BIODANZA ET CONTE
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Monographie de titularisation 30 juin 2013
BIODANZA ET CONTE
Véronique FAURE
Deuxième Cycle Septembre 2009- Juin 2012
Jury de soutenance : Raul TERREN : Directeur de l’école de Bourgogne, Président de l’IBF, Didacte. Carole RIVIERE : Didacte, membre de l’équipe de direction de l’école de Bourgogne. Valérie RICHARD : Didacte, référente de monographie.
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PLAN DE LA MONOGRAPHIE
Pourquoi cette monographie 3 Préambule 5 1 / Présentation brève mythe, légende et conte 6 2 / La Biodanza et les mythes 7 3 / Le conte plus précisément 11 Introduction 3-‐1 Le conte merveilleux plus particulièrement: 12 -‐ Sa structure morphologique 12 -‐ Sa structure fonctionnelle 13 3-‐2 Le conteur et l’auditeur 13 4 / Analogie structurelle Biodanza et Conte merveilleux 17 4-‐1 L’école de bourgogne suivrait la dynamique du conte 17 4-‐2 La vivencia suivrait la dynamique du conte 23 4-‐3 Parallèle courbe de la vivencia et structure du conte : quelques propositions 27
5 / Analogie des actions Biodanza et Conte 29 6 / Analogie des Personnages 39 6-‐1 Analogie entre le facilitateur et le conteur, et chez moi. 39 6-‐2 Analogie autour du pacte narratif 46 6-‐3 Analogie biodanseur et auditeur 46 7 / Le conte de ma rencontre avec la Biodanza 47 8 / Les contes de sagesse pour illustrer les valeurs de la Biodanza 63 Conclusion 65 Remerciements 69 Bibliographie 71 Annexe -‐ Présentation mythe, légende et conte 73 -‐ Les types de conte 77 -‐ La classification des contes 82 -‐ Quelques contes pour illustrer 84 -‐ Quelques textes qui font partie de ma vie 100
Il était une fois…..
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Pourquoi cette monographie Lors de l’école un « je ne sais quoi » m’a poussée à prendre une place de conteuse, dès la première soirée Musique Poésie Voix, le tout premier week-‐end … J’étais à la fois épuisée physiquement et tellement portée par ce que je vivais, que mes jambes m’ont portée au milieu de la salle et le conte est venu …. Celui de l’arbre aux deux branches, Et la vivencia a été déflagrante pour moi…. Le conte et moi, c’est une longue histoire mais une histoire entrecoupée, avec de longues, longues éclipses. Déjà il y a trente ans j’ai choisi de faire un mémoire en master de linguistique à la Sorbonne sur le Petit Chaperon Rouge… et puis quand mes filles étaient petites, les contes dans leur classe en maternelle …. Et puis quelques contes par-‐ci par-‐là lors de fêtes familiales ou de soirées amicales , dans ma belle cave voutée… et puis une longue plaine… et dans mon travail d’orthophoniste auprès d’enfants ayant de gros troubles de la personnalité et du comportement, la mise en place d’ateliers thérapeutiques avec ce merveilleux médiateur qu’est le conte…. Et la Biodanza qui a montré son bout de nez en 2006 et ….. m’a enlevée dans ses bras. Et la formation à l’école de Bourgogne… Et de fil en aiguille le groupe m’a reconnue conteuse et m’a validée, chaque fois que le conte me prenait au ventre et s’échappait entre mes lèvres et qu’il venait me toucher et toucher mes compagnes et mes compagnons.
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Durant ces trois années de formation, sans que mon regard ne s’y arrête, que je n’en prenne vraiment conscience, Biodanza et Conte se sont entremêlés et ont cheminé de concert. Biodanza est venue transformer ma vie et me donner des ailes de héros et des ailes de conteuse. J’étais devenue le héros de mon parcours vers la facilitation. Et puis que s’est –il donc passé? Quelle alchimie a opéré ? Et bien plus encore…. Et j’ai eu envie d’explorer cela encore plus. Et certainement un jour réunir les deux, Conte et Biodanza…. Sans doute ce travail de monographie va-‐t-‐il être une première avancée vers cela …… Cette monographie devrait être juste une planche d’appel vers quelque chose qui ne faisait que s’amuser à glisser derrière les limbes de mon imaginaire et de mon quotidien. Tout du moins quand j’écris ses premières lignes.
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PREAMBULE
Cette monographie est une monographie émanant de et pour la formation de Biodanza. Je prends les premiers chapitres pour mieux situer et décrire le conte, afin de pouvoir mieux établir l’analogie que je perçois et ressens entre les deux.
Il m’a semblé important de faire tout d’abord un tour d’horizon comparatif entre mythe, légende, conte (En annexe, je joins une présentation plus complète de ces trois récits). Puis de faire un rappel de l’apport des mythes dans la Biodanza avant de regarder le conte plus précisément.
J’ai ensuite souhaité établir l’analogie à différents niveaux : La structure, les actions, les acteurs. C’est la partie majeure de ma monographie. A la faveur de ces parallèles apparaîtront les similitudes mais aussi les grandes différences.
Et puis, j’ai voulu écrire un conte sur mon parcours parce qu’il faut être un héros ou une héroïne pour partir sur ce chemin et vivre cette aventure avec ces épreuves, ses bonheurs et sa magie…
Dans un dernier chapitre, partant de mon vécu de biodanseuse et de conteuse, je propose une liste de contes qui viendraient illustrer les cinq lignes du modèle théorique.
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MYTHE LEGENDE ET CONTE
Le mythe comme la légende et le conte illustrent un récit. Mais Il faut souligner que le mythe est un concept qui a précédé la légende et le conte. Alors que le mythe fait référence à une histoire sacrée faisant intervenir des dieux, déesses ou entités surnaturelles, la légende s'appuie sur l'Histoire telle qu'elle a ou pu exister. La légende est une histoire de croyance. Quant au conte qui a traversé les siècles, il nous entraîne dans le sillage d’un personnage au départ ordinaire, simplement humain. De fait, les mythes contiennent différents motifs similaires à ceux des contes et, à l’inverse, on retrouve dans les contes populaires bien des éléments venant des mythes. Il n’empêche que le sens des mythes est plus chargé que celui des contes. C’est à travers eux qu’une culture trouve toute son expression et se forge, à partir de sa mémoire, de ses traditions et de ses coutumes. Le mythe nous parle du collectif et le conte nous parle de l’individuel. Le Temps est aussi un critère crucial dans la distinction entre ces genres. Contrairement au conte, la légende n’échappe pas à la temporalité et à la localisation. Le mythe se déroule dans un temps primordial et lointain, hors de l’histoire. Autre différence liée à la fin du récit : dans le mythe, la fin est tragique ; dans le conte merveilleux, la fin est heureuse. Les modalités d’énonciation sont aussi très différentes entre ces trois genres : les légendes font partie d’un savoir commun, elles sont évoquées mais les connaît-‐on d’un bout à l’autre ? Le mythe lui fait l’objet d’allusions constantes dans notre langage, métaphores qui ne nécessitent pas pour les utiliser une connaissance précise du mythe. Le conte, lui, est nettement séparé du reste du discours du conteur. Il forme une entité à part entière. De plus il est celui qui est lié à l’acte de conter, performance jugée et appréciée comme telle. Le mythe est narré comme une histoire absolument unique : jamais elle n’aurait pu arriver à quelqu’un d’autre, ni ailleurs. Le personnage mythique a un nom et on cite aussi celui de ses parents. Il ne peut s’appliquer aux simples mortels que nous sommes. Le mythe est énoncé comme tel. Le conte lui est présenté comme quelque chose d’ordinaire qui peut arriver à n’importe qui. Le héros d’ailleurs ne porte que des surnoms descriptifs ou des noms très courants, les autres personnages n’ont pas de nom. Nous pourrions aussi évoquer ici les différences de structure morphologique de ces récits mais bien que passionnant, cela nous amènerait trop loin du sujet. Seule, celle du conte sera visitée un peu plus loin, comme une des bases de notre réflexion sur les analogies possibles avec la Biodanza. Dans l’étude des récits la distinction n’est pas si aisée car certains récits empruntent à chacun des genres un certain nombre de caractéristiques. Notons les grandes différences dans un coin de notre esprit et laissons nous faire et embarquer par le genre qui nous convient le mieux au moment où on l’entend ou on la lit Tous ces récits ont un intérêt, à des degrés différents, philosophique, historique, psychologique et artistique. Un chapitre présentant de manière plus détaillée ces trois types de récit est mis en annexe.
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2 – LA BIODANZA ET LES MYTHES Pour Rolando Toro, il était essentiel de s’occuper des besoins primordiaux de notre humanité: le besoin de célébrer la vie et le besoin de rester en relation profonde avec la nature. Rolando Toro a puisé dans les mythes grecs qui sont des « références de notre société » et propose au travers de la connaissance des grands mythes de l’Antiquité et de ses archétypes, de se connecter à l’héritage de l’humanité et de se reconnecter au mystère de la vie. On retrouve les archétypes dans toutes les civilisations, même si les histoires qui les supportent peuvent être différentes. Rolando Toro a retenu quatre grandes figures: Déméter, Dionysos, Orphée, Le Christ . « A travers ceux-‐ci, je désire montrer les différents aspects de l’éternelle nécessité humaine de célébrer la vie et la nature ». Tous les quatre ont pu aller du monde des vivants au monde des morts et renaître. Se posent alors les questions essentielles : Comment vaincre la mort ? Comment vaincre l’entropie ? Comment renaître ? Il a vu en ces mythes l’acte de foi des vivencias de nos ancêtres et en a saisi toute la poésie. Les mythes sont dans la poésie, les sciences dans le rationnel. La Biodanza est une cérémonie (groupe, musique, danses, cadre, rituels) qui nous met en relation avec la puissance originelle. Nous célébrons alors la vie comme quelque chose de puissant et de sacré.
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Rolando Toro a choisi quelques-‐uns de ces mythes comme source fondamentale du travail en Biodanza. Il a donné une dimension corporelle aux mythes ; c’était une dimension que Carl Jung avait pressentie comme essentielle pour une avancée dans le soin thérapeutique. Il avait découvert l’inconscient collectif et avait parlé non seulement d’un ADN génétique avec lequel nous venions au monde mais aussi d’un ADN psychique, des explications mythiques dont nous héritons collectivement et pas individuellement. En Biodanza, le corps est la matière de l’expérience, il ne s’agit pas de le transcender pour atteindre le spirituel. Rolando Toro nous permet d’incarner les mythes et les archétypes; Il nous les fait danser: -‐ Le mythe de Déméter : La connexion avec la nature. L’idée est que la présence divine est dans la nature et ses processus de fertilité. Perséphone représente notre côté souterrain, notre âme et notre inconscient. Déméter est libératrice, elle nous permet de récupérer la puissance. -‐ Le mythe de Dionysos : L’extase par le plaisir. Le « né-‐trois fois » célèbre sa propre transformation. Sa danse est pour se libérer de ses entraves et pour libérer ses potentialités instinctives profondes. -‐ Le mythe d’Orphée : Le pouvoir musical, pour induire la transmutation intérieure du corps et de l’âme et rétablir la confiance. -‐Le rayonnement d’Apollon : L’ouverture affective, transcendante et sensible pour voir la beauté du divin. -‐Le mythe du Minotaure et du labyrinthe, parle de l’archétype de la puissance animale en l’homme, et permet de faire face à nos peurs -‐ La mission argonaute : La recherche d’une intense connexion à la vie. -‐ Le mythe d’Isis et Osiris : La mort et la résurrection par l’amour. L’idée archétypale que l’univers se renouvelle périodiquement. L’idée de la résurrection des morts est aussi commune à de nombreux peuples. Le mythe parle de la force de reconstruction de l’amour. -‐La trilogie hindoue : Shiva (changement), Vishnu (conservateur), Brahma (Créateur). De plus, Rolando Toro s’est référé à trois principaux philosophes: -‐ Pythagore : L’unité entre l’univers et les êtres humains, la musique des sphères. L’homme est intégré à la nature, tout dans l’univers est en lien et en harmonie. L’être humain doit trouver son propre chemin. -‐ Héraclite : L’univers est en mouvement permanent. Il est le précurseur de la vision holistique, de l’idée de l’ordre implicite et du concept de danse cosmique. L’Univers est vivant et sacré. -‐ Jésus Christ : L’amour et la miséricorde. Son message est l’invitation à l’amour du prochain. La force de l’amour peut guérir. Ce travail sur les mythes et archétypes nous donne l’occasion d’être quelqu’un d’autre et d’expérimenter quelque chose de différent. C’est une expérience dont nous n’avons pas la possibilité dans notre contexte habituel. Travailler avec les archétypes est une expérience biocentrique. Ces archétypes lors de l’école sont peut-‐être un des instruments de transformation les plus puissants. Nous n’utilisons pas les archétypes sacrificiels qui nous emmènent vers la mort. La Biodanza change la fin du mythe : ainsi l’Orphée retrouve son Eurydice
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Tous les archétypes travaillent à sacraliser la vie et à se réjouir de la vie. La Biodanza est un outil de changement possible si nous pouvons restaurer l’intégration de ces connaissances. Les processus de transformation ont souvent été altérés. L’acte de penser a pris le pas sur par l’acte de vivre, l’acte d’être ici et maintenant a été remplacé par l’idée d’une terre promise. A nous de restaurer, grâce à Rolando Toro avec la Biodanza, notre joie de vivre, notre faculté à sentir la sacralité de la vie, notre renaissance. Grâce à la vivencia, nous pouvons ressentir l’identité des Dieux et Déesses à l’intérieur de nous. On peut ressentir qu’on peut aimer comme le Christ, qu’on peut s’offrir avec séduction et sensualité comme Déméter, qu’on peut garder nos valeurs intérieures de la vie comme Vishnu, qu’on peut questionner les structures et bouleverser les normes comme Shiva. Quand on prépare un repas, dans cette alchimie de transformation par la chaleur, par l’eau, les épices, il y a Circé, la magicienne. Quand on est abandonné par notre amour, il y a quelque chose d’Osiris qui a été mis en pièces et c’est seulement une Isis qui va nous reconstituer. Le mythe il faut le vivre au travers des rituels et des cérémonies. En dansant le mythe, on déclenche une vivencia qui nous met en connexion avec son message profond. Et le pouvoir transformateur qui lui est lié, peut agir. La Biodanza nous offre la possibilité de recréer la vie dans de meilleures conditions.
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3 – LE CONTE PLUS PRECISEMENT
INTRODUCTION
On a tout dit du conte. Tour à tour on a parlé de babioles pour amuser les enfants, de clef de tous les complexes freudiens, de littérature du type orale irréaliste, de reflet des antiques structures sociales. Transposition des mythes originels, satire de la société, fantaisie poétique sans signification concrète, résidu des superstitions : On les a expliqués de toutes les façons imaginables. Et chaque explication contenait une part de vérité, mais une part seulement. Chaque angle de vue pris par tel ou tel spécialiste augmente l’acuité visuelle mais en même temps rétrécit le champ de la vision. Or, le conte, tissé d’une multitude d’éléments conscients ou inconscients, de désirs et de peurs, de réminiscences et de préoccupations quotidiennes, de facteurs ignorés ou mal connus , tout cela sur la trame du réel, le conte est très complexe. La complexité du conte est telle qu’on peut très bien n’en voir alors qu’une facette.
Dans ce chapitre, je parlerai plus précisément de la dynamique du conte et de ses fonctions. Je parlerai aussi du rôle du conteur, de son auditoire avec lequel il passe un pacte. Car cela me permettra ensuite d’établir mon propos sur l’analogie avec la Biodanza.
Pour ne pas alourdir la lecture je mettrai, dans l’annexe, la question de la classification des contes, reconnue dans le monde littéraire et folklorique. J’y mettrai également le chapitre présentant les différents types de contes.
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3-1 LE CONTE MERVEILLEUX PARTICULIEREMENT
Il a une structure particulière que l’on perçoit et qui définit cette catégorie. Et c’est cette catégorie de conte qui m’intéresse ici pour aborder l’analogie avec la Biodanza.
A - Structure morphologique
Un conte commence généralement par une formule d’ouverture : « Il était une fois » -‐ « Il y a bien longtemps » -‐ « En ce temps-‐là » – « Au temps où toutes les choses parlaient ». Le conte se termine par une formule de clôture : « et ils vécurent désormais heureux » – « et il épousa la princesse et ils vécurent fort longtemps dans un bonheur parfait » « et ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». Le conte merveilleux a une fin heureuse : les héros rentrent chez eux après avoir éliminé les forces du mal, les amoureux se marient finalement, les enfants perdus se jettent au cou de leurs parents, les pauvres s’enrichissent, le bon est récompensé… « Le refrain ou la formule qui termine souvent un conte tiennent lieu de rite de sortie ; le conte merveilleux a emmené l’auditeur dans le rêve lointain de l’inconscient collectif, mais il ne doit pas y demeurer, et doit réintégrer ensuite la vie réelle » nous dit Michèle Simonsen (conte populaire p 89). Ces formules début/fin sont l’objet transitionnel du conte. Elles n’appartiennent pas tout à fait au conte ni au conteur ni à l’auditoire : espace rituel, espace de compromis, comme un jeu symbolique pour ouvrir et clore le pacte narratif. Et puis un conte c’est une mise en narration, qui comprend le plus souvent : -‐le cadre spatio-‐temporel : le lieu où se déroule l’histoire ; les espaces (mers, forêts, monde souterrain, montagne …) symbolisent une fonction. Dans le conte lui-‐même, le temps est suspendu. En situation de contage on reprend ce cadre. On entre dans l’intimité de soi donc on a besoin de quelque chose de contenant. L’éclairage est étudié. L’espace doit être protégé des intrusions sonores ou physiques. Et on crée un hors-‐temps, en signifiant des horaires et en s’y tenant -‐les personnages : le personnage principal et les personnages secondaires ; Au début du conte le personnage principal est comme inachevé, il ne porte pas de prénom et est décrit plus physiquement que moralement. -‐le cas : la situation du personnage principal.
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B - Structure fonctionnelle Le conte implique l’évolution d’un personnage à travers une succession de transformations d’états lors des diverses phases de la narration. Le conte merveilleux est un récit construit selon la succession régulière, logique et esthétique de 31 fonctions répertoriées, présentes sous leurs différentes formes, parfois absentes ou répétées. La fonction est l’action d’un personnage définie du point de vue de sa signification dans le déroulement de l’intrigue ( Ces 31 fonctions sont exposées dans le chapitre, mis en annexe, sur la classification des contes). Cette succession est une constante, même si cette définition fait perdre son sens au mot «merveilleux» ! ( Il est facile d’imaginer un conte merveilleux construit de manière tout à fait différente et inversement certains contes non merveilleux peuvent être construits selon ce schéma et c’est bien sûr le cas). Mais je baserai ma réflexion sur la structure généralement trouvée. Le changement des fonctions s’effectue à partir des étapes successives suivantes : Situation initiale : une notion de manque ou d’insatisfaction prévaut Départ du héros : apparition du danger et confrontation aux épreuves.
Acquisition d’un auxiliaire magique qui lui fournit de l’aide. Combat victorieux (rarement échec et défaite). Retour triomphal. Pierre Lafforgue dans « Petit Poucet deviendra grand » nous dit : « Tu lances le conte, il se déroule tout seul ». Mais attention, le conte n’est pas seulement une simple succession linéaire d’images dans un texte que l’on simplifierait. Vouloir saisir le sens du conte en se fixant sur l’issue finale serait oublier qu’il a sa propre dynamique et qu’il s’agit d’un véritable processus. De façon générale, les contes merveilleux retracent des itinéraires. Leurs héros, jeunes et démunis au départ de la maison familiale, franchissent avec l'aide de personnages surnaturels envers lesquels ils se sont montrés compatissants, des épreuves. Elles sont qualifiées à juste titre d'initiatrices : elles marquent les divers moments de passage de l'enfance et de la jeunesse jusqu'à l'adulte accompli. L'accession à la maturité est représentée par le mariage heureux et la paternité. Et cela est souvent doublé de la cession du pouvoir royal par le père de la princesse conquise. Si métamorphoses il y a eu durant le chemin, contrairement à celles du mythe, elles ne sont pas définitives. Le parcours est donc l’axe du conte et ses formes sont multiples. Le conte merveilleux pourrait s’intituler « voyage dans l’autre monde ". Dans « les racines du conte merveilleux », Propp développe l'idée déjà amorcée dans les "Morphologies du conte" qu'un des principaux fondements structurels des contes, « le voyage, est le reflet de certaines représentations sur le voyage des âmes dans l'autre monde ». On voit là tout de suite combien la mythologie est toute proche.
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3-2 LE CONTEUR et L’AUDITEUR
Propp a étudié le conte populaire provenant de la tradition orale dont les fonctions sont très figées et stables. Toutefois, il a évacué complètement le contenant, c'est-‐à-‐dire la situation de contage et a ainsi négligé une des caractéristiques essentielles du conte, soit l'oralité. La spécialiste Jeanne Demers professeur émérite de littérature à l’université de Montréal, dans son essai «Le conte» explique que la grande caractéristique du conte, ce qui fait d'un conte un conte, c'est l'oralité, la présence du conteur, la parole conteuse. Selon elle, un conte doit impérativement porter les marques de l'oralité (par la formule rituelle du début, par la présence d'un personnage-‐conteur ou d'un narrateur-‐conteur, etc.).
A – Le conteur Le conteur est lié, il n’est pas libre, il ne crée pas par exemple l’ordre des fonctions, mais il peut exercer sa créativité en omettant certaines fonctions, en choisissant le moyen par lequel cette fonction s’effectue, en faisant le choix de la nomenclature et des attributs des personnages. C’est là sa liberté la plus grande, trait spécifique du conte seul. Le conteur est aussi libre dans le choix des moyens que lui offre la langue. Il donne son style au conte. Sa curiosité, sa relation à d’autres cultures n’ont pas de frontières, il se nourrit de tout. Son oreille et son regard passent par-‐dessus les montagnes. « On peut établir que le créateur d’un conte invente rarement, qu’il prend ailleurs, ou dans la réalité contemporaine, la matière de ses innovations, et qu’il l’applique au conte » dit Luda Schnitzer dans « Ce que disent les contes ». La présence du conteur interagit avec son auditoire et il est intéressant de voir comment cela s’inscrit. On parle de pacte narratif. Actuellement les conteurs deviennent des artistes « tout-‐terrain », de la scène publique à la veillée, aux théâtres, médiathèques, salles polyvalentes,
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salons, classes. Ils vont à la rencontre d’auditoires très différents. La pratique du contage connaît depuis quelques temps une nouvelle jeunesse grâce à des « artistes de rue » qui l’associent au théâtre et à la musique, voire à la danse, en un spectacle total. On retrouve un peu l’esprit du troubadour ou du griot. Conteur: se fait plaisir a une parole intégrée, a une gestuelle intégrée, a un rythme intégré aime le silence évolue en toute fluidité, peut créer et oser s’adapte durant l’acte de conter ou de faciliter se laisse émouvoir et mouvoir par le groupe n’est qu’un passeur, ne peut garder pour lui prend soin, passeur responsable ne détient pas le savoir offre, ouvre des chemins a confiance en son conte
B - L’auditeur
A l’origine le conte s’adressait à tous à la veillée ou lors de temps de regroupements, foires, pèlerinages. Les adultes principalement écoutaient. Le mot veillée évoque tout de suite la convivialité, la relation à l’autre, l’échange, la transmission, des mots qui s’inscrivent dans la pratique du conteur. On peut imaginer la présence du feu et les ombres qui jouaient sur le sol et les murs. Probablement certains fignolaient les objets du quotidien, réparaient, rafistolaient les chaises, cousaient, rapiéçaient, filaient, cardaient, s’épouillaient, tressaient les cheveux, préparaient la soupe…. Mais tous se débrouillaient pour voir le conteur. C’est le point clef, il est nécessaire que chacun puisse bien voir le conteur, voir ses expressions, ses mimiques, sa gestuelle et surtout se laisser parfois prendre dans le regard du conteur. Celui-‐ci parle au plus profond des yeux de celui qui écoute.
L’auditeur se place en position de recevoir. Il s’installe confortablement et si ce n’est pas le cas au début, il y vient peu à peu : on n’écoute pas un conte assis sur un coin de table. Le corps, c’est comme s’il savait que quelque chose demandait à être accueilli, accueilli par une attitude ouverte. On n’observe jamais un auditeur les bras croisés sur sa poitrine, ni même les jambes. Qu’il puisse être subjugué par la parole appelle et demande un relâchement corporel.
Celui qui reçoit le conte en prend ce qu’il veut. Et ce qu’il a pris il en fera ce qu’il voudra!
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Il reçoit le conte avec ce qu’’il est à ce moment-‐là, il se l’approprie et vibre avec les mots Son âme vient visiter celui qui conte. En occident on pense souvent que le public est passif, mais en fait il est en plein travail psychique intense, un travail de créativité. L’auditeur reçoit avec ce qu’il est à ce moment-‐là entend avec ce qu’il est à ce moment-‐là ressent ce que vit le conteur fera ce qu’il voudra de ce qu’il a entendu et retenu. « Ce qui est extraordinaire, c’est que le conte est une œuvre d’art anonyme et en même temps toujours personnelle. Le conte appartient à tout le monde ». F Estienne. A celui qui le dit, l’a dit ou le dira, à ceux qui l’ont écouté, l’écoutent ou l’écouteront… Citons aussi ici Catherine Zarcate conteuse magnifique : « Le conte est un grand sage qui est arrivé au bout de son chemin. Le conteur est un fou qui fait ce qu’il peut, qui prend dans sa folie pour se mettre au service du grand sage ».
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4 - ANALOGIE STRUCTURELLE BIODANZA et CONTE MERVEILLEUX
morphologique et fonctionnelle
4-‐1 Au niveau de l’école : Le parcours du héros en chemin vers la facilitation en Biodanza L’élève en Biodanza pourrait être le héros du conte qu’est la formation L’ensemble des élèves pourrait être le héros du conte qu’est la formation Et l’école illustrerait la dynamique de conte L’idée est de regarder comment l’école remplit tout cela précisément En prenant des exemples précis et concrets de la réalité des trois ans d’école et en y évoquant mon vécu. A Le rituel d’ouverture ( la phrase du conteur) A l’école c’est : 1 La remise de différents présents : En arrivant, le sourire devant la délicate attention de laisser sur nos oreillers une carte de bienvenue avec les cinq signatures et une jolie plume de couleur. Je l’ai toujours, posée sur mon bureau. Et plus tard dans le week-‐end la remise à chacun d’une bougie symbole de la vie, de notre lumière intérieure et de l’ouverture d’un temps-‐espace sacré; et puis particulièrement touchant, le sachet de graines d’Amérique du sud qui nous parle de nous, belles graines qui, porteuses d’espoir, vont pouvoir s’épanouir au sein de cette école. Graines qui nous relient à la terre. La bougie elle, a brûlé quelquefois à la maison dans des moments incertains, de moments de doute. Le sachet attendait sur ma table de nuit que je trouve le jardin pour les accueillir. C’est chose faîte : les graines sont maintenant en terre. En écrivant, je me rends compte que l’intégration esprit, cœur, corps, si chère à la Biodanza est, là, par ces trois signes, symbolisée. 2 L’introduction par son facilitateur de groupe hebdomadaire dans le tunnel, la traversée du tunnel de bienvenue et l’arrivée dans les bras des cinq directeurs de l’école. Valérie R. que j’aime et qui m’aime, m’appelle et m’invite à me présenter à tous. Je vis cela avec beaucoup d’émotion : Me vient l’image de parents qui élèvent leurs enfants pour qu’ensuite ils puissent aller dans le monde. Et c’est ce que je fais, je franchis un seuil de ma vie. Et en même temps c’est un seuil pour entrer dans une famille autre : l’entrée du tunnel, je suis comme une gosse qui est accueillie, acceptée, reconnue par ses frères et sœurs. Je pleure de joie et de gratitude. Et au bout du tunnel, les visages et les bras des cinq directeurs, qui clairement à ce moment représentent les images parentales. Je me love dans chaque étreinte.
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B Le rituel de fermeture ( la phrase du conteur) A l’école c’est : 1 La remise du collier des mains de Véronica Toro : Quel bonheur et quelle fierté de recevoir ce collier venu lui aussi du Chili, fabriqué par un artisan, quelqu’un qui a aimé toucher, travailler, embellir ce bijou. La sensation du parcours reconnu durant ces trente week-‐ends. Ce collier je le mets dans le groupe hebdomadaire que j’anime, dans toutes les co-‐animations de vivencias extérieures : le nouvel an, la journée mondiale de la Biodanza, les séances découverte des amis. Et parfois certains me questionnent et je suis heureuse de pouvoir faire l’éloge de notre école. 2 Ce cercle de passage d’un état à celui de facilitateur : C’est bon de pouvoir le vivre plusieurs fois pour les frères et sœurs : se réjouir tous ensemble, partager cette émotion. Ces deux rondes concentriques qui se font face, les élèves et les facilitateurs, m’émeuvent toujours. Je ressens alors de la gratitude et une grande confiance en nous tous. 3 L’annonce à toutes et tous « je suis facilitatrice !!!! » : pouvoir clamer au monde son nouvel état ! A chaque fois je me demande quelles formes cela va prendre dans la voix et le corps du nouveau facilitateur. Chaque signature est belle. C La mise en narration -‐le cadre spatio-‐temporel serait le programme et l’école -‐la présence des cinq directeurs tenant le cadre comme les cinq doigts de la main -‐les différents lieux avec leurs rituels et surtout la nature toujours présente essentielle à notre développement : Les Gilats et son chêne séculaire, le magnifique domaine d’Hautefeuille, Armeaux et l’Yonne qui coule comme la vie, Etourvy , ses cygnes et sa salle de danse en coque de bateau renversé -‐Le fait que cela soit résidentiel : les repas partagés, les nuits partagées, les douches partagées, les transports partagés. Que de choses se passent, s’intègrent, s’harmonisent ou prennent sens dans ces temps entre théorie et vivencias. -‐le planning établi des week-‐ends qui balisent le chemin. -‐la structure du temps à l’intérieur des dits week-‐ends : programme chargé que j’intègre sans problème mais aussi que peu à peu j’apprends à suivre avec fluidité.(Et même miracle une heure dédiée aux élèves à laquelle je suis arrivée très en retard sans culpabilité, ce qui est signe chez moi de grande évolution !) . -‐ le rituel de la cloche, notre Chronos qui scande nos pas durant le week-‐end. Comme beaucoup de partages en témoignaient, « avoir la cloche » n’emballait pas d’emblée mais un petit quelque chose se passait quand la personne l’avait chez soi et finalement cette cloche, au sustain si long, venait réveiller un indéfini, et quand l’heure était venue de la confier, une gravité authentique était là. -‐le rituel de la bougie, rituel symbolique de la lumière et de l’espace sacré qui s’ouvre à ce moment–là. Prise et restaurée avec précaution, allumée à la maison juste un peu, pas trop pour moi mais un peu quand même, confiée avec émotion. -‐les personnages : Tous les élèves composent le héros. Tous les personnages que nous sommes par nos attributs, notre âge, notre sexe, notre situation, nos apparences extérieures avec nos particularités, nos qualités intérieures, donnent au héros ses couleurs, sa beauté, son
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charme. Et au-‐delà à la formation et à l’école. Et je nous ai si souvent trouvés si beaux, si multiples, dans cette école !! Et ce 2ème cycle, quel bel héros multicolore !!! Chaque héros a ses bonnes fées, les frères et sœurs danseurs. Et il a aussi des alliés non personnifiés tels que la musique, le mouvement, les vivencias. J’aurais envie ici de les citer tous ! Ceux que d’emblée j’ai aimés, ceux que d’emblée j’ai tenus à distance, ceux que petit à petit j’ai appris à aimer, ceux qui m’ont révélée, ceux qui…. Mon cœur est immense. Je me rappelle, après avoir enfanté une première fois, j’ai cru ne pas pouvoir aimer autant la seconde enfant et puis mon père à qui je témoignais de cela, m’a dit : « Le cœur peut s’élargir et s’élargir encore et encore ». Et c ‘est exactement ce qui s’est passé ! -‐le cas serait principalement la proposition du modèle théorique et le travail de chacun des modules sur le héros que nous sommes. Et quel modèle théorique! Je me souviens encore de nos têtes quand Raul Terren nous l’exposait au premier week-‐end, aux Gilats ! A la fois enthousiastes, mais aussi un peu en train de se creuser les méninges pour saisir le contenu et le sens. Pour ma part, j’ai d’abord essayé de comprendre de façon intellectuelle : le mémoriser, le comprendre, le questionner, le remettre en question « ah oui mais… ». Et puis avec le temps l’envie de m’en saisir différemment c’est-‐à-‐dire enrichi de l’apport de tous les week-‐ends. Et maintenant l’envie de m’y replonger régulièrement. D Le conte serait comment ce héros que nous formons grandit, traverse les mois et les années, s’épanouit. Le conte serait le chemin de cet élève avec son extraordinaire diversité, son pittoresque haut en couleur, mais aussi son uniformité non moins extraordinaire. Ainsi à l’école les élèves sont tous différents mais tous passent par des fonctions, des étapes qui se ressemblent. . Avec la situation initiale : Le héros qu’est l’élève en situation initiale vient avec ce qu’il est, à cet instant t, peut-‐être insatisfait, malheureux ou heureux, démuni ou curieux ou plus probablement en quête, sur le chemin. Eh bien à l’école le premier week-‐end nous étions très nombreux, et il y avait aussi les anciens du premier cycle qui n’avaient pas fini leur formation ou ceux qui certainement avaient envie d’être là pour se revoir, pour nous accueillir. Ce héros que nous formions composé de chacun d’entre nous, était encore bien éparpillé. L’élément déclencheur : Ce qui va nous pousser à faire cette démarche, le petit pas en avant, c’est propre à chacun, un rêve, une envie qui vient des tripes, un processus plus mentalisé, un message ? C’est un défi qui va chambouler le cours de la vie et qui fait entrevoir l’aventure. Les motivations formulées peuvent être des plus diverses et comme dans le conte, elles ne disent pas vraiment verbalement. Mis à part la lettre de « motivation » adressée aux directeurs de l’école et qui reste dans les dossiers, on n’en parle pas. Pour moi, cela a été la conviction très viscérale que mon chemin était là : partager et transmettre au plus grand nombre ce message d’amour qui rassemblait en son sein les domaines que j’explorais jusque-‐là séparément : le corps et la rencontre du corps de l’autre en aïkido « la voie de l’harmonie », le cœur dans ma relation d’aide dans mon travail et toutes mes recherches
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« spirituelles » dans la pratique du zazen, la façon de me soigner et de soigner les enfants, la reliance aux anges…. La Biodanza m’offrait de réunir tout cela. Il y avait là un côté impérieux : C’était absolument à saisir ! L’acceptation de la mission Le héros est prêt à bouger pour changer : certains élèves font la formation pour aller plus en avant dans la connaissance de l’outil Biodanza lui-‐même, ou pour se découvrir eux-‐mêmes plus en profondeur ; d’autres élèves pour obtenir ce qu’ils désirent, devenir facilitateurs. Clairement j’ai fait la formation pour devenir facilitatrice. C’était vraiment très clair et évident : là était mon univers. J’ai toujours aimé partager, transmettre et aider, prendre soin. Et j’ai évalué, essayé de projeter ce qu’impliquait cette formation et j’étais prête à faire ce qu’il fallait pour cela. J’ai même décidé que cela serait une priorité durant les trois années. De fait les 30 week-‐ends se sont déroulés à la suite les uns des autres. Les épreuves ou défi : voici ce que le héros que nous formions a eu à passer De sacrés défis ! Trouver le temps pour ces trois années Trouver l’arrangement par rapport à sa vie personnelle, familiale, professionnelle Trouver le financement Préparer chaque week-‐end en lisant le syllabus Travailler sur un compte-‐rendu pour chaque week-‐end Créer un groupe de travail entre les week-‐ends Et se réunir régulièrement Et ainsi passer toutes les étapes, module après module, week-‐end après week-‐end, en passant par le séminaire par le minotaure ! Et bien sûr la monographie… Alors bien sûr pour certains cela a demandé plus d’énergie, cela a pu même aboutir à des arrêts, mais beaucoup ont trouvé la ressource de mener leur barque. Des défis certes mais dans le plaisir que la Biodanza nous amène inexorablement à vivre tout du long ! Pour ma part, finalement, je dois dire que ces défis-‐là ont été relativement faciles. De fait, à partir du moment où j’ai décidé de faire cette formation, tout s’est mis en place. Cela me fait penser à un texte de Goethe sur l’engagement. Je le joins en annexe. Il est pour moi essentiel. Et même pour cette monographie, défi commencé dans la lenteur et dans des besoins de s’étirer et de bailler, le plaisir s’est rapidement invité. Déroulement L’élève se met en route avec l’aide de son facilitateur de son groupe hebdomadaire, de son lecteur de comptes rendus, qui vont l’aider à franchir les obstacles pour arriver au but. Le voyage de cette formation est balisé et soigneusement préparé : C’est tout le programme de l’école. Et ce voyage est balisé par un « contrat » qui spécifie le temps (dates butoirs, durée définie), les moyens qu’on choisit, les étapes, les indices que l’on est sur le bon chemin, par exemple les retours des lecteurs de compte rendu.
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. Les alliés sont: Les cinq directeurs de l’école de Bourgogne : Véronica Toro, Raul Terren, Carole Rivière, Blandine Pillet et Yves Gendrot Les bonnes fées : Evelyne Alaume, Marie-‐Noelle Faure, Monica Vilhena-‐Mas Des personnes de l’école : des facilitateurs en herbe, des facilitateurs d’expérience, je pense émue à Isabelle Meurville qui me semble être un magnifique ange qui tout juste déploie ses ailes. Mais souvent le héros-‐élève est son propre auxiliaire : c’est lui-‐même qui va trouver et puiser en lui la force et la nécessaire envie de poursuivre, de se confronter. C’est aussi cela qu’il va trouver en la Biodanza, la responsabilité de mener à bien sa vie. Le déroulement de cette formation m’a appris à moins me plaindre : j’avais cette propension à gémir, « regardez comme c’est difficile pour moi » ce qui avait entre autres l’effet de renforcer une pseudo-‐impuissance. J’ai appris à me sentir centrée et responsable. Le Dénouement Au terme de cette formation l’élève-‐héros est plus riche de savoir, de savoir-‐faire et surtout, surtout de savoir être, de savoir dire aussi. Il a pris conscience de ses ressources et est prêt à aller de l’avant. Il a avancé dans l’acceptation de sa puissance et l’acceptation de ses faiblesses ; il les a expérimentées et craint moins ce qui se présente. Il perçoit la part divine en l’autre et en lui-‐même, il peut ainsi accéder à la tolérance et au pardon. Il peut alors affronter l’obstacle. S’il rencontre un obstacle, il pourra le surmonter seul ou avec d’autres. La « récompense » de l’élève-‐ héros est déjà ce retour à la maison riche de tous ces changements opérés en lui. Elle est peut être aussi une nouvelle reconnaissance sociale, avec une nouvelle position de facilitateur en Biodanza. L’expression « retour à la maison » est à prendre au sens large : retour au quotidien, entrée dans la vie, façon de percevoir l’environnement, de vivre…. Et quand je vois mes amies et amis faire leurs premières séances découverte ou animer dans un groupe hebdomadaire, je mesure notre aventure. Et quand je vois au travers de tous nos mails, au travers de la vie de l’association Covivences créée par et pour les facilitateurs en herbe, au travers des soutiens que s’apportent toutes et tous au-‐delà de l’école, je me dis que ce Héros que nous formons est à la hauteur de la proposition de Rolando Toro. Pour ma part, je déploie mes ailes, je le sens physiquement et c’est tellement bon ! Et les personnes du groupe que j’anime me le témoignent « Véronique j’ai vu tes ailes ! » E Le conteur serait alors les didactes: avec leurs couleurs, leurs voix, leurs accents. Et on a été gâtés !, leurs attributs, leurs rituels, leurs procédés. Et une immense GRATITUDE à l’école de Bourgogne de nous avoir permis de rencontrer, échanger, partager , recevoir de tels cadeaux de tels didactes ! Pêle-‐mêle me viennent la marche de détermination de Ricardo Toro, la danse du tigre si
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puissante de Jorje Terren, la marche sensuelle de Patricia Piva,la simplicité de Cécilia Toro, la fluidité dans la vivencia de Monica, la voix d’Alexandro Toro , la maîtrise, la simplicité et l’élégance de Caesar Wagner, la manière passionnante de passer de la valse à la batuccada de Sergio Cruz, la fougue d’Antonio Sarpe nous parlant de notre art suprême, la rigueur et la liberté de Sainclair, …. Et bien sur la puissance féminine de Véronica, la sensibilité et la poésie de Raul, l’apaisante présence de Carole, le courage de Blandine et l’impétuosité d’Yves. La fluidité et l’amour qui les entourent et les meuvent. F L’auditoire serait peut-‐être aussi les témoins de notre vie quotidienne Les amis, l’amoureux, l’amoureuse, les collègues, la famille, tous les proches et la foule des gens dont nous croisons le regard ou avec qui nous échangeons d’une manière ou d’une autre .… et qui nous font des retours d’une manière ou d’une autre…. Mes filles en premier, qui souvent ont dit « pfff maman quand elle rentre de week-‐end, oh la la , elle plane, tout est amour… pfff ! » Mes filles qui me témoignent de l’ouverture et la liberté que je leur offre ou permets. Mes amis qui me trouvent changée, plus tranquille, moins « à cheval sur », et surtout toujours en train de sourire et en forme. Et merci à la vie de me choyer autant et de permettre que je puisse vivre heureuse et en forme. Mes amours qui me trouvent toujours plus jeune et surtout plus souple !
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4-‐2 Au niveau de la vivencia : J’ai bien envie de tenter le même parallèle au niveau d’une séance de Biodanza : De la même manière la vivencia suivrait la structure, la dynamique d’un conte. A Le rituel d’ouverture : ronde de bienvenue, la formulette qui ouvre le conte n’est pas encore porteuse de sens mais annonce qu’il se passe quelque chose d’important. Elle est porteuse d’un sens plus archaïque que le langage du conte. La ronde initiale renvoie elle aussi à quelque chose de plus ancestral. Il ne s’agit pas d’une simple ronde, comme çà, juste pour dire que l‘on commence. Déjà elle nous amène à nous connecter dans une profondeur collective dont on sait bien que nos ancêtres étaient eux aussi coutumiers. En acceptant cette prise de conscience d’un rituel tellement ancien qui a accompagné les réjouissances de nos pères, leurs retrouvailles, leurs préparations à la lutte, leur besoin de protection, leur besoin d’appartenance et de partage, nous entrons dans une dimension sacrée. C’est accepter de donner de soi à la communauté. Toute l’intensité de ce qu’on va vivre est devant, au centre. Chacun y a sa place, chacun apporte à la communauté et reçoit d’elle. La ronde est symbole de l’unité. De la qualité de ce premier moment, de l’ouverture de cet espace sacré découle celle de la vivencia.
B Le rituel de fermeture : ronde finale. La formule qui clôt le conte, qui ferme la porte, permet à l’auditeur de revenir au temps de la réalité du contage et de partir rasséréné, avec des bases identitaires fiables. De même la ronde finale permet au danseur d’être en lien en puissance avec tous, de se sentir à sa place, de se sentir tout à la fois apaisé et plein d’élan de vie et d’amour pour aller au bonheur de sa réalité de tous les jours, nourri par la vivencia pour redéployer une nouvelle identité.
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C La mise en narration : -‐le cadre spatio-‐temporel : il est assuré au sein de la vivencia par
.Les repères qui rassurent et donnent un cadre précis : la salle préparée, l’horaire respecté, l’éclairage adapté.
.le rappel oral du cadre par le facilitateur : le respect de soi et de l’autre, l’autorégulation, le feedback, le non jugement, la bienveillance, le silence durant la vivencia... . Le caractère hors du temps : la proposition d’être pleinement « ici et maintenant » change la notion du temps et permet de vivre l’instant présent, et peut-‐être l’éternité de cet instant. . le temps d’intimité verbale : en Biodanza on ne vient pas déposer au centre mais bien partager avec les personnes de la ronde. Le facilitateur est garant de l’accueil de cette parole et de l’absence de commentaires. -‐Les personnages : le héros serait l’élève. Chaque élève est le héros de cette vivencia. Les fées seraient les compagnons de danse. En Biodanza il n’y a pas de mauvaises fées. Ce sont les projections du héros qui les font plus ou moins bonnes. C’est la différence importante entre Biodanza et Conte : dans le conte les parties sombres du héros sont extériorisées et symbolisées par des personnages maléfiques clairement identifiés. En Biodanza, les « mauvaises fées » sont les facettes de nous qui nous entravent, facettes que l’on reconnaît en miroir chez l’autre. -‐ Le cas : le cadre théorique d’une séance de Biodanza avec sa courbe, ses séquences, son pic d’activation, son pic de régression et son exercice clef. D Le conte : C’est la vivencia proposée par le facilitateur. C’est l’enchaînement précis de ronde, marche, danses, qui invite l’élève-‐héros à danser durant toute la séance. Et au sein de cette vivencia : . la situation initiale sera celle de l’élève –héros tel qu’il est à cet instant, ici et maintenant : combien de fois suis-‐je arrivée le vendredi soir dans mon groupe hebdomadaire ou à l’école fatiguée psychiquement de semaines lourdes, mais impatiente et en attente de quelque trésor que j’imaginais déjà si plein et prometteur de profondeur et de joie ! .l’élément déclencheur aura souvent été pour moi souvent la marche, pour sentir comment je suis, et comment je suis parmi les autres, et comment je me saisis de l’invitation du thème ou des mots du facilitateur. Mais cela sera peut-‐être un mot dans la consigne, ou sa portée existentielle ou poétique, ou une perception en regardant la démonstration, ou l’exécution du mouvement lui-‐même. Maintenant, la ronde initiale joue ce rôle d’élément déclencheur. J’en profite beaucoup plus qu’avant, une sorte « d’état des lieux » sur comment je me sens-‐là, ici, moi. Je sens le vent, je hume l’instant à venir… .Acceptation de la mission : Accueillir les propositions, se laisser prendre, accepter les ressentis qui viennent même les « pas beaux ou pas bons ». Dans ces cas précisément, pour moi, à chaque fois je sens que j’ai le choix et que je suis responsable. Et parfois je choisis d’aller au-‐delà de mes résistances, parfois je m’accorde du repos. Cette question du choix est certainement une des différences notables d’avec le conte : dans celui-‐ci le héros n’a pas vraiment le choix du timing même du déroulement. Le danseur peut choisir consciemment ou inconsciemment de ne pas se
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mettre réellement en chemin, de ne pas affronter les danses difficiles pour lui à ce moment-‐là, voire de ne pas danser avec telle ou telle personne. Le déroulement : c’est celui des danses et des musiques, autant de bonheurs ou d’épreuves à aborder. Des bonheurs où on se sent à sa place, dans le plaisir d’une samba ou des caresses, dans la joie des danses créatives, dans la profondeur des danses d’eutonie, etc… Il est important de dire que, comme on le note pour chacune des étapes dans le conte, un exercice de Biodanza n’a de valeur et d’effet qu’en relation avec ceux de sa séquence, et avec la vivencia toute entière. Il ne peut être entendu isolément, il est entendu dans un déroulement. Et aussi des épreuves « simples » : prendre la main dans la ronde, accepter la main moite du voisin, regarder dans les yeux, fermer les yeux, pour un homme danser avec un autre homme la première fois, danser devant les autres, être invité à créer etc . Et puis des épreuves plus fortes et adressées dans le cadre du minotaure: pour celui qui ne voulait pas s’arrêter, pour celui qui veut garder ses chaînes, pour celui qui ne sait pas dire non, pour celui qui remet toujours à demain, pour celui qui n’arrive pas à démarrer etc… Le terme de « épreuve » qui colle au conte pourrait être ici dans le cadre de la Biodanza renommé « étape ». Cela me semble plus juste. Souvent il reste de ce déroulement une ou deux danses plus prégnantes que les autres dans notre configuration personnelle. Correspond-‐elle à la danse clef imaginée par le facilitateur ? Les alliés : Et bien ce sont les frères et sœurs de danse : ceux qui partagent , vibrent communient au sein d’une même danse; ceux qui ouvrent les bras pour accueillir après la danse; ceux qui ouvrent leur cœur pour aimer immensément; ceux qui regardent la beauté de l’humain qui danse; ceux qui perçoivent le divin dans ce héros. Ce sont les bonnes fées. Et puis il y a aussi des fées vécues comme moins bonnes, celles qui font que cela résonne désagréablement, celles qui amènent le héros à travailler encore un peu plus sur lui-‐même, à voir ce qu’il ne veut pas voir, à regarder cet inconfort. Les soit disant moins bonnes fées qui amènent le héros à trouver des ressources, à exercer sa fluidité, à lâcher sa manière de voir, de fonctionner. On devrait leur dire encore un plus grand merci à ces « moins bonnes fées » ! Et moi je m’en suis créée durant ce cycle, principalement la première année. Après, chemin faisant, je les ai perçues tout autrement, elles sont devenues d’aimables alliées ! Notre héros en Biodanza ne peut avancer seul, il évolue de façon conjointe et interactive avec ses compagnons. Il n’est pas question d’individualisme. Le dénouement : Le déroulement se doit d’avoir une fin. Et la courbe d’une séance en témoigne : elle propose une remontée vers une réactivation et vers une prise de conscience qui permette à chacun de quitter la vivencia en toute tranquillité et en sécurité. Je me souviens précisément à un week-‐end de l’école de deux vivencias qui pour des raisons pratiques d’intendance n’avaient pu être finies. Elles sont restées caduques et il a été difficile d’en sortir. C’était complètement déroutant, heureusement étant en résidentiel, nous avons pu, héros déstabilisés, nous appuyer les uns sur les autres pour revenir peu à peu. Bien que, vivencia bouclée ou pas, j‘imagine très bien que certains ne puissent demander de l’aide et qu’il soit possible de se sentir seul au monde Le danseur-‐héros arrive au bout de cette vivencia avec inexorablement quelque chose de changé. Il peut avoir vécu une vraie déflagration qui va bousculer sa façon de voir, percevoir, faire et être. Ou plus simplement avoir vécu une prise de conscience qui va porter ses fruits tranquillement, ou quelque chose d’intense et doux un peu indéterminé et dont il pressent
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l’impact sans pouvoir le définir ni même chercher à le définir. C’est une des merveilles de la Biodanza de ne contraindre en rien le danseur-‐héros à chercher des explications : juste laisser faire, laisser vivre, laisser danser. E Le Conteur : Le conteur est alors le facilitateur. L’envie étant forte de creuser ce point de vue j’ai préféré en faire un chapitre séparé, qui se trouvera un peu plus loin dans la monographie. F L’auditoire : Lors d’une vivencia personne n’écoute ce conte en direct. Par le biais de la lecture du compte rendu qu’en fera le danseur-‐héros, le facilitateur du groupe hebdomadaire et le lecteur référent de l’école de Bourgogne seront les seuls auditeurs « intimes » du chemin du héros-‐danseur. Tout comme on ne parle pas du conte après le conte, on ne parle pas de la vivencia après la vivencia. Si le vécu est authentique, il a un pouvoir d’intégration en lui-‐même, qui n’a pas besoin d’une élaboration intellectuelle. C’est bien ce qui se passe dans les deux circonstances. Certains témoins de notre vie en entendront parfois parler, mais n’auront que des bribes qui resteront éparses, hors contexte et s’envoleront vite dans l’oubli.
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4-‐3 Parallèle courbe de la vivencia et structure du conte : quelques propositions Oser prendre sa vie en main Ronde : silence avant que la musique démarre et avant le rituel d’ouverture « il était une fois » communauté dans laquelle tout va à peu près bien ou pas Marche : situation initiale du héros seul Coordination rythmique : situation initiale du héros avec son entourage Danse libre : situation de départ Synchronisation rythmique avec changements : arrivée des alliances Danse d’opposition : obliger de se faire entendre de l’autre mais aussi d’entendre l’autre Danse de créativité: mise en place des stratégies d’alliance Marche de majesté : le héros se montre tel qu’il est Segmentaires: il prend des forces Danses accompagnées (bras sensibles,..) le héros avance avec ses alliés Danse d’ouvrir son espace : le héros résout son épreuve Ronde de bercement : accueil de la communauté, acceptation de la solution Rencontres : retour du héros parmi les siens ; accueil par le héros et pleine acceptation de son nouvel état Ronde finale : fête d’être en vie, ensemble
Etre bien avec soi-‐même Ronde : silence avant que la musique démarre et avant le rituel d’ouverture « il était une fois » communauté dans laquelle tout va à peu près bien ou pas Marche : situation initiale du héros seul, puis à deux Danse libre : situation de départ Danse ici et maintenant : vivre ce qui vient Synchronisation rythmique avec changements : arrivée des alliances Chef d’orchestre : prise en main de sa vie Position génératrice de valeur : les attributs du héros Danse de PG : le héros agit, surmonte l’épreuve Marche de détermination : aller affronter le monde Elasticité au sol : héros pleinement soi Nid groupal au sol : accueil et repos au sein de la communauté Caresse (à 2, à plusieurs, tunnel) : qualification du héros Rencontres : accueil par le héros et pleine acceptation de son nouvel état Ronde finale : fête de la tribu
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Prendre son envol Ronde : silence avant que la musique démarre et avant le rituel d’ouverture « il était une fois » communauté dans laquelle tout va à peu près bien ou pas Marche : situation initiale du héros seul, puis à deux Danse libre : situation de départ Synchronisation rythmique avec changements : arrivée des alliances Libération du mouvement : révolte Danse yang : prise de la force de pénétration Danse d’air : détente et respiration avant la prise de risque Ronde avec changements de place, ronde de transformations : prise de risque et découverte d’un monde autre Synchronisation mélodique : le héros avance avec ses alliés La danse du héron : le héros prend de la hauteur Ronde de fluidité : le héros éprouve la solidité et la fluidité des alliances Tunnel de valorisation : le héros est félicité par les siens Rencontres : le héros est accueilli Ronde : fête des retrouvailles Et ………. J’aurais envie de continuer à décliner… Ainsi la courbe de la vivencia, cette vague qui nous parle du cycle de la vie, serait ici illustrée par le départ et le retour du héros-‐danseur transformé par les étapes de la vie. Comme dans une spirale qui repasse toujours par-‐dessus son point d’origine mais à chaque fois avec plus de hauteur. Nul doute que l’intégration se fait peu à peu et que dansant et re-‐dansant, nous repassons sans cesse par les mêmes étapes mais chaque fois avec un indéfinissable « plus » pourtant bien réel, une fluidité, une ouverture, une écoute…. Ainsi va la vie et sa spirale naturelle. Et la Biodanza est profondément respectueuse de cela.
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5 - ANALOGIE DES ACTIONS
BIODANZA et CONTE
Plus d’une fois j’ai fait le rapprochement entre les actions ou les modes d’action de la Biodanza et ceux du conte. Aussi j’ai eu envie d’explorer cela d’un peu plus près. Le conte agit à différents niveaux et il est d’ailleurs depuis deux décennies utilisé dans diverses situations : en psychothérapie, en orthophonie, dans le coaching, allié à la sophrologie. Les conteurs le savent bien : le conte est puissant. Et nous qui dansons, savons que la Biodanza agit de manière indéniable. Rolando Toro ne l’a pas pensée et conçue pour simplement danser et passer du bon temps. A partir de nombreuses recherches il a développé un véritable système s’appuyant sur un modèle théorique. Les danses, les rituels, les cérémonies, les musiques ont un objectif. Et la question principale est celle de favoriser et soutenir l’intégration biologique, physiologique et psychologique de ressentis intenses et bons, pour permettre entre autres la pleine expression de son identité et de ses potentiels ; pour se sentir pleinement vivant et en accord avec l’Autre, les autres, la Nature et l’Univers. La Biodanza étant tellement vaste, son champ d’action et ses mécanismes tellement étendus, j’ai préféré entrer plus facilement dans cette comparaison en déclinant ci-‐dessous les principales actions imputables au conte et en en rapprochant celles de la Biodanza. Si les actions du conte peuvent être facilement listées, celles de la Biodanza se satisfont difficilement d’un tel découpage. Elles sont imbriquées, en permanence en interaction. Pour une question pratique d’écriture et de lecture, j’ai malgré tout été amenée à les dés-‐imbriquer. Alors que dans le chapitre sur l’analogie structurelle, j’ai inséré une partie vivencielle, dans ce chapitre-‐ci je préfère rester au niveau théorique. Je parlerai plus loin dans le chapitre « le conte de ma rencontre….» des actions de la Biodanza sur ma vie. Le plaisir : le conte nous raconte une histoire et nous propose une parenthèse, un temps suspendu dans le déroulement de notre vie quotidienne. Parce qu’il renvoie au monde du rêve et de l’imaginaire, le conte attire, on l’écoute avec plaisir, on le mémorise facilement et on se l’approprie. On passe un bon moment. Les séances de Biodanza peuvent tout à fait être dans un premier temps un bon moment où l’on vient se délasser de sa journée, de sa semaine, voir les amis, partager un moment de convivialité. J’ai rencontré des danseurs qui en parlaient ainsi : se faire plaisir. Bien sûr on peut y lire un fonctionnement défensif mais la Biodanza laisse cette grande liberté à chacun, d’y mettre ses
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mots et ses interprétations personnelles. De fait ces personnes ne venaient pas de façon hebdomadaire. La pratique régulière ferait certainement évoluer leurs dires. L’apaisement : Exception faîte des contes dits d’avertissement (conte traditionnel donné pour nous avertir d'un danger et nous mettre en garde), le conte apaise en nous donnant des causes à des phénomènes mystérieux. La Biodanza a ce rôle d’apaisement car elle entoure de ses bras notre personne dans notre entièreté. Elle nous offre un cadre sur lequel nous pouvons nous reposer, nous montrer tels que nous sommes et être acceptés en tant que tels. Parfois les larmes peuvent couler, de simples larmes de lâcher, de laisser aller, des larmes d’apaisement. . Espace de liberté : Le conte offre un immense espace où tous les possibles peuvent advenir. Et liberté est laissée à l’auditeur du conte de s’approprier un personnage ou une situation ou de s’en tenir loin. La Biodanza est un magnifique espace de liberté car chacun s’il est invité à explorer les propositions de danses, est laissé seul décideur de sa façon de rentrer ou non dans la danse. La première des consignes n’est-‐elle pas de prendre soin de soi en écoutant ses ressentis et en s’autorisant à se mettre sur le côté, à s’autoréguler. Un sens à sa vie le conte stimule la capacité à faire des liens entre les évènements de sa vie personnelle et familiale, « évènements éparpillés dans le temps, disjoints, et apparemment sans rapport commun et cependant porteurs de sens, significatifs d’un message, d’une fidélité ou d’une mission » selon J Salomé, dans « Contes à guérir, contes à grandir ». Le conte donne un sens à notre existence. La Biodanza permet de rétablir une lecture plus juste de notre environnement, de voir de façon plus claire notre faculté à entrer en relation et à être en connexion avec l’Autre. Le sens de la vie. Le conte permet de retrouver le sens de la vie à travers les trames universelles enracinées dans la nuit des temps. Il vient combler des lacunes laissées par le savoir. Comme le dit H Gougaud dans Emergence : « Il est capable, par son langage et sa musicalité, d’aider l’enfant et peut-‐être l’adulte à structurer sa pensée, à y retrouver les bases de lecture de notre univers ». La Biodanza elle, nous emmène sur une autre échelle, elle nous connecte avec le genre humain, avec la nature. Elle nous réhabilite comme vivant au sein de l’univers, comme étoile parmi les étoiles. Vecteur d’espoir On peut même dire que le conte promet le bonheur là tout de suite, avec la fin des vicissitudes. Le conte n’est pas là pour proposer de s’attendrir mais bien de démontrer la valeur fonctionnelle de sa proposition de son modèle de l’univers : chacun a sa chance dans la vie. C’est comme une corde lancée entre le réel et le souhaitable ; corde lancée mais pas n’importe comment : le hasard n’intervient jamais dans le conte! Tout est causalité, chaque étape a une cause et un effet. Cela peut être irrationnel mais cela n’est pas absurde, cela a un sens. Dès la première ronde, chacun peut saisir que sa place est possible au sein de la communauté et qu’elle peut y être bonne. Les dires du facilitateur l’invitent à penser en ce sens, à sentir ce
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possible. Puis la courbe de la séance fera son travail. Et sentir après la ronde finale que l’humeur a changé, sourire, se voir regardé avec bienveillance alors qu’on est peut-‐être arrivé fatigué, sans ressort, vidé ou triste, suffit à apporter l’espoir d’un mieux encore plus grand. Souvent les personnes le verbalisent lors du temps d’intimité verbale. L’affectivité et les rencontres permettent la capacité de reprendre confiance en la vie et en l’humain. La confiance en soi c’est la base pour poser des actes, pour s’affirmer, pour entreprendre, pour s’exprimer, pour demander et recevoir. Révélation : Le conte est révélateur de situations insatisfaisantes ou problématiques. Tous les contes comportent un matériel susceptible d’être interprété comme le miroir qui reflète le mal-‐être ou le bien-‐être de la vie intérieure de chaque auditeur. Les danses mettent en exergue nos facultés ou nos difficultés à... Chacun le ressent pour soi. Peut en être aussi le témoin le facilitateur qui anime une séance de Biodanza, c’est comme s’il ouvrait un livre sur chaque danseur. Quelque chose de l’ordre de l’intime est mis en évidence et c’est précisément par respect de cela qu’il ne peut y avoir de spectateur. La Biodanza révèle les facilités, les richesses et aussi les problématiques de manière évidente et simple.
Investigation des ressentis : « Le conte permet d’investiguer au travers les personnages la haine, la peur, la mort, l’amour » Françoise Estienne dans « Utilisation du conte et de la métaphore ». L’auditeur n’en porte ni la responsabilité ni la culpabilité puisqu’il ne s’agit pas de lui mais du personnage. C’est la grande force du conte. Toutes les danses peuvent être sources de ressentis très forts et souvent cela prend le danseur au dépourvu: une simple marche peut déclencher un mouvement intérieur intense. L’écoute de ce mouvement intérieur qui vient s’exprimer nous relie à notre corps et nous relie aux autres. La capacité d’accueil de cette expression en colore la modalité d’expression. Les exercices visent à favoriser l’expression de la joie, l’envie de vivre. Les émotions telles que la tristesse sont simplement accueillies. La Biodanza permet cela dans un cadre très rassurant et contenant. Certaines danses spécifiques permettent de revisiter directement des émotions : la danse de l’amitié, la danse de l’amour, l’opposition harmonique. Dans le cadre du Minotaure uniquement elle nous propose de faire face à nos peurs. C’est le seul temps en Biodanza où il est question d’aborder de façon frontale des choses extrêmement difficiles. Nettoyage : Le conte a comme fonction de nettoyer, il peut désensibiliser de craintes, de culpabilité, d’illusions, de regrets. Les fantasmes peuvent être identifiés sans devenir menaçants. Il dédramatise et l’auditeur peut se sentir reconnu, tout cela dans le silence du plus profond de l’être. La Biodanza en permettant de se recentrer et de se sentir de plus en plus en connexion avec la vie, amène le danseur à laisser derrière lui ses peurs, sa culpabilité, ses ressentiments et ses colères. La Biodanza nettoie en dissolvant tout ce qui nous encombre et nous pèse. Elle fait grandir et grandir et grandir encore tout ce qui est bon et juste en nous. La stimulation de nos
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parties saines renforce les fonctions d’intégration. Et peu à peu le reste se dissout. Nos cuirasses se défont. Structuration: Le conte a comme fonction d’ordonner. Il structure notre psychisme, nous arme face à la vie et permet d’anticiper et ce de façon positive, d’ailleurs le conte n’exprime pas la négation. La Biodanza nous permet de dédramatiser, de faire la part des choses, de les remettre à leur place. La Biodanza permet « d’ordonner » en ce sens tout en agissant toujours de façon positive. Elle ne condamne pas. Elle encourage à. Et dans les consignes le facilitateur essaie de s’exprimer à l’affirmative. Cela participe de l’ouverture à ce qui est. Autorisation : le conte donne des permissions. C’est une véritable soupape de sécurité. Le conte a une fonction émancipatrice : penser que les choses peuvent changer dans le contexte, cela ouvre l’avenir. Au travers de tous les exercices et les danses, la Biodanza facilite et autorise chacun à se tenir debout et à choisir sa vie. Elle autorise le regard, elle autorise le contact, elle autorise l’expression, elle autorise le plaisir. Le fait que le facilitateur montre sa danse, autorise, donne la permission d’explorer le mouvement d’une autre façon. Le danseur peut s’émanciper de formes mécanisées qui lui sont propres ou qui sont culturellement admises voire imposées. Découverte et acceptation de soi et des autres : les contes dénoncent la première image souvent trompeuse. Il nous invite à démasquer la véritable nature de l’être, à ouvrir les yeux. Le conte permet de soutenir la découverte et l’acceptation de soi : Au travers des personnages du conte, l’auditeur peut accepter l’idée de son incomplétude et que celle-‐ci peut être motrice de sa vie, de son existence. Cette incomplétude va pousser le héros à cheminer, à trouver des alliés, des solutions. Le conte insiste sur la nécessité pour l’être de jouir, de disposer de toutes les composantes de sa double nature. En Biodanza cette acceptation se fait très progressivement. Le danseur se découvre et découvre l’autre et le groupe de façon simultanée. Il ne s’agit pas de vouloir s’aimer d’abord pour ensuite aimer les autres. Ces deux ouvertures vont de concert. Le danseur apprend à accepter sa part d’ombre et sa part de lumière en même temps que celles des autres. Le processus se sert de l’ombre et de la lumière qui vient éclairer l’ombre ; D’autant que dans cette part d’ombre, s’y sont mises des choses qui en fait peuvent être bénéfiques, qui peuvent être ressources (je pense par exemple à tout ce qui a trait avec la sexualité, qui a pu être refoulée du fait de l’éducation ou autre, et qui en Biodanza sera réhabilitée et ensuite source d’épanouissement). Stimulation de l’expression de l’identité : Le conte permet de stimuler l’identification : il est facile de s’identifier au héros, de s’en saisir comme repérage identitaire. Il s’agit de la reconnaissance de ce soi toujours en mouvement, insaisissable et dont l’acceptation est pourtant essentielle. Elle se réalise au travers la représentation des personnages et les aspects du récit dans lesquels l’auditeur peut se reconnaître. C’est de l’autonomie et de la responsabilité de l’auditeur de donner un sens personnel à l’histoire. Et cela ne peut se faire que s’il y a également identification au plaisir du conteur. Cela créée une complicité implicite. Le conteur lui aussi est à la recherche de soi à travers le conte.
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Par le biais des musiques, des danses et des rencontres (à deux, en groupe) des vivencias sont provoquées. Une vivencia est « l’expérience vécue avec une grande intensité, dans la dimension temporelle du ici et maintenant, et englobant les fonctions émotionnelles, cénesthésiques et organiques. » nous dit Rolando Toro dans « Biodanza ». Et elle a un pouvoir d’intégration en soi. Elle est la donnée première de notre identité car elle est antérieure à toute élaboration. Ce processus de développement de l’identité est rendu possible grâce à l’existence du groupe en Biodanza. Les semblables constituent des éco facteurs stimulants et puissants. Dès lors les cinq grands ensembles de potentialités (affectivité, créativité, vitalité, sexualité, transcendance) qui nous animent peuvent être stimulés et permettre d’exprimer notre identité. Alliance : Le conte nous permet de saisir la possibilité de trouver des alliés : des auxiliaires à notre portée ou surgissant d’un endroit indéfini, des bonnes fées, la transmission d’objets magiques… La Biodanza nous propose de cheminer avec l’autre et avec les autres. Elle nous invite à retrouver et conforter une sécurité affective de base en pratiquant régulièrement, en nous donnant du contenant, des étreintes, en soignant notre relation aux autres. Pour cela elle offre un éventail d’exercices pour explorer l’affectivité, une des cinq lignes du modèle : rencontres, danse d’affectivité, de solidarité, caresses, reparentalisation… Le danseur récupère l’altruisme, sent sa peur d’aimer régresser. Il réapprend à faire attention à l’autre, à demander son aide, à recevoir et à donner. Et au sein de son groupe hebdomadaire (et qui plus est à l’école !), une qualité de relation s’instaure et le danseur se découvre vite des frères et sœurs de cœur. La Biodanza s’appuie sur la théorie de l’attachement de Bowlby pour nous inviter à retrouver et conforter cette sécurité de base en pratiquant régulièrement, en nous donnant du contenant, des étreintes, en soignant notre relation aux autres notamment avec la ligne de l’affectivité. Initiation : Le conte propose un chemin initiatique, il montre la voie, il dit ce qui doit être, sous forme d'image, sans être didactique ou moral. Il ne donne pas de leçon, ni de conseils. La Biodanza initie un chemin mais elle respecte pleinement la liberté de chacun. Elle propose des situations de rencontres, des rituels, des danses mais se garde de donner des lignes de conduites, des conseils. Elle invite à un processus et non à un programme à appliquer. Stimulation de la créativité : Le conte est un espace de liberté, il ouvre à la créativité, il ouvre des voies, explore des pistes. « Le conte est le jardin de la mémoire collective. Il ne faut pas le laisser en friche. Celui qui écoute ou qui lit un conte, se trouve dans une situation de créativité facilitée par le travail du déjà-‐là apporté par les générations passées ». H Gougaud. Fèvre parle aussi de cette fonction du conte de « Stimuler la créativité de l’inconscient ». En s’identifiant au héros la personne libère son imaginaire et parvient ainsi à surmonter ces pulsions inconscientes qui bloquent son développement psychique. « il existe des histoires qui parlent de l’enfant gelé, de l’enfant qui ne peut rien ressentir,…,là où le temps ne passe plus,…, où rien ne naît plus….Une attitude glacée va éteindre la flamme de la créativité. Le conte nous donne une idée : briser la glace et libérer l’âme de son carcan de gel » nous dit si bien Clarissa Pinkola Estès dans « Femmes qui courent avec les loups ». La créativité est une des lignes du modèle théorique de la Biodanza qui offre des exercices pour encourager l’émergence des impulsions qui nous poussent à innover, pour faciliter une expression toujours plus profonde et authentique. Le danseur explore des pistes, invente des gestes, des
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chorégraphies de l’instant. Et cela vient du plus profond, c’est sa vie qu’il danse et qu’il crée. C’est sa relation à l’Autre et aux autres qu’il crée et découvre tout à la fois. Certains exercices sont tournés plus spécifiquement vers une expression artistique autre que la danse: la poésie, le chant, le dessin, l’argile. L’objectif est existentiel : créer sans cesse sa vie, s’adapter sans cesse, réinventer tous les jours notre quotidien, transformer note milieu. Rolando Toro parlait des trois questions essentielles : Où vivre, avec qui vivre et quoi faire dans sa vie. Transmission de valeurs culturelles et rôle de cohésion sociale : le conte joue un rôle de transmission de valeurs et de traditions très important dans les sociétés traditionnelles. Les veillées ne sont pas que simple divertissement, elles servent à la transmission des valeurs culturelles qui passent à travers les récits. L’enseignement traditionnel utilise la littérature orale pour inculquer les connaissances relatives par exemple au milieu naturel ou à l’histoire de leur groupe, voire leur donner des leçons de comportement. Le conte permet une intégration sociale en découvrant la fonction des lois et en intégrant cette structure sans moralisation. Il joue un rôle de cohésion sociale. On peut aussi parler du conte comme révélateur d’identité culturelle pour les communautés minoritaires par exemple immigrées. Le conte peut jouer un rôle aussi dans la constitution d’une solidarité de groupe, notamment entre communautés d’horizons différents. En aucun cas la Biodanza n’a une visée de réhabilitation sociale, ou de conformité à des attentes culturelles et sociales. Quand le biodanseur exprime ses potentialités il ne joue aucun rôle social et n’est soumis à aucune représentation culturelle. Par contre la Biodanza se fonde sur l’interaction avec l’autre et avec le groupe. Et par ce biais le biodanseur retrouve une place au sein du groupe et se réapproprie certainement une façon d’évoluer au sein de la société et de réinventer son mode de relation. Aspects psychologiques : Plus profondément le conte s’adresse à l’inconscient et pose, sous une forme symbolique, les problèmes de relations humaines qui préoccupent les sociétés. Et il tente d’y répondre : Le conte implique fortement le psychisme, qu’il s‘agisse de celui du conteur, de l’auditeur, des chercheurs, de l’adaptateur des amateurs, des détracteurs, et certainement même des indifférents ! Le « travail du conte » est une expression calquée sur le « travail du rêve » de Freud. Les processus psychiques mis en jeu par le conte peuvent être en effet éclairés par ceux que Freud a identifiés dans le rêve : le rêve/conte est fait d’un contenu manifeste et d’un contenu latent que le travail psychanalytique peut essayer de découvrir grâce aux associations du rêveur. Le rêve est l’accomplissement déguisé d’un désir refoulé. Le conte nous permet d’assouvir des désirs sur le mode imaginaire, mais moins déguisés. Le scénario du rêve / conte est déjà une reconstruction (Freud parle d’élaboration secondaire). « Les psychanalystes freudiens s’appliquent à montrer quelle sorte de matériel inconscient, refoulé ou autre, est sous-‐jacent dans les mythes et les contes de fées. Les psychanalystes jungiens insistent en outre sur l’idée que les personnages et les évènements de ces histoires sont conformes aux archétypes qu’ils représentent et qu’ils évoquent symboliquement le besoin qu’a l’homme d’atteindre un stade supérieur d’intégration du moi », nous dit Bettelheim dans Psychanalyse des contes de fées.
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Le conte vient toujours d’autrui et il nous mobilise au plus profond de nous-‐mêmes sans crier gare. Ce qui se présente comme venu d’ailleurs ou étranger est porteur de quelque chose d’encore plus interpellant et de plus intime. Même le conteur le dit : ce conte n’est pas le sien, il le tient d’un tel ou de tel autre… Le conte nous précède toujours. On le fait sien ou pas ! La Biodanza a une portée de soin, d’aide, d’avancée et bien sûr elle surfe avec l’inconscient : L’inconscient individuel selon Freud : elle ne travaille pas directement sur l’histoire personnelle mais permet de signifier, de poser un regard sur notre histoire, d’assouplir notre surmoi. L’inconscient collectif selon Jung: elle utilise des postures génératrices et des gestes archétypaux qui induisent une action directe, génèrent des danses et des vivencias profondes. L’inconscient vital selon Rolando Toro : la Biodanza agit sur la plus infime de nos cellules et se propose d’en stimuler le meilleur fonctionnement possible. L’inconscient cosmique selon Rolando Toro : la Biodanza nous permet l’accès à cette mémoire du vivant, cette mémoire cosmique, par les caresses, la régression, les phénomènes d’extase, le lien avec la nature, la médiumnité à la musique. Elle nous ramène à cette force créatrice de toute chose, l’énergie vitale qui anime, l’énergie primordiale. C’est une réhabilitation existentielle. L’inconscient numimeux selon Rolando Toro : Un inconscient plus profond, primordial qui nous rend humain, qui a à voir avec la nécessité d’aimer sous toutes ses manifestations, le courage d’affronter la peur de se connecter avec le merveilleux, l’illumination le rayonnement, l’intase la connexion profonde avec soi-‐même. Le biodanseur navigue dans l’océan de ses inconscients, et bien plus largement dans l’océan du vivant, de la vie. Toutes les actions de la Biodanza sont en résonance avec le phénomène profond et émouvant de la vie. Ce qui est important c’est que, en Biodanza, les mots de la conscience sont sciemment laissés en dehors : on ne commente pas la vivencia, on ne l’interprète pas, on l’accueille et on l’assume. Ce n’est pas un lieu d’interprétation. Le conte se suffit à lui-‐même. Après l’écoute d’un conte intuitivement personne n’en parle. Il ne se commente pas. Juste un ou deux qualificatifs se font entendre sur l’histoire entendue. « Il ne faut pas interpréter un conte. Cela affaiblit la faculté qu’a l’histoire d’aider l’auditeur à lutter seul et à régler par ses propres moyens le problème ou la situation qui a trouvé un écho dans le conte » écrit F Estienne. « Idries Shah disait qu’il ne fallait pas analyser les contes, que ça ne servait à rien. Il disait : "La formule chimique du pain ne nourrit pas.” Votre corps sait comment se débrouiller pour faire du pain de l’énergie. Le conte, c’est pareil : vous le mangez, sans essayer de savoir sa formule, et vous laissez votre psychisme l’assimiler » dit H Gougaud. Les vivencias se suffisent à elles-‐mêmes : le pain qu’elles nous donnent à manger nous enrichit, diffuse dans chacune de nos cellules. Notre être sait quoi en faire. Faisons lui confiance. Laissons-‐le intégrer.
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Au regard de cette comparaison, il apparaît clairement que si il y a analogie d’actions, elle est somme toute bien partielle.
La Biodanza est un art suprême, Ars Magna
La Biodanza va bien au de-‐là. Elle agit sur bien d’autres plans : Sur le corps: tout notre organisme se trouve concerné lors des séances de Biodanza : notre système moteur, notre système nerveux, mais aussi les circuits cardio-‐respiratoires, neuroendocriniens, immunitaires et émotionnels. Le développement relationnel est primordial et la conscience du corps ne peut en être absente. La limite de mon corps donnée par le toucher participe de la constitution de mon identité. Dans le processus de l’embryogénèse, la peau et le cerveau se constituent en même temps à partir du même tissu. La peau est un organe à part entière. Ce qui va constituer mon identité est mon lien avec le vivant, avec ce qui m’entoure La Biodanza s’appuie aussi sur les travaux de Wilhelm Reich pour proposer 5 segmentaires directement liés aux 7 anneaux de tension de W. Reich (cou, bras-‐poitrine,…). Le corps est amené à récupérer détente et souplesse. Sur notre vitalité : La Biodanza nous propose une autre ligne du modèle, la vitalité, pour récupérer notre puissance, celle de nos instincts. Les instincts entrent dans la définition de la Biodanza « ré-‐apprentissage des fonctions originelles de la vie ». Ils ont pour finalité la conservation de la vie, sa continuité et son évolution. Il s’agit de réhabiliter cet élan qui vient de l’intérieur. En Biodanza, les 12 instincts de la liste établie par R.TORO sont soutenus par des exercices bien spécifiques. Sur le renouvellement organique La Biodanza stimule la partie saine de chacun et du groupe, elle renforce les fonctions d’intégration et donc elle donne la priorité absolue à « la Vivencia » . La vivencia est intérieure, et a pour terreau nos organes, nos glandes endocrines, nos neurotransmetteurs. Elle est de fait intégrante et a un effet harmonisant. : C’est une véritable intégration biologique qui se produit. Le processus qui se met en marche est bien celui d’un renouvellement cellulaire et d’une réhabilitation des fonctions corporelles : niveau moteur, immunitaire, neurovégétatif et notamment l’homéostasie (stabilité de l’équilibre interne). Sur le plan de la sexualité : C’est une des lignes du modèle théorique qui propose des danses (regard, contact, caresses) pour libérer de multiples contraintes (culpabilité, considération morale, etc) notre faculté à prendre, demander, donner, recevoir du plaisir. La Biodanza permet de rétablir cette dimension du toucher et de la caresse pour toute personne, tout comme on le conçoit pour un tout petit ou pour une personne en fin de vie. La Biodanza réhabilite le corps comme étant un des organes de plaisir. Cela n’a rien à voir avec la morale. On peut parler d’éthique. Le corps est sacré et la Biodanza invite à retrouver ce qui fait du bien.
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Sur le plan de l’expansion de conscience : Par la musique, par les exercices de fluidité, des cérémonies de regards et de rencontres, la Biodanza nous amène à entraîner et développer notre capacité à nous sentir partie intégrante de l’univers. Elle nous invite à vivre. au cours de ce chemin initiatique, des expériences transcendantes. Cela fait l’objet d’une des lignes du modèle théorique, la transcendance : vivencier l’élan qui nous pousse à nous unir à la totalité cosmique. Vivre des expériences d’expansion de conscience, des expériences d’extase et d’intase (forme intériorisée) est une merveilleuse initiation. Des moments profanes ancrés dans la réalité peuvent devenir sacrés. En Biodanza, le profane est sacré. Et la Biodanza agit avec des mécanismes supplémentaires, que nous ne pouvons développer ici, mais qui sont absolument essentiels : L’utilisation de la musique, L’utilisation du regard, L’utilisation du groupe, Son effet de «bombardement» de stimulations qui va impacter très régulièrement le biodanseur. De plus la Biodanza est un véritable processus : Il y a une progressivité à suivre et c’est la pratique régulière qui est gage de changement et favorise une intégration en profondeur. Chaque vivencia est une entité en soi mais elle prend son véritable sens dans son lien à celles qui l’ont précédée et celles qui lui succèderont.
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6 – ANALOGIE DES PERSONNAGES
6-1 Analogie entre le facilitateur et le conteur, Et chez moi Le parallèle entre les deux est souvent revenu à mon esprit, comme ça, en passant, en me chatouillant. Alors allons-‐y ! Je jette les idées. La première : Le conteur serait la base sécure qui permet à l’auditoire de plonger sans crainte dans le conte. Le facilitateur serait la base sécure pour son groupe.
Le conteur serait le facilitateur , et moi
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Le conte part de l’envie de conter, le conteur se fait plaisir : le facilitateur aussi doit prendre du plaisir; parce que c’est la première chose que perçoit le groupe, parce que cela soutient le groupe ; parce que cela soutient chacun, parce que les neurones miroirs de chaque danseur se mettent en branle et résonnent ; Et notamment les neurones miroirs sensitifs qui vont entrer en empathie avec le ressenti du facilitateur.
Indéniablement le plaisir est là quand je facilite ! Je suis émue, émerveillée de voir danser ces femmes et ces hommes, épatée, parfois explosée de rire ! Et du plaisir j’en prends !
Le conteur met du silence avant la première parole du conte et elle sera attendue, désirée. Et cette attente va rendre cette parole importante. Le conteur se sent tout à la fois entouré et isolé. Henri Gougaud le dit : « Il est comme une île ». Le facilitateur laisse la place au silence, c’est une plage pour laisser le possible naître, tous les possibles.
A l’instant de la narration, je mets du silence et c’est vrai qu’à l’instant d’ouvrir la séance de Biodanza je me ressens comme une île.
D’abord c’est une respiration, une mise en ordre de soi-‐même, une harmonie pour : Le facilitateur est dans le même processus. Même si à ce moment précis de sa journée ou de sa vie cela lui est difficile, Il lui est nécessaire de prendre le temps de se poser et de trouver une harmonie pour accueillir et animer la séance. Très vite il m’est apparu important que je puisse danser quelques instants, seule, avant d’accueillir le groupe hebdomadaire que j’anime. Je m’y emploie pour que mon corps éprouve un plaisir et une détente. Et je m’en ressens beaucoup mieux. De plus, en faisant cela, la salle est encore vibrante de la musique et de la danse pour l’accueil des biodanseurs.
C’est une voix : La voix est un instrument qui pour sonner, faire vibrer ses cordes vocales, demande de l’énergie et cette énergie c’est notre souffle, notre colonne d’air. La voix du conteur doit pouvoir porter, celle du facilitateur aussi. Il est bien sûr important d’apporter des nuances par exemple pour différencier les séquences de la courbe et induire une meilleure entrée en phase de régression. Ayant l’habitude de parler en réunion, de donner des cours d’aïkido dans un dojo, il m’est facile de porter ma voix et de la moduler. La voix est un langage avec son vocabulaire, sa syntaxe, ses codes : son timbre, son intensité, son volume, son débit, sa prosodie, ses pauses, sa prosodie. Et cela est géré par chacun des auditeurs, par son oreille, par sa pensée. Sa voix est le reflet de son moi profond, de sa sensibilité. La voix est message. Je signe avec ma voix aussi sûrement qu’avec mes empreintes digitales, mon état émotionnel, mes envies, mes peurs, ma sérénité, mes inquiétudes, ma joie, mon pays intérieur, me dire sans me raconter. Le plaisir de parler, de faire sonner sa voix, de goûter les mots pour leur saveur, l’amplitude donnée au flux vocal, la générosité, tout cela me semble
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essentiel dans le conte. Eh bien il en est de même pour le facilitateur. La voix est en adéquation avec ce que dégage le corps du facilitateur et avec sa manière de se mouvoir. Bien sûr les intonations de la voix sont en harmonie avec le sens des mots prononcés Bien sûr la voix du facilitateur n’est pas présente tout du long et ce sont les musiques et leur enchaînement, leurs courbes rythmique et mélodique, qui viennent rappeler la prosodie du conteur. Le facilitateur joue aussi avec le volume des morceaux. La musique utilisée en Biodanza est d’ailleurs une musique organique. C’est une musique qui ne propose pas de « négation », qui ne vient pas heurter la sensibilité intérieure de l’humain que nous sommes.
En tant qu’orthophoniste je porte déjà une attention particulière à l’écoute des voix et surtout à leur articulation avec le physique et l’attitude corporelle de l’orateur. J’ai toujours été très sensible aux voix et aux accents de nos didactes, des facilitateurs qui m’ont fait danser. Cela me rappelle une supervision où je disais « magnifique » avec un temps de retard et parce que je « me devais » de le dire. Je voulais qualifier le groupe mais ce « magnifique » manquait de spontanéité. Mes qualifications sont aujourd’hui authentiques. J’ai eu plusieurs retours qui disaient que je donnais les consignes comme dans un conte, cela m’a évidemment intéressée et plu ! Le conteur doit littéralement respirer l’harmonie pour avoir une parole juste intégrée. Et cette parole va toucher. La beauté de la parole n’est pas sa joliesse mais sa justesse. L’histoire est juste là, présente et il convient de ne pas en être éloigné. Nous sommes avec le personnage. Le conteur choisit ses mots: Il y a nécessité pour le facilitateur d’être en accord profondément avec ses dires. Il n’est pas question de ne faire qu’appliquer la vivencia préparée, mais bien de l’intégrer pour la laisser vivre. Le facilitateur n’emploie pas n’importe quel mot, fait attention à ses tournures de phrases :« je vous invite à… , je vous propose…. » Le conteur n’utilise pas la forme négative : ce qu’évitera aussi le facilitateur, car la négation attire l’attention sur l’objet même à éviter et induit un raisonnement de recherche de sens.
De par mon travail en groupe thérapeutique auprès d’enfants en grande difficulté psychique, je suis très sensibilisée à cet aspect de notre approche : Les mots, les tournures de phrases, les formes d’adresse. Et par expérience je sais combien la vigilance est requise : il suffit d’une fatigue ou d’une contrariété pour que nos mots changent et induisent un après différent.
C’est un rythme : donné à la voix par la respiration et par les temps mis dans la manière de raconter : en Biodanza c’est le rythme donné à la séance par les enchaînements des danses évidemment mais aussi par la façon de les enchaîner dans l’écoulement du temps et les pauses. Gaborit Lydia exploratrice de la tradition orale et du conte, nous parle en ce sens dans « Silences » 1984 cahier de l’Iforep, : « plages de silence sur lesquelles s’échouent puis dans lesquelles s’enfouissent les trésors de chacun ». Oui, quand les danseuses et les danseurs évoluent, on perçoit, voit, devine, pressent bien tous ces trésors que chacun met dans sa danse… Quand ils évoluent et peut-‐être bien plus encore quand ils se posent, les yeux clos, les mains sur leur ventre, leur cœur, leur poitrine. Pour moi, ce sont des temps de toute beauté et j’en perçois le caractère précieux. Souvent, là, blottis dans ces silences avec soi, se trament les plus belles prises de conscience, les plus beaux rêves, les plus belles douceurs. Je n’ai pas dansé moi-‐même, mais je vis grâce à eux cette grande respiration.
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Le mouvement du corps du conteur et ses déplacements Le conteur joue de son corps, de ce qu’il donne à voir. Mouvements d’exaltation, mouvements d’intériorisation. C’est son corps émotionnel qui est perçu. De même l’importance de l’attitude du facilitateur, de ses propres danses. Le facilitateur ne peut faire semblant, cela est perçu immédiatement. Il a une gestuelle intégrée. Il doit pouvoir amplifier ses propres mouvements et montrer les possibles. J’adore danser, me laisser pleinement aller au plaisir et en même temps avoir dans un coin de ma tête le petit quelque chose qui me permet d’illustrer de différentes manières et de revenir très vite dans le groupe. Le conteur est amené à exercer sa fluidité durant le conte lors de la vivencia . Il doit sentir ce qui se passe pour l’autre : il reçoit du public. Et bien sûr c’est une des qualités essentielles d’un facilitateur que de savoir et pouvoir adapter, changer, proposer. J’en ai déjà fait l’expérience dans le groupe : suivant le nombre de participants adapter la forme de la proposition, rajouter une danse d’activation si je sens que celle-‐ci n’est pas « aboutie », remplacer une ronde par une autre etc. Merci à la technologie qui permet très vite de changer de musique par exemple. Le conteur peut avoir de l’appréhension, par exemple celle d’oublier son conte et il va alors certainement raccourcir le récit, ou avoir une parole qui va trop vite, ou mettre trop de gestes, comme s’il voulait combler par la gestuelle le rétrécissement du conte. Peu à peu la sérénité s’installe. De même le facilitateur débutant peut enchaîner les danses trop rapidement ou mettre trop de paroles ou des gestes ou de déplacements, comme s’il lui fallait acquérir une réelle confiance en l’outil et en lui-‐même. Ressentir que c’est juste. Acquérir une tranquillité parce qu’on a la certitude d’être dans une proposition juste.
Au début, j’enchainais les propositions vite et il m’a fallu en prendre conscience et peu à peu me faire confiance. Je crois que maintenant c’est déjà beaucoup mieux. L’habitude du cours d’aïkido me fait circuler encore beaucoup dans la salle. La situation ne le demande pas forcément et je pense que cela évoluera petit à petit
Le regard du conteur traditionnel légitimé par sa communauté, n’a pas besoin d’aller quêter l’approbation. Quand il possède son conte et se laisse posséder par lui, le regard se pose d’emblée. Le conteur actuel quand il ne tient pas son histoire, a besoin du regard de l’autre, il le cherche. J’ai noté la même chose et je ressens le besoin de calmer l’instant pour éviter la valse de mon regard. Et cela ne se fait que quand je me mets en confiance avec le déroulement de la séance.
Le conteur reçoit les regards de l’auditoire : il voit ces regards d’enfants émerveillés. Ces regards ne le concernent pas, ils concernent le conte et sa magie. Le facilitateur voit aussi ces regards et il sait bien que cela s’adresse à la Biodanza. Lui-‐même regarde avec tendresse le groupe. Ce regard est une des grandes richesses apportées par la Biodanza. Nous ne sommes pas dans un système de d’évaluation de compétences. Profitons de cet espace pour bouger, danser, élargir notre envergure et profitons de cette tendresse.
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Le conteur a confiance en la vie et a confiance en son conte, tout comme le facilitateur en la vie, en la Biodanza et en sa vivencia. Ce chemin vers la confiance va, selon moi, en s’épanouissant mais avec certainement son lot d’hésitations et de doute. L’essentiel est le chemin.
Le conteur sait emmener son auditoire dans un voyage de magie et d’images et sait le ramener à bon port. Le facilitateur construit aussi sa séance en ce sens. Il embarque et ramène le groupe, vers une fin de vivencia tout à la fois apaisée et pleine d’élan de vie. Il lui donne de par la construction et la musique, les outils pour repartir positivement. C’est un passeur responsable. Deux fois à la fin de la vivencia, un peu comme le cheval qui sent l’écurie, j’étais déjà dans la pensée de la fin et j’ai pataugé pour la musique. Maintenant je fais attention à clore correctement. Je peux même ainsi adapter la réactivation et la ronde finale si je sens que c’est nécessaire.
Le conteur est conscient de sa responsabilité : quand il transmet des histoires, il transmet des archétypes dont la nature vient animer, illuminer l’auditoire. La transmission doit être suffisamment bonne, suffisamment intégrée, « ne pas être une simple mise en avant de la personne ou une traduction toute rhétorique» nous dit Clarissa Pinkola. Mais si ce n’est pas le cas elle peut avoir des effets non désirés voire nuisibles. Il en est exactement pareil pour le facilitateur. Il est responsable de sa transmission. Il ne doit pas se contenter d’une simple application de l’outil Biodanza, ni se servir du groupe qu’il accueille pour servir sa propre personne. Je suis attentive à ce que je suis en dehors du temps de la séance, soit en adéquation avec ce que je transmets durant la vivencia : par exemple laisser le groupe être sans moi, quand ils partagent une tisane après la vivencia. Moi je range mon matériel et ma salle. Par exemple quand ils me disent merci, j’accueille cela mais je leur rappelle qu’il faut surtout dire merci à la Biodanza ! Et pour tous les mouvements inconscients sous-‐jacents qui m’animent avec cette notion de groupe hebdomadaire, j’en confie l’analyse à une psychothérapeute. Cela me semble une garantie et pour ceux qui fréquentent le groupe et pour moi-‐même.
Il fait attention au cadre : On peut même parler d’intemporalité : portes fermées, pas de téléphone, éclairage feutré. Le facilitateur prépare sa salle, veille à ce que la séance puisse se dérouler sans être interrompue (intrusions physiques ou sonores), il cache ce qui pourrait faire miroir, il baisse l’intensité de la lumière lors de la deuxième moitié de la vivencia. Le conteur choisit son moment et l’endroit d’où il parle : le facilitateur aussi en choisissant la place d’où il démontre en se mettant au centre ou en restant dans le cercle même formé par les danseurs. Je suis attentive au cadre dans ma profession puisque c’est la base minimale pour que les groupes thérapeutiques fonctionnent. Oui je sais que la Biodanza est un outil formidable et qu’avec de la fluidité on peut faire beaucoup de choses mais je sais aussi que des glissements peuvent se faire de façon très insidieuse. Je me souviens d’ailleurs de la question de Carole Rivière nous demandant de réfléchir ensemble à ce qui, pouvait garantir le bon déroulement d’un groupe et pour chacun d’écrire un mot sur une feuille : Le premier mot qui m’était venu était le mot « cadre ». Cela a fait rire mes compagnons qui connaissent mes râleries quand j’estime que celui-‐ci n’est pas suffisamment là… mais oui ,selon moi, c’est un cadre pensé et respecté qui va soutenir toute la structure, qui va rendre possible l’émergence de la confiance, de l’affectivité, de
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la sensibilité, de l’accueil, de la tolérance, de l’authenticité, et pour finir du bien-‐être. Autant de mots écrits qui sont venus recouvrir le mien. On ne le voyait plus et c’est exactement cela qu’il fallait. On ne le voit plus mais il est là. Et en même temps le facilitateur doit être capable de pouvoir s’emparer de toute situation pour planter son décor, improviser, inscrire son propre univers dans n’importe quel lieu. C’est avant tout une question de présence. Le conteur a un répertoire de contes : de même le facilitateur a un catalogue de danses et un catalogue de musiques. Le conteur traditionnel puise dans un fonds commun dont il est l’héritier direct. Il s’est formé à l’art de la parole en étant longtemps auditeur. C’est dans un corpus de sa propre culture qu’il choisit ceux qui correspondent le mieux à sa personnalité. Avant de se trouver face à son auditoire le nouveau conteur accomplit un travail : constituer son répertoire. Il constitue lui-‐même ce corpus de départ dans lequel il puisera les récits qu’il pourra faire siens. En biodanza le répertoire nous est donné : La liste officielle des danses et des musiques. Mais bien sûr là aussi s’exercera le choix du facilitateur qui puisera forcément les exercices, danses et musiques qu’il apprécie, connaît, lui correspondent, l’ont marqué, l’ont fait bouger, s’émouvoir. Dans un premier temps, tout du moins, …. et comme je suis débutante facilitatrice, j’imagine que cela change ensuite….. La grande différence me semble-‐t-‐il est que le conteur peut enrichir à loisir son répertoire et le facilitateur non. Pour ce qui est de la musique, des commissions travaillent au niveau international à élargir le stock selon des critères très précis. Au sein du conte Il est aussi libre de ses choix mais lié à la structure et la succession des fonctions : Le facilitateur est vraiment invité à suivre les quatre séquences de la courbe, à penser « pic d’activation » et « pic de régression » mais libre à lui d’agencer à l’intérieur selon sa sensibilité ou son thème. En cette première année de facilitation en groupe hebdomadaire, j’élabore la plupart des vivencias avec Martine mon amie et nos sensibilités se retrouvent et se complètent parfaitement. Notre façon de les présenter et de les faire vivre et danser, nous est, à chacune, particulière et particulière aussi aux groupes que nous animons séparément. J’ai pu constater en co-‐animant avec des facilitateurs formés à d’autres écoles que le choix de l’agencement des danses et des musiques était sensiblement différent. C’était très intéressant. Par ailleurs le conteur est en quelque sorte fécondé par une semence extérieure. Il lui vient d’une mémoire collective, ce conte il ne l’a pas inventé, qui existe en dehors de lui et qui existait avant lui, il va l’accueillir, le faire sien ; le garder pendant un temps plus ou moins long, non pour se l’approprier mais pour le mettre au monde et le donner à d’autres. La maturation est celle de l’assimilation de l’essence même du conte mais aussi celle de sa mise en forme. Chaque conteur a une manière de dire unique, une manière de nommer l’essentiel qui n’appartient qu’à lui. Chaque conteur entreprend la mise en bouche à sa manière. La première fois, le conteur voit de nouvelles images, ressent de nouvelles émotions et suscite des réactions chez son auditoire. Il affinera et polira son conte. Et si le conte continue de susciter l’émotion et le plaisir du conteur, celui-‐ci peut laisser libre cours à son art, être ouvert à ce qui se passe là, à l’immédiat et à intégrer cela dans sa « prestation ». Il me semble que le facilitateur doit aussi
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être exactement dans cette dynamique. En reprenant cette métaphore de la gestation, le temps du parcours vers la facilitation amène à maturation ce projet de Biodanza en chacun. Je retrouve cette « mise en bouche » dans cette première année de groupe hebdomadaire. J’ai vraiment l’impression que le tout que je propose s’affine et se polit doucement. C’est aussi pourquoi j’essaie d’élargir mes expériences en co-‐animant.
Le conteur est curieux, avide de transversalité, et le facilitateur ? je crois absolument nécessaire que le facilitateur aille se nourrir et goûter à toutes les sources possibles de Biodanza, pour se laisser abreuver et sans cesse se remettre à l’ouvrage. Tel le conteur qui va écouter des contes, le facilitateur va lui-‐même danser. Il m’est nécessaire de continuer à danser dans mon groupe hebdomadaire, malgré la distance mais aussi de danser ailleurs.
Le conteur rencontre différents auditoires, tout comme le facilitateur peut accueillir des personnes nouvelles dans le groupe hebdomadaire, lors de séances découverte, lors de stages. Il est vrai que 87 personnes qui viennent pour fêter le nouvel an, forment un groupe, qui a peu à voir avec 5 personnes qui viennent découvrir sur la pointe des pieds dans mon petit village un dimanche matin ! Et c’est comme un challenge d’adaptation d’accueil. Et j’aime les deux.
L’art du conte de nos jours est une démarche provoquée, programmée, différente de celle du conteur traditionnel. Je ne suis pas fille de la tradition, fille de ceux qui donnaient à entendre leurs récits de manière spontanée, dans un cadre familier, devant un auditoire connu. J’ai choisi de faire vivre une parole avec mes mots, ma sensibilité, mon regard d’aujourd’hui. Mais la spontanéité vient parfois comme en randonnée dans la forêt de Fontainebleau avec un groupe de personnes se connaissant peu, comme autour d’un thé chez une amie, et cela me relie alors à cette grande famille de conteurs, comme un maillon naturel de la chaîne de transmission. De fait devenir facilitateur, faciliter dans un groupe hebdomadaire, nous relie à cette grande famille qu’est la Biodanza. Faciliter dans un groupe hebdomadaire participe d’une démarche provoquée : tel jour, telle heure, dans telles conditions. En Biodanza on peut beaucoup moins spontanément mettre en place une séance ; il faudrait que les conditions du cadre soient réunies dans une grande fluidité (lieu, matériel disponible, disponibilité de chacun, …) et que surtout le facilitateur soit tout comme le conteur au sommet de son art pour pouvoir bâtir sa séance en live s’adresser à chacun et au groupe, et là je pense à Caesar Wagner qui en janvier de cette année a bâti ses vivencias au fur et à mesure, et surtout à notre mesure. C’était extraordinaire. Nos chers directeurs d’école nous l’ont aussi illustré et je ne doute pas que bien d’autres en soient aussi coutumiers. Je voudrais clore ce chapitre par une note poétique, une très jolie phrase de Raul :
« Un peu comme un magicien qui crée le monde, il faut laisser fleurir le facilitateur qui est en nous »
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6-2 Analogie autour du pacte narratif
Fèvre parle « d’établir une complicité narrateur-‐auditeur », un pacte narratif, lien entre le conteur et l’auditoire, il est défini comme un contrat entre celui qui a envie de parler et quelqu’un qui a envie d‘écouter. Le conteur utilise la réputation du conte d’être passionnant. L’auditoire est « suspendu » et le conteur joue avec cela. En Biodanza, le pacte s’établit entre le facilitateur et les danseurs. Le facilitateur a envie d’emmener le groupe dans ce voyage, dans ces propositions. Mais il n’opère pas seul. C’est un véritable orchestre qui joue de concert : l’enchaînement des musiques, la dynamique du groupe lui-‐même, les mouvements et les ressentis corporels, les émotions qui viennent. Le facilitateur serait un déclencheur, un accompagnateur, un passeur. Il serait non pas un joueur mais un compositeur. 6-3 Analogie le biodanseur et l’auditeur
L’auditeur serait le danseur
L’auditeur du conte reste en silence, ne fait pas de commentaire, n’intervient pas dans le conte, si ce n’est pour ponctuer de rires, ou exclamations : En Biodanza le danseur reste en silence, son corps parle, son regard parle mais les mots restent en lui. Il évite ainsi de remettre à distance des ressentis qui demandent à être intégrés plutôt qu’analyser. Il évite aussi de venir interférer dans le vécu de celui qui pourrait entendre ses paroles. Un temps de parole lui est cependant offert en début de séance : s’il le souhaite, il s’agit alors de partager et d’exprimer ses ressentis de la dernière vivencia ou son état émotionnel présent. Ce temps était nommé « parole émue » quand j’ai commencé la Biodanza, maintenant il est dit « intimité verbale ». Le premier a ma préférence !
L’auditeur du conte adopte une attitude d’écoute et d’accueil : Si l’on veut faire un parallèle avec la Biodanza, c’est certainement au niveau de l’attitude des danseurs que nous pouvons le faire : Corporelle d’une part, celui qui vient danser dès la ronde se trouve dans une position qui demande d’ouvrir les bras complètement. Et quelle que soit la marche ou la danse qui vient, une ouverture est déjà amorcée. J’ai regardé cette année le groupe dans lequel je danse et celui que j’anime : presque personne n’a les bras croisés, ni les jambes. Ce sont ceux qui débutent dans la découverte de la Biodanza qui le font ou ceux qui restent sur des positions défensives. De fait pour la très grande majorité, le corps montre une détente et un relâchement qui dénote bien d’une attitude ouverte, prête à accueillir la proposition suivante.
Emotionnelle d’autre part, notamment dans les séquences d’activation de la courbe, le danseur sent dans la voix du facilitateur cette intensité et dans les séquences d’harmonisation et de régression il se laisse toucher profondément, le coeur ouvert par la voix, par la parole. L’impact émotionnel est bien là.
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7 / LE CONTE DE MA RENCONTRE AVEC LA BIODANZA
Cela se passait il y a quelques temps déjà, c’était une femme, une femme qui vivait seule avec ses trois filles dans une grande maison. Elle vivait dans un village en bordure de la forêt de Fontainebleau. Et cette femme elle était bien vivante et dans ses bagages il y avait tellement de choses déjà ! Des bonnes choses , certaines reçues à la naissance comme une famille suffisamment aimante et d’autres venues se rajouter au gré de sa vie, comme la danse, la joie, des enfants, le beau métier d’orthophoniste, l’aïkido, beaucoup d’amis, des voyages, de la générosité, des fêtes tous les mois chez elle. Et puis aussi des choses moins bonnes, une estime de soi bien cabossée, des peurs, des colères, des intransigeances, des recroquevillements, des critiques faciles, de l’orgueil. Et cette femme et bien elle essayait de mener sa barque, de faire manger ses enfants, de se tenir droite dans ses bottes et surtout elle essayait de refaire sans cesse ses bagages pour se débarrasser de ces poids bien encombrants.
Oh elle avait déjà fait beaucoup de choses pour cela : dans sa vie d’avant elle avait changé sa manière de s’occuper de soi, de se nourrir, de se soigner. Elle avait suivi plusieurs thérapies : Jeune adulte elle avait suivi son mari dans un processus terrible : le cri primal, thérapie de groupe fondée par Artur Janov, où elle passait des heures à dire et redire, à pleurer, à crier des phrases terribles, censées nettoyer ses petites cellules d’affects douloureux. Combien elle regrettait de s’être fait cette violence-‐là ! Après elle avait donné naissance à ses trois filles, quel bonheur cela avait été, et elle avait découvert l’haptonomie, vous savez cette pratique du toucher affectif, pour accompagner cette merveille de mettre au monde. Et c’est quelque chose qu’elle avait retrouvé en reprenant un travail sur soi, individuel cette fois-‐ci. Elle avait commencé à s’accorder un peu de douceur, mais là encore le choix du thérapeute était à remettre en question. Alors cette femme avait laissé cela de côté. Et quelques années plus tard, elle avait repris une thérapie dans laquelle le conte servait de médiateur. Elle adorait ça : le conte commençait et elle devait le finir ! Et de fil en aiguille, de larmes en larmes, elle avait commencé à y voir plus clair sur son passé mais surtout sur son futur et la nécessité d’avoir à être pleinement responsable de sa vie.
C’était dans sa vie avant Et puis un jour son soleil s‘est vraiment assombri, les nuages étaient trop gros, la tempête a éclaté : son mari est parti après 25 ans d’une belle vie commune. Et elle, elle a cru qu’elle s’en remettrait jamais, elle a cru qu’elle ne serait plus jamais désirable aux yeux d’un homme, elle a senti comme de la honte, comme si l’opprobre allait lui tomber dessus, pas capable de garder un homme près de soi, elle dont les parents, les grands-‐parents ont vécu plus de 60 ans
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ensemble ! Elle a cru qu’elle s’en remettrait jamais, elle s’est sentie laide, elle s’est vue vieille et seule et elle a connu une peur immense : celle de se retrouver sans toit pour l’abriter elle et ses enfants. Une peur irraisonnable mais venue de si loin… Elle s’est couchée sans bouger, sans manger et au bout de trois jours, sans doute par ce qu’il faut croire qu’elle avait un instinct de vie puissant, elle s’est levée. Elle s’est levée pour ses filles, pour leur montrer qu’une femme peut vivre même si , elle s’est levée pour que ses filles vivent elles aussi, si un jour elles devaient connaître cette douleur.
Voilà. Voilà dans sa vie, l’évènement qui l’a poussée à se mettre à vivre avec elle-‐même pour seul moteur. Un divorce pour se mettre en route. Une fin pour l’obliger à se secouer et à oser vivre sa vie Elle en était presque reconnaissante Mais quelle peur elle avait ! Alors, elle a pris un sac à dos, son vieux sac à dos de jeune fille, le vert avec lequel elle avait bourlingué à travers le monde depuis toujours et une tente et son ange gardien, parce qu’il faut vous dire que cette femme elle avait un ange gardien très attentif et toujours présent. Et bien son ange gardien, il a guidé ses pas dans un drôle d’endroit plein d’arbres, au bord de la mer, juste à l’embouchure du fleuve, entre deux eaux, l’espace où les eaux venues de la terre et les eaux venues de la mer se mélangent, l’espace où tout tourbillonne, où tout peut naître: l’espace des possibles ! Et là, son ange l’a poussée, toute pétrie de trouille, dans une grande salle. Il y avait beaucoup, beaucoup de monde et il a fallu se donner la main et faire une grande ronde. « Oh la la, elle s’est dit la Femme, mais dans quoi je suis tombée, c’est complètement crétin cette ronde, mais qu’est-‐ce qu’ils ont à sourire bêtement comme ça, je suis où là ? ». Mais heureusement, elle est restée et elle a vu une fée, sa première fée. Une fée qui portait un beau nom de fée : Evelyne. C’était une fée qui dansait, on voyait sa sensibilité s’envoler. C’était si beau. Et du coup la femme le lendemain et bien elle y est retournée et les jours suivants aussi ! Et en plus elle avait intuitivement choisi de participer juste après à un atelier d’argile. Et la Femme, après avoir dansé, elle pétrissaiti les yeux fermés, goûtait, caressait , écoutait cette terre. Et de cette conjugaison, danse-‐argile, en est ressortie une merveille, à ses yeux bien sûr, qui est encore dans sa chambre, sur le rebord de la fenêtre.
Voilà, elle avait rencontré la BIODANZA ! Et vous savez, surtout, le soir, dans la tente d’à côté, elle a été invitée avec un autre voisin par les hommes du désert, les hommes en bleu, et ils ont partagé la seule assiettée, et ils se sont raconté des contes. Et ils riaient parce que, pour une courte phrase qu’elle disait, cela prenait deux minutes au traducteur, comme s’il racontait un conte dans le conte… Toute cette alchimie du partage de nourriture, d’histoires, de danses, a fait que la Femme a une
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nuit repris confiance dans les bras du nomade. Un cadeau du ciel, une bulle multicolore, une espérance pour une renaissance. Et puis, quelques semaines après, elle a découvert une nouvelle fée Valérie, une petite fée vive qui pétillait. Une fée allait devenir sa bonne fée durant de longues années, qui allait lui offrir un point d’ancrage dans sa vie tumultueuse entre les soucis avec ses grandes adolescentes, les procédures et déménagements : tous les vendredis la Femme partait loin danser chez cette bonne fée. Elle avait faim la Femme, faim de cette nourriture dont elle avait si souvent manqué, l’accueil, la tendresse, l’affectivité, la reconnaissance, l’amour, l’indulgence. Et vous savez ce que c’est, quand on a été privé trop longtemps et bien on devient « accro ». Et pour elle, c’est ce qui s’est passé ! Elle est devenue très assidue malgré les kilomètres. Elle a découvert le groupe autrement que les groupes qu’elle connaissait en primal ou au travail, avec leur critique et leur violence parfois ; Alors ce groupe de Biodanza elle en a fait sa base de sécurité, celle à laquelle elle revenait et que de larmes elle a pu y laisser couler. Elle prenait surtout du plaisir, beaucoup de plaisir. Elle se coucounait. Elle ne s’occupait pas trop de ce qui faisait couler ses larmes, mais toujours, parce qu’elle était comme ça cette femme, elle entrait dans toutes les propositions avec courage. Alors forcément la Biodanza a fait son œuvre, à son insu presque, « Quelle merveille cette Biodanza !» se disait-‐elle.
Et puis un été, elle était retournée une fois de plus dans cet espace pour jardiner ses possibles, là-‐bas avec sa tente, pour entendre les premiers chants d’oiseaux le matin et goûter le plaisir d’une douche en plein air. Donc cet été-‐là, lors d’une vivencia, c’est comme cela que les danseurs appelaient l’atelier, elle a compris pourquoi c’était si important : Cela réunissait ce qui la passionnait depuis toujours: Le corps, le cœur et l’âme. Est-‐ce que c’était durant une danse d’intégration des trois centres qu’elle a intégré çà? Le conte ne le dit pas et elle, elle ne s’en souvient plus, mais ce qu’elle sait, c’est qu’elle a pleinement ressenti : Qu’aller y voir de plus près encore, cela serait une aventure passionnante et qu’elle se sentirait très bien à offrir cette aventure à d’autres.
Alors dès son retour, elle a envoyé en septembre une demande en bonne et due forme à l’école de Bourgogne qui, avait-‐elle entendu dire, était vraiment super ! Donc une demande pour commencer en deuxième année du premier cycle. Elle avait toutes ses chances d’être prise puisque sur le site elle avait lu qu’ils ne fermaient les portes qu’en janvier de la deuxième année. Quelle n’a pas été sa déception de recevoir un refus de l’équipe : « Ils venaient juste de clore les inscriptions, justement ce week-‐end-‐là »! Oh ça, ça ne lui a pas plu du tout ce mail ! Alors, en colère, elle a répondu, protesté, revendiqué mais il faut croire que sa force de persuasion n’était pas suffisante, peut-‐être qu’il faut croire aussi que ce n’était pas la bonne heure pour elle. Toujours est-‐il qu’elle a dû attendre deux ans ! Et oui deux ans ! Deux ans c’est long ! Déjà une épreuve !
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Et puis elle a enfin pu s’inscrire et écrire une lettre, elle était motivée, et puis grâce à sa bonne fée elle a pu rencontrer sur Paris un couple, très beaux tous les deux, venus de si loin, d’Argentine pensait-‐elle pas plus sûre que ça. Drôle de couple qui, devant un dessert servi avec des cierges magiques, s’extasiait comme des enfants ; C’étaient les directeurs de l’école. « Hum ! Mouais !» s’était-‐elle dit. Elle ne savait pas encore, en ce temps-‐là, combien ils allaient compter pour elle. Ils s’appelaient Véronica et Raul. Véronica, elle le savait c’était la fille de Rolando Toro Arenada , le créateur magicien de la Biodanza.
Le grand jour est arrivé…..
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Et en mars de la dernière année, la Femme elle se lance, elle demande l’autorisation de faciliter des séances découverte, l’autorisation d’offrir cette merveilleuse Biodanza, tout comme elle l’a reçue ! Et là c’est le grand bonheur avec ses deux amies du début de l’aventure, et une troisième, Sandrine, elle co-‐anime et découvre l’émerveillement de voir les marches, les danses s’épanouir. Elle découvre le bonheur de partager et d’accueillir. Oh c’est du boulot, pffff ! Mais elle se sent bien et se trouve confortée dans son désir d’animer un groupe hebdomadaire. Alors comme elle est pleine d’énergie, c’est le printemps, elle en profite pour faire des démarches à droite, à gauche avec le sentiment que tout va aller bien. Et de fait tout s’ajuste. Elle surfe sur la vague de cette énergie de la formation. Et elle entraîne ses amies… Elle crée une association, elle trouve une très belle salle pour le futur groupe, une association qui accueille la sienne. Cela se passera dans le très beau petit village de Django Reinhardt. Elle se dit que c’est bien que l’âme de ce musicien soit présente. Dans les statuts de l’association, la Femme écrit aussi « promotion et développement du conte », elle a l’idée de travailler dans les maisons de retraite et d’allier Biodanza et Conte …. Et puis arrive le dernier week-‐end d’école ! Non ce n’est pas possible ! Le cursus n’est pas fini ! Y’a une erreur ! La Femme a la sensation de ne pas avoir senti le temps passer ! Elle a même l’impression d’avoir rajeuni ! D’ailleurs, c’est sûr, elle a rajeuni. Mais en elle naît une petite peur : comment va-‐t-‐elle faire l’année prochaine pour ne plus voir les visages tant aimés, va-‐t-‐elle pouvoir s’en passer ? Oh et puis vite, vite, elle relègue cela très loin et profite, comme une gourmande qu’elle est, de la vie et de tout. Elle étreint, elle embrasse, elle pleure, elle rit, elle déguste…..
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Et elle est rentrée chez elle….. Elle n’était plus cette femme bien élevée, bien intentionnée, qui s’essoufflait à vouloir être parfaite, mais une femme pleine de joie et d’élan vital, une femme décidée à laisser son intuition et ses instincts vivre, à écouter son instinct féminin, à laisser sa lumière briller, à laisser son âme être ce qu’elle est et à protéger la vie de son âme. Une femme qui se réjouit de se réapproprier sa vie chaque jour un peu plus. . Et elle est rentrée chez elle…. Et chez elle, c’est partout dans le monde, partout dans le cœur de l’homme…. Et chez elle c'est ici même, simplement là, elle sait qu’il n'y a nul autre endroit où elle doive aller et rien d'autre qu’elle doive devenir …
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8 / DES CONTES DE SAGESSE POUR ILLUSTRER LA BIODANZA
Mon propos est de donner ci-‐dessous une liste non exhaustive de contes venant illustrer chacune des cinq lignes du modèle théorique élaboré par Rolando Toro Arenada: Affectivité, Vitalité, Créativité, Sexualité et Transcendance. Je suis partie de mon vécu de biodanseuse et conteuse: certains contes venaient parce qu’ils étaient en corrélation avec les vivencias proposées dans le week-‐end, avec la charge émotionnelle présente ou avec les valeurs directement en lien. Les contes véhiculaient les thèmes, valeurs illustrés en Biodanza.
Des contes merveilleux bien sûr mais aussi des contes philosophiques ou contes de sagesse qui se différencient des premiers. Et notamment ils ne répondent pas à la même invariance de la structure et des fonctions mais ils nous intéressent dans cette monographie de Biodanza pour les valeurs transmises, les thèmes philosophiques abordés, les messages de sagesse de vie et par conséquent le lien que l’on peut faire avec les cinq lignes. Tout comme les exercices de Biodanza peuvent parfois se placer principalement sous une ligne, certains contes peuvent aisément se glisser sous telle ou telle ligne. Tout comme certains exercices viennent recouvrir plusieurs lignes voire toutes les lignes, certains contes pourraient se mettre partout. Et quand on sait aussi que toutes les lignes du modèle théorique sont imbriquées, essayer de faire des rubriques est un peu illusoire. Mon ressenti est qu’un conte peut venir agrémenter, illustrer, faire écho, soutenir une vivencia… Pourrait-‐on par exemple donner le conte du thème ou de la danse clef en guise d’introduction à la vivencia ? Cela m’est arrivé une fois cette année de le faire dans le groupe hebdomadaire dans lequel je danse. Pourrait-‐on donner un conte en guise d’introduction au week-‐end ? Et ce dans un temps plus ou moins rapproché … Par exemple, actuellement, j’envoie quelques jours avant le jour du groupe le thème de la vivencia. Je pourrais tout aussi bien envoyer un conte, tout en sachant que le caractère oral ferait défaut. Rien n’empêcherait de le faire peut-‐être après la vivencia…
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Je mets en annexe, à la fin de cette monographie, quelques contes listés dont j’ai croisé le chemin, ceux que j’ai fait miens, ceux que je conte, ceux que je ne conte pas encore mais qui déjà me parlent dans mon ventre, ou mon cœur, ou mon âme.
UN CONTE POUR…..
L’AFFECTIVITE conte de l’amour et du temps l’amitié le vilain petit canard la tache le conte des empreintes la femme squelette petite histoire de la folie le palier fier de l’aile la soupe au caillou l’œil du menuisier le flocon de neige le lieu le plus secret le père le pêcheur et le figuier le pot fêlé le conte de la fleur le cordon du professeur le vieil homme et le marchand
LA SEXUALITE LA VITALITE
les souliers rouges tout le monde Coyote Dick le vieil homme et le cheval comment l’aiguillon vint le diamant
la femme squelette l’éléphant la jeune fille sans mains les trois portes
Zahra les trois cheveux d’or une visite au Rwanda l’ours au croissant de lune
LA CREATIVITE
les deux cailloux volé-‐trouvé l’avare la petite marchande d’allumettes la carotte, l’œuf et le café la llorona
LA TRANSCENDANCE le bol du mendiant le serpent blanc le paysan et ses trois ânes l’arbre le miroir le loukoum à la pistache l’ennemi du soleil tout va bien le moine aux mains moites l’aigle et le canard j’existe la chemise de l’homme heureux la gardeuse d’oies l’instant présent la valeur de la personne les quatre aveugles le roi aveugle les framboises de l’instant les deux voyageurs la fleur le travail et le but de la vie
le regard du jugement le ouistiti choisir à chaque instant
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CONCLUSION
Le début de cette monographie a été laborieux et puis, peu à peu, j’ai remis les choses à leur juste place et le plaisir est venu. Et je me suis prise au jeu : j’en ai beaucoup trop fait, évidemment, mais cela me plaisait : mettre des mots sur ce que je sentais. La Biodanza a grandi dans ma vie et a fait grandir ma vie Les danses se sont épanouies et se sont nourries de moi Je me suis nourrie de la Biodanza Et grâce à elle, le conte a grandi dans ma vie et a fait grandir ma vie Le conte s’est épanoui et s’est nourri de moi Si la Biodanza n’était pas venue dépoussiérer et booster mes potentiels, il est certain que le conte n’aurait pas pris cette couleur. Alors je me suis essayée à ce rapprochement Biodanza-‐Conte : beaucoup de similitudes ont jailli mais je savais bien que cela serait surtout une manière de magnifier la Biodanza et de visiter son incroyable richesse ! Et dès que j’ai pris la plume, les synchronicités se sont enchaînées : Alors que j’écrivais le tout début de la monographie, une des femmes du groupe
hebdomadaire que j‘ai ouvert, a spontanément et en rebondissant sur une parole d’un autre danseur, entamé un conte, un conte que j’avais conté à l’école. J’ai dit merci à l’univers et je l’ai remerciée, et j’ai cité le titre de la future monographie ; et voilà qu’une seconde femme parle alors d’une coach qui l’aide et qui travaille avec les contes et qui est facilitatrice en Biodanza !
Et puis un soir de vivencia, avec le thème proposé par la facilitatrice « sortir du cadre », je me lance sur le temps d’intimité sur un conte philosophique sur ce thème, très court, et deux jours plus tard je reçois par mail une version dessinée rigolote de ce même conte. Indéniablement le conte chemine, il circule, rebondit et le lien se fait.
Et des invitations à des diners-‐contes chez anciennes connaissances, perdues de vue, mais qui magiquement pensaient à moi !
Et des films et des livres offerts par des personnes ignorant l’existence de la monographie…
En commençant cette monographie, je comptais sur elle pour éclaircir des intuitions et notamment me conforter dans l’idée de « faire » quelque chose avec les deux. Maintenant que cette monographie touche à sa fin, je ne suis plus si sûre de vouloir les allier forcément, c’est presque un comble ! Je comptais sur elle et au bout du « conte », je ne sais plus très bien… Dans le temps d’avant, cela m’aurait plutôt fait grimacer mais là j’accepte.
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Il est évident que certaines pistes sont à exploiter par rapport au thème de la vivencia ou du stage d’une part, et pour la construction d’une vivencia pour les enfants par exemple d’autre part. Mais à l’heure où j’écris, je ne me dis plus : « il faut faire cela. » Je vais laisser infuser et j’ai confiance et je fais confiance : « La vie est un mystère ». Finalement, le plus intense de cette monographie a été quand j’ai commencé le conte de mon aventure: j’ai revisité tout ce parcours en relisant mes comptes rendus. Et des bouffées d’émotions sont remontées, des rires, des pleurs… Des danses me sont revenues, les visages de mes compagnons me sont revenus. Les mots « jubilation, plaisir et gratitude » étaient sans cesse présents. Et j’aurais voulu tout transcrire, évoquer toutes mes aventures, toutes les étapes… Mais beaucoup se sont faites discrètes, se sont faites oublier, et en relisant, elles ont refait surface dans ma mémoire ! Aussi j’aurais voulu reprendre au début et en parler, comme ces enfants qui veulent prendre tous leurs jouets et les montrer. Cela me fait sourire et je ne rajoute pas un mot ! Et pendant que j’écris ce conte de ma rencontre avec la Biodanza, je me sens brassée, je vis une semaine qui m’ébranle, les soutiens que j’attends se dérobent, c’est comme une avalanche, je suffoque presque… Je le vis un peu comme un passage obligé, un chamboulement nécessaire pour franchir une porte, pour un passage vers…. Quelle émotion d’écrire ce conte ! La Biodanza a changé ma vie, comme une lente imprégnation, une lente infusion, le changement s’est opéré. Je visualise un véritable cheminement qui se poursuivra et en même temps grâce à la Biodanza je touche du doigt que ce chemin –là, il n’est autre que le retour à moi, à mon moi déjà là. Je sais maintenant que c’est ma vibration et mon univers intérieur qui créent ce que je vis. Ce que je crois rencontrer dans ma vie, c’est à l’intérieur de moi. Ce Moi-‐là, la Biodanza l’a fait danser, l’a mis en musique, l’a mis en caresses, l’a mis en regards. Avec la Biodanza, je reviens à moi et à l’Autre, mais pas dans l’égo, juste dans la tranquillité, la puissance et le bonheur d’être vivant. Et les rencontres ont un autre parfum, une autre saveur. Voilà ce que la Biodanza m’a permis de voir : combien chaque personne est unique et magnifique dans son unicité. Et combien l’amour est notre seule nourriture possible.
« J’aime donc je suis » disait Rolando Toro
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Depuis Schéhérazade, on sait que raconter
c’est vivre….
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Depuis Rolando Toro, on sait que danser
c’est vivre…..
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Remerciements Un immense hommage à Rolando Toro Arenada, Merci pour la Biodanza Merci pour cet amour fou en la vie Merci pour cet amour fou en l’Homme
Merci pour le souvenir ému d’un week-‐end en sa magnifique et surprenante présence. Il m’a dit « Qué bailarina maravillosa ! » et il m’a envoyée, au milieu de l’immense cercle, danser sur un air de tango. Souvenir fondateur.
Je veux rendre hommage à Véronica qui m’épate par sa capacité à nous entraîner loin dans ses propositions, par la compassion qu’elle éprouve, par l’amour dont elle nous entoure, par la vigilance qu’elle exerce et par l’expression juste de son indignation, un jour, sous le chêne. Je la vois et ressens tellement la femme sauvage, intuitive et passionnée, cette femme que nous sommes toutes.
Je veux rendre hommage à Raul le poète qui me touche par sa sensibilité si belle, la façon si simple et si humble de se montrer tel qu’il est. Je le revois danser, s’essayer à un morceau de guitare à MPV, être si touchant ! Je veux rendre hommage à Carole Rivière pour sa présence vigilante et précieuse, sa douceur bienfaisante. Je veux rendre hommage à Blandine Pillet pour la sensibilité de ses danses et son sourire lumineux. Je veux rendre hommage à Yves Gendrot pour son impétuosité, sa curiosité et sa façon de manger la vie. Je veux rendre hommage aux femmes qui m’émerveillent encore et encore Je veux rendre hommage aux hommes qui m’émeuvent encore et encore Je veux rendre hommage aux conteuses et conteurs Je veux rendre hommage aux facilitatrices et facilitateurs Je veux rendre hommage aux danseuses et danseurs du monde et de la vie Je veux rendre hommage aux musiciennes et musiciens Je veux rendre hommage aux poètes et artistes Je veux rendre hommage à mon entourage
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MERCI
Remercier la Vie,
Remercier mes ancêtres Remercier mes parents
Remercier mes filles Camille, Chloé et Marie d’être mes filles
Remercier mes amis Remercier mes non-amis
Remercier la terre, le feu Remercier l’air, l’eau
Remercier les rires et les larmes
Remercier la Musique
Remercier la Danse
Remercier la Nature
Remercier l’Univers
Me remercier
MERCI
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BIBLIOGRAPHIE
« La Biodanza » Raul Terren et Veronica Toro Le souffle d’or. Collection Chrysalide. 2013
« Biodanza » Rolando Toro Editions Le Vivier. Version 2006
La compilation des corpus de l’enseignement théorique des écoles de Biodanza. « Mythes, les plus célèbres mythes de l’Antiquité » Gerold Dommermuth-Gudrich Editions de la Martinière
« L’ABCdaire de la mythologie » Françoise Frontisi-‐Ducroux Flammarion
“The Types of the Folktale : A Classification and Bibliography”, Antti Aarne, Stith Thompson, . « Folklore Fellow's Communications, 184 », Helsinki, 1961.
« Catalogue raisonné des contes populaires ». Paul Delarue 1956 Marie-‐Louise Ténèze 1977.
« Les racines historiques du conte merveilleux » Vladimir Propp. Leningrad 1946, traduction Gallimard 1983, Bibliothèque des sciences humaines
« Morphlogie du conte » Vladimir Propp Essais Points 1928
« Utilisation du conte et de la métaphore » Françoise Estienne Collection Orthophonie Masson
« Contes et métaphores » L Fèvre. Chronique sociale, Lyon, 1999
« Le conte populaire français » Michèle Simonsen Que sais-‐je ? PUF 1981
« Le conte. Du mythe à la légende urbaine » Jeanne Demers .Montréal, Québec Amérique (collection « En question »), 2005, p. 107-‐108.
« Contes et métaphores ». L.Fèvre. Chronique Sociale. Lyon, 1999.
« Ce que disent les contes » Luda Schnitzer Editions du Sorbier
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« Le renouveau du conte » Geneviève Calame-Griaule. Paris Presses du CNRS 1991 Colloque international Février 1989, Musée national des Arts et Traditions Populaires,
« Femmes qui courent avec les loups » Clarissa Pinkola Estés Livre de poche 14785
« Petit poucet deviendra grand » Pierre Lafforgue Petite bibliothèque Payot 443
« Psychanalyse des contes de fées » Bruno Bettelheim Robert Laffont Pocket
« Contes à guérir, Contes à grandir » Jacques Salomé Albin Michel 1994
Entretien avec Henri Gougaud. Pascal Van Eersel Magazine Nouvelles Clés
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ANNEXE
PRESENTATION MYTHE, LEGENDE ET CONTE Mythe, légende et conte, le sens de ces mots est généralement connu mais souvent un flou persiste quand il faut le préciser. Tous nous parlent de parole, de discours et de récit. Ils font tous référence à une tradition orale. Les hommes se racontent des histoires, des histoires qui seront encore et encore racontées ; c’est pour cela qu’elles changent. Mais nous allons voir que ces concepts renvoient à des fonctions différentes. L’objet de ce chapitre est de saisir en quoi ils se distinguent les uns des autres. Tout d’abord voici sous forme de tableau comment se situent le mythe, la légende et le conte dans le folklore français, selon Michèle Simonsen dans « Le conte populaire français ». Rappelons que le folklore recueille, consigne et étudie les arts et les traditions populaires d’un pays ou d’une région, et notamment toute transmission orale. FOLKLORE NON VERBAL FOLKLORE VERBAL
Cultes, Fêtes, NON-‐RECITS RECITS Croyances Rites, Jeux, Superstitions, Coutumes, Danses etc. etc. Artéfacts etc. Jeux Instruments Devinettes Costumes de musique etc. Chants Proverbes Formules Comptines PROSE VERS
Fictifs Exorcismes Sapientielles Juridiques CONTES POPULAIRES Non-‐fictifs Epopées Ballades
Contes Contes Contes Contes merveilleux réalistes facétieux d’animaux Randonnées Biographies Anecdotes Légendes Mythes
Cela reste un tableau vu par les folkloristes, avec son angle d’entrée et inévitablement ses restrictions et ses manques. Ainsi les genres littéraires regrouperont différemment les récits : le conte, la légende seront sous la rubrique genre romanesque narratif. Le conte philosophique se trouve lui dans l’argumentatif, le conte facétieux dans le registre comique. L’épopée dans le genre épique et le mythe dans le registre tragique.
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LE MYTHE
Du grec "muthos", désigne un énoncé considéré comme vrai. Passé dans le bas latin "mythos" qui signifie "fable/mythe" le sens du mot évolua au cours des évènements historiques et politiques pour exprimer une « parole non rationnelle, puis discours, puis fiction ». Ce mot qui apparaît en France au XIXe siècle signifie donc "récit fabuleux". Dans le langage courant : -‐C'est un récit fabuleux transmis par les traditions qui met en scène des êtres incarnant, sous une forme symbolique, des forces de la nature, des aspects de la condition humaine. -‐ Aujourd’hui quand nous qualifions quelque chose de mythe, nous sous-‐entendons qu’il ne s’agit que d’une pure invention, d'une pure construction de l'esprit. Chose rare, ou si rarement rencontrée, qu'on pourrait supposer qu'elle n'existe pas (emploi familier). -‐ Représentation qu'un ensemble d'individus, en fonction de ses croyances, se fait d'une période, d'un personnage, d'un fait.
De fait notre langage quotidien regorge de mots et d’expressions faisant référence à la mythologie grecque : avoir un tendon d'Achille, une force herculéenne, sortir de la cuisse de Jupiter, tomber de Charybde en Scylla, afficher un calme olympien ……… Certains mythes racontent la naissance des dieux. On parle de théogonie. D’autres mythes expliquent de là d’où l’on vient, comment les choses ont commencé et pourquoi les hommes en sont là aujourd’hui. On parle de cosmogonie. « Par des images, ils permettent d’expliquer les mouvements de la nature, le passage du jour à la nuit, le cycle de la végétation au fil des saisons, le début et la fin de toute existence humaine, les éclairs et le tonnerre. Les mythes expliquent ainsi la conduite de chaque individu et le destin des peuples entiers, l’origine de l’univers, naissance des dieux et des divinités» explique G Dommermuth-‐Gudrich dans « les plus célèbres mythes de l’Antiquité ». Le mythe fait en effet référence aux vérités ou valeurs universelles et se retrouve dans toutes les cultures et tous les pays. D’autres mythes expliquent le sort de l'homme après la mort. On parle d’eschatologie. D’autres mythes encore, tels les mythes de la naissance et de la renaissance, les mythes de héros civilisateur ou culturel (Prométhée) ou encore les mythes de fondation (fondation de Rome par Romulus et Remus). Le mythe présente des personnages aux pouvoirs surnaturels et dans la plupart des cas surhumains, mais qui se comportent comme les hommes et éprouvent les mêmes sentiments. Il permet de mieux comprendre le fondement des sociétés où l'individu peut s'identifier au sein d'un groupe et définir sa valeur. On remonte à l'origine du savoir et des institutions. Il renvoie en effet à l'origine du monde, sa création avec la naissance des animaux, des plantes des hommes. Le mythe s’adresse au collectif. Il symbolise les croyances d’une communauté. Les mythes remplissent une fonction socio-‐religieuse depuis le début des temps et se retrouvent dans toutes les cultures de tous les pays, dans les productions orales ou littéraires avec des soubassements d’images permanentes, de symboles et des archétypes. Bien sûr, ils ont aussi une fonction morale, même si nombreux sont ceux qui s’indignent de son immoralité (Platon, l’église et les bien-‐pensants jusqu’au XIXe siècle). C’est par eux à l’époque que commence l’éducation des enfants. Mais de fait, la mythologie avertit et met en garde plus qu’elle n’interdit : l’homme peut essayer de dépasser sa condition mais à ses risques et périls. Et de fait le dénouement est sans appel : l’homme n’est pas un dieu et ne peut se permettre d’agir comme tel sinon il bascule dans la bestialité et l’horreur.
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Le mythe est représenté dans l’atemporel. Même quand il raconte des évènements précis, il se place dans un temps mythique qui est au-‐delà de celui des hommes. Les Mythes représentent un patrimoine pour les consciences dont la mémoire ne doit jamais se perdre, car l’homme ne se réduit pas à ses limites, il porte en lui cette dimension infinie qui l’apparente aux dieux. Des histoires, tout d’abord, se sont employées à l’exprimer et à le faire vivre, puis tout l’art lui-‐même par son pouvoir d’immersion irrésistible, l’architecture, la peinture, la musique…. LA LÉGENDE La légende, du latin « légenda » « légende, vie de saint » proprement « ce qui doit être lu » (gérondif de legere, v. lire). A l'origine, la légende racontait la vie des Saints et des martyrs. Ces textes étaient lus dans les couvents et pendant les services religieux. La signification du terme évolua peu à peu. La légende est devenue un « récit à caractère merveilleux où les faits historiques ont été transformés par des croyances et l'imagination populaire ou par l'invention poétique » dixit le dictionnaire. De nos jours, il s'agit de récits merveilleux, traditionnels où le réel est déformé et embelli. Les légendes ont donc un caractère vraisemblable puisque ces évènements ont eu lieu ou auraient pu avoir lieu. La légende est le plus souvent l’éclosion même de l’imagination inconsciente des masses populaires et elle ne cesse d'être en pleine formation. Tout peut contribuer à faire naître ou perpétuer une légende. L’art peut par exemple, par ses chefs d’œuvre avoir rendu parfois légendaires des personnes, des lieux, des contextes qui n’étaient pourtant pas amenés à sortir de l’anonymat. La légende peut être aussi la création originale d’un conteur ou d’un poète, imprégnée des formes d’imagination de son temps. Les chansons de geste naquirent certainement ainsi. Parfois c’est un regard porté par un visionnaire qui fera basculer vers la légende universelle un évènement banal ou même voué au désastre. L'objet essentiel de la légende est le miracle. C’est un récit de croyance. La forme de la légende est simple et soucieuse du détail. Et grande différence avec le conte, elle n ‘échappe ni à la temporalité et ni à la localisation. Elle se place toujours dans un temps à l’échelle de celui des hommes. Dans le langage courant : On parle de « entrer dans la légende » d'un événement ou d'une personne, Il s'entend aussi évoquer « La légende dorée », (Titre donné par Jacques de Voragine à sa compilation de vies de saints composée vers la fin du XIIIe siècle) dorée car son contenu, d'une grande valeur, est dit aussi précieux que l'or. On parle également de Légende urbaine, qui elle, est un conte moderne, composé d'histoires souvent considérées comme des faits par ceux qui les diffusent. Elles sont apparentées aux lieux communs et aux idées reçues. Elles sont partagées par de nombreuses personnes sans être vérifiées et souvent proposent une alternative à des thèses plus officielles. A ne pas confondre avec la rumeur qui est un phénomène de contagion sociale groupale, un bruit qui court, qui a tendance à s’enrichir de tout ce qui se passe à côté et ne peut résister à la confrontation avec la réalité.
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LE CONTE Le conte vient de « Conter » du latin «computare» c’est-‐à-‐dire « calculer », tout comme « compter ». Ce terme appartient à une famille de mots construits à partir de putare signifiant "émonder les arbres" et "apurer un compte" d'où juger, penser. Ce n'est qu'à partir du XIVème siècle que le terme compter se spécialise dans le sens de calculer. Conter, c'était à l'origine "relater un fait en énumérant ses diverses circonstances". Si l'on s'attarde sur l'origine du conte, on peut souligner qu'il serait issu des récits mythiques en en ayant enlevé le caractère sacré des personnages. Le conte est né de l'oubli progressif du caractère religieux du récit. Mais le surnaturel reste présent dans le conte, ainsi que la magie. Il nous introduit dans un univers enchanté dont la magie fascine notre imagination. Le conte est un récit d’aventures imaginaires. Le conte est un récit court ; il appartient à l'univers de la poésie. Une des caractéristiques du conte est aussi le grand nombre d’invraisemblances dans le récit : les objets peuvent s’animer, avoir des pouvoirs, les plantes pousser de façon fulgurante, l’homme de cent ans rester jeune, dormir des dizaines d’années. Le conte aboutit la plupart du temps à un dénouement heureux. Le conte met en scène des personnages ordinaires auxquels on peut s’identifier, fondamentalement humain même si l’environnement est fantastique. Il puise dans des ressources naturelles et surnaturelles mais n’est pas surhumain: il dévoile ses défauts et ses haines mais il fait connaître aussi la force de ses idéaux. Au travers de cet individu, qui n’a pas de nom propre mais porte des surnoms, souvent anonyme ou désigné par des attributs caractéristiques, le conte nous initie au monde avec un message d'espoir, celui d'un avenir meilleur. Le conte s’adresse à l’individuel. Le récit centre sa narration sur un personnage et non sur une communauté. On ne note aucun signe de religion. De même, il ne contient généralement pas de références superficielles aux lieux réels, à des gens et des événements. Les références se situent au niveau du « il était une fois » plutôt que dans les temps réels. Le conte est en quelque sorte une menterie autorisée. Il a entre autre comme but le divertissement. Nous, nous savons bien que l’histoire qui nous est contée est fausse, que les personnages sortent de l’imaginaire de l’auteur, que les événements décrits n’ont jamais existés. Nous aimons à nous laisser bercer par l’irréel et la quiétude d’un univers qui n’existe pas. Et pour nous plaire il revêt un certain habit et est dégagé de tout lien référentiel au réel ; tout ne tient qu’à l’imaginaire. Par conséquent, nous retrouvons des personnages ou plutôt des types de caractères physiquement parfaits ; des princesses d’une beauté toujours exceptionnelle et des princes beaux comme des dieux. On dit de ces personnages qu’ils sont plutôt des caractères, car ils n’ont aucune profondeur psychologique, les demoiselles sont gentilles et douces et les messieurs sont braves et n’ont peur de rien. Dans le conte, on n’a pas besoin d’approfondir la psychologie des personnages, car son intérêt est centré sur l’action avant tout et sur le merveilleux. Mais la plus grande caractéristique du conte est bien celle de l’oralité liée à la présence d’un conteur. IL porte impérativement les marques de l'oralité avec des formules (rituel d’ouverture par exemple). Et cette oralité influence la structure.
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Les types de contes
Au-delà des classifications, essayons d’énumérer les différents types de contes à notre portée. LES CONTES DE FÉES Le conte de fées fleurit au XVIIe siècle sous les plumes de Mme d’Aulnoy et de Charles Perrault. Il se trouve à l'oral et sous une forme littéraire. L'histoire du conte de fées est particulièrement difficile à retracer, car seules les formes littéraires peuvent survivre. Pourtant, les preuves d'œuvres littéraires indiquent au moins que les contes de fées existent depuis des milliers d'années, le nom «conte de fées» a d'abord été attribué à eux par Mme d’Aulnoy dans la fin du 17e siècle. Les contes de fées étaient destinés à tous adultes et enfants, mais ils ont été limités à un public d’enfants dès les écrits des Précieuses. Les frères Grimm ont réécrit pour adapter aux enfants et ont intitulé leur collection « pour enfants contes des ménages » ; et le lien avec les enfants s'est renforcé avec le temps. Les contes de fées d'aujourd'hui ont évolué à partir des histoires vieilles de plusieurs siècles ils se retrouvent avec des variations, dans des cultures multiples à travers le monde. Deux théories d'origines ont tenté d'expliquer les éléments communs aux contes trouvés répartis sur les continents. La première théorie est que d'une seule source le conte s'est ensuite propagé à travers les siècles, l'autre est que les contes de fées découlent de l'expérience commune à tous les humains et ne peuvent donc différer d’un continent à l’autre. Seuls le choix des motifs, le style dans lequel on leur dit, la représentation des caractères varieront au gré de la couleur de leur emplacement géographique et historique. A partir de l’époque romantique, le conte s’est scindé en deux tendances : le registre du merveilleux et à partir du début du 19ème siècle le registre du fantastique. Nous parlerons ici des contes merveilleux (numéros 300 à 749 dans la classification Aarne-‐Thompson présentée ci-‐après). Ils présentent, dans un cadre rêvé, une action schématique, des personnages en petit nombre facilement identifiables en « bons » et en « méchants », un propos éducatif. Ce sont des histoires fictives qui comportent habituellement des personnages folkloriques (comme les fées, lutins, elfes, trolls, sorcières, géants et d'animaux parlants) et des enchantements. De façon générale, les contes merveilleux retracent des itinéraires : le héros jeune et démuni, franchit des épreuves marquant des passages vers l'accession à la maturité. Ces contes sont considérés comme initiatiques car ils montrent la voie, ils disent ce qui doit être, sous forme d'image, sans être didactiques ou moraux. La ressemblance profonde entre les contes merveilleux, leur unité de sens et de style, induit et autorise chez les conteurs des permutations, des libertés en tous points conformes à l'esprit de la tradition orale. Les contes merveilleux de notre enfance sont de véritables rébus à " décoder ". Leur langage est symbolique et leur sagesse cachée propose des solutions à toutes sortes de difficultés. Ce qui les caractérise, c'est le merveilleux, le miraculeux, c'est-‐à-‐dire l'accès soudain au changement, dans l'instant créatif, par la rencontre en direct avec les réponses cherchées. Dans le langage courant : Le terme est aussi utilisé pour décrire quelque chose béni avec bonheur rare, comme dans "cela se termine comme un conte de fées ! » pour une fin heureuse ou « c’est un conte de fées » pour une histoire romantique. Cela peut également signifier une histoire tirée par les cheveux, une histoire à dormir debout qui n’est pas vraie ou ne peut être vraie.
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Le conte fantastique Le conte fantastique est voisin du conte de fées. Il se définit en France comme un genre autonome et a la faveur des romantiques (Nodier, Grimm, Hoffmann) puis des écrivains de la fin du XIXe siècle (Maupassant, Nerval, Mérimée). Il s’alimente d’une équivoque entre le réel et l’irréel, Il cherche et est à l’affût de la faille du quotidien. Le conte fantastique se caractérise par une intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle. Il est souvent en relation avec un événement qui déroge du monde habituel dans lequel nous vivons, par exemple des chaises qui flottent dans les airs. Il est généralement lié à des images d’angoisse ou de terreurs que l’on retrouve dans les délires ou les cauchemars. Lié donc aux états morbides de la conscience. On peut aussi le rapprocher du surnaturel exotique qui est aussi une déformation du réel. Les créatures, comme le monstre du Lochness ou le « Big Foot » font partie de cette catégorie. Pour ce qui est du surnaturel scientifique, il est surtout présent dans les contes à anticipation futuriste. On y retrouve alors des actions ou des événements, comme la téléportation, qui pourraient être envisageables dans les années futures.
Le conte philosophique Le conte philosophique est probablement ancien mais sa conception moderne a émergé entre la Renaissance et le XVIIIe siècle. Montesquieu dans « Les lettres persanes » feint de porter un regard objectif sur les hommes pour mieux dénoncer ce qu’il condamne. Et Voltaire l’auteur le plus célèbre de contes philosophiques au siècle des lumières, invite à prendre conscience de l’imperfection humaine et de la place de l’homme dans l’univers. « Candide » particulièrement, en plus d’être un conte, a été utilisé par son auteur comme arme de critique envers l’optimisme démesuré dans cette phrase célèbre : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes », en réaction à celle de Leibniz sur la « .. si ce n’était le meilleur monde, Dieu n’en aurait produit aucun ». Ce type de conte se distingue donc de ses confrères, car il sert aussi d’instrument à l’expression philosophique de celui qui l’écrit. Le conte est le porte-‐parole des conceptions philosophiques de son auteur, l’exemple imagé de ses thèses. Il a recours au récit imaginaire véhiculé par le conte pour transmettre des idées et des concepts à portée philosophique. Y sont fustigés les mœurs de vie, le pouvoir politique, l’intolérance religieuse. Il devient parfois satirique quand l’auteur s’y moque des travers de ses pairs ou de leurs idées. La formule « conte philosophique » est bien périlleuse car elle réunit deux idées éloignées : le récit pourrait rester dans une abstraction intellectuelle mais il rejoint le monde du conte en enracinant sa réflexion dans le monde contemporain qu’il critique. Il prend aussi la forme du conte et cela permet une transmission indolore, métaphorique et il échappe ainsi à la censure de l’époque. L’incipit du conte philosophique s’empare de formules du conte traditionnel ou comparables, souvent des formulations temporelles qui renvoient à un temps autre et permettent là aussi de museler toute réaction du lecteur. On peut aussi remarquer que le conte philosophique en donnant une morale, pourrait s’apparenter à une fable.
Conte étiologique Il est encore appelé conte des origines, ou conte des pourquoi ou encore conte explicatif. À travers une narration, ces contes offrent une explication fantaisiste d'un élément de la réalité, d’un phénomène naturel " Pourquoi la mer est-‐elle salée? ", la particularité d'un animal " Pourquoi la hyène est-‐elle rayée? " ou un comportement humain "Pourquoi les couples sont-‐ils ce qu'ils sont ? ». Le conte
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étiologique est un récit qui explique donc un phénomène de la vie ordinaire en le rapportant à une origine mythique ou fictive. Ce sont des textes qui racontent une histoire comme n'importe quel autre conte, mais dont la visée explicative est soulignée généralement par le titre qui pose le problème, et par la structure du récit qui se démarque du schéma habituel. Ces textes en effet, partent toujours d'un état initial qui représente un avant (avant que se produise l'événement à l'origine de tel ou tel phénomène). Ensuite, ils racontent en suivant la progression classique le déroulement des faits, puis ils s'achèvent par une formule soulignant que l'explication vient d'être fournie " C'est depuis ce temps que..." ou " Depuis ce temps-‐là... ". C’est un récit très fréquent dans la tradition orale, mais beaucoup d’écrivains se sont saisi du genre (Ovide, Kipling ...). Les enfants fin de maternelle et début du primaire raffolent de ces contes qui apportent une réponse à leurs éternels « pourquoi ? » et surtout ils n’en discutent jamais le bien-‐fondé. Ces trois types de contes fantastiques, philosophiques et étiologiques, se trouvent dans la section 750 à 1199.
Les Contes d'Animaux constituent du fait des protagonistes même, un ensemble relativement clos. Il s'agit le plus souvent d'épisodes courts. Ils forment la première section (numéros 1 à 299) de la classification Aarne-‐Thompson. De ces animaux, domestiques et/ou sauvages, l'un est généralement plus fort, et l'autre plus rusé. Ces contes sont constitués de récits épisodiques pouvant s'enchaîner, car le naïf ou le malveillant ne tire aucune leçon de ses mésaventures. Ils s'organisent en cycles, tel celui du renard et du loup. Le plus puissant est toujours, floué ou ridiculisé par son adversaire rusé, humain ou animal (renard, oiseau... ). De là des interférences avec la section 1000 à 1199 intitulée Contes de l'Ogre dupé de la même classification.
Les contes religieux se réfèrent en priorité à l'imaginaire chrétien. Ici la littérature orale exprime les représentations de l'au-‐delà et traite du passage de la frontière avec l'autre monde. Edifiants et graves quand il s'agit du devenir de l'âme, les contes religieux sont poétiques ou plaisants lorsqu'ils narrent des moments de l'enfance du Christ ou bien ses visites sur terre. Certains de ces contes se sont transformés en légendes ou en étiologies. Ils peuvent aussi donner lieu à des récits quasiment facétieux. Ils se trouvent dans la section 750 à 849.
Le conte noir ou d’horreur utilise la forme du conte tout en cultivant l’illusion du réalisme. Même si il a la forme d'un conte, tout semble réel dans son histoire. Le lecteur a l'impression que tout est vrai, pourtant il s'agit toujours de fiction. Il s’inspire des thématiques proches du cinéma de genre.
Le Conte Facétieux veut amuser l’auditoire: Histoires d'idiots, histoires sur les époux, histoires à propos d'une femme ou d'une fille, histoires à propos d'un garçon ou d'un homme qui se subdivisent elles-‐mêmes en plusieurs ensembles regroupant les thèmes du garçon habile, des accidents heureux et de l'homme stupide Le conte facétieux, comme son anti-‐héros, revient sans cesse à la case départ. C’est la différence avec le conte merveilleux : la progression du récit n’est qu’un heureux accident ne changeant rien à la suite du récit. Certains de ces contes sont considérés au XIXème siècle comme licencieux car ils pouvaient mettre en scène des figures notoires y compris des prêtres. On les trouve dans la section 200 à 999.
Le Conte Satirique qui lui aussi veut amuser l’auditoire mais au dépens de quelque chose ou de quelqu’un. Souvent l’adversaire du héros se trouve ridiculisé.
Les contes nouvelles : Ces récits entre le conte et la nouvelle sont des itinéraires, des tranches de vie ou se réduisent au temps d'un échange verbal, d'une joute spirituelle entre deux protagonistes. Contes de l'intelligence, du courage et de l'astuce, ils sont le lieu de la littérature orale où
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des personnages émergent, prenant en main leur destin. Une notion de justice et de morale pointe sous la plupart de ces contes, confirmant leur singularité. Le merveilleux n'intervient pas. Ils ressemblent étrangement à des nouvelles mais appartiennent à la littérature orale car ils en remplissent les critères : anonymes, semi-‐fixés et objet de variations. On les trouve dans la section 850 à 999.
Les Contes-Formules ou contes formulaires. Ils se distinguent par la fixité totale ou partielle de leur forme. Des formules fixes peuvent apparaître (formulettes dites ou chantées ou mimologismes quand un être animé est imité dans sa voix ou ses gestes). L'histoire qui ne finit pas et celles qui se répètent à l'infini font partie des autres contes formulaires Ils constituent la dernière section de l’Aarne-‐Thompson (2000 à 2399).
Les Contes Attrape et les Contes inachevés sont basés sur des pirouettes verbales par lesquelles le conteur ou la conteuse signifie qu’il ou elle ne veut rien dire. Il peut aussi amener l’auditeur à poser une question à laquelle il répond par une moquerie. On les trouve eux aussi dans la section 2000 à 2399.
Les Contes Randonnées ou Contes en chaîne, ou encore Récits cumulatifs, sont des enchaînements à la fois rigides et poétiques, qui, après un périple, nous ramènent au point de départ afin que tout rentre dans l'ordre. Certains énumèrent un à un les éléments d’une suite de nombres ou d’objets ou enchaînent à partir d’un minuscule dysfonctionnement une série d’actions (la désobéissance est un point de départ classique). Toujours dans la même section de classification.
Les contes de l'ogre (ou du Diable) dupé disent les aventures d'un garçon ou d'un homme futé qui, par son astuce et sa persévérance, se joue de la méchanceté et de la bêtise de l'autre : un diable sans aucune connotation religieuse, un ogre stupide ou bien un fermier despotique qui l'emploie ou tente de lui nuire. Ils sont comme les contes d'animaux constitués de récits épisodiques pouvant s'enchaîner à loisir dans un ordre variable, puisque le naïf ou le malveillant ne tire aucune leçon de ses mésaventures. Section 1000 à 1199.
Les contes de Sagesse s’adressent au commencement à des populations de tradition orale. Toutes les traditions spirituelles, les soufis, les moines zen racontent des contes et ce ne sont pas des histoires tout juste bonnes à endormir les enfants. Ils ont souvent recours au conte pour mettre à la portée des plus humbles « la pensée zen » si difficile à saisir, en raison même de sa simplicité. Ses histoires de dragons, de moines vivant dans la simplicité, de grue cendrée… Toujours derrière le rire, l’impertinence, le silence et le merveilleux, le conte zen nous emmène au cœur des choses, à l’absolu.
Les contes paillards qui dans la hiérarchie de la collecte des contes, occupent la place tout en bas, tout comme les contes scatologiques, grossiers, sexuels... Or leur importance n’est pas des moindres quand on s’aperçoit que très souvent que ces contes-‐là concluent souvent les funérailles! Comme une manière de réamorcer la vie après la mort, réamorcer en partant du bas, de la terre. Et il est vrai que nous ne connaissons que des versions très « propres » de contes dont il existe pourtant des versions plus vivantes, plus « charnues », voire scatologiques.
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Conclusion Finalement, en voulant donner des repères en différenciant ces types de contes, il apparaît que souvent le contenu se mélange et que cela vienne brouiller les pistes. Il s’agit en fait juste de fournir aux amateurs de contes les moyens de trouver, dans le foisonnement des collectes, matière à réflexion ou narration nouvelle. Les conteurs traditionnels avaient recours à des récits fractionnés dans des recueils. Mais les conteurs contemporains aiment à bousculer l’auditeur ou le lecteur en le faisant passer du merveilleux à la facétie, du conte réaliste à la légende étiologique par des glissements, des parenthèses, des allusions ou des omissions, en le laissant sur sa faim au bout de quelques minutes ou en l'emportant pour des heures enchaînant les contes sans distinction de genre. De nos jours les écrivains eux produisent des contes avec une nette orientation vers la science-‐fiction. La prolifération actuelle du conte témoigne du rôle de la parole rassembleuse que lui reconnaissent les sociétés. Selon G Calame-‐Griaule, « le phénomène du renouveau du conte oral se manifeste depuis une vingtaine d’année dans les pays européens et américains alors que toute culture paysanne à laquelle il était lié a pratiquement disparu ». De nouvelles voies d’expression se sont ouvertes et les conteurs ont délaissé les veillées, ne se contentent plus des bibliothèques, ils vont sur scène. Cette prolifération témoigne des extraordinaires qualités d’adaptation du conte. Le conte maintenant navigue de l’idée de ce qu’il a été et de ce qu’il évoque en nous à sa réalité si riche présentement. J’aimerais citer un extrait d’un entretien passionnant de P .Van Eersel avec Henri Gougaud : « Le conte est un être vivant. Il n’a pas de chair et ne peut donc ni pourrir, ni se défaire. C’est une immense leçon de vie : soyons comme les contes ! Ils ne nous enseignent pas seulement par ce qu’ils disent, mais par la manière dont ils vivent. Regardez-‐les vivre et prenez modèle. Ils m’ont dit : “Sois fluide ! Ne te fixe pas ! Ne t’accroche à aucune opinion ! Ni à aucune personne ! Mais sois perpétuellement aimant.”
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Classification des contes LA CLASSIFICATION AARNE-THOMPSON Antti Aarne est un folkloriste russe (1895-‐1970). Il s’est intéressé au conte et a voulu les classer. Il est le fondateur de l’école finnoise qui va recueillir et comparer les variantes de chaque sujet dans les contes des collectes scandinaves, puis germaniques et élargies à l’Europe et l’Inde puis au monde entier. Les travaux de cette école sont fondés sur l’intuition initiale que chaque sujet est un tout organique et peut s’étudier seul. Le matériel est groupé géo-‐ethnographiquement selon un système préalablement élaboré, ensuite des conclusions sont tirées sur la structure fondamentale, la diffusion et l’origine des sujets. Aarne a donc dressé la liste des sujets. La première édition en 1928 de cette liste est entrée dans l’usage international et s’appuie sur un index chiffré des contes, dans lequel chaque sujet ou type est chiffré. Ce n’est pas une classification vraiment scientifique. Elle est non exempte d’erreurs mais d’une grande importance pratique. Son plus grave défaut est de penser qu’on peut faire une division aussi précise et objective des sujets des contes. Ils sont si étroitement liés ! Cette classification sera ensuite complétée par l’américain Stith Thompson (1885-‐1976). La deuxième édition sortira en 1968, très utile pour trouver les variantes d’un même conte dans le monde. Aujourd’hui la classification Aarne-‐Thompson comprend 2340 types de contes répartis en quatre catégories : -‐les contes d’animaux de 1 à 299 -‐les contes proprement dits (y compris les contes merveilleux, étiologiques, religieux et les contes fantastiques) de 300 à 1199 (par exemple Le petit chaperon rouge est le AT333). -‐les contes facétieux de 1200 à 1999 -‐les contes à formule (randonnées et contes en chaîne) de 2000 à 2340 LA CLASSIFICATION PAUL DELARUE . En France, on citera le catalogue national de Paul Delarue folkloriste lui aussi (1889-‐1956) « Catalogue raisonné des contes populaires ». Il a suivi l’usage établi depuis le catalogue russe. Il a été mené à bien par sa collaboratrice Marie-‐Louise Ténèze (1957-‐1977). C’est un recueil solide sur lequel on peut s’appuyer. LE SYSTEME PROPP Le folkloriste russe Vladimir Propp (1895-‐1970) a enseigné l’ethnologie à l’université de Léningrad et s’est intéressé lui aussi aux contes. Face à l’échec de la classification des contes selon les sujets abordés, Il a préféré porter son attention sur leur morphologie : l’étude des formes et l’établissement des lois qui régissent la structure du conte. Il voulait découvrir la spécificité du conte merveilleux en tant que genre, afin de trouver par la suite une explication historique à son uniformité. Vladimir Propp s’est rendu compte que le conte prête souvent les mêmes fonctions à des personnages différents et a étudié les contes à partir de cela. Il a ainsi dégagé la structure, le squelette du genre conte. Dans « Morphologie du conte », il explique : « Par fonction, nous entendons l’action d’un personnage, définie du point de vue de sa signification dans le déroulement de l’intrigue ». Il en a tiré quatre grands enseignements : -‐« Les éléments constants, permanents, du conte sont les fonctions des personnages, quels que soient ces personnages et quelle que soit la manière dont ces fonctions sont remplies. Les fonctions sont les parties constitutives fondamentales du conte.». –« Le nombre des fonctions que comprend le conte merveilleux est limité ». –« la succession des fonctions est toujours identique ». –«
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tous les contes merveilleux appartiennent au même type en ce qui concerne leur structure ». ce qui correspond dans la précédente classification aux contes 300 à 749. Il a aussi déterminé un modèle structural au niveau des personnages concrets du conte, au nombre de sept. On pourrait tout aussi bien dire les rôles:
-‐l’antagoniste (agresseur), -‐le donateur, -‐l’auxiliaire, -‐la princesse ou son père, -‐le mandateur, -‐le héros, -‐le faux-‐héros.
Les attributs des personnages sont, eux des valeurs variables : ensemble des qualités externes des personnages : âge, sexe, situation, leur apparence extérieure avec ses particularités. Ces attributs donnent au conte ses couleurs, sa beauté, son charme. Voici les 31 fonctions du système Propp : Séquence préparatoire 1. 1. 1 .Absence 2. Interdiction 3. Transgression 4. Interrogation 5. Demande de renseignement 6. Duperie 7. Complicité Première séquence 8. Manque ou méfait 9. Médiation 10. Commencement de l'action contraire 11. Départ du héros 12. Première fonction du donateur 13. Réaction du héros 14. Transmission 15. Déplacement, transfert du héros 16. Combat du héros contre l'antagoniste 17. Marque 18. Victoire sur l'antagoniste Deuxième séquence 19. Réparation du méfait 20. Retour du héros 21. Poursuite 22. Secours 23. Arrivée incognito du héros 24. Imposture 25. Tâche difficile 26. Accomplissement de la tâche 27. Reconnaissance du héros 28. Découverte du faux héros 29. Transfiguration 30. Châtiment 31. Mariage ou accession au trône
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La danseuse
« Belle femme, fille de la grâce et de la joie, d’où vient ton art ? Comment peux-tu maîtriser la terre et l’air dans tes pas, L’eau et le feu dans ta cadence ? » La danseuse s`inclina de nouveau devant le prince et dit: « Votre Altesse, je ne saurais vous répondre, Mais je sais que : L’âme du philosophe veille dans sa tête, L’âme du poète vole dans son coeur, L’âme du chanteur vibre dans sa gorge, Mais l’âme de la danseuse vit dans son corps tout entier. »
Khalil Gibran