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du c i néma documentaire Rencontres Les 17 e édition CinéMA LE MéLiès MontREuiL • 4 > 12 oCtobRE 2012 À LA PREMièRE PERsonnE

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Cette 17ème édition des Rencontres du cinéma documentaire, À la première personne, a été organisée en partenariat avec le cinéma Georges Méliès de Montreuil.

Déléguée générale : Corinne BoppCoordination générale : Marianne GeslinStagiaires : Agnès Dufour et Julie Nguyen Van QuiAttachée de presse : Anne Berrou

Conception graphique et maquette du catalogue :Damien Rossier – Scope Éditions - www.scope-editions.comImpression : SPEIDépliant programme d’après une conception originale d’Oside

Index des films 2084 de Chris Marker . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.31Aimée (L’) de Arnaud Desplechin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.20Ami entends-tu de Nathalie Nambot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.30Arirang de Kim Ki-duk . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.19Autobiographie #1 Rita Trinidad de Joseph Morder . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.12Avrum et Cipojra de Joseph Morder . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.12Barouh’ Hachem de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p.17Beau comme un camion de Antony Cordier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.22Chiri de Naomi Kawase . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.25Cinématon de Gérard Courant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.14Comme des lions de pierre à l’entrée de la nuit de Olivier Zuchuat . . . . . . . p.33Corps et la caméra, le cinéma de Jean-Daniel Pollet (Le), entretien avec Jean-Luc Godard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.29D’un chagrin, j’ai fait un repos de Laëtitia Carton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.34Demain et encore demain de Dominique Cabrera . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.21Dossier 332 (Le) de Noëlle Pujol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.23E 412b de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p.17El Impenetrable de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini . . . . . . . . . . . . .p.27Estudo para o vento de Aline Portugal et Julia De Simone . . . . . . . . . . . . . p.32Été madrilène (L’) de Joseph Morder . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.12Facing the scene de Anna Baranowski et Luise Schröder . . . . . . . . . . . . . . p.32Film portrait de Jerome Hill . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.18Free Radicals de Pip Chodorov . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.28Grandes espérances (Les) de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p.17Instinct de conservation (L’) de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.16J’aimerais partager le printemps avec quelqu’un de Joseph Morder . . . . . . p.12Journal de Joseph M (Le) de Gérard Courant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.13Kinophasie de Alexander Abaturov . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.34Kneidleh mon amour de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p.17Libro Nero de Daniela de Felice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.22Lui et moi de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p.17Lunettes (Les) de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p.17Main au-dessus du niveau du cœur (La) de Gaëlle Komar . . . . . . . . . . . . . . . p.32Maison de Pologne (La) de Joseph Morder . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.12Mémoires d’un Juif tropical de Joseph Morder . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.12Mercedes Dunavska ou l’impossible trajectoire A1 de Drazen Zanchi . . . . . . p.30Mes amoureux de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p.17Mes familiers de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p.17Myotis myotis de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.16Notes for Jerome de Jonas Mekas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.23Notes on The Circus de Jonas Mekas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.23Nous autres film collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.34Oiseaux d’Arabie (Les) de David Yon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.34Omelette (Nez-de-pied) de Rémi Lange . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.24Perspective du sous-sol de Olivier Zabat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.33Polanski et mon père de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.16Près du corps de Gaëlle Douël . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.32Ranger les photos de Laurent Roth et Dominique Cabrera . . . . . . . . . . . . . p.21Si j’avais quatre dromadaires de Chris Marker . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.31Tentative d’inventaire … de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.16Toilettes sèches (Les) de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p.17Tout a commencé par le sourire de Pauline Horovitz. . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.16Train en marche (Le) de Chris Marker . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.31Trois jours en Grèce de Jean-Daniel Pollet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.29Un jour j’ai décidé de Pauline Horovitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.16Une jeunesse amoureuse de François Caillat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.26

Nota bene : nous avons privilégié pour les notices le support de projection du film et non le support de tournage.

Sommaire

Éditoriaux ...............................................................................p.1Le « double-Je » de l’amateur professionnel par Caroline Zéau.... p.4Le cinéma de Joseph Morder par Dominique Bluher ....................p.7Gérard Courant ...................................................................... p.13Parcours : Pauline Horovitz ..................................................... p.15Avant-premières....................................................................p.25Soirée spéciale Jean-Luc Godard/Jean-Daniel Pollet................ p.29Carte blanche à l’association L’Abominable .............................p.30Séance pour Chris Marker ....................................................... p.31Fenêtre sur doc : Raretés et inédits d’aujourd’hui .................... p.32Ateliers/Rencontres ...............................................................p.34Calendrier ............................................................................. p.37

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Àlapremièrepersonne < Les Rencontres du cinéma documentaire

Le documentaire « À la première personne » : tel est le para-doxe auquel semble nous confronter cette année l’association Périphérie, à l’occasion de ses 17e Rencontres du cinéma docu-mentaire. Pourtant, l’étonnement que suscite cette proposition ne résiste pas longtemps à la compréhension de ce qu’est, par essence, ce genre exigeant : un point de vue singulier sur le monde.

La richesse de la programmation de cette nouvelle édition témoigne de la pertinence du choix de l’équipe de Périphérie, à laquelle le Département est fier de renouveler son soutien. Des projections aux master class, en passant par les cartes blanches des invités, ce fil rouge de la « première personne » nous ouvre, en effet, les multiples chemins par lesquels la subjectivité du regard sur le réel conduit à l’universalité des questions qu’il suscite. Que le réalisateur soit son propre sujet, mettant son journal intime en images, ou qu’il livre par sa voix son analyse d’un événement, le « je » est finalement toujours amené à dire « nous ».

C’est donc à une expérience de vie partagée que nous convient ces Rencontres, qui font la part belle aux cinéastes confirmés, avec Dominique Cabrera, François Caillat ou encore Kim Ki-duk, aux côtés des jeunes talents qui nous dévoilent ici leur univers. Documentaristes d’une vie ou d’une seule œuvre, chacun d’eux invite à une plongée dans l’intime, qui éclaire la pensée autant qu’elle nourrit la sensibilité. C’est bien là tout le sens de notre engagement, aux côtés de Périphérie, à promouvoir la diversité des cinématographies.

Plus qu’aucun autre, le film documentaire invite à un dialogue fécond avec les spectateurs. Avec Emmanuel Constant, Vice-président en charge de la culture, nous espérons donc que, cette année encore, ils viendront nombreux répondre à cet appel de la rencontre, placée sous le signe de l’émotion et de la réflexion.

Belles Rencontres à toutes et à tous !

Stéphane TrousselPrésident du Conseil général de la Seine-Saint-Denis

Édito

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Les Rencontres du cinéma documentaire > Àlapremièrepersonne

Quand le sujet se prend comme objet…> Jean-Patrick Lebel, Président de Périphérie

L’idée que le documentaire est l’apprentissage le plus élémentaire, – c’est-à-dire le plus simple et le plus fondamental – de la construction d’un regard singulier sur le monde, est à la base de l’existence de Périphérie. Que ce soit dans son action de soutien à la création ou dans son action d’éducation à l’image.En même temps, dans l’histoire du cinéma, face au film de fiction, le documentaire a toujours été, – surtout avec le surgissement des formats légers –, le lieu d’accueil et de développement des films «autres», des films hors genres, des films sans nom. Il a toujours flirté avec le cinéma expérimental et c’est en son sein qu’ont pris forme les films essais, les autobiographies et les journaux intimes…Filmer «À la première personne» est donc constitutif du documentaire en général. Mais ce qui fait la particularité de la programmation qui nous est proposée par ces 17èmes Rencontres sous cette appellation, c’est qu’ici le sujet filmeur se prend comme objet de film.Et, paradoxalement, dans la plupart des films que l’on va voir, cela aboutit non pas à une affirmation narcissique et nombriliste de soi-même, mais plutôt à une objectivation du moi. Par une sorte de retournement, il ne s’agit plus de filmer le monde de son point de vue personnel, mais de se filmer soi du point de vue du monde. En tout cas, comme faisant partie du monde, comme un «autre» parmi les autres. Donc ce qui est au cœur de ces films, c’est la relation cinéma-tographique dynamique, vivante, entre le monde et un moi, entre un corps particulier, le réel et les autres, dans une sorte de mouvement d’aller et retour, un processus «d’auto-réflexion» en quelque sorte. L’image de soi face à l’image du monde se réfléchissant mutuellement, c’est-à-dire la réflexion sur soi conduisant à la réflexion sur le monde et, inversement, la réflexion sur le monde poussant à approfondir la réflexion sur soi-même.Et ce qui préserve ce processus du narcissisme, c’est que c’est le spectateur, – chaque spectateur –, qui est l’arbitre et l’ordonnateur de cette confrontation. Comment se produit cette relation, comment opère cet arbitrage ? C’est cette question qui sera au cœur des échanges que nous pourrons avoir autour des films de cette programmation subtile, concoctée par Corinne Bopp (et sa complice, Marianne Geslin). Programmation qui, outre le juste hommage à Chris Marker, père fondateur du film-essai en France récemment disparu, unit des précurseurs comme Jonas Mekas ou Jean-Daniel Pollet, le pape du journal filmé Joseph Morder à des réalisatrices confirmées et connues comme Naomi Kawase ou Dominique Cabrera, à des jeunes créateurs comme Pauline Horovitz, ou des cinéastes notoires du cinéma de fiction qui font incursion dans le documentaire à la première personne, en passant par des francs-tireurs inclassables comme François Caillat…

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Àlapremièrepersonne < Les Rencontres du cinéma documentaire

À la première personne> Corinne Bopp

Cela commencerait par un album de famille feuilleté, les photographies qui défilent, témoins du temps qui marque les visages et les corps, et des modes qui se succèdent. Ce serait les regards qui passent d’une photographie à l’autre, celles qu’on détache de la page de carton pour chercher les légendes au dos, les mots qui reviennent, toujours les mêmes et toujours autres : « c’est le petit, là, il aimait bien ça, que je le prenne en photo… Tiens ma mère n’y est pas, forcément, c’est elle qui filme, avec la caméra Super 8 que mon père avait acheté, dont il était si fier… ».

De ces souvenirs que nous partageons tous ou dont nous avons, d’une manière ou d’une autre, pallié à l’éventuelle absence, il n’est guère étonnant que des cinéastes se soient emparés. Ces films À la première personne, à partir de cette matière absolument banale, familière, quoique jamais anodine, sont réalisés par des artistes qui ont décidé de ne pas choisir entre l’amour de la vie et du cinéma.

Se mêlent le désir de s’inscrire dans la tradition du roman familial, en lui donnant la forme cinématographique, le souhait d’insuffler sa subjectivité dans ce qui est souvent un enregistrement conventionnel des événements de la vie, le souci enfin d’ouvrir le cercle des « specta-teurs » de ces rencontres, de ces gestes tendres, de ces naissances, de ces enfants qui grandissent, deviennent parents à leur tour…

Rémi Lange exprime précisément cette intention, très ambitieuse, de faire du cinéma que nous pourrions presque qualifier d’à grand spectacle, en filmant ses proches en Super 8. Effectivement, son Omelette nous tient en haleine comme le ferait un film de fiction construit à partir d’un scénario savamment ficelé. Etre à la fois le témoin attentif et affectueux du réel de ses proches et dramatiser un récit qui puisse toucher le plus grand nombre d’entre nous est l’un des plus grands défis que se sont donné ces cinéastes généreux de leur propre image et de celles de ceux qu’ils aiment.

Ross McElwee, grand cinéaste de l’intime dont les films ont été montrés en 2004 aux Rencontres, écrit que quelque chose lui manque dans les documentaires qui se refusent à inclure une voix (off) et le « je ». En tant que cinéaste, ce serait occulter ce qu’ont pu être ses pensées et ses sentiments au moment du tournage ; en tant que spectateur, ne pas avoir accès au ressenti de celui qui filme. Cette frustration n’existe bien sûr pas toujours, mais je la comprends, la partage parfois. Elle renforce le respect et l’affection que je porte à ces cinéastes qui se lancent dans cette entreprise de découvrement personnel, que ce soit dans leur commentaire, leur présence physique à l’image, le choix de filmer le tout proche. Un exercice qui ne supporte aucune complaisance, aucune approximation.

En préparant la venue de Joseph Morder, nous avons travaillé, beau-coup ri et même baptisé ce courant : celui du Cinéma Underground Mégalomaniaquement Modeste (ou CUMM). Car, je crois l’avoir souli-gné, la modestie des moyens, dont le cinéma À la première personne s’enorgueillit facilement, n’exclut en rien un solide sens de l’humour, une grande ambition artistique et un désir de partage (non exempt d’une mégalomanie presque Hollywoodienne) sans limite…

Autour de Joseph Morder (dont nous fêterons l’anniversaire le 5 octobre, jour de sa Master class), nous vous proposons des films réalisés par certains de ses proches (Gérard Courant, Rémi Lange…), la découverte, en salle, du travail de la jeune réalisatrice Pauline Horovitz et de nombreux films en avant-première de François Caillat, Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini, Pip Chodorov. Nous sommes heureux de montrer, également en avant-première, Chiri (Trace) l’ultime film du cycle que Naomi Kawase, notre invitée l’année dernière, a consacré à sa grand-mère.La programmation alterne ainsi des films d’amis fidèles des Rencontres, des films nouveaux et des documentaires d’auteurs reconnus pour leur travail en fiction : Arnaud Desplechin, Antony Cordier, Kim Ki-duk.Deux séances spéciales nous permettent de rendre hommage à deux cinéastes qui nous tiennent particulièrement à cœur : Chris Marker et Jean-Daniel Pollet. À propos du Méditerranée de celui-ci s’exprime dans un entretien inédit et tout récent Jean-Luc Godard.Avec enfin, la carte blanche à nos amis de L’Abominable, les nombreux ateliers, débats et rencontres, je suis sûre que chacun trouvera à emprunter son chemin…

Avant-propos

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Les Rencontres du cinéma documentaire > Àlapremièrepersonne

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Pour aborder le sujet de la première personne au cinéma, il convient de le circonscrire car, au fond, de multiples manières, le cinéma d’auteur, dans son ensemble, dit « je » pour exprimer un rapport au monde, une subjectivité, une sensibilité artistique. Or, le « je » dont nous parlons ici est celui qui implique l’intimité de l’auteur, et son corps ; soit qu’il filme lui-même et que son corps imprime à la caméra ses mouvements, soit qu’il soit à l’image. Une question s’impose à l’historien de cinéma à laquelle il n’est pas aisé de répondre : à quand remonte les premières occurrences de ce « je » cinématographique ?L’assimilant à la hâte au film de famille, on pourrait être tenté d’identifier Le repas de bébé comme origine du genre. Certes, il y est question de la sphère intime si l’on sait que Louis filme son frère Auguste aux côtés de sa femme Marguerite et de son enfant Andrée. Mais le savoir suppose une connaissance extra-filmique de cette vue car rien ne dit la relation de l’opérateur à son sujet ; rien ne dit « je ». Et s’il est vrai que Robert Flaherty dit « je » au sein des cartons intro-ductifs de Nanook, c’est en référence au « je » des carnets de voyage

de l’explorateur car ce qui relève de l’intime (ses relations personnelles avec les personnages de son film) reste ici rigoureusement caché. Plus troublant encore est de constater qu’on ne connaît apparemment pas de films disant « je » durant la période allant des débuts du parlant aux débuts du direct. Nul besoin pourtant de synchronisme : de nombreux journaux filmés, notamment réalisés à partir de film 8 mm reposent sur l’association de l’image muette et de la bande son – voix over, musique - fabriquée dans l’après-coup des images (l’essentiel du cinéma de Jonas Mekas est ainsi fait, qui commence d’ailleurs à filmer dès 1949). Il aurait fallu attendre l’avènement du direct alors ? Oui, se dit-on de prime abord, c’est logique, le « je » c’est la parole… Mais ce que le direct a permis de gagner, c’est essentiellement la parole d’autrui ; comme en littérature, le style direct permet d’accéder à la parole des autres personnages de l’histoire, celle de l’auteur, du narrateur, elle, est déjà là, portée par le texte (« Longtemps je me suis levé de bonne heure… ») ou pour nous le commentaire. Ainsi donc les circonstances qui ont permis l’émergence du « je »

Le « double-Je » de l’amateur professionnel

> Caroline Zéau

Les Lunettes de Pauline Horovitz

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intime au cinéma ne relèvent pas de son évolution technologique mais bien plutôt, on en fera ici l’hypothèse, d’un mode de production des images, celui qui relève de l’amateurisme.Dans son texte « Le dispositif-amateur », François Albera rappelle que l’axe de l’histoire officielle du cinéma, celui qui commence par la « première projection publique payante », se double depuis toujours d’un deuxième axe, celui des pratiques non-professionnelles « où les machines d’images et de sons sont des objets domestiques, privés, familiaux, individuels : jouets optiques, appareil photo, gramophone, téléphone, télévision, Smartphone » et il souligne la porosité des frontières entre ces usages, la circulation nécessaire entre l’individuel et le collectif, le privé et le public1. La conversion aux valeurs artistiques de l’amateurisme, qu’appelait de ses vœux Jonas Mekas au nom du New American Cinema à la fin des années 50, s’inscrit au cœur de ce mouvement récurrent par lequel le cinéma amateur régénère les pratiques professionnelles. Les revendications des jeunes cinéastes américains qui s’expriment sous cette bannière sont de deux ordres ; il s’agit d’abord de chercher la vérité dans la réalité émotionnelle et intellectuelle la plus intime :« Comme le nouveau poète, écrit Mekas, le nouveau cinéaste n’est pas intéressé par ce qui est publiquement admis. Le nouvel artiste sait que la majeure partie de ce qui est dit en public est aujourd’hui corrompu et déformé. Il sait que la vérité est quelque part ailleurs, et pas dans le New York Times ni dans la Pravda. Il sent qu’il doit faire quelque chose pour sa propre conscience, qu’il doit se rebeller contre le tissu serré des mensonges. » Et plus loin : « le sort de l’homme est plus important que le sort de l’art ». Ainsi rejettent-ils en bloc les règles du cinéma commercial et la

1 Dans Ciné-dispositifs, sous la direction de François Albera et Maria Tortajada, éditions L’Age d’Homme, Lausanne, 2011.

dramaturgie imposée par les grands médias pour faire des films spontanés, libérés de toute contraintes techniques :« Tous (…) cherchent à se libérer du professionnalisme et de la technicité à outrance qui d’ordinaire musèle toute inspiration et spontanéité dans le cinéma officiel, se laissant davantage guider par l’intuition et l’improvisation que par la discipline. »Stan Brakhage, dans son texte « Défense de l’amateur », fait l’éloge de cette pratique du cinéma détaché des vanités professionnelles (il se dit « sans titre ») et des valeurs commerciales. Pour l’amateur, le home movie cherche à avoir prise sur le temps, à vaincre la mort2. La liberté – artistique, institutionnelle - de l’amateur reste une revendication fondatrice de la démarche de celui ou celle qui filme à la première personne, fût-ce à titre professionnel. On sait parce, qu’il l’a souvent dit, qu’elle détermine le parcours d’Alain Cavalier. Au début de son premier film Omelette, Rémi Lange renonce à l’écriture d’un scénario et aux exigences de la profession et avoue « le dégoût de filmer comme il faut, le goût malsain de filmer comme il ne faut pas ». Et quand il dit son admiration à Joseph Morder, celui-ci lui répond « je suis un homme ordinaire», un homme sans titre et qui après trente ans et plusieurs dizaines de films, réalise une fiction amateur avec un téléphone portable. Et quand le beau Sacha l’aborde et lui demande « Vous êtes réalisateur ? », Joseph Morder répond « heu…oui, je fais des films ». L’amateur est donc à divers titres ambivalent. François Albera pointe cette ambivalence dans la définition même du mot – on y trouve à la fois l’attachement, le désintéressement et la négligence – et dans la façon dont il est perçu : « (l’) injonction à être libre est consubstantielle à la figure de l’amateur que l’on accable en même temps qu’on exalte

2 Dans Le Je filmé, conçu par Yann Beauvais et Jean-Michel Bouhours, éditions du Centre Pompidou, 1995.

Omelette (Nez-de-pied) de Rémi Lange

Joseph Morder

Trois jours en Grèce de Jean-Daniel Pollet

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son libre-arbitre ». Il note également que le véritable amateur imite consciencieusement les usages professionnels que lui préconise la notice d’utilisation de son outil (voir aussi Roger Odin sur le film de famille) alors que l’amateur doté de velléités artistiques pourra multiplier les « erreurs » (problèmes d’exposition, filages, flous, mouvements rapides de la caméra, décadrages brutaux, anamorphoses, etc.) à des fins expérimentales. Ainsi souligne-t-il l’ambiguïté des rapports entre amateurs et innovateurs et le fait que ces ratés soient révélateurs des distorsions produites par l’appareil cinématographique tout autant que de celles produites par les mécanismes psychiques. Ainsi, le style « amateur » serait-il propre à exprimer ce qui relève de la vie intérieure…Et si l’amateur est ambivalent, le cinéaste amateur qui dit « je » l’est encore plus puisqu’il s’adonne au partage de l’irréductible singularité de l’intime. L’ouvrage dirigé par Yann Beauvais et Jean-Michel Bouhours et publié en 1995 par le Centre Pompidou désigne ce double jeu (ou « double-Je ») logé au cœur de cette pratique en titrant « Le Je à la caméra » l’introduction d’un volume intitulé Le Je filmé. Car telle est l’énigme que le journal filmé propose au spectateur : Où est le « je » ? Devant ou derrière ou dans la caméra ? Qui filme qui ? Qu’advient-il des limites – psychologiques, institutionnelles – du cinéma à la première personne ? Et de la place du spectateur ?Cette intrigante spécificité du cinéma à la première personne impose au sujet-auteur une limite que ne connaît pas l’égotisme littéraire : celui qui dit « je » filme ceux qui l’entourent. S’il est à la caméra, il n’est pas à l’image (si l’on excepte parfois son reflet dans un miroir) et s’il est à l’image, c’est qu’un autre le filme. Au début de Babel, Boris Lehman se demande: « Comment filmer mon errance ? Filmer ma solitude en me mettant dans l’image ou en m’effaçant ? Avec ou sans moi ? Parce que la caméra ce sera toujours moi. ». Ainsi, le journal filmé impose, techniquement, ce va-et-vient entre le « je » et le monde et les choix de mise en scène articulent de façon cruciale la tension qui s’y loge. Car si le cinéaste jouit de la liberté de l’amateur, il se soumet le plus souvent à la tyrannique exigence de vérité fondée sur le postulat fou, mais auquel le spectateur consent, de l’adéquation entre le cinéma et la vie. Dès lors, le champ et le hors-champ, les limites du cadre, l’espace entre le filmeur et le filmé, l’usage de la voix over, ou celle du son direct sont autant de moyen de reconsidérer « à la première personne » les contours de l’un et de l’autre. Pour le spectateur du journal filmé, les parois du film sont bientôt contaminées par le dédoublement du moi de l’auteur. Le décadrage en traduit le plus souvent le mouvement. Le dedans et le dehors fluctuent sans cesse à mesure que l’auteur-amateur y fait entrer le privé, le trivial, l’intime et la genèse même du film en cours, parfois sa négation. Dans Omelette, Rémi Lange devient le destinataire de ses propres images lorsque ses films lui reviennent du laboratoire par la poste. Il les revoit, en spectateur cette fois. Et moi, qui suis spectateur, si je connais le réalisateur, ou quelqu’un qui le connaît, suis-je encore au dehors du film ? Ou sur les bords, à la limite?

Vient alors le moment où le film prend la pas sur la vie, où il faut vivre pour pouvoir filmer, comme le prophétisaient Le journal de David Holzman de Jim McBride (1967) et l’Amateur de Krysztof Kieslowski (1979). « Il faut agir pour éviter de faire piétiner le film » dit Rémi Lange, « et fournir au spectateur des émotions ». Ainsi, le spectateur, en équilibre au bord du film, comme un personnage amateur en puissance ou en sursis, susceptible de basculer dans le film à son corps défendant, est en droit d’attendre la vérité. Pour Rémi Lange obtenir la confession de son père implique de le filmer : « Est-ce que j’ai le droit de faire de l’outing avec sa vie ? » se demande-t-il, et « si je le filme, tout le monde va savoir… » ou alors « faire croire au spectateur que le labo a renvoyé une bande noire » ? Mais filmer c’est vivre ; filmer c’est donc montrer, montrer tout. Il n’y a pas d’effacement possible, on ne peut pas tricher, arranger ça au montage. « Le journal et le film de famille, écrit Roger Odin, sont des exemples d’une écriture à la fois chronologique et fragmentaire fonctionnant par addition et par ajouts, sans repentirs ni corrections ». Pas de rature possible. Le cinéma se trouve affecté par le défilement irrémédiable de la vie. Mais alors, si les images disent tout, que taisent-elles ? Car celui qui filme à la première personne, en traçant son portrait en creux dans la vie qui l’entoure, sonde l’intime pour mieux en révéler le caractère impénétrable. Telle est l’ultime ambivalence du journal filmé, qui densifie le mystère à mesure qu’il dévoile.

Caroline Zéau - Septembre 2012

Lettre à mes amis restés en Belgique de Boris Lehman

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Le cinéma autobiographique occupe une place de choix dans l’œuvre de Joseph Morder. Depuis quarante-cinq ans, il n’a cessé de raconter sa vie en conjuguant attitudes documentarisante et fictionnalisante. Son œuvre représente un corpus unique, puisqu’elle déploie une somme de cinéma à la première personne : journaux aussi bien authentiques que faux, carnets de voyage, mémoires, portraits, fictions à clé et d’inspiration autobiographique, fictions adoptant la forme d’un journal ou d’une lettre filmée, autofictions, et enfin films de montage autobiographiques. Cette programmation des Rencontres du cinéma documentaire permet de (re)découvrir les multiples formes d’écri-tures du moi que Morder a explorées, de même que les puissances et impuissances de ces différents régimes d’écriture.

L’Été madrilène (Journal filmé 1) (juin-novembre 1978)L’Été madrilène (Journal filmé 1) est le premier épisode de son film-journal. Film-journal plutôt que journal filmé, si l’on suit la subtile différence entre « journal filmé » (film diary) et « film-journal » (diary film) que Jonas Mekas avait introduite, reprise et approfondie par le critique et théoricien David E. James.1 Le journal est une pratique qui se rapporte au filmage, à la prise de vues. C’est un work in progress, donc « inachevé ». Il est personnel, intime et n’est pas réalisé en vue d’une projection publique. Or, lorsqu’un cinéaste reprend son journal filmé,

Un cinéma qui substitue à ses regards un monde s’accordant à ses désirs

> Dominique Bluher

le monte et le met au point afin de le montrer à un public, si restreint soit-il, il ne s’agit plus d’un filmage en cours mais d’un « produit fini ». Le journal filmé devient un film-journal, ou alors – frisant le paradoxe – un journal intime public. Entre 1978 et 1982, Morder a ainsi réalisé un cycle de sept films-journaux qui ne représentent cependant qu’une infime partie de son immense journal filmé commencé en 1967, et qui doit approcher à présent les trois cents heures.Deux lignes de force traversent L’Été madrilène : l’affection que Morder éprouve pour son ami Dominique, et sa participation à des manifestations consacrées au cinéma « différent », « en marge » ou « éclaté », comme on disait alors. Ses films-journaux constituent une véritable histoire filmée de ce cinéma « différent » (tout comme ceux de Mekas). Rien que dans le premier épisode apparaissent nombre de figures marquantes du cinéma expérimental français des années 1970 et 1980 (hélas toujours trop méconnu, éclipsé par le cinéma underground américain), comme Gérard Courant, Marcel Hanoun, Michel Nedjar, Isobel Mendelson, Vincent Tolédano ou Dominique Noguez. Et même si Morder s’offusque de la « ringardise » de bien de films, ces années ont été « riches2». Des sections de festivals et programmations faisant la part belle au cinéma « différent » se multiplient, non seulement à Paris (Galerie de l’Ouvertür, Rencontres Cinéma en marge, Festival Cinéclats), mais aussi à La Rochelle (Festival Cinémarge), à

Joseph Morder

L’Été madrilène (tournage) L’Été madrilène (tournage)

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Hyères (Festival International du Jeune Cinéma), à Trouville (Festival de Jeune Cinéma), à Belfort (Rencontres des Jeunes Auteurs), à Clermont-Ferrand (Festival international du court métrage), ou à Namur (Festival international du film francophone), sans oublier le colloque de Lyon sur le « Cinéma indépendant, différent, expérimental », suite auquel se crée l’ACID (Association du cinéma indépendant et différent) – et je ne mentionne ici que des rencontres documentées dans L’Été madrilène. Tout un pan de cinéastes optèrent alors pour le Super 8, dont notamment la dite « école du corps ». Ils s’associent par affinités (Métro Barbès Rochechou’Art, Morlock…) ou pour créer des coopératives en vue améliorer la distribution de ce cinéma « éclaté » (Collectif Jeune Cinéma, la Paris Films Coop, la Coopérative des Cinéastes, Ciné Suite Action Super 8, Light Cone).

Le journal filmé est la forme la plus répandue des genres autobio-graphiques au cinéma, car il adhère parfaitement à sa nature même. C’est une écriture au présent du présent : de ce qui se présente au moment du filmage. Ainsi, et à la différence du journal écrit, le journal filmé se caractérise par une coïncidence entre prises de vue et vécu — alors que l’écrit peut difficilement supprimer l’écart entre le temps de l’écriture et les moments évoqués, et bien que le commentaire off rapproche le film-journal de son homologue écrit, puisqu’il revient in fine à la parole de préciser le contexte et d’exprimer les sentiments et réflexions. Le commentaire off (à ne pas confondre avec le commentaire dit en direct, « à chaud ») se distingue du journal écrit du fait qu’il n’est pas enregistré au jour le jour, mais après que le montage définitif a été réalisé, c’est-à-dire, dans le cas de Morder, environ six mois plus tard. En outre, même un filmeur frénétique ne peut ou ne veut pas « tout » filmer. Il y a des moments qu’on veut vivre sans les documenter. Les mots, par contre, puisqu’ils n’ont pas ce rapport motivé à leur référent, peuvent narrer les événements révolus sans dépendre d’aucune image.

La Maison de Pologne (1981-1983)La Maison de Pologne s’apparente le plus à ce qu’on considère comme un film autobiographique, si l’on adopte la définition aujourd’hui canonique que Philippe Lejeune a donné de l’autobiographie littéraire : un récit rétrospectif non-fictionnel « qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité3 ». Dans La Maison de Pologne, Morder raconte l’histoire douloureuse de sa famille juive, et plus particulière-ment celle de sa mère qui a miraculeusement survécu à ses internements à Auschwitz et Bergen-Belsen. Il y évoque aussi son enfance en Amérique latine et de son arrivée en France dans les années soixante. Mais La Maison de Pologne s’éloigne de l’autobiographie traditionnelle parce que c’est un film hétérogène composé de séquences tirées de son journal filmé, d’images de voyage de l’époque du tournage ainsi que de reprises de films de famille, et parce que le commentaire non plus propose un récit rétrospectif retraçant les étapes successives

de la vie afin de lui donner un sens. Le commentaire diffère aussi de celui de ses films-journaux. Dans La Maison de Pologne il y a deux voix-sans-corps : Morder ne dit pas le commentaire seul, mais commente les images en direct au cours d’une projection pendant laquelle il répond aux questions d’une jeune femme dont l’identité nous ne sera jamais révélée. En arrière-fond, on entend aussi, et assez distinctement, le léger bourdonnement du projecteur. Ainsi la bande-son crée-t-elle un effet d’immédiateté et de concomitance entre la projection durant laquelle Morder a enregistré son commentaire et celle à laquelle nous assistons, comme s’il commentait les images en direct pour nous dans la salle. Cette impression se trouve renforcée par le côté performatif du commentaire qui, à l’instar de ses films-journaux, a été improvisé en direct à partir de quelques notes et soutenu par l’anonymat de la jeune femme. Le « tu » auquel s’adresse Morder pourrait ainsi être un « moi », spectateur dans la salle. Par ce biais, La Maison de Pologne inscrit, dans le film même, le rapport si différent entretenu par des cinéastes-diaristes comme Mekas, Boris Lehman, ou Morder avec leurs spectateurs. Ils s’adressent non pas à un public anonyme, mais à des « tu », à des amis. Ou ils connaissent personnellement leurs spectateurs, ou l’on devient un proche par le simple fait d’assister à la projection, qui a par ailleurs quasiment toujours lieu en présence du cinéaste.

La Maison de Pologne (tournage)

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Devant évoquer l’histoire de sa famille juive internée ou exterminée dans des camps de concentration, Morder se voit confronté à filmer l’irreprésentable. « Il y a des choses qui ne me sont pas filmables », explique Morder pendant que l’on voit des images plutôt anodines prises lors d’un voyage à Berlin. « Évidemment, ce sont les camps. Et je crois que ça rejoint finalement le tabou de la représentation dans la religion juive, qui ne m’était jamais paru tellement évident avec mon habitude forcenée de filmer, mais peut-être cette habitude forcenée est une façon de contrecarrer cet interdit. Alors, je préfère toujours filmer ce que j’appelle des images secondaires, c’est-à-dire des moments de calme. Et derrière, il y a toute la violence que je porte en moi. Derrière ces canaux, derrière ces arbres, je voyais l’horreur de l’enfer. » Or, à mon sens, l’infilmable ne touche pas qu’à la Shoah mais à tout passé révolu. La Maison de Pologne se construit autour de deux pays lointains et absents : la Pologne – le pays d’origine de sa famille –, et l’Équateur où Morder a passé son enfance. Ni la Pologne ni l’Équateur ne sont représentés directement dans le film par des images de ces pays respectifs. Ne pas filmer en Pologne a été une décision politique (le général Jaruzelski avait déclaré la loi martiale le 13 décembre 1981), et Morder n’avait pas les moyens d’aller filmer en Équateur. Il fait de cette nécessité vertu, et trouve des formes pour figurer l’absence. Lorsqu’il filme les Buttes Chaumont enneigées, il ne crée pas des images de substitution : il a vraiment, comme il le dit, le sentiment de se trouver physiquement en Pologne. Et certaines images filmées à Paris ou Nice prennent, par la manière de cadrer, les formes et les couleurs sud-américaines telles que gravées dans sa mémoire : « Ces lieux et ces maisons sont les endroits les plus importants de mon existence, puisque ces sortes de façade porteront toutes les images que je ferai et que j’ai faites jusqu’ici », dira-t-il de ces façades transformées par son regard en ceux de son enfance. On retrouvera ce type de plans dans des films postérieurs comme Mémoires d’un Juif tropical. Mekas n’avait-il pas fait une expérience similaire lorsqu’il se rend compte du nombre de plans de neige et d’arbres qui envahissent ses journaux

filmés, alors qu’ils ne dominent pas le paysage newyorkais ? Mekas, cet exilé lituanien, a toujours été attiré par la neige et les arbres, alors que façades, palmiers parisiens et niçois deviennent sous le regard de notre Juif ceux de son enfance tropicale. Ces diaristes en proie au passé sont attirés par le passé dans le présent. Le lointain, en termes géographiques aussi bien que temporels, est toujours en quelque sorte présent à leurs côtés.

Mémoires d’un Juif tropical (1984-1986)Avec La Maison de Pologne, Morder avait aussi atteint certaines limites du film autobiographique. Respectant l’éthique documentaire, La Maison de Pologne ne raconte son histoire qu’avec des images documentaires prises sur le réel, et n’évoque que des faits vrais – à son escient – essentiellement en voix off. La Maison de Pologne comme ses (vrais) films-journaux ne comporte par conséquent ni recréation, ni mise-en-scène. Dans Mémoires d’un Juif tropical, Morder revient sur son enfance, mais il invente un dispositif qui lui permet de faire ressurgir le passé tout en mettant en scène de ces tours que joue la mémoire.Tourné en Super 8 durant l’été 1984, Mémoires d’un Juif tropical se présente au premier abord comme un journal filmé. La voix immédia-tement reconnaissable pour celui qui connaît Morder, nous dit qu’il restera l’été à Paris pour filmer son quotidien. Et tout comme dans ces journaux filmés, Morder va y consigner des événements marquants qui ancrent le récit dans la réalité historique de cet été précis : la nomination par François Mitterrand de Laurent Fabius comme Premier ministre, la célébration des Jeux Olympiques, ou la commémoration du 40e anniversaire de la libération de la France... Cet été-là, Morder, ou plutôt l’homme à la caméra car à aucun moment l’ambiguïté sur son identité ne sera levée, fait aussi « par hasard » la connaissance d’une jeune femme. On ne verra jamais non plus cette jeune femme. Ainsi, même si le hasard fait bien les choses et que le film commence au moment où se dessine une relation amoureuse, Morder en fin de compte n’y relate pas cette histoire, mais bien d’autres. Très vite,

Joseph Morder

Mémoires d’un Juif tropical

Mémoires d’un Juif tropical

Mémoires d’un Juif tropical

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Mémoires d’un Juif tropical s’avère être un journal peu orthodoxe. Dans la chaleur ardente, Paris, ses cafés et ses façades, devient sous le regard du filmeur la ville sud-américaine de sa jeunesse. Sa mémoire se « dédouble », il est pris de visions. Apparaissent des personnages ayant peuplé son enfance : ses parents, Éva, « la meilleure amie de sa mère » et « la plus belle femme du monde ». Il reçoit des visites « d’un monsieur très élégant »… monsieur le Diable en personne. L’apparition du Diable, tôt au début du film, heurte tellement la vraisemblance qu’elle devrait mettre la puce à l’oreille des spectateurs : il ne s’agit pas de la reconstitution d’un événement qui aurait eu lieu tel quel, mais d’une représentation de l’effet séduisant que ce « monsieur très élégant » a sur le jeune garçon.À croiser les informations dont on dispose sur Morder avec ce Juif tropical, on découvre d’importantes correspondances : tous deux sont nés à Trinidad de parents d’origine juive polonaise et tous deux ont vécu en Équateur jusqu’à l’âge de douze ans ; leur mère est une rescapée des camps de concentration ; ils arrivent en France avec leur mère pour retrouver leur grand-père qui a, lui aussi, survécu à la Shoah. Leur père ne les accompagnera pas et ainsi disparaîtra de leur vie. Ils sont tous les deux hantés par l’accusation contre les Juifs d’avoir tué Jésus, et réconfortés par le fait d’avoir été trop jeunes pour être responsable de sa mort… Par contre, si l’on compare l’apparition d’Éva dans Mémoires d’un Juif tropical avec la visite de Rosa filmée dans Le Chien amoureux (Journal filmé 2), le deuxième épisode du film-journal, la donne change. Rosa était la meilleure amie de sa mère et une compagne de déportation retrouvée en Équateur. Elle était pour Morder « la plus belle femme du monde ». Dans Le Chien amoureux, donc cinq ans auparavant, Morder avait osé l’interroger sur un de ses plus précieux souvenirs d’enfance : Rosa fumant des cigarettes « à paquets en forme de chameau ». Rosa lui répond alors qu’elle n’a jamais fumé

de Camel. Morder est « abasourdi […] et s’interroge sur la véracité des souvenirs d’enfance ». Or, Éva, la résurrection fictionnelle de Rosa qui a pris des apparences les plus hollywoodiennes, fume des cigarettes « à paquets en forme de chameau ». La portée affective du souvenir l’emporte sur la véracité des faits. À la fin de son texte crucial « Sur les souvenirs-écrans », Sigmund Freud l’avait bien noté : « Il se peut qu’il soit tout à fait oiseux de se demander si nous avons des souvenirs conscients provenant de notre enfance ou s’il ne s’agit pas plutôt de souvenirs sur notre enfance. Nos souvenirs d’enfance nous montrent les premières années de notre vie, non comme elles étaient, mais comme elles sont apparues à des époques ultérieures d’évocation ; les souvenirs d’enfance n’ont pas émergé, comme on a coutume de le dire, à ces époques d’évocation, mais c’est alors qu’ils ont été formés et toute une série de motifs dont la vérité historique est le dernier des soucis, ont influencé cette formation aussi bien que le choix des souvenirs. »4

Mémoires d’un Juif tropical correspond en fait à ce que l’on qualifie aujourd’hui, à la suite du théoricien et écrivain Serge Doubrovsky qui forgea le terme, d’autofiction. L’autofiction est sans aucun doute l’évolution la plus importante depuis que les auteurs osent parler d’eux-mêmes. Lorsque Morder tourne Mémoires d’un Juif tropical, l’autofiction commence à être une forme de récit autobiographique littéraire de plus en plus pratiquée en France. Rappelons les œuvres autofictionnelles de George Perec, Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet, Roland Barthes, Marguerite Duras, Annie Ernaux, plus récemment Camille Laurens, Christine Angot, Catherine Cusset, Philippe Forest et Chloé Delaume. Alors que l’autobiographie repose sur la crédulité aux faits et qu’il faut « juste » trouver une forme pour les rendre, l’autofiction ne connaît plus cette innocence. Depuis que la psychanalyse et le (post)structuralisme nous ont appris que nous parlons autant la langue que nous sommes parlés par elle, nous doutons de la possibilité de référents « hors texte » et n’ignorons plus que l’expression et la ré-mémorisation de « faits vrais » sont des faits de langage. Il faut réfléchir aux termes de la définition de Doubrovsky : « Fiction d’événements et de faits strictement réels ; si l’on veut, autofiction, d’avoir confié le langage d’une aventure à l’aventure du langage...5 » L’autofiction reconnaît bien davantage que l’autobiographie le façonnement des « faits réels » par sa mise en discours. Elle ne se méprend pas au sujet de l’emprise du langage (verbal ou audio-visuel) sur le récit, et même expose sa nécessaire « fabrication ».

« Autobiographies » (mars–juin 2011) et « Un Sud-Américain à Paris » (juillet 2012)Grâce à Luc Lagier, qui propose à Morder de participer au web-magazine Blow-up sur le site d’ARTE, Morder est amené à raconter une fois de plus son enfance et son arrivée à Paris. Jusqu’à présent, il a réalisé deux séries de quatre courts-métrages autobiographiques. Chaque sketch est un petit film de montage d’environ cinq minutes, un

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Joseph Morder

film de found footage, dans lequel il a repris des séquences de ses propres films mais surtout, profitant d’un vide juridique, des extraits de grandes productions cinématographiques de Vincente Minelli, Douglas Sirk, Charles Vidor ou d’Ernst Marischka (le réalisateur de la fameuse trilogie Sissi) : des extraits de films « qui ont regardé notre enfance » dont aimait parler le ciné-fils Serge Daney. Non seulement Morder réussit à se raconter sous une forme toute nouvelle, mais il réalise en plus un fantasme : faire jouer, danser et chanter des stars hollywoodiennes comme Rita Hayworth, Leslie Caron, Romy Schneider, Gene Kelly ou Maurice Chevalier. Les sujets de ces vidéos sont familiers au spectateur de son cinéma. Morder les a déjà traités de manière documentaire ou fictionnelle dans d’autres films. Après avoir filmé et mis en scène sa vie de filmeur et son passé, Morder travaille ici avec des souvenirs vus à l’écran, de véritables « souvenirs-écran ». On ne saurait trancher si Morder vit à l’écran l’incarnation d’événements qui le préoccupaient enfant, ou si les films lui fournissent matière à s’y projeter, dans l’écran ou dans l’enfance. Mais comme Jean-Luc Godard l’a fait dire à André Bazin au début du Mépris : « Le cinéma substitue à nos regards un monde qui s’accorde à nos désirs. »

Dominique Bluher - Septembre 2012

1 Jonas Mekas, « Le Film-Journal (à propos de Reminiscences of a Journey to Lithuania) » (1972), dans Danièle Hibon et Françoise Bonnefoy (dir.), Jonas Mekas, Galerie nationale du Jeu de Paume, 1992, pp. 47-56 ; James David E., « Journal filmé/Film-Journal. Pratique et produit dans Walden de Jonas Mekas » (1992), dans Pip Chodorov et Christian Lebrat (dir.), Le Livre de Walden, Paris Expérimental/Light Cone Vidéo, 1997, pp. 13-38.

2 Pour reprendre le titre d’une lettre ouverte signée par Raphaël Bassan, Gérard Courant, Christian Lebrat, Dominique Noguez ; « Les riches années 1970 dans le cinéma expérimental français (Réponse à Rose Lowder). » 1895 n° 43, juin 2004, pp. 141-147. Dès ces débuts, Noguez et Basssan notamment ont accompagné par leurs écrits ce cinéma. Cf. en particulier Noguez, Le Cinéma autrement, U.G.E., 1977, Éloge du cinéma expérimental. Centre Georges Pompidou, 1979, et Trente Ans de cinéma expérimental en France (1950-1980), Arcef, 1982 ; Guy Hennebelle et Bassan (dir.), Cinéma d’avant-garde, Cinémaction n°10-11, printemps-été 1980 ; Bassan, « Lexique formel, historique et affectif des années 60-90 », accessible en ligne http://www.cineastes.net/textes/bassan-lexique.html. Voir aussi Nicole Brenez et Christian Lebrat (dir.), Jeune, dure et pure! Une histoire du cinéma d’avant-garde et expérimental en France. Paris/Milan, Cinémathèque française/Mazzotta, 2001 ; Jean-Marc Manach, « Les rapports vert, gris et vert-de-gris (cinéma expérimental, l’institutionnalisation impossible) », Cahiers du Paris Experimental 4, novembre 2001 ; accessible en ligne http://emedia.free.fr/exp/exp00.html ; le site web (http://www.gerardcourant.com) de Courant comporte également une riche documentation sur ces années.

3 Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Seuil, 1975, p. 14.

4 Sigmund Freud, « Sur les souvenirs-écrans » (1899), dans Névrose, psychose et perversion, PUF, 1973, p. 132.

5 Serge Doubrovsky, Fils, Galilée, 1977, quatrième de couverture.

BiographieD’origine polonaise, né aux Antilles en 1949, Joseph Morder a vécu sa jeunesse sous les tropiques de l’Amérique du Sud avant de débarquer à Paris à l’âge de douze ans. Figure majeure du cinéma underground français et principal adepte du Journal filmé, il construit depuis plus de trente

ans une œuvre gigantesque composée de quelque huit cents films à la frontière des genres, entre documentaire, film expérimental et fiction. Pour son dix-huitième anniversaire, il reçoit en cadeau une caméra Super 8 qui deviendra son format favori dès 1967, date à laquelle il commence à réaliser son journal filmé, la tentative la plus aboutie pour composer un monumental autoportrait : cinquante heures d’une vie, la sienne, de la vie de ses proches, cinquante heures d’archives, de mémoire, de voyages...

Filmographie sélectiveDepuis 1967 - Les Archives Morlock (Manifestations du 1er mai, campagnes électorales...) - Le Journal filmé1978 - L’Été madrilène1978 - Le Chien amoureux 1979-1981 - Les Sorties de Charlerine Dupas 1982 - Les Nuages américains 1983 - La Maison de Pologne1986 - Mémoires d’un Juif tropical 1988 - L’Arbre mort 1991 - Romamor 1996 - La Plage (les lieux du mélodrame)1997 - La Reine de Trinidad 2000 - Mes sept mères2004 - Maman, il y a un coup d’état en Équateur !2005 - El Cantor2005- Lettre filmée de Joseph Morder à Alain Cavalier 2007 - J’aimerais partager le printemps avec quelqu’un 2011-2012 - Épisodes « Carte blanche » pour le web-magazine Blow up sur arte.tv

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Mémoires d’un Juif tropicalPendant l’été 84, Joseph Morder profite d’un séjour forcé à Paris pour commencer une sorte de journal filmé. Au fil des jours, il réalise que les murs parisiens ressemblent étrangement à ceux de son enfance en Amérique du sud. Au milieu des paysages et des personnages, il entame une histoire d’amour, Paris devient Guayaquil, la ville de son enfance tropicale...

France, 79’, 1986, vidéo, prod. La Boîte à image, dist. La Vie est belle

J’aimerais partager le printemps avec quelqu’un « À la demande du Festival Pocket Films, j’ai entrepris le tournage d’un journal filmé avec un téléphone portable-caméra, entre février et mai 2007. Un récent emménagement, des voyages, des dates anniversaires importantes, la vente de l’appartement familial, la campagne des élections présidentielles, la rencontre avec Sacha.» Joseph Morder

France, 85’, 2008, vidéo , prod. et dist. La Vie est belle

Autobiographie #1, Rita Trinidad Épisode de la série Blow up sur arte.tv. Quand la venue de la sublime Rita Hayworth à Trinidad trouble la quiétude de la famille Morder au grand complet.

France, 7’, 2012, prod. Camera Lucida, arte.tv

Avrum et CipojraUne journée dans la vie des grands-parents de Joseph Morder, habi-tants du quartier de Belleville. Sublimés par la pellicule super 8, Avrum et Cipojra s’éveillent et vaquent à leurs occupations quotidiennes. Cipojra fait le marché. Avrum lit son journal. Alors qu’ils s’apprêtent à se mettre à table, la caméra découvre des tatouages qu’ils portent tous deux sur les avant-bras...

France, 12’, 1973, DVD, prod. et dist. Joseph Morder

L’Été Madrilène «Dans les années soixante, j’ai vu Octobre à Madrid de Marcel Hanoun. Ça a été pour moi une révélation qui a servi de modèle pour mon bout de journal qui s’appelle L’Été madrilène». Premier épisode de son journal filmé et tourné lors d’un voyage en Espagne, Joseph Morder renoue avec la langue castillane qui possède pour lui le charme des origines, en Équateur.

France, 90’, 1979, Super 8, prod. & dist. Joseph Morder

La Maison de PologneA travers des vues de différents lieux et de vieux films de famille, Joseph Morder, qui commente lui-même les images en dialoguant avec une amie, voyage dans le temps et dans l’espace pour raconter l’histoire de sa famille, des juifs immigrés venant de Pologne. Un film nostalgique et intimiste tourné en amateur éclairé avec une caméra Super 8.

France, 54’, 1983, beta num, prod. G.R.E.C, dist. Joseph Morder

Joseph Morder

Mémoires d’un Juif tropical

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Le Journal de Joseph M de Gérard Courant

Quand un filmeur rencontre un autre filmeur, qu’est-ce qu’ils se racontent ? Des histoires de filmeurs. Mais pas seulement, ils se filment aussi. C’est ainsi que Gérard Courant compose avec Le Journal de Joseph M en 1999 un bien beau portrait du cinéaste Joseph Morder. Il faut prendre ici le mot portrait au sens qu’il a en peinture, comme on dit « un portrait équestre » c’est à dire avec le bonhomme à cheval. Joseph Morder est donc saisi dans quelques situations bien choisies, se livrant à l’occupation qui lui est devenue une seconde nature : filmer.(…)On s’y sent très vite à l’aise, entre le dialogue des deux cabots, Morder et Moullet aboyant à quatre pattes sur le gazon, la cérémonie Morlock, la découverte de la jungle du jardin de Godin en Belgique, l’étrange rencontre avec le cinéaste de La Fée sanguinaire (1968). Les étagères sont remplies de livres et de bobines de film, les caméras et projecteurs font entendre leur ronronnement familier. C’est le bonheur.Cette décontraction de ton n’empêche pas la précision de la description de l’homme au travail..(…) Manière de dire l’importance de l’acte. Le Journal de Joseph M est aussi une très sérieuse réflexion sur la nature du travail de cinéaste. Que filmer, pourquoi et comment ? Et toutes ces sortes de choses... Il atteint par là un objectif essentiel, donner envie de découvrir les films de Morder.Une autre dimension ajoute, si besoin était, de l’intérêt au film. Le jeu entre portrait et autoportrait. Au bout d’une dizaine de minutes, un

superbe plan est tout à fait explicite. Joseph Morder filme à travers sa fenêtre. Sur le côté, dans une belle lumière de film noir, il y a un miroir qui reflète le filmeur, filmé par Courant. L’axe de la Super 8 de Morder est assez proche de l’axe de la vidéo de Courant. Caché derrière son objectif, le reflet est autant celui du portraituré que celui du portraitiste. À travers cet homme dont le rapport intime au cinéma et au geste cinématographique est si proche, Gérard Courant fait son propre portrait, partage les mêmes réflexions et reprend ses figures de style favorites : les Cinématons consacrés à Morder, la projection de ses films, le couple, la rue de l’enfance. A de nombreuses reprises, il passe de l’image vidéo à l’image Super 8, celle que l’on voit Morder filmer. Jeux d’emboîtement. Jeux entre réel et fiction quand Morder et Françoise Michaud semblent jouer à la sortie d’une séance de cinéma. Jeux des regards qui se superposent, ne font plus qu’un, des deux frères en cinéma.

Vincent Jourdan, L’Homme à la (petite) caméra, Inisfree, 5 février 2011

France/Belgique, 59’,1999, beta num, prod. Cinq Continents, Play Film, Alcyon Film, Canal +, RTBF, Canal + Belgique, dist. Les amis de Cinématon, Gérard Courant

Gérard Courant

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SurleSCinématonSdeGérardCourant

Cinématon de Gérard Courant est une série de portraits cinématogra-phiques, en un seul gros plan fixe et muet, initiée le 18 octobre 1977.La personne filmée est libre de faire ce qu’elle veut devant la caméra, pendant 3’30, soit le temps d’une bobine de Super 8.Au 12 septembre 2012, 2631 Cinématons ont été réalisés.

Pendant le festival sont projetés :• Joseph Morder n°21, n°74, n°1968• Marcel Hanoun n°60 • Jean-Luc Godard n°106• François Caillat n°1594 • Rémi Lange n°1735 et n°2101 • Boris Lehman n°468 • Jonas Mekas n°1590• Pip Chodorov n°1993

“Gérard Courant est un grand metteur en scène. Ses Cinématons sont des documents uniques et extraordinaires. Un jour, Pasolini m’a dit : « C’est un peu bête que toi et moi on fasse du cinéma car le cinéma va s’autodétruire ». Et bien, quand le cinéma aura disparu, il restera les Cinématons.”

Fernando Arrabal, Émission Club 6, M6, 17 mars 1988

“Avec le presse-purée électrique, la bombe atomique, la Mariée mise à nu par ses célibataires même, le cinéma sans images et l’orange sans pépins, les Cinématons sont, à l’évidence, une des inventions majeures du XX e siècle. Louons-en à jamais leur fondateur et tressons-lui une dernière couronne de périphrases méritées : salut donc à toi, ô Nadar du Super 8, ô grand ordonnateur de nos pompes pas encore funèbres, ô Saint-Simon visuel de cette fin de siècle, ô Jivaro de nos têtes !”

Dominique Noguez, Éloge du cinéma expérimental, Éditions Paris expérimental, 2000

“Ça serait une erreur de croire que Cinématon a à voir avec le sadisme ou le masochisme. Il n’y a pas de lien sadique ou masochiste entre les gens filmés et celui qui les filme. C’est beaucoup plus une question de souffrance-plaisir. Plaisir de se trouver face à la caméra. Souffrance d’y rester. Et pour le cinéaste, plaisir de filmer.On pourrait même dire que cette souffrance et ce plaisir sont indisso-ciables, que ce ne sont pas deux qualités qui se complètent mais bel et bien une seule et même qualité. Bien entendu, tout ça est voulu par ceux qui acceptent de se plier aux règles du Cinématon. Le simple fait de se prêter à ce jeu implique, au départ, une volonté de s’enchaîner à votre caméra et, pendant que le film se fait, une envie de s’en libérer, de partir, de tout laisser tomber, dire : « Stop ».”

Michel Foucault, 3 décembre 1981

Joseph Morder n°21

Jean-Luc Godard n°106

Marcel Hanoun n°60

Joseph Morder n°1968

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Parcours : Pauline Horovitz

Sous la forme de propositions brèves, au ton enjoué, malicieux, voire caustique, affichant une neutralité documentaire sans apprêt, les films de Pauline Horovitz instruisent des épisodes familiaux ou personnels curieux ou divers modes de comportement en société. Si l’observation de sa propre famille constitue le motif privilégié de ses films, la loi sociale en est le fil conducteur. Comment échapper à la norme ? Comment contourner une règle ? Quelle est la nature de la relation entre une loi et sa transgression ? Proches d’une tradition littéraire héritée de Georges Perec, activée dans le champ de l’art contemporain par des artistes comme Christian Boltanski ou Valérie Mréjen, ses films explorent les rituels de la vie quotidienne, le savoir-vivre et les interdits, les goûts et les phobies au gré de listes et d’inventaires. Dans son premier opus, Tout a com-mencé par le sourire, elle se complaît dans le catalogue ironique de ses tares physiques : mâchoires décalées, myopie évolutive, mollesse des membres, incontinence, rétroversion du bassin. L’irréversibilité de ses défauts dessine une loi implacable à la manière d’un destin. Tentative d’inventaire énumère ses goûts alimentaires. Quelle est la norme ? Le gruyère trempé dans le chocolat ou la tartine de moutarde sont-ils des aliments plus singuliers que le foie de génisse ou la cervelle d’agneau ? Un jour j’ai décidé s’attache à décrire le moment de rébellion au cours duquel l’individu énonce subitement des choix personnels, en rupture avec les interdits familiaux que sont le devoir d’amabilité, la correction du maintien, la norme alimentaire. Le refus de manger de la viande est présenté à plusieurs reprises dans ses films comme un acte hors-la-loi. La loi est bien sûr incarnée par la famille. Dans L’instinct de conservation,

Pauline Horovitz dresse un inventaire des objets qu’elle aime conserver. « Je garde tout », prévient-elle d’emblée. Billets de cinéma, timbres, figurines, savons, jouets en plastique, sachets de sucre, photos, ours en peluche, lettres, brevet de natation constituent un répertoire disparate des reliques du quotidien. La question de l’archive divise la famille. Si le père, souvent en voyage ou absent, garde sa valise toujours prête, la mère jette tout. Conserver, stocker, énumérer, jeter, choisir, s’alimenter sont autant de déclinaisons de la loi familiale.

BiographiePauline HorovitzNée en 1978, Pauline Horovitz commence par faire des études de philologie romane à l’École des chartes avant de s’apercevoir qu’elle veut faire de la bande dessinée. Elle entre alors à l’École nationale supérieure des arts décoratifs, où « elle évite la sculpture et les installations en bricolant des films ». À partir de 2007, elle travaille en résidence à la Casa de Velázquez de Madrid comme cinéaste, et dans le même temps, collabore régulièrement avec Cut Up, une revue documentaire diffusée par Arte et produite par Quark Productions. Habituée des formats courts, elle réalise en 2011 son premier long métrage Pleure ma fille, tu pisseras moins. Son œuvre, petit théâtre de l’intime et du familial, se joue habilement des normes et des rituels quotidiens.

Mes amoureux

Tout a commencé par le sourire

Mes familiers

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Pauline Horovitz affectionne une certaine excentricité. Dans Myotis myotis, nous découvrons à la fin du film que l’absurde conversation téléphonique concernait un « centre de rééducation lent » pour chauve-souris enfumée. Manuel d’incivilité se propose plus ordinairement d’observer les écarts de conduite dans les transports en commun, ou comment bloquer ou forcer le passage, foncer pour avoir une place assise, voyager debout confortablement, faire profiter ses voisins de ses goûts musicaux, humilier un mendiant, c’est-à-dire se tenir au bord de la loi sans la transgresser de façon manifeste. Mais nul besoin d’observer des situations extrêmes. En témoignent ses deux portraits familiaux, assez savoureux. Qu’il s’agisse de son père (Polanski et mon père) ou de sa tante Sophie (Les Toilettes sèches), chacun manifeste l’affirmation têtue d’un mode de vie où la limite du normal et du pathologique se trouve débordée. Si le père stocke les papiers d’emballage et se nourrit de gâteaux au chocolat industriels dans son appartement aux vieux papiers peints, la tante Sophie défend avec véhémence le principe des toilettes sèches où l’eau est remplacée par la sciure. Jusqu’où l’impératif écologique rencontre-t-il chez elle une étrange manie ? On apprend qu’elle recycle l’eau du thé et impose à sa famille, par une logique retorse, des pommes pourries tout au long de l’année. La norme sociale définit une manière d’éliminer les restes. Telles sont les leçons de l’archive (jeter ou ne pas jeter), du régime alimentaire (viande ou légumes) ou de l’étiquette (obéir ou se révolter). Définir sa propre loi suppose d’inventer une économie nouvelle de l’archive. Le charme des films de Pauline Horovitz tient à l’observation ironique de nos habitudes domestiques. La communauté de l’âge démocratique se compose désormais d’une constellation volatile de conduites singulières où chacun se définit par un écart stylistique. Nous ne sommes plus dans la logique de l’affrontement ou du conflit, mais à l’ère de la négociation. Sans doute est-ce le mérite de ses films d’explorer la dimension fantastique de cette communauté.

Érik Bullot, Hors-la-loi : Notes sur les films de Pauline Horovitz,catalogue Casa Velásquez, Madrid, 2009

Tout a commencé par le sourire Autoportrait à travers un inventaire de défauts physiques.

France, 2’05, 2005, vidéo, prod. ENSAD

Un jour j’ai décidé Une éducation bourgeoise et ses clichés, transmis de mère en fille.

France, 6’30, 2007, vidéo, prod. ENSAD

L’Instinct de conservation Sur tous les objets qui devraient finir à la poubelle, mais que je garde, parce qu’ils sont devenus des reliques.

France, 4’, 2008, vidéo, prod. et dist. Quark Productions, Arte France

Tentative d’inventaire de tous les aliments remarquables ingurgités depuis ma naissanceCatalogue de bizarreries alimentaires et ode à la junk food.

France, 3’40, 2008, vidéo, prod. et dist. Quark Productions, Arte France

Polanski et mon père Mon père dit que le meilleur métier, c’est médecin ou avocat. Je suis cinéaste. Et c’est la première fois que mon père accepte d’être filmé.

France, 8’, 2008, vidéo, prod. et dist. Quark Productions, Arte France

Myotis myotisPortrait d’un ancien pensionnaire du Muséum d’histoire naturelle de Bourges.

France, 6’, 2008, portrait sonore, Prod. Scénarioaulongcourt (Atelier Portraits sonores).

Barouh’ Hachem

Un jour j’ai décidé

L’Instinct de conservation

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Pauline Horovitz

Les Toilettes sèches La révolution écologique est en marche, mais elle ne fait pas encore l’unanimité.

France, 4’30, 2009, vidéo, prod. et dist. Quark Productions, Arte France

Mes amoureuxRetrouvailles avec mon amoureux de CM1 et mon instituteur d’école primaire.

France, 4’30, 2009, vidéo, prod. et dist. Quark Productions, Arte France

Les Grandes espérancesMarc, apprenti ingénieur, déteste la mécanique. Il est à la recherche d’un stage.

France, 5’05, 2009, vidéo, prod. et dist. Quark Productions, Arte France

Mes familiersEn souvenir de mes animaux familiers morts tragiquement.

France, 4’25, 2010, vidéo, prod. et dist. Quark Productions, Arte France

Kneidleh mon amourCertains plats ne s’apprécient que si l’on est né avec.

France, 5’20, 2010, vidéo, prod. et dist. Quark Productions, Arte France

Barouh’ HachemÉloge de la perruque.

France, 5’20, 2010, vidéo, prod. et dist. Quark Productions , Arte France

E 412b Éloge de la pâtisserie industrielle.

Les Lunettes Histoire d’une collection.

Lui et moi Une impossible séparation.

France, Canada, 3x1’, 2011, vidéo, prod. et dist. Quark Productions, Arte France, Office national du Film

L’Instinct de conservation

Les Grandes espérances

Polanski et mon père

Les Toilettes sèches

Lui et moi

Kneidleh mon amour

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Soirée d’ouvertureFilm portrait de Jerome Hill

Film Portrait est une œuvre de l’intime et un film sur l’art du cinéma, et le cinéma d’avant-garde. ( …) Ainsi ce film – un film sur le passage du temps, un film sur le cinéma (le temps qui avance et qui recule), un film sur une époque toute entière, un film sur un style de vie reflété à travers une famille américaine- est aussi le film d’une libération personnelle. Il s’agit d’un artiste qui se libère de sa famille, de sa classe, des styles artistiques favorisés par ses contemporains. Et ce qui reste le plus unique et singulier, est que cette libération s’est faite par le cinéma, par la caméra cinématographique. Si Film Portrait engage profondément Jerome Hill dans la sensibilité du cinéma moderne, quel qu’en ait été le prix, il se dégage autant d’amour dans les images de son enfance que dans l’image du cinéma. Toujours l’enfance, toujours la mère ! Les images de l’enfance de Hill, telles qu’elles nous sont données dans Film Portrait, comptent parmi les images d’enfance les plus tendres que j’ai vues.

Jonas Mekas in Favorite Movies, Critic’s choice, Philip Nobile (dir.), 1973

Avec Film Portrait, sa grande œuvre terminée peu avant sa mort, Jerome Hill marque les prémices du genre du journal filmé, qui sera plus tard institutionnalisé par Jonas Mekas, son grand ami. Ce long métrage autobiographique rassemble une vie de cinéma, influencée par ses fondateurs - George Méliès et les Frères Lumière sont crédités au générique du film – et manifeste notamment l’évolution de l’avant-garde expérimentale américaine. Connu principalement pour ses activités de mécénat, Jerome Hill était également un touche-à-tout inventif, peintre, musicien, photographe et cinéaste. Sa générosité aussi bien sensible que financière a consi-dérablement déterminé le visage du cinéma underground américain.Après New York et Paris, il s’installe à Cassis à la fin des années 30, et y accueille des artistes amis, qui viennent peindre, filmer, danser sur la scène de l’amphithéâtre installé dans son jardin, face à la mer.

États-Unis, 81’, 1972, 16mm, prod. Jerome Hill, dist. Light Cone

Quinzaine des Réalisateurs 1972London Film Festival 1972 : Film of the year

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Soirée de clôtureArirang de Kim Ki-duk

Une comédienne a failli mourir sur le tournage de Dream. Alors que nous filmions une scène de suicide, l’actrice est restée suspendue à une corde et personne ne semblait en mesure de faire quoi que ce soit. Heureusement, nous avions laissé un escabeau de 50 cm en-dessous . Si je ne m’étais pas précipité sur l’escabeau et n’avais pas délié la corde…Je me suis effondré et j’ai éclaté en sanglot, en me cachant de l’équipe.Cet accident, dont le souvenir est toujours douloureux, m’a fait reconsidérer les 15 films que j’ai enchaîné frénétiquement pendant mes 13 années de carrière.Des films…Pendant cette période à la fois magnifique et dure, excitante, intense et difficile, merveilleuse d’imagination créatrice au travail, je me suis désinteressé de ma vie.Pendant que je m’efforçais de raconter des histoires fortes de la manière la plus âpre, douloureuse, étonnante, froide, possible… toutes les émotions ont fini par m’infecter comme un virus.J’étais devenu l’homme le plus triste du monde, ce monde dont j’avais l’illusion que je le manipulais.À ce moment-là…Je ne pouvais plus rien faire.J’ai fait des films parce que je ne me sentais pas suffisamment fort.Ce sont mes complexes d’infériorité et non moi qui ont fait ces films.

Kim Ki-duk

Corée du Sud, 100’, 2011, DCP, Prod. Kim Ki-duk, Dist. FinecuteFestival de Cannes 2011 : Prix Un Certain Regard

Arirang…Exile-moi sur la colline d’Arirang…Arirang…Escaladant, dévalant…Triste, euphorique…Ressentant la douleur ? Étant heureux…M’occupant à ceci et à cela…Parcourant toutes les émotions offertes par la vie…Les innombrables personnes que j’ai rencontrées en faisant des films…Les relations qui se tissent seulement pour ensuite se déchirer…La cruauté des blessures, infligées et reçues, de ceux qui m’ont abandonné…Nous sommes tous prisonniers de l’amour, de la passion, de la haine et de l’envie de tuer…Pour moi, ‘Arirang’ est tout cela.

Kim Ki-duk

Arirang…Over the Arirang Hill, send me…Arirang…Going up, going down…Being sad, being overjoyed…Being painful ?, being happy…Doing this, doing that…All the emotions we feel in life…The countless people I’ve met while making films…Human relationships that come together as if forever only to rip apart like tissue…The cruel wounds I inflicted and received to those that left me so…All of us entangled by love, passion, hate, and the urge to kill…To me, all this is ‘Arirang’.Kim Ki-duk

Arirang est le titre d’une des plus célèbres chansons du répertoire traditionnel coréen.

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L’Aimée de Arnaud Desplechin

Il y a un an, mon père quittait la maison dont il a hérité à 21 ans, et qu’il a habitée depuis. Mon frère et ses garçons s’apprêtaient à quitter Bucarest pour s’installer à Téhéran. J’ai pensé que filmer une dernière fois la maison et les souvenirs de mon père ; – filmer des trajets sur des lieux minimaux, vers des maisons vides ou un cimetière ; – filmer la dernière visite à Roubaix de mon frère et ses fils, oui, filmer cela, c’était mon travail. Mon père parlait de Thérèse, la femme dont lui vient cette maison en guise de tout souvenir.Deux autres fils narratifs pour tresser le film : le Vertigo d’Hitchcock; le mythe de cet homme qui deux fois laissa mourir la femme aimée. Enfin, la mémoire d’une autre femme morte dont je ne possède aucune photo. Trois deuils gauches, trois tombeaux. Au résultat, L’Aimée raconte une visite à Roubaix. Des hommes seuls traînent dans une maison avant sa vente. Maladroits, ils ne savent aimer une femme qu’à travers l’image d’une autre. Une image à la place d’une autre. Un lieu à la place d’un autre. Une femme à la place d’une autre.

Arnaud Desplechin

« L’Aimée » : un film de famille autour d’une figure absenteArnaud Desplechin signe un film dont le genre ne lui est pas coutumier. L’Aimée est en effet un documentaire tourné dans sa ville natale, Roubaix justement, à l’occasion de la vente, par son père, de la maison familiale. S’agissant d’un cinéaste de cette trempe, sans doute le plus romanesque et subtil de sa génération, il s’en faut de beaucoup que L’Aimée ressemble à un film de famille comme les autres, quand bien même il le paraîtrait de prime abord.Sous le coup de la mort d’une amie chère dont on ne saura guère davantage que la tonalité d’absence et de déploration sous les auspices de laquelle elle place le film, le cinéaste s’en va à Roubaix filmer les derniers instants d’une famille réunie autour de la maison dont elle se sépare. Desplechin y filme son père, son frère, ses neveux.Brefs dialogues, frôlements, moments comme volés aux adieux aux-quels chacun, dans une secrète mélancolie, se prépare. Cartons, correspondances jaunies, objets insolites, photographies longuement contemplées à travers le mystère du temps qui s’y dépose, pièces bruissantes du silence qui prend possession de la demeure : tout annonce ici la vie qui s’en va, le souvenir qui d’ores et déjà la brouille et la dévore. Tout l’annonce d’autant plus fort que le film se centre peu à peu autour d’une figure absente : celle de la grand-mère du cinéaste, Thérèse, morte alors que son père n’avait que 18 mois.Les motifs et les questions qui se dégagent de ce film très simple et très émouvant - l’absence, la présence des morts, la question du double, les femmes qui ne cessent de manquer aux hommes, la filiation et la transmission - ne peuvent manquer alors de faire penser à ce qui taraude le cinéma de Desplechin depuis son premier moyen métrage, La Vie des morts. Les histoires de famille y deviennent des histoires de cinéma qui se révèlent à leur tour des histoires de famille, la réalité et le fantasme étant cousus ensemble, à la manière d’une étoffe et de sa doublure.L’Aimée est en ce sens un hommage explicite à Vertigo, de Hitchcock, qui a sans doute aidé un jour un adolescent de Roubaix à comprendre quelque chose à la cruauté du monde et aux mirages apaisants de l’art.

Jacques Mandelbaum, Le Monde, 20 novembre 2007

France, 65’, 2007, 35mm, prod. et dist. Why Not productions

Mostra de Venise 2007, Prix du documentaire

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Ranger les photos de Laurent Roth et Dominique Cabrera

Nouveau logement, nouvelle caméra – le changement pousse à regarder derrière soi, ce que l’on quitte. 12 plans, 12 mn, oublié lui-même dix ans au fond d’un tiroir, Ranger les photos, film à quatre mains, est comme ces albums – photos que Dominique Cabrera sort d’un vieux carton poussiéreux : un arrêt du temps, l’empreinte d’un dépôt du temps où l’image, qu’elle soit animée ou fixe, photographie devenant film ou film se figeant en photo, peut se questionner dans son rapport au plus intime du cinéaste, là où il cesse (ou commence) d’être cinéaste. «Ce que j’aime dans la photographie, c’est que c’est doux et très violent. Ça serre peut-être plus le cœur que le cinéma».

Yann Lardeau, catalogue Cinéma du réel, 2010

France, 14’, 2009, beta num, prod. et dist. INA

Demain et encore demain de Dominique Cabrera

De janvier à septembre 1995, j’ai voulu filmer ma vie en Hi-8. Cette année-là, j’ai aimé un homme et j’ai filmé ma mère. Comme beaucoup d’autres, je me suis demandé pour qui il fallait voter et dans quel collège je devais envoyer mon fils ; c’était la même question, celle de notre devenir collectif et du libéralisme triomphant. J’ai aussi filmé le soleil sur le plancher, la dépression, les fleurs et les vacances. Je voulais surtout saisir le temps qui passe et nous transforme, j’aurais pu appeler le film : «Devenir». En le faisant, chemin faisant, j’ai repris goût à la vie. J’avais fait un film sur le manque et il me semble que c’est un film sur le bonheur d’une femme banale mais cinéaste, cinq ans avant l’an 2000.

Dominique Cabrera

Tout le long du film, Dominique Cabrera prendra les choses et les êtres de très près, comme pour mieux les saisir, percer leurs pensées et leurs secrets, absorber leur essence. Comme pour redonner à cet environnement de corps et d’objets, qui est celui de sa vie, un sens nouveau et pouvoir y porter un regard neuf, s’aveugler pour recommencer à voir. (...) Demain et encore demain est un film fragile et plein de ressources, sans cesse en bascule entre la vie et la mort, à l’image de la très belle séquence où Cabrera et son fils sont assis sur un télésiège, suspendus entre ciel et terre, fondus dans le brouillard au-dessus de l’étendue neigeuse, et dissertent sur l’existence. Un film qui aurait pu prendre le titre si justement donné au journal de Cesare Pavese, Le Métier de vivre.

Sophie Bonnet, Les Inrockuptibles, 30 novembre 1997

France, 80’, 1998, beta num, prod. et dist. INA

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Libro nero de Daniela de Felice

Mon grand-père Guglielmo entre en maison de retraite. Il confie un dossier à chacun de ses enfants. Ma mère ne l’ouvre pas. Moi je le lis. J’ai toujours entendu parler de ce dossier. Le dossier noir. J’étais persuadée que ce n’était qu’une image, un mythe. Le dossier noir existe, il est marron. C’est un recueil de documents relatifs à ma mère. J’y trouve un classement de lettres, de dessins, de cartes de vœux, de bulletins scolaires et même une liste de ses fautes. Les documents sont en ordre plus ou moins chronologique. Guglielmo a nourri sa collection pendant cinquante années. Sa fille, son gendre et ses petits enfants, dans cet herbier. Je trouve des articles qui racontent une tentative de suicide de ma mère, soulignés au bic rouge. (…) Je trouve aussi les pages du journal intime de ma mère. Mon grand-père les avait arrachées les jours suivants. Je les lis aujourd’hui, comme il les a lues hier. Guglielmo classe, vole, investigue, mais il n’écoute pas.

Daniela de Felice

France/Italie, 19’, 2007, vidéo, prod. et dist. Nottetempo films

Beau comme un camion de Antony Cordier

« J’aurais dû être comme eux. Avoir leurs mains et leur métier. Leurs problèmes de dos, leurs problèmes de genou... Mais on m’a laissé faire des études, devenir différent. » Sortir de son milieu, c’est quitter son quartier, sa famille, son destin... sortir de sa peau aussi. C’est ainsi qu’Antony Cordier expose d’emblée ce qu’il en coûte de transgresser les frontières sociales. Étudiant à La fémis, son premier geste-caméra est de la retourner sur lui-même, d’interroger, en un premier film dit d’étude intitulé Beau comme un camion, son propre parcours. Celui d’un fils et petit-fils d’ouvrier, devenu étudiant en philosophie puis apprenti-cinéaste. Dans son milieu pourtant, on ne choisit pas son métier, dit-on. On travaille. Et ce, dès 14 ans. Alors, lui, toujours étudiant à 27 ans, en quête de sa vocation, il se demande et leur demande à tous : de qui je tiens pour être qui je suis ? (…) C’est étonnant de voir à quel point la famille, de son côté, se mobilise pour le film d’Antony. Comme si le sujet n’était pas eux, mais le projet d’Antony, l’avenir d’Antony. De quoi parle t-il ? De nous ? Bah... Si ça peut l’aider. Ils se laissent alors docilement filmer par le fiston. Il sait, lui, ce qui fait d’eux des gens différents. Différents de ceux qu’il côtoie aujourd’hui.

Annick Peigné-Giuly, Le cas Antony, fils prodigeImages documentaires n°37-38, Parole ouvrière, 2000 (Extraits)

France, 42’, 1999, dvd, prod. La fémis, Le G.R.E.C.

Beau comme un camion

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Notes on the Circus de Jonas Mekas

Mekas ne filme pas tant le cirque pour montrer une réalité, que pour saisir la magie de l’instant : Notes on the Circus est une accumulation de moments fugaces, de mouvements fugitifs.Jonas Mekas aime à jouer avec les vitesses de prise de vue, il filme soit en 24 images/secondes pour une vitesse normale, soit en 16 images/secondes pour accélérer la cadence. Les différentes vitesses se parasitent de façon irréelle. La trapéziste semble planer, au ralenti et les mono-cyclistes tournent mécaniquement. Sans le vouloir, de façon aléatoire le “filmeur” provoque des coïncidences magnifiques au moment même où il filme. Il ne retravaillera pas l’image ultérieurement. Ce qu’il a filmé, Mekas le montre ensuite sans faire aucune autre intervention sur le film : c’est le procédé du tourné-monté. Sans suivre de règle au sens strict, on peut parler d’improvisation préparée. S’il filme sur le vif, c’est pour capturer ce qui échappe.

Isabelle Blanche et Denis Guéguin, Projections n°18, décembre 2005

États-Unis, 12’, 1966, 16mm, prod. Jonas Mekas, dist. Light Cone

Notes for Jerome de Jonas Mekas

Jonas Mekas, poursuivant le film de sa vie, rend visite, au cours des étés 1966 et 1967, à l’artiste et collectionneur Jerome Hill. Il reviendra à Cassis en 1974, après la mort de son ami. Si Notes for Jerome cristallise merveilleusement la douceur de vivre qui gagne le cinéaste lors de ses premiers séjours, il n’en est pas moins une élégie. La mélancolie du deuil y rejoint celle de l’exil, et pour cette raison le film est également dédié « au vent de Lituanie ». Comme toujours, son journal est aussi une galerie de portraits et de lieux. Il ne rate rien de la venue d’autres américains comme celle de Julian Beck et du Living Theatre, des parades de Taylor Mead et Bernadette Lafont, et du premier « happening » de Jean-Jacques Lebel. Il n’oublie pas non plus d’aller filmer le train, arrivant en gare de La Ciotat.

« Je ne peux filmer, et en quelque sorte promouvoir que ce que j’aime et admire. Je filme des enfants. Je filme l’amitié, que je considère comme essentielle, des hommes et des femmes autour d’une table en train de manger et de boire... Rien d’autre ne me paraît essentiel autour de moi en Amérique. » Jonas Mekas

États-Unis, 45’, 1966-78, 16 mm, prod. Jonas Mekas, dist. Light Cone

Le Dossier 332 de Noëlle Pujol

En 2010, j’ai réalisé un film Histoire racontée par Jean Dougnac. Il s’agit d’un monologue en plan fixe où l’on voit un homme cloué au lit par l’âge me raconter l’histoire singulière de mes parents dont j’ai été séparée à la naissance. Le Dossier 332 reprend le récit là où se finit l’histoire racontée par Jean Dougnac. Le récit commence après ma naissance, après mon placement à l’âge d’un mois dans une famille d’accueil.Le dossier d’archives de la DDASS porte mon nom, il est immatriculé 332. Des lettres, des notes, des rapports ont été écrits par des assistantes sociales entre 1973 et 1993 faisant état de mon statut de «recueillie temporaire» au service de l’aide sociale à l’enfance de l’Ariège. Il contient six sous-dossiers nommés : « dossier administratif », « évaluations périodiques », « correspondances diverses », « allocation mensuelle », « scolarité », « vêtures ». Dans ce sous-dossier, est classée chronologiquement une série de tickets de caisse photocopiés à l’unité, faisant le compte de l’achat de mes vêtements pendant une période de vingt ans.Ces écrits mettent des mots sur les actions d’encadrement, de sur-veillance et de protection. Leur style d’écriture est emprunté à la rigueur administrative des années 1970. Il change à travers le temps mais il est toujours lié au souci de « gérer la vie ».

Noëlle Pujol

France/Allemagne, 43’, 2012, Blu-ray, prod. Pickpocket production, dist. Noëlle Pujol

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Omelette (Nez-de-pied)de Rémi Lange

Si j’écrivais mon journal intime, si j’enregistrais mes conversations téléphoniques, c’était avant tout pour moi, pour occuper mon temps, pour laisser une trace de moi, pour faire quelque chose de ma vie, comme beaucoup de diaristes d’ailleurs. Mais dès le moment où j’ai pris ma caméra Super 8 pour filmer ma vie, j’ai voulu que mes images soient projetées et diffusées au grand public. Dès le départ, je faisais mon journal filmé dans l’optique que les images soient un jour diffusées à une grande échelle... Mon projet au début des années 1990 était de réaliser des films-échanges de vie : il fallait créer une sorte d’échange, par l’intermédiaire d’un film, entre ma vie, celles de mon amant, de mes proches, des spectateurs inconnus.Dès le départ, j’avais le désir ambitieux et mégalo de ré-inventer non pas l’amour mais le cinéma : non seulement le cinéma expérimental, mais aussi le cinéma industriel et commercial d’art-et-d’essai, en inventant le film-narratif-classique-où-tout-serait-vrai. Je voulais que le cinéma industriel s’intéresse à ma vie, à la vie des petites gens, au caractère unique et singulier de chaque individu, que certains appellent idiotie... Je voulais aussi bousculer l’esthétique systématique des films qui sortent en salles, secouer les industriels du cinéma en 35 mm, leur balancer une image Super 8, sale ou laide à leurs yeux : quand on monte en Super 8, on monte dans l’original, et ce qu’on voit, c’est de la pellicule rayée, tachée, pleine de poussières en tous genres... Je voulais casser la « bonne forme » du cinéma, trop « pure », trop « propre » à mon goût, en gardant en mémoire cette phrase écrite par Jonas Mekas pour le Manifeste du New American Cinema Group en 1960 : « aux films bien faits, polis, cirés, reluisants mais faux, nous préférons des films rugueux, mal faits peut-être, mais vivants. Nous ne voulons pas de films roses, mais des films qui aient la couleur du sang ».

Je voulais montrer qu’une autre esthétique est possible, ni moins bonne ni plus mauvaise : l’esthétique des films de famille, avec ses surexpositions, ses sous-expositions, ses flashes d’images, son montage à la hache, ses changements brusques de mise au point, ses flous, ses tremblements, ses images qui sautent, ses bruits de micro...Bien sûr, si je voulais que mon film-journal soit vu par le plus grand nombre, c’est parce que, dans un but militant, je voulais donner l’exemple d’une ouverture à l’autre. Ouvrir mon flux de conscience, montrer ce qu’on peut avoir à l’intérieur du crâne, les « marées de l’âme ». Oser tout montrer ce qui se passe là-dedans, le fond des pulsions, l’amour, la tendresse, les pulsions sexuelles positives mais aussi les négatives, les sadiques, les cruelles. Bref, les pulsions de mort comme les pulsions de vie. Les mettre toutes sur le même plan, essayer d’analyser de l’extérieur, d’une façon clinique, comme un médecin-psychiatre, le pôle pulsionnel qui exprime la poussée des besoins corporels cherchant à se satisfaire. Essayer de faire éclater les interdits qui sclérosent bêtement, inutilement le corps... Rémi Lange, Mes ambitions (extraits), omelettelefilm.blogspot.fr

France, 78’, 1993, beta num, prod. et dist. Rémi Lange

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Chiri (Trace)de Naomi Kawase

L’année dernière, Naomi Kawase honorait de sa présence Les Rencontres du cinéma documentaire. Son dernier film, Chiri vient clore le cycle des documentaires autobiographiques : Embracing (1992), Katatsumori (1994), KyaKaRaBaA (2001) et Tarachime (2006) que nous avions alors montrés.

De son expérience individuelle, la cinéaste parvient à extraire l’essence de ce qui est propre à chacun : les liens invisibles qui nous unissent les uns aux autres, qui nous maintiennent en vie et qui nous font souffrir. L’invisible, sujet évoqué à de nombreuses reprises lors de la présentation des films, est le thème qui la travaille. Comment figurer cet invisible ? Comment figurer dans Chiri le lien et l’attachement à la grand-mère sur le point de trépasser et dont la vie est intrinsèquement liée à celle de la cinéaste ? L’aspect charnel et physique étant la matière première des films de Naomi Kawase, la disparition de la grand-mère est avant tout celle d’un corps. Car même si le film explore une forte dimension métaphysique, la douleur et l’attachement à l’autre se vit dans la proximité des corps. À son chevet, la cinéaste filme en gros plan les aspérités et les sillons du visage et des tempes de la grand-mère endormie ; elle en dévoile la nudité lors d’un bain traditionnel aux fruits de Yuzu dont l’écorce granuleuse et irrégulière rappelle la peau flétrie de la nonagénaire. Mais l’agrume évoque également, de par sa couleur jaune, le renouveau de la nature et la jeunesse, incarné par Mitsuki, le fils de la réalisatrice, qui prend part au bain.

Carine Bernasconi, Critikat, septembre 2012

Japon/France, 45’, 2012, beta num, prod. et dist. Kumie, Arte France

Avant-premièreEn partenariat avec ARTE Actions Culturelles à l’occasion des 15 ans de La Lucarne

LA LUCARnE D’ARTE A 15 ANS

Espace télévisuel unique, dédié à la création documentaire, La Lucarne d’ARTE initie depuis 15 ans des projets avec des cinéastes accomplis (Alain Cavalier, Chris Marker, Alexander Sokurov, Naomi Kawase…) mais aussi en compagnie de jeunes talents français et étrangers.

Expérimentant sans cesse de nouvelles voies, La Lucarne expose le documentaire d’auteur en toute liberté et sans frontière d’aucune sorte. Elle invite le public à faire le voyage vers le cinéaste et non l’inverse.

Dernier film en date de Naomi Kawase, CHIRI (Trace) est une com-mande de La Lucarne.Il est présenté, dans le cadre des 15 ans de La Lucarne en avant-première, aux 17e Rencontres du cinéma documentaire et suivi d’une intervention de François Ekchajzer (Télérama).

La Lucarne est diffusée sur ARTE tous les lundis vers minuit.

Pour ses 15 ans ARTE diffuse une NUIT DE LA LUCARNE le 26 novembre 2012 de 00.30 à 5.00 du matin

Chiri (Trace), Naomi Kawase - ARTE France, 2012 - 45’Tranzania. Living. Room., Uli M.Schueppel - ZDF, 2010 – 70’Archipels Nitrate, Notes pour une cinémathèque, Claudio Pazienza - ARTE/RTBF, 2009 – 63’People I Could Have Been and Maybe Am, Boris Gerrets - ARTE France, 2010 - 55’ Immobile, Florian Riegel - WDR, 2010 - 26’

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Comme pour attester que le cinéma, art spectral, peut également rendre justice à la vie, plante opiniâtre, triomphant de tous les oublis. A ces images se mêlent les photographies en noir et blanc de l’auteur et de ses amoureuses : la vision s’ajuste et s’immobilise à peine, comme un regard qui scruterait sans cesse la surface d’un visage pour y déceler les pensées et les désirs les plus secrets. Ces images fixes y gagnent une mobilité proprement sensorielle. Le présent de l’énonciation et du son d’ambiance est un temps hanté par un passé évoqué et convoqué, par les mots, les musiques, les photographies et les images en Super 8. Le récit se déroule, chrono-logiquement, depuis la première rencontre amoureuse mais ne se prive pas de fracturer son rythme ou son déroulement en passant, au moins à trois reprises, de l’autre côté du miroir. Ce sont la mère de l’auteur, les nouveaux habitants des lieux du souvenir, brusques effractions du contemporain dans une narration dont l’élan se brise, au final, sur le récif d’une disparition.Les femmes que François Caillat a aimées sont de chair et de mots. Ces femmes parlent et écrivent et, de la liberté de leurs lettres, de l’intensité de leurs étreintes, il est indécidable de savoir ce qui l’emporte. Car François Caillat est un amoureux polymorphe : l’amour, l’aventure et le langage sont ses muses, ses buts incessamment poursuivis et embrassés, désirs qui s’intervertissent, comme des vagues. De cette alternance également, la forme romanesque est-elle peut-être l’écrin formel le plus approprié.Rien n’est dit ou si peu, du travail que n’ont pu manquer d’exiger de lui sa réussite à l’École normale et son agrégation en philosophie, parmi les éléments restés pudiquement hors-champ de ce récit généreux. Il n’en demeure pas moins que son attachement passionné aux textes imprègne tout le récit.François Caillat explore l’homme qu’il fut et est devenu en cherchant en lui les traces laissées par les premières femmes de sa vie, en mettant en œuvre tout ce qui le constitue le plus intimement, profondément. La puissance de cette plongée dans la psyché masculine me donne le sentiment, rare, que ni lui ni nous n’en sortons complètement indemnes.

Corinne Bopp - Septembre 2012

France, 105’, 2012, beta num, prod. Les films du Tamarin

Une jeunesse amoureusede François Caillat

Aux films de François Caillat restent attachés, pour moi, les mots de Thierry Garrel. Celui-ci, qui l’a fidèlement soutenu et co-produit, disait, en substance, que son travail représentait une réussite de « romanesque documentaire », non loin de l’idéal des programmes que le charismatique directeur de l’unité documentaires d’Arte souhaitait mettre à l’antenne.Un cinéma du réel, certes, mais hors de ses sentiers habituels, ouvert à tous les possibles « littéraires » d’un récit. Ne s’interdisant par consé-quent rien ou presque : éléments historiques sciemment transformés ou occultés, paroles des protagonistes violemment coupées, redonnées aux morts, audacieuses mises en relation d’éléments visuels et sonores… Ces transgressions, aujourd’hui bienvenues, il m’a fallu pratiquer un exercice de mise à distance d’une doxa documentaire bien intégrée, pour réussir à les apprécier. J’y suis parvenue. Cependant dans ses films précédents, du romanesque, j’en avais surtout perçu les ébauches, la promesse… jusqu’à la découverte d’Une jeunesse amoureuse. Cette qualité romanesque est ici celle d’une cinématographie de l’en-trelacement, d’une composition, musicale et sensible, dont le rendu « rêveur » et doux résulte de l’achèvement d’un travail titanesque et diaboliquement précis.Le récit est digne d’un roman lyrique, tant par sa qualité d’écriture, déliée et subtile, que par sa richesse en péripéties, personnages et rebondissements, départs précipités à l’autre bout du monde, déménagements, ruptures et conquêtes. Les femmes qui le peuplent n’ont pas de prénom, elles sont l’Egyptienne à l’intelligence aigüe, la comédienne hyper-sensible, la dissidente chilienne lumineuse et maternelle… Figures à la fois incarnées et métaphoriques. Les quelques rimes, exactement orchestrées, qui le parsèment, nous maintiennent constamment en haleine alors que la téléologie de l’histoire atténue la violence de sa conclusion. Les images portent de la même façon à la fois l’intensité du présent et les traces des vies disparues. Le désir de « faire des images », chez François Caillat, me semble toujours second par rapport à celui de créer des images « lisibles », intelligibles. Celles d’aujourd’hui, dans Une jeunesse amoureuse, évoquent avec beaucoup de justesse une idée, un souvenir, une passion : fenêtres/paupières closes sur les jours et les nuits d’amour, balcon qui ceint l’espace studieux de deux bureaux accolés, escalier des premiers émois… Ces espaces souvent vides de présence humaine, heurtent d’autres plans, palpitant de vie : ce sont les gestes tendres d’amoureux des bords de Seine, de lycéens ou d’étudiants…

Avant-premièreEn partenariat avec la Scam

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Avant-première

El Impenetrable de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini

À la mort de son père, Daniele hérite au milieu de la forêt paraguayenne, de cinq mille hectares de nature sauvage coincés entre les concessions des groupes pétroliers, les champs de soja transgénique du plus riche propriétaire terrien du pays et les maigres réserves indiennes. Parti à la découverte de ce patrimoine insolite avec pour compagnons de route son vieil ami ornithologue Jota et la ligne de fuite des routes rectilignes et poussiéreuses du Chaco, Daniele n’est pas au bout de ses peines. (...)Dans le Chaco, Far-West paraguayen où les pires criminels sem-blent prospérer pour le malheur de la faune sauvage et des locaux, Daniele, Don Quichotte devant l’injustice, apprend à composer avec les coutumes locales : les routes barrées par des gardes lourdement armés, la redoutable bonhomie du puissant Favero et les indémêlables imbroglios administratifs. L’accompagnant dans ce jeu de pistes qui tient moins de la quête mystique d’un Aguirre que d’une leçon d’Histoire caustique sur l’héritage empoisonné de la colonisation et de la dictature au Paraguay, la caméra de Fausta Quattrini offre une présence amicale, confortant la voix-off de Daniele qui narre les épisodes de son aventure au cœur de ce territoire impénétrable comme on se confierait à un vieil ami.

Sans jamais se perdre dans les multiples directions ébauchées par le film, ni verser dans la complaisance d’une croisade écolo-humanitaire, le montage accuse la grossièreté des ruses ubuesques qui ont valeur de lois dans une région ou tout argent est bon à prendre. À cette féroce compétition, Daniele oppose son humilité et un sens de l’humour à toute épreuve (...). C’est dans cette quête utopique que le film trouve son rythme, oubliant parfois le combat contre les géants de l’industrie agro-alimentaire ou pétrolière pour se perdre au milieu des cactus – une végétation aussi hostile que ses habitants note Jota, philosophe – avec des nuages de papillons pour compagnons.

Alice Leroy, Critikat, septembre 2012

France/Italie, 91’, 2012, vidéo, prod. Les Films d’Ici, Daniele IncalcaterraMostra de Venise 2012 – Hors compétition

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Free Radicals, a history of experimental films de Pip Chodorov

« Hollywood a besoin de 90 minutes, il me faut 52 images ». En se référant à son film Adebar (1957), le cinéaste autrichien Peter Kubelka souligne l’extrême « condensation » du cinéma d’avant-garde, sa capacité à tirer le meilleur parti artistique de son endémique fragilité financière.

Kubelka est l’un des nombreux protagonistes de Free Radicals, le foisonnant documentaire de Pip Chodorov. Ce dernier s’est donné pour but d’arpenter dix décennies de pratiques cinématographiques, désignées successivement ou simultanément comme cinéma expé-rimental, non narratif, underground ou encore indépendant, mais en aucune façon d’en établir une anthologie exhaustive de 80 minutes. Quelque soit son appellation, il est question de ce cinéma qui se fabrique hors de la dictature de l’argent, un sacrifice qui laisse toute liberté à l’expression la plus personnelle.

S’inscrivant lui-même dans cette tradition artistique de l’autobiogra-phie à la première personne, Pip Chodorov commence son récit avec sa propre initiation au cinéma expérimental guidée par son père, le présentateur de télévision Stephan Chodorov.

Parmi les pionniers qui, au prix d’énormes difficultés, ont ouvert la voie créative dans laquelle les réalisateurs de clips vidéos s’engouffreront sans vergogne, Chodorov s’arrête ensuite sur Stan Brakhage, Robert Breer et Len Lye. C’est à un travail de ce dernier, une animation grattée sur la pellicule même, que Free Radicals emprunte son titre. Pip Chodorov nous montre également, du même auteur, l’intégralité du délicieux Rainbow Dance.

Autre temps fort de ce documentaire : les images filmées par Stephan Chodorov qui montrent le réalisateur Stan VanderBeek en plein travail d’animation, en 1972, au sein du département d’architecture du MIT. Il y prophétise l’arrivée de l’animation informatisée, et cette séquence capture ce qui n’est pas le moindre des charmes de cette sensible et salutaire leçon d’Histoire : une confiance enthousiaste dans le futur.

Nick Pinkerton, The Village Voice, 1er août 2012

France, 82’, 2010, DCP, prod. Sacrebleu Production, dist. NIZ !

Sortieensallenovembre2012

Avant-première

Ghosts before Breakfast de Hans Richter (1927)

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Trois jours en Grèce de Jean-Daniel Pollet

Comme le théâtre grec, le cinéma de Pollet revêt tour à tour les masques de la comédie et de la tragédie. Dans le très beau Trois jours en Grèce, le regard et la voix-off de Pollet accompagnent, comme le titre l’indique, l’évocation d’un voyage en Grèce. Comme point de départ et de retour - les roues de moulin à eau qui scandent l’avancée cyclique du temps dans le générique le soulignent, la Provence. Comme point d’arrivée, ou de passage, la Grèce parcourue en d’incessants travellings. La maison de Cadenet est scrutée par une caméra plus que subjective, par un esprit-caméra, écrivant avec cette encre de lumière dont parlait Jean Cocteau, au fur et à mesure de son déplacement à travers l’espace familier qu’il réinvente à l’infini... La Grèce, vue dans d’impressionnants mouvements, finit par être reliée au cosmos : des travellings circulaires dans un amphithéâtre sont entrecoupés par des visions de cosmonautes. La mythologie antique fusionne alors avec la science la plus contemporaine. Mais le film n’oublie pas non plus la poésie. Un hommage est rendu au poète et ami Yannis Ritsos qui vient de disparaître, et une citation du Quintette d’Avignon de Lawrence Durell donne un éclairage tout à fait pertinent au cinéma de Pollet : « Et c’est alors que la réalité première vint au secours de la fiction et que l’imprévisible eut lieu... ». La rencontre la plus essentielle demeure cependant peut-être celle avec Francis Ponge, auquel le groupe Tel Quel a su redonner toute son importance. Une proximité évidente lie le poète et le cinéaste, une même observation scientifique des choses qui sera transposée dans l’image poétique - écrite ou filmique - recréatrice.

Didier Coureau, Monde muet, parole poétique, Hommage à Jean-Daniel Pollet, fabula.org, Octobre 2004

France, 84’, 1990, beta num, prod. Ilios Films, la SEPT, dist. POM Films

Soirée spéciale Jean-Luc Godard / Jean-Daniel Pollet

Le Corps et la caméra, le cinéma de Jean-Daniel Pollet

Entretien avec Jean-Luc Godard, réalisé à l’occasion de l’édition du second coffret DVD Jean-Daniel Pollet par POM Films.

En février 1967, Jean-Luc Godard salue le passage de la comète Méditerranée dans le ciel du cinéma, de quelques lignes somptueuses dans les Cahiers du Cinéma (n° 187) :« Que savons-nous de la Grèce aujourd’hui... Que savons-nous donc de cette minute superbe où quelques hommes, comment dire, au lieu de ramener le monde à eux (...) se sont sentis solidaires de lui, solidaires de la lumière non pas envoyée par les dieux mais réfléchie par eux, solidaires du soleil, solidaires de la mer... De cet instant à la fois décisif et naturel, le film de Jean-Daniel Pollet nous livre sinon le trousseau complet, du moins les clés les plus importantes... Dans cette banale série d’images en 16 mm, c’est à nous maintenant de savoir retrouver l’espace que seul le cinéma sait transformer en temps perdu... Car voici des plans lisses et ronds abandonnés sur l’écran comme un galet sur le rivage... puis comme une vague, chaque «collure» vient y imprimer ou effacer le mot souvenir, le mot bonheur, le mot femme, le mot ciel... La mort aussi puisque Pollet, plus courageux qu’Orphée, s’est retourné plusieurs fois sur cette «angel face» dans l’hôpital de je-ne-sais quel Damas. » En 2010, Jean-Luc Godard signale le nouveau passage de cette même comète dans un ciel qui n’est ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, en plaçant sur les rivages de son Film socialisme, certains de ces plans-galets apparus quelques décennies auparavant. JLG dit au fil de l’entretien son regard sur ce film-comète, ce cinéaste-cormoran, ce mouvement à part...

Gaël Teicher

France, 40’, 2012, DVD, prod. et dist. POM Films

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L’Abominable est un laboratoire cinématographique d’artistes. Depuis 1996, il met à disposition de cinéastes et de plasticiens les outils qui permettent de travailler les supports du cinéma argentique : Super 8, 16 mm et 35 mm.Le lieu fonctionne comme un atelier partagé où les machines qui servent à la fabrication des films sont mutualisées : un cinéaste peut y développer ses originaux négatifs ou inversibles, réaliser des trucages et des changements de format, faire du montage, travailler le son ou tirer des copies.Ceux qui ont une connaissance des instruments forment ceux qui débutent. Après cet accompagnement, chacun devient autonome dans la réalisation de ses travaux et explore lui-même les possibilités techniques.Ainsi, sans sélection préalable des projets, sont produits des films d’une grande diversité, des performances cinématographiques live ou des installations utilisant le support film.L’ampleur de ce qui s’y réalise et la spécificité des pratiques font de L’Abominable un lieu de création original, un conservatoire vivant des techniques cinématographiques.

Dans les dernières années, plus d’une vingtaine de laboratoires ciné-matographiques d’artistes ont été créés en Europe et dans le monde.Moments de rencontres et de projections, coups de mains ponctuels ou réguliers, débats et échanges de tous ordres, depuis le début ces structures sont en lien les unes avec les autres. Elles forment ainsi un réseau où sont mises en partage les expériences et les questions techniques, esthétiques et politiques propres à ces pratiques.Depuis 2005, le site Filmlabs recense les différentes structures, permet de mutualiser les connaissances techniques acquises ici et là, de faire connaître les œuvres réalisées, de débattre et de s’organiser.

L’évolution de L’Abominable, comme de l’ensemble de ces laboratoires, témoigne d’une histoire en devenir. À l’ère où le numérique s’impose, des artistes récupèrent l’outil cinématographique des mains de l’industrie et se réapproprient l’ensemble du processus de fabrication.Cette autonomie nouvelle permet de réaliser des films en allant jusqu’à s’affranchir des circuits de productions et de financements institutionnels. Mais plus qu’une simple économie, elle permet, en se confrontant concrètement à la fabrication des images, d’utiliser de nouveaux outils, d’inventer des écritures singulières et de défricher des territoires inédits du cinéma.

Ami entends-tu de Nathalie Nambot

Des lisières calmes au cœur de Moscou, les voix de Cassandres du temps présent nous guident à travers poèmes et récits. La colère abrupte et les mots d’Ossip et Nadejda Mandelstam, d’Anna Akhmatova. Ami, entends-tu est un chant de résistance.

France, 55’, 2010, 35mm, prod. Chaya films

Mercedes Dunavska ou l’impossible trajectoire A1 de Drazen Zanchi

Un road-movie balkanique, sans fanfare ni trompette, sans Gitans, sans moustache ou nudité. L’autoroute A1 est toute neuve, Split – Zagreb. La voiture est récente, le Danube magnétique : comme une bande sonore des souffles du temps de guerre.

France/Croatie, 30’, 2008, 16mm, autoprod., dist. Light Cone

Carte blanche à l’association L’Abominable

Mercedes Dunavska ou l’impossible trajectoire A1

Ami entends-tu

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Séances spéciales

Séance pour Chris Marker« Ce qui me passionne, c’est l’Histoire, et la politique m’intéresse seulement dans la mesure où elle est la coupe de l’Histoire dans le présent. (…) Mais comment font les gens pour vivre dans un monde pareil ? D’où ma manie d’aller voir «comment ça se passe» ici ou là. Comment ça se passe, pendant longtemps ceux qui étaient le mieux placés pour l’exprimer ne disposaient pas d’outils pour donner une forme à leur témoignage et le témoignage brut, ça s’use. Petite leçon de modestie à l’usage des enfants gâtés, tout comme ceux de 1970 avaient reçu leur leçon de modestie (et d’histoire) en se mettant sous le patronage d’Alexandre Ivanovitch Medvedkine et de son ciné-train. (...)Je crois bien que c’est cette histoire fabuleuse et longtemps ignorée (dans « le Sadoul » considéré en son temps comme la Bible du cinéma soviétique, Medvedkine n’était même pas nommé) qui sous-tend une grande part de mon travail, peut-être la seule cohérente après tout. »

Propos de Chris Marker recueillis par Samuel Douhaire et Annick Rivoire, Rare Marker, Libération, 5 mars 2003

Chaque film de Marker serait une forme d’autoportrait. Mais à la différence de Boris Lehman, Jonas Mekas, Agnès Varda, voire Jean-Luc Godard, qui ont réalisé des autoportraits où ils se mettent en scène, Marker, c’est connu, ne paraît jamais à l’écran, on ne sait pas à quoi ressemble son visage, au mieux saurait-on recon-naître sa voix pour l’avoir entendue dans quelques rares films. (…)Du coup, Marker nous rappelle que, si l’accès au visage suppose un certain rapport de médiation, c’est que, d’une certaine façon,

le visage est toujours médiation. Sa représentation nécessite un détour qui tient compte de l’interface technique et symbolique du médium. Pour cette raison, toute image du visage est en décalage, elle ne saurait être parfaitement adéquate à ce qu’elle vise, son accès n’est jamais immédiat. Mais c’est peut-être dans ce passage, ce détour, cette dissimulation, que se trouve la vérité du visage, que ce dernier peut se dévoiler. Le visage de Chris Marker, après tout, ne devient-il pas « reconnaissable » grâce à tous ces visages, captés au fil de ses voyages ?

André Habib, Impressions et figurations du visage dans quelques films de Chris Marker, Intermédialités : histoire et théorie des arts, des lettres et des techniques n°8, 2006

2084

France, 10’, 1984, beta num, prod. Chris Marker, CFDT, dist. ISKRA

Si j’avais quatre dromadaires

France, 49’, 1966, beta SP, prod. APEC, SLON, dist. ISKRA

Le Train en marche

France, 32’, 1971, beta sp, prod. SLON-ISKRA, dist. ISKRA

Dessin de Chris Marker à Gérard Courant, 1991(en réponse à sa demande de réaliser de Chris Marker un Cinématon)

Alexandre Ivanovitch Medvedkine sur le tournage du Train en marche

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Fenêtre sur doc :Raretés et inédits d’aujourd’hui

Facing the Scenede Luise Schröder et Anna Baranowski

En novembre 2010, la petite ville de Swiebodzin, qui n’est connue ni pour des raisons historiques, ni pour une quelconque attraction touristique, accueille un événement exceptionnel : l’inauguration de la plus grande statue au monde du Christ-Roi. Comme un pied de nez au traitement classique de ces cérémonies sur-médiatisées, le film choisit une narration qui se concentre sur l’observation des acteurs de cette journée : depuis ceux qui préparent et installent le décor jusqu’aux spectateurs, tous sont tour à tour scrutés. Les postures, les réactions, les visages et les émotions de ce curieux monde de la foi apparaissent comme autant de mystères que le film s’amuse à capturer.

Julie Nguyen Van Qui

Pologne, 16’, 2011, vidéo, prod. et dist. Luise Schröder et Anna Baranowski

Estudo para o ventode Aline Portugal et Julia de Simone

L’été, dans le Sertão brésilien, le soleil assomme hommes et bêtes. Alors, dans le village inondé de lumière, on attend dans les coins d’ombre. Cette « étude pour le vent » s’intègre dans un projet de plus grande envergure, qui a pour ambition d’observer la troublante interaction familière des êtres et du vent. La banalité fascinante de ce souffle qui tous les soirs soulage la chaleur des longues journées d’un village assoupi.

Julie Nguyen Van Qui et Agnès Dufour

Brésil, 9’, 2011, vidéo, prod. et dist. Mirada Filmes, Calibre Filmes

La main au-dessus du niveau du cœurde Gaëlle Komar

À l’aube, les animaux pénètrent par centaines dans l’abattoir. Des hommes les réceptionnent, la mise à mort est la première étape de leur transformation. La chaîne, une fois alimentée, imprime le rythme de travail : l’animal, comme l’ouvrier sont soumis à la cadence. Gaëlle Komar aborde courageusement la question de la production de la viande à grande échelle. De la chair tranchée, fumante, à la froideur clinique des démonstrations de matériel de découpe, le minutieux et fatal engrenage de la chaîne de la viande est ausculté, nous plongeant dans un univers visuel et sonore terrifiant.

Julie Nguyen Van Qui

Belgique, 79’, 2011, beta num, prod. Playtime films, WIP, dist. WIP

Près du corpsde Gaëlle Douël

« Mon père avait 55 ans et un cancer. Son corps, bien avant la maladie, parlait de sa souffrance. C’était un corps crispé, toujours en tension. Un corps sec et prêt à rompre à tout instant. Et il a rompu. » La voix de la réalisatrice revit les instants de la disparition de son père. Son premier mort. Sa caméra explore une nature à la fois éblouissante et en putréfaction. Les fourmis grouillent dans les feuilles, le ciel lumineux se devine au fond des flaques d’eau. Alors que la forêt mue, elle s’interroge : que faire de ce corps ?

Agnès Dufour

France, 20’, 2011, DCP, prod. et dist. Z’AZIMUT Films

Facing the Scene La main au-dessus du niveau du cœur

Estudo para o vento

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Comme des lions de pierre à l’entrée de la nuit de Olivier Zuchuat

« (…) Ces vieillards ne parlent pas.leurs enfants ont pris le maquis.ils ont enterré leurs cœurs dans la montagnecomme un baril de poudre.

Près des yeux, ils ont un arbrisseau de bontéentre les sourcils un faucon de force,et dans le coeur un mulet de colèrequi ne supporte pas l’injustice.

Et ils s’assoient ici maintenant, ici à Makronissosà l’ouverture de la tente, face à la mer,comme des lions de pierre à l’entrée de la nuit,les ongles enfoncés dans la pierre. Ils ne parlent pas. »

Yannis Ritsos, extrait du poème Les Vieillards

Et surtout, il y eut le film d’Olivier Zuchuat, Comme des lions de pierre à l’entrée de la nuit, sur la déportation, en 1947, des communistes grecs par la dictature dans l’île de Makronissos. Longs panoramiques sur les restes de bâtiments de calcaire roussis par le soleil, patinés comme des vestiges antiques, voix off disant des extraits de lettres de prisonniers, des poèmes de Ritsos, le dispositif est d’une extrême simplicité et la force du film vient du contraste entre la beauté nue de cette île aujourd’hui et le frémissement des poèmes, l’appel au secours des lettres d’hier. De cela, mais pas seulement : la même volonté de signifier a dicté le choix de faire entendre les proclamations gouvernementales (l’ignominie de ces « dix commandements » du prisonnier modèle), par la bouche éraillée d’un de ces haut-parleurs du camp que les détenus devaient écouter au garde-à-vous. Soit, l’image et le son pris en compte l’un contre l’autre avec la même rigueur.

Émile Breton, L’Humanité, 2 mai 2012 (Chronique Visions du réel).

Suisse/France/Grèce, 87’, 2012, DCP, prod. Prince Film, A.M.I.P, TSR, Periplus, Les Films du Mélangeur, dist. Prince Film

Perspective du sous-sol de Olivier Zabat

Un ancien strongman finlandais devenu acteur transforme la cave de sa maison en home cinéma. Pour obtenir les rôles physiques qu’il ambitionne, il s’entraîne dur et ne pose aucune limite à la mise à l’épreuve de sa force, à sa résistance à la douleur et à son dévouement aux attentes des cinéastes. Le cinéma reaganien qui a engendré les héros solitaires et protectionnistes dont cet acteur représente l’un des héritiers, est également contemporain de la domestication démocratique du cinéma avec la VHS. Avec l’artiste réalisateur, qui travaille depuis plusieurs années sur l’individualisation du cinéma, un terrain commun de fiction, très simple, se met en place. Une forme souterraine de performance, dans ses différents sens artistique, dramatique et physique, le matérialisera.

Emmanuelle Manck

France, 26’, 2012, beta num, prod. et dist. Olivier Zabat

Perspective du sous-sol

Près du corps

Comme des lions de pierre à l’entrée de la nuit

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D’un chagrin, j’ai fait un repos de Laëtitia Carton C’est Jean Vigo qui t’a donné envie de faire ce film. Il disait qu’il voulait que ses films provoquent la nausée. Et qu’au moins au cinéma on ne puisse plus supporter la vue de ce qu’on regarde tous les jours avec indifférence, ou avec complaisance, en grandeur nature…

France, 19’, 2005, vidéo, prod. Ardèche images association, Université de Grenoble III

Kinophasie de Alexander Abaturov Une voix sur une bande magnétique. Une parole qui vient d’ailleurs cherche à se faire entendre. Un message perdu qui fait son chemin et se mêle à des histoires personnelles pour trouver du sens.

France, 22’, 2011, vidéo, prod. Ardèche images association, Université de Grenoble III

Extrait de : nous autresde Ana Margarida Gil, Agnès Frémont, Boris Carré, Mesmer Rufin Mbou Mikima, Matthieu Canaguier, Alexandra Garcia-Vila Zingaretti, Esther Mazowiecki, Cécile Martinaud, Grégory Bétend, Louis Patrick Manengue Epape, Pauline Simon, Eva TourrentLes ornithologues et les charpentiers cherchent chacun quelque chose. Les premiers quand ça se passe, les seconds pour que ça se tienne. Entre les deux, les cinéastes cherchent leur geste. Pourquoi les charpentiers, les ornithologues ? À quel moment, collectivement, le désir de film ? Quand des indices disparates décident que c’est le moment. Alors, et comme à l’improviste, c’est l’envol.

France, 50’, 2007, vidéo, prod. Ardèche images association, Université de Grenoble III

Les Oiseaux d’Arabiede David YonÀ l’aube de la seconde guerre mondiale, des milliers de réfugiés espagnols traversent les Pyrénées pour fuir l’avance des Franquistes. Antonio Atarès est l’un d’eux : un visage parmi d’autres. Arrivé en France, il est interné au camp du Vernet en Ariège. En mars 1941, il reçoit une lettre de quelqu’un qu’il ne connaît pas, la philosophe Simone Weil. Ces deux destins vont se croiser dans la pénombre de l’Histoire. D’un côté, une philosophe juive engagée dans une lutte politique et mystique à Marseille, et de l’autre un paysan anarchiste exilé au Vernet puis aux portes du Sahara, à Djelfa en Algérie.

France, 40’, 2009, vidéo, prod Le Miroir, dist. Groupe Galactica

L’École documentaire de Lussas propose tout au long de l’année un temps et un lieu, pour penser des films, les imaginer, les mettre à l’épreuve d’une expérience, les réaliser. À partir d’un projet, d’un désir parfois fragile, toujours tenace, il s’agit de chercher, trouver, la forme qui permettra de suspendre, le temps d’un film, l’impensable du réel, la solitude féroce qu’il inflige. Ce travail, qu’il se déroule dans le cadre du Master, de la résidence ou de l’atelier, s’inscrit toujours dans une relation fondatrice à l’autre. Le travail du groupe soutient, aiguise le regard, la pensée et la pratique de chacun de ceux qui, travaillant et vivant ensemble ici, le constituent.Les intervenants – réalisateurs ou techniciens – sont tous des cinéastes engagés dans leur pratique artistique et pédagogique. La maison du doc met à disposition des participants un fond unique de plus de 20 000 titres. Le travail se nourrit ainsi quotidiennement de visionnage critique de films.L’École documentaire a mis en place, conjointement aux formations à la réalisation, une formation à la production, et des rencontres « professionnelles » destinées les unes et les autres à soutenir l’exis-tence des films dans la réalité. Mais la réalité ne peut être séparée de l’utopie qui la rend concevable, vivante. Les étudiants producteurs du Master partagent avec les étudiants réalisateurs le désir d’un film à venir dans ce qu’il porte d’irréductible. Leur apprentissage commun, à l’Université de Grenoble et spécifique dans le cadre d’ateliers à Lussas, leur propose d’acquérir les compétences artistiques et professionnelles pour envisager le passage de la nécessité de l’auteur au film fini.Les rencontres d’août et d’octobre qui rassemblent jeunes auteurs-réalisateurs, producteurs, puis diffuseurs et partenaires institution-nels, sont organisées tous les ans. Chaque édition est à l’origine de la mise en production de nouveaux films. Aujourd’hui, plus d’une centaine de films développés en écriture à Lussas ont été réalisés. Depuis deux ans, la collection Primavera créée en collaboration avec une chaîne du cable permet la mise en production annuelle de 10 premiers films initiés à l’École documentaire.

L’École documentaire de LussasUne présentation de Chantal Steinberg

Nous autres

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Ateliers/rencontres

Débat modéré par Michèle Soulignac et Anita Perez. En partenariat avec LMA (Les Monteurs associés)

Il est aujourd’hui donné à (presque) tous de tourner en HD.Par rapport à la vidéo numérique, l’image est plus belle et le discours des industriels s’est répandu sans être vraiment questionné : avec la HD, TOUT est possible. Difficile de résister à cet argument, et pourtant l’examen un tant soit peu approfondi de la réalité démontre très vite que ce n’est pas si simple…Ou plutôt, comme toute innovation technique qui a été principalement dictée par l’industrie technique (ici, informatique), avec de multiples, évolutifs et peu explicités codages de l’image et du son, il n’est pas certain que réalisateurs, producteurs, techniciens, s’y retrouvent.Plus précisément, nous voudrions échanger ensemble sur les manières dont le documentaire de création se fait en cinéma numérique.

Cela tout au long de sa chaîne de fabrication, nous exclurons, pour cette fois et pour une raison de temps, la diffusion.

LA FABRICATIoN DES FILMS, ToURNAGE, MoNTAGE.

Plusieurs réalisateurs et chef-monteurs témoignent de leur travail en HD et comparent avec les autres supports qu’ils ont pu utiliser :• François Caillat, réalisateur, opérateur de certains de ses films, qui a connu et utilisé tous les supports depuis le 35 mm.• Alessandro Comodin, réalisateur, opérateur, producteur, jeune homme qui tient à tourner en pellicule.• Daniela de Felice, réalisatrice, monteuse, qui mêle dans ses films tournages réels et éléments d’animation.• Diane Baratier, réalisatrice et opératrice, habituée des solutions « artisanales » pour des films peu fortunés, alliant rigueur et ambition cinématographique. A en cours de réalisation un film sur le passage de l’argentique au numérique.• Sophie Bousquet-Fourès et Benoît Alavoine chef-monteurs, reviennent sur leurs expériences très différentes des « retouches/trucages » que la HD permet à l’étape du montage.• Ludovic Arnal (Arsenal Productions) explique comment un jeune producteur doit aujourd’hui connaître et tenir compte des particu-larités de la HD.

Tous racontent des aventures singulières de films, en quoi la HD a pu favoriser ou pénaliser leur travail, seul ou en équipe. Ils réfléchissent, d’un point de vue éthique, sur le « tout est possible »

en ouvrant la boîte de pandore vertigineuse de la capacité, avec la HD, de modifier complétement les rushes : i.e. recadrer, refaire le travail de l’opérateur, modifier la relation aux personnes filmées, repousser à l’infini la question des choix…

LA PoST-PRoDUCTIoN.

Julien Pornet, monteur (Périphérie) se tient à la porte d’entrée de la salle de montage et accueille les équipes.Les rushes amenés par les réalisateurs ont parfois été tournés sur des années, ils se composent de divers supports, formats, ont été tournés seul ou en équipe, le son peut avoir été enregistré séparément de l’image… À cette étape le leitmotiv du « tout est possible » montre déjà ses limites.Avant que réalisateurs et monteurs puissent commencer leur travail sereinement, « normalement », Julien Pornet alerte sur les multiples cas de figures, les problèmes à surmonter dont la résolution nécessite un temps toujours pris sur celui du montage lui-même.À la fin du montage, vont se reposer avec acuité les questions de choix technique des sorties, alors que les besoins pour la diffusion ne sont pas toujours clairement établis ou prévisibles. Il apparaît clairement la nécessité d’une concertation technique rigoureuse. Mais est-elle possible, alors qu’elle devrait être appliquée à des films prototypes ? Des films qui sont, le plus souvent, tournés dans des économies et des conditions qui mettent ce suivi technique hors de portée?

Jean-Guy Véran, mixeur, expose la manière de travailler au montage son et au mixage, avec cette nouvelle technique. Il revient sur ce qui a changé pour le son.

À chaque étape s’imposent les pertes de temps dues aux incompa-tibilités des codages informatiques, au renouvellement effréné des logiciels et des matériels…

Quand de nouvelles techniques modifient les pratiques professionnelles, il convient de réfléchir sur les effets induits par ces changements.Comment des films documentaires, de moins en moins bien financés, peuvent-ils atteindre l’homogénéité technique requise par des normes informatiques en perpétuelle évolution ?Quelles sont les conséquences sur la liberté de création ?Peut-on tenter d’établir ensemble «des procédures» pour ne pas nous laisser envahir par l’impérialisme de la technique ?

La HD, un plat trop riche pour le documentaire indépendant ?

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>> Matinée de formation

En partenariat avec l’Association des Bibliothèques en Seine-Saint-Denis, une matinée de formation est organisée à destination des bibliothé-caires, et ouverte à tout public. Elle est consacrée, à partir d’extraits de films de la programmation, à une réflexion sur la thématique À la première personne.

Elle est animée par Caroline Zéau, universitaire, et Jean-Patrick Lebel, cinéaste et président de Périphérie.

L’association Bibliothèques en Seine-Saint-Denis compte comme adhérentes les bibliothèques et médiathèques des villes du départe-ment. Dès sa création, en 1997, elle s’est donné pour but de favoriser la coopération entre ces établissements de lecture publique. Son action comporte trois axes : développer une réflexion commune sur les pratiques, les évolutions et les nouveaux enjeux de la profession ; mutualiser les compétences et les moyens ; mettre en œuvre des projets culturels et littéraires d’envergure.

> www.bibliotheques93.fr

Parcours de producteur : Jacques BidouEn partenariat avec la PROCIREP - société des producteurs

Jacques Bidou est à la tête de JBA productions, société qu’il a créée en 1987 et avec laquelle il a produit plus de 100 films.

Parmi ces films, de nombreux longs métrages ont été sélectionnés à Cannes : Les Gens de la Rizière (Rithy Panh, 1994), Capitaines d’Avril (Maria De Medeiros, 2000), Lumumba (Raoul Peck, 2000), Une Part du ciel (Bénédicte Liénard, 2002), Salvador Allende (Patricio Guzman, 2004)… Parmi les films documentaires figurent notamment: Chroniques Sud-Africaines (réal. collective, 1988), My Vote is my Secret (Julia Henderson, Thulani Mokoena et Donn Rundle, 1995), Les Gens des baraques (Robert Bozzi, 1996), Carnets d’un combattant kurde (Stefano Savona, 2006)...Jacques Bidou est membre du conseil d’administration de La fémis, directeur des études de la formation EURODOC et depuis 2011 directeur des études du programme DOCMED.

Comment êtes-vous venu au cinéma ?Je suis entré dans le cinéma par une porte qui s’appelle la passion des films, et par une école. Je suis très formation initiale, j’ai fait une école qui s’appelle l’INSAS. J’étais en réalisation et quand j’ai vu les films de Renoir ou d’autres grands maîtres, j’ai pensé qu’il valait mieux faire un médiocre producteur qu’un très mauvais réalisateur. Je suis donc devenu producteur, beaucoup plus tard d’ailleurs.

Qu’est-ce qui motive vos choix de production ?J’ai commencé à produire en 1987, il y a vingt ans, et mes choix ont été d’aller vers des terrains où il y avait des urgences, véritablement des urgences, donc plutôt vers des pays en développement, plutôt des premiers films, et toujours des regards de l’intérieur, des cinéastes issus des pays qui m’intéressaient. J’ai d’abord produit beaucoup de documentaires parce que c’était très important pour moi de plonger dans toute une série de réalités, puis à partir de 1990-1992, j’ai commencé à produire de la fiction, en tout, cela fait une centaine de films, une trentaine de longs métrages de cinéma et le reste des films pour Arte ou des chaînes de ce type, Channel 4 ou des chaînes allemandes.

En vingt ans de production comment avez-vous vu évoluer les choses ?La tendance lourde est toujours la même, c’est à dire la déréglemen-tation de tous les systèmes fait qu’il y a aujourd’hui une course à l’audience, une compétition vers les très larges publics et une assez grande difficulté à faire vivre les œuvres singulières. Une évolution qui est donc pour nous préoccupante.

Entretien sur le site Internet dissidenz – 2007

> jbaproduction.com

Les Rencontres du cinéma documentaire remercient pour cette édition :

Béatrice Benchétrit (Fondation Camargo), Régine Berre-Viain (Ratp), Baptiste Bessette (L’Abominable), Christophe Bichon (Light Cone), Manon Blanfumet (Ateliers Varan), Jean-Pierre Bloch, Dominique Bluher, Erik Bullot, Gabriel Chabanier (Le Miroir), Eve-Marie Cloquet (Scam), Pip Chodorov, Richard Copans (Les Films d’ici), Gérard Cou-rant, Marc Daquin, Martine Dautcourt (Scam), Jean-Yves De Lepinay (Forum des images), Anne Even (ZDF), Claude Guisard, Jean-Jacques Hocquard (La Parole errante), Pauline Horovitz, Samuel Le Bagousse (Niz! distribution), Corentin Lotterie, Emmanuelle Manck, Martine Markovits (ENSBA), Laurence Millereux (Forum des images), Edouard Mills-Affif (Université Paris 7/Diderot), Céline Païni (Les Films d’ici), Anita Perez, Julien Pornet, Régine Régal (Arte France), Pascal Richard (Arte France), Luciano Rigolini (Arte France), Nathalie Semon (Arte Actions Culturelles), Hampton Smith (Minnesota History Center), Pascale Tabart (Festival d’automne à Paris), Gaël Teicher (POM films), Cécile Tourneur, Françoise Widhoff, Caroline Zéau (Université Picardie/Jules Verne)… ainsi que tous ceux qui nous ont soutenus et aidés, de mille façons.

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CALEndRiERJeudi4oCtoBre

20h30 oUVERTURE2084 de Chris Marker, 10’ Film Portrait de Jerome Hill, 81’

Vendredi5oCtoBre

10h - 13h Atelier public, Matinée de formation : À la première personne.......................................................animé par Caroline Zéau et Jean-Patrick Lebel En partenariat avec l’Association des Bibliothèques en Seine-Saint-Denis

14h30 - 17hMaster Class de Joseph Morder ............................... animée par Dominique Bluher

18hLe Journal de Joseph M de Gérard Courant, 59’ Avrum et Cipojra de Joseph Morder, 12’ La Maison de Pologne de Joseph Morder, 54’ ............................................................ en présence de Joseph Morder et Gérard Courant21hAVANT-PREMIèRE - 15 ANS DE LA LUCARNEChiri de Naomi Kawase, 45’ .....................................animée par François Ekchajzer, .......................................................en présence de Luciano Rigolini (sous réserve)En partenariat avec ARTE Actions Culturelles

Samedi6oCtoBre

14hRARETÉS ET INÉDITS D’AUJOURD’HUIEstudo para o vento de Aline Portugal et Julia De Simone, 9’Facing the scene de Anna Baranowski et Luise Schröder, 16’La Main au-dessus du niveau du cœur de Gaëlle Komar, 79’

16h15SÉANCE SPÉCIALE DOMINIQUE CABRERADemain et encore demain de Dominique Cabrera, 80’Ranger les photos de Laurent Roth et Dominique Cabrera, 14’ Début de Ô heureux jours (film en cours) 10’ ..................en présence de D. Cabrera

19hCinématon n°74 Joseph Morder de Gérard Courant, 3’Mémoires d’un Juif tropical de Joseph Morder, 79’ .......en présence de Joseph Morder

21h30Cinématon n°60 Marcel Hanoun de Gérard Courant, 3’L’Été madrilène de Joseph Morder, 90’ ....................en présence de Joseph Morder

dimanChe7oCtoBre

15h30Blow up - Autobiographie #1 Rita Trinidad de Joseph Morder, 7’L’Aimée de Arnaud Desplechin, 65’

17h PARCOURS PAULINE HOROVITZTout a commencé par le sourire, 2’Un jour j’ai décidé, 6’L’Instinct de Conservation, 4’Tentative d’inventaire de tous les aliments remarquables ingurgités depuis ma naissance, 4’Polanski et mon père, 8’Myotis myotis, 6’Les Toilettes sèches, 4’Mes amoureux, 4’Les Grandes espérances, 5’Mes familiers, 4’Kneidlelh mon amour, 5’Barouh ashem, 5’E 412b, 1’Les Lunettes, 1’Lui et moi, 1’ ....................................................... en présence de Pauline Horovitz

20h30SÉANCE SPÉCIALE JEAN-LUC GODARD / JEAN-DANIEL POLLETCinématon n°106 Jean-Luc Godard de Gérard Courant, 3’Le Corps et la caméra, le cinéma de Jean-Daniel Pollet, entretien avec Jean-Luc Godard, 40’Trois jours en Grèce de Jean-Daniel Pollet, 84’...................................................................animée par Suzanne Liandrat-Guigues

lundi8oCtoBre

18h30 RARETÉS ET INÉDITS D’AUJOURD’HUIPrès du corps de Gaëlle Douël, 20’Comme des lions de pierre à l’entrée de la nuit de Olivier Zuchuat, 87’ .............................................................................. en présence de Olivier Zuchuat

21hCARTE BLANCHE À L’ASSOCIATION L’ABOMINABLEAmi entends-tu de Nathalie Nambot, 52’Mercedes Dunavska ou l’impossible trajectoire A1 de Drazen Zanchi, 30’ ..................................................en présence de Nathalie Nambot et Drazen Zanchi

mardi9oCtoBre

14h30 - 17h30Débat La HD, un plat trop riche pour le documentaire indépendant ?................................................................animé par Michèle Soulignac et Anita PerezEn partenariat avec Les Monteurs Associés

18h30Cinématon n°21 Joseph Morder de Gérard Courant, 3’J’aimerais partager le printemps avec quelqu’un de Joseph Morder, 85’ .............................................................................. en présence de Joseph Morder

21hAVANT-PREMIèRE Cinématon n°1594 François Caillat de Gérard Courant, 3’Une jeunesse amoureuse de François Caillat, 105’ ............ en présence de F. CaillatEn partenariat avec la Scam

merCredi10oCtoBre

14h30 - 17h30L’École documentaire de Lussas ................. présentation par Chantal Steinberg

19hCinématon n°1735 et n°2101 Rémi Lange de Gérard Courant, 2x3’Omelette (nez-de-pied) de Rémi Lange, 78’ ................ en présence de Rémi Lange

21h30Libro nero de Daniela de Felice, 19’Beau comme un camion de Antony Cordier, 42’ .........en présence des réalisateurs

Jeudi11oCtoBre

11h SÉANCE POUR CHRIS MARKERSi j’avais quatre dromadaires de Chris Marker, 49’Le Train en marche de Chris Marker, 32’

14h30 - 17hParcours de producteur de Jacques BidouEn partenariat avec la PROCIREP, société des producteurs

18h45Le Dossier 332 de Noëlle Pujol, 43’Perspective du sous-sol de Olivier Zabat, 26’ .............en présence des réalisateurs

21h AVANT-PREMIèREEl Impenetrable de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini, 91’.......................................... en présence de Daniele Incalcaterra et Fausta Quattrini

Vendredi12oCtoBre

12hDemain et encore demain de Dominique Cabrera, 80’ (REDIFFUSION)

17h30Cinématon n°1590 Jonas Mekas de Gérard Courant, 3’notes on The Circus de Jonas Mekas, 12’notes for Jerome de Jonas Mekas, 50’ ...................... en présence de Pip Chodorov

19hAVANT-PREMIèRECinématon n°1993 Pip Chodorov et n°468 Boris Lehman de Gérard Courant, 2x3’Free Radicals de Pip Chodorov, 82’ ............................. en présence de Pip Chodorov

21h CLÔTUREArirang de Kim Ki-duk, 100’

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PériphérieCentre de création cinématographique

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trenteansdesoutienàlacréationdocumentaireGrâce à l’appui du Département de la Seine-Saint-Denis, Périphérie soutient la création documentaire depuis trente ans.Outrelesrencontresducinémadocumentaire qui se sont développées depuis dix-sept ans, son action est structurée autour de trois pôles :

l’éducationàl’image qui développe une activité d’ateliers scolaires et organise des stages de formation pour les médiateurs culturels.

lamissionpatrimoine qui valorise le patrimoine cinématographique documentaire en Seine-Saint-Denis et met ses compétences à disposition des acteurs culturels du département.

Cinéastesenrésidence qui offre des moyens de montage aux projets retenus et permet aux résidents de bénéficier d’un accompagnement artistique et technique. Ce dispositif est prolongé par une action culturelle autour des films accueillis.

Association Loi 1901Président : Jean-Patrick LebelDirection : Michèle SoulignacÉducation à l’image : Philippe Troyon et Julien PornetMission Patrimoine : Tangui Perron et Nina AlmbergCinéastes en résidence : Michèle Soulignac et Abraham CohenLes Rencontres du cinéma documentaire : Corinne Bopp et Marianne Geslin87 bis rue de Paris – 93100 Montreuil - tél : 01 41 50 01 93 - www.peripherie.asso.fr

unemanifestationdePériphérie,en partenariat avec le Département de la Seine-Saint-Denis,avec le soutien financier du Conseil régional d’Ile-de-France,et de la Procirep - société des producteurs.

CinémaGeorgesméliès-montreuilCentre commercial de la Croix-de-Chavaux – patio central // M° Croix-de-Chavaux – Ligne 9 - Tél : 01 48 58 90 13Station vélib’ N°31007 ou n°31008

lecinémaàl’œuvreenSeine-Saint-denis

Le Département de la Seine-Saint-Denis est engagé en faveur du cinéma et de l’audiovisuel de création à travers une politique dynamique qui place la question de l’œuvre et de sa transmission comme une priorité.

Cette politique prend appui sur un réseau actif de partenaires et s’articule autour de plusieurs axes :• le soutien à la création cinématographique et audiovisuelle,• la priorité donnée à la mise en œuvre d’actions d’éducation à l’image,• la diffusion d’un cinéma de qualité dans le cadre de festivals et de rencontres cinématographiques en direction des publics de la Seine-Saint-Denis,• le soutien et l’animation du réseau des salles de cinéma,• la valorisation du patrimoine cinématographique en Seine-Saint-Denis,• l’accueil de tournages par l’intermédiaire d’une Commission départementale du film.

lesrencontresducinémadocumentaire s’inscrivent dans ce large dispositif de soutien et de promotion du cinéma.

Cet événement, À la première personne, est organisé avec le cinéma municipal Georges Méliès à Montreuil, avec le concours de la Ville de Montreuil, en partenariat avec :