Ce sont les voies du droit. Des voies

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menant vers plus de souffrance et plus de lois, ou retrouvant le sens et le respect du droit ? Question pressante pour le juriste, qui voit surgir ici ou là des signes avant-coureurs de bouleversement.

Le plus visible est l'accroissement en nombre. Il se mesure d'abord aux normes

juridiques produites. Egalement à la multiplication des lieux où se dit et se fait le droit : nationaux, infra- et supra- nationaux. Quand il s 'y ajoute d'autres phénomènes, de nouvelles techniques de communication par exemple, la concep- tion traditionnelle, immobile, unidimen- sionnelle, hiérarchisée, s'en trouve bous-

culée, révélant peut-être une mutation des logiques.

A l'horizon, d'autres figures possibles, des modèles relevant d 'une autre cohé-

rence : mobiles, pluridimensionnels, aléa- toires. Autant de vérités que chacun est amené à saisir à travers sa discipline et son itinéraire propres.

Faire apparaître ces vérités, n 'en imposer aucune, éviter le glissement inconscient de l 'une à l 'autre, tel est le projet de cette collection d'essais au sein de laquelle une série particulière de signes voudrait attirer l 'at tention du juriste et du citoyen sur les mutations du droit et de la so-

ciété qu'il régit. Projet d 'ouverture d'une discipline longtemps fermée sur elle-même : ouverture nécessaire à qui veut aujourd'hui penser le droit.

signes

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Ethique de la mort et droit à la mort

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Les voies du droit Signes

COLLECTION DIRIGÉE PAR

MIREILLE DELMAS-MARTY e t GÉRARD TIMSIT

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Ethique de la mort et

droit à la mort

Jean-Louis Baudouin Ancien professeur à la Faculté de droit

de l'Université de Montréal Juge à la cour d'appel du Québec

Danielle Blondeau Docteur en philosophie

Professeur à l'Ecole des sciences infirmières de l'Université Laval de Québec

Presses Universitaires de France

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ISBN 2 13 0 4 5 0 0 3 2

I S S N - 0 7 6 6 - 6 7 6 4

D é p ô t l é g a l — 1 é d i t i o n : 1 9 9 3 , f é v r i e r

© P r e s s e s U n i v e r s i t a i r e s d e F r a n c e , 1 9 9 3

108 , b o u l e v a r d S a i n t - G e r m a i n , 7 5 0 0 6 P a r i s

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A la mémoire de Jacques Fortin (1937-1985)

de Steve Lowenstein (1938-1990)

et de René Paquet (1937-1991)

... pour leur courage

Et à ceux et celles qui restent...

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INTRODUCTION

Technicisation, mort et modernité

A l'orée du XXI siècle, l'être humain moderne ressent profondément l'écrasante sujétion de sa réussite. Alors qu'il était occupé à bâtir son monde à grands coups de dé- couvertes, surtout scientifiques, il réalise que ses exploits ont modifié le réel, transformé l'ordre des choses et, finale- ment, bouleversé sa quiétude. Qu'est-il devenu ? Qu'est devenue sa vie, le sens de sa vie, mais aussi, qu'est devenue sa mort, le sens de sa mort ? Désormais, il semble vivre dans son univers où il est devenu comme un étranger, un peu comme un artiste-peintre n'a pas de place réelle dans la toile et le monde qu'il vient de créer. Créer, création, créateur. Voilà sans doute le lieu privilégié du problème de l'homme moderne. Son monde est un monde créé par lui, c'est-à-dire fabriqué, fait, produit — tous des mots dont le sens original remonte à tekhnè, terme grec communément rendu par « technique », mais aussi par « art ». Ce qui re- lève de l'art ou de la technique est causé par l'intervention humaine et non par la nature ; une œuvre artificielle dé- pend, pour son émergence dans l'existence, de l'être hu- main, ce qui est différent d'une œuvre naturelle. Le drame

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se produit lorsque l'être humain jouant à Dieu se joue de la nature, car le vide ainsi créé finit à la fois par l'absorber et le nier. C'est le paradoxe techniciste qu'on voit par- tout : d'un côté, maîtrise et dominations extraordinaires ; de l'autre, subordinations et aliénations.

C'est avec l'arrivée de la science expérimentale, sur- tout, et sa suite en techniques de toutes sortes que l'être humain n'a cessé d'accroître son emprise sur le réel. D'abord, il s'agissait de connaître la nature, puis d'en cor- riger certaines lacunes et, enfin, de la dominer complète- ment au point de vouloir même se soustraire à la fatalité et au destin de la vie humaine, vie naturelle. Refuser de se soumettre au déterminisme « naturel » et le combattre de-

venaient désormais des buts accessibles pour les outils de la technique. Manipuler la vie et repousser les frontières de la mort passaient, dans cette logique, pour des objectifs souhaitables. Dans l'élan de cette entreprise, écrasant qua- siment tout sur son passage, l'être humain franchissait les limites de l'interdit, c'est-à-dire le respect de la nature. C'est dans l'ivresse créatrice, certes, qu'il a parfois abattu des murs, ébranlé des fondations et piétiné les semences d'une histoire considérée comme dépassée avant même de s'être achevée. Il devait donc rebâtir le monde et vaincre, là où les prédécesseurs avaient échoué, c'est-à-dire cons- truire un monde nouveau où la suppléance technique et technologique améliorerait la vie et repousserait toujours plus loin les limites de la mort. Mais il a dû se rendre à l'évidence : l'espoir techniciste porte en lui ses propres bornes. Entre autres, la transgression prométhéenne des secrets de la vie et de la mort se heurte parfois à l'absurde, parce que la transformation du monde, et des humains, ne peut s'effectuer sans un profond bouleversement des fon- dements mêmes de ces transformations, fondements qui ont pour noms : « nature », « éthique », « valeurs », etc.

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lui l'exercice de ce droit ? C'est la question que la Cour su- prême des Etats-Unis a récemment tranchée dans l'affaire C r u z a n où les deux parents réclamaient l 'arrêt de l 'hydra- tation et du gavage de leur fille qui, depuis huit ans, était dans un état de coma dépassé. D'aucuns argumenteront que la distinction entre l ' interruption de trai tement et le suicide, voulu (dans le premier cas) ou imposé (dans le second) de- vient ténue. Pourtant , encore une fois, le concept d'autono- mie et le droit à l 'autodétermination, dans ces deux hypo- thèses, sont rigoureusement identiques et devraient donc conduire à une identité de solutions.

Le droit-créance du laisser-mourir n'est encore ni com-

plètement assuré dans tous les pays, ni surtout entière- ment exigible dans sa complémentarité, puisqu'il ne per- met pas d'obliger un médecin ou un tiers à interrompre les soins dans tous les cas, encore moins à pratiquer un acte d'euthanasie active volontaire.

Nous sommes cependant déjà proches du domaine du futur imaginé par certains philosophes du siècle dernier. Les mouvements euthanasiques ont toujours existé. Les Allemands Binding et Hoche, dans leur ouvrage paru à Leipzig en 1 9 2 0 constituent très probablement avec le Britannique Glanville Will iams les avocats les plus arti- culés et intelligents de la légalisation de l 'euthanasie volon- taire active. Le fait que le plaidoyer allemand ait été sub- séquemment récupéré par la doctrine nazie, s'il ne ternit pas l 'œuvre du juriste et du médecin allemands, conçue

1. Voir Cruzan c/ Director, Missouri Depar tment of Health (1990), 110 S. Ct. 2841 (Cour suprême des Etats-Unis) ; R. Cantor, The Permanently Unconscious Patient, Non Feeding and Euthanasia (1989), 15, Am. J . of Law and Med., 381.

2. K. Binding et A. Hoche, The Release of the Destruction of Life Devoid of Value, Santa Ana, Editions Sassone, 1975 ; t raduct ion américaine de l 'édition allemande publiée en 1920 à Leipzig.

3. G. Williams, The Sanctity of Life and the Criminal Law, London, Faber and Faber, 1958 ; aussi Euthanasia (1973), 41, Med. Leg. J . , 14.

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dans un contexte totalement apolitique, montre bien ce- pendant le danger des glissements éthiques auxquels elle peut donner naissance et de la récupération politique que peut en faire une société totalitaire.

La politique des Pays-Bas de décriminalisation de l'eu- thanasie active pratiquée sous contrôle médical et le projet de loi qui devrait l'officialiser constituent un précédent ac- tuel important. Ce pays passerait, en effet, pour la pre- mière fois du droit-créance au droit-dette ; le respect de l'autonomie de la personne et le droit à l 'autodétermina- tion justifieraient désormais la personne malade d'exiger des autres non plus une simple neutralité et l'exercice d 'un droit négatif, mais un engagement et l'exercice positif du droit, c'est-à-dire la revendication du droit à la mort.

L'autre deviendrait alors un authentique débiteur, un « obligé », soumis à la volonté ou au désir du patient d'exercer son droit de mourir. Le pas franchi est énorme. Dépassée est, en effet, la simple abstention consistant à permettre à la nature de reprendre son cours, lorsque ce cours a été interrompu par une intervention thérapeu- tique. On en est bel et bien à la revendication de l'acte de procurer directement la mort. Exiger la mort est différent d'exiger de laisser la mort survenir naturellement. Le droit de mourir naturellement est différent du droit à la mort.

Le même discours existe pour le droit au suicide assisté, en témoigne la machine à suicide inventée par le médecin américain Kervokian. Ici, et la chose est significative, la demande postule l'aide de la médecine et de la science. Par un étrange paradoxe, où l'on a critiqué la science qui déshumanisait la mort, on exige maintenant son aide p raffermir le contrôle de la personne humaine sur le proces- sus du mourir.

Sans vouloir tirer la sonnette d'alarme, certaines pers- pectives d'avenir peuvent être inquiétantes. Toute poli-

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tique d'euthanasie active (même sous contrôle médical strict) comporte nécessairement ses faiblesses et est indubi- tablement porteuse de ses propres abus, de ses propres ca- ricatures. Aussi perfectionné que puisse être le système de contrôle mis en place pour en éviter les bavures, leur survi- vance est inévitable. La question évidente pour la société est alors de savoir si elle peut se permettre de tolérer un seul abus en la matière, lorsqu'une vie humaine en dépend. Mais il y a d'autres dangers.

La population de nos pays occidentaux vieillit vite et les coûts sociaux de ce vieillissement se feront durement

sentir dans quelques décennies, lorsqu'un petit pourcen- tage de jeunes, économiquement actifs, devra payer pour une masse grandissante de vieillards improductifs, inactifs et à charge. La médecine de pointe et la science vont-elles, pour autant , orienter le principal de leurs efforts vers la gé- rontologie, pour espérer faire progresser l 'expectative de vie du troisième ou du quatrième âge, aux dépens de sec- teurs d'avenir comme la génétique ? A l'heure actuelle, les ressources hospitalières de nos pays sont taxées à l'extrême et un nombre croissant de lits est occupé par des malades chroniques et des vieillards. La pression économique, culturelle et sociale pourrait donc, en premier lieu, fort bien avoir un impact direct sur le conditionnement médi- cal de la mort. L'œuvre récente de Daniel Callahan semble

d'ailleurs contenir en filigrane les premiers germes de cette nouvelle ligne de pensée. L'auteur, en effet, estime légitime la non-intervention médicale lorsque la personne a déjà une « bonne vie, bien remplie » derrière elle. Le jugement éthique est donc désormais porté sur la qualité de la vie antérieure qui devient schème de référence dans la décision

1. D. Callahan, Setting Limits : Medical Goals in an Aging Society, New York, Simon and Schuster, 1987.

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d e l a i s s e r m o u r i r e t n o n p l u s s u r ce l le d e la v i e à v i v r e . L e

j u g e m e n t e s t , e n o u t r e , p o r t é p a r u n t i e r s e t n o n p a s p a r l a

p e r s o n n e e l l e - m ê m e .

I l e s t a u s s i p o s s i b l e , e n s e c o n d l i eu , q u e l ' E t a t a p p l i q u e

les c o n s é q u e n c e s d u d i s c o u r s d e p l u s e n p l u s f e r m e d e l a

m é d e c i n e p r é v e n t i v e e t r e f u s e les s o i n s à c e u x e t ce l l e s q u i ,

e n d é p i t d e s c o n s e i l s r é p é t é s t o u c h a n t l a p r é s e r v a t i o n d e

l e u r s a n t é , a u r o n t c o n t r e v e n u à c e r t a i n e s n o r m e s ? V e r r a -

t - o n , p a r e x e m p l e , les f u m e u r s , les a l c o o l i q u e s , les a m a -

t e u r s d e b o n n e c h è r e l a i s sé s p o u r c o m p t e e t a b a n d o n n é s

s a n s s o i n s , p a r r é t r i b u t i o n s o c i a l e ?

L a s o c i é t é d e d e m a i n p o u r r a i t ê t r e t e n t é e d ' o r i e n t e r ses

c o m p o r t e m e n t s à l ' é g a r d d e la m o r t e n f o n c t i o n d e s t r o i s

i m p é r a t i f s s u i v a n t s d e p o l i t i q u e s o c i a l e . L e p r e m i e r s e r a i t

l a n o n - i n t e r v e n t i o n ( m ê m e m a l g r é u n e d e m a n d e c o n t r a i r e )

d a n s les c a s o ù la s o c i é t é j u g e a i t q u e c e r t a i n e s p e r s o n n e s

o n t m e n é u n e « b o n n e v i e » a n t é r i e u r e , o n t a t t e i n t u n â g e

r e s p e c t a b l e , n e s o n t p l u s é c o n o m i q u e m e n t p r o d u c t i v e s e t

r i s q u e n t , e n r a i s o n d e la n a t u r e d e l ' a f f e c t i o n d o n t e l les

s o u f f r e n t , d ' e x i g e r d e s s o i n s p r o l o n g é s e t a i n s i d ' « e n c o m -

b r e r » les l i t s d ' h ô p i t a u x . Ces m a l a d e s a u r a i e n t a l o r s , e n

q u e l q u e s o r t e , l ' o b l i g a t i o n s o c i a l e d e m o u r i r , p o u r j u s t i f i e r d e l e u r u l t i m e u t i l i t é .

L e s e c o n d s e r a i t l ' o u v e r t u r e d e p r o g r a m m e s m é d i c a l i -

sés d ' e u t h a n a s i e a c t i v e , r e n d u s a t t r a y a n t s p a r l a t e c h n i c i -

s a t i o n d u n e m o r t q u i n e l a i s s e p l u s r i e n a u h a s a r d e t q u i ,

s u r t o u t , é l i m i n e la s o u f f r a n c e . C e r t e s , d e s p r o c é d u r e s v i -

s a n t à é v i t e r les b a v u r e s s e r a i e n t p r é v u e s a f i n d e r e n d r e le

m e s s a g e r a s s u r a n t . L a s o c i é t é n ' a u r a i t p l u s q u ' à e n c o u r a -

g e r les g e n s à y r e c o u r i r . S a n s t o m b e r d a n s l ' h y p o t h è s e v o -

l o n t a i r e m e n t a b s u r d e d e la n o u v e l l e d e M a r c e l A y m é 1 « L a

c a r t e », les m o y e n s m o d e r n e s d e d i f f u s i o n d ' i n f o r m a t i o n e t

1. M. Aymé. Œuvres complètes, Paris, Editions Gallimard, 1950, p. 397.

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de propagande sont tels qu'il pourrait devenir relative- ment facile de culpabiliser les vieillards et les malades et de les convaincre que requérir l 'euthanasie active est un acte altruiste, généreux et socialement valorisant.

Le troisième, qui devrait logiquement apparaître plus rapidement, est la décriminalisation de l'aide au suicide pour le malade en phase terminale. Cette tendance paraît d'ailleurs au moins éthiquement plus acceptable que les deux premières, puisqu'elle est l 'aboutissement logique de la revendication de l 'autodétermination. La difficulté évi-

dente cependant, sur les plans philosophique, moral et ju- ridique, est de séparer l'aide au suicide de l 'euthanasie ac- tive. La frontière est si mince, le poids de la réalité si lourd, qu'il n'est pas sûr que l'on puisse accepter la première sans, du même coup, légitimer la seconde.

Cette réappropriation de la mort par l 'euthanasie médi- calisée n'est cependant ni nécessaire, ni inéluctable. En effet, quand la société prendra finalement conscience que la demande de reconnaissance d 'un droit à la mort vient en

grande partie de l'ignorance dans laquelle elle maintient le droit des mourants, c'est-à-dire le droit de mourir dans la

dignité et selon leur vouloir, elle développera alors des moyens permettant de reconnaître la mort comme un phé- nomène naturel inévitable. L'humanisation occupera alors tout le territoire de la revendication.

La route à parcourir pour reconnaître ce fait et le tra- duire dans la réalité est encore longue. Il faut, en premier lieu, au-delà de toutes différences culturelles, reconnaître

le droit de la personne malade à la vérité. Cette reconnais- sance ne veut cependant pas dire que toutes les vérités doi- vent être dites dans toutes les circonstances et n'importe comment. L'accès à la vérité s'inscrit toujours dans une re- lation entre deux personnes où le jugement du profession-

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nel doit se doubler d'une ouverture à autrui. Ces condi-

tions font que le respect de la personne est significatif. L'exercice implique alors un investissement temporel et psychologique important, un affermissement de la relation interpersonnelle et une repersonnalisation du rapport pro- fessionnel-patient.

En second lieu, la société doit reconnaître comme un impératif incontournable le respect inconditionnel des dé- cisions de la personne malade. Le respect de l'autonomie décisionnelle sur l'administration et la durée des soins est, en effet, essentiel. Là encore, l'équipe soignante doit guider le patient et lui présenter toutes les solutions possibles. Ja- mais l'équipe soignante, et particulièrement le médecin, ne peut et ne doit prendre les décisions de traiter ou de ne pas traiter sans concertation préalable avec le patient. Nul, fût-il un expert, en effet ne peut et ne doit s'approprier le contrôle du processus de mortalité d'autrui. Bien plus, ces volontés doivent être respectées même si la personne malade n'est plus en état de prendre de décisions. L'inca- pacité du malade, son inconscience ne peuvent jamais ser- vir d'excuse ou de prétexte pour ignorer ses droits à une mort digne. Dans ce sens, les expédients actuels comme le testament de vie ou le mandat en cas d'inaptitude peuvent servir de guide. En cas de totale absence d'expression antérieure des volontés, la responsabilité du médecin et l'exercice de son jugement sont interpellés. Puisque la dé- cision d'une interruption de traitements, par exemple, ne repose pas exclusivement sur un jugement clinique mais doit prendre en considération l'histoire du patient et ses intérêts, une étroite collaboration entre le médecin et les proches est essentielle.

En troisième lieu, il faut promouvoir un développe- ment accéléré des soins palliatifs, non seulement en institu- tion, mais aussi à domicile. Il n'existe aucune justification

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possible et valable au fait de laisser inutilement souffrir un mourant. Il n'y a aucune valorisation humaine dans la continuation de la souffrance et rares sont maintenant les

cas où, avec les connaissances actuelles, il reste impossible de contrôler efficacement la douleur. Certaines ambiguïtés juridiques doivent être levées. Le médecin doit pouvoir ad- ministrer, sans crainte de poursuites, tous les soins pallia- tifs nécessités par l'état d'un patient, même si ceux-ci en- traînent un abrégement de l'expectative de vie. Le but recherché, en effet, est le contrôle de la douleur non le fait de provoquer la mort. Ces soins palliatifs doivent com- prendre le développement des techniques psychologiques d'accompagnement au mourant, permettant de retrouver l'altérité de la relation entre la personne qui part et celle qui reste.

Redonner un sens à la mort dans notre société égoïste et hédoniste de la fin du XX siècle est un défi considérable.

Ce n'est pas, en effet, en changeant les lois qu'on peut es- pérer y parvenir. C'est en admettant d'abord que depuis plusieurs générations on a volontairement éloigné la mort de la vie. C'est en cherchant, ensuite, une meilleure inté- gration du monde des mourants dans celui des vivants. C'est enfin en cessant d'accuser la médecine et la science en

tant que telles de cette aliénation et en admettant que celles-ci ne sont que le reflet de ces valeurs fausses qu'on prend souvent pour de vrais dieux.

Redonner un sens à la mort, la réhumaniser est un gage pour l'avenir. C'est en tout cas et certainement le prix que la société doit payer sans tarder pour éviter les dangereux excès du glissement éthique vers la reconnaissance d'un droit à la mort permettant de justifier et de fonder une po- litique d'euthanasie active.

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