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Comment Peut-on Penser la Continuite de l’enseignement de la geometrie de 6 a 15 ans ? Le jeu sur les supports et les instruments Marie-Jeanne Perrin-Glorian, laboratoire de Didactique andré revuz anne-Cécile Mathe, laboratoire de Mathématiques de lens régis leClerCq, inspecteur de l’ education nationale REPERES - IREM. N° 90 - janvier 2013 d’articles, notamment dans Repères-IREM, qui les abordent sous un angle ou un autre. Les auteurs du présent article sont, comme la plupart des auteurs des autres articles qui ont abordé le sujet, convaincus de l’intérêt de l’enseigne- ment de la géométrie dans la scolarité obliga- toire. Mais beaucoup des articles existants s’intéressent à la géométrie dans le secondai- re, quelques-uns au primaire ou à la formation des enseignants du primaire. L’originalité du pro- pos est ici de s’intéresser à la continuité entre l’école primaire et le collège et donc d’essayer de penser le lien entre les objets matériels et les objets géométriques. D’autres ont abordé le sujet avant nous, notamment Rouche (voir Introduction Qu’appelle-t-on géométrie ? La question se pose de façon assez cruciale quand on s’inté- resse à la continuité de l’enseignement au long de la scolarité obligatoire. De quel objet parle- t-on quand on déclare à un enfant de CP ou à un élève de troisième qu’il s’agit d’un rec- tangle ou d’une droite ? Est-ce le même objet ? Sinon comment se construisent les liens entre les deux objets ? Peut-on dire que l’on fait de la géométrie à l’école primaire ? Et finalement à quoi sert l’enseignement de la géométrie ? Quel est l’intérêt de lui faire une place dans l’ensei- gnement obligatoire, pour tout un chacun ? Quelle place lui faire ? Ces questions ne sont pas nouvelles. On peut trouver beaucoup 5 Résumé : L’article propose une réflexion sur l’enseignement de la géométrie dans la scolarité obli- gatoire, du CP à la troisième en réfléchissant notamment au rôle que peuvent jouer les instruments, pour faire évoluer et enrichir le regard porté sur les figures, particulièrement à la transition école - collège, permettant de passer du regard ordinaire qu’on porte sur un dessin au regard géométrique qu’on porte sur une figure. Cet article est également consultable en ligne sur le portail des Irem (onglet : Repères IREM) : http://www.univ-irem.fr/)

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Comment Peut-on Penser la Continuite de

l’enseignement de la geometrie de 6 a 15 ans ?

Le jeu sur les supports et les instruments

Marie-Jeanne Perrin-Glorian,

laboratoire de Didactique andré revuz

anne-Cécile Mathe,

laboratoire de Mathématiques de lens

régis leClerCq,

inspecteur de l’education nationale

REPERES - IREM. N° 90 - janvier 2013

d’articles, notamment dans Repères-IREM, quiles abordent sous un angle ou un autre. Les auteursdu présent article sont, comme la plupart desauteurs des autres articles qui ont abordé lesujet, convaincus de l’intérêt de l’enseigne-ment de la géométrie dans la scolarité obliga-toire. Mais beaucoup des articles existantss’intéressent à la géométrie dans le secondai-re, quelques-uns au primaire ou à la formationdes enseignants du primaire. L’originalité du pro-pos est ici de s’intéresser à la continuité entrel’école primaire et le collège et donc d’essayerde penser le lien entre les objets matériels et lesobjets géométriques. D’autres ont abordé lesujet avant nous, notamment Rouche (voir

Introduction

Qu’appelle-t-on géométrie ? La question sepose de façon assez cruciale quand on s’inté-resse à la continuité de l’enseignement au longde la scolarité obligatoire. De quel objet parle-t-on quand on déclare à un enfant de CP ou àun élève de troisième qu’il s’agit d’un rec-tangle ou d’une droite ? Est-ce le même objet ?Sinon comment se construisent les liens entreles deux objets ? Peut-on dire que l’on fait dela géométrie à l’école primaire ? Et finalementà quoi sert l’enseignement de la géométrie ? Quelest l’intérêt de lui faire une place dans l’ensei-gnement obligatoire, pour tout un chacun  ?Quelle place lui faire ? Ces questions ne sontpas nouvelles. On peut trouver beaucoup

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Résumé : L’article propose une réflexion sur l’enseignement de la géométrie dans la scolarité obli-gatoire, du CP à la troisième en réfléchissant notamment au rôle que peuvent jouer les instruments,pour faire évoluer et enrichir le regard porté sur les figures, particulièrement à la transition école -collège, permettant de passer du regard ordinaire qu’on porte sur un dessin au regard géométriquequ’on porte sur une figure.

Cet article est également consultable en ligne sur le portail des Irem

(onglet : Repères IREM) : http://www.univ-irem.fr/)

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Rouche et al. 2008), ainsi que Berthelot et Salin(2001) et Salin (2008) dans la suite desquels nousnous situons.

Dans une première partie, nous nous inté-resserons aux rapports entre espace sensible etespace géométrique avant de nous interroger dansune deuxième partie sur la continuité du primaireau collège et les moyens de faire évoluer les objetsgéométriques pour les élèves. Dans la troisiè-me partie, nous nous intéresserons au cas de lasymétrie orthogonale qui est enseignée de la mater-nelle à la sixième et fait intervenir tous lesobjets géométriques et toutes les propriétésintroduites dans le programme de sixième.

I. — Espace géométrique et espace sensible

La question des rapports entre mathéma-tiques et réalité se pose particulièrement dansl’enseignement de la géométrie, et sous plusieursaspects. Elle est indissociable des objectifs quel’on assigne à cet enseignement dans un tronccommun destiné à toute une classe d’âge. Nouscommencerons par poser le problème en l’illus-trant par deux extraits de manuels à cinquanteans de distance.

1.1. Objets matériels et objets géométriques.Deux exemples extraits de manuels

Un coup d’œil rapide sur les manuels nousmontre que la façon de traiter, au début del’enseignement secondaire, les rapports entre géo-métrie et monde sensible a évolué au cours duvingtième siècle. Dans les années cinquante (àcette époque une faible partie de la populationaccède à l’enseignement secondaire), on s’appuiesur des objets du monde sensible pour définirles objets premiers de la géométrie et on énon-ce quelques principes de base qu’on admet etqui sont, explicitement ou non, reconnus commeaxiomes.

Ainsi, dans le Monge et Guinchan de 5ème

de 1958, peut-on lire, à propos de la droite, l’ex-trait de la page ci-contre.

On voit apparaître les objets matériels(l’aiguille à tricoter, les trous dans la boîte), l’ins-trument (la règle, non graduée), les tracés, lesobjets géométriques (points, droites) et les rela-tions entre eux (propriétés admises ou axiomes).Les propriétés sont énoncées sur les objets géo-métriques, dans le langage de la géométriemais elles le sont à partir de propriétés desobjets matériels ou d’expériences et d’observationssur les objets matériels et les tracés. La maniè-re de nommer une droite par deux de ses pointsest indiquée aussi.

Le passage des objets matériels aux tracésgraphiques et aux propriétés des objets géo-métriques est supposé transparent et négocié parostension assumée (Salin, 1999). Il est relié àl’usage des instruments de tracé (la règle dansla figure 1). On a un appui sur des manipula-tions physiques conçues pour illustrer lesconcepts géométriques et guidées par la pro-gression logique des concepts qu’il s’agit de pré-senter. Cependant, il n’y a pas d’appui surl’expérience que peuvent avoir les élèves eton ne s’inquiète pas de savoir comment a étéconstruite cette expérience : tout ce qui précè-de, en primaire et en sixième, est basé sur lenombre et la mesure. Cependant on s’inquiètede la construction des grandeurs et des opéra-tions sur les grandeurs (par exemple, l’additionde longueurs par mise bout à bout de seg-ments). Ce que l’on voit sur la figure n’est pasmis en doute.

Dans les manuels actuels (qui s’adressenten principe à toute une classe d’âge), les objetsgéométriques sont en général supposés déjàlà, on se méfie de ce qu’on voit sur la figure (lesdroites semblent parallèles ou perpendiculaires,c’est un codage qui permettra de dire qu’elles

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Figure 1. Extrait du manuel Monge et Guinchan de 5ème, 1958

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le sont, par exemple, parce qu’on en a faitl’hypothèse). Les rapports entre géométrie théo-rique et objets physiques sont pudiquementpassés sous silence et la question des rapportsentre espace sensible et espace géométriquen’est pas vraiment abordée dans les manuelscomme le montrent Berthelot et Salin (2001),ce qui fait que, comme le disaient déjà AlainDuval et Marie-Hélène Salin (Duval et Salin,1991), « y’a un malaise ».

En revanche, on introduit un grand nombrede notations et codages. Le vocabulaire ensem-bliste et les notations introduites dans l’enseignementà partir des années 1970 sont utiles pour lesmathématiques en général et permettent de pré-ciser et d’alléger les formulations en géomé-trie ; nous ne remettons pas en cause leur ensei-gnement mais il nous semble que leur introductionen sixième ne devrait pas occulter le reste.

Comme on ne peut pas se passer de figures pourfaire de la géométrie, même si on a essayé d’enminorer la nécessité à l’époque des mathématiquesmodernes, le rapport à l’espace sensible, dans lecas de la géométrie plane, se limite en généraldans l’enseignement au rapport à l’espace gra-phique des tracés sur papier ou sur écran d’ordi-nateur et, comme il est difficile de faire entrerles élèves dans le rapport à la figure d’un mathé-maticien expert, on leur apprend à s’en méfiermais pas à l’utiliser de façon opératoire. Berthelotet Salin l’illustraient à partir de plusieurs manuelsdes années 1990-2000. Dix ans plus tard, cela n’apas vraiment changé.

Voici, à titre d’exemple, les deux activitésconstituant la première page du premier chapitrede géométrie du manuel Bordas de 6ème, édi-tion 2009 (les codages sont introduits dans lespages qui suivent).

Figure 2. Extrait du manuel de Sixième, Bordas, édition 2009

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La première activité s’intitule « pour revoir ».Pourtant on y trouve déjà toutes les notationsqui seront introduites ensuite. Rien n’est spé-cifié sur la manière dont on peut trouver et jus-tifier la réponse : à l’œil par perception direc-te ou en se servant des instruments ? Pour lesquestions 1, 2, 5, le verbe « sembler » renvoiepeut-être à la perception directe. Mais pour lesquestions 3 et 4 il disparaît ; cela signifie-t-ilqu’on peut se fier au compas ou à la règle gra-duée pour comparer des longueurs, que le faitqu’un point (D) appartienne à un cercle peut selire sur la figure ? L’activité suivante qui se pré-sente comme la première activité pour introduiredu nouveau, est centrée sur des notations etdes manières de dire...

1.2. Finalités de l’enseignement de la géométrie dans la scolarité obligatoire

Les premiers chapitres de géométrie desmanuels de sixième commencent encore le plus

souvent par l’introduction du vocabulaire etdes notations ensemblistes comme si on vou-lait le plus vite possible arriver à des manièresde dire et d’écrire qui assureront la rigueur desdémonstrations, dégagée de l’intuition appor-tée par l’expérience spatiale dont disposent lesélèves. Pourtant, l’enseignement de la géomé-trie pour tous a nécessairement au moins deuxfinalités : l’enseignement d’un savoir géomé-trique, c’est-à-dire d’un cadre théorique cohé-rent, régi par une axiomatique (explicite ounon), mais aussi l’utilisation de ce cadre pourrésoudre des problèmes concrets. Il en a aussiune troisième : la géométrie comme moyen dereprésentation pour d’autres champs de savoir,y compris à l’intérieur même des mathéma-tiques, ce qu’on appelle parfois la pensée géo-métrique ou l’intuition géométrique, consti-tuant un puissant outil heuristique par le fait quel’on peut transférer dans ces champs des intui-tions issues de notre rapport à l’espace (cf.jeux de cadres, Douady, 1987, 1994). Le rap-port de la commission Kahane (2002) donne bien

Figure 3. Extrait du manuel de Sixième, Bordas, édition 2009

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tous ces objectifs à l’enseignement de la géo-métrie en y ajoutant l’apprentissage du raison-nement qui, pour nous, ne se résume pas àl’apprentissage de la démonstration. Ce n’estpas l’aspect que nous mettons en avant dans cetarticle mais il est bien sûr très important aussià nos yeux.

Nous choisissons d’insister sur les rap-ports entre la finalité pratique et la finalité théo-rique de la géométrie car elles sont souventvécues comme antinomiques voire contradic-toires dans l’enseignement alors que, selonnous, elles devraient pouvoir s’enrichir mutuel-lement  : pour que les savoirs géométriquespuissent aider à résoudre des problèmes qui seposent dans l’espace, les axiomes qui ont per-mis à Euclide de définir un cadre théoriquecohérent pour la géométrie il y a plus de 2000ans n’ont pas été choisis au hasard : ils permettentde modéliser des problèmes qui se posent dansl’espace sensible. Comment les élèves pourront-ils se servir de leur savoir géométrique à l’exté-rieur des mathématiques et se créer une intui-tion géométrique utile ailleurs si on n’abordepas la question des rapports entre géométrie etréalité ? En 1955, Fréchet 1 écrivait déjà :

Ma conclusion est qu’il faut donccesser d’enseigner une géométriequ’on ne s’est pas donné le droitd’appliquer à la réalité. La géomé-trie qu’on enseigne est une géométrietronquée, parce que réduite à sa par-tie axiomatique. Il faut, sans y consa-crer longtemps, prononcer les motsnécessaires pour que les élèves aiententre les mains une géométrie appli-cable, une géométrie totale.

Comme le rappelle Bkouche (2009) 2, « onpeut considérer la géométrie élémentaire commel’étude des corps solides du point de vue de lagrandeur et de la forme. Son premier objectif

est donc de préciser les notions de grandeur etde forme ». Bkouche souligne aussi que c’estla limite aussitôt rencontrée de la définition del’égalité par le principe de superposition (com-ment superposer deux objets de l’espace ?) quiamène la nécessité de donner des critères pourassurer que deux objets sont superposablessans avoir besoin de réaliser matériellementl’opération.

De leur côté, Berthelot et Salin (2001)insistent sur le fait que l’acquisition des savoirsgéométriques et la résolution de problèmes degéométrie s’appuient sur la maîtrise de connais-sances spatiales que l’élève construit depuisson enfance à l’école et hors de l’école. La dis-tinction entre espace sensible et espace géo-métrique et celle entre connaissances géomé-triques et connaissances spatiales les amènentà distinguer trois problématiques dans l’ensei-gnement de la géométrie élémentaire : la pro-blématique géométrique qui correspond à unerésolution de problème dans le modèle théoriquede la géométrie, avec une validation théoriquepar un discours (la démonstration), la problé-matique pratique qui correspond à une résolu-tion de problème dans l’espace sensible avecdes moyens de l’espace sensible et une validationdans l’espace sensible et la problématique demodélisation ou spatio-géométrique qui correspondà un problème de l’espace sensible qu’on repré-sente dans le modèle théorique, pour lequel onmet en œuvre des résultats théoriques maisqu’on valide au final dans l’espace sensible. Cetteproblématique nous paraît très intéressantepour penser, dans l’enseignement, les rapports

1 Fréchet M. (1955) Les mathématiques et le concret, PUF,Paris, cité par Berthelot et Salin (2001).2 Nous partageons totalement la vision de la géométrie expo-sée dans cet article de synthèse de R. Bkouche, mais nousne partageons pas la vision de la didactique qui transpa-raît à travers les articles antérieurs donnés en référence enappui de cet article.

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entre espace sensible et espace géométrique, géo-métrie à finalité pratique et géométrie théo-rique, et notamment pour penser un enseigne-ment cohérent de la géométrie au long de lascolarité obligatoire, ce qui, selon nous, néces-site de considérer sérieusement les deux aspectset de les mettre en relation avec le développe-ment de l’enfant. La notion de problématique,au sens que lui donnent Berthelot et Salin, nousparaît productive pour les questions que nousabordons dans la mesure où elle met l’accentsur les problèmes qui sont susceptibles de faireévoluer les conceptions et les pratiques.

Il nous faut aussi considérer que l’ensei-gnement obligatoire s’adresse à tous les élèves,aussi bien ceux qui vont poursuivre leur cursusdans l’enseignement général qu’à ceux qui sedirigeront vers l’enseignement professionnel.Peu de travaux de didactique se sont pour l’ins-tant intéressés aux besoins en mathématiquesde l’enseignement professionnel et à la ques-tion de la cohérence entre l’enseignement desmathématiques au collège et dans l’enseigne-ment professionnel mais nous soupçonnonsque la question des rapports entre espace sen-sible et espace géométrique est très importan-te dans cette perspective aussi.

Alain Kuzniak et Catherine Houdement 3,en s’appuyant sur les travaux de Gonseth 4,distinguent différents paradigmes5 pour la géo-métrie, notamment la géométrie I qui portesur des objets matériels, utilise des instrumentsde tracé ou de mesure et a des visées pratiques,voire théoriques mais alors finalisées par la pra-

tique (c’est donc en particulier celle qui seravalorisée dans l’enseignement professionnel)et la géométrie II ou axiomatique naturelle quiporte sur des objets idéels et des relations entreces objets, sur lesquels on a posé des axiomeset on établit des théorèmes. L’interprétation dela géométrie en termes de paradigmes leurpermet d’expliquer des malentendus entre pro-fesseur et élèves dans la résolution de pro-blèmes géométriques. Pour la question quinous occupe, la construction d’une progressioncohérente de l’enseignement de la géométrieau long de la scolarité obligatoire, ce sont sur-tout les relations entre ce qu’ils appellent géo-métrie I et géométrie II qui nous intéressent.La notion d’espace de travail géométrique, enrapport étroit selon nous avec celles de contratdidactique en théorie des situations (Brous-seau, 1998) et de rapport personnel/institu-tionnel au savoir en théorie anthropologique dudidactique (Chevallard, 1992), leur permetd’interroger les relations entre les deux para-digmes du point de vue des individus qui pra-tiquent la géométrie voire des institutions quiattendent et légitiment certaines pratiques.

Cependant, la notion de paradigme nous paraîtséparer voire opposer les deux finalités princi-pales de la géométrie. Or il nous semble quel’enseignement primaire au moins, voire celuidu début du collège, se trouve en amont decette dualité et que parmi les questions essen-tielles soulevées par Houdement et Kuzniakaussi bien que par Berthelot et Salin quand ilsparlent du collège, on trouve le regard porté surles figures et l’usage des instruments qui est,comme de multiples travaux l’ont montré, unedes difficultés importantes rencontrées dansl’enseignement de la géométrie. Pour approfondirla question de la continuité de l’enseignementde la géométrie, nous avons donc éprouvé le besoind’analyser d’un peu plus près le rapport à la figu-re et aux instruments dans la résolution desproblèmes de géométrie.

3 Voir Houdement (2007) et les articles cités dans les réfé-rences de cet article.4 Gonseth F. (1945-1955) La géométrie et le problème del’espace. Lausanne : éditions du Griffon.5 Au sens de Kuhn (1962, 2ème édition 1970, traduction1983) La structure des révolutions scientifiques. Paris : Flam-marion.

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1.3. Le rapport à la figure et aux instruments de tracé en géométrie

Dans la perspective qui est la nôtre, pen-ser une progression sur la géométrie de 6 à 15ans, il nous faut d’abord souligner que nous enten-dons géométrie, figure, instrument dans dessens très larges. Ainsi, nous considérons que noustravaillons déjà la construction de conceptsgéométriques et que nous commençons à mettreen place des pratiques de géométrie au cours pré-paratoire, voire à la maternelle, quand nousdemandons aux élèves de reproduire des figuresconstituées d’assemblages de pièces de papierou carton coloré (puzzles ou tangrams parexemple). Pour nous, une figure ne se limite-ra donc pas à un tracé avec les instruments degéométrie usuels sur papier ou sur écran d’ordi-nateur ; elle pourra être obtenue aussi par un assem-blage de formes par juxtaposition ou par super-position. Aux instruments classiques de géométrie,il nous faudra ainsi ajouter tous les objets uti-lisables pour la réalisation matérielle de cesfigures comme les gabarits et pochoirs et mêmeles ciseaux et la gomme. Ceci nous amène à reve-nir sur les rapports entre espace sensible etespace géométrique et sur les rapports entre objetsmatériels et objets géométriques. Nous le feronsà partir d’un exemple.

Problème pratique ou problème théorique ?

Nous prendrons comme exemple le problèmebien connu d’Abul Wafa : comment faire un carréd’aire triple d’un carré donné 6 ? On peut ima-giner plusieurs moyens de résoudre ce problè-me en le situant dans une problématique pra-tique au sens de Berthelot et Salin ou, selon la

terminologie de Houdement et Kuzniak, dansle paradigme de la géométrie I. Nous en choi-sirons deux, l’un appuyé sur des gabarits dépla-çables, l’autre sur des tracés avec des instruments.Dans les deux cas, on peut aussi chercher à démon-trer que les procédés employés sont valides, quelque soit le carré de départ. Nous considéronsqu’on entre alors dans une problématique théo-rique, même si on continue à manipuler dumatériel. C’est en effet le passage à la généra-lisation qui nous paraît caractéristique de laproblématique théorique.

1. Résolution du problème pratique avec du maté-riel déplaçable : on dispose de 3 carrés super-posables découpés dans du papier (ici, un foncé,deux plus clairs)  ; on en découpe deux (lesclairs) selon une diagonale ; on dispose les 5morceaux obtenus et on les colle sur une feuillede papier blanc dans la disposition ci-dessous ;on joint les sommets des angles droits des tri-angles rectangles isocèles, on coupe ce quidépasse pour le replacer dans les vides. Les mor-ceaux s’ajustent (si on a réussi à bien découper,ce qui n’est pas évident) et forment un carré quia bien une aire triple du carré initial puisqu’ona utilisé tous les morceaux sans superposition,sans en ajouter, sans en perdre.

Figure 4.

6 Voir dans Moyon (2012) la traduction du texte d’AbulWafa. Les artisans de l’époque utilisaient une méthode appro-chée réfutée par Abul Wafa (voir Moyon, 2011) mais quiétait sans doute plus efficace pour partager des carrés depierre avec une moindre casse. On voit ici nettement la dif-férence entre le problème pratique et le problème théorique.

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Cette première expérience (validation pardécoupage et déplacement de morceaux) nepermet qu’une validation sur un objet particu-lier et à la précision des découpages près. Ellepermet un travail sur des surfaces.

2. Résolution du problème pratique par uneconstruction aux instruments : on dispose d’uncarré7 dessiné sur une feuille de papier ; on pro-longe les côtés du carré d’un côté en reportantla longueur de la diagonale et en tournant d’unquart de tour trois fois de suite. On construitquatre triangles rectangles isocèles superposablesà un demi-carré (au compas ou à l’équerre sion a de plus un instrument permettant deprendre un milieu). En joignant les sommetsdes angles droits des quatre triangles on obtientun carré  ; les petits triangles qui dépassentsont superposables aux petits triangles ajoutés(par exemple par vérification au compas de l’éga-lité des longueurs des côtés). Le grand carré aune aire triple du carré initial puisqu’elle estégale à la somme des aires du carré initial etdes quatre triangles.

Figure 5.

La seconde expérience (graphique) sup-pose de savoir construire des triangles rec-tangles isocèles superposables au demi-carré.Elle demande une déconstruction dimension-

nelle (Duval, 2005  ; Duval et Godin, 2006)des triangles en unités visuelles de dimensionsinférieures : pour reporter la longueur des dia-gonales du carré sur une demi-droite, voir le som-met du triangle comme intersection de cerclesou le triangle comme composé de deux tri-angles moitié dont les sommets se joignent aumilieu de la base.

Dans les deux cas, le raisonnement estappuyé sur une expérience au moins menta-le de déplacement, replacement et de décou-page de triangles mais, quelle que soit l’expé-rience matérielle réalisée, la finalité devientthéorique et pas seulement pratique dès qu’ondépasse la fabrication d’un carré particulieret qu’on se pose la question de la générali-té de la méthode 8 : Est-ce que, pour n’impor-te quel carré de départ, on obtient bien tou-jours un carré d’aire triple ? La démonstrationdu fait qu’on obtient bien un carré et que sonaire est triple de celle du carré initial, dépenddes outils théoriques disponibles, notam-ment triangles isométriques ou rotation 9.Quoi qu’il en soit, elle est difficile à mettreen texte sans nommer des éléments de lafigure. L’économie de la rédaction desdémonstrations et de la dénomination amèneà porter le regard sur les points utiles et à nom-mer les autres éléments (segments, surfaces)à partir de ces points.

7 Il s’agit maintenant d’un carré-ligne  : le même motdésigne la surface et la ligne polygonale mais il y a déjàun changement de point de vue dans la construction de lignespour produire des surfaces.8 On est au moins au niveau de l’exemple générique selonles termes de Balacheff (1988)9 Remarquons qu’avec les nouveaux programmes cesdémonstrations ne sont plus accessibles à aucun niveau dusecondaire. On dispose encore des parallélogrammes et dessymétries centrales pour démontrer que A’EI et AHI sontsuperposables ; mais il reste à voir que A’IE et BJE le sontaussi pour conclure que l’angle IEJ est droit (cf. fig.6).

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* À l’aide de la superposabilité de triangles :l’égalité des angles en A et A’ en se servant desangles droits des triangles rectangles isocèleset du carré conduit d’abord à dire que les tri-angles AIH et A’IE sont semblables ; l’égali-té des longueurs des côtés homologues [AH] et[A’E] permet de conclure. On en déduit que Iest le milieu de [AA’] et de [EH]. Il en est demême des couples de triangles homologues desommets J, K, L. De plus le triangle EJB est super-posable au triangle EA’I (angle compris entrecôtés de même longueur, puisqu’on vient dedémontrer que JB = IA’). On en déduit que leshuit petits triangles sont superposables puisque le quadrilatère EFGH a ses côtés égaux etquatre angles droits.

Figure 6.

* Avec les rotations il faut voir que la rotationde centre O qui amène A sur B, B sur C etc. amènetout le triangle A’EB sur le triangle B’FC(conservation des angles et des longueurs) (etc.pour les autres) et donc transforme E en F, Fen G et donc [EF] en [FG] ce qui permet d’endéduire que les deux segments ont même lon-gueur et sont perpendiculaires…

Cette esquisse rapide nous indique desjalons dans une progression sur la géométrie :identifier des relations entre des objets qu’onmanipule, pour repérer les décompositions pos-sibles d’une figure en éléments visuels dedimension 1 (segments) ou 0 (points) 10 en vuede la construire au moyen de tracés avec des ins-truments ou d’identifier ses propriétés. Ellenous montre aussi que les axiomatiques choi-sies pour les démonstrations ne sont pas équi-valentes du point du vue du rapport entre expé-rience et démonstration, entre espace sensibleet espace géométrique : par exemple l’usage destriangles isométriques est compatible avec unevision de la figure comme assemblage de sur-faces alors que la rotation demande de consi-dérer des points (le centre) et des lignes qui nefont pas partie de la figure et d’utiliser finementles relations entre points et droites (une droiteet un segment sont définis par deux points, unpoint est l’intersection de deux droites ou de deuxsegments...). Que la finalité soit pratique ou théo-rique, le regard porté sur la figure joue un rôleconsidérable dans le raisonnement en géomé-trie. Nous allons l’illustrer dans les deux cas àpartir d’exemples.

Changements de regard sur la figure dans la démonstration

Prenons d’abord un exemple de démons-tration qui pourrait être traité en quatrième ouen troisième. Le problème a été utilisé dans unerecherche (Robotti, 2008) qui étudie les échangeslangagiers entre élèves dans la recherche de ladémonstration mais on voit aussi dans les dia-logues que ce texte rapporte, l’usage que les élèvesfont de la figure et le lien entre l’identificationd’éléments de la figure et l’appel à des défini-tions ou théorèmes.

10 Voir Duval (1995). Dans la suite nous dirons D1 pourdimension 1, D0 pour dimension 0.

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Examinons une des démonstrations possibleset, en italiques, les changements de regard surla figure qu’elle suppose :

AD=AO donc A est sur la médiatrice de[DO].Isolement du triangle isocèle ADO commesous-figure et mobilisation d’une des défi-nitions de la médiatrice.Il existe une seule perpendiculaire à [DO]passant par A donc (AE) est la médiatricede [DO].Sous figure : triangle ADO et le segment[AE] perpendiculaire à [DO]. Mobilisationd’un axiome et de l’autre définition de lamédiatrice.E est sur la médiatrice de [DO] donc DE = EO.Voir les deux autres côtés du quadrilatè-re comme joignant un point de la média-trice aux extrémités du segment. Mobilisationà nouveau de la définition de la médiatri-ce en termes d’équidistance mais dansl’autre sens.Mais [OA] et [OE] sont des rayons dumême cercle donc OA = OE.Isoler le cercle et ses rayons.Finalement AD = AO = OE = EDRelier les deux points de vue pour conclu-re en utilisant la caractérisation du losan-ge par l’égalité des quatre côtés.

Figure 7.

Au long de la démonstration il faut voir lafigure comme assemblage de plusieurs figures

Soit C un cercle de centre O et de dia-mètre [AB] et un point D sur cecercle, tel que AD = AO.

La perpendiculaire à (DO) passant parA recoupe le cercle C au point E.

Montrer que le quadrilatère ADEO estun losange.

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Figure 8.

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superposées. De plus, le recours aux théorèmesou définitions nécessaires accompagne ceschangements de regard sur la figure.

On reproche souvent aux élèves de se fiertrop à la figure et d’être prisonniers des cas par-ticuliers : Ne dit-on pas que la géométrie c’estl’art de raisonner juste sur une figure fausse ?Pourtant, il est très difficile de raisonner sur une

figure qui ne respecte pas certaines propriétésvisuelles. L’exemple suivant, extrait de Dehae-ne (1997), est assez convaincant. Je laisse aulecteur le plaisir de trouver l’erreur dans ladémonstration proposée. Pour avoir donné cetexercice à de nombreux PLC2 11 au fil desannées, je sais qu’il est presque impossiblepour la plupart des professeurs de mathématiquesde trouver l’erreur sans refaire la figure.

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Dans la résolution d’un problème de démons-tration, il y a interaction permanente entre la figu-re et le discours, aussi bien pour prendre en comp-te les hypothèses que pour mobiliser définitionset théorèmes 12.

Faire de la géométrie demande de por-ter un regard spécifique sur les figures, quin’est pas le regard qu’on porte ordinaire-ment sur des dessins (voir notamment Duvalet Godin, 2006) :

— Il faut être capable de passer d’une visionde figures juxtaposées à des figures super-posées (et réciproquement), en ajoutant,effaçant des lignes…

— Il faut être capable de voir des objets de plu-sieurs dimensions dans les figures  : dessurfaces, des lignes, des points et des rela-tions entre eux (penser à l’exemple du rec-tangle).

— Il faut être capable de repérer des élé-ments homologues d’une figure à uneautre, c’est-à-dire des changements detaille, de position des éléments visuelsqui constituent une figure. C’est parexemple une difficulté spécifique pourreconnaître les triangles semblables dansle cas où ils sont emboîtés avec un côté (nonhomologue) commun.

Duval (1995) avait déjà mis l’accent sur l’arti-culation entre le registre du langage et le registredes figures dans les démonstrations en géo-métrie. Mais les schémas et figures jouent unrôle tout aussi important dans une problématiquede modélisation de l’espace sensible.

Schémas et figures dans une problématiquede modélisation de l’espace sensible

Prenons d’abord un exemple au niveauCM2, extrait de la thèse de Sophie Gobert (situa-tion «  terrain et tige », Gobert, 2001), danslequel l’interaction avec l’espace sensible esteffective.

Un terrain de forme polygonale est dessi-né dans la cour (rectangle pour la séance 1, qua-drilatère quelconque pour la séance 4). On nepeut pas entrer dans ce terrain, on ne peut pasle survoler non plus. Une tige joint deux côtésconsécutifs. Le problème consiste à déterminerla longueur de cette tige inaccessible à la mesu-re directe, sans faire de calcul (précision appor-tée dans un deuxième temps, au vu des premièresprocédures). Différents types « d’instruments »sont à la disposition des élèves (cordes, baguettesde bois, règles graduées, équerres de taillesdiverses …).

Figure 9.

Lors de la première séance, dans la cour del’école, les élèves sont tous dans une problématiquepratique. La majorité d’entre eux essaient de repor-ter la longueur cherchée à l’extérieur, mais enprenant des repères à l’œil, notamment pour pro-longer des segments. Certains entreprennentdes calculs fantaisistes à partir de mesures

11 Enseignants stagiaires de deuxième année d’IUFMentre 1991 et 2010, ayant en responsabilité une classe dusecondaire.12 Arsac le rappelait encore récemment dans son exposéau colloquium de didactique (Arsac, 2010).

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d’autres longueurs. Les deuxième et troisièmeséances se passent en classe sur papier. Il s’agit,dans la deuxième séance, d’expliciter ce qu’ona fait sur le terrain et, à la troisième, de prévoirce qu’on va faire à la séance suivante avec unautre terrain.

Dans les deux environnements, le contrô-le des actions et des propriétés se fait par la vue.L’usage des instruments est le même (parexemple, des élèves prolongent un segmentavec leur règle sans prendre appui dessus, aussibien sur le papier qu’avec la grande règle dansla cour). Cependant, des procédures géomé-triques apparaissent plus facilement dans l’envi-ronnement papier-crayon où il s’agit non plusde trouver la longueur mais de formuler desméthodes qu’on a utilisées ou qu’on prévoit demettre en œuvre : les élèves proposent notam-ment de reproduire ailleurs un triangle identiqueou de dessiner un triangle symétrique. Expli-citées avec l’aide de l’enseignant à la séance 213,les méthodes sont à adapter à la séance 3 pourtenir compte de la nouvelle forme du terrain,notamment celle recourant à la symétrie : il nesuffit plus de prolonger un segment et de repor-ter une longueur. Le caractère de généralité dela méthode est imposé par le fait que l’on ne dis-pose pas du terrain. On est ainsi dans une situa-tion de formulation et non plus seulement unesituation d’action (Brousseau, 1998). La réfé-rence à la réalisation dans la cour empêche lepliage dans le cas de la symétrie et oblige à cher-cher des propriétés géométriques.

On voit ici que les figures jouent un doublerôle : d’une part, ce sont des schémas qui repré-sentent la situation réelle dans la cour ; d’autre

part, ce sont des figures sur lesquelles on rai-sonne et auxquelles on fait subir des transfor-mations qu’il faut contrôler par des propriétésgéométriques.

Dans l’enseignement, le milieu matérielest le plus souvent évoqué et les objets del’espace sensible déjà représentés. Prenonsl’exemple d’un exercice extrait d’un manuel de2nde professionnelle (figure 10).

L’énoncé donne une photo de l’objet réel.Pour résoudre le problème, on est amené àfaire un schéma permettant de représenter lesdonnées et la grandeur cherchée : le schéma repré-sente à la fois la pyramide du Louvre et l’objetgéométrique étudié. Les propriétés géomé-triques sont inférées de la connaissance del’objet réel  : le texte ne dit pas qu’il s’agitd’une pyramide régulière.

Ce sont les propriétés géométriques supposéesqui permettent d’identifier dans le modèle géo-

13 Notons néanmoins qu’à la séance 2, un élève ne rentrepas dans la recherche d’une méthode géométrique géné-rale : il veut faire un dessin à l’échelle du terrain (ce quiest une autre manière de résoudre le problème de l’espa-ce sensible).

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métrique un triangle rectangle pertinent auquelon peut appliquer le théorème de Pythagore. Lecalcul se fait dans le modèle (la géométrie théo-rique) puis s’interprète dans le monde matérielpour décider de la précision à retenir.

Le schéma joue ici un rôle d’interface entrel’objet physique et l’objet géométrique qu’il repré-sente tour à tour.

Espace sensible, espace graphique, espace géométrique

Nous avons vu dans le paragraphe précé-dent apparaître trois « mondes » distincts : le

monde réel où se pose le problème qu’oncherche à résoudre, le monde géométrique quifournit des outils théoriques permettant derésoudre un problème géométrique qui modé-lise le problème réel et le monde graphiquedans lequel on peut produire des schémas oufigures représentant à la fois le problème phy-sique et le problème géométrique. C’est pour-quoi, nous proposons (voir aussi Perrin-Glorianet Salin, 2010), de distinguer trois espaces eninteraction dans l’enseignement de la géomé-trie  : l’espace sensible à trois dimensions,l’espace graphique des tracés plans (sur lepapier ou sur un écran d’ordinateur) et l’espa-ce géométrique. L’espace graphique est un lieud’expérimentation aussi bien pour un problè-me qui se pose dans le monde physique (il peutalors servir d’interface entre l’espace sensibleet l’espace géométrique) que pour un problè-me théorique. Nous laissons de côté les maquettesqui sont elles-mêmes des objets matériels de l’espa-ce à trois dimensions et posent à notre avisd’autres questions.

En résumé… si on veut penser la géomé-trie à la fois pour développer le raisonnementet comme théorie utile pour résoudre des pro-blèmes qui se posent dans l’espace sensible, ilfaut considérer l’espace graphique différemmentsuivant que l’on se place dans une probléma-tique de modélisation (finalité pratique) oudans une problématique géométrique (finalitéthéorique) au sens de Berthelot et Salin (2001).

Dans une problématique de modélisation,où l’on cherche à résoudre un problème posédans l’espace sensible, les trois espaces sont enrelation  : La schématisation permet de fairecorrespondre aux données des éléments théo-riques qui permettent de le modéliser (parexemple la taille n’intervient pas dans le modè-le géométrique). Le schéma permet aussi de repré-senter des objets ou des situations de l’espacesensible, de les amener dans le micro-espace plan

Figure 10.

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de la feuille de papier. Le dessin (quiest éventuellement à refaire de cenouveau point de vue) peut alorsdevenir un représentant d’un objetthéorique qui permet la déduction(voir Mercier et Tonnelle, 1991). Legéomètre peut être un mathémati-cien, un élève, un professionnel.Suivant le cas, la finalité n’est pasla même, les savoirs ne sont pas lesmêmes.

Si le problème est théorique, lafigure-dessin (objet graphique)représente un objet théorique surlequel on peut expérimenter (émettredes conjectures, les tester). C’est lapartie droite du schéma qui fonc-tionne (figure 12).

Figure 11.

Figure 12.

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L’expert (le mathématicien) qui résout unproblème de géométrie contrôle un double rap-port à la figure : la figure comme représentantun objet géométrique théorique, la figure maté-rielle sur la feuille de papier, qu’elle soit tra-cée à main levée, construite à la règle et au com-pas, sur papier quadrillé ou sur l’écran de sonordinateur avec un logiciel.

Pour cela, il doit disposer d’une appré-hension opératoire de la figure, manipuler avecpertinence les sur- et sous-figures, reconnaîtredes configurations dans des positions variées,des tailles différentes…

L’espace graphique, par le double regardqu’il permet sur les figures-dessins est un pointclé de la modélisation géométrique. Dans l’ensei-gnement au collège, les professeurs dépensentbeaucoup d’énergie à apprendre aux élèves àse méfier des figures et des mesures pour entrerdans une problématique de démonstration en géo-métrie. Mais est-ce que l’on n’apprend pas troptôt aux élèves à se méfier de quelque chose d’indis-pensable dont l’usage n’est pas encore suffi-samment construit pour eux ? Nous allons dansle paragraphe suivant réfléchir à l’évolutionnécessaire de la notion de figure au long de lascolarité obligatoire.

II. — Continuité école-collège

2.1. Comment évoluent la notion de figure géométrique et l’usage des instruments au long de l’école primaire ?

Comme nous avons commencé à le sug-gérer sur l’exemple d’Abul Wafa, le regardsur les figures et ce qu’on entend par leterme « figures » doit considérablement évo-luer du CP à la 6ème ou à la 3ème. Parexemple, qu’appelle-t-on rectangle à cha-

cun des niveaux et comment passe-t-on d’unedéfinition à une autre ? (cf. fig. 13)

Un rectangle, c’est successivement :

— en maternelle ou CP, une forme de bois oude plastique (avec une certaine épaisseur)qu’on peut déplacer, manipuler, compa-rer à d’autres…

— en CP (ou GS), un contour que l’on peuttracer sur le papier avec un gabarit ou unpochoir dont on peut colorier l’intérieur… ;c’est une surface fermée ;

— au fil du primaire et au début du collège,un quadrilatère qui a quatre angles droits,

Figure 13.

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des côtés opposés de même longueur, quel’on construit avec une règle graduée etune équerre puis une règle et un compas ;

Le rectangle devient ensuite simultanément

— un réseau de 4 droites (ou segments) deuxà deux parallèles ou perpendiculaires ;

— des relations entre des segments (les côtésou les diagonales) des points (les som-mets, le centre), des droites (les supportsdes segments, les axes de symétrie) ;

— des propriétés caractéristiques (CNS), parexemple sur les diagonales.

En même temps, les instruments utilisés pourtracer le rectangle, reconstituer sa forme, évo-luent et sont reliés aux différentes propriétés géo-métriques mobilisées. Le gabarit et le pochoirsont porteurs de la forme complète, en dimen-sion 2. La règle ne permet que des tracés rec-tilignes, de dimension 1. L’équerre a des usagesde niveaux différents : elle permet de produi-re ou de vérifier une relation entre deux élémentsD1 (droites perpendiculaires), voire entre deuxéléments D1 et un élément D0 (droite perpen-diculaire à une autre par un point donné) maiselle permet aussi de reporter les angles droits,c’est-à-dire une partie de la forme donc des infor-mations D2. Cependant, pour faire un angle droitavec un logiciel, on devra souvent tracer unedroite perpendiculaire à une autre droite et pas-sant par un point, c’est-à-dire mettre en œuvredes relations entre objets de dimension 1 ou 0.

Les reports de longueur peuvent se faire avecune règle graduée mais on passe alors par la mesu-re et les nombres. Ils peuvent se faire aussiavec une bande de papier rectiligne sur laquel-le on peut écrire (ce que nous appellerons règleinformable). Ils peuvent enfin se faire au com-pas mais c’est alors l’intersection d’un cercleet d’un segment ou d’une demi-droite que l’on

trace et il est nécessaire d’identifier les points,extrémités du segment que l’on reporte.

En primaire, un des objectifs est d’apprendreà se servir des instruments de tracé classiques(règle, équerre, compas) pour tracer des figuressur le papier ; un autre est d’apprendre à décri-re ces figures : tracer une figure dont on a unedescription ou un modèle, décrire une figure four-nie pour que quelqu’un d’autre puisse la repro-duire, donner un programme de construction.On insiste sur le soin à apporter aux tracés.

Cependant, les instruments usuels14 permettentdes tracés porteurs de caractéristiques visuellesqui se traduisent par des propriétés géomé-triques. Leur usage ne va pas de soi et il est àconstruire. Les observations que nous avons pufaire il y a quelques années à partir de l’analy-se de productions d’élèves de fin de CM2 enréponse à des questions posées aux évalua-tions nationales de début de sixième montrentque la plupart des élèves du début du collègene font pas le lien entre les propriétés géomé-triques et les instruments qu’ils utilisent (Offre,Perrin-Glorian, Verbaere, 2007).

Par la suite, au collège, la figure tracéen’est plus elle-même l’objet d’étude. C’est unreprésentant d’un objet abstrait, la figure géo-métrique, qui peut être en général représenté debien d’autres façons (sauf quand on a fixétoutes les grandeurs, ce qui se passe souvent dansles premières classes du collège pour simplifier

14 Nous nous intéressons aux moyens d’aider les élèves àvoir une figure come un réseau de lignes (droites et cercles)et de points. Ceci explique l’importance donnée dans nosanalyses à la règle et au compas. Nous y ajoutons l’équer-re qui est d’usage courant à l’école et figure dans les pro-grammes. Une réflexion complémentaire serait à mener surles angles qui peuvent être vus comme des morceaux desurface ou comme des relations (statiques ou dynamiques)entre droites.

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la tâche du professeur). Le soin du tracé n’estplus une fin en soi  : il est au service du rai-sonnement sur les objets géométriques que lafigure tracée représente (on peut même faire desfigures à main levée).

Ce changement de perspective s’accompagned’une mobilité du regard à porter sur la figu-re. En effet, beaucoup de travaux l’ont mon-tré, il y a une rupture nécessaire dans le rap-port aux figures quand on les envisage du pointde vue de la démonstration. Cependant, à quelmoment cette rupture doit-elle se faire ? Faut-il dès le début du collège, considérer la figu-re d’un point de vue symbolique (codage,texte) et apprendre à se méfier de ce que disentles instruments ?

Ne peut-on envisager une construction pro-gressive d’un point de vue théorique, appuyéesur la recherche de propriétés générales etl’enrichissement continu des connaissancesthéoriques ? Quelle place donner aux instrumentsdans la construction d’un point de vue théorique ?Quelle place donner aux mesures ? L’usagefréquent des mesures, qui fixe la figure (tailleet forme), n’enlève-t-il pas de la généralité etde la richesse aux problèmes concernant les des-sins géométriques ? Examinons rapidementcomment la question du regard à porter sur lesfigures a été prise en charge par les programmeset instructions au cours des dernières décennies.

2.2. Regard rapide sur les instructions officielles

Les programmes des années 60 dans l’ensei-gnement long se préoccupent peu de la géométrieenseignée à l’école primaire, le programme desixième est essentiellement consacré aux mesureset on entre progressivement dans une géomé-trie axiomatique (de type Euclide) à partir dela classe de 5ème. Après la parenthèse des

mathématiques modernes, on assiste plutôt à unerupture en 4ème entre une géométrie d’obser-vation et une géométrie de démonstration (voirLaborde, 1990 par exemple). La volonté deréduire cette rupture amène d’une part à com-mencer l’initiation à la démonstration dès la sixiè-me et, plus récemment, à se préoccuper de laliaison entre l’école et le collège. Ainsi, ledocument d’accompagnement15 des programmesde 2002 sur l’articulation école collège abor-de la transition école collège en géométrie dela façon suivante :

En primaire, l’objectif est « d’amener lesélèves à passer d’une reconnaissance percep-tive des objets mathématiques du plan et de l’espa-ce à une connaissance de ces objets appuyéesur certaines propriétés, vérifiées à l’aide d’ins-truments. » Il s’agit d’une « géométrie expéri-mentale (…) organisée autour de cinq grandstypes de problèmes : reproduire, décrire, repré-senter, construire, localiser. » Les élèves sontentraînés au maniement d’instruments et àl’usage d’un vocabulaire précis mais limité.Les connaissances géométriques sont complé-tées par des connaissances relatives à l’espace.

En sixième, « les élèves ne travaillent passur des objets nouveaux. Les travaux (…) doi-vent prendre en compte les acquis antérieurs,(…) stabiliser les connaissances des élèves,les structurer, et peu à peu les hiérarchiser...avec, notamment un objectif d’initiation à la déduc-tion. Les élèves passent d’une lecture globaledes dessins géométriques à une lecture ponc-tuelle. (…) La distinction entre dessin et figu-re géométrique commence à être établie. »

Ces commentaires sont repris sous uneforme proche dans l’introduction de la partie géo-métrie des programmes de sixième de 2005 et

15 Articulation école collège, document d’accompagnementdes programmes de 2002 du primaire, paru en 2003.

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2008. Il y est précisé de plus : « Les travaux géo-métriques sont conduits dans différents cadres :espace ordinaire (cour de récréation, parexemple), espace de la feuille de papier uni ouquadrillé, écran d’ordinateur. La résolutiondes mêmes problèmes dans ces environnementsdifférents, et les interactions qu’elle suscite, contri-buent à une approche plus efficace des conceptsmis en œuvre. »

Le souci de la transition entre l’école pri-maire et le collège est donc bien présent maison ne dit pas comment l’on peut faire passer lesélèves « d’une lecture globale des dessins géo-métriques à une lecture ponctuelle ». Dans lesprogrammes du collège de 2005, rédigés entrois colonnes intitulées respectivement « Conte-nus », « Compétences »,  « Exemples d’acti-vités, commentaires », la dernière colonne esttrès développée mais n’explicite pas en quoi lesactivités en question vont aider à changer le regardsur la figure. « Reconnaître des figures simplesdans une figure complexe » est cependant men-tionné comme une compétence à acquérir. Dansles programmes de 2008, les contenus ne chan-gent pas fondamentalement par rapport à 2005mais leur ordre de présentation est modifié, lapartie « capacités » (le terme remplace celui de« compétences ») est un peu plus développéetandis que la partie «  activités et commen-taires » est raccourcie.

On distingue les connaissances et compé-tences qui font partie du socle commun, cellesqui en feront partie dans les années ultérieureset celles qui n’en font pas partie. On peut remar-quer que l’acquisition de beaucoup des notionsnouvelles comme angles, médiatrice, bissectricesont reportées aux années ultérieures pour le socle.La reproduction et la construction de figures com-plexes sont mentionnées dans les capacitésmais le fait que « ces situations nécessitent dereconnaître des figures simples dans des figurescomplexes  » figure cette fois dans les com-

mentaires tandis que, pour ces figures, le « tra-vail d’analyse utile aux apprentissages ultérieurs »ne fait pas partie du socle commun.

2.3. Quelques hypothèses

Les analyses précédentes nous ont amenésà considérer le regard porté sur les figures et lesinstruments comme un point clé qu’il est essen-tiel de faire travailler aux élèves. C’est un pointessentiel dans l’activité géométrique mais iln’est pas travaillé explicitement dans l’ensei-gnement et nous faisons l’hypothèse que lanon prise en compte dans l’enseignement deschangements de regard nécessaires sur lesfigures est une source de difficulté pour lesélèves. Par exemple, la première vision spon-tanée de la figure à l’école élémentaire (etencore bien plus tard) est celle d’un assembla-ge de surfaces juxtaposées. Les élèves ont desdifficultés à discerner les figures-lignes super-posées. Les professeurs se plaignent souvent dufait que les élèves se contentent dans les démons-trations de ce qu’ils voient sur la figure. Maisles élèves regardent-ils ce qu’il faut regarder ?Il ne suffit pas de voir… il faut savoir regarderune figure. Comment cela s’apprend-il ?

Nous pensons que l’usage des instrumentspeut être un intermédiaire entre la perceptiondirecte et l’appui sur des propriétés géomé-triques mais un tel usage des instruments ne vapas de soi ; il faut le construire comme tel et eninteraction avec la construction du langagegéométrique.

Les figures sur le papier ou sur l’écrand’ordinateur sont porteuses de caractéristiquesvisuelles qui traduisent des propriétés géomé-triques (et réciproquement) qu’on peut obteniren utilisant des instruments (la règle et le com-pas notamment sur le papier, la droite et lecercle dans le logiciel), porteurs de ces propriétésgéométriques-visuelles. Le lien entre l’usage de

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l’instrument pour produire la figure, la pro-priété visuelle recherchée et la propriété géo-métrique qui la commande est à construire aucours de la scolarité. Pour cela, nous faisonsl’hypothèse qu’il faut dégager les propriétés géo-métriques qui définissent des caractéristiquesvisuelles (ou liées au déplacement) des objets,non pas directement par observation des objetsmais par l’émergence de relations entre descomposantes visuelles de ces objets de façonà faire apparaître progressivement la déconstructiondimensionnelle.

De plus, parallèlement, il faut construire unlangage pour décrire les figures géométriqueset leurs déplacements. Ce langage utilise un voca-bulaire spécifique mais il est construit sur le lan-gage naturel qui sert aussi à décrire les propriétésvisuelles des figures et l’usage des instrumentsainsi que les objets du monde matériel qu’il s’agitéventuellement de modéliser.

L’articulation de ces différents éléments nousparaît centrale dans l’apprentissage de la géo-

métrie et elle ne va pas de soi pour beaucoupd’élèves. Notre projet est donc de partir d’unevision naïve et immature de la figure, telle quepeut l’avoir un enfant 5 ou 6 ans et de la faireévoluer pour intégrer des regards géométriquessur la figure, à l’instar d’Euclide qui produit unethéorie exprimée en termes de points et lignespour rendre compte de propriétés des surfacesou des objets physiques de l’espace indépen-damment de leur position dans l’espace. Maisc’est la démarche inverse de celle qu’expose Eucli-de qu’il nous faut produire : partir des surfacespour en dégager des points et des lignes dontles relations permettent de les caractériser.

La manière de produire une figure et les ins-truments (au sens courant et large) utilisés pourle faire seront pour nous de la première impor-tance. Utiliser un instrument plutôt qu’un autrepeut nécessiter un changement de regard sur lafigure. Pluvinage et Rauscher (1986, p.7) défen-daient une « géométrie construite  » où unefigure effective est envisagée comme le résul-tat d’un programme de tracé dont on se deman-

Figure 14.

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de comment il a été obtenu ou qu’on chercheà reproduire. De même, nous utilisons la pro-duction et la reproduction de figures commesources de problèmes. Celles-ci nous paraissentfournir un milieu riche susceptible de favori-ser l’évolution du regard sur la figure en mêmetemps que le développement des concepts, duvocabulaire et du raisonnement géométriquesà condition de jouer sur les variables des pro-blèmes qui peuvent s’y poser (figures, instru-ments, règles du jeu de la reproduction, voir Godinet Perrin-Glorian, 2009). Nous faisons de plusl’hypothèse que l’approche des figures en uti-lisant des grandeurs sans mesure (le report delongueur est utilisé mais pas les nombres),outre le fait qu’elle écarte les difficultés liéesau calcul sur des nombres décimaux, facilitel’entrée dans une problématique géométrique.

2.4. Un moyen de faire évoluer le regard sur la figure : le jeu sur les instruments dans la restauration de figures

Les hypothèses que nous venons d’expli-citer nous ont amenés à étudier plus particu-lièrement un type de situation que nous avonsappelé restauration de figure. Il s’agit de repro-duire une figure partiellement effacée dont ondispose d’un modèle qui n’est pas nécessaire-ment de la même taille. On dispose aussi d’uneamorce de la figure à reproduire (ce qui n’a pasété effacé) et d’instruments (en un sens large,comme nous l’avons indiqué plus haut : les gaba-rits ou le papier calque sont des instruments).Nous avons explicité ailleurs la problématiquede la restauration de figure et donné desexemples (Duval, Godin, Perrin-Glorian, 2005 ;Keskessa, Perrin-Glorian, Delplace, 2007,Godin, Perrin-Glorian, 2009). Nous nouscontenterons ici de rappeler quelques caracté-ristiques de ces situations puisque d’autresexemples en seront donnés dans la troisièmepartie à propos de la symétrie.

Nous parlons de restauration plutôt que dereproduction dans le cas où l’on dispose d’élé-ments 2D : soit l’amorce contient une partie2D de la figure 16, soit un instrument permet desreports 2D (calque, équerre), soit c’est le sup-port qui le permet (quadrillage). Les variablesde ces situations, qui sont des variables didac-tiques au sens de la théorie des situationsdidactiques 17 (Brousseau, 1998), sont  :  lechoix de la figure, le choix de l’amorce, les ins-truments disponibles.

De plus, pour favoriser certains procédésde construction plutôt que d’autres et donc lerecours à certaines connaissances, plutôt qued’imposer une restriction sur les instruments dis-ponibles, on peut laisser tous les instruments àdisposition mais attribuer un coût à leur usage(élément de la règle du jeu de la reproduction).Les élèves peuvent ainsi utiliser des procé-dures de base qui leur assurent une réussitedans la reproduction mais, en jouant sur le coûtattribué à ces instruments, on peut faire évoluerles connaissances dont ils disposent (réussir lareproduction avec un moindre coût). Une autrevariable importante de ces situations sera doncla règle du jeu de la restauration et, en particulier,le coût attribué aux instruments. Nous allons pré-ciser tout ceci dans le cas particulier de lasymétrie orthogonale.

III. — L’exemple de la symétrie orthogonale

Dès leur plus jeune âge, les élèves ren-contrent, dans des situations diverses (en

16 Une ligne brisée, un angle sont considérés comme élé-ments 2D : ce sont des bords de surface et ils portent desinformations dans deux directions.17 C’est-à-dire que les choix faits à ce niveau ont des effetssur les connaissances nécessaires à la réussite dans la réso-lution du problème

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arts visuels, en classe de mathématiques, endehors de l’école), des objets de l’espacephysique ou des modélisations de ces objetsprésentant des axes de symétrie. Un certainnombre de travaux en psychologie, cités parBulf 18 (2008, p.16-22) pointent même « leseffets possibles du concept de symétrie surla perception des figures  » en mettant enévidence que « la symétrie n’est pas un fac-teur quelconque dans l’action de percevoir.[…] La symétrie fait partie de notre envi-ronnement quotidien et donc de notre expé-rience première  ; elle organise une figureen mettant en relation les éléments de celle-ci, et pourrait agir comme un stimulus au pro-cessus de traitement de l’information.  »(Bulf, 2008, p.16). Toutefois, la symétrieaxiale ne figure explicitement dans les Ins-tructions Officielles 19 de l’école primaire(sous la forme «  axe de symétrie  ») qu’àpartir de la dernière année de cycle 2 (CE1).

D’après les Instructions Officielles actuellesles élèves, à la fin de l’école primaire, doiventêtre capables de « reconnaître qu’une figure admetun ou plusieurs axes de symétrie, par pliage àl’aide de papier calque », « tracer, sur papier qua-drillé, la figure symétrique d’une figure donnéepar rapport à une droite donnée, et « complé-ter une figure par symétrie axiale » (sans pré-cision des instruments, mais notre connaissan-ce des pratiques usuelles nous permet de

considérer qu’il s’agit là d’un travail avec dupapier calque ou du papier quadrillé).

Le programme actuellement en vigueur aucollège stipule que les élèves de sixième doi-vent savoir «  construire le symétrique d’unpoint, d’une droite, d’un segment, d’un cercle(que l’axe de symétrie coupe ou non la figure) »,« construire ou compléter la figure symétriqued’une figure donnée ou de figures possédant unaxe de symétrie à l’aide de la règle (graduée ounon), de l’équerre, du compas, du rapporteur »et « effectuer les tracés de l’image d’une figu-re par symétrie axiale à l’aide des instrumentsusuels (règle, équerre, compas) ». « Le rôle dela médiatrice comme axe de symétrie d’un seg-ment est mis en évidence » 20. Ces mêmes Ins-tructions Officielles précisent que « dans lacontinuité du travail entrepris à l’école élé-mentaire, les activités s’appuient encore surun travail expérimental (pliage, papier calque)permettant d’obtenir un inventaire abondantde figures simples, à partir desquelles sontdégagées les propriétés de « conservation » dela symétrie axiale (conservation des distances,de l’alignement, des angles et des aires) »

De l’école au collège, les élèves sont donccensés passer d’une reconnaissance percepti-ve de la symétrie orthogonale à des activités deproduction ou de vérification mobilisant, aucycle 3, l’usage de papier calque, de techniquesde pliage ou l’usage de papier quadrillé puis,au début du collège, de la règle, de l’équerre,du compas et du rapporteur. L’enseignement dela symétrie orthogonale nous paraît donc un lieufavorable au questionnement du lien entrel’usage des instruments pour l’action sur les objetsmatériels, figures découpées ou tracées, lespropriétés visuelles recherchées et les proprié-tés géométriques qui les modélisent. Quellesconnaissances met-on en jeu à l’école primai-re pour produire ou vérifier la symétrie ortho-gonale avec du papier calque par retournement

18 Rock I. & Leaman R. (1963), An experimental analy-sis of visual symmetry, Acta Psychologica, 21, 171-183 ;.Corballis M.C. & Roldan C.E. (1975) Detection of Sym-metry as a Function of Angular Orientation, Journal of Exper-imental Psychology: Human perception and Performances,1(3), 221-230 ; Palmer S.E. (1985) The role of symmetryin shape perception, Acta Psychologica, 59, 67-90.19 Bulletin Officiel de l’Education Nationale (B.O.E.N.)hors série n°3 du 19 juin 2008 pour le primaire et B.O.E.N.hors série n°6 du 28 août 2008 pour le collège20 Mais ce point ne figurera au socle commun que dansles années ultérieures.

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ou pliage ? Quelles connaissances met-on en jeuen Sixième pour vérifier ou produire des figuressymétriques avec la règle, l’équerre, le compas.Comment penser une progression qui permet-te de passer des unes aux autres ?

En appui sur un exemple, nous proposonsd’analyser d’un peu plus près le lien entre ins-truments et rapport à la figure ainsi qu’auxpropriétés de la symétrie orthogonale, du CE2à la sixième. Nous illustrerons ensuite, à traversdeux exemples, la façon dont nous pensonsqu’il est possible, par le biais d’un jeu sur lesinstruments, d’accompagner les élèves dansl’évolution de leurs connaissances, dans la tran-sition école-collège.

3.1. Penser l’enseignement de la symétrie orthogonale dans une continuité, de l’école au collège

Un exemple de situation de restauration de figure

La situation de restauration de figure quenous présentons dans la suite de ce texte a étéexpérimentée dans des classes, du CE2 à laSixième. Nous en donnons ici une rapide ana-lyse a priori permettant de suggérer com-ment le jeu sur les variables didactiques peuts’adapter aux connaissances des élèves et lesfaire évoluer.

La consigne est la suivante :

Compléter la figure pour reconstituer le sapin complet (figure 15).

Le modèle du sapin complet et la figure àrestaurer sont représentés à des échelles diffé-rentes, afin d’éviter la possibilité de reports delongueur de la figure modèle à la figure à com-pléter. L’axe de symétrie du sapin à compléter

est oblique, de façon à ce que les élèves ne puis-sent plier la feuille « bord à bord » pour retrou-ver l’axe de symétrie de ce sapin.

Ce sont des variables didactiques du pro-blème. Imaginons que nous ayons à notre dis-position tous les instruments de géométrie, prisau sens large d’artefacts permettant la réalisa-tion matérielle de la figure et à l’exclusion desinstruments de mesure : une règle non graduée,un instrument de report de longueur (règleinformable), une équerre, un compas, du papiercalque, du papier, des ciseaux, etc.

Une rapide analyse a priori de la situation,corroborée par l’expérimentation dans plu-sieurs classes, nous permet de dégager différentesstratégies qu’il est possible de développer pourrestaurer ce sapin et qui demandent la mise enœuvre de connaissances différentes. Nous enrecensons ici quelques unes. Pour chacuned’elles, nous interrogerons le lien entre les ins-truments mis en jeu pour l’action sur la figu-re, le mode d’appréhension de la figure sous-jacent et les propriétés géométriques implicitementmises en œuvre.

Figure 15.

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1- Restauration de l’allure générale du sapinà l’aide d’une règle ou à main levée : Ilest bien sûr envisageable de compléterla figure en se référant à l’allure généra-le du sapin. La figure est alors perçuecomme une surface délimitée par sonbord. On ferme la surface de façon à ceque le bord soit à peu près « pareil de chaquecôté ». Une vérification consistant à super-poser la figure complétée sur un papiercalque à la figure obtenue permettra de poserdes contraintes de précision sur la figureà restaurer et amènera à remettre en ques-tion ce type de procédure.

Figure 16.

2- Utilisation d’un gabarit : Si on dis-pose de deux feuilles portant la figuretronquée, on peut découper l’une d’ellespour obtenir un gabarit de la figuretronquée. On peut vérifier le découpa-ge en superposant le gabarit à la figu-re tronquée de la seconde feuille puisutiliser le gabarit pour terminer le sapin :on le retourne en faisant coïncider lespointes et les troncs des sapins et on traceles bords manquants. On reste dans cecas dans une perception globale de lafigure en termes de surface ou de jux-taposition de surfaces. Les lignes sontvues comme les bords fermant cettesurface.

Toutefois, alors que la notion de symétrie axiale se traduisait dans la première procédureà travers la propriété « pareils de chaque côté », elle s’exprime ici dans l’action par le retour-nement de la surface du gabarit : « pour produire des bords qui soient pareils des deux côtés,il faut retourner la surface et tracer ses bords de l’autre côté. » Implicitement, la figure est doncsymétrique si elle se superpose avec sa retournée. Remarquons qu’il faut de plus avoir pris desrepères (segments ou points) pour poser correctement le gabarit. Ce moyen de production d’unefigure symétrique ou de la figure symétrique d’une figure par rapport à un axe donné nécessi-te le passage par l’espace.

Figure 17.

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3- Pliage de la feuille : Si on ne dispose pas de gabarit, on peut utiliser le pliage pourvu quele papier soit suffisamment transparent (sinon il faudra joindre le découpage au pliage). Deuxfaçons de plier sont à considérer : on peut identifier d’abord la position de l’axe et plier seloncet axe (difficile à réaliser précisément pour des élèves de CE2) ; on peut aussi superposerdeux parties de la figure (surfaces, lignes ou points) que l’on identifie de façon perceptivecomme devant se correspondre par pliage (les deux moitiés du tronc, du haut du sapin) puislisser la feuille de papier.

Pour compléter le sapin, on peut ensuite procéder par découpage ou exploiter la transpa-rence du papier. Cette procédure met en œuvre la connaissance suivante : Une figure estsymétrique si elle se décompose en deux sous-figures se superposant exactement par plia-ge le long d’une droite (l’axe de symétrie de la figure). Le pliage nécessite lui aussi un pas-sage par l’espace.

4- Utilisation du retournement (à l’aide d’un papier calque) : Deux types de straté-gies utilisant le retournement peuvent être envisagés. Il est possible de calquer l’inté-gralité de la figure « grignotée » puis de retourner le calque et de le reposer de façonà obtenir une figure symétrique. La procédure est à rapprocher de celle utilisantun gabarit. Se pose, comme pour le gabarit, la question de savoir comment poserle calque retourné.

On peut aussi ne reproduire qu’une demi-figure et la retourner, décomposant alors le sapin endeux demi-figures dont l’une est l’image de l’autre par symétrie axiale. La procédure se rap-proche du pliage mais soulève à la fois les questions qui se posent dans le cas du pliage et cellesqui se posent dans le retournement : quelle est la demi-figure à isoler ? Où s’arrêter ? (La ques-tion est en particulier inéluctable à propos du pied du sapin). Comment replacer la demi-figu-re après retournement ?

Y répondre de façon satisfaisante suppose de voir que certains points (par exemple le sommet,le milieu du pied du sapin) appartiennent à l’axe de symétrie et sont invariants par la symétrieaxiale en jeu ou que certains couples de points s’échangent.

Par l’action, on distingue ici trois figures : la figure complète (figure symétrique), la demi-figu-re dégagée à partir de l’amorce et la retournée de cette demi-figure. Ces deux demi-figures sontsymétriques l’une de l’autre par rapport à un axe.

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5- Utilisation d’une règle, d’un instru-ment de report de longueurs et de pro-priétés de conservation de longueurs etd’alignement : Cette procédure consisteà compléter d’abord les deux branchescommencées en reportant une longueur.Pour terminer ces branches, on peut d’abordtracer l’axe de symétrie (en prolongeantles droites supports des branches basseset en joignant l’intersection au sommet),on peut alors terminer la branche du hauten joignant l’extrémité à l’intersectionavec l’axe du prolongement du segmentsymétrique puis en faisant un report de lon-gueur. Les deux segments manquants peu-vent alors être obtenus en prolongeantleurs symétriques jusqu’à l’axe et en joi-gnant à l’extrémité du segment qu’on a déjàobtenue. On peut aussi ne faire qu’un pro-longement jusqu’à l’axe et un report de lon-gueur de plus.

Cette procédure met en œuvre, au moinsde façon implicite, les propriétés suivantesportant sur des relations entre segments,droites et points : — La symétrie axiale conserve les lon-gueurs des segments.— L’image d’une droite qui coupe l’axeest une droite qui coupe l’axe au même point.— La symétrie axiale laisse invarianttout point de l’axe de symétrie.

Elle suppose donc la capacité des élèvesà passer d’une vision de la figure en termesde surface(s) à sa décomposition en réseaude lignes et de points, ce qui demande deprolonger les segments pour faire apparaîtreles droites qui en sont le support.

Contrairement à toutes les procédures précédentes qui nécessitaient un passage par l’espace,cette procédure ne nécessite pas de sortir du plan : la symétrie axiale est ici une transforma-tion du plan qui porte sur des droites et des segments.

Figure 18.

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Les premières procédures, y compris le plia-ge ou le retournement d’un calque, sont com-patibles avec une vision de la figure commeune surface ou une juxtaposition de surfacesdélimitées par des bords. Cependant, ellespermettent aussi, sous certaines conditions,de faire apparaître la correspondance de seg-ments ou de points (exemple pliage segmentsur segment), amenant à isoler les segmentsdélimitant la surface du sapin et donc à décom-poser la figure en un réseau de lignes, voire àisoler certains points, vus comme extrémitésou points particuliers de lignes (le sommet, lemilieu du pied du sapin, les sommets desbranches). La sixième procédure, reposant surla construction de l’image de points par unesymétrie axiale, est sans doute assez proche decelle que nous, enseignants, mettrions enœuvre pour résoudre ce problème. C’est laprocédure visée par les enseignants de collè-ge. La cinquième procédure repose de façonessentielle sur les alignements et les proprié-tés de conservation de la symétrie ; elle cor-respond donc aussi aux objectifs de la sixiè-me. Son utilisation peut être attendue si les élèvesont travaillé les alignements et les prolonge-ments de segments.

L’exemple de la restauration du sapin nousmontre donc que la symétrie orthogonale, peutà l’école puis au collège, s’incarner dans unepluralité de définitions et propriétés, en fonc-tion de la nature des objets manipulés (sur-faces, bords, lignes, points) et de la nature desactions matérielles effectuées. Une figure symé-trique sera par exemple appréhendée comme unefigure se superposant avec sa retournée, si l’onutilise du papier calque, sans plier, ou commeune figure se décomposant en deux sous-figuresse superposant après pliage le long d’un axe.Ces deux définitions sont compatibles avecune appréhension de la symétrie orthogonalecomme une transformation portant sur des sur-faces et nécessitant un passage par l’espace.L’usage des instruments, en particulier équer-re, compas, demande la mise en œuvre de pro-cédures consistant en la construction de l’imagede points ou de segments. Il repose sur unevision toute autre de la symétrie orthogonale etde la figure comme associant des points duplan, sans passage par l’espace. Considérerl’ensemble de ces procédures nous montre ainsile chemin à parcourir pour entrer dans la géo-métrie du collège qui demande un saut consi-dérable dans la façon d’appréhender la figure,

6- Utilisation d’une règle, d’une équerre et d’un instrument de report de longueur : Cette pro-cédure repose sur l’identification de l’axe de symétrie de la figure (comme dans la procédureprécédente) et la construction de l’image de points. Elle nécessite donc la mobilisation au moinsimplicite des propriétés suivantes :

— La symétrie axiale laisse invariant tout point de l’axe de symétrie.

— Deux points A et A’ sont symétriques par rapport à une droite (d) si (d) est la médiatricedu segment [AA’].

Cette procédure suppose une vision ponctuelle de la figure, c’est-à-dire la déconstruction dela figure en un réseau de points, vus comme intersections de lignes. Elle ne nécessite pas depassage par l’espace : la symétrie est ici une application du plan dans lui-même qui portesur des points.

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d’une vision spontanée de la figure commejuxtaposition de surfaces délimitées par deslignes, dont on vérifie par exemple la superpositionpar pliage, à la déconstruction de ces figures enréseaux de lignes et de points liés par des pro-priétés géométriques telles que l’égalité de lon-gueurs, la perpendicularité ou l’équidistance àl’axe. Cet exemple nous montre aussi qu’ilexiste un lien direct entre le matériel utilisé 21

et non seulement la manière de percevoir la figu-re mais aussi les propriétés géométriques misesen œuvre.

Des pistes pour une progression du début de l’école à la fin du collège

Les élèves du début du cycle 3 entrentspontanément dans les activités de géométrieen adoptant une vision des figures en termesde surfaces, comme nous le faisons en dehorsdes mathématiques. Ceci est d’autant plus vraidans le cas de la symétrie orthogonale dont lesélèves ont une connaissance intuitive et perceptivetrès forte : dès le début de l’école primaire, lesélèves peuvent déterminer de façon percepti-ve et implicite qu’une figure est symétrique etlocaliser son axe de symétrie, qu’ils vérifientpar pliage. Mais ce qui, d’emblée, est recon-nu comme une forme à deux dimensions ne sedécompose pas perceptivement en un réseau deformes à une dimension, voire de dimensionzéro (Duval et Godin, 2006). Penser l’ensei-gnement de la géométrie, dans une continuitédu début de l’école primaire à la fin du collè-ge suppose donc de prendre en compte lanécessaire évolution du regard sur les figures(voir paragraphe 2.1) en particulier du CE2 àla fin de la sixième.

Le problème de restauration du sapin apermis d’illustrer une hypothèse fondamen-tale sous-tendant notre travail : la façon dontles élèves utilisent les instruments pour leursactions sur les figures est étroitement liée à

leur mode de vision de la figure, vision entermes de surfaces, de lignes ou de points. Ainsi,donner aux élèves l’accès à des instrumentsde type « 2D » 22 (le gabarit, le papier calque)permet de prendre en compte la perception spon-tanée de la figure en termes de surfaces.Encourager dans le même temps l’utilisa-tion des instruments de type « 1D » (la règle,la règle informable) ou permettant d’établirdes relations entre des éléments 1D ou 0D(l’équerre, le compas) est nécessaire pourles accompagner vers la déconstruction de lafigure en un réseau de lignes et de points. Uneautre hypothèse fondamentale de notre travailest en effet qu’en jouant sur des variables didac-tiques des problèmes qu’on leur propose, enparticulier les instruments disponibles, il estpossible d’accompagner les élèves vers l’acqui-sition de la mobilité du regard nécessaire àla mise en œuvre de propriétés géométriquesportant sur des lignes, des points, telle qu’atten-due au collège. Dans l’élaboration d’activi-tés pour la classe, nous nous attacheronsdonc à penser à la fois la nature des objets maté-riels choisis mais aussi des contraintes sur lesinstruments 23 (gabarit, calque, règle) à dis-position des élèves.

21 Nous pourrions envisager d’autres instruments commela fausse équerre qui est un instrument de report des anglesdonc instrument 2D (morceau de surface) ou relation entre2 éléments 1D (les côtés). Le choix des instruments est liéaux propriétés visées. La fausse équerre facilite la repro-duction mais incite à rester sur la vision surface du sapinou à le voir comme un contour. Il faudrait lui mettre un coûttrès élevé par rapport à la règle si nous voulons encoura-ger les élèves à prolonger les segments pour s’intéresser àl’intersection de leur support avec l’axe de symétrie.22 Voir Offre, Perrin, Verbaere (2007) pour une analysede l’usage des instruments de géométrie à l’articulation CM2-6ème.23 En termes de théorie des situations didactiques (Brous-seau, 1998), il s’agit de définir le milieu de la situation etla règle du jeu proposé aux élèves.

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Mise en œuvre en classe : coût sur les instruments

Pour prendre en compte la perception spon-tanée de la figure par les élèves, tout en lesaccompagnant vers une mobilité du regard sur lafigure et l’utilisation des propriétés géométriques,nous proposons de donner aux élèves la possibilitéd’entrer dans le problème avec leurs connaissancesinitiales en laissant tous les instruments disponiblesmais d’introduire un coût sur les instruments lesincitant à faire évoluer leurs procédures et pro-duire de nouvelles connaissances (voir para-graphe 2.4). Le choix du coût des instruments estune variable centrale de la situation que nousadaptons en fonction du niveau considéré et despropriétés visées, au regard de la progressiondans laquelle s’insère la mise en place de l’acti-vité. Suivant le système de coût choisi, l’ensei-gnant peut encourager les élèves à utiliser soit lepliage soit le retournement suivant la définitionqu’il veut faire émerger.

Au début du cycle 3 par exemple, l’ensei-gnant peut mettre à disposition des élèves toutinstrument de géométrie qui lui est familier,excepté les instruments de mesure (papier calque,différents gabarits, ciseaux, règle, règle infor-mable….) Chaque élève sera alors en mesure deproposer une procédure pour la résolution du pro-blème, sans se trouver bloqué par la recherchede la « méthode attendue ». Toutefois, l’ensei-gnant peut poser les contraintes suivantes : l’uti-lisation d’un gabarit coûte 50 points, l’utilisa-tion d’un pliage coûte 50 points, l’utilisation dupapier calque coûte 20 points, l’utilisation de larègle coûte 5 points. La validation de la productionpar superposition avec la figure complète sur papiercalque permettra de poser des contraintes de pré-cision et amènera les élèves à faire évoluer laprocédure 1, « à main levée ».

En fin de CM2 ou en sixième on pourra poserle système de coûts des instruments suivant :

le pliage coûte 50 points, le papier calque 50points, l’équerre 10 points, effectuer un reportde longueur coûte 2 points, utiliser la règlepour prolonger ou tracer un segment est gratuit.L’enseignant oriente alors les élèves vers l’iden-tification de l’axe de symétrie, et la mise en œuvredes propriétés concernant les droites et leurintersection avec l’axe de symétrie ainsi que laconservation des longueurs.

L’introduction d’un coût à l’utilisation desinstruments permet donc la réussite par desprocédures diverses qui demandent plus oumoins de connaissances géométriques maisincite à utiliser certains instruments plutôt qued’autres et donc à développer des connais-sances géométriques pour obtenir les effetsgraphiques voulus avec des instruments dont l’uti-lisation est moins immédiate à partir des connais-sances anciennes des élèves. En modifiant le barè-me relatif aux instruments de tracé on peutdonc agir sur les procédures de tracé des élèves.

Le choix de la figure modèle et de l’amor-ce constitue bien sûr également une variable didac-tique fondamentale de la situation car il défi-nit la nature des propriétés géométriquespotentiellement nécessaires à la restaurationde la figure.

3.2. Produire de la symétrie par retournement. Déterminer l’axe de symétrie

Nous allons maintenant voir un autreexemple de situation qui consiste dans un pre-mier temps à produire de la symétrie par leretournement. La recherche d’un axe de symé-trie (comment plier pour vérifier  ?) incite àpasser d’une appréhension globale de la symé-trie d’une figure à l’identification de pointsparticuliers qui coïncident avec leur retourné.On approche ainsi la notion de point invariantet on fait un pas dans le passage d’une appré-hension globale de la symétrie d’une figure à

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une appréhension ponctuelle de celle-ci. Cetteproblématique est un enjeu important en fin decycle 3 et pour la classe de sixième où les pre-mières propriétés de la symétrie axiale sontformalisées. Considérons d’abord le problèmedu point de vue mathématique, par exemple avecla figure ci-contre « toute arrondie », que, parcommodité, nous nommerons dans la suite« serpentin ». Avec du papier calque on peutreproduire la figure et voir si elle coïncide ounon avec sa retournée (la figure qu’on peutvoir de l’autre côté du calque).

Figure 19.

On choisit un serpentin non symétrique(qui ne coïncide donc pas avec son retourné) eton se pose la question de savoir où placer la figu-re retournée pour que la réunion de la figure ini-tiale et de sa retournée donne une figure symé-trique. Précisons que notre choix d’une figure«  toute arrondie  » est motivé par la volontéd’imposer le recours au calque et la nécessitéde chercher une coïncidence possible entre lafigure initiale et sa retournée.

— Si on place la retournée n’importe où surla feuille, on n’a pas une figure symétrique.

Nous rencontrons ici un savoir importantsur la symétrie en tant que transformation àla fois très prégnant dans les productions desélèves et très peu pris en compte par lesenseignants. En effet, deux figures dessinéessur une feuille peuvent être chacune la retour-née de l’autre sans être symétriques l’une de l’autre

puisque la correspondance la plus généraleentre une figure et sa retournée est la symétrieglissée.

Figure 20.

Autrement dit, la symétrique d’une figurepar rapport à un axe est une retournée de cettefigure, mais une retournée de cette figure n’estpas toujours une symétrique de cette figure (onne peut pas toujours trouver d’axe tel que la figu-re et sa retournée soient symétriques l’une del’autre par rapport à cet axe).

Pour obtenir une figure symétrique, il estnécessaire de faire glisser la retournée sur la feuillejusqu’à faire coïncider un point de la figure ini-tiale avec le point correspondant de la retour-née (Fig. 21).

Figure 21.

Le point en question peut être un pointextérieur à la figure initiale qu’on a d’abord enri-chie de ce point (ici H) qui sera un point de l’axede symétrie (Fig. 22).

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Par ces manipulations, à ce stade nousentrevoyons une vision ponctuelle qui se mêleà la vision globale de la figure initiale, de la retour-née ainsi que de la figure finale (comme figu-re complexe issue de deux figures simples).

Figure 22.

Nous pouvons ainsi produire une infinitéde figures symétriques. D’ailleurs, on peut véri-fier que les figures précédentes sont symé-triques soit en décalquant la totalité de la figu-re ainsi construite et en vérifiant que sa retournéese superpose avec elle-même, soit en repérantdeux couples de points homologues et en pliantpour les faire coïncider. La deuxième procédurepermet d’identifier l’axe de symétrie. La décons-truction de la figure au sens de Duval (2005)peut se poursuivre en proposant de déterminerl’axe de symétrie de la figure finale mais cettefois-ci sans pliage. Cette détermination s’effec-tue par la considération de points particuliers.

Si les deux serpentins se coupent, les pointsd’intersection peuvent être des points de l’axede symétrie.

S’il y a plusieurs points de ce type, l’axede symétrie est facilement identifiable (Fig. 23).Cependant les points d’intersection peuventaussi ne pas faire partie de l’axe de symétrie :on a alors deux tels points symétriques par rap-port à l’axe (Fig. 24).

S’il n’y a qu’un point d’intersection sur l’axe,la direction de l’axe peut être fixée par la consi-dération d’un couple de points homologuesdont on prend le milieu (Fig. 25).

Figure 23.

Figure 24.

S’il n’y a pas de point d’intersection, ilfaut soit prendre deux couples de points homo-logues et déterminer le milieu des deux couplesde points homologues (Fig. 26), soit détermi-ner le milieu d’un couple de points homologueset considérer l’orthogonalité (Fig. 27).

Pour poser ce genre de problème à desélèves, on peut inscrire le serpentin dansune forme qui a plusieurs symétries évi-dentes, par exemple un cercle, un triangle équi-latéral ou un carré (fig. 28 à 31). Le respectdes symétries de la figure circonscrite limi-te les manières de placer la figure retournée.La figure montre aussi deux exemples (fig.30 et fig. 31) pour lesquels on a trois pointsd’intersection des serpentins mais un seul surl’axe de symétrie.

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On peut ainsi construire à partir de cetexemple des situations de classe qui permettentde faire rencontrer aux élèves la nécessité dupassage de la vision de la symétrie commeretournement complet d’une figure à celle decorrespondance entre points.

Ces situations permettent d’identifier les pro-priétés de la symétrie dans l’action. C’est aussil’occasion de faire émerger les formulations atten-dues en classe de sixième (équidistance, ortho-gonalité, points invariants, point image, axepassant par deux points).

3.3. Questions pour une progression sur la symétrie axiale du CP au collège

A travers les deux exemples présentés ci-dessus, nous avons voulu illustrer le problèmeposé dans la première partie de l’articulation entredes manipulations sur du matériel et la formu-lation de propriétés mathématiques portant surdes objets géométriques abstraits. D’autresquestions se posent à propos de la symétrieaxiale, par exemple l’emploi du mot symé-trique dans les expressions « la figure est symé-trique » qui équivaut à « la figure a un axe desymétrie  » (propriété d’une figure) et «  lesfigures F et F’ sont symétriques par rapport àla droite (d)  » (relation entre deux figures).Les premières approches de la symétrie audébut du primaire abordent plutôt la productionou la reconnaissance de la symétrie d’une figu-

Figure 25. Figure 26. Figure 27.

Figure 28. Figure 29. Figure 30. Figure 31.

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re à travers des manipulations variées (peintu-re, découpage, pliage, retournement de formes).L’emploi du papier calque aide à identifier desparties (surfaces, bords, points remarquables)de la figure qui se correspondent. La mise enrelation du vocabulaire lié à la manipulation maté-rielle et du vocabulaire géométrique pendantl’action en fin de cycle 3 ou en 6ème aide à fairele lien entre les actions sur le matériel et lamise en œuvre de propriétés géométriques.Cette étape nous paraît indispensable avant depouvoir aborder la question de la recherche dusymétrique d’un point ou d’un segment parrapport à une droite et de définir la figure symé-trique d’une figure donnée par rapport à une droi-te donnée. En revanche, la notion de figuresymétrique nécessite une reprise après l’intro-duction de cette définition pour qu’on puisse lavoir comme étant sa propre image dans une symé-trie axiale, ce qui est beaucoup plus complexe.

Nous n’avons pas parlé non plus du papierquadrillé qui est le principal support utilisé à l’écoleprimaire. Il permet d’éviter le passage parl’espace pour vérifier l’existence d’une symé-trie ou produire la figure symétrique d’unefigure donnée par rapport à un axe vertical ouhorizontal. Il permet de mettre en œuvre l’équi-distance d’un point et de son symétrique par rap-port à l’axe par comptage de carreaux maisl’orthogonalité est prise en charge par le sup-port et n’intervient donc pas. L’axe oblique, mêmeporté par les diagonales des carrés du supportn’est pas du ressort de l’école primaire, d’autantplus que, dans la progression officielle des pro-grammes de 2008, la symétrie est mentionnéeau CE1, au CE2 puis au CM1 mais n’est pas repri-se au CM2. Si on a un axe oblique qui n’est pasporté par les diagonales du quadrillage, le papierquadrillé devient une gêne plus qu’une aidejusqu’à des niveaux plus avancés de la scola-rité. De plus, sur quadrillage, les élèves peuventproduire l’image d’un segment sans chercherl’image des deux extrémités  : à partir d’un

point, ils peuvent chercher la pente du seg-ment comme troisième côté d’un triangle rec-tangle dont les côtés de l’angle droit sont por-tés par les lignes du quadrillage. Ils reproduisentainsi les bords d’une surface en suivant soncontour. Ils peuvent aussi voir le passage d’uneextrémité à l’autre d’un segment comme undéplacement sur quadrillage ; le déplacementsymétrique consistera suivant le cas à inverserle sens des déplacements horizontaux ou ver-ticaux. L’usage du papier quadrillé accompa-gné de la règle non graduée est à inclure dansune progression ; il ne va pas de soi.

Conclusion générale

Dans cet article, nous avons voulu aborderla question de l’intérêt de l’enseignement de lagéométrie à toute la population, pour la formationgénérale des citoyens, pour développer la visiongéométrique qui est un outil de représentationde beaucoup de situations, de la vie courantecomme des autres disciplines. Dans cette pers-pective, nous avons interrogé les rapports entregéométrie et monde réel ainsi que le rôle desschémas et figures aussi bien dans le cas d’unemodélisation géométrique d’une situation quise pose dans le monde réel que dans le cas dutraitement d’un problème portant sur des objetsgéométriques abstraits, ce qui nous a amenésà distinguer l’espace physique, l’espace graphiquedes représentations et l’espace géométrique.

Nous avons ensuite tenté de mettre desjalons sur ce que pourrait être une progressionde l’enseignement de la géométrie du courspréparatoire (ou avant) à la classe de cinquiè-me (ou après) en cherchant des moyens de faireévoluer le regard des élèves sur les figures degéométrie et sur les instruments qui permettentde les tracer. Nous avons ainsi identifié une situa-tion mathématique à usage didactique (Brous-seau, 2010) et ses variables didactiques  : larestauration de figures qui permet d’engen-

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drer des problèmes pour les élèves visant l’objec-tif de faire évoluer le regard des élèves sur lesfigures et les instruments usuels (pour le rap-procher d’un regard géométrique).

Nous avons illustré cette démarche dansle cas de la symétrie axiale, non en déroulantune progression sur la symétrie axiale mais ensuggérant des moyens de l’élaborer par ladescription de deux situations de restaura-

tion de figures et l’identification de quelques-unes de leurs variables didactiques. Il reste-rait beaucoup de choses à préciser pour éta-blir une progression cohérente, par exempledu CE2 à la 5ème ; il faudrait en particulierformuler les énoncés des savoirs et des pro-blèmes, décrire le milieu matériel des situa-tions ainsi que les liens précis qu’il entre-tient avec les savoirs mathématiques. Cepourrait être l’objet d’un autre article.

Remerciements

Nous remercions chaleureusement notrecollègue Marc Godin qui a beaucoup contribuédepuis de nombreuses années à notre réflexionsur l’enseignement de la géométrie à l’école élé-mentaire et au début du collège et qui est àl’origine des situations présentées ici sur lasymétrie orthogonale.

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