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« JE LA CONNAIS LA SOURCE… » BULLETIN UISG NUMÉRO 143, 2010 AVANT-PROPOS 2 Sr. Josune Arregui,CCV INTRODUCTION À L’ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE 4 Sr Maureen Cusick, NDS HOMÉLIE DE L’EUCHARISTIE D’OUVERTURE 8 P. Eusebio Hernández Sola, OAR MYSTIQUE ET PROPHÉTIE 11 UN STYLE DE VIE ET DE NOUVEAUX ARÉOPAGES P. Ciro García, OCD OUVRIR NOS CŒURS POUR ÉCOUTER: 29 DEVENIR MYSTIQUES ET PROPHÈTES AUJOURD’HUI Sr Judette Gallares, RC APPELÉES À ILLUMINER PROPHÉTIQUEMENT LE MONDE DES TÉNÈBRES 47 Sr Liliane Sweko, SNDdeN UNE THÉOLOGIE DE L’EMPATHIE 61 M. le Rabbin Arthur Green « LA BRANCHE D’AMANDIER 74 ET LA MARMITE QUI BOUILLONNE » (JR 1,11-13) QUEL AVENIR POUR NOTRE HÉRITAGE MYSTIQUE-PROPHÉTIQUE ? P. Bruno Secondin, O.Carm. HOMÉLIE DE L’EUCHARISTIE DE CLÔTURE 91 P. Antonio M. Pernia, SVD ORIENTATIONS 2010 – 2013 94

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« JE LA CONNAIS LA SOURCE… »

BULLETIN UISG NUMÉRO 143, 2010

AVANT-PROPOS 2

Sr. Josune Arregui,CCV

INTRODUCTION À L’ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE 4

Sr Maureen Cusick, NDS

HOMÉLIE DE L’EUCHARISTIE D’OUVERTURE 8

P. Eusebio Hernández Sola, OAR

MYSTIQUE ET PROPHÉTIE 11UN STYLE DE VIE ET DE NOUVEAUX ARÉOPAGES

P. Ciro García, OCD

OUVRIR NOS CŒURS POUR ÉCOUTER: 29DEVENIR MYSTIQUES ET PROPHÈTES AUJOURD’HUI

Sr Judette Gallares, RC

APPELÉES À ILLUMINER PROPHÉTIQUEMENT LE MONDE DES TÉNÈBRES 47

Sr Liliane Sweko, SNDdeN

UNE THÉOLOGIE DE L’EMPATHIE 61

M. le Rabbin Arthur Green

« LA BRANCHE D’AMANDIER 74ET LA MARMITE QUI BOUILLONNE » (JR 1,11-13)

QUEL AVENIR POUR NOTRE HÉRITAGE MYSTIQUE-PROPHÉTIQUE ?

P. Bruno Secondin, O.Carm.

HOMÉLIE DE L’EUCHARISTIE DE CLÔTURE 91

P. Antonio M. Pernia, SVD

ORIENTATIONS 2010 – 2013 94

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AVANT-PROPOS

Sr. Josune Arregui,ccv

Original en espagnol

« Je la connais la source… »

Mais l’Assemblée fut bien plus que les conférences et, avant de les lire, ilconvient de les situer dans le contexte où elles ont été prononcées.

Le thème de l’Assemblée, Mystique et prophétie, était extrêmementsuggestif et la phrase de saint Jean de la Croix qui l’annonçait, « Je la connaisla source qui coule et se répand, bien que de nuit… » a été pour 800 femmes,leaders de congrégations religieuses apostoliques provenant de 87 pays, unappel fort et motivant. Cet appel les a mises en route vers Rome pour serencontrer, échanger sur leur manière d’exercer le leadership et partager leursinterrogations dans les nuits qu’elles traversent.

Contempler l’assemblée ainsi réunie constituait en soi un événement parle grand nombre de participantes, la diversité de races, les couleurs desvêtements, la diversité de langues… Le tout s’harmonisait en une organisationparfaite dans la vaste salle de l’Hôtel Ergife, avec ses 83 tables rondesnumérotées où chacune trouvait sa place et un groupe de sœurs pour échangerdans sa propre langue, sans compter tout un dispositif permettant de suivre latraduction en 11 langues différentes.

Selon une dynamique annoncée d’avance chaque sœur avait apporté à latable un symbole pour se présenter, expression aussi des attentes qu’elleportait devant cette assemblée. Les tables rondes se couvrirent des objets lesplus variés y mettant de la beauté et de la couleur.

Les cinq conférences prévues ont progressivement cadré et éclairé lethème : partant du postulat que mystique et prophétie sont deux chosesinséparables (1) nous nous sommes laissé guider par Lydie, cette femme dePhilippes, pour parcourir avec elle les chemins de conversion (2) ; la présencede témoins d’hier et d’aujourd’hui nous a encouragées à être sans cesse sel etlumière (3), à garder une attitude « empathique » d’union avec Dieu, avec leprochain, frère ou sœur, et avec toute la création (4) ; à boire sans cesse à noscharismes fondateurs comme à une source mystique et prophétique (5). À

ans ce numéro de notre bulletin nous présentons le texte des cinqconférences de l’Assemblée Plénière 2010 pour qu’elles soientaccessibles au plus grand nombre de personnes et de communautés.

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chaque conférence succédait un espace de silence, de commentaire dans lespetites communautés linguistiques aux tables, et de dialogue ouvert avec lesintervenant(e)s.

Mais le fil conducteur de l’Assemblée plénière était en fait la questionprofonde : Que dit le Seigneur à la vie religieuse aujourd’hui ? Afin d’yrépondre, nous nous interrogions en fin de journée sur les résonances quidemeuraient, sur ce que nous ne voulions pas perdre ; ceci ramassé en unephrase par table que quelques volontaires se chargeaient de résumer et d’offriren un partage plus large le jour suivant pour la prière. Ainsi fut recueilli peuà peu le murmure de la Source en tant de sœurs et se forma une parolecommune.

Déclaration, engagements, orientations… : autant de mots qui veulentexprimer dans les différentes langues ce que l’Assemblée 2010 a laissé commelumière pour chaque participante, pour sa congrégation, pour les Conférencesnationales et pour chacune des constellations à travers le monde dont l’Unionest composée. Les Orientations 2010 veulent être un lieu de rencontre, uneparole prononcée avec la force de la communion, une lumière qui nous guidedans des situations de ténèbres, un engagement de l’Union pour cheminer dansles années à venir.

Les célébrations eucharistiques, préparées par les divers groupes linguistiqueset animées par différentes chorales, solistes et ensembles instrumentaux,furent les moments clés de cette grande assemblée ecclésiale. Le premier jour,l’Eucharistie fut célébrée par le P. Eusebio Hernández représentant de laCIVCSVA, le Cardinal Rodé ne pouvant être présent. Un autre jour, elle futprésidée par le supérieur général des Jésuites, le P. Adolfo Nicolas qui nousa invitées à ne pas nous laisser distraire mais à nous centrer sur l’essentiel.Enfin, c’est le P. Antonio Pernia, supérieur général du Verbe Divin qui célébrala messe de clôture, l’animation musicale étant assurée par le groupe dessupérieures générales de la R. D. du Congo.

D’après le calendrier prévu, l’Assemblée devait se terminer un mardi pourque les participantes puissent être présentes à l’audience générale du SaintPère le lendemain, mercredi. Mais en raison de sa visite au Portugal, annoncéequand tout était déjà fixé et organisé, ce ne fut pas possible au grand regret detoutes, surtout celles qui venaient de loin, pour la première fois à Rome. Untélégramme du Cardinal Tarsicio Bertone exprimait aux participantes lesmeilleurs souhaits du Pape Benoît XVI.

L’Assemblée plénière 2010 est maintenant terminée mais il reste l’expériencevivante, la joie d’une rencontre et une lumière pour continuer à cheminer carce n’est plus la nuit quand on découvre la Source, et la foi nous illumine.

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INTRODUCTION À L’ASSEMBLÉEPLÉNIÈRE

Sr. Maureen Cusick, NDS

Présidente de l’UISG

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trouvez à une table avec neuf autres personnes, afin que vous ne vous sentiezpas trop dépassées. Pendant les quatre jours qui vont suivre vous pouvezconsidérer ces neufs sœurs comme votre communauté de foi.

Comme vous le savez, notre thème concerne les aspects mystique etprophétique de notre vie. Ce thème n’est pas sorti de nulle part, il est venu devous et de celles qui avez réfléchi avec nous pour préparer cette Assembléeplénière. Ce thème s’imposait de façon tellement forte que nous avons étéétonnées de l’unanimité et bien sûr du mouvement de l’Esprit qui ne cesse denous surprendre.

Nous voici donc prêtes à explorer un thème ensemble, assurément convoquéespar l’Esprit Saint. Nous avons prévu cinq intervenant(e)s issu(e)s de cultureset de contextes différents, y compris un rabbin, qui s’adresseront à nous et nousaideront à réfléchir sur ce thème. Ce qu’ils diront sera intéressant mais la partiela plus intéressante sera ce que vous ferez de ce thème et la manière dont vousserez inspirées par la parole que Dieu vous soufflera à l’oreille à travers toutce qui sera dit et discuté dans cette vaste assemblée.

Dans cette courte introduction, je voudrais explorer avec vous ce que jecomprends du thème que l’Esprit nous a aidées à choisir -, non pas pour faireune autre conférence, mais pour ouvrir le sujet et réfléchir à l’importance devotre participation.

C’est pourquoi je désire tout d’abord considérer avec vous votre présencedans cette grande assemblée. Vous êtes supérieures générales de vos congrégations,ou bien vous avez été déléguées par votre supérieure générale pour être làpendant ces jours ; peut-être venez-vous à ce rassemblement en qualité d’invité(e)s,peut-être êtes-vous là pour assurer divers services, comme journalistes,traductrices, secrétaires de l’UISG ou encore comme l’une des nombreusesvolontaires qui sont ici pour veiller à ce que les choses se déroulent bien – vous

ienvenue à chacune d’entre vous, à vous toutes, à celles qui sont déjàvenues ici et particulièrement à celles d’entre vous qui êtes ici pourla première fois, et qui vous sentez un peu submergées. Vous vous

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Introduction à l’Assemblée plénière

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êtes toutes les bienvenues. Nous espérons que pendant ces quatre jours, voustoutes qui êtes ici dans cette grande salle, vous entrerez avec nous dans uneécoute obéissante, une écoute de discernement… pour que nous puissionsproclamer la Parole à nos congrégations et à l’Église. Nous ne sommes pas icipour rédiger une déclaration, mais si nous écoutons vraiment, de manièremystique et contemplative, il nous faudra ensuite parler ouvertement à l’Égliseet au monde comme des prophètes… Ceci pourra prendre la forme d’unedéclaration finale.

Je vois cette Assemblée plénière comme une aventure dans l’obéissance.Qu’est-ce que j’entends par là ? Qu’avons-nous en commun ? Que noussoyons consacrés - hommes ou femmes - dans l’Église, laïcs consacrés, mariésou célibataires, nous sommes tous/toutes appelé(e)s à « entendre » la Parolede Dieu et à agir sur cette Parole. Comment le ferons-nous pendant ce tempsque nous passerons ensemble ?

La Parole de Dieu, nous le savons, vient à nous sous de nombreusesformes différentes, non seulement celle du texte biblique, bien que pour nousqui appartenons au peuple du Livre, le texte biblique est éminemment significatif.Nous entendons la Parole de Dieu qui nous est adressée à travers les événementsd’aujourd’hui et de nombreuses situations, livres, conférences, etc. Tout celavous le savez…

Notre obéissance consacrée nous appelle à être ouvertes à cette Paroled’où qu’elle vienne, à interpréter et à proclamer cette parole à d’autres. Noussommes ici, présentes à ce grand événement, pour écouter ensemble la Parolede Dieu. 800 paires d’oreilles et autant de cœurs !

La force de vos voix qui désiraient ce thème nous conduit à croire quenous sommes de nouveau appelées à raviver sérieusement l’appel à l’aspectmystique de notre vie afin de renouveler aussi sa dimension apostolique. Nousne pouvons proclamer une Parole prophétique si notre relation avec Dieu n’estpas mystique !

J’ai choisi un texte biblique qui, je l’espère, nourrira et renforcera cetteréflexion d’introduction sur l’obéissance du mystique et du prophète.

Le texte que j’ai choisi est tiré du Livre de l’Exode ch. 24 v.7 où Moïseredescend du Mont Sinaï. Vous vous souvenez du récit - après avoir donné laloi au peuple et après les discussions qui s’en suivirent, les hauts et les bas -le peuple ne supportait plus la nourriture, l’eau n’était pas bonne, il y avait desserpents et des scorpions etc. Finalement Moïse a une nouvelle conversationavec Dieu et dans les versets qui précédent immédiatement notre texte, audébut du chapitre 24 - quelle qu’ait été la discussion de Moïse avec le Seigneur,car le texte ne nous dit pas ce qui se passe alors – Moïse redescend et célèbrele rite qui conclut l’alliance. Et nous en arrivons au verset 7. Il prit le livre de

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l’Alliance et il en fit la lecture d’une voix forte pour que le peuple entende.Le peuple dit alors : « Nous ferons et nous entendrons ». Est-ce que vouscomprenez l’ordre des mots - nous ferons et ensuite nous entendrons ? C’estun peu étrange, et votre traduction dit sans doute, ‘nous obéirons et nous feronstout ce que dit le Seigneur’… mais la traduction littérale du texte hébreu c’est :nous ferons et nous entendrons (obéirons). Dans les commentaires juifs, onnous dit que cette tournure exprime le lien entre faire et entendre. À proposde l’importance de faire,- le judaïsme était d’abord une religion morale -, faire(mitzvot) de bonnes actions est une façon d’exprimer son amour de Dieu.Aussi, quand nous lisons, « nous ferons et nous entendrons », après que lepeuple ait reçu la Torah, mais sans qu’il en ait exploré le contenu, cela signifiequ’ils font un acte de foi qui les engage par rapport au Seigneur, en sachantqu’en faisant, ils pourront mieux entendre la Parole de Dieu en profondeur, etferont la volonté de Dieu plus consciemment.

Entendre – l’obéissance est un affaire d’écoute ; pas seulement avecl’oreille mais avec le cœur. En anthropologie biblique, l’organe de la volontéc’est le cœur.

(Commentaire juif)

« Celui/celle qui entend la Parole et ne la met pas en pratique, mieux vautpour lui/elle qu’il/elle ne soit pas né(e) ».

Voici un beau commentaire sur le psaume 40 v. 7, « Tu n’as demandé nisacrifices ni offrandes, mais tu m’as ouvert l’oreille. Tu n’as demandé niholocauste ni victime, c’est pourquoi, me voici. Dans le rouleau du livre il estécrit pour moi : Mon Dieu, j’ai désiré faire ta volonté, ta loi est dans mesentrailles ».

Cela signifie que le Seigneur m’a ouvert l’oreille. Mais ce n’est pas assez.Je ferai ta volonté. Et je réaliserai alors combien ta Torah est profonde dansmon être. Aujourd’hui, nous dirions qu’elle est dans notre ADN.

Dans le Nouveau Testament, nous avons l’exemple magnifique de Marie :« Qu’il me soit fait selon ta parole ».

Elle « fait » avant de comprendre pleinement le sens des mots de l’ange.Elle en garde le souvenir vivant dans son cœur. Et elle sait que peu à peu cesparoles de Dieu par la bouche de l’ange révèleront leur sens et lui permettrontd’entrer de plus en plus pleinement dans la volonté aimante du Seigneur.

De même, à Cana, Marie dit aussi : « Faites ce qu’il vous dira ». Denombreux passages de l’Évangile expriment le lien entre entendre et faire: parexemple en Mt 7, 24-27.

Qu’en est-il, alors, de la personne qui entend mes paroles et agitconformément ? Il/elle est comme celui/celle qui bâtit sa maison sur un rocher,

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Introduction à l’Assemblée plénière

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la pluie est tombée, les torrents sont venus et le vent a soufflé et s’est déchaînécontre la maison, mais elle n’a pas croulé parce qu’elle avait été fondée sur leroc… c’est-à-dire la Parole de Dieu.

Il y a de nombreux autres exemples dans les Évangiles - Jésus dit :« Quiconque fait la volonté de mon Père … celui-là m’est un frère et une sœuret une mère » Mt 12,50.

Revenons à notre thème de réflexion sur les aspects mystiques de notrevie afin de nous conformer à ces paroles et de parler avec courage. On ne peutjamais dire de soi-même que l’on est prophète ; les autres peuvent le dire ànotre sujet, cependant, chacune de nous est appelée à dire une parole prophétique.

Je voudrais ajouter quelque chose sur quelqu’un qui a énormément écritsur les prophètes hébreux et sur la prophétie aujourd’hui. C’est le RabbinAbraham Heschel- c’était un érudit, un philosophe, un maître, un rabbinmagnifique de la tradition mystique du judaïsme. Il disait qu’il ne pouvait priers’il ne parlait haut et fort et agissait contre les injustices dans le monde qu’ilportait dans la prière. Il se joignit à Martin Luther King dans les marches pourles droits civiques en Alabama (USA). Il participa aux marches de protestationcontre la guerre du Viêt-Nam, il vint à Rome pendant le Concile Vatican IIpour être aux côtés du cardinal Bea qui travaillait sur le document NostraAetate et les relations des Églises avec le judaïsme.

Nous avons toutes des exemples à citer parmi nos propres sœurs et frères– des hommes et des femmes qui ont vraiment entendu la Parole de Dieu et ontagi avec courage, avec justice, et qui ont marché humblement avec leur Dieu.

Et dans nos vies il y a aussi de nombreux exemples de circonstances oùnous nous sommes instinctivement levées pour défendre quelqu’un ou quelquesituation, sans connaître vraiment tous les détails… C’est seulement aprèsréflexion que nous avons compris le sens plein de nos actions. Parfois nousentrons vraiment dans un discernement et agissons clairement d’après laParole que nous avons entendue de nos oreilles ou dans notre cœur. L’obéissancese prête à des expressions variées!

Pendant ces jours, nous saisirons l’occasion de renouveler notre profondengagement à l’appel mystique au-dedans de nous, qui nous rend capable decontinuer à tendre la main – à dire la vérité - à agir avec justice parce que nousavons marché tendrement avec notre Dieu.

Et maintenant, je souhaite à chacune d’entre vous de trouver sa joie danscette aventure, avec son Dieu et les unes avec les autres pendant ces jours, encette ville éternelle de Rome, si belle et attachante.

Merci. Et merci aux traductrices.

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HOMÉLIE DE L’EUCHARISTIED’OUVERTURE

P. Eusebio Hernández Sola, OAR

Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de VieApostolique (CIVCSVA).

Original en italien

Dans la première lecture, tirée des Actes des Apôtres, nous est décrit uncourt moment de l’activité apostolique débordante de saint Paul. Accompagnéde Silas et de Timothée, le compagnon très fidèle et préféré, Paul traverse laPhrygie et la Galatie. Ils parviennent en Mysie et descendent jusqu’à Troas.Appelé en songe, l’apôtre se dirige avec ses collaborateurs vers la Macédoinepour y porter l’Évangile de Jésus.

On ne peut qu’être rempli d’une profonde admiration devant le zèleapostolique et l’angoisse missionnaire de Paul qui, poussé par l’amour duChrist, ne peut s’empêcher d’annoncer sa parole et son message de salut :« Annoncer l’Évangile n’est pas pour moi un titre de gloire ; c’est unenécessité qui m’incombe. Oui, malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! »affirme l’apôtre avec force. Paul reste dans l’Église le modèle insurpassabledu missionnaire apostolique qui « saisi par le Christ Jésus» (Ph 3,12), brûledu désir de le faire connaître et aimer par tous. Terrassé sur le chemin deDamas, Paul perçoit toute l’urgence de l’annonce chrétienne : sa vie entière nesera autre chose que l’annonce du Christ mort et ressuscité pour le salut del’humanité. Voyages, jeûnes, persécutions, coups de fouets, naufrages, refuset incompréhensions ne suffiront pas à freiner l’ardeur de celui qui « saisi parle Christ » (Ph 3,12) veut que tous et toutes soient saisi(e)s et aimé(e)s par Lui.

Personnellement, j’ai pu constater une semblable ardeur évangélique etmissionnaire au cours de mes voyages pour être présent auprès des diverses

a liturgie d’aujourd’hui et la Parole de Dieu sont particulièrementriches de suggestions et de sujets de réflexion et de prière.

Chères Sœurs,

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Conférences de Supérieur(e)s Majeur(e)s de religieux et religieuses dans lemonde. J’ai vu de mes yeux l’imagination toujours neuve de la charité, lacréativité apostolique, le témoignage plein d’amour de la vie consacrée àl’égard de ceux qui souffrent, envers le monde blessé et esclave de la haine.Il n’est pas de pauvreté, il n’est pas de misère, il n’est pas de besoin de cettepauvre humanité déchirée, divisée, souffrante, humiliée à laquelle la vieconsacrée, - féminine surtout - , n’ait porté et ne porte encore le réconfort etl’aide nécessaire avec affection, délicatesse, charité. Vous vous êtes faitesproches des pauvres, des personnes âgées, des toxicomanes, des malades dusida, des personnes exilées, des femmes et des enfants achetés et vendus, despersonnes qui endurent toutes sortes de souffrances à cause de leur réalitéparticulière. Votre créativité apostolique a su trouver des réponses neuves auxnouveaux besoins d’où monte le cri de l’humanité qui souffre. Aujourd’hui,le monde a besoin de cet évangile raconté par la vie ; une présence qui sait sefaire signe et transparence de l’amour de Dieu.

Le thème « Je la connais la source qui jaillit et se répand… bien que denuit », inspiré de saint Jean de la Croix nous renvoie à une réflexion trèsapprofondie sur le présent et sur l’avenir de la vie consacrée, précisément àpartir du binôme mystique-prophétie. Vous connaissez bien le célèbre passagede Vita Consecrata : « La véritable prophétie naît de Dieu, de l’amitié avec lui,de l’écoute attentive de sa Parole dans les diverses étapes de l’histoire. Leprophète sent brûler dans son cœur la passion pour la sainteté de Dieu et, aprèsavoir accueilli sa parole dans le dialogue de la prière, il la proclame par savie, ses lèvres et ses gestes, se faisant le héraut de Dieu contre le mal et lepéché » (n° 84). La première prophétie est le témoignage prophétique duprimat de Dieu et des valeurs évangéliques dans la vie chrétienne. Il n’en fautpas d’autre : toute la vie consacrée est là. Si nous comprenions bien cetenseignement nous aurions une vision renouvelée de notre vie et de notremission.

Par exemple, aujourd’hui tous les Instituts, avec du plus ou du moins,souffrent du triste phénomène de la diminution numérique. Tous, ou presque,nous le vivons comme un « malheur » alors qu’on doit y voir un « kairòs » :« Si dans certains endroits les personnes consacrées deviennent un petittroupeau, (...) on peut interpréter ce fait comme un signe providentiel qui inviteà reprendre la tâche essentielle d’être levain, ferment, signe et prophétie. Plusla pâte à faire lever est grande, plus la qualité du ferment évangélique doit êtregrande, et plus aussi le témoignage de vie et le service charismatique despersonnes consacrées doivent être forts » (Repartir du Christ, 13).

L’Évangile de Jean nous a ensuite proposé un bref passage du longdiscours du Maître au cours de la dernière cène, tout centré sur la phrase : « Sile monde vous hait, sachez qu’il m’a pris en haine avant vous ». Nous

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traversons actuellement une de ces persécutions dont le Seigneur a souffert etdont souffre aujourd’hui son Église.

Dans une telle situation, due à certains scandales, il n’est pas impossibleque l’une ou l’autre – Dieu fasse qu’il n’en soit pas ainsi ! – ait honted’appartenir à l’Église ou à un institut religieux, peut-être consacré à l’éducationdes jeunes. À toutes, je voudrais répéter avec force, précisément avec l’apôtrePaul : « Je ne rougis pas de l’Évangile : il est une force de Dieu pour le salutde tout homme qui croit » (Rm 1,16). La seule honte que doit avoir un chrétien,et à plus forte raison une personne consacrée, est celle de pas être un saint/unesainte.

La situation actuelle exige une grande sainteté, la capacité de faire taireles adversaires ou les ennemis par le témoignage joyeux et plénier d’uneadhésion radicale à l’Évangile du Christ vécu dans la profession des Conseilsévangéliques de pauvreté, chasteté, obéissance, manifesté individuellement etcommunautairement. En d’autres termes, la situation exige des personnes etdes communautés pleines de joie et d’enthousiasme, malgré tout ! Dieun’abandonne pas son Église, Il la guide et la protège, surtout dans les momentsdifficiles.

Les apôtres réveillèrent Jésus endormi dans la barque sur le lac agité parla tempête (Mt 8,23-25). Cette barque dans la tempête représente parfois la viede l’être humain ; elle peut aussi représenter l’Église, ou encore la vieconsacrée, la vie de chacun/chacune d’entre nous. Les défis et les difficultésde notre fragilité personnelle, la calomnie et la persécution, telles des vaguesrageuses et menaçantes, nous assaillent et tentent de nous submerger ; le tempsest sombre et orageux, la rive et le port nous paraissent loin et peu sûrs, nosforces pour ramer semblent s’amenuiser et tout nous semble perdu. ChèresSœurs, n’oublions pas le plus important : avec nous dans la barque, Jésus estlà, même s’il semble endormi. La barque ne peut s’enfoncer, parce que leChrist est à bord, avec nous. Éffrayé(e)s par la tempête, nous oublions saprésence. Mais si nous l’invoquons, si nous le prions, si nous le réveillons, Ilse lèvera encore pour apaiser les difficultés, les obstacles, les persécutions etil se fera à nouveau « un grand calme ».

À Marie, Mère de la vie consacrée, Femme de la Résurrection, nousconfions cette rencontre et tous vos chers Instituts.

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Mystique et prophétie

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CDMYSTIQUE ET PROPHÉTIE

UN STYLE DE VIE ET DE NOUVEAUX ARÉOPAGES

P. Ciro García, OCD

Le P. Ciro García Fernández, carme déchaux, est né dans la province deLeón (Espagne). Depuis 1968 il est professeur de théologie dogmatique etd’anthropologie théologique à la faculté de Théologie du Nord de l’Espagne,dont le siège est à Burgos. Depuis 2003 il enseigne aussi l’Histoire desreligions. Il a donné des cours de spiritualité à Rome, à Madrid, à Mexico,à Haïfa et à l’Université catholique du Honduras. Il est l’auteur d’unevingtaine d’ouvrages de théologie, d’anthropologie, de spiritualité et despiritualité carmélitaine.

Original en espagnol

Introduction* “ Je la connais la source qui coule et se répand…”* Appelés à être mystiques et prophètes1. Deux identités fondamentales et dynamiques de l’expérience chrétienne

1.1. L’expérience mystique1.2. L’expérience prophétique1.3. L’irruption de l’“Autre”

2. Le réveil mystique et prophétique de l’époque contemporaine3. L’interpellation mystique et prophétique de la vie consacrée

3.1. La mystique de la consécration3.2. La prophétie de la mission3.3. Mystique et prophétie dans “Passion pour le Christ et passion pour

l’humanité”.4. Les nouveaux aréopages de la mystique et de la prophétie

4.1. Les aréopages de la mystiquea) Le vécu personnel de la foib) L’écoute de la Parolec) L’expérience de Dieu “au milieu de la vie”d) L’urgence ecclésiale de témoins

4.2. Les aréopages de la prophétiea) À partir d’une situation d’exilb) Créer une famille (maison-foyer), une communionc) Humaniserd) La sagesse des petits signese) Le service de la charité: Un “cœur qui voit”.

Conclusion: Un chant de louange

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* “Je la connais la source qui coule et se répand…. ”

Le don le plus grand, le cadeau le plus précieux que le Seigneur puissefaire à la vie consacrée et à chaque religieuse, est de lui découvrir (de lui fairegoûter) cette fontaine secrète d’eau vive – “Chose si belle que ciel et terre s’enabreuvent”-, de l’y faire boire et de chanter son riche débit – “courantsimpétueux qui arrosent enfers, cieux et peuples”-, et d’étancher la soif descréatures – “Là elle appelle les créatures et de cette eau les abreuve, quoiquedans les ténèbres”-. Cela s’est passé ainsi dans la vie de frère Jean de la Croix,mystique, chantre et prophète, qui se réjouit de connaître les mystères de la foi(la source) qui jaillissent dans l’histoire comme un torrent (le Christ) etinondent la vie entière (ciel et terre), comme les fleuves jaillis dans le désertet annoncés par le prophète (cf. Ez 47,8-9).

Ainsi Jean de la Croix expérimente et chante sa foi en Dieu, étantpersécuté, marginalisé, enfermé dans le plus lugubre cachot de la prison deTolède (novembre 1577-août 1578). Là en un lieu obscur et ténébreux, naît lepoème de la source, plein de vie, de lumière et de couleur qui chante l’expériencede connaître Dieu dans la foi, dépassant l’hostilité, l’obscurité et la mortmême. Je pense que c’est une parabole pour la vie consacrée, enracinée dansles sources du salut, comme la source cachée, comme le lieu secret où abondentles sources, dont les eaux impétueuses sont appelées à féconder nos lieuxsolitaires desséchés et nos déserts incultes, et à faire germer la vie, fleurir lesplantes et mûrir les fruits pour la vie du monde. Et, ceci quoiqu’il fasse nuit,bien que les ténèbres se fassent plus denses et que redoublent les difficultés.

Il n’y a pas d’autre sens à donner au vécu mystique et prophétique de lavie consacrée. Elle est la découverte joyeuse des sources du salut, la recherchedu trésor caché, la rencontre du Christ et l’annonce prophétique de sonRoyaume. Mystique et prophétie sont avant tout une expérience que nousessaierons de décrire, non théologiquement mais existentiellement.

En ce sens nous aborderons les nouveaux aréopages de la mystique et dela prophétie : a) Une expérience basée sur la foi, alimentée par la Parole, quinous fait découvrir Dieu au milieu de la vie et nous fait sentir l’urgence dutémoignage (aréopages de la mystique) ; b) L’annonce à partir d’une situationd’exil (nuit), qui crée la communion, qui humanise à travers de petits signeset à travers le service de la charité (aréopages de la prophétie).

Tout cela éclate en un chant de louange, qui fait sien “les joies et lesespérances” de la famille humaine et recrée prophétiquement la vie consacrée.

* Appelés à être mystiques et prophétiques

Mystique et prophétie sont deux aspects essentiels étroitement liés de

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toute identité religieuse, de la vie chrétienne et de la vie consacrée. La premièrerenvoie plus directement à l’union à Dieu ; la seconde s’oriente plusimmédiatement vers l’accomplissement de sa volonté ici et maintenant. Seuleune sage conjonction de l’une et de l’autre peut forger une identité religieuseauthentique de Dieu et de la personne humaine. Il n’y a pas d’authentiquemystique si elle ne débouche sur un engagement éthique et prophétique ; ni onne peut penser à une prophétie qui ne se nourrisse d’un lien profond au divin 1.

Tout homme-toute femme, tout consacré-toute consacrée, est appelé(e) àêtre mystique et prophète, c’est-à-dire à avoir une expérience de Dieu et de saParole, qu’il faut transmettre ; les deux devant s’impliquer dans l’histoire del’Église et du temps. Le vrai chemin, donc, se rencontre dans l’interrelationde ces deux identités : il ne s’agit pas tant d’être mystique “ou” prophète, maisd’être mystique “et” prophète.

Partant de ce postulat et de la propre expérience personnelle : 1) nousdévelopperons chacune des deux identités religieuses comme deux identitésfondamentales de l’expérience chrétienne, signalant en même temps, lesrelations dynamiques qui existent entre elles ; 2) nous décrirons brièvement leréveil mystique et prophétique de la spiritualité contemporaine ; 3) nousmettrons en relief leur incidence sur la vie consacrée, dans sa double dimensionmystique et prophétique, en signalant l’urgence du témoignage mystique etprophétique dans l’Église actuelle ; 4) Nous indiquerons, enfin, quelques-unsdes nouveaux aréopages de la mystique et de la prophétie qui surgissentactuellement dans le cadre de la vie consacrée.

1. Deux identités fondamentales et dynamiques de l’expériencechrétienne.

Mystique et prophétie ne sont pas deux identités religieuses statiques,mais dynamiques. Cela veut dire qu’elles se donnent à l’intérieur d’un processusreligieux de maturation et de purification de la personne (les nuits de Jean dela Croix), résultat de l’action transformatrice de la grâce divine et d’unehistoire complexe d’identifications, caractérisée par cet engagement personnelde donner plénitude et sens à sa propre existence. Dans l’horizon mystiquecette plénitude s’obtient dans la rencontre avec Dieu (l’union mystique), quiest le désir le plus profond de l’être humain (cf. GS 19) : “Si l’âme chercheDieu, son bien-aimé la cherche encore plus ” (VF 3,28).

Tous, nous portons en nous un mystique (et un prophète), mais aussi unpetit bouddha, qui incarne les nécessités et les désirs les plus profonds, quicherche le sens de sa vie, qui aspire à un avenir de changement et de nouveautéet à la réalisation finale utopique. Si ceci est vrai anthropologiquement etreligieusement parlant, alors c’est encore plus vrai du point de vue de la foi

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chrétienne et de la vie consacrée. Effectivement, le christianisme estprimordialement une mystique, ce n’est ni une éthique ni un code moral ; c’estla mystique de la suite de Jésus et de la configuration baptismale à sa personne.De même, la vie consacrée est une mystique et une prophétie ; elle estessentiellement consécration au Christ (mystique) et annonce de la BonneNouvelle (prophétie).

1.1 L’expérience mystique

L’expérience mystique quelle que soit son expression, semble avoircomme objectif essentiel la recherche d’une union qui rompt les limites du Jeet, de cette façon plonge dans une réalité vécue comme comblante, appeléeunion mystique. L’expérience mystique est essentiellement pati divina, c’est-à-dire experiri la présence de Dieu et “souffrir”, “ressentir” accueillir sonaction transformante en nous ; elle est par conséquent lien, relation, “regardamoureux”, contact amoureux avec une réalité immensément valorisée etconçue comme le centre secret le plus intime de l’existence et comme sa sourcepermanente, qui fait exclamer au mystique : “Oh ! Vive Flamme d’amour/ quitendrement blesse/ mon âme en son centre le plus profond !” (Saint Jean de laCroix, La vive flamme d’amour).

Elle se manifeste en un état particulier de conscience, de confiance etd’abandon en la réalité de Dieu crue, en laquelle non seulement la grâce joueun rôle décisif, mais aussi la psychologie personnelle de chacun dans sa proprecondition d’homme ou de femme. On dit que la femme possède une plus grandedisposition à la mystique et l’homme à la prophétie. “La mère crée la vie, lepère l’histoire” (G. Van der Leeuw). Quoique les composantes mystico-prophétiques se donnent tout autant dans le féminin que dans le masculin,historiquement les attitudes et comportements prophétiques se trouvent plusliés aux composantes masculines de la personnalité : loi, exigence, dénonciation,châtiment…

1.2 L’expérience prophétique

De même que le vécu mystique se caractérise par l’expérience de laprésence enveloppante de l’Autre, le vécu prophétique se caractérise parl’écoute de la parole qui vient de la divinité, et que le prophète se sent obligéà regret de transmettre. Le prophète est le porte-voix d’un message divin ; ladivinité fait irruption en lui, non tant pour se communiquer dans l’intimité, quepour le pousser à prononcer sa parole salvifique. La parole entendue ettransmise comporte toujours l’exigence d’une action transformatrice de l’histoire.

L’espace symbolique de l’identité prophétique ne sera pas l’espace intimeet recueilli de la cellule, comme dans le cas de l’expérience mystique. Sonespace paradigmatique sera celui de la place publique, là où se déroule la vie

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sociale, dans ce lattis de relations interpersonnelles tissées par la vie politique,économique et culturelle.

En ce sens, nous voyons combien le prophétisme biblique évolue, dudéchiffrement des énigmes jusqu’à la découverte d’une mission et d’uneresponsabilité historique, compromise avec la collectivité. Ainsi, la préoccupationpour la justice, pour l’établissement d’une société digne de Dieu et de ses fils,les êtres humains, vont peu à peu conquérir le centre du prophétisme juif 2.

1.3 L’irruption de l’Autre

Mystiques et Prophètes, en leurs différents aspects, possèdent quelquechose en commun : tous deux sont témoins de l’irruption de l’Autre qui lestranscende et au nom duquel ils se transforment, modifiant ainsi leur identitépersonnelle.

Le mystique expérimente l’Autre intervenant en lui du plus profond deson intériorité. Le prophète, en échange, décrit cette irruption de l’Autre noncomme émergeant de son intériorité, mais comme une voix extérieure. Unevoix inattendue, surprenante et en général inquiétante, qui appelle pour unedifficile mission : «Malheur à moi ! Je suis un homme aux lèvres impures» (Is6,5). «Ah ! Seigneur mon Dieu, je ne saurais parler, je suis trop jeune» (Jr 1,6).«Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile !» (1 Co 9,16).

2. Le réveil mystique et prophétique de l’époquecontemporaine

Le XXè siècle malgré son processus de sécularisation et de crise religieuse– au moins dans le monde occidental – se caractérise par un intérêt croissanttant pour l’étude que pour le vécu mystique. Ce mouvement de renouveau, quiest amplement documenté 3, tend à promouvoir la vie mystique commeplénitude de vie chrétienne et comme dénonciation prophétique de la culturesécularisée et matérialiste.

Tous nous avons été et sommes protagonistes, dans une mesure plus oumoins grande, de cette situation religieuse du siècle passé et de notre propresiècle, caractérisée par une série de changements rapides et profonds, qui ontmarqué nos vies : sécularisme, postmodernité, unis aux situations retentissantesd’injustice et de marginalisation. Devant ces situations et changements profonds,il nous a fallu réajuster les paramètres de notre propre vie consacrée, suivantles orientations conciliaires d’« un retour continu aux sources de toute viechrétienne ainsi qu’à l’inspiration originelle des Instituts et, d’autre part, lacorrespondance de ceux-ci aux conditions nouvelles d’existence» (PC 2).

Personnellement j’ai suivi de très près l’évolution de la situation religieusecontemporaine, à travers l’étude des courants de spiritualité et de mes propres

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tâches pastorales. Je parlerai donc à partir de ma propre expérience plus qu’àpartir des exposés théoriques théologiques ou pastoraux.

Mon expérience a été profondément marquée par ces deux pôles à savoir :le retour aux sources de la Révélation et l’ouverture aux nécessités du mondecontemporain, avec ses situations de pauvreté, de marginalisation, de violenceet d’injustice. Le chaînon ou lien d’union entre ces deux pôles a été mapréoccupation pour la mystique et, plus concrètement, pour la mystiquecarmélitaine. Celle-ci m’a fourni la synthèse vitale-existentielle de ma théologieet de ma consécration religieuse, et a avivé en moi la prise de consciencerenouvelée des situations d’incroyance (premier monde) et de pauvreté (tiersmonde).

À partir de ces situations, j’ai essayé de donner une réponse aux problèmesque présente aujourd’hui la foi et son annonce ; également j’ai essayé derépondre aux défis de la consécration et de la mission de la vie religieuse dansl’Église, sensible aux situations de pauvreté et d’exclusion dans de grandssecteurs de l’humanité.

En ce sens je veux exprimer quelques convictions :

1° La vie chrétienne et en particulier la vie consacrée, ne peut se vivre enmarge de la situation contemporaine qui pose aujourd’hui le problème dela foi et de la spiritualité en général et qu’il est nécessaire de connaître,pour répondre prophétiquement tant aux désirs et aux interrogations lesplus profondes de l’être humain qu’aux situations dramatiques demarginalisation et de pauvreté.

2° De même il faut qu’elle soit fondée sur les sources bibliques et liturgiques ;sur une série de réflexions théologiques qui nous aide à pénétrer lemystère révélé de notre foi, dépassant ainsi le divorce entre théologie etspiritualité. On parle de déficit spirituel de la vie religieuse, mais nefaudrait-il pas parler aussi en quelque manière du déficit de formationthéologique ?

3° Finalement, la vie consacrée doit être ancrée sur la double ouverture,mystique et prophétique que nous avons exposée. L’expérience mystiquereprésente la plénitude de la vie chrétienne ; c’est l’expérience vécue nonseulement dans le silence de l’oraison mais aussi dans la quotidienneté del’existence, à travers la vie théologale.

4° L’expérience prophétique, qui s’alimente du vécu mystique, pousse àl’engagement éthique et social, qui se traduit non dans les grandes causesde l’humanité mais dans les petits gestes d’humanisation : attention auxpauvres, malades et marginaux. L’expérience de Dieu ne peut se réaliserdans l’isolement, l’indifférence, le manque d’attention à la souffrance deshommes.

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3. L’interpellation mystique et prophétique de la vie consacrée

Tous nous connaissons et avons expérimenté les changements survenusdans la vie consacrée, avec ses lumières et ses ombres, avec ses forces et sesfaiblesses, avec ses réussites et ses limites. Sans tenter de faire le bilan, nousavons aujourd’hui une meilleure connaissance de ce qu’est la vie consacrée,de ses valeurs fondamentales, de sa théologie, de sa spiritualité et de sa missionau sein de l’Église, ainsi qu’une meilleure connaissance du charisme spécifiquede nos Fondateurs.

Tout ceci étant supposé, nous nous interrogerons maintenant sur ce quiinterpelle la vie religieuse aujourd’hui dans sa double dimension mystique etprophétique. Vous connaissez toutes le texte de VC sur le prophétisme de lavie consacrée (Cf. VC 84-85). Centrons notre réflexion sur la valeur de laconsécration et sur le sens de la mission 4 en faisant une référence au CongrèsInternational de la Vie consacrée de 2004.

3.1 La mystique de la consécration

La consécration religieuse ne se pense pas en dehors de la mystique de lasuite de Jésus et de la conformité à sa personne. La suite est une memoria Iesu,qui rend Jésus présent, ainsi que son mode de vie et de comportement, en vertudes vœux de pauvreté, chasteté et obéissance. Elle comprend une union et unefamiliarité avec Lui, comme celles des disciples, qui marquent profondémentla vie religieuse. Celle-ci se base sur la rencontre, le contact, la familiarité avecsa vie et sa personne ; la reproduction de son style de vie, de sa pratiquepersonnelle, libre, choisie et aimée, de la pauvreté, de la chasteté et del’obéissance. C’est le fondement vrai, ferme et irréfutable de notre vie consacrée(Cf. VC 88-90).

Évidemment la vie consacrée est plus que les vœux, mais les vœuxforment une partie essentielle et significative de ce mode de vie. La vieconsacrée est appelée à vivre les vœux d’une manière intégrée comme facteurd’identité personnelle, comme lieu de rencontre avec Dieu et comme dimensionmissionnaire de l’existence, comme partie de la prophétie qui la constitue. Siceci ne nous identifie pas et ne se voit pas dans ses effets au jour le jour, si nousnous embourgeoisons et rabaissons le sens évangélique des vœux, noussommes en définitive en train d’enterrer le talent reçu, par peur de le mettreen circulation.

3.2 La prophétie de la mission

Il n’existe pas de consécration sans mission. La vie consacrée est pour lamission. La consécration vécue comme engagement envers Dieu, commeamour de Jésus et comme service du peuple de Dieu, est déjà mission : lamission par excellence d’annoncer le Christ, de le rendre présent, reproduisant

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les traits existentiels de sa vie par les conseils évangéliques (Cf. VC 72-75).La consécration est la dimension prophétique de la vie consacrée.

Aujourd’hui on parle particulièrement de forme affirmative, comme l’aété la vie de Jésus, c’est-à-dire, l’annonce de la Bonne Nouvelle : «La missionde la vie consacrée est de se convertir dans un mode de vie fraternel, une formede gouvernement, une simplicité de vie, des réalisations missionnaires, éducatives,caritatives et contemplatives précisément en anticipation prophétique du Royaume.Ainsi, elle se convertira en un signe éloquent de l’Évangile, tant pour la sociétéoù elle est insérée, que pour l’Église dans laquelle elle fleurit. En vue desvocations, la prophétie affirmative qui montre des alternatives évangéliquesvisibles aux maux de la société, semble plus nécessaire que la prophétienégative»5.

Au Synode sur la vie religieuse, le Cardinal Ratzinger a offert un apportmagistral sur le vrai sens du prophétisme, dans la Proposition n°39. Lesvaleurs de la prophétie s’enracinent précisément dans l’expérience de Dieu etde sa Parole, dans l’amitié avec Dieu qui mûrit dans le dialogue de l’oraison,dans la passion pour sa Sainteté et sa Gloire, dans la recherche passionnée desa Volonté et dans le témoignage pour la vérité. Une action prophétique quidemande le courage de l’annonce et de la dénonciation, la cohérence de vie,jusqu’à sceller de son propre sang le message de Dieu. Une action prophétiquequi exige aussi la recherche passionnée de nouveaux chemins pour construirele Royaume de Dieu, la communion ecclésiale. Ainsi le vrai prophétisme senourrit de la Parole de Dieu, de la contemplation de sa présence et de son actiondans l’histoire.

3.3 Mystique et prophétie dans la “Passion pour le Christ et la passionpour l’humanité”

Le Congrès International de la Vie Consacrée s’est déroulé à Rome ennovembre 2004 sur le thème : “Passion pour le Christ, passion pour l’humanité”6.La dimension mystique et prophétique y a été abordée à la lumière de deuxicônes bibliques : la rencontre de Jésus et de la Samaritaine au puits de Jacob(Jn 4,1-42) et la parabole du bon Samaritain (Lc 10,29-37). Ces deux icônesprétendent harmoniser d’une manière féconde, mystique et prophétie,contemplation et action, expérience et mission. Effectivement, dans la rencontrede Dieu, la vie consacrée découvre la source d’un amour qui se fait engagementet service du prochain, spécialement auprès du plus petit et du plus faible. Età partir de ce lieu, elle se sent renvoyée à la dignité de la personne souventméprisée et au Dieu amour et miséricorde.

À la lumière de ces deux icônes bibliques, le thème mystique et prophétieacquiert un sens évangélique profond et implique un stimulus pour le renouveaude la vie consacrée au troisième millénaire. La première icône, celle de la

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Samaritaine, met en évidence l’amour et la passion pour le Christ : c’estconcrètement l’adoration, la conversation intime de la Samaritaine avec leSeigneur. La seconde, celle du bon Samaritain, met en relief la compassion,l’amour et l’attention aux blessés, les oubliés de la vie. Mais ce ne sont pas deséléments juxtaposés ou survenus en des temps disjoints, ils se situent à laracine de la rencontre avec le Dieu de la vie, avec le Seigneur des miséricordes.Ceci est le critère avec lequel, le Seigneur nous enseigne à articuler l’adorationreconnaissante du Mystère fondamental avec la compassion engagée pourl’humanité blessée, comme nous essaierons de le voir dans le paragraphesuivant.

4. Les nouveaux aréopages de la mystique et de la prophétie

L’Exhortation apostolique Vita Consecrata, parlant de la mission de la vieconsacrée (“Servitium caritatis”) signale les champs suivants : la mission adgentes, l’inculturation, l’option pour les pauvres et le soin des malades (n° 77-83). Mais l’horizon apostolique et missionnaire de l’Église s’élargit : ilcomprend les nouveaux aréopages, où la vie consacrée doit être visible : laprésence dans le monde de l’éducation et des médias (N° 96-99) et égalementl’engagement dans le dialogue œcuménique et interreligieux (N°100-103).Ces aréopages ont toute leur actualité et nous pouvons même dire qu’ils sontplus urgents que jamais.

En parlant des nouveaux aréopages, nous le faisons à partir de la doubleoptique de la mystique et de la prophétie. Cela veut dire que nous ne les traitonspas comme champs d’action ou d’apostolat mais bien comme style ou formede vie, comme attitudes fondamentales appelées à imprégner toute activitéapostolique. Pour cela, bien qu’ils soient exposés séparément, ils forment uneunité insécable, comme il ressort de notre exposé antérieur. L’identité mystiqueet prophétique sont deux perspectives de la vie consacrée qui se fondent en uneseule réalité et qui, par conséquent, ne peuvent se vivre ni se cultiver séparément.Son vrai sens serait alors dénaturé. Seul le mystique est prophète et toutprophète doit être mystique. L’unité du vécu porte aussi l’unité de la recherchedes chemins que représentent aujourd’hui les nouveaux aréopages.

Ces attitudes fondamentales s’appliquent à tous les aréopages, bien que,évidemment, selon le charisme et le champ propre de la mission de chaqueInstitut, l’un se développe plus qu’un autre. Nous indiquons ceux qui nousparaissent plus fondamentaux.

4.1 Les aréopages de la mystique

Signalons, le vécu personnel de la foi ; l’écoute de la Parole ; l’expériencede Dieu “au milieu de la vie” ; l’urgence de témoins.

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a) Le vécu personnel de la foi

Dans un monde – particulièrement en Europe – où nous sommes appelésà vivre notre foi à la belle étoile, sans appuis socioculturels ni religieux, lespersonnes consacrées – avec les chrétiens debout - sentent l’urgence d’aviverleur foi auprès des questions de Jésus à ses disciples : “Pourquoi avez-vous sipeur ? Vous n’avez pas encore la foi ?” (Mc 4,40). “Et vous, ne voulez-vous paspartir ?” (Jn 6,67).

La vie consacrée s’origine et s’alimente dans la foi. Cela semble évidentet normalement supposé, mais il convient de ne pas l’oublier. Son centre estJésus Christ, vivant, au milieu d’elle, qui l’envoie généreusement en missionvers un monde qui a soif de spiritualité. Il la remplit de son Esprit, pour qu’ellesoit un chant de louange à Dieu, Père de toute créature, et expression de sacompassion. Une fois de plus, il faut affirmer que la fécondité et la joie de notrevie passent par la familiarité avec Dieu, par la rencontre du Christ, parl’expérience mystique de foi.

Dans ce contexte, le texte de K. Rahner prend sens : “Le chrétien du futurou sera un mystique, c’est-à-dire une personne qui a expérimenté quelquechose ou ne sera pas chrétien. Car la spiritualité du futur ne s’appuiera passur une conviction unanime, évidente et publique, ni sur une ambiance religieusegénéralisée, mais préalablement sur l’expérience et la décision personnelles”7.

La motivation soulignée par Rahner apparaît aujourd’hui plus radicale.Ce n’est pas seulement une ambiance opposée à la foi chrétienne, qui exige uneexpérience personnelle, mais la nature même de la foi chrétienne, qui n’est pasune formulation doctrinale mais un vécu, une adhésion pleine à Dieu, unerelation personnelle avec Lui, la réponse à son invitation amoureuse (cf. DV2,5).

L’expérience de foi, comme le précise le grand théologien de Lubac,“n’est pas un approfondissement de soi ; c’est l’approfondissement de la foi ;ce n’est pas une tentative d’évasion par l’intérieur, c’est le christianismemême”. La nouveauté de la mystique chrétienne est dans la particularité del’adhésion à Dieu par la foi : “hors de la mystique, le Mystère s’extériorise etcourt le risque de se perdre en pures formules”8.

b) L’écoute de la Parole

L’aliment essentiel de la foi est la Parole de Dieu, consignée dans la SainteÉcriture, source primordiale de la mystique chrétienne. Elle nous offre l’histoiredu salut en clé d’alliance, incarnée dans la typologie du mysticisme chrétien.Pour cela, la Parole de Dieu comme source de vie ne peut se raréfier dans lavie des personnes consacrées ni dans leurs communautés et congrégations. Lesdeux icônes- celle du bon Samaritain (Jésus Christ) et celle de la Samaritaine

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(nous) – nous parlent de la rencontre avec Lui, comme Maître dialoguant etsource d’eau vive, admirablement décrite par Sainte Thérèse de Jésus (Vie,30,19). Ainsi un chemin de renouveau consiste à mettre l’Écriture au centre dela vie, la prier, la partager, la célébrer, l’écouter (Cf. VC 94). Le dernierSynode sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église (cf. Synodedes Évêques Octobre 2008), nous a laissé des recommandations précieuses ence sens.

c) L’expérience de Dieu “au milieu de la vie”

Aujourd’hui on parle d’une expérience mystique “au milieu de la vie”9.Son fondement anthropologique est “cette expérience fondamentale d’unattrait vers Dieu” qui existe en tout homme, en toute femme et que K. Rahnerappelle “existentiel-surnaturel”10. À partir d’une perspective historico-existentielle, la personne humaine est constitutivement ouverte à la transcendance.

Une telle expérience, n’est pas quelque chose d’exceptionnel, au contraire,la personne humaine perçoit avec lucidité les faits quotidiens de la vie : sarépugnance intérieure pour le mal, l’amour irrévocable à un “tu” contingent,la passion pour le travail bien fait, la contestation de l’injustice, le pari pourla fraternité effective, pour la coexistence humaine… Toutes ces expériences,les plus pleinement humaines et humanisantes sont toujours des expériencesde grâce.

Cette expérience se comprend à partir du regard théologique de la foi :“ Loin d’exiger des charismes extraordinaires et des grâces spectaculaires, lechrétien devra s’habituer à contempler la réalité de chaque jour avec les yeuxde la foi. Faire ainsi, le rendra capable de suivre et détecter autour de lui laconstante présence de Dieu, puissante et consolatrice ( à la fois discrète etvoilée)”11. L’expérience subsistante de Dieu n’est pas une expérience en margede la vie quotidienne, mais c’est justement – dit Zubiri – la manière d’expérimenteren tout, “la condition divine dans laquelle l’homme subsiste”12.

C’est l’expérience de Dieu dans l’humain et dans le réel, vivant dans lemonde non “comme si Dieu n’existait pas” (etsi Deus non daretur), ainsi leproclament les théologiens de la sécularisation et de la mort de Dieu, mais bienplus comme si Dieu existait” (etsi Deus daretur)13. Ce Dieu est celui qui s’estmanifesté dans la chair, dans la faiblesse humaine, dans la souffrance de laCroix ; qui est présent ici dans la douleur humaine et qui a racheté le mondeau sein de son apparente impuissance, par la puissance de l’Esprit, qui aressuscité Jésus d’entre les morts (cf. Rm 1,4).

d) L’urgence ecclésiale de témoins

Notre monde actuel a besoin de témoins. Déjà Paul VI avait rappeléopportunément que l’homme contemporain est fatigué d’écouter, rassasié de

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discours et pire encore, immunisé contre les paroles, et pour cela il écoute plusvolontiers les témoins que les maîtres, ou s’il écoute les maîtres, c’est parcequ’ils sont des témoins. L’homme contemporain entend mieux le langage desfaits et de la vie, que le langage des paroles (cf. EN 41-42). Et il ajoutait : “Pourl’Église, le premier moyen d’évangélisation consiste dans le témoignage”(EN 41).

Jean Paul II, faisant écho à ces paroles, affirme dans l’encyclique RedemptorisMissio : “L’homme contemporain croit plus les témoins que les maîtres,l’expérience que la doctrine, la vie et les faits que les théories. Première formede la mission, le témoignage de la vie chrétienne est aussi irremplaçable. LeChrist, dont nous continuons la mission, est le “Témoin” par excellence et lemodèle du témoignage chrétien. L’Esprit Saint accompagne l’Église dans soncheminement et l’associe au témoignage qu’Il rend au Christ. La premièreforme de témoignage est la vie même du missionnaire” (RM 42).

Le vrai témoignage n’est en rien distinct de la vie, vécue intensément,irradiant vers l’extérieur sa plénitude intérieure. Est vraiment témoin, celui quivit ce qu’il annonce, c’est-à-dire quand il part de sa propre expérience. BenoîtXVI, dans une de ses premières interventions sur la vie consacrée (Rome, 10décembre 2005) propose aux religieuses d’être “témoins de la présencetransfiguratrice de Dieu” et leur lance le défi d’être “les pionnières prophétiques”comme leurs fondatrices (Discours à l’Assemblée plénière de l’UISG, Romele 7 mai 2007).

4.2 Les aréopages de la prophétie

a) À partir d’une situation d’exil

Nous vivons une époque où certains la comparent à un exil. De mêmequ’Israël se trouve dépouillé de toutes ses sécurités (le Temple, lieu de laprésence de Dieu), ainsi la vie consacrée surtout en Occident, a perdu beaucoupde points de sécurité et ouvre un chemin à la recherche. L’exil est aussi uneexpérience spirituelle : « Je suis sortie après toi en criant, et tu étais parti »(Jean de la Croix) ; une occasion pour reprendre le chemin de la consécrationet de la mission avec une espérance renouvelée.

Ainsi le proclament beaucoup de voix : “Évangéliser à partir des marges”14.D’autres décrivent la nouvelle situation comme expérience pascale : le passagedes “serres chaudes” aux intempéries, de la clôture à l’itinérance sur leschemins où le prochain est blessé ; le passage de “eux vers nous”, à “nous verseux”, etc.15 D’autres enfin, parlent de l’absence de Dieu face à la souffrancehumaine, face à tant de situations de douleur, d’injustice et de pauvreté ?16

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b) Créer une famille (maison-foyer), la communion

Nous vivons dans un monde où le foyer et la famille traversent une criseintercontinentale et interculturelle. Le modèle traditionnel de la famille est enfaillite dans tous les continents. L’angoisse et la nécessité d’un foyer, d’unaccueil, d’une écoute croît partout. Un des grands signes que la vie consacréepeut offrir aujourd’hui comme signe évangélique pauvre et humble, estsimplement la maison : que là où sont les consacrés, il y ait une maisonouverte, accueillante, fraternelle, signe de communion dans l’Église (cf. VC41 ss).

La maison, le foyer (la communauté), est aussi le lieu d’une lecturepartagée de notre histoire personnelle, communautaire, de congrégation, oùnous nous rencontrons avec le Seigneur Jésus comme guérisseur de noscarences, de nos fractures, de nos échecs, de nos justifications. Cette lecturepartagée est une source de joie, de rencontre avec Dieu, de capacité prophétiqueet missionnaire.

Dans cette ligne, un des grands appels de la vie religieuse est de savoirécouter. Écouter Dieu, écouter sa Parole. Mais aussi le monde, la société,spécialement écouter les pauvres, avec leurs peines et leurs joies, avec leursconditions de vie et leur dignité. Écouter à l’intérieur de l’Église : écouter lesévêques, écouter les laïcs, écouter les prêtres diocésains. Écouter noscommunautés, écouter les jeunes et les aînés, ceux d’autres générations, ceuxque nous pensons différents. L’écoute suppose la réceptivité et l’humilité, lapatience et l’accueil, la largeur du cœur pour se laisser habiter par l’autre. Ence sens l’encyclique Ecclesiam suam de Paul VI qui nous offre une théologiede l’écoute et du dialogue comme exigence de renouvellement, conserve touteson actualité.

Dans ce monde fragmenté et qui aspire au foyer, à la communion, à lafraternité, la vie consacrée peut offrir un magnifique signe évangélique. Avecforce, surgit une identité qui se constitue fortement comme «être-avec» : êtreavec Jésus Christ, être avec l’Église, être avec les compagnons de communautéet de Congrégation, être avec les pauvres. Être signes de communion, est undes défis évangélisateurs que prône Novo Millennio Ineunte ( n° 43).

c) Humaniser

Humaniser face aux esclavages de notre monde est une autre tâcheprophétique de la vie consacrée aujourd’hui, diabolisant les idoles de notreculture. Quelques-unes sont faciles à reconnaître : la gratification à courtterme, le plaisir immédiat, la consommation irresponsable et démesurée,l’individualisme, le chant à l’identité personnelle fragmentée, etc. D’autresapparaissent plus dissimulées sous une apparence de bien : le «je» commecentre définissant les fins ultimes sous l’idéal de l’autoréalisation.

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La vie consacrée sera capable d’humaniser notre culture et notre sociétéseulement si elle est humanisante pour ses membres. Ici nous proposons ungrand défi. Ici se joue aussi une grande partie de la rencontre ou de la nonrencontre de notre foi avec la culture. Comment définissons-nous la qualité denos institutions ou la réussite de nos entreprises apostoliques ? Si nousadoptons la culture du marketing et du management, nous finirons par tomberdans les filets de leurs valeurs et de leurs idoles : efficacité, rendement,objectifs atteints, parts de marché. Tout cela, enchevêtrement complètementméconnu de la sagesse des Béatitudes, fonctionne selon l’efficacité mais nonselon la fécondité.

d) La sagesse des petits signes

Le monde saigne à flots, internet nous connecte avec tout et nous laisseseul devant l’écran. Que faire, comment réagir ? Le Congrès international setourne vers la sagesse des petits pas et vers les signes humbles mais réels.Devant l’immense importance des maux auxquels nous nous affrontons, nouscourons la tentation de mépriser le petit, de vouloir implanter une solutionglobale. Ceci n’est pas le chemin du Père des miséricordes : car ce que nousdécouvrons dans l’histoire du salut est que Dieu agit à travers ce qui est petit :Il choisit un petit peuple, Israël (Dt 7,7) ; il fait confiance à un reste de celui-ci, encore plus petit.

Il nous invite à un petit pas, mais réel, à un signe humble mais expressif.Les miracles sont des signes du Royaume. Jésus n’organise pas une espèce de«Sécurité sociale» pour toute la Palestine, mais manifeste à travers quelquessignes éloquents que le Royaume de Dieu est arrivé avec puissance en sapersonne. Le salut de Dieu jaillit à travers la victoire de Jésus sur Satan, surla maladie et sur la mort, comme manifestations concomitantes de l’éloignementde Dieu et de l’absence de salut.

Suivant cette ligne, la vie consacrée est appelée à offrir des signes duRoyaume de Dieu, à être elle-même dans son être et sa propre vie un signe duRoyaume de Dieu, c’est-à-dire l’irruption de la grâce, qui génère fraternité,filiation, joie, espérance, accueil, générosité, adoration, âme, gratuité.

e) Le service de la charité : un“ cœur qui voit”

“La foi qui agit par la charité” (Gal 5,6). “Le programme du chrétien –le programme du bon Samaritain, le programme de Jésus – est un ‘cœur quivoit’. Ce cœur voit où l’amour est nécessaire et agit en conséquence”. (DeusCaritas est, 31b)

«Les êtres humains ont toujours besoin de quelque chose de plus quede soins techniquement corrects. Ils ont besoin d’humanité. Ils ontbesoin de l’attention du cœur. Les personnes qui œuvrent dans les

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Institutions caritatives de l’Église doivent se distinguer par le faitqu’elles ne se contentent pas d’exécuter avec dextérité le geste quiconvient sur le moment, mais qu’elles se consacrent à autrui avec desattentions qui leur viennent du cœur, de manière à ce qu’autrui puisseéprouver leur richesse d’humanité. C’est pourquoi, en plus de lapréparation professionnelle, il est nécessaire pour ces personnes d’avoiraussi et surtout une “formation du cœur” : il convient de les conduireà la rencontre avec Dieu dans le Christ, qui suscite en eux l’amour etqui ouvre leur esprit à autrui, en sorte que leur amour du prochain nesoit plus imposé pour ainsi dire de l’extérieur, mais qu’il soit uneconséquence découlant de leur foi qui devient agissante dans l’amour(cf. Ga 5,6)» (Deus caritas est, 31a)

Conclusion : Un chant de louange

Le poème la Source et le Cantique spirituel de saint Jean de la Croix seterminent tous les deux par une doxologie, par un chant de louange. C’est unelouange qui embrasse toute la création : «Les cieux sont à moi, la terre est àmoi ; les nations, à moi ; les justes, à moi ; les pécheurs, à moi ; les anges, àmoi ; la Mère de Dieu et toutes les créatures, à moi ; Dieu lui-même est à moiet pour moi, puisque le Christ est à moi et tout entier pour moi » (Prière de l’âmeembrasée d’amour, 27).

C’est la louange enamourée qui jaillit d’une plénitude de vie, danslaquelle le monde de la nature est intégré dans la beauté divine et surgit en unchant joyeux et plein d’espérance. C’est le grand témoignage mystique-prophétique qui s’espère aujourd’hui de la vie consacrée. Faisant siennes “lesjoies et les espérances” de la famille humaine, elle doit être un “chant”, unevie d’“enchantement”, “de joie” pour louer le Seigneur. C’est comme uncorollaire de la foi, de croire et suivre Jésus. Une vie religieuse triste et morosen’a aucun avenir.

La vie consacrée du futur sera joyeuse et humble, si elle vit suspendue àla présence du Seigneur que chante saint Jean de la Croix : “C’est en répandantmille grâces qu’Il est passé à la hâte par ces bocages. En les regardant et desa figure seule, il les a laissés revêtus de beauté» (Cantique spirituel, strophe 5).C’est la présence de Dieu dans la création et dans l’histoire, présence vivanteet personnelle ; présence sacramentelle spécialement dans l’Eucharistie ; présencedans les pauvres ; présence dans la mission ; présence dans les frères et sœursde congrégation ; présence dans l’Église ; présence dans l’oraison et dans lalecture de la Parole de Dieu ; présence dans la famille humaine. Que l’expérience(mystique) de cette présence illumine le visage de notre espérance et dynamised’une manière créative notre mission prophétique.

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Questions

1. Croyez-vous que la mystique et la prophétie sont une réalité essentielle dela vie consacrée ? Comment se concrétise-t-elle dans la situation culturelleet religieuse que vous vivez ?

2. Dans quelle mesure, mystique et prophétie sont-elles une urgence ecclésialequi interpelle la vie consacrée ? Comment évaluez-vous cette urgence dansl’Église particulière où vous avez été envoyée ?

3. Quels sont à votre avis les nouveaux aréopages de la mystique et de laprophétie tenant compte d’une part, de la situation de la vie religieuse devotre pays, et d’autre part, du charisme de votre Institut ? Signalez un ordrede préférence.

4. Quels sont les traits qui définissent aujourd’hui le mystique-prophète et àquelles figures l’identifiez-vous ?

Bibliographie générale

AA. VV., Profetismo, en Dizionario degli Istituti di Perfezione, vol. VII, Edizioni Paoloine, Roma 1983,972-993;

AA. VV., Palabra y profecía, Vida Religiosa 104 (2008) 85-160 (“Profecía y mística en una sociedadsecularizada”, p. 149-160);

ÁLVAREZ GÓMEZ, J., El profetismo de los fundadores y el ministerio profético de sus discípulos, VidaReligiosa 106 (2009) 469-479;

ARNÁIZ, J.M., Místicos y profetas. Necesarios e inseparables hoy, PPC, Madrid 2004;

ARVALLI, A., Vita religiosa come profezia? Le lacrime di una difficile transizione imcompiuta, CredereOggi 27 (2007) 131-144;

BARRIOCANAL, J.L., Diccionario del profetismo bíblico, Monte Carmelo, Burgos, 2004, p. 558-590(“Profetismo/profetas, hoy”);

BIANCHI, E., La vida religiosa, ¿signo profético creíble? Confer 40 (2001) 43-56;

CASTELLANO CERVERA, J., Esigenze odierne di spiritualità: memoria e profezia, in Aa. Vv., Impegni etestimonianza di spiritualità alla luce della lettera apostolica “Novo millennio ineunte”, Teresianum,Roma 2001, p. 75-197;

GARCÍA PAREDES, J.C.R., Profecía cultural de la vida religiosa hoy. Nuevos caminos, fuentes yoportunidades, Vida Religiosa 102 (2007) 222-234;

GONZÁLEZ RUIZ, J. M., Profetismo, en Nuevo Diccionario de Pastoral, San Pablo, Madrid 2002, p. 1208-1214;

MARIÑAS, MA C., La Consagración contemplativa desde una mística de “ojos abiertos”, Vida Religiosa107 (2009) 375-379;

MONS. JESÚS SANZ MONTES, Mística y profecía. El hilo de Ariadna de nuestra fidelidad (Editorial), Tabor3 (2007) 8-11;

MORANO,C.D., Místicos y profetas: dos entidades religiosas, Proyección 48 (2001) 307-328;

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NOLAN, A., Esperanza en una época de desesperanza, Sal Terrae, Santander 2010 (original inglés:Hope in an Age of Despair, Orbis Books, 2009); destacamos algunos capítulos (“Teología decarácter profético”, p. 99-111; “El espíritu de los profetas”, p. 113-124; “La vida consagradacomo un testimonio profético”, p. 139-147).

Bibliographie spécifique

AA. VV., L’expérience de Dieu au sein d’un monde indifférent, Christus 36 (1989) 136-218; AA.VV., Dieu dans un monde sécularisé, Ibid. 36 (1989) 136-201;

AA. VV., L’initiation au mystère chrétien. Retrouver le chemin, Christus 40 (1993) 135-222; AA.VV., Présence et absence de Dieu. L’épreuve de l’indiférence, Ibid., 40 (1993) pp. 311-464;

AA. VV., L’expérience mystique, Christus 41 (1994) 133-213;

ALVAREZ BOLADO, A., Mística y secularización. En medio de las afueras de la ciudad secularizada,Sal Terrae, Santander 1993;

CAILLOT, J., La mystique dans les religions. Le christianisme exposé, Christus 41 (1994) 147-156;

De MUNSTZER, A., Le buisson ardent de la vie quotidienne, Christus 36 (1989) 146-157;

ESLIN, J.-C., La nouvelle situation religieuse, Christus 47 (2000) 136-144;

FLIPO, C., Vers un nouveau “sentir” spirituel, Christus 36 (1989) 158-170;

GOFFI, T., L’esperienza spirituale oggi, Queriniana, Brescia 1984;

GUERRA, A., Experiencia cristiana, en Nuevo Diccionario de Espiritualidad, Madrid 1991, pp.680-688;

W. JOHNSTON, Mística para una nueva era, Desclée, Bilbao 2003; ID., Fuego y luz. Mística yteología, Editorial de Espiritualidad, Madrid 2009 (“La mísica de la vida cotidiana”, p. 157-173);

J. Y. LACOSTE, Expérience, événement, connaissance de Dieu, Nouvelle Revue Théologique106 (1984) 854-855;

PH. LÉCRIVAIN, Comme à tâtons... Les nouveaux paysages de la mystique, Chritus 41 (1994) 136-145;

TRINIDAD LEÓN MARTÍN, Dios presencia ineludible, Proyección 47 (2000) 3-18 (SelTeol 157, 2001,21-32);

H. MADELIN, La sécularisation nouvelle chance?, Christus 36 (1989) 136-145;

J. MARÍN VELASCO, La experiencia de Dios, hoy, Manresa 75 (2003) 3-25; ID., Mística yhumanismo, PPC, Madrid 2007;

TH. MATURA, Les chemins de “l’expérience” de Dieu, Vie Consacrée 74 (2002) 403-414;

TH. MERTON, La experiencia interna, Cistersium 212 (1998) 785-971;

C. MUCCI, La mistica come crocevia del posmoderno, La Civiltà Cattolica 153 (2002) 3-12; B.SECONDIN, Spiritualità in dialogo. Nuovi scenari dell’esperienza spirituale, Edizioni Paoline,Roma 1997;

K.-H. WEGER, Is Gott erfahrbar? Stimmen der Zeit 210 (1992) 33-341 (¿Es posible la experienciade Dios? SelTeol, 127, 1993, 165-171);

SALVADOR ROS GARCÍA, La experiencia de Dios en mitad de la vida, Editorial de Espiritualidad,Madrid 2007;

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1 Il existe de nombreux écrits récents surce thème. Se reporter à la bibliographiefinale.

2 Cf. J.L. SICRE, Prophétisme en Israël,Verbo Divino, Estella (Navarra) 1992.

3 Nous nous permettons de nous référer ànos propres études, où le lecteur trouveraune abondante documentation : CIRO

GARCIA, Corrientes nuevas de teologíaespiritual, Studium, Madrid 1971 ; ID.,Teología espiritual contemporánea.Corrientes y perspectivas, Editorial MonteCarmelo, Burgos 2002 ; ID., la Místicadel Carmelo, Editorial Monte Carmelo,Burgos 2002; ID., Mística, misterio yteología, Lección inaugural del cursoacademico 2003-2004, Facultad deTeología del Norte de España, Burgos2003; ID., Mistica en diálogo. CongresoInternacional de Mística. Selección ySintesis, Editorial Monte Carmelo, Burgos2004.

4 Il existe de bonnes études sur la théologiede la vie consacrée. Ici nous nous faisonsl’écho de l’œuvre de Gabino URIBARRI,Portar las marcas de Jesús. Teología yespiritualidad de la vida consagrada,Comillas, Madrid 2008.

5 G. URRIBARI, o.c., 305.

6 CONGRESO INTERNACIONAL DE LA VIDA

CONSAGRADA, Pasión por Cristo, pasiónpor la humanidad, PublicacionesClaretianas, Madrid 2005. Le Congrès asuscité des commentaires variés : J.CHALMERS, Pasión por Cristo, pasión porla humanidad, Vida religiosa 98 (2005),274-280; ID., El encanto de una pasiónescatológica: Glosa a las “Conclusiones” del Congreso, Confer 44 (2005), 387-399; ID., La Vida Consagrada mira al

futuro, Razón y Fe 251 (2005), 59-75.Nous nous faisons l’écho de ce dernier.

7 K. RAHNER, Espiritualidad antigua y actual,in Escritos de Telogía, VII, 25.

8 H. de LUBAC, dans le prologue à RAVIER

(ed.), La mystique et les mystiques, DDB,Paris 1964, 24-27.

9 Les études des dernières années devantle changement culturel et socio-religieuxde notre temps, ont prêté une attentionspéciale aux nouveaux cheminsd’expérience de Dieu, aidant à discernersa présence dans cette situation dechangement. Elles constituent unevéritable Mystagogie ou initiation auMystère. Nous renvoyons à labibliographie spécifique.

10 K. RAHNER, Naturaleza y gracia, in Escritosde Teología, IV, 215-243.

11 J.L. RUIZ DE LA PEÑA, El don de Dios.Antropología especial, Sal Terrae,Santander 1991, 400.

12 X. ZUBIRI, El hombre y Dios, Fax, Madrid1984, 333.

13 SANTIAGO DEL CURA ELENA, A tempo y adestiempo. Elogio del Dios (in)tempestivo, Faculdad de Teología delNorte de España, Burgos 2001.

14 P.L.WICKERI, Mission from themargins.The Missio Dei in the crisis ofWorld Christianity, International Reviewof Mission 93 (2004), 182-198.

15 A. BELTRÁN, Radicalidad y tolerancia en lavida religiosa feminina, Pastoralmisionera 192 (1994), 20-24.

16 AA. VV., ¿Dónde está Dios? Un clamor enla noche oscura, Concilium 242 (1992),571-697.

JOSÉ MARÍA AVENDAÑO, Mística en el espesor de la vida, PPC. Madrid 2007;

PASCUAL CEBOLLADA (ed.), Experiencia y misterio de Dios, Comillas, Madrid 2009;

AA. VV., The experience of God today and Carmelite Mysticism. Mystagogy and Inter-Religiousand Cultural Dialog, Acts of the Internacional Seminar, Zagreb 2009.

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COUVRIR NOS CŒURS POUR ÉCOUTER:DEVENIR MYSTIQUES ET PROPHÈTESAUJOURD’HUI

Sr. Judette Gallares, RC

Sr. Judette Gallares, philippine, est Religieuse du Cénacle. Elle exerce sonministère dans la prédication de retraites et la direction spirituelle. Elle atravaillé de longues années dans la formation au sein de sa congrégationet a également participé aux programmes inter-congrégationnels deformation des religieuses.

Elle est actuellement professeur de spiritualité à l’« Institut pour la VieConsacrée en Asie » et professeur invité d’Études bibliques à l’UniversitéSanto Tomás (Philippines). Elle est éditeur de la revue Religious Life Asiaet auteur de plusieurs livres et articles sur les femmes dans la Bible, sur laspiritualité et la formation.

Original en anglais

disciples dans l’attente de la naissance d’un nouveau commencement, unenouvelle Pentecôte – la naissance de l’Église. Si nous comprenons la mystiquecomme « la spiritualité de l’expérience directe de Dieu », une connaissancequi dépasse la compréhension intellectuelle, je crois que c’est cette expériencemystique unique des personnes réunies en une première assemblée qui suscital’éclatement de l’Esprit Saint au milieu d’elles. Cette expérience directe deDieu dépasse les simples « rites » ou la simple « croyance » ; elle est marquéepar l’amour, la vraie compréhension et l’acceptation les uns des autres, sanspour autant se limiter à une quelconque « expérience émotionnelle ». Jesuppose qu’il est difficile de décrire cette expérience mystique en un langagesimple. C’est pourquoi les auteurs bibliques ainsi que les écrivains spirituelsà travers les âges essaient-ils de capter cette expérience en employant desmétaphores comme celle de la vigne et des sarments pour montrer commentl’union avec Dieu (« Demeurez en moi, comme moi en vous ») est source defécondité pour la mission.

Je voudrais commencer ma réflexion en évoquant une image que nousprésente saint Luc dans les Actes des Apôtres. C’est l’image de Marieet des femmes réunies dans une prière intense avec les apôtres et les

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D’après les Évangiles nous voyons comment les disciples de l’Égliseprimitive comprirent plus profondément la relation indissociable entrecontemplation et action, entre mystique et prophétie. Dans sa lettre auxGalates, Paul témoigne qu’il a atteint l’état mystique qui consiste à « se perdresoi-même » lorsqu’il dit : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui viten moi ! » (Gal 2,20). Ceci n’est que le commencement de nombreux autrestémoignages dans l’Église des premiers temps. Chaque siècle a eu ses mystiqueschrétiens qui nous ont dit que les expériences mystiques sont accessibles àquiconque se dispose à recevoir l’action de Dieu. Mais dans bien des cas, cesexpériences vont et viennent simplement sans se traduire nécessairement parune action prophétique car sans expérience durable de Dieu, la mystique perdson tranchant prophétique.

Tout comme l’expérience mystique de ceux qui, réunis en une premièreassemblée ne purent rester confinés entre les murs du Cénacle, l’expériencedirecte de Dieu de ces mystiques délia leur langue pour proclamer la puissancede Dieu dans leur vie et dans l’histoire, les poussant à sortir, à ne plus craindrede proclamer la Bonne Nouvelle et à témoigner de l’Esprit de Jésus aux peupleset dans les lieux qui avaient besoin du message de guérison et de transformationde Dieu. C’est pourquoi on peut dire que la mystique chrétienne ne consistepas en autre chose que l’union transformante qui trouve son expression la plusprofonde quand elle suit le Christ dans son témoignage et sa mission prophétique.La forme la plus caractéristique de « l’expérience religieuse » dans la Bible,fait remarquer Martin Buber, n’est pas la prise de conscience ou l’extase, maisla vocation et la mission.1

1. L’histoire de la conversion de Lydie: Dieu ouvrit son cœurpour qu’elle écoute (Ac 16,11-15,40).

Pour notre réflexion de ce matin, je prendrai l’histoire de Lydie, unefemme convertie au christianisme, comme il est rapporté dans les Actes desApôtres ; nous nous en servirons comme d’une icône de notre vocationreligieuse de mystiques et de prophètes dans le monde d’aujourd’hui. En mepréparant à cette conférence, j’ai dû réfléchir pour choisir parmi les nombreusesfemmes de l’Écriture une figure féminine qui pourrait servir de modèle à la viereligieuse aujourd’hui. Revenant à la scène de la Pentecôte où les femmesétaient présentes et cependant rendues absentes dans la plus grande partie durécit de l’Église des premiers temps, j’ai eu l’inspiration de prendre l’histoirede Lydie qui fut une figure clé dans le réseau des relations sociales de Paul -l’un des piliers parmi les sœurs dans la foi. Nous ferons une brève relecturede son histoire et nous en tirerons quelques lumières sur le processus de saconversion. Celle-ci présuppose une expérience mystique qui conduira autémoignage et à l’action prophétiques.

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L’histoire de Lydie se situe pendant la période où le mouvement de Jésusse répand dans les plus grandes villes de la Diaspora. L’idée que les femmes,particulièrement celles qui jouissaient d’une indépendance économiqueconsidérable, étaient attirées vers le christianisme s’appuie sur les Actes desApôtres où il est fait une mention spécifique de la conversion de Lydie àPhilippes. Tout en refaisant son histoire, nous pourrons nous attarder un peusur certaines questions concernant son identité, ses motivations et son cheminde conversion et de mission pour l’Église de Philippes.

La brièveté de l’histoire de Lydie et le manque de précision historique fontqu’il est facile de ne pas voir son importance 2, tandis qu’elle retombe dansl’anonymat une fois terminée la mission initiale de Paul. Écoutons toutd’abord la relation de Paul sur cet événement extraordinaire, et faisons unebrève relecture de son histoire.

« Embarqués à Troas, nous cinglâmes droit sur Samothrace, et lelendemain sur Néapolis d’où nous gagnâmes Philippes, cité de premierrang de ce district de Macédoine et colonie. Nous passâmes quelquesjours dans cette ville, puis, le jour du sabbat, nous nous rendîmes endehors de la porte, sur les bords de la rivière, où l’on avait l’habitudede faire la prière. Nous étant assis, nous adressâmes la parole auxfemmes qui s’étaient réunies. L’une d’elles, nommée Lydie, nous écoutait ;c’était une négociante en pourpre, de la ville de Thyatire ; elle adoraitDieu. Le Seigneur lui ouvrit le cœur, de sorte qu’elle s’attacha auxparoles de Paul. Après avoir été baptisée ainsi que les siens, elle fit cetteprière : ‘Si vous me tenez pour une fidèle du Seigneur, venez demeurerdans ma maison’. Et elle nous y contraignit... Au sortir de la prison, Paulet Silas se rendirent chez Lydie, revirent les frères et les exhortèrent, puisils partirent » (Ac 16,11-15,40).

Relecture de son histoire

Le récit commence par l’itinéraire de Paul pendant son second voyagemissionnaire. Il vient à Philippes en réponse à un rêve au cours duquel lui estapparu un macédonien : il le pressait de venir jusqu’en Macédoine pour lesaider (cf. Ac 16,9-10). Cependant, c’est un groupe de femmes, -et non lemacédonien apparu en rêve-, qui les premières manifestent leur attrait pour laprédication de Paul et pour le christianisme lui-même. Alors qu’ils se trouventà Philippes, Paul et Silas se rendent le jour du sabbat à un endroit désigné pourla prière, hors de la porte de la ville au bord de la rivière (16,13). Quel est doncce lieu de prière au bord de la rivière hors de la porte de la ville ?

Le « lieu de prière près de la rivière » a une signification symbolique enlien avec notre vocation chrétienne. Le symbolisme ne se rapporte pas uniquementà la tradition juive de se réunir « au bord de la rivière » pour les ablutions

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rituelles 3 ; cela nous rappelle aussi et d’abord le baptême de Jean le Baptiste.C’est sur les bords du Jourdain que Jean baptisait ; c’est là que Jésus lui-mêmereçut le baptême de ses mains (Lc 3,22). Nous pouvons affirmer que ce futcertainement pour Jésus un moment profondément mystique, une expériencedirecte de la présence de Dieu et l’affirmation de son identité par Dieu.

Il est important de noter dans ce passage que ce groupe rassemblé estuniquement composé de femmes. Ceci nous rappelle les femmes debout aupied de la croix qui furent aussi les premiers témoins de la résurrection. Lydieet son groupe de femmes ne se sont pas rassemblées n’importe où, mais dansun « lieu de prière au bord de la rivière hors des portes de la ville », où a lieula prédication, suivie de leur conversion. Le rassemblement de femmes dansce lieu « de prière » indique déjà l’existence d’une communauté de foi, avantmême l’arrivée de Paul et de Silas. Qui sont ces femmes ?

Le texte identifie d’abord Lydie par son caractère religieux - comme unefemme « qui craint Dieu », « qui adore Dieu ». En terme technique, les« craignant Dieu » des premiers siècles étaient des gentils attachés au judaïsmesans être comptés parmi les prosélytes 4. En qualité de gens partiellementconvertis au judaïsme 5, les « craignant Dieu » avaient un style de foi et de vieclairement défini. Ils observaient les prescriptions morales des juifs, la Torah,et allaient au culte de la synagogue, prenant part à la prière commune. Le faitque ce lieu de prière soit en dehors des portes de la cité indique qu’il n’y avaitpeut-être pas alors de synagogue à Philippes. Comme Lydie et sa communautéétaient des « craignant Dieu », elles avaient déjà quelques bases de religion lesdisposant à recevoir les enseignements chrétiens. « Le Seigneur lui ouvrit lecœur, de sorte qu’elle s’attacha aux paroles de Paul » (16,14), la préparantainsi à recevoir le baptême de Jésus-Christ avec ceux de sa maison. Après avoirentendu Paul et Silas, Lydie fut baptisée ainsi que tous les siens. (cf. 16,15a).

L’effet le plus puissant du baptême sur Lydie est de la rendre capable deparler ; elle presse les missionnaires : « Si vous me tenez pour une fidèle duSeigneur, venez demeurer dans ma maison » (16,15b). Ainsi, Lydie exprime-t-elle véritablement et à haute voix l’éthique radicale et prophétique de latradition de Jésus, qui inclut la pratique du respect, de l’égalité et de la justiceles uns envers les autres, et le partage de sa maison et de ses biens, valeursprofondes qui serviraient plus tard à exprimer la démarche radicale de semettre à la suite du Christ dans la vie religieuse. Le deuxième point était enfait l’idéal original de pauvreté : une juste distribution des biens qui s’exprimaitpar un don généreux. La maison de Lydie devient le berceau de la premièrecommunauté chrétienne à Philippes comme cela est attesté en Actes 16,15 et16,40. Son enthousiasme et son esprit d’hospitalité sont l’expression authentiquede sa conversion à l’Esprit de l’Évangile. Ainsi, sa vie à l’écoute obéissantede Dieu, le fruit de son esprit contemplatif et de sa fidèle application des

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enseignements du Christ deviennent-ils les solides fondements qui permettrontà l’Église domestique de Philippes de s’épanouir.

Il convient que son histoire se termine sur une note d’autorité : « Et ellenous y contraignit » (16,15c). En ce temps-là, cela faisait partie de la pratiquede l’hospitalité de procurer un lieu sûr à ses invités, spécialement quand lesmenaçait un danger imminent. Ceci est confirmé au verset 16,40, où la maisonde Lydie représente encore un lieu d’hospitalité lorsqu’elle prend le risqued’accueillir à nouveau Paul et ses compagnons chez elle après leur sortie deprison.

Dans l’histoire de Lydie, la contribution des femmes au christianismen’est pas négligeable. Les femmes chrétiennes ne furent pas obligées de quitterleur maison pour l’amour de l’Évangile ; en revanche, elles firent de leurmaison le centre de la pratique chrétienne 6. La maison de Lydie servit demodèle pour une « communauté de contrastes », la première Église domestiquede Philippes, où ceux qui venaient partager leur foi et leurs biens en communautéessayaient de vivre selon leur confession baptismale et l’esprit de l’hospitalitéchrétienne.

II. Le processus de conversion : réveiller l’esprit mystique etprophétique

La meilleure manière de parler de mystique est de comprendre le processusde conversion ; et la meilleure façon de comprendre la conversion est d’observerle converti. Peut-être notre relecture de l’histoire de Lydie a-t-elle allumé ennous une réflexion sur la signification et la conséquence d’une profondeconversion spirituelle. Peut-être avons-nous commencé à imaginer aussi àquoi ressemblait son expérience. Cela a pu nous faire penser à nos propresexpériences humaines de conversion. La conversion de Lydie nous est sansdoute relatée en très peu de versets, mais ceux-ci nous suffisent comme‘fenêtre’ pour scruter l’intérieur. Ceci nous permettra d’avoir un aperçu de cequ’a pu être son expérience spirituelle de conversion et du baptême, qui l’aconduite à vivre une vie de fidélité et d’engagement pour le Christ.

Je voudrais ici reprendre à mon compte le sens fondamental de la conversionselon Bernard Lonergan : « un changement d’orientation vers la vie ». Il mesemble que ce changement intervient lorsqu’une personne fait l’expériencedans les profondeurs de son être, d’une touche divine, d’une inspiration del’Esprit qui rend une personne capable de choisir et d’agir par amour pourquelque chose ou pour quelqu’un de plus grand qu’elle-même. Une expériencemystique de base, c’est-à-dire, une expérience directe de Dieu, d’union avecDieu et avec la création de Dieu, c’est comme « rentrer chez soi », fairel’expérience d’une nouvelle naissance, d’une nouvelle impression d’identité,

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d’un appel et d’une mission. Ceci pourrait bien ressembler à l’expérience deJésus à son baptême, au bord du Jourdain. Ce fut peut-être aussi, l’expériencede Lydie et de ses compagnes lors de leur propre baptême.

Quels éléments de la conversion pouvons-nous déduire de l’histoire deLydie? Ou plus précisément, que se passe-t-il à l’intérieur de la personne aucours du processus de conversion ? En effet, la conversion implique bien plusqu’un moment, c’est un processus qui implique de longues périodes de tempset des causes et des effets liés entre eux. Il implique des relations qui d’unecertaine manière échappent au contrôle du converti, ainsi que des momentsd’inaction et de refoulement, de reports et de souffrances, et aussi de prises dedécisions.7 Tout ceci est tissé à même la trame de l’histoire personnelle de lapersonne. Le processus de conversion à proprement parler est bien pluscomplexe que la perception que l’on en a, parce que c’est le type d’expérienceque l’on fait une-fois-pour-toutes. En réalité, il s’agit d’un phénomène continu,du processus de tout une vie pour approfondir l’engagement baptismal derendre témoignage ; et la vie religieuse est essentiellement cela. La complexitéréside principalement dans le fait que la conversion se réalise en plusieursphases ou étapes. Essayons donc de retrouver à partir des quelques versets quenous avons sur l’histoire de Lydie, la dynamique interne qui se développe parétapes.

Les mouvements et les phases de la conversion permanente

1. La première phase est une expérience d’obscurité ou de confusion,la conscience d’un vide qui a besoin d’être rempli, d’une soif qui a besoind’être étanchée, de questions qui demandent des réponses ; et pourtant, il nesemble pas qu’il existe quelque chose ou quelqu’un qui puisse satisfaire cesbesoins. Pour certains, cette phase se manifeste par une expérience d’incohérence– en soi-même ou dans la vie elle-même. En d’autres termes, les expériencesde conversion profonde et authentique ne se déroulent pas comme nous ledisent les experts en ce domaine.

Les incohérences de notre état présent s’accumulent au point de devenirintolérables. Les questions évacuées, les décisions trop longtemps repoussées,les réalités ignorées, les questions à l’ordre du jour de notre planning personneltrop souvent reportées, que sais-je encore, tout cela s’accumule et nous metdevant l’évidence que cela doit changer.8

Bien que ces incohérences de la vie puissent être ressenties à diversdegrés, elles ne conduisent pas nécessairement à la conversion. Cependant,nous croyons que presque toutes les expériences de conversion profondesemblent être précédées d’une certaine difficulté, d’une crise, et d’unquestionnement. En d’autres termes, la phase initiale de la conversion est une

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expérience de conflit intérieur à la recherche d’une solution 9, ou bien l’impressiond’être désorienté et de chercher une direction. D’après la description ci-dessus, il est clair qu’avant la décision de se convertir, le futur converti connaîtdéjà une espèce de trouble intérieur et de crise qui s’intensifie et suggère à lapersonne de rechercher le changement ou quelque solution. Même la viespirituelle, quand elle existe, est affectée par cette expérience de conflitintérieur. Les modèles de spiritualité qui avaient du sens auparavant, perdentsoudain leur signification. Ils ne parlent plus à notre expérience de vie ; devantdes horizons qui s’élargissent, ils ne suivent plus le rythme. La situation nepeut rester telle qu’elle est. Il faut que cela change. L’expérience de confusionou d’obscurité devient l’occasion et donne l’élan nécessaire pour le changementet la croissance. « Une crise est une chance », dit très justement un proverbechinois.

Qu’est-ce qui a précipité la conversion de Lydie et des siens ? En relisantl’histoire de Lydie, nous avons vu qu’elle et les femmes de son groupe étaientdes « craignant Dieu » ou des « adoratrices de Dieu ». En tant que telles, ellesétaient déjà attirées par la foi juive, particulièrement par les implicationséthiques de la Loi et quelques pratiques rituelles telles que les prières communes.Sabbat après sabbat, elles attendaient sans doute avec impatience de serassembler en communauté pour se soutenir les unes les autres dans leurpratique de la foi et dans leurs luttes quotidiennes. Mais les simples observancesde la loi et les pratiques rituelles suffisaient-elles à apaiser leur faim et leur soifde sens plus profond ? Comme païennes, il leur était impossible de vivrecertains éléments de la foi juive, tels que la circoncision, la pratique des loisrituelles et la stricte observance des préceptes de la loi interprétés de manièrecaustique par les scribes juifs.10 C’est pourquoi, leur non-observance decertains de ces éléments avaient pu les marginaliser à l’intérieur de la foi juive.Effectivement, certaines études ont montré que les juifs semblent avoir eu uneattitude ambivalente à l’égard des ‘craignant Dieu’ et cela indépendamment dudegré auquel ils avaient adopté le judaïsme ; l’inégalité sociale par rapport auxjuifs était semble-t-il un fait courant dans leur vie.11 Cette situation de préjugéet d’inégalité pourrait-elle avoir suffi à causer un conflit intérieur chez Lydieet ses compagnes ? Oui, très probablement. Mais elles auraient continué àsupporter le préjudice et les inégalités si elles n’avaient pas trouvé unealternative dans ce que leur offraient les missionnaires.

En qualité de communauté de foi composée de femmes, se retrouver« hors de portes de la cité », semble justifier l’expérience de marginalisationde la part de la religion dominante. Malgré cela, elles étaient fidèles à Dieu,assez audacieuses pour dépasser la culture de l’hospitalité selon laquelle lesfemmes ne pouvaient simplement pas accueillir des étrangers. Elles avaientquelque chose de prophétique, même si elles n’en avaient probablement pas

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conscience avant d’avoir entendu le message de l’Évangile.

Si nous nous mettions à la place de Lydie et de sa communauté de femmes,quelles seraient les profondes aspirations de notre cœur ? De quels manquesd’harmonie commençons-nous à prendre conscience dans notre vie de foipersonnelle ? ou dans notre manière de vivre notre vocation religieuse ? Lydieet sa petite communauté de foi se rencontraient sabbat après sabbat pouraccomplir des rites religieux qui avaient pu satisfaire leurs profondes aspirationspour un temps. Pourtant elles avaient réalisé que ces pratiques extérieures nesuffisaient pas. Dans quelle mesure nos diverses observances et les pratiquesextérieures de vie religieuse et de spiritualité remplissent-elles le vide etsatisfont-elles nos profondes aspirations et la soif de sens dans notre vie ? Quemanque-t-il ? Comme Lydie et sa communauté de foi, quel message de libérationavons-nous besoin d’entendre pour être vraies, honnêtes, vis-à-vis de notrevocation et envers nous-mêmes ?

Même avant l’arrivée de Paul et de Silas, Lydie et sa communautédevaient partager la même expérience et la même vision de la vie qui lessoudait en communauté de foi. Si nous considérons la situation du monde, dequoi nos communautés ont-elles besoin pour répondre aux défis venant dumonde qui tentent de miner la formation de communautés de foi, et pour êtrefidèles à leur mission ?

La rencontre de Lydie et des femmes avec les missionnaires chrétiens leurfit réaliser que certaines choses devaient changer, qu’elles ne pouvaient plusrester des « craignant Dieu » et être traitées comme des citoyennes de secondezone dans la religion juive. Elles furent éveillées à leur désir et à leur aspirationles plus profonds, dont la foi chrétienne leur offrait le plein accomplissement.

2. Et voici le second mouvement, la phase de réveil. Ceci se passe lorsquel’esprit est réveillé par une touche de Dieu qui le prépare à écouter avecattention la Parole de vie. L’esprit mystique est éveillé. Le fait d’écouter, etpas seulement d’entendre nous ouvre à nos attentes et à nos désirs intérieurs.Il est assez intéressant de constater que selon le cadre historique de la religion,c’est dans la spiritualité des premiers temps que le christianisme a toujourspuisé son énergie croissante.12 Cette spiritualité primitive s’exprime souventpar le langage du désir, de l’aspiration intérieure et de la quête de sens, dansl’attente impatiente de la réalisation de son aspiration. Ainsi se réjouit paranticipation le bien-aimé du Cantique des Cantiques : « Je dors, mais moncœur veille. J’entends mon Bien Aimé qui frappe. ‘Ouvre-moi, ma sœur, mabien-aimée, ma colombe, ma parfaite’… » (Cantique 5,2).

Selon l’expérience des femmes, spécialement celles du tiers-Monde et del’Asie, le paradigme qui leur parle de conversion est plus du type « réveil ».Il y a dans celui-ci l’expérience d’un déploiement progressif mais qui se

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fortifie et s’approfondit, du mystère et du sens de la foi ; d’une connexion,d’une compénétration avec ce qui est la source de la vie. La conviction naît del’expérience intérieure de sentir que sa faim de sens est satisfaite. Un auteura décrit la conversion comme un processus à multiples facettes qui ne finitjamais et dans lequel l’Esprit remplit de nombreux rôles.13 C’est une expériencede ‘réveil’ du moi aux motions de l’Esprit, dans toutes les facettes de sa vie.Ce ‘réveil’ constitue déjà en lui-même une expérience mystique car seull’Esprit peut toucher directement le cœur pour le réveiller, en attendant sonplein épanouissement dans l’union et la communion.

Nous pouvons seulement supposer que telle a pu être l’expérience intérieurede Lydie. Bien que ce ne soit pas explicite dans le récit de son histoire, nouspouvons en quelque sorte le déduire de la prémisse que la quête primitive desens est aussi vieille que l’humanité elle-même. 14 Comment s’est produite laphase de réveil dans l’expérience de conversion de Lydie ? Sa vie de foicomme « adoratrice de Dieu » avait préparé son cœur à accepter le messagelibérateur de Dieu et l’avait rendue capable d’écouter. Comme pour appuyerce point, le narrateur mentionne son écoute attentive à deux reprises en un seulverset: « L’une d’elles, appelée Lydie nous écoutait… Le Seigneur lui ouvritle cœur, de sorte qu’elle s’attacha aux paroles de Paul... » (16,14). L’expériencede profond désir ou d’aspiration ouvre notre moi le plus profond à l’action deDieu dans notre vie. Voilà ce que Dieu fit pour Lydie : Il lui ouvrit le cœur,qui au sens biblique est le moi le plus profond de la personne, le centre de sapersonnalité, et pas uniquement le siège des émotions. Dans la spiritualitébiblique, le cœur est considéré comme le lieu de la prière, le lieu de la rencontredivine. Pour que se fasse la vraie conversion, il faut que la décision de changermonte du cœur. Quand le cœur de Lydie fut ouvert à la Parole, sa seule réponsefut de se soumettre à Dieu en demandant le baptême, et en acceptant de vivrel’état mystique en se perdant progressivement dans le Christ. Comme nous lemontre Lydie, notre écoute et notre contemplation de la Parole de Dieu nouspermettra en tant que religieuses de devenir « les accoucheuses de la nouvelleconscience, les hérauts de possibilités humaines qui avaient été niées oupréalablement insoupçonnées ». 15

Cette phase de réveil ne demeure pas seulement au niveau personnel. Cen’est pas une affaire entre Dieu et moi seule. Dans l’expérience de conversion,cette étape nous rend aptes à voir ce qui se passe autour de nous et ce qui abesoin de changer pour que nous entendions l’appel que Dieu nous adresse.

D’après Schneiders :

Le prophète fait partie du peuple auquel il est envoyé, élevé depuis sanaissance dans la sagesse religieuse et sociale de ce peuple, produit de sonhistoire, participant de sa prière, héritier de ses rêves, victime et parfois mêmepartie prenante de ses péchés et de ses erreurs. C’est parce que le prophète ne

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fait qu’un avec le peuple qu’il peut parler à Dieu pour ce peuple, et parler pourDieu à son peuple.16 Notre esprit prophétique ne peut s’éveiller à moins quenous soyons immergées dans la vie des gens, en un lieu et à une époqueparticuliers. Ceci nous rend alors capables d’interpréter la situation concrètedans une attitude contemplative devant le monde, à la lumière du rêve de Dieupour le peuple et pour toute l’humanité. Écouter la voix de Dieu, lire les« signes des temps » (cf. Mt 16,13), et centrer la Parole de Dieu sur le présent :tels sont les traits qui définissent la prophétie.17 La mystique fait partieintégrante de notre témoignage et de notre vocation prophétiques. De mêmeque la vocation prophétique de Jésus était enracinée dans son intense vie deprière contemplative et en était l’expression,18 c’est la contemplation qui nousrend capables de voir le monde et le peuple que nous sommes appelées à servir,du point de vue de Dieu. La contemplation et la mystique exigent unecroissance de la capacité de discernement et de la pensée critique dans la quêtedu moi authentique. Le discernement basé sur l’écoute attentive, et non sur lasoumission à la volonté d’un autre est l’essence de l’obéissance prophétiquedans la vie religieuse.19

La pleine participation à la spiritualité de Jésus devrait inclure unecertaine expérience de notre union avec le peuple et avec l’univers car Jésusa fait l’expérience de la nature dans sa totalité, y compris l’expérience deshumains, en tant que création de Dieu.20 « Le lieu de prière au bord de larivière » où Lydie et sa communauté de femmes se rassemblent devient ainsiun symbole du pouvoir unificateur de la prière – unité les unes avec les autresdans une communauté de foi et union avec toute la création.

Il est intéressant de faire remarquer que les religieuses d’Asie, encouragéespar leur profonde conviction de l’union avec la création prennent consciencedu besoin urgent de vivre et de travailler de manière à favoriser :

a) la participation et l’harmonie entre toutes les personnes ; b) de sainesrelations personnelles et interpersonnelles ; c) le respect pour la terre, et d)l’intégration de la spiritualité et de la technologie, au nom de l’Évangile. Cettespiritualité émergente peut aussi se décrire comme une spiritualité du tout etde l’interconnexion universelle.

Demandons à Lydie de nous aider à nous souvenir de ces moments de réveilspirituel quand, au milieu de l’obscurité de notre recherche, nous avons faitl’expérience d’être touchées par la Parole de Dieu et que nous avons ressentiqu’elle nous ouvrait à la grâce de Dieu. Quels furent ces moments dans notrevie, dans notre vie religieuse et notre mission ? Quand ont-ils eu lieu ?... aprèsun temps de crise ?... une expérience de guérison par le toucher de Dieu et sonpardon ?... ou bien en contemplant le lever ou le coucher du soleil ?... ou uneexpérience communautaire de réorientation dans la mission ? Quel genre deréveil est en train de se produire dans vos communautés face à des situations

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concrètes d’injustice, de violence et de dévastations ?

En tant que communauté de foi en mission, quelles sont les situations, lesévénements dans notre région, pays, et monde qui sont en train de nousréveiller et nous appellent à une prière plus profonde et au discernement denotre action prophétique ?

3. Le réveil est suivi de la phase de l’action prophétique, l’expérienced’un élan initial de foi, d’une vague soudaine d’inspiration qui apportel’enthousiasme et le désir de mettre en action sa conviction ou sa croyancenouvellement découvertes. Ce changement qui se communique fréquemmentà l’attitude et aux valeurs, est ce que nous appelons communément uneconversion ou une transformation. C’est ce phénomène que nous avonshabituellement à l’esprit quand nous pensons aux conversions. Dans notrerelecture de l’histoire de Lydie, nous avons vu que l’effet immédiat de sonbaptême fut de la rendre capable de parler et d’exprimer le mouvement de soncœur ; et la conséquence fut de traduire sa foi en action prophétique. Ceci nousdit que : « La tâche d’un prophète est de témoigner de Dieu par la parole et parl’action devant le peuple de Dieu dans un contexte particulier ou une situationhistorique ». 21 Dès que son cœur fut ouvert, sa maison s’ouvrit aussi.22 Lagénéreuse hospitalité de Lydie est pour nous le témoignage de son actionprophétique spontanée et immédiate, signe de son engagement pour le Christet son Évangile.

Dans le monde éclaté d’aujourd’hui, caractérisé par différents niveaux etdegrés de manière d’être sans feu ni lieu, notre esprit mystique, notre sensd’« appartenance à Dieu » doit nous ouvrir aux autres et au monde, nouspousser à nous offrir nous-mêmes, à faire de nos communautés et de notreplanète terre un lieu hospitalier pour l’humanité et toute la création de Dieu.Nous sommes appelées à la contemplation, à la fidélité, à la fécondité, autémoignage prophétique ; et en tant que communauté de foi en mission, nousnous sentons poussées à donner un témoignage collectif du charisme deprophétie.23 Par exemple, beaucoup d’entre nous sommes appelées en missiondans des secteurs où il y a une forte menace de violence et de terrorisme, destensions entre les diverses traditions religieuses, une résurgence defondamentalisme religieux et idéologique, d’exploitation environnementale,et de sensibilité à d’autres situations et formes de conflit humain. Raison deplus pour dilater notre cœur et y faire une place aux gens qui ne partagent pasnotre foi, nos valeurs, notre culture, notre histoire, nos points de vue. Commentécouter avec un cœur ouvert, désireux de comprendre d’où vient l’autre ? C’estcela le véritable esprit d’hospitalité. Nous n’en sommes pas dispensées quandil y a du danger ou des différences ; c’est justement à ce moment-là, qu’on voits’il s’agit d’une hospitalité vraie.24

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Il me semble que cela fait partie de notre vocation mystique-prophétiquede susciter l’hospitalité, pour que notre manière généreuse d’exprimer cettevertu fasse prendre conscience que notre terre fragile tout entière - et passeulement la « rivière » - est vraiment sacrée, qu’elle est un vrai « lieu deprière». Face aux désastres provoqués par le réchauffement planétaire et autresformes de manipulation de la nature notre esprit mystique permet l’émergenced’une sensibilité à la question écologique et de la conscience progressive quepour être authentiquement mystique et prophétique la spiritualité doit êtreaussi véritablement écologique. Notre vision mystique nous permettra de nousvoir comme faisant partie d’un tout sacré, interconnecté.25

Cependant, nous ne pouvons pratiquer l’hospitalité à moins d’être vraimentà l’aise avec nous-mêmes et les uns avec les autres. Ce sentiment d’« être chezsoi » se manifeste par notre capacité d’intimité avec nous-mêmes, par uneprofonde conscience de ce que nous sommes devant Dieu. Nous réalisons quetout ce que nous sommes et tout ce que nous avons vient de Dieu. Avec cetteconscience fondamentale, la loi de la nature nous pousse aussi à pourvoirgénéreusement aux besoins de l’inconnu qui n’a pas où reposer la tête. End’autres termes, lorsque nous devenons plus à l’aise avec nous-mêmes, nousdevenons plus accueillants pour les autres. Nous comprenons que nous avonsen nous de l’énergie pour aller au-devant des autres.

C’est pourquoi l’Évangile nous met au défi de revitaliser nos communautéspour qu’elles soient des lieux où l’on puisse apprendre le langage de lacompréhension, où l’on cherche des façons de combler les fossés qui nousséparent des autres, en particulier, des personnes de nos communautés. Ce quipeut toucher le cœur des gens, c’est la présence transformante de Dieu. C’estce qui se passe dans une communauté où l’on partage des histoires de vie, oùl’on chante, où l’on prie ensemble, et où les portes sont ouvertes pour accueillirla personne sans abri, ou inconnue. J’imagine que c’était de ce genre decommunauté de foi que Lydie et son groupe de femmes faisaient l’expérience.

En conséquence, Lydie fut capable de dominer la force de son caractèreet de maîtriser son don de leadership pour faire progresser la foi chrétienne àl’intérieur de sa propre maison, et finalement dans la communauté de Philippes.L’expérience de l’action directe de Dieu dans sa vie l’a poussée à exprimer sonaction prophétique dans le lieu social et concret de l’amour du prochain, enouvrant sa porte aux visiteurs : « Si vous me tenez pour une fidèle du Seigneur,venez demeurer dans ma maison ». Ses paroles nous rappellent les instructionsde Jésus aux 72 disciples envoyés en mission (Lc 10). Aller demeurer chez lesgens faisait partie intégrante de leur mission. Comme la maison qui devient lecentre de la nouvelle communauté de croyants en Luc, la maison de Lydiedevient le berceau de la communauté chrétienne de Philippes.26 Son messagepressant, « Venez demeurer dans ma maison » nous rappelle aussi l’hospitalité

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offerte au Christ ressuscité par les deux disciples sur le chemin d’Emmaüsquand les deux compagnons insistèrent pour que Jésus reste avec eux dans leurmaison, au terme d’une journée de marche ; et Jésus « entra » donc dans leurmaison pour « demeurer » avec eux.27 Le parallèle frappant entre l’invitationdes disciples d’Emmaüs et celle de Lydie suggère la nature mystique et donceucharistique de l’hospitalité.28 En tant que communautés de foi en mission,nous sommes appelées à recouvrer et à exprimer le lien étroit entre l’Eucharistieet l’esprit d’hospitalité. Nous sommes appelées à vivre avec une profondegratitude notre foi mystique et à témoigner de l’unité du Corps du Christ entrenos frères et sœurs laïcs.

Si je devais ouvrir mon cœur et ma maison comme Lydia, qui inviterais-je à venir demeurer avec moi dans ma communauté ? De quelle manièrepouvons-nous faire de nos communautés des centres d’hospitalité et de rencontreavec Dieu ? Quels sont les blocages concrets que j’identifie en moi-même etdans ma communauté et qui empêchent le véritable esprit d’hospitalité des’exprimer ? En suivant l’exemple de Lydie, de quelle manière entretenons-nous un esprit d’hospitalité – accueil, partage, invitation - en particulier vis-à-vis de ceux qui n’ont pas de religion, de ceux qui ne pratiquent plus, et ceuxqui appartiennent à d’autres religions.

Bien que le récit de l’histoire de Lydie se termine par le fait qu’elleparvient à convaincre les missionnaires de demeurer dans sa maison, nouspouvons imaginer simplement comment la démarche de conversion s’estprolongée dans la vie de Lydie. En fait, le narrateur ne dit plus rien d’elle, sice n’est au verset 40 du ch.16 alors que l’épisode philippien du deuxièmevoyage missionnaire de Paul se termine dans sa maison, devenue pour lors lamaison-Église à Philippes. Même la lettre aux Philippiens ne fait aucuneallusion à elle. Le silence des textes après ce bref événement me paraît assezsymbolique par rapport à notre discussion sur le processus de conversion,parce que la phase suivante est précisément une phase de silence.

4. Cette phase est appelée la phase de calme pendant laquelle il estnécessaire de prendre du temps pour la contemplation. Entrer fréquemment etfidèlement dans son cœur pour écouter et discerner la Parole de Dieu dans lemonde est nécessaire à l’action prophétique. En effet, pour que le changementproduit par la conversion ait son effet profond et durable sur la personne, unephase de silence est nécessaire après la phase de bouillonnement. C’est untemps de réflexion, de retrait avec des moments de solitude, un temps nécessairepour comprendre ce qui s’est passé, un temps pour tester l’authenticité de sonexpérience mystique et la profondeur de sa conviction de s’engager dansl’action prophétique. C’est le moment d’intérioriser les valeurs mises en avantpar la foi nouvellement acceptée et qui s’approfondit.

La tâche prophétique exige l’amitié avec Dieu, une intimité authentique

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avec Dieu. C’est dans cette intimité qu’une amitié profonde se développe endes moments de silence où l’on apprend à partager cœur à cœur avec Dieu etoù l’on commence à voir et à entendre du point de vue de Dieu. On peutretrouver ceci dans l’appel vocationnel de Marie et de Jésus. Ils sont appeléspar Dieu pour leur mission particulière dans une sorte d’expérience religieuserévélatrice, intense, transformante, que l’Écriture présente comme « une visioninaugurale » ou un appel prophétique.29 Ils ont entendu cet appel dans lesilence de leur être. Tandis qu’il est souvent difficile de trouver le silence etla paix qui sont une nécessité vitale pour une découverte spirituelle de soi etpour la contemplation, la profondeur et la complexité de la faim spirituellecontemporaine a absolument besoin de la mystique.30 C’est cette intimité avecDieu qui aura finalement raison des résistances éventuelles du prophète àparler et à agir. Parole et action naissent de la contemplation silencieuse.31

3

Ruffing se demande cependant : Comment peut-on autrement entendre laparole que Dieu prononce dans le cœur, ou dans les rêves et les visions ?Comment être sûr autrement qu’il s’agit de la parole de Dieu et non de la siennepropre ? Puis elle affirme : « La mystique des prophètes est ce qui libère leurimagination et leurs désirs de la puissance déterminante et contraignante dumonde tel qu’il est, le monde tel qu’il se présente ». 2

Aujourd’hui comme jamais, nous nous trouvons devant un nouveau défiet par conséquent, une invitation à revenir à la mystique, à faire l’expérienced’un contact étroit avec le divin, d’être touché(e) par l’Esprit de Dieu. Dansl’Église et parmi les religieux/ses il y a un engouement très fort pour apprendredes autres traditions religieuses et des spiritualités asiatiques qui offrentl’expérience unificatrice et intégrée de pratiques mystiques. Il est clair désormais,pour les Églises et les religieux/ses d’Asie que le triple dialogue - avec lespauvres, avec les cultures et avec les religions – représente une manièrecréative d’être Église. La pratique du silence nous rend capables d’écouterquand nous dialoguons. Nous sommes si absorbées par les exigences de lamission et rattrapées par l’attente de la vie religieuse « orientée vers laproduction », que la mystique a été d’une certaine manière, la part négligée dela vie religieuse. La prière est devenue lasse et routinière ; elle a cessé d’êtreressentie comme le souffle de vie de l’Esprit. Le manque de prière contemplativechez les membres d’une communauté a contribué à l’écroulement descommunautés de foi en mission ; et ceci au point que la communauté religieuseest susceptible de devenir la première source de découragement et de déceptionpour ses membres. Il faut qu’il y ait cohérence entre le message du prophèteet la vie du prophète.33 Les soi-disant communautés de foi perdent leurtranchant prophétique à la longue. Des études menées sur la base d’interviewsde religieux/ses dans différentes parties du monde ont montré que l’expériencede Dieu dans la prière personnelle ou dans les événements quotidiens et lesrelations avec les gens constituent la première source de renouvellement de la

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foi et de la persévérance de l’engagement religieux. 34

Ceci met tout simplement en lumière que la mystique fait partie intégrantede notre témoignage et de notre vocation prophétiques. C’est la contemplationqui nous permet de voir le monde et les gens que nous sommes appelé(e)s àservir selon le cœur de Dieu, du point de vue de Dieu. Le mode de vieprophétique d’une communauté religieuse ne peut que favoriser de manièreéminente l’exercice ministériel de la vocation prophétique qui consiste àconfronter sans cesse les situations concrètes dans lesquelles travaillent lesreligieuses et religieux à la Parole de Dieu.35 Les besoins de notre temps nousmettent au défi de constater qu’il n’y a pas de séparation entre la mystique etla dimension prophétique de la spiritualité de la vie consacrée. Il n’y a pasd’antagonisme entre le mystique et le prophète ; les prophètes étaient desmystiques et les mystiques étaient des prophètes.36

Si nous restions avec Lydie et les siens après que les missionnaires soientpartis et retournés à leur vie et leur travail de tous les jours, comment notrevocation prophétique pourrait-elle s’alimenter et s’approfondir ? Quels sontles bruits de tous les jours – à la fois intérieurs et extérieurs – qui nousempêchent d’entrer dans le silence ou qui nous distraient de la présence deDieu ? Il est nécessaire d’identifier ces bruits pour pouvoir les acheminer versle calme intérieur.

5. Cette phase de paix nous conduit donc au cinquième et dernier mouvement,qui est la phase d’intégration. Ici la personne assimile la substance de laconversion de manière à ce qu’elle fasse partie intégrante de son être. Lapériode de silence et de retrait donne à la personne le temps nécessaire pourcomprendre ce qui s’est passé, pour intégrer le changement d’attitude, deperspective et de manière de croire dans sa propre histoire et dans sa vie ; pourfaire une synthèse de toutes les parties de l’expérience mystique et prophétiquede la conversion.37 La contemplation et la mystique demandent une croissancede la capacité de discernement et de la pensée critique dans la quête du moiauthentique. À cette étape, il est important d’avoir une vie de prière continuelle,pour discerner à chaque instant l’action de l’Esprit dans sa vie. La parole etl’action prophétiques n’ont pas l’avantage de la vision avec du recul, précisémentparce qu’elles s’occupent de « ce qui est en train de se passer » au momentmême. Par conséquent, plus une personne est contemplative, plus l’actionprophétique qu’elle peut accomplir est adaptée, même sans jouir de longuespériodes de prière. Cette étape permettra à la personne d’entrer à nouveau dansla communauté de foi et de mettre cette foi en action en s’appuyant sur sescertitudes. La tâche prophétique consiste à centrer la parole, la proclamationdu Royaume de Dieu, directement sur et dans une situation particulière.38

Dans de nombreuses parties du monde, spécialement en Asie, les leadersde congrégations de religieuses/x catholiques, plus récemment en Inde, ont

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décidé de laisser les préoccupations environnementales façonner leur style devie et leurs activités. Ce fut le fruit, non seulement de la discussion mais ausside temps de réflexion dans la prière sur la manière dont les religieuses doiventrépondre aux défis de notre temps. Les leaders ont pris la résolution d’examinerles impératifs moraux et religieux de leur style de vie, y compris concernant« l’usage sans discernement des ressources naturelles » et la tendance àdétruire les terres habitables au nom du développement.39 Dans leur documentfinal, les leaders religieux déclarent que « la sensibilisation de la vie consacréeà l’environnement est le point le plus exigeant, et qu’il faut l’incorporer danstous les aspects de la vie religieuse’.40

Nous ne saurons sans doute jamais ce qui arriva à Lydie et aux siens aprèsle départ de Paul et de ses compagnons. Mais une chose est sûre : le simple faitque l’Église de Philippes ait grandi et se soit développée pendant sa génération41

suffit à témoigner de la profondeur de la conversion de Lydie et de sonengagement à continuer la mission du Christ. L’exemple de Lydie et de sacommunauté de foi donne à la vie religieuse l’espérance que, si nous écoutonsvraiment la Parole de Dieu, et chaque fois que nous le ferons, nos cœurss’ouvriront et nous entendrons dans les profondeurs comment renouvelernotre engagement baptismal dans le contexte de la vie religieuse ; et cecimalgré les nombreux défis qui nous assaillent aujourd’hui, tels que le déclindes vocations, le vieillissement, les problèmes communautaires, les nouveauxdéfis dans la mission, et ainsi de suite. Alors qu’un recentrage sur les nouvellesréponses à la mission est en train d’émerger, nous sommes mis au défid’investir nos ressources spirituelles et matérielles au service des pauvres, despersonnes marginalisées et du changement structurel au nom du peuple deDieu. Tous ceux et toutes celles qui lisent l’histoire de Lydie peuvent vraimentjuger de sa fidélité : elle est restée fidèle au Seigneur et à sa mission jusqu’àla fin.

De la même manière que Lydie répondit à l’appel de Dieu de vivre sonengagement baptismal, quels appels entendons-nous aujourd’hui, qui nouspressent d’« éclairer de lumière prophétique les ténèbres qui nous entourentet de choisir avec audace d’habiter de nouveaux horizons ? »

Conclusion

Notre relecture attentive de l’histoire et de la conversion de Lydie, ainsique la discussion qui a découlé des cinq phases du processus de conversionnous ont donc interpellées pour réfléchir plus profondément sur notre appelcomme religieuses à être mystiques et prophètes dans le monde d’aujourd’hui.En tant que religieuses nous sommes appelées à être plus attentives à laprésence du sacré dans nos propres voyages intérieurs, dans la vie des autres,et dans la création tout entière. Si nous reconnaissons dans la contemplation

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un chemin de vie pour toute l’Église, nous, les religieuses considérerons noscommunautés et nous considérerons nous-mêmes comme des foyers de spiritualitéet d’expérience de Dieu. La première communauté chrétienne, réunie dans uneprière intense dans l’attente d’un nouveau commencement, fit l’expérience dela force d’un vent puissant qui les poussait (Ac 2,2) et leur donna l’audace des’engager dans l’action prophétique, de proclamer et de témoigner de la Parolejusqu’au bout de la terre. De même, nous aussi, nous sommes appelées à vivrenotre engagement religieux sur le même modèle puisque nous continuons lamission du Christ dans notre monde d’aujourd’hui. Puissent les intuitions quela relecture de l’histoire de Lydie a suscitées en nous être le début d’unenouvelle Pentecôte pour notre vie religieuse aujourd’hui. Que cela nous donnede l’élan, à nous qui sommes les disciples d’aujourd’hui ; que nous sachionsreconnaître toutes ces femmes qui continuent à assumer la tâche prophétiqueafin que l’Église fleurisse dans un monde qui a tant souffert et souffre encorede division, de violence, d’exploitation et de désillusion. L’Esprit est la forcequi nous rend capables comme Lydie, de vivre nos expériences de conversionpermanente, en nous-mêmes et autour de nous, et d’offrir notre généreusehospitalité comme signe de la présence et du Royaume de Dieu parmi nous.

1 Janet Ruffing, rsm, editor, Mysticism andSocial Transformation (Syracuse : NewYork: Syracuse University Press, 2001),pp.7-8

2 David Lertis Matson, HouseholdConversion Narratives in Acts : Patternand interpretation (New York :ContinuumPublishing, 1996), p. 136

3 D’après la note sur le baptême de Jésusdans la Bible de Jérusalem

4 Susanne Heine, Women and EarlyChristianity : Are the Feminist ScholarsRight ? (London : SCM, 1987), p.83

5 A. Thomas Kraabel, “The disappearanceof the ‘God-Fearers” in Numen 28 (1981°,p. 113-126. L’auteur met en doutel’existence de ce groupe, longtempsaccepté par les spécialistes du NouveauTestament. Kraabel suggère que lafonction des “craignants-Dieu” n’est qu’unprocédé littéraire pour montrer commentle christianisme émigra depuis sa

proclamation à l’intérieur du judaïsmepour devenir une religion des gentils.

6 Cf. Heine p. 93

7 David K. O’Rourke, OP, « The Experienceof Conversion » in Francis Eigo, OSA,ed., The Human Experience ofConversion : Persons and Structures inTransformation (Pennsylvania : VillanovaUniversity Press, 1987), p. 9

8 David K. Rourke, OP, « A Process CalledConversion » ( New York : Doubleday,1985), p.34

9 Cf. O’Rourke « The Experience ofConversion », p. 10.

10 Cf. Heine, p.84

11 Forence M. Gillman, Women who knewPaul, Zaccheus Studies, : New Testament(Collegeville, Minnesota:The LiturgicalPress, 1992), p. 36. L’auteur cite commel’une de ses sources, G.H.R. Horseley,New Documents Illustrating EarlyChristianity. A Review of Greek

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Inscriptions published in 1976, 1977,1978, 3 vols. (North Ride, N.S.W. :Ancient History Documentary Center,Marquette University 1981-83). Laréférence est New Docs 1977, p.27.

12 Andrew Walls, “Origins of Old Northernand New Southern Christianity” inMissionary Movement in ChristianHistory: Studies in the transmission ofFaith (Maryknoll, NY: Orbis Books, 1966),pp.68-75.

13 Elizabeth Dreyer, « Images of theSpirit :Renewing Source for the SpiritualLife » in the New Theology review. AnAmerican Catholic Journey for Ministry,Vol. 11, N° 4, Nov. 1998, p. 29.

14 Dairmuid O’Merchu, ReclaimingSpirituality : A New Spiritual Frameworkfor Today’s World (Dublin : Gill andMacMillan, 1997), p. vii.

15 Daniel Maguire, The Moral Core ofJudaism and Christianity : Reclaiming theRevolution (Minneapolis :Fortress Press,1993), p. 166.

16 Sandra Schneiders, IHM, « Call,Response and Task of Prophetic Action »,Part II of a five-part essay, « ReligiousLife and Prophetic Life Form », in NCR,Jan. 4, 2010.

17 Ibid.

18 Sandra Schneiders, IHM, « What JesusTaught Us About His Prophetic Ministry »,Part Three of a five-part essay in NCR,Jan. 6,2010.

19 Ibid.

20 Cf. Maguire, p.168

21 Sandra Scneiders, IHM, « Tasks of ThoseWho Choose the Prophetic Life Style » inNCR, Janv. 7,2010

22 John R.W. Stott, The Spirit, the Churchand the World : The Message of Acts(Downers Grove : Intervarsity Press,1990), p. 263, as quoted by Matson, p.147.

23 Cf. Schneiders, « Tasks of Those WhoChoose the Prophetic Life Style »

24 Ivoni Richter Reimer, Women in the Actsof the Apostles :A Feminist LiberationPerspective (Minneapolis : FortressPress, 1995), p. 124.

25 Albert Nolan, Jesus Today (Philippines :Jesuit Communications Foundation, Inc.

2006, published in the Philippines byarrangement with Orbis Books, Maryknoll,NY 10545-0308), p. 42. De nombreuxsavants, dont le plus connu est StephenHawking, essayèrent par leurs travauxde reconstruire l’évolution de l’univers.Ce qui fut par la suite connu sous le nomde ‘nouvelle histoire de la création’

26 Cf. Matson, p.148.

27 Ibid.

28 Ibid.

29 Cf. Schneiders, “Call, Response and Taskof Prophetic Action”.

30 Kathleen Coyle, SSC, “PropheticMysticism: The Call to live Prophetically”in EAPR, Vol. 45, n° 2 (2008), p.1

31 Voir Ruffing, p.9

32 Ibid.

33 Cf. Schneiders, « Tasks of Those whoChoose the Prophetic Life Style ».

34 Maxi Fernando, « The trajectory of theAsian Religious Vocation » in RLA,Vol.XI, N°3, July-September 2000 p. 32.

35 Cf. Schneiders, « Religious Life asProphetic Life Form ».

36 Cf. Nolan, p. 72. L’auteur fait référence àDavid Tracy, « Recent CatholicSpirituality : Unity amid Diversity » inChristian Spirituality : Post-Reformationand Modern, vol.3 (London :SCM 1990),pp. 160-70. Il cite aussi Philip F. Sheldrake, “Christian Spirituality as a Way of LivingPublicly: A Dialectic of the Mystical andProphetic,” Spiritus: Journal of ChristianSpitrituality 3, n° 1 (2003), pp. 24-27.Nolan reconnaît la tradition mystique-prophétique, un terme employé plusfréquemment en théologie chrétienne etspiritualité chrétienne comme unemanière de reconnaître les racines judéo-chrétiennes et l’unité de la mystique et dela prophétie.

37 Cf. O’Rourke, p. 10

38 Cf. Schneiders, « Task of Those whoChoose the Prophetic Life Style »

39 UCANews.com, Mardi 20 octobre 2009.http://www.ucanews.com/2009/10/05religious-add-green-vow-to-consecrated-life/. Enlevé le 18/10/2009.

40 Ibid.

41 Cf. Gillman, p.34

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APPELÉES À ILLUMINERPROPHÉTIQUEMENT LE MONDEDES TÉNÈBRES

Sr. Liliane Sweko, SNDdeN

Sr Liliane Sweko, a été maîtresse des novices à Bulawayo, au Zimbabwe.Elle est membre de l’équipe générale de la congrégation des Sœurs deNotre Dame de Namur.

Original en français

expériences singulières par lesquelles la vie religieuse se construit et s’enracinedans le sol africain. Connu pour sa pauvreté, son sous-développement, sesmaladies endémiques, ses guerres et son sida, le continent africain n’est-il pasen passe d’inscrire ses lettres de noblesse dans la digne tradition chrétiennedu prophétisme et de la mystique ? En effet, depuis une cinquantaine d’années,de nombreuses religieuses africaines ont été assassinées (235 en 2003), à côtéde leurs frères et sœurs, religieux, prêtres, laïcs et laïques. À la fin de l’annéedernière, le nombre des religieuses assassinées a grandement augmenté. Nousnous rappelons, avec grande douleur et beaucoup de larmes, de la Sœur DeniseKahambu Muhayirwa, trappistine du Monastère Notre Dame de la Clarté-Dieude MURHESA. Sœur Denise Kahambu se préparait à fêter ses 45 ans d’âge lesamedi de la semaine où elle a été abattue. Les images insupportables de soncorps brisé, abandonné dans une mare de sang, ont circulé à travers le monde.Dans sa brochure, Ils nous ont guettées, publiée en 2003, le Père NenoContran, combonien, fait l’anthologie de la vie de toutes ces religieuses tuéesà cause de leur foi chrétienne et de leur présence et témoignage religieux. Dansla préface de cette brochure, Sœur Pétronille Kayiba, OP, écrit :

« Si on examine les circonstances dans lesquelles ces personnesconsacrées ont perdu la vie, on découvre qu’elles n’étaient pas engagéesdans des activités particulièrement conflictuelles : leur temps et leurs

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Introduction

fricaine et religieuse, ayant longtemps travaillé en Afrique avantd’être choisie comme membre de l’Équipe générale de macongrégation, je ne peux aborder notre thème qu’en partant des

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énergies étaient absorbés par l’enseignement, l’assistance sanitaire, ledéveloppement, l’évangélisation. Des gens sans armes, ne constituant undanger pour personne, capables de se révéler d’un courage extraordinaireet ne se distinguant des autres que par la gratuité de leur amour, signede la solidarité de Dieu au milieu des peuples. Leur histoire montre queles risques font partie – plus qu’autrefois peut-être – de la vie consacréeet qu’ils surgissent de façon imprévisible. Les guerres, les dictatures,l’exploitation des divisions ethniques peuvent transformer en cible lesgrandes valeurs et ceux qui les représentent. Les couvents attaqués, lesfuites dans la forêt ou dans un endroit plus sûr pour échapper au viol,au pillage, semblent devenir des cas banals comme les souffrancesanonymes des populations civiles » (Sr Pétronille Kayiba, OP, Préface,p. 5).

La situation ainsi décrite de la vie religieuse en Afrique met en lumièrece qui est en fait un trait constant de la vie consacrée : quelles que soient lessituations singulières de tel ou tel continent, de telle ou telle culture, les risquesfont partie de la vie religieuse, et c’est justement cela qui nous donne d’êtretémoins de ce que le monde, au sens johannique, ne peut comprendre. Laréflexion sur notre thème s’articulera autour de quatre points : ombres etlumières ; mystiques et prophètes de notre temps ; vous êtes la lumière et lesel de la terre ; actions pour faire resplendir la lumière dans les ténèbres.

1. Ombres et lumières

Que notre monde soit, selon les mots du prophète Isaïe (Is 9, 1-3), le lieuoù le peuple marche dans les ténèbres, le lieu où des hommes et les femmeshabitent dans l’ombre, il n’y a qu’à être attentif aux réalités quotidiennes denombreux pays et peuples pour s’en convaincre. Mais notre foi en Celui quiest mort et ressuscité ne devra-t-elle pas transformer notre regard pour décelerla lumière, même faible, qui se maintient malgré tous les vents du monde ?

Elle est devenue classique la description de la situation du continent noir :ses ombres ne doivent cependant pas faire oublier ses lumières qui préparentla levée d’un soleil plus radieux et fort. C’est en ces termes que les lineamentapour la Deuxième Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Evêques(27 juin 2006) décrivent les ombres de ce continent :

« La détérioration généralisée de la qualité de vie, l’insuffisance desmoyens pour l’éducation des jeunes, la carence de services sanitaires etsociaux élémentaires, entraînant la persistance de maladies endémiques,l’épidémie terrible du Sida, le fardeau lourd et parfois insupportable dela dette, l’horreur des guerres fratricides alimentées par un traficd’armes sans scrupules, le spectacle honteux et pitoyable des réfugiés et

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des personnes déplacées». « Le fait que la mortalité infantile ne cessede croître. Depuis plus de dix ans, pour les pays les plus pauvresd’Afrique, la dégradation constante des revenus se poursuit. L’accès àl’eau potable demeure pour plusieurs encore très difficile. Globalement,la grande majorité de la population africaine vit dans un état de manquede biens et de services de première nécessité. La situation de l’Afriqueaujourd’hui ne peut pas ne pas interpeller les consciences. L’Afrique estaujourd’hui plus que jamais dépendante des pays riches, plus vulnérableque tout autre continent à leurs manœuvres visant à donner d’une mainet reprendre le double de l’autre; visant à maintenir une main mise fortesur le déroulement de la vie politique, économique, sociale voire culturelledes pays africains. L’Afrique est consciemment oubliée dans ce mondequi se construit » (Lineamenta, chap.1).

Les auteurs de ces Lineamenta reconnaissent cependant des lueursd’espérance, des étincelles de vie qui peuvent transformer en un beau jourensoleillé les ténèbres du continent africain.

« L’Église demeure pour plusieurs pays d’Afrique l’unique réalité quifonctionne encore bien et permet aux populations de continuer à vivreet à espérer en des lendemains meilleurs. Non seulement elle offrel’assistance nécessaire, garantit la coexistence pacifique et contribue àtrouver les voies et les moyens pour la reconstruction de l’État, maisaussi elle est ce lieu privilégié à partir duquel l’on commence à nouveauà parler de réconciliation et de pardon.[…] L’avènement de la paix encertains pays africains; le désir ardent de paix largement répandu surle continent, particulièrement dans la région des Grands Lacs;l’opposition croissante à la corruption; la forte prise de conscience dela nécessité de la promotion de la femme africaine et de la dignité detoute personne humaine; l’engagement des laïcs dans les «sociétésciviles» pour la promotion et la défense des ‘Droits de l’Homme’; lenombre toujours croissant d’hommes politiques africains conscients etdéterminés à trouver des solutions africaines aux problèmes africains ».

Pareillement, si notre monde est encore marqué par la violence, leterrorisme de tout genre, les guerres et les luttes attisées souvent par lespuissances et les multinationales qui veulent profiter de ces situations pourexploiter des richesses des pays pauvres, maintenir des peuples sous ladomination et l’oppression, notre foi chrétienne nous indique cependant quece monde est toujours habité par Dieu. Nous sommes émerveillées de voirl’élan de solidarité et de fraternité, quasi mondiale, à l’occasion des catastrophes,des désastres naturels, et même aussi à la suite des guerres et des conflitsarmés. La mobilisation mondiale en faveur des victimes du Tsunami ou duséisme en Haïti reste pour moi, à cause de sa grande visibilité, très exemplaire.

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Ainsi, même quand la violence atteint des proportions inhumaines, que toutpousse à penser que Dieu a déserté nos vies, que nous déclarons la mort de Dieuou que nous pleurons sur son absence, et que comme Eli, nos yeux commencentà faiblir et que nous ne pouvons plus bien voir les merveilles de Dieu(I S 3, 2-3), ne l’oublions pas : « la lampe de Dieu n’est pas encore éteinte ».Nous souvenons-nous de la jeune Juive morte dans les camps de concentration,Etty Hillesum ? Elle a des paroles merveilleuses qui doivent encore êtreméditées et exploitées quand les ombres, les obscurités de notre mondebouchent toute élévation du regard positif, tout horizon d’espérance et de vie.Africaine et congolaise, je sens toutes les humiliations, toutes les violences ettous les viols faits aux femmes de mon peuple, ces nombreux corps avilis,détruits par la violence et la méchanceté des hommes. Où trouver l’espéranceet la force de continuer à espérer et à vivre ? Les mots d’Etty Hillesum meviennent, fraternels, comme source de courage et de foi :

« Je vais t’aider mon Dieu à ne pas t’éteindre en moi c’est à mon tourde t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous.Tu vois comme je prends soin de toi. Je ne t’offre pas seulement meslarmes et mes tristes pressentiments, en ce dimanche venteux et grisâtreje t’apporte même un jasmin odorant. Et je t’offrirai toutes les fleursrencontrées sur mon chemin et elles sont légion, crois-moi. Je veux terendre ton séjour le plus agréable possible » (Etty Hillesum, Une viebouleversante, Pascal Dreyer, Editions Desclée de Brouwer).

Aussi longue que soit la nuit, le jour finit par arriver, dit la sagesse de nosancêtres africains. La foi et l’espérance chrétiennes, dans ce douloureux jeuet enjeu de l’ombre et de lumière, font de nous, personnes consacrées, desporteuses d’une lumière qui est également le flambeau dont le monde a besoinpour voir et se réchauffer. Il s’agira parfois d’une lumière et d’un feu quidemeurent imperceptibles aux yeux du monde, mais dont ce monde pressentla présence et la force. Pour terminer ce premier point, évoquons une imagequi est le titre même du livre de Joan Chittister, Le feu sous les cendres : cetteimage, selon l’auteure, veut indiquer le « processus qui consiste à enfouir lesbraises, à veiller sur le feu et à favoriser de nouveaux modes d’embrasementgénérateurs d’avenir » (Joan Chittister, Le feu sous les cendres, 274). Dans cemonde obscurci par tant de drames, de guerres, de violences et de mépris dela personne humaine, la vie religieuse devra inventer des voies nouvelles, descapacités nouvelles pour, non seulement maintenir le feu de Dieu qu’elle porte,mais bien encore trouver les nouvelles opportunités pour embraser ce monded’une manière profonde et inédite.

2. Mystiques et prophètes de notre temps

« Jacob s’éveilla de son sommeil et dit : ‘En vérité, Yahvé est en ce lieu

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et je ne le savais pas […]. Que ce lieu est redoutable ! Ce n’est rien de moinsqu’une maison de Dieu et la porte du ciel’ » (Gn 28, 16-17). Ce qui est dit deDieu, vaut pour ses prophètes et ses messagers. Dans notre monde d’aujourd’hui,aussi marqué qu’il soit par toutes sortes de ténèbres, Dieu est bien présent etbien représenté par ses serviteurs. De nombreuses personnes consacrées,hommes et femmes, ont témoigné et continuent à témoigner de la force et del’amour évangéliques. Comme ces nombreuses religieuses africaines auxquellesnous avons fait allusion au début de notre propos, assassinées dans cetteAfrique, du nord au sud, notre monde s’éclaire de la présence et de la vie deceux et celles nombreux qui parlent de Dieu, plus fort que le bruit des canonset l’arrogance des riches. Ce que dit l’auteur de la Lettre aux Hébreux vautadmirablement pour les mystiques et les prophètes, nos frères et sœurs destemps modernes : « Les uns se sont laissé torturer, refusant leur délivranceafin d’obtenir une meilleure résurrection. D’autres subirent l’épreuve desdérisions et des fouets, et même celle des chaînes et de la prison. Ils ont étélapidés, sciés, ils ont péri par le glaive, ils sont allés ça et là, sous des peauxde moutons et les toisons de chèvres, dénués, opprimés, maltraités, eux dont lemonde était indigne, errant dans les déserts, les montagnes, les cavernes, lesantres de la terre » (He 11, 35-38).

Un proverbe africain (Ntomba) dit : « la civette est partie mais on sentencore l’odeur de son musc » (votre réputation demeure même si vous êtes déjàparti). Comment ne pas évoquer ici la mémoire de certains d’entre eux quicontinuent à nous encourager et à nous indiquer les chemins d’espérance et defoi ? Comme prophète et mystique, assassiné alors qu’il disait la messe, MgrOscar Romero a voué sa vie à la défense des pauvres et des opprimés. Ses prisesde position par rapport à la politique lui valurent persécution et incompréhension.Paroles prophétiques qui doivent encore résonner dans nos oreilles fatiguéeset découragées, ces mots de Mgr Romero : « Une Église qui ne s’unit pas auxpauvres et, à partir d’eux, ne dénonce pas les injustices commises contre eux,n’est pas la véritable Église de Jésus-Christ ». Tout en dénonçant les exactionscommises par la junte militaire au pouvoir, massacres, assassinats et autresatteintes aux droits de l’Homme, il jouait également un rôle de réconciliateurprêchant la réforme paisible et combattant l’esprit de haine et de vengeance.

Dans son combat pour la paix, la justice et la défense des droits humains,était-il toujours compris de l’Église ? Ne disait-il pas que notre foi chrétienneexige que nous nous impliquions en ce monde ? Paroles dangereuses pour ceuxqui font de la vie chrétienne, une désertion du monde. Mais comment le levainpeut-il faire lever la pâte s’il s’en trouve séparé ? Son message restera pournous une invitation incessante : la centralité du pauvre dans notre foi et notrespiritualité, l’Évangile comme Bonne nouvelle pour le pauvre, la défense dela vie et du pauvre.

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Mère Teresa de Calcutta : petite stature, corps frêle, avec une foi solidecomme un roc, cette femme de notre temps et de notre monde témoigne encoreaujourd’hui de la « force d’aimer », de ce que la foi chrétienne peut produire,même dans un milieu qui professe une autre foi. Son combat prophétique,nourri par une vie de prière incessante et quotidienne, est d’une autre force etd’une autre ténacité. Elle-même nous donne une sublime définition du prophètequand elle se présentait : « Par mon sang, je suis albanaise. Par ma nationalité,indienne. Par ma foi, je suis une religieuse catholique. Pour ce qui est de monappel, j’appartiens au monde. Pour ce qui est de mon cœur, j’appartiensentièrement au Cœur de Jésus ». Appartenir au monde par notre vocation etoffrir notre cœur, entièrement au Cœur de Jésus, telle est l’invitation prophétiqueque nous lançons encore aujourd’hui, comme celle qui est désormais bienheureuse.Alors la passion pour la dignité des pauvres s’ensuit et mobilise nos énergieset nos projets afin que l’homme, tout homme, quels que soient sa racine, saculture, son origine et son peuple, soit toujours honoré en tant qu’image deDieu (www.vatican.va/.../ns_lit_doc_20031019_madre-teresa_fr.html -18.01.2009).

Dorothy Stang, ma consœur américaine et missionnaire au Brésil, adéfendu, toute sa vie, l’Amazonie et les petits paysans confrontés aux grandspropriétaires terriens et à l’injustice. Le jour de sa mort, le 12 février 2005,face à ses deux assassins, « elle prendra le temps de sortir sa Bible afin de leurdire : ‘ceci est mon arme’ (« eis a minha arma ! »), avant d’être abattue de sixballes, une dans le ventre, une dans le dos, quatre dans la tête » (http://mercy.e-monsite.com/blog,soeur-dorothy-stang-missionnaire-martyre,193867.html-18.01.2009).

Appelées à mener une vie mystique et prophétique, nous religieusesd’aujourd’hui sommes interpellées par la vie chrétienne, non seulementd’« hommes et femmes de l’Église », mais également de laïcs qui ont su etsavent véritablement être le sel de la terre. Une figure féminine mérite icid’être mentionnée. Il s’agit de Madeleine Delbrêl, mystique chrétienne française,assistante sociale, essayiste et poétesse. De la profession d’athéisme radicaleà la considération de la possibilité de Dieu, Madeleine est conduite par leschemins déroutants d’un Dieu qui se laisse rejoindre à travers la prière et laréflexion. Dès lors, son travail d’assistante sociale devient une lutte contretoute forme d’exploitation, d’oppression de l’homme ; un engagement fort,usant également de l’intelligence, pour faire évoluer les politiques sociales. Cequ’elle écrit en 1937 demeure, à notre avis, une constante interpellation pournous toutes œuvrant dans le secteur social : « Il est peut-être plus touchant devisiter, dans sa journée, cinq ou dix familles nombreuses, de leur obtenir àgrand renfort de démarches tel ou tel secours ; il serait sans doute moinstouchant mais plus utile, de préparer le chemin à tel texte légal qui amélioreraitl’état familial de toutes les familles nombreuses connues ou inconnues de

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nous ». Une invitation à chacune de nous de découvrir à travers ses écrits, lestalents poétiques et la profonde vie mystique de cette laïque engagée, fille denotre temps (par exemple La joie de croire ou encore Nous autres, gens desrues).

La liste de ces hommes et de ces femmes prophètes de notre temps est trèslongue. Terminons en faisant mémoire de mon compatriote et vénéré MgrMunzihirwa, archevêque de Bukavu. Dans sa vie, profondément nourrie parla prière et son attachement à la Vierge Marie, il a su toujours étonner lespersonnes par la simplicité, la vérité et l’amour universel. Sa lutte pour lavérité, la justice et la paix fut même sa seule arme avec celles de la charité etde la prière. De fait, deux jours avant sa mort, il affirmait encore : « Nous leschrétiens, sachons que notre grande arme c’est la charité envers tout homme,et la prière au Christ en passant par Notre Dame ».

Toutes ces personnes, hommes et femmes prophètes de notre tempsdevraient nous inspirer. Quel est le feu qui les a poussées à rayonner commeune flamme précieuse au milieu de leurs frères et sœurs envahis par toutessortes d’ombres? Certainement, je pense qu’il y a déjà parmi nous ici dans cettegrande salle des femmes mystiques et prophètes, et je n’en doute pas.

3. Vous êtes le sel et la lumière du monde

Cette parole de Jésus adressée à ses disciples (Mt 5, 13-16) nous estaujourd’hui destinée, en tant qu’appelées à vivre une vie à la fois mystique etprophétique. C’est la seule condition pour que notre consécration religieusesoit la lumière qui resplendit dans les ténèbres et fasse reculer ces ténèbres. Lesel ne devient source et donateur de goût que s’il accepte le mystère de latransformation et d’abaissement (d’anéantissement). La lumière n’advient quesi la mèche dans notre lanterne reste profondément plongée dans l’huile ou lepétrole ; que si elle accepte d’être lentement consumée.

Mystiques, nous, religieuses d’aujourd’hui, sommes appelées à retrouverla puissance de la Parole et de la prière ; la grande soif d’être avec le Christ,dans le silence de notre cœur et de nos maisons. Faisant l’expérience personnelled’un Dieu qui se révèle à qui le cherche dans le secret de son cœur, noussommes ainsi fondamentalement des femmes qui cherchent et trouvent Dieuà travers les réalités du monde. Il s’agit de garder notre regard tourné vers Dieuquelles que soient les fragilités et les limites de notre vie ; de conformer cettevie au témoignage indépassable des Saintes Écritures et enfin, de persévérerdans l’observance de ces deux attitudes, à travers toutes les vicissitudes del’existence humaine. Tel est le sens mystique de notre vie religieuse. Et la seulecondition pour parvenir à cette vie, c’est la conversion continuelle : sont-ellesen effet toujours pures les intentions de notre vie et de notre engagement

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religieux ? Dans le service des pauvres, la lutte contre l’injustice et le mensonge,n’y a-t-il pas encore beaucoup de nous-mêmes et peu de Dieu ? Par notre viereligieuse, nous avons à nous laisser imbiber de Dieu au point d’être dépouilléesde toutes vanités et de toutes richesses externes : dès lors, nous nous trouvonsêtre davantage confrontées à notre vérité intime, tourmentées par le désir degoûter davantage la familiarité avec Dieu, portées par l’élan de crier au mondeentier ce que nous aurons intimement expérimenté, les richesses que nousaurons découvertes. La vie de conversion est ainsi toujours la vie d’uneconsacrée qui arrive à faire siennes les paroles de saint Paul : « Ce n’est plusmoi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi ». Une telle vie a la puissance et ladouceur de ramener le monde dans sa vraie relation avec son Créateur.

Ainsi dépouillés de nous-mêmes, nous pouvons alors acquérir la libertéet la clarté de vision nécessaires pour être prophètes dans ce monde. Et qu’est-ce qu’un prophète ? Il n’est pas un rêveur, ni celui qui prédit l’avenir : leprophète est un homme de son temps, attentif aux « ruptures qui rythment latrame du temps ». Ces ruptures peuvent être parfois des événements liés « aumal moral, aux injustices que les hommes commettent les uns envers les autres,qui défigurent passagèrement ou pour longtemps les communautés humaines ».Dès lors, « la parole du prophète, ainsi que le rappelle avec force R. De Haes,est l’annonce de l’aujourd’hui de Dieu dans l’aujourd’hui du monde, provoquantles mentalités, les institutions humaines qui ont tendance à se fermer sur elles-mêmes et à éteindre l’Esprit qui veut renouveler la face de la terre en vue duRoyaume » (L. Santedi Kinkupu, ‘ La mission prophétique de l’Église-famillede Dieu en Afrique. Perspectives post-synodales’, p.329).

Pour être mystiques et prophétiques dans ce monde d’aujourd’hui, noussommes appelées à être présentes au monde d’où montent les cris et les appelsdes hommes et des femmes meurtris par la violence, la famine, la pauvreté, lesguerres et toute autre action qui dégrade leur dignité. Trois fonctions caractérisentleur nature prophétique : la dénonciation, l’annonciation et le renoncement.Un regard sur nos vœux et sur la manière de les vivre peut nous aider à trouverdes voies nouvelles de prophétisme aujourd’hui. Comment concevons-nousles vœux ou continuons-nous à les concevoir? Certes, nous affirmons toujoursqu’ils sont source de liberté, des boulevards de liberté, de maturité etd’épanouissement, mais concrètement qu’en est-il de ces conseils évangéliques ?

a. La dénonciation

L’Évangile de saint Jean souligne que Jésus est venu dans le monde pourdonner la vie et une vie en abondance. Par la profession de nos vœux, nousvoulons témoigner de cette vie en abondance et aider nos frères et sœurs àbénéficier d’une telle vie. Aussi devons-nous dénoncer tout ce qui va contrela vie des femmes, des hommes et des enfants. Nous dénonçons tous les

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systèmes économiques, politiques, culturels qui provoquent la pauvreté et lapaupérisation de nombreux peuples du monde. Avec le Pape Benoît XVI quiparlait de l’Afrique, nous avons à dénoncer le matérialisme et le fondamentalismereligieux, déchets toxiques spirituels, que l’on exporte sur le continent noir etles pauvres du monde (toutes ces sectes qui polluent dans ces contrées demisère), la culture déviante du sexe et l’étalement de la nudité. La viereligieuse doit être « une véritable rébellion contre les structures politiques etsocio-économiques mortifères qui dénaturent l’image de Dieu en l’homme ».Cette dénonciation doit se manifester à travers une pratique authentique de nosvœux. Pauvres, nous nous engageons publiquement au nom des pauvres, endénonçant au prix de nos vies, les riches et l’enrichissement fait au prix desmorts et des exploitations des peuples. Pauvres, nous utilisons toutes nosressources pour sensibiliser les riches au phénomène de la pauvreté et pouraider les pauvres à sortir de leur misère ; chastes, nous dénonçons la profanationde l’amour, le viol, la promiscuité, le sexisme ; tout ce qui vide l’amourhumain de son sens et de son caractère sacré ; obéissantes, nous dénonçonstout ce qui peut infantiliser l’homme, tout ce qui le rend irresponsable, lemaintenant dans l’ignorance et dans l’insouciance.

Nous avons également à dénoncer ce qui, dans nos communautés, estdéshumanisant et oppressif. Sommes-nous à tout jamais libérés des tares duracisme, du tribalisme, des privilèges accordés à certains pour des raisonsautres que celles de la fraternité, de la vie en commune ? Ne devons-nous pasnous questionner sur la manière dont beaucoup d’entre nous laissent noscongrégations quand nos vies communautaires n’ont plus rien de fraternel,pour ne pas dire d’humain ? En toute vérité, nous devons dénoncer ce quiamoindrit la dignité et la valeur de la personne humaine, quand nos loisdeviennent des « fardeaux » lourds de déshumanisation.

b. L’annonciation

Le prophétisme de la vie religieuse aujourd’hui doit se manifester dans laproclamation de nos valeurs et de tout ce qui constitue la grandeur et la dignitéde la personne humaine. Par notre liberté vis-à-vis des biens de la terre,refusant l’accumulation pour l’accumulation, en mettant nos ressources auservice des pauvres, nous témoignons que les biens de cette terre sont le biencommun de tous les hommes ; par notre chasteté, nous proclamons la fraternitéuniverselle et nous réapprenons aux gens à aimer véritablement : passionnéesde Dieu que nous apprenons à connaitre dans le silence de nos prières et de nosrencontres, nous devenons progressivement des passionnées de l’humanitémeurtrie et abandonnée ; de cette humanité que le Christ porte préférentiellementsur son cœur. Alors, nous nous attachons aux pauvres qui fréquentent lessoupes populaires, aux enfants abandonnés et crasseux de nos villes modernes,des veuves affligées, des femmes violées ou maltraitées dont les cris sont

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couverts par l’égoïsme et les peurs de nos sociétés. Passionnées de cettehumanité qui, par manque d’amour, est devenue incapable d’aimer : c’est cettehumanité que nous voulons aimer d’un amour qui les laisse libres et libère enmême temps toute leur puissance d’aimer. Parfois nous sommes appelées à unamour héroïque.

Par l’obéissance, nous annonçons la valeur de chaque personne et sacapacité à contribuer à l’humanisation du monde, quand cette personne est àl’écoute de la parole de Dieu.

c. Le renoncement

Prophétiques, nous religieuses devons aujourd’hui, pour être crédibles,apprendre à renoncer à nos propres sécurités, à nos compromissions avec lespuissances et les riches. Nous-mêmes devons apprendre à nous évangélisercontinuellement parce qu’il y a aussi en nous des obscurités, des chemins devérité barrés par nos égoïsmes et nos peurs. Nous devons renoncer à tout cequi peut nous empêcher d’être d’authentiques porteuses d’espérance, de foi etde charité. Si dans beaucoup de parties du monde, des congrégations disposentdu strict minimum, ce qui peut avoir des répercussions sur la formation et lapratique des vœux de leurs membres, dans d’autres parties du monde, lesreligieuses sont considérées comme appartenant à la classe des privilégiées dece monde ; dès lors, le danger est grand de vivre dans l’opulence, ou departiciper à l’oppression et à l’exploitation des peuples, par l’entremise desentreprises dans lesquelles nous sommes actionnaires. Prophétiques par nosvœux, nous devons renoncer à la possession qui, sous toutes ses formes,dénature l’image de Dieu en l’homme.

J’affectionne une image évangélique particulière : l’onction à Béthanieoù Marie, Marthe et leur frère s’engagent à honorer et à fêter leur ami commun.Les rôles sont bien répartis, mais une chose apparait évidente : leurs économiesont servi à acheter un parfum de grand prix. La communauté religieuse nedevrait-elle pas devenir davantage un ‘Béthanie’ où chacune renonce à larecherche de ses intérêts personnels, met en commun tout ce qui peut contribuerà fêter chaque jour Celui qui nous unit et nous fait grandir comme individuset comme groupe ? Un proverbe Bashi ne dit-il pas justement « un seul arbrene donne pas beaucoup d’ombre ». En mettant tous nos efforts ensemble et endépassant tout ce qui nous divise, pourrons-nous faire de nos communautésdes lieux de fraternité, d’amitié dans le Seigneur, de paix et de vérité ?

d. Le témoignage communautaire

Le monde a besoin d’un témoignage crédible pas seulement commeindividus mais aussi comme communauté. C’est la communauté qui doit êtreprophétique. Est ce que la communauté est engagée pour rendre ce témoignage?

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Est ce que le futur de la vie religieuse reflète vraiment le témoignage de noscommunautés actuelles? La communauté doit nous éveiller et nous inspirer;ex: des Jésuites tués à cause de leur éveil communautaire en luttant pour lajustice et la paix... les Trappistes qui sont morts pour s’être engagés ensembleà défendre les opprimés, etc... Et beaucoup d’autres exemples...Je ne dis pasque tous devront mourir martyrs.

Est ce que l’accueil, la solidarité, nos vies communautaires sont inspiréesde cette flamme afin que nous puissions devenir de plus en plus ces femmesmystiques et prophètes selon l’Évangile que nous proclamons et vivons? Maiscomme le disait l’Abbé Pierre, il faut que la voix des hommes sans voixempêche les puissants de dormir. Soyons cette voix aujourd’hui encore.

4. Actions concrètes pour faire resplendir la lumière dans lesténèbres

Ainsi énoncé, ce quatrième point peut paraître prétentieux. Saurions-nousvraiment indiquer des actions concrètes que chaque congrégation et chaquereligieuse, de par le monde, devront accomplir pour témoigner de la valeurreligieuse ? Nous ne pouvons en fait que proposer quelques pistes de réflexionque chacune doit mener pour aboutir à des actions concrètes, en tenant comptede la situation de son continent, de son pays, de sa mission. Il faut en effet, aunom de notre vocation mystique et prophétique, au nom de l’humanité souffranteet pauvre, nous engager aujourd’hui et maintenant ; il ne nous suffit plus denous lamenter, de pleurnicher sur nos malheurs, sur les viols massifs de nossœurs, mères et filles ; sur l’exploitation des richesses des pauvres, sur ladestruction de la terre et de la nature. Nos martyres modernes, à l’instar deDorothy Stang, nous invitent à plus d’action et d’implication.

Première action : L’exigence de la formation solide des religieuses.

« Si la vie religieuse doit en valoir le coup aujourd’hui, nous avonsbesoin de penseurs capables de nous amener à dépasser le stade desbelles paroles et des bonnes œuvres envers les désespérés, à dépassercette espèce de charité complice de l’obscénité, pour réaliser un modèlede justice qui annule toute obscénité. Nous avons besoin d’éclaireursmoraux de l’univers, capables de nous aider à nous rendre aux sommetsde l’humanité et à sortir des profondeurs obscures de ce genre de progrèsmalsain toujours acquis au détriment des pauvres qui passent tropsouvent inaperçus » (Joan Chittister, Le feu sous les cendres, 261).

Ici, nous saluons toutes les religieuses qui, dans le monde, mènent desrecherches en théologie, en sociologie, en anthropologie, en économie, enpolitique, en droit et en tout autre domaine : par leurs travaux, nous recevonsdes lumières qui peuvent nous aider à ne pas être complices des malheurs des

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pauvres. La formation s’impose et doit être valorisée aujourd’hui. Il y a commeune nécessité intrinsèque entre notre engagement apostolique et la formation :en effet, l’attention aux pauvres dans ce monde doit aller de pair avec une étudesur les causes de leur pauvreté ; pour devenir des « éclaireurs moraux » d’unecommunauté internationale, nous avons besoin de nous pencher sur la questionde la dette du Tiers et du Quart-Monde et des conditions dans lesquelles cettedette a été contractée. Notre sensibilité à la question écologique appelle uneffort rationnel pour nous informer sur les causes réelles de la destruction denos forêts, de la pollution de nos eaux, etc.

La question de la femme, de son exploitation et de la violence qu’elle subità travers le monde doit nous inciter à connaître l’histoire des cultures et despeuples et travailler intellectuellement en profondeur pour démasquer tous leslieux d’asservissement de la femme au nom de la religion, de la culture, etc.Sans une formation humaine, morale et intellectuelle adéquate, beaucoup denos engagements peuvent prendre l’allure d’une caution apportée aux systèmesqui détruisent la dignité de la femme. Pour ce monde qui change et qui appelledes capacités de compréhension et de fidélité créatrice, ne faudrait-il pasdavantage améliorer la qualité du développement intellectuel au sein de noscongrégations ? En réalité, c’est ce développement intellectuel qui donne dela profondeur à notre vie spirituelle, de la valeur à nos engagements apostoliqueset qui souligne également la dimension prophétique de notre spiritualité etcharisme.

Deuxième action : implication dans des organisations ecclésiales,nationales et internationales.

S’il est vrai que par vocation, nous ne pouvons faire de politique active,notre vocation prophétique ne nous demande pas de déserter certains lieuxd’influence et de gestion de ce monde. Sur le plan de l’Église, une participationactive dans les commissions « Justice et paix », au niveau diocésain ounational, s’impose. Comme nous venons de le dire, une telle implicationsuppose une bonne formation intellectuelle et humaine, sans quoi la présencede la religieuse ne peut être que protocolaire et peu efficace. Sur le planpolitique national, notre engagement en faveur des faibles, des femmes violéeset maltraitées, peut se faire auprès des assemblées nationales, par le biais desassociations et des organismes militant pour les droits de l’homme. En formantdes laïques capables de faire la politique active et en cherchant des partenairesauprès de ces institutions étatiques, nous pouvons indirectement, il est vrai,mais efficacement, mener certaines actions. Sur le plan international, auprèsdes organes de l’Organisation des Nations Unies, nous pouvons et devonstrouver un moyen de faire entendre nos voix et celle de tous les pauvres, detoutes les victimes de notre monde.

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Troisième action : travailler en réseau pour ce qui touche les grandsproblèmes de justice et de paix.

L’influence à exercer auprès de nos institutions étatiques peut avoircomme base des informations que nous recevons de différentes parties dumonde par le moyen des communications entre les congrégations. Par ailleurs,un témoignage dont notre monde a également besoin, c’est de sortir de noscloisonnements – des congrégations agissant parfois comme des sectes – envue d’actions communes, menées avec les compétences de beaucoup decongrégations.

Conclusion

« Avance en eau profonde et lâchez vos filets pour la pêche »(Lc 5, 1-11). Au terme de notre réflexion sur le thème « Appelées à illuminerprophétiquement le monde des ténèbres », nous voulons nous arrêter sur cetteinvitation du Christ. Comment nous engager prophétiquement à la transformationde notre monde et de nos congrégations ? Jésus nous dit : « Avancez en eauprofonde et jetez vos filets pour prendre les poissons ». Avancer en eauprofonde signifie, en nous appuyant sur la parole de Jésus, accepter d’entreren contact avec le monde, en prenant le risque propre à la vie religieuse : lesvœux de religion indiquent en effet notre manière d’être bousculées et debousculer le monde, parce que la lumière n’est pas d’emblée acceptée par ceuxqui affectionnent les ténèbres. C’est aussi s’engager à être aux frontières, auxlieux où l’on cherche à construire un monde plus juste et plus fraternel.

Quelle semence pourrions-nous planter ensemble aujourd’hui qui marqueraitla différence dans le présent et pour le futur, pour nous en tant que femmesreligieuses appelées à remplir les situations obscures de lumière prophétique ?Le Christ qui nous invite à avancer en profondeur nous fait confiance : « Vousêtes la lumière du monde, vous êtes le sel de la terre » aujourd’hui etmaintenant. Ayons confiance en lui et ayons confiance les unes dans les autres.Et comme dit justement la sagesse de ce proverbe africain (Toucouleur),« l’ornement de la main sont les doigts ». Puissions-nous, créatures merveilleuseset témoins de Dieu, faire sa gloire et son honneur dans ce monde !

Bibliographie

CHITTISTER, J., Le feu sous les cendres. Une spiritualité pour la vie religieuse contemporaine,Bellarmin, 1998.

HILLESUM, E., Une vie bouleversante, Pascal Dreyer, Éditions Desclée de Brouwer

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Appelées à illuminer prophétiquement le monde des ténèbresL

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KAYIBA, P., « Préface », in Neno Contran, Ils nous ont guettées, p. 5.

LINEAMENTA: pour la Deuxième Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Evêques(27 juin 2006), chap. 1.

NENO CONTRAN, Ils nous ont guettées, Ed. Afriquespoir& New People, Kinshasa, Nairobi,2003.

SANTEDI KINKUPU L., « la mission prophétique de l’Église-famille de Dieu en Afrique.Perspectives post-synodales », in L.Santedi Kinkupu & A. Kabasele Mukenge, Unethéologie prophétique pour l’Afrique. Mélanges en l’honneur des professeurs DosithéeATAL Sa Angang et René De Haes, Facultés Catholiques de Kinshasa, 2004.

VAN HOUTTE, G., Proverbes africains. Sagesse imagée, L’épiphanie, Kinshasa, 1976.

* (www.vatican.va/.../ns_lit_doc_20031019_madre-teresa_fr.html - 18.01.2009.).

* http://mercy.e-monsite.com/blog,soeur-dorothy-stang-missionnaire-martyre,193867.html-18.01.2009).

Questions pour une réflexion

1. De quoi avons-nous besoin aujourd’hui comme religieuses pour êtremystiques et prophétiques dans notre monde, dans nos communautés, etdans nos congrégations? Comment pouvons-nous répondre aux situationsd’obscurité pour être prophétiques dans le monde, dans nos communautés,dans nos ministères, envers la création, la société, l’Église, et aussi parminous?

2. Quels sont les cris et les appels provenant de notre monde aujourd’hui?Dans quel type d’actions concrètes sommes-nous engagées pour répondreà ces cris et à ces appels ?

3. En tant que leaders des congrégations, quels sont nos défis en lien avecnos traditions chrétiennes, les Saintes Écritures et nos vœux de religionet que nous avons à relever aujourd’hui ? Dans quels domaines sommes-nous invitées à appeler nos congrégations à une profonde conversion ?

4. Compte tenu des situations particulières de nos continents et de nos pays,et en vue d’une implication plus grande, quel type de formation spécialiséedoivent suivre certains membres de nos congrégations ?

5. Que pensez-vous de la proposition de travailler en réseau ? Concrètement,comment pouvons-nous mettre en place de tels réseaux ?

6. Frères et sœurs de notre temps et de notre monde, ces femmes et hommesmystiques et prophètes nous indiquent une diversité de voies pourtémoigner de Dieu aujourd’hui. Que devons-nous faire pour nous laisserimprégner de leurs vies, de leurs pensées et de leurs témoignages ?Quelle leçon tirer de cette diversité pour notre engagement apostoliqueaujourd’hui ?

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Rabbin Arthur Green

Le Rabbin Arthur Green est éducateur en mystique juive et en hassidisme.Fondateur de l’école rabbinique du Hebrew College de Boston dont il estactuellement le Recteur, il était précédemment doyen du ReconstructionistRabbinical College. Arthur Green a publié de nombreux ouvrages sur lamystique juive et sur le hassidisme. Invité à donner un cycle de conférencesà l’Université de Yale, Green a été présenté comme l’une des autorités lesplus qualifiées en matière de spiritualité juive, de mystique et de hassidisme.

Original en anglais

leaders dans votre grande Église, je vous remercie d’avoir choisi d’amenervotre nourriture spirituelle de si loin, en me ramenant de Boston à Rome et,de manière plus significative, par-delà l’abîme qui sépare nos deux traditions-sœurs, puisées à la même source des Écritures et de la parole prophétique. Nostraditions sont séparées par un grand mur de sang, de larmes et de dureté decœur, bien qu’elles proviennent d’une seule souche. Une brèche a été ouvertedans ce mur au cours des quelques dernières décennies, en partie grâce à lamémoire de nombreux membres d’ordres féminins qui ont risqué leur vie poursauver des enfants juifs pendant la sombre nuit qui est tombée sur nous en cecontinent, mais aussi grâce au grand changement dans les cœurs, introduit parVatican II et l’esprit du Pape Jean XXIII d’heureuse mémoire. Même si je nesuis pas catholique, je prie pour le jour de sa canonisation. Et je suis prêt à prierpendant longtemps.

Je me présente aujourd’hui devant vous comme un maître, un maître demaîtres. J’ai consacré une grande partie de ma vie à l’éducation de rabbinspuisque j’ai servi comme président d’un premier séminaire, puis commefondateur d’un deuxième. Je crois fermement que le judaïsme, l’une desgrandes traditions religieuses du monde, a encore beaucoup à offrir, à la foisà ses propres membres et à la communauté universelle des personnes qui sont

En décrivant la « parfaite maîtresse de maison », le roi Salomondit ceci :« Elle est pareille à des vaisseaux marchands : de loin, elleamène ses vivres » (Pr 31,14). Vous qui êtes des femmes fortes et des

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en recherche. Cette sagesse, cette lumière intérieure cachée au cœur de notreTorah est à rechercher, à découvrir, à mettre à jour et à rendre accessible pardes rabbins nouvellement formés, de la même manière qu’elle a été transmisede génération en génération. Voilà la tâche à laquelle je suis attelé.

Je fais ce travail d’un point de vue particulier. Bien que je n’appartienneà aucune des dénominations bien connues du judaïsme, je me situe comme unjuif néo-hassidique. Cela signifie que j’étudie et m’inspire des enseignementsdu hassidisme, notre grand mouvement de piété populaire qui commença enEurope de l’Est, fondé par des disciples de Ba’al Shem Tov, le Rabbin IsraëlMaster of the Good Name (Maître du Bon Nom), entré dans l’éternité il y a 250ans ce mois-ci..

Le hassidisme enseigne une version radicalement simplifiée de la Kabbalah,la tradition mystique juive. Elle insiste sur le fait que « la terre entière estremplie de la gloire de Dieu » (Is 6,3) comme dit le prophète, et que Dieu peutêtre trouvé en tous lieux et à chaque instant. Le but de la tradition, de la prière,du rituel, est de nous aider à ouvrir nos cœurs à cette présence. En le faisant,nous pouvons faire monter et sauver les étincelles de divine lumière qui sonttombées en nous et tout autour de nous, et les restituer à leur source, dansl’Unique.

Le néo-hassidisme diffère du hassidisme classique, qui existe toujours etse développe, de deux manières importantes. Nous ne partageons pas le méprishassidique pour la modernité, spécialement pour l’éducation moderne et lascience. Nous reconnaissons la légitimité de la recherche scientifique ethistorique et nous croyons que la religion doit s’adapter en conséquence poury répondre. Nous ne croyons pas non plus que les intuitions du hassidismedoivent s’appliquer ou être limitées aux seuls juifs. Ses enseignements portentsur Dieu et l’esprit humain et sont exprimés en de nombreuses languesdifférentes dans notre grande communauté humaine. Nous recherchons unjudaïsme qui reconnaisse sa place dans ce spectre merveilleux et coloré, nonun judaïsme qui se place en dehors de ce spectre ou qui le domine. Et c’est danscet esprit que je viens vous rencontrer ici.

Nous, les rabbins modernes, nous faisons du ministère auprès d’un peupleassez sécularisé dans la vie quotidienne. Ces gens ne passent pas non plusbeaucoup de temps à parler à Dieu ou de Dieu. Cependant, il y a chez eux uneprofonde recherche de sens, même s’ils ne savent pas l’articuler dans unlangage religieux classique. Ils veulent trouver un sens à leur vie. Ils ont lesentiment très fort que nous sommes appelés à contribuer à rendre le mondemeilleur, à réduire la souffrance humaine et à faire grandir la bonté entre lesgens. Ce n’est pas un hasard si l’on trouve des noms juifs dans tous les groupesde personnes qui défendent les droits humains et travaillent à faire reculer lasouffrance humaine ; nous n’oublions pas que nous étions jadis esclaves en

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Égypte. Ce souvenir, renforcé par d’autres plus récents, fait que nous avonsle souci des opprimés et des gens qui souffrent, où qu’ils se trouvent. Le sensde la famille et des liens intergénérationnels reste également très fort. Lesjuifs, même ceux qui ont apparemment peu de foi ou de connaissance dujudaïsme, croient que nous avons un précieux héritage qui nous vient de nosancêtres et que nous avons le devoir de transmettre aux enfants de nos enfants.Beaucoup ont bien du mal à comprendre en quoi consiste cet héritage, etcependant ils continuent à essayer de faire passer quelque chose.

C’est principalement à propos du cycle de la vie et de ce sentimentd’héritage que les juifs se tournent vers les rabbins et les communautés dessynagogues. La naissance d’un enfant, l’éducation dans la tradition, la célébrationdes repères de la vie, la perte tragique de vies humaines ou le malheur, levieillissement ou la maladie de parents, la mort et le deuil – tout cela faitrevenir les juifs de leur quête mondaine pour chercher sagesse et consolationdans leur tradition, soutien personnel et affection chez les rabbins et autresmembres du clergé.

À ces moments-là, on attend des rabbins qu’ils rencontrent les juifs avecempathie, qu’ils puisent comme à un puits profond, sollicitude, aptitude àdonner et à être présents aux gens avec lesquels ils n’ont peut-être guère decontact autrement. À de tels moments, les phrases pieuses traditionnelles nesuffisent pas, ni la tentative de recourir à un enseignement purement intellectuel.Il faut que le rabbin soit par-dessus tout quelqu’un d’authentique, qui faitpreuve de sollicitude vraie et pas seulement professionnelle. Vous le savezbien, cette aptitude à être présent ne peut venir que de votre vie spirituelle. Unevie de don de soi aux autres exige qu’on se nourrisse constamment de laprésence de Dieu. Pour soutenir les gens dans la peine comme dans la joie,votre qualité de rabbin vous oblige à faire preuve de force. Et cette force n’estvraiment pas la vôtre mais celle de Dieu, vous y êtes enraciné par votre foi.

Aussi, apprendre à des étudiants à être rabbins, aider chacun(e) à grandirdans son rabbinat, comme nous aimons le dire, c’est leur apprendre entre autreà cultiver leur jardin intérieur. Cela comprend la prière, à la fois communautaireet personnelle. La direction spirituelle et l’accompagnement ont égalementleur part dans notre programme. Mais dans notre tradition, la vie intérieure senourrit aussi avec abondance de l’étude des sources, enseignées et discutéesde diverses manières avec sincérité, afin que la vie spirituelle de chaque rabbinsoit directement enracinée dans le texte et le langage des siècles. N’oubliez pasque dans notre tradition la Parole qui était avec Dieu depuis le commencementne s’est pas faite chair, mais qu’elle reste Parole, manifeste dans la Torah, cequi inclut le processus d’enseigner, d’apprendre, et la créativité constante denouvelles interprétations. Au centre de l’éducation rabbinique, nous trouvonsle betmidrash ou salle d’étude où les étudiants, assis deux par deux ou par

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petits groupes, discutent des textes entre eux.

Mais quelle est la théologie qui lie tout ceci ensemble ? Où trouvons-nousun langage qui appelle ce sens profond de notre humanité partagée et qui nousencourage à nous ouvrir les uns aux autres ? Je parle d’une théologie del’empathie, d’une compréhension de Dieu qui met notre amour et notresollicitude les uns pour les autres au centre de notre chemin de foi. Il n’existepas de foi en Dieu, que j’appellerai authentique, qui ne nous pousse à noussoucier et à agir pour les créatures de Dieu qui en ont le plus besoin. Maiscomment l’exprimer dans le contexte du judaïsme contemporain ? Je voudraisvous entraîner au cœur de cette recherche de langage, qui sera aussi un voyageau cœur de la foi juive telle qu’elle existe aujourd’hui.

Nous ne pouvons commencer par autre chose que le Shema’ Yisra’el,« Écoute, Israël, Y-H-W-H, notre Dieu, Y-H-W-H est l’Unique » (remarquezbien que j’écris les lettres du nom de Dieu, qu’il n’est pas permis de prononcer).Ce verset biblique (Dt 6,4) est comme le cri de veille de notre foi, que récitentles juifs pieux deux fois par jour, « quand tu te couches et quand tu te lèves ».

Prière juive la plus connue, le Shema’ Yisra’el, n’est pas du tout uneprière, en fait. La prière est un acte dans lequel l’être humain se tourne versDieu. Elle est essentiellement ouverture du cœur ; effectivement, la prière estappelée par les premiers rabbins, le « culte au-dedans du cœur ». Habituellement,mais ce n’est pas systématique, elle a une composante verbale adressée auTout-Puissant. Les prières juives les plus caractéristiques sont appelées berakhotou « bénédictions » ; elles commencent par l’expression « Béni sois-tu,Seigneur… ». Mais le verset dont nous parlons s’adresse à la communauté,plutôt qu’à Dieu. En voici une traduction plus complète : « Écoute, ô Israël »-« Écoutez, frères juifs !» « L’Être(Celui qui est) est notre Dieu ; l’Être, estunique ! »

Je reviendrai plus tard sur le mot « Israël » dans ce verset, parce que c’estune partie essentielle de notre conversation. Mais permettez-moi de commencerici par la question fonctionnelle, la grande question lorsqu’on arrive à laréalité : Quelle différence le monothéisme apporte-t-il ? Un dieu, dix dieux,mille, et puis ? Nous, les juifs (c’est nous qui ressemblons le plus auxmusulmans sur ce point) insistons sur l’unité absolue de Dieu et nous sommesfiers de la « pureté » de notre monothéisme. Mais pourquoi ? Quelle est lavaleur du monothéisme ?

La seule valeur du monothéisme est de vous faire comprendre que tout cequi existe, y compris toutes les créatures – et cela veut dire le rocher, le brind’herbe dans votre jardin, tout comme votre lézard favori et votre voisin d’à-côté - ont tous la même origine. Vous venez du même endroit. Vous avez étécréés dans le même acte d’amour. Dieu tire ses délices de chaque forme qui

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émerge et lui confère sa grâce. C’est pourquoi, - et ceci est la manière dedonner en retour, la seule qui compte vraiment : Traitez-les toutes commetelles! Elles sont toutes des créatures de Dieu : elles n’existent qu’en raisonde la présence divine, celle-là même qui vous fait exister. Le réaliser vousappelle à apprendre à les connaître. Apprenez à les aimer !

Découvrez l’unique don de Dieu en chacun d’eux ! Vivez dans l’admirationdevant la lumière divine répandue partout sur la terre. Voilà ce que celasignifie être une personne religieuse.

Dans la communauté humaine, cet amour signifie aussi respect de ladifférence et des frontières. L’esprit mystique qui cherche à surmonter toutedistance et toute séparation entre les enfants de Dieu ne peut devenir uneexcuse pour ignorer les frontières. Il est facile d’oublier le respect de l’altéritédans un contexte religieux. Il arrive parfois à des gens bons et bien intentionnésd’être tellement saisis par l’amour au-dedans d’eux-mêmes qu’ils en perdentle contrôle, et découvrent que la frontière entre agapè et eros n’est pas simarquée qu’ils l’avaient cru. Amour et maîtrise de soi, main droite et maingauche de Dieu, doivent être bien équilibrés, dans le cosmos comme àl’intérieur de soi.

Je réalise qu’il serait peut-être plus convenable pour un invité de garderle silence sur des choses douloureuses et embarrassantes qui se passent dansvotre famille. Mais j’ai décidé qu’il serait encore plus indélicat de restersilencieux. Comme ami de votre grande Église, je pleure avec vous sur ladouleur de toutes les victimes, y compris les prêtres, dont la vie a été ravagéepar des énergies si profondément déséquilibrées. Si je suis ici pour parlerd’empathie, je dois tout d’abord exprimer de l’empathie pour la douleur et laperte ressenties par les catholiques à travers le monde ces dernières années etces derniers mois. Cela inclut l’empathie à l’égard de tous ceux et toutes cellesqui ont été blessé(e)s par des abus et par une attitude déviée ; empathie pourtous ceux et toutes celles qui se sont fait illusion en pensant qu’ils pourraientse cacher d’eux-mêmes ou de Dieu derrière le voile d’une tentative de célibat ;empathie enfin, envers les nombreuses personnes qui sont dans la confusion,dans le doute, ou qui ont perdu la foi. Je prie pour que Dieu vous accompagnedans votre ministère de guérison, guérison de la vie de personnes individuelleset guérison aussi des profondes blessures dont souffre l’Église elle-même.Quelle ironie que vous les femmes, qui n’avez pas eu grand-chose à voir danscette crise, car pour une très grande part elle concerne les hommes et lapsychologie masculine, vous soyez appelées à jouer un rôle si important dansle processus de guérison. Oui, vraiment, je prie aussi pour que l’Égliseapprenne de ces événements, combien la sagesse et le leadership des femmessont nécessaires pour rétablir ces équilibres qui semblent si difficiles à trouverpour tant d’hommes, que ce soit dans l’Église ou dans le monde.

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Et maintenant, je reviens à la partie controversée de ma traduction. Latradition mystique du judaïsme à partir de laquelle je parle, insiste sur le faitde traduire le nom de Dieu par « Être ». C’est-à-dire Y-H-W-H, le nom hébreude Dieu, que l’on regarde sur la page mais que l’on n’ose prononcer. L’Écriturenous dit (Ex 6,2-3) que c’est là le nom de Dieu. Mais ce n’est pas du tout unnom propre, pas même complètement un nom commun. Y-H-W-H est unassemblage impossible de tous les temps du verbe « être » en hébreu : HYH,signifie « était » ; HWH, indique le présent, et YHYH « sera ». Ils sont tousregroupés sous une forme impossible. Sans doute, ce devrait être traduit par« Était-Est-Sera ». Mais puisque c’est un peu malcommode à dire chaque fois,« Être » est le mieux que nous puissions faire, bien que nous devions comprendrecet « être » comme transcendant le temps et l’espace.

Ici, le sens est profond. « Dieu » et l’existence sont inséparables l’un del’autre. Dieu n’est pas Quelqu’un là-haut, qui a créé ici-bas une entité séparée,distincte, appelée « monde ». Il n’y a pas deux ; il n’y a qu’un. Les mystiquesinsistent pour porter le monothéisme un peu plus loin que ne le font certainsautres.

Dire que vous croyez en un seul Dieu, et puis le représenter commequelqu’un de vieux avec une barbe, assis sur un trône - ou de tout autremanière, prise littéralement – n’est qu’une forme concentrée d’idolâtrie. C’estcomme cette vieille histoire que tout enfant juif apprend, où le père d’Abraham,Terah, est propriétaire d’un atelier d’idoles. Un jour, il doit sortir et demandeà son fils de garder le magasin. Abraham casse toutes les idoles sauf la plusgrande, puis il met une hache dans la main de la grande idole. Quand Terahrevient, il fait le tour de la pièce du regard et s’écrie sous le choc, « mais qu’est-ce qui est arrivé à tous mes dieux ? » Abraham répond : « la grande idole lesa tous mis en miettes ». « Ne dis pas de bêtises », dit Terah, « ce ne sont quedes idoles ». « Ah ! » dit Abraham, et ce « Ah ! » marque dit-on, le commencementdu monothéisme.

Et s’il y avait quelque chose d’important sous cette histoire ? Commentsavons-nous que notre Dieu unique n’est pas simplement la plus grande idole ?Si le monothéisme n’est qu’une question de nombre, alors il ne vous reste plusqu’une seule grosse idole. Et beaucoup trop de gens s’arrêtent là. Ce qui doitchanger vraiment, c’est votre manière de voir l’existence elle-même. En fait,« existence » en hébreu, c’est HWYH - prononcé Havvayah - , soit les quatrelettres du nom secret de Dieu, simplement arrangées différemment. Voir« Dieu » quand vous regardez l’existence demande pour ainsi dire un ré-ordonnancement des molécules. Voir la GRANDE image, au lieu des nombreusespetites images… Dieu est l’Être, quand vous voyez l’Être en tant que unique,quand vous voyez l’ensemble du tableau. Bien entendu, nous ne pouvonsjamais voir ce grand tableau en entier. La totalité est infiniment plus que la

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somme de ses parties. Le mystère transcendant demeure, même dans mathéologie très immanentiste. Mais, pour moi, la transcendance se trouve dansl’immanence. La transcendance ne se rapporte pas à un Dieu qui habite « là-bas » quelque part, de l’autre côté de l’univers (qui n’a pas de côtés, nousassurent les astronomes !). La transcendance signifie que Dieu est ici, présenten ce moment même, d’une manière si intense et profonde que nous nepourrions jamais en mesurer la profondeur. Le voilà le mystère.

Voilà la vérité secrète. Écoutez l’un des grands sages, un maître hassidiquequi révéle ce qui suit dans une lettre qu’il écrit à ses enfants et petits-enfants- et je cite le célèbre Sefat Emet, le rabbin de Ger ou Gora Kalwarya enPologne :

Ce que nous proclamons chaque jour en disant Shema’Yisra’el doit êtrecompris pour ce qu’il veut vraiment dire… «Y-H-W-H est unique » nesignifie pas qu’Il est le seul Dieu, en niant l’existence d’autres dieux(bien que cela soit également vrai), mais le sens est plus profond encore.Il n’y a pas d’être autre que Lui… Tout ce qui existe dans le mondespirituel et physique, est Dieu lui-même… À cause de cela, chaquepersonne peut s’attacher à Dieu là où elle se trouve, grâce à la saintetéprésente en toute chose prise individuellement, y compris les corporelles.Il vous suffit de disparaître dans l’étincelle de sainteté… Voilà lefondement de tout enseignement mystique dans le monde.

Bien sûr, ce n’est pas aussi facile que cela ne paraît. « Disparaître dansl’étincelle de sainteté » afin de faire de la place pour que l’Être de Dieu entre,c’est le travail de tout une vie. Opérer ce travail intérieur de façon saine etsalutaire, voilà le but vers lequel tendent tous nos efforts.

Mais revenons maintenant au début de notre prière qui n’en est pas une.« Écoute, ô Israël ».Qui est Israël dans cette phrase ? Rappelez-vous d’oùvient ce mot. Notre ancêtre Jacob lutta tout une nuit avec un ange. Un dur, ceJacob. Même un ange ne réussit pas à l’emporter sur lui. Lorsque l’aube parut,l’ange dit : « Lâche-moi ! C’est l’heure de chanter les louanges de Dieu ! »« Oui, oui !... », dit Jacob, « mais pas avant que tu ne m’aies béni ». Ainsi,Jacob sortit de cette rencontre avec un nom nouveau : Israël, ce qui signifie « celuiqui a été fort contre Dieu ».

Je crois que ce nom appartient à tous les lutteurs, et pas seulement auxjuifs, et pas seulement aux chrétiens. Quiconque lutte avec les anges, se batpour que sa vie ait un sens, celui/celle-là fait partie d’une communauté pluslarge appelée « Israël ». Shema ‘Yisra’el, Y-H-W-H Elohenu, Y-H-W-H ehad signifie alors « Écoutez vous tous qui luttez, vous tous qui vous débattez avecle sens de la vie ! Être est notre Dieu, Être est l’unique ! » Ne regardez pas par-delà les étoiles. Il n’est pas nécessaire que vous vous tordiez le cou. Dieu est

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ici même, remplissant toute l’existence de dons sans fin. Ouvrez les yeux.Transformez ce combat en étreinte. Trouvez la présence de Dieu dans la visionunifiée et transformante de tout ce qui est.

La phrase « Écoute Israël », est immédiatement suivie de « Tu aimerasY-H-W-H ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta force ».C’est l’une des deux déclarations d’amour dans la Torah, dont Jésus vous a ditqu’elles constituent l’essence des enseignements de la Loi. Nos sages sedébattent depuis de longs siècles avec le problème de savoir comment il estpossible de commander l’amour ; de savoir s’il s’agit vraiment d’uncommandement. L’amour ne demande-t-il pas de la spontanéité ? Est-ce qu’ilne jaillit pas spontanément du cœur ? Mais quand on récite le Shema’ dans lecontexte de notre liturgie quotidienne, il est toujours précédé d’une déclarationde l’amour de Dieu pour nous. Dans nos prières quotidiennes du matin nousdisons : « De quel amour tu nous a aimés, tu as déversé sur nous le flotdébordant de ta compassion » ; et le soir : « d’un amour éternel tu as aimé lamaison d’Israël, ton Peuple ». Ainsi donc, on nous rappelle d’abord l’amourde Dieu pour nous et puis nous appelons l’unité de tout ce qui existe. Parvenusà ce stade, nous n’avons plus besoin qu’on nous « commande » d’aimer.L’amour monte de l’intérieur de nous-mêmes comme une réponse naturelle etessentielle pour nous comme la respiration ou la parole elle-même. Dans ce casla traduction juste en anglais n’est plus « You shall love Y-H-W-H yourGod… » mais plutôt « You will love … », qui exprime la constatation d’un faitplutôt qu’un commandement.

Cela peut-il s’appliquer à cet autre amour prescrit par la Torah : « Tuaimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19) ? Cet amour peut-il aussidevenir si naturel que nous n’ayons plus besoin de sentir que c’est un« commandement », mais qu’il monte de l’intérieur ? Pour une réponse juiveà cette question, nous devons nous tourner vers un célèbre débat entre deuxdes premiers rabbins, qui vécurent environ un siècle après Jésus, Rabbi Akiva,lui aussi martyr des Romains, et son ami Ben Azzai. Le Talmud rapporte qu’ilsbuttèrent sur la question : « Quel est le principe le plus fondamental de laTorah ? » Quel est l’enseignement pour l’amour duquel existe tout le reste dujudaïsme ? Akiva avait une réponse toute prête : « Tu aimeras ton prochaincomme toi-même » (Lv 19,18). Dans le judaïsme, Akiva fut le plus grandavocat de la voie de l’amour, bien que je devrais dire en fait, qu’il partage cethonneur avec Jésus de Nazareth. C’est Akiva qui insista pour dire que leCantique des Cantiques devait vraiment être inclus dans l’Écriture Sainte ; ill’appelait le « Saint des Saints », prononcé par Dieu et Israël au Mont Sinaï.L’histoire de l’amour du Rabbin Akiva et de sa femme est l’un des quelquesrécits vraiment romantiques de la littérature rabbinique. De même, le récit dela mort d’Akiva : alors qu’il était torturé par les Romains, on prétend qu’il

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déclara : « Je comprends maintenant le commandement d’aimer Dieu de touteson âme, - même s’Il prend votre âme, vous l’aimerez ». Il n’est donc passurprenant qu’on dise que Akiva considérait l’amour comme la loi la plusfondamentale de la Torah.

Mais Ben Azzai n’était pas d’accord. Il déclara : « J’ai un principe encoreplus grand que le tien ». Il cita Genèse 5,1-2 : « le jour où Dieu créa les êtreshumains, ils les fit à la ressemblance de Dieu ; homme et femme il les créa. » Ildit que c’était là le principe le plus fondamental de la Torah. Tout être humainest l’image de Dieu, dit Ben Azzai à Akiva. Certains humains sont plus facilesà aimer, d’autres plus difficiles. Certains jours vous êtes capable de les aimer,d’autres jours, non. Mais vous devez néanmoins tous les reconnaître et lestraiter comme l’image de Dieu. L’amour est un piédestal trop branlant pourqu’on puisse lui faire porter toute la Torah. Il est trop dangereux de fonder lemonde sur le commandement de l’amour. Peut-être Ben Azzai voyait–t-il aussique le principe d’Akiva pourrait bien être restreint, conçu uniquement parrapport à votre communauté. Après tout, « votre prochain » pourrait désignersimplement votre coreligionnaire juif ; ou bien votre coreligionnaire catholique ;ou encore celui qui partage votre piété, votre bonne conduite. Et l’inconnu,alors ? Le pécheur ? Et votre ennemi ? Le principe de Ben Azzai ne laisse pasde place pour les exceptions, puisqu’il remonte à la création elle-même. Cen’est pas seulement « votre style de gens» qui ont été créés à l’image de Dieu,mais tout le monde.

Une fois que nous avons un principe de base, ou même un groupe deprincipes de base, nous disposons d’un modèle pour évaluer toutes les autreslois et pratiques, enseignements et idées théologiques. Cette idée particulièreou cet enseignement particulier nous aide-t-il à voir la part divine en chaquepersonne ? Cette interprétation de notre Écriture pourrait-elle y faire obstacle ?Pourrions-nous l’interpréter différemment, d’une manière plus accordée avecnotre principe de base ? Il y a là une base intérieure juive qui permet desoulever des questions importantes, un principe dont ceux qui façonnent pouraujourd’hui notre halakhah et votre droit canonique devraient faire plus grandusage. Prenons le ketal gadol, le principe de base qui signifie « ce pour quoitout le reste existe », principe d’animation qui soutient toute notre vie religieuse.Dans ce cas, toute forme de judaïsme qui s’éloigne de sa tâche - celle de nousaider à faire que tous les êtres humains deviennent le plus pleinement possiblel’image de Dieu et soient considérés comme telle - est une déformation denotre religion. Ce défi permanent exige qu’à chaque génération nous élargissionsle cercle de ceux que nous considérons comme pleinement humains, de ceuxqui portent l’image de Dieu, tout en essayant d’élargir les frontières de lasainteté. Dans la mesure où nous trouvons l’image de Dieu dans une partietoujours plus grande de l’humanité, nous nous ouvrons toujours plus à la

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présence de Dieu. Trouver Dieu dans tous les êtres humains n’est pas une tâchede peu d’importance. Nous pourrions y passer une vie entière et ne pas avoirencore parfait cet art, mais je vous appelle à m’y rejoindre.

La voix morale du judaïsme commence avec la création. Notre enseignementle plus essentiel, l’enseignement pour lequel le judaïsme a encore besoind’exister, c’est notre insistance sur le fait que chaque être humain est l’imageunique de Dieu. « Pourquoi Adam a-t-il été créé tout seul ? » demande laMishnah. « Afin qu’aucune personne ne puisse dire : ‘mon père était plusgrand que le tien’ ». « Comme le Créateur est grand ! Un roi humain faitfrapper des pièces de monnaie dans une presse et elles sont toutes semblables.Mais Dieu nous frappe à l’empreinte d’Adam, et il n’y a pas deux êtres humainssemblables! » On a besoin de chacun de nous, les humains, en tant qu’imagede Dieu ; et aucun ne peut être remplacé par un autre. C’est aussi simple quecela.

J’ai entendu une fois mon grand maître Abraham Joshua Heschel demander :« Pourquoi les images gravées sont-elles interdites par la Torah ? » Pourquoila Torah s’inquiète-t-elle tant de l’idolâtrie ? Vous pourriez penser que c’estparce que Dieu n’a pas d’image, et que toute image de Dieu est donc unedéformation. Mais Heschel lisait les commandements différemment. « Non »,dit-il, « C’est précisément parce que Dieu a une image que les idoles sontinterdites. Vous êtes l’image de Dieu. Mais votre seule manière de façonnercette image c’est d’y employer toute votre vie. Prendre quelque chose qui estmoins qu’un être humain complet qui vit et respire, et essayer de créer l’imagede Dieu à partir de cela diminue le divin et est considéré comme une idolâtrie. »Vous ne pouvez fabriquer l’image de Dieu ; vous ne pouvez qu’être l’imagede Dieu.

Je reviens maintenant à la question d’empathie. Pour revêtir l’empathieje propose, vous le voyez maintenant, une théologie ou l’altérité n’est pas toutà fait absolue. En fin de compte, nous participons tous de l’Unique ; noussommes des incarnations de la même présence divine. Derrière le masque del’autre le caractère unique du Créateur se trouve réfléchi dans l’œuvre.L’empathie comprend à la fois le fait de nous embrasser tous dans notrediversité et, à travers celle-ci, de percevoir notre unité.

Vous disposez dans votre tradition d’un langage merveilleux pour exprimercela ; vous parlez du Corps du Christ. Nous parlons de l’image, ou même, ducorps d’Adam qui nous inclut tous. Mais une certaine confusion surgit autourde ces concepts. Est-ce que l’expression ‘le Corps du Christ’ inclut seulementceux qui sont à l’intérieur de l’Église ou embrasse-t-elle la communautéhumaine tout entière, et le monde entier? Bien sûr c’est à vos théologiens derépondre à cette question, pas à moi. Mais nous avons une version différentedu même problème. Nous restons un peuple distinct, une entité ethnique, en

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même temps qu’une communauté de foi. Nous insistons sur le fait que nouspouvons être les deux à la fois. Mais alors, dans quelle mesure sommes-nousexclusifs ? Nos prières sont pleines d’appels à Dieu pour qu’il nous bénisse« et tout le peuple d’Israël ». Prions-nous seulement pour nous-mêmes ? Et lereste de l’humanité ? Prions-nous aussi pour lui ?

Pendant de longs siècles, le judaïsme n’a pas cherché à propager satradition. En raison notamment, du succès du christianisme et du fait que lesrégimes chrétiens et islamiques interdisaient la conversion au judaïsme, nousn’avons pas travaillé à porter notre tradition à d’autres, mais nous noussommes concentrés sur notre survie. Cependant notre souci reste universel.Nous voulons, non pas que toute l’humanité embrasse le judaïsme mais qu’ellevive de nos vérités les plus essentielles : le caractère unique de Dieu et laconviction de foi que chacun d’entre nous, chaque personne sur la terre porteen soi l’image de Dieu. Voilà notre message pour l’humanité.

Voilà le grand combat dans le judaïsme aujourd’hui. Quelle est la largeurde notre cercle d’empathie, de compassion ? Sommes-nous capables d’ouvrirassez largement les portes de nos cœurs pour inclure toute la famille humaine,et même à l’intérieur de celle-ci, la famille plus large de tous les êtres naturels,sans perdre notre sens distinctif de l’histoire et de l’identité ethnique ?L’amour que j’ai pour ma propre communauté peut-il être un amour quim’encourage à ouvrir plus grand, à embrasser dans l’amour des cercles toujoursplus larges? Ou bien cela me coupe-t-il nécessairement des autres en créant uncercle d’exclusivité, hors duquel demeure la plus grande partie de l’humanité ?

Nous, les juifs et les chrétiens sommes les descendants spirituels desprophètes, qui furent des révolutionnaires religieux. Il fallait qu’ils défendentfermement le caractère unique de leur message. Le Dieu au nom duquel ilsparlaient était complètement différent de tout ce qui pouvait être adoré dans lemonde païen. Ils se moquaient des divinités des païens. « Elles ont des yeuxet ne voient pas, elles ont des oreilles et n’entendent pas, elles ont un nez etne sentent pas… Comme elles seront ceux qui les firent, quiconque met en ellessa foi. Maison d’Israël, mets ta foi en Y-H-W-H » (Ps 115,5-6 ; 8-9). Lesnations de l’ancien monde avaient toutes leurs dieux à elles. Ainsi se voyaient-elles séparées les unes des autres, et ne se souciaient guère des gens del’extérieur. En proclamant un seul Dieu, les prophètes parlaient aussi pour unseul monde et une seule famille humaine. Cela exigeait d’avoir vraiment lesouci de l’autre, qui après tout, n’est pas si « autre ».

Comme toutes les révolutions, celle-ci laissa un héritage complexe. Elleproclamait que nous seuls détenions la vérité. Dans ce psaume, « Israël » cesont ceux qui mettent leur confiance en Y-H-W-H, et nul autre. Lorsquel’Église réclama l’héritage de ce manteau en devenant un « nouvel Israël »,elle hérita aussi de cette zone d’ombre de l’exclusivisme. Oui, le christianisme

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a fait s’écrouler les murs ethniques ; tous les peuples ont été accueillis dansla nouvelle Église. Mais elle a remplacé les murs ethniques par des mursthéologiques ou rituels ; la chrétienté est devenue la communauté des baptisésou de ceux qui partageaient une foi bien définie.

Nous avons tous deux besoin de lutter contre cet héritage d’exclusivisme.Vous pouvez blâmer l’Israël ancien et ses prophètes d’avoir commencé, maisl’Église en a hérité et a élevé les bûchers, jusqu’à ce que nous, les juifs, soyonségalement considérés comme des gens du dehors. Mais désormais l’heure estpassée de tout cela. Le monde est devenu trop petit. Nous vivons tous au coudeà coude, et le besoin est trop urgent. Nous avons besoin de travailler côte à côtepour affronter les grands défis qui se présentent à nous ; et parmi eux, ladégradation de l’esprit humain dans notre culture moderne profane, la fascinationsans fin du matérialisme égoïste et les grandes injustices qu’il engendre, etjusqu’à la sauvegarde de notre planète elle-même comme une maison destinéeà abriter des formes de vie plus haute. Tous ces enjeux constituent la tâcheréelle des gens religieux et des communautés, et nous devons être unis poury faire face. Pour le faire, il nous faut revenir au « Y-H-W-H est l’Unique »et à l’exigence d’amour universel que cette réalité implique. Voilà qui représentel’enseignement du meilleur de nos deux traditions.

Pour nous, les juifs, la lutte contre l’exclusivisme touche autre chose quinous tient à cœur. Je m’adresse à vous, en cette décennie où les dernierssurvivants de notre terrible Holocauste sont sur le point de terminer leur tempsici-bas, sur la terre ; vient le moment où leur mémoire torturée de tant desouffrance se transformera en histoire « pure et simple ». Nous nous débattonsquotidiennement avec la question de l’héritage de l’Holocauste, du meurtred’un tiers de notre peuple et de la destruction de tant de ressources culturelleset spirituelles. Quel enseignement devons-nous tirer de ce terrible événement ?Nous ne croyons pas que c’est Dieu qui nous a punis ainsi ; nous croyons quece fut le fait du mal en l’homme. Mais cependant, nous avons besoin d’en tirerdes enseignements, nous devons rechercher le message de Dieu, là commepartout. Beaucoup de juifs pensent que le message est clair. « Jamais plus ! »signifie que le sang des juifs n’est pas au rabais. Nous nous défendrons, nousprendrons des mesures préventives contre nos ennemis, et ne permettronsjamais que les juifs soient des victimes. Mais les meilleurs parmi les survivants,y compris Heschel et Elie Wiesel, que lui soit accordée la bénédiction d’unelongue vie, ont compris que « Jamais plus ! » veut dire que nous ne permettronsjamais plus de génocide, où que ce soit dans notre famille humaine, que nous,les survivants du génocide, prendrons la défense de tous ceux qui souffrent.Comme vous le savez, l’histoire ne nous a pas facilité les choses pour le faire.Mais on ne nous a jamais promis que ce serait facile.

Votre Église a fait de grands pas dans l’ouverture d’esprit, en partie pour

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répondre à ce terrible événement. L’esprit de Vatican II, et spécialement lesmots de Nostra Aetate, nous ont donné à tous la grande espérance que lacatholicité ou universalité la plus vraie de votre foi trouvait là sa pleineexpression. Beaucoup d’entre nous, y compris moi-même, avons tiré desleçons et nous avons été inspirés par la capacité de votre Église de se repentir,de grandir et de changer, tout en restant fidèle à votre identité. Je vous suppliede tout mon cœur de poursuivre dans la voie de cette croissance ; de ne pas lacompromettre dans votre cœur ou dans votre enseignement. Et je puis vousassurer que moi-même, avec une foule de mes collègues et de mes étudiants,rabbins d’aujourd’hui et de demain, nous luttons à vos côtés pour lire aussinotre tradition comme une tradition qui embrasse l’humanité entière. Nousavons besoin les uns des autres, nous gens de foi, pour accomplir ce travail deguérison et de restauration dont nos communautés, chacune à sa manière, ontun si grand besoin. Aidons-nous et soutenons-nous les uns les autres dans cettetâche.

Ne nous laissons pas diviser par le fardeau d’une trop longue histoire oud’anciennes prétentions à un accès exclusif dans le Royaume de Dieu. CeRoyaume accueille tous les êtres, avec toutes leurs différences, et nousembrasse tous et toutes.

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« LA BRANCHE D’AMANDIER ET LA

MARMITE QUI BOUILLONNE » (JR 1,11-13)

QUEL AVENIR POUR NOTRE HÉRITAGE MYSTIQUE-

PROPHÉTIQUE ?

P. Bruno Secondin, O.Carm.

Le P. Bruno Secondin, (1940), italien, carme, a étudié à Rome, enAllemagne et à Jérusalem. Il est docteur en théologie et professeurordinaire de théologie spirituelle à l’Université Pontificale Grégoriennede Rome.

Membre de diverses associations théologiques italiennes et internationales,il a participé comme théologien expert à l’élaboration du document detravail du Congrès de la Vie consacrée en 2004. Il donne de nombreusesconférences et écrit beaucoup d’articles sur des thèmes variés : spiritualité,ministère pastoral et vie consacrée. Il est l’auteur de plus de trenteouvrages publiés en diverses langues. Ces dernières années, il s’estconsacré à la lectio divina avec le peuple de Dieu, créant pour cettetradition ancienne de nouvelles méthodes plus inculturées.

Original en italien

se lève et demeure authentique en vertu d’une expérience mystique spécialequi le marque et l’envoie, le soutient et le console dans les crises. Une mystiqueauthentique qui est rencontre avec le Dieu vivant, amoureux de la vie, ne peutqu’alimenter – et s’exprimer par une action prophétique audacieuse et libératrice.

Ainsi nos familles religieuses : elles sont nées d’une intuition mystiquequi a nourri et provoqué une réponse évangélique à l’intérieur de la situationhistorique, et ont toujours été guidées par une passion agissant pour le vrai biendes hommes et des femmes qui connaissent la tribulation et l’humiliation.Cette intuition et cette passion se sont nourries du dialogue cœur à cœur avecle Dieu de la vie et de l’espérance et la familiarité avec les contemporains.

PREMIÈRE PARTIE : Tour d’horizon

Les Pères du Synode ont écrit dans la conclusion de la IXème Assemblée

Mystique et prophétie appartiennent au code génétique de notreidentité ecclésiale et de notre mission pour le Royaume de Dieu :tous les intervenants l’ont répété et je m’y associe. Le vrai prophète

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des Évêques sur le thème de la vie consacrée : « La vie consacrée a été tout aulong de l’histoire de l’Église, une présence vivante de l’action de l’Esprit,comme espace privilégié d’amour absolu de Dieu et du prochain, témoignagedu projet divin de faire de toute l’humanité, au sein de la civilisation del’amour, la grande famille des fils de Dieu » (Message final, 27 octobre 1994).

Et dans l’exhortation post-synodale Vita Consecrata Jean Paul II reconnaît :« Le caractère prophétique de la vie consacrée a été fortement mis en relief parles Pères synodaux. Il se présente comme une forme spéciale de participationà la fonction prophétique du Christ, communiquée par l’Esprit à tout le Peuplede Dieu. Ce prophétisme est inhérent à la vie consacrée comme telle, du faitqu’il engage radicalement dans la sequela Christi et il appelle donc à s’investirdans la mission qui la caractérise »(VC 84).1

1. Vérification facile, mais prudente

Si nous analysons la naissance et les renaissances périodiques de la vieconsacrée ou si nous cherchons à l’intérieur de chacune de nos famillesreligieuses à comprendre les vicissitudes spirituelles, ecclésiales et historiquesdes fondateurs et fondatrices, nous trouvons toujours ces deux éléments.2 D’oùviennent la créativité, l’inventivité, l’audace des initiatives et les diaconies denos familles, la fidélité jusqu’au martyre, sinon de la mystique la plus inexprimableet de la prophétie la plus incandescente ?

Nous avons parlé de mystique et de prophétie non pour nous élever au-dessus de nos problèmes réels, ou pour naviguer dans les mondes virtuels desprincipes essentiels et des horizons sans limites. Mais au contraire, pourretrouver dans ces deux dynamiques la juste herméneutique qui puisse faire ducharisme hérité une vraie impulsion trans-générationnelle. Cette dernière serale préliminaire et la source d’une nouvelle histoire toute à inventer et à vivre.

Nous voulons comprendre comment continuer d’avancer à la suite duChrist de façon authentique et pour la cause du Royaume, en nous remettantà l’impulsion de l’Esprit qui suscite et guide nos charismes. Jésus a assuré quele rôle de l’Esprit est d’être herméneute de la mémoire et guide « vers la véritétout entière » (cf. Jn 16,13).

Nous devons nous faire une trouée vers l’avenir en compagnie de cettehumanité, comme on ouvrait autrefois des clairières au milieu des forêts pourfonder une nouvelle civitas. Il y a des semences d’avenir qui peuvent encoregermer de nos très vieilles racines, il y a une créativité qui nous est propre, quenous retrouvons et qui s’exerce avec un nouvel art charismatique et prophétique(VC 37). Il y a des urgences et des chances qui nous interpellent et qui nousinterpellent à l’intérieur de l’histoire actuelle et de ses angoisses. Il y a desutopies et des espérances que nous devons intercepter et évangéliser, grâce àla sagesse orientatrice et thérapeutique de nos charismes (VC 103).

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Fécondité et créativité ne peuvent s’inventer par théorème sociologiqueou mécontentement religieux : ils proviennent des hautes sphères des projetsde Dieu qui veut racheter et féconder aussi notre tranche d’histoire en latransformant. Dieu travaille dans notre présent pour le mener au-delà de touteparalysie et de tout fatalisme vers une fraternité universelle. Nous sommesappelés à en être les interprètes et les serviteurs, habités par l’utopie de Dieu.

2. Tirer des leçons de l’expérience de Jérémie

Jérémie fut prophète en des temps difficiles, alors que se préparait unegrande catastrophe touchant le destin du peuple. Son langage est très participatif,plein d’ardeur, de force, d’images et de symboles. Ceux-ci constituent une partvivante de sa prophétie, de sa personne elle-même, de sa souffrance, de sescrises fréquentes. 3

Les deux symboles de la branche d’amandier et de la marmite quibouillonne, se trouvent placés en ouverture de ses oracles : c’est le souvenirde sa vocation (qui eut lieu en l’an 627, avant JC). Cette page fut écrite autourde 604 avant JC, c’est-à-dire par un homme de quarante ans, vingt ans aprèsl’expérience originelle. Pendant vingt-trois ans cette expérience était restéeinformulée, mais certainement vivante et source de courage. Maintenant ellerevient à la lumière devant le geste sacrilège du roi Joiaqim : avec le méprisle plus total celui-ci avait lacéré et brûlé le rouleau qui contenait tout ce queJérémie, aidé de Baruch le scribe, avait fait écrire à propos de toutes les chosesque le Seigneur avait dites (Jr 36, 1-32).

Ce n’est donc pas « un jeune homme plein d’enthousiasme à cause de larencontre de la Parole, plein d’illusions pour la mission qu’il devra remplir,mais c’est un homme déçu, qui a fait l’expérience de beaucoup d’échecs etcependant a été fidèle à sa vocation initiale »4. Le souvenir de la grâce initiale–nous pouvons dire du charisme prophétique d’origine – sert à lui donner dela force, l’aide à reconnaître que, malgré tout, il n’a fait qu’obéir à Dieu.Jérémie se cramponne à ce moment « fondateur » pour demeurer encore fidèle,pour surmonter le choc de cette profanation.

Nous ne devons pas oublier l’ensemble du premier chapitre de Jérémie.La première partie (vv. 4-10) est la partie fondamentale de la vocationconstitutive : il y a un dialogue entre Dieu qui a fait son choix et le jeuneJérémie, qui clame son impréparation. C’est la conscience d’un choix imposéqui émane de la volonté de Dieu libre et absolue : « Je suis avec toi » (vv.8.19) ; « Je mets mes paroles dans ta bouche » (v.9). Le prophète ne disposeraque de la parole à l’état « incandescent » et il devra la prendre à mains nues.Elle sera feu et terreur, mais aussi poésie et intuition, chant et lamentation, plusforte que tout.

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Suivent quatre images : arrêtons-nous sur les deux premières. Ce ne sontpas des images suggérées par Dieu, mais ce sont des visions de Jérémie ;visions qui l’interpellent et doivent être expliquées. Dieu lui-même proposeson explication.

a. La branche d’amandier : il s’agit non d’un arbre, mais d’une branche(maqqel) qui fleurit. Une image agricole, signe d’une productivité vitalegarantie par Dieu, et qui annonce l’arrivée de la nouvelle saison. L’amandierest le premier à fleurir à l’arrivée du printemps. Le terme amandier (šaqed) aun son voisin du terme veilleur/gardien (šoqed), et c’est pourquoi il se prêteà un jeu de mots, que Dieu lui-même adopte en expliquant l’image qu’il a vue.« Je veille sur ma parole pour la réaliser » (v. 12).

Ce sera comme la floraison précoce de l’amandier : la Parole de Dieusignale d’avance l’action de Dieu, et le prophète en est l’annonciateur,puisqu’il est de garde, de sentinelle. Jérémie annoncera un printemps demalheur, de condamnation et de destruction, à cause de l’infidélité du peuple.Mais ce n’est pas avec plaisir qu’il verra tout partir en ruine, qu’il assisteraimpuissant à la destruction de l’espérance. Dieu « veille » à la « réalisation »de sa parole : on ne peut se jouer de Dieu.

Le prophète doit être gardien de cette vigilance de Dieu, de cette présenceexigeante, de cette purification qui sera un remède et non une vengeance. Danscette situation, Jérémie se fait aussi prophète d’intercession : il se mettra aumilieu, confessant sa propre déception et la peine qu’il a prise, mais aussi saconfiance en Dieu. Dans des situations tragiques la voix de Jérémie qui nousinterpelle et ses « confessions » témoigneront qu’il y a encore de l’espérance,qu’il y a encore de la rosée féconde sur la terre.

b. La marmite qui bouillonne : elle évoque une scène domestique. Duliquide bouillant sort d’un chaudron qui se renverse. « C’est le débordementdu malheur » (v. 14) qui descendra du col du Nord connu de l’histoire – voilàle sens de la marmite « qui penche du nord » - et emportera tout. Ce n’est pasDieu qui fait les catastrophes, et ce ne sont pas non plus les peuples qui sontles vrais dévastateurs, mais c’est le peuple lui-même, guidé par des chefsincapables, qui porte à réalisation le désastre avec son idolâtrie perverse. Ilperdra pour toujours son identité et son autonomie, parce qu’il a oublié sesracines et son alliance avec Dieu, en cherchant d’autres maîtres auxquels sesoumettre.

Même si en apparence tout est catastrophe, la saison de l’espérance germeavec la saison du désastre, et elle germe du dedans : grâce à la « vigilance »de Dieu, grâce à la résistance tenace du prophète. Avec Dieu, le prophète est « gardien » de la vérité de la Parole, mais témoin aussi des efforts du peuplepour croire à un avenir meilleur et agir pour un avenir meilleur. Le prophète

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doit savoir discerner les traces de Dieu et de sa parole féconde et efficace dansla situation complexe, chaotique, universelle, et signaler de nouveaux chemins.Mais il a un caractère timide, il tombe souvent en dépression, et il se sentviolenté par Dieu lui-même, plus que protégé (cf. Jr 20,7).

3. Application à notre héritage

Nous avons dit que cette page a été écrite dans le contexte d’une criseprofonde du prophète Jérémie. Il repense à sa vocation : c’est Dieu qui l’achoisi, et Lui seul ; c’est une consécration et une mission, tendresse et feu àla fois, illusion et violence. Il est facile d’appliquer cette perspective à notresituation quand s’évanouissent les illusions.

Nous aussi comme Jérémie nous pouvons multiplier les « confessions »désespérées, chargées d’amertume et de révolte impuissante. Ou bien, justementcomme Jérémie, le résistant – nous pouvons repenser les racines de notreaventure, l’expérience fondatrice par laquelle tout a commencé. Assurément,ce n’est pas nous qui avons inventé notre charisme, ce n’est pas nous qui noussommes inventé la mission d’édifier et d’arracher, de détruire et de planter, decrier et d’intercéder.

Le Seigneur a donné et consacré à l’origine – d’abord chez les pères etmères fondatrices, puis en chacun de nous - cette identité, cette mission et cetteaventure à risque. Il nous a demandé de tout mettre en jeu, sa Parole et saprésence, sa fidélité inébranlable et notre fragilité, les marmites bouillonnantesde la malfaisance planétaire et les signes fragiles de sa présence sûre maisinvisible. Même si une partie des instituts religieux connaissent les difficultésde la survie ou la fragilité d’un printemps qui n’est pas encore stabilisé, nousne pouvons pas perdre espérance.

Certes, nous avons aussi vécu des illusions : nous avons cru que nostemples sacrés, nos alliances stratégiques, nos greniers à grains bien remplis,nos statistiques en hausse étaient des bénédictions de Dieu, récompenseacquise et consolante. Et il n’en était pas ainsi, nous le voyons bien à présent.Pour son compte, la société postmoderne elle-même a déjà dilapidé le patrimoinedes valeurs héritées et vit en dansant, irresponsable, sur le bord de l’abîmeécologique, financier, culturel, anthropologique.5 Ne nous précipitons pasensemble dans le trou noir du catastrophisme : retrouvons les raisons del’espérance théologale qui nous est propre et nous inspire encore.

Nous avons à redécouvrir l’incandescence de l’expérience originelle :quand nous étions fragiles comme une branche d’amandier en fleurs maisaussi, pleins d’audace comme une marmite en ébullition. Ce n’est que de cettefaçon que nous pouvons devenir de nouveaux interlocuteurs sages et nonécervelés, audacieux et non paralysés, confiants en Dieu d’une manièrenouvelle et mystique. Mais aussi des explorateurs de sentiers à peine entrevus

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et qui s’arrêtent immédiatement, des intercesseurs solidaires et des protagonistescritiques. Et ouvrons de nouveaux sentiers de diaconie et de confiance en uneÉglise qui semble avoir peur de la prophétie et manque de courage pourtraverser les nuits obscures d’une postmodernité des passions tristes 6. Donnonsun nouveau langage et une forme nouvelle à notre fonction symbolique,critique, transformatrice dans l’Église et la société 7.

Ne réduisons pas l’identité à un fétiche, à un sanctuaire, lieu de guérison.La crise actuelle ressemble au chaudron bouillonnant qui dévaste tout. Engageons-nous à être comme cette branche d’amandier en fleurs qui annonce de nouvellessaisons. Il nous faut habiter les horizons, aimer les horizons, parcourir denouveaux horizons, et ne pas vivre repliés sur nous-mêmes.8

DEUXIÈME PARTIE : Recueillir les perles précieuses

Les interventions qui ont rythmé nos journées jusqu’à présent nous ontprésenté la chaleur blanche de la mystique unitive et illuminative qui nousconduit sur les sentiers élevés et mystérieux du Dieu vivant – l’Être, commenous l’a bien spécifié le Rabbin Arthur Green – dont il nous rend plus procheavec empathie et émerveillement.

Mais il y a eu aussi en ces jours le feu dévorant de la prophétie, un vraifeu qui fait irruption et bouleverse tout, met tout en mouvement, telle la forceinquiète et libératrice de la Parole. Les interventions de Sr Judette Gallares etde Sr Liliane Sweko ont été précisément ce feu qui fait éclater le cœur (Jr 4,19 ;20,9). L’ouverture du P. Ciro Garcia a proposé l’éclaircissement serein et sagedes concepts guides et des applications possibles.

1. Les sentiers de l’empathie et un cœur à l’écoute

Par une argumentation typique de la tradition rabbinique la plus authentique– ravivée par la tradition hassidique, revisitée par une expérience ouverte auxnouvelles « étincelles de sainteté » - le Rabbin Arthur Green nous a introduitsdans un mystérieux « jardin intérieur ». La proposition de traduction ducélèbre tétragramme (YHWH) comme « Être » nous a rapprochés du mystèreineffable de l’Unique, du Saint, dont nous sommes tous et toutes l’image ; uneimage à reconnaître et à garder avec empathie, inclusion et vigilance.

La mystique n’est pas une affaire de montée à l’assaut ou d’escaladevertigineuse, mais elle est avant tout don et rencontre à reconnaître et à aimer,y compris dans les passages de combat et de terreur. Elle est belle cettedécouverte du monothéisme par Abraham – qui s’exclame « Ah ! » - aprèsavoir fracassé les idoles de son père Terah ! « La transcendance se trouve àl’intérieur de l’immanence… La transcendance signifie que Dieu est ici ».Nous sommes proches de la grande mystique chrétienne, de la tradition de la

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présence d’immensité de Dieu. C’est cela la mystique.

Par son commentaire intense qui interpelle, à partir de l’icône de Lydiede Thyatire (Ac 16,11-15), Sr Judette Gallares nous a exposé(e)s au risque età la surprise d’une Parole aux résonances mystérieuses qui peuvent accompagnerun parcours de conversion selon le paradigme proposé par Lonergan. Ainsi,elle a donné au thème de la conversion une dynamique exploratrice et libératricemoderne qui se rapproche des parcours vertigineux de l’aventure mystique etqui indique en même temps la source incandescente d’où naît la prophétie. Leprocessus de conversion fait découvrir les dynamismes d’une vraie conversionqui connaît des moments d’obscurité, des phases de réveil, des explosions d’unenthousiasme qui emporte tout, le partage tranquille et chaleureux des nouvellesconvictions. Et elle termine par le mouvement d’une intégration transformanteet solidaire avec le milieu ambiant.

Nous savons que par la suite, Paul eut une prédilection particulière pourla communauté domestique de Philippes : il en a gardé le souvenir d’unegrande délicatesse et de dévouement, s’intéressant à son développement. C’estprécisément dans la lettre qu’il adressera à cette Église que Paul donnera lejoyau de l’hymne christologique (Ph 2,5-11). La simplicité de ces débuts et lafragilité de la situation sont ainsi relues par l’Apôtre à la lumière de l’icônedu Fils de Dieu qui s’est fait esclave, s’anéantissant jusqu’à la mort, maisvictorieux et souverain du cosmos.

2. Comme des étincelles de prophétie

Le rôle de Sr Liliane Sweko, je le comparerais volontiers à celui d’une« sourcière » d’étincelles perdues – pour citer une légende hébraïque à proposde l’inachèvement de la création. Elle a fouillé les entrailles de l’histoirecontemporaine pour trouver et signaler les étincelles de prophétie qui courentà travers le chaume (cf. Sg 3,7) de nos peurs et y mettent le feu. Elle a cité desnoms d’hommes et de femmes familiers à tous – depuis Mgr Romero à MèreTeresa de Calcutta, de Etty Hillesum à Dorothy Stang, de Madeleine Delbrêlà Mgr Munzihirwa, et aux centaines de sœurs africaines assassinées – et de cesfigures, elle a extrait de multiples étincelles, toujours uniques et originales, quidoivent rester vivantes et capables de susciter encore parmi nous une troupede ministres semblables à une flamme ardente (cf. He 1,7).

Leur mémoire doit demeurer comme ce rameau d’amandier en fleurs,c’est-à-dire comme un signe fragile mais efficace, capable d’éclairer les nuitsles plus sombres. Peut-être ressemblent-ils aussi à cette marmite bouillonnantedu prophète : prophétie qui ne s’épuise pas, torrent impétueux de charité et degénérosité qui révèle ce que peut réaliser une vie donnée et exposée à tous lesrisques pour suivre le Christ (cf VC 86).

Aux trois grandes catégories prophétiques de la dénonciation, de l’annonce

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et du renoncement, Sr Liliane a ajouté la fonction inspiratrice de la fraternitéet fait appel à une nouvelle formation permanente qui rende les personnescapables de discerner et de se débrouiller avec compétence grâce à unestratégie adéquate. Cela veut dire que la prophétie généreuse doit toujourss’accompagner d’une stratégie intelligente.

3. Une sagesse orientatrice

La conférence dense et précise du P. Ciro García placée en ouverture denos réflexions peut aussi être reprise maintenant en travail élargi, et nous servirde grille et de creuset. En effet il a donné à l’avance les orientations declarification qu’il était opportun de suivre, et il a posé les prémisses utiles pourrecueillir et fondre ensemble les horizons qui se sont ouverts. Il nous a avertiimmédiatement qu’il fallait situer notre discours sur la mystique et la prophétiedans le contexte d’un réveil manifeste (parfois sauvage et confus), de typeculturel et religieux, qui alimente un marché de nostalgies et d’évasionsconsolantes, parmi lesquelles il peut se trouver des aspirations légitimes.

En faisant de nombreuses références à des secteurs vitaux, le P. Ciro nousa fait comprendre que c’est à nous de devenir les interlocuteurs sages etpatients des attentes et des défis : seules des formes de présence consciente,critique et transformatrice peuvent indiquer de nouveaux parcours. Nousdevons être mystiques et prophètes, avec des cœurs neufs et passionnés et desyeux pénétrants qui savent de quel côté va se lever le soleil alors que tous sonttristes de voir s’éteindre la lumière du soir. La mémoire dont nous avons héritéest toute saturée de mystique et de prophétie : à nous de savoir miser sur cethéritage. C’est l’heure des héritiers !

La prophétie s’apprend dans l’écoute obéissante et assidue de la Parole :c’est de là que germera la rencontre avec le cœur de Dieu qui attire à lui etétreint dans l’embrassement de l’union transformante, tout comme l’ardeurd’une prophétie qui se fait instrument de consolation et de libération. Nousdevons ouvrir de nouveaux puits capables de désaltérer la nouvelle soif devaleurs limpides et généreuses ; il nous faut ouvrir de nouveaux chantiers pour« réparer les brèches » (Is 58, 12) des maisons en ruines afin de les habiterensemble, en tant qu’experts, ouverts à l’hospitalité et à la communion. Nousdevons redonner sa splendeur à la logique de la gratuité et du don, redécouvrirla valeur des ressources pauvres et des signes humbles : « ‘La cité de l’homme’n’est pas uniquement constituée des rapports de droits et de devoirs, mais plusencore et d’abord, par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion »(Benoît XVI, Caritatis in veritate, 6).

TROISIÈME PARTIE : Prophètes, poètes, pragmatistes

Que devons-nous faire alors ? Comment rester semblables à la branche

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d’amandier qui fleurit et annonce une nouvelle saison et comment conserverl’incandescence, l’impétuosité et la créativité des origines ? Cherchons unsigne qui puisse nous aider à habiter les horizons ouverts et qui permette etfavorise pour nos charismes un parcours et un impact directs, efficaces,critiques et transformants en même temps.

La prophétie est parole liquide, versatile, polysémique. De la mêmemanière, la parole mystique est fugitive, impalpable, atypique, indicible etaujourd’hui encore prestigieuse. Aucune des deux n’est née à l’état pur : ellessont nées déjà revêtues de quelques haillons et de significations selon les lieuxet les cultures. C’est pourquoi pour notre usage, nous devons veiller à cequ’elles ne soient pas utilisées comme des instruments innocents et nus : il fautfaire attention aux parcours sémantiques qui les ont habillées.9 Le P. Ciro nousl’a déjà montré ; mais le rabbin Arthur Green nous a également signalé cesfilets. Dès le départ, Sr Judette nous a invités – par une citation de M. Buber- à reconnaître que l’expérience religieuse de Dieu est vraie quand elleimplique un message de transformation, une audace prophétique générée del’intérieur par la rencontre mystérieuse avec Dieu. Sr Liliane a illustré par desexemples la pluralité des expériences originales et significatives, que ce soitdans des contextes ecclésiaux ou sociaux différents.

Ne partons pas de trop loin pour traiter notre thème. Malgré travaux etcauchemars, « la lampe de Dieu n’est pas encore éteinte » (1 Sam 3,3). Souscertains aspects peut-être ne reste–t-il pas beaucoup d’huile, peut-être y a-t-il peu de vigueur (Ap 3,2), en particulier dans quelques instituts de l’hémisphèreNord qui connaissent certainement des réductions numériques et unaffaiblissement de leurs forces. Cependant, l’histoire et la mémoire ont encoreune vigueur cachée mais ardente comme les braises sous les cendres 10. Et Dieuconnaît ce feu secret : « Dieu n’est point injuste, pour oublier ce que vous avezfait et la charité que vous avez montrée pour son nom, vous qui avez servi etqui servez les saints » (He 6,10). C’est pourquoi nous parlons parce que « nousdésirons seulement que chacun de vous montre le même zèle pour le pleinépanouissement de l’espérance, jusqu’à la fin ; de telle sorte que vous nedeveniez pas nonchalants, mais que vous imitiez ceux qui, par la foi et lapersévérance, héritent des promesses » (He 6,12).

1. À partir de l’Esprit de prophétie

Nous sommes tous et toutes les héritiers et les bénéficiaires actifs d’uneexpérience fondatrice que nous appelons charisme : dans sa phase originelle,chaque charisme possède aussi bien la particularité de la mystique que cellede la prophétie. Le charisme de la vie consacrée a pour protagoniste générateuret guide l’Esprit Saint : il a rendu possible en nous la rencontre vitale avec lesalut réalisé par Jésus Christ. Pour reprendre l’analogie avec l’épisode de

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Lydie (Ac 16, 11-17), le Seigneur (qui dans ce cas est l’Esprit Saint) nous amarqués et désignés pour une aventure évangélique reçue comme un dongratuit de complaisance et vécu comme mission/devoir qui consacre et transfigurevaleurs et buts, en orientant la vie de façon claire et déterminée.

Parler de prophétie, c’est parler d’abord de la spécialité de l’Esprit,qui « a parlé par les prophètes », comme nous disons dans le Credo. Et Ilcontinue à parler par les prophètes : les vocations prophétiques nous révèlentque dans chacun des cas ceci est advenu au début, au moyen d’une expérienceforte, mystique, irrésistible, qui n’a laissé aucune possibilité de fuite ou derefus. « Tu m’as séduit, Seigneur, et je me suis laissé séduire ; tu m’as faitviolence et tu as été le plus fort » (Jr 20,7). Et à partir de ce jour, dans le cœurdu fondateur et de la fondatrice « c’était comme un feu brûlant » (Jr 20,9) quibroyait les os et la vie. Et cette expérience nous a été transmise pour que nousla connaissions et la gardions, pour que nous la vivions et la développions enharmonie avec le Corps du Christ qui est en croissance perpétuelle (MutuaeRelationes 11).

Le charisme est précisément un don de prophétie, mais qui naît del’intérieur de la conscience d’être appelé à assumer le don du salut, et àcontribuer à son impact historique, comme engagement et comme défi, et noncomme un dépôt clos. Il n’y a pas d’union et de fusion avec le Dieu vivant sinonpar l’Esprit et grâce à l’Esprit qui ouvre la porte de la foi et de l’amour ; toutcomme il n’y a pas de prophétie sinon dans l’horizon de ce même Esprit. Ilconnaît « les desseins du Père » (Rm 8,27) et il intervient pour que nous enprenions conscience et en assumions la responsabilité. Il les interprète « ennous appelant » à un choix responsable, pour que nous nous engagions et quenous nous laissions conduire vers leur pleine réalisation.

Le charisme ne doit pas être traîné comme un fardeau, ni interprété avectristesse. Il a été donné et transmis avec une ardeur qui a brûlé les obstacleset les résistances; il ne peut se transmettre de la main à la main, dans la routined’une foi stérile et factice, dans une charité de façade, avec un sens ecclésialmesquin et vague. Le charisme ne sera fécond que si nous possédons « un cœurpensant » (Etty Hillesum) et amoureux, et si nous ramenons le charisme à lamotivation génératrice pour laquelle il nous a été donné. Sans relecture et sansrefondations créatives les charismes deviennent stériles : leur fécondité semesure à la multiplication des interprétations innovatrices, et non à descrispations sur la lettre. C’est l’expérience que l’on rencontre – et qui créeétonnement et surprise - lorsque nos charismes sont communiqués aux jeunesappartenant à des cultures autres que celles de l’Occident : ils/elles y trouventdes sens, des saveurs et des potentialités qui nous semblaient ne pas exister ;et ils se proposent de les vivre et de les renouveler en tant que protagonistes.C’est cette surprise que nous éprouvons si souvent dans le dialogue avec les

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jeunes d’Afrique, d’Amérique Latine, d’Asie : non seulement ils sont jeunesd’âge, mais ils ont une approche nouvelle et régénératrice des charismes quenous avions catalogués comme des schémas et des formes sacralisés.

2. Dans le Christ et avec le Christ notre héritage mystique et prophétique

« Pour demeurer fidèles au Christ et au Règne de Dieu qui vient, l’Église,qui s’adapte souvent aux réalités du monde, a besoin de communautés quisuivent Jésus de manière absolue et manifestent la liberté du Christ »11. Dansce christocentrisme radical, la passion pour Dieu ou la passion pour l’histoirehumaine a sens et fécondité. L’Esprit travaille en nous – par tous les moyensque nous connaissons – pour susciter une adhésion radicale qui nous configureaux « sentiments d’amour et de compassion » qui furent dans le Christ Jésus(Ph 2,1.5). L’activité de l’Esprit n’a d’autre but ni d’autre modèle que de« former le Christ en nous » (Gal 4,19). « La vie consacrée constitue en véritéune mémoire vivante du mode d’existence et d’action de Jésus comme Verbeincarné par rapport à son Père et à ses frères » (VC 22).

Au terme du grand Jubilé, Jean Paul II nous proposa de manière synthétiqueet efficace de repartir du Christ, pour contempler son visage de Fils de Dieu,le visage du Serviteur Souffrant, le visage du Ressuscité. Mais aussi pour lesuivre dans une vie de sainteté et de service, une vie consacrée pour leRoyaume et de solidarité avec les pauvres et les plus petits12. Si nous voulonsnous approcher du seuil de la mystique et de la sainteté et tracer des sentiersde prophétie, nous recentrer sur le Christ doit rester pour nous un défi toujoursouvert : « Il n’y a pas de doute que ce primat de la sainteté et de la prière n’estconcevable qu’à partir d’une écoute renouvelée de la parole de Dieu » (NMI239).

Charisme, prophétie et mystique passent par cette porte : le charisme n’estpas seulement une parole évangélique « abrégée », il embrasse toute la richessede la révélation et en plaçant celle-ci au centre, il la dynamise pour ainsi direen orientant le spectre entier de l’existence humaine et chrétienne vers un« style » parlant et incisif, comme dit le théologien Christoph Teobald. Lethème de la concordance entre contenu et forme dans la culture actuelle agénéré tout un autre modus vivendi, vrai ramassis d’expériences fragmentées,comme fait observer le sociologue Z.Bauman : projets à court terme, épisodesjuxtaposés qui n’acceptent pas d’orientations verticales (c’est-à-dire stables),mais seulement latérales, c’est-à-dire des fuites et des diversions(« divertissements » à la Pascal), des mouvements stratégiques pour s’évaderet des accélérations paniques pour ne pas rester coincés 13.

Il faudrait que nous introduisions les nouvelles christologies de manièrecohérente et vivable dans notre sequela Christi : elles ont à offrir de nouvellesimpulsions à notre charisme pour le régénérer, l’enrichir dans sa pratique. La

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christologie que reflètent les théologies de la vie religieuse paraît parfoiséloignée des progrès actuels, de la relecture « pneumatologique » de l’identitéet de la mission du Christ, de la contextualisation dans l’expérience desvictimes de la violence et de la nouvelle conscience féminine, du dialogueloyal avec les grandes traditions religieuses d’Afrique et d’Asie. Notre époqueest une saison de réflexion théologique originale sur le Christ et les pratiquesinnovatrices : elles sont comparables aux grandes saisons des Pères (IVème-Vème siècles). Combien plus efficace et significative serait une sequela Christidans les catégories et les symboliques africaines, asiatiques, latino-américaines!Dans tous ces contextes, les expériences ecclésiales et les travaux des théologiensont ouvert à de nouveaux modèles et de nouvelles mystagogies. Il s’agitsouvent d’expériences guidées et formulées par des religieuses et des religieux :et derrière, il y a souvent une capacité prophétique qui provient d’une véritablehistoire mystique, où ne manque pas la vérification par le martyre. C’estprécisément ce caractère mystique-prophétique-martyrial qui rend ces cheminsdignes d’accueil et d’intégration. Luther mettait en garde : « Non legendo velstudendo, sed patendo immo et moriendo fit theologus ».

Ce n’est pas quelque chose qui doit rester cantonné à ce continent ou à cecontexte culturel : il peut aussi et doit être offert (et assumé) dans d’autrescontinents et d’autres contextes. Il a sa place dans le langage universel, dansles grandes synthèses théologiques, dans la manière pratique de vivre et detémoigner, de former et de gouverner, de prier et de discerner. Pourquoi lelangage et le schéma mental et culturel de la tradition européenne devraient-ils être les seuls à prévaloir ? Je pense que nous réussirions vraiment à tresserces nouvelles richesses avec les anciennes, si nous travaillions davantage à laconvivialité des différences, pour un échange de dons ; nous retrouverions unrôle ecclésial nouveau et original, constructif et inspirateur. Au fond, tout estfruit de l’Esprit, et « qui sommes-nous pour faire obstacle à Dieu ?» (cf. Ac11,17).

3. En chemin avec le peuple

Aujourd’hui, nous sommes bien plus conscients de la dimension ecclésialede notre consécration : dans le passé on soulignait davantage l’effort religieuxindividuel et isolé. L’Église était comme un décor extérieur ou un dépôt dechoses utiles et saintes. Elle n’était pas d’abord le peuple protagoniste duprojet de Dieu, cheminant avec toute l’humanité vers des horizons de justiceet de liberté, de fraternité et de pleine rédemption. La théologie nous a avertisavec plus de lucidité que dans le passé, que non seulement l’Église mais aussiJésus Christ lui-même est au service du Royaume ; c’est lui qui le façonne.Dans ses paraboles il signalait les exigences et les urgences de l’avènement duRoyaume, et non les réalisations déjà fixées.

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Assumer cette conscience d’une Église « relative » et tendue vers leRoyaume, avec le Christ prémices et serviteur du Royaume, implique aussi defaire converger ici, tous les aspects traités précédemment. À commencer parla fonction prophétique qui n’est pas notre monopole ou notre exclusivité,mais qui est une qualité intrinsèque du Christ communiquée à tout le peuplede Dieu par l’Esprit (cf. Jl 3,1-5 et Ac 2, 17-18). La vie consacrée a sa façonparticulière de vivre cette tâche commune, par la consécration spécifique et laprofession selon les conseils évangéliques. Il s’agit d’une « orientation radicale »(VC 16) qui ne s’élève pas simplement à la verticale ; elle est le levain quifermente, elle est la mémoire inquiète et subversive qui agite le sous-sol del’humanité ; c’est une ressource nécessaire pour habiter parmi les gens, pourmettre en crise toute autre attente et toute autre projectualité.

Notre vie doit être crédible et fiable, non seulement par l’honnêteté aveclaquelle nous vivons en cohérence avec les devoirs assumés publiquement ;mais encore par la capacité d’être les interprètes du désir de salut et debonheur, spécialement pour celles et ceux qui ont subi la violence et des torts,et aussi pour les personnes qui les ont produits. Il est opportun de rappeler icile cœur du prophétisme, le rîb prophétique. Il s’agit d’une « procédurejuridique » biblique, particulière, de type bilatéral 14, dans laquelle celui quia subi des torts et a été victime d’un méfait se retourne directement vers lecoupable, en l’accusant du mal commis. Mais cette accusation est faite nonavec l’intention de punir et d’humilier, mais pour que le coupable se ravise ;qu’il prenne conscience et comprenne par expérience que « faire le mal » « fait mal » et donc qu’il s’achemine vers le bien et se laisse reconduire àl’amitié.

Appliquée à l’histoire du salut, nous voyons bien que c’est justementl’attitude de Dieu devant nos fautes : Dieu nous accuse et nous réprimande afinde rétablir l’alliance et la fidélité. Au service du rîb divin, le prophète met enœuvre divers langages et formes d’appel et de dénonciation pour rejoindre laconscience du peuple, et abattre les barrières et les alibis défensifs. Dans notresociété querelleuse et terrorisée, fanatique et apeurée, justicière et vindicative,la prophétie des religieux pourrait être précisément au service du rîb divin, noncomme dénonciation menaçante en soi, mais comme « interpellation », thérapiede guérison, inter-cession qui réveille les consciences. Elle s’exerce par lanon-violence, par un choix de gestes de miséricorde et de gratuité, de justiceentremêlée de solidarité, de compassion, d’empathie 15. Les exemples deprophétie qui ont été rapportés dans les relations possèdent précisément cettecaractéristique « empathique » : et on pourrait les multiplier en y ajoutantceux de tant de mystiques, hommes et femmes de dialogue et d’hospitalité, denon-violence et de réconciliation, de sauvegarde du créé et du rachat descultures opprimées, de « communautés d’insertion ».

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Il est certain que l’hémisphère Nord ne manque pas de prophètes et demystiques, mais parfois leur témoignage semble le seul qui existe. La pénuriede vocations et le vieillissement préoccupant des membres entraîne en certainslieux des exercices de survie qui laissent perplexes : l’implant un peu improviséde vocations appartenant à d’autres cultures et d’autres sensibilités n’est pasdénué de problèmes et d’incertitudes. Pourquoi ne pas croire aussi en ladimension prophétique de l’ars carismatica moriendi ? Il ne s’agit pas demourir dans une sainte paix, sans déranger, mais de mourir en jetant encore desétincelles tout autour, « sans baisser les bras » (cf. So 3,16). Des étincelles desagesse douces et humbles comme en sèment toutes les vieilles personnes ;d’une foi transparente qui reconnaît que Dieu seul est la valeur et la substanced’une vie ; humble témoignage fait d’œuvres et de jours qui n’ont pris formeque pour Dieu seul et viennent se déposer dans le sein de Dieu. Reconnaissancepour avoir été rendu(e)s dignes de l’aimer et de le servir en même temps quetant de personnes généreuses et débordantes de charité.

Il serait beau qu’au lieu de s’aventurer dans de nouvelles ouverturespseudo-missionnaires dans le but d’« importer » des vocations pour soutenirdes œuvres et des styles de vie qui ne sont peut-être pas des icônes du« Royaume de Dieu », on réussisse à donner le témoignage d’une sérénité quine cohabite pas avec la névrose de se perpétuer. Transmettre le sentiment quela vie a encore un sens, que le bilan n’arrête pas le jaillissement de la sourcede la fidélité à Dieu, de l’abandon à Dieu, après avoir vécu et lutté pour lui…Ne serait-ce pas là le message prophétique et la profession de foi en Dieu,l’unique qui vaille quelque chose ? Puissions-nous réellement goûter la véritéde ce poème : « Je la connais la Source qui jaillit et se répand, mais c’est denuit ». Et le chanter malgré tout, dans une société qui cultive le mythe de lajeunesse, de l’efficacité, de la vigueur à tout prix, y compris grâce au viagraet aux acharnements thérapeutiques. Cela aussi serait un message prophétiqueet une espérance ouvrant sur d’autres horizons. 16

4. La mystique du quotidien

Il semble que notre époque religieuse n’a plus de grands écrivainsmystiques et qu’il manque aussi les prophètes opérateurs de grandes entreprises.Nous rencontrons plutôt des mystiques et des prophètes qui, dans le quotidien,savent deviner et habiter les interstices qui permettent de jeter la semenced’une réconciliation et d’une libération transformatrice. Des hommes et surtoutdes femmes qui réussissent à rester agrippés au réel opaque et pauvre, yintroduisant des germes de compassion et de solidarité, de gratuité et delibération. Avec une ténacité qui défie les résistances les plus fortes, avec unepatiente confiance qui réussit même à creuser la pierre des préjugés les plusobstinés, avec une gratuité qui désarme et déconcerte toute intention mercantileet d’efficacité… C’est là que l’on trouve de nombreuses femmes consacrées

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qui veulent être signe et ferment de ce Règne pour lequel nous sommesconsacré(e)s dans la chasteté, la pauvreté et l’obéissance, pro salute mundi.

S’il n’y a pas cette vie au coude à coude avec ceux qui errent sans but etsans racines ou sans espérance, le visage défiguré par la violence et parl’injustice, la prophétie est une idéologie, la mystique est une mystique depacotille. Ce « quotidien » est la riche expérience de toujours dans nosinstituts, mais aujourd’hui il est plus risqué et aussi plus dangereux : parce quele quotidien est vraiment dangereux dans tant de situations ; le pain de chaquejour est mêlé de violence et d’humiliations ; les rêves et les droits à la dignitéet à la liberté sont foulés aux pieds avec une impunité scandaleuse. Je crois quepour rester là, continuer à partager les peurs et les larmes, dans l’espérance etdans la lutte, il faut une force intérieure qui ne s’achète pas au marché, maiss’obtient dans le silence de l’imploration et du soutien réciproque.

Ce sont ces communautés exposées et incertaines pour leur avenir, et nonseulement pour le présent, qui représentent comme une grande floraisond’amandier : signes fragiles et gratuits, indications d’un printemps que beaucoupimplorent, mais que peu savent voir venir. Des branches d’amandier qui« veillent » et qui gardent allumées l’espérance et l’attente, proclament –parfois, en plein milieu d’une forêt de marmites bouillonnantes qui déversentla ruine et la dévastation sur les peuples et les nations – que la sève monteencore des racines, que du neuf est encore possible là où tout est destruction.Certes, en comparaison des grandes œuvres du passé, face à la modernitéefficace et du budget substantiel d’autres situations et d’autres églises, ellessemblent être des ressources infimes, éphémères, qui pourraient disparaître àchaque instant. Mais leur force est précisément là : dans l’enracinement localqui fait qu’elles sont aimées de tous, respectées même des tyrans, accueillanteset confiantes, libres et capables d’audace. Il est facile de multiplier lesexemples, et vous pourriez toutes en apporter.

Douceur et force, fragilité et résistance, rêve et réalité se mêlent ets’alimentent réciproquement. Et ce sont ces réalités qui donnent la vraie forceà nos instituts, la sève secrète qui fait fleurir le charisme et qui ne se laisse pasemporter par les fausses idoles. Ce sont les lieux où, au ras du sol, se cultivele dialogue authentique et confiant avec Dieu, et que se tissent des liens avecles laissés-pour-compte, avec les flagellés qui portent à la fois les ténèbres duCalvaire et la certitude de la Résurrection. Leur vie n’a ni défense ni prétentionpar rapport à la vie des autres : elle n’a que la communion et le partage, lasobriété sereine et l’horizontalité immédiate. Vis-à-vis de la conception « sacrée »de la vie religieuse et de l’attitude généralement « distante» de notre genre devie cela ne convient peut-être pas ; la forme des valeurs nous intéresse plus quela substance, la différence plus que la ressemblance, la méfiance plus que laconvivialité. Je crois que Dieu fait d’autres calculs, comme nous le montre

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l’Évangile (cf. Mc 12,41-44).

Conclusion ouverte

Nous avons besoin des autres pour prendre de la distance par rapport à nosprisons et nos stéréotypes culturels et pour reconnaître nos blessures, maisaussi pour engager nos ressources. Les mille et une formes nouvelles d’insertiondans les contextes les plus variés nous ont aidé(e)s à découvrir de nouveauxvisages, mais aussi à étendre le charisme à de nouveaux horizons. On ne peutmaintenir ces nouveautés sans être sans cesse à la recherche du visage duSeigneur, dans le dialogue cœur à cœur. Mais toute mystique qui ne s’ouvrepas à la prophétie, à la solidarité et à la gratuité devient évasion dangereuse.

Je termine par une dernière provocation. Notre capacité prophétique nesouffre-t-elle pas, parfois, d’un déficit, quand il s’agit de donner des réponsesprophétiques à des situations difficiles ? Comment se fait-il que nous neréussissions pas à témoigner de manière convaincante d’une fidélité mystique,d’une existence transfigurée en même temps qu’affectivement saine etempathique ?

Ces derniers mois le scandale de la pédophilie des prêtres a troublél’Église et son témoignage : la réaction de l’Église s’est basée sur des référencesà des lois et des condamnations publiques. Notre consécration dans la virginitéet dans la chasteté aurait pu contribuer à montrer les racines mystiques d’unefidélité joyeuse et limpide, et aider à réaliser un accueil des victimes plusempathique et porteur de guérison. Les souffrances et le malaise causés par lavisite apostolique de la vie religieuse féminine aux États-Unis ou dans d’autressituations difficiles et complexes ne devraient pas nous priver de parresiaprophétique, au nom d’une expérience mûre, d’une foi qui libère les énergieset les nouvelles diaconies. Il est plus facile de faire entendre notre voixprophétique dans les catastrophes naturelles que dans les problématiquesecclésiales et civiles. Haïti et Chili, Darfour et Région des Grands Lacs, Israëlet Pakistan et tant d’autres lieux, ont été des aréopages d’inventivité et desolidarité, que nous avons exercée en pleine autonomie et créativité.

Ces diverses crises sont un Kairòs de purification, mais peuvent aussi êtredes occasions d’exprimer la créativité et le génie féminins. Il manque parfoisune lecture empathique et compatissante mais soutenue par la parresia enparole et en œuvres, qui est le fruit d’une transfiguration qui s’opère par grâce.La femme consacrée a cette grâce spéciale : elle doit la cultiver dans l’intimité,mais aussi l’offrir prophétiquement, au rythme de la femme, justement auxmoments moins limpides et dans les tragédies humaines les plus graves.

Et si la femme, et en particulier la femme consacrée, sait participer enprotagoniste non seulement à la catharsis collective causée par les erreurs et

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les scandales, mais aussi au défi d’une nouvelle logique du service et de lagratuité, nous pourrons reprendre le Cantique des Cantiques avec un cœur quipense, avec des yeux limpides, au rythme de la danse. Parce que l’amour et latendresse, le rêve et l’attente, les pleurs et les chants, la mystique et laprophétie, doivent s’entrelacer pour une nouvelle Église, au bénéfice de toutel’humanité.

1 Sur le prophétisme au Synode et dansl’exhortation post-synodale nousrenvoyons à : Per una fedeltà creativa. Lavita consecrata dopo il Sinodo, Paoline,Milano 2005, 349-373 et Il profumo deBetania. La vota consacrata come mistica,profezia e terapia, Dehoniane, Bologna2007, 94-106

2 Une documentation utile dans le livre :J.M. ALDAY (ed.), I religiosi sono ancoraprofeti ?, Ancora, Milano 2008.

3 Pour une interprétation exégétique, maisouverte aux significations suggestives :L. ALONSO SCHÖKEL-J.L. SICRE-DIAZ,I profeti, Edizione italiana a cura diG.RAVASI, Borla, Roma 1996, 4516746.Une proposition de lectio divina : C.M.Martini, Una voce profetica nella città.Meditazioni sul profeta Geremia, CentroAmbrosiano-Edizioni Piemme, CasalMonferrato 1993.

4 C. M. Martini, Una voce profetica, 81.

5 Cf. H. JONAS, Sull’orlo dell’abisso.Conversazioni sul rapporto tra uomo enatura, Einaudi, Torino 2000.

6 Cf. Le titre heureux du livre: M.BENASAYAG-G. SCHMIT, L’epoca dellepassioni tristi, Feltrinelli, Milano 2005.

7 Panorama de la situation actuelle : AA.V.,Dio oggi. Con lui o senza di lui cambiatutto, Cantagalli, Siena 2010.

8 Une perspective générale, mais qui nousintéresse: J.J. TAMAYO-ACOTA, Nuevoparadigma teológico, Trotta, Madrid 2003.

9 Parmi la littérature très abondante quiexiste, je renvoie aux indications donnéespar C. GARCIA. J’ajoute : R. ZAS FRIZDE COL, Teologia della vita cristiana.Contemplazione, vissuto teologale etrasformazione interiore, San Paolo,Cinisello Balsamo 2010; AA.VV., Theesperienze of God today and CarmeliteMysticism. Mystagogy and Inter-Religiousand Cultural Dialog . Acts of theInternational Seminar, Zidine, sept. 2007,

KIZ, Zagreb 2009. Et je signale aussi unerelecture de l’héritage dans ces deuxclés : B. SECONDIN (ed.), Profeti difraternità. Per una visione rinnovata dellaspiritualità carmelitana, Dehoniane,Bologna 1985.

10 Le livre de J. D. CHITTISTER a été citéde nombreuses fois: Il fuoco sotto lecenere. Spiritualità della vita religiosa quie adesso, San Paolo, Cinisello Balsamo1998.

11 J. Moltmann, La chiesa nella forza delloSpirito, Brescia 1975, 420.

12 Je fais référence à l’encyclique bienconnue Novo Millenio Ineunte, de JeanPaul II, 2001. Mais penser également àl’Instruction de la Congrégation pour lesInstituts de Vie Consacrée et les Sociétésde Vie Apostolique, Repartir du Christ.Un engagement renouvelé de la vieconsacrée au troisième millénaire,Libreria Editrice Vaticana 2002.

13 Cf. Z. BAUMANN, Modernità liquida,Laterza, Roma-Bari 2006 ; ID., La societàdell’incertezza, Il Mulino, Bologna 1999.

14 Cf. P. BOVATI, Ristabilire la giustizia.Procedure, vocabolario, orientamenti,Analecta Biblica 110, PIB, Roma 1986,21-148. Voir aussi B. COSTACURTA, “Tifarò profeta tra le genti” (Jer 1,5). I profetinella Bibbia, in J.M. ALDAY, I religiosisono ancora profeti?, 28-32; le livre de A.HESCHEL, Il messaggio dei profeti, Borla,Roma 1981 se développe sur la clé dupathos et de l’ethos.

15 J. RIFKIN, La civiltà dell’empatia,Mondadori, Milano 2010 propose desexplications concrètes. Voir aussi L.HUNT, La forza dell’empatia. Una storiadei diritti dell’uomo, Laterza, Roma-Bari2010.

16 J’ai essayé d’étoffer le discours en B.SECONDIN, Abitare gli orizzonti. Simboli,modelli e sfide della vita consacrata,Paoline, Milano 2002.

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SVDHOMÉLIE DE L’EUCHARISTIE

DE CLÔTURE

P. Antonio M. Pernia, SVD

Supérieur général de la Société du Verbe Divin

Original en anglais

de la peine, ils sont tout tristes. Et Jésus leur promet le don qui surpasse tout,l’Esprit Saint. Il va presque jusqu’à dire que le don vaut mieux que celui qui lefait. « Cependant, je vous dis la vérité : c’est votre intérêt que je parte ; car sije ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vousl’enverrai ».

Voilà le parfait missionnaire - celui qui sait que son temps est terminé etqu’il est temps que quelqu’un d’autre prenne sa place. Ceci fait écho aux parolesde Jean-Baptiste à propos de Jésus lui-même : « Il faut que lui il grandisse etque moi je décroisse » (Jn3,30). Et maintenant c’est au tour de Jésus de dire enparlant de l’Esprit : « Il faut qu’il grandisse et que moi je diminue ; il faut qu’Ilvienne, et moi, que je m’en aille ». Jésus cède le milieu de la scène à l’EspritSaint.

Aussi est-ce un temps de transition. Un temps de transition pour Jésus.Ayant terminé son ministère sur la terre, il retourne maintenant vers le Père. Ilpasse de la condition de Fils de l’Homme qui a marché sur cette terre à celle deFils de Dieu qui siège à la droite de son Père. Mais c’est aussi un temps detransition pour la jeune Église – qui, de communauté des disciples de Jésusdevient l’Église universelle de l’Esprit. Avec Jésus, la communauté avançaitpour ainsi dire appuyée sur le maître – comme un enfant qui tient la main de sesparents. Mais désormais, l’Église a besoin de marcher seule afin de remplir lamission que le maître lui a confiée – comme un enfant qui doit apprendre à

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Il n’est pas de don meilleur que l’Esprit de Dieu

(Lectures : Ac 16,22-34 / Jn 16,5-11)

l n’est pas difficile de deviner l’impression d’intimité qui entoure cetterencontre de Jésus et de ses disciples dans la chambre haute. Jésus prendcongé de ses amis. Le Maître fait ses adieux aux disciples. Les disciples ont

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marcher seul.

Et c’est précisément à ce moment de transition qu’arrive l’Esprit Saint. Carc’est l’Esprit Saint qui rend possible toute transition. C’est l’Esprit qui accompagnetoute transition authentique. C’est l’Esprit qui peut créer une situation nouvelle.

C’est vraiment ce que nous voyons dans l’événement de la Pentecôte quenous allons célébrer dans une semaine. D’après la description des Actes desApôtres, la Pentecôte apparaît comme un événement spectaculaire qui a attirél’attention de toute la ville de Jérusalem. Un grand bruit, un vent violent, deslangues de feu, des hommes et des femmes de différentes nations qui s’exprimenten diverses langues – ce symbolisme nous donne l’impression que l’universentier est ébranlé jusque dans ses profondeurs, que le monde entier est bousculéet réveillé, que toute la création est purifiée et renouvelée. Quelque chose detout nouveau est en train de se passer. L’Esprit de Dieu fait sentir sa présence.Cela nous rappelle les origines quand l’Esprit de Dieu planait sur les eauxprimitives, quand la terre était vide et vague, et que les ténèbres couvraientl’abîme. L’Esprit de Dieu souffla et la création sortit du néant.

Les premiers à en faire l’expérience furent les disciples de Jésus rassemblésdans la chambre haute. Ils s’étaient enfermés dans la crainte de s’exposer à lafoule. En plus de cette peur, la mort de leur Maître et l’échec apparent de leursespoirs et de leurs rêves les avaient remplis de déception et de découragement.Et ils étaient dans une grande perplexité car certaines personnes disaient qu’onavait vu leur Maître vivant. Il semble qu’eux-mêmes aient vu leur Maîtreapparaître au milieu d’eux. Et puis il y eut ce grand vent ; des langues de feuse posèrent sur chacun d’eux, et ils furent tout remplis de l’Esprit Saint. Commes’ils étaient secoués, débarrassés tout à coup de leur frayeur, de leur déceptionet de leur état de confusion, ils reçurent la force de sortir, de rendre témoignageà leur Maître et de proclamer la Bonne Nouvelle.

C’est pourquoi nous disons que l’Esprit est l’élan divin qui crée lessituations nouvelles et par conséquent l’antidote à la stagnation et à la régression.Aujourd’hui, il y a des voix qui disent que nous avons besoin d’une nouvellePentecôte dans l’Église en ce moment de son histoire. Nous avons besoin derefaire l’expérience du vent et du feu de la Pentecôte pour que nous soyonssecoué(e)s et purifié(e)s. Que nous soyons secoué(e)s et débarrassé(e)s - de latentation de retourner à nos vieilles sécurités, de l’inertie qui refuse de d’entrerdans de nouvelles situations, de la peur de nous laisser mener par l’Esprit. Quenous soyons nettoyé(e)s - des scories qui se sont amassées avec le temps, duvernis qui s’est développé au fil des années, de la poussière qui s’est accumuléeau long de l’histoire. Bien secoué(e)s et bien purifié(e)s afin que ne reste plusque l’essentiel, seulement ce qui est important, l’« unum necessarium » (l’uniquenécessaire) - c’est-à-dire, « le Royaume de Dieu et sa justice » (Mt 6,33),comme dit Matthieu, ou bien « le Christ et la puissance de sa résurrection »

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(Ph 3,10) comme dit Paul.

Les hommes et les femmes consacré(e)s portent de façon spéciale cet élandivin qui pousse à susciter de nouvelles situations, antidote divin à la stagnationet à la régression. Car la vie consacrée dans l’Église est un mode de vie suscitéde façon toute spéciale par l’Esprit Saint. Nous le savons, la vie consacréeappartient à la structure appelée « charismatique », plutôt qu’à la structure« hiérarchique ». Les diverses modalités de vie religieuse donnent une formeconcrète aux différents charismes de l’Esprit. L’Esprit suscite ses dons chez lesfondateurs et fondatrices pour répondre à travers eux aux besoins de l’Église àun moment donné.

Nous aussi, hommes et femmes consacré(e)s, avons besoin d’être secoué(e)spar l’Esprit – pour sortir de cette même tentation de retourner à nos vieillessécurités; sortir de la même inertie lorsqu’il s’agit d’entrer dans des situationsnouvelles, de la même crainte de nous laisser guider par l’Esprit. Mais encorepour nous débarrasser de ce manque d’engagement et de notre tendance aucompromis, de notre superficialité et de notre médiocrité, de notre confusion etde notre timidité. Être bien secoué(e)s pour que ce qui reste soit l’essentiel,l’important – c’est-à-dire l’aspect mystique et prophétique de notre mode devie.

L’Esprit est vraiment la source de la mystique et du prophétisme. C’estl’Esprit qui nous permet d’apprendre à contempler Dieu pour apprendre àcontempler le monde avec les yeux de Dieu. C’est l’Esprit qui nous permetd’être des hommes et des femmes qui font de leur vie un va-et-vient entre lesmoments de « montée » et de « descente » de la contemplation – entre lemoment ascendant de contemplation de la face de Dieu et le moment descendantde contemplation du monde avec les yeux de Dieu. Car ce n’est que du point devue du vaste monde de Dieu que nous pouvons mesurer combien le monde abesoin de rédemption, de libération et de salut. Ce n’est que du point de vue duvaste monde de Dieu que nous voyons combien le monde souffre; que nousvoyons tous ces gens qui ont faim et tous ces enfants qui meurent prématurément.

Comme le monde serait différent si nous apprenions tous et toutes àregarder le monde avec les yeux de Dieu ! Avec le regard de Dieu, les ennemisdeviendraient des amis, les murs de séparation des portes ouvertes, les inconnusdes frères et des sœurs, les frontières des ponts, la diversité conduirait non à desdifférences irréductibles mais à une unité enrichie.

Chères sœurs (et frères), dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus nous dit : « Jevous dis la vérité, c’est votre intérêt que je parte, Car, si je ne pars pas leParaclet ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai ». Il n’estpas de plus grand don que l’Esprit Saint lui-même. Demandons ce don pournous-mêmes, pour notre Église et pour notre monde.

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Orientations 2010 – 2013ORIENTATIONS 2010 – 2013

prises par les Religieuses membres de

l’Union Internationale des Supérieures Générales

participant à l’Assemblée Plénière de l’UISG

qui s’est déroulée à Rome du 7 au 11 mai,

et ratifiées par le Conseil des Déléguées le 14 mai 2010

Original en français

« Je la connais la source qui jaillit et se répand, mais c’est de nuit…»

Saint Jean de la Croix

L’AVENIR DE LA VIE RELIGIEUSE EST DANS LA FORCE

DE SA MYSTIQUE ET DE SA PROPHÉTIE.

« Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant… » Ps 42, 3

Durant cette assemblée :

Ensemble nous, 800 supérieures générales provenant de 87 pays, nous noussommes abreuvées à la Source de vie, le Dieu de Jésus Christ, pour y puisernotre joie, notre espérance et notre force.

Nous nous engageons à :

- Redécouvrir et écouter la Source qui parle en notre cœur, en l’autre etdans la création.

- Puiser sans cesse à la source de notre charisme pour retrouver ledynamisme de notre premier appel.

- Goûter et partager ensemble la Parole et le Pain.

- Promouvoir un dialogue constant entre la Parole de Dieu et les événementsdu monde.

- Inviter d’autres à venir boire à la Source.

« Si vous me tenez pour une fidèle du Seigneur, venezdemeurer dans ma maison. » Actes 16,15

Comme Lydie, femme d’écoute et de foi, nous avons été invitées à ouvrir noscœurs et nos demeures et à faire mémoire des eaux vives de notre baptême.

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Orientations 2010 – 2013

Nous nous engageons à :

- Créer un style de vie mystique et prophétique, ouvert à l’hospitalité età l’accueil sans exclusivité, respectueux des différences et reconnaissantla richesse des diverses cultures et religions.

- Réinventer un art de vivre en commun, empreint de relations humanisantes,d’écoute, d’empathie et de non-violence, pour devenir témoins desvaleurs évangéliques.

- Veiller à la formation initiale et continue afin d’aider à l’unification dela dimension mystique et prophétique de notre vie consacrée.

- Vivre en harmonie avec tout le cosmos et habiter avec respect notre terre.

« Avance en eau profonde… lâchez vos filets pour la pêche…»

Luc 5,4

Nous avons pris conscience qu’il ne faut pas craindre la nuit des eauxprofondes.

Nous nous engageons à :

- Nommer avec audace les nuits de l’Église, de la société et de noscongrégations.

- Découvrir les étincelles de lumière au cœur de la violence, de la pauvretéet du non sens.

- Ouvrir les yeux pour découvrir de nouveaux chemins de lumière dans lesténèbres de notre monde : la situation précaire des femmes, le mal devivre chez beaucoup de jeunes, les conséquences des guerres et descatastrophes naturelles, la pauvreté extrême qui engendre la violence…

- Offrir comme femmes consacrées un ministère de compassion et deguérison.

- Travailler en réseaux localement et globalement, en inter-congrégationet avec des laïcs, pour la mise en œuvre de différents projets et latransformation des structures injustes.

- Dépasser les frontières de nos charismes respectifs et nous unir pouroffrir une parole mystique et prophétique à notre monde.

- Dialoguer en vérité avec l’Église à tous les niveaux de sa hiérarchie pourune plus grande reconnaissance de la place de la femme.

Comme Marie demeurons éveillées et vigilantes,en recherche constante de la Source qui se répand,

dans la certitude qu’Elle se laisse trouver, même si c’est de nuit.

Page 96: BULLETIN UISG NUMÉRO 143, 2010 AVANT-PROPOS 2 … · nationales et pour chacune des constellations à travers le monde dont l’Union est composée. Les Orientations 2010 veulent

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Orientations 2010 – 2013

Traite “Talitha Kum”

L’UISG a la joie de vous annoncer que le siteinternet de TALITHAKUM (Réseau international dela vie consacrée contre la traite des personnes) estdésormais ouvert aux visiteurs depuis le 10 juin2010.

Voici l’adresse du site :

http://www.talithakum.info

Notre souhait est que ce site devienne un véritablelieu d’échange d’informations et des meilleurespratiques, un lieu de soutien mutuel et decollaboration.