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Le livre« Je t'attends Morphir ».

Personne n'a oublié le message du roi Harald adressé àBjorn à la fin de Bjorn le Morphir. Un message aussi énig-matique qu'inquiétant. Quel genre de mission allait doncêtre confiée au jeune Viking ? Elle a de quoi faire frémir.Le souverain lui ordonne de descendre au fond de la terreafin d'arracher son fils, le prince Sven, à la cruelleMamafidjar, reine des enfers. Cela n'a rien d'une prome-nade de santé, même pour un morphir aux pouvoirs ex-ceptionnels.

Heureusement, Harald encourage Bjorn à s'entourerde compagnons de son choix. Un guerrier au coeur ten-dre, une fiancée pleine de fougue, un demi-hirogwar, unechèvre et un bébé dragon souffreteux feront donc partiedu voyage.

Lors de cette descente aux enfers, le jeune Viking vamettre à l'épreuve ses qualités de chef et se découvrir denouveaux pouvoirs insoupçonnés.

« Une fois de plus, Thomas Lavachery ne déçoit pasle lecteur [...]. L’histoire gagne en nuances et en profondeur, pour le plus grand plaisir du lecteur, qui attend encore la suite ! »

Ricochet

Prix Libbylit du Salon du livre de Namur (2005)Prix Sorcières (2006)

Prix des Jeunes Dévoreurs de livres (2006)Prix du festival de Cherbourg (2010)

L’auteurVoyager, Thomas Lavachery connaît. Son métier de ci-néaste et d’ethnologue l’a mené aussi bien au Yunnan, en

Chine, que sur l’île de Pâques, où son grand-père a mené une missionarchéologique en 1934. Mais avec Bjorn le Morphir, Thomas entraîneses lecteurs plus loin encore, jusqu’aux frontières de son imagination,au pays des grands froids, des demi-trolls qui zozotent, des loups-ga-rous et des papillons grignoteurs de cadavres…

Thomas Lavachery

Bjorn auxenfers1. le prince oublié

l’école des loisirs11, rue de Sèvres, Paris 6e

À Nathalie, avec mon amour

Bjorn aux enfers I est la deuxième partie d’un long récitdatant du XIe siècle – la seule autobiographie vikingconnue à ce jour.

Dans Bjorn le Morphir, le premier volume, Bjorn nousracontait comment le garçon malingre et peureux qu’ilétait se transforma en un merveilleux combattant. Unemétamorphose qui est la marque distinctive d’une cer-taine classe de héros, la plus rare : les « morphirs ». Lelivre relatait également la manière dont Bjorn et les sienséchappèrent à une neige maléfique qui voulait engloutirles hommes et s’approprier leurs âmes pour l’éternité.

Les fiançailles de Bjorn avec la blonde Sigrid ont eulieu au mois de mai 1066. C’est alors que le roi Haralda appelé le morphir à la capitale pour lui confier uneobscure mission…

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JE PASSE MON CHEMIN

J’arrêtai ma monture au sommet d’une butte, élémentrarissime dans le paysage du Zifjord, autrement appeléla « province plate ». Mon compagnon me rejoignit ets’immobilisa à son tour, m’interrogeant du regard.

– Havërr, dis-je. C’est là que j’habite.À cinquante toises devant nous, la maison reposait

sur son îlot, ressemblant à une tortue endormie.On entendait le doux murmure de la rivière, et le

sabot d’un animal, chèvre ou mouton, qui résonnait surle sol pierreux. Tout était paisible, si paisible.

Je remarquai pourtant que le petit pont-levis don-nant accès à la maison était levé. Regardant plus atten-tivement encore, j’aperçus une barrière de pieuxpointus enfoncés dans l’eau. Elle faisait le tour de l’îlot,interdisant son accès. Cette disposition avait été prisependant mon absence.

En ces temps de guerre, des ennemis pouvaient sur-gir à tout moment, et je comprenais la prudence deshabitants de Havërr. Je l’approuvais d’autant plus queces habitants étaient ce que j’avais de plus cher aumonde : ma fiancée Sigrid, mes parents, mon frère et ma

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sœur, nos serviteurs et amis. Sans oublier mon petit dra-gon Daphnir, qui devait ronfler dans ma chambre.

– Partons, fis-je d’une voix empreinte de regret.Et nous nous éloignâmes de Havërr pour nous diri-

ger vers Koy, la ville des non-humains, où j’avais à faire.Nous chevauchions en silence, l’immense plaine

herbeuse s’étendant autour de nous comme une mercalme. De petits faucons rouges tournoyaient dans lesairs, scrutant le sol à la recherche de souris. D’autres,l’estomac plein, se reposaient sur des pierres, perçant lanuit de leurs cris satisfaits.

– J’ai rarement vu une telle quantité de ces diablo-tins à plumes, remarqua mon compagnon.

Je me contentai d’approuver d’un mouvement detête.

En arrivant à Koy, je fus surpris de trouver uneenceinte toute neuve, haute de vingt pieds. L’entrée enville se faisait à présent par une porte imposante, héris-sée de crânes fossiles aux dents de sabre.

J’allai toquer à la porte avec le manche de mon poi-gnard. Deux figures se montrèrent sur le rempart : l’une,énorme, affublée d’un casque à pointes, l’autre, petite,enfouie dans un turban.

– Un hirogwar, soufflai-je en me penchant vers moncompagnon.

– Lequel, la tête de châtaigne ou l’emmitouflé ?– L’emmitouflé.Les hirogwars, ces êtres au teint jaune, aux yeux

minuscules, dépourvus d’ongles et de cheveux, portentvolontiers le turban. Leur costume est d’ailleurs fait de bandes de tissu crasseuses et interminables, dont ils

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s’enroulent le corps jusqu’à ressembler à de vieux chif-fons ambulants.

– Et l’autre est un troll, ma main à couper ! opinamon compagnon. Je sens l’odeur jusqu’ici.

– Qui êtes-vous à cette heure ? s’enquit l’hirogwardu haut de son perchoir.

– Qui êtes-vous à zette heure ? répéta la grosse têteà pointes.

Ce zézaiement caractéristique confirma ce que nousavions deviné déjà : le second gardien était un troll.

– Je suis Bjorn fils d’Érik, dis-je d’une voix tran-quille.

– Bjorn de Havërr ? demanda l’hirogwar.– Lui-même.Les deux gardiens disparurent, et nous entendîmes

des chuchotements qui durèrent un certain temps. J’es-pérais qu’on nous ouvrît bientôt, mais non. Quand leturban et le casque à pointes se montrèrent de nouveau,ils n’avaient pas quitté le rempart.

– Et l’autre, z’est qui ? voulut savoir le troll en bran-dissant une lanterne, assez inutile d’ailleurs, en cette nuitd’été presque aussi claire que le jour.

Mon compagnon s’avança dans la lumière de lalampe, qui fit flamboyer sa toison rousse.

– Je suis Ketill le Rouge, membre de la horde royale.Ouvrez, c’est un ordre !

L’ordre en question n’eut aucun effet.– Nous avons rendez-vous avec l’armurier Benok,

déclarai-je. Je viens chercher une épée.– Benok, c’est mon cousin ! s’exclama l’hirogwar.

Mon cousin par ma mère.

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– Enchanté de l’apprendre, gronda Ketill, qui com-mençait à s’impatienter. Ouvrez à présent !

Les deux têtes s’éclipsèrent une seconde fois. Il y eutun silence, suivi d’un long dialogue murmuré qui res-semblait à une dispute.

Tout à coup, l’hirogwar surgit seul sur le rempart,comme un diable d’une boîte.

– Menteur, Benok ! hurla-t-il d’une voix perçante.Voleur, Benok ! Ma fiancée, tu me l’as prise. C’est moiqu’elle aimait, et t’es arrivé avec ta guitare et ton souriremielleux. Tes cadeaux. Voleur d’amour, va ! Chapardeurde fille !

Certains hirogwars souffrent d’une maladie curieuse.Vous parlez de quelqu’un devant eux, et soudain leurcerveau déraille. Les voilà qui vous confondent avec celuiou celle dont vous venez de prononcer le nom. Pour peuque cette personne soit leur ennemi – et les hirogwarsont beaucoup d’ennemis –, ils se mettent à vous injuriercomme du poisson pourri.

– Honte sur toi ! hurlait le petit gardien en me fusil-lant de son regard de souris.

Il se mit à me jeter des pierres, de grosses pierrescapables d’assommer un ours. Le troll se précipita surlui pour le calmer.

– Voilà que za recommenze. Il ne faut zamais dire lenom de zon couzin en za prézenze, zamais.

– Tu brûleras en enfer, Benok ! Tu seras cuit et recuit,tournebroché ! Et j’achèterai des places à Mamafidjarpour assister à ton supplice ! Séducteur, va !

Mamafidjar, reine des enfers… Ce nom me fit frémir,et j’avais de bonnes raisons pour cela.

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Le troll avait beaucoup de mal à maîtriser son col-lègue haut comme trois pommes. En d’autres circons-tances cette scène m’aurait fait rire. Mais là j’étaisfatigué, préoccupé, et je voulais sans tarder entrer danscette maudite ville de Koy. À côté de moi, Ketill mon-trait les signes d’une furieuse exaspération. Il tira forte-ment sur les rênes de son cheval. La bête se dressa detoute sa hauteur et retomba en donnant des pattes avantdans la porte de la ville. Le fracas fut terrible et, à notreimmense surprise, la porte s’ouvrit toute grande. Jepense que nos deux gardiens ne l’avaient même pas fer-mée, ou alors très mal.

Nous entrâmes dans Koy au petit galop, tandis quedes lumières s’allumaient dans quelques maisons alen-tour : le bruit avait réveillé du monde.

– Aux enfers, tu brûleras ! glapissait l’hirogwar dansmon dos.

– Zela zuffit à prézent !On entendit un choc. Sans doute le troll venait-il

d’assommer son tonitruant collègue.– Bravo l’ami, lança Ketill en guise d’adieu.Bientôt nous pénétrâmes dans les rues sombres du

quartier nord, celui des artisans. Le calme y régnait enapparence, ainsi qu’un mélange d’odeurs variées : cuirbrûlé, résine, soufre… De nombreuses demeures sor-taient des fumées très noires ou très blanches, et l’oreilleexercée percevait des bruits sourds, d’imperceptiblesgrondements. À certains endroits, le sol tremblait légère-ment.

– Qu’y a-t-il derrière ces façades ? voulut savoir Ketill.Les ateliers du diable ?

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– Des ateliers tout court, dis-je en m’arrêtant devantune maison à sept étages, haute comme un sapin de centans.

C’était là qu’habitait Benok l’hirogwar, le célèbrearmurier.

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UN NID D’HIROGWARS

Je tenais à mon épée Mordeuse comme à la prunelle demes yeux. Elle m’avait été offerte par mon père ; avecelle j’avais affronté un monstre de glace et, selon lestermes du roi Harald lui-même, « donné une leçond’escrime au prince Dar », le meilleur combattant de sagénération.

Mordeuse avait résisté à des assauts terribles, s’étaitcomportée comme la plus vaillante des armes. Et puis,un jour de juillet 1066, elle s’était brisée en deux. L’acci-dent avait eu lieu pendant que je m’exerçais au combatavec mon frère Gunnar.

– Z’est incompréhenzible ! s’était écrié mon ami ledemi-troll Dizir en apprenant la nouvelle.

– Étrange, avait dit mon père.Le jour même, j’étais allé porter mon épée à Koy,

chez Benok.– Peu importe le prix, il faut me la remettre en état,

avais-je ordonné.– Pourquoi ne pas en prendre une autre ? s’était

étonné l’armurier. Tu es un guerrier de grande valeur,Bjorn : tu mérites mieux.

– Je veux Mordeuse et aucune autre.

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– Le client est roi, comme on dit. Reviens dans unmois.

Un mois jour pour jour après cette entrevue, je metrouvais devant la porte du grand armurier. C’est lui-même qui nous ouvrit.

– Je t’attendais, Bjorn fils d’Érik.Benok avait une voix douce et des manières distin-

guées. Chose étonnante pour un hirogwar, il s’habillaitavec un raffinement simple. Tunique de soie noire, pan-talon de velours sombre : rien à voir avec les superposi-tions à la mode chez ceux de son peuple.

– C’est toi, Benok, grogna Ketill sans même direbonjour. Eh bien, tu as un drôle de cousin à la porte dela ville, laisse-moi te le dire. Un vrai fou ! Il a confonduBjorn avec toi, Dieu sait pourquoi, et s’est mis à nousinjurier et à nous lancer des pierres. Parlez-moi d’unaccueil !

– Il me déteste parce que j’ai épousé celle qu’ilaimait, dit Benok. C’est un pauvre garçon.

Il nous introduisit dans un salon minuscule et pro-pret. Des armes de toutes sortes, épées, haches, lances,arcs et boucliers, ornaient les murs et même le plafondbas. Elles étaient si bien astiquées qu’on avait l’impres-sion qu’elles diffusaient de la lumière.

– Mon épée est-elle prête ? demandai-je.– Certes. Seulement elle n’est pas la seule à t’attendre

dans ma maison.– Comment cela ?Sans répondre, Benok tira sur un fil qui pendait près

de la porte ; on entendit une clochette tinter dans uneautre pièce. Une femme troll entra peu après.

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– Sigoune, dit Benok, tu donneras un repas et de labière au miel à ce seigneur aux beaux cheveux.

Ketill sourit d’aise en entendant ce compliment qu’onlui faisait, car sa toison de feu était sa plus grande fierté.

– Pendant ce temps, Bjorn et moi allons faire un touraux étages, annonça Benok en saisissant une bougie.

Sa figure de musaraigne affichait un sourire mysté-rieux.

La maison de l’armurier était un dédale inimaginable.Les recoins, niches et autres placards y abondaient. Àchaque pas, je heurtais un corps endormi. Même lesmarches d’escalier servaient de couchettes à des gens. En passant dans les couloirs étroits, je jetais des coupsd’œil dans les chambres sans porte : chaque lit contenaitau moins cinq dormeurs. Je n’avais jamais vu autantd’hirogwars de ma vie.

– Tes ouvriers ? demandai-je à Benok tout bas.– Oh non, répondit-il. Mes ouvriers sont plus haut

et aussi plus bas.En fait, Benok utilisait sa fortune à héberger et nour-

rir les pauvres. Des hirogwars, il était le père, le bien -faiteur, et aussi, je l’appris plus tard, le chef incontesté.

Au quatrième étage, les pièces étaient un peu plusspacieuses. Des ouvriers y travaillaient même à cetteheure, devant de grandes fenêtres ovales. Il faisait si clairdans cette partie de la maison que Benok éteignit sabougie.

– Bonsoir les artistes ! lança-t-il à la cantonade.En entendant ces paroles chaleureuses, je me dis que

l’armurier devait être un bon maître pour ses ouvriers.Devant moi, des enfants hirogwars – je dis bien des

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enfants – s’employaient à dessiner les motifs que les for-gerons, dont les ateliers se trouvaient dans les caves, repro-duiraient en or et en argent sur les armes signées Benok.

J’imaginais toutes ces épées dont la lame s’orneraitd’un dragon étincelant, d’un fier drakkar… et le désirme prit d’en posséder un jour une pareille. Mais aussitôtje me reprochai cette pensée.

– Pardon ma Mordeuse, murmurai-je. Pardon mafidèle.

Je remarquai soudain que les ouvriers avaient cesséleur travail. Cela chuchotait dans tous les coins, et lesregards convergeaient vers moi.

Un enfant se leva ; il avait un air exalté qui me rap-pela ma fiancée Sigrid.

– Ce jeune homme qui t’accompagne, maître Benok,est-ce bien celui que je crois ? demanda-t-il.

– Je ne sais pas, répondit le maître avec un sourireamusé. Je ne suis pas dans ta tête, Hiro.

Quelques rires étouffés parcoururent l’assemblée. Ledénommé Hiro fusilla les rieurs du regard, puis setourna vers moi.

– Es-tu Bjorn le Morphir ?– Oui, répondis-je simplement.– Puis-je te poser une question ? Comment devient-

on un morphir ?Un profond silence régnait maintenant dans la pièce.

Je me sentais embarrassé, tout à coup. Ma réponse tarda àvenir.

– Pourquoi le morphir est-il le plus grand des héros, leplus fort guerrier ? interrogea Hiro d’une voix insistante.

– Je ne suis pas le plus fort guerrier, dis-je.

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Une envie de me trouver ailleurs me saisit alors,assortie d’une bouffée de mauvaise humeur. La fatiguedevait y être pour quelque chose.

Benok vint heureusement à mon secours.– Un morphir est un individu qui est d’abord très

faible et sans caractère, exposa-t-il. Une larve humaine,quoi ! Et puis, soudain, le miracle se produit. Par lavolonté des dieux, le voilà qui se transforme en un hérosinvincible. Tout le monde doit s’écarter sur son passage.

Benok fit une pause, histoire de marquer le coup.C’était visiblement un orateur d’expérience.

– Il y a beaucoup de grands guerriers dans l’histoirede notre pays, mais de tous nos héros, les morphirs sontceux qui ont accompli les actions les plus admirables. Ilsn’ont peur de rien ni de personne.

Je remarquai que les ouvriers me considéraientbizarrement. « Ce garçon timide aux épaules étroites, cegarçon-là serait donc un héros extraordinaire. C’est dif-ficile à croire.» Voilà ce que je lisais dans leurs pensées.Et je ne pouvais pas leur en vouloir : moi-même, biensouvent, je doutais de mes pouvoirs.

– Là où personne ne va, ils vont, poursuivit Benokd’un ton grandiloquent.

– Comme Snorri le Morphir ! s’exclama une petiteouvrière. Il est allé aux enfers et a pris tout un tas d’orà Mamafidjar.

– Comme Snorri, oui, confirma Benok.Il y eut un silence. La jeune ouvrière se tourna vers

moi.– Alors toi, Bjorn, tu étais une larve humaine sans

aucun caractère ?

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La question, posée très sérieusement, me déconcerta.Et je fus pris d’un soudain accès de rire.

– J’étais un asticot et je vivais dans une pomme, dis-je entre deux hoquets.

Bientôt la bonne humeur fut générale. Benok pritun tabouret et s’assit pour rire plus à son aise.

– Tu me plais, Bjorn ! me lança-t-il. Tu me plais beau-coup !

Le seul à ne pas s’amuser était Hiro, qui semblavexé par mon attitude. Reprenant alors mon sérieux,je m’adressai à lui sur le ton de la confidence :

– J’étais timide et j’avais peur du noir. Je n’osais pasmonter à cheval ni nager dans la mer. Je détestais mebattre et les autres enfants me tourmentaient. Et puis,vois-tu, un guerrier sans visage est venu me visiter dansmes rêves. Je l’ai affronté pendant des nuits entières. Ilétait terrible, méchant, sournois. Au début, il m’en fai-sait voir de toutes les couleurs, jusqu’au jour où c’estmoi qui ai pris le dessus. Depuis lors je suis un com-battant… assez valable.

– Voilà une modestie très exagérée, intervint Benok.Bjorn a déjà accompli de grandes choses. Bjorn est unchampion, mes enfants. Regardez-le bien, examinez-leattentivement, et vous verrez un beau, un magnifiquedestin qui s’annonce !

Ce discours enthousiaste me gêna un peu, c’est nor-mal. Mais je me sentis surtout flatté, grisé commejamais auparavant. Si l’on m’avait proposé d’affronter ungéant à mains nues, j’aurais dit oui tout de suite. Mafatigue et ma mauvaise humeur avaient disparu.

– Et maintenant, mes enfants, vous allez laisser

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Bjorn tranquille, dit Benok en se levant. Il a quelqu’unà voir.

J’eus l’impression que les ouvriers savaient bien dequi il s’agissait, car je surpris quelques sourires enten-dus, surtout chez les filles.

Dans l’escalier menant au cinquième étage, je m’abs-tins de poser la moindre question à Benok sur ce« quelqu’un » qui m’attendait. Mon hôte prenait plaisir àentretenir le mystère ; il ne m’aurait rien révélé à l’avance.

Je l’interrogeai plutôt sur ses ouvriers, dont la jeu-nesse m’avait frappé.

– Pourquoi fais-tu dessiner des enfants, maître Benok ?– Parce qu’ils me coûtent moins cher, répondit l’ar-

murier.– Ah.Benok me lança un regard malicieux.– Je plaisante, mon ami, dit-il. La vérité est que les

armes décorées de dessins d’enfants possèdent un pou-voir plus grand. Elles sont plus puissantes.

– Est-ce possible ?– Puisque je te le dis.La cage d’escalier était si étroite que mes épaules

touchaient les murs.– Hiro est-il doué ? interrogeai-je.– Tous mes ouvriers le sont, répondit Benok avec

fierté. Hiro est imbattable pour dessiner les dragons. Ilest obsédé par les dragons noirs.

– Comme mon frère Gunnar.Au cinquième étage, des femmes hirogwars et

quelques femmes trolls fabriquaient des fourreaux d’épée,des gaines de poignards en cuir, des carquois… Elles

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étaient très sérieuses et levèrent à peine la tête à notrepassage.

Nous continuâmes notre ascension. Jamais de ma vieje n’avais grimpé une telle quantité de marches.

– On s’y fait, me rassura Benok en m’entendantsouffler derrière lui.

Au sixième, l’armurier s’arrêta devant une porte fer-mée par un rideau. Il ralluma sa bougie à une torche aumur.

– Et maintenant, chut ! fit-il en écartant le rideautout doucement. Car elle dort à cette heure.

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Du même auteur à l’école des loisirs

Collection MÉDIUM

Bjorn le MorphirBjorn aux enfers, tome II : La mort du loup

Bjorn aux enfers, tome III : Au coeur du TanarbrokBjorn aux enfers, tome IV : La Reine bleue

Bjorn aux armées, tome I : Le jarlalBjorn aux armées, tome II : Les mille bannières

Bjorn aux armées, tome III : La reconquête

Ramulf (grand format)

C’est l’aventure ! (recueil de nouvelles collectif)

© 2005, l’école des loisirs, Paris, pour l’édition papier© 2017, l’école des loisirs, Paris, pour l’édition numérique

Loi n° 49.956 du 16 juillet 1949 sur les publicationsdestinées à la jeunesse : septembre 2005

ISBN 978-2-211-XXXXX-X 978-2-211-22796-4

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