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Boston Le retour régulier de Angela Gennaro et de Patrick Kenzie sur la scène déglinguée du South-Boston montre aussi la récurrence de la violence sociale, ce fruit amer des inégalités. Les tueurs psychopathes qu’ils combattent en sont le produit exacerbé, distillé : la fleur ! Chez les déclassés de l’Amérique contemporaine, les choix de vie sont totalement aléatoires, voire illusoires : à origine identique, leur vie oscille entre rade, prison, came, tabassage, aides publiques… L’un sera flic, l’autre truand. A. G. & P. K. sont entre les deux : privés. paternité : Dennis Lehane (USA). parrainage : éditions Rivages. statut : détectives privés. Lui est le narrateur. géographie : Boston sud, et plus particulièrement Dorchester, le quartier populaire irlandais. Délinquance, drogue, prostitution. Leur bureau est dans le clocher d’une église (échange de services avec le prêtre, A. G. et P. K. pratiquent intensivement le troc : c’est la base d’un réseau). origines : lui : irlandaise, père violent et alcoolique ; elle : italienne, lignée de parrains, mafia du Massachusetts. Sont amis d’enfance et natifs des quartiers sud qu’ils ont du mal à quitter. fréquentations : pas fameuses. Connaissent tous les truands de la zone avec qui ils entre- tiennent des relations donnant-donnant : armes, renseignements, filatures, coups de main (ou plutôt de poing). Rapports avec les flics : de médiocres à détestables. Seuls deux ou trois, copains d’enfance passés sous la casquette, leur donnent (échangent plutôt) encore des tuyaux en provenance des fichiers de la crim’. psychol. simplifiée : elle : pas froid aux yeux, provoc, joue de son sex-appeal, tire bien et sans hésitation. L’instabilité affective en rapport avec son histoire familiale est soutenue par une grande liberté sexuelle. Ne se projette jamais dans l’avenir. Rigueur et fidélité dans ses choix. Catho pratiquante. Lui : tout aussi instable, paumé, fuite en avant. Traumas infantiles durables (père), beau- coup de haine sociale et autant de vraie empathie pour amis. Pas d’illusions sur le devenir de l’humanité. Tire mal mais encaisse bien. Morale élastique, excepté loyauté (jusqu’au sacrifice) envers proches. signes particuliers : ont du mal à s’éloigner de leur enfance, retombent toujours dans la violence de leur milieu, auquel chaque affaire les renvoie. Sont fous amoureux mais relation chaotique car incapables de prendre pied dans réalité et d’envisager un devenir. Impossible imaginer vie commune avec elle aux fourneaux, lui ratissant l’allée de gravier. observations : les épisodes de leur histoire (5) sont à lire dans l’ordre chrono. L’ensemble raconte aussi une récurrente histoire d’amour à suspens entre A. G. & P. K. Angela Gennaro Patrick Kenzie la loi des séries - 1 textes : Joël Bertrand - dessins et graphisme : Aude Poirot - réalisation : éditions voir page 1 ( 05 61 96 68 99) Boston est l’une des zones métropoli- taines les plus sûres du pays. Les taux de meurtres, d’agressions et de viols ne représentent guère plus que des points sur l’écran quand ceux de Los Angeles, de Miami ou de New York s’envolent. Mais pour ce qui est des vols de voitures, on les bat à plates coutures. Les criminels de Boston, pour quelque obscure raison, ado- rent faucher des bagnoles. Je ne sais vraiment pas à quoi ça tient, vu qu’il n’y a rien de particulier à reprocher à nos transports en commun.

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BostonLe retour régulier de Angela Gennaro et de Patrick Kenzie sur la scène déglinguée du South-Boston montre aussi la récurrence de la violence sociale, ce fruit amer des inégalités. Les tueurs psychopathes qu’ils combattent en sont le produit exacerbé, distillé : la fleur !

Chez les déclassés de l’Amérique contemporaine, les choix de vie sont totalement aléatoires, voire illusoires : à origine identique, leur vie oscille entre rade, prison, came, tabassage, aides publiques… L’un sera flic, l’autre truand. A. G. & P. K. sont entre les deux : privés.

paternité : Dennis Lehane (USA).

parrainage : éditions Rivages.

statut : détectives privés. Lui est le narrateur.

géographie : Boston sud, et plus particulièrement Dorchester, le quartier populaire irlandais. Délinquance, drogue, prostitution. Leur bureau est dans le clocher d’une église (échange de services avec le prêtre, A. G. et P. K. pratiquent intensivement le troc : c’est la base d’un réseau).

origines : lui : irlandaise, père violent et alcoolique ; elle : italienne, lignée de parrains, mafia du Massachusetts. Sont amis d’enfance et natifs des quartiers sud qu’ils ont du mal à quitter.

fréquentations : pas fameuses. Connaissent tous les truands de la zone avec qui ils entre-tiennent des relations donnant-donnant : armes, renseignements, filatures, coups de main (ou plutôt de poing). Rapports avec les flics : de médiocres à détestables. Seuls deux ou trois, copains d’enfance passés sous la casquette, leur donnent (échangent plutôt) encore des tuyaux en provenance des fichiers de la crim’.

psychol. simplifiée : elle : pas froid aux yeux, provoc, joue de son sex-appeal, tire bien et sans hésitation. L’instabilité affective en rapport avec son histoire familiale est soutenue par une grande liberté sexuelle. Ne se projette jamais dans l’avenir. Rigueur et fidélité dans ses choix. Catho pratiquante.Lui : tout aussi instable, paumé, fuite en avant. Traumas infantiles durables (père), beau-coup de haine sociale et autant de vraie empathie pour amis. Pas d’illusions sur le devenir de l’humanité. Tire mal mais encaisse bien. Morale élastique, excepté loyauté (jusqu’au sacrifice) envers proches.

signes particuliers : ont du mal à s’éloigner de leur enfance, retombent toujours dans la violence de leur milieu, auquel chaque affaire les renvoie. Sont fous amoureux mais relation chaotique car incapables de prendre pied dans réalité et d’envisager un devenir. Impossible imaginer vie commune avec elle aux fourneaux, lui ratissant l’allée de gravier.

observations : les épisodes de leur histoire (5) sont à lire dans l’ordre chrono. L’ensemble raconte aussi une récurrente histoire d’amour à suspens entre A. G. & P. K.

Angela Gennaro Patrick Kenzie

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Boston est l’une des zones métropoli-taines les plus sûres du pays. Les taux de meurtres, d’agressions et de viols ne représentent guère plus que des points sur l’écran quand ceux de Los Angeles, de Miami ou de New York s’envolent. Mais pour ce qui est des vols de voitures, on les bat à plates coutures. Les criminels de Boston, pour quelque obscure raison, ado-rent faucher des bagnoles. Je ne sais vraiment pas à quoi ça tient, vu qu’il n’y a rien de particulier à reprocher à nos transports en commun.

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Gerhard Selb

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Gerhard Selb aime une Allemagne qui n’existe nulle part. Ni dans son passé (il collabora) ni dans son présent (le miracle allemand le laisse de glace, la réunification lui semble une escroquerie).

la loi des séries - 3

À l’époque, la Bahnof-strasse n’était pas une bonne adresse,

mais j’aimais la vue sur la gare, les nuages de

vapeur des locomotives, les sifflements et le bruit

des wagons. Aujourd’hui elle ne longe plus la gare

mais les nouveaux bâtiments administratifs et le tribunal, des édifices d’une fonction-

nalité grise et lisse. Si le droit ressemble à l’architecture

où il s’exerce, la justice va mal à Heidelberg.

Mais s’il a l’air des petits pains et des gâteaux que

le personnel du tribunal peut acheter au coin de la rue,

inutile de se faire du souci pour elle.

Mannheim

Il pense que la réussite allemande contemporaine est construite sur l’oubli et le cynisme et qu’elle ne gage pas d’un avenir meilleur. Les fautes, les siennes, les collectives, n’ont pas été payées. D’où ce sen-timent que ses concitoyens et lui sont en train de (ou devront un jour) expier. Représente finalement un cas rare : fut employé par les Nazis (bien que son rôle, en tant que procureur ait plutôt consisté à faire respecter la Loi malgré le na-zisme), ne le cache pas, n’en est pas fier, aimerait un vrai procès, aime-rait payer, aimerait mourir l’âme en paix, souffre de ne pouvoir accéder au pardon.

paternité : Bernhard Schlink (Allemagne).

parrainage : Série Noire Gallimard.

statut : détective privé (fatigué). Narrateur.

géographie : Agglo Mannheim–Heidelberg–Ludwigshafen. Aime le somptueux spectacle du Rhin, son trafic fluvial, ports, usines la nuit, ses collines et vieux bourgs. Fréquente les petits restos (spécialement turcs et italiens), les boutiques pittoresques. N’a jamais été vu dans un supermarché.

origines : enfance berlinoise, veuf, ancien procureur spécial du Reich lorsqu’il débuta ; démissionna en 45 lorsqu’il réalisa que les anciens nazis restaient en poste dans le système judiciaire fédéral. Traîne une vieille culpabilité de ce passé, a toujours l’impression qu’il doitexpier.

fréquentations : un flic encore en poste dans la police de Mannheim (utile), un chirurgien de l’hôpital (très utile), cercle d’amis joueurs d’échecs allant se rétrécissant vu l’âge des ses membres. Quelques femmes célibataires plus jeunes, se trouve une copine divorcée avec qui rien n’est simple. Un chat nommé Turbo.

psychol. simplifiée : il est lent, se sait lent et déplore sa lenteur. Les choses s’imposent à lui en se faisant prier, peinant à traverser les brouillards de son esprit nostalgique. N’est jamais complètement dans ce qu’il fait. Parle peu mais sait écouter et faire parler autrui par son art du silence. Ses méditations alcoolisées le ramènent toujours vers son passé qu’il a l’art de débusquer derrière chaque affaire qui lui est confiée. Chacune finit par une enquête, un retour sur lui-même, c’est pour cela peut-être qu’il s’appelle Selb (Selb en allemand = même). Tendance à se prendre pour un justicier (il en souffre) ; peut passer à l’acte s’il juge le criminel hors d’atteinte de la justice.

signes particuliers : fume et boit (de préférence du Sambuca). Roule dans une vieille Opel Kadett aussi poussive que son propre battant. Fa-çons vestimentaires ringardes (l’inévitable trench beige). Farouche-ment attaché à sa liberté après un long mariage pas très heureux. Bon cuisinier, bon coup de fourchette, hôte agréable et généreux. À 70 ans sonnés, il songe à prendre sa retraite. Perclus de rhumatismes.

observations : a du mal avec l’architecture contemporaine, surtout quand l’ascenseur est en panne.

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L’histoire de Mario Conde c’est l’apprentissage de la perte des illusions. À la question lancinante de savoir pourquoi il s’est fait fl ic, il perd progressivement les arguments pour. Ne voit plus que des raisons de ne plus l’être.

La Havane

Mario Conde

En respirant l’arôme putride de la baie, le Condecomprit pourquoi il avait fui les archives où reposait la mémoire légale du pays : en réalité, cela lui était égal de trouver quelque chose. Une mollesse malsaine l’avait envahi face à tout ce passé mort, toutes ces existences transformées en actes, en déclarations, en listes, enminutes, en extraits, en protocoles, en registres, encopies en double et même triple exemplaires vides de passion et de sang : toute cette méprisable lie historique sans laquelle il n’était pas possible d’avancer, mais aveclaquelle il était impossible de vivre.

paternité : Leonardo Padura (Cuba).

parrainage : éditions Métailié.

statut : Lieutenant de la police criminelle

de La Havane.

géographie : La Havane, vieux quartiers, le Malecón,

les boîtes (ce qu’il en reste) à boléro, quelques troquets

clandos tenus souvent par d’anciens fl ics. N’a jamais quitté

son quartier de naissance.

origines :Havanais pur jus. Discret sur sa famille, à l’exception

de son grand-père Rufi no qui l’a élevé et beaucoup marqué. Père

absent (inconnu ? n’en parle jamais), mère aimante et magnifi que,

morte à ses neuf ans.

fréquentations : copains d’enfance, une bande fi dèle et soudée qui s’est forgée

dans la rue en jouant au base-ball : Carlos, dit le Flaco (un beau gars qui

revint d’Angola en fauteuil roulant), et sa mère Josefi na (qui cuisine de merveilleux

plats cubains avec ce qu’on peut trouver au marché, c’est à dire presque rien), une

nommée Tamara, amour d’enfance retrouvée sporadiquement, et au bout du compte

destinée à vieillir avec lui ; son adjoint Manolo et surtout son chef et ami, Rangel,

fondu de cigares.

psychol. simplifi ée : totalement inadapté au métier de fl ic : passe d’ailleurs son temps

à se demander pourquoi il l’est. Encore un intuitif ne pratiquant pas la déduction mais

cherchant dans son humeur cafardeuse les échos des crimes des autres. Longues intros-

pections sur son passé, ses échecs, ratages (notamment amoureux), au terme desquelles

il entrevoit des solutions à l’énigme qui lui est posée. Ne met jamais la main à la pâte,

délègue à ses adjoints tout ce qui est recherche et vérifi cation ; se contente de faire le

vide en rêvassant à des femmes qu’il aurait aimé aimer. C’est souvent un hasard

subjectivé qui le met sur la piste. Une enquête, c’est alors un processus de consolidation

de l’intuition première.

signes particuliers : oublie toujours son fl ingue, ne porte jamais l’uniforme. Écrit parfois

des récits qu’il jette régulièrement à la corbeille. Fréquente le rhum jusqu’à trouver

l’horizontale, le tabac jusqu’à l’asphyxie.

observations : lutte incessamment contre la remontée nostalgique des souvenirs.

Aime le Cuba de son enfance, époque de la dictature Batista, certes pourrie, mais l’œil

dépolitisé de l’enfant puis de l’ado d’alors a enregistré à jamais les moments de bonheur,

par exemple voir et entendre de belles femmes chanter des boléros. La conscience

politique venue avec la Révolution n’a plus pour se repaître que le cortège des injustices,

des inégalités, de la solitude, de la violence, de la pauvreté.

Chaque épisode

l’éloigne davantage

de son métier. Quand la

police qui enquête sur la police

est plus active et a plus de moyens

que sa brigade, c’est qu’il y a quelque

chose de pourri au royaume de la salsa.

Chaque affaire résolue le laisse devant

cette impasse : la personne la plus sym-

pathique est malheureusement celle qui

a tué. Les ripoux installés au cœur de la

machine ont les mains propres et

continueront leurs crasses peinards.

Pourquoi alors continuer à être fl ic ?

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Il n’a pas la cote vu qu’il a été flic sous le franquisme (où il n’arrivait jamais à serrer un « rouge » ou une tapineuse — le brouillard, une peau de banane... ) et vu qu’il ne montre aucun empresse-ment à défendre les valeurs de la nouvelle démocratie catalane. Flic à l’ancienne, il a d’ailleurs des problèmes avec la présomption d’innocence, une valeur démocratique qui permet surtout à des avocats bien payés de faire sortir du trou les pires ordures.

— La police, questionna-t-elle, pourquoi ?— Ce sont des choses qui arrivent, fit Méndez d’un ton équivoque. Dans la vie d’une personnalité les inspecteurs de police ou des finances sont inévitables.— Asseyez-vous.Méndez avait déjà pris place.— Je n’ai pas d’embar-ras fiscal, fit Marina Volpe. J’ignorais par ailleurs que la police gérait désormais ces dossiers.— Tous est possible dans un régime démocratique, dit gentiment Méndez. Ne volez pas l’argent du peuple.— Qu’est-ce que vous dites ?— Vous le gagnez, et c’est le peuple qui le dépense. Il n’est donc pas à vous.— Je ne saisis pas l’allusion.

Barcelone Ricardo Méndez

Le héros récurrent peut parfois être le témoin cité par l’histoire lorsqu’elle a un compte à régler avec un présent qu’elle désapprouve. Ricardo Méndez ou « je les ferai chier jusqu’au bout ».

paternité : Francisco González Ledesma (Espagne).

parrainage : éditions L’Atalante.

statut : inspecteur subalterne du commissariat de Drassanes (Ramblas inférieures).

géographie : Barcelone, vieux quartiers et banlieues ouvrières.

origines : prolétariennes. Barcelonais pur jus, n’est quasiment jamais sorti de sa ville, assez rarement de son quartier du barrio Chino.

fréquentations : c’est le canon du solitaire. Pas d’amis, pas la moindre affinité avec ses collègues. Céliba-taire, pas de maîtresses, quelques relations distantes dans les milieux de la gauche ouvrière, de la presse et surtout chez les prostituées qu’il aime et recherche pour leur compagnie et leur maternelle humanité.

psychol. simplifiée : encore un nostalgique. Perdu dans une Barcelone qui n’existe plus que comme légende, survivant difficilement à la disparition de ce qui fut l’âme de sa ville : solidarités, esprit frondeur, humour, intempérances de tout poil. La reconversion de la ville aux valeurs de l’économie de marché le laisse de marbre. Ours mal léché, seule la fréquentation de quelques bars et bouquinistes le déride un peu. Esprit intuitif, il avance grâce à une connaissance approfondie de la nature humaine, sans illusion sur sa prétendue capacité à discriminer le bien et le mal.

signes particuliers : se déplace exclusivement à pied. Enchaîne serré des dizaines de clopes et à peine moins de godets témoignant de la riche variété des vins de la péninsule. Fait le coup de poing si nécessaire mais ménage un cœur de soixante ans usé à la corde et devenu imperméable à l’amour. Mal fringué, un peu crade, vulgaire et scato, épaules constellées de pellicules, les poches pleines de bouquins de poètes méconnus : l’anti latin lover.

méthodologie : conduit ses enquêtes seul et contre sa hiérarchie dont il est détesté. On tente de le cantonner dans des investigations genre chiens écrasés. Manque de pot, il connaît tellement intimement les bas-fonds de la ville (et en est tellement connu) qu’il tombe toujours sur le crime. Son élan irrépressible à défendre la veuve et l’orphelin le conduit à fouiner là où il ne devrait pas. Un bon réseau d’indics, une formidable intelligence du terrain, une ténacité vengeresse l’amènent à faire tomber les puissants au grand dam de l’establishment (pas souvent condamnés, il faut le dire. Heureusement qu’ils se butent entre eux...).

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Les enquêtes de Grazia Negro se heurtent à un problème majeur : dans Bologne-la-rouge, on ne fait pas de vagues. S’il y a des serial killers, ce n’est que dans la tête de flics versés dans la culture policière américaine. Le concept n’est pas valide en Italie.

Cette ville, lui avait dit Matera, n’est pas comme les autres villes. Elle n’est pas seule-ment grande, elle est aussi compliquée. Si tu la regardes comme ça, en te baladant, Bolo-gne semble toute faite d’arcades et de places, mais si tu la survoles, elle est verte comme une forêt grâce aux cours intérieures que l’on ne voit pas depuis la rue. Et si tu vas dessous en barque, tu trouves tant d’eau et de canaux qu’on dirait Venise. Un froid polaire l’hiver et une chaleur tropicale l’été. Une mairie rouge et des coopératives milliardaires. Quatre ty-pes de mafias différentes qui recyclent l’argent de la drogue dans toute l’Italie. Tortellini et satanistes. Cette ville est différente de ce qu’elle paraît, inspecteur, cette ville a toujours une moitié cachée.

BologneChercher à relier des crimes inexpli-

qués depuis des années est une perte

de temps, un objet littéraire qui

heurtera un juge assoupi, un direc-

teur qui craint pour son avancement,

la faune d’avocats qui ont vite fait de

brandir la charte des Droits civiques :

Dites, Inspecteur Negro, vous êtes

payée pour vous occuper des dealers,

des sans-papiers et des prostituées,

non ?

Grazia Negro

paternité : Carlo Lucarelli (Italie).

parrainage : Gallimard, Série Noire.

statut : inspectrice, police scientifique de Bologne.

fréquentations : peu hormis les collègues de travail

et les personnes impliquées dans les affaires (meurtres

en série), qu’elle mène sous la houlette d’un supérieur

toujours un peu condescendant. Bologne lui est

étrangère, elle ne comprend pas cette ville bizarre,

secrète et branchée qui dissimule sous la façade de sa

trépidante vie étudiante une faune cosmopolite

prospérant sur la drogue et la prostitution.

psychol. simplifiée : jolie, gracieuse et fragile, elle

suscite des comportements paternalistes dans un

univers masculin où personne ne la prend trop au

sérieux. Extrêmement sensible et douée d’empathie,

elle est attirée par les faibles, les ratés, les écorchés.

C’est une instinctive qui parle peu et agit dans l’urgence

après avoir fait les choix dictés par sa conscience et

son cœur. Dès lors, elle est d’une ténacité telle qu’elle

en oublie à la fois sa peur et le respect de la hiérarchie.

C’est une femme italienne avec toutes les caracté-

ristiques qu’on y attache : sentimentale, amoureuse

d’instinct, apparemment fragilisée par son élan mais

finalement protectrice de ceux qu’elle aime. Une force

longue à se révéler mais sans marche arrière dès lors

qu’elle a discerné où était le juste combat.

signes particuliers : porte un blouson bomber qui l’aide

à dissimuler cet objet insolite : le flingue. N’oublie

jamais d’être femme, même face à un dangereux meur-

trier. Use alors de son charme, la main sur la crosse de

son Beretta. Comportements « déviants » et peu ration-

nels au regard des techniques policières traditionnelles.

méthodologie : une énergie enfantine alliée à un

raisonnement sans faille lui permettent d’aller très vite

à l’essentiel. Alors il lui incombe à elle, la « petite»,

d’assister et d’éclairer les flics mâles aveuglés par leur

ego ou par les conventions, et de protéger et réconforter

les victimes.

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Est persuadé que, selon la tra-dition taoïste, tout revient, tout se représente à nouveau, ce qui a été sera, et tout mystère a déjà été résolu dans le passé. La Chine ultra-moderne ne s’éloigne pas de son passé, elle en hérite et le rend présent. La solitude du lettré (flic soit-il) devant le pou-voir est une figure éternellement chinoise.

Shanghai

On pourrait dire que le milieu des triades modernes est une mauvaise copie de celui, plus extrême, des romans de kung-fu. Il y a bien sûr des différences, mais ils affichent les mêmes valeurs. En premier lieu, le Yi Qi, un code éthique de fraternité, de loyauté et d’obligation de rendre tout service accepté. Mais le concept n’est pas forcément négatif. Mon père était un érudit confucéen et je n’ai pas oublié une des maximes qu’il m’a enseignées : Si quelqu’un t’aide en te donnant une goutte d’eau, tu dois le lui rendre en lui creusant un puits.

Chen Cao

paternité : Qiu Xiaolong (Chine).

parrainage : éditions du Seuil.

statut : inspecteur principal de la police de Shanghai.

géographie : Shanghai centre. Attiré par le Bund (les quais du Fleuve Jaune). Fréquente les maisons de thé, les restaurants traditionnels, les bouis-bouis familiaux, les vendeurs à la sauvette. Aime se promener dans les ruelles et les passages des vieux Shikumen (anciennes habitations collectives).

origines : fils d’un universitaire confucianiste déporté pendant la Révolution Cultu-relle. Sa vieille mère est une lettrée.fréquentations : poètes, écrivains, artistes, mais aussi restaurateurs, retraités, anciens collègues reconvertis dans les affaires du « socialisme de marché ».

psychol. simplifiée : intègre, têtu, très habile dans le maniement de la dialectique pour faire passer ses choix auprès des cadres du Parti. Doit sans arrêt se tenir sur la corde entre tradition communiste et nouvelles orientations de la politique de réformes initiée par Deng Xiaoping. Attiré par les jeunes Chinoises branchées mais son statut de flic et sa morale l’empêchent souvent de passer à l’acte. Trimbale une vieille et épisodique histoire d’amour avec la fille d’un haut responsable du Parti. Gourmet exigeant et fin connaisseur de la cuisine chinoise. Il est aussi un poète moderniste reconnu, membre de l’Union des écrivains.

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La corruption des nouveaux riches est souvent en ligne de mire des enquêtes de Chen Cao. avec les triades (gangs régionaux traditionnels reconvertis dans le crime international — trafics, prostitution, immigration clandestine…), il a appris à composer quand nécessaire, vu qu’il est impossible d’en venir à bout.

signes particuliers : ses enquêtes sont minutieuses, prudentes, petits pas. Tourne autour du pot, se rapproche lentement du but en écartant les oppositions de ses supérieurs. Arrondit ses fins de mois avec des traductions de l’anglais (polars et poésie). Cite sans cesse proverbes et poèmes de la tradition. Petit côté arriviste, ne dédaigne pas les chauffeurs, l’argent, les hôtels de luxe.

observations : versé dans la poésie des dynasties Tang et Song au point de déréaliser ce qu’il vit et de ne recevoir les signaux qui lui arrivent du réel que de comme des corres-pondances qui trouvent un écho dans les vers classiques. Mais, paradoxalement, c’est aussi de la poésie que lui vient l’illumination qui lui permet de résoudre une énigme : la poésie a donc prise sur le réel, ou au moins sur l’attentat au réel que représente tout crime.