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ECONOMIE DE LA MER 2009 – 1 et 2 décembre 2009 – BREST 1

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Sommaire du compte‐rendu

Mardi 1er décembre

Débats animés par André THOMAS, rédacteur en chef, le marin

et Jean‐Claude HAZERA, rédacteur en chef, Les Echos LA POLITIQUE MARITIME FRANÇAISE ET EUROPEENNE Mise en œuvre du Grenelle de la mer, livre bleu, nouvelle politique de la pêche : la France et l’Europe face aux défis d’une véritable politique maritime p 5

> Jean‐Yves LE DRIAN, Président, Région Bretagne ; Président de la Commission Mer, CRPM > Bruno LE MAIRE, Ministre de l’Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche

> Témoin : Francis VALLAT, Président, Institut Français de la Mer ; Président, Cluster Maritime Français SORTIE DE CRISE : QUELLE CONTRIBUTION DU MARITIME ? Economie Maritime : situation et perspectives Présentation de l’étude annuelle PricewaterhouseCoopers p 18 > Christian KERMARREC, Associé, PricewaterhouseCoopers Principales inquiétudes, principaux espoirs p 20 > Pierre‐Georges DACHICOURT, Président, Comité national des pêches et des élevages marins > Jean‐François FOUNTAINE, Président, Fédération des industries nautiques > Christian GARIN, Président, Armateurs de France > Hervé MOULINIER, Président, Pôle Mer Bretagne > Bernard PLANCHAIS, Gican Crise économique : impacts sur le maritime, contribution du maritime à la sortie de crise p 26 > Christian BUCHET, Secrétaire général, Conseil National de l’Archipel France

> Philippe LOUIS‐DREYFUS, Président, Louis Dreyfus Armateurs

Le maritime, atout d’avenir pour l’économie française p 28 > Laurence PARISOT, Présidente, MEDEF

Déjeuner p 30 Allocution de François CUILLANDRE, Maire de Brest

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4 conférences thématiques en parallèle 1 – Investissements portuaires en Europe p 31 ‐ La crise remet‐elle en cause les plans de développement ? ‐ Quels sont les ports qui s’en sortiront le mieux ? ‐ Comment prendre en compte les contraintes environnementales ? Débats animés par Claude BARJONET, Chef de service Services, Les Echos

> Frédéric LANOË, Président‐directeur général, WPD France

> Olivier LAROUSSINIE, Directeur, Agence des Aires Marines Protégées

> Giovanni MENDOLA, Maritime Transport and Ports Policy, DG Tren, European Commission > Paul TOURRET, Directeur, Isemar > Diego TEURELINCX, General Secretary, Feport

> Bruno VERGOBBI, Délégué général, Ports de France 2 – Construction navale : inventer le navire du futur, créer les conditions d’une industrie européenne compétitive p 35 ‐ les contraintes environnementales et la haute valeur ajoutée peuvent‐elles relancer la construction navale européenne ? Débat animé par André THOMAS, Rédacteur en chef, le marin > Bernard PLANCHAIS, Directeur général délégué, DCNS

> Didier CHALEAT, Senior Vice President Marine, Bureau Veritas > Willem LAROS, General Secretary, Waterborne Technology Platform > Xavier LECLERCQ, Directeur technique, STX France > Martin LEPOUTRE, Président‐directeur général, Fora Marine > Frédéric MESLIN, Délégué général, Pôle de recherche et d'innovation de Nantes Atlantique et d'Atlanpole 3 – Pêche et aquaculture : comment réorganiser la filière pour valoriser la production et rentabiliser les exploitations ? p 41 Débats animés par Xavier DEBONTRIDE, Journaliste > Bertrand DESPLAT, Directeur général, Fipêche > Dominique DUVAL, Président, Syndicat Français de l’Aquaculture marine et nouvelle > Hervé JEANTET, Président du Conseil spécialisé pour les produits de la mer, de l'aquaculture et de la pêche professionnelle en eau douce, France Agrimer

> Philippe MAUGUIN, Directeur des Pêches Maritimes et de l'Aquaculture

> Leslie WIDMANN, Directrice, Odyssée Développement > Jean‐Louis LABEILLE, Direction des Entreprises, Division Maritime, Crédit Coopératif

4‐ Sûreté maritime : quelles solutions juridiques, financières et technologiques pour lutter contre la piraterie ? p 46 Débats animés par Vincent GROIZELEAU, Rédacteur en chef, meretmarine.com > Christian GARIN, Président, Armateurs de France > Marc LE ROY, Directeur marketing produit, DCNS

> Contre‐Amiral Pierre MARTINEZ, Marine Nationale > Christian MENARD, Député du Finistère ; Secrétaire à la Commission de la défense nationale et des forces armées > Jacques KUHN, Président, Cobrecaf > Pierre de SAQUI de SANNES, Conseiller institutionnel France, Afrique et Moyen‐Orient, CMA CGM > Philippe WAQUET, Président, Automatic Sea Vision (Sea On Line)

Conférence plénière Mer et Outre‐Mer p 51 > Marie‐Luce PENCHARD, Secrétaire d’Etat à l’Outre‐Mer

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Mercredi 2 décembre

Débats animés par André THOMAS, Rédacteur en chef, le marin et Xavier DEBONTRIDE, Journaliste

EXPLOITER DURABLEMENT LE POTENTIEL DU MARITIME Ressources naturelles, nouvelles routes, extension du domaine maritime : la mer, un espace convoité p 54 > Amiral Pierre‐François FORISSIER, Chef d’Etat‐major de la Marine > Jean‐François MINSTER, Directeur scientifique, Total

> Didier ORTOLLAND, Coordinateur de l’Atlas géopolitique des espaces maritimes > Jean‐François TALLEC, Secrétaire général de la Mer

La planification de l’espace maritime : vers une segmentation de la mer ou une coexistence des activités ? p 59 > Denis BAILLY, Directeur de recherche, AMURE‐UBO > Pierre MAILLE, Président, Conseil général du Finistère ; Président du conseil de gestion, Parc marin d’Iroise > Olivier LAROUSSINIE, Directeur, Agence des Aires Marines Protégées > Anne‐François de SAINT SALVY, Préfet maritime de l'Atlantique > Jean‐François TALLEC, Secrétaire général de la Mer

Investir dans les énergies renouvelables en mer p 63

> Introduction : Jean‐Yves PERROT, Président, Ifremer

> Régis LE BARS, Direction exécutive stratégie et recherche, ADEME

> Philippe GERMA, Directeur général, Natixis Environnement & Infrastructures > Pierre LANGANDRE, Directeur général adjoint, Compagnie du Vent > Frédéric LE LIDEC, Directeur développement « Mer », DCNS Déjeuner Allocution de Jacques KÜHN, Président, CCI de Brest p 69

TRANSPORT MARITIME ET DEVELOPPEMENT DURABLE : CONTRAINTES ET OPPORTUNITES Les autoroutes de la mer : quelles sont les conditions de succès ? p 70 > Fernand BOZZONI, Président, Socatra ; Président, BP2S

> Henri de RICHEMONT, Ancien Sénateur > Mike GARRATT, Managing Director, MDS Transmodal

> Jean‐Marc ROUE, Président, Brittany Ferries

> Christophe SANTONI, Directeur général, LD Lines

Démantèlement des navires en fin de vie : quelles nouvelles règles ? Quelles sont les conditions de création d’une filière européenne compétitive ? p 74 > Pierre BARBLEU, Président, Association pour une plaisance éco‐responsable

> Mathilde SOULAYROL, Directrice développement, Veolia Propreté > Amiral Hubert JOUOT, chargé de la déconstruction des navires militaires, État‐major de la Marine > Xavier LEBACQ, Ingénieur général de l'armement

> Claude WOHRER, Chargée de mission démantèlement des navires en fin de vie, SG Mer ALLOCUTION DE CLOTURE p 78 > François FILLON, Premier Ministre

Accueil Républicain par François CUILLANDRE, Maire de Brest  

Pour tous renseignements : [email protected]

http://economiedelamer.com

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Mardi 1er décembre

LA POLITIQUE MARITIME FRANÇAISE ET EUROPEENNE

Mise en œuvre du Grenelle de la mer, livre bleu, nouvelle politique de la pêche : la France et l’Europe face au défis d’une véritable politique maritime

> Jean‐Yves LE DRIAN, Président, Région Bretagne ; Président de la Commission Mer, CRPM > Bruno LE MAIRE, Ministre de l’Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche

> Témoin : Francis VALLAT, Président, Institut Français de la Mer ; Président, Cluster Maritime Français André THOMAS, Rédacteur en chef, le marin

Nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir si nombreux dans cette belle salle du Quartz et dans cette ville si maritime de Brest, la ville aux cinq ports ! L’affluence et la qualité des participants à ces Ves Assises de l’Economie maritime et du littoral témoignent de l’intérêt grandissant de la grande famille de la France maritime à se retrouver une fois par an, au moins, alors que la conjoncture pourrait inciter chacun à ne se concentrer que sur ses propres affaires. Si vous êtes si nombreux, c’est peut‐être aussi parce que chacun sent souffler un vent plus salé actuellement sur la politique française. Un juste retour des choses, penserez‐vous, à l’égard de secteurs qui représentent globalement 50 Md€ de chiffre d’affaires et 300 000 emplois ! Le Cluster maritime français qui, avec l’Institut français de la mer, est associé à ces Assises, n’est pas étranger à cette prise de conscience ! Ceux qui étaient présents à notre rendez‐vous de Marseille, il y a deux ans, se souviennent sûrement du coup de

gueule de Francis VALLAT, face à ce qu’il sentait comme un manque d’intérêt de l’Etat vis‐à‐vis du potentiel des industries maritimes. Depuis, les lignes ont bougé. La réforme de la manutention portuaire est en voie d’achèvement, malgré la période de chute des tonnages dans les ports. Nous avons vu un fort investissement de l’Etat en faveur de la plaisance et la grande plaisance. Puis, nous avons eu le Grenelle de la mer en juillet dernier qui a abouti à 138 engagements en faveur de la mer et du littoral. Il y a aussi, et surtout, le discours du Président de la République le 16 juillet au Havre, qui a marqué les esprits, par sa volonté de « réparer un oubli historique » ! Il y a maintenant le projet du Livre Bleu, soumis à la consultation, qui synthétise et ordonne les travaux du Grenelle et qui doit constituer la colonne vertébrale d’une future Loi Mer. Un long processus… pour quel résultat ? Nous en saurons plus demain, puisque le Premier Ministre nous fait l’honneur de nous rendre visite, outre deux membres du gouvernement dont Monsieur Le Maire. Une chose est sûre, l’espoir est grand, autant que les ambitions du Livre Bleu qui veut, à la fois, développer l’attractivité des métiers auprès des jeunes, refonder la formation de ces jeunes, nous doter de nouvelles productions d’énergies marines durables, doubler la part de marché des ports français, redonner espoir à la pêche tout en préservant l’environnement, aider l’outre‐mer sur la voie de la prospérité et donner un second élan à l’aquaculture, entre autres. Oui, le Livre Bleu et le discours du 16 juillet ont suscité un très grand espoir, autant sans doute que le Grand Emprunt, qui lui, en revanche, est assez peu maritime… Au moment où l’économie mondiale chahute les chantiers navals, les armateurs, les marins, les ports de pêche, les pêcheurs, et qu’il faut repenser le long terme et le court terme pour relancer l’économie tout en préservant l’environnement, nous espérons que nos 2 jours de travaux studieux permettront à tous de nourrir la réflexion ! Jean‐Claude HAZERA, Rédacteur en chef, Les Echos

Avant de vous présenter nos invités, je voudrais dire mon plaisir de représenter ici Les

Echos. Plaisir personnel car je suis un soutien de l’économie maritime si j’en juge par ce que je dépense tous les ans pour mon vieux bateau… Et plaisir pour Les Echos d’être associés au marin, notamment pour le supplément qui accompagne aujourd’hui notre journal et que nous avons réalisé ensemble. Nous sommes ravis parce que nous aimons bien que notre journal donne une vision de toutes les richesses de l’économie française. En plus de la couverture, tout au long de l’année, de l’économie maritime, ce supplément donne l’occasion aux gens du secteur de faire le point, mais je crois aussi à des gens d’autres secteurs de s’intéresser à ce qui se passe dans le maritime. Monsieur LE DRIAN, nous sommes aujourd’hui sur vos « terres » dans cette région Bretagne. Vous avez été Secrétaire d’Etat à la mer, au début des années 90 et vous ne

l’avez jamais oublié. On vous a entendu vous exprimer tout au long de ces années, c’est un dossier qui vous tient à cœur !

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En Bretagne, vous avez 3 grands ports de commerce, la plus forte flottille de pêche de France, une grande compagnie de ferries, des sites de construction navale civile et militaire, le plus grand nombre d’inscrits maritimes. Donc, quelques raisons de vous intéresser à ce processus qui fait qu’en ce moment l’Etat se réintéresse à la mer ! J’imagine que vous avez suivi de très près le processus d’élaboration du Livre Bleu. Vous allez nous dire si cette politique qui se dessine vous plaît ou si vous avez des critiques à son endroit. Jean‐Yves LE DRIAN, Président, Région Bretagne ; Président de la Commission Mer, CRPM

Je voudrais d’abord vous saluer, Mesdames et Messieurs, Monsieur le Ministre, Amiral, Monsieur le maire, Monsieur le Président du Conseil général et vous tous, dans vos grades et vos qualités, nombreuses. Je voudrais vous remercier Messieurs des Echos et du marin d’avoir choisi la Bretagne pour ces Assises et Monsieur Francis VALLAT, ami de longue date, d’avoir suivi une indication qu’on lui donnait : il n’était pas possible que ces Assises ne se tiennent pas à Brest ! Certains étaient réticents, mais le pari est gagné puisqu’il y a 1 300 inscrits… Cela montre que Brest s’affirme comme capitale maritime de la Bretagne. Nous sommes convaincus, laissez‐nous le croire, que la Bretagne est la 1ère région maritime de France, essentiellement parce que nous avons l’ensemble des activités maritimes qui se croisent sur ce territoire. Cela représente 50 000 emplois directs, sans compter la Marine nationale dont on sait le

rôle ici à Brest, et sans compter l’activité touristique. La Bretagne, Brest en particulier, est un pôle maritime majeur caractérisé par les 3 ports, la construction et la réparation navale, le nautisme et surtout ici la recherche et l’innovation. En Bretagne, nous avons 50 % de la recherche maritime française, les Ecoles, l’Université, une sensibilité permanente et, à Brest, un pôle de compétitivité de niveau mondial ! Nous avons donc tous les atouts réunis, mais ce n’est pas sans problème… Nous nous interrogeons sur la réforme à venir de la politique commune des pêches. Notre souci est que la stabilité relative soit maintenue, qu’il n’y ait pas de marchandisation de l’accès à la ressource. Mais aussi, c’est une évidence si l’on veut que la pêche française puisse avoir de l’espoir, il faudra trouver les voies et moyens pour que l’on puisse renouveler la flotte : on ne peut pas aujourd’hui dire qu’on veut lutter pour la sécurité en mer, attirer des jeunes dans le métier, mettre en œuvre de nouvelles technologies pour une meilleure maîtrise de l’énergie et de l’accès à la ressource avec des bateaux dont la moyenne d’âge est 24 ans ! Ce n’est plus possible. L’Europe dit : » Ma méthode, c’est de ne pas vous aider à vous renouveler ». Elle n’interdit pas de faire mais la dissuasion est forte. Nous devons mettre en place un dispositif qui se substitue aux fonds propres puisque les armateurs ont une difficulté de fonds propres pour assurer le renouvellement. Ce message, pour moi, est central pour la Bretagne et ailleurs. Pour Brest et l’ensemble du réseau breton, un autre message tient dans l’énorme perspective offerte par les énergies marines renouvelables. Nous avions bien noté dans le discours du Président de la République au Havre, qu’il appelait à la mise en œuvre d’une plateforme de grande qualité dans une région maritime. Il n’a pas cité de nom, mais nous nous sommes sentis concernés ! D’autant qu’ici, des innovations importantes ont été faites dans ce domaine ; il existe des perspectives de relations entre les industriels et l’innovation dans l’hydrolien, l’énergie éolienne offshore ; il serait dommage de ne pas prendre cette opportunité pour notre région. Dans le cadre du Grenelle de la Mer, la région Bretagne et son Président, étaient chargés du suivi de la mise en œuvre de ce secteur, cela me paraît un signe encourageant. Je voulais redire ici notre volonté collective d’être à ce rendez‐vous majeur, avec le Président de Brest Métropole océane, le Président du Conseil général du Finistère et les autres responsables économiques de Brest et de l’ensemble de la Bretagne ! Il serait souhaitable aussi que le Grand Emprunt soit un peu maritime, en particulier dans le domaine de la R&D et dans celui de la recherche des biotechnologies liées à la mer. C’est un enjeu important pour nous, Bretagne. Enfin, nous avons mis en place ici une méthode singulière : une Conférence de la mer et du littoral, coprésidée entre l’Etat et la Région Bretagne pour aborder l’ensemble des sujets et amener des avancées significatives. Il y a là une bonne convergence avec la volonté d’une nouvelle gouvernance de la mer. Nous serions un peu perturbés si cette Conférence devait se diluer dans une Conférence de l’Atlantique… Même si nous sommes conscients de la nécessité de la cohérence de l’action en mer sur l’ensemble de la façade atlantique. Nous ne devons pas oublier l’opportunité que permettent les contacts entre les institutions subsidiarisées. Pour conclure, je voudrais vous dire que cette rencontre a lieu au bon endroit, au bon moment, car toute une série d’évènements montre que, pour la 1ère fois, un contexte politico‐économique maritime fort existe. On doit saisir le moment : c’est l’initiative européenne du Livre Vert, puis du Livre Bleu qui sera repris, j’espère, par la nouvelle Commissaire grecque à la pêche et à la mer. Sur l’initiative de M. Barroso, l’enjeu maritime est devenu un enjeu européen. Cela commence à exister, même si beaucoup d’efforts restent à faire ! Ensuite, le discours de référence du Président de la République au Havre est un élément fort. On doit maintenant le mettre dans les actes. Auparavant, nous avions eu le rapport Poséidon, le Grenelle de la mer et l’annonce d’un comité interministériel de la mer. Tout cela fait un contexte favorable, peut‐être le début d’une culture maritime partagée, que nous souhaitons de nos vœux depuis très longtemps ! C’est le bon moment de tenir ces Assises et c’est le bon contenu car nous vivons trois crises en même temps : la crise financière et économique aux répercussions immédiates sur nos activités, la crise climatique et la crise alimentaire. Finalement, pour répondre à ces trois crises, la stratégie des océans est peut‐être gagnante !

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Je suis convaincu que l’enjeu du XXIe siècle est l’enjeu maritime : depuis les autoroutes de la mer qui permettent d’économiser l’énergie pour avoir du transport propre, en passant par la sélectivité des engins de pêche pour une pêche durable, jusqu’à l’utilisation de l’algue pour les produits pharmaceutiques, alimentaires voire énergétiques, les énergies renouvelables, etc. Bref, pour la 1ère fois depuis très longtemps, on ne parle plus de la mer comme un ensemble d’activités dont il faut assurer la bonne gestion du déclin ; on commence à en parler comme un vecteur formidable d’avenir. C’est le titre de votre manifestation, je m’en réjouis et la Bretagne, je pense, avec moi ! Francis VALLAT, Président, Institut Français de la Mer ; Président, Cluster Maritime Français

Bonjour messieurs les Ministres, Monsieur le Secrétaire général de la mer, qui jouez un rôle si essentiel, Monsieur le Président du Conseil régional de Bretagne, Monsieur le Maire, Mesdames et messieurs les élus, Messieurs les Amiraux, Mesdames et messieurs les présidents et directeurs, Mesdames et messieurs et chers amis ! Merci d'abord, un grand merci, à mon ami Jean‐Yves Le Drian (notre administrateur) et à François Cuillandre, qui est aussi un ami de longue date de l'IFM, pour leur hospitalité. Qu'ils sachent seulement notre joie d'être pour deux jours tous Bretons, dans cette capitale de la France maritime. Plus de 1 300 hauts responsables maritimes publics et privés, civils et

militaires sont inscrits à cette cuvée 2009 des Assises/Journées de la mer et de l’économie maritime. C’est un fantastique record ! Réjouissons‐nous et soyons conscients, sans excès de fierté ni d'humilité, de ce que représentent tous ces professionnels et acteurs du maritime dont il est évident qu'on aurait bien tort de les sous‐estimer. On le savait par les chiffres, on le sait bien aussi par la qualité, même si cela ne fait pas assez la Une (puisque nous faisons partie des trains qui arrivent à l’heure) qualité de nos opérateurs maritimes nationaux qui depuis des années ont investi avec courage et sans trompette dans le développement durable et qui devraient être aussi à ce titre une fierté de notre pays. Mais surtout : on le sent aujourd'hui « physiquement » : nous sommes une force pour la France ! Merci donc à vous tous d'être là, et vous me permettrez de remercier tout particulièrement la présence ‐ au long de cette manifestation ‐ de ceux dont nous avions regretté avec vigueur l'absence injustifiée à Marseille, en 2007. Merci au Premier Ministre d'avoir voulu clore demain, solennellement et par un discours très attendu, cette manifestation. Merci à Monsieur le ministre de l'agriculture et de la pêche de sa présence très appréciée ce matin. Merci à Madame le ministre de l'outremer de la sienne, très bienvenue, cette après‐midi. Et merci aussi à Madame Laurence Parisot qui a aussi tenu à être là et à nous parler au nom des responsables de l’économie française. Au travers de la présence de Daniel Bursaux et aussi de Michel Peltier, à qui j'adresse naturellement un « bienvenue » amical et reconnaissant, je salue aussi en votre nom notre ministre d'Etat et ses quatre secrétaires d'Etat. Et ce même si je me fais l'ambassadeur de tous pour regretter qu'une « apparition » (eût‐il fallut dire miraculeuse ?) gouvernementale n'ait pas été jugée prioritaire par ce grand ministère maintenant officiellement en charge de la mer. Mais nous savons le combat planétaire qu’il mène – et que nous soutenons – pour Copenhague ! Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que cette absence est contradictoire avec l'esprit de Grenelle. Mais je suis de ceux qui espèrent qu'elle ne confirme pas l'hypothèse que les professionnels ‐ parce qu'ils refusent d'être considérés « en voie de disparition » ‐ ne feraient pas partie de votre environnement maritime « à protéger » (ou plutôt « à valoriser »). En fait, monsieur le Ministre d'Etat, le message est simple: en ce moment où l'essentiel de la France maritime est là (« pros » mais aussi les ONG qui ont bien voulu répondre à notre invitation au dialogue) vous pouvez compter sur la loyauté des professionnels qui sont légitimistes dès lors que les règles sont claires, mais qui en ce moment ont du mal à tout comprendre (sans cependant que vous ne puissiez plus ‐ pour autant – vous appuyer sur leur esprit constructif). Avant d'entrer dans le vif du sujet, vous ne m'en voudrez pas d'évoquer, en une phrase seulement alors qu'il mériterait un « incunable » la mémoire de Josepf Martray, cofondateur avec Jean Morin de l'IFM il y a 35 ans, et dont je rappellerai qu'il a proposé bien avant tous les autres une politique de la mer alliant économie et écologie ... Il faisait partie de ces hommes qui créent et font bouger les lignes, sans jamais se mettre en avant, ce qui est une raison supplémentaire de ne pas l'oublier, surtout à Brest où il rêvait d’organiser les JNM. En 2007 nous avions vivement regretté à Marseille que le gouvernement n'ait pas assez agi et ne manifeste pas son intérêt pour le maritime. En 2008, nous nous étions réjouis que de nombreux et différents fronts importants aient été ouverts, d'ailleurs poursuivis en 2009 avec une constance qu'il convient de saluer : la réforme portuaire bien sûr, mais aussi l'enseignement maritime avec la volonté de création d’une grande école supérieure maritime d’envergure internationale ; le combat sur la responsabilité du pavillon et l'adoption du paquet Erika III juste à la fin de la présidence française de l'UE alors que tout le monde jugeait cela impossible (Merci Dominique Bussereau !) ; la reconnaissance publique donnée à la construction navale aussi bien civile (entrée de l'Etat au capital de STX), que militaire (le discours à Cherbourg du chef de l'Etat), et plus récemment la commande du BPC3, intéressant aussi bien le civil que le militaire ; l’aménagement des règles de responsabilité pour les armateurs ; la formidable aventure du Grenelle de la mer (même critiquable sur

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quelques points importants) ; le dialogue ouvert avec l’industrie nautique ; les choix difficiles enfin faits en matière de Défense (même si l'on peut toujours espérer le PA2), l’action de la « Royale » pour la protection des routes maritimes (je pense bien sûr à la lutte contre la piraterie, lutte à l’origine de laquelle la France a été exemplaire) ; le renforcement de la présence de la France à l’OMI ; les premières décisions concernant les autoroutes de la mer (même imparfaites et qu'il faut absolument rendre plus clairement opérationnelles) ; l'audit et la confirmation des pôles mer ; la poursuite de la modernisation des cross maintenus ; le dialogue sur la problématique des TGN suivi avec la DAM de Damien Cazé ; enfin, et peut‐être surtout, le fait que pour la première fois dans notre histoire, la mer soit un enjeu de pouvoir au niveau et au sein du gouvernement lui‐même. Ce n’est pas toujours facile à vivre pour nous, mais c’est très positif au fond ! En fait, hormis à la pêche, où la situation des professionnels est encore compliquée par des excès dans tous les camps y compris au niveau européen, la « conscience maritime » a bien progressé, on peut même dire qu'elle a « explosé ». Le point d'orgue étant naturellement le discours du Président de la République au Havre le 16 juillet, qui fut une première vraie réponse à notre appel public et solennel ‐ lancé à nos Journées du Havre fin 2008, aux 4° Assises, appel à ce qui nous paraissait encore manquer : une stratégie pour la France maritime. « L’affichage d’une vision maritime à long terme [par l’Etat], avions‐nous dit, est une priorité et même un préalable…. Victor Hugo disait qu’ « il n’y a rien de plus fort qu’une idée dont le moment est venu », et bien il est là à l’aube de ce siècle si maritime… » Or, dans le droit fil du discours du Président de la République, le Livre bleu a été travaillé et il est en cours d'adoption (SGMer), ou devrais‐je dire vient d'être adopté, et l’historique Cimer annoncé (le premier depuis 5 ans) va se tenir très prochainement en ayant intégré dans sa préparation l'énorme travail de la première phase du grand effort du Grenelle de la Mer qui ‐ lui ‐ ouvre sa deuxième et plus longue phase, celle de l'applicabilité des recommandations adoptées, à la fois sur le plan pratique et naturellement de la compatibilité avec les futures orientations du CIMER. Si, pour ces suites à venir courant 2010 la règle du jeu comme les mécanismes de décision sont clairs, comme je le pense, les professionnels sont et se voudront coopératifs et constructifs. Sachant qu'ils sont très attachés eux‐mêmes au « développement durable » comme évidemment à la protection des générations futures ; ils ne font pas semblant, et rappelant seulement deux observations qui vont sans dire mais qui de manière un peu surprenante s'avèrent aller mieux en les disant : la première est qu'il y a deux termes dans « développement durable », qui doivent être équilibrés de façon à ce qu'aucun ne risque d'être tué par l'autre, la deuxième est que l'opposition générations futures/génération présente n'a pas lieu d'être. Là aussi le bon sens s’impose. Ceci d'autant que dans le cadre du « développement durable », la France peut être fière de beaucoup de ses grands acteurs maritimes, par exemple de ses armateurs officiellement au top de la qualité et de la sécurité mondiales, ce qui souligne le caractère totalement subjectif, scandaleux, coupable et finalement méprisable du classement « de complaisance » du RIF par l’ITF (le même jour que la Georgie et la Corée du Nord !) ; sa recherche océanographique avec l’Ifremer, elle aussi au premier rang universel ; ses assureurs maritimes, parmi les premiers du monde (à qui s’adressent tous les bons armateurs internationaux et qui sont reconnus à la fois comme des plus compétents et des plus sélectifs dans le choix des opérateurs maritimes assurés) ... et le reste de tous ceux que nous appelons les fleurons du maritime français, ceux qui sont aussi dans le peloton de tête et qui pour l’instant résistent parfois douloureusement devant l’adversité : la construction nautique de plaisance, la classification, le courtage, la construction navale à forte valeur ajoutée ou encore la fonction garde‐côte « à la française » : un système reconnu et envié, amené au fil des années à un très haut niveau de performance, de fiabilité, et auquel sont attachés tous les gens de mer de France [et qui suscite l'intérêt admiratif (et la curiosité active) des connaisseurs du monde entier (je pense en particulier aux circuits de coordination et d’autorité déconcentrée des « préfets maritimes »)]. Il faut d'autant plus être conscients de tous ces atouts que la mondialisation créée des difficultés (délocalisations) mais aussi des opportunités. Il y a quelques lustres l'offshore français comptait peu (il est en passe de devenir le N°1 mondial) ; le transport français par conteneurs était marginalisé progressivement ; les financements maritimes n'avaient pas un tel rang, l'Ifremer était moins utilisé par les autres pays, l'assurance maritime était recroquevillée… Et, en plus de ces fleurons leaders, la France dispose de secteurs où, sans être dans le peloton de tête, elle a de puissants atouts : ‐ sa pêche responsable et qui fait courageusement sa mue, quoi qu'on en dise (ce qui est dû au courage reconnu et à la qualité de ses dirigeants/représentants) ‐ ses ports qui se réforment rapidement mais sûrement, même si c’est parfois dans la douleur. Or ce monde maritime français a vraiment bougé. Participant (litote) à ce mouvement, l'IFM réfléchit et propose, via des groupes d'étude ciblés (sur les navires géants par exemple), tandis que le Cluster exerce sa mission entre autres ‐ vous le savez ‐ via ses groupes « synergies » aux thèmes continuellement renouvelés par son conseil d’administration et rassemblant les acteurs des différents secteurs de la France maritimes. Ce que vous ne savez pas c’est que ce sont plus de 2 300 cadres ou dirigeants qui ont échangé et agi dans les 207 réunions de 27 groupes depuis 2006, souvent en présence de hauts fonctionnaires invités. C'est aussi via ce prisme ‐ ouvert et libre ‐ que le cluster a identifié, au‐delà même de qu'il a entendu dans le même sens au niveau du Grenelle, la nécessité d’une autorité ou d’une coordination interministérielle forte (sans que ce soit contradictoire avec l’existence d’un ministère en charge de l’essentiel de la politique maritime) et cela n'étant au surplus pas indifférent au regard de la volonté de la France de se donner la

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capacité (en particulier à l’OMI), d’être un aiguillon pour l’évolution des règles et normes internationales applicables au transport maritime, avec la conscience aigüe des conséquences graves que les mesures unilatérales ‐ qu'elles soient nationales ou régionales ‐ peuvent entraîner aussi bien pour la sécurité maritime que pour l’armement français et des activités maritimes qui sont totalement ouvertes et internationales… Par ailleurs, face aux menaces qui pèsent sur les océans, et que les bons professionnels maritimes (donc nous !) considèrent comme inacceptables même si ‐ on le sait – 75 % des pollutions proviennent de la terre et parce que, de toutes façons, les opérateurs français sont parmi les plus fiables au monde – face aux menaces donc, le principe de la liberté des mers est à sauvegarder absolument bien sûr, tout en commençant à accepter que dans sa conception anglo‐saxonne extrême, cette « freedom of the seas » ne pourra pas être maintenue longtemps sans quelques adaptations très sérieusement analysées. Une idée chère à mon coeur tant je suis convaincu que, dans ce domaine maritime autant et plus que dans d'autres, trop de liberté finirait par tuer la liberté, et le risque que le slogan « Touche pas la mer » devienne alors un totalitarisme pervers. Je pense même qu'à l'évidence, et dans certains cas bien ciblés et temporaires, le droit peut être écorché sans que cela crée l'anarchie (par exemple en cas de menace claire de pollution de nos côtes, cf. à l’époque l’accord de Malaga). « Touche pas à la mer » ? Oui, sauf que l'homme doit bien être au centre de tout (cf. les réserves de bisons en Amérique : les bisons ont été sauvés, mais pas les indiens), dès lors qu'il respecte son environnement et fait ce qu'il doit, objectivement, pour ne pas le détruire. Dans ce contexte et cet esprit, je me réjouis à la fois de l'ouverture du dialogue intervenue dans mon bureau avec et à l'initiative du directeur des AMP (dialogue matérialisé par l'entrée de cet organisme dans le CMF et dans le fait ‐ par exemple ‐ que responsables de l'agence et professionnels des différents horizons du CMF ont voulu rompre le pain ‐ et quelques lances peut‐être mais c'est bien ‐ aux tables de l'AMP aujourd'hui et demain. Certains d'entre nous se sont en effet émus ‐ outre de quelques excès annoncés – que, par exemple, la question soit posée, non pas de voir quelles activités pourraient être maintenues sans dommages dans les zones retenues, mais d'abord lesquelles doivent être supprimées. La marge est significative mais fine, raison de plus pour que les bonnes volontés soient plus fortes que les idéologues et tracent des routes qui puissent être communes. Ainsi en est‐il encore de tous ces projets environnementalement bien contrôlés (sauf naturellement si la conclusion des enquêtes me déjugeait), projets porteurs d'activités et d'emplois dans des zones qui en ont bien besoin et qu'il ne faut pas refuser par principe s'ils respectent le nécessaire équilibre écologique. Je pense par exemple au cas symbolique du Terminal charbonnier de Cherbourg, dont on ne saurait concevoir qu'il puisse être rejeté pour des raisons politiciennes ou non objectives, ou parce qu’il ne plaît pas à Monsieur Mamère. Mais que les ONG de bonne volonté se rassurent ! Ces considérations ne nous font pas oublier l'extraordinaire importance de la mer nourricière (et de notre outremer). Nous savons l'actualité de l'épuisement des ressources à terre, mais aussi qu'on ne connaît que 20 % de la flore et de la faune marines et 5 % des sols marins. Or, la mer c’est le développement – respectueux ‐ des activités traditionnelles comme des plus récentes (les EMR, l'alimentation, la recherche pharmaceutique…) et à plus long terme les nodules métalliques et autres possibilités futuristes qui, un jour, seront réalité… Les ZEE sont donc un atout‐maître, d’où les querelles sur la propriété de l’Arctique, comme l’effort de la France dans le cadre du projet « Extraplac ». Et comme la mer est l’avenir de la terre, nous soutenons le passage ‐ annoncé par le Chef de l'Etat ‐ des zones protégées de 1 % actuellement des eaux sous souveraineté française à 10 % en 2012 et à 20 % en 2020 ! Grande ambition et « ardente obligation », sous la réserve expresse que l’écoute de tous, y compris des professionnels c’est essentiel, préside au choix et l’aménagement des zones retenues. C'est d'ailleurs dans le même esprit que le Cluster a voulu voir dans le « Projet Seaorbiter » des valeurs ajoutées communes à tous : innovation, observation océanographique, environnement, architecture navale, beauté (un concepteur ‐ Jacques Rougerie ‐ mondialement connu). Les soutiens du Président de la République, de Jean‐Louis Borloo, de DCNS, de l’Ifremer, du Cluster bien sûr, pouvant faire de ce projet raisonnable financièrement ‐ qui fait d'ailleurs appel en quasi‐totalité au secteur privé ‐ un symbole et un ambassadeur extraordinaire du « génie maritime français » sur toutes les mers du globe. Il pourrait même être le « grand oeuvre » architectural et original et le drapeau des efforts de la France alliant l’innovation, la connaissance et son enseignement, la capacité industrielle et le développement durable. Toujours au niveau des remarques générales, les professionnels du maritime ne pouvaient ni ne devaient se désintéresser du grand emprunt national en gestation. Ils l'ont fait dans des domaines très divers, du navire du futur au développement des « ports de plaisance de demain » en passant par la question du renforcement de fonds propres des entreprises moyennes ou encore par un éventuel coup de main au lancement de « Seaorbiter ». Ils ont aussi noté avec attention la démarche du S.E. aux transports, D. Bussereau (lettre à la commission Juppé‐Rocard) et toutes les initiatives poussant à considérer le navire comme une infrastructure dans le cadre des autoroutes de la mer considérées comme un élément d'aménagement du territoire. Au sein de ces considérations transversales, des préoccupations plus ciblées sont importantes. S'agissant du navire, coeur de la vie maritime, et donc de l'armement, je pense aux légitimes inquiétudes concernant les mesures incluses initialement dans la loi de finances pour 2010 : cotisation économique territoriale, TVA sur la restauration et taxe carbone. Toutes les trois touchent le transport maritime. Leur éventuelle adoption en l’état (mais il est vrai que, pour la taxe carbone, le risque semble s'éloigner) modifierait en effet de façon sensible les structures financière, juridique et fiscale des exploitations et, si elles

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étaient finalement adoptées, elles iraient à l’encontre du travail et des efforts menés ces dernières années visant à adapter le pavillon français au marché européen, à armes égales avec nos voisins. C'est important, sachant que le transport maritime, même s’il résiste beaucoup mieux que d’autres comme l'a démontré à plusieurs reprises et publiquement le président d'Armateurs de France, sera particulièrement et très durablement affecté par la crise internationale, celle‐ci intervenant au milieu d’un cycle de croissance très vigoureux qui avait entraîné un volume de commandes (souvent spéculatif) de navires exceptionnellement important, déséquilibrant totalement le marché aujourd’hui. Cela n'est pas non plus le commodore Philippe Louis‐Dreyfus qui me démentira sur ce sujet, je crois. Deux mots au titre de ce chapitre : le premier sur l’importance de la réforme des écoles maritimes, pour que la France dispose des navigants, mais aussi des personnels à terre nécessaires à l’efficacité et à la qualité de son transport et de ses activités maritimes nationales et internationales. C’est la grande ambition d’une véritable académie universitaire maritime, et le soutien à ce stade de tout rapprochement entre la nouvelle école supérieure et l'EN, dans le respect de chacune, surtout si ça peut faciliter l'insertion dans les normes européennes de titre LMD. Le deuxième est l’importance de la mise en place de mesures pour favoriser le développement du cabotage intra‐européen, pour tenir compte de sa faible signature écologique, comme disent le président du BP2S F. Bozzoni et le rédacteur d’un nouveau rapport remarqué Henri de Richemont. A ce sujet, de plus en plus de voix autorisées réclament un « monsieur Autoroutes de la mer » ; on peut souhaiter qu’elles finissent par être entendues tant cela paraît une nécessité, voire la vraie solution pour forcer les coordinations indispensables. Messieurs les gouvernants il faudrait mieux entendre cet appel ! S'agissant des ports la réforme, votée en juillet 2008, s'est poursuivie à un rythme soutenu dans le strict respect des échéances définies par la loi ‐ salut à Dominique Bussereau bien sûr, mais aussi aux professionnels, y compris les personnels, pour lesquels ça n'a pas toujours été facile ‐ : mise en place des nouveaux organes de gouvernance des grands ports maritimes fin 2008, adoption des projets stratégiques au printemps 2009, aboutissement des négociations entre ports et entreprises de manutention à l'été 2009, décisions de la commission d'évaluation des outillages notifiées en novembre 2009, chantier de négociation d'une convention collective unique « ports et manutention » devant aboutir à la fin de l'année. On entre maintenant dans la phase finale sur le terrain, celle qui permettra de recueillir enfin les fruits de cette réforme en termes de trafic portuaire, mais également de valeur ajoutée, notamment sur le gisement très important d'emplois que constituent les activités de logistique et distribution qui profitaient jusqu'à présent beaucoup plus aux pays voisins qu'à la France. Or, toutes les conditions sont réunies pour que cette phase finale se déroule le mieux possible pour les personnels des ports grâce notamment aux garanties sociales offertes par les dispositifs d'accompagnement nationaux et locaux. C'est néanmoins une phase délicate, compte tenu en particulier de la crise économique actuelle. Il faut donc garder la détermination de conduire à son terme cette réforme vitale qui a fait l'unanimité dans les milieux professionnels concernés. Inutile d'ajouter, je crois, que l'Etat doit intensifier son effort financier d'investissement, notamment pour l'amélioration des dessertes ferroviaires et fluviales qui est, avec la performance des opérations portuaires, la clé de la réussite. S'agissant de la pêche, j'ai très envie d'abord de rappeler quelques vérités essentielles : les pêcheurs dépendent de l’état de santé de l’écosystème qu’ils exploitent, les pêcheurs sont les premiers et souvent les seules victimes de la dégradation de l’environnement marin, les pêcheurs sont les premiers témoins des modifications de l’environnement marin, les pêcheurs responsables n’ont pas attendu pour encadrer la gestion des pêcheries. Il n’est pas inutile de rappeler cela au moment où certains replacent le pêcheur au coeur de l’approche écosystémique, et où d’autres voudraient l’exclure, lui et ses activités. En fait, il est clair, me disaient les pêcheurs du CMF (si je puis dire) que la solution et l'équilibre reposent sur une vision partagée entre d'une part la préoccupation de la valeur du prélèvement réalisé sur les ressources (valeurs entre les espèces, atteintes au milieu), et, d'autre part, la pérennité des métiers, la capacité à maintenir un approvisionnement de la population en produits de la mer… Et d'autres vérités sont tout aussi bonnes à dire : l’Europe doit être indépendante, notamment au niveau alimentaire, mais que le problème des pêcheurs est le même que celui rencontré par les agriculteurs : les importations avec du dumping social, qui sont en train de fragiliser le tissus socio économique de l’Europe. Or la Commission européenne ne semble pas assez consciente du danger, à l’aube de la modification de la politique commune de la pêche (objectif 2012). Et puis, il ne faudrait pas ‐ comment le justifier ? – qu’une dimension environnementaliste aveugle étrangle les pêcheurs. Certes, il faut protéger la biodiversité, mais la tentation d’un nécessaire réseau d’aires marines protégées ne paraît acceptable que si la part moyenne des réserves en leur sein est judicieuse, élaborée et équilibrée, et surtout bien discutée avec les pêcheurs et les scientifiques En un mot, les excès et inexactitudes du discours sur l’indispensable protection des écosystèmes ‐ légitime évidemment (personne ne peut douter de notre engagement !) ‐ comme la tentation d’une « sanctuarisation » des eaux européennes, ne sont peut‐être pas la meilleure stratégie vis‐à‐vis de responsables nationaux de la pêche qui se battent avec un courage admirable ‐ face à une base souvent désespérée ‐ pour le développement d’une pêche durable et responsable. Au niveau des EMR, la stratégie pour la France s’inscrit dans la logique européenne fixant pour nous un niveau de 23 % de consommation de ces énergies en 2020. Le Grenelle de l’environnement a précisé que les éoliennes, parfois critiquées pour des raisons mineures mais surmontables (surtout en mer), devront représenter une puissance de 25 gigawatts, dont 6 pour l’éolien offshore maritime, et 0,4 pour les autres EMR.

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Ceci tout simplement car les éoliennes sont la technologie la plus mature aujourd’hui, qui se développe d’ailleurs très rapidement en Europe. Les autres formes d’EMR, encore incertaines, devant prendre le relais le moment venu. Or, dans tous les domaines, nos voisins ont aujourd’hui pris de l’avance avec des taux de rachat du kw/h bien plus élevés, des projets éoliens offshore en activité, des démonstrateurs houlomoteurs et hydroliens en phase de test, des centres de recherche et d’essais dédiés, etc. Il n’est pas trop tard pour la France mais il est impératif d’agir dès maintenant. Mais les nombreux projets français peinent à voir le jour, les deux raisons principales étant des services de l’Etat sans prérogatives claires, et un cadre juridique et réglementaire mal adapté, dont le Grenelle de l’Environnement a d'ailleurs recommandé la simplification. En outre, l'Etat devrait plus jouer son rôle de fédérateur de synergies, et soutenir clairement l’éolien en mer, en permettant le développement rapide des projets, et, pour les autres énergies, la mise en oeuvre générale des mesures annoncées par le Président de la République. L'argument invoqué selon lequel les retards sont aussi imputables à la complexité des conflits actuels ou potentiels entre usagers, voire à leur impossibilité de dialoguer, est en grande partie surestimé. Les travaux inter‐sectoriels du Cluster le démontrent (on peut citer par exemple le texte, sorte de « charte », en cours de finalisation entre les représentants nationaux de la pêche et le SER, ces deux fédérations travaillant avec une grande efficacité). En matière de construction navale, le Président de la République a déjà indiqué qu’il ne concevait pas une France sans usines. C'est vrai aussi pour le secteur maritime, je cite : « la base de la politique industrielle, si on veut être un grand pays, il faut être un pays qui sait – construire des voitures – fabriquer des trains – fabriquer des avions – et construire des bateaux ». La construction navale française a démontré par le passé qu'elle était capable d'extraordinaires rebonds. Entre 2001 et 2005, la production civile en tonnage des chantiers navals français a augmenté de 350 %. Aujourd'hui, cependant, un pilier de la filière navale française ‐ STX Saint‐Nazaire ‐ a besoin d'un soutien temporaire des autorités. Il ne s'agit pas d'un soutien à fonds perdus, et sans perspectives ; il s'agit SEULEMENT de permettre de tenir le coup pendant un passage difficile. En effet, les marchés sur lesquels notre industrie a choisi de concentrer son excellence, comme le secteur des paquebots, même s’ils sont en crise, ne sont pas dans un état de déséquilibre monstrueux comme ceux des chantiers asiatiques. Il y aura rebonds, mais pas tout de suite. Or force est de constater la carence de l'Union européenne. Un exemple : l’absence de volonté politique de mettre en œuvre, comme dans les autres industries, un instrument de défense commerciale efficace. Nous comptons d’ailleurs sur le gouvernement français pour insuffler à cette Europe vacillante la volonté d'exister en donnant à son industrie navale les moyens d'une concurrence à armes égales. Enfin, c’est sur des mesures nationales que, comme en Italie, en Allemagne ou en Finlande, l’industrie navale doit compter. D'où l'importance de commandes rapides de BPC. Car avec le Bâtiment de Projection et de Commandement notre pays a la chance de disposer d’un article qui correspond aux besoins des marines, la nôtre et ceux des autres (vive la Russie peut‐être !). NB : Je voudrais dire, à ce stade, un mot de la déconstruction, et de l’idée apparemment séduisante de création d’une vraie filière de démantèlement en France pour créer des emplois et utiliser les compétences indéniables de notre pays (à Brest en particulier où je sais que certains amis le veulent pour ces bonnes raisons, mais aussi ailleurs). Mais laisser croire qu’il faudrait ‐ à coup de subventions au moins les années où la ferraille ne paye pas ‐ qu’il faudrait remonter le temps (je déconstruisais à DK et B dans les années 70, puis en Espagne, puis au Portugal, avant que cette industrie quitte l’Europe car à trop faible marge et requérant de trop nombreux travailleurs bénéficiant de notre protection sociale), et recréer en fait une vraie filière nationale digne de ce nom, est un non‐sens irresponsable ou une naïveté coupable. Car ça ne se fera naturellement jamais, ou au mieux marginalement pour des petits navires et quelques coques publiques (tant que la convention de Bâle ne sera pas ou éclaircie ou amendée) ; car ce serait remettre en cause l’esprit de notre récente signature de la convention de Hong Kong, et ce serait enfin un contre‐message envoyé aux pays de l’hémisphère sud en leur disant qu’ils ont juste le droit de rester pauvres quand ça nous arrange. Il me semble qu’il serait plus conforme à la vocation de la France, entraînant l’Europe, de les aider à faire vivre leurs populations – à des conditions toujours compétitives pour nous d’ailleurs – tout en les aidant à s’équiper et se former rapidement pour que leurs travailleurs soient bien traités et protégés, et pour que l’environnement soit complètement respecté. Pour la construction nautique et la plaisance, c’est le besoin d’infrastructures qui est important. Plus que jamais, à l’heure du ralentissement économique (cause d’une baisse d'activité de la construction nautique de 40 à 50 % depuis 2008), la plaisance française a besoin de capacités d’accueil pour ses bateaux. Si l’on veut conserver une industrie nautique française forte et exportatrice (2/3), il lui faut un marché national fort. Le potentiel de richesses et d’emplois est là. Il ne faut pas le laisser s’envoler sous d’autres latitudes. L’insuffisance de places est un frein. Or il s’agit d’investissements rentables porteurs de retombées économiques et sociales et qui doivent rester publics. A l’horizon 2011, on estime qu’une trentaine de projets de développement de « ports de plaisance exemplaires » pourrait être labellisée par le Ministère. C’est la création de plus de 1 000 emplois qui est en jeu… Autrement et globalement je dois dire que cette filière s’estime bien soutenue par les pouvoirs publics, et considère que les dispositifs mis en place par les autorités françaises lui ont permis de bénéficier d’outils efficaces pour affronter cette période délicate. Je dois maintenant conclure…

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Vous le savez, les flux de cargaisons maritimes ont été multipliés par 5 ces trente dernières années ; en 2020, le transport maritime représentera 14 à 15 milliards de tonnes ; On en transporte 7 à l’heure actuelle, quasiment sans dommage, soit une tonne par homme et par an, sur 7 500 kms. Environ 50 000 navires sont sur les mers, c’est + 40 % en 10 ans. Chaque année, près de 1,6 milliard de personnes empruntent les navires à passagers dans le monde. Soit l’équivalent du transport aérien. Le coût moyen de 20 t de marchandises transportées en conteneurs de l'Asie sur l'Europe est significativement inférieur au prix du billet avion de classe éco d'un seul passager sur la même distance... C'est dire la puissance admirable (dévastatrice pour certains) de l'outil maritime, puissance littéralement « bouleversante » depuis le temps où les caboteurs maritimes (alors qu'un sur deux coulait en route !) ont commencé à relier régulièrement Lisbonne à Bruges. (C'était au XIIIe siècle, et ce fut la fin de la seule époque où la France, avec en particulier les grandes foires terrestres de Champagne, était leader du commerce occidental...). Oui la maritimisation du monde est irréversible et la France a, maintenant, les moyens d’y prendre une part très significative, d’autant que, 5ème exportateur mondial, elle est évidemment complètement impliquée (d’ailleurs un bateau touche un port français toutes les six minutes) et plus solidaire qu’elle ne le fut jamais. Tout cela ne doit pas être d’un seul coup diabolisé, car, par exemple le transport maritime est à la tonne transportée 5 à 20 fois moins polluant (selon le type de navires) que le transport routier, et environ 20 fois moins que le transport aérien (100 fois moins pour le CO2), mais aussi, et peut‐être surtout, car le commerce entre les hommes reste malgré tout l’un des principaux facteurs de paix et globalement d’augmentation de vie du monde, de même que l’énergie est un pilier sur lequel reposent les plus grands bienfaits de l’histoire de l’humanité. Et car ‐ il faut le répéter – les délocalisations ne doivent pas faire oublier les multiples opportunités dont peuvent et doivent profiter les talents maritimes français, ces talents qui sont TRES conscients que la mer est la chance des hommes et la clef de leur avenir. En terminant, et sur un tout autre plan, je voudrais évoquer, en tant qu’IFM qui a créé le CMF, et en tant que Cluster, le fait que certains Etats (Allemagne, Norvège, Danemark, Hollande), assurent indirectement la coordination des clusters nationaux, mais que ça n’est pas le cas en France, où nous entretenons une relation équilibrée avec l'Etat, fondée sur notre indépendance, notre esprit constructif, et une volonté permanente de clarté. Cette relation est précieuse et je tiens à remercier les professionnels et l’IFM qui l’ont permise et la soutiennent, comme les nombreux représentants de l’Etat avec qui nous avons un vrai dialogue, même si, bien sûr, il n’est pas exempt de quelques aspérités. Il fallait le dire ! Et puis, laissez‐moi vous confier, au moment où chacun retient son souffle et commence à croire à l’émergence très prochaine d’une stratégie maritime, qu’en lisant le livre bleu, qui écrit sur la nécessaire passion de la mer, j’ai songé que les professionnels que nous sommes n’avaient vraiment pas besoin de stimulant à cet égard. Nous sommes tous, pour la mer, des fils spirituels de St Augustin, pour qui « il vaut mieux se perdre en sa

passion que perdre sa passion ». Oui, passion et compétence sont nos forces, oui, l’économie maritime est là, propre et dynamique, et atout essentiel durable d’une vraie stratégie maritime, une stratégie qui ne sera crédible que si elle repose autant sur ces Français qui aiment la mer que sur ceux qui en vivent et la respectent et veulent être respectés. Bruno LE MAIRE, Ministre de l’Alimentation, l'Agriculture et de la Pêche

Deux remarques générales tout d’abord, avant de parler de pêche, de l’avenir de la pêche en France et du lien entre la pêche française et Bruxelles. Un premier mot pour vous dire tout le plaisir que j’ai d’être à Brest, dans cette ville qu’on dit du bout de la terre ou du début de la mer si l’on préfère, et pour tout vous dire cette ville dans laquelle j’ai un de mes premiers souvenirs de marin. Car j’ai une expérience de marin, je me souviens d’avoir embarqué de façon aventureuse dans une flottille d’Optimist à l’âge de 8 ou 9 ans dans la rade de Brest : un coup de vent, tous les Optimist ont dessalé. J’en ai tiré la conclusion que c’était le bateau qui portait le plus mal son nom dans la flotte française. Cela ne m’empêche pas de n’avoir aucune rancune pour Brest et d’aimer profondément cette ville et la Bretagne dans son ensemble. Une deuxième remarque avant de vous parler de la pêche, elle est pour vous dire ma conviction profonde que la mer est un atout français majeur. C’est un atout

économique, c’est un atout environnemental, c’est un atout social. Le Premier ministre vous le dira demain sans doute mieux que moi, en clôturant ces Assises. Je suis convaincu également que nous tous, Français, nous sommes un peu marins au moins dans le cœur. Nous avons donc tous vocation à défendre cette économie, cette société de la mer. La mer, je tiens à la rappeler aussi, c’est une évidence, mais il y a des évidences qui sont parfois bonnes à rappeler, la mer ce sont aussi les pêcheurs. Je pense que si les Français peuvent être fiers de leur mer, fiers de leurs côtes, ils doivent aussi être fiers de leurs pêcheurs, fiers de leur activité de pêche, et donc tout faire, par conséquent, pour la défendre. La pêche est en effet un secteur stratégique pour la France. Vous le savez tous ici, ce n’est pas à des Bretons que je vais apprendre cela. Je rappelle juste quelques chiffres qu’il est bon d’avoir présents à l’esprit.

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La pêche c’est plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires, c’est plus de 16 000 emplois de marins embarqués – sans compter les emplois indirects qui y sont liés – c’est plus de 5 000 navires actifs et 2 400 dans les départements d’outre‐mer qu’il ne faut pas oublier. C’est donc une contribution majeure à l’animation et au développement économique et social des territoires littoraux, en métropole et en outre‐mer. La pêche c’est également – et c’est un point que l’on oublie de mentionner alors que c’est à mon sens l’un des débouchés essentiels et qu’il faut aider à cultiver – la pêche c’est également un élément essentiel de notre alimentation. Je vous rappelle que pour la première fois, vous avez un ministre qui est d’abord ministre de l’alimentation. Ce n’est pas un simple gadget, c’est une façon de donner un sens politique à l’activité agricole comme à l’activité de la pêche. Et dans le cadre du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche sur lequel nous avons travaillé depuis plusieurs semaines avec les professionnels, avec Pierre‐Georges DACHICOURT, nous ferons de la mise en place d’une politique publique de l’alimentation l’objectif politique majeur de l’agriculture et de la pêche en France. Nous le ferons avec des objectifs chiffrés. Nous le ferons avec des objectifs nutritionnels. Nous le ferons avec ces objectifs nutritionnels dans le cadre de la restauration collective, et je sais que les conseils régionaux et les collectivités territoriales travaillent déjà dans ce sens. Ce sera un choix politique majeur à la fois pour les citoyens français et pour les 500 millions de citoyens européens. De ce point de vue‐là, je crois que les produits de la pêche mériteront d’être mieux étiquetés, de façon à ce que le consommateur sache à quel type de poisson il a à faire, comment est‐ce qu’il a été conditionné, comment il a été pêché, comment il se retrouve sur son étal. Et nous devrons valoriser, précisément dans cette politique publique de l’alimentation, la qualité nutritionnelle exceptionnelle du poisson. Je pense bien sûr à la présence d’oméga 3 dans le poisson, ça empêche le vieillissement – pour moi, il est toujours temps de m’en préoccuper. Puis, il y a aussi le phosphore qui est bon pour l’intelligence – ça ne peut nuire à personne. Tout cela mérite, à mon sens, dans le cadre de cette politique de l’alimentation, d’être valorisé. Je le dis pour les produits de la pêche, je le dis aussi pour les produits de l’ostréiculture. Je voudrais vous dire un mot à ce sujet‐là pour vous dire à quel point je suis déterminé à aider le monde ostréicole pour passer dans les meilleures conditions possibles l’année 2009 difficile qu’il a eu à vivre. L’aider en prenant compte de ses difficultés de trésorerie. L’aider en lui permettant de développer de nouvelles souches, et d’introduire de nouvelles souches qui soient plus résistantes. Vous savez tous les difficultés qu’ont eues les jeunes huîtres de moins d’un an qui ont eu du mal à survivre les années passées. Il faut aider à développer de nouvelles souches pour le monde ostréicole. L’aider à mettre en place, comme je m’y suis engagé auprès du monde ostréicole, au 1er janvier 2010 un nouveau test physico‐chimique en remplacement du test de la souris garantissant la même sécurité sanitaire au consommateur mais dans des conditions d’expertise plus acceptables pour les professionnels. L’avenir de la pêche, vous l’avez dit tout à l’heure Monsieur le Président, se joue d’abord en Europe. Et si le Président de la République et le Premier ministre ont choisi de mettre à ce poste un spécialiste des questions communautaires et de la diplomatie européenne, ce n’est pas un hasard. C’est parce que les intérêts des pêcheurs français se défendent d’abord à Bruxelles. Pour que nous nous défendions bien, il faut que nous soyons à la tête de la réforme de la Politique Commune de la Pêche. J’ai fixé comme ambition à la pêche et à l’agriculture françaises d’être à la tête de la Politique Commune de la Pêche et d’être à la tête de la Politique Agricole Commune. Nous l’avons fait pour la pêche dans le cadre des Assises. Nous le ferons pour l’agriculture dès le 10 décembre en réunissant à Paris l’ensemble des ministres de l’agriculture européens intéressés à la régulation des marchés agricoles pour que nous prenions la main, nous la France, sur la Politique Agricole Commune. La France, sur la pêche comme l’agriculture, n’a pas vocation à suivre les autres Etats membres, elle a vocation à entraîner les autres états européens, à faire des propositions et à être en initiative. De ce point de vue, j’estime que ce qui a été fait dans le cadre des Assises de la pêche est un véritable modèle et un cas d’école. Nous avons organisé les Assises de la pêche, nous avons ouvert pendant plusieurs semaines une vaste consultation sur la réforme de la Politique Commune de la Pêche. Nous avons construit ensemble avec les professionnels, avec les associations, avec les organisations non gouvernementales, avec les élus locaux la position française pour la réforme de la Politique Commune de la Pêche. Nous avons désormais un temps d’avance sur les autres états européens. Nous sommes unis. Nous sommes solidaires sur nos positions. Nous pourrons, comme je l’ai fait hier avec mon homologue espagnole, présenter une position française qui est une position forte, qui est une position claire et qui en même temps est une position innovante, qui n’est pas en arrière de la main mais qui est en avance sur les autres Etats. Je voudrais profiter de ces Assises pour remercier très sincèrement tous les acteurs de ces Assises de la pêche. Je pense en premier lieu aux professionnels, et je veux remercier encore une fois Pierre‐Georges DACHICOURT pour la manière dont il a conduit ces travaux, les syndicats qui ont participé aussi activement à ces travaux, les élus locaux comme les élus nationaux, je voudrais remercier Philippe BOENNEC pour le travail qu’il a accompli et qu’il continue dans le cadre de la mission qui lui a été confiée sur la pêche en eaux profondes, les élus européens, je suis en contact avec Alain CADEC quasiment toutes les semaines pour faire le point sur la position

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du Parlement européen sur la réforme de la politique de la pêche ‐ vous savez que dans le cadre du traité de Lisbonne le Parlement européen sera co‐décisionnaire donc il est essentiel de l’associer à tous nos travaux ‐ les organisations non gouvernementales, qui pour la première fois se sont rassemblées dans une plateforme commune pour donner plus de poids à leur position, ce qui nous a permis de les intégrer de manière plus facile, et aussi évidemment les experts de l’administration, des institutions spécialisées, des établissements publics placés sous mon autorité et la direction générale de la pêche, dont le directeur Philippe MAUGUIN est présent et que je tiens à remercier. Grâce à ce travail, encore une fois, exemplaire, je pourrai porter à Bruxelles une position française claire, novatrice et déterminée sur l’avenir de la Politique Commune de la Pêche. Cette position, elle tiendra en quatre grandes orientations que je voudrais vous présenter ce matin. La première orientation, c’est celle d’une pêche durable et responsable. Il est évident, cela a été rappelé tout à l’heure, qu’il n’y a pas de pêche sans gestion intelligente des ressources halieutiques. Gestion intelligente, ça veut dire qu’il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier et il ne faut pas confier à une seule personne, à une seule institution, la définition de ce qu’est une gestion intelligente. Je pense au contraire qu’il faut savoir confronter plusieurs intelligences et plusieurs expertises. Il faut que les scientifiques, les pêcheurs, les organisations non gouvernementales puissent confronter leurs avis de façon à présenter une expertise qui soit la plus large et la plus stable possible. Ne laissons pas une seule personne décider pour tous les autres. C’est dans la confrontation sereine des expertises que nous aurons la meilleure évaluation des ressources halieutiques, c’est‐à‐dire une évaluation qui soit partagée par tous et donc acceptée par tous. Sortons de cette opposition stérile entre scientifiques, organisations non gouvernementales et pêcheurs. Apprenons à travailler ensemble. Chacun a son expérience. Chacun a son expertise. Chacun a sa science liée à sa propre valeur. C’est en les confrontant ensemble, en les réunissant dans le cadre d’une nouvelle institution qui sera créée dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche que nous trouverons les meilleurs solutions. Deuxième élément de cette pêche durable et responsable : il est impératif naturellement que nous traitions des impacts réciproques des différentes activités. La pêche doit minimiser ses impacts sur l’environnement, c’est une certitude qui est partagée par les pêcheurs eux‐mêmes. Mais la pêche subit aussi l’impact d’autres activités, et il est essentiel, notamment en matière de lutte contre la pollution, que nous en tenions le plus grand compte pour aider les pêcheurs. Enfin, nous devons avoir conscience que les pêcheurs ont un rôle utile, pour reprendre l’expression de Pierre‐Georges DACHICOURT, de « sentinelles de la mer ». Là encore, permettez‐moi de rappeler quelques évidences que vous partagez tous ici, mais mes propos dépassent le cadre de cette salle, pour dire tout simplement que les pêcheurs sont tous les jours en mer. Etant tous les jours en mer, ils restent les meilleurs observateurs de la mer. Ils peuvent rapporter des données tous les jours. Ils peuvent rapporter des observations sur les niveaux de pollution, sur la modification de l’environnement, sur la disparition ou l’épuisement de certaines espèces. Tenons compte de l’expérience des pêcheurs, de leur présence en mer et du rôle qu’ils peuvent jouer en matière d’information et d’observation. A partir de là et à partir de cette évidence, je suis favorable à l’encouragement de toutes les expérimentations qui peuvent être proposées pour que là aussi nous ayons un temps d’avance, pour que nous ne restions pas en recul par rapport aux attentes de la société, ni en recul par rapport aux autres propositions européennes. Je tiens, à ce sujet‐là, à citer deux exemples d’expérimentations qui me paraissent utiles et particulièrement profitables. La première, c’est l’idée qui a été avancée par les organisations non gouvernementales et qui me paraît intéressante, des unités d’exploitation et de gestion concertées (UEGC). Ces unités d’exploitation et de gestion concertées des écosystèmes seront mises en place sur 6 sites pilotes, c’est l’engagement du Grenelle. Et je pense que c’est une façon d’avoir une vue beaucoup plus globale de la gestion de la ressource, qui est une vue qui ne tient pas seulement compte de l’évolution de la ressource en langoustines ou en coquilles pour prendre l’exemple de ces espèces, mais qui tient aussi compte de ce qui entoure les langoustines et les coquilles en termes d’environnement, de bio‐environnement et de sécurité même de cet environnement. Cela me paraît donc une expérimentation utile à conduire. Deuxième exemple, et j’en ai parlé tout à l’heure avec le président du Conseil général, parce que je crois qu’on peut toujours progresser dans la mise en place de ces expérimentations, ce sont les aires marines protégées. Le parc marin de l’Iroise est de ce point de vue tout à fait exemplaire, puisqu’il associe directement la protection de l’environnement et le développement d’une pêche responsable. Je tiens à rappeler ici notre engagement à développer dans le cadre du Grenelle la protection de 20 % de nos eaux françaises sous forme d’aires marines protégées, mais je voudrais y apporter une précision importante qui n’est pas simplement une précision rhétorique, mais qui est un vrai choix politique qui vaut pour les aires marines protégées comme pour la pêche française dans son ensemble, comme pour l’agriculture française dans son ensemble. Je souhaite que cet objectif de 20 % de protection des eaux françaises dans des aires marines protégées soit porté à l’échelle européenne. Je souhaite donc que 20 % des eaux communautaires soient elles‐aussi placées dans les mêmes délais en aires marines protégées. Je souhaite que la pêche communautaire, que la Politique Commune de la Pêche reconnaisse officiellement et juridiquement le statut d’aires marines protégées.

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Pourquoi ? Tout simplement pour que tout le monde en Europe soit soumis aux mêmes contraintes. Je pense qu’il est bon que la France prenne la tête de la pêche durable. Je pense qu’il est bon et souhaitable que la France prenne la tête de l’agriculture durable. Et je pense qu’il est tout aussi nécessaire que la France fasse en sorte qu’à l’échelle communautaire que les mêmes règles s’appliquent pour tous, de façon à ce que ni nos pêcheurs ni nos agriculteurs n’aient à subir des contraintes plus importantes que nos voisins qui sont dans le même marché, qui vendent les mêmes espèces, qui vendent les mêmes produits et qui pourront le faire avec des conditions moins drastiques, moins contraignantes. Voilà l’objectif que je fixe donc sur ces expérimentations : avancer le plus loin possible, avancer dans les meilleurs délais possibles compatibles avec les contraintes économiques des pêcheurs, et le faire en veillant à ce que tous nos partenaires européens soient soumis aux mêmes règles et aux mêmes contraintes de façon à ce que nous prenions l’initiative et que nous créions un véritable mouvement dans ce sens. Pour être durable en effet, faut‐il encore que la pêche garde sa rentabilité, et qu’on lui permette d’évoluer dans le sens de cette rentabilité. J’ai écouté attentivement ce que disait le président du Conseil régional tout à l’heure sur la question du renouvellement de la flotte. C’est une question sur laquelle nous travaillons, qui suscite toute mon attention et sur laquelle nos devons faire des propositions nouvelles. J’ai proposé à Michel ROCARD et à Alain JUPPE lorsque j’ai été auditionné par la Commission du Grand Emprunt que nous consacrions une partie du Grand Emprunt à la question de la modernisation et du renouvellement de la flotte de pêche française en expérimentant et en investissant notamment dans les nouvelles motorisations moins polluantes. Cette orientation a été retenue par Alain JUPPE et par Michel ROCARD dans le cadre du Grand Emprunt. Je souhaite, les arbitrages ne sont pas encore rendus, le Président de la République et le Premier ministre portent aussi toute leur attention à cette proposition qui doit nous permettre là aussi d’avoir un temps d’avance, qui doit nous permettre de renouveler la flotte dans un sens qui soit économiquement plus rentable et en matière de développement durable plus respectueux de l’environnement. La deuxième orientation que je porterai par conséquent à Bruxelles, elle va de soi, c’est une défense forte des intérêts économiques de la pêche française. Comment est‐ce que je compte défendre ces intérêts économiques ? Je pense qu’il faut savoir fixer des lignes rouges qui soient le plus claires possible de façon à ce que nos partenaires européens sachent où se trouve la France, jusqu’où elle est prête à ne pas aller. Première remarque : je reste attaché au principe des quotas de captures. Je crois que ces quotas de captures sont, pour tous les pêcheurs français, une sécurité et une garantie. Ces quotas de captures doivent être gérés de manière intelligente, c’est‐à‐dire de manière collective par les organisations de producteurs. C’est à mon sens la meilleure façon de gérer les quotas de captures, et je le dis ici en Bretagne, dans une région qui a pris l’initiative en la matière. J’ai reçu il y a quelques jours la coopérative Pêcheurs de Manche et de l’Atlantique. Nous avons discuté longuement de leur gestion des quotas. Je crois que la gestion collective qu’ils en font est une gestion intelligente, d’abord parce qu’elle préserve les intérêts des pêcheurs eux‐mêmes et en même temps parce qu’elle n’interdit pas une individualisation bateau par bateau en fonction de l’état des ressources et en fonction de la pêche flottille par flottille. Je crois que, de ce point de vue‐là, ce que fait la coopérative Pêcheurs de Manche et de l’Atlantique me semble un modèle en matière de gestion de la ressource et de régulation des marchés, car ce n’est qu’avec des quotas de capture collective que nous mettrons en place une régulation intelligente du marché, c’est‐à‐dire une meilleure valorisation de la ressource. Parce qu’il y aura une meilleure valorisation de la ressource, il y aura un revenu plus stable et plus élevé pour les pêcheurs, ce qui doit naturellement être notre objectif. Dans le même sens, je suis contre les quotas de captures individuels transférables. Je crois que ces quotas de captures individuels transférables nous conduiraient inévitablement à concentrer les moyens au profit de quelques grandes unités de production. Ce modèle‐là, cette concentration des moyens, ce n’est pas le modèle agricole français, et ce n’est pas le modèle de pêche française. Ma vision de la pêche française est une vision dans laquelle on peut avoir une pêche développée et une pêche artisanale, et où chacun trouve sa place sur les côtes françaises. Je ne suis pas favorable au développement de quelques grandes unités de production de pêche isolées et concentrées dans deux ou trois points des côtes françaises. Ce n’est pas conforme à ma vision de la pêche française et ce n’est pas conforme à mon sens ni aux intérêts des pêcheurs ni à ce qu’est la réalité des côtes françaises aujourd’hui et depuis plusieurs décennies. Je suis également défavorable à une gestion des quotas par l’effort de pêche. Je crois que c’est une idée qui est séduisante sur le papier, mais qui, dans la pratique, risque d’amener deux effets pervers. Le premier effet pervers, c’est qu’elle va naturellement concentrer la pêche sur les espèces les plus valorisées. Si vous laissez la liberté à chaque pêcheur pendant une durée limitée, vous faites ce que vous voulez pendant 3 jours ou 4 jours par mois et après c’est fini, il est évident que les pêcheurs vont se concentrer sur les espèces les plus valorisées, la sole, le cabillaud, avec tous les problèmes que cela posera en termes d’effort de pêche et en terme de quotas. La deuxième conséquence, elle a été observée par l’IFREMER, par tous les instituts spécialisés, par les responsables des pêches, c’est que si vous avez des contraintes fortes, une limitation forte

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tonneaux de jauge, vous n’avez pas de sortie de flotte, vous n’avez pas de renouvellement de la flotte, et vous avez un problème de vieillissement des bateaux qui appelle directement des problèmes de sécurité pour les marins‐pêcheurs. Là aussi, de ce point de vue‐là, ça ne me paraît pas conforme à notre objectif de renouvellement et de modernisation, et pas conforme non plus à l’objectif, qui a été rappelé par Jean‐Yves LE DRIAN, de sécurité des navires et donc de sécurité des hommes en mer. Troisième élément que je souhaite porter à Bruxelles après la défense des intérêts économiques et de la pêche durable, c’est la réforme de la gouvernance de la Politique Commune des Pêches. Je voudrais juste pour commencer sur ce point‐là, vous faire part d’une expérience personnelle. Il y a quelques semaines, trois semaines très précisément, mon conseiller technique chargé de la pêche et mon directeur des pêches sont venus me voir en me disant « Voilà, il y a un règlement technique pêche qui est en discussion à Bruxelles, et il comporte un certain nombre de mesures qui seront terriblement contraignantes pour les pêcheurs ». Ce sont des mesures qui élargissaient mécaniquement pour toutes les pêcheries la taille du maillage des filets, ou des mesures qui préconisaient par exemple de ne plus emporter qu’un seul filet de pêche par navire. Le navire partait à la pêche avec son filet unique, et s’il ne trouvait pas les poissons qu’il pouvait pêcher avec ce type de filet, il n’avait plus qu’à revenir à terre, chercher le bon type de filet, repartir en mer, en espérant bien sûr que les poissons ne soient pas partis entre‐temps. Ce genre de proposition technique, éloigné de la réalité, proposée sans réelle concertation avec les organisations professionnelles, sans étude d’impact sérieuse, sur l’impact économique que cela pouvait avoir sur les pêcheries européennes, m’a semblé tout à fait inacceptable. Nous avons donc constitué en trois semaines, avec l’Espagne, avec le Portugal, avec l’Italie – et c’est là qu’il est important d’avoir un ministre de la pêche qui soit un diplomate – une minorité de blocage pour nous opposer à ce règlement technique pêche. Je vais vous dire, ce n’est pas quelque chose que je fais de bon cœur. Je suis un européen convaincu et j’essaie toujours de trouver des solutions européennes constructives. Quand je vois que les lignes rouges sont franchies et quand je vois que les intérêts économiques de la France sont directement menacés, je dis « stop ». Et donc nous avons bloqué l’adoption du règlement technique pêche, parce que je crois qu’il avait été fait suivant une mauvaise méthode et qu’il aurait menacé les intérêts économiques français. Et bien j’aimerais, comme européen convaincu, ne pas avoir à revivre ce genre d’expérience, ne pas avoir à constituer de minorité de blocage, ne pas avoir à empêcher l’adoption d’un texte, je préférais de loin avoir à modifier de façon constructive un texte qui a été élaboré par les pêcheurs en premier lieu, élaboré par les professionnels en premier lieu, consulté auprès des professionnels en premier lieu, qui ensuite seulement remonte au niveau de la Commission et au niveau des Etats membres et des ministres qui les représentent. Je souhaite donc que nous arrêtions avec le micro‐management technique au niveau européen et Joe BORG le précédent commissaire européen en était lui‐même tout à fait convaincu. Il n’est pas normal que des ministres passent des heures, jusqu’à 2 ou 3 heures du matin, en Conseil agriculture et pêche, à discuter des millimètres de mailles de filets comme s’ils étaient des spécialistes. Je ne suis pas un spécialiste des mailles de filets et je ne suis pas payé par le citoyen français pour l’être. Je suis payé pour défendre les intérêts économiques français à Bruxelles et je le ferai bien si les professionnels, avant que je me réunisse avec mes homologues européens ont décidé, de ce qui a été bon en termes de maillage de filets pour la pêche française, pour la pêche européenne et pour le respect de la ressource halieutique. Il faut donc impérativement renverser l’ordre des choses en matière de gestion de la pêche en Europe, que nous arrêtions avec une idée qui vient du haut et qui s’applique vers le bas pour aller vers une pêche européenne qui soit élaborée par les pêcheurs et les professionnels eux‐mêmes pour ensuite remonter vers les Etats et vers les commissions qui prendront des arbitrages politiques. De ce point de vue‐là, je souhaite que nous nous appuyions davantage sur des propositions des conseils consultatifs régionaux je souhaite d’ailleurs que ces conseils ne soient plus des conseils consultatifs mais des conseils véritablement opérationnels force de proposition. Je propose donc de rebaptiser ces conseils consultatifs régionaux pour en faire des comités de pêche européens qui auront une véritable force de proposition, qui associeront les professionnels, les experts, les scientifiques qui seront dotés de nouveaux moyens qui pourront mener des études d’impact approfondies et qui permettront tout simplement au commissaire européen et aux ministres en charge de la pêche en Europe de faire correctement leur travail c'est‐à‐dire de ne pas se substituer aux pêcheurs et aux professionnels mais de rendre des arbitrages politiques. Ces comités de pêche européens, je souhaite que dans le cadre de la future politique commune de la pêche ils leur soient donnés toute la force de proposition et d’expertise nécessaires. Enfin un quatrième point que je défendrai à Bruxelles, c’est le volet social. Le volet social c’est une propriété et une particularité de la France, ce n’est pas parce que c’est une particularité de la France qu’il faut en rougir. Je pense au contraire qu’il faut en être fier. Aucun autre Etat sinon la France, ne pensera au volet social de la politique commune de la pêche raison de plus pour défendre avec beaucoup de convictions ce volet social et pour le porter haut et fort à Bruxelles. Qu’est‐ce que cela veut dire ce volet social ? Cela veut dire d’abord une harmonisation européenne des conditions de travail des marins pêcheurs. Le droit du travail français protège les marins pêcheurs. Je souhaite qu’il ne soit plus perçu par la filière, comme une contrainte et comme un facteur de concurrence déloyale pour

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que les autres pêches européennes permettent aux marins pêcheurs d’être aussi bien protégés que le sont les marins pêcheurs français. Je souhaite également que tous les instruments dont disposent les autres marins qui ne sont pas des marins pêcheurs puissent être ouverts aux pêcheurs eux‐mêmes. Comment pouvons‐nous accepter par exemple qu’en matière de formation la convention sur la formation des gens de mer s’applique à tout le monde en mer sauf aux pêcheurs. Je pense qu’il est temps que cette convention sur la formation des gens de mer qui ont la possibilité de formations, de reclassements beaucoup plus faciles pour tous les marins s’applique également aux pêcheurs de façon à ce qu’ils puissent disposer de ces possibilités‐là. Je porterai ce dossier dans les négociations d’échelle internationale avec Jean‐Louis BORLOO qui est responsable du droit du travail maritime et je profite de cette incidence pour vous dire et vous rassurer sur ce point‐là, il n’y a entre Jean‐Louis BORLOO et moi‐même pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. Je crois qu’il est très bon d’avoir un ministre de la mer et d’avoir un ministre de la pêche, nous défendons chacun les intérêts qui sont ceux qui nous ont été confiés par le Président de la République et par le Premier ministre mais nous discutons, nous échangeons, nous trouvons toujours des solutions de compromis et c’est précisément parce que nous dialoguons régulièrement que nous arrivons à chaque fois à trouver des solutions de compromis. Philippe BOENNEC le sait bien quand nous avons dû mettre sur pied une mission sur la pêche en eaux profondes, nous en avons discuté ensemble parce que c’est un sujet très sensible, comment faire pour maintenir la pêche en eaux profondes sans abîmer les fonds marins, en respectant les écosystèmes, en respectant le développement durable. C’est en échangeant avec Jean‐Louis BORLOO que nous avons eu cette idée de mission que nous avons confié à Philippe BOENNEC et que nous arriverons comme cela à progresser mais il n’y a pas au sein du gouvernement, le Premier ministre le rappellera demain, ni rivalité ni opposition ni même susceptibilité. Je ne suis pas quelqu’un de susceptible je cherche d’abord à faire avancer les choses de la manière la plus constructive possible. Voilà les éléments que nous porterons pour la politique commune de la pêche. Je dois vous dire pour terminer que je suis à la fois fier et heureux du travail qui a été accompli. Je suis fier parce que je suis toujours fier lorsque la France plutôt que de rester dans son coin, plutôt que d’adopter des positions défensives est capable de prendre la main, est capable dans des délais très courts de constituer une position nationale forte consolidée entre les professionnels, les associations, les élus, qu’elles présentent ensuite à l’ensemble de ses partenaires. Les quatre points de la position française feront l’objet d’un mémorandum que je transmettrai à mes collègues européens. Nous nous réunirons avec eux dans les semaines à venir, avec tous les Etats européens qui ont une pêche importante et les propositions françaises parce qu’elles seront les premières, parce qu’elles auront la forme d’un mémorandum, parce qu’elles auront été concertées entre tous les acteurs seront des propositions qui feront référence pour la définition de l’avenir de la politique commune de la pêche. Et puis, je suis heureux comme ministre que nous soyons arrivés à ce résultat parce que tout ce qui permet de défendre l’activité des pêcheurs, tout ce qui permet de défendre l’avenir de la mer qui occupe une place si importante, ici à Brest et en Bretagne, ne peut rendre qu’heureux le ministre de l’agriculture et de la pêche que je suis.

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SORTIE DE CRISE : QUELLE CONTRIBUTION DU MARITIME ?

Economie Maritime : situation et perspectives

Présentation de l’étude annuelle PricewaterhouseCoopers > Christian KERMARREC, Associé, PricewaterhouseCoopers André THOMAS, Rédacteur en chef, le marin : Nous allons maintenant découvrir un travail remarquable, réalisé par PwC, à la demande du marin et des Echos pour ces Assises de la Mer. Il nous a semblé utile que l’ensemble des composantes du secteur maritime puisse disposer d’un indicateur annuel pour mesurer la santé globale du milieu maritime français. C’est une nouveauté qui sera désormais renouvelée tous les ans, peut‐être même avec une fréquence plus importante. Christian KERMARREC, Associé, PricewaterhouseCoopers

Je vais donc vous présenter l’opinion de PwC sur l’état de l’économie maritime en cette fin d’année 2009. Nos travaux ne sont pas du tout en concurrence avec ceux du cluster maritime français. Ils vont dans même sens : mieux connaître l’économie maritime ! Notre baromètre (60 pages) est publié sur les sites des Assises de la Mer et de PwC, cabinet d’audit et de conseil, leader mondial en matière de prestations intellectuelles, qui accompagne déjà de nombreux acteurs de l’économie maritime en France et dans le monde. Le baromètre est construit autour d’un indice, base 100 au 31 décembre 2008, et d’un indicateur de conjoncture établi au travers d’un questionnaire, adressé aux acteurs majeurs de l’économie maritime française. Pour l’élaboration de l’indice, nous avons utilisé

le Baltic Dry Index (BDI) qui est un indice des prix pour le transport maritime en vrac de matières sèches, le trafic de passagers dans les 17 principaux ports métropolitains français, le taux d’affrètement conteneurisé, les immatriculations du nautisme, le carnet de commandes de la construction navale, l’évolution du cours de l’acier, les ventes sous halle à marée et le trafic total des marchandises en milliers de tonnes pour les 7 grands ports maritimes de métropole et le port de Calais. Pour la pondération, nous avons considéré un coefficient de 1 pour chacun des composants de l’indice à l’exception du Baltic Dry Index et du taux d’affrètement conteneurisé, qui, en raison de leur grande volatilité, ont reçu un coefficient de 0,5. Quant à l’indicateur de conjoncture, il prend en compte les variables suivantes suite au questionnaire : la situation économique du secteur, les perspectives économiques à 1 an de l’entreprise, l’évolution au cours des 12 derniers mois, la satisfaction pour trois indicateurs‐clefs (trésorerie, carnet de commandes, rentabilité), les prévisions d’investissement des 6 mois à venir et l’évolution de l’emploi dans les 6 prochains mois. Les questions ont été pondérées de manière égale au sein de l’indicateur de conjoncture. Je rappelle quelques données importantes : le poids du maritime dans l’économie française représente 311 650 emplois directs et une production de 53,7 Md€ (sans inclure 240 000 emplois liés au tourisme littoral et 21 Md€ de production). La santé de l’économie maritime se mesure également par les 380 millions de tonnes de fret qui transitent chaque année via les ports français, les 25 millions de passagers qui entrent et sortent des ports maritimes français. La France est la seconde puissance maritime mondiale, à égalité avec le Royaume‐Uni, derrière les USA, grâce à ses 11 millions de km² de côtes incluant les DOM et les TOM. Voici maintenant les résultats du baromètre et l’opinion générale de PwC sur ce qui s’est passé dans l’économie maritime française depuis le 31 décembre 2007. Entre le 31/12/2007 et le 30/09/2009, la régression de l’activité économique maritime en France a atteint un taux avoisinant les – 25 % ! Tout d’abord, nous constatons la dégradation vertigineuse du taux d’affrètement conteneurisé. Les indices retenus se détériorent en moyenne de 10 % à 20 % du 31/12/2007 au 30/09/2009. Si le baromètre indique une dégradation significative de l’activité en deux ans, il montre aussi un début de reprise lente de la part des entreprises du secteur maritime. C’est à retenir ! Mais nos entreprises ont besoin d’être soutenues, notamment par le milieu bancaire… En ce qui concerne la construction navale civile (17 000 salariés et 44 entreprises en France), elle décline en Europe alors qu’elle connaît une très forte croissance en Asie (Chine et Corée). Si les perspectives de nouvelles commandes des chantiers français étaient favorables au début de l’année 2009, elles ont connu un net recul au cours du premier semestre 2009, notamment avec une conjoncture défavorable pour les chantiers STX.

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Remarquons tout de même le comportement du Chantier Piriou qui a su s’adapter au marché sur des unités de plus petite taille, dans une stratégie de croissance mondiale en restant à proximité de ses clients ; je me permets de rendre hommage ici à Guy Piriou qui nous a quittés en janvier 2009 et à son fils Pascal. Pour la construction navale militaire, le chef de file du secteur en France est DCNS détenu à hauteur de 75 % par l’État et de 25 % par Thalès. En dehors de Constructions Mécaniques de Normandie qui intervient plutôt sur le segment du petit et du moyen tonnage et qui vise surtout le marché export, peu d’opérateurs sont positionnés en tant que maître d’œuvre. La pression sur les coûts de la part de l’Etat est de plus en plus forte et les programmes en coopération seule ne permettent pas de mettre en oeuvre toutes les synergies espérées (économies d’échelle en particulier). Les systèmes d’armes développés et leur intégration sont de plus en plus complexes avec des niveaux d’exigence de plus en plus élevés. L’importance de la R&D est primordiale et son coût élevé a besoin d’être porté par de plus grosses structures et amorti sur des séries plus longues. Certains sous‐traitants d’Europe centrale et de l’Est se positionnent en particulier sur la fabrication de tronçons de coque grâce à leur savoir‐faire et à leur coût de production inférieurs. La coopération avec le secteur civil et l’utilisation de composants / systèmes à usage dual se développe. Le maintien en condition opérationnelle des bateaux est un enjeu important et sur le marché des moyens et petits tonnages, nous constatons l’apparition d’une concurrence de certains chantiers civils. Le phénomène de concurrence européenne à l’export est à terme nuisible aux industriels européens. Ainsi TKMS, DCNS et Navantia sont en concurrence frontale sur certains contrats potentiels de sous‐marins à l’export. On doit bien remarquer des synergies plus importantes entre construction civile et construction militaire et qu’on va vers une consolidation européenne des acteurs de la construction navale militaire. S’agissant de l’assurance maritime, elle se décompose en trois principales garanties que sont l’assurance des corps maritimes, l’assurance faculté et l’assurance « Protection and Indemnity » (P&I). Sur ce marché, international par nature, qui a généré un chiffre d’affaires annuel de plus de 20 milliards de dollars en 2008, la France occupe le quatrième rang mondial en assurance des corps maritimes (plus de 400 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2008) et le troisième rang mondial en assurance faculté (près de 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires en 2008), mais n’est pas véritablement présente sur les garanties P&I. En raison de la crise, la « matière » assurable a fortement diminué alors que les actes de piraterie augmentent… Dans le nautisme, la situation de l’industrie française est préoccupante, même si certains acteurs demeurent solides. Cette industrie est confrontée à plusieurs variables significatives : les vieux navires de plaisance, le manque de place dans les ports et les nouveaux comportements des acheteurs qui se tournent de plus en plus vers le marché de la location. Notons cependant l’augmentation des ports à sec et les projets de ports enterrés. Pour l’offshore pétrolier et gazier, il est important de relever l’importance des variations du cours du brent (142 $ en janvier 2008 et 40 $ en décembre 2008). Cela a remis en cause certains investissements… Remarquons la forte expertise des firmes françaises Bourbon et Technip ; l’activité du forage en mer est portée par l’Amérique du Sud ; un tiers des constructions offshore sont centrées dans la zone Asie‐Pacifique (10 % en Europe de l’Ouest). En 2007, le chiffre d’affaires du marché de la construction offshore a progressé de 22 % par rapport à 2006 et a atteint 43 Md$. Sur les 564 ports de commerce, on compte aujourd’hui 304 ports de commerce et de pêche départementaux et 228 ports de plaisance communaux. À côté des 8 Grands Ports Maritimes, du port de Calais et de 4 ports d’outre‐mer, restés dans le giron de l’État, les ports maritimes dits de proximité relèvent de la compétence des collectivités territoriales ou de leurs regroupements. En matière de commerce de marchandises des ports métropolitains, sur un total d’environ 385 MT à fin 2008, 305 MT sont réalisés par les Ports Autonomes devenus Grands Ports Maritimes. L’ensemble du trafic marchandises et passagers connaît un net ralentissement depuis plus d’un an même si des signes d’inversement de tendance apparaissent en rythme annuel glissant depuis l’été 2009. Ce ralentissement est au plus fort de l’ordre de 10 % et touche également les professionnels de la manutention et du service portuaire. Il reste des enjeux significatifs à relever pour les grands ports maritimes ; très concentrés aujourd’hui sur la cession des outillages et le transfert des personnels associés (ainsi que sur l’organisation de la maintenance) ils devront rapidement engager des actions visant à l’amélioration des dessertes, la participation à la réforme du fret, l’aménagement du territoire ; la promotion commerciale reste une priorité et un facteur de différenciation, notamment en cas de crise et notamment vis‐à‐vis de l’Europe du Nord. Les autoroutes de la mer doivent être mises en oeuvre aussi efficacement que possible ! Pour le shipping, trois activités sont identifiées : le transport de granulats, le transport de passagers et le transport de marchandises. Le troisième acteur mondial du secteur, CMA‐CGM, est confronté à des difficultés suite à la diminution du trafic Asie/Europe et au respect des engagements de commandes en 2007. Pour la pêche maritime, les premiers acteurs mondiaux sont la Chine, le Pérou, les Etats‐Unis et l’Indonésie, qui représentent à eux seuls plus du tiers des captures mondiales. L’Union Européenne en réalise quant à elle 7,4 %.

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En Europe, les quatre premiers pays producteurs (Espagne, Danemark, Royaume‐Uni, France) totalisent à eux seuls plus de la moitié des captures (53 %). Plus de 45 % de la production est composée de poissons pélagiques (hareng, sprat, merlan bleu, maquereau…), mais le poids économique des espèces à plus forte valeur ajoutée (thon, cabillaud, sole) prévaut. En France, la flotte de pêche représentait 5 187 navires au 31/12/07. On y constate toujours une prédominance du nombre de navires de petite pêche (plus des trois quarts du nombre de navires). La flottille des bateaux de moins de 12 mètres représente près de 76 % du nombre de navires. Le nombre de navires a été fortement réduit depuis 1990. Plus de 40 % sont sortis de flotte. La puissance globale de la flotte a, quant à elle, diminué de près de 36 %... Rappelons que le secteur de la pêche est soumis aux variables suivantes : le coût du gas‐oil, la pression de la communauté scientifique en termes de régulation des captures, les difficultés à recruter des équipages, la spécificité de chaque entreprise, la piraterie et les problématiques de marché liées à la concentration des clients et à la mondialisation des échanges. En conclusion générale, je dirais que nous sommes face à des enjeux importants :

‐  les énergies marines renouvelables, ‐  l’enseignement maritime, ‐  l’implication de l’État en mer et la place de la France dans les organisations internationales, ‐  la réforme en cours de l’exploitation des Grands Ports Maritimes, ‐  la réorganisation de l’environnement juridique de l’exercice de la pêche maritime.

Notre cabinet a une grande confiance et respecte les acteurs de l’économie maritime. Il encourage les jeunes à rejoindre ce secteur… Au final, notre baromètre montre qu’une grosse dépression a touché notre économie maritime, mais que la pression remonte légèrement et devrait normalement dépasser les 1010 hp en 2010 ! Je vous invite donc à nos « Rendez‐vous de la mer PwC » à Nantes en juin prochain pour en savoir plus !

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Principales inquiétudes, principaux espoirs > Pierre‐Georges DACHICOURT, Président, Comité national des pêches et des élevages marins > Jean‐François FOUNTAINE, Président, Fédération des industries nautiques > Christian GARIN, Président, Armateurs de France > Hervé MOULINIER, Président, Pôle Mer Bretagne > Bernard PLANCHAIS, Gican Jean‐Claude HAZERA, Rédacteur en chef, Les Echos : J’aime beaucoup naviguer et l’un de mes grands plaisirs est de pouvoir amarrer mon bateau dans un port à côté d’un bateau de pêche ou d’un cargo pour pouvoir rencontrer des professionnels de la mer. Leurs représentants vont maintenant nous faire part de leurs inquiétudes et de leurs espoirs. Pierre‐Georges DACHICOURT, Président, Comité national des pêches et des élevages marins

Dès ma naissance, j’ai découvert des bottes de pêche, un ciré et des filets : je me suis dit que je n’étais pas tombé au bon endroit ! Finalement, au fil du temps, j’ai réalisé que c’était le vrai choix ! Évidemment, le métier de pêcheur est décrié ; on nous qualifie de prédateurs, de videurs d’océans, de laboureurs de la mer, etc. Certes, nous avons des faiblesses dues notamment au vieillissement de notre flotte. C’est un véritable challenge à relever ! On n’attirera pas de jeunes dans nos métiers avec des bateaux trop vieux, inadaptés aux enjeux du futur. Et notre flotte

chalutière est totalement dépendante du prix du carburant. Nos marchés sont très dépréciés du fait de la mondialisation des produits… La politique européenne des pêches est de plus en plus drastique. Le réchauffement climatique nous inquiète aussi car, par exemple, les anchois et les rougets remontent vers la Mer du Nord. Moi, je voudrais dire qu’il faut bâtir des choses maintenant, mais il ne faut pas que cela soit au détriment des autres ! J’espère qu’on sauvera les pécheurs en même temps que les poissons ! Malgré tout ce qu’on en dit, certains stocks de poissons se reconstituent. On parle du thon rouge, on se focalise sur le cabillaud, mais il n’y a pas que ces poissons‐là dans la mer ! La pêche française débarque plus de 70 espèces différentes et l’on ne parle jamais de ce qui va bien. Je remarque que les pêcheurs ont fait une mutation qui n’était pas du tout évidente il y a 10 ans. Ils ont pris enfin conscience qu’il fallait une sélectivité dans les engins de pêche. Mais cela demande du temps et c’est pour cela qu’il ne fallait pas que la Commission européenne soit brutale dans son approche sur les mesures techniques. Il vaut mieux toujours travailler de la base vers le haut et non l’inverse : c’est l’enjeu 2010/2012, sachant que tous les jeunes doivent comprendre que les ressources de la mer ne sont pas inépuisables. Nous souhaitons qu’il y ait une véritable gouvernance associant les professionnels de la pêche ! Messieurs les fonctionnaires, avec tout le respect que je vous dois, je vous dis qu’il faut travailler tous ensemble… Les pêcheurs veulent participer à l’économie littorale : ce ne sont pas des brutes et des sauvages ; ils apprécient la convivialité avec les plaisanciers et la marine marchande. Le monde de la mer doit être complètement partagé ! S’agissant des unités d’exploitation et de gestion concertées (UEGC) prônées par le ministre, je dois dire que je préfère la gestion par pêcheries car l’écosystème de la Manche Ouest n’est pas celui de la Manche Est ou celui de la Méditerranée… Je signale aussi que le ministre n’a pas assez insisté sur la mise en valeur des compétences très importantes réunies au sein du Comité national des pêches et des élevages marins. Rien n’oppose les pêcheurs et les aquaculteurs : ils sont complémentaires ; arrêtons de croire que les uns doivent se développer au détriment des autres. Le ministre a rappelé le dumping social qui existe au niveau européen : il est temps que tout cela se recadre. Un kilo de merlan pêché en France ne peut pas avoir le même prix que celui qui est pêché en Ecosse avec des Ghanéens ou des Philippins qui ne connaissent pas notre ENIM… Enfin, je veux dire toute notre estime pour la Marine nationale et la marine marchande avec lesquelles nous pêcheurs pour partageons l’espoir de bâtir un nouvel avenir. Soyez persuadés qu’il restera toujours des pêcheurs, non pas pour le folklore autour du littoral, mais pour vous donner de bons produits tout au long de l’année ! Achetez donc du poisson le plus français possible ! André THOMAS, Rédacteur en chef, le marin : Après une croissance « sous spi » pendant de nombreuses années, le secteur de la plaisance est très chahuté par la crise aujourd’hui… Des chantiers ferment, sont sous sauvegarde ou ont recours au chômage partiel… Quelle est l’ampleur des dégâts ? La reprise est‐elle annoncée ? Jean‐François FOUNTAINE, Président, Fédération des industries nautiques D’abord merci pour ces Assises qui rassemblent la communauté maritime autour de beaucoup de valeurs communes… La situation de l’industrie nautique n’est pas bonne, comme vous le savez, mais je souhaite parler ici de nos espoirs.

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Je rappelle d’abord que notre industrie nautique a deux facettes : ‐  une activité de production industrielle (1,3 Md€ de CA réalisés par

les chantiers petits et grands, par les équipementiers (sécurité, etc.) par les services (logiciels, bureaux d’études, etc.) ;

‐  une activité de « pratiques et d’usages » qui concerne tous ceux qui naviguent (3,3 Md€).

L’activité de production subit en France une crise extrêmement violente (‐ 30 % sur les bateaux neufs), mais c’est encore pire ailleurs (‐ 70 % aux Etats‐Unis ; activité divisée par trois en Italie) ; nous sommes en train de devenir la première industrie nautique du monde toutes activités confondues. La France est déjà leader dans la voile avec le groupe Beneteau‐Jeannot, dans

les pneumatiques avec Zodiac… La violence de la crise est très préoccupante car nous exportons 60 % de nos productions ; lorsque les marchés étrangers (cf. les USA) s’effondrent, nous en subissons directement les conséquences. Heureusement, les industries nautiques ont été prudentes dans le passé ; leurs structures financières sont saines en général. Mais pour résister à la crise, elles doivent changer de politique et s’adapter : chômage partiel, recherche de débouchés nouveaux à l’international car le marché français ne pourra pas absorber toute la production (début de reprise aux USA), participation aux salons internationaux, etc. Les pouvoirs publics peuvent nous aider non seulement via les mesures de chômage partiel, mais aussi pour nous accompagner à l’international (au Brésil, en Europe du Nord, dans le bassin méditerranéen, notamment). Ajoutons que nous devons relever un enjeu de compétitivité : prix de revient serrés, innovation, R&D, compétition en mer… L’activité « pratiques et usages » résiste mieux que celle de la production jusqu’à présent. Si les gens achètent moins de bateaux neufs, ils naviguent toujours autant et ils consomment des équipements. Mais, attention, ce marché intérieur ne doit pas être considéré comme protégé car nous sommes en concurrence avec d’autres plans d’eaux qui se battent dans le monde entier pour se valoriser (cf. Croatie). Peut‐être qu’en baissant nos prix sur la pratique en faisant des efforts de compétitivité, on pourrait continuer à développer notre spécificité française : la plaisance pour tous ! Les pouvoirs publics doivent aider pour que les places au port soient plus nombreuses et qu’elles restent accessibles (prix, cales de mises à l’eau, etc.). Pour développer les pratiques, l’industrie nautique doit faire un effort sur le plan environnemental ; il faut plus de bateaux et moins d’impacts… C’est possible, selon moi, si nous poursuivons nos recherches pour être exemplaires sur la recyclabilité des bateaux, les holding tanks, le zéro rejet au sens large, etc. Jean‐Claude HAZERA : Concernant les armateurs, le coup d’arrêt du commerce mondial est‐il seulement conjoncturel ? Quid de la compétitivité de l’armement français ? Christian GARIN, Président, Armateurs de France

Merci à tous les organisateurs pour cette belle rencontre ! Merci de nous accueillir parmi vous ! Les armateurs de France traversent une tempête assez forte et partagent donc le sort de tout le maritime français. Depuis le 15 septembre 2008, nous avons eu la crise financière (assèchement des crédits mis à la disposition des armateurs) et la crise économique (baisse du commerce mondial). Mais nous avons à subir une 3ème crise par rapport à ces deux crises‐là. Cette 3ème crise est causée par le phénomène bien connu des cycles. Certes, la crise financière a stoppé net la spéculation sur la construction des coques à laquelle on assistait depuis 2005/2006 : on commandait un navire en versant 10 % et on le revendait en

période de construction en doublant son prix car la demande était très forte. La crise économique a provoqué un ralentissement de la consommation et de toute la chaîne de production ; cette crise a révélé certaines fragilités du système ; ainsi, Mittal, qui contrôle à lui tout seul 35 % de production mondiale d’acier, a décidé du jour au lendemain, pour maintenir le prix de l’acier, d’arrêter tous les contrats et de ne plus produire d’acier dans un certain nombre de pays. Les armateurs qui avaient commandé des navires pour répondre à un approvisionnement régulier se sont retrouvés coincés… Dans ce contexte, la 3ème crise est survenue, celle du cycle. L’armement est une activité d’anticipation au niveau des hommes (formation des marins) et des navires (à commander 18 mois au moins avant l’exploitation). CMA CGM et bien d’autres armateurs ont passé des commandes en pariant sur la poursuite du développement de l’activité. Je rappelle que le shipping présente deux transports majeurs : le pétrole et le vrac sec. Dans le transport du pétrole, il y a eu la mise en place d’un système « sortie avant l’heure » d’un certain nombre de navires pour répondre à toutes les nouvelles réglementations. Cela fait que la flotte nouvelle qui va être construite dans les 3 ans qui viennent ne représente que 35 % de la flotte actuelle. Souvenez‐vous que 1 % de croissance mondiale, c’est 4 à 5 % de croissance du transport maritime (de et vers l’Asie, essentiellement). C’est plutôt encourageant pour l’armement !

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Dans le secteur du vrac sec, il y a 300 navires actuellement en construction pour 300 navires en cours d’exploitation… C’est donc compliqué à gérer dans le contexte actuel. On peut imaginer des reports, des annulations, mais, en fin de compte, il y aura un déséquilibre entre l’offre et la demande de navires. Pour autant, on assiste à des mouvements erratiques. Par exemple dans le vrac sec, les cape‐size (170 000 t) qui transportent les minerais sont passés de 120 000 $ par jour à 10 000 $ par jour, puis en mars 2009 à 100 000 $ par jour. Il faut savoir que la Chine qui était auparavant exportateur net de charbon en a importé 40 millions de tonnes au cours de 2009 (soit un emploi de 40 navires pendant un an)… Ce type de mouvement non prévu va continuer dans les années à venir. Mais, dans tous les cas, 2010 sera une année plus dure pour les armateurs que 2009… Ensuite, si l’économie mondiale repart, on devrait pouvoir absorber une grande partie de la flotte en commande actuellement. A noter que la crise subsistera dans le secteur des porte‐conteneurs (ils transportent des produits finis) tant que la consommation ne redémarrera pas. Il y a 4 000 porte‐conteneurs dans le monde et 400 sont aujourd’hui désarmés dans l’attente de jours meilleurs… Pour ce qui est des armateurs français, on peut dire qu’ils résistent globalement bien car ils avaient arrêté de commander des coques il y a deux ans environ. Cela étant, deux grands armements avaient continué à investir massivement : Bourbon (leader mondial dans l’offshore) et CMA CGM. Ce dernier se retrouve avec un effet de ciseau : moins de marchandises à transporter et des commandes de navires importantes ; CMA CGM utilise 400 navires dont 100 en propriété. CMA CGM peut donc rendre des navires affrétés et les remplacer par leurs navires neufs s’ils arrivent à les financer. A remarquer qu’il va y avoir une arrivée de 1 750 nouveaux porte‐conteneurs en Allemagne (contre 50 seulement en France)… Aux Armateurs de France, nous considérons que le problème du pavillon et des différents registres sous lesquels nous exploitons nos navires reste à régler : nous demandons depuis plusieurs années de pouvoir travailler de façon équivalente à celle de nos concurrents européens ; la classification actuelle de registre de complaisance pour notre deuxième pavillon (le plus compétitif) nous gêne de plus en plus, certains clients refusant d’être transportés par un registre de complaisance, ce qui aboutit à une fuite devant le pavillon français. Les armateurs français font l’effort de participer aux écoles de la marine marchande et d’investir sous pavillon français : il faudrait que cette mascarade avec les syndicats puisse se terminer rapidement ! C’est une des conditions de survie au plan mondial… Je crois que l’arbitrage politique sera nécessaire car je ne vois pas très bien ce que les armateurs auraient encore à négocier ! André THOMAS : La construction navale vit au diapason du reste de l’économie et du transport maritime. En Europe, on a l’impression qu’on est en train de traverser une nouvelle vague de fermetures de chantiers après celle des années 80. Dans le militaire, on observe cependant une certaine stabilité profitable en France, ce qui n’est pas le cas en Espagne ou en Italie. DCNS est le plus grand constructeur de bateaux militaires au monde. Quel est votre sentiment, M. PLANCHAIS et celui du Gican sur la situation de la construction navale civile et militaire en France et dans le monde ? Bernard PLANCHAIS, Gican

Avant de parler des inquiétudes et des espoirs, je veux vous faire part d’une certitude : la mer représentant 70 % de la surface du globe, elle constitue un facteur de développement économique formidable pour le XXIe siècle. Mais la France, qui dispose de la 2ème zone économique maritime mondiale (11 millions de km²), continue à s’interroger sur son développement dans l’économie maritime ! C’est incroyable ! Heureusement, ce type de réunion offre des espoirs pour que cela cesse et pour que l’on bouge afin de construire un nouvel avenir pour le naval industriel. Cela dit, j’ai deux inquiétudes, deux atouts et deux espoirs à vous faire partager. Ma première inquiétude porte sur ce qui se passe en Asie dans le domaine de

la construction navale civile ; nous sommes face à l’explosion d’une 2ème bulle : en 2007, il y avait 80 millions de tonneaux en commandes et 3 millions sur le premier semestre de 2009, soit 12 fois moins en rythme. C’est un véritable choc que subit donc la construction navale civile, sachant que plus de 60 % de la flotte mondiale des porte‐conteneurs et des vraquiers est en construction…, avec une utilisation incertaine. On pourrait penser que cela ne concerne que l’Asie car nous sommes centrés en France (STX) et en Europe sur les navires à forte valeur ajoutée comme les paquebots (16 % sont en commande par rapport au volume en exploitation). Mais la Chine (30 Md$) et la Corée (20 Md$) ont décidé des plans considérables de soutien à leurs industries de construction navale avec pour objectif de nous concurrencer plus directement dans les navires à forte valeur ajoutée. La commande d’un paquebot par Samsung est très préoccupante… Ma seconde inquiétude concerne notre attitude en Europe et en France face à ce contexte : on essaie de négocier à l’OCDE depuis 20 ans des règles de concurrence loyale dans la construction civile et l’on n’y parvient pas. On a échoué sur les règles anti‐subventions. Il ne reste à mettre sur la table que les règles anti‐dumping en s’inspirant du secteur aéronautique et en interdisant l’accès aux ports européens des navires poubelles et des navires subventionnés. C’est la position de notre industrie qui emploie 40 000 personnes en France !

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En Europe, il existe un système de subventions à l’innovation qui représente entre 20 et 40 M€ par an et par Etat‐membre, sauf en France où il n’a été accordé que 1,8 M€ en 2008 alors qu’il y avait 4 M€ de dossiers… On pourrait donc au moins s’aligner sur les autres pays européens en la matière… Face à ces inquiétudes, nous disposons de plusieurs atouts. Le premier atout est celui de la qualité de notre industrie : PME, recherche scientifique, … Le second atout est la présence en France de deux leaders mondiaux, STX dans le civil et DCNS dans le militaire qui peuvent tirer le secteur. Nous avons aussi un 3ème atout, bien sûr ! Cela va sans dire ici : c’est le dynamisme de Francis VALLAT ! Quant aux espoirs, ils reposent d’abord sur le marché. Nous avons devant nous un marché globalement en croissance. C’est vrai pour les paquebots dans le domaine civil car, malgré la crise, le nombre des passagers a continué à augmenter l’an dernier (+ 2 %) et cela se poursuivra. Dans le domaine militaire, les commandes sont plutôt en croissance en France non seulement pour DCNS mais aussi pour tous les partenaires industriels ; au niveau international, on voit également que le marché militaire est en croissance. Il y a donc des places à prendre à l’international ; elles sont à notre portée (cf. le contrat Brésil) avec le soutien tout à fait déterminant de la marine nationale… Enfin, comment voyons‐nous l’avenir ? D’une part, nous avons besoin de soutiens pour passer la crise, ce que l’Etat a commencé à faire avec l’anticipation de la commande du 3ème BPC ; mais ce n’est pas suffisant ! Des mesures pour améliorer notre compétitivité sont ou doivent être prises au niveau des industriels à leur initiative et avec le soutien de l’Etat : lancement par J.L. Borloo de la démarche CORICAM (Comité d’orientation pour la recherche et l’innovation dans le domaine des activités navales) pour imaginer les navires du futur, sûrs et intelligents, à économie propre ; soutien actif en matière commerciale (mesures anti‐dumping) ; programme de prime à la casse pour les bateaux dont les ferries (il y en a 300 en Europe qui ont plus de 30 ans d’âge)… Bien entendu, il y a aussi les énergies renouvelables marines qui représentent un formidable potentiel de développement pour la France et pour la Bretagne ; sachant qu’il y a aujourd’hui 100 000 emplois liés aux énergies renouvelables en Allemagne, on peut tabler sur 60 000 emplois et un CA de quelques milliards d’euros à l’horizon 2020 si on se donne des moyens au moins équivalents à ceux à de l’Europe du Nord : clarification des règles d’installation dans les zones maritimes, accélération de la délivrance des autorisations, conditions de raccordement électrique… Comme Francis VALLAT, nous sommes convaincus que la mer est vraiment l’avenir de la terre ! Les enjeux sont considérables et je crois qu’on ne les considère pas encore à leur juste mesure. Jean‐Claude HAZERA : Le pôle Mer Bretagne contient beaucoup de rêves d’avenir. Pouvons‐nous les partager ? Hervé MOULINIER, Président, Pôle Mer Bretagne

Les Pôles Mer Bretagne et Mer Provence Alpes Côtes d’Azur sont au service de la croissance et du développement durable de l’économie maritime. Ils existent depuis 4 ans pour assurer le développement économique par l’innovation sur la base de projets partenariaux. A ce jour, 221 projets ont été labellisés par les Pôles Mer:

‐  sécurité et sûreté maritimes : 51 projets ; ‐  naval et nautisme : 44 projets ; ‐  ressources énergétiques marines : 18 projets ; ‐  ressources biologiques marines : 53 projets ; ‐  environnement et aménagement du littoral : 55 projets.

Leur budget total est de 542 M€, ce qui est bien parce qu’il y a 4 ans on n’aurait pas forcément parié sur ce chiffre, mais c’est encore trop peu par rapport aux 50 Md€ que représente l’économie maritime et au 3 % de R&D fixés par le Traité de Lisbonne. Certes, ce budget de 542 M€ ne représente que la partie émergée de l’iceberg car il ne comprend que les projets collaboratifs et car la R&D ne se résume pas à cela puisqu’elle concerne tous les membres du pôle. On constate aujourd’hui que le flux des projets est à peu près constant et que la dynamique est entretenue avec une croissance assez forte des projets dont 75 à 80 % sont financés à hauteur de 30 % par l’Etat et de 70 % par les acteurs du maritime. Voici 3 exemples pour illustrer comment les pôles travaillent et quelle est la transversalité, la valeur ajoutée de l’effet cluster sur l’économie maritime. 1. Énergies Marines Renouvelables : l’éolienne offshore flottante. Dans ce domaine, c’est le marché de l’énergie qui est visé en partant des technologies terrestres ; en fait, pour monter un gros projet d’éoliennes flottantes, il faut s’adresser d’abord à de nombreuses compétences qui sont finalement autant de débouchés pour les différents acteurs (bureaux d’études, PME, grands groupes…) : construction, sécurité et impacts sur la pêche, la navigation et l’environnement… Puis, il y a à travailler tous les marchés induits (supply ships, capteurs, mesure du vent, ancrage) et les marchés de rupture (éoliennes comme aide à la navigation, usines à hydrogène, nouvelles techniques de pêche, réseaux de surveillance). 2. Navire du futur et Pêche Durable. Le Pôle travaille sur de nombreux sujets tout en les croisant entre eux : sécurité, sûreté, énergie, ressources énergétiques et biologiques, environnement, aménagement du littoral…

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3.  Les mini‐drones sous‐marins : ce sujet nécessite l’intégration des technologies et la transversalité des marchés pour sécuriser les approches maritimes, faciliter l’inspection des installations énergétiques ou assurer la surveillance halieutique et des écosystèmes. Tout cela peut aussi déboucher sur des services d’océanographie et de collecte de données et d’images. A travers ces trois exemples, je veux vous démontrer que le décloisonnement intersectoriel est une formidable source d’innovation et de nouveaux marchés. Et c’est là que se situe la valeur ajoutée des pôles de compétitivité ! Car l’innovation est très souvent une solution aux conflits d’usage et donc un moteur de la croissance. J’insiste pour dire que la croissance bleue est un modèle de développement durable dans un contexte où le milieu marin reste encore trop peu exploité. Mais nous avons besoin d’un cadre avec une politique maritime intégrée, avec une ambition et un élan !

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Crise économique : impacts sur le maritime, contribution du maritime à la sortie de crise

> Christian BUCHET, Secrétaire général, Conseil National de l’Archipel France

> Philippe LOUIS‐DREYFUS, Président, Louis Dreyfus Armateurs

André THOMAS, Rédacteur en chef, le marin : A l’automne 2007, alors que le monde entier se félicitait d’une croissance qui semblait sans fin, Philippe LOUIS‐DREYFUS a tiré la sonnette d’alarme en annonçant un effondrement prochain dans les activités de fret maritime et en disant que la bulle qui était en train de se constituer sur les taux de fret ne tarderait pas à éclater… Malheureusement, vous aviez raison ! Pouvez‐vous nous dire si vous entrevoyez un début de reprise et si le milieu maritime a tiré tous les enseignements de ce qui s’est produit ? Philippe LOUIS‐DREYFUS, Président, Louis Dreyfus Armateurs

Je ne suis pas certain que les mentalités aient changé et il est possible que le pire se reproduise dans un certain temps… La crise des frets a été indéniable, mais elle va s’amplifier en 2010 et 2011, notamment pour le vrac. Quand, il y a 2 ans, je disais qu’il y avait trop de bateaux en commande par rapport à ce que pourrait être la croissance mondiale, j’étais peut‐être écouté mais pas du tout entendu… Quand je dis aujourd’hui que, dans le secteur du vrac, il y a encore beaucoup trop de navires en commandes pour arriver sur le marché en 2010 et 2011, je ne suis pas

certain, là encore, d’être totalement entendu. Les gens imaginent qu’il est facile de remettre en cause les commandes et les engagements pris avec les chantiers coréens ou japonais… Ce n’est pas le cas ! Il y aura, en 2010 et 2011, une retombée des frets dans le vrac. Mais je serais ravi de me tromper car cela permettrait à beaucoup de sociétés d’être en meilleure situation. La crise a d’abord été économique et financière, mais elle a impacté le maritime et le shipping qui ont toujours été des indicateurs pertinents de l’état de la conjoncture économique, au même titre d’ailleurs que l’emballage… Cela dit, le fret en tant qu’indicateur économique a une volatilité à nulle autre pareille ! La réalité est bien pire que les chiffres mentionnés tout à l’heure puisque les gros bateaux cape‐size ont été historiquement à 20/25 000 $/jour et ils sont montés à 200 000 $/jour en quelques mois ; puis, en quelques jours, ils sont retombés à 5 000 $/jour… De plus, je crois que les cycles, aujourd’hui, font qu’on ne peut pas attacher autant d’importance qu’auparavant à des indicateurs comme le fret car ils sont un peu contrariés par l’existence de nouveaux modèles économiques mettant en jeu des indices, des dérivés et toute une économie parallèle : cela vient fausser quelquefois le pur jeu de l’offre et de la demande. Il ne faut pas oublier aussi que la maritime est une activité hybride et très particulière : c’est à la fois une activité de services (transport en mer) et d’industrie lourde (avec des investissements significatifs et des délais de réaction très lents). Cela a impacté la crise puisque les délais de construction des bateaux sont tels qu’on va voir bientôt arriver sur le marché beaucoup trop de bateaux commandés il y a quelques années. Peut‐on, dans ce contexte, imaginer que le maritime pourrait être à l’origine d’un redémarrage ? D’abord, la crise a apporté des changements de mentalité positifs et négatifs. On a constaté un certain retour au bon sens chez l’ensemble des professionnels (armateurs, banquiers affréteurs…). Ce sens des réalités avait fait défaut, il y a 2 ans, lorsque tout le monde commandait massivement des navires… Je note au passage qu’il y a assez peu de banquiers présents à nos Assises de Brest : quand les frets sont hauts, on voit beaucoup de banquiers ; mais, quand les frets sont bas, on les cherche… C’est l’inverse de ce qu’il faudrait ! Cette crise sera peut‐être l’occasion de se débarrasser des vieux navires hors normes et trop âgés : j’essaie de propager cette idée car cela rendrait service à tout le monde (environnement, sécurité des équipages, renouvellement du marché en diminuant l’offre de tonnage), mais je ne suis pas toujours suivi… Il serait vraiment de l’intérêt planétaire qu’il y ait une prime mondiale à la casse pour les très vieux bâtiments ! La France ou l’Europe peuvent être des entraîneurs pour cette démarche, mais aucune mesure maritime efficace ne peut être que seulement régionale. Les côtés plus négatifs de la crise sur les mentalités sont surtout dans le fait que beaucoup de gens, fin 2008, ont profité de la situation pour imaginer que les engagements qu’ils avaient pris n’avaient pas à être respectés. Le monde maritime est basé sur le respect des engagements et il faut que cela perdure, sinon c’est l’ensemble des marchés qui se retrouveront gravement détériorés… Quand on prend des crédits, on doit les rembourser. Quand on commande des bateaux, on doit en prendre livraison. Quand on affrète des bateaux, on ne renonce pas sous prétexte de crise… On peut toujours essayer de renégocier, mais on ne peut pas dire que son engagement est lettre morte… J’ai été très déçu de voir cet abandon du respect des engagements ! Faute de confiance, il n’y a pas de redémarrage de l’activité qui soit possible !

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Il en va de l’avenir et de l’image du maritime. Les pouvoirs publics, les politiques et le grand public entendent parler des déboires des sociétés maritimes et c’est dommage car le maritime est aussi un vecteur de développement et d’emplois pour l’ensemble de l’économie. André THOMAS : Christian BUCHET va maintenant nous parler de la crise et de ses conséquences avec son regard d’historien. Christian BUCHET, Secrétaire général, Conseil National de l’Archipel France

La mer a toujours été, quels que soient le lieu, l’époque ou la civilisation, le moteur de l’histoire. Et cela sera encore plus vrai demain ! En fait, dans l’histoire, il y a deux moteurs : la démographie et la mer. Mais on n’en a pas toujours conscience en France… C’est quand les pharaons ont abandonné leur puissance maritime au profit des phéniciens qu’a commencé le déclin de l’Égypte. Dans la Rome antique, Pompée est devenu empereur car il a su éradiquer la piraterie. C’est aussi évident pour Byzance et Venise : la mer fonde la puissance des pays. La France en a fait les frais en perdant la domination des mers en 1815… J’ajoute aussi qu’on a assisté au fil de l’histoire à des successions de prééminences maritimes et donc économiques : la Méditerranée, puis l’océan Atlantique et, aujourd’hui, l’océan

Pacifique. Qu’est‐ce qui fonde une puissance maritime ? La réponse était simple auparavant : il fallait impérativement avoir à la fois la marine de guerre, la marine de commerce et la marine de pêche. Aujourd’hui, il faut rajouter deux autres marines : la plaisance et la marine océanographique. Dans ce contexte, la France est à un tournant. Géographiquement, elle est très bien placée ; on ne peut pas rêver mieux ! Nous sommes présents sur l’ensemble des mers du monde et notre pays à une tradition maritime. Nous disposons de tout le savoir‐faire technologique (Ifremer, DCNS, STX…). Nous sommes à l’orée de nouveaux secteurs économiques liés à la mer, avec d’abord l’alimentaire : notre terre va devoir supporter 3 milliards d’habitants supplémentaires d’ici 2050. On ne pourra pas consommer indéfiniment davantage de viande ; nous avons déjà 1,3 milliard de vaches sur la planète et elles provoquent plus de gaz à effet de serre que l’ensemble du transport mondial. Or, il en faudrait 2 milliards en 2025… Il faudra se tourner vers la mer où existent beaucoup de ressources alimentaires à découvrir (on ne connaît pas plus de 10 % de la flore et de la faune sous‐marine). Chaque semaine, 35 nouvelles espèces sont découvertes… De plus, toute la pharmacologie et toute la cosmétologie de demain seront basées sur des produits de la mer et viendront assister bientôt à nos Assises ! Il faut que la France se dote enfin d’une véritable politique maritime (c’est en cours avec le rapport Poséidon, avec le Grenelle de la mer), mais cela va demander des moyens considérables face aux menaces actuelles : la pollution, la piraterie, les narco‐trafics… Nous avons une opportunité, une fenêtre de tir pour avancer car nous sommes aujourd’hui dans un changement de mondes. La France est à la croisée des chemins et elle doit impérativement investir dans tous les secteurs dynamiques et porteurs à travers la présence de l’outre‐mer. Je rappelle que la frontière terrestre la plus longue que nous ayons est celle avec le Brésil par la Guyane. Dans cette perspective, le ministre d’Etat en charge de la mer, Jean‐Louis BORLOO, a concrétisé l’engagement 77 du Grenelle en créant un Conseil national de l’Archipel France mettant en valeur les différentes entités qui existent pour donner plus d’ampleur et de dynamisme à notre politique maritime en prenant conscience des opportunités offertes par notre outre‐mer. On ne peut plus penser qu’en termes de littoral mais en réalisant que nous disposons de 11 millions de km² d’espaces maritimes !

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Le maritime, atout d’avenir pour l’économie française > Laurence PARISOT, Présidente, MEDEF

Je crois qu’il était important qu’au nom des entreprises françaises nous participions aux Assises de la Mer. Il était grand temps ! Je voudrais d’abord saluer différentes personnes dans la salle : mes amis des différents Medef de Bretagne, Monsieur le Préfet maritime, l’Amiral Forissier et d’autres amis encore dont Philippe Louis‐Dreyfus, depuis peu le nouveau Président du Comité Transport du Medef. En saluant toutes ces personnes, c’est aussi pour moi une façon de vous dire, comme représentants des entreprises françaises et porte‐paroles de l’économie, l’importance que nous accordons à la mer quand on pense à l’avenir, à la prospérité, au potentiel d’innovation technologique et de création de richesses de la mer ! Je crois d’abord qu’il y a beaucoup d’analogies, de communauté de valeurs et de pensées entre le marin et l’entrepreneur. Chez le marin, comme chez l’entrepreneur, il y a le goût de la conquête, de la découverte, il y a de

l’audace, une capacité à prendre du risque. C’est ce talent‐là qui fait qu’on avance ! Une autre ressemblance me paraît fondamentale : chez le marin et chez l’entrepreneur, il y a aussi le goût de l’échange : avec cette capacité du marin de découvrir d’autres terres, d’autres civilisations, les échanges se nouent. C’est avec ces échanges que commencent à se créer le commerce, la confrontation d’idées ; c’est ainsi que se multiplient les créations de richesse : la capacité à construire, à fédérer. Je pense ainsi à la 3ème caractéristique commune au marin et à l’entrepreneur : la solidarité. Aujourd’hui plus que jamais, face à la crise, au tsunami, nous avons besoin de solidarité, de penser des projets en commun, de nouveaux projets pour être capables de les développer et les faire grandir. Si je suis venue vous dire l’attachement du Medef à toute la question maritime, c’est parce que je considère que nous n’avons pas eu assez conscience de l’atout économique majeur que constitue la mer pour notre pays. Savoir développer un potentiel, c’est d’abord en avoir conscience ! Nous ne pouvons pas porter un projet s’il n’y a pas une conscience partagée et collective d’un potentiel. Avec tous les acteurs de la mer, institutionnels, politiques, militaires, économiques et sociaux, nous devons faire savoir à l’ensemble des Français tout ce que nous pouvons faire à partir de la mer. Tous ces chiffres que vous échangez ce matin, simples mais ignorés de tout le monde, par exemple, le fait que la France possède la 2ème zone maritime économique au monde, il faut le faire savoir pour ensuite avancer. C’est dans cet esprit que je suis venue ici, pour témoigner et pour mobiliser les énergies. Ceci dit, je n’ai pas attendu cette rencontre pour mettre le Medef au service de cette grande ambition : dès les premières évocations par le Président de la République du projet d’union pour la Méditerranée, j’ai fait savoir que le Medef était totalement engagé dans ce projet, qui est d’abord, à mon avis, un projet maritime. Cette grande ambition de nettoyage complet de la Méditerranée pour en faire une des premières mer propre au monde doit mobiliser tous les spécialistes de la mer et toutes les grandes entreprises françaises. Il y a quelques jours, j’étais à Alger pour plaider cette grande cause ! Une autre illustration de ce que nous avons fait, c’est, bien sûr, notre action dans le cadre de la réforme des ports. Une anecdote à ce sujet : je me souviens du jour où j’allais passer au « grill » de Jean‐Pierre Elkabbach sur Europe 1 : avant d’aller en studio, il m’a reçu dans son bureau où trônait un grand planisphère avec les classements des ports mondiaux. Je lui ai demandé pourquoi. Pour lui, ce classement est un symptôme de l’évolution de notre économie, avec une constatation, chaque année, que les ports français régressent dans le classement, voire disparaissent du Top 50… C’est pour cela que nous nous sommes battus pour la réforme des ports ! Je crois même que le Medef a été promoteur d’idées essentielles dans cette réforme. Nous sommes conscients de l’importance en volume des industries liées à la mer, en ayant en tête la diversité de ces industries : de la construction navale aux plateformes pétrolières ou parapétrolières offshore, à la recherche fondamentale. Nous n’oublions pas qu’en mettant toutes ces industries ensemble, elles représentent plus, en valeur ajoutée et en emplois, que la seule industrie aéronautique ! Nous voulons néanmoins faire mieux et nous voulons inscrire une mobilisation économique, à partir de la mer, dans un projet de développement durable. Je dois vous dire quelques mots sur cette question alors que nous sommes à quelques jours de l’ouverture de Copenhague. Sachez que le Medef est mobilisé depuis de nombreux mois sur la préparation du sommet de Copenhague et que nous demandons, sans ambiguïté, qu’un accord contraignant soit signé. Nous demandons cela pour deux raisons : d’abord parce que nous, entrepreneurs, savons notre part de responsabilité sur les enjeux environnementaux. Dans 5 ou 10 ans, que répondrons‐nous à nos enfants s’ils nous disent : « Pourquoi n’as‐tu rien fait ? ». Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Nous avons tous une immense responsabilité et nous demandons donc un accord contraignant. Il se trouve aussi que notre pays a un atout extraordinaire sur tous les enjeux liés au développement durable : il s’agit de nos entreprises qui ont des avances technologiques majeures sur ces sujets.

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Savez‐vous qu’en 15 ans, les émissions de gaz à effet de serre par les entreprises françaises ont baissé de 25 % ? De même, pour tout ce qui concerne le maritime, nous avons des centres de recherche parmi les plus performants, nous avons des atouts par notre capacité à mettre ensemble des savoir‐faire parmi les plus pointus au monde. Le cluster maritime français en est une illustration. Nous devons savoir profiter de ces atouts qui sont propres à nos industries, à nos entreprises et à nos chercheurs. Je partage donc le discours de tous les marins croisés ce matin : la croissance verte doit être bleue. Si j’ai bien compris, « glaz en breton veut à la fois dire vert et bleu» ! C’est cet adjectif qu’on devrait mettre en avant quand on évoque une croissance durable. Vraiment, je crois qu’on a beaucoup de raisons de travailler ensemble ! J’espère qu’avec cette rencontre, nous pourrons resserrer les liens, multiplier les échanges, comme tout bon marin et tout bon entrepreneur sait le faire. Ce que je viens de vous dire, ce ne sont pas de vains mots, mais une conviction. J’en veux pour preuve l’image, emblème de notre Université d’été au mois d’août dernier : une hydrolienne sur une mer un peu métallique : image à la fois maritime, futuriste et écologique. Je crois que c’était une façon, pour nous tous au Medef, de dire qu’aujourd’hui, la vraie aventure économique et écologique, la vraie « terra incognita », c’est bien la mer !

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Déjeuner ‐ Allocution de François CUILLANDRE, Maire de Brest

Vous avez écouté attentivement ce matin de brillantes interventions, dont celle de Francis VALLAT qui a fait le tour des questions qui se posent en matière maritime. Je ne vous imposerai donc pas un long discours, réservant au Premier Ministre mes remarques que je lui formulerai demain ! Je remercie les organisateurs de ces Ves Assises de l’économie maritime d’avoir choisi Brest ! Car il paraît que Brest est loin… Loin de quoi ? Du centralisme parisien sans doute… Mais où trouver mieux pour parler de la mer qu’une ville qui a les pieds dans l’eau et dont les habitants ont les yeux fixés sur l’océan et de l’eau salée qui coule dans leurs

veines ? Port militaire, port de construction et de réparation navale, port de pêche, port de plaisance, port des navires océanographiques… Brest, c’est tout cela ! Et aussi des instituts de recherche et des industries liées à l’économie maritime. En résumé, Brest attend beaucoup pour son développement de la relance d’une vraie politique maritime, sous tous ses aspects, qui doit aller au‐delà des discours ! Alors oui ! Je suis heureux et fier de vous accueillir à Brest ! Si vous en avez le temps allez donc visiter Océanopolis et, puisque vous aimez tous la mer, je vous donne rendez‐vous autour du 14 juillet 2012 pour notre grande fête internationale de la mer et des marins !

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4 conférences thématiques en parallèle

1 – Investissements portuaires en Europe ‐ La crise remet‐elle en cause les plans de développement ?

‐ Quels sont les ports qui s’en sortiront le mieux ? ‐ Comment prendre en compte les contraintes environnementales ?

Débats animés par Claude BARJONET, Chef du service « Services », Les Echos

> Frédéric LANOË, Président‐directeur général, WPD France

> Olivier LAROUSSINIE, Directeur, Agence des Aires Marines Protégées

> Giovanni MENDOLA, Maritime Transport and Ports Policy, DG Tren, European Commission > Paul TOURRET, Directeur, Isemar > Diego TEURELINCX, General Secretary, Feport

> Bruno VERGOBBI, Délégué général, Ports de France Claude BARJONET, Chef de service Services, Les Echos : L’année écoulée a été assez chargée puisqu’on a vu la mise en place de la réforme portuaire, notamment dans l’aspect de la gouvernance maritime, tout cela sur fond de crise économique. Paul TOURRET, Directeur, Isemar : Nous allons essayer de faire une photo des crises qui ont touché et touchent encore les ports en Europe. La crise de la conteneurisation est presque un souvenir, c’était il y a 5 mois, mais elle a touché tout le monde et de manière différente d’un pays à un autre. En Europe occidentale, la situation est assez contrastée : très déprimée, par exemple, dans le port de Barcelone, beaucoup moins à Valence qui profite d’une massification des trafics de MSC. Mais il est clair qu’aujourd’hui, le monde de la conteneurisation est obligé de se recomposer par rapport à la crise de demande de transport. Demain, la question se pose de savoir quel modèle économique on va trouver. Nous sortons d’une décennie glorieuse pour les trafics portuaires européens : en Europe du Nord dont le développement a été attiré par l’Europe centrale et baltique, la Russie et l’Allemagne. En Méditerranée, on a eu aussi une très forte activité, notamment en Espagne ; le Havre a doublé son trafic en 10 ans et Marseille a un peu gagné aussi. Le bilan portuaire français est un peu contrasté. Nous n’avons pas participé au grand festin de l’Europe de l’Est comme Hambourg ou Brême, pour qui, maintenant, la fête est finie… Quel est l’avenir pour demain ? Derrière l’arrêt de 2009, aura‐t‐on une croissance légère ou une nouvelle bulle de la consommation mondiale ? C’est difficile à savoir mais les prévisions de l’OCDE tablent sur 0,4 % de croissance du PIB en 2010, ce qui laisse penser qu’il sera difficile de retrouver le niveau de croissance de ces dernières années. Car l’hyper croissance, ne l’oublions pas, c’est une politique de crédit très facile des banques européennes en Europe de l’Est et c’est la bulle immobilière britannique, espagnole et irlandaise ! On a beaucoup parlé de congestion portuaire européenne ces dernières années mais, à part Hambourg, tout le monde avait encore de la capacité en 2008. Avec la crise de cette année 2009, la réserve de capacité est encore plus forte. Le système européen n’est pas congestionné et la crise, ajoutée à des investissements maintenus dans la plupart des ports, fait que le système portuaire semble assez bien calibré pour la décennie à venir. Le grand monopoly a continué, basé sur 3 grands armateurs européens et 5 manutentionnaires internationaux. D’une manière générale, les acteurs ont maintenu leurs investissements. Aujourd’hui, quasiment tous les ports du Nord et du Sud sont pris en main par les grands manutentionnaires. La crise tendra à concentrer sur 2 ou 3 espaces, mais on constate un relatif étalement, chacun semblant avoir sa chance dans la conteneurisation. Enfin, voici les capacités de manutention théoriques en 2020, estimées par Isemar : d’abord les 3 grands, Hambourg, Rotterdam et Anvers en Europe du Nord ; puis des ports de moyenne importance comme le Havre, Bremerhaven et Felixstowe ; pour la Méditerranée, Valence, Barcelone, Tanger et Algesiras et la place de Marseille‐Fos.

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Je finis en rappelant que l’Europe portuaire est encore en travaux et qu’elle avance à un bon rythme pour être à la hauteur des marchés et de l’étalement des marchés. Diego TEURELINCX, General Secretary, Feport : Il est clair que les ports européens n’ont pas tous le même sort dans la crise. Il faut mentionner aussi, notamment pour la France, qu’il n’y a pas que Marseille ou le Havre. De manière générale, les petits ports ont été moins impactés que les grands. Dans nos données récentes, nous constatons une forme de rééquilibrage du trafic général : la conteneurisation raugmente ; certains flux de petits ports vont vers les hubs conteneurisés. On voit aussi que pour les containers, au Nord, il y a une diminution du nombre de hubs : Hambourg a été très impacté par cela. Des ports comme Anvers ou Rotterdam réduisent leurs droits portuaires pour attirer plus de trafic. Par contre, en Méditerranée, nous constatons que les hubs européens sont très impactés parce qu’ils sont très liés au transbordement. Dans le transbordement, il y a une grosse concurrence des ports non européens où la structure de coûts est très favorable. Cela fait perdre du trafic aux ports européens et il faudrait savoir ce que la Commission européenne peut faire car ce n’est pas acceptable. Sur le trafic non conteneurisé, on voit actuellement beaucoup d’acquisitions et de consolidations car ce marché était plus atomisé que le marché conteneurisé. Concernant les investissements, je pense qu’il faut distinguer les marchés où la balance s’est faite entre les besoins des clients et l’équipement disponible, par exemple pour le vrac solide et liquide, et les marchés conteneurisés où les opérateurs ont été contraints à investir vite et énormément en équipements pour éviter les délais pour l’escale maritime. Dans ce cas, ce surinvestissement a frappé lourdement le cash‐flow des opérateurs : on voit une chute du trafic, une demande continue des armateurs pour des rabais sur les frais de manutention et un délai allongé de paiement des armateurs, voire des non‐paiements de factures ! Les opérateurs conteneurisés ont donc une liquidité en baisse. C’est d’autant plus important qu’ils ne peuvent améliorer leur liquidité en vendant des équipements, le marché d’occasion n’existant pas. On ne peut pas non plus augmenter la liquidité en réduisant les coûts par une consolidation. Je crois que la seule option de ces opérateurs est de réduire les coûts opérationnels, c'est‐à‐dire l’emploi et l’équipement. Une réflexion a lieu pour flexibiliser l’emploi et malheureusement parfois pour licencier. Pour un grand port comme Anvers, il y aurait un sureffectif d’environ 1 500 personnes, mais on ne peut les licencier car ils sont engagés par le pool. A Rotterdam, Brême et Hambourg, il y a également un sureffectif et dans ces 2 derniers ports, on a licencié des milliers de personnes ! Il est clair qu’en Italie et en Espagne, il faudra faire quelque chose car on ne peut maintenir la situation actuelle. Quels sont les ports les mieux placés face à la crise ? Je crois qu’il y a deux façons de répondre : d’abord, il est capital de bien analyser l’état de l’équipement mais aussi son amortissement. Car la crise n’est pas uniquement économique, elle est aussi sur le cash‐flow, la liquidité des entreprises. Ensuite, il est intéressant de voir que ce sont surtout les petits et moyens ports qui ont trouvé des niches de marché durables ! Ces niches sont moins volatiles et détiennent un potentiel de croissance actuel, pour les 2 ans à venir, mais non pas dans 5 ans. Je crois aussi que les purs manutentionnaires ont des problèmes de liquidités mais que ceux qui ont pu se diversifier s’en sortent mieux.

Bruno VERGOBBI, Délégué général, Ports de France : On peut dire que la place des ports français en Europe est plutôt bonne si l’on en juge par le trafic global. Nous avons trois ports français parmi les 10 premiers européens, Marseille, 4ème, le Havre, 5ème et Dunkerque, 10ème. Malgré tout, la réalité est plus préoccupante que ces bons chiffres relatifs. Car les ports français tiennent une place faible pour le trafic de containers, alors que c’est celui qui offre la plus grande valeur ajoutée et qui a connu la plus forte croissance depuis 20 ans ! La position française sur ce segment, de 1989 à aujourd’hui est passée de 12 % à 6 % pour l’Europe continentale, avec 4 millions de TU, chacun des pays voisins faisant plus de 10 millions de TU ! On considère que 50 % des volumes générés par l’économie française transitent aujourd’hui par les ports étrangers voisins, notamment du Benelux. Pourquoi ce manque de compétitivité français sur les conteneurs ? En fait, parce que le trafic de conteneurs est le plus facile à déplacer ; il est totalement banalisé. La concurrence y est donc très vive. En France, l’organisation était inadaptée, avec un partage de responsabilité entre autorité publique et opérateurs privés très ambiguë pour les prestations d’outillage. Cette anomalie qui n’existe nulle part ailleurs en Europe est une des raisons de la réforme engagée en 2008. Nous avons vu aussi une insuffisance d’investissements dans les ports français, investissements publics et privés ! Il y a 30 ans, on disait que la France avait trop investi mais depuis, rien n’avait été fait pour investir tandis qu’à l’étranger, les ports l’avaient fait massivement. Une autre raison à ce retard tient au fait que les ports français sont très dépendants du fer pour les pré et post acheminements ! En Europe du Nord, ils ont pu bénéficier du fort atout fluvial. En France, l’acheminement fluvial a été bien développé, mais les bassins fluviaux sont peu interconnectés entre eux. Nous espérons que l’opérateur historique saura se transformer et que l’ouverture du marché ferroviaire à la concurrence permettra une amélioration de l’acheminement. Heureusement, depuis 2008, l’effort d’investissement français s’est accru : 400 M€ pour les ports français, avec les travaux sur le Havre, l’opération Fos 2XL. Les ports français ont pourtant des atouts exceptionnels, une accessibilité nautique excellente en Europe et des réserves foncières intéressantes.

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La réforme a bien avancé depuis son lancement en janvier 2008 et la promulgation de la loi. On ne pourra en mesurer les effets que lorsqu’elle sera installée sur le terrain, ce qui n’est pas encore le cas. Nous finissons actuellement la mise en place des briques préliminaires : adoption par les ports d’un projet stratégique, négociation entre autorités portuaires et opérateurs de manutention pour le transfert des outillages, décisions en cours de la commission d’évaluation, accord‐cadre pour le transfert d’outillage et de personnels et nouvelle convention collective commune aux ports et à la manutention. Il reste maintenant à franchir la dernière marche, pas forcément la plus facile. Nous devons vraiment tenir le cap pour que les ports français soient en ordre de marche et sentent le vent de la reprise d’activité ! Sur l’effet de la crise sur nos ports, je dirais que nous ne sommes ni plus ni moins affectés qu’ailleurs en Europe. Je souligne 2 filières particulièrement exposées : celle des minerais de fer, charbon, sidérurgie et automobile, traduite en Europe par une baisse de 30 % au 1er semestre 2009 des trafics de vrac ; celle des conteneurs, dans le même temps, avec une baisse de 16 %. Le seul port français à être dans le vert avec 10 % de croissance est Rouen grâce à une filière céréalière ! Il me semble que, par rapport à l’Europe du Nord, les ports français ont été moins impactés par la crise parce qu’ils s’étaient structurellement mieux adaptés, notamment en effectifs depuis la réforme de 92. Giovanni MENDOLA, Maritime Transport and Ports Policy, DG Tren, European Commission : La règle de développement portuaire a été clarifiée, notamment en matière d’environnement et d’aides d’Etat. Car la consultation en 2006 et 2007 a bien souligné que les contraintes environnementales, particulièrement la législation environnementale rendaient les choses difficiles. Pour l’environnement, quelque temps après l’adoption de la communication, un groupe d’experts sous l’égide de la DG environnement et de la DG TREN (transport, énergie) a travaillé sur l’application des règles de la directive habitat aux estuaires. Ensuite, le domaine de recherche s’est élargi et le groupe de travail s’est penché sur l’interaction de la législation communautaire en matière d’environnement avec le développement portuaire. Ce travail sera fini début 2010 et il devrait être matérialisé par une communication générale plus détaillée. Nous devrions aboutir à une success story et les guides lines devraient être adoptés l’an prochain ! C’est plus difficile pour les aides d’Etat aux ports car l’infrastructure portuaire a du mal à être affrontée sous l’angle du financement public ! Il y a en effet deux facettes, complémentaires mais différentes : l’infrastructure publique relève des compétences d’aménagement du territoire des Etats‐membres et les aspects d’activité commerciale sont dans la concurrence qui en découle. Le travail des guides lines devrait permettre d’établir une frontière conceptuelle entre ces 2 facettes. On ne peut ignorer la concurrence entre les ports et entre les opérateurs, ni voir l’infrastructure portuaire comme purement commerciale, sans enjeu d’aménagement de territoire de la part des Etats‐membres. On a parfois le sentiment que cette frontière entre les 2 facettes devrait être établie au cas par cas car la réalité dans les ports est souvent très différente. Par exemple dans un port comme Marseille où une ville existe derrière la digue ou dans un hub comme Algesiras, entièrement dédié à une activité commerciale. Cependant, le cas par cas n’est pas compatible avec l’établissement de guide lines. On doit établir des catégories assez abstraites pour couvrir toute la réalité portuaire mais assez concrètes pour être utiles ! Je ne cache pas qu’à la Commission, on trouve des points de vue fortement différents, en matière d’aide d’Etat sur les ports ! Je rajoute que le Président Barroso vient juste de décider que les questions de concurrence traitées jusqu’à aujourd’hui par la DG Tren seront affectées à la DG Concurrence ! J’ignore encore les conséquences pratiques que cela va entraîner et comment les nouveaux collègues vont utiliser nos 18 mois de travail sur ce sujet. Olivier LAROUSSINIE, Directeur, Agence des Aires Marines Protégées : On peut dire que la désignation Natura 2000 l’an dernier a permis de couvrir 40 % de la mer territoriale. Nous ne sommes pas encore aux 10 % d’aménagement des zones d’extension mais il ne manque pas grand‐chose. Ce qu’il faut traiter maintenant, c’est le large. Nous avons en cours la création de parcs naturels marins, un déjà créé en mer d’Iroise, plusieurs en cours d’étude. L’ambition est d’avoir 8 parcs naturels marins autour de la métropole, ce qui ferait bien le lien entre le développement portuaire et le respect de l’environnement. Pour moi, le sujet de cette table ronde est plutôt l’environnement soumis aux contraintes du développement portuaire, plutôt que l’inverse. Je pense que la législation, française et européenne doit apporter quelque chose de positif, une égalité de traitement entre les opérateurs devant la contrainte. Mais c’est plus complexe car l’environnement n’est pas le même partout : on a installé de grands ports plutôt dans des estuaires et la cohabitation devient de plus en plus difficile avec des espèces à protéger. Les règles du jeu, qui doivent essayer de mettre tout le monde à égalité, sont accompagnées de mesures qui permettent aux opérateurs de connaître les contraintes environnementales : on a deux outils pour cela : l’inventaire des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), outil français qui permet d’identifier les zones importantes de patrimoine naturel ; et l’outil européen Natura 2000 qui cherche à identifier les lieux importants pour certaines espèces et habitats nécessitant une protection. L’embêtant est que si nous sommes assez avancés en milieu terrestre, nous nous y sommes mis très tard pour le milieu marin. On a identifié les zones et il faut maintenant faire l’état des lieux de ces zones.

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La règle générale est d’éviter de faire des dommages à l’environnement et, si on y est contraint, de prévoir des compensations. Une autre règle est de dire qu’une fois les dommages causés, si on est au contentieux, on s’en tire beaucoup plus mal que si on traite ces questions en amont sans attendre la législation ! Les aires marines protégées peuvent apporter leur contribution dans le cadre du développement des ports. Je mets de côté certains outils comme les réserves naturelles, les arrêtés de protection de biotopes, les parcs nationaux, mesures de protection par la réglementation pour la protection de la nature. Cela peut servir de mesures compensatoires. D’autres outils sont les sites Natura 2000 ou les parcs naturels marins, qui ont une approche plus intégrée et non exclusive d’autres activités économiques. Nous venons de contribuer au projet d’extension du port de Calais : nous avons dit qu’il y avait un projet de parc naturel marin proche du site, ce qui a permis de faire prendre en considération le milieu naturel dans la Manche. La démarche a été intéressante car on a travaillé très en amont, ce qui influencera l’opérateur dans la façon de concevoir le projet. Les aires marines protégées peuvent servir à cela. Notre calendrier est de 10 % d’ici 2012 et 20 % d’ici 2020. Natura 2000 est presque en place, il reste à régler les parcs naturels marins : 3 parcs sont officiellement à l’étude, les 3 estuaires de la plaine picarde, les Pertuis et la Gironde, et la côte vermeille en Méditerranée. Je pense qu’il faut 2 ou 3 ans en tout pour faire aboutir les projets. Nous avons également un projet sur Arcachon, sur le Golfe normand‐breton et sur les îles Mor Braz. Le gouvernement a demandé que tous les parcs soient créés d’ici 2012, mais je ne suis pas sûr que ce soit possible ! En outre‐mer, nous aurons un parc naturel à Mayotte qui sera créé courant décembre. Nous avons des travaux d’approche sur les terres australes et antarctiques françaises, sur les îles Eparses. L’Etat n’est pas là compétent pour faire des aires marines protégées, ce sont les collectivités. L’Agence travaille dans le Pacifique par des conventions avec le Gouvernement de Polynésie ou les provinces de Calédonie. Frédéric LANOË, Président‐directeur général, WPD France : Je représente un peu ici la diversité en vous présentant une des énergies marines renouvelables, l’éolien offshore posé ! Vous avez peut‐être lu dans Ouest‐France du jour que l’éolien avait battu des records avec plus de 2 600 MW de production récemment, alors que l’Espagne subvient à ses besoins à 50 % grâce à l’éolien. C’est vraiment une énergie d’aujourd’hui. Notre société est spécialiste de l’offshore, de l’éolien en général : 1 600 éoliennes en Europe principalement, avec une présence dans 21 pays. Pour l’offshore, nous avons 2 000 MW avec permis de construire, l’objectif de la France étant de 6 000 ! Vous avez le parc de Baltique1 et de Kriegers Flak. Il est intéressant de voir que la communauté européenne en a fait un axe stratégique, y voyant un moyen de développer la production électrique et d’interconnecter les pays. Sur des ports comme Rostock ou des ports danois, le poste de transformation est en train d’être soudé. Nous avons 3 projets phares en France : en construction au Calvados, avec 50 éoliennes de 250 MW (l’équivalent de 20 % de la consommation du département), en Vendée ou à Fécamp. En tant qu’acteurs nouveaux sur un milieu complexe, l’important est de travailler en concertation avec des forums qui permettent à tous les acteurs de s’exprimer. On voit qu’il y a un axe de croissance en mer, ce qui amènera de l’emploi : plus 150 000 emplois dans les 20 ou 30 années à venir. A signaler la corrélation entre la demande et la production : il y a plus de vent en hiver et plus de consommation ! La France a un atout très fort avec des bassins de vent décorellés : quand le vent s’arrête en Méditerranée, il souffle en Picardie ou en Bretagne. Cela permet un lissage de la production pour pallier l’intermittence de la production. Avec nos 11 % d’énergie hydraulique, nous pouvons passer la pointe, à la fin du fin, pour donner un peu plus d’électrons dans les tuyaux. Et le résultat net est très positif, avec moins d’émissions et de gaz à effet de serre. Si on se projette en 2030, on constate que les coûts variables de cette énergie étant presque nuls, on aura une énergie très compétitive. Il est donc très important que notre industrie avance dans ce domaine. On ne peut oublier les aspects sociologiques et environnementaux : plus de problème de bruit, l’avifaune est plutôt près des côtes et les éoliennes étant très loin, on les voit très peu dans le paysage ! Elles respectent la navigation et la pêche. En France, un parc a eu son permis de construire, à Veulettes‐sur‐Mer. Il permet d’ouvrir la voie et d’initier un plan de zonage national. Sur une carte du potentiel d’éolien offshore possible, on constate que la Grande‐Bretagne a un énorme potentiel, mais que la France est bien positionnée, en 4ème position, avec un accès libre aux 3 mers et des ports en quête de reconversion ! Je dois remarquer que notre objectif national de 6 000 MW fait pâle figure en regard du potentiel. Pourquoi pas un objectif à 15 000 MW ? Le Grand Emprunt pourrait être utilisé pour structurer la manière dont ces parcs vont être utilisés. On sait que le raccordement est un enjeu majeur et qu’une mutualisation serait intéressante dans ce domaine ! Enfin, il faut voir que l’éolien offshore présente l’avantage de nécessiter du travail local : 40 % de la valeur, par exemple, peut être captée localement : les fondations, le raccordement, l’installation, la maintenance. Au port de Bremerhaven, miné par le chômage, des constructeurs sont venus s’installer pour fabriquer des pales d’éoliennes ou des fondations ce qui a amené 1 600 emplois en 3 ans ! On peut noter des éoliennes offshore fabriquées en France, mais pour des parcs anglais. Nous avons un savoir‐faire et une volonté. On doit encore réfléchir à une réévaluation du tarif et attendre que le Grenelle supprime des conditions mortifères pour l’éolien, l’ICPE ou la suppression du PC. Il faudrait enfin que les projets soient instruits plus rapidement et qu’une réflexion se fasse sur la manière d’orchestrer l’activité portuaire en Manche, en Atlantique et en Méditerranée !

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2 – Construction navale : inventer le navire du futur, créer les conditions d’une industrie européenne compétitive

‐ les contraintes environnementales et la haute valeur ajoutée peuvent‐elles relancer la construction navale européenne ?

Débat animé par André THOMAS, Rédacteur en chef, le marin > Didier CHALEAT, Senior Vice President Marine, Bureau Veritas > Willem LAROS, General Secretary, Waterborne Technology Platform > Xavier LECLERCQ, Directeur technique, STX France > Martin LEPOUTRE, Président‐directeur général, Fora Marine > Frédéric MESLIN, Délégué général, Pôle de recherche et d'innovation de Nantes Atlantique et d'Atlanpole > Bernard PLANCHAIS, Directeur général délégué, DCNS

André THOMAS, Rédacteur en chef, le marin : On a cru, probablement à tort, que la construction navale européenne avait touché le fond des restructurations au cours des années 80… A l’époque, de très grands chantiers ont disparu ; en l’espace de 10 ans ; les effectifs de la construction navale civile étaient passés de 30 000 à 7 000 salariés. Nous sommes hélas à nouveau dans une très mauvaise situation en Europe. Thyssen Group se désengage d’un certain nombre d’activités navales (parfois pour se reconvertir dans les éoliennes) ; avec un euro, vous pouvez aujourd’hui acheter un chantier naval en Grèce… Les exemples de chantiers en très grande difficulté ne manquent pas aujourd’hui en Europe. Qu’en est‐il exactement ? Y a‐t‐il des sources d’espoir de relance ? Didier CHALEAT, Senior Vice President Marine, Bureau Veritas

Nous ne sommes pas aujourd’hui dans une situation dans laquelle la construction navale européenne pleure et la construction navale asiatique rit… On entre dans des années qui vont être extrêmement dures pour l’ensemble de la construction navale. On va assister à une recomposition qui, espérons‐le, amènera des éléments positifs. Je rappelle que nous sortons d’années délirantes au regard des commandes considérables enregistrées par les chantiers en 2006, 2007 et 2008. En termes de livraisons, l’impact de toutes ces commandes commence à intervenir en 2009, mais la crise a incité beaucoup d’armateurs à reporter ou à annuler leurs commandes, ce qui pose de grandes difficultés juridiques. En 2011, la chute des livraisons sera très sensible, les banques s’étant mises aux abonnés absents pour apporter leur

contribution… En fait, seuls les armateurs riches (vrac) peuvent financer la poursuite de leurs commandes alors que les autres (porte‐conteneurs) sont au bout du rouleau. Le poids relatif des différents constructeurs est à connaître pour apprécier nos forces et nos faiblesses. En tonnes compensées, la Corée a le carnet de commandes le plus important ; elle est suivie de très près par la Chine qui est en train de la dépasser actuellement. Cela va peser sur la construction navale mondiale. Le Japon, tout en restant significatif, est décroché (il est essentiellement un constructeur pour son marché domestique). Derrière ces trois pays leaders, on trouve l’Allemagne, mais elle vit une crise très forte en 2009 dans les commandes civiles. Un peu plus bas dans le classement (8ème place), on trouve la Turquie qui subit un drame total en raison des méventes liées à la spéculation : le nombre des chantiers turcs actuels (70) va s’effondrer à 20… L’Espagne reste présente dans la construction navale, mais elle est en train de vivre des restructurations drastiques, comme nous dans les années 80. L’Italie paie la chute des commandes globales, les ferries ou les bateaux de croisière ne pouvant pas compenser le déclin général. Dans les pays de l’Est, la construction navale est dans une situation très difficile : le soutien des Etats est indispensable aujourd’hui. La construction navale en Hollande est assez particulière car il n’y a pas beaucoup de grands chantiers : elle subit néanmoins la crise en jouant sur la solidarité avec les armateurs de son petit cluster. La Finlande vient de livrer le plus grand paquebot du monde, l’Oasis of the seas (chantier STX à Turku) avec 2 700 cabines, mais elle n’a plus de commandes de paquebots en 2010. Il faut remarquer que ce n’est pas en mettant de vieux bateaux à la casse que l’on résoudra le problème. Aujourd’hui, la situation des transporteurs de vrac est particulièrement favorable car il y a une demande de circonstance (la Chine restocke), mais celle‐ci ne perdurera peut‐être pas… On assiste à un effet de tuiles : tous les bateaux, petits ou grands, ne sont pas épargnés par la crise. Tout cela explique que le niveau des commandes en 2009 est tout à fait dérisoire. L’impact sur la construction navale sera terrible, sauf en Chine où les armateurs chinois reçoivent des subventions très élevées dans le but de remplacer à terme les armateurs occidentaux défaillants. C’est un phénomène qui répète en fait ce qui s’était passé dans les années 80 avec le Japon. A noter que la Corée va souffrir, faute de disposer d’un marché domestique suffisant pour assurer les commandes nécessaires à maintenir sa production actuelle. La Corée dispose d’un savoir sophistiqué pour la construction des plateformes. Elle cherchait jusqu’à présent plutôt des séries de bateaux à construire, mais, maintenant, elle cherche aussi la construction de bateaux unitaires.

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On a parlé de la commande par Samsung d’un bateau de croisière, mais il faut nuancer : le financement n’est pas réuni (1,1 Md$) et cet « armateur » n’a jamais commandé de bateaux… Cela signifie néanmoins que les Coréens ont été prêts à investir pour entrer sur le marché des paquebots alors que les croisiéristes sont très prudents sur leur modèle économique actuel (rabais et discounts en masse pour attirer les clients). La construction navale en Europe, dans ce contexte, doit se focaliser sur ce qu’elle sait faire de mieux ; elle ne doit pas se disperser mais se différencier ! Il en est encore temps ! Les chantiers doivent être aidés : on n’en est plus aux discours, il faut agir… Willem LAROS, General Secretary, Waterborne Technology Platform

Ancien architecte naval, je suis désormais secrétaire général de la plateforme technologique Waterborne. Il y a 5 ans, la Commission européenne a décidé de modifier et d’organiser la R&D européenne pour développer une approche de clusters, de centres d’excellence. Pour cela, il fallait que l’industrie européenne soit prête à coopérer pour coordonner ses besoins de recherche. Waterborne a été créé en regroupant divers secteurs maritimes européens : chantiers, équipements, ports, instituts de recherche, universités, etc. Waterborne a publié avant la crise un document « Vision 2020 » qui analyse et essaie de prévoir la situation de l’industrie maritime à l’horizon 2020. Une politique stratégique de recherche a été développée pour essayer, notamment, de transformer les bureaux d’études en organismes plus efficaces. Il faut savoir que, pour l’ensemble de l’industrie maritime européenne, environ 2 Md€ sont consacrés tous les ans à la R&D, dont 4 % provient de la Commission européenne et 15 % des Etats‐membres. Donc, le reste, plus de 80 %, émane des entreprises. Tous les efforts doivent

être faits pour faciliter une manière plus efficace de dépenser les budgets R&D : ciblage, concurrence, etc. Actuellement, nous vérifions si le document originel « Vision 2020 » doit être modifié suite à la crise économique, mais, a priori, cette dernière a des effets assez limités sur les projets de R&D. Nous voulons convaincre les Etats‐membres que leurs programmes de R&D doivent s’aligner sur un plan de recherche stratégique dans l’esprit de « Vision 2020 ». Vous connaissez la situation sérieuse de l’industrie maritime ; il existe beaucoup de défis à relever et d’opportunités à saisir. D’abord, au niveau des entreprises de la construction navale : elles sont toujours les principaux fournisseurs de conception avancée en hydrodynamique et en construction navale. Il faut davantage utiliser cette force en finançant mieux la R&D et en partageant les risques. Il s’agit de réinventer de nouveaux modèles économiques pour cette activité. Je crois qu’il faut davantage penser en termes de création de services pour l’industrie et coopérer mieux avec les clients dans la phase opérationnelle et au cours de la maintenance. Car, aujourd’hui, après la livraison, il n’y a plus de relations avec l’armateur et le bateau… Ensuite, au niveau des Etats et de Bruxelles, il conviendrait d’abandonner un certain nombre d’idées préconçues, en particulier sur ce que recouvre le secteur des transports. L’initiative de la construction navale « Leadership 2017 » a permis de faire évoluer les esprits pour faire comprendre que la construction navale était un exercice de haute technologie. La Commission a finalement reconnu que nous construisons des bateaux à l’unité, des prototypes. Les Etats‐membres peuvent donc aider la construction navale en termes d’innovation technologique, mais plusieurs Etats ne le font pas ou peu, alors que d’autres Etats participent très efficacement (Hollande, Espagne, Italie, Allemagne…). Je souhaite que ces aides s’amplifient et, surtout, qu’on élargisse la notion d’innovation technologique subventionnable à celle de l’innovation opérationnelle. Enfin, quelques mots sur l’environnement qui joue maintenant un rôle considérable. Tout le monde parle de limiter les émissions de CO2, mais on progresse lentement à l’OMI sur ces sujets, sachant que les éventuelles mesures prises n’auraient d’effet que dans 15 ou 20 ans. Or, nous avons les technologies pour réduire les émissions de CO2. Bruxelles estime toujours que le transport maritime est une question internationale : l’Europe ne peut pas unilatéralement prendre des mesures réglementaires. Je suis en partie d’accord avec cette position, car pour les eaux intérieures de l’Europe, je pense que nous n’avons pas à attendre une réglementation internationale. Créons des règles européennes et vous verrez que tout le reste du transport maritime au large suivra progressivement ! Dans tous les cas, la construction navale va changer de manière profonde et il faut l’accompagner ! Je suis optimiste ! Xavier LECLERCQ, Directeur technique, STX France Quand on regarde le marché de la construction navale mondiale, on voit que 20 % du marché concerne les navires complexes à haute valeur ajoutée ; 74 % de la production européenne est déjà sur ce marché avec les navires militaires, les navires à passagers, les ferries et les navires offshore supports. Existe‐t‐il encore des opportunités pour les navires complexes ? Concernant le marché de la croisière, plusieurs scénarios peuvent s’envisager en fonction de la croissance prévue :

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‐  si l’on a + 3 % de croissance, la surcapacité européenne sera mise en exergue ; elle serait structurelle dès 2011 et le processus d’ajustement naturel du marché serait accéléré : baisse des prix, consolidation ou disparition ou diversification des principaux acteurs…

‐  une croissance à 7 % circonscrirait la surcapacité à la période 2011‐2012. L’augmentation de la demande permettrait de contenir la surcapacité de production à la période 2011‐2012. A prévoir une courte période de pression sur les prix et des difficultés liées à la sous‐charge des chantiers (restructuration, diversification…) en 2011‐2012 ; la reprise significative de l’activité en 2013‐2014 résoudrait ces difficultés de surcapacité conjoncturelles.

A noter que, malgré la crise, la demande des croisiéristes reste soutenue sur un marché tiré par l’Europe. La progression est estimée à 110 000 /120 000 lits en 5 ans, soit 24 000 lits par an. Le marché est axé sur des navires post panamax et de plus en plus complexes. Les nouvelles unités sont de 130 000/150 000 UMS avec 1 800/2 000 cabines. A partir de 2010, les navires devront être conformes aux nouvelles réglementations notamment sur la stabilité probabiliste et le Safe return

to port. On estime qu’il restera un marché de 6 à 7 navires par an à « se partager » entre 4 chantiers… Le marché des ferries est un peu plus stable dans le temps (10 à 15 navires par an), mais l’on observe un ralentissement notable. Le volume d’affaires (construction) est de 1,5 milliards d’€ par an. Les ferries sont moins touchés par la crise que ne le sont les navires de croisière : pas d’annulation, ni de report de livraison… Il faut signaler que les chantiers d’Extrême‐Orient (surtout la Chine) sont présents sur le marché du Ro‐Pax : la majorité de leurs contrats est conclue avec des armateurs locaux (74 % des GT). Tous les « cruise ferries » sont construits en Europe (Fincantieri, STX Europe, Meyer Werft, Nuovi Cantieri, Apuania, Fosen Mek Verksteder, Barreras). Mais, sur le marché européen, on a une moyenne d’âge de la flotte élevée dans un contexte réglementaire (environnement) qui se renforce (300 navires ont plus de 30 ans d’âge). Sur le marché de l’offshore, on constate que le marché des drillships reste porteur bien qu’il soit actuellement affecté par la crise. Les drillships sont préférentiellement construits en Corée et en Chine pour le moment. 41 drillship deep water sont en cours de construction. Les navires de forage, de traitement et de stockage sont tirés par les deux champs d’investigation qui sont en train de s’ouvrir (Russie, Brésil). On prévoit un vaste programme de construction neuves d’unités de forage d’ici 2011 incluant 98 flotteurs (+ 50 %). La flotte FPSO est en constante augmentation depuis 2000… Dans ce contexte, le marché européen offshore éolien, marché de niche émergent, est en progression de 25 % par an (il est en euros…). Mais nous sommes en retard en France alors qu’on prévoit 16 000 éoliennes dans les 20 ans à venir en Allemagne. En 2020, il y aura 35 GW installés au large des côtes européennes (Royaume‐Uni). Les besoins estimés sont de 3 navires poseurs supplémentaires d’ici 2010, 6 navires supplémentaires d’ici 2011, 9 navires supplémentaires d’ici 2012. Or 5 nouvelles barges seulement ont été construites ce qui pose d’ores et déjà un problème en 2009. A noter qu’il faudra arriver à accélérer la pose des éoliennes car c’est beaucoup trop long aujourd’hui (3 semaines pour une éolienne de 2 GW en mer). Si l’on réalise une projection du marché de la construction navale européenne, il est clair que les quelques chantiers qui sont encore positionnés sur les navires de charge seront amenés malheureusement à disparaître et cela a commencé. Si l’on regarde depuis les années 70, la taille des navires de croisière a doublé à chaque décade. On voit que l’histoire de la construction navale à Saint‐Nazaire est faite de sauts technologiques successifs majeurs et de records mondiaux : recentrage sur les paquebots dans les années 90 après avoir construit beaucoup de tankers, évolution technologique : Queen Mary, les derniers LNG (moteurs dual fuel) et les BPC… Nous venons de livrer l’Oasis of the seas qui est un géant des mers (420 m et 8 000 personnes à bord). Je pense donc que le défi de la taille a été relevé aujourd’hui ! Par contre, la sécurité et la sûreté restent des défis technologiques. J’ajoute qu’il y a d’autres défis technologiques qui ont été relevés pour accompagner l’évolution de la fonction des navires de croisière : aller sur de tels bateaux est une destination en elle‐même (restauration, hôtellerie, loisirs) ! Les navires sont devenus entièrement numériques et électriques (29 000 entrées/sorties sur le C33 au lieu de 3 000 sur les Panamax des années 1990). Concernant la propulsion, je suis persuadé qu’elle sera électrique dans le futur quelle que soit la source (diesel, pile à combustible, hydrogène), les technologies ayant beaucoup évolué au cours des 15 dernières années. STX va d’ailleurs encore battre un record mondial avec le C33 qui aura une technologie IGBT (puissance de 24 MW). Enfin, je crois que l’environnement est aussi un défi technologique majeur. Les règlements évoluent et l’Europe a imposé des normes plus strictes que celles des règlements internationaux. La prise de conscience environnementale a coïncidé avec la flambée du pétrole (140 $ le baril) et je n’ai aucun doute sur le fait que le pétrole revienne à ce niveau… Face à ce défi, il faut trouver des solutions ! Chez STX, notre programme Ecorizon a débuté en 2007 pour consolider et structurer l’expertise technique en matière d’énergie et d’environnement, créer un pôle de compétence au service de nos clients, développer les technologies propres des navires de demain. 65 % de nos ressources R&D y sont consacrées ! Nous avons choisi de privilégier 5 axes d’expertise : gestion des énergies (nous voulons réduire de 50 % la facture énergétique en 2015), gestion des émissions, de l’eau, des déchets et éco‐conception. Cela occupe une équipe à temps plein en partenariat avec les pôles de compétitivité, DCNS, etc.!

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Comme les armateurs ne sont pas des philanthropes, les produits que nous allons leur proposer ne seront valables que s’ils peuvent les amortir en moins de deux ans… Nous devons aussi trouver des solutions pour le financement de nos produits (ils coûtent 600/700 M€) mais la compétition européenne souffre d’un déséquilibre certain. Comme nos bateaux sont le plus souvent des produits uniques, les aides à l’innovation de Bruxelles sont difficiles à obtenir. Enfin, pour nos propres investissements, nous ne pouvons pas négliger l’outil industriel… N’oublions pas que 75 % de la valeur ajoutée des navires que nous construisons vient des coréalisateurs qu’il faut maintenir, former, etc. Bernard PLANCHAIS, Directeur général délégué, DCNS

Dans le domaine naval militaire en France, où DCNS représente l’essentiel de l’activité, il y a eu aussi des restructurations : nous étions 30 000 au début des années 90 et nous sommes maintenant 12 000 (‐ 60 %) alors que l’activité à iso‐volume n’a baissé que de 20 %. Les gains de productivité ont donc été considérables. Dans le monde, le marché du naval militaire représente environ 30 Md€ par an aujourd’hui. Il est réparti ainsi : 40 % aux Etats‐Unis, 30 % en Europe et 20/25 % en Asie. Ce marché est globalement très fermé puisque le marché ouvert ne représente que 5 Md€ ; la zone de compétition est donc limitée…

Les deux principaux marchés du naval militaire sont ceux des sous‐marins (avec deux constructeurs principaux : TKMS et DCNS) et des bâtiments de surface où la compétition est plus ouverte, notamment dans les navires de faible tonnage. Il est à remarquer que, dans ce domaine‐là, la part de la charge utile dédiée aux systèmes de combat est très importante (50 à 70 % de la valeur ajoutée du bateau), la valeur de la tôle n’en représentant que quelques %. La compétition sur ces marchés est essentiellement due aux acteurs européens ; elle est donc fratricide sur les navires militaires. Il ne faut pas négliger les perspectives de montée en puissance des acteurs asiatiques qui sont préoccupantes à moyen et long terme. En particulier, la Chine a des programmes largement subventionnés de sous‐marins nucléaires, de frégates fortement armées et de porte‐avions. Il faut aussi noter la concurrence potentielle de la Russie, même si son industrie est actuellement sinistrée, car elle a engagé un vaste programme de restructuration. Les Coréens montent en puissance, de même que les Indiens et la Japonais. Tout cela nous incite à investir tout en étant extrêmement prudents dans les transferts de technologie. Dès lors qu’il y a plusieurs acteurs en concurrence capables de proposer un transfert de technologie, celui qui veut en bénéficier l’obtiendra forcément. DCNS a fait le choix d’aller vers des transferts de technologie : les sous‐marins Scorpène sont assemblés dans le chantier Mazagon Dock dans le port de Mumbai en Inde, sous notre surveillance technique. Une démarche analogue a été décidée pour le Brésil (création d’infrastructures sur place, formation du personnel local à Lorient…). Notre enjeu est de contrôler les transferts de technologie et leur utilisation, tout en gardant une longueur d’avance pour les produits du futur. Pour nous, cette politique est incontournable et nous avons implanté des sociétés de DCNS à l’international pour contribuer à la maîtrise de cette activité. S’agissant des énergies marines renouvelables, elles sont un formidable potentiel de développement ; nous développons une technologie nouvelle pour les éoliennes flottantes ; nous sommes partenaires du programme visant à mettre en place une production d’énergie thermique des mers à la Réunion. Je fais remarquer que, dans ces domaines, il est indispensable de travailler en étroit partenariat pour rattraper notre retard par rapport à l’Europe du Nord. Il y a de gros potentiels de collaboration, notamment en Bretagne, et nous allons créer un incubateur pour identifier tous les partenaires potentiels. Quant aux navires du futur, DCNS a déjà présenté des prototypes réduisant le bilan carboné, sans parler du grand programme des FREM où 300 ingénieurs travaillent à temps plein pour présenter les navires de combat les plus automatisés du monde. Ces opérations représentent pour nous des enjeux fondamentaux dans lesquels nous investissons des dizaines de millions d’euros par an. Nous avons cependant besoin d’un soutien des pouvoirs publics comme l’a eu le nucléaire civil il y a 40 ans ou l’aéronautique et l’automobile plus récemment. C’est une question de survie pour nous ! Martin LEPOUTRE, Président‐directeur général, Fora Marine

Basés en Charente‐Maritime, nous construisons des voiliers de croisière de 9 à 13,5 m sous la marque RM. Nos bateaux ont pour particularité de présenter des qualités de vitesse et de performance en utilisant un matériau ancien (le contreplaqué imprégné de résine époxy), retraité de façon très moderne. Le CEA nous a proposé de tester une pile à combustible pour proposer un bateau totalement propre. Cette pile, alimentée par de l’hydrogène, charge des batteries alimentant un moteur électrique, sans aucune émanation. Nous sommes les premiers au monde à proposer un tel voilier ! Celui‐ci existe et il est présenté au Salon Nautique par le CEA. En 2010, ce bateau va participer à l’opération « Zéro CO2 autour de la Méditerranée » pour tester la propulsion électrique et l’utilisation de l’hydrogène comprimé (stockage et réapprovisionnement). Je veux être très clair : ce bateau est un test ; il n’est pas destiné en l’état à la

clientèle car la pile à combustible coûte aujourd’hui dix fois le prix du bateau.

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Frédéric MESLIN, Secrétaire général, Directeur de la mission hydrogène, Pôle de recherche et d'innovation de Nantes Atlantique et d'Atlanpole

Je nuance un peu ce qui vient d’être dit en signalant qu’en France nous avons pris un peu de retard sur la pile à combustible que d’autres ont déjà testée sur des bateaux. Pour nous, l’hydrogène a un sens car cela permet de réinventer des projets adossés au littoral. Car les véritables enjeux devant nous ne sont pas sur la production énergétique mais sur sa gestion, en particulier son stockage. Aujourd’hui, on ne connaît que les ressources fossiles pour y répondre. L’hydrogène adossé aux ressources énergétiques renouvelables est une opportunité pour stocker de l’énergie dans une filière totalement propre. La mission hydrogène existe depuis plus de 4 ans pour fédérer les acteurs de l’économie autour des nouvelles

technologies afin d’anticiper les grandes mutations technologiques. Nous nous orientons principalement vers les domaines du maritime et du fluvial car la voiture à hydrogène n’est pas encore intéressante aujourd’hui. L’hydrogène est plus apte à répondre actuellement aux besoins des bus urbains, des flottilles de pêche, des plaisanciers… Il existe déjà une petite navette électrique avec 1,5 KW en pile à combustible et une autonomie de 8 heures ; elle navigue à Nantes. Nous devons, outre les aspects techniques, réussir à faire évoluer la réglementation sur les autorisations de navigation et nous progressons dans ce domaine avec l’aide des services de l’Etat et du Bureau Veritas. Il faut savoir que 1 KW installé coûte environ 10 000 €. Pour autant, on ne pas appliquer l’hydrogène partout et notre enjeu est de redévelopper le modèle littoral. C’est par exemple le projet Shipper avec les professionnels de la pêche pour produire de l’hydrogène en mer ou à quai. Nous avançons pas à pas ; il y aura des bateaux démonstrateurs, etc. J’ajoute qu’il n’existe pas de vendeurs de piles à combustible en France alors qu’en Allemagne des bus circulent à Hambourg depuis 2003 avec 300 KW installés. Il y a des bateaux qui voguent avec de très grosses puissances en pile à combustible. La France est très en retard ! Question de Georges TOURRET, ancien directeur du Bureau Enquêtes Accident en mer : Les porte‐conteneurs du futur perdront‐ils moins de conteneurs en mer qu’aujourd’hui ? Didier CHALEAT : Les porte‐conteneurs présentent plusieurs types de risques dont effectivement celui de l’arrimage des conteneurs mais nous allons vers des systèmes automatiques d’arrimage des conteneurs dans les ports. Nous avons contribué avec d’autres au design de ces systèmes d’arrimage et, depuis, il y a de très grands progrès… Je note incidemment que les gros porte‐conteneurs sont plus écologiques que les petits, et les armateurs commandent maintenant des grands porte‐conteneurs : small n’est pas beautiful dans ce cas‐là… C’est un peu la même chose pour les bateaux de croisière. Question de Xavier ROBIN, Areva : La France est un des champions du nucléaire… Est‐ce une chance pour un renouveau de la construction navale, y compris dans le domaine civil ? Bernard PLANCHAIS : Il y a effectivement en France toutes les compétences en nucléaire pour fabriquer des réacteurs embarqués (on le fait pour les sous‐marins et le porte‐avion Charles de Gaulle). Mais on se rend compte qu’il y a un certain nombre de contraintes et de servitudes à terre (à Brest et Toulon, notamment). On ne pourra aboutir à la propulsion nucléaire de navires civils qu’à condition de régler plusieurs questions : la sécurité et la sûreté en mer (invulnérabilité de la chaufferie), la maintenance, le rechargement… Xavier LECLERCQ : Hormis le nucléaire, il n’existe aujourd’hui aucune solution technique alternative à l’énergie fossile pour transporter beaucoup de marchandises avec une puissance importante. Mais le nucléaire pose des problèmes, en particulier sur le modèle économique à y associer, sur les règlements (qui sont les freins les plus importants). Nous travaillons sur tous ces sujets avec Areva. Cela dit, je crois que l’utilisation civile de la propulsion nucléaire reste relativement lointaine. Question de Bernard DUJARDIN, Vice‐président, IFM : Dans l’aéronautique, on constate le développement des avions sans pilotes, les drones. Peut‐on imaginer des navires ou des sous‐marins à pilotage déporté car il n’en a pas été question ici ? Bernard PLANCHAIS : On travaille actuellement sur les commandes électriques des petits navires et il y a des expériences très concrètes de drones en cours de réalisation. Pour le reste du domaine naval, nous collaborons avec Thales et ECA sur des drones de chasse aux mines. Les applications civiles peuvent être dans la recherche et l’exploitation marines. Les drones aériens peuvent avoir des applications dans le militaire et le civil : nous avons développé récemment des systèmes d’appontage automatique de drones (première mondiale) : surveillance à distance, etc. Question de Cyrille PILLET, étudiant à l’Ecole de la marine marchande du Havre : Concernant le démantèlement des navires, peut‐on envisager une filière européenne ?

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Bernard PLANCHAIS : Le problème est de savoir qui est le client et qui paye. Demain, ce problème sera ici largement évoqué lors de la table ronde consacrée au démantèlement. Didier CHALEAT : Je signale qu’une convention mondiale s’est tenue cette année sur le démantèlement ; elle prévoit des normes internationales de sécurité et de suivi plus sévères en termes de recyclage. Cela va avantager les Chinois et les Indiens par rapport à leurs concurrents du Bangladesh et des Philippines. Question de Patrick PERSON, Pemar Consulting : Quid de la protection de toutes nos innovations ? Xavier LECLERCQ : 30 brevets différents ont été déposés sur la propulsion gaz… Cela étant, si tout brevet a une valeur marchande qui fait partie de l’actif d’une société, force est de reconnaître qu’il est très difficile de mettre tous les moyens pour traquer les contrefacteurs. Des initiatives interviennent pour renforcer la protection industrielle des inventions des chantiers européens. Willem LAROS : Au sein de Waterborne, nous essayons de traiter l’innovation comme un élément commercial et industriel à part entière. Il faut s’assurer que les concepts issus de la R&D soient transformés en solutions sans léser quiconque. Les gouvernements doivent faciliter le partage des risques entre les producteurs et les utilisateurs. Personnellement, je pense qu’on devrait vraiment travailler au développement de cette démarche en Europe pour réduire le fossé entre le concept et la technologie (c’est le cas en Asie).

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3 – Pêche et aquaculture : comment réorganiser la filière pour valoriser la production et rentabiliser les

exploitations ?

Débats animés par Xavier DEBONTRIDE, Journaliste > Bertrand DESPLAT, Directeur général, Fipêche > Dominique DUVAL, Président, Syndicat Français de l’Aquaculture marine et nouvelle > Hervé JEANTET, Président du Conseil spécialisé pour les produits de la mer, de l'aquaculture et de la pêche professionnelle en eau douce, France Agrimer

> Philippe MAUGUIN, Directeur des Pêches Maritimes et de l'Aquaculture

> Leslie WIDMANN, Directrice, Odyssée Développement > Jean‐Louis LABEILLE, Direction des Entreprises, Division Maritime, Crédit Coopératif

Xavier DEBONTRIDE, Journaliste : Quels sont les grands défis qui s’imposent aujourd’hui à la pêche ? Philippe MAUGUIN, Directeur des Pêches Maritimes et de l'Aquaculture : On a beaucoup parlé ce matin des aspects amont de la pêche, mais on a moins parlé des aspects « marché », dont les chiffres interpellent pourtant. La pêche française produit un peu moins de 700 000 tonnes par an et l’aquaculture environ 230 000 t. Ces chiffres n’évoluent pas beaucoup, voire régressent, alors que la consommation des Français progresse car on est passé de moins de 25 kg/an/habitant en 1988 à 34 kg vingt ans après. On n’est peut‐être pas allé assez loin dans les produits transformés, malgré l’existence d’une filière de transformation dynamique. En pisciculture et aquaculture, on n’a pas trouvé non plus de relais de croissance suffisants. Nous produisons aujourd’hui 20 % de ce que nous consommons ! Il est raisonnable de se fixer une progression pour les décennies à venir, à condition de déterminer pour chacun de ces segments des objectifs en matière de communication, d’organisation de la filière et de segmentation des productions. Hervé JEANTET, Président du Conseil spécialisé pour les produits de la mer, de l'aquaculture et de la pêche professionnelle en eau douce, FranceAgriMer : La consommation française, c’est 2,1 millions de tonnes. En fait, nous produisons 700 000 t, pour 1,5 Md€, nous exportons 500 000 t pour 1,3 Md€ et nous importons 1,9 million de tonnes pour 3.9 Md€. Le déficit commercial de la pêche est donc de 1,4 millions de tonnes pour 2,6 Md€. Il faut chercher les raisons de ce déséquilibre dans la manière dont les importations arrivent en Europe : dumping, pavillons de complaisance, absence de charges sociales… Le consommateur doit avoir accès à des produits moins chers et nous ne sommes pas en mesure de les apporter en quantité suffisante sur le marché. Il y aura trois enjeux majeurs pour notre siècle : l’énergie, l’eau et la nourriture. Si les autorités apportent une réponse d’autosuffisance plutôt « gaullienne » aux deux premiers, elles n’ont pas pris la mesure de l’enjeu nourriture et, en particulier, des produits de la mer. La mer est la seule réserve de protéines ! Dominique DUVAL, Président, Syndicat Français de l’Aquaculture marine et nouvelle : L’aquaculture marine et nouvelle est une activité de production primaire qui a le plus fort taux de croissance dans le monde et pourtant, c’est dommage, nous sommes méconnus ! Notre activité est constituée de la pisciculture continentale (saumons et élevages en étang), qui représente environ 110 000 ha, et de la pisciculture marine. Cette dernière est une activité très jeune, car, avec 20 ans de métier, je fais partie des plus anciens ! A l’époque, nous étions pionniers et leaders en Europe ; l’aquaculture bénéficiait du soutien de l’IFREMER et savait maîtriser les cycles de reproduction. A l’exception de la Norvège qui a une expérience ancienne de l’élevage du saumon, cela représentait quelques centaines de tonnes pour toute l’Europe, il y a vingt ans. Aujourd’hui, la production française stagne à 7 000 tonnes, alors qu’elle explose en Grèce ou en Turquie, particulièrement. La filière française est petite mais très structurée. Tous les salmoniculteurs sont syndiqués régionalement et nationalement ; ils sont regroupés au sein de la Fédération Française de l’Aquaculture, ce qui nous permet d’être reconnus par la Commission européenne. Nous regroupons au total 500 entreprises (avec 2 500 emplois directs), dont 60 font de la pisciculture marine (500 emplois), depuis la Mer du Nord jusqu’en Corse. Mais nous sommes petits ! Compte tenu de l’augmentation des consommations françaises, on peut dire que la profession a raté le virage à cause de l’absence d’une volonté politique française. Nos faibles ratios d’emplois et de chiffre d’affaires ne retiennent pas l’attention des politiques, alors que les critères socio‐économiques devraient peser plus lourd dans l’évaluation de notre activité. Nous contribuons à des activités primaires sur le littoral, nous entretenons ce littoral et nous pourrions dépendre moins des importations…

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Philippe MAUGUIN : C’est peut‐être un travers français de dire que, quand ça ne marche pas, c’est par manque d’ambition politique ! Je crois plutôt que les responsabilités sont partagées, élus locaux, Etat et acteurs. Il est néanmoins vrai que les questions d’accès à l’espace maritime sont évidemment très encadrées par les pouvoirs publics. La coexistence des activités pose des problèmes importants. La responsabilité est partagée entre les élus et l’Etat dans l’occupation de l’espace maritime. Enfin, l’aquaculture et la pisciculture ne sont pas dans la PCP et elles ne sont que très marginalement dans l’OCM. L’orientation politique partagée existe aujourd’hui dans l’Europe des 27 mais il manque les outils. Nous devons vraiment nous doter de ces outils pour être pris au sérieux ! Bertrand DESPLAT, Directeur général, Fipêche : Nous sommes un regroupement d’entreprises de pêche artisanale né d’une association entre des coopératives de marins‐pêcheurs et un industriel de l’agro‐alimentaire breton. Notre vocation est de réaliser le lien entre nos pêcheurs et les industriels qui transforment et distribuent, pour faire correspondre l’offre et la demande. J’ai entendu ce matin que le XXIe siècle serait maritime et je m’en félicite. De même, notre Ministre Bruno LE MAIRE l’a rappelé, l’enjeu alimentaire devient très crucial ! Or, le paradoxe est aujourd’hui saisissant : alors que la pénurie de produits halieutiques est mondiale, nos marins‐pêcheurs bretons ont du mal à vivre de leur activité. Un autre constat est celui de la faiblesse des premiers opérateurs, constitués en micro‐entreprises, pour la plupart de moins de 10 salariés, à opposer aux opérateurs suivants, les distributeurs, qui eux sont extrêmement bien organisés et concentrés en entreprises ultra puissantes. Il est souvent plus facile pour un acheteur de grande ou moyenne surface (GMS) de contracter à l’autre bout du monde qu’avec la pêche nationale… Cela nous pose questions ! Il serait nécessaire de nous améliorer dans trois directions : assurer à nos clients des volumes conséquents, être compétitifs et réguliers dans nos prix et savoir « marketer » le produit de nos pêches. Nous avons ces 3 défis importants à relever ensemble. Leslie WIDMANN, Directrice, Odyssée Développement : Odyssée Développement est un bureau d’études implanté à La Rochelle, à Marseille et à Cayenne. Dans la filière pêche, le producteur a du mal à retrouver la valeur ajoutée nécessaire à l’équilibre de son activité. Et les mareyeurs, souvent suspects de pratiquer des taux de marge élevés, ne sont en fait pas responsables de cet état de fait. On reporte alors notre colère sur les GMS, accusées de tous les maux, mais il est impossible de ne pas traiter avec elles qui représentent plus de 70 % du marché. Où passe donc la plus‐value créée ? La criée pourrait peut‐être jouer un rôle pour apporter plus d’équilibre. En France, nous avons presque autant de criées que de ports de pêche, soit une trentaine en fonctionnement permanent. Elles sont censées avoir toutes le même type de fonctionnement mais, en réalité, elles ont des missions et des gestionnaires différents. De ce fait, elles ne se parlent pas assez entre elles. On a donc un problème de communication, mais aussi on n’arrive pas à homogénéiser le marché pour envoyer, par exemple, des produits excédentaires d’une criée vers une criée déficitaire ! Il faut s’interroger sur leurs fonctions et nous avons là deux cas de figure :

‐  soit les criées sont de simples lieux de passage qui permettent de massifier un produit, offrir un volume pour intéresser des grossistes. Cela ne demande que quelques moyens techniques (le froid), peu de personnels et si on se limite à cette fonction, les taxes de criée pourraient diminuer et peser moins lourd sur le producteur ;

‐  soit les criées, halles à marée, établissements publics qui ont une mission de service public, peuvent demain avoir l’ambition de régler un certain nombre des problèmes de la filière : l’identification du produit aux fins d’un meilleur marketing, la création de catalogues de vente, etc… Aujourd’hui les criées donnent déjà cette information, mais elles répercutent l’information transmise, sans jamais la valider ou la reprendre à leur propre compte. Elles en laissent la responsabilité au producteur.

Le nouveau rôle des criées consisterait à accepter d’être un lieu d’agréage du produit, en le qualifiant de manière très fine et sans erreur. Cela se fait dans les abattoirs ! Les criées deviendraient alors indispensables au producteur ; beaucoup de litiges disparaîtraient ; le producteur et l’acheteur seraient en confiance, ce qui permettrait enfin de fluidifier ce marché qui fonctionne encore de façon archaïque et ne sait pas pratiquer l’achat à distance par manque de confiance dans l’information donnée ! Notons que le passage obligatoire sous criée permettrait aussi de fiabiliser le marché, ce qui ne veut pas dire ventes aux enchères obligatoires, les ventes de gré à gré doivent impérativement continuer à exister. Jean‐Louis LABEILLE, Direction des Entreprises, Division Maritime, Crédit Coopératif : Au Crédit Coopératif, nos propriétaires sont aussi nos emprunteurs. Cela change la manière de travailler ! Je voudrais aussi parler de la filière pour dire qu’elle n’existe pas en tant que telle. Il y a des points de contact qui sont autant de points de friction. Je ne connais finalement qu’une seule filière, c’est Intermarché, qui intègre des bateaux de pêche, des mareyeurs, des industries de première transformation et des points de vente. Le financement de la pêche, en ce moment, ce n’est pas ce qu’il y a de plus « sexy » pour une banque… Il y a la crise, depuis 30 ans, le gas‐oil, les quotas… On a l’impression que le secteur touche le fond du fond mais certains continuent d’y croire. Le rôle des banques du littoral aujourd’hui est restreint : il n’existe pas ou peu de projets ou d’innovations à financer, sauf dans la transformation des produits de la mer.

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Bertrand DESPLAT : Aujourd’hui, ce qui manque cruellement au banquier comme au pêcheur, c’est la garantie de construire un bon business‐plan, un compte d’exploitation pérenne. Cela ramène aux aspects de commercialisation. Je crois, comme Madame WIDMANN, que le rôle des criées doit se renforcer, mais les criées ne représentent pas, en tant que telles, la solution du marché qui doit être mise en œuvre par les professionnels eux‐mêmes. Le premier axe d’amélioration, c’est l’union capitalistique des producteurs entre eux et avec les transformateurs. Car nous avons besoin d’une offre cohérente et commune vers l’aval. Le deuxième axe est l’industrialisation : si on prend l’exemple de la lotte, où les quotas bretons représentent 50 % de la lotte européenne, on est sidéré par les méthodes artisanales d’exploitation de cette production avec des mini‐ateliers de 3 ou 4 personnes ! Soyons sérieux, surtout qu’on a des ressources formidables ! Si on veut être compétitifs vis‐à‐vis de l’international et vis‐à‐vis des distributeurs, nous devons rentrer dans une industrialisation de nos procédés. Travailler dans cette direction, c’est arriver à la production de volumes et donc des prix réguliers, ce qui permettrait de garantir un revenu minimum aux bateaux. Le troisième point important est la traçabilité. La criée a un rôle important à jouer pour cela ; les organisations de producteurs y ont un rôle crucial, celui de garantir aux consommateurs que le produit qu’il consomme est produit dans de bonnes conditions (respect des quotas, des règles sociales, etc). Cette traçabilité, que les distributeurs vont contrôler, permettra la création d’une vraie démarche marketing sur le produit. Hervé JEANTET : N’oublions pas le consommateur dans tout ça ! Il est la raison d’être de nos efforts. Il nous demande de la traçabilité, mais aussi des conseils de préparation, de la diversité, de la communication sur la santé et, enfin, il veut être rassuré sur l’éthique quand il fait un acte d’achat ! Dominique DUVAL : Bien sûr, il est nécessaire de concentrer l’offre, face à une demande qui, elle, est très concentrée. Mais n’oublions pas que l’offre est de toute façon limitée en France. On a parlé du marché de l’importation, qui, je pense, constitue le flux directeur du marché. De ce fait, je crois que l’option qualitative est à privilégier plutôt que l’option quantitative. Lorsque les prix de marché se situent en dessous de nos prix de revient, comme ce fût le cas l’an dernier avec les daurades royales grecques vendues à 2,5 €, les acheteurs responsables auraient dû refuser d’acheter à ce prix ! Remarque de Christine BODEAU, Présidente de la Chambre syndicale des algues et des végétaux marins : Nous sommes très concernés par cette filière des produits de la mer. Nous représentons 20 à 25 entreprises de premier achat et de première transformation, à très forte valeur ajoutée. Nous récoltons 60 millions de tonnes d’algues dans le Finistère, soit 98 % des récoltes en France. Dans ce débat sur les animaux, et non sur les végétaux, il est très difficile d’exister ; sur nos 1 000 emplois, 500 sont des récoltants occasionnels qui n’ont pas de statut. Je demande à Monsieur MAUGUIN de m’accorder un rendez‐vous pour régler ce problème ! Nous venons d’élaborer le cahier des charges des algues‐bio en Europe et nous n’avons pas les moyens d’y répondre malgré la présence d’une biomasse remarquable en Bretagne et une demande forte des nouveaux consommateurs. Philippe MAUGUIN : Officiellement, ma réponse est positive pour vous recevoir. Remarque d’André LE BERRE, Président du Comité Régional des Pêches : Au sujet de la vente à distance et des prévisions d’apports abordées par Leslie WIDMANN, je voudrais rappeler qu’une expérience a déjà été menée en 1993 à Saint Guénolé et Loctudy. Cette expérience a été négative car les pêcheurs qui signalaient leur pêche n’ont jamais pu vendre leur poisson plus cher ! Par ailleurs, je trouve très insuffisant le label « Pêché en Atlantique, etc. » car il ne met pas en valeur les exigences sociales et environnementales élevées qui ont été respectées chez nous. Philippe MAUGUIN : La législation européenne nous empêche d’investir dans un label purement national. En revanche, un gros travail est réalisé avec FranceAgriMer pour une meilleure information des consommateurs. On s’est mis d’accord sur un identifiant collectif « Pêche Française » pour toute la filière ; il devrait être mis en place au début 2010. Cela permettra la vraie traçabilité qu’attend le consommateur et nous pourrons faire des campagnes de promotion. Leslie WIDMANN : Au sujet des prévisions d’apports, je l’ai vécue il y a quelques années en Charente‐Maritime. On a équipé les chalutiers de plus de 16 m d’un système de télécommunication par satellite. Mais le pêcheur paye sa communication en fonction du nombre de caractères émis. Donc il envoyait des messages de plus en plus courts et mal renseignés. On devait installer une grille de saisie efficace pour renseigner la communication mais on n’y est jamais parvenu correctement ! Le système n’a jamais fonctionné convenablement par manque de moyens techniques alloués à la conduite du projet. Les données transmises aujourd’hui sont très peu détaillées et parfois difficiles à exploiter par l’ensemble des mareyeurs. Remarque d’Hervé JENOT, Président de la conchyliculture de Bretagne Sud : Parlons ici aussi de l’ostréiculture nationale : 4 000 entreprises, 15 000 emplois. Il y a urgence à se pencher sur notre sort avant qu’un grand nombre d’exploitants ne soient obligés de quitter la profession. La qualité des eaux du littoral, un enjeu colossal pour demain, est fortement dégradée. Nous ne pouvons pas être les pollués payeurs…

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Philippe MAUGUIN : Cette intervention doit nous rappeler que, si notre aquaculture est modeste, nous avons en revanche une conchyliculture importante, malgré les deux années noires que nous venons de traverser. Au‐delà de l’emploi, elle représente 380 M€ et il convient d’aider les producteurs par l’apport de nouvelles souches plus résistantes. Mais on devra aussi accompagner les producteurs, notamment pour passer un pic difficile dans un an à cause de la mortalité enregistrée ces deux dernières années. Question de Jacques PICHON, Directeur de PMA, organisation de producteurs en Bretagne et Loire Atlantique : On est, de fait, dans un marché de pénurie, très réglementé. Cependant, arrivent sur les marchés des quantités de poissons très supérieures à ce que prévoient les quotas de Bruxelles : les Espagnols débarquent environ 50 % de plus que leur quota de merlus, le double de leur quota de baudroies. Cela ne favorise pas l’organisation d’un marché équilibré. Comment donc se démarquer suffisamment pour que notre poisson clean ne soit pas confondu avec ces black fish ? Philippe MAUGUIN : Sur cette question de la surpêche et de la pêche illégale, les réponses peuvent être nationales, européennes ou mondiales. Au plan mondial, une réglementation sera applicable au 1er janvier 2010. Au niveau européen, c’est plus délicat car on est déjà sensé suivre tous la même réglementation. Nous ne pouvons intervenir que dans nos eaux territoriales. Avec nos amis espagnols, nous mettons au point un accord croisé par lequel nous pourrons très bientôt échanger nos contrôleurs. La généralisation du log book permettrait également des contrôles plus efficaces et une information plus fiable. Bertrand DESPLAT : Au sujet de l’information consommateur sur l’origine et les qualités du produit, je veux souligner l’importance de la rédaction d’un cahier des charges avec le distributeur. Le producteur a alors la responsabilité du respect du cahier des charges. Pour autant, on imagine bien la difficulté d’un distributeur pour contrôler 100 ou 150 producteurs. Là aussi, la massification irait dans le bon sens. Questions de Thomas ERCOET, Ecole de Management de Normandie : Comment développer aujourd’hui un modèle de développement durable de pêche ? Quid de l’aquaculture et de son avenir en France ? Hervé JEANTET : Ma réponse en tant qu’armateur est qu’on parle moins de développement durable car c’est entré dans les mœurs. Les règlements européens datent de 1983. Nous travaillons avec l’IFREMER dont nous apprécions l’éclairage scientifique, même si nos débats sont parfois houleux lorsqu’ils émettent des opinions ou des convictions morales. Dominique DUVAL : L’interprofession a mis en place des indicateurs de durabilité. Nous travaillons sur ce sujet depuis 2002. L’information aux consommateurs est difficile à mettre en place et ce sujet mériterait une aide de l’Etat pour communiquer sur les produits français. Pour l’aquaculture, l’accès au littoral est tellement contrôlé aujourd’hui que plus aucune entreprise ne peut se créer depuis 10 ans. Les critères sont probablement trop sévères. Remarque de Ronan LE MEUR, Kersaudy et Le Meur, filets de pêche : Cela fait 20 ans que nous développons des filets pour l’aquaculture avec l’IFREMER ; nous arrivons au constat que son développement est insuffisant. Pourtant nous bénéficions du savoir‐faire en écloserie, en aliments, en cage à poissons, mais nous souffrons d’une absence de volonté politique et industrielle pour dynamiser ce secteur. Les exploitations n’atteignent donc pas la taille critique, contrairement aux exploitations grecques ou turques. Philippe MAUGUIN : Un projet de loi sera examiné en début d’année par le Parlement. Il portera sur la création de schémas régionaux de développement de l’aquaculture. La région nous paraît en effet le bon niveau d’intervention. Sur les coproduits, je souligne le travail mené dans plusieurs pôles de compétitivité, notamment à Boulogne et en Bretagne, pour mieux les valoriser en cosmétique ou dans l’alimentation animale. Dominique DUVAL : Le marché français de l’aquaculture a également été perturbé par la mise en place de subventions d’investissements productifs dans des pays dits défavorisés, comme en Espagne ou en Grèce. Question d’Annick GIRARDIN, député de Saint‐Pierre et Miquelon : La restructuration complète des filières, cela concerne aussi Saint‐Pierre‐et‐Miquelon. Les porteurs de projet sont nombreux et appellent une politique plus volontariste de l’Etat. Par exemple, bien que nous siégions à l’Organisation des Pêches de l’Atlantique Nord Ouest (OPANO), nous ne sommes pas impliqués dans les programmes de recherche locaux, malgré l’existence de Saint‐Pierre‐et‐Miquelon, alors qu’Espagne, Portugal, Grande‐Bretagne et Canada le sont. Les pouvoirs publics semblent cependant commencer à prendre la mesure de ces enjeux. Question d’un participant : Quel rôle pour les mareyeurs de plus petite taille si les grands mareyeurs, comme Intermarché, s’organisent pour valoriser les quelques espèces qui les intéressent ?

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Bertrand DESPLAT : On ne veut pas opposer les pêcheries. On a en Bretagne une grande diversité, qui est une chance. Si on peut industrialiser certaines espèces quand les quantités le justifient, faisons‐le. Mais ayons une démarche plus qualitative pour les autres espèces. C’est l’avenir du mareyage ! Remarque de Pascal LE FRIANT, patron du Marie‐Alexandra : Je suis choqué par les paroles de notre banquier, qui se dit « du littoral ». Comment inspirer confiance à nos clients si notre banquier lui‐même n’a pas confiance dans nos capacités ? Question de Philippe LE MOIGNE, Président de la coopérative Armor Glaz : Un travail de reformatage des flottes et des esprits a été mené depuis longtemps. On n’est pas loin aujourd’hui d’un équilibre entre l’économique et le biologique. Notre équation, ce sont des quantités, les quotas, mais aussi des prix de vente et des coûts de production. Nos pêcheurs ont amélioré leurs pratiques dans les dernières années et il est important de le souligner. Question d’Alain LE VENEC, mareyeur : C’est un danger de n’avoir qu’une vue d’industriel. Si les espèces à forte production sont traitées par des industriels, comment les mareyeurs et les pêcheurs pourront‐ils se contenter des seules espèces à faible volume ? Bertrand DESPLAT : Il faut d’abord trouver des solutions sur les espèces qui constituent 80 % du chiffre d’affaires des marins‐pêcheurs. Ça ne nous empêche pas de proposer à nos clients une gamme complète avec des produits compétitifs au niveau international et des produits de complément, d’image. Leslie WIDMANN : On n’a pas assez parlé des bonnes pratiques ! De gros efforts ont été réalisés par la filière, salués par des ONG internationales, comme sur la sélectivité des chaluts à langoustines. La démarche Pêcheur Responsable, portée par FranceAgriMer, identifiera les bonnes pratiques des bateaux français. La filière de la pêche française s’est prise en main et elle avance ! Arrêtons de dramatiser ! Dominique DUVAL : Nous sommes des artisans, mais il est cependant nécessaire de s’organiser et de concentrer l’offre. Pour les criées, le système des ventes aux enchères me semble un peu pervers car cela échappe complètement au pêcheur. Philippe MAUGUIN : On vient de traverser deux ou trois années très difficiles où l’on a restructuré la flottille. On a plus parlé de restructuration que de développement de marchés. Les années qui viennent doivent être consacrées à la conquête des marchés, à la segmentation de l’offre française et au travail sur la communication positive.

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4‐ Sûreté maritime : quelles solutions juridiques, financières et technologiques pour lutter contre la piraterie ?

Débats animés par Vincent GROIZELEAU, Rédacteur en chef, meretmarine.com > Christian GARIN, Président, Armateurs de France > Marc LE ROY, Directeur marketing produit, DCNS

> Contre‐Amiral Pierre MARTINEZ, Marine Nationale > Christian MENARD, Député du Finistère ; Secrétaire à la Commission de la défense nationale et des forces armées > Jacques KUHN, Président, Cobrecaf > Pierre de SAQUI de SANNES, Conseiller institutionnel France, Afrique et Moyen‐Orient, CMA CGM > Philippe WAQUET, Président, Automatic Sea Vision (Sea On Line)

Avec la participation de l’Amiral Pierre‐François FORISSIER, Chef d’Etat‐major de la Marine

Vincent GROIZELEAU, Rédacteur en chef, meretmarine.com : La piraterie fait toujours beaucoup parler d’elle, malgré la mise en place il y a un an de l’opération européenne Atalante. Toutes les semaines, de nouvelles attaques ont lieu. Quelles en sont les conséquences ? Les moyens mis en place sont‐ils adaptés ? Christian MENARD, Député du Finistère ; Secrétaire à la Commission de la défense nationale et des forces armées : La piraterie existe depuis la nuit des temps. On en retrouve des traces 5 000 ans avant JC dans le golfe persique. Elle sévit ensuite en Méditerranée et même Jules César a à en pâtir car il a été fait prisonnier par des pirates ! Tout le monde connaît la saga des pirates anglais, français ou espagnols dans les Antilles… Au début du XIXe siècle, Thomas Jefferson, alors président des Etats Unis, a missionné une opération navale sur les côtes libyennes pour en éradiquer les barbaresques. Ce n’est pas sans rappeler ce qui se passe maintenant au niveau européen avec Atalante… Contre‐Amiral Pierre MARTINEZ, Marine Nationale : Depuis 2007, la piraterie a dépassé un seuil médiatique de visibilité, principalement sur les côtes somaliennes. L’agression sur le Ponant a vraiment réveillé le problème et décidé l’Etat Français à ne pas se laisser faire. Sur la zone Golfe d’Aden et les côtes somaliennes, on a recensé 37 attaques en 2007, 160 attaques en 2008 et, à ce jour, on en est à 237 pour 2009. En ce moment, seraient détenus par les Somaliens 12 navires et 264 otages. Chaque semaine, on assiste à 5 à 6 attaques. Dans les deux années écoulées, 639 pirates ont été appréhendés et 22 tués. Ces résultats sont significatifs, mais la mer est grande ! La force européenne, l’opération Atalante, regroupe 8 frégates de différents pays sous commandement hollandais et deux ou trois avions de patrouille maritime. La piraterie est en train de s’étendre sur les zones non couvertes par Atalante, principalement à l’Est de la Somalie jusqu’aux Seychelles et jusqu’au canal du Mozambique. Il faut aujourd’hui continuer les efforts entrepris. Ces efforts sont de deux natures : les efforts visibles, ce sont les navires et les équipements militaires, mais aussi les efforts non visibles, qui sont essentiellement des efforts d’organisation (comportements à bord, routes à suivre, information, etc.) et des actions sur les pays riverains. Ces dernières commencent à connaître une certaine efficacité, même en Somalie. Jacques KUHN, Président, Chambre de Commerce et d’Industrie de Brest : Nous avons une flotte de pêche qui opère en Océan Indien, très différente des bateaux de commerce. Nos bateaux sont plus vulnérables car ils ne traversent pas, ils sont en pêche. Le problème est compliqué par le fait que la pêche au thon nécessite de suivre le poisson, qui est migrateur. Je précise que, contrairement à ce qu’on a pu lire dans les médias, nous ne

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pénétrons jamais dans les eaux territoriales de la Somalie (nous sommes toujours en dehors des 200 miles nautiques). Je précise aussi que le thon tropical pêché n’a rien à voir avec le thon rouge de Méditerranée. Après une première alerte en 2008 au moment du Ponant, nous avons assisté à une recrudescence du danger en 2009, avec des armes très modernes (roquettes) et la prise d’un gros bateau de pêche espagnol. Fin mai, en accord avec les services gouvernementaux, ont été mises en places des mesures de protection plus appropriées. Ces mesures (surcoût à la mer) sont prises en charge par les armements (elles coûtent entre 50 et 60 000 € par mois et par bateau). Elles font l’objet d’un protocole, qui ne devait à l’origine durer qu’une seule campagne, mais qui est pour le moment prolongé jusqu’en mars 2010. Ce protocole fait suite à des mesures successives de restriction de la zone de pêche. Le système mis en place est un système de protection. Les attaques sont souvent!"#$%#&!'()!*!+,!-!'#./.#&!0#1#..#&!)('/1#&!1#!'/)(.#&2!1/&'+&($.!(,!3()4#!15,$!$(0/)#!"6)#7 !"#$"%&'"%#()*"%+"#,-./"&0#$",#-01+",2#3"#4.'#5.'#+1%1&0'0#.&"#3"%01'&"#'67.&'0)8!"##"$%&''()'&*+$)$"($(+$",,"#$-".)-/()01"2$3+$",,"#4$%"5(&'$')$.&'"$"+$51)6"4$#*(#"'$1"'$)##)/("'$'(-$%"'bateaux français ont été repoussées, ce qui n’a pas été le cas pour les navires espagnols. On se félicite donc de cette collaboration avec les militaires, dont l’acceptation dans nos bateaux n’a posé aucun problème. En revanche, cette situation qui perdure depuis deux ans maintenant impose des surcoûts d’exploitation et nous sommes arrivés à la limite de ce qui est économiquement acceptable. Je signale que le problème dépasse aujourd’hui largement les côtes somaliennes… Il faudrait s’attaquer aux navires mères pour éradiquer le problème, sinon les pirates vont augmenter le périmètre de leurs forfaits bien au‐delà de la Somalie ! Vincent GROIZELEAU : La Marine peut‐elle durablement entretenir ces EPE auprès des navires de pêche ? Amiral Pierre‐François FORISSIER, Chef d’Etat‐major de la Marine : Notre système est organisé pour s’inscrire dans la durée. Pour l’instant, cette surcharge est gérable dans le cadre de nos budgets actuels. Si cela devait perdurer, peut‐être faudrait‐il faire appel à l’argent public. On peut tenir deux ou trois ans, mais pas au‐delà car on ne peut être sur le terrain et former les jeunes en même temps. Il est exclu de créer des postes pour ces opérations puisque nous nous inscrivons dans la logique du Livre Blanc, qui prévoit la suppression de 6 000 postes d’ici 2015. Christian MENARD : Sans recourir à des sociétés privées de sécurité, n’est‐il pas imaginable d’utiliser des réservistes ? Amiral Pierre‐François FORISSIER : On s’en sert déjà. Mais nous ne voulons pas de bavures et il faut donc travailler avec des personnels très entraînés. C’est pour cela que les réservistes ne peuvent représenter qu’un appoint marginal. Cela dit, la montée constatée de la violence nous inquiète et la venue de mercenaires ne serait pas un facteur de diminution de cette violence. De plus, si nous sommes hostiles à des sociétés privées, c’est parce que nous voulons garantir le plein engagement de l’Etat. Vincent GROIZELEAU : Certains armateurs ont recours à des sociétés militaires privées. Qu’en est‐il en France ? Christian GARIN, Président, Armateurs de France : Pour Armateurs de France, la sûreté est une mission régalienne de l’Etat et elle ne saurait être prise en charge par quelqu’un d’autre. Cette position concerne les bateaux battant pavillon français ou bien battant pavillon étranger mais contrôlés par des armateurs français. Contrairement aux thoniers, les bateaux de transport ne font que traverser les zones dangereuses. Notre première décision a donc été d’essayer d’éviter ces zones. Certains pétroliers ont des trajectoires d’évitement correspondant à deux jours de mer (500 ou 600 miles nautiques). Ces phénomènes de piraterie s’inscrivent maintenant dans la durée et ils se sont industrialisés. Ils deviennent maintenant un frein au développement économique et aux échanges maritimes. La piraterie moderne a commencé il y a quelques années dans le détroit de Malacca ; on la retrouve aujourd’hui dans l’Océan Indien, mais également sur la côte Ouest de l’Afrique. C’est donc un phénomène qui se développe. Parmi mes bateaux, il y a actuellement au moins une attaque par semaine… Autre fait important, les pirates s’organisent. Ce ne sont plus des amateurs ! Il y a douze ou dix‐huit mois, la rançon était versée en espèces par un petit avion au‐dessus du bateau pris en otage. Chaque village de la côte touchait un petit pourcentage de l’opération et c’était presque anecdotique. Les pirates d’aujourd’hui sont surarmés ; ils agissent par groupes avec une logique quasiment militaire et ils impactent les coûts mondiaux du transport maritime (90 % des marchandises passent par la mer). Ce sont donc les consommateurs qui paient, in fine. Vincent GROIZELEAU : Cette incidence sur les coûts peut‐elle être perceptible par le consommateur ?

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Christian GARIN : La réponse à cette question est complexe. Si un container coûte aujourd’hui 1 000 $ pour parcourir la ligne Asie‐Europe, un surcoût « piraterie » de 10 % impactera forcément les marchandises qu’il contient. Rapportés à un téléviseur, ce ne sera pas forcément significatif, mais c’est quand même inacceptable. La solution de la navigation protégée en convoi n’est pas définitive, car elle n’empêche pas les attaques. L’effort des différentes marines a rendu le golfe d’Aden beaucoup plus sûr, mais le problème s’est déplacé plus au large. Pierre de SAQUI DE SANNES, Conseiller institutionnel France, Afrique et Moyen‐Orient, CMA CGM : Nous avons deux bateaux par jour qui traversent le golfe d’Aden. Ce sont des porte‐conteneurs, qui naviguent à 20/25 nœuds, avec des francs‐bords de plus de 5 mètres et qui sont normalement à l’abri des attaques. Mais, vu les risques, notre réponse est de les faire passer à pleine vitesse, soit à 25 nœuds. Cela a un surcoût de pétrole de l’ordre de 60 tonnes, soit 20 M$ par an. Ce surcoût est le seul pour les porte‐conteneurs, car nous n’acceptons pas le surcoût d’assurance de 0,1 % de la valeur du bateau par passage demandé par les compagnies. Le deuxième surcoût est celui engendré par les lignes qui desservent la côte Est de l’Afrique. Cela représente 5 bateaux par semaine et le détour imposé, en accord avec la Marine, coûte en carburant environ 5 M$ par an. Le vrai problème est au Kenya et en Tanzanie. On s’est encore fait attaquer la semaine dernière. Aucun armateur ne voudra bientôt plus armer un bateau pour aller dans cette zone. Les solutions ne sont pas nombreuses : soit on envoie des gros porteurs au sud de Madagascar et ensuite on les décharge avec des feeders qui resteront à l’abri dans les eaux territoriales, soit on a recours à des sociétés de défense privées (même si cela ne nous plait pas beaucoup) car il n’y a pas d’EPE possible dans cette zone ; nous avons été contactés par plus de 20 sociétés privées de protection au lendemain de l’incident du Ponant. Les coûts de l’une ou l’autre des deux solutions seront déterminants. Pour autant, nous proposons deux possibilités pour faire baisser nos risques :

‐  sécuriser un corridor Seychelles/Mombasa, mais cela demande beaucoup de moyens ; ‐  faire « labelliser » par l’Armée Française certaines sociétés de protection privées.

Des problèmes juridiques seraient ensuite à aplanir : qui paye ? Le propriétaire, l’armateur, l’affréteur ? Pour finir j’adresse un très grand merci à notre marine au regard de ce qu’elle fait dans le golfe d’Aden. Christian GARIN : Sur les questions juridiques posées par ce type d’intervention, je dois dire qu’elles sont très complexes. Il suffit de voir les problèmes soulevés par l’arrestation des pirates du Ponant, en dehors de nos eaux territoriales, pour s’en persuader. Revenons à l’essentiel : les bateaux battant pavillon français ou européen sont protégés par la force Atalante. La difficulté concerne les autres pavillons avec d’autres équipages et les zones non protégées par Atalante… Quid aussi des droits de sociétés privées pour repousser des assaillants avec des armes ? Tout cela est très compliqué. Vincent GROIZELEAU : Les bruits courent qu’il y aurait eu certaines bavures de la part du personnel de sociétés privées de surveillance sur des bateaux non français … Contre‐Amiral Pierre MARTINEZ : Personnellement, je n’en ai jamais entendu parler. On ne peut pas en éliminer totalement le risque, même si ces sociétés sont là pour la seule protection des navires et des équipages. Christian MENARD : À ce sujet, il sera intéressant de suivre l’expérience espagnole, qui utilise les services de sociétés privées. J’en reviens à ma suggestion d’utiliser des réservistes ; ils seraient, de toute façon, préférables aux sociétés privées. En France, pour respecter la forme juridique du traitement des actes de piraterie, il faut une incrimination, un tribunal compétent et une procédure pénale. L’incrimination peut se faire aux motifs d’association de malfaiteurs. La question de la compétence du tribunal et celle de la procédure sont plus ardues. Notez que la compétence universelle n’existe pas en droit français. Pour la procédure pénale, on s’appuie sur une loi du 15 juillet 1994, mais il y a un vide juridique entre le moment où l’on arrête les pirates et celui où ils sont transférés chez nous. En France, il faut normalement faire appel à un procureur. Mais la Cour Européenne a condamné la France pour les procédures employées lors de l’arrestation des trafiquants du Winner, en estimant que le procureur n’avait pas toute liberté par rapport à l’exécutif. On pourrait donc imaginer de faire appel au juge des détentions et des libertés ou de faire venir des officiers de police judiciaire dans les bateaux. Tout cela peut paraître excessif, mais la défense des pirates s’organisant elle aussi, il sera nécessaire d’apporter des réponses adaptées à ces vides juridiques. Actuellement, que fait‐on des pirates que nous arrêtons ? Des accords sont signés avec les pays riverains (Kenya, Seychelles et bientôt Tanzanie) pour prendre en charge le jugement de ces pirates et leur détention. Cela implique la transposition de la convention de Montego Bay dans leur droit national. La mise en place de cette solution, qui paraît la meilleure, nécessite aussi une aide de notre part à ces pays. Vincent GROIZELEAU : Les opérations à terre pour éradiquer le mal « à la racine » sont‐elles efficaces ?

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Contre‐Amiral Pierre MARTINEZ : Le mal, c’est une extrême pauvreté, un Etat faible ou complètement failli, comme en Somalie, et une possibilité de gain facile par la piraterie. Le problème est donc très complexe. En Somalie, la solution retenue est de développer un minimum de gouvernance dans les régions riveraines et de leur former suffisamment de moyens de police. Cela va dans le bon sens, mais ce n’est pas suffisant… La piraterie, comme les virus, mute (professionnalisation) et s’étend géographiquement. La côte ouest de l’Afrique, malheureusement, comporte des caractéristiques de grande pauvreté et de gouvernements faibles. Les ingrédients sont donc réunis pour avoir de la piraterie au large de l’Afrique de l’Ouest (Nigéria). Pierre de SAQUI DE SANNES : Au Nigéria, nous n’avons encore subi aucune attaque car elles sont concentrées actuellement sur les plateformes pétrolières et sur les bateaux qui les ravitaillent. La Somalie est un cas particulier. Le Ponant en est un bon exemple. Nous pensions qu’ils allaient piller le bateau et repartir. En fait, les pirates ont gardé le bateau car ils ont pu l’emmener en toute impunité sur la côte somalienne. Ce n’est possible dans aucun autre endroit au monde. La racine du mal est uniquement sur les côtes somaliennes… Bien sûr, si rien ne bouge,l’exemple somalien peut donner des idées à d’autres… Vincent GROIZELEAU : Quels systèmes de protection contre les pirates peut‐on embarquer à bord des navires ? Marc LE ROY, Directeur marketing produit, DCNS : Notre cœur de métier, c’est plutôt la Défense et la Marine Française représente 70 % de notre activité. Notre vocation est d’apporter des moyens de sécurité, à tous les types de plateformes, des plus petites aux plus grosses. Nous avons travaillé sur un système de surveillance et de sécurité maritime, MATRICS. Cet outil permet de faire le tri entre toutes les informations reçues, tout en analysant les comportements anormaux. Nous développons une version encore plus sophistiquée de ce système en utilisant des bases de données plus complètes. Nous étudions aussi des systèmes de détection à très longue portée, ainsi que des systèmes optiques ou optroniques. Il s’agit de techniques dérivées de techniques utilisées dans le combat de navires militaires. Financés par la Commission Européenne, nous travaillons également sur la surveillance de l’espace maritime européen pour arriver à une certaine normalisation des différentes pratiques européennes. C’est le contrat i2C, qui préfigure un système complètement intégré de protection des frontières européennes à l’horizon 2015. Nous nous sommes intéressés également à la fabrication des bateaux de protection eux‐mêmes, les patrouilleurs hauturiers, en anglais les OPV (Offshore Patrol Vessel). Nous avons développé ainsi la gamme GOWIND, mieux adaptée à la piraterie. Ces OPV disposent d’une passerelle panoramique avec une vision à 360° et d’une mature spéciale permettant à toutes les antennes et à tous les senseurs, une « vision » panoramique elle aussi. En collaboration avec les Commandos de la Marine, nous avons ajouté à ces patrouilleurs la capacité de mettre à l’eau très facilement des embarcations rapides, condition indispensable à une intervention efficace. Il est également prévu que les OPV puissent recevoir un hélicoptère et travailler avec des drones d’identification qui peuvent être aériens ou de surface (Unmanned Surface Vehicles). Comme ces OPV sont relativement simples à fabriquer, ils sont 10 fois moins cher qu’une frégate et nous avons un certain nombre de prospects déjà intéressés. Vincent GROIZELEAU : Que pense la Marine de ce type d’engins pour la lutte contre la piraterie ? Contre‐Amiral Pierre MARTINEZ : Les moyens que nous utilisons n’ont pas été étudiés spécifiquement pour la piraterie. Ces patrouilleurs sont évidemment très bien adaptés pour cela, mais ils ne pourraient en aucun cas remplacer des bâtiments existants affectés à des missions précises de protection. Vincent GROIZELEAU : L’action d’Automatic Sea Vision vise à éviter toute surprise en mer… Philippe WAQUET, Président, Automatic Sea Vision (Sea On Line) : Notre société a été créée par des marins et des experts en système d’information pour réaliser des systèmes de vision en mer. Je voudrais focaliser mon propos sur l’importance de l’alerte. Attaquer en route un navire de charge, cela demande de la détermination, du sang froid, l’attaquant étant en position défavorable à ce moment‐là. Son seul avantage est l’effet de surprise. C’est donc sur l’alerte que portent nos efforts et les recommandations de l’Organisation Maritime Internationale vont d’ailleurs dans ce sens. À l’heure actuelle, les moyens de détection des navires de commerce sont assez limités. Le radar n’est pas adapté à la détection de petites embarcations proches ; les jumelles demandent une vigilance de tous les instants, particulièrement rébarbative la nuit. À cela s’ajoutent les effets de masquage, dus aux superstructures ou à la cargaison. Les moyens techniques existent aujourd’hui pour pallier ces inconvénients. C’est ce que nous avons développé avec notre système qui utilise des caméras thermiques et qui donc fonctionne jour et nuit de la même manière. Au cœur du système, il y a un logiciel de détection automatique qui repère tout ce qui est sur l’eau et qui fait le tri entre ce qui est dangereux et ce qui ne l’est pas. L’alarme est 100 % efficace en cas d’attaque de pirates. Les actions suivantes peuvent alors être mises en œuvre : déclenchement automatique d’une sirène d’alarme, pointage automatique d’un projecteur vers l’assaillant, pointage automatique des canons à eau, déclenchement de dispositifs de protection (barrières, confinement, etc.). Nous pensons que ce dispositif, combiné avec une attitude déterminée de l’équipage associée à une réponse graduée, permet dans

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bien des cas de faire échouer l’attaque. Cette solution équipe aujourd’hui deux navires, dont l’un opère en Afrique de l’Ouest et l’autre en Somalie. Christian GARIN : Cette solution n’est absolument pas un gadget et elle va dans le bon sens car elle constitue une réponse efficace en évitant de mobiliser des EPE ou autres partout. Cependant, la dissuasion seule ne sera pas toujours suffisante. Pierre de SAQUI DE SANNES : Tant que la communauté internationale n’aura pas pris des mesures radicales, essentiellement en Somalie, j’espère que l’amiral FORISSIER conservera les dispositifs existants, voire les étendra jusqu’aux Seychelles et au Kenya ! Christian MENARD : La piraterie est évidemment très préoccupante. Je voudrais insister sur le Code de Conduite de Djibouti, signé par 9 Etats régionaux le 29 janvier 2009, qui prévoit la création d’un corps de garde‐côtes, c’est extrêmement important. Car les conséquences de la piraterie sont économiques, mais elles sont aussi géostratégiques. Les pays riverains de cette zone (Somalie, Yémen, Erythrée, Ethiopie), sont très affaiblis et les Seychelles, dont l’économie repose sur le tourisme et la pêche à 50/50, va au‐devant de grandes difficultés à cause de la piraterie. Il faut prendre la mesure de l’évolution des pirates. Certains ont sans doute intérêt à mobiliser des forces dans le golfe d’Aden, pour laisser certaines zones de l’Atlantique plus ouvertes. Quelle que soit l’évolution de la piraterie, une chose me paraît certaine : la mer ne sera plus jamais aussi sûre qu’auparavant !

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Mer et Outre‐Mer > Marie‐Luce PENCHARD, Ministre de l’Outre‐Mer

En ma qualité de ministre chargée de l’outre‐mer, je suis particulièrement heureuse et honorée de participer, pour la première fois, aux Assises de l’économie maritime et du littoral, et je remercie le Président Hutin et le président Vallat de m’avoir invitée à venir clôturer cette première journée. Ma présence, ici, parmi vous, est le signe – que je veux fort – d’un nouveau regard, d’une nouvelle politique de l’outre‐mer, telle que l’a voulue le Président de la République. Je souhaite évoquer avec vous, professionnels du monde maritime, un sujet auquel j’attache une importance fondamentale – vous l’imaginez

bien – le développement économique de nos outre‐mers. A l’heure où l’outre‐mer vit une période difficile, marquée par une double crise économique et sociale, je suis déterminée à valoriser ses atouts, à commencer par les richesses de ses espaces maritimes. La mer peut et doit, en effet, devenir un pilier du développement endogène des outre‐mers, car l’océan est porteur de multiples projets d’avenir qu’il faut mieux identifier. C’est une ressource majeure pour nous tous eu égard au potentiel exceptionnel qu’elle recèle. C’est un secteur d’investissements et c’est le centre d’enjeux économiques et sociaux, car les activités des zones maritimes sont étroitement liées à l’ensemble du tissu économique. Aujourd’hui, l’Etat entend donner aux ultramarins la possibilité d’être les véritables acteurs de leur développement. C’était un des vœux émis lors des Etats Généraux de l’Outre‐mer, c’est l’engagement qu’a pris le Président de la République lors du conseil interministériel de l’outre‐mer le 6 novembre dernier. Je ne vais pas vous apprendre que grâce à ses territoires ultramarins, la France a une vocation maritime évidente puisqu’elle est riveraine de trois océans, voire de quatre si l’on compte l’océan Austral, si important pour la régulation du climat. Cette situation exceptionnelle lui donne une dimension planétaire : l’outre‐mer apporte à la France 97 % des 11 millions de kilomètres carrés de son domaine maritime. La France dispose ainsi de droits souverains et de droits de juridiction sur le deuxième espace maritime du monde. Cet atout incontestable lui confère également une position privilégiée sur la scène internationale, en lui permettant notamment de développer des liens avec les Etats voisins au sein de nombreuses organisations régionales et internationales. C’est ainsi que la France a participé très activement aux trois années de négociation dans le Pacifique qui viennent d’aboutir à Auckland à la création d’une nouvelle organisation des pêches du Pacifique Sud. C’est par sa présence navale dans la région que la France a pu tout récemment porter efficacement secours aux habitants d’une île des Tonga, victimes d’un tsunami le 29 septembre 2009. C’est aussi au titre de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique que la France est membre associé de l’Association des Etats de la Caraïbe où elle soutient les initiatives en faveur du développement durable dans la Mer des Caraïbes. Traits d’union entre les continents, les océans permettent de tisser un vaste réseau mondial, qu’il s’agisse des routes maritimes ou des câbles sous‐marins. Idéalement placés à proximité des grandes routes du commerce maritime, certains territoires ultramarins peuvent développer des plates‐formes portuaires et des activités de cabotage. Je pense à Mayotte, située dans une zone de plus en plus troublée, qui offre par sa position géographique privilégiée une sécurité politique et juridique du commerce maritime, indispensable au développement économique. Mais ce constat ne doit toutefois pas nous empêcher d’engager une véritable réflexion avec les professionnels du commerce maritime sur nos handicaps structurels. Cette démarche est d’autant plus nécessaire que l’insécurité se développe en mer. A cet égard, je suis très vigilante à ce que soient maintenus, voire renforcés, les outils de la souveraineté de notre pays dans ces espaces. Je pense surtout au domaine de la surveillance maritime, dans lequel des efforts nouveaux seront nécessaires. En particulier à l’heure où certains de nos territoires insulaires comme Mayotte, certaines Iles Eparses ou Clipperton, nous sont contestés et que la piraterie maritime ne cesse d’étendre son champ d’action au Sud de l’océan Indien. Mais surtout, les océans apportent des réponses aux défis qui attendent l’humanité, qu’il s’agisse de la faim, de la soif, du réchauffement climatique, de l’énergie, de la santé, du commerce, des loisirs, de la connaissance. Car outre‐mer, l’océan est porteur de multiples ressources :

‐  ressources énergétiques, à l’heure où l’indépendance énergétique est un enjeu stratégique majeur ; ‐  ressources alimentaires, à l’heure où les eaux européennes sont menacées par l’épuisement des

ressources halieutiques ; ‐  ressources commerciales, dans un monde où la globalisation de l’économie se caractérise par une

maritimisation sans cesse croissante des échanges ;

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‐  ressources touristiques enfin, dans un monde où les loisirs deviennent indissociables du bien‐être. Il faut protéger la mer pour ne pas l’épuiser, la surveiller pour qu’elle ne soit ni surexploitée, ni pillée, ni dégradée. Il faut préserver l’environnement des océans et en faire un atout du développement. Il faut enfin marier le développement économique avec la gestion durable de notre planète. Pour que la mer soit un formidable atout pour l’outre‐mer, il faut des politiques volontaristes. C’est une ambition qui n’a de sens que si elle est collective et partagée. La protection de la biodiversité apparaît aujourd’hui comme une évidence. Ce qui l’est moins en revanche, c’est l’importance de la contribution de l’outre‐mer à la biodiversité marine mondiale. Il en concentre près de 10 %, soit 13 000 espèces endémiques et 20 % des atolls. L’outre‐mer, où les milieux sont souvent très sensibles, est particulièrement concerné par les risques de pollutions, du fait de l’augmentation constante de la population littorale, d’insuffisances en matière d’assainissement et parfois de pratiques agricoles ou industrielles désastreuses. La destruction d’habitats et d’écosystèmes y atteint un niveau préoccupant, particulièrement dans la zone littorale, mais aussi au large, où elle touche désormais les bancs de coraux profonds et les écosystèmes originaux des monts sous‐marins. La protection de l’environnement était naguère considérée comme une contrainte. Elle est aujourd’hui un atout économique, un moteur d’activités nouvelles liées à l’ingénierie écologique ou à la gestion future des aires marines protégées. Je souhaite aussi qu’on développe davantage les coopérations régionales, qui sont d’autant plus souhaitables que certaines collectivités d’outre‐mer ont des compétences reconnues en matière de gestion des milieux marins et de protection de la biodiversité. Je pense notamment aux Terres australes et antarctiques françaises, gestionnaires des iles Eparses, et Mayotte. Comme je l’ai annoncé à l’Assemblée nationale, je vais d’ailleurs me rendre dans les îles Eparses au cours de l’année 2010, décrétée année internationale de la biodiversité par les Nations unies, pour montrer l’attention toute particulière que je porte à cette question si importante pour l’avenir de notre planète. La France connaît parfaitement l’importance de ces enjeux. Elle dispose des moyens nécessaires pour y faire face. Parce qu’elle est une puissance majeure, la France a une responsabilité particulière. Celle d’associer des pays voisins moins favorisés à ses propres actions dans une dynamique régionale. Pour valoriser la mer, la France doit y investir ses talents, notamment dans les secteurs dans lesquels elle possède des industries de haut niveau et des PME innovantes. Elle possède tous les atouts intellectuels, technologiques, industriels, commerciaux pour devenir un acteur de première grandeur en matière de valorisation de l’espace maritime. Nous devons donc affecter nos moyens et concentrer nos efforts dans des secteurs porteurs d’avenir et créateurs d’emploi. Premier secteur, les énergies marines renouvelables. L’énergie du futur est dans les océans. Ils constituent un immense réservoir de vents, de courants, de vagues, de marées, de biomasse, de thermie. L’objectif est d’assurer l’autonomie énergétique des DOM‐COM, essentiellement insulaires, à l’horizon 2030. Cette situation conduira à faire de l’outre‐mer la vitrine française de toutes les énergies renouvelables, dont les énergies marines. L’Etat accompagnera la production d’énergies propres en mobilisant ses ressources. A titre d’incitation, le Président de la République a annoncé lors du conseil interministériel de l’outre‐mer, que l’Etat augmentera de 20% les tarifs de rachat de la géothermie et fixera le tarif des énergies marines à un niveau attractif. Un fonds de soutien pour des démonstrateurs de nouvelles technologies de l’énergie sera également mis en place. Ainsi, viennent d’être signés à la Réunion, avec un fort soutien financier de l’Etat, deux partenariats entre la région et des industriels français qui investissent dans ces secteurs d’avenir. Ils prévoient de permettre à la France de maîtriser la première centrale d’énergie thermique des mers flottante à l’horizon 2014, ainsi que l’installation de parcs de houlomoteurs au même horizon. Formidables terrains d’expérimentation, les territoires ultramarins doivent devenir des pôles d’excellence régionaux en matière d’énergies marines renouvelables. La nature nous a, certes, donné l’énergie, mais elle nous a également apporté la vie marine, que ce soit l’aquaculture ou la pêche côtière et hauturière. C’est le deuxième secteur que j’entends promouvoir. L’aquaculture est une filière de production qui actuellement n’est pas valorisée comme elle devrait l’être. Elle doit donc se développer dans les 20 prochaines années pour optimiser l’expansion économique endogène par la création d’emplois locaux et approvisionner le marché en produits analogues à ceux de la pêche, dont la ressource ne cesse de s’appauvrir. De même, les filières de pêches ultra‐marines ne sont pas encore à la hauteur du potentiel de nos Zones Economiques Exclusives. Je m’interroge aujourd’hui, sur les raisons qui conduisent à une sous‐exploitation de nos eaux particulièrement poissonneuses sous souveraineté nationale, alors que les autres y vont. L’exemple de Clipperton est le plus frappant, mais aussi plus largement notre ZEE de Polynésie ou celle de Guyane. Les Etats Généraux de l’outre‐mer ont identifié qu’une amélioration de l’organisation de ces filières peut permettre au secteur d’augmenter la production sur le marché endogène et de créer des emplois dans des proportions significatives. Pour ces raisons, diverses mesures ont été annoncées lors du conseil interministériel de l’outre‐mer.

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Un fonds de garantie et de prêts bonifiés sera créé afin d’aider au financement des professionnels de la pêche qui, trop souvent, rencontrent des difficultés pour accéder aux crédits bancaires. Deuxièmement, l’IFREMER sera sollicité pour accentuer les transferts de technologie et d’innovation, car il ne peut pas y avoir d’exploitation durable de la mer sans recherche. L’Etat vient ainsi de s’engager à investir 6 millions d’euros pour la construction d’un centre de recherches et de développement aquacole à Mayotte, permettant à l’IFREMER d’accompagner le développement de la filière. Autre secteur fondamental, celui de la recherche et de l’innovation. Les opportunités et les potentiels de développement liés aux océans représentent de véritables gisements d’emplois et d’activités économiques. C’est un enjeu majeur. La France possède actuellement des savoir‐faire qui doivent être maintenus, développés et amplifiés. Les structures de recherche, notamment l’IFREMER, l’IRD, le CNRS auront pour mission de favoriser l’émergence de pôles d’innovation en outre‐mer, notamment en s’adossant à des pôles de compétitivité métropolitains. De même, le CIOM a décidé de permettre outre‐mer la création d’universités à rayonnement international qui pourront développer dans chaque zone géographique des pôles de recherche dans les nombreux domaines d’excellence outre‐mer : écosystèmes tropicaux, cultures marines, molécules à usage pharmaceutique, diététique, cosmétique notamment. Dernier secteur particulièrement sensible, la plaisance et le tourisme maritime. Le développement du tourisme outre‐mer est inéluctablement lié à la mer, qu’il s’agisse du tourisme balnéaire, de la plaisance, d’éco‐tourisme, de nautisme, de plongée ou encore de croisière. Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler lors de mon dernier déplacement aux Antilles avec Hervé Novelli, le tourisme constitue une priorité gouvernementale du développement économique de nos outre‐mer. Mais encore faut‐il réussir à exploiter nos atouts, dans un domaine confronté à une concurrence internationale croissante. L’exemple de la croisière illustre bien les enjeux et difficultés de ce secteur. En 10 ans, la Martinique est passée de l’accueil de 414.000 croisiéristes en 1998 à 87.000 en 2008. L’année 2009 marquera un nouveau recul compte tenu des événements sociaux du début de l’année. Ce déclin s’est produit dans une zone géographique par ailleurs en forte croissance, avec 18 millions de croisiéristes aujourd’hui aux Caraïbes. C’est dire si les opportunités de marché existent pour nos territoires ultra‐marins dans ce domaine, mais encore faut‐il les saisir et les valoriser. Le gouvernement s’y emploie. Devant le constat de l’insuffisante coordination des différents acteurs locaux, le CIOM a prévu de confier ce dossier aux nouveaux commissaires au développement qui seront nommés dans les DOM. Ces commissaires seront chargés de travailler en mode projet avec les collectivités locales, les autorités maritimes, la sécurité publique, les agences réceptives, pour apporter une réponse plus rapide, mieux concertée et plus professionnelle aux compagnies de croisière. Actuellement, des réflexions sont également en cours sur les nécessaires modernisations des ports des départements d’outre‐mer, pour leur donner tous les atouts indispensables à leur développement et répondre aux besoins locaux et aux attentes du marché international. Enfin, valoriser la mer passe par une plus grande sensibilisation des populations ultramarines qui doivent pouvoir s’approprier la mer, pour la protéger comme pour l’exploiter. Pour faire connaître la mer, il faut regarder vers la jeunesse et miser sur l’éducation et la sensibilisation du public aux enjeux du monde maritime. Les aires marines protégées peuvent y contribuer. D’autres moyens restent à imaginer. Pour cela, il faut du volontarisme. Sachez que je m’y emploie avec énergie lors de chacun de mes déplacements dans les DOM‐COM. Le cap nous est fixé par le Président de la République dans son discours du Havre le 16 juillet dernier : « Nous devons reconstruire une politique et une ambition maritimes pour la France, autour des nouveaux enjeux, ceux d’une planète dont les ressources s’épuisent, ceux d’une planète qui redécouvre ses énergies renouvelables, ceux d’une planète mondialisée qui respire par le commerce international ». Les outre‐mers aspirent à créer leur propre développement économique. La mer peut les y aider dans une large mesure. Bien davantage, elle peut leur permettre de créer une économie plus forte et plus rentable, dépassant largement l’auto‐suffisance. Mais rien ne sera possible sans les femmes et les hommes des territoires ultramarins. Il n’y aura pas de développement économique durable sans eux. Rien ne sera possible non plus si ce mouvement n’aboutit pas à la création, par les investisseurs eux‐mêmes, de filières de formation inhérentes à cette économie maritime naissante. Dans la dynamique du conseil interministériel de l’outre‐mer et du prochain comité interministériel de la mer, ma politique est claire : réunir les talents, les volontés et les convictions, innover, faire bouger les lignes, valoriser les acquis et trouver de nouvelles opportunités. Cela réclame de la détermination et de la constance. Sachez que je n’en suis pas dépourvue. La mer n’est plus une barrière. Elle est une véritable chance pour l’outre‐mer. Mais vous l’avez compris, mon vrai message, c’est que l’outre‐mer est aujourd’hui une chance pour la politique maritime de la France !

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Mercredi 2 décembre

Débats animés par André THOMAS, Rédacteur en chef, le marin et Xavier DEBONTRIDE, Journaliste

EXPLOITER DURABLEMENT LE POTENTIEL DU MARITIME

Ressources naturelles, nouvelles routes, extension du domaine maritime : la mer, un espace convoité

> Amiral Pierre‐François FORISSIER, Chef d’État‐major de la Marine > Jean‐François MINSTER, Directeur scientifique, Total

> Didier ORTOLLAND, Coordinateur de l’Atlas géopolitique des espaces maritimes > Jean‐François TALLEC, Secrétaire général de la Mer

André THOMAS, Rédacteur en chef, le marin : Nous allons aborder le sujet des espaces maritimes sous l’angle des espaces convoités. Tout récemment, la France a ouvert un dossier complexe en annonçant son intention de créer une ZEE en Méditerranée, ce qui pourrait relancer un jeu d’influence dans une mer où un certain consensus prévalait jusqu’à présent. Par ailleurs, la France vient d’obtenir des extensions de plateau continental en Guyane et en Nouvelle‐Calédonie. Des dossiers du même type sont en cours pour St Pierre et Miquelon et pour les terres australes et antarctiques françaises. Même si nous avons un avis sur cette question, nous n’avons pas de vues sur le pôle Nord à la différence de la Russie. A l’autre bout du monde, en Mer de Chine occidentale, le statut d’un certain nombre d’iles fait l’objet de contentieux entre la Chine et ses voisins ; il est au cœur d’un jeu diplomatique très inquiétant car il alimente une militarisation très forte de la Chine et de ses voisins. Donc, on voit qu’un peu partout la mer est plus que jamais un espace convoité. Didier ORTOLLAND, Diplomate ; Coordinateur de l’Atlas géopolitique des espaces maritimes

Je rappelle d’abord quelques notions de base. Les espaces de souveraineté sur la mer territoriale peuvent atteindre 12 mn (miles nautiques), mais il y a quelques petits problèmes car certains Etats ne l’admettent pas pour leurs voisins (cf. Turquie vs Grèce). Savez‐vous que le France n’a délimité sa mer territoriale ni avec l’Espagne, ni avec l’Italie ? Notez aussi que certains Etats préfèrent restreindre leurs droits territoriaux de souveraineté à 3 mn, notamment dans les détroits (Japon, Estonie, Finlande), pour que les flottes des Etats tiers ne puissent pas s’approcher trop près de leurs côtes. Les Etats peuvent décliner des zones sous juridiction sur les espaces marins jusqu’à 200 mn pour réglementer

l’environnement (ZPE, zone de protection écologique) et la pêche (ZPP, zone de protection de la pêche). Dans les ZEE (zones économiques exclusives) sont regroupées l’ensemble des compétences de l’Etat, autrement dit : ZPE + ZPP = ZEE. Le Royaume‐Uni n’a pas créé de ZEE, préférant mettre en place une ZPP et une ZPE. Je vous signale que tous ces espaces sous juridiction représentent 85 millions de km² dans le monde. Les Etats exercent également des droits sur le plateau continental qui répond à deux définitions. D’abord, dans le plateau continental jusqu’à 200 mn, l’Etat exerce ses droits quelle que soit la morphologie des fonds marins ; par exemple, la fosse de 10 000 m de profondeur appartient au plateau continental des Philippines car elle se situe à moins de 3 mn de la côte de ce pays… Ensuite, dans certains cas, le plateau continental va bien au‐delà des 200 mn car les Etats se sont mis d’accord (convention de Montego Bay) sur le choix de 2 critères d’extension reposant sur le pied du talus :

‐  le critère de Hedberg : extension possible du plateau continental de 60 mn à partir du pied du talus ; ‐  le critère de Gardiner : extension possible si l’épaisseur des sédiments est égale au centième de la

distance entre le point considéré et le pied du talus. Cela étant, pour limiter l’appétit des Etats, la convention de Montego Bay a fixé deux seuils à ne pas dépasser : 350 mn mesurés depuis les lignes de base et 100 mn mesurés depuis l’isobathe de 2 500 m. La convention a aussi créé une Commission des limites du plateau continental (CLPC) qui est chargée d’examiner les dossiers déposés par les Etats. La CLPC a fixé en mai 1999 des directives sur les dossiers à déposer et en donnant 10 ans aux Etats concernés pour déposer leurs dossiers. Mais, comme certains Etats ne peuvent respecter ce délai faute de moyens de recherche océanographique suffisants, il a été décidé de leur permettre de ne déposer qu’une information préliminaire dans le délai. A la date de l’échéance fixée au 13 mai 2009, 74 Etats ont fait valoir leurs revendications sur le plateau continental sous forme de 51 dossiers définitifs et de 44 informations préliminaires. Certains Etats ont déposé plusieurs demandes : 5 dossiers définitifs pour la France et 2 informations préliminaires. Cette avalanche de dossiers va entraîner un risque de multiplication des conflits potentiels, la CLPC devant mettre plusieurs décennies à se prononcer au vu de son rythme actuel d’examen des dossiers…

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Jean‐François MINSTER, Directeur scientifique, Total Dans ce contexte, je crois qu’il faut avoir plusieurs éléments en tête. D’abord, la perspective de ressources de la mer : les ressources vivantes, minérales et énergétiques sont très importantes pour l’humanité. Par exemple, pour le pétrole, 25 % des productions pétrolières et 37 % des productions de gaz sont des exploitations offshore. 30 % des réserves connues et susceptibles d’être exploitées sont sous la mer. Les réserves sous‐marines soupçonnées d’être exploitables sont aussi très élevées : rien que pour le pétrole et le gaz en Arctique, elles sont estimées entre 70 et 220 milliards de barils et elles représentent environ 25 % des ressources à trouver à

l’échelle mondiale. Les chiffres sur les ressources minérales sont beaucoup plus incertains. Je signale qu’il est absolument impératif de toujours associer les ressources avec des analyses technico‐économiques ; dans le cas des ressources pétrolières, on sait exactement comment fonctionne le marché et on peut avoir de bons scénarios de production pour les prochaines années. Quant il s’agit de nouvelles technologies sans marché établi, il faut accompagner les estimations de scénarios technico‐économiques de façon à anticiper à quel moment les ressources que l’on envisage d’exploiter deviendront compétitives et quelle sera la part de subvention et d’appui à l’innovation et à l’industrialisation… Tout cela est important car on doit prendre en compte les éléments techniques : l’accès aux réseaux pour les EMR. Ensuite, la technologie : on ne peut pas imaginer une évolution de l’exploitation des ressources en mer sans progrès technologique qui sorte du progrès incrémental. Ce dernier est très important parce que le développement des activités en mer se fait sur des durées d’apprentissage très longues ; quand on se projette sur un progrès technologique à l’horizon de 25 ans, on sait que cela change la donne ! Mais, en même temps, il faut prendre le risque de développer des technologies de rupture pour franchir des seuils. Ce progrès technologique ne concerne pas seulement les technologies d’exploitation : il nous faut de la connaissance des océans (biodiversité, météo marine…). Un effort accru doit être fait à ce niveau. Nous avons également besoin de technologies d’observation opérationnelles, fiables dans la durée ; on ne peut pas imaginer d’exploiter le pétrole en Arctique sans avoir une prévision des dérives des glaces de mer fiable à court et moyen terme à l’échelle de la semaine, une détection d’icebergs fiable, des prévisions marines correctes pour les rotations d’hélicoptères, etc. Cela est vrai pour toutes les exploitations en mer ! S’agissant des capacités de surveillance et de contrôle, à la fois en matière de sûreté et de sécurité, nous avons besoin d’un cadre juridique. Nous venons de parler des ZEE et, pour l’exploitation des ressources en mer, le cadre de la convention de Montego Bay est pertinent, sachant qu’au final ce sont les Etats qui donnent la permission d’exploiter dans leurs zones de juridiction. Il faut donc un progrès continu dans le débat entre Etats. En même temps il est nécessaire de progresser en matière de gouvernance : les traités ne font pas tout : il faut une réglementation simple et applicable pour gérer les conflits d’usage, les contraintes environnementales, etc. On ne peut pas imaginer de l’exploitation responsable sans que les entreprises n’anticipent les réglementations ! Par exemple en Arctique, il n’est pas envisageable de se contenter de respecter les réglementations en vigueur : il faut anticiper l’impact éco‐systémique de l’exploitation pour ne pas fragiliser davantage l’éco‐système : cela suppose de travailler avec des scientifiques pour réduire les impacts au maximum. Nous devons nous adapter à des logiques de discussion avec l’ensemble des parties prenantes. Faute d’acceptabilité, l’exploitation ne pourra pas se faire. Il faut donc gérer très tôt le principe d’acceptabilité ; nous avons l’expérience de discussions avec les parties prenantes pour lancer des exploitations et nous savons qu’une mauvaise gestion de ces discussions se transforme en blocage… Cela ne relève pas des Etats ou de la réglementation : cela relève de bonnes pratiques d’anticipation qui sont longues et lourdes, mais impératives pour l’exploitation. André THOMAS : Entrons maintenant dans l’actualité de tous ces sujets. Pourquoi la France a‐t‐elle décidé de rompre le consensus qui prévalait jusqu’à présent en demandant l’extension de sa ZEE en Méditerranée ? Jean‐François TALLEC, Secrétaire général de la Mer

Il faut replacer la récente décision prise par la France dans un contexte stratégique. Si nous souhaitons progresser dans le domaine de l’exploitation des ressources de la mer, nous avons besoin d’un cadre stratégique qui est bien l’objet de la démarche entreprise pour construire une politique maritime de la France. Concernant la ZEE en Méditerranée, j’ai trois observations à formuler. 1. Pourquoi n’avons‐nous pas institué jusqu’à présent de ZEE en Méditerranée alors que nous l’avons fait sur la quasi‐totalité des autres territoires côtiers ? L’explication est simple : la Méditerranée étant une mer étroite, si nous souhaitons nous étendre jusqu’à 200 mn nous heurtons les limites d’autres pays soit en face, soit latéralement. Nous n’avions rien fait jusqu’à présent pour des raisons de forme.

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2. Nous nous situons dans un cadre européen ; la Commission européenne nous demande aujourd’hui de mieux assurer la protection des mers qui bordent nos côtes. Cette recommandation passe par l’institution de dispositifs qui permettent d’assurer cette protection. 3. En Méditerranée, il y a un autre cadre à considérer : celui de l’initiative diplomatique de l’Union pour la Méditerranée. Pour coopérer entre les rives Nord et Sud de la Méditerranée, la question maritime est au centre des débats et nous voulons que les parties prenantes disposent d’eaux sous juridiction afin d’exercer des mesures de protection. Tout cela ne résout pas les problèmes de délimitation et c’est la raison pour laquelle, avant de déposer devant l’ONU notre demande d’extension de ZEE en Méditerranée, nous avons souhaité engager des démarches diplomatiques en direction de nos voisins, l’Italie et l’Espagne. Les Italiens, sous la réserve des Bouches de Bonifacio, ont soutenu notre initiative ; ils vont peut‐être d’ailleurs entamer une démarche analogue. Les Espagnols ont a priori indiqué leur désaccord si notre initiative entendait revenir sur les délimitations actuelles des zones de protection halieutiques ou écologiques. Il a été convenu ensemble de relancer des démarches pour disposer de délimitations et pour gérer de manière totalement coopérative la mer qui borde nos côtes respectives. André THOMAS : Pensez‐vous que cela va générer la création de ZEE chez nos voisins et donc susciter des conflits là où les choses ne sont pas simples ? Jean‐François TALLEC : Cela est effectivement une inquiétude exprimée par certains Etats méditerranéens lorsqu’ils ont eu connaissance de notre initiative. Pour autant, l’espoir est de pouvoir mettre sur la table en Méditerranée une sorte de négociation globale dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée pour protéger les eaux côtières : cela peut être l’instauration de ZEE ou autres… Notre initiative est en fait un point départ d’un nouveau dialogue qui se situe, pour nous, dans une perspective stratégique. André THOMAS : Abordons maintenant l’extension des plateaux continentaux français. Jean‐François TALLEC : Nous avons souhaité nous inscrire depuis assez longtemps dans une démarche d’extension des plateaux continentaux français pour des raisons de protection et d’exploitation des eaux concernées. Nous avons des enjeux significatifs dans la partie du plateau continental qui borde nos zones économiques. Dans l’outre‐mer, 97 % de nos zones sont sous juridiction et c’est un enjeu formidable de développement économique pour la France. Dès 2002, la France a mis en place une commission réunissant notamment le SG Mer et des instances scientifiques pour préparer et déposer les dossiers auprès des Nations‐Unies. Cela a été fait en temps utile pour toutes les zones présentant des enjeux et, plus récemment sous la forme de déclaration d’intention pour St Pierre et Miquelon. Évidemment, cela représente une source de conflits potentielle entre Etats riverains, mais c’est aussi une manière de forcer tout le monde à discuter car la CLPC n’examine que les dossiers qui lui sont présentés conjointement par plusieurs Etats. C’est notre objectif à St Pierre et Miquelon ! Remarque d’Annick GIRARDIN, Député de St Pierre et Miquelon : Les outre‐mers sont une formidable richesse pour la France ! En ce qui concerne St Pierre et Miquelon, il y a eu cependant une prise de conscience très récente de ses atouts en termes de richesse maritime. Mais les résultats sont là puisqu’une lettre d’intention a été déposée pour l’extension du plateau continental au large de St Pierre et Miquelon. C’est très encourageant pour notre population et pour tous ceux qui ont porté cette initiative ! Il faut maintenant que nous passions à l’action et nous avons besoin d’une véritable stratégie maritime, au‐delà des soucis environnementaux. J’espère que l’écho de ces Assises de la Mer arrivera à convaincre les décideurs de cette nécessité. Car cette lettre d’intention est l’occasion de penser à une approche différente avec le Canada pour éviter les affrontements : pourquoi pas une cogestion de la future zone ? La France doit aussi s’intéresser à la recherche scientifique halieutique dans notre secteur sans en laisser l’initiative aux autres pays (cf. OPANO)… Avec une véritable stratégie, nous oserons affronter des pays à forte politique maritime tout en évitant les conflits ! Jean‐François TALLEC : Pour l’Arctique, je souhaite aborder notre stratégie en la replaçant dans son contexte. Malgré la présence des glaces, les dispositions de la convention des Nations‐Unies sont applicables totalement en Arctique. Cela dit, il convient de considérer différemment l’Arctique avec le réchauffement climatique, la possibilité d’ouverture de nouvelles voies de navigation, la découverte de ressources minières, la remontée de certaines espèces de poissons et l’ouverture de nouvelles zones de pêche (il n’existe aucune réglementation de pêche couvrant l’Arctique). Plusieurs Etats revendiquent leur souveraineté sur l’Arctique : il s’agit des Etats riverains (Canada, Danemark, Etats‐Unis, Norvège, Russie…) qui ont tous institué des ZEE (sauf les Etats‐Unis) au large de leurs côtes vers l’Arctique. Certains d’entre eux souhaitent une extension du plateau continental au‐delà des 200 mn.

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Sans être un Etat riverain, la France considère qu’elle a des intérêts sur l’Arctique, bien commun de l’humanité, où se posent des enjeux environnementaux très forts au regard de nouvelles voies de navigation ou d’exploitations minières… Nous nous sommes organisés pour être présents dans le débat avec la nomination d’un ambassadeur pour les pôles (Michel Rocard). Nous sommes observateurs dans la Commission de l’Arctique et nous voulons prendre des initiatives pour assurer la gestion commune de l’Arctique. Amiral Pierre‐François FORISSIER, Chef d’Etat‐major de la Marine

Chaque marin sait qu’il ne faut pas territorialiser la mer car c’est impossible, même si cela est peut‐être nécessaire pour les activités humaines. Moi, je suis chargé d’intervenir quand cela se passe mal, quand certains tentent de transgresser les règles. Sur terre, de telles interventions sont déjà compliquées alors que nous sommes dans un référentiel fixe… En mer, nous sommes dans un élément par nature complètement mobile ; donc nous ne pouvons pas (cf. la piraterie) concevoir la sécurité en mer comme une sécurité territoriale.

En mer, on ne défend pas et on ne sécurise pas des espaces ! Nos bateaux luttent contre d’autres bateaux… Le développement de l’offshore et des plateaux continentaux n’est pas lié à la mer mais au fond de la mer. Une plateforme offshore est en fait une ile artificielle ; elle se traite comme n’importe quelle ile, c’est‐à‐dire comme dans la défense territoriale terrestre. Nous ne sommes pas dans la défense maritime. Puisqu’on ne peut pas sécuriser des espaces en mer, il faut évaluer des menaces pour les contrer. A ce propos, je vous rappelle que la bataille de Trafalgar (au sud de l’Espagne) avait pour but de sécuriser la Manche pour que les troupes françaises attaquent les Anglais. Si on avait raisonné en territorialité, on aurait dit que cette bataille aurait lieu en Manche alors que cela n’a pas été le cas. Dans de telles conditions, le rôle de la Marine est de savoir pour agir. Comme on ne sait pas où il faudra agir, il est préférable de tout faire pour le savoir ! Pour savoir, comme nous sommes dans un espace liquide et gigantesque (70 % de la planète) sans capteurs fixes, nous ne pouvons pas travailler tout seuls. Même les Etats‐Unis ne sont pas capables de contrôler les océans. Cela ne peut se faire que dans une coopération internationale. C’est la raison pour laquelle toutes les marines collaborent depuis de nombreuses années pour essayer de mettre en place une surveillance mondiale des océans. A partir de là, il sera possible d’avoir des indices d’alertes pour réagir. Mais, là aussi, nous ne savons pas quelle va être la menace et à quel endroit elle va se produire… Donc, il faut être flexible, polyvalent et projetable. Tout cela est une évidence pour les gens de la mer, mais pas pour ceux qui vivent à terre. Parce que nous n’avons pas les ressources, il ne faut pas disposer de moyens dédiés faute de savoir où la menace apparaîtra. Nos moyens doivent être adaptables pour fournir la réponse nécessaire au cas par cas. Cela veut dire qu’il faut des bateaux :

‐  polyvalents, pouvant passer rapidement d’une mission de présence à une mission de combat de haute intensité en balayant tout le spectre ;

‐  répartis intelligemment à travers la planète. Et c’est ce que nous essayons de faire depuis longtemps, même si le spectre de nos interventions est tellement large que nous nous retrouvons souvent dans un vide juridique. La question de la taille de notre Marine et du nombre de ses bâtiments n’est pas pertinente ! Si on suit une conception terrestre, il faudrait des milliards de bateaux sur les océans pour tout contrôler efficacement. Si on retient la conception marine, il faut assurer la taille critique nécessaire pour pouvoir se déployer loin et longtemps. Car il n’est pas utile d’avoir en permanence des bateaux partout : ce qu’il faut, c’est pouvoir mettre des bateaux partout avec un préavis relativement court. Au‐delà du format, la qualité et la modularité de nos bateaux sont le plus important. A ce propos, il faut reconnaître que notre dispositif en outre‐mer ne répond pas aux besoins en termes de qualité. Réponse technocratique à un problème de marin, il y a, en Polynésie, des patrouilleurs de 400 tonnes, inadaptés à la navigation locale… Je ne veux plus que l’on ait un bateau de l’outre‐mer passe‐partout ! Je veux que nous ayons des bateaux des outre‐mers adaptés aux eaux et aux fonds locaux. On ne navigue pas en Guyane où il y a peu d’eau, comme dans le Pacifique où il y a beaucoup d’eau très violente. André THOMAS : Ces bateaux outre‐mers sont‐ils prévus dans la loi de programmation militaire ? Amiral Pierre‐François FORISSIER : La loi de programmation militaire est assez sibylline ; une ligne est prévue pour les différents types de bateaux. C’est à nous d’avoir l’intelligence de mettre dans cette ligne un contenu physique qui corresponde véritablement aux besoins…

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André THOMAS : Comment analysez‐vous la croissance phénoménale des flottes militaires en Asie dans le sillage de la flotte chinoise qui est passée en 25 ans du statut d’une petite marine côtière à celui d’une marine très imposante, avec des sous‐marins nucléaires et bientôt des porte‐avions ? Amiral Pierre‐François FORISSIER : C’est effectivement préoccupant. On parle de la montée en puissance des marines asiatiques et on croit que toutes les autres marines du monde vont se précipiter en Asie. Ce n’est pas du tout cela qui se passera ! La montée en puissance des marines asiatiques signifie plutôt qu’au lieu de naviguer le long de leurs côtes, ils vont prendre la mer. Préparez‐vous à avoir des Chinois en Atlantique ! D’ailleurs, fait très révélateur, la dernière manœuvre annuelle franco‐indienne s’est déroulée au large de Brest alors que, depuis toujours, elle avait lieu au large de Bombay… Comme toutes les autres grandes marines, les marines indiennes et chinoises vont désormais là où elle trouve que son point d’application est intéressant pour la stratégie qu’elle mène, où que ce soit dans le monde. Un clin d’œil en guise de conclusion : la photo de la planète qui orne cette année nos Assises de la Mer présente la réalité, c’est‐à‐dire l’océan Pacifique qui est devenu le centre du monde. Alors que, depuis le début de l’humanité, le centre du monde a été successivement la Méditerranée et l’océan Atlantique…

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La planification de l’espace maritime : vers une segmentation de la mer ou une coexistence des activités ?

> Denis BAILLY, Directeur de recherche, AMURE‐UBO > Pierre MAILLE, Président, Conseil général du Finistère ; Président du conseil de gestion, Parc marin d’Iroise > Olivier LAROUSSINIE, Directeur, Agence des Aires Marines Protégées > Anne‐François de SAINT SALVY, Préfet maritime de l'Atlantique > Jean‐François TALLEC, Secrétaire général de la Mer

André THOMAS, rédacteur en chef, le marin : Avec le thème « planification de l’espace maritime », nous allons maintenant nous rapprocher du littoral et des eaux côtières. Vous savez certainement qu’une moule sur deux consommées en France est importée car les producteurs français se heurtent à mille difficultés pour développer leurs activités sur la bande côtière. Et ce ne sont pas les seuls : les villes, les ports, l’éolien, etc. sont dans une situation identique. Donc, sur la bande côtière, faute d’une gouvernance concrète, le mariage de l’économie et de la protection de l’environnement n’est pas évident malgré les aires maritimes protégées. Denis BAILLY, Directeur de recherche, AMURE‐UBO : S’agissant de la planification spatiale en mer, la question

n’est plus seulement celle de l’espace maritime proche du rivage (gestion du littoral, gestion des zones côtières). Il s’agit, avec la stratégie maritime intégrée de l’Europe et avec les initiatives françaises en débat, d’inscrire dans les faits l’article 17 de la déclaration de Rio (1992), qui appelait à une gestion intégrée des littoraux et des mers et océans, listant comme un outil parmi d’autres la planification spatiale, pour sortir d’une tendance constatée à la dégradation générale des écosystèmes marins, à l’augmentation des pressions et des tensions. Il s’agit de partir des espaces maritimes, bien évidemment en assurant la cohérence avec la gestion des activités sur la partie terrestre, non seulement la bande littoral,

mais aussi les bassins versant, source importante de pressions. Les océans et l’espace maritime côtier en particulier, ne sont pas des jungles sans loi. Les concessions d’exploitation, les routes maritimes, les conditions liées à la sécurité maritime ou à l’exploitation durable des ressources inscrivent déjà de nombreuses règles dans l’espace ! Il ne s’agit pas simplement de les cartographier. Quels sont les enjeux ? D’abord, inscrire les préoccupations de protection de l’environnement dans les espaces maritimes (biodiversité, qualité des milieux, santé des écosystèmes, qualité paysagère), au travers d’objectifs comme : 20 % des espaces sous juridiction française couvert par une forme ou une autre d’aire marine protégée. Au‐delà de la désignation et du suivi qui en découle, il y a de forts enjeux de limitation des usages par l’établissement de contraintes, pouvant aller jusqu’à l’exclusion ! Ensuite, deuxième enjeu, inscrire dans l’espace maritime l’intensification des pressions/demandes actuelles de ressources et d’espace. Certains scénarios parlent de 50 % de la population européenne à moins de 50 km des côtes, auxquels s’ajoutent les flux saisonniers, l’attractivité du littoral ne se démentant pas ! Mais aussi de nouveaux usages conduisant à investir dans les 80 % de terra incognita que sont encore les océans. Ce sont les éoliennes/hydroliennes. Mais aussi les matériaux, de nouvelles ressources énergétiques au large. Il faut rajouter aussi une forte croissance à attendre du transport maritime et les problèmes de sécurité maritime que cela pose. La globalisation des échanges, dans un contexte de convergence des niveaux de vie pour plusieurs milliards d’individus avec ceux des pays industrialisés, va multiplier les volumes transportés par voie maritime. La planification spatiale contribue, pour une part, à la sécurisation des droits sur les ressources et les espaces, qui sont autant d’incitations à l’initiative/investissement pour réaliser les projets de développement. Ce développement, posera avec encore plus d’acuité, la question environnementale et l’efficacité des outils existant ou à inventer ! Il y a donc une question de moyens ou plutôt de méthode. La planification spatiale est un instrument : au service de quel projet et avec quelle approche pour le mettre en œuvre ? Le niveau des enjeux et la complexité de la gestion des ressources, des interactions entre les usagers en mer, une grande mobilité et des superpositions dans l’espace font que les approches terrestres de l’aménagement du territoire ne fonctionnent pas. Ce n’est plus l’affaire unique de l’Etat car la science « patatoïde » qui produit des cartes dans les cabinets feutrés des administrations d’Etat a montré ses limites. La France a une longue expérience d’exercices de planification spatiale (SAUM dans les années 70, SMVM de 86 à 2000, volet maritime des SCOT actuellement, réseau des Aires Marines Protégées) avec des résultats qui sont loin de l’ambition et qui ont mobilisé beaucoup d’énergies par le passé. Les collectivités territoriales, les acteurs économiques et sociaux doivent être mobilisés pour que la planification spatiale soit un outil au service d’une vision stratégique !

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Ce sont donc d’autres formes de gouvernance qu’il faut promouvoir pour qu’elles produisent des choix négociés, des cadres juridiques incitatifs et protecteurs, mais aussi des marges de manoeuvre pour négocier plus souplement les cohabitations. C’est aussi une vision à partir de la mer et de ses particularismes qu’il faut développer. « Regarder la terre de la mer ». Etendre vers la terre, dans la démarche stratégique et de planification stratégique terrestre, les besoins d’accès et environnementaux de la mer. Et non plus faire ce que l’on a fait jusqu’à aujourd’hui, une extension de la mer qui calque la philosophie et les démarches de ce qui se fait à terre ! Il faut aussi que nous nous inscrivions dans la démarche de gestion intégrée des mers et des océans. Outre l’implication de tous les acteurs nationaux dans la gouvernance, nous devons être proactifs pour une gouvernance partagée entre les Etats. Les conventions internationales (OSPAR, Helsinki, Barcelone, Mer Noire) sont le cadre naturel qu’il faut investir pour renforcer le rôle de production de droit. Les mers régionales qui servent de cadre à la mise en œuvre de la Directive Stratégie pour le Milieu Marin (1ère traduction contraignante de la Politique Maritime Intégrée de l’Europe) sont un autre cadre de propositions de méthodes pour faire que la planification spatiale serve une vision stratégique ! Pierre MAILLE, Président, Conseil général du Finistère ; Président du conseil de gestion, Parc marin d’Iroise

Le parc marin d’Iroise est un élément nouveau dans le paysage : nous sommes sur un espace remarquable, avec beaucoup de richesses au confluent de plusieurs flux maritimes, une faible bathymétrie, des températures d’eau modérées et stables et des remontées d’eau froide de fonds marins chargés de matières planctoniques. Le littoral et les îles sont habités depuis longtemps ; on y voit des activités économiques fortes, la pêche avec 250 navires, 700 marins, des espèces nobles comme les crustacés, les coquillages ou les mollusques (labellisation récente de l’ormeau), des algues, de la plaisance et une grande capacité de mouillage et de ports. Le parc marin a eu besoin d’une longue gestation pour aboutir au décret de création fin 2007 et à l’installation de son conseil de gestion. Sans que personne ne soit majoritaire, on y retrouve à la fois des institutions publiques (Etat et élus locaux), des

professionnels, des représentants d’associations de protection d’environnement ou d’usagers et des experts scientifiques. Le Parc dispose maintenant d’une vingtaine d’agents, au Conquet et à Douarnenez : agents de missions et agents de terrain. La mission prioritaire du Parc aujourd’hui est d’élaborer son plan de gestion d’ici l’été 2010. Il devra présenter, en particulier, une carte d’évocation pour les richesses humaines et économiques, les richesses culturelles (très beaux phares, fortifications, etc.) et la très grande diversité de faune. Nous ne souhaitons pas mettre tout cela sous cloche ! Au contraire, nous voulons contribuer à la maintenance de cette richesse, tout en développant les activités et la présence humaine. La méthode de travail est le dialogue partagé avec tous les acteurs. Nous sommes donc engagés dans l’élaboration d’une démarche de spatialisation, pour bien identifier l’existant et se mettre d’accord sur une forme d’organisation harmonieuse. Par exemple sur l’archipel de Molène, qui est une petite partie du Parc marin, nous avons identifié des épaves qui font partie de notre patrimoine, les herbiers, les champs d’algues, les zones de mouillage, les chenaux de navigation. On superpose ensuite toutes ces données pour identifier des gradians d’enjeux sur les zones. Cela nous permettra d’identifier les éléments que nous voulons valoriser. Il s’agit d’une méthode de travail où les questions de gouvernance sont importantes, nécessitant une intelligence partagée ! Anne‐François de SAINT SALVY, Préfet maritime de l'Atlantique

En Bretagne et sur les autres régions de la façade atlantique, un travail se fait pour essayer de faire avancer les projets d’installation d’énergies marines renouvelables. Le 1er constat que l’on peut faire est que ces EMR (énergies marines renouvelables) sont un nouvel usage de la mer qui doit trouver sa place parmi les autres. Auparavant, l’Etat peinait à mettre en place une vraie stratégie de développement de ces EMR. On avait finalement des porteurs de projets laissés un peu seuls et des acteurs locaux parfois réticents devant ces projets au cadre mal défini. Pour remédier à cela, le Grenelle de l’Environnement a défini les objectifs : 6 000 MW en 2020. Puis, une démarche a été élaborée pour y parvenir. En janvier 2009, pour la façade atlantique, la préfecture maritime a commencé une démarche d’inventaire et en

mars, le MEEDDM a confié au Préfet de région et au Préfet maritime une démarche de planification des zones d’EMR envisageables. La concertation a été engagée par région, périmètre le plus cohérent pour rassembler le plus grand nombre d’acteurs, élus, professionnels, usagers, associations et experts.

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La démarche est simple : on a recensé les données disponibles, les données techniques pour évaluer la faisabilité des projets, les données d’usage, avec les contraintes. On a mis tout cela en forme, à disposition de tous les acteurs, pour en faire une analyse. Ensuite, on a commencé à élaborer une stratégie. Deux démarches ont été constituées par groupe de travail :

‐  la première est pilotée par la Préfecture maritime, sur la base de travaux antérieurs de l’Ifremer et d’une étude de l’ADEME, avec un groupe d’experts pour rassembler les données techniques permettant d’envisager l’implantation de ces équipements sur la façade atlantique ;

‐  la seconde est réalisée avec les préfectures des départements littoraux pour rassembler les données d’usage, en s’appuyant sur un travail antérieur lors de la désignation des sites Natura 2000.

Ces données ont ensuite été hébergées sur la base de données Sextant de l’Ifremer et mis à disposition sur un portail Géolittoral, consultable par tous les acteurs de la concertation : y figurent des données sur la faisabilité technico‐économique des projets, le potentiel éolien, la houle et le courant. L’intérêt est que ces cartes sur Géolittoral sont réellement interactives et chaque acteur, en fonction du lieu qui l’intéresse, peut zoomer la carte. On y a également fait figurer les données de raccordement électrique, puis tous les usages (au total, il existe 75 couches d’information) dont la pêche, les aires marines protégées, les zones Natura 2000, les servitudes de défense ou les zones de trafic maritime, etc. Ensuite, il faut apprécier les enjeux ; pour chaque technologie possible, on regarde les conséquences. Pour une hydrolienne sous la mer, par exemple les impacts sont possibles sur la pêche, sur la navigation et sur la biodiversité. Il ne s’agit pas de segmenter la mer en zones compartimentées mais de distinguer entre des zones où les installations sont clairement impossibles, des zones propices où les contraintes sont modérées et des zones où les contraintes se superposent et rendent les installations difficiles. L’idée est de faire bien coexister dans un espace mouvant, sans frontières, l’ensemble de ces activités. C’est une démarche stratégique pour l’Etat qui permet de donner aux acteurs, industriels, collectivités territoriales et usagers une véritable visibilité. Il faudra compléter cette démarche pour donner des orientations en matière de stratégie technologique, mettre en place des démonstrateurs pour valider les technologies moins matures. Il sera également utile de mettre en place des procédures, inscrites dans la loi Grenelle 2, pour faciliter et accélérer l’instruction des dossiers dans les zones considérées comme propices. Car l’objectif est bien d’atteindre les 6 000 MW d’EMR en 2020 ! Olivier LAROUSSINIE, Directeur, Agence des Aires Marines Protégées

Ce chiffre de 20 % du littoral français placé sous protection peut faire peur en imaginant derrière une mise sous cloche. Mais ce n’est pas ce qui est prévu ! En fait, un chiffre dont on a peu parlé jusqu’alors pourrait aussi faire peur, c’est 10 % de réserves de pêche d’ici 2020 sur l’ensemble des eaux sous juridiction. Mais je ne peux encore vous en dire beaucoup sur ce chiffre car nous n’avons pas encore trop travaillé sur cette notion de réserves de pêche du Grenelle de la mer. Je vais plutôt évoquer avec vous l’état d’avancement de la stratégie pour la création d’aires marines protégées en métropole, arrêtée en novembre 2007 et les aires marines protégées déjà créées.

Cela concerne le parc marin d’Iroise et les sites Natura 2000 désignés par la France. Cette désignation Natura 2000 est quasiment complète, à quelques exceptions près sur la bande côtière. Il nous reste cependant à faire un travail au large dans le Golfe de Gascogne et le Golfe du Lion pour lesquels l’information scientifique n’était pas encore suffisante. Je voudrais, pour bien fixer les choses, dire que Natura 2000, c’est assez simple : on a une liste d’espèces, une liste d’habitats, puis on identifie des zones particulièrement importantes pour ces espèces et ces habitats, sur lesquels on décide de faire un effort pour garder un bon état de conservation ; on a créé des comités de pilotage pour un plan d’action sur ces espèces et ces habitats mais il ne s’agit pas là d’une gestion de l’espace ! En revanche, pour les aires marines protégées, dans une vision intégrée de l’espace, nous avons les parcs naturels marins. Il s’agit d’espaces qui ont une valeur sur le plan du patrimoine naturel ou des écosystèmes et sur lesquels existent de multiples enjeux d’activités humaines. On décide donc d’un effort particulier, avec une gouvernance adaptée aux objectifs et des moyens financiers et humains mis à disposition. Nous avons enfin une troisième catégorie d’outils, historiques, ceux de la protection de la nature, qui réglementent : réserves naturelles, parcs nationaux, arrêtés de protection de biotopes. On crée là un droit spécial au préfet pour réglementer indépendamment du droit de la chasse ou de la pêche. C’est l’outil fort, mais l’évolution historique c’est plutôt d’aller vers des outils de contrat, Natura 2000 ou de gouvernance, parcs naturels marins. Maintenant, la qualité, c’est d’étendre les parcs naturels marins, avec un objectif de 8 autour de la métropole : on a un parc à l’étude sur la côte vermeille en Méditerranée, un sur l’estuaire de la Gironde et les pertuis charentais et un sur les 3 estuaires de la plaine picarde dans le Nord. Nous sommes en cours d’analyse sur Bretagne Nord, Bretagne Sud et sur Arcachon. Dans le cas des réserves naturelles des parcs nationaux, il y a certainement des restrictions d’activité maritime. Ailleurs, avec Natura 2000, il s’agit davantage de trouver des adaptations des pratiques entre les activités existantes et le maintien en bon état de conservation. La technique du contrat est plus souhaitable que la réglementation qui ne doit venir qu’en dernier recours.

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Doit‐on faire de l’exclusion ou de la coexistence ? Je crois que ce qui fait le plus de surface, les zones Natura 2000, n’est pas dans une zone d’exclusion et n’est pas incompatible, par exemple, avec le schéma de développement de l’éolien. Si la règle générale est plutôt la coexistence, pourquoi fait‐on alors des aires marines protégées ? En fait, même si tout est mobile, des choses sont quand même spatialisées en mer : des fonds rocheux, des frayères à certains endroits, par exemple. Il y a une spatialisation des choses et des valeurs qui se dégagent ! C’est pour cela qu’on met en place la gouvernance et les moyens pour gérer un parc. Enfin, on peut espérer des parcs naturels marins qu’ils puissent servir de lieu d’expérimentation pour aller plus loin dans l’intégration entre intérêts de protection de la nature et intérêts économiques. Quid de la méthode pour établir le réseau ? La carte sur laquelle je me base pour vous parler est issue d’une réflexion stratégique au niveau national pour la métropole, validée en novembre 2007. A la suite de cela, nous avons changé d’échelle dans 3 cas : la Corse, la Bretagne Nord et la Bretagne Sud pour refaire une démarche stratégique sous l’autorité des préfets afin de disposer d’une ligne directrice sur les projets qu’on pourrait instruire. Nous essayons de faire de même en outremer : Martinique, Guyane, Polynésie, les Iles Eparses et le reste. On a demandé à notre Agence que les autorités puissent avoir des stratégies d’aires marines protégées sur l’ensemble du domaine marin français d’ici 2011, la 1ère échéance étant 2012 ! La méthode actuelle va de plus en plus vers des processus de gouvernance, avec des décisions qui font participer les acteurs. Jean‐François TALLEC, Secrétaire général de la Mer

S’il y a bien un domaine où l’application en mer des méthodologies qui prévalent à terre ne marche pas, c’est bien celui‐ci ! Quelle est aujourd’hui la doctrine de la Commission européenne sur cette question ? Pourquoi ne sommes‐nous pas complètement d’accord avec cette doctrine européenne ? Et comment arrivons‐nous au Livre Bleu pour gérer l’espace maritime ? On observe qu’il y a 2 manières d’envisager les choses : en termes d’occupation et de partage de l’espace ou en termes de régulation d’activités. Car l’affectation de l’espace est un mode de régulation des activités, celui qui a largement été mis en place à terre avec l’aménagement du territoire ou les lois sur l’urbanisme. Pratiquement toutes les réglementations terrestres s’appuient sur cette approche. On

peut se demander si la généralisation de cette doctrine à la mer, ce qui est avancé par le Livre Bleu de l’Union européenne sur la planification maritime spatiale, est la bonne solution. La Commission européenne dit des choses très claires : il est impossible de construire une nouvelle maison sans établir un plan d’aménagement et nos mers peuvent être soumises aux mêmes contraintes en termes d’espaces. Pourquoi faut‐il une planification spatiale ? Parce que les investisseurs ont besoin de bénéficier d’une sécurité juridique ! Pour permettre le contrôle des activités et les évaluations de l’impact de ces activités sur les écosystèmes. La Commission dit aussi, et nous y souscrivons pleinement : la planification de l’espace maritime relève de la responsabilité des Etats‐membres, avec une coordination entre Etats pour éviter les problèmes de frontières. Le modèle le plus achevé de planification spatiale se situe en mer Baltique. On y voit un découpage de la mer très précis, avec des zones réservées au développement touristique, des zones pour la pêche ou pour l’exploitation de ressources minières et de manière presque exclusive : dès qu’une zone est consacrée à une activité, elle exclut d’autres activités. Ce n’est pas tout à fait notre doctrine ! D’abord parce que nous n’avons pas le même espace maritime ! La mer Baltique a des contours très limités, où les états riverains ont un intérêt au contrôle des activités. Chez nous, cela ne peut être adapté pour les espaces immenses que nous avons outremer. Ensuite, parce que nous pensons qu’il faut aller au‐delà : nous constatons que l’espace et les ressources en mer sont publics. Donc, autant que faire se peut, ils doivent être accessibles à tous. Nous proposons d’opposer une gestion intégrée à une planification strictement spatiale, c'est‐à‐dire une planification stratégique. Cela amène plusieurs dimensions nouvelles par rapport à un découpage de l’espace : une dimension temporelle car en mer, les choses évoluent une dimension stratégique où l’on décide ce que l’on veut avant de voir comment on le fait et une approche intégrée où toutes les dimensions sont abordées de manière cohérente, répartition de l’espace, impacts environnementaux mais aussi les aspects sociaux, économiques, la gestion des droits d’accès aux ressources et la gouvernance ! Pour un exemple de cette vision stratégique que nous voulons : je cite les paragraphes dans le Livre Bleu consacrés au développement des EMR en mer. On y voit une planification stratégique en concertation pour les sites propices qui prend en compte les objectifs nationaux de production, les déclinaisons régionales, les incidences potentielles sur l’environnement, les réseaux de transport, les objectifs de mutualisation des investissements et la mise en place d’une gouvernance adaptée.

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Investir dans les énergies renouvelables en mer

> Introduction : Jean‐Yves PERROT, Président, Ifremer

> Jean‐Louis BAL, Directeur des énergies renouvelables, ADEME

> Philippe GERMA, Directeur général, Natixis Environnement & Infrastructures > Jean‐Michel GERMA, Président, Compagnie du Vent > Frédéric LE LIDEC, Directeur développement « Mer », DCNS Xavier DEBONTRIDE, Journaliste

Investir dans les énergies renouvelables en mer, est‐ce une véritable opportunité pour la France ? Nous allons essayer d’apporter une réponse.

Jean‐Yves PERROT, Président, Ifremer

L’objet de cette table ronde se résume, en fait, à un point d’interrogation ! Je crois que le simple fait de se poser encore en France l’interrogation de savoir s’il s’agit d’une opportunité d’investir dans les ERM est une illustration du paradoxe français. Comment notre pays avec les atouts maritimes qu’il a, on en a beaucoup parlé ce matin, en est‐il encore à se poser la question ? Il y a des raisons générales et objectives à cela : le choix historique de la France de la filière électronucléaire, faisant donc aborder la question des énergies renouvelables plus tardivement qu’ailleurs. Il y a ensuite des raisons particulières, il est plus difficile d’exploiter les énergies en mer que sur terre.

Et ceux‐là même qui ont en charge les énergies renouvelables dans nos administrations, ont une relation plus distanciée avec la mer ! Je crois que la réponse à la question posée par cette table ronde ne peut être que positive pour au moins trois raisons. 1) Les EMR se développent aujourd’hui dans le monde et en Europe, et ce mouvement s’accélère partout avec une double vision, de court et de moyen/long terme. C’est la filière de l’éolien en mer, pour le moment l’éolien fixe : 650 MW installés au Danemark avec un objectif de 5 GigaW ; 250 MW installés aux Pays‐Bas avec un objectif de 6 000 MW en 2020, puis 15 à 20 GigaW à long terme ; l’Allemagne avec un objectif de 25 GigaW en 2030 ; la Grande Bretagne avec un objectif de 20 GigaW en 2020. Notre objectif français est simple : passer de zéro à 6 000 MW d’ici 2020. 2) Ensuite, il existe des technologies matures aujourd’hui, l’éolien fixe en mer, mais il y en a d’autres qui attendent de passer, enfin, au stade de démonstrateur puis d’expérimentation : bien sûr, les éoliennes en mer flottantes, très prometteuses, peut‐être les hydroliennes, l’énergie de la houle, l’énergie thermique des mers ou les plateformes flottantes. 3) La France a évidemment toutes les raisons d’investir, même si elle est partie en retard ! Elle en a la capacité physique du fait de l’étendue et de la diversité des côtes et du domaine maritime, y compris, bien sûr, en outremer (énergie thermique des mers, gradians de température de la colonne d’eau disponibles, en particulier en Polynésie française). Je rappelle d’ailleurs, même si notre bathymétrie est un peu moins favorable à l’implantation d’éoliennes fixes que des pays plus nordiques, que la France dispose du 2ème potentiel d’Europe pour l’hydrolien et l’éolien marin, derrière la Grande‐Bretagne ! La France en a les capacités technologiques : à la fois pour les grands groupes, mais aussi pour toutes les PME qui se créent tous les jours autour des nouvelles technologies et des pôles de compétitivité. Puis, la France en a les moyens en termes de recherche et innovation. Et enfin, et c’est nouveau et essentiel, elle en a la volonté politique, affirmée au plus haut niveau de l’Etat (discours du Président de la République au Havre en juillet dernier), mais aussi au niveau territorial, particulièrement ici en Bretagne avec l’initiative Ipanema et en outremer avec ce qui se passe à l’Ile de la Réunion et en Polynésie française. Le succès massif récent de l’appel à manifestation d’intérêt de l’ADEME, en cours de dépouillement, est un signe supplémentaire de la maturité de cette question. Je crois que la question est aujourd’hui virtuellement dépassée, mais qu’il s’agit maintenant de savoir comment nous y allons et avec quel degré d’ambition ! Il faut maintenant passer du discours, de l’idée, à la réalité industrielle. Il faudra d’abord, je crois, faire des choix technologiques. Et l’appel d’offres, l’ADEME y travaille, nous en donnera les opportunités. Nous devrons également mettre en place un dispositif d’accompagnement :

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‐  financier (puissance publique pour des tarifs de rachat, des incitations fiscales et du raccordement au réseau, et montages financiers innovants) ;

‐  administratif pour l’accès au domaine maritime ; ‐  environnemental pour la coexistence de ces installations avec les autres activités en mer.

Et surtout, je pense que la question est de savoir si la France veut se doter d’une vraie filière industrielle sur ce sujet pour atteindre les objectifs européens de 2020 et bénéficier également de retombées économiques en termes d’emplois de services et industriels. Pour finir, je dirais un mot de l’Ifremer et des EMR : d’abord, nous avons une histoire dans ces EMR avec la 1ère aventure, il y a longtemps, de l’énergie thermique des mers. Ensuite, nous avons conduit en 2006 une étude prospective sur les EMR à l’horizon 2030. Cette étude estimait qu’on pouvait atteindre 4 000 MW d’éolien offshore et 1 300 MW pour les autres énergies, soit 3,3 % de la consommation dès 2020 et que ce chiffre pourrait atteindre 8 % en cas de volonté forte. Le Président de la République, c’est à la fois un signe de confiance et d’exigence, nous a confié la plateforme technologique sur les EMR. Nous y travaillons avec tous les partenaires. Il faudra structurer la filière, mettre les équipes en réseaux, procéder à des tests d’évaluation, mieux évaluer la ressource disponible et, bien sûr, se faire une idée plus précise de l’impact environnemental de ce sujet. Nous avons beaucoup de travail avec l’Ancre (agence nationale de coordination pour la recherche des énergies) et l’ADEME. Bref, j’espère que nous sommes au moment où ce point d’interrogation va véritablement tomber ! Régis LE BARS, Direction exécutive Stratégie et Recherche, ADEME

Effectivement, avant d’investir dans les EMR, il faut passer par une phase démonstrateur pour avoir des technologies matures, déployables facilement au niveau industriel. Il y a actuellement une défaillance de marché concernant les investissements sur ces EMR. On est sur des projets très risqués, technologiquement ou financièrement. On a une méconnaissance totale des modèles d’affaire et nous avons besoin d’étudier l’impact environnemental et sociétal. C’est pour cela que l’aide d’Etat est vraiment nécessaire pour le financement de ces projets de R&D. L’ADEME gère donc un fonds démonstrateur de recherche, mis en place après le Grenelle en été 2008, de 450 M€ sur la période 2009‐2012 pour financer les projets de R&D sur les nouvelles technologies de l’énergie : aussi bien les véhicules décarbonés, les captures,

déstockage de CO2, biocarburants de 2ème génération et une large frange pour les énergies renouvelables (environ 1/3 du total). L’objectif est d’être en phase en 2020 pour assurer les 3x20 : 20 % d’efficacité énergétique, 20 % d’énergie renouvelable, 20 % de gaz à effet de serre en moins.

Pour les énergies marines, il s’agit de passer d’un stade laboratoire en bassin à un stade réel d’utilisation sur un site en mer. Le principe du démonstrateur est d’abord la rédaction d’une feuille de route technologique, par l’ADEME et des experts nationaux. On a dégagé différents scénarios, des verrous technologiques à lever et le besoin de démonstrateur et de plateforme d’essais. Cela a amené la publication d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI), publié en juillet et clôturé en octobre 2009. Nous avons reçu 21 dossiers et les avons présentés au comité de pilotage du fonds démonstrateur de recherche, constitué des 3 Ministères, le MEEDDM, la Recherche et l’Industrie. Une fois le retour des ministères sur ces dossiers, nous espérons que ça ira très vite sur les dossiers matures pour commencer à financer au printemps 2010. Une remarque : nous ne pouvons pas financer toutes sortes de dossiers. On doit respecter un encadrement communautaire aux aides d’Etat qui doivent porter sur la R&D. Notre intervention se fait sous forme de subventions aux industriels et aux laboratoires publics, bien en amont de l’application industrielle. Sur 21 projets, nous en avons 7 sur l’hydrolienne, technologie intéressante pour contribuer à la consommation énergétique française. L’ADEME travaille aussi sur l’impact sur les réseaux et les systèmes électriques intelligents en vue d’intégrer ces technologies intermittentes. Nous avons 9 projets d’énergie houlomotrice. Sur l’éolien flottant, nous avons 4 projets, sachant que l’éolien, à court terme, est sûrement l’énergie la plus prometteuse. Enfin, nous avons un projet d’énergie thermique des mers, concernant surtout les territoires d’outremer. Philippe GERMA, Directeur général, Natixis Environnement & Infrastructures

Le banquier a souvent un rôle de méchant en ce moment ! Nous gérons de l’argent privé, confié par des assureurs, fonds de pension, etc. que nous investissons dans l’environnement et les infrastructures. Le financement des ERM est une nouveauté pour la France car nous n’avons pas encore eu d’expérience de réalisation. En voici un petit panorama : nous avons des technologies à peu près matures, l’éolien, où l’expertise existe en Europe du Nord. Puis des technologies non matures car encore au stade démonstrateur. Il est ici très difficile de trouver des

capitaux privés pour les financer.

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On peut y arriver au moment où les principales interrogations techniques ont été levées et quand on passe à une phase de prototype industriel, avec le capital‐risque ou capital‐développement, les financiers espérant y faire beaucoup de profit. Je pense que nous ne sommes pas encore au stade où les capitaux‐risqueurs peuvent commencer à mettre de l’argent. Mais ça devrait arriver et il doit y avoir une complémentarité entre les fonds publics et les fonds privés, mais la frontière entre les deux est difficile à trouver. L’éolien en mer a déjà une certaine maturité car des projets existent : notamment en Europe du Nord avec des fermes éoliennes marines en exploitation. Mais ce sont des technologies complexes : les contraintes techniques ressemblent plus à du pétrolier offshore qu’à de l’éolien terrestre, et de mon point de vue, pour 3 raisons : d’abord, on est dans un milieu complexe, pas tellement compatible avec le métal, la corrosion forte demande une maintenance importante ; ensuite, l’eau et l’électricité ne marchent pas très bien ensemble, les raccordements sont délicats, et ce n’est pas la même production d’électricité que pour l’éolien à terre. Tout cela donne un coût par MégaW d’environ le double de celui du terrestre. Donc, il faut en faire beaucoup pour rentabiliser. Je trouve d’ailleurs qu’on a un peu « mité » avec de petits parcs éoliens en France. En mer, ce n’est pas possible. En termes de financements, compte tenu de ces risques, la caractéristique de l’éolien en mer est qu’il faut beaucoup de fonds propres apportés par des promoteurs ou des investisseurs pour lever de la dette ! La production d’énergie est très capitalistique ; on doit donc financer avec de la dette mais pour cela, il faut des fonds propres et il en faut beaucoup plus que sur terre. Pour un financement de projet terrestre, c’est entre 15 et 20 % de fonds propres ; pour la mer, c’est entre 30 et 40 % de fonds propres, pour absorber les risques. Dans ce secteur, il faut des investisseurs qui ont les moyens financiers pour porter la dette. Pas un seul de ces projets d’éolien maritime représente moins de 200 M€ ; certains frisent le milliard ! Il me semble que la rentabilité de l’éolien offshore, autour de 10, 15 %, ne suffit pas pour attirer des capitaux. Pour y parvenir, il faudrait rémunérer correctement le tarif. Or, on ne prend jamais en compte la rémunération issue de la réduction des gaz à effet de serre. Je pense qu’en la rajoutant, on trouverait une rentabilité amenant l’afflux de capitaux privés sur ces risques. D’autant que le prix du pétrole est très volatil ! Si ce prix du pétrole est très haut, on arrive presque à la rentabilité des ERM ; si le prix baisse, on n’y est plus… Pierre LAGANDRE, Directeur général adjoint, Compagnie du Vent

Je voudrais vous présenter une technologie mature industriellement, dont le développement présente déjà des milliers d’emplois dans le monde, l’énergie éolienne offshore ! C’est une filière industrielle à part entière qui draine environ 95 % des EMR aujourd’hui. Notre projet éolien des 2 côtes concerne 141 machines, pour une puissance totale installée de 705 MégaW, une production équivalente à la consommation annuelle d’une ville de 900 000 habitants (environ la population du Finistère). Cela représente environ 1,9 million de tonnes de CO2 évités chaque année, un investissement de 1,8 Md€. Je précise que le projet est situé à 7,5 miles des côtes de la Somme et de la Seine maritime. Les éoliennes ne sont pas très visibles depuis le rivage, elles sont cachées par la rotondité de la terre, éloignées les unes des autres (1/3 de mile entre 2 éoliennes et ½

mile entre deux rangées). Ce n’est vraiment pas un « mur de l’atlantique » comme d’aucuns ont pu le dire ! Elles sont balisées sur les cartes nautiques ; on peut y naviguer pour la plaisance et la pêche. Le parc est en dehors des routes maritimes importantes. On peut aussi y pratiquer d’autres activités comme le tourisme, l’aquaculture ou la culture d’algue. A ce sujet, nous avons actuellement un projet de R&D pour étudier la culture de macro‐algues entre les éoliennes (production de biocarburants), ce projet étant subventionné par l’ANR à hauteur de 1M€. Je mentionne ici l’importance des emplois créés par ce type d’installation : le parc des deux côtes va mobiliser environ 2 000 emplois pendant les 3 ans de la construction, dont 50 % seront des emplois nationaux et locaux, puis il y aura au moins 50 emplois directs et 250 indirects induits pendant la phase d’exploitation de 30 ans. Le potentiel du marché de l’éolien offshore est encore mal connu en France mais il est mature en Europe ! Sa croissance est assurée par l’objectif fixé par l’Europe dans sa directive énergie‐climat de 2008, au terme duquel, en 2020, 20 % de l’énergie consommée par l’Europe des 27 devra provenir des ressources renouvelables. C’est cet objectif contraignant qui va fixer le rythme de croissance des parcs éoliens, terrestres ou offshore. Une étude récente de l’Agence internationale de l’environnement montre que, pour satisfaire cet objectif, en 2020, le parc éolien offshore européen aura une puissance installée de 40 GigaW, principalement localisés au nord des côtes des pays Nord Européens, dont la France. 40 GigaW, cela représente 35 réacteurs nucléaires, la consommation électrique annuelle résidentielle de 60 millions d’habitants, plus de 100 Md€ d’investissements, les émissions de 85 millions de tonnes de CO2 économisées par an et la création de 35 000 emplois de qualité, non délocalisables et en grande partie à la mer ! Et la France ? Elle a encore une place à prendre mais il ne faut pas tarder ! En 2020, il est prévu que notre parc éolien offshore aura une puissance installée de 6 GigaW. J’ajouterais que la France a déjà une industrie maritime et parapétrolière de qualité, des ports adaptés, un constructeur d’éoliennes offshore français, Areva Multibrid, des entreprises de génie maritime et civil capables de construire des fondations (DCNS, Eiffage, etc…) ; des entreprises capables de fabriquer des câbles sous‐marins (Nexans, Silec Cable, etc.) et de superbes entreprises de matériels électriques (Areva, Schneider…).

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Je précise que cette maturité du tissu industriel concerne principalement l’éolien posé sur les fonds marins et non l’éolien flottant, non encore mature et compétitif. On estime que l’éolien flottant serait compétitif vers 2020, 2025. Le seul projet actuel sur cette technologie est installé en Norvège et coûte 8 fois plus cher que l’énergie offshore actuellement ! Je précise que cette industrie de l’éolien offshore est déjà opérationnelle en Europe avec une puissance installée de 2 000 MégaW et que 800 MégaW sont en construction pour une mise en service avant 2013. Nous avons un objectif contraignant, des sites adaptés, des entreprises prêtes à en découdre : il n’y a plus qu’à ! Or il manque un cadre juridique. Nous n’avons pas besoin de subventions, mais d’un cadre juridique qui ne casse pas le développement des éoliennes ; nous avons besoin de volonté politique réelle qui reconnaisse la nécessité d’atteindre les objectifs fixés au travers de la réglementation européenne et qui les accompagne. Si nous ne le faisons pas, ces belles installations quitteront la France pour aller dans des pays mieux organisés… Frédéric LE LIDEC, Directeur développement « Mer », DCNS

Je voudrais faire écho aux deux questions formulées par Monsieur PERROT : quelle ambition pour la France ? Et comment ? Pour nous, DCNS, il y a vraiment matière à créer un projet industriel en France avec les EMR. Et avec quelle ambition ? C’est presque du tout ou rien : on n’y va pas ou bien on y va, mais alors quasiment à fond ! Si on regarde la prime si importante donnée au 1er entrant dans ce marché, on doit être les premiers. Aujourd’hui, les emplois industriels des éoliennes offshore de 1ère génération posées sont majoritairement en Allemagne et au Danemark, et en Espagne. Il y a maintenant urgence ! Sur quoi pouvons‐nous être les premiers ? DCNS travaille sur 4 secteurs pour être les

premiers à faire une démonstration et une commercialisation. Nous sommes sur les éoliennes flottantes offshore, de 2ème génération. Nous avons déposé un projet à l’AMI de l’ADEME, après avoir travaillé depuis 2 ans en partenariat pour parvenir à une démonstration en 2012 et une 1ère commercialisation en 2014 ou 2015. La France, qui a des conditions de bathymétrie différentes de la Norvège, doit choisir des solutions technologiques qui vont dans le bon sens pour les coûts d’installation. Pour les éoliennes posées, on peut viser des espaces où la bathymétrie ne dépasse pas 30 à 50 m au maximum. Alors qu’avec de l’éolien flottant, on peut aller jusqu’à une profondeur de 50 à 150m, la contrepartie étant le coût de rapatriement de l’électricité. Nous avons aussi, grâce au ministère de l’outremer, un projet de houlomoteurs, porté par EDF‐Energies nouvelles à la Réunion, pour une démonstration en 2010. Dans ces types de projets, il y a toujours des risques technologiques ; de ce fait, nous voulons y aller à plusieurs pour partager le risque et trouver des solutions technologiques chez les autres. L’Etat, avec le ministère de l’outremer a cofinancé les démonstrations énergies thermiques des mers à la Réunion : 5 M€, abondés par la région et DCNS pour l’énergie thermique et 3 M€ pour le houlomoteur, doublés par EDF‐Energies nouvelles. Au‐delà des financements, nous avons des points de vigilance : avoir des bilans structurellement bénéficiaires. On doit être créatifs : tarifs de rachat, taxe carbone, infrastructures. Il faut combiner plusieurs solutions pour aboutir. Concernant le poids de la réglementation, évoqué tout à l’heure, on n’a pas le choix et on le subit. Mais on bénéficie de tout le travail amont qui a été fait par les éoliennes offshore qui ont déchiffré les difficultés administratives. Grâce aux pôles Mer Bretagne et Paca, on va accéder à tout un réseau académique de PME innovantes. Pour nous, la 1ère rupture technologique à trouver, c’est la fiabilité. Mais nous avons la prétention de dire que DCNS ne fait que des choses fiables et ne peut se fourvoyer ! Question d’un participant : On a parlé des zones de navigation dans les fermes éoliennes. Mais cela va‐t‐il geler la pêche entre les champs et les côtes, ou juste sur les zones d’implantation ? Pierre LAGANDRE : La pêche par « art dormant » sera possible entre les éoliennes, mais aussi entre les éoliennes et la côte. Par contre, du fait du câble de liaison du parc éolien à la côte, on ne sait pas encore si la pêche par « art traînant » (chalutage, dragage) sera autorisée ou non. Jean‐Yves PERROT : Je rappelle que ces éoliennes en mer peuvent avoir un effet DCP (dispositif concentrateur de poissons) ; il faut voir là un des sujets typiques que le COMOP qui vient d’être mis en place devrait étudier attentivement pour éclairer plus précisément la réponse à votre question (étude d’impact et d’évaluation). Commentaire de Xavier BARBARO, Directeur général, Direct Energie NEOEN : Nous sommes sur des projets de parcs d’éoliennes de 100 à 250 MégaW. Nous sommes une filiale du Groupe Louis‐Dreyfus et de Direct Energie 1er opérateur alternatif en France. Nous avons quand même de vrais outils de production d’électricité, avec de vrais investissements, 300 à 600 M€ ! Mais je pense que ces parcs peuvent vraiment être complémentaires de ceux qu’a présentés Monsieur LAGANDRE. Nous avons vocation à faire démarrer l’éolien offshore en France, cela pourra ensuite faire démarrer l’éolien flottant.

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Je pense que des parcs de 15 à 40 éoliennes comme ceux de NEOEN dans la Manche, en Bretagne ou en Méditerranée permettent de répondre à la question qu’on vient de poser. L’acceptabilité du projet doit être plus facile. A court terme, cela nous a paru la bonne approche de commencer par des choses moyennes ou petites pour faire décoller la filière, donner du grain à moudre aux industriels français, tout en répondant aux objectifs du Grenelle de l’environnement, sans inquiéter les pêcheurs ou les riverains. Cela ne s’oppose pas du tout à l’approche de la Compagnie du vent ou de DCNS. C’est sûr que, pour la rentabilité, on atteint plus vite des effets d’échelle avec 140 éoliennes, mais nous pensons qu’à partir de 15 ou 20, on commence à avoir une taille critique ! Et ce que nous perdons en effet d’échelle, nous le gagnons en stabilité financière. Pour nous, avec des fonds propres à hauteur de 200M€, nous avons dû faire appel aux banques pour 400 M€ ! Ce n’est pas simple. Nous disons aux pouvoirs publics de commencer à encourager des parcs comme les nôtres, où les chances de réussite sont bonnes. Sur ces projets nouveaux en France, nous sentons bien, et c’est normal qu’il y a de l’appréhension chez les pêcheurs ou les riverains. Mais nous allons faire de la pédagogie, de la concertation ou du réaménagement si nécessaire. Il faut du temps, mais en même temps, il faut savoir se lancer… Commentaire d’un participant : Je voudrais, comme Secrétaire général du Comité des pêches du quartier maritime du Guilvinec, dire que les pêcheurs sont très impliqués dans les outils de gestion comme le parc ou Natura 2000. De même qu’ils sont très impliqués dans la question de l’énergie sur 2 points : 1) On ne veut pas de centrale nucléaire car c’est très difficile de vendre du poisson péché à côté ! 2) Nous savons bien que les Bretons doivent importer 97 % de leur énergie et nous ne sommes pas contre le fait de donner notre écot. Mais à chaque implantation en mer, c’est toujours dans des zones de pêche traditionnelle. Pour nous, plus elles seront flottantes et éloignées de la côte (environ 50 miles), plus on sera d’accord ! Régis LE BARS : Sur la pêche, je voulais dire que, dans le cadre des fonds démonstrateurs, un des enjeux est d’aider à lever des verrous technologiques, mais aussi tout un aspect sociétal et environnemental très important. Le jour où nous voudrons expérimenter des hydroliennes par exemple, il est clair qu’un enjeu fort sera de regarder l’impact sur la faune, la flore et les usages ! Philippe GERMA : Sur les 10 parcs mondiaux que j’ai identifiés, 8 sont autour de 30 MégaW et 2 sont bien supérieurs en taille. Et c’est vrai qu’il n’y a pas que d’énormes projets d’éolien marin. Mais, en Grande‐Bretagne, se développent de très gros projets. Cela a d’ailleurs fait que certains industriels, dont Shell, se sont retirés face aux coûts énormes représentés pour eux, compte tenu d’un prix de rachat insuffisant pour rentabiliser. Jean‐Yves de CHAISEMARTIN, Maire de Paimpol : Nous avons un projet très bien engagé au large de Bréhat car les élus locaux, vous le savez, peuvent parfois être les meilleurs soutiens d’un projet ou les pires ennemis ! Comment fait‐on ? Comme avec les associations de professionnels ! Dans le projet Paimpol‐Bréhat, les acteurs professionnels ont été les premiers à s’impliquer dans ce projet d’énergie hydrolienne. Il en a été de même pour les élus locaux et c’est indispensable car nous sommes confrontés tous les jours aux différents acteurs de la mer. Nous pouvons aussi remercier l’ANEL (association nationale des élus du littoral) et son Président Yvon Bonnot qui a été très utile pour défendre les positions des élus locaux. Il a plaidé notre cause et cela a permis de développer une expertise sur les dossiers. Dans ce projet, l’expertise existe aussi dans le suivi et l’instruction administrative des dossiers. Je peux vous dire que lorsque le préfet m’a dit qu’il nous faudrait des permis de construire en mer et pour cela, découper les frontières des communes en mer, j’ai eu des émotions fortes… Heureusement, on a vite vu que faire un cadastre marin, cela ne marcherait pas ! Nous avons aussi travaillé avec l’initiative Ipanema pour permettre aux acteurs de se rencontrer. On a parlé de développement industriel, mais où ? Pour moi, ce développement industriel est intimement imbriqué avec la notion d’aménagement du territoire. Cette notion d’aménagement implique les SCOT, les communautés de communes. Une dernière remarque : comme Monsieur GERMA pour les coûts de rachat, je pense que la France est timorée. Il faut permettre la rentabilité mais, pour autant, le travail des banquiers est aussi de favoriser cette innovation française. Or EDF a pris des parts pour l’hydrolien dans une entreprise anglaise… Et le projet Paimpol‐Bréhat retient une entreprise irlandaise… Je me sens parfaitement européen, mais nous devons défendre nos industries. Nous sommes devant une opportunité pour la France : elle doit s’en donner les moyens ! Question d’un participant : Quand on nous présente des projets éoliens, on parle toujours du côté process et jamais de l’aspect maritime, de l’assistance à mettre derrière. Cette assistance présente‐t‐elle une part significative ou minime dans les projets ? Pierre LAGANDRE : Effectivement, l’exploitation et la maintenance des éoliennes en mer sont très importantes. Nous réfléchissons dès maintenant aux solutions, ce qui passe par la mise en œuvre de moyens

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nautiques adaptés. Là encore, en Europe du Nord, ils ont de l’avance avec des bateaux dédiés à cette activité. Toute une industrie est en train de se mettre en place et la France peut prendre ce train‐là, il n’est pas trop tard ! Question d’un participant : Est‐il exact que l’éolienne offshore fonctionne environ 200 jours par an ? Et que la période où l’on a le plus besoin d’énergie correspond à la période où l’anticyclone des Açores est présent sur notre pays durant laquelle il y a malheureusement peu de vent ? Pierre LAGANDRE : Une éolienne travaille 90 % du temps. Par contre, elle ne produit pas d’électricité à pleine puissance. Régis LE BARS : La question est pertinente car l’essentiel n’est pas de baser tous les investissements sur une seule technologie. Il faut avoir un bouquet énergétique varié car les éoliennes ne tournent pas quand il n’y a pas de vent. Dans ce cas‐là, sur le réseau, il faut produire de l’électricité d’une façon ou d’une autre. On espère que là, ce n’est pas une électricité carbonée qui prend le relais. Questions d’un participant : Je suis d’accord avec Monsieur de CHAISEMARTIN, il faut vraiment que les collectivités locales soient bien associées à ces projets de champ éolien. Je voudrais poser deux questions : sur l’impact des éoliennes sur l’hydro‐sédimentation et sur l’effet de masque des émissions radars des bateaux. Pierre LAGANDRE : Ces questions sont prises en compte dans le cadre de l’étude d’impact sur l’environnement de tout projet ! Question d’un participant : Je suis étudiante en mastère économie et politique de l’environnement dans la mer. Nous sommes ici très nombreux à avoir un investissement intellectuel sur ce sujet ! En fait, qu’attendez‐vous de nous les jeunes pour demain ? Jean‐Yves PERROT : Nous avons ici à Brest une unité mixte avec l’Université, AMURE. Cette unité va, je pense, se développer, notamment sur ces sujets. Nous sommes en train de créer avec l’Université de Bretagne occidentale une chaire mixte car toute la thématique de l’impact socio‐économique et environnemental de ce type d’installation mérite que vous les jeunes, vous vous investissiez dans un champ très pluridisciplinaire : avec des disciplines scientifiques traditionnelles ou des sciences humaines et sociales avec de la macro et de la micro économie car nous avons besoin d’enrichir les modèles économiques encore limités. Frédéric LE LIDEC : Oui, on ne peut vouloir créer une filière industrielle sans parler de formation et de jeunes ! Concrètement, il y a l’initiative Ipanema lancée il y a un an, avec une thématique pour regarder les besoins émergents pour cette filière en matière de formation. Un autre exemple à la Réunion, dans le cadre de nos travaux sur l’énergie thermique des mers : l’IUT Saint Pierre dans l’Université de la Réunion où des jeunes font de la recherche appliquée ! Régis LE BARS : A ce jour, l’ADEME a reçu 21 projets de R&D qui n’ont pas directement encore de marchés. Près d’une centaine d’entreprises ou laboratoires de recherche déposent des thèses ou des compétences en R&D. Il y a vraiment un besoin de compétences pour ces technologies. Philippe GERMA : Je crois que vous, les jeunes, vous aurez à construire le monde de demain, décarboné ! On ne peut plus continuer à produire des gaz à effet de serre comme on le fait aujourd’hui, votre génération devra s’attaquer à cette question. On sait que la mer se réchauffe et absorbe de moins en moins naturellement du gaz carbonique. Nous devons trouver une gestion de la mer globale pour éviter son utilisation par tous sans gouvernance. C’est pour cette raison que certains, dont le Président français, souhaitent la création d’une Agence mondiale de l’environnement qui aurait une responsabilité dans la gouvernance de la mer. Je voudrais faire une petite remarque : tous les grands centres financiers de l’histoire ont été liés aux ports ! Car les banquiers ont toujours accompagné le commerce lointain. En définitive, vous retrouverez toujours les banquiers dans les projets innovants, y compris sur la mer. Les banquiers ne sont pas si frileux que ça… Pierre LAGANDRE : Je voudrais dire que l’âge moyen des salariés de la Compagnie du Vent est de 31 ans… Les jeunes, c’est vraiment l’avenir pour les nouveaux métiers marins de demain. J’espère que ce sera un âge d’or pour la France dans les EMR !

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Déjeuner ‐ Allocution de Jacques KÜHN, Président, CCI de Brest

Lors d’une visite à Brest il y a 40 ans, le général de Gaulle a dit : « Les ambitions océanes

de Brest sont les ambitions de la France ». Je partage ce point de vue qui est toujours d’actualité ! Vous connaissez tous Brest comme grand port militaire… C’est aussi, sur le plan maritime, une des capitales de la France qui possède une offre complète comportant trois autres volets : logistique, industriel et scientifique. S’agissant de la logistique, le port de commerce est polyvalent : il accueille tout type de trafic, dont les conteneurs, ce qui lui permet de conserver une bonne activité malgré la

crise. Au service des entreprises et de l’économie de la Bretagne, il se classe au 1er rang européen pour l’exportation des produits congelés. La CCI de Brest gère et développe le port de commerce et la réparation navale depuis leur création ; notre compétitivité est le résultat d’une politique d’investissements : nous avons, par exemple, fait le choix, il y a 20 ans, de développer le trafic conteneurs en créant une plateforme multimodale. Ce choix gagnant nous amène aujourd’hui à nous engager dans le trafic intra‐européen (les autoroutes de la mer). Notez aussi que le port de Brest dispose d’une ressource rare, donnée par la CCI et ses partenaires : des réserves foncières importantes qui autorisent un potentiel de développement très significatif : 40 ha sont en disponibilité pour accueillir des activités industrialo‐portuaires. S’il y a des investisseurs qui m’écoutent, je les invite à prendre contact avec la CCI de Brest ! Deuxième caractéristique de Brest : son volet industriel. La réparation navale civile est n° 1 en France. Dans le champ militaire, la construction et la réparation navale, avec DCNS et ses sous‐traitants, pèsent aussi économiquement ! Une des spécialités brestoises est l’entretien des sous‐marins nucléaires ; à ce sujet, la Marine nationale vient de passer avec DCNS un contrat de 500 M€, confortant ainsi Brest dans sa fonction de port de maintenance. C’est bien, mais insuffisant car nous avons ici toutes les compétences humaines et techniques pour continuer à faire de la construction neuve militaire, domaine historique de Brest, et nous demandons à l’Etat de considérer Brest dans ses choix stratégiques… En plus de ces activités traditionnelles, les énergies marines renouvelables ouvrent de belles perspectives de développement : Brest a tous les atouts pour devenir un port logistique de maintenance des champs d’éoliennes offshore. A ce propos, je rappelle la légitimité de notre candidature à l’installation de la grande plateforme technologique pour les énergies marines renouvelables… Quant au volet scientifique, il faut rappeler que se trouve rassemblée à Brest la plus forte concentration française de chercheurs et d’experts dans le monde marin ! Brest est le premier pôle d’excellence français et européen des sciences de la mer avec 60 % de la recherche océanographique ! C’est une puissance intellectuelle et d’expertise qui est réunie à Brest autour de l’Ifremer, de l’université, de l’institut universitaire européen, de l’Ecole navale, de l’Ensieta, du Service hydrographique de la Marine, de l’Institut Paul Emile Victor ou encore du Cedre… De plus, le pôle de compétitivité Mer Bretagne, à vocation mondiale (fondé à l’initiative des acteurs brestois et de la CCI) a son siège à Brest. Notre ambition commune est de développer les produits et services innovants qui feront la différence demain sur les marchés internationaux et créeront des activités et des emplois ! Ainsi Brest dispose des compétences reconnues nationalement et internationalement dans les domaines des sciences et techniques de la mer ! Et je ne vous parle pas des exploits sportifs nautiques réalisés à partir de Brest ou des activités de plaisance et de pêche… Ces Assises mettent notre ville sous le projecteur pendant deux jours… Je souhaite que vous repartiez avec une bonne perception de Brest et de ses atouts : une grande ville, remarquable par la cohérence d’une offre maritime complète et globale : militaire, logistique, industrielle et scientifique ! Une ville qui est une pièce maîtresse de l’avenir maritime de la France !

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TRANSPORT MARITIME ET DEVELOPPEMENT DURABLE : CONTRAINTES ET OPPORTUNITES

Les autoroutes de la mer : quelles sont les conditions de succès ?

> Fernand BOZZONI, Président, Socatra ; Président, BP2S

> Henri de RICHEMONT, Ancien Sénateur > Mike GARRATT, Managing Director, MDS Transmodal

> Jean‐Marc ROUE, Président, Brittany Ferries

> Christophe SANTONI, Directeur général, LD Lines

Xavier DEBONTRIDE, Journaliste : Mike GARATT va nous présenter tout de suite quelques points de repère sur ce problème complexe des autoroutes de la mer et leurs conditions de succès. Mike GARRATT, Managing Director, MDS Transmodal

Je crois qu’il faut d’abord définir ce que sont les autoroutes de la mer : des services ro‐ro ou lo‐lo, fréquents, en compétition avec les transports routiers et qui permettent de couvrir un marché très large entre des régions bien identifiées. Il y a un très important avantage à transporter des marchandises par mer car cela réduit les coûts, l’impact environnemental et la consommation d’énergie. On peut noter une forte volonté de soutien politique national et européen aux autoroutes de la mer, mais il est crucial maintenant de choisir les stratégies qui vont vraiment accélérer leur développement. Il existe déjà des autoroutes de la mer, et depuis très longtemps ! Par exemple, entre la Scandinavie, la Grande‐Bretagne et le Benelux (transports par mer de camions chargés, de

voitures, de conteneurs, etc.). Cela fonctionne bien car on utilise de gros bateaux qui sont très compétitifs avec le transport routier de longue distance. Ces bateaux permettent de ne pas transporter le chauffeur avec son camion, d’où des économies… Il est clair que tout dépend des volumes transportés car les autoroutes de la mer ne sont rentables que si elles fonctionnent régulièrement (50 000 camions par an dans les deux sens). Il faut aussi assurer une liaison entre deux régions économiquement importantes : on ne peut pas faire des livraisons sur mesure… Les coûts de départ sont importants et il faut atteindre une masse critique ! Ce serait vraiment opportun d’organiser mieux le marché du fret européen qui est trop fragmenté, surtout en Europe du Nord… Car on observe qu’en Europe plus de 50 millions de tonnes sont transportées par route sur plus de 1 000 km par an : cela offre des perspectives aux autoroutes de la mer dans la mesure où ces dernières se justifient économiquement dès lors qu’elles transportent au moins 1 million de tonnes par an… Nous avons besoin de nouveaux modèles économiques pour les autoroutes de la mer : il faut qu’il existe des plateformes de transfert à chaque bout de l’autoroute de la mer, avec des centres logistiques efficaces pour tirer profit au maximum du système de conteneurisation. Je crois beaucoup aux « hubs » logistiques car leur valeur ajoutée est très importante ! Mais les investissements sont tels qu’il faut que les Etats et les régions concernés subventionnent les autoroutes de la mer pour atteindre la masse critique et la rentabilité avec de gros bateaux et des services innovants… Tout le monde y gagnera ! Fernand BOZZONI, Président, Socatra ; Président, BP2S

Il n’y a pas de définition officielle d’autoroute de la mer en droit international… D’ailleurs, certains (dont le coordonnateur européen, M. de Oliveira) ne souhaitent pas qu’il en existe une… L’autoroute de la mer demeure un concept initié dans le livre blanc de la Commission européenne de 2001. Certes, en 2004, nous avons eu une définition « en creux », émanant du Parlement et du Conseil européens dans leur analyse sur les " Grandes Infrastructures de Transport ". Selon ce texte, « l’autoroute de la mer doit réduire la congestion routière et

améliorer la desserte des Etats et des régions périphériques et insulaires ». Pour y parvenir, il est prévu de renforcer les lignes maritimes existantes ou d’en créer de nouvelles pour qu’elles soient « viables, régulières et fréquentes ». Ces lignes maritimes doivent relier au moins deux Etats‐membres différents en utilisant essentiellement des infrastructures portuaires et terrestres, avec notamment des systèmes électroniques de gestion logistique… Il est à noter que ce texte ne parle pas ou peu du navire : ce dernier n’est donc pas considéré comme une infrastructure… Ensuite, des concours financiers possibles sont énumérés dans le texte :

‐  les aides octroyées aux Etats et collectivités locales (orientations RTE‐T, fonds FEDER, fonds Interreg, fonds de cohésion) pour les infrastructures ;

‐  les aides accordées aux entreprises (surtout pour le démarrage) : le plan Marco Polo et les aides particulières d’Etat.

Tout cela est compliqué ; il serait bon qu’on clarifie ! D’autant plus que l’objectif de l’autoroute de la mer est de réduire la congestion routière, ce qui relève de l’aménagement du territoire et non des professionnels…

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En fait, il y a deux approches possibles : ‐  soit on considère que les autoroutes de la mer relèvent du marché, ce qui signifie qu’il existe une

demande et une offre ; j’observe qu’aujourd’hui il n’y a pas de demande et que l’offre n’est pas spontanée ;

‐  soit on considère que l’autoroute de la mer est une nécessité qui doit être imposée si elle ne peut pas s’imposer d’elle‐même.

Le choix entre ces deux approches appartient au politique ! On constate à ce propos qu’actuellement les incitations pour créer une offre ou stimuler une demande sont largement insuffisantes au regard des enjeux financiers qui sont considérables pour le secteur privé. Il faut encourager davantage et mieux ! Quelle que soit l’approche choisie, la solution passe par le dialogue entre toutes les parties prenantes : chargeurs, transporteurs, ports, armateurs… Il faut trouver ensemble une solution pragmatique ! Et je m’associe à la supplique de Francis VALLAT pour que soit nommé dans notre pays un Monsieur « autoroute de la mer ». À cette condition, yes, we can ! Christophe SANTONI, Directeur général, LD Lines

Pendant 5 ans, nous avons co‐exploité une autoroute de la mer tri‐hebdomadaire entre Toulon et Civitavecchia au Sud de Rome avec la compagnie italienne Grimaldi. Ce trajet correspondait à une réponse pertinente au désengorgement des routes entre la France et l’Italie. Nous avons démarré en investissant environ 12 M€ pour un navire, avec des aides assez minimes de l’Etat et de l’Europe (1 M€ sur trois ans). Après 5 ans d’exploitation, le coefficient de remplissage du navire était supérieur à 65 %, ce qui était plutôt favorable… Mais, pour atteindre ces 65 %, nous avons dû proposer des prix inférieurs à ceux des transporteurs routiers et cela nous a placés dans une situation de déficit structurel. Devant ce constat, nous avons mis fin à cette liaison au printemps dernier… Pour nous, les autoroutes de la mer ne peuvent pas compter sur le marché pour se

développer (sauf exceptions géographiques) ; elles ne peuvent exister qu’à travers une volonté politique coercitive et/ou incitative. Notre expérience s’est soldée par une perte d’environ 15 M€ avec un seul navire transportant le camion et son chauffeur dans 80 % des cas… A ce sujet, mettre en place des services ro‐ro sans capacités de chauffeurs n’est pas une solution selon moi car l’autoroute de la mer s’inscrit dans un schéma logistique global qu’il ne faut pas interrompre. Pour faire décoller les autoroutes de la mer, je crois qu’il faut que le système soit pratique pour les transporteurs, d’où la nécessité de fréquences élevées et d’investissements très lourds ; aucune entreprise ne peut porter toute seule un tel projet. Mike GARRATT : Pour le transport des chauffeurs, je crois qu’il faut faire changer les habitudes, sinon, il n’y a pas de solutions économiques ; cela a marché en Scandinavie mais la situation est particulière. Christophe SANTONI : Oui ! On ne peut pas comparer les lignes en Scandinavie avec la nôtre car elles n’ont pas la concurrence aiguë de la route… Chez nous, l’autoroute de la mer est là pour décongestionner les routes saturées. Jean‐Marc ROUE, Président, Brittany Ferries

Nous nous inscrivons dans le report modal entre la Grande‐Bretagne et l’Espagne depuis 30 ans. Par rapport à l’autoroute de la mer qui demande un volume et un investissement importants, le report modal permet de combiner le transport de fret avec celui des passagers et d’arriver à une rentabilité de la ligne. En matière d’autoroute de la mer, je pense que c’est la puissance publique qui doit d’abord investir dans les infrastructures portuaires et dans la flotte ; cette approche semble désormais validée après le Sommet de La Rochelle. Je crois aussi qu’il faut qu’il n’y ait qu’une seule ligne entre deux ports ; à défaut, on aura de la cannibalisation et on échouera. La fréquence doit être importante.

En 1986, il n’y avait pas de passerelle ro‐ro à Caen… Si cela marche aujourd’hui, c’est parce qu’il y a 3 escales par jour à Caen : cela rassure le transporteur routier car il sait qu’il aura forcément un bateau à sa disposition. Sur la façade atlantique, outre le fait qu’il n’y a pas de demande d’autoroute de la mer de la part des transporteurs routiers, il y a le problème des aides car elles ne sont pas adaptées. Le système de Marco Polo n’apporte des aides que si l’on fait du volume. Donc, si on démarre avec des petits volumes, on perd les aides, ce qui n’est pas très favorable. J’estime que le dispositif de l’écobonus, imaginé par les Italiens, est plus efficace car il est préférable d’inciter les transporteurs routiers à reporter des volumes sur le maritime. Henri de RICHEMONT, Ancien Sénateur : En fait, l’autoroute de la mer est un slogan politique derrière lequel il n’y a rien ! J’ai notamment réalisé un rapport à la demande de J.P. RAFFARIN « un pavillon attractif et des autoroutes de la mer crédibles : deux atouts pour la France ».

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À cette occasion, j’ai indiqué que l’autoroute de la mer n’est ni une ligne maritime, ni du simple cabotage : c’est une autoroute ! Elle ne relève pas des chargeurs ou des armateurs : elle est du ressort de l’Etat dans le cadre de l’aménagement du territoire. En fait, l’autoroute de la mer n’est que la prolongation des autoroutes terrestres pour y faire diminuer le trafic des camions. Certes, il n’y a pas de demande spontanée du marché. Le transfert modal ne se fait pas de la route vers la mer, mais de la mer vers la route. L’Etat doit impérativement faire cesser cette situation en s’investissant pleinement dans les autoroutes de la mer. Il lui appartient de choisir une ligne maritime qui sera une autoroute de la mer. Celle‐ci doit répondre à certaines conditions : une fréquence élevée, une régularité avec au moins deux départs par jour, et, surtout, une pérennité assurée en fin de période aidée.

J’en appelle donc à l’Etat pour qu’il fasse son travail d’aménageur du territoire, qu’il considère les navires comme des infrastructures car aucun armateur ne prendra le risque de construire tout seul des bateaux ad hoc… Donc, l’Etat doit faire construire des navires pour les donner ensuite en exploitation par des privés sur appels d’offres. Ainsi, on aura l’assurance d’avoir enfin une offre avec des lignes pérennes, exemptes du souci de défaillance de l’opérateur. Dans tous les cas, il n’y aura pas d’autoroute de la mer sans une volonté politique forte ! Question d’un participant : Faute d’autoroute de la mer, il existe en France des petites départementales de la mer qui peuvent servir de laboratoires. Par exemple pour la ligne reliant Belle‐Île dans le Morbihan, le bateau appartient au département et il est exploité en délégation de services publics (DSP) par une compagnie privée. Et cela fonctionne bien ! Henri de RICHEMONT : Il y a d’autres exemples de DSP réussis ! Pour moi, l’illustration d’une bonne autoroute de la mer est ce qui se passe dans le détroit de transmanche entre Calais et Douvres où il existe une véritable fréquence : c’est à cela qu’il faut arriver ! Mike GARRATT : Nous ne partons pas d’une feuille banche ! Donc, si on crée des lignes étatiques, on concurrence déloyalement les lignes privées existantes. Ce sera le cas, par exemple, pour les lignes entre l’Espagne et le Benelux. C’est donc assez difficile de trouver une solution à cette situation… Henri de RICHEMONT : Le rôle de l’Etat n’est pas de concurrencer l’existant mais d’assurer soit la continuité territoriale, soit le dégorgement des routes. Il n’est pas question que l’Etat exploite lui‐même des lignes : il doit donner la possibilité d’arriver aux buts recherchés. Dans cet esprit, la notion d’aménagement du territoire doit devenir européenne. Question d’un participant : La ligne Toulon‐Civitavecchia devrait redémarrer en 2010 avec des subventions supplémentaires et une escale en Corse à Bastia. Peut‐elle économiquement réussir ? Christophe SANTONI : Vous faites allusion à un projet de Veolia qui est différent du nôtre : trajet différent, transport de passagers, modèle économique… Ce n’est pas tout à fait une autoroute de la mer. Question d’un participant : Les grands ports maritimes ont maintenant le développement du réseau ferré portuaire comme cadre d’action. Ne pourrait‐on pas faire un comparatif du développement du réseau maritime entre deux ports avec cet objectif ? Ainsi l’autorité portuaire deviendrait partie prenante de l’autoroute de la mer. Jean‐Marc ROUE : Dans les différents projets, les autorités portuaires ont été sollicitées pour financer l’outil ou pour l’exploitation opérationnelle. Mais le problème n’est pas là. Car on a des appels d’offres différents (franco‐espagnol ou franco‐portugais pour la façade atlantique) ; nous avons besoin d’une autorité de mutualisation (un Monsieur « autoroute de la mer ») ; reconnaissons que ce qui a été fait jusqu’à présent n’a pas été bien fait : il faut donc arrêter et tout refaire avec un consensus de la part des acteurs concernés. Fernand BOZZONI : Je suis absolument d’accord ! Il faut un homme‐orchestre pour flécher le débat ! Remarque d’un participant : Que fait l’Etat aujourd’hui ? Jusqu’à présent, heureusement qu’il y a eu des initiatives privées (comme celle de Brittany Ferries) pour combler le déficit de volonté étatique ! Je suis donc pour une délégation des compétences au plus près du terrain, c’est‐à‐dire aux régions ! Jean‐Marc ROUE : L’investissement de l’Etat servira aux générations futures. Quand on sait que l’endettement sur le maritime est moins coûteux que sur la route ou le rail, il faut mettre en place des dispositifs novateurs pour le favoriser !

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Mike GARRATT : Je dirais qu’il faut une ambition sociale pour créer des autoroutes de la mer, mais, au niveau gouvernemental, on ne sait pas comment faire pour la traduire dans la réalité et pour lui donner des objectifs en partenariat avec le secteur privé… Fernand BOZZONI : J’espère que nous aurons du concret l’an prochain pour les 6èmes Assises de la Mer, et que cela puisse satisfaire tout le monde ! Henri de RICHEMONT : En 2003, les propositions de mon rapport avaient été entérinées ; j’espère qu’elles seront enfin mises en œuvre… Christophe SANTONI : Les projets d’autoroute de la mer relèvent de l’intérêt national… Il reste à convaincre l’Etat de les prendre maintenant à bras le corps.

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Démantèlement des navires en fin de vie : quelles nouvelles règles ? Quelles sont les conditions de création d’une filière européenne compétitive ?

> Pierre BARBLEU, Président, Association pour une plaisance éco‐responsable

> Mathilde SOULAYROL, Directrice développement, Veolia Propreté > Amiral Hubert JOUOT, chargé de la déconstruction des navires militaires, État‐major de la Marine > Xavier LEBACQ, Ingénieur général de l'armement

> Claude WOHRER, Chargée de mission démantèlement des navires en fin de vie, SG Mer Xavier DEBONTRIDE, Journaliste : Parce que tout ! une fin, le démantèlement de navires en fin de vie est chargé d’émotion qu’il s’agisse du Clemenceau (coque Q 790) et demain, peut‐être, de la Jeanne d’Arc… Et cela ne concerne pas seulement les navires militaires ! Faisons d’abord un tour du monde de la filière du démantèlement pour en appréhender la diversité. Claude WOHRER, Chargée de mission démantèlement des navires en fin de vie, SG Mer

Je débute mon intervention avec une requête : qu’il y ait plus de femmes à la tribune des prochaines Assises de la Mer ! Cela étant dit, je vais vous présenter un état des lieux du démantèlement à travers le monde. Au Bangladesh, les navires en démantèlement reposent sur la vase des chantiers. En 2008, ces chantiers étaient quasiment vides car les navires étaient alors encore utilisés pour le fret maritime qui était alors en pleine expansion. Ce n’est plus le cas en 2009 ; de même, les chantiers sont pleins en Inde : plusieurs navires sont démantelés en même temps alors que la législation n’autorise que deux démantèlements à la fois…

En 2007, on voyait des cours de 700 $ la tonne de navire à démanteler ; certains navires ont perdu 70 % de leur valeur en une seule nuit depuis 2009… En Asie du Sud‐Est, les conditions du démantèlement sont épouvantables, mais cela évolue : les équipements des ouvriers s’améliorent et une prise de conscience des conditions de travail est en cours. On organise davantage les chantiers, on classe mieux les métaux, on travaille moins dans la boue jusqu’aux genoux… Il y a même des chantiers pilotes en Inde qui sont parfaitement propres et salubres. Dans d’autres pays, les conditions de travail restent aussi à améliorer fortement, aux Etats‐Unis et en Europe notamment, où l’on reste encore parfois très loin de la cale sèche en démantelant par tranches horizontales. En Turquie, les chantiers ont progressé sur la question environnementale. Ils sont pleins aujourd’hui, mais le prix d’achat d’un navire à démanteler est de 170 $ la tonne, contre 300 $ la tonne en Asie, ce qui explique que les gros navires partent en Asie se faire démanteler et qu’il ne reste en Turquie que des petits navires. En France, lorsqu’on s’en donne les moyens, les chantiers de démantèlement répondent aux conditions de respect de l’environnement et de la sécurité des travailleurs (démantèlement du Lucifer)…. La question est de savoir jusqu’où il faut aller dans la recherche du chantier parfait. Pendant mon tour du monde du démantèlement, j’ai perdu beaucoup de certitudes et j’ai énormément appris. Ce que j’en retire principalement, c’est que les navires de grande taille ne seront jamais plus démantelés en Europe. Mais, par contre, il y a très certainement de la place chez nous pour une filière de démantèlement concernant en particulier les navires de pêche. Cette filière existe pour partie, mais il faut la renforcer tout en s’attaquant aussi au problème des navires déchets qui ont été saisis et qu’il faut bien démanteler. Amiral Hubert JOUOT, chargé de la déconstruction des navires militaires, État‐major de la Marine

La politique générale de la Marine pour les navires retirés du service consiste à les déconstruire. Elle s’inscrit dans une démarche de développement durable, avec la perspective de réutiliser tous les métaux qui sont à bord et d’assurer la traçabilité des produits polluants. Pour mettre en œuvre cette politique, la Marine a un certain nombre d’exigences sur lesquelles elle ne veut pas transiger : la préservation de la santé des personnels, la protection de l’environnement, le respect de la réglementation et la traçabilité des produits polluants. À ces exigences, s’ajoute une volonté de performance économique. En fait, comme beaucoup, la Marine a pris conscience de l’importance du dossier à traiter

à l’occasion de la décision du rapatriement de la coque Q 790 sur la métropole, en 2006. Cet épisode a été un élément accélérateur dont les effets ont pu être constatés lors des travaux sur la convention de Hong‐Kong. La Marine a estimé qu’il fallait d’abord traiter cette affaire au niveau européen et, à la suite de la réunion de l’ensemble des marines nationales européennes à Paris en juin 2006, il a été constaté que nous avions des points en commun, en particulier avec la Grande‐Bretagne. Nous avons procédé à l’inventaire des coques à déconstruire et nous avons redéfini le processus de retrait du service actif des bâtiments (construits ou en construction) en anticipant leur déconstruction (désarmement, cartographie des matières non recyclables, des produits dangereux, etc.). 70 navires sont actuellement concernés par cette cartographie et les opérations de déconstruction pour un budget de 50 M€.

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Nous avons déjà initié des opérations de déconstruction ; pour le Lucifer, c’est terminé et, pour la coque Q 790, c’est en cours. Nous préparons d’autres opérations pour des coques plus anciennes… Xavier DEBONTRIDE : Et la Jeanne d’Arc ? Amiral Hubert JOUOT : Pour la Jeanne d’Arc, aucune option n’est exclue. Soit on la maintient à condition de trouver une solution satisfaisante (cf. l’exemple négatif du Colbert), soit on essaie d’en garder le souvenir en conservant à terre certains de ses éléments… Aucune décision n’est prise pour le moment. S’agissant de la déconstruction des sous‐marins nucléaires lanceurs d’engins, nous travaillons avec la DGA pour identifier les bonnes pratiques. Xavier LEBACQ, Ingénieur général de l'armement

Comme tous les autres ministères, celui de la Défense doit prendre en compte tous les aspects du développement durable ; un plan d’action a été mis en place à ce sujet. Dans ce contexte, le démantèlement a été envisagé pour tous les systèmes d’armes : navires, avions, chars, munitions conventionnelles, matériels électroniques… On y rencontre des problèmes de même nature :

‐  juridique : un navire destiné au démantèlement est assimilé à un déchet et il faut respecter la réglementation spécifique ;

‐  économique : le démantèlement doit rapporter de l’argent car on recycle 95 % de l’acier du navire), vente par le service des Domaines, etc.

Mis à part le démantèlement qui peut (doit) rapporter (vente de l’acier récupéré), il est prévu de consacrer 100 M€ pour le démantèlement de tout ce qui flotte, rampe, vole ou roule, hors armements nucléaires, sur la période de programmation des 5 prochaines années. Ce qui coûte notablement, c’est le démantèlement des munitions car, même si on en recycle 95 %, il reste tout le pyrotechnique à traiter. Pour le démantèlement des navires, chars et avions, j’ajoute que, le problème de l’amiante s’est rajouté ces dernières années, ce qui nous a conduit à ralentir le processus du démantèlement et à stocker des matériels. Maintenant, il s’agit donc de faire du démantèlement en masse… De plus, sur les 5 prochaines années il y aura des sorties de matériel des armées représentant 275 000 tonnes, dont une bonne moitié pour les navires. Il va aussi falloir traiter tout cela en examinant toutes les options possibles, musée, démantèlement, vente de matériel d’occasion… Je rappelle enfin que le démantèlement des navires marchands dans le monde représente 5 millions de tonnes par an et que le total du démantèlement des navires militaires européens n’atteint que 500 000 tonnes. Mathilde SOULAYROL, Directrice développement, Veolia Propreté : Les navires ne sont pas des « déchets » comme les autres ! Amiral Hubert JOUOT : Oui et dans la Marine, on débaptise les navires en déconstruction et on leur donne un numéro de coque ; les tôles du Clemenceau sont devenues la coque Q 790, mais l’esprit du Clemenceau reste bien sûr dans le cœur des marins qui ont navigué à bord… Mathilde SOULAYROL : Veolia s’est aussi intéressé spécifiquement aux navires en fin de vie depuis l’épisode du

Clemenceau en 2006. Nous avons étudié où effectuer leur démantèlement en conformité avec la réglementation sur le traitement des déchets (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement ‐ ICPE). En 2006, il n’y avait pas d’ICPE en France et nous avons décidé d’en créer un pour jeter les bases d’une filière française de démantèlement. Il y avait cependant un vide juridique à combler car les IPCE n’étaient pas prévus pour les bateaux… Tout cela a pris du temps et nous avons finalement trouvé une cale sèche dans le port de Bordeaux pour accueillir le démantèlement de navires (navires marchands et bateaux de pêche). Bien sûr, tous les navires n’ont pas besoin d’être traités en cale sèche, les bateaux de pêche en particulier, mais qui peut le plus peut le moins, notamment pour traiter de l’amiante et

des bâtiments complexes. Notre site est à la fois branché sur le fluvial et sur le rail ; cette accessibilité est un réel avantage pour créer une filière, voire un pôle de déconstruction permettant de conserver en France un dynamisme et une expertise sur le démantèlement. Xavier LEBACQ : Pour créer une filière rentable, il faut certainement adosser l’activité de démantèlement à du ferraillage ; dans ce contexte, une unité de 100 personnes peut facilement traiter 100 000 tonnes par an. Quant au coût des infrastructures, il dépend de l’existant (bassin, quai, cisailles, chalumeaux…) ; cela peut varier entre 5 et 10 M€. J’ajoute qu’une filière française de démantèlement doit se situer dans un contexte global car elle peut aussi concerner d’autres produits comme les usines, les voitures, les plateformes offshore, les éoliennes, etc. L’équation économique dépend du coût de la main d’œuvre, de l’acier, du niveau de fret, etc. Il y a donc quantité de paramètres à considérer dont celui des autorisations de démantèlement puisque les navires français

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doivent être déconstruits en Europe tandis que nos voisins anglais estiment que le démantèlement de leurs bateaux est possible dans tous les pays de l’OCDE. Pierre BARBLEU, Président, Association pour une plaisance éco‐responsable

La filière de démantèlement des bateaux de plaisance est en cours de constitution. Nous y travaillons pour estimer le nombre de bateaux de plaisance hors d’usage (BPHU) à déconstruire et pour connaître les techniques possibles. Nous avons constitué des points‐conseils destinés aux propriétaires de BPHU et aux ports afin de leur indiquer la marche à suivre pour un démantèlement éco‐responsable et pour suivre l’ensemble des procédures (désimmatriculation, etc.) que nous sommes en train d’essayer de faire simplifier par l’administration. Nous avons établi un cahier des charges pour les opérateurs déchets ; ceux‐ci vont être capables très prochainement de faire du démantèlement. Comme beaucoup de BPHU ont été fabriqués en fibre de verre et en résine, il sera difficile de les valoriser dans l’immédiat, mais nous travaillons avec l’Université de

Glasgow sur un projet européen de valorisation de ces déchets. Nous poussons aussi beaucoup à la fabrication de bateaux éco‐conçus dont les matériaux de base peuvent être réutilisés. J’ajoute qu’il existe deux autres expériences dans le monde sur la fin de vie des bateaux de plaisance : en Norvège et surtout au Japon où c’est l’Etat qui prend en charge la déconstruction. Notre démarche intéresse les Finlandais et les Espagnols et il n’est pas impossible que la filière que nous mettons en place soit amenée à déconstruire des bateaux de ces pays ou d’autres pays européens ; nous sommes un peu les chefs de file de cette démarche en Europe car elle est globale : outre les coques, nous travaillons à la récupération des moteurs et des feux et fusées. A toutes les personnes intéressées, je signale que nous serons au prochain salon nautique et que nous avons un site Internet très complet sur ces questions ! Claude WOHRER : L’Organisation Maritime Internationale (OMI) a adopté en mai dernier un texte qui mérite votre attention car il précise davantage la situation juridique d’un navire avant son démantèlement, via un inventaire spécifique à chaque navire dès sa conception qui indique les matières interdites et qui répertorie les matières dangereuses. Cet inventaire est attaché au navire tout au long de sa vie et il sera utilisé pour faciliter son recyclage final et pour choisir les chantiers capables de le démanteler. Question d’un participant : A votre avis, faut‐il légiférer dans le domaine de l’éco‐construction comme on l’a fait pour les bâtiments ? Xavier LEBACQ : La DGA et les états‐majors prennent déjà en compte la problématique du démantèlement dès la conception des matériels. Je précise qu’avec le programme Reach européen (registration, evaluation and

autorisation of chemicals) l’inventaire des matières potentiellement dangereuses doit être réalisé et c’est obligatoire. Mathilde SOULAYROL : Aujourd’hui, beaucoup de questions se posent pour éradiquer l’utilisation de produits dangereux lors de la conception des bateaux (amiante, PCB, TBT, peinture anti‐fooling, etc.) ; on cherche à remplacer ces matériaux et il y a des solutions qui apparaissent… À mon avis, on ira de plus en plus vers des matériaux et des bâtiments éco‐conçus en évitant les bateaux à forte composante plastique composite car leur valorisation après la déconstruction est très compliquée. D’ailleurs, des programmes européens sont en place pour travailler sur le recyclage des plastiques et des fibres de carbone, mais ce n’est que le démarrage ! Question d’un participant : Quid du démantèlement des navires à propulsion nucléaire ? Xavier LEBACQ : Le démantèlement nucléaire est parfaitement réalisé, tout au moins en France. Pour autant, quand les budgets seront là, il faudra s’attaquer au démantèlement des coques des sous‐marins… Question d’un participant : Pourquoi le démantèlement des très grands navires civils n’a‐t‐il pas de perspectives en Europe ? Claude WOHRER : En disant cela tout à l’heure, je n’ai fait qu’un constat. Il serait heureux que les grands navires marchands aient des débouchés de démantèlement au sein de l’Union européenne, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Je rappelle que c’est la convention de Bâle qui s’applique (la réglementation déchets) et vous savez que l’Inde et le Bangladesh l’ont ratifiée. Mais on voit ce qui se passe… Certains armateurs européens m’ont dit qu’ils avaient de lourds dilemmes : soit respecter parfaitement la loi et perdre quelques millions d’euros sur le prix de rachat en Europe, soit prévenir qu’on sort un bâtiment des eaux européennes pour aller le faire démanteler ailleurs et prendre le risque de se faire arrêter… Voilà le constat et c’est regrettable !

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Il faut trouver des moyens pour faire en sorte de convaincre les armateurs de rester au sein des filières européennes, si tant est que celles‐ci arrivent à être un peu compétitives ; si elles n’y parviennent pas, il faut trouver des moyens pour qu’elles le deviennent. Mais je ne vois pas vraiment comment… Avec des systèmes de quotients ? Une analyse est en cours et elle doit être poursuivie. Amiral Hubert JOUOT : Je signale qu’une acquisition de prestation de déconstruction par la Marine passe forcément par la passation d’un marché public. Étant donné leur importance, ces marchés publics se feront à l’échelle européenne. Je voudrais surtout vous dire la Marine est pleinement engagée dans la démarche exigeante de déconstruction que j’ai évoquée. Nous sommes déterminés à lui apporter une attention tout aussi forte que celle qui préside au maintien des bâtiments en condition opérationnelle et à leur utilisation !

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ALLOCUTION DE CLOTURE

> François FILLON, Premier ministre  

André THOMAS, Rédacteur en chef, le marin : Monsieur le Premier Ministre, au nom de tous les participants à ces Ves Assises de l’économie maritime et du littoral, je tiens à vous remercier solennellement d’avoir accepté notre invitation ; celle‐ci témoigne de l’intérêt dont le gouvernement fait preuve à l’égard de l’ensemble des activités maritimes. Je passe tout de suite la parole à François CUILLANDRE, Maire de Brest, pour le traditionnel accueil républicain. François CUILLANDRE, Maire de Brest

Même si, vous êtes partout chez vous en France en raison de vos fonctions, Monsieur le Premier Ministre permettez‐moi de vous souhaiter la bienvenue à Brest ! L’accueil brestois est souvent un peu rude, mais il est toujours républicain et j’y suis très attaché. Je voudrais, devant vous, remercier et féliciter les organisateurs de ces Ves Assises de la Mer, pour avoir choisi Brest ! Il n’était pas incongru, en effet, pour parler d’économie de la mer de choisir une ville qui en concentre toutes les activités : militaire bien entendu, commerce, construction et réparation navales, pêche, plaisance et recherche océanographique. Le marin le plus célèbre au monde parlait souvent de Brest : il s’agit du

capitaine Haddock avec son célèbre juron « Tonnerre de Brest ». Je voudrais aussi féliciter les organisateurs et les participants pour la qualité des échanges : l’objectif était ambitieux pour faire partager à l’ensemble de nos concitoyens les enjeux liés à la mer alors que pour la majorité d’entre eux « la mer, c’est ce qu’ils ont dans le dos quand ils regardent la plage » selon les mots d’un autre marin célèbre, Eric TABARLY. L’économie de la mer n’échappe pas à la crise économique globale que nous traversons ; elle y est d’ailleurs plus forte qu’ailleurs parce que ce secteur est soumis à une concurrence internationale plus vive. Les activités brestoises liées à la mer sont bien entendu dans ce mouvement récessif et ceci nous inquiète… Brest est né, il y a plusieurs siècles, autour de son port militaire et de son arsenal. Ils ont souvent assuré notre développement, parfois aussi notre malheur lorsque, port d’attache des sous‐marins allemands, Brest fut détruite presque entièrement lors de la seconde guerre mondiale. Brest a été créée par et pour l’Etat, même si Brest sait ne pas tout attendre de l’Etat. Les Brestois savent se retrousser les manches et prendre en main leur avenir : la diversification de notre potentiel économique se poursuit après avoir été engagée depuis de longues années, mais nous devons aussi rester attachés à nos fondamentaux. Permettez‐moi d’illustrer mon propos. J’ai entendu, hier, le cri d’alarme concernant les chantiers de construction navale, notamment le site de Saint‐Nazaire et je le partage. Mais je n’oublie pas que les derniers grands navires de notre marine nationale sont sortis des chantiers brestois : le Charles de Gaulle, les BPC dont la poursuite de programme à Saint‐Nazaire est présentée comme une bouée de secours. Le plan de charge de DCNS Brest est bas et la sous‐traitance navale a quasiment disparu. L’Etat est actionnaire de STX et il est aussi propriétaire de DCNS… Vous venez de saluer le départ de la Jeanne d’Arc pour son dernier voyage autour du monde. Votre présence à bord était importante. Les marins et les Brestois ont un attachement particulier pour ce navire et ils ont apprécié votre geste. Mais, par sa sortie de flotte, certainement nécessaire au bout de 40 ans de bons et loyaux services, c’est l’équivalent d’une PME de 500 personnes qui va disparaître. Nous voulons cependant rester résolument optimistes et actifs. De l’eau salée coule dans nos veines et notre regard est tourné vers l’océan ! Les énergies marines renouvelables représentent pour nous un potentiel de développement certain. J’ai lu avec intérêt les propos du Président de la République au Havre en juillet dernier sur la création en France d’une plateforme technologique sur les énergies marines avec l’IFREMER comme chef de file. Cette volonté, que je salue, donne de la cohérence au Grenelle de l’Environnement et à celui de la Mer. Ceux qui iront à Copenhague dans quelques jours pourront constater que nos voisins danois ont sur nous plusieurs longueurs d’avance en la matière. Je vous confirme la candidature de Brest comme site d’implantation du plus grand centre français d’IFREMER, à son accueil en tant que tête de pont de cette plateforme. Cette candidature est partagée et soutenue par Jean‐Yves LE DRIAN, Président du Conseil Régional et par Pierre MAILLE, Président du Conseil Général du Finistère. De nombreux éléments militent en faveur de cet accueil à la pointe bretonne : la position géographique, les moyens portuaires et logistiques, le potentiel en matière de recherche ou industrielle ; je pense bien entendu, mais pas simplement, à IFREMER et à DCNS, et à une forte volonté politique. DCNS a besoin de diversification pour assurer sa pérennité : voilà une piste qui ne peut pas laisser indifférent l’Etat actionnaire majoritaire.

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Tous les acteurs sont présents au sein du pôle de compétitivité Mer dont le dynamisme a été salué à de nombreuses reprises. Un dernier mot sur la déconstruction des navires en fin de vie : c’est un débat qui revient régulièrement à Brest et j’ai toujours été favorable à une étude sérieuse sur la localisation d’une telle activité dans notre cité. Mais soyons clairs : elle ne peut exister, en respectant les hommes et l’environnement, que si les propriétaires de navires sont prêts à y mettre le prix. Imaginez, surtout dans les conditions économiques actuelles, que les entreprises de déconstruction puissent rentabiliser leurs activités sur la seule valorisation des métaux est sans doute une illusion, saut peut‐être en Inde. Ici, à Brest, les vieux navires (et malheureusement la Jeanne d’Arc en fera bientôt partie) sont propriété de l’Etat. Voilà les quelques réflexions d’un maire qui se bat tous les jours pour son territoire. Monsieur le Premier Ministre, je vous remercie de m’avoir écouté, et, je l’espère, de m’avoir entendu !

François FILLON, Premier ministre Monsieur le Maire, Monsieur le président du groupe Ouest‐France et du Marin, Monsieur le Président de l’Institut de la mer et du Cluster maritime français, Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames et Messieurs. Je voudrais d’abord vous dire que je viens avec Hubert FALCO, Secrétaire d’Etat chargé de la défense et des anciens combattants de ressentir en compagnie de plusieurs élus bretons, beaucoup d’émotion à assister au dernier départ de la Jeanne d’ARC. J’espère que vous ne m’en voudrez pas d’être venu accompagné du maire de Toulon. Peut‐être que c’était une faute de goût à Brest, mais la solidarité entre les gens de mer l’emporte sur la compétition entre les ports. En tout cas, je veux vous dire que c’est un plaisir pour moi de vous retrouver à Brest où vous venez, pendant deux jours, de vous pencher sur notre économie maritime. Je suis convaincu que la mer est un domaine d’avenir. La France est une puissance maritime. J’imagine que vous l’avez dit et redit pendant la durée de cette rencontre. Riveraine de trois océans et de quatre mers, elle possède un espace maritime vingt fois plus étendu que son empreinte terrestre qui la place au deuxième rang mondial pour sa superficie maritime. Aujourd’hui, l’idée d’un milieu maritime à préserver fait l’unanimité. Mais je veux vous dire que cela ne rend pas l’exploitation de la mer caduque pour autant. Notre politique maritime doit être optimiste et dynamique. Elle doit allier développement économique et les préoccupations écologiques. Il n’y a pas à opposer ceux à qui un contact séculaire avec la mer a appris l’humilité devant les forces naturelles et ceux qui, en toute bonne foi, considèrent que l’homme est aujourd’hui le corrupteur de cette nature. Je pense que sur ce constat, le monde maritime se retrouve. En juillet dernier, le Président de la République avait indiqué au Havre toute l’importance que nous attachions aux activités maritimes pour l’économie nationale, et le rôle déterminant que doit jouer la France dans la définition d’une politique maritime responsable. Ce n’est pas à vous que je dois rappeler l’importance des activités liées à la mer. Aujourd’hui, en comptant le tourisme, ces activités emploient plus de 500 000 personnes. C’est autant que le secteur financier. Et qui plus est, c’est un secteur qui embauche, qui est largement diversifié et qui manque de candidats dans certaines branches. Nous avons engagé de nombreuses actions qui seraient d’ailleurs davantage apparentes si l’imbrication du monde maritime dans l’économie générale n’était pas si étroite. Au plan législatif, quatre lois ont été votées portant sur la création du registre international français, sur les ports, sur la nationalité des équipages et sur la création de l’Ecole Nationale supérieure Maritime. En ce moment même, deux textes supplémentaires sont en préparation ; ils comprennent chacun des dispositions propres à la mer :

‐  le projet de loi portant « engagement national pour l’environnement » qui est en cours d’examen au Parlement ;

‐  le « projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche » qui va l’être bientôt. C’est cette composante importante de l’identité bretonne que je souhaiterais évoquer avec vous d’abord.

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Ici en Bretagne, la pêche c’est un élément structurant de l’économie locale. A un emploi embarqué correspondent trois ou quatre emplois indirects à terre. Et contrairement aux emplois saisonniers de l’activité touristique qui dominent la vie du littoral, ceux‐là sont des emplois permanents. Nous croyons en l’avenir de la pêche. Mais elle doit protéger la ressource et se protéger elle‐même. L’un des engagements forts du Grenelle de la mer concerne notre contribution à la réforme de la Politique Commune de la Pêche qui va débuter l’année prochaine. Cette réforme est capitale pour l’économie de nos littoraux. La nouvelle Politique Commune va devoir assurer une pêche durable, par pêcherie, qui prenne en compte des objectifs environnementaux, économiques et sociaux. Bruno Le Maire, Ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche vient de clore les « Assises de la pêche » dont il vous a présenté les conclusions. J’ai été très attentif à ces débats qui ont eu le mérite d’associer des professionnels, des syndicats, des élus, des ONG et des experts scientifiques. Je crois que ces participants ont convenu qu’il fallait davantage de subsidiarité dans la Politique Commune de la Pêche. Compte tenu des zones de pêche que fréquentent nos navires, re‐nationaliser cette politique n’aurait pas de sens. En revanche, il faut nous appuyer sur une gestion concertée sur le terrain pour définir les moyens d’atteindre les objectifs fixés à Bruxelles, et notamment les mesures techniques. Je sais qu’il y a un consensus fort contre l’idée d’un grand marché européen des quotas de pêche transférables, idée qui est pour le moment en tout cas, portée par la Commission européenne. Les assises de la pêche ont jugé que cette réforme devrait plutôt s’appuyer sur une gestion collective par les organisations de producteurs des droits à produire. Le travail remarquable qui a été conduit par certaines de ces organisations, notamment ici en Bretagne, pour mettre en adéquation la capacité de la flotte et les droits d’accès à la ressource tend à prouver combien la gestion collective peut être efficace et combien elle peut être capable d’assurer la viabilité économique des entreprises. Le projet de loi de Modernisation de l’agriculture et de la pêche l’a pris en compte et va renforcer les moyens juridiques accordés aux organisations de producteurs pour gérer les espèces sous quotas. Je sais aussi que beaucoup souhaitent voir renforcer le rôle de l’expertise scientifique. Le Président de la République l’avait dit en juillet dernier : en matière de gestion des ressources halieutiques, les décisions doivent être prises dans le respect des avis scientifiques. Ces avis, ils doivent être partagés avec les professionnels qui sont aussi des experts de la mer. C’est un des axes de réforme de la Politique Commune de la Pêche. C’est aussi l’une des propositions du projet de loi de Modernisation de l’agriculture et de la pêche qui prévoit de créer un comité de liaison scientifique et technique des pêches maritimes, qui permettrait de rassembler l’ensemble des experts, y compris les professionnels. J’ajoute, s’agissant de cette question de la pêche, que nous discutons actuellement de l’utilisation du grand emprunt, c'est‐à‐dire au fond, de notre politique d’investissement d’avenir. Et vous avez pu constater que dans les propositions qui ont été faites par la Commission présidée par Michel ROCARD et Alain JUPPE, figurent plusieurs sujets en termes de recherche et d’innovation qui concernent la pêche et en particulier la recherche sur les nouvelles motorisations des bateaux. L’économie des produits de la mer, c’est aussi celle de l’aquaculture. Dans le rapport que nous avions confié il y a un an à Hélène Tanguy, il a été souligné que la filière aquacole française stagne depuis des années. Nous savons tous que c’est dû en grande partie à des conflits d’usage pour l'accès à l'espace littoral, là‐dessus nous devons prendre en considération les préoccupations légitimes de tout le monde. Mais il est quand même choquant d’imaginer que notre pays, avec le potentiel maritime qui est le sien, tant en métropole qu’en outre‐mer, fasse reposer 85 % de l’alimentation de sa population en produits de la mer sur des produits importés. Et nous, nous pensons que ça n’est pas irrémédiable. Nous avons montré que le dialogue peut venir à bout de bien des situations, et nous allons continuer dans cette voie. Le projet de loi de Modernisation de l'agriculture et de la pêche prévoit l’élaboration de schémas régionaux de développement de l’aquaculture marine. Ils mettront autour de la table les élus, les professionnels, les associations pour identifier les sites les mieux adaptés au développement d’une aquaculture durable. Après la pêche et l’aquaculture, une des premières activités économiques maritime de notre pays, c’est la marine marchande. Dans l’imaginaire maritime, le marin de commerce occupe une place à part. Nous disposons d’une flotte de commerce d’un peu plus de 400 unités sous pavillon français. Mais on estime à 500 le nombre de navires de la flotte marchande contrôlés par des intérêts français mais qui battent pavillon étranger. Chacun ici connaît bien les causes de cette situation. C’est le fruit d’une longue histoire. Mais cela n’est pas parce que c’est le fruit d’une longue histoire qu’on doit s’en satisfaire. Nous avons pris un certain nombre de mesures fiscales et financières pour renforcer la compétitivité de la flotte française. Un nouveau registre d’immatriculations sous pavillon français a été créé par la loi du 3 mai 2005, à l’instar d’autres pays maritimes européens. Alors je le sais bien, cette création n’a pas eu tous les effets attendus en raison du classement de ce registre comme « pavillon de complaisance » par l’ITF. Quand on compare le régime du RIF aux autres registres internationaux européens, franchement, cette inscription est totalement incompréhensible.

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Je tiens à rappeler que le RIF est étroitement contrôlé par l’Etat et que les pratiques de nos armateurs sont unanimement considérées comme respectueuses des engagements souscrits, notamment en matière de sécurité et de protection sociale. La persistance de cette inscription constitue un obstacle au développement de la flotte et de l’emploi correspondant. Il faut qu’elle soit levée par une attitude responsable de tous les intéressés. L’extension de ce registre à la « grande plaisance commerciale » est certainement une voie qui doit être explorée. La puissance économique d’un pays se reflète pour une très large part, dans l’activité de ses ports. Malheureusement vous le savez, la France fait exception à cette règle. Comme chacun le sait, les ports français n’ont pas l’importance qu’ils devraient avoir. Ils n’assurent qu’une part limitée des flux de conteneurs générés par notre économie nationale. C’est la raison pour laquelle nous avons engagé une réforme d’une profondeur considérable. Depuis la loi du 4 juillet 2008, des étapes décisives ont été franchies. Et je veux à cet égard saluer la responsabilité dont ont fait preuve tous les acteurs du secteur, en cherchant les voies et les moyens pour trouver des accords équilibrés. Nous avons recentré les ports sur leur rôle d’aménageurs du domaine public en y mettant en place une nouvelle gouvernance. L’unicité du commandement sur les terminaux portuaires, indispensable à une meilleure efficacité du travail, est en cours de mise en oeuvre. Le transfert des activités d’outillage vers des opérateurs privés devra être achevé au premier semestre 2010. De plus, des plans stratégiques ont été élaborés et adoptés par chaque port pour répondre aux nouveaux besoins d’investissements portuaires qu’ils auront identifiés, l’Etat va débloquer les crédits supplémentaires nécessaires. Mais l’attractivité d’un port ne se limite pas à ce qui se passe sur ses quais. Nous savons bien qu’elle dépend largement de la qualité des liaisons avec son « hinterland ». Il faut dans ce domaine que nous accélérions le développement des dessertes terrestres massifiées, ferroviaires et fluviales, et donc que nous soyons en mesure d’investir là où cela est nécessaire. L’engagement national pour le fret ferroviaire va y contribuer. Le Gouvernement y investira 7 milliards d’euros d’ici 2020. Dans cette perspective, j’ai confié à Roland BLUM une mission parlementaire chargée d’analyser les besoins des réseaux ferroviaires et fluviaux qui desservent nos ports. Avec cette réforme des ports, nous nous sommes fixés des objectifs ambitieux : tripler les volumes de conteneurs transitant par les ports français d’ici 2015, attirer de nouveaux investissements et créer 30 000 emplois nouveaux, en grande partie dans les activités logistiques. La crise économique ne doit pas remettre en cause cette dynamique. La construction navale que vous venez d’évoquer Monsieur le Maire, a fait l’objet de l’attention toute particulière du gouvernement en cette période de crise. Là encore, vous connaissez tous ici les données du problème. Je veux d’abord rappeler que la Commission européenne, consciente de la situation critique des chantiers européens, a prolongé jusqu’à fin décembre 2011 le régime de soutien sectoriel à l’innovation. De son côté, la France fera savoir à la Commission qu’elle souhaite que soit engagée une réflexion sur un instrument européen de défense commerciale. Au‐delà des mesures défensives sur la concurrence, le maintien de la construction navale européenne ne peut être assuré que par la mise au point de navires innovants. C’est un sujet sur lequel nous sommes mobilisés depuis plusieurs mois, il est vrai que la mise en place des nouvelles institutions européennes a pu créer un peu de vide dans le fonctionnement de l’Union. Mais il faut maintenant que l’Union européenne s’attaque aux vrais sujets. Nous avons besoin d’une nouvelle politique de la concurrence qui n’ait pas pour seul objectif d’empêcher les entreprises européennes de grandir. Mais qui ait au contraire pour objectif, d’aider les entreprises européennes à affronter la concurrence des autres continents. Car c’est là qu’est le sujet. La question ce n’est pas de savoir si la concurrence est parfaitement assurée entre la France et l’Allemagne. La question c’est de savoir si l’Europe a les instruments nécessaires pour lutter contre la concurrence extrêmement forte des pays du Sud‐est asiatique, de la Chine, de l’Inde ou du continent américain. Et puis nous avons besoin d’une politique d’investissement d’avenir. Cette politique que nous essayons d’initier en France avec le grand emprunt, c’est en réalité une politique européenne qui doit relayer cette initiative. Et on voit bien que sur cette question de la construction navale, c’est absolument essentiel aujourd’hui. Je veux dire un mot de la construction nautique qui elle aussi a été fortement touchée par la crise. Sous l’impulsion d’entrepreneurs dynamiques, la construction nautique est devenue un pôle d’excellence français, faisant de notre pays le premier producteur mondial de voiliers et de bateaux pneumatiques, le 4ème pour les bateaux à moteur et l’une des premières destinations touristiques pour le nautisme. Son activité a été frappée de plein fouet par la crise et réduite de moitié depuis 2008. Il fallait donc la soutenir, les pouvoirs publics sont intervenus pour aider les entreprises à passer cette très mauvaise passe. Mais nous savons aussi que pour que cette construction nautique se développe de manière équilibrée, il faut que notre marché intérieur suive sa croissance. Or nous manquons de capacité d’accueil pour les bateaux de plaisance. Nous avons donc engagé avec le ministre de l’Ecologie, des appels à projets pour remédier à ce problème structurel. Dès 2011, nous allons sélectionner une trentaine de projets en fonction de leur exemplarité environnementale et de leur caractère innovant pour définir les ports de demain. Concrètement, ce qui est en jeu, c’est plus de 1 000 emplois potentiels. Mesdames et Messieurs, il ne saurait y avoir d’activités maritimes dignes de ce nom sans hommes et sans femmes qualifiés. En France, la formation aux métiers maritimes est assurée par des filières spécialisées.

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Je veux d’abord dire que ce choix, il n’est pas question de le remettre en cause, mais je veux aussi souligner que notre enseignement a besoin d’être adapté. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a décidé de créer l’Ecole nationale supérieure maritime, dont le principe vient d’être approuvé par le Parlement. Cette école sera implantée sur les sites des quatre écoles de la Marine marchande. Cette école aura le statut de grand établissement. Les écoles des Affaires maritimes qui forment les cadres civils et militaires des affaires maritimes, lui seront également adossées. Cette nouvelle école nous voulons qu’elle vise le plus haut niveau international. Elle formera des officiers de la marine marchande polyvalents, mais aussi des professionnels concernés par l’exploitation des moyens navals et la sécurité de la navigation. Son programme d’enseignement devra lui permettre de délivrer un titre d’ingénieur. Notre système doit aussi pouvoir offrir un enseignement de haut niveau en matière de construction navale. Cette fonction est notamment assumée par l’Ecole Nationale Supérieure des Techniques Avancées. L’évolution de cette école, dans le cadre renouvelé de l’enseignement supérieur, doit être pour nous l’occasion d’étudier la création d’un master de « Génie maritime » en liaison avec les écoles d’ingénieurs brestoises. Je sais que cela répond à une attente forte de votre part. Les armateurs français ont besoin de recruter rapidement de jeunes navigants, et les industriels ont besoin d’ingénieurs pour développer les navires de demain. Notre politique maritime doit intégrer l’exigence du développement durable. Le développement durable ne signifie pas la régression ! Il ne s’agit pas d’empêcher le développement. Il ne s’agit pas de prôner une sanctuarisation de la mer et des océans. Mais il s’agit de faire en sorte au contraire, qu’ils continuent de fournir à l’Humanité, des ressources essentielles, sans mettre en péril leurs services écologiques. Notre politique maritime ne se réduira pas à une politique de préservation, mais elle devra intégrer cette problématique. Le projet de loi portant l’engagement national pour l’environnement ne dit pas autre chose dans ses dispositions relatives à la mer. L’océan est un réservoir immense de ressources biologiques, minérales, énergétiques, un « Réservoir de forces éternelles pour l’accomplissement et le dépassement de l’homme » disait St John PERSE. Il nous appartient de les évaluer, de les mettre en valeur et d’en assurer la permanence. Cela ne peut être fait sans une connaissance partagée des milieux océaniques, qui est encore très limitée. La recherche océanique exige des moyens considérables. Mais l’effort mérite d’être fait car sans une connaissance apportée par l’étude des océans, notre perception du monde serait différente. Observer la vie dans des conditions extrêmes ouvre des perspectives sur son origine. Les récentes découvertes de sources d’hydrogène natif, nous montrent que les fonds marins nous réservent encore bien des surprises. Dans ce domaine de la recherche, la France tient une place éminente, avec des équipes reconnues et la première flotte océanographique européenne. Le coût de ces moyens navals oblige toute la communauté maritime européenne à approfondir sa coopération. Et nous avons en septembre dernier, procédé au lancement du projet EUROFLEET, qui va répondre pour une large part à cette interrogation. Si vaste que soit l’océan, il a ses limites. L’eau des océans et des mers tiendrait tout entière dans un cube de 1100 km de côté. Il faut donc nous souvenir en permanence de cette finitude. L’océan n’est pas notre poubelle. La préservation des mers est un enjeu global. Plus que toute autre, la Bretagne est confrontée aux pollutions de la terre. Les algues vertes dont j’ai pu observer la prolifération cet été en sont une des traductions les plus visibles. Mais vous savez qu’il est des pollutions beaucoup plus insidieuses dues à des substances agissant à des doses infinitésimales qui ont conduit par exemple à réglementer les peintures anti‐salissure des navires de plaisance. Il serait inopérant et injuste de faire supporter aux seules activités maritimes et côtières la charge du maintien des équilibres écologiques. Le document sur la stratégie nationale pour la mer et le littoral prévue par loi sur l’engagement national pour l’environnement devra tenir compte de cette réalité. L’océan est aussi un formidable réservoir d’énergie, qui nous invite à relever un défi technique et économique : développer une filière énergétique compétitive capable d’utiliser les différentes formes d’énergies marines renouvelables. Le mouvement de la masse d’eau et ceux de l’air contiennent une énergie considérable, mais en même temps une énergie difficile à capter parce qu’elle est extrêmement diffuse. La plupart des technologies purement marines : les éoliennes offshore flottantes, l’énergie hydrolienne, l’énergie thermique des mers, sont des technologies encore balbutiantes et peu d’entre elles ont donné lieu à des démonstrateurs. Leur développement ne peut donc pas se faire sans intervention de la puissance publique. Le président de la République a souhaité que soit mise en place avant la fin de l’année une grande plate‐forme technologique sur les énergies marines, avec pour chef de file L’IFREMER, associant tous les acteurs du secteur public et du secteur privé. Eh bien Monsieur le Maire, non seulement je vous ai écouté, mais je vous ai entendu. Et je suis heureux de vous annoncer que cette plate‐forme sera implantée ici, au centre IFREMER de Brest, notamment parce que la région Bretagne s’est fortement positionnée sur le développement de ce type d’énergie. (ndlr : applaudissements nourris) Voilà… Même le maire de Toulon applaudit…

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Cette localisation permettra à la plateforme de bénéficier d’un environnement industriel et de recherche qui est de premier plan, avec entre autres la présence du « pôle mer Bretagne » et de la moitié du potentiel français de recherche en sciences et technologies marines. Les énergies marines sont extrêmement prometteuses, mais elles ne contribueront que très partiellement à notre objectif d’énergies renouvelables à l’horizon 2020. Et donc en attendant qu’elles prennent le relais d’un certain nombre de dos dispositifs, il faut que nous développions activement l’éolien offshore qui est lui, une technologie déjà mature. D’ici 2020, nous nous sommes fixés l’objectif d’installer 6 000 mégawatts en mer. Mesdames et Messieurs, il appartient aux Etats de définir la politique à mener sur la mer qui les borde. Nous voulons que la France se dote d’une stratégie maritime nationale et qu’elle mette en place une politique intégrée. Dans la prolongation des travaux du Grenelle de la mer, nous avons diffusé auprès des acteurs du monde maritime un projet de Livre Bleu qui détaille notre stratégie nationale en matière de gouvernance. Dans quelques jours, lors du Comité Interministériel de la mer, ce document fera l’objet d’une approbation gouvernementale. Les missions sont multiples : sécuriser la navigation au large de nos côtes, intercepter les trafics de drogue – notamment dans la mer des Antilles ; maîtriser l’immigration clandestine par voie de mer en Méditerranée ; lutter contre les pollutions ; prévenir les accidents de mer ; protéger la biodiversité marine. Tout cela relève de l’action de l’Etat en mer et recouvre aujourd’hui 45 missions différentes qui impliquent plus de dix départements ministériels. La coordination de l’ensemble des bateaux, des aéronefs, des centres de secours en mer mais aussi à terre est une tâche complexe. Si notre organisation est performante, je veux dire que c’est d’abord grâce à la qualité des hommes et des femmes qui la servent. La Marine Nationale, la Gendarmerie maritime, les Douanes, les Affaires maritimes, la Police, la Justice, et les Sauveteurs en mer agissent ensemble pour assurer la sécurité de nos concitoyens et la protection de notre environnement. Eh bien pour que cette organisation soit opérationnelle en tout temps, il lui faut une forte gouvernance interministérielle. La responsabilité de l’action de l’Etat en mer est confiée au Premier ministre. C’est une bonne chose. Et j’entends même dire que plusieurs pays nous envient cette organisation. Et donc il n’est pas question de la remettre en cause. Conservons ce qui fonctionne bien ! Mais ça ne veut pas dire pour autant, qu’on ne puisse pas faire mieux. Je pense qu’on peut optimiser l’utilisation des moyens des différentes administrations. Et pour cela il est nécessaire de passer d’une logique administrative à une logique de mission. J’ai demandé dans cet esprit, que l’on réfléchisse à la création d’une fonction « garde‐côtes ». Il ne s’agit pas de créer un nouveau service de l’Etat. Il s’agit d’abord de mettre en place un comité directeur de la fonction garde‐côtes qui rassemblera les responsables de toutes les administrations agissant en mer, sous l’autorité du Secrétaire général de la mer. Nous allons créer un centre opérationnel de la garde‐côtes, qui rassemblera les données de situation maritime provenant de toutes les administrations. Et nous allons expérimenter dans un premier temps, un centre unique d’action de l’Etat en mer, d’abord en Polynésie, là ou notre zone économique est la plus étendue. Et nous nous servirons de cette expérimentation pour poursuivre l’expérience. Je pense que la fonction de garde‐côtes donnera plus de visibilité à l’action de l’Etat en mer, et permettra de mieux dialoguer avec nos partenaires européens. S’il incombe à l’Etat de définir la politique de la mer, il ne peut le faire seul et il doit pouvoir se reposer sur des instances de concertation. Le 31 janvier 2008, j’avais eu l’occasion de souligner la place incontournable qu’occupait dans notre politique du littoral le Conseil national du littoral placé sous ma présidence. Aujourd’hui, je crois qu’il faut étendre ses compétences à la mer. Le projet de loi sur l’engagement national pour l’environnement le prévoit. Il est bien évident que la politique de la mer et du littoral, si elle concerne de nombreux partenaires, ne peut se faire sans l’association des élus. Et je veux dire qu’ils auront naturellement toute la place qui leur revient au sein du futur conseil. La semaine prochaine, je présiderai le Comité Interministériel de la mer qui arrêtera les orientations du gouvernement. Les métiers de la mer ne sont pas des métiers du passé ! Ce ne sont pas non plus des métiers comme les autres. Ce sont des métiers difficiles, contraignants, parfois dangereux. « Notre chien de métier est chose assez jolie », disait Tristan CORBIERE à propos de ces « gens de mer » un peu à part. On ne peut nier que la vocation maritime est une vocation entière. « Tout s'en va… tout ! La mer... elle n'est plus marin ; de leur temps elle était plus salée et sauvage », se lamentait le poète breton devant ce qu’il croyait être la disparition des gens de mer. Eh bien cette nostalgie n’est pas là nôtre ! Je crois au contraire que vos métiers ont un avenir. Je crois que la France a une destinée maritime et je crois qu’ensemble nous pouvons l’accomplir !

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André THOMAS : Merci, Monsieur le Premier Ministre pour votre intervention qui nous rappelle qu’un réel processus est en cours pour élaborer et appliquer une politique maritime globale et ambitieuse ! Au nom du marin et des Echos, je voudrais remercier les 1 400 participants qui nous ont fait confiance à l’occasion de cette Ve édition des Assises de la Mer, ainsi que les intervenants qui ont permis de susciter des débats de qualité. Je remercie aussi tous nos partenaires, entreprises et collectivités qui ont rendu possible cette manifestation à Brest. J’ai l’impression que nous pouvons conclure notre rencontre sur une note optimiste car les différents débats ont montré que l’on pouvait être viscéralement confiant sur le développement des activités maritimes, qu’il s’agisse des activités nouvelles comme les énergies marines avec ce projet désormais bien armé à Brest d’une filière française, qu’il s’agisse de la protection et de la gestion des espaces marins ou d’activités anciennes comme le transport, la construction navale, le nautisme et même la pêche pour laquelle le ministre Bruno LE MAIRE nous a signifié hier le volontarisme certain de la France pour prendre en main la réforme ambitieuse de la politique commune de la pêche. Nos Assises ont été également l’occasion de rappeler que les enjeux maritimes territoriaux sont loin d’être atteints… Sur tous ces sujets, sur d’autres, et simplement pour le plaisir d’être à nouveau ensemble, le marin et Les

Echos vous donnent rendez‐vous en 2010 pour une nouvelle édition des Assises de la Mer. Merci encore à toutes et à tous !

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