Bonzon Le Relais Des Cigales

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    A la mme librairie

    PAUL-JACQUES BONZON

    1 LE CHATEAU DE POMPON Premier livre de lecture courante.

    Cours prparatoire.

    2 POMPON A LA VILLE Lectures suivies. Cours prparatoire.

    3 LE JARDIN DE PARADIS Lectures suivies. C.P., C.E. 1e anne.

    4 POMPON LE PETIT ANE DES TROPIQUES Lectures suivies. Cycle lmentaire.

    5 LA MAISON AUX MILLE BONHEURS Lectures suivies. Cycle lmentaire.

    6 LE CIRQUE ZIGOTO Lectures suivies. Cycle lmentaire.

    7 LE CHALET DU BONHEUR Lectures suivies. C.E., C.M. 1e anne.

    8 LE RELAIS DES CIGALES Lectures suivies. Cycle moyen.

    9 LA ROULOTTE DU BONHEUR Lectures suivies. C.M. 2e anne.

    10 YANI Cours moyen.

    11 AHMED ET MAGALI Cycle moyen.

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    PAUL-JACQUES BONZON

    INSTITUTEUR HONORAIRE LAURAT DES PRIX 'JEUNESSE "ENFANCE DU MONDE" "JEUNESSE" "NEW YORK HERALD TRIBUNE" "GRAND PRIX DE LITTRATURE DU SALON DE L'ENFANCE"

    Le relais des

    CIGALES

    LIVRE DE LECTURES SUIVIES COURS MOYEN

    ILLUSTRATIONS DE DANIEL DUPUY

    1973 DELAGRAVE

    15, rue Soufflet, 75005 Paris

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    NOTE DE L'AUTEUR

    LE RELAIS DES CIGALES est un livre de lectures mi-vies l'usage du COURS MOYEN. Son but essentiel, en un temps o l'image, prend de plus en plus le pas sur les textes, est le perfectionnement du mcanisme de la lecture, en principe solidement acquis au cours lmentaire mais, en ralit, souvent demeur insuffisant.

    A ce perfectionnement, s'ajoute videmment lenrichissement apport par le vocabulaire, les tournures nouvelles de phrases et le contenu mme des textes.

    Mais, pour qu'une lecture, soit profitable, il faut avant tout que l'lve s'y attache, que sa sensibilit soit mise en veil, quil se ce retrouve. d'abord lui-mme, avant de trouver les autres. Combien de textes, de grande valeur cependant, n'ont aucune rsonance parce, qu'ils ne touchent pas le jeune lecteur !

    Or, nous vivons une poque o, de bonne heure, l'enfant partage les joies, les proccupations, les soucis, les peines de ladulte. La vie moderne, mouvante, trpidante, instable, o le bruit, les dplacements jouent un grand rle, marque profondment Vendant. C'est pourquoi ce livre, au cours de ses soixante-douze chapitres, raconte l'histoire de

    Jean-Lou, ce petit Provenal arrach son calme village,, ballott de toutes parts, In recherche de ce que, nous appelleront son quilibre . Ce rcit n'est qu'en apparence, le fruit de l'imagination. Combien fie Jean-Lou sont aujourd'hui placs devant de graves difficults psychologiques ou sentimentales, un ge o, nagure, le seul souci de l'enfance, tait celui de grandir dans la quitude?

    Il est d'ailleurs un problme plus spcial, commun tous les lves du cours moyen, que notre jeune hros devra affronter : celui de la sortie de lcole primaire. Matres et parents savent combien est parfois difficile ce passage du milieu paternel qu'est une classe primaire dans le monde plus vaste, plus socialis du collge ou du lyce. C'est pourquoi il nous a paru intressant de prparer les lves du cours moyen cette mutation en plaant notre Jean-Lou devant ces petites difficults... qu'il saura d'ailleurs surmonter.

    Quant l'appareil pdagogique, il se limite l'explication de quelques mois et quelques questions sur l'intelligence des textes, les explications et questions les plus profitables tant celles proposes par le matre, meilleur juge du niveau de .sa classe, et de ce qu'il peut attendre de ses lves.

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    TABLES DES CHAPITRES

    1. L'cole de Tourette 7 2. Le chagrin de Jean-Lou 10 3. La grande nouvelle 13 4. La grande nouvelle (suite) 17 5. Adieu, Tourette ! 20 6. Le beau rve s'vanouit 23 7. Une nuit mouvemente 27 8. Une nuit mouvemente (suite) 30 9. L'cole de Montfaucon 33 10. L'cole de Montfaucon (suite) 37 11. L'cole de Montfaucon (suite) 41 12. L'cole de Montfaucon (fin) 44 13. Deux nouveaux camarades 47 14. Jour de fte au relais 50 15. Jour de fte au relais (fin) 53 16. Piboule 56 17. Piboule (suite) 60 18. Piboule (fin) 63 19. Une lettre de Pierrette 66 20. Un appel dans la nuit 69 21. Suzy 73 22. Une nuit formidable 76 23. Confidences 79 24. Une lettre mystrieuse 82 25. Une lettre mystrieuse (fin) 85 26. En route pour l'Espagne 87 27. La frontire 91 28. Place de Catalogne 95 29. Le rendez-vous manqu 99 30. Une nuit espagnole 102 31. La mer! 107 32. Gilbert 111 33. La jalousie de Jean-Lou 115 34. Une tragique baignade 118 35. Une tragique baignade (suite) 123 36. Mme Sauthier 126

    37. Tout est oubli 130 38. Une bonne nouvelle 134 39. Dernier beau jour 139 40. Un dpart prcipit 143 41. L'accident 145 42. Le rcit du drame 148 43. Sparation 151 44. Visite l'hpital 155 45. Comment s'organiser? 158 46. La grande route de Paris 161 47. L'appartement de tante Emilie 165 48. Le projet de Jean-Lou 169 49. Tribulations dans le mtro 173 50. Porte close 176 51. Une bonne soire 179 52. Monsieur le Proviseur 182 53. La rentre 187 54. La rentre (suite) 189 55. Des dbuts difficiles 192 56. Les rendez-vous du dimanche 195 57. Un jour de novembre 199 58. Sous les oliviers 203 59. Nol Bobigny 205 60. Nol Bobigny (suite) 209 61. Le sosie de Piboule 213 62. Le panier salade 217 63. Un bienfait n'est jamais perdu 220 64. La composition de rdaction 223 65. La composition de rdaction (suite) 226 66. La fin du tunnel 229 67. La seconde lettre 233 68. Les adieux de Boulou 236 69. La famille runie 239 70. La grande surprise 242 71. Le dernier trimestre 245 72. Les plus belles vacances 247

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    1 - L'COLE DE TOURETTE

    M. Sahune arpentait la cour de l'cole, attendant l'heure de la rentre, lundis que les enfants, sparment ou par petits groupes, franchissaient la grille. Mais, ce matin-l, au lieu d'entreprendre toutes sortes de jeux, les plus grands, tout au moins, restaient bavarder sous le prau.

    Ils se racontent srement le spectacle de la tlvision qu'ils ont vu hier soir, pensa M. Sahune.

    Et il se dit, avec regret : Ne seraient-ils pas mieux dans leur lit, au lieu de veiller jusqu' des

    heures impossibles devant le petit cran? Il faudra que je parle leurs parents. L-dessus, ayant consult sa montre, il lana, selon son habitude, trois

    coups brefs de son sifflet argent. Docilement, les grands garons et les grandes filles se rangrent gauche, devant lui, tandis que les petits se plaaient devant Mme Sahune.

    Un nouveau coup de sifflet et tout ce petit monde pntra dans le couloir o s'alignaient deux ranges de portemanteaux. Jean-Lou, un garon de onze ans, l'air veill et aux cheveux bruns de petit Provenal, entra le dernier. Conscient de l'importance de sa fonction de chef de classe, il raccrocha brets et gilets, mal suspendus aux patres par les ngligents, et referma la porte du couloir. Puis il vint s'asseoir son banc, ct de Janine, une fillette de son ge, aussi brune que lui, mais qu'il dpassait, en taille, de tout une tte.

    La classe dbuta par la rcitation de la fable qu'on apprenait en ce moment : Le chne et le roseau. Cependant, l'atmosphre de l'cole n'tait pas celle de tous les jours. Des chuchotements couraient d'un banc l'autre. Les lves paraissaient distraits, ou plutt proccups.

    Eh bien! fit M. Sahune de sa voix grave, qu'avez-vous donc, ce matin ? Les petits bruits cessrent. La rcitation termine, on aborda la leon de

    calcul. Le matre annona une rvision de la notion de salaire . Tenez ! fit-il, pour que vous compreniez mieux, nous allons prendre

    l'exemple d'un ouvrier de la filature de Tourette. J'cris tout de suite l'nonc du problme au tableau. Suivez-le bien.

    Il prit un morceau de craie et traa : Un ouvrier de la filature reoit un salaire horaire de 4,20 F. Il travaille

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    sept heures et demie par jour. Le samedi, il n'est employ que quatre heures. Calculez son sal...

    Mais, subitement, il s'arrta et pivota sur ses talons. Les chuchotements venaient de recommencer. Rouge de colre, il s'cria :

    Enfin! que se passe-t-il?... Qui se permet de bavarder? Il fixa ses dix-sept lves afin de dcouvrir le coupable. Soudain, son

    regard s'arrta sur Janine qui ptrissait son mouchoir entre ses doigts. Il quitta l'estrade et descendit jusqu' elle.

    Qu'as-tu, Janine ?... Tes yeux sont rouges. Tu pleurais ?... Quelqu'un te taquinait pendant que j'avais le dos tourn?

    La fillette se contenta de secouer la tte sans rpondre. Toi, Jean-Lou, son voisin, tu pourrais peut-tre me dire?... Est-ce toi

    qui l'agaais? Jean-Lou se leva. Non m'sieur. Si elle pleure, c'est cause de la filature. Tu veux dire du problme, qu'elle ne comprend pas? Non m'sieur, de l'usine. Elle va fermer ses portes le mois prochain.

    C'est M. Paillet, le patron, qui l'a annonc hier.... Le papa de Janine n'aura plus de travail, la mre de Freddy non plus, ni le pre de Fanette... ni le mien.

    En disant cela, Jean-Lou avait eu bien du mal, lui aussi, se retenir de pleurer. Il se rassit et croisa les bras, la tte baisse, comme honteux.

    Alors, d'un seul coup, la colre du matre tomba. Son visage devint grave, boulevers.

    Je... Je vous demande pardon, mes enfants, bredouilla-t-il, je n'avais pas compris... je ne savais pas...

    LES MOTS

    Patres. Sortes de portemanteaux trs simples. Notion. L'ide qu'on se fait d'une chose. Bredouilla. Parla en hsitant sur les mots, comme s'il bgayait.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Pourquoi les grands lves taient-ils plus proccups que les petits ? Pourquoi Janine s'est-elle mise pleurer pendant que le matre copiait l'nonc du problme? A votre avis, quelle question allait poser le matre la fin du problme?

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    2 LE CHAGRIN DE JEAN-LOU

    A la rcration, M. Sahune se planta sur le perron d'entre pour surveiller les deux classes pendant que sa femme profitait de ces quelques minutes de rpit pour vaquer, chez elle, au premier, quelques travaux culinaires. Il constata avec soulagement que la petite Janine ne pleurait plus et mme, riait avec une camarade. De leur ct, Fanette et Freddy paraissaient avoir oubli leurs proccupations.

    Mais soudain, il avisa Jean-Lou, assis tout seul, au bout d'un banc, sous le prau. Il traversa la cour pour aller jusqu' lui.

    Eh bien, Jean-Lou, tu ne t'amuses pas avec tes camarades? Est-ce toujours cause de ce que tu m'as appris tout l'heure?... Regarde Janine, Freddy et Fanette, ils n'y pensent plus eux... et ils ont bien raison. Ces graves soucis ne sont pas de votre ge.

    Oh! M'sieur, moi, ce n'est pas la mme chose. Le matre parut surpris. - Que veux-tu dire? Jean-Lou poussa un soupir. Janine, Freddy et Fanette, eux, ne seront peut-tre pas obligs de

    quitter Tourette. Leurs parents ont encore quelques champs de lavandes ou d'oliviers... tandis que les miens...

    - Pourtant, la ferme o tu habites et qui porte ce joli nom provenal de Lou Soulou n'appartient-elle pas ta famille?

    - Si, M'sieur, mais il n'y a plus que la maison. Autrefois, quand il est

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    entr la filature, mon grand-pre a vendu les champs qui taient autour. Nous n'avons plus rien. Il faudra que nous partions.

    Il y avait tant de chagrin dans la voix de Jean-Lou que le matre s'assit ct de lui pour lui montrer qu'il prenait part sa peine.

    - Cela t'ennuie donc tant de quitter Tourette? - Oh! oui, M'sieur. - Cependant, de toute faon, quand tu seras en ge de travailler, il faudra

    bien que tu gagnes ta vie ailleurs. Le village est si pauvre. Chaque anne, il perd plusieurs de ses habitants. Il n'y a, hlas!, aucun avenir pour Tourette. Alors, un peu plus tt, un peu plus tard... Est-ce que cela ne te console pas?

    Jean-Lou secoua la tte, obstin. Je voudrais rester Tourette... avec vous M. Sahune. Le matre lui prit

    la main et, sur le ton de la confidence : coute, Jean-Lou, la fermeture de l'atelier de tissage va m'obliger

    partir, moi aussi. Dj, l'an dernier, l'administration songeait la suppression d'une classe, faute d'effectifs suffisants. Cette anne, ton dpart, celui de ton frre et des trois lves qui vont entrer au collge de Roubignas, rendront cette fermeture certaine. Ainsi, la rentre prochaine, il n'y aura plus qu'une classe Tourette. Mme Sahune et moi serons obligs de demander notre changement.

    Oh! M'sieur, vous... vous aussi, allez partir? Et tu peux croire, mon petit Jean-Lou que Mme Sahune et moi en

    aurons beaucoup de peine. Il y a huit ans que nous sommes ici ; nous nous plaisions beaucoup Tourette.

    Jean-Lou releva la tte. Son visage n'tait plus aussi triste. Il venait de trouver quelqu'un qui le comprenait, et ce quelqu'un tait son matre, qu'il aimait tant. Certes, le dpart de M. Sahune ne le consolait pas, il aurait beaucoup de chagrin de quitter sa maison, mais puisqu' la rentre l'cole ne serait plus son cole ...

    LES MOTS

    Vaquer . S'occuper . Travaux culinaires. Travaux de cuisine, de prparation du repas. Lou Soulou. Le soleil, en provenal. Obstin. tre obstin c'est montrer de l'enttement dans une ide, une pense. Effectifs. Le nombre total des enfants dans les classes.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Que signifie cette phrase : Ces graves soucis ne sont pas de votre ge7. Pourquoi Jean-Lou restait-il seul sur le banc? Relevez les parties de phrases qui montrent que Jean-Lou tient autant son matre qu' son village.

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    3 - LA GRANDE NOUVELLE

    Dj trois semaines que la fermeture de l'atelier de tissage, la seule usine de Tourette, a t dcide. Les premiers jours, Jean-Lou a prouv un rel et immense chagrin la pense de quitter son village. Mais son pre n'est pas rest longtemps les deux pieds dans le mme sabot . Il s'est tout de suite mis en qute d'un autre travail et, un soir, il a rapport de la valle une merveilleuse nouvelle.

    Du coup, le chagrin de Jean-Lou s'est envol. Toute la nuit il a rv de ce qu'a dit son pre et, le lendemain matin, il s'est veill l'aurore.

    Dj debout! s'est tonne sa mre. Aurais-tu oubli, hier soir, d'apprendre tes leons?

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    Non maman, je les sais toutes par cur... seulement je... je... Mme Plantevin sourit. Ah! oui, je vois, c'est cause de la nouvelle! Tu es press de

    l'annoncer tes camarades... Jean-Lou rougit, gn d'avoir t si vite devin, mais il se sentit soulag.

    Alors, il fit chauffer lui-mme son petit djeuner, qu'il avala d'un trait. Aprs quoi, ayant vrifi le contenu de son cartable et donn une caresse Piboule, son chien, il s'apprta sortir.

    Et Bruno ? fit Mme Plantevin. Tu ne l'attends donc pas, aujourd'hui ? C'tait la premire fois qu'il allait l'cole sans emmener son frre.

    Il aimait pourtant beaucoup Bruno, de quatre ans plus jeune. Il jouait, auprs de lui, le rle de grand frre protecteur. Eh ! bien non, pour une fois, il tait trop press.

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    Dehors, un soleil dj chaud de fin avril, lanait ses immenses gerbes de feu sur les collines. L'air avait cette transparence de cristal qu'on ne trouve nulle part ailleurs qu'en Haute Provence. Jamais, depuis ces trois semaines, Jean-Lou ne s'tait senti aussi lger... Il tait mme si lger qu'il se mit trottiner, trotter, courir... puis galoper le long du chemin, si bien qu'il fut Tourette en un rien de temps. Le village sommeillait encore. Personne dans les rues. Il jeta un coup d'il l'horloge du clocher. Pourquoi s'tre tant prcipit? Il ne trouverait aucun camarade dans la cour de l'cole. Sans doute, mme, le portail tait-il encore ferm.

    Jean-Lou, se dit-il, tu n'as point de cervelle. Si tu veux apprendre la grande nouvelle tous les camarades en mme temps, il faut arriver dans la cour juste avant l'heure de la rentre.

    Alors, pour ne pas rester dans le village, il s'loigna dans la campagne

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    et s'asst sur un talus qui sentait bon le romarin... Il se mit rver, tout veill. Il se voyait dj l-bas, dans la valle. C'tait merveilleux. Comment, l'autre jour, avait-il os pleurer devant M. Sahune, parce qu'il devait quitter Tourette? Ah! que ses camarades allaient l'envier quand ils sauraient!... Soudain, il tressaillit au contact d'une main sur son paule.

    Eh bien, Jean-Lou, s'tonnait la mre Gambillette, la gardeuse de chvres, que fais-tu l, au lieu d'tre l'cole?

    Il se frotta les yeux, comme s'il avait dormi, se dressa sur ses jambes et prit son lan. Au moment o il atteignait la premire maison du village, retentirent les trois coups de sifflet de M. Sahune. En retard! Il tait en retard ! C'en tait fait. Il n'aurait pas le temps d'annoncer la grande nouvelle... peut-tre mme serait-il puni?

    chevel, en nage, il fit irruption dans la cour au moment o les deux classes se mettaient en rangs. Alors, il poussa un soupir de soulagement et, malgr lui, tant il tait heureux, tout son visage se mit rire, de la pointe du menton la racine des cheveux.

    Eh bien, Jean-Lou? fit M. Sahune. Presque en retard, toi, le modle d'exactitude? Que t'arrive-t-il?

    Et Jean-Lou de laisser clater sa joie. Oh! M'sieur, si vous saviez!... C'est formidable!

    LES MOTS

    Aux aurores. De bonne heure, au lever du soleil. Romarin. Plante trs odorante qui pousse dans les terrains secs sous le climat mditerranen. Echevel. Qui a les cheveux en dsordre. Foire irruption. Entrer prcipitamment quelque part.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Que signifie l'expression ; rester (es deux pieds dons le mme sabot? Quelle diffrence faites-vous entre trotter et trottiner? Trouvez deux autres verbes forms de cette faon. Que signifie l'expression : n'avoir point de cervelle?

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    4 - LA GRANDE NOUVELLE (suite)

    Quelle est donc cette nouvelle si extraordinaire? M. Sahune ne tarde pas l'apprendre. Matre consciencieux, qui n'aime pas gaspiller le temps consacr la classe, il ne rsiste pourtant pas au dsir de savoir ce qui met en fte le cur d'un de ses lves prfrs. Les coliers rentrs, installs leurs pupitres, il demande ;

    Alors, mon ami Jean-Lou, prsent, tu peux nous dire ce qui te rjouit.

    Encore tout rouge d'motion... et d'avoir couru, Jean-Lou se lve. M'sieur! mon pre a trouv du travail. Nous allons bientt quitter

    Tourette.

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    - Et c'est ce qui te cause un tel plaisir?... toi qui avais tant de chagrin, l'autre jour, la pense de t'en aller du pays?

    Un peu embarrass, Jean-Lou rougit davantage encore. C'est que, M'sieur, le travail que vient de trouver papa n'est pas un

    travail comme les autres. Il va tenir une station-service l-bas, dans la valle, sur la nationale 7... et moi, je l'aiderai distribuer l'essence. II dit que, sur cette route, passent chaque jour des milliers et des milliers de voitures.

    Bien sr, pour qui s'intresse tout ce qui touche la mcanique, c'est une aubaine... Et o se situe cette station-service? Dans quelle ville?

    Justement, M'sieur, elle n'est pas dans une ville, ni mme dans un village. Elle est toute seule au bord de la route, en pleine campagne, trois kilomtres de... de...

    Il cherche le nom dans sa tte. De Montfaucon!... Montfaucon, rpte M. Sahune, n'est-ce pas du ct d'Orange? C'est a. Papa a parl d'Orange. Il a mme dit qu'il y conduirait

    maman faire ses achats en auto, quand il en aura une lui. Ne perdant pas l'occasion d'une petite leon de gographie, le matre fait

    accrocher la carte de la rgion au tableau. Voyez o nous sommes, et voyez Orange, l'ouest, tout prs du

    Rhne, une centaine de kilomtres d'ici. C'est le pays des cultures marachres et des arbres fruitiers.

    Les lves regardent de tous leurs yeux. La pense que leur camarade Jean-Lou va s'en aller si loin les effraie presque, comme s'il partait au bout de la terre, mais en mme temps ils sont heureux pour lui.

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    Ainsi, reprend le matre en faisant replacer la carte, tu n'as plus aucun regret, Jean-Lou, de quitter Tourette?

    Oh ! si, M'sieur, mais l-bas, mon chien Piboule ne sera pas malheureux puisque c'est aussi la campagne... et puis, papa a dit qu'il ne vendrait pas notre maison. Nous y reviendrons pendant les vacances, et je retrouverai mes camarades.

    Alors, puisque tout s'arrange si bien, je suis trs heureux pour toi, Jean-Lou... A prsent vite au travail!

    Et la classe commence. Cependant, Jean-Lou est encore trop mu pour la suivre srieusement. Il sent les regards de ses camarades, des garons surtout, tourns vers lui. A la rcration, il est aussitt entour comme une bte curieuse. Les questions pleuvent.

    Quelle marque d'essence vendras-tu? demande Freddy. Ton pre aura-t-il une tenue avec un cusson et une belle casquette?

    veut savoir Janine. Comment iras-tu l'cole? ... vlo? dit le petit Barneroux qui n'a pas

    de bicyclette. Tu en as de la chance! Peut-tre qu'un jour, un voyageur te prendra dans son auto pour

    t'emmener sur la Cte d'Azur, fait Paulette Virolle; moi j'aimerais tant voir la Cte d'Azur.

    Jean-Lou rayonne. Des explications, il en donne tant qu'on en veut... des explications qu'il invente, bien entendu, car, en fait, il n'en sait gure plus que ses camarades.

    Ainsi, pour tous ces enfants qui, pour la plupart, n'ont jamais quitt leur pauvre village, perdu loin des grandes routes, l'aventure qui attend Jean-Lou est une aventure merveilleuse et ils ne peuvent s'empcher d'envier leur camarade.

    Hlas! ils ne se doutent pas... et Jean-Lou non plus, que la ralit est souvent bien diffrente du rve.

    LES MOTS

    Nationale 7, Les grandes routes de France sont numrotes. La route nationale n" 7 part de Paris, passe Lyon, suit la valle du Rhne pour atteindre Aix-en-Provence et Nice.

    Aubaine. Quelque chose d'heureux et d'inattendu qui vous arrive.

    Cultures marachres. Cultures des lgumes sur de grands espaces par des jardiniers spcialiss.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Donnez toutes les raisons pour lesquelles Jean-Lou pense qu'il se plaira l-bas.

    Pourquoi les garons, plus particulirement, se tournent-ils vers Jean-Lou?

    Les questions des filles ressemblent-elles celles des garons?

    Que pensez-vous de la dernire phrase? Que laisse-t-elle supposer?

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    5 - ADIEU TOURETTE !

    Par un jour maussade de la priode des saints de glace , la famille Plantevin quittait Tourette. Pour viter un dmnagement onreux, le pre de Jean-Lou avait fait appel un entrepreneur du chef-lieu de canton voisin, possesseur d'un camion.

    Le chargement s'effectua sans incident, dans la matine. Il faut dire que le mobilier n'tait ni trs important, ni trs fragile, part une vieille commode vermoulue, hritage d'une grand-mre, et laquelle Mme Plantevin tenait comme la prunelle de ses yeux.

    Le dmnagement termin, tout le monde se retrouva au restaurant... c'est--dire dans la petite salle de l'unique caf de Tourette o, dans les occasions exceptionnelles, on servait aussi des repas. Ainsi, pour la premire fois, Jean-Lou et Bruno djeunaient l'htel comme ils disaient. Ils en taient la fois merveills et intimids et Jean-Lou n'osait pas, comme chez lui, glisser ses restes son brave Piboule qui le suppliait pourtant des yeux.

    Trois heures sonnaient quand le chauffeur donna le signal du dpart. Au moment de quitter son pays, Mme Plantevin chercha, une dernire fois, dcouvrir sa maison et essuya une larme. Faute de place sous la bche qui protgeait le chargement de la pluie (il commenait en effet pleuvoir comme pour adoucir les regrets des partants) tout le monde s'entassa dans la cabine : M. Plantevin ct du chauffeur, Mme Plantevin prs de son mari, tenant Bruno sur ses genoux, et Jean-Lou, coinc entre sa mre et la portire, son brave Piboule entre les genoux.

    Tous taient si mus que, pendant les premiers kilomtres, personne ne souffla mot. Cependant, au bout d'un moment, Mme Plantevin soupira :

    Je ne sais pas trs bien exprimer ce que j'prouve, mais j'ai presque peur... oui, peur.

    Peur de quoi? demanda son mari. Il me semble que nous ne serons jamais aussi heureux qu' Tourette. Bah! la pluie te donne des ides tristes. Tu as toujours dtest la

    pluie... Et puis, tout le monde le sait, les femmes n'aiment pas les changements. Il ajouta en riant :

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    - Pourtant, nous ne serons pas l-bas depuis quinze jours que tu te demanderas comment tu as pu vivre si longtemps Tourette. N'est-ce... pas, Jean-Lou, toi, au moins, tu ne regrettes rien.

    Oh! non, papa! Ce " non nergique rassura la mre. - En effet, fit-elle, le pass s'oublie parfois trs vite. Les enfants ne

    regardent que devant eux et ils ont sans doute raison. Plus on s'loignait de Tourette, plus Jean-Lou bouillait d'impatience.

    Tandis que Bruno s'endormait sur les genoux de sa mre, lui, laissait courir son imagination de petit Mridional. Il se reprsentait le Relais des Cigales (le nom de la station-service), avec des enseignes lumineuses gantes, d'immenses panneaux-rclame, des ranges de pompes essence devant lesquelles des files de voitures faisaient la queue pour s'y abreuver. Le plein d'un rservoir tait peine termin qu'une autre auto se prsentait et qu'une troisime attendait impatiemment son tour. Et c'tait lui, Jean-Lou, en tenue de pompiste, casquette sur l'oreille, qui servait tout le monde : Combien de litres, monsieur?... Du super ou de l'ordinaire ?... Un peu d'eau dans votre radiateur?... Vous n'avez pas besoin d'huile?... Une seconde! Je donne un coup de chiffon votre pare-brise!

    Et, souhaitant bon voyage au conducteur, il soulevait poliment sa casquette, pour se prcipiter ensuite vers le client suivant.

    Dans sa hte d'arriver, il jeta un coup d'il vers le pied droit du conducteur et pensa :

    Pourquoi n'appuie-t-il pas davantage sur le champignon? Nous serions dj arrivs.

    Mais au mme moment, ce pied qu'il dsirait voir craser l'acclrateur, se releva brusquement.

    Vous avez entendu fit le chauffeur M. Plantevin. a a fait un drle de bruit sous le camion. Il faut que je m'arrte.

    LES MOTS

    Saints de glace. Trois saints du calendrier dont les ftes se situent au dbut du mois de mai. A cette poque de l'anne on assiste souvent un court retour du froid et parfois des geles. Onreux. Coteux.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Quelle diffrence faites-vous entre un incident et un accident. Dcomposez le mot vermoulu en un nom et un verbe. Trouvez ainsi le sens de ce mot. Quelle diffrence faites-vous entre un htel et un restaurant? Les enfants ne regardent que devant eux. Faut-il prendre cette phrase au sens propre ou au sens figur? Trouvez un synonyme de dtester.

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    6 - LE BEAU RVE S'VANOUIT

    Le chauffeur a bien fait d'arrter rapidement sa voiture, aprs le drle de bruit . Descendu de la cabine avec M. Plantevin et Jean-Lou, il constate avec stupeur qu'une des deux roues jumeles, larrire-droit du camion s'est dboulonne, ou plutt que les boulons se sont briss. Reprenant sa libert, la dite roue a chou dans le foss. C'est la panne. Impossible de continuer le voyage sans courir le risque de voir l'autre roue cder son tour sous le poids du chargement.

    Sommes-nous loin d'un village? s'inquite Jean-Lou. Hlas! fait le chauffeur, le plus proche, qui s'appelle Courbignas, est

    trois kilomtres d'ici, au moins... Je connais pourtant l un bon mcanicien capable de me dpanner.

    Et, regardant sur la route, en arrire : Si au moins j'apercevais une voiture qui me prendrait son bord et me

    conduirait l-bas... mais il ne faut gure y compter; cette petite route est peu frquente.

    Alors, partons tout de suite pied, dcide M. Plantevin. Je vous accompagne. Toi, Jean-Lou, remonte l'abri dans la cabine, avec ta mre et Bruno.

    Les deux hommes s'loignent sous la pluie, leur impermable non sur les paules mais sur la tte, selon une habitude des gens du Midi qui redoutent avant tout avoir le chef mouill.

    Dans la cabine, Bruno s'est rveill et pleure. Il s'imagine que le camion ne pourra jamais repartir et qu'il couchera, cette nuit, sur la route.

    Mon Dieu! murmure Mme Plantevin, pour commencer, la pluie; ensuite, une panne... Que va-t-il nous arriver encore?

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    - Rien, maman, rpond Jean-Louj malgr tout inquiet.

    Une heure s'coule... et encore une autre. Les deux hommes ne reviennent toujours pas. Dj six heures! Bruno se plaint de la faim. Jean-Lou, lui aussi, sent son estomac se creuser, mais il se garde de l'avouer pour ne pas peiner sa mre qui n'a rien leur donner.

    Enfin une camionnette apparat au bout de la route. Elle s'arrte prs de la voiture de dmnagement. Les deux hommes sautent terre, avec un mcanicien en bleu de travail. M. Plantevin explique sa femme et Jean-Lou qu'il a fallu, dans l'atelier du garagiste, fabriquer spcialement boulons et crous.

    Rassurez-vous, dit-il, prsent, ce sera vite fait. Dans une heure nous serons chez nous.

    C'est malheureusement se montrer trop optimiste. En effet, fabriqus htivement, les boulons se rvlent trop courts; le mcanicien doit repartir vers son atelier pour les refaire. Bref ! la nuit tombe dj quand le chauffeur se remet au volant. Par chance, la pluie

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    a cess. En revanche, le vent se met souffler, un vent de plus en plus violent mesure qu'on descend vers la plaine.

    C'est le mistral qui se lve, explique le chauffeur. Il ne fera pas chaud celle nuit.

    Le mistral! Jean-Lou en a entendu parler, l'cole, comme d'un fleuve de vent dchan qui se rue vers la mer, emportant tout sur son passage. Est-ce le mistral qui secoue si durement les arbres clairs par les phares du camion?

    Tout coup, on dbouche sur la grande route, la fameuse nationale 7. Une sorte d'hallucination s'empare de Jean-Lou. Oh! toutes ces autos qui passent comme des bolides, perant la nuit avec leurs yeux jaunes... et le vacarme de ces poids lourds dix fois plus gros que le camion de dmnagement... et le hurlement du vent qui fait claquer, comme des coups de tonnerre, la bche du chargement.

    - J'ai peur! murmure Bruno. Donne-moi la main, maman... et toi aussi Jean-Lou.

    Mais soudain, le camion ralentit, s'arrte. - O sommes-nous? demande Jean-Lou affol. - Eh bien! au Relais des Cigales... Nous sommes arrivs. - On ne voit rien, pas de lumires... Tu sais bien que le Relais est ferm depuis quelque temps; mais j'ai les

    clefs, nous sommes chez nous. Les voyageurs mettent pied terre, dans la nuit, et le terrible mistral les

    glace jusqu'aux os en les jetant les uns contre les autres. Dans l'ombre, on distingue vaguement une construction aux volets ferms et, derrire, la masse noire d'un bois de pins qui gmissent sous les rafales. L'endroit parat sinistre. pouvant, Bruno se jette dans les bras de sa mre, Jean-Lou, lui, pleure sans bruit son beau rve vanoui.

    LES MOTS Roues jumeles. Roues identiques accouples comme des surs jumelles. Chef. La tte. Hallucination. Sorte de mauvais rve tout veill,

    AVONS-NOUS COMPRIS? D'aprs le texte, pouvez-vous expliquer le mot optimiste . Le contraire est pessimiste . Que signifie-t-il Faites une phrase ou vous emploierez le mot vacarme . Quelle phrase indique que Bruno est encore un bien petit garon? Relevez les passages montrant que Jean- ou est courageux.

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    7 - UNE NUIT MOUVEMENTE

    II tait prs de minuit quand, le mobilier provisoirement entrepos dans l'atelier attenant au relais, et le transporteur reparti vers la montagne, on songea se coucher. Auparavant, tandis que les deux hommes s'occupaient du dchargement, Mme Plantevin avait demand Jean-Lou de monter simplement les matelas dans les chambres o, pour une nuit, on dormirait tout habill. Jean-Lou avait galement install le rchaud gaz dans la cuisine pour que sa mre puisse prparer un repas de fortune qui avait t pris, sur le pouce, pendant une pause dans le dchargement.

    cras de fatigue, Jean-Lou se laissa tomber tout d'une pice sur son matelas, dans la chambre qui serait dsormais la sienne, une pice mansarde, au premier tage, et donnant sur la grande route, l'oppos de la chambre de ses parents qui ouvrait sa fentre, derrire, vers le bois de pins.

    Il souhaitait s'endormir trs vite afin d'tre en forme, au rveil, pour aider son pre installer les meubles dans la maison. Il n'y parvint pas. Son cur demeurait serr. Il tait trop habitu au grand calme de sa maison de Tourette. Oh ! le bruit affolant de toutes ces voitures lances une vitesse vertigineuse sur la grande route toute droite! Chaque fois que passait un de ces normes camions semi-remorque, fonant vers le Nord ou le Midi, les vitres de sa chambre vibraient clater. Instinctivement, il se recroquevillait, les genoux sous le menton, la tte dans les mains, comme si le bolide allait enfoncer la maison.

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    Quant au malheureux Piboule, au lieu de se coucher sur le plancher prs de son matre, comme Tourette, il se tenait debout, la queue entre les pattes, surtout affol, lui, par les gmissements de la charpente, branle par le mistral.

    Enfin, Jean-Lou s'assoupit... mais pas pour longtemps. Les aboiements de son chien le tirrent de son demi-sommeil. Que se passait-il? Piboule avait-il peru d'autres bruits que ceux des voitures et du vent?

    Il se leva, jeta un coup d'oeil par la fentre et aperut une auto, arrte devant les pompes essence. Des silhouettes se dtachaient de l'ombre. Il en compta six.

    Des voyageurs en panne d'essence, pensa-t-il. Ils vont sonner la porte et rveiller inutilement mes parents... et surtout Bruno qui dort dans leur chambre.

    Alors, il tourna le bouton de la lumire, ouvrit la fentre et cria : Pas d'essence!... Comment? riposta une voix, pas d'essence dans un relais?... C'est un

    peu fort! Les pompes ne fonctionnent pas encore ! Les citernes ne seront pas

    remplies avant demain ou aprs-demain. Mais, au lieu de s'en aller, les automobilistes insistrent. Nous venons dj de pousser la voiture sur deux kilomtres; il nous

    faut de l'essence. La prsence de six hommes, en pleine nuit, dans une aussi petite voiture

    parut trange Jean-Lou. Il faillit appeler son pre. Non, se dit-il, je ne vais pas continuer d'avoir peur. Pour se prouver son courage, il fit signe Piboule de ne pas le suivre et

    descendit seul expliquer aux inconnus, plutt que de hurler par la fentre, que le relais n'tait pas encore ouvert. Il vit alors les six ombres s'avancer vers lui et il se raidit pour ne pas fuir. Ces six hommes avaient une allure bizarre. Tous portaient les mmes coiffures, des chapeaux de paille appels autrefois canotiers, dont les larges bords dissimulaient le regard des curieux voyageurs. Tous aussi arboraient, leur veston, quelque chose de rond et de plat qu'il ne reconnut pas.

    Dbrouille-toi comme tu peux, fit l'un des inconnus, impatient. Il nous faut de l'essence. Tu en trouveras srement quelques gouttes.

    Cette fois, une sorte de panique s'empara de Jean-Lou. A coup sr il avait affaire des gangsters dguiss qui revenaient d'excuter un mauvais coup! Tous ses membres se mirent trembler.

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    LES MOTS

    Attenant. Bti contre la maison. On dit aussi contigu. Camions semi-remorque. Camions articuls en deux parties. D'une part, l'avant, le moteur et la cabine; l'arrire, la remorque. Arboraient. Arborer au sens propre : dresser la manire d'un arbre. Au sens figur, comme ici : placer bien en vue, mettre en vidence. Panique. Trs grande peur.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Qu'est-ce qu'un repas de fortune? Un repas pris sur le pouce? Construisez une phrase ou vous emploierez l'adverbe provisoirement. Quelle diffrence faites-vous entre dormir et s'assoupir? Est-ce surtout pour ne pas rveiller ses parents que Jean-Lou ne les appelle pas?

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    8 UNE NUIT MOUVEMENTE (suite)

    II veut appeler au secours. Pas un son ne sort de sa gorge. Mais, la frayeur est parfois bonne conseillre. Il se rappelle tout coup, que, pendant le dmnagement, il a lui-mme dpos dans l'atelier, la bouteille d'essence dont maman se servait, Tourette, pour enlever les taches des vtements.

    - Attendez! Je... je... Il court vers l'atelier o les six ombres le suivent... peut-tre pour se jeter

    sur lui et l'trangler. Heureusement, il retrouve tout de suite la bouteille, ttons. Elle est presque pleine.

    - Voil, fait-il la voix tremblante, c'est tout ce que j'ai. - a nous suffira pour atteindre le premier village. Soulags, les six hommes reviennent vers leur voiture verser le contenu de

    la bouteille dans le rservoir. Puis le plus grand s'avance vers Jean-Lou qui se remet trembler.

    - N'aie pas peur, mon petit gars. A service exceptionnel, rcompense exceptionnelle! Au nom de la loi je te dcore de l'ordre des pompistes.

    Ce disant, vacillant sur ses jambes, il enlve son canotier qu'il pose sur la tte de Jean-Lou, accroche son pull-over ce qu'il portait lui-mme la boutonnire et glisse dans la main de l'enfant un bout de papier. Puis, au garde--vous, il salue militairement et court s'entasser avec ses compres dans la petite auto qui dmarre en zigzagant.

    Compltement hbt, Jean-Lou regarde la voiture disparatre dans la nuit. Vient-il de faire un cauchemar? Les gens de ce pays sont-ils fous?... ou bien est-ce lui, Jean-Lou, qui perd la raison?

    Pendant quelques instants, il reste l, devant le relais, ne sachant mme plus o il est. Puis, repris par la peur, il remonte quatre quatre dans sa chambre, son chapeau de paille sur la tte. Il aperoit son pull-over orn d'une norme cocarde tricolore d'o pendent des rubans dors et, dans sa main droite, non pas un bout de papier, mais un billet de banque de dix francs.

    Alors, sa frayeur tombant brusquement, mais renonant comprendre, il s'croule sur son matelas et s'endort d'un seul coup, le chapeau sur les yeux, la cocarde la poitrine et le billet au bout des doigts.

    ... C'est dans cette position que, vers dix heures du matin, inquite de ne pas le voir se lever, Mme Plantevin dcouvre son fils. pouvante, elle referme la porte et court chercher son mari.

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    Vite!... viens voir Jean-Lou! Saisi par la voix affole de sa femme, le pre lche le sommier qu'il

    transportait et accourt. Encore mal veill, Jean-Lou essaie de rassembler ses souvenirs qui lui

    reviennent peu peu... en mme temps que la peur. Mais tout coup son pre clate de rire.

    - Comment? tu n'as pas compris?... Parbleu! c'taient des conscrits, d'inoffensifs conscrits en goguette et assez mchs qui revenaient de fter, quelque part, leur passage au conseil de rvision.

    Des conscrits ! Oh ! c'est vrai ! comment n'y avait-il pas pens ? Il en avait pourtant vu, Tourette. Alors son visage se dtend, un sourire carte le coin de ses lvres. Il regarde le beau billet de dix francs, tout neuf.

    Flicitations, mon petit Jean-Lou, fait son pre en plaisantant, tu commences bien ton mtier de pompiste. Dix francs une bouteille d'essence, c'est bien pay! A ce tarif-l, nous aurons vite fait fortune.

    Et Mme Plantevin de rire elle aussi, en embrassant son Jean-Lou qui a bien mrit cette rcompense.

    LES MOTS

    Vacillant, Ne tenant pas trs bien sur ses jambes. On pourrait dire aussi : chancelant.

    Hbt. Devenu stupide, incapable de comprendre.

    Inoffensifs. Qui ne sont pas capables d'offenser, c'est--dire de faire du mal.

    En goguette. tre en goguette, c'est tre gai pour avoir un peu trop bu au cours d'une fte.

    tre mch. tre lgrement ivre.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Expliquez cette phrase : la frayeur est parfois bonne conseillre.

    Quels dtails montrent que les conscrits ne sont pas seulement gais, mais mchs.

    Quelle diffrence faites-vous entre un rve et un cauchemar.

    Pourquoi Jean-Lou ne pense-t-il pas tout de suite des conscrits? L'aviez-vous devin, vous, avant la fin de la lecture? Quel premier dtail vous a mis sur la voie?

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    9 - L'COLE DE MONTFAUCON

    L'installation s'achevait. Les meubles occupaient leur place dfinitive dans les pices de la maison. Des milliers de litres d'essence emplissaient les deux citernes enterres dans le sol, sous les pompes.

    Tout compte fait, le Relais des Cigales n'tait pas aussi sinistre qu'on l'avait cru en arrivant et le bois de pins, lugubre sous le mistral, se rvlait charmant.

    Certes, nglig par les prdcesseurs, l'entretien des lieux laissait dsirer mais avec du courage et de la patience, la remise en tat ne serait qu'une question de temps. Le plus urgent, d'aprs Mme Plantevin, tait de refaire le massif de fleurs abandonn pour que les plantes aient le temps de pousser avant l'arrive des chaleurs.

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    Ainsi, la mauvaise impression du dbut tait presque efface... Pas pour tout le monde, cependant. Garon l'imagination trop vive, la sensibilit fleur de peau, Jean-Lou n'oubliait pas son arrive en pleine nuit, sous les rafales de vent, et son aventure avec les conscrits. En outre, ce pays plat, monotone, lui faisait regretter ses montagnes. Ses camarades aussi allaient lui manquer. Au relais, il serait toujours seul, avec son frre, encore trop petit pour tre autre chose qu'un petit garon qu'on aime bien et qu'on gte. Bien sr, vingt fois, trente fois par jour, des automobilistes s'arrtaient pour prendre de l'essence, mais ces inconnus ne restaient que quelques instants et on ne les reverrait jamais. Aussi avait-il hte de retourner en classe.

    Un lundi, sa mre dcida donc de le conduire Montfaucon pour le faire inscrire l'cole. Ils partirent sans Bruno, encore fatigu par un gros rhume pris le jour du dmnagement, et qui ferait sa rentre plus tard... La circulation tait si intense, si dangereuse sur cette route plate, toute droite, mais pas trs large, o les camions se croisaient et se dpassaient en rasant le bord de la chausse qu'il et t de la dernire imprudence de faire le trajet vlo. Malgr son got pour la bicyclette, Jean-Lou l'avait compris... Mais Piboule ne comprit pas, lui, que son matre ne lui permt pas de l'accompagner, comme Tourette. Quand elle vit Jean-Lou prendre son cartable et quitter la maison, la pauvre bte montra un air lamentable. Cependant Jean-Lou ne cda pas; il tenait trop son chien, son seul ami prsent, pour l'exposer au danger.

    Montfaucon, un gros bourg cossu de trois quatre mille habitants, ne ressemblait Tourette que par ses toits de tuiles ross. Ici, pas de btisses dlabres ou abandonnes comme l-haut, mais de confortables maisons bien entretenues.

    En arrivant devant l'cole, Jean-Lou se sentit trs impressionn par l'importance du btiment... ou plutt des btiments car il y avait une cole de garons et une cole de filles, d'au moins cinq ou six classes chacune. Ainsi, garons et filles ne jouaient et ne travaillaient pas ensemble comme Tourette. Il en prouva une vive dception. Cette sparation ne lui paraissait pas normale.

    Elle-mme intimide, consciente de son allure campagnarde, Mme Plantevin frappa la porte qu'on lui avait indique, celle du directeur. Celui-ci faisait une leon, il n'entendit pas. La mre de Jean-Lou frappa une seconde fois... et une troisime, plus fort. Enfin, la porte s'ouvrit sur un visage irrit.

    Je viens faire inscrire mon fils l'cole, dit vivement Mme Plantevin.

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    Le directeur frona les sourcils. Nous sommes en plein travail. Vous ne pourriez pas revenir une

    autre heure?... ce soir, par exemple, aprs la classe? - C'est que, monsieur le directeur, nous habitons loin du bourg, trois

    kilomtres d'ici. Je suis venue exprs ce matin, pour vous voir. Le directeur se frotta le menton, rflchit, et demanda : - Avez-vous tous les papiers?... livret de famille, certificats de

    vaccination. - Oui, monsieur le directeur, les voici. Mon fils a aussi ses cahiers. Allons, faisons vite. Entrez...

    LES MOTS

    Urgent. Qu'il est ncessaire de faire trs vite, le plus tt possible. Cossu. De belle apparence, riche. Dlabres, Des maisons dlabres sont des maisons mal entretenues qui tombent en ruines. Irrit. En colre, agac.

    AVONS-NOUS COMPRIS? LES MOTS

    Que signifie Prdcesseurs. Quel est le contraire? Si vous ne connaissez pas ce mot, cherchez son sens en relisant le texte. Expliquez cette expression : une sensibilit fleur de peau. Remplacez l'expression : de ta dernire imprudence par une autre. Quel passage montre que, malgr sa vive imagination, Jean-Lou est un garon trs raisonnable.

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    10 - L'COLE DE MONTFAUCON (suite)

    Mme Plantevin et son fils pntrrent dans la classe, s'avancrent vers la chaire et le directeur sortit d'un tiroir un grand registre recouvert de papier bleu.

    Si les imposants btiments scolaires avaient impressionns Jean-Lou, que dire de son effarement en dcouvrant, dans cette salle, au moins quarante lves, presque tous plus grands que lui ? Gn par ces quarante paires d'yeux braqus sur sa mre et lui, surtout sur lui, il se sentit soudain plus malheureux que s'il s'tait trouv tout nu au milieu d'une place grouillante de monde. Oui, c'tait cela. Les quarante lves le dshabillaient... ou plutt dshabillaient son me et il aurait voulu s'enfoncer dix pieds sous terre. D'emble, il devina ces enfants diffrents de ceux de Tourette pour qui l'arrive d'un nouveau (l'vnement s'tait produit deux fois) ne provoquait que des sourires accueillants. Il eut le sentiment d'tre un intrus et le lourd silence de curiosit mfiante qui s'tablit, son arrive, n'tait pas fait pour dissiper le malaise. Ouvrant le livret de famille que lui tendait la mre, le matre lut tout haut le nom de l'arrivant.

    Plantevin Jean-Louis... Oui, Jean-Louis, monsieur le directeur reprit la mre, mais nous

    l'appelons Jean-Lou. Ce prnom, Jean-Lou, tait-il inconnu Montfaucon? Le silence se rompit

    aussitt. Des rires fusrent, mal touffs. Au fond de la classe on entendit des voix imiter celle du loup.

    Hou!... hou!... hou!... Agac, le directeur frappa du poing son bureau. Silence!.,.

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    Puis, se retournant vers le nouveau venu, lui demanda quel cours il frquentait l'cole de son village.

    Le cours moyen premire anne?... deuxime anne? Jean-Lou rougit. A Tourette, M. Sahune ne parlait jamais de cours.

    Dans sa classe, on distinguait seulement la premire division et la seconde.

    Je ne sais pas, fit-il. De nouveaux rires coururent dans la salle. Jean-Lou comprit qu'on le

    prenait pour un cancre, lui qui n'avait toujours eu que de bonnes notes. Il en eut mme la certitude quand il entendit murmurer au premier rang des pupitres :

    Ce n'est pas Plantevin qu'il s'appelle mais plutt Plantecoucourde. Plantecoucourde ! Son cur se serra. Il connaissait trop bien le mot

    coucourde qui, en Provence, dsigne la courge, le plus stupide des fruits de la terre, celui qui enfle dmesurment sa tte vide et se prend pour un soleil.

    Alors, il tourna rsolument le dos la classe pour ignorer ce qui se chu-chotait sur son compte. Esprant ne pas tre entendu, il baissa le ton de sa voix pour rpondre aux questions du directeur sur son niveau scolaire. Il parla mme si bas que le matre, impatient de reprendre sa leon, ne cacha pas son agacement.

    Parle plus fort, voyons!... Au lieu d'lever la voix, il montra ses cahiers de Tourette, ses cahiers

    soigns, sans taches, presque calligraphis, scrupuleusement corrigs par M. Sahune. Sans les voir, Jean-Lou comprit que les quarante paires d'yeux se dtournaient de lui pour lire sur le visage du matre l'ide que celui-ci se faisait de l'arrivant. Libr de ces regards, conscient de la bonne impression donne par ses cahiers, Jean-Lou se crut sauv.

    LES MOTS

    Effarement. Grand tonnement accompagn de peur, qui vous donne l'air stupide.

    D'emble. Du premier coup. Ici, au premier coup d'il.

    Cancre. lve paresseux, qui fait peu de progrs.

    Calligraphis. Une criture calligraphie est une criture trs soigne, lgante et orne.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Que signifie l'expression : dshabillaient son me. Faites une phrase pour traduire la mme ide.

    Qu'est-ce qu'un livret de famille? Avez-vous vu celui de vos parents ? Que contient-il ?

    L'auteur parle de curiosit mfiante. Comment diriez-vous pour une curiosit contraire?

    Quel sentiment prouve Jean-Lou en constatant qu'on le prend pour un cancre?

    Quel est le seul moment de cette scne o Jean-Lou essaie de ragir contre l'intimidation et la gne?

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    11 - L'ECOLE DE MONTFAUCON (suite)

    Non, Jean-Lou n'tait pas sauv. Il replaait ses cahiers dans son cartable quand, tout coup, un clat de rire unanime, norme, emporta la classe. Un chien venait de pntrer dans la salle par la porte mal referme par Mme Plantevin. Le directeur sauta sur sa chaise, furieux contre ses lves.

    Silence!... Silence!.,. Puis, apercevant l'animal : Chassez-moi cette affreuse bte!

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    D'un doigt impratif, il ordonna un lve de faire sortir l'importun. - Mon chien!... C'est mon chien Piboule! s'cria Jean-Lou en plissant, je

    lui avais dfendu de me suivre. - Alors, jette-le dehors. Mais le pauvre Piboule, si docile d'ordinaire, ne voulut rien entendre. Il

    n'avait pas fait tant de chemin pour tre aussitt renvoy. Jean-Lou et sa mre eurent toutes les peines du monde le tirer par le collier. Dans sa rsistance obstine, il faillit mme renverser Mme Plantevin et, naturellement, cette petite scne bouffonne, ne fit qu'attiser lhilarit des lves... et le dsordre. En dpit des appels au calme d'un directeur excd, des exclamations mergrent du tumulte : Qu'il est laid! ... Quelle ide de l'appeler Piboule, comme un arbre !... II doit boire du caf au lait pour avoir de pareilles taches jaunes !... Et ses pattes? Tu as vu ses pattes? ...

    Autant d'injures qui frapprent Jean-Lou aussi cruellement que si elles s'adressaient lui. Certes, il le savait, Piboule n'tait pas un chien de race. Les pattes de devant, un peu cagneuses, et les taches jaunes de son pelage, surtout celle qui entourait son il droit, n'avaient rien d'esthtique, mais c'tait son chien, son chien lui. Il l'avait eu tout petit et l'aimait. Il l'appelait Piboule, du nom qu'on donne en Provence au peuplier cause, justement, des taches jaunes, de la couleur des feuilles de cet arbre en automne.

    Piboule sorti, les rires calms, le directeur se hta d'expdier les dernires formalits d'admission du nouvel lve et prcisa la mre que, vu l'loignement du Relais des Cigales et les dangers de la circulation sur la grande route, son fils prendrait le repas de midi la cantine de l'cole. L-dessus, il pria Mme Plantevin de se retirer.

    C'est alors que la pauvre femme commit la pire des maladresses. Ne s'avisa-t-elle pas, dans son innocence, de se pencher vers son fils pour l'embrasser sur les deux joues devant toute la classe? Quel ridicule!... Un garon de onze ans embrass devant quarante de ses semblables. Jean-Lou rougit jusqu'au bout des oreilles. On le prenait dj pour un cancre, il passerait aussi pour une poule mouille, un bb qui n'est jamais sorti des jupes de sa mre.

    Quand la porte se referma sur Mme Plantevin, Jean-Lou se sentit si dsempar qu'une terrible envie de fuir le saisit. Mais, le directeur lui indiquait une place, ct d'un grand garon maigre d'au moins douze treize ans.

    Assieds-toi l et coute la leon. Je te donnerai livres et cahiers plus tard; nous sommes assez en retard ainsi... Quant vous tous, les autres.

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    vous aurez une punition pour apprendre vous tenir convenablement quand je suis occup avec quelqu'un.

    Jean-Lou s'assit sa place et la classe se tut, mais il vit de nouveau tous les regards tourns vers lui... des regards o, prsent se lisait autre chose que de la curiosit.

    Ils sont punis cause de moi, se dit-il, cette fois ils vont me dtester.

    LES MOTS

    Unanime. Qui ne fait qu'un. Tous les rires se confondaient en un mme grand rire.

    Importun. Un importun est celui qui s'occupe de ce qui ne le regarde pas, qui se trouve dans un lieu o on ne souhaite pas sa prsence.

    Bouffonne. Une scne bouffonne est une scne drle, amusante, comique, extravagante.

    Hilarit. Explosion soudaine de rire. Cagneuses. Les pattes taient rapproches

    la hauteur du coude et cartes au niveau du sol. Poule mouille. Expression qui dsigne un

    tre faible, sans dfense, qui a peur de tout.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Expliquez : d'un doigt Impratif. Qu'est-ce que le mode impratif en conjugaison? D'o vient ce mot?

    D'aprs le texte, pouvez-vous trouver le sens du mot : esthtique.

    Expliquez : des exclamations mergrent du tumulte. Quel nom retrouve-t-on dans : merger?

    Dans le regard des lves se lisait autre chose que de la curiosit. Quelle pouvait tre cette autre chose?

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    12 - L'COLE DE MONTFAUCON (fin)

    Jean-Lou suivit assez mal la leon que le matre venait de reprendre. Il se sentait trop tranger dans cette cole o il venait de rater si honteusement son entre. Il s'tait dj rendu compte, pourtant, aprs un coup d'il sur le cahier de son voisin, que le niveau de la classe n'tait pas suprieur celui de sa division, Tourette. A prsent, il apprhendait la rcration o, coup sr, ses nouveaux camarades ne manqueraient pas de le mettre lpreuve.

    C'est ce qui se produisit, en effet... mais pas de la faon qu'il avait prvue. Au lieu de l'entourer, de lui poser des questions plus ou moins perfides, les lves de sa classe se tinrent l'cart. Il crut tout d'abord qu'ils l'avaient oubli et en prouva un certain soulagement. Mais bien vite, il dcouvrit ce que cachait cette apparente indiffrence. Des mots parvinrent ses oreilles. Tout le monde parlait de lui. A plusieurs reprises, il reconnut le surnom qu'on lui avait dj donn : Plantecoucourde, accompagn de petits gloussements de rire.

    Il ft celui qui n'entendait pas, les rires se dvelopprent, les Plantecoucourde se multiplirent tel point qu'il ne lui tait plus possible de feindre de les ignorer. Il eut l'impression d'tre accul un mur sans autre possibilit, pour son salut, que de foncer devant lui. Oui, il devait se dfendre.

    Alors, la colre bouillonna dans ses veines. Il jeta un regard vers le groupe de grands et dvisagea celui qui semblait monter la tte aux autres en chantonnant des Plantecoucourde sur tous les tons.

    Si je les laisse faire, se dit Jean-Lou, je suis perdu. Le pas assur, il s'avana vers lui et lana, d'une voix agressive : Je m'appelle Plantevin, s'il te plat... Tche de te le rappeler. L'autre se

    mit ricaner. Puis, tranquillement, se reprit chanter : Plantecoucouc.,.

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    Il n'eut pas le temps d'achever. Le poing de Jean-Lou tait parti avec une vitesse et une nergie prodigieuses. Atteint la mchoire, le ricaneur vacilla, trbucha et roula par terre. Mduss, les autres s'cartrent. Le directeur accourut.

    - Eh bien! que se passe-t-il?... Comment, toi, le nouveau, ds la premire rcration tu provoques la bataille?... On a de drles de murs dans ton pays.

    Il m'avait appel Plantecoucourde ! Ce n'est pas une raison pour jouer du poing. Tu partageras, avec les

    autres la punition que j'ai donne tout l'heure. Une punition! le premier jour, lui qui n'en recevait jamais Tourette! Tant

    pis, il acceptait ce blme injuste. Ce n'tait pas payer trop cher le soulagement qu'il prouvait.

    Le directeur parti, il regarda sans peur le groupe des railleurs. Les visages ne riaient plus. Tous avaient des airs penauds. Tranquillement, il se dirigea vers un banc du prau. A peine arriv, quelqu'un vint s'asseoir ct de lui.

    Tu as bien fait, Jean-Lou, de ne pas te laisser intimider. A prsent ils vont te laisser tranquille. Ils se sont conduits de la mme faon, avec moi, quand je suis arriv ici, il y a trois mois. Leurs parents sont de riches marachers. Ils se croient tout permis parce qu'ils ont de l'argent et commencent par mpriser ceux qui viennent d'ailleurs... mais tu verras, ils ne sont pas plus mchants que d'autres.

    De s'tre entendu appeler par son prnom, Jean-Lou sentit fondre son agressivit. Il se tourna vers le garon et sourit.

    Je m'appelle Antoine Fabrgas, dit l'autre en lui tendant la main. Si tu veux, nous deviendrons copains.

    LES MOTS

    Il apprhendait. Il craignait, il redoutait. Perfides. Des questions perfides sont des

    questions sournoises qui cherchent habilement faire dire ce qu'on voudrait cacher.

    Mduss. Rests muets et immobiles de stupeur (la lgende dit que dans l'Antiquit, la Mduse possdait des /eux qui avaient le pouvoir de transformer en pierre ceux qui la regardaient).

    Murs. Se prononce meur et ne s'emploie qu'au pluriel. Faons de vivre dans un pays. L'ensemble des habitudes morales de quelqu'un ou d'un groupe.

    Railleurs. Qui sont ports la plaisanterie mchante ou cruelle.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Qu'est-ce qu'une apparente indiffrence? crivez une phrase dans laquelle vous emploierez le verbe : dvisager.

    Que pensez-vous des lves de cette classe ? Sont-ils courageux ?

    D'aprs vous, Jean-Lou est-il batailleur de nature?

    Le directeur punit Jean-Lou, certes, mais pas trs durement. Pourquoi?

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    13 - DEUX NOUVEAUX CAMARADES

    Jean-Lou et Antoine Fabrgas (Tonin comme on l'appelait familirement, taient tout de suite devenus amis. On ne peut pourtant pas prtendre qu'ils se ressemblaient de caractre. Autant Jean-Lou tait imaginatif et impulsif, autant le vigoureux Tonin, d'un an son an, dou d'un esprit pratique, ne se compliquait gure la vie par des rflexions trop approfondies. tait-ce ce qui les rapprochait, parce que, en somme, ils se compltaient?... tait-ce le fait qu'ils taient tous deux trangers au pays?

    Tonin tait n prs de Toulouse. Son pre travaillait la construction de l'autoroute qui, bientt, drainerait une partie du trafic de cette Nationale 7, de plus en plus encombre. Ses parents avaient lou, en garni, une petite villa, en dehors de Montfaucon, mais l'oppos du Relais des Cigales .

    Viens passer l'aprs-midi de jeudi chez moi, dit un jour Tonin son camarade, ma sur sera contente de te connatre. Je lui parle souvent de toi. Elle a bien ri quand je lui ai racont ton aventure avec les conscrits.

    Oh! tu lui en as parl... Elle s'est moque de moi?

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    Au contraire, elle trouve que tu ne manquais pas de cran pour affronter ces six inconnus, en pleine nuit, le soir de ton arrive.

    Le jeudi suivant, Jean-Lou se rendit donc Montfaucon. Il en tait tout mu. Il se sentait si isol au Relais! En traversant le gros bourg, il jeta un regard un peu triste vers l'cole o, dcidment, il n'arrivait pas s'habituer.

    Pour sa venue, Mme Fabrgas et Pierrette avaient prpar un copieux goter. Pierrette tait la sur de Tonin. D'un an plus jeune que son frre, elle se trouvait donc avoir l'ge de Jean-Lou. A cause de cette histoire de conscrits, Jean-Lou se montra intimid devant elle. Mais Pierrette, toute simple, rieuse et sans mchancet, le mit vite Taise. Il la trouva trs sympathique. Tandis qu'ils gotaient, elle le questionna sur son village et aussitt, dbordant d'enthousiasme, il voqua ses chers souvenirs. A leur tour, le frre et la sur parlrent des dplacements de leur pre sur les divers chantiers de France o s'difiaient des autoroutes. Ainsi ils avaient vcu dans le Nord, prs de Lille, dans l'Est; Auxerre dans le Morvan et prs de Valence, dans la Drme.

    Vous avez de la chance, soupira Jean-Lou. A Tourette, je n'avais jamais envie de partir. A prsent, je vois passer tant d'autos que je rve souvent de voyages... C'est peut-tre parce que je m'ennuie au Relais.

    Mais, bavarder, le temps passe vite. Jean-Lou avait promis sa mre de ne pas rentrer trop tard. Il devait prendre cong de Mme Fabrgas et de ses camarades.

    Je t'accompagne un bout de chemin, proposa Tonin. Ils traversrent le bourg et s'engagrent sur la grande route o le chaud

    soleil de dbut juin faisait fondre le goudron. ^ Tu as de la chance d'avoir une sur presque de ton ge, dit Jean-Lou.

    Vous pouvez bavarder, changer des tas de choses... Moi, je n'ai que mon petit frre Bruno. J'aurais aim une sur comme la tienne. -

    Oh! tu sais, fit Tonin en riant, j'aime bien ma sur, c'est vrai, mais on se dispute souvent. Quand nous tions plus petits, il nous arrivait mme de nous battre.

    Peut-tre, mais si ru ne l'avais pas, tu t'ennuierais, tout seul, A l'cole de Tourette, mon voisin de pupitre tait une fille. Elle s'appelait Janine. Nous nous entendions bien. Le soir, aprs la classe, nous revenions ensemble. On s'asseyait au bord de la route pour faire les devoirs. Je lui expliquais les problmes et elle corrigeait mes fautes d'orthographe. Elle

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    tait trs forte en orthographe. Je lui ai crit, elle ne m'a pas encore rpondu. Ce n'est pas sa faute. Elle doit s'occuper de ses trois petits frres.

    Ils s'arrtrent sur le bas ct de la route. Tonin devait rebrousser chemin. Les deux camarades se serrrent la main.

    Tu sais, dit Jean-Lou, papa est en train de faire de grandes transformations, au Relais. Elles seront bientt termines. Alors, ce jour-l, nous ferons une petite fte. Tu viendras avec Pierrette. Je serai si heureux. C'est promis, n'est-ce pas,,., avec Pierrette. Il y aura une surprise.

    L-dessus, ils se sparrent et Jean-Lou allongea le pas, cause de sa mre qui avait tant peur des accidents. Mais il se sentait joyeux et se mit siffler tue-tte.

    LES MOTS

    Impulsif. Qui ragit vivement comme pouss par une force irrsistible. Qui se laisse entraner par ses motions.

    Drainerait. Drainer un sol c'est enlever l'eau qu'il contient par un systme de canalisations. L'autoroute enlverait une partie du trafic.

    En garni. Une maison en garni est toute meuble quand on arrive pour l'occuper.

    Cran. Courage, audace.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Que signifie : les caractres de Jean-Lou et de Tonin se compltaient. Cherchez, dans votre classe un lve qui ressemble Jean-Lou et un autre Tonin.

    Quel passage montre que Jean-Lou est trs sensible ce qu'on pense de lui?

    Pourquoi au retour, Jean-Lou est-il si joyeux?

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    14 - JOUR DE FTE AU RELAIS

    De jour en jour, le Relais des Cigales changeait d'aspect et Jean-Lou, drid par son amiti avec Tonin et Pierrette, aidait volontiers son pre aux amnagements de la station-service. Il y prenait mme du got.

    Depuis un mois, en effet, toutes sortes d'embellissements avaient t entrepris. Tout d'abord, pour combler le vu de Mme Plantevin, le massif de fleurs abandonn avait t bch et plant. Des illets d'Inde panouissaient dj leurs fleurs d'un jaune clatant. Puis, papa Plantevin avait entrepris de reblanchir la faade, de repeindre l'enseigne sur laquelle figurait une belle cigale dessine par Jean-Lou. Mais c'est surtout la prsence du bois de pins qui avait suggr la mre la plus belle innovation.

    Oh ! ce bois de pins, si lugubre la nuit de l'arrive ! Eh bien, il devenait au contraire un endroit charmant, un attrait pour les touristes avides d'ombre qui s'y arrtaient, entre midi et deux heures, et y pique-niquaient en coutant chanter les cigales. Il leur arrivait mme, ces automobilistes, de profiter de cette halte dans leur voyage pour faire vidanger ou graisser leur voiture, travail plus rmunrateur pour M. Plantevin, que la vente de l'essence sur laquelle il ne percevait qu'un faible pourcentage. Souvent aussi, les pique-niqueurs venaient demander de l'eau frache qu'on leur donnait volontiers, bien sr. C'est ainsi qu'une ide avait germ dans l'esprit de la mre de Jean-Lou.

    Si nous installions une tonnelle, ct de la maison. La place ne manque pas. On la couvrirait avec des canisses. J'y servirais des rafrachissements, du caf; les touristes adorent un bon caf chaud aprs un djeuner sur l'herbe... Et pourquoi pas, non plus, servir des sandwiches ou mme de petits repas?

    Oh! oui, s'tait cri Jean-Lou. Au moins, nous verrons du monde. Les voyageurs ne s'arrteront plus seulement quelques instants pour prendre de l'essence.

    C'tait l'inauguration de cette tonnelle qu'il avait pens en invitant au Relais Tonin et Pierrette. Fivreusement, il avait aid son pre l'amnagement de ladite tonnelle. Le soir, il revenait de l'cole en courant et se mettait planter des pieux, clouer des planches, tendre les rideaux de canisses, les fixant solidement, en prvision des coups de mistral. Quand tout fut prt, il ne pensa plus qu'a sa petite fte. Du bazar de Montfaucon, il rapporta (achets sur ses conomies) des guirlandes multicolores et des lampions qu'on n'allumerait pas, bien sr, mais qui feraient leur effet dans le dcor.

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    Alors, un mercredi, il annona triomphalement son ami Tonin : Tout est prt, au Relais. Je t'y attendrai, demain, avec ta sur.

    Il tait si heureux de recevoir ses camarades qu'il en rva toute la nuit. Pour lui, l'vnement avait quelque chose d'extraordinaire. Si Pierrette et Tonin passaient une bonne journe, ils reviendraient souvent, malgr la distance, et il ne serait plus aussi seul.

    Le lendemain, il aida sa mre faire un gteau de Savoie et ajouta encore quelques guirlandes sous la tonnelle ce qui lui donnait un petit air de guinguette.

    Aussitt aprs le repas de midi, il monta dans sa chambre se changer, comme pour un dimanche, et sa mre se moqua un peu de lui parce que, malgr la chaleur, il se crut oblig de mettre une cravate.

    Puis, avec son fidle Piboule qui se demandait bien pourquoi son matre s'tait fait si beau, il se posta au bord de la grande route pour attendre ses invits.

    LES MOTS

    Drid, Dont on a enlev les rides. Rendu plus souriant.

    Suggre, Avait donn l'ide. Innovation. Une nouveaut une invention. Rmunrateur. Qui rapporte de l'argent. Canisses. Dans le midi on appelle ainsi les

    roseaux. Fendus en deux ils servent fabriquer des sortes de palissades qui protgent du soleil.

    Guinguette. Une guinguette est une sorte de cabaret, dans la banlieue d'une ville. On s'y rafrachit et on y danse.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Quelle diffrence faites-vous entre : dmnagement, emmnagement et amnagement.

    Qu'est-ce qu'une inauguration? D'o vient le mot tonnelle. Pourquoi?

    Relevez les passages montrant que Jean-Lou se sent vraiment isol au Relais.

    Pour qui Jean-Lou tient-il surtout se faire beau?

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    15 - JOUR DE FTE AU RELAIS (fin)

    Il n'attendit pas longtemps. Ses camarades avaient djeun de bonne heure et, malgr la chaleur, avaient march d'un bon pas. Piboule manifesta non moins joyeusement que son matre, son empressement auprs des arrivants. Frtillant de la queue, il se dressa sur les pattes de derrire pour embrasser Pierrette et Tonin, sa faon, d'un grand coup de langue rpeuse sur la joue. Pierrette se montra tout de suite ravie de la tonnelle.

    Que c'est amusant! On se croirait au 14 juillet. Dommage que nous ne puissions pas rester jusqu' la nuit; nous aurions allum les lampions!

    Ils s'assirent sur les bancs peints neuf, sous le treillis de canisses qui laissait filtrer juste assez de lumire. Et, naturellement, on ne tarda pas goter. Jean-Lou tait au comble du bonheur. Pour amuser Pierrette, il imitait les gestes d'un garon de restaurant. La serviette sur le bras, il demandait: Que dois-je servir monsieur?... Mademoiselle reprendra-t-elle un peu de gteau?

    Et, son petit frre Bruno qui, bien entendu, tait de la fte :

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    - Que dsirez-vous jeune homme?... Une sucette? L'tablissement vous propose le plus grand choix. Framboise?... cassis?... anis?

    Mon Dieu! qu'il est drle, s'criait Pierrette en riant. Je ne savais pas, Jean-Lou, que tu aimais tant la plaisanterie. L'autre jour, chez nous, tu t'es montr trs rserv... Es-tu toujours ainsi?

    Non, Jean-Lou forait son jeu. Il avait besoin d'entendre des rires autour de lui. Ses parents taient si souvent soucieux, cause de leur travail et de l'loignement du bourg qui compliquait la vie. Et puis, il se disait :

    Si mes camarades s'ennuient, chez moi, ils n'auront plus envie de revenir. C'est dj beaucoup d'avoir fait trois kilomtres sous le soleil.

    Le goter termin, il tint leur faire visiter sa chambre, balaye et poussete par ses soins. Il montra Pierrette, des cartes postales reprsentant Tourette, et une photo d'cole o on le voyait, lui, Jean-Lou, avec tous ses camarades de l-bas et son matre.

    Puis, ils redescendirent explorer l'atelier o M. Plantevin manuvra, pour eux, le plateau lvateur des voitures.

    Et distribuer l'essence ? demanda Pierrette Jean-Lou, tu ne trouves pas cela amusant? J'aimerais bien jouer au pompiste.

    - Les premiers jours, je disputais le travail papa... mais prsent je trouve a monotone.

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    Est-ce que je pourrais quand mme essayer? Bien sr, voici justement une voiture qui ralentit... une voiture

    allemande. Pierrette s'amusa comme une petite folle manier le pistolet Si bien

    qu'elle servit quatre litres de plus qu'on ne lui en demandait et faillit faire dborder le rservoir. Heureusement, ces touristes trangers n'taient pas grincheux. Ils laissrent mme la gentille pompiste quarante centimes de pourboire.

    Et on revint sous la tonnelle jouer toutes sortes de jeux. Cependant, mesure que le temps passait, Pierrette et son frre montraient moins d'entrain. S'ennuyaient-ils dj? Pour les distraire, Jean-Lou recommena de faire le pitre, Pierrette rit encore, mais il eut l'impression qu'elle se forait. Brusquement, son visage redevint grave. Il demanda :

    Vous avez dj envie de partir? Le frre et la sur changrent un regard gn. Oh! non, protesta Pierrette, nous sommes contents d'tre venus chez

    toi... et nous aimerions revenir souvent... seulement... Seulement? Oui, fit Tonin, nous ne t'avons rien dit, tout l'heure, en arrivant, pour

    ne pas gcher l'aprs-midi, mais ce matin papa a reu une lettre de son entreprise. Nous allons quitter Montfaucon. Dans dix jours, nous serons partis ailleurs.

    Jean-Lou devint tout ple. Il regarda les lampions et les guirlandes dsormais inutiles et qui lui parurent soudain ridicules. Puis il sortit son mouchoir et dtourna la tte pour essuyer une larme.

    LES MOTS

    Frtillant, Remuant sa queue trs vite. Grincheux. Susceptible, qui a mauvais

    caractre, qui se fche pour un rien. Pitre. Sorte de comdien qui fait toutes

    sortes de tours et de gestes pour amuser le public.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Expliquez : Jean-Lou forait son jeu. Pourquoi Jean-Lou tient-il faire visiter sa

    chambre? Tonin et Pierrette ont-ils bien fait de ne

    pas annoncer tout de suite la mauvaise nouvelle?

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    16 - PIBOULE

    Juillet tait arriv avec son grand soleil, l'air embras de ses aprs-midis tincelants, le bruissement perdu des cigales dans le bois de pins et surtout... ah! oui, surtout, l'interminable cohorte d'autos sur la grande route.

    Depuis une semaine, longueur de jours et de nuits, dferlait la vague

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    ininterrompue des vacanciers se ruant vers le soleil. On aurait dit que l'Europe tout entire s'tait donn rendez-vous pour passer l : Belges aux puissantes voitures amricaines, Hollandais, tranant derrire eux des caravanes grosses comme des maisons. Allemands, torse nu dans leurs vhicules avec des bateaux blancs amarrs sur des remorques, motocyclistes danois ou sudois, quips comme des cosmonautes, Suisses roux ou blonds, arborant leur pare-brise de petits drapeaux croix blanche sur fond

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    rouge... sans parler, bien entendu, des innombrables Franais, Parisiens surtout, encombrs de valises, de paquets, de voitures d'enfants, plus ou moins bien arrims sur le toit de leurs autos.

    Oui, toute l'Europe s'coulait comme un fleuve, le long de cette fameuse nationale 7, dans le bruit infernal des moteurs vrombissants... Toute lEurope partait en vacances et lui, Jean-Lou, restait devant ses pompes essence, travailler pour ceux qui s'en allaient se baigner dans les eaux de la grande mer toute bleue.

    Non, pour lui, il n'y avait pas de vacances. Bien sr, Tourette, il ne s'en allait pas non plus; mais ce n'tait pas la mme chose. L-bas, il restait avec ses camarades, pour des parties sans fin, tout l't, dans la montagne. Tandis qu' prsent!... Chaque fois qu'il souhaitait bon voyage un client, aprs l'avoir ravitaill en essence, il ressentait un petit pincement au cur.

    Depuis le dpart de Tonin, il ne voyait plus personne que ces clients presss qui ne s'arrtaient qu'un instant. Il n'avait plus qu'un seul ami, son fidle Piboule.

    Pourvu qu'il ne disparaisse pas, lui aussi, s'inquitait-il, la grande route est si mchante.

    Cette crainte de le perdre devenait une hantise," les journaux du pays relataient, chaque jour, tant d'accidents. Ds les premiers temps, il avait dress son chien ne jamais traverser la chausse. Mais, habitu vagabonder o bon lui semblait, Piboule avait eu beaucoup de mal considrer cette route comme une barrire qu'il ne devait jamais franchir. Jean-Lou s'tait montr intraitable, attachant son chien une corde chaque tentative d'infraction la rgle. Finalement, Piboule avait compris et il suffisait Jean-Lou de montrer la corde pour que Piboule renont toute escapade. Pauvre Piboule! la tentation restait pourtant forte de savoir ce que cachait la garigue, de l'autre ct de la chausse. N'y flairait-il pas, de loin, travers les relents de fumes, l'odeur de petits lapins sauvages ? Il tait fatal qu'un jour ou l'autre, sa curiosit fint par remporter.

    Cela arriva un soir, vers 10 heures, alors qu'on tait encore table (sans Bruno, dj au lit). Jean-Lou et son pre avaient eu beaucoup de travail, l'heure o les chauffeurs dcids rouler toute la nuit, font le plein de leur rservoir. Dehors, depuis longtemps dj, la grande route ressemblait une longue trane de feu. Maman achevait de servir le dessert quand un crissement aigu de pneus fit dresser les ttes. Juste devant le relais, un automobiliste venait de freiner mort.

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    - Ce n'est rien! dit papa Plantevin, nous aurions entendu un choc. Mais, tout coup, Jean-Lou plit.

    - Oh! j'ai oubli d'enfermer Piboule dans l'atelier. Si c'tait cause de lui!...

    LES MOTS

    Cohorte. Au sens propre, troupe de plusieurs milliers de soldats. Ici, grand nombre d'autos qui se suivent de trs prs.

    Dferlait. Se rpandait comme une vague que le vent pousse sur le rivage.

    Arrims. Au sens propre arrimer signifie attacher solidement la cargaison d'un bateau.

    Hantise. Crainte, peur qui ne cesse d'occuper l'esprit.

    Intraitable. Bien rsolu ne pas cder aux suppliques de soi chien.

    Infraction. Violation, dsobissance une loi, un rglement.

    Gangue. (Peut aussi s'crire garrigue). Mauvaise terre sche o ne poussent que des arbustes comme les chnes-verts. Mot particulier au Midi de la France.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Relevez tous les termes ou expressions o l'auteur compare la grande route un fleuve.

    D'aprs la description des voyageurs, trouvez un adjectif qui qualifie chaque nationalit, son trait principal.

    Expliquez : // ressentait un petit pincement ou cur.

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    17 - PIBOULE (suite)

    Jean-Lou bondit vers la porte, s'avana au-del du massif, jusqu' la lisire mme de la route. A la lumire des phares dont les pinceaux lumineux balayaient la chausse une vitesse prodigieuse, il regarda, de part et d'autre, aussi loin qu'il put. Rien. Mais, pendant une brve accalmie de la circulation,

    ,4 il crut percevoir des gmissements, sur sa gauche. Non, ce ne pouvait tre le bruit du vent dans les arbres. Le mistral ne soufflait pas ce soir-l.

    II courut comme un fou dans cette direction, au risque de se faire happer par un bolide. A cinquante mtres du relais, le puissant clairage d'un camion citerne dtacha de l'ombre un corps tendu au pied d'un platane. Jean-Lou sentit son cur s'arrter.

    - Piboule !. Mais dj la nuit s'tait referme sur le bas ct de la route. Haletant, il

    revint au Relais, prendre une lampe lectrique. Viens vite, papa! Abandonnant sa vaisselle, Mme Plantevin accourut elle aussi. Le pauvre

    Piboule gisait de tout son long sur l'herbe sche, la tte contre une racine de l'arbre. Il ne bougeait pas, mais laissait chapper de longues plaintes.

    Passe-moi la lampe, dit papa Plantevin. Piboule ragit peine la lumire. Pourtant ses yeux n'taient pas

    compltement clos. - Il souffre, dit la mre, mais on ne voit aucune blessure. Il a d tre

    bouscul par l'auto de tout l'heure. Et elle ajouta, pour rassurer son fils : La voiture ne l'a pas heurt trs fort puisqu'elle a longuement frein, Jean-Lou n'entendit pas. A genoux, sur l'herbe, il rptait : Piboule! Mon pauvre Piboule, c'est ma faute, j'aurais d t'attacher,

    comme tous les soirs, dans l'atelier. Il souleva son chien, ce qui arracha, la pauvre bte une longue plainte. - Transportons-le avec prcaution la maison, dit Mme Plantevin. Ne

    nous attardons pas au bord de la chausse; c'est trop dangereux. Jean-Lou et son pre portrent doucement le bless et le dposrent sur un

    sac, dans la cuisine. Alors, Piboule regarda son petit matre avec des yeux qui semblaient dire :

    - Je souffre, Jean-Lou, je souffre trop. Soulage-moi...

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    Il essaya pourtant de se dresser. Il ne parvint qu' se hausser sur ses panes de devant. Son arrire-train paraissait paralys.

    - Il a t touch aux reins, en conclut papa Plantevin. - Que faire? interrogea vivement Jean-Lou. - Ce n'est pas forcment grave. De toute faon, si tard dans la soire, nous

    ne pouvons pas grand-chose. Je doute que nous trouvions un vtrinaire Montfaucon. Les animaux sont si peu nombreux dans la rgion.

    - Alors, papa? fit Jean-Lou, de plus en plus inquiet. Attendons jusqu' demain matin. Je suis sr que, d'ici l, il ira mieux...

    Regarde, il a dj l'il moins terne. C'est le choc qui l'a assomm. Jean-Lou eut l'impression que son pre essayait de le consoler et ne disait

    pas toute la vrit. Il dcida de ne pas se sparer de son chien et le transporta dans sa chambre o il lui fit une couche douillette, prs de son lit, avec une pile de vieux sacs. L, au moins, il pourrait le veiller toute la nuit, lui donner boire s'il avait soif.

    Puis, il s'agenouilla devant son chien et murmura : Mon pauvre Piboule! tu ne pouvais pas bien sr, comprendre que cette

    route tait si dangereuse. C'est ma faute, pardonne-moi... A prsent, Piboule, il faut gurir vite, trs vite... Qu'est-ce que je deviendrais, sans toi ?...

    LES MOTS

    Happer. Au sens propre, saisir vivement entre les mchoires. Ici. on peut penser que Piboule a t attir vers l'auto par le dplacement d'air. Bolide. Au sens propre, corps qui se dplace trs vite, trs haut, dans l'atmosphre. Dans le texte, vhicule trs rapide. Arrire-train. Partie postrieure, c'est--dire arrire, du corps d'un animal.

    Douillette. Moelleuse, douce, qui ne risque pas de blesser, de meurtrir. AVONS-NOUS COMPRIS?

    Qu'est-ce qu'une accalmie? D'o vient ce mot? La mre emploie le mot bouscul. D'aprs vous, est-ce celui qui convient? Pourquoi remploie-t-elle? Trouvez celui qui vous parat le plus juste. Jean-Lou n'accuse pas son chien d'avoir dsobi. Au contraire il s'accuse lui-mme. Qu'en pensez-vous?

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    18 - PIBOULE (fin)

    Jean-Lou, bien dcid veiller son chien, tamisa la lumire trop crue de sa lampe avec un journal dploy sur l'abat-jour et s'assit sur son lit, prs des sacs o reposait Piboule, dont il surveillait la respiration saccade, irrgulire.

    Peu peu, les gmissements de ranimai faiblirent. tait-ce bon signe ? Souffrait-il moins? Au bout d'un moment, Jean-Lou se releva pour lui donner boire. Piboule lappa quelques gorges, mais cela lui demandait tant d'effort qu'il renona tancher compltement sa soif.

    Ainsi, pendant de longues heures, Jean-Lou veilla son ami. Mais, peu peu, le sommeil le gagnait. Ayant constat que Piboule reposait et respirait plus calmement, il se dit :

    - Je vais dormir une heure, juste une toute petite heure, pour ne pas tre trop fatigu demain.

    Mais, le chagrin, les motions l'avaient puis. Quand il rouvrit les yeux> le petit jour entrait dans sa chambre. En colre contre lui-mme, il se leva d'un bond.

    Piboule! mon pauvre Piboule!... Son chien n'avait pas boug. Il ne se plaignait plus. Cependant, il eut

    beaucoup de peine dresser la tte pour regarder son matre. Ses yeux, plus troubles que la veille, inquitrent Jean-Lou qui courut rveiller ses parents.

    Papa! viens vite! M. Plantevin se leva, en pyjama, examina le pauvre animal et ne sut trop

    que dire. - Il parat trs abattu; c'est normal, aprs le coup qu'il a reu. - Il faut faire quelque chose, papa ! Si je le conduisais chez le docteur de

    Montfaucon, celui qui est venu l'autre jour voir Bruno, pour son gros

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    rhume?... Un mdecin doit aussi savoir soigner les animaux. Je vais emmener Piboule dans la remorque du vlo.

    Jean-Lou tait trop angoiss; ni son pre ni sa mre n'osrent le retenir. Un quart d'heure plus tard, il partait pied, sur la grande route, tranant derrire lui la remorque faite d'une caisse monte sur roues de bicyclette, tl.ms laquelle le pauvre Piboule s'tait laiss installer sur des sacs.

    A six heures du matin, la circulation n'tait pas encore trs intense. Afin d'viter son chien les cahots de la route, Jean-Lou se forait marcher lentement, se retournant souvent vers la caisse.

    - On dirait qu'il dort, se dit-il au bout d'un moment, oui, il dort... comme mon petit frre Bruno quand il roule en auto. Tant mieux, il va reprendre des forces.

    A demi-rassur, il allongea le pas et arriva Montfaucon. Le mdecin qui avait soign Bruno habitait sur une place, prs de l'cole. D'un doigt tremblant, il appuya sur le bouton en se disant :

    Pourvu qu'il soit l!... Pourvu qu'il accepte de regarder Piboule! Une jeune femme, en robe de chambre, lui ouvrit. Devant son visage anxieux, elle demanda :

    Un accident?... C'est grave?... Mon chien!... c'est pour mon chien! Il a t renvers par une auto... Il

    est l, dans la remorque. La femme jeta un coup d'il vers la caisse et fit la moue. Mais, au mme

    moment apparut le docteur, une petite valise la main, qui sortait voir un malade.

    - Oh ! monsieur le docteur ! s'cria Jean-Lou, voudriez-vous voir mon chien?... il est bless!

    Le mdecin se dirigea vers la remorque, palpa Piboule, hocha la tte et se retourna vers Jean-Lou en lui posant affectueusement la main sur l'paule :

    - Mon pauvre petit!... Tu n'as pas vu que ton chien est mort?...

    LES MOTS Tamisa. Tamiser c'est passer du grain ou

    du sable a travers un tamis ou crible. Ici. tamiser le sens d'attnuer, diminuer.

    Crue. Lumire crue, lumire vive (sens figur).

    Saccade. Respiration par secousses, par -coups, irrgulire.

    Etancher. Sens propre : arrter l'coulement d'un liquide. Ici, a le sens d'apaiser.

    Cahots. Sauts, chocs provoqus par une route raboteuse. Ne pas confondre avec chaos qui signifie dsordre.

    AVONS-NOUS COMPRIS?

    Pourquoi Jean-Lou a-t-if cru que son chien dormait dans la remorque. N'aurait-il pas du avoir des doutes?

    Pourquoi le docteur pose-t-il affectueusement la main sur l'paule de Jean-Lou?

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    19 - UNE LETTRE DE PIERRETTE

    Aprs la mort de Piboule, Jean-Lou se sentit le plus malheureux des 1 enfants de la terre. Il se prit dtester cette grande route qui lui avait ravi ' son fidle compagnon. Il en arrivait accuser toutes les voitures qui passaient. - Chaque fois qu'il servait un client, il pensait :

    Peut-tre est-ce lui qui a cras mon chien! Et le bon voyage de politesse qu'il murmurait, au dpart de la voiture,

    lui laissait un got amer sur les lvres. Maman Plantevin voyait bien que son Jean-Lou, si expansif d'ordinaire,

    devenait taciturne. Un jour, elle lui dit : Je le comprends, Jean-Lou, la vie n'est pas trs gaie pour toi, ici,

    surtout depuis que tu as perdu Piboule... Veux-tu que nous le remplacions ? J'en ai parl ton pre. Il est de mon avis. Nous te procurerons un jeune chien, plus beau que Piboule; tu pourras le dresser ta fantaisie, l'habituer ne jamais traverser la route.

    Non, maman, rpondit catgoriquement Jean-Lou, je ne veux pas d'autre chien. Un jour ou l'autre, il finirait par se faire craser, lui aussi, et j'aurais trop de chagrin.

    Dsuvr, il passait son temps sur le banc, devant la maison, s'occuper 1 de son petit frre turbulent et qu'aprs l'accident de Piboule on surveillait

    , comme le lait sur le feu. De ce banc, il regardait l'ternel flot de voitures filant vers le Sud, crois, prsent, par un autre flot, presque aussi

    important, qui remontait vers le Nord. On arrivait la fin juillet. Pour certains, les vacances se terminaient dj. Si Jean-Lou venait s'asseoir l, c'tait aussi pour attendre la seule visite

    espre, au Relais, en fin de matine, celle du facteur, un brave homme aux cheveux blancs, au savoureux accent provenal, qui terminait ainsij chez les Plantevin, sa longue tourne campagnarde. Hlas ! il n'apportait gure que

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    le journal, auquel papa Plantevin avait d s'abonner, faute de pouvoir aller, chaque jour, le chercher Montfaucon.

    Cependant, un matin, il commena en brandissant une enveloppe : Une lettre pour toi, Monsieur Jean-Lou. Une lettre ! Depuis son arrive au Relais, il n'avait reu qu'une carte de

    Janine, son ancienne camarade de Tourette. Il la dcacheta nerveusement. C'tait une lettre de Pierrette. Elle lui racontait son arrive et son installation prs de Ste, dans une maison proche de la mer. Des voisins possdaient une barque, elle faisait de longues promenades sur l'eau avec son frre. Puis gentiment, elle lui rappelait la bonne journe qu'ils avaient passe, sous la tonnelle du Relais et lui demandait des nouvelles de Piboule.

    La lettre termine, il la replia et la remit dans l'enveloppe. Quand le facteur la lui avait tendue, il avait saut de joie. A prsent, il se sentait tout triste. Sans le vouloir, Pierrette avait remu le couteau dans la plaie de son chagrin.

    Il remonta dans sa chambre et cacha, pour ne plus la voir, la lettre de sa camarade au fond d'un tiroir. Puis il murmura encore une fois.

    Tonin a bien de la chance d'avoir une sur. Il tait loin de se douter, en disant cela que, cette sur, un trange hasard

    allait bientt la lui faire dcouvrir, un hasard qui transformerai