Biographie John Bunyan

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  • PREMIRE PARTIEI

    PREMIERES FONDATIONS

    John Bunyan vit le jour le 30 novembre 1628, dans le cottage de Thomas Bonnion son pre, Elstow, comt de Bedford. Les Bonnion taient une des vieilles familles du pays. Les Anglais, trs friands de gnalogies et soucieux toujours de se trouver quelque racine dans la gnration de la Conqute, remontent volontiers de Bonnion d'o est sorti Bunyan Bon John et de l Bon Jean. C'est cependant problmatique. Thomas Bonnion orthographiait son nom Bonnion ou Bunyan, indiffremment.

    Thomas Bonnion tait chaudronnier de son tat. On sait de lui qu'il mit en terre successivement plusieurs pouses, en grande douleur ; mais que ne pouvant souffrir le long veuvage, il se remariait Invariablement un mois aprs les funrailles, au grand scandale des bonnes gens du pays. La mre de John tait Dame Bunyan, la deuxime du nom.

    Thomas tait pauvre artisan. Pour autant qu'il nous est possible d'en juger, il tait trs ponctuel dans les pratiques 'de la religion anglicane, la seule qu'autorist Sa Majest de Londres, et avait coeur de bien lever ses enfants.

    John devait crire plus tard : J'tais d'une extraction basse et dpourvue du moindre clat, la maison de mon pre tant des plus humbles du pays, sa famille des plus mprises... Je ne suis jamais all l'cole aux pieds d'Aristote ou de Platon, mais fus lev dans la maison de mon pre, dans les conditions les plus misrables, avec quelques pauvres paysans comme moi... Pourtant, je bnis Dieu de ce que, par cette porte, il m'a fait entrer en ce monde pour prendre part la grce et la vie qui est, par Christ, en son Evangile.

    La vie Elstow tait paisible bien qu' cette poque, l'Angleterre traverst une des priodes les plus tourmentes de son histoire. Le roi Charles 1er avait maille partir avec son Parlement ; Il devait mme, le moment venu, y perdre la fois la couronne et la tte. Thomas Bonnion, lui, s'occupait rtamer pots et casseroles.

    Nous n'avons notre disposition pour peindre la jeunesse de John Bunyan, que son propre tmoignage, tel qu'il nous le donne au dbut de sa Confession , Grce surabondante. Il aurait t, l'entendre, un pendard et un vaurien. De son roman La vie et la mort de Monsieur Badman (Mchant homme) que l'on s'accorde considrer comme une manire d'autobiographie, nous tirons un portrait vivant de garon turbulent, difficile tenir. Oh ! bien bnins, tout bien considr, ses mfaits de gamin : escapades traditionnelles, vergers dvasts, poulaillers mis au pillage... Il est chef de bande, cela va sans dire. Il a dcouvert aussi, dans le fourr, de fameuses cachettes, fort utiles le dimanche, quand Il lui semble urgent de disparatre, l'heure du sermon. C'est que les sermons, en ces temps hroques, exigent une forte dose de stocisme de la part des jeunes auditeurs. Si d'ailleurs, sa grande dtresse, il ne peut esquiver le sermon, long d'une heure, il dort, ou attache ses yeux quelque objet charmant .

    Le gamin fait le dsespoir de sa bonne mre. Il a tendance voler ses camarades, mentir et, pour comble de cynisme, raconter des histoires! Mais le triomphe de sa vie ne sera-t-il pas de raconter des histoires ? Surtout, en perdre l'haleine, il jure ! Il a une langue de dmon. Il souligne de son exemple ce tmoignaged'un auteur contemporain : Le pch de blasphme est le plus fertile en ce pays. Car on peut entendre de petits garons dans la rue, jurer de terrible faon, assez pour faire frmir d'horreur un homme d'ge mr.

  • Bunyan dit lui-mme qu'il n'avait pas son gal pour jurer, maudire, mentir et blasphmer le Saint Nom de Dieu .

    John Bunyan est trs emphatique dans cette noire peinture. Mais il faut nous mfier du tmoignage de cet homme qui crit quelque trente annes de l, et qui fouille son pass avec le regard Impitoyable et dur d'un Puritain. Il n'y a pas de peccadille pour un Puritain.

    Il est probable que John fut un garon comme les autres, bien vivant, turbulent, trs veill, et chenapan autant que peut l'tre gamin bien n, dans toutes les races de la terre.

    Mais, vraisemblablement, ses fredaines n'allaient pas sans admonestations svres et sans menaces jetes la botte, abracadabrantes et cyniques, souvent ! Que de fois n'a-t-on pas d le menacer du diable, qui se tient dans l'ombre, porte de la voix, prt emporter vers ses chaudires les enfants dsobissants! Ne lui a-t-on pas dit aussi, et redit, que les menteurs ont leur lot dans l'tang de soufre et de feu ? Nous nous imaginons facilement le garnement allant au lit sans souper, au sortir d'une semonce embrase de tous les feux de l'enfer, s'endormant la tte encore toute pleine de ce fracas, pour se sentir tout de suite entran dans des rves horrifiants, infernaux, nourris prcisment des visions voques dans la cohue des maldictions maternelles. Srement le diable d'Elstow devait servir l'ducation de la jeunesse du pays, mule de nos Croquemitaines et de nos Loups Garous. Le peuple tait trs superstitieux ; le mauvais oeil, la sorcellerie, les dmons faisaient l'objet des conversations journalires. Satan tait une ralit trs concrte, l'Ennemi, tapi dans quelque antre du pays...

    Bunyan nous raconte qu' neuf et dix ans, il vivait dans une peur atroce de l'Enfer et de Satan ! Une bonne partie de sa vie devait se drouler dans le prolongement de ces paniques des premiers ans. Dieu seul fut tmoin des luttes qu'il eut soutenir, plus tard, pour s'en librer.

    L'enfant se rvlait trs sensible. Son imagination brlait en d'tranges fivres et ses terreurs le dtraquaient. L'enfant est pre de l'homme. Nous retrouvons ce Bunyan-l plus tard, au cours des tapes de sa laborieuse transfiguration.

    Ds ses lointaines manifestations, son individualit s'tait impose avec force. Elle s'affirma davantage encore dans une adolescence qui continua, en les consolidant, toutes les tendances de l'enfance. Sa seule dlivrance fut de ne plus connatre ses horribles cauchemars.

    Trois amis, raconte-t-il, le conduisirent dans l'ivrognerie, le vice et la malhonntet. Et il lisait de mauvais livres! Craignons de prendre Ici encore le Puritain en flagrant dlit de pessimisme. Macaulay affirme qu'il fut un Jeune homme modle. Il est vrai que Southey dit qu'il fut quelque chose comme un jeune voyou. Il a t probablement mondain comme on pouvait l'tre dans le hameau perdu d'Elstow, qui comptait une soixantaine de feux.

    Lorsqu'il eut seize ans, sa mre mourut. Un mois aprs sa soeur Marguerite partait son tour. Un autre mois coul, et son pre se remariait.

    Cependant de grands vnements se prparaient. Encore quelques semaines et John allait partir, soldat, vers l'inconnu. L'Angleterre traversait des temps fatidiques. Le roi Charles ne venait pas bout de son Parlement avec qui Il avait des dmls. En ces jours belliqueux, les Querelles se rglaient sur les champs de bataille. Cromwell suivait son destin, bien qu'il ft encore obscur. Tout le pays tait branl. De partout, la jeunesse ralliait les camps adverses.

  • John Bunyan fit comme les autres.

    A seize ans, soldat ! Le fait n'tait pas rare. Puis le foyer d'Elstow tait bien boulevers, la fivre collective bien contagieuse ! D'ailleurs, John tait par temprament, un soldat.

    Le magnifique conteur qu'il deviendra plus tard, nous laissera-t-Il quelque rcit de ses exploits, au moins de ses visions de guerre ? Discrtion extraordinaire ! Dans les soixante ouvrages qu'il nous a donns, il n'y a qu'une seule phrase qui contienne une allusion sa vie de soldat. Il raconte comment un camarade prit un jour son tour de garde pour lui rendre service, et comment Il reut une balle de mousquet, dont il trpassa.

    Maison de Bunyan Bedford

    Maison d'Elstow o Bunyan s'installa aprs son retour de l'arme et son mariage.

    C'est tout ce que nous savons de cette carrire militaire, d'ailleurs fort courte. Nous ne savons mme pas de quel ct il combattit! Toutefois su biographes modernes semblent s'tre mis d'accord pour en faire un soldat de Fairfax, au service du Parlement.

    John Bunyan aimait le courage, follement. C'tait une sorte de tte brle. Quand il y avait un risque prendre, c'tait lui qui le prenait. Pour son temprament la guerre devait offrir de belles perspectives de plaies et de bosses. Elle tait destine, d'ailleurs toujours hanter son imagination. Toute son oeuvre est un train de guerre ; un souffle d'pope la soulve. Chaque page recle une escarmouche.

  • Une de ses plus belles allgories a pour titre La Sainte Guerre. Nul doute qu'il n'ait revcu, lorsqu'il l'crivit, d'irrsistibles souvenirs de combats et de siges. Mansoul assige (Ame-d'homme, la ville rebelle), c'est peut-tre le sige de Leicester transpos sur le plan spirituel.

    Le Voyage du Plerin est la marche hroque d'une saintet martiale. Le saint de Bunyan. est arm de pied en cap et ne se repose de ses combats que pour se prparer d'autres. Grandcoeur, chevalier sans reproche, passe le temps qu'il ne donne pas la prire et aux pieux propos, frapper d'estoc et de taille, et Il faut voir quels fameux coups il donne !

    Pourquoi ce soldat-n qu'tait Bunyan ne nous a-t-il jamais parl de la guerre de sa jeunesse ? Est-ce parce qu'il regrettera plus tard d'avoir pris part la Rbellion ? Etait-il dangereux alors d'en crire ? Ou, l'ge tant venu et le poids, Bunyan s'tait-il mu en Tory ? Ou plutt, baptiste et demi-Quaker, bien qu'il s'en dfendt, devait-il devenir, comme ses frres en la foi, pacifiste absolu ? Je veux aimer mes ennemis, prier pour eux, devait-il crire en 1684 (Conseils ceux qui souffrent) parce qu'ils me font du bien croyant me faire du mal, et parce que Je veux tre comme le Pre Cleste; si mon ennemi a faim, je veux lui donner manger, s'il a soif, boire.

    Bunyan crivain, c'est le nouveau Bunyan, le premier tant mort. Son ardeur belliqueuse et son amour d'aventures sont sublims. Il livre ses batailles dans ses allgories, dans sa prdication agressive. dans ses prires pousses la pointe de l'pe, dans sa saintet vcue dangereusement en perptuel corps corps, aux avant-postes, hardie et furieuse dans l'assaut sus l'ennemi qui ne livre le terrain que pouce pouce. Guerrier de l'esprit ! Si quelqu'un veut connatre le vrai courage, qu'il Jette l les yeux !

    IIL'APPRENTI CHRETIEN

    En 1648, peut-tre plus tt, John Bunyan tait revenu Elstow. Le Puritanisme militant tait au pouvoir.

    Aussitt rentr, le jeune homme se maria. Il tait encore bien jeune pour faire un mari. Ce fut un mariage d'amour. Ce qui nous autorise le croire, C'est l'empire que la jeune femme sut prendre ds le dbut sur son poux rude, turbulent et assez mal dgrossi, autorit dont elle usa d'ailleurs, semble-t-il, fort judicieusement et fort utilement, pour l'amender.

    Nous tions, crit Bunyan, aussi pauvres que possible, ayant peine un plat et une cuiller pour nous deux.

    Nous savons trs peu de chose sur la jeune dame Bunyan, mais ce peu est tout son honneur. Ses parents, apparemment, taient morts. Ils avaient d tre de pieuses gens, le pre surtout Lorsque doucement, tendrement et sans en avoir l'air, elle entreprit d'amliorer son poux, qui en avait besoin, la Jeune femme n'imagina rien de mieux, ni sans doute de plus efficace, que d'voquer, sans se lasser, la mmoire de feu son pre, un humble saint qui probablement s'ignorait. Quel bon homme c'tait ! disait-elle son Jean.

    La jeune femme devait avoir quelque ducation, en tout cas beaucoup de finesse. Elle voyait clair en son mari, dcouvrant chez lui infiniment plus que ne pouvaient offrir les autres rustres du comt. Sa tendresse pour lui lui fit prendre tout naturellement la meilleure mthode de rforme ; quant lui, son amour enthousiaste, - Bunyan ne devait pas aimer moiti - et aussi sa sensibilit chevaleresque le firent mari docile.

  • A son cole, il devint paroissien modle du Rvrend Christopher Hall, de l'glise paroissiale d'Elstow, anglicane, cela va sans dire. Ils allaient au culte deux fois par dimanche, prenant place parmi les plus zls . John Bunyan se dcouvrait l une grande perfection et en tait charm.

    Son admiration pour sa pit toute neuve devait d'ailleurs trouver de nouveaux aliments. Ne lisait-il pas des livres de pit ? La jeune femme, en effet, avait apport en dot, au fond de sa malle, deux livres de religion : Le chemin qui mne au ciel, d'Arthur Dent, et La Pratique de la Pit, montrant comment doit marcher le Chrtien pour plaire Dieu, de Lewis Bailey. Ces deux livres qui gisent ensevelis sous deux bons sicles d'oubli, avaient alors grande vogue. Bunyan en parle dans son autobiographie : Bien qu'ils ne m'aient pas touch au vif de l''me au point de l'veiller au souci de son tat de pch, Ils firent natre en moi, cependant, quelque dsir de rformer ma vie mauvaise, et de suivre avec beaucoup de zle la religion du temps.

    Non, Il ne fut pas trop troubl par ces lectures. C'est que, manifestement, il se dcouvrait, grce A son assiduit au culte et ses lectures sanctifiantes, une manire de saintet fort apprciable.

    Le culte d'Elstow l'impressionnait vivement. D'inconscients ferments esthtiques le travaillaient avec force. Il tait, aprs tout, un primitif, en besoin d'autorit. Son ignorance tait absolue, Il le savait, et cela lui rendait l'obissance ncessaire ; Il l'apportait servile et mme abjecte. Son mysticisme naturel, d'autre part, se nourrissait de magique. Le prtre lui tait indispensable : et-il vu quelque part un prtre, si sordide et si dbauch qu'il pt tre, Il se ft senti press de s'anantir sous ses pas ; Il se serait couch plat ventre pour tre pitin par lui. Tout le contraignait et l'envotait, son titre, son habit et le prestige de son ministre. il tait prt adorer l'Autel, le Prtre, le Sacristain, les Habits sacerdotaux, la Liturgie, prenant pour saintes toutes les choses qui se trouvaient l...

    Mais ne discernons-nous pas dj dans cet enthousiasme si brut et si passionn, la vertu essentielle du prdicant vhment qu'il va devenir, plus tard, une fois acheves les dlivrances intrieures et ralis le magnifique panouissement de son me ardente ?

    La satisfaction bate du paroissien modle du Rvrend Cristopher Hall ne devait pas durer. Bunyan tait de ces mes que Dieu destine la tempte. Un tourment gros d'orages montait l'horizon.

    Sachez d'abord que John aimait jouer la balle, la folie. Il tait, avons-nous vu, trs content de son assiduit aux cultes du dimanche. Deux fois par dimanche ! Aussi s'autorisait-il, l'aprs-midi, se livrer son sport favori sur la place du village, sur le Green.

    Il semble que la lecture du Chemin qui mne au Ciel, au coin du feu, prs de Dame Bunyan, ne l'avait gure troubl sur ce chapitre des jeux du dimanche. Il se trouvait pourtant, dans le livre de Dent, une page assez explicite l'adresse de ceux qui transgressaient le saint commandement du Seigneur, sur le Jour du sabbat : Beaucoup entendent le sermon le matin et s'imaginent que c'est l tout ce que Dieu peut exiger d'eux ; que mme, cause de cela, il leur est quelque peu redevable... Mais pour ce qui est de l'aprs-midi, Ils n'en veulent plus! Alors, on court aux boules et aux tables... on va danser, on fait battre chiens et ours. D'autres vont leur atelier, d'autres leur boutique ; d'autres vont au jeu de balle, et d'autres les regardent ! Oh ! misrables perdus! Oh! maudits! Oh! monstrueux chiens d'enfer !

    Un jour, le rvrend ministre d'Elstow prcha, sur les sports du dimanche, un sermon environn d'clairs et soulign de roulements de tonnerre. Il fut tellement prcis que John se sentit personnellement vis et s'en trouva fort marri. Il ne fallut pas moins d'un bon dner pour le remettre en place, avoue-t-il ; puis, l'aprs-midi, en matire de dfi, Il alla jouer. Mais le sermon tait tenace. Au beau milieu de la partie,

  • alors que le jeune homme tait au point haut de son ardeur, une voix jete du ciel lui pera l'me : veux-tu abandonner tes pchs et aller au ciel, ou les conserver et aller en enfer ? Son bras tait tendu pour recevoir la balle, et Il demeura en l'air. Regardant vers le ciel, il lui sembla voir avec les yeux de son entendement le Seigneur Jsus qui le regardait avec grand dplaisir. Dans cet instant infiniment court, mais moment ternit , comme dit fort justement un de ses biographes, Il y eut lutte en lui entre oui et non. Mais Il se dit qu'il avait pch si longtemps que le repentir venait videmment trop tard. Je ne puis qu'tre damn, se dit-il, et s'il doit en tre ainsi, autant tre damn pour beaucoup de pchs que pour peu seulement . Tout cela, dans l'espace d'un clair. A ce moment la balle arriva qu'il renvoya avec force, et aussi avec la sensation physique, remarqua-t-il plus tard, de tomber vertigineusement dans un abme.

    Il en fut dsespr, mais pour un peu de temps, car une grande victoire l'amena se considrer de nouveau sous un Jour avantageux.

    Il tait, avons-nous vu, grand blasphmateur celui qui devait devenir prince du langage , usait l'excs du parler vert et grossier. Les harangues du Rvrend Christopher Hall et les sermons plus discrets mais plus pressants de sa mie, s'taient rvls impuissants pour le rformer, Or, un jour Que, vhmentement et en pleine rue, il se laissait emporter par le flot de son loquence particulire, une fentre s'ouvrit et une femme l'invectiva avec violence. C'tait parat-il, Bunyan nous le dit lui-mme, une femme de fort vilaine rputation. Elle lui cria qu'elle tremblait l'entendre, qu'il tait, cause de ses blasphmes, l'homme le plus Impie Quelle et jamais entendu de toute sa vie; et qu'il tait avec cela, capable de perdre tous les jeunes gens de la ville, pour peu qu'ils s'approchassent de lui.

    Le reproche tait cinglant, et lui venant d'une telle personne, le laissa atterr. Embras de honte, il baissa la tte, dsirant de tout son cur tre de nouveau un tout petit enfant .

    Mais partir de ce jour, Il fut radicalement guri de son vice, merveill lui-mme, et le premier, que si brusquement et si totalement, son langage abject l'et abandonn.

    D'ailleurs, Il devait bientt dcouvrir un trsor inpuisable de langage magnifique et d'loquence vraie, belle et propre. Peu de temps aprs, en effet, Il tomba en la compagnie d'un pauvre homme qui faisait profession de religion et qui parlait fort agrablement des Ecritures . Il fut intrigu par ce parler agrable . Il voulut savoir. C'est ainsi qu'il commena lire la Bible. Il ne devait plus s'arrter, de toute sa vie, de le faire.

    S'imaginait-il alors qu'il tait destin devenir lui-mme un matre de la langue anglaise, un classique, pour avoir tout simplement pens et crit Inconsciemment dans le langage vivant, color et tincelant de la Bible, selon la version de 1611, dite du Roi Jacques ? Mais la Bible devait faire plus pour Bunyan que l'initier au parler agrable .

    En ce moment, John Bunyan s'imaginait qu'il devenait un modle de pit. Mes voisins aussi, crit-il, me prenaient pour un homme trs pieux, un homme nouveau et religieux, et s'merveillaient d'avoir vu un si grand changement s'oprer dans ma vie et dans mes manires .

    Il faisait tat, en somme, d'une bonne et honnte pit, lgaliste, simple, sincre. Je mettais, dit-il, les commandements devant moi comme un chemin destin me conduire au ciel ; ces commandements, J'essayais de toutes mes forces de les observer et, pensais-je, y russissais assez bien. J'prouvais alors grand rconfort. Pourtant, de temps autre, J'en transgressais un, et alors je me sentais grandement afflig dans ma conscience. Mais je me repentais, je disais que je le regrettais et promettais Dieu de faire mieux

  • une autre fois. Alors, Je me sentais de nouveau dispos et fort. Il me semblait que J'apportais satisfaction Dieu, autant qu'homme en Angleterre !

    Ainsi allait Bunyan revtu de sa saintet bnigne. Elle lui seyait ravir, pensait-il. Hlas, pour sa tranquillit ! Elle ne lui allait pas ! Il tait d'une autre taille et s'ignorait. 'Une sainte mdiocrit ne pouvait lui suffire ; le Crateur l'avait bti une autre mesure. John Bunyan tait condamn une saintet violente et ardue : il tait vou la libert. Les vtements de son premier choix allaient craquer, toutes les coutures. Mais la dlivrance devait tre longue : car Il s'tait faonn une camisole de force.

    Pour l'instant, sa conscience s'affirmait lentement. Sur ses Instances, John cdait ceci, puis cela, avec regret, comme malgr lui ; mais enfin Il cdait. Il cessa les sports du dimanche, la danse sur le green etmme son passe-temps favori qui tait de sonner les cloches de l'glise ! Ainsi, ses vieilles habitudes s'en allaient vau-l'eau ; c'taient d'affreux sacrifices, de vritables amputations.

    Quelque chose cependant s'attachait lui obstinment : c'taient ses vieilles terreurs, ses compagnes depuis l'enfance. Elles taient toujours en alerte et hurlantes, revtant des masques hallucinants que nous n'osons plus voquer. Le diable d'Elstow avait plusieurs visages. Troubles malsains ? A moins que ce ne ft, violente et outre peut-tre, la prise en conscience d'un malaise profond, cruel mme.

    Le masque qu'il met son tourment, pour l'interprter, est faux. Ce n'est pas un dmon attach sa perte qui le harcle, et qu'il veut conjurer en brandissant A sa face, sa vie devenue propre et Juste en tirer vanit ! Ce qui est vrai, c'est qu'une main ptrit, pour la prparer un haut destin, cette vie frmissante de vigueurs prodigieuses mais que paralysent mille terreurs et une totale Ignorance.

    Emptr dans ses folles et vivaces superstitions, Bunyan donne une attention Inquite aux coups sourds qui l'branlent. Il tremble, cde quelque morceau de lui-mme afin d'avoir la paix. Ou bien, pour faire taire cette Insistance mystrieuse, Il se raidit, se durcit, et avec violence se met sur la dfensive contre l'invisible. Le tourmenteur n'est pas le diable, mais bien le Dieu vivant.

    IIIGRACE HARCELANTE

    Un jour, la bonne providence de Dieu, m'appela Bedford pour y exercer ma profession et dans une des rues, je tombal tout coup sur un groupe de trois ou quatre pauvres femmes assises au soleil devant leur porte et s'entretenant des choses de Dieu. Elles conversaient sur la nouvelle naissance, l'oeuvre de Dieu dans leur coeur... Elles disaient comment Dieu avait visit leur me par son amour, en Jsus-Christ, et par quelles paroles et quelles promesses elles avaient t rconfortes, releves, aguerries de nouveau contre les tentations du Malin... Il y avait une telle manifestation de grce dans tout ce qu'elles disaient qu'elles m'apparaissaient comme si elles avaient dcouvert un monde nouveau... Mon pauvre coeur commena trembler et je me mis avoir des doutes sur les positions religieuses dans lesquelles je m'tais Install ; car je voyais bien que dans aucune de mes penses sur la religion et le salut, jamais la nouvelle naissance n'avait trouv place ; et je ne connaissais pas davantage le rconfort de la Parole et de la Promesse, ni non plus le mensonge hypocrite de la trahison de mon pauvre mauvais coeur... Je quittai ces femmes et vaquai des affaires; mais leurs paroles m'accompagnrent. J'tais poursuivi par elles...

    Il lui semblait, avoue-t-il, que ces femmes avaient discouru en sa prsence comme si c'tait la joie qui les avait fait parler. Dans cette rue de Bedford que le soleil pavait d'or comme une Jrusalem cleste, Il vit tout coup toutes les ombres de sa propre situation.

  • Une souffrance nouvelle s'insinuait en lui. Alors qu'il retournait Elstow, la vision de ces pauvres femmes assises dans la lumire du soleil s'attachait lui. Tout en allant, il eut comme une sorte de rve veill, et Il les revit. Elles se trouvaient sur le versant ensoleill d'une colline, alors qu'il tait lui-mme dans l'ombre et dans le froid, au fond de la valle. Un dsir fou de se joindre elles le tenaillait. Mais un grand mur s'levait entre elles et lui, trop haut pour qu'il pt l'escalader. Toutefois, Il arriva dcouvrir une petite porte, trs troite. Il passa la tte d'abord, puis les paules, et fit tant et si bien que le corps tout entier y alla...

    Mystrieux tisseur de rves ! Nous l'y retrouverons!

    En tout cas, John Bunyan savait ce qu'il voulait, ou, pour le moins, se laissait-il mener par un dsir nouveau, aigu : partager la joie, les assurances solides, la libert intrieure de ces braves et pauvres gens ! Se tenir avec eux sur le mme roc des certitudes glorieuses de la grce et des promesses !

    Ces femmes appartenaient au troupeau du Rvrend Gifford. Cet homme qui devait jouer un rle dcisif dans la vie de Bunyan et qui est probablement le seul homme de valeur qu'il ait rencontr au cours de ses annes de formation, avait eu une carrire orageuse. Major dans l'arme royale, il avait t fait prisonnier au cours d'une meute et n'avait chapp la pendaison que grce une vasion audacieuse. Il s'tait chou Bedford, y avait pris femme et s'tait install comme mdecin. Il tait alors violent, tout Imprgn encore des moeurs grossires de l'arme, et, au surplus, antireligieux. Pu% il avait ttransform, d'une faon aussi complte que soudaine, dans une exprience religieuse remarquable dclenche au cours de la lecture d'un livre puritain, aujourd'hui oubli.

    Il y avait Bedford un groupe de Dissenters, mais point du tout organis. Gifford s'tait Joint eux et n'avait pas tard s'imposer par le poids de sa personnalit. Aprs avoir constitu une congrgation, avec les lments disperss dans la ville et les environs, il tait devenu leur pasteur en 1650. Son ministre devait durer cinq ans, Jusqu' sa mort.

    De cet homme remarquable, nous n'avons qu'une lettre pastorale crite sur son lit de mort et qui donne la mesure de l'homme et du chrtien. La communaut qu'il cra est encore vivace aujourd'hui, maintenue sur les principes dicts par lui. C'tait une Eglise part, en ce sicle de sectarisme et de bigoterie. Les principes fondamentaux de cette communaut taient la foi en Christ et l'effort sincre pour la vie sainte. Par ses disciplines pratiques, elle constituait une Eglise congrgationaliste et baptiste, mais se refusait aux troitesses sectaires du temps.

    Press par une sorte de fatalit Intrieure contre laquelle ne pouvait tenir aucun non, John Bunyan se joignit aux puritains du troupeau de John Gifford. Avait-il vraiment conscience qu'une contrainte le poussait, le guidait et le jetait en avant dans cette hasardeuse aventure de la foi ? Point, sans doute. Mais plus tard, il devait discerner dans ces dcisions spontanes et brusques, comme aussi d'ailleurs dans celles longtemps peses au sein de l'incertitude et de l'angoisse, l'autorit mystrieuse de la grce irrsistible.

    John Bunyan ne devait pas connatre les triomphes rapides et dfinitifs de Gifford. Pour lui les Interminables valles d'humiliation, les piges continuels tendus aux dtours des sentiers, d'ailleurs mal tracs, o le poussait son tourment de saintet.

    Grce Surabondante (Abounding Grace) est le rcit de cette pope de saintet. Nous sommes en prsence d'une me cyclonique. Elle est jete d'un mouvement brusque de l'extrme joie l'extrme dsespoir. Les chapitres haletants nous laissent l'impression que parfois cet homme est un hallucin et que, enferm dans un cabanon, Il se jette, harcel par de mystrieuses visions, tantt sur une paroi, tantt sur une autre, avec

  • une violence dsordonne. Nous le voyons soudain soulev par une joie imptueuse, et sa prose d'airain rsonne comme une cymbale. Mais aussitt aprs, et sans transition, c'est de nouveau l'affreux dcouragement, o Il se dchire les chairs dans les transes d'une vision de l'enfer.

    Le scrupule du Puritain le tient en ses tenailles de fer ; la hantise de la damnation est, elle aussi, un instrument de torture. Il s'tend lui-mme sur la roue, se met la question, s'analyse sans rpit, avec une minutie de juge d'instruction. N'a-t-il pas aussi des Puritains leur notion catastrophique de la vie ? Une peccadille lui dcouvre tout de suite l'abme au dessus duquel Il marche, comme sur une corde raide. Il se sent alors saisi d'un vertige mortel.

    De cette prose une incomparable. beaut, tincelante par le style, rendue chaotique sous la pousse dsordonne de l'me qui s'y tourmente, nous tirons cependant des Indications sres qui nous donnent le secret de ses joies triomphantes et de ses affreux dsespoirs. Tant qu'il a les regards dtachs de sa propre personne et tenus fixs sur Dieu, sur ses promesses, sur les rvlations de sa grce en Jsus-Christ, sur Christ lui-mme, Bunyan rayonne de certitudes radieuses. Il est sur le roc. Mais que soudain il dcouvre dans la texture de son me quelque fissure, quelque dloyaut subtile, infime, peine perceptible, quelque tache, alors il entreprend de plus belle, de fouiller son pauvre coeur en impatience de saintet, crant peut-tre de sa propre imagination, les enflant en tout cas, les iniquits qu'il recherche, oubliant Dieu au sein des anxits qui se lvent sur son me en brouillard pais ; il est ressaisi par les grandes eaux, perd pied, suffoque, se noie. Il lui faudra du temps pour apprendre s'abandonner aux bras ternels tendus pour le soutenir et le porter. Il est compagnon d'agonie de Paul, d'Augustin, de Luther, de tant d'autres.

    Bunyan sur la place du Mote Hall de Bedford

  • Le chne de Bunyan, utilis par lui comme chaire pour ses cultes en plein air.

    Grce Surabondante nous donne en quelques phrases typiques une vocation de ces obscurs combats. La gloire de la Saintet de Dieu me mettait en pices... J'aurais voulu changer de coeur avec n'importe qui... J'aurais donn mille livres sterling pour une larme ; impossible d'en verser une... J'tais souvent comme si j'avais couru sus des hallebardes, et que le Seigneur m'en et frapp pour me tenir loign de lui... Rien maintenant ne semblait m'tre laiss - et cela pendant deux annes pleines - que la damnation... Les philistins ne me comprenaient pas... Je tombai comme un oiseau touch d'une flche, dans le sentiment vertigineux d'une grande culpabilit et dans un dsespoir terrible.

    On trouve peut-tre qu'il y a l une certaine exagration. Il serait dangereux d'user de ce mot dans son sens ordinaire et trouver ici tout simplement un langage outr, selon une mode qui se retrouve toutes les poques. Si exagration il y a, c'est l'exagration intrinsque au puritanisme. Elle a engendr bien des souffrances, mais a aussi taill dans le roc des gants que le temps n'a pas effrits. C'est aller vite en besogne que de classer tout simplement Bunyan parmi les nvropathes, comme le fait William James. Il nous donne nanmoins un portrait clinique du puritain Qu'il dissque avec assez de justesse : sa conscience morale tait d'une sensibilit maladive, Il tait obsd de doutes, de craintes, d'ides fixes, il prsentait des phnomnes d'automatisme verbal la fois moteurs et sensoriels. C'tait d'ordinaire des textes de la Bible qui tantt le condamnaient, tantt lui taient favorables. Ils lui venaient sous une forme demi hallucinatoire comme des voix, se fixaient dans son esprit et le jetaient d'un ct puis de l'autre comme des raquettes se renvoient une balle. Joignez-y une effrayante mlancolie, un mpris dsespr de soi-mme.

    Du reste, il suffit de lire l'extrait qui suit, de Grce surabondante pour se faire un portrait dfinitif de Bunyan cette poque de travail de saintet. Non, non, pensais-je, cela va de mal en pis ; je suis plus loin que jamais de la conversion. Mme si l'on me brlait sur un chafaud, je ne pourrais pas croire que Jsus m'a aim. Hlas ! Je ne pouvais ni l'entendre, ni le voir, ni sentir sa prsence, ni savourer rien de ce qui le concernait. Quand parfois je parlais de mon tat des hommes de Dieu, Ils me plaignaient et me parlaient des Promesses divines. Mais ils auraient pu tout aussi bien me dire qu'en tendant le bras Je pourrais toucher le soleil du doigt. Durant tout ce temps-l J'vitais soigneusement tout pch, ma conscience tait si dlicate qu'un rien la faisait tressaillir : je n'osais pas toucher un bton, une pingle,

  • un ftu qui ne fut pas moi. A chaque mot que je voulais prononcer, je tremblais de commettre un pch. Avec quelles prcautions infinies il me fallait parler et agir ! J'tais comme sur une fondrire; chaque pas J'enfonais dans la vase : J'tais l, abandonn de Dieu, de Christ, de l'Esprit, de tout ce qui tait bon.

    Ma souillure originelle et cache, voil ce qui faisait ma douleur et mon tourment, ce qui nie rendait mes propres yeux plus rpugnant qu'un crapaud ; et j'tais persuad qu'il en tait de mme aux yeux de Dieu. Le pch, la corruption coulaient de mon coeur comme l'eau d'une fontaine. J'aurais volontiers donn mon coeur n'importe qui pour avoir le sien en change. Je pensais que le Diable seul pouvait m'galer en perversion intime et corruption d'esprit. Assurment, pensais-je, je suis abandonn de Dieu ; et je restai dans cet tat pendant plusieurs annes.

    J'tais un fardeau pour moi-mme, et en mme temps un objet d'effroi. Jamais Je n'ai su comme alors ce que c'tait qu'tre fatigu de la vie et cependant effray de mourir. Avec quelle joie J'aurais accept n'importe quelle autre existence que la mienne ! Tout, pourvu que je ne sois plus un homme! Tout, pourvu que je ne sois plus ce que J'tais!

    Tel est ce pauvre Bunyan pendant plusieurs annes, une personnalit puissante en travail de cration et qui n'en est encore qu' cette tape o plusieurs Bunyans se disputent en lui la prsance, en rivalit ardue et incessant combat. Est-il trange qu'il interprte ce combat mystrieux comme une treinte mortelle mettant aux prises, dans le cercle clos de son me, quelque dmon d'enfer et un ange de lumire ? La grce n'est pas encore victorieuse qui liera en un seul faisceau les forces indomptes qui se tordent en lui et se heurtent avec violence ; qui unifiera et, par sa seule souverainet, purifiera, fortifiera son me, et lui assurera l'panouissement dans la paix et la divine harmonie. Il est harcel, il se secoue comme un sauvage.. il s'arracherait l'me avec les ongles pour la jeter au bord du chemin et s'enfuir, enfin dlivr. Un jour, il est obsd par une phrase blasphmatoire : Vends-le ! vends-le ! Judas le hante. Ces mots raisonnent en sa tte malade comme ses chaudrons de cuivre sous le marteau : Vends-le ! vends-le ! jusqu'au moment o, n'y tenant plus, aprs avoir cri mille et mille fois : Je ne veux pas, je ne veux pas ! Il s'crie enfin, pour avoir la paix : Eh bien ! vends-le donc !

    Il en est au dsespoir un an durant.

    Un jour cependant, Il entendit un sermon sur ce texte Que tu es belle, ma bien-aime, que tu es belle (Cantique des Cantiques 4 : 1) dans lequel le prdicateur dmontrait qu'une me rachete est prcieuse aux yeux de Dieu mme si elle apparat sans valeur ses propres yeux ; que Dieu l'aime, toute tente qu'elle soit, afflige, assaillie avec violence, meurtrie, cartele, dans le deuil. Cela fit sortir le soleil pour un jour, crit Bunyan ; mon coeur ,se remplit de rconfort et d'esprance... et j'tais si enthousiasm de cette vision de l'amour et de la misricorde d Dieu que je ne pouvais me contenir ; et j'aurais voulu pouvoir aller prcher cet amour aux corbeaux que Je voyais dans les champs labours .

    Quelques jours aprs, Il est vrai, il tait de nouveau dans le noir marasme, pataugeant dans les incertitudes, les perplexits, doutant mme de l'existence de Dieu. Il commena mme souponner qu'il tait possd du Diable. C'est alors que lui tomba entre les mains le Commentaire de Luther sur l'Eptre aux Galates.

    Depuis longtemps il aspirait connatre l'exprience de quelque homme de foi, susceptible de le guider dans sa propre aventure. D'emble, il salua Luther comme un compagnon plerin sur le chemin de ses angoisses et de ses esprances. Alors qu'il traversait la Valle de l'Ombre de la Mort, Il lui semblait entendre, comme le hros de son allgorie, devant lui, une voix humaine et fraternelle. Je dcouvris ma propre

  • condition dans cette exprience si magnifiquement et si exactement dcrite, au point que J'eusse pu croire ce livre compos de la substance mme de mon coeur.

    Il vit dans la dcouverte de ce livre une action directe et dcisive de la grce de Dieu. Enfin, une terre solide commenait merger de l'abme des eaux. Maintenant, J'avais reu la preuve, pensais-je, de mon salut, avec beaucoup de sceaux d'or, l, tale devant mes yeux.

    Qu'avait-il trouv dans le livre de Luther ? L'exposition magistrale de la formule de Paul et des Rformateurs : le salut par la foi. Le flau universel, dit Luther, n'est-il pas cette haute opinion que l'homme a de lui-mme ? Or, ce n'est pas sa perfection que l'homme doit regarder, ni non plus d'ailleurs ses Imperfections, mais Christ seul, notre justification . Et encore, point un Christ dont on fait un nouveau lgislateur, un Mose suprieur, mais au Christ qui donne la grce ! Il faut s'armer du texte : Christ est mort pour nos pchs ! Je suis pcheur, allluiah ! Je m'en rjouis, car Christ est mort pour les pcheurs !

    Froude, un des plus fameux biographes de Bunyan, crit que c'est l'autorit divine de la conscience qui a t le principe fondamental et fcond qui a sauv John Bunyan. Il n'a pas compris le drame d'o son hros est sorti le vainqueur magnifique dont l'Eglise chrtienne conserve prcieusement l'image. Il fallait plus que la conscience ; car et-elle t crite en lui de la main mme de Christ, sa conscience tait une loi, et cette loi l'enfermait dans la condamnation ternelle, ainsi que faisait pour Paul la Loi de Mose. Christ donne plus que la loi ternelle : il donne la grce, la vie ternelle... Maintenant, ajoute-t-il, je puis dtacher mes regards de moi-mme pour les fixer sur Christ ?

    Ce lutteur n devait ainsi apprendre que la victoire vient celui qui accepte de cesser la lutte. Dcouverte paradoxale, dconcertante. Le pcheur doit dtacher ses regards du pch qui est en lui, de l'ennemi qui est l, prompt l'assaut, pour fixer ses yeux sur Christ. Il est suffisant pour tout ! A quoi bon s'user en une lutte qui, sans Christ, est Inutile ? Livre-toi tout entier au Seigneur, et il fera le reste.

    Quand il comprit cela, John Bunyan prit pied et se sentit enfin en scurit. Il nous permet, dans son autobiographie, d'tre les tmoins de sa dcouverte joyeuse. Il la dcrit avec force et dans les termes d'une thologie toujours en honneur : Je vis, par grce, Que c'tait le sang vers sur le Calvaire qui sauve et rachte le pcheur ; je le vis avec les yeux de mon me et avec autant de clart et de ralit que s'il se ft agi d'un petit pain d'un sou que J'eusse tenu en ma main...

    ... Parfois, j'ai senti ce point le fardeau de mes pchs, que je ne savais o trouver de repos ni Que faire. Oui, en de tels moments, je pensais en perdre la raison. Cependant, en ce temps-l, Dieu, par sa grce, a tout coup si efficacement appliqu le sang qui a coul au Calvaire sur ma conscience blesse et coupable, qu'immdiatement J'ai prouv une paix douce, forte, profonde, calme et riche en rconforts... au point que J'en vins , douter que mes terreurs eussent Jamais exist.

    C'est au Calvaire que John Bunyan a trouv son quilibre. Toute sa vie profonde s'unifie autour de la seule et essentielle vrit : Christ lui suffit. L'ascension est maintenant commence : rien ne l'arrtera plus. Assurment, ce sera un rythme tourment. Les sombres humeurs calamiteuses s'accumuleront encore l'horizon de son me ; d'antiques terreurs reviendront en coup de vent, et hurleront encore les vieilles pouvantes. Mais il lui suffira de fixer ses regards sur la figure Intrieure de Christ pour que, de nouveau, les grandes clarts l'inondent.

    C'est au milieu de son allgresse toute neuve et vibrante qu'il lui semble entendre une voix lui dire : J'ai te donner quelque chose faire de plus que l'ordinaire . Les mes qui reoivent entendent, en mme

  • temps, l'appel au don : Bunyan n'chappe pas cette loi. D'ailleurs, c'est aussi cette heure intensment cratrice qu'il ressent la premire Impulsion mystrieuse qui va le pousser vers la ncessit d'crire. Un jour, comme je rentrais chez moi, ces mots revenaient sans cesse dans mes penses et flambaient dans mon esprit : Tu es mon amour, tu es mon amour ! Vingt fois de suite... Alors je me dis en mon me, avec beaucoup de joie : Ah, je voudrais avoir Ici ma plume et de l'encre ! Je l'crirais avant d'aller plus loin !

    Tout ensemble s'affirment en lui ce besoin ardent de don et d'expression et aussi ce puissant amour mystique pour Christ qui va agir en lui en grande passion libratrice et purificatrice. Certaines de ses paroles ont ce ton de l'extase auquel nous ont familiariss les saints du Moyen Age. Il nous parle des dlicieuses souffrances de l'amour de Christ. Etre en mal d'amour pour Christ est une maladie qu'il voudrait plus pidmique . Mourir de cette maladie, Je le ferais volontiers' ; c'est meilleur que la vie. elle-mme. De toutes les larmes, celles-l sont les meilleures, qui sont faites du sang du Christ ; et de toutes les joies, celle-l est la plus douce qui est mle au deuil de Christ. Oh ! c'est une bonne chose que d'tre genoux, avec Christ dans mes bras, devant Dieu !

    La plnitude n'est pas encore atteinte ; d'autres hymnes de bataille et de triomphe retentiront avant que l'pope atteigne sa beaut culminante. Mais Il suit son chemin, les yeux fixs sur le Matre, et lentement Il se revt de force dans les certitudes qui s'affirment et dans sa scurit intime, si neuve encore.

    Il lui a fallu six longues annes pour traverser la Valle de l'Humiliation ; six annes, pendant lesquelles il n'est demeur debout que grce au secours venu de ses frres en la foi. En 1653, en effet, au coeur mme de son conflit, il tait entr dans l'glise de John Gifford. Les membres de cette communaut taient de condition humble, mais de vie spirituelle riche et forte. Aprs tout, se disait Bunyan, n'taient-ils pas faits de la mme argile que lui ? Cette pense lui tait d'un immense secours. Il se confia eux. De leur ct, ils durent tre souvent effrays par ses dsespoirs terribles. John Bunyan ne savait pas tre quelque chose moiti. A trois reprises au moins il fut sur le point de s'effondrer physiquement. Un mystrieux ressort cependant l'avait prserv des dbcles dfinitives.

    Il bnficia plus que nous ne pouvons l'imaginer sans doute, des sermons de John Gifford, massifs et solides comme tout authentique sermon de puritain, bards de passages de l'Ecriture au surplus. Vraisemblablement, c'est cette cole qu'il acquit la matrise de la Bible, de sa vigoureuse et impondrable substance, comme aussi de sa langue prestigieuse.

    Mais avant tout, Il tait port, Il le dira plus tard et avec quelle puissance, par cette mystrieuse volont de vivre qui est plus qu'humaine, qui soulve l'homme, l'arrache lui-mme, l'entrane, le pousse en avant vers une inconsciente destine. Chez beaucoup, cette aventure de l'me est un essor facile, en tout cas sans souffrances ni angoisses. Ici, les fers taient mis, et la main qui les maniait pour amener au jour cette me vivante, tait rude et impitoyable.

    A la date que nous avons atteinte, 1657, le jour de l'panouissement en force et en splendide maturit est proche. Le chaudronnier ambulant est depuis un an avec sa famille, install Bedford mme. C'est alors que sa femme meurt, le laissant veuf avec Mary, sa fille aveugle, et trois autres petits.

  • IVLE CHAUDRONNIER DANS LA CHAIRE

    John Gifford tait mort en 1655 et cette date Bunyan avait commenc prcher. Un membre de l'assemble l'avait pri d'exhorter ses frres, et Il avait accept, avec timidit et tremblement. Il avoue dans la suite qu'il avait ressenti un secret aiguillon qui le poussait en avant . Il s'tait convaincu aussi que le Saint Esprit n'a jamais voulu que les hommes qui ont des dons et des capacits les ensevelissent dans la terre .

    Il devint donc prdicateur laque. Il se dfendit d'ailleurs d'avoir jamais agi en franc tireur : il tait mandat par la socit de Gifford.

    Un dessin de l'poque nous le montre, au centre d'une foule de deux trois cents personnes, sur le terre-plein s'tendant devant le Mote Hall de Bedford. Il domine ses auditeurs de toute la tte, crinire lonine au vent. Nous nous l'imaginons facilement, prchant un sermon comme on livre un combat. L'homme ne pouvait rien faire sans se battre.

    Sa pit guerrire voulait une loquence de combat. Ce n'est pas le rveur qu'on Imaginerait volontiers. C'est l'homme qui court sus au pch, et avec la rudesse d'un Savonarole protestant. Celui qui devait devenir par excellence le prdicateur de la grce, n'est encore que le disciple de Jean-Baptiste, sombre, vhment, justicier. Il s'acharne sur le pch d'autrui avec la mme violence que sur le sien propre. Ce sont sans doute d'ailleurs ses propres combats qu'il apporte ainsi sur la place publique.

    Mais le prdicateur laque est surtout un controversiste. La mode du temps est aux controverses : belle carrire pour un combattant n. Il s'en prend aux multitudes de sectes qui pullulent en cette poque de chaos spirituel et moral, fruit du chaos national. Chose extraordinaire et dont nous comprenons mal la raison, c'est aux Quakers qu'il s'en prend surtout, et avec une violence inoue. Il est torrentiel, et son loquence sent le feu et le soufre. Ses mtaphores sont des coups de massue et sa violence est sans retenue, Bunyan videmment, est de son temps.

    Ce Qui cependant nous dsoriente, c'est que Bunyan lui-mme, et son insu, tait plus qu' moiti Quaker. A l'entendre, il tait un littraliste , mais il avait l'instinct du mystique pour la parole spirituelle. Le fougueux et enrag anti-Quaker faisait une diffrence entre le mot extrieur et le mot intrieur, entre la notion et la puissance. La notion est la coquille, la puissance est le noyau. Il mettait la vrit l'preuve de l'intuition de son propre esprit. Comme les Quakers, il tait la simplicit mme, vituprait le luxe, et tait enclin la non-rsistance . Est-ce parce que, aveugl par quelque ide fixe, il assimilait ses adversaires de prdilection la multitude des autres sectes qui morcelaient la chrtient vanglique, ce qui tait pour lui grande misre ? Est-ce parce que certaines singularits de langage, des extravagances de costume et de moeurs, exaspraient un certain conservatisme bon anglais hrit de sa race pesante ? Ou plutt tait-ce, au souvenir de ses propres pouvantes Intimes, une raction irrflchie, violente mais comprhensible, contre l'vidente subjectivit du quakerisme ? Tout repose, pour celui-ci, sur le tmoignage de la Lumire intrieure. Et voil que lui aussi avait des voix , mais des voix qui le plongeaient dans le plus affreux dsespoir ! Ah, s'il n'avait pas eu, en dehors de lui, debout dans l'histoire, gigantesque sur sa croix en Golgotha, Christ le Sauveur, que serait-il devenu ? Si les Quakers avaient raison, pensait-il, il ne lui restait plus Qu' retomber dans le gouffre de son propre coeur, et s'y noyer !

  • Les controverses vhmentes eurent au moins cet avantage d'obliger Bunyan se prciser sa propre pense et crire. En 1656 parut son premier ouvrage, prcd d'une introduction de Burton, le successeur de Gifford ; Cet homme, y tait-il crit de Bunyan, n'est sorti d'aucune universit terrestre , mais il a dj obtenu ses diplmes clestes .

    Des contemporains nous ont dcrit l'homme, grand, rouge de visage, os saillants, portant poil sur la' lvre suprieure selon l'ancienne mode britannique, d'humeur svre et rude . Un autre crit : Il frappait d'une sorte de terreur ceux qui n'avaient rien en eux de la crainte de Dieu . Bunyan dit que certains dtracteurs, le jugeant d'aprs son physique, le disaient bandit de grands chemins, prchant le jour, tendant des embuscades pendant la nuit... c'tait un libertin, vivant comme un Turc ou un Jsuite, la solde du pape . Sans doute devons-nous croire aussi que les combats que Bunyan avait livrs au dedans de lui-mme avaient crit leur histoire dans ses traits davantage creuss, dans son visage plus crisp.

    Le prdicant laque de Bedford devait rapidement acqurir une grande renomme. Nous pouvons nous faire une ide du contenu de ses premiers sermons d'aprs ses premiers traits : Soupirs de l'enfer, ou gmissements d'une me damne, par exemple, qu'il publia en 1658.

    Evidemment, nous nous demandons si c'est vraiment le mme homme qui a crit cet opuscule et le Voyage du Plerin. A cette comparaison, nous pouvons juger du chemin qu'il lui restait encore parcourir, partant de cette peur quasi physique de l'enfer, pour aboutir par les purifiantes souffrances de l'me, cette volont de victoire de l'me sur la mdiocrit, la stagnation et la veulerie spirituelle, sur le pch !

    Il crira plus tard, et combien il se montrera alors aux antipodes de ses premires angoisses : Il n'y a rien dans le ciel ou sur la terre qui frappe le coeur de terreur autant que la grce de Dieu. C'est cela qui fait trembler le coeur de l'homme, c'est cela qui force l'homme s'incliner, se courber, se briser en morceaux ! Rien n'a de majest et d'imposante grandeur pour contraindre le coeur des fils des hommes, comme la grce de Dieu ! (The Water of Life). Pour le moment, c'tait encore la peur de l'enfer qui le bouleversait le plus.

    Il lui fallut assez de temps pour atteindre la matrise de l'orateur. Il tait parfois pris de panique avant de parler, flageolait sur ses jambes, se sentait la tte dans un sac . Mais vraisemblablement, ses controverses publiques l'aguerrirent et le tremprent. Ses critiques grimaants - et il y avait parmi eux des savants professeurs Qui se drangeaient de loin pour le confondre - achevrent son ducation, en ce sens Qu'ils lui donnrent dfinitivement confiance en lui-mme et en son enseignement. Il s'aperut bien vite que le principal argument qu'ils opposaient sa prdication tait, argument premptoire. qu'il ne connaissait aucune des langues originales de la Bible ! D'ailleurs un de ces pdants, venu pour entendre jacasser ce rtameur de casseroles, se convertit en l'coutant et devint ensuite lui-mme un prdicateur minent.

  • Le vieux temple de Bedford.

    Le vieux pont de Bedford.

    Sa renomme cependant fait tche d'huile. On se drange par centaines pour venir l'entendre. Il voyage lui-mme, visite des communauts Non-Conformistes, prche mme, au grand scandale de quelques-uns, dans des chaires officielles. On a retrouv dans les archives de la Chambre des Lords, une ptition de paroissiens de Yelden, dresss contre leur recteur, le Rvrend William Dell, parce que depuis Nol dernier, un Bunyan de Bedford, chaudronnier de son tat, tait par lui autoris prcher dans sa chaire !

    Mais les vnements vont se prcipiter. John Bunyan se remarie. C'est au temps de la mort de Cromwell et de ses joyeuses funrailles, o les chiens seuls pleuraient .

    Six mois aprs le retour du roi Charles sur le trne, Bunyan est jet en prison.

    Il devait y demeurer douze annes, de 1660 1672, puis de nouveau six mois, en 1676. C'est au cours de cette seconde Incarcration qu'il devait composer le Voyage du Plerin, son Immortel chef-d'oeuvre.

    Lui-mme a racont en d'inoubliables pages et de faon trs dramatique, comment il fut arrt et jug.

    Un des premiers actes de la Restauration des Stuarts avait t de mettre hors la loi tous les cultes autres que l'anglican. La mesure se justifiait en partie par le fait que parmi les sectes qui pullulaient, il s'en trouvait de fanatiques et de rvolutionnaires. C'est cette poque Que fut arrt un certain Venner qui voulait proclamer le rgne de Christ par un coup d'tat arm.

  • Les autorits donnrent ordre Bunyan de cesser de prcher. Elles le supplirent mme. Il refusa. Le soir qui devait tre celui de son arrestation et malgr des avertissements trs srs, il alla prsider la runion projete. Alors qu'il pouvait encore le faire, il refusa de fuir. Avant de suivre l'officier de police, Il put exhorter en quelques mots les frres consterns : C'est misricorde divine que de souffrir pour un tel sujet !

    Le vicaire de Harlington arriva en grande hte pour le haranguer. Il compara Bunyan le chaudronnier Alexandre l'ouvrier en cuivre. Ce quoi Je rpondis, crit Bunyan, que J'avais de mon ct, lu certaines pages au sujet de prtres et de pharisiens qui avaient tremp leurs mains dans le sang de Jsus-Christ .

    On lui reprochait d'tre un ignorant, n'tant Que chaudronnier. Puis, ne prchait-il pas la semaine ? le malheureux ne se rendait-il pas compte Que ce faisant, il dtournait les bonnes gens du village de leur vocation, savoir, l'exercice de leur mtier ? D'ailleurs, indice trs grave, il n'y avait que les gens pauvres pour aller l'couter.

    Il fut jug en janvier 1661. L'affaire fut pique souhait : ce rtameur n'tait pas un homme ordinaire, et Son Honneur, Sir John Kellynge, prsident des Assises, ne fut pas long s'en apercevoir. L'interrogatoire se changea rapidement en conversation anime entre le juge et l'accus. De quoi tait-il accus ? demanda celui-ci.

    De s'tre abstenu diaboliquement et pernicieusement d'aller l'glise pour entendre le service divin - en l'glise paroissiale, cela s'entend - et de tenir ordinairement plusieurs runions illgales, pour le plus grand trouble et le dtournement des bons sujets du royaume... Si quelqu'un a reu un don, qu'il l'exerce, expliqua le juge pompeusement ; John Bunyan a reu le don de chaudronnier... La rplique vint au juge, pousse de forte verve. Son Honneur, exgte d'occasion, dut reconnatre vite qu'il s'tait engag imprudemment sur un terrain brlant. Le chaudronnier se dcouvrait Ici fort l'aise.

    Le colloque s'anime, se prolonge. Comment finira-t-il ? De la faon la plus simple du monde. John Bunyan offre le flanc au coup qui va le frapper. SI prcher, l'Evangile est transgresser la loi, eh bien ! Il reconnat qu'il le fait et qu'il le fera encore, en toute occasion se prsentant.

    Il ne restait plus au juge qu' condamner. Ecoutez la sentence ! Vous devez tre ramen la prison et y demeurer les trois mois qui vont suivre. Si A la fin de ces trois mois vous n'acceptez pas d'aller l'glise pour y entendre le service divin et ne cessez votre prdication, vous serez banni du royaume ; et si, aprs votre bannissement, vous tes retrouv l'intrieur des frontires de ce royaume, sans autorisation spciale du rot vous serez pendu haut et court, je vous le dis trs nettement !

    Avant de Quitter la salle, crit John Bunyan, je lui dis... que si ce jour mme je sortais de prison, ds demain je prcherais de nouveau l'Evangile, avec l'aide de Dieu .

    Trois mois aprs, en excution du jugement, John Bunyan reut dans sa prison l'assaut de Cobb, greffier du tribunal. Avec grande courtoisie et habilet, le reprsentant du Juge essaya d'amener le prisonnier au respect de la loi. John Bunyan tait un loyal sujet de roi : pourquoi refuserait-il de s'incliner devant sa volont ? La question tait de celles qui font trembler les chrtiens qui lisent, dans les ptres de Paul, que les autorits, rois et gouverneurs,. sont Institus par Dieu. Le roi commande : va-t-il lui refuser obissance ?

    Je lui dis que Paul reconnaissait que les autorits de son temps taient institues par Dieu ; et pourtant, malgr tout, il fut souvent mis en prison. Et aussi, que Jsus mourut, sur la sentence de ce mme Pilate

  • qui Il avait dclar qu'il ne dtenait, aucun pouvoir contre lui qu'il ne l'ait reu de Dieu mme ! Et cependant, lui dis-je, j'espre que vous ne me direz pas que Paul ou Christ ont manqu de respect pour ces magistrats et ainsi pch contre Dieu en mprisant son Institution ! Non ! Mais, dis-je, Il y a pour moi deux attitudes possibles en prsence de la loi : l'une qui consiste faire ce que la loi dit, si en toute conscience, je crois tre dans l'obligation de le faire ; quant l'autre, si je ne puis obir activement, c'est de m'tendre sur le sol, et de 'supporter passivement ce qu'on voudra me faire.

    Cobb demeura sans rponse devant une pareille argumentation. Il avait essay, avant cet assaut final, de mettre en doute la vocation de prdicateur du prisonnier : Comment pouvait-il savoir qu'il avait t dsign par Dieu pour prcher ? Puis, Il avait essay de faire entrevoir le bannissement, en Espagne, peut-tre, o Constantinople ! En vain. Il ne put que s'asseoir, dcourag.

    Alors, crit Bunyan, je le remerciai pour ses propos civils et courtois, et nous nous sparmes Ah,puissions-nous nous rencontrer au ciel !

    Elisabeth, la toute jeune femme que Bunyan venait d'pouser, montra, en ces douloureuses circonstances, un courage vraiment tonnant. Elle fit parvenir une requte la Chambre des Lords, puis Sir Matthew Hale, juge aux Assises d't en 1661. Sa tnacit devait chouer. Hale se trouvait en prsence d'un jugement enregistr ; Il ne pouvait rien faire, disait-il.

    - C'est parce qu'il est chaudronnier et pauvre, s'cria-t-elle, qu'il est tenu en mpris et ire peut obtenir justice !... mais Dieu connat les siens : Il a fait beaucoup de bien par mon mari ! ... Quand le juste Juge paratra, il deviendra manifeste que sa doctrine n'tait pas doctrine du Diable !

    Il semble bien que Hale ait eu surtout le souci de mnager certains de ses collgues trs monts contre Bunyan. Mais coutons encore la jeune Dame Bunyan : J'ai oubli plusieurs choses, mais de ceci je me souviens. Bien que j'eusse t fort intimide ma premire entre dans la Chambre, cependant, avant d'en sortir, je ne pus faire autrement que d'clater en larmes, non pas tant parce qu'ils montraient un coeur si dur contre moi et contre mon mari ; mais penser quel triste compte ces pauvres cratures auraient rendre d'elles-mmes lorsque le Seigneur reviendra !

    Elle pleurait sur eux.

    L'emprisonnement de John Bunyan devait durer douze ans. Illgal, par consquent, puisqu'il tait condamn au bannissement. On dsirait videmment le mnager. Et cet emprisonnement devait parfois tre assez lger. Dj, pendant l'incarcration prventive il avait pu sortir plusieurs reprises et visiter le peuple de Dieu . Il s'tait mme remis prcher, ce qui lui avait valu de voir sa demi-libert supprime.

    Pendant ces douze annes de prison, il put parfois sortir et s'occuper de ses affaires, les autorits regardant ces liberts travers leurs doigts . Dans sa cellule de la prison du comt de Bedford, il travaillait subvenir aux besoins de sa famille. Ah! ce qui lui cotait le plus, dit-il, c'tait de se sparer de son ane, Mary, qui tait aveugle. Il recevait aussi des amis et prchait, comme Paul, jadis, en un lieu analogue. Surtout, Il crivait. Dans les six premires annes de son emprisonnement, il devait crire et publier neuf ouvrages en prose et en vers.

    En dfinitive, cependant, c'tait un emprisonnement illgal, et pour quel motif ! L'imbcillit de la mesure de violence exerce contre John Bunyan devait la longue causer au gouvernement royal un grave prjudice. Bunyan tait un simple vangliste, sans reproche dans sa rputation, loyaliste envers le roi, par

  • conviction. Mais, victime, il devenait un symbole. Toute l'Angleterre avait les yeux sur lui ; ses souffrances lui faisaient une aurole de martyr. La lumire devait en briller avec d'autant plus d'clat.

    VLA PRISON LIBERATRICE

    John Bunyan tait la veille de sa dernire victoire ncessaire : il avait encore, avant de conqurir la pleine libert, ultime victoire aprs tant d'autres remportes sur l'ennemi, en finir une fois pour toutesavec son vieil adversaire, la peur. De la faon la plus simple et aussi la plus nave, il commence le rcit de ce dernier assaut. Je vais maintenant vous dire une bien jolie affaire .

    Il est en sa prison, plein d'incertitude quant son avenir. Il passe en revue en son esprit toutes les ventualits c'est qu'il dsire s'y prparer ! Sera-ce la prison mais Il s'habitue cette Ide de la prison. Peut-tre sera-t-il pris au dpourvu par le fouet et le pilori ? Et s'il se prpare pour ceux-ci, peut-tre sera-t-il surpris par le bannissement, ou mme la mort ? Le mieux est de se prparer au pire, de se familiariser avec lui, considrer le tombeau comme ma maison, faire mon lit dans les tnbres, dire la corruption : tu es mon pre ; au ver de terre : tu es ma mre et ma soeur ! ... Il me faut d'abord prononcer sentence de mort sur tout ce qui est proprement une chose de cette vie, ma femme, mes enfants, ma sant, mes jouissances, tous morts pour moi, moi-mme mort pour eux .

    Sa croix la plus lourde c'est de penser sa femme et ses enfants sur qui Il fait crouler sa maison. Se sparer d'eux a t comme si on lui avait dcoll la chair des os. Ah ! la pauvre petite aveugle, Mary ! L'vocation de tout ce qui pourrait arriver l'enfant met son coeur en pices. Il la voit voue la mendicit, bouscule et battue, souffrant la faim, le froid, la nudit. La pense lui en est Intolrable. Il trouve cependant du rconfort dans la parole de Jrmie : Laisse tes orphelins, je les ferai vivre, et que ta veuve se confie en moi . (Jrmie 49 : 11.)

    Son imagination travaille maladivement sur son excution possible. Il se voit au pied du gibet, la corde au cou. Le tentateur ne dsarme pas : o Iras-tu aprs ta mort ? Non, la vieille pouvante close aux Jours les plus tendres de son enfance, au temps o son imagination recevait en empreinte Ineffaable, les Images crues et flamboyantes du chtiment Infernal, n'est pas encore morte. Pourtant, ce n'est plus la peur terrible qu'il connaissait Il n'y a pas si longtemps encore. Bunyan en parle comme d'une chose du pass. Mais c'est une autre peur qui le presse. Il a peur d'aller la mort avec un visage ple et des genoux tremblants, et ainsi de donner raison aux ennemis de Dieu et de son peuple, cause de sa poltronnerie.

    Il a peur d'avoir peur.

    Mais il trouve une consolation dans la pense que du haut de l'chelle il pourra exhorter encore la multitude venue le voir mourir.

    Puis il songe, comment n'y songerait-il pas la petite porte de Cobb, toujours ouverte. Il n'a qu' dire un mot, un mot d'vasion, et il ira retrouver sa famille. Sa famille ! Et puis la vie ne lui est-elle pas devenue tout coup plus prcieuse encore, depuis qu'il a senti en lui l'veil de puissances neuves en souffrance de crer, et de se manifester en oeuvres de force et de beaut ? Il peut crire. Il sait crire. Il a connu le sortilge des mots, il a frmi de la Joie de l'artiste.

    Il est seul. L'isolement est le terrain de prdilection du Tentateur. C'est depuis bien plus de quarante jours que Bunyan est au dsert. Les conflits se sont simplifis, accuss, aiguiss. Ils se rduisent maintenant

  • un choix entre oui et non. Ils ne peuvent gure se prolonger davantage : le moment est venu o l'indcision va tre intolrable.

    Pendant plusieurs semaines, je fus ballott, ne sachant que faire. Enfin, cette considration tomba sur moi, de tout son poids, que c'tait pour la Parole et pour le Chemin du Seigneur que je me trouvais en cette conjoncture, et que, par consquent il ne m'tait pas possible de m'carter de mon devoir de l'paisseur d'un cheveu. Je pensai aussi que c'tait mon devoir d'tre fidle sa parole, Dieu ft-il dispos jeter les yeux sur moi en ce jour ou ne me sauver qu'au dernier moment seulement: aussi, pensais-je, puisqu'il en est ainsi, je suis d'avis d'aller de l'avant, que je reoive secours ou non .

    Il jette son cri de dfi. Si Dieu n'intervient pas, me disais-je, je sauterai de l'chelle du gibet dans l'ternit, les yeux bands, soit pour sombrer, soit pour nager, vienne le ciel, vienne l'enfer, Seigneur Jsus, si Tu veux me saisir, fais-le ! Je risque tout pour l'amour de ton nom.

    Ce fut sa victoire dfinitive. Il lui avait fallu dire oui de toute la force de son me, l'extrme pointe du conflit. Point de paix pour Bunyan avant d'avoir rsolu avec force ; point de rsolution forte sans conflit de titan. Il faut bien prendre notre hros comme il est fait.

    Son me enfin est unifie, lie en un faisceau indivisible autour d'une irrductible volont. Il est dsormais, et le sera jusqu'au bout du plerinage, tout entier dans la confiance et dans l'obissance joyeuse. Le dernier seuil est franchi. Toute sa vie est la discrtion du Seigneur. Il la lui a apporte, dans le geste de l'ultime sacrifice consenti : le Seigneur la lui rend, prte dsormais pour les travaux qu'il lui rserve.

    Ainsi, c'est la prison qui a fait de Bunyan un homme dfinitivement libre. C'est un homme nouveau qui, maintenant, va et vient entre ses quatre murs. Il se laisse questionner par ses visiteurs ; il est cordial, rempli de bonne humeur, abondant en humanit souriante. Plein de sang-froid et d'une clairvoyance neuve, Il observe choses et gens d'un oeil sr et profond. Il ne se perd pas dans les nuages; de solide bon sens, il treint des mains et touche des pieds la ralit. Rveur, allgoriste, visionnaire, prdicant rustique, parfois chevel, tout ce que l'on voudra ! Il n'en demeure pas moins solidement plant sur terre ferme.

    Il a sa bibliothque : deux livres en tout, sa Bible et le Livre des Martyrs, de Fox. Puis, il a ses outils. On lui apporte rparer des ustensiles de mnage, : car Il faut que sa famille vive. Il a aussi du papier et de l'encre. Tout un monde nouveau palpite en son me : il le fouille, l'explore, le dcrit. Sa pense libre aussi est maintenant au bord du nid, prt prendre l'essor, se dilatant dans une joie neuve, au contact de la brise qui la soulve et va l'emporter.

    Il crit.

    Ce sont des serinons', des traits, des ouvrages plus volumineux. C'est ce moment que surgit d'une magnifique coule son autobiographie spirituelle Grce Surabondante, qui appartient aux Confessions de grande classe et demeure un des classiques de l'me. Il est vraisemblable que ce livre vint au jour comme suite, et sans doute en manire de dveloppement, un certain nombre de sermons qu'il prcha en sa chambre de prison. Car Il prchait toujours, tout venant. Parfois Il avait de vritables aubaines. Une nuit, une soixantaine de personnes avaient t surprises dans une runion prohibe, dans un bois. Les hommes de police conduisirent toute la troupe la prison ! John Bunyan remercia Dieu de l'aventure qui lui donnait un auditoire comme Il n'en avait eu depuis longtemps ; et l'auditoire se trouva merveilleusement bni d'avoir got de la prison, en compagnie de Matre John Bunyan.

  • Il publia coup sur coup des Mditations (Profitable Meditations), un trait sur la prire (Praving in the Spirit), un livre de morale vanglique (Christian Behaviour), deux livres de vers, la Sainte Cit (Holy City), la Rsurrection des Morts (Resurrection of the Dead), d'autres mditations (Prison Meditations). De tous ces livres, la Sainte Cit offre seul un intrt rel pour le lecteur moderne.

    Peu aprs avoir publi Grce Surabondante, Il bnficia de quelques semaines de libert. Des amis taient intervenus en haut lieu en sa faveur. C'tait pendant l'anne terrible de la peste qui dsola Londres et vint mme exercer ses ravages autour de la prison de Bedford, et Qui devait tre suivie du Grand Incendie qui ravagea la capitale.

    Ces calamits nationales avaient-elles inclin la clmence les hommes au pouvoir ? Nous ne savons. En tout cas, cette claircie dans l'existence de Bunyan devait tre de courte dure. L'incorrigible fut de nouveau surpris dans une runion prohibe et rintgra sa cellule. Elle devait lui servir de demeure pendant six ans encore.

    Nous connaissons beaucoup moins bien ce qui s'est pass pendant ces six nouvelles annes d'emprisonnement. Si au cours de son premier sjour Il avait publi neuf livres, dans le second, il semble n'en avoir publi que deux : une profession de foi (Confession of faith) et, peu de temps avant sa mise en libert dfinitive, en 1672, une Dfense de la Doctrine de la Justification par la Foi (Defence of the Doctrine of Justiftcation by Faith).

    On a cru pendant longtemps que son chef d'oeuvre, le Voyage du Plerin avait t crit pendant ce sjour de douze ans en prison. On est peu prs sr aujourd'hui que le livre fut crit au cours d'une nouvelle incarcration qui dura six mois, cette fois, et qui eut lieu cinq annes aprs sa libration de son long emprisonnement.

    C'est grce aux vnements qui assombrissaient cette poque la vie publique de l'Angleterre que Bunyan obtint sa mise en libert.

    Le roi dsirait vivement ramener son peuple au catholicisme, et s'tait assur par un trait secret l'appui du roi de France. Pour cacher ses menes, il crut d'habile politique de se montrer soudain enclin au libralisme envers les Eglises dissidentes, depuis longtemps perscutes par l'Eglise tablie. Il signa la Dclaration d'Indulgence de mars 1672.

    Les prisons s'ouvrirent. Bunyan, avec beaucoup d'autres, sortit de la gele de Bedford, libre enfin.

    Ce fut un retour triomphal. Quelques mois auparavant, le 31 dcembre 1671, anticipant sur les vnements, la communaut fonde par Gifford et dont il tait membre, lui avait demand de devenir son pasteur. Il avait accept. Une grange spacieuse avait t achete pour servir de lieu de culte. Les autorits en donnrent licence. En mme temps fut accorde John Bunyan l'autorisation d'exercer sa charge de pasteur congrgationaliste.

    Alors se droula dans l'allgresse le premier culte prsid aprs sa dlivrance. Toute la famille de Bunyan tait prsente : Elisabeth, sa femme, Mary, la jeune aveugle, et qui avait maintenant vingt ans, John et Thomas ses deux fils.

  • VI L'EVEQUE BUNYAN

    John Bunyan est maintenant une sorte de personnage national. Ses livres sont entre les mains de la multitude. Son autorit spirituelle est grande et douze ans de prison lui ont assur un rayonnement plus certain.

    Le chaudronnier est dsormais pasteur. Mais il continue entre temps son mtier : car il faut que la famille vive. Quand aprs sa mort on lira son testament, on le verra se donner encore le titre de chaudronnier : John Bunyan, brazier.

    Il s'adonne la cure d'me et la prdication. Il voyage beaucoup et visite les Eglises de sa communion, les fortifiant dans la foi. Naturellement, Il est plong jusqu'au cou dans le courant religieux de son temps, et Il est grand controversiste devant l'Eternel. Sur quoi se bat-il ? - car Bunyan doit se battre. - Il dfend avec frocit la doctrine de la justification par la Foi. Il ne peut admettre que le salut se trouve en lui de naturelle faon, dans quelque coin cach de son me. Le souvenir de ses angoisses passes suffit pour lui rendre cette pense seule Intolrable. Qu'un homme soit aussi dvou que possible la loi et la saintet de la loi ; si cependant les principes sur lesquels il agit ne sont que les habitudes de son me, la puret -pense-t-il - de sa propre nature, les commandements de sa raison naturelle, les dcrets de la nature humaine, tout cela n'est rien d'autre en dfinitive que le vieux gentleman dans ses habits du dimanche, le vieux coeur, le vieil esprit; nous sommes en prsence de l'esprit de l'homme, point de l'esprit de Christ !

    Un certain Fowler lui rpondit frocement dans un pamphlet dont le titre lui seul donne le ton:

    L'ordure nettoye (Dirt wip'd off).

    Mais Il eut se livrer des controverses plus pnibles avec des membres de sa propre communion, avec des Baptistes plus stricts, avec un certain Kiffin, entre autres, riche marchand et pasteur d'une congrgation baptise . Bunyan tait spar d'un grand nombre de chrtiens de sa communion sur une question qui n'tait pas peu Importante. C'tait l'poque o un grand nombre de communauts baptistes s'taient cres en Angleterre par leur sparation d'avec l'ensemble des Eglises congrgationalistes auxquelles elles avaient t attaches jusque-l.

    Le pont de Bedford avec la prison o Bunyan resta douze ans.

  • Le pont de Bedford

    La question qui avait amen la sparation tait celle-ci : faut-il admettre, la table de communion et dans l'Eglise, des chrtiens non baptiss ? Jusque-l, l'admission avait lieu sur profession de foi et aprs un vote de l'assemble. Le baptme n'tait pas un rite ecclsiastique, obligatoire, mais un acte d'obissance personnelle.

    John Bunyan avait t baptis par Gifford dans l'Ouse, la rivire de Bedford. Mais il avait adopt les principes de l'Eglise de Bedford, - qui subsiste d'ailleurs jusqu' ce jour telle que Gifford l'a fonde, -Eglise dont Il tait maintenant le pasteur. Or, le principe d'admission dans cette communaut tait large, tout en tant fermement et strictement vanglique : foi en Christ et saintet de vie.

    Leur doctrine tait celle des Pres Plerins qui, quelques annes plus tt, en 1620, avaient quitt l'Angleterre sur le Mayflower, pour crer les colonies anglaises d'Amrique, destines devenir plus tard les Etats-Unis. Ils croyaient, disaient-ils, qu'une vritable Eglise de Jsus-Christ doit, autant qu'il est possible de s'en assurer, ne contenir que des chrtiens conscients et convaincus. Elle doit tre dans un sens rel, le Corps de Christ, une maison du Roi, le Temple de Dieu en Esprit, une association volontaire de ceux qui ont t appels, rachets, sanctifis par la grce de Dieu, qui ouvertement confessent son nom et cherchent marcher sur ses traces.

    Lorsque John Bunyan entra dans le pastorat, une controverse faisait rage sur la question du baptme: controverse douloureuse pour Bunyan. Pris partie sur la question du rite baptismal, Il en affirma la valeur mais se refusa voir en lui une cause de sparation d'avec d'autres chrtiens. Mprise-t-il les rites institus par Dieu ? A Dieu ne plaise ! Ne sont-ils pas des lettres d'amour entre Dieu et l'homme? Il demande tout simplement Qu'on les laisse dans leur juste perspective, et qu'on ne leur donne pas une importance exagre.

    Ses adversaires l'accusent d'tre du Diable. Ils l'accusent d'user d'arguments de Pdobaptistes . Ici rapparat le chaudronnier, et qui parle dlicieusement. Je vous le dis Ingnument, J'ignore ce que Pdo veut dire : alors, comment pourrai-je rpondre vos arguments ?

    Il subit de furieux assauts. Il en souffre affreusement. Mais il refuse de rpondre raillerie pour raillerie. Il est, dit-il, baptiste, et il crit comme tel, Il est pour la communion des saints parce qu'ils sont saints , Je le dis encore, montrez-moi un homme qui, manifestement, est croyant et marche avec Dieu, bien qu'il diffre de moi sur la question du baptme, les portes de l'glise lui sont ouvertes et tous nos privilges d'origine cleste sont sa disposition .

  • Puis, le ton s'lve quelque peu violent, rugueux, un peu amer, du pur Bunyan. Puisque vous voulez savoir par quel nom je voudrais tre distingu des autres, je vous dclare que je voudrais tre, et J'espre que je suis, un chrtien ; je choisis, si Dieu m'en estime digne, d'tre appel chrtien, croyant, ou de quelque autre nom approuv par le Saint Esprit. Et quant ces titres Anabaptistes, d'Indpendants, de Presbytriens et autres du mme genre, Je conclus Qu'ils ne viennent ni de Jrusalem, ni d'Antioche, mais de. l'Enfer et de Babylone, car Ils engendrent des divisions .

    Il faut prendre Bunyan tel qu'il est : sa faon, une sorte de paysan du Danube.

    John Bunyan est pasteur fidle, berger des mes, prdicateur fougueux. Son ministre lui apporte de grandes joies, quand les controverses lui laissent du rpit et lui permettent de dposer son armure. Mais parfois, les grandes temptes. soufflent sur son me et leurs violences le harassent.

    En 1674 se place dans sa vie un pisode trs dramatique, mlodramatique mme. Une jeune fille du nom d'Agns Beaumont, membre d'une congrgation dont il avait la charge, tait courtise par un homme de lot du pays, mondain et Infidle . Sur une Intervention de Bunyan, le mariage choua. Le pasteur s'tait fait deux ennemis, le prtendant vinc et le pre de la jeune fille. Celui-ci dfendit formellement sa fille d'assister dsormais aux runions de Bunyan.

    Par une journe d'hiver, voulant cependant aller au prche de Frre Bunyan, elle fut surprise par une tempte de neige. Un cavalier la rejoignit sur le chemin, qui n'tait autre que le pasteur lui-mme. Elle le supplia de la laisser monter en croupe. Il rsista. Qu'allait dire son pre ? N'allait-il pas tre furieux 7 Elle insista tellement qu'il cda. Naturellement, on les rencontra et le pre fut le premier averti. Quand elle rentra le soir, la jeune fille se vit refuser l'entre de la maison et dut passer la nuit dam la grange grande ouverte, par un temps de forte gele. Le lendemain enfin, elle fut admise chez son pre, sur sa promesse de ne. plus aller aux services de Bunyan.

    La nuit suivante, Beaumont fut frapp d'une attaque foudroyante et mourut. Le prtendant conduit trouva ici sa vengeance toute prte. Il proclama dans le pays qu'Agns avait empoisonn son pre et que Bunyan avait fourni le poison.

    La Jeune fille fut arrte. Bunyan avait beaucoup d'ennemis dans le pays. Une campagne de haine et de calomnie se dchana contre lui avec une violence rare. Il souffrit affreusement sous les morsures de la cabale. La jeune fille allait-elle tre brle vive ainsi que l'ordonnait la loi 7 L'autopsie faite sur l'ordre du coroner la sauva heureusement et la mit hors de cause. Mais c'est Bunyan qui, maintenant, devient l'objet des attaques publiques. Ne dit-on pas qu'il a deux femmes en mme temps ?

    Il resserre son armure. L'agression est Insidieuse. Attaquer un prdicateur de l'Evangile dans son caractre moral, c'est le ruiner presque srement, mme s'il est absolument pur de tout reproche. Qu'ils essaient de prouver contre moi qu'il y a une femme quelconque sur la terre, dans le ciel ou en enfer, avec qui ils puissent dire que j'aie jamais, en aucun lieu, de jour ou de nuit, essay seulement de me conduire mal !

    John Bunyan, avons-nous dit, a beaucoup d'ennemis. Il y a Farry, l'homme de loi, le fianc vinc. Il y a tous les libertins du pays, dnoncs continuellement par son inexorable loquence. Il y a ceux de l'Eglise tablie, souffrant dans leurs prjugs et dans leur orgueil de classe de voir un chaudronnier dans la Chaire de Vrit, sans qu'un vque lui ait confr des ordres... Toute la contre est en bullition et Bunyan est perptuellement sous les armes. Il porte vaillamment l'preuve, mais elle l'puise.

  • Au surplus, toutes les ardeurs de sa nature combative sont veilles, dresses, en tumulte. Il est en perptuelle tension d'esprit. Frre Bunyan a besoin de repos ; une retraite spirituelle, dans la solitude, hors des pressions professionnelles, lui ferait grand bien. Puis, s'en rend-il compte seulement, Il vibre au prlude d'un nouvel essor librateur, d'un essor crateur, tout prs de l'panouissement dfinitif.

    Ces vacances ncessaires, la faveur du roi va les lui procurer.

    En mars 1675, un mandat d'arrt est lanc contre John Bunyan, chaudronnier, coupable d'avoir prch et enseign dans une runion prohibe. Depuis 1673 en effet, la Dclaration d'Indulgence avait t rappele par le Parlement. On fit d'ailleurs beaucoup d'honneur Bunyan treize juges, pas un de moins, signrent le mandat

    Il devait demeurer six mois en prison. Ce n'tait plus la gele du comt o il avait pass douze annes de sa vie, de 1660 1672. C'tait la prison de la ville, la prison sur le pont difie au dessus de l'arche centrale du pont jet sur l'Ouse. C'est ici, dans les quatorze pieds carrs qui lui servaient d'appartement, que Bunyan eut le temps de rver et de s'ennuyer. Et c'est ici, au dessus de la rivire, distrait tout instant par le crissement des essieux, le pitinement des chevaux et les cris des pitons sur le pont, qu'il crivit, par dlassement et par pure rcration, la premire partie du Voyage du Plerin, l'oeuvre immortelle.

    Il est certain qu'il ne pensait pas crire un ouvrage important. Ce fut un simple passe-temps. Il laissa couler le rcit de sa plume, tout naturellement, et de son coeur. Sans effort sans recherche. Aussi avons-nous ici dans cette prose magnifique, l'homme mme, sans apprt.

    Dj, avons-nous vu, Bunyan avait crit en prison un ouvrage destin rsister l'usure des sicles, sa Confession, Grce Surabondante. Mais alors, Il avait voulu faire oeuvre littraire, et, de fait, la grandeur et la noblesse du livre n'arrivent pas cacher l'effort laborieux de l'crivain.

    Ici, c'est l'expression spontane, immdiate, d'une me transfigure, rgnre et ordonne selon la loi nouvelle. Ce n'est plus le chaos de la confession, mais la certitude joyeuse du chrtien qui sait. Toute la pit puritaine, toute la foi virile, ardente, conqurante du chaudronnier, foi clatante mais riche pourtant en cicatrices, vestiges de blessures refermes, s'tale ici dans une pope claironnante et dlicate tout ensemble.

    Le chef-d'oeuvre est sorti tout arm de sa tte et de son coeur. Mais tout ce que nous savons du Bunyan qui a prcd cette apparition, nous convainc que l'expression pure et forte de cette foi rayonnante et pleine,- est le fruit d'un long travail d'me, douloureux toujours, et souvent angoiss.

    Toute sa pense s'y trouve, coule dans le moule de l'allgorie, la meilleure Somme de Thologie Evanglique que je connaisse , devait dire Coleridge plus tard.

    Toute la foi et toute la vie de John Bunyan, l'homme mme, voil l'oeuvre. Elle devait acqurir au prisonnier, et certes bien sans qu'il l'ait recherche, une gloire Imprissable destine aller sans cesse grandissant.

    Cependant, alors que John Bunyan rvait en prison et dialoguait avec les crations de son gnie, Thomas, son pre, achevait son plerinage. Il fit son testament la faon traditionnelle des Bunyan, lguant son me aux mains du Tout-Puissant, esprant, par la mort mritoire et la passion de Jsus-Christ, son seul Sauveur et Rdempteur, recevoir le pardon de ses pchs , laissant son fils John un shilling , son

  • fils Thomas, sa fille Mary, la mme somme, et le reste Anne sa femme pour faire ce qu'il lui plaira de faire...

    Nous ne savons que fort peu de chose sur cet emprisonnement de six mois dans la gele du pont, et nous Ignorons comment et quelle date Bunyan en sortit. Il nous suffit de savoir qu'il marque l'entre dfinitive de John Bunyan dans sa magnifique maturit.

    Il reprend son pastorat, et aussi la plume et l'critoire. En 1680 parait la Vie et la Mort de M. Badman (de Monsieur Mchant Homme) ; en 1682, la Sainte Guerre et en 1685, la seconde partie du Voyage du Plerin. Avec Grce Surabondante, ces ouvrages constituent dans la masse des soixante livres et pamphlets que nous a laisss la plume fconde de John Bunyan, ceux qui ont travers victorieusement la longue preuve de la critique et trois sicles d'usage. Les autres ne se lisent plus gure.

    On se demande comment, oblig de continuer gagner sa vie par son travail de chaudronnier, tir de tous cts par les exigences sans cesse grandissantes de sa charge de pasteur, Bunyan a pu encore s'adonner au labeur d'crivain. Il ne nous a laiss aucune indication sur ce sujet.

    Il se rvle de plus en plus l'homme qui rpond aux besoins et de son pays et de son Eglise. Les temps exigent, des chefs. spirituels, une grande foi et un grand courage. De nouveau, la Non Conformit est pourchasse. Les lieux de culte sont ferms. Comme en France, les prches ont lieu au dsert, dans la fort, dans les maisons plusieurs Issues, pour que l'vasion soit facile, le cas chant.

    L'Angleterre passe de convulsion en convulsion. Age sombre qui laisse dans l'esprit l'horreur et la stupeur. Partout, confusion, suspicion, grossires brutalits, flagellations publiques, fers rouges, pendaisons, dcollations...

    A ce moment se droule le procs du grand vtran du Dissent, Richard Baxter, me brlante, gigantesque, que porte mal un corps us, faible et petit. Le juge Jeffreys, de sanglante mmoire, s'en donne coeur joie. Il a une frnsie d'injure, de torture, et de sang. Les bourreaux suffisent peine la tche.

    A Charles Il a succd le catholique Jacques II. La Terreur redouble, les boucheries aussi. Ce sont excutions en masse, Ignobles talages de meurtre. La populace s'en dgote la fin, l'historien a hte de tourner une autre page.

    Bunyan est au dsert. Il crot encore. L'ancien soldat de Fairfax a largi son armure pour l'adapter sa stature grandie. Il crit ses Conseils ceux qui souffrent. Il faut souffrir sans haine. Quand on accepte la souffrance sans calme, c'est l'indice qu'on serait perscuteur soi-mme si l'occasion en tait donne. La vengeance est de la chair : le fruit de la peur !

    Je suis dtermin tenir bon, en portant ma croix la suite de Christ, mme si ce faisant je dois arriver la mme fin que lui . Celui qui est ainsi rsolu est invincible. Il est vainqueur, mme s'il est tu.

    Aimez vos ennemis ! Voyez le bien l o les autres ne le dcouvrent point ! Laissez passer les Injures dont d'autres se vengeraient. Rendez le bien pour le mal ! Apprends avoir piti de la condition de l'ennemi. Bnis Dieu de ce que tu n'es pas dans l'autre camp ! Fais cela, dis-je, mme s'ils te prennent tout, ne te laissent que la chemise sur ton dos, la peau sur les os, ou un trou dans la terre pour t'y recevoir... Sois tranquille et si l'ennemi te frappe sur une joue, prsente-lui l'autre ! Et et, aussi, il te maudit et t'insulte, Jette-toi genoux et prie pour lui. C'est l le seul moyen de convaincre ceux qui t'observent . Confie-toi en Dieu et agis selon sa volont. Ici est la scurit complte et ternelle.

  • Assurment, le Bunyan qui crit et prche ainsi au plus sombre de la perscution est dfinitivement libr des antiques terreurs. Il a dpass le puritain de Cromwell, bard de fer et fanatique : Il est du peuple des Batitudes. Il a retrouv l'hroque et virile foi du chrtien primitif. Bunyan est homme du Nouveau Testament.

    John Bunyan est maintenant entr dans sa dernire tape. Il a une renomme qui dpasse les limites mmes du royaume. Le Voyage du Plerin lui a valu cette rare faveur ; mais aussi son autorit de chef du Dissent. On l'appelle plaisamment Bishop Bunyan. Ce titre d'vque ne l'effarouche pas. En bon anglais, il a le sens de l'humour. Mais son zle Inlassable, sa puissance comme prdicateur, son solide bon sens et son parfait quilibre font de lui un chef cout.

    Pourtant, il est peu recherch par les autres chefs de la Non Conformit. C'est qu'il est inlassablement et passionnment, l'ennemi des sectaires et des esprits troits. Sa vision de catholicit du Christianisme, au dessus des barrires si follement dresses par le sectarisme fanatique, enflamme toujours son enthousiasme et sa foi. Il semble d'ailleurs un instant qu'une sorte d'union de toutes les forces protestantes se ralise en Angleterre par la grce de Jacques II, catholique et perscuteur. Paradoxalement, la Conformit, elle-mme devient non conformiste, et voit sept de ses vques prendre le chemin de la prison ! Les temps sont changs !

    Pas pour longtemps. Guillaume d'Orange va dbarquer en Angleterre et avec Jacques II en fuite, disparat jamais l'espoir d'une restauration du catholicisme romain en Angleterre. La longue tribulation est finie.

    Mais dj une nouvelle tombe va s'ouvrir au cimetire de Bunhill Fields.

    A la fin de sa vie, John Bunyan est l'aise. Ses livres lui rapportent. Une longue vie de frugalit et d'conomies lui a permis de devenir propritaire de sa maison. Il connat, enfin, une heureuse vie de famille.

    Il va souvent prcher Londres. Il runit parfois jusqu' trois mille personnes le dimanche; et la semaine, l'hiver, 7 h. du matin, parfois douze cents personnes, surtout des ouvriers, se runissent pour entendre une confrence de celui qui est toujours le chaudronnier de Bedford. Owen disait qu'il aurait volontiers renonc toute sa science pour possder la puissance de ce chaudronnier, dans la prdication.

    En Angleterre, le Voyage du Plerin a dj atteint onze ditions, et des traductions se vendent en France, dans les Flandres et en Hollande.

    Il a soixante ans et il est extnu. Un Jour, alors qu'il est en route pour Londres o il doit prcher, Il fait un long dtour pour aller, bon pasteur, rconcilier un pre et un fils. Il russit dans sa mission. Mais une tempte le surprend alors que, cavalier solitaire, Il se hte vers Londres. Tremp Jusqu'aux os, fouett par la bourrasque, Il prend froid. Fivreux, Il prche quand mme, mais doit se mettre au lit aussitt aprs. Il ne s'en lvera plus.

    Son plerinage est fini. Le 31 aot 1688, Il pntre son tour dans la Cit Cleste.

  • VIIL'HOMME

    Les titres de John Bunyan la place qu'il occupe dans le coeur de la chrtient protestante sont nombreux. Sans doute les chrtiens de langue anglaise ne peuvent-ils oublier que, venu au monde douze ans aprs Shakespeare, et, lui aussi, un magnifique ouvrier de la langue anglaise, 9 a t plus lu que Shakespeare. Mais le protestantisme du monde entier, Indiffrent aux bornes du monde anglo-saxon, voit en Bunyan un de ces hommes cariatides qui, de sicle en sicle, se dressent superbement pour supporter le toit de l'difice chrtien.

    Il a une place part. Il ralise un type de chrtien. Il le fait avec tant de force Qu'il est devenu un hros religieux, chef de file d'une ligne, Incarnation d'un Idal. Dans la grande famille chrtienne de l'Eglise, il reprsente le peuple ou la plbe, la multitude des petits, de ceux qui se comptent autour des Batitudes, qui n'ont le prestige ni de la richesse, ni de l'ducation, mais qui vivent de la Bible, ayant trouv en elle leur vocation d'enfants de Dieu. Ils sont rois, sacrificateurs, au demeurant petits artisans, hommes et femmes, humbles, pauvres, travailleurs. Bunyan est frre an parmi eux, rien de plus, en toutes choses leur gal, sauf pour la marque particulire qu'une vocation divine toute spciale a mise sur son me, sauf aussi pour le gnie de sa personnalit exceptionnelle, puissante et dlicate tout ensemble.

    John Bunyan. serait sans doute le patron saint des rtameurs si nous nous payions le luxe de sainte et de confrries. Il n'en est pas moins mont en vitrail. Si ses restes reposent dans le cimetire de Bunhill Fields, Londres, l'Abbaye de West