Cane des efFRONTé-e-s n°0
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Nous voulons cultiver cette diversité en notre sein puisque c'est elle, précisément, que nous voulons contribuer à épanouir dans une société où nous sommes toutes et tous, et surtout les femmes, empêchéEs et asserviEs aussi bien par de vieux carcans relookés que par des politiques d'austérité qui sapent nos précieux acquis sociaux, au premier rang desquels ceux qui touchent la condition des femmes : crèches, maternités, centres d'IVG, etc. Or nous savons que les conditions concrètes de vie favorisent ou entravent la possibilité pour les femmes de se construire plus libres. Ce qui nous a réuni-‐e-‐s, c'est cette vigilance et cette mobilisation, aussi bien sur le plan de la réflexion que de l'action. Il s'agit pour nous d'agiter les consciences grâce à des interventions fulgurantes dans l'espace public (métro, rues, parvis de ministères ou d'églises...) aussi subversives que joyeuses, à des actions collectives au sein du mouvement féministe et à la formulation commune de revendications, grâce à une réflexion dont notre journal sera, modestement mais énergiquement, le relai.
Vivianne Perelmuer
EDITO : Les efFRONTé-‐e-‐s ont maintenant un journal ! Ce numéro 0 sort à l'occasion de la journée internationale contre les violences faites aux femmes. D'autres numéros suivront qui exploreront à chaque fois un thème précis à travers des regards aussi variés que le sont les parcours de nos membres.
En France, en 2011 122 femmes sont mortes du fait de violences masculines domestiques, sur 146 personnes en tout.
Cela fait une femme tous les trois jours.
Selon une enquête nationale publiée en 2003, les actes de violence au sein du couple touchent près d’une femme sur 10 en France.
Sur 652 femmes victimes de meurtres entre 1990 et 1999, sur Paris et la proche banlieue, la moitié ont été tuées par leur mari ou leur compagnon. Source : DREES 2008 et CRESGE 2007
Un homme meurt tous les 13 jours du fait de violences dues à sa conjointe. Mais parmi les 24 femmes responsables de morts violentes en 2011, la moitié subissait des violences, contre un homme sur 15.
« Lorsqu’on parle de la violence sexuelle, il n’est pas rare d’y voir associé l’idée de bestialité. En fait c’est une erreur considérable. Ce n’est pas parce qu’ils sont proches des animaux que des hommes se rendent coupables de violences sexuelles. Au contraire. C’est la pensée, et seulement la pensée élaborée par nos ancêtres pour donner un sens réel observé, qui est en cause, lorsqu’on examine de près les conditions de la violence sexuée, qu’elle soit publique ou privée. Car de toutes les espèces animales répertoriées, il nous faut bien convenir que l’homme est la seule espèce où les mâles tuent les femelles. »
Françoise Héritier
Les violences sont culturelles ! Notre société repose sur une dichotomie des sexes, et donc des genres, qui n’a pas toujours existé et est une construction sociale relativement récente. En effet, la théorie du sexe unique a prévalue jusqu’au XVII : le sexe masculin était le modèle et était inversé chez la femme ; lorsque les médecins commencent à mettre en avant l'utérus, des valeurs sociales sont assignées progressivement aux deux sexes biologiques ainsi différenciés.
A travers cette construction des stéréotypes de genre se créé un rapport de pouvoir, de domination, des hommes sur les femmes, justifié par les plus grandes institutions sociétales : l’Etat, l’Eglise, l’école, les médecins, etc.
Bien que ce rapport de domination se soit affaibli et ne soit majoritairement plus considéré comme acceptable, les valeurs assignées à chaque individu en fonction de son sexe continuent à justifier des comportements intolérables de violence physique ou morale des hommes envers les femmes. La différenciation des genres se fait dès la prime enfance et il est généralement accepté que les garçons soient agités et bagarreurs, alors qu’on attend des filles qu’elles soient sages, calmes et gentilles.
On apprend ainsi aux premiers à ne pas faire les « fillettes » (ne pas se plaindre, ne pas pleurer), ce qui assigne aux filles des valeurs négatives et apprend aux garçons à se placer en position de supériorité par rapport à elles.
La violence masculine s’auto-‐justifie donc, et le fait que des hommes puissent régler leurs différends par la violence est presque considéré comme normal.
Ainsi, un homme qui frappe une femme pourra expliquer qu’il n’a pu se retenir car la violence masculine est biologique et donc inhérente. De même, beaucoup de gens n’ont pas honte de décréter qu’une femme qui se fait violer l’a sûrement cherché, car les hommes seraient régis par leur testostérone, et qu’on n’a que ce qu’on mérite si on les provoque en sortant en jupe…
Aucune hormone n’est responsable de la violence masculine, mais la société l’excuse comme biologiquement fondée et cherche à masquer la spécificité des violences des hommes contre les femmes : elles sont le produit de différences de genre qui visent à affirmer la domination masculine sur les femmes.
Marion Duquesne
Le 25, d’où ça vient ? Le 25 novembre a été élu journée de lutte contre les violences envers les femmes en 1981 lors de la première rencontre féministe pour l’Amérique Latine et les Caraïbes, en hommage à l’assassinat sauvage des soeurs Mirabal en 1960 en République Dominicaine sur les ordres du dictateur Rafael Trujillo (1930-‐1961) alors qu’elles militaient pour leurs droits. De nombreuses femmes rassemblées y dénonçaient les abus subis intra ou extra familiaux.
Elle fut proclamée Journée Internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes par l’Assemblée Générale des Nations-‐Unies en 1999.
Chaque année les gouvernements, les organisations internationales et les ONG sont invités à organiser des activités durant cette journée pour sensibiliser le grand public au problème de la violence à l’égard des femmes.
Les insultes sexistes Une dominante patriarcale dans notre société châtie par l’insulte sexiste la femme et/ou l’individu qui renverrait à l’autre un genre n’incombant pas à son sexe biologique, homosexualité, féminité trouble, genre indistinct : salope, femmelette, pétasse, virago (plutôt dans la littérature), gouine, pute...
Une police de genre sévit dès le plus jeune âge et beaucoup de fillettes sont invitées à observer un comportement corporel selon l’espace privé/public, souvent en opposition à ce qu’on permet à un petit garçon.
L’insulte réduit l’autre de sa complexité pour l’affubler d’un sobriquet ridicule, dégradant, dont la forme standard et courte permet à n’importe qui de répandre l’outrage verbal. D’où le souci de la réputation des filles dans certains milieux, comme si elles demeuraient des biens dans un système d’échange dont la renommée serait la seule valeur :
« Quand on a une réputation, c’est qu’on l’a cherchée » dit Sophie, âgée de 19 ans, traitée d’« allumeuse » pendant des années et contrainte de rester enfermée chez elle pour que se taisent les voix de son quartier, parce qu’à 12 ans, l’été, on l’a vue porter un short moulant » (1).
L’insulte amorce une prise de contrôle sur les corps des femmes, l’inflation des violences verbales précédant souvent de très près l’agression physique.
Comme le décrivait Jalna Hanmer dans son texte Violence et contrôle social des femmes (1977) « Même si les femmes ont des notions différentes de la sécurité, chaque femme sait, de façon intuitive et émotionnelle, où se situe la frontière qui la mène à cette zone d’ombre, ce no woman’s land qui conduit à un affrontement où elle a toutes les chances de perdre ». (2).
Dans une société où nous avons grandi, nous femmes, en intériorisant un modèle d’organisation sociale où les détenteurs de pouvoir étaient plus que majoritairement des hommes, nous savons d’emblée où sont nos limites – elles sont genrées – et ce à quoi nous nous exposons si nous tentons de les franchir : brimades, humiliation, agressions, etc.
Certaines frontières sont permises pour certaines femmes, attendu que nous nous tenons toutes sur des territoires différents de classe, d’origines et de milieu. Ainsi, pour avoir un parent ethnologue, l’une sera encouragée à voyager seule tandis qu’une autre issue d’un quartier difficile apprendra qu’une règle sociale prévaut, celle qui fait de la ville un territoire de garçons basée sur la loi virile. En revanche, une écrasante majorité de femmes découvrira l’âge adulte à travers le harcèlement sexuel et, ou les insultes sexistes dans l’espace public.
L’injure raciste est punie par la loi depuis 1972, mais il n’y a pas de qualification pénale pour l’injure sexiste : la première est un délit, la seconde relèverait de l’opinion personnelle et de la misogynie ordinaire. Or tout comme l’insulte raciste l’insulte sexiste essentialise l’autre, le catégorifie et le stigmatise via la catégorie donnée.
Séverine Hettinger
1. CLAIR, Isabelle. -‐Jeunes des cités au féminin : réputation, rapports amoureux et sexualité.-‐ Texte communiqué à partir du débat d’actualité 19 novembre 2009, organisé par le Centre de Ressources Politique de la Ville en Essonne.
2. HANMER, Jalna, “ Violence et contrôle social des femmes ” in Questions Féministes, no. 1 (novembre 1977), pp. 68-‐88.
Ces mesures d’austérité qui touchent tout le monde et plus fortement les femmes Les politiques d’austérité ont une répercussion désastreuse sur la vie des femmes, notamment pour ce qui concerne les politiques de santé (fermetures de centres d’IVG et de maternités), de maintien des services publics (manque de places en crèches) ou encore d’emploi (explosion du temps partiel imposé, baisse des salaires, baisse du nombre de fonctionnaires etc.) Pour prendre l’exemple de la Grèce qui fut particulièrement victime de ces politiques, le taux de chômage réel était estimé à 22-‐23 % en juillet 2011, avec un taux de chômage des femmes (20,3 %) incroyablement plus élevé que celui des hommes (13,8 %) ! La Grèce retrouve, avec ces chiffres, son niveau des années 1960 !
Les violences conjugales sont aussi en hausse ! En Espagne, en 2011, 62 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-‐partenaire (Observatoire contre la violence conjugale et de genre, Inmaculada Montalbán) alors que l’Espagne était un exemple pour ce qui est de la lutte contre les violences faites aux femmes. Pas étonnant quand on constate, au menu des coupes budgétaires, les fermetures de structures sociales pouvant aider les femmes, la réduction des fonds de campagne (de 70%) pour la prévention de la violence de genre, ou encore la suppression du ministère pour l'Égalité !
Claire Poursin
Sources principales : Confédération syndicale internationale / Confédération européenne des syndicats / Institut européen pour l’égalité de genre / Insee
Dessin de Fatima Benomar
Harcèlement sexuel au travail
“Le harcèlement sexuel au travail est un délit depuis le 8 août 2012. La loi protège les salariés, les agents publics et les stagiaires contre lui.”
Sont définis comme relevant du harcèlement sexuel des actes de toute nature, dès qu'ils visent à l'obtention de faveurs de nature sexuelle. Sont inclus: les propos impudiques, les attouchements déplacés, les sollicitations graveleuses par téléphone ou email, les cadeaux à caractère privé et sexuel.
Dans l'UE, près de 40 à 50% des travailleuses en ont été victimes au moins une fois dans leur vie !
Ces victimes doivent affronter un problème double: celui de franchir le pas en dénonçant le délit, et celui de le prouver. Les preuves, qui vont de copies d'email aux témoignages des collègues, sont souvent difficiles à trouver.
En 2012, le Conseil constitutionnel a abrogé l'article 222-‐33 du Code pénal, selon lequel "Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende", jugeant que cette disposition permettait que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis... cette abrogation a abandonnée les victimes à un vide juridique intolérable et fut vivement dénoncée par les organisations féministes !
En aout 2012, un nouveau texte de loi a donné une définition plus précise et plus large du harcèlement sexuel. La loi s'inscrit aussi dans le code du travail et double les peines à l'encontre des supérieurs hiérarchiques faisant abus de leur autorité. Ce texte fut pour autant jugé perfectible par l’AVFT, association européenne contre les violences faites aux femmes, dont nous vous invitons à consulter les commentaires.
Le problème de pouvoir prouver son statut de victime reste cependant le même, celui du manque de preuves et parfois du manque de soutien des autres salarié-‐e-‐s qui craignent de perdre leur travail.
Julie Clavier
Le viol Dans l’imaginaire collectif, le viol est perçu comme un accident, un phénomène isolé qui relève de la pulsion, du psychologique, du pathologique, de l’abus d’alcool, de tout ce qu’on voudra, mais pas du fait culturel de la domination masculine alors même que 96% des violeurs sont des hommes et que 91% des victimes sont des femmes.
Exemple d’idée reçue : beaucoup pensent que ce drame s’abat sur des femmes dans des conditions exceptionnelles d’exposition à la violence, s’imaginant que la concernée traversait ce jour-‐là (ou plutôt ce soir-‐là) une rue déserte en mini-‐jupe et qu’elle tombait sur un voyou aviné.
Or 74% des viols sont commis par une personne connue de la victime, 25% des violeurs sont un membre de la famille, et dans 34% des cas, le viol est commis au sein du couple.
Comme l’a expliquée Marion dans l’article dédié au caractère culturel des comportements sexistes, ce système d’oppression repose sur de nombreux stéréotypes présentant l’homme comme un être dominant à la sexualité irrépressible, valorisé par son agressivité, tandis que la femme serait passive, affublée d’un corps provocateur et attirée par un comportement dominant.
Le viol est aussi un grand tabou ! 75 000 femmes majeures sont violées chaque année en France, c’est-‐à-‐dire une femme toutes les 7 minutes, mais seule une femme sur dix ose porter plainte, et seuls 2% des violeurs sont condamnés.
Le parcours judiciaire est aussi un chemin de croix car rien n’est fait pour accueillir leur parole, les professionnel-‐le-‐s étant mal formé-‐e-‐s et la justice mal adaptée.
Il n’existe aucun profil de violeur selon l’âge, l’apparence ou l’origine sociale, ces hommes sont même souvent parfaitement intégrés dans la société, voire au dessus de tout soupçon.
Enfin, rien ne relativise un viol : même si elle a accepté de monter boire un verre, de dormir dans le même lit, d’échanger des caresses… au moment où elle dit non, c’est non ! Et en bon français, NON ne veut dire ni OUI ni PEUT-‐ÊTRE !
Fatima Benomar
Via l’aspect judiciaire Le 15 octobre nous étions devant le ministère de la Justice manifester notre indignation face à la décision de la cour d’Assise de Créteil dans l’affaire des viol collectifs de Fontenay.
Le viol est un crime dont la société n’arrive pas encore à prendre la complète mesure. Tous les indicateurs sont alarmants. Le nombre de viols jugés ramené au nombre de viols commis est de près de 1 pour 10. Comment pouvons nous accepter cette situation ? Aucunement.
Il aura fallu sept années pour que la justice soit rendue, en première instance, sur l’affaire de Créteil. Comment une victime peut elle vivre tout ce temps, se reconstruire, si la société met tant de temps à entendre sa parole ?
Il faut que toutes et tous les professionnels soient formé-‐e-‐s sur les violences faites aux femmes, mais aussi qu'ils/elles apprennent à écouter la difficile parole des victimes de violence ou de viol, si difficile que les victimes de Fontenay ont mis 6 ans avant de déposer plainte.
Il faut que soient mises en place des structures d’accueil d’urgence, un réel accompagnement sanitaire et psychologique entièrement remboursé, et que la justice puisse s’attaquer à ses crimes de manière opérante !
Antoni Caros
La prostitution La France a réaffirmé, en 2011, une position abolitionniste du système prostitueur. Il existe cependant plusieurs législations dans le monde.
La position prohibitionniste, la plus répandue, interdit le proxénétisme et fait de la personne prostituée une délinquante. Proxénètes et personnes prostituées sont donc traquées par les autorités et stigmatisées de la même manière, et refusent de déconstruire les raisons structurelles qui rendent les femmes victimes de cette violence.
La position réglementariste, en vigueur aux Pays-‐Bas ou en Allemagne, prétend légaliser la prostitution et en fait un métier comme un autre. Ainsi, nous pouvons voir proposés, dans certains lieux, des menus avec “Un repas, une chambre, une prostituée”, ces dernières devenant des objets de consommation assumés comme tels.
Photo de Jean-‐Claude Saget
La position abolitionniste ou néo-‐abolitionniste, menée en Islande, en Norvège ou en Suède, considère que la prostitution n’est pas compatible avec la dignité humaine, combat le proxénétisme, pénalise les clients en interdisant l’achat de tout acte sexuel, mais ne se retourne jamais contre les personnes prostituées. Au contraire, elle met en place un accompagnement destiné à les sortir du réseau proxénète.
La prostitution est un bastion puissant de la domination masculine, car toutes les dominations y sont concentrées :
-‐ La domination économique avec la marchandisation du corps des femmes qu’on incite à avoir des relations sexuelles non désirées compensées par l’argent. Or comme (selon l’ONU) 99% des richesses mondiales appartiennent à des hommes, le rapport de force est vite vu.
-‐ La domination sociale qui pousse les femmes précaires à avoir recours à la prostitution, celle-‐ci connaissant un regain en temps de crise. A savoir que 80% des travailleurs pauvres en France sont des femmes.
-‐ L’essentialisme qui présente les hommes comme des consommateurs de corps de femmes au vu de leur sexualité irrépressible, tandis que les femmes, sans doute en vertu du Care qui leur serait si naturel, devraient combler ce besoin en mettant leurs corps à leur disposition, de façon consentie ou via un marché.
L’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de 14 ans. C'est-‐à-‐dire que des femmes y entrent plus âgée... ou plus jeunes !
Les efFRONTé-‐e-‐s considèrent qu’on ne peut pas accéder aux corps des femmes par la voix marchande. Nous sommes pour une société où le désir est réciproque et où le plaisir est partagé ! L’Etat doit mettre en œuvre des politiques publiques et sociales ambitieuses pour combattre le proxénétisme, mener des campagnes de sensibilisation, accompagner les personnes prostituées et instaurer, via l’éducation nationale, une réelle éducation sexuelle dès le plus jeune âge.
Lucas Gomez