Brochure Paroles d'artistes

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Paroles d’artistes De la Renaissance à Sophie Calle

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Brochure Paroles d'artistes, De la Renaissance à Sophie Calle

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Paroles d’artistes De la Renaissance à Sophie Calle

On pourrait penser qu’il n’y a pas meilleur moyen d’expression pour l’artiste que l’acte créateur. Pourtant, dès l’aube de la Renaissance, les artistes prennent la parole et leurs écrits se développent pour donner naissance à une tradition féconde. Au xixe siècle, avec l’émergence de la modernité et la montée en puissance des avant-gardes, le besoin de verbaliser a généré une véritable floraison de textes. Le recours à l’écriture par lequel le créateur devient à la fois théoricien et exégète de son œuvre, le conduit à l’époque contemporaine à intégrer l’écrit lui-même au cœur de son travail plastique. Ces propos, aussi variés soient-ils, constituent pour l’histoire de l’art un champ d’investigation prolifique.

À la croisée de la littérature et de l’esthétique, cette anthologie richement illustrée réunit plus de trois cents textes de cent trente peintres, dessinateurs, sculpteurs et photographes, dont certains inédits en langue française. Des journaux intimes aux traités théoriques ou pratiques en passant par la correspondance, les manifestes, les autobiographies, les interviews ou la poésie, cette lecture passionnante renseigne sur le métier d’artiste, les filiations, les influences mais aussi la personnalité d’individualités singulières. Elle offre de pénétrer dans l’intimité de l’acte créateur et éclaire la vision de leurs auteurs sur l’art et le monde pour donner une compréhension stimulante de leurs œuvres.

Paroles d’artistes De la Renaissance à Sophie Calle

Illustration de couverture

Andy WarholAutoportrait

1966, sérigraphie, 171,7 × 171,7 cm

New York, The Museum of Modern Art,

don de Philip Johnson

Lucian Freud Reflet avec deux enfants (autoportrait)

1965, huile sur toile, 91,5 × 91,5 cm

Madrid, Museo Thyssen Bornemisza

Demeure silencieux jusqu’à ce que ta parole ait plus de valeur que le silence.

Salvatore Rosa, vers 1645

Sommaire

introductionJan Blanc

renaissanceCennino Cennini (v. 1370-1440)Lorenzo Ghiberti (1378-1455)Piero della Francesca (v. 1412/1420-1492)Jacopo de’ Barbari (v. 1445-1516)Léonard de Vinci (1452-1519)Albrecht Dürer (1471-1528)Pérugin (v. 1448-1523)Raphaël (1483-1520)Michel-Ange (1475-1564)Sebastiano del Piombo (v. 1485-1547)Giorgio Vasari (1511-1574)Pontormo (1494-1557)Bronzino (1503-1572)Benvenuto Cellini (1500-1571)Titien (1490-1576)Tintoret (1518-1594)VéronèseGiovanni Paolo Lomazzo (1538-1592)Nicholas Hilliard (v. 1547-1619)

xviie siècleFederico Zuccaro (1543-1609)Carel Van Mander (1548-1606)Giovanni Baglione (1566-1643)Annibale Carracci (1560-1609)Guido Reni (1575-1642)Vicente Carducho (1568-1638)Francisco Pacheco (1564-1644)Pierre Paul Rubens (1577-1640)Nicolas Poussin (1597-)Le Bernin (1598-1680)Andrea Sacchi (1599-1661)Pierre de Cortone (1596-1669)Abraham Bosse (1604-1676)Joachim von Sandrart (1606-1688)Charles-Alphonse Dufresnoy (1611-1668)Salvator Rosa (1615-1673)Charles Le Brun (1619-1690)Philippe Angel (1616-1683)Arnold Houbraken (1660-1719)Samuel Van Hoogstraten (1627-1678)Gérard de Lairesse (1641-1711)Antoine Coypel (1661-1722)

xviiie siècleJonathan Richardson (1665-1745)Jean-Baptiste Oudry (1686-1755)William Hogarth (1697-1764)Jean-Étienne Liotard (1702-1789)Maurice Quentin de La Tour (1704-1788)

Allan Ramsay (1713-1784)Charles-Nicolas Cochin (1715-1790)Étienne-Maurice Falconet (1716-1791)Piranèse (1720-1778)Thomas Gainsborough (1727-1788)Joshua Reynolds (1723-1792)William Gilpin (1724-1804)Salomon Gessner (1724-1804)Anton Raphael Mengs (1728-1779)Henry Fuseli (1741-1825)Francisco de Goya (1746-1828)Jacques-Louis David (1748-1825)Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819)Élisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842)Antonio Canova (1757-1822)William Blake (1757-1827)

xixe siècleGirodet-Trioson (1767-1824)Caspar David Friedrich (1774-1840)Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867)David d’Angers (1788-1856)Théodore Géricault (1791-1824)Eugène Delacroix (1798-1863)William Henry Fox Talbot (1800-1877)Honoré Daumier (1808-1879)Jean-François Millet (1814-1875)Gustave Courbet (1819-1877)Gustave Moreau (1826-1898)Camille Pissarro (1830-1903)Édouard Manet (1832-1883)Burne Jones (1833-1898)Edgar Degas (1834-1917)Paul Cézanne (1839-1906)Odilon Redon (1840-1916)Auguste Rodin (1840-1917)Claude Monet (1840-1926)Paul Gauguin (1848-1903)Vincent Van Gogh (1853-1890)James Ensor (1860-1949)Edvard Munch (1863-1944)Paul Signac (1863-1935)

xxe siècleEgon Schiele (1890-1918) Oskar Kokoschka (1886-1980) Emil Nolde (1867-1956)Franz Marc (1880-1916)Pierre Bonnard (1867-1947)Henri Matisse (1869-1954)Maurice Denis (1870-1943)Piet Mondrian (1872-1944)Umberto Boccioni (1882-1916)Alfred Kubin (1877-1959)

Kazimir Malevitch (1879-1935)Paul Klee (1879-1940)Fernand Léger (1881-1955)Pablo Picasso (1881-1973)Max Beckmann (1884-1950)George Grosz (1893-1959) Robert Delaunay (1885-1941) Vassily Kandinsky (1886-1944) Marcel Duchamp (1887-1968) Marc Chagall (1887-1985) Josef Albers (1888-1976) Giorgio de Chirico (1888-1978) Joan Miró (1893-1983) Claude Cahun (1894-1954) László Moholy-Nagy (1895-1946) René Magritte (1898-1967) Henry Moore (1898-1986) Alberto Giacometti (1901-1966) Jean Dubuffet (1901-1985)Hans Bellmer (1902-1975)Mark Rothko (1903-1970)Salvador Dalí (1904-1989)Francis Bacon (1909-1992)Lucian Freud (1922-2011) Louise Bourgeois (1911-2010)Nicolas de Staël (1914-1955) Pierre Soulages (1919)Zao Wou-Ki (1920)Joseph Beuys (1921-1986) Robert Rauschenberg (1925-2008) Andy Warhol (1928-1987) Donald Judd (1928-1994) Yves Klein (1928-1962) Robert Morris (1931) Gerhard Richter (1932) Benjamin Vautier, dit Ben (1935) Annette Messager (1943) Christian Boltanski (1944)Sophie Calle (1953)

IndexBibliographie

Une présentation biographique et contextuelle pour chaque artiste introduit la sélection de ses textes.

Gerard DouAutoportrait à la pipe

Vers 1650, huile sur toile, 48 × 37 cm

Amsterdam, Rijksmuseum

5la renaissance

Léonard de VinciVisage de la Vierge

1508-1512, craie blanche, encre brune,

pierre noire et plume sur papier, 20,3 × 15,6 cm

New York, The Metropolitan Museum of Art,

fonds Harris Brisbane Dick

Léonard de VinciMadone à l’œillet, dite La Madone au vase

Vers 1478-1480 (?), détrempe et huile sur bois,

62,3 × 48,5 cm

Munich, Alte Pinakothek

Léonard de Vinci

De quelle manière on pourra peindre une tête, et lui donner de la

grâce avec les ombres et les lumières convenables.

La force des jours et des ombres donne beaucoup de grâce au visage des personnes qui sont assises à l’entrée d’un lieu obscur ; tout le monde sera frappé en les voyant, si les lumières et les ombres y sont bien distribuées ; mais les connaisseurs pénétreront plus avant que les autres, et ils remarqueront que le côté du visage qui est ombré, est encore obscurci par l’ombre du lieu vers lequel il est tourné, et que le côté qui est éclairé reçoit encore de l’éclat de l’air dont la lumière est répandue partout, ce qui fait que les ombres sont presque insensibles de ce côté-là. C’est cette augmentation de lumière et d’ombre qui donne aux figures, et un grand relief, et une grande beauté.

Comment il faut peindre un lointain.

C’est une chose évidente, et connue de tout le monde, que l’air est en quelques endroits plus grossier et plus épais qu’il n’est en d’autres, principalement quand il est plus proche de terre et à mesure qu’il s’élève en haut il est plus subtil, plus pur, et plus transparent. Les choses hautes et grandes, desquelles vous vous trouvez éloigné, se verront moins vers les parties basses, parce que le rayon visuel qui les fait voir passe au travers d’une longue masse d’air épais et obscur ; et on prouve que vers le sommet elles sont vues par une ligne, laquelle bien que du côté de l’œil elle commence dans un air grossier ; néanmoins comme elle aboutit au sommet de son objet, elle finit dans un air beaucoup plus subtil que n’est celui des parties basses ; et ainsi à mesure que cette ligne ou rayon virtuel s’éloigne de l’œil, elle se subtilise comme par degrés, en passant d’un air pur dans un autre qui l’est davantage : de sorte qu’un peintre qui a des montagnes à représenter dans un paysage doit observer que de colline en colline le haut en paraîtra toujours plus clair que le bas ; et quand la distance de l’une à l’autre sera plus grande, il faut que le haut en soit aussi plus clair à proportion ; et plus elles seront élevées, plus les teintes claires et légères en feront mieux remarquer les formes et la couleur.

Traité de la peinture, 1651.

C’est cette augmentation de lumière et d’ombre qui donne aux figures, et un grand relief, et une grande beauté.

7la renaissance

Titien

TitienDanaé

1551, huile sur toile, 129,8 × 181,2 cm

Madrid, Museo Nacional del Prado

Je voudrais, par reconnaissance, pouvoir faire l’image de mon coeur, déjà dévoué depuis longtemps à votre altesse, afin qu’elle pût voir, dans la partie la plus parfaite de moi-même, sa ressemblance et sa valeur. Mais, cela m’étant impossible, je mets tous mes soins à terminer la fable de Vénus et Adonis dans un tableau d’une forme semblable à celui de Danaé que possède déjà Votre Majesté ; j’espère envoyer bientôt celui-ci à votre altesse, puisqu’il est très avancé. Je me prépare à travailler aux autres, afin de les lui consacrer, en regrettant que mon terrain stérile ne puisse pas produire des fruits plus nobles et plus dignes d’elle.

À Philippe II d’Espagne

8 paroles d’artistes

De la perfection des diverses parties du corps de la femme

Voici les modèles de beauté que les habiles artistes, soit pein-tres ou sculpteurs, ont déterminés pour le corps de la femme. Il faut, selon eux, qu’elle soit d’une stature médiocre, qu’elle ne tombe point dans le défaut d’être ou trop grande, ou trop petite, mais qu’elle tienne un juste milieu, avec une proportion élégante dans ses membres, conformément aux exemples que nous ont laissés les anciens sculpteurs grecs.

Le corps ne doit être ni trop mince ou trop maigre, ni trop gros ou trop gras, mais d’un embonpoint modéré, suivant le modèle des statues antiques.

La chair solide, ferme et blanche, teinte d’un rouge pâle, comme la couleur qui participe du lait et du sang ou formée par un mélange de lys et de roses.

Le visage gracieux, qui ne soit défiguré par aucune ride ; le col un peu longuet, charnu, fait au tour, d’un blanc de neige, dégagé et sans aucun poil.

Les épaules médiocrement larges ; les bras ronds et mollets ; la main longue et charnue, les doigts allongés et flexibles, qui se plient et se courbent pour toucher avec légèreté.

La poitrine unie et ample, avec un peu d’élévation ; les tétons ou mamelles doucement séparés, ronds, point flasques ni mols, saillants modérément sur la poitrine. Les reins vers la ceinture doivent être plus étroits que le haut du corps, en sorte que cette partie ait une forme triangulaire.

Le pli des hanches, la hanche ou le haut de la cuisse, et les cuisses elles-mêmes doivent être larges et amples.

La peau du ventre ne doit pas être lâche, ni le ventre pendant, mais mollet et d’un contour doux et coulant depuis sa plus grande saillie jusqu’au bas du ventre. La partie naturelle petite et relevée.

La partie du dos qui est entre les deux aisselles doit être plate, un peu enfoncée dans le milieu et charnue, en sorte qu’il y ait comme un sillon le long de l’épine du dos et qu’on aper-çoive à peine le contour des épaules.

Les fesses rondes, charnues, d’un blanc de neige, retrous-sées et point du tout pendantes. La cuisse enflée, surtout du côté où elle se joint aux fesses ; le genou charnu et rond.

Théorie de la figure humaine considérée dans ses principes soit en repos ou en mouvement, 1773.

Pierre Paul RubensHélène Fourment en pelisse de velours

1636-1638, huile sur toile, 176 × 83 cm

Vienne, Kunsthistorisches Museum

Pierre Paul RubensÉtude de Femme nue assise, tournée vers la droite

Pierre noire, sanguine, rehauts de blanc

et lavis brun, 46,3 × 28,2 cm

Paris, musée du Louvre, département

des Arts graphiques

Pierre Paul Rubens

La chair solide, ferme et blanche, teinte d’un rouge pâle, comme la couleur qui participe du lait et du sang ou formée par un mélange de lys et de roses.

11xviiie siècle

Francisco de GoyaLe Trois Mai

1814, huile sur toile, 266 × 345 cm

Madrid, Museo Nacional del Prado

… il n’y a pas de règles en peinture et l’oppression, ou l’obligation servile imposée à tous d’étudier ou de suivre le même chemin, constitue un obstacle majeur pour les jeunes artistes qui exercent cet art si difficile, plus proche du divin que tout autre

Francisco de Goya

Francisco de GoyaL’imagination sans raison produit des monstres, avec elle, elle enfante des merveilles

Dessin préparatoire pour Les Caprices, planche 43

1797, plume et encre sur papier, 23 × 15,5 cm

Madrid, Museo Nacional del Prado

Discours de Goya à l’Académie royale de San Fernando

sur la méthode d’enseignement des arts visuels

En réponse à l’ordre donné par Votre Excellence à chacun d’entre nous d’expliquer ce qui lui semble favorable à l’étude des arts, je déclare pour ma part : que les académies ne doivent pas être des institutions fermées ni servir à autre chose qu’à aider ceux qui désirent y étudier librement, en bannissant toute sujétion servile rappelant l’école primaire, préceptes mécaniques, récompenses mensuelles, aide financière et toutes ces petitesses qui dégradent et efféminent l’art si libéral et si noble de la peinture ; que l’on ne devrait pas non plus fixer à l’avance une période d’étude de la géométrie ou de la per-spective afin de maîtriser les difficultés du dessin, car ceux qui se découvrent une aptitude, et du talent, en auront nécessaire-ment besoin à un moment donné ; et plus ils progresseront dans cette technique, plus facilement ils atteindront la maîtrise des autres arts, comme le prouvent les exemples de ceux qui ont atteint des sommets à cet égard, que je ne citerai pas car ils sont bien connus. Je veux me servir d’eux pour démontrer qu’il n’y a pas de règles en peinture et que l’oppression, ou l’obligation servile imposée à tous d’étudier ou de suivre le même chemin, constitue un obstacle majeur pour les jeunes artistes qui exercent cet art si difficile, plus proche du divin que tout autre, puisqu’il fait connaître tout ce que Dieu a créé.

Madrid, le 14 octobre 1792.

12 paroles d’artistes

Jean-Auguste-Dominique Ingres

Voyez dans le modelé les rapports des grandeurs ; c’est là tout le caractère. Soyez-en frappés vivement et, vivement aussi, rendez ces grandeurs relatives. Si, au lieu de suivre cette méthode, vous tâtonnez, si vous cherchez sur le papier, vous ne ferez rien qui vaille. Ayez tout entière dans les yeux, dans l’esprit, la figure que vous voulez représenter, et que l’exécution ne soit que l’accomplissement de cette image possédée déjà et préconçue.

En traçant une figure, attachez-vous avant tout à en déter-miner, à en bien caractériser le mouvement. Je ne saurais trop vous le répéter, le mouvement c’est la vie.

Dans la construction d’une figure, ne procédez point par morceaux. Conduisez tout en même temps, et, comme on dit fort bien, dessinez « l’ensemble ».

Pour arriver à la belle forme, il ne faut pas procéder par un modelé carré ou anguleux, il faut modeler rond et sans détails intérieurs apparents. Lorsqu’on a une seule figure dans son tableau, il faut la modeler en ronde bosse et en chercher ainsi l’effet pittoresque.

Je tiens à ce que l’on connaisse bien le squelette, parce que les os forment la charpente même du corps dont ils déterminent les longueurs, et qu’ils sont pour le dessin des points continuels de repère. Je tiens moins à la connaissance anatomique des mus-cles. Trop de science, en pareil cas, nuit à la sincérité du dessin.

Pensées, s.d., 1re édition 1870.

Il faut cependant se rendre compte de l’ordre et de la disposition relative des muscles, afin d’éviter de ce côté aussi des fautes de construction. Ils sont tous mes amis, ces muscles ; mais je ne sais aucun d’eux par son nom…

Jean-Auguste-Dominique IngresLe Bain turc

1862, huile sur toile

marouflée sur bois, D. 108 cm

Paris, musée du Louvre

Jean-Auguste-Dominique IngresÉtude pour Le Bain turc

Crayon noir, 62 × 49 cm

Paris, musée du Louvre,

département des Arts

graphiques

14 paroles d’artistes 15xixe siècle

Paul Cézanne

Toute ma vie, j’ai travaillé pour arriver à gagner ma vie, mais je croyais qu’on pouvait faire de la peinture bien faite sans attirer l’attention sur son existence privée. Certes, un artiste désire s’élever intellectuellement le plus possible, mais l’homme doit rester obscur.

Paul CézanneLes Grandes Baigneuses

Vers 1894-1905, huile sur toile,

127,2 × 196,1 cm

Londres, National Gallery

Paul CézanneNature morte, pommes, poires et casserole

1900-1904, aquarelle, mine de

plomb sur papier, 28,1 × 47,8 cm

Paris, musée d’Orsay

À Joachim Gasquet

Aix-en-Provence, 30 avril 1896.Cher Monsieur Gasquet,

Toute ma vie, j’ai travaillé pour arriver à gagner ma vie, mais je croyais qu’on pouvait faire de la peinture bien faite sans attirer l’attention sur son existence privée. Certes, un artiste désire s’élever intellectuellement le plus possible, mais l’homme doit rester obscur. Le plaisir doit résider dans l’étude. S’il m’avait été donné de [le] réaliser, c’est moi qui serais resté dans mon coin avec les quelques camarades d’atelier avec qui nous allions boire chopine. J’ai encore un brave ami de ce temps-là, eh bien, il n’est pas arrivé, n’empêche pas qu’il est bougrement plus peintre que tous les galvaudeux à médailles et décora-tions, que c’est à faire suer ; et vous voulez qu’à mon âge je croie encore à quelque chose ? D’ailleurs je suis comme mort. Vous êtes jeune, et je comprends que vous vouliez réussir. Mais à moi, que me reste-t-il à faire dans ma situation, c’est de filer doux, et n’eût été que j’aime énormément la configuration de mon pays, je ne serais pas ici.

16 paroles d’artistes 17xxe siècle

Egon Schiele

Je suis Homme, j’aime la mort et j’aime la vie.

Egon SchieleWally en chemise rouge

1913, gouache, aquarelle et crayon

sur papier, 31,8 × 48 cm

Collection particulière

Egon SchieleAutoportrait à la lanterne chinoise

1912, huile sur toile, 32,2 × 39,8 cm

Vienne, Leopold Museum

J’AIMAIS TOUTJe voulais regarder les Hommes en colère avec amourpour obliger leurs yeux à me rendre la pareilleEt les envieux, je voulais les combler de cadeaux et direque je ne valais rien…J’entendais de doux vents – tourbillonsFendre les lignes d’airet la jeune fille,Qui lisait d’une voix plaintive,et les enfantsqui me regardaient avec de grands yeux

Et répondaient par des caresses au regard que je leur rendaiset les nuages au loinIls posaient leurs bons yeux plissés sur moi.Les jeunes filles blafardes et blanches me montraientleurs jambes noires et leurs jarretelles rougesEt parlaient avec des doigts noirs.Mais moi, je pensais aux mondes lointains :digitales.Si j’étais là moi-même,je l’avais à peine su.

Moi, l’éternel enfant, s.d., avant 1918.

19xx siècle

Pablo Picasso

Nous savons tous que l’art n’est pas la vérité. L’art est un mensonge qui nous fait comprendre la vérité, du moins la vérité qu’il nous est donné de pouvoir comprendre.

Je comprends mal l’importance accordée au mot « recherche » à propos de la peinture moderne. À mon avis, chercher ne signifie rien en peinture. Ce qui compte, c’est trouver. Personne n’a envie de suivre un homme qui, les yeux rivés au sol, passe son temps à chercher un porte-monnaie que la for-tune aurait mis sur son chemin. Celui qui trouve quelque chose – peu importe ce que c’est, et même si son intention n’était pas de le chercher – éveille tout au moins notre curio-sité, sinon notre admiration.

Parmi les différents péchés dont on m’accuse, aucun n’est plus faux que celui d’avoir, en tant qu’objectif premier de mon travail, l’esprit de recherche. Quand je peins, mon but est de montrer ce que j’ai trouvé, et non ce que je cherche. En art, les intentions ne suffisent pas et, comme nous disons en espa-gnol, l’amour doit être prouvé par des faits, et non par des paroles. Ce qui compte, c’est ce qu’on fait, et non ce qu’on avait l’intention de faire.

Pablo PicassoLa Flûte de Pan

Été 1923, huile sur toile, 20,5 × 17,4 cm

Paris, musée Picasso

Pablo PicassoHarlequin

1923, huile sur toile, 46,9 × 39,4 cm

Los Angeles, County Museum of Art

Nous savons tous que l’art n’est pas la vérité. L’art est un mensonge qui nous fait comprendre la vérité, du moins la vérité qu’il nous est donné de pouvoir comprendre. L’artiste doit connaître le moyen de convaincre les autres de la véracité de ses mensonges. S’il ne montre dans son œuvre que ce qu’il a cherché, et re-cherché, pour faire passer ses mensonges, il ne parviendra jamais à rien.

L’idée de recherche a souvent amené la peinture à se four-voyer, et l’artiste à se perdre en élucubrations. Peut-être est-ce même le défaut majeur de l’art moderne. L’esprit de recherche a empoisonné ceux qui n’ont pas pleinement compris tous les élé-ments positifs et concluants de l’art moderne et a tenté de leur faire peindre l’invisible et, par conséquent, l’« impeignable ».

« Picasso speaks », interview de Picasso dans The Arts, New York, mai 1923.

20 paroles d’artistes

Paul Klee

L’art ne reproduit pas le visible ; il rend visible. Et le domaine graphique, de par sa nature même, pousse à bon droit aisément à l’abstraction. Le merveilleux et le schématisme propres à l’Imaginaire s’y trouvent donnés d’avance et, dans le même temps, s’y expriment avec une grande précision.

Credo du créateur, 1920

Paul KleeAvec l’aigle

1918, aquarelle, 17,3 × 25,6 cm

Berne, Zentrum Paul Klee

22 paroles d’artistes

Mark Rothko

Mes tableaux actuels sont concernés par l’échelle des sentiments humains, par la dimension du drame humain, autant que je suis en mesure de l’exprimer.

La recette d’un travail artistique – ses ingrédients – le savoir-faire – sa formule.

1. Il doit y avoir une préoccupation de mort évidente – pres-sentiments quant au fait d’être mortel… L’art tragique, l’art romantique, etc., traitent de la connaissance de la mort.

2. Sensualité. Notre fondement pour être concrets quant au monde. C’est une relation de plaisir aux choses qui existent.

3. Tension. Que ce soit un conflit ou un désir courbe.4. Ironie. Voici un ingrédient moderne – l’effacement et

l’examen de soi grâce auxquels un homme peut un instant poursuivre autre chose

5. L’esprit et le jeu pour l’élément humain pour l’élément humain

6. L’éphémère et la chance pour l’élément humain.7. L’espoir. 10 % pour rendre le concept tragique plus

supportable.Je mesure ces ingrédients très précautionneusement lorsque

je fais un tableau. C’est toujours la forme qui suit ces ingré-dients et le tableau résulte des proportions de ces éléments.

Tapuscrit d’une conférence au Pratt Institute, New York, novembre 1958.

Mark RothkoSans titre ou Bleu, vert, bleu sur fond bleu

Vers 1968, tempera sur papier, 102 × 60,3 cm

Newark Museum

Mark RothkoMultiforme

1948, huile sur toile, 144 × 118,7 cm

Canberra, National Gallery of Australia

Un ouvrage de 512 pages, relié

et semi toilé sous coffret illustré

Format : 29 x 35 cm, 350 illustrations couleur

Publication : mars 2012

Format : 29 x 35 cm

ISBN : 978 2 85088 523 5

Hachette : 44 7271 8

CM : 18009 PL

une anthologie réunie et présentée par

Jan Blanc, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Genève,

et responsable de la Chaire d’histoire de l’art de la période moderne

(xvie-xviiie siècle). Spécialiste de la peinture flamande, hollandaise

et britannique du xviie et du xviiie siècle, mais aussi des relations

entre les théories et les pratiques artistiques, il a consacré de

nombreux articles à la question, a notamment publié Dans l’atelier

de Rembrandt. Le maître et ses élèves (2006), Peindre et penser la peinture

au xviiie siècle. La théorie de l’art de Samuel van Hoogstraten (2008),

et a participé à l’édition des conférences tenues à l’Académie royale

de peinture et de sculpture au xviie siècle (2006).

Ci-contre

Sophie CalleDes histoires vraies

1995, épreuve gélatino-argentique avec

texte dactylographié sur papier blanc

Paris, musée national d’Art moderne –

Centre Pompidou

Cré

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Gerhard RichterBetty

1988, huile sur toile, 102 × 72 cm

Saint Louis, Saint Louis Art Museum

… plus un tableau dépeint une réalité ineffable, plus il est beau, intelligent, fou, plus il est extrême, expressif et inintelligible, meilleur il est.

Gerhard Richter

Quatrième de couverture

Salvator RosaAutoportrait

Vers 1647, huile sur toile, 99,1 × 79,4 cm

New York, The Metropolitan Museum

of Art, legs de Mary L. Harrison