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Cahier de pédagogie des hautes écoles Editeur: Dominique Herren L’enseignement, l’apprentissage Pierre-André Chevalier Diego Jannuzzo Publication No 1 / Janvier 2007 Haute école spécialisée bernoise Rectorat Didactique Universitaire Cahier de pédagogie des hautes écoles Editeur: Dominique Herren, Directeur du Service spécialisé de didactique de la Haute Ecole spécialisée bernoise Publication No 1 / Janvier 2007

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Cahier de pédagogie des hautes écolesEditeur: Dominique Herren

L’enseignement, l’apprentissage

Pierre-André ChevalierDiego Jannuzzo

Publication No 1 / Janvier 2007

Haute école spécialisée bernoiseRectoratDidactique UniversitaireCahier de pédagogie des hautes écoles

Editeur: Dominique Herren, Directeur du Service spécialisé de didactique de la Haute Ecole spécialisée bernoise

Publication No 1 / Janvier 2007

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Table des matières 1 Avant-propos ..................................................................................................3 2 Les causes du changement ............................................................................4 3 Le changement de paradigme ........................................................................5

3.1 Le paradigme d'enseignement ....................................................................................5 3.2 Le paradigme d'apprentissage ....................................................................................6 3.3 Implications pour l'enseignement..................................................................................7

4 Les types et les niveaux de connaissances .....................................................9

4.1 Les quatre catégories de connaissances......................................................................9 4.2 Les différents niveaux de la construction du savoir .....................................................11

5 Différentes formes d'enseignement ..............................................................13

5.1 L'enseignement sous forme d'exposés ......................................................................14 5.2 L'apprentissage sous forme de travaux de groupes ...................................................15 5.3 L'apprentissage individualisé ......................................................................................16

6 Le processus d'enseignement.......................................................................18

6.1 La détermination des compétences............................................................................18 6.2 La détermination du contenu, des objectifs et des formes d'enseignement................20 6.3 L'évaluation des apprentissages.................................................................................21

7 L'étude autonome .........................................................................................23

7.1 Définition des concepts ..............................................................................................23 7.2 En toile de fond: la théorie de l'action .........................................................................23 7.3 L'approche théorique motivationnelle .........................................................................24 7.4 Nouvelles exigences pour les enseignants..................................................................25 7.5 Nouvelles exigences pour les apprenants...................................................................25 7.6 L'encouragement du travail d'étude autonome ..........................................................26 7.7 Des formes d'enseignement et d'apprentissage élargies............................................27

8 La préparation d'un cours ............................................................................. 30 Bibliographie

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1 Avant-propos La mise en oeuvre de la réforme de Bologne est derrière nous, au moins en ce qui concerne le « design » des filières de Bachelor. Les changements structurels opérés à cette occasion ont conduit à des changements nécessaires dans l'enseignement: on attend désormais des professeurs des hautes écoles qu'ils possèdent les capacités d'organiser et de configurer des activités d'enseignement qui soient « conformes » à Bologne, et qu'ils puissent diriger et accompagner les processus d'apprentissage. Mais comment ces exigences nouvelles peuvent-elles êtres menées à bien, d'un point de vue didactique ? Cette question, Pierre-André Chevalier et Diego Jannuzzo, professeurs à la Haute Ecole spécialisée bernoise (Technique et Informatique, à Bienne), se la sont posée. Au début de l'entrée en vigueur de l'offre Bachelor em 2005, les deux auteurs ont écrit une publication intéressante et argumentée pour leurs collègues de la HESB-TI, qui contient des éclaicissements utiles sur la situation socio-éducative d'aujourd'hui, ainsi que des propositions et des idées concrètes sur l'enseignement dans une haute école. Ce texte est une aide bienvenue pour qui cherche à s'orienter dans la « jungle » de Bologne. Il montre comment les formes d'enseignement et d'apprentissage doivent être actualisées, éventuellement modifiées, mais aussi pourquoi cela est nécessaire. Dans le cadre des nouveaux « Cahiers de pédagogie des hautes écoles1 », Pierre-André Chevalier et Diego Jannuzzo ont accepté de mettre leur document à disposition de la totalité de la Haute Ecole spécialisée bernoise (HESB). Qu'ils en soient ici cordialement remerciés. Dominique Herren, Directeur du Service spécialisé de didactique de la Haute Ecole spécialisée bernoise, et responsable des publications didactiques. www.bfh.ch (Services, Rubrique „Fachstelle Hochschuldidaktik »)

1 Le « Cahier de pédagogie des hautes écoles » publiera régulièrement des articles sur des thèmes relatifs à

l'enseignement et aux activités d'encadrement dans une haute école. Celles-ci seront mises gratuitement à disposition des collaborateurs de la HESB.

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2 Les causes du changement La modularisation de l'enseignement dans les Hautes Ecoles spécialisées n'est pas une création artificielle. Elle a été initiée et poussée par des « forces » importantes, dont certaines sont visibles et d'autres sont invisibles. Les forces visibles obéissent à des causes objectives, déterminées par les évolutions des paysages de l'éducation et la recherche scientifique d'une part, mais aussi à d'autres causes touchant à une volonté politique d'harmonisation et de « formatage » international de l'éducation. Elles ont trouvé un écho favorable dans les orientations politiques et les idéologies qui conduisent actuellement nos sociétés occidentales. Les forces invisibles (ou non avouées), quant à elles, proviennent principalement des grands mouvements socio-économiques de notre temps. Plus concrètement, les origines de la volonté de modularisation sont à chercher dans les faits suivants: la mobilité potentielle des étudiants (vraie ou illusoire), l'uniformisation des études, la reconnaissance internationale des diplômes, la libéralisation à grande échelle du paysage de la formation, les politiques de « marketing » et de mise en concurrence des écoles, les changements des modes de financement dans l'éducation. A côté de ces raisons « conjoncturelles », il y a d'autres raisons plus « culturelles », qui proviennent d'un changement assez profond au niveau de notre société des conceptions que se font les gens de l'accès à la connaissance, des apprentissages, et par voie de conséquences, des enseignements. Pour exprimer ce changement de conceptions, les spécialistes en éducation parlent d'un « changement de paradigme », qui représente une transition allant du « paradigme d'enseignement » au « paradigme d'apprentissage ». Ce changement de paradigme, dont le début remonte aux années 1980, s'explique par plusieurs raisons, principalement pédagogiques et sociologiques. Ses implications sont nombreuses et profondes. Au niveau de la Haute Ecole spécialisée bernoise comme ailleurs, il conduit à des remises en question importantes des « habitudes » d'enseignement. Il redirige les finalités mêmes de l'école, en attribuant aux étudiants une place et un rôle beaucoup plus actif qu'ils n'avaient auparavant. De manière raccourcie et un peu caricaturale, on pourrait résumer ce changement de paradigme de la manière suivante: avant, l'école était le lieu d'activités des professeurs2, c'était leur « propriété », c'était le lieu où les professeurs distribuaient le savoir. Aujourd'hui, l'école devient de plus en plus la « propriété » et le lieu d'activité des apprenants, c'est là qu'ils viennent chercher la connaissance pour laquelle ils sont motivés et qu'ils ont choisi d'acquérir, et c'est là que des ressources (en particulier des professeurs) sont disponibles pour eux. Dans cette nouvelle optique, les étudiants devraient donc montrer un engagement plus grand dans la manière de « saisir » les connaissances nouvelles, et les professeurs devraient, de leur côté, s'efforcer de construire pour ceux-ci un encadrement optimal.

Cette évolution n'est pas la conséquence d'un choix ou d'un désir d'une quelconque autorité académique ou politique, où qu'elle soit. C'est beaucoup plus une évolution qui se fait au niveau de la société dans son ensemble, et qui a pour cause, en plus des autres causes mentionnées ci-dessus, le développement d'Internet à travers le monde et donc l'accès possible et facilité à la connaissance. L'école n'étant plus le seul « fournisseur de connaissance », il devient inévitable que son rôle et son fonctionnement soient remis en question, à tous les niveaux. 2 Dans la suite, le mot « étudiant », respectivement « professeur », représente le titre générique d'une fonction qui peut être exercée indifféremment par une femme ou par un homme. Par souci de lisibilité, nous renoncerons donc à mentionner systématiquement le féminin correspondant à ces mots.

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3 Le changement de paradigme Des raisons conjoncturelles, culturelles, ainsi que les développements intensifs des technologies de l'information et du multimédia dans l'enseignement modifient profondément le rôle et la place des institutions de formation dans notre société. Implicitement, ces bouleversements modifient aussi le rôle des enseignants et des étudiants eux-mêmes. Des recherches didactiques et pédagogiques développées durant ces vingt dernières années ont déterminé des orientations importantes en ce qui concerne les structures des écoles, à tous les niveaux y compris l'université, les formes d'enseignement, le concept de « compétences », ou les moyens d'enseignement. A de nombreux points de vue, des effets de ces nouvelles « visions » de l'enseignement se sont aussi manifestés dans d'autres secteurs de nos sociétés occidentales, où l'on peut observer une évolution des idées et des conceptions que les gens se font ordinairement de l'école.

3.1 Le paradigme d'enseignement

Selon la littérature spécialisée (voir par exemple [10]), le paradigme d'enseignement est une « conception de la pédagogie fondée essentiellement sur un processus d'accumulation d'informations chez l'apprenant ». Ces informations, après une certaine pratique et l'établissement d'une certaine maîtrise de la part de l'apprenant, peuvent se transformer en connaissances ou en savoirs. Dans ce contexte, la responsabilité principale d'un enseignant est la maîtrise du contenu. Le plus important pour lui est avant tout de couvrir la matière, d'intéresser les étudiants et d'évaluer leur capacité de rétention et de mémorisation. L'enseignant agit à titre d'expert. Souvent, il joue le rôle d'un conférencier. Il transmet ses connaissances, ses certitudes, et s'adresse à un groupe d'étudiants qui « suivent » son discours et qui « comprennent » (ou essaient de comprendre) sa logique. Ce style convient à un groupe homogène d'étudiants qui possèdent préalablement les éléments de base leur permettant de suivre et de comprendre les propos de l'enseignant. Il s'agit donc d'une manière d'enseigner basée sur l'expertise d'un praticien, et la transmission d'informations se fait le plus souvent « à sens unique ». Le paradigme d'enseignement permet de clarifier les rôles entre le professeur et l'étudiant: l'un enseigne, l'autre apprend. Le professeur parle de « son » cours, de « son » contenu, de « sa » matière d'enseignement. En règle générale, il délivre des supports de cours (scripts, recueils d'exercices) qui sont souvent rédigés par lui-même. Les cours sont construits selon une logique de contenu. C'est le plus souvent sous la forme d'exposés « frontaux » que les informations sont transmises, et à une cadence linéaire. C'est de cette manière que le professeur peut traiter autant que possible toute la matière prévue dans le temps donné. Durant tous les moments passés en classe ou en salle de cours, l'étudiant est maintenu principalement dans une position d'auditeur. Cette conception de l'enseignement, fréquemment en vigueur dans nos hautes écoles sous de multiples variantes, conduit aux constatations suivantes:

― Enseigner, c'est transmettre des connaissances. ― Apprendre, c'est accumuler des connaissances. ― En classe, le rôle de l'étudiant est souvent passif. Il est responsable de transformer lui-

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même l'information en connaissances, de « décrypter » par lui-même les intentions de l'enseignant.

― Les interactions directes entre un étudiant et l'enseignant sont plutôt rares, et ne sont pas systématiquement favorisées. Elles sont soumises à des contraintes restrictives, fréquemment par manque de temps. En classe, les occasions où un étudiant peut s'exprimer sont plutôt rares, si ce n'est lorsqu'on lui donne la possibilité de poser des questions.

― La différence entre un « bon » étudiant qui « comprend » et un « mauvais » étudiant qui « ne comprend pas » est souvent considérée comme la conséquence d'une loi naturelle. Le fait d'être « bon » ou « mauvais » ne relève que de raisons ou de circonstances qui n'engagent en aucun cas les pratiques ou les actions d'enseigne-ment du professeur.

3.2 Le paradigme d'apprentissage

Le développement généralisé de l'ordinateur et d'Internet ont bouleversé et facilité l'accès à l'information (ce qui ne veut pas dire l'acquisition de savoirs !). La « connaissance » peut donc être transmise par d'autres canaux que par la transmission orale du professeur à la classe. C'est dès lors l'étudiant lui-même qui, avec des aides appropriées, peut se construire une base de connaissances personnelles en intégrant des connaissances nouvelles à ses connaissances antérieures. L'étudiant devient l'acteur principal de ses apprentissages. Mais il doit pour cela être en mesure d'effectuer pour lui-même une réflexion approfondie pour traiter l'information, pour l'organiser, la structurer, pour la communiquer, et pour résoudre des problèmes. Dans ce contexte et selon ce point de vue:

― Apprendre, c'est trouver et donner une signification à une situation, en accord avec ses propres conceptions et connaissances préalables.

― Apprendre, c'est effectuer une action d'intégration d'une connaissance nouvelle dans une structure pré-existante de sa mémoire. Il s'agit donc d'un réel travail qui ne peut être exécuté que par l'apprenant lui-même, celui-ci pouvant toutefois être « canalisé » par l'aide extérieure, par exemple de l'enseignant. Mais l'enseignant n'est pas la seule aide extérieure.

― Apprendre, c'est établir autant de « connexions » que possible avec des éléments déjà intégrés en mémoire, de manière à multiplier le nombre d'indices permettant d'opérationnaliser les connaissances et de les mettre en oeuvre lorsque les circonstances le demandent (par exemple dans une résolution de problème).

Dans le paradigme d'apprentissage, on place donc l'acte d'apprendre au centre des préoccupations et des actions des enseignants. Cet acte d'apprentissage est réalisé bien sûr par l'apprenant lui-même, et il vise à l'appropriation par lui du savoir dans le but de le rendre opérationnel. Selon le paradigme d'apprentissage, les rôles respectifs de l'enseignant et de l'apprenant sont redistribués. D'un côté, l'apprenant devient pleinement responsable d'effectuer un travail actif de sélection, de structuration et d'intégration des connaissances. De l'autre, l'enseignant occupe une position tout aussi importante, mais réorientée dans une direction différente: il devient « vecteur » de connaissances et « catalyseur » d'apprentissages. Dans ce sens, il a la responsabilité de mettre à disposition à l'apprenant les outils qui lui seront

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nécessaires pour réaliser ses apprentissages (documents, livres, références, bibliographies, multimédias, etc). Mais il a aussi une autre responsabilité: celle de guider les démarches d'apprentissage des étudiants. Pour cela, il doit encadrer tout le processus d'apprentissage: fixer des objectifs d'apprentissage et les évaluer, distribuer des tâches (si possible de haut niveau), fixer des délais, effectuer le suivi et la supervision des travaux, etc. Selon ce point de vue, l'enseignant devient un « guide », un « tuteur », un « mentor » pour les apprenants.

3.3 Implications pour l'enseignement

Le changement de paradigme (c'est-à-dire: la transition du paradigme d'enseignement vers le paradigme d'apprentissage) est basé, nous l'avons vu, essentiellement sur le positionnement de l'étudiant au centre du processus d'enseignement. Cette transition entraîne des modifications importantes dans les formes et dans l'organisation de l'enseignement au niveau d'une école, et dans les activités quotidiennes des professeurs. Ces changements ne peuvent se réaliser effectivement que si ils sont soutenus et suscités par une réflexion approfondie réalisée par les professeurs eux-mêmes sur leurs propres conceptions de l'enseignement. C'est d'abord l'orientation de la « logique » d'enseignement qui doit être redéfinie: jusqu'ici – c'est-à-dire dans le contexte correspondant au paradigme d'enseignement –, la logique a toujours été dictée en premier lieu par les contenus à enseigner. Il s'agit donc d'une logique de contenu. A l'intérieur d'une certaine période de temps (une semaine, un mois, un semestre, etc.), c'est le contenu à enseigner qui détermine quantitativement la mesure du travail à effectuer, que ce soit celui du professeur ou celui de l'étudiant. Pour citer un exemple, un professeur « aimerait », typiquement, couvrir « dans les deux semaines qui viennent les chapitres 5 à 7, correspondant aux pages 238 à 289 du livre de référence ». Ce contenu est souvent devenu la propriété du professeur, et celui-ci est souvent lui-même l'auteur des documents de travail dont dispose l'étudiant. L'acte d'enseignement est une forme de « vente » réalisée par le professeur à l'étudiant. Mais c'est d'abord le professeur qui cherche à vendre. Lorsque s'opère le transfert vers le paradigme d'apprentissage, cette logique doit être changée. Plutôt que de s'appuyer sur une logique de contenu, il faut dès lors définir une nouvelle logique qui permette beaucoup plus de responsabiliser l'étudiant et de le placer au centre du mécanisme d'apprentissage. Cette nouvelle logique se concrétise par le concept de tâche d'apprentissage (learning task). Ce sont les tâches d'apprentissage (définies en partenariat par le professeur et par le ou les étudiants) qui deviennent dès lors l'unité de mesure des activités réalisées. Une tâche d'apprentissage est toujours basée sur une activité réalisée par l'étudiant. Elle peut être déterminée de plusieurs manières:

― Ce peut être une leçon (donnée par le professeur de manière frontale) qui doit être suivie par l'étudiant dans le cadre de la classe. L'accent est donc mis sur l'étudiant qui « suit » ou plutôt qui « participe » à la leçon, et non sur le professeur qui la donne.

― Ce peut être une liste d'exercices d'applications d'une certaine théorie que l'étudiant réalise pour lui-même ou dans le cadre d'un travail de groupe. Cette activité peut se faire, selon les cas, en classe sous la forme de travaux dirigés en présence du professeur ou à la maison sous la forme de travail personnel.

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― Ce peut être une activité de lecture et d'exploration approfondie d'ouvrages de référence ou de sources Internet, dans le cadre d'un certain thème clairement défini.

― Ce peut être la préparation d'une présentation que l'étudiant devra, par la suite, effectuer devant une classe ou devant un groupe d'auditeurs.

― Ce peut être la préparation et la rédaction d'un rapport sur un thème particulier. ― etc.

Le point essentiel qui se trouve en arrière-fond de cette nouvelle logique est la participation active de l'apprenant. Dans le cadre d'une tâche d'apprentissage, l'apprenant est amené à « exécuter » de lui-même des actions au travers desquelles il pourra s'approprier le savoir et la connaissance. C'est donc sur lui que repose la responsabilité de s'engager dans l'accès au savoir, et ce n'est dès lors plus exclusivement sur le professeur dont le rôle était, selon le paradigme d'enseignement, d'apporter le savoir. C'est maintenant l'étudiant lui-même qui devient « acheteur » de la connaissance, et l'on assiste à un transfert de responsabilité. Dans ce contexte, il est bien clair que le rôle du professeur reste encore essentiel dans les mécanismes d'apprentissage et d'acquisition de la connaissance. Mais ce rôle prend d'autres formes. De « vecteur » de connaissances qu'il était auparavant, parfois exclusivement, le professeur devient dès lors le principal responsable de l'encadrement des apprenants et de leurs apprentissages. C'est ce point-là qui constitue la partie essentielle de cette évolution. Le professeur doit prendre des nouveaux rôles, qu'il ne connaissait peut-être pas auparavant: celui de « guide », de « mentor », d'« accompagnateur » des démarches d'apprentissages. Notons bien que, malgré ce recentrage de l'activité d'apprentissage et ce changement de logique, le professeur reste toujours un enseignant, et il est toujours responsable d'un enseignement. Mais cet enseignement n'est plus uniquement cristallisé dans la transmission de la connaissance, il est aussi – et de manière marquée – cristallisé dans la gestion de l'encadrement des apprentissages. Il convient ici de clarifier un point important: si l'on considère une échelle de valeur qui « mesurerait » la situation ou la position sociale, éducative et scientifique où devrait être placé un professeur, il doit être absolument clair que la position d'un professeur dans son nouveau rôle de mentor ou de guide doit être au moins aussi élevée que dans la position de « pourvoyeur » de connaissance qu'il avait auparavant. Ce serait une erreur que de considérer ce nouveau rôle comme subalterne, diminué ou dévalorisé. C'est tout le contraire qui doit se passer: ses connaissances scientifiques sont toujours aussi centrales, mais ses actions éducatives pour l'encadrement des tâches d'apprentissages s'ajoutent encore à sa responsabilité, c'est-à-dire implicitement à son statut socio-éducatif. Les sections suivantes développeront plus en détail les conséquences que ces nouveaux rôles entraînent dans les activités d'un professeur.

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4 Les types et les niveaux de connaissances Les conceptions et les découvertes sur la connaissance et sur l'apprentissage ont beaucoup évolué au cours des vingt dernières années. En particulier, les développements des sciences de l'éducation et de l'informatique ont favorisé parallèlement l'émergence de théories nouvelles et modernes qui expliquent les mécanismes de la mémoire, du traitement de l'information, et des différentes formes d'apprentissage. On peut citer la grande influence des sciences cognitives, qui ont fortement orienté non seulement les recherches en informatique et en intelligence artificielle, mais aussi les recherches et les découvertes dans le domaine de la psychologie de l'apprentissage (voir par exemple [10]). Les points principaux que les sciences cognitives ont étudiés durant les vingt dernières années dans le contexte du traitement de l'information sont: comment l'être humain reçoit les informations du monde extérieur, comment il dirige et focalise son attention, comment il interagit avec son environnement, comment il apprend, comment il comprend, comment il transfert les connaissances qu'il a déjà acquises dans d'autres situations. Depuis les grandes découvertes de Jean Piaget (déjà à partir des années 1920), on savait déjà que l'apprentissage est un processus de construction complexe, qui nécessite obligatoirement de la part de l'apprenant une action et un certain « travail » cognitif. L'apprentissage – ou l'assimilation des connaissances – résulte d'une succession d'opérations de traitement de l'information, qui tente de mettre en mémoire des informations de manière organisée. Cette intégration des connaissances se fait de manière progressive à partir des connaissances plus anciennes qui sont déjà en mémoire, et auxquelles sont associées les nouvelles informations. Une activité importante de sélection doit être effectuée, afin que l'essentiel des informations qui possèdent une signification puisse être conservé. Les principes fondamentaux de l'apprentissage sont donc les suivants:

1. L'apprentissage est un processus actif et constructif. 2. L'apprentissage résulte de la construction de liens entre de nouvelles informations et

les connaissances antérieures. 3. L'apprentissage nécessite l'organisation ou la réorganisation continue des

connaissances. 4. L'apprentissage inclut aussi un ensemble de stratégies qui permettent d'agir et

d'utiliser les informations de manière adéquate.

4.1 Les quatre catégories de connaissances

Les connaissances qui constituent le contenu d'une certaine discipline ne sont pas toutes de la même nature. Les connaissances peuvent se regrouper en différents types spécifiques, avec des caractéristiques différentes quant aux perceptions, au traitement, à la mémorisation par la personne qui apprend, et avec des processus différents d'activation par celle-ci. Certains types de connaissances sont de niveau plus élevé que d'autres, et leur apprentissage est conditionné par l'acquisition préalable de connaissances de niveau inférieur.

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Dans l'enseignement, il est indispensable que la « palette » de types de connaissances mises en jeu par le professeur soit le plus large et le plus variée possible. Le but visé par tout enseignement devrait être celui des connaissances de niveau le plus élevé que possible, pour autant que celles-ci soient cohérentes au regard du niveau de maturité cognitive de l'apprenant. La mise en oeuvre simultanée des différents types de connaissances de manière bien équilibrée conduit à la notion de compétence. Ce thème sera traité dans la section 6.1. Selon la conception cognitiviste – héritant sur ce point de théories antérieures –, on classe les connaissances dans trois catégories distinctes et complémentaires: les connaissances déclaratives, les connaissances procédurales, et les connaissances stratégiques ou conditionnelles. Chacune de ces catégories correspond, dans le processus d'apprentissage, à un niveau spécifique de compréhension et de compétences, allant du niveau « novice » ou « débutant » au niveau « expert ». Pour le domaine des hautes écoles3, on considère aujourd'hui une classification plus actuelle des connaissances en quatre niveaux, comme l'a publiée par exemple Brigitta Pfäffli 2005 [11].

Les connaissances déclaratives

Les connaissances déclaratives sont les connaissances « théoriques », « livresques », c'est-à-dire que l'on appelle généralement les « savoirs »: des faits, des règles, des lois, des principes. Une date ou un événement historique, l'énoncé d'un théorème de mathématiques, une formule de physique ou de chimie, la liste des verbes irréguliers en allemand, ou encore la recette d'un potage sont des connaissances déclaratives.

Les connaissances procédurales

Les connaissances procédurales sont les connaissances relatives à une action. Dans le cadre d'une action, elles font référence à la question « comment », c'est-à-dire: « comment exécuter cette action ». Elles déterminent les étapes pour réaliser cette action, ou la procédure permettant la réalisation de cette action. Elles décrivent donc le « savoir-faire » et peuvent être opérationnalisées, c'est-à-dire elles peuvent donner lieu à des séquences d'actions ou d'opérations. Une méthode de résolution, la réalisation d'un protocole expérimental, la rédaction d'une dissertation sur un thème donné, sont des connaissances procédurales.

Les connaissances conditionnelles

Elles concernent le « quand » et le « pourquoi » d'une action, et elles font appel aux capacités de jugement et d'interprétation. A quel moment, dans quel contexte est-il approprié d'utiliser telle ou telle stratégie, tel ou tel chemin ? Pourquoi cette stratégie est-elle adéquate ? Par exemple: dans quelles situations doit-on modéliser un problème de physique à l'aide d'une certaine équation différentielle ? Comment déterminer le chemin de résolution d'un problème compliqué ? Quand doit-on utiliser telle ou telle procédure d'argumentation dans une présentation orale ? Les connaissances conditionnelles conduisent à des niveaux supérieurs de compétences que la personne peut développer et exercer. Elles engendrent la maîtrise des concepts et des connaissances apprises. Une personne est experte si elle peut, dans différents contextes, 3 Pfäffli, B.K. (2005): Lehren an Hochschulen. Eine Hochschuldidaktik für den Aufbau von Wissen und

Kompetenzen: Bern, Stuttgart, Wien: Haupt-Verlag.

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appliquer efficacement des connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles.

Les connaissances inventives

Les connaissances inventives se construisent à partir des connaissances d'applications. Elles consistent en la capacité de reconnaître des situations à problèmes, des « challenges », et si nécessaire de développer pour ceux-ci de nouvelles démarches de résolution. Ce type de connaissances rend l'étudiant qui les possède capable d'organiser ou de configurer de nouvelles situations et d'en tirer des conclusions. Elles participent à la pensée et aux actions pluridisciplinaires. Agir dans des situations nouvelles et complexes exige des processus de pensée inhabituels, qui incluent les quatre type de connaissances mentionnés ci-dessus. La répartition des différentes connaissances en quatre catégories conduit à un certain nombre de conséquences pour l'enseignement et pour l'apprentissage. Les plus importantes sont les suivantes:

1. Le processus d'apprentissage exige que l'apprenant soit actif. Toute personne qui veut apprendre doit donc explicitement s'engager pour son apprentissage.

2. La construction progressive et significative des connaissances nécessite une très grande organisation des connaissances dans la mémoire à long terme. Celui qui est conscient de cela favorise ses propres apprentissages.

3. La base de connaissances que l'on veut acquérir doit contenir aussi bien des connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles (savoir, savoir-faire et savoir quand et pourquoi le faire), ainsi que des connaissances inventives.

4.2 Les différents niveaux de la construction du savoir4

En général, et plus particulièrement en ce qui concerne l'apprentissage dans une Haute Ecole spécialisée, on distingue quatre niveaux principaux d'acquisition du savoir ou de la connaissance:

4 Pfäffli, B.K. (2005), p. 82/83.

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Niveau

d'acquisition De quoi s'agit-il ? Exemples de comportement

Niveau 1: Compréhension

Décrire et expliquer des concepts, des faits, des procédures, des modèles, des théories.

Lors de l'exécution d'un projet, les étudiants sont capables d'expliquer le déroulement d'une phase particulière.

Niveau 2: Organisation des connaissances

Créer des liens entre les connaissances et les perceptions de l'environnement, de l'entourage,de la pratique professionnnelle.

Grâce à des cas exemplaires, les étudiants sont capables de reconnaître et de nommer les différentes phases d'un projet.

Niveau 3: Jugement, estimation

Analyser et estimer les situations nouvelles relatives aux perceptions de l'environnement, de l'entourage ou de la pratique professionnelle.

Grâce à des cas exemplaires, les étudiants sont capables de discuter l'exécution d'un projet et de ses différentes phases, et peuvent en juger les résultats.

Niveau 4: Développement et action

Développer ou adapter des théories nouvelles aux situations relatives aux perceptions de l'environne-ment, de l'entourage ou de la pratique professionnelle.

Les étudiants sont capables de développer des idées et de formuler des représentations nouvelles de projets, en tenant compte du type de projet et des contraintes de planification.

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5 Différentes formes d'enseignement L'évolution du paradigme d'enseignement vers le paradigme d'apprentissage a des conséquences importantes sur l'état d'esprit dans lequel se fait l'enseignement et l'apprentissage. Dans la nouvelle situation, c'est autour de la notion de tâche d'apprentissage que devraient s'articuler les rôles respectifs des professeurs et des étudiants d'une école. Dans ce chapitre, nous allons discuter les principales formes que peuvent prendre les activités d'apprentissage/enseignement. Nous les regrouperons globalement dans trois catégories:

1. Les activités d'apprentissage/enseignement reposant sur le principe de l'exposé effectué par le professeur. Dans cette situation, c'est le professeur qui délivre la connaissance. Bien que cette forme rende potentiellement difficile une véritable participation active de l'étudiant (si ce n'est en tant qu'auditeur), elle convient bien à certains types de branches, et elle peut être utilisée parallèlement à d'autres formes. C'est une forme qui était au centre du paradigme d'enseignement, et qui reste essentielle dans notre type d'institution de formation. Mais il convient de l'utiliser en évaluant soigneusement ses avantages et ses faiblesses.

2. Les activités d'apprentissage orientées sur le travail de groupe ou sur le travail coopératif, la discussion, en présence du professeur. Ce sont des formes dans lesquelles le professeur doit jouer un rôle très important d'encadrement. Les « séances » d'enseignement ont lieu en principe dans l'établissement de formation, par exemple dans des salles de cours ou dans des salles de travail. La connaissance peut être délivrée sous la forme de documents adéquats, d'articles, de livres, que l'étudiant lui-même doit exploiter.

3. Les activités d'apprentissage fondées sur l'apprentissage individuel ou apprentissage autonome. Celles-ci reposent sur un « cahier des charges » précis que l'étudiant doit se construire au début en collaboration avec le professeur, ou sur un « contrat d'apprentissage ». Ces méthodes nécessitent des entrevues fréquentes entre l'étudiant et le professeur, permettant à l'étudiant de se faire périodiquement un bilan de sa progression dans l'apprentissage. L'étudiant peut réaliser la plus grande partie du travail hors de l'établissement de formation. L'activité d'apprentissage autonome sera discutée plus amplement dans le chapitre 7.

De façon générale, les résultats des recherches relatives aux formes d'apprentissage/ enseignement n'ont pas pu prouver qu'une forme soit meilleure qu'une autre en termes d'apprentissages. Le plus souvent, la solution « optimale » est constituée d'un mélange de différentes formes, incluant par exemple des parties données en leçons dans le cadre d'une classe, d'autres en travaux de groupes et d'autres encore en travail individuel. Dans le cas particulier de l'enseignement modulaire selon les nouvelles structures, il conviendra aux professeurs d'effectuer un dosage bien équilibré des différentes formes permettant d'optimiser les apprentissages et le développement des compétences chez les étudiants. Dans les énumérations qui suivent, nous utiliserons tour à tour les termes « apprentissage » ou « enseignement », en sous-entendant chaque fois que l'enseignement est une transmission du savoir centrée autour de l'étudiant et qu'il ne se réduit pas à la seule action du professeur.

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5.1 L'enseignement sous forme d'exposés

Il y a plusieurs manières de donner un cours sous forme d'exposé, qui dépendent essentiellement du nombre d'étudiants présents et du contexte.

L'exposé-conférence

Dans le premier cas, il s'agit d'une conférence. Les conditions sont les suivantes: 1) le thème traité est très spécifique, 2) le cours n'a lieu qu'une seule fois, 3) le professeur ne connaît pas les étudiants (c'est par exemple le cas d'un professeur extérieur à l'établissement qui est invité pour l'occasion). L'exposé-conférence pourra alors être fait sous la forme d'un monologue continu, bien documenté, sans ou très peu d'interactions avec l'auditoire (sauf éventuellement quelques questions en fin d'exposé). Ce type d'événement ne convient que si les auditeurs sont d'un niveau de maturité intellectuelle suffisamment élevé leur permettant de profiter de ce qu'ils entendent et de réaliser des apprentissages. Ce type d'exposé est traditionnellement très utilisé à l'université. Dans notre type d'école, où le contact personnel entre enseignant et étudiant doit être privilégié, il devrait être réservé seulement aux cas exceptionnels.

L'exposé informel frontal

Le deuxième cas, l'exposé informel frontal, est le plus fréquemment rencontré dans notre type d'école. L'exposé informel frontal est dirigé par le professeur qui parle à une classe ou à un auditoire, mais le professeur cherche continûment à faire participer les auditeurs à la discussion. Il pose des questions, fait parler les étudiants à tour de rôle, il réagit interactivement. Ce type d'exposé convient lorsque le nombre d'auditeurs n'est pas trop grand. Les interactions que le professeur entretient avec les étudiants (si possible avec tous, à tour de rôle) lui permettent de contrôler en continu le niveau de réceptivité de ceux-ci. Il peut donc par conséquent modifier en temps réel son tempo, son débit, réorienter le sujet, approfondir plus en détails certaines parties mal comprises, faire des digressions, etc. D'un autre côté, le professeur qui donne un cours sous la forme d'exposé informel frontal doit sans cesse veiller à ce que tous les étudiants en présence devant lui se sentent concernés, impliqués, qu'ils se sentent engagés dans le processus d'enseignement et d'apprentissage, qu'ils soient responsabilisés. Ce point est parfois une tâche difficile à réaliser concrètement devant la classe. En effet: durant son exposé, le professeur a à l'esprit surtout les contenus scientifiques qu'il enseigne et qui lui demandent une grande concentration. Mais il n'a pas toujours la disponibilité accessoire de penser aussi à la gestion de ses étudiants. L'exposé informel frontal exige donc du professeur une dualité continue entre deux fils conducteurs de sa pensée, qui fonctionnent en parallèle: d'une part, il y a le fil conducteur principal lié au contenu et aux raisonnement intellectuels inhérents à la matière enseignée et aux compétences à mettre en valeur. D'autre part, il y a le second fil conducteur lié à la gestion de la classe, à la réceptivité des étudiants, à une réflexion méta-cognitive réalisée en temps réel. Idéalement, ces deux fils conducteurs devraient être entretenus tout au long du l'exposé, de manière équilibrée. C'est une tâche difficile et astreignante, qui nécessite de la part du professeur une grande concentration et un effort intellectuel intense.

L'exposé présenté par un étudiant

Le troisième type d'exposés est l'exposé présenté par un(e) (ou plusieurs) étudiant(es). Cet exposé est supervisé par le professeur qui corrige ou complète ce qui est dit. Ce type d'exposé donne lieu à des apprentissages de grande valeur pour celui ou celle qui présente

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l'exposé. Cela exige de lui ou d'elle une grand préparation, une profonde intégration des éléments et des connaissances qui doivent être présentés. En revanche, ce type d'exposé n'a pas toujours une grande valeur en termes d'apprentissages pour les auditeurs. L'une des raisons provient de l'attitude plutôt passive des auditeurs, mais une autre raison est d'ordre relationnel: la personne qui présente est un étudiant, c'est-à-dire un alter-ego de l'auditeur. La force du pouvoir scientifique, institutionnel et hiérarchique ne se manifeste donc pas. En conséquence, l'auditeur aura généralement tendance à prendre ce qui lui est présenté un peu « à la légère », montrant parfois un manque de reconnaissance ou de sérieux envers celui ou celle qui présente. Le fait que le présentateur ne se sente pas sûr, soit hésitant ou montre un peu de gêne complique d'autant plus cet état de fait. Ces remarques doivent bien sûr être relativisées selon les circonstances: la maturité d'esprit des étudiants, leurs expériences, leur âge, leur personnalité, et aussi selon les compétences relationnelles du professeur qui aura su mettre en valeur la personne qui présente l'exposé et l'importance du contenu.

5.2 L'apprentissage sous forme de travaux de groupes

Une alternative importante à l'enseignement par exposés est l'enseignement sous forme de travaux de groupes. Le principe général de cette forme est tout autre: la matière à étudier n'est pas présentée par le professeur de manière unidirectionnelle, mais elle est traitée, élaborée, approfondie, par les étudiants eux-mêmes au sein d'un petit groupe de travail. Ce travail peut être effectué dans le cadre de la classe ou à l'extérieur de celle-ci, mais il a lieu en principe pendant le temps d'enseignement réservé à l'horaire (ce n'est donc pas un travail supplémentaire qui doit être fait exclusivement par l'étudiant comme travail personnel). Une importante activité d'exploration et de « débroussaillage » préalable doit être effectuée par les apprenants. Cette partie, comparativement à un enseignement donné sous forme d'exposés par le professeur, demande un investissement en temps de la part des étudiants. En revanche, le fait que les étudiants soient activement engagés dès le début du processus d'apprentissage, et qu'ils soient contraints de pénétrer « in vivo » dans la matière d'étude donne généralement lieu à des apprentissages plus solides et plus profonds. Cette forme d'enseignement est basée sur la notion d'apprentissage coopératif: il a été montré que le fait de travailler en coopération avec d'autres personnes favorise l'émergence et la profondeur des apprentissages. Bien entendu, cet enseignement n'est profitable que s'il est soigneusement planifié, dirigé et supervisé par le professeur. Les règles relationnelles à l'intérieur du groupe doivent être clarifiées à l'avance, les rôles de chacun doivent être bien définis. Ceci permet, par exemple, d'éviter qu'un étudiant n'effectue à lui seul tout le travail attendu du groupe, et que les autres ne s'engagent pas ou profitent de la bonne volonté des plus énergiques ou des plus sérieux. Le contenu d'enseignement, quant à lui, doit être cadré et circonscrit dès le début, et les documents relatifs doivent être mis à disposition de chacun des groupes. Tout au long du processus d'étude et d'apprentissage en groupes, des petits rapports relatant le fonctionnement du groupe et l'état actuel du travail doivent être remis périodiquement au professeur. A la fin, une évaluation des apprentissages peut aussi être effectuée et une note de qualification peut être attribuée. Les modalités d'attribution de cette note doivent avoir été clairement discutées et clarifiées à l'avance, et peuvent être de différentes natures: par exemple, il est tout à fait possible qu'une note unique soit attribuée à tout un groupe d'étudiants, qui compte de manière égale pour chacun de ses membres. Une alternative serait une note attribuée individuellement à chacun des membres, sur la base d'une tâche particulière que celui-ci aura exercée au sein du groupe. D'autres possibilités mixtes peuvent aussi être envisagées, selon les conditions et le contexte.

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Une des possibilités de mettre en oeuvre une méthode d'enseignement coopératif consiste à présenter le contenu du cours sous la forme de problèmes, de plus ou moins grande complexité, et que les étudiants doivent résoudre au cours d'activités de groupes. Cette technique s'appelle généralement l'apprentissage par problèmes (APP), et elle s'applique bien dans les domaines de la connaissances ou dans les branches où la résolution de problèmes (de toutes natures) est primordiale: certaines branches de l'engineering, en économie, en droit, etc. Paradoxalement, les mathématiques ne constituent pas le meilleur exemple de branche où les apprentissages par problèmes sont les plus efficaces. En effet, l'enseignement des mathématiques, de par les nécessités sous-jacentes de transmettre la maîtrise d'un « langage » et de concepts logiques, exige fondamentalement que le professeur montre l'exemple de son savoir-faire5. Le plus souvent, ces activités « exemplaires » font appel à des processus cognitifs de niveau élevé où les connaissances procédurales, stratégiques et inventives occupent une place importante.

5.3 L'apprentissage individualisé

L'apprentissage individualisé peut prendre plusieurs formes différentes. Nous mentionnerons ici le cas, le plus fréquent, de l'apprentissage autonome dirigé ou l'étude personnelle dirigée, ainsi que l'étude personnelle libre et le contrat d'apprentissage.

L'apprentissage autonome dirigé

Dans l'apprentissage autonome dirigé ou l'étude personnelle dirigée, l'étudiant reçoit un certain nombre de tâches d'apprentissage qu'il doit réaliser par lui-même, hors de la classe. C'est en principe le professeur qui dirige, c'est-à-dire qui détermine à l'avance les tâches d'apprentissage, les exigences relatives à ces tâches et le calendrier. Ces tâches peuvent être de volume plus ou moins grand, selon les circonstances, et elles devraient être dimensionnées de manière adéquate, pour n'être ni trop simples ni trop difficiles à réaliser, ni trop vagues ni trop rigides. Au fur et à mesure de la progression d'un étudiant dans la réalisation d'une tâche, il apparaît souvent à lui la nécessité de rencontrer le professeur afin de lui poser des questions et de recevoir un support personnalisé. Ce moment de « coaching » joue un rôle essentiel dans les mécanismes d'apprentissage. Si la séance de coaching ou la « consultation » est bien menée, le profit cognitif qui en découle pour l'étudiant est souvent très intense. D'autres points relatifs à l'apprentissage autonome seront développés plus largement au chapitre 7.

L'apprentissage autonome libre

Dans l'apprentissage autonome libre, l'étudiant est totalement livré à lui-même. Ses facultés personnelles d'organisation, de structuration, de persévérance, de curiosité intellectuelle sont déterminantes pour le succès des apprentissages. En général, cette forme d'apprentissage convient plutôt à une personne ayant atteint une certaine maturité d'esprit, qui possède déjà des connaissances d'un certain niveau et une vision claire du domaine qu'elle souhaite approfondir. La personne qui est capable de réaliser des apprentissages significatifs de cette manière possède alors les caractéristiques d'une personne autodidacte. Au niveau d'une

5 Dans le cas des mathématiques appliquées, en revanche, si les connaissances « théoriques » sont déjà

suffisamment ancrées, il est avantageux d'utiliser une forme d'enseignement par problèmes.

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école, la possibilité devrait exister pour un apprenant possédant les capacités adéquates de consacrer du temps à étudier, librement, un sujet ou un autre qui l'intéresse. Mais, en revanche, un tel apprentissage peut être difficilement validé et qualifié.

Le contrat d'apprentissage

Lorsque, pour une raison ou pour une autre, un enseignement ne peut pas être donné de manière collective, le professeur peut avoir recours à un enseignement individualisé, dispensé individuellement à un étudiant ou à un petit groupe d'étudiants, ceux-ci effectuant leurs apprentissages de manière indépendante les uns des autres. Cette situation se présente par exemple dans le cas où un étudiant, fraîchement arrivé d'une autre école, doit compléter des connaissances pré-requises qu'il ne possède pas, ou lorsque des étudiants qui ont échoué à un examen doivent répéter un cours qui ne se donne plus. Une façon de faire bien adaptée et efficace est d'utiliser la méthode du contrat d'apprentissage. Il s'agit d'une méthode d'enseignement individualisé qui repose sur le principe de la négociation entre le professeur et l'étudiant. Cette négociation, effectuée en préalable aux activités d'apprentissage et durant celles-ci, porte sur les objectifs d'apprentissage, sur les activités spécifiques permettant d'atteindre ces objectifs, et sur les modalités et les critères d'évaluation. Au début du cours (ou du « processus d'enseignement », car il n'y a peut-être pas de « cours » sous la forme où on l'entend habituellement), le professeur présente à l'étudiant ou aux étudiants les objectifs des apprentissages visés par cet enseignement. A la suite de cette présentation, chaque étudiant rédige en collaboration avec le professeur un contrat d'apprentissage qui reflète ses intérêts, ses demandes, ses buts d'apprentissage. Dans ce contrat, et avec les conseils du professeur, l'étudiant rédige sous une forme plus détaillée ces objectifs, en donnant explicitement un échelonnement dans le temps et en précisant les points importants: il énumère les activités susceptibles de l'aider à atteindre ces objectifs, il établit un calendrier de sa progression, et il définit les modalités d'évaluation. Si nécessaire, ce contrat est négocié entre le professeur et l'étudiant, et il est finalement accepté et validé par les deux parties, éventuellement avec un sceau officiel. Dès lors, ce contrat devient la pièce de référence institutionnelle. Il doit d'une part encourager l'étudiant et l'aider à persévérer dans ses tâches d'apprentissage, et d'autre part fournir au professeur les critères avec lesquels il effectuera l'évaluation des apprentissages, et sur la base desquels il délivrera on non à l'étudiant un certificat d'achèvement.

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6 Le processus d'enseignement La modularisation systématique ainsi que la redistribution/réduction des nombres d'heures d'enseignement pose des problèmes importants dans l'organisation des cours, dans la clarification des contenus, dans leur « design » y compris dans la préparation des documents. Il nous semble donc nécessaire que chaque professeur, pour la branche d'enseignement qui lui est attribuée, entreprenne pour lui-même une réflexion sur ces questions, dans le but de réussir de manière optimale la conversion en modules. Les sections qui suivent proposent des lignes directrices pour aider à cette réflexion et à ces changements.

6.1 La détermination des compétences

La notion de « compétences » donne fréquemment lieu à des malentendus ou des erreurs d'interprétation, car la signification du mot lui-même peut être comprise et interprétée très différemment d'une personne à l'autre ou selon les domaines d'activités. Il convient donc de poser une définition claire de ce terme, qui puisse être reconnue et admise par tous les participants au processus d'enseignement. Une manière qui nous semble adéquate est de reprendre les définitions en vigueur dans le monde de la recherche en éducation [6]. Selon cette approche, la notion de compétence est formulée de la manière suivante: il s'agit essentiellement de « connaissances mises en relation et organisées dans le but de permettre le traitement efficace d'une certaine situation à problème ». Ces connaissances interagissent avec toutes les autres ressources disponibles rassemblées et mobilisées par l'apprenant pour traiter la situation avec succès: connaissances anciennes, intuition, croyances, mémoire auditive, visuelle ou tactile, etc. Les connaissances et les ressources sont sélectionnées avec une intention particulière: traiter la situation avec succès. Considérons un instant la situation d'un étudiant qui arrive au terme de sa formation et à son diplôme. Pour lui, la notion de « compétences » est fondamentale, car elle justifie ses capacités à entrer dans une vie professionnelle active. Dans ce cas, la définition générale ci-dessus peut s'exprimer sous des formes plus concrètes et plus précises. Les compétences d'un jeune diplômé doivent correspondre aux attentes de la société envers la profession, le corps de métier ou le domaine d'activités que celui-ci devra maîtriser ; elles doivent correspondre au cadre « culturel » et au « professionnalisme » dictés implicitement par les règles en usage dans la communautés de praticiens dans laquelle le jeune diplômé veut entrer. Plus concrètement: à ce moment de son parcours professionnel, les compétences d'un jeune diplômé sont déterminées en premier lieu par un certain nombre de connaissances qu'il possède, de différentes natures:

1. Il possède en premier lieu des connaissances théoriques qu'il aura apprises et qu'il aura intégrées (et comprises) durant ses études. Ces savoirs sont principalement de type déclaratif. Ils correspondent principalement aux contenus écrits que l'étudiant aura reçus au cours de ses études (supports de cours, scripts, etc.).

2. Il possède également des connaissances opérationnelles liées aux « savoir-faire » spécifiques, pour les différentes branches qu'il aura étudiées. En particulier, il aura pu

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développer des savoirs procéduraux relativement à la branche ou au domaine de son activité. Il est donc capable d'exécuter des actions ou des séquences d'actions, d'exécuter des procédés ou des algorithmes de manière adéquate.

3. Il possède en plus des connaissances « stratégiques » et « inventives », c'est-à-dire la capacité à reconnaître les situations, les structures, les contextes, les conditions qui conduisent à telle ou telle action, et à les développer. Il possède aussi la capacité d'effectuer des jugements qualitatifs sur une certaine situation. Cette capacité est très importante dans la résolution de problèmes, car elle lui permet d'analyser la situation et d'établir un plan d'action pour sa résolution.

En complément aux connaissances des quatre types évoqués ci-dessus, et en prolongement de celles-ci, le jeune diplômé possède dans son esprit une « base de données » qu'il s'est construite, qu'il s'est lui-même structurée, et qui lui est toute personnelle. Pratiquement, cette base de données consiste en une collection organisée de « références » de différentes natures en rapport avec le domaine qu'il a étudié: ces références ne sont pas en elles-mêmes des « connaissances », mais des « pointeurs » sur des ressources qui peuvent être mobilisées lorsque la situation le demande. Ainsi, ces références peuvent être des titres de livres ou leurs auteurs, des liens Internet, des noms de personnes de référence, des noms de sociétés ou de personnes spécialisées pour telle ou telle activité, etc. Il s'agit essentiellement d'une sorte de « carnet d'adresses » virtuel, personnalisé, qui a été construit au cours des études et qui sera continûment poursuivi, et dont la richesse et le niveau d'organisation est un élément déterminant dans la carrière du jeune diplômé. Un autre aspect important qui doit être pris en compte dans la notion de compétence est la composante sociale. Au cours de ses études et de ses activités professionnelles, le jeune diplômé aura fréquemment été amené à partager ses actions, ses idées, ses interrogations avec d'autres personnes. La capacité à coopérer, à pouvoir tirer profit des divers partenariats qui se présentent au cours de l'activité est déterminante. Celle-ci met en oeuvre les aptitudes à la communication, à la maîtrise des langues, mais aussi des aptitudes relationnelles beaucoup plus personnelles et intérieures, par exemple la gestion des émotions. Les éléments de connaissances mentionnés ci-dessus forment un ensemble de ressources dont dispose le jeune diplômé, et qui, dans une large partie, peuvent être conscientisées: la personne a ou peut avoir pleine conscience de ces connaissances. Il existe toutefois un autre ensemble de ressources dont dispose la personne, qui ont aussi leur importance, mais qui ne peuvent pas être conscientisées ou verbalisées. On peut citer, par exemple, tous les « trucs » personnels, les intuitions, les stratégies « obscures », qu'une personne peut utiliser à un certain moment sans être capable d'en expliquer ni le pourquoi ni le comment, et qui sont parfois liés intimement à sa personnalité et à son comportement. Finalement, ayant énuméré ci-dessus les différentes connaissances ou ressources à disposition de la personne apprenante, il est dès lors possible de donner une définition appropriée de la notion de compétence: c'est la capacité à rassembler et à mettre en oeuvre toutes les différentes connaissances ou aptitudes, à sélectionner celles qui sont adéquates, à les organiser, à les faire interagir, dans le but de traiter efficacement une situation à problème, et ceci de manière à minimiser la complexité globale de l'action.

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6.2 La détermination du contenu, des objectifs et des formes d'enseignement

La notion de « compétences » ayant été clarifiée, tant du point de vue des attentes du professeur et de l'école que de la profession et de la société envers le jeune diplômé d'une haute école, il devient alors possible de décrire le contenu de la matière qui devra être enseignée ou acquise dans le cadre de la formation. Parallèlement à ces contenus, il sera aussi nécessaire de décrire l'ensemble des objectifs de formation visés par chacune des parties de ceux-ci. Au niveau d'un département, la description des contenus et des objectifs n'est généralement pas le fait d'un professeur isolé. Cette tâche difficile se réalise plutôt au sein d'une équipe de professeurs, qui peut être pluri-disciplinaire, et qui travaille en coordination étroite avec les différents groupes de branches liés au processus de formation. Un travail important de synchronisation entre les différents contenus doit être réalisé, de manière à établir un calendrier clair du déroulement de la formation. Considérée isolément dans le cadre de la branche d'enseignement, la réflexion que doit faire un professeur sur les contenus et les objectifs est différente: un professeur « isolé » n'a plus vraiment de choix à effectuer quant aux contenus ou à la détermination des objectifs, ceux-ci ayant déjà été déterminés au niveau du département. En revanche, il s'agit pour un professeur de clarifier comment ces contenus se distribuent dans les différentes catégories de savoirs. Pour chacune de ces catégories, il s'agit pour lui de planifier des tâches d'apprentissages adéquates, permettant à l'apprenant de développer les compétences voulues. A cette étape du processus, la question principale que ce professeur devrait se poser est la suivante: « Pour telle compétence à développer, pour tel objectif de formation à atteindre, quelle est ou quelles sont les formes d'enseignement ou les tâches d'apprentissage les plus adéquates ? Vaut-il mieux transmettre le contenu de manière frontale, faut-il organiser des travaux de groupe, des activités d'études individuelles de documents, des exposés, des activités de résolutions de problèmes, des projets, etc. ? » La question ci-dessus n'est pas anodine, et sa réponse ne devrait être donnée par le professeur que sur la base d'une réflexion approfondie. En outre, cette question ne doit pas être posée qu'une seule fois et de manière globale pour l'ensemble du contenu d'un module, mais elle devrait l'être indépendamment pour chacune des unités de contenu qui constituent le module. La modularisation et les différentes restructurations organisationnelles dans l'école ou dans le département ont souvent comme effet de diminuer, parfois de manière importante, le nombre d'heures de leçons relatives à une certaine branche, et d'augmenter la part du travail personnel de l'étudiant. Dans ces conditions, il va de soi qu'une redistribution de l'enseignement ou de la transmission des contenus entre différentes formes d'enseignement devient nécessaire. Dans une attitude pragmatique et traditionnelle, un professeur serait souvent tenté de donner la totalité de son enseignement de manière frontale. C'est probablement la manière frontale d'enseigner qui lui donne en retour l'impression d'un maximum d'efficacité, d'un maximum de fiabilité de son activité. C'est celle aussi qui lui donne la plus grande illusion que l'apprentissage aura lieu chez les étudiants parce que, de son point de vue, l'enseignement aura été bien donné, par lui-même: « Je l'ai dit, donc ils le savent ». L'enseignement frontal est aussi probablement la méthode d'enseignement qui, une fois que tous les documents ont été préparés, est la plus économique en temps de

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préparation et de gestion. C'est aussi la méthode qui permet de « transmettre » le plus de contenus en le minimum de temps, la « transmission » étant ici entendue à direction unique du professeur à l'étudiant. Evidemment, la réalité est plus compliquée que cela. L'apprentissage ne résulte pas de la simple présence d'un étudiant dans un cours où le professeur présente un certain sujet. L'apprentissage, on l'a vu, résulte bien plus de la conjonction de nombreux événements cognitifs et émotionnels qui ont lieu dans l'esprit de l'étudiant, et avec lesquels il doit lui-même « construire » activement pour pouvoir tirer un profit durable et efficace. Cette dernière remarque devrait être considérée à sa juste valeur par chaque professeur. Elle implique, indirectement, que l'enseignement frontal n'est pas forcément le plus efficace, et que d'autres méthodes d'enseignement permettent d'engendrer des apprentissages plus profonds et des compétences plus grandes. Il y a donc chez un professeur un questionnement important à opérer, pour lui-même: « Quelles sont, au vu des compétences que mes étudiants doivent acquérir, les méthodes qui pourront produire les »meilleurs« résultats ? ». Le mot « meilleur » utilisé ici est lui-même chargé de sens, et il mérite d'être clarifié: est-il plus judicieux d'engendrer des apprentissages « quantitatifs », avec beaucoup de contenus traités, recouvrant de larges domaines, ou plutôt des apprentissages « qualitatifs », où la profondeur de l'apprentissage et des compétences est déterminante au détriment de la quantité de matières traitées ? La question mérite d'être posée, car elle est à la base de choix pédagogiques fondamentaux. Mais la réponse à cette question nous semble claire: ce qui doit être privilégié et mis en valeur, c'est la profondeur des apprentissages, et ceci même si la totalité des contenus ne peut pas être traités. Un contenu étudié trop vite et trop superficiellement ne conduira pas à des apprentissages profonds, et ne permettra pas la construction de compétences bien ancrées.

6.3 L'évaluation des apprentissages

La question de l'évaluation des apprentissages que les étudiants auront ou n'auront pas pu faire dans un cours ou dans un module est une question fondamentale qui doit être prise en compte, déjà dès le tout début du processus. Comment ces apprentissages, ces compétences ou ces connaissances nouvellement acquis devront-ils être jugés ? Comment les qualifications ou les notes devront-elles être attribuées ? Avec quelle fiabilité, avec quelle justesse ? C'est dans les étapes préalables du processus d'enseignement que ces questions doivent trouver leurs réponses. En effet: l'évaluation d'un apprentissage ou de l'acquisition d'une compétence doit être mise en relation étroite avec la notion même de compétence et avec les objectifs qui avaient été définis préalablement6. Selon ce principe, l'évaluation peut être suggérée par les quelques questions évoquées ci-dessous, que le professeur devrait prendre en compte déjà au moment de la préparation de son cours, c'est-à-dire avant que le cours ne soit donné:

― Evaluation des connaissances déclaratives: les connaissances déclaratives, telles qu'elles auront été présentées et mises en évidence dans le cours, auront-elles été « apprises » et assimilées ? Les définitions, le vocabulaire, les concepts nouveaux relatifs au cours auront-ils été intégrés ? Pourra-t-on observer chez l'apprenant la

6 En principe, il faudrait aussi tenir compte, dans l'évaluation, des compétences sociales. Ce point est

toutefois difficile à maîtriser, et dépasse la dimension de ce document.

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construction d'une structure de connaissances nouvelles bien organisée ? Pourra-t-on remarquer une « compréhension » de ces connaissances au sens où elles auront été introduites et étudiées dans le cours ?

― Evaluation des connaissances procédurales: l'apprenant sera-il capable, à la fin du cours, d'opérationnaliser les connaissances acquises, c'est-à-dire: effectuer des actions, des séquences d'opérations, appliquer des règles, des procédés, des algorithmes, effectuer des traitements de données à partir de certaines informations, de résoudre des problèmes isolés liés au contexte du cours, etc. ?

― Evaluation des connaissances conditionnelles: l'apprenant sera-t-il en mesure, à la fin du cours, d'effectuer des démarches raisonnées de sélection ou de choix, d'établir des stratégies de résolutions de problèmes, d'effectuer des jugements qualitatifs sur les différentes possibilités qui pourraient être mises en oeuvre ? Sera-t-il capable de développer une attitude critique envers ce qu'il fait ou ce qu'il pourrait faire ? Sera-t-il capable de commenter et de justifier ses choix ou ses stratégies ?

― Evaluation des connaissances inventives: les étudiants sont-ils en mesure, à la fin du cours, de formuler leurs propres idées relatives aux compétences développées ou à acquérir, et d'en tirer des conséquences ?

Une « bonne » évaluation des apprentissages devrait prendre en compte les quatre types de connaissances acquises, chacune étant mise en relation avec les exigences et le niveau requis des objectifs fixés à l'avance. Ces objectifs (tels qu'ils avaient été fixés) ont-ils été atteints ? et de quelle façon ? Les réponses aux quelques questions ci-dessus, judicieusement adaptées dans le cadre d'une branche d'enseignement particulière, doivent permettre au professeur de disposer d'indications fiables et objectives sur le degré d'atteinte des objectifs, et lui permettre de décerner les qualifications. Il lui revient aussi le plus souvent de convertir ces indications en valeur discrète sur une échelle adéquate. Sur ce point-là, le professeur possède toute sa liberté, avec comme seule contrainte l'exigence que la note « quantitative » attribuée doit absolument pouvoir être justifiée «qualitativement».

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7 L'étude autonome L'une des conséquences de la réforme de Bologne dans les nouvelles filières de formation des hautes écoles spécialisées, c'est d'accorder au travail d'étude autonome (des étudiants) une importance centrale dans les processus de formation. Pour l'enseignement et l'apprentissage qui se font dans le cadre des « heures de contact », il existe de façon générale des directives ou des méthodologies claires sur lesquelles on peut se baser, et une tradition didactique à laquelle on peut encore avoir recours. En revanche, ceci n'est plus valable pour le travail d'étude autonome de l'étudiant, ou seulement dans certaines conditions. Pour cette raison, il devient important de se focaliser sur cette thématique centrale, de concevoir et de mettre au point des méthodes efficaces pour l'accompagnement du travail autonome [3].

7.1 Définition des concepts

L'apprentissage sous forme de « travail d'étude autonome » est une affaire complexe, qu'il convient en premier lieu de définir avec précision. Dans l'espace francophone, les termes utilisés habituellement peuvent être, par exemple: apprentissage autonome, études personnelles, apprentissage auto-dirigé, auto-apprentissage, etc. Dans le monde germanophone, on utilise les termes: autodidaktisches Lernen, autonomes Lernen, selbstorganisiertes Lernen, selbstbestimmtes Lernen, selbstgesteuertes Lernen, offenes Lernen, Selbststudium, etc. En anglais, les termes consacrés sont: independent study, individual study, self-directed learning, self-education, self-guided learning, self-instruction, self-panned learning, self-teaching. Il apparaît que les frontières et les analogies existant entre chacun de ces concepts ne sont pas claires [5]. Dans la suite le concept de « travail d'étude autonome » sera utilisé dans le sens d'« apprentissage auto-organisé ». Pour son organisation et sa planification, un apprentissage auto-organisé possède les caractéristiques et les contraintes suivantes:

― l'existence d'un « plan de travail » flexible, qui détermine l'évolution du travail dans le temps, sa planification ;

― une utilisation des locaux qui soit flexible et facilitée ; ― un minimum d'enseignement frontal ; ― la constitution facilitée et flexible de groupes d'apprentissage ; ― la mise en évidence, dans les contenus d'apprentissage, des points importants et

significatifs ; ― une planification individuelle des processus d'apprentissage ; ― l'utilisation de ressources extérieures.

7.2 En toile de fond: la théorie de l'action

A cause de la multiplicité des aspects, le domaine de recherche consacré au « travail d'étude autonome » est, par rapport aux théories psychologiques et didactiques, issu d'origines multiples. Pour son application pratique dans le cadre des hautes écoles spécialisées, une approche théorique qui nous semble intéressante est la théorie de l'action. Dans la théorie de l'action, l'intérêt didactique s'oriente vers la problématique suivante: comment, dans un environnement d'apprentissage conçu de manière adéquate, des personnes peuvent être

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stimulées pour s'engager dans de multiples activités d'apprentissage autonome ? Selon cette théorie [2], les principales composantes des actions humaines allant dans cette direction sont:

― l'anticipation : des buts, des étapes intermédiaires, des moyens d'action sont déterminés, et consignés dans des plans d'action établis à l'avance ;

― la réalisation : les programmes d'action sont mis en oeuvre dans des opérations concrètes ;

― le contrôle : dans le contexte de la théorie de l'action, la notion de contrôle consiste, le plus souvent, à comparer un état effectivement atteint avec une situation à atteindre, selon la planification qui était prévue à l'origine.

Un plan d'action orienté vers des buts ne doit pas être décrit comme un plan complètement déterminé à l'avance, perfectionniste, exigeant une exécution laborieuse. Selon cette théorie, un « plan d'action humain » typique consiste, en premier lieu, à ne fixer que des buts généraux, dont les étapes ultérieures ne sont décrites que grossièrement. C'est seulement au cours du processus de réalisation, pas à pas, que les étapes successives sont planifiées de manière plus précise et qu'un contrôle de l'« écart » par rapport au but fixé à l'origine est effectué. Dans le cas d'un tel écart, par exemple lors de perturbations inattendues, des nouvelles actions intermédiaires peuvent être planifiées et insérées dans le processus, de manière flexible.

7.3 L'approche théorique motivationnelle

Le travail d'étude autonome nécessite non seulement des conditions d'apprentissage relatives au domaine cognitif, mais aussi au domaine motivationnel et émotionnel. Un apprentissage ne se restreint pas à l'exécution « froide » et rationnelle d'un certain travail sur un certain contenu, mais il inclut aussi des idées et des émotions personnelles. Le modèle théorique esquissé dans la suite distingue six types de conditions favorisant la motivation de l'apprentissage autonome [7].

Six conditions favorisant la motivation de l'apprentissage

Dans les recherches sur la motivation, on a observé que, dans certaines situations, la motivation intrinsèque disponible peut être réduite ou qu'elle peut même disparaître. Sur la base d'expériences et d'études, les chercheurs ont formulé six facteurs qui conditionnent l'engagement personnel devant une exigence:

― La perception du soutien dans le désir d'autonomie : le sentiment d'autonomie est accentué lorsque les conditions sont réunies qui offrent des possibilités de choix ou qui indiquent une certaine marge de manoeuvre.

― La perception du soutien dans le développement de compétences : les « feedbacks » informatifs montrent à la personne ce qu'elle peut faire et ce qu'elle ne peut pas ; ils augmentent le sentiment d'efficacité dans les actions individuelles.

― La perception du sentiment d'intégration sociale à un groupe d'apprenants : une relation de partenariat, au travers duquel la personne a l'impression que les points négatifs, où il y a des difficultés, sont aussi pris en compte, renforce le sentiment d'intégration sociale à un groupe.

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― La perception d'un intérêt auprès des enseignants : des recherches ont montré qu'un étudiant peut trouver un intérêt marqué pour l'apprentissage auprès des enseignants, ce qui augmente donc la motivation intrinsèque.

― La perception de la pertinence des contenus d'enseignement : il s'agit ici avant tout de la mesure, avec laquelle les possibilités d'applications ou d'utilisation des matières étudiées sont exploitées, mais aussi leur raison d'être et leur importance (transferts).

― La perception de la qualité de l'enseignemen t: plusieurs aspects peuvent être différenciés: clarté des concepts, des idées, des paroles, des informations, présence d'« ancrages » dans le concret ; adaptation de l'enseignement aux pré-requis ou aux connaissances préalables ; processus induction ou déductif ; orientation vers l'action, au sens d'un traitement actif de l'information plutôt qu'un apprentissage réceptif ; etc.

7.4 Nouvelles exigences pour les enseignants

Dans un processus d'apprentissage autonome, un certain nombre de tâches supplémentaires apparaissent pour le professeur qui ne correspondent plus au rôle de l'enseignement traditionnel. On peut mentionner cinq tâches importantes qui, dans ce nouveau contexte, doivent être assumées par l'enseignant [2]:

― une tâche de diagnostique : estimer les compétences à l'apprentissage et l'état cognitif actuel de l'apprenant ;

― une tâche de pronostique : offrir des programmes favorisant le développement de l'apprenant ;

― une tâche « administrative » ; gérer des contrats d'apprentissage individuels ; ― une tâche relationnelle: produire et mettre en place des contacts potentiels dans le

domaine de l'apprentissage ; ― une tâche de conseil: être un conseiller dans toutes les questions relatives à

l'apprentissage.

7.5 Nouvelles exigences pour les apprenants

Le travail d'étude autonome, pris dans un sens étendu, impose à l'apprenant des exigences très hautes [3]:

― Préparer l'apprentissage: par exemple, activer les connaissances préalables, se fixer des buts, clarifier pour soi-même la pertinence des buts d'apprentissage, etc.

― Exécuter les actions d'apprentissage: par exemple, activer les stratégies et les processus pour la compréhension, la rétention et le transfert des connaissances.

― Régulariser l'apprentissage: en s'aidant par exemple de stratégies de contrôle et de résolutions de problèmes.

― Evaluer les prestations d'apprentissage: par exemple, par une auto-évaluation (par l'étudiant lui-même) du succès dans l'apprentissage.

― Maintenir la motivation et la concentration.

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7.6 L'encouragement du travail d'étude autonome

Fondamentalement, il y a deux approches mutuellement complémentaires pour l'encouragement au travail autonome [3]:

― l'encouragement direct, à travers un entraînement aux stratégies d'apprentissage, ― l'encouragement indirect, à travers la mise en place d'environnements

d'apprentissage adéquats. Assez récemment, des chercheurs ont essayé de coupler ces deux points de vue.

L'encouragement direct pour le travail d'étude autonome: stratégies d'apprentissage

Au travers d'« actes d'encouragement directs », les principes du travail d'étude autonome sont communiqués à l'apprenant sous forme d'entraînement aux stratégies d'apprentissage. Il s'agit alors de transmettre des stratégies et des techniques d'apprentissage, de manière concrète, qui peuvent contribuer efficacement au succès dans les apprentissages escomptés. Par exemple: la manière de se fixer des buts ou des objectifs d'apprentissage, la manière de gérer le temps au moyen de plans de travail, de se motiver, de gérer son stress et ses angoisses, de traiter adéquatement les informations, de prendre des notes efficacement, de lire des textes de manière profitable, de se préparer à des épreuves ou à des examens, de se comporter adéquatement au cours d'un examen. Les recherches ont montré qu'il est possible, par un entraînement adéquat, d'encourager de nombreuses composantes de l'apprentissage autonome. Toutefois, des personnes possédant des connaissances préalables insuffisantes ne peuvent que rarement atteindre le niveau des apprenants qui possèdent les connaissances requises. Lorsque les conditions exigées ne sont pas réunies, même avec un entraînement, les stratégies d'apprentissage ne peuvent pas être développées et conservées.

L'encouragement indirect pour le travail d'étude autonome: la mise en place d'environnements d'apprentissage

Les « actes d'encouragement indirects » se manifestent dans la configuration de l'environnement d'apprentissage, de manière à encourager chez l'apprenant le concept d'auto-organisation, tout en lui réservant dans cette auto-organisation une certaine marge de manoeuvre. Sous le terme « environnement d'apprentissage », on entend un assemblage d'éléments extérieurs conditionnant l'apprentissage (personnes et institutions engagées, appareils et objets utilisés, médias, moyens d'information, outils, etc.), ainsi que de formes d'enseignement (tâches d'apprentissage, séquence d'étapes successives d'apprentissage, méthodes, etc.) Dans cette perspective, l'enseignement devient plutôt un encouragement et un soutien aux activités propres d'apprentissages réalisées par les apprenants eux-mêmes. Des environnements d'apprentissage doivent alors jouer les rôles suivants:

― poser des problèmes d'apprentissage authentiques, complexes et proches de la réalité ;

― assurer les transferts vers d'autres domaines de la connaissance ; ― entretenir le couplage entre le savoir et les actions ;

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― activer la collaboration entre les apprenants eux-mêmes ; ― mettre en place les conditions permettant le transfert de ce qui est appris ; ― engager ou encourager l'utilisation de médias lorsque celles-ci peuvent fournir une

aide dans le traitement de problèmes complexes. Les couplages entre les « actes d'encouragement directs » et « indirects » sont les plus appropriés: la transmission des contenus doit être combinée avec la transmission de techniques et de stratégies d'apprentissage, qui peuvent par le suite faciliter l'acquisition de nouvelles connaissances.

7.7 Des formes d'enseignement et d'apprentissage élargies

Le succès d'un travail d'étude autonome repose donc sur un changement de paradigme: d'un côté, le pur enseignement frontal avec le professeur comme « fournisseur » de savoir, et de l'autre, des formes d'enseignement et d'apprentissage dans lesquelles l'apprenant se situe en position centrale, avec son propre cheminement et sa propre « histoire » dans l'apprentissage, avec ses propres capacités et ses propres besoins. En guise de suggestion, nous mentionnerons ci-dessous quelques méthodes particulières d'enseignement, dans lesquelles l'apprentissage auto-organisé joue un rôle important [4].

Apprendre pour enseigner

Dans la méthode dite « Apprendre pour enseigner », l'enseignant n'est plus le seul « fournisseur » de savoir, mais il devient conseiller et aide à l'apprentissage. Dans cette méthode, les apprenants étudient la matière pour eux-mêmes, sous la direction de l'enseignant, et ils reprennent à leur propre compte la « fonction didactique »: ils étudient et s'approprient le contenu jusqu'au point où ils deviennent capables de l'enseigner eux-mêmes.

Conseil pour l'apprentissage / Tutoring / Coaching

Dans un cours donné sous forme individualisée, l'activité de conseil, de tutoring ou de coaching effectuée par le professeur pour l'apprentissage est un élément central dans le processus didactique. Cette activité engendre un partenariat enseignement/apprentissage et favorise chez l'étudiant le sentiment que ses interrogations, ses essais et erreurs, ses intuitions et ses jugements sont pris au sérieux.

Simulation

Les outils de simulation – auxquels appartiennent aussi les jeux de stratégie, de décision, de gestion de conflits, et certains jeux de simulation par ordinateur – possèdent deux éléments constitutifs: d'un côté, ces jeux permettent de modéliser la réalité, de la simplifier, de l'accentuer, ou de la rendre transparente. D'un autre côté, le côté ludique de tels jeux décharge l'apprentissage des aspects « contrainte », « pression », ou « sanction ».

Etude de cas

A la fin de ce type de travail, un produit ou un document doit être délivré à la suite de l'étude d'un cas posant un problème: résultats ou données obtenus après analyse, bilans, étude de fonctionnement ou d'organisation, etc. L'apprenant étudie le matériel à disposition pour le cas qui lui est attribué, et il produit des propositions de solutions, de décisions à prendre, ou

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d'alternatives possibles.

La «méthode du texte directeur»7

Nous présentons ici la version « minimale » de cette méthode, qui existe sous de multiples variantes. Un « texte directeur » consiste en une suite construite de questions et d'explications quant à la préparation de tâches d'apprentissage. L'apprentissage se fait à partir de tâches ou de projets orientés vers la pratique, qui sont adaptés à l'état actuel des connaissances de l'apprenant. La formulation de « bonnes » questions relativement à cette tâche doivent permettre l'acquisition de nouvelles connaissances, la planification d'étapes de travail et l'auto-contrôle des résultats. Dans la méthode du « texte directeur », on accorde de l'importance à une très courte « marche à suivre » qui doit être élaborée. Un « texte directeur » rassemble toutes les informations disponibles et les connaissances issues de l'expérience. La composition d'un tel « texte directeur » peut avoir la forme suivante (version minimale) [8]:

1. Introduction (problème initial et buts) 2. Courte description et principaux contenus

― résumé court et clair des étapes de travail ― résumé court et clair des règles et des indications

3. Résultats visés: description concrète (qu'est-ce qui doit être atteint ?) 4. Problèmes et difficultés: possibilités d'erreurs, ce qui doit être évité 5. Informations à donner: indications et sources, instructions, littérature à consulter,

noms d'experts internes et externes Possibilités d'extensions:

6. Temps de travail estimé 7. Critères d'évaluation du travail

L'apprentissage par projet

Un projet part d'une « initiative » ou d'une « idée » du projet, passe par une « esquisse » du projet, par le « plan » du projet et des buts correspondants, et se poursuit par l'exécution du projet en vue d'obtenir un produit. C'est l'idée d'autonomie et d'auto-organisation qui est à la base de l'apprentissage par projet. Idéalement, ce sont les participants au projet eux-mêmes qui établissent les idées du projet, ses buts, et qui exécutent le développement du produit. Le déroulement d'un projet se fait typiquement en plusieurs phases:

Phase 1: Initiative du projet Un projet est initié par une «idée du projet», par une ou plusieurs personnes.

Phase 2: Exposition du projet avec l'initiative du projet dans un cadre défini à l'avance. Processus de négociation: fin de l'initiative proprement dite et élaboration d'une esquisse

7 Cette technique est bien connue dans le monde germanophone (''Leittextmethode'').

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du projet.

Phase 3: Développement en commun d'un plan de projet Le plan de projet sert à la détermination et à la fixation des étapes ultérieures ainsi qu'à la répartition des tâches.

Phase 4: Exécution du projet C'est la phase active dans chacun des domaines d'activités (par une seule personne

isolément, ou en sous-groupes, ou en groupe complet). Au cours de cette phase, des «points fixes» (fixés à l'avance) peuvent servir de repères pour une interruption ou un arrêt du travail.

Phase 5: Achèvement du projet Il y a principalement trois possibilités d'achever un projet:

1. Achèvement conscient et voulu: publication et valorisation des résultats du projet.

2. Retour sur l'initiative du projet et comparaison entre l'état final obtenu et l'état initial désiré.

3. Etiolement ou abandon du projet: le projet, probablement non totalement abouti, laisse quand même une trace d'expérience et un enrichissement personnel chez les personnes qui y ont collaboré.

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8 La préparation d'un cours La planification et la préparation d'un cours est constituée d'une séquence d'étapes différenciées, au travers desquelles le professeur doit être amené à répondre, pour lui-même, à certaines questions. Ces questions ont trait, d'une part, à l'organisation du cours ou du module, à sa planification « temporelle » et « matérielle ». D'autre part, ces questions évoquent aussi les modalités et les formes d'enseignement sous lesquelles le cours sera donné (enseignement frontal, travail personnel, etc.). La marche à suivre ci-dessous peut aider le professeur à effectuer, pour lui-même, le début d'une réflexion didactique sur son activité d'enseignement, qui s'inscrive dans l'optique d'un enseignement « centré sur l'étudiant ». Cette marche à suivre est un fil conducteur, qui doit être suivi dans l'ordre chronologique des numéros.

Marche à suivre

Pour effectuer la planification et la préparation d'un cours, le professeur doit, successivement:

1. Définir les compétences attendues à l'issue du module. Qu'est-ce que l'étudiant devra « savoir », ou devra « être capable de faire » après ce cours qu'il ne pouvait pas faire avant ? Quelles sont les conséquences de ce cours dans son cursus d'études et dans sa future carrière professionnelle ? Pourquoi ce cours est-il important, quelles sont les caractéristiques des compétences qui doivent être développées, et quel rôle ce cours joue-t-il pour la motivation de l'étudiant dans sa formation ?

2. Définir les contenus qui seront enseignés dans ce module. En principe, ce point est déjà prévu dans les plans d'enseignement, mais il est peut-être nécessaire pour le professeur de remettre à jour le support de cours et les ressources qu'il distribuera aux étudiants. Si possible, effectuer un découpage des contenus en petites unités.

3. Pour chaque unité de contenu: distinguer les types de connaissances (déclaratives, procédurales, conditionnelles et inventives) qui entrent en jeu, et établir une hiérarchie dans les niveaux de connaissances et les difficultés. Ce point est important, car il conditionne les objectifs d'apprentissage et les moyens d'évaluer, par la suite, ces objectifs.

4. Définir sous quelles formes les différentes unités de contenu devront être étudiées par les apprenants: enseignement frontal, travail d'étude par groupe, apprentissage par projet ou par problème, travail autonome ? Selon leurs caractéristiques, certains contenus se prêtent mieux que d'autres à tel ou tel forme d'apprentissage, et il y a ici des choix à effectuer.

5. Définir comment les connaissances et les compétences acquises seront évaluées. En d'autres termes: sous quelle(s) forme(s) les apprentissages réalisés dans ce cours seront-il qualifiés, comment les notes seront-elle attribuées ? Y aura-t-il des épreuves à dates fixes, un examen final ? Les étudiants devront-ils réaliser un travail particulier, rendre un document, présenter un exposé, qui sera noté ? Et comment cette note sera-t-elle déterminée ? Pour clarifier ce point, il est important que le professeur revienne quelques pas en arrière à la définition des « compétences » et aux différents types de connaissances sous-jacentes. La cohérence doit être très grande entre chacun de ces points.

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6. Elaboration concrète des ressources et du travail pour les étudiants. Les différents points mentionnés ci-dessous peuvent être traités en parallèle: ― Définir pour chaque unité de contenu les ressources à disposition des étudiants.

C'est ici que le professeur détermine les supports de cours, les ouvrages de référence et les autres documents qui seront distribués aux étudiants, mis à leur disposition ou achetés par eux.

― Répartir la quantité de travail pour les étudiants entre les différentes formes. Déterminer quelles sont les parties du cours qui se transmettront plutôt en enseignement frontal, celles qui seront élaborées dans des séances de travaux coopératifs ou de groupes, ou encore en travail autonome individuel ? Il est ici important de prendre en compte le temps de travail à disposition, selon le nombre de leçons hebdomadaires.

― Organiser l'encadrement : qui est chargé de l'encadrement des étudiants pour le travail personnel, de répondre à leurs questions, de les coacher ? Où et quand cela se passe-t-il ? Hors des cours ou dans les cours ?

― Etablir la planification chronologique du cours. Fixer les dates importantes du calendrier, les délais de remise des travaux, les épreuves, les périodes d'activités d'apprentissage par groupes, etc.

7. Enfin: attendre les étudiants à la première séance d'enseignement... Les quelques points ci-dessus auront peut-être permis à un professeur de « mettre de l'ordre » dans ses idées et de clarifier les différentes étapes du processus de son enseignement. Et nous osons prétendre que celui qui aura effectué, de manière approfondie et réflexive, les différentes étapes ci-dessus sera non seulement totalement prêt à « donner » son module ou son cours, mais aura en plus de bonnes chances d'en retirer un succès et d'y trouver grand plaisir.

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Bibliographie

[1] Bloom, Benjamin: Taxonomy of Educational Objectives ; New York, 1956.

[2] Deitering Franz G.: Selbstgesteuertes Lernen ; Göttingen, Verlag für angewandte Psychologie, 1995.

[3] Friedrich Helmut F., Mandl Heinz: Analyse und Förderung selbstgesteuerten Lernens ; In: Enzyklopädie der Psychologie, Band 4: Psychologie der Erwachsenenbildung, hrsg. von Weinert F. E. und Mandl H. Goettingen; Bern; Toronto; Seattle ; Hogrefe, 1997.

[4] Gasser Peter: Neue Lernkultur: Eine integrative Didaktik; Gerlangen: Selbstverlag, 1997 (2. Auflage).

[5] Handbuch - Selbstorganisiertes Lernen; hrsg. von Greif Siegfried und Kurtz Hans-Jürgen. Göttingen: Verlag für angewandte Psychologie, 1996.

[6] Jonnaert, Philippe: Compétences et socioconstructivisme; de Boeck, 2002.

[7] Prenzel Manfred: Bedingungen für selbstbestimmt motiviertes und interessiertes Lernen im Studium; In: Lehr- und Lernprobleme im Studium: Bedingungen und Veränderungsmöglichkeiten, hrsg. von Lompscher Joachim und Mandl Heinz. Bern; Gottingen: Hans Huber, 1996.

[8] Rottluff Joachim: Selbständig lernen: Arbeiten mit Leittexten; Weinheim und Basel: Beltz, 1992.

[9] Tardif, Jacques: Pour un enseignement stratégique: l'apport de la psychologie cognitive ; Les Editions Logiques, 1992.

[10] Tardif, Jacques: Intégrer les nouvelles technologies de l’information; Quel cadre pédagogique? ; ESF, 1999.

[11] Pfäffli, Brigitte K.: Lehren an Hochschulen. Eine Hochschuldidaktik für den Aufbau von Wissen und Kompetenzen; Bern, Stuttgart, Wien: Haupt-Verlag, 2005