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1 Université Paris II – Panthéon-Assas Année universitaire 2010-2011 Centre Vaugirard – LICENCE 1 2 nd semestre DROIT CONSTITUTIONNEL Cours de Monsieur le Professeur Denis Baranger FICHE N°11 : La loi Aller chercher et lire : • Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 6. • CARCASSONNE (G.), La Constitution, articles 34, 34-1, 37, 37-1, 38, 41, 54, 55, Seuil, 9 ème éd., 2009, 477 p. • Conseil constitutionnel, décision n° 82-143 du 30 juillet 1982, Loi sur les prix et les revenus, notamment ses articles 1, 3 et 4. • Conseil constitutionnel, décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école. I - LA NOTION DE « LOI » - DOCUMENT 1 : SERRAND (P.), « Loi », in Dictionnaire des droits de l’homme, PUF, sous la direction de ANDRIANTSIMBAZOVINA (J.), GAUDIN (H.), MARGUENAUD (J.-P.), RIALS (S.) et SUDRE (F.), Paris, PUF, 2008, XIX-864 p. - DOCUMENT 2 : AUBY (J.-B.), « L’avenir de la jurisprudence Blocage des prix et revenus », Cahiers du Conseil constitutionnel n°19, <www.conseil-constitutionnel.fr> - DOCUMENT 3 : GAUDEMET (Y.), « La loi administrative » in RDP, 2006, n°1, pp. 65-84. II - LA PROCEDURE LEGISLATIVE - DOCUMENTS 4 à 8 : Projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision (extraits) : (Les documents suivants vous sont proposés à titre d'exemple du déroulement d'une procédure législative ordinaire, jusqu'à la possible saisine du Conseil Constitutionnel. Leur intérêt, dans le cadre de cette fiche, ne porte donc pas sur le contenu matériel de la loi, même s'il sera nécessaire de connaître les dispositions visées pour comprendre la décision du Conseil Constitutionnel.) 4) Projet de loi n° 1209, déposé le 22 octobre 2008. 5) Texte adopté en 1 ère lecture par l’Assemblée Nationale le 17 décembre 2008, TA n°219. 6) Texte modifié en 1 ère lecture par le Sénat le 16 janvier 2009, TA n°38.

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Université Paris II – Panthéon-Assas Année universitaire 2010-2011 Centre Vaugirard – LICENCE 1 2nd semestre

DROIT CONSTITUTIONNEL

Cours de Monsieur le Professeur Denis Baranger

FICHE N°11 : La loi Aller chercher et lire : • Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, article 6. • CARCASSONNE (G.), La Constitution, articles 34, 34-1, 37, 37-1, 38, 41, 54, 55, Seuil, 9ème

éd., 2009, 477 p. • Conseil constitutionnel, décision n° 82-143 du 30 juillet 1982, Loi sur les prix et les revenus, notamment ses articles 1, 3 et 4. • Conseil constitutionnel, décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école. I - LA NOTION DE « LOI » - DOCUMENT 1 : SERRAND (P.), « Loi », in Dictionnaire des droits de l’homme, PUF, sous la direction de ANDRIANTSIMBAZOVINA (J.), GAUDIN (H.), MARGUENAUD (J.-P.), RIALS (S.) et SUDRE (F.), Paris, PUF, 2008, XIX-864 p. - DOCUMENT 2 : AUBY (J.-B.), « L’avenir de la jurisprudence Blocage des prix et revenus », Cahiers du Conseil constitutionnel n°19, <www.conseil-constitutionnel.fr> - DOCUMENT 3 : GAUDEMET (Y.), « La loi administrative » in RDP, 2006, n°1, pp. 65-84. II - LA PROCEDURE LEGISLATIVE - DOCUMENTS 4 à 8 : Projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision (extraits) : (Les documents suivants vous sont proposés à titre d'exemple du déroulement d'une procédure législative ordinaire, jusqu'à la possible saisine du Conseil Constitutionnel. Leur intérêt, dans le cadre de cette fiche, ne porte donc pas sur le contenu matériel de la loi, même s'il sera nécessaire de connaître les dispositions visées pour comprendre la décision du Conseil Constitutionnel.) 4) Projet de loi n° 1209, déposé le 22 octobre 2008. 5) Texte adopté en 1ère lecture par l’Assemblée Nationale le 17 décembre 2008, TA n°219. 6) Texte modifié en 1ère lecture par le Sénat le 16 janvier 2009, TA n°38.

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7) Texte modifié par la Commission Mixte Paritaire le 29 janvier 2009, adopté par l’Assemblée Nationale le 3 février et par le Sénat le 4 février 2009. 8) Conseil Constitutionnel, Loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, n°577 DC, 3 mars 2009 (extraits). III - LE RECOURS AUX ORDONNANCES - DOCUMENT 9 : Loi n°2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, article 57. - DOCUMENT 10 : Ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007, relative au code du travail (extraits) - DOCUMENT 11 : Conseil Constitutionnel, décision n°2007-561 DC du 17 janvier 2008, « Loi ratifiant l’ordonnance du 12 mars 2007 relative au code du travail » - DOCUMENT 12 : Loi n°2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant l’ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (extraits)

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1] LA NOTION DE « LOI »

Document 1 : SERRAND (P.), « Loi », in Dictionnaire des droits de l’homme, PUF, sous la

direction de ANDRIANTSIMBAZOVINA (J.), GAUDIN (H.), MARGUENAUD (J.-P.), RIALS (S.) et

SUDRE (F.), Paris, PUF, 2008, XIX-864 p.

Le mot « loi » est polysémique. Au sens le plus large, la loi est la règle qui fixe ce qui

doit être. Il peut s’agir d’une loi morale, naturelle, scientifique ou juridique. Dans un sens plus

restreint, la loi peut être définie, soit de façon matérielle, soit de façon organique et formelle.

Au sens matériel, la loi est une règle générale, abstraite et permanente. Au sens organique et

formel, la loi est la décision du peuple ou de ses représentants adoptée selon la procédure

prévue par la Constitution. C’est en ce dernier sens qu’elle est définie par la Constitution

française de 1958 : « la loi est votée par le Parlement » (art. 34) selon les procédures prévues

aux articles 45 et ss. de la Constitution.

Si la notion de loi est ancienne, ce sont les philosophes du XVIII° siècle qui vont lui

donner un sens précis. Rousseau déclare ainsi que personne, avant lui, n’a su découvrir

« quels sont les vrais caractères de la loi ». « Ce sujet est tout neuf : la définition de la Loi est

encore à faire » écrit-il dans l’Emile. Ce sont également les philosophes de cette époque qui

vont définitivement faire émerger la notion moderne de droits de l’homme. Il n’est dès lors

pas surprenant que ces deux notions entretiennent d’étroits rapports, amiables ou conflictuels.

I. Les droits de l’homme protégés par la loi.

Cette idée est le produit du jusnaturalisme moderne, issu de l’humanisme, de

l’individualisme et du rationalisme. Elle est juridiquement formulée par les hommes de la

Révolution à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : « La loi est

l’expression de la volonté générale. » (art. 6). La loi l’est d’abord parce que « tous les

citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants à sa formation »

(art. 6). Mais elle l’est surtout parce qu’elle est l’expression de la Raison. Dans l’esprit de la

majorité des auteurs de la Déclaration, le législateur, au terme de la délibération collective,

contradictoire et publique des représentants de la Nation, exprime un énoncé rationnel

susceptible d’être considéré comme une vérité.

L’autorité de la loi est alors considérable. « Il n’y a point en France d’autorité

supérieure à celle de la loi, proclame la Constitution du 3 septembre 1791. Le roi ne règne que

par elle, et ce n’est qu’au nom de la loi qu’il peut exiger l’obéissance. » La loi est ainsi

considérée comme la source principale, sinon exclusive, du droit. L’institution dès 1790,

d’une part du référé législatif, qui impose au juge, en cas de difficulté sérieuse

d'interprétation, d'en appeler au législateur ; d’autre part du Tribunal de cassation, alors conçu

comme un auxiliaire du corps législatif destiné à protéger la loi contre les empiètements du

juge, le confirme. Mais c’est évidemment la codification napoléonienne qui est la principale

conséquence de ce légicentrisme. L’unification du droit ne peut se faire que par la législation,

générale, impersonnelle et égalitaire. Bonaparte l’affirme : « L'injustice ne peut se rencontrer

dans la loi (cité par R. Savatier, Bonaparte et le code civil, Paris, Dalloz, 1927, p. 39) ;

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comment, en effet, pourrait se tromper ce législateur qui "tient lieu de Dieu sur la terre"

(ibid.).

Dans le prolongement de Rousseau, la loi est alors considérée à cette époque comme

le symbole de la lutte contre le despotisme. En effet, se soumettre à la loi n’est pas se plier à

la volonté - nécessairement arbitraire - d’un homme, c’est se soumettre à la Raison, c’est-à-

dire, en définitive, n’obéir qu’à soi-même. Comme le sont les enseignements de la Raison, la

loi est une règle immuable, impersonnelle et abstraite. Elle est ainsi édictée d’avance pour

s’appliquer à tous les cas et à toutes les personnes rentrant dans ses prévisions abstraites. Elle

ne peut être, ni partiale, ni arbitraire.

On peut aussi comprendre que la loi, qui ne peut mal faire, soit aussi considérée

comme la garantie des droits. C’est en effet à elle que les auteurs de la Déclaration de 1789

confient le soin de consacrer juridiquement les droits naturels qu’ils proclament, c’est-à-dire

de les protéger en imposant leur respect. La loi doit d’abord rendre ces droits effectifs dans la

société politique en en déterminant les bornes (art. 4), en ordonnant ou défendant certaines

actions (art. 5), en déterminant les cas et les formes dans lesquels un homme peut être arrêté

ou détenu, et en établissant les délits et les peines (art. 8) . Elle doit aussi lutter contre les

éventuelles atteintes à ces droits puisque c’est à elle qu’il revient de maintenir l’ordre public

(art. 10), de déterminer les cas d’abus de la liberté d’expression (art. 11), de constater la

nécessité de la contribution publique (art. 14) ou la nécessité publique permettant qu’un

homme soit privé de sa propriété (art. 17). Bref, si les hommes tiennent leurs droits de la

nature, et si les auteurs de la Déclaration ne font que les énoncer, c’est à la loi positive qu’il

revient d’en déterminer les conditions d’exercice.

Cette pensée de la loi sera dominante jusqu’à la fin de la III° République. Pendant

toute cette période, la loi est la norme protectrice par excellence, et c’est le Parlement qui

apparaît comme le meilleur rempart contre d’éventuelles atteintes aux droits de l’homme. En

effet, toujours dans le prolongement de Rousseau, la tradition politique française voit dans le

pouvoir exécutif le principal danger pour les libertés. C’est pour cette raison que le « principe

de légalité », qui impose la soumission des actes de l’administration à la loi, est alors

synonyme de règne du droit. En vertu de ce principe, les citoyens ne peuvent se voir imposer

d’autres mesures administratives que celles susceptibles d’être édictées conformément à la loi.

Cette subordination de l’administration à la législation se concrétise par la possibilité de

contester la légalité des actes administratifs (règlements administratifs, actes administratifs

individuels) devant le juge, notamment devant le juge administratif. Saisi d’un recours pour

excès de pouvoir dirigé contre un tel acte, le juge administratif apprécie sa légalité, c’est-à-

dire sa conformité à la loi. En cas d’illégalité, il prononce son annulation, sanctionnant ainsi le

non-respect de la loi par le pouvoir administratif. Les droits de l’homme, protégés par la loi,

s’imposent donc à l’administration qui doit les respecter sous le contrôle du juge. Le contrôle

du juge administratif est même particulièrement fort en ce domaine puisque, depuis l’arrêt du

19 mai 1933, Benjamin, le Conseil d’Etat exerce sur les mesures de police un contrôle de

proportionnalité : une mesure de police restrictive des libertés n’est légale que si elle est

proportionnée au risque de trouble à l’ordre public.

La loi, ainsi regardée comme garantie des droits, a d’ailleurs souvent donné

satisfaction. Elle a d’abord su adapter les droits proclamés en 1789 à l’évolution de la société,

comme l’illustrent les lois de 1881 sur la liberté de réunion et sur la liberté de la presse. Elle a

également su compléter les droits individuels de 1789 par de nouveaux droits collectifs :

liberté syndicale (L. 1884), droit d’association (L. 1901).

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Aujourd’hui encore, la loi joue un rôle important dans la protection des droits et des

libertés. C’est en effet au législateur que l’article 34 de la Constitution de 1958 réserve le soin

de fixer les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour

l’exercice des libertés publiques ». C’est également « dans les conditions définies par la loi »

que la récente Charte de l’environnement impose que toute personne prévienne les atteintes

qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou en limite les conséquences (art. 3), et

contribue à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement (art. 4). Et c’est dans

les mêmes conditions que toute personne a le droit d’accéder aux informations relatives à

l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des

décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement (art. 7). L’actuel développement

des droits économiques et sociaux est d’ailleurs de nature à renforcer ici la place de la loi. En

effet, alors que les droits de l’homme de la première génération supposent une abstention, ou

tout au moins une limitation de la puissance publique, ceux de la seconde génération

supposent l’interventionnisme public, c’est-à-dire l’intervention du législateur. Enfin, il n’est

pas sans signification que les pouvoirs publics aient décidé de recourir à l’autorité de la loi

pour trancher la question du port du foulard islamique dans les écoles, collèges et lycées

publics (L. 15/03/2004).

Voici qu’elle est la conception traditionnelle du droit public français (Carré de

Malberg), dont la philosophie peut être ainsi résumée : « rien au-dessus de la loi, tout par la

loi » (Hamon et Wiener). Cette conception traditionnelle a progressivement été remise en

cause. Au sacre de la loi a succédé le déclin de la loi. De telle manière qu’apparaît désormais

la nécessité de protéger les droits de l’homme de la loi.

II. Les droits de l’homme protégés de la loi.

Cette idée est la conséquence d’une indéniable crise de la loi. En voici les raisons.

D’abord, le thème de la loi injuste, symbolisé par le mythe d’Antigone, n’a jamais

entièrement disparu. Il est notamment au cœur de la théorie du droit de résistance développée

principalement dans la philosophie politique moderne, par les doctrines du contrat social, afin

de garantir les droits naturels de l’homme. Même les auteurs de la Déclaration de 1789,

indépendamment de leur légicentrisme, admettent le droit de résistance à l’oppression (art. 2)

et soumettent la loi à des obligations : elle n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à

la société (art. 5), elle doit être la même pour tous (art. 6), et elle ne doit établir que des peines

strictement et évidemment nécessaires (art. 8).

Cette crainte du législateur fut confortée par l’expérience. De nombreuses lois

attentatoires aux droits ont en effet frappés les esprits : la loi des suspects ; les lois de

septembre 1835 limitant la liberté de la presse ; la loi d’exil des princes de 1886 ; les lois

« scélérates », de 1892 et 1893, dirigées contre les anarchistes ; les lois « illégitimes » du

gouvernement de Vichy, qui furent déclarées nulles et non avenues par l’ordonnance du 9

août 1944… Plus récemment, une loi suédoise, qui n’a été abrogée qu’en 1976, permettait de

stériliser les handicapés mentaux ou les individus ayant un « mode de vie asocial », et la

Louisiane a même adopté en 1997 une loi autorisant ses habitants à abattre tout intrus, même

non armé, qu’ils découvriraient à leur domicile ou dans leur voiture (ex. cités par F. Hamon et

C. Wiener, p. 54.) Désormais, nul ne conteste que le législateur peut se tromper et que la loi

peut mal faire.

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Ensuite, les excès du parlementarisme ont déteint sur la loi. Ils ont provoqué une

rationalisation de la procédure législative et un renforcement du pouvoir exécutif. Désormais,

dans toutes les démocraties, notamment dans les régimes parlementaires, les pouvoirs des

Parlements sont juridiquement encadrés et la loi est principalement l’affaire des organes

exécutifs. La plus grande technicité des problèmes actuels impose en effet une capacité

d’intervention accrue, ce à quoi les organes exécutifs sont mieux disposés. Ce sont eux qui

prennent l’initiative de la procédure législative, et ils disposent des moyens permettant de la

faire aboutir. En France, par exemple, le gouvernement peut exiger des parlementaires un seul

vote sur l’ensemble du texte en discussion en ne retenant que les amendements présentés ou

acceptés par lui (art. 44-3 C°), et le Premier ministre peut engager la responsabilité de son

gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d’un texte qui est alors considéré

comme adopté sauf si une motion de censure est déposée et votée, ce qui est pratiquement

impossible (art. 49-3 C°). Il n’est dès lors pas surprenant que les lois prennent fréquemment le

nom du ministre qui en est l’initiateur, et que les parlementaires, conscients de ne jouer qu’un

rôle mineur dans le processus législatif, désertent les assemblées. La loi apparaît alors moins

comme l’expression de la volonté générale formulée par la représentation nationale du peuple

souverain, que comme l’expression de la volonté politique de la majorité. Les lois fluctuent

selon les alternances politiques. Elles deviennent instables et éphémères. Cela porte atteinte à

leur prestige.

Enfin, le monopole de la loi parmi les sources du droit est progressivement mis en

cause. Dès les travaux préparatoires du Code civil, Portalis souligne l’irréductible

incomplétude de la loi et la nécessité s’en remettre à la jurisprudence. Cela donna l'article 4

du Code Napoléon qui oblige au juge de statuer lorsque la loi est silencieuse, obscure ou

insuffisante. Mais à l’heure actuelle c’est surtout la concurrence du droit communautaire que

subit la loi. Les institutions communautaires sont en effet habilitées à prendre des normes

(règlements, directives) qui dessaisissent le législateur et qui s’imposent à lui. Le dogme de la

loi est ainsi battu en brèche par le principe de la primauté du droit européen.

Il n’est, dès lors, pas surprenant que cette loi désacralisée n’apparaisse plus en mesure

de garantir les droits. Ce rôle incombe d’abord à la Constitution. C’est ce que l’on appelle le

constitutionnalisme, qui voit dans la Constitution la garantie des libertés des citoyens. Il

suppose l’inscription, au niveau constitutionnel, de droits à protéger, ainsi que la mise en

place d’un contrôle de constitutionnalité portant notamment sur la loi.

L’idée n’est pas nouvelle. Comme le montre le Titre premier de la Constitution de

1791, les hommes de la Révolution voyaient déjà dans la Constitution la garantie des droits et

libertés. Cependant, la loi ne pouvant mal faire, ils n’estimaient pas qu’elle puisse leur porter

atteinte. Il en va différemment des constituants américains. Alors que les révolutionnaires

français veulent bâtir rationnellement, et à partir des droits de l’homme, un pouvoir parfait,

les constituants américains cherchent au contraire à protéger les droits de l’homme contre un

pouvoir nécessairement imparfait (S. Rials), même s’il s’agit du pouvoir de faire la loi. Les

auteurs du Fédéraliste affirment ainsi que les cours de justice doivent « être considérées

comme le rempart d’une Constitution contre les usurpations législatives » (Le Fédéraliste,

Paris, Économica, 1997, p. 650). Et, c’est dès 1803, dans son arrêt Marbury c. Madison, que

la Cour suprême des Etats-Unis admet qu’une loi contraire à la Constitution ne peut pas

s’appliquer.

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La concrétisation de cette soumission de la loi à la Constitution sera plus tardive en

Europe. C’est l’Autriche qui, sous l’influence de Kelsen, va, la première, instituer le contrôle

de la constitutionnalité des lois. Mais c’est surtout au lendemain de la Seconde Guerre

mondiale qu’est apparue la volonté de faire de la Constitution la garantie des droits de

l’homme et qu’ont été créées les Cours constitutionnelles. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si

ce sont les pays qui ont souhaité rompre avec leur passé totalitaire (l’Italie en 1947,

l’Allemagne en 1948) qui ont institué des mécanismes de contrôle destinés à éviter que le

législateur ne porte atteinte aux droits fondamentaux. Et il n’est pas surprenant que les Etats

qui ont plus récemment échappé à la dictature leur ait aussitôt emboîté le pas : le Portugal en

1976 et l’Espagne en 1978 ; de nombreux pays de l’Est à la suite de l’effondrement du

communisme.

En raison de sa tradition légicentriste, la France a mis plus de temps à soumettre la loi

à la Constitution. Il a fallu attendre la création, par la Constitution de 1958, du Conseil

constitutionnel. Certes, à l’origine, le contrôle de constitutionnalité des lois était

principalement destiné à imposer au Parlement le respect des mécanismes de rationalisation

du parlementarisme. Mais depuis la décision du 16 juillet 1971, ce contrôle est devenu un

véritable instrument de la garantie des droits. En effet, par cette décision, le Conseil

constitutionnel intègre dans le bloc de constitutionnalité : la Déclaration de 1789, les principes

politiques, économiques et sociaux considérés comme particulièrement nécessaires à notre

temps par le préambule de 1946, ainsi que les principes fondamentaux reconnus par les lois de

la République auxquels ce même préambule fait référence. Les lois doivent désormais

respecter l’ensemble de ces normes constitutionnelles car « la loi n’est l’expression de la

volonté générale que dans le respect de la Constitution » (CC, 85-197 DC). Les droits de

l’homme sont ainsi protégés de la loi. Même en France, le constitutionnalisme succède au

légicentrisme.

La volonté de protéger les droits de l’homme de la loi va également prendre une

dimension internationale avec notamment l’adoption de la Déclaration universelle des droits

de l’homme par l’Assemblée générale des Nations unies , puis de la Convention de

sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales par le Conseil de l’Europe.

Cette protection va devenir effective sous la V° République. L’article 55 de la Constitution

reconnaît en effet aux conventions internationales régulièrement introduites dans l’ordre

interne une valeur supérieure à celle des lois. Cette primauté des règles internationales sur la

loi interne est imposée par le juge qui exerce alors un contrôle de conventionnalité de la loi. A

l’invitation du Conseil constitutionnel, et après affirmation par ce dernier de son

incompétence (CC, 74-54 DC), ce sont les juridictions ordinaires, judiciaires (C. Cass., 1975,

Société Cafés Jacques Vabre) et administratives (CE, 1989, Nicolo), qui exercent ce contrôle.

Ce dernier a lieu a posteriori, c’est-à-dire après l’entrée en vigueur de la loi, et par voie

d’exception, c’est-à-dire à l’occasion d’un litige provoqué par l’application de la loi. Le

requérant qui souhaite contester une mesure prise en application de la loi a la possibilité

d’invoquer la violation d’une convention internationale. Le juge contrôle alors la conformité

de la loi à la convention internationale et, en cas de contrariété entre ces deux normes, refuse

d’appliquer la première. La loi non-conventionnelle est ainsi privée d’effectivité. Cette

solution applicable aux conventions internationales a ensuite été étendue par la jurisprudence

aux actes de droit communautaire dérivé : règlements (CE, 1990, Boisdet) et directives (CE,

1992, S.A. Rothmans et Philip Morris).

Cette soumission de la loi aux engagements internationaux de la France pourrait avoir

des conséquences dans le contentieux de la responsabilité. Depuis déjà longtemps, la

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jurisprudence admet que la responsabilité de l’Etat puisse, sous certaines conditions, être

engagée du fait de la loi (CE, 1938, SA des produits laitiers "La Fleurette"). Il s’agit d’une

responsabilité sans faute trouvant son fondement dans le principe d’égalité des citoyens

devant les charges publiques. La violation, par le législateur, d’une convention internationale

ne pourrait-elle pas engager la responsabilité pour faute de l’Etat ? Si la jurisprudence se

montre pour l’instant et dans l’ensemble réservée, une telle solution n’est pas impossible. Elle

permettrait de parfaire la soumission de la loi interne aux règles du droit international.

Au terme de cette évolution, la loi est désormais le produit d’une délibération entre plusieurs

volontés qui doivent se concilier : celle des organes exécutifs, celle assemblées parlementaires

et celle des juges, notamment du juge constitutionnel. Ceci est-elle compatible avec la

démocratie ? On peut ne pas le penser dans la mesure où des organes non élus participent

désormais à la législation. On peut être d’avis contraire car le versant libéral de notre

démocratie. En effet et d’une part, la protection des droits et des libertés est améliorée ;

d’autre part, la séparation des pouvoirs est mieux assurée puisque la fonction législative est

désormais distribuée entre un plus grand nombre d’organes. Bref, la loi est devenue une

norme subordonnée car elle n’exprime la volonté générale que dans le respect de la hiérarchie

des normes, c’est-à-dire de la Constitution et des engagements internationaux. L’État de droit

a ainsi succédé à l’Etat légal.

Document 2 : AUBY, (J.-B.), « L’avenir de la jurisprudence Blocage des prix et revenus »,

Cahiers du Conseil constitutionnel n°19, <www.conseil-constitutionnel.fr>

I. Dans sa décision 143-DC du 30 juillet 1982, Blocage des prix et des revenus, le Conseil

constitutionnel admettait qu'il ne lui était pas possible, dans le cadre de la procédure de

contrôle de constitutionnalité de l'article 61, de censurer l'empiétement du législateur sur le

domaine du règlement

(…)

Vingt-trois ans plus tard, sans renoncer à cette jurisprudence, le Conseil, dans sa décision

Avenir de l'École, n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, s'est néanmoins reconnu le droit de

constater, dans le cadre de la procédure de l'article 61, le caractère réglementaire de

dispositions de la loi qui lui était soumise

(…)

Voici donc qu'une inflexion jurisprudentielle de réelle importance est apportée à une

jurisprudence dont on connaissait les forts enjeux et le poids concret. Nous nous poserons

deux questions. La première est de savoir comment interpréter et évaluer la portée du résultat

combiné des deux décisions. On essaiera ensuite de déterminer si la survenance de la seconde

ne risque pas, par effet retour, de forcer le Conseil à revenir sur la première.

II. Comment en est-on arrivé à la situation actuelle ?

La décision Blocage des prix et des revenus était en soi quelque chose de d'autant plus

surprenant que, si l'on avait imaginé une fonction principale pour la procédure de l'article 61

aux origines de la Constitution, c'était bien de faire respecter par le Parlement la frontière

entre le domaine de la loi et celui du règlement.

Seulement on sait, au moins depuis un certain colloque tenu à Aix-en-Provence en 1977, que

le diagnostic d'enfermement du législateur dans un étroit domaine que l'on avait porté à

l'examen de la Constitution en 1958 était inexact. " La révolution n'a pas eu lieu ", comme il a

été dit alors: parce que le Conseil constitutionnel a donné une interprétation extensive des

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dispositions des articles 34 et 37, parce qu'il a admis que d'autres normes que celles contenues

dans ces articles contribuaient à fonder la compétence du législateur, parce qu'il s'est avéré

que la distinction entre le champ de la loi et celui du règlement était davantage verticale

qu'horizontale, et qu'au législateur, était confié le domaine éminent de la mise en cause des

règles et principes essentiels, etc.

La décision Blocage ajoutait sa pierre de liberté: si le Gouvernement le laisse faire - car, d'une

part, rien ne l'oblige à déposer des projets de loi contenant des dispositions relevant du

domaine du règlement, d'autre part, il dispose de la procédure de l'article 41 pour s'opposer

aux propositions et amendements parlementaires qui sortent du domaine de la loi -, le

Parlement peut légiférer au-delà du domaine de la loi. De toute façon, dit le Conseil, le

Gouvernement peut à tout moment reprendre le sujet dans son giron et modifier les

dispositions que le Parlement a adoptées à l'extérieur du domaine de la loi en usant de la

procédure de délégalisation de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution.

Cette décision était aussi " discutable en droit ", comme l'a écrit Bruno Genevois [1], qu'elle

était baignée d'excellentes justifications pratiques. Elle était assurément discutable en droit en

ce qu'elle admettait que le gardien de la constitutionnalité n'avait pas à s'émouvoir de ce qui

était pourtant, apparemment, une incompétence: c'est-à-dire une forme d'irrégularité que notre

droit public considère habituellement comme à ce point grave qu'il lui confère un caractère

d'ordre public. La justification tirée par le Conseil du fait que les procédures parallèles de

l'article 37, alinéa 2, et de l'article 41 présentaient un caractère facultatif avait du mal à

convaincre: aucune des deux n'ayant l'immense portée avérée de celle de l'article 61 -

contrôler la constitutionnalité de la loi -, leur discrétionnarité ne projette aucune ombre sur

l'attachement du système à l'État de droit.

La décision n'en était pas moins fondée sur d'excellents motifs pratiques. Du point de vue des

équilibres institutionnels, comme du point de vue de l'efficacité de la production normative,

elle était même impeccable. Si le Gouvernement veut éviter l'intrusion du Parlement dans son

domaine, il dispose de l'irrecevabilité de l'article 41. S'il veut laisser faire, ou s'il a laissé

passer par mégarde des dispositions de nature réglementaire, il peut rattraper les choses à tout

moment par la procédure de délégalisation, qui est une procédure simple, et rapide. Le

Gouvernement peut l'employer à tout moment, discrétionnairement, même si sa décision de

ne pas en user est, sur le principe, susceptible de recours [2], et, conformément aux

dispositions de l'ordonnance du 7 novembre 1958, le Conseil se prononce dans un délai d'un

mois, de huit jours même quand le Gouvernement déclare l'urgence: on peut difficilement

faire plus commode! Le Gouvernement peut donc à tout instant, et facilement, récupérer son

pouvoir: les équilibres institutionnels sont saufs. Le pouvoir réglementaire peut à tout instant,

et facilement, modifier ce que le législateur a adopté dans son domaine: l'efficacité de la

production normative y trouve son compte.

Il y a des cas dans lesquels on se passe même de la délégalisation. Par exemple, lorsqu'on fait

adopter un code par le législateur, rien n'empêche de lui demander d'abroger au passage des

dispositions de forme législative et de nature réglementaire: la place est libre, dès lors, pour le

Gouvernement, qui peut reprendre les normes abrogées, en forme réglementaire, sans avoir à

passer par la procédure de l'article 37, alinéa 2 [3].

S'il en était besoin, on pouvait trouver à la décision une autre justification pratique. C'est qu'il

est très certainement plus facile de faire respecter une limite de compétence " vers le haut "

que " vers le bas ": on conçoit mieux, intellectuellement, ce que c'est que de mettre en cause

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un principe essentiel ou une règle essentielle, que ce que c'est que d'aller trop loin dans les

détails, de s'immiscer dans la mise en oeuvre. C'est pourtant bien l'objet de la procédure de

délégalisation, qui est d'usage courant, objectera-t-on. La prise en compte de la jurisprudence

de contrôle de constitutionnalité qui, parfois, impose au législateur de ne pas trop laisser la

bride sur le cou au pouvoir réglementaire, de lui donner des indications suffisantes sur la

façon dont il doit mettre en oeuvre la loi, indique bien que l'exercice de délimitation " vers le

bas " n'est par essence pas aisé. Le législateur qui rentre dans les détails continue sur son élan,

le pouvoir réglementaire qui pénètre dans le domaine de la loi s'est nécessairement montré

très hardi à un moment ou à un autre.

III. Le problème est que la flexibilité qui avait ainsi été introduite dans les règles de

délimitation du champ législatif a apporté sa contribution à un phénomène que beaucoup ont

interprété comme une dérive de la loi.

On a peine à croire que la crainte éprouvée généralement en 1958 était que la Constitution ait

enfermé le législateur dans les limites d'un terrible carcan. À l'heure actuelle, ce que les

observateurs relèvent plutôt, c'est une sorte d'inflation de la loi, qui déborde de détails

techniques, empiète fréquemment sur le domaine du règlement, se répand en dispositions qui

sont plus proclamatoires qu'autre chose, est animée d'une grande instabilité, etc.

Le Gouvernement contribue d'ailleurs au mouvement. Les dispositions " bavardes " de la loi

ont souvent leur origine dans ses projets. Le fait que des amendements ou propositions

parlementaires pénètrent clairement dans le domaine réglementaire ne le choque pas

beaucoup: la preuve en est administrée par la désuétude de fait de la procédure de l'article 41

[4]. Parfois, le Gouvernement encourage même l'empiétement [5].

Le président du Conseil constitutionnel s'était, lui, ému publiquement de ce laisser-aller dans

son discours de voeux du 3 janvier 2005. On s'attendait à un virage jurisprudentiel.

IV. Le Conseil pouvait envisager d'abandonner purement et simplement la solution de l'arrêt

Blocage des prix et des revenus. Cela n'aurait scandalisé personne.

Il a préféré l'amender fortement, et ce dans une décision quasiment toute entière vouée à la

censure des dérives évoquées plus haut, puisqu'elle commence par déclarer certaines

dispositions non conformes à la Constitution parce que beaucoup trop vagues et violant par là

le principe de clarté de la loi ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle et d'accessibilité

de la loi [6]. C'est la non-normativité qui est ici sanctionnée.

Dans un second temps, c'est à la réglementarité de diverses autres dispositions que le Conseil

s'en prend. Non pas pour déclarer ces dispositions non conformes à la Constitution: la solution

de la décision Blocage... n'est pas démentie. Mais tout simplement pour les déclarer de

caractère réglementaire, exactement comme il l'aurait fait si la loi, une fois promulguée, lui

avait été soumise dans le cadre de la procédure de l'article 37, alinéa 2.

Y avait-il quelque objection à ce que les deux procédures soient ainsi traitées comme

alternatives' Le Conseil a considéré que les termes larges de l'article 37 - qui, en vérité, ne se

réfère pas à une procédure particulière, mais impose simplement l'intervention du juge

constitutionnel lorsque le texte de forme législative est postérieur à 1958 - permettaient une

réponse négative.

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On pourrait épiloguer en plaidant que la voie de l'article 37, alinéa 2, est bien organisée par un

texte spécial - les articles 24 et suivants de l'ordonnance du 7 novembre 1958 -, ou que la loi

soumise au Conseil dans le cadre de la procédure de l'article 61 n'est peut-être pas encore un "

texte de forme législative " - seul type d'acte pouvant faire l'objet d'une délégalisation en vertu

de l'article 37. Mais cela ne serait pas très utile, la voie de l'article 61 étant elle aussi organisée

par un texte - la même ordonnance du 7 novembre 1958, d'ailleurs -, cependant que les actes

sur lesquels se penche le Conseil dans la procédure de l'article 61, s'ils n'ont pas encore plein

statut d'opposabilité, sont déjà bien lois, et peuvent donc être dits " textes de forme législative

" là où leur contenu est matériellement réglementaire.

V. Nous voici donc dotés d'un mécanisme supplémentaire de délégalisation, à caractère

préventif. Sommes-nous sûrs de bien savoir comment il fonctionnera'

Notons d'abord que son secret repose sur la conviction de ce que le Gouvernement saisira bien

la balle au bond, qu'il n'aura pas d'hésitation sur le fait que la déclaration de réglementarité

émise dans le cadre de la procédure de l'article 61 est bien l'équivalent de celles qui sont faites

dans le cadre de la procédure habituelle de délégalisation a posteriori: qu'il n'hésitera donc pas

à modifier par décret ce qui aura fait l'objet de cette déclaration. Le Gouvernement ne se

lancera que s'il est sûr de voir le Conseil d'État se trouver en communion d'idées, sur tout cela,

avec le Conseil constitutionnel.

Il ne devrait pas y avoir de grand mystère sur le statut intermédiaire des dispositions déclarées

réglementaires, avant leur modification. Très vraisemblablement, comme les dispositions

déclarées réglementaires dans le cadre de la procédure " classique " de délégalisation, elles

conserveront le caractère formel de la loi, et ne pourront donc faire l'objet d'aucun recours:

elles ne seront vulnérables, comme toute loi, qu'au contrôle de conventionnalité qui conduirait

un juge à faire prévaloir sur elles des normes internationales ou européennes.

Aux chapitres de l'initiative et de l'ampleur de la délégalisation, le commentaire que le site

internet du Conseil consacre à la décision Avenir de l'École verse la pièce suivante: le juge

constitutionnel devrait " se limiter (aux dispositions) qui sont expressément contestées ou, si

le grief tiré des empiétements est "transversal", aux plus caractéristiques des dispositions

réglementaires du texte ". Les auteurs de la saisine, faut-il préciser, avaient benoîtement

plaidé que la loi comportait " de nombreuses dispositions sans aucune portée législative ".

L'idée selon laquelle le tri faisant apparaître les dispositions de nature réglementaire pourrait

ne pas être exhaustif n'est pas très choquante: après tout, s'il pense que des dispositions autres

que celles épinglées par le Conseil sont de nature réglementaire, et s'il veut les modifier, le

Gouvernement pourra toujours user de la procédure " classique " de délégalisation.

La jurisprudence viendra nous indiquer si la déclaration de " réglementarité " peut intervenir

d'office, ou si elle doit nécessairement être demandée comme les commentaires autorisés le

suggèrent. On sait en tous les cas déjà qu'elle peut être demandée, et qu'elle peut l'être par

d'autres que le Gouvernement.

VI. Au demeurant, on voit bien que la solution de la décision Avenir de l'École devrait - aussi,

surtout' - avoir un effet dissuasif.

Comme la délégalisation a posteriori [7], la délégalisation préventive s'abstient d'être une

déclaration d'inconstitutionnalité. Elle n'en a pas moins un aspect stigmatisant, vexatoire: à

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travers elle, le Parlement s'entend dire qu'il s'est mêlé de ce qui ne le regardait pas, qu'il a

laissé aller sa plume, et le Gouvernement qui a inspiré ou laissé faire en prend aussi pour son

grade.

On peut donc prévoir une nouvelle inflexion dans les occupations respectives de l'espace

normatif par le législateur et le pouvoir réglementaire. Le balancier devrait aujourd'hui

repartir vers un peu plus de concision législative. Ce dont on pourra se réjouir, si le pouvoir

réglementaire ne profite pas de l'ouverture pour se laisser lui-même aller à la prolixité.

VII. On pardonnera au commentateur universitaire de dire que le dispositif juridique résultant

des décisions Blocage des prix et des revenus et Avenir de l'École le laisse cependant un peu

sur sa faim théorique, et ceci sur deux plans.

La définition juridique de la loi est-elle, dans notre système, formelle ou matérielle' La loi se

reconnaît-elle à la façon dont elle est émise ou à ce sur quoi elle porte' Notre tradition

doctrinale était plutôt dans le sens d'une définition formelle: le législateur pouvant intervenir

sur ce qu'il veut, on ne peut reconnaître la loi qu'à son auteur et à sa procédure. La lecture

initiale que l'on a faite des dispositions des articles 34 et 37 de la Constitution de 1958 a

donné l'impression que l'élément matériel s'introduisait fortement. À la découverte de la

décision Blocage des prix et des revenus, on a eu le sentiment que cet élément ne pesait

pourtant pas lourd, puisque le législateur pouvait bel et bien toujours intervenir dans tout

domaine sans qu'il en résultât une inconstitutionnalité.

La décision Avenir de l'École réintroduit la considération matérielle. Le législateur peut bien

toujours émettre des règles en tout domaine - si le Gouvernement n'use pas de l'irrecevabilité

de l'article 41 -, mais celles qu'il émet hors du domaine de la loi pourront être marquées au fer

rouge de la " réglementarité ". Dans la loi victime de la délégalisation a priori, il y aura des

dispositions vraiment législatives, d'autres qui, de forme législative, auront dès l'origine été

désignées comme matériellement réglementaires. Le tout sera formellement loi, mais,

matériellement, personne ne sera dupe. La loi s'identifiera, certes, toujours par ses caractères

formels, mais dans le sein de certaines d'entre elles, des plages matériellement réglementaires

seront repérées.

Liée à celle qui vient d'être évoquée, il y a une autre question théorique, qui est de savoir de

quelle nature est la règle de délimitation des choses de la loi et de celles du règlement, telle

qu'elle résulte des articles 34 et 37 - auquel on joindra l'article 41. Est-ce ou non une règle de

compétence'

La plus spontanée des réponses est qu'il s'agit bien d'une règle de répartition des compétences.

Et pourtant, la décision Avenir de l'École nous confirme que sa méconnaissance par le

législateur ne constitue pas une violation de la Constitution, alors que le franchissement de la

frontière qu'elle trace est une illégalité, de la nature d'une incompétence, et donc d'ordre

public, lorsqu'elle est le fait du pouvoir réglementaire.

C'est à se demander si en vérité les règles combinées des articles et 41 n'ont pas, pour le

législateur, la simple valeur de règles de procédure. Tout se passe en effet comme si, à l'instar

du Parlement anglais, le notre était compétent pour prendre des normes dans tout secteur, y

compris le domaine réglementaire. Cependant que le Gouvernement, également compétent en

matière réglementaire cela va de soi, peut faire prévaloir sa compétence, évincer le Parlement

voulant entrer ou étant entré dans le domaine du règlement, par trois voies: préventivement en

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ne présentant pas de projets de loi sortant du domaine de la loi et/ou en utilisant les moyens de

l'article 41, après le vote de la loi et avant sa promulgation en demandant au Conseil

constitutionnel de procéder à des délégalisations a priori, ensuite, en usant de la délégation

classique, a posteriori.

On objectera qu'une même norme ne peut pas être règle de compétence pour l'un, règle de

procédure pour l'autre. Voire! Dans les rapports normatifs hiérarchiques, il n'est pas

impossible qu'une même délimitation des rôles soit règle de compétence pour l'autorité

inférieure, qui ne peut aucunement décider en dehors du champ qui lui est dévolu, et règle de

procédure pour l'autorité supérieure qui peut en usant de certaines formalités, contourner la

délimitation de son pouvoir: par exemple, la délimitation des pouvoirs entre l'État et les

territoires d'outre-mer est pleinement une règle de compétence pour ces derniers, mais elle a

essentiellement le sens d'une règle de procédure pour l'État, qui peut toujours la modifier par

les formalités de la loi organique.

On aimerait bien que le Conseil constitutionnel nous en dise plus, non seulement sur les

données techniques de la procédure dont il a admis l'existence dans la décision du 21 avril

2005, mais aussi sur le sens général de ce qui résulte de la combinaison entre celle-ci et la

décision Blocage des prix et des revenus. L'avenir de celle-ci parait assuré, ce dont on n'aurait

pas juré il y a quelque temps, mais elle ne nous a pas encore pleinement livré les clefs du

temple normatif dont elle est l'un des gardiens.

1. La jurisprudence du Conseil constitutionnel. Principes directeurs, Éditions STH.

2. CE, Sect., 3 déc. 1999, Association ornithologique et mammologique de Saône-et-Loire,

Rec. 379, concl. F. Lamy.

3. Guillaume Drago, Contentieux constitutionnel français, Thémis, 1998, p. 251.

4. Dominique Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, 2001, p. 281.

5. Chantal Cans, " La délégalisation: un encouragement au désordre ", RD publ., 1999, n° 5,

p. 1439.

6. Suivant la formule figurant dans la jurisprudence du Conseil depuis la décision n° 2001-

455 DC du 12 janv. 2002.

7. Le Conseil précise bien qu'il ne lui appartient pas de contrôler la constitutionnalité des

dispositions que le Gouvernement lui soumet, mais seulement d'apprécier si elles relèvent du

domaine législatif ou du domaine réglementaire: décision n° 95-177 L du 8 juin 1995.

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DOCUMENT 3 : GAUDEMET (Y.), « La loi administrative » in RDP, 1er janvier 2006, n°1, p.65. Titre choisi peut-être un peu rapidement, au cours d'une conversation téléphonique avec mon collègue Jean-Jacques Bienvenu. Titre imprudent aussi en ce qu'il ne révèle rien de directement identifiable. Mais titre finalement que je ne renie pas car le contraste, sinon le désordre des mots qu'il comporte fait bien sentir le désordre de choses dont je voudrais, à grands traits, dire ici ma préoccupation.

À grands traits et avec une part d'approximation, peut-être même de parti pris ou de passion de ma part, que je vous demanderai de pardonner1 : c'est qu'il s'agit des sources du droit, c'est-à-dire pour nous juristes, de l'essentiel, de l'appareil de sources qui ordonnent et rythment la vie normative de notre société ; et que cet appareil de sources s'est considérablement compliqué, voire déréglé, sous la Ve République, et avec l'irruption de droits « venus d'ailleurs ».

« La loi est votée par le Parlement », ainsi commence l'article 34 de la Constitution pour - comme chacun sait - décrire ensuite son domaine, qui, dans l'esprit du constituant, recouvre l'essentiel. L'article 13 de la Constitution de 1946, pour condamner les décrets-lois, disposait de même « le Parlement vote seul la loi ; il ne peut déléguer ce droit ». Un rapport récent du service des études juridiques du Sénat (sur lequel je reviendrai)2 nous apprend cependant que le nombre des ordonnances - nouvelle appellation des décrets-lois -, en forte augmentation depuis 2000, aura triplé entre 2003 et 2004 et sans doute quadruplé en 2005, de telle sorte qu'en nombre et en importance, les ordonnances de l'article 38 de la Constitution dépassent aujourd'hui les lois votées par le Parlement.

L'équilibre normatif voulu par la Constitution de 1958 - qui, nous le verrons, avait même hésité à conserver le mécanisme des décrets-lois -, cet équilibre est bouleversé : ce n'est plus le Parlement, le législateur désigné par la Constitution, qui, majoritairement, fait la loi. Et ce ne sont plus non plus des juristes qu'on pouvait penser proches du Parlement et actifs en son sein : ce sont les bureaux, les services administratifs, difficilement et parfois trop tardivement ou brièvement encadrés par le secrétariat général du gouvernement et par le Conseil d'État.

On comprend mieux ce qu'est cette « loi administrative » : administrative parce qu'elle est faite par le gouvernement, par l'administration, sans le législateur (I) ; et administrative encore parce qu'elle n'utilise plus le langage du droit mais celui de l'administration (II). La loi, un nombre toujours plus grand de lois, sont aujourd'hui, si l'on peut dire, organiquement et matériellement administratives.

I. - LA LOI N'EST PLUS FAITE PAR LE LÉGISLATEUR : L'ABUS DES ORDONNANCES Ce n'est pas tant la limitation du domaine de la loi, par la Constitution de 1958, qui est en cause ici. Cet encadrement constitutionnel du domaine de la loi, qu'on trouve principalement mais non exclusivement dans l'article 34 de la Constitution, reprenait largement une distribution des rôles déjà acquise, et - comme on a pu le montrer - il n'a jamais été compris comme un carcan limitant l'intervention de la loi. D'une certaine façon, la récente décision du Conseil constitutionnel, procédant à des déclassements anticipés de dispositions de la loi qui sont de matière réglementaire, sans inconstitutionnalité de la première, consacre, reconnaît et rationalise des interventions virtuellement illimitées de la loi (C. const., 21 avril 2005, Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école).

Ce qui est en cause ici, c'est un mécanisme de « désinvestiture » du législateur, un mécanisme qu'on avait même envisagé d'interdire à nouveau en 1958, celui de la législation déléguée au gouvernement qui, élargie comme on l'a dit aux dimensions d'une pratique ordinaire, aboutit ni plus ni moins à ce que la loi n'est plus faite, dans la majorité des cas, par le Parlement. Il s'agit, on l'a compris, du mécanisme des ordonnances de l'article 38 de la Constitution, lequel permet au gouvernement « de demander au parlement, pour l'exécution de son programme, l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ».

A. - Trop d'ordonnances

Les ordonnances de l'article 38 de la Constitution ne sont rien d'autre que les anciens décrets-lois, mais consacrées par la Constitution et non plus vécues en marge de celle-ci. Sous cette réserve fondamentale, leur régime n'est pas différent de celui des décrets-lois, à ceci près que la loi d'habilitation dessaisit le parlement de sa compétence législative sur l'objet de la délégation, et pour la durée de cette délégation, ce qui autorise le gouvernement à opposer l'irrecevabilité à toute proposition ou amendement contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38 ; mais il s'agit là d'une simple faculté pour le gouvernement (C. const., 23 janvier 1987, Rec. p. 8, consid. 13 et 14).

1 Pour une analyse substantiellement différente, M. Guillaume, « Les ordonnances : tuer ou sauver la loi ? », Pouvoirs 2005, no 114, p. 117. 2 Les ordonnances et l'article 38 de la Constitution, Sénat, janv. 2005.

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Ce qui en revanche est essentiel - et qu'aujourd'hui on a perdu de vue - c'est que, pour être désormais inscrit dans la Constitution, le procédé des ordonnances y est consacré comme un procédé exceptionnel de législation et doit demeurer tel. Le principe est et demeure, tellement évident qu'on hésite à le rappeler encore une fois, que « la loi est votée par le Parlement » (article 34, al. 1).

Il y a là un abus, dénoncé comme tel3 : celui de faire d'une formule exceptionnelle et contraire à l'ordre normal des pouvoirs un procédé ordinaire de législation.

Le caractère exceptionnel du recours aux ordonnances ne faisait aucun doute pour les auteurs de la Constitution. Réservé comme temporaire et justifié seulement par des nécessités conjoncturelles et sectorielles, il n'est en aucun cas un procédé commun de législation, la compétence normative de principe du gouvernement étant désormais assurée d'autre part par le mécanisme répartiteur des articles 34 et 37.

Lorsque l'on parcourt les travaux préparatoires de la Constitution, on constate que, sur le mécanisme des ordonnances, l'opinion s'est d'abord divisée4. Pour les uns, la nouvelle délimitation du domaine de la loi rendait sans objet le mécanisme des délégations puisque aussi bien le gouvernement était désormais habilité de plein droit, et de par la Constitution, à prendre toutes les mesures qui ne relevaient pas du domaine de la loi ; cette position notamment était celle de M. Dejean : « ce qui était nécessaire hier ne sera vraisemblablement plus aussi nécessaire demain... C'est que le domaine législatif est maintenant strictement délimité » ; opinion partagée par M. Marcilhacy.

D'autres au contraire ont fait prévaloir la conviction que le mécanisme des délégations de pouvoir restait nécessaire, en certaines circonstances, et qu'il valait mieux l'inscrire dans la Constitution ; bien plus, l'assignation par la Constitution au législateur d'un domaine déterminé, faisait ressortir d'autant plus l'inconstitutionnalité qu'il y aurait à déléguer si la Constitution ne le prévoyait pas. C'est l'opinion qui l'a emporté dans la discussion de ce qui était alors l'article 34 du projet de Constitution. « Il me semble indispensable de maintenir une certaine délégation de pouvoirs » (P. Coste-Fleuret) ; « nous avons trop souffert, sous la Constitution de 1946, du fameux article 13 qui interdisait les délégations » (P.-H. Teitgen). « L'article 13 de la Constitution de 1946 avait été écrit afin de prohiber la pratique des décrets-lois, qui a fait sa réapparition dès 1948. Il est temps de mettre le droit en accord avec la pratique » (compte-rendu réunion groupe de travail du 1er juillet 1958).

Mais il s'agit clairement, pour tous les intervenants, d'une procédure réservée à des « circonstances difficiles » (P.-H. Teitgen), et limitée à « une partie des pouvoirs du Parlement » (Gilbert-Jules) ; l'article 34 « réserve au parlement la possibilité de déléguer au gouvernement certaines de ses attributions pour faire face à des nécessités urgentes, pour une durée limitée » (exposé des motifs de l'avant-projet de Constitution du 29 juillet 1958).

La cause est entendue : la délégation législative sera désormais expressément permise par la Constitution, mais elle n'est pas dans l'ordre des choses, plus exactement des compétences ; elle est une atteinte, une exception à cet ordre normal des compétences, lui-même redéfini par la Constitution, et elle ne pourra être que limitée, momentanée et, quant au fond, justifiée par des circonstances de crise ou d'urgence. La « norme » est bien la loi et l'ordonnance une procédure d'exception.

Aussi bien les débats préparatoires de la Constitution avaient écarté nettement un autre système, un moment proposé comme alternatif, et plus proche à certains égards du système anglais : celui de la délégation permanente, pour l'exécution du programme soumis par le gouvernement, et avec obligation également permanente de rendre compte au parlement, sans lacune dans la compétence de principe de celui-ci.

On est fort éloigné aujourd'hui de ces prémisses, lorsque, par exemple, on délègue au gouvernement l'adoption par ordonnance de la partie législative de neuf codes de grande importance (loi du 16 décembre 1999), la mise en conformité du droit français avec une cinquantaine de directives communautaires (loi du 3 janvier 2001) ou la refonte du Code de la mutualité (loi du 3 janvier 2001, art. 4) ; ou bien encore lorsque les lois dites de « simplification » du 2 juillet 2003, 9 décembre 2004 et 2 juin 2005 renvoient à plusieurs dizaines d'ordonnances des matières aussi nombreuses que disparates, pour certaines de grande importance, et comportant par exemple l'élaboration de nouveaux codes à droit non constant.

Ces dernières lois de simplification sont remarquables aussi parce qu'elles reprennent et prolongent dans le temps des habilitations non exaucées dans le délai initialement prévu : tel est le cas notamment, du futur Code de la propriété publique, toujours attendu, alors qu'il figurait dans les habilitations des lois du 2 juillet 2003 et 9 décembre 2004 et est à nouveau prévu, avec un délai d'un an, par la loi du 2 juin 2005. « Par les seules lois du 2 juillet 2003 et du 9 décembre 2004, le Parlement aura davantage autorisé le gouvernement à prendre des ordonnances de l'article 38 qu'en 45 ans de Ve République »5. Le procédé de l'ordonnance atteint ses limites, 3 Y. GAUDEMET, « Sur l'abus ou sur quelques abus de la législation déléguée », in Mél. P. Pactet, 2003, p. 617 et in La confection de la loi, PUF 2005, p. 157. 4 Voir sur tous ces points les Documents pour servir à l'histoire de la Constitution du 4 octobre 1958, spéc. vol. I, p. 463, 482 ; et 508, 524 ; vol. II, p. 285 et s. 5 « Pendant 40 ans, le nombre d'ordonnances est resté globalement faible avec trois pics en 1992 (22 ordonnances), 1998 (20 ordonnances) et 2000 (29 ordonnances). Le nombre moyen d'ordonnances est ainsi, sur l'ensemble de la période, de 6 par an. Ce chiffre faible est à comparer à celui de 90 à 110 lois par an selon les décennies de la période 1960 à 2000. Depuis 2000, le nombre annuel d'ordonnances est en très forte augmentation. 130 ordonnances ont été publiées en 5 ans, avec un nombre record en 2004 de 52 ordonnances. Surtout, pour la première fois

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s'effondre sous son propre poids et se révèle impropre à un exercice continu de législation générale (pour lequel il n'a évidemment pas été conçu)6.

Cette forme d'abus de la législation déléguée a été critiquée devant le Conseil constitutionnel. Dans un premier temps, celui-ci a semblé vouloir préserver l'équilibre normatif résultant de la Constitution. Dans sa décision du 12 janvier 1977 (Rec. p. 31), il juge d'abord que le Gouvernement a « l'obligation d'indiquer avec précision... quelle est la finalité des mesures qu'il se propose de prendre » ; puis il précise que le « programme du gouvernement » dont il est fait mention à l'article 38 de la Constitution n'est ni le programme ni la déclaration de politique générale dont parle l'article 49 au sujet de l'engagement de la responsabilité du gouvernement, car, « d'une part, (cela) ne ferait aucune place... aux notions de circonstances imprévues ou de situations requérant des mesures d'urgence et, d'autre part,... (cela) aurait pour résultat d'étendre, sans limites définies, le champ d'application de la procédure d'habilitation prévue audit article 38, au détriment du respect des prérogatives du Parlement ». Là est en effet l'essentiel, et fort bien dit dans cette décision.

Mais par la suite, le Conseil constitutionnel va s'écarter de cette jurisprudence pleine de sagesse et respectueuse des principes. Le pas est franchi avec la décision du 16 décembre 1999 (Rec. p. 136). Saisi de la loi d'habilitation du 16 décembre 1999 avant sa promulgation, loi qui - on l'a rappelé - déléguait au gouvernement l'adoption par ordonnance de la partie législative de neuf codes de grande importance, le conseil écarte le grief pris de l'imprécision et de l'étendue de l'habilitation donnée par la loi au motif d'abord que, « si l'article 38 de la Constitution fait obligation au gouvernement d'indiquer avec précision au parlement, afin de justifier la demande qu'il présente, la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnances ainsi que leur domaine d'intervention, il n'impose pas au gouvernement de faire connaître au parlement la teneur des ordonnances qu'il prendra en vertu de cette habilitation », et au motif, en second lieu, que « l'urgence est au nombre des justifications que le Gouvernement peut invoquer pour recourir à l'article 38 de la Constitution » (en l'espèce l'urgence était celle de l'achèvement des neuf codes mentionnés par la loi d'habilitation, alors que l'ordre du jour parlementaire était « encombré ») (C. const., 16 déc. 1999, Rec. p. 136, consid. 12 et 13).

Sans doute cette motivation retient que la « demande » d'habilitation présentée par le gouvernement au parlement doit être « justifiée » par le premier ; cette justification est évidemment requise en harmonie avec l'objet de la loi d'habilitation ; elle doit expliciter « la finalité des mesures » envisagées par le gouvernement et « le domaine d'intervention de celles-ci ». Mais il est désormais reconnu que « l'urgence est au nombre des justifications que le gouvernement peut invoquer pour justifier cette demande » ; et cela ouvre évidemment la porte à tous les objets possibles, l'urgence à les traiter étant avant tout affaire d'appréciation politique.

Peut-être le débat eût-il pu rebondir à l'occasion de la seconde grande loi d'habilitation déjà citée, celle du 3 janvier 2001, d'objets et de finalités extrêmement diversifiés pour ne pas dire hétéroclites ; mais celle-ci n'a pas été soumise au Conseil constitutionnel ; et on a pu y voir comme une forme d'acquiescement du Parlement à la nouvelle jurisprudence constitutionnelle.

Qu'on ait eu de bons motifs pour agir ainsi et que le Parlement, formellement, y ait consenti ne change rien au fait qu'il y a là un usage excessif de la procédure d'exception de l'article 38 de la Constitution, juridiquement un abus de la législation déléguée, une dessaisine du Parlement et un dérèglement normatif de nos institutions. La loi, trop souvent, le plus souvent, n'est plus le fait du législateur, c'est la « loi administrative ».

B. - Habilitation et ratifications confisquées

Dira-t-on que cependant le législateur n'est pas absent du processus de l'article 38 de la Constitution ; qu'il vote la loi d'habilitation laquelle doit expliciter « la finalité des mesures envisagées et leur domaine d'intervention » ; que, encore, les ordonnances sont caduques si elles ne sont pas déposées dans le délai indiqué sur le bureau du Parlement et que ce dépôt ouvre au Parlement la possibilité d'un débat de ratification. Tout ceci certainement est exact, découle nécessairement du régime juridique des ordonnances ; mais quelle est la réalité politique de l'exercice ?

La loi d'habilitation, d'abord, prend nécessairement la forme d'un projet de loi puisque la Constitution la présente comme une « demande » du Gouvernement au Parlement.

Elle est d'élaboration administrative et, pour les dernières grandes lois d'habilitation dites de simplification de 2003, 2004 et 2005, apparaît comme une collection hétéroclite de préoccupations sectorielles, mises en avant à cette occasion par les différentes administrations, préoccupations d'importance et d'urgence très variables. Chacun connaît ce phénomène dit « du tiroir » qui veut que, lorsque l'occasion s'en présente, les services sortent de leurs tiroirs des projets de réformes ou des aménagements limités, tenus par eux pour nécessaires et requérant le véhicule de la loi. C'est ainsi que se sont faites ces redoutables lois de simplification, l'habilitation par le Parlement apparaissant, pour une large part, purement formelle.

en 2004, le nombre d'ordonnances est supérieur au nombre de lois (hors lois portant approbation de traités internationaux). Il représente plus de 55 % de ces textes intervenus dans le domaine de la loi. 2005 devrait connaître une orientation en ce sens encore plus prononcée » (M. Guillaume, article précit. Pouvoirs 2005, no 114, p. 120. 6 Pour une relation très complète des lois d'habilitation et des principales ordonnances prises sur ces bases, voir, outre le rapport du Sénat déjà mentionné, P. Delvolvé, « L'été des ordonnances », RFDA 2005, p. 909.

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Lorsque d'aventure le Parlement va plus loin et, sur des réformes de fond, entend préciser plus avant la portée de l'habilitation, il n'est d'ailleurs pas toujours très heureux.

Ainsi la loi d'habilitation du 2 juillet 2003, art. 6, invitant le gouvernement à créer par ordonnance les contrats de partenariat public privé a fait l'objet de réserves d'interprétation - inattendues7 - de la part du Conseil constitutionnel (C. const., 26 juin 2003, Rec. p. 382), cependant que le juge administratif ne sanctionnait pas une disposition de l'ordonnance dont on pouvait cependant penser qu'elle excédait la portée de l'habilitation, celle relative à la possibilité de clauses compromissoires dans ces contrats (CE, 29 oct. 2004, Sueur et a., AJDA 2004, p. 2076).

Venons-en à la ratification.

La législation déléguée est une parenthèse dans l'exercice normal de ses compétences par le législateur. La ratification referme la parenthèse et rétablit l'ordre des compétences. Le législateur accepte alors, sous bénéfice d'inventaire, la réglementation des ordonnances et la reprend à son compte. Ce sont là du moins les principes ; mais on sait bien que, dès les décrets-lois des IIIe et IVe Républiques, on a pris avec ces principes quelques libertés que commandaient sans doute les réalités politiques ; si une date est imposée pour le dépôt des décrets-lois (ou ordonnances) sur le bureau des assemblées, à peine de caducité de ceux-ci, rien n'oblige à organiser un débat de ratification : faute d'être ratifiées, les ordonnances demeurent mais avec la seule autorité que leur confère leur auteur, celle d'actes réglementaires. D'une délégation temporaire de la compétence législative, on passe à un déclassement plus ou moins durable de la matière législative, à ceci près que le législateur peut toujours s'en saisir (mais pourquoi le ferait-il, puisqu'il a voulu la délégation ?), et que l'administration ne peut plus s'en saisir, dès lors qu'est expiré le délai de l'habilitation.

C'est précisément de cette considération qu'est venu ce qui peut être considéré comme un second abus dans le processus de la législation déléguée : le législateur, parce qu'il exerce par ailleurs, sur d'autres objets, la compétence législative qui est la sienne, sera réputé avoir ratifié un texte qu'il n'a jamais examiné, pour le seul motif que son intervention nouvelle suffit à faire présumer qu'il a repris à son compte la matière de l'ordonnance.

On a reconnu là les ratifications implicites, ratifications « quasi-clandestines » et à ce titre grosses de risques d'abus dans la pratique - ici dans le droit - de la législation déléguée8.

Une jurisprudence ancienne admet que la ratification des ordonnances puisse résulter indirectement de lois ultérieures ayant un objet différent mais manifestant « la volonté implicite » du parlement d'en adopter le dispositif. Cette jurisprudence a reçu depuis 1958 l'aval du Conseil constitutionnel qui admet la ratification d'une ordonnance par une « manifestation de volonté implicite, mais clairement exprimée par le Parlement » (C. const., 29 février 1972, Rec. p. 31). La consultation des travaux préparatoires de la Constitution montre qu'en effet, en rejetant un amendement présenté par M. Dejean dans le sens d'une ratification obligatoire des ordonnances, le comité consultatif constitutionnel avait entendu confirmer la liberté du parlement de procéder ou non à un vote spécial de ratification, et donc le mécanisme des ratifications implicites (avis et débats du comité consultatif constitutionnel, p. 194).

Mais quels sont alors les éléments et caractères distinctifs auxquels on reconnaîtra cette ratification implicite ? L'idée directrice bien sûr est simple : c'est toujours l'intention du législateur qui détermine la ratification, telle que présumée, révélée par le dispositif de textes ultérieurs ou les conditions de leur adoption. Ce principe acquis, comment le mettre en oeuvre ?

La ratification implicite est reconnue sans difficulté en présence d'une loi postérieure ayant pour objet « d'apporter les modifications appropriées au texte de l'ordonnance... pris dans son ensemble » (CE, 25 janvier 1957, Sté des établissements charlionais, Rec. Lebon, p. 54) ou d'une loi qui comporte une réécriture complète de presque tous les articles d'une ordonnance pour leur apporter certaines modifications (C. const., 29 février 1972, Rec. p. 31, à propos de la ratification implicite de l'ordonnance du 17 août 1967 relative à la participation des salariés par la loi de finances pour 1969 du 27 décembre 1968). C'est le même raisonnement qui a conduit le Conseil d'État à admettre la ratification implicite de l'ordonnance du 20 septembre 1985 sur la Nouvelle-Calédonie qu'une loi ultérieure avait formellement déclaré devoir s'appliquer pour une période transitoire (CE, 11 juin 1990, Congrès du territoire de la Nouvelle-Calédonie, D. adm. 1990, n. 401).

Mais il arrive que les choses soient moins claires : des lois ultérieures font référence à tel ou tel article de l'ordonnance sans qu'aucune ait celle-ci pour objet principal. Dans cette situation, la Cour de cassation et le Conseil d'État ont, semble-t-il, des « réflexes » différents.

Le juge judiciaire prend en compte la réitération de la volonté implicite du législateur. La répétition des références faites à l'ensemble du texte ou à certaines de ses dispositions, dans plusieurs lois successives, emporte

7 Inattendues parce que non exprimées par le Conseil constitutionnel peu auparavant, à propos de deux lois sectorielles permettant des contrats de même type dans les domaines de la police et de la gendarmerie, d'une part, des installations pénitentiaires, d'autre part (C. const., 22 août 2002, Rec. p. 198 et 29 août 2002, Rec. p. 204) ; c'est « la généralisation » du procédé qui serait inconstitutionnelle. 8 V. sur tout ce débat, Y. Gaudemet, « L'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la concurrence est-elle législative ou réglementaire ? (à propos des ratifications implicites) », JCP 1991, I-3486.

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ratification implicite (Cass. com., 6 oct. 1992, Entre Jean Lefèvre - et auparavant CA Paris, 4 juillet 1990, Sté Razel, JCP 1991-I-3486, annexe). Du même coup, et en fonction de l'objet de ces références, on peut imaginer que la ratification implicite ne concerne que certaines dispositions de l'ordonnance.

Le Conseil d'État quant à lui ne considère pas le nombre mais la portée de ces références. La ratification implicite est acquise dès lors que, par une loi ultérieure, le législateur a nécessairement entendu ratifier les dispositions de l'ordonnance. Dans un premier temps, le Conseil d'État semble avoir aussi écarté les ratifications implicites partielles, limitées aux dispositions de l'ordonnance visées par la loi (CE, 7 fév. 1994, Ghez, Courrier jur. Des finances, déc. 1994, p. 8, note Y. Gaudemet ; pour le commissaire du Gouvernement D. Kessler, il ne paraît « pas possible, sauf lorsque le législateur le fait expressément, de diviser le processus de ratification en autant de parties que de dispositions auxquelles le législateur se réfère »).

La validation implicite est acquise, pour la totalité de l'ordonnance, dès lors qu'une loi a validé une partie « importante » de celle-ci, c'est-à-dire déterminante pour l'ensemble de son dispositif. La solution du Conseil d'État, que recommandent d'évidentes considérations pratiques, était cependant plus tranchée que la formule du Conseil constitutionnel qui, à propos du même texte (l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la concurrence), observait qu'« il n'est pas exclu que la ratification de tout ou partie des dispositions d'une ordonnance de l'article 38 de la Constitution puisse résulter d'une loi qui, sans avoir cette ratification pour objet direct, l'implique nécessairement » (C. const., 23 janvier 1987, RFDA 1987, p. 287, note B. Genevois ; cette Revue 1987, p. 1341, note Y. Gaudemet).

Aussi bien, plus récemment, et dans une affaire importante qui concernait l'adoption de la partie législative du Code de commerce par voie d'ordonnance, le Conseil d'État a au contraire considéré que la dizaine de lois qui étaient venues depuis la codification de septembre 2000 modifier cette ordonnance « n'ont eu ni pour objet ni pour effet de ratifier l'ensemble de cette ordonnance » (CE, 27 mai 2002, SA Transolver Service, n. 227338, concl. Goulard). C'est une heureuse évolution dont les conclusions du commissaire du gouvernement montrent bien qu'elle a été mue par le souci de maintenir un contrôle du fond des ordonnances qui fait largement défaut en fait en cas de ratification implicite.

Reste en effet à replacer ces solutions subtiles et nuancées dans une problématique générale du contrôle des actes normatifs. La qualification des ordonnances comme actes administratifs obéit à la préoccupation évidente de maintenir à leur égard un possible contrôle contentieux, celui du juge administratif saisi d'un recours en annulation et celui de tout tribunal saisi par la voie de l'exception d'illégalité. La ratification fait disparaître ce contrôle en conférant à l'ordonnance le caractère incontestable de la loi. Mais c'est alors la loi de ratification elle-même qui peut être en principe, avant promulgation, déférée au Conseil constitutionnel lequel, comme il l'a expressément indiqué, vérifie, à travers la loi de ratification, la constitutionnalité de l'ordonnance elle-même (C. const., 23 janvier 1987, précit.). En bref, dans tous les cas de figures, l'ordonnance est contrôlée (ou contrôlable), même si les termes du contrôle sont différents selon l'ordre saisi.

Or c'est précisément cette possibilité de contrôle que l'admission d'une ratification implicite fait disparaître en fait : le juge administratif est désormais incompétent puisque l'ordonnance est devenue loi : le Conseil constitutionnel n'a pu être saisi, puisque par hypothèse il n'y a pas eu de véritable loi de ratification. Ceci devrait conduire à n'admettre la ratification implicite que de façon restrictive ; et plus précisément à la limiter au cas où la loi emportant ratification implicite comporte une véritable reprise, partielle ou totale, ou une modification substantielle de l'ordonnance en cause, donnant ainsi prise à un éventuel contrôle du Conseil constitutionnel.

Il n'en va pas différemment lorsque le Parlement est bien saisi d'une demande de ratification, celle-là parfaitement explicite, mais que l'ordonnance, parfois élargie au dimension d'un code, n'est même pas jointe au projet de loi de ratification. Tel a été le cas par exemple d'une loi relative à diverses dispositions d'ordre social et qui, à ce titre, comporte un article ainsi rédigé : « est ratifiée l'ordonnance du 19 avril 2001 relative au Code de la mutualité... », laquelle ordonnance constitue la partie législative du nouveau Code de la mutualité (art. 7 de la loi du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel). On est loin de l'obligation du gouvernement de rendre compte qui sous-tend tout le mécanisme de la législation déléguée. Comment la compétence d'inventaire et d'amendement éventuel du parlement pourrait-elle s'exercer ? Et surtout si l'on ajoute à cela les pouvoirs importants du gouvernement dans la conduite du débat parlementaire. Pourtant le Conseil constitutionnel, saisi de la loi du 17 juillet 2001, ne s'est pas arrêté à ces objections (C. const., 11 juillet 2001, Rec. p. 82) qui, à la vérité, n'étaient pas articulées par la saisine parlementaire.

Reste la question de la compatibilité de ces procédures de ratification, plus ou moins opportunistes, plus ou moins clandestines, avec l'exercice du droit au recours tel qu'il est consacré par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Le Conseil d'État tire en effet de cet article 6 qu'il interdit une loi de validation intervenant au cours d'un contentieux administratif, sauf justifiée par « des motifs suffisants d'intérêt général » (CE avis, 16 fév. 2001, JO 4 avril 2001, p. 5256 - et auparavant, CE, 5 déc. 1997, Mme Lambert, Rec. Lebon, p. 460 - 28 juillet 2000, Tête, Rec. Lebon, p. 302, concl. H. Savoie, écartant une loi de validation comme non justifiée par un motif suffisant d'intérêt général et portant atteinte au droit à un procès équitable), solution encore réaffirmée récemment (CE, 27 mai 2005 Provin, qui exige d'« impérieux motifs d'intérêt général »).

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Ce qui vaut pour les lois de validation est-il transposable aux lois de ratification, qui ne sont après tout que la validation, par la loi, de ce qui n'est encore que réglementation et soumis aux possibilités de contestation contentieuse de cette dernière ? La question n'est pas sans rapport avec ce qui a été dit plus haut des ratifications implicites, soustraites à tout véritable contrôle du Conseil constitutionnel.

Dans ses conclusions sur l'arrêt du Conseil d'État du 8 décembre 2000 Hoffer et a. (RFDA 2001, p. 455), Mme Ch. Maugüé fait une distinction très pertinente, au regard de la Convention européenne des droits de l'homme, entre les lois de validation, qui comportent une forme d'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice, et les lois de ratification, intervention du pouvoir législatif dans le cadre des prérogatives normales que lui confère la Constitution. Cette dernière caractéristique conduirait à écarter par principe toute possibilité de discussion de la conventionnalité de la loi de ratification, au moins au regard de l'article 6 de la Convention européenne : « Lorsqu'il procède à la validation d'un acte administratif, le législateur interfère dans l'ordre normal de répartition des compétences en donnant valeur législative à un acte qui, au plan aussi bien formel que matériel, est un acte administratif. Lorsqu'il ratifie une ordonnance, le législateur prend une mesure qui donne valeur législative à un acte qui n'est que formellement administratif » (Ch. Maugüé, concl. précitées).

Mais le Conseil d'État semble n'avoir pas entièrement suivi cette analyse, sensible sans doute au risque d'abus que peuvent comporter certaines procédures de ratification. L'arrêt lui-même réserve le cas où « la loi de ratification s'avérerait incompatible, dans un domaine entrant dans le champ d'application de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avec les stipulations de cet article, au motif qu'en raison des circonstances de son adoption cette loi aurait eu essentiellement pour but de faire obstacle au droit de toute personne à un procès équitable ». C'est là une heureuse précaution.

II. - LA LOI NE PARLE PLUS LE LANGAGE DU DROIT : LA COMMUNICATION POLITICO-ADMINISTRATIVE Tout naturellement la loi, faite par l'administration, va utiliser le langage de l'administration, celui du management public, mâtiné d'une dose de communication politique. Cela est vrai bien sûr des ordonnances puisque la délégation de faire la loi au gouvernement investit naturellement l'administration de la confection matérielle de celle-ci9. Mais cela est vrai aussi, au-delà des ordonnances, de cet océan de textes conçus et écrits en dehors du Parlement, celui des autorités réglementaires classiques, celui désormais des autorités administratives indépendantes affichant un langage plus moderne dit de régulation, et aussi de ce droit venu d'ailleurs et notamment du système des Communautés devenues Union européenne et du système de la Convention européenne des droits de l'homme.

La loi, trop de lois, apparaissent aujourd'hui « administratives », parce que leur fonction n'est plus de légiférer, de fixer le droit, mais de prendre part, une part, à l'exercice permanent de communication politico-administrative, représenté aujourd'hui comme la condition de l'effectivité de l'action publique. Du même coup ce sont de nouvelles formes que prend la normativité, rejetant le véhicule traditionnel de la loi expression de la volonté générale par un organe représentatif de la souveraineté nationale.

A. - Changement dans la fonction de la loi : une fonction d'administration au quotidien

Dans les démocraties contemporaines, la communication publique est devenue une fin en soi. Elle détermine et commande l'action des services et des ministres et elle en encadre les termes. Le choix des formes et des supports prévaut sur la vérité et la conviction du fond. La loi elle-même est ainsi conçue et pratiquée comme un élément - parmi d'autres - d'un exercice permanent de communication, de « management » public ou de « marketing » politique10. Certes la loi est par nature un acte politique : elle exprime et formalise les arbitrages et les choix de la représentation politique, la hiérarchie des valeurs, les priorités nationales ; mais ces arbitrages et ces choix ne se réduisent pas au débat politique du moment ; ils valent pour la durée et la fonction de la loi est de les inscrire dans le droit, avec la clarté et la solennité voulue. La loi est la transcription normative des valeurs de l'ordre social, de leur combinaison et de leur hiérarchie ; et c'est en cela qu'elle est un acte politique, au sens le plus élevé du terme. « C'est à la loi seule que les hommes doivent la justice et la liberté. C'est cet organe salutaire de la volonté de tous qui rétablit dans le droit l'égalité naturelle entre les hommes » (Rousseau, article « économie politique » à l'Encyclopédie).

Différente est la situation - fréquente aujourd'hui - dans laquelle la loi est réduite au rang d'un instrument du débat public, vaut comme un argument avancé par les uns pour contrer, rallier ou devancer les autres ; et où ce qui est important est davantage de faire savoir qu'on fait une loi que le contenu de celle-ci. C'est en cela qu'on peut dire que la loi est devenue un outil politique avant d'être un acte de raison (J. Morange). La proclamation 9 . P. Avril, « Qui fait la loi ? », Pouvoirs, 2005, no 114, p. 89. 10 Sur un registre plus élevé, P. Amselek, « Ontologie du droit et logique déontique », cette Revue 1992, p. 1039.

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d'une nouvelle réforme, l'annonce des textes correspondants sont menées comme une opération « médiatique », une prise de position politique succédant à une autre pour la contredire ou la compléter. Et le texte lui-même n'importe pas tant que ce que l'on dit de la réforme ; il sera lui-même par la suite « expérimenté », fréquemment complété, aménagé, modifié...

Il en résulte un discrédit de la loi, une dévaluation de son « statut » politique, discrédit et dévaluation auxquels contribue aussi le phénomène de l'inflation législative, aujourd'hui répandue dans la plupart des systèmes juridiques européens comme dans le droit communautaire11. « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus une oreille attentive » ; ainsi s'exprimait déjà un rapport du Conseil d'État français en 1991. La norme n'est plus crédible : parce qu'on ne peut la connaître ; trop de lois tuent la loi12.

Mais aussi parce que cela ne vaut pas la peine de la connaître. La loi n'a plus d'autorité et souvent n'aura pas d'effectivité. Son origine la trahit et ruine sa crédibilité : on la sait partielle, conjoncturelle, le moment d'une campagne politique et rattachée - souvent par le nom qu'on lui donne - à la personne d'un des acteurs de cette campagne ; bref, on la sait de facture trop tributaire des heurts et arguments de la vie politicienne du moment, et non plus œuvre de souveraineté nationale.

La loi « administrative » se présente ainsi sans portée de principe, descriptive, tributaire d'exigences sociologiques ou administratives immédiates, voire de phénomènes de mode ou d'imitation. C'est la contingence qui prévaut : « il faut faire un texte....... », non pas parce que celui-ci est juridiquement nécessaire, mais parce qu'on le croit politiquement opportun ou que l'administration le réclame. Ce n'est plus le droit qui justifie la norme, mais les objectifs incertains du « management public ». Les textes expriment au mieux un programme politique, un choix d'administration ; et non pas un commandement, comme ce doit être le fait de la loi. « Les lois ont tendance à être de moins en moins des textes de fond édictant des droits et des obligations et davantage des lois de procédure définissant les modalités d'intervention de l'administration »13.

En même temps ces textes sont souvent descriptifs, dispositifs, sans égard pour les principes dont ils semblent se méfier ; ils privilégient les solutions particulières, résultats d'opérations de « loobing » réussies ; et cette collection de solutions d'espèce pose inévitablement la question du champ d'application de chacune.

Cette lourdeur, cette volonté d'exhaustivité heurtent la tradition juridique classique. Rappelons-nous Montesquieu : « les lois ne doivent pas être subtiles ; elles sont faites pour des gens de médiocre entendement : elles ne sont point un art de logique, mais la raison simple d'un père de famille ». Combien de textes actuels y survivraient ? Il est vrai que l'objet de la législation s'est compliqué ; mais précisément est-il utile et sain de vouloir légiférer sur tout ? L'inflation normative se conjugue ici avec l'abus du juridisme.

Ainsi dévaluée, la norme ne peut prétendre à une longue existence ; elle est vite périmée. C'est le thème de « la loi jetable » ; la loi devient éphémère. Son espérance de vie est limitée ; soit parce qu'elle est un enjeu de pouvoir ; soit parce que la règle n'est plus que la traduction normative, sans recul ni égard aux principes, de données techniques et factuelles qui sans cesse se modifient, ainsi pour les communications électroniques.

Du même coup, personne ne croit à sa durée. La loi est vite oubliée ; la pratique prévaut. Et il faut toute l'obstination des auteurs pour continuer à enseigner que le droit français ignore l'abrogation par désuétude. Les pratiques para legem se multiplient, officialisées parfois par l'administration elle-même dans ses circulaires ou instructions internes qui, dans la vie des services, prévalent sur la loi.

Le discrédit de la loi est encore révélé et accentué à la fois par un appel aujourd'hui presque systématique à l'expérimentation législative, au « droit expérimental » ou « à durée limitée »14.

La récente révision constitutionnelle française de 2003 a inscrit le droit à l'expérimentation à la fois dans la législation et la réglementation nationale, par l'ajout d'un article 37-1 qui dispose « la loi et le règlement peuvent comporter des dispositions à caractère expérimental », et dans le droit des collectivités locales dans des conditions qui ont été précisées par une loi organique15. Ainsi le législateur lui-même ne croit pas à la pérennité 11 On a parfois cherché, dans différents pays, à promouvoir des politiques de « déflation normative ». En Suède depuis 1979, en Allemagne depuis 1986, aux États-Unis , au niveau des états fédérés, depuis 1976 ; le rapport établi par le Conseil d'État français en 1991 sur le thème de la sécurité juridique indique qu'en Grande-Bretagne le nombre des textes en vigueur a diminué de 38 % entre 1945 et 1980. Des efforts de même nature ont été faits par la Communauté européenne. Pour des chiffres actualisés sur l'inflation législative en France, v. le dossier spécial législation du J.-Cl. nov. 2004, intitulé « Inflation législative galopante : l'exemple de l'été 2004 » ; cette inflation des textes est notamment due aux deux lois de « simplification du droit » du 2 juillet 2003 et 9 décembre 2004. Plus anciennement Y. GAUDEMET, « Pluriamae leges, corruptissima republica : l'inflation législative », in Les abus du juridisme, Académie des sciences morales et politique, Institut de France 1997. 12 On a fait observer que « le vaste mouvement de codification du droit français est un puissant moteur d'inflation législative, non pas tant par l'ampleur, pourtant considérable, des codes nouveaux souvent issus d'ordonnances, mais parce que la codification aboutit à rendre les lois plus complexes et plus longues ». G. Hispalis, « Pourquoi tant de loi(s) ? », Pouvoirs 2005, no 114, p. 101. 13 G. Hispalis, « Pourquoi tant de loi(s) ? », article précit. Pouvoirs 2005, no 114, p. 101. 14 CA MORAND (ss. dir. de-), Évaluation législative et lois expérimentales, PUAM 1993 ; « L'évaluation législative ou l'irrésistible ascension d'un quatrième pouvoir », Rev. de la recherche juridique, Droit prospectif, 1994, cah. no 4 _ C. Mamontoff, « Réflexions sur l'expérimentation du droit », cette Revue 1998, p. 351 - et, plus anciennement, pour la Suisse, M. MADER, L'évaluation législative, Pour une analyse empirique de la législation, Lausanne, 1985. 15 V. G. DRAGO, Le « droit à l'expérimentation », in La République décentralisée (ss. dir. Y. GAUDEMET et O. GOHIN), éd. Panthéon-Assas, 2004.

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de la règle qu'il élabore ; il ne lui reconnaît que le crédit que confirmerait l'expérience. Comment, dans ces conditions, imaginer que l'« usager du droit » puisse avoir foi en elle !

La même défiance presque suicidaire s'exprime dans les différentes formules de droit « évalué » ou « en sursis ». Quel est le texte important qui aujourd'hui ne prévoit pas des rapports périodiques sur les conditions de son application, parfois des débats d'étapes, ou même le principe de révisions périodiques. Même manque de foi, de la part de son auteur lui-même, en la pérennité de la loi.

La fonction de la loi a changé : elle n'est plus tant un acte de droit de souveraineté et d'organisation des valeurs sociales ; elle est souvent un acte du moment, presque de l'instant ; elle utilise les méthodes de l'administration, avec une fonction immédiate de communication publique.

Que la construction juridique n'ait pas suivi cette évolution et que la loi trouve toujours - en droit - sa légitimité dans l'exercice de la souveraineté ne permet pas d'ignorer que, dans la réalité des choses, c'est une conception instrumentale qui prévaut et que la légitimité immédiate de la loi est davantage cherchée dans la fonction qu'elle remplit au quotidien comme élément du débat politique et de conduite des politiques publiques.

Cela a d'évidentes conséquences sur les formes de la normativité.

B. - Changement dans les formes de la normativité : une écriture dégradée

Le changement, c'est d'abord la multiplication et la dispersion des législateurs.

Aux sources classiques du droit, distribuées entre les lois et les règlements, s'ajoute aujourd'hui le droit conventionnel primaire ou dérivé, et particulièrement celui émanant des Communautés européennes, aujourd'hui Union européenne ; on a décrit, avec beaucoup de talent, la part du « législateur européen » dans cette dispersion des sources de la normativité (B. Oppetit, « L'Eurocratie ou le mythe du législateur suprême », D. 1990, chron. p. 73).

S'y ajoutent aussi les nombreuses réglementations, recommandations, décisions des autorités administratives indépendantes, catégorie elle-même multipliée à l'envi, et peut-être au-delà du raisonnable.

Quant à la source jurisprudentielle, elle est elle-même désormais éclatée entre les cours nationales et les juridictions communautaire et européenne.

Dispersion aussi quant aux formes du droit. On constate - et on doit déplorer - un abandon presque général des formes classiques, et notamment de cet exercice de rigueur et de clarté qu'étaient l'exposé des motifs pour les lois et le rapport pour les décrets.

On a choisi d'innover plutôt que de revenir à ces formes classiques et qui avaient fait leurs preuves. Une circulaire du Premier ministre du 21 novembre 1995, rappelant qu'« une des tâches prioritaires du gouvernement reste d'endiguer la prolifération des textes législatifs et réglementaires qui rend aujourd'hui le droit obscur, instable et finalement injuste », avait décidé d'expérimenter, à partir du 1er janvier 1996, « une véritable étude d'impact accompagnant les projets de loi et les principaux projets de décret », étude d'impact destinée à « permettre au parlement comme au gouvernement de légiférer et réglementer à bon escient, en les éclairant, mieux qu'ils ne le sont actuellement, sur la portée et les incidences des projets qui leur sont soumis »16... La proposition semble avoir fait long feu17.

Que penser encore de textes, aujourd'hui assez fréquents, qui, par une sorte de caricature mal comprise des aspects les plus faibles du droit anglo-saxon relayés parfois par les sources communautaires, se répandent en définitions18, si peu dans la tradition du droit continental et dont on perçoit mal la nécessité19.

Dispersion encore du fait de l'apparition et du développement des « actions administratives informelles », qui utilisent des mécanismes, procédures ou modes d'expression différents des formes traditionnelles du droit20.

On désigne ainsi les nombreuses recommandations, avis, normes de référence, modèles, schémas, propositions, plans, préconisations, codes de bonne conduite ou de bonnes pratiques ou encore protocoles, accords informels ou de partenariat, qui sonnent tellement plus « moderne » à l'oreille que les vieux outils normatifs, et dont on

16 Les rédacteurs de projets de loi y sont invités _ dans un français approximatif _ à une sorte de do ut des assez invraisemblable : « tout projet de texte doit être accompagné de propositions d'abrogation de dispositions au moins équivalentes, en termes de niveau de norme et de volume » (sic). 17 A. Noury, « L'étude d'impact des projets de loi et de décret en Conseil d'État : une tentative de rationalisation du travail gouvernemental », Rev. recherche juridique, Droit prospectif, 2002-2, p. 599. 18 G. CORNU, « Les définitions dans la loi », in Mél. Vincent, p. 77 _ D. TRUCHET, « Les définitions législatives », in La confection de la loi, Académie sciences morales et politiques, rapport d'étape 2003. 19 Est-il besoin par exemple, dans un décret en Conseil d'État du 25 août 1995 relatif à la prévention des risques résultant de l'usage de lits superposés destinés à être utilisés dans les lieux domestiques ou en collectivité, de donner une définition du « lit superposé », suivie d'une définition des « barrières de sécurité » ? Encore le procédé est-il là utilisé avec discrétion, si on le rapporte à certaines réglementations techniques, par exemple les arrêtés d'autorisation de fréquence délivrés par le ministre chargé des Télécommunications ou l'Autorité de réglementation des télécommunications (ART). 20 V. Y. Gaudemet, « Les actions administratives informelles », RID comp., 1994, no 2, p. 645.

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vante la « souplesse » et la concertation qu'ils expriment. Le développement des mesures administratives informelles, proches du « soft law » des anglo-saxons, date des dernières décennies.

Tout ceci débouche souvent sur une législation « administrative ». La langue de l'administration, sinon celle du management, remplace la langue du droit ; et cette législation administrative se caractérise par le souci du détail, de l'immédiat, du cas particulier et en même temps de l'exhaustivité. La naissance du droit n'est plus une œuvre sacrée, quasi-religieuse ; c'est une besogne de terrain, menée au regard de préoccupations de terrain.

Curieusement - mais curieusement seulement en apparence -, l'observation et la critique rejoignent ici celles qui s'adressent à la présence trop fréquente, dans les textes des lois notamment, de « dispositions non-normatives ». Même volonté en effet d'abandonner le langage du droit pour celui de la communication, de la pédagogie, de l'incantation ; même volonté de mettre en avant la fonction politique de l'acte, la part prise, par l'affirmation de propositions ou de résolutions politiques, au débat public et d'opinion dans lequel s'inscrit la loi ou le texte en cause.

Ces dispositions sont ainsi justement dites « non-normatives » parce qu'elles ne visent pas à la normativité, mais se situent au-delà de celles-ci et sont autant de prises de position, de proclamations, d'actes de communication politique que l'auteur du texte veut faire entendre. L'objectif n'est pas de créer du droit, mais d'être écouté de l'opinion et crédité par elle du principe d'une réforme, dont l'économie détaillée importe peu à ce stade ; il s'agit de marquer des points dans le débat politique du moment, plus que de faire du droit.

Cela ne veut pas dire que, à l'occasion, ces dispositions « non-normatives » ne puissent pas avoir des effets - d'ailleurs parfois inattendus - sur le terrain du droit et dans un contentieux. Si, en effet, les dispositions non normatives sont qualifiées telles parce que, dans leur principe et dans la fonction qu'on leur donne, elles ne sont pas voulues et écrites comme des éléments de la normativité, rien n'empêche que, par la suite, le juge notamment s'en saisisse, pour y trouver l'énoncé d'un principe dont l'imprécision ou la banalité n'affecte pas les conséquences positives ; rien ne fait non plus de l'éventualité de cette « traduction » juridictionnelle une évidence, eu égard au flou du texte ; non plus que les termes de cette éventuelle « traduction » ne peuvent être imaginés à l'avance. La non-normativité des dispositions présentées comme telles est une non-normativité d'origine ou d'intention. Mais il est toujours possible, à partir du moment où il s'agît de dispositions de la loi, qu'elles soient demain comprises et appliquées comme des éléments du droit positif ayant une portée obligatoire directe.

On voit bien aussi que ces dispositions « non-normatives » n'utilisent pas le vocabulaire de droit, mais encore une fois celui du programme politique ; cela est spécialement vérifié par l'emploi de verbes ou formes verbales non dispositives et par la prolifération de substantifs ou adjectifs qualificatifs : le service ou l'activité en cause « contribue à... » ; « tend à... » ; « concourt à... » ; « favorise... » ; « prépare à... » ; « garantit ... » ; « fera ses meilleurs efforts pour... » ; « assurera (ou garantira) un service de qualité... » ; etc.

Cela ne correspond pas à la tournure du langage juridique ordinaire selon lequel « la loi ordonne, permet ou interdit » (Portalis). Et c'est en cela que ces dispositions, en forme de programme ou de proclamation, ne sont pas directement normatives.

Les inconvénients de ces dispositions non normatives sont évidents et uniformément dénoncés.

Le premier est celui de la confusion des genres : la loi est un acte normatif, l'archétype même de la normativité. Elle tire sa légitimité et sa force contraignante des conditions de son élaboration et de son adoption. Et celles-ci se prêtent mal à l'insertion de dispositions non normatives : comment exercer en particulier le droit d'amendement pour modifier des propositions qui ne valent que comme telles ? Et quel contrôle de constitutionnalité, autrement que sous la forme - éventuellement - des réserves d'interprétation, puisque la disposition en cause ne vaut que par le travail d'interprétation et de mise en œuvre qui lui donnera valeur positive ? On observe au demeurant que la technique des réserves d'interprétation s'est considérablement développée ces dernières années, aussi bien dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne que dans celle du Conseil constitutionnel français, à mesure que les lois déférées comportaient de plus en plus fréquemment des dispositions non-normatives.

Ceci a conduit, on le sait, le président du Conseil constitutionnel, M. Pierre Mazeaud, dans son discours de vœux au président de la République en janvier 2005, à s'élever, « avec une sorte de colère sacrée » contre « les dispositions non-normatives » dans le texte des lois, rappelant la condamnation de celles-ci, par M. Jean Foyer, comme « des neutrons législatifs ». Pour le président P. Mazeaud, « la loi n'est pas faite pour énoncer des évidences, émettre des voeux ou dessiner l'état idéal du monde, en espérant sans doute le transformer par la seule grâce du verbe législatif. La loi ne doit pas être un rite incantatoire. Elle est faite pour fixer des obligations et ouvrir des droits ». Le législateur doit « apprendre à résister à la demande de loi » et « s'interdire de faire de la loi un instrument de communication politique » ; si bien que, avertit son président, « le Conseil constitutionnel est donc prêt à censurer désormais les « neutrons législatifs »21. Et c'est ce qu'il a fait dans sa décision du 21 avril

21 Quelques semaines auparavant, le 5 octobre 2004, le président de l'Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré, déposait une proposition de loi constitutionnelle « tendant à renforcer l'autorité de la loi » et prévoyant notamment de compléter l'article 34 de la Constitution par la

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2005, loi de programmation sur l'avenir de l'école, en déclarant contraire à la Constitution une disposition de cette loi considérée comme non-normative (et en utilisant la technique des réserves d'interprétation pour « neutraliser » en simples « obligations de moyen » d'autres dispositions qualifiées par lui « de portée normative incertaine »)22.

La multiplication des dispositions non-normatives ne va pas non plus dans le sens de la sécurité juridique. Elle introduit une sorte de hiérarchie interne, dans le dispositif de la loi, les dispositions directement normatives apparaissant comme la mise en œuvre des principes et proclamations non-normatives qui les précèdent (v. l'ouvrage publié par l'Académie des sciences morales et politiques et l'Institut d'études législatives de l'Université Paris II, sous le titre « La confection de la loi », PUF 2005).

L'insécurité juridique tient surtout à ce que le flou et l'absence de normativité directe de ces propositions laissent une large place à l'« arbitraire » du juge. C'est lui finalement qui tranchera de l'application directe ou non de ces propositions non-normatives, de leur signification et de la portée qu'il convient de leur donner. Et on peut s'interroger sur la légitimité du juge à opérer ce travail de quasi-législation.

De même ne doit-on pas penser que l'affirmation, par le Conseil constitutionnel français, d'un principe constitutionnel de clarté et d'intelligibilité de la loi est pour partie liée à l'hétérogénéité des textes de lois qui mêlent dispositions non-normatives et réglementation (v. C. const., 10 juin 1998, Rec. p. 258 et surtout 16 déc. 1999, Rec. p. 136 - v. aussi B. MATHIEU et M. VERPEAUX, Contentieux constitutionnel, p. 175 et s.)23 ?

* * *

Dessaisine systématique du Parlement ; disqualification de la fonction et des formes de la loi. La loi, trop de lois, ne sont plus faites par le législateur ; la loi, trop de lois sont faites par des administrateurs et non par des juristes.

Les III et IVes Républiques avaient les décrets-lois qu'elles considéraient comme une pathologie remédiable. La Ve République a contracté une maladie plus lourde et qui ruine son système normatif, celle de la loi administrative.

Le 16 novembre 2005

Yves GAUDEMET

Professeur à l'Université Panthéon-Assas Paris II

mention que « la loi est par nature de portée normative ». v. J.-Ph. Feldman, « Sur la proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer l'autorité de la loi », D. 2005, p. 399.

22 « Consid. qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « la loi est l'expression de la volonté générale... » ; qu'il résulte de cet article comme de l'ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi que,

sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative ; consid. qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en

particulier, son article 34 ; qu'à cet égard le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent

d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer

des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ». 23 P. de MONTALIVET, La « juridicisation » de la legistique, À propos de l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, in La confection de la loi, ss. dir. R. DRAGO, précité, p. 99.

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II/ LA PROCEDURE LEGISLATIVE

ANNEXE des DOCUMENTS 4 à 8: Article 13, alinéa 5 de la Constitution du 4 octobre 1958 (extrait). « Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés. » Loi organique n° 2009-257 du 5 mars 2009 relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France « Article unique La nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France est soumise à la procédure prévue au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Dans chaque assemblée parlementaire, la commission permanente compétente se prononce après avoir entendu publiquement la personnalité dont la nomination lui est proposée. La nomination intervient après la publication au Journal officiel de l’avis des commissions parlementaires. » DOCUMENT 4 : Projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, n° 1209, déposé le 22 octobre 2008, (extraits). « Article 8 L’article 47-4 de la même loi est remplacé par les dispositions suivantes : « Art. 47-4. – Les présidents des sociétés France Télévisions, Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France sont nommés par décret pour cinq ans après avis conforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel. » Article 9 Le premier alinéa de l’article 47-5 de la même loi est remplacé par les dispositions suivantes : « Les mandats des présidents des sociétés France Télévisions, Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France peuvent leur être retirés par décret motivé, après avis conforme, également motivé, du Conseil supérieur de l’audiovisuel. ». » DOCUMENT 5 : Texte modifié par les amendements n°69 (art. 8) et 72 (art. 9), et adopté en 1ère lecture par l'Assemblée nationale le 17 décembre 2008, (extraits). « Article 8 L’article 47-4 de la même loi est ainsi rédigé : « Art. 47-4. – Les présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France sont nommés par décret pour cinq ans après avis conforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel et après avis des commissions parlementaires compétentes conformément à la loi organique n° du relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France. » Article 9 Le premier alinéa de l’article 47-5 de la même loi est ainsi rédigé : « Le mandat des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France peut leur être retiré par décret motivé, après avis conforme, également motivé, du Conseil supérieur de l’audiovisuel et avis des commissions parlementaires

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compétentes dans les mêmes conditions que celles prévues par la loi organique n° du précitée. ». » DOCUMENT 6 : Texte modifié en 1ère lecture par le Sénat le 16 janvier 2009 (amendements n°443 (art.8), n°20 et n°225 rect. (art.9)). « Article 8 L'article 47-4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi rédigé : « Art. 47-4. - Les présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France sont nommés par décret pour cinq ans après avis conforme du Conseil supérieur de l'audiovisuel et après avis des commissions parlementaires compétentes conformément à la loi organique n° du relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France. « Pour l'application du présent article, la commission parlementaire compétente dans chaque assemblée est celle chargée des affaires culturelles. » Article 9 Le premier alinéa de l'article 47-5 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi rédigé : « Le mandat des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France peut leur être retiré par décret motivé après avis conforme, également motivé, du Conseil supérieur de l'audiovisuel, émis à la majorité des membres le composant, et avis public des commissions parlementaires chargées des affaires culturelles. Il ne peut être procédé à ce retrait lorsque l'addition des votes positifs dans chaque commission représente moins de trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. ». » DOCUMENT 7 : Texte modifié par la Commission Mixte Paritaire le 29 janvier 2009, adopté par l’Assemblée Nationale le 3 février et par le Sénat le 4 février 2009. « Article 8 (Texte du Sénat) L’article 47-4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi rédigé : « Art. 47-4. – Les présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France sont nommés par décret pour cinq ans après avis conforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel et après avis des commissions parlementaires compétentes conformément à la loi organique n° du relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France. « Pour l’application du présent article, la commission parlementaire compétente dans chaque assemblée est celle chargée des affaires culturelles. » Article 9 (Texte élaboré par la commission mixte paritaire) Le premier alinéa de l’article 47-5 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi rédigé : « Le mandat des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France peut leur être retiré par décret motivé, après avis conforme, également motivé, du Conseil supérieur de l’audiovisuel, émis à la majorité des membres le composant, et avis public des commissions parlementaires compétentes dans les mêmes conditions que celles prévues par la loi organique n° du relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France. ». »

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DOCUMENT 8 : Conseil Constitutionnel, Loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, n°577 DC, 3 mars 2009 (extrait). [Note : Les articles 8 et 9 sont respectivement devenus les articles 13 et 14 après l’adoption définitive du projet de loi.] (...) - SUR L'ARTICLE 13 : 5. Considérant que l'article 13 de la loi déférée modifie le premier alinéa de l'article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986 susvisée ; qu'aux termes de cet alinéa : " Les présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France sont nommés par décret pour cinq ans après avis conforme du Conseil supérieur de l'audiovisuel et après avis des commissions parlementaires compétentes conformément à la loi organique n° du relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France " ; 6. Considérant que, selon les requérants, en transférant du Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité administrative indépendante, au Président de la République le pouvoir de nomination des présidents des sociétés nationales de programme, ces dispositions méconnaîtraient la liberté de communication, garantie par l'article 11 de la Déclaration de 1789, l'objectif constitutionnel du pluralisme des courants de pensées et d'opinions ainsi que, par voie de conséquence, les nouvelles dispositions de l'article 34 de la Constitution ; qu'ils font également valoir qu'en prévoyant un avis conforme du Conseil supérieur de l'audiovisuel, la loi violerait le dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution selon lequel il n'appartiendrait qu'à la commission compétente de chaque assemblée de se prononcer par un avis sur les emplois déterminés par la loi organique prévue par cet article ; 7. Considérant, en premier lieu, qu'en soumettant la nomination des présidents des sociétés nationales de programme à la procédure prévue par le dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution, le législateur organique a entendu, eu égard à l'importance de ces emplois pour la garantie des droits et libertés, imposer que les nominations soient prises en associant, par une audition et un avis publics, la représentation nationale ; 8. Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu de l'article 13 de la loi déférée, les nominations des présidents des sociétés nationales de programme ne peuvent intervenir qu'avec l'avis conforme du Conseil supérieur de l'audiovisuel ; qu'ainsi ces nominations ne peuvent être décidées sans l'accord de cette autorité administrative indépendante ; 9. Considérant, enfin, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le recours à la procédure prévue par le dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution n'interdisait pas au législateur de fixer ou d'ajouter, dans le respect de la Constitution et, notamment, du principe de la séparation des pouvoirs, des règles encadrant le pouvoir de nomination du Président de la République afin de garantir l'indépendance de ces sociétés et de concourir ainsi à la mise en œuvre de la liberté de communication ; 10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'article 13 de la loi déférée ne prive pas de garanties légales les exigences constitutionnelles résultant de l'article 11 de la Déclaration de 1789 ; - SUR L'ARTICLE 14 : 11. Considérant que l'article 14 de la loi déférée modifie le premier alinéa de l'article 47-5 de la loi du 30 septembre 1986 ; qu'aux termes de cet alinéa : " Le mandat des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France peut leur être retiré par décret motivé, après avis conforme, également motivé, du Conseil supérieur de l'audiovisuel, émis à la majorité des membres le composant, et avis public des commissions parlementaires compétentes dans les mêmes conditions que celles prévues par la loi organique n° du

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relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France " ; 12. Considérant que, selon les requérants, la possibilité de révoquer les présidents des sociétés nationales de programme par décret du Président de la République méconnaîtrait la liberté de communication, le pluralisme des courants de pensées et d'opinions et les nouvelles dispositions de l'article 34 de la Constitution ; 13. Considérant, d'une part, que le législateur a pu, pour assurer l'indépendance des sociétés nationales de programme, disposer que la décision de révocation des présidents de ces sociétés serait soumise à un avis conforme du Conseil supérieur de l'audiovisuel et à un avis public des commissions parlementaires compétentes ; que toutefois, en permettant aux commissions parlementaires d'exercer un droit de veto à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, alors que le dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution n'a rendu possible un tel veto que dans le cadre de l'exercice du pouvoir de nomination du Président de la République, la disposition précitée méconnaît tant la portée de cet article que le principe de la séparation des pouvoirs ; que, dès lors, les dispositions selon lesquelles l'avis public des commissions parlementaires s'exercerait " dans les mêmes conditions que celles prévues par la loi organique n° du relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France " doivent être déclarées contraires à la Constitution ; 14. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 14, la décision éventuelle de révocation des présidents des sociétés nationales de programme par le Président de la République devra être motivée au regard de la nécessité de mettre fin, par anticipation, au mandat de cinq ans prévu par la loi ; que le mandat ne pourra être retiré qu'avec l'avis conforme, également motivé, du Conseil supérieur de l'audiovisuel émis à la majorité des membres le composant ; que les motifs d'une telle décision seront soumis, au préalable, à l'avis public des commissions compétentes des deux assemblées ; qu'enfin, ces motifs pourront, le cas échéant, être contestés devant la juridiction administrative compétente ; 15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'article 14 de la loi déférée, dans sa rédaction issue de la censure résultant du considérant 13, ne prive pas de garanties légales les exigences constitutionnelles précitées ; (…) D É C I D E : Article premier.- Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision : - au second alinéa de l'article 14, les mots : " dans les mêmes conditions que celles prévues par la loi organique n° du relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France " ; (…)

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III/ LE RECOURS AUX ORDONNANCES DOCUMENT 9 : Loi n°2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, article 57. (...) Article 57 I. - Dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnance à l’adaptation des dispositions législatives du code du travail à droit constant, afin d’y inclure les dispositions de nature législative qui n’ont pas été codifiées, d’améliorer le plan du code et de remédier, le cas échéant, aux erreurs ou insuffisances de codification. II. - Les dispositions codifiées en vertu du I sont celles en vigueur au moment de la publication de l’ordonnance, sous la seule réserve de modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l’état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions, codifiées ou non, devenues sans objet. En outre, le Gouvernement peut, le cas échéant, étendre l’application des dispositions codifiées à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française, aux Terres australes et antarctiques françaises et aux îles Wallis et Futuna avec les adaptations nécessaires. III. - L’ordonnance doit être prise dans un délai de neuf mois suivant la publication de la présente loi. Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance. DOCUMENT 10 : Ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007, relative au code du travail (extraits) Le Président de la République,

Sur le rapport du Premier ministre et du ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du

logement,

Vu la Constitution, notamment son article 38 ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de l’action sociale et des familles ;

Vu le code de l’éducation ;

Vu le code minier ;

Vu le code rural ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code du sport ;

Vu le code du travail applicable à Mayotte ;

Vu la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de

l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social,

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notamment son article 57 ;

Vu les avis de la Commission supérieure de codification en date du 5 juillet 2005 et des 7

avril, 7 juin, 18 octobre et 13 novembre 2006 ;

Le Conseil d’Etat entendu ;

Le conseil des ministres entendu,

Article 1 Les dispositions de l’annexe 1 à la présente ordonnance constituent la partie législative du code du travail. Article 2 Les dispositions de la partie législative du code du travail qui citent, en les reproduisant, des articles d’autres codes ou d’autres textes législatifs sont de plein droit modifiées par l’effet des modifications ultérieures de ces articles. Article 3 Les références contenues dans les dispositions de nature législative à des dispositions abrogées par la présente ordonnance sont remplacées par les références aux dispositions correspondantes du code du travail. (…) Article 15 Le Premier ministre, le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, le ministre de l’outre-mer et le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de l’application de la présente ordonnance, qui sera publiée au Journal officiel de la République française. Par le Président de la République :

Jacques Chirac

Le Premier ministre,

Dominique de Villepin

Le ministre de l’emploi,

de la cohésion sociale et du logement,

Jean-Louis Borloo

Le ministre de l’outre-mer,

François Baroin

Le ministre délégué à l’emploi, au travail

et à l’insertion professionnelle des jeunes,

Gérard Larcher

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DOCUMENT 11 : Conseil Constitutionnel, décision n°2007-561 DC du 17 janvier 2008, « Loi ratifiant l’ordonnance du 12 mars 2007 relative au code du travail » LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil

constitutionnel ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de l’éducation ;

Vu la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de

l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, notamment son

article 57 ;

Vu l’ordonnance n° 2005-1478 du 1er décembre 2005 de simplification du droit dans le domaine des

élections aux institutions représentatives du personnel ;

Vu l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail ;

Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 9 janvier 2008 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi ratifiant l’ordonnance du 12 mars 2007 relative au code du travail ; qu’ils estiment qu’elle est destinée à « rendre sans objet les recours engagés devant la juridiction administrative contre cette ordonnance en donnant une valeur législative à l’ordonnance qu’elle ratifie » ; qu’ils soutiennent, en outre, qu’un certain nombre de ses dispositions méconnaissent l’exigence constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, le « principe de codification à droit constant » ainsi que la répartition des compétences fixée par les articles 34 et 37 de la Constitution ; - SUR LE GRIEF TIRÉ DE L’ATTEINTE AU DROIT AU RECOURS : 2. Considérant qu’aux termes des deux premiers alinéas de l’article 38 de la Constitution : « Le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. « Les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis du Conseil d’État. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation » ; 3. Considérant qu’aux termes de l’article 57 de la loi du 30 décembre 2006 susvisée : « I. - Dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnance à l'adaptation des dispositions législatives du code du travail à droit constant, afin d'y inclure les dispositions de nature législative qui n'ont pas été codifiées, d'améliorer le plan du code et de remédier, le cas échéant, aux erreurs ou insuffisances de codification. - II. - Les dispositions codifiées en vertu du I sont celles en vigueur au moment de la publication de l'ordonnance, sous la seule réserve de modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l'état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions, codifiées ou non, devenues sans objet… - III. - L'ordonnance doit être prise dans un délai de neuf mois suivant la publication de la présente loi. Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance » ; que l’ordonnance a été prise en conseil des ministres le 12 mars 2007 et publiée le lendemain au Journal officiel de la République française ; que le projet de loi de ratification a été déposé devant le Sénat le 18 avril 2007 ;

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4. Considérant que le Gouvernement, en déposant le projet de loi ratifiant cette ordonnance, et le Parlement, en l’adoptant, se sont bornés à mettre en œuvre les dispositions de l’article 38 de la Constitution sans porter atteinte ni au droit à un recours juridictionnel effectif ni au droit à un procès équitable, qui découlent de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; - SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DE L’EXIGENCE D’INTELLIGIBILITÉ ET D’ACCESSIBILITÉ DE LA LOI : 5. Considérant que, selon les requérants, l’ordonnance du 12 mars 2007, que la loi déférée ratifie, serait « complexe » et « confuse » au point de méconnaître l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ; qu’ils lui reprochent, en premier lieu, de transférer vers d’autres codes de nombreuses dispositions qui figuraient jusqu’à présent dans le code du travail, ce qui entraînerait un « éclatement » et une « segmentation » de celui-ci ; qu’il en irait ainsi de l’article L. 231-2-2 relatif aux commissions d’hygiène et de sécurité dans les lycées techniques ou professionnels dont les dispositions sont reprises dans le code de l’éducation ; qu’ils contestent, en deuxième lieu, le plan du nouveau code du travail qui remplace les neuf livres de l’ancien code par huit parties ; qu’ils mettent notamment en cause les options retenues en ce qui concerne les dispositions relatives aux salaires et aux procédures collectives de licenciement économique ; qu’ils critiquent, en troisième lieu, le choix de présenter « une idée par article », qui conduit à faire passer le nombre des articles législatifs de 1891 à 3652 et à « mettre sur le même plan la règle principale de droit, la règle qui en découle et la dérogation éventuelle » ; qu’ils citent, en particulier, l’article L. 122-14-4 relatif aux indemnités dues en cas de non respect de la procédure de licenciement, dont les dispositions font désormais l’objet de six articles, ainsi que le III de l’article L. 212-15-3 dont les dispositions font l’objet de sept articles ; 6. Considérant que la codification répond à l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 ; qu’en effet l’égalité devant la loi énoncée par l’article 6 de la Déclaration et « la garantie des droits » requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ; qu’une telle connaissance est en outre nécessaire à l’exercice des droits et libertés garantis tant par l’article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet exercice n’a de bornes que celles déterminées par la loi, que par son article 5, aux termes duquel « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas » ; 7. Considérant, d’une part, que le législateur a entendu intégrer ou maintenir dans le code du travail l’ensemble des dispositions de portée générale et déplacer, au demeurant de manière limitée, celles qui sont propres à certains secteurs d’activité ou catégories professionnelles dans les codes les régissant ; qu’il a ainsi fait figurer les dispositions relatives aux commissions d’hygiène et de sécurité dans les lycées techniques ou professionnels à l’article L. 421-25 du code de l’éducation ; 8. Considérant, d’autre part, que le plan du nouveau code du travail a été élaboré afin de le rendre plus accessible à ses utilisateurs, en regroupant dans des blocs homogènes des dispositions jusqu’alors éparses ; que cette logique explique l’intégration des dispositions sur les salaires dans la troisième partie relative à la durée du travail, au salaire et à la participation, qui relèvent à la fois des relations individuelles et des relations collectives du travail, ainsi que le regroupement des dispositions relatives aux procédures collectives de licenciement économique avec l’ensemble des règles de licenciement au titre III du livre II de la première partie ; 9. Considérant, enfin, que les scissions d’articles ont eu pour objet de séparer les règles de fond des règles de forme ou les principes de leurs dérogations ; que cette approche, qui a d’ailleurs été approuvée par la Commission supérieure de codification, améliore la lisibilité des dispositions concernées, incluses jusqu’à présent dans des articles souvent excessivement longs et dont le décompte des alinéas s’avérait malaisé ; qu’il en est ainsi de l’ancien article L. 122-14-4 dont le contenu a été repris par les articles nouveaux L. 1235-2, L. 1235-3, L. 1235-4, L. 1235-11, L. 1235-12 et L. 1235-13 ; qu’il en est également ainsi du III de l’article L. 212-15-3 dont le contenu a été repris par les articles L. 3121-45 à L. 3121-49, L. 3121-51 et L. 3171-3 nouveaux du code du travail ; qu’il

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résulte des termes mêmes de l’article L. 3121-51, dans sa rédaction résultant du 38° de l’article 3 de la loi déférée, que les accords prévoyant des conventions de forfait en jours pour les salariés non cadres doivent comporter l’ensemble des clauses prévues par l’article L. 3121-45 ; 10. Considérant, dans ces conditions, que, loin de méconnaître les exigences résultant de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, le nouveau code du travail tend, au contraire, à les mettre en œuvre ; - SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA VIOLATION DU « PRINCIPE DE CODIFICATION A DROIT CONSTANT » ET DES ARTICLES 34 ET 37 DE LA CONSTITUTION : 11. Considérant que, selon les requérants, « en allant très au-delà des exceptions, prévues par l’article 57 de la loi du 30 décembre 2006, au principe de codification à droit constant », le Gouvernement aurait méconnu la répartition des compétences entre les articles 34 et 37 de la Constitution ; que le Gouvernement a procédé à de nombreux ajouts de normes et à l’abrogation de nombreuses dispositions ; que l’article 57 précité n’habilitait pas le Gouvernement à déclasser des dispositions de la partie législative du code du travail, notamment celles définissant les compétences de l’inspection du travail et des conseils de prud’hommes ; que l’introduction dans le code d’éléments de jurisprudence, tels que l’obligation prévue par l’article L. 1233-2 du code du travail que le licenciement pour motif économique soit justifié par une cause réelle et sérieuse, excéderait l’habilitation de l’article 57 et méconnaîtrait la hiérarchie des normes ; qu’enfin, l’utilisation du présent de l’indicatif dans les articles du nouveau code priverait de tout caractère impératif les obligations faites à l’employeur ; 12. Considérant, en premier lieu, qu’est inopérant à l’égard d’une loi de ratification le grief tiré de ce que l’ordonnance ratifiée aurait outrepassé les limites de l’habilitation ; 13. Considérant, en deuxième lieu, qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical et fixe les règles concernant la création de nouveaux ordres de juridiction ; que, si le deuxième alinéa de l’article 37 de la Constitution ouvre au Gouvernement la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel aux fins de déclarer que des textes de forme législative, intervenus après l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958, ont un caractère réglementaire et peuvent donc être modifiés par décret, il est loisible au législateur d’abroger lui-même des dispositions de nature réglementaire figurant dans des textes législatifs ; qu’en vertu de l’habilitation qui lui a été consentie en application de l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement pouvait donc procéder à de telles abrogations ; 14. Considérant, d’une part, que l’article L. 2314-11 nouveau du code du travail reprend les dispositions de l’article L. 423-3 de l’ancien code, dans sa rédaction modifiée par l’article 2 de l’ordonnance du 1er décembre 2005 susvisée, qui prévoient, pour l’élection des délégués du personnel, qu’en cas d’absence d’accord sur la répartition du personnel dans les collèges électoraux et la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel « l’autorité administrative procède à cette répartition » ; que l’article L. 2324-13 du nouveau code comporte une disposition identique pour l’élection des représentants du personnel au comité d’entreprise ; que, si l’indépendance de l’inspection du travail doit être rangée au nombre des principes fondamentaux du droit du travail au sens de l’article 34 de la Constitution, la détermination de l’autorité administrative chargée des attributions en cause au sein du « système d’inspection du travail », au sens du titre II du livre premier de la huitième partie du nouveau code, relève du pouvoir réglementaire ; que, sous cette réserve, le grief tiré de ce que la référence à « l’autorité administrative » méconnaîtrait la répartition des compétences résultant des articles 34 et 37 de la Constitution doit être écarté ; 15. Considérant, d’autre part, que, si, en raison du caractère paritaire de leur composition et de la nature de leurs attributions, les conseils de prud’hommes constituent un ordre de juridiction au sens de l’article 34 de la Constitution, les articles L. 1411-1 à L. 1411-6 et L. 1422-1 à L. 1422-3 du nouveau code du travail définissent leurs compétences ; que, dès lors, le grief tiré de ce que le nouveau code ferait référence à « l’autorité judiciaire en lieu et place du conseil des prud’hommes » manque en fait ; 16. Considérant, en troisième lieu, que l’exigence d’une cause réelle et sérieuse pour procéder à un

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licenciement pour motif économique résulte des dispositions des articles L.122-14-3 et L.122-14-4 de l’ancien code du travail ; que, dès lors, le grief tiré de ce que le nouveau code aurait procédé à une codification de la jurisprudence manque en fait ; 17. Considérant, en quatrième lieu, que, l’emploi du présent de l’indicatif ayant valeur impérative, la substitution du présent de l’indicatif à une rédaction formulée en termes d’obligation ne retire pas aux dispositions du nouveau code du travail leur caractère impératif ; 18. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la violation des articles 34 et 37 de la Constitution doit être rejeté ; 19. Considérant qu’il n’y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d’office aucune question de conformité à la Constitution, D É C I D E : Article premier.- Sont déclarés conformes à la Constitution, tels qu’ils résultent de la loi ratifiant l’ordonnance du 12 mars 2007 susvisée : - les articles L. 1233-2, L. 1235-2, L. 1235-3, L. 1235-4, L. 1235-11, L. 1235-12, L. 1235-13, L. 1411-

1 à L. 1411-6, L. 1422-1 à L. 1422-3 du code du travail ;

- les articles L. 2314-11 et L. 2324-13 du même code, sous la réserve énoncée au considérant 14 ;

- les articles L. 3121-45 à L. 3121-49, L. 3121-51 et L. 3171-3 du même code ;

- l’article L. 421-25 du code de l’éducation.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française. Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 janvier 2008, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, MM. Guy CANIVET, Jacques CHIRAC, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE et Valéry GISCARD d’ESTAING, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Pierre JOXE et Jean-Louis PEZANT, Mme Dominique SCHNAPPER et M. Pierre STEINMETZ.

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DOCUMENT 12 : Loi n°2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant l’ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (extraits) L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté,

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008 ;

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Article 1 L’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative) est ratifiée dans sa rédaction modifiée par les articles 2, 3, 4, 6 et 7 de la présente loi. (…) Fait à Paris, le 21 janvier 2008. Par le Président de la République :

Nicolas Sarkozy

Le Premier ministre,

François Fillon

La ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales,

Michèle Alliot-Marie

La ministre de l’économie, des finances et de l’emploi,

Christine Lagarde

Le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité,

Xavier Bertrand