Boyancé - Théurgie et télestique néoplatoniciennes

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Pierre Boyancé Théurgie et télestique néoplatoniciennes In: Revue de l'histoire des religions, tome 147 n°2, 1955. pp. 189-209. Citer ce document / Cite this document : Boyancé Pierre. Théurgie et télestique néoplatoniciennes. In: Revue de l'histoire des religions, tome 147 n°2, 1955. pp. 189- 209. doi : 10.3406/rhr.1955.7223 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1955_num_147_2_7223

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Articolo di Boyancé sulla teurgia e la telestica presso i Neoplatonici

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Pierre Boyancé

Théurgie et télestique néoplatoniciennesIn: Revue de l'histoire des religions, tome 147 n°2, 1955. pp. 189-209.

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Boyancé Pierre. Théurgie et télestique néoplatoniciennes. In: Revue de l'histoire des religions, tome 147 n°2, 1955. pp. 189-209.

doi : 10.3406/rhr.1955.7223

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1955_num_147_2_7223

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Théurgie et télestique néoplatoniciennes

Dans un article paru naguère, M. E. R. Dodds, le savant éditeur des Éléments de théologie platonique de Proclus a étudié de façon très instructive la théurgie néoplatonicienne, cette curieuse science ou plutôt cette technique par laquelle les adhérents de cette école se flattaient d'agir sur les êtres supérieurs, dieux ou démons, pour les contraindre de se mettre à leur disposition1. Il a repris et complété les recherches de Wilhelm Kroll2, Joseph Bidez3, Theodor Hopfner4, Eitrem5 et à leur suite cherché surtout du côté des Oracula chaldaica, si souvent allégués par Proclus, l'origine de ces pratiques. Les Oracula chaldaica, en vers hexamètres, sont l'œuvre d'un certain Julianus , qui vivait sous Marc-Aurèle et qui est le premier personnage que nous voyons qualifié de théurge6. Parmi les néoplatoniciens, la théurgie, contrairement à ce

1 ) Theurgy and its relationship to neoplatonism, dans The Journal of Roman Studies, XXXVII, 1947, pp. 57-69. (Reproduit à peu près tel quel en appendice de The Greeks and the irrational (Sather classical lectures, XXV), Berkeley, 1951, pp. 253-351).

2) De oraculis Chaldaicis [Breslauer philologische Abhandlungen, VII, I, 189). 3) Note sur les mystères néoplatoniciens, Revue belge de philologie et ďhistoire,

VII, 1928, 1477-1481. 4) Griechisch-Aegyptischer Offenbarungszauber (Studien zur Palaeographie

und Papyrologie, hgbbn von Cari Wessely, XXI et XXIII), 2 vol., Leipzig, 1921 et 1923 (cf. les indices «. v. Theurgén, Théurgie, Theurgische Divination, et notamment XXI, § 805-821, pp. 210-223. On sait la richesse du matériel recueilli dans cet ouvrage. Cf. du même, l'article » Théurgie », dans le P. W.

5) Die abarxaiç, und der ЫсЩаиЪег in der Magie, Symbol. Oslo., VIII 1929, p. 49 et suiv. ; La théurgie chez les^Néo-platoniciens, ibid., XXII, 1942, p. 49 et suiv.

6) Cf. Willy Theiler, Die CKaldfieischen Orakel und die Hymnen des Synesios (Schriften der KOnigebsrger geleltrten Gesellschaft, geisteswissensch. KL, 18, I), Halle, 1942, pp. 1 et suiv. A dire vrai seuls lee Oracula Chaldaica proprement dits ont fait l'objet de l'étude initiale de W. Kroll. Ttfais il reste le problème de l'ensemble des témoignages et textes relatifs. -aux Chaldéens et à leurs rites. Il n'a pas encore été résolu (M. P. Nilsson, Geschichte der griechischen Religion, t. II, 1951, p. 460).

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qu'en a dit M. Hopfner, est ignorée de Plotin, qui est bien au- dessus de cette forme inférieure de mysticisme. Elle fait son apparition déjà chez Porphyre mars c'est chez Jamblique et chez Proclus qu'on trouve les faits et les textes essentiels. M. Dodds étudie ensuite une scène de théilrgie contée dans la Vie de Plotin et dont ce dernier est le héros à l'Iseum de Rome ; un prêtre égyptien par ses conjurations lui fait apparaître son démon personnel et ce démon se trouve être un dieu. Puis M. Dodds examine deux des formes de l'action théur- gique : l'art de fabriquer des statues animées et l'art d'incarner momentanément dans un sujet approprié, véritable médium, un être divin.

Ici, je noterai qu'il y a une troisième forme de l'action théurgique que M. Dodds n'a pas analysée dans sa savante étude, celle de ¥апаВ<хшт1.сту.о<;, des moyens par lesquels on assure la transformation d'une âme humaine en être immortel. Elle s'apparente à la consécration des statues, grâce à ce principe rappelé par Proclus que l'homme porte en lui, une statue plus miraculeuse que celles qui se voient1. Et j'ajouterai que sur cette troisième forme, nous avons un document dont on ne soupçonnerait pas au premier abord l'importance et la nature, c'est le récit de l'apothéose de la Philologie dans les Nuptiae de Mar4ianus Gapella. Cette œuvre mériterait à elle seule une étude approfondie, Joseph Bidez et M. Willy Theiler y ont décelé la Цасе des Chaldaica2. M. Gourcelle a repris et

1) In Crat., 133, pp. 77-7$ Pasquali. — Sur rarox0avaTia{i,oç, cf. Dodds, p. 62 et n. 66. Mais Plotin déjêÉavait dit (тсер1 той хаХоО, I, 6, 9, 13-15 : Kal fjtf) Ttaóafl Tex^aívov тб c6v díyaXfjia žcac áv ехХа[лфу) (conjecture de Creuzer et Volk- mann : ехХацфеье mes.) oroi tt)ç aperîjç ^ 6soeiSJ]<; áyXaíac. J. Cochez a vu dans la métaphore de Г&сХа^фк; une allusion aux mystères d'Isis (J. Cochez, Plotin et' les mystères d'Isis, Revue néoscolaslique de philos., XVIII, 1911, p. 339); P. Henry, Plotin et VOccident, p. 101, n. 2, remarque que la suite : ëo>ç âv tSyjç a<o<ppo<JóviQV èv аууф fieš&axv (Забрф (conjecture de Wyttenbach : хабарф тав.) « paraît également faire allusion aux mystères, à l'une de ces statues symboliques assises sur un trône, comme il s'en rencontrait tant dans l'art égyptien ». Mais sur les mystères admis en fait par Plotin, cf. infra. Et j'ai montré que la métaphore de ГЬсХацфк; — puisqu'elle se trouve déjà dans le fragment d'Aristote sur les mystères, publié par J. Bidez et commenté par J. Croissant — se réfère donc à Eleusis (Le culte des Muses chez les philosophes grecs, p. 57).

2) 'Bidez, op. laud., p. 1477, n. 1 ; Theiler, op. laud., pp. 17, 21, n. 7, 23, 24, n.'l, 30, 37, n. 1.

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complété ces indications1. J'ai moi-même montré l'influence des Orphica2. Mais ce n'est pas sur cela que je veux insister aujourd'hui.

Je veux m'attacher spécialement à ce que M. Dodds considère comme un des éléments de la théurgie, la télestique, l'art de consacrer les statues. Mon propos est de souligner que cette télestique ne peut être considérée comme seulement une partie de la théurgie, surtout si nous identifions comme M. Dodds nous invite quelque peu à le faire .théurgie et Chal- daica ; que notamment en tant qu'art de consacrer les statues divines, elle a des origines qui débordent largement le cadre de ceux-ci. Autant il est légitime de mettre en valeur comme il l'a fait, l'importance exceptionnelle que Proclus particulièrement leur accorde, dans sa philosophie et dans sa pratique religieuse, autant il serait dangereux pour les perspectives générales de l'histoire de paraître l'identifier avec la fortune posthume de Julianus et de ses écrits. Je ,me hâte de dire que M. Dodds lui-même souligne p. 63 que la télestique de la théurgie est loin d'être originale et il analyse quelques-uns de ses éléments de manière à faire intervenir bien d'autres sources que les pseudo-chaldéennes. C'est sur quoi je veux insister en développant d'abord ceci que même chez Proclus la télestique ne s'identifie jamais complètement à la théurgie chaldaïque.

Marinus, dans la vie de ce philosophe nous le montre pratiquant des rites qui ont en vue essentiellement la séparation de l'âme et du corps, une purification qui est une préparation à la mort (tout cela nourri de nombreuses réminiscences du Phédon)3.

1) Les lettres grecques en Occident. De Macrobe à Cassiodore^ thèse, Paris, 1943, pp. 203-205.

.2) Leucas, Revue archéologique, XXX, 1929, p. 2 et Une allusion à l'œuf orphique, Mélanges ďarchéologie et ď histoire, LII {Й*35), pp. 96 et suiv. Cf. aussi : Mystères et cultes mystiques dans Г Antiquité grecque i Association Guillaume Budé. Congrès de Strasbourg, Actes du Congrès de 1938)f Paris, 19^ p. 200, n. 2.

3) a) Par exemple, chap. XXI : Kal oûtcoç in .çavrwv èoç^v auvaYouaa xal aOpoiÇouta тсрос èaurijv -f) tou fiaxapíou ávSp&g- фих^1 áéteraro "o/éSov tou GibpxToç, Iři foc'aÙToô хате/еаваи Soxoûoa. Cf. Pèédon, p. p5Sc, définition de la xaëapaiç, où Ton voit assez généralement une conception orphique (Culte des Muses chez les philosophes grecs, p. 83), ce qui est contesté pa»touis Mouijnier, Le pur et Vimpur dans la pensée et la sensibilité des Gree*^ jusqu'à lu fin du IV siècle av. J.-C, Paris, 1950, pp. 344 et suiv.

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Nuit et jour Proclus use de rites apotropaïques, d'aspersions et des autres moyens de purifications (xa0ap[i.oi) soit orphiques, soit chaldaïques. Il le montre également descendant à la mer une fois au moins par mois avec la même intention1. Il est plus que vraisemblable que ce dernier trait est un souvenir des mystères d'Eleusis, mystères qui n'étaient sans doute plus célébrés depuis la destruction en 395 du sanctuaire par Alaric2, mais qui ne pouvaient manquer de garder leur prestige3. Le fameux cri áXaSs (лйатаь4, devait retentir aux oreilles de Proclus quand il procédait à ses ahlutions solitaires.

Aussi quand, dans son commentaire de la République, Proclus nous dit incidemment qu'Héraklès fut purifié par la télestique et qu'il y rattache l'apothéose dont il finit par bénéficier5, il est bien évident qu'il ne s'agit pas là d'oracles

1) Chap. XIX ; ... vúxTwp те xal [xeG'^jjiipav атсотротозас xal 7repippavT7)piotç xai toïç (ZXXoiç xaôapjAOtç xP^t*^0?» ôxè [xèv 'Opcpixotç, оте 8è XaXSaïxoîç...

2) E. Rohde, Psyche, trad, franc. d'A. Reymond, Paris, 1928, p. 590 ; M. P. Nilsson, Geschichte der griechischen Religion, t. II, 1951, pp. 333-334.

3) Le hiérophante Nestorius passait pour avoir transmis son savoir à son fils le philosophe Plutarque et à la fille de celui-ci, Asklepigeneia, laquelle initia Proclus (Marinus, Vit, Procl., 28). Cf. Bidez, Note, p. 1477 ; Nilsson, p. 334 et p. 331.

4) Cf. M. P. Nilsson, op. laud., t. I, 1941, p. 628. Ce bain rituel des futurs initiés n'avait lieu, il est vrai, qu'une fois l'an, le 16 Boedromion. La suppression des mystères aura amené Proclus à le répéter chaque mois à titre individuel.

5) In Remp., I, 120, 12 sujv. Kroll .: 'О jxèv yà? 'HpaxXîjç 8ià теХеотиа)? xa67]pa(xevoç xai тйу áxpávrwv xapmov jjieTaax<bv теХеас Žtuxsv tîjc etç ôeoùç алохагаогаоешс* ' ^ V"

aÛTÔç 8fc (iST'aOavaTOtdi 6eo?ori тертеетоа èv ôaXifl xal It/çi xaXXiatpupov "H6t)v

xal etpiQTai тсоХХа тсоХХахои xal 7tepl xîjç 'HpaxXéouç ехбесЬаесос. La' télestique a valeur puriflca triée pour la matière des statues : Hermias, In Phaedr., p. 87, Couvreur : ri)v Ů\t(* fj теХеотщ1^ 8ьаха6^рааа ; et de même pour l'initié (Hermias, p. 99, 1.22 et suiv. : 'H 8è tçXsotixîj tcôcv tó áXXÓTpiov xal [АоХиаи.ат&8ес xal pXaêepov ànoSubxouoa TéXeov ^(xwv xal абХаб^ t6v piov T7)pet, xal тас (xaviaç xal SaifxovtcoSetç <pavraoiaç атф^иЬхоиаа oyteîç xal oXoxXifjpouç xal TeXeiouç ^[xâç rcoieî, йотеер 8í) xal'TÎjy h8w <WxV TeXéav xal óXóxXrjpov è7coiei : (Cf. aussi p. 96, 1,2 et suiv.) Ailleurs bjarmias oppose la теХепг) à la (xoïjctiç et à rè7C07TTeia, comme une purification préliminaire (p. 178, 1, 14, commentant Phèdre, p. 250 b) : 'H (ièv ouv теХет-íj ávaXoyet *fj 7гротгараахеиу) xaGapfioîç xal toîç ôjj,oiotç. Mais déjà pour Porphyre des теХета£ ont pour but de purifier la spiritalis anima (c'est-à-dire la vospà фих^, distincte de la vo7]rij фих^, l'âme intellettuelle et inférieure à elle) : Conflteris tamen spiritalem animam sine theurgicis arlibus et sine teletis, quibus frustra discendis elaborastiý posse continentiae uirtute purgari (cf. J. Bidez, Vit* de Porphyre, 1913, pp. 93 et suiv.). La purification de la" statue est mentionnée dans les vers sur l'image d'Hécate ap. Eusèbe, Praep. eu., V, 12. Selon Proclus, In Timaeum, Ш,,р. 300, 1, 13 et suiv. Diehl,.la télestique

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et de restes chaldéens, mais bien de la légende célèbre relative à l'initiation d'Héraklès aux mystères, légende fort ancienne relativement, mentionnée dans les textes recueillis notamment par Ludwig Deubner1 et illustrée par des monuments figurés étudiés en dernier lieu par Mme Feytmans2.

L'œuvre de Proclus est immense et je laisse à plus compétent et à plus patient que moi le soin de recueillir et d'illustrer tous les passages relatifs aux mots télesiique, telestai et enfin teleiai. Parmi eux certains concernent particulièrement la question des mythes et1 il est manifeste qu'ils débordent le cadre de tel ou tel rituel et ont une portée des plus générales. Notons d'abord que cette relation entre mythe et télestique est antérieure à Proclus et se trouve par exemple chez l'Empereur Julien qui ne l'a certainement pas inventée3. Chez Proclus tel texte — dans le Commentaire de la République* — où il est question de mythes qui présentent aux yeux du vulgaire une apparence ridicule mais qui révèlent à quelques-uns « leur sympathie avec la réalité » et par l'effet des actions sacrées elles-mêmes inspirent la foi dans leur vertu apparentée

- contribue plus encore que la vie philosophique à dégager l'âme de ses enveloppes ô){av) : 8ià tou Geíou теирос á<p<xví£oo<ja ràç foc tîjç yevéaetoç атеаоас XTjXîSaç,

та Xóyia [or. chald. 53] SíŠacrxet, xal 7raoav tíjv áXXÓTpiov ty etpeiXxiSaaxo tîjç фих^с то 7cvsû{xa xal áXóyiarov <púmv. Dans Martianus Capella nous voyons en action cette théurgie télestique pour préparer l'apothéose de la Philologie. Proclus dit ailleurs (In Alcibiad., II, p. 106, Cousin) que les теХетаЕ nous fortifient (littéralement nous cuirassent <ppax6w(j.ev) et se réfère aux oracles chaldéens (cf. W. Kroll, op. laud., p. 55). Cet emploi du mot теХетаЕ pour désigner des rites de purification est conforme à ce qu'établit H. Bolkestein, Theophrastos' Charakter der Deisidaimonia (fíel. gesch. Vers, und Vorarb., XXI, 2), 1929, pp. 52 et suiv.

1) Attische Feste, 1932, p. 73, n. 3. 2) Antiquité classique, XIV, 1945, pp. 311 et suiv. 3) Julien, Discours, VII, p. 216 cd, p. 217 b. Il dit de ces mythes télestiques

oûç 7tapé8<ûxev fjfjtïv 'Opçeùç 6 тас ауьютатас теХетас хатаат7)<та|леуос. 4) In гетр., I, p. 83, Kroll : IléTtovôev yàç toûto xal таита та (iixmxà

тсХаацата бтеер 6 ПХате&у rcoú cpYjai та 9eîa xal теауауеотата t&v Soy^dcTov 7te7W)V0évai.' Kal yàp таита toïç jjtèv «oXXoîç fam хатауеХаата, toïç Se eiç

voûv aveyeipoftévotç ôXiyotç Si) tioiv èxçaivst tîjv éauxwv тербс та 7грау(хата au(X7tá6siav xal tíjv iS, aûrûv tûv íepaTixuv £py<ov тгарехетас níoriv tîjç тсрбс та 6sîa aotxçuoûç Suvápiecoc * xal yàp oí 6eol tuv toicúvSs <tu(x66X(úv áxoóovTec Xaípouoiv xal toïç xaXoûoiv ktoiynuc tzsLQovxxi xal ttjv éxuxuv ISiórřjTa npocpaí- vouoiv Sux toútíov <bç olxsícdv aûroïç xal (xaXiora yvcúpí(Acov ouvOir](i.áT<i>v * xal та [Aucm^pia xal а^теХета! xal тб SpaoTrjpiov èv tootoiç lxouatv xa^ oXóxX^pa xal атредо xal атсХа 6еа(лата Sià toutcov 7cpo^evoûaiv toïç (xuaxatc xaOopâv.

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au divin. Les dieux, en entendant de tels symboles, se réjouissent, obéissant spontanément à ceux qui les invoquent et révèlent leur caractère propre grâce à ces cruvôyj^aTa qui leur sont appropriés et parfaitement connus : les mystères et les теХетоа ont là le principe de leur énergie et présentent aux mystes pour qu'ils les aperçoivent des spectacles ayant intégrité, immutabilité, simplicité. Les allusions au Phèdre par lesquelles ces lignes s'achèvent1 ne peuvent que confirmer l'impression que Proclus vise ici mystères et rites d'initiation dans leur ensemble et leur attribuent à tous ces effets qu'il attribue ailleurs à la télestique. On en aurait la confirmation en se reportant à ce qu'Hermias dit de la télestique — fort longuement — dans son commentaire du Phèdre : Hermias, qui, à la différence de son ami et contemporain Proclus ne cite quasi jamais les Chaldaica et constamment les Orphica et réfère les allusions du Phèdre aux mystères d'Eleusis (ce en quoi il a très vraisemblablement raison)2. Citons encore chez Proclus cet autre passage tiré du Commentaire du Timée et où télestique est cette fois employé : « Et ceci aussi est surprenant, que la télestique et les oracles et les statues des dieux soient fondés sur terre et que par certains symboles, ils font que, ce qui est issu, d'une matière divisée, soit apte à participer3 de la divinité, à être mû par elle, et à prédire l'avenir... » Ces textes très généraux sont à rappeler pour que soient situés dans leur juste perspective ceux qu'a retenus M. Dodds et qui se limitent plus étroitement à l'application de ces principes dans le détail du rituel et à la consécration des statues4.

On a cru que parfois Plotin aurait connu la théurgie. M. Dodds a bien montré contre M. Hopfner qu'il n'en est

1) Phèdre, p. 250 bc. 2) In Phaedr., p. 178, 1. 14-26 (ad Phaedr, 250 c)., Notamment : ... та 8k

fiuoúfievoi xal è7TO7rreoovreç <bç ànb tûv TeXeT&v t&v èv 'EXeûaivi Xéysi. 3) In Timaeum, III, p. 155, 18 Diehl : Žti 8k xàxçîvo ároTCOv, тб tíjv [jtèv

xeXeoTLx^v xal xP^aTTjpia xal áyáX[i.ara 0ewv ISpuaSai'lirl yîjç xal 8tá tivcúv CTUfiBóXcov ereinřjŠsia tcoisiv та èx y.epixrjç ûXtjç yzv6[isvàl xxl <р6хртг}с elç т6_ jxeTé/eiv 0eo5 xal xiveîoôai 7t«p' аитоО xal 7tpoXlyeiv то jxéXXov.

4) Op. laud., p. 62.

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rien. Non seulement on ne saurait qualifier Plotin de théurge, non seulement nulle part ce nom ne lui est donné, mais jamais il ne parle lui-même de ces pratiques. Pas davantage on n'a découvert chez lui une trace certaine de la connaissance des Oracula Chaldaica. Plotin semble certes admettre l'efficacité de la magie1, mais son attitude personnelle paraît répugner à toute forme superstitieuse de la religion et il faut se garder de le confondre avec les néoplatoniciens postérieurs.

Seulement si nous distinguons, comme je crois qu'il faut le faire, théurgie d'une part, télestique de l'autre, le problème ne se pose plus tout à fait dans les mêmes termes et ne saurait admettre la même solution. D'abord, il faut relever avec M. Dodds lui même que, pour la magie, Plotin fait valoir le principe sur lequel reposera la télestique, celui de la sympathie universelle ; il regrette seulement que ce principe soit détourné par la magie à des fins personnelles et blâmables2.

Mais ce principe ne vaut pas, chez lui, seulement pour la magie. Il vaut aussi, et M. Dodds n'a pas manqué de le noter, pour expliquer la croyance primitive et largement répandue à une sympathie naturelle entre l'image et l'original3. Et ici M. Dodds allègue le texte qui est le texte essentiel, mais il nous semble qu'il en minimise quelque peu la portée : « Je suis d'avis que les sages d'autrefois, tous ceux qui voulaient s'assurer la présence de divinités, instituant des cérémonies sacrées ou des statues, jetèrent les yeux sur la nature de l'univers et conçurent en leur esprit que si la nature de l'âme est facile à conduire partout, il serait le plus aisé du monde de la recueillir si on façonnait quelque objet sympathique apte à en recevoir une partie4.

Y a-t-il dans ces mots simplement la sympathie entre

1) Ennéades,. IV, 4, 57, 4. Cf. Dodds, op. laud., p. 57, n. 29. 2) Ibid. 3) Op. laud., p. 63 et n. 83. 4) Ennéades, IV, 3, 11 : Kai (xoi Soxoûoiv ot тсаХои ooçoi, Ôaoi è6ouXir)0r)oxv

0£oùç aàroîç 7tapeïvai, lepà xal áyáXfiaToc 7coiiqoá(ievoi, elç rí)v топ rcavrèç «púaiv ámSóvrec Iv vtji Xa6eïv, <bç тохутахои (lev euaycoyov фих*)С <pu<xiç, SéÇOi ye fAÍjv ^qioTov áv eíiq á7távrci>v, et tiç тсростшхбес ti text^vocito Ů Šuvájjievov (AOtpav Tiva ô^

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l'image et l'original ? A mon avis, le texte dit ceci : les sages d'autrefois ont découvert l'art de faire des images sympathiques capables de participer à la vertu de l'âme universelle, mais comment ? en assurant auprès d'eux la présence des divinités, celles-ci elles-mêmes conçues comme des émanations ou des parties de l'âme universelle. M. Charly Clerc remarque lui- même le rapport étroit avec la télestique postérieure et dit de ce texte : « II est probable que'on le prit à la lettre, lorsque le système inclinant toujours plus vers la religion populaire et son apologie, se compliqua d'opérations théurgiques et de multiples superstitions1. »

Mais je demande ce que peut bien signifier ce texte si « on ne le prend pas à la lettre ». Qu'est cette présence des dieux qu'on veut s'assurer par les cérémonies sacrées et les statues sinon une présence réelle, quand nous la voyons identifier à une venue de l'âme universelle ? Que peut être cette venue dans un objet, façonné de manière à lui être sympathique, sinon une venue réelle ? On comparera l'expression par laquelle Plotin définit la présence des dieux désirée par les sages d'autrefois et celle par laquelle l'empereur Julien définira l'effet de ces caractères magiques qui font l'efficacité des TeXexai : elles sont identiques2.

On comparer^ aussi un passage du Sur l'art hiératique de Proclus où il me semble y avoir un souvenir de Plotin lui- même ; après avoir rappelé les faits qui montrent une liaison sympathique entre le ciel et la terre, — plantes ou pierres qui recèlent en elles des propriétés — Proclus poursuit : « Ce que voyant les sages d'autrefois, employant les unes de ces choses sympathiques » pour les êtres célestes, les autres pour

1) Charly Clerc, Les théories relatives au culte des images chez les auteurs grecs du IIe siècle après J.-C, thèse, Paris, 1924, p. 252.

2) Plotin : ôooi è6ouXif)07)cav 8eoùç ocùtoïç roxpeïvai; Julien, Discours, VII, p. 216 c, parlant des formules gravées sur les statues consacrées (tuv xapaxT^pwv Ý] artoppifjTOC <puaiç), cf. p. ex. Hermias, In Phaedr. p. 87, 1. 6 sq. Couvreur : xai Tivaç xaPa>tT^PaC x*l <JÚ{a6oX<x rapiOeïcx тф áyáXfjiaTi, dit : xaí 6euv 7coieî roxpouaíac. Cprer Proclus, Comment, ad Tim., I, p. 273, 10, Diehl : áXX' <2><jrtep tuv Ú7c6 TTJc TeXeorroâjç ÍSpufxévcov áyaXfxáTtův та jjtév è<mv iftçavîj, та 8è ČvSov á7roxéxpu7TTai <rú(x6oXa tîjç tuv 8eûv Tuapouoiaç, & xai (xovoiç èorl yvcbpijjux toïç TeXeoTaïç.

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les autres, amenèrent des puissances divine» dans le lieu mortel et les y attirèrent par la similitude ; car là similitude est propre à lier les êtres les uns avec les autres1. Nous retrouvons ici les sages d'autrefois, la descente de forces du ciel sur la terre, la sympathie d'un objet approprié déterminant cette descente.

Qui sont ces sages d'autrefois ? Franz Gumont, qui, lui, donnait au passage de Plotin toute sa force, a cherché du côté de l'Egypte2. Cette interprétation est liée avec sa thèse générale que les allusions religieuses, plus précisément mystiques, de Plotin s'expliqueraient par les cultes alexandrins. Solidaire de cette thèse, son interprétation . en partage les faiblesses qui ont été mises en lumière par Peterson dans un mémoire qui emporte l'adhésion de M. Nilsson dans son traité récent, tout autant que celle de M. Dodds3. Je crois qu'on peut admettre avec ces savants que les allusions de Plotin aux mystères le sont, et j'ajouterai : dans la droite tradition des- philosophes grecs depuis Platon, Aristote, Ghrysippe, Gléanthe, surtout aux mystères grecs d'Eleusis. Mais dès lors ce qui est dit des statues, ne pourrait-il aussi s'expliquer par les faits grecs ? Et même ne le doit-il pas ?

On retrouve la sagesse des anciens dans un texte de Varron sur les statues divines et où, plus précisément, cette sagesse est mise en rapport avec les insignia ornatusque de ces statues : c'est-à-dire avec ce qui, dans la télestique, rend ces statues symboliques et ce à quoi fait très probablement allusion le

1) Sur l'art hiératique (Catalogue des manuscrits alchimiques grecs, t. VI, Bruxelles, 1928, pp. 148, 1.19 et suiv. : 'Ev [xiv o5v ту) yfi x6oviû>ç ècriv ijXiouç xal oeXrjvaç opàv, èv oùpavcp 8è oùpxvicoç, та те фита íuávra xal Xi6ouç xxl Сфа, Ç&vra vosptôç. "A Síj xaTiSovTeç ot itáXai ao<poí, та (xèv <5cXXoiç та 8è aXXoiç TtpocrayovTec tuv oùpavicov Itc^yovto 6sixç 8'jvafxeiç etç t6v 6v»jtov tÓtcov xal 8ià tîjç 6(xoiot7jtoç èçeiXxooravro ' ixavij' yàp f) ójioió-njc ajváTrreiv та Ôvrx àXX^Xoiç. Ce traité, qui était seulement connu par la traduction de Marsile Ficin, a été publié par Bidez, dans le texte original.

2) Le culte égyptien et le mysticisme de Plotin (Monuments Piot, XXIV, 1921, p. 79).

3) Theologische Literaturzeitung, L (1925), pp. 485 et suiv. ; cf. Dodos, op. laud., p. 58, n. 33 ; M. P. Nilsson, op. laud., II, p. 415, n. 3. Cependant Eitrem, op. laud., p. 54 est assez favorable à la thèse des origines égyptiennes, maie sans exclure Eleusis.

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Tcpo<T7ta6éç ti de Plotin1, On . retrouve dans ce même texte la mise en rapport des statues avec l'âme du monde. On y retrouve même les parties de cette âme, celles avec lesquelles l'objet (la statue) doit être sympathique. Ces parties, ce sont, dit Varron, Jes<« dieux véritables » (et dans le texte de Plotin la seule analyse nous conduisait à identifier partie de l'âme universelle et dieu dont il fallait assurer la présence).

Les rapports sont trop précis entre Varron et Plotin pour ne pas supposer une source commune, une source qui traitait — c'est évident pour Varron — non de la religion égyptienne, mais de la religion en général, id est au premier chef pour cette source évidemment grecque, de la religion grecque. Il y a toutefois entre Varron et Plotin une différence très importante qu'il ne faut pas dissimuler. Varron ne dit pas que l'âme du monde descend dans les statues, y est présente, mais seulement que la contemplation des statues et de leurs symboles permet à ceux qui sont initiés « aux mystères de la doctrine » d'apercevoir en esprit l'âme du monde et les vrais dieux. Autrement dit nous avons chez Varron des statues symboliques au sens de pures représentations et non de réceptacles de la divinité. Cette différence entre Varron et Plotin permet justement de mesurer tout l'écart qu'il y a pour Plotin entre l'interprétation minimisante de M. Charly Clerc et la nôtre : M. Charly Clerc paraît ne guère lire dans le texte de Plotin que ce qu'il y a chez Varron. Mais précisément l'analogie des

1) Ap. saint Augustin, Cit. de £>., VI, n. 5 : Primům eas interpretationes (scil. physicas) sic Varro commendat, ut dicat antiquos simulacra deorum et insignia ornatusque finxisse, quae cum oculis animaduertissent hi, qui adissent doctrinae mystéria, passent animam mundi ac partes eius id est deos ueros, animo uidere, etc. Il y a référence, on le voit, à la distinction des 3 théologies (physique, poétique, civile), application aux statues de la méthode d'allégorie appliquée par les stoïciens aux mythes d'Homère et des orphiques. Les stoïciens anciens étaient hostiles au culte des images (Ch. Clerc, op. laud., p. 102 et suiv.). On pourrait songer à l'inévitable Posidonius, si la distinction des 3 théologies n'était déjà connue du pontife Mucius Scévola. Panétius paraît exclu par l'esprit religieux de la doctrine. Une autre exégèse des attributs des statues divines est mentionnée par Philon, à propos de Caligula qui s'en parait et se faisait ainsi vénérer (De leg. ad Cai., p. 1005 e) : Ta nepiacwrcc таита xai. 7срохоо^(лата Çoavoiç xal ayaXfjuxai Trpoaxa-1 6íSpuTai ' 8ià au(x66X<i>v fnrjvúovra xàç àcpeXeiaç &ç rcapéxovrai тф yévei x&v áv6ptí).7ro>v. Je pense montrer ailleurs que Varron suit Antiochus d'Ascalon pour l'âme du monde et peut-être aussi pour les statues.

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deux textes fait ressentir avec éclat l'élément particulier au premier.

Je laisserai de côté la question de savoir si cet élément propre à Plotin est un élément nouveau. Beaucoup le penseront qui croiront impossible de faire remonter trop haut dans le temps l'idée que la statue consacrée est aussi au moins dans certains cas une statue animée par la présence réelle de la divinité : ce qui me suffît aujourd'hui, c'est que l'idée à l'époque où nous sommes soit professée par Plotin ou connue de lui, comme le dit son texte et comme on peut le confirmer par d'autres textes et d'autres arguments.

J'ai relevé en son temps que Plutarque connaît l'application du principe de la sympathie universelle à l'efficacité propre à certains objets utilisés par la religion ou en rapport avec elle1. Nous sommes là très près du texte de Plotin, où il est question non pas seulement de statues, mais plus généralement des « choses ou des rites sacrés ». Mais je veux attirer l'attention sur un texte d'un autre platonicien, Maxime de Tyr, texte qui bien que cité autrefois par Lobeck2 paraît généralement ignoré. Dans la mesure même où Maxime est un esprit peu original, il me paraît ici porter un témoignage sur les origines dans l'école platonicienne de ce qui se développera dans l'école néoplatonicienne.

Le passage en question figure — et c'est un premier intérêt — parmi des considérations sur les mythes et la valeur qui s'y attache3. C'est un premier intérêt parce que dans la télestique néoplatonicienne, nous l'avons vu chez Praclus, un étroit rapport unit aussi la théorie du mythe religieux et celle des symboles efficaces qui assurent la présence et l'intervention des dieux. Le mythe, quand il est inspiré, quand il est celui

1) Plutarque, De Pythiae oraculis, VIII, p. 398 bc. Voir Revue des études anciennes, XL, 1938, pp. 306 et suiv. Pour les origines lointaines de la notion d'èvépyeia, ibid., p. 308. Sur son usage de Suvafnç, cf. M. P. Nilsson, op. laud., p. 393.

2) Aglaophamus, p. 729. 3) Maxime de Tyr (XLI, 2, p. 475 Hobein) fait confiance à la fois à Homère

et à Platon, cf. Stefan Weinstock, Die platonische Homerkritik..., Philologus, LXXXII, 1927, pp. 147 et suiv.

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d'un Orphée, assure en quelque manière une présence des dieux dans l'âme de l'ignorant inapte aux vérités de la philosophie sous leur forme rationnelle. En cela il est comparé à l'action rituelle de la télestique. Il est donc fort notable que Maxime de Туг, porte-parole du moyen platonisme, comparait les mythes aux statues divines ornées par les « теХесттш ». Il n'est pas moins notable naturellement — et c'est sur quoi je veux insister ici — qu'il mentionne ces теХеатоа essentiellement comme des consécrateurs de statues : « De même que les statues divines, que les теХгсгсш enveloppaient d'or, d'argent, et de peplos en premier lieu pour rendre imposante leur attente. » On rapprochera ce que Proclus dit de теХестпг)? dans son Commentaire du Timée1:

Que sont ces тгХестсш ? Maxime de Туг a vécu à Rome sous Commode2. A ce titre il aurait pu connaître encore le Julianus qui mit à la mode les Oracula chaldaica. Mais il ne cite jamais ces derniers et ne paraît pas avoir subi leur influence. Parlant de теХеатаь sans autre qualification, il doit — c'est l'interprétation la plus naturelle — songer lui, philosophe grec, à la religion grecque. Platon son maître plaçait sous l'influence de Dionysos l'inspiration télestique3. Si nous regardions donc du côté des cultes grecs ? et du côté de Dionysos ? Tel est le préjugé de certains, aussi accueillants pour tout ce qui est oriental, si tardif soit-il, qu'ils sont méfiants pour tout ce qui est grec, si attestée en soit la continuité, qu'ils trouveront peut-être artificiel ce qui me paraît naturel. Mais si on admet que Plotin, parlant de mystères, songe d'abord à Eleusis,

1) IV, 5, pp. 45-46, Hobein : Ti yàp àv ЙХХо eb) (xiiGou XPe^a > Лоуос тсерюхетсу)? етерср xóajxco хабатгер та ÍSpú^axa oîç rapié6aXXov oí теХесгтоЛ xP^aov ха^ ápyupov xal теетсХоис та торита á7roas{jivúvovT£c ocût&v tÍ)V 7rpoa8oxíav. Сотр. Proclus, In Timaeum, I, p. 51 Diehl : ... о теХеатт)с cú(x6oXa «Зстта toïç ауаХ[хасп

p 2) G. Soury, Aperçus de philosophie religieuse chez Maxime de Tyr, Paris,

1942, pp. 11 et suiv. 3) Phèdre, p. 265 b. Cf. par exemple H. Jeanmaire, Dionysos. Histoire du culte

de Bacchus, Paris, 1951, pp. 136-137. Je rappelle que Platon considérant Orphée et Musée comme les auteurs par excellence de tsXstocî (Protagoras, p. 316 d), atteste indirectement entre Dionysos et Orphée l'ancienneté des liens niée par Wilamowitz. Cf. Revue des études grecques, LIV, 1941, p. 169, n. 2).

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on trouvera peut-être assez normal que Maxime évoquant des TeXsdTai — du reste au passé — songe à la littérature orphique1.

On constate aussitôt que les néoplatoniciens connaîtront en effet, une littérature orphique relative à la consécration des statues. Eusèbe, certainement d'après eux et peut-être d'après Porphyre, considère qu'Orphée a rapporté d'Egypte l'art des теХетои et aussi celui de l'érection des statues2. Suidas attribue à Orphée un poème des ЧеросттоХьха dont le titre ne peut guère avoir d'autre sens que celui de l'art d'habiller les statues sacrées3 (on connaît en Egypte le rôle des lepoffToXiffTai4) . Suidas nous dit aussi que ces 'IepoaroXixá sont des xXîjaetç xoqxixai. Diels a traduit cette formule pař « litanies païennes ». Mais nous connaissons bien ce que sont les xXTJastç de la télestique, ce sont les formules qui animent les statues et xo<j[Atxai devient clair si nous nous souvenons que les sages de Plotin considèrent le cosmos avant d'ériger leurs statues à son image5. Il nous devient plus clair encore, si nous en venons au texte essentiel, qui est celui que Macrobe nous donne sur les sacra Liberi patris, fragment d'un poème orphique décrivant comment pratiquer ce que Macrobe dépeint par les mots de ornátu uestituque eius, comment fabriquer la statue divine du dieu6 (Saturnales, I, 18) :

« Exécuter tout cela, groupant autour l'équipement, corps

1 ) Qu'à Eleusis même les statues aient joué un rôle eminent est une possibilité que j'ai, à la suite de Paul Foucart, étudiée (Culte des Muses, pp. 56 etsuiv.),: Tertullien connaît un xoanon de « Ceres Rharia ».

2) Eusèbe, Praep. eu., X, 44 (test. 99 a des Orphica de Kern), d'Egypte ont été importés soit par Orphée, soit par un autre та ... Ttepi 0e&v ... (xucmfjpia xal теХетас, Çoavtov те ISpoaeiç xal 6(xvouç ф8<хс те xal етсф&ас. Déjà, selon Diodork de Sicile (i" siècle ap. J.-C.) Orphée s'est instruit chez les Égyptiens &> те tocïç ôeoXoyiatç xal Taïç теХетаТс xal Tcoiiljjzaai xal [/.eXqrôiaiç (IV, 25,1-4).

3) O. Kern, Orphicorum fragmenta, 1922, p. 300. 4) Franz Cumont, L'Egypte des astrologues, Bruxelles, 1937, p. 121 renvoyant

notamment à W. Otto, Priester und Tempel im hellenistischen Aegypten, 1. 1, p. 83. 5) Cf. Kern, loc. laud. Dans Hermias, Im Phaedr., p. 87, Couvreur, la

télestique a pour effet de mettre la statue en état de Ç<ùiI)v Ttva èx tou xóa(xou хата- $éÇ9

6) TaGrá те razvra TeXeïv 9jpi ахещ Ttuxáaavra <T<ú[xá OeoO (х£(А7)(ла TteptxXúrou tjeXÍoio * пр&та (jièv o3v «pXoyéaiç èvaXiyxiov áxTÍveaaiv

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du Dieu, image du glorieux soleil : en premier lieu donc jeter sur lui un peplos de pourpre, semblable aux rayons de flamme, pareil au feu ; de plus par-dessus attacher la large peau bariolée et mouchetée d'un faon sauvage sur l'épaule droite, image des astres artistement façonnés et du ciel sacré. Puis par-dessus jeter le baudrier d'or d'une bride, à porter étincelant autour de la poitrine, emblème insigne, aussitôt que des confins de la terre le Dieu du jour se levant frappe de ses rayons d'or les flots de l'Océan et que son éclat est indicible, et que mêlé de rosée il illumine le tourbillon, s'enroulant en cercle au devant du Dieu ; baudrier sur une poitrine immense apparaît le cercle de l'Océan, grande merveille à contempler. »

Le verbe rekelv employé par le poète orphique pour l'exécution de la statue se retrouve dans des vers cités par Eusèbe et qui, avec un contenu fort analogue, concernent les mystères d'Hécate (та ttjç 'Examqç)1 et une statue de cette déesse. Ce verbe ne peut pas ne pas être mis en rapport avec le nom des TsXecrxat et ne pas nous éclairer sur le sens qu'à cette époque du moins il convient de lui attacher : nous nous souviendrons que Maxime de Tyr appelle теХгсгтаС les fabricants de statues divines auxquels il fait allusion. Mais qui sont ces fabricants ? N'est-il pas maintenant évident que Maxime de Tyr a dans l'esprit très précisément les vers orphiques cités par Macrobe ? L'importance donnée au péplos de l'image, la mention de l'or (celle de l'argent devait figurer dans la suite

nèrekov (poivixsov 7Topl eïxsXov áfi.<pi6aXé<T0ai * айтар бтсерве vs6pota toxvocÍoXov eôpù хабафаь 8épfi.a 7ToXùcTtxTov 6т)рес хата 8s£ió & áoTpcov SaiSaXéwv (л£|Х7)[л' , iepoû те EÏtoc 8'йтеер0е ve6pÝ)c XP^O£OV £<«>ату) 7ta(ji<pavóoi>VTa, 7répiÇ OTépvwv çopéeiv \y eùéùç ôt'sx rapaTtov усат)<; çaéStov ávopoótov Xpuoeiaiç axTÏoi fJáXfl č>óov àxeavoto,. aùyi) 8'(5сст7тетос fj, àvà 8k Spóatjj ацуциугХах (jtapjjiaípT) SívTjaiv êXi<rao[iévY) хата xóxXov TtpócfOs 0soû ■ ^а>отг)р 8'<5ср'отг6 OTépvcov á «paívsTat àxeavoO xúxXoc, (xéya ваи(ла

1) Eusèbe, Praep. eu., V, 12 (d'après Porphyre, Philos, ex orac, pp. 129 et suiv. Wolff). Cf. Dodds, op. laud., p. 64, n. 92. Lobeck cite également d'EusÈBE, Praep. eu., V, 220 (cf. Niceph., In Syn., p. 363).

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que nous n'avons plus) sont à cet égard les traits révélateurs. J'ai naguère rappelé que Macrobe s'accorde avec un platonicien sensiblement antérieur, Plutarque, pour souligner l'importance de l'œuf dans ces mêmes sacra Liberi patris et J'ai montré que l'œuf joue un rôle rituel que je crois avoir été le premier à signaler dans l'apothéose de la Philologie chez Martianus Capella, autre auteur imbu , de néoplatonisme1. Dès lors quoi d'étonnant que Maxime de Tyr.ait connu deux siècles auparavant les vers orphiques sur la statue de Dionysos, alias Liber pater, comme Plutarque connait deux siècles auparavant l'œuf des mystères de ce dieu et son symbolisme cosmique ? Et comment ne pas souligner qu'avec tous ces écrivains, nous sommes dans la continuité de l'école qui se réclame de l'auteur du Phèdre, de Platon ?

Mais à l'œuf orphique il y a probablement allusion dans un autre texte que j'emprunterai à la Vie de Pythagore de Jam- blique, texte dont le sens ni la portée ne me semblent pas avoir été reconnus. « On dit que d'une façon générale Pythagore fut disciple de la symbolique d'Orphée, qu'il honora les dieux d'une manière toute proche d'Orphée, dressés dans les statues et le bronze, non pas liées à nos formes humaines, mais aux structures divines, embrassant toutes choses, prévoyant toutes choses, ayant leur nature et leur forme analogues au Tout. Il révéla des dieux, les rites purificatoires et ce qu'on appelle les initiations (tsàstocî), ayant d'eux la connaissance la plus exacte. » Nous trouvons dans ce texte d'abord étroitement unis les trois éléments que, selon Eusèbe, Orphée a importés d'Egypte : purifications, initiations, art de faire les statues divines. Mais entre ces images, lés périphrases de Jamblique, si on les rapproche de celles de Macrobe, semblent

1) Une allusion à l'œuf orphique, pp. 96 et suiv. (Plutarque, Quaesl. symp., p. 636 e; Macrobe, Saturnales, VII, 16, 8, se référant aux mêmes sacris Liberi patris auxquels il renvoie pour les vers sur la statue ; Martianus Capella, Nuptiae, L. II). J'ai signalé de plus (Mystères et cultes mythiques, p. 200, n. 2) que l'effet régénérateur de l'œuf sur le mythe est décrit par Martianus en des vers qui paraissent faire écho à ceux des Rhapsodies orphiques décrivant la régénération de Zeus avalant Phanès, lequel est né de l'œuf orphique.

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bien viser plus spécialement l'œuf orphique : « La forme analogue au tout » est « cette forme arrondie et presque sphérique », dont parle Macrobe qui fait de l'œuf mundi simulacrum. « Embrassant toutes choses » correspond à « enfermant en elle la vie ». En tout état de cause,. le texte de Jamblique atteste l'importance, dans la littérature orphique connue de lui, de la symbolique cosmique des statues et la lie à la révélation des rites purificatoires et des initiations1.

Si nous revenons à Plotin, il est donc vraisemblable de penser qu'en parlant des « sages d'autrefois »2, il devrait bien avoir dans l'esprit celui qui, aux époques hellénistique et romaine passait si généralement pour le fondateur de la plupart, des cultes mystiques, grecs, c'est-à-dire d'Orphée ; Orphée qui, déjà pour Platon, était l'auteur par excellence de tout ce qui est теХетои3 (cf. Y addendum). ..

1) Jambuque, Vit. Pyth., 151, p. 85, Deubner (= Kern, Orph. fragm., pp. 76 suiv., n° 219 a) : "OX<oç 8è <pa<ri rtuBayopav ÇtjXûjttjv ysvéoOai ttjç 'Op<pécoç èpfjiTjveiaç те xal SiaOéoecaç xal tijaôcv toùç Ôeoùç 'Op<peï ■ка.ра.пкца'шс, iorafiévouç a&roùç èv toïç áyáXfiaoi xal тф х«Ххф où Taïç ̂ (xerépatç ajveÇeuy|iivouç (xopcpaïç, àXXà toïç Í8pti(iaai toïç Oeioiç rcavTa rapiéxovTac xai 7iávTj)v TCpovooovTaç xal тф 7iavrl t}]v «piiciv xal tîjv (jtopç^v ójxoíav è^ovraç. 'AyyéXXetv Se aùx&v toùç xaOaptAOÙç xal xàç Xeyofxévaç reXeràç, tíjv áxpiSeorxTTjv eïSïjciv aúr&v Žxovtx. Nauck confessait : Locum diflicilimum non expedio пес sufflcere arbitrer quod Kiess- ling proposuit т. — àXXà toïç apt.6fj.otc toïç Oeioiç. Je crois devoir • écarter la correction proposée par W. Theiler ; elle consiste essentiellement en un déplacement de la négation qui aboutit à changer radicalement le sens du passage (dans Gnomon, 1938, p. 313) : ... roxpaTcXTjaicoç <oàx> iaTajxévooç aÛTaùç xal тф хаХхф [où]... Nous aurions alors, selon cet auteur, écho à la doctrine hostile à la représentation figurée de la - divinité. A l'appui de sa thèse, il cite le Protreptique du même Jamblique, p. 120, 8 ; Hécatée d'Abdère ap. Diod., 10, 34 et Plutarque, De Is. et Os., 9, enfin Posidonius ap. Strabon, 761 et renvoie aussi à Orph. fragm., 21 a Kern. On ne voit pas ce que signifie, dans ce cas, l'antithèse aXXà toïç ÍSpójjiaoi toïç Geioiç, si elle doit s'opposer à des représentations figurées en général, et non pas seulement à des représentations figurées anthropomorphiques (Taïç ■rjfASTépaiç auve^suyfiévouç (jtopq>aïç) comme c'est le cas selon nous avec le texte tel qu'il est. Ce terme ďíSpújjiaTa est appliqué aux statues par exemple dans le texte de Maxime de Туг cité supra p. 200, n. 1. Grammaticalement le datif toïç í8pó{xaoi s'oppose clairement au datif Taïç [Aopçaïç, les mots toïç Oeioiç aux mots Taïç i)(jieTépatç, ce qui situe bien le terrain de l'antithèse. W. Theiler ne s'explique pas sur ce membre de phrase essentiel. Sur Pythagore et les statues consacrées, cf. aussi Jamblique, Vit. Pyth., 215 et mon article sur l'Abaris..., Revue des études anciennes, XXXVI, 1934, p. 544 et suiv.

2) On rapprochera des mots ot тгаХаь ero<poí cette autre expression des Ennéades, VI, 4, 16 : тохра twv roiXai rapl фих^с ácpiara 7re<piXoao<p7;xÓTCi>v visant comme l'a relevé F. Cumont les doctrines pythagoriciennes reprises par Numénius d'Apamée (Revue de philologie, 1920, p. 238, n. 5).

3) Cf. supra.

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Je ne veux pas exclure néanmoins qu'un sens plus large doive être donné à ce mot. Car, ayant mis en lumière certaines origines proprement grecques de la télestique, il faut rappeler que dès le 11e siècle aussi, à côté des Oracula chaldaica, il faut songer et à l'Egypte et aux cultes iraniens. La démo- nologie, qui est en si étroit rapport avec la télestique, dès ce temps, dès Plutarque par exemple, ne cite-t-elle pais pêle- mêle comme ses autorités tous ces cultes si divergents1 ?

Nous sommes orientés vers l'Egypte par les écrits hermé- tistes. S'il est vrai, que le culte des statues tel qu'il était pratiqué par les hiérostolistes quotidiennement dans les temples n'a pas les éléments mystiques retenus par Franz Gumont, la critique de Peterson n'est peut-être pas entièrement équitable en ce qu'elle ne distingue pas suffisamment de la religion proprement dite des temples égyptiens, celle des mystères hellénistiques d'Isis qui s'était greffée sur elle, telle que nous la connaissons par les Métamorphoses d'Apulée, et surtout la littérature qui se donne comme égyptienne des écritsThermétistes. Pour VAsclepius, il y a un art ou une science de façonner les dieux et cet art — comme pour Varron et Plotin, notons-le en passant sans parler de Proclus — fut découvert par les hommes d'autrefois. D'où cette formule saisissante que l'homme est « le fabricateur des dieux qui sont dans les temples »2. Mais à Asclépius qui lui en fait la demande, Trismégiste donne des précisions sur la manière dont on s'y prend et il définit en quoi consiste la qualitas de ces dieux terrestres que sont les statues : « Elle est faite d'herbes, de pierres, et d'aromates enfermant en eux la nature de la divinité3. » Ferguson n'a pas manqué de faire des rapprochements qui concernent l'Egypte. Un fragment du néopythagoricien Numé- nius d'Apamée, conservé par le Contre Celse d'Origène, décrit

1) De defeclu oraculorum, <c. 10 (les mages de Zoroastre, Orphée, l'Egypte, la Phrygie). Cf. G. Soury, La dèmonologié de Plutarque, Paris, 1942, pp. 61 et suiv. 2) § 37 : Quoniam ergo pçpaui nostri multum errabant circa deorum rationem.

increduli et non animadueriehtes ad сиЦит religionemque diuinam, inuenerunt arlem qua efflcerent deos : Cui inuentae ad$Unxerunt uirtutem...

3) § 38a.

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la préparation de la statue de Sérapis1. Il y a lieu de remarquer que pour le polémiste chrétien l'effet des rites est de contraindre des* démons, évidemment à animer la statue. Mais l'interprétation malveillante de ces démons n'empêche pas que sur ce point aussi Origène fasse écho aux croyances païennes en cause, car précisément VAsclepius fait intervenir anges et démons pour cet art dé faire les dieux imaginés par les ancêtres. Fondé sur les sympathies physiques avec la nature du cosmos, celui-ci ne saurait fabriquer des âmes pour les statues mais il les anime en évoquant en elles les âmes des démons et des anges2. Remarquons que celles-ci jouent exactement le rôle de ces parties de l'âme du monde que les statues selon Plotin sont propres à recueillir et que déjà Varron nous invitait à identifier avec les dieux de la mythologie. Mais remarquons aussi que l'étroite liaison de toutes ces croyances suffît à dénoncer l'erreur qui chercherait du côté de ce qu'il peut y avoir de spécifiquement égyptien l'origine de celles-ci dans VAsclepius ou chez Numénius. L'explication des propriétés oraculaires des statues consacrées, celle des mystères par l'action des démons nous conduisent bien plutôt vers la démo- nologie grecque, telle que nous la voyons par exemple chez Plutarque, telle qu'elle est venue de Platon et de Xénocrate3. De sorte que si on veut concéder à Franz Gumont que la formule de Plotin peut s'éclairer aussi par les cultes hellénistiques ou la littérature sacrée qui se donnent comme égyptiens, ces

1) C. Cela., V, 38 : <bç #pa îtavxtdv xuv bnb «puaetoç Sioixoujjiivcùv (^ oùoiaç Çîocùv xal «poxtay, řva SaÇy; {Asxà twv axsXéaxwv xeXexuv xal xuv xaXo'ja&v Sai(xovaç fjiayYaveuov o&x ^^ ауаХ^ахотонс^ [xóvtov xaxaorxeuaÇsa9ai 0eóc aXXà xal Ù7tè fjiaytov xal çapjxaxuv xal xuv è7Ui[>8xï<; aàx&v XT)Xoo[iévcùv 8xi[aóvgjv. Cf. Firmicus Maternus, De err. prof, rel., 13, 4, qui mentionne aussi les immundi daemonum spiritus assemblés par les rites sacrificiels dans la statue de Sérapis.

2) § 37 (suite du texte de la note 1 ) Eamque miscentes, quoniam animas facere non poterant, euocantes animas daemomum uel angelorum eas indiderunt imaginibus sanctis diuinisque mysteriis (0siaiç xsXsxaïç), per quas idola et bene faciendi et mate uires habere potuissent. Cf. aussi Porphyre, ap. August., Cit. d. D., X, 11.

3) L'action des démons nous est souvent donnée comme expliquant ce qui se . passe dans les mystères : déjà dans le Banquet, pp. 202 d-203 a (les xeXexai). On ne s'est guère préoccupé de savoir ce que cela signifiait, comment elle s'y manifestait. On pourrait suggérer à titre d'hypothèse qu'elle se liait de quelque manière aux statues consacrées.

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cultes et cette littérature sont, sur ce point manifestement aussi sous des influences grecques.

La même conclusion nous sera suggérée par une. autre orientation apparente que nous donne Minucius Felix1. Ces démons dont la présence donne aux statues la puissance divine, nous les trouvons chez lui particulièrement invoqués pour rendre raison des oracles et des formes diverses de la divination. Mais il en rattache l'origine non, point à l'Egypte, mais à Ostanès et aux mages. Il invoque, lui, la démonologie grecque et très précisément le texte célèbre du Banquet. Pour cette référence qui unit les mages aux philosophes il a un prédécesseur qui n'est autre que Plutarque2 et nous voici encore dans cette école du platonisme moyen où nous étions avec le quasi-contemporain de Minucius Felix, je veux dire Maxime de Tyr. Minucius Felix s'explique en un autre passage sur la fabrication des statues. Plus précisément de ces statues consacrées sous lesquelles se cachent les démons. Le texte a une portée très générale, ne se rattache pas spécialement à des mystères ni à des cultes orientaux. Il n'en est que plus intéressant d'y voir une allusion à la transformation de la statue en dieu, au moment précis où elle reçoit non pas seulement sa consécration, mais plus particulièrement ses ornements : Ecce (simulacrum) fundiiur, fabricatur, sculpitur, — nondum deus est ; ecce plumbatur, consiruitur, erigilur — пес adhuc deus est ; ecce ornatur, consecratur, oratur — tune postremo deus est, cum homo ilium uoluit et dedicauil3. L'impor-

1) Octavius, 27, 1 : lsti igitur impuri spiritus, daemones, ut ostensum Magis et philosophie, sub statuis et imaginibus consecratis delitiscunt et adflatu suo aucto- ritatem quasi praesentis numinis consequuntur, dum inspirant interim uatibus, dum fanis immorantur, dum nonnunquam extorum flbras animant, auium uolatus guber- nant, sortes regunt, oracula efficiunt, falsis pluribus inuoluta, etc. Plus haut Minucius a cité Ostanès comme le premier des Mages (cf. Cumont-Bidez, Mages hellénisés, frag. 14 d'Ostanès, t. II, p. 290). La divination est rapportée aux statues animées par YAsclèpius. 24 a, passage cité par saint Augustin, Cit. d. D., VIII, 23. Scott (III, pp. 157-158) cherche à expliquer le passage hermétiste parles faits égyptiens et n'a pas vu l'analogie avec Minucius Felix, qui, lui, se réfère aux Magi. . 2) Cf. supra, p. 205, n. 1.

3) 23, 13. Voluit (P.) a surpris et a été corrigé : uouit Meursius ; coluit Dauisius. Si on le garde, le texte pourrait signifier : « Quand l'homme a décidé d'en faire un dieu. » Mais c'est bien forcé. Ne pourrait-on corriger comme suit ? Illufd in)-

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tance et la valeur attachée aux rituels de consécration de statues paraissent s'expliquer beaucoup plus que par les rites romains sur lesquels à vrai dire nous ne savons à peu près rien — par l'ensemble d'idées que nous sommes en train d'analyser1.

La télestique des néoplatoniciens ne saurait donc avoir ses origines rituelles et religieuses dans les seuls Oracula chaldaica et il est clair que l'importance attachée à la consécration des statues, ses rapports • avec des mystères, la liaison établie avec la démonologie débordent largement le cadre de ces écrits dont nous ignorons dans quelle mesure avant Jamblique et Proclus ils ont été liés avec une liturgie. Dès le 11e siècle, nous voyons l'intérêt se porter vers les rites qui ont pour centre une statue divine et celle-ci considérée comme concentrant en elle des énergies dont l'origine est volontiers cherchée du côté de la démonologie. De tels rites sont attribués aussi bien, semble-t-il, à la tradition orphique qu'aux cultes orientaux et rien chronologiquement ne fait pencher la balance de tel côté plutôt que de tel autre. En fait, il y a déjà des siècles que ce qu'on appelle oriental est pénétré d'influences grecques. Dans le cadre des réflexions qui précèdent on n'a pas voulu à dessein remonter trop haut dans le temps. Mais s'il suffît d'examiner dii point de vue dogmatique les Oracula chaldaica pour y déceler presque à chaque vers des influences plato- nisantes ou pythagoriciennes comme l'a fait Wilhelm Kroll2, s'il en est ainsi quand on étudie les Hermetica avec Scott ou le P. Festugière, et on pourrait généraliser pour ce qui nous est dit dans la littérature religieuse grecque de presque tous

uoluit ? Illud désignerait simulacrum et inuoluit au sens de « l'a enveloppée » s'appliquerait à la parure et à ]a vêture de la statue, dont on a vu l'importance rituelle ; inuoluit reprendrait ornàtur de même que dedicauit reprend consecratur, oratur.

1) Zosime, V, 41, à propos des statues dépouillées par Alaric de leurs ornements, fait allusion à de tels rites de consécration. Il déplore та теХетаТс àyiaiç xa6i8pu9évra, èXaTTcoGeicnrjç tîjç теХетт)с, афо/а slvai xal ávevépy^xa.

2) Cf. la remarque de M. P. Nilss-on, op. laud., p. 459 : Sic sind aus platonischem, pythagoreischem, stoischem und orientalischem Gut zusammengestellt, ihr Zweck ist, die Theurgie zu rechtfertigen ; A,-J. Festugière se proposait de montrer (Revue des études grecques, LXIV, 1951, p. 482) que « ce qu'on peut appeler la doctrine de ces oracles présente les affinités les plus grandes avec les fragments de Numénius, au point qu'il est permis de se demander s'il ne s'agit pas d'un démarcage, sous, mode oraculaire, du тгер1 тауабои de Numénius ».

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les cultes orientaux, on ne voit pas pourquoi les rituels qui ont pu accompagner parfois ces spéculations ou en découler seraient eux-mêmes exempts de très larges et de très substantiels emprunts soit à la religion, soit à la magie grecques anciennes et ma conviction personnelle est qu'il en est ainsi. Cette télestique que nous voyons chez un Proclus en étroit rapport avec la théorie philosophique du mythe continue une longue habitude des philosophes depuis Platon à mettre au centre de leurs réflexions religieuses les mystères grecs d'Eleusis et les écrits orphiques, et elle emprunte certainement à ces sources aussi du point de vue du rituel.

Pierre Boyangé.

ADDENDUM Que Plotin se soit référé pour les statues divines et leur efficacité

à Orphée, hypothèse soutenue plus haut, pp. 195 et suiv., est confirmé par un texte fort important d'un auteur de peu antérieur : Clément d'Alexandrie, qui nous renseigne sur ce qu'on pouvait penser dans les milieux grecs où Plotin s'est formé. Je dois la connaissance de ce passage à M. Turcan, élève de l'École normale supérieure, que je suis heureux de remercier ici : *

'Efioi fxèv o3v Soxoûciv о @p<£xioç- èxetvoç 'Optpeùç, xai ó 0rj6atoç xai ó Mif]6u{jiva«><;, avSpsç tivsç oùx acvSpeç, aroxTTjXoi ysyovevai, лгроах^цат!, (xoucti.xîîç

ivl -foy\xsíc(. Saijiovuvreç sêç 8ia<p8opaç, 6êpeiç , Tcév6r) èxOeiaÇqvTeç, xoùç àv6pa>7rouç êm та eïScoXa xetPaYayP)(iat

val [at]v Xi6oiç xal £\SXoiç, TouxéoTiv ауаХ[ла<я xai axiaypa<piaiç, tt]v стха10тт]та тои Z0ouç, T7]v xaXvjv Svtîûç èxeiv7)v èXeuôspiav

4>8aïç xai è7r<j>Saîç ео/ат7) SouXeía (Protreptique, 1, 3, 1, p. 55,- Mondésert). A côté d'Orphée, sont

mentionnés parmi ces antiques musiciens, Amphion de Thèbes et Arion de Méthymnaios. Les mots 7c£v6t) èx6sidcÇovTeç font sans doute allusion à la légende orphique de la mort de Dionysos, qu'on prétend diviniser. Les mots èvTéxvq> tivI yor^eiaf., etc., sont traduits par le P. Mondésert : « par un habile charlatanisme faisant les inspirés pour perdre les autres » ; je les interpréterais plutôt ainsi- : « par un certain art de magie recourant aux démons pour la perdition des autres ». Ce texte, comme celui d'Eusèbe cité p. 13, n. 2, mentionne « chants et incantations », en même temps que les consécrations des statues. Il y a manifestement une origine commune.

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