Cellules souches embryonnaires et applications thérapeutiques

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IMMUNO-HÉMATOLOGIE REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - DÉCEMBRE 2010 - N°427 // 41 article reçu le 30 juin, accepté le 29 septembre 2010 © 2010 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. article reçu le 30 juin accepté le 29 septembre 2010 a INSERM/UEVE UMR 861 – I-STEM – AFM Campus 1 – Génopole 5, rue Henri-Desbruères 91030 Évry * Correspondance Les trois auteurs ont contribué à part égale à l’élaboration de cet article [email protected], [email protected], [email protected] RÉSUMÉ Les cellules souches pluripotentes ont un potentiel de division infini et la capacité à générer (dans les conditions adaptées) n’importe quelle cellule spécialisée et fonctionnelle de l’organisme. On les obtient notamment à partir de la masse cellulaire interne de blastocystes (cellule souche embryonnaire) ou par reprogrammation forcée de cellules différenciées (cellules induites à la pluripotence – ou iPS). Ces cellules vont jouer un rôle majeur dans les prochaines années au niveau des applications cliniques en thérapie cellulaire. Leur utilisation est déjà engagée dans des pathologies neurologiques et épidermiques. En effet, à partir des recherches fonda- mentales effectuées au laboratoire, un passage à la clinique peut d’ores et déjà être envisagé. Un grand nombre d’étapes reste encore à franchir mais l’espoir de traitements avec ces cellules souches pluripotentes n’est plus de la science fiction mais une réalité à moyen terme. Cellule souche – cellule souche embryonnaire – CSE – cellule souche pluripotente – cellule souche induite à la pluripotence – iPS – thérapie cellulaire. 1.1. De l’embryocarcinome aux cellules souches embryonnaires Cet article s’intéresse à un type particulier de cellules souches, plus précoces et encore plus indifférenciées que les cellules souches adultes : les cellules souches pluri- potentes. La majorité des connaissances cellulaires ayant mené à leur découverte trouvent leur origine au milieu du XX e siècle dans l’étude d’un type particulier de tumeur : le teratocarcinome de lignée germinale [1]. Cette tumeur forme un amas cellulaire comprenant tous types de tissus mélangés sans cohérence ni organisation : on y trouve de l’os, du muscle, de la peau, des nerfs, des poils, mais aussi des cellules germinales dégénérées qui en sont à l’origine – les cellules souches d’embryocarcinome. Ces cellules (issues des progéniteurs de gamètes – ovules ou spermatozoïdes) se comportent pour une raison inconnue comme si la fécondation avait eu lieu et commencent à suivre une partie du programme génétique de formation de tissus embryonnaires. Les recherches qui ont suivi ont montré qu’une seule de ces cellules, implantée dans une souris, était capable de reformer une tumeur similaire, avec la même diversité de tissus mélangés : preuve de leur pluripotence [2, 3]. De plus, il a été démontré que ces cellules, injectées dans un embryon très précoce (au stade blastocyste), participaient sans tumorigénicité à la formation de la souris à naître. L’idée est donc venue 1. Introduction De nombreux tissus de notre organisme ont une capacité intrinsèque à se régénérer. C’est par exemple le cas de la peau, du sang ou de la paroi interne de l’intestin. Les cellules souches permettent ce phénomène : ce sont des cellules indifférenciées (non spécialisées) qui sont capables de se diviser de nombreuses fois mais aussi de se spécialiser dans un certain nombre de types cellulaires différenciés et fonctionnels. Prélevées dans un organe ou un tissu spécifique, ces cellules souches qualifiées d’« adultes », ou cellules progénitrices, sont typiquement capables d’engendrer les différents types cellulaires du tissu ou de l’organe dont elles sont issues : une cellule souche adulte neurale pourra par exemple former les types cellulaires présents dans le système nerveux central, mais pas du tissu cardiaque ou cutané (figure 1). SUMMARY Embryonic stem cells and therapeutic applications Pluripotent stem cells display unlimited ability to divide and the capacity to generate (under specific conditions) any specialized and functional cell of an organism. They can be obtained from the inner cell mass of a blastocyst (embryonic stem cell) or by forcing reprogramming upon differentiated cells (in- duced pluripotent cells – or iPS). Clinical applications of those cells in cell therapies will become increasin- gly central; validation for neurologic and epidermic pathologies are already initiated. Indeed, the current state of fundamental research allows derivation of functional cell types that is ready to translate into clinics. Despite the numerous steps remaining ahead, we stopped nonetheless to describe it as science fiction but simply a mere middle term delay before entering the bedside. Stem cell - embryonic stem cell - ES cell - hES - pluripotent stem cell - induced pluripotent stem cell - iPS - cell therapy. Sébastien Duprat a, *, Gille Lemaître a, *, Brigitte Onteniente a, * Cellules souches embryonnaires et applications thérapeutiques

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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - DÉCEMBRE 2010 - N°427 // 41

article reçu le 30 juin, accepté le 29 septembre 2010

© 2010 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.article reçu le 30 juin accepté le 29 septembre 2010

a INSERM/UEVE UMR 861 – I-STEM – AFMCampus 1 – Génopole5, rue Henri-Desbruères91030 Évry

* CorrespondanceLes trois auteurs ont contribué à part égale à l’élaboration de cet [email protected], [email protected], [email protected]

RÉSUMÉ

Les cellules souches pluripotentes ont un potentiel de division infini et la capacité à générer (dans les conditions adaptées) n’importe quelle cellule spécialisée et fonctionnelle de l’organisme. On les obtient notamment à partir de la masse cellulaire interne de blastocystes (cellule souche embryonnaire) ou par reprogrammation forcée de cellules différenciées (cellules induites à la pluripotence – ou iPS). Ces cellules vont jouer un rôle majeur dans les prochaines années au niveau des applications cliniques en thérapie cellulaire. Leur utilisation est déjà engagée dans des pathologies neurologiques et épidermiques. En effet, à partir des recherches fonda-mentales effectuées au laboratoire, un passage à la clinique peut d’ores et déjà être envisagé. Un grand nombre d’étapes reste encore à franchir mais l’espoir de traitements avec ces cellules souches pluripotentes n’est plus de la science fiction mais une réalité à moyen terme.

Cellule souche – cellule souche embryonnaire – CSE – cellule souche pluripotente – cellule souche induite à la pluripotence – iPS – thérapie cellulaire.

1.1. De l’embryocarcinome aux cellules souches embryonnairesCet article s’intéresse à un type particulier de cellules souches, plus précoces et encore plus indifférenciées que les cellules souches adultes : les cellules souches pluri-potentes. La majorité des connaissances cellulaires ayant mené à leur découverte trouvent leur origine au milieu du XXe siècle dans l’étude d’un type particulier de tumeur : le teratocarcinome de lignée germinale [1]. Cette tumeur forme un amas cellulaire comprenant tous types de tissus mélangés sans cohérence ni organisation : on y trouve de l’os, du muscle, de la peau, des nerfs, des poils, mais aussi des cellules germinales dégénérées qui en sont à l’origine – les cellules souches d’embryocarcinome. Ces cellules (issues des progéniteurs de gamètes – ovules ou spermatozoïdes) se comportent pour une raison inconnue comme si la fécondation avait eu lieu et commencent à suivre une partie du programme génétique de formation de tissus embryonnaires. Les recherches qui ont suivi ont montré qu’une seule de ces cellules, implantée dans une souris, était capable de reformer une tumeur similaire, avec la même diversité de tissus mélangés : preuve de leur pluripotence [2, 3]. De plus, il a été démontré que ces cellules, injectées dans un embryon très précoce (au stade blastocyste), participaient sans tumorigénicité à la formation de la souris à naître. L’idée est donc venue

1. Introduction

De nombreux tissus de notre organisme ont une capacité intrinsèque à se régénérer. C’est par exemple le cas de la peau, du sang ou de la paroi interne de l’intestin. Les cellules souches permettent ce phénomène : ce sont des cellules indifférenciées (non spécialisées) qui sont capables de se diviser de nombreuses fois mais aussi de se spécialiser dans un certain nombre de types cellulaires différenciés et fonctionnels. Prélevées dans un organe ou un tissu spécifique, ces cellules souches qualifiées d’« adultes », ou cellules progénitrices, sont typiquement capables d’engendrer les différents types cellulaires du tissu ou de l’organe dont elles sont issues : une cellule souche adulte neurale pourra par exemple former les types cellulaires présents dans le système nerveux central, mais pas du tissu cardiaque ou cutané (figure 1).

SUMMARY

Embryonic stem cells and therapeutic applications

Pluripotent stem cells display unlimited ability to divide and the capacity to generate (under specific conditions) any specialized and functional cell of an organism. They can be obtained from the inner cell mass of a blastocyst (embryonic stem cell) or by forcing reprogramming upon differentiated cells (in-duced pluripotent cells – or iPS). Clinical applications of those cells in cell therapies will become increasin-gly central; validation for neurologic and epidermic pathologies are already initiated. Indeed, the current state of fundamental research allows derivation of functional cell types that is ready to translate into clinics. Despite the numerous steps remaining ahead, we stopped nonetheless to describe it as science fiction but simply a mere middle term delay before entering the bedside.

Stem cell - embryonic stem cell - ES cell - hES - pluripotent stem cell - induced pluripotent stem cell

- iPS - cell therapy.

Sébastien Duprata,*, Gille Lemaîtrea,*, Brigitte Ontenientea,*

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Plus récemment, en 2007, la famille des cellules souches pluripotentes s’est agrandie avec la découverte d’une nouvelle méthode de dérivation de lignées. Chaque cellule d’un organisme possède tous les gènes de son espèce dans ses chromosomes, mais n’en utilise que certains à un moment donné : les gènes spécifiques aux fonctions neurales pour un neurone, ou les gènes qui maintiennent un état indifférencié et permettent la division de la cellule souche. Après de longues recherches, une équipe japonaise a identifié la combinaison de 4 gènes qui poussent – si on en force l’expression dans une cellule différenciée adulte – la cellule à changer son identité, perdant ses fonctions de cellule différenciée et retrouvant ses capacités de cellule souche pluripotente : c’est la cellule souche pluripotente induite (iPS) [7, 8, 9]. Cette phase de « réinitialisation » du développement se fait en contradiction avec le fonction-nement naturel des cellules, et reste en conséquence un événement rare (autour de 0,01 % dans les meilleures conditions) ; mais l’obtention d’une unique cellule souche pluripotente est suffisante pour en former une lignée, la proportion faible de cellules reprogrammées n’est donc pas un obstacle.Le champ d’application des cellules souches pluripotentes s’est grandement élargi avec l’arrivée des iPS. En effet, au lieu d’être dépendant des embryons surnuméraires de fécondation in vitro, des cellules adultes suffisent pour déri-ver une lignée de cellule souche pluripotente. L’avantage majeur est la possibilité de créer des modèles cellulaires dont le patrimoine génétique est porteur d’une mala-

d’isoler et de cultiver directement les cellules de la masse cellulaire interne de blastocystes. On obtint les premières lignées de cellules souches embryonnaires (CSE), murines dès 1981 [4, 5] et humaines depuis 1998 [6]. L’embryocar-cinome n’est qu’une « caricature » des CSE – il comporte de nombreuses anomalies chromosomiques – mais les similitudes de comportement (notamment in vitro) ont été très utiles au développement des méthodes d’études des CSE.

1.2. Les cellules souches pluripotentesLes CSE possèdent un potentiel de division infini et ont la capacité de former – dans l’environnement cellulaire adapté – n’importe quel type cellulaire de l’organisme. Ces capacités exceptionnelles ont depuis longtemps fait naître les espoirs de créer une médecine régénératrice adaptée à de nombreuses maladies encore incurables (comme la maladie de Parkinson) ou impliquant des traitements lourds et chroniques (tel le diabète). Les applications de ces cellules pluripotentes dépassent en fait la médecine cellulaire : en effet, ces cellules allient les caractéristiques idéales pour produire des banques (capacité infinie de divi-sion) et un potentiel de différentiation universel. Elles sont un outil idéal de modélisation cellulaire pour la recherche. De plus, quand un modèle défini est identifié (par exemple la différenciation en cellules hépatiques ou neurales), on peut tester in vitro une grande quantité de molécules sur ce modèle, soit pour évaluer la toxicité d’un produit, soit pour identifier un médicament potentiel.

Figure 1 – Étapes du développement humain et types de cellules souches rencontrées.

En noir : éléments constitutifs de chaque étape du développement . En rouge : cellules souches présentes et leur potentiel. Il n’y a pas de cellules iPS dans la nature, elles n’existent que par reprogrammation artificielle de cellules différenciées – leur potentiel est comparable à celui des CSE.

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derme, parfaitement contrôlé, serait donc une solution aux problèmes posés par les techniques existantes. Dans ce contexte, il serait intéressant d’envisager la mise au point d’épiderme pluristratifié utilisant des kératinocytes dérivés de cellules souches embryonnaires humaines (CSEh).L’engagement des CSEh dans le lignage épidermique a été rendu possible en combinant à la fois une co-culture de cellules nourricières et un traitement pharmacologique de plus de 40 jours [13]. L’équipe d’I-STEM a ainsi montré que deux lignées de cellules hES engagées dans ce pro-cessus de différenciation respectent la chronobiologie du développement embryonnaire de la peau humaine. Dans un premier temps, la perte des capacités pluripotentes des cellules CSEh a été démontrée par la diminution d’ex-pression du facteur de transcription OCT4. Ces cellules acquièrent par la suite un phénotype de cellules d’épithélium simple avant de s’engager définitivement dans le lignage kératinocytaire, vérifié par l’expression de la kératine 14. À la fin des 40 jours de différenciation, une population de cellules présentant l’ensemble des marqueurs carac-téristiques des kératinocytes basaux adultes a alors été isolée et amplifiée.La capacité de ces cellules à générer un épiderme pluris-tratifié a, dans un deuxième temps, été mise en évidence in vitro. Pour cela, les cellules ont été ensemencées sur une matrice artificielle de polycarbonate puis placées à l’interface air/liquide pendant 10 jours. Dans ces conditions, les cellules se sont différenciées pour former un épiderme pluristratifié qui présente l’ensemble des couches de l’épi-derme humain. Dans le but de transposer ce modèle à la thérapie cellulaire, nous avons dans un deuxième temps réalisé des études de greffe in vivo chez la souris. Des sou-ris immunodéficientes ont ainsi été greffées sur la région dorsale avec des épidermes dérivés de cellules CSEh produites en culture. Douze semaines après la greffe, le greffon présentait une architecture pluristratifiée similaire à celle d’une peau adulte.La prochaine étape sera l’obtention d’un substitut tem-poraire prêt à l’emploi (pour recouvrir une plaie) ayant une qualité contrôlée et adaptée aux normes d’utilisation clinique. Ceci à tous les stades à partir du début de déri-vation de la lignée CSEh jusqu’à l’obtention du produit fini (kératinocytes ou épiderme). La stabilité du génome sera particulièrement suivie, ainsi que la sécurité du greffon, ce qui implique en particulier que ces cellules doivent impérativement être dépourvues de capacité tumorigène.Un premier essai clinique est envisagé pour produire un substitut temporaire de la peau chez un nombre limité de patients. Si cet essai est concluant, nous pourrons penser à produire un substitut permanent de peau. Le problème majeur sera ensuite le statut immunitaire de l’épiderme issu des CSEh. Nous espérons que le très faible niveau d’expression des antigènes du complexe majeur d’histo-compatibilité (CMH) permettra à ce substitut d’être bien toléré. Cela a été effectivement observé avec de l’épiderme dérivé de cellules de peau du fœtus et le résultat est encou-rageant [14]. En raison de leur stade de développement précoce, les kératinocytes dérivés des CSEh expriment peu ou pas d’antigènes CMH, ce qui suggère une faible immunogénicité du substitut de la peau au cours de la période de trois semaines, moment de son utilisation chez

die humaine – en dérivant une lignée iPS à partir d’une biopsie de patient. On peut donc étudier les phases pré-coces de développement de certaines maladies, obtenir des modèles in vitro très proches de la réalité médicale et tester des médicaments potentiels sur ce modèle de maladie. Des travaux de comparaison des CSE et des iPS sont en cours pour évaluer les différences des deux types cellulaires – principalement dans le contexte de sécurité d’utilisation ou d’efficacité pour des thérapies cellulaires, et pour la pertinence des modèles pathologiques qu’ils permettent de produire. La grande diversité des opinions exprimées par les experts montre l’ampleur des aspects qu’il nous reste à étudier et comprendre avant de pouvoir se prononcer sur la complémentarité des CSE et des iPS, ou la possibilité d’accomplir l’ensemble de nos objectifs avec uniquement l’un ou l’autre de ces types cellulaires.La recherche sur les cellules souches pluripotentes est encore très jeune. Des avancées majeures ont été réali-sées ces dernières années, mais beaucoup d’obstacles demeurent pour une utilisation en routine et dans un large spectre d’application de ces cellules. Pourtant, les pre-miers essais cliniques sont en cours et les espoirs à long terme sont réels. L’entreprise américaine Geron a obtenu en 2009 l’autorisation de traiter une dizaine de victimes d’accidents vertébraux avec des CSE dans le but d’éviter ou de réduire l’étendue de la paralysie. En France également, les essais cliniques impliquant des cellules pluripotentes sont en préparation, pour des pathologies cardiaques [10]. L’Institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des maladies monogéniques (I-STEM) situé à Évry est également un acteur majeur dans la recherche et l’utilisation des cellules pluripotentes humaines, avec deux essais préclinique en cours : sur les pathologies de l’épiderme et la maladie de Huntington.

2. Thérapie cellulaire de

l’épiderme : un nouvel espoir

apporté par les cellules souches

embryonnaires humaines

La thérapie cellulaire de l’épiderme est actuellement utilisée avec succès, en particulier chez les grands brûlés [11]. Cependant, l’une de ses limites est le temps nécessaire pour produire une quantité suffisante d’épiderme pour couvrir les zones touchées, laissant le patient non pro-tégé pendant cet intervalle. Depuis quelques années, la recherche a mené à l’élaboration de substituts cutanés qui aident à protéger les patients durant la période précédant la greffe. Le remplacement temporaire de la peau comprend l’utilisation de peau de cadavre, dont l’approvisionnement est difficile, ou de peau de porc dé-épidermisée. Ces deux traitements sont potentiellement rejetés par le système immunitaire du brûlé. Des matrices synthétiques alternatives contenant des cellules allogéniques de peaux adultes et du collagène bovin ont été mises au point mais peuvent causer un rejet de greffe et contenir des contaminants [12].L’accès rapide à une source illimitée de cellules épider-miques à partir de cellules souches embryonnaires qui peuvent reconstituer en laboratoire et à l’avance un épi-

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Les pathologies neurodégénératives, comme la mala-die de Huntington, de Parkinson ou d’Alzheimer, ou encore la sclérose latérale amyotrophique (SLA) ont un développement progressif et évoluent sur plusieurs années, parfois décennies. L’étiologie de ces maladies est encore mal connue et les traitements principalement symptomatiques.Les lésions aiguës sont d’origine vasculaire (accidents vasculaires cérébraux - ACV) ou traumatique. Les causes et les facteurs de risques sont bien identifiés. En revanche, elles endommagent le cerveau de façon imprévisible et rapide, et ni la localisation de l’infarctus ou du traumatisme, ni leur sévérité, ne sont prédictibles. Dans certains cas, maladie d’Alzheimer ou démences associées liées à l’apparition d’infarctus lacunaires, les deux types de lésions s’associent. Ces particularités font que les approches de thérapie cellulaire ne peu-vent être généralisées et devront être élaborées pour chacune des pathologies selon des normes et avec des objectifs différents.

4. Les maladies

neurodégénératives

Une difficulté majeure de la thérapie cellulaire pour les pathologies neurologiques est la diversité des localisations et de l’étendue spatiale et temporelle des pertes neuronales.

4.1. Thérapie cellulaire pour la maladie de Parkinson, les travaux pionniersDeux pathologies neurodégénératives présentent un cas « simple » pour la médecine régénérative, la maladie de Par-kinson et la maladie de Huntington. La maladie de Parkinson a été la première à faire l’objet d’essais cliniques en théra-pie cellulaire. La raison en est simple. Cette pathologie est

les patients. Ceci n’est cependant à ce stade qu’une hypo-thèse de travail et nous avons l’intention d’analyser cette possibilité dans des modèles animaux pertinents. Nous savons par ailleurs qu’une analyse immunohistochimique, après 3 mois de greffe de la peau humaine chez la souris, n’a pas permis de détecter une augmentation de l’expres-sion de l’ensemble des antigènes du CMH. Une période de trois mois, cependant, est beaucoup trop courte pour permettre de tirer une conclusion.Ces résultats, très encourageants, offrent des perspectives d’applications nouvelles (figure 2). Ces cellules peuvent être proposées comme pansement biologique pour trai-ter les victimes de brûlures, mais aussi de traiter d’autres affections cutanées : les troubles génétiques de la peau telles que l’épidermolyse bulleuse (maladie monogénique caractérisée par un détachement de l’épiderme provocant de grandes zones cicatricielles) ou les ulcères chroniques de la jambe (diabète, drépanocytose).Actuellement, nous estimons qu’il nous faudra trois à quatre ans avant qu’un premier essai clinique soit lancé. L’utilisation de la thérapie classique de greffe épidermique pourra être complétée par un essai en utilisant un dispo-sitif qui permet la pulvérisation cellulaire sur la peau des patients. Il pourra être utilisé avec des kératinocytes dérivés de CSEh dans le but d’induire une ré-épithélisation rapide en stimulant la prolifération et la migration des cellules épidermiques résidentes.

3. Thérapie cellulaire

des pathologies neurologiques :

des approches à façon

Les pathologies neurologiques se divisent traditionnelle-ment en deux catégories, les maladies neurodégénératives et les lésions aiguës.

Figure 2 – Un épiderme humain dérivé de cellules souches pluripotentes.

Au laboratoire, des lignées de cellules souches pluripotentes (ici des CSEh) sont dérivées. Grâce à l’application d’un protocole de différenciation spécifique, les CSEh deviennent des kératinocytes (cellules de l’épiderme). Une banque de cellules de grade clinique peut alors être créée à partir de laquelle des épidermes seront reconstruits pour être greffés chez les patients.

Dérivation de lignées de CSEh Différentiation en keratinocypes Création d’une banque de cellules Greffe d’épiderme sur patients

Laboratoire Clinique

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des indications précieuses sur la marche à suivre pour la thérapie cellulaire intracérébrale. La maladie de Huntington sera sans doute la première pathologie à faire l’objet d’un essai de thérapie cellulaire avec des dérivés de cellules souches embryonnaires humaines.

5. Les lésions aiguës :

médecine régénérative ou effets

neuroprotecteurs, quel objectif ?

Les lésions ischémiques et traumatiques représentent encore un cas différent des précédents, et n’avaient fait l’objet d’aucun essai clinique avant « l’ère » des cellules souches. En revanche, alors que les essais n’ont pas commencé avec les nouvelles sources cellulaires dans les maladies neurodégénératives, plus d’une dizaine d’essais sont actuellement en cours, ou ont déjà été publiés, dans les AVC ischémiques et hémorragiques. Les lésions isché-miques ou traumatiques présentent en fait des particularités qui peuvent se transformer en avantages pour les approches de thérapie cellulaire. Elles sont en particulier accompa-gnées d’une rupture de la barrière hémato-encéphalique, une situation favorable à l’extravasation de cellules cir-culantes dans le parenchyme nerveux, ce qui permet d’envisager une administration intraveineuse en place de la stéréotaxie intracérébrale. Les lésions traumatiques et ischémiques sont également très inflammatoires, ce qui peut permettre d’utiliser les capacités anti-inflammatoires de certaines sources cellulaires, pour une approche qui ne sera plus à proprement parler de médecine régénérative, mais aura pour objectif de limiter les effets délétères de cette réaction. Enfin, les lésions aiguës sont évidemment imprévisibles et rapidement constituées. Dans ces condi-tions, la thérapie cellulaire doit être envisagée comme une médecine d’urgence si l’on veut profiter d’un effet immédiat sur la détersion neuronale, qu’il soit anti-inflammatoire ou trophique, avec toutes les contraintes que cela représente.

6. Quelle source cellulaire

pour quelle réponse ?

Les découvertes ces dernières années de nombreuses sources cellulaires dans le corps humain adulte et durant les différentes étapes de l’embryogenèse ont ouvert des perspectives sans précédent pour la médecine régénéra-tive. Chez l’adulte, les sources de cellules souches plu-ripotentes les plus abondantes et les plus étudiées sont celles du sang de cordon ombilical, du sang périphérique, du tissu adipeux et de la moelle osseuse. Il existe égale-ment des zones de neurogenèse dans le cerveau adulte, mais leur intérêt réside principalement dans la possibilité d’une « auto-réparation » du cerveau lésé par mobilisation de ces cellules souches. Il a été démontré pour l’ensemble des cellules souches d’origine non cérébrale, qu’elles ont la capacité de se différencier in vitro en neurones, astro-cytes et oligodendrocytes, les trois populations cellulaires du lignage neural durant l’embryogenèse. Cependant, après injection intraveineuse chez l’animal, une proportion extrêmement réduite (moins de 1 %), lorsqu’elle existe,

due à la perte progressive des neurones dopaminergiques de la substance noire qui projettent leurs axones sur les neurones des noyaux caudés et du putamen. La maladie est asymptomatique jusqu’à ce qu’un pourcentage élevé de neurones dopaminergiques (70 à 80 %) ait disparu. Il s’agit donc d’une pathologie dans laquelle une population neuronale unique disparaît et cette population a un site de projection restreint. La greffe, comme le traitement de suppléance par la L-DOPA, aura pour but de restaurer les taux de dopamine présents au niveau du noyau caudé et du putamen. Une « pompe pharmacologique » sophisti-quée, comme une cellule productrice de dopamine placée dans les tissus cibles, peut suffire à restaurer les fonctions motrices altérées par la maladie. La reconstruction du circuit nigro-strié n’est pas nécessaire.Pour cette raison, les premiers essais cliniques de théra-pie cellulaire ont été effectués dans les années 90 dans la maladie de Parkinson avec la seule source disponible à cette époque, du tissu cérébral fœtal issu de la région germinative qui contient les futurs neurones dopaminer-giques du cerveau. Les prélèvements de tissu étant très variables et les modalités d’utilisation différentes d’un centre à l’autre, les résultats furent inégaux. Mais l’innocuité de l’approche était démontrée et, dans certains centres, des résultats positifs ont été obtenus. Ces travaux ont ouvert la voie aux applications dans la maladie de Huntington.

4.2. La maladie de Huntington, un cas plus complexeLa maladie de Huntington est liée à la perte des neu-rones GABAergiques des noyaux caudés et du putamen (les cibles des neurones dopaminergiques perdus dans la maladie de Parkinson). Ces neurones projettent dans des structures distantes et sont sous contrôle cortical. La perte des neurones GABAergiques dérégule le circuit nigro-strié et la modulation corticale du mouvement, ce qui cliniquement donne lieu aux mouvements choréiques caractéristiques de la pathologie. Ce cas est plus com-plexe que celui de la maladie de Parkinson puisqu’il est nécessaire de reconstruire un circuit avec des connexions synaptiques précises – appelées « point-par-point » – pour retrouver les fonctions perdues. Les études chez l’ani-mal ont montré que des progéniteurs neuraux greffés pouvaient partiellement reconstruire ce circuit. Les affé-rences corticales forment des contacts synaptiques avec les neurones de remplacement et ceux-ci envoient des prolongements vers le putamen voisin. Cependant, le nombre de ces connexions reste limité et les connexions plus lointaines, vers la substance noire, n’ont pas été retrouvées. Ici encore, les résultats des essais cliniques pilotes ont été variables d’un centre à l’autre. Le plus large essai, multicentrique, est encore en cours [15]. Bien qu’effectués avec une source cellulaire peu standardisée et non reproductible, ces travaux pionniers ont été riches d’enseignements. Les travaux expérimentaux ont été menés avec une grande rigueur et ont été validés dans un grand nombre de laboratoires internationaux. Ils nous permirent d’appréhender l’alchimie subtile des interactions entre un cerveau adulte et de jeunes neurones en développement. Bien que le tissu fœtal soit abandonné avec l’apparition des nouvelles sources cellulaires, ces travaux ont donné

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Les travaux sur les iPS sont encore peu avancés au plan des applications et portent principalement sur l’identifica-tion de leurs caractéristiques et la comparaison avec celles des CSE. Les CSEh ont été utilisées dans des modèles de nombreuses pathologies neurologiques, dégénératives au aiguës. Dans tous les cas, les progéniteurs neuraux se différencient en précurseurs neuronaux, puis en neurones avec une proportion d’entre eux qui forment des neurones GABAergiques striataux lorsqu’ils sont placés dans des lésions de type Huntington [17] ou neurovasculaire [18]. Ceci montre que les dérivés neuraux de CSEh sont sus-ceptibles de remplacer de façon adéquate les populations neuronales perdues lors des lésions.Une limitation majeure de l’utilisation de CSEh ou d’iPS est la possibilité de former des structures non voulues, tératomes ou tumeurs, de par leur caractère pluripotent et leur forte capacité proliférative. Les tératomes sont facilement évités par la différenciation poussée des pro-géniteurs neuraux. Aucune réversion de la différenciation n’a été observée après transplantation. En revanche, les progéniteurs différenciés sont susceptibles de proliférer après transplantation et de former des greffons surdimen-sionnés qui lèsent le cerveau environnant. Des travaux importants montrent que la méthode de différenciation est cruciale pour ces aspects et de nouveaux protocoles ont vu le jour, qui permettent aujourd’hui de produire des greffons de qualité, qui forment des neurones correspon-dant au type détruit et sans aucun effet secondaire. Les essais cliniques avec des dérivés de CSEh sont envisagés et l’on peut prédire qu’avec ceux envisageables avec les iPS lorsqu’elles auront atteint un grade clinique, ils feront du XXIe siècle celui de la médecine régénérative pour les pathologies neurologiques.

Conflit d’intérêt : aucun.

est retrouvée dans le tissu cérébral. Bien que toutes ces sources cellulaires aient des effets fonctionnels positifs, il est maintenant admis que ces effets ne sont pas liés à une intégration de progéniteurs neuraux dans le tissu lésé. Ce constat et les interrogations qu’il soulève ont provoqué une activité de recherche importante et ont conduit à la mise en évidence de plusieurs effets « bystander », c’est-à-dire non liés à l’intégration des cellules. Il ne s’agit pas d’un effet placebo. Les cellules souches mésenchymateuses, issues de la moelle osseuse, ont par exemple des effets anti-inflammatoires liés à une action directe sur la matu-ration lymphocytaire. D’autres types cellulaires libèrent des facteurs trophiques, qui vont limiter la perte neuro-nale [16]. À cause de ces capacités, les cellules souches adultes sont plutôt envisagées pour les lésions aiguës, inflammatoires et pour lesquelles une approche de neu-roprotection ponctuelle peut être envisagée. Comme il est dit plus haut, ce sont ces lésions qui ont, les premières, fait l’objet d’essais cliniques.Pour les maladies neurodégénératives, l’histoire de la thérapie cellulaire a montré qu’une intégration de neu-rones était indispensable. La chronicité des pathologies ne permet pas d’envisager un traitement neuroprotecteur par administrations répétées de cellules souches adultes. Leurs capacités anti-inflammatoires sont également sans intérêt. Pour ces pathologies, il est nécessaire de disposer d’une source cellulaire qui permette de produire de façon standardisée des quantités importantes de progéniteurs neuraux de grade clinique. Seules les CSE et les iPS pos-sèdent ces qualités. Les iPS ont également l’avantage de permettre la réalisation de banques de cellules haplotypées, ce qui permettra de contourner les problèmes d’immuno-suppression au long cours de patients greffés.

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