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JONAS QUI A EU 25 ANS EN L’AN 2000 AVANT QUELQU’UN

V. La naissance de Jonas

La place d’Issos. Agabam, Bregar et Cainlesh, enceintes jusqu’au menton et dansl’attente de l’heureux événement. Daria berce son enfant.AGABAM : C’est pour ce soir !BREGAR : On nous l’a annoncé !CAINLESH : Depuis des centaines d’années !DARIA : Mais oui, mais oui.AGABAM : Il va nous venir !BREGAR : Nous être donné !CAINLESH : Nous naître !DARIA : On le saura, on le saura.AGABAM, BREGAR et CAINLESH : Le prophète !DARIA (même jeu) : Le prophète. (A son enfant.) C’est pas de toi qu’elles causent.CAINLESH : Sacré sera le ventre d’où il sortira.AGABAM : La mère du prophète est la favorite de Yahvé.BREGAR : C’est si joli, une maman, que même les prophètes en veulent une.AGABAM, BREGAR et CAINLESH : Bénie sera la mère du prophète !DARIA (même jeu) : Ah, pour ça, bénie, elle sera bénie.CAINLESH : Une étoile apparaîtra dans les cieux.AGABAM : Il pleuvra des fleurs.BREGAR : Un nouveau prophète verra le jour.CAINLESH : Des gens accourront de partout pour le vénérer.DARIA : Et vénérer sa mère.AGABAM : Dès que j’ai su qu’il naîtrait ici et ce soir, j’ai su qu’il viendrait de moi.BREGAR : Ou de moi.CAINLESH : Ou de moi.DARIA : Ou d’elles. Les trois autres la regardent.AGABAM : Ah, ça, on n’a pas fait comme d’autres.BREGAR : On en connaît qui ont rien d’accompli comme il faut et que leur enfant ilest né trop tôt.CAINLESH : Et qu’en plus c’est une fille et que ça ne sera jamais un prophète.DARIA : Vous radotez. De toute façon, c’est le bon Dieu qui décide.AGABAM, BREGAR et CAINLESH : Oui, mais je sais que ce sera le mien.Arrivée d’Amitai et de Stella, secouée de spasmes.AGABAM : Regardez !BREGAR : Hosanna !CAINLESH : Voici déjà les adorateurs qui rappliquent.AGABAM : Je sens qu’il vient.BREGAR : Je perds les eaux.CAINLESH : Il arrive, mon prophète !AMITAI : Bonjour à vous, femmes d’Issos.

AGABAM, BREGAR, CAINLESH et DARIA : Bonjour, étranger.AMITAI : Je me nomme Amitaï, et voici mon épouse, Stella.DARIA : Mais cette femme est…AMITAI : Nous cherchons un endroit tranquille pour passer la nuit. Quelque chose desimple, avec juste de la paille. C’est pour ma femme, qui…DARIA : Vous pouvez vous installer dans cette étable. Elle appartient à mon mari.STELLA : Je… je n’en peux plus.DARIA : Venez avec moi, je vais vous installer.AMITAI : Laisse-toi conduire, chérie, je te rejoins tout de suite.Stella disparaît, aidée par Daria.AGABAM : Vous êtes venus pour adorer le prophète ? Vous êtes un poil en avance.BREGAR : Vous espérez déjà un miracle, pour soigner votre femme ?CAINLESH : Attendez juste une minute, je vous l’envoie, votre guérisseur.DARIA réapparaissant : Cette femme n’a pas la maladie que vous croyez.AGABAM, BREGAR et CAINLESH : C’est à dire ?On entend Stella se mettre à crier.AMITAI : Elle est sur le point d’accoucher. Nous craignions de ne pas trouver àtemps un endroit propre et calme.DARIA : Votre épouse vous réclame. Allons l’aider. Ils rentrent dans l’écurie.AGABAM : Attendez ! Arrêtez-tout ! Faites-la sortir !BREGAR : Faites-la sortir ! Amenez-la loin de la ville !CAINLESH : La laissez pas prendre notre place !AGABAM se tapant le ventre avec le poing : Tu vas sortir, dis, tu vas sortir !BREGAR même jeu : Dépêche-toi, on est en train de piquer ta place !CAINLESH même jeu : Les forceps, les forceps !On entend un bébé crier.AGABAM, BREGAR et CAINLESH : Damned ! Apparition de Daria.DARIA : C’est un garçon ! Apparition d’Amitai.AMITAI : Il s’appelle Jonas.DARIA : Regardez ! Une nouvelle étoile vient d’apparaître ! Comme elle scintille !AGABAM, BREGAR et CAINLESH : Foutu !AMITAI : Curieux, il pleut des fleurs.AGABAM, BREGAR et CAINLESH : Malheur !DARIA : Et voilà qu’un ange nous descend du ciel. Arrivée de l’archange.ARCHANGE : Archange, s’il vous plaît, j’ai trimé pour obtenir mon grade, je tiens àce qu’on le remarque. Déjà qu’avec ma fonction de proclamateur de naissance et lacouleur de mon uniforme de service, il y a des esprits chagrins qui m’appellentMadame la cigogne. Bon. Le prophète, c’est ici ?AGABAM, BREGAR et CAINLESH : C’est… c’est… c’est… Crispées de douleur,elles ne parviennent pas à parler, puis rampent à l’autre bout de la scène.AMITAI : De quoi s’agit-il ?ARCHANGE : N’êtes-vous pas Amitaï, époux de Stella et père de Jonas ?AMITAI : Depuis tout récemment, oui.ARCHANGE : Félicitations, votre femme vient d’accoucher d’un prophète.AMITAI : Ah ben ça alors.ARCHANGE : Voyez comme sa naissance est accompagnée de manifestationscélestes.

AMITAI : Ah oui, les étoiles et les fleurs. Extraordinaire.ARCHANGE : La naissance de Jonas était annoncée depuis des siècles.AMITAI : Et dire que je n’étais même pas au courant.ARCHANGE : Réjouis-toi, Amitaï fils d’Agitaï. Ta femme Stella vient de mettre aumonde un serviteur de Dieu. Ton fils Jonas est appelé à une grande destinée.AMITAI : Ah ben, si j’avais pu me douter.ARCHANGE scrutant un parchemin : Bon, j’en étais où, là ? J’en ai fini avecl’incipit au père, on peut passer à la proclamation.AMITAI : Ah, vous proclamez ?ARCHANGE : Oyez, population de Issos, oyez, peuples du monde entier ! En cettenuit, un prophète nous est né, un fils nous est donné, éternelle est sa puissance !Arrivée des trois reines mages.MELCHIORA : C’est ici, les écrits sont formels.GASPARDA : On a bien fait de laisser les chameaux devant la porte.BALTHAZARA : Il est où le prophète ?AGABAM, BREGAR et CAINLESH désignant chacune son ventre : Argl.AMITAI : Heu…ARCHANGE : Il est ici, Mesdames.MELCHIORA : Nous avons vu l’étoile.GASPARDA : Nous nous sommes mises en route.BALTHAZARA : Et nous venons adorer l’élu.AMITAI : Je ne sais pas quoi dire, ça nous tombe dessus, comme ça.AGABAM, BREGAR et CAINLESH : Argl.MELCHIORA : Comme il est de tradition en pareille occasion chez les reines mages,nous vous offrons de l’or.GASPARDA : De l’encens.BALTHAZARA : De la myrrhe.AMITAI : Trop aimable, il ne fallait pas.AGABAM, BREGAR et CAINLESH : Argl.MELCHIORA : Comment s’appelle-t-il, notre nouveau prophète ?AMITAI : Jonas !GASPARDA : Dites-moi, en quelle année sommes-nous ?MELCHIORA : Moins 2025.BALTHAZARA : Calculons, nous qui sommes d’éminentes scientifiques.GASPARDA : Jonas naît en moins 2025, donc…MELCHIORA : Donc il aura 25 ans en l’an moins 2000.BALTHAZARA : Jonas, qui aura 25 ans en l’an moins 2000.GASPARDA : Gageons que sa naissance est un signe d’espoir pour les temps à venir.MELCHIORA : Oui, tâchons d’œuvrer pour lui léguer un monde meilleur.AMITAI : Entrez donc !Elles entrent.ARCHANGE : Bon, la machine est lancée, ils ont tout compris. Je n’ai plus rien àfaire ici. Retour chez le boss. Il s’en va. Accouchement.AMITAI : Qu’est-ce qui se passe ?DARIA : Ces dames viennent d’enfanter ! Je vais chercher leurs maris. C’est quandmême eux les plus concernés. Elle sort.AMITAI : Calmez-vous, on va s’occuper de vous. Tout se passera bien.

Daria revient avec Agabamo, Bregaro et Cainlesho, fins bourrés.AGABAMO : Alors, les gueuses, où en est le travail ?BREGARO : On n’a pas pu venir plus tôt, on fêtait la naissance du prophète aucabaret.CAINLESHO : Et quand l’étoile est apparue, on a pris les paris.BREGARO : Alors dites, c’est lequel de nous trois qui est père de prophète ? Lestrois femmes désignent Amitaï.CAINLESHO : Parlez plus fort, on ne comprend pas. On a bu.AMITAI mal à l’aise : Heu en fait, je… je m’appelle Amitaï, je suis étranger, et…BREGARO : Dis-nous, toi, quel est le père du prophète !AGABAMO : Et articule quand tu dégueules ! Les reines mages arrivent.MELCHIORA : C’est Jonas, fils d’Amitaï, bonnes gens d’Issos.GASPARDA : Il est né au milieu de vous, dans cette étable.BALTHAZARA : Venez en foule le contempler, l’adorer et lui offrir des présents !AMITAI : Désolé, je ne voulais pas, je… je n’ai pas fait exprès.AGABAMO, BREGARO et CAINLESHO : Mais… Mais…Les reines mages leur remettent leurs enfants respectifs.MELCHIORA : Et voici votre progéniture.GASPARDA : Une fille chacun.BALTHAZARA : Elles sont venues au monde presque en même temps que leprophète.DARIA : Presque !MELCHIORA : Réjouissez-vous ! Elles rentrent à nouveau dans l’étable.DARIA : Ben oui, tirez pas cette tête-là ! Même Lilas fait risette !AGABAMO, BREGARO et CAINLESHO : Mais… Mais…Les trois hommes, furieux, se jettent sur leurs épouses respectives.AGABAMO : C’est quoi cette arnaque ?BREGARO : Tu ne pouvais pas mettre bas un peu plus vite ?CAINLESHO : Et en plus, c’est une fille ! T’as déjà vu des prophétesses, toi ?DARIA : Remarquez, il y a bien des reines mages.AGABAMO : Mère indigne !BREGARO : Attends-toi pas à ce qu’on te dorlote après ça, ah non !CAINLESHO : Allez, faut préparer le souper maintenant, et que ça saute !Ils les tirent hors de scène sans ménagement.AMITAI : Au fait, Madame, c’est quoi exactement, un prophète ?DARIA : C’est quelqu’un qui est désigné par Dieu, et qui est appelé à prêcher sabonne parole, et qui sait des choses que personne d’autre ne sait.AMITAI : Quel genre de choses ?DARIA : Par exemple, nous sommes en moins 2025, et ils savent ce qui va se passerquand le compte à rebours sera terminé, au terme de l’an moins un…AMITAI : Que ça ? Et on fait tout un ramdam pour ça ? Qu’est-ce que vous voulezque ça me fiche, ce qui va se passer dans 2025 ans ?DARIA : Apparemment, ça fiche beaucoup de monde.AMITAI : Moi, ce qui me fiche en ce moment, c'est où je vais vivre avec ma petitefamille. Nous n'avons nulle part où aller.DARIA : Restez ici et retapez cette étable. Elle appartenait à mon défunt mari et jevous l'abandonne de bon coeur.

AMITAI : C'est vraiment gentil.DARIA : Je ne possède pas grand-chose, mais je partage le peu que j'ai. Ma maison setrouve juste à côté. Votre Jonas et ma petite Lilas grandiront ensemble.AMITAI : Espérons qu'ils s'entendront bien.DARIA : Quelque chose me dit que votre Jonas s'entendra mieux avec ma fillequ'avec les autres filles d'Issos.AMITAI : Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?DARIA : Je ne ressemble pas aux autres habitants de cette ville, mais j'ai pu merendre compte qu'ils y sont susceptibles et rancuniers.

VI. Jonas consacré

La cour d’école. Bamaga, Garbre, Leishcan et Lilas.BAMAGA : On attend qu’il vienne.GARBRE : Il va venir. Et qu’est-ce qu’on va rigoler !LEISHCAN : Le prophète !LILAS : Ce n’est pas de sa faute, s’il est né prophète.BAMAGA : Mon papa, il dit pas ça, et mon papa, c’est le directeur de l’école. Il y atrois jours, j’y ai mordu.GARBRE : Il y a deux jours, j’y ai craché dessus.LEISHCAN : Hier, j’y ai fait caca dans sa serviette.BAMAGA : Moi j’y jette des cailloux aux professeurs et j’y dis que c’est lui.LILAS : Et on te croit ?BAMAGA : Oui, parce que mon papa il est directeur de l’écoleGARBRE et LEISHCAN : Et nous on l’y a tenu.LILAS : Vous l’avez tenu ?BAMAGA : Et pendant ce temps j’y ai fait gober des mouches.GARBRE et LEISHCAN : Beurk.LILAS : Et on ne t’a pas vue ?BAMAGA : Même si on m’a vue je m’en fous.GARBRE : Son père est directeur de écoleLEISHCAN : Et lui c’est que un étranger.BAMAGA : Il dit qu’il est prophète et il ne peut même pas se défendre.GARBRE : Ça se dit prophète et ça prophète pas plus haut que son cul. LEISHCAN chantant sur l’air de Gilbert Bécaud : Quand il a tort le prophète…LILAS : Mon Dieu !DIEU en voix off : Qui m’appelle ? Un temps. LILAS : Vous… vous avez entendu ?Arrivée de Jonas. Bamaga, Garbre et Leishcan se jettent sur lui.BAMAGA : Voilà le prophète !GARBRE : Qu’est-ce qu’on va se poiler !LEISHCAN chantonnant : Prophète, tu pues tu pètes, tu prends ton cul pour unetrompette.BAMAGA l’immobilisant : Défends-toi, prophète !GARBRE lui bandant les yeux : Vois plus loin que nous prophète !

LEISHCAN le tapant : Allez, fais le prophète, devine qui te gifle !JONAS : Au secours !BAMAGA : Prophète tapette !GARBRE : Prophète layette !LEISHCAN : Prophète quiquette !LILAS : Vous êtes affreuses !BAMAGA : Mais c’est qu’elle commence à nous échauffer les oreilles, la fayotte !GARBRE : Elle défend le prophète, ce n’est pas honnête.LILAS : Je voulais simplement…LEISHCAN : Elle est amoureuse du prophète !LILAS : Mais non…BAMAGA : Elle veut devenir une prophétesse !GARBRE : Prophétesse, sale espèce !LEISHCAN : Prophétesse de mes fesses !JONAS : Vous etes vraiment… des chipies ! Instant de stupeur.BAMAGA : Vous avez entendues ?GARBRE : Il nous a insultées !LEISHCAN : Une chipie, moi !BAMAGA : Ça je dis tout à mon père !GARBRE et LEISHCAN : Et moi je dis tout au mien !BAMAGA : Oui mais le mien, c’est le…JONAS : Directeur de l’école. On sait. Bamaga se roule par terre.BAMAGA : En plus, il m’a coupé la parole ! Je dis tout aussi ! Arrivée d’Agabamo.AGABAMO : Que se passe-t-il ici ?GARBRE : C’est Jonas ! Comme d’habitude !BAMAGA : Il m’a insultée et ensuite il m’a coupé la parole.JONAS et LILAS : C’est pas vrai !BAMAGA, GARBRE et LEISHCAN : Si c’est vrai !AGABAMO : Alors là, ça ne peut plus durer. Jonas, dans mon bureau tout de suite.Allez chercher ses parents, vous autres.BAMAGA, GARBRE et LEISHCAN : Avec plaisir. Elles disparaissent.JONAS se fait emmener par Agabamo : Mais j’ai rien fait, j’ai rien fait, j’ai…AGABAMO : Tais-toi, prophète.Noir. Puis Jonas et ses parents sont dans le bureau d’Agabamo.AGABAMO : Asseyez-vous, Monsieur, Madame.JONAS : Et moi ?AGABAMO : Toi, tu restes debout.AMITAI : Pour quelle raison nous avez-vous convoqués si brusquement ?AGABAMO : J’ai tenu à vous faire part personnellement, d’abord du résultat destests que nous effectuons auprès de chaque élève fréquentant notre établissement,ensuite du rapport général du corps professoral et de l’association des parentsconcernant le comportement scolaire de votre petit Jonas.STELLA : Nous avons hâte de les entendre.AMITAI : Oui, notre fils Jonas est quelqu’un de très éveillé.STELLA : Quoiqu’un peu solitaire.AMITAI : Oui, il ne se lie pas facilement.JONAS : C’est plutôt les autres qui ne se lient pas facilement à moi. Je n’ai jamais

réussi à comprendre pourquoi.AMITAI : Silence, toi.AGABAMO : Je ne vous cacherai pas, en effet, que les résultats de Jonas sontplutôt… hors normes.AMITAI et STELLA : Hors normes ?JONAS : Ah, je me suis donné ! Je ne veux pas vous décevoir.AMITAI : Laisse le directeur parler.AGABAMO : Nos épreuves sont cotées sur une échelle, qui évalue les capacitésmentales du candidat. La moyenne, pour une personne de son âge normalementconstituée, est de 150 points.AMITAI : Et je suppose que Jonas est fort éloigné de cette moyenne.AGABAMO : En effet. Au-dessus de 175 points, le sujet est considéré commeavancé.AMITAI et STELLA : Ah !AGABAMO : Au-dessus de 200, le sujet est très avancé.AMITAI et STELLA : Ah !AGABAMO : A 225, c’est un surdoué.AMITAI et STELLA : Ah !AGABAMO : A 250, c’est un génie.AMITAI et STELLA : Ah !AGABAMO : Un score supérieur à 250 n’a pour l’instant jamais été enregistré.STELLA : Et combien a fait notre fils ?AGABAMO : 27 points. Surprise parentale.AMITAI : Mais… alors c’est un complet imbécile ?AGABAMO : Non, juste un débile léger.STELLA : Pardon ?AGABAMO : De zéro à 25, c’est un complet imbécile. De 25 à 50, c’est un débileléger. Les chiffres sont formels.JONAS : Et je n’ai même pas fait exprès !AMITAI : Mais… Il y a une erreur quelque part.STELLA : Qui était responsable de cette évaluation ?AGABAMO : C’est le docimologiste. Un professionnel de la notation cognitive et desniveaux taxonomiques. Je peux vous l’appeler.AMITAI : Appelez-le !AGABAMO appelant : Monsieur le docimologiste ! Apparaît Bregaro.BREGARO : Monsieur le Directeur ?AGABAMO : Le quotient intellectuel du petit Jonas ?BREGARO consultant une fiche : Jonas… Jonas….JONAS : Mais… Je ne l’ai jamais vu, cet homme.AMITAI : Shut up !BREGAR : Jonas… Ah voilà, Jonas. Débile léger.AGABAMO : Merci, vous pouvez disposer. Bregaro sort. Vous voyez ?STELLA : Que nous proposez-vous pour remédier à la situation ?AGABAMO : Nous ne pouvons rien proposer, mais juste imposer.AMITAI : Que voulez-vous dire ?AGABAMO : Le règlement est formel. Notre établissement n’accepte pas de débiles.JONAS : Même pas légers ?

AMITAI : Tais-toi, n’aggrave pas ton cas.STELLA : Vous n’allez pas dire que vous ne pouvez pas garder Jonas ?AGABAMO : Nous ne pouvons pas. Ce serait remettre en question l’efficacité denotre système.STELLA : Mais enfin, Jonas ne vous a jamais posé aucun problème, c’est un garçontout ce qu’il y a de plus calme et de plus gentil.JONAS : N’est-ce pas ?AGABAMO : Ce n’est pas ce que mentionnent les rapports disciplinaires.AMITAI : Les rapports disciplinaires ?AGABAMO sortant une fiche : Le rapport est formel. Mord ses petits camarades,arrache les ailes des mouches, insulte ses professeurs. J’ai d’ailleurs reçu une pétitionde la part des parents des autres élèves. Jonas perturbe tout le monde.STELLA : Seigneur Dieu !DIEU en voix off : Qui m’appelle ? Temps mort.STELLA : Vous… vous avez entendu ? Jonas reprend, comme si rien ne s’étaitpasse.JONAS : Mais ce n’est pas possible ! Amitai le fait taire d’une baffe.AMITAI : Mais ce n’est pas possible !AGABAMO : Pas possible ? Appelant. Monsieur le surveillant ! Apparaît Cainlesho.JONAS : C’est qui celui-là ? Nouvelle baffe d’Amitaï.CAINLESHO : Monsieur le Directeur ?AGABAMO : Le comportement du petit Jonas ?CAINLESHO : Jonas ? Mord ses professeurs, insulte les mouches, arrache les ailes deses camarades.JONAS : Et pourtant ce ne sont pas des anges ! Nouvelle baffe d’Amitaï.AGABAMO bas à Bregaro : Non, pas dans cet ordre.CAINLESHO : Ah oui, Mord ses petits camarades, arrache les ailes des mouches,insulte ses professeurs.AGABAMO : Merci, vous pouvez disposer. Cainlesho sort. Vous voyez ?STELLA : Mais qu’allons nous faire de Jonas s’il ne peut plus aller à l’école ?AGABAMO : Rassurez-vous ! Nos institutions sont bien faites ! Pas d’exclusionsociale, même pour les débiles légers. Nous avons pensé à tout.STELLA : Qu’entendez-vous par là ?AGBAMO : Je vous suggère de le vendre comme esclave en Egypte.STELLA : Mon Dieu !DIEU en voix off : Qui m’appelle ?STELLA : Vous… vous avez entendu ? Amitaï reprend, comme si de rien.AMITAI : Ah non ! Qu’est-ce que c’est que cette mascarade ? On ne vous croit plus !STELLA : Puisque c’est comme ça, on ne quitte pas que l’école, on quitte la région !JONAS : Bien dit !AGABAMO : Voyons, ne le prenez pas si mal !AMITAI : J’ai toujours senti qu’on ne nous aimait pas, dans le coin.STELLA a Jonas : Tu sais, c’est rapport à cette vieille histoire, quand tu es né…JONAS : Ouais, je l’ai entendue cent fois.AMITAI : Vous n’êtes pas prêts de nous revoir !AGABAMO : Ne soyez pas si négatifs ! C’est Jonas qui doit s’adapter à la société, etnon la société qui doit s’adapter à Jonas ! Amitaï, Stella et Jonas sortent.

AGABAMO : Bon, j’aurais préféré savoir le faux prophète déporté en Egypte, maisqu’importe, ils seront lapidés par la foule avant d’avoir pu quitter Issos.Noir, puis sur la place d’Issos. Agabam, Bregar, Cainlesh et Daria.AGABAM : Ils vont bientôt sortir du bureau du mari à moi.BREGAR : Et je suis sûre qu’ils auront la queue entre les jambes !CAINLESH : Les parents au prophète !DARIA : C’est ce que vous espérez, n’est-ce pas ?AGABAMO : Le mari à moi, c’est le directeur de l’école, il a dit qu’il allait dire àceux-ci que le leur il avait mal tourné.BREGAR : Et que le mari à moi il allait l’aider à dire.CAINLESH : Le mien aussi. Aux parents au prophète.DARIA : Vous êtes contentes, vous !CAINLESH : Ces gens-là, ils se mettent à s’imaginer n’importe quoi sous prétexteque la nuit où le leur il est né, il s’est passé des choses spéciales.DARIA : C’était la même nuit que pour les vôtres.BREGAR : Alors après, il faut pas s’étonner si le leur il tourne mal.CAINLESH : Le prophète.BREGAR : On lui raconte tout le long qu’il est prophète, alors il se croit supérieur.CAINLESH : Prophète, prophète, prophète, et après ça devient un perturbé.AGABAM : Le problème, c’est que ça perturbe les nôtres. C’est le mari à moi qui dit.BREGAR : Nous on a rien contre les perturbés, seulement il y a des endroits pour ça.CAINLESH : Pour les prophètes.Arrivée de Lilas, qui s’élance sur Daria.LILAS : Maman, maman, c’est affreux, Jonas, ils l’ont… Elle lui murmure quelquechose à l’oreille.AGABAM : A mon avis, ça doit concerner Jonas.BREGAR : Oui, celle-ci elle est pas trop normale, elle fricote avec.CAINLESH : Le prophète.AGABAM : En tout cas, le mari à moi il dit à la mienne de ne pas tourner autour duprophète.BREGAR : A la mienne aussi. On sait jamais ce qu’elles peuvent attraper avec desgens comme ça.CAINLESH : Les prophètes.DARIA : Mon Dieu !DIEU en voix off : La prochaine fois, j’envoie quelqu’un sur le lieu de l’appel ! Je suissur écoute et j’en ai marre des téléphones anonymes !DARIA : Vous avez entendu ?Arrivée de Bamaga, de Garbre et de Leishcan.BAMAGA, GARBRE et LEISHCAN : Maman, maman, c’est génial ! Jonas !AGABAM, BREGAR et CAINLESH : Quoi donc ?BAMAGA : Viré de l’école !GARBRE : Quitte la région !LEISHCAN : On peut les liquider !AGABAM, BREGAR et CAINLESH : Non !BAMAGA, GARBRE et LEISHCAN : Si !AGABAM : Je ne voudrais pas avoir l’air de me réjouir, mais je savais qu’un jour oul’autre, ça devait finir comme ça. Le mari à moi il a toujours dit.

Arrivée de Jonas et de Stella. Huées générales. BREGAR : Ils font plus tant les fiers !CAINLESH : Les prophètes ici !Bamaga, Garbre et Cainlesh leur font les cornes. Daria et Lilas les approchent,compatissantes.BREGAR : Maintenant, il n’y a plus personne qui les protège.CAINLESH : Et si on les lapidait ?AGABAM, BREGAR, BAMAGA, GARBRE et LEISHCAN : Bonne idée !Elles ramassent des cailloux.JONAS : Mon Dieu !DIEU en voix off : Qui m’appelle ?JONAS : C’est Jonas, celui que tu as prétendu prophète. Ton serviteur est sur le pointd’être lapidé par la foule !DIEU en voix off : Quels sont ceux qui te persécutent ?JONAS : Ceux-là même qui tiennent un caillou à la main, Seigneur.DIEU en voix off : Ne quitte pas, j’envoie un archange.Noir, ténèbres, éclairs, tonnerre, panique générale. Lorsque revient un peu delumière, Agabamo, Bregaro et Cainlesho déboulent, paniqués.AGABAMO : La ville brûle !BREGARO : Les récoltes pourrissent sur place !CAINLESHO : Le fleuve déborde !TOUS sauf Jonas : Mon Dieu !DIEU en voix off : Désolé, ligne occupée, adressez-vous à l’archange. Arrivée del’archange, joué cette fois par une fille.ARCHANGE : Archange, il a bien dit archange, hein, pas ange, ni cigogne. Et je voussignale que je suis le même que tout à l’heure. Tout à l’heure, j’entends par là lanaissance de Jonas. Ça remonte à plusieurs années, mais vous savez, pour unarchange, c’est comme pour le public, les années, ça ne compte pas. Je disais doncque j’étais le même que tout à l’heure, parce que n’est-ce pas, les archanges, toutcomme les anges, n’ont pas de sexe.DIEU en voix off : Fais ton travail, feignante.ARCHANGE : Bon. A tout le monde. Il parait qu’on persécute un prophète ici.J’attends que les coupables se dénoncent.BAMAGA : Ce n’est pas nous !GARBRE : C’est les parents qui nous rabattaient les oreilles avec ça !LEISHCAN : Ils nous forçaient à le persécuter mais à la base on ne voulait pas !ARCHANGE : Parents, qu’avez-vous fait ?AGABAMO : C’est la femme qui nous invectivait ! Elle s’était mise en têted’accoucher du prophète.BREGARO : Elle m’a fait toute une histoire avec le prophète qu’elle voulait, et quandelle l’a pas eu, le prophète qu’elle voulait, c’est devenu invivable à la maison.CAINLESHO : Elle faisait que accuser les étrangers, les parents du prophète, alors àforce, on a fini par croire, on ne voulait pas les contrarier.ARCHANGE : Femmes, qu’avez-vous fait ?AGABAM : Mais non, c’est le mari à moi.DARIA : Le directeur de l’école.AGABAM : C’est lui qui voulait le prophète, moi j’ai toujours voulu une vie simple.

BREGAR : Il voulait absolument son prophète, et quand ça a pas marché ça a été ledrame ! Il a cherché un bouc émissaire !CAINLESH : Moi j’ai toujours dit qu’il fallait faire attention au prophète, c’est sacréles prophètes, mais personne ne m’écoutait alors je me suis tue parce que j’ai eu peur.LILAS : Moi, je n’ai pas eu peur.DARIA à l’archange : Si vous voulez, je vous explique comment ça c’est passé.ARCHANGE : Non, c’est inutile. Tout cela pue le mensonge, l’hypocrisie, ladélation, la mesquinerie, la jalousie, la vanité, l’orgueil et la méchanceté. Voyez oùvous mènent vos péchés. Vos maisons brûlent, vos récoltes pourrissent et vos terressont inondées.TOUS sauf Jonas, Lilas et Daria : Oui mais c’est pas ma faute !ARCHANGE : Silence ! Promettez-moi de respecter dorénavant votre prophète, ou jeviendrai vous tirer les oreilles.TOUS sauf Jonas, Lilas et Daria : Nous le promettons !ARCHANGE: Bon. A Jonas. S’ils s’excitent encore, tu m’appelles. Mais tu nem’appelles pas sans raison ou alors c’est toi qui te fais botter les fesses.JONAS : Vous savez, je ne leur en voulais pas tant que ça.ARCHANGE : Allez. Il claque des doigts. L’incendie est éteint, les récoltes sont ànouveau sur pied et le fleuve est retourné dans son lit. Que les ténèbres s’en aillent etque l’orage cesse. Et que je ne vous y reprenne plus. La lumière revient.AGABAMO : C’est fini ! Le cauchemar a cessé !BREGARO : Tout est redevenu comme avant !CAINLESHO : Et nous avons été épargnés !BAMAGA : Les ténèbres sont dissipées !GARBRE : L’incendie est éteint !LEISHCAN : L’inondation est stoppée !AGABAM : Comme j’ai eu peur !BREGAR : A qui devons-nous ce miracle ?CAINLESH : Au prophète !TOUS sauf Jonas, Lilas et Daria : Prophète ! Tous se prosternent devant Jonas.DARIA : Avec eux, c’est tout ou rien.STELLA : Mon fils, je suis fière de toi.LILAS : Tu vois ? Les choses se sont arrangées.JONAS : Mais j’ai comme l’impression que je ne suis pas au bout de mes peines…

VII. Jonas rebelle à sa mission

A nouveau la place d’Issos. Jonas trône comme un pacha au milieu de celle-ci,entouré par toute la population (Agabam, Bregar, Cainlesh, leurs trois époux et leurstrois filles.) Daria et Lilas se tiennent à l’écart. Au-dessus de la foule, un largepanneau indique : « 1er janvier moins 2001 ». Apparition d’Esther et de Romaine,deux journalistes.ESTHER : Chers auditeurs de « Radio Issos », je vous salue bien fort.ROMAINE : Et moi donc, pareillement.ESTHER : Dans cette cité, on prend de l’avance sur notre époque.

ROMAINE : N’allons-nous pas bientôt passer à l’an moins 2000 ?ESTHER : Si ni le microphone, ni l’enregistreur, ni le poste radiophonique n’ontencore été inventés…ROMAINE : ... nous allons assister en direct à l’événement et le commenter ensuitedans tous les carrefours de la ville.ESTHER : En léger différé, certes.ROMAINE : Longue nuit en perspective, n’est-ce pas Esther ?ESTHER : Tout à fait Romaine.ROMAINE : Amis auditeurs de « Radio Issos », nous nous trouvons à présent sur laplace centrale de notre cité.ESTHER : Une foule énorme s’y est rassemblée pour fêter ce soir, et dans moins dedix minutes puisqu’il est minuit neuf, ce mémorable et historique passage à l’anmoins 2000 !ROMAINE : Et ce, en présence d’une éminente personnalité, grâce à laquelle bonheuret prospérité pour le prochain millénaire nous sont garantis !ESTHER : Mais qui est, chère Romaine, cette personne pour qui tombent les fleurs ?ROMAINE : Et pas que les fleurs !ESTHER : Nous avons nommé…ESTHER et ROMAINE : Le prophète Jonas.JONAS : Burp.Agabamo, Bregaro et Cainlesho se font aborder par les deux journalistes.ROMAINE : Messieurs, habitants d’Issos, que souhaitez-vous pour vous tous, pour laville d’Issos et pour le monde en général ?ABAGAMO : Que le prophète se marie.BREGARO : C’est ce qu’on voudrait bien.CAINLESHO : Ça serait formidable.ESTHER : Connaît-on déjà celle sur qui s’est porté le choix de Jonas ?ABAGAMO : Les paris sont ouverts mais ce sera sûrement ma fille.BREGARO : Ou la mienne.CAINLESHO : Ou la mienne. Zoom sur les trois femmes et les trois filles.AGABAM : Tu sais ce qu’il te reste à faire ?BAMAGA : Oui, maman.BREGAR : Tu ne vas pas me décevoir, hein ma fille ?GARBRE : Non maman.CAINLESH : C’est le moment où jamais.LEISHCAN : Je sais maman. Les trois filles s’en vont.DARIA à Lilas : Et toi ? Tu ne te joins pas à elles ?LILAS : Je n’en ai pas très envie. Jonas n’est plus le même. Il est accoutumédésormais à ce que tout le monde se prosterne devant lui.DARIA : Il s’endort sur ses lauriers, le pauvre garçon. AGABAM : J’ai toujours su que la mienne, elle irait loin.BREGAR et CAINLESH : La mienne aussi.AGABAM : Elle est née la même nuit que le prophète.BREGAR et CAINLESH : La mienne aussi.AGABAM : Ma fille, elle se mariera avec le prophète.BREGAR : Et le prophète, il dira à ma fille ce qui va se passer à la fin de l’an moinsun, parce que même un prophète, ça n’a pas de secret pour son épouse.

CAINLESH : Et la fille à moi, elle racontera à moi tout ce que lui a confié leprophète, parce qu’une fille, ça n’a jamais de secret pour sa mère.Les trois filles arrivent auprès de Jonas.BAMAGA, GARBRE et LEISHCAN : Mon ami Jonas !JONAS : Vous pouvez m’appeler prophète.BAMAGA : Voilà des pommes de mon verger, prophète.BREGAR : Voilà du miel de mes ruches, prophète.LEISHCAN : Voilà des fleurs de mon jardinet, prophète.JONAS : Merci, posez tout ça par ici.LEISHCAN : Dis-moi, prophète, que me prédis-tu pour ce millénaire ? Deviendrai-jeenfin ta femme ? Me révéleras-tu ce qui se produira au terme de l’an moins un ?JONAS : Ça dépend de toi, cocotte.LEISHCAN : Comment, ça dépend de moi ?JONAS : Continue à me faire des cadeaux.LEISHCAN : Mais… qu’est-ce qu’il m’arrivera si je n’en ai plus les moyens ?JONAS : Et bien si tu n’en as plus les moyens cela veut dire que tu n’as pas l’âmeassez pure pour épouser un prophète car chacun sait que Dieu n’envoie la richesse etla prospérité que chez ses bons et loyaux serviteurs. Ecarte-toi maintenant.GARBRE l’écartant : Le prophète a bien parlé. Salauds de pauvre. A Jonas. Prophète,vois la pureté de mon cœur, vois comme je suis ta servante aimante, fidèle, généreuse,surtout généreuse, et conte-moi si tu consens enfin à faire de moi ta femme et à merévéler tes secrets.JONAS : Ma décision importe peu. Mais je lis dans les cieux que tu seras heureuse.GARBRE : Vraiment !JONAS : Oui, tant que tu resteras ma servante aimante et fidèle, et que tu continuerasà m’amener à bouffer, et tant que t’y es faudra que tu viennes tous les joursm’éventer, me masser et me manucurer les ongles des pieds, sinon c’est la peste et lecholéra pour toute la famille et plus rien ne poussera sur vos terres sauf des épinardsen branche.GARBRE : Je me le tiens pour dit, prophète. Bamaga l’écarte.BAMAGA : Prophète, n’écoute pas ces pipeletteuses, elles sont indignes de toi, etlaisse-moi devenir ta femme !JONAS : Ce n’est pas ce que tu me disais à une époque.BAMAGA : Ce fut là un malentendu qui a été dissipé depuis belle lurette, prophète.A présent, je suis prête à tout pour trouver grâce à tes yeux.JONAS : Bon alors…Chaque jour, tu m’apporteras un cruchon de vin, mais pourtransvaser le pinard depuis le tonneau, tu n’utiliseras qu’un dé à coudre.BAMAGA : Oui prophète.JONAS : Et puis… tu viendras me tondre le gazon avec une pince à épiler.BAMAGA : Oui prophète.JONAS : Ah, j’oubliais, tu torcheras le cul de mes vaches avec un confetto plié enquatre.BAMAGA : Oui prophète.JONAS : Pas d’entourloupe ou je me fâche. Et me fâcher c’est fâcher le bon Dieu etlà tu sais ce qui t’attend.BAMAGA : Je sais, prophète.JONAS : Bon, vous pouvez disposer. Quittez-moi à genoux et à reculons, pour ne pas

indisposer le prophète. Quant au choix de mon épouse, je vous en ferai part l’annéeprochaine.BAMAGA : Mais cela fait dix ans que tu nous dis cela !GARBRE : Silence ! N’indispose pas le prophète !LEISHCAN : Prophète ! Prophète ! Il t’a indisposée ! Je l’ai entendue ! Prophète !JONAS : Allez-vous en !Les trois filles s’en retournent vers leurs parents respectifs.AGABAM, ABAGAMO, BREGAR, BREGARO, CAINLESH et CAINLESHO :Alors ?Les trois filles font un même geste de dénégation. Colère visible des parents. Lilass’approche de Jonas.LILAS : Jonas ! Tu ne voudrais pas arrêter ce petit jeu, et redevenir celui que tu étaislorsque nous étions enfants ?JONAS : Moi, ça me va très bien comme ça.LILAS : Jonas ! Tu n’es pas prophète pour te faire entretenir ! A deux reprises, unange est apparu pour t’annoncer une grande destinée !JONAS : Hé bien que l’ange revienne pour me dire ce que j’ai à faire. En attendant,va-t-en, tu m’agaces. N’indispose pas le prophète.LILAS : Tu es désespérant. En plus, je suis certaine que tu ne sais pas toi-même cequi se passera à la fin de l’an moins un !JONAS : Si je sais mais je dis pas, tralala. Lilas s’éloigne. Le pire, c’est qu’elle araison. Retour aux journalistes.ESTHER : Chers auditeurs, l’instant tant attendu est arrivé. Il est minuit une.L’humanité entière va entrer dans un nouveau millénaire.ROMAINE : Cessons là ces commentaires, chère Esther, le compte à rebours acommencé.TOUS : Dix. Neuf. Huit. Sept. Six. Cinq. Quatre. Trois. Deux. Un. Sur le panneau « 1er janvier moins 2001 » devient « 31 décembre moins 2000 ».Bonne année ! Soudain, les lumières s’éteignent. Eclairs et tonnerres. Panique.ESTHER : Que se passe-t-il chère Romaine ?ROMAINE : Le bug de l’an moins 2000 !Quand les lumières se rallument un personnage de plus se trouve au milieu de lafoule. Il porte un costard. Il s’agit de Dieu mais personne ne le sait.STELLA : Bonjour, étranger. Bienvenue à Issos. .DARIA : Que venez-vous faire parmi nous, en cette nuit de jubilé ?DIEU : Je voudrais parler au prophète Jonas.DARIA : Je vais vous conduire à lui. Elle le fait. Cet homme veut te parler, Jonas.JONAS : Il amène un cadeau au moins ?DARIA : Jonas !DIEU : Laissez-nous seuls à présent. Daria s’éloigne. C’est donc toi, Jonas ?JONAS : Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ?DIEU : Tu as bien changé depuis la dernière fois que je t’ai parlé.JONAS : On se connaît ?DIEU : Il te faudra pourtant être humble. Tu as atteint tes 25 ans et j’ai une mission àte confier.JONAS : Une mission ? Elle est bien bonne ! Qui es-tu d’abord ?DIEU en toute simplicité : Je suis Dieu.

JONAS : Dieu ? Avec ta bobine et ton accoutrement ! Dieu ! Et pourquoi pasprophète tant que tu y es !Dieu claque des doigts. Ténèbres, orages, éclairs, panique.ABAGAMO : Le feu !BREGARO : Les récoltes !CAINLESHO : Le fleuve !DIEU : Alors ? Tu me crois ?JONAS : Je Vous crois, je Vous crois ! Arrêtez ça !Dieu claque à nouveau des doigts. Tout se calme et la lumière revient.ABAGAMO : Plus d’incendie !BREGARO : Plus de pourriture !CAINLESHO : Plus d’inondation !DIEU : Si je t’ai désigné prophète, ce n’est pas pour que tu t’empiffres indéfiniment.JONAS : Je m’en doutais, hélas ! Qu’est-ce que Vous attendez de moi ?DIEU : Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et annonce-leur que leur méchanceté estmontée jusqu'à moi.JONAS : Et qu’est-ce que ça fait quand la méchanceté d’une ville parvient jusqu'àVous ?DIEU : Il se passe ça. Il claque des doigts. Même jeu.ABAGAM : Le feu !BREGAR : Les récoltes !CAINLESH : Le fleuve !JONAS : Je Vous ai compris ! Arrêtez ça !Dieu claque à nouveau des doigts. Tout se calme et la lumière revient.ABAGAM : Plus d’incendie !BREGAR : Plus de pourriture !CAINLESH : Plus d’inondation !DIEU : Je la détruis. Pour Ninive, ce sera dans cinquante jours.JONAS : Mon Vous ! Je dois donc leur annoncer que leur ville va être rasée par Votrevolonté ! Mais ils vont m’empaler, vous ne pouvez pas me demander ça ! Détruisezsans avertir, ça leur épargnera la peur et ça m’évitera d’annoncer une mauvaisenouvelle !DIEU : Tu vas m’obéir, nom de Moi ! Il lève la main pour claquer des doigts.JONAS : Non ! Ne refaites pas ça ! J’y vais, j’y vais de ce pas ! Il s’éloigne.DIEU : Jonas !JONAS : Oui Seigneur ?DIEU montrant l’autre direction : Ninive, c’est par là.JONAS : Oui Seigneur. A part. Finie, la belle vie, je me disais aussi que ça ne pouvaitpas durer. Jonas fait demi-tour sous les interrogations de la foule.LILAS partant a sa suite : Jonas ! Jonas ! Ne t’en va pas tout seul ! Que feras-tu sansmon aide ? Attends-moi !Dieu claque des doigts. Nouvelles ténèbres. Nouvelles interrogations. Quand lalumière revient, Jonas, Lilas et Dieu ont disparu.BAMAGA : Où est Jonas ?DARIA : Où est Lilas ?ABAGAMO : Où est l’étranger ?ESTHER : Alors là, chère Romaine, nous ne sommes pas venues pour rien.

ROMAINE : Pour un scoop, ce fut un scoop. A vous les studios.Noir. Puis Jonas apparaît. En face de lui se tient une bergère.JONAS regardant autour de lui : Ça fait des heures que je cours. Je ne crois pasqu’on ne m’ait suivi. A la bergère. Pour Ninive, c’est par où ? La bergère lui indiqueune direction. Merci ! Il prend la direction opposée. Arrive Lilas.LILAS : Vous n’auriez pas vu passer un prophète ? La bergère lui indique ladirection prise par Jonas et Lilas la prend. Noir. Jonas apparaît. En face de lui setient une paysanne. Jonas s’adresse à elle.JONAS : La direction de Ninive ? Même jeu. Jonas sort et Lilas arrive.LILAS : La direction du prophète ? Même jeu. Lilas sort. Noir. Jonas apparaît. Enface de lui, un bûcheron.JONAS : Je suis à combien de stades de Ninive ?LE BUCHERON : Je ne sais pas, peut-être mille.JONAS : Et pour être à deux mille, c’est par où ?LE BUCHERON : Par là, mon garçon. Jonas sort dans cette direction. Lilas arrive.LILAS : Le prophète m’a précédée de combien de temps ?LE BUCHERON : D’à peine le temps d’écluser un litron.LILAS : Et pour le précéder d’à peine le temps d’écluser un gobelet ?LE BUCHERON : Dans cette direction, mais faites vite, il a l’air pressé.Noir. Apparaît Jonas. En face de lui, trois cantonnières.JONAS : Pour ne pas aller à Ninive, c’est par où ? Les cantonnières lui indiquentchacune un point cardinal différent. Jonas choisit l’un d’eux. Arrivée de Lilas.LILAS : Pour ne pas être semée par le prophète, c’est par où ? Même jeu. Lilas segratte la tête.

VIII. Jonas en mer

Sur un quai. L’équipage d’un navire, composé de Eris, Fati, Gera, Hamo, Iova etJéhu, s’active en chantant.LES CINQ (sans Jéhu) : Hardi les filles, vire au guindeau, good bye farewell, goodbye farewell ! Hardi les filles, adieu Byblos, hourra ô Mykonos ! En mer Egée, il ferapas chaud ! Haul away, hé, Oulatchalez ! A faire la pêche au bigorneau ! Hal'mateloteHé ho hisse hé hote !JEHU (fatigué) : Hisse la hotte. Arrivée de Jonas.JONAS : Bonjour Mesdames !LES CINQ : Bonjour moussaillon ! Bienvenue dans le port de Joppé !JONAS : C’est bien vous qui dirigez ce bateau ?FATI : Qu’est-ce qu’il nous demande !GERA : Il n’a pas l’air d’en croire ses yeux !HAMO : Des nanas qui voguent !IOVA : Il a jamais vu ça ou quoi ?JEHU : Faut croire que non.LES CINQ (en chantant sans Jéhu) : Du rhum, des mecs et de la bière nom de Dieu !Un tambour en laiton, pour danser quand on veut ! Du rhum, des mecs, c’est ça quirend heureux ! Que Satan nous emporte, on n’a rien trouvé mieux…JEHU : Non, elles n’ont rien trouvé de mieux.

JONAS : Sans préjugé aucun, je dois reconnaître que je n’ai pas souvent vu desfemmes piloter des trirèmes.LES CINQ (en chantant sans Jéhu) : C’est pas la femme qui prend la mer, c’est lamer qui prend la femme !JEHU : Tatatsin !JONAS : C’est bon, je vous crois. Je vois que vous allez larguer les amarres. Maispour quel endroit ?IOVA : Nous voguons sur l’heure pour Tarsis, mon garçon.LES CINQ (chantant sans Jéhu) : Dans le port de Tarsis, y’a des marines quichantent, les rêves qui les hantent, au large de Tarsis. Dans le port de Tarsis, y’a desmarines qui dorment, comme des hélices, le long des berges mornes.JONAS : Tarsis, ce n’est pas une ville qui est très très très très loin de Ninive ?GERA : Il n’y a pas plus éloigné de Ninive que Tarsis, mon garçon.JONAS : N’en dites pas plus ! J’embarque avec vous ! J’ai de quoi payer ma course !FATI : Bienvenue à bord !Jonas embarque. Il est suivi de près par un mystérieux personnage masqué, quimonte sur le navire et tend une bourse à l’équipage.JONAS : Cette Lilas est une diablesse ! Elle m’a suivie jusqu’ici !ERIS : Ben ? En v’la un autre.GERA : Pas bavard, le bonhomme.HAMO : Et des plus timides. Il se cache.IOVA : Par contre, il paie grassement sa traversée.JEHU : C’est donc un brave type.ERIS : Bien, assez tergiversé.JONAS : Ecoutez…FATI : Dressons les mâts. (Jéhu dresse les mâts.)JONAS : Cette personne-là, il ne vaut mieux pas…GERA : Affûtons les rames. (Jéhu affûte les rames.)JONAS : On ne sait pas qui c’est…HAMO : Carguons les voiles. (Jéhu cargue les voiles.)JONAS : En fait, je préfère…IOVA : Hissons le pavillon. (Jéhu hisse le pavillon.)JONAS : Vous savez, je traîne quelques casseroles, et…JEHU : Rendors-toi, elles ne t’écoutent pas.LES CINQ (chantant sans Jéhu) : Les marines sont en mer des l’aurore, en mer dès lematin, en mer dans la journée, elles ont la mer devant, elles ont la mer derrière, ellesont la mer de tous les côtés.ERIS : Houla, on ne croyait pas si bien dire.FATI : L’air s’assombrit.GERA : Le temps se gâte.HAMO : Une tempête se lève.IOVA : Et les flots se déchaînent.JEHU : Je sens que ça va encore être de ma faute.ERIS : Je perds le contrôle du navire !FATI : Ramenons la voile !ERIS : La voile est déchirée !GERA : Ramons de toutes nos forces !

ERIS : Les rames sont brisées !HAMO : Balançons la cargaison !ERIS : Les cales sont vides !IOVA : Sacrifions quelqu’un !JEHU : Qu’est ce que je vous disais…ERIS : C’est en effet tout ce qu’il nous reste à faire. Quand on est dans un pétrinpareil, ça veut dire que le bon Dieu est en colère contre quelqu’un d’entre nous etqu’il faut jeter le fautif à la flotte pour sauver le navire. C’est la vie. Donc, nous allonstirer à la courte paille, nous allons tirer à la courte paille, pour savoir…FATI : Qui…GERA : Qui…HAMO : Qui…IOVA : Sera sacrifié.ERIS : Pour savoir…FATI : Qui…GERA : Qui…HAMO : Qui…IOVA : Sera sacrifié.JEHU : Ohé ohé ! A part. Ça va être pour ma pomme. Au début, nous étions trentematelots, et ce rafiot a survécu à vingt-neuf tempêtes.ERIS : Rassemblons tout le monde, passagers compris.FATI à Jonas : Réveille-toi, tu es concerné !GERA : Tout le monde y passe, quand on tire au sort pour savoir qui qui qui.HAMO : Sera sacrifié ohé ohé.IOVA : Dormir par un temps pareil, quelle idée !JONAS : C’est votre matelot qui m’a dit de dormir.JEHU : Ce sera là ma dernière bêtise. Ils tirent au sort. Jonas tire la courte paille. Ahtiens ? Non.ERIS : C’est le passager qui veut absolument pas aller à Ninive.FATI : Tant mieux, il est sûr de ne plus jamais y arriver, maintenant.GERA : Allez, à la flotte.HAMO : Et après, la mer se calme.IOVA : C’est un truc qui marche toujours.JONAS : Ah mais attendez, vous faites erreur, vous ne savez pas à qui vous avezaffaire, malheur à moi si vous me touchez ! Je suis un prophète ! Vous entendez ? Unprophète !LES CINQ effarées : Un prophète ? Elles se prosternent.JEHU : Mais c’est ce qu’il dit ! Si ça se trouve, il invente le truc pour pas passer par-dessus bord. Le deuxième passager se découvre. C’est Dieu !DIEU : Non non, il dit la vérité. C’est bien un prophète.JONAS : Mon Dieu ! Il se prosterne. Tu es venu à mon secours ?DIEU : Pourquoi te secourrai-je ? Tu as lamentablement esquivé tes responsabilités.A l’équipage. Cet homme a refusé de m’obéir et a fui devant ma face. Prenez-le etjetez-le à la mer. C’est à cause de lui que cette violente tempête vous assaille.L’équipage s’empare de Jonas.JONAS : Fumier !ERIS : Yahvé ! Puissions-nous ne pas périr à cause de la vie de cet homme !

FATI : Puisses-tu ne pas nous charger d’un sang innocent.GERA : Car c’est toi, Yahvé, qui a agi selon ton bon plaisir.HAMO a Jonas : Ne bouge pas comme ça toi !Elles le balancent dans la flotte.ERIS : La mer s’est apaisée !FATI : La tempête est tombée !GERA : Le soleil est revenu !HAMO : Le temps est au beau fixe !IOVA : Nous sommes sauvées !JEHU : Et je suis encore là !ERIS : Pas fâchée qu'il soit à la flotte, ce porte-malheur maritime.FATI : Cet aimant à tempêtes.GERA : Ce genre d'animal craint de tout avisé navigateur, et que jamais jamais l'on nedoit jamais embarquer ni même évoquer sur un navire.HAMO : Ce tabou des matelots.IOVA : Oui, ce, ce, voyons, ce...JEHU : Ce jonas. Noir. Jonas se débat dans l’eau.JONAS : Au segloub ! Je ne sais pas nagloub ! Yahvé ! Tu m’as jeté dans lesprofondeurs, au cœur de la mer, et le flot m’environne ! Toutes les vagues et toutesles lames passent sur moi ! Je suis rejeté de devant Tes yeux ! Les eaux me prennent àla gorge, l’abîme me cerne, l’algue s’enroule autour de ma tête ! Mon Dieu ! Pourquoim’as-Tu délaissé ? Je reconnais ma faute ! J’ai servi ma vanité trompeuse et j’aiabandonné Ta grâce ! Pardonne-moi Seigneur ! L’ordre que Tu m’as donné, jel’accomplirai, car de Toi viens le salut ! J’irai à Ninive et je leur annoncerai leurprochaine destruction, si tel est Ton désir ! Apparition de l’archange, déguisé enpoisson. Ah ! Que vois-je ? Un énorme poisson ! Il va me dévorer ! Au segloub !ARCHANGE levant le masque : Mais non, je suis un archange, idiot.JONAS : Miracle ! Miracle ! J’ai appelé au secours et Tu as entendu ma voix ! Je suissauvé ! Tu m’envoies l’un de Tes anges !ARCHANGE : Archange ! Décidément… Bon, c’est toi Jonas ?JONAS : C’est bien moi !ARCHANGE : Il paraît qu’il faut te sauver ?JONAS : Oui, sortez-moi de là ! Emmenez-moi !ARCHANGE : Grimpe sur mes écailles dorsales et accroche-toi à mes nageoires. Jete ramène sur la terre ferme.JONAS : Avec grand plaisir, archange de mon coeur. Il s'exécute. L'archangecommence à nager. Hé, tu as bien dit que tu me ramenais, non ?ARCHANGE : Oui, je te ramène dans le droit chemin.JONAS : Je te signale qu'Issos, c'est par là !ARCHANGE : Oui, mais Ninive c'est de ce côté-ci. J'espère que tu te souviens de tapromesse de tout à l'heure. Le boss te pardonne si tu lui obéis.JONAS : Ah bon, vu sous cet angle...ARCHANGE : Cramponne-toi, on en a pour trois jours et trois nuits.JONAS chantant sur l'air de "Ô Suzanna" : Ô p'tite Lilas, ne sais quand reviendrai,mais je te promets d'être à tes pieds dès que l'bon Dieu le permet...Ils sortent de scène.

IX. Jonas à Ninive

Le port de Ninive. Jonas et l'archange apparaissent par voie maritime.ARCHANGE : On arrive à bon port, mon garçon.JONAS : Pas fâché. Trois jours à boire de l'eau de pluie et à bécter uniquement du

poisson. Sans compter que je dois sacrément sentir la morue.ARCHANGE : Morue toi-même, si tu crois que ça m'amuse. J'aurais autant aimé êtretransformé en aigle pour te sauver, seulement voilà, t'es pas tombé d'une montagne.Pas cette fois, en tout cas.JONAS : C'est donc ça, Ninive. C'est bigrement grand.ARCHANGE : Normal, c'est la capitale de l'empire assyrien. Pour la traverser à pied,tu en as pour trois autres jours.JONAS : Houlala.ARCHANGE : A présent, va et fais ce que tu as à faire, prophète.JONAS : Minute, ne partez pas comme ça ! Expliquez-moi comment je dois procéder! Soufflez-moi une bonne parole !ARCHANGE : Serviteur, Monsieur. Il s'en va.JONAS : Me voilà tout seul dans le port de Ninive. Arrivée de Lilas.LILAS : Jonas ! Mon aimé ! De la terre ferme, nous t'avons vu arriver sur le poisson !JONAS : Lilas ? Toi ici ! Quelle heureuse surprise ! Sans toi, je me suis sentitellement seul, si tu savais !LILAS : On dirait que tes mésaventures t'ont rendu plus prévenant.JONAS : Oui, ce fut une bonne leçon. Comment es-tu venue ?LILAS : J'ai voulu te suivre, mais j'ai perdu ta trace. Alors je suis revenue sur mespas et j'ai interrogé les gens qui t'avaient renseigné. Ils m'ont appris que selon toutevraisemblance, tu fuyais Ninive. J'ai donc deviné que tu te dérobais à ta mission,mais je savais que Dieu dans Sa Toute-Puissance ne tarderait pas à t'y ramener. Je mesuis aussitôt rendue à Ninive par voie terrestre pour t'y attendre.JONAS : Tu as fait ça pour moi ! Et tu es venue seule ? Arrivée de Stella.STELLA : Jonas ! Mon petit ! Quel bonheur de te revoir !JONAS : Mère ! Mais par quel miracle ?STELLA : Lilas nous a averti de ta destination. J'ai voulu l'accompagner. Nous avonsfilé aussi vite que possible, en emportant le minimum.JONAS : Par la terre ? Vous avez dû marcher une éternité !STELLA : Dix jours dans le désert. Heureusement, je sais repérer les puits et nousn'avons pas lésiné sur les gourdesLILAS . Je ne sais par quel prodige, nous étions sans cesse suivies par une nuée desable.JONAS : Et mon père ? Et Daria ?STELLA : Ton père est momentanément resté à Issos avec Daria, pour rassemblertoutes nos affaires. Ils nous rejoindront dans une quarantaine de jours. Nous nevoulons plus vivre dans cette ville. Avec ton statut de prophète, c'est devenuinvivable. Peut-être Ninive nous sera-t-elle plus accueillante.JONAS : Heu, je crains que non, et il vaut mieux que vous en restiez à l'écart.STELLA : Pour quelle raison ?

JONAS : Parce que c'est un prophète qui vous le demande. Arrivée d'Agabamo,Agabam, Bamaga, Bregaro, Bregar et Garbre.AGABAMO : Le prophète !BREGARO : Il est ici !AGABAM : On l'a retrouvé !BREGAR : Nous n'avons pas traversé le désert pour rien !BAMAGA : Mon futur époux !GARBRE : Mon fiancé !JONAS : Vous ? Mais comment ?AGABAMO : On ne voulait pas te perdre, prophète.BREGARO : Tu es notre fierté, prophète.AGABAM : Nous avons vu ta mère et ton amie...GARBRE : Non, cette peste de Lilas n'est pas son amie !BAMAGA : Plus pour longtemps, en tout cas.AGABAM : Nous avons vu ta mère et Lilas quitter furtivement Issos. Nous avons suqu'elles allaient te rejoindre.BREGAR : Nous les avons suivies de loin.STELLA : Le nuage de poussière, c'était donc vous ?LILAS : Je me disais aussi !AGABAMO : Nous avons affronté la chaleur, la faim et la soif.BREGARO : En ton nom, prophète ! Sache que certains n'ont pas survécu !AGABAM : Moi je ne les plains pas, s'ils n'ont pas survécu, c'est qu'ils n'étaient pasdignes du prophète.BREGAR : Pas comme nous !GAMABA : Et du coup, une rivale en moins.GARBRE : Plus qu'une à éliminer.JONAS : Ecoutez, vous êtes tous très gentils mais... Dieu m'a confié une mission.LILAS : Nous diras-tu laquelle ?JONAS : Je dois... annoncer quelque chose aux Ninivites.STELLA : Quelle chose mon petit Jonas ?JONAS : Je préfère pas vous le dire. Le message leur est destiné. C'est pas polid'ouvrir une lettre avant son destinataire.AGABAM : Aux Ninivites ?BREGAR : Et pourquoi eux ? Pourquoi pas nous ?BAMAGA : Je n'aime pas ça.GARBRE : Qu'est-ce qu'il leur trouve, aux Ninivites ? Ils n'ont rien fait pour luiplaire, les Ninivites.BAMAGA : Pas comme nous !AGABAMO : Nous t'accompagnons, prophète.BREGARO : Nous te défendrons et empêcherons toute injustice à ton égard.AGABAMO : Ou à notre égard.JONAS : Bon, bon, venez avec moi si ça vous chante, mais je vous préviens, ça vapas être folichon.STELLA : Il a l'air tout inquiet.LILAS : Je le préfère comme ça que quand il fait son pacha.

Noir. Une place de Ninive. Pamo, Qwer, Riga et Seti vaquent tranquillement. Arrivéede Jonas.

JONAS : Population de Ninive ! Je m’appelle Jonas !PAMO : Oui bon, tu t'appelles Jonas, et alors ? T'es pas notre roi ! Arrivée des gensd'Issos.AGABAM, AGABAMO, BAMAGA, BREGAR, BREGARO et GARBRE : Non,c'est un prophète !QWER : Un prophète ! Les Ninivites se prosternent.JONAS : Avec moi, ça finit souvent comme ça. Mais pas toujours.AGABAMO : Non, mais regardez-moi ça.BREGARO : Les lèche-culs !RIGA : Béni soit ce jour où tu nous honores de ta visite !BAMAGA : Bas les pattes, bas les pattes.GARBRE : Le prophète n'aime pas les compliments.SETI : Un prophète est à Ninive ! C'est un gage de bonheur et de prospérité !BREGAR : Je sais pas si le prophète il fait bien de fricoter avec ces étrangers.AGABAM : C'est nous qu'on l'aime et c'est à eux qu'il parle.QWER : Qu'as-tu à nous dire, prophète ?PAMO : Nous faisons cercle autour de toi et écoutons tes paroles, prophète.BAMAGA : Qu'est-ce qu'il va leur dire, le prophète ?GARBRE : J'ai peur, j'ai peur, j'ai peur.SETI : Nous graverons tes propos dans la pierre, prophète, et nous érigerons ces blocsdevant les portes de Ninive, afin que tout un chacun puisse en prendre connaissance ets'en souvenir dans les siècles futurs.AGABAMO : Aïe, on n'a pas pensé à le faire, ça.BREGARO : Je sens le bonheur et la prospérité qui nous passent sous le nez.RIGA : Nous t'écoutons, prophète, fais-nous part de ta sagesse, transmets-nous tonsavoir, porte à notre connaissance ton enseignement, va, parle, disserte, sermonne etparabolise !AGABAM et BREGAR l'une à l'autre : Tu penses quoi de ces nanas ?JONAS : Alors bon, voilà. J’ai une grave nouvelle à vous annoncer. Votreméchanceté est montée jusqu'à Dieu, et de par Sa volonté, votre ville sera détruite ettous ses habitants tués dans, dans voyons, cinquante moins six jours de marche, un enbateau et trois sur le poisson, égale quarante, donc quarante jours. Préparez-vous àmourir dans quarante jours ! Horreur sur Ninive, soulagement sur Issos.RIGA : Ninive ! Détruite ! Dans quarante jours !SETI : Et nous avec ! Quelle horreur !BAMAGA : Ninive ! Détruite ! Dans quarante jours !GARBRE : Et eux avec ! Quel bonheur !QWER : Ce n'est pas possible prophète ! Dis-nous que tu plaisantes !JONAS : C'est ce qu'on m'a dit de dire. Je vous promets que je n'y suis pour rien. C'estpas moi qui fais les règlements d'en haut.PAMO : Que peut-on faire ô prophète ? Que peut-on faire pour échapper au courrouxdivin ?QWER : A l'ire céleste ?AGABAMO : Il y a comme un changement de ton, là.BREGARO : Ils se vantent plus tant d'être copains au prophète.JONAS : Je crains qu'il ne soit trop tard. Dieu ne m'a parlé de pardon.PAMO : Même pas un peu ?

JONAS : Même pas un peu.PAMO, QWER, RIGA et SETI : Malédiction !AGABAM : C'est sûr que quand on est méchant, on finit foudroyé par la colèredivine. C'est bien joli de pleurnicher, mais il fallait y penser avant.BREGAR : Nous on est des honnêtes gens, c'est pas à nous que ça risque d'arriver.C'est pas pour rien que le prophète il est né chez nous.QWER : Nous allons être anéantis ! Plus que quarante jours, et nous serons tousmorts ! Allons en aviser Shamshi, notre roi ! Les Ninivites sortent.JONAS : Je vais crier ça dans un autre quartier. C’est qu’elle est pas petite, cette ville,s'il faut trois jours pour la traverser. Au public. J’aurais eu moins de boulot si ça avaitété Sion.LILAS : Je comprends maintenant pourquoi il n'y allait pas de gaieté de coeur.STELLA : Suivons ces gens. Nous allons les consoler. Elles sortent. Rires de ceuxd'Issos.BAMAGA : Non mais ceux-ci !GARBRE : Dans le cul qu'ils l'ont eu !AGABAMO : Je sens qu'on va rester ici attendre quarante jours, ça va valoir la peined'assister au spectacle.BREGARO : Oui, ça va être poilant de voir la ville se déglinguer et les habitantstrépasser.AGABAM : Moi je me réjouis de voir la tête qu'ils vont faire, les méchants d'ici.BREGAR : Les ennemis du prophète à nous.La salle du trône du roi Shamshi.SHAMSHI : Qu'est-ce que c'est que ce boucan ? Irruption de Pamo, Qwer, Riga etSeti.PAMO : Votre majesté, c’est affreux !RIGA : La ville va être rasée ! Comme Sodome et Gomorrhe ! Comme Jéricho !SHAMSHI : Ne croyez pas tout ce qu’on vous raconte ! Quelles naïfs vous faites ! Il ya tellement de charlatans en ce bas monde qui abusent de la crédulité des autres !QWER : Mais si, on vous dit ! Dans quarante jours !SHAMSHI : N’importe quoi !SETI : L'ange exterminateur sera sur nous et n'épargnera ni les femmes, ni les enfants,ni les vieillards.SHAMSHI : Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier alu.PAMO : Je vous le jure, il est formel !SHAMSHI : Mais de qui parlez-vous, enfin ? Quel est cet histrion qui se paie votrefiole en racontant n'importe quoi ?QWER : C'est un certain Jonas.SHAMSHI : Et alors ? C'est pas un devin !QWER : Non, mais c'est un prophète.SHAMSHI soudain paniqué : Un prophète ! C'est un prophète qui vous l'a dit ! Maisalors c'est vrai ! C'est fini, c'est foutu, on va tous y rester !POMAS : On se tue à vous le dire.SHAMSHI : Qu'allons-nous devenir ? Qu'est-ce que nous allons pouvoir faire ?SETI : Rien, justement.RIGA : Il n'y aura pas de pardon. Entrée de Lilas et Stella.LILAS : Ne désespérez pas, habitants de Ninive.

STELLA : Nous venons sécher vos larmes.SHAMSHI : Qui êtes-vous ?STELLA s'inclinant : La mère du prophète, Majesté.LILAS s'inclinant : Et sa fiancée, Majesté.SHAMSHI : Que nous voulez-vous ?STELLA : N'ayez crainte. Je connais le prophète, puisque je l'ai fait. Il n'est pas siterrible qu'il n'en a l'air.LILAS : Ah pour ça, non. Il est même plutôt nonchalant.STELLA : Il ne fait que répéter ce que Dieu lui a soufflé.LILAS : Et on peut vous certifier qu'il n'y prend aucun plaisir, contrairement àd'autres.STELLA : Et Dieu, on l'a aperçu. Ce n'est pas un mauvais bougre. Il est justechatouilleux sur certains points.LILAS : Il s'enflamme vite.SHAMSHI : Que pouvons-nous faire, alors ?STELLA : Ecoutez, connaissant un peu le bonhomme, je vous conseille de le prendretrès au sérieux.SHAMSHI : On a l'air de pas le croire ?LILAS : Oh que si, mais faites-en plus !STELLA : Montrez que vous êtes désolés !LILAS : Contrits !STELLA : Repentants !LILAS : Mortifiés !STELLA : Abattus !LILAS : Chagrinés !STELLA : Endoloris !LILAS : Affligés !STELLA : Humbles !LILAS : Soumis !STELLA : Pénétrés par le regret !LILAS : Pétris de componction !STELLA : Montrez que vous croyez en Lui, en général ça Lui fait plaisir.LILAS : Il a tendance à se vexer quand on ne fait pas assez attention à Lui. C'est ungrand enfant.STELLA : Mais dès qu'on se souvient de Lui, il se montre à nouveau trèsmiséricordieux. Ce n'est pas un mauvais cheval.LILAS : De toute façon, dans votre situation, vous n'avez rien à perdre et ça ne coûterien d'essayer.SHAMSHI : Nous vous croyons sur parole, et suivrons votre avertissement ! Si dansquarante jours, Ninive sera rasée par la fureur divine, faisons du moins pénitence etcontrition pour entrer purs et simples au paradis. Je me lève de mon trône, je quittemon manteau, je me couvre d’un sac et je m’assieds dans la cendre.PAMO, QWER, RIGA et SETI : Nous aussi !SHAMSHI : Que l’on crie par Ninive ! Que l’on fasse cette proclamation : « Hommeset bêtes, gros et petit bétail ne goûteront rien, ne mangeront pas et ne boiront pasd’eau. On se couvrira de sacs, on dormira dans de la cendre, en plein air, on crieravers Dieu avec force, et chacun se détournera de sa mauvaise conduite et de l’iniquité

que commettent ses mains ! »STELLA : Bonne initiative !LILAS : Bravo ! A Stella. Mais, quarante jours sans boire, ça se peut pas !STELLA : Pourquoi ça se pourrait pas ? J'ai bien un ancêtre qui est mort à 969 ans.LILAS : Il s'appelait comment ?STELLA : Mathusalem.Noir. Une voix off ou une pancarte pourrait annoncer : « Quarante jours ontpassé. » La lumière revient sur les Ninivites et leur roi, passablement amaigris,revêtus de sacs en plastique « Migros » ou « Placette » selon les goûts. (Sur cepoint-là, je ne pense pas que la metteuse en scène ait à se plaindre du coût descostumes.) Tous attendent leur fin prochaine.PAMO : C’est pour ce soir ! QWER : Le prophète nous l’a annoncé !RIGA : Depuis quarante jours maintenant. Quarante jours de privations.

SETI : Moi qui aimais tant la vie !SHAMSHI : Tenez bon jusqu’au bout, les enfants ! Ne cédez pas à la tentation deboire, de manger, de vous habiller de vêtements ou de dormir dans un lit ! Montrezjusqu’au bout à notre Seigneur la profondeur et l’étendue de votre contrition. Arrivéedes habitants d'Issos. Ils sont visiblement heureux, s'installent, se mettent à l'aise,exhibent ostensiblement victuailles et boissons.RIGA : Ah non, pas eux ! Ce sont des démons !QWER : Ils reviennent nous tourmenter.PAMO : Quarante jours qu'ils nous narguent !SETI : Ils sont encore pire que le faim, la soif ou le froid.SHAMSHI : Laissons-les faire. Ils accompagnent le prophète. Ils veulent sans doutenous éprouver, nous tenter. Ne cédons pas à leurs tentations.BAMAGA : C'est pour ce soir !GARBRE : Le prophète le leur a annoncé !AGABAM : Quarante jours qu'on attend !BREGAR : Mais à présent, c'est presque fini !PAMO, QWER, RIGA, SETI et SHAMSHI avec désespoir : C'est presque fini !AGABAMO : Tu te rends compte ? On est aux premières loges ! Passe-moi le litron.BREGARO : On va voir la foudre s'abattre sur la cité !AGABAM : Une langue de feu balayer le palais !BREGAR : Une pluie de soufre enflammer les habitants ! Passe-moi la mangeaille.BAMAGA : Une épidémie de peste les décimer !GARBRE : Et décimer leurs bêtes ! Passe-moi l'oreiller.AGABAMO : On va voir leurs récoltes pourrir sur place !BREGARO : Et le fleuve déchaîné emporter les remparts !PAMO, QWER, RIGA, SETI et SHAMSHI avec désespoir : Mon Dieu ! Lilas etStella arrivent discrètement et regardent la scène.GARBRE : C'est bête, hein, ce qui vous arrive.BAMAGA : On ne voudrait pas être à votre place.AGABAM : Si ça ne tenait qu'à nous, on vous sauverait sûrement.BREGAR : Seulement c'est la volonté de Dieu et nous on n'y peut rien, contre lavolonté de Dieu.AGABAMO : Allons, n'y pensez plus, c'est comme ça, c'est tout. Vous prendrez bien

un coup de rouge ? Les Ninivites le fixent avidement.PAMO : Mais c'est notre vin !BREGARO : Ah mais non, ah mais non, on peut rien vous donner à boire. Vous, vousallez bientôt mourir.AGABAMO : C'est vrai, vous n'avez plus le droit de boire, vous faites pénitenceparce que vous avez trop péché.BREGARO : Mais nous on n'a pas péché, nous, nous on peut boire tant qu'on veut. Ilsboivent.AGABAM : Il faut prendre les choses du bon côté. Un morceau de dinde, Messieurs,Dames ? Même jeu des Ninivites.QWER : Mais c'est notre volaille !BREGAR : Ah mais non, ah mais non, le bon Dieu il va se fâcher si on vous donne àmanger. Et ça serait du gaspillage, vous n'aurez même pas le temps de digérer tout ça.AGABAM : Vous, vous avez rien fait que du mal, vous ne pouvez plus rien manger.Vous voyez à quoi ça mène, la méchanceté. Prenez exemple pour l'avenir. Ah maisnon, vous n'avez pas d'avenir, vous.BREGAR : Mais nous heureusement on n'est pas maudits par Dieu, nous on peut.Elles mangent. Et après on priera pour vous parce qu'il faut avoir pitié des pauvrespécheurs.BAMAGA : Vous devez avoir froid, avec vos sacs. Vous voulez mon manteau ?Même jeu des Ninivites.RIGA : Mais c'est mon manteau !GARBRE : Ah mais non, ah mais non, vous, vous devez suivre le décret. BAMAGA : Vous ne pouvez pas porter autre chose. Vous êtes obligés de subir lefroid.GARBRE : Mais nous on est des honnêtes gens, et c'est pour ça qu'on dort dans debons lits douillets.SETI : Dans nos lits !AGABAMO : Vous n'en avez plus besoin de toute façon, et ce soir ils seront détruitsavec tout le reste.BREGARO : Voyez, nous du coup on sait même pas où on va dormir ce soir.BAMAGA et GARBRE : Mais moi, je sais avec qui !AGABAMO : Ben oui, et pour nous c'est plus grave, parce que nous on doit seréveiller demain.BREGARO : Nous aussi, on souffre à cause de Dieu. Faut pas croire. Lilas et Stellainterviennent.STELLA : Ah les rustres ! Ah les ruffians ! Ah, les vilains contempteurs ! Ah lesmalhonnêtes !BAMAGA : Qu'est-ce qu'elles nous veulent, celles-là ?LILAS : Parler comme ça à des gens qui savent reconnaître leurs torts ! Vous medébectez !GARBRE : On fait que suivre le prophète !STELLA aux Ninivites : Ils sont ignobles ! Ne faites pas attention à eux !SHAMSHI : On en a l'air ?LILAS : Continuez à vous repentir ! Quarante jours sans manger ni boire ! Quelexemple !SHAMSHI : On est presque arrivés au bout, de toute façon.

PAMO : Ce jeûne m'a paru durer une éternité.QWER : L'éternité, c'est surtout à la fin que ça devient long.RIGA : Mais à minuit, nous allons entrer dans une nouvelle éternité.SETI : Et dans ce genre d'éternité, ce sera long dès le début.STELLA : J'ai vu mon fils. Il se tient à l'écart et intercède pour votre salut !LILAS : Il ne cesse de réclamer à Dieu votre pardon.AGABAM : Celles-ci, elles filent un mauvais coton.BREGAR : On doit pas être gentilles comme ça avec les ennemis au prophète.SHAMSHI : Les enfants, il est presque minuit. Faisons fermement face à notredestinée et mourons dans la dignité.QWER : C’est horrible, on va se faire broyer.AGABAM, AGABAMO, BAMAGA, BREGAR, BREGARO et GARBRE : Oui,mais pas nous.PAMO, QWER, RIGA, SETI et SHAMSHI : Dix. Neuf. Huit. Sept. Six. Cinq.Quatre. Trois. Deux. Un. Zéro !La lumière décline tout au long du compte à rebours. A « Zéro », elle s’éteint, puis serallume brusquement. Rien ne s’est passé !AGABAM, AGABAMO, BAMAGA, BREGAR, BREGARO et GARBRE : Ben ?PAMO : Il ne s’est rien passé !SETI : La ville n’est pas détruite !RIGA : On est tous vivants !SHAMSHI : Mais oui, miracle ! Le prophète a vu notre repentir, il en a invoqué Dieuqui est revenu de l’ardeur de sa colère, en sorte que nous n’avons point péri ! Bénisoit Dieu, béni soit le prophète ! Je décrète un jour de fête !QWER : Mangeons ! Buvons ! Rhabillons-nous !PAMO : Balayons toute cette cendre !SHAMSHI : Ce soir, c'est la samba ! Amenez la bidoche ! Amenez à boire ! Ameneznos plus beaux habits !RIGA : Mais les gens d'Issos nous ont tout accaparé !AGABAMO : On pensait que vous n'en auriez plus besoin.SETI : Cela fait quarante jours qu'ils boivent notre vin, qu'ils mangent nos provisions,qu'ils s'habillent de nos manteaux et qu'ils dorment dans nos lits !SHAMSHI : Aucune importance. Reprenez ce qui est à vous, puisque Dieu l'a voulu.Les Ninivites se jettent sur ceux d'Issos et leur reprennent nourriture, boissons etvêtements. Les gens d'Issos se retrouvent avec les sacs.SHAMSHI : Bon appétit, santé, bonheur !PAMO, QWER, RIGA et SETI : Santé, bonheur !SHAMSHI : Il faudrait quand même aller chercher le prophète pour qu'il se joigne ànotre fête.QWER et SETI : On s'en charge ! Elles vont chercher Jonas.BREGARO : Le prophète ?AGABAM : A-t-on déjà vu un prophète à Issos ?BREGAR : Un faux prophète, oui !BAMAGA : Il nous fait subir l'exil, la faim, la soif, et il ne tient pas ses promesses !GARBRE : Il nous livre sans défense aux mains de nos ennemis ! La coupe qu'il m'afaite avec ce sac !AGABAMO : Allons le chercher pour lui faire sa fête ! Mort au prophète !

AGABAM, BAMAGA, BREGAR, BREGARO et GARBRE : Mort au prophète ! Ilssortent également chercher Jonas.Noir. Puis Jonas apparaît seul sur scène. On y voit un grand écriteau sur lequel il estécrit "RICIN, mais un gros alors".JONAS furieux : « Dis leur que la ville sera détruite ! Dis leur que la ville seradétruite ! » Et gnagnagna et gnagnagna ! De quoi j’ai l’air, maintenant ? Tant mieuxpour les Ninivites, mais moi je vais passer pour un faux prophète ! On va m'étriper !Quel piège à cons, ce statut de prophète ! Voyant l'écriteau. Quel énorme ricin ! Onpourrait bâtir une hutte sous son ombre ! Je vais me cacher dessous et ne plus jamaisen bouger. Je boude. Dieu, je ne sais pas si tu m'entends, mais où que tu sois, je Tecrie clairement que Tu T'es méchamment foutu de ma gueule. Arrivée de Dieu.DIEU : Voyons Jonas.JONAS : Ah, te voilà ! Tu as de la chance d’être Dieu, sinon je Te casserais laFigure ! Tu Te rends compte dans quelle situation Tu me mets ? Nom de Toi !DIEU : Jonas ! As-tu raison de te fâcher pour si peu ?JONAS : Oui, j’ai bien raison d’être fâché à mort ! Arrivée des gens d'Issos, criant"Mort au prophète !" Ce sont ceux de ma ville ! Ils sont en colère contre moi parceque Ninive a été préservée ! S'ils m'attrapent, c'en est fait de moi ! Tu vois maintenantdans quelle mouise Tu m'as mis ? Ne sortons surtout pas de derrière ce ricin !DIEU : Regarde, Jonas, je vais te démontrer que ta colère est vaine. Il enlèvel'écriteau.JONAS : Mais que fais-Tu ? Mais que fais-Tu ? Tu nous enlève le ricin ! Tu esinconscient !DIEU : Tu vois, tu as de la peine pour ce bête ricin, qui ne t’a coûté aucun travail etque tu n’as pas fait grandir ! Alors moi, tu ne crois pas que je pourrais aussi être enpeine pour Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent vingt mille êtres humains,sans compter les animaux, que j’ai moi-même créés, et qui ne distinguent pas leurdroite de leur gauche ? J'ai été touché par leur affliction, j'ai donc décidé depardonner. Dieu et Jonas apparaissent désormais aux yeux des habitants d'Issos.JONAS : Le problème, c'est qu'eux, ils ne me pardonneront pas.BREGARO : Il est là !AGABAM : Le faux prophète !BREGAR : Il se cachait derrière le ricin !BAMAGA : Vengeons-nous !GARBRE : A mort ! JONAS : Fais quelque chose ! Mais fais quelque chose ! Je sais pas, moi ! Invoque letonnerre ! Amène tes anges ! Frappe-les de cécité !DIEU : N'aie crainte, Jonas.AGABAM, AGABAMO, BAMAGA, BREGAR, BREGARO et GARBRE : Mort auprophète !JONAS : Mon Dieu !DIEU : C'est Moi. Les habitants d'Issos se jettent sur Jonas. Noir.STELLA : Mon fils ! Ils sont tous sur lui ! Dans quel état ils le mettent ! Je ne peuxpas les laisser faire ça !LILAS la retenant : Restez ici, vous êtes folle ! S'ils vous voient, vous y passerezaussi !STELLA : Lâche-moi, Lilas ! Je dois secourir mon fils !

LILAS : Attendons un peu... Regardez !STELLA : Ciel ! Mon Jonas ! Il ne bouge plus !LILAS : Ils n'ont pu voir Dieu, alors c'est sur Jonas qu'ils se sont défoulés ! Ils l'ontbattu à mort et déchiré ses habits !STELLA : Ils l'ont tué ! Les sauvages !LILAS : Voyez, ils s'en vont ! Mais leur colère ne les a pas quittés !STELLA : Allez-vous en, bande de lâches !LILAS : Ils n'ont plus qu'à rentrer chez eux en retraversant le désert dans l'autre sens.Je leur souhaite bon vent et bien du plaisir.STELLA : Maudite soit Issos ! Ses habitants ont persécuté mon fils unique ! Jamais jen'aurais dû m'y arrêter pour accoucher de Jonas !LILAS : Ils sont partis, allons voir si nous pouvons encore faire quelque chose pourlui.Noir. Retour sur Dieu et Jonas, complètement estourbi et vêtu de sacs, mais vivant. Ilémerge péniblement.JONAS : Je... Je suis vivant ?DIEU : Tu étais sous ma protection, Jonas. Ils t'ont cru mort et s'en sont allés. Mais tues complètement indemne. Leurs coups ne pouvaient te blesser.JONAS : N'empêche, je les ai bien sentis, leurs coups. Tu ne m'as pas protégé de ladouleur.DIEU soupirant : Que sont ces quelques misérables horions, en comparaison de ceque va souffrir mon fiston ?JONAS : Votre fiston ?DIEU : Vois-tu, je me lasse un peu du rôle du Dieu exterminateur. Je voudraisdevenir un Dieu de miséricorde, empli de tendresse et de pitié, lent à la colère et richeen grâce. Comme tu l'as vu, cela a commencé avec Ninive. Je me suis abstenu de ladétruire, ce qui est complètement novateur. Cette acte de miséricorde annonce lavenue de Mon fils unique.JONAS : De quelle venue et de quel fils parles-Tu ?DIEU : Ta mission est accomplie, Jonas, et le temps est venu que je te confie, commeà tous les autres prophètes, ce qui arrivera au terme de l’an moins un, dans un peumoins de deux mille ans.JONAS : Enfin ! Raconte-moi !DIEU : J’enverrai Mon fils ici-bas. Il naîtra d'une vierge et prêchera un nouvel idéalde paix et d’amour. Il mourra crucifié pour racheter l'humanité du péché originel,mais il aura choisi parmi les hommes douze apôtres qui répandront par le monde saBonne Parole.JONAS : Comment il s’appelle, Ton fils ?DIEU : Jésus-Christ. Avec un "J", comme Jonas.JONAS : Et après l'an moins un ? Ce sera la fin du monde ?DIEU : Non, mais naîtra un monde nouveau, un Nouveau Testament complèteral'Ancien, et dans une nouvelle ère nommée chrétienne, on comptabilisera désormaisles années dans l'autre sens. Ce ne sera plus moins 2025, moins 2024, moins 2023,mais par exemple 2006, 2007, 2008.JONAS : Compter les années dans l'autre sens ? Quelle idée ! Arrivée de Stella et deLilas.STELLA : Jonas ! Tu es bien vivant ! Et tu ne saignes même pas ! J'étais si inquiète !

Dieu fut ton bouclier, Dieu soit loué !DIEU : Je vous en prie.LILAS : Ces brutes ne t'ont donc pas tué !JONAS : Mais non, et comme tu vois, je ne suis même pas blessé. Arrivée de Daria.Embrassades générales.DARIA : Vous ici ! Quelle surprise ! Le Seigneur est avec vous !DIEU : C'est vrai.DARIA : A peine sommes-nous en vue de Ninive, que déjà je vous y retrouve, sansvous chercher.DIEU : J'ai un peu aidé à la chose.LILAS : Mère ! Tu es là !JONAS : Et mon père ? STELLA : Et mon mari ?DARIA : Ton père Amitaï me suit avec les bagages. Il nous rejoindra sous peu.Arrivée de Qwer et de Riga.RIGA : Il est là, le prophète, avec ses amis et sa famille !QWER : Prophète, entends les cris d'allégresse s'élevant de Ninive, miraculeusementépargnée par la colère divine. RIGA : Tu as la faveur de Dieu, qui a écouté ta prière en notre faveur.QWER : Daigne à présent te joindre à nos libations, prophète, tu seras notre invitéd'honneur.RIGA : Et si tu le désires, fais-nous la grâce de rester parmi nous et de vivredorénavant à Ninive..DIEU : Vous voyez comme tout s'arrange vite quand je suis là !JONAS : Votre offre nous est providentielle. Nous étions justement sans toit.QWER : Nous sommes très honorés d'honorer le prophète.JONAS à Dieu : C'est bon, Tu as encore besoin de moi ?DIEU : Non, tu as bien œuvré, Jonas. Je ne te demanderai qu'une dernière chose.JONAS : Laquelle ?DIEU : Comme chaque prophète, tu témoigneras de ma parole en mettant ton histoirepar écrit. J'en éditerai un petit recueil collectif pour étoffer la Bible. Mais pas un motsur Jésus, ça doit rester une surprise jusqu'à sa naissance.JONAS : Ce sera fait, Seigneur. Dès que possible, je m'attelle à ma plume. Mestribulations seront immortalisées pour les générations futures. A part. Bon, je vaispeut-être pas raconter comment je me suis fait tabasser.DIEU : Allons ! Rentre à Ninive, marie-toi et mène avec ta famille une vie longue,paisible et heureuse. Je n’ai plus besoin de tes services, Jonas, et je te relève de tesfonctions de prophète.JONAS : Quelle bonne nouvelle ! Je ne suis plus prophète !LILAS : Jonas ! Quel bonheur ! Nous allons enfin pouvoir nous marier !DARIA : On va se poser tranquillement dans un coin où personne ne nous en veutpour quelque chose que nous n'avons pas fait..STELLA soudain inquiète : Mais dites-moi, le statut de prophète, ça peut êtrehéréditaire ?DIEU : Non, rassurez-vous, la faveur divine ne s'inscrit pas dans les chromosomes.JONAS : A la bonne heure ! Nous pourrons donc avoir des enfants normaux !LILAS : Ils ne seront pas persécutés, ceux-là. A part. Je ferai quand même bien

attention à ne pas accoucher au moment où il pleut des fleurs.JONAS à Pamo et Qwer : Bon, nous allons vous suivre, mais j'y mets quand mêmeune condition.RIGA : Laquelle, prophète ?JONAS : Justement, je ne veux plus être appelé prophète !LILAS : Fini le prophète !STELLA : Apu prophète !DARIA : No prophet !JONAS : Je m'appelle Jonas, je suis quelqu'un comme tout le monde et avec mafamille, je veux être traité comme tel ! Mettez-vous ça dans le crâne !QWER : Bien proph... Heu, bien Jonas. Qu'importe, si tu es prophète ou non, dumoment que tu nous as sauvés.PAMO : Nous transmettrons le message à tous les Ninivites. Voulez-vous bien vousjoindre à nous à présent ?JONAS, STELLA, DARIA et LILAS : On arrive !DIEU : Allez-y ! Au revoir les enfants ! Et Jonas, tu m'envoies dès que possible taprose par courriel.JONAS : Courriel ?DIEU : Mais oui, courrier du ciel. C'est là que je remonte. Dieu s'en va de son côté.Jonas et sa famille suivent les Ninivites.

RIDEAU

Etienne FardelAlliance francaise de Xian (Chine)

11 – 20 septembre 2005

Rectifié à Luang Prabang (Laos)16 novembre 2005

Rerectifié à Ayent (Suisse)5 – 6 février et 5 mars 2006