BULLETIN HEIDEGGÉRIEN 2-2012

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    BULLETIN HEIDEGGRIEN (Bhdg)

    - Secrtaires:Sylvain CAMILLERI (Universit catholique de Louvain/Universit de

    Montpellier III)Christophe PERRIN(Universit Paris-Sorbonne)

    - Comit scientifique:Jeffrey Andrew BARASH(Universit de Picardie Jules Verne)Rudolf BERNET(Katholieke Universiteit Leuven)

    Steven CROWELL(Rice University)Jean-Franois COURTINE(Universit Paris-Sorbonne)Dan DAHLSTROM (Boston University)Franoise DASTUR (Universit de Nice Sophia-Antipolis)Gnter FIGAL(Albert-Ludwigs-Universitt Freiburg)

    Jean GRONDIN(Universit de Montral)Theodore KISIEL(Northern Illinois University)Richard POLT (Xavier University)

    Jean-Luc MARION(Acadmie franaise)

    Claude ROMANO (Universit Paris-Sorbonne)Hans RUIN(Sdertrn University)

    Thomas SHEEHAN (Stanford University)Peter TRAWNY (Bergische Universitt Wuppertal)

    Jean-Marie VAYSSE(Universit de Toulouse-Le Mirail) Helmut VETTER(Universitt Wien)Holger ZABOROWSKI (Catholic University of America)

    - Comit de rdaction:

    Diana AURENQUE(Karl-Ruprechts-Universitt Tbingen)Vincent BLOK (Radboud University Nijmegen)Cristian CIOCAN(Universitatea din Bucureti)Franois JARAN(Universitat de Valncia)

    JulienPIRON (Universit de Lige)Mark SINCLAIR(Manchester Metropolitan University)Christian SOMMER(CNRS, Paris)Sverin YAPO(Universit de Cocody)

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    - Correspondants locaux:Victoria BRIATOVA (- )

    Wenjing CAI(University of Copenhagen)Richard COLLEDGE(Australian Catholic University)

    Tziovanis GEORGAKIS ()Takashi IKEDA(University of Tokyo)Francesco PAOLO DE SANCTIS(Universit Ca Foscari Venezia)Marcus SACRINI (Universidade de So Paulo)

    Young-Hwa SEO (Seoul National University)

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    SOMMAIRE DU BHDG 2

    LIMINAIRES............................................................................................................. 4

    I. Le sacrifice de ltre.Note sur la pense du sacrifice chez Heidegger ,par Joseph COHEN.................................................................................................. 4II. "NaturKunstTechnick".Chronique des rencontres de Messkirch,25-29 mai 2011 , par Sylvaine GOURDAINet Claudia SERBAN..................... 44

    BIBLIOGRAPHIE POUR LANNE 2011.................................................... 49

    1. Textes de Heidegger .......................................................................................... 492. TraductionsdetextesdeHeidegger ................................................................ 493. Collectifs et numros de revues ...................................................................... 514. tudes gnrales ................................................................................................ 575. tudes particulires ........................................................................................... 63

    RECENSIONS........................................................................................................ 85

    INSTRUMENTUM............................................................................................ 123

    * Les secrtaires du Bhdg remercient le Centre dtudes phnomnologiques delUniversit catholique de Louvain (dir. Mme Danielle Lories) et le Centredhermneutique phnomnologique de lUniversit Paris-Sorbonne (dir. MM.Claude Romano, Jean-Claude Gens et Michael Foessel) daccueillir cette publication sur leursite respectif.

    ** Il est possible de se procurer des tirs--part du Bhdg en crivant ladresse:[email protected]. Nota bene : le numro ISSN de la versionimprime diffre de celui de la version lectronique.

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    BULLETIN HEIDEGGRIEN II

    Organe international de recension et de diffusion des recherchesheideggriennes pour lanne

    2011

    LIMINAIRES

    I.LE SACRIFICE DE LTRENote sur la pense du sacrifice chez Heidegger

    Depuis quelle Loi lhistoire de la philosophie se sera -t-elle constitue etdploye en tant que vrit ? Cette question provoque un bouleversement de laphilosophie par la philosophie. Et ce parce quelle commande son histoire dese soumettre lpreuve la plus radicale: mettre en questioncela mme qui lauraconditionne. Comme si la philosophie devait, par cette question, se dtacherdelle-mme en pntrant en elle-mme afin dy rvler la conditionnalitpropre de son dveloppement. Ainsi, cette question ordonne lide directricede lhistoire de la philosophie de rexaminer, dvaluer, et donc de justifier laprsupposition fondamentale de son orientation en rvlant le lieu foncier

    depuis lequel se sera affermie son assise, sa base, sa stance. Elle exige donc delhistoire de la philosophie une confrontation avec elle-mme en examinant lamodalit propre de son discours et en requrrant de celui-ci lexplicitation deson coup denvoi. Car lhistoire de la philosophie nenaura jamais fini dedvoiler cela mme qui louvre ce quelle est et de rejouer ce qui la dfinit ensexposant au questionnement du lieu originaire do sveille son vnement.Cest dire quinterminablement la philosophie ne cessera de revenir sur elle-mme. Mais que signifie ici revenir? Ou encore, do peut sentendre lapropension propre la philosophie dexprimer ce quelle esten questionnant

    do elle vient?

    Fond par Sylvain Camilleri & Christophe Perrin. Ont collabor ce Bulletin : Mmes Diana Aurenque, Ccile Bonmariage, VictoriaBriatova, Wenjing Cai, Sylvaine Gourdain, Ariane Kiatibian, Virginie Palette et ClaudiaSerban ; MM. Sylvain Camilleri, Cristian Ciocan, Joseph Cohen, Richard Colledge,

    Tziovanis Georgakis, Francesco Paolo De Sanctis, Choong-Su Han, Takashi Ikeda,Franois Jaran, Paul Marinescu, Christophe Perrin, Quentin Person, Marcus Sacrini,

    Young-Hwa Seo, Mark Sinclair, Christian Sommer et Kazunori Watanabe. Que M. JosephCohen soit tout particulirement remerci pour la confiance inconditionnelle quil a placeen lui. Le symbolesignale les publications recenses de lanne.

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    Assurment, cette propension originaire constitue et dploie laphilosophie en tant que vrit. Depuis Platon, peut-tre mme depuis

    Parmnide, la philosophie sest reconnue dans lexercice tendu vers lacomprhension de ltre en tant que vrit. Cest cependant Aristote 1 quidonnera cette vise sa formulation la plus dcisive en la dterminant danslhorizon ultime dun questionnement dont la tche sera de penser lessence dece qui est. Cet horizon fera de la mtaphysique une science distincte etdiffrente de toutes les autres sciences. Car celles-ci ne conoivent toujoursquune rgion particulire au sein de la totalit de ltant. Elles rflchissenttoujours lobjet en ce que celui-ci appartient dj lhorizon de ltantitdterminable. Mais la science de ltreen tant qutre ouvre cela mme qui

    ne saurait se rduire la dtermination. Elle ouvre donc ce qui transcendetoute dtermination et dpasse toute gnralit gnrique. Car ltre ne sauraitse rduire lhorizon capable de le comprendre en tant quobjet pralablement dtermin. En ce sens, ltre est le transcendantal inobjectivable,indtermin et indterminable. Or cest ici que slabore, proprement dit, leproblme de la mtaphysique : est-il possible de circonscrire ce transcendantalen une science qui, par dfinition, doit et se doit de ntre concentre que sur un genre dtermin 2 ?

    En vrit, cette question ne peut que se rsoudre, se dlier et se relever

    par une subrogation. La modalit propre de substitution, Aristote lengageradans la Mtaphysique o seront dabord dtermines les diffrentes acceptionsdu sens de ltre et o, par consquent, stablira la quadruple dfinition deltre: ltre en tant quaccident; ltre comme vrai; ltre selon les catgories;ltre en tant que potentialit et activit. Or, et Aristote le prcise dans le Livre de laMtaphysique, de tous les sens fondamentaux de ltre, ltre au sens leplus magistral revient ltre vrai ou faux3. Cest dire et telle sera la thsecapitale de tout ldifice ontologique aristotlicien: le sens de ltre sexprimeen tant quil appartient vridiquement ltant lui-mme, alors que celui qui se

    trouve dans le faux ne fait que contredire ltant en son tre. Ainsi, la questionvisant le sens de ltre est restreinte, voire rduite, la possibilit de penser le

    1 Sur le rapport entre ontologie et vrit chez Aristote, renvoyons aux textessuivants de Martin Heidegger : Die Grundbegriffe der antiken Philosophie, GA 22, pp. 149 sq.,ainsi quAristoteles, Metaphysik 1-3. Von Wesen und Wirklichkeit der Kraft, GA33, pp. 11 sq.Cf. aussi lexcellente et dsormais classique tude de Pierre Aubenque, Le problme de ltrechez Aristote, Paris, PUF, 1962.2Aristote,Mtaphysique, Livre , 2, 1003 b19-20.3Aristote, Mtaphysique, Livre , 10. Cf. Martin Heidegger, Aristoteles, Metaphysik, 1-3.Von Wesen und Wirklichkeit der Kraft, GA33.

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    lieu o ltant est exprim en vrit. Ce qui signifie qu mme la question dusens de ltre sopre un passage o linfinitif verse dans le participe et donc o

    lentiret du projet dclaircir lessence de ce qui est sentend comme la tchedexprimer le sens par lequel ltant se rvle en tant qutant, ou encore, enlequel ltant dvoile par o il est tant, cest--dire, en et par lequel ltantdcouvre le fond vrai de son dploiement propre. Do la question fondamentalede la mtaphysique : quel est le sens de ltre de ltant et comment tablir lelien vridique entre ltre de ltant et ltant ?

    Or et il sera revenu Heidegger de le relever snonce, mmecette question fondamentale, un certain glissement o le sens de ltre revient la possibilit de dicter les premiers principes et les premires causes de ltant.

    la question du sens de ltre, Aristote lui subroge donc une mtaphysiqueentendue comme science capable dinstituer la base, le soubassement, lassisede ltant. Et cette subrogation, il nous faut la souligner mme le textedAristote. Il nous faut marquer en quoi elle est inscrite et ne cesse duvrer aucur de la pense dAristote projetant ainsi cela mme que Heidegger auranomm la constitution onto-thologique de la mtaphysique . Et poursouligner dabord et avant tout ceci : cette subrogation tmoigne dj de ladiffrence sournoise, cache, dissimule depuis laquelle lonto-thologie sedploiera, se dveloppera et saccentuera entre la pense de ltre et la

    question de ltre en tant que fondement de ltant. Car, et il nous faut lerappeler, cette subrogation opre mme la smantique du mot trequi, nouslavons rappel plus haut, arbore plusieurs sens dfinitionnels. En effet, plusieurs reprises, dans la Mtaphysique, Aristote signalera la polysmie deltre1. Et mme en privilgiant lousia, il ne cessera de rappeler et de cautionnerquil ne sagit l quundes sens possibles de ltre et non pas sa seule et unique,fixe et unilatrale dfinition. Certes, et Heidegger naura pas manqu de le faireremarquer, Aristote ne suivra pas la voie quil avait pourtant trace et fraye.

    Aprs avoir affirm la polysmie de ltre, il sefforcera dattnuer cette

    affirmation en marquant le lieu o sera concentre lhomonymie de ltre.Ce lieu nous le savons cest lousia entendu la fois comme essence etsubstance. Cest dire donc que lousia sera pense dans la conjonction de

    1Aristote dfinit la polysmie du verbe tre principalement dans le Livre , 7, 1017a23 sq. de la Mtaphysique. Notons cependant quil y revient dans le Livre , 2, 1003 a33,puis galement, dans le Livre , 1, 1028 a 10. Cf. la trs judicieuse lecture delinterprtation que fera Heidegger de la polysmie de ltre propose par Werner Marxdans Heidegger und die Tradition. Eine problemgeschichtliche Einfhrung in die Grundbestimmungendes Seins, Hamburg, Meiner, 1980.

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    lessence et de la substance et se signifiera ainsi en tant qu essencesubstantielle . Do la signification ddouble de lousia avance par Aristote

    dans le Livre , 2: essence principielle de ltant et substrat des accidents, ouencore, principe dintelligibilit de tout tant et conditionnalit de lexistence entant qutant. Lousiadevient ainsi lessence-substance de lonto-thologie et,en ce sens, le socle par lequel tous les autres sens de ltre peuvent se dire envrit. Et donc : lousia est ce quoi toutes les acceptions de ltre sont suspendues tel quAristote sapplique le rappeler toujours dans le Livre de la Mtaphysique. Ainsi, lhistoire de la mtaphysique sera entirementstructure par ce glissement subrogatoire premier et originaire dont nous

    venons de retracer la pente. Plus encore, il appartiendra la mtaphysique de

    parfaire cette substitution et, partant, daggraver subrepticement, en larefoulant jusqu loubli, la diffrence do pourtant elle se sera dploye dusens de ltre sa comprhension en ousiacomme essentialit et substantialitde ltant en totalit. Et ce, en prorogeant une distinction hirarchique entre la mtaphysique gnrale , reine des sciences, premire en dignit etimportance et seule lgitime discourir sur ltre, puis les trois autresdomaines de savoirs thoriques, nommes mtaphysiques spciales , et o lapsychologie, la physique et la thologie se voient attribuer la responsabilit dediscourir sur lme, sur le cosmos et sur Dieu. Or, selon Aristote, celles -ci ne

    sont pas toutes gales. Au sein des mtaphysiques spciales , il faut encorehirarchiser. Cest--dire, reconnatre la supriorit de la thologie dans lahirarchie des mtaphysiques spciales . Car, sil est vrai que nous pouvons,selon Aristote, modifier lordre de cette hirarchie en interchangeant lapsychologie et la physique, il demeure interdit de destituer la thologie de sasuprmatie dans lascendance des mtaphysiques spciales . La thologie estscience minente et premire en ce quelle discourt sur le genre le plus excellentde ltre, cette nature immobile et spare quest Dieu. Cela ne saurait

    vouloir dire cependant que la thologie serait antinomique aux autres sciences.

    En vrit, son excellence est fondatrice et universelle. Elle fonde les autressciences en tant la seule science dont luniversalit est enelle-mme essentielle.Ainsi, la primaut de la thologie la dfinit la fois comme cette science dontle discours portera sur lessence de ltant suprme, mais aussi, commeessentiellement universelle. Elle explicitera la fois lessence de ltant premieret parfait, mais aussi, et par consquent, aura pour tche de rflchir lessenceuniverselle de la totalit de ses attributs, cest--dire de tout ce qui est, et donc

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    ltant en totalit1. Elle sera donc tenue ce qui donnera lieu une onto-thologie selon laquelle Dieu donnerait ltre aux tants par la vertu de sa

    propre essencede signifier la synthse essentielle entre le discours sur ltantsuprme et lexpression de ltant en totalit.

    Onto-thologie , telle sera lappellation que Heidegger attribuera nonseulement au mouvement de cette synthse entre thologie et ontologie, maisaussi, et depuis celle-ci, toute la tradition qui aura repris, dvelopp, dploy,labor la singulire tche de penser ltre comme raison dtre, cause ou fondement et o une prima aut ultima ratio ncessairement simposait lapense. Et ce mouvement dont Heidegger nhsitera pas souligner quilstablira et saffermira par bonds discontinus, csures et interruptions se

    profilera jusqu Hegel, sinon jusqu Nietzsche, dont la force aura t de luifaire subir une ultime transformation en le renversant. Ce mouvement onto-thologique signifiera lessence de ltre et ce sera encore Hegel que latradition aura laiss le soin de lexpliciter se constituant en et pour soi-mme comme le Vrai quil faut concevoir non pas seulement commesubstance mais tout aussi bien comme sujet 2, et donc comme le Conceptmme de la philosophie en ce que ce Concept dsigne la comprhensionabsolue de ltre en tant que fondement incontest et incontestable de ltant.En ce sens, la thologie ne saurait reprsenter un versant de la mtaphysique

    ct de lontologie. La thologie se dirait bien plutt comme une dimensionintimement lie, voire absolument constitutive, de lontologie. Autrement dit,et en suivant ce dveloppement, il nous faudrait affirmer que lontologie est lathologie tout comme la thologie estlontologie. Or de ce mouvement, il serarevenu Heidegger non pas simplement de le relever en le nommant, maisaussi en le dconstruisant , de lui faire exprimer une autre paroleque celle quisy laissait depuis toujours entendre. Une autre parole o se dirait une vrit qui ne serait plus essentiellement luvre dune activit reprsentativeo le fondement serait lunique lieu du vrai. Une autre parole donc qui, sans

    nier ou dnier le dploiement de lonto-thologie, viendrait et proviendrait delenvoi de ltre, parviendrait de la voix de ltre et surviendrait du donde ltre comme accueil (Herkunft) originaire de la vrit. Plus quun simplerenversement du dploiement onto-thologique de la mtaphysique cedploiement o se dispense la vrit comme justification du fondement ilsagira, pour Heidegger, de penser lEreignis, lvnement appropriant et

    1Aristote,Mtaphysique, Livre , 1, 1026 a 31.2Hegel, Phnomnologie de lesprit, tr. fr. Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Aubier, 1994, p. 37.

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    dpropriant o la vrit se pense non plus comme adaequatio, justification,jugement, laboration du fondement, mais bien plutt depuis le lieu o elle se

    dit en un double mouvement de clement et dclement (A-ltheia), cest--diredoccultation et de ds-ocultation comme mise en prsence ou venir enprsence de la prsence. En ce sens, la prsence (Anwesen) se sera toujoursdj rtracte du prsent-subsistant et donc se sera ainsi prserve de sonpuisement dans lAnwesende. Cest prcisment ce double mouvement declement et de dclement au cur mme de la prsence et ainsi retir du prsent que Heidegger entendra en soulignant quil sagit dsormais depenser partir du lieu o la vrit se dit en une lgende de ltre (die Sage desSeyns) comme vrit de ltre (Wahrheit des Seyns) . Or, dans le chemin de

    pense qui va de lontologie fondamentale de Seinund Zeit la pense deltre, amorce dans les crits dits de la priode du tournant , etnotamment dans les Beitrge zr Philosophie (Vom Ereignis), avant dtreamplement dploye dans le texte de 1956, Zur Seinsfrage et radicalementengage dans celui de 1962, Zeit und Sein, Heidegger reprendra lentiret de lamtaphysique qui se sera constitue en onto-thologie en vue dy veiller,au-del delle, ce que cette tradition voile et dissimule et dont le voilement et ladissimulation constituent prcisment ce quelle est. Et ce, afin de remonter

    vers une donation autre et plus ancienne que celle du fondement de lonto-

    thologie dont nous comprenons quil, ce fondement, se sera affermi etprsentifi dans la dissimulation et loccultation de cette donation immmoriale demeure ainsi impense et toujours venir . Il sagira,par l mme, de penser dune faon encore plus grecque1, do se dploie,sans sy puiser ou sy rduire, ce qui estgrec.

    Do la complexit de cette autre pense: comment dire cette donationautre? Comment dire dansle langage cela mme qui ne saurait se traduire, sansse rduire, par le langage ? Comment laisser se dire la vrit de ltre sansirrmdiablement trahir dans ce qui est dit ce qui sy dit?

    Cette question, dont la vise commande tout le rapport qui stabliraentre la pense de ltre et la tradition onto-thologique de la mtaphysique,Heidegger lui aura accord une importance incontournable en marquant enquoi elle demeure linlassable tche de la pense 2. Elle exige de dtourner

    1Martin Heidegger, Aus einem Gesprch von der Sprache, in Unterwegs zur Sprache, GA12, p.127. Cf. la remarquable tude de Didier Franck, Heidegger et le christianisme. Lexplicationsilencieuse, Paris, PUF, 2004.2Cf. Martin Heidegger, Das Ende der Philosophie und die Aufgabe des Denkens, in Zur Sachedes Denkens, GA 14.

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    le regard de l o celui-ci sappliquerait conformer ltre partir de ltant etqui, par consquent, chercherait dterminer ltre en le traduisant en

    fondement de ltant. Ainsi, penser le sens de ltre, souligne Heidegger,demande que soit abandonn la rduction et la traduction de ltre en fondtant que fondement de ltant et, par l, que soit libre une penseauthentique de la donation. En effet, Heidegger le souligne :

    ltre, le penser en propre, demande de dtourner le regard de ltre, pourautant quil est, comme dans toute mtaphysique, seulement pens partirde ltant, et fond, en vue de ltant, comme fond de ltant. Penser ltreen propre demande que soit abandonn ltre comme fond de ltant, en

    faveur du donner ; ltre, se-dployer-en-prsence, devient tout autre. Entant que laisser-se-dployer-dans-la-prsence, il a sa place dans la librationhors du retrait ; mais en tant que don de cette libration, il reste retenudans le donner. Ltre nestpas. De ltre ily a, en tant que libration (horsdu retrait) dun dploiement en prsence1.

    Quest-ce dire ? Rien de moins que ceci : le donner implique depenser sa propre rtraction l o il se donne et, dans le double mouvement deson retrait et de son don, linstant o se laisse se dployer en prsence ltre.

    Ainsi Heidegger chemine-t-il vers une pense de la donation pure qui estuniquement et exclusivement approche en tant que donqui ne donne que son donet qui, la fois et simultanment, sy retire et sy soustrait, sy rtracte et sydissimule ouvrant donc au jeu o ne fait que sedonner, ne fait que senvoyerlenvoi de ce qui tre ce qui est. Et cette pense du don, Heidegger luiattribuera le nom particulier en lequel sera gard et sauvegard toute la teneurde sa dtermination propre : le Es gibt.

    Zeit und Seindploiera cette accentuation du geste heideggrien. Et ceparce que ce texte marquera lexigence douvrir lhistoire de la mtaphysiquenon pas simplement limpens de son dveloppement, mais aussi et surtout,en la pliant au-del delle-mme, vers la possibilit de penser la donation se donnanten prsence : la venue en prsence de la prsence. De ce fait, ce texte necommandera rien de moins que de penser la donation en son irrductibilitpropre. Il sagit donc de reprendre le tout de lhistoire de la mtaphysique nonseulement en soulignant en quoi et pourquoi ltre y aura t caractriscomme prsence (cest--dire, comme temporalit), mais en portant et

    1Martin Heidegger, Zeit und Sein, in GA 14, p. 9-10.

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    transportant la pense ailleurs que dans le socle de son histoirequestionner la prsence elle-mme en recherchant en elle le ldo elle vient et, partant, en

    la pensant depuis un tout autre vnement : le Es gibt, lil y a 1. Citonsencore Heidegger : De ltant, nous disons : il est. Pourtant le regard sur laquestion "tre" et sur la question "temps", nous restons circonspects. Nous nedisons pas ltre est, le temps est mais : il y a tre, et il y a temps 2. Prcisonsdj que Heidegger entend dans le Es gibt le donner . En pensant lil y adu temps et lil y a de ltre, il pense du coup lil y a de cela mme quidonne tre et temps. Ainsi, cest mme le Es gibt entendu comme donation quil faudra penser tre et temps et, en ce sens, la provenancedtre ettemps. Le Es gibt est donc la matrice mme de la donation dtre et

    temps.Ce qui se pense au cur du Es gibt est donc double et ddoubl3.

    Dabord, le Esgibt Sein exige de penser en quoi et pourquoi la prsence sertracte de la prsence en se donnant par l mme en prsence. Cest dire quilcommande de penser le retrait enltre de ltre, et donc ltre dj soccultant enlui-mme l o il se donne en prsence. Un double mouvement o, la fois,ltre se retire de la prsence eto dj ltre se retirant de ce dont il se retire,accentuant ainsi sa propre occultation en lui-mme, se donne en tant que destinement do le laisser-se-dployer de la prsence soffre. Or il faut

    ici remarquer car cela affectera et redfinira tout le rapport que Heideggerentretiendra avec lhistoire de la mtaphysique que le Es gibt Sein constituele caractre poqualde ltre. Or poque ne saurait ici sentendre comme unmoment de lhistoire ou comme un instant dans une continuit chronologique.Pour Heidegger, le Es gibt Sein, en tant quil signe lpoqualitde ltre, est letrait originaire du don de ltre . Il est le se tenir chaque fois auprs desoi de ltre se rtractant en lui-mme et offrant par l mme lclairciedo se donne sa donation propre, cest--dire do souvre ltre en vue de (imHinblick auf) son historialit propre. Cest ce que Heidegger nomme le

    destiner (Schicken).Citons le passage en entier :

    1Ibid., p. 9.2Ibid.3Renvoyons ici la trs importante tude de Marlne Zarader : Heidegger et les paroles delorigine, Paris, Vrin, 1990. Et en particulier, la troisime partie : Au-del des Grecs eux-mmes, pp. 205-256.

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    Le donner qui ne donne que sa donation, mais qui, se donnant ainsi,pourtant se retient et se soustrait, un tel donner, nous le nommons :

    destiner. Si nous pensons ainsi le donner, alors ltre quIl y a est bien ledestin. Destin de cette manire est chacun de ses changements.Lhistorique dans lhistoire de ltre se dtermine partir du caractredestinal dune destination, et non pas partir dun cours de lhistoireentendu dans un sens indtermin1.

    Et donc correspondre ltre, se maintenir au plus proche du don de ltre,ne saurait signifier sa saisie spculative absolue. Cest bien plutt laisser-tre 2le don se donner en prsence tout en ne saisissant que ce qui sy donne

    cest dire en dlaissant le don toujours sa libert rtractive propre. Dans cesconditions, ce qui est saisi dans le destiner nest que ce qui y est donn sans jamais que le destiner lui-mme ne se rduise ni ne spuise en ce quiest donn en son don. Ainsi le destiner , en ce quil se destine endploiement de prsence, garde et sauvegarde la source innommable etinapparente de sa propre donation. Tel se dploie alors le destiner : la foiset simultanment comme une rserve et un versement. Ce qui signifie ceci : le destiner est linstant o ltre laisse tre le dploiement de ltre3. Dolexigence de penser le destiner comme ladresse lhistoire de son

    dploiement etla rtraction de cette mme histoire histoire qui naura, ainsi,conserv que les traces, les prsentifications, les apparitions reues dans et parce destinement .

    Sensuit la question que Heidegger nhsite pas soulever dans Zeit undSein : do ltre se destine-t-il ? Depuis quelle source ou ressource se destineltre en son dploiement en prsence ? Et quest-ce qui accorde le destinement de ltre en son laisser-se-dployer de la prsence ? Nouspourrions ici multiplier les formulations de cette question. Celle-ci vise, en

    vrit, cela mme qui sedestine et donc commande de penser au cur de ce quidonne ltre en prsence. Rappelons le passage de Zeit und Sein:

    Mais comment penser le Il qui donne tre ? La remarque introductive, propos du rapprochement de Temps et tre , faisait signe vers le fait queltre, en tant que ousia, en tant que prsence, tait marqu dans un sensnon encore dtermin par une caractristique temporelle, et donc par le

    1Martin Heidegger, Zeit und Sein, in GA14, p. 12-13.2Ibid., p. 9.3Ibid.

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    temps. De l, il ny a quun pas prsumer que le Il, qui donne tre, quidtermine ltre comme approche-de-ltre et comme laisser-ltre-se-

    dployer-en-prsence, pourrait bien se laisser trouver en ce qui, dans le titre Temps et tre, se nomme Temps 1.

    Il sagira ainsi de penser au plus prs du destiner de ltre etdapprocher leEsde Es gibt Seinen louvrant au donner du temps . Or, il nefaudrait point croire que Heidegger cherche ici dceler un quelconquefondement au destiner de ltre. La citation souligne bien quil nous fautpenser le temps partir de ce qui se signifie dans Zeit und Sein. Et donc, il nousfaut penser le temps tout autrement que ce que nous y aurons entendu dans

    lhistoire de lonto-thologie. Cest dire, tout autrement que comme unfondement. En ce sens, le temps ne se signifiera nullement comme le fondement du destiner de ltre. Bien plutt, mme le destiner deltre, il sagira de redoubler la question de la donation et de penser en directionde ce qui donne le temps. Es gibt Zeitrevient dire : penser vers cela mme quidonne le temps en y rvlant la matrice propre de sa donation. Ainsi, si Es gibtSeinmarque le destiner de ltre et si ce destiner se retient en se laissantdployer,Es gibt Zeitrenvoie tout aussi bien le temps cela mme qui le donne.

    Tout se passe comme si Heidegger asservissait temps et tre au mme procd :

    penser temps et tre depuis cela mme qui les donne en propre. Cest pourquoiHeidegger crit :

    Le propre de ltre nest rien du genre de ltre. Si nous pensonsproprement aprs ltre, alors la question elle-mme nous mne dunecertaine manire loin de ltre, nous le faisant dlaisser, et nous pensons ledestinement qui donne ltre comme donation. Pour autant que nousportions attention cela, nous nous attendons alors ce que le propre,aussi, du temps ne se laisse plus dterminer laide de la caractristiquecourante du temps tel quil est communment reprsent2.

    Souvre ainsi la mditation vers ce qui donne le temps. Pour ce faire,Heidegger, dans Zeit und Sein, revient la caractrisation principale etprincipielle en laquelle se sera dtermine, tout au long de son histoire, laquestion de la temporalit : le prsent comme maintenant 3. Or, le retour

    1Ibid., p. 14.2Ibid.3Ibid., p. 14-15.

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    ce fil tendu dAristote jusqu Hegel et en lequel la question de la temporalitaura t pose et rsolue partir du maintenant-prsent nest effectue

    quen vue dy dceler sa provenance. Cest--dire, dy dceler lautredo cetteposition et cette rsolution se seront affermies et fixes en dterminantlessence traditionnelle du temps en prsent-subsistant . Certes, cettedtermination classique avait dj t amplement dmantele et dconstruitedans les analyses tayes au chapitre VI de la seconde section de Sein und Zeit.Ces analyses soulignaient dabord en quoi la reprsentation traditionnelle dutemps comme maintenant-prsent morcelait, fractionnait et dpartageait latemporalit elle-mme en trois moments distincts et irrductibles : prsent,pass, avenir. Puis, elles engageaient repenser la temporalit elle-mme non

    plus depuis sa reprsentation traditionnelle, mais bien plutt depuis de son unit extatique propre unit extatique en laquelle se dploie lemouvement diffrenciant des trois dimensions temporelles. Dans Zeit und Sein,Heidegger assumera videmment ces analyses antrieures. Cependant, il lesreformulera. Car il semploiera souligner en quoi la temporalit doit trepense l o elle accorde porte et apporte les trois dimensionstemporelles dans un jeu de mutuelle tension oeuvrant mme son unitpropre. Prsent , pass , avenir sont ainsi recueillis au sein dunincessant jeu de tension o se dploie un accord mutuel la prsence se

    donnant en tant que tel comme le temps lui-mme. Et donc les trois modes dutemps prsent , pass , avenir sont runis en tant que donns dune mme et unique donation: la prsence. Ce qui signifie que le temps estdonn dans le jeu de la prsence avec la prsence et en lequel les troisdimensions temporelles du prsent , du pass et de lavenir sonttoujours engages en une modalit o chacune se voit rapporte lune en lautreen tant toutes retenues en elles-mmes. Do la phrase de Heidegger, tiredUnterwegs zur Sprache: die Zeit zeitigt, le temps donne temps 1. Le propredu temps ne sera alors que le donner de sa propre procession comme

    lOuvert o se maintiennent et se retiennent dans le jeu incessant de leurmutuelle tension les trois dimensions temporelles. Et Heidegger de nommer,dans Zeit und Sein, lextension de cet Ouvert : lespace libre du temps. 2

    1Martin Heidegger, Das Wesen der Sprache, in Unterwegs zur Sprache, GA 12, p. 201.2Martin Heidegger, Zeit und Sein, in GA 14, p. 18-19. Citons le passage en entier : Cette faon de procder nest manifestement pas fonde, si lon admet que lunit qui

    vient dtre dsigne, lunit de la porrection qui porte et apporte et prcisment elle, ilnous faut la nommer : temps. Car le temps nest lui-mme rien de temporel, pas plus quilnest quelque chose dtant. Cest pourquoi il nous demeure interdit de dire que lavenir,lavoir-t et le prsent sont donns "en mme temps". Et cependant, le fait quils se

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    Ainsi, cest afin de dcrire le temps dans luvre de son don propre don lafois diffrentiant et unifiant que Heidegger propose de penser la temporalit

    partir de ce qui nest nullement temporel, et donc depuis une spatialit ,cest--dire depuis lespace-du-temps 1 (Zeit-Raum). Or cette espace-du-temps , il ne faudra nullement le signifier spatialement ; lextension delespace-du-temps nest aucunement spatiale. Elle caractrise, mme letemps, le jeu de sa temporalisation propre en tant que don de son Ouvert au sein duquel le temps lui-mme se recouvre en son unit propre etappropriecest dire setemporalise.

    La questionque Zeit und Seinsefforcera de faire advenirdeviendracependant : do procde le temps se temporalisant, cest--dire, do vient la

    temporalit en tant quespace-du-temps unifiant les trois dimensionstemporelles et les accordant, les portant et les apportant par l mme, danslincessance de leur tension enjoue ? Ce qui se marque au sein mme de cettequestion nest rien de moins quune radicalisation de la temporalit, car serontcherchs et recherchs non seulement la mouvance propre du temps commeaccord de temporalisation en sa modalit propre, mais projetant ainsi latemporalit vers le sans-fond de sa provenance le lieu do lespace-du-temps se donne. Et Heidegger daccentuer la ncessit de cette question toutjuste aprs avoir rappel que la temporalisation du temps se dploie dans le

    geste de sa propre donation comme jeu pluridimensonnel saccordant toujoursdans le port et dj comme lapport de ses trois dimensions temporelles: Mais do, maintenant, se dtermine lunit des trois dimensions du temp s

    vritable, i.e. lunit des trois modes jouant les uns dans les autres de laporrection qui porte et apporte, chaque fois, une manire propre davancerdans ltre? 2 . Cest dire: comment penser la provenance de latemporalisation du temps ? Rponse : dans et par une quatrime

    portent les uns aux autres leur propre porrection appartient un seul ensemble. Leur

    unifiante unit ne peut se dterminer qu partir de ce qui leur est propre ; partir de cequils se portent les uns aux autres. Mais quoi donc se portent -ils les uns aux autres ? Riendautre queux-mmes et cela veut dire : lavance du dploiement dtre en eux procure.

    Avec elle sclaircit ce que nous nommons lespace libre du temps [...] "Espace libre dutemps" nomme maintenant lOuvert, qui sclaircit dans la porrection qui porte et apporteles uns aux autres lavenir, ltre-pass et le prsent. Seul cet Ouvertet lui seulaccorde lespace tel que nous le connaissons habituellement tout son espacement possible.Lclaircissante porrection qui porte et apporte les uns aux autres lavenir, lavoir -t et leprsent est elle-mme pro-spatiale ; seulement ainsi elle peut accorder place lespace, i.e.le donner .1Ibid.2Ibid., p. 19.

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    dimension 1 du temps dansle temps se temporalisant. Ce qui signifie que cette quatrime dimension donne le temps se temporalisant. Plus prcisment, la

    source donatrice du temps se temporalisant se pense depuis une quatrimedimension . Car cette quatrime dimension donne le temps setemporalisant en ce quelle donne lespace-du-temps o saccordent les troisdimensions temporelles du temps. Cette quatrime dimension, Heidegger lanomme la porrection 2(Reichen). Porrection signifie ici : le donner de latemporalisation du temps. Dire du temps donc quil se donne depuis une porrection , cest marquer ceci: le donner du temps est toujours, la fois etsimultanment, accord de sa tridimensionnalit et, au-del de celle-ci, accord avec soi-mme en soi-mme. Plus radicalement : le temps se

    temporalisant vient de la porrection comme donation du jeu accordant sapluridimensionnalit propre. Ainsi, cest dire que le temps se temporalisant

    vient depuis un autre que son accord. Do la possibilit de comprendre leEs gibt Zeitdans la doublit qui le caractrise : le temps se temporalisant estlaccord de soi-mme avec soi-mme dans et par le jeu unifiant de satridimensionnalit propre et accord de soi-mme avec soi-mme donndepuisune autre et loigne, quoique toujours en soi-mme, provenance. Et il estimportant de maintenir cette autre provenance du temps mme latemporalisation du temps. Car en elle et par elle se logeront la fois ce qui

    demeure empch dans lavoir-t et ce qui dans le survenir demeure rserv 3.Cest pourquoi Heidegger crira de la quatrime dimension quelle est proximit approchante dont la force est de librer et de dployer unlointain . Soyons prcis :

    Cest pourquoi cette premire, cette initiale et au sens propre du mot entre-prenante porrection o repose lunit du temps vritable nous lanommons : la proximit approchante (Nahheit). Mais elle approche lavenir,lavoir-t, le prsent les uns des autres dans la mesure o elle libre et

    dploie un lointain. Car elle tient ouvert lavoir-t tandis quelle empchesa venue comme prsent. Cet approchement de la proximit tient ouvert lesurvenir depuis lavenir en ce que, dans le venir, elle rserve la possibilitdu prsent. La proximit approchante a le caractre de lempchement et

    1Ibid., p. 20.2Ibid.3Ibid.

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    de la rserve. lavance, elle tient les modes de la porrection davoir-t,davenir et de prsent les uns pour les autres dans leur unit1.

    Le destiner (Schicken) marque le Es gibt Sein et la porrection (Reichen) souligne leEs gibt Zeit. Heidegger le rsume dailleurs au milieu de Zeit und Sein:

    Le donnerdans le Il y a tre sest manifest comme destiner et commeunit dterminante de toutes les destinations (= comme destinement) de

    parousia, en leurs changements lourds dpoques. Le donnerdans le Il y atemps sest manifest comme la porrection claircissante de la rgionquadri-dimensionnelle2.

    Ce faisant Heidegger souligne doublement et dans la doublit du Esgibtque penserEs gibt Sein, cest inscrire le don de ltre l o ce qui y est destin en tant quhistoire de ltre est command par une rtraction et uneoccultation, puis que penserEs gibt Zeit, cest ouvrir le temps une spatialit partir de laquelle se dploie une porrection claircissante comme accord de ses trois dimensions pass, futur et prsent , accord lui-mme donncomme proximit approchante o ce qui y est donn demeure rserv etsauvegard en une autre et lointaine donation. Or cest au cur de cettedoublit, entre destiner et porrection que se pensera, pour Heidegger,lIl y adtre et temps et, partant, que se pensera le donner de ltreetle donner du temps . Cest dire quau cur de cette diffrence, entre destiner et porrection , se travaille toujours le mme : lIl y ade la donationdtre ettemps. Do lexigence de renouveler le questionnement en vue de lIl

    y aet de ce qui, en lui, se donne. LIl y aest donation dtre ettemps, donationde leur co-appartenance3. Et Heidegger de marquer au sein mme de cettedonation quelle est aussi une avance dabsence : Nous gardons cependanten vue : le "Il" nommeen tout cas dans linterprtation qui soffre en premier

    une avance dabsence4. Ce mot, une avance dabsence, tient soulignerque lIl y adtre ettemps ne se donne point dans le rgime de ltantit. Et ceparce quil faut penser lIl y a uniquement dans le registre de sapropre donation.Ce qui signifie : penser lIl y a comme une avance dans labsence de toutfondement ou fondation, voire de toute structure propositionnelle o se

    1Ibid.2Ibid., p. 22.3Renvoyons ici lexcellente, et dsormais classique, tude de Franoise Dastur, Heideggeret la question du temps, Paris, PUF, 1990, pp. 108 sq.4Martin Heidegger, Zeit und Sein, in GA 14, p. 23.

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    forment des noncs sujet-prdicat. Ainsi la question de Heidegger : Comment cependant porter autrement au regard le "Il" que nous prononons

    en disant "Il y a tre", "Il y a temps" ? 1. Et la rponse :

    Tout simplement de telle faon que nous pensions cet Il partir dugenre de donation qui lui appartient : donation comme rassemblement dela destination, donation comme porrection claircissante. Toutes deux yont ensemble leur part, dans la mesure o le premier, le rassemblement dela destination, repose en la seconde, la porrection claircissante2.

    Cest donc bien le et dtre et temps dont il sera ici question. Soulignons

    cependant que de penser le etdtre et temps, penser donc la donation decela mme donnant et tre et temps signifie aussi la citation tout justerapporte le signale que cette co-appartenance se voit elle-mme travaillepar une diffrence. En effet, lIl y a de ltre repose dans lIl y a du tempsmarquant du mme coup que lIl y a du temps repose en un autre lieu. Dolquivocit au cur de lIl y a : se penser la fois comme la donation de ladiffrence dtre et temps etcomme la donation mme de leur co-appartenance.Or cette donation de la diffrence co-appartenante porte un nom, cest celui delEreignis3.

    Quest-ce que lEreignis ? 4

    . La question est pose simplement dansZeit und Sein avant que nintervienne une importante mise en garde. Car, enexigeant que lEreignis se dise en ce quil est, en cherchant donc traduire entermes essentialisant cela mme dont elle senquiert, la forme de cette questiontrahit et rvoque lEreignis lui-mme. En effet, aprs avoir soigneusementmarqu qutre et temps nous sont toujours adresss en tant que questions5, etdonc qutre et temps demeurent toujours en question, Heidegger prvient :toute pense de lEreignisdevra et se devra de se dire autrementque dans lordrede lnonciation. Ainsi, la question quest-ce que lEreignis ? requerra etsollicitera une autre langue et commandera une tout autre formulation de laquestion. Car, lEreignisnest pas de ltre, il donneltre; il nest pas du temps, ildonnele temps. Il donne le etdtre et temps, leur co-appartenance mme et, ducoup, prcde toute question senqurant de ce quil est ou peut tre. La

    1Ibid, p. 24.2Ibid.3Cf. ibid. sq.4Ibid., p. 25.5Cf. ibid.

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    question senqurrant de ce quil est doit ainsi tre dtourne de sa vise, dliede lemprise de sa propre nonciation et de la rsolution que celle-ci engage

    ncessairement. La question doit donc se faire mditante et renoncer ntre que vise questionnante cherchant se combler en une rponsedterminante. Cest dire quelle doit, cette question, se penser elle-mmejusqu ne plus se traduire enquestion et par l dlaisser sa forme, dnier sonordonnance, dmanteler sa position en se faisant coute qui garde et sauvegarde la donation de la diffrence co-appartenante dtre ettemps :

    Les deux, ltre aussi bien que le temps, nous les avons nomms desquestions. Le et , entre les deux, laissait leur relation lun lautre dans

    lindtermin. Maintenant se montre: ce qui se laisse appartenir et convenirlune lautre les deux questions, ce qui non seulement apporte les deuxquestions leur proprit, mais encore les sauvegarde dans leur co-appartenance et les y maintient, le tenant des deux questions, cest lEreignis.Le tenant de la question ne vient pas sajouter aprs coup comme unrapport plaqu sur ltre et le temps. Le tenant de la question fait advenirdabord ltre et le temps leur proprit partir de leur rapport, et la

    vrit travers lappropriation qui shberge dans le rassemblement de ladestination et dans la porrection claircissante. En consquence de quoi le Il qui donne dans le Il y a tre , Il y a temps cet Il sattestecomme lEreignis. Cet nonc est juste, et cependant manque du mmecoup la vrit, autrement dit il nous voile le tenant de la question ; car sansy prendre garde, nous nous le sommes reprsent comme quelque chose deprsent, alors que nous tentons de penser laprsencecomme telle. 1

    Nous lavons rappel: lEreignisne saurait se dire entre ou entemps. Ilnomme le Il du Il y a treet du Il y a temps. Cest dire, et telle sera la premirediction de lEreignis: il donne la donation en tant que telle de la co-appartenance diffrenciante de tre et temps. Il donne la donation o

    sapproprient tre et temps en leur diffrence. Cependant, prcise Heidegger,cela ne saurait vouloir dire que lEreignis doive se comprendre comme un concept suprme 2au sein duquel le tout de la pense engage penser ladonation dtre ettemps, leur co-appartenance diffrenciante en tant que telle,serait compris. LEreignisne peut se penser en tant que fondement o tre ettemps viendraient trouver lassise de leur propre ou le principe o chacun

    1Ibid., p. 24-25.2Ibid., p. 27.

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    viendrait se reposer. Bien plutt, indique Heidegger, au cur de lEreignislappropriation dtre et temps est donne depuis ce qui ne saurait sy rduire.

    Cest pourquoi Heidegger insiste dabord sur le fait quil nous faut penserlEreignisnon pas en son sens courant dvnement 1, mais bien plutt depuis

    Eignen, autrement dit depuis cela qui fait advenir soi-mme en saproprit lclaircie sauvegardante de la porrection et destination 2 . Ainsi,lEreignis donne lclaircie sauvegardante o sapproprient en diffrence porrection et destination . Car ce qui sy pense est ladvenir delappropriation dtreettemps en leur diffrence.

    Mais de cet advenir , que peut-on en dire ? Heidegger, soucieux dene pas rduire lEreignis une autre formulation ou appellation parmi celles dj

    survenues dans lhistoire de lonto-thologie, marque sans dtour quil est penser partir du en tant que et donc comme don de la donation. Ce qui nesaurait signifier autre chose que ceci : lEreignis est penser non pas commesimple renversement en lequel ltre serait un mode de lEreignis, mais bienplutt l o ltre svanouit dans lEreignis3, l o tre en tant quEreignistraduit le don de lappropriement advenant lui-mme dtre ettemps. Ainsi,tout se passe comme si lappropriement dtre ettemps se voyait affect, nonpas dun affaiblissement de son propre, mais dun certain d-dire o ce qui sedonne se fait aussi et la fois retrait. En somme, Heidegger inscrit ici mme, l

    o tre ettemps adviennent dans leur appropriation diffrenciante, la rtractionde cela mme qui la fait advenir. Citons ici le passage :

    quau donner en tant que destiner appartient larrt dun suspendre; enpropres termes ceci que dans la porrection davoir-t et dadvenir jouentlempchement du prsent et la rserve du prsent. Ce qui vient dtrenomm : suspension, empchement, rserve, manifeste quelque chose detel quun se-soustraire, bref : le retrait. Dans la mesure pourtant o lesmodes dtermins par lui de la donation (destination et porrection)reposent dans le mouvement de faire advenir soi dans sa proprit, il fautque le retrait appartienne au propre de lappropriement4.

    En rsulte la radicalit de la pense engage penser lEreignis: il laisseadvenir le propre comme appropriation dtre et temps en ncessairement sy

    1Heidegger le prcise, en effet, plusieurs reprises, par exemple ici : ce qui est nommpar ce mot das Ereignis est tout autre chose quun vnementibid., p. 26.2Ibid., p. 25-26.3Ibid., p. 27.4Ibid.

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    retirant. La consquence est en vrit abyssale. Car, au cur de lEreignis, sedploie ainsi limpossibilit de fixer la pense engage le penser,

    limpossibilit donc de saisir lEreignis. tre et temps ne sont pas appropriscomme sils reposaient en un sol premier. Bien plutt, tre et temps sontdonns en leur appropriation depuis cela mme qui demeure toujours libre etabyssalement retir de toute saisie. Nul fondement ou Grundcongnital nesaurait ici sceller la libert de cette donation. Elle uvre en tant que telle, cest --dire en donnant l o elle se retire dans lInsondable(Das Unberechenbare) 1.De ce fait, lEreignisne se prsente jamais. Sa donation est indissociablementrtraction. LEreignisdonne donc lappropriation dtre ettemps, du destiner etde la porrection, mais la fois, senlve son don propre. Certes, Heidegger le

    souligne la fois quant au destiner 2et quant la porrection 3, mais il auraaussi tenu le marquer mme lEreignisen tant que tel. LEreignisest lui-mmeretrait en lui-mme 4 . Cest prcisment en ce sens que lEreignis estappropriement, avnement au propre et dpropriement, Enteignis,ce qui nestjamais donn la prsence en se soustrayant de toute saisie possible comme sertractant de toute nomination en prservant et en sauvegardant en sontrfonds ce quil a de plus propre. Ereignis se donne en Enteignis,lappropriement sadvient en dpropriement; et donc, le don delappropriement dtre et temps se dproprie de lui-mme en vue de ce qui sy

    donne :

    Dans la mesure maintenant o le rassemblement de la destination reposedans la porrection du temps, et o celle-ci repose avec celui-l danslEreignis, sannonce dans le faire advenir soi (dans lappropriation) cetteproprit singulire que lEreignissoustrait la dclosion sans limite ce quila de plus propre. Pes partir du faire advenir soi, cela veut dire : il sedproprie, au sens quon a dit, de soi-mme. lEreignis comme tel

    1Cf. Martin Heidegger,Nachwort zu: "Was ist Metaphysik?", in Wegmarken,GA 9, p. 309.2Martin Heidegger, Zeit und Sein, in GA14, p. 27 : La destination dans le destinementde ltre a t caractrise comme donation, o ce qui destine sarrte et se contient soi -mme, et dans cette suspension se retire, se drobe la dclosion .3Ibid, p. 27 : Dans le temps vritable et son espace libre pour le temps sest manifeste laporrection de lavoir-t, donc de ce qui nest plus prsent: lempchement portant sur leprsent ; sest manifest dans la porrection du futur, donc du non-encore prsent : larserve du prsent. Empchement et rserve montrent le mme trait que la suspension : savoir le se-soustraire .4Cf. Martin Heidegger, Protokoll zu einem Seminar ber den Vortrag "Zeit und Sein", inGA14,p. 266 : LEreignis est le retrait, non seulement en tant que destiner, mais en tantquEreignis.

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    appartient le dpropriement. Par ce dernier lEreignis ne se dlaisse ni nesabandonne lui-mme, mais au contraire sauvegarde ce qui lui est propre1.

    Se marque ainsi, et au cur de la pense de lEreignis, la responsabilit laplus aigu : celle de rpondre de cet irrductible cart entre appropriement etdpropriement la source mme de tout ce qui advient. Et donc de rpondredun voilement irrductible et illimit mme ce qui se donne. Do lexigence:penser que rien ne repose en soi-mme et que la pense demeure rsolumentexpose lincessant mouvement dap-propriement (Ereignis) et de d-propriement (Ent-eignis) dans la donation dtre ettemps. Cest dire penser lA-ltheiadans la doublit de son nom : clement et dclement. Souvre ainsi la

    pense la vrit historiale de ltre, le mouvement perptuellement engagdun clement et dun dclement en lequel ladvenance de ltre se dploie etsoffre nous.

    Il sagit de penser l o la pense est rsolument habite par uninsondable secret au cur mme de ce qui lui est donn penser. Or, quenest-il du secret ? Et depuis quel lieu peut-on approcher, apprhender etcomprendre un secret ? La question ainsi formule est pernicieuse, voireprjudiciable. Et ce parce quelle risque de perdre ce quelle se donne commetche de cerner. En posant cette question, quen est-il du secret ? , lon

    prcipite la pense dans son propre embarras : connatre un secret en le fixanten ce quil est, cest aussi et du mme coup, lanantir, le nier, le dtruire dans etpar le geste qui croit justement latteindre. Car le secret ne saurait se rsoudre tre la simple dissimulation de quelque chose, dun mot, dun fait, dun don. Lesecret nest pas ce qui se dissimule au savoir. Portons ici le secret sonaportisation la plus radicale : plus un secret est prcautionneusement dissimulau savoir, plus il a de chance de ntre pas ou plus du tout un secret, maissimplement une chose connaissable et donc accessible. En somme, au momentmme o le secret devient une exigence de pense, la question qui se tourne

    vers lui semble interdite. Comment penser ds lors sans rduire le penser auquestionner ? En laissant le penser tre expos au secret en tant que secret, etainsi en laissant le secret socculter en lui-mme telle une occultationsoccultant elle-mme ? Mais condition de comprendre ceci : laisser le secretau secret, ce nest pas dire jeter sur lui un silence impntrable. Cest, bien aucontraire, lapprocher du Dire, le porter une certainemanifestetun Dire ose manifesterait la veilledu secret en tant que secret et o se prserverait ce que

    1Martin Heidegger, Zeit und Sein, in GA 14, p. 27-28.

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    le secret garde et protge de sa perte ou de sa rduction dans la simplelucidation prsentifiante du dit Heidegger, en effet, laura prcis, notamment

    dans son commentaire de lhymne La Germaniede Hlderlin :

    le retrait et le voilement savrent tre un mode particulier de manifestet.Le secret nest pas une barrire situe au-del de la vrit, mais il est lui-mme la plus haute forme de la vrit ; car pour laisser le secret tre

    vritablement ce quil est sauvergarde de lEtre authentique dans le retrait il faut que le secret soit comme tel manifeste. Un secret qui nest pasconnu dans sa puissance de voilement nest pas un secret. Plus laconnaissance du voilement se situe haut et plus le dire du voilement en tant

    que tel est vridiqueplus sa puissance de retrait demeure intacte1.

    Et, en interprtant le mot de Hlderlin, lInnigkeitou la tendresse mot o se concentre potiquement lunit originale quest linimiti despuissances de ce qui a purement surgi 2comme vrit de ltre :

    Elle est le secret qui est partie prenante en ltre. Ce qui a purement surginest jamais inexplicable sous une perspective, en une quelconque strate deltre; il reste nigme de part en part. La tendresse na pas la structure dunsecret parce que dautres ne peuvent pas la pntrer ; cest en elle-mmequelle dploie ltre comme secret. Il ny a de secret que l o rgne latendresse. Si toutefois ce secret est nomm et dit comme tel, le voil biende ce fait manifeste, mais le dvoilement de sa manifestet est prcisment

    volont de ne pas expliquer, et plus encore : il est entente du secret commeretrait se mettant soi-mme en retrait3.

    Il sagit ainsi en pense de reconnatre 4 le secret en tant que secret en lelaissant tre ce quil a tre, en le laissantnousdire ce vers quoi il fait signe. Etce vers quoi il fait signe nest rien dautre que la remmoration 5 dun

    immmorial toujours impens et dj -venir .Voil ce quil faut faire : reconnatre la diffrence entre la pense

    mditante et la pense calculante , puis, au sein de cette diffrence,apercevoir lclosion la fois de la modalit mme depuis laquelle se dploie

    1Martin Heidegger, Hlderlins Hymnen. "Germanien" und "Der Rhein", GA 39, p. 119.2Ibid., p. 250.3Ibid.4Cf. Martin Heidegger, Was heit Denken?, GA8, p. 117-118.5Cf. ibid. p. 145 sq.

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    lhistoire de la mtaphysique etde cela mme que cette histoire aura occult enson dploiement. Cest--dire, apercevoir lindissociabilit ambigu et quasi-

    paradoxale de ces deux dploiements. Cest pourquoi Heidegger distingue,dans Der Satz vom Grund par exemple, lappel (Anspruch) 1du principe deraison en lequel se constitue la pense calculante cette pense quiapproprie ltre pour le penser en tant que fond, fondement, principe, raison deltantdu rappel (Zuspruch) 2qui veille, par-del lappel du principe deraison , lcho 3 dun immmorial impens, secret et retir o sexprimesournoisement la pr-sance de lclaircie pralable toute prsence,linapparent inpuisable et irrductible depuis lequel se dploie la mise-en-prsence de la prsence et de la manifestet de ltant. Et nous venons donc de

    le marquer : souvre ainsi la modalit dune remmoration en laquelle lapense accueille ladvenance avant quellene soit prise, entreprise et saisiedans les rets de la prsence. Une remmoration dont le geste consistedabord et avant tout veiller, par del la tradition onto-thologique de lamtaphysique, une pense matinale o la prsence sannonce depuis uneprovenance irrductible ce qui sy annonce. Ainsi, remmorer ne signifieen rien se lier ou sattacher au pass ou au prsent qui nest plus disponible,mais bien plutt exige de sexposer ladvenance indtermine qui, seretirant toujours de la prsence dtermine, laisse venir en prsence la prsence.

    Remmorer , cest alors se tenir dans lad-venir de la prsence sans laisserson immmorial se rduire en prsent. Or, il se libre ici un tout autrerapport lhistoire de lamtaphysique. Un rapport o la destruction dela mtaphysique succde lexposition recueillante dune vrit devenue garde et sauvegarde de ce qui appelle lhomme rpondre dun immmorial toujours dj impens et pas encore pensable par lamtaphysique. Mais ce rpondre nest ni un quitisme ni un gnosticisme.Pas davantage ne ne cherche-t-il svader ou sortir de la mtaphysique parune mystique trangre au logos. Car la mtaphysique constitue notreinalinable

    destin4

    . Et ce parce que notre destinla mtaphysiquenous aura toujours t

    1Martin Heidegger, Der Satz vom Grund, GA10, p. 203.2Ibid.,3 Martin Heidegger, Nachwort zu: "Was ist Metaphysik?", in GA 9, p. 310 : La penseoriginelle est lcho de la faveur de ltre, dans laquelle sclaircit et se laisse advenirlunique ralit : ltant est. Cet cho est la rponse humaine la parole silencieuse deltre.4Les phrases de Heidegger abondent pour dire linvitabilit de la mtaphysique, cest --dire linluctable mutation et rduction de ltre (prsence) en sa saisie e n tant-prsent.Citons pour lexemple le passage qui ouvre Zeit und Sein : tre, depuis le matin de la

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    donn comme le dploiement de lavnement de ltre. Reste que ce destin,nous ne laurons reconnu que trop tard, en retard et dans le retard de la

    pense europenne-occidentale et jusqu aujourdhui veut dire le mme que Anwesenapproche de ltre. Dans ce mot dAnwesen,parousia, parle le prsent. Or le prsent, selon lareprsentation courante, forme avec le pass et le futur ce qui caractrise le temps. tre, entant quavance-de-ltre, est dtermin par le temps. Quil en soit ainsi suffirait dj pourporter dans la pense un trouble ne plus cesser. Ce trouble crot ds que nous nousattachons penser et repenser dans quelle mesure et en quoi il y a cette dtermination deltre par le temps Zeit und Sein, in GA 14, p. 6. Nous laurons compris, ltre, depuis le matin de la pense europenne-occidentale , aura t pens comme prsence(Anwesen, parousia) Cest dire aussi, qu mme cette aube de la pense, ltre se seracompris non pas comme subsistance ni comme permanence , mais comme venueen prsence , ce que Heidegger nomme dans Vom Wesen und Begriff der Phusis, irruption-

    -la-prsence (Anwesung) cf. Martin Heidegger, Vom Wesen und Begriff der Phusis.Aristoteles, Physik B, 1, in GA 9, p. 296-297. Or, la naissance de lontologie, et donc ledploiement de la mtaphysique, pour Heidegger, signifiera une invitable mutation, unglissement ou un dvoiement de la prsence en prsent, de la parousia en ousia. Ainsi, celamme qui aura t prouv en tant que prsence surgissement et irruption, venue etadvenance de la prsence se sera signifie et donc fixe en prsent-subsistant, prsent-permanent, constance de ltant-prsent. Mais, et il nous faut le souligner, linterprtationque fera Heidegger de ce premier commencement nest pas simplement de marquercette rduction de la prsenceen prsentcomme si lon passait dune pense sachante unepense perdue dans lignorance. En vrit, ce qui ici souvre pour Heidegger cest lapossibilit dapercevoir mme la prsence la puissance de sa propre rtraction occultante.En ce sens, souvre la possibilit de penser lhistoire de la mtaphysique comme ce qui se

    sera constitue en comprenant, en saisissant et en interprtant ltre partir et depuis sonretrait, son occultation, son clement : ltre estprsenceet lhistoire de la mtaphysique estle retraitde la prsence. En somme, lhistoire de la mtaphysique pense ltre sur le modede labsence en ayant pens la rtraction de la prsence elle-mme en prsent . Do larequte de Heidegger : affirmer ce qui demeure pleinement impens dans la mtaphysique,la prsence, en lui faisant reconnatre quelle naura t possible en tant que telle quedepuis cet impens, quil sagit de remmorer en son sens originaire propre, et donc partir de ce qui le constitue en tant que prsence savoir le temps. Ainsi, lhistoire decette invitabilit rductrice de ltre en tant que prsence en tant prsent ne saurait trecomprise comme simplement ngative. Elle doit surtout tre entendue en ce que ltre auratoujours t pens partir de son histoire et, en vrit, demeure indissociable de celle-ci,car cest prcisment partir de celle-ci que souvre pour la pense la vue sur ltre nespuisant jamais entirement en son histoire la rendant bien plutt possible en sy

    retirant. Penser ce retrait de la prsence en elle-mme signifie par consquent penser lafois ltre en tant que prsence et le temps de cette prsence. Cest prcisment ce queHeidegger nommera l autre commencement de la pense . Car mme si les penseursgrecs demeurent au plus prs de ltre comme prsence en pensant ltre comme parousiaou comme phusis, Anwesungdans lAnwesen avant ousia ouAnwesende, ils ne pensent pas laprsence elle-mme en son appartenance une temporalit propre. Ainsi, ils y sontmais lamanquent aussi comme telle. Ils manquent de la penser en ce qui la lie et lallie unetemporalit propre. Telle sera la tche laquelle Heidegger sommera la pense : penser leet dtre ettemps : lEreignisdun autre commencement de la pense. Renvoyons ici latrs pntrante tude de Franoise Dastur, Prsence, prsent et vnement chez Heidegger, inGrard Bensussan et Joseph Cohen (ds.), Heidegger. Le danger et la promesse, Paris, Kim,2006, pp. 111-131.

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    question1. Au cur du rapport entre le retard de notre question et notredestin,il nous aura t donn la foisla mmoire de toute lhistoire onto-thologique

    de la mtaphysique etla possibilit au cur mme de cette mmoire et donc mme la mmoire de son oubli de se remmorer une altrit encoreimpense en cette histoire.Ainsi, notre rapport lhistoire doit se penser enlouvrant la fois elle-mme et lautre delle-mme, disons, elle-mmedepuis lautre delle-mme. Cest dire: en louvrant cela mme do elle seraprovenue provenance nous commandant de repenser lentiret de lamtaphysique depuis une donation autre, laissant advenir 2le possible commepossible en le gardant de son puisement dans leffectivit du prsent et en yapercevant la fois son immmorial et son toujours -venir .

    * mme cette remmoration , o se fait jour la possibilit de revenir

    depuis ce qui ne saurait se rduire lhistoire onto-thologique de lamtaphysique en se rappelant ladvenance inapparente de sa vrit historiale,se trace une exigence radicale : celle de penser le sacrifice la fois commelessence de la mtaphysique etcomme ce qui demeure encore impens par elle.

    Avant de pntrer dans le mouvement de cette exigence, il nous faut ds prsent marquer que la thmatique du sacrifice uvre sournoisement danslcriture de Heidegger. En effet, Heidegger na que trs peu recours au terme

    de sacrifice (Opfer) . Et au moins pour cette raison vidente : le terme de sacrifice , quil faut entendre avant tout en un sens verbal, faire unsacrifice (sacrum facere), est charg dun sens thologique massif et porte, voireengage, une logique que lon peut videmment qualifier, aprs Hegel, despculative en laquelle slabore dj la relve (Aufhebung) du fini danslinfini, du profane dans le sacr 3 . Une logique spculative que Heidegger

    1Martin Heidegger, Zeit und Sein, in GA14, p. 10-11 : Do prenons nous le droit decaractriser ltre comme prsence, comme Anwesen? La question vient trop tard. Parceque cette faon de se donner de ltre sest dj dcide depuis trs longtemps, sans notre

    contribution et, plus encore, sans notre mrite. En consquence de quoi nous sommes lis la caractrisation de ltre comme prsence. Celle-ci tient sa force contraignante du dbutdu dvoilement de ltre comme dicible, cest--dire comme pensable. Depuis le dbut dela pense occidentale chez les Grecs, tout dire de l"tre" et du "est" se tient dans lammoire (Andenken) de la dfinition contraignante pour la pense de ltre commeprsence .2Ibid., p. 29-30 : Penser ltre sans ltant, cela veut dire: penser ltre sans gard pour lamtaphysique. Un tel gard rgne encore dans lintention de surmonter la mtaphysique.Cest pourquoi il vaut la peine de renoncer au surmontement et de laisser la mtaphysique elle-mme .3Il est vident que les comprhensions du sacrifice chez, dune part, Hegel et, dautre part,Heidegger diffrent radicalement. Or, comme nous le montrerons, cest avec Heidegger

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    sappliquera tout particulirement vider en cherchant par l mme dployer une toute autre pense de la ngation 1. Et ce afin dentraner la

    thmatique du sacrifice dans une redfinition radicale marque par une dconstruction intgrale visant dmanteler toutes les modalits onto-thologiques des discours traditionnels quant au sacrifice, et en particulier lediscours signifi par la logique de lAufhebung hglienne o le sacrifice estcompris et saisi en tant quessence rconciliante du Savoir Absolu. Cest ainsi,et mme ce projet de la redfinir entirement, que la thmatique du sacrificeaccompagnera de faon dcisive llaboration de lontologie fondamentale ,en particulier dans lanalytique de l tre-pour-la-mort labore dans leschapitres I et II ( 54-60) de la seconde section de Sein und Zeit, puis, quelle

    ne cessera dhabiter diffremment et autrement la pense de ltre. Etce parce que Heidegger naura jamais sacrifi la possibilit du sacrifice2. Bien aucontraire, il aura toujours tenu librer une pense du sacrifice au-delde sacomprhension onto-thologique. En vrit, cest au fond sans fond de la pense de ltre et au cur mme de la vrit historiale de ltre sertractant en dployant la venue en prsence de la prsencelieu depuis lequella manifestet de ce qui est peut avoir lieu que Heidegger aura inscritlessence ultime du sacrifice. Cest dire quil aura pens lessence ultime du

    que se sera dgage, au-del et en-de de lhistoire onto-thologique de la mtaphysique,une autresignification du sacrifice en philosophie. Marquons galement, et ce ds prsent,que Levinas et Derrida sinscriront mme si cette inscription saccompagnera dune re-lecture de la pense heideggrienne dans le sillage ici trac par Heidegger quant lathmatique du sacrifice et son lien inalinable avec la vrit historiale de ltre. Il nousappartiendra de le montrer dans une autre tude. Quil nous soit permis cependant derenvoyer, quant la modalit et la signification du sacrifice dans la pense de Hegel, notre ouvrage Le sacrifice de Hegel, Paris, Galile, 2007.1Il nous faut ici renvoyer aux notes rdiges entre 1938 et 1941 sur la ngativit , danslesquelles Heidegger prsente et dploie lidalisme spculatif de Hegel en ouvrant, aucur de lAufhebunget de sa systmaticit, une perce au-del de la dialectique de ltreet du nant, et donc rsolument porte non pas vers son accomplissement et sadtermination dans le Savoir Absolu mais vers le sans-fond (Ab-grund) de la vrit

    historiale de ltre cf. Martin Heidegger, Hegel. 1. Die Negativitt (1938/39). 2.Erluterung der "Einleitung" zu Hegels "Phnomenologie des Geistes" (1942), GA68.2Nous souhaitons renvoyer quelques travaux dj publis qui cherchent approchercette difficile thmatique du sacrifice dans la pense de Heidegger : Emilio Brito, Heideggeret lhymne du sacr, Louvain, Peeters, 1999 ; Franoise Dastur, Phnomnologie de ltre-mortel,in La mort, Paris, PUF, 2007, pp. 103-152 ; Jacques Derrida, Donner la mort, Paris,Galile, 1999 ; Michel Haar, Les limites de ltre-rsolu et le primat dabord latent puis explicite dela temporalit originaire sur la temporalit authentique, in Heidegger et lessence de lhomme, Grenoble,Millon, 1993, pp. 55-92 ; Jan Patoka, La technique selon Husserl et selon Heidegger, tr. fr.dErika Abrams, in Libert et sacrifice. crits politiques, Grenoble, Millon, 1990, et JosephCohen, Lappel de Heidegger, in Grard Bensussan et Joseph Cohen (ds.),Heidegger. Ledanger et la promesse, Paris, Kim, 2006, pp. 61-77.

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    sacrifice mme la vrit historiale de ltre en la situant au cur delEreignisdonnant et adonnant le et dtre ettemps. Et ainsi comme la modalit

    propre de la responsabilit de l homme envers la vrit historiale deltre.

    Au-del donc de lanalyse accomplie dans Sein und Zeit, l o souvrait lapossibilit du sacrifice pour lautre partir de limpossibilit de se substituer ltre pour la mort de lautre1, Heidegger aura repens lessence ultime du

    1Poursuivons notre interrogation par cette inflexion sur le rapport entre le Dasein, leMit-sein, l tre-pour-la-mort , la possibilit du sacrifice et ce que Heidegger nommera la communaut . Se tracera au centre de ce rapport la possibilit dune thiqueoriginaire qui, comme nous le savons, est voque dans laBrief ber den "Humanismus":

    Si donc conformment au sens fondamental du mot ethos, le terme dthique doitindiquer que cette discipline pense le sjour de lhomme, on peut dire que cette pense quipense la vrit de ltre comme llment originel de lhomme en tant quek-sistant estdj en elle-mme lthique originaireMartin Heidegger, Brief ber den "Humanismus", inGA9, p. 356. Mais cette thique originaire doit toujours, marque Heidegger quelqueslignes plus loin dans le texte, demeurer lcoute de la pense de ltre, et donc nestjamais penser ni comme pratique ni comme thorique . En effet, pour le Heideggerde 1946, si lthique originaire devait pouvoir se dployer ce ne saurait tre partir oudepuis une loi pose et propose dans et par la raison dun sujet autonome. Elle doit sedonner lhomme depuis une pense qui pose la question de la vrit de ltre, et par l-mme dtermine le sjour essentiel de lhomme partir de ltre et vers lui ibid., p. 357.Or cette pense nest ni thique ni ontologieibid. Elle uvre avant toute distinction

    en ce quelle garde et sauvegarde la parole inexprime de ltreibid., p. 361,do se dploie une Loi et un faire qui dpasse et dborde toute praxis et dont lapuissance est celle dun Dire qui dsormais sera toujours -penser ibid., p. 362.Nous expliciterons en quoi cette Loi et ce faire sont lis et allis, pour Heidegger, ce que nous avons nomm la possibilit ultime du sacrifice. Mais, en ce moment mme, ilnous appartient de faire remarquer quavant dvoquer lthique originaire dans le Briefber den "Humanismus", Heidegger en aura dj ouvert la possibilit ds Sein und Zeit.Marquons le sans dtour : la possibilit de cette thique originaire se serait daborddploye dans la possibilit propre au Dasein du sacrifice pour lautrepossibilit donne partir de linsubstituabilit de son tre pour la mort . Nous le savons, Heidegger necesse, dans tre et temps, de le souligner : ltre-pour-la-mort est radicalementinsubstituable. Ds lors, il est impossible et impensable de dl ivrer ou dpargner lautre durapport samort. Rappelons ici la lettre de Heidegger : Nul ne peut prendre son mourir

    autrui. Lon peut certes"aller la mort pour un autre", mais cela ne signifie jamais que ceci :se sacrifier pour lautre "dans une affaire dtermine". En revanche, un tel mourir ne peutjamais signifier que sa mort serait alors le moins du monde te lautre. Son mourir, toutDaseindoit ncessairement chaque fois le prendre lui-mme sur soi. La mort, pour autantquelle "soit", est toujours essentiellement mienne, et certes elle signifie une possibilitspcifique dtre o il y va purement et simplement de ltre du Dasein chaque foispropre. Dans le mourir, il apparat que la mort est ontologiquement constitue par lamiennet et lexistence Martin Heidegger, Sein und Zeit, GA 2, p. 319. Il faut iciremarquer limportance que Heidegger accorde linsubstituabilit de l tre-pour-la-mort . En soulignant limpossibilit de soustraire lautre sa mort et ce mme aumoment o lon se sacrifierait pour lautre Heidegger exige de repenser, laune de cetteinsubstituabilit, ltre-avec lautre. Et par l-mme de repenser le sacrifice pour lautre,

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    en donnant celui-ci sa possibilit proprement authentique et indpassable. Ainsi, loin dedterminer un rapport de simple solipsisme existential o lautre serait ni ou oubli ,Heidegger maintiendra, en vrit, tout le contraire : linsubstituabilit de ltre pour lamort ouvre au cur de laJemeinigkeitdu Daseinla possibilit de son tre-avec lautre dont Heidegger aura toujours tenu souligner quil tait indissociable de lexistentialitmme du Dasein. Heidegger le souligne sans cesse : le mitseinest co-existential au Dasein.Or cest bien dans linsubstituabilit de ltre pour la mort du Daseinet par la rsolutionqui sy possibilise signifiant ainsi la miennet propre de chaque Dasein engag dans sonpouvoir-tre le plus propre, absolu et indpassableen tantque possibilit extrme de son existenceibid.,p. 338que se trace, la fois et simultanment, un tre-ensemble o, loin de seperdre dans la quotidiennet du On , est privilgie lauthenticit du rapport que chaqueDaseinentretient et maintient lenseigne de sapropre mort. Ainsi, pour Heidegger, cestparce que la mort est chaque fois et insubstituablement mienne que ltre-avec

    authentique est possible et demeure possibilis. Plus en avant, cest au cur de cetteinsubstituabilit que le Daseinpeut entretenir un rapport authentique avec lautre, cest--dire un rapport o il ne msinterprte pas la possibilit indpassable de lautre et odonc il ne travestit point lexistentialit propre de lautre. Heidegger lcrira quelques pagesplus loin dans tre et temps : Libre pour les possibilits les plus propres, dtermines partir de la fin, cest--dire comprises comme finies, le Dasein expulse le danger demconnatre partir de sa comprhension finie de lexistence les possibilits dexist encedautrui qui le dpassent, ou bien en les msinterprtant, de les rabattre sur les siennespropres afin de se dlivrer ainsi lui-mme de son existence factice la plus propre. Mais lamort, en tant que possibilit absolue, nisole que pour rendre, indpassable quelle est, leDaseincomme tre-avec comprhensif pour le pouvoir-tre des autres ibid.,p. 350-351.

    Ainsi, la libert du Dasein, en ce quelle souvre dans linsubstituabilit de sa propre mort,

    rserve lautre sa libert. Il lui rserve et lui donne le lieu do peut sexprimer sa libertpropre en ne simmisant pas dans le rapport que lautre est appel entretenir et maintenir avec sa mort. Autrement dit, le Dasein laisse tre lautre dans soninsubstituable tre-pour-la-mort . Cest ainsi quil faut comprendre la phrase deHeidegger, plus loin dans Sein und Zeit, au 60 : partir du en-vue-de-quoi du pouvoir-tre choisi par lui-mme, le Daseinrsolu se rend libre pour son monde. La rsolution soi-mme place pour la premire fois le Daseindans la possibilit de laisser "tre" les autresdans leur pouvoir-tre le plus propre et douvrir conjointement celui-ci dans la sollicitudequi devance et libre. Le Daseinrsolu peut devenir "conscience" dautrui. Cest de ltre-Soi-mme authentique de la rsolution que jaillit pour la premire fois ltre -lun-avec-lautre authentique et non pas des ententes quivoques et jalouses ou des fraternisations

    verbeuses dans le On et dans ce que lon veut entreprendre ibid., p. 395.LEntschlossenheitdu Daseinlui fait donc accder la conscience dautrui, cest--dire lui

    fait devenir non pas lautre, mais comprhension de lexistentialit o se rvle par l -mme la possibilit existentiale de lautre et o celle-ci est laisse lautre en son unicit eten sa singularit dtre riv la mort qui est toujours la sienne propre. Ainsi, le Daseinnesaurait se comprendre comme cet tant ferm et repli sur soi-mme, mais bien pluttcomme cet tant pour lequel linsubstituabilit du rapport sa mort ouvre aussi ce que lapossibilit ultime de lautre se dploie en son propre. Insubstituablement sienne, la mortouvre donc le Daseinau rapport authentique lautre, cest--dire, la possibilit laisse lautre de se projeter dans sonpouvoir-tre le plus propre. Ds lors, pour Heidegger, cenest quen tant toujours dj engag dans la miennet de son propre tre pour la mort que souvre aussi lauthenticit de ltre-avec-autrui .Or en quoi consiste cet tre-avec-autrui ? Nous lavons dit: en la possibilit de laisser lautre son tre-pour-la-mort . Mais aussi et du coup en la possibilit pour le Daseinde se

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    sacrifier pour lautre. En somme, et la limite radicale de cette logique : ce nest quedans limpossibilit de mourir pour lautre, de mourir la place de lautre en se substituant son tre-pour-la-mort que le sacrifice pour lautre devient authentiquement possible.Ce qui signifie quau cur de laJemeinigkeitet de linsubstituabilit de ltre pour la mort se libre aussi un tre-avec o souvre, par l-mme, la possibilit du sacrifice pourlautre. Ou encore, ltre-avec en ce quil est ancr dans limpossibilit de se substituer ltre pour la mort de lautre et inalinablement fix dans le rapport que chaque Daseinentretient avec sa mort marque aussi la possibilit de se sacrifier pour lautre sans sesubstituer son rapport la mort.Cest ainsi que peut se constituer une communaut. Or, le mot communaut doitsentendre, selon Heidegger, dans la constitution de lhistorialit propre du Daseincomprise comme destin, et donc comme comme co-destinalit dans ltre-avec . EtHeidegger le souligne : cette communaut, cette co-destinalit de ltre-lun-avec-lautre

    ne saurait se rduire la composition de parcours individuels ou lassemblement desujets autonomes. Dans la communaut , l tre-avec est toujours inscrit et djengag dans le mme monde et dans la rsolution pour des possibilits dtermines etdonc les destins sont dentre de jeu dj guids ibid.,p. 507. Mais vers quoi lesdestins sont-ils guids ? Vers louverture une co-destinalit ibid., p. 508comme libert pour le sacrifice . Citons ici Heidegger : La rsolution comme destin est lalibert pour le sacrifice, tel quil peut tre exig par la situation, dune dcision dtermine

    ibid., 516-517. Cest dire que la communaut est penser dans la possibilitrevendique et assume, engage et dploye du libre sacrifice pour lautre. Or, et nouslavons dploy, ce libre sacrifice pour lautre nest possible que dans lexistentialitindpassable de chaque Daseinengag dans linsubstituabilit inaltrable de sa propre mort.

    Ainsi, cest uniquement depuis la miennet insubstituable de l tre-pour-la-mort que

    peut se constituer une co-destinalit de singularits rsolument engages dans la possibilitdu libre sacrifice pour lautre. En-de de la communaut fonde sur un principe dereconnaissance entre sujets sidentifiant en une comprhension dialogique commune,Heidegger pense le lieu originel dun tre-ensemble se dployant dans et par la diffrenceradicale des existants et en laquelle se profile, avant toute communication, uneappartenance linsubstituabilit de la mort singulire de chaque existant. Ainsi, chaqueexistant est li et alli lautre par limpossibilit de mourir pour lui mais o, la fois etsimultanment, cette impossibilit ouvre la seule et unique, singulire et exceptionnellepossibilit de se sacrifier pour lui. La communaut est ainsi ancre dans limpossibilitde sidentifier ou de se substituer lun lautre l o se noue une possibilit extrmesurgissant de cette radicale diffrence entre existants, possibilit de se sacrifier lun pourlautre. Possibilit aussi de survivre lautre et dtre le tmoin de lautre non pas doncdoublier lautre sa mort dans et par le travail intriorisant dun deuil, mais au contraire,

    de porter en soi lirremplaable, irrapropriable et secrte altrit de lautre.Cest cette communaut manant de limpossibilit de mourir pour lautre au sens demourir la place de lautre et o se dploie par -l mme la possibilit singulire de sesacrifier pour lautre que Heidegger fera entendre plusieurs annes aprs Sein und Zeit, etnotamment dans le sminaire de 1934-1935 quil consacrera La Germaniede Hlderlin : Cette communaut originelle ne nat pas dune entre en relations rciproquesseule lasocit nat ainsi ; mais au contraire la communaut estgrce la liaison primordiale dechaque individu avec ce qui, un niveau suprieur, lie et dtermine chaque individu.Quelque chose doit tre manifeste, qui nest ni lindividu lui seul, ni la communaut entant que telle. Chez les soldats, la camaraderie du front ne provient pas dun besoin derassembler parce que dautres personnes dont on est loign ont fait dfaut, ni dun accordpralable pour senthousiasmer en commun; sa plus profonde, son unique raison est que

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    sacrifice l o se dploie la responsabilit de la pense fie la vrithistoriale de ltre. Cest pourquoi le sacrifice est pens, dans les dernires

    pages duNachwort Was ist Metaphysik?1, comme le don prodigue, soustrait

    la proximit de la mort en tant que sacrifice a dabord amen chacun une identiqueannulation, qui est devenue la source dune appartenance absolue chacun dautres. Cestjustement la mort que chaque homme doit mourir pour lui seul et qui isole lextrmechaque individu, cest la mort, et lacceptation du sacrifice quelle exige, qui crent avanttout lespace de la communaut dont jaillit la camaraderie. La camaraderie a-t-elle donc sasource dans langoisse ? Oui et non. Non, si, comme le petit-bourgeois, on entend parangoisse le tremblement perdu dune lchet qui a perdu la tte. Oui, si langoisse estconue comme une proximit mtaphysique de labsolu qui nest accorde qulautonomie et lacceptation suprmes. Si nous nintgrons pas de force notre Dasein

    des puissances qui lient et isolent aussi absolument que la mort comme sacrifice librementconsenti, cest--dire qui sen prennent aux racines du Dasein de chaque individu, et quirsistent dune faon aussi profonde et entire dans un savoir authentique, in ny aurajamais de camaraderie : tout au plus une forme particulire de socit MartinHeidegger, Hlderlins Hymnen "Germanien" und "Der Rhein", GA 39, p. 72-73. Sensuit quesouvre ici la possibilit de penser une communaut ailleurs et autrement que dans etpar llaboration dune reconnaissance dialogique ou contractuelle dindividus. Elleprovoque la pense sorienter vers lide dune communaut surgissant dun toutautre vnement lvnement que tous partagent mais qui demeure rsolument etabsolument singulier et insubstituable : la mort. Or partir de cette vnementialit propre chaque Dasein, et qui constitue chaque Daseinen sa miennet propre, est donn le lieudo se dploiera une communaut dont la force sera celle de lier les existants qui la

    forment une possibilit sansjustification et injustifiable du sacrifice. Autrement dit, une communaut o les existants se sacrifient non pas pour ce que l tat pourraitreprsenter ou leur offrir (reconnaissance, galit, etc.), ni non plus pour ce quil pourraitdifier comme valeur, idologie, politique, mais uniquement pour linsubstituable existencede lautre. Une communaut donc toujours dploye depuis linsubstituabilit et djallie par le respect vou laltrit impntrable de lautre. En somme, nous pourrionsmme aller jusqu dire quil sagit ici de penser une communaut dexistants isols ocet isolement se donne prcisment comme lultime possibilit dtre-avec lautre sansque celle-ci ne soit mdie par ce qui rendrait leur co-appartenance visible, justifiable,reprsentable, rationnellement calculable ou reconnaissable. Nous pourrions mmeultimement suggrer que cette communaut est sans communaut, savoir quelle sepense sansquelle ne se rduise ce qui pourrait la fixer en une signification mdie parlexigence dune justification contractuelle, mais qui, prcisment, dborderait et

    surpasserait tout lien rationnellement dtermin pour ne se dire que dans une thiquehyperbolique de limpossibilit-possibilit du sacrifice pour lautre. Une communaut donc davantla raison commune et travaille dabord par ce qui diffrencie et maintienten diffrence les existants et o cest prcisment en cette diffrenciation que souvrelultime possibilit de se donner lautre sans se substituer lui, sans aussi quil ne soitexcept de son avenir le plus propre en tant que libert la plus rsolument sienne.1Il est remarquable que la traduction franaise duNachwort Was ist Metaphysik? rendele mot allemand Opferpar offrandeet non pas par sacrifice. Certes, le mot Opferpeut bel etbien tre traduit par offrande. Ainsi, il ne saurait y avoir derreurdans lexcellent travail detraduction ralis par Roger Munier. Cependant, il nous semble important de signalerquOpferpeut galement se traduire par sacrifice. Et il nous semble essentiel de le traduireainsi. Non seulement parce que loffrande prsuppose toujours le sacrifice , mais

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    aussi et surtout parce que Heidegger nous lavons dj soulign se sera appliqu penser lessence ultime du sacrifice. Certes, cette essence ultime ne peut tre reconduite une interprtation thologisante dOpfer et se doit de dmanteler celle-ci. Or cest trscertainement par souci de respecter cette d-thologisation heideggrienne du sacrifice queRoger Munier aura choisi de rendre Opferpar offrande plutt que par sacrifice cedernier terme tant lourd de signification pour la pense religieuse. Cependant, sil noussemble essentiel de traduire Opferpar sacrificeplutt que par offrande, cest dabord parce quejamais Heidegger naura cherch viter les concepts, les mots, les signifiants hr its de latradition onto-thologique, insistant bien plutt les accueillir en exigeant de ceux-lmmes quils se mettent parler autrement. Puis, parce que sil est vrai quil faut lire unecontinuit dans luvre de Heidegger, entre Sein und Zeitet lcriture du Nachwort Wasist Metaphysik? par exemple, il nous semble que lemploi du terme sacrificeest autrementplus parlant et rigoureusement plus juste.

    Pour le comprendre il faut retourner Sein und Zeit. Et plus particulirement au 53 oHeidegger labore le projet existential dun tre authentique pour la mort. Dans cespages, Heidegger, nous le savons, souligne ceci : la mort en tant que possibilitindpassable est la possibilit la plus propre du Dasein. Il entend ainsi marquer que la mort,loin de simplement se comprendre comme une ventualit qui incombe tout tre humain, interpelle le Dasein la fois dans sa finitude et dans sa singularit louvrant ainsi son pouvoir-tre le plus proprement sien. Car la mort isole le Daseindans sa finitude etdonc le rend singulirement libre pour la possibilit existentiale ultime de son pouvoir-tre . Or Heidegger, tout juste aprs avoir marqu avec force le pouvoir-tre le pluspropre du Dasein, cet tre-auprs de soi-mme du Daseindans son tre-pour-la-mort insubstituable crit : Ltre pour elle fait comprendre au Daseinqui le prcde, titre depossibilit extrme de lexistence, la ncessit de se sacrifier (selbst aufzugeben). Mais le

    devancement nesquivepas lindpassabilit comme ltre pour la mort inauthentique, maisil se rend librepour elle. Le devenir-libre devanant pour la mort propre libre de la pertedans les possibilits qui ne se pressent que de manire contingente, et cela en faisantcomprendre et choisir pour la premire fois authentiquement les possibilits factices quisont en de de la possibilit indpassable. Le devancement ouv