Blondin - Exultet

44

Transcript of Blondin - Exultet

Page 1: Blondin - Exultet
Page 2: Blondin - Exultet

Blondin

Page 3: Blondin - Exultet

Photographiesduhors-texte:©D.R.

Tousdroitsdetraduction,d’adaptationetdereproduction

réservéspourtouspays.

©2016,GroupeArtègeÉditionsduRocher

28,rueComteFélixGastaldi-BP521-98015Monacowww.editionsdurocher.frISBN:978-2-268-08476-3

ISBNepub:978-2-268-08553-1

Page 4: Blondin - Exultet

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 5: Blondin - Exultet

LEBLONDINDELINARDS

VintleBlondinduLimousin,oùsabelle-mèreavaitdégotéune maison dans le lieu-dit de Salas, à trois kilomètres deLinards.ÀéquidistanceentreRoyan,leberceaudeFrançoise,etMont-de-Marsan, la patrie des Boniface. L’idée, assuraitFrançoise, la femme d’Antoine, était simple : « On placeAntoine loin des tentations, dans ce coin perdu où il seratranquilleetoùilpourrasedévouertotalementàl’écriture…»

Sicen’estquel’épicièreducoin,YvetteGuary,étaitunefande Blondin, et que les choses ne traînèrent pas : un bistrot-bureau-ambassadefutouvertdanslafoulée:

«C’estmonamidel’époque,AndréBonamy,lepharmaciendeSaint-Paul–levillagevoisin–,quiaeul’idéed’appelermonbureaudetabac-librairieLeJadisBar,puisqu’onétaiten1971,et qu’Antoine venait de sortir son livre. Ce petit café intime,sans chichis, est devenu un endroit où se croisaient despersonnalitéscélèbres:lefuturprésidentMitterrand,lafilledeGiscardd’Estaing,Valérie-Anne,Audiard,ColetteBesson,desjournalistes et, bien sûr, Poulidor, le régional de l’étape…C’était l’époque où l’on ne dormait pas ; fallait les suivre,AntoineetFrançoise!Euxtournaientau51,moiauwhisky.J’aigardé la plaque qu’Antoinem’avait offerte : ‘‘L’argent liquideestfaitpourêtrebu.’’Jel’avaisposée,dansmondos,derrièrelacaisse.Quandilavaitavaléunerondelledetomateetundemi-œufdur,sonrepasétaitterminé.Parcontre,quandjefaisaisunpot-au-feuàlasaucegribiche, là ilcraquait!AntoineafaitdeLinards,villageoùilnesepassaitpasgrand-chose,unhautlieuintellectuel.Moiquiaivendudesbouquinsdansmavie,j’aurais

Page 6: Blondin - Exultet

dequoienécrireun,maiscen’estpasdemainlaveille…»GabyQuintanne, le pilote de la voituredepresse«102»,

qui suivait donc la « 101 » d’Antoine de près, du moinsmathématiquement,habitelamaisonlaplusprocheduJadisBar.Ilseremémore:«Antoinenousdisait,danssonbégaiementquinous était devenu familier : “Longtemps, j’ai cru que jem’appelais Blondin, mon véritable nom est Jadis…” Motalourdi par un temps dont le contenu ne lui convenait pasvraiment…»

Quintanne rappelant : «Un huissier venu le saisir à Salass’estentenduproposer:“Écoutez,moncherMaître,iciriennem’appartient, lepeuquevousvoyiezestaunomdemafemme.Tout ce que vous pouvez saisir, c’est la bouteille dePastis 51quejevousproposedepartageravecmoi…”»

«La101»,«la102»,lesvoituresdepresse,lacaravane,leséchappés, le peloton, la voiture balai, les rires, les drames, lesoleil,lapluie,levent…LeTourétaitàladémesured’Antoine.Taillé pour lui. Le plus grand théâtre sportif du monde, enliberté,gratuit,pour tous lesâges. Ilyétaitchez lui,acteurdepremierplan,àl’arrièredelamythiquevoiture101,avecPierreChanypourmaître à bord.En électronmerveilleusement libre.En aimant le Tour, il se rapprochait des Français par seschroniquesquiontdonnéà la littératuresportiveses lettresdenoblesse.

Façonné par le Tour de France, Antoine était rodé poursuivreleTourduLimousincyclisteduchaleureuxfeulecolonelPerrier, qui n’était autre que le père de P’tit Louis Perrier, enpriorité dévoué au rugby qu’il a servi comme conseillertechniquedansleNord.LeNordquimériteraitunchapitretantles Ch’tis de feu le docteur Ducasse ont apporté à la causeblondinienne, organisant des signatures pour ses livres, sansmanquer un seul des treizeMarathons des Leveurs de Coude

Page 7: Blondin - Exultet

germanopratins.Souslenomde«CharitablesdeBéthune»,ilsont démontré qu’effectivement, et affectivement, les gens duNordontdanslecœurlesoleilqu’ilsn’ontpasdansleciel.

Le Tour du Limousin, Antoine le suivait, le précédait,l’entouraitd’uneaffection touteparticulière,commes’ils’étaitagidel’épreuvepharedesJeuxolympiques.Épreuveremportéedeux fois par Bernard Hinault (1976-1977), avec RaymondPoulidordeuxième(en1975)pourquelalégendesoitrespectéesursespropresterres.CohérentleRaymond!

« Antoine a enchanté le Limousin dans tous les sens duterme,samagieaagidanslespetitsclubsdesportdelarégionoùilintervenaitavecjustesseethumanisme»,souligneClaudeLouis,dontlaculturen’ad’égalquelesensdelafraternité.

AntoineestrentréfiniràParisdanssonlogementdelarueMazarine où Gaston le foutographe a tiré un dernier cliché,Jean-PierreCedèsachantéuneultimechansonbasque,quelquesautres l’ont embrassé du regard sachant que c’était la dernièrefois.Moi,rentrantàmilleàl’heureenaviondeSanFrancisco,où nous venions de marier Jean-Pierre Rives avec JenniferTayloràMendocino.Toujoursunehistoirederelais…

Je garde, plus précisément, deux souvenirs d’Antoine.Quand,danslesdernièresannéesdesavie,jeluitenaislamainpour traverser aux passages cloutés en le ramenant à sondomicile, parfois en plein jour.Cettemain quime serrait fort,dont lesonglesétaientdecurieuxboucliersépais,commes’ilsavaient pour mission de protéger des mains dont la droiteécrivait si remarquablement. Il devait avoir au fond de sacaboche si cabossée, le vague souvenir de ses corridas où lestoros mécaniques le punissaient dès lors qu’il ramollissait sapasse.Puni commeau rugbyquandon est pris avec le ballon.L’autreestliéàmamère,ChachieBidabe,laBasquaise,quandson regard bleu, d’une force incroyable, appuyait sur lui à

Page 8: Blondin - Exultet

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 9: Blondin - Exultet

2

LESFILLESD’ANTOINE

LaurenceBlondin,filleaînée

Cherpapa,

Bienque tu n’aies pas participé à la constructiondenotrevie, et que notre mère l’ait assumée vraiment seule, il y avaitentrenous,endépitdetouteslesapparences,celienviscéralsiparticulier qui existe entre des parents et leurs enfants.Cela afaitde toicepère«unpeuabsent»,commetu t’esdéfini toi-même.

Et puisqu’on me demande de parler de toi, je me penchedansmamémoireenchevauchantletempsn’importecommentetje t’y retrouve toujoursunpeuenmargedemonexistence, enpointillé, de mon enfance jusqu’à ton départ. Des petitssouvenirs tout légers, comme celui où nous nous sommesretrouvésdansuncaféenfacedecheztoi,rueMazarine.TuesencompagniedeJean-MarieRivièreetdeJacquesChazot,quiprend un air désolé pour te demander de remettre ton dentierqu’en jouant tu fais claquer entre tes doigts comme descastagnettes. Ce jour-là, tu tenais obstinément à me donnerquelque chose, alors tu t’es absenté pour remonter chez toichercher deux superbes anges polychromes que je connaissaisbienpourlesavoirvusauquaiVoltaire,unpaquetdephotoset

Page 10: Blondin - Exultet

un énorme édredon un peu sale, hérissé de petites plumes quivoletaientpartout,etm’assuppliéedelesaccepter.

Ou, ilyabeaucoupplus longtemps,cepère tout jeunequijaillitdesachambredel’appartementduquaiVoltaire,tarddansl’après-midi,vêtud’unechemisedenuitblanche,quiprenddansses bras ses deux petites filles en leur racontant tout bas unehistoirederenard,etjesensencoredansmonoreillesonsoufflechaud.

JerevoistrèsclairementlalongueattentevainesurlepalierdeRogerNimier, l’espoir que fait naître l’ascenseur à chaquefoisqu’ilsemetenmarche.Etnotremèrenavréequisaitquetuneviendraspas…

Uneautrefois,commesitunousemmenaisfaireuntourdemanège, tu nous as « offert » une promenade sur l’autoroutedansl’AstonMartinrougedeRogerNimier,quiavaitmispourl’occasionlafameusecasquettedechauffeur.

Quelques déjeuners au Petit Marguery suivis d’incursionsavectoichezGallimard,rueSébastienBottin,danslebureaudeRoger.Unefois,vousyparliezdequelquechosequeRogerétaitentraind’écriresurMadamedeSévigné,etsijem’ensouviens,c’estparcequevousl’appeliez«MadamedeC’estNimier».

Et,bienque jen’aiealorsquedeuxans, ilyacesouvenirauqueljetiensbeaucoup,pourtantsifugitif,àpeineeffleuré,deton père, quelques jours avant qu’il ne se suicide. C’était unhomme droit et charmant, avec lequel tu ne t’es pas toujoursbiencomporté.Tuneluiaspasrendul’hommagequ’ilméritait.Je sais que ça a laissédans ta vie commeunepetite plaiemalcicatrisée. Et si un don était transmissible, c’est de lui que tutiendraisceluide l’écriture (etpasde tamère,commeçaaétédit), lui qui a publié de nombreuses nouvelles saluées parl’écrivain Colette. Longtemps tu as eu à côté de ton lit sonexemplaire du Journal de Jules Renard, tout flétri d’avoir été

Page 11: Blondin - Exultet

tant lu et soigneusement recouvert d’une vilaine petitecouverturemarron,avecàl’intérieur,écritavecsoin,sonnometsonadresse:«PierreBlondin,ruedeChantilly.»

Etpuis, ilyaeuLinards.C’est làqu’àl’âgedevingt-troisans,j’aipassé,pourlapremièrefois,unenuitsouslemêmetoitque toi, que je t’ai le plus vu, que nous avons été le plusproches.Àtelpointquele jouroù,simaldansmavie, jesuisvenue te voir dans l’idée floue et aberrante de chercher refugeauprèsdetoietquejesuisrepartiesansavoirabsolumentparléderien,tum’asécritunelettreoùturépondaissanstetromperàtoutcequej’avaisrenoncéàtedire.

Lorsdecesséjours,unpeuavantl’heuredudéjeuner,qu’onprenait rarement à la maison, il y avait invariablement delongues, longues stations debout au comptoir de chacun desdifférents cafés qu’on faisait tous, sorte de chemin de croix,pour ne blesser personne. J’avais le ventre ballonné par deslitresdejusdetomate,tandisqued’incessants«Remettez-nousça!»noyaientdeplusenplustonregard.

Etpourtant,onarrivaitquandmêmeàavoirdesdiscussionsqui, elles, tenaientdebout.Comme je te trouvaisprisonnierdetout, tu me disais que ta vraie vie et ta liberté commençaientquandtuallaisdanstonlitetquetureplongeaisdansletempspourretrouverlemondeetlesendroitsirrémédiablementperdus,cetteépoquedanslaquellevivaitencoretamère,RogerNimier,KléberHaedens,GuyBoniface,RolandLaudenbach…La listeestlonguedetouscesdéserteurs!

Tun’asjamaisguéridelamortdeRoger,quit’alaissédansunétatd’abandonetdesolitudequasipalpable.

Tuajoutais,maisça,tulefaisaissouvent:«Jevoudraistantparlerlittérature.»

En1943,dansune lettreàFrançoisSentein,etqu’onpeutliredanslesLettresaupetitFranz,JeanGenetécrit:

Page 12: Blondin - Exultet

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 13: Blondin - Exultet

début des annéesMerckx, avec Jean Farges pour pilote, doncfaisant partie de la famille, cela m’autorise à vous livrer ceshistoriettes:

«AvecAntoine,nouspartagionsl’amourdelanatureetdeschiens, rappelle le Jean conducteur. J’en ai eu beaucoup, luimoins. Antoine était de la race des Seigneurs. Un hommeadorable,toujoursaimable,poli,simple.Unbonheurdel’avoiràbord.Quand ilappréciaitquelqu’undécouvertauxhasardsdesrencontres,illuidisait:“JevousinviteàParis,aveclapersonnedevotrechoix!”Commeilcommandaitaubar:“Choisissezlaboissondevotrechoix…”»

Toujours en mouvement à l’extrême pointe du Finistère,Monsieur Jean, tout en sélectionnant quelques anecdotes danssa tête,grimaceà l’idéede semettre enavant, lui l’hommedel’ombre…

«ÀAvignon, on est en 1960, l’année où l’ItalienNancinigagne le Tour,Antoine a retrouvé des copains du rugby. Et, àune heure avancée de la nuit, il se met, comme il aimait à lefaire, à toréerdesvoitures. Jusqu’aumomentoù il calculemalson coup et il se retrouve les quatre fers en l’air…Directionl’hôpital, radios, pas de fracture. Il s’en tire bien… Dans lavoiture, au départ, PierreChany lui demande, alors qu’il vientjuste d’être relâché, s’il a eu droit à une prise de sang…Réponse:“Oui,ouietils-ilsonttrou-trou-trouvéquelquesgou-gouttesdesangdans,dans,dansmonalcool!”»

Si Antoine bluffait Jean Farges par la fulgurance de sesréparties,l’âmeprotectricedupilotel’incitait,encontrepartie,àtenterde l’assagir.Avecdesmots,pesésetmesurés,pourqu’ilmettelapédaledouce.Cequin’étaitpas,pourl’artisteduvolantpeuportésur lesstagesprolongésdans lesdébitsdeboissons,unechosesimple.Commeleprouvecetteautrehistoire.Désolé

Page 14: Blondin - Exultet

pourceuxàquiceshistoiresdefoieàmaréehautefontmalaucœur,principalementquandils’agitdufiltred’Antoine…

«Commeonlesait,Antoineaécritsurd’autressportsquelevélo,surlelesquatreroueségalement.Notammentcepapierquej’aigardé,parudansL’Équipele25septembre1961surleTourdeFranceautomobilequiserendaitenCorse–cequeleTourdeFrance cyclisten’a jamais fait –, pourdes chronos encôtes.Antoinea titrésachroniqueL’ÎledeBeautéaudébotté.Mais,avantd’arriversurplace, ilafalluprendreLeNapoléon,vieux paquebot à la mauvaise coque. Antoine avait trinqué àMarseille avant d’embarquer et, aumoment demonter à bord,soutenu car il tanguait, on le laisse assis. Et, il disparaît !Personne n’a rien compris : “Où est passéAntoine ? !…”Ehbien, aussi incroyable que ça puisse paraître, il a trouvé lechemindesacabinetoutseuletenquatrièmevitesse…Quandon l’a retrouvé, il dormait comme un bébé…Le lendemain, ilfallut s’accrocher pour respecter les 50 km/h en grimpée,imposés par le règlement sur le parcours. Avec des précipicesqui firent écrire à Antoine quand on était sur le versantdescendant:“Nousavionsl’illusiond’êtretroisskieurssuruneseule paire de skis […].” Le troisième homme étant l’exquisPierreAbout,responsabledelarubriqueautoàL’Équipe.Puis,quelqueslignesplusloin,AntoinerendaithommageàlaCorseet“aupaysageradieusementtorturé”qu’elleoffre.»

Lefaitd’avoirprisdescoursdeconduite,accélérésbiensûr,à Montlhéry avant de rentrer pilote à L’Équipe, fut, pourl’occasion,utileàMonsieurJean!

Vient la jolie histoire deDalida, l’année, nous sommes en1964, où Jacques Anquetil remporte son 5e et dernier Tour…«Onsaitqu’AntoineappréciaitbeaucoupDalida,alors,unbeaujour, il l’a fait venir sur l’étape Bordeaux-Brive déguisée en

Page 15: Blondin - Exultet

homme,griméeavecunefaussemoustache.Pierreluiavaitprêtéunecombinaisondemotard, elle cachait ses cheveuxdansunecasquette et portait des lunettes noires qui n’étaient pas “desommeil”,commeaimaitàdireAntoine.Elleafaitl’étapedans“la101”,derrière,àcôtéd’Antoine,avecChanydevant,commetoujoursàmescôtés.Antoineachanté“Bambino”etPierreluiaracontéquelquescroustillanteshistoiresdecourse.Àl’époque,lesfemmesétaientinterditessurleTour…Antoineavaitréussisoncoup,quellepremière!…

Je me souviens, qu’ayant apprécié ma conduite, elle m’aproposédedevenir sonchauffeur.Ceque j’ai refuséavec tousleségardsquejeluidevais.Avantquel’onapprîtqu’unterribleaccident, qui fera neuf morts, était survenu, à Port de Couze,près de Bergerac. Choquée, Dalida nous quitta, rejoignit sonhôtel et laissa une lettre pour les occupants de la voiture et,surtoutpourAntoine,biensûr.»

Puis, quelques mois plus tard, Antoine et la passagèreclandestine se retrouveront à Tokyo,Antoine comme « envoyéspécial»deL’ÉquipeauxJeuxolympiques,Dalidapourchanterdevantunparterreoùlejauneétaitlacouleuruniforme.ManièreinattenduederesterfidèleàlaglorificationdumaillotdeleaderduTour!

Ainsi, Jean Farges poursuit-il son temps terrestre densifiépar les souvenirs glanés au fil des kilomètres. FedericoBahamontes, l’Aigle de Tolède, vainqueur du Tour 1959, l’ainvitéchezluienEspagne,etilagardélaselledecheval(luiquia eu deux chevaux) que le Portugais JoaquimAgostinho lui aofferteavantdesetuerdansunaccidentsurleTourdel’Algarveen1984…unchienayanttraversélaroutedevantsaroue!JeanduFinistèreaaussiconservéunpavénonpasdeMai1968,maisde Paris-Roubaix où il a, aussi, conduit l’Antoine, là dans lapoussièredesvenellesduNord.

Page 16: Blondin - Exultet

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 17: Blondin - Exultet

Àl’intérieurde lavoiture101,Antoinesesentaitchez lui.Cette auto pas comme les autres, cette automobile (rouge) deplaisir, comparable aux trains de plaisir de la Belle Époque,incarnait la complicité et les joies du compagnonnage – desvaleurs fondamentales pour cet humaniste en quête d’absolu.Plus encore que sa résidence d’été, la voiture deL’Équipe futsonmanteauetsamaisonprincipale.Ill’aditetrépété:«Notrecarrosseriemoderneétaitquelquechosedesacré.Lavieàbordfutexquise.»EtMichelClarel’aconfirmé:«Unlieuprivilégiédebonheuretdegaîté.»

Il existait une telle osmose entre Blondin et la coursecycliste que le Tour de France semblait être complice de sonhumour : il lui fournissait en permanence la matière de sesfacétiesetdesesgags.Antoineétaitunnoctambule.Ils’inventadeux surnoms : Monsieur Jadis et Gentleman-fermeur, parcequ’ilmettait un point d’honneur à faire la fermeture des bars.Ses nuits étant généralement courtes, il s’exposait, comme lescoureurs,àdesévèresdéfaillancespendantlajournée.Avantdesombrerdanslatorpeur,ilsecalaitsursonsiègeetmettaitseslunettesnoiresqu’ilappelaitseslunettesdesommeil.

Il prenait de nombreuses notes sur le déroulement de lacourse,cequinousétonnaitpuisqu’ilnerédigeaitpaslecompterendu,mais cettedisciplinequ’il s’imposait reflétait son soucide l’authenticité. Ilne trichait jamaispour faireunbonmotetses calembours étaient toujours en situation. De surcroît, ilsavaientleméritedetraduiredefaçonimagéeunévénement,undétail, une atmosphère. Jeme souviensd’une longue échappéede Patrick Perret en Franche-Comté. Il était le régional del’étape. Pour la circonstance, nous avions choisi de « suivredevant », s’il est permis de s’exprimer ainsi. Pendant trois

Page 18: Blondin - Exultet

heures,onentenditlesexclamationsdupublicetdeuxmotsquiseprolongeaientdansune rumeur incessante :«Levoilà…Levoilà…»

Antoine intitula son article « Le voilà Perret ». Un titreparfait,àlafoisconcis,drôleetfidèle,quirecréaitenunepetitephrasel’ambiancedel’étape.

Jemerappelleaussiune journéedecaniculesur les routesduRoussillon.ÀEspéraza,l’anciennecapitaledelachapellerie,onnousdistribuadeschapeauxdepaille.

« Faute d’un chapeau de paille d’Italie, dit Antoine enévoquantlecélèbrevaudeville,onsecontenterad’unchapeaudepaillebiende cheznous. »Coifféd’un canotier, il nousoffritune désopilante imitation de Maurice Chevalier chantant Lejoyeuxchapeaudepaille!Ainsi,lebrillantchroniqueurquisedélectait de pasticherMme de Sévigné, Verlaine ou Péguy, cemonumentdeculture,incollablesurl’histoiredeFrancecommesur l’histoire de la littérature universelle, était capabled’interpréter une chanson populaire des années trentepratiquement oubliée. Sa mémoire était prodigieuse. Il nousétonnaitchaquejouretsespirouettesfaisaientnotrerégal.

J’entendsencoresonrireetsoncommentairepluséloquentqu’un long discours : « C’est merveilleux de déconner entreamis.Jeneconnaisriendeplusréjouissant.»

Cependant, la rigolade masquait souvent le stress, surtoutlorsqu’onapprochaitdel’arrivée.Antoinecultivaitleparadoxeàlongueur de journées. Clown triste, optimiste anxieux,désinvolte et perfectionniste, partagé entre l’envie d’écrire etl’ennuid’écrire,ilblaguaitetbuvaitpouroubliersesangoisses.L’apparitiondupanneaudesvingtdernierskilomètresaccentuaitsonmalaise.Laperspectivedelacopieàlivrertroisheuresplustard et la hantise de la page blanche le rendaient positivementmalade. Qui l’eût cru ? Une telle réaction paraissait

Page 19: Blondin - Exultet

inconcevable, eu égard à son immense talent. Pourtant, sondésarroiétaitbienréel,etilnousenafaitl’aveu:«J’étaisprisdenauséesenpénétrantdans la salledepresse, jeme trouvaisparfoisàlalimitedevomir.»

RevoirParis…Trenet s’en réjouissait.PasAntoine.Mêmesilarivegauchefaisaitpartiedesavie.LanostalgieduTourlefigeait dans un état second. Les dernières étapes ne pouvaientêtrequemélancoliques.«Ilmefautattendrependantunannosretrouvailles,soupirait-il.Unandepatienceetd’impatience.»

JacquesAugendre

Page 20: Blondin - Exultet

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 21: Blondin - Exultet

LeDrMiserezdit leschosesparceque,plusdevingt-cinqans après, il y aprescription et, aussi, parcequ’il estimequ’ilfallait les dire. Philippe Miserez rappelle que lorsqu’il étaitaccompagnédurobusteetincrevablerugbymanPucisteBernardCaseris,médecindesonétat,audépartduTour1972àMerlin-Plage, front d’océan bétonné à tout va, Antoine, à qui lesdirecteursduTour,JacquesGoddetetFélixLévitanprésentaientlemaîtredeslieux,réagit:«Ah,c’estvouslemurdeMerlin!…»

En tant que co-auteur du livre, je me permets de raconterl’histoiresuivantequimetenscèneetPhilippeetAntoine,deuxchersamis.

Nous sommes sur le Tour 74, à l’hôtel Aquitania deBordeaux-Lac.Vers7heuresdumatin,MichelClare,quifaisaitchambre avec Antoine, me réveille. « Vite, trouve Miserez,Antoine s’est ouvert la tête… » Vision d’horreur dans lachambre:Antoineestassisauborddesonlit,dusangpartout,sur levisage, sur lesdraps, sur lamoquettecacad’oie…Ilestgroggy. La lampe de chevet est à terre, l’ampoule explosée.Seuleladouilleestintacte.Enfait,Antoines’estcassélafiguredessus, et elle l’a ouvert. Ce qui m’a permis de lui dire endécouvrant lespectacle :«Disdonc, t’auraispasvoulurentrerdans la lumière ? !…»Voiciquim’incite àglisserunmotduMaître:

UneautrefoisoùAlbertVidalieluiavaitouvertlacaboched’uncoupdebouteilleetqu’ils’estapprochépourconstaterlesdégâts,ilfutreçuparun«Arrêtedecopier»subliminal!

RetrouvonsAntoineàBordeaux-Lac…À troisvolumineuxlascars, le docteur, Tonton Roro, pardon Roger Bastide,récupéré en chemin et moi, plus Michel Clare qui suit, nousportons l’Antoine, dissimulé entre nous, pour que personned’autreneprofiteduspectacle,sefairerecoudreà l’ambulance

Page 22: Blondin - Exultet

Aspro, là, à deux pas, où Philippe lui pose cinq points sur lehaut du front – sans anesthésie, et le bougre n’a pas bronché.C’étaitunrude,lemonsieur…Et,envoiture,Simone…

Le lendemain, le lecteur sedélectaitd’unechronique titrée« Les embarras du Chouan », signée de Nantes, la patrie deCyrilleGuimard.LavieduTourcontinuait,portantunAntoinequicréaitsapropreCarteduTendreaufildesétapes,avecseshauts, ses bas et ses faux plats que, lui qui ne mangeait pas,appréciait!

Page 23: Blondin - Exultet

12

RAYMONDPOULIDOR,CESAGESURDEUXROUES

Pourmoi,Antoinec’estungénie!…

Sil’âgefaitressortirencoreplusdesjouesdéjàsaillantes,sileshiversontposéde laneigesursontoit,RaymondPoulidoresttoujoursaussireconnaissableaumilieudelapluscompactedes foules. Les yeux restentmalicieux, le nez toujours à boutrond,lavoixnasillecommeautempsdesinterviewsàrépétition,aveclamêmesilhouettedel’hommeenforme.

Cethommeestdevenuunproched’Antoinedèslorsqu’ilaposélesacenLimousin:«EntreLinardsetchezmoi,àSaint-Léonard-de-Noblat,iln’yaqu’unevingtainedebornes,unpetitcontre-la-montre ! Antoine est venu me voir à la maison. Ilm’impressionnait. Au point que je le vouvoyais. C’était un sigrandmonsieur.SurleTour,c’étaitpaspareil,j’étaisàvélo,etlui, dans la voiture 101 – que tout le peloton connaissait etrespectait–;jeletutoyaisnaturellementquandla101doublaitlepeloton:«AlorsAntoine,çava…»Peut-êtreparcequejemesentaisenconditionavantageuse.Autant ilétaitgentilavec lesgens,même s’il y avait parfois des orages…, autant il pouvaitêtreméchantavecFrançoise,sacompagne.Unjouràlamaison,ill’acalottée!Sousleprétextequ’ellelecontredisait:«Ditesque-quejesuisun-unmenteur!…»Et,vlan…

Page 24: Blondin - Exultet

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 25: Blondin - Exultet

sontfaitespourlaparadeetlesimulacre.»LePuy-de-Dôme : « Et la montagne accoucha d’unsourire…»

13eétape:Limoges(leLimousin)

LeLimousin,etplusparticulièrementlevillagedeLinards,aurontadoptéAntoine,quiyvivrapendantplusdevingt-cinqans.

«Tulleestunevilleprenante.Elleadequoiattireretretenir.»« À travers la Dordogne et la Corrèze, ces régionspolygrottes,nousavonsrenouéaveclesdouceursbiencrémantesdel’âgedebière.»«AutrefoisonenvoyaitàLimogeslesgénérauxqu’onvoulaitévincer.Aujourd’hui,onlesenéloigne.»

14eétape:Toulouse(Midi-Pyrénées)

Cette région aura toujours un parfum particulier pourAntoine.C’estdanslepetitvillaged’Aurevillequ’ilretrouvaitKléber Haedens, quand il ne passait pas par Toulouse pourrejoindreJean-PierreRives.

« De Fleurance à Auch, à travers un paysagedoucement tourmenté de ceps et de pampres, nousavons vu se presser à l’infini, malgré la parcimoniedesagglomérations,unconcoursdepopulationsànulautrepareil.»«Lemarchédecespetitesvillespavoiséesdepêches,

Page 26: Blondin - Exultet

de poires et de pruneaux nous donnait presque àregretterquelaseuleprimeuràlaquellenousfussionsassujettisfûtcelledel’information.»Toulouse : « Il est indéniable que cette ville est unecapitale.Elleattireetrayonne.Sesjustesprétentionsne s’étendent pas seulement à ce qui pourraitcontribuer à une gloire locale. Elle aspire à deséchanges universels et y parvient en de nombreuxdomaines.»

15eétape:Perpignan(Languedoc-Roussillon)

LeLanguedocavaitpourAntoinelasaveurparticulièredesespremierspasdanslemondedelalittérature,enlapersonnede François Sentein. Parler de Sentein revenait à parler deJean Genet, mais aussi de Jacques Laurent et RolandLaudenbach.

«Quelquesvignoblesrabougris,peud’agglomérationsau revers des mamelles pelées des Cévennes, deschemins malaisés et gravillonneux eussent, end’autrestemps,favorisél’aventure,l’escapade.»« Nous plongions vers cette frontière montagnarde,amicaleetcomplice,departetd’autredelaquelleonparledéjàl’espagnolenFrance,encorelefrançaisenEspagne.»

16e étape : leMont-Ventoux (Provence-Alpes-Côted’Azur)

Page 27: Blondin - Exultet

L’écrivain Albert Vidalie a vécu à Reillanne, dans leLubéron. Il suffit de lire Monsieur Jadis pour comprendrel’importancequ’ilavaitdanslavied’Antoine.

Sainte-Maxime : « Ce bouquet garni incliné sur lamer.»

Nice : « La vieille ville, rongée par la couleur rose,encadréepardehautescollines, léchéeparunevastemer dont l’impassibilité dissimule on ne sait tropquoi,présentedesallégationsdevolcans,d’accordsetdedésaccords.»Les Hautes-Alpes : « Un champ de bataillessomptueux était laissé en jachère, avec ses escaladesau pourcentage vertigineux, ses descentes piégées àchaque virage, ses gravillons voltigeurs abandonnéspar quelque Petit Poucet en détresse, ses portesbéantes et ses sorties de secours au revers deshameaux.»LeMontVentoux:«Nuln’ignoreque,telqu’ilest,celégendaireaccidentde terrainmérite ledétouretqueson caractèremonumental tient en premier lieu à cequ’il est unmonument que s’est donnée lamémoiredeshommes.»

17eétape:Saint-Priest(Rhône-Alpes)

Le24juillet1982,étapedeSaint-Priest,AntoinedonnaitàL’Équipe sa 524e et dernière chronique du Tour de France,«Lesinconnusdanslasaison».

Page 28: Blondin - Exultet

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 29: Blondin - Exultet

hantises : unpèrequ’il n’avait pas eu le tempsd’admirer, unepetite famille en ruine, une préférence ramenée d’Allemagnepourlesrudesamitiésdechambrée,unpenchantdeplusenplusimpérieux, non pour l’alcool, jurait-il, mais pour l’ivresse.Quandilprétendaitquesesbouquinsétaientbouclésenvingtetunjours,cen’étaitrienqu’ungrosmensonge.LeSingeamacérébeaucoup plus longtemps que ça dans un esprit tendu vers unchef-d’œuvre annoncé. C’est si vrai que, revenant de Biarritzvers la fin de l’été 1958, par ce train qui s’appelait le Sud-Express,Antoines’apprêtaitàsubirlesreprochesordinairesdeRoland Laudenbach, son éditeur. En dépit de ce qui étaitconvenu, promis, juré, le livre n’était pas fini, il était mêmedramatiquementenpanne.

Seulement voilà, dans le Sud-Express, on avait trouvé lerebondissementgénial,leSingeavaittrouvésonsecondsouffle.En fouillant machinalement dans sa poche, Antoine en avaitretiréunefeuilletoutechiffonnée:c’étaitleprogrammedufeud’artifice du 15 août, sommet traditionnel de la saison deBiarritz. Comme celle d’un compte rendu de toromachie, lalecturemirobolanted’unprogrammedefeud’artificeavait toutpourenchanternotreami.Delà,l’idéesuperbedufeud’artificequeFouquetetQuentinAlbertvont improviser sur laplagedeTigreville.Ce sera le point d’orgue du roman et, plus tard, dufilm d’Henri Verneuil – une scène où Jean Gabin, Jean-PaulBelmondoetNoëlRoquevertpourrontdonnertouteleurmesure.

J’ai lecœurmaintenantqui flanche,ausouvenirdece jourde l’automne 1958 où Antoine vint déposer sur le bureau deLaudenbachunmanuscritquin’étaitpaslesienmaislemien.Ilavait fait despiedsetdesmainspour faire éditermonpremierlivre,LegrandcombatduQuinzedeFrance,commesic’était

Page 30: Blondin - Exultet

pour lui le plus urgent, une priorité qui passait avant celle desonœuvremajeure ! Toutefois, le Singe, ranimé dans le Sud-Express, était maintenant sur de bons rails. Le personnage deQuentinAlbertavaittrouvésonparfaitmodèleenlapersonnedel’hôtelier de Mayenne chez qui Antoine avait ses habitudes,quand l’imprimeur de l’endroit venait lui arracher, feuillet parfeuillet,lesdernierschapitresd’unouvrageencours.L’hôtelierlui racontait son passé au Tonkin et son combat contre lesboissons anisées. Antoine, lui, une fois n’est pas coutume,buvaitdupetit-lait.Et,bientôt,ilmettraitlepointfinalaulivrequ’ilportaitdepuissilongtemps:

« Il se pencha longtemps à la fenêtre, écoutant lesbruissementsdesaforêtretrouvée,puis,refermantsesvolets,ilsedirigeaverslaglaceendéclarant:

–Etmaintenant,voicivenirunlonghiver…»

Deux ou trois jours plus tard, Roland Laudenbach eut lemanuscritenmain.Cettefoisc’étaitlebon,etseretirapourlelire.J’avaishâtedesavoir.

«Alors,c’estcomment?demandai-je.–Antoineneferajamaismieux»,medit-il.

DenisLalanne

Page 31: Blondin - Exultet

14

JEAN-PAULBELMONDO,UNFIDÈLEPARMILESFIDÈLES

Jean-Paul Belmondo fait partie des inconditionnelsd’Antoine.Ilnousl’aconfirmé,iln’yapassilongtemps,àlaterrasse d’un café, en plein soleil, derrière l’Assembléenationale, en compagnie de Jean Rochefort. « Ah, Antoine,quellemerveille,quel talent,quelpersonnage !…»Jean-Paulfait partie du paysage de Saint-Germain-des-Prés depuis Àboutdesouffle,etmêmeavant.Hieraurestaurant l’Échaudé,avecFerré,Antoine,Carlos,FernandRaynaud…Aujourd’huiauComptoir,àl’Odéon,chezsonpoteYvesCamdeborde,avectoujourslemêmesourire,largeetgénéreux…

Antoineauraitpujouersonproprerôle

Unacteur,c’estleprésent.Lapostéritéestauxsavants,auxphilosophes, peintres, sculpteurs, musiciens, écrivains. Parnature, jevis intensémentauprésent,mais celan’empêchepaslessouvenirsetUnsingeenhiverresteral’undemesmeilleurssouvenirs d’acteur. D’abord, tourner pour la première fois (cedevait être, hélas ! aussi la dernière) avec Jean Gabin, c’étaitpourmoiunhonneur fou.Gabin,d’autrepart, étaitunhommetrès simple, qui me prit tout de suite en amitié. Nous noussommesbienvitedécouvertdesgoûts communs,notamment lamêmepassionpourlaboxe,lefootballetlecyclisme.Également

Page 32: Blondin - Exultet

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 33: Blondin - Exultet

Antoine, parce que simplement c’était un humain qui savaitécouter.Unhommeaveccequeçareprésentedemagiqueetdesurprenant.Antoineétaitrestéenfant.Ilvoulaitquejefasseduthéâtreetilmevoyaitdanslerôled’Hermione,entragédienne.À la vérité, il rejoignait un rêve d’élève au cours SolangeSicard…Hermioneyétaitauprogramme,etj’aijouédesscènesoù elle est passée en moi. Avec le recul, cela tend à prouvercombien Antoine n’avait pas tort…C’était aussi l’avis demaseconde mère, Hélène Duc, grande dame de la scène qui m’ad’ailleurs eue comme élève. Elle considérait que, voilà, mondestin se situaitdans la tragédie,pasdans la chanson… ily adesgensquifontautrechose.Maispasvraiment,puisque,pourmoi, la tragédie est dans les chansons que j’ai chantées.Monbutétaitdechanter…(petitsourire)mêmesijenesaistoujourspas…(re-sourire)…Mais,j’aifaitdesprogrès(3epetitsourire).J’aiservi lespoètes, les idéesquisont les leurset lesmiennesévidemment.Lecombatenmusique,c’estpassimal…Ilentremieuxdanslamaisondesgensetildescenddanslarue…»

EtAntoine,commentsecomportait-ilavecvous,Juliette?…

«Doux, fraternel. On se vouvoyait, je n’ai pas tutoyé leschefsdemusiqueaveclesquelsj’aitravaillé.Mameilleureamie,je ne la tutoie pas et l’on se connaît depuis beaucoupplus detrenteans. Jen’ai jamais tutoyéMichelPiccolialorsquenousétionsmariés…»

D’Antoine,Juliettenepeutrefrénerunehistoirequilaporteaubonheur :«AvecsonamiVidalie,unredoutablecelui-là, ilvenait dansma cour, tous les deux pleins commedes cantinesmilitaires,medonnerlasérénade.Parfoisàtrois,quatreheuresdumatin,pour leplusgrandplaisirdemesvoisins…Mais ils

Page 34: Blondin - Exultet

étaientsympasetn’ont jamaisvraiment regimbé!Enprécisantque, une nuit après avoir chanté, j’avais gagné au casino àBiarritz l’argent nécessaire à achetermon appartement, le rez-de-chausséemais aussi une partie du premier étage. Je n’avaisjamais joué au chemin de fer, j’étais enceinte de ma filleLaurence. Plus je gagnais, plus les yeux de mes voisinsdevenaient haineux tellement ils étaient envieux. Moi quin’avaispasdesous,jegagnaismavieenchantantcommed’hab’et là ça tombait à tout va…Je croulais sousunemontagnedejetons…Quand j’ai quitté les lieux, le gentil caissier quim’apayé en billets et il y en avait et il y en avait, m’a dit :“Mademoiselle Gréco, je ne veux plus vous revoir…” Il avaitraison, parce que là, j’aurais probablement tout reperdu… Jen’aijamaisrejoué…Lelendemain,j’aicommencéparm’acheterunsacHermès,leKelly,suffisammentgrandpourymettretousmesbiffetons…»

Pourvous,c’estquoiquereprésenteAntoine?…

«Unimmenseécrivain,Antoineestunorfèvre,plusquedel’écriture, des sentiments. Parfois un personnage étrange quienlevait ses dents, enfin son râtelier, et s’amusait avec. Parprovoc’. Quand il se faisait piquer par les flics, c’était samanièreà luidemordre…Nousavionsdes rapportsnocturnesd’où il sort qu’avec lui, rien n’a jamais été ni normal, nivulgaire, ni évident. Il était quand même d’une autre planète.Planète qu’il partageait avec Roger Nimier. Moi qui suis unefemmedegauche,j’avais,étrangement,quelquechosedetendreaveceuxplutôtmarquésàdroite.Toujourssurfonddepoésie.»

Gainsbar, qui a, comme vous, habité rue de Verneuil, etAntoineétaient-ilsproches?

Page 35: Blondin - Exultet

« J’ai amené Serge, tout au début de sa carrière au ClubSaint-Germain, rue Saint-Benoît. Dans les années 1950, j’enavais peint les tabourets, j’y étais chez moi. Du temps ducharmant Marc Dolnitz, mort d’une manière crapuleuse, voiciune dizaine d’années, qui ouvrira l’Alcazar avec Jean-MarieRivière. Antoine et Serge, ce sont deux univers totalementdifférents.Pourcommencer,Gainsbourgétaitunjuifrusse.Avecune dramaturgie très forte. Alors qu’Antoine est un espritfrançaistrèsaigu.Siàl’aisesurleTourdeFrancecarilestchezluipartoutdanscetteFrancequ’il aimeetqui l’aime.LeTourl’inspirait…»

Une pause, un coup de fil et… « Si l’on ne tombait pas,commeça,aumêmemomentauCourrier,cen’étaitpasAntoinequim’appelait,certainementparpudeur,craignantdedéranger;c’était sa femme, Françoise. Je les retrouvais au Courrier carj’aime les endroits où se rencontrent les gens que j’aime et leCourrierdeLyonenfaisaitpartie.»

Quedira-t-ond’Antoinedans20ans?

« J’espère qu’ils seront moins cons et qu’ils lui rendrontjustice en reconnaissant en lui et l’écrivain génial et l’hommeexceptionnelqu’ilaété!…»

Etsurvous,quesera-t-ildit?

«On verra bien (petit sourire)… J’espère qu’il y aura desgensquidiront:“Jel’aiconnueetjel’aime!”»

Danslesboîtesdenuitenfuméesdel’après-guerre,leTaboudelarueDauphineetdeBorisVianenpremier,universquela«GrandeDameenNoir»amagnifié,onbrûlaitlachandellepar

Page 36: Blondin - Exultet

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 37: Blondin - Exultet

train en gare de Dax. On s’en racontait des vertes et des pasmûres et on écoutait Guy nous dire combien « sonAntoine »étaituntypehorsducommun,qu’enécritureilyavaitluietlesautres. Et que pour la déconne il était en première ligne.Quec’étaitunsacrébambocheur!Àlavérité,c’estplutôtcesecondaspect du personnage qui nous attirait le plus. Pour nous, cen’était pas vraiment le temps de la lecture, plutôt le tempsd’écrirenosproprespages,cellesconcernantlerugby!»

Pierre Albaladejo en imposait à Antoine parce qu’il étaitaussi « matador », qu’il avait les cojones de se placer devantl’encorneur,sachantlegoûtquenotrehommedeplumeportaitàla corrida et le respect qu’ilmanifestait à ces hommes d’épéequefurentLuisMiguelDominguinetAntonioOrdóñez.VoirleSingeenhiveroù,viaJean-PaulBelmondo,ilécartelesvoituresdevanttoutlevillagefasciné.

«Donc,nousavionshâtederetrouvercetAntoinechériparGuyBoniface,notrecherFanfanlaTulipe.Maisavantdenousrendre auCourrierdeLyonpour l’y retrouver,on fonçaitdansles Halles se taper d’énormes morceaux de barbaque qu’ondévoraitaupetitmatin,aumilieudeslouchebems,enbuvantdurouge. La panse calée, nous traversions la Seine pour trinqueravecAntoine.Certainsbuvaientplusqued’autres,moijefaisaispartiedesmoinsgaillardssurlepichet…»

Amitié liée, Antoine qui appréciait l’élancée silhouette de«Balaeltorero»etlepersonnagequ’ellecontenait,selaissait,deloinenloin,ramenerparlui,rueMazarine,del’autrecôtédela rue des Saint-Pères. Ce qui était unemarque de confiance,doncd’affection,delapartduMaître.

«Unsoiroùjeleraccompagnaiàsondomicile,j’étaisrestésur le pas de la porte, la parole coupée. Les huissiers étaientpassésparlà,ilnerestaitqu’unetableetunbuffet.Parcontre,quelquesbouteillesattendaientqu’onleurfasseunsort.Dequoi

Page 38: Blondin - Exultet

trinqueràl’amitié,aurugbyetàlacorrida!Ilm’avaitexpliquéenbégayant:“Ilvaut,vaut,vautmieux,perdre,perdre,perdredel’argentqu’un,qu’unami…”Dugenre, l’amitié,çan’apasdeprix. Il donnait son argent à qui en avait besoin et n’en avaitpluspourpayersonloyer…Enrepartant,jemesuisdit:“Quelmétierdemisèrequ’écrirepourlesautres!”»

Cher Bala dont la maman, Léonore Etchemendibehère (lamaison au pied de la montagne), venait, comme son noml’indique, d’Euskadi (de Saint-Martin-d’Arrossa), pays quienchantaitl’Antoineparseschansons,lesensdurespect,auquels’ajoutentlasoliditéetl’équilibreduquotidien…

Le jour de l’enterrement de Guy, Pierrot Bala a invité unimmensepackdecopains,unequarantainedepersonnesdontlecompositeurPierreBarouhetsafemmed’alors,AnouckAimé,àdéjeuneràlapetiteauberge,encontrebasdelaroutedeMont-de-Marsan, à Saint-Vincent-de-Paul, Chez Despéries, réputéepoursescrêpes,aussipoursesanguillesetsongibierbraconné.Despéries, surnommé «mignemosca » parce qu’il avait avaléunemoucheetque labestioleavait continuéàbattredesailesdanssonventre,finirasesjourslâchéspard’autresailes.Cellesdu vieux coucou qu’il pilotait àRion-des-Landes.Un éclat derirequiestpartidansleséclatsdupire…

DespériesétaitunhommecommelesaimaitAntoine,de lagueulemais pas trop grande, du cœur, très grand et des idées,pascellesdesautres!

Autre homme d’ouverture, il porte aussi le numéro « 10 »desmeneursde jeu, JeanGachassinétait surnomméPeterPan,Abdou, comme le sprinter Seye, Gachette ou simplementJeannot.Grandjoueurhautcommetroispommes,ilenafaitvoirdesvertesetdespasmûresàsesadversaires.C’étaitunathlète,classéautennis;ilestd’ailleursprésidentdelafédérationdecesport. Toujours proche d’André Boni, dont il a été l’ouvreur

Page 39: Blondin - Exultet

dans leur temps enbleu-blanc-rouge, l’espiègle Jeannot n’étaitpas le dernier quand il s’agissait de se confronter au verbedéconner. Avec pour spécialité de se lancer dans le vide enpositionfœtaleversuncopainquiatoujourseuleréflexedelerécupérerdansleberceaudesesbras.Emblondinisé,commetantd’autres, par notre extravagant et fascinant Germanopratin, ilresteunfand’Antoine.

AvecGuyBoni, puis JoMaso et JeanSalut, autres talentsmajusculesduXVdeFrance,JeannotGachassin faisait lemurde l’hôtel Louvois qui, à l’époque, les abritait, près de laComédie-Française, pour s’en aller rejoindre l’Antoine auCourrier deLyonde l’autre côtéduGave, pardonde laSeine,pourdevenirlescomédiensdeleursimprovisations.

«Antoineétaitunphare,salumièrenouschauffait l’esprit,nous faisait dubien.Guy était toujours près de lui. Ils étaientcommedesjumeaux.AvecDédé,pasloin,biensûr.MaisDédéétait moins “festeyre” que nous. » Puis : « Michel Crauste,commemoideLourdesàl’époque,n’avaitjamaisratélareprisedutravailàl’EDFlelundimatin…

Après unmatch gagné à Colombes, Jean Lenzi convie lesBoni et Crauste sur le plateau de la 2. Avec André Dassary,ancien joueur du PUC chanteur d’opérette qui, prétendant unrefroidissement,avaitrefusédechanter.Ensuite,viteauCourrierpouryretrouverAntoine.Là,oncommenceàfaireleszouaves.Dassary, toujours le béret sur la tête en bonBasque qu’il est,chanteàtue-tête!…EtleMongol,lui,commenceàgrimacer.Ilfallaityaller…Guyavaitenviederester,moij’étaisprêtàfairedurabàParis,etDédéétaitpourrentrer.Commelevoulaitsonrôle de grand frère. Alors, deux taxis sont appelés pour nousameneràlagared’Austerlitz.Lestaxissontlàetl’oncommandeladernière tournée.On rentredans lebahutet là…planté, lesquatre pneus étaient à plat ! Antoine et Guy les avaient

Page 40: Blondin - Exultet

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 41: Blondin - Exultet

3-MichelDéonQu’onlelisepourlui-même

4-BernardPivotD’unseulcoup,ilbifurque,ilvaailleurs…

Àborddelavoiture101

5-JeanFarges,lepiloteDalidaenpassagerclandestin…

6-PierreChany,lemaîtreàbordLessecretsduménageàquatre!…

7-MichelClare,letémoinprivilégiéC’étaitungrandtravailleur…

8-JacquesAugendre,mémoiredesépopéesIlétaitnotre«gentlemanfermeur»…

LecœurduTourbatpourAntoine

9-JeanBobet,compagnondechambreduMaîtreAntoineetsespirouettes

10-DelasalledepresseduTouravecJeanHatzfeldDespagesendimanchées

11-PhilippeMiserez,médecinduTourC’estletabacquil’atué!…

12-RaymondPoulidor,cesagesurdeuxrouesPourmoi,Antoinec’estungénie!…RenéFallet:«nonàPoupou»

Page 42: Blondin - Exultet

LeTourdesToursd’Antoine

Chroniquesd’untourPrologue:Bayonne(LePaysbasque)1èreétape:Bordeaux(l’Aquitaine)2eétape:LaRochelle(Poitou-Charentes)3eétape:Orléans(leCentre)4eétape:Nantes(PaysdelaLoire)5eétape:Brest(laBretagne)6eétape:Rouen(laNormandie)7eétape:Compiègne(laPicardie)8eétape:Lille(Nord-Pas-de-Calais)9eétape:Reims(Champagne-Ardenne)10eétape:Metz(laLorraine)11eétape:Mulhouse(l’Alsace)12eétape:Montluçon(l’Auvergne)13eétape:Limoges(leLimousin)14eétape:Toulouse(Midi-Pyrénées)15eétape:Perpignan(Languedoc-Roussillon)16eétape:leMont-Ventoux(Provence-Alpes-Côte

d’Azur)17eétape:Saint-Priest(Rhône-Alpes)UnGermanopratin

Lesingeetl’escargot

LesingedanslabergerieLessingesenhiver

13-DenisLalannedanslecoupdufeud’artifice

Page 43: Blondin - Exultet

Unsingeauxbainsdemer

14-Jean-PaulBelmondo,unfidèleparmilesfidèlesAntoineauraitpujouersonproprerôle

UnCourrierpleind’histoires

15-LesSavy,proprietairesduCourrierdeLyonSesbellesrésolutionss’envolaient!…

16-Caviglioli,grand-reporteràCombatetauNouvelObsLespiedsdanslechampagne!

17-JulietteGréco,lavoisinedelaruedeVerneuilIlétait,quandmême,d’uneautreplanète!

18-Blondin-GainsbourgsurfonddeVerlaine-RimbaudAupanthéondurugby

19-AndréBoniface,princed’Ovalieetgardiendutrésor

Antoine,c’étaitle3efrère!

20-PierreAlbaladejoetJeanGachassinDeuxdemisbienservis

21-Jean-PierreRives,lerelayeurdeGuyBoniLamagied’Antoine

22-Symbadrencontresongrand-pèreMaintenant,jel’appelleAntoine…

Page 44: Blondin - Exultet

Achevéd’imprimerparXXXXXX,enXXXXX2016N°d’imprimeur:

Dépôtlégal:XXXXXXX2016

ImpriméenFrance