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IHESTMinistère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche 1, rue Descartes - 75231 Paris cedex 05 Tél. : 33 (0)1 55 55 89 67 - Fax : 33 (0)1 55 55 88 32 [email protected] - www.ihest.fr
L’IHEST est un établissement public à caractère administratif, prestataire de formation enregistré sous le n° 11 75 42988 75. Cet enregistrement ne vaut pas agrément de l’État. Siret n° 130 003 825 00010.
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Promotion Léonard de Vinci
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
Sommaire
1. L’éducation pour le développement : initiatives et acteurs 4Fred JEAN-CHARLES, Dominique JEGO, Isabelle MARTIN, Armelle REGNAULT-THERY
2. Ingénieurs, chercheurs et cadres, les spécificités de leur formation en Inde 8Karim BEN SLIMANE, Alberto PACE, Véronique ROUYER, Laurence SARTON,
3. ONG et fondations : quelle place dans le développement technologique et social ? 12Neli Aparecida DE MELLO THERY, Yann DOUTRELEAU, Nasser MANSOURI-GUILANI,
Claire PLANCHE
4. L’Inde : de nouveaux modèles de transfert technologique et d’innovation ? 16Luc ARDELLIER, Christian CREMONA, Frédérique PAIN, Bernard PIKEROEN, Stéphane RIOT
5. Comment les entreprises françaises appréhendent-elles les spécificités de l’innovation et de la propriété intellectuelle en Inde ? 20Nozha BEN HAJEL BOUJEMAA, Philippe ROSIER, Pascale ULTRE-GUERARD, Isabelle ZABLIT
6. Urbanisation massive : quels enjeux pour la mobilité et l’environnement ? 32Françoise LAVARDE, Stéphanie MARTIN-HUGUET, Laurent MONNET, Françoise TOUBOUL
7. Des biotechs à la santé pour tous : entre stratégies et engagement 36Michel IDA, Nadia KHELEF, Boubakar LIKIBY, Patrick TOURON
8. Politiques et domaines d’excellence de la recherche indienne : quelles lignes de force ? 40Christine CHARLOT, Mathieu HAZOUARD, Emmanuel LEDINOT, Hélène NAFTALSKI
9. Bangalore, capitale mondiale des technologies de l’information et de la communication ? 44Marc BOUSQUET, Denis EHRSAM, Philippe HERNANDEZ, Nathalie MERCIER-PERRIN
10. La coopération scientifique entre la France et l’Inde 49Patrick CARON, Michèle GUIDETTI, Arnaud ROUJOU de BOUBEE, Frédéric SAUDUBRAY
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Voyage d’études en Inde
Orientation générale
Le voyage d’études en Inde de la promotion 2012-2013 des
auditeurs de l’Institut des hautes études pour la science et
la technologie s’inscrit dans le cadre de son cycle natio-
nal dont le thème porte sur « Sciences et Progrès : réalités,
paradoxes et utopies ». Contribuer à l’insertion sociale des
sciences et des technologies de demain, tel est l’objectif
de l’IHEST. Afin de permettre aux auditeurs d’appréhender
la complexité des relations entre les sciences et la société
et leurs évolutions, le cycle traite durant l’année de grandes
questions autours de l’innovation, l’économie, l’éducation,
la culture.... L’appréhension des relations entre science et
société et de leur évolution nécessite de découvrir d’autres
cultures et modes d’organisation. Quel pays mieux que
l’Inde pouvait permettre d’approfondir leur réflexion sur le
Progrès lié aux sciences et aux techniques ?
L’histoire et l’actualité de l’Inde sont empreintes d’une
grande tradition de recherche fondée sur l’excellence et
nombreux sont les scientifiques indiens qui ont marqué
l’occident depuis des siècles dans le domaine des mathé-
matiques, de la physique ou de la biologie. Le monde de la
science ne cesse d’évoluer et il en est de même pour celui
de l’innovation. Ainsi l’Inde est-elle porteuse de nouvelles
conceptions de l’innovation telle la jugaad innovation. Les
politiques industrielles et d’innovation, liées à des champs
très concurrentiels et mondialisés tels que les technologies
de l’information et de la communication, les biotechnolo-
gies ou encore l’énergie, ne cessent d’évoluer et s’inscrivent
dans un contexte de développement rapide, répondant aux
exigences du marché intérieur.
Le voyage d’étude a permis aux auditeurs de l’IHEST de dé-
couvrir de façon concrète et objective – par des rencontres
et discussions avec des personnalités indiennes – la place
que l’Inde donne aux sciences et technologies dans sa stra-
tégie et sa politique de croissance.
L’objectif était de prendre la mesure de l’effort scientifique
engagé par l’Inde, de comprendre les politiques en ma-
tière d’éducation, d’enseignement supérieur, de recherche
comme d’innovation. Il vise aussi à appréhender les grandes
politiques industrielles et économiques et de saisir leurs
conséquences pour le développement du pays au regard
de ses caractéristiques culturelles et sociales.
Au travers de leurs visites et rencontres, les auditeurs ont
tenté de saisir comment ce développement se traduit ainsi
que les objectifs et initiatives qui le soutiennent. Une atten-
tion particulière a été portée au contexte culturel indien dont
l’étude est nécessaire à la bonne compréhension des spé-
cificités de la société et du territoire indiens.
Plus spécifiquement, l’IHEST est intéressé à étudier com-
ment les politiques indiennes de la recherche entrent en
résonance avec l’activité économique, les politiques édu-
catives, les politiques sociales et de santé publique, l’amé-
nagement du territoire, la mise en valeur des ressources
naturelles et énergétiques, la protection de l’environnement
et les politiques agricoles et agroalimentaires.
Ce voyage s’inscrit également dans le cadre de la coopéra-
tion entre l’Inde et la France. Il vise à renforcer les liens entre
les deux pays et leurs collaborations. Le choix de la desti-
nation du voyage d’études à Bangalore et Mysore, les choix
de visites dans un temps très, trop, limité, ne sauraient don-
ner à l’IHEST et ses auditeurs une vision exhaustive de la
science et de l’innovation en Inde. Toutefois, ces rencontres
leur permettront de découvrir le potentiel de l’Inde dans ces
domaines, ses lignes de force et les amèneront certaine-
ment à y revenir pour développer des relations à plus long
terme.
Marie-Françoise CHEVALLIER-LE GUYADER
directrice de l’IHEST
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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Remerciements
Ce programme a mobilisé de nombreuses personnalités, institutions et entreprises en France et en Inde, auxquelles
l’IHEST et ses auditeurs tiennent à exprimer leur reconnaissance et leurs remerciements respectueux :
François Richier, Ambassadeur de France en Inde, pour son soutien dans l’organisation de ce voyage et la disponibilité de
ses équipes.
Eric Lavertu, Consul général de France à Bangalore, pour ses conseils, son accueil et son aide dans l’organisation de
rencontres avec des représentants d’entreprises en Inde.
L’IHEST remercie les agents du Service pour la science et la technologie de l’Ambassade de France en Inde en particulier
Véronique Briquet-Laugier, Conseillère pour la Science et la Technologie, Jenifer Clark, Attachée scientifique à Bangalore,
ainsi que Marine Ridoux, chargée de mission et Radhika Viswanathan, coordinatrice scientifique.
Merci à CNR Rao d’avoir accepté de rencontrer les auditeurs et de leur faire bénéficier de sa grande expérience et de ses
connaissances.
Nous tenons également à remercier Narayana N. R. Murthy, co-fondateur d’Infosys, pour sa contribution à l’organisation
des visites des auditeurs sur les campus d’Infosys à Electronic City et Mysore.
L’IHEST remercie Jean-Joseph Boillot pour sa participation active à la préparation du voyage et à l’élaboration du pro-
gramme par le biais de ses nombreux contacts en Inde.
Nos remerciements vont aux institutions, entreprises et organismes indiens qui nous ont ouvert leurs portes et ont accepté
de rencontrer les auditeurs :
• Indian Institute of Management Bangalore
• Indian Institute of Science
• Infosys
• National Center for Biological Sciences
• National Institute of Advances Studies
• Nayarana Hrudayalaya Hospitals
• Selco
• Bangalore Metro rail Corporation Limited
• Jawarharlal Nehru Centre for Advanced Scientific
Research
• National Law School of India University
L’IHEST remercie les institutions et organismes dont les représentants sont venus à la rencontre des auditeurs :
• Agastya International Foundation
• Alliance for Indian Waste-Pickers
• Azim Premji University
• Euro-India Economic & Business Group
• Ikos India
• Indo-Korea Science and Technology Center
• Janaagraha
• MAYA Organic
• Mailhem Engineers Pvt. Ltd
• SKG Sangha
• Waste Wise Trust
Enfin que soient également remerciées les personnalités qui sont intervenus devant les auditeurs afin de les préparer à leur
découverte de l’Inde: Mira Kamdar, chercheur au World Policy Institute et Kirone Mallick, chercheur au CEA.
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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1. L’éducation pour le développement : initiatives et acteurs
Fred Jean-Charles, Dominique Jégo, Isabelle Martin, Armelle Régnault-Théry
L’éducation est une force libératrice, et aujourd’hui elle est aussi une force de démocratisation, faisant tomber les barrières de castes et de classes, lissant les inégalités imposées
par la naissance et les circonstances de la vie Indira Gandhi (1917-1984)
L’Inde est un pays très jeune. D’ici à 2030, la population
de l’Inde dépassera celle de la Chine et sera l’une des plus
jeunes de la planète, avec la moitié de sa population âgée
de moins de 25 ans.
L’éducation en Inde ne peut se percevoir que dans une
évolution historique en prenant en compte plusieurs fac-
teurs importants notamment les castes, les religions, les
traditions et la spécificité de chaque territoire.
Indépendante depuis 1947, l’Inde doit s’appuyer sur son
héritage britannique pour inventer une nouvelle école ca-
pable de relever les défis de la modernisation du pays :
scientifiques, technologiques, économiques, sociaux,
mais aussi ceux qui relèvent des infrastructures comme du
développement durable (en particulier l’eau et l’énergie).
Il y a encore six ans, sur les 200 millions d’enfants entre 6
et 14 ans que comptait l’Inde, 60 millions n’étaient pas ins-
crits à l’école. Aujourd’hui, 97% des 220 millions d’enfants
sont inscrits dans l’une des 1 million d’écoles. Même si,
en réalité, ce sont plutôt autour de 80% des enfants dans
les villes et de 60% dans les zones rurales qui sont scola-
risés, un grand pas a été franchi vers l’accès à l’éducation
pour tous. Cela cache toutefois sans doute des réalités
plus contrastées.
L’Inde cherche à mobiliser ses forces pour résoudre les
problèmes d’assiduité des élèves et de la qualité des
études. Au-delà des chiffres, le chemin est encore long
pour offrir à tous les jeunes indiens un enseignement éga-
litaire, varié et de qualité.
Une volonté fédérale sans réels moyens
L’éducation est une responsabilité constitutionnelle de
l’Etat. Le 1er avril 2010, le Parlement indien a en effet rendu
l’école obligatoire de six à quatorze ans.
L’augmentation du nombre d’enfants scolarisés repose sur
un maillage du territoire permettant de créer une école à un
kilomètre de chaque foyer. Un engagement majeur qui doit
s’articuler avec une formation des enseignants de meil-
leure qualité et des pratiques pédagogiques rompant avec
le seul modèle existant : mémorisation et répétition (un
constat également fait par les enseignants eux-mêmes).
Si la volonté de l’Etat apparaît bien, il reste des écarts
importants entre le niveau fédéral et celui des Etats, qui
ne permet pas, à l’heure actuelle, de construire une école
forte reposant sur des valeurs partagées par tous.
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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Comme les structures et la volonté publiques ne suffisent
pas, des fondations et des organisations non gouverne-
mentales sont présentes aux côtés de l’Etat pour l’accom-
pagner et mettre en place un processus d’alphabétisation
plus marqué et sans doute plus lisible.
Une école marquée par les traditions et la diversité des langues
L’Inde est un pays à forte composante agricole. Mais tous
les agriculteurs ne sont pas propriétaires terriens. Ainsi,
il existe une population agricole migrant au gré des sai-
sons, qui, en l’absence de travail durant l’hiver, investit les
villes. La scolarisation des enfants de ces populations est
quasi impossible du fait de la diversité des langues dans le
pays et d’une région à l’autre (22 langues officielles, plus
l’anglais) d’une part, et d’une difficulté d’assiduité liée aux
déplacements de ces familles d’autre part. Au regard des
migrations internes dans le pays et des changements de
langue dans les territoires, les connaissances des élèves
peuvent être fragilisées, déstabilisées par un référentiel lan-
gagier changeant au gré des parcours. Les aides néces-
saires, les dispositifs d’accompagnement voire de tutorat
restent déficitaires par rapport aux besoins. Sans doute, là
aussi, s’agit-il d’un enjeu important pour le pays à l’aune
de ses demandes et des nécessités du marché.
Poursuivant la logique de l’époque britannique, l’école
est rigoureuse, les élèves, filles comme garçons portent
l’uniforme. La capacité à apprendre et à maîtriser l’anglais
est déterminante, car elle conditionne la compréhension
mutuelle entre toutes les régions de l’Inde, mais aussi la
poursuite des études et l’accès à l’emploi.
La rupture de l’enseignement entraîne des sorties pré-
coces du système scolaire. Le taux de sortie du système
éducatif est important : sept enfants sur dix quittent le sys-
tème éducatif avant même d’entrer au collège.
La place particulière des filles dans la société et l’éducation
Si les écoles ont bien évolué du point de vue des bâti-
ments, elles restent, en l’absence de toilettes dédiées, dif-
ficiles d’accès aux filles. Elles ont en effet été construites
par des hommes, pour des garçons. Les filles sont les
grandes oubliées du dispositif. Selon l’Unesco, il y aurait
en Inde huit millions d’enfants de 6 à 14 ans qui ne seraient
pas scolarisés et la majorité d’entre eux serait des filles.
Aujourd’hui encore, en Inde, compte tenu de la place ac-
cordée aux filles au sein de la famille, le déficit de femmes
est évalué entre 40 et 60 millions, mais il varie selon les
Etats. Au Kérala, par exemple, qui bénéficie aussi d’un
meilleur niveau d’éducation de sa population, ce déficit
n’existe pas. Un adage indien dit même : « Une fille est un
fardeau. Un fils est un cadeau ». D’un strict point de vue
financier, la famille doit économiser pour préparer la dot
de chaque fille, ce qui l’a fait apparaitre essentiellement
comme un poids financier pour la famille.
L’évolution des slogans du planning familial illustre cet
enjeu du rééquilibrage des sexes. Lorsqu’il y a quarante
ans, la famille-type était composée de trois enfants, l’idéal
était présenté comme une famille avec deux garçons et
une fille. Vingt ans plus tard, l’idéal était passé de trois à
deux enfants, c’était alors la parité garçons–filles qui était
affichée comme optimale. Enfin, tout récemment, c’est la
promotion de l’enfant unique qui est faite par l’Etat, l’enfant
unique idéal est cette fois présenté par les affiches publi-
citaires du planning familial comme étant une fille. L’Inde
vient de mettre en place un soutien financier pour les fa-
milles défavorisées incluant une allocation de mille euros
distribuée en tant que dot à chaque jeune femme qui se
marie, ceci afin de favoriser la naissance de filles dans les
familles.
Les statistiques montrent que les filles réussissent mieux
que les garçons à l’école, ce qui incite le gouvernement
à encourager leur scolarisation. Néanmoins, la place des
filles reste difficile à affirmer au regard des traditions qui
transcendent les lois et la volonté politique.
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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En effet, en Inde, manger est un acte social et familial qui,
à terme, forge ou fixe les relations entre les filles, mères,
épouses et belles-mères. Ces traditions, us ou coutumes,
imposent aux filles de préparer le repas du midi pour la
famille. Dans ces conditions, elles ne peuvent suivre
qu’une scolarité en pointillés. Ceci explique, le faible taux
d’assiduité des filles à l’école. Un des moyens utilisés pour
favoriser la scolarisation des filles mais plus encore, leur
maintien et la poursuite des études sur la durée est la dis-
tribution de repas aux jeunes filles. Deux repas leur sont
distribués, un pour elles et un second pour les grands-
mères de leur famille.
Socialement, les jeunes n’ont pas beaucoup de temps
pour décider du cursus scolaire qu’ils vont suivre. Les
parents considèrent que leurs enfants doivent travailler et
ramener de l’argent à la famille. Ce qui est vrai pour les
garçons est amplifié pour les filles. Elles ne représentent
qu’un coût dans la mesure où elles vont quitter le domi-
cile familial et aller vivre dans la famille de leur époux. Les
mariages arrangés sont encore la règle et les filles sont
mariées très tôt dans les zones rurales bien que l’âge légal
du mariage ait été fixé à 18 ans et souvent les engage-
ments sont pris par les familles bien avant la date légale.
En 1999, 69% des garçons étaient allés au bout de leur
scolarité primaire contre 44% des filles. Depuis, l’Inde s’est
engagée dans des modifications structurelles et sociales
pour garder les filles dans le système scolaire. Ces modi-
fications sont essentielles et urgentes pour que le pays
puisse s’engager efficacement dans une scolarisation de
masse répondant à ses besoins et à son évolution démo-
graphique.
L’accompagnement des élèves par des professeurs mieux formés
Il est difficile au gouvernement indien de mettre en oeuvre
une politique de formation des professeurs à l’école pri-
maire recrutés actuellement sur titre universitaire.
Des fondations et des ONG prennent en charge l’accom-
pagnement et la formation des élèves, mais également des
enseignants, faisant qu’une meilleure formation des pro-
fesseurs est la garantie de pédagogies plus dynamiques,
plus participatives et surtout plus centrées sur les com-
pétences. L’un des objectifs de ces structures est de sor-
tir du modèle actuel basé sur la mémorisation et la répé-
tition, pour passer à un système qui prenne en compte
les connaissances, la compréhension, la réflexion et les
attitudes nécessaires à un bon apprentissage. Il s’agit, à
terme, de former des élèves sachant lire, compter, écrire
mais aussi en capacité de comprendre le monde et les
enjeux du développement du pays.
La difficulté du développement de l’éducation est liée pour
une grande part au fait que 60% de la population habite à la
campagne. Un enseignement diversifié nécessite un nou-
veau mode de formation, des outils variés pour les ensei-
gnants et les élèves, mais aussi de convaincre les familles
que l’école forge les individus et permettra de construire
l’Inde de demain. Les ONG tentent de convaincre les
mères de famille du bien-fondé de la scolarisation des
enfants, notamment des filles, car elles sont souvent plus
ouvertes et concernées par l’avenir de leurs enfants.
Les fondations et les ONG, dans cette logique, agissent
sur le terrain pour pallier les défaillances de l’éducation
publique. Trois exemples en témoignent :
• Agastya International Foundation se concentre sur la
diffusion des sciences et de la technologie et sur l’édu-
cation au développement durable grâce à des « mobile
Labs ». Elle est présente dans une dizaine d’Etats et as-
sure aussi la formation de démonstrateurs scientifiques
locaux parmi les enfants doués et l’accompagnement
des enseignants dans les écoles. Elle effectue aussi la
détection des enfants à haut potentiel, par la résolu-
tion de problèmes complexes, en vue de leur offrir des
bourses d’études supérieures.
• Azim Premji Foundation promeut le développement so-
cial pour l’éducation. Cette fondation travaille sur l’école
publique, conjointement avec le gouvernement. Elle vise
l’amélioration du système en travaillant avec les acteurs
concernés par la qualité de la formation dispensée. Elle
est présente dans trois Etats et a pour finalité de créer
une société juste et durable. Elle s’occupe de la forma-
tion des enseignants en créant une université dédiée,
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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et propose d’autres formes de programmes pédago-
giques.
• Le but de Business Intelligence est de restructurer l’ap-
prentissage en se démarquant de la formation classique
par le par cœur en anglais. La fondation veut favoriser
une formation de qualité pour permettre l’émergence de
futurs entrepreneurs. Les jeunes reçoivent des ensei-
gnements artistiques, culturels, sportifs et de R&D, en
sus de l’enseignement classique.
La formation continue des adultes défavorisés
Nous pouvons mentionner ici des initiatives qui visent à for-
mer des adultes n’ayant pas eu l’occasion d’aller à l’école.
Dans le domaine de la sauvegarde de l’environnement, le
traitement des déchets solides qui pose un énorme pro-
blème aux grandes villes comme Bangalore, a incité des
ONG à mettre en place un tri des déchets et à former des
adultes au tri et au recyclage des déchets. Même si ces
formations ne délivrent pas de diplômes, elles permettent
aux adultes concernés d’acquérir des connaissances ainsi
qu’une forme de reconnaissance sociale.
Un autre exemple concerne la formation juridique des
femmes et des enfants afin qu’ils apprennent à faire res-
pecter leurs droits. La National Law school of India Uni-
versity réalise ce type de diffusion des connaissances à
travers des groupes de travail.
Un système qui souffre de la corruption
Le marché de l’éducation, secteur en croissance
constante, est le premier marché de l’Inde. Des collèges,
établis sur le mode de l’héritage anglais, sont construits
régulièrement. Cette progression significative des établis-
sements privés répond à une forte demande des parents
qui ont bien compris l’importance de l’enjeu de l’éducation
de leurs enfants, et ce, quel que soit leur milieu d’origine.
Il apparaît dans l’éducation comme dans d’autres do-
maines, que la corruption est omniprésente, pervertissant
le système scolaire comme l’économie du pays. Dans les
établissements privés, l’admission est conditionnée à la
réussite d’une batterie de tests cognitifs, mais également
aux bakchichs (pot-de-vin) que peuvent donner les parents
aux dirigeants des établissements.
Si la volonté de l’Etat fédéral comme des Etats fédérés
est bien d’assumer l’accompagnement des écoles par
les fondations et les ONG, l’argent issu du système de
subventions publiques se perd facilement et cela ralentit
d’autant la transformation de l’enseignement, la mutation
des écoles pour la prise en charge de tous les enfants et
l’intégration de l’école publique dans le modèle culturel
indien. Les écoles privées se développent autour d’une
sélection à l’entrée sévère et offrent des conditions de tra-
vail souvent de grande qualité, ce qui n’est cependant pas
toujours le cas.
L’articulation entre l’école publique et les différentes écoles
privées est une forme de reproduction du système des
castes que le gouvernement avait souhaité faire disparaître
en installant un système de quotas pour les communautés
les plus défavorisées socialement et économiquement. La
répartition entre l’école publique et l’école privée est de
80/20%.
Pour autant, encore aujourd’hui, la massification de l’en-
seignement ne s’est pas encore opérée. Le pays est assez
loin de ses objectifs d’avoir une classe d’âge à un niveau
donné et une parité filles-garçons dans les écoles.
Le développement de l’Inde passe par le développement
de l’éducation sur l’ensemble du territoire. Malgré les freins
culturels, structurels et la progression exceptionnelle de sa
population, l’Inde a compris que seule une éducation de
masse et de qualité garantira le progrès et lui permettra
de rivaliser avec les plus grandes économies du monde.
Si le chemin est sans doute encore long, l’engagement
du pays est réel et la réactivité des gens l’un de ses plus
grands atouts.
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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2. Ingénieurs, chercheurs et cadres, les spécificités de leur formation en Inde
Karim Ben Slimane, Alberto Pace, Véronique Rouyer, Laurence Sarton
Le sous-continent indien dispose de peu de ressources
naturelles, relativement à sa population très importante,
il ne possède pas encore d’infrastructures performantes
notamment en matière de transport et de télécommuni-
cations, et ne peut offrir un accès à tous au marché de
l’énergie. Même l’accès à l’eau s’avère souvent très dif-
ficile, notamment en raison d’une pollution considérable.
La vraie ressource de l’inde est donc son peuple dont la
moyenne d’âge est prometteuse : d’ici à 2030, la popula-
tion de l’Inde dépassera celle de la Chine et sera l’une des
plus jeunes de la planète. Avec la moitié de la population
aujourd’hui âgée de moins de 25 ans, le nombre d’actifs
va augmenter de 30 % d’ici à 2020. Au cours des dix pro-
chaines années, un nouvel actif sur quatre dans le monde
sera indien, d’après les prévisions de l’Organisation inter-
nationale du travail (OIT).
L’enseignement supérieur indien est-il en mesure de trans-
former cet accroissement démographique en un atout
majeur pour le pays, alors qu’il est structurellement en dif-
ficulté ?
Un enjeu tout en gigantisme inscrit dans le plan de développement du pays
Le retard Indien en matière d’enseignement supérieur
s’explique notamment par la faible ambition des autorités
coloniales en la matière, au cours de l’occupation britan-
nique. Les rares universités créées à la fin du 19ème (Cal-
cutta, Bombay, Madras) avaient pour vocation la formation
de fonctionnaires destinés à administrer la colonie. Les
étudiants les plus doués et fortunés partaient en Angleterre
poursuivre leurs études supérieures et la recherche était
inexistante jusqu’à l’indépendance en 1947.
Un fort développement de l’éducation et de l’enseigne-
ment supérieur s’est produit au cours des deux dernières
décennies. S’agissant de la taille de la population scolari-
sée, l’Inde occupe la 3ème place mondiale avec 14,6 mil-
lions d’étudiants (5 millions en 1990). Cet accroissement
quantitatif n’a pas permis de combler le retard du pays,
puisque seuls 12% des jeunes indiens en âge de suivre
des études sont scolarisés (contre 22% en Chine soit 25
millions d’étudiants). 1
L’exactitude des données statistiques reste incertaine,
mais le manque de jeunes formés est confirmé par diffé-
rentes sources. « Seuls 5 % des jeunes âgés de 19 à 24
ans ont reçu une formation », s’est alarmé Subramaniam
Ramadorai, directeur de l’Organisme national de dévelop-
pement des compétences (NSDC) en décembre 2012.
Il semble néanmoins que l’Inde ait pris la mesure de l’im-
portance d’une vision beaucoup plus ambitieuse pour son
enseignement supérieur, notamment via son 11ème Plan
quinquennal abouti en fin 2011. Les chiffres parlent d’eux-
mêmes : en Inde, le budget de l’éducation a cru de 24%
en 2011-2012, et de 18% en 2012-13 (un budget qui, rap-
porté au PIB, est du même ordre de grandeur que celui de
la France). La part de l’enseignement supérieur a, quant à
elle, atteint 34% en 2011-2012.
1 OCDE, Le réveil des géants : Chine et Inde, 2011
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
- 9 -
Les spécificités de l’enseignement supérieur en Inde
L’enseignement supérieur indien a donc accompli des
avancées remarquables en soixante ans. Cependant, il de-
meure confronté à l’inadéquation quantitative et qualitative
de son offre de formation au regard des enjeux de son dé-
veloppement. Ses spécificités constituent pour certaines
des handicaps majeurs. En effet, les moyens mis en œuvre
seront-ils à la hauteur de la nécessaire création de richesse
que doit engendrer l’Inde pour satisfaire le niveau de bien-
être minimum d’une population en constante croissance ?
Un système d’enseignement supérieur parmi les plus vastes du monde confronté à de graves insuffisances
L’Inde forme chaque année davantage d’ingénieurs que
l’Europe et les Etats-Unis réunis (les chiffres variant entre
350 000 et 500 000 selon les sources et définitions). La
filière ingénierie est la plus importante mais son niveau est
jugé globalement insuffisant et les formations dispensées
peu pertinentes en termes d’employabilité (faible capacités
d’innovation, faible apprentissage relationnel, niveau des
connaissances parfois insuffisant, faible autonomie et une
adaptabilité au changement insuffisante). Elles sont plus
proches, pour ce qui concerne le contenu technique, des
BTS ou des IUT français que des écoles d’ingénieurs. De
plus, les universités ne sont pas épargnées par de graves
problèmes de qualité et de corruption.
Le défi démographique et l’insuffisance globale de l’offre
peuvent expliquer que les indiens, comme les chinois,
aient de plus en plus tendance à émigrer pour suivre des
formations dans les pays anglophones et qu’ils ne favo-
risent pas particulièrement l’accueil des étudiants étran-
gers. En effet, à part quelques accords bilatéraux pour des
échanges ponctuels, réservés à des étudiants d’origine
très précise, en nombre réduit et pour des périodes limi-
tées, l’Inde n’accepte pratiquement pas d’étudiants, ni de
professeurs, ou de chercheurs étrangers dans ses institu-
tions. Le défaut d’infrastructures, les problèmes réglemen-
taires, et le faible niveau du salaire des enseignants contri-
buent aussi à ce manque notoire d’attractivité du système
d’enseignement supérieur indien. Or le niveau d’ouverture
à l’international reste un indicateur significatif pour évaluer
la qualité d’un système de formation supérieure d’un pays.
Face à ce défi démographique l’Inde va-t-elle devenir un
immense marché d’exportation pour l’enseignement su-
périeur occidental ?
Compte tenu de ses insuffisances quantitatives et qualita-
tives, l’Inde pourrait devenir un pays « importateur » d’éta-
blissements d’enseignements supérieurs « privés » étran-
gers. Cette option a été débattue au parlement Indien, elle
permet de limiter les financements publics que ne sont
pas à la portée de l’Etat Indien, mais elle est pour l’instant
repoussée, l’Inde étant très attaché au principe de souve-
raineté nationale. Le débat devrait être ré-ouvert à l’issue
des prochaines élections.
Un système aussi élitiste permet-il de contribuer efficacement au développement global du pays ?
Le système est notoirement élitiste, et ce, notamment,
en raison de la faiblesse des taux d’accès à ses meilleurs
établissements publics qui forment l’élite du pays. Les 13
Indian Institutes of Technology (ITT), constituent le secteur
d’excellence de l’enseignement supérieur indien. Mais, ils
sont réservés à seulement 30 000 inscrits. Les futurs cher-
cheurs y effectuent leurs études de 3ème cycle. La sélec-
tion des candidats s’effectue, en général, par concours au
niveau national 2. Autre exemple, l’Inde a décidé d’inves-
tir massivement dans la science et l’éducation en créant
cinq Indian Institutes of Science Education and Research
(IISER). Les moyens qui ont été débloqués pour ces nou-
veaux instituts sont considérables : le programme dans
son ensemble coûte plus de 600 millions de dollars (452,1
millions d’euros) sur cinq ans, soit 4 % du budget annuel
de l’enseignement supérieur. Néanmoins, la majorité des
étudiants de l’enseignement supérieur effectuent leurs
études dans des établissements de l’enseignement privé
dont le coût est nettement supérieur à celui du système
public.
2 En ce qui concerne l’accès à des formations de doctorat dans les instituts les plus renommés, le taux d’acceptation des candidats est inférieur à 1 candidat accepté pour 50 postulants.
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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Le financement des études d’enseignement supérieur re-
pose principalement sur les familles, que ce soit dans les
établissements privés ou les établissements publics (l’an-
née de scolarité coûte en moyenne entre 20 000 et 30 000
dollars). Certes, il existe des systèmes de prêts et d’aides
publiques, mais ils sont notoirement insuffisants et l’accès
à l’enseignement supérieur est globalement réservé aux
catégories supérieures de la population.
A cette inégalité économique, il convient d’ajouter d’autres
spécificités : l’insuffisante scolarisation des enfants des
campagnes par rapport à ceux des villes alors que 70ù de
la population est rurale, des disparités entre les Etats, le
maintien d’un important taux d’illettrés, en particulier dans
les basses castes, et enfin, les difficultés d’accès à la sco-
larité pour les filles. Il est a souligné que la lutte contre ces
inégalités est clairement identifiée comme un des objectifs
du 12ème Plan quinquennal (2012-2017).
La langue de l’enseignement supérieur est exclusivement
l’anglais. Ce point, qui est un atout pour son développe-
ment à l’international ainsi que pour l’aptitude des entre-
prises indiennes à l’export, est un frein pour l’accès des
enfants des classes défavorisées aux instituts de prestige.
Pour mémoire, seul 5% 3 de la population indienne maitrise
la langue anglaise !
Ce système très élitiste et discriminatoire a clairement
l’avantage de garantir des étudiants de très haut niveau
et d’une grande motivation. Mais il ne forme qu’une trop
petite élite, et de facto, une grande partie de la population
n’a pas accès à l’enseignement supérieur. Ce manque de
personnes qualifiées et instruites à haut niveau handicape
fortement le développement national.
Des universités d’entreprise, des initiatives d’ONG, se sont mises en place pour combler les lacunes des universités
L’exemple le plus significatif est celui de l’entreprise Info-
sys qui a créé sa propre université d’entreprise pour for-
mer des étudiants indiens spécifiquement les métiers dont
elle a besoin. Ils sont recrutés sur la base d’un concours
extrêmement sélectif et bénéficient, après 23 semaines
de formation sur un campus aux infrastructures et à l’en-
cadrement de très grande qualité, d’une possibilité de
recrutement en tant qu’ingénieur informatique. Même si
l’objectif principal de cette initiative est de former les sala-
riés d’Infosys aux exigences de ses clients occidentaux
(identification rapide du besoin, communication dans les
standards anglo-saxons, hautes technicités…), elle contri-
bue néanmoins à faire accéder de nombreux jeunes in-
diens (près de 13 500 par session) et indiennes (50% des
promotions), issus de l’ensemble du pays et de toutes les
catégories sociales, à un haut niveau d’instruction et de
développement.
Sans intervenir directement dans le système de formation
des cadres, chercheurs et scientifiques, les ONG indiennes,
dont le champ de compétence est l’éducation, contribuent
aux objectifs que s’est donné l’Etat en matière d’ensei-
gnement supérieur. Par exemple, l’Azim Premji Foundation
et l’Agastya International Foundation permettent, par leur
action dans le monde rural et dans les couches défavori-
sées de la population, d’élargir la base des jeunes indiens
pouvant accéder à un enseignement supérieur. Ces ONG
interviennent sur le niveau scolaire et culturel de base de
ces jeunes indiens, mais leur font aussi découvrir l’exis-
tence des instituts supérieurs des zones urbaines. Elles
suscitent des vocations chez des populations pour les-
quelles l’idée d’intégrer ces établissements n’est pas évi-
dente, et qui ont même tendance à se l’interdire pour des
raisons culturelles. Ces organisations jouent également un
rôle important dans l’évolution de l’administration et des
acteurs politiques, grâce à la puissance de leurs réseaux,
en maintenant une pression sociale pour faire évoluer le
système d’enseignement supérieur indien, notamment
dans le domaine des sciences et de la recherche, vers une
meilleure qualité et plus d’équité.
Des opportunités et une stratégie
La stratégie indienne en matière d’enseignement supérieur
est clairement transcrite dans le 12ème Plan quinquennal 4,
les insuffisances du système actuel y sont nettement expli-
citées et des intentions et mesures concrètes développées
pour pallier les handicaps identifiés notamment en matière :
3 Assemblée Nationale, La place de la France en Inde, 20124 Vision, Goals and Objectives of Higher Education, in the 12th Five Year Plan (2012-2017)
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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• d’accès à l’enseignement ouvert à toutes les parties
de la société par la mise en place de quotas ;
• de réduction des disparités et discriminations de
toutes natures (inégalités régionales, hommes femmes,
disciplinaires) ;
• de qualité et d’excellence ;
• d’intégration des technologies au cœur de
l’enseignement ;
• d’autonomie des différentes structures ;
• de modèles de participation du secteur privé au
développement de l’éducation de haut niveau.
La nécessaire optimisation de l’utilisation des instituts
d’élite est une action également identifiée. Une observa-
tion issue de nos visites et entretiens, est en effet le faible
nombre d’étudiants et de chercheurs eu égard à la dimen-
sion de ces établissements (en termes d’infrastructures)
ainsi qu’aux moyens qu’ils monopolisent.
Toute cette dynamique, contrainte par des moyens qui
apparaissent de fait bien faibles par rapport à l’énormité
de l’effort à accomplir, semble néanmoins résulter de la
volonté de créer du neuf plutôt que de réformer l’existant.
L’Inde espère ainsi accroitre son attractivité et conserver
l’élite intellectuelle dont un pays majeur du XXIème siècle
ne peut se dispenser tout en faisant progresser une démo-
cratie sociale adaptée aux spécificités de l’organisation
de la société indienne. Reste à mesurer le temps qui sera
nécessaire pour mettre en place cette stratégie.
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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3. ONG et fondations : quelle place dans le développement technologique et social ?
Neli Aparecida de Mello Théry, Yann Doutreleau, Nasser Mansouri-Guilani, Claire Planche
Préambule
L’Inde est un continent riche en paradoxes dont certains
nous sont apparus de façon manifeste pendant ce voyage.
Il serait pour le moins hasardeux de prétendre vouloir tirer
des conclusions définitives à partir d’un voyage d’études
limité dans l’espace et le temps. Les observations ci-des-
sous sont dès lors à considérer avec toute la prudence
requise.
Par ailleurs, la frontière entre ONG, fondations d’entre-
prises et entreprises sociales est parfois très ténue et il est
difficile d’identifier les apports respectifs de chacun ainsi
que le positionnement de l’Etat. Enfin, les besoins sont
tellement immenses que parfois l’efficacité des politiques
nationales peut paraitre limitée.
Un pays de paradoxes
L’Inde fait partie d’une minorité de pays au monde ayant
connu une forte croissance économique, notamment au
cours de la décennie écoulée. Cette croissance écono-
mique ne rime pas nécessairement avec développement
social dans la mesure où ce dernier ne progresse pas au
même rythme que la croissance économique. Sur fond de
misère et d‘inégalités sociales criantes, des îlots de pros-
périté se sont développés et se multiplient sans toutefois
qu’ils ne produisent d’effets d’entraînement rapides.
C’est sans doute là une des explications à l’existence
d’une multitude d’ONG qui cherchent à remédier aux
défauts d’une croissance déséquilibrée et insuffisamment
inclusive. Une seconde explication tient probablement aux
changements d’orientation politique opérés en Inde dans
les années 1990. Malgré ce que disait l’un des fondateurs
du « mouvement des non-alignés », la stratégie géopoli-
tique de l’Inde était auparavant assez proche de celle des
pays du bloc de l’Est et de l’URSS en particulier. L’effon-
drement de ces régimes politiques a, par conséquent,
favorisé le développement d’orientations libérales. Parmi
celles promues notamment par le Fonds monétaire inter-
national et la Banque mondiale, on retrouve une stratégie
de prise de distance de l’Etat et de promotion des orga-
nisations non gouvernementale, mouvement dont l’Inde
n’est pas restée à l’écart.
Les difficultés du développement indien
En dépit d’une très longue histoire, l’Inde est un Etat qui,
sous sa forme actuelle, est très récent puisqu’il n’acquiert
son indépendance vis-à-vis de la couronne britannique
qu’en 1947. Sous la férule britannique, le pays n’a connu,
hormis un réseau ferroviaire connu pour son efficacité, que
très peu de développements des réseaux d’infrastructures
de base (routes, électricité, eau etc.).
De plus, le pays est resté à l’écart de la première révolution
industrielle du XIXème siècle et souffre donc aujourd’hui d’un
retard de son industrie manufacturière de base.
Au-delà cet état initial difficile, l’Inde doit également faire
face à des contraintes internes et à un contexte défavo-
rable pesant sur son développement.
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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Fragilité du gouvernement central
L’Inde est une fédération de 30 Etats, dotés d’une large
autonomie vis-à-vis de l’Etat fédéral. Ceci favorise les ini-
tiatives et la prise de décision locales, largement appuyées
par les institutions multilatérales, mais fragilise la conduite
d’une politique coordonnée du pays. Les décisions et
législations actées au plan national sont d’autant plus dif-
ficiles à appliquer que la corruption qui sévit dans de très
nombreux secteurs, en freine l’application.
Diversité des communautés ethniques et persistance, dans les faits, d’un système de castes pourtant prohibé
L’Inde est ainsi une mosaïque ethnique, culturelle, politique
et religieuse dont la complexité est un frein à la cohésion
nationale et sociale et au développement harmonieux de
toutes les composantes de la société. La coexistence
d’une centaine de langues n’en est qu’une des mani-
festations la plus visible. Tout individu voulant progresser
au sein de la société se doit de maîtriser au minimum 3
ou 4 des langues du pays, en plus de l’anglais qui est,
de fait, la langue la plus largement partagée. De plus, la
société indienne est parcourue de nombreuses tensions,
religieuses ou ethniques, et reste susceptible de voir s’af-
firmer le communautarisme et les affrontements de toute
nature. Le système des castes enferme les individus dans
des modes de pensée, dans leur condition, et nuit à la
progression sociale.
Une expansion démographique difficilement maîtrisée
Atout quand il s’agit de mobiliser rapidement des res-
sources humaines sur de grands projets, l’expansion
démographique de l’Inde, par son extraordinaire rapidité,
ajoute à la difficulté de son développement. En effet, la
croissance économique du PIB actuel de 5% par an n’est
pas suffisante pour espérer pouvoir répondre aux besoins
les plus élémentaires de 450 millions de personnes vivant
sous le seuil de pauvreté (moins de 1€ par jour). Comment
lutter efficacement contre la pauvreté, quand le nombre
d’enfants pauvres se multiplie aussi rapidement ? Com-
ment penser l’urbanisation d’une ville comme Bangalore,
quand sa population passe de 2 à 8 millions en quelques
années ?
Malgré toutes ces difficultés, l’Inde, a connu des succès
incontestables au cours des dernières années. On a ainsi
parlé du Shining India, qui s’est matérialisée notamment
par la réussite de quelques grands capitaines d’industrie,
par le développement d’une classe moyenne relativement
importante et par une maîtrise des capacités technolo-
giques, apanage des grandes puissances (notamment
dans les secteurs du nucléaire, du spatial ou encore de
l’automobile).
Ces succès sont probablement en grande partie le fruit
de la politique mise en place par le gouvernement cen-
tral qui définit sa stratégie dans des plans quinquennaux
concernant les grands enjeux du développement du pays
(santé, éducation, énergie, eau, agriculture, innovation). Il
nous semble qu’il y ait cependant un manque de dialogue
et de prise en compte de la vision des acteurs de terrain.
Les failles et carences de la société indienne sont criantes :
difficulté d’accès à des ressources élémentaires (eau, élec-
tricité), taux d’analphabétisme élevé, pauvreté et misère
d’une grande majorité de la population, pollution, mau-
vaise gestion des déchets, limite de la Révolution verte
qui questionne la capacité future de l’Inde à assurer son
autonomie alimentaire. Par ailleurs, la redistribution des
richesses n’est pas assez, loin s’en faut, effective.
Ces défaillances de l’Etat, au niveau fédéral ou des Etats,
entraînent la mobilisation et la montée en puissance
d’autres acteurs, issus de la société civile. Comme nous
avons pu le constater au travers des quelques cas qui
nous ont été présentés, les fondations et ONG prennent
de nombreuses initiatives localisées et pour pallier les si-
tuations d’urgence à des micros-échelles.
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
- 14 -
La fondation d’entreprise : une pratique courante au sein des entreprises indiennes qui réussissent
Les réussites industrielles et économiques indiennes sont
majoritairement le fait de grands capitaines d’industries et
de grandes familles (sur le modèle de la famille Tata). Ces
entreprises ont mis en œuvre une tradition de contribu-
tion au développement économique et social du pays. Les
explications sont diverses, allant d’une posture qui pourrait
être considérée comme cynique à des considérations plus
pragmatiques. Ainsi, on peut imaginer que certains indus-
triels opèrent par pur opportunisme afin de développer un
marché et une offre intérieure nécessaires à la croissance.
D’autres souhaitent accéder à une main d’œuvre suffisam-
ment qualifiée, adaptée à leur propre besoins et disponible,
compte-tenu d’un taux de turn-over national de 35%, véri-
table goulet d’étranglement pour les entreprises. D’autres,
enfin, développent une approche « gagnant-gagnant » per-
mettant de conjuguer progrès social (formation, couverture
sociale etc.), disponibilité et fidélité d’une main d’œuvre plus
qualifiée et responsabilité sociétale.
A titre d’illustration, il est probable que la création d’un cam-
pus ultra-moderne par l’entreprise Infosys n’ait pas unique-
ment comme objectif le bien-être et le développement per-
sonnel de ses employés. Au-delà des discours, l’entreprise
pallie cependant une défaillance réelle de la formation natio-
nale en améliorant l’adéquation des étudiants à ses besoins
et en assurant annuellement l’arrivée de salariés pour com-
penser un taux de turn-over de 15% au sein de la société.
D’autres initiatives ont une utilité sociale plus développée.
On pense ainsi aux différentes initiatives de la famille Tata,
qui a permis de financer la création d’instituts scientifiques
de très haut niveau (Indian Institute of Sciences à Bangalore,
Tata Institute of Fundamental Research à Mumbay etc.).
Même si, aujourd’hui, le financement de ces instituts a été
repris à son compte par l’Etat, l’initiative a permis la création
d’élites extrêmement utiles au pays, suite à l’obtention de
son indépendance.
Un autre exemple particulièrement éclairant est celui de
l’Azim Premji Foundation dont l’objectif est de contribuer
au développement social par l’éducation en focalisant
ses efforts sur l’éducation élémentaire et primaire. Créée
et financée depuis dix ans par M. Premji elle se consacre
à l’éducation primaire des enfants et a comme principal
objectif la lutte contre l’illettrisme. Son action est particu-
lièrement efficace puisqu’en quelques années, le taux de
présence des enfants à l’école est passé de 23 à 97%. Ce
qui caractérise l’action de cette fondation, c’est la mise
en place de solutions pragmatiques, basées sur l’obser-
vation des difficultés pratiques sur le terrain. L’action de
cette fondation nécessite une réflexion approfondie, une
grande persévérance ainsi qu’une forte concertation avec
la puissance publique. La fondation se positionne ainsi en
soutien de cette dernière.
Le Narayana Hrudayalaya Hospitals en fournit un autre
exemple instructif, typique de l’innovation frugale. Construit
par le secteur privé et bénéficiant de subventions, cet hôpi-
tal assure, à un coût unitaire extrêmement réduit grâce aux
effets d’échelle, le traitement des patients sur la base d’un
système de tarification qui tient compte, autant que faire
se peut, de leurs moyens financiers. Ainsi, afin de maintenir
un équilibre financier, la gestion du traitement des patients
est subordonnée à un suivi quotidien de l’Earnings before
Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization (EBITDA) ou
résultat d’exploitation.
En dépit de ces ambivalences, l’implication des grandes
entreprises dans la lutte contre la situation difficile d’une
grande partie de la population, traduit une conscience
de la nécessité d’une grande solidarité, attitude que l’on
retrouve aussi au travers des dons effectués vers le pays
par les immigrants indiens résidant à l’étranger.
Les ONG et associations : des actions concrètes et efficaces sur le terrain mais dispersées
Les problèmes de développement de l’Inde sont nom-
breux tant dans les campagnes que dans les villes. Les
opportunités de mobilisation et les chantiers à mener sont
nombreux, pour qui veut s’en saisir.
Les différentes initiatives qui nous ont été présentées com-
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
- 15 -
portent de nombreux points communs : fort dynamisme
et motivation des acteurs, criticité des situations, actions
à petite échelle, mise en œuvre de l’innovation frugale (ju-
gaad innovation).
Ainsi l’ONF SKG Sangha apporte des solutions innovantes
en installant dans les villages des fours utilisant le biogaz,
ce qui limite l’impact environnemental de la cuisine dans les
foyers, le coût et les corvées inhérentes aux modes de cuis-
son traditionnel (bois, pétrole). La société Selco apporte,
par l’utilisation de panneaux solaires, des solutions pour
l’électrification des villages qui ne sont pas reliés au réseau
électrique. L’Agastya International Foundation se consacre
essentiellement à l’éducation aux sciences des enfants dé-
favorisées, sur la base de dispositifs expérimentaux, et avec
pour objectif un apprentissage par le jeu. Enfin, à Bangalore,
la Solid Waste Management Round Table (SWMRT) est une
association visant à peser sur les politiques publiques pour
organiser la collecte et le traitement des déchets pour que
Bangalore redevienne la « cité des jardins » (the City of Gar-
den) alors qu’elle est désormais considérée comme la « cité
des déchets » (the City of Garbage).
Toutes ces initiatives sont évidemment indispensables et
salutaires car elle viennent compléter voire parfois se subs-
tituer à une action publique parfois dépassée par l’ampleur
des difficultés ou encore contournée par le biais de la cor-
ruption.
On peut cependant estimer qu’elles apparaissent comme
isolées et non coordonnées avec des associations simi-
laires dans d’autres villes ou d’autres Etats. Le passage de
la micro-échelle à une dimension plus grande serait proba-
blement utile et nécessaire afin de donner à ces actions plus
de poids et de visibilité face aux pouvoirs publics ou à des
lobbies peu favorables.
Des interrogations sur la trajectoire du développement indien
L’action des entreprises, fondations et ONG paraît au-
jourd’hui fondamentale pour de nombreux aspects du dé-
veloppement social et économique, eu égard aux enjeux
et à la criticité de la situation d’une grande partie de la
population. Cette action semble cependant dispersée et
on peut se questionner sur le résultat de ce modèle à long
terme, compte tenu des prochaines évolutions auxquelles
l’Inde sera très bientôt confrontée : croissance continue de
la population, ralentissement de la croissance économique
liée à la crise mondiale, fossé entre les revenus les plus bas
et les plus hauts, épuisement des ressources (territoriales,
agricoles) et enjeux écologiques.
Une coordination de l’action publique et des initiatives
privées et locales, comme cela est le cas pour certains
exemples que nous avons vus, semble être une condition
impérieuse pour que l’Inde puisse surmonter les difficultés
de son développement.
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
- 16 -
4. L’Inde : de nouveaux modèles de transfert technologique et d’innovation ?
Luc Ardellier, Christian Cremona, Frédérique Pain, Bernard Pikeroen, Stéphane Riot
Contexte
En Inde, transfert technologique et innovation sont liés
mais non superposables, et sont conditionnés par le
contexte historique, politique, culturel, social.
Lors de notre visite au National Institute of Advanced Re-
search (NIAS) de Bangalore, son président, V.S. Rama-
murthy, a rappelé comment ce contexte a influencé la
politique de recherche et d’innovation en Inde : en 1958
la Science Policy Resolution a promu la culture et la re-
cherche scientifique, tout comme en 1983 le Technology
Policy Statement a eu pour objectif de donner une autono-
mie technologique. La Science and Technology Policy de
2003 renforçait la nécessité d’investissement en recherche
et développement. Sa dernière mouture, la Science, Tech-
nologies, & Innovation Policy de 2013 cherche à apporter
de nouvelles perspectives en matière d’innovation dans
un contexte spécifiquement indien de développement du-
rable de la société. Le Dr. Ramamurthy rappelle que l’Inde
a déclaré 2010-2020 « Décennie de l’innovation ».
L’enjeu est en effet de créer des conditions de vie accep-
tables pour 1.2 milliards d’habitants dont la moitié a moins
de 30 ans. Si cela représente un formidable dynamisme,
c’est aussi un défi en terme d’emploi et de niveau de vie
= pour une population qui compte encore plusieurs cen-
taines de millions de personnes cumulant des facteurs de
grande pauvreté : accès à l’alimentation, l’eau, la santé,
l’éducation…
La stratégie indienne prend ses racines dans une ambition
de rayonnement (devenir une puissance internationale) et
de souveraineté marquée par l’indépendance de 1947.
Bangalore en est l’exemple réussi, modèle incitant à la pru-
dence sur l’extrapolation qui peut en être tirée. Les inves-
tissements dans les secteurs de la défense et de l’aéros-
patiale ont créé le terreau éducatif et industriel qui a permis
l’essor récent et visible de l’industrie des STIC dans cette
région. Notre visite à l’Indian Institute of Science (IIS) sym-
bolise ce rôle de l’état indien : les technologies prennent
leur source dans les disciplines de la connaissance très
anciennes en Inde que sont, par exemple, les mathéma-
tiques et la physique. L’histoire de l’Institut – fondé par
JN.Tata, un des pères de l’industries indienne apparte-
ment à une famille de prêtres Parsi – nous ramène au style
d’entrepreneuriat très familial de l’Inde et au rôle incon-
tournable des castes dominantes (comme dans d’autres
secteurs de la société), en particulier celle des brahmanes
- pour ces intellectuels le développement de l’Inde passe
par une vision humaniste de la connaissance, la science et
la technologie - et des banias, ou marchands.
Objectifs, moteurs et fondements de l’innovation
Plus à l’écart de ces discours institutionnels, une obser-
vation au quotidien et des échanges libres avec quelques
scientifiques met en exergue un rôle de l’Etat plus faible
qu’il n’y paraît, mais surtout deux autres moteurs vitaux
de l’innovation.
Le premier moteur est le dynamisme des individus au
service d’une volonté de prospérité personnelle. Celle-ci
passe à la fois par un enrichissement et par une volonté
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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d’affirmation sociale dans un système très stratifié, attitude
profondément inscrite dans la culture. On trouve dans le
Ramayana, un des textes mythologiques écrit en sanscrit
(Vème siècle avant JC), le conseil suivant : « Acquerrez
de la richesse. Les racines du monde sont la richesse.
Il n’y a aucune différence entre un homme pauvre et un
homme mort ». Dans une conception large de l’innovation,
consistant à transformer créativité en valeur, il est facile
d’imaginer les indiens à l’aise avec cette idée de création
de valeur commerciale portée par la caste très dynamique
des banias.
Le second moteur de l’innovation, sensible à travers nos
rencontres avec des fondateurs d’ONG et la visite de Na-
rayana Hrudayala Hospitals, est une conception humaniste
du retour vers la société, de la redistribution des biens ac-
quis, qui semble contredire l’individualisme marchand pré-
cédent, mais qui, en réalité, coexiste avec lui (les contra-
dictions en Inde étant plutôt des cohabitations). Ainsi, dans
le modèle économique de cet hôpital, le souci de soigner
en masse les enfants des campagnes pauvres est financé,
entre autres, par des opérations sur des adultes solvables.
De nombreux indiens semblent innover avec le même
dynamisme pour des causes au profit des populations
pauvres, des campagnes, et des grandes causes sociales
telles que l’agriculture, l’alimentation ou l’assainissement.
Ces enjeux sont mal gérés par des politiques gouverne-
mentales intellectuellement séduisantes mais enrayées par
une corruption endémique au moment de leur application
sur le terrain. L’innovation frugale, ou Jugaad innovation,
est ainsi née dans les campagnes.
Modèles de transfert technologique
Dans le domaine technologique, l’Inde a mis en place des
modèles classiques d’innovation régulée : mécanismes
de soutien au transfert de la recherche vers l’économie,
renforcés dans le cadre du Plan quinquennal. Le National
Innovation Council pilote l’innovation à travers de nom-
breux outils parmi lesquels les State Innovation Councils,
les Industry Innovation Clusters, l’India Innovation Fund, ou
le National Knowledge Network. Ces institutions sont ados-
sées à un terreau de recherche probablement insuffisant :
1% du PIB (2,25 % en France). L’excellence, concen-
trée sur une élite, notamment dans les Indian Institute of
Technology (IIT) et les Indian Institute of Management (IIM),
récompense la sectorisation du modèle, comme dans le
secteur des biotechnologies. En témoigne notre visite au
National Center for Biological Science, l’un des meilleurs
bioclusters créés à l’initiative du Département de biotech-
nologies mais avec laquelle la visite de l’entreprise inno-
vante Biocon, dans le même secteur technique et géogra-
phique, ne montre ni lien ni cohérence. Un fort accent est
mis sur le développement des partenariats publics privés
(avec un objectif de 50 % de financement privé) et sur une
refonte de la propriété intellectuelle avec la mise en place
d’un office des brevets. De très (trop ?) nombreux dispo-
sitifs de financement soutiennent le transfert aux différents
stades de maturité des technologies. Ainsi, la fondation
Robert Boch essaie-t-elle de promouvoir, dans l’esprit du
Jugaad, des technologies bon marché mais de grande
qualité destinées au bien-être de la société indienne. De
nombreux parcs technologiques et incubateurs semblent
émailler l’Inde, s’appuyant en particulier sur les IITs et les
IIMs. L’IIM de Bangalore affiche un taux de succès éton-
nant lié à une sélection à l’entrée très rigoureuse, autre
trait marqué du modèle indien. En synthèse, ce paysage
contrasté ne convainc pas de l’efficacité de la politique
publique. En revanche, les initiatives privées souvent fa-
miliales semblent beaucoup plus efficaces, d’où l’impor-
tance sans cesse soulignée des partenariats public-privé.
A cet égard, le modèle de développement de l’informa-
tique à Bangalore force l’attention. Infosys en est l’illus-
tration : entreprise issue d’une initiative privée d’entrepre-
neurs de haut niveau social ayant pu étudier aux USA et
un goût inné pour les affaires, affichant une vision sociale
inscrite dans sa constitution et possédant un modèle éco-
nomique astucieux fondé sur l’exploitation du coût de la
main d’œuvre plutôt que sur la différentiation technolo-
gique. C’est ce kaléidoscope qui constitue sans doute la
réalité indienne, sans que l’on ne puisse la confiner à un
modèle.
5 Service pour la science et la technologie, Ambassade de France en Inde, L’innovation en Inde, 2013
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
- 18 -
Les différents types d’innovation
Les observations précédentes indiquent une innovation
polymorphe aux formes imbriquées.
L’innovation technologique à l’occidentale n’est pas celle
qui se porte le mieux : les systèmes aéronautiques ou spa-
tiaux indiens ne sont pas réputés pour leur qualité. Dans
le domaine de la défense, l’Inde importe ses équipements
de Russie (à 80 %), d’Israël et du Royaume-Uni – ainsi que
de façon plus marginale, d’autres pays à haute techno-
logie dont la France, et, plus récemment, les Etats-Unis
- les coopérations avec la France semblant se renforcer.
La visite du métro de Bangalore a révélé un système de
supervision créé par des industries allemande et française.
L’ingénierie de moins haute technologie est mieux déve-
loppée en Inde. Le secteur automobile en particulier est
assez florissant, et l’innovation réussit souvent, comme
avec la fameuse Tata Nano, automobile à 2000 Euros,
créée selon un modèle de réduction des coûts, plutôt que
sur les dernières avancées technologiques. Cette inno-
vation frugale cohabite avec des produits plus haut de
gamme, en lien avec la croissance économique, mais sui
sont encore souvent importés (exemples des automobiles
allemandes, japonaises ou françaises).
Plus généralement, l’adaptation aux usages, à l’inverse de
l’innovation de type techno push occidentale, semble une
force. L’entreprise Selco a ainsi distribué en masse des
systèmes de production et stockage d’énergie à bas coût
dans les zones rurales de l’Inde.
L’émergence réussie d’une innovation prend donc un vi-
sage plus social en Inde. La priorité donnée aux usages
conduit la société indienne à répondre d’abord à ses be-
soins vitaux et urgents pour lesquels la science et la tech-
nologie ne jouent qu’un rôle relatif. Citons l’Agastya Inter-
national Foundation dont le but est l’éducation locale des
enfants dans les villages, l’ONG SKG Sangha dont la voca-
tion est le ré-usage de la biomasse permettant entre autres
la production d’énergie ou la société Ikos pour la gestion
des déchets. Dans le Narayana Hrudayalaya Hospitals, une
initiative de télémédecine permet l’extension des soins aux
zones rurales par vidéoconférence.
Ces innovations résultent d’initiatives personnelles, et sont
souvent locales et rurales. Mélangées à des savoir-faire
technologiques, elles donnent lieu à une innovation dite
jugaad innovation (« système D » en français), ou frugale,
dont un exemple emblématique est le réfrigérateur Miti-
cool, fonctionnant par évaporation solaire sans électricité ;
elles sont souvent fondé sur un détournement technolo-
gique.
Etonnement
L’innovation en Inde ne suit pas un modèle donné – comme
notre vision occidentale du progrès nous y a habitués. Elle
résulte de l’influence de la société de castes, de l’histoire
coloniale et post-indépendance, d’une économie et d’une
société majoritairement pauvre, rurale, fragmentée. Evo-
luent ainsi en même temps plusieurs modèles d’innovation
top down (motivés par les dirigeants de grandes entre-
prises) ou bottom up (issues des initiatives individuelles ou
locales).
Le moindre coût : le récent effet médiatique de la jugaad
innovation, qui n’est jamais qu’un phénomène d’adapta-
tion – de même que, par exemple, la réussite spectaculaire
de Bangalore en informatique – permet de dire que l’Inde
est plus innovante sur le processus d’innovation lui-même,
que sur des axes de progrès particuliers, progrès techno-
logique en particulier.
L’innovation sociale : le modèle de l’innovation issue de
l’observation des usages (usage-driven) est un réel moteur
économique. On peut s’étonner des succès d’une véri-
table gestion rentabilisée de l’innovation sociale.
L’Inde a-t-elle intégrée les potentiels économiques que
l’innovation de type jugaad pourrait lui apporter ? Quelle
valorisation internationale pourra-t-elle faire de ce modèle
difficilement capitalisable du fait de la non brevetabilité de
ces innovations ? Questions que nous nous posons. En ef-
fet, les économies occidentales devraient plus s’inspirer de
ces modèles économiques circulaires crées en Inde dans
des secteurs comme la santé (problème de la désertifica-
tion médicale), le développement durable ou les énergies
renouvelables.
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
- 19 -
Bibliographie
• Bibliographie réalisée par l’IHEST pour le voyage
d’études en Inde
• VARMA Pavan K. Le défi indien. Pourquoi le XXIe siècle
sera le siècle de l’Inde, Actes Sud, Paris, 2005
• Ministry of Science and Technology, Government of
India, Science and Technology Policy 2013
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
5. Comment les entreprises françaises appréhendent-elles les spécificités de l’innovation et de la propriété intellectuelle en Inde ?
Nozha Ben Hajel Boujemaa, Philippe Rosier, Pascale Ultré-Guérard, Isabelle Zablit-Schmitz
Introduction
Avec un marché interne de 1,2 milliards d’habitants et la
perspective de l’ouverture vers les marchés asiatiques et
africains (ce dernier notamment via l’importante diaspora
indienne en Afrique), l’Inde représente une terre d’inves-
tissements éminemment fertile pour les entreprises fran-
çaises.
En premier lieu, les industriels français se sont cependant
installés en Inde pour accéder à une main d’œuvre bon
marché ayant de (très) bons niveaux de qualifications 6.
Capgemini, par exemple, utilise son entité indienne pour
faire la production industrielle et les services, à l’instar de
tous les acteurs de l’informatique qui ont fait de Bangalore
la nouvelle Silicon Valley. De fait, les questions de propriété
intellectuelle et d’innovation ne se posent pas vraiment de
la même façon.
On compte actuellement environ 750 entreprises fran-
çaises installées en Inde ; 350 en leur nom propre et 400
comme filiales d’entreprises indiennes. Cela représente un
total de 250000 employés indiens, le plus gros employeur
français en Inde étant justement Capgemini avec 40000
personnes. La plupart œuvrent dans le domaine de l’aéro-
nautique et de l’informatique. Ces domaines sont particu-
lièrement sensibles et les questions de la propriété intel-
lectuelle et de l’innovation sont abordées avec un mélange
d’enthousiasme et de circonspection par les entreprises
s’établissant sur le territoire, dès lors que des actifs intel-
lectuels y sont exposés.
Le contexte d’opération de l’innovation et le cadre juridique de la propriété intellectuelle en Inde
Deux éléments importants peuvent surprendre les entre-
preneurs français qui décident de s’installer en Inde :
En Inde, l’écrit a moins de valeur que dans les pays oc-
cidentaux. Les Indiens échangent beaucoup par oral,
en établissant une relation de confiance. Pour certains
types d’activités, cela reste pour eux plus important qu’un
contrat. L’approche culturelle est donc très différente, et
les impacts pour les enjeux d’innovation et de propriété
intellectuelle évidents.
D’autre part, un second élément dissuasif est qu’en cas de
litige, les procédures judiciaires en Inde peuvent durer des
années (parfois 10 ou 15 ans!).
Les questions de propriété intellectuelle sont gérées par
des organismes nationaux compétents (il n’y a pas d’orga-
nismes régionaux compétents) :
1. Contrôleur général des brevets, designs et marques
de commerce
2. Bureau des droits d’auteur6 IHEST, Carnets de voyage en Inde, Chapitre 2 : Ingénieurs, chercheurs et cadres, les spécificités de leur formation en Inde, 2013
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Carnets du voyage d’études à Hambourg et Berlin Cycle national 2011-2012
3. Autorité de protection de la variété des plantes
et des droits des fermiers
4. Département des technologies de l’information
5. Organisme national de la Propriété intellectuelle (NIPO)
L’Inde a ratifié les accords internationaux suivants :
1. Membre de l’Organisation mondiale de la protection
intellectuelle (OMPI)
2. Signataire de la Convention de Paris sur la protection
de la propriété intellectuelle
3. Signataire des Aspects des droits de propriété
intellectuelle (ADPIC) qui touchent au commerce
Olivier Nicolle, spécialiste brevet chez Alcatel-Lucent Inde insiste
sur un point important :
Quand une invention est réalisée en Inde, elle doit
être brevetée dans le pays, c’est la loi. Ce, à moins d’avoir une autorisation expresse. Avant 2005, Alcatel-Lucent demandait systématiquement cette autorisation, aujourd’hui, la loi indienne ayant changé, les inventions des laboratoires de recherche d’Alcatel en Inde (5 sites, 3500 ingénieurs et 30 chercheurs) sont enregistrées dans le pays.7
TYPES DE DROITS ET TEXTES DE LOI
PÉRIODE DE LA VALIDITÉ DE LA PROTECTION
ACCORDS SIGNÉS
BrevetsLégislation sur les brevets (1970)
20 ansTraité de coopération en matière de brevets (PCT)
MarquesLégislation sur les marques de commerce (1999)
10 ans, renouvelable tous les 10 ans, avec un délai de grâce de 6 mois pour le renouvellement
Traité sur le droit des marques
DesignLégislation sur les designs (2000)
10 ans, renouvelable pour 5 ans
Droits de reproduction
Législation sur les droits d’auteur (1957)
60 ans, varie selon les œuvres.
Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiquesConvention pour la protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction non autorisée de leurs phonogrammesConvention de Rome pour la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusionTraité de l’OMPI sur le droit d’auteurTraité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT)
Modèles industriels
Législation sur le plan et le design des circuits semi-conducteurs intégrés (2000)
10 ans, non-renouvelable
7 MINANO L. La propriété industrielle en Inde : un défi culturel, Classe export Magazine, Destination Inde, Novembre 2009
- 22 -
Les spécificités de la propriété intellectuelle en Inde
La Section 84 du Patents Act stipule que « toute personne
intéressée peut déposer une demande de licence obliga-
toire sur une invention brevetée dans chacune des condi-
tions suivantes : pour la satisfaction de besoins raisonnables
du public qui, avec le respect de l’invention brevetée, n’ont
pas pu l’être, la non disponibilité à un prix abordable pour
le public, du produit breveté ou l’indisponibilité du produit
breveté sur le territoire de l’Inde » 8.
C’est ainsi que Sam Pitroda, conseiller auprès du Premier
ministre Indien et président du National Innovation Council,
déclare que « L’Inde a besoin d’une innovation frugale, ac-
cessible à tous et à bas coût pour produire de s produits
et des services sans pour autant compromettre la qualité,
la sécurité et l’efficacité ». Dans ce contexte les initiatives
d’innovation ouverte qui repose sur le crowd-sourcing se
multiplient. 9
Cette spécificité a fait récemment trembler les géants de
l’industrie pharmaceutique qui voient ainsi leur patrimoine
intellectuel – et financier surtout – mis à mal par cette exi-
gence. En effet, la Cour suprême de l’Inde a rejeté, lundi
1er avril 2013, la demande de brevet déposée par le géant
suisse Novartis pour un traitement anticancéreux onéreux,
le Glivec, sa formule médicamenteuse ne remplissant pas
les critères de nouveauté, ou de créativité, requis par la loi.
La Cour suprême a justifié son refus en expliquant que
le Glivec, traitement onéreux, serait inaccessible pour la
majorité de ses 1,2 milliard d’habitants dont 40 % gagnent
moins de 1,25 dollar par jour. Les associations craignaient
qu’un feu vert de la justice ne prive les patients les plus
pauvres d’un générique bon marché, le Glivec étant vendu
à hauteur de 4 000 dollars par patient et par mois dans
les pays développés, alors qu’en Inde la version générique
est disponible à moins de 73 dollars. Dans cette affaire,
il semble que les accords internationaux, accords TRIPS,
n’aient pas été contournés par l’Inde puisque ces accords
permettent à chaque pays de conserver des critères na-
tionaux parmi les critères de brevetabilité. Les critères de
créativité et d ‘accessibilité du traitement ayant été jugés
irrecevables par la Cour, le brevet n’a pu être accepté. On
ne peut donc pas parler de détournement de brevet par
l’Inde mais plutôt d’une approche visant la protection des
consommateurs, notamment les plus pauvres, et incitant
les sociétés à une stratégie de brevet et de license pour
une commercialisation de masse, en particulier pour le
bas de la pyramide. Exemple à méditer pour l’accès au
marché indien et, au-delà, aux marchés des pays du tiers-
monde…
Le gouvernement a également pris les devants en ce qui
concerne certains métiers sensibles. Ainsi en témoigne le
Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouver-
nement de la République de l’Inde relatif à la répartition
des droits de propriété intellectuelle dans les accords de
développement des utilisations pacifiques de l’énergie
nucléaire, faisant suite à l’Accord France-Inde : propriété
intellectuelle et énergie nucléaire (texte adopté en première
lecture par le sénat le 17 avril 2013).
Une autre spécificité de la propriété intellectuelle en Inde
est la différence qui est faite entre la découverte et l’inno-
vation, seule l’innovation est brevetable.10 Ainsi la décou-
verte de phénomènes naturels ne rentre pas dans les
objets brevetables. Ainsi, le chemin est fastidieux pour l’in-
venteur de nouveaux produits car faire la preuve de cette
différence est une étape nécessaire avant de déposer un
brevet ou de réclamer les droits de propriété intellectuelle
sur un résultat. Ceci aura un impact en particulier sur les
industries pharmaceutiques ou cosmétiques (exemple du
cas de L’Oréal mentionné ci-après).
Avantages et inconvénients de l’innovation en Inde pour les entreprises françaises
L’Inde est un géant émergent de plus d’un milliard d’habi-
tants. Le besoin en produits de base bon marché conduit
les indiens à pratiquer le reverse engineering des inven-
8 Central Government Act, Section 84 Compulsory Licences, The Patents Act, 19709 Service pour la science et la technologie, Ambassade de France en Inde, L’innovation en Inde, 201310 PILA J. Some reflections on methods and policy in the crowded house of European patent law and their implications for India, National Law School of India (NLSI) Review, Vol. 24(1), 2012
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
- 23 -
tions étrangères pour les rendre accessibles au plus grand
nombre. Une autre pratique très répandue est l’amélio-
ration des procédés de fabrication de produits déjà exis-
tants. Cela est vrai surtout pour les secteurs de la pharma-
ceutique, de l’informatique et de l’automobile. 11
Quels sont les mesures prises par les entreprises dans ce
contexte ?
Dans un souci de protection du patrimoine intellectuel des
entreprises, la circonspection est de mise. Aussi, afin de
protéger leurs droits de propriété intellectuelle dans des
domaines fortement concurrentiels, certaines entreprises
ont pris le parti d’exporter une technologie de génération
précédente (n-1 ou n-2).
D’autres (voir exemples ci-dessous) limitent les tâches
opérées en local.
On observe aussi pour les grandes entreprises – celles qui
regardent surtout le marché indien potentiel – l’installation
de centres de R&D et la mise au point de nouvelles tech-
nologies adaptées aux spécificités du marché local. Ainsi,
l’entreprise Saint Gobain développe-t-elle des verres spé-
ciaux pour climats tropicaux, Danone des yaourts ‘lhassi’
et L’Oréal des produits cosmétiques répondant aux exi-
gences locales. Dans toutes ces démarches, la volonté de
dissocier la R&D effectuée en Inde des autres pôles de
R&D de ces groupes est bien sensible.
L’installation de L’Oréal en Inde est motivée par l’éten-
due du marché local mais également par la richesse des
connaissances ancestrales indiennes sur les plantes et les
médecines douces. L’innovation de l’entreprise se heurte
toutefois à la spécificité indienne mentionnée plus haut,
à savoir la non-brevetabilité de la découverte de phéno-
mènes naturels. Ainsi, l’entreprise doit s’adapter pour pou-
voir protéger les nouveaux produits créés en Inde.
D’une manière générale, nos interlocuteurs ont insisté sur
la nécessité de développer des stratégies de pénétration
du marché indien en se concentrant d’abord sur le volume
des ventes. Cette stratégie est d’ailleurs facilitée par l’éton-
nante créativité de l’innovation en Inde qui facilite le déve-
loppement de solutions de bonne qualité à moindre coût.
Cette innovation dite jugaad, ou « système D », est, en
soi, un savoir-faire que les entreprises françaises peuvent
opportunément utiliser afin de réduire les coûts de leurs
produits, processus et services et ainsi accéder à ces
marchés importants. C’est l’expérience qu’a faite L’Oréal,
par exemple, en commercialisant des dosettes de produit,
shampoings ou crèmes, à l’unité. Les clients accoutumés
ainsi à la marque et à ses produits pourront monter en
gamme au fur et à mesure du développement de leur pou-
voir d’achat. La recherche de volume et de taille critique
ainsi que l’accès à un savoir-faire de solutions high quality/
low cost qui s’est souvent perdu dans nos sociétés occi-
dentales, sont placés en priorité.
Retours d’expérience des entreprises françaises en Inde
FLUIDYN (Transoft international) a été créé en 1987 à
Paris puis a ouvert un autre centre à Bangalore en 1992.
La société produit des logiciels de dynamique des fluides
ainsi que le support aux utilisateurs de ses outils de modé-
lisation. Les deux centres français et indiens fonctionnent
comme deux sociétés différentes adressant l’une le mar-
ché français, l’autre le marché indien. Les développements
R&D sont partagés entre les deux sociétés pour leur com-
mercialisation, lorsque la maturité est suffisante pour abor-
der l’autre marché ce qui peut prendre plusieurs années.
Les droits de propriété intellectuelle sont définis dans les
copyrights des codes développés sous l’unique marque
FLUIDYN™, propriété de TRANSOFT International, so-
ciété française, mère des deux autres. Les fournitures de
licences sont sécurisées (clés physiques et clé soft) et il est
impossible que des clients indélicats puissent dupliquer,
revendre ou désassembler ces codes. Les informations
techniques (documentation/manuels) contiennent unique-
ment les descriptions de modèles physiques et non les
détails de leur implémentation ni les descriptifs des tech-
niques numériques solveurs, couplages etc. La propriété
intellectuelle est donc, dans ce cadre, plutôt protégée. In
fine, nos collègues indiens ont une politique pour le déve-11 Service pour la science et la technologie, Ambassade de France en Inde, L’innovation en Inde, 2013
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
- 24 -
loppement très stricte avec des séparations physiques
(dans les bureaux) entre développeurs et ingénieurs en
charge d’études et prestations. Le développement est
isolé en termes de réseau (pas d’internet) et une équipe
unique réduite gère la compilation sur des machines dé-
diées.
CAST est une entreprise informatique française fondée en
1990. Start-up au départ, CAST est aujourd’hui cotée sur
NYSE-Euronext (Euronext : CAS.PA). CAST est présente
en Europe, sur le continent américain, en Inde et en Asie-
Pacifique. L’entreprise est le pionnier et leader mondial de
l’analyse et de la mesure des applications, une approche
automatisée pour mesurer la qualité, la complexité et la
taille des applications logicielles pour mesurer la perfor-
mance et piloter efficacement les activités de développe-
ment, de maintenance et de sourcing. Avec près de 75
millions d’euros investis en R&D, CAST est partie inté-
grante des processus de livraison et de maintenance des
plus importantes sociétés de services en ingénierie infor-
matique mondiales telles que Atos, Capgemini, IBM ou
Steria. Le bureau de Bangalore, qui compte 45 personnes
et adresse le marché local, comprend une équipe Qualité
de la R&D (test des produits) ainsi que des consultants
en back office. L’entreprise avait d’abord travaillé avec un
sous-traitant avant de se lancer en propre.
La pérennité de cette entreprise dépend de la protection
de son patrimoine intellectuel. Aussi, son installation ré-
cente en Inde se fait-elle avec prudence. L’équipe locale a
ainsi pour directive de tester les produits et de les vendre
sans que le personnel local ne puisse accéder au cœur
du produit. Quant aux produits, ils sont fournis via des
licences avec une durée de vie limitée au contrat, ce qui
n’est, en soi, qu’une sécurité limitée.
Les risques pour CAST sont de deux types. Le premier
est que le cœur du produit soit analysé et copié en local,
ce qui demande une virtuosité mathématique et une agi-
lité commerciale, mais représente tout de même un risque
réel. Même un brevet ne pourra pas réellement protéger
l’entreprise de ce risque. Le deuxième risque est plus
classique : il est celui de la démultiplication illégale des
licences. Ce risque existe partout, mais l’échelle de l’Inde
est d’une ampleur inégalée.
SOLVAY, entreprise de chimie, se mobilise, elle aussi, pour
accéder au marché indien ainsi qu’au savoir-faire et à la
capacité de production de matières végétales du pays.
La stratégie de l’entreprise vise le développement d’une
chimie verte à vocation mondiale. On pourra par exempl,
citer le succès de toute la gamme de produits issue du
guar, sorte de haricot produit quasi exclusivement en Inde,
et qui sert d’épaississant naturel dans la nourriture et,
plus récemment, dans les liquides de fracturation hydrau-
lique pour l’exploitation des gaz et pétrole de schistes. De
manière à contrôler ses droits de propriété intellectuelle
dans ce type de pays, notamment du fait de la rotation
importante des salariés (attrition classique moyenne de 15
à 25% par an), la société a également mis en place un sys-
tème de partage du savoir-faire entre plusieurs employés.
Ceci afin d’éviter qu’un salarié n’ait connaissance de la
totalité du processus de fabrication et commercialisation.
Annexes documentaires
Inde : Cadre juridique
LE CONTRAT D’AFFAIRES
Observations générales : Un contrat pourra être oral ou
écrit. Cependant, pour certains contrats, il est nécessaire
qu’ils soient écrits et il peut même parfois s’avérer néces-
saire de les enregistrer.
Lois applicables : Contenues dans la législation indienne
sur les contrats de 1872. L’Inde n’a pas signé la Conven-
tion de Vienne pour les contrats internationaux.
Incoterms recommandés : choisissez CAF, FOB ou plus.
Evitez EXW si vous ne voulez pas avoir à vous occuper du
transport domestique en Inde.
La langue du contrat : Anglais ou hindi (les autres langues
officielles peuvent aussi parfois être utilisées).
LE FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE
L’équité de la justice et l’équité de traitement pour les
étrangers : bien que l’Inde soit un Etat de droit et que les
textes juridiques assurent un traitement de tous les cas
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
- 25 -
sans discrimination, dans la pratique, les ressortissants
étrangers ne peuvent pas toujours être certains de bénéfi-
cier d’un procès équitable de la part du système judiciaire
du pays.
La langue de la justice : Hindi. Il est facile d’avoir recours
à un interprète.
Les similarités du droit : la Constitution indienne de 1950.
Le pays a des codes séparés de droit personnel pour les
musulmans, les chrétiens et les hindous.
LES DIFFÉRENTS CODES JURIDIqUES
Les codes judiciaires indiens peuvent être catégorisés
comme suit :
1. Droit Constitutionnel
2. Droit Pénal
3. Droit Civil
4. Droit des Droits de l’Homme
5. Droit Commercial
6. Droit des Sociétés
7. Droit du Travail
8. Droit de la Santé
9. Droit de la Mine
10. Droit Fiscal
11. Droit Bancaire
12. Droit de la Communication et des Médias
13. Droit des Transports et transports maritimes
14. Droit de l’Environnement
15. Droit de la Propriété intellectuelle
16. Droit de l’arbitrage
17. Droit de l’Energie
18. Droit Agricole
19. Droit de l’e-commerce
Consultation des Lois on-line : Legislation India, Laws for
India, India Laws
Guides : Lexmundi, Informations légales sur l’Inde
LES DIFFÉRENTES JURIDICTIONS
Cour suprême
Elle est gardienne de la Constitution est c’est aussi la
plus haute cour d’appel. Sa juridiction originale exclusive
s’étend à tous les différends entre le Gouvernement indien
et un ou plusieurs autres Etats.
Hautes cours
Il y a 18 Hautes cours dans le pays, dont trois ont une juri-
diction sur plus d’un état, ce qui fait un total de 21. Seule
la ville de Delhi a une Haute cour pour elle toute seule. Les
six autres territoires de l’union tombent sous la juridiction
des Hautes cours de différents Etats.
Le travail des Hautes cours consiste surtout en des appels
de cours inférieures.
Cours de première instance
Les cours de première instance s’occupent de la justice au
niveau de la circonscription.
La plus haute cour de chaque circonscription est celle du
juge de circonscription et de session.
Cours inférieures
Niveau inférieur : La cour du juge civil (division junior) et la
cour du magistrat judiciaire.
Niveau moyen : La cour du juge civil (division senior) et la
cour du magistrat judiciaire en chef.
Niveau supérieur : Au niveau le plus élevé, il pourra y avoir
une ou plusieurs juges supplémentaires de circonscription
et de sessions avec le même pouvoir judiciaire que le juge
de circonscription et de sessions.
Tribunal
Il s’agit d’un terme générique pour tout organisme agis-
sant de façon judiciaire, qu’il s’agisse d’un tribunal en titre
ou pas. Par exemple, un avocat qui apparaît devant une
cour dans laquelle un juge unique siège pourra décrire ce
juge comme étant «le tribunal».
LA PROFESSION JURIDIqUE
Procureur général d’Inde : Il s’agit du conseiller juridique
en chef du gouvernement indien, il est le principal homme
de loi de la Cour suprême d’Inde. La personne qui occupe
cette position doit pouvoir devenir juge à la cour suprême
indienne.
Avocats : Une fois qu’il a terminé son Bachelor de droit en
Inde, un étudiant doit d’inscrire au Conseil du barreau de
l’Etat et devenir membre du barreau pour pouvoir exercer
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
- 26 -
dans les cours de première instance et les Hautes cours.
Cependant, la Cour suprême indienne insiste pour que ces
derniers passent un examen séparé qui a lieu après avoir
cumulé au moins 5 ans d’expérience au sein du barreau.
Procureur général : C’est l’équivalent du District Attor-
ney aux Etats-Unis. Le procureur général représente l’Etat
auprès de la cour.
LA RÉSOLUTION INTERNATIONALE DES CONFLITS
L’arbitrage : Reconnu par la législation indienne comme
étant un moyen légitime de régler des différends, utilisé à la
fois pour des transactions domestiques et internationales.
Cependant, les investisseurs étrangers se plaignent sou-
vent du manque de sacralité des contrats. Les critiques
disent que liquider une société en faillite en Inde peut
prendre jusqu’à 20 ans.
La loi d’arbitrage : Législation sur l’arbitrage et la concilia-
tion de 1996, basé sur la Commission des Nations Unies
pour le droit commercial international (CNUDCI), Loi mo-
dèle sur l’arbitrage en commerce international.
La conformité aux règles internationales d’arbitrage :
Membre de la Convention de New York pour la reconnais-
sance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères.
Membre du Protocole de Genève relatif aux clauses d’arbi-
trage. Membre de la Convention de Genève pour l’exécu-
tion des sentences arbitrales étrangères.
La nomination des arbitres :
Le nombre d’arbitres dépend des cas.
1. Pour les cas dans lesquels le montant de la réclamation
ne dépasse pas les INR 10 millions, et que l’accord
d’arbitrage ne spécifie pas le nombre de trois arbitres,
la dispute est entendue et réglée par un arbitre unique.
2. Pour les cas dans lesquels le montant de la réclamation
dépasse les INR 10 millions, la dispute est entendue et
déterminée par trois arbitres, à moins que les parties du
différend n’acceptent d’en référer à un seul arbitre.
La procédure d’arbitrage : Après avoir entendu les deux
parties, l’arbitre devra rendre une sentence. Lorsqu’une
sentence est rendue, l’arbitre devra fournir une copie
conforme de la sentence à toutes les parties concernées,
par lettre recommandée. Pour éviter les délais et autres
contentieux, l’arbitre devra demander aux différentes par-
ties d’accepter que la sentence prise par le(s) arbitre(s) soit
finale et contraignante pour toutes les parties et qu’aucune
d’elle ne puisse la contester devant une cour.
LA COUR PERMANENTE D’ARBITRAGE
Centre international pour les résolutions alternatives
de différends (ICADR) : l’ICADR a été établit en tant
qu’organisme autonome sous le ministère de la Loi, de la
Justice et des Affaires concernant les sociétés pour pro-
mouvoir le règlement des différends domestiques et inter-
nationaux en passant par différents moyens alternatifs de
résolution de différends.
Conseil indien d’arbitrage (ICA) : de l’ICA est de propa-
ger et de populariser l’idée d’arbitrage dans les différends.
ACCORD FRANCE-INDE :
PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
ET ÉNERGIE NUCLÉAIRE
17 avril 2013 : Accord France Inde : propriété intellectuelle
et énergie nucléaire (texte adopté par le sénat - première
lecture)
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
PROJET DE LOIADOPTÉ LE 17 AVRIL 2013N° 134 SÉNATSESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
PROJET DE LOIautorisant l’approbation de l’accord entre le Gouverne-ment de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde relatif à la répartition des droits de propriété intellectuelle dans les accords de dévelop-pement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire.
Le Sénat a adopté sans modification, en première lecture, le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en pre-mière lecture, dont la teneur suit :
Voir les numéros :Assemblée nationale (13ème législ.) : 4021, 4191 et T.A. 852.Sénat : 354 (2011-2012), 466 et 467 (2012-2013).
- 27 -
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouverne-
ment de la République française et le Gouvernement de
la République de l’Inde relatif à la répartition des droits de
propriété intellectuelle dans les accords de développement
des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, signé à
New Delhi, le 6 décembre 2010, et dont le texte est an-
nexé à la présente loi*.
Délibéré en séance publique, à Paris, le 17 avril 2013.
Le Président, Signé : Jean-Pierre BEL
ACCèS AUX MÉDICAMENTS ET PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE : L’INDE DONNE LA LEçON
Mercredi 10 Avril 2013 - 10:54
La Cour Suprême Indienne vient de donner un verdict défa-
vorable à la géante firme pharmaceutique Novartis. Ce juge-
ment était tant attendu par tous les acteurs avertis de la pro-
priété intellectuelle au niveau de l’ensemble de la planète.
C’est parce que le verdict va avoir un impact considérable
sur le système de propriété intellectuelle mis en place ainsi
que sur l’accès des malades de tous les pays pauvres aux
médicaments et aux connaissances nouvelles en la matière.
En somme, cette nouvelle sonne comme un tremblement
de terre et elle est salutaire pour nos pays et nos malades
! Un verdict contraire aurait fermé tout accès aux médica-
ments génériques ; fermeture que cherchent contre vents
et marées les grandes firmes et le Ministère américain du
commerce.
Le combat a commencé quand le Parlement indien appor-
ta, en Janvier 2005, à sa loi sur les brevets (India Patents
Act), des amendements appelés Section 3(d) qui autorise
les industriels à prendre des licences obligatoires (com-
pulsory License) de certains brevets de médicaments qui
permettent un meilleur accès aux médicaments concernés
et une meilleure prise en compte des problèmes de santé
publique.
La loi est restée en vigueur pendant plus de sept années.
Mais la firme Novartis l’a attaquée pour raisons de d’incons-
titutionnalité et de non-conformité à l’accord de l’Orga-
nisation Mondiale du Commerce (OMC) sur les Aspects
des Droits de Propriété Intellectuelle qui touche au Com-
merce (Accord sur les ADPIC). La plainte a été rejetée par
la Haute Cour à Madras en 2007. Aucune procédure en
appel ne fut alors entreprise. Cependant, Novartis a en-
gagé une procédure en appel contre le rejet par l’Office
Indien des Brevets (IPO) d’une demande d’enregistre-
ment d’un brevet protégeant un composant spécifique, la
forme beta crystalline de l’imatinib mesylate . Ce produit
est utilisé pour traiter la leucémie musculaire chronique et
est vendu sous le nom de commerce « Glivec » ou encore
« Gleevec ».
C’est le verdict rendu lors de ce procès en appel par la
Cour Suprême de l’Inde le 1er Avril 2013, qui a suscité un
espoir incommensurable dans le monde entier. La Cour a
décidé que le brevet sur le composant béta de l’Imatinib
mesylate n’est pas autorisé en Inde du fait des dispositions
de ladite Section 3 (d) de l’Indian Patent Act. Le Parlement
avait adopté dans les amendements de la Section 3(d), la
condition selon laquelle un brevet protégeant de nouvelles
formules de substances déjà connues ne peut être délivré
ou reconnu en Inde que s’il y a preuve d’une nouvelle effi-
cacité, significativement renforcée, comparativement à celle
antérieure. En outre, la Cour Suprême a trouvé que l’accord
sur les ADPIC donne suffisamment de flexibilités dans le
droit des brevets qui autorisent l’approche de la question
par l’amendement en question.
Donc, le géant suisse Novartis, a perdu son procès contre la
loi indienne des brevets.
Et cette jurisprudence a nécessité beaucoup de courage
de la part de ce pays et témoigne de l’option sans appel
de ses dirigeants pour les intérêts de leurs populations ainsi
que pour toutes les populations des pays en développe-
ment (PED). En fait, ces PED n’arrêtent pas de se battre à
l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI)
pour que les flexibilités aménagées dans le droit internatio-
nal de la propriété intellectuelle soient étendues ou fassent
l’objet de plus amples discussions. Un refus catégorique
leur est opposé systématiquement par les Etats-Unis et par
les autres pays industriel (organisés dans le Groupe B). Le
débat entre experts-pays atteint souvent des dimensions
assez déraisonnables.
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
* Nota : voir le document annexé au n° 4021 (AN, 13ème législ.).
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Car l’accord sur les ADPIC de l’OMC n’a pas été conçu
en consultation avec les pays en développement ; on leur
a simplement laissé le seul choix de l’adopter ! Toutes les
personnes averties savent que cet accord imposé est
déjà trop draconien : par exemple, il universalise la pro-
priété sur les ressources génétiques de la planète contrai-
rement aux dispositions de la Convention sur la Diversité
Biologique (CDB) adoptée à Rio en 1992 et qui exige que
tout prélèvement dans le patrimoine biologique d’un pays
soit conditionné par le consentement préalable informé
en connaissance de cause du pays en question afin qu’il
puisse en tirer profit au bénéfice de ses communautés. Le
même accord sur les ADPIC exige la réforme de toutes les
lois nationales contraires à tel enseigne qu’il est devenu
le standard mondial obligatoire. Or, les Etats-Unis et leurs
partenaires jugent que cet accord est trop démocratique
car il aménage des flexibilités qui, selon eux, affaiblissent le
droit international des brevets ! Notons que ces flexibilités
ont trait à ce que l’on a appelé les exclusions (ce qui ne
peut pas être breveté comme le vivant, le génome humain,
les plantes, etc.), les exceptions et les limitations (comme
l’autorisation de copier une œuvre si l’usage qui en est fait
est strictement personnel ou est fait à des fins d’ensei-
gnement, l’autorisation donnée à un agriculteur de garder
des semences d’une variété protégée qu’il cultive sur son
champ si c’est à un usage non commercial). Le Ministère
américain du commerce considère que le droit arraché à
la première version de l’ADPIC par les pays en développe-
ment de passer avec les détenteurs de droits de propriété
intellectuelle (occidentaux) des licences obligatoires pour
urgence nationale ou pour cause de santé publique, est
une entrave au libre commerce, freine l’innovation et aboutit
à un défaut d’approvisionnement des marchés !
Dans un autre contexte, la firme allemande Bayer a disposé
d’un brevet sur le médicament de chimiothérapie dénommé :
sorafenib tosylate, vendu sous le nom de commerce
Nexavar. Le 9 Mars 2012, l’Organe Indien de Contrôle
des Brevets avait délivré à Natco Pharma, une compagnie
indienne, la première licence obligatoire du pays, pour fa-
briquer une version générique du même médicament qui
soit accessible aux pauvres. Ainsi Natco Pharma Ltd a pu
mettre sur le marché un produit dont la dose mensuelle
est vendue 160 Dollars US au lieu de 5.098 Dollars US.
Notez que cette baisse substantielle du prix est une source
d’accès que personne ne peut nier. Cela renseigne sur ce
qui risque de se produire si les PED acceptent de renoncer
à cette flexibilité que leur offre l’accord sur les ADPIC et
que l’Inde a osé exploiter. Naturellement Bayer avait inter-
jeté appel mais n’a eu droit qu’à des royalties, c’est-à-dire
à une confirmation de la licence accordée à Natco Pharma
Ltd.
Le mécanisme des licences obligatoires qui a engendré
une véritable levée de boucliers de la part des firmes telles
que Novartis, Pfizer, Bayer et consorts, est ancré dans la
Section 84 de la Loi indienne des brevets qui stipule que
« toute personne intéressée peut déposer une demande
de licence obligatoire sur une invention brevetée dans
chacune des conditions suivantes : pour satisfaction des
besoins raisonnables du public qui, avec le respect de l’in-
vention brevetée, n’ont pas pu l’être, la non disponibilité à
un prix abordable pour le public, du produit breveté ou l’in-
disponibilité du produit breveté sur le territoire de l’Inde ».
Ce sont ces dispositions, du reste fort raisonnables, de la
législation nationale indienne que d’ailleurs tout gouverne-
ment ou parlement de PED devrait promouvoir chez soi,
qui motivent les firmes à casser le droit indien des brevets
alors que celui-ci devrait être perçues comme une chance
pour nous tous, y compris même par les peuples d’occi-
dent.
La compréhension juste et équilibrée du droit actuel de la
propriété intellectuelle par la Cour Suprême indienne, à tra-
vers ce verdict, a d’ailleurs été conforté par l’opinion de Mr
Frederick Abbott, Professeur Emérite de droit international
au Collège de droit de l’Université d’Etat de Floride et qui
est souvent un paneliste pour le Centre d’Arbitrage et de
Médiation de l’OMPI quand il confie à IP Watch : « A partir
du strict point de vue du droit des brevets, il est plutôt dif-
ficile de voir ce pourquoi la décision de la Cour Suprême
choque la Chambre de Commerce des Etats-Unis, Pfizer
ou Novartis comme si c’était une grande menace pour
l’innovation ou la santé à long terme des malades. Certes,
cela réduira les profits de Pfizer ou de Novartis vu qu’elles
ne pourront plus étendre indéfiniment la vie de leurs brevets
grâce à des innovations mineures ajoutées aux anciennes
formules des médicaments. Cette prolongation arbitraire
engendre un coût plus élevé de la part des patients et des
systèmes de santé publique ».
La plupart des Etats membres de l’OMC sont opposés à
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
- 29 -
cette logique de construction d’un système de propriété in-
tellectuelle qui ne donne aucune chance au secteur public
dans l’élaboration de ses politiques de santé, d’innovation,
de transfert de technologie. Malgré cette orientation mer-
cantiliste sauvage, les pays industriels parviennent, quand
même, à mobiliser la diplomatie de nos pays pauvres
ainsi que nos organismes fédératifs ou communautaires,
pour entériner des dispositions juridiques anti populaires,
comme a voulu le faire la Commission de l’UA avec le pro-
jet final, inique, des statuts de l’Organisation Panafricaine
de la Propriété Intellectuelle (OPAPI) que l’on avait mis en
circulation et qui ne visait qu’à résoudre le problème de la
contrefaçon (Enforcement) et celui d’une croissance éco-
nomique (Economical growth) dont les bénéficiaires étaient
loin d’être les peuples du continent.
C’est ici le lieu de dire que les africains devraient rester vigi-
lants, car cette organisation panafricaine, malgré l’ajourne-
ment provisoire de son projet de statuts, donc encore sans
normes adoptées, participe déjà, à des rencontres comme
celle tenue récemment par l’ECOSOC et le CEA, en Tan-
zanie.
Dans la même veine que l’UA, la Communauté Economique
des Etats d’Afrique Centrale (SADC), vient également de
concevoir un projet de protection des variétés végétales
africaines ; projet qui ne donne aucun droit aux petits fer-
miers et qui est une autre copie de la Convention Internatio-
nale pour la Protection des Obtentions Végétales révisée en
1991 ; cette convention dont, signalons-le, un point focal
existe au Sénégal, susciterait à n’en pas douter, la révolte
des agriculteurs si d’aventure on les informait justement sur
sa teneur. D’ailleurs peu de pays l’ont ratifiée mais les pays
industriels veulent nous faire avaler tout ce que nos experts
s’emploient à rejeter à l’OMPI, par l’intermédiaire de nos
structures fédératives ou communautaires, souvent non ou-
tillés ou non informées des enjeux spécifiques du domaine
de la propriété intellectuelle. Le temps de se rendre compte,
il sera déjà trop tard et l’on reviendra encore nous dire que
« les africains se sont mis en marge de l’histoire » ! Que tous
sachent que les détenteurs des droits de PI sont surtout en
Occident et, malheureusement, certains de nos cadres en
complet déphasage avec les enjeux globaux actuels, pen-
sent que nous devons nous battre becs et ongles pour la «
croissance économique » et la « lutte contre la contrefaçon ».
Leur mot d’ordre est : « Pour le respect des DPI ! ». Soit !
Nous devons certes respecter les droits des tiers dans cette
économie globalisée mais nous ne pourrons nous dévelop-
per qui si, à une telle dynamique, nous lions clairement la
question du développement économique, social et culturel.
Faire autre chose, c’est investir les maigres ressources dis-
ponibles au service d’entités étrangères réalisant déjà des
surprofits de monopole, c’est à dire des rentes de goodwill.
Pourtant, le radicalisme de ces puissances industrielles est
à double vitesses : remarquez que les mêmes Etats-Unis
refusent d’exécuter la sentence prononcée contre eux par
l’Organe de règlement des différends de l’OMC (Dispute
Settlement Body-DSB). Ce tribunal arbitral des différends
commerciaux entre Etats membres avait enjoint les USA de
mettre un terme à l’utilisation contrefactrice de la marque
« Havana wiskhy » qui viole les droits d’une marque mon-
diale, possédée en copropriété par plusieurs entités étran-
gères. Cinq ans après la décision, la marque contrefactrice
continue toujours d’être exploitée par une firme américaine
comme si de rien n’était ; pendant que le même pays force
tous les autres pays à respecter ses droits de propriété in-
tellectuelle, y compris en visant à satisfaire coûte que coûte
les moindres prétentions commerciales de ses firmes.
Notre monde peine à trouver un leadership démocratique
mais au lieu que les Etats-Unis qui en sont présentement
les porteurs, s’évertuent à gouverner en donnant à tous les
peuples des chances de mieux être, ils s’engagent réso-
lument dans la diabolisation, la menace voire l’exécution
de tous ceux qui, mêmes libéraux, souhaitent aménager à
leurs concitoyens des conditions meilleures de vie.
La construction universelle du pouvoir des riches au mépris
de l’aspiration de chaque homme à une vie décente est loin
de s’inscrire dans la logique d’une paix mondiale durable.
Et avec cette leçon venue de l’Inde, nous devons mettre
en question l’idée consistant à confondre les intérêts des
Novartis, Pfizer et consorts, avec les intérêts des patients
au USA, au Kenya, en Europe, en Inde, en Afrique et ailleurs
! De même, que personne ne pense que les firmes vont se
retirer d’un marché parce que les flexibilités y sont exploi-
tées car, là où il y a du profit, les firmes y seront toujours
présentes même en bêlant !
DIOP I.
Spécialiste de la PI [email protected],
Pape Doudou Boye
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE EN INDE :
UN DÉFI CULTUREL
Le cabinet UGCC et associés a donné une conférence sur
«la propriété industrielle en Inde», début septembre. L’oc-
casion pour les professionnels de ce marché et les juristes
de faire le point sur le véritable défi culturel qui attend les
entreprises occidentales.
« Il y a une aversion profonde pour la richesse au pays
de l’intellectualité». C’est ainsi que débute l’intervention de
Victor Vidon, associé du cabinet de conseil en propriété
intellectuelle Vidon Partners. « C’est un véritable problème
culturel car, pour les Indiens, il existe une opposition cultu-
relle et religieuse entre connaissance et profit ».
Ainsi, les brevets en matière de chimie, pharmacie et de
logiciels informatiques ne sont autorisés que depuis quatre
ans. « En Inde, le brevet reste un droit en devenir ». Ce
pays gigantesque en plein boom économique, fait donc
partie de la « deuxième série » des pays qui déposent le
plus de brevets au même titre que Taïwan, par exemple.
Loin derrière Le Japon (1e), les Etats-Unis (2e), la Chine
(3e) et la Corée du Sud (4e).
Pour autant, contrairement à la Chine, l’Inde ne compte
pas parmi les pays fournisseurs de contrefaçons. A une
exception près : l’Inde est le champion toutes catégories
des médicaments contrefaits. Ainsi, 50% de la contrefaçon
de médicaments mondiale provient de ce pays et même
99% de celle qui part vers les Etats-Unis.
A noter également, le faible nombre de contentieux en ma-
tière de brevets: seulement dix par décennie depuis 1911,
soit une centaine en tout dans la jurisprudence indienne.
A titre d’exemple, chaque année, les tribunaux français
doivent statuer sur 300 à 400 affaires de ce type.
Ainsi, Anan Desai du cabinet d’avocat indien DSK legal,
déconseille systématiquement à ses clients les procédures
juridiques en Inde qui peuvent prendre des années. « Je les
invite donc à porter plainte auprès de la police et à entamer
une procédure devant les juridictions criminelles pour que
les biens contrefaits soient saisis ».
Les mentalités n’ont pas encore changé
Olivier Nicolle, spécialiste brevet chez Alcatel-Lucent Inde
insiste sur un point important : « quand une invention est
réalisée en Inde, elle doit être brevetée dans le pays, c’est
la loi. Ce, à moins d’avoir une autorisation expresse ».
Avant 2005, Alcatel-Lucent demandait systématiquement
cette autorisation, aujourd’hui, la loi indienne ayant chan-
gé, les inventions des laboratoires de recherche d’Alcatel
en Inde (5 sites, 3500 ingénieurs et 30 chercheurs) sont
enregistrées dans le pays.
Toutefois, la procédure n’est pas aussi simple qu’en occi-
dent. Car en l’absence de rapport de recherche sur l’in-
vention proposée (un rapport des autorités publiques pour
déterminer si l’invention est brevetable ou non), les entre-
prises sont contraintes de déposer « à l’aveugle ». Et les
autorités indiennes peuvent requérir un examen pointu sur
la brevetabilité jusqu’à 48 mois après le dépôt.
En outre, malgré la modification de la loi pour se rappro-
cher des standards économiques et législatifs mondiaux,
les mentalités n’ont pas encore totalement évoluées. D’ail-
leurs, Olivier Nicolle affirme qu’il doit « littéralement éduquer
ses chercheurs à la propriété industrielle ». Il y a quelques
mois, un débat autour de la protection « des savoirs tradi-
tionnels indiens » a créé une véritable polémique dans la
société indienne. Résultat : une bibliothèque des sciences
et techniques va être édifiée pour éviter qu’aucun de ces
savoirs ne soit breveté !
Leila Minano
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
- 31 -
Bibliographie
• http://www.champagne-ardenne-export.com/fr/fiches-
pays/inde/cadre-legal
• http://www.leral.net/Acces-aux-medicaments-et-
Propriete-intellectuelle-l-Inde-donne-la-lecon_a79915.
html
• http://www.castsoftware.com/resources/resource/
press-releases/tcs-and-cast-take-software-quality-to-
the-next-level
• http://www.castsoftware.com/resources/resource/
press-releases/HCL-Allies-with-CAST
• http://www.castsoftware.com/resources/resource/
press-releases/mahindra-satyam-launches-stamp-an-
innovative-structural-quality-service-powered-by-cast
• http://www.globaltrade.net/
• http://www.ficci.com/
• http://indiacode.nic.in/
• http://supremecourtofindia.nic.in/
• http://indiancourts.nic.in/content.htm
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
6. Urbanisation massive : quels enjeux pour la mobilité et pour l’environnement
Françoise Lavarde, Stéphanie Martin-Huguet, Laurent Monnet, Françoise Touboul
Une urbanisation non durable
En 2005, à l’initiative de la France, l’ONU a rappelé que
l’accès de tous aux services publics de base (eau potable,
assainissement, transport, énergie, télécommunications)
était indissociable d’une urbanisation durable 12.
Entre 1991 et 2004, Bangalore est passée de 4,3 à 5,68
millions d’habitants, soit un taux de croissance de 38 %, le
plus fort d’Inde après Delhi. Aujourd’hui la ville en compte
8,5 millions. Sur la même période, le taux de croissance
de la population indienne n’était que d’environ 3,25 %.
L’étalement urbain de Bangalore est encore plus impres-
sionnant. En 2005, la ville avait une surface de 540 km² 13,
ce qui correspondait à un quasi doublement de sa surface
par rapport à 1990. La ville s’accroît de plus de 2000 ha
par an.
Garantir à l’ensemble de la population un accès à l’eau
potable, à l’assainissement, à l’énergie, aux transports,
aux technologies de l’information et de la communication
est un défi quotidien et la nécessité faisant loi, les solutions
retenues ont, en général, un impact environnemental fort.
Un accès aléatoire aux ressources de base : eau et énergie
Il est connu que l’accès à l’électricité est encore très limité
dans les zones rurales de l’Inde. Bien que cela soit moins
vrai dans les villes, Bangalore souffre de très fréquentes
coupures d’eau et d’électricité.
La fourniture d’électricité provient essentiellement de
centrales hydro-électriques, dont le fonctionnement est
dépendant du régime hydrique, irrégulier par nature. Par
ailleurs, la distribution de l’électricité souffre énormément
du manque d’infrastructures. La population a recours à
des générateurs autonomes, provoquant des pénuries de
diesel dans les stations-service de Bangalore. Pour s’éclai-
rer, la population utilise du kérosène ou des lampes à bat-
teries, sources d’énergie onéreuses et peu pratiques.
L’alimentation en eau potable de la ville est assurée par Le
Bangalore Water Supply and Sewerage Board (BWSSB).
On dénombre 8000 fontaines publiques et 360 000
connexions (autorisées ou frauduleuses) au réseau public
alimenté par un pompage de la Cauvery River, située à
100 km de Bangalore, qui est source de conflits avec l’Etat
voisin du Tamil Nadu. Toutefois, seuls 75 % de la popula-
tion ont accès à cette eau car le réseau se développe len-
tement, parfois anarchiquement : il arrive même que des
tuyaux installés ne soient pas raccordés et deviennent inu-
tilisables. Chaque jour 500 millions de litres sont directe-
ment pompés dans une nappe phréatique en voie d’épui-
sement. En outre l’alimentation en eau est intermittente 14
d’où la présence de citernes de stockage sur les toits.
12 Government Council of United Nations, Human settlement Programme, Access to human services for all with the context of sustainable human settlements, 200513 A titre de comparaison la ville de Paris occupe 105.4 km² pour une population de 2.2 millions d’habitants 14 Les services de la ville souhaitent pouvoir offrir aux ménages au moins trois heures d’eau dans les tuyaux tous les deux jours ! Dans la partie centrale de la ville où se trouvent les quartiers les plus denses, l’eau n’arrive que deux jours par semaine.
- 33 -
En matière d’assainissement, également géré par le
BWSSB, il reste beaucoup à faire. Les nouveaux pro-
grammes d’assainissement mis au point par les ONG
(exple : Grama Swaraj Samithi, Bangalore : A self-sufficient
toilet complex in a slum) dans les bidonvilles permettent, à
faible coût, un traitement des eaux usées permettant d’uti-
liser l’eau recyclée pour les jardins familiaux et le rinçage.
Les infrastructures de transports : un enjeu majeur dans une mégapole particulièrement étendue
Si la question du transport est à Bangalore, comme dans
les autres mégapoles indiennes en plein développement,
une question clé, elle est ici amplifiée par la dimension
particulièrement étendue de la ville. La traverser de part
en part, comme le font bon nombre d’Indiens chaque jour
pour aller travailler, ou comme nous avons eu l’occasion
de le faire au cours de notre voyage d’études, peut faci-
lement prendre plus de deux heures. Il faut d’ailleurs le
même temps pour rejoindre le centre-ville depuis le nouvel
aéroport international qui n’est relié à cette nouvelle capi-
tale des technologies de l’information que par la route.
Bus, généralement anciens, chars à bœufs, auto ricks-
haws et voitures, de plus en plus modernes et le plus sou-
vent japonaises ou coréennes, circulent avec difficultés sur
des voies de circulation chargées sur lesquelles les vaches
ont encore la liberté de déambuler…
Aussi, ces dernières années, pour échapper à cette as-
phyxie routière et limiter les pollutions, les principales villes
d’Inde redécouvrent les trottoirs, tentent de développer le
vélo de location et se sont surtout dotées de métros.
Namma Métro (« Notre Métro ») : une solution pour fluidifier le transport urbain
Depuis le 20 octobre 2011, le métro de Bangalore circule
sur un tronçon d’environ 7 km qui suit l’une des princi-
pales artères de la ville, l’avenue Mahatma Gandhi (MG
Road). Il s’agit d’un métro automatique, fonctionnant pour
le moment de 6 heures du matin à 22 heures le soir, mais
dont les horaires devraient être étendus avec l‘accroisse-
ment du trafic et du nombre d’usagers. Le prix du ticket
est d’environ 10 roupies, c’est-à-dire, à peu près 0,15 €.
Il peut être acheté à l’unité sous forme d’un jeton électro-
nique. Il existe aussi une carte sans contact qui permet
différentes modalités d’achats des titres de transport. Pour
accroître l’attractivité du métro, les usagers ont la possibi-
lité de coupler leur titre de transport du métro avec un titre
de transport de bus ou, service naissant et encore balbu-
tiant, de location de vélos à l’arrivée.
La construction du métro de Bangalore, qui a débuté en
2007, est placée sous la responsabilité de la Bangalore
Metro Rail Corporation Limited (BMRCL), une joint-venture
à parts égales du gouvernement indien et du gouverne-
ment de l’Etat du Karnataka.
Dans une première phase du projet, le réseau sera construit
d’abord en croix avec un axe est-ouest de 18 km et un axe
nord-sud de 24 km. En raison d’un sol particulièrement
difficile à creuser, constitué d’un granit très dur rendant le
forage long et couteux, seule la partie centrale du réseau
sera souterraine. Le reste des voies seront aériennes,
construites sur pylônes, le manque d’espace conduisant
parfois à faire passer le métro au milieu d’habitations par-
tiellement détruites.
Dans une deuxième phase du projet, les lignes existantes
seront prolongées, un second axe Nord-Sud sera construit
et enfin une extension du réseau vers Electonic city – parc
industriel situé à environ 20 km au sud-est de la ville, sera
réalisée. Ces développements permettront au réseau de
s’accroitre de 72 km soit 61 stations. Une extension vers le
nouvel aéroport international est aussi envisagée et devrait
plutôt prendre la forme d’un train rapide. Aucune date de
mise en service n’a cependant été annoncée à ce jour.
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
La gestion des déchets solides, problème clé de la vie citadine en Inde
D’après un sondage réalisé par le Times of India le 28 avril
2013, la question des déchets est la première source de
préoccupation des Indiens. Chaque jour, ce sont près de
3000 tonnes de déchets, à 80 % fermentescibles, qui sont
collectées sur la ville de Bangalore. Depuis les années
1960, la part des déchets solides secs, à base de matières
plastiques, est en croissance constante et pose de gros
problèmes de mise en décharge, les usines d’incinération
étant trop peu nombreuses. Depuis 2000, la Municipal
Solid Waste Rule impose de procéder à des traitements
spécifiques pour chaque type de déchets cependant force
est de constater que Bangalore n’est plus aujourd’hui la
City of Gardens mais bien la City of Garbage 15 et ce, alors
qu’il est désormais admis que les déchets peuvent être
une richesse.
En l’absence de services publics dédiés au traitement
des ordures ménagères, les ONG sont très présentes
dans le secteur. Elles sont là pour encourager les prises
de conscience individuelles et collectives de la population.
Ces ONG accompagnent l’Etat fédéral et les Etats dans la
mise en œuvre de solutions innovantes pour l’organisation
et la valorisation des déchets et des acteurs du domaine
tout au long de la chaine de ramassage et de traitement
des déchets. A Bangalore, la municipalité a désormais
pour obligation de travailler avec l’une d’elles : la Solid
Waste Management Team (SWMT), qui s’est spécialisée
dans la collecte des déchets secs. L’originalité du dispositif
réside dans l’implication des chiffonniers pour qui ce travail
constitue la base d’une insertion sociale (obtention d’un
salaire, d’une carte d’identité). La National coordination
of the Aslliance for indian waste-pickers (AIW), dirigée par
Nalini Shekar, s’est engagée à faire reconnaitre le travail
des chiffonniers comme une profession à part entière, l’ac-
créditation ne peut être délivrée qu’après avoir réussi un
programme de certification à l’issue duquel le chiffonnier
se voit délivrer un diplôme. Avant de faire avancer le statut
des ramasseurs de déchets à Bangalore (2012), c’est à
Pune que l’alliance a expérimenté le modèle d’intégration
des waste pickers dans le processus de traitement des
déchets en s’appuyant sur 3 000 personnes..
Les déchets fermentescibles sont destinés à la fabrication
de compost et d’énergie (biogaz). Deux concepts s’af-
frontent : celui des grosses décharges en zone rurale et
celle des petites unités à l’échelle du quartier. La société
Mailhem Engineer Ltd., pionnière dans le secteur en Inde,
s’est associée à l’entreprise française IKOS.
Toutefois, la bataille contre les déchets ne peut être gagnée
qu’avec une participation active de toute la population.
C’est l’objectif que s’est fixé le Waste Wise Trust avec son
concept de “zéro déchet dans la nature”. Il préconise une
sensibilisation active des individus et des groupes d’indivi-
dus (familles, bureaux, entreprise, administrations, écoles
etc.) pour que le tri soit basé sur la distinction et effectué
directement au niveau des individus : déchets humides,
secs, toxiques. WWT a aussi lancé une enquête pour
connaitre les raisons pour lesquelles les habitants trient ou
non leurs déchets. WWT accueille des bénévoles venant
de l’étranger (expert en communication par exemple).
Vers une nouvelle conception de la ville
Habitué à des lois urbanistiques précises 16 et à des ser-
vices publics efficaces, on ne peut qu’être perplexe devant
la situation indienne. Une chose est sûre, l’importation de
solutions éprouvées en occident est vouée à l’échec. En
effet, il est administrativement 17 et techniquement 18 im-
possible de développer des services publics nécessitant
des infrastructures de réseau, à une vitesse compatible
avec celle de l’extension urbaine. Ceci pour de multiples
raisons : la principale étant la difficulté à acquérir les ter-
rains nécessaires à la construction d’infrastructures, qui
tient à la fois à l’imprécision du cadastre et à la multiplicité
des acteurs concernés.
Par ailleurs, le manque de ressources a des conséquences
directes sur le mode d’urbanisation, l’habitat en hauteur,
qui nécessite des ascenseurs et l’assurance d’un accès à
l’eau même aux étages les plus élevés, est laissé de côté.
Toutefois, il existe de nombreuses raisons d’espérer. Les
indiens sont de plus en plus conscients des conséquences
environnementales de l’urbanisation galopante de leur
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
pays. Ils sont aussi de plus en plus éduqués et cham-
pions de la jugaad innovation, développement indigène
de solutions low cost/high capability. Le recyclage des
eaux de pluie sur tous les bâtiments (obligatoire à Delhi et
Chennai), les systèmes d’éclairage autonomes à partir de
cellules photovoltaïques performantes, les unités de com-
postage à l’échelle d’un îlot de maisons seront à la source
d’un nouveau système de gestion des services essentiels
dans la ville.
15 Située à 1000 mètres d’altitude, sur le plateau du Deccan, la ville jouit d’un climat agréable et était renommée autrefois pour la qualité de ses jardins. Aujourd’hui, ce sont les tas de déchets plastiques et de gravats qui fleurissent à tous les coins de rue16 L’urbanisme est une spécialité européenne : Bangalore a fait appel à un cabinet français pour établir son plan d’occupation des sols mais le projet, bien qu’adopté à l’unanimité par la municipalité par mécompréhension, se heurte à la population dans sa mise en œuvre car il n’intègre pas les spécificités locales.17 En Inde la gouvernance des services publics n’est pas la même qu’en France et la gestion transparente et « responsable » qu’appelle de ses vœux l’ONU reste à inventer18 Lors de la modernisation de Paris sous Napoléon III, toutes les infrastructures préexistantes incompatibles avec « le progrès » avaient été rasées
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
7. Des Biotechs19 à la santé pour tous : entre stratégies et engagement
Michel Ida, Nadia Khelef, Boubakar Likiby, Patrick Touron
« Bienvenue au Paradis »
L’Inde, peuplée de plus de 1.2 milliards d’habitants,
confrontée à de fortes contraintes géopolitiques locales et
à une population gigantesque toujours croissante, déve-
loppe une stratégie scientifique basée sur l’autonomie et
l’excellence dans les domaines de la défense, de l’aéros-
patiale, des technologies de l’information et de la santé.
D’autres projets de société, nécessitant de toute évidence
des investissements nationaux majeurs, restent moins
développés. Plusieurs projets privés émergent dans ces
secteurs de la société afin de compenser ces défaillances
et de répondre aux attentes des citoyens.
Ces inégalités sectorielles et les criantes différences de
niveau de vie, observées lors de notre voyage, paraissent
choquantes aux européens. Certains évoquent l’accepta-
tion de cette situation par la population en raison de l’exis-
tence historico-culturelle du système des castes, mais l’on
imagine facilement que la réalité des ressentis est forcément
plus complexe. Dans un récent reportage, un représentant
d’un mouvement de défense des droits des intouchables
indiquait les difficultés opérationnelles et intellectuelles liées
à leur statut et encore présentes dans l’Inde d’aujourd’hui 20.
A travers notre rapport, nous souhaitons éclairer ces aspects
en s’appuyant sur les visites effectuées lors de notre voyage
d’études à Bangalore : dans la société de biotechnologies
Biocon, l’hôpital privé Narayana Hrudayalaya et le Centre
Robert Bosch de l’Indian Institute of Science. Il s’essaiera
à mettre en perspective les stratégies de ces organisations
et leurs engagements avec ceux de la politique indienne en
matière de recherche, d’innovation et de santé.
Les politiques en sciences de la vie et en santé
L’Inde affiche la volonté de devenir un acteur mondial ma-
jeur dans le secteur des sciences de la vie, des biotech-
nologies en particulier 21, et elle s’en donne les moyens.
Elle dispose de centres de formations et d’universités de
haut niveau s’appuyant sur l’excellence d’une population
ambitieuse et dynamique.
Le constat de départ que l’on peut faire sur l’Inde repose
sur quatre chiffres clefs, indispensables pour comprendre
la stratégie gouvernementale mise en œuvre :
• une population de 1,2 milliard d’habitants et autant de
consommateurs potentiels ;
• 90% de la population qui ne dispose pas de couverture
maladie ;
• 450 millions de personnes en dessous du seuil de pau-
vreté ;
• seulement 0,1 % des brevets déposés donnant lieu à
une production.
19 L’OCDE définit les biotechnologies comme « l’application de la science et de la technologie aux organismes vivants à d’autres matériaux vivants ou non vivants, pour la production de savoir, biens et services.» Le terme Biotechs indique les entreprises qui dédient leurs activités à ce domaine20 Documentaire de Laurent JAOUI, Le destin de l’Inde, 201221 C.N.R.RAO & K.V. RAGHHAVAN, Science advisory Council to the Prime Minister, Challenges and opportunities in science and technology, p.53-56, 2012
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
Le Plan quinquennal 2013-2017 de l’Inde intègre la dimen-
sion « santé pour tous » comme axe stratégique et met
l’accent sur la nécessaire attention à porter aux femmes
et aux enfants.
Les conclusions du Conseil de recommandation au Pre-
mier Ministre indiquent quatre axes coordonnés de déve-
loppement en politique scientifique 22:
• l’excellence scientifique dans les sciences de la vie et
les biotechnologies, au travers de l’interdisciplinarité, la
société et l’industrie ;
• l’accès, via l’université et l’industrie, aux savoirs scienti-
fiques de pointe et aux technologies de rupture ;
• l’importance de la formation des scientifiques dans les
domaines émergents ;
• La création dynamique de liens entre énergie, environne-
ment, biotechnologies et industrie pharmaceutique.
Le gouvernement indien a mis en place des modèles pour
le soutien financier et logistique, et le développement de
parcs biotechnologiques, d’incubateurs et de projets de
formation dans l’Uttar Pradesh, le Punjab et le Kerala 23.
Au niveau mondial, l’Inde est déjà très présente dans le
domaine des médicaments et des vaccins (60% des médi-
caments mondiaux, dont 20% de génériques, sont ainsi
fabriqués en Inde 24).
Biocon, une Biotech œuvrant pour la santé pour tous
L’histoire de la société Biocon est emblématique du mo-
dèle indien en matière de création, de développement et
de réussite sur le marché de la santé.
L’entreprise a été créée en 1978 par Kiran Mazumdar-
Shaw, une femme de la caste des Bania (commerçants),
issue du monde très masculin de l’industrie de la bière.
Mme Shaw maitrisait la technologie des fermenteurs et a
organisé dans son garage le développement d’une nou-
velle technique de fermentation et d’amélioration des ren-
dements permettant la production d’insuline de grande
qualité et à bas coût. Mme Shaw et son entreprise, née de
ces expériences réussies, se sont progressivement inté-
ressées à d’autres produits (petites molécules et bio-simi-
laires). Biocon a aujourd’hui la volonté de devenir, à court
terme, le leader mondial sur quelques produits ou biomo-
lécules et projette de mettre sur le marché de nouvelles
molécules anti-cancer et anti-psoriasis.
Les axes stratégiques de Biocon qui valent engagement
sont de :
• répondre à l’immense marché indien (et même global)
par le biais d’une démarche de production innovante
de médicaments aux prix abordables dans le domaine
des maladies chroniques. La société exploite les
brevets tombés dans le domaine public, en optimise
les processus, et profite de l’effet d’échelle du marché
indien pour produire des médicaments de qualité à bas
coût (high quality-low cost). Ces produits à bas coûts
sont aussi destinés aux pays à faibles revenus bien que
les processus optimisés soient revendus à prix élevé aux
grandes entreprises du médicament ;
• développer un esprit d’entreprise et améliorer les
compétences de son personnel (qualifié et souvent
formé par l’Etat) tout en établissant des partenariats
stratégiques. Le contrat moral de Biocon avec ses
employés semble favoriser le partage des objectifs,
notamment ceux dirigés en faveur de la population
défavorisée indienne, mais aussi mondiale.
22 http://www.francemondeexpress.frvue-detail-defaut/n/ inde-biotechnologies.htm23 http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/72638.htm24 http://www.Biocon.com/Biocon_uboutus.asp
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
L’hôpital privé Narayana Hrudayalaya du Dr Shetty
La vision des dirigeants de l’hôpital Nayarana Hrudayalaya,
parmi lesquels son fondateur, le Dr Shetty, est de proposer
des services de soin de qualité au plus grand nombre et en
particulier aux populations les plus défavorisées, y compris
à l’échelle globale. La visite effectuée au sein du service de
cardiologie pédiatrique durant notre voyage a été certaine-
ment l’une des plus émouvantes et impressionnantes du
point de vue technologique. Le service s’érige au milieu
d’un environnement modeste et accueille les patients et
leurs familles dans des conditions très confortables. Les
enfants traités sont de tous âges et de toutes les origines
sociales.
L’hôpital pratique une politique de coût des soins adapté
aux moyens des patients. Ainsi, un équilibre financier est-
il établi en faisant payer le prix fort à ceux qui le peuvent
payent et en prodiguant des soins gratuits aux plus dé-
munis. L’hôpital accueille aussi des patients de l’étran-
ger, notamment des pays les plus pauvres. L’équipement
médical et le personnel soignant sont nombreux dans
un environnement d’une extrême propreté et d’un calme
étonnant. Au moment de notre visite, chaque jeune patient
était entouré d’une ou plusieurs personnes soignantes.
Les médecins sont des spécialistes qui opèrent jusqu’à 3
patients par jour. Les équipements sont de haut niveau et
leur coût est rapidement amorti du fait de leur utilisation in-
tensive. L’engagement du personnel semble en cohérence
avec les missions affichées par l’hôpital de s’inscrire dans
un projet de société ayant, entre autres, pour objectif de
rendre accessible la santé pour tous.
Certains des praticiens mènent, en plus de leur activité
médicale, une recherche clinique de pointe (exemple de
l’utilisation des cellules souches dans le domaine de la
cardiologie) en partenariat avec les chercheurs du Natio-
nal Centre for Biological Sciences de Bangalore. 25 Cette
approche, comparable à celle pratiquée dans les pays in-
dustrialisés, permet aux médecins de progresser dans leur
activité et contribuent sans doute à leur épanouissement
et leur reconnaissance professionnelle.
En parallèle, l’hôpital est aussi impliqué dans un projet rela-
tivement simple mais apparemment très efficace de télémé-
decine (consultation cardiologique à distance). Le partena-
riat est établi avec 48 pays, notamment africains, et vise à
mettre en relation les médecins du Narayana Hrudayalaya
Hospitals avec des collègues ou leurs assistants d’autres
pays. Les documents médicaux sont envoyés par fax ou par
internet et les connections établies par vidéo-conférence.
Selon la gravité du cas, le patient pourra être diagnosti-
qué par ce biais ou devra être transporté sur un site mieux
équipé. Cette pratique palie ainsi, pour partie, le déficit en
médecins expérimentés dans certaines régions d’Inde ou
du monde et permet aux populations isolées de bénéficier
du diagnostic et de l’expérience d’experts de haut niveau.
Mais on ne peut que souhaiter qu’elle contribue à former de
meilleurs médecins qui pourront prolonger leur activité en
consultation directe avec le patient.
L’exemple du Centre Robert Bosch
Au Centre Robert Bosch, à l’Indian Institute of Science,
des scientifiques développent des outils à visée médicale,
accessibles à tous et adaptés aux besoins d’une popula-
tion dispersée, composée particulièrement de femmes et
d’enfants, ayant de faibles revenus et peu accès aux infras-
tructures médicales. Deux projets sont particulièrement
signifiants dans le contexte qui nous intéresse.
Le premier, développé avec des médecins de campagne,
est destiné à permettre de réaliser les auscultations (palpa-
tions) à distance. Essentielles au diagnostic médical, elles
sont difficiles à réaliser à cause des contraintes de temps
liées aux déplacements difficiles dans les zones rurales. Le
centre a développé un casque tactile, doté d’une proémi-
nence en forme de doigt et muni d’un émetteur récepteur, à
partir de produits existants dans le domaine des jeux vidéo.
Il s’agit du retour tactile sur manette, technologie disponible,
peu couteuse et adaptée au casque. Le médecin demande
à un aide qui se trouve auprès du patient de positionner le
doigt aux endroits souhaités et peut, depuis son bureau,
avoir le retour tactile de sa palpation.
Le second projet est celui du développement d’une chaus-
sette, dotée de capteurs et d’un système d’alerte lumineuse 25 http://www.narayanahospitals.com/about-us/overview/vision/
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
ou sonore, destinée aux enfants en bas âge et permettant
de surveiller certains paramètres de leur état de santé. Si
la température de l’enfant augmente, s’il se met sur le dos
ou si sa respiration ralentit, l’alerte se déclenche. L’objectif
affiché est de libérer la mère d’une surveillance continue et
éprouvante et de lui permettre de se consacrer à d’autres
tâches. Là encore, le système reprend des technologies
existantes, mais son coût a été adapté pour en permettre
une plus grande diffusion.
Ces exemples illustrent l’objectif du groupe Bosch d’assurer
une diffusion de l’assistance médicale à faible coût à la plus
grande partie de la population, notamment les femmes et
les enfants. En effet, ces derniers se déplacent peu à cause
des tâches qu’ils doivent accomplir quotidiennement, parti-
culièrement en milieu rural, bien qu’ils soient ceux qui aient
le plus besoin d’assistance médicale.
Quel engagement des sociétés versus quel business ?
Le domaine des biotechnologies en santé illustre le modèle
de développement indien, basé sur une exploitation des
brevets tombés dans le domaine public, des recherches ap-
pliquées immédiatement exploitables et une main d’œuvre
de qualité, relativement peu couteuse, et pour certaines
investies dans des missions valorisantes. Cette stratégie
basée sur un investissement principalement orienté vers la
production, mise aussi sur la rupture et la mise sur le mar-
ché de produits innovants respectant les normes qualité,
mais produits et à bas coût. Ces entreprises visent le lea-
dership Indien et une position respectable sur les marchés
internationaux.
Biocon, comme l’hôpital Nayarana Hrudayalaya, a un mo-
dèle social de développement coïncidant avec une volonté
d’offrir des traitements et des soins à bas coûts au plus
grand nombre, que ce soit en Inde ou dans d’autres pays
défavorisés. Ces actions contribuent à construire un sys-
tème de santé indien accessible à tous. 30% de la popula-
tion du pays, qui croit de près de 20 millions d’habitants par
an, vit en dessous du seuil de pauvreté. Cette partie de la
population accède difficilement aux soins, handicap qui se
cumule à des problèmes d’alimentation, d’environnement et
d’éducation. Les biotechnologies doivent permettre, dans
ces domaines, d’amoindrir la fracture sociale interne tout
en répondant aux besoins de cette population désireuse, à
moyen terme et compte tenu du modèle culturel inégalitaire,
d’accéder à une vie meilleure.
Conclusion
Après des efforts consentis dans les domaines stratégiques
de la défense, la sécurité et l’alimentation, les politiques gou-
vernementales indiennes ont été dirigées depuis quelques
années vers les technologies de rupture. Cette nouvelle vi-
sion permet à l’Inde de bénéficier rapidement de toutes les
avancées majeures et de favoriser des réponses adaptées
à la demande grandissante d’une population en expansion.
Les sciences et technologies sont donc au cœur de ce vi-
rage et les biotechnologies, au travers de leur impact dans
le domaine de la santé, en sont une excellente illustration.
Dans nos cas d’études, nous avons constaté que les entre-
prises ont basé leur développement sur une stratégie qui
s’appuyait sur le marché intérieur immense de l’Inde, faci-
lement exportable dans les marchés émergents. Cela leur
permet, par le biais des technologies de rupture, de four-
nir des produits de qualité à bas coût dont les retombées
immédiates au profit de la population rendaient le modèle
socialement acceptable.
Des entreprises telles que Biocon ont une gestion prudente
de leur croissance, préférant une croissance faible mais
régulière alliée à une maitrise d’un investissement à struc-
ture familiale, à une croissance rapide basée sur des fonds
qu’elle ne contrôlerait pas. Cette approche prudente est-elle
en mesure de résister à la mondialisation industrielle et aux
grands groupes à même de modifier les rapports de force
sur un marché ? A l’inverse, l’hôpital Nayarana Hrudaya-
laya semble avoir des ambitions plus grandes mais il devra
s’assurer que son modèle économique puisse permettre de
suivre son expansion.
Ces paris résisteront-ils à une fracture sociale criante d’in-
justice et dont la solidité forcée repose notamment sur l’in-
terdépendance générationnelle engendré par un système
qui n’assure quasi aucune aide à la dépendance ? On ne
peut que le souhaiter et espérer que ces initiatives se pro-
pageront favorablement.
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
8. Politiques et domaines d’excellence de la recherche indienne : quelles lignes de force ?
Christine Charlot, Mathieu Hazouard, Emmanuel Ledinot, Hélène Naftalski
Pour qui a toujours vécu en Occident et n’est jamais allé en
Inde auparavant, ce qui était le cas de la majorité d’entre
nous, la réponse – avant notre départ – à la question
« Qu’évoque l’Inde dans votre inconscient collectif ? » tour-
nait spontanément autour de la spiritualité, du raffinement
d’une civilisation complexe et ancienne, des castes et des
contrastes sociaux extrêmes, mais jamais autour de la
science et de la recherche scientifique.
Or c’est bien au sein même des quêtes de la spiritualité
brahmanique et védique qu’est née, bien avant l’ère chré-
tienne, l’élite scientifique indienne, en mathématiques et en
médecine d’abord, puis en physique fondamentale. C’est
elle qui, au XXème siècle, a conduit à la constitution d’une
communauté scientifique de niveau international, socle
de la politique actuelle de l’Inde en matière de science et
d’innovation et de la revendication d’une stature dans la
compétition scientifique mondiale.
Une longue tradition de recherche fondamentale de pointe … aux origines anciennes
En Inde comme en Chine, en Perse, en Mésopotamie et
dans nombre de civilisations premières, la recherche d’une
compréhension des cycles de la nature, du soleil, de la
lune et des astres a conduit à des développements arith-
métiques et géométriques d’une grande sophistication.
Ces calculs complexes répondaient aux exigences de
l’astrologie, puis, plus tard, à celles de l’astronomie, toutes
deux dépendantes du calcul des éphémérides.
Si l’on parle communément de chiffres «arabes», c’est en
fait à l’Inde que l’on doit la numération décimale et parti-
culièrement l’invention cruciale du zéro et de la valeur de
position des différents chiffres d’un nombre. La supériorité
de la numération indienne par rapport à toutes les autres,
en particulier sumérienne, romaine ou maya, en a fait la
numération universelle utilisée aujourd’hui sur tout le globe,
et même, en en modifiant simplement la base, dans tous
les ordinateurs 26. Pas étonnant par conséquent que l’Inde
ait vu surgir dès le XIXème siècle de grands mathématiciens.
S.A Ramanujan (1887-1920) en est une figure embléma-
tique. Reconnu et adoubé en Europe par le grand mathé-
maticien anglais G.H Hardy, certaines de ses formules en
théorie des nombres, qui lui furent révélées par une déesse
selon les dires même de leur auteur, font encore l’objet de
recherches aujourd’hui. Si S.A Ramanujan est une star des
mathématiques indiennes, d’autant plus célèbre qu’elle
est entourée de mystère, voire de mystique, il est moins
connu que, dans le modèle standard de la physique, trois
des quatre forces fondamentales découvertes à ce jour
(nucléaire forte, nucléaire faible, et électromagnétique)
procèdent d’échanges de particules qui furent appelées
bosons d’après l’éminent physicien indien Satyendra Nath
Bose (1894-1974). Pourtant, contrairement à son compa-
triote C.V Raman, qui le reçut en 1930, le prix Nobel ne lui
fut jamais remis. 27
Forte de ses mathématiciens et physiciens de premier
plan, l’Inde a pu s’engager dès 1944 dans un programme
visant à maîtriser l’énergie nucléaire, à des fins tant civiles
26 BAG A. K. Mathematics in ancient and medieval India, Varanasi: Chaukhambha Orientalia. (1st ed.), 197927 D.M. BOSE, A concise History of Science in India, Indian National Science Academy, New-Delhi, 1971 (réimpression 1989)
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
que militaires. Le pays est parvenu à le mener avec suc-
cès et de façon quasi autonome et le premier tir nucléaire
indien a eu lieu en 1974.
L’Inde compte cinq prix Nobel scientifiques à son actif, 1
de plus que la Chine et 31 de moins que la France, mais
pas de médaille Fields. Grand pays par sa surface et sa
population, son passé scientifique remarquable et son élite
scientifique de premier plan, elle occupe toutefois encore
une place modeste sur la scène scientifique internationale.
Excellence académique et impacts sociétaux
La recherche indienne d’aujourd’hui est le fruit de la ren-
contre entre cette tradition d’excellence en recherche fon-
damentale et la nécessité de répondre aux énormes défis
auxquels la société indienne est confrontée aujourd’hui.
Ainsi trouve-t-on en Inde des organismes de recherche
académiques tels que l’Indian Institute of Science ou le
Tata Institute of Fundamental Research, qui développent
une recherche d’excellence plutôt à caractère fondamen-
tal. Ces instituts mènent leurs recherches dans différents
domaines de base tels que les mathématiques, la phy-
sique, la chimie, les matériaux, la génétique, la biologie
(les recherches sur les cellules souches sont autorisées
en Inde), mais aussi la pharmacotoxicologie, l’ingénierie
(mécanique, électronique notamment), l’agro-alimentaire,
ou encore l’informatique. Le besoin de recherches inter-
disciplinaires, permettant aux sciences du vivant et aux
sciences humaines et sociales de se rencontrer autour de
grands enjeux, se fait ressentir de plus en plus fortement
et un organisme comme le National Institute of Advanced
Studies – créé en 1988 – vise à y répondre.
Ces domaines de recherche, et notamment les derniers
mentionnés, révèlent à eux seuls que la recherche indienne
est également guidée par les besoins sociétaux. L’Inde est
en effet consciente des grands défis qu’elle a à relever en
ce qui concernent les infrastructures, l’éducation, la nutri-
tion, la sécurité alimentaire, l’énergie, l’eau, la santé et l’ac-
cès aux soins pour tous et l’environnement pour répondre
aux besoins d’une population en constante croissante.
Depuis son indépendance, elle a misé sur les sciences et
les technologies pour le développement « durable et inclu-
sif » du peuple indien. Le Council of Scientific and Industrial
Research, par exemple, a ainsi pour devise de « servir la
nation », et de « fournir de la R&D scientifique et industrielle
maximisant les bénéfices économiques, environnemen-
taux et sociétaux pour le peuple indien ».
Un volontarisme affirmé pour devenir la 5ème puissance scientifique mondiale
Depuis son indépendance en 1947, l’Inde s’est ainsi mise
en ordre de marche pour devenir un acteur majeur dans
le monde de la science. Le pays se trouvait alors face à
plusieurs enjeux majeurs. Le premier ayant été de se doter
de priorités politiques à l’échelle du pays afin d’établir une
feuille de route pour atteindre ses objectifs, la finalité étant
de conduire l’Inde vers la prospérité. 65 ans plus tard, le
pays est parvenu à un stade où sa force scientifique et
technologique est en capacité d’apporter des solutions
aux grands défis qu’il doit relever.
En réalité, l’Inde a rapidement pris conscience qu’une des
conditions de son développement social et économique
passerait par sa capacité à prodiguer un enseignement
supérieur de qualité et à développer une recherche de
pointe, en particulier dans certains secteurs-cibles.
Depuis l’indépendance, quatre plans d’actions majeurs ont
traduit la volonté politique des différents acteurs publics :
• The Scientific Policy Resolution de 1958
• The Technology Policy Statement de 1983
• The Science and Technology Policy de 2003
• Et très récemment en 2013 The Indian Science,
Technology and Innovation
C’est Nehru, premier Premier ministre de l’Inde de 1947
à 1964, qui a ainsi impulsé une dynamique de dévelop-
pement de la recherche dans le pays. De nombreux dé-
partements universitaires et des laboratoires scientifiques
ont été mis en place à cette époque. Nehru avait l’intime
conviction que la science et la technologie seraient des
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
outils essentiels pour conduire à la justice sociale dans
le pays et contribuer à son développement économique.
Cette vision se reflète dans la résolution de la Politique
scientifique de 1958, dont le but était « d’encourager, de
promouvoir et de soutenir la culture des sciences et de la
recherche scientifique dans le pays et d’assurer aux per-
sonnes tous les avantages qui peuvent en découler. »
Les trois grandes résolutions suivantes ont jalonné le long
chemin du développement scientifique de l’Inde depuis
son indépendance, faisant de la science et de la techno-
logie un outil de développement national et de transfor-
mation sociale. L’idée que science, technologie et innova-
tion doivent faire l’objet d’une politique publique intégrée
a, depuis, fait son chemin, et les liens entre recherche et
monde socio-économique ont été renforcés. C’est ainsi
que l’Inde a déclaré la période 2010-2020 « Décennie de
l’innovation ».
Aujourd’hui, le budget de l’Inde pour la recherche est en
augmentation permanente (20 à 40% par an). En 2012-
2013, il s’est élevé à 7 milliards d’Euros ce qui situe l’Inde
au 8ème rang mondial. Dans son 12ème Plan quinquennal
(2012-2017), l’Inde s’est donné pour objectif de doubler
ce budget d’ici 2017. Le Plan pose également comme
ambition de porter la part de la recherche privée à 50%
en 2017 (30% en 2011), tout en doublant le nombre de
brevets (l’Inde est actuellement au 12ème rang mondial avec
34 287 brevets déposés en 2010).
Mais l’Inde fait face à deux autres enjeux : encourager le
retour de ses jeunes après qu’ils aient suivi des études aux
Etats-Unis ou en Europe et augmenter la masse critique de
scientifiques indiens à 250 000 en 2017 (154 000 en 2011).
Une organisation complexe du système de recherche, d’enseignement supérieur et d’innovation
Dans ce pays-continent, Etat fédéral, composé de 28 Etats
et de 7 territoires, l’organisation du système de recherche
et d’enseignement supérieur apparaît de prime abord rela-
tivement complexe et assez peu structuré. Du moins le
schéma général d’organisation, au niveau de l’Etat central,
fait-il apparaître une multitude d’organismes qui semblent
dispersés et relever de multiples tutelles 28.
Ainsi doit-on souligner en premier lieu que l’enseigne-
ment supérieur, la recherche et l’innovation font partie des
domaines relevant à la fois de la compétence de l’Union
indienne (Etat central) et de celle des Etats fédérés. C’est
toutefois l’Union qui a la responsabilité de déterminer les
normes de création des instituts d’enseignement supérieur
et de recherche comme des établissements scientifiques
ou techniques. De fait, la politique de R&D indienne reste
principalement pilotée au niveau national. La Commis-
sion de planification tout comme le Conseil scientifique,
placés sous l’autorité du Premier ministre, élaborent les
documents de référence de la stratégie gouvernementale
dont le Plan quinquennal (12ème plan 2012-2017), docu-
ment de vision et plan d’action. Chaque Etat fédéré est
doté d’un State Council of Science and Technology dont
le rôle se limite essentiellement à fournir un environnement
aussi favorable que possible pour l’accueil de centres de
recherche. Le projet est cependant de faire de ces conseils
des structures de coordination et de suivi des activités
scientifiques et techniques au niveau de chacun des Etats.
Au niveau central, le ministère de la Science et de la Tech-
nologie joue un rôle prépondérant à travers ses trois dé-
partements :
• le Department of Science and Technology qui élabore
la politique scientifique du gouvernement, assure
la coordination générale des programmes de R&D
nationaux et la tutelle directe d’une quinzaine d’instituts
de recherche;
• le Department of Scientific and Industrial Research,
organe de tutelle du Council of Scientific and Industrial
Research et donc de ses – environ 40 – centres de
recherche thématique dont les domaines correspondent
pour la plupart à différentes filières industrielles jugées
prioritaires par l’Etat au moment de leur création ; ces
centres conduisent des programmes de recherche
fondamentale et appliquée ; plus de 18 000 personnes y
sont employées par le CSIR;
28 http://euindiacoop.org/institutions_india_et.php
- 43 -
Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
• le Department of Biotechnology, biotechnologies dont
le développement est considéré comme une priorité
nationale dans tous les domaines (santé, agriculture,
énergie, environnement). L’Inde est ainsi le seul
pays au monde doté d’un secrétariat d’Etat dédié
aux biotechnologies dont dépendent 7 instituts de
recherche.
Plusieurs départements ministériels techniques inves-
tissent par ailleurs également dans des activités de
recherche : soit parce que leur champ de compétence
correspond à un secteur stratégique historique de l’Inde
comme ceux de la défense, de l’espace ou de l’éner-
gie nucléaire (il est à noter que ce département assure
la tutelle sur le Tata Institute of Fundamental Research),
soit parce que leur périmètre recouvre des secteurs jugés
stratégiques plus récemment : TIC, santé (27 instituts
de recherche), environnement et forêt, agriculture (rôle
important en matière de recherche et d’enseignement
agricoles).
A cela il convient d’ajouter que des activités de R&D sont
également menées au niveau du système universitaire.
Cette R&D est menée principalement au sein des uni-
versités centrales, placées sous la tutelle du ministère
des Ressources humaines et du Développement et du
Department of Science and Technology pour le finan-
cement des activités de recherche, des universités des
Etats, mais aussi d’Instituts d’importance nationale dont
font partie les Indian Institutes of Technology ou encore
l’Indian Institute of Science.
Dans ce paysage foisonnant – plus en matière de types
de structures qu’en nombre, au regard de l’échelle du
pays – on doit encore souligner la création en 2010 du
National Innovation Council, agence de l’innovation dé-
pendant directement du Premier ministre. Cette agence
définit les politiques nationales en matière d’innovation
et de transfert de technologie, et apporte son aide à la
constitution d’organismes sectoriels et d’agences régio-
nales en la matière (ex : Industry Innovation Clusters).
Le maître-mot aujourd’hui est en effet d’augmenter la
part de recherche et d’innovation financée par le secteur
privé par une forte incitation au développement de parte-
nariats public-privé dans ces domaines.
Certaines initiatives organisationnelles, promouvant des
systèmes d’innovation ouverte et de recherche collabora-
tive, sont ainsi à souligner :
• l’Open Source Drug Discovery : plateforme de
recherche collaborative créée par le Council of
Scientific and Industrial Research, sur laquelle près de
6000 scientifiques partagent leurs découvertes sur la
tuberculose et le paludisme ;
• la création de 5 Biotech Parks dans le secteur des
biotechnologies, en vue de développer des partenariats
public-privé et de favoriser le transfert de technologie.
Exemple du Biocluster de Bangalore, dans le domaine
de la santé, qui regroupe le National Centre for Biological
Sciences, un des centres du Tata Institute, l’Institute
for Stem Cell Biology and Regenerative medicine
sur les cellules-souches, et le Centre for Cellular and
Molecular Platforms, à la fois plateforme technologique
et incubateur. Un autre de ces Park est la Genome Valley
d’Hyderabad qui inclut notamment un Agri Science Park
dans le domaine agricole et de nombreuses sociétés de
biotechnologies.
Aujourd’hui, le défi est ainsi non seulement d’augmenter la
masse critique des scientifiques indiens actifs dans le pays,
mais aussi de développer les synergies entre les différents
centres d’excellence qui existent, qu’ils dépendent de l’une
ou l’autre des agences (« councils ») ou départements mi-
nistériels, ou qu’ils soient universitaires. Le défi est égale-
ment d’accroître les liens entre recherche académique et
secteur socio-économique. C’est à ce prix que l’on peut
escompter, au sein du pays, un investissement plus signi-
ficatif du secteur privé dans les dépenses de R&D, mais
aussi une meilleure visibilité à l’échelle nationale et interna-
tionale, au-delà de la renommée individuelle de ses grands
chercheurs et érudits, des travaux qui sont conduits dans
les domaines de recherche dans lesquels l’Inde excelle.
A voir l’évolution de la recherche en Inde depuis près de
60 ans et à lire le Premier ministre indien Manmohan Singh,
qui, le 3 janvier 2013, lors de la 100ème session annuelle
de l’Indian Science Congress, a déclaré que « L’Inde sera
classée dans les 5 premiers pays scientifiques au monde
en 2020 », nous pouvons être convaincus que l’Inde a la
capacité de jouer très rapidement dans la cour des grands.
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
9. Bangalore, capitale mondiale des technologies de l’information et des télécommunications ?
Marc Bousquet, Denis Ehrsam, Philippe Hernandez, Nathalie Mercier-Perrin
Introduction
Bangalore, capitale du Karnataka, est régulièrement pré-
sentée comme une « IT city » et plus généralement comme
la rivale de la Silicon Valley. La concentration d’activités
dans le domaine des technologies de l’information et de
la communication (TIC) en a fait la ville la plus dynamique
de l’Inde tant au niveau économique, que démographique
ou urbain.
Selon une convention internationale fixée par l’OCDE, on
qualifie de secteurs des technologies de l’information et de
la communication les secteurs suivants :
• secteurs producteurs de TIC (fabrication d’ordinateurs,
de matériel informatique, de TV, radios, téléphone...) ;
• secteurs distributeurs de TIC (commerce de gros de
matériel informatique...) ;
• secteurs des services de TIC (télécommunications,
services informatiques et audiovisuels...).
En l’espace de trente ans, la capitale de cette « nouvelle
économie » indienne a connu un développement urbain
fulgurant qui se concrétise de manière très différente pour
les populations « TIC » (entreprises et force de travail) et
le reste de la population. Des îlots urbains modernes, aux
systèmes électrique et d’alimentation en eau autonomes,
se sont développés en périphérie de la ville pour accueillir
dans les meilleures conditions des multinationales telles
qu’Infosys, IBM ou Alcatel-Lucent Bell labs. Parallèlement,
les populations qui ont participé à la construction de ces
Electronic City et autres International Tech Park sont, elles,
demeurées à proximité des bidonvilles.
Ce développement économique extrêmement rapide a en-
gendré une explosion et une fracture urbaine sans que les
gestionnaires du territoire ne s’en inquiètent véritablement.
De très nombreuses entreprises technologiques du monde
entier ont installé dans cette ville des unités de recherche,
de services (centres d’appel) et de conception /production.
Bangalore a axé son développement sur les TIC mais plus
particulièrement sur la sous-traitance dans les domaines
des logiciels informatiques, de la biochimie (fabrication de
molécules pharmaceutiques) et de l’aérospatiale.
La ville est aujourd’hui une mégalopole de près de 9 mil-
lions d’habitants. Une fraction seulement de ces habitants
travaille dans les TIC. Ces îlots de richesse bénéficient tou-
tefois peu à peu au reste de la population et plus unique-
ment aux seuls employés des multinationales et, petit à
petit, des investissements publics (métro, routes) sculptent
la ville. Ces quelques éléments sont impressionnants et,
tout comme pour les autres lieux phares de l’innovation à
Bangalore et en Inde, leurs visites sont marquantes.
Dès lors, devant l’afflux de capitaux, personnels et tech-
nologies vers cette région de l’Inde, on peut s’interroger :
assiste-t-on à l’avènement -tranquille- d’une nouvelle capi-
tale mondiale des TIC ? La place acquise par Bangalore
est-elle le fruit d’une innovation « à l’indienne » ? La capi-
tale du Karnataka est-elle une déclinaison indienne de la
Silicon Valley ?
Ce carnet de voyage tente de présenter les conditions et
les limites de cette réussite.
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
L’Inde, un point de passage obligé pour les grands acteurs mondiaux
Malgré une évolution des salaires à la hausse de 10 à 20%
ces dernières années, une forte progression du turn over
des personnels et une congestion des grands centres
d’activité entraînant une inflation du foncier, l’Inde demeure
plus que jamais le grand champion des services offshore.
En effet, elle permet de combiner des prestations lointaines
à bas prix avec une offre d’expertise de plus en plus haut
niveau. Avec un départ plutôt modeste dans les années
1980, avec une offre de services assez simples, l’Inde a
su évoluer et propose aujourd’hui des offres informatiques
sophistiquées et des prestations d’externalisation de pro-
cessus métier.
Google, IBM, Microsoft, Dell, Airbus, EADS, pour ne citer
qu’eux, viennent en Inde pour sous-traiter leurs activités
de R&D, de développement de logiciels et délocaliser leurs
centres d’appels. On assiste également à l’essor d’entre-
prises locales telles que Infosys 29, Wipro 30, ou encore
Flipkart (leader du e-commerce indien) qui sont, pour la
plupart, installées dans des parcs informatiques, véritable
villes modernes disposant de piscines, restaurants, bars
etc., tout ce qui garantit le confort des employés.
Les nouvelles compétences des travailleurs indiens contribuent à redorer le blason de l’excellence de sa qualité de service
La Silicon Valley indienne est réputée pour la qualité de ses
ingénieurs, à la fois brillants et bon marché. 300 000 ingé-
nieurs en moyenne sont ainsi diplômés en Inde chaque an-
née. Ce nombre est dû à la forte population du pays mais
aussi au système éducatif, qui incite les jeunes indiens à
se diriger en priorité vers les secteurs de l’ingénierie ou du
médical. A Bangalore, les ingénieurs sont formés à l’Indian
Institute of Sciences, l’International Institute of Information
Technology, ou encore au Manipal Institute of Technology,
grandes écoles très réputées dans le pays.
Autre levier d’attraction permettant de soutenir l’essor des
activités offshore R&D en Inde : le retour au pays d’une
nouvelle génération de travailleurs expérimentés ayant fait
leurs preuves dans d’autres régions du globe et heureux
de retrouver leur pays natal.
Bangalore bénéficie de facteurs historiques et géographiques propices au développement d’une industrie des TIC
Bangalore, qui fut construite autour d’un fort en 1537,
accueillit de 1831 à 1881 le siège de l’administration bri-
tannique. Cette période de colonisation correspond à une
phase importante du développement de la ville durant
laquelle elle fut dotée d’infrastructures indispensables à
son bon fonctionnement (notamment électriques). Cette
période a facilité également l’adoption de l’anglais par
une partie de la population et a fait de Bangalore la ville
indienne la plus anglicisée 31.
La qualité de vie a également été un facteur déterminant
du développement de la ville. En effet, La ville jouit d’un
climat agréable, moins étouffant que dans la majorité des
villes indiennes en raison de son altitude assez élevée (920
mètres). L’effet Sun Belt 32 a ainsi beaucoup participé à
l’accroissement de la ville. Le climat local fut ainsi tour à
tour apprécié par les Anglais, les retraités indiens aisés et,
enfin, par les industriels tels que les fondateurs d’Infosys,
à l’origine basés à Mumbai et charmés par cette situation
autant que par l’excellence des ressources humaines qui
s’y trouvaient.
29 Infosys est une société indienne de prestation de services informatiques créée en 1981 par un groupe de sept hommes d’affaires indien ayant 250 dollars en poche. Elle génère aujourd’hui plus de 8 milliards de dollars de chiffre d’affaires, emploie environ 160 000 personnes de 66 nationalités et est présente partout dans le monde avec des bureaux dans 22 pays et des centres d’I&D en Inde, Chine, Australie, Royaume-Uni, Canada et Japon. Infosys est une des entreprises indiennes qui a la plus grande réputation internationale.30 Wipro Technologies est une société indienne de services en ingénierie informatique dont le siège est situé à Bangalore. Créée en 1980, elle emploie 120 000 salariés et offre des services informatiques et des conseils. C’est une des principales entreprises de services informatiques dans le monde.31 KHILNANI S. The Idea of India, Penguin, 200332 La Sun Belt (« ceinture du soleil ») désigne les États du sud et de l’ouest des États-Unis présentant un dynamisme économique, un cadre de vie et une zone ensoleillée agréable.
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
Infosys, n’est pas apparu dans la région subitement et par
hasard. Bangalore dispose en effet d’un Indian Institute of
Science 33 depuis 1909 et est devenue sous l’action de
l’Etat, après l’indépendance, une Gun Belt 34. C’est son
éloignement des frontières du nord qui en a fait le lieu d’im-
plantation de l’industrie militaire et aéronautique.
« L’Etat participa également au développement de la mé-
tropole grâce à différentes politiques visant à encourager
les TIC (353- Gupta A., 1986) : le Software Export Scheme
(1972), la Technology Policy Statement (1983), la New
Computer Policy (1984) furent parmi les plus importantes
mesures et furent accompagnées d’autres initiatives fortes
pour aider la formation de personnels qualifiés et encoura-
ger les exportations au bénéfice des TIC. En 1998, l’am-
bition affichée par le premier ministre A. Vajpayee est de
faire de l’Inde une « superpuissance des technologies de
l’information ». Il crée la National Information Technology
and Software Development Task Force qui oriente la poli-
tique de l’Etat indien en faveur des TIC et le Department
of Electronics (DOE) qui encourage le développement de
l’électronique.
Bangalore a enfin bénéficié de l’explosion des prix de l’im-
mobilier à Bombay faisant fuir dans les années 80 une par-
tie des activités TIC de Bombay vers Bangalore (Dossani
R., 2005) où les dirigeants d’entreprises TIC souhaitaient
bénéficier de prix avantageux, de la qualité du cadre de vie
et d’une certaine proximité avec les fournisseurs, les sous-
traitants et le milieu académique de Bangalore (Basant R.,
2006).
Les multinationales de la Silicon Valley profitèrent en sus
des complémentarités de fuseau horaire entre la Californie
et le Karnataka pour fonctionner 24h/24h.
L’ensemble de ces éléments ont permis à Bangalore
de devenir un cluster TIC parmi les plus dynamiques au
monde et composés de nombreux technopôles. » 35
Bangalore, La capitale de l’État du Karnataka, est la capitale indienne de la haute technologie
Le business des technologies de l’information au Kar-
nataka a contribué à environ 36% des exportations de
software de l’Inde. Les exportations de software et de Bu-
siness Process Outsourcing du Karnataka sont estimées
à environ 4 milliards USD. Sur le million d’informaticiens
indiens, un tiers travaille à Bangalore. La ville accueille les
multinationales attirées par le faible coût et la qualification
de la main-d’œuvre. Bangalore est reconnue comme étant
l’IT Capital of India et fait partie des 4 centres technolo-
giques mondiaux. L’Etat du Karnataka a été très proactif
pour attirer les Investissement Direct à l’Étranger(IDE) dans
divers secteurs et est actuellement le 4ème Etat accueillant
des IDE en Inde. Bangalore a attiré des investissements
externes à hauteur de 1.3 milliard USD dans l’industrie du
software. Le Karnataka dispose d’un grand nombre de
professionnels dans le domaine des technologies de l’in-
formation ainsi que des meilleurs centres de recherche et
universités en Inde. Pour cette raison, un grand nombre de
multinationales et d’entreprises indiennes y ont été implan-
tées et environ 100 organisations se trouvant dans la ville
ont des activités en rapport avec la R&D. L’Etat possède
en outre le plus grand nombre d’entreprises de biotech-
nologie avec 50% des entreprises indiennes du secteur
implantées à Bangalore.
Ce dynamisme dans le domaine des TIC a permis à l’Inde
de produire certaines des personnalités les plus influentes
du secteur comme Vinod Khosla, fondateur de Sun Micro-
systems, Khrishna Bharat, principal scientifique de Google,
Nandan Nilekani et Narayana Murthy, fondateur d’Infosys.
La crise, quelle crise ?
La crise actuelle a des répercussions sur les sociétés de
services en ingénierie informatique (SSII) indiennes. Selon
l’Association des chambres de commerce et d’industrie
d’Inde, les professionnels de l’externalisation des techno-
logies de l’information ont, sur le dernier semestre fiscal,
recruté 5,3% d’informaticiens de moins que l’année pré-
cédente.
33 L’Indian Institute of Science a été conçu comme un institut de recherches par Jamsetji Nusserwanji Tata à la fin du 19ème siècle. Une période de presque treize ans s’est écoulée entre sa conception initiale en 1896 et sa création le 27 mai 1909.34 La Gun Belt (« ceinture de pistolets ») désigne la moitié sud des Etats-Unis et la Nouvelle Angleterre qui bénéficient du premier marché mondial, à savoir la défense35 GRONDEAU A. Cluster TIC et dynamiques urbaines à Bangalore : des logiques antagonistes destructrices de compétitivité ? Networks and Communication Studies, NETCOM, vol. 23, n° 3-4 pp. 245-262, 2009
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
En cause, le ralentissement économique aux Etats-Unis
et en Europe qui, à eux seuls, génèrent 60% du chiffre
d’affaires des sociétés comme Wipro ou Infosys. Outre la
question des performances individuelles de chacune des
principales SSII indiennes, se pose celle d’une tendance
de fond. Malgré les différences et les décalages, la crois-
sance sur un an des quatre principales SSII semble suivre
la même évolution. Signe, peut-être, que ce retour de crise
serait moins grave que la chute observée quatre ans aupa-
ravant.
Une limite au modèle : la faiblesse de l’enseignement
L’Inde compte aujourd’hui près de 15 millions d’étudiants.
Il s’agit de la 3ème population étudiante mondiale, ap-
pelée à doubler d’ici 20 ans. Depuis l’indépendance, le
nombre d’universités a été multiplié par 20 et celui des
colleges par 50. Environ 13 à 14% d’une classe d’âge
accède aujourd’hui à l’enseignement supérieur, avec de
fortes disparités selon l’origine géographique, sociale et la
caste. L’Inde consacre 0.75 % de son PIB à l’enseigne-
ment supérieur, et 0.8 % à la R&D (1.5% et 2.2% pour
la France). Le gouvernement fait preuve de volontarisme
pour développer l’enseignement supérieur, mais n’est pas
en mesure de réguler le développement de ce secteur.
Ainsi, alors qu’une demande continue forte existe, l’ensei-
gnement supérieur privé est en plein boom, et accueille
50% des étudiants indiens. La qualité de ces formations
privées est très disparate, et l’Etat n’est pas en mesure
de la garantir. Un projet de loi visant une évaluation de la
qualité a été proposé en 2010 mais a dû être abandonné.
Cela explique une certaine méfiance de la part des em-
ployeurs, constatée lors de notre visite chez Infosys, qui
considère que tout nouvel employé, quelle que soit sa
formation, et bien que disposant du titre d’ingénieur, doit
suivre une formation interne de 6 mois, afin de disposer
d’une remise à niveau. C’est à cette fin que l’entreprise a
créé l’incroyable campus de Mysore.
Une autre limite : les infrastructures physiques
Nous l’avons constaté tout au long de nos visites à Banga-
lore et Mysore : l’Inde est bien capable de produire le pire
et le meilleur, à un jet de pierre de distance. Les campus
de multinationales indiennes d’un luxe et d’un ordre inouïs
côtoient les bidonvilles. Les embouteillages sont à l’image
de la ville : tentaculaires et imprévisibles.
L’image de capitale mondiale des TIC est mise à mal dès
l’arrivée à l’aéroport : les autoroutes de l’information ne
peuvent pas remplacer les vraies autoroutes ! Les inves-
tissements dans des infrastructures physiques sont indis-
pensables pour permettre à la ville de rester parmi les lea-
ders du marché. Le développement du métro va dans ce
sens, et peut être aura-t-il un effet positif et structurant sur
l’identité de la ville et les habitudes de ses habitants.
Un instrument de comparaison : le classement du Forum économique mondial
Le Forum économique mondial, fondation à but non lucra-
tif connu pour sa réunion annuelle à Davos, établit chaque
année un indice de l’usage et du bénéfice que peut tirer un
pays des TIC. Dans ce classement, en 2010, la première
place revenait à la Suède, les Etats-Unis se trouvant en
5ème place, la France en 3ème et l’Inde 43ème sur 133.
Cela s’explique par le fait que l’Inde reste un pays large-
ment agricole dont la mutation économique et technolo-
gique reste encore cantonnée à une fraction de sa popu-
lation.
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
Conclusion
A la question « Bangalore est-elle la capitale mondiale
des TIC ? » on pourrait répondre, tout empreints d’une
sagesse orientale : « Bombay est-elle la capitale mondiale
du cinéma ? ».
Plus sérieusement, il apparaît que Bangalore a bénéficié
d’un contexte unique en Inde pour que se développe une
industrie des TIC capable de fournir au monde entier des
services à moindre coût. Cette industrie s’est accompa-
gnée d’un réel investissement de l ‘Etat, dont on peut
aujourd’hui se demander s’il n’est pas épuisé. En effet, les
secteurs de la formation et de l’emploi sont aujourd’hui
largement dépendants du secteur privé sans que les pou-
voirs publics ne parviennent à suivre ou à accompagner
leur essor. Le mouvement amorcé est réel et l’innovation
indienne, dans ses différentes composantes, est impor-
tante bien qu’il soit néanmoins parfois difficile d’identifier
une cohérence dans le foisonnement d’initiatives exis-
tantes. Bangalore apparaît dans ce contexte comme une
plateforme mondiale des TIC et comme l’épicentre de l’in-
novation en Inde. Véritable back office des TIC du monde
entier, Bangalore ne semble cependant pas disposer des
capacités d’entrainement et d’innovation pour en être, sur
le long terme, la capitale.
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
10. La coopération scientifique entre la France et l’Inde
Patrick Caron, Michèle Guidetti, Arnaud Roujou de Boubée, Frédéric Saudubray
L’Inde est la 8ème puissance scientifique mondiale 36 et
ambitionne de se classer en 5ème position dès 2020. Elle
a accru ces dernières années ses dépenses de R&D de
20 à 40% par an et le volume de ses publications scien-
tifiques a augmenté de 80% par an au cours des dix
dernières années. Le Plan quinquennal 2012-2017 du
gouvernement indien met l’accent sur le développement
des partenariats public-privé ainsi que sur l’augmentation
des investissements privés en recherche et innovation
(50% envisagés en 2017 contre 30% en 2011). Même si
le nombre de chercheurs est encore faible et que quan-
tité d’entreprises indiennes se soient développées sur la
base d’un reverse brain drain revendiqué, la production
scientifique par chercheur est trois fois plus élevée qu’en
Chine. Par ailleurs, les objectifs affichés par le gouverne-
ment indien en termes de science et de technologie sont
de remplir un « contrat sociétal » prenant en compte le fait
que 65% de la population indienne soit rurale. De ce fait,
les priorités thématiques sont l’agriculture, l’eau, l’énergie,
l’environnement, l’espace, le nucléaire, la santé publique,
les sciences de la vie, les télécommunications – on as-
siste à une forte croissance du nombre d’utilisateurs de
téléphones portables, en 2ème position après la Chine – et
l’innovation, la décennie 2010-2020 ayant été déclarée
« décennie de l’innovation ».
La coopération scientifique avec l’Inde n’est pas nouvelle.
Elle a débuté en 1955 avec la création de l’Institut Français
de Pondichéry, actuellement unité mixte de recherche du
ministère des Affaires étrangères et du centre national de la
recherche scientifique (MAE/CNRS), puis s’est poursuivie
dans les années soixante dans des domaines stratégiques
comme le spatial, les mathématiques, la physique ou la
chimie. Elle s’est depuis amplifiée et diversifiée, en parti-
culier dans le domaine des sciences de la vie et la santé.
Le Centre franco-indien pour la promotion de la recherche
avancée (Cefipra), créé en 1985 par la volonté politique
des deux pays, est monté en puissance, bien que modes-
tement, et finance des projets de recherche et des sémi-
naires. Une autre unité mixte de recherche MAE/CNRS, le
Centre des sciences humaines de Delhi (CSH), a été créée
en 1990. Ce dispositif n’est toutefois pas à la mesure de la
capacité scientifique des deux pays et le partenariat stra-
tégique a été réaffirmé à l’occasion de la visite d’Etat du
Président de la république, Monsieur François Hollande,
en février 2013.
La coopération scientifique franco-indienne : quelques constats
La France est actuellement le 5ème partenaire scientifique
de l’Inde après les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni
et le Japon. La coopération scientifique franco-indienne
est à l’image de l’Inde : très contrastée et prometteuse.
Encore faut-il que l’Inde réussisse sa mutation écono-
mique et sociale et que la coopération franco-indienne soit
en mesure de s’adapter. 36 Ou 9ème en fonction du critère retenu
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
Quatre constats peuvent être formulés :
1. Existence d’une coopération structurée sur deux parte-
nariats stratégiques : les domaines concernés (espace,
nucléaire) sont cruciaux pour l’Inde et correspondent à
des domaines d’excellence de la recherche française. La
double nature de la coopération, scientifique et indus-
trielle (ex. lancement du second satellite franco-indien en
2013), constitue également une spécificité.
2. Une coopération fragmentée, peu intensive et sans
réelle continuité : la coopération scientifique reste limitée
dans de nombreux domaines considérés comme priori-
taires par l’Inde tels que l’agriculture, les énergies renou-
velables ou la santé. Il existe bien sûr des collaborations
sous forme de projets de recherche mais, aussi surpre-
nant que cela puisse paraitre étant donné le potentiel de
développement de l’Inde, elles restent peu nombreuses
et sans effet structurant 37.
3. Une coopération asymétrique : la coopération scienti-
fique franco-indienne est fortement tournée vers l’Inde.
Même si l’Inde est mal classée en termes d’Indice de
développement humain, les scientifiques indiens souhai-
teraient que cette coopération soit également tournée
vers l’extérieur et donc vers l’Union européenne et la
France. Ceci est apparu lors de différentes communica-
tions et a clairement été mentionné lors d’une évaluation
de la coopération franco-indienne en sciences humaines
et sociales 38.
4. Une formation quasi inexistante des futurs scientifiques
indiens en France : le nombre de scientifiques indiens
ayant réalisé une partie de leur cursus en France est très
faible. Même si cela peut s’expliquer, au moins partielle-
ment, par la barrière de la langue, ceci constitue un frein
important à la coopération scientifique. Quant à l’accueil
de chercheurs français en Inde, il apparaît encore plus
faible.
Ces quelques constats, et les analyses produites dans le
cadre de la Stratégie nationale de recherche et d’innova-
tion 2012, donnent à penser qu’il existe un intérêt profond
pour les deux partenaires à développer de manière volon-
tariste une coopération plus structurée.
Quel intérêt peut avoir la France à développer une coopé-
ration scientifique avec l’Inde ?
Les intenses mutations de l’Inde et le foisonnement des
initiatives dans les champs scientifiques, mais également
sociaux et politiques, sont de nature à susciter l’intérêt des
institutions françaises et la mise en œuvre d’une politique
de renforcement des coopérations bilatérales. Il existe en
effet de multiples raisons d’être présent en Inde, à com-
mencer par l’émergence de communautés scientifiques
d’excellence, œuvrant dans des conditions sécurisées de
production scientifique.
L’une des motivations principales concerne l’établisse-
ment de partenariats scientifiques dans une perspective
d’innovation et de retombées économiques. Le principe
de symétrie doit alors prévaloir, au bénéfice des deux par-
ties. La question des droits de propriété des résultats de
recherche doit être systématiquement précisée. Elle peut
susciter de la prudence, à l’instar du domaine de la biologie
de synthèse, et même, en cas de désaccord, représenter
un frein à l’établissement de coopérations. Le principe de
non concurrence avec les intérêts français et européens
doit être vérifié.
Par ailleurs, la rapidité et l’intensité des transformations à
l’œuvre font de l’Inde un véritable laboratoire où s’expéri-
mentent et s’observent de multiples innovations. Il en va
ainsi de l’action publique, en réaction à des défaillances de
l’Etat laissant libre cours à l’expression d’actions collec-
tives et d’initiatives de la société civile. Nous avons certai-
nement à apprendre d’analyses conduites ensemble.
L’une des raisons de l’intérêt de partenariats avec les
institutions indiennes concerne le traitement et la résolu-
37 Cette affirmation doit être nuancée : les collaborations dans le domaine des sciences de la vie et de la santé se sont beaucoup développées ces dernières années (AAPs Inserm-ICMR ; nouveaux LIAs). Dans le secteur de l’eau, des efforts de structuration ont été entrepris. En effet, plusieurs entreprises françaises cherchent à développer leurs activités, alors que la gestion de l’eau constitue un des défis majeurs à relever par l’Inde. Il existe deux cellules franco-indiennes : le Centre Franco-Indien de recherche sur les eaux souterraines et le Laboratoire Mixte International Eau et environnement qui accueillent des chercheurs français permanents.38 VIDAL D., WAAST R. & NEMO J (dir.) La coopération franco-indienne en sciences humaines et sociales: évaluation rétrospective (1992-2004), MAE, 2006
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
tion de questions d’expression internationale ou globale
(échanges de matériels biologiques, santé et épidémiolo-
gie, organisation du commerce, thèmes environnemen-
taux comme le changement climatique etc.). Qu’il s’agisse
d’analyse comparative ou de connaissances génériques,
nous nous situons alors dans une dynamique de produc-
tion et de gestion de biens publics mondiaux, mobilisables
en retour dans le cadre de négociations et conventions in-
ternationales. La diplomatie est alors politique, tout autant
que scientifique.
Le partenariat avec les institutions indiennes peut enfin se
justifier par ses retombées envisagées dans les pays les
moins avancés, et en particulier en Afrique, compte tenu
des investissements en cours dans ce continent 39.
Des ambitions renouvelées et des directions identifiées mais des ressources limitées
L’intérêt de renforcer les collaborations scientifiques et
technologiques entre la France et l’Inde a été très nette-
ment exprimé dans les préconisations du rapport d’infor-
mation intitulé La place de la France en Inde déposé par la
Commission des affaires étrangères de l’Assemblée natio-
nale le 18 janvier 2012. En ce qui concerne la diplomatie
scientifique, le rapport recommande notamment :
• de promouvoir une approche intégrée de la coopération
scientifique et technologique des échanges universi-
taires et des relations économiques ;
• de renforcer la dotation du Cefipra qui permet un fort
effet de levier ;
• de veiller au dynamisme des deux Instituts français de
recherche à l’étranger (IFRE) en Inde, l’Institut Français
de Pondichéry et le Centre des recherches en sciences
humaines à Delhi, en leur conférant des moyens décents ;
• de créer un groupe de travail franco-indien sur l’innovation.
A l’occasion de la visite d’Etat de François Hollande en
Inde les 14 et 15 février 2013, la France et l’Inde ont réaf-
firmé l’importance de leur partenariat stratégique autour
du spatial, de la sécurité, de la défense, et de l’énergie,
notamment du nucléaire. Geneviève Fioraso, ministre de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a présidé à
la signature de 17 accords de coopération couvrant l’en-
semble des champs de recherche, de la santé à l’environ-
nement, en passant par l’alimentation, les nanosciences,
les biotechnologies et le numérique. Plusieurs thèmes
spécifiques ont été identifiés pour lesquels la coopération
scientifique franco-indienne doit être renforcée ou initiée :
les maladies infectieuses, la chimie médicinale, les mala-
dies métaboliques, les neurosciences, les biotechnologies
vertes et blanches, les nanotechnologies, la dynamique de
l’atmosphère et de l’océan, les sciences de l’eau, l’éner-
gie, les STIC et les réseaux, les systèmes de production
durable et le développement de logiciels sûrs et sécurisés.
Des moyens limités, des ciblages nécessaires
Le budget du Cefipra, 3.1 millions d’euros, financé à parité
par les deux gouvernements est bien modeste au regard
des ambitions affichées. En conséquence, et sachant
qu’un certain nombre d’initiatives interinstitutionnelles
existent et se développent sans que ne soit nécessaire un
appui interétatique, les orientations à poursuivre dans un
cadre bilatéral pourraient être les suivantes :
• se concentrer sur les domaines pour lesquels des colla-
borations existent ou sont en cours de développement
et qui font l’objet d’une structuration spécifique, en
particulier les Laboratoires internationaux associés, les
réseaux en cours de structuration et les deux IFRE;
• repérer les thématiques émergentes par une action de
veille conduite par les acteurs ministériels et mobiliser le
Cefipra pour accompagner et structurer ces émergences ;
• symétriquement, faciliter l’accueil de chercheurs indiens
dans des centres de recherche français, qu’ils viennent
conduire des recherches ou identifier de possibles colla-
borations aux niveaux français et européen ; 39 BOILLOT J.J. & DEMBINSKI S. Chindiafrique. Paris, O. Jacob, Paris, 2013
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Carnet du voyage d’études en Inde, Bangalore et Mysore Cycle national 2012-2013
• mobiliser les opérateurs de recherche dédiés – Cirad, IRD
et Institut Pasteur – pour faciliter et structurer de nouvelles
initiatives dans les domaines cités précédemment.
La présence de l’Europe, entre complémentarité et compétition interne
La coopération entre l’Union européenne (UE) et l’Inde
remonte à 2001. En 2012, la Déclaration commune en
recherche et innovation cherche à augmenter l’importance
des actions menées et à mettre l’accent sur les défis com-
muns. Aujourd’hui, le sentiment qui domine est toutefois
que les intérêts bilatéraux des Etats membres de l’UE pri-
ment sur les intérêts européens communs.
Les britanniques sont évidemment très présents pour des
raisons historiques et la coopération scientifique est parti-
culièrement dynamique avec l’Allemagne comme l’illustre
l’inauguration à New Delhi en octobre 2012 de la Maison
allemande de la science et de l’innovation 40. La nouvelle
Deutsches Wissenschafts- und Innovationshaus 41 s’inscrit
dans une stratégie internationale de promotion de l’Alle-
magne comme lieu de recherche.
Au regard de cette stratégie très offensive, la présence
de l’Union européenne paraît modeste même si la France
coordonne un projet (INDIA 6SI-HOUSE) qui vise à étu-
dier la faisabilité de créer une structure indo-européenne
sur le modèle du Cefipra. Des actions symboliques sont
conduites. Ainsi, Geneviève Fioraso a-t-elle participé à une
Table ronde indo-européenne sur les partenariats public-
privé dans la recherche et l’innovation. Par ailleurs, le ré-
seau indo-européen ERA-NET New Indigo organise des
appels à projets multilatéraux. Six projets de recherche
en réseau pour un montant global de 16 millions d’euros
ont été ou sont financés par l’UE. Enfin une plateforme
des organismes européens de recherche représentés
en Inde et des entreprises européennes ayant une acti-
vité de recherche en Inde a été lancée en janvier 2013.
Ces initiatives suscitent-elles pour nos partenaires indiens
un plus grand désir de collaborer avec l’Europe ? Avec
les membres de l’Union ? Seul l’avenir nous le dira. Le
programme Horizon 2020, qui devrait offrir davantage de
crédits de fonctionnement dans le cadre d’appels à pro-
jets, devrait permettre d’intensifier les collaborations. En
conséquence, pour la France, le canal indo-européen ne
garantit pas nécessairement une voie complémentaire et
alternative à la modestie des liens bilatéraux.
Conclusion
La coopération scientifique franco-indienne dispose d’une
marge de progrès relativement importante. Mais pour cela,
les efforts entrepris en termes de définition de stratégie et
d’allocation de moyens doivent être intensifiés. Dans le cas
contraire, ne subsisteront que belles intentions, discours
et initiatives fragmentées. Si les intérêts de la France sont
évidents du fait du potentiel de développement de l’Inde, il
conviendrait néanmoins d’analyser de manière plus appro-
fondie les intérêts de cette coopération pour les Indiens ou
plus précisément pour le gouvernement indien. En effet,
les indiens se montrent très ouverts à la coopération scien-
tifique, mais leurs intentions restent à préciser. Quel sens
souhaitent-ils vraiment donner à cette coopération : auto-
nomie, affirmation d’une puissance économique, dévelop-
pement interne, présence internationale ?
Bibliographie
• Service scientifique de l’Ambassade de France en Inde,
Visite d’Etat du président de la République – Dossier de
Madame la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de
la Recherche, New Delhi, 14 février 2013
• BOILLOT J.J. & DEMBINSKI S. Chindiafrique. Paris, O.
Jacob, Paris, 2013
• CLARK J. La recherche en Inde et la recherche franco-
indienne, Bangalore, 22 avril 2013
• MAE, Forum sur la coopération scientifique française
avec l’Inde, 2012
• MAEE, Fiche Curie Inde, 2012 http://www.frenchscien-
cetoday.org/images/stories/Documents/curie2012.pdf
• SNRI, La coopération scientifique et technologique fran-
co-indienne : le point de vue français, MESR, 2012
40 Cette Maison est soutenue par les ministères allemands des Affaires étrangères, de l’Enseignement et de la Recherche. Elle réunit des organismes de recherche et de financement de la recherche ainsi que des industries allemandes ayant des activités de R&D41 Centre allemand pour la recherche et l’innovation
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