisait comprendre que c'était ses poules. Je
craignais moins le coup de bec que le coup de sabot.
Malgré mes craintes, justifiées par la taille de Taupin, la nuit je
rêvais que mon grand-père me hissait sur son dos. Ce Taupin fut
certainement le déclencheur de ma foi, de cette fascination que me
procure la présence d'un cheval. Bien que depuis tout ce temps, de
l’eau a coulé sous les ponts de Paris et d'ailleurs sous tous les ponts
du monde, je n’ai jamais oublié le nom de ce gros Percheron : Taupin.
Une sorte de premier amour d’adolescent s’est installé dans mon
cœur, dans ma tête, dans mon sang, dans mes tripes comme une
drogue forte, jouissive.
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2- Retour à Paris
Après avoir perdu ma grand-mère à l'âge de huit ans, mon grand-
père ne pouvant me garder seul, j'ai subi un séjour dans un
pensionnat dirigé par une directrice qui ne laissait rien passer au
nom de Dieu. Après trois ans passés à être surveillé jour et nuit afin
de savoir si je tenais bien compte des recommandations afin de
devenir un bon Chrétien, j’ai enfin retrouvé ma mère et la ville de
ma naissance, Paris. Mon Grand-Père a rejoint quelques mois plus
tard ma Grand-Mère et me laisse seul avec ma Mère. Il restait plus
grand monde pour me faire connaitre la vie. Un oncle et un cousin
dont je ne veux même pas les calculer comme disent les jeunes de
maintenant. Ces deux-là m'ont démontré qu'il valait parfois mieux
faire confiance aux étrangers qu'à sa famille. Je préfère passer sur
le sujet.
Étant redevenu Parisien, j’ai ainsi perdu quasiment tout contact
avec les équidés. J'avais quand même la chance de rencontrer un
des derniers livreurs de charbons et blocs de glace. Attelé à une
charrette, un cheval m’apparaissait alors comme le fantôme de
Taupin. Je me plantais devant lui yeux dans les yeux tout en lui
parlant. Son maître voyant que mes mirettes pétillaient devant
l’animal m’autorisait à lui procurer une marque d’affection.
Tout fier devant mes copains de la rue, je m’enhardissais à
embrasser l'un des derniers chevaux de la capitale. Les mômes en
avaient peur…pas moi. J’étais habitué à en voir ! Puis, en peu de
temps, les rares livreurs qui utilisaient les chevaux pour les
livraisons ont disparu aussi vite que les sous d’un ouvrier en
deuxième partie de mois. Ne plus pouvoir faire admirer ma
hardiesse auprès des chevaux était un manque évident. Puisque je
ne pouvais plus apercevoir ni caresser les chevaux en réel alors j'ai
compensé par le cinéma. Les westerns m’aidaient à équilibrer mon
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manque. Les chevaux Indiens pommelés lorsqu'ils étaient “touchés”
par des tirs perdus de Cow-boys m'attristaient. Les flèches de ces
Indiens qui atteignaient les chevaux de l'armée nordiste, me
faisaient haïr ces sauvages... Je savais que ce n'était que du cinoche,
mais mon imaginaire refusait cette injustice. Plus tard, j'ai compris
que les sauvages n'étaient pas ceux que je pensais. A cette époque,
à part l'excellent film : le soldat bleu, les metteurs en scène
Américains montraient les Indiens comme des salopards alors que
tout simplement, ceux-ci défendaient leurs terres volées... Cela
démontre que l'on peut envahir le cerveau d'un gamin facilement,
enfin...
Que la vie doit être triste pour celui qui n’a jamais passé sa main sur
le chanfrein d’un cheval. La douceur et la force que dégagent les
tissus de sa peau me redonnent joie de vivre. Quelle plus belle
musique que le rythme régulier du bruit des sabots sur les pavés
peut sortir d’une portée d’un musicien ? Aucune. Je comprends que
jeune adolescent, Léo Ferré fut marqué à vie après avoir vu dans les
rues de Monaco, un cheval tombé à terre de fatigue et qui a fini sa
vie sur le bitume. Toute son existence, le poète échevelé n'a cessé
de penser à cet équidé.
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3 - Le Jardin des Tuileries
Après une lente adaptation citadine est arrivé lors d’une balade
avec ma mère à travers la capitale, le positif...
Figurez-vous que le jardin des Tuileries servait de théâtre aux
promenades pour les gamins à dos d’ânes ou de mulets. Sauvé le
môme. Ma drogue était là, bien présente dans cet endroit peu loin
de chez moi. Mais malgré la révolution, le pauvre devait payer pour
avoir le droit de chevaucher un équidé dans les allées du jardin des
tuileries. On se demande bien à quoi cela a bien pu servir de tout
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mettre à feu et à sang…
N’étant pas né dans la culotte d’un Prince, il était quasi impossible
pour moi de remplacer le mandat de Louis XVI. Aurais-je perdu à
mon tour la tête ?
Puisque je ne pouvais payer monnaie trébuchante mes chevauchées
dans le jardin des Tuileries, fallait trouver rapidement une solution.
La pauvreté est souvent bonne inspiratrice.
Onze heures du matin, ce jour-là la roue tourne enfin dans mon sens.
Un nuage de poussière au loin indiquait non pas une attaque de sioux,
mais l’arrivée de la cavalerie composée d'ânes et mulets du jardin
des Tuileries. Les écuries où les ânes vivaient et récupéraient de
leurs dures journées de labeur se trouvaient non loin de la Tour
Eiffel, dans le XV arrondissement ! Le patron me voyait souvent
passer de longs moments assis sur un banc à admirer ses équidés.
Ce matin-là fut mon jour de chance. Le patron s’adresse à moi !
- Tu as l’air de t’ennuyer toi, tu aimes les ânes ?
- Ho oui beaucoup Monsieur.
- Tu habites loin d'ici ?
- Non Monsieur, dans les Halles.
- Si tu veux j’ai besoin d’un gars comme toi qui n’a pas peur de mes
mulets.
- Non, je n’ai pas peur, mon grand-père avait un cheval (bah pardi)
- Si tu veux accompagner les petits enfants lors de la balade en les
soutenant afin qu'ils ne glissent pas de la selle, je t'embauche.
Parfois tu peux te faire quelques pourboires.
- Tu peux venir quand ?
- Je peux venir le jeudi et samedi.
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- C'est excellent alors, vient quand tu veux.
- Merci, je vais en parler à ma mère.
Du haut de mes 11 ans accompagné de ma mère, voilà comment j’ai
gagné un peu de sous avec les (rares) pourboires versés par les
parents de gosses riches…les jours où il n’y avait pas d’école. En ces
temps-là savoir se débrouiller était essentiel pour se substanter.
J'avais trouvé le bon deal. Gagner des piécettes en vivant quelques
heures auprès de mes chouchous. Et puis, j’avais le droit de faire
deux ou trois-aller-retour sur mon mulet préféré lorsque c’était un
peu calme. Quelques mois plus tard, j'ai cessé ce premier job qui
m'avait mis le...pied à l'étrier dans le monde du travail.
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4- Vives les dimanches
Dès les premières pâquerettes sorties de terre, nos dimanches et
jours fériés étaient réservés à une seule destination : le bois de
Boulogne. Ma Mère préparait le pique- nique, dont elle seule
possédait le secret. Un déjeuner sur l’herbe digne d'inspirer un
peintre devant son chevalet (sans nudité)
Ballon à la main, j’étais aussi attiré par le football,
direction la station Réaumur- Sébastopol puis après un
changement à Odéon, nous voici arrivés sur notre lieu
de résidence dominical : Porte d’Auteuil. Quelques
marches à monter et au bout : le grand air. Les arbres
bourgeonnant, les orties à éviter, les haies qui
sortaient de leurs zones de droit autorisés par les
jardiniers nous faisaient vite oublier l’odeur si spéciale
des couloirs du métro. Cette odeur chaude et un peu
âcre que l'on trouve nulle part ailleurs et qui parfume
le nez des parisiens. Impossible d'oublier même après
quelques années passées loin de la Capitale cette
flagrance qui finit presque par manquer.
Trouver un endroit calme était une chose primordiale. Une fois
installée comme une Reine avec son petit Prince, ma mère sortait
les victuailles. Une sorte de brunch à la Française, bien avant que
cela devienne une mode pour bobos. Saucisson à l'ail et sec en
tranches, poulet rôti, chips, un fruit et parfois en début de
mois…une bonne religieuse au chocolat.
Les dimanches après-midi passaient vite. Je tapais dans mon ballon
me prenant pour Raymond Kopa, puis, j’allais admirer un peu plus loin
les poneys et ânes qui baladaient sur leur dos des "nantis".
Décidément j’étais poursuivi ! Ce cérémonial du pique-nique
dominical était telle une grand-messe. Cela nous procréait une paix
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intérieure, une sorte d’ashram.
Maman lisait des journaux dits à scandales tels, Ici-Paris, France -
Dimanche, Détective où elle apprenait qui couchait avec qui. Elle
écoutait la musique sur ce petit transistor qu'elle avait eu tant de
mal à se payer. Une fois acheté dans le Monoprix au coin de la rue
Réaumur et du boulevard Sébastopol ma mère avait une taxe sur les
transistors à régler aux impôts. Pour ne pas être un peu plus pauvre,
j'avais décidé ma mère à écrive à Rennes afin de déclarer le
transistor hors service. Et cela a fonctionné. Et oui le régime de De
Gaulle c'était aussi cela.
Tous les dimanches, la Porte d’Auteuil nous offrait le plaisir d’être
heureux avec des moyens très simples. Mais cette nouvelle sortie
de station de métro va devenir la base, les fondations de ma passion,
de ma vie… les courses de chevaux !
Alors que le destin avait décidé un dimanche de nous mettre en
retard, notre arrivée au bois fut ce jour-là plus délicate que
d'habitude. Déjà lors de la correspondance à la station Odéon, bien
plus de monde dans la rame que d’habitude. Mais que se passe-t-il
donc aujourd’hui ? Au fur et à mesure que notre rame de métro se
rapprochait de la Porte d’Auteuil de plus en plus de gens
envahissaient notre wagon. Beaucoup de Messieurs avec casquettes
vissées sur la tête et une paire de jumelles à la main commençaient
à m’inquiéter. Certains balançaient du bout de leurs bras un journal
plié en rond. D’autres avaient l’air de se connaître. Ils parlaient fort
dans une langue dont certains mots étaient absents de mon jeune
vocabulaire.
Ce jour-là, peu de bruits m’ont senti si doux à entendre que ce
crissement habituel des roues de la rame à quelques encablures du
quai du terminus. D’habitude ce bruit d'aiguillages insupportable à
mes oreilles me transportait ce jour-là dans la symphonie du
bonheur. La Porte d’Auteuil venait à nous. D’ailleurs ce bruit de
ferraille assourdissant rendait les messieurs assez nerveux. La
pression montait. À peine le wagon immobilisé, une horde de quidams
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s’éjectent hors des portières afin de se jeter un défi : le premier
arrivé en haut des marches de la station a gagné.
Après avoir attendu sur le quai que les fous s’éloignent, tout en
tenant bien mon ballon d’une main et de l’autre celle de ma mère,
nous avons à notre tour gravi les escaliers. Une fois arrivés entiers
à l’air libre, revoilà une partie des ”martiens” que nous avions quitté
un laps de temps auparavant.
Cette fois-ci, nos ”sortis d’une autre planète” faisaient la queue
devant des grilles…
Mais que peut bien faire tout ce monde se demande ma mère ? Un
peu curieuse et serrant fort ma main, elle se rapproche des grilles
et comprend vite.
Sur un tableau posé devant des guichets était écrit :
Aujourd’hui Dimanche: courses à Auteuil à 14 heures
Une fois son heureuse curiosité satisfaite, nous quittons les lieux
au moment où un nouveau ‘ tsunami ‘ d’individus surgit de la bouche
du métro. Une sorte de deuxième vague encore plus grosse que celle
que nous avions subie quelques minutes avant. Quant à nous,
tranquilles et heureux de retrouver le silence et le chant des
oiseaux, nous nous rendons à notre pique-nique hebdomadaire.
Mais en chemin quelque-chose me tracassait. Que se passait-il donc
devant ces grilles ? Ma curiosité mise à rude épreuve ne peut tenir
bien longtemps.
- Maman, ils attendaient quoi les messieurs du métro ?
- Ce n’est rien, ce sont des gens qui vont voir le tiercé
- C’est quoi le tiercé ?
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- Ce sont des courses de chevaux, il faut trouver les trois premiers.
Quoi ça parle de chevaux et je ne suis pas au courant !
D’un seul coup les plus grandes phrases entendues de mon enfance
sonnent à mes oreilles :
– Ce soir au retour, on va regarder si de prochaines dates sont
programmées. Ça doit être beau de voir les courses de chevaux.
– On pourrait un jour s’y rendre, si le prix des entrées n’est pas
trop cher.
Toujours cette fichue question d’argent.
Cette résolution prise par ma mère sera tout simplement le jour où
ma passion a pris source, le jour où je suis entré en apostolat, une
seconde naissance.
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5 - Paraf : le cheval de ma (future) vie
Ayant bien pris soins de noter la date de la prochaine réunion sur
le champ de courses, ma mère me confirma au retour à la maison que
jeudi prochain nous irons voir les chevaux courir. On dit que Dieu à
crée le monde en sept jours. Pourquoi pas, puisque en 4 jours
seulement, j’ai bien créé le mien. Je n’ai jamais vu le temps passer
si lentement depuis ce mythique dimanche. Je comptais le nombre
de jours, puis d’heures, de minutes où j’allais enfin découvrir les
courses de chevaux.
Comme tout arrive un jour ou l’autre, ce mythique jeudi, jour de
repos pour les enfants me donne des fourmis dans les jambes. Une
impression de joie, de peur d'être déçu se mélangent dans ma tête
de môme, comme pour un premier rendez-vous galant...
Midi sonne à la pendule. Une légère collation avant de partir et
direction l’hippodrome d’Auteuil. Jamais le voyage entre notre
domicile et le bois de Boulogne ne m’est apparu aussi long.
Enfin arrive le haut des marches de la station. J’aperçois ces grilles
et guichets d’entrées que je rêve de franchir depuis quatre jours,
qui m’ont paru un siècle, une éternité.
Une fois les cinquante centimes payés par ma maman, nous
traversons des pistes afin de nous retrouver au beau milieu d’une
immense pelouse. De suite on se rend compte qu’il y a beaucoup
moins de monde que dimanche. Nous partons à la découverte de cet
endroit. Des guichets avec les mêmes messieurs à la casquette que
ceux qui m’inquiétaient quatre jours avant font la queue devant. Par
contre leurs journaux ne sont plus pliés, mais chiffonnés. Un guichet
vend le programme des courses. Une nouvelle fois une pièce de
cinquante centimes quitte le maigre porte-monnaie de ma mère.
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Après avoir errés tous deux quelque peu, nous découvrons un
endroit merveilleux. Un banc à côté d’une rivière face à un poteau
blanc avec un disque rouge. En face de nous se dressaient des
tribunes. La rivière était poissonneuse à souhait. Les joueurs
venaient offrir leur pain dur aux carpes.
– Maman, c’est quoi en face, tu crois que l’on peut y aller ?
– Cela doit être les tribunes pour les propriétaires, les riches...
A cet instant précis, si une tireuse de cartes m’avait fait les lignes
de la main et me prédire qu’un jour je serais 'en face'...
Enfin bref. Après avoir assisté à trois ou quatre épreuves, le Dieu
des courses m’est apparu. Après avoir vibré devant les cris des
hommes à casquette qui passaient leur temps à torturer un
malheureux journal, je m’enhardis…
– Maman tu crois que l’on a le droit de jouer
- Je ne sais pas. Certainement, mais je ne sais comment faut faire.
A peine fini sa phrase, qu’un de ces messieurs à casquette… passe
devant nous en nous fixant.
- Bonjour, Monsieur, c’est la première fois que l’on vient sur un
champ de courses, on fait comment pour jouer ?
Bien gentiment et fier de nous parler de sa culture hippique, ce
charmant homme nous explique où il faut aller pour jouer. Il appelait
ça : la baraque !
Beaucoup plus tard j'apprendrais que l'on appelle les hippodromes :
les Temples !
Le Temple de l'obstacle, le Temple du Trot. Bizarre ce langage ! En
moins de temps qu’il faut pour l’écrire, nous voilà repartis vers
l’endroit où nous sommes arrivés … Bien que quatre courses venaient
déjà de se dérouler, les longues files d’attente pouvaient faire
perdre patiente à un nouveau joueur.
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Ne sachant comment faire, ma mère eu l’excellente idée de
demander au parieur devant nous, comment faut-il pratiquer pour
jouer ?
- Vous voulez jouer quoi et combien ?
– Combien faut-il miser ?
- C’est 2 francs minimum. Vous annoncez le numéro que vous vous
voulez jouer au guichetier. Vous gardez le ticket et si votre cheval
est là, vous touchez de l’autre côté du guichet où vous avez parié.
- Merci Monsieur.
Et là, moment suprême de ma vie, ma mère me demande quel numéro
veux-tu jouer ?
Comme les fameux messieurs en casquette, je déplie mon
programme et je lui annonce le 8. Pourquoi le 8 ? Je suis né un 8, il
y a de fortes probabilités que ce soit pour cela. Mais en
réfléchissant bien, le Dieu des courses me voulant dans son équipe
à vie, il a dut me souffler le 8.
– Ma mère me dit : alors tu as choisi, on approche.
– Le 8, maman !
– Il s’appelle comment le cheval ?
– Paraf.
Notre guide juste devant nous annonce à haute voix, le 2, 20 francs
à cheval...
soit 40 francs...il doit être riche lui me dis-je !
Pas le temps de réfléchir à cette expression à cheval, car le
guichetier lance à ma mère d’un ton sec,
- Bonjour, je vous écoute.
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Mais comme une mère doit sentir mieux que quiconque les qualités
de son enfant, de suite sans réfléchir elle annonce à haute-voix
- Bonjour Monsieur, le 8 s’il vous plaît.
– 2 francs
- Merci, monsieur.
Puis d’un pas décidé, retour entre les deux rivières, celle des
tribunes et celle du huit. Bien en face du poteau afin de ne rien
rater du spectacle tout en serrant bien dans ma main le ticket, me
voici confiant.
Les chevaux sont sous les ordres lance le commentateur.
Après quelques secondes, une légère rumeur ainsi qu'une sonnerie
stridente se font entendre à nos oreilles. C’est parti, crie un joueur
à qui veut bien l’entendre. En effet, les chevaux passent devant nous
au bout de deux minutes. Pas de Paraf à l’horizon…Un peu inquiète
pour nos deux francs, ma mère demande : c’est l’arrivée ?
- Ah non la prochaine fois. Ils vont encore faire le grand tour et
sauter les obstacles en face.
D’une voix régulière et mécanique, le commentateur annonce la
position en course des chevaux.
Dans le tournant de Passy, Paraf se rapproche des premiers parait-
il. Enfin c’est ce que j’ai entendu. Au saut de la dernière haie, Paraf
est en deuxième position. Et là, à peine croyable, en effet apparaît
la casaque Verte et noire de Monsieur Abadie, propriétaire du
cheval. Au passage du poteau le 8 l’emporte.
- Pardon, Monsieur, questionne ma mère en exhibant son ticket,
- Est-ce que l’on a gagné ?
- Et oui ! Bravo. Vous avez de la chance, car ce cheval-là est plus
habitué à se dérober qu’à gagner, mais quand il veut, il est bon.
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Direction, la caisse ! Ne connaissant rien aux courses, nous avions
joué Paraf gagnant sec, ignorant que l’on pouvait aussi jouer placé.
Dix-huit francs tombent dans les mains de ma maman. Elle qui
connaissait si bien le prix de l’argent était tellement heureuse que
son sourire envers moi, restera gravé au fond de ma mémoire, tout
comme ce cheval du nom de Paraf qui s’est glissé dans ma vie. Il
était hongre. Ses parents s’appelaient, Cambremer et Sita. Le
cheval était entraîné par Léon Gaumondy et son jockey était un
certain Jean-Pierre Caresse. Caresse, quel beau nom pour un jockey
!
Pour fêter cela, avant de sortir, un bon verre de citron bien frais
au stand de bouffe qui se tenait non loin du Brook. Je crois que les
turfistes criaient des grands ” Eh Antoine, on a soif ”. De
nombreuses sortes de sandwichs, œufs durs, gâteaux et autres
gourmandises m’ont aussitôt fait de l’oeil.
Avec un bénéfice de 15 francs, déduction de la mise et des faux
frais (entrée et programme) nous avons quitté l’hippodrome
d’Auteuil avec le cerveau en ébullition. De quoi faire de beaux et
longs rêves pour une très longue période, peut-être même à vie...
Le bonheur simple existe pour chacun de nous. Il suffit de savoir où
il se cache. Le mien était niché là.
Paraf sera pour toujours le premier gagnant de ma vie de turfiste.
Ce cheval fut le déclencheur de ma passion, jusqu’à parfois ma raison
de continuer de vivre dans ce monde si difficile. Peut-être que si le
cheval était tombé ou autre, je n’aurais plus jamais remis un pied
sur un hippodrome. La vie est une boussole invisible qui t’emmène
vers ta route. Il en est ainsi pour une multitude de réactions, de
décisions prises auxquelles nous croyons y être pour quelque chose,
mais qui nous sont guidées par une force inconnue que je baptise :
destin.
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6- L'apprentissage
Après Paraf, mon amour pour les pur-sang s’est transformé en
obsession. Si en plus on pouvait gagner de l’argent avec les chevaux…
Etant trop jeune pour traîner seul sur les hippodromes, c’est
accompagné de ma mère que j’ai continué à découvrir ce monde
fabuleux des courses de chevaux.
Ma mère faisait des ménages au journal France-Soir, haut-lieu de
la rue Réaumur. Ainsi chaque jour elle ramenait gratis le quotidien.
C’est en feuilletant ce journal que j’ai découvert que l’hippodrome
d’Auteuil n’était pas le seul endroit en région Parisienne où l’on
pouvait voir des courses hippiques.
En rentrant de l’école, où sans me vanter je dominais de la tête et
des épaules mes camarades, au lieu d’apprendre mes leçons, je me
jetais sur les pages de France-Soir. Comme beaucoup de gamins, les
pages de sport étaient prioritaires. Mais celles des courses
hippiques venaient vite se mêler à mes pupilles.
J’ai rapidement appris à lire les performances, que les hommes en
casquettes appelaient ‘la musique’. Ainsi je faisais le papier et jouait
“à blanc”. Lors de nos visites suivantes à l’hippodrome de la Butte-
Mortemart, sachant cette fois-ci que l’on pouvait jouer placé, je
cherchais des ‘coups sûrs dans les trois premiers. Je ratais
rarement la cible. Cela ne payait pas beaucoup, mais 2 francs qui dix
minutes après te rapporte 3, 60, pour nous deux c’était comme si
l’on changeait le plomb en or.
Loto II entraîné par le Maître de l’obstacle André Adèle, Cacao,
Spirou, Hyères III, Explorateur II furent les chevaux qui m’ont
donné mes premiers émois et aussi mes premiers sous.
Début Octobre 1965, bien installé devant ma bible, en apprenti je
fais le papier de mon premier Arc de Triomphe.
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Quel plaisir d’étudier ce genre de course. C’est certainement l’un
des plus grands Arc de Triomphe de tous les temps qui s’est déroulé
cette année-là. Malheureusement, bien qu’étant en début de mois,
impossible de se rendre à Lonchamp. Faut dire que l’on savait à peine
où cet hippodrome se trouvait (pas de GPS en ces temps-là). Tant
pis, Sea-Bird – Reliance – Diatome seront mes trois préférés. Et
Pan, vers 16 H le résultat tombe net sur Radio-Luxembourg.
Arc-de-Triomphe-1965 :
1e Sea Bird – 2è Reliance – 3è Diatome. Incroyable ! J’ai tout
compris, c’est trop facile !
Faut absolument que l’on aille un jour à Longchamp !
L’hiver 65- 66 se passe comme tous autres hivers. Pour éviter les
frais de chauffage, nous parcourons souvent les grands magasins.
La Samaritaine, Bazar de l’hôtel de ville, Inno, La Belle Jardinière,
Monoprix nous servent de résidence secondaire en ces temps
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froids. En début de mois parfois un petit ciné. En arrivant avant 13
heures c’était moitié prix avec deux films au programme...parfois un
esquimau venait compléter ces journées de fêtes.
Et puis, en continuant de lire les pages courses de France-Soir,
j’apprends qu’un certain Vincennes existe. Ozo, Oscar RL, Pluvier
III, Quéronville LB, Roquèpine, Une de Mai sont de grandes
vedettes. Bof, on verra cela plus tard. Le bois de Boulogne est bien
plus attirant que celui de Vincennes.
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7- Découverte de Longchamp
Enfin le printemps 1966 daigne arriver afin que l’on puisse
repartir vers notre résidence de printemps. Ainsi notre deuxième
expédition vers une terre inconnue fut Longchamp. Nous avions
découvert que si l’on descendait à Porte d’Auteuil et qu’en longeant
l’hippodrome d’Auteuil, l’autre champ de courses du bois de Boulogne
n’était pas bien loin.
Dont acte. Notre petite expédition aussitôt préparée, aussitôt
partie. Une aventure hors du commun vous dis-je !
Après avoir suivi dès la sortie du métro les fameux messieurs en
casquette et leur journal roulé en boule, un deuxième paradis
s’offrait à moi : Longchamp, le fameux hippodrome où la plus grande
course du monde au galop avait lieu L’ARC DE TRIOMPHE. Rien que
le nom du Prix me rend à crocs. Et puis, je vais enfin découvrir
l’endroit où Sea Bird a gagné. France-Soir a écrit tellement d’éloges
sur lui. Paraît-il que c’est le cheval du siècle ! (j’en suis encore
convaincu au moment où j'écris ces lignes)
De suite la vision fut grandiose. Arrivés par l’entrée qui se situe à
hauteur du petit bois. Après avoir payé les 0,50 centime, acheté le
programme et traversé les pistes, nous voici au beau milieu d’une
gigantesque pelouse. Cependant cela me semble moins attirant
qu’Auteuil. Une quantité de guichets et un immense panneau
d’affichage me rappellent quand-même un peu l'hippodrome de la
Porte d'Auteuil. Evidemment comme c’est Dimanche, ma mère s’est
chargée du fameux pique-nique.
De l’herbe, des arbres, du soleil, des chevaux, quelques rondelles de
saucisson, une banane, le bonheur dans les yeux de ma mère, que
faut -il de plus pour que je sois heureux ? Un gagnant ?
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Celui-ci ne tarde pas à arriver sous la forme équine d’un certain
Soleil… gagnant de la Poule d’essai des poulains 1966. Mon cœur
s’emballait un peu plus à chaque fois que le commentateur de
l’hippodrome prononçait le nom de NOTRE cheval. Pour la première
fois de ma vie, perché sur le toit d’une petite tribune surélevée au-
dessus des guichets, j’ai crié : allez Deforge. Sous les couleurs, bleu
ciel, toque Jaune…Soleil l’emporte pour le Baron de Rothschild. Plus
question de prolétaires ni de riches. Aux courses, tout le monde est
égal devant ces Empereurs que sont les chevaux de course. En
définitive, Longchamp ce n’est pas mal non plus. Sauf que le retour
à pieds vers 18 heures est plus long pour retrouver la fabuleuse
station de métro Porte d’Auteuil.
La RATP devrait la renommer : la Porte du rêve.
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8 - C'est en forgeant que l'on devient forgeron
Après mes premières expériences hippiques, plutôt positives, j’ai
commencé à allonger le tir. Mes nuits étaient peuplées de rêves qui
avaient pour noms, Explorateur II, Michigan II, Loto II
Quintefeuille, Hyères III, entraîné par Léon Gaumondy (entraîneur
de mon Paraf) Rivoli, qui fut l’un des premiers A.Q.P.S.A. (Autre Que
de Pur-Sang Anglais pour les non-initiés) à battre les Pur-Sang !
Ne connaissant que les pages hippiques de France-Soir, j’ai
découvert que deux autres bibles existaient : Paris-Turf, Sport-
Complet.
J’allais comme un homme acheter mon journal au kiosque, Paris -
Turf pour les courses de galop et Sport-Complet pour le trot.
J’apprenais rarement mes leçons trouvant stupide de connaître par
cœur un texte racontant l’histoire de Vercingétorix ou bien qu’Henri
IV voulait que le peuple mange une poule au pot le dimanche. Malgré
cela je finissais régulièrement premier de ma classe, parfois
deuxième lors d’un mois ou j’avais peut-être trop passé de temps
sur le Turf…
Comme tous les enfants j’avais quand même de plus saines
occupations que le PMU. Le jeudi matin, j’allais jouer au foot. C’était
chouette. On avait droit à seize heures à un goûter afin de nous
redonner des forces. Un salon de télévision m'offrait l'occasion de
suivre avec fébrilités les épisodes de Zorro et son superbe cheval
noir, Tornado. J’adorais les histoires de ce justicier masqué. Je me
demandais comment que le sergent Garcia pouvait un jour battre
Zorro. Vu la différence de poids au départ...
N'ayant pas de petit écran à la maison (encore un truc de riches),
je regardais de temps à autres les téléviseurs à travers les vitres
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des bistros.
Je me souviens de ce sympathique patron qui m’a invité dans son
bar pour regarder la finale de la Coupe du Monde de football 66 :
Allemagne-Angleterre. Moore, Charlton et l'excellent gardien
Anglais, Banks étaient mes héros. Et ce but de Hurst à la 120e
minute m'a fait avaler de travers mon deuxième Vittel-menthe
gracieusement offert. Ce bar était situé au coin de la rue Saint-
Sauveur et de la rue Saint-Denis (rue très fréquentée par des
messieurs souvent seuls !). Ce chic café s’appelait ‘ Le sans souci ‘.
Quel programme ! Toute ma philosophie de la vie réunie dans le nom
d’un café, c’est dingue ! D’ailleurs quelques années plus tard j’ai
rencontré par hasard aux courses le patron de ce bar…qui était
devenu entre-temps propriétaire de chevaux de course.
Le cinéma m'a certainement beaucoup aidé pour passer une
adolescence là où le rêve était inscrit dans ma constitution
génétique. Ma mère après avoir travaillé à France-Soir a eu la bonne
idée de faire le ménage dans un cinéma aujourd’hui disparu : le
Caméo. Celui-ci se trouvait Boulevard des Italiens. Tous les jeudis -
matins, l'opérateur projetait le film afin de voir si toute les bobines
étaient en bon état. Grâce à la gentillesse de ce monsieur, j'étais
invité à voir le film gratis pendant que ma mère s'occupait de tenir
la salle dans un état de propreté exemplaire. J'étais triste lorsqu'il
disait : Denise, la semaine prochaine ton fils ne pourra pas venir car
on va passer un film interdit aux mômes...
J’aimais les westerns ainsi que les péplums. Certainement parce que
dans ces deux sortes de filmographie, on y voit de sublimes chevaux.
Je me prenais pour un Cow-boy en sortant des cinémas. Je devenais
une espèce de John Wayne en culotte courte. J’allais jusqu’à mettre
un foulard noué autour de mon cou à la façon Western pour faire
plus vrai. Je me suis toujours créée un monde imaginaire étant né
sous le signe du cancer. Nous passons pour de grands rêveurs les
personnes nées entre 22 Juin et le 22 Juillet.
En 66, j’ai découvert celui qui fut longtemps mon idole en tant que
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jockey et qui le restera comme entraîneur, Freddy Head. Il avait
dix-huit ans, seules cinq années de plus que moi, et il gagnait l’Arc
de Triomphe, avec un cheval dénommé, Bon Mot. Cela a dû
m’impressionner car je pariais presque les yeux fermés sur ce
jockey chaque fois que Freddy se mettait en selle.
L’idole des turfistes dans ces années-là était Yves saint Martin. Ce
n’était pas mon jockey préféré, peut-être pour tout simplement ne
pas dire comme tout le monde. J’ai toujours essayé au maximum de
ne jamais faire comme la majorité des gens. Cela m’a plutôt bien
réussi, mais on ne peut jamais être certain de rien. Je suis du style
: l’été à la montagne, l’hiver à la mer.
Tous les joueurs sont de grands rêveurs. Rêver, imaginer, fantasmer
empêchent des frais colossaux chez les ‘psys’ non ?
Faut quand même être d’une autre planète pour réaliser tout ce que
j’ai fait dans ma vie de turfiste ! J’en connais (eh oui !) qui sont
encore plus dingues que moi. Parfois même je me demande si les
courses de chevaux de course n’existaient pas, ce qu’ils auraient
bien pu bien faire de leur vie. Peut-être auraient-t-ils tout
simplement inventé les courtines !
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9- Un monde utopique
Voilà j’y arrive où je voulais vous emmener dans ce monde de fous,
de dingues, de doux rêveurs, celui des turfistes.
Dans ce monde-là, on peut rajouter les éleveurs, les propriétaires
(cela leur coûte souvent cher l’amour du cheval), les entraîneurs (qui
doivent expliquer pourquoi le cheval de M. untel est battu !). Les
jockeys, les apprentis, les lads, les journalistes, les pronostiqueurs
qui doivent eux aussi expliquer pourquoi que leur coup sûr est tombé
à la dernière haie. Chose pas simple, croyez-en mon expérience.
Et puis les principaux acteurs : les chevaux, trotteurs, sauteurs,
galopeurs. Heureusement que je les ai connus, les Pot d’or, Clissa,
Gamelia, Tidalium Pelo, Lançon, Fast Action, Bison futé, Riverqueen,
Gamine d’Ici, mais je ne vais pas commencer à citer tous les noms
des chevaux que j’ai idolâtrés, une nuit ne me suffirait pas.
J’ai connu bien plus tard les courses de trotteurs sur l'hippodrome
de Vincennes en compagnie d’un copain qui suivait le même ’doctorat‘
que moi. Il faut dire qu’il avait de qui tenir, son père était joueur.
J’ai longtemps fait équipe avec ces deux compagnons de route.
De suite Vincennes fut un coup de foudre. J’étais fou amoureux, des
Oscar R.L, Roquepine, Pluvier III, Pastourelle VIII. Rien que leurs
noms me faisaient frissonner ! Bien plus que ceux de Brigitte Bardot
ou Catherine Deneuve.
Les courses ont de suite pris une importance capitale dans mon
adolescence. Elles m’ont sûrement empêché de faire pas mal
d’âneries étant souvent livré à moi-même, traînant pas mal dans les
rues et ne connaissant pas que des enfants de cœur (que d’ailleurs
je ne fréquentais plus, 1968 oblige).
En semaine, je laissais deux, voire, quatre francs à ma mère qui
partait seule à Auteuil, histoire de s’oxygéner, pendant que je
continuais d’apprendre que Zeus était fils de Cronos…franchement
comme si je n’avais que cela à faire !
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Le soir je partais à la rencontre de ma mère à la sortie du métro.
Bien que pas très démonstrative de ses joies ou de ses peines,
lorsqu’elle montait les marches de la station, Réaumur-Sébastopol,
je savais si les chevaux que je lui avais demandé de jouer avaient
bien rempli leurs contrats. Je me souviens de ces moments où j’étais
'The King of Turf ‘. Pensez donc mon cheval avait gagné, oui
Monsieur... mon cheval.
Dans les cours de recréations, au lieu de jouer aux petits soldats ou
aux billes, je me prenais pour un entraîneur de chevaux. J’avais ma
propre écurie. À treize ans faut le faire non ? Lorsque j’allais au
square du Palais-Royal, je mettais deux chaises dépliées face à face,
formant ainsi une haie, puis j’imaginais piloter l’un de mes chevaux
franchissant tous les obstacles d’Auteuil devant une foule colossale.
Le square de la rue de Béarn dans le quartier du Marais a aussi été
un centre d'entraînement très important pour la réussite de mon
écurie cérébrale.
Je suis peut-être l’inventeur des courses virtuelles…va savoir !
Certains psys auraient sûrement proposé à ma mère quelques
séances si j’avais parlé de mes délires. Je pense plutôt que l’amour
des chevaux m’a permis d’être moi-même. Je vivais dans mon monde
de fantasmes, n’ayant ni père, ni sœur, ni frère, juste une mère que
j’adorais et mes rêves de Grand Steeple et d’Arc de Triomphe.
Le père d’un copain possédait une Aronde qui n’en pouvait plus de
grimper… la côte de Suresnes. Lorsque la ‘titine’ n’était pas en panne
ou bien si son propriétaire pouvait mettre un peu d'essence, nous
quittions le samedi midi notre quartier du ‘sentier’. Un endroit de
Paris sympathique avec des personnages hauts en couleurs, afin de
nous rendre à Auteuil ou à Saint-Cloud.
Pendant ce temps ma mère se reposait de sa difficile semaine, et
préparait un dîner Royal.
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Une fois le droit d’entrée payé, il ne me restait souvent de quoi
jouer que deux courses, parfois même qu’une seule. Il ne s’agissait
pas de se tromper. Aucun droit à l’erreur ! Combien de fois ai-je fait
‘tapis’ d’emblée ?
Je me souviens que dans les années soixante-dix, avoir, disons
‘chapardé’ des consignes de bouteilles de vin à des concierges du
quartier des Halles, (qui n’avait pas bien compris que des voleurs
pouvaient roder !) et les refourguer à un épicier qui me les reprenait
moitié prix (receleur et escroc). Vu combien cela me rapportait, il
me fallait quand même une certaine dose de courage pour en trouver
jusqu’à ce que cela me procure une ‘recette’ confortable !
Un bel après- midi de juin direction l’hippodrome d’Auteuil. Argenté
grâce aux fameuses consignes, c’est- à- dire riche de dix francs et
plein de rêves, je mettais cinq francs gagnant sur un dénommé,
Samour, entraîné par Jean Laumain. Le cheval était favori à deux
contre un. Mes cinq autres francs allant sur un jumelé avec Magog,
le cheval le plus abandonné de l’épreuve.
Résultats des courses, premier Samour, deuxième Magog. Je ne me
rappelle plus des rapports exacts, mais j’ai du toucher environ
soixante francs. J’ai remis quelques piécettes dans les courses
suivantes, sortant plus riche d’environ cent francs, soit deux jours
de travail !
Comment voulez- vous qu’après cela, que je ne sois pas convaincu que
c’est le plus beau jeu du monde…mondial.
Dans les années soixante-dix, j’avais une réussite insolente sur
l’hippodrome de Saint- Cloud. On se retrouvais les samedis (si la
fameuse Aronde tenait le coup) avec mes amis. Je me rendais sur le
champ de courses du Val d’or avec environ une cinquantaine de
francs en poche. Je commençais à avoir un peu d'argent grâce à mon
travail dans le quartier du sentier. Dès les premiers salaires je me
suis payé une mobylette afin de pouvoir me déplacer plus facilement.
Le reste de ma paie allait à ma mère afin de nous nourrir et payer
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les loyers. Pour cela mieux vaut toucher quelques gagnants.
On allait à la sortie des chevaux lorsque ceux-ci se rendaient sur la
piste. D'un s'il vous plait gracieux, nous demandions aux
accompagnateurs des chevaux ce qu'ils pensaient de leurs protégés.
Je ne sais pas pourquoi mais souvent ces braves gens qui travaillent
dans l'ombre des grands, nous répondaient affirmativement ou
négativement. Avec le papier que l’on avait fait le matin, plus les
renseignements de dernière minute, nous sortions souvent les
poches pleines. Certains jockeys discrètement nous faisaient signe
de la tête. En ces temps-là, les jockeys étaient peu bavards. L'état
de forme des chevaux étaient jalousement gardé.
Mes cracks à cette période courses s’appelaient, Easy Régent un
galopeur (entraîné par E.Pollet, monté par un jockey que j’adorais :
Billy William Pyers. Lauréat du Critérium de Saint Cloud, cet Easy
Régent a fait de moi une vedette sans oublier le crack de ma vie en
obstacle, Pot d’or entraîné par Maurice Wallon, monté par Jean
Jacques Declercq, appartenant à Robert Weill.
Pot d’Or avait débuté sur l’hippodrome de Saint- Cloud en fin
d’année de deux ans sur 2000 mètres l’emportant avec de la marge.
En le voyant, je me suis dit ainsi qu'à ceux qui voulaient bien
m'entendre, celui-là s’il court en obstacle l’année prochaine ce sera
un crack ! C’est souvent par flashs, des apparitions que j’ai touché
mes plus beaux gagnants.
Dès le mois de mars, voici Pot d'Or, engagé à Auteuil. Dix jours
avant, j’annonçais, le crack va débuter. Je l’ai joué et il a gagné. Il
n’a pas rapporté gros, qu’importe !
Je ne m’étais pas trompé ce jour de novembre à Saint-Cloud en
voyant pour la première fois en compétition ce fils de Buisson d’or
et d‘Appo !
Sa carrière fut exemplaire il enleva le prix Maurice Gillois, la plus
grande épreuve pour les quatre ans en steeple, mais surtout le
Grand steeple Chase d’Auteuil 1971 à cinq ans ! Ce fut un très grand
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moment, il battait des champions de la trempe de Huron, Haroué,
Morgex. D’ailleurs ces trois chevaux cités ont gagné le Grand
steeple à leur tour !
Dans le programme des compétitions d’Auteuil, une course porte son
nom: le prix Pot d’Or, MON CRACK !
Côté trotteurs, mes chouchous s’appelaient, Axius, appartenant à
Bernard Desmontils, entraîné et drivé par Gérard Mascle,
surnommé le ‘ musclé ‘ par les turfistes, car il portait le cheval sur
ses épaules si celui-ci n’avançait pas ! He oui !
Le ‘ musclé ‘ montait un trotteur que j’aimais énormément, Borgia
III, un petit alezan haut comme trois pommes mais avec un cœur
plus gros que lui !
Je pourrais en citer des tas d’autres, Vestalat, Villequier B (je
connaissais un peu son entourage). Il y avait aussi Véronique R, la
Reine de Cagnes-sur-Mer, Amyot, la belle Vanina B qui mettra au
monde le crack Jorky, Bellino II bien sûr, le crack des cracks et un
certain petit Bill D qui a gagné le critérium des 5 ans 1970 en
devançant Buffet II, après une photo qui a duré quinze minutes. Pas
de numérique en ces temps-là. Quelle angoisse ce jour-là pour mes
vingt francs mis gagnant dessus !
Des anecdotes comme cela, tous les turfistes en ont des tonnes à
raconter !
Combien de fois ai- je pus partir raide de chez moi ! (voici un mot
que les flambeurs emploient très souvent) et revenir à la maison les
poches pleines !
Par quelle sorte de miracle cela m’arrivait-t–il, me direz-vous ?
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9- Le discours de la méthode (turf)
Je vais vous confier la méthode, comptant sur votre discrétion,
bien sûr ! Il suffit de trouver un mec plein aux as, de lui raconter
que vous connaissez bien le gagnant de la première course. Vous lui
faites mettre le paquet dessus, et si par bonheur ou bien par talent,
votre ‘tuyau’ de dernière minute gagne votre client saura être
généreux avec vous, s’il veut continuer d’avoir des « caisses ». Mais
attention parfois on tombe sur des gens pas très droits ! Eh oui cela
existe !
Voulez-vous un exemple ? En 1976, je ‘tubais’ (donnais des soi-disant
coups sûrs aux autres), un marchand de fleurs en gros des Halles.
Un dimanche matin d’avril, je rencontre mon client au coin de la rue
où je résidais. Vu le métier que je commençais à avoir, ma réputation
de connaisseur faisait écho dans le secteur !
- salut, tu vas bien, tu vois quoi aujourd’hui dans le tiercé, me
demande-t-il ?
Fier de mon savoir ! Je lui dis sans hésiter : Malacate, Rhum, Ciroy,
Heureux de connaître toute la vérité, mon client s’en va vers le bar
‘le Balto’ rue Réaumur, endroit très fréquenté par les tiercéistes
car le PMU se tenait dans ce café.
À seize heures, résultat des courses : premier Malacate, deuxième
Rhum, troisième Ciroy, dans l’ordre en trois chevaux. Faut bien être
le plus fort ! Mais je me tais car je n’aimerais pas énerver le lecteur
qui pourrait croire que je suis narcissique… il s’en apercevra assez
tôt !
J’étais fou de joie, surtout pour la commission que j’allais toucher.
Je courais raconter mon exploit à qui voulait bien l’entendre. Je
l’écrivais même à la craie sur le bitume de ma rue.
Le lendemain très tôt, je partais à la recherche de mon futur
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donateur…
Je le trouvais assez facilement, quoique ayant l’air de se planquer
un peu.
-Tiens salut, tu vas bien ? Me dit-il d’un air surpris
-Très bien, et vous, bien dormi malgré tout ?
- Non pas vraiment, devine ce que j’ai fait comme connerie ?
- Quoi vous n’avez pas joué ce que je vous ai dit ?
Si, mais figures-toi que j’ai changé l’ordre que tu m’avais donné, j’ai
mis Rhum en premier !
- Il me prend pour un con ! me dis-je
- Ce n’est pas vrai, quelle poisse il fallait m’écouter !
- Je sais, que veux-tu c’est la vie, c’est déjà beau que je t’aie suivi !
La vie ! Le tiercé dans l’ordre faisait quatre mille huit cents francs.
Au lieu de deux mille quatre cent francs pour moi comme promis (on
devait faire moitie moitié si un jour je le faisais gagner), ce gentil
client m’a donné tout simplement quatre cents balles puis ce que le
tiercé rapportait dans le désordre huit cent francs…. logique ! Je
n’ai jamais trop été attiré par les maths, mais là je savais faire les
comptes de tête, croyez-moi.
Le désordre, c’est l’ordre moins le pouvoir d’après le système
anarchiste…pour moi le désordre c’est six fois moins d’oseille dans
la poche !
Déjà que je ne supportais pas l’injustice, là, c’était trop fort.
- Faut qu’il paye ce salopard ! me jurais-je.
Comme vengeance ce fut simple ! Tous les dimanches, le malheureux
avait le droit à des tocards qui n’avaient pas de chance de participer
à l’arrivée du tiercé. Je lui disais que je les voyais bien faire
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l’arrivée, Résultat des courses : sans pompe le mec !
Mon petit manège n’a pas duré bien longtemps. Le type a vite
compris qu’il payait cash sa méprisante erreur envers moi.
Il faut quand même, que je vous tienne au courant qu’il n’y a pas que
des abbés Pierre dans le milieu de l’hippisme. Pas mal de gratteurs,
de ‘latteurs’, de mecs qui savent tout, histoire de pouvoir tondre, de
plumer les gogos. Sans me donner de gants, je n’ai jamais pris les
autres pour des pigeons étant bien trop fier de les faire gagner. Et
puis, j’étais payé au rendement…
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10- L'armée dans la cavalerie, chouette...oui mais !
Au beau milieu de l’année soixante-treize, il m’est arrivé la chose
la plus dingue de ma vie…l’armée.
Rencontrer autant de manque de fantaisie dans l’existence est
sûrement introuvable autre part… L’armée m’aura cependant
apporté quelque chose dans la vie : avoir le droit de déplacer un
véhicule automobile d’un endroit à un autre. Dans le civil on appelle
ca le permis de conduire qui me servira pour aller aux courses de
chevaux.
Pendant mon séjour sous les drapeaux, côté courses, pas facile…
Lors des trois jours de sélection au château de Vincennes, j’ai
essayé de me faire passer pour un déséquilibré…mais cela n’a pas
fonctionné.
Une fois accepté parmi les joyeux lurons, je me suis retrouvé dans
un régiment de…Hussards ! Mais plus de chevaux…à la place des
chars ! Seules les portes ouvertes en fin d’année de mon année
d’internement m’ont permis de voir des équidés dans la caserne.
Comme j’étais compté à moitié soutien de famille, je me suis
retrouvé à …99 km de chez moi. Je rentrais quasiment toutes les
semaines, sauf celles où j’avais eu des mots avec un supérieur, enfin
c’est le nom que l’on donnait à ceux qui t’apprenaient à marcher au
pas…
À part la solde, difficile de trouver les fonds pour ‘flamber’. Comme
je ne fumais pas, je revendais à des fumeurs mes cigarettes avec
une belle marge bénéficiaire à l’appui.
Pendant mes permissions je travaillais le samedi matin. Je livrais du
pain, des gâteaux dans les très nombreux restaurants des halles,
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afin de me faire un peu d’oseille.
La chance était là où le Dieu des courses. Très souvent j’arrivais à
faire fructifier les gains de mon travail. Mes champions en ces
temps-là, se nommaient, Détos, Catharina, Carnaval, (c’était un nom
tout indiqué pendant une période militaire).
Un week-end de permissions, direction Enghien-Les-Bains afin de
faire fructifier ma solde. Après avoir touché quelques placettes,
arrive l'heure du prix de New York. Sur 1600 mètres le crack
Buffet II devait rendre...40 mètres. Votre serviteur, chaud comme
une baraque à frites se dirige vers le guichet de prises de paris à
10 francs.
- le 14 (je me souviens plus du numéro) cinq fois gagnant !
Et là c'est le drame !
- 250 francs m'annonce d'un ton sec le guichetier du PMH.
Je m'étais trompé de guichets. Au lieu d'aller à celui à 10 francs,
j'étais parti à celui de 50 francs...
Hésitant quelque peu (faut me comprendre en une telle période) et
après quelques remarquables désagréables sur mon erreur via le
guichetier, je décide de payer mon pari.
250 francs gagnant sur Buffet II qui doit rendre 40 m... ça laisse
le gars un peu tremblant.
Départ de la course devant les tribunes et le verdict tombera après
un tour de piste !
Je crois que c'est un certain Bary des Etangs drivé par Gerard
Mottier qui m'a donné les pires sueurs froides de ma vie hippique.
Une photo à la Hitchcock m'a enfin confirmé que Buffet II avait
réussi à prendre un nez sur le poteau à son rival qui partait quarante
mètres devant lui.
Buffet II était environ à égalité. Donc 500 francs dans la besace
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du trouffion ne pouvait que de me rendre admiratif devant ce bel
alezan appartenant à Monsieur Cooren et je crois drivé par Louis
Hanse, dit Loulou...
D'ailleurs en ces temps-là les drivers avaient des surnoms. Gerard
Mascle dit le musclé, Jean-René dit le Pape, Louis Sauvé = Noeil
noeil (un peu mèchant ça) Guy-Maurice- Dreux pour Genéral Motors,
Loulou, Léopold Verroken appelé Papier maïs...Minou, Michel- Marcel
Gougeon, le frère du Pape, François Brohier surnommé: monte à
gauche, Hans Sasse le Ben Hur du plateau de Gravelle sans oublier
le choucroûtier qui n'était autre que Gerhard Krüger, mort en 2017
à l'âge de 92 ans. Comme quoi les courses ça conserve ! Il y avait
aussi vertes cuisses, la bouteille etc etc
Pendant cette période de manque de liberté, j’arrivais tout de même
à donner un peu d’argent à ma mère. Fin juin, le phénomène Bellino
II remporte le prix René Ballière à une cote avoisinant les trente
contre un, incroyable. Et moi bloqué comme un cave au milieu de tous
ces jeunes en treillis, entourés par des vicieux, casqués, rangers
aux pieds, déguisés en chasseurs de lapins et hurlant des : une deux,
une deux ! Pas moyen de mettre une pièce sur le coup sûr à trente
contre un. Il y a de quoi vraiment haïr l’armée après ça ! Il faut que
je vous dise pour être tout à fait honnête, que même avant ce
manque d’opportunité, je n’ai jamais été fan.
Enfin par un bel après-midi de juillet, ce fut mon jour le plus long !
La libération de cet asile de fous est arrivée. Heureusement que par
un pur hasard, j'étais chauffeur d'un Capitaine...qui jouait aux
courses. Je me demande si je n'avais pas eu cette chance d'être
son accompagnateur, si en ce moment je ne creuserais pas encore
des tranchées du côté de Provins ou balayer les feuilles mortes sur
le parking en plein mois de novembre...
Cela me rappelle une anecdote vécue. Pour nous intéresser à la vie
militaire, un cher Marechal des logis qui devait avoir un Q.I.
d'huîtres n'a trouvé mieux que de nous faire plier des filets de
camouflage en plein soleil. Ceux-ci devaient former un énorme
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boudin marron et vert.
En fin de récréation, le chef vient vérifier nos qualités de soldats.
Quelle n'est pas sa surprise lorsqu'il voit celui plié par un certain
trouffion. Celui-ci avait, il est vrai réalisé un méli-mélo de son filet.
- Je vous ai déjà dit de plier vos filets uniformément, beugle-t-il au
peu adroit soldat.
Celui-ci lui répond avec un sourire bien affiché : Chef l'ennui naquit
un jour de l'uniformité.
D'une voix grave, le chef lui rétorque : Attention, j'ai été poli avec
vous, soyez poli avec moi...
Dire que certains n'ont pas connu ces doux moments de rigolade
organisés via l'armée !
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11- Enfin libre
Mon premier voyage en tant que civil, ce fut pour aller un
dimanche … à Longchamp, tout fier d’emmener mon copain (celui de
la pauvre Aronde qui avait rendu l’âme). J’avais emprunté pour la
circonstance, une SIMCA commercial 1500 à un ami qui était comme
mon père. Bien que la pauvre Simca bleu ciel, ne possède plus qu’une
boite de vitesse boiteuse, quelle fierté d’aller au champ de courses
en voiture. C’était autre chose que de prendre le car avec tous ces
‘malheureux’ qui n’y comprenaient rien aux courtines…
Grâce à l’armée et surtout à mon talent de pilote, que je revendique,
quelques mois plus tard, j’en fis mon gagne-pain, (merci quand même
la grande muette). Rapidement j’ai fait connaissance avec les
courses de province. Se rendre sur des hippodromes où j’étais
inédit, repérer des chevaux qui devaient gagner ensuite à Paris, se
taper un bon resto au retour et se coucher la tête pleine de rêves
et d’espoirs, croyez-moi, c'est le panard !
Mes premières vraies sorties provinciales eurent lieu dans les
années soixante-quinze, soixante-seize. Je me rendais sur les
hippodromes grâce à des autocars mis en service par les courses
hippiques. Les cars attendaient les turfistes soit Gare du Nord soit
Place Saint Augustin. Le tarif comprenait le voyage et l'entrée sur
le champ de courses. Très timide au début, Fontainebleau,
Compiègne, Rambouillet furent les premiers terrains exploités par
celui qui devint cet amoureux de la province.
Tout turfiste qui n’a jamais mis les pieds dans ces petits
hippodromes dit de province, (je trouve ce mot galvaudé) ne peut se
vanter de connaître les courses de chevaux. Quel plaisir de partir
tôt le matin, en train, en voiture, seul, avec des copains, le déjeuner
dans le sac ou dans la glacière. Sans oublier les jumelles astiquées,
un bon stylo, même deux au cas où…
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12- Rien de pire que ces moments-là
L’an mille neuf cent soixante-dix-neuf fut la pire année de mon
existence : la mort de ma Maman.
La terre s’est arrêtée de tourner… ! Celle qui avait tout donné de sa
vie pour moi me laissait seul, complètement seul. Quelle claque dans
la gueule une nouvelle fois la vie me mettait. Comment tenir le coup
? Reste bien des amis, copains, une petite amie, mais bon, c’était
trop cruel cette fois-ci…
Et puis comble de l'horreur, la réflexion d'une femme qui habitait
le même immeuble que moi.
- Comment va-t-il faire pour payer l'enterrement ?
- Pourquoi cette question rétorqua un (vrai) ami ?
- Bah il joue aux courses, non ?
Voici la réflexion d'une affreuse conne qui donnait la preuve que les
courses avaient très mauvaise réputation...
Après de sérieuses envies de tout laisser tomber et après quelques
crises sévères d’angoisse, l’envie de vivre m’est revenue un jour en
regardant des chevaux non loin de la porte Maillot, au jardin
d’acclimatation.
J'ai lu dans leurs yeux :
- allez bouge-toi, vis ta vie. Ne la brûle pas, mais fait ce que tu
aimes, voyage, connaît mieux ce monde des courses que ta mère t’a
fait connaitre et laissé comme seul et unique héritage.
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13- Malgré tout la vie continue
Alors, direction la province hippique. Rien que faire la route était
pour moi un immense plaisir, je dis bien était, car maintenant avec
le temps qui passe cela le devient moins. Le phénomène de
découverte se fait moins excitant. Combien de champs de courses,
ais -je connus depuis mes débuts ? Presque cent cinquante, un peu
moins, un peu plus ?
Si vous avez bien suivi le début de cette œuvre, vous avez compris
que je n’avais pas une âme de comptable !
Des anecdotes sur les courses j’en ai des tonnes, des caisses pleines.
Si je devais les déménager de mon cerveau, je pourrais envahir les
vôtres.
Je vais essayer avec mes modestes moyens de vous en faire vivre
quelques-unes dans le désordre.
Une des premières anecdotes qui me vient à l’esprit, c’est cette
histoire pourtant vraie !
J’avais un ami un peu plus jeune que moi mais tout aussi à crocs des
courses. On était bien plus que des amis de courtines. Je venais
souvent chez ses parents, flambeurs eux aussi à leurs heures
perdues.
Un samedi après-midi de 1982, on se rencontre et décide d’un
commun accord…de partir à Vincennes, notre seconde résidence.
Mon copain possédait en tout et pour toute la somme de 100 francs
et votre serviteur ne devait pas être beaucoup plus fortuné.
Mon pote qui était fort (quoique, aux courses, les forts…), voyait
bien un cheval dans le tiercé du jour, (en ces temps-là, il ne se
courait que 2 tiercés par semaine). Ce cheval s’appelait Lelidant, il
était entraîné par Hervé Houel et drivé par celui-ci. Ce qui est drôle,
c’est que quelques années plus tard, j’aurais un cheval en copropriété
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chez cet entraîneur…le destin quoi !
Mon compagnon de route joue ses 100 francs sec dessus. Quant à
moi, bien plus prudent à ce jeu 30 et 20.
Le trotteur de l’écurie Houel l’emporte la queue en panache, aidé
dans sa tâche par nos cris à mi-ligne d’arrivée. Lélidant fait afficher
un confortable 10 contre 1. En fin de réunion, nous sommes sortis
de la ‘séance de prière’ avec un petit pactole. La chance étant là
nous avons continué de toucher jusqu’à la fin de la réunion.
Le lendemain, sept heures du mat (aucun frisson), direction Elbeuf,
gentille petite ville de Normandie située du côté de Rouen. Un
endroit que je n’aurais jamais certainement connu s’il ne possédait
pas un hippodrome. À l’époque l’hippodrome des Brûlins possédait
une piste en herbe avec trous et bosses. Dès le petit matin, les
pompiers de la ville arrosaient la piste avec l’eau qui normalement
avait pour fonction d’éteindre les éventuels incendies.
Arrivés en train à Elbeuf, le papier déjà fait et après une bonne
bouffe dans un petit bistroquet jouxtant le champ de courses et qui
faisait aussi office de PMU nous attaquons la réunion. Toute la
journée nous n’avons cessé de prendre la caisse.
Nous avions un ‘coup sûr’, une certaine Modestine dans une épreuve
au trot monté. Gagnant très facilement son épreuve cette
pensionnaire de M. Barassin nous a permis d’empocher pas mal
d’oseille ! Mais l’anecdote ne s’arrête pas là… 2 ou 3 ans plus tard,
nous nous sommes aperçus que dans la course où Modestine avait
gagné, qu’une certaine Mirande du Cadran participait à cette même
épreuve !
Pour les ignares ou excusez-moi, pour les jeunes qui ne se sont pas
penchés sur le passé hippique, cette fameuse Mirande du Cadran,
trois ans après enlève le prix du Cornulier, la plus grande épreuve
de trot monté au monde. Pour ceux qui doutent de la véracité de
mes écrits : une adresse, @letrot…
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Sortir d’un hippodrome avec la banane n’est pas chose courante pour
le turfiste. Mais ce jour-là, partis avec presque rien, nos poches
s’étaient remplies grâce à notre Vista et aux trotteurs qui ont bien
voulu nous faire plaisir.
Avec l’expérience, je me suis vite aperçu, seuls les bons souvenirs
restent gravés dans le cerveau. Les mauvais, et Dieu sait si on en a
dans une vie de turfiste ont une curieuse façon de disparaître
automatiquement dès une bonne nuit passée. Heureusement, car
sinon la corporation des turfistes serait en tête de liste des
suicidés chaque année. Alors que les courses sont un antidote à la
vieillesse. Il suffit de compter encore de nos jours le nombre de
turfistes qui ont connu Une De Mai...
Autre anecdote, puisque vous y tenez, se passe avec l’un de mes
meilleurs amis, je dis bien ami, car aux courses on a beaucoup de
copains quand on passe à la caisse mais très peu lorsque le larfeuille
se vide.
Parti tôt le matin, (le turfiste est matinal), cet ami s’est rendu seul
de Paris à Vernon aux épreuves de trot du jour. Eh alors me direz-
vous ? Et bien je vais vous le dire (phrase empruntée à Sarko), seul
à Vernon oui, mais en mobylette depuis la Capitale. Pas de quoi
fouetter un chat…si ! Car ce jeune homme, qui maintenant n’en est
plus un, a quitté son domicile en chemise, et sans aucun outil pour
réparer en cas de crevaison. En fait, comme je suis là pour le
charger, même s’il avait eu de quoi dépanner, lui et la mécanique ne
faisaient pas bon ménage. En chemise en plein mois de juillet, le mois
de tous les orages ! Vous voyez le genre !
Arrivés à Vernon, nous nous rencontrons et je comprends vite qu’un
psychologue va lui être d’un grand secours. Comme ces gens-là ne
courent pas les pistes hippiques, je me propose de l’écouter.
- Alors que vous arrive-t-il cher ami ?
- J’ai une angoisse terrible ! J’ai peur de crever sur la route !
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Le sujet avait pris conscience de la gravité de son acte. En fin psy
que je suis, je le laisse parler, sans le provoquer bien sûr, les fous
doivent toujours être écoutés et non être contrariés.
Après quelques échanges sur la vie, la mort, son enfance, je lui
propose de le ramener, lui et sa pétrolette dans ma superbe Renault
4 L commerciale. 4 L que j’avais moi-même ‘empruntée’ à mon patron
pour le week-end- sans lui demander sa permission. Vous comprenez
mieux maintenant, le genre de blagueur qui l’on peut avoir à faire
aux courtines. Pour en finir avec cette histoire et afin de rassurer
le lecteur, nous sommes bien rentrés ainsi que les deux véhicules.
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14- Gamélia : Ma Reine
Autre histoire qui me tient à cœur : la victoire de mon idole dans
le prix du Cornulier 1980, la belle Gamélia, jolie alezane qui
appartenait au Vicomte De Bellaigue, une écurie que j’adorais.
Auparavant ce propriétaire avait eu Clissa, une jument qui aurait pu
être une grande championne, si de graves ennuis de santé n’étaient
venus contrarier ses plans de carrière.
Revenons en a ma chère Gamélia. Je l’ai magnifié dès le début de sa
carrière. Sûrement parce qu’elle me fit gagner un peu d’argent lors
de ses premiers pas en compétition, faisant afficher un beau treize
contre un, lors de ses débuts à Vincennes. Enfin je ne sais pas
exactement pourquoi, mais je suis vite tombé sous son charme
comme l’on devient fou amoureux d’une femme. Je l’idolâtrais, la
défendais contre vents et marées, prêt à me battre pour elle. Faut
dire que son cas n’était pas simple. En belle fille qu’elle était,
Mademoiselle aimait bien me faire marcher, s’enlevant dans le
dernier tournant alors qu’elle dominait tout son petit monde,
prenant au passage mon pognon ! En ces moments-là, je voyais en
elle une de ces filles qui tapine dans le coin des halles...moi j'en étais
fou amoureux et elle mon pognon lui faisait les yeux doux.
Lorsque Gamélia a gagné le Cornulier, j'étais ce jour-là sur
l'hippodrome de Rouen-les-Bruyères. En remontant sur Paris, via le
train, vers les 18 heures je m'enquière du résultat. Je trouve
quelques sièges plus loin, un turfiste qui arrivait à connaitre les
résultats plus vite que n'importe qui. En ces temps seule la radio
nous reliait aux résultats des courses et aussi les transcripteurs
des bars-PMU que j'appelais tic-tac en rapport avec le bruit des
touches qui tapaient les textes sur de longues bandes de rouleau de
papier.
- Tu sais qu a gagné le Cornulier ?
- Devines, c'est introuvable !
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- Ah bon, à ce point ?
- Oui, c'est Gadamès !
- Mais elle ne courrait pas Gadamès !
- Euh pas Gadamès, je confonds toujours. C'est Gamélia !
Comprenant vite que le garçon n'aimait pas beaucoup ma crack, aussi
vite je suis reparti à ma place, le sourire aux lèvres. On était bien à
à la cantine cette semaine...euh...comment dire, ça sera restaurant
la prochaine huitaine !
Bien sûr, comme bien d’autres, ma belle Gamélia sera pour toujours
dans mes pensées.
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15- Souvenirs multiples
Comme chante Serge Gainsbourg, les feuilles mortes se
ramassent à la pelle et les souvenirs aussi. Pour rassembler tous mes
souvenirs hippiques, il me faudrait des heures de pelletage et des
tombereaux pour les stocker.
Comment ne pas se souvenir de toutes ces merveilleuses journées
passées sur les routes de France ou bien dans ces trains qui
m’emmenaient vers le rêve et me ramenaient parfois durement vers
la réalité. C’est-à-dire parfois les poches aussi vides que les puits
Africains en période de grande sécheresse. Et si par malheur, la
pluie se mettait à handicaper ma journée, de vieux journaux
faisaient office de seconde semelle à mes chaussures usées sur les
graviers des hippodromes.
La seule certitude de ma vie de turfiste, c’est qu’il est très difficile
de gagner aux courses. J’ai bien dit gagner, pas de toucher. Il ne
faut pas confondre les deux. Gagner c’est être bénéficiaire. Pour
finir l’année bénéficiaire, il faut suivre à fond, être régulier dans
ses mises et avoir un bon feeling avec les chevaux.
Les courses semblent moins difficiles à déchiffrer au trot, car les
chevaux restent très longtemps en compétition de deux jusqu’à
neuf, dix ans pour certains.
Au galop par contre, on voit surtout les chevaux courir de deux à
trois voire quatre ans maximum. Il est alors plus difficile de se
faire un jugement sur les valeurs. Ce n’est que mon avis perso et
quand on sait qu’il n’y a pas pire que les courses pour trouver des
avis différents dans la vie. Le turfiste n’est pas sectaire avec
évidemment des exceptions que l’on peut trouver dans chaque
société.
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16- Mise en pratique des bases hippiques
Passer de l’autre côté de la barrière a sans doute été mon rêve le
plus fou. Un rêve pas facile à réaliser. Mais dans ma vie je pense que
j’ai eu la chance de croiser les gens qu’il fallait rencontrer au bon
moment. Ce fameux destin…
Alors lançons-nous dans le grand bain. Comment ne pas avoir une
pensée pour mes amis, Jean-Jacques dit le barbu ou la banque,
Jean-Luc le farineux, Raymond l’imprimeur, Jacques dit le casque,
ces quatre-là m’ont appris beaucoup sur les courses. Je suis certain
qu’ils vont se reconnaître sans problème en lisant cet énorme et
futur Best-seller !
J’ai regardé avec attention comment ils repéraient les notes sur les
hippodromes. Comment à chaque réunion, ils notaient soigneusement
les noms des trotteurs ou bien des galopeurs qu’ils avaient jaugés
au cours de leurs périples sur leurs petits carnets … intimes.
Et puis où j’ai le plus appris, c’est seul, avec mes propres méthodes
mises au point, à force de réflexions, de repaires, d'analyses.
Je crois que pour réussir aux courses c’est un peu comme à toute
chose : il faut avoir une espèce de don au départ, bien qu’aux
courses, trois règles soient essentielles.
La première : regarder les courses, leurs déroulements, les analyser
avec sérieux et toujours à froid.
La deuxième : avoir le feeling, sentir les chevaux, les respirer, je
dirais même les transpirer. En un mot les aimer.
La troisième : un peu de chance et un bon sens du rapport qualité-
prix de votre pari.
Malgré cela, je ne peux pas dire que je me suis enrichi avec le jeu.
Disons plus humblement que j’ai passé des moments très excitants.
En fait, je pense que grâce aux courses hippiques, j’ai eu l’impression
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de ne jamais perdre mon temps tout en donnant un sens à mon
existence. Les dimanches, je me demande par quoi j'aurais bien pu
remplacer mes venues sur les hippodromes : Jacques Martin, Michel
Drucker ?
Grâce à des personnages connus sur le tard, ma vie de turfiste a
bien changé au fil des années. Déjà je joue beaucoup moins souvent.
J’essaie dans le domaine du possible de jouer ‘ à coup sûr ‘.
Ensuite, je me suis lancé dans le délicat job de journaliste hippique.
Croyez-moi que ce n’est pas le truc le plus facile du monde. Je dis
ça pour ceux qui critiquent les chroniqueurs hippiques. Mais ce sont
sûrement les mêmes qui se moquaient d’Alain Prost ou bien de Jean
Alesi lorsqu'ils faisaient ‘un trou’ dans leur métier de pilote
automobile, alors qu’eux-mêmes n’avaient même pas le permis de
conduire !
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17- Propriétaire...moi ?
Puis, acte suprême, je suis passé de l’autre côté de la barrière,
celle de propriétaire de chevaux ! Attention pas propriétaire avec
les couleurs et tout ce qui va ensemble. Non copropriétaire avec des
amis, des vrais. Il est recommandable d’ailleurs d’être associé sur
la carrière de chevaux de course. Mieux vaut avoir quatre chevaux
à quatre, qu’un tout seul.
Eh oui, c’est bien moi le morveux des halles qui pénètre par l’entrée
réservée aux propriétaires sur les hippodromes Parisiens. Eh oui,
c’est bien moi aussi qui serre la main des drivers, entraîneurs,
propriétaires, éleveurs. Pour un narcissique, quoi de plus jouissif
lorsqu'un Franck Nivard d'un grand sourire te dis - vous allez bien
?.
Comment j’en suis arrivé là ? Moi-même me le demande et m’en
étonne.
Mon regret éternel c’est que ma pauvre mère n’a pas eu le temps de
voir son fils jeter une couverture sur le dos de sa jument afin qu’elle
ne prenne pas froid avant de parader ensuite sur la photo prise aux
balances, lors de cette fabuleuse nocturne où à Amiens je suis
devenu le plus grand propriétaire du monde !
En effet, ma première victoire me fut offerte sur cet hippodrome
nordiste, un samedi soir d’avril de l’an 2003, grâce à cette petite
jument trotteuse de cinq ans, Ketty Mesloise. Quel pied ce retour
aux balances où m’attendaient mes amis et associés ! Enfin le jour
de gloire était arrivé ! Patrick Chevrier le jockey et Frédérique Prat
l'entraîneur sont devenus ineffaçables de ma mémoire à l'image de
Jean-Pierre Caresse et Léon Gaumondy... à ses deux noms je
rajouterai Virginie Couillaud, la jeune fille qui avait "démarré" la
petite Ketty.
Mon rêve d’enfant de la balle venait de se réaliser : gagner une
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course ! Bien sûr, j’aurais préféré que ce soit à Vincennes, voire à
Enghien-les -bains, mais cette première victoire restera gravée à
tout jamais dans ma tête, dans mes tripes, dans mon cœur ! Tout
comme mon Paraf.
Souvent confiée à de jeunes apprentis, Ketty Mesloise après une
carrière honnête dont une autre victoire à Gournay-en -Bray et une
troisième place à Vincennes, Ketty sera vendue pour l’élevage. Elle
a mis au monde un certain Bixente, bon trotteur entraîné en début
de carrière par Jean-Etienne Dubois. Bixente a terminé 4e du
Critérium des jeunes battant notamment Bird Parker 5e...
Faire ce que l’on aime est une chose primordiale dans la vie. Ne
croyez surtout pas que je me répète afin de remplir plus vite les
pages de mon livre ! Non, mais seulement pour que cette petite
maxime pénètre bien dans vos mœurs.
J’essaie au maximum de mes possibilités de faire ce que j’aime, mais
la vie complique souvent l’affaire. Un jour j’ai enfin franchi le pas :
travailler dans le milieu hippique.
Lorsque l’on est enfant, on rêve souvent d’être pompier, coureur
automobile etc. etc. Dès ma plus tendre enfance, je voulais être soit
avocat, footballeur ou artiste, un vaste choix me direz-vous. Je sais,
mais, l’ennui ne naquit-t-il donc pas un jour de l’uniformité, comme
l'a annoncé ce cher soldat dont j'ai oublié le nom ?
Puis, un peu plus tard, j’ai pensé devenir lad ou bien chroniqueur
hippique. Enfin, pratiquer une profession où chaque matin mes yeux
scintilleraient de bonheur en croisant ceux des équidés. Maurice
Bernardet, que j’ai côtoyé régulièrement sur les hippodromes, Léon
Zitrone, André Théron faisaient partie des hommes à qui j’aurais
bien aimé ressembler, tout au moins coté professionnel...
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18- Passage au journalisme
Grâce à l’une de mes connaissances, un journaliste hippique bien
connu, j’ai trouvé mon premier job dans le monde équin. Je fus
embauché comme pigiste pour un journal : Province-courses,
l’hebdomadaire du trot. Quel plaisir pour un narcissique de voir son
nom en bas d’un article !
Dés ma première pige, je me sentis à l’aise dans ce travail, bien
qu’étant un peu craintif. La peur de mal faire certainement.
J’ai toujours considéré que lorsqu’un être vous fait confiance à cent
pour cent, on doit faire son job au mieux pour réussir. Je pense que
mes premiers écrits ne déplurent pas au patron du journal, la
preuve, j’y suis resté plus de dix ans comme pigiste. Mais il est vrai
que je travaillais avec un rédacteur en chef de haute qualité !
Comme un bonheur n’arrive jamais seul (ainsi qu’un malheur pour les
pessimistes). La bible du turfiste ‘Paris-turf’ s’intéressa ensuite à
ma petite personne. Faut dire que comme dans toutes professions,
une fois que l’on a un pied dans une maison, le second est toujours
plus facile à poser.
Quelle sensation de grandeur, quelle fierté quand je suis arrivé pour
me présenter aux dirigeants de l’hippodrome de Domfront dans
l’Orne.
- Bonjour je suis le journaliste de Paris-turf. Je viens couvrir
l’événement.
- Enchanté, je vais vous montrer comment que nous fonctionnons
Monsieur.
Le frère du Roi vous dis-je !
Ensuite tout s’enchaîna très vite. Je fus embauché par mon premier
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contact hippique comme pronostiqueur. Je m’occupais des courses
d’obstacles, mon premier amour (on revient toujours à ses premiers
amours). Je "vendais" mon ‘savoir’ sur un site, via minitel et
téléphone audio.
C’est un grand bonheur de trouver la bonne combinaison du quinté.
Savoir que des gens ont gagné grâce à vous est un bon speed. Ça
vous fait avancer.
Vous voulez connaître la définition de ce qu’est un journaliste
hippique ?
Sûrement un reporter comme les autres, mais qui en plus doit
connaître d’avance les résultats des compétitions. Un peu comme si
P.P.D.A. devait annoncer le nombre de morts avant tout le monde,
lorsqu’ un tremblement de terre où un conflit survient dans un pays.
Un pronostiqueur hippique devrait gagner deux salaires. Le premier
comme journaliste-hippique et un autre comme extra-lucide, une
sorte de Madame Soleil de la chose hippique !
Découvrir la bonne solution est vraiment chose difficile. Il faut
primo : avoir une profonde expérience du monde des courses et
deuzio un halo au-dessus de la tête, une sorte de grâce tombée sur
votre berceau.
Comme tout le monde détient sa propre théorie, sa propre
expérience pour dénicher les arrivées, il faut faire un choix
Cornélien dans les méthodes.
Si je peux me permettre de vous donner quelques conseils pour vous
éviter de perdre trop, voici en exclusivité ma méthode.
1e – aller aux courses le plus souvent possible afin de bien connaître
les chevaux, les jockeys, entraîneurs ainsi que les pistes des
hippodromes.
Chaque hippodrome possède ses particularités. Certains chevaux se
plaisent sur certains champs de courses et sur d’autres ne sont que
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l’ombre d’eux même.
2e – Toujours laissez au moins une, voire deux chances à un cheval
qui vous a déjà laissé entrevoir des possibilités.
3e- Ne pas trop s’occuper du poids, du terrain, et surtout des
commentaires des entraîneurs sur leurs protégés.
4e- laissez le feeling faire. Essayer d’imaginer comment la course
va se dérouler (c’est pour cela il faut bien connaître les chevaux et
les pistes sur lesquelles vont se disputer les épreuves).
Enfin, essayer de trouver l’outsider de la course pour pimenter les
rapports, mais ne jamais éliminer systématiquement le favori parce
qu’il est favori.
Voilà, avec ces conseils avisés, vous pouvez vous défendre mais la
tâche est rude…croyez-moi ! Les flambeurs n’ont aucune chance de
gagner aux courses
La devise de Paris Turf est : « Les courses ne sont pas un jeu de
hasard »
Tout-à-fait d’accord avec cette maxime, mais il faut quand même
laisser une part au hasard faire son œuvre. Le jeu quel qui soit est
fait pour rêver.
Et puis, lorsque l'on a fait animateur-journaliste dans des PMU, on
se demande comment peux-t-on essayer de faire comprendre ce que
sont vraiment les courses ?
Aux courses de chevaux, il y a trois sortent de quidams.
1- Les purs turfistes, ceux qui vont le plus souvent sur les
hippodromes. Ceux qui prennent des notes. Ceux qui écoutent jamais
les soi-disant ,"tuyaux". En général ceux qui s'en sortent le mieux.
2- Les joueurs de courses qui font le papier et qui mettent le Quinté
en priorité. Disont que ce ne sont que des "Quinteïstes". Pour
certains, ce sont les drivers et jockeys qui courent. Style : j'ai
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touché Bazire dans la der. Soumillon n'en a pas encore gagné une ce
jour, il faut le suivre.
3- Les flambeurs qui entre deux courses grattent un ticket de
millionnaire. Ils jouent aux courses comme au loto. Ils sont
incapables de citer le nom de 10 chevaux en moins de 2 minutes. (
si, si j'ai vérifié)
Enfin comme dit l'adage; au PMU on joue comme on aime..
Je rajouterais pour certains : peu importe le flacon pourvu qu'on ait
l'ivresse.
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19- Quelques réflexions sur la vie, la mort
La vie est faite de surprises bonnes ou mauvaises peu importe du
moment qu’elles nous fournissent notre adrénaline quotidienne.
Faire un jeu sans laisser la moindre part à l’inconnu au beau milieu
des plans les mieux établis n’est pas véritablement chose très
excitante. !
Jouissons de l’inconnu mes chers frères humanoïdes. D’ailleurs ce
que nous appelons inconnu et qui nous fait tant peur, n’est pas
obligatoirement inconnu pour d’autres. L'inconnu est plutôt excitant
à vivre, à découvrir, à dénuder.
Vivre sans surprise avec son bien être intégré dans sa monotone
destinée me fait penser à ces meubles ‘conforamisés’, qui, une fois
montés sont indémontables, et ainsi vous êtes obligés de les
supporter un long laps de temps, ternissant ainsi votre existence.
Ta vie ? Elle arrive en kit. T’as un certain temps pour la monter. Si
tu l’installes en dix ans, avec une épouse, un mari, des gosses, un
chien, un chat, une télé plasma grand écran, l’hiver au ski et l’été à
Saint Tropez, que te reste-t-il donc à inventer au bout de cette
décade ?
Tu peux toujours mettre encore quelques décorations sur tes
meubles. Mais ça ne prend pas énormément de temps à réaliser ni à
rajouter un peu de piment.
Alors c’est pour cela que ta vie, il faut la monter petit à petit afin
qu’elle soit passionnante. Il faut même faire exprès de visser les vis
de travers, afin que tu ais quelque chose à redresser. En résumé
faut toujours avoir quelque chose à faire dans son existence. Le
temps joue contre nous. Le temps est assassin, je dirais même
terroriste.
Mais qu’est-ce que le temps?
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La notion du temps a été inventée par l’homme, afin de mettre des
dates sur des caveaux de famille, sur des monuments aux morts ou
pour que des ‘profs perroquets’ inculquent à des enfants que telle
ou telle batailles a servi grandement le pays.
Une des chansons florilèges du répertoire Français ‘Avec le temps’
de Léo Ferré, devrait tout simplement servir d’hymne national. Ce
serait quand même plus chouette que cette horreur où l’on apprend
à des gamins qu’il faut que le sang d’autres humains abreuve nos
sillons. C’est bien plus violent que de laisser des mômes regarder
des films de guerre.
Nous pensons tous avoir encore le temps de faire ce que l’on ne fera
jamais. Un grand penseur a dit : dépêchez-vous de vivre il est bien
plus tard que vous ne le pensez …à méditer !
Pour vivre longtemps, prenons le temps de vivre. La mort semblera
arriver moins vite. Ne brûlons pas notre capital existence terrienne,
ni à trop en faire ni à rien en faire. Calculons chaque geste, chaque
pas, pour vraiment savoir si ceux-ci sont véritablement utiles. Ne
réglons pas trop vite nos comptes avec nos semblables sous
prétextes que nous sommes différents.
Il n’y a rien de plus semblable qu’un être humain à un autre être
humain. Les mêmes qualités, les mêmes défauts, les mêmes
conneries, les mêmes maladies, les mêmes chagrins. Seuls les
séparent des frontières, des couleurs de drapeaux, des religions.
Et puis aussi le compte en banque de papa et l’endroit où tu arrives
au monde. Comme emmerdements pour certains c’est déjà un sacré
handicap.
Jouer à la guerre des boutons ou soumettre le copain de chambrée
en lui tenant les couilles jusqu’à ce qu’il siffle, c’est lorsque l’on est
gamin ou bien militaire. Je ne parle même pas de la "quéquette au
cirage... L’homme montre trop souvent l’étroitesse de son cerveau.
Lorsque la coupe du monde de football se déroule tous les quatre
ans, voir autant de blaireaux dans les rues hurler de joie, le drapeau
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à la main soi-disant parce que leur équipe a vaincu, m'a toujours
glacé d’effroi. Cette mascarade doit en faire rire beaucoup, bien
installés, dans leurs bureaux climatisés en train de regarder leurs
valeurs grossir, grossir, mais jusqu’où ? S’il pouvait y avoir autant
de monde dans les rues pour lutter contre la faim dans le monde … !
59
20- Retour au concret
Pour en revenir à nos moutons ou plus exactement à nos chevaux,
ce que je trouve d’intéressant dans le journalisme c’est cette
éternelle quête de la "vérité’. Ceux qui croient tout connaître, tout
diriger, tout contrôler n’ont qu’à devenir journaliste hippique.
Ils se rendront vite compte que ce n’est pas un métier pour eux. Au
moment, à l’heure ou le résultat tombe, net, précis, comme le
marteau du commissaire-priseur, qu’une fois de plus qu’ils ont été
nuls, va les rendre un peu plus humbles, les : ‘je te l’avais dit’.
Partir à la recherche du Graal, chaque jour avec ses jumelles
astiquées, voilà de quoi en faire un métier des plus passionnants.
Nous sommes des ‘ Indiana Jones ‘des hippodromes. Pour ma petite
personne qui aime tant la liberté, le grand air, c’était vraiment la
marmite qu’il fallait faire bouillir.
Mais dans ce métier la gamelle est assez goûteuse, il est alors très
difficile d’avoir un bout du gâteau. Pour se frayer un chemin dans
cette jungle, qui, disons-le, n’en n’est pas quand même complètement
une (il y a des métiers où les fauves sont bien plus affamés), il faut
savoir bien se vendre…
Comme je n’ai jamais eu tellement la bosse commerciale, je
reconnais que d’avoir connu des gens plutôt bien placés dans le milieu
des courses hippiques m’a servi afin de pénétrer dans le monde du
cheval. Si l'on est pas du sérail, c'est loin d'être simple d'y faire
son trou.
Lorsque j’étais de l’autre côté de la barrière, fier d’être ’pelousard’,
j’admirais tant tous ces gens qui consignaient l’histoire des courses
hippiques sur des journaux signés de leurs mains, qu’une fois arrivé
au cœur de ce micro-cosmos, je fus étonné de m’y être si facilement
acclimaté.
L’univers du trot est plus facile à pénétrer que celui du galop. Quoi
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qu’avec le temps, cela a changé pour beaucoup. Chez les trotteurs,
pas de Monsieur le Comte, ni d’Altesse, de sa Majesté.
Mais que ce soit du trot, de l'obstacle ou du galop, on trouve des
femmes, des hommes qui pratiquent leur métier avec une grande
passion et disons le clairement, un courage qui semble pas loin à
ressembler à la folie.
Sillonner les routes de France, du Nord au sud, d’Est en Ouest est
leur lot quasi quotidien. Consacrer autant de temps à leurs chevaux
mérite de temps à autre une grande récompense. Seule la victoire
est l’antidote à leur fatigue.
Mais pour certains le succès est long à se dessiner. Et pourtant
chaque matin, avec la même ferveur, ils remettent cent fois
l’ouvrage sur le tapis ou mieux des crottins dans les brouettes.
Pour exercer cette passion, il faut une dose de courage digne de
celles des mineurs de fond ou bien des chercheurs d’or des mines
Brésiliennes... enfin presque.
Le froid vif des petits matins d’hiver où il faut sortir coûte que
coûte ses pensionnaires, les marcher, les trotter, les galoper, les
laver, les nourrir, puis sauter au volant de son camion afin de courir
la première épreuve qui se déroule à deux cents kilomètres de
l’écurie n’est pas un travail de nantis.
Lorsque je vois que certains employés, dont je tairais la profession
(je ne voudrais pas quand même perdre des lecteurs potentiels)
sèment la zizanie dans la société pour dix minutes de travail
demandées en plus de leurs sept petites heures prévues, cela me
fait doucement rigoler (quoique !). Il faut dire à leur décharge que
de passer 35 heures par semaine devant une machine ou un
ordinateur n’occasionne pas la même fatigue que de s’occuper
d’équidés au grand air.
La fatigue est psychologique. Pour preuve, il est bien plus facile de
se lever à quatre heures du matin en plein hiver pour aller faire du
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ski que de se lever un lundi à sept heures du mat’ en plein été pour
se rendre à son bureau.
Les chevaux me donnent bien plus de forces morales et physiques
que la vitamine C, lorsque je suis, disons, en manque de bonne
volonté. J’ai besoin de me ressourcer au près d'eux, de me mettre
au vert. Il m'est délicat de vivre sans les chevaux, mais ça vous
l’aviez déjà compris.
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21- Attention danger
S’il existe une passion où il faut bien faire attention de ne pas
se tromper car l’erreur coûte cher, c’est le monde des courses
hippiques. Que l'on soit joueurs, pronostiqueurs, éleveurs,
entraîneurs, acheteurs, vendeurs, il faut rester réaliste car on peut
vite finir sans pompes…
Comment avec les idées que j’ai sur la société, je peux être autant
passionné par ce monde où l’argent est tout de même le nerf de la
guerre ?
Il est vrai que l’argent est primordial dans cette branche, mais ce
n’est quand même pas aussi abject que dans le milieu boursier. On
ne licencie pas à tour de bras pour se faire du fric sur la tête des
prolétaires et pouilleux de tous poils. Joue qui veut.
Bien évidemment le fil rouge du monde hippique est le cheval. Peut-
on parler d’exploitation de l’animal dans cet univers-là ?
Sûrement, mais face aux corridas, aux chasses à courre pas
vraiment. On ne fait pas naître les chevaux de course pour les
mettre à mort, ni les bouffer, au contraire des taureaux. Rien à voir
également avec les courses de lévriers en Espagne...
Dans la grande majorité, les chevaux de course sont bien traités.
Bien sûr quelques brebis galeuses subsistent dans les différents
corps de métier ayant un rapport avec la filière équine. Il faut dire
que parfois, le cheval est un animal qui peut devenir dangereux si on
ne sévit pas rapidement avec lui, mais par contre quel compagnon !
Chez moi le cheval c’est comme l’eau, la terre, le soleil : un besoin
vital. Une sorte de placenta.
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L’unique chose certaine en tout cas, c’est que les chevaux par
rapport aux êtres humains ne font pas semblant. Un cheval est prêt
à laisser ses tripes sur le gazon ou bien sur le champ de bataille pour
son maître. Lorsqu’il ne donne pas son maximum, c’est qu’il y a
problème de santé et là il faut savoir rapidement trouver le bon
vétérinaire. Lorsque le cheval vieilli parfois il attrape du vice, mais
c’est de bonne guerre. J’ai connu un trotteur qui faisait semblant
de boiter lorsqu’il arrivait sur la piste de l'hippodrome du plateau
de Gravelle.
En règle générale, si le bien être du cheval est avéré, il donne bien
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plus que ses moyens le lui permettent. Reste le problème de trouver
une solution pour l'animal après sa carrière de courses. Mais là aussi
les choses s'arrangent avec l'écurie seconde chance.
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22- Dopage...
Les chevaux de course, comme tout athlètes sont bien sûr suivis
médicalement. Mais le problème dans ce milieu une suspicion de
dopage existe. On ne peut pas administrer certains produits aux
animaux, car il y a danger. Des règles bien établies et connues sont
à respecter scrupuleusement par les soigneurs. La différence avec
bien d’autres sports et non des moindres, c’est que les courses de
chevaux sont surveillées de façon draconiene avec de multiples
contrôles, sanguins, urinaires, salivaires.
Bien sûr quelques malins passent à travers les mailles du filet, mais
un jour ou l’autre ils se font prendre, et là, la sanction tombe drue
comme le couperet de Monsieur Guillotin. De lourdes peines sont
alors infligées à l’entourage du cheval réprimandé. Disqualification,
puis amende et mise à pieds sont alors à l'ordre du jour et non dix
ans après, comme dans le cyclisme.
Un exemple flagrant : Jag de Bellouet vainqueur des deux plus
grandes épreuves au trot du monde (Prix d’Amérique et Elitlopet en
Suède) a été privé de ses deux victoires sur le tapis vert pour
résultat de contrôle antidoping non conforme aux législations en
vigueur par le code des courses. Son entourage était sûrement de
bonne foi, vu qu’un laboratoire a reconnu son erreur sur certains
produits vendus et utilisés par l’entraîneur du malheureux cheval
discriminé.
Une preuve que le sport hippique est placé sous très haute vigilance.
Avec les millions d’euros mis en jeu chaque année cela peut attirer
quelques tricheurs. Jeux de mains, jeux de vilains, peut-être, mais
jeux d’argent également.
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23- Bric-à-brac existentialiste
Je trouve que vu les masses faramineuses d’argent que drainent
les courses hippiques, peu d’arnaques ou de règlements de comptes
éclatent. Dans le milieu du trot, on peut même parler d’une certaine
fraternité entre les différents acteurs. On se prête volontiers un
bandage, une roue, voire un sulky. Parfois évidemment certains au
sang chaud pètent les plombs, mais les commissaires sont là pour
remettre tout ce petit monde aux ordres.
Le monde du galop lui n’est pas évident à pénétrer car disons bien
plus mondain, mais cela se démocratise depuis quelques années. On
voit maintenant les entraîneurs de galopeurs et de trotteurs se
parler, fraterniser, chose extrêmement rare il y avait encore
seulement vingt ans. Il n’y a pas des lustres que le monde du trot
apparaissait comme le parent pauvre des courses.
Une chose m'a toujours fait rire, c'est la différence de vocabulaire
entre les deux mondes des courses hippiques. Au galop, les pros
disent : le cheval part se reposer au pré et au trot : le cheval va
aller aux champs...
Il est vrai que pour coexister dans ce microcosme, il faut être
passionné, sinon on laisse rapidement tomber. Quoi qu’il en soit, les
courses hippiques étant ma grande passion tout en ayant été mon
outil de travail, je ne vois pas comment je pourrais ne pas en être
fervent.
Pas grand-chose ne m’émeut au point de vue social, politique,
patriotique ou religieux. Côté amitié : une fois que je suis pris dans
la nasse, alors cela compte énormément pour moi.
La chose principale de ma vie est bien l’amour que je porte à mes
chevaux vitamines qui me font toujours aimer l’existence. Merci
chers équidés. Vous pouvez être certains que mes remerciements
sont loyaux. Je suis devenu ami avec des personnes que je n’aurais
jamais connues sans vous.
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24- Mes chevaux
Mon premier gagnant s’appelle Paraf, mon premier cheval en tant
que copropriétaire s’appelle : Calumet. C’était un brave trotteur, ex
pensionnaire de l’écurie Pierre Levesque de niveau quinté qui avait
des problèmes de jambes. Avec comme entraîneur Valéry Goetz, je
ne pouvais trouver mieux comme soigneur de chevaux. Calumet a pris
des placettes et a fini 7è d’un quinté + sur l’hippodrome d’Enghien
les Bains. Malheureusement Calumet a ‘cassé’ à Divonne-les-Bains
alors qu’il semblait devoir l’emporter. Grâce à l’amour des chevaux,
Maud, sœur de Valéry a pu ramener le trotteur en Normandie et
ainsi sauver le frère d’Ingen.
Quelques déceptions côté achats au trot à part Ketty Mesloise
(dont je vous ai parlé plus haut) ainsi que Nacelle de Janvrin, avec
celle-ci je pense être passé à côté de quelque-chose de grand. Ces
petits chagrins m'ont dirigé vers les galopeurs. De suite la réussite
a sonné de façon plus clinquante dans mon porte-monnaie. Ma
première victoire au galop a eu lieu sur l’hippodrome de Deauville.
Excusez du peu ! Mixedup monté par Alexis Achard a rendu fou de
bonheur quatre amis. Ce cheval nous procuré beaucoup de joies.
Très régulier, il nous a pris de nombreuses places et deux autres
victoires à Amiens et à Loudéac. Christophe Soumillon s’est mis en
selle deux fois à Vichy sur notre champion terminant deux fois
troisième...
Une anecdote pour prouver que les chevaux m’ont permis de passer
à travers pas mal d’embûches en voici une très importante.
Hospitalisé pour un grave problème de santé, la veille d’être opéré,
j’ai demandé une autorisation afin de me rendre chez moi, voir sur
Equidia, Mixedup en compétition sur l’hippodrome de Deauville. Le
chirurgien, grand amateur d'équitation a bien compris que cela était
nécessaire de m’offrir cette petite sortie. Mixedup monté par
Fabien Lefebvre fut battu ce jour-là d’un nez ! Mais pas grave, car
le lendemain l’opération a réussi et j’ai pu quelques semaines plus
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tard venir embrasser mon crack.
Far Far Away, un cheval aux couleurs étranges, véritable vedette
au rond de présentation, m’a permis d’apprécier de nouveau le goût
de la victoire. Lauréat à Chantilly avec Fabien Lefebvre, puis à
Nantes avec Alexandre Roussel, Far Far Away a fini cheval de selle.
Je pourrais consacrer un livre entier sur ce cheval exceptionnel par
sa robe, mais aussi par sa vie remplie de mésaventures depuis sa
naissance.
Quelques placettes m’ont permis de continuer avec les galopeurs.
Goldtiming restera aussi l’une de mes chouchoutes. Vendue elle est
devenue poulinière. Puis un break sans chevaux m’a remis le
portefeuille étrangement à regonfler.
L’opportunité d’acheter de nouveau un trotteur m’est venu avec
Vauban de Vrie. Celui-ci acheté à l’amiable 8 000 euros, a gagné huit
jours après son achat 10 000 euros sur l’hippodrome de Craignes
drivé par Sylvain Devulder. Ce trotteur m’a permis de retrouver
Virginie Couillaud, la jeune fille qui avait débuté en course la petite
Ketty Mesloise au trot monté à Vincennes lors d’une nocturne où
mon cœur a frisé les 200 pulsations minute. Nous avons revendu
Vauban de Vrie peu de temps après car son entraîneur quittait le
métier.
Resté sans parts de chevaux quelque temps, un beau jour de
septembre, Auteuil fut le théâtre d’une nouvelle aventure équine
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25- La copropriété : autres joies
Lorsque l’on a goûté aux joies, angoisses et souvent (trop) aux
déceptions en tant que propriétaire, il est malgré tout difficile de
tout abandonner. Mais sans se mettre en danger en tant que
copropriétaire, une solution est née : les écuries de groupe.
Connaissant depuis quelques années Didier, Jérôme et Clément
Marion, un beau jour de juillet, je décide de participer à une nouvelle
aventure. La création de l’écurie Anjou Passion. Bien que celle-ci
s’adresse à des Angevins, je fus adopté en tant que…Parisien.
Cette expérience me permet à moindres frais de continuer à suivre
les courses. Je fais ainsi la connaissance de gens passionnés dont
j’ignorais l’existence jusqu’à ce jour.
Chaque fois que je suis sur un hippodrome où l’un de nos chevaux est
inscrits sur le programme, mon cœur ne bat pas comme d’habitude.
Bien que la scoumoune nous a poursuivi pendant trois ans pour la
gagne, les très nombreuses deuxièmes places nous ont souvent
réunis en cours de réunion devant une bonne bière.
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Et puis, enfin la victoire grâce à El Tango Bello à Rostrenen. Quel
regret de pas être présent ce lundi du mois d'Août en Bretagne.
Rien que d'avoir vu la fin de course de "notre champion" via un film
en replay je pense que mon timbre de voix en aurait pris un sacré
coup. J'aurais pu finir castrat !
Lorsque Jennychope, un de nos premiers achats, a débuté pour
l'écurie Anjou Passion sur le champ de courses d'Auteuil, je ne
regardais pas lorsque la "fifille" sautait une haie. Ça fait peur
l’obstacle. Pourtant cela ne s’est pas si mal passé puisque la pouliche
a fini quatrième. Cette aventure m’a permis aussi de connaître de
nouveaux hippodromes. Jennychope, Défi Chope, El Tango Bello,
Anodinio, Cheecky Boum, Faro des Malbereaux, Go'n Win m’ont
rajeuni de quelques années, me faisant lever aux aurores afin de les
voir en compétition.
Dans le merveilleux film d’Etorre Scola : une journée particulière,
deux êtres s’aiment sans se soucier du drame qui se joue à quelques
mètres d’eux : l'arrivée du fascisme en Italie. Aux courses de
chevaux (toutes proportions gardées) c’est un peu pareil. Lorsque
l’on a un cheval de course qui court sur un hippodrome, la terre peut
s’écrouler (sauf la piste) notre esprit n’est là que pour notre fier
coursier. Cela s’appelle la passion, l’amour, la déraison, la folie.
Étant de moins en moins en configuration joueur, je suis par contre
devenu encore plus admirateur de ces ‘peintures’ que sont les
chevaux.
Je passe plus de temps aux écuries, puis dans les ronds de
présentations où je m’amuse à prendre des photos. Même avec un
appareil à 100 euros, je trouve que c’est assez simple de ne pas être
trop nul. Faut dire que les chevaux sont photogéniques.
Et puis, le talent compte peu lorsque l’on est passionné. Évidemment
la technique aide dans la réussite d’une photo, mais n’est-ce pas l’œil
guidé par le cœur qui est meilleur conseiller ?
Dans la vie ce ne sont pas ceux qui ont appris dans les livres, ni
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fréquentés les grandes écoles qui sont les plus intéressants à
connaître. Les gens qui m’ont montré la route à suivre la mieux
éclairée sortaient du peuple, ceux qui savent le prix du pain. Ceux
qui connaissent les nuits d’angoisses à rêver que demain sera peut-
être l'arrivée de la paie sur ton compte postal. Lorsque l'on est sur
la corde raide, rien n'est certain. Alors on se méfie de ne pas
tomber. On observe si la corde qui nous permet encore d'espérer
qu’elle ne vas pas se rompre. Une descente directe aux enfers est
irréversible...
La vie ne fait pas de cadeau comme chantait Jacques Brel. Les
courses de chevaux en font à quelques-uns, mais pour être tout à
fait honnête, j’ai connu quand- même quelques joueurs qui ont connu
des existences et fins de vies dignes de figurer dans les écrits de
Zola.
Bien que certains ne fassent plus partie de cette boule en fusion, je
ne peux me permettre d’en parler.
Mais lorsque je vois certains proprios, entraîneurs, parader avec
leurs jumelles décorées de cartes d'entrées d’hippodromes avec
cigare au bec, je ne peux que penser à des gens comme les dits ‘
bananes’, ‘le Merlan’ etc. Ces gens-là me rappellent une anecdote :
celle d'un fameux Sidney
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26- Sidney : la voix des courses
Longchamp accueille une course de groupe I. Beaucoup de monde
dans le rond de présentation cet après-midi-là sous le soleil. Tout
va bien. Le gratin hippique est présent. Les Duchesses, Altesses,
Princes sont accompagnés de leurs entraîneurs. Mais malgré cette
vie de rêve, tout le monde semble aller ou revenir d’un enterrement.
Heureusement qu’un certain Sidney, bien connu des turfistes et du
monde de la boxe, lance de sa voix puissante:
- Allons Mesdames et Messieurs un petit sourire s’il vous plaît.
N’oubliez pas que parmi nous (les turfistes) certains ont plusieurs
mois de retard de loyer !
Et là, certains se sont retournés en direction de Sidney en esquivant
un léger sourire afin de paraître compatissants ou plus humains !
Des hommes comme Sidney sont des purs. On sent bien que le temps
n’a aucune emprise sur sa folie. Nous les vrais passionnés des
courses hippiques nous sommes des fous. Des fous de bonnes
volontés.
- La folie qui m’accompagne, et jamais ne m’a trahi, chante un autre
grand artiste, Jacques Higelin. Pour mon cas cette phrase peut
s’adapter parfaitement à mon existence. Le problème c’est que je
connais des plus dingues que moi et cela me contrarie. Mais la
passion n’est-elle pas une folie non déclarée ?
Des cas de folie extrême peuvent exister aux courses. Un jour
d’ultime réunion de l’année à Auteuil à la limite du zéro degré, un
homme a mis son manteau en vente. Tout cela pour essayer de se
refaire dans la dernière…Heureusement qu’aucun turfiste ne lui a
acheté. Un autre faisait la manche à ses copains afin de rentrer
chez lui avec le lait et le pain, sa femme lui ayant donné l’argent pour
les acheter. Des fous, vous dis-je !
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Dans les années 1975, j’ai connu un fabricant de sacs en cuir faire
faillite. Comme c’était un artiste de ses mains, il a facilement
retrouvé du travail comme coupeur dans une maroquinerie de renom.
Hé bien me direz-vous et alors, beaucoup d’entrepreneurs font
faillite ? Mais lui c’était à cause des courses et aussi (les petites
nanas). Il était tellement endetté que son patron lui avait avancé
ses congés payés des 2 prochaines années. Et oui les courses
hippiques c’est aussi cela. Faut pas se voiler la face. Chacun de nous
a connu plus de "tondus" que d'heureux élus.
Une fois en remontant la côte de Suresnes sous un violent orage
d'été afin de relier Longchamp à la gare Saint Lazare, j'ai assisté à
une scène qui m'a tant fait rire que je m'en souviens encore.
Assis sur le banc du quai en attendant le train, je m'aperçois qu'une
épaisse vapeur odorante sort des chaussures de mon compagnon de
route. Ne lui disant rien au risque de le vexer, je m'aperçois que ses
pompes avaient pris l'eau et sous la chaleur épaisse, les chaussettes
s'étaient transformées en geyser. Pour la petite histoire, il avait
perdu gros l'après-midi.
Un autre qui portait des chaussures d'hiver fourrées en plein
meeting d'été d'Enghien les Bains...heureusement que les orages
avaient décidé de ne pas se mélanger à la chaleur ambiante sinon
bonjour les odeurs et les flagrances.
C'est ce qui s'appelle aux courses : finir sans pompes !
En plein hiver, un nommé Banane, voulait dormir dans la cave d'un de
ses potes de champ de courses par -5 degrés dehors.
- Tu es fou Dédé, j’ai pas envie de te retrouver raide demain matin.
Personne ne sait où et comment il a fini sa nuit, mais le lendemain
l'infortuné Babane était présent à la pelouse de Vincennes, dès la
première course.
Que dire d'un certain "merlan" qui trimbalait à longueur d'années,
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de trains en trains, de voitures en voitures une valise bourrée de
journaux et autres programmes datant pour certains de plus de cinq
ans ? un jour, je lui ai demandé, mais qu’est-ce que tu trimbales là-
dedans ?
- Une enclume ou quoi ?
Que dire du "Grec" qui après avoir touché un 20/1 hurlait dans la
salle de presse de Vincennes :
- Dire qu'ils y en a qui travaillent, alors que des journalistes
séchaient sur leurs claviers, à la recherche d'un titre
dithyrambique.
C’est pour cela que les courses de chevaux doivent absolument
rester une passion. N’oublions pas que le jeu ne profite qu’à celui qui
le crée…
Pour ma part ma folie est contrôlée par ma connaissance de la valeur
de l’argent. Pour moi, il est interdit de perdre aux courses les billets
si durement gagnés. Disons, qu’entre deux immenses parenthèses,
je consacre le surplus aux courses soit en tant que joueur ou
copropriétaire. Il faut bien aussi faire vivre les chevaux.
Lorsque l’on est jeune et pas très argenté, il vous arrive des tas de
choses. Les courses de chevaux m’ont mis dans des situations
inconfortables. Pour économiser le prix des entrées, il m’est arrivé
de perdre le fond d’un pantalon sur les barbelés de l’hippodrome de
Vernon (fermé aujourd’hui). De finir les deux pieds dans la vase à
Abbeville. La SNCF m’a aussi pas mal sponsorisé sans le savoir. Les
allers pour Caen n’étaient payés que jusqu’à Rouen. Pour aller à Rouen
sur l’hippodrome des Bruyères, un aller Vernon suffisait. Des
techniciens de l’arnaque m’avaient expliqué qu’à midi les contrôleurs
descendaient tous à Vernon afin de déjeuner. Le train repartait
sans personne jusqu’à Rouen…la belle affaire.
Afin d’économiser un ticket de bus, je descendais à la ‘station stade
de Rouen' et finissais à pied (600 M), puis ensuite fallait essayer
75
de rentrer par derrière les écuries sans se faire repérer par le
garde-chiourme…Et voilà pourquoi Rouen et Vernon ont fermé me
direz-vous. Parfois je me demande si je n’ai pas coulé aussi la SNCF
et les bus de Lecanuet !
Rouen-les-Bruyères était mon hippodrome préféré et de loin. Je
loupais peu de réunions. J’ai vu le phénomène Ourasi disputer sa
deuxième course après ses débuts ratés à Caen. Ce jour-là Ourasi a
rendu l’hippodrome. J’ai touché une belle place. La légende veut que
Monsieur Pierre-Désiré Allaire ai proposé une somme très, très
rondelette à son entraîneur, propriétaire et driver, Monsieur Raoul
Ostheimer…sans aucun résultat ! Faut dire que cet homme était
sourd et muet...
Sur ce même hippodrome des Bruyères, je me souviens comme si
c'était hier des premiers pas du champion, Minou du Donjon. Il m’a
permis de toucher un magnifique 18/1 à Enghien-les- Bains quelques
semaines après.
Les courses de galop étaient moins propices aux notes, mais
quelques repérés pouvaient gagner ensuite handicaps en région
Parisienne.
En ces temps-là, pas de TV, les performances des chevaux ayant
couru le dimanche n’étaient publiés dans la presse que 3 jours après
ou même parfois plus. C’est ainsi que j’ai touché une certaine
Jéremice (l’une des meilleures J de la génération de Jorky) à
Vincennes en nocturne. Sur le Turf aucune note sur la victoire de la
jument de Monsieur Rézé, alors qu’elle venait d’effectuer une
rentrée victorieuse à Rouen 5 jours auparavant, après un an
d'absence. Bien que déclassée, elle afficha un joli 8/1. J’en ai juste
parlé à deux amis avant le départ afin que le ‘secret’ ne soit pas
dispersé à travers la France…n’oublions jamais que les courses de
chevaux, c’est chacun pour soi…c’est du mutuel non ?
Tous les mardis, j’allais au centre Pompidou afin de lire et de relever
les pages hippiques. En effet tous les journaux régionaux dont le
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Ouest-France et Paris-Normandie étaient gratuits à la lecture. Je
passais mon temps du déjeuner à noter sur un carnet les chevaux
repérés par les journalistes qui étaient présents en chair et en os
sur les hippodromes dits de province.
Le Vendredi soir, lorsque la poste n’était pas en grève, mais plus
souvent le samedi, je recevais l’hebdomadaire Province-courses. Un
abonnement qui m’était d’un bien précieux. Faut dire que les pigistes
de cet hebdomadaire étaient des cracks de la découverte.
Attention, je ne dis pas cela pour moi qui suis arrivé à ce journal
bien plus tard. Vincent Béguin y faisait le bonheur des joueurs avant
de rejoindre Paris-Turf. Certains même le maudissait car il repérait
les mêmes notes qu’eux…
Un véritable turfiste ne peut être que solitaire...mais jamais très
bavard avec les autres. Les courses hippiques ce n’est pas du social
…faut payer pour voir.
Et puis c’est tellement beau de toucher sans aucun renseignement,
grâce seulement à sa science hippique. Les courses sont un jeu
d'égoïste, j'allais écrire, d'égocentrique.
Mais parfois, il y a des exceptions comme celle que je vais vous
narrer.
Un souvenir avec P.D.ALLAIRE : C'est un soir de réveillon où en
passant devant nous à la pelouse de l'hippodrome de Vincennes dans
le tournant dit de la cuvette, il nous répondit de cette façon à notre
question :
- M Allaire c'est bon ? (il y avait 9/10)
- Non, Les mômes allez jouer le Baudron, il va gagner
Résultat des courses : 1er Baudron 5/1
La bûche de Noël nous attendait dans une boulangerie du côté du
Château de Vincennes !...
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27- Nostalgie d'un temps...
Tout au long d’une vie de turfiste, on prend de sacrées claques mais
aussi des joies incomparables lorsque TON cheval passe le poteau
en tête. Quoi de plus beau de tenir dans ses mains les tickets avec
le bon numéro ? Quoi de plus jouissif que de se voir remettre les
billets par le guichetier ? Un peu à l'image d'un fooballeur qui lève
la coupe d'Europe, on se sent une idole, un Dieu !
Quelques noms restent gravés au fond de mon cortex cérébral
comme des souvenirs inoubliables. Gamine d’Ici, ma plus belle gagne
à 98/1, montée par Pascal Godey sur l’hippodrome de Vincennes.
Fast Action que j’avais repéré deux semaines auparavant sur
l'hippodrome du Val D'Or et qui l’emporte à Longchamp dans un
Tiercé à 67/1. Son entraîneur était Henri Van Poêle et son jockey,
Robert Couteleau. Comment ne pas se souvenir d’Ivanjica lauréate
de l’Arc de Triomphe et qui m’a fait trembler le poteau
passé…Freddy Head étant éjecté après avoir salué la foule.
He Minet, un cheval entraîné par Marcel Delaunay que j'ai touché
au trot monté un premier janvier après une cuite mémorable. Si, Hé
Minet n'a pas "dégueulé" dans la ligner droite, moi si !
Brao Kerveyer, trotteur sympathique à l’image de Bill D, dont je
vous ai parlé plus haut. Toronja une jument Allemande lauréate du
Maurice Gillois, Tétrac entraîné par Monsieur Jean Sens.
Riverqueen et Pistol Packer, Détroit, des pouliches de cœur que je
jouais les yeux fermés. Ivory Queen lauréate du Critérium des 3
ans devant le célèbre Idéal du Gazeau. Les Bison Futé, Soyor, un
‘Gaumondy’, comme MON Paraf, Monquier qui m’avait fait de l’œil
sur l’ancien hippodrome de Laval etc, etc J’en passe et des meilleurs.
Et de nos jours, me direz-vous ?
Maintenant, il m'est délicat de tomber amoureux d’un cheval.
Varenne étant l’un des rares de la nouvelle ère à m’avoir fait
applaudir. Face Time Bourbon est un guerrier simple, sans frime.
Enable aussi m’émeut pas sa longévité. Si un coursier a montré ces
78
dernières années ce qu’était un cheval de course, c’est bien Cirrus
des Aigles. Et puis, la belle Trêve reste un exemple à montrer à de
nouveaux passionnés…mais je sens que je ne peux plus tomber fou
amoureux. J'ai du trop donner...
Les courses ont beaucoup changé. Je m’intéresse moins à celles
disputées au trot où j’ai quasiment jeté l’éponge, côté jeux. Au galop
et en obstacles beaucoup de chevaux me donnent envie de les suivre,
mais je n’arrive pas à en faire des idoles comme autrefois avec les
Katko dont le squelette est exposé sur l'hippodrome. Al Capone II
restera pour l'éternité THE STAR de la butte-Mortemart avec sa
statue qui trône au milieu du champ de courses.
N’ayant jamais été un pur du papier, je joue plus au feeling. Le rond
de présentation étant ma tasse de thé. Je regarde bien plus
qu’autrefois les cotes. Les chevaux qui doivent être à 3/1, doivent
être à 3/1. Si ce n’est pas le cas, on dit que ça doit être un ‘mort’.
Maintenant, on ne peut plus jouer sans les cotes. Trop de joueurs
‘sont au parfum’. Cela est indéniable lorsque l’on regarde certains
rapports...
Il m’a été très difficile de m’adapter à cette nouvelle version
courses. Le Quinté depuis sa création, j’ai dû déposer 20 euros aux
caisses du PMU. Je suis toujours convaincu que seul le jeu simple
avec mises de 1 fois 3 fois et la seule solution pour ne pas perdre.
Un jumelé en deux et parfois ainsi que des reports par deux chevaux
et ça s’arrête comme jeux pour moi. J’ai été éduqué ainsi…
Je peux vous paraître amer envers ma passion, style ‘vieux con’ mais
ceux qui ont connu la ‘belle époque’ ne me contrediront pas.
Maintenant seule la province me rappelle le bon vieux temps ou
l’expression course- école s’appelait bigorne. On appelait un chat, un
chat !
Les mots, cordonchés, ficelés, faire le tour ne sont plus
politiquement corrects. Les expressions des anciens turfistes
étaient drôles et explicites telles que : Le Pape était pendu dans la
79
cuvette - Ce trotteur-là, il monte aux arbres- Il a frisé la
correctionnelle.
Finalement je pense que la télévision n’a pas fait que du bien aux
courses, surtout aux hippodromes Parisiens où l’accueil laisse tant à
désirer. Combien de fois, j'ai entendu : "je suis bien mieux chez moi
devant la télé ".
Comme je l’écrivais en début de ce livre, c’était bon de se taper une
bonne tartine de rillettes sous une toile de tente en sortant
d'Auteuil via le tournant de Passy. Les sorties de Longchamp avec
le casse-croûte qui attendait le long de la petite rivière. Rien à voir
croyez-moi avec la brasserie de Longchamp (surtout les tarifs). Et
même si c’était dans un endroit un chouia sordide, qui se souvient
d'une coupe de champagne après une victoire au petit bar sur le
parking d’Enghien- les-Bains destiné aux professionnels ?
Et les "vendeurs de tuyaux" aux entrées et sorties des
hippodromes. Je me souviens de Bruno, à qui j'avais acheté 2 francs
"son" gagnant de L'Arc de Triomphe 1970. Sur d'immenses feuilles
de papier plaquées au sol à l'aide de grosses pierres, le vendeur de
tuyaux avait écrit : Nijinski sera battu !
Cela excitait tellement ma curiosité que ce jour-là j'ai payé pour
savoir comme au poker. Sur le petit papier en effet était écrit un
autre nom que le grand favori, Nijinsky. Il s'agissait de Miss Dan.
J'ai joué le tuyau de Bruno. Nijinsky a été battu d'un nez ce jour-
là, mais pas par Miss Dan qui termine quand-même 3e, mais par
Sassafras, monté par Monsieur Yves Saint Martin. Lester Pigott ne
montant pas ce jour-là la course de sa vie. Cela arrive même aux plus
grands.
Et puis, comment ne peut-on pas être nostalgique des joueurs de
bonneteau aux sorties des hippodromes poursuivis par les "képis"?
Lorsque l'on avait perdu, on pouvait passer quelques instants à
regarder les "pigeons" se faire tondre à leur tour.
Et puis, comment ne pas se souvenir du bon vieux temps lorsque tu
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as connu les Dames qui criaient " On paye, on paye" au milieu de la
pelouse du Tonkin. En échange de 0,50 centimes, elles sortaient
d'une sacoche en vieux cuir le paiement de ton pari gagnant. Cela
évitait de faire des queues interminables aux guichets.
Et puis, tous ces autocars qui nous ramenaient à la maison. Je ne me
souviens plus du prénom de cet homme qui racolait les turfistes
comme le font des types aux entrées des boîtes à strip-tease place
de Clichy, afin que ceux-ci montent dans le car de son patron.
- Nation, Voltaire, République, Opera, Saint Lazare annonçait-il.
Bien installés à l'arrière avec un paquet de cacahuètes acheté
à...Cacahuète, je me faisais rêver avec mes "futurs" gagnants qui
devaient courir le lendemain, comme d'autres le font en rêvant à de
chimériques espoirs sexuels...
Il est étonnant de se rappeler exactement où l'on se trouvait au
moment où se produit un événement hors normes dans notre vie.
Exemples : la mort de Claude François, je me trouvais un samedi
vers 16 H 30 en voiture rue des Ecoles dans le Vè arrondissement
de Paris. L'attentat des tours à New York dont j'ai appris
l'existence sur un téléviseur de l'accueil de RTL. L'attaque
terroriste du Bataclan que j'ai connu en lisant un tweet sur mon
portable alors que j'étais présent sur l'hippodrome de Vincennes.
Pour ce qui est des événements hippiques, bien que ceux-ci n'aient
pas le même niveau dramatique que ce que la société peut produire
d'horrible, certaines photos instantanées de courses me rappellent
lieux et heures où je me trouvais à ce moment-là.
Ainsi je me vois encore juché, lors de la victoire de la pouliche
Allemande Toronja dans le Prix Maurice Gillois, au pavillon (tombé
en ruine) sur l'hippodrome d'Auteuil.
Lors de la victoire de Coktail Jet, j'ai appris que mon jeu du matin
déposé au tabac-PMU sur le crack de Jean- Etienne Dubois avait
fait des petits en sortant du cinéma porte Maillot. Mais par contre
je ne me souviens plus du film...
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D'autres exemples pourraient venir confirmer que certains exploits
hippiques sont inoubliables.
Dès la fermeture de l'hippodromes d’Evry (véritable scandale) puis
des pelouses dont celle de Vincennes, j’ai senti un vent contraire
souffler fort sur la flamme de ma passion. Je me suis accroché
peut-être plus par habitude qu’autre-chose. Et pire encore est
arrivé la terrible nouvelle de la fermeture de l'hippodrome de
Maisons-Laffitte, après celle d'Enghien-les-Bains pour l’obstacle.
Ces endroits magiques où j’ai eu mes premiers contacts avec des
pros. Les écuries André Adèle, Georges Pelat, Jacques Beaumé et
son fils Jean-Jacques Beaumé chez qui un copain de galère
s'occupait d'un certain Toulois...lauréat d'un Prix Bride Abbatue de
légende...
Maintenant, je suis moins attiré par le côté "flambe". Faut dire que
mes copains d'hippodromes ont disparu à 90%. Certains sont morts,
d'autres ont changé de région ou bien tout simplement jeté
l'éponge. Les hippodromes se sont vidés au fur et à mesure. J'ai vu
me retrouver l'hiver à Vincennes et me demander : mais qu’est-ce-
que je fais-là ! Mais comme les courses devant la télévision
m'intéressent autant qu'un match de football Américain...alors je
me déplace encore dans ce Temple du Trot qui est juste devenu un
endroit où quelques croyants viennent encore se ressourcer aux
pieds de la statue du Dieu Ourasi.
Rien que de voir les guichets portant les noms de trotteurs célèbres
fermés dans ce hall vide, ne laissent aucun espoir au retour du
public.
Et encore Vincennes n'est pas le pire des hippodromes Parisiens
comme certains où l'ennui peut te gagner après deux courses. Que
dire d'Auteuil, Saint Cloud et je parle même pas du nouveau
Longchamp.
Parfois la nuit, lorsque l'hippodrome du bois de Boulogne est allumé
de mille feux j'arrête ma voiture en haut de la montée et j'aperçois
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sur la piste...Soleil, Mill Reef, Ivanjica. Croyez-moi qu'ils vont
encore vite...non je ne suis pas fou
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28- Autres époques, autres moeurs
Pour compenser cette nostalgique solitude "hippodromesque"...
je parle avec les pros. D'ailleurs je voyage avec certains en province.
Vu mes talents de bavard, la route leur parait moins longue. Surtout
lorsque les résultats sont négatifs. J'ai fait ainsi connaissance avec
l'hippodrome de Mons en Belgique. J'aime découvrir les champs de
courses à l'étranger. J'aime beaucoup l'Italie, je suis allé à Cesena,
Bologne. Cet hiver 2019-2020, comme depuis bientôt une
quarantaine d'années, lors de mon séjour à Cagnes-sur-Mer, j'ai
profité d'un lundi sans course en zone PACA pour découvrir
l'hippodrome d'Albenga, appelé aussi hippodrome "Dei Fiori". Bien
que seuls les trotteurs ont maintenant droit de cités à cet endroit,
découvrir ce lieu m'a beaucoup plu. Malgré des allocations parfois
ridicules, la passion est bien présente.
Lors d'un séjour à Biarritz, j'ai franchi la frontière pour me rendre
sur le champ de courses de San Sébastien . Evidemment ces
endroits n'ont pas l'Aura que peuvent avoir, Saratoga, Epsom,
Solvalla, mais vous l'aurez bien compris que j'aime mieux les
endroits sans tralala. J'ai tellement peur d'être déçu par ces
endroits hupés et recommandés par la majorité des afficionados
des courses et même par certains lêche-pompes invités à déjeuner
gratuitement.
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29- Comment en suis-je arrivé là ? Moi-même me le demande !
Voilà toutes les bonnes choses ont une fin ! On arrive à l'épilogue
de mon odyssée dans laquelle je vous ai proposé de lire quelques
phases de ma vie de turfiste, de passionné. En cette occasion,
sournoisement, j’allais écrire en traîtrise, j’ai dévoilé aussi quelques
peu mes joies, mes peines. Discrètement j'ai glissé une pincée de
mes idées sur la société qui en définitive n’a de nom que société. Le
chacun pour soi est une évidence dans ce monde.
Que ce soit pour l'être humain, l'animal, la plante, les premières
années de la vie sont tellement importantes pour la suite. Mon
histoire a commencé à Auteuil, où se terminera t’-elle ? Personne ne
le sait. Mais elle aura au moins eu le mérite d’exister et de me
procurer une vie peuplée de rêves qui avait pourtant bien mal
débutée.
Comme écrit sur l’affiche d'un chef-d’oeuvre du septième art :
Midnight Express : l’important est de ne jamais désespérer…
Je souhaite à tous les passionnés de vivre à fond leur passion, leur
sacerdoce, leur foi dans ces majestueux animaux que sont les
chevaux. Mais attention il y a danger, certains tapent et d’autres
mordent…dans les portefeuilles ! Si, Si j'en connais
personnellement !
Fin