briques n°1 / lacrisecommeprogramme
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points de vue / daniela ulea, roger giralt, amaury lefévère, sophie guilbault
l’architecture publique survivra-t-elle à la crise? / jean-pierre weiss
future practice / zach eirin
la résilience en temps de crise / sophie guilbault
le palais de la femme / gabi hernandez
crise en scène / min hong
métamérie / eliza culea, arthur billaut
margot chignac - psychologue environnementale
pia van peteghem - céramiste
compulsive drawer / ina leonte
lebbeus woods / eliza culea
briquesn°1
la crise comme programme
PUBintéressés?
3
Après avoir frappé les pays sud européens, la crise touche à présent la France, et entraine dans son
sillage toute une génération de jeunes professionnels en architecture. Diminution de commandes
(privées comme publiques), manque de ressources, surpopulation d’étudiants stagiaires, etc. La
crise est belle et bien présente, et elle ne va pas s’en aller de si tôt. Mais ce n’est pas la première
que nous connaissons, et ce n’est sûrement pas la dernière. S’il y a bien une réalité, une certitude,
c’est que nous nous en sortirons. Alors faut-il pour autant attendre les bras croisés que l’orage
passe ? Peut-on se permettre de ne pas remettre en question notre pratique architecturale ? Ne
devrait-on pas redéfinir le rôle que nous pouvons jouer en tant qu’architecte ? Pouvons-nous être
architecte différemment ? Pouvons-nous profiter de la crise au lieu de la subir ? Oui. Et c’est avec
cette intime conviction que ce projet de journal nommé « briques » est lancé.
Le terme de « briques » renvoie bien sûr au matériau de construction. C’est un élément en soit, mais
fait aussi parti d’un ensemble. L’utilisation de « briques » (au pluriel) renvoie donc à un ensemble
d’éléments qui peuvent être à la fois indépendants, et collaboratifs.
Ce journal est pensé comme une plateforme pédagogique de discussion, d’échanges d’idées et
de points de vues. Les magazines actuellement présents sur le marché de la presse architecturale
agissent tels des miroirs, permettant aux professionnels d’admirer le travail qu’ils accomplissent
par le reflet d’un graphisme épuré, travaillé jusqu’au moindre détail. « briques » agira lui aussi tel un
miroir. Toutefois, il ne reflètera pas une image cadrée parfaite, mais une image qui se veut élargie
et diverse.
Il s’agit ici d’un journal gratuit, il se doit donc d’être libre de toutes influences, impartial et juste. Il
ne doit pas offenser, ni encenser, mais critiquer de manière constructive. Il ne s’agit pas de faire un
autre magazine d’architecture, mais plutôt de proposer une presse architecturale différente, une
presse qui n’est pas basée sur la promotion de produits architecturaux, mais qui se concentrera plus
sur le quotidien des architectes, et les processus de création, de travail en architecture, et autour
de l’architecture. L’usage de contenu graphique est bien sûr nécessaire afin de rendre la lecture
plus dynamique et attractive. Mais si graphisme il y a, il faut que celui-ci soit en harmonie avec la
volonté critique et créative du journal. Un journal gratuit distribué non seulement à tous les cabinets
d’architecture en France, mais aussi à toutes les écoles françaises liées au monde de l’art, de
l’architecture et du design. Un journal qui se veut donc multi générationnel, et transdisciplinaire.
Alors que faut-il privilégier ?
Plutôt la discussion à la description.
Plutôt la critique constructive à la promotion.
Plutôt un discours multi générationnel au monopole des starchitectes.
Plutôt une approche transdisciplinaire à un nombrilisme architectural.
Plusieurs « briques » dans un même mur.
Min Hong
points de vue / p.4
un couple hispanoroumain, une québécoise en amérique, et un étudiant
versaillais
l’architecture publique survivra-t-elle à la crise? / p.7
l’avis d’un expert en la matière
future practice / p.9
1001 façons d’être architecte
la résilience en temps de crise / p.11
le cas de la nouvelle-orléans
le palais de la femme / p.14
cage dorée pour elles
crise en scène / p.16
performances low-tech
métamérie / p.18
l’iconicité de la matériauthèque ordinaire
margot chignac / p.22
à la découverte de la psychologie environnementale
pia vanpeteghem / p.24
céramiste 2.0
compulsive drawer / p.27
dessinez c’est gagné
jeux / p.30
pour ceux qui n’aiment pas lire
directeur de la publication : Min Hong
rédacteur en chef, directeur artistique : Eliza Culea
comité de rédaction : Jean-Pierre Weiss, Arthur Billaut,
Daniela Ulea, Roger Giralt, Sophie Guilbault, Ina Leonte, Margot
Chignac, Eliza Culea, Min Hong
maquette : Eliza Culea, Min Hong
imprimerie : INDUGRAF OFFSET, SA,
Pol. Ind. Constanti, Av. Europa, s/n, 43120
Constanti (Tarragona), Espagne
briques : édité par Min Hong, auto-entrepreneur
: 21 rue du tunnel, 75019 Paris, France
: www.briques-journal.com
: 0607374672
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avant propos
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?Daniela Ulea, 26 ans, roumaine, architecte
Roger Giralt Barrachina, 25 ans, espagnol,
architecte / étudiant
Amaury Lefévère, 22 ans, français, étudiant
Sophie Guilbault, 27 ans, canadienne, architecte
de l’urgence
Roger : j’y pense depuis que j’ai 8 ans, je ne me suis
jamais imaginé faire autre chose. Je sais que ça paraît
caricatural, mais j’adorais jouer avec des legos. J’ai tou-
jours voulu devenir architecte. Ma vision du métier a bien
sûr changé depuis mes études, mais j’ai toujours cette
envie.
Daniela : moi j’étais plutôt intéressée par le dessin, la
création, mais je ne savais pas vraiment dans quoi. Au
début, l’architecture m’enthousiasmait, maintenant je me
dis pourquoi pas me lancer dans l’illustration ? Ou le gra-
phisme ? Mais je trouve que c’était une bonne formation,
car ce sont des études « ouvertes », je trouve qu’on arrive
mieux à s’adapter.
J’avais déjà en tête de le faire à 12 ans , je ne suis jamais
posé la question, ça m’est venu naturellement, je sentais
que c’était ce que je voulais faire. Je suis complètement
fan de l’architecture gothique et romane. J’ai un de mes
grands parents qui habite à Paray Le Monial, où il y a
une très belle basilique romane que j’ai eu l’occasion de
visiter quand j’étais tout petit. Ces bâtiments-là, quand je
rentre dedans, c’est une véritable fascination. C’est peut-
être la pratique de ces espaces-là qui m’a orienté. Il y a
tout un imaginaire qui vient se greffer autour du bâtiment.
Pour moi, l’architecture gothique renvoit à quelque chose
qui m’émeut. C’est peut-être l’ingénieur en moi qui est
fasciné par la lecture de ces structures. Mais aussi il y
a aussi l’espace qui s’offre à nous à l’intérieur de ces
bâtiments que je trouve frappant.
Contrairement à beaucoup, ce n’est pas par vocation.
J’ai une vie assez équilibrée, et c’est cet équilibre que
j’ai retrouvé dans le métier d’architecte, entre l’art et la
science.
Daniela : Roger est plus technique. Moi, je suis plus du côté
création, discussion. J’essaie de trouver d’abord une idée, et
après me demander comment c’est possible.
Roger : et après c’est le bordel! (rires) Mais ça dépend des
écoles. L’architecture en France est plus esthétique, moins
technique. Quand je suis venu ici, c’était plus pour la culture
française, pas vraiment pour apprendre l’architecture. Après
4 ans à Barcelone, j’ai voulu faire une pause, un Erasmus de
culture (pas de fêtes vu le coût de la vie ici).
Daniela : oui. on est tous les deux très fiers de notre culture,
et nous avons des opinions bien définies. Si tu affirmes
quelque chose, il faut avoir les arguments derrière. Ici je
trouve le processus plus lent. Mais ce n’est pas plus mal.
Il n’y a pas de modèle prédéfini, je suis contre le concept
d’idoles. Il faut être ouvert, ne pas avoir une seule direction.
Il y a des architectes qui nous inspirent, mais ça dépend des
projets.
Roger : j’aime bien l’architecture suisse, ils sont assez
techniques.
Je suis rentré en école d’architecture avec l’image que tout
le monde a de l’architecte, avec sa règle et sa planche à
dessin. Après 3 ans, cette image a bien changé. Comme j’ai
des affinités avec le domaine technique, je voyais quelqu’un
qui avait des connaissances dans l’art de construire, un
technicien. Je me suis rendu compte au bout de ces 3
années que c’est au contraire quelqu’un qui touche à plein
de choses, c’est une discipline qui va s’intéresser autant à la
construction qu’à des problématiques sociologiques. J’aime
bien la technique, mais d’un autre côté, cette idée de pouvoir
dialoguer avec plein de personnes différentes dans des
milieux différents, c’est quelque chose qui m’enthousiasme
dans ce métier. Mon défaut c’est que je ne vais pas souvent
voir les projets qui se font. J’ai beaucoup de copains qui vont
souvent voir archdaily, dezeen, mais pas moi, je ne connais
pas vraiment les architectes. Ce qui m’inspire, ce sont plutôt
les bâtiments en particulier.
Quand j’ai commencé à travailler, je me suis rendu compte
qu’il y a beaucoup plus de gestion de projet que je pensais.
Il y a aussi plus de spécialisation à cause de la multitude de
logiciels utilisés. J’ai toujours été intrigué par l’architecture
d’urgence. C’est pour ça que je me suis installée en
Nouvelle-Orléans. J’ai eu la chance de participer à pas mal
de projets, dont la conception d’un abri d’urgence pour des
milliers de personnes. Je m’intéresse beaucoup au travail
à travers la communauté. Ici, les étudiants construisent un
projet tous les ans, et je pense que construire soi-même aide
à développer une capacité à concevoir intelligemment. Et
ça nous donne aussi l’occasion d’expliquer notre démarche
directement. Après l’école, on n’est pas forcément équipé de
ces compétences. Faire beaucoup avec peu ; c’est un défi
général, un beau défi.
briques / journal d’architectes
points de vue
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?Roger : je suis arrivé en avril, je cherchais d’abord un stage, donc c’était plus
facile. J’ai commencé dans une petite agence, et les grandes ont répondu après
un mois. Pour moi, on a toujours été en crise, car je suis encore étudiant, donc ma
situation n’est pas encore stable.
Daniela : c’était assez dur pour moi cette année. Je vois des portugais, des
espagnols, italiens qui ont « envahi » le marché (rires), il y a plus de demandes
que d’offres. C’est vrai qu’en tant qu’étudiant, tu ne le sens pas trop, la famille,
l’état t’aident beaucoup. C’est quand tu commences à postuler, et que tu vois les
agences demander des expériences de 2 voire même 5 ans en tant que chef de
projet, etc. Après, ça dépend des clients, nous on a surtout des clients privés,
donc ils ont encore de l’argent. Mais pour les marchés publics, les budgets sont
coupés.
Roger : je sais qu’il y a des agences qui sont forcées de virer 1/3 de leur effectif,
même en ayant des projets en cours pour l’état déjà en phase PRO ou DCR, mais
ils ont dû licencier à cause des baisses de budget public. Par contre dans mon
agence, on gagné des concours, donc on ne sent pas vraiment la crise.
Daniela : au final, notre niveau de vie n’était pas assez élevé pour pouvoir vraiment
ressentir ce genre d’effets. On prend toujours les mêmes choses ; les moins chères.
Mais je suis quand même inquiète.
On a certains cours qui nous parlent d’avantage de la crise environnementale que
de la crise économique. Même la crise du logement, je n’en entends pas tant
parler que ça. Je n’ai pas l’impression que la crise impacte vraiment la vie à l’école.
Par rapport à la vie active, je ne sais pas trop à quelle sauce on va me manger.
Pour le moment, la vision que j’en ai, c’est que ça va être de plus en plus difficile,
et la crise ne risque pas d’aider.
J’ai eu la chance de trouver un emploi facilement, ça ne m’a pas vraiment affectée
à ce niveau. Par contre, aux USA, je trouve ça plus difficile surtout pour les jeunes
professionnels. L’obtention d’un master n’est plus une garantie d’emploi. Il y a
très peu de postes qui ne demandent pas 5 ans d’expérience. Il faut être prêt à
faire beaucoup de sacrifices. En arrivant ici, je voyais la crise comme un choc,
un événement spontané. C’est vrai pour le cas de Katrina. Par contre, je me suis
rendu compte que les crises sont une série de choses. Elles affectent beaucoup
de systèmes tant au niveau social, économique, bâti, urbain. Cela implique qu’une
grande variété de professionnels travaillent ensemble. C’est le principal défi des
crises, d’arriver à briser les frontières qui existent entre les différentes professions,
mais aussi entre différentes zones géopolitiques. En cas de crise environnementale,
tout va plus rapidement, c’est ça la majeure différence. On n’a pas beaucoup de
temps pour réfléchir.
Daniela : je pense qu’il faudrait un département de recherches dédié au futur
de notre profession. L’architecture est très impactée par les situations de crise.
Je pense qu’une des solutions est de chercher ailleurs, dans d’autres pays, des
projets ou des collaborateurs. D’avoir une complémentarité de compétences. Par
exemple, dans le contexte d’un concours, une petite agence espagnole spécialisée
dans le logement peut s’associer avec une grande agence française n’ayant pas
forcément d’expérience dans ce domaine. L’un amène l’expertise, et l’autre, le
portfolio.
Roger : l’architecture est toujours liée aux problèmes d’argent, il faudrait peut-
être s’en détacher un peu. En ce qui concerne notre avenir, je ne me pose pas la
question, pas parce que je m’en fous, mais parce que je n’en ai pas envie. Mais
j’espère bien avoir ma boîte dans 10 ans. Peu importe où.
Daniela : en tant qu’archi, je pense qu’on est plus mobile. Tu peux savoir ce que
tu vas faire, mais pas où tu vas le faire.
Ce que je regrette un peu dans l’enseignement, c’est le temps que prend le projet
par rapport à d’autres matières. C’est peut-être spécifique à Versailles. C’est un
peu légitime, car les architectes sont des praticiens du projet. Mais c’est tellement
chronophage. Et il y a ce mécanisme, un peu comme un piège, qui fait que plus
on en fait, plus on en a à faire. Ce que je réalise, c’est qu’à un moment il faut
dire stop. C’est une matière qui ne laisse pas le temps à l’étudiant d’approfondir
d’autres enseignements.
Je n’ai pas eu beaucoup l’occasion de travailler avec des architectes praticiens,
j’ai fait un stage en deuxième année, mais dans un département qui ne faisait
pas vraiment de maîtrise d’œuvre. J’ai envie de me spécialiser, d’ajouter des
cordes à mon arc. Ce sont des atouts qui, d’une part, me permettront de travailler
dans un domaine qui me plaira, et qui d’autre part, sont recherchés par certaines
personnes. Je voudrai sortir de l’école avec les armes nécessaires pour faire face
à n’importe quelle situation.
Je m’intéresse à l’enseignement, j’aimerai continuer à pratiquer pour avoir quelque
chose à transmettre. Quand j’ai décidé de faire ce programme, c’est parce que
j’avais l’impression qu’il me manquait quelque chose. Et puis, je me suis dit que
si j’arrivais à me spécialiser je trouverai un boulot plus facilement. C’est donc non
seulement quelque chose qui me passionne personnellement, mais aussi qui peut
m’aider professionnellement. Je ne sais pas encore où je vais être par rapport à
ma spécialisation. Car on ne sait pas où les crises vont arriver. J’espère être à mon
compte dans 5 ans, pouvoir influer tant au niveau du bâti, qu’au niveau urbain afin
de penser la ville d’une façon plus efficace par rapport aux crises, qu’elles soient
sociales, économiques, ou environnementales. Mais je ne sais pas où.
points de vue - daniela ulea, roger giralt, amaury lefévère, sophie guilbault
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Le rôle des bâtiments publics dans la Cité ne se limite pas à héberger les institutions ou
les services publics. Il symbolise la collectivité et la démocratie dans un pays qui a dû,
plus d’une fois dans son Histoire, construire et affirmer son destin collectif à partir de son
système politique.
Il faudrait à l’architecture publique en France un ouvrage d’analyse et d’Histoire. On y
trouverait dès lors en bonne place le récit de l’édification des cathédrales et des églises,
celui de la construction des palais et châteaux, on y verrait Louis XIV prendre le temps
d’hésiter avant d’arrêter ses choix versaillais, les élus républicains de Paris concevoir
un Hôtel de Ville rival des palais royaux, on y verrait naître les ensembles école-mairies
symbolisant si bien la troisième République, on y entendrait exploser les polémiques devant
l’édification de la Tour Eiffel (mais est-ce un bâtiment public ? ) quand Garnier, fort de son
opéra, menait la fronde contre l’inimaginable défi de la modernité métallique.
Faisons un bond de quelques décennies, nous voici à l’aube des années quatre-vingt, et la
loi sur l’ingénierie publique de 1985 va afficher l’ambition de faire toute sa place à la création
architecturale dans les commandes publiques.
L’architecte est reconnu comme créateur et à ce titre va disposer, grâce à cette loi, de
garanties sur les modalités d’exercice de son métier pour les commandes publiques, depuis
le début des études jusqu’à la livraison de son œuvre.
Les concours d’ingénierie battent alors leur plein, la commande publique s’ouvre et une
génération prometteuse d’architectes peut déployer tout son talent.
L’architecte qui conçoit et construit les bâtiments où vivent et travaillent les hommes rêve
qu’on lui demande de les y rendre heureux, autant que faire se peut. Il se sent dès lors investi
d’une mission qui défie la société elle-même en ses complexités et ses contradictions. Le
champ de l’architecture publique s’élargit alors naturellement à l’urbanisme, conçu comme
le décor vivant de ses bâtiments et le lieu de leur dialogue. C’est l’époque où s’installe la
conviction qu’il y a, en matière d’urbanisme, beaucoup à réparer et à corriger.
Il y a trente ans, l’architecture française affichait l’ambition de prendre toute sa part à la
création et à l’évolution de la société et de porter haut et loin les symboles bâtis de son
renouveau.
Cet élan d’ambition au bon sens du terme parait aujourd’hui bien fragilisé pour ne pas dire
éteint. Des modes alternatifs de dévolution de la commande publique comme la conception
réalisation ou le partenariat public privé ont déplacé l’architecte vers une place de simple
collaborateur, fusse à une place éminente, de l’entreprise de construction. L’architecte
assume de moins en moins bien sa mission originelle auprès des maîtres d’ouvrage. Dès
lors que surgit une difficulté un peu sérieuse dans la réalisation des bâtiments, ce qui arrive
plus d’une fois dans des métiers complexes, il est vite ramené au rôle de simple spectateur,
quand on n’oublie pas tout simplement de l’inviter au spectacle.
Des pans entiers de la conception et de la réalisation architecturale des bâtiments publics
sont confiés à des spécialistes de plus en plus indépendants du maître d’œuvre. Les aspects
paysagers, la prise en compte du développement durable, la maîtrise de l’exploitation et de
la maintenance du bâtiment, des volets techniques entiers de la conception même sont de
plus en plus dissociés de la création architecturale.
La tentation se fait toujours davantage jour de confiner l’architecte à la création formelle,
encouragée au demeurant, mais ce doit être dialectique, par des écoles architecturales qui
se replient sur la forme, quand ce n’est pas sur le simple habillage des façades.
Face à la préoccupation centrale des maîtres d’ouvrage publics de «tenir» les budgets
alloués, l’architecte joue au mieux un rôle d’appui marginal : ses estimations de coût à
partir de l’esquisse du concours, puis des phases suivantes d’études, APS, APD, ne sont
la plupart du temps que la production standardisée d’évaluations d’économistes, aucune
Ancien élève de l’Ecole Polytechnique et des
Ponts et Chaussées, et tour à tour directeur
du patrimoine au ministère de la Culture,
directeur puis président directeur général de
Matra Transport, directeur du personnel, des
services et de la modernisation au ministère
de l’équipement, et enfin directeur général
de l’agence publique pour l’immobilier de
la Justice et de l’établissement public du
palais de justice de Paris, (entre autres),
Jean-Pierre Weiss, maître d’ouvrage public,
est avant tout un fervent défendeur du statut
d’architecte, et du rôle de l’architecture dans
nos sociétés.
briques / journal d’architectes
l’architecture publique survivra-t-elle à la crise?
l’architecture publique survivra-t-elle à la crise? - jean-pierre weiss
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stratégie de consultation d’entreprises n’est jamais imaginée en commun entre la maitrise
d’ouvrage et la maitrise d’œuvre pour construire une concurrence dynamique.
Il arrive même que l’architecte dépasse volontairement son estimation initiale en prenant soin
de rester dans la fourchette qui lui évite des pénalités. C’est pour le maître d’ouvrage public
un contre-signal absolu sur sa capacité à tenir le budget. Ce maître d’ouvrage ne trouve guère
davantage l’architecte à ses côtés sur les deux autres champs permanents de préoccupation
que sont la tenue des délais et la vérification de la qualité des réalisations.
Certes, le maître d’œuvre a bien dans sa mission le contrôle du calendrier de l’entreprise, mais
il est rarement équipé pour déterminer si les plannings présentés sont fiables, suivis, et moins
encore s’il s’agit de rechercher des solutions de rattrapage de retard. L’architecte se désintéresse
d’ailleurs habituellement de ces sujets au profit du bureau d’études, nouvel abandon de
compétence et de responsabilités. Même lorsque le bureau d’études dispose en son sein des
savoir-faire adéquats, sa rémunération ne prévoit pas qu’il les déploie à haut niveau.
On retrouvera en revanche plus fréquemment l’architecte sur le chantier pour y effectuer le
contrôle de qualité, quand sa mission inclut bien cette présence. Mais sa vigilance ne s’exerce
qu’à posteriori, quand telle ou telle partie de l’ouvrage est achevée, il n’est guère capable, sauf
rare exception, de valider des techniques de mises en œuvre, voire des choix de matériaux ou
de composants.
Toutes ces exigences pourtant s’accroissent au fil des ans, au fur et à mesure que la ressource
publique se raréfie, que la dictature des agendas, notamment politiques, étend son pouvoir et
que les entreprises subissent elles-mêmes les aléas de réalisation engendrés par une économie
du bâtiment où se creuse toujours plus le fossé entre de grandes entreprises avant tout
organisatrices et acheteuses et des petites et moyennes entreprises qui disposent de moins en
moins de personnels permanents bien formés tant leurs carnets de commande subissent d’aléas
au fil des mois et des années.
La crise est donc bien là, qui exacerbe les exigences des maîtres d’ouvrage publics.
Si les maitres d’œuvre auxquels ils font appel, et au premier chef les architectes, se révèlent
faibles ou incapables d’aider le maître d’ouvrage, la tentation de celui-ci sera grande de recourir
à d’autres organisations de la commande publique, permettant de traiter directement avec
l’entreprise générale, qui tient de plus en plus seule les principaux leviers de la réussite ou de
l‘échec des réalisations de bâtiments publics.
Le succès des conceptions-réalisations et des contrats de partenariat public privé s’est d’abord
construit sur ces lacunes de la maîtrise d’œuvre. Tout cela prend l’allure, aux yeux de l’architecte,
d’une spirale diabolique où il se voit toujours davantage dépouillé de pans entiers de sa mission
théorique, subit consécutivement la baisse de ses commandes, dispose de moins en moins de
moyens pour garantir que la réalisation du bâtiment sera fidèle à la qualité de sa conception. Le
risque extrême est bien là. L’ultime légitimité de l’architecte, la qualité de sa création, est elle-
même mortellement menacée.
Faut-il voir dans ce processus l’unique responsabilité de « la crise », face à laquelle la seule
réponse architecturale deviendrait protestation et nostalgie ?
Ce serait ignorer que quelques agences françaises échappent à peu près à ces périls. Allons voir
de plus près où elles trouvent les réponses adéquates.
La première est construite sur la réunion de compétences pluridisciplinaires au sein même des
agences. L’architecture est une synthèse d’art et de technique, dans laquelle l’absence de
maîtrise technique vide la dimension architecturale de toute réalité. Au fond, cette réalité vaut
sans doute pour toutes les expressions artistiques, mais on peut toujours remiser une œuvre
picturale, écrite, musicale ou sculpturale médiocre, il en va autrement d’un bâtiment destiné à
servir longtemps et à habiter un paysage urbain.
Cette synthèse, il faut la réussir par un dialogue permanent entre le dessin et les choix
architecturaux induits, les équipements techniques, et par une anticipation, une modélisation
des contraintes de chantier et de la qualité des réalisations. Pour la réussir, il n’est pas d’autre
réponse que de mettre autour de la même table de travail, dans le même lieu d’études tous
les spécialistes. S’ils ont l’habitude de travailler ensemble, ont vécu ensemble de précédentes
aventures, ce n’en sera que mieux. Il est illusoire de vouloir maîtriser l’architecture d’un
bâtiment public, a fortiori d’une certaine importance, en lui appliquant des méthodes de travail
trop artisanales, aussi sympathiques soient-elles. Si l’agence d’architecture qui a emporté le
concours ne dispose pas de la taille et des compétences adéquates, et a recours, comme
souvent, à la sous-traitance, il faut à minima que son organisation de travail reconstitue « l’atelier
» indispensable.
La taille des agences architecturales, autorisant la réunion de compétences multiples est l’un des
enjeux de l’avenir de l’architecture publique. Elle peut sans doute prendre des formes diverses,
association, coopération, partenariats, mais aucun talent personnel, fût-il hors normes, resté
isolé, ne remplacera désormais cela.
Soit, mais on ne nait pas grand, réserver les commande publiques aux « grandes agences »,
n’est-ce pas condamner l’espoir de toutes les autres, et stériliser à terme la création ?
Il nous semble que l’indispensable parade à ce risque, et, finalement, à cette réalité installée
réside dans la formation des architectes. Cette interpellation-là s’adresse au ministère de la
culture, chargé de cette responsabilité.
Les architectes de demain doivent recevoir des formations généralistes de multidisciplinarité. De
même qu’on n’imaginerait pas un chercheur en biologie démuni de compétences mathématiques,
physiques, chimiques, un créateur en architecture doit comprendre et pouvoir maîtriser lui-
même les enjeux paysagers, de développement durable, d’exploitation maintenance, de choix
techniques, de coûts, d’organisation de chantier… et pas seulement sous la forme d’un simple
vernis. Il accroitra d’autant ses chances de pouvoir dialoguer avec les professionnels déjà
installés de l’architecture, les rejoindre ou leur proposer la collaboration de son agence.
Au nom de quoi consentir cependant cet effort quand des alternatives existent, répondant mieux
dès à présent aux attentes des maîtres d’ouvrage de bâtiments publics ?
Au nom de la culture. Et c’est peut-être là que la crise blesse le plus l’architecture. L’exigence
de grande qualité architecturale, fusse pour des bâtiments publics majeurs n’est portée ni par le
public, ni même par la grande majorité des élus et responsables politiques à qui l’Histoire confie
pourtant l’éminente responsabilité de choisir les bâtiments d’aujourd’hui et de demain.
Il serait temps que notre société apprenne collectivement la lecture architecturale dont le
décryptage reste réservé aux initiés. Cela relève de l’initiative politique, gouvernementale et
locale, de l’appui de média. Ce ne serait pas la plus médiocre des causes nationales !
Il n’existe pas de formation obligatoire nécessaire à l’exercice des mandats électifs, le suffrage
universel est censé doter spontanément ses bénéficiaires de toutes les compétences nécessaires
à l’exercice de leur mandat. Tout dépendra donc de leur vigilance, de leur histoire personnelle,
de la chance qu’ils auront ou non de dialoguer avec des interlocuteurs qui peuvent les éclairer,
que ce soit parmi leurs collaborateurs ou leurs conseils. C’est en fin de compte la première, la
plus éminente des réponses à la crise, toutes les autres en découleront, et l’on comprendra que
l’on conclue cette réflexion par cet espoir.
l’architecture publique survivra-t-elle à la crise? - jean-pierre weiss
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question les idées préconçues sur ce domaine. L’architecte doit-il construire pour exister ? Doit-
il tout contrôler ? Existe-t-il une alternative à son mode de rémunération ? Peut-il se détacher du
concept de signature pour se rapprocher vers une approche open-source ? Qu’est-ce qu’être
architecte veut dire de nos jours ? Beaucoup de questions, et autant de réponses intéressantes
sont livrées dans cet ouvrage.
Le principal aspect de l’architecture remis en cause dans Future Practice est celui de la
construction. En effet, l’image de l’architecte a pendant longtemps été celle du bâtisseur/
penseur/pourquoi pas même philosophe voire sociologue. Aujourd’hui, ce métier est vu presque
uniquement sous l’angle de la formalisation. Parce que la solution en apparence logique à un
problème spatial est généralement la création d’un bâtiment, sensé apporter une nouvelle
fonction, une nouvelle dynamique à son environnement. Ce changement de point de vue, ce sont
les architectes eux-mêmes qui l’ont provoqué. Le mouvement moderne a eu pour rôle d’éduquer
l’Homme à un mode de vie urbain, en communauté, et hygiénique, toutefois « ces plans que
nous avons dessinés et ces bâtiments que nous avons érigés au nom du progrès, se sont avérés
être la cause de notre ruine. »3 Si les intentions des pensées modernistes étaient louables, leurs
résultats n’ont pas connu le succès qu’ils en attendaient. Par exemple, durant les manifestations
de 2009 dans les banlieues parisiennes, on a pu noter « un taux de corrélation de 100% entre les
sites des voitures brûlées et les HLM inspirés de Le Corbusier. »4 Comme publicité, il y a mieux.
Depuis les années 70’, l’architecture est donc reconnue coupable des désastres de ces espaces,
et pour cause. En effet, à en croire l’auteur du livre, s’ils ont la prétention de pouvoir apporter
des solutions à des problèmes socioéconomiques, les architectes doivent aussi accepter d’en
prendre la responsabilité. C’est pourquoi ils sont aujourd’hui quasiment toujours cantonnés à un
rôle de bâtisseur, et non plus de penseur. Ca, et, bien sûr, l’obligation de résultats non seulement
physiques mais surtout financiers demandés par une majeure partie des maîtres d’ouvrage. Au
lieu des machines à habiter de Charles Edouard Jeanneret, ils se retrouvent donc à bâtir des
machines à sous géantes. Et l’effort n’est plus dirigé vers la société, mais vers des intérêts
personnels. Alors bien sûr, beaucoup d’agences se satisfont de cette situation, et il n’est pas
ici question de remettre en question le travail de celles-ci. Cependant, ce que Future Practice
apporte, c’est une autre vision de ce métier. Son rôle est important, « mais il s’agit de penser
l’espace et non de dessiner des produits physiques. »5 La construction est un moyen d’exprimer
cette expertise spatiale, mais ce n’est pas le seul. Le super-pouvoir de l’architecte ne réside pas
tant dans sa maîtrise d’AutoCAD que dans sa capacité d’analyse et de synthèse. Son domaine
de compétence ne se limite pas à la production de bâtiments, elle s’étend bien plus loin, à la
limite de la sociologie, de la géographie, de l’économie, de la finance, et même de l’art. Ce sont
des généralistes professionnels. Et c’est exactement la raison pour laquelle leur rôle est, ou du
moins devrait être, central. C’est bien là le premier constat de Future Practice ; l’architecte
peut se « libérer » de cet unique statut de bâtisseur. Car si construire est son seul objectif, est-il
vraiment nécessaires ? La société a-t-elle besoin de lui pour ériger des bâtiments ou pour penser
des espaces ? La réponse idéale serait bien sûr « les deux. » Mais voyons les choses en face,
la place de l’architecte à la grande table de la planification urbaine se fait de plus en plus petite,
justement parce qu’il est considéré de plus en plus comme un simple constructeur, alors qu’il a
le potentiel de jouer un rôle pivot.
Bien sûr, l’ouvrage ici présenté ne se limite pas à la critique de la situation actuelle. De nombreux
exemples sont mis en avant dans cette démarche de renouvellement de notre profession.
Il y a bien sûr, des architectes comme Reinier de Graaf et Laura Baird, qui nous parlent de
l’implication d’AMO (le « think-tank » d’OMA) dans l’éducation et la formation d’architectes en
Russie. Hedwig Hainsman de DUS Architects, pour lequel chaque projet est « une opportunité de
créer une expérience plus sociale, ainsi que quelque chose de beau. »6 Ou encore Mel Dodd, du
collectif muf, qui arbore différents rôles et personnalités en fonction du contexte, se permettant
ainsi de se détacher des « caractéristiques conventionnelles de l’architecte, (…) et d’explorer
des stratégies au-delà de la construction. »7 Et puis il y a des non-architectes, comme Camila
Bustamante, une activiste urbaine/graphiste dont l’action a remis le projet de métro au cœur du
débat à Lima. Natalie Jeremijenko, elle, est médecin environnementale, ce qui veut dire qu’elle
influe sur notre santé, notre bien-être, non pas en altérant notre corps, mais en instaurant une «
hygiène spatiale » par le biais d’interventions écologiques.
Toutefois, aussi divers et nombreux soient ces démarches, leur explication reste très conceptuelle
dans le livre, nous laissant un peu sur notre faim. La plupart des entretiens semblent en effet se
concentrer plus sur les aspects théoriques de ces pratiques que sur leurs réelles applications,
ou applicabilités.
A en croire l’auteur du livre, l’avenir de l’architecte sous l’angle de unique de la formalisation
semble compromis. Mais il y a des alternatives, de l’espoir qui se dégage à la lecture de Future
Practice. Et c’est là le point essentiel de cet ouvrage. Etre architecte ne voudra sûrement pas
dire la même chose dans les années à venir. Mais si différentes méthodologies sont mises en
places, si les architectes s’ouvrent à différentes pratiques, s’ils parviennent à redevenir essentiel
au débat, quelque soit le contexte économique, social, financier, politique, être architecte voudra
toujours dire quelque chose.
L’architecture, et la profession d’architecte, ont connu au cours de l’histoire de nombreuses
crises. Qu’elles aient été d’ordre sociales, économiques, politiques, environnementales,
dogmatiques, ces phases ont amené les architectes à revoir leur pratique, à repenser leur métier.
Et c’est encore le cas aujourd’hui. La morosité des marchés financiers, la lente décrépitude
de nos environnements, la surpopulation de certains espaces et l’abandon d’autres, tous ces
éléments influent sur la profession. Loin de considérer cette crise multiple comme un obstacle,
il est nécessaire d’essayer d’en tirer le maximum, de s’adapter aux nouveaux enjeux, de faire
évoluer notre pratique. « Nous traversons notre propre crise ; celle de notre légitimité. »1
C’est dans ce contexte que Rory Hyde nous propose un ouvrage nommé Future Practice
; conversation aux abords de l’architecture. Dans ce livre, l’auteur nous fait découvrir à
travers 17 entretiens différentes façons d’exercer le métier d’architecte, ou du moins de faire de
l’architecture. En effet, les personnes présentées ne sont pas forcément architectes, pourtant,
chacune d’entre elles manipule, influe d’une façon ou d’une autre notre expérience spatiale
quotidienne. « Ne demandez pas à un architecte quel sera le futur de l’architecture. La plupart
ne sauront pas répondre. »2 Tout au long de son travail, l’auteur nous amène à remettre en
Architecte australien, et diplômé de l’Université RMIT à Melbourne, Rory
Hyde pratique son métier à travers le design, la construction, la rédaction,
la recherche, et même la radio. Future Practice, sorti chez Routledge en
2012, est son premier livre, mais sûrement pas son dernier.
Zach Eirin a suivi une formation d’ingénieur pour ensuite se réorienter
vers le design industriel. Collaborant souvent avec des architectes, c’est
par le biais de la littérature qu’il découvre ce milieu.
1 - Future Practice, Rory Hyde, Routledge, New York, 2013, p.162 - op. cit., p. 73 - op. cit., p. 164 - op. cit., p.905 - op. cit., p.50
6 - op. cit., p.1807 - op. cit., p.74
crédit photo : Taylor & Francis Group, LLC
briques / journal d’architectes fiche de lecture - zach eirin
fiche de lecture
11
Au matin du 29 août 2005, l’ouragan Katrina atteint la côte du Mississippi et brise en 53
endroits les digues retenant les eaux du fleuve, du lac Pontchartrain et des nombreux canaux
présents à l’intérieur de la ville. C’est ainsi que l’eau pénétre à l’intérieur de la Nouvelle-Orléans,
inondant environ 80% du territoire et causant la mort de 1860 individus. L’environnement bâti a
souffert d‘importantes destructions et on estime actuellement que suite aux inondations, plus
de 70% des logements ont été endommagés.
La Nouvelle-Orléans est particulièrement vulnérable aux inondations. Lefebvre (2008) l’explique
dans son livre par les caractéristiques topographiques de la ville qui accentuent ses chances
d’être inondée. Plus concrètement, sa forme de «cuve» la rend plus vulnérable étant donné
que le point le plus bas de la ville se situe à 8’ sous le niveau de la mer (ill.1). Lorsqu’un ouragan
de catégorie 4 ou 5 se présente, l’eau passe outre les barrières de protection et s’emmagasine
dans la ville. Dans le cas d’inondations majeures, quelques semaines (1 mois dans le cas de
Katrina) sont nécessaires pour pomper complètement l’eau à l’extérieur du territoire.
Suite à chaque déluge, les Néo-Orléanais ont tenté de s’adapter, notamment en rehaussant les
digues entourant la ville, mais aussi en construisant des floodwalls qui, au bout du compte, se
sont avérés trop faiblement construits et ont donc cédé à plusieurs reprises. L’ouragan Katrina
n’était donc pas uniquement un désastre naturel, il s’agissait aussi d’un désastre causé par
l’humain. Deux principaux types de murs ont été édifiés à travers la ville, le premier de type
«I» présentant un ancrage simple dans le sol, et le second de type «T» offrant une meilleure
résistance aux forces de l’eau en période de tempête. Étant donné les coûts respectifs de
chacun des deux types de murs, c’est le mur de type «I» qui a été le plus communément
construit en Nouvelle-Orléans, malgré sa plus faible résistance. Ce type de mur, lorsque
confrontés à de trop grandes pressions, en vient à céder créant ainsi de fortes entrées d’eau
au sein du territoire (ill. 2 & ill. 3), tel qu’il en a été le cas en de nombreux endroits en Nouvelle-
Orléans lors du passage de Katrina (ill. 4).
Depuis les inondations ayant ravagé une importante partie du territoire, de nombreux facteurs
ont ralenti le processus de reconstruction des milieux bâtis affectés. Dans le cas de Katrina,
la lenteur du processus est en partie attribuée à une incapacité collective d’organisation et
d’investissement dans la reconstruction. Comme les différents acteurs politiques ont du mal à
s’entendre avec les regroupements de citoyens, plusieurs situations restent en suspens et la
prise de décisions nécessaire s’en trouve souvent retardée. À titre d’exemple, l’administration en
place en janvier 2006 a publié une carte connue sous le nom de Green Dot Map qui présente les
zones de la Nouvelle-Orléans qui ne devraient pas être reconstruites en raison de leur situation
précaire au sein de la ville. On propose à ce moment que ces zones soient transformées en
grand parc urbain, et que la Nouvelle-Orléans soit reconstruite pour une population réduite. La
publication de ce plan souleva de nombreuses réactions chez les citoyens qui, selon le plan,
allaient se retrouver expulsés de leurs terrains.
Plusieurs architectes et leaders locaux s’entendent sur le fait que si la reconstruction fut si
lente c’est principalement en raison d’un manque de leadership clair. En effet, il semble que ce
ne soit pas le manque d’intervenants ou encore le manque de ressources qui soit la source du
problème mais plutôt l’absence d’un plan clair et unifié pour la reconstruction de la ville. Suite
à la proposition de la Green Dot Map, le maire Nagin, qui entrait alors en période électorale, a
annoncé que la reconstruction de la Nouvelle-Orléans allait suivre ses citoyens et non l’inverse,
c’est-à-dire qu’il allait favoriser un marché libre dans lequel les résidents de la Nouvelle-Orléans
Je ne suis pas économiste, loin de là. La crise économique, je la vis tout comme vous, même
si je ne saurais clairement définir sa cause, ou encore en expliquer toutes ses subtilités. Ceci
étant dit, la crise dans un sens plus large, elle, fait partie intégrante de ma vie puisqu’elle
vient définir ma carrière au quotidien. Il y a maintenant deux ans, j’ai déménagé au cœur de
ce laboratoire vivant de reconstruction qu’est la Nouvelle-Orléans afin d’orienter ma carrière
d’architecte vers le domaine de la reconstruction et de la mitigation des désastres naturels.
Sous la tutelle de Tulane University’s Disaster Resilience Leadership Academy, j’ai été formée
pour non seulement comprendre l’envergure et les répercussions que peut avoir un désastre
naturel sur une population, mais aussi pour mieux saisir comment la résilience d’une population
peut influencer son rétablissement.
Une crise économique et un désastre naturel, bien que très différents, affectent tous les deux
grandement l’économie des régions affectées à une échelle et à des niveaux très divers.
Généralement, une crise économique a tendance à avoir des répercussions plus vastes
géographiquement alors qu’un désastre naturel aura tendance à générer un choc spontané
sur l’économie d’une région plus définie. Ceci renvoie probablement à la nature de ces crises.
Alors qu’une crise économique représente davantage un phénomène progressif qui s’installe
tranquillement, un désastre naturel renvoie, à quelques exceptions près, à un choc inattendu
qui vient altérer l’économie de la région touchée tout en affectant la plupart du temps d’autres
aspects au niveau social et environnemental, de même qu’au niveau des infrastructures en
place.
Au cours des dernières années, plusieurs nations ont été grandement affectées par des
désastres naturels. A titre d’exemple, citons le passage de l’ouragan Katrina en 2005 ayant
ravagé la Nouvelle-Orléans. Effectuons d’abord un bref retour sur les événements.
AOÛT 2005 – L’OURAGAN KATRINA FRAPPE LA NOUVELLE-ORLÉANS
Native de Montréal, Sophie Guilbault a complété ses études en architecture
à l’Université de Laval, au Québec. Elle a également passé une année
à l’Institut Supérieur d’Architecture de la Communaute Française - La
Cambre à Bruxelles. Au cours de ses études, elle a participé à deux
projets de développement communautaire, le premier à Ouezzanne, au
Maroc, et le second auprès de la communauté amérindienne Innue de
Pessamit au Québec. Elle poursuit ensuite sa formation en Nouvelle-
Orléans où elle complète une maîtrise en Disaster Resilience Leadership à
l’Université Tulane. Sophie travaille actuellement à titre de coordonnatrice
de recherches pour l’Institute for Catastrophic Loss Reduction basé à
Toronto.
illustration 1
la résilience en temps de crise
la résilience en temps de crise - sophie guilbaultbriques / journal d’architectes
13
seraient libre de reconstruire leur résidence là où ils le souhaitent. Cette annonce illustre-t-elle
davantage une volonté de ramener les citoyens en Nouvelle-Orléans, ou est-elle plutôt le reflet
d’un manque de leadership de la part du maire?
Cette décision de l’administration Nagin a eu pour effet de générer plusieurs situations
problématiques au niveau urbain. À titre d’exemple, certains quartiers, tel le Lower Ninth Ward,
ont entamé la reconstruction de leurs maisons sans qu’aucune infrastructure de base soit
reconstruite dans leur secteur. Ainsi, les gens retrouvaient leur propriété sans toutefois avoir
accès aux services de proximité tels que les banques, écoles ou supermarchés. Ceci étant dit,
sans prise de position claire de la part du gouvernement et sans plan défini de reconstruction,
plusieurs initiatives locales ont émergé dans divers quartiers. On a donc ressenti dans la
période post-Katrina, une très grande influence provenant du système «bottom-up», ce qui
a certainement influencé la résilience de la population locale. Par résilience, on entend ici la
capacité d’une population à se remettre d’un choc et utiliser ce choc comme élément moteur
de développement. Suite à Katrina, on a pu assister à la création de nouvelles organisations
non gouvernementales, de nouveaux types de constructions, à de nouvelles entreprises, bref,
à un vent de renouveau sur la ville.
Plusieurs leaders locaux ont émergé à travers la population suite aux inondations majeures
de 2005. Parmi eux, Scott Cowen, président de l’Université Tulane, explique que lors d’un
désastre majeur, les individus résilients présentent généralement trois principaux attributs. En
premier lieu, il s’agit d’individus réalistes saisissant l’ampleur de la situation et étant capables
d’effectuer des évaluations précises et raisonnables de la condition dans laquelle ils se
trouvent. Il s’agit également d’individus faisant preuve de créativité et d’une impressionnante
flexibilité. Suite à un désastre de l’ampleur de Katrina, aucun manuel d’instruction ne dictait
une façon précise d’organiser la reconstruction. Un individu, ou encore à plus grande échelle
une population, se remettra sur pied en improvisant et en cherchant de nouvelles solutions.
Finalement, le dernier élément essentiel réside dans la capacité à faire preuve d’un sens moral
très fort et d’orienter ses actions selon des convictions bien précises.
La résilience d’une population ne se situe pas uniquement dans la réponse immédiate à
un désastre naturel, bien au contraire. Il s’agit plutôt d’un processus devant faire partie de
chacune des étapes précédant et suivant un désastre naturel (l’anticipation, la réponse, le
rétablissement et la mitigation). Contribuer à augmenter la résilience d’une population n’est
donc pas un processus simple et s’étend sur plusieurs années. Pour la Nouvelle-Orléans, il a
fallu 40 ans pour créer un système d’alerte de dangers et de suivi efficace, plus de 35 ans pour
informer la population adéquatement des menaces qui pouvaient potentiellement les guetter.
Il aura également fallu une quarantaine d’années pour renforcer les digues, puis 6 autres pour
les reconstruire et les améliorer suite à Katrina. Aujourd’hui, plus de 7 ans après le passage de
l’ouragan, la reconstruction n’est toujours pas complétée et on estime qu’il faudra encore une
dizaine d’années pour arriver à ce point.
La Nouvelle-Orléans est bien entendu un cas unique et chaque désastre naturel est bien
différent. Ceci étant dit, peu importe le désastre naturel, la résilience d’une population
influencera toujours sa capacité à se remettre d’un tel événement. Une plus grande résilience
des populations à l’échelle mondiale serait-elle la clé pour se remettre de la crise économique
actuelle? Plus précisément, est-il possible d’obtenir le même niveau de résilience de la part
d’une population sans devoir faire face à un choc aussi clair, net et soudain qu’un désastre
naturel? Peut-être qu’un économiste pourrait répondre à cette question. Pour ma part, je
préfère demeurer architecte.
illustration 2 illustration 3
illustration 4
la résilience en temps de crise - sophie guilbault
14
En se baladant sur la rue de Charonne, dans le 11ème arrondissement de Paris, on peut voir beaucoup de
choses. Des cafés branchés, des boutiques de prêt-à-porter, des bistrots de quartier, des galeries d’art, des
cours intérieures pavées, des passages fleuris, une ancienne usine à gaz, mais aussi plusieurs anciens couvents
et bâtiments d’accueil spécialisés. Parmi eux, un édifice en particulier a eu un passé pour le moins tumultueux.
Il s’agit du Palais de la Femme. Appartenant aujourd’hui à l’Armée du Salut, ce foyer sert de point de chute, de
refuge, pour celles qui ont besoin d’un logement à bas loyer. Mais cela n’a pas toujours été le cas, loin de là.
Au XVIIème siècle, des sœurs dominicaines s’installent sur le site et créent en 1641 le couvent des Filles de la
Croix. Le bâtiment est alors plus grand qu’il ne l’est aujourd’hui, recouvrant l’équivalent du 94, mais aussi du 92
rue de Charonne. C’est alors un lieu de culte, de soins, mais aussi d’éducation à l’attention des jeunes enfants
de l’époque. On retrouve déjà à cette époque, l’aspect caritatif lié à ce site. Alors financé par la charité, et sous
l’impulsion de la grande ferveur chrétienne de Louis XIII, on peut déjà y voir les prémices de que ce sera, trois
siècles plus tard, le 94 rue de Charonne ; un lieu à vocation sociale.
Tout se passe pour le mieux pour les sœurs dominicaines, elles prient, prêchent, éduquent les enfants du
quartier, bref, Dieu peut-être fier de ses brebis. Mais en 1789, un vent de révolte souffle sur Paris, la Bastille
tombe, la Révolution est en marche. D’un point de vue religieux, plusieurs décrets vont venir abolir petit à
petit les privilèges alors accordés à l’Eglise de France, les biens du clergé sont nationalisés, et les ordres
religieux supprimés les uns après les autres. Le mouvement de laïcisation, inspiré des Lumières et poussé
par la bourgeoisie parlementaire, va se radicaliser. Heureusement pour elles, les sœurs dominicaines sont « invitées
» auparavant par la Garde Nationale à quitter leurs locaux de la rue de Charonne. Le 2 septembre 1792, 45 de leurs
compères se feront « juger » puis exécuter en moins d’une heure, annonçant alors l’ouverture officielle des Massacres
de Septembre.
Ce n’est qu’en 1825, dans un contexte plus stable, mais toujours troublé, que le couvent rouvre ses portes. Il voit
alors défiler Louis Philippe, une autre Révolution (celle de 1848), la Seconde République, le coup d’état de Napoléon
III, le Second Empire, les grands travaux parisiens de Haussmann, et la Troisième République. C’est dans ce cadre, et
en prolongation des idéaux urbanistiques du modèle napoléonien, que la rue Faidherbe vient, sans aucun scrupule,
couper en deux le domicile des sœurs dominicaines. Cela ne suffira pourtant pas à les chasser, elles en ont vu
d’autres. C’est en 1904, année de la rupture diplomatique entre la France et le Vatican (notamment suite à l’affaire
Dreyfus), que le couvent ferme définitivement ses portes. Il sera démoli par la suite.
Le site restera vide durant des années. La France traverse alors, ce qu’on appellera plus tard la Belle Epoque. Forte
croissance économique, révolution industrielle, libéralisation de la société, développement des couches intellectuelles
et artistiques, multiples innovations scientifiques, soit, de manière générale, une période d’abondance, de paix, et de modernisation. Paris en est l’exemple parfait. Accueillant l’exposition
universelle en 1900, la capitale française devient alors un des points de convergence de l’art et de l’architecture. Mais cette douce ambiance de flânerie, d’insouciance et de joie de vivre,
cache un profond malaise social. La banlieue, lieu d’habitation des classes sociales basses, devient le cœur de la révolution industrielle, forçant les ouvriers à déménager. De plus, les travaux
haussmanniens ayant augmenté les loyers dans les quartiers centraux de la ville, les ouvriers y résidant se sont vus obligés de se relocaliser dans les quartiers périphériques, tels que Belleville.
Cela se traduit par une surpopulation dans ces arrondissements, une ghettoïsation, et de vastes problèmes hygiéniques.
Des ouvriers venant des quatre coins de la France se tassent dans les dortoirs (quand ils en ont les moyens), s’amassent
dans les cafés (seul lieu de socialisation à l’époque), soulevant alors la question du logement social.
Une première tentative avait
bien été mise en place en 1852.
La Cité Napoléon comprenait
5 étages d’appartements
à bas loyers, « distribués
autour d’un escalier central et
desservis par des coursives –
une organisation en quelque
sorte carcérale. »1 Des WC sur
paliers, et une fontaine au rez-
de-chaussée comme seul point
d’eau ; un vrai paradis. Ce genre d’interventions aura néanmoins comme conséquence d’amener les
promoteurs de l’époque, à « une nouvelle conception du logement (…) qui se démarque autant de
l’habitation bourgeoise que du phalanstère. »2 Par la suite, le financement d’entités privées (tels que la
Fondation Rothschild) va accélérer la recherche en matière d’optimisation, et d’hygiène des logements
sociaux. Ainsi, le Groupe des Maisons Ouvrières va engager, à partir de 1903, Auguste Labussière,
diplômé en Ingénierie à l’Ecole Centrale, et architecte-voyer de la ville de Paris. Ce dernier se reconnaît
non seulement dans la mouvance rationaliste dans la lignée de Viollet-Le-Duc, mais aussi, encore, dans
l’Art Nouveau. Se penchant autant sur l’aspect technique que décoratif de l’architecture, « l’intérêt
de Labussière pour des modes constructifs d’avant-garde est patent, tout comme son plaisir du jeu
décoratif et son goût des beaux matériaux. »3
A cette époque, « 30% de la population parisienne était célibataire, avec de nombreux jeunes ouvriers
venant des provinces, tandis que les filles travaillaient majoritairement en tant que domestique, habitant
sur leur lieu de travail. Toutefois, les HBM étaient « conçues principalement pour de grandes familles
»4. C’est alors que Labussière (collaborant avec Longerey) conçoit en 1910, avec le financement de la
1 - Parisian architecture of the Belle Epoque, Roy Johnston, 2007, Royaume-Uni, Wiley Academy, p.1512 - L’apprentissage du « chez-soi », Monique Eleb, 1994, Marseille, Editions Parenthèses, p.213 - L’apprentissage du « chez-soi », Monique Eleb, 1994, Marseille, Editions Parenthèses, p.19
4 - Parisian architecture of the Belle Epoque, Roy Johnston, 2007, Royaume-Uni, Wiley Academy, p.1625 - L’apprentissage du « chez-soi », Monique Eleb, 1994, Marseille, Editions Parenthèses, p.70
D’origine uruguayenne, Gabi Hernández étudie l’histoire de l’art à
l’University of New Mexico et travaille depuis un an sur sa thèse. A
travers son expérience professionnelle, il cotoîe les architectes, et
développe un intérêt particulier pour cette profession. Assistant de T.D.
de profession et globe-trotter à mi-temps, c’est à l’occasion d’un de
ces voyages à Paris qu’il découvre le travail de Labussière. Passionné
par les vieilles pierres, c’est avec beaucoup d’enthousiasme qu’il nous
livre ici son premier article en français.
le palais de la femme
briques / journal d’architectes
15
Fondation Lebaudy (anciennement Groupe des Maisons Ouvrières), un hôtel de 743 chambres pour hommes célibataires au 94 rue de Charonne.
En façade, on retrouve différents matériaux ; la pierre de taille, la brique, et le béton. L’utilisation de différentes textures sert ainsi à démarquer les différentes strates du bâtiment. Quelques éléments
sinueux viennent « atténuer la régularité des lignes verticales et horizontales »5. Seul élément un peu excentrique, l’entrée est monumentalisée par le biais d’un porche en pierres de taille ornementé de
gravures à motifs floraux.
L’intérieur du palais de la femme n’a rien à envier à son extérieur. Dès la porte passée, on entre dans un hall pavé de céramique blanche, éclairé par une large verrière, et, généralement, bien fleuri par
de nombreuses plantes. Si le travail de façade est dicté par la hiérarchisation verticale du bâtiment, le dessin intérieur répond, lui, à des questions plus sociales. L’objectif des philanthropes à cette
époque, est non seulement d’éduquer la classe ouvrière à un mode de vie plus bourgeois, mais aussi d’essayer de comprendre et d’assimiler les habitudes de cette classe dans ce processus de «
remodelage ». Cette éducation va notamment se faire par le biais de l’art. En injectant un décor bourgeois, artistique, raffiné dans cet immeuble, l’intention de l’architecte est de donner aux habitants,
une certaine sensation de prestige. « Conforme aux objectifs des fondations philanthropiques, l’idée selon laquelle « l’art éduque » fonde la conception du bâtiment. Les céramiques, les frises exaltant
le travail et les travailleurs, les meubles Art Nouveau dessinés par l’architecte forcent l’admiration et sont destinés à donner à l’ouvrier la fierté de son lieu de vie et, par là, une certaine dignité. »6 Mais
la priorité de ces fondations philanthropes est l’hygiène, physique et sociale. Physique, tout d’abord, par l’apprentissage des habitudes de propreté. Ainsi, de nombreux espaces dédiés à cet effet
sont présents au rez-de-chaussée ; « rien n’y manque : « bains et douches », « bains de pieds », « salle
des lavabos », « salle d’habillage », « laverie » et armoires alignées et même une boutique de coiffeur. »7
Sociale ensuite, par l’accès à la culture, et à des espaces de divertissement ; des salles de lecture, un
fumoir, un restaurant à prix abordable, et un espace de correspondance. Ce dernier répond au besoin
spécifique de communication de certains ouvriers dits « nomades ».
L’endroit semble idéal pour les jeunes travailleurs de l’époque. Tout ce qu’il faut pour vivre, se socialiser,
se cultiver, et avec des chambres de 8m2 ! Un vrai luxe à l’époque (et aujourd’hui aussi ?) ! Mais l’aspect
cossu du foyer ne constitue que la partie visible de l’iceberg. Derrière ces intérieurs confortables et bien
décorés, se cache un système de contrôle rigoureux, contraignant ses habitants à suivre des règles
spécifiques. Les chambres, par exemple, ne sont accessibles qu’entre 7:00 du soir et 9:00 du matin,
forçant les jeunes ouvriers à passer leur journée dans les parties communes (quand ils ne travaillent pas).
Les visites sont très réglementées, souvent refusées de manière arbitraire. Et cela passe même par la
sélection des futurs habitants. Car le foyer est réservé aux jeunes travailleurs, et non pas aux « miséreux
absolument tombés, qu’on ne pourra plus relever »8. L’accès y est autorisé « à des célibataires ayant un
travail stable et ayant satisfait à l’enquête de moralité conduite par la Fondation avant l’attribution des
logements. »9
Arrive alors, la Première Guerre Mondiale. Dès 1914, la totalité des occupants du 94 rue de Charonne
est réquisitionnée afin de défendre la patrie. L’hôtel pour hommes célibataires est repris par l’état, et
se transforme alors en hôpital de guerre. A la fin de celle-ci, le gouvernement français va conserver la
propriété du bâtiment, et y installer le Ministère des Pensions. Malgré ce changement de statut de privé
à public, le site conserve toujours cet aspect social qui lui est propre. C’est en 1926 que l’Armée du
Salut déménagera dans ces locaux, et renommera le lieu en Palais de la Femme. Reprenant les mêmes
principes que le projet initial de Labussière, le bâtiment accueille alors des personnes du sexe opposé.
Dans un contexte de montée du féminisme (courant alors très controversé en ces temps), cette initiative
émanant d’une association caritative ne fait pas l’unanimité. Mais cela n’empêchera pas l’Armée du Salut
de poursuivre sa démarche, et aujourd’hui encore, le Palais de la Femme accueille celles qui sont à la
recherche d’un foyer, devenant ainsi, une véritable référence en terme de logements sociaux d’un point de
vue historique. Le bâtiment connaît en effet un tel succès, que son modèle est repris, au début du siècle,
par les réformateurs viennois. Et qui ne voudrait pas d’un logement à bas loyer de nos jours à Paris ? C’est donc une belle acquisition pour l’association caritative, non seulement d’un point de vue
immobilier, mais aussi architectural. Et ce n’est pas la seule.
En effet, en 1930, l’Armée du Salut s’approprie une parcelle au 12 rue Cantagrel, dans le 13ème arrondissement de Paris. Les années 30’ sont marquées par la montée du mouvement moderne, avec
à sa tête, Le Corbusier. C’est ce dernier qui sera en charge de concevoir la Cité du Refuge. Ce bâtiment est l’une des toutes premières réalisations de grande envergure de Charles Edouard Jeanneret
à Paris. Car s’il est l’auteur de nombreuses maisons individuelles, ses « machines à habiter », auront plus de mal à conquérir le cœur, et le portefeuille, des maîtres d’ouvrage de l’époque.
En extérieur, on retrouve le principe de « façade-rideau » cher à l’architecte suisse. « Libérée de tout point porteur, la façade n’est plus ce lieu statique où alternent ouvertures et surfaces pleines,
mais une fine membrane dessinée par le libre graphisme des menuiseries métalliques. »10 C’est là, la première différence entre le Palais de la Femme et la Cité du Refuge. Cela influe également sur
la vie dans les chambres. Au 94 rue de Charonne, on retrouve des appartements éclairés et chauffés par le couloir, alors qu’au 12 rue Cantagrel, les locaux profitent d’un ensoleillement naturel par la
façade généreux permettant aussi un bon chauffage l’hiver. Et même si certaines problématiques hygiénistes persistent dans la conception du projet, ce n’est plus sur l’idée que l’art éduque que se
repose l’objectif social du bâtiment, mais plutôt sur le principe de réintégration par le travail. Ainsi, l’intérieur n’est plus une grande démonstration de techniques artisanales et artistiques, mais plutôt «
une de ses plus belles promenades architecturales »11. Les espaces communs restent toutefois des lieux de socialisation « forcée », et le contrôle que l’association caritative exerce sur ses habitants
est maintenu. Pensée comme un bâtiment autonome, la Cité du Refuge offre à ses occupants un sentiment mitigé, entre la sécurité face au monde extérieur, et l’enfermement. S’il y a donc une vraie
différenciation technique et formelle entre ces deux projets, on ne peut pas en dire autant sur leur concept social.
Depuis, tout a été remis à neuf. Inscrit aux Monuments Historiques en 2003, le Palais de la Femme se verra attribué un grand projet de restauration de 2006 à 2009. Certaines polémiques sont venues
soulever la question du contrôle social encore opéré de nos jours dans l’établissement. Tout comme au début du siècle, une rigueur quasi carcérale est mise en place. Au fond, rien n’a vraiment changé
depuis le temps des sœurs dominicaines.
Et pourtant, le Palais de la Femme, tout comme son créateur Auguste Labussière, est un bâtiment méconnu. Peut-être est-ce dû à l’abondance de la création architecturale de son époque, à l’apparition
de grands noms du mouvement moderne à Paris, tels que Sauvage, Perret, ou encore Mallet-Stevens, Roux-Spitz, et bien sûr, Le Corbusier. Mais le bâtiment conserve un vrai potentiel, tant historique,
que spatial. « Les groupes sociaux s’y côtoient, s’intègrent ou s’opposent à lui, mais de toutes façon, laissent des traces et construisent des images urbaines, des lieux chargés de sens, une histoire
sociale, une mémoire urbaine. »12
6 - Paris 1900-2000, Jean-Louis Cohen, Monique Eleb, Antonio Martinelli, 2000, Paris, Editions Norma, p.297 - Paris 1900-2000, Jean-Louis Cohen, Monique Eleb, Antonio Martinelli, 2000, Paris, Editions Norma, p.29 8 - Fondation Groupe des Maisons Ouvrières, ses immeubles en 1911. L’hôtel populaire pour hommes, Emile Hatton, Paris, Imprimerie A. Garjeanne, 1912
9 - L’apprentissage du « chez-soi », Monique Eleb, 1994, Marseille, Editions Parenthèses, p.5810 - L’école de Paris, Jean-Claude Delorme, Philippe Chair, 1990, Poitiers, Editions du Moniteur, p. 13211 - L’école de Paris, Jean-Claude Delorme, Philippe Chair, 1990, Poitiers, Editions du Moniteur, p. 13312 - Architectures à Paris 1848-1914, Paul Chemetov, Bernard Marrey, 1980, Paris, Bordas
le palais de la femme - gabi hernández
16
Nous assistons en ce moment même à une période de développement technologique
incroyable. L’information circule à la vitesse de l’éclair, nos téléphones deviennent aussi
performants que des ordinateurs, les progrès de la médecine nous permettent de vivre de
plus en plus longtemps, on envoie des robots sur Mars. Grâce à internet, nous pouvons
partager nos photos de famille, la recette de tarte-tatin de notre grand-mère, ou encore les
dernières performances de notre chat avec le monde entier. Où que l’on soit, et quoi que
l’on fasse, ces avancées technologiques affectent notre mode de vie. Et il en va de même
pour l’architecture. L’arrivée sur le marché de nouveaux matériaux, de nouveaux logiciels,
de nouvelles réglementations, de nouvelles problématiques, a drastiquement changé
l’environnement bâti dans nos sociétés. L’architecture se veut aujourd’hui high-tech. De
la façade média aux maisons actives en passant par la domotique, ces développements
sont le reflet d’une pratique changeante, concentrée de nos jours sur la mise en œuvre de
constructions technologiques. Cette mouvance progressiste est nécessaire dans la mesure
où elle permet d’ouvrir les architectes vers de nouveaux procédés. Toutefois, ceux-ci se
concentrent souvent sur l’aspect matériel, hardware, et sont souvent pensés comme des
additions aux bâtiments, offrant ainsi des résultats rarement à la hauteur de leurs coûts.
C’est en prenant le contre-pied de cette tendance high-tech hardware que 1024 architecture
propose une pratique architecturale différente, pluridisciplinaire, basée sur le software, alliant
mapping, musique, jeux-vidéos, programmation informatique, et utilisant aussi le low-tech, le
bricolage, le détournement. Fondée par Pier Schneider et François Wunschel en 2007, cette
agence parisienne se concentre principalement sur l’utilisation d’outils numériques à des fins
spatiales. Elle introduit une nouvelle notion ; celle de l’architecte-performer.
Comment en êtes-vous arrivés à votre pratique ? Êtes-vous d’abord passés par un parcours «
classique » stage-CDD-CDI en agence ? Ou bien vous êtes-vous lancés directement dans le
domaine de l’audiovisuel ?
Comme on s’y connaît pas mal en informatique, on a commencé à faire des perspectives
pour des agences. Quand on a commencé à gagner suffisamment d’argent, et une
certaine notoriété, notamment avec le projet pour Etienne de Crécy, on a pu se dédier à
autre chose. On a une approche assez large de l’architecture, à la fois « traditionnelle »
en faisant des bâtiments éphémères comme les Grandes Tables de lle, mais on conçoit
aussi des projets plus numériques, comme avec notre projet de mapping sur bâtiment
pour la fête des lumières à Lyon.
Il s’agit en fait d’architecture de scène, avec des fonctions répondant à d’autres problématiques,
mais quand même habitée que ce soit par des artistes, un D.J. ou le public. Par exemple,
pour la fête des lumières, le travail de 1024 architecture a été d’essayer de donner une
personnalité au bâtiment, une interactivité. De façon automatique, mais aussi « manuelle » en
impliquant l’utilisateur directement. Le mapping vidéo leur permet de rajouter une dimension
dynamique à une entité par définition statique, de reconnecter l’humain et le bâtiment de façon
très concrète et simple. Leurs connaissances informatiques leurs permettent de concevoir
leurs propres programmes selon le projet. Certains artistes travaillent avec des M.P.C. (Midi
Production Center) et des synthétiseurs, d’autres utilisent des programmes informatiques,
chaque situation est différente mais le principe reste le même ; il faut arriver à capter la donnée,
la réinterpréter en image, et en faire de l’espace, il s’agit d’augmenter l’espace grâce à l’image.
Et non seulement François et Pier créent des infrastructures spécifiques à certaines scènes,
mais ils conçoivent aussi leurs propres spectacles.
On voit de plus en plus l’architecte se mettre en scène, on peut notamment penser au prochain
film qui va sortir, the competition. Quel genre d’architectes pensez-vous être ?
Des architectes performers. On a commencé à penser l’architecture en tant que
performance, avec la Torre d’Espega, sorte de tour de lancement pour la tour Akbar
de Jean Nouvel à Barcelone. Il existe bien sûr déjà une scène du spectacle audiovisuel.
Mais l’interaction entre image et musique n’est pas extrêmement poussée dans ces
installations, car le musicien a déjà ses morceaux, ses tubes, et nous on s’adapte
dessus. Pour mettre en avant les spécificités de l’espace que l’on veut créer, c’est mieux
de penser la musique en même temps que l’image. Et c’est pour ça qu’on a eu envie
de faire nos propres spectacles. On ne réfléchit pas à la musique d’un côté et à l’image
de l’autre, on crée un système avec des correspondances. On sait que tel instrument
ou telle note va déclencher ceci, ou cela, la basse va déclencher le stroboscope, on
compose une musique graphique. Les shows audiovisuels de manière générale, ont
souvent la même base, un performer et un écran derrière. On essaie de transformer
ça, de l’envisager sous une forme plus théâtrale. On prend des risques, au lieu de faire
un show bien calé, on va chercher du côté de l’improvisation, du théâtre contemporain.
C’est un système qu’on met en place, mais après tout peut changer, on a un cadre
dans lequel on intervient, mais c’est du live. Pour ‘‘euphorie’’, ça nous a pris 2 mois à
installer, puis 3 ans pour en arriver au résultat d’aujourd’hui. C’est toujours un processus
d’expérimentation, un travail évolutif, on n’arrête pas de modifier de rajouter d’enlever,
on a cette liberté là. On n’a pas envie de s’ennuyer, on veut continuer à avoir du plaisir.
On prend notre temps.
crise en scène
briques / journal d’architectes
17
Leur inspiration, ils la trouvent dans beaucoup de domaines différents. Aujourd’hui il y a
internet, tout va plus vite. Il existe une multitude de références venant d’autres professions,
d’autres milieux dont on peut se servir et retranscrire en architecture. L’idée de leur trilogie
‘‘euphorie / crise / récession’’, lancée en 2010, est bien sûr une référence au contexte de
morosité économique, mais aussi une remise en question de l’utilisation et de l’importance de
la technologie dans notre société.
Vous mettez en place des systèmes au fond très simples, et les résultats obtenus sont
assez impressionnants, il y a une certaine efficacité dans tous vos projets. Comment vous
fonctionnez?
Chaque projet se nourrit du projet précédent, il y a des ponts d’un projet à l’autre. Par
exemple, dans euphorie, on a conçu un programme qui permet de retranscrire la voix en
note midi, et on a réutilisé ce même principe pour la fête des lumières. Chaque projet est
lié à un autre. On est dans une démarche de recherche.
‘‘euphorie / crise / récession’’ est un projet expérimental, dès le départ on s’est dit
qu’on allait faire une trilogie, et que la première partie s’appellerait euphorie. Et au fur
et à mesure l’histoire se construit, de façon expérimentale. A l’origine, euphorie, c’est
l’histoire d’un pixel seul, et par notre action, on va lui donner de l’énergie, le transformer
d’abord en objet, puis en espace. L’image, le pixel est le matériau de construction de
notre performance. On a souhaité être au centre de l’espace en tant que performer, que
l’image serve à définir un espace qui nous englobe, pouvoir le manipuler, à l’aide d’outils
comme des manettes de jeux-vidéos, faire des instruments qu’on fabrique nous-mêmes,
réinterpréter les objets du quotidien. Ça peut paraître high-tech, mais c’est super low-
tech, c’est une manière de dire qu’avec trois fois rien, on peut faire beaucoup, qu’on peut
faire de l’architecture avec n’importe quoi.
Et après l’euphorie, il y a eu la crise.
Oui, et on l’a suivie à la télévision comme une télénovela évangéliste. Comme on regarde
LOST, on peut regarder la crise, avec ses personnages charismatiques comme les
patrons des grandes banques, ou les présidents des grandes institutions financières. Ce
qui nous a choqué, c’est qu’on nous présentait ça comme quelque chose de compliqué,
les outils financiers sont compliqués, la situation est compliquée. Est-ce que ça veut
dire qu’on comprend rien ? Qu’on ne peut rien comprendre ? Qu’est-ce que ça veut dire
? « Les traders font des paris. », nous disait-on, ça nous semblait fou. On a commencé à
s’y intéresser, à faire un peu de recherches et on s’est rendu compte que ce n’était pas
si compliqué, que c’était même plutôt simple. Ils ont inventé des instruments financiers
complètement fous avec des noms exotiques, mais au fond c’est juste du pari à grande
échelle. On a essayé de se servir de ces éléments comme personnages, parce que c’est
de cette manière qu’on le perçoit à travers le média, comme une histoire. On a en fait
essayé de « vulgariser » tout ça. Quand on regarde les logiciels de la finance, et les
logiciels de mapping, on y trouve une certaine ressemblance. Les courbes de croissance
peuvent être assimilées à des courbes de son, la folie des salles de marché peut être
comparée à un concert de rock.
En ce qui concerne le troisième opus, ‘‘récession’’, qui devrait se finir dans 2 ans, on a
commencé à travailler dessus. Il s’agit de l’idée de la technologie qui se développe, mais
qui en même temps restreint, l’idée que nous sommes en quelque sorte prisonniers de
cette technologie.
Vous avez vraiment une approche intéressante, entre le D.I.Y. (do it yourself, fait soi-même), le
théâtre, la performance audiovisuelle et l’architecture. Vous vous sentez parfois vous éloigner
peu à peu de votre cursus d’origine ?
Ce qu’on fait peut paraître loin de l’architecture, mais au final, on utilise exactement les
mêmes logiciels, 3DS max, autocad, qui sont les outils de l’architecte. Le procédé est
le même. On essaie de réinterpréter certaines notions apprises à l’école. Par exemple,
la mobilité, et la flexibilité. On s’est rendu compte que pour rester mobile et simple, un
dispositif scénique doit tolérer l’imprécision. Contrairement en architecture, où ce qui
importe est la précision. On essaie d’introduire une notion d’adaptabilité, comme en
architecture d’urgence. On utilise aussi des matériaux de l’architecture. Dans’’ euphorie’’,
on utilise des filets de chantier comme surface de projection pour faire un spectacle.
Pour ‘‘crise’’, l’utilisation du carton, matériau de base, neutre, peut aussi renvoyer
aux maquettes d’étude en architecture. Le carton peut représenter le matériau de la
consommation, l’emballage de la société de consommation. Mais il peut aussi devenir
le support d’un décor, voire même un instrument. Comme on est à la fois architecte,
performer et bricoleur, on a l’opportunité de penser tout en même temps.
La grande différence, c’est que dans une pratique architecturale classique la courbe de
créativité monte beaucoup au début, et dès que tu passes l’esquisse, elle s’aplatit ou
descend. Avec des projets comme euphorie, crise, la boombox, des projets éphémères,
de spectacle, cette courbe reste en hausse. On échappe à beaucoup de restrictions.
Libéré de contraintes physiques et temporelles, 1024 architecture œuvre aussi à un niveau
presque immatériel. Leur projet le plus « virtuel », MadMapper, en est l’exemple parfait. Ce
logiciel de vidéo mapping qu’ils réalisent et commercialisent eux-mêmes a été pensé comme
un outil simple d’utilisation, même pour les débutants en la matière. On peut penser à des
applications en architecture classique, comme la projection sur maquette, ou même sur un
chantier, en augmentant l’espace grâce à la vidéo. Quelque part entre scénographe, D.J.,
programmeur informatique, bricoleur, et même acteur, l’architecte pourrait en effet intervenir
à des échelles plus diverses, et s’ouvrir à différentes pratiques. Plus qu’une simple déviation
de parcours, le travail de 1024 architecture démontre donc une véritable alternative au statut
classique de l’architecte.
Toutes les images présentées dans cet article ont été utilisées avec l’aimable autorisation de
1024 architecture qui en détient tous les droits.quelques vidéos pour en voir plus
crise en scène - min hong
18
Les métamères, dans le domaine de
la colorimétrie ou celle de la biologie,
impliquent une certaine équivalence
visuelle ou fonctionnelle entre deux
éléments. Dans ce premier pictorial, les
architectes Eliza Culea et Arthur Billaut
nous présentent leur lecture du terme au
sein de l’architecture, à travers ce projet
photographique nommé Métamérie,
publié dans le premier numéro de la
revue BRIQUES, journal d’architectes.
En s’inspirant des matériauthèques
sans fin des agences d’architecture
et travaillées comme une collection,
ces photos retranscrivent l’ambiance
de projets du monde entier, certains
familiers, d’autres plus intimes. Du
polycarbonate coloré du centre LABAN
au béton rouge de l’Atelier Bardill, ces
espaces fascinent par l’atmosphère que
leur matérialité dégage.
Cette série s’attelle à représenter les
projets d’une manière différente, en les
détachant d’angles photographiques et
les réduisant à leur essence physique
tactile. On retrouve la cohérence
visuelle d’un projet entier à travers une
seule image. Ainsi “la crise comme
programme”, thème du magazine,
s’applique ici à la genèse du projet dans
l’agence d’architecture, comme si les
matériaux de l’atelier maquette avaient
été remplacés dès le début par ceux du
bâtiment fini, afin de s’affranchir d’une
des étapes d’intellectualisation du projet.
Valerio Olgiati / Atelier Bardill / Scharans, Suisse
Sou Fujimoto / Dortoir pour personnes mentalement handicapées / Hokkaido, Japon
Andreas Fuhrimann Gabrielle Hächler Architects / Maison individuelle / Engelberg, Suisse
métamérie
briques / journal d’architectes
19
Herzog & De Meuron / LABAN center / Londres, Royaume-Uni
BIG & JDS / Logements à la montagne / Copenhague, Danemark
métamérie - eliza culea, arthur billaut
20
Randic & Turato / Hall Jean Paul II / Rijeka, Croatie
à votre tour de deviner.
Envoyez-nous vos réponses à jeux@briques-journal.
com. Un tirage au sort sera mis en place, avec comme
récompense, une version kindle du livre Future Practice.
briques / revue d’architectes
21
Heatherwick studio / Pavillon anglais à l’expo universelle / Shanghai, Chine
Steven Holl / Musée Nelson Atkins / Kansas City, Etats-Unis
Roland Simounet, Manuelle Gautrand (extension) / LAM / Lille, France
Arthur Billaut est né à Tours en 1984, en 2004
il arrive à Paris pour suivre l’enseignement
de l’architecture à l’ENSAPLV dont il sort en
2010, parallèlement aux études il collabore à
différentes équipes d’architectes, co-fonde le
collectif d’architectes Yes Future et développe
une expérience plasticienne.
Depuis 2010 il mène une double pratique,
d’un côté collaborateur d’une agence
d’architecture et de l’autre le développement
de son propre atelier, tout en poursuivant sa
démarche plastque.
Née en 1985, Eliza Culea effectue ses études
d’architecture dans un contexte international
et varié, oscillant entre Bucarest, Bruxelles
et Paris. Elle travaille en ce moment sur
son doctorat traitant de l’impact de la
culture numérique en architecture à l’ENSA-
Versailles.
En plus de sa démarche de recherche, elle
pratique une activité dans l’enseignement
universitaire, ainsi que diverses expériences
professionnelles dans le milieu muséal et
architectural. Elle participe activement à
la création de la revue briques en tant que
directrice artistique.
pictorial - e.culea, a. billaut
22
Après avoir commencé une licence d’histoire de l’art, Margot se dirige
vers la psychologie. Elle étudie en Argentine, puis revient en France
et s’intéresse à la dimension spaciale de sa discipline. Son mémoire,
nommé « L’utilisation des repères dans l’environnement au cours
du dialogue», l’amène à réorienter son parcours vers la psychologie
environnementale. Elle s’inscrit à Paris V au Master Professionnel et
Recherche, Psychologie, Environnement et Menaces Sociales. C’est
au cours de cette formation, (la seule dans ce domaine à Paris) qu’elle
prend pleinement conscience de son attrait pour la spacialité.
C’est à l’occasion de l’anniversaire d’un
ami que nous aonvs rencontré Margot.
Suite à quelques échanges de banalités,
vient alors LA question;
« - Tu fais quoi dans la vie ?
- Je suis psychologue environnementale.
- Pardon ?»
Quelques verres plus tard, nous
décidons de dédier notre premier
portrait à cette profession méconnue.
Espace, Aménagement : Une autre approche
Quelque part dans une petite commune à l’est de Paris, au pied d’une tour. Nous attendons
depuis quelques minutes. Entre ces immeubles hauts d’une vingtaine d’étages, la chaleur nous
parait encore plus écrasante. Un homme âgé s’approche de nous, à vive allure. Monsieur Marin
est essoufflé, il s’est dépêché car il a rendez-vous, avec nous. Nous sommes là pour qu’il nous
raconte son histoire ici, ses habitudes dans le quartier, ce qui a changé, ce qui lui plaît, ce qui
ne lui plaît pas, comment il imagine le futur. Carnet de note et dictaphone en main nous somme
prêtes, mais pour Monsieur Marin, pas question de commencer l’entretien avant de faire un petit
tour dans le quartier. Ce dernier ressemble à beaucoup d’autres, une succession de hautes
tours, des parkings, un square, et autour, des petits pavillons. Avant d’arriver ici, Monsieur Marin
habitait dans le 20ème arrondissement de Paris, il a été expulsé, et s’est donc installé dans un
appartement d’une des tours du quartier il y a 40 ans. C’était en 1974. A l’époque, Monsieur Marin
et ses voisins trouvaient que l’urbanisation n’allait pas assez vite, que construire uniquement des
logements ne suffisait pas, ils voulaient des commerces, des transports, plus d’animations…
Pour lui, en 40 ans certaines choses se sont améliorées mais, dans l’ensemble, tout ça n’a pas
bien vieilli. Selon lui, les jeunes s’ennuient ici et ils sont loin de tout. Monsieur Marin est attaché
à son quartier, il a construit sa vie ici. Pourtant, d’ici peu, les choses vont changer, le métro va
bientôt arriver. Et avec lui de nombreux bouleversements. D’ailleurs c’est pour ça qu’on est là, ma
collègue et moi.
On est ici pour tenter d’approcher ce que Edward T. Hall a appelé en 1966 la « dimension cachée ».
Pour cet anthropologue américain, la dimension cachée est l’espace personnel, l’espace nécessaire
à l’équilibre des individus. Pour Edward T. Hall, cette dimension subjective, l’espace vécu, doit
être prise en compte dans l’urbanisme et l’architecture moderne. C’est à la même période que la
psychologie environnementale s’est développée. Issue de la psychologie sociale, la psychologie
environnementale est née dans les années 70 des interrogations soulevées par les architectes,
les urbanistes et autres professionnels de l’aménagement de l’espace. Ces questions, les mêmes
que se posaient Monsieur Marin et ses voisins à leur arrivée, sont apparues dans le contexte d’une
émergence des problèmes sociaux et environnementaux après une accélération de la croissance
économique. Cette période correspond également à l’émergence des grands ensembles. Dans
les pays anglo-saxons, la discipline s’est développée en relation avec le milieu de l’architecture.
Des laboratoires associant psychologues et architectes ont vu le jour pour essayer de comprendre
le lien homme-environnement, l’analyser, et essayer de « contrôler » le développement urbain. En
France, la psychologie environnementale ne s’est développée qu’une dizaine d’années plus tard
et indépendamment des architectes. Son développement correspond à un élargissement des
différentes branches de la psychologie à la dimension environnementale. Cette jeune discipline a
étayé des théories sur l’attachement au lieu, l’influence de l’environnement sur les perceptions,
les comportements, les représentations, l’identité des individus. Elle s’est notamment posée la
question de l’impact d’un changement dans l’environnement sur les individus, comme il s’en
produit lors des aménagements urbains.
Monsieur Marin, justement, sera bientôt confronté à un changement dans son quartier. C’est ce
futur aménagement qui m’a amenée à le rencontrer, pour contribuer à une étude visant à définir
une identité territoriale autour du projet de prolongement de la ligne 11 du métro parisien. Pour
arriver à définir cette identité nous avons fait plusieurs entretiens comme celui-ci. Après l’analyse
de ces entretiens, j’ai pu rédiger un rapport pour les maitres d’ouvrage. J’ai également créé une
grille d’observation sensible. Les sons, les odeurs, les couleurs, les ambiances, le ressenti :
nous notons tout consciencieusement dans chaque lieux concernés par la future ligne de métro.
L’analyse de cette grille sert à créer un langage commun pour communiquer de façon cohérente
sur tout le territoire.
Ici, les techniques des sciences sociales sont utilisées dans le cadre de projet d’aménagement
du territoire au sens large. Mais j’ai aussi l’occasion voir que cela peut concerner directement
des projets architecturaux. Comme le cas de l’aménagement de la place de la République à
briques / journal d’architectes
margot chignac
23
Pour les curieux:
Place de la République en marche (http://www.placedelarepublique.
paris.fr/articles/imaginer-la-place-0047)
Journal of Environmental Psychology
La dimension cachée, Edward T. Hall, 1966
Tout d’abord, quelles sont tes relations avec le monde de l’architecture ? Est-ce un milieu
qui te paraît étranger ? Ou familier ?
J’ai travaillé avec une architecte dans un bureau d’études d’urbanisme. C’est d’ailleurs avec la même
architecte que je travaille régulièrement pour des missions de concertation et communication de
projets urbains. J’ai eu l’occasion, lors de mon passage chez O’zone architecture, de m’intéresser
un peu à l’architecture, il y avait quelques réunions informelles où j’ai appris beaucoup sur le milieu
de l’architecture et son fonctionnement. Mais je n’ai pas de relation directe avec les architectes.
Quelle est ta vision du métier d’architecte ?
Il y a cette idée de l’architecte bâtisseur tout puissant, du créateur fou dans l’imaginaire. Dans la
réalité, je vois plus cela comme un métier très technique. C’est un domaine très global, qui réunit
plein de choses, il y a tellement de facteurs à prendre en compte.
C’est en effet un métier « généraliste ». D’où la nécessité de collaborer avec d’autres
spécialistes. On pourrait penser qu’il y a plus d’échanges entre les maîtres d’œuvre et les
professionnels des sciences sociales. C’est intéressant de noter cette absence d’interaction.
A quel moment du projet interviens-tu alors ?
Notre travail est sollicité surtout dans les phases préliminaires du projet, pas du tout pendant, et
assez rarement après. J’aimerai avoir l’occasion d’intervenir dans la phase de conception même
du projet. C’est une question que je me pose, je n’en suis pas certaine mais je pense que c’est
possible. Je voudrais qu’il y ait un travail de groupe, pas que le diagnostic soit fait dans un coin,
et le projet dans un autre. J’aimerai qu’il y ait plus d’interactions, être en dialogue direct avec tout
le monde, architectes, ingénieurs, utilisateurs, etc. Il y a bien sûr des aspects techniques qu’on ne
peut pas maîtriser en tant que psychologues, mais je pense qu’on peut apporter un certain recul
dans le processus de création, jouer un rôle de médiateur.
La profession que tu exerces est très peu connue dans le monde de l’architecture. As-tu
l’impression que ton métier soit mésestimé ?
Parfois les sciences sociales sont utilisées par des personnes qui ne sont pas forcément habili¬tées
à le faire. Il y a des méthodologies très précises, il y a plein de biais à contrôler afin de ne pas
influencer les informations que l’on veut récupérer. Les données venant des sciences humaines et
sociales sont souvent prises à la légère, et pas seulement par les architectes.
Sur quoi tu travailles en ce moment ?
J’effectue une mission de concertation, communication autour du projet du nouveau centre ville
de Villeneuve La Garenne (92) chez Pakenko consultants. Je n’interviens pas au niveau de la
communication graphique, mais plutôt sur la création de méthodologies participatives un peu
innovantes. Je recueille du discours d’habitant, des perceptions, des choses plus sensibles qui
ne soient pas juste « je suis pour », ou « je suis contre ». C’est parfois difficile de ramener les gens
à l’intérêt général. Je travaille aussi pour la Rue de l’avenir, une association/laboratoire d’idées
qui réunit des profes¬sionnels de différents horizons sur la question de la rue de demain. J’y suis
chargée de missions, c’est principalement du travail associatif, organiser des réunions, en faire
des comptes-rendus. Dans ce cadre, j’ai réalisé une brochure sur le thème de l’enfant et la rue.
Quels genres d’outils utilises-tu ?
Principalement les outils des sciences sociales, des grilles d’observation, d’entretien, parfois des
questionnaires. Ce que je préfère recueillir c’est du discours. Toutes les données que je récupère
sont après reprises, et représentées par l’agence de communication dans laquelle je travaille en
ce moment.
Tu as donc des compétences assez précises dans le domaine de la psychologie sociale.
Envisages-tu d’approfondir tes connaissances dans un autre milieu ?
Je n’exclus pas de reprendre des études s’il faut compléter mes connaissances que ce soit au
niveau réglementaire, technique. Pour le moment, je viens de passer mon diplôme, et j’ai envie de
voir ce que je peux faire juste avec cette formation, car j’y crois.
Paris où un architecte a organisé des balades urbaines avec différents groupes : riverains, jeunes,
cyclistes… pour recueillir leur parole. Ces récits (voir le recueil : Place de la République en marche)
ont présenté une source d’inspiration, ou du moins un apport dans la prise de connaissance
du contexte humain par les architectes concepteurs. Il est essentiel d’identifier la diversité du
public concerné par un projet pour avoir une idée de la diversité des attentes tout en gardant à
l’esprit l’intérêt général. Les concepteurs peuvent alors jouer sur les perceptions, les impressions.
Comme jouer sur l’aménagement des espaces personnels dans des contextes de grande densité
pour préserver l’impression de privacité qui est nécessaire pour le bien-être des individus. Cette
privacité permet, entre autres, de réguler et contrôler les limites entre soi et les autres.
Les psychologues sont des médiateurs empathiques, posent des questions et tentent d’apporter
leur analyse sur divers champs pour travailler sur le bien-être et ramener du « bon sens » : quels
éléments du discours d’un habitant nous informe sur la mémoire, l’identité collective du lieu ?
Comment aménager cet espace pour favoriser la concentration ? La santé mentale ? Comment
favoriser les rencontres à cet endroit ? Comment attirer l’attention sur cet élément ? Comment
vont-ils réagir ?
Les comportements, les représentations, perceptions et émotions doivent prendre part dans les
diagnostics mais aussi tout au long des projets grâce aux enquêtes de terrains et aux études
empiriques existantes. Le rapport affectif à l’espace est complexe, le cadre bâti n’est pas neutre
psychologiquement. Les informations provenant des sciences sociales ont donc leur place dans
la compréhension du contexte, au même titre que la géographie, le climat, l’orientation, etc. Les
sciences sociales utilisent des méthodologies précises, rigoureuses et représentent une discipline
en soi. Les concepteurs devraient les appréhender, les prendre en compte. Mais ils ne devraient
pas se les approprier sans l’appui des professionnels formés à ces sciences sociales, ce qui est
parfois le cas.
Pour ce que j’en sais, la psychologie environnementale n’est pas encore très connue. C’est une
des façons de parler de l’espace. Elle s’enrichit et enrichit les autres disciplines. Ce point de
vu, amène du recul et contribue au processus de compréhension d’un environnement dans sa
globalité. Cette compréhension est nécessaire pour un développement durable. C’est concevoir
et construire sans oublier la dimension humaine. C’est créer un lien entre vous et moi pour le
bien-être de l’individu.
portrait / margot chignac
24
Dans une petite rue du 13ème arrondissement de Paris se trouve une petite maison. Dans maison, se
trouve un atelier à l’entresol. Et c’est ici que se trouve une talentueuse céramiste. Ayant découvert
cet art avec sa grand-mère, Pia VanPeteghem effectue d’abord un passage en prépa artistique. Puis
elle s’intéresse à l’histoire de l’art et à la médiation culturelle, domaine dans lequel elle étudiera
pendant 3 ans. Son envie de création la pousse à poursuivre sa formation, et mettre la main à la
patte à La Cambre, Bruxelles. De retour en France, la jeune céramiste approfondit ses connaissances
techniques à l’Atelier Arts et Techniques Céramiques de Vincennes, sous la direction de Grégoire
Scalabre et Christophe Bonnard. Son travail reflète une volonté de maîtriser la technicité de la terre,
ainsi qu’une créativité issue de la matière.
crédit photo : Polli Kaminski
Commençons par ton parcours. Comment tes études en histoire et médiation ont-elles
influencé ton travail ?
Quand je suis revenu de La Cambre, j’ai décidé de faire mon mémoire d’études sur un sujet qui
me tenait particulièrement à cœur ; « arTgile , qu’est-ce que la céramique aujourd’hui ? » Il y a
une confusion entre un designer, plasticien qui utilise la céramique, un potier, un tourneur et un
céramiste. Je voulais éclaircir certains points. Je me suis notamment intéressé à Barcello. C’est
un artiste complet, dont les choix esthétiques ne me plaisent pas forcément, mais sa démarche
qui se veut libre de toutes tendances, influences, ou contraintes, m’intéresse beaucoup. Dans un
tout autre registre, il y a aussi Sottsass, pour l’harmonie entre la forme et la fonctionnalité, il a une
approche assez sculpturale et ludique du design. Mes études en histoire de l’art m’ont beaucoup
servi, non seulement car cela a enrichi ma culture générale, mais aussi car j’ai pu m’intéresser à
l’histoire du concept d’objet à travers les âges.
C’est vrai que la céramique est un milieu assez méconnu. Tu es à la fois céramiste, jeune
entrepreneur, artiste. Comment décrirais-tu ton métier ?
J’aime bien dire que je suis « artistan ». Je travaille la terre, peu importe dans quelle direction, je
garde une certaine liberté. Je pars toujours de la matière. Après, je peux aussi bien partir dans
des projets de plasticien que de designer, et l’un et l’autre peuvent se nourrir. Par exemple, j’ai
créé des objets plastiques pour une exposition photo avec Mustapha Azeroual, et j’ai été amenée
à retravailler ces objets plastiques en objets de design, qui eux même vont repartir dans un autre
projet qui sera une pièce unique, entre l’œuvre d’art et le mobilier. J’ai en ce moment un projet de
lampe avec l’atelier tropique, et un autre avec une paysagiste qui est en cours.
Peux-tu nous parler un peu plus de cette pièce unique ?
Je me suis inspiré de la forme générique du polyèdre, qui m’a amené tout d’abord à créer des
objets utilitaires, puis un lustre constitué de plein de petits polyèdres, quelque chose entre l’objet
unique sculptural et le luminaire. Le gros avantage de la porcelaine, c’est le travail de lumière, de
transparence. J’essaie d’architecturer une forme pour en tirer le meilleur parti.
En quelque sorte, tu crées des mini-espaces., de l’architecture à micro échelle. C’est
quelque chose qui t’inspire ? Quelle est ta vision du métier d’architecte ?
Je peux effectivement trouver mon inspiration à travers l’architecture, surtout japonaise comme,
Shigeru Ban, Tadao Ando, Sanaa. Il y a aussi Werner Tscholl, et les grands classiques du Bauhaus.
Je considère le rôle de l’architecte tout d’abord comme essentiel, et parfois difficile d’accès. Sa
place dans notre société est importante, et devrait l’être encore plus par rapport à la façon dont
nos modes de vie vont évoluer, et évoluent déjà. Il se doit de jouer un rôle social, et de porter
un message. C’est un métier qui se nourrit de tout, très riche. J’aurai adoré faire des études
d’architecture.
Et tu envisages de poursuivre ta formation ? D’explorer de nouveaux domaines ?
J’adorerai travailler le métal et le bois, pouvoir mélanger la céramique avec d’autres matériaux
pour créer des modules de mobilier. J’ai déjà tenté l’expérience avec le métal, et il y a un stage
de béton prévu bientôt auquel je vais participer. J’aimerai obtenir un contraste entre un matériau
industriel, brut, et quelque chose de plus raffiné comme la porcelaine.
Tu as l’air d’avoir une démarche à la fois « old-school » et en même temps, une esthétique
très contemporaine. Comment cela se traduit en technique ?
J’utilise autant le modelage, le tour, que le moulage en plâtre ou en terre. Les photophores que
j’ai créés sont imprimés à partir de dentelles anciennes, des textiles, je peux travailler aussi à
partir d’un modèle en papier que je vais rigidifier pour en faire un moule. J’essaie de ne pas me
donner de limite à ce niveau-là, je navigue entre toutes les techniques. Chaque outil convient à
un moment, à un objectif. Il est aussi intéressant de fabriquer ses propres outils pour réussir à
atteindre son but.
Il semble important de nos jours de pouvoir donner une vraie valeur ajoutée aux matériaux
qu’on utilise. J’imagine, surtout dans une démarche « artistanale », que tu dois passer par
beaucoup d’essais, d’expériences avant d’obtenir le résultat recherché. Que fais-tu de tes
prototypes ?
Avant que la terre ne soit cuite, on peut recycler la matière en la mélangeant avec de l’eau, puis
en la malaxant. Mais j’ai du mal à les jeter, ce sont un peu comme mes petits. Même un raté peut
amener à une autre idée. On a vraiment une part de surprise (bonne ou mauvaise) au moment de
l’ouverture du four, il y a des choses qui ne sortent pas du tout comme on les avait imaginé, et
qui peuvent nous diriger vers autre chose. On a beau essayer de maîtriser au mieux sa technique,
de pousser sa connaissance du matériau, on sait qu’on est obligé de laisser la matière faire son
travail. C’est ça qui est fascinant, cette sensation d’être le premier homme qui ouvre un four, d’être
devant une sorte de magie qui se renouvelle à chaque ouverture. Par exemple, pour les bols, je
n’avais pas pensé à l’aspect translucide, et c’est en les passant devant une lumière que je me suis
rendue compte de cette caractéristique, et que l’idée d’en faire un abat-jour m’est venue.
Arrives-tu à vivre de ton art ?
Pour l’instant, non. En même temps, ma carrière ne fait que commencer. C’est difficile d’en vivre,
la plupart des céramistes donnent des cours, et vivent de l’enseignement. Ce qui est compliqué
c’est de gérer à la fois la création, et la commercialisation, communication, le suivi, etc. Il y a un
clivage entre «céramiste artistes contemporains» et «artisans potiers». Parfois les frontières entre
leurs démarches sont ténues et certains artisans dit potiers mériteraient d’être plus reconnus et
aidés, soutenus, pour des démarches dites plus artistiques en ayant la chance d’exposer dans
des galeries de renom. Mais les choses commencent à bouger petit à petit en France, et j’ai bon
espoir que cela décolle.
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Les architectes développent comme habitude de griffonner, que ce soit dans les coins de leurs carnets pendant les réunions, ou sur des serviettes en papier au téléphone, comme tout le monde.
Ils maintiennent cette compulsion car dessiner devient un moyen d’expression courant à travers leur vie professionnelle. Toutefois, la formation d’architecte incite, parfois, à donner trop de sens à
la moindre ligne ou forme tortueuse, comme si la gravité s’y appliquait et que les croquis pouvaient s’effondrer.
Paradoxalement, griffonner « sérieusement » implique que l’on oublie ce genre d’interprétation trop éduquée. C’est un fait que j’ai découvert grâce à Laura Leonte, la créatrice de CompulsiveDrawer,
un site web s’intéressant aux griffonnages, et les diffusant. Pour être honnête, je ne suis pas tombée sur cette idée par hasard, car il s’agit en fait de ma sœur, et j’ai donc accès à tous ses trucs
cools la première, mais je peux toutefois dire que cela m’a fait voir ces gribouillis sous un autre jour, comme des dessins non conventionnels. Laura définit le dessin compulsif comme quelque chose
qui se produit en faisant, ou en réfléchissant à autre chose. Cet état de non concentration est, selon elle, l’habitat de notre créativité débridée, elle perçoit les « doodles » comme des formalisations
d’une liberté créative traitées illégitimement par leurs créateurs. Les dessins compulsifs ne devraient pas rester enfermer dans un vieux carnet sur le point d’être jeté, ils méritent de s’exposer, de
se dévoiler au monde extérieur, et d’y rester. C’est bien là le but de CompulsiveDrawer, montrer ces dessins en ligne et hors-ligne. Même s’ils sont le fruit d’un processus secondaire, involontaire, il
faut reconnaître le message qu’ils portent.
Une agence d’architecture est généralement remplie de jolis stylos, de grandes feuilles vierges, et de personnes intéressantes sachant dessiner. On pourrait dire que c’est le Shangri-La du gribouillage.
De nombreux dessins potentiellement compulsifs s’y trouvent. La plupart sont des croquis de concepts qui peuvent sembler vagues, déformés. Mais ce sont en fait des pépites d’intention ayant eu
pour but de devenir maison, gratte-ciel, ou bureaux. Dessiner fait partie intégrante du travail d’architecte, c’est un processus nécessaire. Frank Gehry a donné tellement d’importance à cette étape
que c’en est presque devenu son métier. Cela a amené son agence a repensé les procédés de fabrication existants afin que les lignes sinueuses de ses croquis ne se transforment pas en traits
orthogonaux et angles droits. Victoire ! Mais aussi intuitifs soient ces croquis, on ne peut les qualifier de dessins compulsifs, car cela implique un certain recul vis-à-vis des décisions conscientes
afin de laisser place à l’irréfléchi, à l’inconscient. L’art du griffonnage naît dans les marges des feuilles de cours que l’on distribue à l’école.
Nous avons demandé à Laura sur quoi elle avait l’habitude de dessiner quand elle était étudiante. Sa réponse ? Des oignons. Pourquoi ? Car les
pommes et les autres surfaces étaient trop courantes. J’étais une hipster, dit-elle avec autodérision.
J’étais dans ma phase « just do it », j’aimais concrétiser mes projets. On était supposé se débarrasser de certaines
choses à l’agence, notamment de carnets. En les feuilletant, certains dessins ont attiré mon attention. Ils étaient
tellement différents les uns des autres. Ils avaient l’air très bêtes. Ils étaient vivants. Après les avoir vus, je me suis dit
qu’il ne fallait pas les laisser disparaître, on ne peut pas rester indifférent à ce genre de dessins. Ce sentiment s’est
combiné à ma frustration de ne pas pouvoir utilisé certaines bonnes idées à causes de toutes sortes de contraintes,
et cela m’a amené à créer CompulsiveDrawer 10 minutes plus tard.
Selon la créatrice de CompulsiveDrawer, cette pratique représente un moteur pour la créativité, et c’est pour cela
qu’elle s’attache à exposer chacun des surprenants travaux de nos esprits déconcentrés. Laura travaille depuis 10
ans en tant que rédactrice, et est actuellement au sein d’une agence de publicité top à Bucarest. Gravitant autour de
personnes créatives dans le monde de la communication, elle découvrit le point commun le plus courant entre toutes
les idées ; elles ne se matérialisent presque jamais. Et celles qui atteignent ce stade sont toujours transformées,
s’éloignant parfois beaucoup de l’étincelle créative initiale. C’est comme cela qu’elle commença à réfléchir au
potentiel du griffonnage, et à l’importance du dessin dans toutes les phases de conception. Dix minutes plus tard,
CompulsiveDrawer était né.
Ce site web est une plateforme encourageant des personnes d’horizons, professions, générations différentes à diffuser
les dessins qu’ils réalisent en exécutant d’autres tâches. Son but principal est d’aider ces griffonnages à faire surface
au lieu de se perdre dans un carnet qui finira lui-même à la poubelle. Nous avons demandé à Laura, elle-même
dessinatrice compulsive, de nous parler de son site, s’il y avait quelque chose de plus derrière cette collection de
dessins que leur simple fonction chronophage lors de réunions ennuyantes. Nous avons essayé de reprendre tout au
début.
C’était en Juillet 2010, cela fait donc 3 ans que cette décision, ferme et soudaine, convertit des gens de tous horizons à l’art du dessin compulsif. Le rêve de Laura est de recevoir
des travaux de n’importe où en Chine. Cela ne s’est pas encore réalisé, même si CD compte des fans dans le monde entier. Les retours positifs qu’elle reçoit de leur part l’ont incitée
à réfléchir à ce projet comme un réseau social pour griffonneurs. Elle voudrait que même les gens n’ayant aucune expérience se mettent à dessiner, car chacun d’entre eux a un
message à faire passer. C’est bien là le credo de CD.
Ina Leonte est architecte, et enseignante assistante au Département d’Introduction au
Design Architectural à l’Université d’Architecture et d’Urbanisme Ion Mincu, Bucarest.
Elle est actuellement en train de développer sa recherche doctorale, et travaille en
tant que collaboratrice avec l’Ecole de Design Computationnel Parametrica.
l’art du dessin compulsif
briques / journal d’architectes compulsive drawer - ina leonte
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La fine limite entre l’intentionnel et l’involontaire commencera à s’exprimer au fur et à mesure que la communauté de
dessinateurs compulsifs grandira. Mais CD a pour but d’encourager la bravoure, et de reconnaître la liberté de l’idée brute, de
la vérité nue. C’est pourquoi la plateforme grandira à travers l’aspect intuitif des travaux soumis, et non autour de la maîtrise
de la main.
A partir de cet automne, CompulsiveDrawer s’efforcera de mettre en contact ces artistes, qu’ils soient reconnus ou non, et
leurs travaux, par le biais d’évènements en ligne et hors-ligne, célébrant ainsi les choses que nous accomplissons entre les
choses que nous voulons accomplir.
Il y a des dessinateurs qui ne savent plus quoi dessiner, et des gens qui ont des choses à dire
mais qui se laissent bloquer par leur maladroitesse.
C’est la raison pour laquelle Laura voudrait ouvrir la petite communauté que CD a réussi à rassembler, et ce, sans réfléchir à une stratégie
d’expansion, afin de laisser une certaine autonomie à cette évolution. La fondatrice croit au potentiel de ce projet. C’est une chose à laquelle
elle ne s’attendait pas, avoue-t-elle, mais qui la pousse à développer son travail. CompulsiveDrawer est une plateforme principalement en
ligne pour le moment, mais Laura prévoit de créer des évènements hors ligne, l’occasion pour les contributeurs de se rencontrer en chair et
en os, de partager leurs idées, leurs points de vue, leurs travaux. Elle travaille également sur une exposition regroupant les œuvres soumises
ces dernières années, et sur la rédaction d’un livre d’histoires racontées par le biais de l’écriture, et du dessin compulsif. Une bande dessinée,
en quelque sorte, qui sera envoyée à toute la communauté de CD.
De manière générale, les personnes soumettant leurs griffonnages travaillent ou étudient dans un milieu créatif.
Les rédacteurs sont la plus grosse source de dessins compulsifs, mais ils ne savent pas tellement
dessiner. Leurs productions sont des plus délicieuses car ils ont des idées qui se matérialisent de
façon totalement improbable.
Bien sûr, l’architecte que je suis ne pouvait s’empêcher de se sentir oubliée. J’ai donc défendu bec et ongles ceux d’entre nous qui gribouillent pour, ou autour,
d’un concept. Toute agence d’architecture qui n’est pas totalement passée du côté digital est un environnement propice au dessin compulsif. D’expérience, je
sais que quelques post-its suffisent à créer un petit personnage marrant, caricaturant son patron, les nuits de charrettes, etc. Mais jamais les clients, ils sont
rois, surtout ces derniers temps.
Chacun d’entre nous pourrait bénéficier d’une soupape de sécurité afin de laisser s’échapper sa créativité entre deux projets. Laura considère le dessin
compulsif comme une porte ouvrant vers une infinité de possibilités créatives, et elle semble en tirer une certaine énergie.
Laura travaille sur le développement de son site web afin d’élargir sa communauté. Après tout, le message est que tout le monde peut, et devrait dessiner. Mais le défi, dit-elle, est
de garder cette énergie brute jusqu’au bout. Nous lui avons demandé si une certaine prise de conscience, une popularisation de cette pratique, ne desservirait en fait pas son côté
compulsif, instinctif.
C’est génial de créer des choses. Chacun doit créer tout ce qu’il/elle peut imaginer. Chaque
idée a un potentiel en soi, même si on peut avoir du mal à la mettre en pratique au début.
Les grandes idées survivent. Le plus merveilleux, c’est qu’une bonne idée grandit, et trouve
les sources d’énergie nécessaires à son évolution par elle-même ! Quand on cesse d’y croire,
quelqu’un d’autre arrive avec des suggestions, des conseils sur la marche à suivre. C’est
pourquoi je pense que CompulsiveDrawer doit fonctionner comme une communauté ! nous dit
Laura avec grand enthousiasme.
Il y a une différence entre le griffonnage et l’art graphique, mais qu’importe le professionnalisme
d’un artiste, une partie de son travail restera compulsif. L’art pour l’art débute toujours par un
instinct, une intuition.
Quand on gribouille, on ne s’en remet qu’à soi-même, et
encore. C’est quand on n’est pas totalement conscient de ce
que l’on dessine que des résultats délirants apparaissent.
Selon elle, c’est l’absence de contraintes qui dynamise le griffonnage. C’est à travers son
aspect compulsif que le génie créatif prend le dessus, sans réfléchir à la marche à suivre.
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fin de ligne
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jeux
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Detroit, centre-ville. La crise peut être synonyme de fin, mais elle est aussi synonyme de
renouveau. Imaginons un vieux théâtre inoccupé, laissé à l’abandon, vidé de son activité
du jour au lendemain. On peut encore y sentir l’odeur du vieux parquet, l’exaltation des
comédiens, et même entendre les applaudissements des spectateurs. L’endroit a perdu
son dynamisme, mais a gardé un certain cachet. Une douce lumière s’introduit à travers les
carreaux poussiéreux et vient éclairer les vestiges d’une gloire passée.
Comment, dans un contexte de crise économique et démographique, peut-on proposer
une seconde vie à ces espaces en décomposition ? Quelles solutions, temporaires ou non,
peut-on amener afin de réinjecter de la vie dans ces édifices laissés à l’abandon ?
Retravaillez l’image mise à votre disposition comme vous le souhaitez.
Libre à vous d’ajouter tout autre élément graphique à votre réponse.
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