Blanchiment Des Dents

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LOUVAIN MED. 119: S481-S489, 2000. S481 Aujourd’hui, nos patients n’exigent plus seulement que leurs dents soient fonction- nelles et bien alignées, ils les veulent «blanches». Les possibilités techniques d’éclaircissement des dents sont nombreuses: procédures physico-chimiques et recouvre- ments prothétiques sont très fréquemment utilisés. Pour bon nombre de dyschromies, un éclaircissement physico-chimique peut être envisagé grâce à des techniques différen- ciées en fonction de l’intensité de la colora- tion et du nombre de dents atteintes. Il faut distinguer deux types de demandes: d’une part celles qui sont liées à la présence d’une réelle dyschromie: les dents présentent une teinte s’écartant manifestement de la «blancheur» normale. D’autre part, celles des patient(e)s voulant éclaircir leurs dents alors qu’elles présentent une teinte normale, mais jugée trop sombre. Encouragées par les revues de mode, la TV, etc., elles souhaitent recourir à des techniques de blanchiment ou LA MODE DU BLANCHIMENT DES DENTS EST-ELLE SANS DANGER? J. VREVEN 1 Mots clefs: discolorations dentaire, esthétique,blanchiment dentaire RÉSUMÉ Les patients consultent de plus en plus fréquemment leur dentiste pour améliorer l’esthétique de leurs dents. La demande peut concerner l’amélioration de dyschromies vraies dues à la fluorose, aux tétracyclines ou à des malformations. Cependant, c’est l’éclaircissement de dents normales, encouragé par nombre de revues, féminines en particulier, qui est le plus fréquemment recherché. La méthode généralement utilisée consiste à porter la nuit, pendant deux à six semaines, une gouttière contenant du peroxyde de carbamide à 10%. La technique est utilisée depuis de nombreuses années sans complications générales. Le principal effet secondaire est une hypersensibilité de la dent aux stimuli externes. L’expérimentation animale a généralement donné des résultats favorables. Certaines ont suscité des inquiétudes, mais dans des conditions expérimentales ne reflétant pas les conditions d’utilisation habituelles. Cependant, ces résultats ont conduit le département de la santé britannique à interdire les préparations contenant plus de 0,1% de peroxyde d’hydrogène. En revanche, aux Etats-Unis, l’ADA a émis un avis favorable à l’utilisation de divers produits de blanchiment. En conclusion, la technique est utilisée par 91% des dentistes américains. La technique est efficace et peut être conseillée aux patients qui le souhaitent. Il faut éviter l’utilisation des systèmes permettant la perte massive du gel de blanchiment et donc son ingestion. La technique doit donc impérativement être supervisée par un praticien afin de confirmer l’indication, préparer les dents au traitement (détartrage, polissage), contrôler les effets secondaires, faire confectionner des gouttières parfaitement adaptées, choisir le produit adéquat. 1 Professeur à l’UCL. PATD, EMDS, 15, avenue Hippocrate, 1200 Bruxelles.

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Aujourd’hui, nos patients n’exigent plusseulement que leurs dents soient fonction-nelles et bien alignées, ils les veulent«blanches». Les possibilités techniquesd’éclaircissement des dents sont nombreuses:procédures physico-chimiques et recouvre-ments prothétiques sont très fréquemmentutilisés. Pour bon nombre de dyschromies,un éclaircissement physico-chimique peutêtre envisagé grâce à des techniques différen-ciées en fonction de l’intensité de la colora-tion et du nombre de dents atteintes.

Il faut distinguer deux types de demandes:d’une part celles qui sont liées à la présenced’une réelle dyschromie: les dents présententune teinte s’écartant manifestement de la«blancheur» normale. D’autre part, celles despatient(e)s voulant éclaircir leurs dents alorsqu’elles présentent une teinte normale, maisjugée trop sombre. Encouragées par lesrevues de mode, la TV, etc., elles souhaitentrecourir à des techniques de blanchiment ou

LA MODE DU BLANCHIMENT DES DENTS EST-ELLE SANS DANGER?

J. VREVEN1

Mots clefs: discolorations dentaire, esthétique,blanchiment dentaire

RÉSUMÉ

Les patients consultent de plus en plus fréquemment leur dentiste pour améliorerl’esthétique de leurs dents. La demande peut concerner l’amélioration de dyschromiesvraies dues à la fluorose, aux tétracyclines ou à des malformations. Cependant, c’estl’éclaircissement de dents normales, encouragé par nombre de revues, féminines enparticulier, qui est le plus fréquemment recherché. La méthode généralement utiliséeconsiste à porter la nuit, pendant deux à six semaines, une gouttière contenant du peroxydede carbamide à 10%. La technique est utilisée depuis de nombreuses années sanscomplications générales. Le principal effet secondaire est une hypersensibilité de la dent auxstimuli externes. L’expérimentation animale a généralement donné des résultatsfavorables. Certaines ont suscité des inquiétudes, mais dans des conditions expérimentalesne reflétant pas les conditions d’utilisation habituelles. Cependant, ces résultats ont conduitle département de la santé britannique à interdire les préparations contenant plus de 0,1%de peroxyde d’hydrogène. En revanche, aux Etats-Unis, l’ADA a émis un avis favorableà l’utilisation de divers produits de blanchiment. En conclusion, la technique est utilisée par91% des dentistes américains. La technique est efficace et peut être conseillée aux patientsqui le souhaitent. Il faut éviter l’utilisation des systèmes permettant la perte massive du gelde blanchiment et donc son ingestion. La technique doit donc impérativement êtresupervisée par un praticien afin de confirmer l’indication, préparer les dents au traitement(détartrage, polissage), contrôler les effets secondaires, faire confectionner des gouttièresparfaitement adaptées, choisir le produit adéquat.

1 Professeur à l’UCL. PATD, EMDS, 15, avenue Hippocrate,1200 Bruxelles.

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d’éclaircissement des dents. Certains pro-duits d’éclaircissement (dentifrices, gels, etc.)peuvent être obtenus directement par lespatients (vente par correspondance, drogue-rie) et être appliqués sans contrôle.

Les médecins généralistes peuvent êtreinterrogés sur les risques inhérents à cesméthodes. Notre objectif est donc de déter-miner les inconvénients de ces techniquesafin de pouvoir conseiller les patients.

Une vive controverse s’est développée auRoyaume-Uni, à propos de la commerciali-sation d’un produit de blanchiment(Opalescence) destiné à être utilisé à domici-le, sous la supervision du dentiste (1). Surbase de certains tests réalisés sur l’animal, ledépartement du commerce et de l’industriebritannique (DTI) et le département de lasanté (DOH) ont décidé d’interdire la com-mercialisation du produit de blanchimentdéjà accepté au niveau de la communautéeuropéenne dans le cadre des directives surles dispositifs médicaux. C’est actuellementau niveau de la House of Lords que la déci-sion doit être prise.

Aux Etats-Unis, l’American DentalAssociation reconnaît l’utilisation de cettetechnique et a publié des recommandationsauxquelles doivent répondre les produits deblanchiment (2). Plusieurs fabricants ontreçu l’aval de l’ADA.

A l’heure actuelle, cette technique est uti-lisée largement sans autres conséquencesrapportées que les problèmes locaux. Latechnique est utilisée par 91% des dentistesaméricains.

ÉTIOLOGIEDES DIFFÉRENTES DYSCHROMIES

La dyschromie peut avoir des causes trèsdiverses: elle peut être partielle, touchant uneou plusieurs dents, ou totale si toutes lesdents sont atteintes.

Il existe deux types de dyschromies sui-vant le siège de la coloration:• celles d’origine externe ne touchant que la

surface de l’émail: les dyschromies extrin-sèques,

• celles d’origine interne dont les colorationsse trouvent alors principalement dans lesstructures amélo-dentinaires: les dyschro-mies intrinsèques.

LES DYSCHROMIES EXTRINSÈQUES

Elles sont dues principalement aux colo-rations des surfaces dentaires par la plaquedentaire colorée, le tartre, le tabac, le thé, cer-tains médicaments (chlorhexidine...), les pro-duits utilisés dans un environnement indus-triel (fer, manganèse, plomb, cuivre...) et pard’autres substances colorantes rencontréesdans la vie courante, notamment dans l’ali-mentation: fruits, vins, sodas... Ces colora-tions sont récidivantes, sauf changementradical d’habitude du patient.

Leur élimination est réalisée par le détar-trage, le polissage et le nettoyage. Mais cescolorations sont quelquefois difficiles à éli-miner, car elles peuvent avoir pénétré lesdéfauts naturels de la surface de l’émail.L’élimination quotidienne de la plaque et descolorations devra être réalisée grâce à destechniques d’hygiène buccale appropriées(brossage avec des dentifrices d’abrasivitéadéquate).

LES DYSCHROMIES INTRINSÈQUES

Elles sont intimement liées au complexeorgano-minéral de la dent et sont plus oumoins profondément incluses dans l’épais-seur de l’émail et de la dentine. Parmi lessources de colorations les plus fréquentes,rappelons l’importance de l’atteinte carieuse,

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des phénomènes liés à la nécrose pulpaire età certains traitements dentaires (amalgame,pâte d’obturation canalaire).

Parmi les autres origines possibles, ontrouve:• certaines maladies génétiques (amélogenèse

et dentinogenèse imparfaites)• des maladies congénitales, ainsi que • les conséquences des maladies ou des thé-

rapeutiques de l’enfant: ictère néonatal,maladies hémolytiques, porphyrie, atteinteinfectieuse, antibiotiques (tétracyclines),fluor...

Certaines de ces pathologies peuventatteindre les dents au cours de leur formationet créer des anomalies acquises permanentes.Elles se manifestent souvent par des colora-tions plus ou moins intenses qui peuvent êtreassociées à des altérations structurelles ausein des tissus dentaires calcifiés.

Parmi les dyschromies les plus fréquentes,citons:

Les colorations dues aux tétracyclinesLes colorations dues aux tétracyclines se

situent principalement à la jonction amélo-dentinaire et dans l’épaisseur de la dentine.Les dyschromies observées vont d’uneatteinte légère et uniforme jusqu’à des colo-rations très foncées et non uniformes.

Selon la dose, la durée de prise et le typede tétracycline, les dyschromies seront uni-formes ou en bandes, varieront du jaune ougris clair vers le brun ou le bleu-violet foncé.Les marbrures très saturées ne répondent pascorrectement aux techniques de blanchi-ment.

Du point de vue préventif, il faut éviter deprescrire des tétracyclines pendant la périodede formation des dents antérieures:• du 4e

mois in utero au 9emois après la nais-

sance pour les temporaires;• du 3

emois après la naissance à 7 ans pour

les définitives.

Les colorations dues aux fluorosesLa fluorose est due à l’ingestion de quan-

tités excessives de fluor pendant la période deformation et de calcification de l’émail.

Les colorations se présentent sous diversaspects selon la dose ingérée: quelques tachesou lignes blanches très localisées pouvantsecondairement se colorer en jaune ou brun,jusqu’à des modifications structurelles pro-fondes.

Quatre degrés existent dont seuls les deuxpremiers peuvent être traités par éclaircisse-ment.

AUTRES DYSCHROMIES INTRINSÈQUES

Les colorations intrinsèques peuvent êtreégalement la conséquence de traumatisme etde pathologies liées à la dégénérescence pul-paire.

Il existe également des causes iatrogènescomme les traitements canalaires malconduits.

Les phénomènes physiologiques duvieillissement assombrissent la teinte dentai-re originelle et rendent les dents plus jauneset plus foncées.

INDICATIONS DES TECHNIQUESD’ÉCLAIRCISSEMENT

On peut améliorer et supprimer les dys-chromies grâce à plusieurs techniques.

Certaines sont peu traumatisantes pourles tissus dentaires et relativement peu coû-teuses: ce sont les techniques d’éclaircisse-ment qui ont pour objectif de faire dispa-raître chimiquement les résidus colorésdisgracieux.

D’autres éliminent et/ou camouflent pardes matériaux opaques les dyschromies.

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Elles impliquent l’élimination plus ou moinscomplète du tissu coloré et son remplace-ment par des artifices prothétiques (porcelai-ne, porcelaine plus métal, composite). Ellessont assez agressives tant sur le plan des tis-sus que des finances.

La technique prothétique peut égalementfaire suite à une tentative d’éclaircissementne donnant pas entière satisfaction.

PRINCIPE DES TECHNIQUESD’ÉCLAIRCISSEMENT

Les techniques d’éclaircissement sontbasées sur la perméabilité de l’émail et de ladentine permettant la diffusion d’agents des-tinés à éliminer les colorants ou à les oxyder.

Ce sont presque exclusivement les oxy-dants qui sont utilisés: le perborate desodium, le peroxyde d’hydrogène et le per-oxyde de carbamide.

Les concentrations en produit actif vontde 3% de peroxyde d’hydrogène pour lesplus faibles jusqu’à 70% pour les plus agres-sives d’entre elles. Ces dernières ne sont plusrecommandées aujourd’hui.

Si la dyschromie est une coloration detype intrinsèque, il faut pénétrer l’épaisseurtissulaire, sans altération jusqu’au site de lacoloration. Pour les dents pulpées (vivantes),le traitement est obligatoirement fait par voieexterne (technique de blanchiment SURDENT «VITALE OU VIVANTE» (= BV).

Pour les colorations d’une dent dévitali-sée, c’est la voie interne, par la chambre pul-paire déshabitée, qui est utilisée (techniquede blanchiment «NON VITALE ou NONVIVANTE» = BNV).

C’est essentiellement sur les risques inhé-rents aux techniques de blanchiment surdents vivantes pouvant être utilisées à domi-cile par le patient, que le médecin généralisterisque d’être consulté. Nous aborderonsdonc essentiellement cette question.

ÉCLAIRCISSEMENTDES DENTS VITALES

TECHNIQUE

La méthode du port nocturne d’une gout-tière est la plus utilisée surtout parce qu’elle aprofité de la «promotion» insistante de nom-breuses revues féminines. Elle permetd’éclaircir des dents «jaunies» ou en tout casjugées trop foncées par le patient. Elleconsiste à porter, en général la nuit et pen-dant deux à six semaines, une gouttière adap-tée à la morphologie des dents, contenantune solution oxydante peu concentrée. Ilexiste plusieurs variantes dans la concentra-tion, la durée de contact et de port de la gout-tière.

La concentration habituelle de peroxydede carbamide est de 10% ce qui correspondà environ 3% de peroxyde d’hydrogène.L’incorporation de Carbopol® rend le maté-riau plus consistant et plus collant, réduit lalibération d’oxygène et permet son utilisa-tion pendant des périodes plus prolongéesdonc pendant la nuit.

La gouttière est fabriquée au laboratoirepar thermoformage sur la réplique d’uneempreinte des arcades dentaires. Elle doitêtre soigneusement adaptée à la morphologiedes dents tant pour la morphologie que pourla limite gingivale. Des réservoirs sont ména-gés au niveau des endroits où le blanchimentdoit être accentué. Cependant, avec les pro-duits en vente libre, les gouttières sont fabri-quées industriellement et donc mal adaptées.

La gouttière est tapissée de gel de blanchi-ment et placée en bouche pendant plusieursheures. Inévitablement, une partie de celui-cis’échappe et est avalée par le patient.Généralement la ou les gouttières sont por-tées pendant la nuit, mais rien n’empêche deles porter pendant la journée, en particulier sion souhaite réduire la durée du contact avecles dents.

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RISQUES

Les risques sont de deux ordres: ceux quisont liés au contact des produits avec les tis-sus dentaires et gingivaux; ceux qui sont liésà l’ingestion du produit.

C’est le peroxyde d’hydrogène et plusexactement les radicaux libres qui posentproblème. Sa toxicologie a été réexaminée endétail en 1993 par l’European Center forEcotoxicology and Toxicology of chemicals(ECETOC).

RISQUES LOCAUX

Hypersensibilité dentinaireUn des effets secondaires les plus fré-

quemment observés est l’hypersensibilitédentinaire caractérisée par des douleurs vivesaux stimuli thermiques, osmotiques (sucre)ou tactiles. De manière générale, cette sensi-bilité disparaît lorsqu’on arrête le traitement.La désensibilisation peut être accélérée parapplication de produits fluorés. Certainspatients abandonnent le traitement suite à ceteffet secondaire.

Effet des produits de blanchiment sur lestissus dentaires

Une réduction de la dureté de l’émail et dela dentine suite à l’utilisation de peroxyded’hydrogène a été observée (3). Ceci est lié àl’effet décalcifiant de la préparation utiliséequi présente un pH de 3.

Le collage des matériaux d’obturation auniveau des dents est moindre après le blan-chiment probablement suite à la présence debulles d’oxygène dans l’émail (4).

Effet des produits de blanchiment sur lestissus mous buccaux

Plusieurs études (5-7) ont évalué l’effet desgels de blanchiment sur la gencive, la langue,

les lèvres et le palais. Dans ces études, aucu-ne lésion sérieuse n’a été observée, à l’excep-tion de certaines lésions transitoires de lagencive, liées plutôt à la mauvaise adaptationdes gouttières qu’à l’utilisation du peroxydede carbamide.

D’autres effets secondaires ont été recen-sés: suite à la modification de la flore bucca-le, une hypertrophie des papilles linguales estparfois observée ainsi que des surinfectionspar Candida albicans (8).

RISQUES GÉNÉRAUX

Au cours de la première heure de port dela gouttière, environ 50% de la préparationest ingérée par le patient.

Des nausées, des sensations de sécheressebuccale, des desquamations de la muqueuseont été signalées. Le potentiel mutagène desradicaux libres libérés par le peroxyde d’hy-drogène ainsi que la potentialisation desagents carcinogènes reconnus ont été rap-portés (9). Pour cette raison, et égalementpour éviter les colorations extrinsèques, il estcontre-indiqué de fumer pendant la périoded’utilisation des produits de blanchiment.

Risques mutagènesLe risque mutagène du peroxyde d’hy-

drogène a été soulevé sur base de certainstests in vitro. Cependant, sur base des tests invivo, il ne semble pas y avoir de risquesmutagènes en cas d’utilisation des concentra-tions utiles du point de vue clinique (10).

Risques oncogènes

Études sur la sourisDes études chez l’animal, réalisées au

Japon par ITO et al. ont montré l’apparitionde tumeurs bénignes et malignes au niveaudu duodénum de souris exposées de manière

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continue à des doses de 0,1 à 0,4% d’H2O2

dans leur eau potable pendant des périodesallant jusqu’à cent semaines (11-13).

Les résultats de ces études ont été mis endoute par plusieurs auteurs, en particulier ilest reproché à l’expérimentateur d’avoir uti-lisé une variété de souris produisant de trèsfaibles doses de catalase au niveau du duodé-num, ce qui renforce considérablement l’ef-fet corrosif de l’eau oxygénée.

Études sur le ratITO et al. (14) ont donné six jours par

semaine pendant douze semaines par gavage,169 mg/kg d’eau oxygénée (ce qui corres-pond à l’ingestion par l’homme de plus de10 g d’eau oxygénée). Ils n’observent aucunemodification histopathologique.

Ultérieurement, Ishikawa et Takaya-ma (15) ont étudié les effets sur le duodénumde rats, de l’exposition à l’H2O2 de 0.3% ou0.6% dans l’eau de distribution pendant26 semaines. Ils n’observèrent aucunetumeur duodénale dans cette étude. Enrevanche, Dahl et Becher (16) conclurent quela présence de peroxyde d’hydrogène dansles systèmes de blanchiment dentaire pouvaitêtre hasardeux pour l’homme. Cependant,leurs études sont difficiles à interpréter parrapport à l’utilisation normale du peroxydede carbamide pour le blanchiment des dents.D’abord, la méthode d’administration partubage maximalise l’exposition de lamuqueuse gastrique en empêchant la dilu-tion par la salive ou les aliments; deuxième-ment, les effets irritants sont aussi extrême-ment transitoires (guérison en cours après24 h).

Selon Kelleher et Roe (17), l’expérimenta-tion de Dahl et Becher n’est pas significativede l’utilisation nocturne de système de blan-chiment. Elle ne fait en fait que confirmerl’effet corrosif des fortes concentrationsd’eau oxygénée sur les tissus avec lesquelselles entrent en contact.

D’autres études sur l’animal n’ont pas rap-porté d’effets systémiques ou locaux défavo-rables suite à l’utilisation des techniques deblanchiment à domicile, supervisées par ledentiste (18).

Études cliniquesAfin de pouvoir mettre en corrélation

l’expérimentation animale et les risques toxi-cologiques chez l’homme, il serait opportunde connaître avec précision les doses ingéréespendant le traitement. Malheureusement, ilexiste peu d’essais cliniques mesurant laquantité d’agent de blanchiment utilisée lorsde chaque application et surtout la propor-tion ingérée.

Une étude (19) a montré que moins de50% de l’agent de blanchiment était encoreprésent après une heure d’application.Haywood V.B., Heymann H.O. (20) ontestimé que la quantité de peroxyde de carba-mide ingérée était de 90 mg par application.Depuis lors la formulation de ces agents a étémodifiée. Les techniques actuelles de prépa-ration des gouttières ont permis une réduc-tion substantielle de la quantité utilisée lorsde chaque application.

Les quantités varient selon les produitsutilisés et le type de gouttière.

Dans les systèmes de blanchiment envente libre, des gouttières préfabriquées sontsouvent fournies. Elles sont très largementsurdimensionnées, ce qui requiert le place-ment d’une grande quantité de produits deblanchiment dans la gouttière. De plus, suiteà leur mauvaise adaptation, elles favorisentune grande perte de produit pendant la nuit.Ce type de technique n’est donc pas recom-mandable, mais elle est souvent choisie parles patients à cause de son faible coût.

Plusieurs études cliniques ont montrél’absence d’effets négatifs du système deblanchiment à domicile supervisé par desdentistes (21-24).

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ÉCLAIRCISSEMENT DES DENTSNON VITALES

TECHNIQUE

La technique de blanchiment des dentsdévitalisées se fait par la pose au cabinet den-taire de produits de blanchiment à l’intérieurde l’espace pulpaire. Les produits utilisés(peroxyde d’hydrogène à 35%, le perboratede sodium, le peroxyde de carbamide) sonten concentration beaucoup plus élevée. Ilssont placés dans un espace clos constitué parl’espace pulpaire, l’obturation canalaire etl’obturation coronaire provisoire. Il n’y adonc pas de risque d’ingestion sauf perteintempestive de l’obturation temporaire.

Cependant, si la concentration est élevée,la quantité est très faible. Ce sont donc lesrisques locaux qui doivent être pris en consi-dération.

La technique habituelle est la méthodeambulatoire. La solution de peroxyde d’hy-drogène est mélangée à du perborate desodium et scellée dans la chambre pulpairepermettant une activation lente durant plu-sieurs jours.

Le praticien doit prendre toutes les pré-cautions pour éviter les contacts accidentelsentre le peroxyde d’hydrogène et les tissusdu patient (gencive, visage, yeux) en utilisantles protections adéquates (champ opératoire,lunettes). Il doit également s’assurer que ladiffusion ne puisse se faire en direction del’extrémité de la racine en plaçant une pro-tection face à l’entrée du canal.

EFFICACITÉ

A court terme, cette technique est très gra-tifiante et l’on a réussi à obtenir un retour àla teinte des dents adjacentes dans 83 à 91%des cas. Le succès esthétique, malheureuse-ment, se détériore au cours du temps. Dans

les cinq années après le blanchiment, seule-ment 35 à 50% des dents restent esthétique-ment satisfaisantes.

Cette faible longévité peut être contreba-lancée par la répétition périodique de la tech-nique de blanchiment.

RISQUES

La complication du blanchiment non vitalla plus grave, mais heureusement peu fré-quente, est la résorption externe (résorptioninflammatoire de la racine). Quel que soit letraitement entrepris pour conserver la dent,la durabilité de la racine est compromise et saconservation à long terme douteuse.

Les risques de résorption augmentent si ladent a subi un traumatisme, si la libération deperoxyde est élevée (concentration, activa-tion par la chaleur), si la perméabilité denti-naire est augmentée.

CONCLUSIONS

La technique de blanchiment des dentsvivantes par port nocturne de gouttièrescontenant du peroxyde de carbamide à 10%est une technique efficace. Elle permetd’éclaircir les dents dans la majorité des cas.Cette technique est largement utilisée depuisde nombreuses années avec pour seul effetsecondaire local fréquent, une sensibilitédentinaire transitoire. Cependant, l’interpré-tation des résultats de l’expérimentation ani-male concernant les effets généraux dus àl’ingestion inévitable du gel pendant le portdes gouttières suscite encore des contro-verses. La plus manifeste se déroule enAngleterre où les produits contenant plus de0,1% d’H2O2 ont été interdits.

Les études cliniques ne montrent pas d’ef-fet toxique général. L’absence d’observationde troubles lors des millions de cas de blan-

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chiment réalisés de par le monde devraitnous rassurer. Il faut cependant que desrecherches plus approfondies déterminentles conditions optimales d’utilisation.

Pour réduire les risques d’ingestion, il faututiliser des produits de concentration etconsistance appropriées, ne pas prolongerleur période d’application et utiliser desgouttières parfaitement adaptées à la mor-phologie de l’arcade dentaire du patient. Ilfaut donc éviter de recourir aux systèmes envente libre présentant des gouttières stan-dard, non adaptées, favorisant l’écoulementdu gel et donc son ingestion. Outre la réali-sation de gouttières individuelles adaptées, ilexiste d’autres raisons pour préconiser lasupervision par un praticien: diagnostic de lacause de la discoloration, contrôle des éven-

tuels effets secondaires. Il avertira le patientde l’absence d’effet éclaircissant sur les res-taurations préexistantes et sur le risque dedevoir les remplacer. La forme, l’adaptationet l’épaisseur de la gouttière devront êtrechoisies en fonction du patient à traiter. Desprécautions particulières doivent être prisesen cas de restaurations étendues ou man-quant d’étanchéité, d’érosion cervicale, defêlure de l’émail ou de problèmes similaires.

La technique d’éclaircissement de dentsdévitalisées est réalisée au cabinet dentaire.De fortes concentrations de peroxyde d’hy-drogène peuvent être utilisées. Des précau-tions doivent être prises pour éviter lescontacts involontaires responsables delésions douloureuses. Le risque majeur est larésorption externe.

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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