C Journée internationale des femmes - ledevoir.com · blié, en 2017, un dépliant des-tiné à...

10
MARIE-HÉLÈNE ALARIE Collaboration spéciale P our la Journée internationale des femmes de cette année, le Collectif 8 mars a retenu un thème porteur, qui rappelle que les bar- rières dressées devant les femmes se per- pétuent : « Féministes tant qu’il le faudra ! ». La formule est parlante puisque les épinglettes et les af- fiches se sont rapidement envolées. « Le féminisme est attaqué de plusieurs façons. Rappeler qu’il faut demeu- rer féministes tant qu’il le faudra était donc important pour nous », déclare Gabrielle Bouchard, présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et porte- parole du Collectif 8 mars. La période d’austérité qui a sévi au Québec durant les dernières années a fait perdre à plusieurs cette en- vie de croire en la capacité de notre société à aller de l’avant dans un projet inclusif. Les premières à souffrir encore une fois ont été les femmes et, aujourd’hui, les conséquences se font toujours sentir : « la féminisation de la pauvreté continue et les femmes sont encore celles qui vivent l’impact des emplois à bas salaire », rappelle la présidente. Elle ajoute que cette période a été très difficile pour les organismes communautaires et de défense des droits, qui ont vu leur financement di- minuer. «Les organismes qui n’ont pas subi de coupes importantes ont connu des gels, ce qui, dans les faits, correspond à des pertes. » Des revendications comme des priorités En cette année électorale, Gabrielle Bouchard en est convaincue : « On va nous promettre toute sorte de choses ! Mais on a un devoir de réserve sur ce qu’on nous dit et on devra plutôt se fier à l’historique des ac- tions au lieu de promesses d’un avenir meilleur.» Quand on voit ce qui se passe actuellement dans le système de santé, il y a lieu de se questionner : « Avec des médecins qui reçoivent des montants astrono- miques basés sur n’importe quoi pendant que des in- firmières peinent à simplement accéder à une vie fa- miliale à cause de leurs conditions de travail, c’est symptomatique ! » Ce n’est pas pour rien que le Collectif 8 mars met en avant des revendications comme autant de pistes de ré- flexion basées sur quatre piliers, soit la pauvreté et l’au- tonomie économique des femmes, la violence envers les femmes, le racisme et la discrimination et, finale- ment, les services publics, les programmes sociaux et le rôle de l’État. Au sujet de la lutte contre la pauvreté, le Collectif 8 mars propose la mise en place d’une loi-cadre en ma- tière de conciliation famille-travail-études dans une perspective d’égalité : « Une telle loi pourrait amener la société, y compris le gouvernement, à voir dans ce besoin de conciliation que nous sommes plus que des unités de travail, de production ou de profit », déclare Gabrielle Bouchard, tout en déplorant qu’à l’heure ac- tuelle « on n’en est même pas à reconnaître qu’il y a un besoin ». Indissociable de cette loi-cadre, est la nécessité d’un financement adéquat et récurrent des groupes de femmes et de défense des droits : « Aujourd’hui, on nous met dans la position d’agentes de l’État parce qu’on effectue son travail et, en plus, on ne nous fi- nance plus pour le faire ! » Là où Gabrielle Bouchard sent une avancée possible, c’est dans le dossier de la violence faite aux femmes, où égalité femmes.ftq.qc.ca | www.facebook.com/ccf.ftq | twitter.com/ftqnouvelles EMPLOIS DÉCENTS + ÉQUITÉ SALARIALE + SALAIRE MINIMUM À 15 $ + LOI-CADRE SUR LA CONCILIATION FAMILLE- TRAVAIL-ÉTUDES + RÉINVESTISSEMENT DANS LES SERVICES PUBLICS COLLECTIF 8 MARS «Féministes tant qu’il le faudra ! » VOIR PAGE C 2 : FÉMINISTES Journée internationale des femmes LES SAMEDI 3 ET DIMANCHE 4 MARS 2017 CAHIER SPÉCIAL C Moins d’un maire sur cinq est une mairesse C 3 L’ égalité entre les sexes dès la petite école C 5 ANGELA WEISS AGENCE FRANCE-PRESSE

Transcript of C Journée internationale des femmes - ledevoir.com · blié, en 2017, un dépliant des-tiné à...

Page 1: C Journée internationale des femmes - ledevoir.com · blié, en 2017, un dépliant des-tiné à ses syndicats et à ses or-ganisations. On y explique ce qu’est l’ADS et comment

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

Collaboration spéciale

Pour la Journée internationale des femmesde cette année, le Collectif 8 mars a retenuun thème porteur, qui rappelle que les bar-rières dressées devant les femmes se per-pétuent : «Féministes tant qu’il le faudra !».

La formule est parlante puisque les épinglettes et les af-fiches se sont rapidement envolées. «Le féminisme estattaqué de plusieurs façons. Rappeler qu’il faut demeu-rer féministes tant qu’il le faudra était donc importantpour nous», déclare Gabrielle Bouchard, présidente dela Fédération des femmes du Québec (FFQ) et porte-parole du Collectif 8 mars.

La période d’austérité qui a sévi au Québec durantles dernières années a fait perdre à plusieurs cette en-vie de croire en la capacité de notre société à aller del’avant dans un projet inclusif. Les premières à souffrirencore une fois ont été les femmes et, aujourd’hui, lesconséquences se font toujours sentir : « la féminisationde la pauvreté continue et les femmes sont encorecelles qui vivent l’impact des emplois à bas salaire »,rappelle la présidente. Elle ajoute que cette période aété très difficile pour les organismes communautaireset de défense des droits, qui ont vu leur financement di-minuer. « Les organismes qui n’ont pas subi de coupesimportantes ont connu des gels, ce qui, dans les faits,correspond à des pertes. »

Des revendications comme des prioritésEn cette année électorale, Gabrielle Bouchard en

est convaincue : « On va nous promettre toute sorte dechoses ! Mais on a un devoir de réserve sur ce qu’onnous dit et on devra plutôt se fier à l’historique des ac-tions au lieu de promesses d’un avenir meilleur. »Quand on voit ce qui se passe actuellement dans lesystème de santé, il y a lieu de se questionner : « Avecdes médecins qui reçoivent des montants astrono-miques basés sur n’importe quoi pendant que des in-firmières peinent à simplement accéder à une vie fa-miliale à cause de leurs conditions de travail, c’estsymptomatique ! »

Ce n’est pas pour rien que le Collectif 8 mars met enavant des revendications comme autant de pistes de ré-flexion basées sur quatre piliers, soit la pauvreté et l’au-tonomie économique des femmes, la violence enversles femmes, le racisme et la discrimination et, finale-ment, les services publics, les programmes sociaux etle rôle de l’État.

Au sujet de la lutte contre la pauvreté, le Collectif8 mars propose la mise en place d’une loi-cadre en ma-tière de conciliation famille-travail-études dans uneperspective d’égalité : « Une telle loi pourrait amenerla société, y compris le gouvernement, à voir dans cebesoin de conciliation que nous sommes plus que desunités de travail, de production ou de profit », déclareGabrielle Bouchard, tout en déplorant qu’à l’heure ac-tuelle « on n’en est même pas à reconnaître qu’il y aun besoin ».

Indissociable de cette loi-cadre, est la nécessité d’unfinancement adéquat et récurrent des groupes defemmes et de défense des droits : « Aujourd’hui, onnous met dans la position d’agentes de l’État parcequ’on ef fectue son travail et, en plus, on ne nous fi-nance plus pour le faire ! »

Là où Gabrielle Bouchard sent une avancée possible,c’est dans le dossier de la violence faite aux femmes, où

égalitéfemmes.ftq.qc.ca | www.facebook.com/ccf.ftq | twitter.com/ftqnouvelles

EMPLOIS DÉCENTS+ ÉQUITÉ SALARIALE

+ SALAIRE MINIMUM À 15 $+ LOI-CADRE SUR LA

CONCILIATION FAMILLE-TRAVAIL-ÉTUDES

+ RÉINVESTISSEMENT DANS LES SERVICES PUBLICS

COLLECTIF 8 MARS

«Féministes tantqu’il le faudra!»

VOIR PAGE C 2 : FÉMINISTES

Journée internationale des femmes

LES SAMEDI 3 ET DIMANCHE 4 MARS 2017

CAHIER SPÉCIAL C

Moins d’un mairesur cinq est unemairesseC 3

L’égalitéentre les sexes dès la petiteécole C 5

ANGE

LA W

EISS

AGE

NCE

FRA

NCE

-PRE

SSE

Page 2: C Journée internationale des femmes - ledevoir.com · blié, en 2017, un dépliant des-tiné à ses syndicats et à ses or-ganisations. On y explique ce qu’est l’ADS et comment

J O U R N É E I N T E R N A T I O N A L E D E S F E M M E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 E T D I M A N C H E 4 M A R S 2 0 1 8C 2

ANALYSE DIFFÉRENCIÉE SELON LES SEXES

La CSN y croit et s’investitMiliter pour une plus grande égalité entre femmes et hommes

S T É P H A N E G A G N É

Collaboration spéciale

S ur le thème « Féministestant qu’il le faudra ! »,la

Journée internationale desfemmes donne la mesure dutravail à accomplir pour attein-dre l’égalité entre hommes etfemmes. L’ADS est un desmoyens privilégiés pour y par-venir. Depuis la fin 1990, legouvernement en reconnaîtl’importance, et la Confédéra-tion des syndicats nationaux(CSN) souhaite le talonnerpour qu’il adopte des mesuresfavorisant sa mise en œuvredans le monde du travail.

Mais d’abord, qu’est-ce quel’ADS? Cela consiste à analyserau niveau local, régional et natio-nal ce qui peut être fait pour ré-duire les inégal i tés entrehommes et femmes. Dans cer-taines situations, cela peut se tra-duire par l’adoption de mesuresdifférentes (de là le terme «diffé-rencié» dans l’expression) auxfemmes et aux hommes. Véro-nique De Sève, 3e vice-prési-dente à la CSN et responsablede la condition féminine, y croitfermement. Elle explique com-ment cela se reflète dans la réa-lité en donnant l’exemple de l’ar-rivée des femmes dans la police.« Lors de leur arrivée, rapide-ment elles ont constaté que leplastron [pièce qui recouvre lapoitrine] n’était pas adapté à leurmorphologie, relate-t-elle. Il leurdonnait mal au dos. Il a doncfallu en revoir la conception. Et,

par la même occasion, cette révi-sion a aussi permis de mieux ré-p o n d r e a u x b e s o i n s d e shommes, dont plusieurs se plai-gnaient de maux de dos.»

Des plans d’action et puis…

L’ADS peut donc, dans cer-taines situations, profiter auxfemmes autant qu’aux hommes.«Mais, dans la réalité, les inégali-tés sont plus grandes du côtédes femmes», précise Mme DeSève. Le gouvernement du Qué-bec a donc adopté en 1997 unpremier plan d’action d’ADS.Échelonné jusqu’en 2004, il a per-mis la réalisation de neuf projets-pilotes dans sept ministères. Unrapport sur ces projets-pilotes,publié en 2005, concluait au suc-cès de l’approche et recomman-dait de l’inclure dans les mé-thodes de gestion.

Quelques années plus tard,un deuxième plan d’action étaitadopté et s’échelonnait de 2011à 2015. Le gouvernement pro-posait la mise en œuvre de 35mesures dans différents minis-tères (ex. : MAPAQ, ministèrede l’Éducation, du Loisir et duSpor t) et des organisationscomme la CNESST. Mme DeSève déplore qu’aucun bilann’ait été produit, à la suite de ceplan, pour mesurer l’efficacitédes mesures. Qui plus est, « legouvernement a lancé, en juin2017, une stratégie pour l’éga-lité entre les femmes et leshommes qui ne contient quedes vœux pieux, dit-elle. Cela

fait plus de 20 ans que l’on parled’ADS. La CSN et le mouve-ment féministe s’attendentdonc à ce que l’on mette en œu-vre des mesures concrètes.»

La CSN donne l’exemplePour montrer qu’elle prend

au sérieux le concept, la CSN aentrepris l’application de l’ADSdans ses instances. Elle a pu-blié, en 2017, un dépliant des-tiné à ses syndicats et à ses or-ganisations. On y explique cequ’est l’ADS et comment la met-tre en œuvre en donnant des

exemples. «Nous voulons vul-gariser le concept, de façon à cequ’il devienne une pratique cou-rante dans nos instances, af-firme Véronique De Sève. Celaa l’air d’une bibitte complexe,mais ce ne l’est pas.»

Dans le document, on donnel’exemple d’un piquet de grève.On y mentionne l’importancede bien organiser les horairesa f in de ten i r compte descontraintes des mères céliba-taires qui doivent conduire leurenfant au service de garde lematin et aller le chercher en-

suite en fin de journée.

Prendre au sérieux l’ADSEn entreprenant l’application

de l’ADS dans les instances de laCSN, Mme De Sève souhaite dé-montrer que son organisation asaisi l’importance de ce concept.Elle aimerait qu’il en soit ainsipour le gouvernement. «Pourcela, il doit commencer par labase en compilant des donnéessexuées, dit-elle. Par exemple,savoir dans un corps de métier,par exemple en menuiserie,combien il y a d’hommes et de

femmes. Ce genre de donnéesmanque beaucoup.»

Selon Mme De Sève, ces don-nées auraient permis au gouver-nement de réaliser que ses me-sures d’austérité, mise enbranle durant son mandat,avaient touché plus de femmesque d’hommes. Car les femmessont très nombreuses à travail-ler dans le secteur public. Elleaimerait aussi que le gouverne-ment évalue dans chacun deses budgets de quelle façon lesmesures proposées touchentles femmes.

Adapter le travail aux besoins des femmes et aider les

femmes qui œuvrent dans des métiers non traditionnels.

Tels sont deux des mesures découlant de l’Analyse diffé-

renciée selon les sexes (ADS), un moyen de parvenir à une

plus grande égalité entre hommes et femmes dont la CSN

fait la promotion.

le Collectif 8 mars préconise un système de jus-tice adéquat pour les victimes d’agressionsexuelle : « Avec le mouvement #MeToo, on apris acte du fait qu’on devait faire quelquechose et que le système était inadéquat. Parcontre, on reste encore dans un système de jus-tice qui n’a pas changé », affirme-t-elle. Un sys-tème de justice adéquat, selon le Collectif8 mars, devrait éviter la victimisation et les sté-réotypes, et augmenter l’accès audit système,et ça va commencer par un système dans le-quel on croit les victimes, « et on est encoretrès loin de ça», ajoute Gabrielle Bouchard.

Difficile de parler de violence faite aux femmeset de système de justice sans aborder le sujet duracisme et de la discrimination, quand on sait

que les femmes autochtones subissent plus sou-vent qu’à leur tour la brutalité policière, l’agres-sion sexuelle, la discrimination systémique et laviolence: «C’est important de comprendre qu’ona créé des systèmes qui ont fait des femmes au-tochtones des citoyennes de troisième classe»,lance la présidente, pour qui la recherche de so-lutions durables et pérennes débute avec l’expé-rience et le vécu des femmes autochtones.

Gabrielle Bouchard est consciente de l’énormetravail qui reste à accomplir auprès des gouver-nements qui ont des rôles importants à jouerdans l’orientation des débats de société : «Si legouvernement est d’accord pour aller vers unecompréhension des erreurs du passé, des struc-tures de stéréotypes, ce sera plus facile pour toutle monde de marcher dans le même sentier.Mais je ne sens pas qu’on a encore cette recon-naissance», conclut Gabrielle Bouchard.

Un mouvement rassembleurLe Collectif 8 mars 2018 regroupe cette année

la Fédération des femmes du Québec (FFQ), laConfédération des syndicats nationaux (CSN),la Fédération des travailleurs et travailleuses duQuébec (FTQ), l’Intersyndicale des femmes etpour la première fois, Femmes de diverses ori-gines/Women of Diverse Origins.

Si les organismes comme la FFQ, la CSN etla FTQ sont bien connus du public, il en est au-trement pour l’Intersyndicale des femmes etFemmes de diverses origines/Women of Di-verse Origins. Créée en 1977, l’Intersyndicaledes femmes représente près de 300 000 travail-leuses syndiquées qui œuvrent sans les sec-teurs public et parapublic ainsi que dans le sec-teur privé. C’est l’organisation qui a mis enplace les premières journées internationalesdes femmes. Elle se compose de représen-tantes des comités de condition des femmesdans sept organisations syndicales : l’Alliancedu personnel professionnel et technique de lasanté et des services sociaux (APTS), la Cen-trale des syndicats démocratiques (CSD), la

Centrale des syndicats du Québec (CSQ), laFédération autonome de l’enseignement(FAE), la Fédération interprofessionnelle de lasanté du Québec (FIQ), le Syndicat de la fonc-tion publique et parapublique du Québec(SFPQ), et le Syndicat de professionnelles etprofessionnels du gouvernement du Québec(SPGQ). Par le passé, l’Intersyndicale a prispart aux négociations qui ont mené à l’obten-tion d’un congé de maternité rémunéré de 20semaines pour les travailleuses de la fonctionpublique.

Quant à l’alliance d’organisations populairesFemmes de diverses origines/Women of Di-verse Origins, elle représente la diversité descommunautés culturelles de Montréal. Depuis2002, l’alliance organise des activités militantes,diverses, consciente du contexte mondial danslequel ses luttes et ses actions se situent. L’or-ganisme milite pour la justice sociale et la libé-ration des peuples, contre la guerre, la vio-lence, l’exploitation et l’oppression.

SUITE DE LA PAGE C 1

FÉMINISTES

ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR

L’analyse différenciée selon les sexes se manifeste de différentes manières dans la réalité. Par exemple, l’arrivée des femmes dans la police aengendré une modification du plastron, la pièce qui recouvre la poitrine, car il n’était pas adapté à leur morphologie.

Page 3: C Journée internationale des femmes - ledevoir.com · blié, en 2017, un dépliant des-tiné à ses syndicats et à ses or-ganisations. On y explique ce qu’est l’ADS et comment

J O U R N É E I N T E R N A T I O N A L E D E S F E M M E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 E T D I M A N C H E 4 M A R S 2 0 1 8 C 3

S’il y a de plus en plus d’élues dans les

conseils municipaux, elles représentent

aujourd’hui à peine un tiers des conseillers

et moins d’un maire sur cinq. Mais celles

qui sont là se battent pour inscrire le sujet

de l’égalité femmes-hommes à l’ordre du

jour municipal.

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

Collaboration spéciale

I sabella Tassoni est conseillère municipale àLaval depuis novembre dernier. À 27 ans, la

jeune femme, titulaire d’un diplôme de sciencepolitique de l’Université Concordia, dit ne ja-mais avoir imaginé qu’elle ferait un jour de lapolitique.

« Le manque de modèles sans doute, ra-conte-t-elle. On n’en voit pas beaucoup defemmes en politique, de jeunes femmes encoremoins. J’étais très investie dans mon milieu.Alors quand j’ai eu l’occasion de m’engager,lorsqu’on m’a fait cette proposition, je me suisdit pourquoi pas. »

Elle a été élue dès sa première campagne,mais avoue que le por te-à-por te a été unexercice dif ficile. La moyenne d’âge des vo-tants à Laval se situe dans la cinquantaine etvoir une femme, qui plus est jeune… ellesentait bien dans cer tains regards qu’ellemanquait de crédibilité et que l’on ne l’atten-dait pas forcément là.

Peu de paritéEt pour cause : sur les 21 élus au conseil mu-

nicipal de Laval, 8 seulement sont des femmes.C’est deux de plus qu’en 2013, mais on est loinencore de la parité. Sur les dix villes québé-coises de plus de 100 000 habitants, quatre seu-lement atteignent la zone paritaire, à savoirMontréal, Québec, Sherbrooke et Lévis. Et 11villes sur les 19 qui comptent entre 40 000 et100 000 habitants peuvent se targuer d’attein-dre la parité ou presque.

À la grandeur du Québec, les femmes repré-sentent 32,3 % des élus municipaux, contre24,8 % lors des élections de 2013. On compteégalement 18,8 % de mairesses, contre 17,3 %en 2013.

« On progresse lentement mais sûrement »,commente Maude Laberge, mairesse deSainte-Martine et toute nouvelle présidente dela commission Femmes et gouvernance del’Union des municipalités du Québec (UMQ).« La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas de

handicap à être une femme. Lorsqu’elles seprésentent, elles ont autant de chance que leshommes d’être élues. Mais elles sont malheu-reusement encore trop peu nombreuses à selancer en campagne. »

Les choses changentLa mairesse met cela sur le dos de la culture

politique, encore très masculine, notammentdans les petites communautés. Du manque demodèles évoqué par Isabella Tassoni. De la si-tuation économique des femmes, qui sont sou-vent moins riches que les hommes. De l’éduca-tion, qui fait que dès l’école, il est plus difficilepour une fille que pour un garçon de prendre laparole en public.

«Et puis, il y a bien sûr la conciliation famille-vie politique, qui n’est vraiment pas évidente,ajoute-t-elle. Les réunions tard le soir parceque, dans les petites villes, être élu n’est pas untravail à temps plein et que plusieurs élus ontdes emplois durant la journée. Les femmes enpolitique municipale doivent alors concilier leurtravail, leur poste d’élue et la vie de famille. »

Pourtant, avec l’arrivée d’une nouvelle géné-ration en politique, les choses semblent vouloirchanger un peu. De plus en plus de municipali-

tés font en sorte qu’il n’y ait pas de réunions àl’heure du souper. D’autres mettent en placeune halte-garderie pour les enfants des conseil-lers et des citoyens. Certaines ont aménagéune salle d’allaitement. Enfin, la nouvelle loipermettant aux élues et aux élus de s’absenterdurant 18 semaines lors de la naissance d’unenfant, alors qu’ils étaient jusque-là automati-quement destitués après 90 jours d’absence, estun pas dans le bon sens.

« Ça profite à tout le monde, même auxjeunes papas, souligne Mme Laberge. Il y a desgénérations d’enfants qui ont grandi sans voirleur père parce qu’il était en politique. Beau-coup ne veulent pas reproduire ça. »

Politique d’égalitéJulie Bourdon est conseillère municipale à

Granby. Pour pouvoir se consacrer entièrementtant à sa famille qu’à sa communauté, elle a dé-cidé de quitter son emploi, quitte à faire un sa-crifice financier. Elle est impliquée dans plu-sieurs comités et a notamment pris en chargela mise sur pied de la politique d’égalité que saville a adoptée il y a 18 mois.

« L’objectif, c’est de favoriser l’accessibilitédes femmes aux transports en commun et aux

installations de la Ville, explique-t-elle. De s’as-surer que les communications soient épicènes,d’encourager l’accès des femmes aux ins-tances, d’offrir un milieu de vie sécuritaire etsans violence et de sensibiliser la populationaux avantages d’une culture d’égalité. »

Plusieurs villes ont aujourd’hui adopté cetype de politiques, qui consistent à la fois à mo-difier les pratiques au sein de l’administrationmunicipale et à offrir des services à la popula-tion en s’assurant qu’ils ne défavorisent pas unsexe ou l’autre.

«À Granby, par exemple, tous les employés àdes postes de secrétariat ont été formés à l’écri-ture épicène, note-t-elle. Notre service de po-lice s’est également rapproché d’associationstravaillant sur les violences faites aux femmes.»

VigilanceAilleurs, certaines municipalités mettent en

place des « comités femmes et villes », ins-tances composées de femmes issues d’orga-nismes communautaires, de membres duconseil ou de citoyennes et citoyens et qui per-mettent d’avoir un regard extérieur sur les pro-jets municipaux et d’assurer une double vigi-lance pour éviter les inégalités entre les sexes.

Des marches exploratoires sont égalementorganisées. Celles-ci consistent à former ungroupe représentatif de la population, qui vadéambuler dans une rue ou un quartier afin dedéterminer ce qui pose problème dans le pay-sage urbain. Plusieurs problématiques liéesnotamment à l’éclairage public ont été relevéesçà et là.

À Sainte-Martine, la mairesse a institué untour de parole hommes-femmes aux séances duconseil pour créer un climat favorable à l’ex-pression des citoyennes.

La Ville de Laval simule des conseils defemmes. Il s’agit de reproduire le fonctionne-ment d’un conseil municipal, mais seules lesfemmes peuvent y participer.

« C’est ouvert à toutes les femmes, expliqueIsabella Tassoni. Ça leur permet d’expérimen-ter le monde politique. À terme, nous espéronsque ça en convaincra plus d’une à rejoindrel’arène politique.»

Elles rejoindraient ainsi Maude Laberge, Ju-lie Bourdon et Isabella Tassoni, trois jeunesélues qui soutiennent que le palier municipalest un endroit privilégié pour faire changer leschoses en matière d’égalité femmes-hommes.

« Parce que nous sommes proches de la po-pulation et que nous offrons de nombreux ser-vices, souligne Julie Bourdon. Et parce que lesdécisions peuvent se prendre rapidement. »

POLITIQUE MUNICIPALE

Moins d’un maire sur cinq est une mairesseDepuis les élections de novembre 2017, 32,3 % des élus municipaux sont des femmes

ISTOCK

Au Québec, les femmes représentent 32,3 % des élus municipaux, contre 24,8 % lors des élections de 2013.

Page 4: C Journée internationale des femmes - ledevoir.com · blié, en 2017, un dépliant des-tiné à ses syndicats et à ses or-ganisations. On y explique ce qu’est l’ADS et comment

J O U R N É E I N T E R N A T I O N A L E D E S F E M M E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 E T D I M A N C H E 4 M A R S 2 0 1 8C 4

L’UNION DES MUNICIPALITÉS DU QUÉBECEST FIÈRE D’ACCOMPAGNER LES GOUVERNEMENTS DE PROXIMITÉ DANS L’ATTEINTE

D’UNE PLUS GRANDE ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES.

Suivez-nous surPour en savoir plus :umq.qc.ca/femmes-et-politique

L’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMESAU CŒUR DE L’ACTION MUNICIPALE!

Disparités salariales, leadership au féminin,

conciliation famille-travail-études, analyse

différenciée selon les sexes… Manon Ther-

rien, deuxième vice-présidente et responsa-

ble du dossier des femmes au Syndicat de

professionnelles et professionnels du gou-

vernement du Québec (SPGQ), revient sur

ces enjeux d’importance.

A L I C E M A R I E T T E

Collaboration spéciale

A lors que le SPGQ souffle sa cinquantièmebougie, son comité des femmes a déjà près

de 40 ans. «J’aimerais en fait que nous n’ayonsplus besoin du comité, mais il va vivre encorequelques années, car il y a encore du travail »,lance Manon Therrien d’entrée de jeu. Pour rap-pel, le comité des femmes du SPGQ conseille etoriente le Syndicat sur les dossiers de la condi-tion des femmes. L’objectif est de « favoriser laparticipation équitable des femmes à la vie syn-dicale, notamment par l’établissement et par lemaintien d’un réseau de femmes issues de cha-cune des sections ». Pour Manon Therrien,l’existence du comité des femmes au SPGQ estaujourd’hui plus importante que jamais.

Disparité salarialeLe dossier des disparités salariales entre

hommes et femmes est toujours d’actualité. Aucours des années, le SPGQ a été un des pion-niers dans la lutte en faveur de l’équité sala-riale, notamment avec la mise en place du Col-lectif de la plainte par des professionnelles duSyndicat. « Elles ont travaillé fort, contre ventset marées, pour mettre en lumière qu’il y avaitbien une disparité entre les salaires, elles sesont battues pendant 15 ans pour obtenir un ré-

sultat », relate Mme Therrien. Malgré tout, au-jourd’hui encore, des différences sont consta-tées. L’Intersyndicale des femmes, dont leSPGQ fait partie et dont Manon Therrien estune élue membre, cherche à mettre en lumièreces réalités. « Tout passe par l’éducation, nom-mer et voir les choses permet de faire prendreconscience, pour qu’un changement puisseavoir lieu», explique-t-elle.

Femmes leadersPour le SPGQ, éveiller le leadership des

femmes est par ticulièrement important. « Ilfaut pouvoir leur donner la possibilité de mettre

en valeur leurs connaissances, car elles sous-estiment souvent leur potentiel, elles ne voientpas tout ce qu’elles ont à apporter», explique ladeuxième vice-présidente. D’ailleurs, lors desprochains états généraux du comité en novem-bre prochain — où 200 femmes se réuniront —le sujet sera abordé, pour trouver des pistes desolutions. « Si on veut des leaders féminins, ilfaut aller chercher ce qui leur manque, quelsoutils ou quoi mettre en place pour les aider »,ajoute Mme Therrien.

Conciliation famille-travail-étudesEncore souvent l’apanage des femmes, les

tâches de la famille empêchent parfois une évo-lution de carrière ou une reprise d’études.Ainsi, l’Intersyndicale s’est jointe, il y a deuxans, à la Coalition pour la conciliation famille-travail-études, composée de syndicats, d’organi-sations et de regroupements nationaux. La Co-alition demande au gouvernement une loi-ca-dre pour permettre aux travailleurs, notam-ment aux femmes, qui doivent gérer une fa-mille ou un travail de suivre des études. «Nousessayons de rencontrer les différents ordres degouvernement au provincial pour leur expli-quer cette loi-cadre; si on veut rester un leaderdans la famille au Québec, cela viendrait don-ner une force », estime Manon Therrien. Si,pour le moment, les intervenants rencontrésont semblé approuver l’idée, rien n’est encoreprévu. « Nous continuons à travailler, mais j’ap-pelle cela la théorie des petits pas… il faut ven-dre, expliquer, démystifier, tout passe par l’édu-cation. Souvent, les gens se font des idées trèscarrées, très dures; cela fait peur, mais c’estaussi malléable, une loi-cadre, selon le typed’employeur ou selon le travail que vousfaites», souligne-t-elle.

Analyse différenciée selon les sexesL’Intersyndicale demande l’application de

l’Analyse dif férenciée selon les sexes (ADS)pour le budget du gouvernement du Québecdepuis quelques années. « Cela permet deconnaître l’impact des dif férentes mesures,c’est très important pour prendre les bonnesdécisions», mentionne Manon Therrien, rappe-lant par exemple que l’Institut de recherche etd’informations socio-économiques a démontréque les mesures d’austérité ont surtout affectéles femmes. Selon elle, l’ADS permet de pren-dre de meilleures décisions, et cela ne devraitpas alourdir les démarches, mais bien éclairerles différents choix.

Un comité des femmes plus important que jamaisLe SPGQ agit sur tous les fronts pour la condition des femmes

M A R T I N E L E T A R T E

Collaboration spéciale

A près la vague de dénoncia-tions de cas de violences

sexuelles portées par le mot-clic #MoiAussi, la Fédérationdes travailleurs et des travail-leuses du Québec (FTQ) seprépare à célébrer la Journéeinternationale des femmesjeudi sur le thème «Féministestant qu’il le faudra !». Pour l’oc-casion, la centrale syndicaleappuie la série de revendica-tions du Collectif 8 mars, dontcelle d’éliminer toute forme deviolence envers les femmes. Etcela se traduit par des gestesconcrets dans les milieux detravail. Entrevue avec JoëlleRavary, vice-présidente repré-sentant les femmes à la FTQ.

« Il y a encore du travail àfaire pour éliminer toutes lesformes de violence envers lesfemmes, y compris dans les

milieux de travail », af firmeJoëlle Ravary.

Les dispositions sur le harcè-lement psychologique de la Loisur les normes du travail — quiinclut le harcèlement sexuel —sont entrées en vigueur en2004. « Or, les violences dansles milieux de travail sont en-core trop souvent banalisées,voire ignorées, affirme JoëlleRavary. Il faut vraiment que cesoit tolérance zéro. On doit sen-sibiliser beaucoup les hommesaussi, nos collègues, nos ma-ris, nos frères, nos amis, pourqu’ils dénoncent les comporte-ments inacceptables, les jokesplates et les commentaires dé-placés. Je crois que ça aura desimpacts réels dans les milieuxde travail. »

Congés payés pour les victimes de violence conjugale

La FTQ agit aussi concrète-

ment contre la violence conju-gale, dont la très grande majo-rité des victimes sont desfemmes. En réponse à une ré-solution adoptée à son der-nier congrès, elle encouragemaintenant ses syndicats affi-liés à négocier lors du renou-vellement de leur conventioncollective des congés payéspour les victimes de violenceconjugale.

«La violence conjugale a desrépercussions sur les milieuxde travail, notamment parceque les victimes doivent sou-vent s ’absenter, expl iqueJoëlle Ravary. Il y a une prisede conscience à faire, et il esttemps de passer à l’action.»

La FTQ a d’ailleurs fournides exemples de clause deconvention collective pour ai-der ses syndicats affiliés dansleurs négociations. « On com-mence à voir des résultats »,af firme la vice-présidente re-

présentant les femmes à laFTQ.

La FTQ demande aussi augouvernement du Québecd’inclure dans la Loi sur lesnormes du travail des congéspour les victimes de violenceconjugale et des protectionscontre des mesures discipli-naires. Les provinces du Mani-toba et de l’Ontario sont déjàallées de l’avant dans le do-maine, alors que la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Bruns-wick y travaillent.

Salaire minimum à 15$Pour la FTQ, la Journée in-

ternationale des femmes in-clut inévitablement la revendi-cation de hausser le salaire mi-nimum à 15 $ l’heure. Près de60 % des personnes qui travail-lent au salaire minimum sontdes femmes. Et ce ne sont pasque des étudiants à temps par-tiel : 48 % ne sont pas des étu-

diants et les deux tiers travail-lent à temps plein.

« La hausse de 75 ¢ qui en-trera en vigueur le 1er main’est pas une hausse négligea-ble, mais cela ne permettrapas aux femmes de vivre dé-cemment, af firme Joëlle Ra-var y. Nous réclamons un sa-laire minimum à 15 $ l’heureafin de favoriser l’autonomieéconomique des femmes.»

Le Manitoba haussera sonsalaire minimum à 15$ l’heureen octobre et l’Ontario, en jan-vier 2019.

Loi-cadre sur la conciliation travail-famille-études

Alors que les mesures deconciliation travail-famille-études sont très variables d’unmilieu à un autre, voire inexis-tantes dans cer taines entre-prises, la FTQ demande augouvernement d’adopter une

loi-cadre dans le domaine.« Les employeurs doivent

s’engager dans une démarcheavec les salariés afin de cer-ner l’ensemble des besoinsréels en matière de concilia-tion travail - famille-étudesainsi que les mesures collec-tives à mettre en place pour yrépondre, af firme Joëlle Ra-vary. Il faut éviter les mesuresà la pièce. »

Alors que les femmes conti-nuent d’assumer la majeurepartie des tâches domestiqueset des soins aux proches, laFTQ considère que la pré-sence de mesures de concilia-tion travail-famille-études estune condition essentielle audroit des femmes à l’égalité.« L’État doit envoyer le mes-sage clair aux employeursqu’ils ont le devoir d’agir enmatière de conciliation travail-famille-études », affirme JoëlleRavary.

FTQ

Des gestes concrets pour protéger les femmesLe syndicat souhaite combattre toutes les formes de violence envers les femmes

ISTOCK

Souvent l’apanage des femmes, les tâches de la famille empêchent parfois une évolution de carrière ou unereprise d’études.

Page 5: C Journée internationale des femmes - ledevoir.com · blié, en 2017, un dépliant des-tiné à ses syndicats et à ses or-ganisations. On y explique ce qu’est l’ADS et comment

J O U R N É E I N T E R N A T I O N A L E D E S F E M M E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 E T D I M A N C H E 4 M A R S 2 0 1 8 C 5

Féministe tant qu’il le faudra !

lacsq.org

Travailler au mieux-être collectif, c’est central.Centralisons nos forces

À la tête du Conseil du sta-tut de la femme depuis unpeu plus d’un an, Louise Cor-deau a dû faire face à une ac-tualité chargée en matièrede lutte contre les discrimi-nations et les violencesfaites aux femmes.

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

Collaboration spéciale

«Quand le mouvement#MoiAussi s’est mis en

branle au Québec, au Conseildu statut de la femme, nousn’avons pas été surpris, indiquesa nouvelle présidente. C’estune triste réalité, et il a fallubeaucoup de courage à toutesces femmes pour dénoncer.Nous sommes convaincusqu’en tant que société, c’est im-portant la dénonciation. Maisc’est surtout important mainte-nant d’être dans l’action.»

Être dans l’action, selon elle,cela signifie réévaluer toutesles politiques publiques ainsique le fonctionnement des en-treprises afin de faire desgestes concrets amenant à re-fuser cette violence et à refu-ser également la complicitévis-à-vis d’elle.

Sur ce sujet, le Conseil estencore en phase de réflexion.Il a regroupé dif férents orga-nismes pour réfléchir aux me-sures qui devraient être misesen place. Des campagnes mas-sives de sensibilisation sont àvenir. Il a également déve-loppé des outils pour rejoindredavantage de gens, notam-ment les plus jeunes, et lessensibiliser au problème. Lagestion des relations de pou-

voir est dans sa ligne de mireet une capsule sur la culturedu viol a été dif fusée sur lesmédias sociaux.

«Et puis, bien sûr, il y a toutl ’aspect éducation, a jouteMm e Cordeau. Au Conseil ,nous recommandons la miseen place d’un cours obligatoireen éducation à l’égalité et à lasexualité dans les écoles qué-bécoises du début du primairejusqu’à la fin du secondaire. Ils’agit de fournir des outils dif-férents aux petites filles et auxpetits garçons afin de défaireles stéréotypes.»

L’équité en 2234Cette recommandation fi-

gure dans les deux mémoiresdéposés par le Conseil cesderniers mois. Le premier ennovembre, interprète le projetde loi 151 visant à prévenir etcombattre les violences à ca-ractère sexuel dans les éta-blissements d’enseignementsupérieur. Le deuxième, lemois suivant, a été remis àl’occasion des consultationsde la Commission des rela-tions avec les citoyens etporte sur la place des femmesen politique.

Louise Cordeau soulignequ’il y a eu des avancées surce terrain, notamment lors dela dernière campagne pour lesmunicipales, qui a vu l’élection

de quinze mairesses supplé-mentaires. Mais elle rappelleaussi que seulement 34,7% desconseils municipaux attei-gnent la parité, ce qui est loind’être satisfaisant.

«C’est la preuve qu’il y a en-core beaucoup de travail àfaire, lâche-t-elle. Il n’y a qu’àregarder l’écar t salarial quiperdure. En outre, 53% des di-plômés universitaires sont desfemmes, mais elles ne repré-sentent pourtant que 25 % desvice-présidents et 15 % des p.-d.g. Rappelons que le Foruméconomique mondial prévoitque ce n’est qu’en 2234 quel’on atteindra l’équité entre leshommes et les femmes. J’ai

beaucoup de travail pendantmon mandat ! »

Un mandat qui a commencésur une polémique, Mme Cor-deau ayant évoqué la possibi-lité de changer le nom de l’or-ganisme pour que les hommesse sentent eux aussi concer-nés par cette problématiquede l’égalité entre les sexes.Elle af firmait également quel’égalité était « presque ac-quise » au niveau du droit etqu’il fallait surtout s’attaquer àl’égalité de fait.

Immigrantes, agricultriceset proches aidantes

Plusieurs organismes, dontla Fédération des femmes duQuébec, avaient for tementréagi. La ministre des Rela-tions internationales, ChristineSt-Pierre, ex-ministre de laCulture, des Communicationset de la Condition féminine,s’était quant à elle dite « cho-quée» par cette affirmation.

Louise Cordeau admet avoirété en apprentissage durantcette première année. La pré-sidente vient du milieu des af-faires. Avocate de formation etmembre du Barreau du Qué-

bec, elle a été éditrice au Jour-nal de Québec après avoir oc-cupé des fonctions de gestion-naire à Radio-Canada.

« J’ai dû m’approprier toutle bagage qui existe au seindu Conseil du statut de lafemme, indique-t-elle. Lesavis, les recommandations. Etpuis, l’actualité nous a rattra-pés et nous avons dû interve-nir rapidement sur plusieurssujets. »

Au cours des prochainsmois, le Conseil travaillera àpeaufiner le plan stratégique2018-2021, qui sera déposédans quelques semaines par laministre de la Condition fémi-nine, Lise Thériault. Il compteégalement plancher sur les dé-f is auxquels font face lesfemmes immigrantes, les agri-cultrices, les proches aidantes,notamment. S’attaquer au cy-bersexisme fait aussi partie deses priorités.

« Et bien sûr tout le dossierde la conciliation travail-fa-mille-études, conclut-elle.Parce que beaucoup de dos-siers liés à la condition desfemmes tournent invariable-ment autour de cet enjeu.»

CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME

L’égalité entre les sexes dès la petite écoleLe CSF souhaite l’implantation d’un cours en éducation à l’égalité et à la sexualité

CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME

Louise Cordeau, présidente du Conseil du statut de la femme, rappelle que le Forum économique mondialprévoit que ce n’est qu’en 2234 que l’on atteindra l’équité entre les hommes et les femmes.

Nous recommandons la mise en place d’un cours obligatoire en éducation à l’égalité et à la sexualitédans les écoles québécoises du début du primaire jusqu’à la fin du secondaireLouise Cordeau, présidente du Conseil du statut de la femme

«

»

Page 6: C Journée internationale des femmes - ledevoir.com · blié, en 2017, un dépliant des-tiné à ses syndicats et à ses or-ganisations. On y explique ce qu’est l’ADS et comment

J O U R N É E I N T E R N A T I O N A L E D E S F E M M E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 E T D I M A N C H E 4 M A R S 2 0 1 8C 6

Devenez stagiaire à l’international

PROFILS RECHERCHÉS

Pérou Nicaragua Honduras Haïti Sénégal Burkina Faso

Le Programme de stages internationaux pour les jeunes (PSIJ)

est réalisé avec l’appui financier d’Affaires mondiales Canada (AMC),

dans le cadre de l’Objectif carrière de la Stratégie emploi jeunesse (SEJ)

du gouvernement du Canada.

PLUSIEURS MANDATS DE STAGES

Entrepreneuriat

Gestion

Agroécologie

Nutrition

Communication

Environnement

SUCO.ORG/emploi

Ce cahier spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, grâce au soutien des annonceurs qui y figurent. Ces derniers n’ont cependant pas de droit de regard sur les textes. Pour toute informationsur le contenu, vous pouvez contacter Aude Marie Marcoux, directrice des publications spéciales, à [email protected]. Pour vos projets de cahier ou toute autre information au sujet de la publicité,

contacter [email protected].

INRS

L’effet du partage inégal des tâches domestiques dans les intentions de fécondité

En latin, Inter Pares signifie «entre égaux». Et depuis 40 ans que l’organisme œuvre dans

la coopération internationale, il a mis en œuvre et vu éclore, ici et là, des démarches visant

à plus d’égalité. L’organisme prône une approche féministe de l’aide internationale.

Le féminisme par-delà les frontièresL’organisation Inter Pares agit pour mondialiser l’égalité

C A M I L L E F E I R E I S E N

Collaboration spéciale

À ses débuts, Inter Pares était une organisa-tion hiérarchisée, explique le gestionnaire

de programme, Eric Chaurette. C’est dans lesannées 1980 que des femmes intègrent l’orga-nisme (fondé en 1975 par deux hommes),amorçant du même coup un changement dementalités et de méthode de travail. Les 15 em-ployés de l’organisme sont désormais tous co-gestionnaires : les responsabilités et les prisesde décisions sont égales, ainsi que le salaire debase. « On prépare d’ailleurs un guide pédago-gique pour partager notre mode de travail avecd’autres organisations intéressées par la dé-marche», souligne M. Chaurette.

L’approche féministe d’Inter Pares se fondesur l’analyse des structures de pouvoir. C’est encomprenant « les causes profondes des injus-tices » que la transformation des systèmes enplace peut avoir lieu, estime M. Chaurette. Ilest aussi important de prendre en compte lesréalités locales des groupes communautairesavec lesquels Inter Pares collabore, car ce sonteux qui contribuent à une évolution des atti-tudes. Ce sont eux qui peuvent permettre auxvoix des femmes de se faire entendre, en re-mettant en question les valeurs patriarcales eten introduisant des principes d’égalité.

Le féminisme au quotidienC’est ainsi que la Société de développement

du Deccan (DDS) a vu le jour, dans la région deTelangana, en Inde du Sud. Cette organisationest devenue, en 20 ans, un exemple de réussite.Quelque 5000 femmes de plus de 75 villagessont membres de la DDS et ont réussi à se taillerune place de premier plan dans leur commu-nauté, grâce à leur savoir-faire agricole. Elles ontdéveloppé un système de souveraineté alimen-taire mettant en pratique des savoirs locaux.

« C’est une source d’inspiration pour nous,parce que c’est une région très pauvre, avecdes problèmes de sécheresse et une grande po-pulation de dalits, les intouchables », indiqueEric Chaurette. Ces femmes n’avaient pas deterres à cultiver et ont dû se mobiliser pour re-vendiquer leurs droits. Elles ont ensuite mis enplace des banques de semences pour avoir lecontrôle sur ces terres et ne plus dépendre del’achat de produits chimiques. «Elles ont réussià surmonter plusieurs obstacles et à devenirune forte communauté. » Leur agriculture estaujourd’hui basée sur le mil, une céréale nour-rissante et dont la culture est adaptée au milieu.

Pour partager leurs connaissances et avoirvoix au chapitre, ces femmes ont ensuite créé la

première radio communautaire en Inde. «Ellestrouvaient que les radios traditionnelles par-laient trop souvent d’elles d’une manière dés-obligeante. » Elles s’y expriment dans leur dia-lecte et y abordent les enjeux qui les touchent.

Leur labeur a aussi permis de changer le com-portement des hommes. «Ils doivent participeraux tâches domestiques pour leur permettre defaire tout ce travail associatif et politique, noteM. Chaurette. La communauté se porte mieux, etça renforce l’économie de la région.» Les vio-lences conjugales ont également diminué depuisque les femmes ont plus d’autonomie financière, aconstaté la DDS, qui a par ailleurs créé un réseaude refuges pour les femmes victimes de violences.

Solidarité entre agricultricesPour que ces effets fassent boule de neige,

Inter Pares organise des rencontres entre lesorganisations, afin d’«établir des ponts entre cequi se fait ici et ailleurs». L’organisme a fait ve-nir en Inde des agricultrices de l’Afrique del’Ouest et une Québécoise, Maude-Hélène Des-roches, copropriétaire des Jardins de Greli-nette à Saint-Armand. L’objectif : échanger lessavoirs et s’inspirer mutuellement. C’est là quel’agricultrice a pu montrer comment elle pro-duit ses légumes sur un lopin de terre d’à peine0,6 hectare, pour en faire des paniers bios.

Et depuis, au Telangana, on peut trouver despaniers bio. «Trois ans plus tard, je reviens avecune délégation et on voit toutes ces femmes ins-tallées en train de préparer des paniers», se rap-pelle M. Chaurette. Le modèle a pris racine etquelque 250 familles profitent du programme.

Un modèle de réussite qui inspire par-delàles frontières, se réjouit M. Chaurette. Cardésormais, de l’Inde au Canada, en passantpar l’Afrique, ces agricultrices ont établi unréseau féministe et solidaire.

INTER PARES

Membres de l’équipe d’Inter Pares et des travailleursmigrants lors d’une caravane sur les droits destravailleurs migrants.

A L I C E M A R I E T T E

Collaboration spéciale

Comment expliquer l’écartimportant entre les inten-

tions de fécondité et la fécon-dité ef fective ? « En moyenne,les gens veulent deux ou troisenfants, un chiffre qui reste sta-ble au fil des générations. Pour-tant, la moyenne par couple estinférieure à deux… Alors, pour-quoi cet écart ? » s’est interro-gée Laurence Charton. Cellequi travaille sur la fécondité etle désir d’avoir ou non des en-fants a souhaité trouver despistes de réponses. Accompa-gnée de Nong Zhu, professeur-chercheur au centre Urbanisa-tion Culture Société de l’INRS,elle s’est penchée sur le lien en-tre fécondité et par tage destâches domestiques.

Anticipations et modèlesD’emblée, la chercheuse de

l’INRS rappelle que la place desfemmes a évolué dans la sociétédepuis les années 1960. «Mal-gré ce rééquilibrage, certainestâches semblent plus fémininesque d’autres», nuance-t-elle, ci-tant au passage le sociologuefrançais Jean-Claude Kaufmann,qui affirmait que «dans le cou-ple, le partage égal des tâchesest une illusion » et que cer-

taines d’entre elles, comme lalessive, incombent presque tou-jours aux femmes. Dans toutesles provinces et les régions étu-diées, quelle que soit la tâchedomestique (repas, épicerie,vaisselle, ménage ou lessive),les femmes af firment le plussouvent qu’elles en ont principa-lement la charge. En outre, lachercheuse constate que lesfemmes anticipent même cettecharge domestique, pensantsouvent devoir endosser un cer-tain rôle qui accompagne la ma-ternité. «C’est comme si la fa-çon dont un couple devait fonc-tionner était intégrée dans leuresprit», ajoute-t-elle. Ainsi, pourbeaucoup de personnes, cela re-porte le moment d’entrée dansla maternité. D’autre part, cettecharge domestique sembleaussi les conduire à repenserleur désir initial d’avoir d’autresenfants. «Ce qui se passe avecl’arrivée de l’enfant, c’est queles inégalités dans la répartitiondes tâches augmentent encoreplus», ajoute Laurence Charton.

Politiques familialesDes différences ont toutefois

été observées selon les régionset les provinces de résidence.«Il y a évidemment un parallèleà faire avec les politiques fami-liales, dans les provinces et ré-

gions où les politiques fami-liales sont quasiment inexis-tantes. En Atlantique par exem-ple, les femmes font déjà lemaximum au premier enfant, ilest donc dif ficile d’envisagerd’en faire d’autres», détaille lasociologue. À l’inverse, dansd’autres endroits, comme auQuébec, où la présence de poli-tiques familiales fortes facilitela conciliation travail-famille, lasituation est dif férente. « Parexemple, grâce aux garderies,les femmes peuvent garderune activité professionnelle auQuébec, ce qui contribue à ré-duire les inégalités, contraire-ment à quand vous vivez dansune société où vous n’avez pasce genre de soutien et d’aide»,pense Mme Charton.

Pistes de solutions« Si nous voulons à la fois

une meilleure égalité dans lepartage des tâches tout en ré-duisant l’écart entre le nombred’enfants désirés et le nombred’enfants nés, il faut faire évo-luer les mentalités et accompa-gner institutionnellement cechangement », pense la socio-logue de l’INRS. Elle estimepar exemple qu’au Québec,même si de nombreuses poli-tiques familiales aident les pa-rents, certaines inégalités de-meurent. « Les hommes doi-vent pouvoir intégrer le foyer»,glisse-t-elle. Pour cela, elle es-t ime par exemple que lescongés parentaux devraientêtre pris de façon successive.

Cela éviterait que les femmesse retrouvent dans un modèleoù elles doivent à nouveau s’oc-cuper des tâches domestiques.«Le congé maternité, c’est for-midable, mais cela fait que lesfemmes s’occupent à la fois del’enfant et des tâches domes-tiques, en plus de s’éloigner deleur activité professionnelle »,soutient-elle, ajoutant qu’offrir

des possibilités de mi-temps àla fois pour l’homme et lafemme serait une piste de solu-tion.

En outre, Laurence Chartonrappelle qu’il ne s’agit pas d’unphénomène isolé, mais biend’un problème plus général.«Même avec un esprit égalitaire,cela reste dif ficile, car les sa-laires sont inégaux, donc c’est

toujours la personne touchant lesalaire inférieur qui arrête detravailler», déplore-t-elle.

Laurence Char ton para -chève actuel lement sa re -cherche et analyse les don-nées collectées lors d’entre-tiens avec des couples de pa-rents. Elle devrait être en me-sure de les publier à l’automneprochain.

Les inégalités des sexes dans le partage des tâches domes-

tiques ont-elles une influence sur les intentions de fécon-

dité? Laurence Charton, sociologue à l’Institut national de la

recherche scientifique (INRS), s’est intéressée à la question.

ISTOCK

« Ce qui se passe avec l’arrivée de l’enfant, c’est que les inégalités dans la répartition des tâches augmententencore plus », assure Laurence Charton, sociologue à l’Institut national de la recherche scientifique.

Page 7: C Journée internationale des femmes - ledevoir.com · blié, en 2017, un dépliant des-tiné à ses syndicats et à ses or-ganisations. On y explique ce qu’est l’ADS et comment

J O U R N É E I N T E R N A T I O N A L E D E S F E M M E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 E T D I M A N C H E 4 M A R S 2 0 1 8 C 7

J E A N - F R A N Ç O I S V E N N E

Collaboration spéciale

L e cri du cœur de l’infir-mière estrienne Émilie Ri-

card, relayé des dizaines demilliers de fois sur Facebook,a encore une fois rappelé lesconditions dif ficiles dans les-quelles ce métier s’exerce.Surcharge de travail et heuressupplémentaires obligatoiressont en tête des récrimina-tions des infirmières. Ellessont aussi dans le collimateurde la Fédération interprofes-sionnelle de la santé du Qué-bec (FIQ), qui les qualifie deviolences organisationnelles.

Ces violences organisation-nelles rendent difficiles et pré-caires les conditions de travaild’un secteur où la grande ma-jorité des travailleurs sont enfait des travailleuses. En effet,90 % des membres de la FIQsont des femmes.

«La première violence orga-nisationnelle introduite dans lesystème de la santé a été lesheures supplémentaires obli-gatoires», déplore Shirley Do-rismond, infirmière clinicienneen santé communautaire etvice-présidente sociopolitiqueet solidarité à la FIQ. Elle estaussi coresponsable du sec-teur Condition féminine dusyndicat, avec la présidente dela FIQ, Nancy Bédard.

Le règne du temps partielElle rappelle que la moitié

des infirmières québécoisesœuvrent à temps partiel. Untiers (34 %) des infirmièresauxiliaires et 45 % des inhalo-thérapeutes se trouvent dansla même situation. Devant ceconstat, la FIQ revendiquel’augmentation du nombred’infirmières à temps complet.« C’est carrément de la mau-vaise gestion, martèle ShirleyDorismond. Le gouvernementtente d’économiser de l’ar-gent en embauchant moinsd’infirmières à temps plein,mais ça ne fonctionne pasp u i s q u ’ i l d o i t p a y e r d e sheures supplémentaires. »

Il y a plus de deux ans, laFIQ s’était entendue avec legouvernement québécois surune augmentation du nombrede postes d’infirmières à tempsplein et sur l’établissement denouveaux ratios professionnelsen soins-patients. Mais les ré-sultats tardent à venir. La FIQest donc repar t ie en cam-pagne, avec le slogan « On anotre quota », afin d’obtenirune réduction du ratio infir-mière-patients.

L’aspect obligatoire desheures supplémentaires poseégalement problème. Non seu-lement il mène parfois à l’épui-sement professionnel, mais ildevient aussi une contraintetrès difficile à gérer en matièrede conciliation travail-famille.Les femmes, en particulier lesmères célibataires, sont tou-chées de près par ces difficul-tés. «Aucune garderie au Qué-

bec ne restera ouverte douzeheures parce que vous êtes enheures supplémentaires », il-lustre Shirley Dorismond.

Briser le silenceLes infirmières ont donc de

nombreuses raisons de pro-tester, et cer taines le font,comme Émilie Ricard, ou en-core Louise Bouchard, Amé-lie Perron et Marilou Gagnon,qui ont récemment signé unelettre d’opinion dans Le De-voir avec leur collègue infir-mier Patrick Martin. Mais laréaction face à ses protesta-tions, notamment dans lesmédias, agace Shirley Doris-m o n d . C e s d e r n i è r e s s e -maines, elle a vu bien tropsouvent des titres du genre« infirmières au bord de lacrise de nerfs ».

« Ça me fait grincer desdents de voir ces titres, admet-elle. Est-ce que c’est parce quenous sommes des femmesqu’on parle de crise de nerfsdès que nous élevons la voix ?Les infirmières ne sont pas encrise de nerfs, mais elles veu-lent briser le silence quant àleurs conditions de travail et neveulent plus se contenter de su-bir. Nous aimons notre travailet nous voulons donner dessoins de qualité aux gens. Lesconséquences de la surchargede travail, des ratios de patientstrop élevés ou des heures sup-plémentaires obligatoires, cesont aussi les patients qui lessubissent. Il faut le dire.»

Elle déplore que le ministrede la Santé, Gaétan Barrette,ait tenté de minimiser la sortied’Émilie Ricard et ait laissé en-tendre que les nombreuses oc-cupations des lieux en janvierà Trois-Rivières, Sorel, Lavalet au Suroît avaient été orches-trées par le syndicat.

La FIQ tente aussi de déve-lopper des approches dans lesystème de santé qui convien-nent mieux à la situation desfemmes. C’est le cas notam-ment avec les cliniques desoins infirmiers de proximité,comme SABSA à Québec et laclinique de Montréal-Nord.Elles visent à améliorer l’ac-cessibilité aux soins de santé,notamment des femmes et deleurs enfants, ainsi que desclientèles vulnérables, au seindesquelles les femmes sontaussi surreprésentées.

La FIQ se joint par ailleurs àd’autres syndicats pour défen-dre la hausse du salaire mini-mum à 15 dollars l’heure. Legouvernement du Québec aannoncé en janvier dernierune hausse de 75 ¢ l’heure,qui portait le salaire horaireminimum à 12 dollars. SelonShirley Dorismond, cette lutteconcer ne grandement lesfemmes. De fait, selon l’Insti-tut de la statistique du Qué-bec, en 2016 les femmes re-présentaient 58,5 % des travail-leurs payés au salaire mini-mum et 58,3 % des salariéspayés moins de 15$ l’heure.

La colère des infirmièresEn guerre contre la surcharge de travail et les heuressupplémentaires obligatoires

M A R T I N E L E T A R T E

Collaboration spéciale

E n publiant l’été dernierl’essai Maternité, la face

cachée du sexisme. Plaidoyerpour l’égalité parentale, l’au-teure, journaliste indépen-dante et conférencière Mari-lyse Hamelin lançait tout unpavé dans la mare. Il reste fi-nalement encore beaucoup dechemin à faire au Québec enmatière d’égalité des sexesd’après son analyse, particuliè-rement lorsqu’il est questionde parentalité. Alors qu’ellemultiplie les conférences surle sujet, la féministe af firmemême que la conciliation tra-vail-famille est un « conceptsexiste » actuellement et qu’ilest grand temps de passer àl’action pour rééquilibrer lesresponsabilités familiales quiincombent encore trop auxfemmes.

« Les mesures de concilia-tion travail-famille sont pen-sées pour les femmes, offertesaux femmes et prises par lesfemmes », af firme d’embléeMarilyse Hamelin.

Pensez-y. Rarement voit-onun homme envisager de tra-vailler à temps par tiel pourêtre moins essoufflé avec lestrois enfants en bas âge à lamaison. Ou une femme nepas prendre de congé paren-tal parce que ce serait mal vupar son employeur.

« Ce n’est pas naturel queles femmes se surinvestis-sent dans la sphère familiale,c’est dû à l’organisation de lasociété et à l’éducation desfilles », affirme-t-elle.

Elle donne l’exemple despoupées qu’on achète aux fil-lettes. Au cours de gardienneavertie qu’on les encourage àsuivre. Puis on trouve uneabondante littérature sur lamaternité et non sur la paren-talité. Les services de garde etles écoles considèrent la mèrecomme le parent principal.

« Tout est en place pourfaire comprendre aux femmesque le soin des enfants et lagestion du bien-être familial —avec la fameuse charge men-tale qui vient avec — leur re-viennent d’abord », expliqueMarilyse Hamelin.

Des conséquencesmultiples

Ce surinvestissement de lafemme dans les responsabili-tés familiales n’est pas sansconséquence. Marilyse Ha-melin souligne les pertes deresponsabilités et, même, lespos tes abo l i s pendant l e« congé de maternité ».

« D’ailleurs, on appelle en-core congé de maternité cequi est en fait le congé paren-tal parce que ce sont encorebeaucoup les femmes qui leprennent, précise-t-elle. Seule-ment 35 % des nouveaux pèresprennent au moins une petitepartie du congé parental. »

Elle voit aussi dans les mi-lieux de travail des femmesqui se font refuser à répéti-tion des promotions à leur re-tour, ou les refuser el les-mêmes parce que ce seraittrop dif ficile de concilier letravail et la famille.

Les femmes sont encoreaussi largement absentes deslieux décisionnels.

« Aux dernières élections fé-dérales, les femmes ont rem-por té à peine le quar t dessièges et c’est un record auParlement canadien, s’ex-clame-t-elle. Au Québec, 70 %

des députés sont des hommeset il y a seulement 20 % de mai-resses . S i les femmes enavaient moins sur les épaulesà la maison, elles auraient plusde temps pour s’investir dansla sphère décisionnelle. »

Plusieurs femmes toutefoisne perçoivent pas cette inéga-lité et ne ressentent pas de ré-volte. « C’est parce que la cul-ture de la mère par défaut estvraiment quelque chose d’inté-gré par les femmes qui ont étépréparées toute leur vie à yconsentir», affirme la féministe.

Changer les chosesIl est donc temps, d’après

Marilyse Hamelin, d’adopterdes mesures concrètes pourrenverser la «division sexuelledes responsabilités paren-tales ». Il n’est pas questiond’abolir les mesures de conci-liation travail-famille bien sûr,mais de travailler à changerles mentalités pour que lesh o m m e s s e s e n t e n t p l u sconcernés.

« Rien ne me fait plus ragerqu’un conjoint qui dit qu’il aideà la maison, af firme-t-elle. Iln’aide pas sa conjointe, il faitce qu’il a à faire ! Ou un pèrequi dit qu’il garde ses propres

enfants… il n’est pas un gar-dien, mais un père qui s’oc-cupe de ses enfants ! »

À ses yeux, tout commencepar revoir les congés paren-taux en allongeant le congéréservé au père. Et ce, mêmesi le Québec est une figure deproue en Amérique du Norden ce qui a trait au congé depaternité de cinq semainesqui ne peut être transféré à lamère.

D’ailleurs, la semaine der-nière lors d’un voyage en Inde,le premier ministre du CanadaJustin Trudeau a évoqué lapossibilité de créer un congéde paternité pour tout le paysen s’inspirant du modèle qué-bécois afin de réduire la per-ception que c’est la femme quidoit prendre soin du bébé.

« Il faut valoriser davantagela paternité, affirme MarilyseHamelin. C’est lors du congéparental que les habitudes seprennent et que les compé-tences parentales se dévelop-pent. Allonger le congé ré-ser vé au père serait le meil-leur moyen d’ar river à uneréelle coparentalité, qui vien-drait assurer une meilleureégalité entre les sexes pour lesgénérations futures. »

La première violenceorganisationnelle introduite dans le système de la santé a été les heuressupplémentaires obligatoiresShirley Dorismond, infirmière clinicienne en santé communau-taire et vice-présidente sociopolitique et solidarité à la FIQ

«»

ISTOCK

Shirley Dorismond, infirmière clinicienne en santé communautaire etvice-présidente sociopolitique et solidarité à la FIQ, rappelle que lamoitié des infirmières québécoises œuvrent à temps partiel.

GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR

« Rien ne me fait plus rager qu’un conjoint qui dit qu’il aide à la maison. Il n’aide pas sa conjointe, il fait ce qu’ila à faire ! » affirme l’auteure, journaliste et conférencière Marilyse Hamelin.

ENTREVUE

En finir avec la division sexuelle des responsabilités parentalesLa conciliation travail-famille est-elle un concept sexiste ? L’auteure, journaliste et conférencière Marilyse Hamelin répond.

Page 8: C Journée internationale des femmes - ledevoir.com · blié, en 2017, un dépliant des-tiné à ses syndicats et à ses or-ganisations. On y explique ce qu’est l’ADS et comment

J O U R N É E I N T E R N A T I O N A L E D E S F E M M E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 E T D I M A N C H E 4 M A R S 2 0 1 8C 8

La valeur des secteurs d’emploi à prédomi-

nance féminine est-elle toujours sous-esti-

mée au Québec? C’est ce que juge l’Alliance

du personnel professionnel et technique de

la santé et des services sociaux (APTS).

E M I L I E C O R R I V E A U

Collaboration spéciale

R egroupant la majorité du personnel profes-sionnel et technique du secteur public de la

santé et des ser vices sociaux du Québec,l’APTS compte aujourd’hui plus de 52 000membres. Constituée à 86 % de femmes, l’Al-liance s’intéresse de près aux questions rela-tives à la ségrégation professionnelle et à la va-lorisation des secteurs d’emploi à prédomi-nance féminine.

« C’est un sujet qui nous préoccupe beau-coup, indique Marie-Claude Raynault , secré-taire au comité exécutif national de l’APTS. Onconsidère que le gouvernement ne tient pas as-sez compte de l’existence de la ségrégation pro-fessionnelle et on pense que c’est source dediscrimination. On est en train d’étudier çapour tenter de le démontrer. »

D’après Mme Raynault, la sous-estimation de lavaleur des secteurs d’emplois à prédominanceféminine se traduit de multiples façons et causedifférents types de préjudices aux travailleuses.

«Ça touche bien sûr le salaire, mais ce n’estpas tout, assure-t-elle. Prenons l’exemple du rem-boursement de la cotisation à l’ordre profession-nel. Dans divers domaines, la cotisation des em-ployés de l’État est remboursée par l’employeur.Dans les secteurs majoritairement féminins, onremarque que c’est moins souvent le cas.»

Mme Raynault donne également l’exempledes stages non rémunérés plus fréquents dansles secteurs à prédominance féminine, en santé

et en services sociaux notamment, que dansceux à prépondérance masculine.

«Ce n’est pas normal que des doctorantes enpsychologie aient dû faire la grève pour que leurstage soit rémunéré, soutient-elle. On ne demandepas aux étudiants en droit ou en génie de faire desstages non rémunérés! Des différences de condi-tions comme celles-là, on en note plusieurs quandon se met à comparer les secteurs d’emploi à pré-dominance féminine avec les autres.»

La Loi sur l’équité salarialeRappelons qu’en 1996, le gouvernement du

Québec a adopté une loi pour corriger la dis-

crimination systémique à l’égard des emploismajoritairement féminins, la Loi sur l’équitésalariale. Celle-ci vise à combler les écarts sa-lariaux à l’égard des personnes qui œuvrentdans des catégories d’emplois à prédomi-nance féminine.

L’application de l’équité salariale est réaliséeen évaluant les équivalences entre les emplois àpartir de quatre critères : les qualifications re-quises, les responsabilités assumées, les ef-forts exigés et les conditions de travail.

Bien que l’APTS considère que l’adoption dela Loi sur l’équité salariale ait permis auxfemmes de faire des gains importants, elle est

d’avis que cette dernière comporte des lacunesqui empêchent des Québécoises d’accéder àune réelle équité salariale.

«Il y a un biais discriminatoire dans cette loi-làparce qu’elle ne tient pas compte de la ségréga-tion professionnelle, précise-t-elle. On compareles emplois des hommes et des femmes au seinmême d’un secteur qui est déjà discriminé, car ilest à prédominance féminine. C’est le cas ensanté et services sociaux ainsi qu’en éducation.»

Une question de volonté?L’APTS estime que, s’il le désirait, le gouver-

nement provincial pourrait réduire les écartsqu’elle dénote entre les travailleuses et travail-leurs québécois.

« Dans un premier temps, il faudrait que legouvernement reconnaisse que la valeur dessecteurs d’emplois féminins est toujours sous-estimée, soutient Mme Raynault. Il faudrait aussiqu’il améliore la Loi sur l’équité salariale pourqu’elle tienne mieux compte de la ségrégationprofessionnelle. »

L’APTS croit que le gouvernement québé-cois devrait également procéder à une analysedifférenciée selon les sexes lors de l’élabora-tion de ses budgets. Permettant de discernerde façon préventive les ef fets distincts quepeut avoir l’adoption d’une mesure sur lesfemmes et les hommes, elle a pour objectif deréduire les incitatifs qui tendent à perpétuerles iniquités entre les sexes.

« L’analyse dif férenciée selon les sexes estcensée faire partie des pratiques du gouverne-ment, mais ça ne semble pas se faire aux fi-nances, déplore Mme Raynault. Pourtant, le gou-vernement a tous les outils nécessaires pourexercer ce genre d’analyse ; le Secrétariat à lacondition féminine a l’expertise pour le faire.Donc le problème, si ce n’est pas les moyens,est-ce que c’est la volonté?»

La ségrégation professionnelle, source de discrimination?L’APTS s’inquiète de la sous-valorisation des secteurs d’emploi à prédominance féminine

J E A N - F R A N Ç O I S V E N N E

Collaboration spéciale

E n novembre dernier, la Fé-dération autonome de l’en-

seignement (FAE) rassemblaitses personnes déléguées surle thème «Pour garder l’équili-bre ». Le choix de ce thèmen’était bien sûr pas innocent.Un quart des enseignants quit-tent leur métier dans les cinqpremières années. Parmi ceuxet celles qui s’absentent en rai-son d’invalidité, plus de quatresur dix (43 %) le font en raisond’une maladie reliée à la santémentale.

« C’est inquiétant et nousvoulions creuser la questionavec nos 300 délégués de syn-dicats affiliés, explique JoanneBertrand, enseignante au pré-scolaire et au primaire et vice-présidente au secrétariat et àla trésorerie de la FAE. Or,nos délégués nous ont parlédu poids du trop et du poidsdu manque.»

C’est-à-dire ? Le stress in-tense et la détresse vécus parplusieurs enseignantes et en-seignants viendraient à la foisd’un excès (trop d’élèves parclasse, trop d’élèves en dif fi-culté, trop de comptes à ren-dre, etc.) et d’un manque (pasassez de ressources, de recon-naissance sociale, de soutienpolitique, etc.).

Le piège du don de soiLoin de se résorber, le dés-

équilibre entre l’ampleur de latâche et la minceur du soutienaurait plutôt tendance à secreuser d’année en année.Joanne Bertrand se demandesi le fait qu’il s’agisse d’un mé-tier à prédominance fémininene jouerait pas dans le peud’empressement démontré àcorriger la situation. La FAEregroupe huit syndicats, les-quels représentent plus de34 000 enseignantes et ensei-gnants. Environ trois mem-bres de la FAE sur quatre sont

des femmes. « Dans ce genrede métier, on parle souvent devocation et de don de soi, rap-pelle-t-elle. Or, le don de soipeut être une qualité, mais ilest aussi facile d’en abuser. »

Elle donne l’exemple desproblèmes de santé admissi-bles à la Commission desnormes, de l’équité, de lasanté et de la sécurité du tra-

vail (CNESST). Les maladiesreconnues pour une prise encharge de la CNESST sontsouvent des problèmes phy-siques liés à des risques pré-dominants dans les métierstraditionnellement occupéspar des hommes. Autrementdit, si vous chutez d’un écha-

faudage sur un chantier deconstruction, ce sera consi-déré comme un accident detravail. Mais si votre classevous fait sombrer dans une dé-pr ess ion ou vous mène àl’épuisement professionnel, ilsera plus dif ficile de faire ac-cepter cela comme un acci-dent de travail.

Conséquemment, un grandnombre d’ensei-gnantes se tour-nent vers l’assu-rance salaire plu-tôt que vers laCNESST, mêmesi c’est claire-ment le travailqui les a ren-

dues malades. «Ainsi, ces pro-blèmes sont réduits à des en-nuis personnels et on n’en parlepas, du moins pas sous l’anglede la santé publique ou de lasanté et sécurité au travail», dé-plore Joanne Bertrand.

Il s’agit là d’une forme deviolence organisationnelle

pour la vice-présidente de laFAE, tout comme la banalisa-tion trop fréquente de la vio-lence de certaines élèves en-vers des enseignantes ou lemanque de ressources et desoutien. Cette situation res-semble étrangement à celleque vivent les infirmières. Lerecours à la « suppléance obli-gatoire », imposée dans cer-taines écoles en raison d’unmanque d’enseignants (ce se-rait particulièrement fréquentà Montréal), fait d’ailleurspenser à l ’ imposition desheures supplémentaires obli-gatoires dénoncée par les in-f i r m i è r e s . A u x y e u x d eJoanne Bertrand, cela ne faitque confirmer que les mi-lieux de travail à prédomi-nance féminine vivent touscertaines formes de violenceorganisationnelle.

« Les métiers dans lesquelson prend soin d’autres per-sonnes sont souvent trop peuvalorisés dans notre société, or

ce sont des métiers dans les-quels les femmes abondent.»

Désengagement de l’ÉtatÀ la source de ces violences

organisationnelles, il y auraitaussi le désengagement del’État dans le financement desécoles publiques. Celui-ci pro-voque un manque de res-sources et une dévalorisationde l’expertise des enseignantset enseignantes, que ne vien-dra certainement pas pallier lacréation d’un Ordre d’excel-lence en éducation du Qué-bec, annoncée par le ministreSébastien Proulx le 22 févrierder nier. « Les enseignantssouhaitent que leur expertiseen pédagogie et leur autono-mie soient reconnues et ilsveulent compter sur davan-tage de ressources, mais leministre, lui, crée un prix dumeilleur professeur, déploreJoanne Bertrand. Plutôt quede faire des gestes concrets, illance des leurres. »

Les enseignantes en mal de reconnaissanceLes écoles publiques manquent de ressources

ISTOCK

« Ce n’est pas normal que des doctorantes en psychologie aient dû faire la grève pour que leur stage soitrémunéré. On ne demande pas aux étudiants en droit ou en génie de faire des stages non rémunérés ! » soutientMarie-Claude Raynault , secrétaire au comité exécutif national de l’APTS.

«Dans ce genre de métier, on parlesouvent de vocation et de don de soi. Or, le don de soi peut être une qualité,mais il est aussi facile d’en abuser.»

Page 9: C Journée internationale des femmes - ledevoir.com · blié, en 2017, un dépliant des-tiné à ses syndicats et à ses or-ganisations. On y explique ce qu’est l’ADS et comment

J O U R N É E I N T E R N A T I O N A L E D E S F E M M E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 E T D I M A N C H E 4 M A R S 2 0 1 8 C 9

Malgré une loi proactive, l’équité salariale au Québec n’est

toujours pas atteinte. Les changements de 2009 ont

même affaibli la portée de la loi, selon le Syndicat cana-

dien de la fonction publique (SCFP), qui est en attente

d’une décision concernant sa modification.

ÉQUITÉ SALARIALE

L’égalité de salaires au cœur de la lutteIl reste encore du chemin à faireau Québec

SERVICES DE GARDE

Les luttes oubliéesParce que les « p’tites madames » ont autant de droits que les autres

A L I C E M A R I E T T E

Collaboration spéciale

«L’équité salariale aide lesfemmes, et pour beau-

coup cela semble fait au Qué-bec, mais ce n’est absolumentpas le cas », lance d’embléeEdith Cardin, coordonnatricedu service de l’évaluation desemplois au SCFP. Elle souligneen outre le rôle majeur des syn-dicats dans la lutte pour l’équitésalariale : « Si les syndicatsn’avaient pas été là, la loi initialeadoptée en 1996 n’aurait pasvécu, elle n’aurait pas eu lieud’être, ce sont les syndicats quil’ont fait vivre.» Elle ajoute tou-tefois que les non-syndiquésn’arrivent pas à faire appliquerla loi et n’ont donc pas accès àl’équité salariale.

Une loi proactive«La loi telle qu’elle a été pré-

vue initialement nous satisfai-sait grandement, mais il y a eules changements de 2009, quiont fait qu’elle a régressé de-puis, cela a été un recul pourles femmes », explique de soncôté Josée Aubé, coordonna-trice du dossier des droits dela personne au Québec pour leSCFP. Elle dénonce avant toutle fait que, depuis 2009, l’em-ployeur n’est plus tenu de don-ner les informations aux sala-riés, puisque la loi prévoit laconfidentialité. « Nous ne pou-vons donc pas savoir s’il amaintenu l’équité ou si la dis-crimination a été réinsérée »,ajoute-t -el le. Accompagnéd’autres organisations syndi-

cales, le SCFP a contesté cenouveau régime de maintien.En octobre 2016, la Cour d’ap-pel du Québec a confirmé engrande partie la décision de laCour supérieure sur l’inconsti-tutionnalité de certaines par-t ies de la lo i , les jugeantcontraires à la Char te cana-dienne des droits et libertés età la Charte des droits et liber-tés de la personne sur la basede la discrimination fondéesur le sexe. Les conseillèressyndicales mettent particuliè-rement l’accent sur la rétroac-tivité, l’information aux em-ployés et la réintégration dessalariés pour le maintien.

En attente de décisionspour l’équité

Le Syndicat est donc à la foisen attente de la décision de laCour suprême et du rapportqui sera remis au gouverne-ment par le ministre en 2019,pour connaître l’avenir de cetteloi. « Il est vrai que c’est trèslong, mais pour l’instant nousavons gagné sur tous les pa-liers», rappelle Josée Aubé, af-firmant ainsi son optimismeconcernant les décisions fu-tures. « Tout le monde a ledroit à l’équité salariale, il fautse souvenir que cela découlede l’ar ticle 19, le constat del’échec du recours individuel,car les femmes ne le faisaientpas, ne portaient pas plainte,donc cela prend vraiment uneloi proactive comme au Qué-bec», ajoute-t-elle. En outre, au

PEDRO RUIZ LE DEVOIR

« Tout le monde a le droit à l’équité salariale, il faut se souvenir que celadécoule de l’article 19 », rappelle Edith Cardin, coordonnatrice du servicede l’évaluation des emplois au SCFP.

VOIR PAGE C 10 : ÉGALITÉ

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

Collaboration spéciale

E lles se sont syndiquées,ensuite une loi les en a em-

pêchées, puis après des an-nées de luttes, elles ont enfinpu reconquérir leurs droits.Mais aujourd’hui, cer tainesd’entre elles préfèrent reveniren arrière… Le parcours de lasyndicalisation des responsa-bles de service de garde en mi-lieu familial, les RSG, est par-semé d’embûches.

C’est en juin 2003 que legouvernement de Jean Cha-rest, alors en pleine réingénie-rie de l’État, a fait adopter laloi 8 empêchant les quelque15 000 éducatrices en milieufamilial de se syndiquer. Cetteinterdiction venait annuler nonseulement une décision ren-due en 2002 par un commis-saire du travail, mais aussicelle du Tribunal du travailqui, en 2003, confirmait ledroit de ces femmes de se syn-diquer. C’est alors qu’une ba-tai l le juridique se met enbranle et, en 2008, la Cour su-périeure du Québec déclare lalo i 8 incons t i tu t ionne l le .« Nous nous sommes battussur tous les fronts pour défen-dre ces travailleuses et obli-ger le gouvernement à recon-naître leurs droits. La CSQ atoujours soutenu les RSG,même au cours des cinq an-nées où le gouver nementCharest a nié leur droit à lasyndicalisation », lançait àl’époque Louise Chabot, quipilotait alors le dossier et oc-cupait le poste de vice-prési-dente à la CSQ. « C’était unelutte historique. C’est un desgrands moments de ma vie desyndicaliste et de féministeque d’avoir eu à lutter pour ça,en accompagnant et en soute-

nant des femmes qui étaientisolées dans leur maison,seules avec leur réalité », dit-elle aujourd’hui.

Une syndicalisationmassive

Dès que le jugement de laCour est tombé, le résultat aété foudroyant : en quelquesmois, la CSQ syndiquait 13 500des 15 000 RSG. Louise Cha-bot se souvient avoir bien sa-vouré sa victoire puisqu’un desarguments du gouvernementétait que, de toute façon, cesfemmes ne voudraient pas sesyndiquer.

Le cas des RSG est uniquedans l’histoire de la CSQ. Lorsde la création, en 1997, du ré-seau des services de garde àla petite enfance, on avait alorscréé deux catégories de tra-vailleuses, « celles qui travail-laient en CPE et toutes cesfemmes qui étaient à la maisonet qui participaient à la mêmemission, mais qu’on considé-rait comme des travailleusesde seconde zone », rappelleLouise Chabot.

Alors, dès le début, sansmême parler de syndicalisation,la CSQ a offert à ces femmesde se regrouper en leur propo-sant divers services. « Rapide-ment, on s’est aperçus que lestatut de travailleuses auto-nomes qu’on leur avait attribués’apparentait de plus en plus àcelui de salariées. Il y a eu alorsune volonté de la part de cesfemmes de se faire reconnaî-tre», raconte Louise Chabot.

S’il est vrai que les femmesdu secteur des ser vices degarde s’associaient doucementdans les années précédant laloi 8, cette dernière est venuerévoquer les quelques accrédi-tations syndicales déjà obte-nues. Elle agissait rétroactive-

ment , et « l ’ensemble desdroits minimaux du travailétaient brimés. De plus, on adémontré qu’on discriminaitles femmes puisque c’était 95%d’entre elles qui ef fectuaientce travail».

Malgré des gains de plus enplus fréquents devant les tri-bunaux, le gouver nementcontestait les jugements, etce, jusqu’à la campagne élec-torale de 2008 : « C’est alorsque les contestations devantles tribunaux se sont ar rê-tées », rappelle la présidentepour qui résonnent encore lescommentaires de certains élusqui argumentaient en parlantdes «p’tites madames à la mai-son qui gardent des enfantstout en faisant leurs p’titesbrassées de lavage».

De telles percées dans le do-maine des emplois typique-ment féminins ont contribué àfaire qu’au Québec, le taux desyndicalisation des femmesest sensiblement le même quecelui des hommes. Selon uneétude de l’Institut de la statis-tique du Québec publiée en2015, la province compte 39 %de main-d’œuvre syndiquée,soit 700 000 travailleurs et680 000 travailleuses. Quandon compare ces chif fres àceux de la France, on constatelà-bas un écart de plus de 3 %en faveur des hommes.

Un certain essoufflement« Quand on sou l igne le

8 mars, ça vaut la peine de sesouvenir que la marche pour lasyndicalisation, pour l’égalitéet pour l’équité des femmespeut par fois être longue »,lance Louise Chabot en préci-sant qu’il y a encore beaucoupde travail à faire dans le do-maine des services de garde.

Aujourd’hui, à peine 30% destravailleuses de tous les ser-vices de garde confondus sontsyndiquées : « Quand on re-garde le gouvernement malme-ner le réseau public, on se de-mande si les gains des der-nières années vont perdurer.»Louise Chabot affirme que cesquestions se posent à partir dumoment où des politiquesmises en place comme la modu-lation des tarifs et la grande ac-cessibilité aux ser vices degarde privés menacent la péren-nité du réseau public. Au-jourd’hui, il est plus facile etsouvent moins coûteux de choi-sir un service de garde privé :«On a vu beaucoup de RSG sedésengager du réseau public etdes services subventionnés. »Ces dernières, voyant les pa-rents déserter leurs milieux degarde, n’hésitent pas à reveniren arrière pour pouvoir conti-nuer à exploiter leur garderie.«C’est un véritable recul pourles femmes.»

En 2018, on célèbre le 10e anniversaire d’un jugement abo-

lissant la loi 8, qui empêchait la syndicalisation des respon-

sables de services de garde en milieu familial. Louise Cha-

bot, présidente de la Centrale des syndicats du Québec

(CSQ), y était.

ISTOCK

Aujourd’hui, à peine 30 % des travailleuses de tous les services de gardeconfondus sont syndiquées .

Page 10: C Journée internationale des femmes - ledevoir.com · blié, en 2017, un dépliant des-tiné à ses syndicats et à ses or-ganisations. On y explique ce qu’est l’ADS et comment

J O U R N É E I N T E R N A T I O N A L E D E S F E M M E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 3 E T D I M A N C H E 4 M A R S 2 0 1 8C 10

Pour le respect de la population et de nos conditions d’exercice

fédéral, le gouvernement a an-noncé être pour une loi proac-tive. « Nous trouvons tout demême que ça tarde, et il pour-rait y avoir des regroupementspour essayer de faire des pres-sions, pour que cela ne soit pasun vœu pieux », ajoute EdithCardin.

Selon les conseillères, ils’agit aujourd’hui d’un combatjuridique de tous les instants,et les plaintes se multiplientpour le SCFP. «Comme la loi achangé en 2009 pour enleverla par ticipation des salariés,pour permettre à l’employeurde faire l’exercice tout seul, ilne nous donne pas l’informa-tion nécessaire pour que l’onvérifie si ef fectivement lemaintien se poursuit, donc

nous sommes obligés de fairedes recours juridiques au tri-bunal administratif du travailpour aller voir les informa-tions», décrit Josée Aubé.

Service innovateurPar ailleurs, les conseillères

tiennent à rappeler que, àl’époque, le SCFP a été l’un despremiers syndicats à embau-cher une personne conseillèreafin d’étudier la loi, pour com-prendre son impact. « Nousnous sommes aperçus quenous n’avions pas les outilspour commencer à appliquer laloi, donc le SCFP a créé unplan après de nombreusesconsultations, raconte EdithCardin. Un outil d’évaluation,dont s’est d’ailleurs inspirée laCommission par la suite.» Mal-gré tout, la mise sur pied de ceservice d’évaluation et d’équitésalariale a pu être mal com-prise à l’époque. «Il y avait euquelques contestations, car cela

s’adressait seulement auxfemmes», se souvient la conseil-lère. Pour tant, ce ser vice a

permis de faire vivre la loipar tou t au Québec e t defaire augmenter substantiel-

lement le salaire des femmesen milieu syndiqué. « En toutcas, tout le monde doit faire vi-

vre cette loi , et pas seule-ment les syndicats », conclutEdith Cardin.

SUITE DE LA PAGE C 9

ÉGALITÉ

J E A N - F R A N Ç O I S V E N N E

Collaboration spéciale

«L es femmes avec les-quelles nous collabo-

rons dans ces pays n’ont pasattendu notre ar rivée pours’activer, elles sont déjà enga-gées dans des projets, ex-plique Maude Champagne,conseillère en gestion de pro-j e t en env i r onnement deSUCO. Nous les appuyonsdans le renforcement de cer-taines capacités et la créationde structures solides pour pé-renniser leurs activités. »

F o n d é e n 1 9 6 1 , S U C Omène des projets de dévelop-pement durable au BurkinaFaso, en Haïti, au Honduras,au Mali, au Nicaragua, au Pé-rou et au Sénégal. C’est juste-ment dans la région de Dakarque se trouvait Maude Cham-pagne lors de l’entrevue avecLe Devoir. Elle y a effectué ré-cemment un mandat en entre-preneuriat féminin agroenvi-ronnemental auprès de Séné-galaises dans une ferme avi-cole. Il s’agissait de renforcerles capacités de gestion deprojet des femmes et de lesappuyer dans le développe-ment d’activités de formationen entrepreneuriat.

Le projet a modifié certainespratiques commerciales. Audépart, les femmes vendaientleurs poulets et leurs œufs àdes intermédiaires, et non di-rectement sur les marchés. Lacréation de comités de gestionet de commercialisation a

mené à une révision de cespratiques. Les femmes ont ci-blé des commerces commedes boulangeries ou des res-taurants, auxquelles elles ven-dent désormais directement.Elles gagnent plus d’argentbien sûr, mais l’exercice leur aaussi permis de développerdes compétences transféra-bles à d’autres domaines deleur vie, notamment des quali-tés de leadership.

«Ensemble, nous avons aug-menté leur degré d’autonomieéconomique, se réjouit MaudeChampagne. Elles sont aussiplus actives dans la gestion de laferme et la commercialisation.»

Formation et animationDe son côté, c’est du Nicara-

gua que nous a parlé Marie-Hé-lène Lajoie, conseillère en éga-lité entre les femmes et leshommes chez SUCO. Elle y faitde l’appui institutionnel auprèsde quatre organismes parte-naires, comme des coopérativesfinancières et agricoles. « Jeviens en soutien à leur travailpour mieux intégrer l’égalité en-tre les femmes et les hommesdans leurs projets, explique lacoopérante. Il s’agit notammentde faire de la formation auprèsdes employés et des responsa-bles des organismes, et d’élabo-rer des politiques organisation-nelles et des plans d’actiond’égalité hommes-femmes.»

Parfois des liens plus étroitsse forment avec des femmesqui partagent ces préoccupa-tions. Cela génère d’intéres-

santes collaborations. Marie-Hélène Lajoie donne en exem-ple une travailleuse d’une or-ganisation nicaraguayenned’agriculture et de développe-ment rural, désireuse de maxi-miser le développement de sescompétences sur les questionsd’égalités entre les femmes etles hommes.

«Nous avons travaillé ensem-ble à développer ses capacitésd’animation de groupe, raconte-t-elle. Elle a ensuite développéune grande activité de sensibili-sation dans une communauté

rurale assez isolée et éloignée,dans le cadre de la Journée in-ternationale de la femme ru-rale, qui a rassemblé plus d’unecentaine de femmes.»

Les femmes présentes ontété sensibilisées aux questionsd’égalité hommes-femmes,mais aussi à l’importance des’engager dans la gestion com-munautaire des ressources na-turelles et surtout de l’eau.

Accompagner des battantes

Ces mandats i l lus t r ent

bien le rôle des coopérantset coopérantes volontaire deSUCO. « Nous prônons uneappr oche d ’ accompagne -ment et de proximité, rap-pel le Éléonore Durocher-Bergeron, agente de pro -gramme, volontariat. Nos vo-lontaires accompagnent desorganisations de la sociétécivile dans l’analyse de be-soins, la formation de groupeou encore la création d’ou-tils, mais toujours dans uneoptique de pérennité. Il fautque l’organisme s’approprie

ce qui a été développé etpuisse continuer de l’utiliserquand nous serons partis. »

SUCO compte présentement56 % de femmes parmi ses vo-lontaires sur le terrain et 83 %de femmes dans son pr o -gramme de stages internatio-naux pour les jeunes de moinsde 30 ans. La question de l’éga-lité entre les hommes et lesfemmes traverse toutes ses ac-tivités. Cela se traduit notam-ment par la mise sur pied destructures de gouvernance etde politiques institutionnelles.

Éléonore Durocher-Bergerondonne l’exemple de PROGA-Jeunes, au Nicaragua. Cet ambi-tieux programme vise la forma-tion technique en agroécologied’environ 2000 jeunes produc-teurs et productrices agricoles.Dès le départ, un comité surl’égalité hommes-femmes a étémis en place. Il a permis de dis-cuter de différents concepts etde renforcer les capacités deséquipes de travail par rapport àla sensibilisation. L’équipe lo-cale du projet était paritaire.Près de la moitié (45 %) desjeunes formés étaient desfemmes. Une proportion simi-laire (43%) ont reçu des infra-structures.

« C’est tellement stimulantde travailler avec les femmesdans ces pays , t émoigneMaude Champagne. Ce sontdes battantes, très engagées.Leurs ef for ts ne visent pasqu’à améliorer leur propresor t, mais celui de tout leurvillage. »

SUCO

Des femmes d’ici et d’ailleurs unissent leurs forcesLa quête de l’égalité hommes-femmes traverse tous les projets

JACINTHE MOFFAT

Une productrice agricole nicaraguayenne, en pleine foire alimentaire, qui a participé au projet PROGA-Jeuneset qui a démarré sa propre entreprise de produits agroalimentaires issus de l’agriculture écologique.