Black mambo la danse eternelle des roseaux preview

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Sophie Dabat La danse La danse La danse La danse Eternelle des roseaux ternelle des roseaux ternelle des roseaux ternelle des roseaux

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Extrait de la Danse éternelle des roseaux, de Sophie Dabat, dans l'anthologie Black Mambo, aux éditions du Chat Noir

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Sophie Dabat

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Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine...

se trouvait une auteur à qui on a proposé d’écrire un texte sur les

légendes africaines au féminin. De préférence avec de la magie et des

trucs qui fichent la frousse.

Un grand merci donc à Cécile et Mathieu de m’avoir invitée à

participer à ce bel ouvrage, et de nous avoir accompagnées durant toute

sa genèse.

Un grand merci à mes nuits d’insomnie, aux cauchemars et aux

crises d’angoisse qui ont alimenté mon texte.

Un grand merci à Internet pour les recherches, à mon ordinateur

de ne pas avoir planté, et à la SNCF pour ses retards qui m’ont permis

de l’écrire et le corriger dans les temps.

Un grand merci à moi, sans qui cette histoire n’aurait pas vu le

jour – foin de la fausse modestie.

Bien sûr, un grand merci aux lecteurs qui auront le courage

d’ouvrir ces pages.

Et un grand merci à Vanessa pour sa finesse d'auteur comme

d'énergéticienne reiki, et à Morgane pour sa plume aussi étourdissante

qu'un Mojito.

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ChapitreChapitreChapitreChapitre 1111 Aujourd’hui, à Marseille.

La mère resserra sa prise sur son enfant et se remit à

courir. Ses poursuivants s’étaient rapprochés et elle entendait le bruit de leurs chaussures cloutées résonner derrière elle. Elle ne tiendrait plus longtemps, elle le savait, mais son dernier espoir résidait dans le poste de police qui se trouvait à la limite du quartier, trois pâtés de maisons plus loin. Si elle parvenait à atteindre cet asile, elle serait sauvée et sa fille avec elle. À présent, le fait qu’elle soit sans papiers, immigrée clandestinement trois ans plus tôt et travailleuse non déclarée était sans importance. Seules comptaient pour elle sa survie immédiate et celle de son bébé.

Soudain, elle trébucha sur une aspérité du béton et s’étala dans la ruelle mal éclairée. Elle n’avait pas lâché son fardeau et, se relevant avec difficulté, s’assura, avant de reprendre tant bien que mal sa course, de vérifier si le nourrisson n’était pas blessé.

Non. La fillette allait bien, écarquillant ses yeux sombres, sans comprendre le drame qui se jouait, simplement réceptive à la terreur de sa mère. Heureusement, elle ne s’était pas mise à pleurer, sinon leurs poursuivants les auraient tout de suite repérées. Déjà, ils avaient gagné sur elle et leurs ombres se profilaient à l’entrée du passage. Ils auraient vite fait de deviner que leur proie avait bifurqué dans l’étroit goulet qui la rapprochait de l’asile officiel.

Avec un regard terrifié en arrière, la femme repartit en boitillant, tentant d’oublier la douleur qui fusait dans ses pieds nus à chaque pas, d’ignorer la souffrance de ses genoux meurtris et écorchés par sa chute.

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Au loin, sur l’avenue, l’éclairage agressif des lampadaires lui apparaissait comme une promesse de protection, un abri lumineux qui la garderait éloignée des forces maléfiques qui en voulaient à elle et à son enfant, comme des vampires avides de leur sang.

Elle savait parfaitement quel serait leur sort s’ils les capturaient. Une mort atroce, terrible, précédée de souffrances innommables. Elle connaissait plusieurs personnes qui avaient disparu de la sorte, au pays, y compris dans sa famille, et dont on avait retrouvé les corps dans des états auxquels elle ne pouvait même pas penser sans avoir envie de vomir. Elle était prête à tout pour que sa fille ne subisse pas de telles horreurs. Quitte à mourir elle-même. Quitte à tuer.

Sa main se crispa sur son petit couteau. Ses poursuivants étaient presque sur elles, elle serra davantage sa lame entre ses doigts, tout en plaquant son bébé contre sa poitrine étique.

Quelle maigre protection contre ces mercenaires rompus à la traque et au combat ! Mais elle savait couper le cou d’un poulet et vider un cochon. Un être humain, ça ne devait pas être si difficile que ça à égorger. Si la vie de sa fille était en jeu, elle n’hésiterait pas.

Après une seconde de doute, elle se remit à courir et s’enfonça dans une ruelle. Mais ses poursuivants connaissaient mieux qu’elle les méandres de la grande cité qu’elle n’avait jamais eu le temps de parcourir, vaquant d’un petit boulot à l’autre pour survivre une journée de plus, et ils étaient équipés pour cette chasse nocturne. Lorsqu’elle avait fui, elle n’avait sauvé que son enfant, n’emportant avec elle que le boubou qu’elle portait au quotidien et qui lui rappelait le pagne traditionnel de son pays, et le couteau qui ne la quittait jamais. Elle entendit devant elle une cavalcade de pas et vit une silhouette obstruer la fenêtre lumineuse au

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bout de la rue. Elle était prise en tenaille. Derrière elle, les chasseurs s’approchaient, en face, d’autres inconnus lui bloquaient la seule issue. Dans son désespoir, elle continua sa course et vint se jeter dans les bras de ses ennemis.

*

À l’aube, les policiers qui venaient prendre la relève

dans le commissariat trouvèrent une vieille femme prostrée dans la venelle adjacente à leur bâtiment. Plus ridée qu’un pruneau sec, sa peau sombre ternie par l’usure et les cheveux grisonnants, sans papiers, elle ne portait sur elle que des haillons boueux et serrait dans ses bras les restes mutilés d’un enfant.

Les agents, pourtant aguerris et habitués à des scènes de violence quotidienne, furent écœurés lorsqu’ils s’aperçurent que le bébé d’à peine six mois avait été écorché, démembré et vidé de son sang. Lequel avait disparu, probablement emporté par ses bourreaux, puisque même si les hardes de la femme en affichaient de grandes traînées, il n’y en avait pas assez. Certains policiers durent reculer devant la boucherie. Un jeune aspirant commit l’erreur d’inspirer à fond pour essayer de maîtriser les haut-le-cœur qui menaçaient de le submerger à ce spectacle. Mauvaise idée, les relents de sang, d’intestins et de fèces achevèrent de le rendre malade et il se plia en deux, de longues fusées de bile et de café à moitié digéré éclaboussant le sol à ses pieds.

Seule une femme ne recula pas. Les poings serrés, les lèvres crispées, elle contemplait la

rue avec une expression qui, loin d’afficher du dégoût, témoignait d’une rage à peine contrôlée. Si sa peau n’avait pas été d’une couleur caramel profond, elle aurait certainement été blême de fureur, mais des plaques violacées, sur ses hautes pommettes, indiquaient que son

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calme apparent n’était dû qu’à un immense effort de volonté.

― Putain, Poirier, va dégobiller ailleurs que sur ma scène de crime ! lança-t-elle avec colère au jeune officier en le voyant continuer de cracher tripes et boyaux juste à côté des corps.

Il ne parut pas l’entendre et elle adressa un signe à son coéquipier.

― Vanberg ! Emmène-le dégueuler son Chocapic plus loin avant que je lui foute le nez dedans pour lui apprendre !

L’autre secoua la tête avec bonhomie. ― C’est bon, Gigi, calme-toi ! On a tous été des bleus,

un jour ou l’autre. Je suis sûr que t’as bien dû gerber sur un cadavre en début de carrière, sauf qu’on n’était pas là pour t’applaudir, marmonna-t-il néanmoins, un air dégoûté durcissant ses traits empâtés alors qu’il saisissait leur collègue par le coude et l’entraînait sur le côté.

Le capitaine Hlengiwe Dilaniti secoua la tête. Non, elle n’avait jamais vomi dans l’exercice de ses fonctions. Jamais. Pas même devant des scènes aussi gores que celle-ci.

Elle avait vu pire, longtemps auparavant. Bien pire. Rien n’égalerait jamais ce à quoi elle avait assisté alors qu’elle n’avait pas dix ans.

Son regard se reporta sur les deux dépouilles qui attendaient l’arrivée du médecin légiste. La femme s’était accrochée à l’enfant comme si elle espérait lui rendre vie par la chaleur de son corps. Malheureusement, il ne restait plus grand-chose à réchauffer. Les petites mains avaient disparu, ainsi que les minuscules pieds. Des membres, il ne subsistait plus que des tronçons, proprement découpés au niveau des articulations les reliant au buste. Le visage avait été écorché, un trait écarlate net courant le long de la ligne de fins cheveux, à peine un duvet de bébé.

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D’après l’aspect des blessures, les incisions avaient été faites après que le nourrisson avait été vidé de son sang. Les plaies étaient rouges et luisantes, comme si les pulsations d’un cœur les avaient encore irriguées, mais qu’il n’y avait plus rien eu à pomper.

Hlengiwe – « Gigi », pour ses collègues européens, qui avaient toujours eu du mal à prononcer son vrai nom – se pencha en avant, respirant avec prudence. Au fur et à mesure des minutes, les relents de fèces et de chair décatie se faisaient plus forts, témoignant d’une décomposition qui ne ferait qu’accélérer lorsque le soleil serait complètement levé.

Le nourrisson était blotti contre sa porteuse, presque en position d’allaitement, même si les vieux seins en gants de toilette n’auraient jamais pu assurer la subsistance d’un bébé. Malgré la croûte de sang qui masquait le gros des blessures, elle pouvait voir un trou, dans le petit dos. Les vertèbres. On lui avait prélevé les cervicales. Elle secoua la tête. Pas besoin d’attendre le légiste pour savoir que, quand ils sépareraient l’enfant de la mère, ils découvriraient que son cœur, son estomac et ses organes génitaux manquaient à l’appel.

Elle ne doutait pas que la femme présenterait elle aussi des ablations correspondantes. Les reins, peut-être, les poumons et le foie. Voire l’utérus, même si d’habitude, ceux des vierges étaient plus prisés. Pourquoi, d’ailleurs, les tueurs avaient-ils choisi cette aïeule ? Généralement, plus la victime était jeune, mieux c’était. Il leur fallait des proies en bonne santé, pleines d’énergie, vivantes, pas un croûton pareil. Par contre, le nourrisson...

― Saloperie de muti... marmonna-t-elle. Même ici... Elle se redressa. Sa botte heurta le pied de la femme et

elle lui adressa un regard contrit, comme pour lui demander pardon. Puis elle plissa les yeux et se figea.

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Quand elle l’avait touchée, la dépouille n’avait pas réagi comme prévu. Pas de rigor mortis. Pas d’impression de taper dans un tronc d’arbre. C’était parfaitement possible, tout dépendait de l’heure de sa mort et de la température ambiante, la rigidité cadavérique pouvait ne pas être encore installée, ou avoir déjà disparu, s’il avait fait chaud, cette nuit. Mais le membre n’avait pas non plus fait preuve de la mollesse caractéristique des défunts. Il avait affiché la souplesse de quelqu’un d’endormi.

Elle se pencha en avant et inspecta le visage de la vieillarde.

Les pommettes étaient proéminentes et tendaient la peau desséchée; l’ossature avait été plutôt ronde, le menton effacé, même si une vie de dur labeur l’avait patiné. Le nez était petit et retroussé. Les lèvres racornies arboraient toujours les restes d’une moue plus large. Autrefois, dans sa jeunesse, elle avait dû être belle. Aujourd’hui, le sang s’accumulait dans les crevasses de ses rides et lui dessinait un masque effrayant.

Hlengiwe se rapprocha encore plus et tendit la main en direction de la bouche et des narines. Un peu plus loin, ses collègues la regardaient d’un air surpris. Ils avaient l’habitude des bizarreries de leur capitaine, qui ne répugnait pas à toucher les cadavres, subissait sans broncher les pires visions et assistait systématiquement aux autopsies sans avoir besoin de se protéger le nez. Mais d’habitude, elle ne restait pas non plus plantée là à contempler un corps comme si elle admirait la Joconde.

Hlengiwe effleura la peau. Puis elle se releva d’un bond et pivota. ― Appelez les pompiers ! Cette femme est vivante ! Aussitôt, un véritable branle-bas de combat se forma.

Ce n’était plus un « simple » meurtre. Il y avait une vie à

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sauver. Un témoin susceptible de décrire ses agresseurs, de fournir une piste.

Les ambulances arrivèrent en moins de dix minutes. Entre-temps, la vieillarde s’était réveillée. Quand elle découvrit le visage de Hlengiwe penché sur elle, elle se mit à hurler.

C’est là que l’officier de police s’aperçut qu’elle avait eu la langue arrachée.

*

Aujourd’hui, au Swaziland.

― Ce n’est pas possible, beugla le commandant Dube à

l’attention de son subalterne qui se tenait raide comme un piquet de l’autre côté du bureau de son supérieur. C’est notre troisième de la semaine ! Déjà que nous peinons à gérer nos cinquante meurtres rituels par an, s’il y en a trois fois plus, notre brigade est foutue !

Le capitaine Sooti se retint de hausser les épaules. De toute façon, l’unité des crimes occultes était plus un

mal qu’un bien, à ses yeux. Cette section spéciale ne parvenait que rarement à

remonter à la source des crimes. Retrouver les assassins était encore possible, bien qu’il faille souvent compter sur le hasard pour réussir une capture : en général, les tueurs appartenaient à l’entourage immédiat des victimes. Il suffisait donc d’identifier celles-ci – ce qui n’était pas toujours facile quand il manquait la tête, les mains, les pieds et bon nombre des organes des cadavres – et de fouiller dans leurs proches et familles. On trouvait parfois, dans la maison d’un oncle ou d’un cousin, des bocaux à confitures emplis de testicules, des marmites où bouillaient des membres coupés, des conserves de globes oculaires séchés ou des

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congélateurs bourrés de reins, de vertèbres, d’utérus ou de langues. Mais lorsqu’il s’agissait de remonter jusqu’à leurs commanditaires, les sangomas, qui étaient les véritables assassins – puisque c’était eux qui réclamaient des victimes et spécifiaient les parties de corps nécessaires à leurs infâmes concoctions – l’affaire se compliquait : bien souvent, les criminels de base ne connaissaient pas le nom de leurs patrons. Ceux-ci ne se montraient que derrière la protection de masques rituels et entretenaient avec soin leur anonymat. Dans la rue, sur les marchés, trouver des revendeurs de poils d’antilope, de queues de lézard et de couilles de babouin était facile, mais tous devenaient muets quand on leur demandait d’identifier leurs collègues susceptibles d’utiliser des ingrédients moins... orthodoxes. La plupart du temps, la question était accueillie par un visage de marbre et un changement immédiat de sujet, ou par un petit sourire complice suivi d’un « c’est pas à nous qu’il faut demander ça, on n’a jamais entendu parler de ça » qui mettait tout aussi bien terme à la conversation.

Les sangomas étaient intouchables. Craints et vénérés du peuple comme de leurs victimes, protégés par leurs fidèles et la tradition, hermétiques à toute technologie ou administration, ils ne représentaient que des fantômes au sein de la communauté swazie. Des spectres dangereux, omniprésents, presque omnipotents. Des revenants issus du passé. Des dinosaures survivants d’une époque révolue, qui perpétuaient leurs coutumes barbares, empêchant le pays de se tourner vers l’avenir.

Le commandant Dube scruta son subalterne encore un instant avant de renoncer. Visiblement, il ne servait à rien d’argumenter une fois de plus de l’utilité de sa brigade contre les crimes rituels, Sooti n’en serait pas plus convaincu.

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On lui avait imposé cet officier il y a déjà plusieurs années, et comme il faisait partie de l’immense famille régnante du Swaziland, toute rétrogradation ou mutation lui serait lourde de conséquences. Voire synonyme de fin de carrière, si ce n’est pire. Après tout, le premier ministre et ami d’enfance de Mswati III avait mystérieusement disparu quelques années plus tôt, lorsqu’une rumeur prétendant qu’il était devenu amant avec l’une des quatorze femmes du roi s’était répandue. Il avait été arrêté avant d’avoir pu prendre la fuite et emprisonné sans autre forme de procès, tandis que l’épouse coupable avait tout bonnement été chassée du palais. D’autres bruits couraient selon lesquels cette histoire d’adultère dissimulait tout simplement le fait que le dignitaire en question avait osé contredire son souverain et fait preuve de trop d’indulgence envers l’alliance démocratique, le principal parti d’opposition, que le monarque avait décrété illégal. En tout cas, que le sujet soit d’ordre politique ou privé, entrer en lutte – plus ou moins – ouverte avec le dictateur qu’était Mswati n’était pas une bonne idée. Donc quelle que soit l’opinion de Sooti à propos de la brigade, si son supérieur ne voulait pas qu’elle soit dissoute, il lui faudrait ménager son subalterne.

― Vous dites que vous n’avez rien, vraiment rien trouvé pour nous aider à remonter vers les coupables ? insista-t-il néanmoins.

Sooti secoua la tête. Dube poussa un profond soupir. ― Avez-vous au moins réussi à identifier les victimes ? Nouveau signe négatif, cette fois un peu plus sec. Le

capitaine se lassait. Dube savait que l’autre guignait son poste et que celui-ci ne représentait à ses yeux qu’un échelon de plus dans sa quête de pouvoir. Tandis que pour lui, l’unité des crimes occultes était son bébé. Son œuvre. Il avait bataillé durant des années pour pouvoir la créer et, malgré son faible taux de réussite, chaque victime identifiée,

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chaque tueur capturé, chaque sangoma écroué, était une petite victoire, un pas de plus vers la purification de sa patrie. Alors, il ne laisserait pas cet intrigant détruire tout ce qu’il avait construit.

Il pinça les lèvres. ― Je ne comprends pas. Tous les pays d’Afrique font

appel à nous pour résoudre leurs crimes. Nous avons un accord avec l’Angleterre et la plupart des gouvernements d’Europe depuis qu’on a élucidé leur histoire d’enfant retrouvé dans la Tamise, l’année dernière... Mais on n’arrive même pas à rendre justice à nos propres morts, c’est impensable ! (Il lança un regard noir à son subordonné.) Écoutez, Sooti. Je sais que vous êtes un bon élément, vous faites de votre mieux. Alors je vous demande de dépasser ce mieux. Cherchez les familles, écumez les marchés et lieux publics, questionnez les gens, les passants, arrêtez les petits trafiquants de produits traditionnels et menacez-les, s’il le faut. Mais je veux que nous mettions fin à cette recrudescence de crimes. Et puis, pensez à la renommée que ça nous vaudra si nous mettons la main sur les coupables. Je suis sûr que ça remonterait jusqu’aux plus hautes sphères et nous en tirerions tous avantage. Alors, foncez, mon grand, c’est bien entendu ?

L’autre hocha la tête, toujours sans dire un mot. Sooti n’était pas un beau parleur. En général, il n’avait

pas besoin d’ouvrir la bouche pour se faire comprendre ; tout le monde savait qui il était et s’empressait d’accéder à ses moindres désirs. Mais la technique de son chef, la carotte et le bâton, avait fonctionné et son air ombrageux avait cédé la place à une expression de motivation presque convaincante.

Dube ne s’y laissa pas prendre. Sooti n’en avait toujours rien à battre des victimes et de leur triste sort, mais dans l’espoir d’une éventuelle prime ou promotion, il ferait son

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boulot, et il le ferait bien. Et son sang royal lui ouvrirait certainement des portes auxquelles d’autres officiers n’auraient pas eu accès.

Une fois son capitaine sorti, il consulta à nouveau les dossiers que Sooti avait déposés sur son bureau.

Trois meurtres. Trois cadavres d’enfants. Violés. Mutilés. Dépecés. Et autant de vieillardes, elles aussi assassinées, mais

sans qu’on leur ait pris autre chose que la vie. Il secoua la tête devant les photos sordides qui

hanteraient ses nuits, rejoignant la collection de toutes celles qui s’affichaient sur l’écran de ses paupières dès qu’il s’allongeait.

Il retrouverait les coupables. Il était prêt à tout pour y arriver et il réussirait. Même s’il lui fallait cajoler Sooti, le menacer ou lui lécher encore les bottes, il mettrait ce fils de pute à profit jusqu’à ce qu’il lui soit enfin utile.