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Journal officiel du 14 Mars 1919 SÉNAT SÉANCE DU 1» MARS Session ordinaire de 1919 2 59 SÉNAT IN EXTENSO 26 SENAT Session ordinaire de 1919. COMPTE RENDU IN EXTENSO 13« SÉANCE Séance du jeudi 13 mars. SOMMAIRE 1. Procès- verbal. 2._ Dépôt, par M. Lucien Cornet, d'un rapport, au nom de la commission des finances, sur le projet de loi, adopté par la Chambre des députes, portant renouvellement du privilège des banques de la Martinique, de la Guade loupe, de la Guyane et de la Réunion. K" SI. Dépôt, par M. Henry Chéron, d'un rapport sur le projet de loi, adopté par la Chambre des putés, tendant à accorder une allocation sup plémentaire aux ouvriers mineurs retraités. 83. 3. Lettre de M. le président de la Chambre des députés, portant transmission d'une pro position de loi, adoptée par la Chambre des députés, tendant à instituer des sanatoriums spécialement destinés au traitement de la tuberculose et à fixer les conditions d'entre tien dos malades dans ces établissements. Renvoi aux bureaux. 89. 4. Adoption des conclusions du rapport de la commission chargée d'examiner une de mande en autorisation de poursuivre un membre du Sénat. 5. 1" délibération sur la proposition de loi, adoptée par la Chambre des députés, tendant à la suppression du travail de nuit dans les boulangeries : Communication de décrets désignant des commissaires du Gouvernement. Déclaration de l'urgence. Discussion générale : MM. Herriot, rappor teur, et Dominique Delahaye. Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance. 6. Règlement de l'ordre du jour : MM Caze neuve, Dominique Delahaye, Paul Strauss et le président. Fixation de la prochaine séance au mardi 18 mars. PRÉSIDENCE DE M. ANTON IN DUBOST La séance est ouverte à quinze heures. 1. PROCÈS-VERBAL M. Maurice Ordinaire, l'un des secré taires, donne lecture du procès-verbal de la séance du mardi 11 mars. Le procès-verbal est adopté. 2. DÉPÔT DE RAPPORTS M. le président. La parole est à M. Cornet. M. Lucien Cornet. J'ai l'honneur de poser sur le bureau du Sénat un rapport fait au nom de la commission des finances chargée d'examiner le projet de loi, adopté par la Chambre dos députés, portant renou vellement du privilège des banques de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Réunion. M. le président. La parole est à M. Ché ron. M. Henry Chéron. J'ai l'honneur de poser sur le bueau du Sénat un rapport fait au nom de commission chargée d'examiner le projet de loi, adopté par la Chambre des députés, tendant à accorder une allocation supplémentaire aux ouvriers mineurs retraités. M. le président. Les rapports seront im primés et distribués. 3. TRANSMISSION D'UNE PROPOSITION DE LOI M. le président. J'ai reçu de M. le prési dent de la Chambre des députés la commu nication suivante : o Paris, le 12 mars 1919. « Monsieur le président, « Dans sa 1" séance du 6 mars 1919, la Chambre des députés a adopté une pro position de loi tendant à instituer des sanatoriums spécialement destinés au trai tement de la tuberculose et à fixer les con ditions d'entretien des malades dans ces établissements. « Conformément aux dispositions de l'ar ticle 105 du règlement de la Chambre, j'ai l'honneur de vous adresser une expédition authentique de cette proposition, dont je vous prie de vouloir bien saisir le Sénat. « Je vous serai obligé de m'accuser récep tion de cet envoi. « Agréez, monsieur le président, l'assu rance de ma haute considération. « Le président de la Chambre des députés, « PAUL DESCHANEL. » La proposition de loi est renvoyée aux bureaux. Elle sera imprimée et distribuée. 4. AUTORISATION DE POURSUITES CONTRE UN MEMBRE DU SÉNAT M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission chargée d'examiner une de mande en autorisation de poursuivre un membre du Sénat. Si personne ne demande la parole, je donne lecture de la proposition de résolu tion que présente la commission : « Le Sénat, « Vu la demande adressée à la date du 19 février 1919 par M. le général Berdoulat gouverneur militaire de Paris, « Prononce pour les cas qui y sont prévus la suspension de l'immunité parlementaire en ce qui concerne M. Charles Humbert, sénateur de la Meuse. » Je consulte le Sénat sur la proposition de résolution. (La proposition de résolution est adoptée.) 5. DISCUSSION D'UNE PROPOSITION DE LOI RELATIVE AU TRAVAIL DE NUIT DANS LES BOULANGERIES M. le président. L'ordre du jour appelle la l rc délibération sur la proposition de loi, adoptée par la Chambre des députés, ten dant à la suppression du travail de nuit dans les boulangeries. J'ai à donner connaissance au Sénat des décrets suivants : « Le Président de la République française, « Sur la proposition du ministre du tra vail et de la prévoyance sociale, « Vu l'article 6, paragraphe 2, de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics, qui dispose que les ministres peuvent se faire assister, devant les deux Chambres, par des commis saires désignés pour la discussion d'un projet de loi déterminé, Décrète : « Art. 1 er . M. Arthur Fontaine, conseil ler d'État en service extraordinaire, direc teur du travail, est désigné, en qualité de commissaire du Gouvernement, pour assis ter le ministre du travail et de la prévoyance sociale, au Sénat, dans la discussion de la proposition de loi tendant à la suppression du travail de nuit dans les boulangeries. « Art. 2. Le ministre du travail et delà prévoyance sociale est îhargé de l'exécution du présent décret. « Fait à Paris, le 27 janvier 1919. « R. POINCARÉ. « Par le Président de la République : « Le ministre du travail et de la prévoyance sociale, « COLLIARD. » « Le Président de la Républiquefrançaise, « Sur la proposition du ministre du tra vail et de la prévoyance sociale, « Vu l'article 6, paragraphe 2, de la loi constitutionnelle du 16 juillet 187" sur les rapports des pouvoirs publics, qui dispose que les ministres peuvent se faire assister, devant les Chambres, par des commissaires désignés pour la discussion d'un projet de loi déterminé, Décrète : « Art. 1 er . M. Charles Picquenard, sous-directeur du travail, est désigné, en qualité de commissaire du Gouvernement, pour assister le ministre du travail et de la prévoyance sociale, au Sénat, dans U discussion de la proposition de loi tendant à la suppression du travail de nuit dans les boulangeries. « Art. 2. Le ministre du travail et de la prévoyance sociale est chargé de l'exécu tion du présent décret. « Fait à Paris, le 12 mars 1919. « R. POINCARÉ. « Par le Président de la République : « Le ministre du travail et de la prévoyance sociale, « COLLIARD. » M. Edouard Herriot, rapporteur. J'ai l'honneur de demander au Sénat, d'accord avec le Gouvernement, de vouloir bien déclarer l'urgence. M. le président. Je consulte le Sénat >ur l'urgence, qui est demandée par la commis sion, d'accord avec le Gouvernement. Il n'y a pas d'opposition ?. .. L'urgence est déclarée. La parole, dans la discussion générale, est à M. Delahaye. M. Dominique Delahaye. Je croyais que M. le rapporteur voulait ouvrir la discussion en exposant la question, afin que je p ,sse y répondre selon l'ordre de son discours M. le président. M. le rapporteur, qui est le meilleur juge, demande-t-il la parole ! M. le rapporteur. Oui, monsieur le prési dent, j'accepte. M. le président. La parole est à M. le rap porteur. M. le repporteur. Messieurs, la réforme qui se présente aujourd'hui devant vous serait infiniment simple si elle n'était par fois, et à dessein, compliquée d'arguments de détail destinés à y faire échec. Le rôle de votre rapporteur sera donc, je pense, de vous présenter les grands aspects de ce projet, se réservant de suivre dans le détail les objections qui pourraient être présen tées. De ce point de vue, je me borne à vous rappeler, tout d'abord, par suite de quelles circonstances ce projet de loi vous est aujourd'hui soumis. Vous savez de combien de discussions a fait l'objet la suppression du travail de nuit

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Journal officiel du 14 Mars 1919 SÉNAT — SÉANCE DU 1» MARS Session ordinaire de 1919 2 59

SÉNAT — IN EXTENSO 26

SENATSession ordinaire de 1919.

COMPTE RENDU IN EXTENSO — 13« SÉANCE

Séance du jeudi 13 mars.

SOMMAIRE

1. — Procès-verbal.

2._ Dépôt, par M. Lucien Cornet, d'un rapport,au nom de la commission des finances, surle projet de loi, adopté par la Chambre desdéputes, portant renouvellement du privilègedes banques de la Martinique, de la Guade­loupe, de la Guyane et de la Réunion. —K" SI.

Dépôt, par M. Henry Chéron, d'un rapport surle projet de loi, adopté par la Chambre des dé­putés, tendant à accorder une allocation sup­plémentaire aux ouvriers mineurs retraités.— N° 83.

3. — Lettre de M. le président de la Chambredes députés, portant transmission d'une pro­position de loi, adoptée par la Chambre desdéputés, tendant à instituer des sanatoriumsspécialement destinés au traitement de latuberculose et à fixer les conditions d'entre­tien dos malades dans ces établissements. —Renvoi aux bureaux. — N° 89.

4. — Adoption des conclusions du rapport dela commission chargée d'examiner une de­mande en autorisation de poursuivre unmembre du Sénat.

5. — 1" délibération sur la proposition de loi,adoptée par la Chambre des députés, tendantà la suppression du travail de nuit dans lesboulangeries :

Communication de décrets désignant descommissaires du Gouvernement.

Déclaration de l'urgence.Discussion générale : MM. Herriot, rappor­

teur, et Dominique Delahaye.Renvoi de la suite de la discussion à la

prochaine séance.6. — Règlement de l'ordre du jour : MM Caze­

neuve, Dominique Delahaye, Paul Strauss etle président.

Fixation de la prochaine séance au mardi18 mars.

PRÉSIDENCE DE M. ANTON IN DUBOST

La séance est ouverte à quinze heures.

1. — PROCÈS-VERBAL

M. Maurice Ordinaire, l'un des secré­taires, donne lecture du procès-verbal dela séance du mardi 11 mars.

Le procès-verbal est adopté.

2. — DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. La parole est à M. Cornet.M. Lucien Cornet. J'ai l'honneur de dé­

poser sur le bureau du Sénat un rapportfait au nom de la commission des financeschargée d'examiner le projet de loi, adoptépar la Chambre dos députés, portant renou­vellement du privilège des banques de laMartinique, de la Guadeloupe, de la Guyaneet de la Réunion.

M. le président. La parole est à M. Ché­ron.

M. Henry Chéron. J'ai l'honneur de dé­poser sur le bueau du Sénat un rapportfait au nom de là commission chargéed'examiner le projet de loi, adopté par laChambre des députés, tendant à accorderune allocation supplémentaire aux ouvriersmineurs retraités.

M. le président. Les rapports seront im­primés et distribués.

3. — TRANSMISSION D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le prési­dent de la Chambre des députés la commu­nication suivante :

o Paris, le 12 mars 1919.

« Monsieur le président,« Dans sa 1" séance du 6 mars 1919, la

Chambre des députés a adopté une pro­position de loi tendant à instituer dessanatoriums spécialement destinés au trai­tement de la tuberculose et à fixer les con­ditions d'entretien des malades dans cesétablissements.

« Conformément aux dispositions de l'ar­ticle 105 du règlement de la Chambre, j'ail'honneur de vous adresser une expéditionauthentique de cette proposition, dont jevous prie de vouloir bien saisir le Sénat.

« Je vous serai obligé de m'accuser récep­tion de cet envoi.

« Agréez, monsieur le président, l'assu­rance de ma haute considération.

« Le président de la Chambre des députés,« PAUL DESCHANEL. »

La proposition de loi est renvoyée auxbureaux.

Elle sera imprimée et distribuée.

4. — AUTORISATION DE POURSUITES CONTREUN MEMBRE DU SÉNAT

M. le président. L'ordre du jour appellela discussion des conclusions du rapport dela commission chargée d'examiner une de­mande en autorisation de poursuivre unmembre du Sénat.

Si personne ne demande la parole, jedonne lecture de la proposition de résolu­tion que présente la commission :

« Le Sénat,« Vu la demande adressée à la date du

19 février 1919 par M. le général Berdoulatgouverneur militaire de Paris,

« Prononce pour les cas qui y sont prévusla suspension de l'immunité parlementaireen ce qui concerne M. Charles Humbert,sénateur de la Meuse. »

Je consulte le Sénat sur la proposition derésolution.

(La proposition de résolution est adoptée.)

5. — DISCUSSION D'UNE PROPOSITION DE LOIRELATIVE AU TRAVAIL DE NUIT DANS LES

BOULANGERIES

M. le président. L'ordre du jour appellela l rc délibération sur la proposition de loi,adoptée par la Chambre des députés, ten­dant à la suppression du travail de nuit dansles boulangeries.

J'ai à donner connaissance au Sénat desdécrets suivants :

« Le Président de la République française,« Sur la proposition du ministre du tra­

vail et de la prévoyance sociale,« Vu l'article 6, paragraphe 2, de la loi

constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur lesrapports des pouvoirs publics, qui disposeque les ministres peuvent se faire assister,devant les deux Chambres, par des commis­saires désignés pour la discussion d'unprojet de loi déterminé,

Décrète :

« Art. 1 er. — M. Arthur Fontaine, conseil­ler d'État en service extraordinaire, direc­teur du travail, est désigné, en qualité de

commissaire du Gouvernement, pour assis­ter le ministre du travail et de la prévoyancesociale, au Sénat, dans la discussion de laproposition de loi tendant à la suppressiondu travail de nuit dans les boulangeries.

« Art. 2. — Le ministre du travail et delà

prévoyance sociale est îhargé de l'exécutiondu présent décret.

« Fait à Paris, le 27 janvier 1919.« R. POINCARÉ.

« Par le Président de la République :« Le ministre du travail

et de la prévoyance sociale,« COLLIARD. »

« Le Président de la Républiquefrançaise,« Sur la proposition du ministre du tra­

vail et de la prévoyance sociale,« Vu l'article 6, paragraphe 2, de la loi

constitutionnelle du 16 juillet 187" sur lesrapports des pouvoirs publics, qui disposeque les ministres peuvent se faire assister,devant les Chambres, par des commissairesdésignés pour la discussion d'un projet deloi déterminé,

Décrète :

« Art. 1 er. — M. Charles Picquenard,sous-directeur du travail, est désigné, enqualité de commissaire du Gouvernement,pour assister le ministre du travail et dela prévoyance sociale, au Sénat, dans Udiscussion de la proposition de loi tendantà la suppression du travail de nuit dans lesboulangeries.

« Art. 2. — Le ministre du travail et de la

prévoyance sociale est chargé de l'exécu­tion du présent décret.

« Fait à Paris, le 12 mars 1919.« R. POINCARÉ.

« Par le Président de la République :« Le ministre du travail

et de la prévoyance sociale,« COLLIARD. »

M. Edouard Herriot, rapporteur. J'ail'honneur de demander au Sénat, d'accordavec le Gouvernement, de vouloir biendéclarer l'urgence.

M. le président. Je consulte le Sénat >url'urgence, qui est demandée par la commis­sion, d'accord avec le Gouvernement.

Il n'y a pas d'opposition ?. . .L'urgence est déclarée.

La parole, dans la discussion générale,est à M. Delahaye.

M. Dominique Delahaye. Je croyais queM. le rapporteur voulait ouvrir la discussionen exposant la question, afin que je p ,ssey répondre selon l'ordre de son discours

M. le président. M. le rapporteur, qui estle meilleur juge, demande-t-il la parole !

M. le rapporteur. Oui, monsieur le prési­dent, j'accepte.

M. le président. La parole est à M. le rap­porteur.

M. le repporteur. Messieurs, la réformequi se présente aujourd'hui devant vousserait infiniment simple si elle n'était par­fois, et à dessein, compliquée d'argumentsde détail destinés à y faire échec. Le rôlede votre rapporteur sera donc, je pense, devous présenter les grands aspects de ceprojet, se réservant de suivre dans le détailles objections qui pourraient être présen­tées.

De ce point de vue, je me borne à vousrappeler, tout d'abord, par suite de quellescirconstances ce projet de loi vous estaujourd'hui soumis.

Vous savez de combien de discussions afait l'objet la suppression du travail de nuit

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dans la boulangerie. En particulier, elle aété discutée dans le détail le plus minu­tieux, au ministère du travail et de la pré­voyance sociale, par le conseil supérieurdu travail, dans sa session de 1911. Si l'onse reporte aux longs procès-verbaux de cesdélibérations, on s'aperçoit que, pas plusalors qu'aujourd'hui, la réforme ne s'estprésentée comme une œuvre de parti.

Les esprits d'origine et de tendance lesplus opposés s'y sont ralliés, pourvu qu'ilseussent le goût du progrès et le désir dubien-être ouvrier. C'est, vous le savez, M. ledéputé Justin Godart qui s'est fait une spé­cialité de 1 élude de ce projet: il a déposésur ce sujet devant la Chambre plusieursexcellents rapports, dont l'un au moins estconsidérable. Mais, de l'autre côté de l'opi­nion, il s'est trouvé des hommes de ten­dances fort opposées pour donner leurassentiment à ce projet. Parmi ces hommesil y en a un qu'il serait tout à fait injusted'oublier : celui qui, au milieu des railleriesfaciles, des objections quelquefois puérilesdirigées contre cette tentative, alors que,dans la presse parisienne, on se demandaitsi, du même coup, on n'allait pas obliger àfaire des feux d'artifice en plein jour, si l'onvoulait absolument supprimer le travail denuit dans toutes les industries, a pris la pa­role et la plume en faveur de cette réforme,avec l'autorité de son grand talent et de songrand cœur. Je veux parler de M. de Mun.(Très bien ! à droite !)

La question se présente donc devant voustout à fait dépouillée de cet aspect politiquequ'elle conservait peut-être encore lors­qu'elle fut discutée au lendemain de laguerre de 1870, dans les circonstances tra­giques de la Commune, où elle donna lieuaux incidents que vous savez. Je ne lesévoque pas; je les discuterai. Telle quenous vous la soumettons, comment se pré­sente cette réforme ?

Je voudrais la réduire à ses traits essen­tiels. De toute évidence, quelles que soientles objections, dont on me permettra d'at­tribuer la plus grande partie à la routine,quels que soient les intérêts mis en cause,elle est rendue indispensable par deuxsortes d'arguments :

D'abord les arguments d'ordre physiolo­gique, ensuite les arguments d'ordre socialet d'ordre moral.

Les arguments d'ordre physiologiquesont évidents. Il n'est pas possible, je crois,de nier, même si l'on s'en réfère unique­ment à son propre témoignage, que l'exer­cice de nuit de la profession est, pour lesboulangers, une cause fréquente de tuber­culose et quelquefois d'alcoolisme. Je n'abu­serai pas des statistiques. Ces rapports ensont pleins. La statistique, il faut la con­sulter avec prudence. « C'est, a dit Disraeli,l'une des formes les plus raffinées du men­songe. » Mais, en tout cas, les médecins lesplus qualifiés nous déclarent, et nous avonstoutes les raisons possibles de les suivre,que l'ouvrier boulanger travaille de nuitdans des conditions essentiellement favo­rables à la détermination de la tuberculose.

Parmi beaucoup de maîtres qui ont sou­tenu cette thèse, je cite et j'invoque seule­ment le docteur Letulle, de l'académie demédecine, ou, si vous me permettez d'em­prunter un texte plus récent que les siens,je vous demande la permission de vouslire quelques lignes d'un rapport du profes­seur Courmont, qui est l'héritier des tradi­tions des grands cliniciens de la tuber­culose :

« Pourquoi le boulanger est-il tubercu­leux? Mais simplement parce que son mé­tier le tient hors de toutes les conditions

normales d'hygiène et de santé. Cet homme,dont le travail est des plus pénibles, vitsans soleil et sans air. Pendant le jour, qui•st fait pour agir saineiïseuî, pour travailler

et s'alimenter, il faut qu'il dorme. La nuit,il lutte avec la pâte,douloureurement, dansun réduit noir et chaud, d'où il éprouve, detemps en temps, le besoin de se délivrer envenant, suant et nu, prendre les bouffées etles sensations de l'air froid du dehors.

« Quel organisme y saurait résister? Latuberculose des boulangers est naturelle,est nécessaire. »

On a quelquefois invoqué contre ce textesi précis l'autorité d'un homme tel que ledocteur Laveran ; c'est ce que fait M. Soule,dans son très intéressant rapport. Je nevous infligerai pas une discussion de dé­tails. Quand on se reporte aux faits, on voitque le docteur Laveran a parfaitement sou­tenu les dangers de la profession de bou­langer pour conférer la tuberculose à celuiqui la pratique et peut-être aussi, bien que1 incidence soit plus délicate à préciser, àla clientèle. Car vous savez qu'aujourd'huiencore le pain est fabriqué dans des condi­tions telles qu'il y a intérêt à ne pas troples décrire et à ne pas trop les connaître.

M. Gaudin de Villaine. C'est l'histoirede toute la cuisine.

M. le rapporteur. D'une partie de la cui­sine seulement. Il n'y a aucune cuisine, defamille tout au moins — je ne parle pasdes autres, de celles qui se fabriquent dansles laboratoires de certains grands hôtelsou de certains grands restaurants — quisoit comparable à ce qu'est, examiné deprès, cet établissement qu'on appelle unegloriette ou un fournil, où le pain se pré­pare dans des conditions qui, parfois, nesont pas avouables. Il a été produit, sur cesujet, dans les congrès de la boulangerie,des témoignages qui se complètent et quisont difficiles à invoquer dans tous les dé­tails, tant ils sont crus.

M. Gustave Rivet. Il faut préconiserl'emploi des machines. Dans notre pays, àla campagne, même dans des villages, nousavons des boulangeries qui fonctionnentavec une machine mue par la force électri­que depuis très longtemps.

M. le rapporteur. Il est trop évident quela boulangerie doit s'industrialiser de toutefaçon. On ferait bien mieux de l'encourageret de la guider dans cette voie au lieu dedéfendre la coutume, en ce qu'elle a d'ar­chaïque et d'arriéré.

M. Henry Chéron. C'est une des in­dustries qui ont fait le moins de progrès.

M. le rapporteur. Je n'insiste pas plussur les arguments physiologiques, qui sontévidents.

Les arguments moraux et sociaux le sont-ils moins ? Quelque effort que l'on fasse —et l'un de mes collègues, à la fois spirituelet conciliant, reproduira sans doute les dé­monstrations ingénieuses qu'il m'a déjàfournies en particulier — si l'on prend laquestion dans son ensemble, il est impos­sible de nier que le boulanger a une vietout à fait anormale. Les conditions de son

travail varient suivant les régions, mais ilest souvent obligé de travailler douzeheures dans la nuit : quelquefois, il com­mence à sept heures du soir pour finir lematin à la même heure. Cet ouvrier vitdans des conditions absolument inadmis­

sibles, surtout quand elles.se répètent cons­tamment.

M. Jenouvrier. Comme locaux!

M. le rapporteur. Comme locaux d'abord,mais comme régime de vie ensuite. Voilàun homme qui, s'il est marié, est condamnéà ne voir ses enfants qu'à des heures toutà fait exceptionnelles et dans des conditionsd'humeur que chacun d'entre nous peutsoupçonner. Son alimentation est tout à fait

irrégulière. Est-il célibataire ? Je voudraispouvoir, si je ne craignais d 'abuser desdocuments, vous lire dans le compte rendude tel congrès ouvrier qui s'est tenu à Nar­bonne, en 1909, la description des dangersauxquels sont exposés ces jeunes ouvriers,les derniers venus de la corporation qui, lematin, sortant du fournil, ayant enfin recon­quis leur liberté, au lieu daller se reposeren un domicile douteux et précaire, s'envont, résistant le plus possible à la fatigue,dans les bars, dans les cafés, demander àl'alcool un excitant contre la fatigue. Voyez,messieurs, quelle catégorie de citoyens onpeut obtenir ainsi !

Et si, quelquefois, nous avons été amenésdéjà à nous poser la question, qui se pré­sentera plus d'une fois, du sort de l'ouvrieragricole, condamné lui aussi à vivre dansdes conditions anormales, si vraiment nousavons à cœur de tenir compte des désirs dedémographes comme M. Marck, qui vient depublier un travail retentissant sur la dépo­pulation de la France, est-ce que nousn'allons point, passant par-dessus des dé­tails, passant outre aussi aux plaisanteriesfaciles, reconnaître notre devoir de donneraux ouvriers boulangers, comme aux ou­vriers agricoles, quitte à sacrifier pourcela quelques habitudes, une vie normale,une vie régulière ?

Le boulanger de jadis, auquel ressemblebeaucoup celui d'aujourd'hui, travaillaitenchaîné matériellement à son pétrin. Leprogrès, l 'amélioration des coutumes luiont enlevé sa chaîne matérielle, mais lachaîne morale lui reste ; il ne peut pas vi­vre comme les autres hommes. Cet abusdoit cesser.

On dit — c'est une objection que j'ai ren­contrée jusque dans les procès-verbaux duconseil supérieur du travail — qu'il y abien des industries où il en est de même.On cite certaines industries urbaines, sur­tout la grande industrie des transports, lagrande industrie métallurgique, les grandesusines de transformation.

M. Gaudin de Villaine. Et la presse.

M. le rapporteur. Il y a aussi la presse,comme on le dit si justement.

Je voudrais vous faire observer que si onne peut pas libérer l'ensemble des ouvriers,ce n'est pas une raison pour ne pas réaliser,cette libération où on peut l'accomplir.

Il y a un argument bien plus sensible,bien plus direct : toutes ces industries donton parle, qui font appel au travail de nuitdes hommes, des femmes et des enfants,sont en général des industries à caractèrecollectif. Elles ont de nombreux personnels,elles ont des unités de remplacement, ellespeuvent constituer des équipes. Tel méca-snicien qai, pendant l 'hiver, durement, pé­niblement, conduit une locomotive la nuit,en plein froid, pourra avoir son temps, sesjours de repos ; il en est de même dans lesusines. Il n 'en est pas ainsi du malheureuxouvrier boulanger qui travaille constam­ment au fournil, souvent chez le même pa­tron, et qui est condamné, sa vie durant, àcette servitude écrasante dont nous de­mandons précisément l 'abolition. <

Je crois donc que si on laisse tomber lesdétails, les petits arguments, les petitesprotestations, les intérêts particuliers, au­cun doute ne peut subsister.

Arguments physiologiques, argumentssociaux et moraux, je les crois les uns etles autres décisifs. C 'est cequ'on a pensé ,également en Finlande, c'est ce qu'ona pensé également en Italie, dans ce payasi sensible au progrès social; c'est enfince que nous demandons aujourd'hui chesnous. - ■ ' '

Messieurs, je ne définis pas devant vousles détails du projet de la coranlissiog. ,Nous avons essayé de vous présenter ui*

SÉNAT — SÉANCE DU 13 MARS 1919 26 î

œuvre raisonnable. Je suis obligé, cepen­dant, de vous soumettre une premièreobservation.

Le projet actuel a été déposé à la suite dudécret du 9 février 1917 qui avait interditla vente du pain frais. Ce décret a été abrogépar un autre décret du 30 novembre 1917.Les adversaires de la réforme, celui en par­ticulier que je citerai tout à l 'heure, l'ho­norable M. Sauvage, sont venus devant noussoutenir cette Ihèse que le projet, tel qu'il aété voté par la Chambre des députés, doitsuivre dans son abandon le décret du 9 fé­

vrier 1917 qui l'a provoqué.Nous avons demandé à M. le ministre du

ravitaillement, auteur du décret du 30 no­vembre 1917, s 'il persistait dans sa manièrede voir. Il nous a apporté une déclarationaffirmative. M. le ministre du travail s 'est

prononcé dans le même sens.Cela dit, j'appelle votre attention seule­

ment sur un des caractères du projet deloi que nous vous soumettons. Votre com­mission a voulu vous permettre de donnerà une des parties les plus intéressantes dela classe ouvrière une réforme que noustenons pour essentielle. Mais nous avonsvoulu faire une part à l'expérience : noussommes allés chercher quels avaient étéles lacunes et les inconvénients de la loiitalienne et de la loi finlandaise, et nousnous sommes bien rendu compte.que sinous voulions éviter à cette loi les acci­dents qui ont compromis, au point de lafaire mourir, la loi célèbre sur le reposhebdomadaire, il fallait donner à ce nou­veau texte une certaine souplesse.

J'appelle donc votre attention sur un articlequi permettra à ceux qui seront chargés d'ap­pliquer la loi de l 'assouplir, de façon qu'enaucun cas, cette reforme ne puisse-, seheurter à l'impossible. Nous sommes par­tisans de la suppression du travail de nuitdans les boulangeries, mais nous nous ren­dons bien compte qu'il y a telles circons­tances où la boulangerie peut avoir uneffort à faire ; ce ne sont ni les ouvrieisboulangers, ni ceux qui les défendent, quis 'opposeront à ce que, dans un village, dansune ville petite ou grande, la loi donne,dans un moment critique, les moyens defaire face aux besoins de la consommation,si elle s'est accrue. Nous avons donc, à ceteffet, introduit dans la loi l'article sui­vant, sur lequel j'appelle votre attention,parce qu'il fait tomber hien des argumentsde la discussion :

« Art. 4. — Dans des cas exceptionnels,des dérogations pourront être accordées parle préfet, sur demande des industriels oudes ouvriers et les deux parties entendues,après avis du conseil municipal, à l 'occa­sion de foires ou de fêtes, en cas d'aftluxtemporaire de population, ou si des raisonsd'utilité publique l'exigent impérieuse­ment. »

Par conséquent, un préfet pourra tou­jours, si une circonstance se présente quirende cette modification indispensable, ap­pliquer l'article 4 après avis favorable desintéressés.

M. Jenouvrier. Il est dangereux de lais­ser les préfets refaire les lois.

M. le rapporteur. Je suis gêné pourvous répondre sur ce sujet, mon cher col­lègue. Excusez-moi. Vous comprendrez madiscrétion...

M. Touron. Vous avez constaté vous-

même combien il est dangereux de s'enrapporter aux piéfets.(7Vès bien! très bien!)

M. Henry Chéron. Aussi M. Herriot nes 'en est-il pas rapporté aux préfets.

M. le rapporteur. Nous avons pensé que,si cette faculté devait amener quelques dif­ficultés comme en provoque l'usage de la

liberté en des mains qui ne sont pas tou­jours dignes de la manier, il valait mieuxcependant donner au texte de la loi unecertaine souplesse pour qu'elle fût res­pectée.

Cela dit, j'ai bien peu à ajouter pour arri­ver à ma conclusion. Des objections, il y ena plusieurs ; mais elles portent sur desdétails, et je me réserve la faculté de dis­cuter ici celles qui seraient relevées. Quandon change des usages plusieurs fois sécu­laires, quand on veut toucher à des cou­tumes enracinées, il est trop évident qu'onheurte certaines habitudes, que l'on blessecertains intérêts. Ces transformations né­

cessaires de la boulangerie ne s'accompli­ront pas sans quelques heurts. Je penseque vous voudrez bien vous-mêmes, lorsquevous écouterez cette discussion, écarter cesobjections de détail; elles viennent d'unpassé qui s'obstine contre un présent quiveut s 'instituer.

Je ne discuterai pas la question de savoirsi, avec la réforme, le public mangera en­core du pain frais. Le pain frais sera venduà des heures différentes, voilà tout.

M. Gaudin de Villaine. C 'est une ques­tion secondaire.

M. Leblond. On le mangera le soir.

M. le rapporteur. Dans son rapport trèsconsciencieux, M. le député Justin Godarta étudié l'horaire des fournées. Il démontre

que si l'on commence à cinq heures du matinla première fournée sortira à 8 h. 1/2, lesautres à9 h. 3/4, 11 h., 12 h. 1/4, 1 h. 1/2,2 h. 3/4. Le pain aura son summun de qua­lité six heures après.

M. Justin Godart a donc parfaitementdémontré que nous aurons à midi la pre­mière fournée et le soir du pain parfaite­ment frais.

La question des petits pains, qui préoc­cupe la boulangerie parce qu'il y a là pourelle une source de revenus légitimes et ap­préciables, peut être au mieux résolue.Beaucoup de patrons déclarent qu'ils pour­ront, commençant à cinq heures du matin,les livrer à six heures et demie.

Je ne discuterai pas non plus la questiondes porteuses de pain, quoiqu'elle ait sonimportance. On a fait, sur ce détail du sujet,les raisonnements les plus compliqués. Envérité, la réforme mettrait fin à certainsabus ; s'il y a vraiment des femmes quioccupent leur matinée à porter du pain et,l 'après-midi, à faire des ménages, ce scan­dale soit cesser.

Je n'aborde pas non plus la question dela température nécessaire pour la cuissondu pain. Il a été répondu — et copieuse­ment — à ces arguments, lors des discus­sions qui ont eu lieu à ce sujet. Les expé­riences tentées se sont heurtées non à des

difficultés techniques, mais à des difficultésprovoquées par la concurrence commer­ciale.

M. Gaudin de Villaine. Supposez unboulanger qui travaille seul : commentpourra-t-on vérifier l 'application de la loi,puisque l 'autorité n'a pas le droit de péné­trer, la nuit, dans les boulangeries? Com­ment l 'empêcherez-vous de travailler lanuit ?

M. Milliard. Le projet ne s'applique pasaux patrons.

M. Jenouvrier. Si, il s'applique aux pa­trons, et c'est une de ses infériorités.

M. le rapporteur. Une question, en effet,se pose. Elle a été traitée dans le rapportde la chambre de commerce de Paris, écritpar M. Sauvage, à la suite de la publicationdu travail de votre commission. Il y a là undes arguments invoqués le plus souventcontre le projet. On dit, en invoquant les

grands principes de la Révolution, la liberté,le droit individuel : « Mais vos prétentionssont excessives ; vous pouvez légiférerpour les ouvriers, s'il vous plaît dc les pro­téger contre la tuberculose, l'alcoolisme etla déchéance sociale ou familiale ; mais, envertu de la déclaration des droits del 'homme, nous avons le droit de travaillercomme nous l'entendons. »

A cette difficulté de principe, notre col­lègue, si je J'ai bien entendu, ajoute unedifficulté de fait. 11 dit : « Même si vousavez proclamé l'interdiction pour les pa­trons de travailler de nuit, comment ferez-vous la vérification? »

J'essayerai de répondre à l'argument dedroit et à l'argument de fait.

1l n'est pas douteux que l'objection estimpressionnante ; c'est l'objection essen­tielle de la chambre de commerce de Paris,car, au fond, il n'y a de résistance impor­tante qu'à Paris : tout à l'heure, j'en pren­drai l 'aveu dans le rapport même deM. Sauvage.

Il y a là un conflit évident entre le droitindividuel et l 'intérêt collectif. Mais ceconflit, vous le rencontrez à chaque ins­tant ; c'est le rôle de la législation modernede le résoudre. Nous le trouvons lorsqu'ils'agit de régler toutes sortes de questionsrelatives au travail humain, qu'il s'agisse,par exemple, de mines ou d'industries insa­lubres. De deux solutions, il faut choisirl'une. Ou le travail nocturne de la boulan­

gerie est inoffensif pour le travailleur;alors, il est licite pour tous, ouvriers ou pa­trons. Ou il est nuisible, et alors, au nomde cette hygiène qui nous impose déjàtant de prescriptions, il faut l'interdire àtous, patrons et ouvriers. Une loi qui feraitdes distinctions entre patrons et ouvriersserait injuste et inopérante. Et c'est dansce sens que s'est prononcée, par exemple,la chambre de commerce de Poitiers, bienque hostile à la réforme.

C'est à vous, messieurs, de peser si l'inté­rêt social que nous invoquons est assez fortpour imposer un sacrifice à l 'intérêt indivi­duel. Ces conflits de 1 intérêt individuel, dela liberté individuelle avec l 'intérêt collectif

se présenteront de plus en plus. C'est d'ail­leurs la thèse de beaucoup de patrons bou­langers, même parisiens. Je possède cer­taines lettres que je voudrais pouvoir vouslire. Si la loi n'est pas générale, le petitpatron qui voudra l'appliquer sera victimede la concurrence.

C'est l 'absence d'une loi générale qui afait échouer, par exemple, l 'effort de cer­taines coopératives.

Mon opinion est donc, sur ce point, fortnette. Je comprends la réserve de droit ; jelui fais sa part; j 'accorde qu'elle est impres­sionnante, mais je crois que vous voustrouvez en présence de cette même situa­tion que vous avez si souvent rencontréedans votre volonté de progrès social : unintérêt individuel réclame la liberté abso­lue ; l'intérêt collectif demande une règle.Pour toutes les œuvres d'hygiène sociale,vous avez dû et devrez encore demander

certains sacrifices à la liberté intégrale.

M. Gaudin de Villaine. Vous violerez ledomicile.

M. le rapporteur. Comment procédera-t-on, en fait, avez-vous dit ? Comment fera-t-on en France? On procédera sans doutecomme on agit pour dresser des contraven­tions à des restaurants ou débits ouverts

après l 'heure réglementaire. Le règlementd'administration publique devra préciser.Ce que je peux vous dire, c'est que la ques­tion s'est posée en Italie.

On a soupçonné qu'au lendemain du votede la loi, un boulanger qui fournissaitmême la famille royale italienne, ne se con­formait pas à la loi sur la suppression du

262 SENAT — SEASCE DU 13 LiAIiS 1213

travail de nuit. On a demande 1 autorisation

de faire chez lui une perquisition. Toutesles autorités, y compris les plus hautes, yont donné leur assentiment ; et ont est alléde nuit dresser contravention. Vous trouve­rez ce fait exposé dans le très intéressantrapport de M. Rivet sur la suppression dutravail de nuit en Italie.

J'ai tâché de répondre à M. Gaudin deVillaine. Je ne voudrais pas abuser de votrebienveillante attention. (Parlez ! parlez !)J'aborde simplement deux ou trois objec­tions encore, ou plutôt je vous signale queces objections sont toutes présentées ourésumées dans le dernier rapport de lachambre de commerce de Paris en datedu 15 janvier 1919.

Le rapport, au reste fort intéres­sant, de la commission spéciale de cettehaute compagnie, examine le travail denotre commission et y oppose certaines cri­tiques. Je crois que je n'aurai pas de peineà vous démontrer que ces critiques sont ré­futées parleur auteur lui-même.

Que nous dit l'honorable M. Sauvage dansce dernier essai de défense du travail denuit dans la boulangerie ? 11 nous ditd'abord, écoutez bien cet aveu qui est del'adversaire le plus acharné de la ré­forme :

« Nous persistons à prétendre que si laréforme projetée peut, dans certaines ré­gions, se concilier avec les besoins de lapopulation, à Paris, elle se heurte àde nom­breuses difficultés matérielles. »

Je trouve ici la confirmation de ce que jevous disais tout à l'heure : la réforme estconsidérée comme parfaitement possible,tout au moins dans nos provinces. Lesenquêtes qui ont été instituées, les procès-verbaux qui ont été rédigés, et dont j'aidemandé communication à M. le ministredu travail qui a bien voulu me les faire par­venir, ont établi, le Gouvernement nous ledira, je pense, tout à l 'heure, que ces modi­fications ont été réalisées sans inconvé­nient, sans trouble et à la satisfaction detout le monde en bien des points du terri­toire. Et dans le rapport de M. Sauvage, quiest cependant un dialecticien extrêmementhabile, je trouve, si je l'examine de trèsprès, les arguments que je cherche.

On invoque contre la réforme les exem­ples de Dunkerque, de Calais, de Boulogne.Écoutez l'exemple de Dunkerque :

« Dunkerque, 10 décembre 1918. — Le tra­vail de nuit n'a jamais existé; il n'a donc pasété supprimé. Les boulangers commencentgénéralement à quatre heures, en semaine,les dimanches et jours de fête entre deuxet trois heures du matin. »

Est-ce là un argument contre la réforme ?Dunkerque dit: « Je suis tellement opposéeau travail de nuit que je ne l'ai jamaistoléré. »

Et Calais :« Calais, 11 décembre 1918. — Nous tra­

vaillons tous comme bon nous semble. »

Mais que fait la majeure partie des boulan­gers ? Ils commencent le travail entre deuxet trois heures du matin.

M. Léon Barbier. C'est du travail denuit. '

M. le rapporteur. Non, c'est déjà du tra­vail de jour.

M. Rouby. Alors, il n'y a pas de diffi­culté !

M. le rapporteur. Un travail qui com­mence vers deux ou trois heures du matin

est beaucoup plus un travail de jour qu'untravail de nuit.

M. Jenouvrier. C'est un travail de jour,en été.

M. le rapporteur. Il y a, en effet, une diffi­culté. A quelle heure le travail de jour doit-il

commencer? Grosse question. Il faudra, surce point, de la souplesse, c'est entendu. Maisce que nous ne voulons pas, et ce que nousvous demandons de ne pas vouloir, c'estque le même homme vienne tous les soirsfaire un travail de nuit de douze heures.

Même s'il doit commencer très tôt, cerégime sera préférable. A Paris, où l 'argu­ment a été invoqué avec beaucoup d'insis­tance, on s'est demandé comment feraitl'ouvrier pour arriver au fournil de grandmatin ; les ouvriers ont répondu : « Cela,c'est notre affaire, nous demandons le tra­vail de jour. Quand on nous dira à quelleheure il devra commencer, nous serons là;nous préférons venir à bicyclette ou parnos propres moyens, habiter près du four­nil au besoin, et nous commencerons aus­sitôt qu'il le faudra ; mais nous voulonsavoir une vie normale comme les autresêtres humains. »

Laissons donc de côté cette question del'heure de début. Je dis que dans l'exemplede Calais invoqué par la chambre de com­merce de Paris, il s'agit, plutôt, de travailde jour.

Considérons Boulogne. Je lis :« Boulogne, 6 décembre 1918. — Jamais on

ne nous a notifié l'interdiction du travail de

nuit. » C'est une ville qui, d'après le rap­porteur de la chambre de commerce, seraitfavorable au maintien du travail de nuit.

« Sur cinquante-trois boulangeries restéesouvertes, une quinzaine travaillent la nuit,les autres commencent vers trois et quatreheures du matin. Il en a toujours été ainsi. »

Poitiers est un centre de résistance, c'estentendu ; le travail y commence vers minuitou une heure du matin.

On cite encore l exemple de Chàteile-rauit. Châtellerault dit : «Nous commençonsle travail suivant les maisons, les unes àsix heures du soir, les autres à dix heures,le reste entre minuit et deux heures, sauf la

coopérative et un autre boulanger. »Pourquoi ce qui est possible à la coopé­

rative ne l'est-il pas aux autres boulangers?N'est-ce pas protéger le commerce lui-mêmeque de l 'obliger à s'appliquer des progrèsqui, s'ils sont réalisés par les coopéra­tives syndicalistes, se généraliseront quel­que jour contre lui?

Je dis donc qu'une analyse minutieusedu nouveau rapport de la chambre de com­merce de Paris, si elle était poussée surtous les points, démontrerait, au contraire,que tout est mûr pour la réforme. Et quandon vient nous dire, suivant un argumentqui est souvent reproduit, que les ouvrierssont d'accord avec les patrons pour le main­tien du travail de nuit, permettez-moi. dedire que cet argument ne résiste pas àl 'examen. Il y a peut-être des ouvriers quin'osent pas se prononcer de crainte deperdre leur place ; il y en a un certainnombre, en tout cas, qui ne demandent pasla réforme. Mais M. Godart, dont le témoi­gnage ne peut être récusé, déclare, que,dans sa campagne à travers la France, il acherché vainement un groupe, un ensemblede quelques ouvriers qui voulussent donnerleurs signatures pour le maintien de la si­tuation actuelle.

S'il est légitime de considérer comme lesporte-parole des patrons boulangers, ceuxqui les représentent, MM. les membres dela chambre de commerce de Paris, de lamême façon nous devons, sous peine dedésordre et d'erreur, chercher l 'expressionde la volonté ouvrière dans les délibéra­

tions des groupements organisés de travail­leurs. Or, la démonstration est facile. Nonseulement les syndicats boulangers deFrance — et celui de Paris, en particulier— demandent la suppression du travail denuit, mais la confédération générale dutravail, avec autant de sagesse que de fer­meté, nous a demandé d'apporter à la classe

ouvrière, une amélioration considéréecomme nécessaire.

Après cet exposé, trop long l. certainségards, bien que, sur certains point-, insuf­fisant, j 'arrive à ma conclusion. J 'ai tentéde vous montrer que le projet heurte cer­tains usages, mais que cette réforme doitêtre accomplie, pour des raisons d'huma­nité et d'intérêt national bien compris. Aumoment où je leur demanda un sacrifice,je veux dire, combien il faut estimer lesboulangers. Ce sont de très braves gens,les boulangers. Ce sont des gagne-petits,ils n'ont pas été des profiteurs de la guerre.

M. Jénouvrier. Non ! non i

M. Herriot. Ils ont lutté contre des mi­sères de toutes sortes ; c'est la raison quifait que nous avons ajoufé un article leurdonnant un an pour qu'ils puissent appli­quer la réforme, transformer leurs locaux,aménager leurs petits magasins, quand celasera nécessaire.

Les boulangers sont de véritables démo­crates. Chez eux, la limite est fragile entrel 'ouvrier et le patron. Tcl était ouvrier hierqui est patron aujourd'hui et tel est patronaujourd'hui qui redeviendra ouvrier de­main.

S'ils ne sont plus de la même classe so­ciale, ils travaillent ensemble, en effet, etils Sont unis par la meilleure de toutes lesfraternités, celle du labour régulier.

Je suis bien sûr que si l 'on avait laissé semanifester l'breirtnt, ou si on laissait en­core se manifester librement l'opinion despatrons boulangers, ils diraient, en grandnombre : « Cuite servitude, nous l'avonssupportée nous-mvmos. Nous avons subi,en nos familles, comme le dit l'un d'euxdans une des enquêtes, le triple esclavagedu père, de la mère et de l 'enfant. Si nousavons rendu quelques services, débarrassez-nous de cette lourde tutelle de la routine.

Débarrassez-nous en per la loi, car noussommes exposés à la concurrence mutuelleet nous n'avons jamais pu, nous ne pour­rons jamais nous délivrer tout seuls.

Oui, certes, ils sont bien intéressants, lesboulangers. Quand tout le monde a refuséle crédit, lorsque l'cuviier qui, hélas, n'amême pas la ressource d'aller le solliciteren beaucoup d'endroits, a vu se fermertoutes les portes devant lui, il y en a cepen­dant une qui est restée ouverte, c'est la portodu boulanger. Le boulanger, dans notre ré­gime, c'est en quelque manière le banquierdu pauvre. 11 a droit à tous les égards, maisil faut lui montrer l'avenir, lui enseignerque le progrès s'impose même à ceux quile méconnaissent; il fvit le guider, luienseigner les lois de l'industrie moderne etnon l'encourager à la révolte contre destransformations néoess lires. Mais enversl'ouvrier nous avons aussi une dette.

Messieurs, dans ces longues enquêtes quej 'ai lues et reines, j 'ai vu bien souvent sereproduire cette fameuse controverse quiémut, hier, la classe ouvrière: obtiendrons-nous les réformes par le parlementarismeou, au contraire, par le seul syndicalisme?Eh bien, nous sommes au lendemain de laguerre ; nous avons fait aux ouvriers, à lafois des demandes et des promesses.

M. le comte de Treveneuc. Beaucoupplus de promesses que de demandes.

M. le rapporteur. Même si on lui a faitbeaucoup de promesses, l'ouvrier n'est pasencore tellement heureux ! Il y a encore descorporations négligées comme celle dont jeparle. Nous demandons aux ouvriers decollaborer à la renaissance de la France,non pas seulement à la production, mais àla surproduction nécessaire ; nous l'invi­tons à ne pas s'isoler dans l'ensemble dal'activité nationale : il doit consentir à former

avec nous, dans la paix, ce faisceau du tra­

SENAT — SEANCE DU 13 MARS 1919 263

vail que nous avons créé dans la guerre.Il semble que les ouvriers y aient consenti,et je fais appel à la haute autorité de M. leprésident de la commission pour rappelerles paroles que nous avons entendues lors-t u.e devant nous ont comparu des hommescomme M. Jouhaux et M. Savoie, ils nousont fait confiance ; ils attendent de nouscette petite réforme qui leur apportera unavantage en échange de la collaboration quenous leur demandons pour le pays.

M. Paul Strauss, président de la com­mission. C'est parfaitement exact.

M. le rapporteur. Messieurs, je sollicite'de vous ce progrès; je voudrais que la cor­poration des boulangers se prêtât de boncœur à cette réforme. Je n'en exagère pointla portée, mais je suis convaincu que sivous la votez, c'est un progrès assez im­portant que vous aurez marqué.

Nous aurons travaillé au rapprochementdes classes dans l'amour commun du.pays,par de petits sacrifices réciproques en uneffort loyal, de part et d'autre, vers plus dejustice et de fraternité. (Vifs applaudisse­ments. — L'orateur, de retour à sa place,reçoit les félicitations de ses collègues.)

M. le président. La parole est à M. Domi­nique Delahaye.

M. Dominique Delahaye. Mes cherscollègues, je commence par un mot d'affec­tion, parce que je n'ai jamais eu un désirplus grand de vous convaincre. Cette ques­tion de la suppression du travail de nuitdans la boulangerie retient mon attentiondepuis quatre ou cinq mois, et, sans nullevanité, j'espère vous démontrer que j'en aipoussé l'étude plus loin que mes devan­ciers.

Ce qui m'a plu davantage dans le discoursde l'honorable rapporteur, c'est son éloge 'de la boulangerie. Malheureusement, ilressemble au sacrificateur qui couvre defleurs la victime avant de l'immoler. Ah !oui, les boulangers en ont vu de rudes pen­dant la guerre, et surtout les boulangères,tracassées par le pouvoir, tracassées parles circonstances. On peut dire que, detoutes les Françaises, ce sont les boulan­gères qui ont le mieux mérité de la patrie.(Très bien!) Voilà le cas des boulangères.Et puis, pour les en récompenser, voicique vous voulez recommencer à les tracas­ser de nouveau !

J'ai assisté à une conférence contre l'in­terdiction du travail de nuit de la boulan­gerie, conférence qui fut tenue, le 5 février1919, dans la salle d'horticulture. M. Sau­vage, membre de le chambre de commercede Paris présidait. M. Bruzlau, avocat de lacorporation, a pris la parole, puis l'amiralBienaimé, et enfin votre serviteur.

L'amiral Bienaimé a surtout plaidé lescirconstances atténuantes, pour n'avoir pascombattu le projet à la Chambre, parce quele président de la boulangerie M. Virât nel'avait pas averti en temps opportun.

Car, messieurs, c'est la première fois quecette question a l'honneur d'un débat pu­blic. On vous dit qu'elle a été l'objet denombreuses études. C'est certain, mais nonpas dans le Parlement; car à la Chambrecela a été un pur escamotage. Personne n'aencore dit le fin mot sur ce qui s'est passé àla Chambre. Quant aux procès-verbaux ma­nuscrits de cette Assemblée je les ai consul­tés, la plume à la main, de même que j'aiconsulté, la plume à la main, les procès-verbaux de la commission du Sénat. Mais

je veux commencer par la protestation d'unpoilu qui a été lue à cette réunion. Celle-cicomptait au moins neuf cents boulangerspatrons et ouvriers. Je vous garantis quetout le monde est d'accord. Il ne s'agit paslà d'opposer les ouvriers aux patrons, car,Dieu merci 1 en France, les ouvriers bou­

langers sont portés à s entendre avec leurspatrons. Je vous le montrerai à toutes lesdifférentes étapes de leur histoire. C'est,d'ailleurs, devant la commission du Sénatce qu'a déclaré le représentant de la liguedes boulangers. Il n'en est pas de même enItalie, où ils ont été un foyer d'anarchistes.

A lasalle d'Horticulture, M. Sauvage donnelecture de la lettre ci-après, qu'il a reçuede l'un des confédérés, blessé de guerre etmutilé :

Paris, le 3 février 1919.

« Monsieur,

« Je vous accuse réception de votre con­vocation pour la réunion du 6 courant, maisj'ai le regret de ne pouvoir y assister, etvous en comprendrez la raison. Je suis mu­tilé de guerre et j'ai une jambe paralysée.

« Pour que mon absence ne vous fassepas une voix de moins pour votre protesta­tion juste, je vous autorise à lire ma lettreen public et à faire la déclaration qui suitde ma part.

« Charles Brumpt, ex-soldat au 272e régi­ment d'infanterie, réformé de guerre, dé­coré de la Croix de guerre et de la médaillemilitaire, s'étant battu pour le droit et laliberté, proteste contre l'atteinte que leGouvernement porte à cette dernière, ettant que bon me semblera de travailler,moi-même, n'importe à quel moment, denuit ou de jour, chez moi, je le ferai, carquiconque m'en empêcherait porterait at­teinte aux droits de l'homme et du ci­toyen.

« Recevez, monsieur Sauvage, les mar­ques de ma vive sympathie.

« BRUMrT, boulanger,« 12, rue Saint-Bernard. »

Voilà donc, messieurs, les dispositionsdans lesquelles je trouve la généralité desboulangers de Paris, voilà ce que vous allezheurter de front. Je crois de mon devoir

de vous mettre en garde contre cela.Je n'appartiens pas, messieurs, vous le

savez, à l'école du laisser-faire et dulaisser-passer. Je suis plutôt de l'école so­ciale qui s'honore d'avoir eu comme chefsM. Le Cour Grandmaison, M. de Mun, lecomte de la Tour du Pin. Par conséquent,ce sujet m'intéresse au plus haut point etsi vous apercevez chez moi quelques diver­gences d'opinion sur le cas précis du travailde nuit dans la boulangerie, c'est que j'aides raisons à vous donner, des raisonsqu'on ne vous a pas encore produites.

M. Herriot vous a annoncé, messieurs,qu'il n'envisageait que les arguments d'ordregénéral et qu'il laissait de côté les argu­ments de détail. Comme c'est un très habile

orateur, ce n'était là qu'un procédé insi­nuant pour tâcher de vous convaincre paravance que c'est moi qui allais au contrairevous apporter des arguments de détail. Or,je dois le dire, après l'avoir entendu, quec'est M. Herriot qui s'est noyé dans le dé­tail.

M. Justin Godart.

Commençons d'abord à saluer ,M. JustinGodart, l'auteur de cette réforme. M. JustinGodart est lyonnais. M. Herriot est aussilyonnais, aussi bien que M. Cazeneuve. Ilsemble vraiment que j'ai été mis au mondepour dialoguer avec les lyonnais !

Au reste, j'aime beaucoup Lyon et égale­ment les Lyonnais.

M. Gaudin de Villaine. Ils ne sont pastous d'accord.

M. Dominique Delahaye. Mais voiciquelle a été ma première rencontre, et ladernière jusqu'à présent, avec M. Justin Go­dart. Il y a quelque temps, se tenait auMusée social une conférence présidée parM. Millerand, qui avait pour objet- d'étudier

les conditions du travail dans le monde en­tier, et un beau rapport de M. Justin Go­dart devait être présenté à la Conférence dela paix. J'étais alors, avec quelques amis,de grands industriels du Nord ; je leur dis :« Il faut y aller, car on va dire bien deschoses extraordinaires ». M. Millerand n'enapas dit,mais M. JustinGodart n'a pas man­qué l'occasion, et voici qui va vous montrerle peu de précision des informations de cetavocat précieux. Il parlait de prix de re­vient. Qu'est-ce que le prix de revient?Il comprend la matière première, la façon,les frais généraux. le bénéfice, et il con­cluait que, le bénéfice, c 'était l 'ouvrier quile produisait. Je l'ai laissé aller jusqu'about de son rapport, comme j'ai laissé allerM. Herriot jusqu'au bout de son discours.

M. le rapporteur. Pour la même raison ?

M. Dominique Delahaye. Oh! non; jeraconterai comment vous m'avez amenédans la lice. Ce sera tout à fait à votreéloge : aucune similitude, quoique voussoyez du même lieu.

Donc, M. Millerand demande qui veutprendre la parole. Tout le monde de setaire. Je m'enhardis jusqu'à la demanderet je propose à M. Justin Godart d'arrê­ter son attention sur une erreur fonda­mentale : l 'oubli du sens des mots de lalangue. Prix de revient, cela veut dire toutce qu'il a énuméré, sauf le bénéfice, parceque le prix de revient est établi d'ordinaireen vue de réaliser un bénéfice. Quelquefoismême, on a des déceptions, et c'est la pertequi survient.

M. Justin Godart a regardé son papier. Jelui ai dit: « J'espère vous avoir convaincuet que cela disparaîtra de votre rapport.»Espérons qu'il en a été ainsi. J'ai donc,comme on dit en langage de lutte, fait tou­cher les épaules à M. Justin Godart.

Aurai-je pareille prétention pour M. Her­riot? Regardez ses épaules et voyez lesmiennes: c'est David, sans sa fronde, de­vant Goliath. Par conséquent, je n'ai pointd'intentions aussi dures pour M. Herriotqui, d'ailleurs, a toujours été pour moi leplus aimable et le plus charmant des col­lègues ; de sorte que tout ceci va se passeren douceurs et en aménités.

J'ai donc rencontré M. Herriot, il y a quel­que cinq ou six mois, en face du Sénat.J'avais à la main un petit papier de M. Virât,qui demandait simplement la liberté pourles patrons. Je le montrai à M. Herriot, etnous eûmes une brève conversation.

Je lui dis : « J'ai lu dans vos rapportsquelque chose qui me suggestionne. Lelevain est un garçon qui a l 'air de ne passe conduire la nuit comme le jour, dans lespays chauds surtout. Vous qui êtes un let­tré, recherchez donc comment cela se pas­sait chez les Grecs et les Romains. »

Puis, comme je suis d'une simplicitépoussée jusqu'à la naïveté_...

M. le rapporteur. D'une bonne pâte.(Sourires.)

M. Dominique Delahaye. ...je lui aitdit d 'avance toute mon argumentation, desorte que, s'il ne me l'a pas « gâchée »,en montant à la tribune, c 'est que, vérita­blement, il est d 'une délicatesse exquise.

Eh bien, j'y reviendrai pour ménager eneffet une certaine gradation, parce que montravail a consisté à éliminer 90 p. 100 de ceque j'avais noté la plume à la main. Malgrécela il me reste encore une quinzaine detitres et je vous demanderai la permission,comme mardi, de les conserver, afin derendre plus facile la lecture du discours.

A tout seigneur, tout honneur! Je com­mence par M. Justin Godart, qui, s'il n estpas très connu de moi, est très connu demon frère. Je crois bien que son amour del'hygiène dans la boulangerie a favorisé cet

264 SÉNAT — SÉANCE DU 13 MARS 1919]

avocat au point qu'on en a fait, pendant laguerre, un chef du service de santé. Celan'a pas plu à tout le monde et un médecinl'a remplacé. Mais je crois cependant que,là, il a rendu de signalés services, car monfrère s'est déclaré très satisfait de toutes sesrelations avec lui.

Donc, je commence par l'éloge de M. JustinGodart, éloge relatif, bien entendu, mais quivous montrera que je n'ai contre lui aucuneanimosité; j'ajoute même que mon frère,pour tâcher qu'il reste au sous-secrétariatd'État, a fait de telles démarches que cer­tains membres de la droite de la Chambreen ont été scandalisés.

Si donc, par hasard, j'étais moi-même au­jourd'hui en contradiction avec quelquesmembres de la droite dans la thèse que jevais soutenir ici, je les prierais de ne pas sescandaliser, parce qu'il serait véritablementtrop pittoresque que l'on se scandalisâtquand Jules Delahaye défend Justin Go­dart à la Chambre, et que l'on se scandali­sât encore lorsque Dominique Delahayel'attaque au Sénat. (Sourires.)

Eh ! bien, M. Justin Godart a eu des varia­tions ; il a eu de la partialité ; il a eu desfigures de rhétorique macabres. Il a beau­coup trop dramatisé le sujet. Voilà sontableau sur la couverture de son livre Les

mineurs blancs qui représente, quoi? Uneprison? Une chambre mortuaire? Un pétrin?Et savez-vous comment il définit le pétrin ?« Un cercueil sans couvercle ! » Au pied, ily a une couronne funéraire, avec ces mots :« Travail de nuit. » C'est à faire verser deslarmes aux lecteurs sensibles. Comment

appelle-t-il le fournil? « Un abattoir devies humaines. » Comme en témoigne uneinterview de Pierre Monatte, dans les Pageslibres, du 28 août 1909. Tout cela, mes­sieurs, s'appelle fabriquer l'opinion et bour­rer le crâne des gens.

Voyons maintenant les variations deM. Justin Godart.

Première proposition de loi n° 2336, du24 février 1909 : dérogations aux articles 2,3 et 4, que je vous lirai tout à l'heure.

Pages libres, un article de Pierre Mo-natte,du 23 août 1909 : M. Savoie menace ;les dérogations disparaissent. M. Savoie,c'est la C. G. T., l'aimable C. G. T.,comme dit M. Herriot. Un maire de Lyondoit compter avec elle !

Je n'ai pas pareils scrupules ; d'ail­leurs, j'ai tout de même des relations avecla C. G. T. Je vous dirai, à la fin de mondiscours, une lettre fort aimable du cama­rade Savoie faisant l'éloge de mes disposi­tions vis-à-vis des ouvriers, par conséquent,pas d'amertume, même avec le camaradeSavoie.

Dans le rapport Justin Godart n" 3159, du1 er mars, ces dérogations sont absentes,sans aucune explication.

Voilà ce qu'on découvre quand on va con­sulter les procès-verbaux manuscrits de lacommission du travail de la Chambre des

députés, dont M. Colliard était président.Je vous ferai remarquer, entre parenthèses,que ces procès-verbaux ne sont pas signés.Il y a des choses intéressantes aux procès-verbaux du 26 janvier 1916. On y trouve laseule et unique explication qui a convaincutout le monde, en quatre lignes, y comprisM. de Mun. « Tous les patrons et ouvriersconsultés par lui (Justin Godart) se sontprononcés à l'unanimité pour la suppressionde toute espèce de dérogation. » Combien yen a-t-il qu'il n'a pas consultés? Nousl'ignorons. C'est pourtant ainsi qu'on fait leslois I

Pour connaître l'origine de l'abandon desdérogations, il nous faut lire dans Pageslibres, p. 241, l'interview du camarade Sa­voie, par Pierre Monatte:

« En somme, vous faites vôtre le projet deM. Justin Godart. — Oui, mais nous vous

avons demandé, au début, de renoncer aux 'dérogations que comporte ce projet. Il s'estrendu à nos raisons ; s'illes avait maintenues,il aurait laissé la porte ouverte à toutes lesviolations et, par là, il aurait détruit la loi.— N'êtes-vous pas un peu optimiste àl'égard du Parlement ? — N'ayez crainte; noussavons que nous n'aurons rien si nous nedressons devant lui la volonté de toute lacorporation, décidée à recourir au besoin àla grève générale et, en outre, la sympathied'une grande partie de l'opinion publique.»

Il se vante, M. Savoie ! l'opinion publiquen'a pas tant de sympathie que cela pour laC. G. T. Mais voilà tout ce qui a fait trem­bler le timide Justin Godart : la C. G. T.

menace. D'ailleurs, elle menace même de­vant vous. Je dirai, le moment venu, ceque la C. G. T. a déclaré à la commission duSénat.

M. Paul Strauss, président de la commis­sion. Il n'y a eu aucune menace devant lacommission.

M. Dominique Delahaye. J'ai le texte,mon cher collègue.

M. le président de la commission. Monsouvenir est très précis.

M. Dominique Delahaye. Mais j'ai le'texte. Lorsque je l'exhiberai, si vous voulezle contester, vous le contesterez. Le sagen'avance rien qu'il ne prouve ; et quoiqueje ne sois pas un sage, je tâche de l'imiter.

Voici donc les dérogations supprimées,proposition n° 2336, 24 février 1919, page 8,article 2 :

« Les conseils municipaux, après avoirentendu les syndicats ouvriers et patro­naux ou, à défaut de syndicat, après avoirfait une enquête auprès des intéressés etaprès avis conforme de l'inspecteur du tra­vail, peuvent autoriser, par des délibéra­tions qui doivent être renouvelées tous lesquinze jours, le travail de nuit durant lesfortes chaleurs.

« Art 3. — Lorsque la qualité spéciale dupain l'exige, les conseils municipaux peu­vent autoriser la préparation du levain àpartir de quatre heures du matin. L'ouvrierchargé de ce travail ne peut y être astreintqu'une semaine sur deux, alternativement.

«Art. 4. — En cas d'affluence extraordi­

naire, telle que celle qui a lieu à l'occasiondes foires, fêtes votives, etc., les conseilsmunicipaux peuvent autoriser, après avisconforme de l'inspecteur du travail, le tra­vail pendant la nuit qui précède chaquejour de fête. »

M. Herriot n'a repris que l'article 4 en leperfectionnant : les deux articrs 2 et 3tombent. Or, M. Justin Godart s'était inspiréde la loi italienne : il avait cru que c'étaitnécessaire ; mais M. Savoie disant : « non »,M. Justin Godart s'est incliné.

M. Justin Godart a montré un peu de par­tialité en différentes circonstances au détri­

ment de M. Sauvage, notamment, en luifaisant dire le contraire de ce qu'il avaitdit. Puis en n'imprimant pas en italique unephrase essentielle : « D'accord avec leursouvriers » pour la reprise du travail autemps de la Commune.

Également, au conseil supérieur du tra­vail, on a cité, sans d'ailleurs les insérer,les rapports très importants de M. Mienceet de M. Sauvage. Si M. Touron jugeait àpropos de venir nous dire ce qui s'est passéau conseil supérieur du travail dont il estun des membres les plus distingués, celaconviendrait évidemment mieux. J'ai eu

tous les rapports entre les mains, mais, crai­gnant d'importuner le Sénat, je me suis rési­gné à laisser de côté les nombreuses notesque j'avais recueillies. Je serais, je le répète,très heureux que M. Touron ayant vécucette discussion, vienne nous dire que lespatrons'se trouvent tcujfuis en minorité et

que la partialité la plus évidente s'exerce àleur encontre.

Car, monsieur Herriot si vous êtes moinspartial que M. Justin Godart, vous l'êtestout de même un peu. Mais nous laisseronslà M. Justin Godart. .le pourrais cependantmentionner un grand nombre de lettres quoj'ai reçues de Lyon.

Af. Herriot.

En ce qui concerne M. Herriot, je suisobligé de lire au Sénat un rapport très inté­ressant dc M. Sauvage, du 4 janvier 1919.M. Herriot a de i'eslime pour M. Sauvage,car il a dit que ses rapports étaient inté­ressants. J'ai, moi aussi, beaucoup d'es­time pour lui, parce que j'ai constatéqu'il écrivait comme un élève de l'écolenormale supérieure. M. Herriot est critiquépour certaines afirmations.

Dans la déposition du 20 décembre 1917,devant la commission du Sénat, M. Col­liard expose qu'en fait, la suppressiondu travail de nuit s'est généralisée ; ilcite : Seine-et-Marne, Dijon, Nancy, NantesBordeaux, Toulouse, Marseille — à Lyonpas de suppression — Tours, Calais, Dun­kerque. Maintenant, voici ce que dit dansson rapport M. Sauvage. Ce document, n'estpas au nombre de ceux de la commissiondu-Sénat, parce qu'il est postérieur aux au­ditions :

« Pour ne pas reprendre dans le détailune discussion où s'échangent sans cesseles mêmes observations, ce qui apparaît deplus concluant pour M. Herriot, c'est que laréforme a pu être réalisée dans plusieursvilles qu'il désigne : Dunkerque, Calais,Boulogne, Poitiers et f hàtellerault.

« Nous avons cru devoir interroger lesprésidents des syndical patronaux de cesdifférentes villes ; leurs réponses sont lessuivantes :

« Dunkerque, 10 décembre 1918. — Letravail de nuit n'a jamais existé, donc il n'apas été supprimé. Les boulangers commen­cent généralement à quatre heures du ma­tin eu semaine. Les dimanches et jours defêtes entre deux et trois heures du matin.

« Calais, 11 décembre 1918.— Nous n'avonsjamais été inquiétés à ce sujet, nous tra­vaillons tous comme bon nous semble ; lamajeure partie des boulangers commencentle travail entre deux heures et trois heuresdu matin.

« Boulogne, 6 décembre 1918. — Jamaison ne nous a notifié l'interdiction du travailde nuit. Sur cinquante-trois boulangersrestés ouverts, une quinzaine travaillent lanuit; les autres commencent vers troisheures ou quatre heures du matin. Il en atoujours été ainsi.

« Poitiers, 18 décembre 1918. — On tra­vaille toujours la nuit, comme de touttemps, en commençant environ à minuitou une heure du matin.

« 11 n'y a que la clientèle qui est toujoursprête à récriminer dès que le pain est insuf­fisamment frais. Le système du pain rassisest enterré. On demande couramment du

pain tout chaud.« Châtellerault, 18 décembre 1918.— Nous

commençons le travail selon les maisons,c'est-à-dire les uns à six heures du soir, lesautres à dix heures et le reste entre minuitet une heure du matin, sauf la coopérativeet un autre boulanger. Aucune objection dela part des ouvriers. Nous avons travailléde jour seulement pendant la période où lepain rassis était obligatoire, et encore pastous. »

Au reste, je reviendrai plus tard à ce rap­port, quand il s'agira de l'âge et du mariagedes boulangers.

IL Maurice Bouteloup.

Je veus maintenant dire quelques mots

SÉNAT — SEANCE DU 13 MARS 1919 2GB

d'un docteur en droit : M. Maurice Boute-loup, dont j'avais lu la thèse de doctoratsur la suppression du travail de nuit.

J'ai connu M. Maurice Bouteloup parcequ'il a été chargé de la rédaction du pro­cès-verbal de la séance du musée socialà laquelle j'ai fait allusion ; il m'a envoyéla sténographie de ce que j'avais dit con­tre M. Justin Godart. Je lui ai écrit: « Jevais lire votre thèse et j'irai vous voir, quoi­que je ne partage pas tout à fait vos idées. »J'ai de lui une lettre que je garde pourma péroraison. Cela, c'est intéressant.

ll faut vous dire que M. Bouteloup a lasympUhie de tout le monde, des deux côtésde la barricade. J'ai entendu son éloge parM. Sauvage. Il est d'une franchise entière, ilest très consciencieux. Ses études sont trèspoussées; mais quand on est docteur endroit, c'est qu'on est encore dans la jeunesse,et les hommes jeunes, n'ont pas l'expé­rience de la vie ; il n'est pas allô tout à faitau bout du sujet, bien qu'il ait joint la pra­tique à la théorie, car il était administra­teur d'une société qui s'est fondée en octo­bre 1910 sous le nom de « Boulangerie dusillon »,puis, sous celui de « Pain du jour »,3, rue Las-Cases. Là, on commence trèsmatin, et l'on avait trouvé la solution duproblème ; mais, comme le dit M. Her­riot, en commençant bien avant l'heure quefixe la loi. Par conséquent, cela ne va pastout à fait ad rem.

J'ai signalé à M. Bouteloup ce passage desa thèse, à la page 1 : « Origine du travailde nuit des boulangers. »

« Il est un peu humiliant d'avouer au dô-lut de cette étude qu'on ne peut fixer aveccertitude l'origine du travail de nuit desboulangers. »

Je lui ai dit : « Ah ! que n'avez-vous ou­vert le Dictionnaire des antiquités grecqueset romaines de Darembert et Saglio, leDictionnaire des sciences philosophiques deAd. Franck ou simplement la Grande ency­clopédie ? Vous auriez lu là la réponse àvotre question. »

Je me doutais bien que, dans 'un payschaud, on devait travailler la nuit dansla boulangerie.

Or, messieurs, les Grecs et les Romainsfaisaient usage habituellement de levain.« Ils estimaient que le pain fabriqué aveclapâte fermentée est plus facile à digérer. » Jecrois même qu'on peut remonter plus hautque les Grecs et les Romains, car dans l'his­toire du peuple d'Israël, on parle du painsans levain. On devait donc aussi en fabri­

quer avec du levain.Aiguillé sur cette voie, voici une petite

découverte qui va vous montrer que lemaître de l'heure dans cette question,depuis plus de deux mille ans, c'est le le­vain. Toutes vos thèses sociales, hygiéni­ques et politiques, le laissent indifférent :le levain est un tyran qui se comportemieux la nuit que le jour, et quand M. Her­riot vous dit qu'il ne parlera pas du degréqui lui convient, il a tort, car c'est le fonde­ment de la question. Au-dessus de 25 de­grés au maximum, il se fâche. C'est sivrai qu'en Italie pour remplacer le tra­vail de nuit on a fait des chambres réfri­gérantes, dans lesquelles, d'ailleurs, les ou­vriers peuvent s'enrhumer à loisir. Enfin,voilà la situation. Cette tyrannie du levain dur jusqu'à l'année 1878, où fut employéela levure, maîtresse plus impérieuse encoreque le levain, maîtresse aigrelette, plustyrannique encore. Car la levure, si elleactive le levain, qu'en advient-il ? C'est quele pain s'aigrit, tombe en miettes en quel­ques heures. Si le meilleur pain de Francec'est le pain de Paris, il n'est bon que quel­ques heures, et voici pourquoi le pain rassisfe province est toujours meilleur que leDain rassis de Paris. La situation est donc

dominée par un phénomène physique. Acela vous ne pouvez rien.

Alors qu'ai-je trouvé dans le Dictionnairedes antiquités grecques et romaines, quel­que chose de bien curieux :

Au temps de Platon, au quatrième siècleavant Jésus-Christ, deux ouvriers boulan­gers, Ménédème et Asclépiade, travaillaientla nuit pour pouvoir se nourrir et, le jour,étudiaient la philosophie. Ceci a beaucoupd'importance, parce que cela répond à desarguments qui ont le plus indigné M. lecomte de Mun. On ne peut pas s'instruire.Cela répond aussi à un argument que meten avant aussi la C. G. T. Le voici :

« Dans le rapport Justin Godart, 1 er mars1910, page 10, les ouvriers boulangers sesont plaints de n'avoir aucun temps à con­sacrer à leur éducation, à la lecture. »

Nous allons voir comment cela se passaitau temps des Grecs, comment cela se passeen France, actuellement.

Asclépiade et Ménédème. -- Le poète Reboul.— M. le sénateur Galup. — M. le députéAlbert Thomas. — M. Sauvage, membre dela chambre de commerce de Paris. —

M. Bruzeau, avocat.

« La condition des boulangers : on saipeu de chose de la condition des boulangers en Grèce. »

Esclaves dans les maisons particulières.Mais il y avait aussi des boulangers, libresde naissances ou affranchis, importants,nombreux artisans.

« C'est au service d'un pareil chef d'en­treprise qu'étaient employés Ménédème etAsklépiade, qui faisaient du pain la nuitafin de gagner de quoi vivre et se livrerpendant le jour à l'étude delà philosophie. »(Quatrième siècle avant Jésus-Christ.)

M. Victor Brochard, dans la Grande ency­clopédie, tome 23, page 615, dit :

« Ménédème, d'Eretrie, philosophe grecqui, avec son ami Asklépiade, transporta àEretrie l'école fondée à Elès par Phédon,disciple de Socrate. Ménédème, d'abord ar­tisan, fut envoyé comme soldat à Mégare ;c'est là qu'il fit connaissance avec les plato­niciens; il travaillait la nuit avec Asklé-piade pour gagner sa vie. Plus tard, revenudans sa patrie^ il joua un rôle politique im­portant, grâce à la faveur dont il jouissaitauprès des princes macédoniens. On van­tait la noblesse et la fermeté de son carac­tère, sa modération, ses sentiments libé­raux et les services qu'il rendit à sa patrie.Il mourut en 278 avant Jésus-Christ, aprèsla bataille de Lysimachie, à la suite d'unchagrin dont les causes sont mal connues. »

Enfin, je trouve dans le dictionnaire dessciences philosophiques, publié sous la di­rection de M. A. Franck :

« Il enseignait ses doctrines dans sa villenatale où il jouait comme homme po­litique, un rôle important. Élevé au rangde premier sénateur, il fut chargé auprèsde Plolémée, de Lysimaque, de DémétriusPoliorcète, de plusieurs négociations dont ilsortit à son honneur et qui lui acquirent l'es­time de ces princes. Le fils de Démétrius,Antigone Gonatas, lui témoignait une es­time particulière et se faisait gloire d'êtreson disciple. Devenu pour cela même sus­pect à ses concitoyens, et ayant à répondreà une accusation de trahison, il se réfugiaauprès d'Antigone et mourut de tristesse,d'autres disent qu'il se laissa mourir defaim, à l'âge de soixante-quatorze ans. »

M. Bodinier. Vous me donnez l'illusion

que nous sommes au Collège de France 1

M. Dominique Delahaye. Vous, moncher ami Bodinier, vous me faites l'hon­neur de m'interrompre. . .

M. Bodinier. C'est pour vous admirer !

M. Dominique Delahaye. Si vous m'ad­mirez, cela me change, car ici, d'ordinaire,on ne m'admire pas.

M. le rapporteur. La commission pro­teste.

M. Dominique Delahaye. Lorsque jevous ai raconté cette histoire, nous noustrouvions à Angers ensemble etvous m'avezdit qu'il y avait un poète, Reboul, qui futboulanger à Nîmes, et alors, vous m'avezfait lire tout Reboul, qui est un auteurexquis.

Je me souvenais, en effet, de « l'ange etl 'enfant ».

M. de Lamarzelle. Un boulanger qui fai­sait des vers et un poète qui faisait dupain !

M. Dominique Delahaye. Ce n'est pas lepremier venu. D'abord, il a toute monestime parce que c'était un royaliste, et,ensuite, la ville de Lyon ne doit pas l'avoiroublié, car, le jour où on voulut offrir uneôpée d'honneur au général Oudinot, c'est àReboul qu'on s'est adressé pour avoir desstrophes. Il a fait alors deux vers qui sontencore de circonstance :

La France d oit renaître à la première place;Qui granJit dans ses maux n'est pas l'ait pour

[mourir.

Voyez-vous s'il est actuel, ce boulangerpoète? Et il avait un grand mérite, car iln'avait reçu que l 'enseignement de l'écoleprimaire. Son père était mort laissant quatreenfants, et à treize ans il dut commencer àtravailler. 11 a été quelque temps chez unavoué et, comme il avait des dispositionspour la poésie, on perfectionna un peu soninstruction. il est entré ensuite dans la bou­

langerie et n 'a jamais voulu en sortir. Il aété visité par Alexandre Dumas, par Lamar­tine, par Chateaubriand, Lamartine luiécrivait sous le titre Le génie dans Vobt-curité :

Le souffle inspirateur qui fait de l'âme humaineUn instrument mélodieux

Dédaigna des palais la pompe souveraine...

Et Reboul de répondre :Mon nom, qu'a prononcé ton généreux délire,Dans la tombe avec moi ne peut être emporté,Car toute chose obscure, en passant par ta lyre,

Se revêt d'immortalité.

Vous voyez, messieurs que ce n'est pasun homme" banal. Je ne peux même pas nepas citer l'Ange et l'Enfant. La pièce est de1823 : « Élégie à une mère ».

L'Ange et l'Enfant.

Un ange au radieux visage,Penché sur le bord d'un berceau

Semblait contempler son image,Comme dans l'onde d'un ruisseau.

Charmant enfant qui me ressemble,Disait-il, oh ! viens avec moi !Viens, nous serons heureux ensembleLa terre est indigne de toi.

Ses compatriotes l'ont envoyé à la Consti­tuante; lui aussi a été dans le Parlement.Puis aux offres qui lui étaient faites parM. de Fresnes, en 1836 — car il était trèsgoûté de la société aristocratique de Paris— il répondait: « Non », et vous allez voirsi la boulangerie est un métier qui abrutitl'homme, comme on veut bien nous ladire.

M. de Fresnes lui avait conseillé de quit­ter sa boulangerie et de prendre quelqueoccupation qui fit moins de tort au poète.Il lui répond, le 22 juillet 1836 :

« Rassus-oz-vous, je ne regrette nulle­ment la condition où la providence m'aplacé ; elle a ses amertumes, sans doute, etla surveillance que je suis obligé d'observerest presque au-dessus de mes forces etdévore tout mon temps, mais il y a des

266 SÉNAT — SÉANCE DU 13 MARS 1919

compensations : le poète y gagne en tran­quillité desprit ce qu'il perd en loisir; monétablissement prospère et me donne un peuplus que le pain quotidien; mais, je le répète,ce n'est pas sans beaucoup de labeur et sansprendre sur le repos des heures pour lamuse qui, comme vous le savez, est impé­rieuse et crie: « Debout! debout! », malgrétoute fatigue. »

Vous voyez que sa prose vaut ses vers.C'était un homme que tout le monde esti­mait à Nîmes. Aussi M. Girard, maire deNîmes, lui offrit-il, en 1844, de lui confier labibliothèque. Pour ne pas abuser des cita­tions, je ne lirai pas la réponse de Reboul etles raisons très nobles qu'il y exposa, maisil déalina cette proposition. Il est mort le29 mai 1861, à Nîmes, à soixante-huit ans;la ville de Nîmes s'est chargée de sesobsèques. Le père de Reboul était un patronserrurier.

Voilà donc comment les choses se passentdans le présent. A côté, que voyons-nous,dans le Parlement même ? Car ce chapitre-là concerne non seulement les Ménédème,les Asklépiade et les Reboul, mais un denos collègues, qui m'a confié que, le pre­mier de sa race, il était sorti de la boulan­gerie pour entrer dans la médecine avantd'être notre sénateur. Je veux parler deM. Galup. C'est avec son autorisation quej'apporte ce détail à la tribune, car il s'ho­nore avec raison de descendre d'une famillede boulangers de Tonneins qui, pendanttrois cents ans, a occupé la même boutique.

Enfin, messieurs, à la Chambre des dépu­tés, il y a M. Albert Thomas, qui est le filsd'un boulanger. J'en ai parié à M. AlbertThomas lui-même qui, m'avait-on dit, avaitenseigné la philosophie, et je voulais ainsile rapprocher de Ménédème et d'Askiépiade.

« Non, m'a-t-il dit, je n'ai pas enseigné laphilosophie, j'ai été seulement lauréat dephilosophie au concours général et je mesuis borné à enseigner l'histoire. »

M. Albert Thomas, s'il est très remerciépar ses amis pour nous avoir donné canonset munitions, est, en revanche, très attaquépar ses adversaires qui lui donnent untitre que vous connaissez, le duc deRoanne.

En tout cas, quoi qu'il advienne de sonsort, je crois qu'il est à l'abri du malheurqui advint à Ménédème : il n'est pas ensituation de mourir de faim ; c'est la grâceque je lui souhaite.

Mon énumération va finir tout à l'heure,mais il est deux hommes dont je suisobligé de vous parler, car nous sommes enrapports directs avec eux à la commission :M. Sauvage, fils de boulanger, boulangerlui-même et père de boulanger, qui a tra­vaillé de nuit pendant dix ans avec un pèrequi ne badinait pas ; il a eu cinq enfants ;il a écrit, comme je viens de vous le dire ;il est membre de la chambre de commercede Paris.

Enfin, il y a l'avocat de la corporation,M. Bruzeau, qui débutait dans cette réunionde la salle d'Horticulture par ces mots :« L'avocat qui a le grand honneur de parlerdevant vous et d'être l'interprète des bou­langers est le fils d'un boulanger qui tra­vaillait de nuit, ce qui ne l'a pas empêchéde produire des enfants d'une belle venue. »Il est aussi beau que vous, monsieur Her­riot, et aussi fort que vous. Voilà commentle travail de nuit dans la boulangerie atro­phie les gens et les empêche de s'instruire !

C'est la partie anecdotique et historiquede mon discours, mais il était important demontrer que c'est encore balivernes etbourrage de crâne que de dire qu'on nepeut pas ressembler à d'autres hommesquand on est ouvrier ou patron boulanger.

On a ainsi travaillé sans aucune récri­

mination depuis Platon jusqu'à la Commune.Je serai obligé de faire disparaître toutes

les légendes contraires, mais il faut nousarrêter quelque peu au treizième, au qua­torzième et au seizième siècles.

Treizième, quatorzième et seizième siècles.

Sous Saint-Louis, comment cela se pas­sait-il? Voilà des textes qui n'ont pas encoreété produits :

Au treizième siècle, le Livre des métiers,d'Etienne Boileau, énumère à l'article 23 duchapitre des boulangers, nommés alorstalemeliers, la nomenclature des quatre-vingts fêtes et dimanches pendant lesquellesdéfense était faite de cuire le pain — ilspouvaient le vendre.

M. de l'Espinasse, remarque : Commentpouvaient-ils supprimer ainsi la cuissondu pain pendant quatre-vingts jours del'année ? C'est probablement qu'ils tra­vaillaient la nuit : en tout cas, je n'ai pasde texte pour l'affirmer, mais j'ai un textetrès voisin, celui qui concerne les meuniersdu Grand-Pont.

Les meuniers du Grand- Pont pouvaienttravailler la nuit. Les dimanches et fêtes,ils devaient s'arrêter pendant la journée,depuis la messe jusqu'à la fin des vêpres,c'est-à-dire pendant le temps des offices.

Voilà comment nos pères du moyen âgetenaient compte des conditions effectivesdu travail, car ce n'était pas auprès desagitateurs qu'ils se renseignaient. EtienneBoileau consultait patrons et ouvriers, sesobservations reproduisaient la coutume etc'est pour cela que ces traditions ont vécupendant plus de cinq siècles ; elles ont finipar se gâter comme toutes les choses hu­maines : tâchez de faire des lois qui viventaussi longtemps que le Livre des métiersd'Etienne Boileau !

Nous arrivons à l'an 1322. Il y a eu ici untexte qui est en vieux français, il est bonqu'il soit aux débats. C'est une lettre deGilles Haquin, prévôt de Paris, contenantun extrait des ordonnances de Philippe-le-Bel, sur le travail de nuit et l'apprentissagedans les métiers de Paris.

«... Nous ordenons et volons, pour lecommun prouffit, que ils puissent ouvreret de jour et de nuit, quand ils verront quebon sera. »

On faisait plus confiance, en ce temps-là,aux patrons et ouvriers qu'aujourd'hui,

Il y a un autre texte dont nous devons ladécouverte à M. Sauvage. C'est celui quiconcerne les documents du Châtelet.

M. Herriot les a insérés dans son rapport,mais je suppose que c'est une faute typo­graphique qui lui a fait supprimer les guil­lemets dans le texte. On dirait que c'est delui, tandis que M. Justin Godart les avaitdéjà cités, comme étant de M. Sauvage : cesont les documents du Châtelet.

M. le rapporteur. C'est du treizièmesiècle, je n'ai pas la prétention qu'ils soientde moi.

M. Dominique Delahaye. Je ne dis pasque vous prétendiez que ce soit de vous,mais vous ne désignez pas M. Sauvagel'auteur de la découverte.

Ce n'est pas du treizième siècle, ce sontles registres du Châtelet. Il y a un arrêt duParlement du 16 juillet 1511. Ce n'est pasvous qui avez fait la découverte : c'estM. Sauvage. Il faut rendre à chacun sonbien. M. Justin Godart le lui avait rendu.

Vous aussi, il faut le lui restituer.Je ne dis pas que c'est vous qui avez

rédigé cela, mais cela figure dans le récit devotre affaire comme si vous l'aviez décou­vert.

M. le rapporteur. Permettez-moi une ob­servation. J ai remarqué dans le rapport deM. Sauvage un détail. Il me reproche den'avoir pas signalé que c'est lui qui a dé­couvert le texte des registres du Châtelet.

M .Dominique Delahaye. Cependant vou»avez lu le rapport de M. Justin Godart.

M. le rapporteur. J'ai invoqué le textesans discuter les détails ; niais je rends vo­lontiers hommage à la science de M. Sau­vage.

° i

M. Dominique Delahaye. En tout cas,i (est des plus intéressants." Un arrêt du Par- ,lement du 15 juillet 151 1 prescrit de cuire, ;à heure compétente, de sorte que leur pain 'soit cuit à heure raisonnable. ;

Une ordonnance du 23 novembre 1516, ,renouvelant les termes de cet arrêt, précise ,qu'il faut entendre, par heure compétente, •au moins six ou sept heures du matin. Re- ;tenez bien cela, messieurs. Croyez-vous quec'était la résultante, en 1511, d'une querelleentre consommateurs et boulangers, pouravoir du pain frais le matin ? Non. Je retiensvotre attention là-dessus, parce que c'étaitune idée essentielle, directrice : c'était parmesure d'ordre public, afin que les ouvriersse rendant à leur travail ne fissent pasqueue à la porte des boulangeries. Or, vous .avez vu cela dans Paris. Tant qu'il y a eudu travail de jour, pendant pas mal detemps, la queue a été de mode à Paris de­vant les boulangeries comme devant d'au­tres boutiques. Elle ne se produisait qu'àla porte des boulangeries travaillant lejour, quand il n'y avait pas d'ouvriers tra­vaillant la nuit, parce que, les fournées nese succédant pas sans interruption, on fer­mait la porte de la boutique. Voilà, mes- .sieurs, les explications tenant à la réalité,qui éclairent singulièrement le sujet. Ce nesont pas là des questions de détails, ce sontles grandes lignes du sujet. M. Herriot neles a pas données.

La Commune.

Nous arrivons à la Commune. On trouvedans l'introduction de Maurice Bouteloup,page 5 :

« Il y a eu en France un précédentcurieux et peu connu.

« Un groupe d'ouvriers boulangers de Paris,'trouvant que la grande mutualité officielled'alors ne' défendait pas leurs intérêts avecune énergie suffisante, avait fondé en 1869un syndicat qui devait non seulement lut­ter contre les placeurs. niais encore s'effor­cer de conquérir le travail de jour. Laguerre de 1870 éclata, la Commune con­quit le pouvoir à Paris. Celie-ci voulutaccorder aux boulangers la satisfactionqu'ils réclamaient. »

« Elle signa le décret du 20 avril 1871.« Ce décret était dû surtout, paraît-il, à

l'initiative de Tridon. d'après Dubreuilh(histoire socialiste t. II, p. ;22). » C'est l'his­toire socialiste de Jaurès, mais c'est Du-breuilh qui a écrit ce passage.

Or, qu'est-ce que Tridon ? Si vous voulezle savoir, vous n'ave qu'à consulter lespièces justificatives que j'ai lues moi-mêmedans Maxime du Camp, La commune à VHô­tel de ville, Hachette, 1880, page 510, et laGrande Encyclopédie, tome 31 e . Je vais résu­mer, pour ne pas tout lire :

Tridon, né à Châtillon-sur-Seine, était unlittérateur, un avocat, naturellement, unmillionnaire, ce qui est moins naturel pourun avocat, et puis un homme politique, etpuis un contumax, et enfin un névrosé. H aéchappé aux Versaillais pour allermourir le29 août 1871 à Bruxelles de la névrose. Ainsi,le parrain de toute cette entreprise, mes­sieurs, laissez moi employer un langageque tout le monde comprend à Paris, c estun loufoque de la Commune. Voilà votrepatron.

M. le rapporteur. C'est une erreur.M. Dominique Delahaye. C'est de l'his­

toire.

SENAT — SÉANCE DU 13 MARS i319 257

M. le rapporteur. Vous faites de l'histoire.Voulez-vous me permettre de vous dire que,précisément à cette date de 1869 que vousavez citée, le syndicat des ouvriers boulan­gers de la Seine s'est constitué pour appli­quer le travail de jour.

M. Dominique Delahaye. Mais non. Cher­chez dans vos textes. Je vous dis qued'après Dubreuilh, l'auteur de la Commune,c'est Tridon qui est le principal instigateur.Voilà déjà un parrain qui ne vous convientpas. Ne reniez donc pas la Commune, vousqui êtes si bien avec la C. G. T. Je vais vousciter un passage de l'Histoire populaire etparlementaire de la Commune de Paris, pe­tite bibliothèque socialiste à 1 fr., Bruxelles,1878.

L'éditeur, Henri Kistemaekers de Bruxel­les, appelle la Commune « le sublime en­fantement de 1871 ». L'auteur Arthur Ar­nould, membre de la Commune de Paris,déclare, dans son avant-propos, qu'il acherché surtout à faire connaître l'idée

sociale qui se dégage de ce grand mouve­ment populaire. . . »

Je crois que voilà un patron que vous nerenierez pas ; ce n'est pas un ennemi de laCommune. Voyons ce qu'il dit d'abord de lamanière dont on votait sous la Commune :

Vous trouverez ceci à la page 116 de lamême histoire, par Arthur Arnould :

« Cinquante membres environ délibé­raient — sur ses soixante-dix-huit — quel­ques voix décidaient de la majorité.

« On comprend que, sur un petit nombrede votants, il suffit de quelques voix pourdécider de la majorité. Comme ensemble,plus d'hommes intelligents que dans laplupart des assemblées politiques ordi­naires.

« Mais elle comptait aussi quelquesmembres fort ignorants, parfaitement inca­pables, et même d un passé très discutableà tous les points de vue. »

Vous voyez qu'il est très modéré ; d'ail­leurs c'était un membre modéré de la com­mune.

Voici où fut étudié ce décret :« Commission d'initiative des ressources

sociales ...pour faire appel à tous lesreprésentants du travail, délégués de l'in­ternationale, des sociétés ouvrières, desgroupes industriels et scientifiques, leurdemander des rapports et des projets, lesdiscuter avec eux, préparer les décrets surla matière qui seraient soumise au vote dela Commune. »

C'était, en somme, une sorte de conseild'État, moins les émoluments, ayant pourmission de donner une forme aux vœux des

travailleurs auxquels la commune eût en-sui te donné force de loi.....

Cette commission d'initiative était «l'ins­trument du peuple.

« Le seul écueil possible, en pareil cas,était que les classes travailleuses, habituéesau gouvernementalisme, ne demandassentà la Commune de réglementer, de trancherautoritairement certaines questions relativesau travail qui ne peuvent et ne doiventêtre réglées que par l'initiative libre desgroupes travailleurs, en pareil cas, que pourfaire respecter les engagements réciproquesdes contractants.

« En effet, c'est aux travailleurs eux-mêmes, une fois mis en possession de laplénitude de leurs droits et de leur indé­pendance, à régler directement la questiondu travail. Autrement nous retomberionsdans l'arbitraire.

« Du moment où l'État aurait le droit derésoudre ces problèmes à sa guise, quinous garantirait qu'après les avoir tranchésaujourd'hui en faveur des travailleurs,passant de mains en d'autres mains, il neles trancherait pas en faveur du privilège ?

* D'ailleurs, le pouvoir, de quelque nom

qu'on rappelle, monarchie, république oucommune, n'est point compétent en cesmatières. C'est aux intéressés seuls à lestrancher souverainement.

« La Commune, à cet égard, ne commitqu'une seule faute, qui fut, d'ailleurs, unesurprise, et qu'elle ne recommença point,en décrétant la suppression du travail denuit dans les boulangeries. »

Voilà ce que vous dit un membre de laCommune. Remarquez, messieurs, qu'il parlelà comme Etienne Boileau. C'est au moins

singulier, alors que vous vous croyez lepouvoir de tout trancher !

Quand j 'aborderai la question de prin­cipe, ce que j 'appelle une question de fron­tière, je vous donnerai les raisons pour les­quelles, en ce qui me concerne, je me rallieà la manière de voir d'Arnould, de la Com­mune.

M. le comte Albert de Mun.

Nous allons passer sans transition de laCommune à M. le comte de Mun. Vous vous

êtes surtout autorisé de son grand nom,mais vous n'avez rien donné, dans votrerapport, sur les raisons qui ont entraînél 'adhésion du comte de Mun. J'ai cherché

pour lui, comme pour les autres, à m'édifierla plume à la main.

Voici dans quels termes le comte de Mundébute, le 29 juin 1009, dans l'Écho de Paris :

« M. Maurice Bouteloup vient de publier,sur le travail de nuit dans la boulangerie,un ouvrage fortement documenté, auquelj 'ai emprunté, pour une bonne part, les élé­ments de cet entretien...

« Notez que ces jeunes gins, quand ils sontarrivés à Paris et entrés dans la boulange­rie, étaient, pour la plupart, de sains et ro­bustes campagnards : à trente ans, épuisés,ils changeront de métier. »

Cela c'est une erreur complote et d'ail­leurs, s'il avaitretenuFauteur qu'il invoque,M. Maurice Bouteloup, il aurait appris, à lapage 59, que les boulangers de Paris nefont pas d'apprentis. Ce sont des hommesfaits qui viennent à Paris pour boulanger.

« De leur instruction, de leur éducationmorale, inutile de parler. Comment au­raient-ils, dans ces conditions, le temps etle moyen d'y penser? Voilà l'histoire deceux qui font votre petit pain du matin. »

J'ai réfuté cela d'avance en vous citant

Asklépiade, Ménôdème, Reboue et tuttiquanti.

« Sur ce point capital, celui de savoir sitout le monde tient à avoir le pain frais dumatin, je n'ai pas pu me fixer. . . »

Il en est de même pour une autre ques­tion non moins importante, celle dunombredes ouvriers mariés. M. Sauvage donnerales renseignements nécessaires. 11 en est demême pour ce qui concerne les porteuses.

C'est l'aveu, dans toute sa franchise, quevraiment il n'avait pas poussé très loinl'étude de la question. Voici où je veux envenir :

« Il faut absolument entendre les ouvriers

non seulement pour ces questions de sta­tistique, mais pour le fond même du dé­bat. » — Voilà où je suis complètement deson avis. — « La véritable représentationouvrière n'existe pas. On n 'entend que lespatrons et une minorité d'agitateurs. »

Ces tainsi que vous avez fait à la commis­sion du Sénat, car MM. Savoie et Jouhauxsont deux agitateurs ; voilà tous ceux quevous avez entendus comme ouvriers ; auconseil supérieur du travail on a été pluslarge, mais c'étaient toujours les mêmesqui donnaient le la.

« Je reconnais, d'ailleurs, très loyalementque l 'installation des fournils est très per­fectionnée. . . et que, sur 2,500 maisons pari­siennes, il n'y en a guère plus de 200...dont on m'a fait horrible description. »

« En province je doute que la situation

soit la même. Il n'en reste pas moins quele travail de nuit est une plaie sociale. C 'estpourquoi malgré tout ce qu'on a pu medire, je ne change pas d'avis. »

Le directeur de la grande boulangeriepopulaire de Roubaix qui fournit 15,000 mé­nages, m'écrit : « ...ce qui prouve qu'on peutamener la clientèle à se passer de pain frais,c'est que notre fabrication s'arrête le sa­medi, à quatre heures après-midi, pour nereprendre que le dimanche soir. » C'estpour aujourd'hui la conclusion de monenquête. »

Ce sera bien aussi ma conclusion, Voicice que je voudrais : plus généreux queSaint-Louis, je voudrais accorder les nuitsdu samedi aux ouvriers boulangers et j'enai même parlé à certains d'entre eux.Poussant l 'étude plus loin, voici ce quej 'ai découvert dans Barberet, un auteurextrêmement compétent qui écrivait en1886 :

« En 1881, les délégués des sociétés ou­vrières de la boulangerie parisienne nousdemandèrent d'intervenir auprès de lachambre syndicale patronale pour que, d'uncommun accord, les ouvriers fissent, le13 juillet, des pains pour deux jours etpussent, de la sorte, assister à la fi te du 14.

« Nous avons écrit dans ce sens à M. leprésident du syndicat des patrons. —Réponse de M. Ramé en date du 5 juillet1835 : «Les raisons professionnelles invo­quées par M. Ramé nous semblent plau­sibles et elles démontrent qu 'il est, sinonimpossible, au moins très difficile, d 'inter­rompre le travail de la boulangerie, nefût-ce que pendant vingt-quatre heures. »

Ainsi, rien à faire de ce côté. C'est toutde même angoissant ; mais alors, commenttout concilier ? C'est là où les vœux de M. lecomte de Mun, que je voudrais voir se réa­liser, les vœux en ce qui concerne la sus­pension du travail du dimanche et mêmele repos du samedi, ne peuvent plus con­corder avec l 'adhésion que donne M. de Munau projet de loi de M. Justin Godart.

A quoi le projet Godart rapporté parM, Herriot astreint-il les boulangers ?

Au travail obligatoire du dimanche, àpartir de cinq heures du matin. Or, on s'estaussi targué de l'approbation des plus hautesautorités de l'église catholique, évêques etmême archevêques. Je n'ai pas pu avoir lestextes, mais je suis bien sûr que ces appro­bations n'en voulaient qu'au désir très légi­time que je partagerais moi-même, si c'étaitpossible, de voir les ouvriers passer toutesles nuits dans leur lit et ne travailler quele jour. Mais cela ne pouvait pas aller jus­qu'à les empêcher d'assister à la messe ledimanche, car l'église catholique, si elle neprescrit pas le travail de jour et de nuit, en­seigne que l'homme est condamné sur la terreau travail. Mais il a une obligation stricte d'as­sister à la messe du dimanche. Le cri d'autre­

fois des ouvriers était : « Allons-y, la mitreest avec le mitron. » Si vraiment — et cela

est impossible, l'archevêque ne l'a jamaiscommandé — s'il disait : « Vous n'irez pasà la messe le dimanche », je serais obligéd'ajouter : « La mitre n'est pas avecl 'église ». Vous voyez jusqu'où va l'indé­pendance de langage dont je fais preuvequand je cherche la vérité, rien que lavérité.

J'ai été extraordinairement frappé desraisons par lesquelles on entraîne les ou­vriers, notamment en Italie, parce qu'enFinlande et dans le Nord les mûmes diffi­cultés ne se présentent pas. D'abord, il yaura des pains qui ne sont pas faits avec dufroment; ce n'est pas comme notre pain,comme du pain de seigle. Dans les paysfroids, il n'y a pas la réaction du levain,mais en Italie, où il y en a une, voici com­ment on est arrivé à entraîner les ouvriers.Nous trouvons chez M. Bouteloup une grande

£68 SENAT — SÉANCE DU 13 MARS 1919

précision sur la manière de fabriquer l'opi­nion. Et remarquez que l'auteur est tou­jours favorable à la suppression du travailde nuit. Mais, enfin, il est consciencieux, ilest franc, et voici comment il expose cequ'il a trouvé :

« 1l faut présenter (aux ouvriers) un butprécis qui parle en même temps à l'imagi­nation, qui ait une valeur morale encoreplus qu'une valeur économique, qui soitcomme un idéal do rédemption et auqueltoutes les autres revendications se subor­donnent : la suppression du travail de nuitjoue ce rôle. »

Voilà comment on les a embarqués.Il faut vous dire qu'au contraire de la

France, la boulangerie en Italie est un foyerd'anarchie. J en trouve le témoignage tou­jours chez M. Maurice Bouteloup :

« Les boulangers sont souvent irritableset violents : les rixes sanglantes étaientcontinuelles entre eux en Italie.

« Caserio, l'assassin de Carnot, avait étéouvrier boulanger à Lugano ; j'ai causéavec son patron ; il parait que c'était un bongarçon, mais travaillé par des idées anar­chistes. Lors de la discussion au Sénat ita­lien de la loi de 1918, M. Giolitti, présidentdu conseil, fit ressortir que, d'après les sta­tistiques du ministère de l'intérieur, au­cune profession ne fournissait un contin­gent d'anarchistes aussi fort que celle desboulangers (18 mars 1908). »

Voilà, messieurs, l'explication historiquede la loi italienne sur la suppression dutravail de nuit dans les boulangeries.

S'il suffisait de supprimer le travail denuit dans la boulangerie pour empêcherd'assassiner tous les présidents de répu­blique, bien que royaliste, je prêterais lamain à cette réforme, mais je crois qu'ellen'aurait aucune influence sur les cerveaux

détraqués qui se livrent à ce genre d'exer­cices.

La tuberculose.

Maintenant, nous allons attaquer la grossequestion de la tuberculose. Ah! c'est là oùse donne carrière la fantaisie.

Enfin, je veux lire l'opinion de M. Savoie,que j'emprunte au texte de la commission.M. le président Strauss me fera toutes lesréflexions qu'il voudra, s'il croit qu'il n'a pasété copié conforme :

«M. Savoie craint que le patronat nemette à profit ce délai (d'application) pourconstituer un retard. C'est courir au-devant

d'une agitation ouvrière. . .c Faisant la part des hasards et des diffi­

cultés de toute sorte, il admet seulement,dans certains cas qu'il faudra déterminer,des dispenses d'application. . .

« Le travail de nuit du patron boulangerpeut ne déranger personne, mais la fabrica­tion de nuit du pain n'est-clie pas sus­pecte? »

« Suspecte » me semble un vilain mot.C'est tiré de la tradition révolutionnaire,cela rappelle la loi des suspects; on netraite pas comme cela la boulangerie, quin'est pas suspecte.

Le procès-verbal continue ainsi :« Il ne faut pas perdre de vue que le pa­

tron tuberculeux risque de contaminer saclientèle. »

Cela, c'est M. Savoie mettant de l'eaudans son vin ; c'est déjà un vin qui s'amé­liore. Mais cela ne s'appelle pas des déro­gations, cela s'appelle des dispenses.

Arrive le tour du camarade Jouhaux : il a

des principes, vous l'apprendrez plus tard.Pour lui « il s'agit de régénérer une indus­trie où 70 p. 100 des ouvriers seraient ron­gés par un mal redoutable ».

« Cet argument moral semble décisif àM. Herriot qui le place au-dessus de touteobjection juridique. Il n'a pas cependant,dans son discours, été jusqu'à rappeler les

70 p. 100, parce qu'il sait bien que c'est uneerreur. »

Je soupçonne véhémentement le cama­rade Jouhaux d'être bien informé et de

reprendre, à dessein, pour bourrer lescrânes, des arguments merveilleusementréfutés par M. Bouteloup et M. Mience. Jesuis encore obligé de citer les textes mêmes :

Je lis, dans Maurice Bouteloup, page 42 :« France.— La situation sanitaire des ou­

vriers boulangers est connue du public parune statistique qu'on a trouvée reproduiteces temps derniers dans un certain nombred'endroits et d'après laquelle 70 p. 100 desouvriers boulangers français seraient tuber­culeux. Ce serait effrayant; heureusementcela n'est pas, c'est une communicationfaite au congrès international de la tuber­culose (Paris, 2-7 octobre 1904) qui a jeté lecri d'alarme; l'auteur était un chimiste.M. Jacques Barrai, dont le père, chimisteégalement et secrétaire perpétuel de lasociété nationale d'agriculture de Francejoua sous l'empire un rôle important dansla suppression de la taxe des boulangers.»

M. J. Barrai disait :u J'ai l'honneur d'attirer l'attention du

congrès international de la tuberculosesur 100,000 foyers de tuberculose existanten France, sur lesquels plus de 2,000 àParis.

« Ces établissements homicides, ce sontles boulangeries.

« En effet, 70 p. 100 des ouvriers boulangers(chiffre des statistiques officielles) sont at­teints de la tuberculose. Or, en France,on compte environ 400,000 ouvriers,280,000 tuberculeux, exécutant le pétrissagedu pain avec leurs bras et même avec leurspieds, comme cela se pratique à Mar­seille.

« Le pourcentage fantastique de tubercu­leux indiqué par cette statistique, commeaussi l'erreur manifeste sur le nombre des

boulangeries et celui des ouvriers, prédispo­saient à l'incrédulité; d'autre part, l'impor­tance de cette statistique était telle quenous avons tenu à en vérifier l'origine ;nous avons acquis la certitude qu'elle avaitété fournie comme une simple approxima­tion, par des ouvriers boulangers, et qu'ellene présentait donc aucun caractère scienti­fique, encore bien moins officiel. Puis ennote : « Le recensement de 1901 donne

(pour la boulangerie et la pâtisserie réu­nies) environ 44,000 établissements et 90,000ouvriers occupés; en additionnant à cesouvriers les patrons, les employés, les tra­vailleurs isolés et les chômeurs, on arriveà une population active totale de 189,400personnes. »

J'espère que M. Jouhauxne reprendra plusjamais cet argument. C'est cependant, ditle rapport, celui qui a entraîné la convictionde M. Herriot.

M. Bouteloup termine le passage de sathèse qui concerne la morbidité et la mor­talité des ouvriers par cette réflexion :

« Les renseignements assez fragmentairesqu'on possède sur cette question ne sontpas très concordants. »

Enfin, nous avons une suggestion deM. le docteur Roux en 1906. 11 a, en effet,remarqué qu'on ne devait admettre dans lesboulangeries « que les hommes munis decertificats médicaux constatant qu'ils sontbien constitués et indemnes de tubercu­lose. L'examen médical des ouvriers bou­langers et de bon nombre d'autres ouvriersde l'alimentation, tels que pâtissiers, cuisi­niers, au moment de l'embauchage seraitévidemment très utile ».

Il faut vous dire, messieurs, que ceci estpratiqué au Tessin (décret législatif du 19juin 1908, art. 2) : « Le personnel devraprouver qu'il est physiquement sain, qu'iln'est pas atteint de maladie de peau, ni demaladie contagieuse prolongée ».

Or, ce matin, j'ai appris que le Gouverne­ment avait déposé un projet de loi com­portant la (déclaration obligatoire de la tu­berculose.

L 'académie avait soumis la question àune commission spéciale qui a déposé lesconclusions suivantes :

« La commission permanente de la tuber­culose estime que la déclaration obliga­toire de la tuberculose est un des élémentsfondamentaux de la lutte antitubercu­leuse.

« Elle pense que le médecin traitant est leplus indiqué pour faire cette déclaration etqu'en la faisant à un médecin sanitaire il neviole pas le secret professionnel.

« Elle n'écarte pas, cependant, le mode dedéclaration par lintéressé ou le chef defamille ».

Eh bien ! voilà le remède. Ce n'est pasune question de travail de jour ou unequestion de travail de nuit. Vous entendezbien que si l'ouvrier donne la tuberculosela nuit, il la donnera également le jour. Et,d'ailleurs, cette question est elie-mêmeextrêmement controversée.

Vous avez dit que le docteur Laveranétait partisan de la suppression du travailde nuit; or, il n 'a jamais dit un mot decela. J'ai lu sa déposition du 5 février 1910« sur quelques questions intéressant l'hy­giène de la boulangerie et, en particulier,sur les avantages du pétrissage méca­nique ». Dans le rapport au conseil d'hy­giène publique et de la salubrité du dépar­tement de la Seine, 10 décembre 1909, jetrouve ceci :

« La température de 100 degrés qui, dansun pain convenablement .cuit, est toujoursatteinte au centre môme du pain; élie estdonc largement suffisante pour tuer les ba­cilles de la tuberculose ; l'acidité ordinairede la pâte est, d'autre part, favorable à ladestruction de ces bacilles. »

Vous trouverez les mêmes assertions

dans ce rapport très intéressant de M. Mience,président du syndicat général de la bou­langerie française, membre du conseilsupérieur du travail, rapport que je re­proche au conseil supérieur du travail den'avoir pas inséré in evlenso dans ses docu­ments. C'est peut être ce qu'il y a de plusprobant. Nous lisons, page 9 :

« Au congrès international de la tubercu­lose qui s'est tenu à Paris en 1905, M. J. Bar­rai a avancé que 70 p. 100 des ouvriers bou­langers étaient tuberculeux; cette assertionest en désaccord avec les chiffres de morta­

lité tuberculeuse des ouvriers boulangersqui ont été donné par Benoiston de Cha­teauneuf, Sombart, Haunaver, Marmoise, deBordeaux, Cless, Kummer.

« D'après liannever, la proportion desmaladies phtisiques aux autres maladiesest, chez les boulangers, de 5,4 p. 100.D'après Kummer, les boulangers comptent,en Suisse, 5,05 décès phtisiques sur 1,000vivants, moins que les imprimeurs, leshorlogers et les tonneliers. »

J'aitenu à me reporter à un ouvrage spé­cial sur la matière. Je ne vais pas vous lireencore ces citations, parce que vous trou­veriez que j'abuse, mais ce livre signéd'un nom cher à M. le président de la corn-mission, a pour titre La tuberculose etson bacille, par I. Strauss. On a cité cetouvrage comme un dictionnaire mais cen 'en est pas un.

J'abrège. . .— est-ce votre frère, monsieurStrauss, qui en est l'auteur?

M. Paul Strauss. Non, c'est un homo­nyme des plus estimables et des plus esti­més, le professeur Strauss de la faculté demédecine.

M. Dominique Delahaye. Vous voyezcette statistique qui va de 5,5 à 70 p. 100. jOn peut la considérer comme contradictoire j

SENAT — SEANCE DU 13 MARS 1919

et peu probante ; mais cependant il y a desessais scientifiques qu'il faut mettre audossier puisqu'on ne les a pas insérés dansle rapport du conseil supérieur du travail.

Je continue la lecture des extraits de laconférence de M. Mience :

« Après d'autres expérimentateurs, ledocteur Auche vient d'effectuer à Bordeaux,une série d'essais pour apprécier le degréde stérilisation de la cuisson effectuée dansles conditions usuelles.

« . „......... •.......

«On s'assurerait, par les essais usitésen technique bactériologique de la pré­sence ou de l'absence de microbes vivants.Tous les essais donnèrent les mômes résul­tats : ni le bacille de la tuberculose, nicelui de la typhoïde, pas plus qu'une infi­nité de microbes dangereux, ne résistent àla température de la cuisson. Comme ondevait s'y attendre après cela, les analyseseffectuées sur des pains achetés dans di­verses boulangeries ne révèlent jamais nonplus la présence de la moindre bactérie. Ilest donc bien acquis que, préparé de n'im­porte quelle façon, le pain est toujours unaliment aseptique. »

Je sais bien que d'autres auteurs ont pré­tendu que la croûte était inoffensive et quetout le mal venait de la mie.

Nous n'irons pas plus loin. Je crois, dansce débat, avoir fourni des documents assezprécis pour que votre conviction soit faite etqu'elle soit surtout faite sur ce point que laquestion du travail de jour et du travail denuit n'a rien avoir dans le débat. Il y a làune confusion évidente, absolue, De deuxchoses l'une: ou le boulanger inocule latuberculose à ses clients, et ce sera aussivrai du jour que de la nuit. (M. le rappor­teur fait un signe de dénégation.)

Ce n'est pas vrai, ce que je dis là?

M. le rapporteur. Je ne dis pas cela,mais simplement que je ne suis pas devotre avis.

M. Dominique Delahaye. Vous explique­rez comment, car c'est d'une logique in­flexible, et vous aurez de la peine, je crois,à démontrer que celui qui contamine lepain en travaillant de nuit ne le conta­mine pas en travaillant de jour. Vous invo­querez l'état d'insalubrité des locaux, jeconnais toute la thèse. Cela c'est encoreinexact, car il n'est pas besoin de procédercomme en Italie. Je me rappelle avoir lu desombres histoires sur ce qui se passe enItalie, sur les visites domiciliaires, etc.On a employé des méthodes anarchiquescontre la boulangerie. Est-ce cela que vousrêvez d'établir en France, contre nos bou­langers?

Alors, il en serait demain des boulangerscomme il en fut naguère pour les couvents.

M. de Lamarzelle. Cela n'a aucun rap­port!

M. Dominique Delahaye. Mais les pro­cédés administratifs sont les mêmes. Le

rapport est complet: la justice est égale­ment offensée quand on enfonce la ported'une boulangerie et quand on enfonce laporte d'un couvent.

M. de Lamarzelle. On a également en­foncé des portes pour prendre des anarchis­tes et des brigands, et je me suis permis dedire que cela n'avait aucun rapport avec laboulangerie.

M. Dominique Delahaye. Je ne prétendspas qu'il y ait un rapport entre les boulan­geries et les couvents. Je dis que les procé­dés gouvernementaux en Italie ont été lesmômes pour les couvents et les boulange­ries. Ce n'étaient pas des anarchistes qu'onallait saisir, mais d'honnêtes boulangers, etles anarchistes avaient incité le Gouverne­ment à se conduire ainsi.

M. le rapporteur. Permettez-moi de direun mot sur la question de la tuberculose.Si j'ai bien compris, vous avez dit que ledanger serait le même avec le travail dejour qu'avec le travail de nuit. Nous soute­nons que le danger de tuberculose est sur­tout très grand pour l'ouvrier boulangerlui-même et nous croyons que l'ouvrierboulanger atteint de tuberculose constitueun danger pour la clientèle qui mangera sonpain.

Si, en faisant travailler de jour l'ouvrierboulanger dans des conditions meilleures,nous arrivons à le garantir lui-même contrela tuberculose, nous prétendons supprimerdn même coup le danger que courent sesclients. Sublata causa..,

M. Dominique Delahaye. Oui, mais lacause ne sera pas supprimée, parce que letravail de nuit n'est point la cause de latuberculose.

Vous n'avez pas le droit de bouleverserainsi tous les usages, si vous n'appuyez pasvos résolutions sur des certitudes.

Un référendum s'impose. Vous n'avezqu'à faire voter, dans toute la France, pa­trons et ouvriers, en ayant des fiche? surlesquelles chacun indiquera son âge, s'ilest célibataire ou marié, le nombre de sesenfants s'il en a, enfin s'il est ou non tuber­culeux, car il faut savoir combien il y a detuberculeux. Quand vous aurez fait cela,vous pourrez nous dire quelle est la situa­tion de la boulangerie.

Pétrins. — Docteur Letulle.

On vous a montré un texte du docteurLetulle. Je veux bien croire à sa scienceen médecine.

M. Paul Strauss. Vous pouvez la tenirpour certaine; elle mérite toute notre con­fiance et toute notre sympathie.

M. Dominique Delahaye. Je n'attaque­rai jamais un médecin, car les médecinsm'ont sauvé la vie ; mais deux et deux fontquatre aussi bien avec le docteur Letullequ'avec n'importe quel autre et je dois dé­fendre l'arithmétique contre la médecine.Voilà donc la singulière idée exposée dudocteur Letulle, idée consignée dans le rap­port de M. Justin Godart du 30 novembre 1007,page 18 :

« Le travail de nuit est un acte antiphy-siologique : tout effort musculaire après lachute du jour est centuplé comme dé­pense. »

Voici maintenant la conclusion pratique :« Le travail du soir représente quatre oucinq fois plus de fatigue pour le mêmeeffort donné en pleine lumière___. »

Quel écart ! 95 à 90 p. 100 dans deux pro­positions qui visent au même résultat.

Allons, ce n'est pas de l'arithmétique. Jereconnais au docteur Letulle, pour la mé­decine, toute la gloire que vous voudrez luiconcéder; mais, pour l'arithmétique, qu'ilfasse pour le moins concorder ses chiffres.

En outre, sur la question de fait, il s'estappuyé sur la négation des réalités, parceque dans le fournil, le jour comme la nuit,il y a de la lumière artificielle ; vous voyezdonc que le docteur Letulle nous en conte àce sujet.

ll faut vous montrer que toute cette argu­mentation tapageuse contre le pétrin, luiaussi presque disparu, était empreinted'une énorme exagération. Il y a unhomme qui a réduit les choses à leur réa­lité. C'est encore dans Barberet qu'on trouvecela à la page 480 :

« Nous terminerons cette étude parl'appréciation de M. Ramé, président de lachambre syndicale parisienne, sur les objetsprofessionnels mis en évidence à l'exposi­tion de meunerie-boulangerie des Champs-Elysées close le 6 juillet 1885; la lettre de

M. Ramé est du 15 juillet 1833, il s'agissaitdu pétrin mécanique. Sur un travail effectifde dix heures nécessaire pour faire cinqou six fournées par deux hommes, vingtheures en tout, le pétrissage prend à peinaitrois heures, et seulement à un seul d'entre!eux, soit le septième du temps employé autravail entier. »

Ceci dit pour répondre au pétrin, cercueilsans couvercle; tout cela, c'est du bourrage !de crâne, ce n'est pas sérieux. \

Principes. — Question de frontière.'

Je traite la question de principe mainte- jnant. Voici le principe qu'invoque M. lacomte de Mun, le 5 juillet, dans l'Écho deParis :

« Mais où verra-t-on jamais une popula­tion tout entière, qui accepte en masse, paresprit de sacrifice et par amour du prochain,de s'imposer une privation?

« C'est une des raisons qui, pour cetteréforme-là, comme pour les autres, rendentl'intervention de la loi nécessaire. . .

« Il n'y a pas de réforme sans législation ;vous me direz que c'est de l'inquisition, dttsocialisme d'État ; à ce compte, toutes leslois, tous les règlements d'hygiène en §ohtaussi. * !

« Donc, il faut une loi pour la clientèlecomme pour les patrons. »

C'est nettement formulé.

M. Jouhaux dit, d'autre part, à la com­mission qu'il « ne comprendrait pas que laliberté individuelle pût mettre obstacle àun progrès social.

« Un intérêt particulier ne doit pas sedresser contre un intérêt collectif. »

Vous voyez, messieurs, que je n'esquiveen aucune façon la difficulté. ;< ;,

A quoi cela tient-il? C'est évidemment ]une question fort difficile : je l'appelle unéquestion de frontière, parce qu'elle est si­tuée à la limite des questions que le légi-lateur doit retenir comme étant de son do­

maine, et de celles qui appartiennent audomaine de la liberté.

Où.est le critérium ? 11 est d'abord dansla possibilité. Si ce n'est pas possible, sivous allez troubler toute la vie et ne paspouvoir alimenter Paris, à l'impossible nuln'est tenu ; je vous le démontrerai plustard. Mais il y a une autre raison, Les An­glais nous disent que le Parlement peuttout, sauf changer un homme en femme.C'est là de l'exagération anglo saxonne. Maisnous, Latins, nous connaissons mieux lamesure. Nous savons que nous ne devonspas empiéter sur le droit d'autrui. Malheu­reusement, c'est une question que, rarement,se pose le législateur, et c'est ce qui amoin­drit son autorité. Il passe trop souvent pourM. Touche-à-tout. Et voilà, pour moi, [leprincipe qui emporte mon adhésion.

« Seule la sauvegarde de l'intérêt généralautorise le sacrifice de quelque intérêt par­ticulier. Pour le mieux-être social, l'autoritéde la loi ne s'impose pas avec la mêmerigueur; le citoyen conserve sa libertéd'action.

Voilà, messieurs, les principes ne varie­tur. Vous ne les observez pas, ces principes,parce qu'il s'agit là d'une question de mieuxêtre, pour laquelle vous n'avez pas le droitde violer la liberté. Je n'invoque pas lelaissez-faire et le laissez-passer, mais lesprincipes généraux : ce sont là les grandeslignes, c'est là ce qui doit déterminer votreadhésion. Si je ne me suis pas trompé, j'es­père que vous voterez la liberté pour le tra­vail de nuit dans la boulangerie.

M. Savoie.

Maintenant, je veux vous dire quelquesmots de M. Savoie parce qu'il m'a lait l'hon­neur de m'écrire. Je suis aussi favorisé à ca

270 SENAT — SÉANCE DU 13 MARS 1919

point de vue que la commission du Sénat etje dois dire d'ailleurs qu'il m'a écrit en ter­mes très aimables, car j'ai, moi aussi, reçudes compliments de M. Savoie, et je com­mence à être au mieux avec la C. G. T.

M. Gaudin de Vilaine. C'est une bonne

précaution pour demain.

M. Dominique Delahaye. « Lorsque leSénat a eu à s'occuper de questionsayant trait à la préservation de notrerace, j'ai eu souvent l'occasion de lire vosinterventions, où vous affirmiez qu'au­cune mesure ne saurait être de trop dans cebut. Croyez, monsieur le sénateur, que ladisparition du travail de nuit en boulan­gerie par l'interdiction de la fabrication dupain, la nuit, est une mesure qui s'imposeencore plus aujourd'hui qu'hier. »

Nous verrons, messieurs, quelle est laconclusion do M. Bouteloup, un autre parti­san de la suppression du travail de nuit etvous choisirez entre M. Bouteloup et M. Sa­voie.

Je ne veux pas vous lire les quatre pagesde cette lettre de M. Savoie, qui porte la datedu 17 février 1919; je veux seulement, pourles réfuter, souligner les inexactitudesqu'elle contient. Voici, dit-il, « les raisonsprincipales qui font que, depuis toujours,les ouvriers boulangers ont été adversairesdu travail de nuit; aussi loin qu'on peutremonter dans l'histoire de la corporation,l'on trouve trace des protestations des ou­vriers contre le travail de nuit qu'ils n'ontfait que subir depuis son origine, car il futune époque où le pain se faisait le jour, oùil était interdit d'allumer le four la nuit ».

M. Hervey. Il y a même eu une époqueoù on ne faisait pas de pain du tout.

M. Dominique Delahaye. L'assertion deM. Savoie est pôremptoire, mais elle cons­titue une erreur historique : c'est une lé­gende succédant à une autre légende déjàmorte ; et, comme elle prend naissancedans une lettre qui m'est adressée un jourde débat parlementaire, je vais lui tordre lecou. Je vous ai montré l'ancienneté du tra­vail de nuit, et je vous ai prouvé que lapremière application législative date de laCommune.

Laissons les efforts antérieurs ; je disqu'ils remontent, d'après M. Bouteloup, à1869, et M. Herriot croit qu'ils remontentplus loin encore, cela ne doit, tout demôme, pas remonter beaucoup plus haut.

Voici comment fut machinée la premièrelégende à laquelle n'ont cru d'ailleurs niM. Herriot, ni M. Bouteloup, ni, je dois luirendre cet hommage, M. Justin Godart. Onla trouve chez Barberet, à la page 451 :

« Travail de nuit et travail de jour.« Au mois de mars 1872, les anciens syn­

dics présents à Paris voulurent reformer lesyndicat ; mais les événements de 1870-1871avaient bien refroidi les caractères et latentative rencontra de grandes difficultés.Une cinquantaine d'initiateurs nommèrententre eux une commission provisoire, quifut chargée de s'adresser à la fois à la cor­poration, au conseil municipal, au préfetde la Seine, à l'Assemblée nationale, ausydicat des patrons et au public pour obte­nir le travail de jour et la suppression desplaceurs.

« Appel dans les journaux au public pa­risien... »

Et voici la légende qui commence :« Depuis quand à Paris fait-on le pain la

nuit ?... C'était sous Louis XVI. Un patronboulanger de la rue de la Ferronerie, mû parl'envie d'une concurrence intelligente, vou­lut avoir du pain frais le matin, avant sonconfrère d'à-côté ; il fit commencer le travailà ses ouvriers une heure plus tôt, c'est-à-dire à six heures du matin au lieu de septheures.

« Celui-ci, à son tour, à cinq heures ; l'autre,à quatre heures.

«Les autres boulangers suivirent cetexem-ple, et ainsi de suite... jusqu'à ce que lejour eût été remplacé par la nuit. »

Voilà comme quoi c'est de la faute àLouis XVI ! Tout cela c'est du bourrage decrâne, c'est inventé de toutes pièces, sansaucune espèce d'excuse. Comme cette lé­gende est morte, la nouvelle qui surgit,c'est que depuis toujours les ouvriers bou­langers ont réclamé contre le travail denuit. C'est faux ! Je vous ai montré en Italie

l'origine du bourrage de crâne : ce sont lesanarchistes boulangers, voilà l'origine !

Pourquoi? Parce que, comme dit le comtede Mun, « la véritable représentation ouvrièren'existe pas. On n'entend que les patronset une minorité d'agitateurs. »

Jô continue ce que j'ai à réfuter dans lalettre de M. Savoie. « Cette coutume estroutine ». Le mot routine se trouve dans le

discours de M. Herriot, car, à les entendre,il n'y a que de la routine. Voilà commenton fait l'opinion. De la routine, un usagequi a plus de 2,200 ans d'existence !

« Cette coutume est routine que rien nejustifie professionnellement et technique­ment, ce sont des raisons d'ordre commer­cial, de concurrence_... »

— Encore une lausselé ! encore une lé­

gende ! ni la routine, ni la concurrencen'ont rien à voir là-dedans !

« ...qui, dans le passé, ont amené lespatrons à faire le pain la nuit. »

S'il n'invoque plus lalégende que jeviensde vous citer, c'en est une réminiscenceestompée, car maintenant elle ne seraitplus de mode, mais à la légende qu'on pro­teste depuis toujours on ajoute en sourdinela légende de la concurrence.

« . . .ont amené le patron à faire le painla nuit. Ces raisons peu sérieuses ne peu­vent même plus être invoquées aujourd'huisurtout pour contrebalancer les dures ettristes conséquences que le travail de nuitengendre. »

Puis, un bon calembour. — « Si l'on aappelé les ouvriers boulangers « garçonsboulangers », c'est que ces hommes étaientcondamnés à rester garçons aussi longtempsqu'ils restaient ouvriers, l'on ne concevaitpas que, travaillant la nuit, sans aucun re­pos régulier, ils puissent se marier, secréer un foyer. Dans le passé un assez grandnombre d'ouvriersboulangers réussissaient,au bout de quelques années de métier, às'établir ; alors même, s'ils continuaient àtravailler la nuit chez eux, la vie de familleétait tout de même possible, mais depuisplus d'un demi-siècle le nombre des ou­vriers qui réusssissent à devenir patronsest devenu très restreint ; c'est maintenantde rares exceptions. Devant cette situationun certain nombre d'ouvriers, ne pouvantse résigner à passer seuls leur existence, sesont mariés (environ 50 p. 100), mais quelleexistence pour lui et les siens à cause dutravail de nuit ! »

Tout cela, ce sont des chimères, cela nerepose sur aucune étude, sur aucun chiffresérieux.

M. Sauvage, au contraire, dans son rap­port, nous donne quelque chose, cite deschiffres. Il s'agit toujours du rapport du4 janvier 1919, qui n'a pas été versé audossier de la commission sénatoriale et

auquel je suis obligé de revenir :« A ces assertions, nous opposons des

chiffres puisés au syndicat de garantie dela boulangerie de Paris et du départementde la Seine contre les accidents du travail,chiffres qui prouvent que la plupart desouvriers boulangers sont mariés et qu'ungrand nombre exerce le métier jusqu'à unage avancé.

« C'est d'ailleurs grâce à ces ouvriersd'un certain âge qu'a pu être assurée pea- :

dant la guerre la presque totalité de lafabrication du pain pour la population ci­vile de toute la France. A Paris, la besognea été pour eux tout particulièrement dureen 1917 et en 1918. »

Suit un tableau. Ce tableau, je n'en liraique le titre. Je lirai également le résuméqui se trouve dans les notes qui suivent,pour ne pas encombrer le Journal officiel.

« Statistique faisant apparaître le nombreet l'état civil des ouvriers boulangers, dres­sée pendant les années 1915, 1916, 1917 et1918, au service des adhérents au syndicatde garantie de Paris et du départementde la Seine contre les accidents du travail. »

« En éliminant les ouvriers âgés de quinzeà vingt ans, le pourcentage des ouvriersmariés ressort à 76,6 p. 100. 14 p. 100 sontâgés de quarante-cinq à cinquante ans,9 p. 100 de cinquante à cinquante-cinq ans,6 p. 100 de cinquante-cinq à soixante ans,4,5 p. 100 de soixante-cinq ans et au-dessus.Ces chiffres peuvent être vérifiés au siègesocial, 49, rue Berger, à Paris. »

Cela représente la moyenne de la vie hu­maine. Les affirmations contraires ne sontque des inventions pures; il est indigne denous de légiférer sur des données qui nesont pas scientifiques !

Toute autre est l'impression que les débatsont produite sur M. Maurice Bouteloup, lequel demeure néanmoins un partisan dela suppression du travail de nuit. Voici unextrait de sa lettre du 8 décembre 1918, dontje tiens l'original à la disposition de M. leprésident de la commission, de M. le rap­porteur et de M. le ministre :

« Aujourd'hui la question d'une interven­tion législative se pose de nouveau devantle Sénat, qui probablement la résoudra parle statu quo, parce que les raisons de ne pasintervenir sont sérieuses. »

Ne venez donc pas dire que les raisons quej'apporte sont des raisons de détail, carcelles que je vous donne sont encore pluscomplètes que celles que connaissaitM. Maurice Bouteloup, parce que j'ai plusd'âge et d'expérience que lui et que j'aivécu plus d'un demi-siècle dans la com­pagnie dos ouvriers et des travailleurs.

Ne croyez pas que je sois un fantaisistequi vient ici pour le plaisir de vous contre­dire. Non, cette question m'a intéressé auplus haut point, parce qu'elle vous fourniral'occasion d'éloigner des ouvriers tous lesagitateurs.

Évidemment, quand on voit des gens quitravaillent la nuit, on est porté par le boncœur à les plaindre et à se dire : « Si nousmangions du pain rassis, qu'est-ce que celaferait? » Ce n'est pas plus compliqué quecela, voilà ce que disent les esprits sim­plistes qui sont des bons cœurs. Est-ce quevous croyez que moi aussi je ne me soispas préoccupé de cette question? Chez moion n'achète jamais de pain le dimanche, jele mange rassis. Voilà comment je mecomporte dans ma maison!

Vous voyez donc que je ne suis pas dutout éloigné des desiderata des ouvriers,mais je crois que j'ai un devoir de législa­teur, je crois que je dois respecter la li­berté quand elle ne porte point atteinte àl'intérêt général, et là, ce n'est pas le cas.Vous pouvez remédier à l'état de santé desboulangers d'une toute autre façon. Si vousvous lancez dans votre réforme, vous alleztrouver des embarras inextricables, résul­tant de la suppression du travail de nuit.

M. Gaudin de Villaine. Votre loi est

inapplicable : pour qu'elle fût applicable, Ufaudrait transformer le code pénal en mêmetemps que le code du travail.

M. Dominique Delahaye. Ce sont sur­tout les chômeurs qui vous demandentcela. A Paris, il y en a 2,000. Il faut biendistinguer les ouvriers en travail régulier de

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ceux qui sont en surnombre. Les exposi­tions nous ont amené à Paris des ouvriersen surnombre. Pas actuellement, car tousne sont pas démobilises. Vous allez créerune gène, une impossibilité. Songez qu'il ya à Paris, 40 p. 100 des boulangers q^ii tra­vaillent déjà le jour et la nuit.

M. Gaudin de Villaine. Ce sont des

étrangers.

M. Dominique Delahaye. Si vous lessupprimez du jour au lenlcniain, où allez-vous trouver le pain pour alimenter Paris ?Vous allez affamer la ville.

M. le rapporteur. Remarquez, si vousme le permettez, que nous avons prévu unan.

M. Dominique Delahaye. Comment es­pérez-vous faire en un an, la réfection desfournils ? On ne va tout de même pas chan­ger tous les locaux en un an !

Il y a des lois sur l'hygiène : qu'on lesapplique ! Les locaux se visitent le jour.Quand un fournil répond aux conditionsdes lois sur l'hygiène le jour, il n'est pasmalsain la nuit.

Nous n 'avez pas besoin d'aller ennuyer cesgens-là la nuit. Quand ils ont passé la vi­site contre les maladies contagieuses, vousavez pris toutes les garanties que le lé­gislateur est en droit d 'exiger. Dormez doncvous-mêmes la nuit, et laissez les autrestravailler lorsque cela leur convient I

Car, enfin, si vous voulez supprimer dutravail humain tout ce qui se fait la nuit, side vos œuvres intéressantes, monsieur Her­riot — c'est vous qui avez dit le mot —vous supprimiez ce que vous en avezfait la nuit, il n'en resterait rien. (Rires.)

De plus, une grande difficulté qui se pré­sente dans la suppression du travail de nuit,c'est que, d'abord, vous ne commencez pasassez tôt, vous ne permettrez de commen­cer qu'à cinq heures.

Je vous ai montré, dans les registres duChàlelet, que l'on voulait que le pain fûtcuit à heure compétente, c'est-à-dire entresix et sept heures du matin. Vous ne réa­lisez pas les desiderata d» nos pères duseizième siècle et vous appelez cela du pro­grès ! Vous êtes de singuliers citoyens en cequi concerne le progrès ! Je vous montreraicela tout à l'heure, monsieur Herriot, dansma péroraison.

A quatre heures du matin, comment fera-t-on le remplacement des ouvriers qui n'ar­rivent pas? Car vous savez que, dans laboulangerie, il y a des ouvriers qui n'arri­vent pas à l'heure. . .

M. Gaudin de Villaine. Dans d 'autresmétiers aussi.

l. Dominique Delahaye. Mais le fourn'attend pas, les mangeurs de pain nonplus. Le soir, sans doute, on peut les rem­placer. Mais le matin, à quatre heures dumatin ! Je n 'insiste pas sur les moyens delocomotion très rares à cette heure, parcequ'on me répondrait : bicyclette ou moto­cyclette. Quand on gagne 45 fr. par nuit,prix actuel des ouvriers boulangers à Paris,on peut bien se payer une motocyclette.

Vous avez là une difficulté insurmontable.Puis vous avez fait, à juste titre, l'éloge desboulangers, petite condition moyenne quipermet le recrutement de la bourgeoisie enFrance et qui a été le banquier du peuple.Vous ne vous doutez pas des services querendent les boulangers, dans les momentsde chômage, de grève, de crise, et le créditqu'ils font aux ouvriers. Mais sans les bou­langers, combien de gens seraient morts defaim ! Remarquez que le travail de jour esttrès favorable à l'industrialisation de la bou­langerie. Il faudrait vous garder de transfor­mer la boulangerie en grandes usines àpain. Ceci vous amènerait, d'abord, à la des­

truction de cette classe moyenne et, ensuite,à la révolution.

M. Gaudin de Villaine. L'industrialisation

est la tendance de l'époque.

M. Dominique Delahaye. Ce serait unegrande faute, que vous éviterez en laissantla liberté à la boulangerie.

Enfin, monsieur Herriot, vous connaissezdéjà ma péroraison, car je vous l'ai dite unjour.

Quand vous arriverez aux Champs Ely­sées, vous serez salué dabord par Asklé-piade et Ménêdème, curieux d'avoir desnouvelles de la terre.

M. Gaudin de Villaine. Et de Lyon.

M. Dominique Delahaye. Ils vous di­ront : « Expliquez-nous comment il se faiteue nous, qui avons vécu au temps de l 'es­clavage, nous ayons pu, d'ouvriers boulan­gers, devenir des philosophes... » — C'étaitle temps où Ménûdèmo, au dire d'Asklépiade,devint premier sénateur de l 'Eréthrie —« ...alors que, si nous avions voeu devotre temps, nous serions, vu la suppres­sion du travail de nuit, demeurés boulan­gers in icternum. Nous ne nous en serionspas consolés, car nous n'aurions pas eul 'agrément de vous saluer dans les ChampsElysécs. »

« Je leur aurais conseillé, me disiez-vous,d'étudier la philosophie la nuit. »

Si votre réponse vise le temps de Platon,Asklepiade et Monodème vous auraient dit :« Impossible, Platon enseignait le jour. » Etsi votre réponse concerne notre époque oùl'on voit de superbes monuments portant àleur frontispice les mots : « Liberté, égalité,fraternité», tant de progrès comme vousdites, les philosophes devraient travaillerla nuit.

Ainsi le sens commun se dresse contre

votre projet tout fait d'entreprises d'agita­teurs et dont le patron, le grand patron estTridon de ChàtUlon-sur-Seine, le loufo­que de la Commune ; et tous vous vous êtesembarqués, par sentiment, à la suite de cechimérique'.

Voilà le fond de la question. Vous voulezbouleverser. Est-ce que vous croyez queles Anglais, les Allemands même, ou lespeuples pratiques entreront dans cettechimère ?

M. le rapporteur. C'est déjà fait.

M. Dominique Delahaye. Non, ce n'est pasfait. Ils respectent le repos du dimanche etils ont raison. Je voudrais qu'on trouvât unmoyen pour arriver au même résultat ;mais, pour le moment, au lendemain de laguerre, la paix étant bientôt signée, degrâce, messieurs, vous les avez assez tra­cassés, laissez la paix aux boulangères etaux boulangers : ces gens-là, comme je l'aidit déjà, ont bien mérité de la patrie. (Ap­plaudissements sur divers bancs.)

M. le président. La parole est à M. leministre du travail.

Voix nombreuses. A mardi !

M. le président. J 'entends demander lerenvoi de la discussion à une prochaineséance.

Il n'y a pas d'opposition?. . .Il en est ainsi décidé.

6. — RÈGLEMENT DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. La parole est à M Caze­neuve.

M. Cazeneuve. Mes collègues émettent levœu que la discussion du projet de loi surle travail de nuit dans la boulangerie sepoursuive mardi prochain. Je dois rap­peler que le Sénat a repris avant hier ladiscussion d'un projet de grande urgence

relatif aux unités de mesure dont s'occupela conférence économique interalliée et suplequel M. Clémentel a appelé notre atten-.tion.

La délibération sur le travail de nuitdans les boulangeries a interrompu cettediscussion, ce que nous avions accepté, ensupposant que le débat sur les unités demesure reprendrait aussitôt après à la pro­chaine séance. Nous demandons au Sénatde vouloir bien mettre en tète de l'ordre dujour de mardi la suite de la discussion duprojet de loi sur les unités de mesure.

M. Dominique Delahaye. Je demande laparole.

M. le président. La parole est à M. De­lahaye.

M. Dominique Delahaye. Le plus acharnédes Lyonnais" veut que nous passions dupétrin aux unités de mesure. Textes à l 'ap­pui, j'ai établi qu'on n'apportait que desprétextes et faux semblants. Pour que cettediscussion sur les unités de mesure soitloyale, il faudrait qu'un document qui n'aencore jamais eu la publicité du Journalofficiel : mon amendement sur l'article 1 er,qui a neuf pages, fût connu du public.

Je prie donc M. le président de vouloirbien en donner lecture, afin qu'il paraisseau Journal officiel. Sur une question d'unetelle précision, les spécialistes doivent pou­voir réfléchir.

N'interrompez donc pas la discussion surles boulangers. Qui s'agite en effet, enFrance, pour la question des unités demesure ? Laissez le maire de Lyon avoirsur vous, monsieur Cazeneuve, la priorité.Arrière, les unités de mesure ! [Sourires.)

M. Paul Strauss. Quelque regret quej 'éprouve à contredire le savant rapporteurdu projet sur les unités de mesure, la com­mission du code du travail exprime le désirque le Sénat poursuive à la prochaineséance la discussion de la loi sur le travail

de nuit dans les boulangeries. {Marquesd'assentiment.)

M. le président. Je vais consulter loSénat sur la proposition de M. Cazeneuved'inscrire en tète de l'ordre du jour de laprochaine séance la suite de la discussiondu projet relatif aux unités de mesure.

M. Strauss demande le rejet de cetteproposition, afin qu'en tète de l'ordre dujour de la prochaine séance figure le projetrelatif au travail de nuit des boulangers.

Je mets la proposition de M. Cazeneuveaux voix.

(Le Sénat n'a pas adopté.)

M. le président. Donc, messieurs, en tétade l'ordre du jour de la prochaine séancefigurera la suite de la discussion de la pro­position de loi relative au travail de nuitdans les boulangeries. (Adhésion.) ■

Quant à la demande que m'a adresséeM. Dominique Delahaye, concernant sonamendement, je dois lui faire observer quela discussion du projet de loi auquel il serapporte n'ayant pas été ouverte aujour-d'hui, il ne m'est pas possible de donnerlecture de son amendement. ffrès bien!)

M. Dominique Delahaye. C'est vrai,monsieur le président, mais ce documentest d'une précision telle qu'il est nécessairequ'on le connaisse. Pour éviter la lecture deses neuf pages, le Sénat pourrait autoriserl'insertion au Journal officiel, sans que lec­ture fût faite en séance. Avec l 'assentiment

du Sénat, ne pourriez-vous pas, monsieurle président, accéder à ma demande ?

M. le président. Je ne puis consulter leSénat sur l'insertion au Journal officiel dela séance de ce jour d'un amendement quia été distribué régulièrement, mais que jen'ai pas été appelé à lire aujourd'hui.

273 SÉNAT — SÉANCE DU 13 MARS 1919

M. Dominique Delahaye. Mais c'est pourqu'il puisse figurer au Journal officiel. Vousauriez pu en donner lecture àiaûn de ladernière séance.

M. le président. Certainement, si, à ladernière séance, vous en aviez fait la de­mande, comme je me propose de le fairedès que la discussion sera reprise. (Assenti­ment.)

M. Milliès-Lacroix. Si l'amendement aété distribué, pourquoi vouloir lui faireun sort spécial?

M. Dominique Delahaye. Est-ce quetout amendement n'est pas publié au Jour­nal officiel pour que le public le con­naisse ?

M. le président. L'amendement de M. De­lahaye a été imprimé et distribué à tousnos collègues.

M. Cazeneuve. Je dois rappeler auSénat que l'amendement de M. Delahaye aété avant la guerre une première fois im­primé et distribué à tous les sénateurs.

M. Dominique Delahaye. C'était en 1914.Mais comment le public pouvait-il en savoirquelque chose ?J

M. Cazeneuve. Cet amendement a été

réimprimé et distribué depuis, et M. Dela­haye, je crois, n'a pas lieu de se plaindre.

M. Millies-Lacroix. La règle doit être lamême pour tous.

M. Dominique Delahaye. Cependant,dans une matière aussi complexe, pour­quoi s'opposer à ce que le public juge surpièces ?

M. le président. Le projet dont il s'agit nefigurant pas en tête de l'ordre du jour de laprochaine séance, ainsi que le Sénat vientd'en décider, je pourrai, à cette prochaineséance, proposer au Sénat de reprendre ladiscussion sur les unités de mesure etdonner alors lecture de l'amendement deM. Delahaye, qui figurera ainsi au Journalofficiel. (Ires bien! très bien!)

M. Dominique Delahaye. Je vous remer­cie, monsieur le président. J'accepte.

M. le président. Voici, messieurs, quelpourrait être l'ordre du jour de la prochaineséance :

Tirage au sort des bureaux;Suite de la discussion de la proposition

de loi, adoptée par la Chambre des députés,tendant à la suppression du travail de nuitdans les boulangeries ;

Suite de la discussion du projet de loi,adopté par la Chambre des députés, sur lesunités de mesure ;

1" délibération surle projet de loi, adoptépar la Chambre des députés, tendant à au­toriser l'Algérie à demander à la banquede l'Algérie une avance de 15 millionssur le montant des valeurs constituant le

placement des fonds libres de la colonie;Suite de la discussion du projet de loi,

adopté par la Chambre des députés, relatifaux conventions collectives de travail ;

t re délibération sur la proposition de loide MM. Henri Michel et Mascuraud relative

à l'apprentissage.Quel jour le Sénat entend-il tenir sa

prochaine séance publique?Voix nombreuses. Mardi!

M. le président. Il n'y a pas d'opposi­tion?...

Donc, messieurs, mardi 18 mars, à quinzeheures, séance publique avec l'ordre dujour qui vient d'être réglé.

Personne ne demande plus la parole?..La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heuresquinze minutes.)

Le Chef du servicede la sténographie du Sénat,

E. G u EN IN.

QUESTIONS ÉCRITES

Application de l'article 80 du règlement, mo­difie par la résolution du 7 décembre 1911 etainsi conçu :

« Art. 80. — Tout sénateur peut poser à un mi­nistre des questions écrites ou orales.

« Les questions écrites, sommairement rédi­gées, sont remises au président du Sénat.

« Dans les huit jours qui suivent leur dépôt,elles doivent être imprimées au Journal officielavec les réponses faites par les ministres. Ellesne feront pas l'objet d'une publication spéciale.

« Les ministres ont la faculté de déclarer parécrit que l'intérêt public leur interdit de répon­dre ou, à titre exceptionnel, qu'ils réclament undélai pour rassembler les éléments de leur ré­ponse... »

2482. — Question écrite, remise à la pré­sidence du Sénat, le 13 mars 1919, par M. deKerouartz, sénateur, demandant à M. le mi­nistre de l'intérieur pourquoi la loi sur lespetits pensionnés de l'État s'applique diffé­remment à deux retraités do la marine rece­vant environ 1,400 Ir. de pension, dont le pre­mier, ayant une femme et un enfant, touchel'allocation, et dont le second, ayant trois on-fants de dix-huit à vingt-cinq ans, ne touchepas d'allocation parce que veuf.

2483. — Question écrite, remise à la pré­sidence du Sénat, le 13 mars 1919, par M. Gau­din de Villaine, sénateur, demandant à M. leministre dos régions libérées pourquoi lesprisonniers de guerre ne sont pas en majoritéemployés à la remise en état des terres aulieu d'être occupés à installer des maisonspour des chefs de districts ou à réparer desroutes pour leur usage personnel.

RÉPONSES DES MINISTRES AUX QUESTIONSÉCRITES

2385. — M. Fabien Cesbron, sénateur,demande à M. le ministre de la guerre sil'ordre relatif à la démobilisation des militairesclassés dans l'auxiliaire à la suite de blessures

de guerre s'applique aux militaires versés dansl'auxiliaire à la suite de maladie contractée enservice. (Question du s février 1919.)

Réponse — Les militaires de la réserve, ver­sés dans le service auxiliaire pour maladie con­tractée ou aggravée au front, seront, quelle quesoit leur classe, compris dans l'échelon dont ladémobilisation sera fixée après le 3 avril.

2419. — M. Leglos, sénateur, demande àM. le ministre de ia guerre si un sous-lieu­tenant d'artillerie à titre temporaire, provenantdu T. E. M., peut repasser avec son gradedans son arme d'origine et s'il peut ensuiteêtre nommé à titre définitif. [Question du 17 fé­vrier 1919.)

Réponse. — Les nominations à titre temporairesont prononcées exclusivement dans le but depourvoir aux nécessités d'encadrement desunités en campagne. L'officier intéressé a doncété nemmé au grade de sous-lieutenant pourl'encadrement d'une unité d'artillerie. Sa de­mande de passage au train des équipages mili­taires faisant cesser la cause abolit aussi l'effetdo cette nomination, et l'intéressé ne peutprétendre à rentrer dans son arme d'originequ'avec son grade de sous-officier.

2432. — M.Villiers, sénateur, demande à M. leministre do la justice quelles mesures il compteprendre pour régulariser la situation des mili­taires disparus ainsi que celle do leurs veuvesen cas de second mariage et pour permettre a

ces familles de faire valoir leurs droits à pen­sion. (Question du il février 1919.)

Réponse. — Les p»r"?nnïs qui ont intérêt & "faire régulariser la situation des militaires dis­parus, soit en vue d'un mariage, d'une succes­sion ou d'une pension peuvent demander auministre de la guerre de déclarer la présomp­tion du décès et de le faire constater judiciai­rement dans les conditions prévues par l* loidu 3 décembre 1915.

Un projet de loi, déposé le 12 juillet 1917 etrapporté par M. G. Leredu, le 22 novembre1918, prévoit les conditions dans lesquellespourra être déclarée l'absence des personnesdisparues entre le 2 août 1914 et une date àlixer par décret après la fin des hostilités.

Une proposition de loi de M. E. Rognon a étéégalement déposée, le 29 novembre 1918, pourfaciliter la déclaration d'absence et de décèsdes militaires, marins et civils disparus, dansles zones d'opérations militaires et navales,entre le 2 août 1914 et le jour de la cessationdes hostilités tel qu'il sera fixé par décret.

11 appartiendra au Parlement, lors de la dis­cussion des textes susvisés d'y apporter toutesles précisions qui paraîtront nécessaires.

2442. — M. Leglos, sénateur, demande àM. le ministre de la guerre dans quelles condi­tions un officier de complément à titre définitif,classe 1912, venu du T. E. M., versé) dansl'A. L., détaché dans le service de l'intendanceà l'intérieur, le 12 janvier 1919, peut être nommédans le cadre auxiliaire des ofticiers d'admi­nistration de l'intendance. (Question du 26' fé­vrier 1919.)

Réponse. — Aux termes du décret du 19 juin1918 (Journal officiel du 22), l'intéressé peut ètranommé à titre temporaire officier d'adminis­tration du cadre auxiliaire du service do l'in­tendance, s'il est définitivement inapte à fairecampagne dans son arme par suite de blessureou de maladie contractée au service.

Dans ce cas, il doit effectuer un stage dedeux mois dans un service dirigé par un fonc­tionnaire de l'intendance du cadre actif. Troismois d'exercice dans le grade à titre temporairesont nécessaires pour qu'il puisse être nomméofficier d'administration à titre définitif.

2447. — M. Laurent Thiéry, sénateur,demande à M. le ministre de la guerre si unofficier d'administration d'artillerie, versé dansl'arme par application de la loi Mourier, ayantfait six mois dans une batterie, étant lieute­nant à titre temporaire, sera reversé dansl'administration ou titularisé dans l'arme del'artillerie. (Question du 3 mars 1919.)

Réponse. — En raison des besoins de l'artil­lerie en officiers d'administration, les officiersde cette catégorie, versés dans les batteries parapplication de la loi Mourier et qui ne sont pasactuellement titularisés, seront incessammentréintégrés dans le cadre des officiers d'admi­nistration.

2455. — M. Peschaud, sénateur, demandea M. le ministre de la guerre si le secondfils d'une veuve cultivatrice, ce second filsvivant seul avec sa mère — le fils aine étantecclésiastique — ne doit pas être considérécomme l'aîné de veuve cultivatrice au pointde vue majoration, c'est-à-dire bénéficier dequatre classes pour sa démobilisation. (Questiondu 4 mars 1919".)

Réponse. — Le bénéfiee de la majorationattribué au fils aine d'une veuve cultivatricene peut être reporté sur le fils qui vient aprèsl'aîné, même si ce dernier n'exerce pas la profes­sion d'agriculteur et ne vit pas avec sa mèg.

2466. — M. Dominique Delahaye, sénateur,demande à M. le ministre des travaux publicset dos transports si son arrêté du 12 janvier 1918,publié au Journal officiel du lendemain, esttoujours en vigueur et si, conformément àl'article 4 dudit arrêté, les divers objectifs ducontrôle des chemins de fer sont bien, aujour-

SÉNAT — SÉANCE DU 13 MARS 1919 278

Paris. — Imprimerie des Journaux officiels, 31 quaI Voltaire.

d'hui, répartis exclusivement par Bivûre d'af­faires. (Question du 4 mars 1019.)

Réponse. — Réponse affirmative sur les deuxpoints.

Ordre du jour du mardi 18 mars.

A quinze heures. — Séance p îblique :

' Tirage au sort des bureaux.Suite de la discussion de la proposition

de loi, adoptée par la Chambre des députe.--,

tendant à la suppression du travail de nuitdans les boulangeries. (Nos 382, année 1917,et 237, année 1918. — M. Edouard Herriot,rapporteur.) — (Urgence déclarée.)

Suite de la discussion du projet deloi, adopté par la Chambre des députés,sur les unités de mesure. (N os 2D7, année1914, 31 et annexe, et 75, année 1918. —M. Cazeneuve, rapporteur.) — (Urgence dé­clarée.)

l r' délibération sur le projet de loi, adoptépar la Chambre des députés, tendant à au­toriser l'Algérie à demander à la banque del'Algérie une avance de 15 millions surle montant des valeurs constituant le place­

ment des fonds libres de la colonie. (NM 510,année 1918, et 78, année 1919. — M. G. Chas-tenet, rapporteur.;

Suite de la discussion du projet de lof,adopté par la Chambre des députés, relatifaux conventions collectives de travail.(N° s 393, année 1913, 493, année 19H, et anouvelle rédaction de la commission,année 1919. — M. Paul Strauss, rapporteur.)— (Urgence déclarée.)

l rc délibération sur la proposition de Icide MM. Henri Michel et Mascuraud, relativeà l'apprentissage. (N os 91, 262, année 1912,401, année 1914, 82 et 330, année 1918. —M. Henri Michel, rapporteur.)