Céleste ou le temps des Signares - Extrait 1

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Céleste ou le temps des Signares, un livre de Jean-Luc Angrand.

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Conception éditoriale : Jean-Luc Angrand

Conception graphique et réalisation : Didier Fitan

Illustrations et plans : Didier Fitan

Illustrations de la couverture : G. BoulangerSignare et négresse en toilette, d’après une aquarelle de NouveauxE. Leliepvre, Étude pour Gorée la joyeuse2005

No d’éditeur : ISBN :Dépôt légal : Imprimé par

Édition Anne Pépin33, allée Pierre Koenig 95200 SarcellesTous droits de reproduction, d’adaptation, de traduction et de représentation des photographies, des illustrations et du texte réservés pour tous pays.

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CÉLESTE OU LE TEMPS DES SIGNARES

À Hubert Fabien Dupuy (1920-200�) qui m’a initié à l’histoire de nos ancêtres.

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REMERCIEMENTS

Monsieur le Comte Jean de Sabran-Pontevès, Joëlle Angrand, Éric Angrand, Monsieur François Zuccarelli, Monsieur Francis Bouët-Willaumez, Monsieur Jean-Yves Mérat d’Hastrel, Monsieur Joël Darondeau, Monsieur Benoît Prouvost, Monsieur Alain Quella-Villéger, Madame Christelle Wick Kugler (Zürich), Monsieur Amadou Boo-ker Washington Sadji (Dakar), Monsieur Luc Antononi, Monsieur François Jaquin, Monsieur Benoît (musée de Ver-sailles), Madame Garnier (musée de Chantilly), Monsieur Pasquier Roger, Madame Marie-José Crespin, Monsieur Jean-Louis Sureau, (fondation Saint-Louis), Monsieur Oli-vier de Lestapis, Monsieur Marc Carrère (Le Haillan), Mon-sieur Lafitte (Bordeaux), Mademoiselle Rousseau, (mairie de Bassens), Monsieur François Maurel (Sainte-Eulalie), Mon-sieur Bertrand Maurel (Sainte-Eulalie), Madame Madeleine Devès, Monsieur Pierre Rosière (Dakar), Angèle Angrand, Mathilde Angrand, Chystelle Lafaysse.

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CELESTE OU LE TEMPS DES SIGNARES

PRÉAMBULE 13

PREMIÈRE PARTIE 1�25 - 1�09 15Les signares avant Gorée et Saint-Louis 1�L’île de Gorée au XViiie siècle, une petite Ithaque 2�Gorée la métisse, maisons de signares �0La socièté de caste des signares goréennes au XViiie siècle �0Gorée, l’île refuge des captifs de case ��La fortune des signares au XViiie siècle 100Religion catholique à la façon des signares de 1��� à 1�32 110Traditions et coutumes des signares au XViiie siècle 11�Épilogue 12�

SECONDE PARTIE 1�1� - 1�90 130Le Sénégal au XiXe siècle, les moments clefs 13�La fortune des signares au XiXe siècle 150Gorée la joyeuse au XiXe siècle 1��Saint-Louis, ville aux trois visages 19�Saint-Louis, du simple village à la capitale d’empire 212De Saint-Louis à Galam 22�Mœurs des signares au XViiie et XiXe siècle 232Art de vivre des signares 2��Religion des signares au XiXe siècle 25�Épilogue : le XXie siècle sera signare 2��

CHRONOLOGIE DES MAIRES DE GORÉE DE 1��9 A 1��3, UNE AFFAIRE DE FAMILLE 2��

CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS HISTORIQUES QUI ONT MARQUÉ L’ÎLE 2��

CHRONOLOGIE DES GOUVERNEURS FRANÇAIS ET ANGLAIS DU XVIIe AU XIXe SIÈCLE 2��

BIBLIOGRAPHIE 2��

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PRÉAMBULE PRÉAMBULE

J’ai découvert, il y a quelques années, la longue et riche histoire des maîtresses femmes des comptoirs sénégalais de Gorée et Saint-Louis. Ma surprise fut grande quand j’ai appris que des femmes avaient été à l’origine d’une micro-civilisation matriarcale : Comment ? Des femmes ont pu ! Mon machisme inconscient en pris un sérieux coup, avec honte je l’avoue.

Après ce choc salutaire, je me mis en route pour le pays des signares, et je les ai redécouvertes. Elles qui n’étaient vantées, jusqu’à présent, que pour leur beauté envoûtante, étaient bien plus que cela. J’ai décidé dans ce livre de donner aux affaires et à la politique des signares la première place, qui démontre, prouve et affirme que les femmes peuvent être belles et avoir de l’esprit.

Tout au long des XViie et XiXe siècles, elles ne cessent de construire des maisons sur l’île de Gorée et de Saint-Louis , développent des flottes de cotres, mettent en place des ate-liers d’artisans confiés à leurs nombreux captifs.

Ma plus grande surprise fut de découvrir que, dans un monde où la traite négrière était le moteur de l’économie occidentale, elles ne firent pas, comme les autres, leur for-

tune sur la souffrance des esclaves, mais qu’elles les rache-taient aux négriers nègres, arabes et blancs et qu’elles leur donnaient la liberté.

J’ai éprouvé une certaine gêne quand à la fin de leur règne la gent masculine de cette minorité métisse, à laquelle j’ap-partiens, a pris le pouvoir économique et politique grâce, ou plutôt à cause, des descriminations sexistes introduites dans les comptoirs du Sénégal par le colonisateur français. Ces descriminations, dues au code civil français du XiXe siècle, ramena les filles de signares du statut de maîtresse -femmes à celui de femmes au foyer à la façon de la métropole.

Néanmoins, je me targue d’avoir tenté de redonner aux signares la place qu’elles méritent dans l’histoire des femmes et plus encore dans celle des personnes qui ont réalisé d’am-bitieuses actions.

Ces créatures, fantasmes de nombreux auteurs à tra-vers les siècles (du gouverneur Lebrasseur à Léopold Sédar Senghor, auteur de plusieurs poèmes qui leurs sont consa-crés) auront avec ce livre un nouvel hymne à leur mémoire.

Jean-Luc Angrand, fils de signare

L’existence de ces femmes est peut-être unique dans l’univers.Gouverneur Lebrasseur

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PREMIÈRE PARTIE

1725 – 1809

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LES SIGNARES AVANT GORÉE ET SAINT-LOUIS 1�

1��� – 1�9� Le blocus français ruine l’économie des signares et des juifs de la petite côte du Sénégal 201�01 – 1�25 L’exode des signares de la petite côte à Saint-Louis et Gorée au début du XViiie siècle 211��3 L’Abbé Boilat confirme les origines 23lusophones des GoréensJoal 24 L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE EN AVANCE SUR SAINT-LOUIS 2�1��� Gorée vue par le chevalier de Boufflers comparé à la mythique Ithaque 2�1��� L’accueil du chevalier de Boufflers par les signares de Gorée 2�1��� Le bal du 10 mai où naquit l’amour du chevalier de Boufflers pour la belle Anne Pépin 29Anne Pépin, la romantique 301��9 – 1��� La maison et sépulture de la signare Anne Pépin 32� février 1��� L’émouvante Ourika achetéeet peinte par De Boufflers 3�1�99 – 1��0 La mystérieuse signare Amélie Anne Degrigny de Boufflers 3�1��� La coquetterie de la signare Amélie Anne Degrigny de Boufflers 39

GORÉE LA MÉTISSE, MAISONS DE SIGNARES �0

19�0 Chronique d’un peintre voyageur : E. Horcholl 421�01 – 1�5� Développement urbain au XViiie siècle de l’île de Gorée ��1��9 – 1��3 L’Affaire des remparts de Gorée ou la corruption d’un officier Anglais ��Le goût des signares pour les modes architecturaux français et italiens ��1��3 Martin Touranjou ou la naissanced’un pôle de compétence architectural ��

Maison de la signare Anna Colas Pépin et de son père Nicolas ��Oraison pour Anna Colas 52Maison de la signare Catherine Louet dite ‘‘ Madame ’’ 5�Maison de la signare Marie Thérèse Rossignol ou Gouvernement 5�Maison de Jean François Charles Estoupan de Saint-Jean, un petit malin �0Maison de la signare Victoria Albis �1Maison de la signare Blanchot �2Maison de la signare Sophie Boucher, protectrice de René Caillet �3Maison Laffitte & Dupuy ��Maison Antoine Kiaka, maire de Gorée ��Maison d’Etienne Jouga et de sa fille Marie Thérèse ��Maison de la fratrie Goupil �9Le clan sérère Faye en 1��9 �9Maison Lacombe �0Maison Degrigny �1

LA SOCIÉTÉ DE CASTE DES SIGNARES GORÉENNES AU XVIIIe SIÈCLE �0

1��� – Les pleurnicheries du savant Adanson �1Le mariage à la mode pays un mariage élitiste dans une société endogamique �2Origine du mariage à la mode du pays expliqué par Doumet de Siblas en 1��9 �3Organisation du mariage à la mode du pays décrite par le gouverneur Le Brasseur en 1��3 ��Mais que faisaient les hommes mulâtres au temps des matriarches ? �5L’interdiction du mariage hors caste et des unions avec les petits blancs ��La machine à assimiler les nouveaux métis et la dépendance des époux non-mulâtres ��

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GORÉE, L’ÎLE REFUGEDES CAPTIFS DE CASE ��

L’humanisme au féminin des signares 90Tableau récapitulatif de la traite négrière à partir de Saint-Louis, de Gorée, de la petite côte et de Gambie au XViiie siècle 911�00 – 1��� Les Arabo-musulmans premiers négriers du Sénégal et de l’Afrique sahélienne 921��0 Le Brasseur décrit le rôle insignifiant de l’île de Gorée dans la traite négrière 931��� De Chevenert constate l’oisiveté des captifs de case de Gorée 9�1��� Gorée, un rôle toujours insignifiantdans la traite négrière au XViiie siècle, d’après Lauzun 9�La vérité sur Gorée et l’esclavage décrite par Pruneau de Pommegorge 95La traite négrière sur Dakar et la petite côte au XViiie siècle 9�Un gourmet sur la route de Galam au XViiie siècle 98

LA FORTUNE DES SIGNARES AU XVIIIe SIÈCLE 100

La flotte marchande des signares de Gorée et Saint-Louis 1011�20 – 1��� Les signares de Gorée, point de mire des signares saint-louisiennes 102Les signares sous la protection de leurs familles bourgeoises ou aristocrates de France 103L’affaire Saint Vilmé 10�1�25 –1�09 L’enrichissement à la façon du pays des gouverneursUn cas d’école : le chevalier Stanislas de Boufflers et le réseau de l’abbé Porquet à Gorée 10�Comment s’enrichir ‘‘ à la façon du pays ’’ en trois points avec une signare 10� 1��3 La Guyane, une mauvaise affaire rejetée par les maîtresses femmes de Gorée 109

RELIGION CATHOLIQUE À LA FAÇON DES SIGNARES DE 1��� A 1�32 110

1��2 La chapelle portugaise 1121�55 Chapelle du fort Saint-François en bas de la colline de Gorée 1121��3 La chapelle dite ‘‘ de l’espadon ’’ ou plutôt chapelle Saint-Louis 1131��9 – 1�30 La chapelle hébergée chez Nicolas Pépin, père d’Anna Colas Pépin 11�1�30 L’Église Saint-Charles et les contributeurs mulâtres 11�1��0 Joal la catholique, Nicolas Jouga et le père Lapolice 11�

TRADITIONS ET COUTUMES DES SIGNARES AU XVIIIe SIÈCLE 11�

Le Fanal : une tradition festive catholique d’origine portugaise 119Les Folkars 119La symbolique de la tiare (coiffe) signare 1201��3 – 1��� Abraham Gradis, fournisseur de produits de luxe des signares 120La dynastie Gradis du XViie au XXie siècle 121La vitrine du luxe signare au XViiie siècle 1231�25 – 1��0 Des artisans du luxe des signares de Gorée et Saint-Louis aux grands magasins parisiens 123

ÉPILOGUE 12�

CÉLESTEOU LE TEMPS DES SIGNARES

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3 Carte du Sénégal et des comptoirs

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Au début du XVie siècle, des aventuriers juifs portugais appelés ‘‘ Lançados ’’, mot qui voulait dire ‘‘ ceux qui se lan-cent à l’aventure ’’ ou plus simplement ‘‘ aventurier ’’, créent les comptoirs de Joal, Rufisco et Saly Portudal sur la petite côte du Sénégal.

Ces Lancados se marient rapidement avec des filles de chefs de villages sérères. De ces unions souvent durables naissent des enfants métis qui constituent peu à peu une communauté dite mulâtre (métisse) forte de quelques cen-taines d’individus à la fin du XViie siècle.

La majorité de ces mulâtres pratiquaient le judaïsme et pour l’autre partie le christianisme, métissant souvent les deux avec l’animisme au XViie siècle.

Les femmes mulâtresses (métisses) issues de ces unions furent appelées ‘‘ signaras ’’ par les voyageurs portugais, cela voulait dire ‘‘ seniorita, madame ’’ pour indiquer le statut social élevé qu’elles occupaient au sein dans la communauté mulâtre de la petite côte. Les Français au XViiie siècle chan-gérent par commodité, peut-être, la dernière lettre de leur ‘‘ titre ’’ en ‘‘ e ’’, ce qui donna ‘‘ signare ’’.

Ces célestes signares furent décrites par de nombreux voyageurs portugais, hollandais et français comme de redou-tables commerçantes, d’habiles politiciennes et des séductri-ces nées. Elles occupent en général les premiers rangs dans la société métisse, spécialisée au XViie siècle dans l’exportation des cuirs, des indigo, des épices pauvres vers le Portugal et la Hollande, et la fabrication des cotonnades pour leur région.

En 1���, à l’aube du XViiie siècle, la France chasse défi-nitivement Portugais et Hollandais du Sénégal en prenant l’île de Gorée située à deux pas du Sénégal. Après la prise de Gorée en 1��� par l’amiral français D’Estrée, les signares de la petite côte et leurs familles émigrent en partie en Gambie, puis sur l’île de Gorée et Saint-Louis entre 1�01 et 1�25, encouragées par André Brue, directeur de la Compagnie royale du Sénégal puis de la compagnie privée de Rouen (il fut aussi gouverneur du Sénégal).

Ces maîtresses-femmes métisses venues de la petite côte du Sénégal, et ensuite leurs descendantes de Gorée, porte-ront sur leurs épaules le destin de leur petite communauté durant le XViiie siècle et la première partie du XiXe siècle.

LES SIGNARES AVANT GORÉE ET SAINT-LOUIS LES SIGNARES AVANT GORÉE ET SAINT-LOUIS

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À Gorée, le christianisme deviendra la norme. Le judaïsme, qui était la religion la plus pratiquée par leurs ancêtres mulâtres de la petite côte, disparaîtra faute de pré-sence de Juifs portugais.

1677 – 1697 Le blocus français ruine l’économie des signares et des juifs de la petite côte du Sénégal

Le développement au XViie siècle des plantations de canne à sucre dans les colonies françaises et anglaises des Caraïbes fait la richesse des premiers planteurs, mais un besoin important de main d’œuvre se fait rapidement sentir. Les familles d’ouvriers agricoles français souvent composées d’anciens bagnards et d’anciennes prostituées, que l’admi-nistration Royale Française avait fait venir à Saint-Domin-gue, en Guadeloupe et en Martinique coûtent trop cher et finissent par se mettre à leur compte, provoquant à nouveau des pénuries de personnel.

Inspirée par le modèle économique esclavagiste portu-gais au Brésil, la France monarchique décide d’acheter mas-sivement des esclaves aux rois africains. Pour cela, il faut, en ce qui concerne la Sénégambie (Sénégal et Gambie), chasser de l’île de Gorée les Hollandais, ce qui permettrait, pense à tort l’administration royale française, de développer à grande échelle la traite négrière en Sénégambie en toute sécurité. La France pratique déjà à cette époque une traite négrière à partir du comptoir de Saint-Louis, mais à très petite échelle, ainsi qu’épisodiquement, le long des côtes d’Afrique de l’ouest.

La prise de Gorée en 1��� marque le début de la tenta-tive du développement de la traite négrière à grande échelle au Sénégal, qui sera un demi-échec pendant tout le XViiie siè-cle, comparé au volume obtenu sur la côte des esclaves. Le Sénégal ne représentera pas plus de 5 % du volume d’escla-ves exporté aux Amériques.

Le monopole de la France sur tout le commerce fait au Sénégal à partir de 1��� fut imposé par la force aux Sérè-res, mulâtres et Juifs lançados de la petite côte du Sénégal. Ce monopole provoquera la ruine de l’économie des cuirs et cotonnades contrôlée par les métis (mulâtres) fils de juifs portugais et femmes sérères. La quasi-permanence du mono-pole français empêchera les signares de la petite côte et leurs familles d’exporter les 100 000 cuirs annuels (environ) des comptoirs de Rufisco, Saly, Portudal et Joal vers la Hollande.

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D’autres produits, vendus par les signares, (l’indigo, des épi-ces locales dites ‘‘ pauvres ’’, les cotonnades) n’intéressaient que moyennement la compagnie de traite française qui fixait elle-même les prix au plus bas, ce qui provoqua la ruine défi-nitive de la communauté mulâtre (métisse).

Beaucoup de mulâtres, mulâtresses (signares) s’exilèrent alors en Gambie et Guinée, où les Anglais pratiquaient un commerce libéral. Le Catholicisme devient au XViiie siècle la seule religion des signares de la petite côte et de Gorée.

La politique désastreuse de la France et de l’Angleterre, qui encourageait la traite négrière, consistait à vendre des armes aux rois nègres. Les armes à feu vendues par les Fran-çais et les Anglais à ces derniers permettra l’invasion d’une partie de la petite côte par un roi du Cayor négrier : Lat Soucabé. Mais l’opposition traditionnelle des mulâtres et des Sérères de la petite côte à la déportation des esclaves, la faible densité démographique du Sénégal, l’existence de chefs de villages sénégalais résistants, des révoltes paysannes contre les rois négriers des Cayor constitueront des freins puissants au développement de la traite négrière en Séné-gambie. Au Sénégal, la traite négrière n’atteindra jamais les volumes quasi ‘‘ industriels ’’ obtenus sur la côte dite ‘‘ côte des esclaves ’’.

Au début du XViiie siècle, la spécialisation des premières compagnies de traite françaises sur l’esclavage causera leur faillite, car les rois nègres du Sénégal ne fournirent jamais assez d’esclaves pour les rentabiliser.

LES SIGNARES AVANT GORÉE ET SAINT-LOUIS

1701 – 1725 L’exode des signares de la petite côte à Saint-Louis et Gorée au début du xviiie siècle

En 1�9�, les autorités royales françaises, représentées par le gouverneur André Brue, comprennent que le seul produit capable de rentabiliser leur compagnie de traite (commerce) au Sénégal est la gomme arabique (gomme d’acacia) car les Anglais font une partie de leur fortune avec ce produit sur le fleuve Gambie. La gomme est un produit miracle découvert par les Anglais en Afrique et en Arabie. Ce produit servait à donner du corps à la soie, maintenir les couleurs dans les tissus, coller les papiers et aussi à des applications médicales pour les maladies comme la dysenterie ou les hémorragies.La compagnie de traite française change donc de stratégie. Désormais, elle achète comme les Anglais plusieurs produits simultanément pour trouver l’équilibre financier et faire des profits.

La gomme arabique représentera en moyenne �0 % du chiffre d’affaires fait par les compagnies de traite françaises au Sénégal au XViiie siècle, l’autre partie étant malheureu-sement réalisée par la traite des esclaves. Certains autres produits comme l’or, le morfile (ivoire), les cuirs, l’indigo compléteront leurs catalogues, mais dans des proportions inférieures à 10 % du chiffre d’affaire annuel. Mais en ce qui concerne l’or, il semble qu’il ait fait l’objet d’une contre-bande régulière et importante tout le long du XViiie siècle de la part des gouverneurs et officiers français, avec la compli-cité des signares.

La chance de la minorité mulâtre, et par conséquent des signares qui en sont déjà le pilier, est qu’elle était la princi-pale intermédiaire dans la traite de la gomme et de l’or. Elle fournissait déjà les Anglais sur le fleuve Gambie.

Il devenait donc impératif en ce début de XViiie siècle, pour la Compagnie de traite française dirigée par l’entrepre-nant et rusé gouverneur André Brue, de mettre fin aux bri-mades dont faisait l’objet la minorité mulâtre (métis) depuis la prise de Gorée aux Hollandais en 1���.

La riche et influente signare Cattelina (dite Dame Caty), gouvernante de Rufisco et de la petite côte, est en 1�01 une

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interlocutrice incontournable pour le gouverneur. Celui-ci saura établir un climat de confiance propice aux affaires entre lui et la gouvernante.

La fin de l’hostilité entre les Français et les mulâtres de la petite côte redonnera vie momentanément aux petites cités de Rufisco et Joal pendant une quinzaine d’années, comme en témoigne de nombreux documents de bord de comman-dants français¹. Ces cités s’éteindront au fur et à mesure de l’exode des signares et de leurs familles à Gorée et Saint-Louis à l’ombre des forts français. Gorée devient le nouveau fief des signares devenues toutes catholiques.

C’est entre 1�01 et 1�25 que se fit le gros de l’immigra-tion des mulâtresses lusophones et de leurs familles à Gorée et Saint-Louis. Les Lançados (juifs portugais), dont est aussi issue la minorité mulâtre de la petite côte, ne viendront plus sur la petite côte du Sénégal désormais sous domination fran-çaise et de plus devenue ‘‘ instable ’’ à cause des razzias des rois négriers du Cayor. La tyrannie que Damel* Lat Soucabé a exercée sur les nègres créoles** descendant des Portugais*** et même de ses propres sujets, ont fait déserter les premiers et a tellement ruiné les autres, qu’ils n’ont presque plus de bestiaux et par conséquent presque plus de cuirs.¹

La cohabitation avec les français commencée dans la méfiance et l’hostilité en 1��� allait désormais être basée sur une entente. Elle s’incarnera au fil du XViiie et XiXe siècle par des alliances économiques et quelque fois matrimonia-les. Les signares cohabiteront aussi avec les Anglais qui s’em-pareront à plusieurs reprises de l’île de Gorée. Des unions auront même lieu, donnant naissance à de nouvelles lignées mulâtres anglophones.

* Roi du Cayor** Mulâtres et mulâtresses*** Juifs Lançados

Sources :

¹ De Moraes Nize IsabelÀ la découverte de la petite côte au XViie siècle (Sénégal et Gambie) Tome 1 : 1600 - 1620Dakar, Université de Dakar, Ifan, Cheikh Anta Diop de Dakar, coll. « Initiations et études africaines », 1953.

² Labat Jean-BaptisteNouvelle relation de l’afrique occidentaleParis, Édition Guillaume Cavalier,1�2�.

Iconographie :

Leroy Sébastien, dessinateurGiraud, graveurArrestation du gouverneur André Brue par le Damel du Cayor, 1�01.

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1843 L’Abbé Boilat confirme les origines lusophones des Goréens

Cent quarante deux ans après que le gouverneur André Brue se soit rapproché de la signare Cattelina, gouvernante de Rufisco, un métis, l’abbé Boilat, rappelle les origines por-tugaises de la communauté mulâtre dans ses écrits de 1�53 : Gorée fut peuplée par des habitants de la presqu’île du cap Vert (Dakar), de Rufisque, Portudal et Joal, dont nous parlerons plus tard, et des descendants des différents Européens qui l’oc-cupèrent. De là l’origine des mulâtres, dont les hommes prirent le nom d’habitants, et les femmes celui de signares, du mot por-tugais signora (dames). Ces dénominations se sont conservées jus-qu’à présent. La population des noirs libres porte le nom de gour-mets. Les habitants et les signares ont toujours été chrétiens* dès le principe, à cause de la religion de leurs pères. Les gourmets, étant les plus intelligents parmi les noirs et approchant de plus près les Européens, sont chrétiens aussi. Les habitants ont toujours tenu à baptiser les captifs ou esclaves qui étaient de bonne volonté. Ces captifs étaient traités comme des enfants de la maison ; ils n’étaient jamais vendus qu’en punition de quelques crimes**. Je ne parle point des esclaves de traite***, ceux-là n’avaient pas le temps d’être connus de leurs maîtres : ils étaient bientôt embarqués pour l’Amérique.¹

* De Gorée** Viol et meurtre*** Achetés par les administrateurs de la compagnie royale ou des officiers du Roi en poste à Gorée.

LES SIGNARES AVANT GORÉE ET SAINT-LOUIS

Source :

¹ Boillat daVid (Abbé)Esquisses Sénégalaises Paris, Éditions Karthala, 19�3.

Rufisco

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Joal

Joal !Je me rappelle.

Je me rappelle les signares à l’ombre verte des vérandas Les signares aux yeux surréels comme un clair de lune sur la grève.

Je me rappelle les fastes du CouchantOù Koumba N’Dofène voulait faire tailler son manteau royal.

Je me rappelle les festins funèbres fumant du sang des troupeaux égorgés Du bruit des querelles, des rhapsodies des griots.

Je me rappelle les voix païennes rythmant le Tantum Ergo Et les processions et les palmes et les arcs de triomphe. Je me rappelle la danse des filles nubiles Les chœurs de lutte - oh ! la danse finale des jeunes hommes, buste Penché élancé, et le pur cri d’amour des femmes - Kor Siga !

Je me rappelle, je me rappelle ... Ma tête rythmantQuelle marche lasse le long des jours d’Europe où parfois Apparaît un jazz orphelin qui sanglote sanglote.

Léopold Sedar SengHor¹

Source :

¹ SENGHOR Léopold SedarChants d’OmbreParis, Éditions du Seuil, coll. « Pierres vives », 19�5.

LES SIGNARES AVANT GORÉE ET SAINT-LOUIS

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Iconographie :

Dessin de l’île gorée

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En 1��5, Gorée n’est pas encore occupée par les signa-res de la petite côte. Il faut attendre le début du XViiie siè-cle pour qu’elles émigrent sur l’île. Après 1�20, les signares lusophones Victoria Albis et Jeanne Gracia venues de la petite côte compteront parmi les premières habitantes. Le gouverneur Jajolet de la Courbe fera construire au début du XViiie siècle une maison sur l’île de Gorée mitoyenne de celle de la signare Albis.

Nous n’aborderons pas dans cette partie l’urbanisation de Saint-Louis, car au XViiie siècle, il n’y existe qu’un village fait de cases autour d’un fort à l’architecture hasardeuse. Le lecteur trouvera donc un descriptif précis de l’habitat et de l’urbanisation de Saint-Louis dans la partie suivante.

L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE, UNE PETITE ITHAQUE

L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE,UNE PETITE ITHAQUE

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1786 Gorée vue par le chevalier de Boufflers comparé à la mythique Ithaque

Ile de Gorée - le 6 mai 1786 Si j’avais de sublimes talents pour le paysage, je t’enverrais une petite vue de Gorée. Imagine-toi un des rochers d’ou l’on tire des pierres de Spa* placé sur une surface plane, et figuré comme un jambon. Au-dessus du rocher est un petit fort ; au bas est une petite ville ; de droite et de gauche sont des batteries aux trois quarts démolies. Les jardins sont bien cultivés, les maisons ne sont point mal bâties, toutes en pierre, et la plupart des toits en paille, en attendant qu’on ait des planches et de la chaux pour les mettre à l’italienne. C’est à quoi chacun travaille, mais tout se fait lentement, parce que qu’on ne peut avoir de la chaux qu’à cinq lieues d’ici**, et qu’il faut l’apporter en pirogue. Enfin, j’ai le plaisir de voir pour la première fois depuis que je suis en Afrique quelque chose qui tend à la perfection au lieu de s’en éloigner***.C’est ce que l’on peut demander aux choses de ce monde. Je compte rester ici trois ou quatre jours, et de là j’irai chercher mes chevaux et mes chameaux, qui m’attendent à la Grande-Terre (presque île du Cap vert-Dakar ) pour me rapporter au Sénégal (comptoir de Saint Louis). Adieu, je te baise et te rebaise avec un avant-goût très mar-qué du plaisir que j’aurai à te baiser et à te rebaiser à mon retour.¹

1786L’accueil du chevalier de Boufflers par les signares de Gorée

Le 7 mai 1786 à Gorée.Je continue à me trouver fort bien ici. Je serai venu y prendre l’air, comme on va à Spa y prendre les eaux. Je me sens une force et une activité que je ne me connaissais plus, et sans mes coliques d’estomac qui me font souffrir depuis deux jours, il ne me manquerait que toi, c’est-à-dire tout.¹Le 8 mai 1786 à Gorée.Tu n’imagines pas, mon enfant, la quantité d’affaires que je trouve ici. J’étais venu y chercher quelques moments de loisir et de délassement, au lieu de cela je suis obligé d’écouter et de dis-cuter mille plaintes, mille réclamations, et, par malheur, toutes plus justes les unes que les autres ; ce qui prouve que tous mes prédécesseurs, depuis le premier jusqu’au dernier, ont toujours regardé la colonie comme une maison écroulée d’où chacun cherche à emporter quelque chose, au lieu de travailler à la rac-commoder. Grâce au ciel et à toi, dont j’ai épousé tous les princi-pes en t’épousant, je suis venu ici avec d’autres projets, et je crois aussi que j’en sortirai avec une autre réputation. J’aime à me vanter, parce que c’est te vanter aussi : nous pensons de même, nous sentons de même, et, au visage près et à quelques autres petites différences près, où je gagne plutôt que d’y perdre, nous sommes de même, ou pour mieux dire nous ne sommes qu’un.¹

Source :

¹ De Boufflers S. J.Lettres d’Afrique à madame de SabranParis, Actes Sud, coll. « Babel »199�.

* Spa, célèbre ville d’eau en Belgique, où l’élite européennes se retrouvait en été au XViiie siècle.** Allusion à Rufisco.*** Allusion à Saint-Louis où il est difficile de vivre à cette époque.

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1786 Le bal du 10 mai où naquit l’amour du chevalier de Boufflers pour la belle Anne Pépin

La veille tradition romantique de l’île attribue au che-valier de Boufflers une liaison amoureuse lors de ses séjours à Gorée avec Anne Pépin, sœur de Nicolas Pépin notable parfaitement lettré et porte-parole de tous les habitants.

C’est à l’occasion du bal du 10 mai 1��� donné en son honneur, que le chevalier rencontre la belle Anne Pépin. Celle-ci était mère de trois enfants qu’elle avait eu avec Ber-nard Dupuy le jeune, français expulsé par les Anglais en 1��0 après la prise de l’île. La liason d’Anne Pépin et du chevalier fut décrite par de nombreux auteurs depuis le XiXe siècle et fait partie de l’histoire romantique du Sénégal.Je donne aujourd’hui un grand bal à toutes les dames de Gorée, car ce n’est point assez de m’occuper de leurs intérêts, il faut encore songer à leurs plaisirs, c’est-à-dire y songer comme on y songe à quarante-huit ans tout prêts à sonner. Quarante-huit ans, ma fille, songe donc que voilà ton premier mari presque ressuscité, mais je vois des gens de soixante-huit ans si aimés, que cela me donne encore de la confiance pour quelques années. D’ailleurs, il faut vieillir sous peine de la vie, c’est un arrêt du ciel ; et le moindre des maux c’est la vieillesse, pour qui sait la porter avec courage et avec dignité. Mais, à qui est-ce que je parle sur ce chapitre-là ? Si ce n’était qu’à Cicérone, j’aurais tort ; à plus forte raison faut-il me taire devant toi qui as encore mieux dit que lui sur le même sujet. Adieu, ma femme, ton vieux mari t’embrasse et rajeunit.¹Je me suis couché fort tard, et je me sens fatigué de la danse de tout le monde, comme un pauvre habitant de Bicêtre qui maigrissait à chaque mariage parce qu’il se croyait charger des cérémonies ultérieures.²La comtesse de Sabran, future épouse du chevalier de Boufflers, lui envoie une lettre au Sénégal. Cette dernière a appris par les ragots mondains d’un certain abbé Bernard, la liaison du chevalier avec la signare Anne Pépin. La Com-tesse réagit d’une manière surprenante et intelligente.Sois constant tout au moins si tu ne m’est fidèle… pense à moi dans les bras de ta belle.³

L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE UNE PETITEITHAQUE

Sources :

¹ De Boufflers S. J.Op.cit. page 12�.Extrait de la lettre du 10 mai 1���.

² De Boufflers S. J.Op.cit. page 12�. Extrait de la lettre du 11 mai 1���.

³ « Le portrait de madame de Sabran » L’illustration, noël 192�.

Iconographie :

Chevalier de Boufflersin Delcourt JeanGorée six siècle d’histoireDakar, Éditions Clairafrique.

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Anne Pépin, la romantique

Anne

À Gorée la joyeuse l’on t’annonça l’arrivée d’un étrange aristocrate qui le tard venu, vînt chercher fortune en terre d’Afrique.

A l’ombre de riches demeures, vos yeux se rencontrèrent précèdant de peu vos cœurs.

Anne

Quel étrange chevalier, si courtois, si généreux et à la fois inquiet d’échouer à Ithaque.

Anne

Vos cœurs unis séparés par le destin ont saigné sur la plage de Gorée.Maintenant toi qui dors en ta demeure jusqu’au jugement dernier, espères-tu revivre, cet amour par delà la vie ?

Jean-Luc Angrand, 2005.

L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE UNE PETITE ITHAQUE

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1779 – 1786 La maison et sépulture de la signare Anne Pépin*

La signare Anne Pépin possédait une tapade (case entou-rée d’un enclos) sur l’île de Gorée en 1��9. Elle fit construire une belle maison en pierre, probablement après 1��0, période sous domination anglaise, où beaucoup de nouvel-les constructions se firent, notamment sur l’emplacement des anciens remparts (en particulier la célèbre maison rose de son frère Nicolas Pépin au double escalier dite ‘‘ maison d’Anna Colas ’’ au XiXe siècle).

La maison principale d’Anne Pépin, car elle en eut plu-sieurs, se trouvait non loin de l’église, juste à côté de celle de la signare Catherine Louêt, la plus riche signare du XViiie siècle. Elle est située à l’angle de la rue Saint-Charles et de la rue Bambara. Cette maison, d’après la tradition orale retranscrite au XiXe siècle par les Goréens et par des voya-geurs comme le docteur suisse Samuel Brunner, hébergea les amours du chevalier de Boufflers et de la signare Anne Pépin. Cette dernière y fut inhumée en 1�3� à l’âge de qua-tre vingt-dix ans, peu de temps après le premier passage d’un autre illustre personnage, le prince de Joinville (1�1�-1900), fils du Roi de France. Une aquarelle en est faîte en 1��� par le peintre Nousveaux, Signare et serviteurs, sur laquelle appa-raît, semble-t’il, sa belle-fille Mariane Boucher ou sa petite fille Catherine Dupuy. Quinze ans après le décès d’Anne Pépin, un autre peintre de marine René Gillotin en fit aussi une aquarelle. Quand celui-ci la peint en 1�52, ce sont des descendants d’Anne Pépin, sa petite fille Catherine Dupuy et son époux Jean André Franciero, qui y habitent.

Cette maison, fruit du travail d’Anne Pépin, était certai-nement encore en construction lors de l’arrivée du chevalier de Boufflers en 1���. Comme la plupart des maisons de Gorée, elle a été financée grâce aux revenus générés par les affaires de contrebande de gomme arabique et d’or qu’elle avait organisé avec différents officiers et gouverneurs du Sénégal. Le chevalier de Boufflers, qui était venu à Gorée comme ses prédécesseurs pour pratiquer ‘‘ l’enrichissement à la façon du pays ’’, y apporta certainement sa pierre.

La maison d’Anne Pépin, en ruine et susceptible de s’ef-

fondrer, fut abattue en 1932 par son dernier propriétaire, Maurice Clermont, un officier français.

Il semble qu’Anne Pépin possédait une seconde maison qui fut détruite en 191� par un incendie, à l’emplacement actuel de la maison Blaise Diagne. Cette seconde maison en pierre fut construite à l’endroit même où elle avait avant 1��0 une tapade. Les maisons ne sont point mal bâties, toutes en pierre, et la plupart des toits en paille, en attendant qu’on ait des planches et de la chaux pour les mettre à l’italienne.¹

Source :

¹ De Boufflers S. J.Op. cit. page 122. Extrait de la lettre du � mai 1��� indiquant l’état avancé des chantiers, dans lequel il trouve l’île, lorsque le chevalier y aborde pour la première fois .

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L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE UNE PETITEITHAQUE

Iconographie :

Gillotin RenéMaison d’Anne Pépin (Dupuy), Paris, collection Privée.

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1 Descendance de Catherine Baudet (mère d’Anne Pépin) et de Jean Pépin¹

Catherine Baudet (1�01 – ....)

2

Nicolas Pépin (.... – 1�15)

2

Anna Colas Pépin (1��� – ....)

2

Marie-Thérèse de Saint-Jean (1�10 – 1���)

2

Jean Pépin (1�01 – ....)

Chirurgien de la marine royale2

Marie-Thérèse Picard (.... – 1��� – 1�90)

Seconde épouse2

François de Saint-Jean (1��� – ....)

2

Mary Thérèse de Saint-Jean (1�1� – 1�53)

2

Marie Anne dite Nancy de Saint-Jean

(1�15 – ....)

2

Marie Barou Première épouse

(1�01 – ....)2

Anne Pépin (1��� – 1�3�)

2

René Dupuy 2

Marianne Boucher (.... – .... – 1�1�)

2

Bernard (Jeune) DupuyCommis de Bernard Laffite

(.... – 1��3 – ....)2

Nicolas Dupuy-Hendy (1�00 – 1�3�)

2

François-René Dupuy-Turbin Chef du Service Administratif de l’Ho...

(1�01 – 1���)2

Jean-René Dupuy-Hamilton Juge au tribunal de Gorée en 1��1

(1�05 – 1���)2

Catherine Dupuy (1�0� – ....)

2

(inc) Dupuy (1��� – ....)

2

Jean Dupuy (1��� – ....)

2

Jean-Baptiste Pépin (1�55 – ....)

2

Source :

¹ IGMS : Institut de généalogie mûlatre sénégalaise

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Catherine Baudet (1�01 – ....)

2

Marianne Porquet 2

(inc) Porquet2

Pierre Ghusban 2

Charles Porquet 2

Charlotte Porquet 2

Martin Touranjou(.... – 1��� – ....)

2

L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE UNE PETITE ITHAQUE

1 Descendance de Catherine Baudet (mère d’Anne Pépin) et de Sieur Porquet¹

Source :

¹ IGMS : Institut de généalogie mûlatre sénégalaise

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8 février 1786 L’émouvante Ourika achetée et peinte par De Boufflers

Ourika était une enfant de trois ans achetée à Saint-Louis du Sénégal, le � février 1���, par le chevalier de Boufflers, qui en fit ‘‘ cadeau ’’ comme ‘‘ enfant de compagnie ’’ à sa tante, Louise Marie Adélaïde de Bourbon, épouse de Louis Philippe Josèphe duc d’Orléans depuis 1��5*. Il était très à la mode à cette époque d’avoir des enfants nègres dit ‘‘ de compagnie ’’ au sein des familles aristocratiques françaises. L’histoire d’Ourika inspira une femme écrivain, madame Claire de Duras qui en fit l’héroïne de sa nouvelle Ourika publiée en 1�23.

Ourika fut peinte par le chevalier de Boufflers en 1��� avant son départ pour la France. Il est possible que son portrait ait été retouché à Paris par madame Vigée-Lebrun (1�55-1��2), portraitiste et amie de madame de Sabran. J’achète en ce moment une petite négresse de deux ou trois ans pour l’envoyer à madame la duchesse d’Orléans. Si le bâtiment marchand qui doit la porter tarde quelque temps à partir, je ne sais pas comment j’aurai la force de m’en séparer. Elle est jolie, non pas comme le jour, mais comme la nuit. Ses yeux sont comme de petites étoiles, et son maintien est si doux et si tranquille, que je me sens touché aux larmes en pensant que cette pauvre enfant m’a été vendue comme un petit agneau. Elle ne parle pas encore, mais elle entend ce qu’on lui dit en yolof : Kay filé, viens ici ; Toura man**, embrasse-moi.¹

* Louis-Philippe Josèphe n’est autre que le grand-père du Prince de Joinville. ** Le chevalier se trompe car ‘‘ Toura man ’’, contrairement à ‘‘ Kay filé ’’ n’est pas du yolof, langue sénégalaise utilisée à Saint-Louis et dans la région, mais du bambara. Ce qui peut indiquer la provenance d’Ourika, c’est-à-dire de la région du Bambouc-Galam à la frontière du Mali actuel, en remontant le fleuve Sénégal.

Source :

¹ De Boufflers Stanislas Op. cit. page �0.Extrait de la lettre du � février 1���.

Iconographie :

InconnuOurikaChâteau d’Ansoui, collection particulière Comte Jean de Sabran-Pontevès.

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Je fus rapportée du Sénégal, à l’âge de deux ans, par M. le chevalier de B.(Boufflers), qui en était gouverneur. Il eut pitié de moi, un jour qu’il voyait embarquer des esclaves sur un bâti-ment négrier qui allait bientôt quitter le port : ma mère était morte, et on m’emportait dans le vaisseau, malgré mes cris. M. de B. m’acheta, et, à son arrivée en France, il me donna à Mme la maréchale de B. (Bourbon) sa tante, la personne la plus aimable de son temps, et celle qui sut réunir, aux qualités les plus élevées, la bonté la plus touchante. Me sauver de l’esclavage, me choisir pour bienfaitrice Mme de B., c’était me donner deux fois la vie : Je fus ingrate envers la Providence en n’étant point heureuse et cependant le bonheur résulte-t-il toujours de ces dons de l’intelligence ? Je croirais plu-tôt le contraire : il faut payer le bienfait de savoir par le désir d’ignorer et la fable ne nous dit pas si Galatée trouva le bon-heur après avoir reçu la vie. Je ne sus que longtemps après l’histoire des premiers jours de mon enfance. Mes plus anciens souvenirs ne me retracent que le salon de Mme de B. ; j’y passais ma vie, aimée d’elle, caressée, gâtée par tous ses amis, accablée de présents, vantée, exaltée comme l’enfant le plus spirituel et le plus aimable……Vous aurez peut-être de la peine à croire, en me voyant aujourd’hui, que j’aie été citée pour l’élégance et la beauté de ma taille. Mme de B. vantait souvent ce qu’elle appelait ma grâce, et elle avait voulu que je susse parfaitement danser. Pour faire briller ce talent, ma bienfaitrice donna un bal dont ses petits-fils furent le prétexte, mais dont le véritable motif était de me montrer fort à mon avantage dans un quadrille des qua-tre parties du monde où je devais représenter l’Afrique. On consulta les voyageurs, on feuilleta les livres de costumes, on lut des ouvrages savants sur la musique africaine, enfin on choi-sit une Comba*, danse nationale de mon pays. Mon danseur mit un crêpe sur son visage : Hélas ! Je n’eus pas besoin d’en mettre sur le mien ; mais je ne fis pas alors cette réflexion. Tout entière au plaisir du bal, je dansais la Comba, et j’eus tout le succès qu’on pouvait attendre de la nouveauté du spectacle et du choix des spectateurs, dont la plupart, amis de Mme de B., s’enthousiasmaient pour moi et croyaient lui faire plaisir en se laissant aller à toute la vivacité de ce sentiment. La danse d’ailleurs était piquante ; elle se composait d’un mélange d’at-

titudes et de pas mesurés ; on y peignait l’amour, la douleur, le triomphe et le désespoir. Je ne connaissais encore aucun de ces mouvements violents de l’âme ; mais je ne sais quel instinct me les faisait deviner ; enfin je réussis. On m’applaudit, on m’en-toura, on m’accabla d’éloges : ce plaisir fut sans mélange ; rien ne troublait alors ma sécurité. Ce fut peu de jours après qu’une conversation, que j’entendis par hasard, ouvrit mes yeux et finit ma jeunesse…¹

* Combas est en fait un prénom de l’ethnie Bambara du Mali.

L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE UNE PETITEITHAQUE

Source :

¹ De Duras ClaireOurika1�23.

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difficile de se méprendre à la signification de leur danse. Un homme jouait d’un instrument, toute l’assemblée battait des mains, et une danseuse à tour de rôle sortait, en contrefaisant toutes les crises de Mesmer… Après le bal, je les ai toutes récompensées par de petits présents ; celle de toutes qui m’avait paru la plus gentille m’a dit qu’elle était bien fâchée de n’avoir pas pu mieux faire, mais qu’elle était encore faible à cause qu’elle relevait de couches. Comme je lui marquais de l’intérêt et de la compassion, elle m’a beau-coup remercié, a été chercher son petit enfant de quinze jours, et m’a demandé la permission de lui donner mon nom. Ainsi, me voilà un enfant, comme M. Maurepas, dont M. Tronchin disait qu’il avait eu un lot, sans avoir mis à la loterie.²

1799 – 1880 La mystérieuse signare Amélie Anne Degrégny de Boufflers

Un mystère a longuement demeuré à Gorée : le che-valiers Stanislas de Boufflers a-t’il eut une descendance sur l’île ? Dans des actes notariés concernant une des maisons de l’île, sur le titre foncier no 135�3, apparaît le nom d’une ancienne propriétaire, Amélie Anne Degrigny de Boufflers, décédée en 1��0. Cette dame Degrigny prétendrait être la descendante du chevalier de Boufflers. Elle est issue de la dernière génération de mulâtresses que l’on pouvait encore appeler ‘‘ signare ’’ et indique dans l’acte de propriété de sa maison (actuellement en 200� maison de Madame Crespin) qu’elle s’appelle Degrégny de Boufflers.… Ce même immeuble parcelle, numéro 2 était antérieure-ment la propriété d’une dame veuve Sanson, née Amélie Anne Degrigny de Boufflers, pour l’avoir recueilli de la succession de Mademoiselle Désirée Degrigny, sa soeur décédée à Gorée, le onze novembre mil huit cent soixante six et ce aux termes d’un testament reçu par M. Henri Robert Greffier Notaire à Gorée, en présence de témoins, le onze janvier mille huit cent cinquante huit…¹

Un texte du � mars 1���, soit pratiquement un siè-cle avant, extrait des lettres du chevalier, semble toutefois éclaircir ce mystère. Ce document semble avoir été écrit par le chevalier pour mettre fin aux ‘‘ ragots ’’ colportés à son encontre par un abbé mondain parisien, l’abbé Bernard.

Cet abbé, hostile à De Boufflers à cause de ses idées révolutionnaires, affirmait dans le tout Paris de l’époque que le chevalier de Boufflers se trouvait à Gorée en fort bonne compagnie avec certaines signares, et qu’il en eut de nom-breux enfants. Des affirmations destinées à nuire au pro-jet de mariage du chevalier avec la comtesse de Sabran. Le chevalier, dans une lettre à son oncle le prince de Beauvau, décrit lui-même un événement qui explique cette rumeur et les conséquences qui en découlèrent.Les femmes de l’endroit (les signares de Gorée) m’ont fait l’hon-neur de me chanter et suivant l’expression du pays, de me dan-ser. Je n’ai pas bien compris ce qu’elles chantaient, mais il était

Sources :

¹ Extrait du passage de l’acte notarié déposé auprès de maître Henri Robert, Greffier Notaire de Gorée à la fin du xixe siècle. Partie concernant la succession d’Amélie Anne Degrégny de Boufflers du 11 janvier 1�5�.

² De Boufflers S. J.Lettre d’ Afrique à madame de SabanOp. it.Extrait de la lettre du � mars 1��� à son oncle le prince de Beauveau.

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1847 La coquetterie de la signare Amélie Anne Degrigny de Boufflers

La lignée Degrigny (nom déformé par l’usage en Degrè-gny) est née suite au mariage d’une signare de Gorée, Marie Anne Doumay, avec un commissaire de Marine, le sieur Jean Louis Marie Degrigny, né à Paris, paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonneret en 1��2 ou 1�59. Marie Anne Doumay est la signare sortant de couche décrite ci-dessus qui rajouta au nom du père biologique celui du chevalier avec son auto-risation, une sorte de parrainage.

Le père de l’enfant était un officier sous les ordres De Boufflers. Il était déjà présent à Gorée avant l’arrivée du chevalier comme nous en informe le livre du gouverneur Léonce Jore, Les établissements français sur la côte occidentale d’Afrique.¹

L’ÎLE DE GORÉE AU XVIIIe SIÈCLE UNE PETITEITHAQUE

Sources :

¹ Jore Léonce Les établissements français sur la côte occidentale d’AfriqueÉditions Maisonneuve et Larose, 19�5.

² IGMS : Institut de généalogie mûlatre sénégalaise- Acte de mariage d’A-A Degrigny de Boufflers du 22 octobre 1��� (registre Gorée), microfilm disponible. Archives Nationales Paris III.- Acte reconstitué par ordre alphabétique antérieur à 1��0, laissant apparaître en 1�59 un Jean René Degrigny, Archives d’états civils 1�, Blvd Serrurier Paris XIX- Acte notarial : titre Foncier n° 13 5�3 Dakar et Gorée (Volume ��F200 faissant apparaître le nom d’Amélie Anne Degrigny de Boufflers) Service du domaine de Dakar, Sénégal, ou Archives Nationales de France .

La tradition familiale qui consistait à rajouter le non du chevalier derrière le nom de famille Degrigny se perpétua semble-t’il jusqu’à la fin du XiXe siècle. Amélie Anne Degri-gny de Boufflers, est la seule de sa fratrie a avoir insisté pour que le non du chevalier soit rajouté dans son acte de mariage du 22 octobre 1���, collé de plus à celui de son père et de son grand père. Le plus amusant, c’est que l’enfant du récit du chevalier ne pouvait être que sa grande sœur Désirée Degrigny, car Amélie Anne est née en 1�99, soit treize ans après le retour en France du chevalier.

Cette ‘‘ coquetterie ’’ disparut avec Amélie, car sa des-cendance porta le nom de son mari, François Télémaque Sanson, natif de Cherbourg.Plus qu’une anecdote, cette affaire est révélatrice d’une culture particulière où la recherche permanente de l’éli-tisme pouvait aller très loin.

1 Descendance de Jean Boufflers²

Michelle Degrigny 2

Bishop2

Jean Degrigny2

Jean-Louis Degrigny (1��2 – 1���)

2

Désiré Degrigny 2

Marie Dulus2

Marie Anne Doumay (.... – 1��� – 1�90)

premier lit2

Amélie Anne Degrigny (1�99 – 1��0)

2

Emma Sanson2

François Sanson2

Marie Albis (Maîtresse)second lit

2

Marie Anne Degrigny (1�25 –1��9)

2

Prosper Sanson2

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Iconographie :

DaVy, capitaine de sapeursVue de l’île de Gorée1�21Paris, Bibliothèque Richelieu, Départements estampes.

CHarpyVue de l’île de Gorée

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Le style architectural des signares de Gorée est le fruit des métissages permanents entre des influences portugaises, françaises et italiennes. Ces maisons servent aussi de bouti-que, de stock ou d’atelier de tissage.

GORÉE LA MÉTISSE, MAISONS DE SIGNARES

GORÉE LA MÉTISSE,MAISONS DE SIGNARES

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1940 cHronique d’un peintre Voyageur : E. HorcHoll

Dans les rues de Gorée à l’ombre d’antiques bâtisses, Horcholl le peintre voyageur, immortalise une demeure imprégnée par l’âme de sublimes signares. Plus loin, plus tard non loin de Saint Louis dans les dunes dorées de Mauritanie c’est à la beauté troublante d’une mystérieuse Touareg qu’il rend hommage…

Jean-Luc Angrand, 2002.

GORÉE LA MÉTISSE,MAISONS DE SIGNARES

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Source :

¹ Bibliothèque Richelieu, Paris,Département cartes et plans.

1779 – 1783 L’affaire des remparts de Gorée ou la corruption d’un officier anglais

Cinquante huit nouvelles constructions apparaissent entre 1��9 et 1���, période sous domination anglaise. Elles sont bâties sur des terrains occupés par des fossés et des rem-parts donnant sur la mer. Les moyens financiers des signares leur permettent d’acheter facilement ces terrains au com-mandant anglais William Lacy qui leur cède, à la condition toutefois de percer des ‘‘ meurtrières ’’ dans les murs don-nant sur la mer pour, dit-il, pouvoir repousser un éventuel débarquement français. Il va de soit que du point de vue militaire ces ‘‘ meurtrières ’’ne pouvaient pas être plus effi-caces qu’un fossé et des remparts. Il semble raisonnable de penser que ce commandant anglais a voulu justifier la vente ‘‘ frauduleuse ’’ des terrains auprès des autorités de Londres par la mise en place d’un nouveau système défensif : les spé-cialistes jugeront. Il est probable que le gouverneur anglais toucha sur cette transaction des commissions, les signares étant d’habiles corruptrices.

Cet achat par les signares du terrain des remparts pro-voqua rapidement un bond de l’urbanisation de Gorée qui passa de 23 maisons en pierre de type provençal en 1��9 à �1 maisons en 1���. Ces cinquante huit nouvelles maisons en pierre construites en un si court laps de temps correspon-dent à une forte période ‘‘ d’enrichissement à la façon du pays ’’. Un modèle économique que nous décrirons après.

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Maisons

Année1��3 1��0 1��9 1���

1701 – 1857 Développement urbain au xviiie siècle de l’île de Gorée

D’après les plans de cadastre de Gorée du XViiie siècle conservés au Département cartes et plans de la bibliothèque Richelieu à Paris.¹

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GORÉE LA MÉTISSE,MAISONSDE SIGNARES

Iconographie :

Carte d’Évrard Duparel, 1���, Bibliothèque Richelieu, Paris,Département cartes et plans.

Carte de M. le Marquis de Lajaille, 1���, Bibliothèque Richelieu, Paris,Département cartes et plans.

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Le goût des signares pour les modes architecturaux français et italiens

Au début du XViiie siècle, les signares construisent leur Xanadu métis d’abord avec des tapades entourées d’enclos, puis avec des maisons en pierre de type provençal avec toi-ture en tuiles et escaliers à l’italienne.

Leurs fortunes personnelles, dues à ‘‘ l’enrichissement à la façon du pays ’’ et à l’influence de leurs familles en France et en Angleterre, leur permettaient de faire venir des maîtres maçons¹ et charpentiers qui formèrent leurs captifs de cases. Pour construire à l’occidentale à Gorée, elles importeront aussi quelquefois des pierres des îles du Cap-Vert grâce aux navires des compagnies de la gomme et à leurs cotres¹.

Les gouverneurs anglais et français leur imposèrent tou-tefois des normes de sécurité urbanistique suite aux nom-breux incendies provoqués par les toitures en paille des cases des captifs domestiques. Dits de case, ces derniers pouvaient aussi être logés dans les rez-de-chaussée des maisons des signares. Ils faisaient partie des chanceux qui avaient pu être sauvés de la déportation grâce aux signares ou aux nègres libres qui les rachetaient aux négriers nègres du Sénégal. Ils n’étaient jamais vendus et pouvaient partir s’ils le souhaitaient.

Iconographie :

De Bérard é., peintre de marineMaison construite fin XViiie siècle1���À la terrasse de la maison à gauche se trouve une signare. À droite, une case construite par des sauvés « captif de case ».

Sources :

¹ Delcourt JeanGorée six siècle d’histoireÉdition Clairafrique, Dakar, 19��.

Page 47: Céleste ou le temps des Signares - Extrait 1

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1763 Martin Touranjou ou la naissance d’un pôle de compétence architectural

Martin Touranjou est le fils mulâtre du maître charpen-tier maçon François Touranjou. Il est venu de France à la demande des signares de Gorée en 1��3 pour apprendre aux captifs de cases l’art de construire des maisons de type occi-dental. Les signares, pour faire venir cet artisan français, sont certainement passées par Abraham Gradis, juif de Bordeaux, alors en affaire avec elles, et par ailleurs ordonnateur (four-nisseur de la compagnie) du Sénégal.

François Touranjou (père) eut un fils dénommé Martin avec la signare Louise Commulle. Martin épousa le 1er Juin 1��� la signare Charlotte Desprez dite Porquet, demi sœur d’Anne Pépin*. Charlotte Porquet était apparentée par son père à l’abbé Porquet, mentor du chevalier de Boufflers. Le jeune Martin est le maître d’œuvre de la deuxième vague d’urbanisation de Gorée, dite ‘‘ vague des remparts ’’. Héri-tier du savoir-faire paternel, il supervisa la construction de la plupart des quatre vingt une maisons en pierre de Gorée

bâties entre 1��3 à 1��� avec son équipe de captifs maçons, charpentiers et forgerons empruntés aux signares. Son savoir-faire transmis aux captifs fit que Gorée devint rapide-ment un pôle de compétence des métiers de la construction immobilière à l’européenne (maçonnerie et charpenterie) et par ricochet, le seul port en Afrique de l’ouest capable de faire la réparation de petite charpenterie de marine dès le milieu du XViiie siècle.

Ce savoir-faire local des captifs artisans, permet de mieux comprendre pourquoi déjà en 1��3, monsieur de Choiseul, ministre du roi de France Louis XV, sur recommandation du gouverneur du Sénégal David, proposa aux maîtresses femmes de prendre des terres à volonté en Guyane française (Amérique du Sud) dans l’espoir d’en faire une colonie ren-table. Les signares n’y donnèrent pas suite. C’est encore la même raison qui poussera les autorités anglaises au début du XiXe siècle, alors maîtres du Sénégal, à faire appel aux com-pétences des ‘‘ entrepreneuses ’’ de Gorée et à leurs main-d’œuvre qualifiée pour construire la ville nouvelle de Sainte- Marie-de-Bathurst en 1�15, capitale de l’actuelle Gambie.

* Dénombrement des habitants de 1���.Bibliothèque Richelieu, Paris.

GORÉE LA MÉTISSE,MAISONSDE SIGNARES

Charlotte Desprezdite Porquet

2

1 Descendance de Charlotte Desprez dite Porquet et Touranjou¹

Caty Martin Touranjou (.... – 1��5)

2

Anne de Saint-Jean 2

Martin Touranjou2

François de Saint-Jean (1��� – .... – ....)

2

Hélène de Saint-Jean (1�20 – 1�59)

2

Richard Angrand(1�53 – 1�53)

2

Marie Madeleine Angrand(1�5� – ....)

2

Pierre Angrand(1�21 – 1�53 – ....)

2

1���

Marie Anne Angrand(1�5� – ....)

2

Léopold I Angrand(1�59 – 190�)

2

Source :

¹ IGMS : Institut de généalogie mûlatre sénégalaise

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Maison de la signare Anna Colas Pépin et de son père Nicolas

La maison de la signare ‘‘ Anna Colas ’’ (surnom vou-lant dire Anna la fille de Nicolas Pépin) fut construite sur des terrains achetés au très corruptible commandant anglais William Lacy entre 1��9 et 1��3.

Anna Colas est la fille de Nicolas Pépin, commerçant et notable de la communauté mulâtre de Gorée. Elle est aussi la nièce de la célèbre signare Anne Pépin, qui fut la maîtresse et l’associée du chevalier Stanislas de Boufflers.

Le style choisi pour la maison, qu’elle hérita de son père Nicolas Pépin, est d’inspiration italienne, un style à la mode à la fin du XViiie siècle en Europe. Il est certain que la maison dite d’‘‘ Anna Colas ’’ a été en fait construite au début dans un style beaucoup plus rudimentaire par son père pendant la période 1��9-1��3. Des améliorations esthétiques ont été apportées par Anna au début du XiXe siècle, et peut-être a-t’elle ajouté le double escalier.

À partir de la cour de cette magnifique maison bour-geoise, on accède à l’étage par un double escalier. Le rez-de-chaussée servait de stock pour la gomme, l’or, les cuirs et les nombreux outils de menuiserie et charpenterie destinés à l’entretien et la petite réparation de navire. Une porte au fond du rez-de-chaussée donnait sur la mer. Elle servait à jeter les déchets de la maison directement à la mer. (il était extrêmement dangereux d’aborder la maison par la mer à cause des nombreux rochers). De plus, une muraille existait à cet emplacement jusqu’en 1��0 rendant impossible tout embarquement à cet endroit. Il est évident que cette maison comme les autres maisons de Gorée n’ont jamais contenu d’esclaves de traite, les signares étant en général réfractaires à la déportation des esclaves aux Amériques. Les seuls captifs qui existaient dans les maisons de Gorée étaient les captifs de case (domestiques). Les très rares esclaves de traite (déportés) passés par l’île ont été enfermés dans le fort, le bâtiment du gouvernement et l’hôpital : il y en eut entre 900 et 2000¹ en un siècle (XViiie siècle).

L’idée pathétique de porte par laquelle seraient pas-sés des esclaves embarquant pour l’Amérique n’était rien

d’autre qu’une histoire fantaisiste destinée à impressionner les touristes de la fin du XXe siècle. Une invention farfelue que l’on doit à Pierre André Cariou, médecin de la marine Française, en poste au Sénégal durant la deuxième guerre mondiale. Cet auteur produisit un manuscrit non édité, Promenade à Gorée ², dans lequel il mélange données histo-riques reposant sur des archives et invention de faits. Cariou fut démasqué dès cette époque par le professeur Mauny de l’Ifan qui mit en doute certaines de ses affirmations dans un guide sur Gorée de 1951¹ et depuis par de nombreux autres chercheurs sérieux. Les fantaisies de Cariou ont toujours été dénoncées par d’authentiques Goréens, les vielles familles mulâtres appelées communément… les habitants.

Le rez-de-chaussée de la ‘‘ maison d’Anna Colas ’’ ser-vit à loger une dizaine de serviteurs dévoués. Elle servait aussi, comme la plupart des belles maisons de Gorée, de gîte pour voyageurs. Anna Colas fervente catholique accepta d’y héberger l’église de Gorée à partir 1��9 (archives paroissiales de Gorée¹), jusqu’à la construction de l’église Saint-Char-les de Gorée en 1�30. C’est dans cette maison au double escalier que la signare Anna Colas Pépin épouse au début du XiXe siècle le maire de Gorée François de Saint Jean, son cousin. Elle y reçut le prince de Joinville à deux reprises en 1�3� et 1��3¹.

Sources :

¹ MaunyGuide de GoréeDakar, Ifan, 1951(disponible à la Bibliothèque François MitterandParis)

² Cariou Pierre AndréPromenade à Goréemanuscrit dactylographié déposé à la Bibliothèque François Mittérand Paris cote FOL-O3M-1�5� (disponible également aux Archives d’Outre-mer d’Aix-en-Provence).

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Iconographie :

D’Hastrel de RiVedouXUne habitation à Gorée (maison d’Anna Colas)1�39.La signare Anna Colas Pépin (De Saint Jean) au 1er étage, avec l’une de ses quatre filles. Au 1er étage, son mari M. de Saint Jean (mulâtre) maire de Gorée.Les filles d’Anna Colas de Saint Jean : Marie-Thérèse épouse A. Cabeuil, Marie-Anne épouse Étienne René Valantin, Mary épouse Barthélemy Valantin dans la cour et sur la terrasse.

Angrand Jean-LucMaison d’Anna Colas Pépin2005.

GORÉE LA MÉTISSE,MAISONS DE SIGNARES

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