Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome Vii - 1945

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BIBLIOTH?QUE D' HUMANISME ET RENAISSANCE TRAVAUX & DOCUMENTS Tome VII LIBRAIRIE E.DROZ 25, RUE DE TOURNON PARIS,VIe 1945

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BIBLIOTH?QUE D'

HUMANISME

ET

RENAISSANCE

TRAVAUX & DOCUMENTS

Tome VII

LIBRAIRIE E.DROZ 25, RUE DE TOURNON

PARIS,VIe 1945

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HUMANISME ET

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BIBLIOTH?QUE D'

HUMANISME

ET

RENAISSANCE TRAVAUX & DOCUMENTS

Tome VII

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ART ET RELIGION DANS LA RENAISSANCE ITALIENNE

Essai sur la m?thode

L'?tude de la Renaissance italienne se trouve parfois paralys?e par la recherche d'une d?finition : des d?bats

th?oriques interminables se sont ?lev?s sur sa significa tion et sur son existence m?me. Apr?s avoir servi ? tout

expliquer dans la formation des temps modernes, elle n'a plus ?t? qu'un ?pisode de l'histoire m?di?vale. Apr?s avoir ?t? source de lumi?re, elle n'a plus offert que d?sordre et confusion. L'histoire de la Renaissance para?t pourtant sortir d'une longue crise qui l'a peut-?tre renouvel?e. On ne pr?tend pas ici rapporter le d?tail d'une discussion qui dure depuis trois quarts de si?cle mais seulement montrer que les mani?res successives de poser le probl?me ont impos? peu ? peu une m?thode nouvelle ; les vicissi tudes de la th?se classique de Burckhardt ont form? des instruments de recherche qui permettent maintenant de se passer d'elle. Aussi n'est-ce pas un nouveau tableau

des opinions successives, mais une revue constructive qui va ?tre esquiss?e 2.

1 L'histoire du probl?me de la Renaissance a d?j? ?t? faite plu sieurs fois :

A. Philippi, Der Begriff der Renaissance. Daten zu seiner Ge sthichte, Leipzig, 1912.

J. Huizinga, Das Problem der Renaissance. Wege der Kulturge s?hithte, Munich, 1930, pp. 89-139. Trad. fr. : Le probl?me de la Renaissance in Revue des cours et conf?rences, t. XL (15 d?c. 1938, 30 janv., 28 f?v. et 15 mars 1939).

A* S. Tuberville, Changing views of the Renaissance, in History, t. XVI (1931), pp. 229-297. * Le point de d?part serait plut?t : W. Kaegi, Heber die Renaissanceforschung E. Walsers. Introduc

tion ? E. Walser, Gesammelte Studien zur Geistes geschickte der

Renaissance, 1932, pp. xl-lx. Parall?lement ? cette mise au point de ? l'?tat pr?sent ? du pro

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Les travaux convergents de Michelet, de Voigt et de Burckhardt ont apport? la premi?re d?finition de la Renaissance Michelet n'aborde l'histoire italienne que de biais et pour montrer que ? la d?couverte de l'Italie eut infiniment plus d'effet sur le seizi?me si?cle que celle de l'Am?rique ? ; il ne s'int?resse ? la culture italienne que pour y trouver, dans un contraste ?perdu avec l'?pouvan table Moyen-Age, l'origine des ? deux grands courants

?lectriques : Renaissance et R?formation ?. Elle a enseign? la confiance en l'homme, la beaut?, le bonheur. C'est essentiellement l? la vue fran?aise de la Renaissance. Elle

repara?t invinciblement et parfois ?tourdiment chez des historiens qui devraient ?tre mieux avertis. Mais il est

amusant de penser qu'elle refl?te l'impression de Char les VIII et de ses troupes entrant en Italie, et que les pages exalt?es de Michelet sont l'?cho lointain de leur joie physique, apr?s les r?cits de Commines et maint autre texte du temps. Les Fran?ais du xvie seront sensibles ? d'autres aspects de l'Italie ; un Rabelais le montre assez, mais ce qu'ils en rapportent d'abord, c'est cette d?cou verte violente de l'homme et du monde r?el. Plus fran chement ax?e sur l'Italie, l'?tude de Voigt restait partielle,

bl?me, nous cherchons ? ?tablir, dans les notes, une bibliographie critique des travaux essentiels concernant la Renaissance italienne, sans revenir sur les ouvrages fondamentaux de H. Hauser et

A. Renaudet, Les d?buts de l'?ge moderne. La Renaissance et la

R?forme, in Peuples et civilisations, t. VIII, Paris, 1938, et H. Pi renne et A. Renaudet, La fin du Moyen-?ge, m?me collect., t. VII, 2 vol.,1931.

1 Michelet, Histoire de France au XVIe s., t. VIII, la Renais

sance, Paris, 1855, pp. 57 et 63.

Georg Voigt, Die Wiederbelebung des classischen Altertums oder das erste Jahrh. des Humanismus, Berlin, 1859 ; 3e ?d. revue par M. Lehnerdt, 2 vol. 1893. Trad. fr. du t. I : P?trarque, Boccace et

les d?buts de l'humanisme en Italie, Paris, 1894. J. Burckhardt, Die Kultur der Renaissance in Italien. Ein

Versuch, Stuttgart, 1860 ; 18e ?d., revue par W. Goetz, Stuttgart, 1928. Trad. fr. : La civilisation de la Renaissance en Italie, 2 vol.,

Paris, 1885, d'apr?s la 2e ?d. revue par L. Geiger.

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puisqu'elle concernait le renouveau des ?tudes anciennes ; mais elle parut pr?cis?ment saisir le ressort m?me de cette Renaissance dont Michelet c?l?brait l'h?ro?sme et la

grandeur 1. C'est l? plut?t, en effet, ce que les Allemands du xvie si?cle retenaient d?j? de leur voyage en Italie. Le spectacle de la vie romaine scandalisait Luther, et D?rer se sentait d?pays? ? Venise, mais le travail intellec

tuel, le st?dium r?nov?, l'ardeur humaniste, voil? ce

qu'ils emportaient chez eux avec reconnaissance. L'ou

vrage de Burckhardt, par la richesse du contenu et la force de la synth?se, donnait une dignit? nouvelle et une

pleine r?alit? historique ? l'?ge de la Renaissance enfin isol? et embrass? pour lui-m?me. Mais les trois points de vue se composaient ais?ment ; ils participaient d'une intuition ? peu pr?s identique. Pour Michelet, la confiance retrouv?e de l'homme en lui-m?me, apr?s un ?ge de

d?sespoir, et cet amour violent de la nature ? ? c'est l'enfant de L?da qui brise sa coquille... ? ? pour Voigt, le culte de l'antiquit? et le d?veloppement de la vie intellec tuelle en marge de l'Eglise, pour Burckhardt, l'individua lisme irr?sistible d'un temps d'orgueil et de passion, tout cela d?finit ?galement une lib?ration morale et spirituelle ? l'?gard du monde m?di?val, un mouvement qui, sur les ruines de la Scolastique et de l'Eglise, jette les bases du

monde moderne.

On n'a pas eu de peine ? montrer depuis ce que cette

triple d?finition, admirablement pr?cis?e dans l'analyse de Burckhardt, devait ? son temps. C'est le mythe lib?ral de la Renaissance. Elle apparaissait ? tous les esprits p?n?tr?s des id?es fran?aises du xvine si?cle, comme l'aurore rayonnante de ces valeurs spirituelles. Michelet la saisit en romantique : mais, pour lui, Rabelais, qui transpose la d?couverte italienne, annonce Voltaire2.

1 C'est l'ouvrage de Ph. Monnier, Le Quattrocento, histoire litt? raire du XVe si?cle italien, 2 vol., Paris, 1901, qui a surtout popula ris? en France les travaux de Voigt. 2 Cette filiation id?ale, que des ouvrages d?j? anciens sur le rationalisme ou sur les ? libertins ? ont paru confirmer, se heurte ? des objections assez graves, comme celle qu'on peut tirer de Tigno

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Burckhardt met moins en ?vidence dans son livre les th?mes de VAufkl?rung, que ne l'ont fait, apr?s lui, la r??dition de Geiger et la traduction italienne de Valbusa \ mais ce qu'il cherche passionn?ment dans la Renaissance

italienne, c'est bien l'av?nement de l'homme moderne. S'il proc?de avec tant de s?ret? dans le maniement des sources arides et de documents souvent maigres, c'est

qu'il m?le, ? la vie de la Renaissance italienne, l'image d'un type humain qui r?pond ? sa propre nature, ? son id?al individualiste et ?clair? : Nietzsche ne s'y est pas tromp?. Et l'on peut m?me y saisir encore un ?cho du lib?ralisme mazzinien, qui offrait au monde le visage de la jeune Italie anticl?ricale et r?volutionnaire2. On aboutit ainsi ? une construction interm?diaire entre la vue historique proprement dite et la syst?matisation philosophique. Mais la partie caduque de l' uvre, c'est l'id?e de la modernit? de la Renaissance. Trop longtemps

maintenue sans examen, cette id?e commandait encore un brillant essai vieux de quinze ans, sur les probl?mes du xvie si?cle, dont on discutera d'autant moins la th?se arbitraire que toutes les recherches actuelles sont faites

pour la r?duire et pour la nuancer 8. Burckhardt, du moins,

ranee extr?me o? se trouve Voltaire, par ex., de la pens?e et de Tart de la Renaissance. Voir Paul Hazard, Voltaire et la pens?e religieuse de la Renaissance fran?aise, in M?langes offerts ? M. Abel Lefranc, Paris, 1936, pp. 472-478 : ?... il donne l'id?e la plus dangereuse du r?le de l'Italie... ?.

1 W. Kaegi, in E. Walser, Op. cit., p. xxx. * Sur ces deux points, voir :

H. Hefele, Zum Begriff der Renaissance, in Historisches Jahr

buch, t. XLIX (1929), respectivement pp. 447 et 459. La th?orie de la ? personnalit? libre ? qui domine la philosophie de l'histoire de J. Burckhardt, s'?claire si on la compare avec celle de Hegel (voir K. Lo e with, Burckhardt^ Stellung zu Hegels Geschichtsphilosophie, in Deutsche Vierteljahrschrift f. Literaturwissenschaft, VI (1928), pp. 702-741) et avec celle de Nietzsche (voir Ch. Andler, Nietzsche et Burckhardt, leur philosophie de l'histoire, in Revue de synth?se historique, 1907, pp. 121-149 et 1909, pp. 137-171). 8 Henri Hauser, La modernit? du XVIe si?cle, Paris, 1930 (six conf?rences faites au King's College de Londres, en mai 1929). C'est la ?

conception moderne de la science ?, le ? triomphe du libre

examen ?, l'av?nement de ? l'id?e de progr?s ? et de la ? d?mocratie ?

qui sont pr?par?s par le xvie si?cle. On retrouve l? tout entier le

paradoxe de la vue fran?aise de la Renaissance. Sur le probl?me

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prenait garde ? ne pas trop m?ler la libert? de pens?e et la d?mocratie ? l'affaire l.

Burckhardt appuyait son enqu?te sur une intuition en

partie anachronique de la Renaissance italienne, mais il avait le sentiment d'une double insuffisance de son ?tude, l'une dans l'ordre esth?tique et l'autre dans l'ordre histo

rique. Il pr?cise lui-m?me dans son introduction que ? la

plus grave lacune de l'ouvrage ? devait ?tre combl?e par un livre sur Vart de la Renaissance, qui n'a jamais ?t? achev?. L'histoire de Varchitecture ? L? Renaissance, parue dans l'histoire g?n?rale de l'architecture de Franz Kugler, en 1688, en ?tait l'une des pi?ces, mais la construction

d'ensemble, dont la Civilisation de la Renaissance n'?tait

gu?re que l'introduction, ne fut pas poursuivie 2. Or, la valeur supr?me de la culture ?tait, pour Burckhardt, la cr?ation esth?tique, et l'individualisme de l'homme de

pr?cis de la r?volution morale et religieuse, l'ouvrage r?cent de L. Febvre, Le probl?me de l'incroyance au XVIe si?cle et la religion de Rabelais (Evolution de l'humanit?, n? 53), Paris, 1943, apporte ? ces th?ses hardiment renouvel?es de Michelet, et si naturelles en

apparence, toutes les r?serves de m?thode n?cessaires. Par ailleurs, le probl?me esth?tique et litt?raire n'y est m?me pas pris en consi

d?ration, mais le d?veloppement pr?-humaniste du xve si?cle, que l'?rudition a bien fait conna?tre, et la r?action anti-italienne de la fin du xvie si?cle, qu'on a d?j? mise en ?vidence, interdisent ?gale

ment de s?parer brutalement la Renaissance fran?aise de la pens?e et de l'art du Moyen-?ge. C'est du moins ce qui r?sulte des recherches de toute une g?n?ration. Sur ce probl?me, F. Simone, Le Moyen ?ge, la Renaissance et la critique moderne, in Revue de litt?rature

compar?e, n? 71, juill.-sept. 1938, pp. 411-435, a esquiss? une mise au point parall?le ? celle que nous tentons ici au sujet de la Renaissance italienne : elle aboutit de m?me ? ramener l'attention sur le xve si?cle. Mais si les id?es comptent surtout pour la France, le point de vue de l'art est essentiel pour l'Italie.

* E. Gilson, H?lo?se et Ab?lard. Etudes sur le Moyen ?ge et l'Humanisme, Paris, 1938, tente (chap, vin) d'?liminer d?finitive

ment de la recherche cette vue depuis longtemps d?bord?e en ce qui concerne l'Italie, et manifestement insuffisante pour la France du

si?cle ; mais cette vue n*est que l'?cho moderne d'une cons truction p?riodique de l'histoire apparue ? la Renaissance, et dont il faut, ? son tour, rendre compte. 8 H. Woelfflin, Jacob Burckhardt und die systematische Kunst

geschichte (discours prononc? ? l'Acad?mie de Berlin en 1930), paru dans Gedanken zur Kunstgeschichte, B?ie, 1941, p. 147, rapporte les d?tails de cet abandon final.

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la Renaissance est moins d?termin? par les id?es lib?

rales, que par le go?t de l'art. C'est l? le sens profond de l' uvre qui montre l'art dans la vie politique (1 partie : l'?tat comme uvre d'art), dans la vie sociale (5e partie), dans la vie personnelle construite sur l'amour de la gloire (2e partie). Cette Histoire de Vart de la Renaissance, dont le

Cicerone avait r?uni les mat?riaux en 1855, dont le livre sur la Civilisation ?tablissait les fondements, aurait d?fini la sp?cificit? de la Renaissance, et partiellement corrig? ce qu'il y avait d'arbitraire dans la conception de sa modernit? x. Cette ?tude aurait, en effet, oblig? ? rendre

progressive la d?finition de la Renaissance qui est massive ment donn?e dans l'ouvrage sur la Civilisation, et elle aurait ?galement conduit ? la nuancer d'?l?ments contra dictoires jusque chez les plus grands ma?tres. Mais faire cette double correction, c'est renoncer ? dissocier a priori Renaissance et Moyen-Age. Aussi est-ce moins l' uvre de

Burckhardt, incompl?te dans sa synth?se et en partie ruin?e dans le d?tail, qu'il importe de retenir, que son

programme et sa direction de travail. Car la th?orie de la Renaissance, telle qu'il l'a ?tablie, porte en elle-m?me le principe de toutes ses difficult?s.

On n'a pas eu de peine ? montrer le d?saccord entre la d?finition culturelle de la Renaissance, donn?e par l'ou

vrage de 1860, et la d?finition stylistique esquiss?e dans le Cicerone de 1855 2. La Renaissance italienne, au sens

g?n?ral, commence avec Dante et finit au sac de Rome de 1527 ; elle embrasse l'ample p?riode qui va du au xvie si?cle. Mais, du point de vue du style, la Renais sance italienne, c'est essentiellement l'art classique du xvie si?cle, marqu? par l'av?nement de la ? maniera moderna ? dont parle Vasari, et annonc? aux et

1 II n'est pas moins grave, pour Burckhardt, d'avoir ?limin? a

priori de son ?tude, la philosophie de la Renaissance, dont le carac t?re scolasti que ne lui a pas paru co?ncider avec sa d?finition ? moderne ?. Sur ce point, E. Cassirer, Individuum und Kosmos in der Philosophie der Renaissance, in Studien der Bibliothek Warburg, t. X, Leipzig, 1927, pp. 3 et 4.

2 W. Weisbach, Renaissance als Stilbegriff, in Historische Zeit

schrift, 1919, pp. 250-279.

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xve si?cles par quelques pr?curseurs, au milieu d'oeuvres encore gothiques et ? primitives ?. Ainsi, les ?l?ments renaissants qu'on saisit dans la vie publique et dans les id?es d?s 1300, et qui s'?panouissent dans la culture du xve si?cle, ne trouvent leur ?quivalent dans l'art qu'? la fin du si?cle et avec les grands artistes du xvie. Laurent de M?dicis, par exemple, qui repr?sente un type achev? d'homme de la Renaissance, n'en a pas connu v?ri tablement l'art. Il y a l? un d?s?quilibre interne qui a souvent fauss? les d?veloppements apport?s par l'histoire de l'art ? la th?se de Burckhardt. Les valeurs qui carac t?risent la Renaissance, ne convenant gu?re qu'? la

peinture et ? l'architecture italiennes du xvie si?cle, l'art du Quattrocento devenait difficile ? comprendre et ? inter

pr?ter. Burckhardt avait ?crit, dans le Cicer?ne : ? C'est vers la fin du xve si?cle que l'art atteignit le plus haut

degr? qu'il lui fut donn? d'atteindre ? x, mais ce jugement de valeur devient une? vue historique quand, ?tudiant La

peinture de la Renaissance en Italie, Taine ?crit quelques ann?es plus tard : ? Il s'agit de la glorieuse ?poque... qui comprend, avec le dernier quart du xve si?cle, les trente ou quarante premi?res ann?es du xvie. Et cette enceinte est nettement born?e... 2 ?. L'ouvrage de W?lfllin sur

Vart classique fut ?crit dans l'esprit m?me de Burckhardt, en opposition avec la m?thode sch?matique de Taine ; com blant ainsi la lacune laiss?e par le ma?tre b?lois, il pouvait se pr?senter comme une initiation au g?nie de la Renais sance italienne 3, mais tout ce qui concerne la vaste

p?riode o? se forme la Renaissance, est resserr? dans un chapitre trop dense sur les pr?curseurs. Et tel est le titre d'un ouvrage consacr? par E. M?ntz, vers le

m?me temps, ? l'art du xive et du xve si?cle italien 4.

1 Burckhardt, Der Cicer?m. Eine Anleitung zum Genuss der

Kunstwerke Italiens, r?impression de l'?dition primitive, Stuttgart, 1939, p. 812.

2 Taine, Philosophie de l'art, Paris, 1865, 5e partie, ch. .

8 W?lfflin, Die klassische Kunst. B?ie, 1898 ; trad. fr. : l'Art

classique, Paris, 1911. 4 E. M?ntz, Les pr?curseurs de la Renaissance, Paris, 1882.

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Ainsi l'histoire de l'art italien, ? l'oppos? de ce qu'avait voulu Burckhardt, ne gardait que des liens vagues avec l'histoire de la civilisation, et s'adaptait mal ? son cadre x.

C'est sur la valeur de ce d?coupage historique que Burckhardt avait finalement con?u des inqui?tudes. Certes, l'hypoth?se ?tait n?cessaire pour isoler l'objet de

l'enqu?te ; pour donner une forme ? la Renaissance, il fallait saisir l'Italie du xive au xvie si?cle, comme une ?le d?tach?e du Moyen-Age et du reste de l'Europe. Mais les limites historiques ne sont jamais celles d'un

rivage. Et Burckhardt devait de plus en plus admettre l'id?e d'une continuit? culturelle entre les ?ges, qui contre dit singuli?rement cette originalit? radicale, qu'on ten

dait, apr?s lui, ? pr?ter ? la Renaissance italienne. Il estimait que sa coupe transversale dans le temps appelait, comme ?tude compl?mentaire, des coupes en longueur, c'est-?-dire des recherches qui suivraient ? travers le

temps les ?l?ments de la civilisation 2. Mais le puissant cadre organique qu'il avait ?difi?, continuait sa vie ind?

pendante ; il ?tait approfondi par J.-A. Symonds 3, popu laris? par Taine et, avec plus de nuances, par E. Gebhart4, tandis que des enqu?tes et des questions nouvelles com

men?aient ? le briser de toutes parts. Le cadre g?ographique s'?largissait naturellement vers

l'Est et vers l'Ouest, du c?t? de Byzance et du c?t? de l'art

franco-bourguignon. Plus qu'? demi byzantine jusqu'au xne si?cle, l'Italie s'est peu ? peu form?e dans une r?action latine et nationale contre l'emprise grecque ; un art nouveau est apparu au moment o? certains artistes ont renonc? ? la ? maniera greca ?, mais c'est chercher la

1 On peut envisager, en particulier, de ce point de vue, la premi?re grande histoire de Part italien, l'ouvrage de : J.-A. Crowe and G. B.

Cavalcaselle, History of painting in Italy. 1 ? edition, 6 vol.,

Londres, 1871 ; 2e ?d. revised by Langton Douglas (vol. 1-4) par Tancred Borenius (vol. 5-6), 6 vol., Londres, 1903-1914.

2 Tel est pr?cis?ment l'objet des ?tudes de l'Institut Warburg, dont il sera largement fait ?tat par la suite. Sur tout ce programme, v. W. Kaegi, Op. cit., page xxxn.

3 J. A. Symonds, The Renaissance, 7 vol., Londres 1877. 4 E. Gebhardt, De VItalie, Paris, 1876, et Id., Les origines de la

Renaissance en Italie, Paris, 1879.

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Renaissance o? elle n'est pas, que de d?couvrir en Fr?d? ric II de Hohenstaufen, qui fut un monarque oriental de

type byzantin, un prince ?clair? et un administrateur moderne L'influence grecque cessa si peu au cours de ces

trois si?cles qu'apr?s s'?tre faite contre les le?ons grec

ques, la Renaissance se poursuivit dans des contacts

ininterrompus avec Byzance dont les visites des savants, le voyage de l'empereur Pal?ologue, le concile de Florence, l'asile offert aux hell?nistes, ? la chute de Constantinople, sont les ?pisodes les plus c?l?bres. C'est de Byzance que la

pens?e, sinon l'art, de la Renaissance, a re?u l'un de ses

?l?ments essentiels : la connaissance de l'antiquit? grec que 2. Et par del? Byzance, il est clair que le monde de l'Orient m?diterran?en, l'Islam, et m?me le monde asia

tique, qui se rapproche singuli?rement de l'Europe, ?

partir du xme si?cle, ont jou? un r?le pr?cieux ? d?ter miner dans l'?volution du savoir et des arts 3. On nous

dit que la Renaissance a ?t? d'abord sentie et d?finie

dans les arts plastiques, un si?cle plus tard dans l'archi

tecture, et presque deux si?cles plus tard dans la musique ? le dernier reste ? gothique

? maintenu par les Pays Bas 4. Cette vue classique oppose, ? la mani?re des pre

1 C. Neumann, Byzantinische Kultur der Renaissance, in Histo rische Zeitschrift, t. 91 (1903), pp. 215-232. D'apr?s l'auteur, la survivance fig?e de l'antiquit? qu'on observe ? Byzance, montre

bien ? contre Voigt et Burckhardt ? que la connaissance de l'an

tique ne peut ?tre ? l'origine de la Renaissance : son principe doit ?tre cherch? dans l'?me gothique et chr?tienne du Moyer-Age. Cette ?tude, d'ailleurs vague, sch?matique et trop pr?occup?e de

l'importance des Germains, annonce pourtant, en un sens, les

recherches sur la pr?paration m?di?vale de la Renaissance de

G.-H. Hastings, The Renaissance of the Twelfth Century, Cambridge, 1927, et sur ses origines religieuses, dont il est question plus loin.

2 Sur tous ces ?changes, voir A.-A. Vasiliev, History of the

Byzantine Empire, Madison, 2 v., 1929 ; trad, fran?. : L'empire byzantin, Paris, 2 vol., 1932.

8 L'?tude de G. Soulier, Les influences orientales dans la peinture toscane, Paris, 1924, n'aborde qu'un aspect de ce vaste probl?me.

L'ouvrage de J. Baltrusaitis, R?veils et prodiges dans l'art gothique, essai sur le retour des formes anciennes et les apports orientaux apr?s le

XIIe s., en ?lucidera bient?t toute la complexit?. 4 Ainsi dans l'?tude intitul?e Gothik (1910) de Julius Schlosser,

parue dans Pr?ludien, Vortr?ge und Aufs?tze, Berlin, 1927,

pp. 274-5.

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16 ANDR? CHASTEL

miers historiens italiens de la Renaissance, l'art italien ?

l'ensemble de ses adversaires : ? Goti e Greci goffi ?. Mais, si la peinture de Duccio et de Giotto s'est d?velopp?e contre la maniera greca, elle n'?tait pas pour autant anti

gothique ; si l'architecture de Brunelleschi, d'Alberti, de

Filarete, repousse la maniera tedesca, elle n'est pas ennemie de la tradition grecque ; et si l'humanisme enfin s'est fait l'adversaire de la Scolastique parisienne, on sait tout ce que lui a apport? Byzance au xve si?cle.

Les rapports de l'Italie avec le monde fran?ais et bour

guignon ne doivent donc pas ?tre plus simplifi?s que ses

rapports avec l'Orient: les ?changes qui n'ont jamais cess? en Italie du Nord, la pr?sence des Normands et des princes de la maison d'Anjou, l'exil de la papaut? en Avignon, tout a contribu? ? maintenir entre l'Italie et l'Europe occidentale, des derni?res croisades aux guerres de la fin du xve si?cle, une continuit? que la Renaissance n'a pas bris?e. Partir de cette ?vidence pour pr?senter la Renais sance italienne comme un aspect du vaste mouvement de renouveau gothique, et comme l'?cho affaibli d'une r?vo lution venue du Nord, c'est aller jusqu'? l'absurde 1

; et

tenter, comme on l'a fait encore r?cemment 2, d'humilier les cr?ations italiennes du xive et du xve si?cle devant les renaissances fran?aises et m?di?vales du xne et du

1 L. CouRAjOD, Le?ons profess?es ? l'Ecole du Louvre (1887-1896), publi?es par MM. Lemonnier et Andr? Michel, vol. II : Origines de la Renaissance, Paris, 1901.

2 J. Nordstr?m, Medeltid och Ren?ssans, Stockholm, 1929, trad., fr., Moyen-Age et Renaissance, Paris, 1933. La r?futation

pol?mique de I. Siciliano, Medio Evo e Rinascimento, Biblioteca della Rassegna, t. XIX, Milan, 1936, est g?n?ralement pertinente, surtout dans la critique de l'information souvent aventureuse de

l'ouvrage su?dois, mais l'?tude de I. Siciliano cherche malencon treusement ? revenir ? la d?finition classique de la ? Renaissance italienne ?. C'est ainsi que si l'importance de l'effort intellectuel humaniste est soulign?e, l'homme m?di?val est trait? de ?

primitif ?

(p. 115), si le go?t classique est mis en valeur, c'est en affirmant

paradoxalement la r?sistance fonci?re de l'Italie au romanesque (p. 120), si le probl?me religieux est saisi ? sa place, la crise morale

de la Renaissance n'est m?me pas pressentie (p. 138). Il s'agit pr?ci s?ment de sortir aujourd'hui de ce jeu de bascule et de ces d?bats

purement conceptuels.

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AKT ET RELIGION DANS LA RENAISSANCE 17

xnie si?cle, c'est finalement perdre de vue le ph?nom?ne ? ?tudier, pour vouloir corriger la d?finition massive

apport?e par Burckhardt. L'Italie a connu l'ordre

gothique venu de l'Ouest, et l'art de Giotto doit ?tre d'abord compris dans cette perspective ; l'Italie a

particip?, avec Sienne, en particulier, ? la cr?ation de ce

style international qui a propag? dans toute l'Europe les formes de mani?risme gothique. L'art florentin et l'art flamand ont connu de m?me des ?changes incessants. Les modes fran?aises et bourguignonnes r?gnent, pendant tout le xve si?cle, dans le costume, dans la litt?rature et

m?me dans l'art de l'Italie, et ce sera l'inverse au si?cle suivant. Enfin, il ne manque pas d'analogies entre les

princes italiens et les princes fran?ais ou bourguignons du m?me temps. Mais il est vrai aussi que P?trarque a r?v? de dresser l'Italie contre les barbares ; c'est contre la ? maniera gotica ? et la ? maniera tedesca ? que l'art italien

a, d'une mani?re peu ? peu irr?sistible, pris conscience de lui-m?me. Ce sont ces rapports complexes qui ont donn? au xve si?cle italien son visage particulier ; sans

eux, on risque m?me de ne pas comprendre l'originalit? du Cinquecento, puisque la musique flamande a r?gn? dans les cours d'Italie jusqu'? la fin du si?cle.

Ainsi modifi? dans ses fronti?res g?ographiques, le cadre fix? par Burckhardt n'?tait pas moins atteint dans ses limites historiques. De m?me que les personnages en

qui Michelet d?celait l'aurore des temps nouveaux, Jean de Parme, Dante, Jeanne d'Arc, marquent, en r?alit?, l'accomplissement du monde m?di?val, dans la mystique, dans l'art ou dans la vie politique, il faut rapporter au

Moyen-Age toutes sortes de traits qu'on croyait propres ? caract?riser la Renaissance, comme le go?t de la nature et le sentiment h?ro?que, le culte de l'antique et finalement l'individualisme lui-m?me 1. Un demi-si?cle apr?s qu'ils

1 E. GiLSON, H?lo?se et Ab?lard, chap. 8. L'auteur affirme

(p. 162) ? citant J. Nordstr?m, Op. cit., p. 113 ? que l'histoire

d'Ab?lard suffit ? ruiner la th?se de Burckhardt. Il serait plus juste de dire qu'elle corrige la partie n?gative de celle-ci, la d?finition du M.-A. qui fait de l'individualisme de la Renaissance une apparition

3

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18 ANDR? CHASTEL

eussent ?t? propos?s, les crit?res que Michelet, Voigt et Burckhardt avaient donn?s de la Renaissance, ?taient remis en question. Pendant un nouveau quart de si?cle, c'est devenu un jeu de l'?rudition de restituer au Moyen Age, tout ce que les savants de la g?n?ration pr?c?dente en avaient d?tach? pour faire appara?tre la Renaissance.

Seuls, l'ignorance ou le parti-pris pouvaient m?conna?tre la curiosit? de l'ordre naturel, la passion humaniste, le sentiment de la grandeur et de l'autonomie personnelles, qui dominent le mouvement spirituel de la Renaissance, mais ces caract?res ne suffisent pas par eux-m?mes ? d?finir son originalit?, ils sont en partie h?rit?s de l'?poque ant?rieure. Leur seule pr?sence ne r?v?le pas un ?ge nou veau Ce qui caract?rise la Renaissance, ce n'est pas

l'apparition d? certains traits in?dits qui instaureraient une nouvelle famille humaine, mais un renouvellement des traits les plus anciens, une nouvelle forme du sentiment de la nature, une nouvelle orientation de l'humanisme

antiquisant, un nouveau rapport de l'individu avec le monde : il ne s'agit plus d'un probl?me de morphologie, mais d'un probl?me de syntaxe. Et au lieu d'isoler un

caract?re ext?rieur, il s'agit de montrer l'apparition de certains rapports particuliers, ? l'int?rieur d'attitudes et

soudaine et inexpliqu?e. G. Par?, A. Brunet, et P. Tremblay, La renaissance du XIIe s., les Ecoles et l'Enseignement, Paris, et

Ottawa, 1933, concluent de m?me que ? la conception de la Renais sance popularis?e par J. Burckhardt et G. Voigt... est ruin?e parla vision historique d'un moyen-?ge en assimilation progressive de la culture antique? (p. 146, note). Mais le probl?me reste ? comme on le rappellera plus loin ? de savoir pourquoi la Renaissance italienne a eu, avec P?trarque, puis avec Brunelleschi, l'impression de d?couvrir l'antiquit?. 1 La th?se d'Abel Lefranc, Diverses d?finitions de la Renaissance, in Revue des Cours et Conf?rences, t. XVIII (1910), p. 294, ouverte

ment raill?e par E. Gilson, H?lo?se et Ab?lard, p. 163, et pratique ment ruin?e par L. Febvre, Op. cit., conclusion: ?un si?cle qui veut croire ?, p. 491, sur une de ses positions privil?gi?es, l'ath?isme de

Rabelais, ? fait de la Renaissance l'?poque de la ? la?cisation

intellectuelle de l'humanit? ?. Ce n'est pas une vue profonde : cette dissociation de l'intelligence et de la pens?e religieuse a pu lentement se d?velopper au xvie si?cle, comme elle l'avait d?j? fait au xine ou au xive si?cle. Elle peut entrer dans les cons?quences de la

Renaissance, on ne saurait la placer ? son principe.

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ART ET RELIGION DANS LA RENAISSANCE 19

de pr?occupations aussi anciennes que l'Occident et par fois que le monde m?diterran?en lui-m?me. Aussi pou vait-on dire, au d?but de ce si?cle, que l'admiration pour la Renaissance conduit n?cessairement un historien ? un int?r?t accru pour le Moyen-Age x. Le Moyen-Age est

peut-?tre mort d'avoir r?alis?, avec la Renaissance, la

plupart de ses r?ves. Ainsi les deux ?ges s'appellent et s'excluent tout ? la fois. Sans doute, la premi?re d?finition

historique de la Renaissance ? celle qui y voit l'?panouis sement de la vie profane, accomplie dans Fart classique, gr?ce ? la reconqu?te de l'antiquit?

? reste invincible ment ? l'arri?re-plan de toute enqu?te de la Renaissance italienne ; mais elle ne saurait repr?senter qu'une demi v?rit?. Il n'est ni juste ni f?cond de s'obstiner contre la th?se de Burckhardt, dont l'?dification ?tait sans doute

n?cessaire, et dont l'inach?vement n'a pas ?t? bien com

pris ; mais il serait vain de la reprendre 2. L'autre aspect de la v?rit?, un groupe d'historiens de la

fin du xixe si?cle s'effor?a de le saisir en voyant dans la Renaissance italienne un ph?nom?ne essentiellement

religieux. C'?tait retourner la construction de Burckhardt et changer en son contraire la signification humaine de la Renaissance. Au lieu de l'opposer au Moyen-Age chr?

tien, on l'en faisait d?river, par l'interm?diaire de la r?novation franciscaine ; son principe n'?tait plus la d?couverte de l'autonomie du monde profane, mais l'exaltation de la conscience religieuse devant le monde cr?? 3. Saint Fran?ois a r?concili? la religion avec la

1 W. GoETZ, Renaissance und Mittelalter, in Historische Zeit

schrift, t. 91 (1907), p. 54. 2 L'ouvrage de H. Focillon, Art d'Occident, Paris, 1938, en

repla?ant l'histoire de l'art italien dans l'?volution g?n?rale des arts de l'Occident, fournit le point de d?part ind?pendant de la grande d?finition burckhardtienne, qui appara?t aujourd'hui comme n?cessaire.

3 Henry Thode, Franz von Assisi und die Anf?nge der Kunst

der Renaissance in Italien, Berlin, 1885, Trad, fr., 2 vol. Paris, s. d. ; tome I : Saint Fran?ois et son Eglise ? Assise, pp. 68-70.

Id., Michel Angelo und das Ende der Renaissance, t. II : der Dichter und die Ideen der Renaissance, Berlin, 1903, Einleitung, ch. 2 : Die Urspr?nge der Renaissance und die bildende Kunst.

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nature et, ainsi, la Renaissance a commenc? d?s le xnie si?cle. ? Faire commencer la Renaissance avec le xve si?cle et la faire pr?c?der d'un art gothique, c'est m?conna?tre absolument la vie organique de la premi?re p?riode de notre art moderne ?, ?crit express?ment Thode contre Burckhardt. Toutefois, en le remplissant d'un con tenu oppos?, Thode conservait le cadre historique d?coup? par Burckhardt x. Il continuait ? opposer l'Italie au reste de l'Occident, et il ne modifiait la construction que pour

privil?gier l'art des primitifs aux d?pens de l'art clas

sique du xvie si?cle. Si la th?se profane ?tait li?e ? la

pens?e lib?rale, la th?se religieuse traduisait plut?t ? l'ori

gine l'esprit de Ruskin et le go?t des pr?rapha?listes. Mornings in Florence avait d?j? trouv? le secret de Giotto dans la joie franciscaine devant la nature, et montr? comment le peintre d'Assise et de Santa-Croce unit sans effort l'art actif du Nord et l'art contemplatif de Byzance, le Drame avec le R?ve, les vertus de l'id?al

domestique et de l'id?al monastique 2. Sous la forme trop simple que lui donnait Thode, cet

effort pour relier l'art ? la culture spirituelle de l'Italie devait rapidement perdre de son cr?dit ; mais cette direction de recherche 3, devait susciter les travaux de Konrad Burdach, qui ont enrichi de donn?es saisissantes, profondes et d'ailleurs confuses, l'image de la Renaissance italienne. Celle-ci a son principe dans un mouvement

utopique de renovado spirituelle qui, ? travers la mystique des spirituels franciscains, ? travers l'aspiration de Dante vers la restauration des valeurs humaines et la purification universelle, ? travers le r?ve nationaliste et romain de

P?trarque et de Rienzo, embrase peu ? peu les esprits

1 La th?orie de Thode sur les origines franciscaines de la Renais sance ?tait vulgaris?e par G. Sabatier, La vie de saint Fran?ois d'Assise, Paris, 1894.

2 J. Ruskin, Mornings in Florence. Oxford, 1875. Trad. fr. : Les matins ? Florence. Simples ?tudes d'art chr?tien. Paris, 1906, pp. 56-58.

3 Apr?s l'ouvrage encore pr?cieux de E. Gebhardt, L'Italie

mystique (Histoire de la Renaissance religieuse au Moyen-Age), Paris, 1890.

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ART ET RELIGION DANS LA RENAISSANCE 21

d'une ardeur ? la fois politique et religieuse, et donne ? la culture italienne cet ?lan m?taphysique qui explique ses

cr?ations romantiques et la profondeur de son action 1. L'humanisme et l'?tude passionn?e de l'antique en sont

des aspects d?riv?s ; ils n'ont de sens que par rapport ? un id?al de noblesse et de bonheur surnaturels qui se

poursuit ? travers eux : avant d'?tre une restitutio de

l'antique, la Renaissance est une renovatio de l'homme,

qui s'est traduite dans des images et des rites ? la fois

pa?ens et chr?tiens. L'art lui-m?me ne vient au premier plan que dans la mesure o? il sert cet id?al et donne forme ? ces r?ves ; ? partir du xive si?cle, il vise ? restituer ?

travers la beaut? l'?tat divin de la nature que l'aspiration humaniste ? la sagesse poursuit par des voies diff?rentes.

Malgr? un entrelacement invincible des analyses et une

recherche syst?matique des transpositions fabuleuses, cette vue n'a gu?re moins de force que celle de Burckhardt ; elle apporte une intuition de la Renaissance qui en saisit l'?lan mystique et le style particulier, et elle s'articule ais?ment avec l'?volution d'ensemble du Moyen-Age. C'est du point de vue de la religion qu'il faut envisager le

probl?me de la Renaissance italienne, apr?s l'avoir consid?r? au point de vue de l'art. Tel est l'autre terme cherch? pour ?quilibrer l'intuition primitive dans une vue

d'ensemble plus efficace.

Malgr? cet essai de description en profondeur, l'image de la Renaissance conserve dans l' uvre de Burdach quel que chose d'incertain, o? le sacr? et le profane, l'ordre

1 Les vastes publications de K. Burdach, Vom Mittelalter zur

Reformation. Forschungen zur Geschichte der deutscher Bildung, 11 vol. Berlin, 1912-1939, sur la correspondance de Rienzo (IIe vol.

(5 parties) par K. Burdach et P. Piur, 1912-1928), sur Der Acker mann aus B?hmen (IIIe vo1. (3 parties), 1917-1932), sui l'influence de P?trarque et l'humanisme en Boheme, ? l'?poque de Johann de Neumarkt (IVe, Ve et VIe vol. (3 parties), 1929-1939) concernent surtout les rapports de l'humanisme allemand et de la Renaissance italienne. Elles r?futent plut?t Voigt et sa suite que Burckhardt et

Michelet. La th?se se trouve r?sum?e dans deux essais d'un grand int?r?t : Reformation, Renaissance, Humanismus, zwei Abhand

lungen ?ber die Grundlage moderner Bildung und Sprachkunst, 1914 ; 2e ?d., Berlin, 1926.

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22 ANDR? CHASTEL

chr?tien et le monde pa?en perdent souvent leurs contours1.

Certes, ils se m?lent inextricablement dans l' uvre de

Dante, dans les cr?ations jubilaires de Boniface VIII, dans la liturgie singuli?re de Rienzo ; mais qu'en advient il au xve et au xvie si?cle ? Dans ce climat m?taphysique, o? l'aspiration religieuse se m?le ? toutes les recherches, est-ce finalement l'?l?ment chr?tien ou une sorte de renouveau pa?en qui triomphe ? On a pu donner deux

interpr?tations divergentes de la fonction de l'huma

nisme, selon le sens donn? ? la religion de la Renaissance. La th?se religieuse ?claire donc les origines de la Renais

sance, mais elle laisse dans une ?trange ambigu?t? ses

d?veloppements. Il lui manque enfin de pr?ciser le r?le de l'art par rapport ? la religion : quand appara?t, avec

P?trarque, ce troisi?me r?gne, le monde ? apollinien ?

qui, selon Burdach, domine la Renaissance, n'est-ce pas l? le signe d'une alt?ration prochaine de l'id?al religieux ?

Il n'est plus permis de penser, avec Renan, que la Renaissance italienne a pr?par? l'incr?dulit? moderne,

gr?ce ? la doctrine des deux v?rit?s enseign?e ? Padoue

par les aristot?liciens averro?stes pendant plus de trois si?cles. Si le courant libertin a pu venir d'Italie, il est loin d'exprimer la Renaissance : ? le c ur de l'incr?dulit? du xive n'est pas l'antiquit? mais cet averro?sme qui vient du Moyen-Age et qui est radicalement oppos? aux ?tudes humanistes ? 2. Le mouvement d'ensemble de l'huma nisme italien est n?, en effet, de l'opposition au rationa lisme aristot?licien, qui avait envahi le xine si?cle ; christianis? par saint Thomas, ce courant scientifique n'en a pas moins pouss? dans l'averro?sme une pointe mena

1 L'accent mis sur certains symboles, sur certains ?v?nements est

suggestif mais arbitraire : le Rienzo de Burdach, en particulier, doit rejoindre, parmi les figures m?di?vales, le Jean de Parme de Michelet et le Fr?d?ric II de Burckhardt. Ainsi Karl Brandi, Cola de Rienzo und sein Verh?ltnis zur Renaissance und Humanismus.

Vortr?ge der Bibliothek Warburg 1925-1926. Leipzig, 1928, pp. 85

121, voit dans le tribun romain un personnage secondaire et un ? Ueberlebender des Mittelalters ? (p. 121). 2 E. Walser, Sinn des Lebens im Zeitalter der Renaissance, in

Archiv /. Kulturgeschichte, t. XIV, 3 (1926), p. 714.

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ART ET RELIGION DANS LA RENAISSANCE 23

?ante, non seulement contre l'unit? spirituelle du Moyen Age, mais surtout contre les ?tudes litt?raires et la po?sie classique. On sait que l' uvre de P?trarque est une

longue pol?mique contre les ? physiciens ? et les savants ; s'il affirme si violemment que l'essentiel n'est pas la con naissance de la nature, mais la connaissance de l'homme et le perfectionnement int?rieur, c'est que des doctrines ? la

mode mettaient le natural dimostramento au-dessus de la

po?sie *. L'humanisme p?trarquiste est aussi peu ?

l'origine de l'incroyance que de la science moderne. Dans la mesure o? il d?finit la Renaissance, il lui donne le caract?re d'un spiritualisme path?tique et passionn?, dont la philosophie id?ale est le n?o-platonisme mystique du Quattrocento florentin. Ainsi, la Renaissance aurait

poursuivi, et peut-?tre r?alis?, gr?ce ? l'humanisme italien, cette conciliation entre le savoir et la foi, que le Moyen Age n'avait pu donner au monde chr?tien, par la Scolas

tique. Le platonisme litt?raire de la Renaissance aurait obtenu ce que n'a pu faire aristo t?lisme m?di?val. Comme l'a montr? Duhem, c'est la Scolastique parisienne qui, par l'occamisme parisien et par Paverro?sme padouan, annonce en quelque mani?re la science et la libre-pens?e modernes2 ; l'orientation platonicienne de la Renais sance italienne r?pond plut?t ? des pr?occupations mys tiques et religieuses ; P?trarque, Ficin, Erasme reprennent l' uvre des P?res de l'Eglise, dont la docta pietas est peut ?tre l'accomplissement.

? Dans l'histoire des id?es, le platonisme repr?sente surtout une th?ologie, aristo t?lisme une philosophie

1 G. ToFFANiN, Storia dell' Umanesimo, Bari, 1922. L'ouvrage pol?mique du m?me auteur Che cosa ? l'Umanesimo ? Florence, 1929, conduit cette vue jusqu'au paradoxe en faisant de l'huma nisme un mouvement fonci?rement conservateur, dans la tradition des P?res et dont l'esprit serait d'avance celui de la Contre-R?forme.

2 L'une et l'autre sont loin de se soutenir r?ciproquement. La

cosmologie copernicienne s'est d'abord d?velopp?e dans un cadre de

pens?e th?ologique ; et la libre-pens?e s'appuie, au contraire, sur une philosophie naturaliste qui, faute d'une stricte th?orie de la

connaissance, tourne le dos ? la science math?matique, par la syst? matisation astrologique ou par les fantaisies du Panpsychisme. Voir E. Cassirer, Individuum und Kosmos, p. 157.

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24 ANDR? CHASTEL

naturelle ; la sp?culation chr?tienne n'a pas us? du pla tonisme tout ? fait de la m?me mani?re qu'elle devait user de l'aristot?lisme. La rencontre de la foi chr?tienne avec le platonisme des mythes et des ? myst?res ? fut d'abord celle de deux pens?es religieuses. Au contraire, la ren contre de la pens?e chr?tienne et de l'aristot?lisme sera

beaucoup plus franchement celle d'une religion comme telle et d'une philosophie comme telle 1. ? On arrive ainsi ? l'id?e que, dans le conflit entre le savoir d'un P?trarque et la scolastique traditionnelle, deux humanismes se sont trouv?s aux prises, l'un cherchant l'accord de l'Evangile avec les bonae litterae, l'autre son accord avec la philo sophie aristot?licienne, et que la crise de la Renaissance est en partie le r?sultat d'un malentendu 2. L'humanisme renouait avec des tendances du xne si?cle, que l'invasion de la dialectique pure avait longtemps refoul?es, mais en

fait, s'il proc?de d'une tradition ancienne, le n?o-plato nisme renaissant se nuance

d'aspects nouveaux qui ren

daient le conflit in?vitable. Le sens historique et le go?t esth?tique s'y unissent ? la sp?culation philosophique : et ? travers ce m?lange d'aspirations anciennes et nou

velles, le n?o-platonisme florentin est attir? par les reli

gions antiques qu'il recherche et peut rejoindre obscur? ment. Avec Marsile Ficin, puis avec Pic de la Mirandole, la th?ologie platonicienne s'est d?ploy?e

? brisant en

quelque sorte l'?difice scolastique et aristot?licien du savoir ?

pour engendrer une philosophie compl?te ; c'est l? un mouvement spirituel qui exigeait un accord

plus ?troit entre l'antique et le moderne, entre la pens?e grecque et le monde chr?tien, mais il s'effor?ait en m?me

temps de retrouver les formes religieuses de la pens?e antique et de les valoriser ? nouveau. Dans cette voie, l'hu

1 E. GiLSON, Le christianisme et la tradition philosophique (Le?on de cl?ture des cours sur ? Les sources latines du platonisme m?di? val ? au Coll?ge de France, 16 mars 1943) dans le recueil Chercher

Dieu, Paris, 1943, pp. 65-66. 2 E. Gilson, Humanisme m?di?val et Renaissance dans H?lo?se

et Ab?lard, pp. 195 et 224.

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ART ET RELIGION DANS LA RENAISSANCE 25

manisme florentin orientait peut-?tre les esprits vers des

cons?quences impr?vues. Le paganisme de la Renaissance, ce n'est pas dans l'?pi

curisme et dans la libre jouissance des biens de la vie, qu'il faut le chercher, comme on s'est trop longtemps plu ? le faire ; ce serait dans le go?t des myst?res antiques et dans cette passion religieuse qui, ? travers les formes chr?

tiennes, recherche les cultes et les inspirations pa?ennes. L'hypoth?se a ?t? formul?e, et elle m?rite de l'?tre. A pro pos de Giorgione et d'un groupe d'artistes v?nitiens de la fin du Quattrocento, on a pu dire, en explicitant la th?se de Burdach : ? la Renaissance et l'Humanisme ne sont pas seulement d?termin?s par l'int?r?t philologique et formel, ni par l'int?r?t artistique, ce sont en leur fond des mou vements religieux... Il s'agit d'un renouvellement du

paganisme religieux, du paganisme de la fin de l'anti

quit? 1. ? La Renaissance aurait ainsi vu s'?panouir les courants inf?rieurs du monde m?di?val, les pr?occupa tions occultes et mystiques, dont les ?l?ments auraient

peu ? peu compos? une sorte de ? Pansophie ?, un monde de

repr?sentations ?sot?riques, qui auraient aliment? l'huma nisme et qui affleureraient dans l'art, ? partir du xve si?cle. R?vant d'?difier ce ? savoir occulte qui, par del? l'Eglise, saisit une pens?e commune ? toutes les religions ?, les humanistes se sont finalement trouv?s en opposition avec la R?forme protestante et la Contre-R?forme catholique ;

mais ils ?taient moins pr?occup?s d'abord de la lutte contre

l'Eglise, que de d?passer ses myst?res et de les approfondir par une doctrine universelle 2.

Les uvres de la Renaissance, surtout ? la fin du xve si?cle, respirent une singularit? qui n'est pas ?tran

g?re ? leur charme, et tout permet de penser que le go?t

1 G. F. Hartlaub, Giorgione und der Mythos der Akademien, in

Repert?rium f?r Kunstwissenschaft, t. XLVIII (1927), pp. 233 257.

Id., Giorgiones Geheimnis. Ein kunstgeschichtlicher Beitrag zur

Mystik der Renaissance, Munich, 1925. 2 W.-E. Peuckert, Pansophie. Ein Versuch zur Geschichte der

weissen und schwarzen Magie, Stuttgart, 1936.

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26 ANDR? CHASTEL

de l'herm?tisme n'a jamais ?t? plus puissant. Le Songe de

Polyphile, les tableaux de Giorgione, de Signorelli, de

Botticelli, de cent peintres mineurs, ont un accent secret, et m?me les cr?ations les plus claires t?moignent d'un amour singulier du hi?roglyphe et de l'all?gorie. Or, ce

symbolisme de la Renaissance, s'il la rapproche une fois de plus des habitudes m?di?vales, se distingue par un

usage intemp?rant des sources antiques, par le raffinement de l'?rudition bizarre et par un d?veloppement des

sp?culations alexandrines. L'?diteur du Ph?don est aussi l'?diteur du Pimandre, Platon rejoint Herm?s Trism?

giste ; le go?t de l'occulte et des religions ? myst?re revit

passionn?ment chez les humanistes et chez les artistes de la Renaissance ; on a d?j? mis en ?vidence de tous c?t?s

l'importance de l'herm?tisme proprement dit, de l'astro

logie et m?me de l'alchimie, qui syst?matisent sous des donn?es antiques, les connaissances et les superstitions du temps 1. Ainsi, loin d'avoir particip? directement ? l'?laboration de l'esprit scientifique et du libre esprit d'examen, l'humanisme italien, agit? par des pr?occupa tions religieuses et ?sot?riques, s'est servi d'une meilleure connaissance de l'antique pour se cr?er un monde de

pseudo-sciences et de repr?sentations singuli?res, dont le c ur semble bien ?tre le n?o-platonisme florentin. L'accord entre la foi chr?tienne et la pens?e antique a pu ?tre long temps le principe directeur de l'aspiration humaniste,

mais il n'a pu ?tre toujours maintenu ; emport?s par leur mouvement m?me, les humanistes se sont ? au moins dans certains groupes

? form? une id?e du savoir et de la

1 Sur l'herm?tisme, cf. L. Volkmann, Bildinschriften der Renais

sance, Leipzig, 1923. Sur l'astrologie, cf. A. Warburg, Die olympischen G?tter als

Sternd?monen. Gesammelte Schriften herausgegeben von der Bibliothek Warburg. Die Erneuerung der heidnischen Antike, kulturwissenschaftliche Beitr?ge zur Geschichte der europ?ischen Renaissance, 2 vol. Leipzig, 1932, t. II, pp. 459-567 ; et les travaux de F. Saxl et E. Panofsky cit?s ci-dessous.

Sur Tal chimie, cf. G.-F. Hartlaub, Arcana Artis, in Zeitschrift f?r Kunstgeschichte, t. VI (1937) ; et Signa Hermetis, in Zeit schrift des deutschen Vereins f?r Kunstwissenschaft, t. IV (1937).

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sagesse qui d?bordait le dogme, comme elle d?bordait l'ordre rationnel, au profit de synth?ses ?sot?riques, dont l'art et dont les ouvrages philosophiques portent maint

t?moignage. Pour saisir toute l'importance de ces courants de pens?e,

il suffit d'ouvrir la chronique illustr?e qui a ?t? dessin?e, vers 1460, dans un atelier d'orf?vre florentin, et qui est une sorte d'histoire populaire du monde *. Le romanesque des v?tements o? le costume fran?ais s'associe bizarre ment avec des fantaisies orientales, et la luxuriance

baroque du d?cor souvent transpos? de l'antique, enve

loppent les images irr?elles d'un monde que gouvernent les rois et les magiciens. Une double planche unit, sur un

m?me fond de paysage, Zoroastre, le premier mage, Inachos, Prom?th?e et Pharaon. Au cadre de l'histoire

m?di?vale et chr?tienne s'entrem?lent les fables fici

nesques sur les sibylles, les mages et les proph?tes qui occupent, avec quelques h?ros singuliers de l'histoire

pa?enne, une place d?mesur?e. La Renaissance semble avoir form? le r?ve d'une religion, qui, si elle e?t pu ?tre

avou?e, se serait r?v?l?e plus dionysiaque et herm?tique que chr?tienne. Les travaux de A. Warburg ont montr?

depuis longtemps d?j? que l'influence de l'antique a moins favoris? dans les arts le calme classique, que l'agitation et le path?tique 2. Les motifs tir?s des bas-reliefs romains servent ? accro?tre l'impression de mouvement, ou la vio lence de l'expression ; de m?me, la mythologie astrolo

gique r?nove la croyance aux d?mons cosmiques, comme le montre le troisi?me des Libri de vita triplici de Marsile

Ficin, qui a inspir? la Melancol?a I de D?rer 3.

1 Sidney-Colvin, A florentine picture chronicle (a series of

ninety-nine drawings representing scenes and personages of ancient history sacred and profane) by Maso Finiguerra, reproduced from the originals in the British museum. Londres, 1898. L'attribu tion de ces dessins ? Maso Finiguerra est con trouv?e.

2 Voir le r?sum? de ces travaux dans F. Saxl, Rinascimento dell'

antichit?, in Repert?rium f?r Kunstwissenschaft, t. XLIII (1921), pp. 220-272 ; et A. Warburg, Gesammelte Schriften, 2 vol., Leipzig, 1932.

3 Voir Panofsky et Saxl, D?rers Melancol?a I, eine Quellen-und

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28 ANDR? CHASTEL

L'?tude de la religion de la Renaissance offre un point de vue d'autant plus favorable qu'elle en r?v?le l'am

bigu?t? profonde et la complexit?. La vue de Burckhardt ?tait simple : elle saisissait dans la Renaissance le d?but d'un mouvement ascensionnel, un effort de l'homme vers

lui-m?me, un go?t de l'expression esth?tique sereine, qui ont abouti dans les si?cles classiques et qui b?n?ficient

aujourd'hui d'une sorte d'?vidence. Mais l'examen de l'art italien du xive au xvie si?cle a peu ? peu oblig? ? briser et ? d?former le cadre g?n?ral qui avait ?t? ?tabli pour situer la culture de la Renaissance, ou ? remettre en question tous ses crit?res. Puis le contenu m?me de l'intuition de Burckhardt a ?t? renvers? par la th?orie des origines reli

gieuses. La Renaissance ? ses d?buts, et dans son aspira tion m?me, r?v?le plut?t un fait m?di?val que le pressen timent des ?ges modernes. La connaissance de l'antique, qui paraissait symboliser la lib?ration vis-?-vis du dogme chr?tien et de l'art gothique, est pli?e ? des fins religieuses, elle favorise toutes les superstitions et, dans l'art, elle suscite des cr?ations qui sont loin d'annoncer toujours l'art classique. On d?couvre ? la fois dans la Renaissance la suite d'une pens?e mill?naire du christianisme, celle de la docta pietas, et l'apparition d'une sorte de religion univer selle qui s'organise dans l'herm?tisme des acad?mies savantes. Ainsi des rapports nouveaux que la Renaissance instaure et des courants anciens qu'elle propage, il sortira, sans qu'on puisse uniform?ment les lui rapporter, la

R?forme, la Contre-R?forme catholique, le courant

libertin, et cette religion panth?iste et obscure qu'illustre un Giordano Bruno. Dans cette complexit?, c'est l'art et la religion qui fournissent les deux rep?res indispen sables ? l'analyse et ? l'interpr?tation historique.

On en a dout? r?cemment, et on a cherch? une d?finition

plus simple dans l'ordre sociologique et politique 1. L'art

Typen geschichtliche Untersuchung, Studien der Bibl. Warburg, t. II, Leipzig, 1923. Ouvrage dont on attend une importante r??dition.

1 Hald van Ko ht, Le probl?me des origines de la Renaissance, in Revue de synth?se historique, juin 1924.

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III. ? Apollon m?decin (pl. 53).

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IV. ? Cassandre et Penth?sil?e, Reine des Amazones (pl. 86).

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V. ? Mercure, roi d'JSgypte (c'est-?-dire Herm?s Trism?giste, pl. 97).

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ART ET RELIGION DANS LA RENAISSANCE 29

et la religion semblent r?gler le d?veloppement conscient des soci?t?s, mais le principe de leur ?volution est d?ter min? par le volume, par le rythme et le caract?re parti culier des ?changes et de la vie politique. Or, deux s?ries de ph?nom?nes caract?risent la Renaissance italienne :

c'est l'?poque de la libert? italienne et celle de la grande civilisation urbaine. De Dante ? la fin du xve si?cle, les communes et les ?tats italiens ont v?cu seuls : les che vauch?es imp?riales cessent au d?but du xive si?cle, et ne reprendront qu'avec les guerres d'Italie. La p?ninsule s'est m?me trouv?e pendant le xive si?cle priv?e de la

pr?sence du Pape. L'exil d'Avignon et le grand Inter

r?gne ont amen? alors le d?veloppement du sentiment national qui caract?rise toute l'?poque. La passion romaine ?clate avec P?trarque qui rappelle le Pape et qui approuve un instant la restauration anachronique de Rienzo. Elle

s'?panouit chez les humanistes en qui elle est plus ou

moins consciemment port?e par le guelfismo popolare qui domine en Italie : c'est lui qui cr?e le climat id?al pour un ?panouissement culturel, par la la?cisation et la d?mo cratisation g?n?rales de la politique, m?me quand aux communes auront succ?d? seigneurie et tyrannie. Avec le renouveau du sentiment romain, le d?veloppement ?cono

mique des cit?s, l'importance nouvelle du monde des affaires expliquent la Renaissance italienne. Si elle est

grande par l'art et par la pens?e, la Florence du xve si?cle est surtout puissante par la banque. Mais, pour prendre les faits par leur dessous social et politique, cette vue n'atteint pas certaines donn?es dans leur sp?cificit? ; elle ne remplace pas le point de vue de l'art et celui de la

religion. L'explication de la Renaissance comme ph?no m?ne sociologique reste l'explication n?cessairement faible d'un complexe riche par une structure simple, d'autant plus que c'est la Renaissance m?me qui a invent? ce genre d'explications Elle ne rend compte en effet ni

H. Hefele, Zum Begriff der Renaissance. Art. cit., 1929. A. von Martin, Soziologie der Renaissance. Zur Physiognomik und

Rhytmik b?rgerlicher Kultur, Stuttgart, 1932. 1 E. Gebhardt, Les historiens florentins de la Renaissance et les

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30 ANDR? CHASTEL

des aspirations oppos?es dans Tart, ni de l'ambigu?t? de la religion, tout ce que r?v?le l'analyse de l' uvre de

P?trarque ou de Ficin. Les deux instruments d'enqu?te, que la sociologie historique exige, loin de pouvoir s'en

passer, sont pr?cis?ment l'?tude biographique des indi

vidus, et l'?tude iconographique des repr?sentations qui ram?nent invinciblement au probl?me esth?tique et au

probl?me religieux L'?tude sociologique exige d'ailleurs

que l'art et la religion soient envisag?s comme les facteurs cr?ateurs de la vie sociale, o? les mythes et leurs repr?sen tations se fortifient r?ciproquement. C'est pr?cis?ment par l'?tude de ces valeurs que la recherche historique peut

d?passer le stade de la nomenclature des faits, sans s'en

gager dans la voie des fantaisies litt?raires. Dans le cas

d'une personnalit? comme celle de Laurent de M?dicis, il para?t n?cessaire, tout en les dissociant au d?part, de faire converger en quelque mani?re, le point de vue poli tique, le point de vue esth?tique et le point de vue reli

gieux 2

; toute autre m?thode multiplie gratuitement les chances d'erreur.

Tel est l'?tat pr?sent du probl?me. Les d?finitions suc

cessives qui cherchent ? se repr?senter l'Italie de la Renais

sance, dans une intuition globale, et dans une vue unitaire, invitent, par r?action, ? adopter une m?thode d?lib?r?ment

commencements de l'?conomie politique et sociale, dans De l'Italie..., ch. 4.

1 Dans Tordre de la biographie, c'est ce qu'ont mis en ?vidence les travaux de :

E. Walser, Poggius Florentinus, Leben und Werke, Berlin, 1914 et

Id., Lebens ? und Glaubens probl?me aus dem Zeitalter der Renais sance. Die Religion Luigi Pulcis, ihre Quellen und ihre Bedeutung,

Marburg, 1926. Dans le domaine de l'iconographie, il en est de m?me avec les

recherches de : E. Panofsky, Studies in Iconology. Humanistic themes in the

Art of the Renaissance (Mary Flexner Lectures, 1937), New-York, 1939 et de Ch. Tolnay sur Michel-Ange, en particulier : La volta della cappella Sistina, saggio d'interpretazione, in Bolletino d'Arte, t. XXIX (1935-1936), pp. 389-408.

Dans les deux ordres de recherches, les ?tudes de A. Warburg, Op. cit., ont ouvert des directions neuves.

2 A. Renaudet, Laurent le Magnifique dans Hommes d'Etat, t. II, Paris, 1937, pp. 405-507.

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ART ET RELIGION DANS LA RENAISSANCE 31

pluraliste, pour reprendre l'expression d'E. Walser et de J. Huyzinga 1. Celle-ci consiste ? repousser toute d?fini

tion-type, et, par suite, ? ne pas faire de la Renaissance un commencement absolu. On r?tablit de toutes parts la

continuit?, au lieu de chercher des limites id?ales et un

principe directeur. Le postulat de la continuit? culturelle est finalement plus f?cond au d?part que celui des muta tions brusques. Car ? l'uomo ? sempre uguale ?, toutes les tendances coexistent et se d?ploient tour ? tour. Un

ph?nom?ne historique, comme la Renaissance italienne, est toujours ? plusieurs sens : elle prolonge le Moyen-Age, mais tout y prend peu ? peu, et in?galement selon le domaine consid?r?, une forme nouvelle. C'est ainsi que la litt?rature continue ? c?l?brer le type de beaut? f?minine conventionnel des troubadours et du dolce stil nuovo :

la blonde gracile aux yeux noirs, quand la peinture a d?j? cr?? des figures qui annoncent le type v?nitien du xvie si? cle. Il faut seulement ne pas interpr?ter comme des faits nouveaux et r?v?lateurs les manifestations traditionnelles de l'incroyance ou de l'exub?rance pa?enne : les canti car

nascialeschi de Lorenzo, dont on a fait le symbole popu laire de la Renaissance, sont d'antiques chansons de prin temps, les pol?miques anti-curialistes ont des pr?c?dents ? tous les si?cles du Moyen-Age, l'irr?ligion de Machiavel et l'ironie de Pulci sont de tous les temps.

Il reste donc ? conduire l'analyse sans principe exclusif dans les divers domaines de la politique et de la culture. Dans Probl?mes humains et artistiques de la Renaissance

italienne, E. Walser a trac? avec prudence un tableau

qui, dans chacune des directions primordiales : la nature, le h?ros, l'amour, la religion, le sens de l'histoire, essaie de situer l'apparition lente de rapports nouveaux, bient?t

d?pass?s ? leur tour 2. Comme Burckhardt, qu'il recoupe sur ce seul point, Walser consid?re ? inspiration esth?

1 W. KaEGI, Op. Cit., p. XXXIII. 2 E. Walser, Menschliche und k?nstlerische Probl?me der italie

nischen Renaissance (Conf?rence de Cambridge, 1926), publi? dans : Gesammelte Studien zur Geistesgeschichte der Renaissance, pp. 211 326.

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32 ANDR? C H AST EL

tique comme le plus puissant de tous les facteurs ? dans la Renaissance italienne 1. C'est dans un cadre harmo

nieux, plein d'une vie diverse merveilleusement accord?e ? ses d?sirs, qu'avec Politien puis l'Arioste, l'artiste pro

jette les images h?ro?ques et amoureuses. Les beaut?s nerveuses de Botticelli et les athl?tes inquiets de Signo relli r?v?lent, plus simplement qu'un livre, tout ce qu'on voudrait savoir. Mais pas plus que Burckhardt, Walser n'a

apport? cette ?tude combin?e de l'art et de la culture

italienne, que ses conclusions appellent. Aussi ses ?tudes, si justes et suggestives qu'elles paraissent, n'ont gu?re fait que mieux poser le probl?me.

Le poids d'une d?finition trop rigoureuse, comme celle de Burckhardt, se fait sentir m?me dans l'artifice inverse

qui doit permettre de la corriger. En fragmentant l'?tude, on se condamne d?lib?r?ment ? rester en dehors du r?el

qu'une intuition globale pr?tend ? tort embrasser. Le d?faut des vues unitaires est d'?tre trop courtes ; le d?faut de l'?tude pluraliste est de pr?f?rer l'artifice n?cessaire de la m?thode ? l'image de la vie qu'il s'agit pourtant de restituer ; pour ne pas ?tre unilat?rale, elle brise ces mille

rapports entrecrois?s qui font la r?alit? historique :

l'?poque pass?e est ? la fois plus complexe que ne le veulent les uns et plus coh?rente que ne le montrent les autres.

Une ?poque donn?e a toujours une sorte d'unit?: ce n'est

pas celle d'un chiffre, mais plus t?t celle d'un rapport. On retrouve plus ou moins nettement sous tous ses aspects le m?me dessin interne, dont il ne suffit pas de signaler la

pr?sence, il faut encore trouver le moyen de la saisir. Dans certains domaines privil?gi?s qui livrent les valeurs

dominantes, on voit s'affirmer avec plus de puret? les rap ports in?dits. Ces constellations essentielles s'expriment par des images symboliques, qui se sont impos?es aux

hommes du temps, et dont les artistes sont les interpr?tes naturels 2. Nulle ?poque n'est plus riche que la Renais

1 Ibid., p. 216.

2 La th?orie du symbole culturel comme objet propre de la

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ART ET RELIGION DANS LA RENAISSANCE 33

sance en images de ce genre, et nulle n'est plus favorable ? l'exercice d'une m?thode capable, en utilisant et en

d?passant tous les apports, de d?gager une unit? cultu relle qui ne soit pas celle d'une d?finition, mais celle d'un

rythme. La signifiation pleine de la Renaissance italienne doit appara?tre avec la mise en ?vidence de la dialectique interne qui lui est propre.

Deux directions indiquent le sens de cette figure dyna

mique, de ce mouvement int?rieur : la Renaissance ita lienne a fait son propre roman historique, et elle a affirm? son originalit? en cr?ant une perspective nouvelle de

l'histoire. Elle a provoqu? du m?me coup, dans tous les domaines de la vie spirituelle et des arts, un ?tat de ten

sion ?nerg?tique et une concentration de forces qui devait n?cessairement conduire ? des transformations d?cisives. Tels sont les deux traits qui dominent, ? notre sens, la Renaissance italienne.

Toute ?poque a ses chroniques, mais il est plus rare que les hommes aient le sentiment de vivre dans l'histoire. Les proph?ties joachimistes, l'exaltation franciscaine, la foi en Rome ont, d?s le temps de Dante, entretenu en

Italie une confiance obstin?e en un renouveau du monde. Le jubil? grandiose de l'an 1300, voulu par Gr?goire VIII,

symbolise ? la fois la vocation de Dante, l'ambition nou

velle du pontife chr?tien, et le pressentiment du r?le

incomparable que devait jouer Florence. C'est l? que Villani con?oit l'id?e d'?crire l'histoire de sa ville, comme

s'il d?couvrait en elle la vocation de la Renaissance. D?s

la fin du xive si?cle, le chapitre sur l'art, ajout? par

Filippo Villani ? l'ouvrage de Giovanni, marque bien, avec tout son parti-pris humaniste et florentin, que le r?ve s'est en partie r?alis? : une nuova pittura est n?e en

recherche historique est esquiss?e par E. Wind dans son introduc tion ? la Kulturwissenschaftliche Bibliographie zum Nachleben der Antike, t. I. Leipzig, 1934, p. vin et .

3

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34 ANDR? CHASTEL

face de Varie antiquata du pass? x. La conscience ou l'illu sion orgueilleuse de renouveler l'art et la pens?e, de retrou ver les vraies sources du savoir, vont si loin ? Florence que Vasari, au milieu du xvie si?cle, n'aura qu'? recueillir la

tradition, en lui donnant une coh?sion historique. Mais cette vue est artificielle et il doit suffire de rappeler ici comment des courants anti-classiques et m?me franche

ment gothiques, malgr? la mode antiquisante, n'ont

jamais cess? d'exister ? Florence, o? l'humanisme m?me en favorisait certains aspects 2. Si l'Italie de la Renaissance a d?velopp? les auto-biographies, c'est souvent, comme

Burckhardt l'a indiqu? ? propos de Cellini, par go?t de la fiction et du mensonge : on recompose dans un roman l'ordre qu'on aper?oit mal dans les faits. Le sentiment d'?tre une grande ?poque, qui traverse la Renaissance, n'a peut-?tre pas conduit ? quelque chose de diff?rent. L'humanisme a enseign? l'historiographie ? la Renais

sance, mais, sous le rev?tement alV antica, elle a fait de l'histoire l'instrument de ses passions et de ses chim?res 3. La Renaissance a compos? elle-m?me son roman histo

rique ; en le vivant int?gralement et en le d?veloppant avec passion, elle a finalement cr?? la conception cyclique de l'?volution humaine, qui s'imposera aux futurs histo riens. Le monde antique a ?t? d?truit par un moyen-?ge barbare qu'il faut d?truire ? son tour pour ressusciter la vraie culture. On ?difie ? la fois une th?orie de l'?volution ? plusieurs phases qui rapproche le d?veloppement des arts et m?me celui des ?tats, des ?ges successifs de la vie, et une th?orie des catastrophes qui explique l'?panouisse ment et la ruine des civilisations. Ainsi les hommes de la

Renaissance, instruits par les Humanistes, traduisent-ils leur impression de se trouver ? un nouveau carrefour des

1 j. Schlosser, Filippo Villanis Kapitel ?ber die Kunst in Florenz, Op. cit., pp. 261-270.

2 F. Antal, Studien zur Gotik im Quattrocento, in Jahrbuch der

preussischen Kunstsammlungen, t. XLVI (1925), pp. 3-32, d?passe heureusement les points de vue p?rim?s qui voyaient dans ces

aspects du Quattrocento des survivances artificielles ou le fruit

d'une r?action politique et religieuse. 3 A. Renaudet, Machiavel, Paris, 1942.

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ART ET RELIGION DANS LA RENAISSANCE 35

temps, et leur impatience orgueilleuse. Une ?tude

magistrale a montr? comment la mise au point n?cessaire de cette construction a conduit Vasari ? un jugement historique sur l'art gothique 1. C'est du pr?jug? et du

parti-pris qu'est sorti peu ? peu le sens historique. Si l'on ?tudiait la nostalgie de l'antiquit? et le th?me de la resti tutio studiorum, on verrait sans doute aussi par quelles voies le roman, c'est-?-dire l'histoire imagin?e, a pu conduire ? l'histoire tout court. Il est ainsi permis de dire que la Renaissance est, pour une large part, le r?ve de la Renaissance elle-m?me.

Ce n'est pas l? sa seule originalit?, car la tension int? rieure qui caract?risait d?j? le Moyen-Age, a ?t? ainsi

port?e ? son comble par la Renaissance. L' uvre de Dante est la somme spirituelle du xme si?cle, mais l'effort tota

lisateur, dont elle proc?de, embrasse tant d'antagonismes manifestes qu'aucune image statique ne semble pouvoir traduire un syst?me d'?quilibre aussi singulier. Non seule ment l'antique et le chr?tien doivent co?ncider comme la double face de toutes choses, mais encore la contemplation et l'action, et dans la contemplation m?me, l'ordre ration nel et le monde affectif. Ces ?l?ments antagonistes sont

port?s ? leur plus haut degr? d'intensit? et c'est leur acuit? m?me qui les situe ? leur place dans le cosmos

spirituel. Toute la Renaissance a eu, comme Dante, le

go?t d'une intense multiplicit? de rapports, dans la vie intellectuelle et morale, et m?me dans l'art. Si la Commedia ?tonne par son pouvoir harmonisateur, l' uvre de P?trar

que avoue au contraire un d?chirement et trahit un effort

qui en fait un document indispensable pour aborder

l'analyse int?rieure de la Renaissance. Presque tous les humanistes nous apparaissent de m?me divis?s, non pas incertains et malheureux, mais favorisant consciemment en eux des exigences toutes contraires. Et quand A. War

burg ?tudie un document aussi peu litt?raire que le

1 E. Panofsky, Das erste Blatt aus dem ? libro ? Giorgio Vasaris

(Eine Studie ?ber die Entwicklung der Gotik in der italienischen Renaissance) in St?del-Jahr buch, Frankfurt-am-Mein, VI (1930), pp. 24-72.

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36 ANDR? C HASTEL

testament du banquier Francesco Sassetti, il y trouve

l'expression d'une polarit? organique, c'est-?-dire cette sorte de d?doublement int?rieur o? se r?v?le ? la vaste

capacit? d'oscillation spirituelle d'un homme cultiv? de la Renaissance, qui, ? l'?poque o? se transformait la conscience de soi et sa force ?nerg?tique, aspirait ? un

?quilibre plein de caract?re *. ?

C'est ce qu'exprime la belle stanza de Laurent de M?di cis qui commence ainsi :

Cosi son io una reta distesa, La quai il legno van tien sopra l'onda : Il grave piombo, che fa basso pesa, La tira nella parte pi? profonda...

Selve d'Amore, II, st. 129 2.

Ce filet tendu ? travers les eaux de la vie, n'?voque pas seulement, ? la mani?re d'une po?sie pieuse du xine si?cle, le d?bat de la chair et de l'esprit ; c'est l'expression d'une ?me consciente de ses mouvements contraires, et l'image platonicienne qui l'inspire situe ce po?me au-del? de

l'angoisse religieuse et au-del? de l'inqui?tude l?g?re du

plaisir3. Peut-?tre, l'exigence esth?tique, a-t-elle seule

permis aux hommes qui subissaient cette tension et se

plaisaient ? multiplier en eux des activit?s divergentes, de conserver un ?quilibre spirituel qui ?tonne aujour d'hui. Sous la pression d'un amas de traditions discor

dantes, ils sont parvenus ? cr?er un style de culture qui a m?ri l'Occident. Mais la vie m?me ?tait mati?re d' uvre

d'art. L'exemple de la philosophie centrale du xve si?cle, celle de l'Acad?mie platonicienne, livre peut-?tre le secret

1 A. Warburg, Francesco Sassettis letztwillige Verf?gung (1902) in Gesammelte Schriften, t. I, p. 158.

2 Lorenzo de' Medici, Opere, ?d. Simioni, Bari, 1913, Sehe

d'amore, tome I, p. 285. 3 V. Rossi, Il Quattrocento, Storia letteraria d'Italia, t. V, Milan,

1933, conclut son ?tude sur le d?doublement int?rieur des hommes de la Renaissance par ces mots : ? La Renaissance ne fut ni pa?enne ni non plus chr?tienne, au sens traditionnel : elle fut le d?but de la

grande crise spirituelle qui, en vivant et en d?passant l'antith?se du paganisme et du christianisme, devait inaugurer un nouvel

?quilibre de la pens?e... ? (page 14).

09:49:23 AM

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ART ET RELIGION DANS LA RENAISSANCE 37

de cette r?ussite ; il r?v?le que les valeurs intellectuelles de la Renaissance sont, en fait, la transposition de valeurs

esth?tiques et religieuses. La Renaissance italienne est donc cette ?poque singu

li?re o? l'on s'est cru pr?s de la r?novation du monde, et o? ce r?ve s'est poursuivi d'apr?s une vue nouvelle de

l'histoire, qui s'impose encore aux modernes sous le

mythe de la Renaissance ; elle accumulait en m?me temps les forces les plus diverses et les plus actives de la pens?e et de l'art, sans souci des d?chirements int?rieurs. Tels sont les ?l?ments de sa dialectique interne \ Il y a deux

points sensibles o? l'on voit ces rapports particuliers s'affirmer, o? l'art et la religion s'imposent comme valeurs

privil?gi?es, c'est le cas de P?trarque et celui de Marsile

Ficin, l'un au d?but, l'autre au sommet de la Renaissance italienne ; leur ?tude, m?me sommaire, doit pr?ciser et

justifier ces conclusions de m?thode.

Les g?n?alogies spirituelles qui relient P?trarque, par Erasme ou par la Pl?iade, ? Voltaire ou ? Chateaubriand, au classicisme sceptique ou au romantisme des sentiments,

1 Dans une ?tude p?n?trante ?

que M. de Gandillac a eu l'obli

geance de me faire conna?tre, ? de B. Groethuysen, Die kosmische

Anthropologie des Bovillus in Archiv f?r Geschichte der Philosophie, Berlin, vol. XL (1931), pp. 68-89, ce rapport dialectique int?rieur est mis en ?vidence sous la forme d'une opposition entre l'esprit de Florence et celui de Venise, entre l'id?al ? magique ? de Pico et le d?terminisme astrologique de Pomponazzi. C'est de ce conflit, port? ? son maximum d'acuit?, que sortira l'id?e moderne de la fonction active de l'esprit ; elle permet de passer du mythe de l'homme ? une repr?sentation critique.

Notre interpr?tation de Ficin rejoint cette vue ; mais il y a chez Ficin une doctrine moins unilat?rale que celle de Pico, et elle con tient ? elle seule les ?l?ments d'une dialectique spirituelle. Par

ailleurs, Pico est, en un sens, ?tranger au cercle florentin, comme le

rappelle H. Baron, Willensfreiheit und Astrologie bei Marsilio Ficino u. Pico della Mirandola. Kultur und Universalgeschichte. W. Goetz zum sechzigsten Geburtstage gewidmet. Leipzig, 1927, pp. 145-170. II est difficile enfin de d?finir ce qu'il y a de neuf au xvie si?cle et de

simplement m?di?val dans l' uvre de Pomponazzi et dans celle de Pico.

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38 ANDR? CHASTEL

comptent parmi les vues les plus imprudentes de l'histoire litt?raire. Ceux qui ont salu? en P?trarque ? le premier homme moderne ? n'ont rien fait pour les ?viter et l'on ne peut dire d'ailleurs que tout soit faux dans des affirma tions aussi g?n?rales. Mais aussit?t prononc?es, il faudrait les oublier pour aborder le probl?me de l'int?rieur, et sans

pr?occupation anachronique. Car, si P?trarque a apport? quelque chose de nouveau, ce ne sont, en g?n?ral, ni ses

th?mes po?tiques, ou philosophiques, ni m?me ses passions, c'est plut?t ce style personnel de pens?e qui donne ? l'im

pression subjective plus d'importance qu'? l'objet 2. Le secret de sa haine contre les Averro?stes et contre les ? phy siciens ? de son temps, c'est qu'en accord avec l'interpr?ta tion commune de ? intellect actif ? d'Aristote, ils rap portent les actes intellectuels et le mouvement de la

pens?e ? un ?tre impersonnel et supra-individuel. Comme la Scolastique parisienne est men?e par le thomisme

triomphant dans une direction ?galement objective et

scientifique, c'est contre elle que P?trarque orientera l'humanisme naissant, par un retour d?cisif ? l'id?alisme

religieux de saint Augustin 3. La sensibilit? de P?trarque ?tait exigeante et irritable.

C'?tait un amoureux que la sensualit? ne comblait pas. C'?tait un nerveux qu'excitait la musique et qui s'aga?ait des bruits :

?... Rotarum muros quatientium stridorem... tantum con

fusis vocibus clamorem... quae omnia et sensus melioribus assuetos conficiunt et generosis animis eripiunt quietem. ?

(Secretum sive de contemptu m?ndig II dial.).

Et la nouveaut? n'est pas d'?tre irrit? par le bruit des

chariots, mais de l'observer, de le n?ter et d'en tirer la mati?re de ses ?crits.

Ce sens de la vie personnelle, cette sensibilit? qui refuse d'?tre trahie par des affirmations faciles, ce go?t de l'?me

1 P. de Nolhac, P?trarque et l'humanisme, 2 vol. ,Paris, 1907. 2 Les citations seront faites d'apr?s T?dition de B?le, 1496. 3

toffanin, Op. Cit., p. 107.

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et de ses mouvements incommunicables expliquent assez la r?action de P?trarque contre son temps, et c'est par l?

qu'on peut parler ? son sujet de romantisme P?trarque n'est pas un id?ologue ; c'est seulement ? la fin du si?cle suivant que le n?oplatonisme florentin construira une

doctrine de l'?me, capable de satisfaire ces aspirations subjectives. Par une sorte de pressentiment et de confiance

spontan?e, P?trarque place Platon, qu'il n'a pas lu, en t?te de la schiera des philosophes dans le Triomphe de la Gloire ; mais il n'y faut voir, comme dans beaucoup de

professions de foi platoniciennes, qu'une sorte de symbole. Et l'on doit poursuivre l'?tude de la vie int?rieure du

personnage, pour voir appara?tre une exigence qui dessine le mouvement profond de la Renaissance : le besoin esth?

tique devient le refuge d'une inqui?tude qui se nourrit sans fin du d?bat religieux et d'une exaltation profane.

Le go?t de la vie int?rieure et le refus du monde condui saient normalement les hommes de son temps vers la vie

monacale. C'est l? que commence le drame de P?trarque. Attir? vers le clo?tre par l'exemple de son fr?re, il sait qu'il ne s'y enfermerait qu'en se trahissant lui-m?me. A travers les essais sur la vie solitaire et sur le m?pris du monde, dont les th?mes sont typiquement m?di?vaux 2, il cherche ? se d?finir le nouveau genre de solitude et le nouvel id?al

qui lui conviennent. Car il tient d'abord ? ne pas se duper lui-m?me, il est soucieux avant tout de son accomplisse

ment individuel. On peut accorder que l'exemple d'Ab?

lard, un si?cle plus t?t, n'est peut-?tre pas si diff?rent 3 ; l'affirmation de la vie personnelle, ? travers la passion ou ? travers la litt?rature, ne datent pas de P?trarque. Mais c'est lui qui a impos? son drame particulier ? son

temps, en faisant de l'art et de l'?tude le rem?de provisoire de ses incertitudes int?rieures.

Le conflit qui trouble P?trarque n'est pas ? on l'a

1 A. von Martin, Petrarca und die Romantik der Renaissance, in Historische Zeitschrift, 1928, pp. 328-344. 2 Sur le th?me du De comptentu mundi, voir K. Burdach, Vom Mittelalter zur Reformation, vol. III, tome I, p. 310.

8 E. GiLsoN, H?lo?se et Ab?lard.

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souvent relev? ? le conflit de la vie chr?tienne et d'une

aspiration qu'il serait commode d'appeler le go?t de la vie pa?enne c'est quelque chose de plus intime et qu'ont connu, sans en tirer autant d'effets lyriques et de pro bl?mes nouveaux, des ?crivains du Moyen-Age et les

philosophes latins. C'est le conflit entre le go?t passionn? pour le monde, pour le si?cle (c'est-?-dire les plaisirs de l'amour et de la gloire) et le sentiment qu'on y perd sa raison d'?tre et que la recherche des biens de la terre com

promet sans r?mission la perfection int?rieure. P?trarque devait naturellement retrouver, au cours de ses r?flexions, tour ? tour S?n?que et saint Augustin. Dans son Secretum sive de contemptu mundi, P?trarque a pris saint Augustin pour confesseur ; il se fait admonester par lui, il se fait

reprocher cet amour coupable du monde et ces d?sirs

auxquels il ne sait pas, ou il ne veut pas renoncer. Il

utilise les Confessions comme une sorte de manuel de la vie douloureuse et inqui?te. y a m?me, r?pandu dans ses

attitudes et dans les ?pisodes de sa vie, une sorte d'imita tion th??trale de saint Augustin, qui frappe d'autant

plus qu'elle se substitue insensiblement ? cette autre

imitation, qui doit ?tre la pens?e v?ritable du chr?tien. A l'effort path?tique du ma?tre s'oppose la passivit? du

disciple ? demi sinc?re, qui fait de l'aveu non pas un acte

religieux, mais un moyen d'exprimer, sans la d?truire son inqui?tude et son ?trange m?lancolie 2. Ce go?t avou?

pour saint Augustin, et moins pour le th?ologien que pour l'homme, est d'un grand enseignement : l'exemple des

Confessions montre le passage de la vie antique au chris tianisme m?di?val, mais P?trarque en trahit l'esprit, puisqu'il s'en aide pour d?finir un ?tat trouble correspon dant ? celui de saint Augustin, quand il n'avait pas encore

trouv? la paix du Christ. L'imitation de saint Augustin conduit P?trarque ? d?faire, plus ou moins consciemment,

1 E. Walser, Christentum und Antike in der Auffassung der italienischen Renaissance, in Archiv f?r Kulturgeschichte, t. XI (1921), pp. 277-287. Repris dans : Gesammelte Studien, ch. IV.

2 A. von Martin, Petrarca und Augustin, in Archiv f?r Kultur

geschichte, t. XVIII (1928).

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ce que son mod?le avait fait : il est attir? vers lui par le

go?t du mal plut?t que par celui du rem?de.

C'est sans doute que P?trarque n'est en son fond, un

esprit ni moral ni religieux. La complaisance ? soi-m?me et une secr?te indiff?rence lui font en quelque sorte remon ter le cours du temps, et ressaisir un moment o? l'accord

puissant de la pens?e antique et de la foi religieuse n'avait

pas encore d?fini l'ordre m?di?val de l'Occident. P?trarque s'ennuie dans le pr?sent, il s'ennuie dans le christianisme. Il ne le repousse pas. Il a horreur des libertins, qui sont

incr?dules avec suffisance, mais il ne veut pas s'interdire de r?ver ? autre chose, et de se construire l'image id?ale d'un monde pa?en, auquel il serait dispos? ? croire plus qu'il ne faut1.

On aurait donc raison d'appeler P?trarque le premier homme de lettres 2, si l'on pouvait ?tre s?r que d'autres n'ont pas cherch? comme lui un certain ?quilibre de leurs d?sirs et de leurs r?ves, mais enfin, ? P?trarque est un

homme de lettres 3 ?. Le d?mon de P?trarque, c'est le go?t ? de cultiver ses faiblesses pour nourrir son g?nie ?, auquel il a peut-?tre su se d?rober sur la fin de ses jours 4. Mais il a impos? ? l'humanisme italien l'exemple irr?sistible d'un

type d'homme qui ne peut et ne veut, au fond, ?tre qu'un artiste. Il s'est agi pour lui de transformer en jouissance cette fuite du monde et ce go?t de la vie int?rieure et, ? d?faut de b?atitude, d'y trouver une sorte de bonheur. L'art d'?crire prend ainsi une signification nouvelle. Et le

pouvoir formel de l'art re?oit un approfondissement sin

gulier, qui conduit peut-?tre vers un sentiment tout clas

1 A. von Martin, Peripetien in der seelischen Entwicklung der Renaissance. Petrarca und Machiavelli, in Deutsche Vierteljahrschrift f?r Literaturwissenchaft, t. V (1927), p. 463.

2 E.-H.-R. Tatham, Francesco Petrarca. The first modern man of Utters. His life and correspondence. A study of the early XlVth Century (1304-1347), 2 vol., Londres, 1925.

8 P. Hazard, Portrait de P?trarque, Etudes italiennes, M?fanges de litt?rature et d'histoire sur P?trarque, t. IX (1927), p. 36.

4 M. de Gandillac, P?trarque et son d?mon, Courrier des Iles, Eludes sur Kierkegaard, P?trarque, G the. Paris, 1934, p. 199.

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sique. L'harmonie des mots hantait la jeunesse de P?trar

que :

Et illa quidem aetate nihil intelligere poteram : sola me verborum dulcedo quaedam et sonoritas detinebat, et quid quid aliud vei legerem vei audirem, raucum mihi longueque dissonum videretur. (Epistolae Sen., XV, .)

Et il s'est fait un id?al absolu de la perfection formelle dont le Canzoniere et les po?mes latins t?moignent assez.

Seulement, la recherche de l'harmonie et de la beaut? verbales est li?e ? un nouveau mythe de l'?ternit?, au

mythe de la gloire, qui transforme la po?sie en une sorte de sacrement profane, et qui en fait le refuge assur? et

voluptueux des inqui?tudes et des h?sitations humaines. On peut donc se croire ici au c ur de la vie spirituelle de

P?trarque ; mais la pens?e et l'art n?s de ces exigences subtiles, appartiennent encore au monde m?di?val dont ils devraient le d?tacher. Loin d'?tre simple et facile ?

d?pouiller de quelques survivances, son mouvement

spirituel aboutit ? des cr?ations complexes qui valorisent les ?l?ments contradictoires de son ?me. Il n'est aucun des

aspects essentiels de son art, la lyrique amoureuse ou l'?vocation de la nature, o? n'apparaisse cette complica tion int?rieure, et ses go?ts en peinture l'?clairent assez bien. P?trarque reste l'homme divis? et riche de mouve ments oppos?s, par excellence, c'est seulement dans ses

rapports avec l'antique, que l'on voit cette tension int?rieure l'acheminer vers une pens?e historique, qui a f?cond? tout l'humanisme et qui a ?t? de la plus grande cons?quence.

La voluptas dolendi, qu'il nourrit comme l'?l?ment secret de son g?nie, ne se confond donc pas avec le refus du si?cle, ni d'ailleurs avec le pessimisme moderne Cet accent personnel jalousement pr?serv? a fait admirer le personnage, mais son immense succ?s a des causes plus

1 A. Farinelli, La malinconia del Petrarca dans : Petrarca, Manzoni, Leopardi, Turin, 1925, tout en tournant trop vers Leo

pardi le sentimentalisme de P?trarque, h?site ? en faire un pessi miste v?ritable.

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pr?cises dans ses ?crits en langue vulgaire et en latin, et

dans son accord avec l'esth?tique du temps. Sa lyrique amoureuse, dont la perfection a fait pendant deux si?cles un mod?le essentiel et toujours imit?, est le d?veloppement inlassable du dolce pianto voluptueux. L'amour le ravit ?

lui-m?me, le tire hors de son refuge int?rieur ; mais cet

arrachement est une joie nouvelle :

O viva morte, e dilettoso male, Come puoi tanto un me, s'io noi consento ?

Sonnet : S'amor non ? (?d. Scherillo, n? 132).

Le mouvement de l'amour se confondait, pour Dante, comme pour les grands po?tes d'? oc ?, avec une ascension

religieuse, et un d?pouillement mystique. P?trarque, fid?le ? son d?mon, dissocie et retourne le sens de cette exp? rience : elle n'est plus ce qui ?l?ve, elle est ce qui inspire. Il aime en elle cette impossibilit? m?me de s'accomplir qui laisse le c ur dans une merveilleuse incertitude, et

qui pr?cipite ses battements, dans un rythme concert?. Il y d?couvre le chemin d'un repliement nouveau, au

moment m?me o? il tremblait de sortir de lui-m?me. C'est en m?lant l'amour aux images de la nature, en louant tour ? tour la dame qui efface la joie des objets du monde, et le

spectacle silencieux ? qui manque myst?rieusement la bien-aim?e :

Raro un silenzio, un solitario orrore

D'ombrose selva mai tanto mi piacque Se non che da mio sol troppo si perd?

Sonnet : Per mezz* i boschi (?d. Scherillo, n? 176).

Aussi est-il bien artificiel de louer en P?trarque l'appa rition d'un sentiment de la nature, qui pr?luderait ? la d?couverte du monde sensible, P?trarque ne recherche ? aucun moment pour elles-m?mes la montagne et la for?t :

il les aime, parce que le contact d?pouill? avec les ?l?ments r?veille en lui, par contraste, l'exigence amoureuse ou

l'exigence mystique. Il en aime le choc. Il go?te la soli tude ? cause du mouvement de reflux int?rieur qu'elle provoque en lui ; et celui qui est mont? au mont Ventoux

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n'est pas un ?crivain descriptif ou un passionn? de la

montagne, mais un lecteur de saint Augustin qui a voulu cr?er en lui-m?me un trouble nouveau, une excitation

mystique plus intense, en ouvrant son livre favori sur un sommet peu connu et pittoresque. Le texte c?l?bre doit en effet ?tre lu jusqu'au bout. Arriv? sur la cime, d'o? il

aper?oit le Rh?ne et les Alpes, P?trarque d?crit son exaltation :

? ... Quae dum mirarer singula, et nunc terr?num aliquid saperem, nunc exemplo corporis animum ad altoria subvehe

rem, visum est mihi confessionum Augustini librum, charitatis tuae munus inspicere, quem et conditoris et donatoris in

mem?ri?m servo, habeoque semper in manibus... Deum testor,

ipsumque qui aderat, quod ubi primum defixi oculos scriptum erat : ? Et eunt homines admirari et, ingente fluctus maris, et latissimos lapsus fluminum, et oceani ambitum, et gyros siderum, et relinquunt se

ipsos. Obstupui, fateor... tune vero

montem satis vidisse contentus, in me ipsum interiores oculos reflexi. > (Ep. fam., IV, i, 10 avril 1336, au P?re Denis de Borgo San Sepulcro).

La vision de P?trarque ne se s?pare donc pas d'un certain irr?alisme m?di?val et ses go?ts en art sont r?v?lateurs ? cet ?gard. Le peintre Simone di Martino, dont il fit son ami en Avignon, est l'un de ces Siennois qui ont gothicis? l'art de Giotto, et dont l'?l?gance formelle a compt? pour beaucoup dans la formation du style international en pein ture, au xive si?cle, comme le Canzoniere dans celle du

style po?tique Il lui a adress?, ? l'occasion de son por trait de Laure, un sonnet c?l?bre, o? repara?t la th?orie

n?oplatonicienne de l'id?e ou de l'arch?type que l'artiste saisit dans un monde sup?rieur avant de la traduire

1 R. van Marle, The development of the italian schools of painting, vol. II, La Haye, 1924 : The Sienese School of the \kth Century.

Prince d'Essling et E. M?ntz, P?trarque. Ses ?tudes d'art, son

influence sur les artistes, ses portraits et ceux de Laure, l'illustration de ses ?crits, Paris, 1902, pp. 9-16.

La fresque consacr?e par Simone ? la gloire du condottiere Guido riccio de Reggio, au Palais Municipal de Sienne, se compose de

quelques ?l?ments all?goriques et de maigres formes d?coratives, dont T?loge de certains ? h?ros ? par P?trarque offre une sorte

d'?quivalent.

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dans l'image sensible. Simone est en effet l'auteur d'images de saints sur fond d'or, sans volume et sans espace vrai, d'un effet irr?el et pr?cieux, et il y a dans ses grands tableaux religieux, comme le Calvaire du Louvre, une agi tation nerveuse, un path?tique qui, par la pr?dilection pour l'?l?gance et le beau d?tail, en font un des peintres les plus raffin?s de l'inspiration mystique 1.

On attribue encore g?n?ralement ? Simone le fron

tispice du manuscrit de Virgile qui, apr?s avoir appartenu ? P?trarque, se trouve ? la biblioth?que ambrosienne. Un coin de paysage pastoral stylis? se d?tache sur un fond d'outremer ; un rideau l?ger, tendu entre les arbres, isole un vieillard couronn? de lierre dans l'attitude inspir?e des

Evang?listes ou des proph?tes ; il s'agit de Virgile, que

d?signe ? un guerrier immobile, le bras tendu d'un gram mairien : ce guerrier est En?e que le commentateur invite ainsi ? saluer son po?te. Plus bas, un paysan tenant une

serpe et un berger assis devant ses brebis, l?vent les yeux vers Virgile. Ils repr?sentent les G?orgiques et les Buco

liques. Deux banderoles tendues coupent horizontalement cette miniature d'une saveur singuli?re, mais il ne saurait ?tre question d'y trouver autre chose qu'une all?gorie m?di?vale sur des th?mes virgiliens .

Il va sans dire que sa connaissance de l'antique et sa science humaniste ont mis P?trarque hors de pair parmi ses contemporains. Mais, apr?s avoir lou? son sentiment moderne de l'antiquit?, il a fallu replacer P?trarque dans son temps, pour s'apercevoir qu'il n'avait d?couvert le

premier ni la beaut? des ruines ou la grandeur de Rome 3,

1 Lionello Venturi, La critica d'arte e F. Petrarca, Annali catte dra Petrarchesca, 1931, pp. 91-114, reprend l'?tude des rapports entre P?trarque et son ami, et souligne la dualit? interne de l'id?al

esth?tique du po?te. 2 ? L'Italie du xnie et du xive si?cles vit avec pl?nitude la pens?e gothique, avec inqui?tude la pens?e romaine. ? H. Focillon, Op. cit., p. 319. Telles sont les pr?misses de la Renaissance, mais il

n'y a rien de romain chez Simone : tout y est gothique. 3 F. Saxl, Rinascimento dell' antichit?, art. cit., p. 239, donne un long texte r?v?lateur d'Hildebert de Lavardin (xne s.) sur les ruines de Rome.

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et qu'il se m?lait ? sa connaissance pr?cise et amoureuse des textes une recherche toute m?di?vale des symboles et une aspiration romantique qui lui est plus particuli?re, mais qui favorise les illusions et les chim?res aux d?pens du savoir historique 1. L'antique, ce n'?tait pas seulement

pour lui la philosophie morale de S?n?que, ou Tite-Live, c'?tait aussi la fable ; de larges passages de Africa sont d?riv?s des mythographes m?di?vaux, et en particulier d'Albricus, dont le Liber de imaginibus deorum a constitu?

longtemps un r?pertoire litt?raire et un manuel pour les

interpr?tations all?goriques 2. Cette antiquit? moralis?e est ce qu'il y a de plus ?loign? de l'antiquit? v?ritable, mais c'est l? que la tension int?rieure de P?trarque fait irr?sis tiblement appara?tre, dans la culture m?di?vale, un sens nouveau de l'histoire. Dans la mesure o? elle ?tait toujours vivante dans la culture m?di?vale, l'antiquit? ?tait natu rellement travestie et assimil?e, dans les encyclop?dies, dans la po?sie, dans le roman ; le sentiment nostalgique de P?trarque exigeait autre chose. Tandis qu'on transpo sait l'antique dans l'esprit moderne, c'est-?-dire dans le sens m?di?val et chr?tien, la conscience raffin?e de P?trar

que r?vait inversement d'une vie qui serait transpos?e dans le sens de l'antique. Au lieu de l'utiliser pour les

le?ons actuelles, il ne songe qu'? se d?tacher de celles-ci

pour le rejoindre ; son mouvement spirituel est ? l'oppos? de celui de saint Thomas qui assimile et christianise Aristote. Ou, plus exactement, P?trarque est pris dans un

ordre de pens?es complexe qui h?site entre l'utilisation moderne de l'antique et la nostalgie du pass?.

L'id?e d'approfondir la description d'un h?ros ou d'un

dieu, non par l'?vocation d'un principe moral ou d'un th?me all?gorique, qui le rend en quelque sorte intem

porel, mais par l'utilisation d'un bas-relief ou d'une statue

1 H.-W. Eppelsheimer, Petrarca, Bonn, 1926, a surtout soulign? cette ?tiefe romantische Sehnsucht? (p. 162) et l'?cart entre l'ar tiste et l'homme chez P?trarque (p. 32). 2 Jean Seznec, La survivance des dieux antiques. Essai sur le r?le de la tradition mythologique dans l'Humanisme et dans l'Art de la

Renaissance, Londres, 1939, pp. 150-154.

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qui le repr?sentent tel que Ta vu le monde antique, est Tune de ces pr?occupations simples qui d?finissent l'art humaniste. Elle devait conduire les peintres ou les sculp teurs ? reconstituer les uvres perdues de l'antique, comme cela conduisait les ?crivains ? imiter de plus pr?s les mod?les litt?raires. C'est ? l'origine de ce d?sir de mieux conna?tre l'antiquit? pour aboutir ? des uvres d'art plus parfaites, que se situe naturellement P?trarque 1.

L'histoire des dieux pa?ens au Moyen-Age et ? la Renais

sance, montre que la Renaissance peut se d?finir par une

re-integratio : on a cherch? ? replacer les sujets mytho logiques dans les formes antiques, dont les avaient peu ?

peu dissoci?s l'usage de l'all?gorie, et la transposition historique et morale pratiqu?s depuis l'antiquit? m?me 2.

Mais, s'il faut la restituer dans sa pl?nitude, c'est que

l'antiquit? est un monde perdu, un cosmos culturel dont on s'est d?tach? et qu'il faut essayer de ressaisir. Ce monde

perdu, dont on mesure tout d'un coup l'?loignement, c'est d?j? pour P?trarque, et ce sera de plus en plus, un ? paradis perdu ?, un ?ge d'or et un royaume imaginaire dont la Renaissance et l'?ge classique conserveront l'im

p?rissable nostalgie3. Pendant tout le Quattrocento,

1 H.-W. Eppelsheimer, Op. cit., insiste ? l'extr?me sur la le?on historique de P?trarque.

H. Baron, Das Erwachen des historischen Denkens im Humanis mus des Quattrocento, in Historische Zeitschrift, t.147 (1933), pp. 5-20, oppose la vue mythique de P?trarque encore proche de la croyance

m?di?vale ? la Rome ?ternelle, aux vues des humanistes de la fin du xve si?cle et de Machiavel, qui ont d?gag? l'id?e de lois naturelles. On a rappel? plus haut, ? propos de Vasari, comment l'histoire sort

parfois du roman. 2 ? Reintegration of mythological subjects in antique forms ?. E. Panofsky-F. Saxl, Classical mythology in mediaeval art, in

Metropolitan museum studies, t. IV, i, 1932, 1933. 3 ? The everlasting nostalgia for this imaginary kingdom is the

main foundation of classicism ? ?crivent E. Panofsky et F. Saxl, Art. cit., p. 278. Cette conclusion rejoint et compl?te celle de E. Gil

son, Le moyen-?ge et le naturalisme antique dans H?lo?se et Ab?lard, p. 223 ; sur l'opposition de l'humanisme historique, de la Renais sance et l'humanisme intemporel du Moyen-Age. Erasme, un si?cle et demi apr?s P?trarque, aspire ? la restitution d'une antiquit? historique, mais l'histoire ne rend le pass? ? lui-m?me qu'en lui interdisant de changer. C'est ce qui explique l'attitude de P?trarque :

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les images de l'antiquit? offrent ainsi le plus singulier m?lange d'arch?ologie et de f??rie. Dans les compositions faciles des cassoni, dans les s?ries grav?es, dont il a d?j? ?t? question, l'antique fournit ? l'imagination des artistes des th?mes romanesques tir?s de la guerre de Troie ou de l'histoire des dieux.

A travers ces lents d?veloppements, la connaissance de

l'antique allait appara?tre de plus en plus comme le cri t?re de la vraie culture. Et l'initiative humaniste tend ainsi ? opposer l'Italie et ses cr?ations nouvelles ? tout ce

qui l'a pr?c?d?e. On voyait d?j? dans la lettre c?l?bre sur

les ruines de Rome, que P?trarque adressait ? Jean Co

lonna, s'affirmer l'opposition entre l'antiquit? et l'?ge chr?tien :

? Dicantur amVquae (hist?ri??) quaecumque ante celebra tum Romae et ueneratum Romanis principibus Christi nomen : novae autem ex ilio usque ad hanc aetatem ?. (Epistolae fami liares, VI, 2).

Il ne restait plus qu'? opposer ? l'?ge interm?diaire ainsi

d?fini, la r?surrection moderne de l'antique pour redonner son sens ? l'histoire.

L'amour des bonae litterae ?tait d'abord, chez les huma

nistes, une prise de position anti-moderne, hostile ? l'averro?sme et ? la scolastique, mais la haine des barbares et de leurs arts confus engendrera bient?t la doctrine

pol?mique de l'?ge gothique ; et les historiens de l'art n'auront qu'? la transposer sur le mod?le ?rudit, pour achever le mythe humaniste de la ? Renaissance ?.

Si l'?ge moderne a conscience d'?tre s?par? de l'antique, l'assimilation spontan?e des philosophes et des moralistes doit faire place ? une recherche consciente des diff?rences, et l'on est contraint de poursuivre une conciliation entre

l'antique et le moderne, entre le paganisme et la pens?e chr?tienne. La tension int?rieure propre ? la Renais

au moment o? on ne l'assimile plus inconsciemment, mais o? on

l'envisage comme une r?alit? distincte, le pass? n'est pas seulement cette chose morte qu'?tudie l'histoire, il devient aussi le pr?texte des visions et des r?ves.

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sance 1 est ainsi le d?veloppement et l'approfondissement de celle de P?trarque. L'humanisme est d'abord un go?t, l'amour d'une culture pass?e, dont on poursuit la connais

sance, en supposant de confiance, qu'il doit ?tre facile de concilier cet ordre ancien restitu?, avec l'ordre chr?tien.

P?trarque a pos? le probl?me de la r?forme intellectuelle et morale de l'humanit? dans des termes tels que la plu part des humanistes du xive et du xve si?cle seront ? pa?ens d'enthousiasme et chr?tiens d'habitude ?. Les adversaires de l'humanisme, au xve si?cle, comme Giovanni Dominici, s'?tonneront de cette passion inutile, ? leurs yeux, pour la vie morale et dangereuse pour la foi 2. Car si P?trarque, comme plus tard Ficin et Erasme, se propose de mieux conna?tre l'antique pour s'en aider dans l'ordre moral et dans la vie chr?tienne, l'humanisme tend ? se satisfaire de l'?tude de l'antique pour lui-m?me, ou m?me, ? con

na?tre l'antique pour l'imiter, sans penser davantage ?

l'approfondissement de la vie chr?tienne : Leonardo Bruni dans sa Vita di Dante louera l' uvre de science et d'art

qu'est la Commedia, sans m?me songer ? sa signification chr?tienne mystique. C'est l'attitude oppos?e ? celle de Ficin ; mais le sentiment de l'historique, apparu avec

P?trarque, pla?ait l'esprit devant des t?ches contradic

toires, que seuls les esprits les plus forts ont pu simulta n?ment embrasser.

L'exp?rience particuli?re de P?trarque, la rupture qu'il introduit dans la culture n'ont pas moins d'importance par l'excitation nouvelle qu'ils donnent ? l'homme devant la vie pr?sente. La tristesse et le repliement int?rieur de

P?trarque appelaient une image heureuse de la vie ; et son art qui s'effor?ait de conjurer le mal de vivre, en faisant

d'exp?riences inqui?tes le pr?texte de beaux vers, a

1 ? Renaissance art and thought are characterized by an intrinsic tension. ? E. Panofsky et F. Saxl, Art. cit., p. 235. C'est ce qu'on a rappel? plus haut.

2 Je m'inspire, dans ce passage et dans les lignes suivantes, d'un cours in?dit de M. A. Renaudet ? l'Ecole des Hautes-Etudes, 1943

1944, sur l'Humanisme et le probl?me de l'incroyance dans la Renais sance italienne.

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tent? aussi d'?voquer sous des couleurs antiques le bon heur promis. Le sentiment de l'histoire donne une saveur

path?tique ? l'existence humaine. Le xive et le xve si?cle en sont remplis ; et si passive et repli?e qu'apparaisse souvent l'?me de P?trarque, il serait faux de ne pas reconna?tre l'?lan qui la porte, et cette exaltation vers

la grandeur dont t?moigne le sonnet c?l?bre, qui date, en

quelque sorte de la Renaissance :

Anime belle e di virtute amiche Terranno mondo ; e poi vedrem lui farsi Aureo tutto e pien dell' opre antiche.

Sonnet : Vavara Babilonia (?d. Scherillo, n? 137).

Cette confiance et cette ardeur, o? Burdach a eu raison de voir un ?l?ment mystique, d'une religiosit? ambigu? mais profonde, opposeront l'Italie de la Renaissance ?

jusque dans sa m?lancolie particuli?re ? au d?sespoir et

? la hantise des autres peuples de l'Occident, qui, au xive et au xve si?cle, se croiront plus pr?s de la fin du monde que de l'?ge d'or 1.

Ainsi la complexit? int?rieure et l'inqui?tude de P?trar

que, qui expliquent le caract?re m?l? et souvent irr?aliste de ses ouvrages et de son go?t, l'ont aussi amen? ? perce voir la distance historique entre l'antique et son temps, par o? il a communiqu? ? la Renaissance toute enti?re la tension m?me de son esprit. C'est cette pr?dominance nouvelle de ? int?riorit? ? humaine qui font du point de vue formel et du point de vue spirituel, de l'art et de la

religion, les instruments privil?gi?s et n?cessaires de la recherche. Mais, en m?me temps qu'il pla?ait l'intelligence devant le devoir de s?parer et de conna?tre ? part ce qui vivait jusque-l? confondu, l'ordre antique et l'ordre

moderne, puis de retrouver leur accord, ce sentiment nou veau accroissait le path?tique de la vie, et invitait toute

1 E. Deschamps ?crit en 1392 une ballade dont le refrain est : ? Car li mondes est bien pr?s de sa fin. ? (N? CXXVI) uvres corn

pl?tes d'Eustache Deschamps, ?d. Marquis Queux de St-Hilaire, Paris, t. I, 1878, pp. 247-8.

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l'?poque ? cette transposition mythique de son effort, dont est issue l'id?e m?me de la Renaissance.

L'exemple de P?trarque suffit ? rappeler que l'analyse d'une situation morale, ? une ?poque donn?e, suppose l'?tude des conflits int?rieurs, et l'analyse des illusions. Dans le si?cle qui s?pare la carri?re de Marsile Ficin de celle de P?trarque, il a ?t? accompli un effort sans pr?c? dent pour dilater le champ de la connaissance, retrouver les textes anciens et d?velopper le savoir. Les trouvailles des humanistes n'ont peut-?tre pas ?t? les d?couvertes v?ritables qu'ils ont cru, et ils b?n?ficiaient d'un travail

ant?rieur, auquel ils se souciaient peu de rendre justice, mais leur effort a ?t? vaste et surprenant. Cet ?ge a eu la

passion des textes ; et la d?couverte, puis la diffusion de l'imprimerie ? la fin du xve si?cle, ont ?t? la r?compense d'un effort qui la m?ritait bien. Toutefois, si l'on examine les ouvrages qui ont ?t? mis ? jour puis r?pandus par

l'imprimerie, enfin sur quoi a port? cet immense labeur, il faut reconna?tre que les ?poques de textes sont le r?gne de la cr?dulit? et de l'illusion. Les grands ouvrages litt? raires sont confondus avec un fatras prodigieux, pour

lequel les meilleurs esprits t?moignent d'une ?tonnante

pr?dilection. En ce sens, nul n'est plus de son temps que Marsile Ficin : les conflits multiples de la connaissance et de la pens?e qui se r?fl?chissent dans son uvre, y sont comme d?pass?s ou plut?t oubli?s par le jeu d'un savoir ? la fois livresque et imaginaire

L'examen de la philosophie est ce qu'il y a de plus d?ce vant pour la th?se de la modernit? de la Renaissance,

1 E. Br?hier, Histoire de la Philosophie, tome 1,3: Moyen-Age et Renaissance, p. 749, oppose le platonisme de m?thode que l'on retrouve chez Nicolas de Cuse, au platonisme de doctrine de Marsile Ficin. Le double aspect du platonisme comme th?orie de la con naissance et comme mythologie religieuse, sert ?galement de prin cipe directeur ? E. Cassirer, Op. cit. Chez Ficin, le mythe l'emporte sur la r?flexion ?pist?mologiqu? ; c'est un visionnaire.

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mais aussi ce qu'il y a de plus r?v?lateur pour une enqu?te pr?occup?e des symboles vivants et du rythme int?rieur. On n'y trouve gu?re que l'expos? en termes scolastiques des probl?mes traditionnels, dont le d?bat semble se

poursuivre, sans autre concession pour le pr?sent qu'une certaine abondance d'all?gories ; non seulement la vie de Ficin dont on conna?t la gravit?, la puret?, les rituels

spectaculaires, mais aussi sa pens?e sont comme travesties ? l'aide de mythes de style platonicien

C'est sans doute aller trop loin que de nommer Ficin un ? th?ologien-po?te ? et de refuser toute attention ? sa

construction doctrinale 2. Il donne la traduction abstraite

et, en quelque sorte technique, des probl?mes humains, mais au lieu de leur apporter une solution th?orique nou

velle, il tend plut?t ? indiquer et ? l?gitimer les directives o? doit s'engager l'effort humain. Telle est, du moins,

l'impression que font na?tre deux th?mes fondamentaux :

celui du devenir et celui du pouvoir cr?ateur. En accord avec l'exigence humaniste, la doctrine de

Ficin est essentiellement une th?orie de l'?me : tout autre savoir est subordonn? ? cette connaissance :

? Nihil enim magis ad hominem pertinet quam quae de anima disputantur. ? Epistolarum lib. II (Opera, p. 657).

Mais la doctrine de l'?me, chez Ficin, engendre toute une

cosmologie et prend une ampleur exceptionnelle, comme on peut le voir dans les deux uvres ma?tresses et com

pl?mentaires publi?es en 1474 : la Theologia platonica et le De Christiana religione. Sa construction est plus forte

qu'on ne le dit d'ordinaire, parce qu'elle situe avec ferme' ? les diff?rents plans du savoir, sans en ?liminer aucun. Son Platon id?al d?passe mais assimile la science aristot?li cienne :

? Peripateticam vero doctrinam ad sapientiam platonicam

1 A. della Torre, Storia dell' Accademia platonica di Firenze, Florence, 1902, pp. 628 et suiv.

2 G. Toffanin, Op. cit., p. 213 ? il poeta teologo ?. L'originalit? philosophique de Ficin est mieux d?fendue par G. Saitta, La

filosofia di Marsilio Ficino, Studi filosofici, t. XV, Messine, 1923.

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esse viam compariet quisque recto consideraverit naturalia nos ad divina perducere. ? Epistofarum lib. II (Opera, p. 463

Si, dans l'ordre naturel, l'activit? est d?termin?e par l'essence, il n'en est pas de m?me pour l'?me ; elle n'est

pas situ?e ? l'avance dans la hi?rarchie des ?tres et dans le

syst?me de l'univers ; c'est elle-m?me qui fixe sa place, par l'utilisation de son pouvoir cr?ateur. Elle peut glisser au

plus haut et au plus bas de l'?chelle cosmique, selon son

d?sir, car elle est ?galement proche de tout, elle est une

possibilit? universelle :

? Naturali quodam instinctu ascendit ad supera, descendit ad infera. Et dum ?scendit inferiora non deserit, et dum des cendit, sublimia non reliquit, nam si alterutrum deserat, ad extremum alterum declinabit, neque vera erit ulterius

mundi copula. ? Theologia Platonica, III, ch. 2 (Opera, p. 119).

La loi de son d?veloppement est de se donner sa propre d?finition en apprenant ? les d?passer toutes, apr?s les avoir toutes r?alis?es. Ainsi, l'?me est toujours au carre

four de l'?tre, ayant ?ternellement en elle-m?me de quoi se satisfaire par ce qu'elle admet en elle, et de quoi s'en d?tacher :

? Homo solus in praesenti hoc vivendi habitu quiescit numquam, solus hoc loco non est contentus. ?

Theologia Pla

tonica, XIV, ch. 7 (Opera, p. 315).

On voit assez comment cette doctrine du devenir est faite

pour donner une profondeur inaccoutum?e ? l'histoire. Elle donne une validit? philosophique ? la recherche de l'unit? humaine sous les formes historiques successives.

Mais elle tourne avec force l'esprit vers l'avenir. Elle le ram?ne ? ses t?ches propres et, un si?cle avant Giordano

Bruno, la philosophie ficinienne est parfois parcourue d'une louange de la libert? absolue qui n'est pas sans

grandeur. L'homme est en quelque sorte contraint de se

faire lui-m?me. Pour faire son salut, il doit prendre appui

1 Les citations sont faites d'apr?s l'?dition de Baie, Opera..., in-fol., Basilea, 1576

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sur son centre et embrasser ainsi l'univers ; tel est le th?me du De Christiana religione. ? Mieux l'homme conna?t sa propre nature, mieux il con?oit la pure spiritualit? de son origine, plus il doit accorder au monde de valeur ? \ car le monde est le lieu de cette action cr?atrice, par o? l'homme se r?v?le comme un agent divin :

? Non minus ferme est deformia reformare, quam formare

simpliciter ab initio. ? De Christiana religione, ch. xviii (Opera, p. 22).

L'homme reprend le monde au point o? l'a laiss? Dieu ; son acte propre est l'acte m?me de Dieu, s'il ordonne toutes ses forces pour la mise en uvre n?cessaire. Au courant asc?tique et spirituel, non moins fort ? la Renais sance qu'au Moyen-Age, qui s'exprime, par exemple, dans le De contemptu mundi d'Innocent III, ou dans les trait?s

analogues de P?trarque, le c?l?bre trait? de Giannozzo

Manetti, De dignitate et excellentia hominis (1432), avait

oppos? une affirmation de confiance qui, cherchant aussi ? d?finir le pouvoir propre de l'?me, le trouvait, non dans le

repliement sur soi, mais dans les cr?ations perp?tuelle ment renouvel?es de la nature et de l'industrie humaines :

? Nostra namque hoc est humana, quoniam ab hominibus

ef?ccta, quai cernuntur : omnes domus, omnia oppida ovanes

urbes, omniaque denique orbis terrarum ardificia 2. ?

Certes, Ficin ne va pas jusqu'? l'all?gresse ?trange de

Pico, dont le discours du D?miurge dans le Dignitate hominis a. ?t? si souvent cit? depuis Burckhardt. Les th?mes du contemptus mundi, la n?cessit? d'un certain repliement de l'?me devant les r?alit?s qu'elle saisit ou qu'elle contri bue ? cr?er, sont pr?sents dans son uvre et lui donnent un accent diff?rent de celle de Pico, mais enfin l'id?e de l'excellence de l'homme lui est ?galement essentielle. Elle y est plac?e dans une perspective th?ologique, qui

1 E. Cassirer, Op. cit., p. 70. 2 Giovanni Gentile, Il concetto dell'uomo nel Rinascimento dans

Giordano Bruno e il pensiero del Rinascimento, Florence, 1920, p. 111.

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lui donne peut-?tre sa vraie valeur, du point de vue de la Renaissance 1.

La doctrine de Ficin est la projection, dans une cons

truction personnelle, des probl?mes et des exigences du

temps. Et, comme on l'a vu pour P?trarque, elle montre

d?j? le glissement vers des ?vidences nouvelles, elle embrasse et active ? la fois trop d'?l?ments pour que son

?quilibre ne soit pas aussit?t menac?. C'est ce qu'on observe dans les deux domaines de l'art et de la religion. La th?orie de l'?me-microscome, lieu du monde qui est toutes choses mais qui les d?passe toutes par la loi interne du devenir, place l'homme en face de la nature dans une

attitude double qui l'oblige ? le saisir et ? la refuser ? la

fois. Mais la m?me tension risque de se produire ? l'?gard de la religion r?v?l?e, et de ce cosmos spirituel que constitue le dogme chr?tien. La docta pietas trouve

dans l'accord de la r?v?lation avec la sagesse antique, la

preuve m?me de sa divinit?. Mais Ficin, avec la connais sance des textes grecs, pense avoir en mains de quoi r?aliser

la t?che dont P?trarque ne pouvait avoir que le pressenti ment. Il poss?de les ouvrages des platoniciens, les Herm?

tiques, et des textes religieux pa?ens qui viennent d'?tre remis ? jour. Il devient donc possible d'aller au fond du savoir antique, et c'est par ses extr?mit?s mystiques que

l'antiquit? manifestera le mieux son accord essentiel avec

la foi du Christ. Les humanistes voulaient surtout montrer comment la philosophie morale de Cic?ron et des po?tes pr?parait l'intelligence des v?rit?s chr?tiennes. Dante, d'une mani?re plus haidie, avait surtout cherch? la co?ncidence entre les f?bles antiques et les figures de l'Ancien et du Nouveau Testament. Mais, par del? la

philosophie morale, la mythologie et l'histoire, c'est Platon et les Orphiques, ce sont les religions ? myst?res que Ficin veut identifier avec la r?v?lation chr?tienne, pour saisir l'unit? de la religion humaine. Pensant achever

1 D'apr?s V. Rossi, II Quattrocento, p. 326. Ficin syst?matise,

apr?s l'intuition modeste de Giannozzo Manetti, la science de l'autonomie humaine, dont P?trarque avait eu le pressentiment anxieux.

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l' uvre des P?res, il la d?fait : si ceux-ci ont retenu du

paganisme tout ce qui pouvait en ?tre absorb?, il n'est pas n?cessaire de revenir en arri?re et de travailler ? une connaissance plus pr?cise de la foi pa?enne disparue. Et la christologie de Ficin, qui est le point d?licat de cette

construction, montre un passage trop facile de l'id?e sto?cienne de l'humanit? id?ale ? l'id?e chr?tienne du Sauveur :

? Singuli namque hominis sub una idea et in eadem specie sunt unus homo. ? Epistolaram lib. I (p. 635).

Et cet homme unique, c'est le Christ qui vit en chacun de nous. Le Christ est, pour nous, l'expression de la reli

gion universelle ; c'est le m?diateur par excel lence 1.

Il est ?galement possible de d?river de cette doctrine un approfondissement du christianisme, allant dans le sens de la R?forme, ou tout au contraire, l'id?e d'une reli

gion universelle pour laquelle le christianisme devient une sorte de symbole, ni plus ni moins ad?quat aux r?alit?s surnaturelles que les religions de l'antiquit? pa?enne. La

pens?e de Ficin pose, en tout cas, le probl?me de l'histoire des religions sous un jour d?cisif, car elle donne ? tous ses ?l?ments la plus grande intensit? ; de m?me qu'il retient les textes mystiques de Platon, Ficin va chercher dans saint Paul ses th?mes chr?tiens essentiels. Sa construc tion est faite ainsi d'un ?quilibre qui ne pourra ?tre

longtemps maintenu. En fait, c'est surtout dans la

premi?re direction que son influence s'est exerc?e. On sait

que, par Charles de Bovelle et Lefebvre d'Etaples, la Pr?r?forme fran?aise peut se rattacher ? lui2. Chez

Erasme, comme chez Ficin, la pr?occupation religieuse pr?domine sur le go?t des th?mes po?tiques et litt?raires de l'antique, ce qui indique un nouvel ?ge dans l'histoire

1 G. Saitta, Op. cit., pp. 36 et suiv. 2 A. Renaudet, Pr?r?forme et Humanisme ? Paris pendant

les premi?res guerres d'Italie (1492-1520), Paris, 1916, pp. 138 et suiv.

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de la Renaissance 1. C'est surtout chez Pico que se mani feste le mieux la crise ouverte par l'influence de Ficin.

Apr?s avoir donn? dans Y Oratio de hominis dignitate une

affirmation plus violente que celle de Ficin, de la libert? et

du devenir humains, apr?s avoir tent? dans VHeptaplus (1489) une synth?se plus compl?te que celle de son ma?tre,

par le recours ? l'occultisme de la Cabale, le jeune prince de la Renaissance renon?a ? peu pr?s ? toute autre recher

che pour s'adonner ? l'asc?se et ? la pri?re, dans un esprit finalement tr?s proche de celui de Savonarole. Et il y a une mystique ficinienne qui peut expliquer cette ?volu

tion en apparence singuli?re 2.

Mais, par sa conception de la religio communis natura

Usque 3, et par son utilisation constante des textes mys

tiques et herm?tiques de l'antiquit?, Ficin orientait aussi

les esprits vers une symbolique religieuse tout oppos?e ?

l'orthodoxie, dont on retrouve les traces au moins dans

deux directions diff?rentes. On a d?j? rappel? que certains

milieux humanistes de la fin du xve et du d?but du xvie si?cle, pr?occup?s d'herm?tisme et d'occultisme, ont

form?, sur la base de ces doctrines, l'id?e d'une ? Pan

sophie ? d?christianis?e. Et le prolongement normal de la doctrine ficinienne se trouve chez les philosophes pan th?istes de la fin du xvie si?cle, qui, comme Giordano

Bruno, ont d?velopp? sa th?orie dynamique de l'?me et la

cosmologie de l'Eros platonicien 4. C'est surtout par sa doctrine de l'amour que Ficin est

devenu cette haute figure de la Renaissance florentine, que Laurent de M?dicis et Luigi Pulci ont salu?e, l'un avec

admiration et l'autre avec ironie. C'est elle qui explique

A. Renaudet, Erasme, sa pens?e religieuse et son action

(1518-1521), Paris, 1926. Id., Etudes Erasmiennes (1521-1529), Paris, 1939. 2 W. Dress, Die Mystik des Marsilio Ficino in Arbeiten zur

Kirchengeschichte, t. 14, Leipzig, 1929. 3 L. Pusino, Ficinos und Picos religi?s

? philosophische Ans

chauungen, in Zeitschrift f?r Kirchengeschichte, t. XLIV (1925), pp. 504-543, insiste surtout sur la fondation d'une religion univer selle (p. 508). 4 E. Cassirer, Op. cit., pp. 74,103,143 et 198.

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cette pr?sence multiple des th?mes ficiniens dans l'art et dans la litt?rature de la Renaissance 1

; elle ?tait li?e ? une th?orie du beau, dont l'importance a ?t? souvent

affirm?e, mais qui a ?t? peu exploit?e pour une ?tude

pr?cise de la Florence quattrocentiste. La philosophie de Ficin est une esth?tique transform?e en th?ologie et en

cosmologie, par la tradition sp?culative ? laquelle elle reste soumise. Cette philosophie n'apporte pas de nou

velles solutions th?oriques aux probl?mes humains ; elle ne leur en cherche pas ; la r?ponse est dans l'exercice de ce pouvoir cr?ateur, qui place l'homme, ? la fois r?ti cent et combl?, devant la totalit? du monde. L'homme de Ficin est, par excellence, l'artiste qui, li? au sensible de toutes parts, y cherche l'invisible, mais en r?alisant la forme qui marque son passage et l'inscrit dans le r?el 2.

L'Eros, le d?mon de l'amour, qui est le lien int?rieur du

monde, traduit en termes de cosmologie platonicienne, ce

double mouvement 3 :

? Animus nunquam cogitur aliunde sed amore se mergit in corpus, amore se mergit e corpore. ? Theologia Platonica, XVI, ch. vu (Opera, p. 382).

Les th?mes les plus profonds de la Renaissance n'ont

jamais ?t? mieux exprim?s que par le Commentarium in convivium Platonis de amore (1469, r??dit? en 1745) qui est lui-m?me plac? dans le cadre d'un banquet n?o

platonicien et s'intitule aussi : Simposio. Mais cette esth?

tique implicite ne se lie ? aucune th?orie de l'art. La

philosophie ficinienne, tout en embrassant tous les th?mes

traditionnels, t?moigne, dans son ?quilibre singulier, d'une crise imminente, plus que d'un accord d?cisif. On y retrouve l'?cho de la th?orie ph?nom?nale de l'art qui, avec Alberti, d?finit le beau par la ^ae a, et surtout cette m?taphysique platonicienne qui en fait l'expression sensible mais toujours inad?quate de l'Id?e. La doctrine

1 E. Panofsky, The neoplatonic movement in Florence and North

Italy, dans Studies in Iconofogy, ch. v. 2 E. Cassirer, Op. cit., pp.142 et suiv. 8 G. Saitta, Op. cit.t pp. 217 et suiv.

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de Pamour explique ? la fois les mouvements ascension nels de la forme qui s'?pure, de l'?manation divine qui vient l'illuminer. Et l'on sait ce que Michel-Ange devra ? cet ordre de pens?es. L'effort philosophique de Ficin co?ncide avec une p?riode de l'art florentin qui, de 1460 ? 1490, associe un renouveau gothique aux formes renou vel?es de l'antique 1. Et cet accord est l'un des faits les

plus r?v?lateurs de l'histoire du Quattrocento florentin, mais, les peintres, apr?s Pollajuolo et Botticelli, comme la philosophie apr?s Ficin, laiss?rent s'opposer les courants

antagonistes, les inspirations divergentes qu'ils avaient un moment compos?s. Quand Vasari, pourtant h?ritier de Part florentin et disciple de Michel-Ange, placera, en t?te de la seconde ?dition des Vite (1568), une introduction

th?orique, ce sera pour donner de l'art une d?finition naturaliste et objective. La m?taphysique du beau, revenue ? la mode avec les mani?ristes, trouvera son

interpr?te dans Giovanni Lomazzo, dont le trait? : Idea del Tempio della Pittura (1590) reprend la doctrine de

l'?manation, en adaptant un chapitre de Ficin 2.

Ainsi, dans le domaine de l'art comme dans le domaine

religieux, l' uvre de Ficin, tout en offrant une synth?se achev?e, semble avoir ouvert une crise et multipli? les directions spirituelles ; elle concentre et d?veloppe avec intensit? toute sorte d'?l?ments antagonistes, mais cet effort m?me ne s'impose qu'en vertu d'un sentiment tr?s vif des devoirs cr?ateurs et du devenir humain, qui com

pl?tent, en le tournant vers le pr?sent et l'avenir, le senti ment nostalgique de l'histoire dont t?moignait un P?trar

que. Elle dresse ainsi un mythe de l'homme, qui est lui m?me envelopp? de mythes platoniciens. L? encore, la Renaissance italienne para?t bien avoir intensifi? son

r?ve, pour donner plus de force ? sa recherche univer

1 F. Antal, Gedanken zur Entwicklung der Trecento und Quattro centomalerei in Sienna und Florenz, in Jahrbuch f?r Kunstwissen

schaft, 1914-1924, pp. 207-239. 2 E. Panofsky, Idea. Ein Beitrag zur Begriffs geschickte der ?lteren Kunsttheorie. Studien der Bibliothek Warburg, V. Leipzig, 1934, chap, m et iv.

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selle ; et c'est l'antiquit? qui lui a transmis l'appareil de ses ? myst?res ? pour porter la pens?e au point o? tout

s'exasp?re et s'approfondit ? la fois.

La premi?re d?finition de la Renaissance italienne, et

les recherches de la g?n?ration suivante, ont montr? que le

probl?me devait ?tre abord? en fonction de l'art et de la

religion : religieuse par ses origines, par son ?lan particulier, la Renaissance italienne prend finalement toute sa signifi cation dans la cr?ation esth?tique. Elle exige une m?thode

qui embrasse ? la fois l'histoire des formes et l'histoire

spirituelle. Toutefois, la mise au point de la m?thode, la substitution de l'?tude pluraliste ? l'enqu?te centr?e sur une intuition globale, interdisent de donner aucun contenu a priori ? la pens?e et ? l'art de cette ?poque. La Renais sance n'est pas ce qui s'oppose au Moyen-Age, ni ce qui pr?pare l'?ge moderne. Elle n'est pas le temps h?ro?que et

d?cisif qui, en red?couvrantl'antiquit? vraie, a red?couvert l'homme et le monde. Ses traits particuliers doivent appa ra?tre un ? un. Il faut donc renoncer par avance ? cette

conception ? la fois dualiste et cyclique de l'histoire que la Renaissance a elle-m?me ?labor?e. Mais le postulat de la continuit? culturelle doit, ? son tour, ?tre d?pass?. S'il faut se garder d'adopter les perspectives historiques que la Renaissance tend ? imposer, il n'en faut pas moins tenir compte des r?ves qu'elle a si amoureusement pour suivis ; c'est en s'ef?or?ant de ressaisir dans leur mouve

ment interne les symboles m?mes dont ont v?cu les ?poques

pass?es, que la recherche peut se d?ployer ? nouveau.

Or, la conscience de l'histoire a pris une importance

primordiale ? la Renaissance. Rien ne montre mieux que

l'exemple de P?trarque comment ce sentiment nouveau ?

et peut-?tre illusoire ? de se trouver ? un carrefour des

temps, a ?t? d'une grande cons?quence. La Renaissance

italienne, comme l'Occident tout entier, au xve si?cle, a ?t? travers?e de doute et de d?sespoir. Mais elle en a tir?, par des voies assez ?tranges, une foi dans le pouvoir de

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art et religion dans la renaissance 61

Phomme, dont le passage de la m?lancolie de P?trarque au titanisme saturnien de Michel-Ange peut assez bien donner l'id?e 1. *Comme le montre l'exemple de Marsile

Ficin, un sentiment plus vif, et d'ailleurs presque enti?re ment fabuleux, de la grandeur humaine, entra?ne alors un effort de conqu?te et d'enrichissement dans toutes les directions de la technique et du savoir, au prix de toutes les contradictions apparentes. Ce go?t de la gran deur et cette intensification de la vie sont li?s ? un sens

plus fort de l'histoire, et c'est pourquoi l'antiquit? le colore d'un accent tour ? tour tragique et triomphant.

Ces deux traits ne sont que la traduction des affirma tions les plus courantes et les plus obstin?es des hommes de la Renaissance ; c'est donc en acceptant pour principe d'analyse l'image qu'ils ont donn?e d'eux-m?mes ? au lieu d'en faire un ?l?ment de d?finition ? que l'on doit r?ussir enfin ? satisfaire au v u ancien de Burckhardt, ? l'exigence de Walser, et ? aborder le programme qu'au cun d'entre eux n'a r?alis? : donner ? l'art de la Renais sance toute sa signification et mesurer sa profondeur. Mais c'est aussi articuler son ?tude sur l'?tude parall?le de la civilisation qui le porte et qu'il transfigure 2.

Andr? Chastel.

1 C'est ce que nous nous proposons de rechercher dans une th?se sur l'art du Quattrocento florentin.

2 Un essai de H.-W. Eppelsheimer, Das Renaissance-Problem, in Deutsche Vierteljahr sehr if t f. Literaturwissenschaft, XI (1933), pp. 477-500 et une ?tude de G. Weise, Der doppelte Begriff der

Renaissance, id., pp. 501-529, ont propos? une sorte de retour aux th?ses de Burckhardt et de W?lf?lin : la Renaissance italienne ne

peut ?tre comprise que du point de vue de l'art classique du xvie s.

qui est sa cr?ation sp?cifique. Cette doctrine reste la seule hypo th?se utile, ? condition de l'enrichir de toutes les critiques qui l'assouplissent et de toutes les analyses qui la compl?tent. Quant ? l'esprit de la m?thode, il s'accorde avec ce qui a ?t? pr?sent? ici, il ne s'agit pas de chercher une explication mais une interpr? tation de la Renaissance, ce qui importe, ce ne sont pas les causes,

mais le style. Dans Die Geistige Welt der Gotik und ihre Bedeutung f?r Italien, Halle a/Saale, 1939, G. Weise consid?re que l'Italie ne se distingue pas du reste de l'Occident avant la fin du xve si?cle : cette th?orie un peu syst?matique a l'avantage de ramener l'at tention sur la crise du Quattrocento.

09:49:23 AM

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L'ORIGINE DES PLACARDS DE 1534

Le texte des Placards, des fameux Placards d'octobre

1534, n'est certes pas inconnu des savants. Il n'est que d'ouvrir son Crespin pour trouver, en t?te du troisi?me livre de Y Histoire des Martyrs, le ? content ? de ces Articles v?ritables qui furent diffus?s imprudemment, ? Paris et

ailleurs, sous forme ? la fois d'affiches et de tracts. Et la France protestante a judicieusement reproduit ce texte

historique ? la fin du tome X.

Donc, ? proprement parler, ce n'est point une r?v?lation

que nous apporte la d?couverte faite par le Dr Hans

Bioesch, conservateur de la Biblioth?que de la Ville de

Berne, dans la garniture d'une vieille reliure neuch?te loise d'un exemplaire original de ce document plus cit?

que lu. Mais d'abord, cette feuille de papier, en forme de

petite affiche ? 37 cm. sur 25 ? est parlante et plaisante :

typographie dense, mais bien dispos?e ; titre en gros carac t?res gothiques faciles ? lire pour ceux que d?routait encore le romain, pour ne point parler de l'italique ; divi sions bien apparentes : un court prologue, et quatre paragraphes parfaitement ?quilibr?s par l'auteur, ? la

fois, et par un excellent typographe. De beaux blancs ; des titres arithm?tiques bien marqu?s : Premi?rement, Secondement, Tiercement, Quartement ; l'impression, ?

premi?re vue, d'un texte tr?s pes?, tr?s calcul? ? d'une

progression m?thodique et rassurante dans le raison nement. Et l'on r?ve devant la petite feuille.

On en voit des centaines, des milliers, de pareilles traversant en secret la France du roi Fran?ois, dissi

mul?es dans quelque ballot ou au fond de quelque tonneau

garni de ch?taignes pour l'apparence ; d'ailleurs, con

1 Elle habille un texte des Claudii Galeni Opera, ?d. b?loise de

Cratander, 1531.

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l'origine des placards de 1534 63

voy?es sans grands risques, sur la foi de leur origine neuch?teloise : on n'inqui?tait pas volontiers MM. des

Ligues dans le royaume ? et les habitants de la cit?

? d'OuItre Joux ? leur ?taient habituellement assimil?s 1. Voil? les pr?cieux papiers ? Paris ; les conjur?s les re?oi vent ; quelques petits paquets sont confi?s par eux ? des hommes s?rs qui les emportent ? Orl?ans, ? Blois, ? Tours ; d'aucuns m?mes iront ? Amboise o? le roi a son

ch?teau ; les placards ne l'?viteront pas, au contraire ?

et la fureur du souverain sera grande, quand il d?couvrira des tracts jusque sur son bougeoir, ou sur sa table 2... Le moment venu, ici et l?, toutes les petites affiches seront coll?es sur les murs, aux carrefours, ? m?me les portes coch?res les mieux en vue. Et les tracts seront distribu?s...

Quel ?moi, au r?veil, devant ces feuilles blanches, et

quel scandale, et quelles fureurs !

On r?ve ainsi ? et quand on a bien r?v?, on lit, ou on

relit, le texte authentique des Placards. Sur l'original, et donc avec plus d'app?tit et de curiosit? que nagu?re, dans les in-octavo gris des fr?res Haag ou les rares volumes aux caract?res camus de l'inventaire poignant de Crespin. On lit, et, naturellement, on se pose des questions.

Sur l'histoire externe du texte, sans doute. Mais le sujet n'est pas neuf, et l'original des Placards n'apporte rien

qui permette de le renouveler. Inutile de reprendre l'ar ticle de Bourrilly et de Nathanael Weiss, qui parut en

avril 1904 dans le Bulletin de la Soci?t? d'Histoire du Pro testantisme fran?ais : c'est toujours l'article de fond.

Cependant, il semble bien que ce soit la question de

provenance, ou plus exactement de paternit?, que se

soient pos?s les premiers b?n?ficiaires de la trouvaille ber noise. Qu'on se procure

? si on y parvient, ? Paris, dans

1 Cf. Arthur Piaget et Gabrielle Berthoud, Notes sur le livre des

Martyrs, Neuch?tel, pubi, de l'Universit?, 1930, p. 242, n. 2. 2 Sur cette diffusion, voir le r?cit fondamental de Crespin,

Martyrs, ?d. 1597, fol. 105.

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64 LUCIEN FEBVRE

ces temps d'extr?me mis?re (combien de si?cles faut-il

remonter en arri?re pour en retrouver d'aussi p?nibles, et, s'agissant du labeur intellectuel, d'aussi barbares ?)

?

qu'on se procure le fascicule 4, nov.-d?cembre 1943, du

Mus?e Neuch?telois (vaillante petite revue que connaissent

bien les historiens de Farei et des Montagnes Jurassiennes

en territoire suisse) ; on y trouvera un bon article du

Dr Hans Bioesch lui-m?me sur le document qu'il a d?cou

vert et qu'il nous autorise aimablement ? reproduire (ce dont nous lui exprimons notre sinc?re reconnaissance) et

un non moins bon article de Mlle Gabrielle Berthoud qui,

depuis longtemps, pr?pare une th?se sur Antoine Mar

court. Or Marcourt, parmi les ? mal sentans ? capables d'avoir r?dig? les placards

? Marcourt est depuis long temps le grand favori ; mais Viret ne l'a-t-il point aid? ?

Arthur Piaget inclinait ? le croire dans Y Introduction, si

riche de nouveaut?s, dont il faisait pr?c?der, en 1928, la

publication, par ses soins, des Proc?s-verbaux de a Dispute de Lausanne 1. Et Mlle Berthoud, diff?rant sur ce point d'avis avec son ma?tre, ?carte la collaboration de Viret...

Tout cela, faut-il dire ma pens?e ? ? sans grande impor tance au fond.

Les placards, sans contest?t on possible, ont ?t? r?dig?s et imprim?s ? Neuch?tel. Ce sont les presses fameuses de

Pierre de Vingle dit Pirot Picard, le glorieux imprimeur de la Bible d'Oliv?tan, qui s'en charg?rent 2. Que Marcourt

ait fait le gros travail, point de doute non plus 3. Mais qu'il ait fait ce travail, ? rigoureusement parler, ? tout seul ? ?

c'est-?-dire sans en rien communiquer ? personne, sans

mettre personne dans le secret, sans s'aider tout au moins

des conseils de personne : voil? qui est peu probable, encore que possible

? mais nous n'en saurons jamais rien

? moins d'une trouvaille impr?vue, d'une affirmation

1 Les Actes de la Dispute de Lausanne, p. p. A. Piaget, Neu

ch?tel, pubi, de l'Universit?, 1928, Avant-propos, pp. xix sqq. 2 j^lle Berthoud l'?tablit d?finitivement dans le fase, cit? du

Mus?e neuch?lelois. 3

Herminjard l'a d?j? montr? au t. III de sa Correspondance des

r?formateurs, pp. 225, n. 4 et 236, n. 8.

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l'origine des placards de 1534 65

cat?gorique des int?ress?s, ou de l'int?ress? tout court. Vaut-il la peine, d?s lors, de tant ?piloguer sur le cas ? Je crois que Marcourt a tenu la plume. Et, j'ajoute, mani? les ciseaux, puisque, s'il avait eu un contrat lui interdisant ? d'incorporer au texte de son nouvel ?crit tout ou fraction d'un ?crit ant?rieurement publi?, quel qu'en soit l'au teur ? ? il eut ?t? en faute, largement Mais saurons nous jamais si Farei, ou Viret, ou quelque autre encore, n'a pas ?t? dans la confidence ? s'il n'a pas lu le texte en

manuscrit, sugg?r? quelques corrections, propos? quelque formule, conseill? quelque changement ? Je l'ai dit ailleurs : le petit groupe des Neuch?telois de ce temps (dont beaucoup ?taient tout nouveaux sur les rives du Seyon), ce petit groupe formait incontestablement un ? milieu ?. Il avait ses proc?d?s de propagande : les placards en ?taient un, et il n'y avait pas si longtemps que Farei en avait fait placarder de virulents, par toute la ville. Il avait aussi ses habitudes de style, ses habitudes collectives de plume, ses th?mes favoris d'attaque et de d?fense ?

tout, jusqu'? son vocabulaire. Chacun servait la cause avec son temp?rament ; chacun se portait au point qui lui semblait le plus menac?, ou, au contraire, le plus com

mode pour l'assaut ; mais tous mettaient en commun leurs id?es, leurs formules, leurs soucis surtout... Les

Placards sortent de ce milieu neuch?telois. Ils en portent la marque. Ce qui n'emp?che pas le bon Marcourt d'en ?tre l'auteur, d'en assumer la responsabilit? paternelle. Au contraire.

Le bon Marcourt 2 ? mais ?tait-il bon ? Ici, encore,

grand d?bat susceptible ou non de solution, c'est l? la

1 Beaucoup de passages des Articles sont textuellement extraits

du Petit traict? de l'Eucharistie, d'autres proviennent de la D?cla ration.

2 Voir sur lui, outre Piaget, d?j? cit? (pp. xix sqq.), Vuilleumier, Histoire de l'Eglise r?form?e du pays de Vaud, 1.1, pp. 451 sqq. et aussi le Guillaume Farei collectif de 1930.

5

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66 LUCIEN FEBVRE

question. Marcourt, nous commen?ons ? conna?tre ce

Lyonnais, qui devint, en 1531, le premier pasteur de Neu

ch?tel. On le retrouve, en 1536, ? la dispute de Lausanne :

il en est un des principaux orateurs. En 1538, apr?s le

d?part de Calvin et de Farei, le gouvernement de Gen?ve le charge d'une t?che ingrate

? qu'il accepte celle de

remplacer, pour une part, les deux exclus. Tout ceci

indique un homme connu et estim?. De fait, Marcourt est savant pasteur, habile ?crivain, pol?miste exerc?. Il a

remport? un gros succ?s en 1533, avec son curieux Livre des Marchans, fort utile ? toutes gens qu'il signe d'abord d'un pseudonyme assez curieux, celui de ? Pantopole,

prochain voysin du seigneur Pantagruel ?1 : les mar

chands, inutile de dire que ce sont ceux du Temple et

qu'ils vont de l'humble cur? de campagne jusqu'au ? grand

chapelier de Rome ?. Le livre eut des lecteurs et de nom

breuses ?ditions. Dans sa fameuse Notice bibliographique sur le Cat?chisme de Calvin (Gen?ve, 1876, p. cciv sqq.), Th?ophile Dufour attribuait ?galement ? Marcourt les

Confessions de Maistre No?l B?da : on ne pr?te qu'aux riches. En tout cas, sans constestation possible, il est

l'auteur en 1534 de deux ouvrages sur la Messe, qui le montrent en pleine activit? th?ologique 2, et tr?s sp?ciale ment curieux des divergences qui mettent aux prises les

th?ologiens sur le grave probl?me de la C?ne, pour parler le langage de la R?forme, ou de l'Eucharistie, pour conserver celui des Catholiques. Or, les Placards traitent de la Messe. Et ils sont bourr?s de passages emprunt?s par leur r?dacteur aux ouvrages de Marcourt sur la

question... Habemus confitentem reum.

L?-dessus donc, probl?me : le Marcourt des Placards, ?tait-ce un violent, ou un ir?nique ? Violent, ceux-l? le

proclament tel qui d?plorent l'aggressive brutalit? du

document, son style tranchant et foudroyant ; et ils ne

manquent point de rappeler que Calvin, Farei et Viret,

1 Sur cet ouvrage, cf. Lucien Febvre, Le Probl?me de l'incroyance au XVIe si?cle, la religion de Rabelais, Paris, 1924, p. 109.

2 Sur leur date respective de publication, cf. Y Avant-propos d?j? cit? de A. Piaget, pp. xin sqq.

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l'origine des placards de 1534 67

entre eux, appelaient volontiers leur coll?gue le Belli

queux, le Martial, Mavortius. Mais, voici qu'Arthur Piaget vient troubler ce concert. Il apporte un texte, un

certificat d?livr? ? Marcourt1. C'?tait un homme de paix, un mod?r?, tout le contraire d'un fanatique enrag?. Cette

psychologie pourrait sembler aventureuse, ou d?nu?e d'int?r?t si elle ne r?agissait pas, ? sa fa?on, sur la concep tion que nous pouvons nous faire de l'Affaire m?me des Placards. Des ?vilains placards? comme les appelle Mar

guerite. Aggression brutale d'un forcen? ? Il nous faut alors un Marcourt fils de Mars. Illumination d'un homme

qui, ayant trouv? la v?ritable solution du probl?me eucharistique, r?pond en la faisant conna?tre, ? l'appel de sa conscience, tout ? la fois, et d'Ez?chiel : ? Si tu ne annonces ? l'inique qu'il se convertisse de son mal, je requerray son sang de sa main ? 2. Marcourt a conquis sa v?rit?. Il n'entend pas la garder pour lui. Quoiqu'il arrive, il la publiera. Il sera ? l' il ? l'?vangile ?. Il lib?rera, en frappant un grand coup, tous les mis?rables esclaves de l'erreur... On peut, alors, accepter le Marcourt homme de

paix que nous pr?sente Arthur Piaget. En clamant la

v?rit?, il ne cesse point, ? son sens, d'?tre ce qu'il doit

?tre, l'annonciateur de la vraie doctrine. Mais ceci encore est secondaire. Question de ton ? et on

a pris, en effet, l'habitude d'attribuer ? leur violence

verbale, uniquement, le d?sastreux effet que produisirent les placards. Une suite d'insultes, dit sans plus Imbart de La Tour 3 et il en donne quelques ?chantillons. Mais s'agit

1 Op. cit., p. xviii : ce sont les quatre Ministraux de Neuch?tel

eux-m?mes qui saluent en Marcourt un ? homme de paix, d'honneur et de bon savoir, d?sirant et procurant ? son povoir la paix et la

tranquillit? publique ?. Ceci, apr?s huit ans de s?jour de Marcourt ? Neuch?tel.

* Ez?ch. III, 18. Piaget, p. xxi. 8

Origines de la R?/orme, t. III, l'Evang?lisme, p. 554. Je ne puis que tenir pour un roman la fa?on dont Imbart de La Tour (p. 553) interpr?te l'affaire des placards : haine implacable des Farellistes contre l'ancien culte. A tout prix, il fallait emp?cher un accord de i'?tablir entre les r?formistes fran?ais et les luth?riens mod?r?s.

Donc, ? r?veiller par une provocation retentissante les querelles religieuses qui s'assoupissaient ?. Insulter aux croyances du roi et

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68 LUCIEN FEB VRE

il vraiment d'insultes ? Certes, le ton est rude. Surtout au

quatri?me paragraphe, quand l'auteur d?crit, en termes

v?h?ments, le d?tournement commis par les pr?tres, le

temps par eux ? occup? en sonneries, urlements, chan

teries, c?r?monies, luminaires, encensemens, desguise mens et telles manieres de singeries ? ? les pr?tres, ces

loups ravissants, bons pour manger, rogner et d?vorer le

pauvre monde... ? N'allons tout de m?me pas exag?rer. Cette violence verbale n'?tait pas faite pour soulever tant d'?moi en un temps, en un si?cle qui n'avait rien, certes, de

puritain dans ses propos, ni d'acad?mique dans ses d?bats ? m?me diplomatiques : rappelons-nous ce jour o? Duprat, l'Auvergnat chancelier de Fran?ois Ier, ayant ?prouv? au cours de n?gociations le besoin de parier je ne sais quoi sur sa t?te, son partenaire, le chancelier imp?rial Gattinara ? ce remarquable diplomate qui mourut dans la pourpre

? lui r?pondit tranquillement : ? J'aimerais mieux une t?te de cochon que la vostre, elle seroit meil leure ? manger ? 1. Et cette crudit? grossi?re n'entame en rien le renom de politesse et d'?l?gance du noble magis trat qui ne la trouvait point d?plac?e dans sa bouche. Tous ceux ? qui dient la messe ?, des larrons, des paillards, des bourreaux, des brigands ? Menues figures de rh?to

rique cic?ronienne. Gentillesse de style et de plume. Je doute qu'elles aient pu ?mouvoir beaucoup les ? gros enchaperonn?s ? qui en prirent connaissance, un matin

d'octobre, dans les rues de Paris. D?j? vu, d?j? entendu. Si les placards ont fait l'effet qu'ils firent ? ce n'est point leur style qu'il faut incriminer, le style violent, et d'ailleurs

?loquent, du quatri?me paragraphe. H y a autre chose. Cherchons.

de la nation. Ramener du m?me coup l'?re des supplices. ? Qu'im

porte, si on jette entre les n?gociateurs les corps sanglants des victimes. ? Tout ceci semble bien appuy?. L'affichage des placards ne fut certes pas un geste ir?nique. Je doute qu'il ait ?t? la suite, la

cons?quence du froid calcul que nous d?crit (sur quelles preuves ?) Imbart de La Tour.

1 Cf. Max Bruchet, Marguerite d'Autriche, duchesse de Savoie, p. 49.

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? tf? eut bcf?frtff pitneea (t ro^o/ mare?aue ? fe tannn,? tout re que on pr?ft fou ?um ou Stf. pat irrffr tf; Suirnt f?ne foiiev- tVi nonf r fotn0 bc faire ttf?'bcfluSiereneo?e momo/que Soutt 5 Sona pittaci ne (e fault bone efniaueiffcr fr foc? finiti; fa luaiuitVunft ifuiiriit ifiO'itfTotr \ .offlruiffnt tf>?eurf rtffrnf ?emme 6?0ano. ouo reulV qtu a ml y :ou(re5ifenf ear <v 11 (?ofe il\ noni pfuu q?r fa f otre 5Dentc feur fauff/ tocrife fe#

infnajle/?fritffeifuytetpourr^fJe/lDfnff fro r fpouuau?c.par fajiift?V 0Mfftn turn? ft ront ?rfh titt t *>. fiat,fiar, ?inirn.

Sel.

09:49:28 AM

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l'origine des placards de 1534 69

* *

? Je invoeque le ciel et la terre, en testnoignage de v?rit?, contre ceste pompeuse et orgueilleuse messe papalle, par

laquelle le monde (si Dieu bien tost n'y remedie) est et sera totallement ruin?, abysm?, perdu et d?sol? : quand en icelle Nostre Seigneur est si oultrageusement blasph?m?, et le peuple s?duict et aveugl? : ce que plus on ne doibt souffrir ny endu rer... ?

Par cette v?h?mente invocation, par cette attaque frontale contre la Messe d?butent les placards de 1534. Contre la messe^ consid?r?e par l'auteur des affiches comme la ma?tresse pi?ce de l'armature catholique, le r?duit v?ritable de la d?fense papale, le donjon ? emporter d'abord et sans d?lai : apr?s quoi, lui par terre, tout

s'effondrera, et la victoire sera acquise. Et voil? qui est

bien fait pour ?mouvoir. Car il ne s'agit plus ici de dis

putes nuanc?es. De plus ou de moins, comme pr?c?dem ment. Les uvres ou la foi ? On pouvait transiger. La

justification ? On pouvait moyenner, n?gocier un de ces

compromis qui ?vitent, ou du moins retardent le pire. On, qui on ? Les extr?mistes ? Ceux qui, d?s le d?but, se portant ? la pointe extr?me du combat, ont accept? la

rupture, le schisme ? ? Non, mais ceux qui, touch?s, s?duits par certains arguments ne refusent pas, bien au contraire, d'envisager la possibilit? de r?adapter le

dogme aux conditions et aux n?cessit?s intellectuelles d'une ?poque qui se consid?re elle-m?me comme r?volu tionnaire : ceci tout en ?vitant l? rupture d?cisive, et la

guerre : la guerre religieuse, cette quintessence de guerre civile ? plus charg?e peut-?tre de fanatisme et de haine

que toutes les autres guerres. La Messe, combien de chr?tiens peu instruits ne

voyaient-ils encore en elle qu'une c?r?monie qu'il n'y avait pas ? discuter ; une c?r?monie ? laquelle ?tait

requise, imp?rieusement, la pr?sence des fid?les ; une

c?r?monie bienfaisante et traditionnelle dont les m?rites et les vertus ne se comptaient pas. La messe, c'?tait

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chaque dimanche, ? l'?glise o? le pr?tre renouvelait le sacrifice de J?sus-Christ, une sorte de revue g?n?rale des

membres de la paroisse ? des plus pauvres, qui restaient

debout, pr?s de la porte, humblement, jusqu'aux riches, aux gros, qui se poussaienkaux premiers rangs : ?gaux tous devant Dieu, devant la doctrine ; mais elle le disait par la bouche de messire Jean, de messire Pierre, le cur? ?

le cur? que, chaque dimanche, dans chaque village, on

pouvait voir, rev?tu de ses ornements sacerdotaux, ? la

porte de son ?glise, attendant patiemment, humblement la venue du Seigneur qui tous les jours l'employait ? de

menus travaux de jardinage ou de culture : le Seigneur, non pas le Divin Ma?tre, mais le hobereau de village qui finissait enfin par para?tre, ? son heure, escort? de ses

chiens aboyants et bondissants, suivi de Madame sa

femme dans ses beaux atours, et de Messieurs ses enfants avec les valets et les servantes du ch?teau : tout ce monde

gagnait tranquillement sa place au premier rang ; le cur? l'encensait ? et dans la maison de Dieu, la hi?rarchie sociale se r?tablissait : elle parlait plus haut que la voix du cur?, s'il lui avait plu de commenter en chaire, avec

quelque vigueur, un dangereux verset du sermon sur la

Montagne.

La Messe ? Voil? que des hommes violents, tendus,

intr?pides, osaient l'attaquer ? fond. Un sacrifice, disaient

ils, un sacrifice, la Messe ? Mais quel ? Certes, Notre

Seigneur a bien vraiment b?ill? son corps, son ?me, son

sang, sa vie en sacrifice, pour notre sanctification ? nous

pauvres p?cheurs. Mais ce sacrifice pl?nier, comment

pourrait-il et par qui ?tre renouvel? ? Pr?tendre le

r?it?rer, ne serait-ce point tenir, par un ex?crable blas

ph?me, le sacrifice de J?sus pour inefficace, insuffisant,

imparfait ? Que font cependant les pr?tres catholiques, ces ? miserables sacrificateurs ? dont la terre est remplie ; que font-ils dans leur messe et par leur messe, sinon de se

compter comme s'ils ?taient, les malheureux, ? nos r?demp

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teurs ?, les suppl?ants de J?sus ou de ses compagnons ?

Or, voici YEp?tre aux H?breux. Ouvrons et lisons (VII, 26) : ? Il estoit convenable que nous eussions ung evesque sainct, innocent et sans macule ?

lequel n'a point n?ces sit? de offrir tous les jours sacrifices ? car il a faict ce en se offrant une foys ?. Une fois, dit l'?p?tre

? c'est-?-dire

Dieu, qui nous parle par la voix de son r?dacteur. Une

fois, et non des quantit?s illimit?es de fois... Continuons (IX, n) : ? Christ, evesque des biens ?

advenir, par son propre sang est entr? une foys ?s sanc

tuaires ?. Une fois, dit ? nouveau YEp?tre, une fois qui suffit pour notre r?demption ?ternelle : donc, point besoin de sacrificateurs ; tol?rer leurs pratiques, c'est ? renoncer

? la mort de J?sus-Christ ?. Et encore (X, 5) : ? Nous sommes sanctifiez par l'obla

tion, une foys faicte, du corps de Christ ?. Une fois encore, une fois toujours.

Ainsi, l'argumentation de saint Paul est ? invincible ?.

De saint Paul, ? qui l'auteur des placards (plus g?n?reux en cela que Martin Luther) n'h?site point ? donner

YEp?tre aux H?breux ? cette ?p?tre anonyme, cit?e pour la premi?re fois dans la premi?re ?p?tre de Cl?ment de Rome et qui ne provient certes pas de l'ap?tre des Gentils. On sait ce qu'elle constitue : un parall?le entre la nouvelle et l'ancienne Alliance ?

celle-ci, seulement, bien inf? rieure ? celle-l?. Car, sous l'ancienne Loi, les pr?tres devaient sans cesse recommencer les sacrifices pour leur

imperfection ; mais celui que, dans la nouvelle Loi, offrit

J?sus, fut le sacrifice vraiment parfait ; et s'il fut tel, s'il demeure tel, pourquoi le renouveler ?

Argumentation redoutablement logique et simple. Pau

linienne, non pas. Car elle laissait de c?t? toute r?f?rence ? l'id?e fondamentale de l'Ap?tre, ? sa notion de la Foi, cette communion personnelle du croyant avec la mort et

la r?surrection du Sauveur : cette Foi qui s'oppose exacte ment ? la Loi. Et bien que YEp?tre aux H?breux proclame,

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elle aussi, la d?ch?ance de la loi mosa?que ? comme la

foi dont elle parle n'est qu'une simple conviction de l'en

tendement, elle n'am?ne point cependant ? consid?rer la Nouvelle Alliance comme fondamentalement diff?rente de l'Ancienne. Tout se passe sur le plan du sacrifice et de la

sacrificature, sur l'opposition du sacrifice (et de la sacrifi

cature) l?vitique ? un sacrifice chr?tien (et ? la sacrifi cature chr?tienne). Or, ne point se r?f?rer ? la notion

paulinienne de la Foi, en France ou du moins dans un texte fait pour toucher la France en 1534 ; ne point se r?f?rer ? cette notion qu'avaient saisi avidement, pour en nourrir leur pi?t?, non seulement Luther mais (je l'ai dit ailleurs)1 tous les hommes, toutes les femmes qui, chez nous, en

France, cherchaient une source vive qui les r?g?n?r?t ; b?tir au contraire toute une argumentation anticatholique, vivement et violemment anticatholique, sur les th?mes

juda?ques que d?veloppait VEp?tre aux H?breux ? c'?tait

imprimer aux esprits en qu?te de nourriture religieuse plus efficace, un beau changement d'orientation. Et qui pouvait mener loin ? si, dans la th?ologie de VEp?tre aux H?breux, on cherchait autre chose qu'un moyen d'ar

gumenter contre la doctrine ? papale ? : car la r?demption, pour l'auteur de VEp?tre, la r?demption reste un acte

presque ext?rieur, un acte qui se passe hors de l'individu ? d'un individu dont il n'est dit nulle part qu'il se l'appro prie de mani?re active, de fa?on ? tuer en lui le vieil

homme, ? faire na?tre en lui l'homme nouveau. Et donc, s'attacher ? de telles conceptions, c'?tait faire un pas en arri?re ? adopter une conception de la satisfaction

moins spiritualiste, moins ?vang?lique, plus ? juda?que ?

au sens que les ?mes religieuses du xvie si?cle donnaient ? ce mot. Et c'?tait, dans le christianisme en voie de r?novation qu'adoptaient tant d'hommes, tant de femmes d?vor?s d'inqui?tudes

? c'?tait introduire une recharge de ce mosa?sme, de ce l?galisme mosa?que qu'Erasme comme Luther, que Le F?vre d'Etaples comme Margue

1 Lucien Febvre, Autour de l'Heptam?ron, Paris, Gallimard, 1944^ p. 100 sqq.

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rite de Navarre rejetaient, repoussaient de toutes les forces de leur ?me croyante, avide de nourriture et

d?go?t?e de formalisme.

Voil? ce qu'il y avait, essentiellement, de neuf et de redoutable dans les Placards de 1534. Et si l'on veut s'en rendre un compte bien exact, qu'on relise, dans la Som maire et briefve declaration d'aulcuns lieux fort n?cessaires a ung chascun chrestien telle qu'elle parut ? ? Turin, l'an de gr?ce 1525 ?, le chapitre intitul? De la messe 1. Comme il semblera innocent aupr?s des placards de Marcourt ? Car Farei, tout Farei qu'il est, Farei le v?h?ment et le

cat?gorique, s'il oppose, en 1525, la messe ? la Sainte table de Nostre Seigneur

? c'est essentiellement pour des raisons que nous serions tent?s d'appeler sociologi ques. La messe, dit-il, ? est pour donner ? entendre la

grosse diff?rence entre les prebstres et le peuple ? ? tandis

que la Sainte Bible ? est pour entendre que tous sommes

ung ?, tous, riches et pauvres, indigents ou combl?s de richesses : ? car nous, qui mangeons d'un mesme pain et beuvons d'ung mesme calice sommes tous ung corps ?. Ce qu'institue le bouillant pr?dicateur, c'est d'abord, c'est essentiellement le proc?s d'une ?glise avide, dure aux veuves, aux orphelins, aux pauvres membres de J?sus.

Et sans doute, il en vint bien finalement ? constater ? qu'en la messe, au lieu de rendre gr?ces ? Dieu pour nos tre r?demption, le prebstre avec les assistans offrent pain et vin pour leur r?demption et leur salut ? ? ceci, exacte ment comme ? si le sacrifice de J?sus estoit insuffisant, sans pleine efficace, semblable ? ceulx de Moyse ?. Mais, entre ces remarques formul?es ? mi-voix, et la clameur virulente des placards, quel chemin parcouru ? et je dirais volontiers, quel d?tournement ? ou, si l'on pr?f?re, quel mouvement tournant plus qu'amorc? ?

1 Reproduction en fac-simil? par Arthur Piaget, Paris, Droz,

1935, fol. de sqq.

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La d?couverte du Dr Bloesch nous am?ne utilement ? relire ce texte avec des yeux nouveaux. Non, l'importance des placards ne se mesure pas ? la brutalit? de quelques injures. Ce n'est pas leur violence verbale qui put ?mou voir aussi profond?ment le roi Fran?ois et ses contempo rains. Ce fut l'image, brusquement dress?e devant eux

par un homme sinc?re, beaucoup moins machiav?lique dans ses desseins qu'on ne veut sans doute le dire, mais d'une autre texture morale et sentimentale, d'une autre

exigence logicienne que ses pr?d?cesseurs ? d'un

homme sensible plus qu'eux aux r?sonances de VEp?tre aux H?breux et moins sans doute ? celles de VEp?tre aux

Romains : ce fut cette conversion par lui (et par d'autres en ce temps) imprim?e au mouvement d'attaque dirig? contre la foi romaine, qui troubla, qui souleva, qui r?volta finalement des hommes, des femmes unis pour la premi?re fois, avec cette brutalit?, devant la r?alit? monstrueuse du schisme.

Cette brutalit? ?loquente. Car relisez la fin du quatri?me alin?a des Placards. Elle est d'une belle inspiration, et d'une belle tenue. Elle t?moignerait en faveur de Marcourt

?crivain, s'il y avait l? artifice d'?criture plut?t que lib? ration spontan?e du c ur :

? Par ceste messe, ilz ont tout empoign?, tout destruiet, tout englouty ; ilz ont d?sh?rit? princes et roys, marchans, seigneurs et tout ce que on peult dire, soit mort ou vif. Par

icelle, ilz vivent sans soucy ; ilz n'ont besoing de faire rien, d'estudier encore moins : que voulez-vous plus ? Il ne se fault

donc esmerveiller se bien fort ilz la maintiennent ; ilz tuent, ilz bruslent, ilz destruisent, ilz meurtrissent comme brigans tous ceulx qui ? eulx contredisent ? car aultre chose ilz n'ont

plus que la force. V?rit? leur fault. V?rit? les menasse. V?rit? les suyt et pourchasse. V?rit? les espouvante. Par laquelle briefvement seront destruictz. Fiat, fiat, amen ! ?

Cet ?lan r?volutionnaire est beau. Terrifiant aussi.

Qu'il ait paru tel au roi Fran?ois et ? son entourage, quoi d'?tonnant? Dirig?, tendu contre la messe, il r?v?lait aux

catholiques eux-m?mes la place qu'elle occupait dans l'?difice de leur religion. Et aux novateurs, il d?signait du

doigt un objectif de choix ? un objectif ? atteindre par

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des voies nouvelles. C'?tait le m?me paysage qu'avant, si l'on veut. Mais des feux nouveaux l'?clairaient d'une lumi?re impitoyable qui ne laissait rien dans l'ombre. Pour s'en trouver brusquement mal ? l'aise, il n'y avait

pas sans doute que les protonotaires de cour et autres Nicod?mistes. Combien d'?mes sinc?res, d?rout?es, durent se sentir troubl?es jusqu'au fond d'elles-m?mes ?

Texte int?ressant, oui, et texte riche. Tout plein de r?sonances neuves. En veut-on quelques-unes ? ? Jamais un v?ritable corps n'est en un seul lieu pour une fois ?, affirmation qui cl?t, au second paragraphe, toute une vive discussion sur la pr?sence r?elle. ? V?rit? leur fault, v?rit? les menasse, V?rit? les suyt et pourchasse... ? Ana th?me du quatri?me paragraphe. Mais au xvie si?cle,

qu'un corps puisse ?tre en plusieurs lieux ? la fois ? j'ai montr? ailleurs1, je crois, que de bons esprits ne reculaient

pas devant cette conclusion. Et qu'il y ait ? ?crire une histoire de la v?rit?, qui serait une belle histoire, et riche, et singuli?rement instructive : point de doute. Les pla cards de 1534 nous montrent, sur ces deux points, com

ment la R?forme (s'agissant de Marcourt et de son ?crit

v?h?ment, on ne peut sans remord employer ce mot) ? les

placards nous montrent comment la R?forme, qu'elle le voulut ou non, s'est trouv?e servir la cause de ce qu'on peut nommer la raison moderne. Pour des motifs ? elle, sans doute. Qu'importe ? Le r?sultat est l? ; Marcourt et ses ?mules l'ont servi de leur mieux. Ce texte v?h?ment

est, en m?me temps, un texte riche de promesses. Belle

image, ainsi, de ce trouble xvie si?cle, sauvage et tendre ? la fois, moderne et primitif.

Lucien Febvre.

1 Lucien Febvre, Le probl?me de l'incroyance au XVIe s., la

religion de Rabelais, Paris, Albin Michel, 1943, pp. 474-75.

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LA NAVIGABILIT? DE LA VILAINE AU XVle SI?CLE

Si Fran?ois Ier passe, ? tort ou ? raison, pour le pro tecteur des lettres et des arts, on ignore en g?n?ral qu'il envisagea l'ex?cution de ce que nous sommes convenus

d'appeler ? les grands travaux ?, qui ne tendaient ? rien moins qu'? exploiter les ressources encore mal connues du royaume, ? rendre le commerce plus florissant et ? enrichir ses sujets. Malheureusement, l'imp?ritie des

ing?nieurs, le go?t du lucre et la rapine des gouverneurs de

province, la m?fiance des ignorants, enfin et surtout

l'?go?sme forcen? des int?r?ts priv?s, ralentirent la r?alisa tion des divers projets que des esprits novateurs avaient

sugg?r?s et pour lesquels ils avaient obtenu l'approba tion royale. Les troubles qui, d?s le milieu du xvie si?cle, r?sult?rent des luttes religieuses, mirent rapidement fin ? ces tentatives. Il fallut attendre une ?poque plus calme et le sens administratif et ?conomique d'un Sully pour que de tels projets pussent ?tre ? nouveau envisag?s.

Parmi les divers travaux projet?s au temps de Fran

?ois Ier, figurent l'am?nagement et la canalisation d'un certain nombre de rivi?res. Plusieurs d'entre elles avaient ?t? canalis?es d?s les premi?res ann?es du r?gne. La

Mayenne, notamment, avait ?t? rendue navigable au dessus de Ch?teau-Gontier et jusqu'? Laval. ? La com munaut? de Rennes voulut faire entreprendre un sem

blable travail sur la Vilaine, esp?rant rendre par l? le commerce de la ville plus actif. C'?tait en 1528 ?, affirme Dareste *, en 1532 pr?tend Levot 2. Il nous a ?t? impos

1 Dareste, Notice historique sur la communaut? de la ville de

Rennes, Bibl. de l'Ecole des Chartes, IIe s?rie, t. I (1844), p. 522. L'auteur analyse un ms. conserv? ? la Bibl. de Rennes, r?dig? dans les premi?res ann?es du r?gne de Louis XV par Gilles de

Languedoc, greffier de la communaut?. 2 Levot (P.), Pr?cis sur la canalisation de la Bretagne, dans l'An

nuaire de Brest et du Finist?re, 1845, p. 95.

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sible de fixer la date exacte qui situerait l'origine du projet. Mais un fait est certain : le roi, qui s'int?ressait parti culi?rement ? la Bretagne, province r?cemment rattach?e ? la Couronne , signe ? Chantilly, en ao?t 1539, des lettres

patentes qui donnent toutes facilit?s aux habitants de la

capitale du duch? pour entreprendre les premiers travaux de canalisation. Voici les principaux passages de ce texte 1 :

? Comme nostre ville et cit? de Rennes soit premi?re, principalle et cappitale de nosdits pais et duch? de Bretaigne, en laquelle affluent par chacun jour grant nombre de gens tant noz subjectz que estrangers, tant pour le faict de la justice, traflicque et exercices des marchandises que autrement, savoir

faisons que npus, desirans pour notre temps l'augmentation et decoration de nostredicte ville et cit? de Rennes, dont il soit memoire ? perp?tuit?, aussi pour le bien, prof?ict, utillit? et commodit? de nous et de la chose publicque, consid?rons que la riviere de Villaigne passe partie par le milieu de ladicte ville de Rennes et l'autre partie par les fossez de ladicte ville et que par le rapport des gens de justice et en ce cognoissans que avons faict veoir en nostre conseil, facillement elle peut estre apropri?e ? faire navigable et porter gros basteaulx, personnes, biens, denr?es et marchandises jusques au lieu

appel? Le gu? Nostre Dame au dessoubz du lieu et bourgade de Messac, distant dudict lieu de Rennes de six ? sept lieues et

par ce moien pourront les grans basteaulx chargez descendre et monter de ladicte ville de Rennes jusques ? Redon, auquel lieu flue et reflue la grant mer, lequel navigaige tournera au grant bien, prof?ict et commodit? non seullement des manans et habitans de ladicte ville et cit? de Rennes et pais circon voisins, mais generallement de toutes les provinces de nosdicts

pais et duch? de Bretaigne. ?

Les frais, d'apr?s gens experts, furent estim?s ? vingt quatre mille livres tournois ou environ.

? Avons diet, d?clair?, statu? et ordonn? et par ces pr?sentes disons, d?clairons, ordonnons, voulions et nous plaist de nostre

certaine science, plaine puissance et autorit? royal que ladicte rivi?re de Villaigne soit faict navigable depuis nostredicte ville et cit? de Rennes jusques audict lieu appel? Legu? de Nostre Dame au dessoubz de Messac au meilleur ordre et

1 Archives nationales, JJ. 254, n? 323, fol. 61.

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78 LUCIEN SCHELER

appropriement, au bien, proffict, utillit? et commodit? de nous et de la chose publicque et dedans le plus brief temps que faire ce pourra et que toutes choses empechens ladicte cons

truction et appropriement audict navigaige soient ost?es incontinent et sans delay, en recompansant les int?ressez, s'aucuns en y a leurs interestz et dommaiges. Pour fournir aux fraiz et mises desdictes construction et recompenses les

habitans de ladicte ville et faulxbourgs de Rennes et lieux circonvoisins non contributifz ? nos fouaiges et tailles seront tenus fournir la somme de six mille livres tournois, laquelle somme sera taux?e et egall?e sur tous lesdicts habitans de ladicte ville, cit? et faulxbourgs de Rennes et lieux circon voisins sur les personnes et demeurantes ? l'aferant de ce que chacun pourra porter, soient exemptz ou non exemptz, par le

senechal et allou? et lieutenant de Rennes ou Tung d'eulx avec deux ou troys autres bons personnaiges de loyault? et expe

rience, Tung d'?glise, l'autre de noblesse et l'autre du tiers est?t, le plus isnellement1 et egallement que faire ce pourra, le fort

portant le foible, et le reste montant dix huit mil livres tour nois sera mis et impos? aux prochaine et sequente convention

des Estatz sur les contributeurs en la g?n?ralit? de nosditz pa?s et duch? de Bretaigne par nostre tr?s cher et tr?s am? cousin le sieur de Chateaubriant, gouverneur et nostre lieu tenant general en nosditz pa?s et duch? ou autres qui seront

commys ? tenir sesditz Estatz, ausquelz nous mandons, com

mandons, ordonnons et enjoignons de ce faire et aux cinq, quatre ou troys d'eulx et ladicte somme

impos?e sur les

contributifz dudict pa?s universellement oultre nos droitz et devoirs et sans diminution d'iceulx et toutes lesdictes sommes mises es mains de personnage cappable, suffisant et

ydoine, bien recreant et cautionn? qui ? ce sera coisi et esle?r

par les cappitaines ou son lieutenant, manans et habitans de

ladicte ville de Rennes pour emploier ausdictz affaires selon les ordonnances qui en seront faictes par l'ung de nos juges et lesdictz cappitaine, manans et habitans de ladicte ville de Rennes, nostre procureur present ou appell? et ? la charge d'en rendre bon compte et reliqua et de rapporter les ordon nances desdictz juge, cappitaine et habitans les marchez et

quictances d'iceulx que auront receuz les deniers, lesquelz marchez seront faictz par lesdictz cappitaine et habitans ? leur auditoire royal de Rennes en la presence de Tung de nos dictz juges et de nostre procureur ou les aulcuns d'eulx ? la

journ?e ainsi qu'ilz verront estre plus profitable et expedient... et pour ce que en

proc?dant audict ouvraige se pourront trouver aulcuns pretendans interestz tant par le lymon,

1 Isnellement : promptement. Cf. Godefroy, Lexique.

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curement et nettoiement de la rivi?re, arbres et autres choses

qu'il conviendra abattre, faire voyes pour tirer les basteaulx, et autres choses requises et n?cessaires nous voulons lesdictz

interestz premierement tauxez par noz amez et feaulx premier

president de noz comptes audict pa?s... etc., ledict ouvraige estre enti?rement faict et acomply, sans aucune discontinua

tion ne pretermission 1 et ? ce contraintz tous ceulx qu'il

appartiendra... ?

Gilles Chouart, sieur de la Guepremeni?re, d?put? ? la Cour par les habitants de Rennes, sit?t cette ordonnance

rendue, re?oit des instructions 2 pour solliciter un mande

ment n?cessaire pour toucher les 18.000 1. octroy?es par le roi sur les contribuables aux fouages du pays et duch? de Bretagne. Le 5 octobre 1539, un mandement 3 est

adress? ? Antoine Bulliod, g?n?ral des finances de Bre

tagne, de lever 18.000 1. sur les contribuables du duch?, pour les travaux de canalisation de la Vilaine, de Rennes

jusqu'au gu? de Notre-Dame, au-dessous de Messac. Le 17 du m?me mois, Bulliod s'adresse ? son tour ? Me No?l

Huys, receveur des fouages et imp?ts en l'?v?ch? de

L?on, et lui ordonne

? qu'il ait incontinent et sans delay a mectre sus et imposer sur les paroissiens des paroisses dudict ?v?ch?, et non contri butifs a fouage, la somme de sept livres onze sous trois deniers, monnaie forte, pour chacun feu contribuable, pour la

contribution de fouage de l'ann?e, en ce compris tant les

droitz de douze deniers pour livre que quatre sols trois deniers dite monnaie par chacun feu pour la contribution de la somme ordonn?e ?tre lev?e pour employer a faire et rendre la

rivi?re de Vilaine navigable 4. ?

Dans son ?tude sur Rennes ancien et Rennes moderne,

Og?e dit ? qu'en 1540 les travaux furent activement

pouss?s 5. Des lettres patentes post?rieures font allusion ? un ing?nieur mand? des Flandres pour les diriger. Mais les riverains menac?rent de tout entraver, en refusant de

1 Synonyme de pr?t?rition, voir Littr?.

2 Archives d?part. Ille-et-Vilaine, Dossier G. 4986. 8 Bibl. nat., coll. Dupuy, vol. 7, fol. 55. 4

Ibid., fol. 56 quater. 6 Rennes, 1850, t. II, p. 308.

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laisser abattre les arbres bordant la rivi?re et de livrer

passage au halage des bateaux ?. Il semble pourtant que l'entreprise n'avan?a gu?re, bien que l'administration

royale e?t toujours suivi l'affaire de pr?s. Ainsi, Mgr le

dauphin Fran?ois, devenu depuis peu duc de Bretagne, adresse ? Antoine Bulliod un nouveau mandement1 pour mettre ? ex?cution ? le contenu en certaines lettres der ni?res (relatives aux travaux de la Vilaine) donn?es par le roy avant qu'il e?t d?laiss? audict sgr. le Dauphin la

disposition du duch? ?. Ce dernier acte se situe aux envi rons de 1541. Bien qu'aucune pi?ce des archives natio nales et d?partementales ne concerne plus la canalisation de la Vilaine jusqu'en 1545, il ne fait aucun doute que l'administration n'ait poursuivi ses efforts. Nous n'en voulons pour preuve qu'un admirable manuscrit, objet principal de cette ?tude, que nous avons eu le bonheur de

pouvoir consulter et qui fait actuellement partie de la

biblioth?que d'un bibliophile parisien. Ce manuscrit, dat? de 1543, dont les figures mesurent en

moyenne 38 cm. sur 25, repr?sente le cours de la Vilaine de Redon ? Rennes ; les vingt-deux vues cavali?res, peintes et rehauss?es d'or et d'argent, sont ex?cut?es recto-verso sur onze feuillets de v?lin. Ce plan, dont les miniatures n'ont rien perdu de leur ?clat ni de leur

fra?cheur, poss?de encore sa premi?re reliure en veau brun d?cor? de filets droits et de fleurons pouss?s en or et

argent, ce dernier fortement oxyd?. Le style tr?s sobre et

?l?gant de cette d?coration fait imm?diatement songer au relieur parisien qui ex?cuta les plus belles reliures de

Fran?ois Ier. Le centre des plats est orn? des armes de Bre

tagne ; ce semis d'hermines laisse supposer que le manus

crit, r?alis? sur l'ordre du roi, fut aussit?t offert aux Etats de Bretagne. Ce qui confirme cette supposition, c'est la

pr?sence, dans la premi?re miniature, au sommet de la colline qui domine Redon, d'un groupe de trois person nages (les trois membres des Etats de Bretagne) qui, le chef couvert de leur bonnet carr?, ?coutent les explica

1 Bibi. nat., ms. fr. 5503, fol. 168.

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tiohs que leur donne l'ing?nieur, plus modestement v?tu, son chapeau dans la main gauche. Tendu, son index droit

pointe vers l'embouchure de la Vilaine que sillonne une flottille d'embarcations. Les voiles, au soleil couchant, rallient le port de Redon et le geste, si v?ridique du doigt lev?, dit clairement les riches profits que la province tirera des am?nagements projet?s. Ces Messieurs des Etats furent-ils convaincus par les explications de l'in

g?nieur ? Il le semble.

Les cartographes ont volontiers trac? le profil des c?tes de France et d'Europe. De pr?cieux portulans de la M?diterran?e t?moignent des connaissances g?ographiques de nos p?res ; d'autres, plus ?vocateurs encore, conservent les traces des d?couvertes du Nouveau-Monde. Ce plan, d'une intimit? plus touchante, nous offre une vue fid?le d'un tr?s beau paysage de France tel qu'il ?tait il y a

quatre cents ans, sur les bords de cette rivi?re qui sinue entre les roches, les bosquets, les hameaux et les gentil hommi?res. Il est ? rapprocher de la Description de la For?t de Longbouel \ aujourd'hui conserv?e aux Archives

nationales, et dont l'ex?cution remonte ? l'ann?e 1565. Ce volume contient trois plans cavaliers, peints sur v?lin, repr?sentant les trois ? gardes ? de cette for?t normande ; d?s ? un artiste plus appliqu? que notre peintre, ces trois

plans sont de vingt-deux ans post?rieurs ? notre manus crit. Or, dans son ?tude, M. Michel Fran?ois remarque avec raison que la Description de la For?t de Longbouel nous reporte aux premiers temps de la cartographie fran

?aise.

M. Robert Brun, conservateur-adjoint ? la Biblioth?que nationale, nous a aimablement signal? qu'un rapport

2

des derni?res ann?es du xvie si?cle, relatif ? la canalisa tion d'une petite rivi?re du Nord, contenait trois croquis

1 Tome VI des Tr?sors des Biblioth?ques de France, Ed. d'art et

d'histoire, Paris, 1938. 2 Archives municipales de Douai, KK 948 (Mus?e, n? 676).

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de petit format pouvant par l'esprit s'apparenter au plan de la Vilaine. Mais aucun autre manuscrit aussi ancien et aussi important n'existe ? notre connaissance, relatif ? une de nos provinces.

La distance qui s?pare Rennes de Redon, par la rivi?re, est d'environ 85 km. Le trac? r?parti sur vingt-deux pages du ms. a permis au peintre, gr?ce ? une ?chelle exception nellement grande, de montrer tous les d?tails et les acci dents essentiels des rives de la Vilaine. L'auteur pr?cise d'ailleurs, lui-m?me, dans un des phylact?res qui ornent

le volume : ? Et est ? noter que cy devant abvons mys, en

chacun cost? de feuillet, demye lieue en pourtraict sans

plus. Affin de plus facillement donner a entendre par ordres les attaches, chauss?es, moulins, escluses x, pesche ries, pontz, guez, destours, maisons, boys, prez et mon

taignes qui sont dempuix Rennes iusques au present port (de Messac) ?. En effet, la partie ? am?nager s'?tendait entre Rennes et Messac ; de ce dernier port ? Redon, la rivi?re est assez profonde et nulle ?cluse simple n'en

rompait le cours. Par contre, en amont de Messac, les

meuniers, d?sireux d'alimenter leurs moulins ? bl? et ? fouler, avaient install? de tr?s nombreuses ?cluses et les

chauss?es, ?lev?es ? cet effet, provoquaient de fortes diff?rences de niveau. Le peintre ne manque pas d'en

seigner ? ces MM. des Etats les inconv?nients qui en r?sultent. Ainsi peut-on voir au moulin de Glanrouet, de m?me qu'? celui de la Bouexi?re, plusieurs petits person nages, les uns juch?s ? califourchon sur la porte de l'?cluse et s'ef?or?ant de l'ouvrir, tandis que d'autres, arc-bout?s ? des troncs d'arbres de la rive, halent p?niblement d'amont des barques charg?es, afin de leur faire franchir la chute d'eau sans dommage. On se rend ainsi compte qu'une le?on devait ?tre tir?e de l'examen du plan. Peut-?tre un m?moire accompagnait-il ? l'origine le relev? de la rivi?re ? On peut en regretter la disparition

1 En Europe, les ?cluses simples sont d'un usage assez ancien : ? au s., la r?gence de L?beck rendit navigable la petite rivi?re de Stechnitz au moyen d'?cluses simples. ? S?billot, Les travaux

publics et les mines, Paris, 1894, p. 334.

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bien que des banderoles, charg?es de notes, ornent chaque page et donnent des ?claircissements suffisants; Le m?moire

devait consacrer un paragraphe au projet d'am?nagement m?me et ? l'explication des ?cluses doubles, car la premi?re page de garde de notre volume contient une figure ? la

plume repr?sentant une semblable ?cluse et la contregarde, la m?me ?cluse en plan cavalier, peint et rehauss? d'argent. Au bas de ce feuillet, se lit, dans un cartouche : ? Le present

pourtraict demonstre en perspective la maniere des

escluses doubles. ? Ces derni?res, invent?es par des ing? nieurs italiens vers la fin du xve si?cle, ?taient d'importa tion r?cente. Nicolas Tartaglia, g?om?tre n? ? Brescia vers l'an 1500, leur consacre une ?tude dans ses ouvrages de math?matique et, comme on le verra plus loin, l'ad

ministration royale fera bient?t appel ? des ing?nieurs

cisalpins pour tenter de mener ? bonne fin les travaux en

cours sur la Vilaine.

Voici un bref aper?u du plan lui-m?me. Ainsi que nous l'avons dit, le recto du premier feuillet repr?sente une vue de la Vilaine de Redon ? la mer, c'est-?-dire

d'amont en aval. Cette miniature, qui sert de frontispice ? tout l'ouvrage et fait pendant ? la vue de Rennes qui le termine, permet, ainsi dispos?e, de suivre le cours de la

rivi?re jusqu'? sdn embouchure. Au verso de ce premier feuillet, d?bute (depuis les ponts de Redon) la perspective de la Vilaine que l'artiste nous fait parcourir r?guli?rement d'aval en amont jusqu'? Rennes. Croisant la Provostaye de Redon ? main droite (rive gauche), on atteint tout

d'abord le port Do, puis le port de Lezin et le lac de Murin

? la sortie duquel les p?cheurs riverains ont tendu leurs

filets. Viennent ensuite le village de Bixin et le bourg de

Besle. Laissant ? main gauche Langon, l'on gagne le

Port-de-Roche, puis Saint-Marc et Basron. Voici la Pro

vosti?re, charmante demeure perdue dans les arbres.

Ayant franchi le gu? Nostre-Dame, on arrive au port de

Messac, lieu de n?goce important, comme on peut en

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juger par son pont, ses moulins, sa p?cherie et son chantier de constructions navales. Quittant Messac et d?passant Chasteau Blanc, Sainct-Laurens et Le Vaultenet sur la rive droite, on rejoint le Pont-Neuf qui pr?c?de de peu l'?cluse de Macaire. A Saint-Malo de F?lix (act. St. Malo de Ph;ly), puis en remontant ? La Moli?re, on traverse une

r?gion plus aride qui nous conduit au Guilleuc. Entre l'?cluse du m?me nom et celle de La Moli?re, la Vilaine coule plus rapide entre des rives escarp?es o? viennent aboutir des blocs de pierre noire, d'ardoise et de tuffeau. Au del? du Guilleuc, deux nouvelles ?cluses s'offrent aussit?t, celle du Glanrouet, puis celle de la Bouexi?re, suivies de La Mote, du Champ le Jar, au terrain bien labour?, entour? de haies et d'arbrisseaux. Avant d'atteindre le Pont-R?ant, dont le sommet des piles sert d'assise ? quelques gros arbres feuillus, il faut croiser le village de Bovile et franchir les rochers de Bruz. Sit?t pass? le Pont R?ant, voici l'?cluse du m?me nom, puis l'on remonte la Vilaine en

naviguant entre plusieurs ?les garnies de ? haultz boys ?.

Apr?s un gu?, Beloczac (act. Blossac) et sa chapelle. Ici, les rives sont form?es de pr?s verdoyants et de boqueteaux pleins de s?ve, lieux d'?lection pour quelques ch?telains aux go?ts agrestes : La Frogeraye, Cyc?, dont la tour

principale s'?l?ve sur la berge m?me. Encore une ?cluse, celle de Champcor et de nouveau d'autres gentilhom

mi?res : la Chappelaye, puis les tourelles de Coustance qui font face ? celle du Lilyon. Voici le village d'Apign? et son ?cluse. La campagne est toujours aussi belle, domin?e ? l'horizon par la Mote au Chanceliier, grand ch?teau entour? de verdure. L'?cluse des moulins Le Conte se rencontre peu apr?s. Enfin, nous atteignons le confluent de l'Ille et de la Vilaine et, devant nous, se dresse la capi tale du duch? aux puissantes fortifications recouvertes d'ardoise bleue.

Nous voudrions pouvoir dire un mot de l'artiste qui parcourut ces rives voici quatre cents ans et nous laissa

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ces tableaux na?fs et vivants d'une r?gion ch?re ? tant de

peintres du xixe si?cle. H?las, le volume m?me ne porte trace d'aucune signature et nulle pi?ce d'archiv? ne permet de satisfaire notre curiosit?. Il faut donc nous contenter de reprendre ici l'historique de l'am?nagement de la Vilaine. Le 2 mars 1545, Henri, fils a?n? du roi, duc de Viennois et de Bretagne, adresse au s?n?chal et lieutenant de Rennes des lettres patentes

1 ordonnant l'ex?cution des lettres de Fran?ois Ier relatives ? la navigabilit? de la Vilaine. Le 19 avril de la m?me ann?e, le roi, ? son tour, s'adresse de Romorantin au m?me personnage. La lec ture de cette ordonnance 2

permet de conclure que, les travaux en partie ex?cut?s, les riverains, ?v?ques et

barons, taxent de leur propre chef les vins et marchan dises transport?s par bateaux dans les parties canalis?es. Sur la plainte des marchands, le roi attribue au s?n?chal la connaissance des proc?s qui r?sultent de ces imp?ts inattendus. Il ordonne ?galement que soient abattus les arbres que certains riverains s'obstinent ? laisser sur les

berges et qui g?nent le halage. Le 4 f?vrier 1553, les habi tants et manants de la ville de Rennes pr?sentent une

requ?te 3 aux fins de faire rendre compte ? Jehan Aulnette,

charg? de l'?tablissement de la navigation sur la Vilaine, de la recette et d?pense faites par lui et par les miseurs pour rendre la rivi?re navigable et aussi pour tenir compte de

quatre bateaux ? qui avoient des ja faict plusieurs voyaiges et appartenoient ? ladicte ville ?. Jehan Aulnette avait conserv? par devers lui, et pendant de longues ann?es, les sommes qu'il avait collect?es pour le passage des bateaux (30 ?cus par voyage) ; on comprend l'impatience et le d?sir d'en finir de la municipalit?.

Le 20 janvier 1555, Symon G?rard, de Pont de C?, en

Anjou, s'offre pour entreprendre certaines am?liorations sur la rivi?re. Le 17 mars de la m?me ann?e, ordonnances de MM. les bourgeois de Rennes, aux miseurs de payer ?

1 Archives d?partementales d'Ille-et-Vilaine, Dossier C 4986. 2 Ibid. 3 Ibid.

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Symon G?rard 210 1. t. ? ayant faict march? avec les

gens de la dicte ville ? r?parer plusieurs excluses assises sur la riviere de Villaigne descendans au port de Messac ?.

Le 7 octobre de Tann?e suivante, quelques habitants de Rennes empruntent pour payer 400 1. t. ? Symon G?rard

pour le ? faict des excluses, assises sur la riviere entre le

port de Messac et le pont, qui estoient presque racoustr?es et repar?es ? x. Un dernier payement est fait au m?me G?rard en 1559, puis nous perdons sa trace.

Six ans plus tard, le 19 octobre 1565, le commis et

d?put? de la communaut? fournit un rapport ? la Chambre des Comptes sur la recette des deniers ? ordonn?s par le

roy estre levez et emploiez pour rendre la riviere navi

gable ?. Il ressort ?e ce document que feu Jehan Aulnette n'aurait encaiss? en 1539 que 2.043 1. 15 s. La Chambre ordonne une enqu?te pour savoir s'il a re?u le reste de la somme de 6.000 1. t. qu'? l'?poque devaient, selon l'or donnance royale, payer les habitants de Rennes. Un an

plus tard (30 octobre 1566), un arr?t du Parlement intervient entre Me Fran?ois Cornillet, contr?leur des deniers de la ville de Rennes, d'une part, et Jacquette Leroyer, veuve de Jehan Aulnette, d'autre part, au sujet de la gestion des sommes per?ues par son mari. Quant au montant des 18.000 1. lev?es sur le reste du duch?, il avait ?t? confi? ? Jean de Laval, baron de Chateaubriand, pour lors gouverneur de la province. Les historiens s'ac cordent pour reconna?tre que ce fonctionnaire s'appropria la plus grande part des produits de l'imp?t 2. Malversa tions des gestionnaires et incapacit? des ing?nieurs expliquent ais?ment le rendement plus qu'insuffisant des travaux et la mauvaise humeur des habitants du duch?. C'est donc ici que devrait se clore l'expos? des faits qui sont ? l'origine de ce beau plan de la Vilaine dont nous venons de faire un sommaire expos?, et ici,

1 Dossier C. 4986. 2 Voir ? ce sujet quelques d?tails piquants dans les M?moires

de VieiUevilfo, sujets ? caution peut-?tre, mais qui ne manquent pas d'humour.

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logiquement, se termine, en effet, l'historique de la pre mi?re tentative de canalisation de la rivi?re.

Pour la p?riode de 1567 ? 1571, le m?me dossier C 4986 contient de pr?cieux renseignements sur un nouveau per

sonnage qui, pendant ces ann?es, remplira exactement le m?me r?le que le peintre anonyme du grand plan que nous

avons d?crit. Disons tout d'abord que les r?fections de

Symon G?rard ne furent point de longue dur?e et que la

ville dut bient?t en faire faire d'autres par des hommes

qu'elle esp?rait ?tre plus qualifi?s. D?s le 1er f?vrier 1566, les miseurs re?oivent l'ordre de payer 15 1. t. ? un archi

tecte ? mand? et venu expr?s pour le faict de navigaige et

entreprise que l'on veult faire et entreprendre sur la

riviere ?. Le 3 f?vrier 1567, Pierre Guillot, ing?nieur venu

de Laval, d?fray? de tous frais, parcourt la Vilaine en

bateau et note les r?parations les plus urgentes. Le 9 du

m?me mois, les habitants, qui voudraient h?ter les tra

vaux, d?lib?rent :

? il est ordonn? et faiet commandement ? Jehan Cormier et Guillaume Tuai, ? present recepveurs et miseurs des deniers

de cette ville de Rennes, bailler et d?livrer content et sans

delay ? Pierre Guillot, sculteur1, et Guillaume Lamyon, maistre charpentier, venuz et mandez expr?s de la ville de Laval en ceste ville de Rennes pour veoir et visiter le cours de la ripviere de Villaigne y passante, puis ceste ville jusques aux pontz et port de Messac et en faire rapport, description et

proc?s verbal pour entendre le moyen de la rendre navigable si estre peult. A quoy ilsz auront vacqu? en la compaignie de Jullien Hindre, l'un des bourgeois de ladicte ville, Me Olivier Auleon 2, son homme, et Symon Hubert, batelier. Et de ce ont pr?sentement faict rapport et proc?s verbal qui est es mains dudict Auleon pour en faire pourtraict. Scavoir, pour une part, cinquante livres tant pour le service que paines et vacations desdictz Guillot et Lamyon et pour s'en retourner audict Laval. Item, la somme de 20 livres t. pour frayer et desbourser pour leurs despences d'aultres susnommez de leur

compaignie audict voyaige qu'ilz ont faict par six jours sur

1 La pi?ce pr?c?dente le qualifie d'ing?nieur. 2

Orthographi? tant?t Aul?on, tant?t Aulion. Par suite dune

mauvaise lecture, ? l'inventaire sommaire, il est d?sign? sous le nom

d'Olivier Aubin.

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ladicte rip viere... ? tout la somme de 71 livres t... sauf ? faire raison ausdicts Hindre, Auleon et son homme de leurs paines et vacations lorsque ledi et Auleon aura faict ledict pourtraict...

?

Le m?me jour, l'entrepreneur et ses compagnons signent un re?u de 71 1., salaire de leur labeur. Parmi les

signatures figure celle de Me Olivier Auleon, bourgeois, de la ville de Rennes, accr?dit? pour ex?cuter le ? pour traict ? de la rivi?re. Ainsi, la ville n'avait d?j? plus en sa

possession le plan peint en 1543 par notre inconnu, et elle jugeait utile d'en faire lever un nouveau. L'artiste

auquel elle a recours a l'habitude d'oeuvrer pour elle ; nous le verrons, en effet, dans un m?moire, rappeler divers travaux qu'il ex?cuta ? la m?me ?poque. Etant donn? que vingt-cinq ans s?parent l'?laboration des deux

plans, il est peu probable que l'artiste de 1543 soit le m?me que celui de 1567, mais il est plausible de supposer que le premier ?tait ?galement d'origine bretonne : la

ville, d?signant le topographe de son choix, favorisait ses habitants. Les d?tails qui suivent font regretter davantage l'absence de tout document concernant le

pr?d?cesseur de Me Auleon. Les ing?nieurs de Flandre et d'Anjou n'ayant point

satisfait aux exigences de la ville, voici qu'appara?t en

juillet 1567 un concurrent italien, envoy? ? Rennes par le duc de Nevers, prince de Mantoue. Tr?s recommand?, Laurent Barthazolo, ? grand ing?nieur de bon esprit ?, exige cent ?cus pour son voyage. Il est log? ? son arriv?e chez Me Olivier Auleon, ainsi qu'en fait foi une d?lib?ra tion du 17 juillet. En compagnie de ce dernier, de Michel

Bouscher, sieur de Champguill?, de Julien Hindre et de

Symon Hubert, batelier, il visite une premi?re fois la Vilaine de Rennes jusqu'? Redon. Barthazolo demande alors un cong? pour affaires urgentes, pour se rendre

aupr?s de son ma?tre, et veut qu'on lui accorde la somme n?cessaire au voyage aller et retour. L'assembl?e ordonne de lui bailler encore 250 1.1. qu'on lui remet le 21 suivant, bien que Jullien Hindre ait d?j? touch? 751 1. et Aul?on 231 1. pour leurs divers d?bours. Parmi ceux-ci doivent

figurer vraisemblablement les frais de repr?sentation

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90 LUCIEN SCHELER

exig?s par la r?ception du ? grand ing?nieur ? ?tranger. Le 24, la ville ordonne de faire toutes d?penses n?ces

saires ? pour achever les travaux et faire navigable la rivi?re de Villaine, suivant les lettres de Fran?ois Ier et autres permissions et lettres ?. Trois jours plus tard, la ville conclut un march? avec Laurent Barthazolo. Ce dernier dit ? voulloir faire proc?s-verbal et nivellaige d'icelle riviere et description, de la voulloir rendre navi

gable et audict navigaige besoigner, vacquer et faire par ouvriers, gens et artisans, chacun faire travailler et faire

excluses, chambres et chauss?es. ? L'ing?nieur obtint 100 ?cus pistoles pour le proc?s-verbal et nivellement de la rivi?re et, pendant la dur?e des travaux, cinquante ?cus par mois. On lui fournira en plus une haquen?e d'une valeur de trente-cinq ?cus qui lui permettra de se rendre ? ses chantiers. Le travail doit commencer dans une

quinzaine. Mais la ville s'inqui?te des frais immenses que le dispendieux Italien semble vouloir cr?er ? l'entreprise. En septembre, les Etats de Bretagne songent enfin ? l'ad ministration centrale. Une d?lib?ration d?cide de s'adres ser au roi ? pour faire agrandir et augmenter, d'aider et donner le moyen que l' uvre de la navigation de ladicte riviere se puisse faire. Ce travail ne peult estre achev? que par la gr?ce, lib?ralit? et bont? de Sa Majest?. ?

En attendant la r?ponse qui tarde ? venir, le 21 d?cembre de la m?me ann?e, la ville de Rennes conclut un emprunt de 5.000 1.1. Enfin, le 13 ao?t 1568, les lettres patentes de Charles IX confirment les arr?ts royaux ant?rieurs relatifs ? la canalisation de la Vilaine. Olivier Auleon, qui a ter

min? son travail, pr?sente en 1569 au gouverneur de Rennes une requ?te afin d'obtenir le r?glement de ses

frais, ? pour avoir faict proc?s-verbal et carthe despaincte de la Villaine et aultres rivieres et ruysseaux y descen dans. ? Il semble donc bien certain que les sommes pr?c? demment touch?es par l'artiste n'?taient point destin?es ? r?tribuer son labeur. Voici le texte de la supplique qu'il adresse au gouverneur et ? MM. les magistrats et nobles

bourgeois de Rennes : ? Supplie tres humblement Ollivier Auleon painctre, vostre

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la navigabilit? de la vilaine 91

subject et ob?issant serviteur, lequel par vostre ordonnance et commandement a est? es presences de M. Gilles Lezot, notaire et secretaire du Roy, Laurens Berthezol [Barthazolo], architecte et ing?nieur de Monseigneur le duc de Nevers, Philibert de Cariou, Leon Hux, bourgeoys, maistre Guillaume Jannier, macier et maistre charpentier, Jehan Jardrin, maistre maczon, et plusieurs aultres de ceste ville, jucques ? la ville de Reddon pour ayder ? faire le rapport et proc?s verbal de la rip viere de Villaigne d'empuis ceste ville juxques audict Reddon pour icelle rapporter tant le cours, chauss?es, chambres, moulins, guez, attaches, que aultres choses requises pour icelle rendre navigable. Le tout rapport? par proc?s verbal et figure reduicte au petit pied en une carte illumyn?e, escripte et figur?e sur vellin, et oultre a escript et doublez ledict proc?s-verbal par plusieurs foys, le mieulx au vray qu'il luy a est? possible. Quelle carte, proc?s-verbal, nyvelaige et aultres choses sont entre ses mains sans en avoir eu aulcun

sallaire et le tout a faict ? ses despans ledict Auleon, lequel requiert en estre d?charg?.

Qu'il vous plaise, Messieurs, y avoir esgard et ordonner audict Auleon tel sallaire que voirrez estre raisonnable. Tant pour huict journ?es, pour le voyage d'aller et venir de ceste dicte ville audict Reddon, en la compaignie susdicte et pour avoir faict et doubl? le proc?s-verbal de ladicte ripviere aussi pour avoir faict la figure et carte armory?e des armes et devises de Sa Majest? le Roy, et vous ferez tres bien.

Aussi, Messieurs, vous plaise ordonner quelque sallaire au serviteur dudict suppliant, lequel fut ? ayder et servir au batteau d'aller et venir jucques ? Reddon.

0. Auleon

1569.

Et voici, joint ? cette lettre, un

Est?t de ce que pretend Me Ollivier Auleon luy estre tax? par Messieurs les commissaires et d?putez ? ceste fin, suyvant la

requeste par luy pr?sent?e en la Communaut? de Rennes y exp?di?e le vingt deuxiesme jour de d?cembre 1569.

Premier :

Pour avoir ledict Auleon estre occupp? par huict journ?es enti?res ? aller de ceste ville de Rennes et avecques luy ung sien serviteur en compaignye de plusieurs notables personnes, bourgoys, manans et habitans dudict Rennes par sus la

ripviere de Villaigne jucques ? Reddon et estre retourn? dudict Reddon audict Rennes, luy sera allou? ? raison de soixante soulz par jour tant pour luy que sondict serviteur vingt quatre

livres, cy. XXIIII 1. t.

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92 LUCIEN SCHELER

Pour avoir dress? la mynutte le proc?s-verbal faisant visita tion du navigaige de ladicte rip viere, icelle avoir veu et arrect?, estant retourn? dudict voyaige et pour avoir mis deux foys au nectz l'un pour luy demeurer et l'aultre pour servir ? ladicte communaut?, sera allou? la somme de quinze livres,

cy . XV livres t. Pour avoir dress? la carte cy pourtraicte suyvant ledict

proc?s-verbal, laquelle il monstre estant sur deux peaulx vellin

figur?e et despaincte, rapport?e au petit pied, requiert luy estre allou? cinquante livres, cy. 50 1.1. ?

Ces pr?tentions furent jug?es excessives :

Apres avoir veu la requeste pr?sent?e en la communaut?,

par ledict maistre Ollivier Auleon pour son veaige cy dessus, et en ladicte requeste mentionn?e carthe de ladicte ripviere a nous soubsign?s adress?e l'expedicion de ladicte requeste, sign? Gr?goire, le 22 de ce moys, summes d'avis qu'il soict pay? audict Auleon, tant pour son voiage que de son serviteur, ladicte carthe et le proc?s-verbal dudict voiage escript sur

papier par ledict Auleon, la somme de quarante livres t. pour toutes choses, et davantage sera pay? le vrays tableau et

pour escrire ladicte carthe pour servir audict Auleon et en affaire en aura luy ? nous sign? la presente ce XXVIIe de d?cembre 1569. ?

Il ressort des lignes pr?c?dentes qu'Olivier Auleon avait non seulement ex?cut? une carte enlumin?e de la Vilaine sur ? deux peaux de v?lin figur?e et despaincte rapport?e au petit pied ?, mais qu'il devait, par la suite, tirer de cette esquisse un ? vrai tableau ?. Malheureuse

ment, aucune de ces uvres n'est parvenue jusqu'? nous.

Il est m?me permis de douter que le ? vrai tableau ? ait vu le jour. L'?poque durant laquelle la faconde et les

promesses de Laurent Barthazolo impressionnaient les

bourgeois de Rennes est pass?e. Peu apr?s la rupture d'une ?cluse r?cemment construite, il juge bon de dispa ra?tre et les travaux de la Vilaine restent une fois de plus en suspens. L'argent qui ne doit rien rapporter se distribue malais?ment. En 1571, Olivier Auleon, toujours impay?, rappelle au Gouverneur sa dette d?j? ancienne dans la

supplique suivante :

A Monseigneur Monsieur le Gouverneur

Vous supplie humblement Olivier Auleon, vostre ob?issant

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la navigabilit? de la vilaine 93

serviteur et painctre, qu'il vous plaise commander aux miseurs de payer quarante livres t. par une part qui luy sont deubz d?s l'an mil cinq centz soixante neuf, par arrest et ordonnance de vous, Monseigneur, faict en l'assembl?e et

communaut? de c?ans, et pour avoir remys vingt-quatre escuczons royaulx de grant volume aux armes et blasons de

Monseigneur Monsieur le gouverneur general pour la Majest? du Roy en Bretagne, et pour avoir chang? de coulleurs et renouveliez toutes les coulleurs comme estoit requis, oui tre

avoir painct quatre javelotz des armes de Bretaigne, scavoir semez d'hermynes, desquelles choses requiert estre payez

par mesme moyen et vous obligerez estre suppliant ? vous faire tous les services qu'il vous plaira luy commander.

Priant Dieu vous donner sa sa?nete grace en accomplis

sant vos bons d?sirs.

0. Aulion.

Quelques mois plus tard, Charles IX adresse, le 12 octo bre 1571, aux habitants de Rennes, une lettre dat?e de Blois :

? Les manans et habitans de nostre ville de Rennes nous ont, en nostre Conseil, present? requeste contenant que depuis trente ans en ?a, par permission de def?unct de bonne memoire nostre ayeul le roy Fran?ois, ilz auroient entreprins randre la riviere de Villaigne, passant audict Rennes, navigeable depuis ladicte ville jusques au port de Messac et faire des excluses ? chacune des chauss?es des moulins estans sur ladicte riviere, et, pour ce faire, feirent venir du pais de Flandre certain

ing?nieur qui entreprit faire lesdictes excluses et randre la dicte riviere navigeable ; ? quoy il auroit vacqu? l'espace de deux ans et plus, ? grans fraiz et mises ; et en ce temps faict ? chacune desdictes chauss?es une excluse de bois, qui servirent

quelque peu de temps ; lesquels, pour n'avoir est? bien faictes, furent laiss?es comme inutiles ; et desirans lesdicts supplians r?ndre ladicte rivi?re navigeable, feirent venir un aultre ing? nieur du pais d'Anjou, qui entreprist ce faire ; o? il vacqua quelque temps, au grans fraiz et mises desdicts supplians ; et sans avoir faict chose qui peult servir s'absenta ; tellement que iceuls supplians se voians ainsi circonvenuz, curieux de randre ledict uvre parfaict,

comme chose si necessaire pour le bien publicq de nostre pais de Bretaigne, auraient faict venir du pais d'Italie aultre ing?nieur [Laurent Barthazolo], lequel entreprist faire des excluses de pierre ? chacune desdictes chauss?es, bonnes et tenables ; o? il auroit vacqu? deux ans ou environ ; et apr?s avoir commenc? une excluse et faict une

chauss?e de pierre, pour haulcer et retenir l'eau, affin d'aider

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94 lucien scheler

la dicte chauss?e, estant icelle chauss?e achev?e, d?s sa pre miere inondation, elle fut rompue ; ce que voiant, ledict

ing?nieur s'absenta sans avoir achev? ladicte excluse ; de sorte que ledict uvre estant demeur? imparfaict et inutile, comme devant, encore que les fraiz reviennent en pure perte ausdicts supplians ? 45.000 livres et plus. ?

Le principe des ?cluses doubles, irr?alisable, semblait

il apr?s tant d'essais malheureux, allait ?tre abandonn?,

pour peu de temps d'ailleurs. L'ordonnance ci-dessus

accorde permission au nomm? L?on Hux, natif de Rennes,

pour dresser des grues et des vergues ? ains de guinder les

vins et aultres marchandises et les passer par dessus les

chauss?es de batteau ? l'autre ?. Invention sans avenir, car le 15 mai 1575, les rapports d'experts ayant reconnu

ce proc?d? ? co?teux, long et dangereux ?, Henri III

autorise le m?me Hux, qui revient ? l'ancien syst?me, ?

faire construire dix ?cluses doubles de Rennes ? Messac.

Pour terminer, signalons qu'en 1783 divers projets

ayant ?t? ?labor?s pour la ? navigation int?rieure de la

Bretagne ?, l'ing?nieur Frignet consacre ? la canalisation de la Vilaine, de Redon ? Rennes, un long m?moire qu'il

parach?ve le 28 ao?t 1784.

Lucien Scheler.

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09:49:39 AM

Page 101: Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome Vii - 1945

LANCELOT DE CARLE ET

LES HOMMES DE LETTRES DE SON TEMPS

Le po?me de Vulteius dont il a d?j? ?t? question 1 nous

apprend que, d?s 1538, Lancelot ?tudiait le grec ? en

particulier, Platon et Aristote ? et qu'il comptait des humanistes au nombre de ses amis ou connaissances ;

parmi les invit?s qui d?naient chez Saint-Gelais, Guillaume

Sc?ve, cousin germain du po?te Maurice Sc?ve, fut lui m?me po?te, mais n'?crivit que des vers latins, Emile

Perrot, humaniste, jurisconsulte distingu? et professeur de droit civil ? Padoue en 1530, Aimar de Ranconnet, huma

niste, bordelais comme Lancelot, et qui; selon le t?moi

gnage de Pierre Bunel 2, traduisit des ouvrages grecs en

fran?ais, et Jacques de Vintimille, le traducteur de la

Cyrop?die de X?nophon, de Histoire d'H?rodien, de

VApologie de Lysias, et auteur de divers po?mes latins. On ne sait pas exactement quelles relations Lancelot a entretenues avec ces savants, mais il est probable que c'est l'int?r?t qu'ils portaient au grec qui les rapprochait.

A en juger par le passage suivant, extrait de la Vie de P. de Ronsard de Claude Binet, c'est aussi, selon toute

probabilit?, cet int?r?t pour le grec qui lui fit prendre contact avec Dor?t et la Pl?iade :

1 Voir Humanisme et Renaissance, t. VI (1939), p. 443. 2 ? Itaque nisi necessario, nunquam ad amicos literas do, easque

similes istarum, id. est negligentissime scriptae, ut facile appareat me potius officio satisfacere, quam laudem ullam ex istiusmodi exercitatione uelle quaerere. Verum haec hactenus. De Porphyrij dialogo multum tibi debeo. Xenophontis liber ad ea, quae de Graeco in Gallicum sermonem conuertisti, perpolienda, utinam adiumentum

aliquod af?erat. ? (Petri Bvnelli, Galli, praeceptoris, & Pavli Manvtii, Itali, discipuli, Epistolae Ciceroniano stylo scriptae... Anno

MDLXXXI, p. 67 ? lettre ? Aemario Ranconeto S. ?).

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96 LEWIS C. HARMER

? Quant Dor?t eut veu que son (= de Ronsard) instinct se deceloit ? ces petits ?chantillons, il luy pr?dit qu'il seroit

quelque jour l'Hom?re de France, et pour le nourrir de viande propre, luy leut de plain vol le Prometh?e d'Aeschyle, pour le

mettre en plus haut goust d'une Po?sie, qui n'avoit. encor

pass? la mer de de??, et en sa faveur traduisit cette Tragedie en Fran?ois, laquelle si tost que Ronsard eut goust?e : Et quoy, dit-il ? Dor?t, mon maistre, m'avez vous cach? si long temps ces richesses ? Ce fut ce qui l'incita ? tourner en Fran?ois le Plutus d'Aristophane, et le faire repr?senter en public au

college de Coqueret, qui fut la premiere Comedie Fran?oise jou?e en France. Baif aussi comme luy y prit app?tit, et ?

l'exemple de ces deux jeunes hommes plusieurs beaux esprits se r?veill?rent et vindrent boire en cette fonteine dor?e, comme M. Antoine de Muret, qui avoit ja grand avancement de l'Eloquence Latine, Lancelot Carles, et quelques autres, qui tous ensemble ? l'envy faisoient tous les jours sortir des fruicts nouveaux, et non encore veus en nostre contr?e 1. ?

Que veut dire exactement ? vindrent boire en cette fonteine dor?e ? ? Il s'agit probablement d'une s?rie de conf?rences que fit Dor?t sur les litt?ratures grecque et

latine ; mais est-ce que ces conf?rences ?taient destin?es au grand public ou seulement aux ?tudiants particuliers de Dor?t ? Binet dit : ? Ronsard ayant s?eu que Dor?t alloit demeurer au college de Cocqueret, dont on l'avoit fait Principal, ayant sous sa charge le jeune Ba?f, il delibera de ne perdre une si belle occasion, et de se loger avec luy ? 2, passage qu'on trouve un peu modifi? dans la troisi?me ?dition de son livre (1597) : ? Ronsard ayant s?eu que Dor?t alloit establir une acad?mie au college de Cocqueret, duquel on lui avoit baill? le gouvernement... ?. On est tent? d'en conclure que les conf?rences auxquelles assistaient Lancelot et les autres, que mentionne Binet, ?taient des conf?rences pr?par?es par Dor?t ? l'intention de ses

?tudiants particuliers ; malheureusement, la signification exacte du mot ? acad?mie ? est encore discut?e. Pour

Faguet, c'est ? une r?union libre de jeunes et vieux ?tu

1 Vie de P. de Ronsard de Claude Binet (1586), ?dition critique par P. Laumonier, Paris, 1910, p. 13.

2 Op. cit. y p. 11.

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LANCELOT DE CARLE 97

diarits ? M. Chamard pense qu'il s'agit d'un ?tablisse ment o? on faisait des cours particuliers pour les internes et aussi des cours publics gratuits auxquels assistaient des hommes tels que Muret, Carnavalet et Lancelot de Carie 2. M. Laumonier n'est pas de cet avis ; il fait remar

quer que, s'il y avait eu des cours publics, il est difficile de voir pourquoi Ronsard, pour ? ne perdre une si belle occa

sion ?, aurait ?t? oblig? d'aller demeurer au coll?ge comme un des ?tudiants particuliers de Dor?t. M. Laumonier entend par ? acad?mie ? des cours sup?rieurs de grec r?serv?s aux ? escoliers de Dor?t ? et ajoute ? quant ? la

pr?sence de Carnavalet, de Muret et de Carie aux le?ons de Dor?t, j'exprime ? ce sujet des doutes dans les notes qui leur sont consacr?es ?. 3 Sa note sur Lancelot de Carie dit

que ? il est possible que ce personnage ait assist? ? des cours publics de Dor?t vers 1548, mais ni Ronsard, ni

Ba?f, ne l'ont jamais consid?r? comme un condisciple proprement dit ? 4. Il y aurait un moyen de concilier ces

opinions divergentes : ce serait de supposer qu'au com

mencement, lors de la fondation de ? l'acad?mie ?, Dor?t ne faisait pas de cours publics

? ainsi dispara?trait l'ob

jection de M. Laumonier ? mais, qu'apr?s la formation

du cercle d'?tudiants particuliers, il se d?cida ? faire des conf?rences ouvertes au grand public auxquelles assis t?rent Lancelot et les autres ? ce qui s'accorderait avec

l'opinion de M. Chamard. En tout ?tat de cause, il est certain que vers 1548

1 Seizi?me si?cle, p. 201. 2 ? En dehors des ?l?ves qui vivaient ? demeure au coll?ge, il y

avait ceux de l'ext?rieur qui suivaient les cours ? titre d'auditeurs b?n?voles. Car Dor?t, non content d'enseigner en priv?, semble avoir pratiqu? d?s ce temps-l? les grandes le?ons publiques. C'est l? sans doute ce qu'il faut entendre par cette acad?mie que le docte humaniste avait, selon Binet, ?tablie au Coll?ge de Coqueret. A certaines heures, il r?unissait autour de sa chaire tous les ?tu

diants, jeunes ou vieux, qu'animait la passion de s'instruire. Ainsi

s'explique qu'il ait compt? dans son auditoire des savants comme

Muret, des seigneurs comme Carnavalet, des ?v?ques comme Lancelot Carles ? (Joachim du Bellay, 1900, p. 46), 8

Binet, Op. cit., p. 95. 4

Binet, Op. cit., p. 105.

7

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98 LEWIS C. HARM Ell

Lancelot avait d?j? fait la connaissance des po?tes de la Pl?iade ; et deux d'entre eux ? Du Bellay et Pontus de

Tyard, mais surtout Du Bellay ? font allusion ? lui dans

des ouvrages publi?s ? cette ?poque, ou m?me lui d?dient des po?mes. Ainsi, dans le Recueil de poesie present? a

tresillustre Princesse Madame Marguerite de 1549, Du

Bellay lui d?die une ode tr?s flatteuse de quelque soixante vers. Dans son avis Au Lecteur, qui sert de pr?face ? la

premi?re ?dition de VOlive, parue en 1549, ce m?me auteur compte Lancelot parmi l'?lite dont il recherche

l'approbation et les ?loges : ? Je ne cerche point les

applaudissemens populaires. Il me suffit pour tous lec teurs avoir un S. Gelays, un Hero?t, un de Ronsart, un

Caries, un Sceue, un Bouju, un Salel, un Martin, et si

quelques autres sont encor' ? mettre en ce rane. A ceulx la s'addressent mes petits ouuraiges, car s'ilz ne

les approuvent, je suis certain pour le moins qu'ilz louront mon entreprinse. A Dieu. ? Dans sa Musagnoeomachie ? titre qu'il explique dans son Auis au lecteur comme

repr?sentant ? la Guerre des Muses et de l'Ignorance ? ?

parue en 1550, en guise de suppl?ment ? la seconde ?dition de YOlive, Du Bellay fait encore une allusion flatteuse ? Lancelot :

? Le grand visage des cieux, Quand le char de la nuit erre, Ne rit avecques tant d'yeux A la face de la terre : Et l'Inde riche n'enserre

Tant de perles, et thesors,

Que la France dans son corps Cache d'enfans po?tiques :

Qui en sonnez et cantiques, Qui en tragiques sangloz Font reuiure les antiques Au seing de la mort enclos. Carie', Hero?t, Saint Gelais, Les trois fauoriz des Graces... ?

Et Pontus de Tyard, dans la Continuation des erreurs amoureuses de 1551, fait, dans un po?me intitul? Chant en

faveur de quelques excellens poetes de ce temps, l'?loge de

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LANCELOT DE CARLE 99

Saint-Gelais, de Maurice See ve, d'H?ro?t, de Carle et de Salel.

Il est donc ?vident que, avant 1550, il ne s'?tait produit aucune rupture entre Saint-Gelais et deux au moins des

po?tes de la Pl?iade, bien que la D?fense et Illustration, parue probablement peu apr?s le mois de mars 1549

(le privil?ge est dat? du 20 mars), n'attaque pas ouverte ment Saint-Gelais, tout en contenant certains passages qui le visent. Mais il est probable que Du Bellay, imm? diatement apr?s la publication de son manifeste, eut envie

d'apaiser Saint-Gelais et ses amis, car le Recueil de Po?sie, dont la d?dicace ? ? Madame Marguerite ? est dat?e du 23 octobre 1549, contient, entre autres po?mes, une ode ? Saint-Gelais et, comme on l'a d?j? vu, Saint-Gelais est mentionn? dans la pr?face de VOlive en compagnie de ceux qui font partie de l'?lite. A la diff?rence de Ronsard, Du Bellay se rendait compte de la n?cessit? de se concilier la faveur des gens de la Cour si on voulait innover en

mati?re de po?sie. Dans ce but, bien qu'il fut, dans la

D?fense et Illustration, le porte-parole de la Pl?iade, il

essayait avec des po?mes flatteurs de se faire bien voir du

po?te de la Cour et de personnes comme Lancelot de Carie, qui avaient de l'influence aupr?s du roi. Sur ce point, Pontus de Tyard ?tait ?videmment d'accord avec lui.

Ronsard, au contraire, dans la pr?face de ses Odes de

1550, affirme ouvertement qu'il ne s'attend pas ? voir sa

po?sie r?ussir aupr?s des rimailleurs et des courtisans : ?le ne fai point de doute que maPo?sie tantuariene semble f?cheuse aus oreilles de nos rimeurs, et principalement des

courtizans, qui n'admirent qu'un petit sonnet petrarquiz? ou quelque mignardise d'amour qui continue tousiours en son propos ?1 ; et il donne ? entendre qu'il n'est que trop content de se passer de leur appui. Cette pr?face fut le pr?lude de la rupture ouverte entre Saint-Gelais et

Ronsard 2.

1 uvres compl?tes de P. de Ronsard, ?d. Laumonier, Paris, Lemerre, 1914-1919, tome VII.

2 II est vrai que Ronsard, apr?s avoir condamn? la po?sie fran

?aise comme ?tant ? fort faible et languissante ?, dit : ? j'excepte

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100 LEWIS C. HARMER

Il n'y a pas lieu de retracer l'histoire de la querelle Saint Gelais-Ronsard ; ce qu'il importe de faire remarquer ici c'est que Lancelot, qui, d?j? en 1538, d?nait chez Saint Gelais et qui ?tait par cons?quent au moins une de ses

connaissances sinon un de ses amis, prit fait et cause pour lui contre Ronsard. Il agissait peut-?tre dans un but int?ress?. On aurait cru, ?tant donn? sa passion pour le

grec et le latin, qu'il e?t fait bon accueil aux odes ? pinda riques ? de Ronsard, car, bien que celles-ci ne ressemblent

pas beaucoup aux odes de Pindare, elles renferment une

?rudition qui ne saurait d?plaire ? un amateur de l'anti

quit?. Mais il faut se rappeler que le roi, la reine, et la

plupart des courtisans rest?rent fid?les ? Saint-Gelais 1

et que Lancelot avait int?r?t ? ne pas patronner la nouvelle

po?sie, d'autant plus qu'il venait de recevoir un ?v?ch? d'Henri III et aurait pu se faire reprocher son ingratitude.

Quoi qu'il en soit, il existe un document qui prouve que, comme d?fenseur du po?te de la cour, c'?tait un homme avec qui il fallait compter ; c'est une lettre latine d?cou verte par M. de Nolhac ? la Biblioth?que nationale de Munich2. Cette lettre, ?crite ? Fontainebleau par Michel de l'H?pital, est adress?e ? Jean de Morel, ma?tre d'h?tel du roi et mar?chal des logis de la reine. Elle est dat?e du 1er d?cembre, et, bien que l'ann?e ne soit mal heureusement pas indiqu?e, M. de Nolhac a d?montr?

qu'elle doit ?tre de 1552. A cette ?poque, Michel de l'H?

pital ?tait chancelier de la duchesse de Berry, Marguerite de France, et jouissait d?j? d'une grande r?putation ? la Cour. Il admirait beaucoup Ronsard ?

parlant de lui

toujours Hero?t, Sc?ve et Saingelais ? ; mais l'ouvrage entier est r?ellement une attaque indirecte contre Saint-Gelais. Pour un

expos? d?taill? de ce sujet voir Mellin de Saint-Gelays, ?tude sur la vie et sur ses uvres, par l'abb? H.-J. Molinier, 1910, pp. 231 275.

1 ? Tout examin? donc, le Roi lui-m?me, la reine, les princes et les seigneurs, mais surtout les dames de la cour, ? peu d'exceptions pr?s, rest?rent fid?les au vieux Mellin ? (Molinier, op. cit., p. 252). 2 Voir Revue d'histoire litt?raire de la France, t. VI (1899), pp. 351-356, et Ronsard et l'Humanisme, par Pierre de Nolhac, Paris, 1921, pp. 184 et 185.

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LANCELOT DE CARLE 101

dans sa lettre, il dit : ? cuius merito sum amantissimus ? ?

mais, comme du Bellay, il se rendait compte qu'il fallait

que le po?te se montr?t moins intransigeant et qu'il se

m?t dans les bonnes gr?ces de certaines des notabilit?s

qui h?sitaient un peu et qui ?taient pr?tes ? accueillir le nouveau po?te et m?me ? rechercher son amiti? ? ? prae sertim cum se ipsi Offerent et amicitiam eius ultro expe tant ?. La nouvelle po?sie avait fait du chemin ; pour

qu'elle r?uss?t pleinement, il fallait que Ronsard se con

cili?t la faveur de Saint-Gelais et de Carie et qu'il s'abst?nt

des nouvelles formes auxquelles ceux-ci trouvaient ?

redire ? ? pene oblitus sum, quod non est praetermitten dum ut in iis abstineat nouis et insolitis, si uult piacere ?.

Le chancelier, par cons?quent, demande ? Morel, qui est non seulement son ami mais aussi l'ami de Ronsard, de

persuader ? celui-ci de prendre une attitude plus concilia trice vis-?-vis de ses critiques. ? Qu'il se trouve, dit

l'H?pital, dans le volume i?Etrennes, qu'il m?dite depuis longtemps, des vers d?di?s ? Carie, ?v?que de Riez, et ?

Saint-Gelais et qui t?moignent de son affection pour eux, car ils m'ont l'air de vouloir chanter la palinodie1 ?.

Ensuite, l'H?pital trace le canevas de la r?ponse que Morel devra lui ?crire et que lui, l'H?pital, d?sire montrer ? Lancelot comme t?moignage des bons sentiments de Ronsard. ? Vous me r?pondrez, dit-il ? Morel, qu'ayant parl? ? Ronsard, vous avez appris de lui qu'il ne s'est

jamais m?fi? ni de l'?v?que de Riez ni de personne d'autre, qu'il se croit leur ami, ne les ayant jamais offens?s, et que, s'il y en a qui, par m?chancet? ou par envie, cherchent ? le d?consid?rer aupr?s du roi, il ne d?sire d'autres pro tecteurs et d?fenseurs que ces deux hommes avec qui il se sent li?, sinon par les relations sociales et l'intimit?, du

moins par les m?mes pr?occupations. Vous mettrez tout cela et d'autres choses du m?me genre

dans votre lettre que je d?sire montrer ? l'?v?que de Riez,

1 ? Plus ctiam rogo ; ut in iis strcnis, quas pridcm meditatur, sint ad Garlum Rhegiensem episcopum et Sangelasium aliquot uersus, istius amoris in utrumque testes, qui mihi uidcntur pali nodi am canere ?. (Revue d'hist. litt., 1899, p. 355).

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102 LEWIS C. HARMER

afin de donner un d?nouement heureux ? une amiti? qui a mal commenc?. Et je crois pouvoir r?ussir ? le faire, car ils sont moins malintentionn?s qu'ambitieux et d?si reux de gloire. Et qu'y a-t-il de plus glorieux que de se voir louer dans les vers d'un grand po?te ? ? *. L'H?pital ajoute, dans un post-scriptum, que Morel doit d?truire sa lettre et n'en communiquer le contenu ni ? Ronsard ni ? personne d'autres 2.

Il n'y a pas moyen de savoir dans quelle mesure cette intervention du futur chancelier de France a contribu? ? amener la r?conciliation entre Ronsard et Saint-Gelais. Il est probable qu'une ode ?crite par Guillaume des Autels

y a contribu? autant et peut-?tre davantage 3, car le volume d'Etrennes, auquel l'H?pital fait allusion, ne fut

jamais publi?, bien que l'ode que Ronsard d?dia ? Saint Gelais et qui fut la premi?re ?tape de la r?conciliation, par?t dans la seconde ?dition des Odes de Ronsard de 1553. Ce n'est pourtant pas comme t?moignage de l'inter vention de l'H?pital, que je cite sa lettre, mais comme un

document qui donne quelque id?e des relations de Lance lot avec Ronsard et Saint-Gelais et de son importance ? la Cour.

Or, ce qu'il y a de plus curieux dans cette lettre ?

chose que personne n'a jamais remarqu?e, que je sache ?

c'est que, bien que la querelle se soit engag?e entre Ronsard

1 ? Rescribes autem mihi non ad singula, sed ex hoc prescripto et formula : te cum Ronsardo locutum ex eius sermone cognouisse, neque Rhegiensem neque alium quenquam ei in suspitionem uenisse ;

putare se eis amicum esse, quos nunquam offenderit ; si quos habeat inuidos aut malignos ad principem, non aliis patronis et defensoribus usurum quam duobus illis, quibus si minus usu et familiari ta te, studiorum certe similitudine sit conjunctus.

Haec et alia istius modi pones in literis tuis, quas monstrare uolo Rhegiensi, quo malis inchoatam principiis amicitiam meliore fine concludam. Et mihi uideor posse facer?, quia sunt ingenio non tam maligno quam ambiti?se et gloriae cupido. Quid etiam

magis est gloriosum quam nobilis poetae uersibus celebrari ? ?

(Revue d'Hist. Litt., 1899, p. 356). 2 ? Hanc epistolam nihil est cur seruari uelim aut cuiquam alii, ne Ronsardo quidem, comunicari ? (Revue d'Hist. Litt., 1899, p. 356). 3 Voir Mounier, Op. cit., pp. 263-266.

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et Saint-Gelais, l'H?pital ne mentionne ce dernier qu'une fois tandis qu'il fait par trois fois allusion ? l'?v?que de

Riez. D'ailleurs, la r?ponse de Morel devait ?tre montr?e, non au po?te de la Cour, mais ? Lancelot, et celui-ci et

Saint-Gelais devaient ?tre les protecteurs de Ronsard.

Il est l?gitime d'en conclure, ou bien que c'?tait Lancelot le plus offens? et non pas Saint-Gelais, ou bien que Lan

celot exer?ait ? cette ?poque une assez grande influence sur le roi pour faire reconna?tre le m?rite de Ronsard comme po?te par ceux qui, tout en ?tant capables d'ap

pr?cier la valeur litt?raire de ses uvres, s'?taient obstin?s

jusque-l? ? rester fid?les ? Saint-Gelais et dont il fallait, co?te que co?te, aux yeux de l'H?pital, s'assurer la

faveur. Il est m?me possible que ces deux hypoth?ses ne

s'excluent pas mutuellement. Il faut pr?sumer que Lancelot fit la connaissance de Ronsard aux cours de

Dor?t, que ces relations d'amiti?, bas?es sur l'int?r?t

qu'ils portaient tous les deux aux uvres de l'antiquit?, eussent pu devenir plus ?troites sans une querelle au d?but; c'est l? une interpr?tation possible des mots de l'H?pital ? malis inchoatam principiis amicitiam. ? Autrement dit, il est concevable qu'il y ait eu une rupture entre Lancelot et Ronsard avant la querelle proprement dite entre celui ci et Saint-Gelais.

En tout ?tat de cause, il existe une preuve que l'id?e

que l'H?pital se faisait de l'influence de Lancelot aupr?s du roi est tout ? fait exacte, c'est un po?me intitul? A Lancelot de Carle, E. de Riez, contenu dans les Gayetez d'Olivier de Magny publi?es en 1554. Magny, apr?s avoir dit qu'il n'oubliera jamais Lancelot, fait allusion au

bonheur que lui a donn? leur amiti? :

? Ou soit, Carie, pour auoir Si bien sceu gaigner ta grace, Ou soit Carie pour te voir Fauorir ma ryme basse.

Ou soit pour vn iour des Roys, Pres du plus grand Roy du monde, Auoir escout? ta voix Paissant son oreille ronde,

Et versant dedans son sein

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104 LEWIS C. HARMER

Ta merueilleuse doctrine, T'auoir veu lire vn dessein Que fait le vendomois eigne,

Vn dessein que, docte, il faict De sa docte Franciad?, Ou si bien il contrefaict L'escriuain de Iliade.

O bons Dieux, de quel debuoir Te vis ie adone, Docte Carie, Faire estime du s?auoir De celluy dont ie te parle ?

Et nullement enuieux, De quel cueur t'ouy-ie dire, Comme il imitoit des vieux Les meilleurs sons de la lyre ? ?

Le ? Vendomois eigne ? est, bien entendu, Ronsard ; et s'il faut en croire le t?moignage de Magny, Lancelot lut au roi le canevas, ou une partie, de la Franciad?, en faisant en m?me temps l'?loge de son auteur. Cet incident eut lieu le 6 janvier

? ? vn iour des Roys ? ? et presque cer tainement en 1554 *. M. Favre dit, dans sa th?se sur Olivier de Magny : ? Le prologue de la Franciad? fut lu le

jour des rois de l'ann?e 1550 ou 1551 par Lancelot de Carie devant Henri II ? 2 ; mais cela ne peut pas ?tre

exact, car, en 1551, la querelle Saint-Gelais-Ronsard ?tait

d?j? engag?e et la lettre de l'H?pital, ?crite, comme on l'a vu, le 1er d?cembre 1552, montre que la querelle dura

jusqu'en 1553, affirmation confirm?e d'ailleurs par le fait

que l'ode ? Saint-Gelais ne parut qu'en 1553 dans la seconde ?dition des Odes de Ronsard 3.

Colletet, bien qu'il ne cite pas nomm?ment Ronsard,

1 J'?tais arriv? ? cette conclusion avant de lire L'influence de Ronsard de M. M. Raymond (Paris, 1927), qui dit (t. I, p. 34), sans apporter aucune preuve de la date : ? D?s le mois de janvier 1554, Lancelot de Caries, qui repr?sentait nagu?re, avec Saint-Gelays, l'ancienne po?sie, donne lecture au roi d'un projet de Franciad?. ?

2 Olivier de Magny, par Jules Favre, Paris, 1885, note 4 de la

page 34. Voir aussi page 16. 8 Dans l'?dition des uvres po?tiques de Jacques Peletier du

Mans publi?es d'apr?s l'?dition originale de 1547 par L?on S?ch? avec commentaire et notes par Paul Laumonier, Paris, Revue de la Renaissance, 1904 ? celui-ci dit (page 156) : ? Dans la querelle

Melin de Saint-Gelais-Ronsard, il ( =

Carie) prit ouvertement

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LANCELOT DE CARLE 105

fait allusion ? cette intervention de Lancelot en faveur du ? Vendomois eigne ? : ? il (Michel de l'H?pital) l'exhorte

(Lancelot), luy qui frequente les roys et les autres poetes fran?ois du royaume, d'avoir la bont? d'introduire dans le cabinet de Leurs Majest?s quelques autres bons poetes de France qui n'osoient en approcher, par respect ou par crainte de n'y estre pas bien re?euz, ce qu'il fit depuis avec beaucoup de courage et de g?n?rosit? ? 1 ; et du Bellay en parle aussi dans un po?me intitul? A Pierre de Ronsard

(cit? par Colletet) et qui renferme les vers suivants :

? Ronsard, la plus grand' part de nostre docte bande, Et de mon ame encor' la partie plus grande, A qui doit nostre Lyre & son archet Thebain, Et les nerfs de son fust remont? par ta main, France, mere des arts, France te retient ores, Et te retient la court de mon grand Prince encores : Ou l'honneur de Bordeaux, ton Caries maintenant

Va d'une docte voix tes doctes vers tonnant, Caries des Muses prestre, ? qui la vierge sage A d'un franc naturel fa?onn? le courage. Par luy tu es aym? des Princes & du Roy, Et par luy l'enuieux ne mesdit point de toy 2. ?

Lancelot avait donc suivi l'exemple de Saint-Gelais et s'?tait raccommod? avec son ancien camarade du

Coll?ge de Coqueret ; Magny parle de cette amiti? renou?e en termes tr?s chaleureux :

? Aussi de quel graue vers

Ay-ie veu ce grand Terpandre, En cent et cent traietz divers

Faire tes vertus entendre ?

parti pour ce dernier ? la Cour ; nous en avons la preuve dans le d?but de Hymne des Daimons et dans une pi?ce des Gayetez d'O. de Magny ?. Ce n'est pas l? une affirmation tout ? fait exacte car elle ferait supposer que Lancelot avait pris fait et cause

pour Ronsard d?s le d?but. Or, la lettre de l'H?pital prouve qu'il n'en est rien. Dans l'?dition qu'il donna de Binet, en 1910, cepen dant, M. Laumonier est plus pr?cis en disant : ? Carie partagea l'animosit? de Saint-Gelais contre Ronsard. ?

1 Op. cit., p. 20.

2 Selon M. Chamard, ce po?me fut ?crit en 1555 ou 1556. Voir

p. 360 du premier volume des uvres Po?tiques de j. du Bellay, ?d. H. Chamard, Paris, 1923.

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106 LEWIS C. HARMER

Et franchement s'animant, En combien de mille sortes, L'ay-ie veu, Carie, estimant

L'amiti? que tu luy portes ? Or, se disant enflamm?

D'une amyti? mutuelle, Or, se disant aflam? De la voir perp?tuelle.

L'Aune se vest au Printems

Soubz sa parure ancienne, Mais i'apper?oys en tout tems

Augmenter l'amyti? sienne. ?

Ronsard saisit bient?t l'occasion de montrer sa recon

naissance ? Lancelot en lui d?diant son Hymne des

Daimons de 1555. Sous sa forme primitive, ce po?me com mence par quarante-huit vers tr?s flatteurs pour Lancelot o? l'auteur s'excuse de ne pas l'avoir remerci? plus t?t et fait allusion, en disant merveille de lui, aux voyages en

Angleterre et en Italie de Lancelot et ? sa traduction de YOdyss?e. Ces vers valent la peine d'?tre cit?s, car la

flatterie y est tellement exag?r?e qu'on dirait qu'ils sont

inspir?s par le d?sir de s'assurer encore d'autres faveurs 1 :

? ..... je pense apr?s que trop foible est mon dos

Pour porter aux Fran?ois la charge de ton loz,

Car, o? est cestuy-l? qui puisse bien descrire L'honneur & la vertu dont la France t'admire ? Les faueurs que les Rois, & les Princes te font ?

Qui pourroit racompter de combien de louenges Tu te veis honor? par les pais estranges, Discourant l'Italie et l'Angleterre, ? fin De te faire vn Vlysse accort, prudent, & fin ? Qui pourroit bien narrer ta diuine eloquence Toute pleine de miel, qui a tant de puissance Qu'elle rauist le c ur de l'homme...

Bref, qui pourroit conter ta graue humanit?, Ta douceur, ta candeur, & ta b?nignit?,

1 Publi?s r?cemment par ?.-M. Schmidt, Hymne des Daimons,

p. 9-12.

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Et de ton noble esprit les forces & les graces, Dont, ? mon jugement, les Courtisans surpasses ? Car, ? la v?rit?, tu ne te veux vestir D'habit dissimul?, pour tromper ne mentir : Tu es rond en besongne, & dans la Court royale le n'ay veu (sans flater) personne qui t'?galle... ?

Les quarante-huit vers sont r?duits ? dix dans l'?dition de

1569, puis ? six dans celle de 1578, pour ?tre compl?te ment supprim?s dans l'?dition d?finitive des uvres de Ronsard *, indice que l'amiti? entre les deux hommes n'a

pu ?tre tr?s profonde. Il y a quatre autres allusions ? Lancelot dans les po?mes

de Ronsard. Elles donnent l'impression, bien qu'? un

moindre degr?, que Ronsard regardait Lancelot plut?t comme un homme ayant de l'influence ? la Cour, qu'il est

sage de flatter, qu'en vrai ami. Trois de ces passages font allusion ? l'excellence de Lancelot en tant que po?te

?

dans l'un d'eux la flatterie est tr?s outr?e, Ronsard se

range lui-m?me comme po?te bien au-dessous de Lance lot

? :

? S'il (Jupiter) se vante d'auoir un Apollon chez luy, Tu en as plus de mille en ta Court auiourd'huy, Vn Carie, un Saint-Gelais, & ie m'ose promettre De seconder leur rang, si tu m'y daignes mettre. ? 2

? Ma muse quelquefois sera de vous aim?e, Puis que vostre faueur est toute accoustum?e

D'attirer doucement les Po?tes chez vous, Non pas comme seigneur, mais comme pere dous.

Sainct Gelais est ? vous, Carie est ? vous encore, Et Dor?t aux vers d'or qui vostre nom redore. ? 3

? Mon Bellot, il est vrai que les Pasteurs d'ici M'estiment bon Po?te, & ie le suis aussi ! Mais non tel qu'est Michau, ou Lancelot qui sonne Si bien de la Musette aux riues de Garonne,

1 Voir Ronsard, uvres compl?tes, ?d. Paul Laumonier, Paris, Lemerre, 1914-1919, vol. 7, pp. 436-437.

8 Hymne de Henry deuxiesme de ce nom, Roy de France de 1555.

8 Epistre ? Charles, cardinal de Lorraine de 1556.

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108 LEWIS C. HARM ER

Et mon chant au prix d'eux est pareil au Pin?on, Qui veut du Rossignol imiter la Chanson. ? 1

Dans le quatri?me, Ronsard affirme avoir seul, avec Guillaume des Autels et Lancelot de Carie, d?fendu les

catholiques contre les protestants :

? Si ne voy-ie pourtant personne qui se pousse Sur le haut de la breche & l'ennemy repousse Qui braue nous assaut, & personne ne prend La plume & par escrit nostre loy ne defend : Les peuples ont recours ? la bont? celeste, Et ? Dieu sans s'ayder recommendent le reste :

Comme gens esperdus demeurent ocieux,

Ce-pendant les mutins se font victorieux.

Carles & toy & moy, seulz entre cent mille hommes Que la France nourrist, opposez nous y sommes

Et faisant de nous trois paroistre la vertu, D'un magnanime cueur nous auons combatu, Descouurant l'estomac aux playes honorables

Pour soustenir l'?glise & ses lois venerables, Et celles du pais, auquel nous sommes nez, Et pour l'ayde duquel nous sommes ordonnez. ? 2

Il est, ? mon avis, tr?s douteux que Lancelot ait ?t? pour quelque chose dans la Chanson satirique sur le Colloque de

Poissy, mais s'il faut en croire le titre ? Chanson, faicte par Lancelot Carles Euesque de Gier (sic) contre les docteurs & ministres assemblez ? Poissy, 1561. Ronsard et Ba?f y ont aussy besogn?3

? la r?conciliation entre les deux po?tes ?tait si compl?te qu'ils collabor?rent ? ce po?me.

1 Eclogue III ou Chant pastoral sur les nopces de Monseigneur

Charles, duc de Lorraine, Madame Claude, fille deumesme du Roy Henry IL

2 Discours ? G. Des-Autels. Peut-?tre, dans ce passage, Ronsard fait-il allusion ? la traduction que donna Lancelot du De expresso

Dei verbo de Stanislas Hosius, ?v?que de Warmie, sous le titre de Traict? de l'Expresse Parole de Dieu, mais il n'est pas impossible que le po?te pense plut?t ? ? quelques sonnets chr?tiens ?

qui suivent la paraphrase de l'Ecclesiaste. Cet ouvrage ne fut publi? qu'en 1561,

mais, comme le sugg?re M. Laumonier, il se peut que les sonnets aient circul? en manuscrit d?s 1560.

3 C'est l? le titre donn? dans les Euvres en Rime de Ian Antoine de Baif..., ?d. par Ch. Marty-Laveaux, Paris, 1890. Voir tome V, p. 289.

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Ronsard ne fut pas le seul des hommes de son ?poque auquel Lancelot rendit service en lisant ses vers au roi.

Colletet, nous l'avons vu, affirme qu'il eut la bont? ? d'in troduire dans le cabinet de Leurs Majest?s quelques autres bons poetes de France ; de l?, dit Colletet, pro c?dent... tant d'?loges qui luy ont est? donnez par les

meilleurs espritz de son si?cle? x. Et en effet, si des allusions flatteuses sont un vrai indice de reconnaissance, un autre

po?te, Olivier de Magny, lui-m?me admirateur de Ron sard et qui ?tudia probablement le grec sous Dor?t, ?tait

l'oblig? de Lancelot. On ne sait ni o? ni quand Lancelot fit sa connaissance,

bien qu'il soit probable que ce f?t ? ? acad?mie ? de Dor?t vers 1548 2. En 1553 3, apr?s la mort d'Hugues Salel, dont il avait ?t? secr?taire, Magny chercha et trouva un nouveau protecteur en la personne de Jean de Bourbon, comte d'Enghien et de Soissons, o? il fut tr?s malheureux. Ses amis lui cherch?rent une vie plus agr?able. ? Tous se mirent en qu?te, dit M. Favre, pour procurer ? Magny une vie plus tranquille. Au premier rang, il faut citer Lancelot de Carie et surtout Fran?ois de Charbonnier. Ils ?taient les amis de Salel ; c'?tait chez Salel qu'ils avaient connu

Magny... Comme tous leurs compagnons, ils ?taient ?mus de la pieuse reconnaissance qu'il gardait ? son ma?tre...

Peut-?tre aussi firent-ils un retour sur eux-m?mes. Pro

vinciaux comme lui, ils se rappel?rent les difficult?s et les d?sillusions de leurs premi?res ann?es de s?jour ? Paris. Ils recommand?rent donc Magny ? Jean de Saint-Marcel, seigneur d'Avanson, de Saint-Etienne, de Saint-Romain et de Vausserre, l'un des plus grands personnages de la cour, et leur recommandation fut agr??e ? 5.

M. Favre n'apporte aucune preuve de ces affirmations.

1 Colletet, Op. cit., p. 20.

2 Favre, Op. cit., pp. 33 et 34.

3 Favre, Op. cit., p. 38, dit que Salel est mort en 1551. M. Louis

Alexandre Bergounioux, dans son introduction aux uvres

Po?tiques de Hugues Salel, 1929, prouve (pages 50-52) qu'il est mort en 1553.

4 Favre, Op. cit., pp. 42 et 43.

5 Favre, Op. cit., p. 44.

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110 LEWIS C. HARMER

Dans un autre passage, d'ailleurs, il dit que ? ce fut surtout avec Dor?t, de 1547 ? 1549, que Magny approfondit la

langue d'Hom?re, pour laquelle il montrait un go?t tr?s vif. De m?me que Lancelot de Carie pr?parait sous la direction de ce ma?tre la version du premier livre d'H?liodore des

Ethiopiques et cette traduction de VOdyss?e qui ne fut

jamais publi?e, ...Olivier de Magny... ?tudiait Iliade, que traduisait son ma?tre Hugues Salel ? x. Or, cela ne

peut ?tre tout ? fait exact, car la traduction d'H?liodore

que fit Lancelot ?tait certainement finie avant la mort de

Fran?ois Ier, c'est-?-dire avant le 31 mars 1547 2 et, d'autre

part, rien ne confirme la th?orie, pour s?duisante qu'elle soit, que Lancelot traduisit VOdyss?e sous la direction de Dor?t. Force nous est donc de ne pas accepter sans r?serve l'affirmation de M. Favre en ce qui concerne le r?le qu'a pu jouer Lancelot dans la recommandation de Magny ? d'Avanson.

Que Lancelot se soit montr? l'ami de Magny, c'est vrai

semblable, ? en croire le t?moignage apport? par cer tains des po?mes de celui-ci. C'est ainsi qu'un quatrain, par exemple, de ce po?me des Gayetez de 1554, dont j'ai d?j? cit? une partie, indique clairement que Lancelot ?tait devenu le protecteur de Magny le po?te :

? Ou soit, Carie, pour auoir Si bien sceu gaigner ta grace, Ou soit Carie pour te voir Fauorir ma ryme basse. ?

Dans son Hymne sur h naissance de Madame Marguerite de France, publi? en 1553, Magny avait d?j? fait allusion ? la faveur dont jouissait Lancelot ? la Cour :

?.et toi, Caries encore

Que nostre Roi, et nostre France honnore. ?

et dans VOde au Seigneur Gabriel le Seneux, de la m?me

ann?e, il parle de la po?sie de Lancelot, d?pr?ciant,

1 Favre, Op. cit., pp. 33, 34 et 35.

2 Voir Annuaire de l'association pour l'encouragement des Etudes

grecques en France, t. XVII (1883), p. 331, note 3.

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LANCELOT DE CARLE 111

comme Ronsard, ses propres dons po?tiques compar?s au ? lue si parfait... que Caries entonne ?. Dans son ode De la Venue du printemps, il fait encore une fois mention du ? luth si parfaict ? de Lancelot ; le po?me des Gayetez d?di? ? Lancelot finit par le quatrain suivant :

? Carie, ? qui Phebus donna Sa lyre d'or rauissante

Quand Clion te couronna D'une branche verdissante. ?

Compliment d?licat sur YEpistre contenant le proc?s crimi nel faict ? Vencontre de la royne Anne BoMant d'Angle terre ; le neuvi?me sonnet des Soupirs est adress? ? Lan celot et fait allusion en termes flatteurs ? alliance en lui de l'?rudition et du g?nie po?tique ; dans le cent-vingti?me sonnet du m?me livre, Magny compare la perfection du

style de la dame, dont il chante les qualit?s, ? celle d'un

Duthier, d'un Saint-Gelais et d'un Carie ; dans un sonnet des Derni?res Po?sies, il loue encore une fois l'?rudition et la po?sie de Lancelot ; et enfin, dans une ode ? Honnor?

Castellan, m?decin de la reine, il parle de quelque maladie dont souffrait Lancelot et esp?re que Castellan pourra

gu?rir ? Carie, ce pr?lat si scavant,

Qui daigne escouter si souvent Les vers que ma Muse luy parle.

?

Ces po?mes ou allusions ? Lancelot t?moignent de la reconnaissance de Magny envers lui, et il est l?gitime d'en conclure que Lancelot ?tait son protecteur ? la Cour. Mais rien ne nous permet de supposer, comme le fait M. Favre, que Lancelot ait ?t? l'?mi du premier protecteur de Magny, Salel. Que Lancelot ?it fait la connaissance de Salel ? la Cour, c'est presque certain ; Lancelot, nous dit

Brant?me, jouissait d'une grande r?putation comme dan seur ? la cour de Fran?ois Ier, et Salel fut d'abord le ? valet de chambre ordinaire ? de ce roi, et plus tard son ? maistre d'hostel ?, ?tant tr?s bien vu de lui1. Mais apr?s la mort

1 Op. cit., p. 42.

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112 LEWIS C. HARMER

de Fran?ois, en 1547, Salel se retira dans son abbaye de

Saint-Ch?ron, pr?s de Chartres, sans toutefois perdre enti?rement contact avec le milieu qu'il venait de quitter 1.

Lancelot, au contraire, ne perce pas ? la cour ? du moins autant qu'on peut le savoir ? avant l'av?nement d'Henri II. M. Bergounioux ne fait aucune allusion ? une

telle amiti? 2. Aucun des po?mes de Salel n'est adress? ?

Lancelot, bien qu'il y en ait un, par exemple, ? Ronsard et ? Du Bellay 3; et nulle part, dans ses uvres, il ne parle de Lancelot. Salel, il est vrai, traduisit une partie de Iliade et, dans le po?me qui pr?c?de l'?dition de 1545,

laisse supposer qu'il allait entreprendre aussi une version de VOdyss?e 4, projet qui ne fut jamais mis ? ex?cution ; et il est presque certain que Lancelot fit, ou du moins

commen?a, une traduction de VOdyss?e. Mais c'est l?, semble-t-il, le seul point de contact entre les deux hommes, en plus de leur amour de l'antiquit? et leur protection de

Magny ; ce n'est pas suffisant pour en conclure qu'ils furent amis. On peut m?me trouver un petit argument contre cette hypoth?se dans le fait que Salel admirait

beaucoup Ronsard ? t?moin son po?me ? Ronsard et ? du Bellay

? tandis que, en 1553, ann?e de la mort de

Salel, Lancelot et Ronsard ?taient, selon toute probabilit?, encore brouill?s.

Dans les uvres des autres po?tes de la Pl?iade, Belleau, Ba?f, Jodelle, il n'y a aucune allusion ? Lancelot. Qu'il fit la connaissance de ces po?tes, c'est certain, s'il faut en

croire Binet en ce qui concerne ? acad?mie ?. Mais il n'existe aucune preuve qu'il fut leur ami, et il n'est pas ?tonnant qu'ils n'aient mentionn? dans leurs uvres un

homme qui leur ?tait connu seulement par ce que, comme

eux, il ?tait venu boire ? la ? fonteine dor?e ? des anciens.

1 Op. cit., pp. 49 et 50.

2 Lancelot est mentionn? seulement deux fois par M. Bergou nioux : une fois (p. 41) comme un des auteurs des Blasons, ailleurs

(p. 87), comme traducteur pr?sum? de VOdyss?e. 8 Op. cit., p. 323.

4 Op. cit., pp. 88 et 290.

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LANCELOT DE CARLE 113

Ce qui surprend, par contre, c'est de ne trouver aucune allusion ? Lancelot dans l' uvre de Saint-Gelais. Lancelot avait d?j? fait sa connaissance en 1538. Saint-Gelais ?tait le po?te de la Cour et, au moment de la brouille avec

Ronsard, les deux hommes se connaissaient depuis douze ans. Ils ?taient devenus de grands amis, car Lancelot d?fendit Saint-Gelais ? la Cour contre les nouveaux

po?tes ? d?fense o? il se montra probablement plus

intransigeant que le po?te lui-m?me, ?tant donn? que la r?conciliation entre Ronsard et Saint-Gelais semble avoir eu lieu avant celle de Ronsard et Lancelot. On s'atten drait ? ce que Saint-Gelais, ? une ?poque o? les po?tes avaient l'habitude de s'adresser des vers et de faire allusion les uns aux autres, dans leurs uvres en termes flatteurs

(ou injurieux), t?moign?t sa reconnaissance ? Lancelot de cette fa?on. Il n'en est cependant rien ; on peut en conclure que si le po?te de la Cour n'adressa aucun po?me ? Lancelot pour affirmer sa fid?lit?, c'est qu'il ?tait surtout d?sireux de cimenter sa nouvelle amiti? avec Ronsard et d'?viter de l'offenser. Lancelot approuvait sans doute cette ligne de conduite, car, lui aussi, se r?concilia avec Ronsard d?s 1554.

C'est vers 1554 qu'Etienne de La Bo?tie se maria avec

Marguerite, s ur de Lancelot1. La Bo?tie, comme son

beau-fr?re, ?tait humaniste et hell?niste2 ; comme son

beau-fr?re, il ?crivait des vers fran?ais et latins. Il est mort le 18 ao?t 1563 3, et Lancelot avait publi? avant cette date toutes ses uvres, la derni?re ?tant la Lettre de VEvesque de Riez au Roy, dont le privil?ge est dat? du 13 mai 1563. Le mariage de La Bo?tie fut extr?mement heureux 4

; et on se serait attendu ? voir l'ami de Mon

1 Voir uvres compl?tes de La Bo?tie, publi?es... par Paul Bon

nefon, 1892, Introduction, p. xx. 2 II traduisit en fran?ais, par exemple, l'Economique de X?no

phon et les Pr?ceptes sur le mariage de Plutarque. Voir Bonnefon, Op. cit., p. 59.

8 Voir Bonnefon, Op. cit., Introduction, p. xxxv, 4 Voir Bonnefon, Op. cit., Introduction, p. xx,

3

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114 LEWIS C. HARMER

taigne adresser des vers ? son beau-fr?re, faisant l'?loge ou de sa carri?re diplomatique ou de ses uvres litt?raires

? d'autant plus qu'il adresse des po?mes latins ? des hommes moins importants tels que Jean de Belot1. Mais il n'y a dans l' uvre de La Bo?tie aucune allusion ? Lancelot. Dans le Discours de la Servitude volontaire, La Bo?tie parle en termes tr?s flatteurs de trois des po?tes de la Pl?iade, disant que la po?sie fran?aise a ?t? ? faite tout ? neuf par nostre Jlonsard, nostre Ba?f, nostre du Bellay, qui en cela auancent bien nostre langue, que i'ose esp?rer que bien tost les Grecs ni les Latins n'auront gueres, pour ce regard deuant nous, sinon, possible, le droit d'ais nesse ? 2 ; le fait que La Bo?tie n'ait pas lou? son beau fr?re ne prouve rien.

Si l' uvre de La Bo?tie est inutile au biographe de Lancelot de Carie, il n'en est pas de m?me de celle de Michel de l'H?pital. Celui-ci adresse ? Lancelot trois

po?mes latins. Dans l'un d'eux, il fait appel ? Lancelot, ? Saint-Gelais et ? Jean des Montiers pour qu'ils intro duisent aupr?s du roi d'autres po?tes qui cherchent ? faire leur chemin 3. Mais les deux autres sont plus per sonnels ; dans le premier, l'H?pital reproche aimable

ment ? son ami de vouloir mettre la lumi?re sous le

1 Voir BoNNEFON, Op. cit., pp. 207 et 215. 2

BONNEFON, Op. Cit., p. 43. 8 ? Quid tu, quid Frcssius, quid nielle Gelasius omni

Dulcior, ecquid agit rcliquorum candida vatum Et dilecta cohors ? Opibusne intenta parandis Pi?rides ipsumque cxcussit pectore Phoebum ?

Magna palatinos accendinit praemia vates,

Magnus honos, sua quum recitari principis ante Ora vident, ferrique in coclum scripta. Quid inde ?

Larga ncmpe manu prctium rcx carminis aequat. Esuriunt alii studiis et honore carentes,

Splendida non ausi contiiigcre limina regum, Sicque suis plurcs noti modo civibus aulam

Principis et vultus nunquam subiere serenos. ? Non eadem semper fortuna, vel omnibus una est. ?

At vos qui tumidi servatis limina regum, Qui faciles Musas intro quum vultis ad illos

Ducitis, aut sacro prohibctis limine ; quorum Omnes arbitrium subeunt ubicunque poetae, Externis aperite fores virtutibus aequi ;

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LANCELOT DE CARLE 115

boisseau : ? As-tu pu cacher, Carie, pendant tant d'ann?es une si grande gloire ? La cacher aux autres ? Et, ce qui m'?tonne davantage, la cacher ? un vieil ami qui t'aime tant et ? qui ta renomm?e est si ch?re ? Cacher un talent si rare pour ?crire de la po?sie ? D'autant plus que, apr?s avoir lu mes uvres, tu les as approuv?es, bien qu'elles soient rudes et frustes ?... Est-ce ainsi que tu fuis les

louanges et d?daignes les honneurs que tu as m?rit?s ?... Et pourtant,toutes les fois que tu loues les uvres d'autres

po?tes,tu le fais si g?n?reusement et avec tant d'?loquence; pour toi les po?tes sont sup?rieurs aux autres hommes ; et tu as l'habitude de porter l'art de la po?sie jusqu'aux nues ?Le ton du po?me tout entier est d?licieusement

familier, et il est int?ressant de noter l'hommage que l'H?pital rend ? Lancelot pour ses g?n?reux ?loges des autres po?tes et son amour de la po?sie.

Le troisi?me, et le plus long des po?mes que l'H?pital d?die ? Lancelot, parle de quelque exp?dition militaire

entreprise par le roi, que Lancelot accompagne : ? Tu

iras, mon ami, dit l'H?pital, comme compagnon de ton

roi, et bien que tu aies appris ? manier la plume et ? ?crire des vers, tu iras sans armes parmi des hommes arm?s et qui

Nes mala suspicio, nec vos aliena rctardet

Gloria, nec magni trepidum certamen honoris, Quos sua jampridem virtus super aethera raptos Exemit numeris, altaque in sede locavit. ?

uvres compl?tes de Michel L'Hospital... par P. J. S. Dufey, Paris, 1825, vol. Ill, p. 182, Ad Lancelotum Carlum, Episcopum Rhegiensem.

1 ? Dissimulare etiam potuisti, Carle, tot annos ? Dissimulare aliis ? et quod mage miror, amico Tarn caro veterique, tuae tam laudis amanti, Tantum, Carle, decus ? tam raram carminis artem Scribendi ? quum tu praesertim nostra legendo, Quamvis dura tarnen, quamvis inculta, probares... Sic laudem refugis ? m?ritos sic spernis honores ?...

Atqui larga tibi fecundo copia semper Ore fluit, quoties aliorum carmina laudas, Et vates null is hominum postponis, et ipsam Ferre soles meritis ad coelum laudibus artem. ?

Op. cit., t. III, p. 71.

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116 LEWIS C. HARMER

porteront de cruelles lances, de m?me que, ? ce qu'on dit, le c?l?bre po?te Ennius suivit le courageux fils de

Scipion dans le camp romain. Il vous incombera de chanter les exploits d'un chef aussi grand, et son front sera

ceint d'une couronne de lauriers non moins ample. Mais

toi, je te recommande de fuir les ?p?es et d'?viter avec

prudence les pi?ges des soldats ib?riens, car souvent le sort hostile des armes entra?ne ceux qui ne se battent pas dans une triste mort ; et on ne saurait adoucir Mars avec

les chants des po?tes *. ? L'allusion aux soldats ib?riens, si elle n'est pas une simple m?taphore, fournit peut-?tre un indice qui nous mettra ? m?me de deviner de quel ?v?nement il s'agit. A premi?re vue, on dirait que l'H?pi tal parle de quelque projet d'offensive ? la fronti?re

nord, pendant la guerre contre l'Espagne qui se livra par intervalles, entre 1552 et 1559, ann?e du trait? de Cateau Cambr?sis. Mais ? cela on peut objecter que le roi ne

dirigea pas la guerre en personne, ses g?n?raux ?tant le victorieux Fran?ois, duc de Guise, et le malheureux conn? table de Montmorency, qui fut bless? et fait prisonnier au d?sastre de Saint-Quentin en 1557 ; il est peu probable que Lancelot ait accompagn? une arm?e fran?aise en

campagne, puisqu'il r?side ? Riez, avec de tr?s rares

absences, entre 1554 et 1560. Cependant, pour c?l?brer la

paix de Cateau-Cambr?sis, et les mariages de sa fille et de sa s ur, Henri II d?cida que de grandes r?jouissances auraient lieu ? Paris en juin 1559. Le duc d'Albe, accom

pagn? d'une magnifique suite de cinq cents cavaliers, y assista comme repr?sentant du roi d'Espagne. On organisa

1 ? Ibis, amice, tuo regi comes, ibis inermis Inter et armatos et spicula saeva ferentes, Instructus calamo scribendis versibus apto, Egregius vates perhibetur ut Ennius olim

Scipiadam fortem Romana in castra sequutus. Nec cantare ducis continget facta minoris, Cinget honoratam brevior nec laurea frontem. Sed fuge tu gladios, moneo, fuge cautus Iberi Militis insidias ; nam tristi saepe ruina Imbelles fortuna premit contraria belli, Et Mars carminibus nescit mansuescere vatum. ?

Op. cit., t. III, p. 161.

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lancelot de carle 117

des tournois entre Fran?ais et Espagnols o? Henri lui m?me rompit une lance ou deux et o? il re?ut la blessure dont il mourut dix jours plus tard. Il se peut fort bien

que Lancelot ait ?t? invit? ? assister ? ces r?jouissances, et, par cons?quent, que ce soit ? cet ?v?nement que l'H?pital fasse allusion.

Ces po?mes montrent que l'H?pital fut l'ami, et m?me l'ami intime, de Lancelot. Denis Lambin, dans son dis cours inaugural de 1563 sur la Rh?torique d'Aristote, parle des efforts faits par plusieurs personnes de marque pour faire payer aux professeurs du Coll?ge Royal leur traitement longtemps arri?r?. Parmi les hommes dont il fait mention, se trouvent ? vir sapientissimus Michael

Hospitalis Regis cancellarius ? et ? vir humanissimus Lan cilotus Carlus episcopus Regiensis ? ; et il est int?ressant de noter que ces deux amis, amateurs ? la fois de po?sie et d'?rudition, ont le m?me d?sir de prot?ger les droits d'autres savants, plus humbles mais non moins ?rudits

qu'eux. C'est vraisemblablement ? cause de son ?rudition et de

l'influence dont il jouissait aupr?s du roi que Lancelot fut respect? et flatt? par la plupart des hommes cit?s

plus haut. Michel de l'H?pital semble avoir ?t? son seul ami sinc?re et d?sint?ress?, bien qu'il soit possible que Saint-Gelais l'ait ?t? ?galement ; quant aux autres, on

peut pr?sumer que Du Bellay et Pontus de Tyard flat t?rent Lancelot pour le compte de Ronsard, et celui-ci et Magny dans leur propre int?r?t. Mais, si tous le flat t?rent pour s'assurer son appui ? la Cour, tous rendirent

hommage ? son ?rudition et cet hommage est d'autant

plus frappant qu'il fut rendu ? une ?poque o? les po?tes ?taient savants et o? l'?rudition et la litt?rature mar chaient de pair.

Lewis C. Harmer.

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THE EARLY CAREER OF JOHN GORDON, DEAN OF SALISBURY

In 1603 John Gordon became Dean of Sarum. He had

among his contemporaries there, and has enjoyed since his death in 1619, a reputation for great learning and

piety. He was a favorite of King James I, and took part at his command in the Hampton Court Conference. He

preached often before the King, and on one of these occa

sions, at Oxford, the degree of Doctor of Divinity was conferred on him. Because of his prominence between 1603 and 1619, he is listed in the Dictionary of National

Biography and other collections. Such notices included stories of his earlier career which seem to be based on

records or traditions in the Gordon family. We are told that John Gordon was Bishop of Galloway ; that he held both a benefice and a pension through the generosity of

Mary, Queen of Scots ; that he was Gentleman-in-Waiting to three kings of France, Charles IX, Henry III and

Henry IV ; that he took part in two famous disputations in France, one against Cardinal Duperron, and the other

against a Jewish scholar ; finally that he was learned in

law, theology and ancient languages, and wrote much in these fields l. We gather that he was a pillar of the Church in three countries.

A study of Gordon's life prior to 1603 reveals him as an

adventurer, albeit a fairly popular and successful one. It shows that he courted the favor of several sovereigns

1 Dictionary of National Biography, Oxford University Press,

1917 ff. VII, 212-214; Hew Scott, Fasti Ecclesiae Scoticante, London, 1866-1871, I, pt. 2, 775-776; Wood, Athenae Oxon., 1?91, I, 795 ; C. A. Gordon, A concise history of the antient and illustrious house of Gordon, Aberdeen, 1754, 114-115, 297-300 ; Sir

Robert Gordon, A genealogical history of the earldom of Suther

land, Edinburgh, 1813, 290-294 ; Alexander Gordon, The great laird of Uriel : Theological Review (London), 1874, XI, 524-525.

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JOHN GORDON, DEAN OF SALISBURY 119

almost simultaneously in the hope of getting appoint ments or pensions, and that his religious pretensions, if not his actual affiliations, included at various times the Catholic and Reformed Churches in both Scotland and

France, as well as the Established Church in England. He was typical of the impecunious Scottish adventurer of his day, and he changed his religion as expediency dictated.

John Gordon was born September 1, 1544 the eldest son of Alexander Gordon, Bishop of Galloway and titular

Archbishop of Athens, one of the first of the Scottish

bishops to accept the Reformation2. John Gordon is

supposed to have been educated at St. Leonard's College, St. Andrew's. In 1564, he and his younger brother Law

rence, received pensions to permit them to continue their studies 3.

John Gordon is believed to have gone to France in

1565, and to have studied at the universities of Paris and Orl?ans from 1565 to 1568 4. He was probably in Paris, but not at the university, when he received an appoint-, ment as gentleman-in-waiting to King Charles IX, March 4, 1566 5. He may have been at Orl?ans, but not

necessarily at the University, in the course of the same

1 Will of John Gordon, Somerset House, London, Ms. P. C. C. 7 Soames.

2 He is said to have been the first bishop to change over, about 1559. Cf. Robert Keith, History of the affairs of Church and State in Scotland, Edinburgh, 1734, I, 250. Alexander Gordon did not

resign his position and estates until forced to do so. He seems to have passed on the title to his son John, in 1568, probably keeping lhe revenues (Letter of Canon James M. J. Fletcher, Librarian of

Salisbury Cathedral, April 3, 1937). 3

Edinburgh, General Register House, Ms. Register of Deeds, XVII, fol. 139 v.-140. This reference was kindly sent me by Dr. Annie Cameron of the staff of the General Register House.

4 Dictionary of National Biography. Oxford University Press,

1917 . VIII, 212 ; Francisque Michel, Les Ecossais en prance et les Fran?ais en Ecosse, London, 1862, I, 272.

5 Mentioned in his obituary. His letter of appointment is cited with dates, in a decree, of the Parlement of Paris, May 7, 1649. It is implied that the letter was filed in the suit before the Parle

ment. Biblioth?que Nationale, Ms. Nouv. d'Hozicr, 158.

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120 DOROTHY MACKAY QUYNN

year In January, February, and March, 1568, he acted as treasurer of the German Nation at Orl?ans 2. Ordina

rily, Scots did not join the German Nation at Orl?ans, 3

and Gordon may therefore have been a paid treasurer, not a student. However, Scottish students did not join the German Nation at Paris, and Gordon may have affiliated there, and continued his membership at Orl?ans. There is no proof that he was ever a bona fide student in either place 4. It is significant, in this connection, that he never made claim to a degree from any university, although he was in the habit of boasting of his intellectual attainments.

John Gordon longed for a place at court, ?

any court. In March, 1568, he resigned his position with the German

Nation to become tutor to the young Duke d'Enghien 5, son of Louis I de Bourbon, Prince de Cond?, who was \illed a year later at the Battle of Jarnac 6. Gordon must have lost his position soon after his appointment, for in July he sent appeals to the Scottish and English courts for employment. On July 7, 1568, he wrote to the

Regent, Murray, asking for an appointment as spy at the French court 7. To prove his intimate knowledge of the court secrets, he told the Regent of a plot to rescue Mary, Queen of Scots. Money was being sent from France, he

said, to the Duke of Alva, who was to send it to the

1 A letter of uncertain date, possibly 1566, from Pierre Daniel to George Buchanan mentions Gordon's presence in the Scottish

colony at Orl?ans. The letter is quoted and translated in P. Hume

Brown, George Buchanan, Humanist and Reformer, Edinburgh, 1890, 331-332.

2 Orl?ans, Archives du Loiret, Ms. D. 224, fol. 109.

8 There was a Scots Nation in Orl?ans until 1538, when it

merged with the Norman Nation. Cf. Vatican Library, Ms. Regina Latina, 405 ; J. Kirkpatrick, The Scottish Nation at the Uni

versity of Orl?ans, Miscellany of the Scottish History Society, II (1904), 64. 4 It should be remembered that all extant university records in

Paris and Orl?ans are incomplete. The absence of his name from the rolls does not prove that he never matriculated.

6 Archives du Loiret, Ms. D. 224, fol. 109. ?

Erroneously referred to in many Gordon records as Brissac. 7 British Museum, Ms. Cotton Cal. C i, fol. 122 v.

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JOHN GORDON, DEAN OF SALISBURY 121

Spanish Ambassador in England, who in turn was to

'practis withe the Lordis of Ingland" and buy " the

Quinnes delyverence out of Ingland ". He wrote again on

the twelfth of the month in the same vein \ On July 1, 1568, two letters were sent to Cecil on

behalf of Gordon. Sir Henry Norris, Elizabeth's Ambas sador at the French court, wrote that Gordon was learned in Latin, Greek, and Hebrew, and that he had supplied the embassy with certain information about Mary, Queen of Scots 2. No less a person than Ramus wrote, also on July twelfth, saying that Gordon would soon

arrive in England, bring Ramus' greetings to Cecil in

person 3. He must have gone to England as planned, but without seeing Cecil, for he wrote Cecil in December, 1569, referring to his arrival a year and a half earlier, " cast upon his (Cecil's) shores, as if by ship-wreck, and

despoiled of all his possessions and his fortune "

4. This letter is very amusing, for Gordon decorated it with notes in six languages, Syriac, Ethiopie, Arabic, Hebrew, Greek, and Latin, in the hope of empressing Cecil with his ability along these lines. The notes, however, consist only of salutations and familiar phrases which anyone could copy, and in some cases they are obviously the work of one who did not know the languages 5. Whatever Ramus may have thought of Gordon's learning, it was certainly less extensive than Gordon pretended.

For a short time in 1570, Gordon seems to have been in

Scotland, although he later denied this 6. A John Gordon,

1 State Papers, Foreign, 1566-68, 499, n? 2348. 2 State Papers, Foreign, 1566-8, 504, n<> 2364. 8

Reproduced in fac-simile and translated in Sir William Fraser, The Sutherland Book, Edinburgh, 1892, II, 111-112. I have been unable to find the original letter.

4 British Museum, Ms. Lansdowne, 12. 18. 6 The Arabic consists of the opening phrases of the Koran.

The Ethiopie shows complete ignorance of the use of the word

dividers, which are incorrectly copied. The Syriac is in an awkward hand. I am indebted to Professor U. T. Holmes of the University of North Carolina and Professor W. E. Stinespring of Duke

University for assistance with these passages. 6 In 1583, he claimed to have been absent from Scotland since 1565. Cf. State Papers, Foreign, 1583-4, 283, n? 330.

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122 DOROTHY MACKAY QUYNN

relative of Alexander Gordon and of the Earl of Huntly, took part in the negotiations between Elizabeth and the Scottish nobles, partisans of Mary, Queen of Scots. Gor don carried letters from Edinburgh to England, but was "

stayed at Berwick ". When arrangements were made to

examine him he sent word that he had become very ill and had returned to Scotland 1.

On August 9,1571, Gordon was in the train of the Duke of Norfolk, and in attendance upon Mary, Queen of Scots. On that date, he wrote Cecil, denying charges that he had written a book in support of Mary, Queen of Scots. Gordon claimed that the book, still unfinished, was on

the subject of rebellion in general, and did not refer to

Mary's difficulty at all. He promised to send Cecil a copy, and begged that he be allowed to continue in the service of his Queen 2.

Mary, however, had a different understanding of this matter. She wrote to her ambassador at the French court, Cardinal Beaton, on September 19, 1571, as follows : " Maistre Jean Gordon a escrit quelque chose pour moy en langue latine, et a bonne volonte de me faire service... Maistre Jean Gordon m'a faict dire qu'il doibt quelque argent pardela, lequel il sera constrainct payer prompte

ment ; a ceste cause je vous

prie davancer une ann?e sa

pension, qui est de deux cents francs. "

Mary also told Beaton that Gordon was spying for her into the acti vities of Cecil's agents 3.

Gordon's spying, and his efforts to be rewarded during this period, are summed up in a report of his activities made a year later, when Cecil asked for information about him in another connection. The report reads as follows, u Mr. John Gordon, son to the Bishop of Galloway... Master Johnny, eldest son, having a prompt ingyne to

letters, after some entres thereto in Scotland, passed into France and profitted well, but as age in him grew, so

1 State Papers, Foreign, 1569-1571, 224-5, n<> 827-32-, 847. 2 State Papers, Scotland, II, 901. 3 Prince Alexandre Labanoff, Lettres... de Marie StuaH, London,

1844, , 382-384.

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JOHN GORDON, DEAN OF SALISBURY 123

resembled he... the nature and qualities of his father. And albeit he nor none of his name bore goodwill to the Earl of Murray, yet being in Paris to acquire credit and

reputation, he took on him to write to my said Lord the estate of French affairs... But as soon as he understood of the Queen's escaping and coming into England, he came there also, and thinking to serve her turn more,

being in some nobleman's company, than with the Queen herself, he found means to enter into the Duke of Nor folk's service as pedagogue to his son the Earl of Surrey. The Regent and Commissioners of both parties being then in England, his custom was to dine with the one and

sup with the other, making his profit of both, and

making both privy of the other's counsels. And carrying all at home at night, he assayed his credit largely in bor

rowing of silver from such of both companies as he

thought might best spare money John Gordon evidently left for France when Mary

wrote her letter to Cardinal Beaton, or shortly after wards 2. Between 1571 and 1574, we have no record of

him, except that he was in France in 1573, and that his father asked him to return home in March of that year 3. The Gordon family, however, have three traditions con

cerning his activities during this period. First, it is said that " he returned to France ; wher, dureing the the tyme of the massacre of Paris, in the year of God 1572, he saved himself and divers of his cuntriemen of the reformed reli

gion : which he might the easier doe, being the king's domestick servant, and suspecting the plot befor hand.

1 State Papers, Foreign, 1572-1574, 250-1 ; Historical Manuscripts Commission, Calendar of Manuscripts at Hatfield House, II, 46-47, n? 120.

2 Mary wrote John Gordon and William Douglas a letter on Sept.

18v i571, apparently on the eve of their departure. Cf. Labanoff, Lettres de Marie Stuart, III, 379-80, Copy. Archives du royaume ? Par?s* Carton des Rois 95.

8 Ih February, 1573, John obtained a pension from the French

king for his father. (State Papers, Foreign, 1572-74, 266, n? 796). In March his father wrote him that he had obtained a passport for him, and that he was to return to Scotland. (State Papers, Foreign, 1672-4) 277, n? 820 ; 295, n? 859.

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124 DOROTHY MACKAY QUYNN

Then in the yeir of God 1574, he had a public disputation in the toun of Avignon, in the presence of the bishop of

Wesons and six other bishops, against the principal rabbi of the Jewes synagogue in Avignon, called Rabby Bene trius ; which disputation of his (being for the most pairt in Hebrew) was published in print, and was much thought of in France, Italy, and Germany 1. ? Neither story is very

plausible. Present opinion about the Massacre of St. Bartholomew 2 is that no one of Gordon's rank could have known the exact nature of the plot in time to save anyone. Furthermore, Gordon was at that time more intimate with the Prince of Cond? and the King of Navarre than with the plotters. Concerning the disputation, information is completely lacking. I have been unable to find any trace of a disputation in that year, or at Avignon during Gordon's lifetime 3 ; nor is there any record of a Rabbi named Benetrius, or anything approaching this, or of the published account of the disputation mentioned above 4. Gordon probably was in Avignon in 1574. The

King and part of the Court were there at Christmas, and the Cardinal of Lorraine died there on December twenty sixth 5. The 4

bishop of Wesons ' is unquestionably Wil

liam Chishom, Bishop of Vaison, near Avignon. Chis holm was a Scot 6, possibly a friend of Gordon's. Either of these circumstances may have occasioned his visit

1 Gordon, Genealogical history, 291.

2 Ernest La visse, Histoire de France..., Paris, 1911, VI (1), 125-133.

8 Such disputations were not uncommon. Cf. Jewish Encyclo pedia, Disputations. 4 I am indebted to Monsieur H. Chobaut, Archivist of the depart ment of Vaucluse at Avignon, and to Professor Jacob Marcus of the Hebrew Union College in Cincinnati for assistance in searching for records of this disputation. 5 M. S. A. G. A. P. D. P., Journal des choses memorables advenues durant tout le regne de Henri III, Cologne, 1662, 9-10 ; Antoine

Varillas, Histoire de Henri III, Paris, 1688, 90. Varillas says that

everyone in the court who was not ill was at Avignon. 6 Gams, Series Episcoporum, Leipsig, 1931, 648 ; Boyer de

Sainte-Marthe, Histoire de V?glise cath?drale de Vaison, Avignon, 1731, I, 202 ; Dictionary of National Biography, IV, 262 ; Sainte

Marthe, Gallia Christiana, Paris, 1716, I, 935.

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JOHN GORDON, DEAN OF SALISBURY 125

to Avignon, and may even have been responsible for some

sort of discussion which tradition later dignified by calling it a disputation.

The third story concerns another event of the same

year. A relative, Adam Gordon of Auchindown, was

dining in Paris with the French ambassador, Cardinal

Beaton, and John Gordon accompanied him. On the way home another Scot, Arthur Forbes, attempted to murder Adam Gordon. John Gordon is said to have tracked down the assassin, and to have persuaded his patron, the King, to take action \

Except for a mention of his marriage in 1576, we have no news of Gordon between 1574 and 1583. In December, 1583, he applied for a passport through England to Scot land. He said he could be absent only three months, because of pressing legal business about his wife's estates. He had been absent from his native land for eighteen years, longed to see the young prince, James VI, and to kiss the hand of the Queen of England. He referred to his stay in England in 1569-1571, and to his reputation as a statesman and man of letters 2. Elizabeth's agent in Paris was unwilling to vouch for him 3, but Gordon

pressed the matter. On January 8, 1584, the agent repor ted that he was suspicious about the whole affair. Gordon, he said,

<k haunts continually with the Duke of Guise and is a daily follower of the Queen Mother.

" He had ques

tioned Gordon's wife, who had insisted that her husband " doth but dissemble religion Catholicism and that he hath from the King of Scots a private commission to be as it were his agent here4.

" Then, on May first, he reported

that Gordon was " to be employed as the French King's

1 Gordon, Concise history, 114-5.

2 State Papers, Foreign, 1583-4, 283, n? 330. 8 He saith much of well-wishing to our country ; I can assure

no further than his own speeches, for I take the Scots to be the only Italians this side of the Alps (State Papers, Foreign, 1583-4, 282, n? 330).

4 State Papers, Foreign, 1583-4, 300, n? 362.

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126 DOROTHY MACKAY QUYNN

agent about the Scottish king" But for some reason Gordon did not depart.

On June 9, Gordon came to the English Ambassador with a story to the effect that Madame d'Aubigny, widow of Esm? Stuart, Duke of Lennox, had handed over her son to Gordon to be brought up as a Protestant and taken to Scotland. He wanted the Ambassador to urge Queen Elizabeth to aid the d'Aubigny family. Gordon's demand for secrecy aroused suspicions, and he was asked for a letter from Madame d'Aubigny, which was never obtai ned 2. In October, the young d'Aubigny heir left for Scotland with a devout Catholic, the " Master of Gray ", his tutor 3.

Gordon, meantime, had hit upon another way of

getting his trip to Scotland financed. He offered to proceed there as the agent of the King of Navarre, to arrange a marriage between the King of Scotland and the Prin cess of Navarre. The English agent disapproved this plan, also, for he feared that it was a scheme to permit Gordon to act in Scotland for the King of France and the Queen Mother, who counted upon his profession of the Protes tant Faith to protect him from the suspicion of being their tool 4.

Perhaps he finally made his trip in 1590. Henry, now

King of France, wrote to Queen Elizabeth under that

date, announcing the arrival of the " Sieur de Go urdan "

who would speak to her personally on his behalf 5. A tradition in the Gordon f?rnily connects John Gordon

with a debate held for the purpose of informing the

King's sister, Catherine, Duchess of Lorraine and Bar,

1 State Papers^ Foreign, 1583 and Addenda, 320, n? 288. 2 State Papersj Venetian, 1583, VIII, 76, n? 180 ; State papers

Foreign, 1583 and Addenda, 392-3, n? 362. John Gordon's uncle, the Earl of Huntly ,was one of the ? tutors ? for his children, appointed by d'Aubigny in his will. (State Papers, Foreign 1583 and Addenda, 371, n? 338). 8 State Papers, Foreign, 15834, 181-2, n? 205.

4 State Papers, Foreign, 1583 and Addenda, 392-393, n? 362. 6 Jules Berger de Xivr?y, Recueil des lettres missives de

Henri IV, Paris, 1843-58, III, 121.

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JOHN GORDON, DEAN OF SALISBURY 127

as to the relative merits of her own religion, and that to which her brother, Henri IV, had been converted. " The yeir of God 1601, John Gordoun, together with Tilenus and Dumolin, had a public disputation at

Paris, against Cardinall Peron, and divers others of the Romish religion, which was then appoynted by King Henri IV, to persuade his sister... to change her religion... which intention of King Henry was altogether hindered and crossed by the learning and forsight of John Gordoun and Tilenus 1. This story appears to be a confusion of three different conferences, represented as a single meet

ing. In 1599, Tilenus defended the Protestant cause in a

series of conferences held in Paris, for the information of the King's sister. Gordon or others may have also taken

part, but there is no evidence that they did, and it is

extremely unlikely that more than two persons spoke. The Catholic representative was the Jesuit, Commolet, and not Duperron. In 1600, however, Cardinal Duperron took part in the famous discussion at Fontainebleau. His opponent was Duplessis-Mornay, and the subject was a book written by the latter. The religion of the Princess was not in question. Gordon did not take part in this debate, nor did he have any official position at the

meeting. His friend, Gasaubon, was one of the judges. Dumoulin was involved in a third debate, with Cayet, in 1602, This likewise had nothing to do with the Princess'

religion, and Gordon could not have taken part, since only the two above-mentioned persons were involved 2. One wonders whether, years later, in an effort to enhance his

reputation as a Protestant theologian, Gordon may not

have falsely claimed a part in a fictitions event, created in his aging memory from these three real occasions.

Curiously, the year 1600 found Gordon courting the favor of Rome. This was the Jubilee year bf Pope Cle

ment VIII, and celebrations were being held in his honor

1 Gordon, Genealogical history, 292.

2 Lavisse, Histoire de France, VI (2), 88-9 ; Haag, La France

protestante, Paris, 1846, ff., II, 43?4* Hl, 230-41, IV, 420, IX, 383-7.

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128 DOROTHY MACKAY QUYNN

in various places, including Orl?ans 1. John Gordon appa

rently managed to be on hand and to compose a flowery panagyric, still extant, in Gordon's hand, at Orl?ans, u Votum Jo. Gordonii Scoti pro Clemente 8. Sommo Pon tifice. 1600 2.

"

John Gordon married twice. His first wife was Antoi nette de Marolies, daughter of Ren? de Marolies, whom he married at Nogent-le-Roi, March 4, 1576, the royal notary executing the contract 3. It is evident that she was related to Michel de Marolles, for she figures in his

genealogical records 4. This, together with the fact that her father was buried in the Cemetery of the Innocents in Paris 5, suggest that she came of a Catholic family. She herself must have become a Protestant, for one of the English reports about her husband stated that she was " an honest gentle-woman of the Religion6 ". Antoi nette brought her husband considerable property, inclu

ding the lands and title of Sieur de Longorme, du Boul

laye, et de Marolles 7. Their eldest son Armand-Claude, was born in 1580 8. The Gordon tradition that he was a

god-son of Richelieu 9 is obviously false, for he was five

years older than Richelieu, and would have been forty

1 S. GuYON, Histoire de l'?glise et dioc?se, ville, et universit?

d'Orl?ans, Paris, Orl?ans, 1647, 455. 2 Orl?ans, Biblioth?que municipale, Ms. 968 (E 3908), fol. 62 r. 8

Paris, Biblioth?que nationale, Ms. Nouv. d'Hozier, 158. 4

Biblioth?que nationale, Ms. Nouv. d'Hozier, 158 ; Michel de

Marolles, G?n?alogie Marolles, of date 1635, Ms. Cabinet d'Hozier 228. Michel de Marolles, born in 1600, says his father, Claude de

Marolles, was born in 1564. Claude may have been the younger brother, of Antoinette, who named her eldest son Armand-Claude. Cf. M?moires de Michel de Marolles, abb? de Villefoin, 3 vols, Amsterdam, 1755, I, 2-3.

5 Biblioth?que nationale, Ms. Nouv. d'Hozier 158. One of her

descendants inherited the right to membership in the Catholic order of Saint John of Malta by virtue of his Catholic ancestry. 6 State Papers, Foreign, 1583-4, 300, n? 288.

7 Biblioth?que nationale, Ms. Nouv. d'Hozier 158 ; Gordon,

Genealogical history, 291. 8

G?n?alogie Marolles, Biblioth?que nationale, Ms. Cabinet d'Hozier 228.

9 Dictionary of National Biography, VIII, 213 ; Gordon, Concise

history, 300.

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JOHN GORDON, DEAN OF SALISBURY 129

three when Richelieu came to power. The story is probably due to his given name, which was one already in use in his mother's family 1. Another tale to the effect that he had served with Scots Guard of the French king in the battle of Pavia, and had died of wounds received there 2, cannot be true, since the battle took place fifty-five years before his birih. John Gordon had at least one other

surviving legitimate son by his first wife, Henry 3, who is not among the four children attributed to this union

by the Gordon tradition. Their mother is said to have died in 1591 *.

In 1594, Gordon remarried. His second wife, Genevi?ve

Petau, has been referred to as daughter of Gideon Petau, a first president of the Parlement of Brittany ", and Sieur de Maule, or Maulet5. Her father was probably Fran?ois Petau, who held several administrative offices in Brittany, at Rennes and Nantes, and in Paris, between 1539 and 1570e. Fran?ois Petau could have been Genevi?ve's

father, for she was born in 1560 7. The only child of Gordon's second marriage was Louise, who later married a cousin, Sir Robert Gordon 8.

In 1603, John Gordon produced a book intended to flatter King James I, a pan?gyrique de congratulation pour la concorde des Royaumes de la Grande Bretagne 9. He was

immediately invited to England and became Dean of

1 Biblioth?que nationale, Ms. Gabinet d'Hozier 228.

2 Dictionary of National Biography, VIII, 213 ; Gordon, Con

cise history, 202. 8

Biblioth?que nationale, Ms. Nouv. d'Hozier, 158. 4

Gordon, Genealogical history, 291. 5 Dictionary of National Biography, VIII, 213 ; Gordon, Concise

history, 300, 8 In 1570 unsuccessful attempts were made to remove him be

cause of his Protestant faith. In 1562,1568, and 1587 there is trace of him at Orl?ans. (Paris, Biblioth?que de l'Arsenal, Ms. 6400 (anc. 418 HF) ; Orl?ans, Archives du Loiret, CC 340, CG 695 ;

Haag, La France Protestante, IV, 566, note 1 ; VI, 531, note 2. 7 Monument in Ogston Churchyard. Cf. Lachlan Shaw, History

of the province of Moray, Glasgow, 1882, II, 76. 8 Gordon, Genealogical history, 292, 514.

9 Printed at La Rochelle in 1603, and in English translation in London the same year.

o

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130 DOROTHY MACKAY QUYNN

Sarum1, in time to take part, at the King's special command, in the Hampton Court Conference. At the

conference, Gordon proved to be a man after the King's own heart. He gave exhibitions of pedantic learning, and dwelt much on obscure theological arguments. He raised the question of baptism in the early Church, and pleased the King especially with his defense of the use of the ring in marriage and of the churching of woman,

" His Majesty singled him out, with a special Encomion, that he was a

man well travelled in the Auncients 2 ". Gordon's life in England was comparatively unevent

ful. His routine duties seem to have occupied much of his

time, and he managed to remain in favor with the King, who consulted him about church matters occasionally 3. He is said to have obtained an appointment for his wife as French governess to the King's daughter, and to have

arranged to have his daughter Louise brought up with the princess 4. There seems to be no proof that this was true.

On August 13, 1605, John Gordon was made Doctor of

Divinity at Oxford, as a member of Balliol College, ' Because he was to dispute before the King, his kinsman '5. In 1612, he was admitted to the Inner Temple 6, perhaps partly in recognition of his early law studies.

Dean Gordon died December 3, 1619, at Leweston

House, Dorset, during one of his triennial visitations 7. He was buried in the choir of Salisbury Cathedral before

1 He was ordained Deacon and Priest shortly before his appoint ment as Dean. (Letter of Canon Fletcher, Apris 3,1937). 2

Gordon, Genealogical history, 292 ; William Barlow, The Summe and substance of the conference... at Hampton Court, January 14,1603, London, 1604, 69-76.

8 Letter from Gordon to the King's secretary, April 13, 1605. Hatfield house, Ms. 110-79.

4 Gordon, Genealogical history, 514.

6 Wood, Athenae Oxon., I, 795, John Gordon's paternal grand

mother was an illegitimate daughter of James IV. (State Papers, Rome, II, 226-228). ? Sir Lynden L. Macassey, The Middle Temple's contribution to national life, London, 1930, 114. Appendix IX lists twentyseven churchmen including Gordon.

7 Letter of Canon Fletcher, April 3, 1937.

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JOHN GORDON, DEAN OF SALISBURY 131

the Dean's stall. A brass plate, no longer there commemo rated his attainments in a Latin poem of Gordon's com

position x. John Gordon left a number of published works 2, con

sisting of theological treatises and congratulatory poems and eulogies. None of his works are considered to be of

any value today, either from a theological or a literary point of view. I have found only one contemporary comment on his writing, by Pierre de PEstoille, a distin

guished scholar and friend of Gordon, who said, i on m'a

donne (en quoi je ne trouve pas qu'on m'a fait un grand present) les ?crits suivants... sur la mort du feu Roy,

1 Richard Rawlinson, Antiquities of the Cathedral Church of Salisbury and Bath Abbey, London, 1719, 1723, 107-9. The inscrip tion read as follows :

Me sophiam et linguas docuit per lustra quaterna Scotia Doctiloquis inclyta terre viris, Hinc septem lustris fausta me Gallia forte Sub Regum tectis auxit honore trium, Angligenum terrae me rex hinc inferit almae

Divitiisque augens speque mctuque lev?t Det reliquo sidus cavcac sim pastor ut aevo Christus sollicito qui bona tanta d?dit Ut Moses mensuetus erat doctusque per artes

Aegypli, fratrum dux miserisquc Pater Oeconimus f?dus, linguis melioribus auctus, Shibboleth exacte redderc promptus erat Vi vus erat peregrinus, et idem mortuus hospes, Sub tecto alterius nunc fruitur patria.

2 Anti-bellarmino tortor, sive Tortus retortus, 1612 ; Antitortobcl

larmimus, London, 1610 ; Assertiones theologicae pro verae ecclesiae nota..., La Rochelle, 1633 ; Echo. Dial?gus de institutione principis, Paris, 1603 ;

' a the peace of the communion of the Church of England, London, 1612 ; Elegaia consot?oria ad Galliam de parricidis... No date ; Elizabethae Reginae manes, de religione et

regno, London, 1604 ; Encomium Galliae et Curiae Academiaeque parisiensis, Paris, 1610 ; England's and Scotland's happiness in

being reduced to uniti? of religion, London, 1604 ; E or a sermon of the Union of great Brittannie, London, 1604 ; Orthodoxo Jacobus : et papapostaticus, London, 1611 ; A pan?gyrique of con

gratulation ; (French version, La Rochelle, 1603), Papa-cacus : sive, elegia hortativa, London, 1610 ; a a , swe preparatio ad

pacificam decisionem contraversiarum, London, 1612, He also had a short poem in memory of Antoinette de Luynes, in the collection known as Tumulus, published by her husband, Jean Morel, Paris, 1583, 35.

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132 DOROTHY MACKAY QUYNN

scavoir : l'Elegie latin de M. de Gourdon, Ecossais, ou

j'ay regret qu'il y ait mis son nom, ? cause de la reputation du personnage et l'amiti? que je lui porte V

There are several manuscripts which do not seem to have been published, all of the same type as his printed works. They include his poem in praise of the Pope 2, a number of theological treatises written while he was Dean of Salisbury 3, a poem commemorating a victory of Henri IV in 1590 4, and some unpublished poetry among the unclassified papers of the Gordon family 5. A number of his letters survive 6, and some receipts and legal papers dating from his early years in France 7. His accounts as

Treasurer of the German Nation at Orl?ans are also extant 8. It is likely that John Gordon was a collector

1 Pierre de l'Estoille, M?moires-Journaux, Paris, 1881, X, 325. This probably refers to the Elegaia consolatoria listed in note 69 above.

2 Orl?ans, Biblioth?que municipale, Ms. 968, fol. 62 r.

3 An overthrow of the cardinal see of Rome, or Decisione of the controversie concerning the lawfulness of byssops presbyters and ministers of the holy communione. British Museum, Ms. Royal 17 A, L I.

Antipapiarchia, or kinglie supremacie above pontificiall and papale authoritic, the second and third parts. British Museum, Ms. Royal 17 CI, II.

Assertiones Probationes pro usu 5 ceremonialium articulorum, quos Jacobus IR injunxit observandos Episcopis Qc. Ecclesiae Scotiae. British Museum, Ms. Royal 70. XII.

De clavium ecclesiae potestate, Paris, Biblioth?que nationale, Collection Dupuy, Ms 477, fol. 74-76 v.

Paraeneticon ad Ja. Davium Cardinalem, contra Papam cardi nales. British Museum, Ms. Royal 8 A XX.

Poemation de nuptiis Frederici Principis et Elizabetae, Jacobi I R filiae. British Museum, Ms. Royal 12 A XXVII.

4 Hatfield house, Ms. 205.105. 6 Historical Manuscripts Commission, Sixth Report, Appendix,

681. These papers are now in process of classification, at the General

Register House, Edinburgh. 6 British Museum, Ms. Harl. 416.101 ; Ms. Lans. 12.18 ; Ms. Cotton Cal. 1. 122 v. ; Ms. Burn. 364.151. For numerous letters of John Gordon, in addition to those in British Museum, see indices to State Papers, Foreign, and State Papers, Scotland, for the period 1565-1603.

7 Biblioth?que nationale (Cat. de titres, Ms. Pi?ces originales,

1360. Gordon ou Gourdon, n? 30.726, Pieces 3, 4, 6, 7, 8. 8

Orl?ans, Archives du Loiret, Ms. D 224, fol. 109.

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JOHN GORDON, DEAN OF SALISBURY 133

of books, and possibly of manuscripts, but information on this subject is lacking. We know that he possessed at least one manuscript, an eleventh-century copy of some works of St. Ambrose, now in the Biblioth?que Nationale 1. His name, and the date 1568 appear on the first page in Gordon's hand.

John Gordon's will assigned to the Cathedral library at

Salisbury, ' the Tomes of the Annals of Baronius together

with such books as I have or shall have the daye of my death to the use of them that will studdy on them in the

sayd Library 2. Canon Fletcher, Librarian of Salisbury Cathedral, says that there is a set of Baronius 3 still in the

library, which could be the one mentioned by Gordon, especially since it Shows signs of having been at one time chained to the desks,

' for the use of them that studdy on them in the sayd Librarie.

' Although the will implies

the legacy of other books, there is no book in the library of Salisbury Cathedral at present which bears a signature or any other mark identifying it as having belonged to John Gordon 4. Nor is Gordon mentioned on the list of " liberal benefactors

" of the library

5 in the Catalogue, which does not contain a single work of Gordon himself. There is a considerable number of books in Oriental

languages in the library, and many of these date from the sixteenth century.

One wonders what happened to the other books. It is

quite possible that they were taken over by Sir Robert

Gordon, the wife of John Gordon's daughter and heir. Sir Robert has been given credit for building up the magni ficent library which his descendants finally sold at auction

1 Biblioth?que nationale, Ms. Latin 1751. Cf. my article The

provenance of Ms. Latin 1751 of the Biblioth?que Nationale, in Speculum, XIV (1939), 490.

2 Gordon's will. Cf. note 1, p. 119. 8 Caesar Baronius, Annales Ecclesiastici, 12 vol., Venice,

1601-6, and Pavia, 1612. 4 Letter of Canon Fletcher, April 30, 1937. 5 Catalogue of the library of the Cathedral Church of Salisbury,

London, 1880, p. vi.

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134 DOROTHY MACKAY QUYNN

in 1816 1. Sir Robert was a busy man who travelled much, so much that his wife and children lived with Dean Gordon at Salisbury. He is not likely to have amassed the number,

(2421), nor, in part, the type of the books in this collection. At least half of the books bear dates prior to the death of John Gordon, and a large number in one section, "

Divinity and ecclesiastical history", are of these dates, and in addition, deal with the religious troubles in France

during Gordon's stay there. Items 181 to 189, inclusive, of the Gordon Library Catalogue are works of Cardinal

Bellarmini, against whom Gordon had written several books. All but one of these items bear dates proving their

publication during John Gordon's lifetime. There is a

copy of a treatise by the Bishop of Ross on the rights of

Mary to the Crown of England 2. Finally, under no. 424, is a work by Isaac Casaubon, a presentation copy to " Dr. Gordon, Dean of Salisbury

" 3. It thus follows that

Sir Robert got at least one book destined for the Cathedral

Library, unless, of course, John Gordon presented Casau bon's book to his son-in-law before he died. It is even

possible, in view of dates and content, that many of the books of the library attributed to Sir Robert many have

actually constituted the private library of the Dean. The catalogue of Sir Robert's library contained no

manuscript items. In his will, John Gordon had left all his un published manuscripts to his son-in-law " that he will be carefull of them that they that are in Inglish be published in Scotlande and these that are in Lattine

beyound the seaes, so that the great and long labores and paines that I be the grace of God haue bestowed in

composing the saide Bookes be lossed 4. "

There seems to

1 A catalogue of the singu? and curious library originally formed between 1610 and 1650 by Sir Robert Gordon of Gordonstoun... sold at auction... 1816. Printed by S. Hamilton, Weybridge, Surrey, 1816.

2 Item 1433. John Lesley, Bishop of Ross, Treatise touching the

right of Mary, Queen of Scotland... to the succession of the Crown of England. 3 Isaaci Casauboni, Responsion ad Perronium, London, 1612.

4 Gordon's will. Cf. note 1, p. 119.

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JOHN GORDON, DEAN OF SALISBURY 135

be no evidence that these instructions were ever carried

out, for all of his published works are dated before his death. None of them were published in Scotland, and only two in France.

John Gordon's will raises another interesting point. The

only relatives mentioned in it are his widow, Genevi?ve

Petau, his daughter Louise, and his son-in-law Sir Robert.

Supposedly, Sir Robert inherited the barony of Glenluce and all the French lands of Dean Gordon x. One wonders

why he omitted mention, if not provision, for his children

by his first marriage. They were still living in France, and the French estates in question had belonged to their

mother, and should therefore have been inherited by them, possibly even at the time of her death. Perhaps Gordon was able to keep the lands because of the minority of the children 2

; this, however, would not enable him to will the lands to his child by a second wife. The Dic

tionary of National Biography says that Sir Robert got the lands, and that he went to France shortly after the death of his father-in-law to dispose of the estate of

Longorme, selling it, apparently to Walter Stewart 3.

Meantime, the French children of John Gordon seem to have been living on, not only in possession of some of the estates, but in sublime ignorance of the existence of

any rivals in a foreign land. Nine years after the death of John Gordon, a legal division of all his property was recorded in France. Friendly suits on this subject took

place in 1628, 1649, and 1671, between his eldest son

1 Dictionary of National Biography, VIII, 225.

2 The eldest could not have been over eleven at his mother's death.

* VIII, 225. Walter Stewart, M. D., third son of Walter Stewart,

first Lord Blantyrc, was probably the purchaser. He had many French interests and lived in France permanently after 1657.

(Dictionary of National Biography, XIX, 82 ; XVIII, 1247). The information about the sale is not specific. Only one estate,

Longorme, may have been concerned, while the Frenph heirs of John Gordon may have continued to occupy the other lan^s, unknown to Sir Robert and his wife. A Gordon, in Theological Review, XI, 53, states only that Sir Robert inherited GlenljUce Scotland and Longorme in France.

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?36 DOROTHY MACKAY QUYNN

Armand-Claude and his heirs on the one hand, and his second son,

" Henry Briquaire

" and his heirs on the

otl er1. It is perfectly clear that they believed that they were dividing Scottish as well as French property. They not

only referred to it thus, but spoke of themselves as " h?ri tiers pour moiti?

" of John Gordon. Judging from the

papers filed in the suit, these French heirs seem not to have known that their father had been Dean of Salisbury. There is no mention of him in any connection except his French lands, and a few garbled remarks about his ances

try, the sort of information they could have acquired as

children, and remembered vaguely later. It is almost incredible that these children should have been unaware of the second marriage of their father, not to speak of his

subsequent career. Marolles-en-Beauce, one of the estates

in question, and presumably the residence of some mem bers of the family, Nogent-le-Roi, where Antoinette de Marolies and John Gordon were married, and Houdan, the home of Genevi?ve Petau, where she was probably

married, are all close together in the Beauce, not more than twenty miles apart. Longorme was not far away, in

the Duchy of Etampes. If Gordon stayed on to manage his first wife's estates after her death, how could he, unknown to his children, have contracted a second mar

riage, five years later, in the same neighborhood, and in the same milieu, especially since he was himself a person of some prominence, with a recognized position at Court ? Yet this seems to have been the case, and his French and

English families seem to have been kept completely in

ignorance of each other's existence. Another problem which Gordon seemed to have han

dled very astutely was that of religion. He was born a

Catholic, but must have welcomed his conversion with his father in 1559 2, if for no other reason than that Pro testantism legalized his mother's marriage and legitimi zed him. In France he had been friendly with many Pro

1 Biblioth?que nationale, Ms. Nouv. d'Hozicr, 158.

2 Keith, Affairs of Church and State in Scotland, I, 250.

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JOHN GORDON, DEAN OF SALISBURY 137

testants, such as Ramus and Buchanan, and had been in the household of the Prince of Cond? and of Henry of Navarre. Nevertheless, Mary, Queen of Scots, in 1571,

regarded him as a good prospect for conversion to Catho licism *, in 1573 and 1583 Cecil had reason to believe that he had become a Catholic 2. If the story about his dispu tation with the Rabbi at Avignon has any truth at all in it, he must have been a Catholic in 1574 ; in fact the

very claim that such an event had occurred in the juris diction of Bishop Chisholm, would point in that direc tion. We have his claim to Protestant affiliation at the time of the Massacre of St. Bartholomew, 1572, and again at the turn of the century, in connection with the story of the disputation with Cardinal Duperron or some other Catholic. In 1600, he was writing praises of the Pope and his power 3, quite different in tone from a later poem, still extant among the Gordon family papers, entitled

quod Papa jus transferendi et dandi usurpans est Vicarius Satanae 4. Finally, we have him taking part in 1603 in the

Hampton Court Conference as a defender of the Estab lished Church in England. John Gordon himself attributes his acceptance of the religion of King James and his abandonment of Catholicism to his extensive studies in the ancient literatures and early texts 5.

It is typical of Gordon's character, that although he never held any rank in the Church of England except that of Dean, he arranged to have the brass plate over

1 Labanoff, Lettres... de Marie Stuart, III, 374-5, 380.

2 State Papers, Foreign, 1572-74, 278, n? 821 ; ibid., 1583-4, 300, no 362.

3 Orl?ans, Biblioth?que municipale, Ms. 968, fol. 62 r.

4 Historical Manuscripts Commission, Sixth Report, Appendix, 681.

5 ? Since God... made him to be instructed... in all good discipline and liberall Artes and Sciences and in the knowledge of the Greek and Hebrew languages and other Orientalls and by that means called me from the Invocation and Adoration of Creatures inferiores to the sayd holie and blessed Trinitie practised in the nowe Roman Churche and other newe and erroneous doctrines of transubstan tiation and adoration of the Hostia Missalis exercised therein, and hath called me to the Reformed Church of England, Scotland, and Ireland. ? Gordon's will, Somerset House, Ms. P. C. C, 7 Soames.

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138 DOROTHY MACKAY QUYNN

his grave depict him as a mitred bishop 1, with Chaldean, Greek, and English bibles in his hands 2. There is no doubt as to the impression he hoped to leave for posterity.

Dorothy Mackay Quynn.

1 The titular bishopric was given to him by his father in 1568. Alexander Gordon actually had no right to rank in the Roman Catholic Church after he became a Protestant in 1559.

2 Rawlinson, Antiquities..., 107-9.

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LES DIX ANN?ES FRAN?AISES DE DOMINIQUE BAUDIER

(1591-1601)

?tude sur la condition humaniste au temps

des Guerres civiles.

? Per annos decem continuos uixit in

Gallia. ? (Vita Dominici Baudii.)

J'exhumerai encore un oubli?. Non pas, celui-ci, pour en faire un g?nie m?connu. Mais, ? coup s?r, un curieux homme : faut-il beaucoup plus ? l'histoire ? Nous int?resse

surtout, d'ailleurs, en la carri?re de Dominique Baudier, ce qu'il peut nous apprendre des conditions de l'huma nisme aux temps o? la Ligue et le Roi s'affrontent.

Il ?tait n? ? Lille, le 8 avril 1561 Son p?re, qu'il perdra d?s l'?ge de quinze ans, l'avait form? aux bonnes m urs 2. Sa m?re se nommait Maria Heems, et il a vant? sa vail lance 3. C'?tait l'heure o? l'Espagne de Philippe II impo sait aux Flandres, avec le duc d'Albe, un gouvernement d'oppression catholique

4 : fuyant cette contrainte, le

1 La grande source, pour la vie de Baudier, tient dans les deux

pages de la Vita Dominici Bandii, anonyme, mise en t?te des ?di tions ult?rieures de ses Po?mes et Lettres : cf. Epistulae et Orationes, Leyde, 1650, in-12 ; Amsterdam, 1654, in-12, etc. Voir Ep., f? 6 ro_vo. ? Sur Baudier, cf. aussi Bail., IV, 130, qui indique que, d'apr?s les Doctes, Baudier a mieux r?ussi dans ses lettres que dans ses vers. ? Pour les r?f?rences que nous donnons en abr?g?, cf.

infra, appendice I. 2 Cf. Ep., 1,10 : ? optimus pater, etc. ? 8 Cf. Ibid. : ?uim tametsi masculam || Mentemque uersat imbecillo

in corpore ?. Dominique avait un fr?re, Fran?ois Baudier : cf. In obitum fratris Francisco Baudii, in Poe., 527. Il n'a pas trouv? pour pleurer sa mort autre chose que des accents de rh?torique : ? Heu uana mentis gaudia credulae... || Heu quanta caligo futuri || Terri

genas miseros fatigat ?, etc. 4 Cf. Poe. 520 : ? Belga diro sub duce uapulat ?, et note ibid.,

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140 V.L. SAULNIER

p?re de Dominique se transporte, avec sa famille, ? Aix

la-Chapelle ; c'est o? Dominique fit ses premi?res ?tudes. Son p?re mort (1576), apr?s la Pacification de Gand, quand les Provinces-Unies vont se constituer, Baudier rentre en Hollande. On l'inscrit au nombre des membres de l'Aca d?mie de Leyde, ? peine n?e (1575). Huit mois ? Leyde, puis Dominique part vers Gand, o? sa m?re s'est retir?e. Mais pour ses ?tudes sup?rieures il cherche les meilleurs ma?tres : encore qu'il n'ait pas l'air d'avoir choisi une carri?re pr?cise. A Gen?ve (1581-83), dans l'Acad?mie de Calvin, il fait, durant un an et demi, ses ?tudes de

th?ologie : il conna?t Th?odore de B?ze, se distingue fr?

quemment ? l'occasion de disputations publiques, et se fait finalement recevoir docteur en th?ologie. Il rentre ? Gand (1583). C'est ensuite vers le droit qu'il se tourne. A Leyde (1584-85) il poursuit pendant quinze mois ses ?tudes juridiques, et est re?u docteur en droit, sa th?se soutenue sous la pr?sidence de Hugo Donellus, le 4 juin 1585. Sans plus attendre, d?s la fin du mois de juin 1585,

? il ?tait pourtant ? frais ?moulu de l'?cole et sans figure politique

? : eram in eo coetu recens a schola, nec ulla

publica persona praeditus ? on le d?signe pour faire

partie de l'ambassade des Douze hommes envoy?s vers la reine Elisabeth pour lui demander de donner son appui aux Belges. Il conna?t l?-bas bien des hauts hommes, en

particulier Philippe Sidney, le po?te homme d'Etat, dont il voudrait bien faire son protecteur, patr?nus ingens,

mais qui mourra trop t?t1. De retour en son pays, il

p. 669 : ? Albanus' Duc hoc elogio designatur : cuius immanitas satis nota est. ?

1 N? en 1554, Sir Philip Sidney mourut d?s le 17 octobre 1586. Vers 1585, il ?tait en Angleterre ? h?te attitr?, guide et conseiller des voyageurs protestants ou intellectuels de marque qui du conti nent venaient visiter l'Angleterre ? : cf. son Astrophel et Stella, ?d. et trad. Ch.-M. Garnier, Paris, Aubier, 1943, p. 78. Il re?ut ainsi

Duplessis-Mornay et Jean Hotman (le fds de Fran?ois Hotman) :

Baudier, qui aura affaire ? eux, put se recommander aupr?s d'eux du souvenir de l'ami commun. Fid?le au souvenir de Sidney, Baudier lui a d?di? plusieurs pi?ces : cf. Poe., 499 (Odes, I, 3) et 560

(Epos IX) ; aussi, sur sa mort, Poe., 195 (? Robert Sidney, son

fr?re) et 640 (In obitum Ph. )Sidnaei.

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dominique baudier 141

entre dans l'ordre des avocats, ? La Haye, le 5 jan vier 1587. C'est l'heure o? il ?crit ? crudi adhuc ingenii ? les premiers de ses po?mes et de ses lettres qu'il publiera plus tard.

Puis, il part pour la France, o? il r?side pendant dix ans. Ici, la Vita Bandii, laconique, relate sans plus qu'il fut avocat du roi au Parlement en 1592, et en g?n?ral ? bien accueilli ? des grands. Cela est vite dit. On est plus explicite sur ce que sera Baudier apr?s, comme sur ce qu'il ?tait avant : mais le s?jour en France reste obscur. C'est ? l'?claircir qu'est destin?e la pr?sente ?tude.

I. -

La carri?re.

Deux choses sont certaines. Avant son d?part vers la

France, Baudier n'?tait pas riche : ? res meae pauperculae ?,

g?mit-il en 1588 1 ; ce n'est pas pour la derni?re fois 2.

Et puis, sa vocation n'?tait ni th?ologique, ni juridique. Une seule chose le passionne : l'humanisme, et singu li?rement la po?sie. Insens? qui proclame la po?sie futilit? bonne aux oisifs 3 ! Et de citer Michel de l'Hospital, J. C.

Scaliger, Adrien Turn?be, Ronsard, du Bellay, Ba?f, du

Bartas, Montaigne ou La Bo?tie. Ces ma?tres, ses ma?tres. Non pas qu'il songe ? les ?galer : au moins est-il bon de faire effort d'humanisme, d'essayer ses forces, pour voir 4. Sous ce latin encore un peu rude perce la seule vocation de Baudier : la ? politior humanit?s ?, id est 1 humanisme 5.

1 Lettre ? Jean van der Do?s (Dousa) : Ep., 1,1,1er janvier 1587, anc. style. 2 Gf. angustiae, Ep., I, 71 et passim. 8 ? Nam quod eum qui Po?ta sit ad omnia alia ineptum esse cri

minantur, abunde (...) iudicatum est, quam ipsimct incptiant. ?

Ep., I, 4. 4 ? Quantum progred? in tam praeclaro curriculo ualeamus. ?

Ep., I, 4. Cic?ron aurait dit sans doute : ? ad progrediendum ualea mus ?.

5 Tout cela dans la longue lettre ? Adrien van Blyenburg, 8 avril 1588, Ep., I, 4. Blyenburg ?tait un ami de la premi?re heure ; cf. Poe., 108, 119, et sur sa mort 639-40. Aussi la corres

pondance de Vossius, Gerardi loan. Vossii et Clarissimorum uirorum

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142 V.-L. SAULNIE?

Voil? pourquoi il part vers la France, au d?but de Tan 1591. ?num?re d'ailleurs lui-m?me ses raisons. D'abord, la situation de son pays 1. Puis, et solide, le d?go?t du barreau : les deux ans qu'il y a pass?s ? plaider l'ont large ment d?go?t? de telle agitation et de tels calculs, vacarme et aboiements cupides ou st?riles o? des vautours entog?s gagnent tout sur le vrai m?rite 2. Enfin, nous soup?onne rions volontiers une raison ? demi cel?e sous des allusions

pudiques. Car enfin, malgr? la duret? des temps, il restait bien encore des humanistes ? La Haye, ? commencer par son ami van der Do?s ; et si le barreau l'?c urait, Baudier

pouvait bien chercher autre emploi en son pays m?me. S'il s'exile, c'est qu'il a commis quelque faute, suscit?

quelque ressentiment, et qu'il cherche ? se faire oublier 3. Et l'on ne serait peut-?tre pas mal fond? ? voir l?-dessous

quelque petit scandale de m urs, Baudier ayant trop ?

et il l'avoue ? le go?t des femmes 4. Il arrive donc ? Tours, dans les premiers mois de 1591 5.

ad eum Epistolae, Londres, 1690, in-f?, nos 63 et 87, pp. 103 et 120. Il ?pousa Sara Roveria : cf. leur ?pithalame par Gaspar van Baerle

(Barlaeus), Poematum editto noua, Leyde, 1631, in-12, p. 236 : ? In nuptias Adriani Blyenburgii ?.

1 ? Omnia nostra hostis tenet ?, Ep., I, 6. 2 ? Vultures togati omnia uirtutis praemia possident, bonis de

praesidio deiectis ?, Ep., I, 6. ? Strepitus ille forensis et canina

facundia genio meo ualde disconuenit ?, Ep., I, 7. 3 Cf. Ep., I, 7 : ? Utinam donee hae silescant turbae, donec irae

leniant, otium cum fructu suppeditaret litteris me penitus inuol uendi ?, o? je ne me contente pas de voir une allusion vague aux

guerres civiles : la France n'?tait pas plus paisible que la Belgique. 4 Cf. Ep., I, 10. Faisant ?videmment allusion ? des faits ant? rieurs au s?jour en France, apr?s avoir longuement parl? des m?faits de Fen vie, qui semble l'avoir tracass? (Est inuidorum, semper ut

culpent bonos), Baudier ajoute : ? Quid porro amores dicere insc

quar uagos, |? Secusque molle quod periui perditusj Vires uirumque destruens libidine ? || Haec comitatis uoce adultera uocat || Mos incitamen praeuitatis insitae... ? Et d'implorer Dieu : ? Ignosce, crimen et remitte supplici : || Non istud unum crimen, ? clemens

pater, || Culpas sed omnes gratiosus expia |? Cruore nati... ? ? Sur ce

go?t des femmes, Baudier revient en 1,16: ?Ego me et iuuenem esse

fateor, et affinem earum rerum quas fert adolescentia, etc. ? 5 ? Per annos decem continuos uixit in Gallia (Vita).

? Or c'est ? la fin de 1601 qu'il quittera la France. Les premi?res lettres de

France, I, 10 et 9, datent de Tours, d?but de 1591 : cf. infra,

append. II et III.

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DOMINIQUE BAUDIER 143

A Tours, parce qu'y r?sident alors, depuis deux ans, le

gouvernement loyaliste, et le Parlement de Paris 1, tandis

que Paris est la p?ture de la Ligue. La premi?re chose ?

faire, en pareil cas, c'est de se pr?senter ? des gens en

place auxquels on se puisse recommander. Sur qui Baudier

peut-il compter ? L'humaniste Jean van der Do?s le

p?re, de Noordwijk, premier curateur de l'Universit? de

Leyde, son ami et protecteur 2, n'a pas manqu? de le recommander ? ses amis huguenots de France, ? com mencer par Joseph-Juste Scaliger, alors install? pr?s de

Tours, ? Preuilly 3. Il ?tait d'autre part naturel de compter sur le ? Pape des Huguenots ?, le puissant Duplessis

1 Depuis 1589. Cf. P. Matthieu, Histoire des derniers troubles de

France, s. 1., 1606,1. V, f? 2 r? ; Simon Goulart de Senlis, M?moires de la Ligue, 3e recueil, 1588-89 (1593), p. 274. ? Voir aussi V. L.

Saulnier, Etude sur Beroalde de Verville, Bibl. d'Hum. et Ren., t. V (1944), pp. 232 sqq. 2 Jean van der Do?s le p?re (Dousa), n? ? Noortwijk (Sud Hollande) en 1545, mort ? La Haye le 12 o et. 1604. Il commandait l'ambassade des Etats ? Elisabeth en 1572. Toparque de Noortwijk, premier curateur de l'Universit? de Leyde, fond?e en 1575, il laissera un certain nombre de compositions latines : Epigrammatum I. II,

Satyrae II, etc. Anvers, 1570, in-12 ; Annales rerum a priscis Hol

landi?? comitibus gestarum, La Haye, 1599, in-4?, etc. Un bon nombre des po?mes de Baudier lui sont d?di?s, cf. Poe., 197, 202, 462-479, 511, 643. De m?me plusieurs pi?ces de Heinsius et Gro

tius, cf. Hein. 72-89, 140, 151, 234, 237, 322,422 ; Grot. 53,152, 158-173, 199, 209, etc. D'autres pi?ces ? ses fils Etienne, Fran?ois et Didier, Hein. 422, etc. ? Voir sur lui Lach., 268 ; Thua., III, 143 A; Bail., II, 2, 266 et 288 et IV, 58-60 (au jugement des Doctes, il ?

composoit ses vers en suivant moins son g?nie que celui des autres ?). Cf. encore P. Van Tieghem, Bibl. d'Hum. et Ren., t. IV

(1944), pp. 246, 254, 281. Baudier correspond avec lui d?s 1588 : cf. Ep., 1,1.

? Une autre puissance de ce monde n?o-latin huguenot dont Baudier pouvait se recommander, c'est Th?odore de B?ze,

qu'il avait bien connu ? Gen?ve ; il avait des amis en Touraine :

Florent Chr?tien, Audebert, etc., et reste tr?s li? avec le cercle des humanistes de Flandre (cf. p. ex. In mortem Bezae, Grot., 254, etc.). Baudier lui d?die des po?mes, cf. infra, append, vu.

8 Joseph-Juste Scaliger, n? ? Agen en 1540, mort ? Leyde en

f?vr. 1609. Cf. Bail., II, 2,319-337. Ami de de Thou, Thua., IV, 65 D ; Thu., XI, index, v? Scaliger. Protestant d?s 1562, il avait fui ? Gen?ve apr?s la Saint-Barth?lemy, et y enseigne la philosophie (1572-74), puis ?tait devenu pr?cepteur chez Louis Chasteigner de la Roche-Posay, au ch?teau d'Abain, puis ? Preuilly en Touraine

(arx Prulliacensis). Sur son amiti? pour Dousa, cf. Scal.

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144 V.L. SAULNIEK

Mornay De fait, les seuls Fran?ais qu'?num?re Baudier dans la liste de ses amis au d?but du s?jour en France 2

sont Mornay et Scaliger. De leur appui, avec cet ? ?norme

app?tit de gloire ?, ce ? d?sir effr?n? de percer ? dont il

s'accuse, il esp?re l'acc?s ? quelque haute fonction. L?

dessus, une fi?vre maligne ? ? mortelle ?, mais il n'en

mourra pas ?

peut bien le terrasser pendant plus de

quinze jours : d?sesp?r? de se voir partir ? la fleur de l'?ge, il peut bien r?pandre ? cette occasion, au milieu de lieux communs sur la vanit? des choses terrestres ? labuntur anni ? des pleurs lointains o? le mal du pays s'aban donne 3 : il ne songe plus au fond qu'? se fixer en France.

Il faut maintenant chercher un patron. Mornay ne

semble pas beaucoup s'occuper de lui. Mais il a Scaliger,

qui l'adresse au pr?sident de Thou 4 et au cardinal de

1 Philippe du PJcssis-Mornay, 1549-1623, fils de Jacques de

Mornay et de Fran?oise du Bec, conseiller de Henri IV et la plus haute puissance huguenote de France. Gouverneur de Saumur au moment o? Baudicr lui d?die un po?me, Poe., 42. ? Sur lui, cf.

Sul., 44 etc. ; Est., 364 ; Esto., t. II, index. Voir ses M?moire* et

Correspondance, 1824, 12 vol. in-8? et Patry, Duplessis-Mornay, 1933.

2 Ep., I, 10. Au milieu de beaucoup de Hollandais : Dousn,

Lipse, Marnix de Sainlc-Aldegonde, Hugo Doncllus (pr?sident du

jury quand il passe sa th?se de docteur en droit ? Leyde en 1585, cf. Vita), Bonaventurc Vulcain (Schmidt ou Smct de Bruges,

mort en 1610; cf. Bail., II, 2, 338 ; ?diteur de Callimaque, Moschos et Bion, ? qui Baudier d?die encore des vers, Poe., 636 ; de m?me

Heinsius, Hein., 344 et 468), Transaquanus et Massisius (? qui il

d?die des vers, Poe., 34), etc. ; avec un souvenir pour Sidney. 3

Ep., I, 10, Tours, d?but 1591. Allusions au m?me mal, de Do?s

fils, 10 ao?t 1591, Ep., I, 11 et de Florent Chr?tien, Ep, I, 26. La maladie n'emp?che pas Baudier d'?crire des vers ? ses amis, plus deux pi?ces pieuses (cf. append, vi) de m?me que seront ?crites en

maladie une pi?ce ? de Thou (1592) et la pi?ce ? Emery de Vie, Poe., 98.

4 Jacques-Auguste de Thou, 1553-1617. Conseiller au Parlement

en 1576, ma?tre des requ?tes en 1586, pr?sident ? mortier en 1587, conseiller d'Etat en 1588, pr?sident du Parlement de Tours pour le roi. Il ?tait beau-fr?re d'Achille de Harlay. Baudier ne tarde pas ?

l'appeler son ? patron et m?c?ne ?, Ep., I, 48. Heinsius lui voue une

Apotheosis et d?plore sa mort, Hein., 3 et 304. Grotius, celle de sa

femme, Marie de Barban?on-Cany (1601), Grot., 326. C'est par

Scaliger que Baudier lui a ?t? pr?sent?, cf. Ep., I, 8 et I, 21 et

Poe., 46.

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DOMINIQUE BAUDIER 145

Bourbon l. Au Cardinal, qui go?te, lui dit-on, les belles

lettres, il d?die le recueil d'?ambes qu'il fait imprimer ?

Tours, lui laissant esp?rer qu'il peut faire beaucoup mieux 2, s'il daigne s'int?resser ? lui : on sait ce que cela veut dire ; mais le succ?s ne r?pond pas ? l'attente 3. Il en va autrement de de Thou, qu'il voit souvent, dit-il, et qui tr?s vite lui ? promet ? de s'int?resser ? son sort 4. De fait, c'est lui qui le recommande ? Claude Groulard, pr?sident du Parlement de Normandie, retir? de Rouen o? s?vit la Ligue, et pour lors install? ? Caen avec son

Parlement5. Et Baudier part vers Caen, o? il est au milieu de mai 1591 6. D?sormais, l'attachement de tels amis est

1 C'est aussi Scaliger qui le pr?sente ? Bourbon, cf. Ep., I, 9. 11 ne s'agit pas de Charles de Bourbon, fr?re naturel d'Henri IV, fils d'Antoine de Bourbon et archev?que de Rouen ; ni du ? roi de la

Ligue ?, le cardinal Charles de Bourbon, fils de Charles de Bourbon

Vend?me, lui aussi archev?que de Rouen, proclam? roi en 1589 par les Guisards sous le nom de Charles X (1523-1590), mais d'un troi si?me Charles de Bourbon, ?galement cardinal et archev?que de

Rouen, fils de Louis Ier de Bourbon-Cond?, et dit ? le cardinal de Vend?me ? (1562-1594) ; cardinal en 1583, il ?tait, ? la mort de Henri III, suspect de sympathie ? la Ligue, mais ne s'?tait pas encore trop remu? avant la formation du Tiers-Parti en 1591 (cf. Palma Ca yet, Chronologie noveiiaire, 1589-1598 ; Paris, Jean

Richer, 1608, in-8?, p. 458 v?) ; il n'avait pas ?t? proclam? roi, comme on l'a dit en le confondant avec son homonyme : Henri IV

craignait seulement qu'il ne f?t choisi pour roi par les Etats G?n?raux de 1593, Sul., 112.

2 ? Nati ad maiores et meliores curas sumus, quam ut ibi tanquam in sireniis scopulis prorsus obhaerescamus ?, Ep., I, 9.

3 Baudier adresse encore ? Bourbon une pi?ce de vers, Poe., 610. Mais en mai 1591, il s'inqui?te aupr?s de de Thou de savoir ce que ? le cardinal ? a pens? de son uvre.

4 Cf. Ep., I, 6 et I, 8, 2 et 19 juin 1591. 6 Le Parlement loyaliste de Normandie quitte Rouen fin f?vrier

1589 et est install? ? Caen le 26 juin. Claude Groulard, premier pr?sident, quitte Rouen au moment o? Mayenne y entre, et est suivi

par la moiti? des membres de son corps. Le Parlement rentre ? Rouen en avril-mai 1594. Cf. Thu., VIII, 399. J.-A. de Thou devait con na?tre personnellement Groulard en sa qualit? d'ancien commis saire en Normandie:cf. Thu., VII, 223 sqq. C'est Groulard que nous reconnaissons dans le ? Praeses ? ? qui de Thou recommande Bau

dier, Ep., I, 7 et I, 14. 6 D?s l'arriv?e (d'apr?s Ep., I, 6) il ?crit ? de Thou la lettre Ep.,

I, 7, 16 mai 1591. Caen, en 1591, venait de rentrer r?cemment dans l'ob?dience du Roi, Cf. Thu., VII, 541. Sur les progr?s de la cause

royale en Normandie, cf. Michel Hurault, Quatre excellais discours.

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une raison de plus qui le retient en France 1. Je ne vois

pas, et l'on pourrait s'en ?tonner, qu'en ce premier s?jour ? Tours, pas plus qu'au cours du second, qui durera pr?s de deux ans, Baudier ait fray? le moins du monde avec le

groupe de B?roalde, ses amis comme Roland Brisset et

Guy de Tours, ni ses patrons comme les deux La Guesle. Les milieux de l'humanisme en fran?ais et ceux de l'hu manisme en latin semblent s?par?s par une cloison tr?s

nette, sinon ?tanche : distinction qui n'appara?t pas avant

l'?poque des guerres civiles. Ni l'Ecole lyonnaise, ni la Pl?iade ne l'avaient connue.

Quoique Baudier, oubliant sa patrie, se propos?t d?s l'arriv?e de se fixer longuement ? Caen 2, le s?jour durera au total un an ? peine. Groulard l'a bien re?u, lui a fait ? son tour des promesses 3. Mais pour l'instant, s'il se

repose, il n'est pas riche 4. Ce qu'il voudrait, c'est un haut

personnage qui lui confierait l'?ducation de ses enfants :

souhait ?vident d'imiter Scaliger, qui perce dans l'?loge du m?tier de pr?cepteur 5, dont Baudier ailleurs n'a pas

toujours dit du bien. Et de demander ? ses protecteurs en

titre, de Thou et Scaliger, de le recommander en ce sens

? quelqu'un des hauts hommes de leurs relations : ses

regards se tournent surtout vers le gouverneur de Nor

mandie, Fran?ois de Bourbon-Montpensier, ? qui il adresse un ?loge en vers 6. Rien ne r?pond. L?-dessus, l'affaire

p. 162. En 1591, dit Palma Ca yet, ? toute la Normandie se remit ? Tob?yssance du Roy, hors-mis Le Havre, Rouen, Pontoise, Lou viers et deux ou trois autres places ?, Chronologie novenaire, 415 v?.

1 Ep., I, 6.

2 ? Non iam amplius palriam cogito... Videor hic futurus ali

quantisper. Vellern perpetuo si per bonam copiam liceret. ? Ep., I, 7. Mais bient?t : ?

Ego hic aut alibi in hoc regno sedem exilii

circumspicio ?, Ep., I, 8. 3 ? Me amice uir ille complexus et omnia benigne pollicitus ?,

Ep., I, 7. 4 ? Otium est abunde, etc. ? Ep., I, 8. 5

Ep., I, 7 : ? Quid utilius hoc docentium mu?ere in omni statu bene constituto ? ?

6 ? Si quem tarnen honestiorem locum possem consequi apud aliquem uirum magnum et magnificimi, non temere repudiem... Quod si quispiam mihi detur ex primaria nobilitate adolescens, cuius aetatem litteris erudiam, moribus informem, etc. ? Ep., I, 7. ?

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DOMINIQUE AUDIER 147

Scaliger, sur laquelle nous reviendrons ? part, l'entra?ne

un instant vers sa patrie : il est ? Middelburg 1 en sep

tembre 1591 2, et je ne doute gu?re que ce f?t avec l'ar

ri?re-pens?e de t?ter les chances qu'il aurait de succ?der

lui-m?me ? Juste-Lipse ? l'Universit? de Leyde, au cas

o? Scaliger se r?cuserait en fin de compte 3. Rentrant en

France sur la fin de l'ann?e, sans doute accompagnant

Tuning 4

charg? de mission avec lui aupr?s de Scaliger, il ne rallie pas Tours, comme pr?vu 5, mais regagne bien

Caen, o?, contre son envie de gagner Tours, le retient, disent les mauvaises langues, une liaison galante

6 ; o?

l'attache, en r?alit?, outre la difficult? des parcours 7, le

Pr?sident Groulard, qui veut le nommer professeur de

droit : ceci malgr? la malveillance des juristes du cr?,

? Si apud Principer? locus aliquis honestior mihi detur... ?, Ep., I, 8. ? II pense en particulier au ? Princeps Dumbaeus ?, Ep., I, 6, ? qui de Thou pourrait le recommander. Il s'agit de Fran?ois de Bourbon

Montpensicr, prince de Dombes de 1582 ? 1592 et gouverneur de

Normandie ; mari? ? Ren?e d'Anjou, p?re de Henri de Bourbon

Montpensier (1563-1608), ?galement prince de Dombes et gouver neur de Normandie. De Thou les avait pu conna?tre en Normandie,

quand il y ?tait commissaire. Il ?tait en tous cas leur ami, cf. Thu.,

XI, index, v? Dombes. Sur Henri de Bourbon-Montpensier, ? qui Baudier envoie encore des vers (Poe., 635), cf. Sul., 77. Montpensier ?tait gouverneur de la Normandie pour le Roi en m?me temps que Villars pour la Ligue. Il se distinguait en Bretagne en 1591, Thu.,

VIII, 3. 1 Middelburg en Walcheren (Z?lande). Il y a des amis, en parti

culier les Grucius, qui sans doute l'h?bergent. Sur Jacques Crucius, de Middelburg, p?re de Jacques II, l'?pistolier, de Jean, pasteur de

Harlem, et de Guillaume Crucius, de Middelburg ; oncle de Jean

Crucius de Leyde et de Jacques ; grand-p?re de Jean et Jacques, fils de Jacques II Crucius ; cf. les lettres de Jacques II : Iacobi

Crudi Mercurius siue Epistotoum opus, VI libros comprehendens, Amsterdam, 1661, in-12.

2 Cf. Ep., I, 12 et 13. Middelburg, 17 sept. 1591. 3 Cf. infra, titre II. 4 Le passeport fran?ais de Tuning est dat? du 3 d?cembre 1591.

Scal., IV, 483. 6 D'o? le fait que la lettre de Florent Chr?tien Ep., I, 26, soit

adress?e ? Baudier ? ? Tours ou ? Caen ? ; et qu'une lettre qu'on lui

adresse ? Tours, d?but 1592, lui soit retransmise ? Caen (allusion en

Ep., I, 16.) 6 Cf. Ep., 1,14 et 16. 7 ? Pericula itinerum ?, Ep., 1,16. Cf. I, 23 : ? cum essem Cadomi,

et diutiuscule illic morarer ob pericula itinerum ?.

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qui, inquiets et jaloux du nouveau venu, voudraient

bien, pour l'?vincer, faire admettre au pouvoir que l'Aca d?mie de Leyde n'est pas homologu?e au nombre des

Universit?s, invalidant ainsi les grades universitaires de Baudier Mais Groulard tient bon, et Baudier est

pour passer professeur public de droit : ? conditio neuti

quam poenitenda ?.

L'y arrache une perspective plus s?duisante. Usant des recommandations de deThou et de Christophe de Harlay2, il a fait demander ? Scipio Sardini de le recevoir en sa

maison de Touraine. Et voici que Louis Servin, avocat du roi et humaniste, lui-m?me po?te latin, ami des savants et m?c?ne ? ses heures 3, lui fait savoir l'acceptation de Sardini4. Cet aventurier d'outre-monts, qu'on disait

1 Cf. Ep., I, 14 et 16 et surtout I, 23. ? Timuerunt sibi iuridici

prof essores... Misere timuerunt, ne eos de imperitiae possessione Jeiicerem, etc. ? C'est sans doute l'origine de l'?pigramme In ires Iuris peruersores.

2 C'est ?galement par Scaliger que Baudier a ?t? recommand? aux

Harlay, comme ? de Thou (cf. Ep., I, 20 et Poe., 46). Achille de

Harlay (1536-1619), seigneur de Beaumont, conseiller au Parlement de Paris ? vingt-deux ans, puis pr?sident ? mortier, pr?sident ? la

mort de son beau-p?re, Christophe de Thou (1508-82), le p?re de

Jacques-Auguste. Sa r?sistance ? la Ligue l'avait fait emprisonner ; lib?r? moyennant ran?on, il rejoint le Parlement loyaliste, ? Tours. Son fils, Christophe de Harlay (1581-1646), ambassadeur en

Angleterre, sera plus que lui le m?c?ne de Baudier. Il leur adresse une dizaine de po?mes (cf. infra, append, vu). Il s'agit ici de ? Harlaeus iunior ?. C'est lui qui, avec de Thou, recommande Bau dier ? Sardini, Ep., I, 20.

8 Louis Servin, tr?s fameux dans le milieu humaniste (? clarissi mus Servinus ?, Cas., lettre 96), po?te latin estimable (cf. Del., t. Ill, pp. 829-836), avait ?t? avocat du Roi, succ?dant ? Jacques Faye, au moment o? Henri III transf?rait la justice ? Tours, le 24 mars 1589. Cf. Est., 621. Il passait pour un joyeux luron. Bau dier l'avait d? conna?tre ? Tours d?s 1591 : il a chant? (Poe., 39) l'incident qui m?la Servin ? une querelle ?voqu?e devant le Parle

ment, alors ? Tours, entre le chapitre de Saint-Martin et l'arche

v?que de Tours : d?bat de pr?s?ances dont Servin prit pr?texte pour critiquer vertement, dans sa plaidoirie, les m urs du si?cle (cf. Poe., notes ad loc. ? la fin du volume). 4 Sur toutes ces d?marches, cf. Ep., 1,17 et I, 20. Baudier semble

avoir, pour que de Thou et Harlay le retinssent, fait mine de vouloir

regagner la Belgique (cum profecturus essem in Belgium, Ep. , I, 20 : ? moins que ces mots ?voquent le voyage ? Middelburg de l'au tomne 1591) : laissant entendre qu'il ne partirait qu'? regret ; d'o?

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scandaleusement enrichi dans le trafic des imp?ts au

temps du gouvernement de l'Italienne x, lui offre, pour charmer ses loisirs du Plessis-les-Tours de son entretien lettr? 2, le vivre et le couvert, ? convictum ? et ? hospi tium ?, plus une pension annuelle de huit cents livres 3. Baudier d'accourir, d?s le mois d'avril 1592, et de se

f?liciter d'abord des bons traitements par lesquels son

m?c?ne essaie d'adoucir son exil et de lui faire oublier sa patrie

4 ; quitte ? regretter assez vite de perdre son

temps, souhaitant une activit? plus lucrative 5. Un nou

la d?marche de de Thou, Harlay, et ? d'autres encore que ta recom

mandation (celle de Scaliger) m'a concili?s ?, en vue de lui trouver une situation, ? conditionem aliquam ?. Trois lettres de Servin infor mant Baudier de l'acceptation de Sardini (transmises par les offices de Casaeus, notaire royal ? la Tr?sorerie de Caen, s?journant ?

Tours) risquent d'avoir ?t? ? intercept?es ? avant celle du 27 mars

1592. 1 Comme S?bastien Zamet et Ludovic Adjacet, Scipion Sardini

est un des premiers ?

partisans ? (le mot m?me est cr?? sous

Henri III). Comme Grondi, Strozzi, Adjacet, il est parmi les ? d?bau ch?s ? italiens qui gouvernent sous Catherine de M?dicis, et qu'at taquent les pamphlets ligueurs, notamment vers 1574. On jouait volontiers sur son nom et celui d'Adjacet :

Qui modo Sardini, iam nunc sunt grandia coete, Sic alit It?licos Gallia pisciculos.

Quand ces bougres poltrons en France sont venus, Ils ?taient ?lanc?s, maigres comme sardaines ;

Mais par leurs gras imp?ts, ils sont tous devenus

Emplis et bien refaits, aussi gros que baleines.

Cf. Est., 45, 450, 483. ? Sur Sardini, cf. aussi Jacques de Broglie, Histoire du ch?teau de Chaumont, Paris, 1944, in-8?.

2 ? Ut ill i comes adsis, et in scrmonibus socius... Eius laetitiam maxime augebit tua pracscntia, et inambulando Plcssaco praetorio, et in familiaribus colloquiis auiditatem desiderii frequens assidui ta tis usus impiebit. ? Servin ? Baudier, Ep., 1,17.

3 ? Annuos duccntos ?ureos ; uel, ut cum Gallis nostris loquar, octingentas libras argenti ?, Ep., I, 17. Huit cents livres, en 1592,

repr?sentent une pension annuelle fort honorable. Une tr?s bonne

pension royale de po?te de cour ?tait, sous Fran?ois Ier (Marot) de 200 livres ; il est vrai que, dans le demi-si?cle qui suit, les prix augmentent du simple au d?cuple, Bodin le note d?s 1568. Une livre tournoi de l'?poque 1579-1600 vaut environ 65 francs 1939 (cf. J. Lh?ritier, Catherine de M?dicis, 1940, p. 729). 4 ? Ita quotidie magis magisque benefactis suis consequitur, ut

patriam, meosque necessarios minime desiderem ?. Ep., I, 20, 6 mai 1592.

6 ? Otio certe ita abundaui, ut mallem salubre aliquod et cum

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veau voyage, sans doute temporaire, en sa patrie, reste d'ailleurs ? l'?tat de projet1.

Et le voici, en juillet 1592, admis, ? Tours, dans l'ordre des avocats, sur la recommandation d'un avocat du Roi o? nous reconnaissons Louis Servin 2. Baudier met une certaine fiert? ? annoncer ? van der Do?s cette nouvelle

dignit?, dont l'honneur rejaillit sur tous ses compatriotes. Nomm? avocat du roi au Parlement 3, Baudier, ayant sans

doute cru trouver l? le ? salubre negotium ? que convoitait son ambition, en profite pour quitter Sardini 4, et se fixe ? Tours. Dans la Touraine de 1592, il retrouvait ses amis de l'an pass?. D'abord, de Thou, qu'il voit souvent 5, et

Scaliger, avec qui il correspond, et qu'il va m?me voir ?

Preuilly 6. Puis, les deux Harlay, le pr?sident Achille et son fils Christophe. C'est, avec Louis Servin, Nicolas Audebert7 et Florent Chr?tien, le groupe de ses proches : ce dernier r?side alors ? Vend?me, et Baudier l'a pu con

na?tre par l'interm?diaire d'une amiti? commune pour

Scaliger, Do?s, de Thou et Th?odore de B?ze 8. Il y faut

fructu negotium ?. Il ajoute que son seul espoir est dans le d?sir tr?s net qu'a de Thou de le retenir en France. Ep., I, 21,15 mai 1592.

1 II parle ? Scaliger de porter lui-m?me sa lettre ? Juste-Lipse (Ep., I, 21), et l'on dit ? Scaliger que Baudier est parti pour la Hol lande (cf. I, 22). 2 ? Nunc hic in Aduocatorum numerum allectus sum, nemine

quidem controuersiam mouente, sed regius Aduocatus uir insignis mihique amicissimus hanc occasionem arripuit ; disertaque oratione urbem uestram celebrauit. ? Ep., I, 23, Baudier ? Do?s p?re, 23 juillet 92. 3 Baudier est proclam? par son ami Achille de Harlay

? causarum

patr?nus in suprema Curia Parlamenti ? en 1592 (Vita Baudii). Les seules lettres qui lui donnent son titre sont celles de Nicolas

Audebert, Ep., IV, 50 et 51, 4 janvier et 4 avril 93. 4 Les lettres dat?es de la r?sidence de Sardini ? Tours (Caesaro

duni Turonum) vont du 29 aviil au 13 novembre 1592 (I, 18, 20, 21, 23, 24). 5

Ep., I, 23, 23 juillet 1592. ? Utor praeterea familiariter D. Thuano ?.

6 Cf. Ep., I, 27, 8 avril 1593 : ? cum essem apud D. Scaligerum ? ; autre allusion en I, 30.

7 Sur lui, cf. infra, p. 184, n. 2. 8 Florent Chr?tien, n? ? Orl?ans en 1541, mort ? Vend?me en

1596. Il signe ses lettres ? Quintus Septimius Florens Christianus ? : ? Quintus, parce qu'il estoit le cinqui?me des enfans de ses pere et

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DOMINIQUE BAUDIER 151

joindre d?s l'abord deux m?decins de l'orbe de de Thou :

Charles Falaizeau *, et Vertunien, c'est-?-dire Fran?ois Lavau 2. C'est Vertunien qui soigne Baudier lors de la maladie qui le saisit au cours de l'hivers 1592-93 3.

D'enviables offices, sa place m?me d'avocat du roi, ne

paraissent pas combler son attente. L'ann?e 1593 est celle de sa premi?re ambition diplomatique. Au mois de mai meurt M. de La Pr?e V protecteur des affaires belges et

m?re, Septimius, parce qu'il estoit n? au septi?me mois de la

grossesse de-sa m?re ?. Cf. Bail., IV, 34-37 (voir aussi ibid., II, 2, 264). Fils de Guillaume, m?decin de Fran?ois Ier et Henri II ; p?re de Claude, po?te grec et latin, et de Fran?ois, pr?cepteur de Henri IV et son biblioth?caire ? Vend?me. Disciple de Henri

Estienne, et excellent hell?niste. Pr?cepteur de Henri IV, puis garde de sa biblioth?que ; huguenot et loyaliste, un des r?dacteurs de la Satyre M?nipp?e (vers mai 1594), avec Passerat, Jacques Gillot, Pierre Pithou, Nicolas Rapin ; Gillot et Pithou sont ?galement de Torbe de Baudier. Florent Chr?tien est l'ami de Do?s p?re, qu'il a connu du temps o? ce dernier, en 1564-66, ?tudiait ? Paris sous Dor?t comme Ronsard ; cf. P. Van Tieghem, La litt?rature latine de la Renaissance, Bibl. d'Hum. et Ren., t. IV (1944), p. 246. Do?s

?voque lui-m?me ce souvenir dans une lettre ? Florent Chr?tien, Scal., IV, 471. Baudier pouvait se pr?valoir aussi de ce souvenir

aupr?s de l'humaniste de Vend?me, mais c'est sans doute de Thou et surtout Scaliger, ?galement amis de Florent Chr?tien, qui servirent d'introducteurs. A Fl. Chr?tien Baudier d?die un

po?me, Poe., 65. 1 Charles Falaizeau, comme Vertunien, soigne de Thou malade

en 1592, cf. Tnu., XI, 158. ? ? Vir aptus ex ipsa humanitate ?, Ep., I, 30.

2 Cf. Thu., XI, 158 (1592). Ami de Scaliger, il publia le Scalige riana, Saumur,1669. Cf. une lettre de Scaliger ? lui adress?e, Lips., II, 45. Cf. ? Vertunianus noster ?, Baudier ? Scaliger, Ep., I, 20 et 31. Baudier semble le conna?tre depuis peu au d?but de 1592, et l? encore Scaliger plus que de Thou para?t avoir ?t? l'interm?diaire ; cf. ? Vertunianus tuus, imo iam meus ?, Ep., I, 20, 6 mai 1592.

3 ? Nunc respicit nos e a studio et opera maxime Vertuniani ?, Ep., I, 30, 28 avril 1593. ? Sur sa maladie, Baudier ne donne pas de d?tail. Le d?but en remonte en tous cas ? la fin de 92 : ? Te scilicet in morbo cubare, et languenti aegre uapideque esse ? (Flo rent Chr?tien ? Baudier, 19 d?c. 1592, Ep., I, 26). C'est la deuxi?me

maladie de Baudier en France. Comme au cours de la premi?re, il continue ? ?crire des vers : cf. l'allusion ? in rapido calore febris ?, infra, p. 163, en des vers ? de Thou : qui ne peuvent faire allusion ? la premi?re maladie, puisqu'alors Baudier ne semblait pas con na?tre de Thou.

4 Ep., I, 34. Baudier ? Scaliger, 23 mai 1593. Ce nom de ? de la

Pr?e ?, qui ne sonne pas tr?s flamand, pourrait n'?tre autre qu'une

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ambassadeur des Ordres aupr?s du roi de France. Aussi Baudier demande-t-il ? Scaliger,

? qui, en acceptant

d'aller enseigner ? Leyde, acquerra quelque gr?ce aux

yeux des Etats ? de le recommander aupr?s d'eux, afin de lui faire obtenir la place, ? pour peu qu'en ton ?me et conscience tu ne consid?res pas ton serviteur comme le

pire des incapables ?l. Il ?crit dans le m?me sens ? van der Do?s 2, et, ? cinq ou six reprises, ? des amis, voire aux Ordres eux-m?mes 3. Sans r?ponse. On m'aura donc calom

ni?, ?crit-il alors (le 13 novembre) ? Scaliger, d?sormais install? ? Leyde ; on aura dit que j'ai, dans mon exil, oubli? mon pays, au point de travailler contre ses int?r?ts ; d?mens, je te prie, ces all?gations mensong?res, et dis moi si Caluard 4 ? un ami de ma famille, d'ailleurs 5 ?

qu'on vient de nommer comme successeur de La Pr?e, est

envoy? en France comme ambassadeur r?gulier, ou seule ment comme d?l?gu? temporaire et extraordinaire6 :

forme francis?e d'un nom flamand comme van der Praet. On peut songer aux po?mes adress?s par Baudier ? Ludovic de Flandres, seigneur de Praet, et de la famille des comtes de Flandres (cf. Poe., 552, Epos VI, Epithalame de ce seigneur et de Marie Marnix ; et un autre po?me au m?me ?crit par Baudier d?s sa jeunesse, ? admodum adolescentulus ?, 599). 1 ? Si hune hominem non omnium ineptissimum animo tuo iudi cas ?, Ep., I, 34.

2 Avant la lettre I, 35, qui contient une allusion ? Faf?aire (Peti tion?in nostram, si nondum ea res transacta est, summae curae tibi esse persuasum habeo, et ut porro sit, per f?dem tuam te obtestor), Baudier dut ?crire plusieurs lettres ? Do?s en ce sens, puisque dans celle-ci il se plaint de ne pas avoir re?u le moindre mot (ne uerbulo quidem digni iudicemur) ? ses demandes ant?rieures (ad tot flagitationes, tot uadimonia per Epistolares libellos). 3 La lettre Ep., I, 36, fait allusion ? cinq ou six lettres adress?es ? ses amis de Hollande (nostri), certainement re?ues, et rest?es sans r?ponse (ne uerbo quidem responderint). Parmi ces ? nostri ?, il faut ?videmment compter Do?s, mais aussi sans doute les Ordres

eux-m?mes, ? qui Baudier a d'ailleurs plusieurs fois fait sa cour ; cf. Epos I, XV et XVI, in Poe., 537, 589, 593.

4 Levin Caluard : voir une lettre de Juste-Lipse ? lui, Lips., II, 79.

5 ? Laeuinum Caluardum, uirum antiqua necessitudine, mul

tisque of?iciis cum parente ac fratre meo coniunctissimum, nostrique peramantem, quomodo quidem mihi persuadeo ?, Ep., I, 36.

6 Ep., I, 36,13 nov. 93. Il y a alors ? plus d'un mois ? que Baudier

est s?r que c'est Caluard qui est nomm?.

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DOMINIQUE BAUDIER 153

afin de savoir si la porte me reste ouverte. Et l'affaire en reste l?.

Mais la m?me ann?e a vu la conversion d'Henri IV, et

voici l'Entr?e ? Paris, o? le gouvernement se r?installe.

Baudier, avocat au Parlement de Paris, quitte donc Tours

pour la capitale retrouv?e. Il y est au mois d'ao?t 1594 et c'est tout ce que nous saurons de lui en cette ann?e. A la fin de 1594, Christophe de Harlay, de retour d'Italie, sur un mot de son oncle de Thou 2, invite Baudier ? venir se reposer en son ch?teau de Beaumont pr?s Paris 3. Il y passe quelque temps de l'hiver 94-95. 4 Un po?me compos? en l'honneur du ? G?nie de Beaumont ?, sur la

pri?re ou sur l'ordre du seigneur du lieu 5, chante les

plaisirs de la retraite et des entretiens lettr?s : l'humanisme

fleurit, avec la bonne ch?re sa comm?re. Oublions les soucis du temps, le Turc 6 et les ? curae edaces ?7, pour nous griser d'une sagesse horatienne :

Praesentis horae cur breuem fructum iuuet Metu futuri perdere ?... At lepida dicta, sed procul conuiciis, Salesque puri, et fellis immunes ioci,

Mensam benignis condiant sermonibus 8.

1 Ep.,I,37, 29 ao?t 1594.

2 ? Arnica nostri mentio ?, Ep., I, 38, init. 8 Domaine de Beaumont en G?tinais (actuellement Seine-et

Marne, arrondissement de Fontainebleau). La seigneurie avait ?t? ?rig?e en comt? par Henri IV pour remercier Achille de Harlay de sa fid?lit?. ? ? Amice sum ab ipso (Christophe de Harlay) inuitatus ut secum in amoenissimo Bellimontii secessu nonnihil commorari uellem... Illic plusculos dies una fuimus ?, Poe., 661.

4 La lettre I, 38, du 25 f?vrier 1595, est dat?e de Beaumont. 6 ? Carmen istud conscripsi rogatus, hoc est, ut interpretan soleo,

iussus ? (Notes sur le po?me Genio Bellimontaneae, in Poe., ad f?nem). 6 II y aurait une note ? ?crire sur le Grand Turc consid?r?

comme l'Ogre et le Croquemitaine par excellence qui emp?che les Occidentaux de dormir tranquilles, depuis Basselin et le Vaudevire, o? l'on veut boire sans souci ? du Turc ni du Sophy ?, jusqu'? Ron sard (? Du grand Turc je n'ai souci ? ; cf. uvres, ?d. Laumonier, Lemerre, 1914-1919, t. II, p. 348), La Fontaine, etc.

7 Baudier parle comme Horace : ? curae edaces ?, Odes, II, 11, 18. Ce n'est pas la seule rencontre.

8 Genio Bellimontaneae libertatis, Poe., 68.

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Encore Harlay n'est-il qu'un m?c?ne temporaire. Sorti de l'oasis, Baudier n'en souffre que davantage d'une con dition mis?rable. ? Je tiens comme je peux, au milieu de la

publique barbarie du si?cle ? 1. Ne trouvant de consolation

qu'? se dire que son sort est celui de tout l'humanisme, en butte au m?pris de l'inf?me a a a des temps 2.

C'est m?me sa pauvret? ? a e a ? qui l'oblige

? se r?tirer pendant quelques mois ? la campagne, ?

Dolainville, pr?s de Paris, d'o? sont dat?es ses lettres d'ao?t ? d?cembre 1595 3. C'est l'heure o?, rappelant ? de Thou ses ? promesses ?, il le presse de lui faire obtenir une certaine charge consid?rable ? tantum munus ? faute de quoi il ne lui restera plus qu'? se prostituer ? un quel conque satrape 4. ? Et je sais bien, et ne saurais nier sans

haute arrogance, qu'on trouvera bien des gens plus quali fi?s par le m?rite du talent et du savoir pour oser aspirer ? cette Sparte : mais, si tu attaches ? ma cause tout le

poids de ton autorit?, personne ne saurait, je gage, s'effor cer d'un c ur et d'un respect plus reconnaissants de bien

remplir l'honneur d'une si haute charge ? 5. Quel ?tait le munus en question ? Sans doute ni plus ni moins que l'office d'historiographe de France. Du moins est-il permis de le croire d'apr?s une lettre post?rieure o? Baudier se

flatte d'avoir ?t? nagu?re distingu? pour cet office par de Thou et Harlay (une fois de plus ses protecteurs), mal heureusement sans succ?s, la candidature s'?tant heurt?e au refus du Roi6. Et c'est, en fin de compte, Pierre Matthieu

1 ? Nos hic sedulo sustentamus ut fieri potest in publica saeculi barbarie ?, Ep., I, 39, Paris, 31 mai 1595.

2 Publicam saeculi a a a , Ep., I, 37. Turpissimam saeculo a a , Ep., I, 39.

8 Ep., I, 41 ? 43. Ex praedio Olinuillaeo, ou Dolinuillaeo. Sans

doute Dolainville (Seine-et-Oisc). Peut-?tre un petit domaine

que Baudier lui-m?me y avait. 4

Ep., I, 43. 6 ? Equidcm fateor, quod sine insigni arrogantia negare non

possum, permultos repertum iri, qui maioribus ingenii doctrinaeque praesidiis instruct! ad hanc Spartam aspirare audebunt : sed si causam nostram illustri gratia tua complexus fueris, uix quemquam fore arbitror, qui gratiore animo uel religione potius, tanti muneris

dignitatem implere conabitur ?, Ep., I, 42. 6

Ep., I, 72, Leyde, 29 mars 1603. C'est ? l'occasion de cette can

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qui, sur la recommandation du pr?sident Jeannin1, succ?dera ? du Haillan comme historiographe.

Il faut donc, une fois encore, se mettre en chasse. Et voici justement que Caluard, qui lui avait pris la place de La Pr?e, va peut-?tre mourir ? point nomm? pour la lui transmettre. Le 18 avril 1597, Baudier s'ouvre ? Scaliger, qui est maintenant ? Leyde et bien plac? pour le recom

mander, de ses nouveaux espoirs : Caluard est malade, les m?decins le condamnent. Perte irr?parable pour ses amis et sa patrie ! Mais soyons fermes, et avisons ? le remplacer au mieux. Je r?ponds, je pense, ajoute Baudier, aux con

ditions requises d'un bon ambassadeur, et si je n'ai pas

didature, pensons-nous, que Baudier ?crivit au chancelier Philippe Hurault de Chcverny la lettre I, 5 (sur la localisation chronologique de cette lettre, cf. infra, append, ii), dont l'id?e est celle-ci : il ne faut pas revenir, sous l'inspiration de quelques envieux, mala droitement appuy?s par l'amiral Biron (Charles de Gontaud-Biron, 1562-1602, pair de France et amiral en 1592, mar?chal en 1594, ex?cut? pour complot en 1602), sur la d?cision prise ? l'honneur et

avantage des Flamands. Entendons qu'une cabale tendait ? ?vincer Baudier de l'office convoit?, en arguant qu'il ?tait ?tranger, comme on avait essay? mais en vain de lui faire tort sur le m?me

propos quand Groulard l'avait voulu nommer professeur de droit ? Caen. ?

Philippe Hurault de Chevemy (n? en 1528, mort le 30 juil let 1599) succ?de en 1553 ? Michel de l'Hospital, dont il ach?te la charge de conseiller au Parlement (il en sera plus tard premier Pr?sident) ; conseiller d'Etat en 1569 ; garde des sceaux en 1578 ; chancelier de France ? la mort de Birague, en 1581 (cf. Ronsard,

Discours, 1584, uvres, ?dit. Laumonicr, Lemerre, 1914-19, t. III, p. 343, et H. Chamard, Histoire de la Pl?iade, 1939-40, t. III, p. 388). Ligueur discret, il est en disgr?ce en septembre 1589, et se retire alors dans son ch?teau d'Esclimont. Henri IV lui rend ses

charges, la chancellerie et les Sceaux, d?s 1590, cf. Sul., 137, 160

(1594 sqq.). C'est de Thou qui alla le rechercher ? Esclimont pour le retour en gr?ce ; cf. l'Histoire Universelle de de Thou, Thu.,

VII, 648, et les M?moires sur la vie de de Thou, Thu., XI, 149. Che

verny servira d?sormais Henri IV avec d?vouement. Il avait ?pous? en 1566 la fille du pr?sident Christophe de Thou, s ur de Jacques Auguste, l'historien, qui put ainsi ?ventuellement recommander Baudier au chancelier. Voir, de Chcverny, des M?moires d'Estat sous le r?gne des roys Henry troisiesme et Henry IV, 1567-99, publi?s ? Paris, 1636 et 1664, in-12, avec la Vie de M. le Chancelier de

Chevemy, t. II, pp. 135 sqq. Cf. encore sur lui Esto., I ? IV, passim (index) ; et P. Matthieu, Histoire de France et des choses m?mo

rables..., Paris, 1606, pp. 357-359. Aussi H. de Vibrate, Le chan celier de Chevemy, homme d'Etat du XVIe si?cle, Paris, 1932, in-8?.

1 Sur lui, cf. Sul., 448.

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encore pu donner ma mesure, la faute en est ? la mis?re des temps

? flagitium temporis

? contre laquelle le sort me doit bien une revanche 1. Scaliger ne tarda pas ?

r?pondre, tout en promettant ses bons offices, qu'il ne suffisait pas ici d'amiti?s : l'emploi d'ambassadeur exigeait une longue exp?rience des affaires que pouvait n'avoir pas suffisamment acquise un homme priv? 2.

Or, au d?but de 1598, peu avant l'Edit de Nantes, c'est Justin de Nassau et Jean d'Olden de Barneveldt que les Ordres d?p?chent en France 3. Il pouvait ne s'agir que d'une ambassade extraordinaire, et Baudier n'en vit sans doute pas d'abord s'?crouler ses espoirs. Que ce f?t dans cette vue ou non, il trouvait l? un excellent pr?texte ? faire sa cour ? de hauts hommes et ? se faire remarquer : d'o? sa lettre d'apparat, o?, en leur envoyant des vers, il exprime toute sa nostalgie du pays natal, et invite les deux seigneurs ? faire quelque chose pour lui4. Les ambassadeurs de Hollande venaient en France, d'accord avec l'ambassadeur d'Angleterre Cecil, pour recommander ? Henri IV de ne pas signer la paix avec l'Espagne, lui

proposant d'abord un renfort de 4.000 hommes de pied, puis ? une alliance et association perp?tuelle pour faire, sans intermission, conjointement la guerre au roi d'Es

pagne ?, avec promesse de 10.000 fantassins, 1.000 che

vaux, une flotte, du mat?riel et toutes esp?ces d'appui. Econduits poliment par Sully, ils n'emp?ch?rent pas Henri IV de signer la paix de Vervins 5. Baudier, comme

1 Ep., I, 45, Paris, 18 avril 1597.

2 Ep., I, 46. Leyde (d?but mai) 1597. 3 Justin de Nassau ?tait ? Zelandici maris praefectus ?. Quant au

sieur ?Oldenbarnevelt? de Baudier, c'est Jean d'Olden de Barneveldt

(1547-1619), un personnage d'envergure : ? primarius Hollandi?? et occidcntalis Frisac consiliarius ?

(Thu., III, 823 A), ? Hollandi??

Westfrisaeque status consiliarius et aduocatus ? (Ep.,I,47), c'est ?-dire avocat g?n?ral des Etats de Hollande et ministre des Pro vinces Unies, c'est ? le sieur Barneveld ? dont parle Sully (Sul., 269) ; il devait, apr?s avoir jou? un r?le politique ?minent, se perdre dans la querelle des Arminiens et mourir sur l'?chafaud, le 13 mai 1619

(cf. Biographie Hoefer et Dictionnaire de Mor?ri, sub verbo Bar

neveldt). 4 Ep., I, 47, (d?but) 1598.

5 Sur ces n?gociations, cf. Thua., III, 823 A ; Sul., 181,184.

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sa lettre en t?moigne, avait ?t? de ceux qui encourageaient les ambassadeurs ? s'opposer de toutes leurs forces ? la

paix, l'un des responsables auxquels songe Sully ?voquant ces ? mauvais langages qu'aucuns de ceux de la religion avaient tenus aux seigneurs Cecil et Justin de Nassau en

particulier ? Ce qui, au demeurant, n'emp?chait nulle ment Baudier de c?l?brer bient?t en vers latins la paix de Vervins 2. Quant ? ses compliments aux ambassadeurs, sa peine n'y fut pas tout ? fait perdue : la famille Barne veldt constituera longtemps son grand foyer ami, surtout

si l'on compte que Marie Olden de Barneveldt ?pouse Cornelius van der Myle, lequel repr?sentera pour Baudier,

apr?s son retour en Hollande, l'ami ? toutes demandes, ce que de Thou lui ?tait en France 3.

Mais la roche tarp?ienne est proche du Capitole : et

c'est en prison que nous retrouvons Baudier, au mois de

juillet 98. Coup sur coup, cinq missives s'adressent ? de Thou pour implorer son intercession 4. L'affaire ne para?t

1 Sul., 184.

2 Poe., 484, Super pace conuenta. La paix de Vervins fut sign?e

le 2 mai 1598. Les repr?sentants fran?ais ?taient Bclli?vre et Br?

lart, que nous retrouverons. 8 Baudier ne d?die plus rien ? Justin de Nassau, mais deux po?mes

sont d?di?s ? Maurice de Nassau, Poe., 149 et 607 (comme Grot., 340 sqq.) Sur l'importance de cette famille en Hollande, cf. H. Hauser, La Pr?pond?rance espagnole, 2e ?d., 1940, p. 281. ?

Baudier d?die plusieurs pi?ces ? la famille Barneveldt : Ode V ? H?lie Oldcn de Barneveldt, admis, parmi d'autres, dans l'ordre des docteurs en droit (Poe., 523) ; Epithalame de Corn?lius van der

Myle et Marie Olden de Barneveldt, la fille de l'ambassadeur : Carmen Nuptiale,

? Fcstus hymen, charoque fides promissa sodali ?, Poe., 411 ; sur ce mariage, cf. Ep., I, 69, Leyde, 18 f?vr. 1603 ;

pi?ces ? Corn?lius van der Myle, Poe., 143 ; ? Arnold van der

Myle, Poe., 109, 429, et, sur sa mort, 208. Corn?lius est le principal correspondant de Baudier dans Ep., il ?change avec lui non moins de 58 lettres ; c'?tait un personnage consid?rable : ? lui sont d?di?s, entre autres, les recueils Hein. etGROT., ainsi que les Poemata de

Barlaeus, d?j? cit?s. Grotius fit aussi un epithalame pour son

mariage, Grot., 106. Cf. encore ? lui, Grot., 281 ; Gerardi loan. Vossii et clarorum uirorum ad eum Epistolae, Londres, 1690, in-f?, n? 348 ; aussi, Th. de B?ze, Poemata uaria, p. 186 v?. A Jean Olden de Barneveldt, l'avocat de Hollande, une pi?ce de Grotius, Grot.. 280. Sur lui, cf. encore Ep., I, 35.

4 Ep., I, 44, 48, 49, 50, 51. Environ 10 juillet ? fin juillet 1598. Baudier est au Ch?telet (l'affaire relevait donc de la juridiction

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pas avoir ?t? bien grave1. Sur l'entremise de Louis Servin et de Fran?ois Myron, peut-?tre de de Thou et

d'Attichy, Baudier ne tarda pas ? ?tre ?largi 2. Les derni?res ann?es fran?aises (1599-1601) ne semblent

pas avoir vu d'am?lioration notable de son sort. Juste

Lipse l'en plaint, en se mordant les doigts de ne pouvoir rien faire pour lui 3. Nous supposerions volontiers eepen

royale, et non de celle du Parlement), qu'il d?signe ainsi : ? e Tul liano ?, ou plaisamment : ? E Campis Elysiis quibus nomen Grande Castellum ?.

1 Voici ce qu'on peut comprendre d'apr?s les lettres mentionn?es.

Baudicr, ayant r?clam? le montant d'une dette ? une suivante de la ?Serenissima Princeps

? (Marguerite de Valois ?), celle-ci, une rou?e

(patior enim hanc iniuriam a muliere omnium bipedum nequissima), ?luda la difficult? en pr?sentant un acte de cr?ance sur Baudier

qu'elle s'?tait fait c?der par un tiers. Et Baudier en prison. Il

pourrait bien ?tre mis en libert? sous caution (sub liberali custodia), mais cherche en vain pour cela un garant (fideiussor). La Serenissima

Princeps lui est sympathique, mais autour d'elle de pernicieuses conseill?res ( a a a) corrompent son jugement. L'af faire passe en jugement devant la juridiction de la Princeps, le 18 juillet, mais l'issue est d?favorable, et d'ailleurs le proc?s tra?ne, par suite de l'hostilit? du juge choisi, un personnage peu recom mandable. Baudier souhaiterait que la Princeps rach?te sa cr?ance et demande ? plusieurs reprises que l'on choisisse un autre juge. Son

?largissement est command? vers la fin de juillet (Ep., I, 51). ?

C'est peut-?tre cette aventure qui invita Baudicr ? m?diter le pro bl?me du pr?t ? int?r?t, qui forme le sujet de son De Foenore.

2 Louis Servin a recommand? Baudier (Ep., I, 44) au ? praetor huiusce urbis ?, sans doute Fran?ois Myron, conseiller au Parlement de Paris en 1585, puis ma?tre des requ?tes, pr?sident au Grand Conseil et finalement lieutenant civil, mort en 1609 (cf. Sul., 94). Baudier lui adressera des vers ? cette occasion, Poe., 89, selon les

quels sa bonne foi aurait ?t? surprise : piti?, dit-il, pro debitore nullius noxae reo,

Quem creditorum pertinax crudelitas Confisa longo macerare carcere Plures per annos insequi non destitit.

Baudier demandait ? de Thou (Ep., I, 48) de le recommander ?

Attichy, secr?taire du Roi (Est., 109), qui peut tout pour lui en ce d?bat ; et au roi lui-m?me (Ep., I, 49). Son ?largissement sera d? ? l'intervention de plusieurs membres en vue du Parlement

(Ep., I, 51) : de ceux ? qui s'adressent ses po?mes (cf. infra, append, vu). L'?largissement semble avoir ?t? la suite d'une sorte de non-lieu plut?t que d'un acquittement ou d'une mise en libert? sous caution.

3 Ep., IV, 29, 25 f?vrier 1599. Les possibles protecteurs efficaces

de Baudier qu'il nomme sont Br?lart et, toujours, de Thou. Dans la m?me lettre, Juste-Lipse annonce son intention d'aller en Italie.

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dant que les pi?ces qu'il prodigue plus que jamais, en ces temps, ? la gloire de la famille royale, ne rest?rent

pas sans salaire, et lui valurent quelque sorte de pension dont il se put contenter 1. C'est vers la m?me date qu'il voit Casaubon, lors de sa venue ? Paris 2. Il est ?galement li? avec les fr?res Dupuy, auxquels (? Pierre surtout) il t?moignera de la reconnaissance, et leur communique, peu avant son d?part, de ses vers et de sa prose : en parti culier le trait? de Foenore, et, en vers, une pr?face ?ambique Ad Lectorem et une premi?re partie de ses Gnomae Iambicae 3, qu'il leur r?clamera d'Angleterre lorsqu'il

1 Cf. le r?pertoire de ces pi?ces, infra, append, vu. ? Nous avons peine ? croire au mot les r?criminations de Baudicr : ? Nup tias Regis, et natales Principis Delphini prosecutus sum aliquot Eleg?s, etiam Gallico Sonnctto, quem Rex ipse legit, approbauit, miris laudibus extulit ; sed, quod monstri instar est, ne teruncio

quidem (le quart d'un as) factus sum grauior et propensior. Adeo clauctft omnis bcnignitas, ubi maxime stare oporteret ?, Ep., I, 56, de Londres, 19 f?vr. 1602.

2 Isaac Casaubon, 1559-1614. Cf. Bail., II, 2, 352-359. Ancien pro fesseur ? rUniversit? de Montpellier, puis ? Lyon (1598), vient ? Paris en 99 : sur sa venue, cf. Juste-Lipse in Ep., IV, 29. Il ?change avec Baudier une correspondance dans les ann?es 1602-1613 ; cf. Ep.,et Cas., 237, 276, 442, 465, 719, 721. Aussi avec de Thou, Scaligcr, Florent Chr?tien, Do?s fils, etc. Egalement ami de Hein sius ; cf. Hein., 68, 332, 366. Baudier lui d?die encore un po?me, Poe., 123. Casaubon laissait un fils, Emery ou M?ric.

8 Les Gnomae Iambicae, ? mor?lis et ciuilis sapientiac m?nita ?, repr?sentent un genre en vogue ? la fin du xvie si?cle : cf. les Qua trains moraux de Pibrac, de Pierre Matthieu, de Favre, etc. Elles

comptent 173 chapitres. En voici un sp?cimen :

Desipere, labi, errare prona gens sumus, Unique nil peccare conuenit Deo.

Tout cela est plein de r?miniscences classiques, de Virgile par exemple :

O tei ille ?elix et quater, Quem uera uirtus, et bonae mentis uigor Mundi per aequora candidam ad calcem tulit !

La derni?re partie, ?Rei rusticae praccepta ?, peut ?tre inspir?e ? Baudier par son s?jour campagnard ? Olinville. Mais chanter la vie rustique est une mode au xvie si?cle, surtout ? partir de 1580 environ. Cf. Olivier de Serres ; du Bartas ; B?ze (Theodori Bezae Vezelii Poemata Varia, Gen?ve, 1614, in-12, pp. 182 sqq. ? Laus Ruris ?, traduit de du Bartas) ; et aussi Philibert Guide (H?g?mon), La Colombi?re et Maison rustique, Paris, 1583, in-8? ; Claude Gau chet, Le Plaisir des Champs, Paris, 1583, in-8? ; Germain Forget, Les Plaisirs et f?licitez de la vie rustique, Paris, 1584, in-4?, etc.

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songera ? rassembler la mati?re d'un nouveau recueil

po?tique 1. Car finalement, quand Christophe de Harlay part en ambassade vers l'Angleterre, il l'accompagne

2 : avec plusieurs arri?re-pens?es, celle notamment de rejoin dre de l? sa patrie, o? l'attire en particulier (est-ce un

pr?texte) ? sa s ur, malade depuis deux ans d'une affec tion de poitrine 3. Apr?s un voyage mouvement? ? il fait

presque naufrage 4 ? il restera ? Londres, se f?licitant du

traitement de Harlay 5, de janvier ? juillet 1602 6. Non sans regretter, au milieu d'un peuple glac?

? le mot

frigent revient plusieurs fois sous sa plume 7 ? l'ardeur

de la France, et Paris, esp?rant d'ailleurs y revenir bien t?t 8 : un proc?s toujours pendant pourrait bien d'ailleurs incessamment l'y rappeler.

1 Pi?ces demand?es en Er., I, 54 et I, 57 ; accus? de r?ception, I, 59 (1602). Le De Foenore s'appelait alors De Foeneratoribus, et les Gnomac Iambicae, ? Scntcntiae Politicae ?. ? Sur la reconnaissance de Baudicr aux Dupuy : cf. Ep., I, 54. ?

Christophe Dupuy, Chartreux, 1579-1654, fr?re des deux historiens Pierre (1582-1651) et Jacques (1586-1656) : tous trois fils de Pierre Dupuy, conseiller au Parlement de Paris ; ainsi que Auguste. Plusieurs lettres de Ep. sont adress?es ? cette famille.

2 La derni?re lettre dat?e de France, Ep., I, 53, est du 9 juillet 1601 ; la premi?re d'Angleterre, I, 54, du 29 janvier 1602. 11 accom

pagne Harlay comme secr?taire particulier, ? ut ei sim a consiliis, a seerctis, ab interioribus studiis ?. Sully arrivera en Angleterre comme ambassadeur (il est ? Londres en juin 1603) vers le moment o? Baudier en part (Sul., 260).

8 Sur les mobiles du voyage, cf. Ep., I, 55 ; I, 56 ; I, 57 ; I, 58 ; I, 59.

4 Ep.,I,54.

5 Ep., I, 56. Londres, 19 f?vrier 1602.

6 Ep., I, 54 ? I, 61 ; plus I, 63.

7 ? Hic certe... misere homines frigent. Totus inerti ocio torpeo. Non hac spe deserui Lutetiam, et (quod inter nos pereat) serio me

poenitet huius profectionis ?, Ep., I, 57. ? ? Disccssi a uobis maiore

cupiditate, quam sapientia... Mire hic omnia frigent ?, Ep., I, 60. ? Misere isthic homines frigent ?, Ep., I, 62.

8 Cf. Ep., I, 57 ; I, 59 ; I, 61 ; I, 63 ; I, 66. Florent Chr?tien l'avait bien pr?venu qu'il regretterait (I, 57).

? Un proc?s (?lis Germano rum ?), qui pouvait lui rapporter gros (500 aurei, Ep., I, 71, soit 2.000 livres), ?tait rest? pendant, jusqu'? son d?part de France, faute de certaines pi?ces qu'il fallait faire venir d'Allemagne. Il en parle ou s'informe de l'arriv?e possible des pi?ces, aupr?s de Christophe Dupuy. Apr?s un long d?lai, on vient de reprendre le proc?s (Ep., I, 61, 19 mai 1602). Mais il n'en a plus de nouvelles depuis fin janvier (I, 63 : juillet 1602) et demande ? son ami de presser les d?marches.

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Et il quitte bient?t Londres *, n'emportant d'autre

regret que celui d'Elizabeth 2, pour rentrer chez lui ? la fin de juillet 1602 3. A Leyde, la situation n'est d'abord

pas brillante 4. esp?rait ? l'Acad?mie un poste qu'on lui refuse 5, et de nouveau il songe ? repartir vers la France 6 : o? l'on me r?clame, dit-il ? ses compatriotes, assur?ment pour se faire retenir, par autre chose que des

promesses ; et o? il r?ve encore d'?tre envoy? en ambas

1 Do Londres, le 23 juin 1602, il annonce son intention de partir d?s le lendemain pour la Z?lande (Ep., I, 63) ; de Middelburg, le 16 octobre, il compte qu'il a quitt? l'Angleterre depuis un peu plus de trois mois (I, 62). Le d?part fut donc sans doute diff?r? jus qu'au d?but de juillet. 2

Ep., I. 63. Il a tout son temps, mais n'en est pas moins tour ment? de pr?occupations : ? quamuis... otio abundem pene ad lan

guorem usque et inertiam... curis, quae me nunc misere discru ciant... ? ? Les raisons du d?part d'Angleterre sont expliqu?es en

Ep., I, 60 : c'est qu'on lui reproche de s'attarder hors de sa patrie ; sa s ur l'appelle ; enfin, il sera, n'importe o?, mieux qu'ici. Il y a

enfin une raison secr?te, qu'il ne pourra ?voquer, dit-il, qu'une fois rentr? au pays.

3 Et ne sait d'abord o? se fixer : ? diu incertis sedibus uagatus sum per omnes pene Confoederatarum Prouinciarum oras ?, Ep., II, 48. Cf. aussi Vita Baudii.

4 Cf. ? calamitas ?, Ep., I, 62 (Middelburg, 16 oct. 1602) ; ? angus tiae ?, Ep., I, 66 (Leyde, 11 f?vr. 1603) ; ? tantus artifex pereo ?, ibid. ; ? angustiae, incerta conditio ?, Ep., I, 71 (Leyde, 25 mars

1603). ? En revanche, il s'adonne plus que jamais ? la po?sie

(Ep., I, 69) : encourag?, dit-il, par deux jeunes, Heinsius et Grotius. Ces derniers furent de ses amis. Cf. Grot., 301-302 : In poemata Dominici Baudii ; Heinsius lui d?die le second livre de ses Sylves et c?l?bre les po?mes de Baudier, ses Induciae, la mort de sa femme, Hein., 238, 339, 352. Baudier, qui traite Heinsius d'? amicissimus

collega et unice carum caput ? (Poe.), a souvent c?l?br? dans ses

po?mes Heinsius et Grotius, souvent ensemble. Cf. encore la place qu'ils tiennent comme correspondants dans E p. Encore, les pi?ces de Baudier ? eux : ? O par gemellum ?, Grot., 453, et ? Diuine

uates?,grot., 455. A signaler, en seconde ligne, parmi ses nouveaux

jeunes amis, Vossius, ? aff?nis suus ? (Poe., 530) ; une lettre de Bau dier ? lui ? la date de la mort de sa femme, Vossii... Epistolae, n? XI, p. 5 (entre 1610 et 1615).

? D?s cette date, Baudier conclut

que c'est l'?ambe qui lui convient, et non le vers h?ro?que (Ep., I, 66). La sanction des Doctes sera concordante : cf. Bail., loc. cit.

5 Ep., I, 66.

6 Sa condition difficile va le forcer ? y repartir. Ep., I, 66 ; une

affaire va le rappeler d'ailleurs ? Paris, I, 62 ; il s'agit de son fameux

proc?s, I, 71, ?

?crit-il, notamment ? Corn?lius van der Myle, qui d?s lors est son premier homme ? flatter.

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162 V.-L. SAULNIER

sade extraordinaire 1. A la rigueur accepterait-il un emploi en son pays

? van der Do?s, Barneveldt et son gendre van der Myle lui ont fait des promesses

2 ? une charge d'historiographe des Ordres, par exemple

3 ; ou m?me se

r?signerait-il au m?tier de professeur 4. Mais la satisfac tion ne vient pas vite, et d?s avril 1603 il trouve et signifie qu'on commence ? se moquer de lui 5. M?me lorsque, au mois de juillet suivant, il est agr?g? au corps universitaire de la ville, il maugr?e que ses v ux sont loin d'?tre com

bl?s, et que dans ces conditions il ne fera pas de vieux os ? Leyde 6. Il devait y faire toute sa carri?re, et y mourir dix ans plus tard 7.

Telle fut la carri?re de Baudier en France. Passionn?

d'humanisme, il est vou?, dans la duret? de ces temps, au

r?le de solliciteur enrag?, puisqu'il ne saurait survivre sans m?c?ne 8. A moins que cette al?iche d'humanisme ne

1 Ep., I, 71.

2 Ep., I, 72 et 75 (LcyoV, mars-avril 1603). 8 I, 72. Et de rappeler qu'il a manqu? de peu devenir historio

graphe de France. 4 Professoria prouincia, I, 72. Apr?s ionI-, conclut-il, non sans

un d?couragement r?sign?, je t?cherai d'clre bon l? o? Ton me

mettra, pourvu qu'on me mette quelque part. 5 Ep., I, 75, 18 avril 1603 : ? Quia nullum nostri prelium publice

fieri uideo, coepi nescio quo modo plane mihi ipse displieere. ?

6 Ep., I, 77, 1er juillet 1603. ? Non est mihi animus consenescere

aut modium salis consumere in his locis ?. 7 Parti de France, Baudier garde quelques contacts avec des

Fran?ais. Beaucoup de lettres sont adress?es ? des Parisiens au cours du s?jour ? Londres (la plupart des num?ros 54 ? 63). Sa correspon dance ne va plus gu?re ensuite vers la France. A part quelques lettres sporadiques comme celles ? Jacques Baduerius (Ep., I, 60 et 62, 1602), les Fran?ais au souvenir desquels il semble rester le

plus fid?le sont les fr?res Dupuy, Auguste et Christophe : Ep., I, 54, 57, 59, 61, 63, 69, 79, 85 ; II, 3 et 48 (1602-1605) et Casaubon : Ep., I, 68, 70, 95 ; de lui, IV, 35 ? 37 (1603-1611). Casaubon ?tait d'ailleurs l'ami des Dupuy ; cf. I, 54 : ? Casaubono multam a me salutem dicite ?. ? Dans les ann?es suivantes, Baudier songera quel quefois ? un possible retour vers la France : cf. p. ex. Ep., III, 54

(1606). 8 On remarquera comme, sur ce point, la carri?re de Baudier

rappelle celle, vers la m?me ?poque, de Beroalde de Verville avant

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DOMINIQUE BAUDIER 163

soit destin?e ? celer une ambition d?mesur?e qui cherche rait en fait ? percer par toutes les voies, diplomatique ou

autre, dans le seul dessein de briller ; mais l'hypoth?se serait sans doute calomnieuse : nous n'avons pas de raison de douter du go?t sinc?re de Baudier pour l'?tude, et ce

go?t m?me semble ?tre en ces temps une assez m?diocre r?clame pour l'intrigant. A l'humanisme, il est vrai, Bau dier n'a donn? que peu de gages : ce n'est pas un lourd

bagage, en volume ni en densit?,que son uvre de France1. Encore int?resse-t-il avant tout le biographe, car la valeur litt?raire en est honn?te sans plus. Et la plus grosse part rel?ve encore, comme presque toutes les ?p?tres, du

registre de la sollicitation. La plupart d'ailleurs de ses

po?mes latins n'?tant que des ?p?tres en vers, o? il redit, en un style seulement moins familier et plus orn?, le con tenu de ses lettres en prose. Ces vers,

Quos partim in rapido calore febris Ardens febre magis calor prof adit, Partim dum uago Gallicas per urbes Ciuili male t?rbidas tumultu, Bella inter strepitusque Martiales

Lusi, taedia temporum grauesque Curas decipiens labore honesto 2,

ces vers redisent inlassablement quatre th?mes : ? l'?loge h?ro?que du destinataire : ainsi traitera-t-il de Thou de

Nestor, quitte ? d?cerner la m?me flatterie ? Harlay 3, et fera-t-il revenir inlassablement sous sa plume les mots bons ? tout faire : decus, sanctus, sanctitas, pius, flos, honos, etc. 4

; ? la condition mis?rable du po?te, la

le canonicat. Mis?re de ? homo nouus ? ? la recherche d'un patron. Cf. notre ?tude d?j? cit?e.

1 Cf. infra, append, vi. 2

Poe., 611, vers ? de Thou. 8 De Thou est un Nestor, Poe., 611. Harlay aussi, Poe., 57,

quand il n'est pas un Caton, Poe., 280, etc. 4 Voir seulement les incipits de po?mes, tr?s ?loquents, que

nous citons ? Tappend, vu.

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164 V.-L. S AULNIER

? fortuna grauis ?, les ? desolati Penates ? 1, constrastant avec son m?rite :

Est tarnen, est animi uis uiuida pectore in isto, Nec non digni aliquo lucis honore sumus... 2

;

? l'insuffisance de ce qu'on a fait pour lui jusqu'ici :

munus haud quidem uotis

Aequale nostris, aure nec tua dignum 3

;

? l'int?r?t qu'il y aurait ? faire de lui son oblig?, pour obtenir de ses vers l'immortalit? :

Si qua pios nostri continget cura nepotes, Non te nulla manet carmine fama meo 4.

C'est billon de po?te que ces promesses traditionnelles et ces flatteries par mensualit?s. Elles ne d?cid?rent per sonne ? patronner lib?ralement le pauvre humaniste.

Pourtant, il ne craignit pas de les prodiguer ? ses protec teurs en titre, de Thou et les Harlay. Mais aussi ? toute

esp?ce de hauts hommes : ? des princes, comme le car dinal Charles de Bourbon, Henri de Bourbon-Montpen

sier, et des puissances huguenotes, comme Philippe du

Plessis-Mornay ; ? les chanceliers de France successifs,

? savoir Philippe Hurault de Cheverny, puis Pompone de Belli?vre 5, puis Nicolas Br?lart de Sillery

6 ; ? des con

1 Poe., 614.

2 Ibid. 8

Poe., 67. 4 Vers ? Berghen. Le m?me th?me encomiastique est passim. 6 Plusieurs personnages du pr?sent catalogue ont ?t? rencontr?s

et pr?sent?s plus haut. Nous n'indiquons pas les r?f?rences des

po?mes d?di?s ? chacun de ces noms : on en trouvera le r?pertoire ? Tappend, vu. ?

Pompone de Belli?vre (1529-1607), conseiller au S?nat de Chamb?ry, surintendant des finances, pr?sident au Parlement de Paris en 1579, chancelier de 1599 ? 1607, succ?dant en cette charge ? Cheverny ; cf. Palma Cayet, Chronologie Sept? naire, 1598-1604, Paris, Jean Richer, 3e ?dit., 1607, in-8?, f? 91 v?. Il avait ?t? ambassadeur en Suisse sous Charles IX. Son fils ?pouse la fille de Sillery. Il passait pour gaillard amateur de bonne ch?re. Cf. Est., 172, etc. Sul., passim. Tallemant des R?aux, Les Histo

riettes, ?dit. Monmerqu? et Paulin Paris, Paris, 1862, t. I, pp. 332 334.

6 Fils du Pr?sident Pierre Brulart et de Marie de Sillery, Nicolas

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DOMINIQUE BAUDIER 165

seillers au Parlement : Claude Groulard, pr?sident du Par lement de Normandie ; Claude Dupuy 1, Jacques Gillot 2, Charles Meinard 3, conseillers au Parlement de Paris ; Edouard Mol? 4, conseiller puis pr?sident du m?me Parle ment ; Jean-Jacques II de Mesmes 5, petit-fils de Jean

Jacques I, le pr?d?cesseur de Groulard, et conseiller au Parlement de Paris, puis ma?tre des requ?tes ;

? des gens du Palais, comme Guillaume du Peyrat 6, Fran?ois Myron et Louis Servin ;

? des diplomates de tous poils : Philippe de Canaye, sieur de Fresne 7

; Paul Chouart de Buzanval,

Brulart, marquis de Sillery (1546-1624), fut conseiller puis Pr?si dent au Parlement de Paris, garde des Sceaux, chancelier de France de 1607 ? 1616. Cf. Sul., 178 etc. Est., 385 etc. Tallemant, loc. cit., t. I, pp. 334-335. Baudier lui d?die un po?me, Poe., 58, quand il n'est encore que ? d?signatus cancellarius ?. On a vu (supra, p. 158, n. 3) que Juste-Lipse le compte comme l'homme ? solliciter dans les derni?res ann?es fran?aises de Baudier.

1 Sur lui, Est., 620 ; Esto., II, 136-137. 2 Conseiller -clerc en la Grand Chambre du Parlement de Paris :

? un des conseillers du Parlement qui avoit le plus d'int?grit? ? (de Thou, cf. Thu., VIII, 155, etc.). Un des r?dacteurs aussi de la Satyre M?nipp?e. Cf. Sul., 349, et Cas. (Casaubon correspond avec lui). 8 Cf. Poe., 63.

4 Conseiller puis pr?sident au Parlement de Paris, mort en 1614. P?re du c?l?bre pr?sident Mathieu Mol?. Cf. Est., 609; Esto., t. II (il est alors conseiller) et IV (il est pr?sident). 5 Conseiller au Parlement en 1583, ma?tre des requ?tes en 1594. C'est quand il ?tait ma?tre des requ?tes (libellorum supplicum in

Regia magister) que Baudier lui d?die des vers, Poe., 90. Conseiller d'Etat en 1600, directeur des Finances en 1613, mort en 1642. La terre d'Avaux, que lui apportait sa femme, fut pour lui ?rig?e en comt?. La famille ?tait illustre gr?ce ? son grand-p?re, Jean-Jacques (1490-1590), premier pr?sident du Parlement de Normandie, et surtout son p?re, Henri (1532-1596), ma?tre des requ?tes en 1553, podestat de Sienne en 1556, conseiller d'?tat et chancelier de Navarre. Son fils Henri (f 1650) fut ? son tour conseiller au Parle

ment, en 1608. 6 Substitut du Procureur du Roi au Parlement de Paris. 7 N? ? Paris en 1551, mort en 1610. Membre du Grand Conseil

sous Henri III. Sous Henri IV, charg? de missions en Angleterre, Suisse et Allemagne. Il pr?sidait en 1595 la Chambre mi-partie de Castres. Le po?me de Baudier qui lui est d?di?, Poe., 637, qui le nomme ? Germaniae cxlegatus, praeses curiae in Occitania ?, date donc de cette ?poque. Arbitre de la Conf?rence de Fontainebleau en 1600, il abjure le calvinisme en 1601 et sera ambassadeur ? Venise. Cf. ses Lettres et Ambassades, 1645. Et Le voyage au Levant de Fresne-Canaye, 1573, p. p. Hauser, Paris, 1897, in-4?.

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166 V.-L. SAULNIER

ambassadeur de France aupr?s des Ordres 1 ; Jean Boissy

de Thumery, ambassadeur de France en Angleterre 2

; Emery de Vie, ambassadeur de France en Suisse 3

; Ogier Ghislain de Busbecq, ambassadeur de l'Empereur Rodolphe II en France 4

; ? sans n?gliger, ? l'occasion, le

moindre gibier, comme Jean de Vass? 5, Jean Hotman 6, Michel Hurault 7 ou Pierre de Beringhen 8. Plus que tout

autre, ?videmment, m?rite ses louanges le roi dont il r?va d'?tre l'historiographe : ? c?l?brer Henri IV et la famille

1 Cf. des pi?ces ? lui d?di?es : Hein., 232, Grot, 192, 298, 299 sqq. et, sur sa mort, 304.

2 A qui succ?dera Christophe de Harlay ; cf. lettres de Baudier du s?jour anglais, v. g. Ep., I, 55. C'est sans doute le Jean de

Thumery qui, avec de Thou, Jacques Gillot et Jean de Villemereau, comme lui conseillers au Parlement, va de Tours trouver le roi ? Rouen en 1591. Thu., VIII, 155 sqq.

3 II n'?tait encore que ? ambassadeur d?sign? ? pour la Suisse

quand Baudier lui d?die ses vers, Poe., 98. Baudier ?tait alors malade ; sans doute faut-il donc dater ce morceau de l'hiver 92-93. ? Il ne s'agit pas d'un homo nouus ; voir Dominique de Vie in

Sul., 296. 4 1522-1592. Cf. Est., 295, 304, 314; Thu., XI, 309; et les

A. Gislenii Busbequii omnia quae exstant, Leyde, 1633, in-12. Ses

lettres, publi?es d?s 1631, furent traduites en fran?ais en 1718. 6 Jean de Vass? (Vassanius), ? Pythaeorum nepos ? (Poe., 100).

Cf. Jean Grognet de Vass?, parent de Montgomery, Est., 39 ; et Lancelot Grognet de Vass?, ?pouse Fran?oise de Gondi, Est., 542. Baudier connaissait un peu les Pithou, quoiqu'il ne leur ait rien d?di? ; cf. Ep., I, 37. Sur les Pithou fr?res, de Troyes en Cham

pagne : Pierre, mort en 1596, et son pu?n? Fran?ois, cf. Bail., II, 2, 260, 264.

6 Jean de Villers-Hotman, auteur de Y Anti-Chopin, contre la

Ligue ; cf. C. Lenient, La Satire en France au XVIe si?cle, 3e ?dit., Paris, 1886, t. II, p. 123 Fils du c?l?bre Fran?ois Hotman (1524-90), et neveu de Antoine (1525 P-1596), ligueur qui s'?tait soumis ? Henri IV ; cf. Est., 57, et son Epitaphe in B?ze, Poemata Varia, ?d. cit., p. 68. Jean Hotman et Baudier avaient, entre autres, eu

Philip Sidney pour ami commun. 7 Michel Hurault de l'Hospital, sieur du Fay (Fayus), petit-fils

de Michel de l'Hospital, chancelier de Navarre, intendant de l'arm?e

royale. Champion de la cause de Henri IV, il s'?tait distingu? comme pol?miste dans les guerres civiles par ses Quatre excellens discours sur l'estat pr?sent de la France. Lenient, II, 119-120.

8 Un Flamand, premier valet-de-chambre du roi, familier de Henri IV d?s 1592. Cf. Sul., 98, etc. ? Baudier dut aussi conna?tre les Pithou ; cf. Ep., I, 37 ; Pierre Pithou ?tait d'ailleurs l'ami de de

Thou, Thu., VIII, 185.

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DOMINIQUE BAUDIER 167

royale il ne consacre pas moins d'une trentaine de pi?ces l. Sans compter les pi?ces d'un ordre assez g?n?ral que lui

inspire la Reconqu?te et la domination montante du nouveau dieu qui se montre ? la fois Mars et Auguste, cinq occasions lui fournissent mati?re ? pan?gyriques pr?cis. C'est, en 1594, l'attentat de Jean Chatel contre le roi : d'o? anath?mes, invectives et actions de gr?ces

2 ;

en 1598, la paix de Verv?ns 3 ; en 1599, les n?gociations

avec la Savoie 4 ; en 1600, le mariage de Henri IV avec

Marie de M?dicis : d'o? propemptique pour la reine quittant Florence, ?pithalame et jeux sur les noces 5

; enfin, en

1601, la naissance du Dauphin, le futur Louis XIII, d'o?

pi?ces g?n?thliaques 6.

1 Cf. le r?pertoire de ces pi?ces, infra, append. VII. Grotius d?die aussi des vers ? la famille royale de France ; Grot., 317.

2 L'attentat de Jean Chastel est du 26 d?cembre 1594. Jean Chastel passa pour ? un jeune ?colier enseign? par les J?suites ? ; cf. Sul., 138. Aussi Gabriel Chappuys, Histoire de nostre temps (sous Henri III et Henri IV), Paris, 1600, in-8?, f? 210 r? sqq ;

Pierre Matthieu, Histoire des derniers troubles de France, s. 1., 1606, 1. V, ff? 52 r? ? 54 r? ; Th?odore de B?ze fit aussi des vers sur le sujet de l'attentat : In horrendum parricidium, dans les Poemata Varia, p. 101. Baudier consacre ? ce propos une dizaine de pi?ces.

3 Sur la paix de Vervins, cf. supra, p. 157. 4

Poe., 484. Le trait? de Vervins soumettait l'affaire de Salu?es ? l'arbitrage du Pape ; il se r?cusa. Charles-Emmanuel, duc de

Savoie, n?gocia alors directement avec Henri IV, et pour ce vint en France. Il arrive ? Fontainebleau le 14 d?cembre 1599. Le trait? de Paris fut conclu le 27 f?vrier 1600, mais, la Savoie se montrant

peu press?e d'en appliquer les clauses, la guerre devait reprendre l'ann?e m?me. Cf. Sul., 214, 219. Palma Cayet, Chronologie sept?naire, ?d. cit., p. 110.

5 Le contrat de mariage est du 25 avril 1600 ; Sul., 218. La mis sion fran?aise ? Florence ?tait men?e par le marquis de Sillery, et d'Alincourt ; cf. Berthold Zeller, Henri IV et Marie de M?dicis, Paris, 1877, in-8?, p. 27. Le mariage fut c?l?br? ? Florence le 5 octo bre 1600. Marie s'embarque ? Livourne le 17 octobre 1600, prend terre ? Toulon ; elle ?tait ? Marseille le 3 novembre : Palma Cayet, Chronologie sept., pp. 177-192 ; Zeller, pp. 29-73 et 331-337 ; cf. Traict? du mariage de Henri IV avec la S?r?nissime Princesse de

Florence, Honnefleur, 1606. Marie arrive ? Lyon le 3 d?cembre 1600 ; Sul., 230.

6 Louis XIII naquit ? Fontainebleau, le 27 septembre 1601.

Sul., 238 ; Zeller, 99-117. ? Le jour de Saints Cosme et Damien ?,

Poe., 634.

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168 V.-L. S AULNIER

Nous citerons ? titre d'exmple le suivant ? Sonnet sur la

naissance de Monseigneur le Daulphin ? :

D?licieux s?jour, qui fais luire ? la France L'astre tant d?sir? d'un glorieux Daulphin, A qui le Ciel promet un Empire sans fin, Dont les Princes puissants r?v?rent la naissance,

Tu as or' en depost du r?gne Fasseurance, L'amour du genre humain. C'est Auguste Herculin

Dont le seul nom fameux pouss? par le destin

Fouldroye en son berceau des monstres l'arrogance. Le si?cle nous pr?sage un bonheur nomparell :

Puis que l'obscure nuit allume un clair soleil, Quel sera le midy de sa brillante gloire ?

Toute humaine grandeur fleschira sous son bras, La main de l'Eternel conduira tous ses pas, Et l'univers sera le champ de sa victoire 1.

A part ces pi?ces int?ress?es, o? fleurissent profession nellement l'hyperbole et l'amplification oratoire, quelques

pi?ces sont messages d'humaniste, ? Florent Chr?tien, ?

Casaubon, ? J. J. Scaliger 2. Une seule inscrit Baudier dans un d?bat de quelque envergure : celle qu'il voue ? Marie de Gournay, la ? dixi?me Muse ?, la ? vierge h?ro?

que ?, avec des commentaires o? il prend position sur le

propos des Essais de Montaigne 3. Pierre Villey a dit l'histoire de la renomm?e du livre ? ce tournant de si?cle 4. Le verdict de Baudier, int?ressant par ses r?serves, ne

laisse pas d'?tre d?cevant. On devine qu'il aime Mon

taigne, mais se refuse ? l'idol?trer : on ne saurait dis

1 Cf. Ep., p. 79 ou Poe., 634. Le sonnet plut au roi ; cf. supra, p. 159, n. 1. Une des tr?s rares uvres de Baudier ?crites en fran

?ais, avec le sonnet ? Elisabeth Palatine, Poe., 589. Le style ne s'?l?ve jamais au-dessus du conventionnel, pas plus en fran?ais

qu'en latin. On en aura un bon exemple par ces vers sur la paix, Poe., 484 :

Aurea pax coelo delapsa coercuit iras... Concordes coeant in mutua foedera dextrae,

pleins d'ailleurs de na?vet? dans leur sens. 2

Poe., 65, 123, 406. La pi?ce adress?e ? Casaubon ? l'occasion de sa publication du D?ipnosophiste d'Ath?n?e remonte par le fait m?me ? 1598, date o? parurent les Deipnosophistarum I. XV, in-f? en question. 8

Poe., 75, avec des commentaires ? la fin du livre, p. 662. 4 Pierre Yilley, Montaigne devant la post?rit?, 1935, pp. 56 sqq.

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dominique baudier 169

tinguer en ses critiques de r?clamation originale ou ferme ment d?finie

II. ?

L'affaire Scaliger.

Apr?s la recherche d'une situation stable et lucrative

pour lui-m?me, l'affaire o? Baudier eut ? d?ployer le plus d'encre et d'activit? fut celle du d?part de Joseph Juste Scaliger vers Leyde. Au moment m?me de l'arriv?e de Baudier en France, Juste-Lipse 2, apr?s douze ans d'en

seignement ? l'Universit? de Leyde (il y ?tait depuis 1579), ? la suite de la publication de ses Politicorum siue ciuilis doctrinae libri sex (1589), qui suscitaient l'indignation des

R?form?s, quittait Leyde pour Li?ge, avant de se fixer ? Louvain en 1592. Celui qui lui succ?dera, Joseph-Juste Sealiger 3, le fils de l'illustre Jules-C?sar Scaliger, est

1 Apr?s avoir remarqu? que, sur le propos de Montaigne, les

opinions sont tr?s diverses et souvent fort tranch?es, Baudier ajoute en son propre nom, usant de termes mesur?s : ? Abundat ille quidem uitiis, sed quae non temere nisi in praeclaris et excellentibus ingeniis reprchendantur. Adde, quod haec compensantur pluribus longe uirtutibus... Herbae quaedam inutiles non innascuntur nisi solo

praepingui ac feraci ?. 2

Juste-Lipse (1547-1606). Il forme, avec Scaliger et Casaubon, le ? triumvirat litt?raire ? du si?cle (c'est le titre du volume que leur consacrait Nisard). C'est ? lui que Scaliger succ?de, et non l'inverse comme le dit P. Van Tieghem, op. cit., p. 377. ? Il a ?chang? lui

m?me quelques lettres avec Baudier ; cf. Ep., Iust., Lips. ? Bau dier lui a d?di? plusieurs pi?ces : son ode II, ? O qui lympha Aganip pidc ?, Poe., 513 ; son ode III, ? O Phoebe, montes qui colis Aonas ?, Poe., 517, ? l'occasion de la publication du De Constantia de Lipse, et une autre pi?ce sur le m?me ouvrage, In libros Lipsii de Cons

tantia, e e '.' ;, Poe., 642 ; une ?l?gie ? Lipse deliciae

Musarum ?, Poe., 603, ?crite en maladie (elegia quam scripsit in

morbo) et qui doit ainsi dater du d?but de 1591 ou de l'hiver 92-93 ; une pi?ce sur sa mort, In obitum Viri magni Iusti Lipsi, Poe., 230.

? Sur Lipse, et en particulier sur sa mort, cf. encore Hein., 64

(epiccdium), 68, etc. ; Grot., 251 (In Lipsi obitum), 297. ? L'Uni versit? de Leyde ?tait toute jeune : elle n'avait ?t? fond?e qu'en 1575.

3 Cf. supra, p. 143, n. 3. Ami de Baudier, d'apr?s sa correspon dance et ses vers, il est li? aussi avec Auguste, Christophe et Claude

Dupuy, Heinsius, Florent Chr?tien, Do?s, Casaubon, Juste-Lipse ; cf. Scal., index. Heinsius et Grotius lui d?dient mainte pi?ce ;

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170 V.-L. SAULNIER

pour l'heure install? ? Preuilly-sur-Claise (Indre-et-Loire actuelle), chez Louis Chasteigner de la Rocheposay, conseiller du Roy, et, entre autres choses, baron de

Preuilly comme pr?cepteur de ses fils. D?s le 10 ao?t

1591, Jean van der Do?s le fils annonce ? Baudier, alors ? Caen, la nouvelle du d?part de Lipse 2. Il semble bien

que ce fut Baudier qui proposa le premier Scaliger pour lui succ?der, encore qu'il ne le conn?t que depuis peu 3. Aussit?t cette lettre re?ue, il fait d?p?cher cette propo sition ? van der Do?s le p?re (et par lui aux pouvoirs com

p?tents) par l'organe de Jacques Crucius4. Il l'appuie d'une lettre au m?me van der Do?s, o?, apr?s avoir dit tout son

regret du d?part de Lipse, perte sensible pour l'Acad?mie, il prend l'initiative de d?signer Scaliger ; il pourrait accepter, et Baudier promet de s occuper de la chose, gr?ce aux liens cordiaux qui les unissent : mais il faut que van der Do?s lui fasse conna?tre au plus t?t le sentiment de

cf. Hein., 37, 130 sqq., 68 sqq., 356, 417, 444, 446 ; 308 (sur sa mort) ; 51 (Manes Scaligeri Apotheosis) ; etc.

? Grot., 257 sqq. ;

308-311 (sur sa mort) ; Scaligcr ? Grotius, Grot., 446. 1 Louis Chasteigner, baron de Malvai et de Preuilly, seigneur

d'Abain,de la Rocheposay et de Touf?ou, conseiller du roi (1535-95). D?vou? ? Henri III et Henri IV, il avait ?t? ambassadeur ? Rome en 1575, et emm?ne Scaliger en Italie avec lui. Au retour, il le choisit comme pr?cepteur de ses fils. De son mariage avec Claude

Dupuy, il avait eu pour fils Henry-Louis, n? ? Tivoli le 6 septem bre 1577, ?v?que de Poitiers en 1611, mort en 1651 ; et Ferdinand, 1579-1607. La famille ?tait apparent?e aux Ba?f puisque Jean de

Ba?f, le p?re de Lazare, avait ?pous? noble dame Marguerite de la Roche Posay ; cf. Sc?vole de Sainte-Marthe, Ehges, in Opera Latina, 1633, p. 10, et B. Haur?au, Histoire litt?raire du Maine, t. 1,1870, p. 227.

2 De Leyde, 10 ao?t 1591; Ep., 1,11. Lipse avait pris pr?texte de sa sant? (ualetudinis causa, I, 11 ; cf. ualetudo ostenditur, Scal., IV, 470 ; en r?alit?, les responsabilit?s du d?part ?taient complexes : ? nec de culpis dicere attinet, quae ubicunque resideant?? Ep., 1,12) pour partir vers Li?ge

? ad tempus ? (Ep., I, 11) : cette formule de Do?s est ?quivoque ; faut-il entendre ? au bon moment ? ? Plut?t ?

temporairement ? ; Lipse dut faire croire, pour masquer plus ou

moins officiellement son d?part, qu'il allait seulement faire une cure. 3 ?

Quanquam recens haec inter nos notitia est ? ; Ep., I, 8 ; de

Caen, 19 juin 1591. ? L'initiative est de Baudier : ? Mihi in mentem uenit ?, Ep., 1,12.

4 ? Quum tu per Crucium... denuntiari curaucris ?, Scal., IV, 469.

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DOMINIQUE BAUDIER 171

Leyde ; en cas de besoin, il offre m?me de se rendre aux nouvelles aupr?s de l'Acad?mie (il est alors ? Middelburg, ?

qui est d'ailleurs le pays de Crucius, ?

pr?t ? t?ter ses

chances) ; sinon, il repart pour la France, non loin, juste ment, de la r?sidence de Scaliger (c'est-?-dire ? Tours), et s'offre ? ?tablir la liaison Ce message croise celui par

lequel van der Do?s, en lui annon?ant officiellement le

d?part de Lipse, et prenant acte de sa proposition trans mise par Crucius, lui donne une enti?re acceptation, lui

promet une gratitude efficace s'il r?ussit ? faire venir

Scaliger, et lui annonce qu'il lui d?p?che un jeune profes seur de droit de l'Acad?mie de Leyde, G?rard Tuning, afin de s'informer en toute discr?tion 2. La liaison dut vite se r?tablir entre van der Do?s et Baudier, puisqu'? la fin de 1591 les Curateurs de l'Acad?mie et les Echevins de

Leyde envoyaient ? Scaliger, avec une proposition offi cielle et au milieu des flatteries d'usage, l'annonce de la venue vers lui, en ambassade, de Baudier et de Tuning 3. En m?me temps, Leyde fait agir les Etats de Hollande et

West-Frise, qui exp?dient ? Scaliger une lettre d'adulation

propitiatoire 4, et ? Henri IV une demande d'intervention

aupr?s de Scaliger 5

; et le prince Maurice de Nassau, le fils du prince d'Orange, qui ?crit ? Henri IV dans le m?me sens 6.

1 Ep., 1,12. Middelburg, 17 septembre 1591.

2 Sc al., IV, 469. Lettre de Do?s p?re ? Baudier, La Haye, 18 sept. 1591. Lipse est parti : ? Ei nunc successor quaeritur. Sed quis ille tan tac personae capax ? Nisi tu Scaligerum ilium dicas. ? II demande ? Ba?dier de tout dire ? Tuning, ? si quid de Scaligeri uoluntate pro pius compertum atque exploratum habueris ? ; en cas de succ?s, ? omnia a te nobis data putabimus, mutuum facturi, quum uoles ?. Sur Tuning, cf. une lettre de Juste-Lipse ? lui, Lips., II, 76 ; aussi

po?mes ? lui d?di?s : Hein., 349 et 439 : ? In Tuningii Apophteg mata ?, Grot., 318.

8 Scal., IV, 470. A Scaliger, ? literarii senatus principi ?.

4 Scal., IV, 479. La Haye, 7 oct. 1591.

6 7 octobre 1591, Scal., IV, 481. Henri IV adresse deux lettres ? Scaliger ; Scal., IV, 478 et IV, 482. L'une est exp?di?e

? du camp devant Rouen ?, 3 d?c. 1591 ; dans l'autre, de Mantes, 20 avril

1591, Henri IV f?licite Scaliger d'aller en Hollande ? selon que je vous ay cy devant escrit, que je le desirois ?.

6 La Haye, 6 oct. 1591. Scal., IV, 480.

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172 V.-L. SAULNIER

L?-dessus, au mois de d?cembre, Tuning part vers

Tours x, sans doute accompagn? de Baudier 2. Mais c'est o? les choses commencent ? se g?ter. Une fois en France, Baudier regagne Caen, et Tuning ira seul aupr?s de

Scaliger. Plus : en route, Tuning est d?trouss? par une

bande de Ligueurs, qui le d?lestent en particulier des lettres officielles de Hollande et d'une ? tr?s longue ? lettre de Baudier qu'il portait ? Preuilly 3. L'absence de Baudier, la perte de documents essentiels (portant sans doute, entre

autres, les propositions concr?tes, p?cuniaires et diverses,

qu'on faisait ? l'humaniste) firent ?chouer la mission. Les 20 et 21 janvier 1592, Tuning reparti chez lui, Scaliger exp?die trois lettres pour expliquer son refus : ? Maurice de Nassau, aux Curateurs, ? van der Do?s 4. Il a vu Tuning, mais, quelque mauvaise que soit en France la situation de l'humanisme 5, il ne peut partir vers Leyde : qu'on en

accuse, non sa mauvaise volont?, mais l'infortune du

sort 6 ; van der Do?s ne se d?courage pas pour si peu, et, croyant ne plus pouvoir compter sur Baudier, s'occupe de trouver un nouvel interm?diaire en Florent Chr?tien, qui est ? Vend?me, un de ses vieux camarades d'?tudes, et son correligionnaire 7. Si vraiment, lui ?crit-il, Scaliger veut venir ?? ? toi de sonder la ? sincera animi uoluntas ?

? et que seule, comme il semble, l'inqui?tude du voyage

1 Le passeport fran?ais du ? docteur Tuning ? (Scal., IV, 483) est dat? du 3 d?cembre 1591.

2 En Scal., IV, 470, on parlait d'une ambassade commune de Baudier et Tuning aupr?s de Scaliger. 3 Les lettres de l'Acad?mie perdues, cf. Scal., IV, 475 et 484 ; de m?me, une ?

pergrandfis] epistol[a] ? de Baudier ? quae et hos

tium potita est ? ,E ., I, 18. 4

Scaliger ? Maurice de Nassau, 20 janv. 1592 ; Scal., IV, 484 ; aux Curateurs, 21 janv. 1592, Scal., IV, 475 ; ? Do?s p?re, m?me

date, Scal., IV, 476. 5 ? Cum huic literas abegerint ciuiles furores ut bono uiro ubiuis

potius esse, quam in Gallia exp?di?t ?, Scal., IV, 475 : une simple phrase comme celle-l? suffisait ? laisser la porte ouverte, malgr? le refus exprim?. 6 ? Ut non uobis de uoluntate mea, sed mihi de infelicitate tem

porum meorum conqueri liceat ?, Scal., IV, 475. 7

Scal., IV, 471, lettre de Do?s ? Florent Chr?tien. Il lui rappelle le s?jour commun ? Paris ? ante annos XXX ?.

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DOMINIQUE BAUDIER 173

l'arr?te, t?chons d'aplanir la difficult? : travaille pour nous ? sine fuco et fallacia ? ; car les mauvaises langues commencent ? marcher (entendons qu'un refus mol et mal d?guis? de Scaliger, mis sur le compte du m?pris, tendrait ? d?consid?rer l'Acad?mie).

C'est alors que Baudier rentre en lice. Et, tout au long de l'ann?e 1592, c'est lui qui va se d?mener le plus pour t?cher d'amener une solution heureuse de l'affaire. Les

pouvoirs, de nouveau, lui font confiance et s'en remettent ? lui. Apr?s une premi?re lettre inconnue de nous (qui peut ?tre imaginaire)1, Baudier ?crit d'abord ? van der

Do?s, pour faire conna?tre les raisons qui l'emp?chaient d'aller ? Tours 2. Il s'excuse sur le ferme attachement de

Groulard, auquel il ne peut s'arracher, et accuse de calom nie ceux qui, ? ce qu'on lui a dit, ont mal interpr?t? son

abstention : imaginant qu'il est retenu ? Caen par une

petite femme ; ? quoi nous ajouterions volontiers deux ordres de calomnie ou de m?disance que Baudier ne donne

pas, mais qui ne manqu?rent assur?ment pas de s'expri mer : on dut laisser entendre que son empressement ? faire

partir Scaliger ?tait feint, car il convoitait lui-m?me la

place (ce qui pourrait n'?tre pas tellement faux, ? moins

que Baudier convoit?t justement la place de Scaliger ?

Preuilly) ; et enfin, le taxant sans doute de vantardise, pour avoir promis inconsid?r?ment (il s'en d?fendra) que, sur sa d?marche, Scaliger serait tout de suite consentant, et peut-?tre au moindre prix. Heureux que, premi?re ?tape, Scaliger ait ?t?, sur sa proposition, agr?? ? Leyde, Baudier s'?tonne et se vexe que Tuning n'ait pas jug? bon de lui rien mander sur l'issue de sa d?marche : seul Florent Chr?tien lui en a donn? nouvelles, lui faisant savoir que

Tuning est reparti avec bon espoir. D'ailleurs, Baudier se

propose de gagner Tours au plus t?t. De fait, d?s l'arriv?e ? Tours, il adresse, apr?s plusieurs autres (dit-il), une

nouvelle lettre ? Scaliger 3, o?, se d?fendant encore contre

1 Allusion en Ep., I, 16. 2

Ep., I, 16. De Caen, 17 mars 1592. 3

Ep., I, 18. Tours, 29 avril 1592.

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174 V.-L. SAULNIER

les mauvais propos, il rappelle que c'est ? son instigation que Tuning fut envoy? ? Preuilly, adresse ? Scaliger des

?loges sans mesure ? tu es seul ? d?fendre dans le pr?sent si?cle la dignit? litt?raire ? et, pour m?nager en m?me

temps sa susceptibilit?, ajoute qu'en donnant espoir ?

Leyde de lui envoyer Scaliger, il n'a pas eu la l?g?ret? de

promettre son acceptation, se gardant bien de l'engager t?m?rairement en aucune mani?re. Il revient sur le m?me

propos 1

pour affirmer que les Etats eurent tort s'ils

crurent ? une promesse ferme de sa part, et le f?liciter de

n'avoir pas accept? ? Leyde une ? exilis conditio ? ; la

lettre de Scaliger ? l'Acad?mie, que Vertunien lui a mon

tr?e, lui agr?e fort. Il faut sans doute entendre que Scaliger r?servait maintenant sa r?ponse d?finitive jusqu'? ce

qu'on lui e?t fix? des ?moluments appr?ciables. Dans une lettre ? Baudier qui n'est qu'un accus? de r?ception 2,

Scaliger r?serve toute explication pour un entretien oral avec son ami, et lui annonce sa venue. Si bien que Baudier

peut faire savoir ? van der Do?s que tout n'est pas perdu, et qu'ils vont se concerter tous deux 3.

La situation de l'affaire en 1592 est donc la suivante :

Scaliger a refus? pour la forme, et voudrait bien se faire un peu prier, de mani?re ? obtenir quelques conditions

plus avantageuses. Mais, s'il para?t s'en ouvrir plus ou

moins implicitement ? Baudier, il semble n'en avoir pas dit grand chose ? Leyde. Et, apr?s le rapport et le pseudo refus de Scaliger en janvier

? r?ponses contradictoires,

puisque Tuning gardait bon espoir et que Scaliger d?cli

nait l'offre ? les pouvoirs pouvaient estimer les communi

cations de Baudier impr?cises et ses n?gociations pares seuses. Aussi se d?cid?rent-ils une seconde fois ? se passer de lui : le 1er novembre 1592, les Curateurs et les Echevins

de Leyde adressaient trois lettres en France : l'une ?

Scaliger, pour faire le point 4

; deux autres ? Vertunien et

1 Nouvelle lettre ? Scaliger, 6 juin 1592 ; Ep., I, 20. 2

Preuilly, 23 mai 1592 ; Ep., 1,19. 3 23 juillet 1592 ; Ep., I, 23. 4

Scal., IV, 472, 1er nov. 1592, ? ex decreto Curatorum et Con

sulum ?.

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DOMINIQUE BAUDIER 175

? Falaizeau, pour obtenir leur entremise 1, puisque l'atti tude de Baudier demeurait ? leurs yeux ?quivoque. A Sca

liger, ils promettent de lui consentir toutes les conditions

qu'il demandera 2, lui offrant m?me, s'il pr?f?re, de le

prendre quelque temps ? l'essai 3. Des deux m?decins, Fran?ois Lavau-Vertunien et Charles Falaizeau, ils

requi?rent, en deux lettres presque mot ? mot identiques, des d?marches d'appui aupr?s de Scaliger. Peu apr?s, un nouveau message est adress? dans le m?me sens ?

Scaliger par les Etats de Hollande, qui essaient de renouer les n?gociations 4. Afin de ne perdre aucune

chance, on d?p?chait tout de m?me ? Baudier deux

jeunes ?tudiants de l'Acad?mie, pour t?cher d'avoir une r?ponse. Baudier annonce la chose ? Scaliger : on

t'attend l?-bas, sans doute sur la foi du rapport de Tuning ;

j'appuie l'invitation de Leyde de tout le poids de mon

amiti? pour toi : quant aux arguments, Tuning te les aura tous dits ; fixe-moi seulement afin que je sache que r?pondre 5. Scaliger de r?pondre aussit?t par un refus

cat?gorique 6 : je suis moins d?cid? que jamais ? partir,

s'il reste une lueur d'espoir ou de malentendu, je compte sur toi pour la dissiper ; mon parti est de mourir dans ma

patrie et avec ma patrie, s'il le faut ; et d'ailleurs je con nais ma force et mes limites, je n'ai rien de ce qu'il faut

pour m'avancer hors de l'ombre et m'engager dans

l'ar?ne; je suis fier n?anmoins de l'honneur qu'on m'offrait, qui restera dans la post?rit? comme une marque flatteuse de la distinction o? me tenait l'?tranger alors m?me qu'on me m?connaissait en France. Mais c'est tout.

La campagne de 1592 aboutissait donc ? un ?chec bien

plus net que celui de l'an pass?. Il semble qu'il faille le

mettre, outre une certaine maladresse d'op?rations mal

1 ScAL., IV, 473 et 474, 1?' nov. 1592.

2 ? Ut nihil a nobis praeterea requisiturus sis ?. 3 ? ... quod an placeat tibi, ad tempus experiri licebit ; neque

enim ut auribus tuis, sed oculis credas uolumus, an poenitenda tibi uideatur mansio in his regionibus ?.

* La Haye, 26 nov. 1592 ; Sgal., IV, 485. 5 Baudier ? Scaliger, 13 nov. 1592 ; Ep., I, 24. 6

Scaliger ? Baudier, Preuilly, 18 nov. 1592 ; Ep., I, 25.

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concert?es des Belges, sur le compte de la susceptibilit? de Scaliger. Toutes ces man uvres lui donn?rent ? penser

qu'on voulait lui forcer la main 1. Il joua d'autant plus r?solument l'ind?pendance.

La position change un peu d?s le d?but de 1593. Scaliger s'est adouci. C'est que l'Acad?mie batave lui a fait de nouvelles propositions, lui offrant ? des conditions des moins m?prisables ?, ? savoir 1.000 ?cus d'or soleil, sans

qu'il ait d'autre travail que de se montrer l?-bas, pour enrichir et parer de sa seule pr?sence le lustre de l'Aca d?mie 2. Baudier insiste aupr?s de Scaliger, et finit, ? force de discours persuasifs (dit-il), par le d?cider ? aller l?-bas : encore d?cline-t-il les offres de l'Acad?mie ; son voyage, il est bien entendu, ne sera que de pure courtoisie, il ira seulement remercier et s'expliquer, et puis rentrera chez lui 3. S'il ne part pas tout de suite vers Leyde, c'est, ?crit-il ? van der Do?s, par scrupule, et non pour tergiver ser : il veut bien faire ce voyage ? Leyde, mais se sent retenu par les obligations qu'il a envers son ?l?ve, Henri Louis de La Rocheposay 4. Mais Baudier, au mois d'avril, apr?s une visite, peut-?tre d?cisive, qu'il rend ? Scaliger et que Scaliger doit lui rendre 5, para?t bien consid?rer

que l'affaire est dans le sac 6, tandis que van der Do?s le fils le congratule de l'heureux succ?s qui semble devoir

maintenant couronner leur v ux 7 : autrement dit, ils

gagent tous deux qu'une fois Scaliger ? Leyde, on saura bien l'y retenir, ? supposer que la visite de politesse ne

soit pas une simple fa?ade adopt?e par l'humaniste pour masquer son revirement. Pour l'instant, d'ailleurs, loin

1 ? Quem ducere uolentem non potuerunt, quomodo nolentem trahere possint non uideo ? ; Ep., I, 25.

2 Baudier ? de Thou, 11 mai 1593 ; Ep., I, 33. 8 Ibid. 4

Scaliger ? Do?s, Preuilly, 27 mars 1593 ; Scal., IV, 477 : ? con

scientiam scilicet tergiuersationem esse putastis... expecta nos

igitur. ?

5 Allusions en Ep., I, 30 ; Baudier ? Scaliger, 28 avril 1593. 6

Ep., I, 28, 9 avril 1593, Baudier ? Do?s p?re ; Ep., I, 33, 11 mai 1593.

7 Ep., I, 29, fin avril 1593.

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dominique ? audier 177

de songer ? gagner Leyde, Scaliger ne trouve m?me pas le n?cessaire pour aller visiter ? Tours, tout ennuy? qu'il est par des soucis d'argent1, Baudier, qui esp?re en vain

chaque jour le voir venir 2 : Tours repr?sentant sans doute la premi?re ?tape du voyage ? Leyde. Scaliger pourtant ne tarde pas ? voler vers l'Acad?mie, qui le retiendra en effet. En vain une haute dame de France s'efforce-t-elle d?s la premi?re heure, quand il n'est pas encore fix? l?-bas, de l'en rappeler pour le donner pour pr?cepteur ? son fils3. Il se ? laisse fl?chir ? par l'Acad?mie, et restera l?-bas.

Baudier de lui en crier sa reconnaissance et sa joie, avec la fiert? qu'il ?prouve d'avoir ?t? l'artisan majeur de son

d?part, et son soulagement aussi de pouvoir enfin faire taire les rumeurs de la calomnie que suscitait contre lui le demi-?chec de ses d?marches 4. Scaliger tardera ? donner de ses nouvelles ? Baudier, mais d?s la reprise de la correspondance il se f?licitera d'avoir ?cout? ses

conseils 5.

III. ? Les offices.

Des affaires de moindre envergure mais plus quoti diennes occupent aussi l'esprit et la correspondance de Baudier en France. En des temps o? les services publics d'information, de circulation, de transmission et d'?change ?

journalisme, poste, banque, h?tellerie et tourisme ?

n'existent qu'? l'?tat d'embryon, l'amiti? n'est pas seule ment un sentiment choisi, c'est encore, et indispensable, une fonction sociale. La sympathie est d'utilit? publique et

priv?e. La soci?t? internationale que forment en particu lier les humanistes 6, ceux tout au moins de toute l'Europe

1 Scaliger ? Baudier, 8 mai 1593, Ep., I, 32.

2 Baudier ? Scaliger, 23 mai 1593 ; Ep., I, 34. 8 Baudier ? Do?s p?re ; Ep., I, 35, 24 ao?t 1593. 4 Baudier ? Scaliger, 13 nov. 1593 ; Ep., I, 36. 5

Scaliger ? Baudier ; Leyde, 15 juin 1595 ; Ep., I, 40 ; et, du m?me au m?me, 7 sept. 1595 ; Scal., IV, 367 : ? biennium uertens est, ex

quo me in Batauiam... auctoritas Ordinum traduxit ? ; il sera bient?t

l'objet des attaques des J?suites et de Gaspar Scioppius. 6 Voir R. Lebegue, L'humanisme latin de la Renaissance, in M?morial des ?tudes latines, Paris, 1943, p. 271 ss.

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occidentale, constitue une v?ritable confr?rie, un groupe ment autonome de secours mutuel. Ce milieu est r?gi par un ensemble de lois tacites de courtoisie et de biens?ance, tout aussi imp?rieuses que les lois publiques et les arr?ts de cour. Il y a, pour r?gler la civilit?, un code authentique des obligations r?ciproques, une v?ritable ?tiquette : les termes les plus administratifs sont ici de mise. La sanction ?tant l'exclusion tacite du groupe; la r?compense, les bons offices et la bonne humeur des amis. Ensemble de for

mules, de d?marches et de soins qui peuvent garder dans tel d?tail la spontan?it? sentimentale de la sympathie,

mais n'ont rien de facultatif. Et la duret? des temps fait

que pendant les guerres civiles ces obligations sont plus imp?rieuses, plus cat?goriques que jamais 1. Plus ?troites

qu'aux temps de notre premier Risorgimento, aux temps de la Renaissance lyonnaise 2, elles ne se peuvent comparer

qu'au code de services mutuels des officia 3

impos?s aux

amis ? l'?poque trajane, ? l'heure du dernier ?clat de la civilisation romaine classique 4. De ces obligations tr?s

strictes, on peut d?gager les plus imp?ratives.

Io Service d'Information. ? Le premier devoir auquel

on ne saurait se soustraire sans danger consiste ? ?crire 5 :

r?pondre aux lettres des amis, ou prendre l'initiative de leur donner signe de vie. C'est une obligation que la cor

respondance, et Baudier assure qu'elle lui est l?g?re : ? m?me quand je suis tr?s pris, rien ne m'est plus agr?able

1 Quoique l'on regrette parfois la d?cadence de la civilit? morale :

? negligentia moris antiqui ? ; Ep., I, 36.

2 J'?voque la question dans Les Bagatelles de Nicolas Bourbon,

Paris, 1945, principalement pp. 6-8. 8 Le mot employ? par nos humanistes est d'ailleurs le m?me ; et

l'on prend la chose fort au s?rieux. Cf. ? officio defuisse uidear ?, Ep., I, 22 ; ? obliuio off?cii ?, Ep., I, 30 ; ? of?icii munus?, Ep., I, 38 ; etc. On ne badine pas avec ses devoirs ; cf. ? suspicio neglectae fidei ?, I, 28.

4 Cf. A. M. Guillemin, Pline et la vie litt?raire de son temps, Paris, Les Belles Lettres, 1929, in-8?.

5 ? Officium in scribendo?, Ep., I, 35, dit aussi ? officium litera rium ?, I, 8 et ? officium literarum ?, I, 40. Le contraire est la ? culpa silentii ?, I, 33.

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DOMINIQUE BAUDIEIt 179

que le devoir de correspondre 1 ?. On a plaisir ? voir un

ami vous r?clamer des lettres 2 : mais c'est en m?me temps un reproche, car c'est une offense que de ne pas ?crire, et de telles n?gligences sont tr?s aigrement support?es 3. Elles exigent au moins qu'on s'excuse : l'incipit de bien des lettres sera ainsi fait de r?clamations et griefs, ou au contraire de justifications et regrets protocolaires. ? Quel que r?confort que me donne, ?crit par exemple Baudier, la

loyaut? de ton amiti? et la conscience que j'ai de remplir mes devoirs, je ne puis n?anmoins cacher la peine et l'amertume que j'?prouve ? ne point recevoir de lettres de

vous, et pas m?me un bonjour ? me faire transmettre. J'ai beau chercher et rechercher, je n'y trouve qu'une explication : mes lettres, je pense, ne vous seront pas par venues. F?cheux contretemps : la faute en est partout, et c'est moi qui p?tis. Non seulement la n?gligence des

courriers, ou bien la calamit? des temps, me prive de la

jouissance de tes lettres, et ce malheur m'est des moins

n?gligeables, mais elle me fait tomber en suspicion de mal

respecter mes engagements ? 4. Et Scaliger : ? Je ne sais

qu'une chose : n?gliger le devoir de correspondance, et ne pas faire cas de l'amiti?, c'est tout un ? 5.

On doit donc ?crire souvent : mais il faut bien se garder

1 ? Nihil est quod usurpem libentius etiam in negotio, quam officium hoc literarium ? ; Ep., I, 8.

2 Cf. Ep., I, 29 : ? Bene, quod a me literas frequentiores efllagitas, amicissime Baudi ; amoris enim tui ea in re magnitudinem agnosco : nec tarnen bene, si de silentio grauius quidquam suspicaris ?.

8 Cf. Ep., I, lettres 27, 28, 29, 35, 39... 4 ? Quanquam me plurimum solatur et amicitiae tuae fides, et

officiorum meorum conscientia, tarnen dissimulare non possum, quin grauiter et iniquo animo tulerim, nullas a uobis literas, ac ne datariam quidem salutem ad me missam. Quaerenti mihi diu ac

saepius, quid causae esset : non aliud in mentem uenit, quam quod existimo literas meas non fuisse perlatas : cuius incommodi culpa ubicunque haereat, penes me certe poena est, qui per hanc siue tabellariorum incuriam, siue temporum iniuriam, non solum careo fructu literarum tuarum, quae minime minima est fundi nostri

calamitas, sed uenio etiam in suspicionem neglectae fidei ?, Ep., I, 28. 6 ? Hoc unum scio, negligere officium literarum, perinde esse ac

amicitiae rationem non habere ? ; Ep., I, 40. Ce n'est que par un

raffinement de politesse que l'on reproche ? un ami tr?s s?r de s'excuser de son silence : Ep., III, 28.

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de tomber dans l'exc?s contraire ; il ne faut pas ?crire de lettres trop longues, car le temps du correspondant est

pr?cieux, et nous n'avons pas le droit de le gaspiller ? des

bagatelles en abusant de sa bienveillance 1. Il est de bon

ton, au surplus, de multiplier les formules de modestie : mes lettres, dira-t-on, ne sont que bagatelles et petites choses (nugae), que tu ne perdrais gu?re ? ne pas recevoir,

? mais ne faut-il pas de temps en temps que l'homme le plus s?rieux se d?lasse ? plaisanter, voire ? d?raisonner

gentiment (nugari, interdum hallucinari, ineptire) ? 2 ? tandis que voir les tiennes ?gar?es en route serait perte irr?m?diable pour moi 3.

Il est rare que les informations donn?es soient d'un int?r?t g?n?ral. A une ?poque o? cependant les ?v?ne

ments de la grande histoire se pr?cipitaient, c'est des incidents de la petite que l'humaniste se montre surtout curieux. Non sans quelque go?t byzantin. On ne peut gu?re inscrire au compte des informations g?n?rales que

quelque dol?ance sur la ? barbaries ? ambiante 4 et le trouble o? s'agitent les affaires de France. ? Les choses de France sont pleines d'obscurit? ? 5 : la formule a toute la concision imp?riale d'un ? fit magna caedes ? de C?sar ou du ? Madame il fait grand vent ? du roi d'Espagne de Hugo. Scaliger est aussi bref, affirmant que la Belgique voit heureusement refleurir les lettres au moment m?me o? elles d?p?rissent en France 6. Quant aux anecdotes de la

1 Cf. Ep., I, 9, etc. 2

Ep., I, 30 ; I, 59 et 68 ; I, 21. Cf. nugae, I, 64 et passim. Ce badi

nage est d'ailleurs une r?gle du genre : ? lex est ista epistolae ut

aliquando debeat alucinan ?; Ep., I, 6. Inspir? d'ailleurs de Cic?ron: ? epistolae nostrae debent halucinari ?, ad Quinlum, II, 9, 1 ; cf. ad

Atticum, XV, 29, 2. 3 Cf. Ep., I, 18, ? de Thou. 4

Ep., I, 39, etc. 5 ? Res Gallicae multum habent caliginis ?, Ep., I, 35. Baudier,

quoiqu'il ait flirt? avec le second cardinal de Bourbon, est toujours du parti du roi.

6 Scaliger, in Ep., I, 40. ? Sed omnino necesse est, ut gloriae

imperii Gallicani ita literarum eandem senectutem impendere. Sed bene est, quod hic reuiuiseunt summo cum honore, ita ut de hac Academia melius meliusque sperare mihi liceat ? (1595). Scaliger est ? Leyde. Cf. Baudier, Ad Lectorem, Poe., 9 : ? Quin et po?sis

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DOMINIQUE BAUDIER 181

petite histoire, elles s'?voquent en allusions : ici, ? la trahison de Biron, ?voqu?e tr?s vaguement1 ; ailleurs, ? la seconde retraite de Joyeuse chez les Capucins 2. Ce qui int?resse surtout les humanistes, c'est de savoir o? en sont les amis : c'est d'eux, de leurs voyages, de leur sant?, de leurs ?crits, que l'on tient ? recevoir des nouvelles. Juste

Lipse est parti vers Li?ge 3

; de Thou est en train de se

r?tablir 4 ; que devient Juste-Lipse ? 5 ; de Thou est de

retour, il a quitt? Chartres depuis trois mois 6. Tel est le

iam Gallis perit || Ronsardus ex quo tempore ad plures iit, || Barta

siusque, seculi soles duo ?. Du Bartas mis sur le m?me plan que Ronsard, voil? d'ailleurs qui r?v?le un ?ge, mais ne fait gu?re honneur au go?t de ?audier.

1 Ep., I, 68. Baudier ? Casaubon, 18 f?vrier 1603. Biron conspi

rait d?s 1595, il fut ex?cut? en 1602. Cf. Sul., 240 sqq. (1602). Baudier ?voque aussi en vers le supplice de Biron ; Poe., 485-489. C'est la m?me conspiration qu'on retrouve en cette ? molitio ?

? laquelle Henri IV ?chappe ; Ep., I, 63. 2

Ep., I, 52, Baudier ? Lipse : ? Noui nihil succurrit. Imo uero res mira contigit hesterno uespere. Pro certo enim renunciatum est

nobis, cum essem apud D. Thuanum, eique literas tuas legendas darem, Ducenti de Joyeuse rursus redditum ordini Capuchinorum, quae res benigi am mat?ri?m praebuit uarie super tali facto disse rendi?. Il s'agit de Henri,duc de Joyeuse, comte du Bouchage (1567 1608), grand-ma?tre de la garde-robe du Roi et gouverneur du

Languedoc. Il avait ?pous? en 1582 la s ur du duc d'Epernon, Catherine de Nogaret de Lavalette. Elle mourut en 1587 : et Henri de Joyeuse se fit capucin ? Paris, sous le nom de P?re Ange. En 1592, ? la mort de son fr?re Antoine-Scipion, il rentra dans le si?cle comme duc et gouverneur du Languedoc pour la Ligue (1596). Apr?s sa soumission, Henri IV le fit mar?chal de France. Il fit d?finitivement retour en religion en 1599. Sa fille ?pousa Mont

pensier. Cf. Est., 311 ; Palma Ca yet, Chronol. sept?n., ?d. cit., f? 75 r? ? 77 v?.

8 Ep., I, 11. Do?s fils ? Baudier, Leyde, 10 ao?t 1591.

4 ? Thuanus conualescit ?, Baudier ? Scaliger, 29 avril 1592. Sur cette maladie de de Thou, cf. Tiiu., XI, 158 (1592). De Thou ?tait all? de Tours ? Rouen aupr?s du Roi (1591). Au retour, ? sur le chemin de Chartres ? Tours, il tomba dangereusement malade... Son mal venoit du s?jour de quatre mois qu'il avoit fait au camp devant Rouen, o? l'air corrompu par la longueur du si?ge avoit caus? la peste ?. Malade pendant plusieurs semaines, il fut soign? par Charles Falaizeau et Fran?ois Lavau. A la fin de 92, il regagnait la Cour ? Chartres. En action de gr?ces pour sa gu?rison il ?crivit son Parabala Vinctus, ou ? Le D?mon encha?n? ?.

5 Scaliger ? Baudier, 18 nov. 1592 ; Ep., I, 25.

6 Baudier ? Do?s fils, 6 avril 1593 ; Ep., I, 27.

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genre d'informations dont nos humanistes semblent le

plus friands. C'est enfin un devoir que de faire transmettre son salut,

par le destinataire, aux amis communs de sa r?gion \

2? Service de Poste. ? Encore faut-il que les lettres par viennent au destinataire. Ici les relations d'amiti? jouent le r?le d'un service public : et de multiple fa?on. Quand on aura ? se d?placer, on d?signera une demeure amie pour servir de poste restante : un jour, Baudier invite Scaliger ? lui adresser sa r?ponse chez Louis Servin 2

; une autre

fois, quittant l'Angleterre pour rentrer en son pays, et ne

sachant sans doute pas encore o? il se fixera, il donne pour adresse ? Christophe Dupuy la maison de Scaliger 3. Pour faire parvenir des messages, on usera de l'interm?diaire des amis : van der Do?s fils fait passer par Baudier un livre ? Scaliger

4 ; Scaliger fait tenir de Chartres ? Florent

Chr?tien une lettre envoy?e de Tours par Baudier 5. On

peut, en cette transmission ? soit profiter du voyage per sonnel d'un ami : peut-?tre, dit Baudier ? Scaliger, porte rai-je moi-m?me ta lettre ? Juste-Lipse en Belgique

6 ; c'est ?videmment le moyen le plus s?r, mais le moins commun?ment praticable ;

? soit user des offices d'un courrier sans doute professionnel (tabellarius)

7 : on a vu

suspecter plus haut la conscience professionnelle de ce

genre d'agents ; ? soit profiter des circonstances : ? Caen,

Baudier a toute commodit? pour faire passer des lettres

1 C'est la ? clausula salutationis ?, Ep., I, 15 ; o? s'exprime la ?dataria salus?, Ep., I, 28. Cf. les post-scriptums de Ep., I, 23; I, 54, etc. L'obligation est si nette que toute la lettre I, 15 n'a pour objet que de s'excuser d'avoir omis de faire transmettre un bonjour ? Dimmer dans une lettre ? Blyenburg cachet?e ? l'instant. R?cipro quement, ? l'occasion, on transmet au correspondant le salut des amis de son cercle. Ep., I, 37 : dans une lettre ? Lipse, un post-scrip tum lui transmet le salut de de Thou, de Dupuy, des Pithou.

8 Ep., I, 45.

8 Ep., I, 63.

4 Ep., I, 11.

s Ep., I, 26.

6 Ep., 1, 21. De m?me, la lettre de Baudier ? Scaliger, par

Tuning, Ep., I, 18. 7

Ep., I, 35, etc.

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DOMINIQUE AUDIER 183

de France en Belgique (par exemple celles de Scaliger ?

Juste-Lipse) gr?ce aux marchands belges qu'il y rencontre en nombre, et qui font le trajet1. D'une fa?on comme de

l'autre, la transmission est toujours al?atoire, en ces temps o? les routes demeurent peu s?res 2 : on a vu Tuning d?trouss? par des Guisards de la lettre de Baudier qu'il portait ? Scaliger. Aussi beaucoup des lettres se perdent elles en route 3. Si elles arrivent, c'est souvent un devoir de les communiquer aux amis communs, afin de leur donner signe de vie des coll?gues lointains 4.

3? Service d'h?tel. ? On est plus discret, en g?n?ral, sur ce qui concerne l'obligation d'h?berger au passage les amis et les amis de ses amis. Elle para?t n?anmoins ?tablie

par des formules de cette sorte : ? Je te demande de rece voir N... dans ton intimit? ? 5. En outre, toute recomman dation de caract?re g?n?ral devait concerner en particu lier ce genre de service. D'autant plus que les h?telleries de la Renaissance n'offraient jamais qu'un accueil peu

engageant : on se souvient de l'?vocation qu'en faisait

Erasme, dans les Colloques, et qu'? supposer qu'il y e?t des draps, on ne les changeait m?me pas quand le client

1 Ep., I, 8.

2 On a d?j? vu des allusions ? ces ? pericula itinerum ?. Cf. :

? periisse in uia ?, Ep., I, 29 : ? omnes ad nos adi tus et uias a sicariis

insideri ?, Scal., IV, 475, etc. 8 On trouvera des allusions tr?s diverses permettant de supposer

l'existence de lettres perdues dans les lettres ; Ep., I, nos 15, 16, 17, 18, 26, 28, 29, 35, 36, 39, 40 ; IV, 50, etc. Encore ne saurait-on oublier que certaines lettres ignor?es de nous purent ?tre seule

ment n?glig?es pour la publication quoique fort bien parvenues au destinataire ; et que d'autre part tel correspondant peut fort

bien, pour se disculper ? l'occasion du reproche de n?gligence, affirmer l'existence de lettres imaginaires, en rejetant les torts sur le dos de la poste. L'excuse ?tait facile.

4 Voir le passage cit? supra, p. 181, n. 2 ; aussi Ep., I, 23 : ? quod ad te scribo, publice scriptum puto ? ; encore, Ep., I, 36, etc. ? Il est rare qu'au contraire on demande au destinataire le secret : ? quod inter nos pereat ?, Ep., I, 57 ; cf. aussi Ep., II, 18 (il ne fallait

pas communiquer ma lettre : l'authenticit? de ce regret est d'ail leurs douteuse, et la confusion de Baudier sans doute peu sinc?re).

5 Inintimam familiaritatem recip?re, Ep., I, 59. Baudier ? Chris

tophe Dupuy, 17 mai 1602.

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184 V.-L. SAULNIER

changeait \ Les troubles civils n'?taient pas faits pour les convertir en lieux hospitaliers.

4? Service de Banque. ? Pour faire passer de l'argent au

loin, au lieu de recourir ? un banquier (trapezita), on peut aussi se fier aux amis. Le fils du po?te latin d'Orl?ans Audebert 2, Germain Audebert, est aupr?s de Buzanval, ambassadeur de France aupr?s des Provinces-Unies :

quelque chose comme attach? d'ambassade. Pour lui faire passer une somme de vingt-cinq livres, don de Scipion Sardini, puis une somme ?gale que lui envoie son fr?re Nicolas Audebert, du Parlement de Bretagne, on aura recours ? Baudier. Les sommes sont remises ? Baudier en France, et c'est l'Acad?mie de Leyde qui les verse ? Germain Audebert. Si bien que tout se passe comme si, au total, Baudier recevait les sommes en gratification de son Acad?mie, dont il requiert ce t?moignage de gratitude et de satisfaction, tant pour les distinctions qu'il obtient en France, et dont l'?clat rejaillit sur sa patrie, que pour le service rendu en invitant Scaliger ? partir vers Leyde 3.

5? Service de librairie. ? Non seulement l'humaniste

1 Erasme, Colloques,

? Diuersoria ? ; cf. Colloquia, Amsterdam, 1644, in-12, pp. 231-239. Les auberges-h?telleries de France en

g?n?ral et de Lyon en particulier sont d'excellent accueil, mais celles d'Allemagne sont de vrais bouges. 2 Audebert ?tait li? avec B?ze, dont l'amiti? commune put contribuer ? lui servir d'introduction pr?s de Baudier. Cf. De sua in Candidam et Audebertum beneuolentia, in Theodori Bezae Vezelii

Poemala, Leyde, 1757, p. 114. ? Germain Audebert le p?re (1518 98), po?te latin, fut pendant cinquante ans conseiller de l'?lection d'Orl?ans ; cf. Lach., 252, et Del., I, 89-256. Son fils Nicolas, con

seiller au Parlement de Bretagne, fut ?galement po?te latin ; il collabora en particulier au c?l?bre concours des Mains d'Estienne

Pasquier, en 1583. Cf. Lach., 191-194 et 252-253 ; Del., I, 256-263. 8 Baudier ? Do?s p?re, demande de transmission ? Germain Aude

bert du don de Sardini, 23 juil. 1592 (Ep., I, 23). ? Nicolas

Audebert ? Baudier : r?clamation ; la somme n'a pas encore ?t?

transmise ; or, le destinataire en a grand besoin ; 4 janv. 1593,

Ep., IV, 50. ? Du m?me au m?me : remise d'une nouvelle somme ?

transmettre ? Germain Audebert, 4 avril 1593, Ep., IV, 51. ? Bau

dier ? Do?s p?re : demande de transmission de ladite somme, 9 avril 1593, Ep., I, 28. ? Baudier ? Do?s p?re : Remerciement pour la transmission effectu?e, dont Nicolas Audebert vient d'aviser

Baudier ; 24 ao?t 1593, Ep., I, 35.

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DOMINIQUE AUDIER 185

fait tenir ? ses amis ses propres ouvrages ? ainsi Do?s

fils envoie-t-il ? Baudier son po?me des Choses C?lestes 1, et Baudier ? Sealiger ses ?ambes 2 ? mais ils s'occupent, ? l'occasion, de leur procurer d'autres ouvrages. Baudier fera parvenir ? Scaliger une Chronologie oVAngleterre que lui passe Richard Thomson 3. Parfois m?me, et surtout

lors de voyages ? l'?tranger, il y aura un v?ritable r?le de courtier en librairie ? tenir 4. Quand Baudier est ? Londres, de Thou lui envoie toute une liste de desiderata, dont son

ami se met aussit?t en qu?te : de l'un des ouvrages r?cla

m?s, il ne trouve pour l'instant qu'un exemplaire sali d'annotations marginales, mais le libraire lui promet mieux ; un autre lui est souffl? chez le marchand par un

amateur concurrent, qui se propose d'ailleurs d'en faire cadeau ? de Thou ; pour telle autre commission, il alerte des gens comp?tents comme Alb?ric Gentil, professeur de droit ? Cambridge 5.

6? Service litt?raire. ? Dans tout ce qui concerne l'?la boration de leur ouvrages, les savants restent aussi en contact patient et ?troit avec leur cercle. Ils tiennent leurs amis au courant de leurs projets : ainsi Scaliger peut-il annoncer ? Baudier que Juste-Lipse pr?pare un

livre sur l'arm?e romaine 6. Ils ?changent ?ventuellement des informations documentaires : ainsi Florent Chr?tien fait-il passer, par Louis Servin, ? Casaubon, des notes et

remarques sur Ath?n?e, au moment o? Casaubon pr?pare son ?dition du Deipnosophiste 7. Enfin, une fois le livre

paru, on attend encore deux choses des amis. Qu'ils

1 Allusion en Ep., 1,13. Do?s p?re lui envoie de m?me ses uvres, Ep., I, 29.

2 Ep., I, 21. ? On envoie m?me parfois les ?preuves du livre en

cours de publication ; cf. Ep., I, 84. 8

Ep., I, 22. 4 C'est Tune des formes de ces ? commissions ? (mandata, Ep.,

II, 21), dont on charge les amis. 6

Ep.,I,58. 6 Ep., I, 40, 15 juin 1595. ?

Exspectatur in dies eius egregium et luculentum de Militia Romana opus. In quo nihil non Lipsianum sperandum est. ? Il s'agit du De militia romana, Anvers, 1595, in-4?.

7 Cf. Cas., 96. Gen?ve, 26 sept. 1596.

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186 V.-L. SAULNIER

c?l?brent l'?v?nement dans un po?me, en g?n?ral une ?pi gramme : ce que fait Baudier, par exemple, pour l'?dition du D?ipnosophiste par Casaubon1 ou les Psaumes de Th?o

dore de B?ze 2 ; l?, tout est ?videmment ? la louange ;

et c'est encore un r?le de journaliste, de critique litt?raire

d'information, que jouent de tels textes. D'autre part,

qu'ils vous disent ce qu'ils en pensent, sous forme de lettres

personnelles 3 : si l'?loge fleurit souvent, ici encore, en

compliments ? la Trissotin ? c'est ? Scaliger que vont les

salutations les plus d?bordantes 4 ? quelque r?serve par

fois s'y m?le. J'ai lu tes vers, et je les aime, Scaliger aussi5, dit Baudier ? Do?s le fils6. Mais prends garde ? ne pas rester ? fix? au ciel ? ? il s'agit de son livre sur les Choses c?lestes

? au point d'oublier les agitations terrestres, et ce que tu dois ? ta patrie. Nous ne vivons pas dans la r?publique de Platon. Laisse s'abstraire en telles uvres qui n'est pas bon ? autre chose, et toi, loin de t'y r?server, songe ? l'ac t'on politique 7.

1 Isaaco Casauboni... Athenaeum edenti, Poe., 123. 2 In Psalmos Theodori Bezae, Poe., 641 et 642. 3 Les lettres contiennent parfois, mais c'est rare, des avis sur

des livres d'autrui. Cf. Ep., I, 68. 4 M?me dans les lettres qui ne lui sont pas adress?es. Cf. par

exemple les formules de Ep., I, 29, ad finem : ? incomparabilem

illum hero?m et Musarum Herculem, Iosephum Scaligerum ? ;

? princeps senator literariae rei ?, Poe., 46, J.-J. Scaliger fait vrai ment figure en ces temps de primat des lettres latines. Cf. surtout

Dom. Baudi Oratio in funere maximi uirorum I. I. Scaligeri, 26 janv. 1609, in Ep., pp. 599-612. Voir d'autres compliments tr?s ?loquents, ? Lipse, Ep., I, 37. Aussi les mots de Do?s ? Baudier sur l'honneur et bonheur de leur mutuelle amiti?, Ep., I, 29; on songe ? l'?Asinus

asinum fricat ?, que Bourbon citait lui-m?me en pareil cas. 5

Ep., I, 27. ? Jean van der Do?s le fils (1571-1597) ; cf. Thua., III, 771 A.

Il composait des vers latins d?s l'?ge de douze ans, et donne ensuite

des Silves, des Elegiaques, etc., plus un livre d'amour, VErotopae

gnion; cf. Van Tieghem, Bibl. d'Hum. et Ren., IV (1944), p. 254

et p. 303. C'est ? 19 ans qu'il ?crivait son po?me des Choses C?lestes; Olaus Borrichius trouvait aussi que c'?tait ? un fruit qui a m?me

trop de maturit? pour son ?ge ? (Dissert. V de Po?tis Latinis) ; cf.

Bail., IV, 58-60. 7

Ep., I, 13 : ? ne ita Coelo defixus haereas, ut te capiat obliuio,

quid terrestri patriae debeas ?, etc.

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DOMINIQUE BAUDIER 187

7? Service de recommandation1. ? On a donc constam ment besoin des amis. Aussi est-ce un usage ?tabli, sur tout en cas de voyage, ou lorsqu'on cherche ? faire une

carri?re, de se faire ? recommander ?, sans sp?cification particuli?re2, aux relations de ses relations. C'est la

commendatio, plus ou moins chaleureuse (commendari, de meliore nota ou de nota interiore commendari 8). Ainsi Baudier recommande-t-il ? le porteur ? ? Christophe de Harlay, dans une lettre du 1er mai 1603, en ajoutant que Scaliger s'int?resse ?galement ? lui 4. Il est fr?quent qu'on use de ce proc?d? de lettre au porteur, qui tient du certificat de bonne conduite. Mais il est d'autres formes usuelles de la commendatio : tant?t l'ami vous recom mande par lettre postale o? l'int?ress? est nomm?, et qui arrive avant lui ; tant?t l'on se recommande soi-m?me en s'autorisant de l'amiti? commune d'un tiers. Il faut ?vi demment savoir remercier avec effusion qui vous sert ainsi de patron

5 : et Baudier de remercier sans paresse, entre autres, de Thou et Harlay 6. Mais ce sont l? toutes choses constantes, dont on a rencontr? maint exemple dans la carri?re de Baudier. A solliciter une recomman

dation, ou ? la donner, il faut insister sur deux arguments :

le candidat est f?ru d'humanisme, et il est des amis de nos amis. On le voit mieux qu'ailleurs dans ce billet, qui est comme un r?sum?-mod?le dans le genre : ? Le porteur va vers toi, et demande une introduction. Voici, en deux

1 Officium commendationis, Ep, III, 54 ; destin? ? concilier au b?n?ficiaire la sympathie efficace du correspondant (gratia com

pierti, l?id.). Baudier aime beaucoup remplir cet office: Ep., III, 97. 2 La recommandation a parfois pour but de faire obtenir ? son

prot?g? un secours en argent. Baudier aime offrir cette sorte d'assis tance ? ceux qui le m?ritent ; Ep., IV, 2.

8 Ep., IV, 23.

4 Bibl. nat., Mss. Ane. Fds fran?., 15976, f? 210. Le porteur est ? inter amicos de nota interiore apud D. Scaligerum ?.

5 Gratiam agere, ou habere ; en attendant de pouvoir rendre bienfait pour bienfait, ? gratiam referre ? (Ep., I, 23). Sur l'ingrati tude, vice majeur, cf. par exemple Ep., I, 68.

? Cf. par ex. Ep., I, 38 : ? Amica nostri mentio... officii munus mihi imponit, ut... saltern per literas... prof?tear, quantum hoc nomine benignitati tuae debeam ?. Baudier remercie de Thou de l'avoir recommand? ? son neveu Harlay, qui le re?oit ? Beaumont.

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mots, et sans feinte. Il est des plus fervents amoureux

de la culture ; il est de ceux qui ont pour toi le plus d'af fection. Regarde, ?tudie-le, tu lui rendras son affection ?

8? Service d'entremise. ? On a enfin recours aux amis comme intercesseurs ou arbitres, soit qu'on les sollicite ou

qu'ils s'occupent spontan?ment de vous, en bien des ren

contres. L'affaire Scaliger est des plus marquantes. D'au tres m?ritent mention. C'est dans la correspondance de Baudier avec Scaliger et de Thou que se n?gocie l'affaire

Juste-Lipse en 1595 : des amis fran?ais avaient form? le

projet d'attirer Juste-Lipse en France, mais le projet n'aboutit pas 2. De m?me pour le d?bat de Scaliger et de

Fran?ois Vi?te (1593) : un pari s'?tait engag? (Baudier servant d'interm?diaire) entre les deux savants, sur le

plan math?matique ; Vi?te ayant mis en doute la comp? tence de Scaliger en mati?re de g?om?trie, Baudier le lui

fit savoir, et Scaliger lan?a un d?fi ? son coll?gue, ? qui pourrait embarrasser l'autre ? coup de propositions ?

d?montrer, afin de les d?partager. La post?rit?, en donnant la palme, et largement, ? Vi?te, regrette que Scaliger, par ailleurs ?minent, se soit mis l? en f?cheuse posture 3.

1 ? Abit iste ad te, et uult commendari. Ecce breuiter, et uere.

Amat literas, ut qui maxime ; amat te, ut in iis maximum. Inspice et nosce, redamabis. Louanii, VI. Idus Sextiles. MDXGVII ?

(8 ao?t 1597). C'est ici le texte ing?tral de la lettre : Lipse ? Scaliger, Iust., I, 28. ? Voir encore de bons exemples de Commendatio in

Ep., I, 32 ; Ep., IV, 23 ? Une formule rituelle de salutation finale est celle-ci : ? Vale et nos ama ? ; Cf. Ep., I, 90 ; II, 35 ; II, 60, et

passim ; avec quelques variantes insignifiantes : ? uale et me amare

perge ?, ?ze,.Poemata Varia, p. 175 v? (cf. ?uale et nos ama?, ibid., 192 v?). 2 Cf. Baudier ? Scaliger, 31 mai 1595 : Ep., I, 39. ? Scaliger ?

Baudier, 15 juin 1595 : Ep., I, 40 ? Baudier ? de Thou, 18 ao?t 1595 : Ep., I, 41.

3 Cf. Ep., I, 30, 31, 32, 34. ?Omniasumma tibi suffragio suo defe

rebat in omni genere literarum, extra unicam Mathematicarum artium scientiam : in qua negabat te peracutum unquam sibi visum

fuisse ? (Baudier ? Scaliger, Ep., I, 31). En quoi Vi?te avait raison, contre Baudier, qui prend le parti de son ami Scaliger. Un pari de

mille ou 1.200 nummi aurait ?t? engag? entre les deux champions (Vi?te et Scaliger), Ep., I, 32. ? Fran?ois Vi?te, n? ? Fontenay le-Comte en Bas-Poitou, en 1540, mort ? Paris en 1603. Ancien

conseiller au Parlement de Bretagne (d'o? lien possible avec Nicolas

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DOMINIQUE BAUDIER 189

Telles sont les obligations des amis : tel est le code de ? humanit?s ? x. On voit que la vie de chaque jour en est

profond?ment p?n?tr?e, bien plus qu'? l'?poque moderne, o? des professionnels et des services publics prennent en

charge la plupart de ces fonctions. En ces temps, l'ami est tout ? la fois, et selon les rencontres, journaliste, courrier,

Audebert), ma?tre des requ?tes et membre du Conseil priv? d'Hen ri IV, est avant tout un g?om?tre illustre. C'est ? lui, et non ?

Descartes, que l'on devrait les premi?res applications de l'alg?bre ? la g?om?trie. Il publia durant son s?jour ? Tours les ouvrages suivants: Isagoge in artem Analyticum, 1591 : Supplementum Geo

metri??, 1593 ; Variorum de rebus mathematicis responsorum liber

octauus, 1593 : ouvrages r?unis avec d'autres siens trait?s dans ses

Opera Mathematica, Leydc, 1646, in-f?. Cf. Thu., XI, 702 ; Bail., II, 2, 319-337 ; et, sur son dii??rend avec Scaliger, Thu., IX, 597. Il ?tait d?s son vivant tr?s estim? des Hollandais. Et la post?rit?, qui donne tort ? Scaliger dans son dessein de se mesurer avec lui en

math?matique (Bail, 334), a fait tr?s vite de Vi?te le premier math?maticien de son temps ; cf. Tallemant des R?aux : ? Jamais homme ne fut plus n? aux Math?matiques : il les apprit tout seul, car, avant luy, il n'y avoit personne qui s'en meslast. Il en fit mesme

plusieurs traittez d'un si haut s?avoir, qu'on a eu bien de la peine ? les entendre, entre autres son Isagoge ?

(Les Historiettes, ?d. Mon

merqu?. ?

Paris, 1.1,1862, pp. 328-332. De cette derni?re circons tance put venir le d?bat avec Scaliger. 1 Humanitas (Ep., I, 32, etc.) plus souvent que Urbanitas ou Gomitas. Le premier concept (

? honn?tet? ? du xvne si?cle) est d'ailleurs plus riche que les deux autres (la civilit?). Le soutien de

Vhumanitas, c'est la fides (voir son ?loge, I, 10). h'humanitas est l'id?al de la culture humaniste ; cf. ? homo ab humanitate omni et morum et literarum alienus ?, Ep., I, 54 ; humanitati uestrae

obstrictus, I, 54 ; 1,15 ; 1,18, et passim. ? Tous les officia que nous

avons ?num?r?s, et par lesquels on s'attache des personnes (gratia deuincire, ou benef?cio deuincire, Ep., II, 43), sont les divers

aspects du d?vouement aux amis (beneuolentia, obseruantia) qui est la vertu cardinale, comme le p?ch? capital est Vobliuio ; cf. ? homo obseruantissimus ? ; et, sur cette terminologie de civilit?, par ex., Ep., IV, 23. Nous avons relev? au passage un certain nombre de locutions. Dans le style aussi, les formules ou images sont souvent st?r?otyp?es. Par exemple, pour dire qu'il est difficile de trouver un grand homme pour en remplacer un autre tr?s grand (dans le cas, par ex., de Juste-Lipse et Scaliger), et m?nager ? la fois leurs deux susceptibilit?s, l'image

? Hercules succ?d?t Atlanti ?

(Ep., I, 12 ; I, 45 ; I, 55 ; tanto Atlanti succidaneus Hercules, Scal., IV, 470, etc.). De m?me, Baudier aime l'incipit de lettre suivant : ? Erat hoc, ni fallor, de more Persarum, ne cui ius fasque esset Regem adire manu immunis ?

(sous trois formes tr?s analogues en Ep., I, 48 ; in Poe., 61 : ? Persicae regum ? ; et in Oratio ad

Elisabetham Angli?? Reginam, Ep., p. 548, init.)

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190 V.-L. SAULNIER

h?telier, banquier, libraire, critique, etc. L'?tude attentive et syst?matique de la correspondance des humanistes fin de si?cle, Scaliger, Juste-Lipse, Casaubon et autres, am?nerait ? g?n?raliser ces conclusions, sans peut-?tre beaucoup y ajouter. On souhaite n?anmoins l'?laboration d'un corpus de ces Correspondances, et m?me de celles de tous les humanistes de la Renaissance dans l'Europe occidentale : en g?n?ral peu accessibles, et obscurs par la foule d'allusions contemporaines qu'ils renferment, ces

textes, ?clair?s comme nous avons essay? de le faire pour une partie de celle de Baudier, constitueraient une source

d'information documentaire de tout premier ordre pour tout ce qui concerne la Renaissance, ses humanistes, leurs conditions de vie, les incidents de leurs carri?res, l'?labo ration de leurs ouvrages

Quittant l'Angleterre pour rentrer en Hollande, Bau dier se fixe ? Leyde, o?, d?s 1603, l'Universit? lui confie un cours public sur le Pan?gyrique de Trajan 2. Il y est

bient?t professeur d'?loquence (15 mai 1606) et gagnera finalement (1611) la charge si longuement convoit?e d'his

toriographe, que lui confient les Ordres. Pris d'une fi?vre

maligne le 3 ao?t 1613, il mourra le 22 ao?t 3. Baudier est un m?ridional du Nord. Par son go?t d'une

franchise affich?e d'un peu trop volubile fa?on 4 : ? belgica

fide ?, ? sine fuco et fallaciis ? sont formules qu'il ressasse 5.

1 Presque tout reste ? faire, sur ce point, comme sur bien d'autres

du domaine des lettres n?o-latines de la Renaissance, dont l'impor tance est pourtant chaque jour reconnue davantage.

? Tout le monde conna?t le corpus ?dit? par Allen de la Correspondance d'Erasme. Signalons la traduction de Soixante lettres de Vives par R. A. Casanova, Paris-Bruxelles, 1943.

2 Cf. Oratio auspicalis in C. Plinii Panegyricum publicis lectio nibus praemissa anno MDCIII ; dans l'?dition cit?e des Ep., pp. 511 521.

8 Vita Dominici Baudii, Ep., f? 6 v?. 4 Cf. Ep., II, 21 : ? Neque enim sum ex eo genere hominum, qui

aliud ore promptum, aliud corde clausum geram ?. 5 Cf. Ep., I, 16 ; I, 24 ; I, 62 ; et passim. Encore, ? fuco carene ?,

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DOMINIQUE BAUDIER 191

Par une propension ? la familiarit?, qu'il reconna?t avec

une orgueilleuse bonhomie : c'est un homme qui se d?bou

tonne1. Par quelque vantardise, peut-?tre : il pr?tend ?tre

des intimes amis de de Thou, qu'il voit sans cesse ; or, de

Thou n'a pas l'air de se souvenir de lui dans ses M?moires.

A quoi on ajoutera son go?t de la bouteille, qu'il met

quelque complaisance ? confesser : la malignit? de la m?di sance ne me peut reprocher qu'une chose, proclame-t-il, ? c'est que je suis un convive to.ujours trop dispos, et que, de temps ? autre, je m'arrose un peu trop largement de la

fleur du v?n?rable Liber ?2. Physionomie truculente, d'une personnalit? brouillonne mais vive et riche. Bon

homme au fond, qui n'a rien d'un bouillant Achille 3, il

sait bien au demeurant que la cr?dulit? est sa faiblesse :

il croit trop facilement aux promesses qu'on lui fait,

quitte ? en sourire quand l'escarcelle n'est pas trop vide 4.

Cette na?vet? m?me ne fait qu'ajouter au relief humain

de sa m?moire. Loin de nous absorber ? ceci ou ? cela, ?tude ou plaisir, mettons quelque gloire ? ?tre complet :

Miscet uir sapiens grauioribus otia curis,

Innocuosque sales, stultitiamque breuem 5.

Et par l?, n'est-ce pas, Baudier reste un homme du grand si?cle. Un pantagru?liste. Comme sa destin?e fran?aise, toute sa personne est bien de la derni?re heure de la

Poe., 65 (au Pr?sident Pierre Jailly), etc. La ? belgica ingenuitas ?

qui fait ?scapham scapham uocare? (Poe.), appeler un chat un chat. 1 Avec de Thou, cf. Ep., I, 6 (uerecundiae limites transii) ; avec

Scaliger, Ep., I, 8 : ? prorsus depudere uidear, si porro tarn familiari ter tecum fabuler ? ; et I, 30 : ? haec nugari ausus sum apud t?, familiarius quidem quam dignitas tua postulet ?, etc. Tradition

cic?ronienne : par ex., dans sa lettre ? Lucceius, Cic?ron donnait ? la lettre le droit d'ignorer la modestie : ? epistola non erubescit. ?

8 ? Quod nimis commodus sim conuiuator, et interdum largius

adspergor flore Liberi patris ?. A un ami, in Testimonia de Dominico

Baudio, en t?te des Ep., f? 7. D'autres touches du m?me genre dans les m?mes Testimonia. A reconna?tre et confesser ce p?ch? mignon, Baudier marque une certaine complaisance. 8

Ep., I, 51 ; I, 8, etc. Dans les m?mes termes exacts : Non sum

Pelei f?lius... * Inanibus promissis capiar, Ep., I, 60. 6

Poe., 638. A Buzanval.

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192 v.-l. saulnier

Renaissance. Baudier en France, c'est l'humanisme de la

premi?re heure qui se d?bat ? la derni?re, l'humanisme rabelaisien en face des pires troubles civils et internatio naux. On aime ? voir qu'il sut, tant bien que mal, frayer sa route en ces terrains mouvants. Et que la sagesse d'un

?ge enivr? de grand soleil et de biblioth?ques pouvait r?sister ? l'?preuve d'une ?poque d'?p?e ou de poignard o? les trois Henri tombaient sous la dague. Elle aussi avait, comme la monarchie cap?tienne, ? sauver une tradition, celle de la culture. C'est pour la complexit? des temp?ra

ments, l'humble caprice des incidents, l'humaine m?dio crit? de ses voies souterraines, des rencontres et des d?tours

par lesquels elle s'assure, que cette continuit? nous

touche. De loin, c'est l'affirmation perp?tu?e de l'huma nisme qui seule compte. A revivre ces temps, c'est la

fragilit? dans l'obstination de son destin qui nous r?con forte : c'est cet ?quilibre de chair qui constitue le clair

m?rite. Car, si le colosse sait rester debout, c'est un

honneur de plus que de lui reconna?tre des pieds d'argile.

Verdun L. Saulnier.

APPENDICES

I. ? Table de r?f?rence des livres le tlus souvent

cit?s.

Ep. = Dominici Baudi Epistolae semicenturia auctaeylacunis

aliquot suppletis. Accedunt eiusdem Orationes et libellus de Foenore. Amstelodami, Typis Ludovici Elzevirii.

Sumptibus Societatis, 1654, in-12, 12 ff. non pag. et 659 pp.

Poe. = Dominici Baudi Poemata, noua editio et prioribus auctior. Amstelodami, apud Ioannem Iansonnium, 1640, in-12,12 ff. non pag. et 670 pp.

Scal. = Iosephi Scaligeri Epistolae omnes quae reperiri

potuerunt. Leyde, Elzevirs, 1627, in-8?. Lips. = Iusti Lipsi Epistolarum selectarum III centuriae. E

quibus tertia nunc primum in lucem edita. Paris, F. Jacquin, 1601, in-12.

lu st. = Iusti Lipsi Epistolarum selectarum V centuriae. Paris, R. Thierry, 1602, in-8?.

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dominique baudier 193

Cas. = Isaaci Casauboni Epistofae, editio secunda LXXXII

epistolis auctior. Magdeburg-Helmstadt, 1656, in-4?. Hein. = Danielis Heinsii Poematum editio noua. Levde, 1621,

in-12.

Grot. = Hug. Grotii Poemata. Leyde, 1639, in-12. Thu. = Histoire Universelle de J.-A. de Thou, avec la suite par

Nie. Rigault, les m?moires de la vie de auteur, etc. La Haye, 1740, 11 vol. in-4?.

Thua. = Illustris Viri lac. Augusti Thuani... H istoriar um sui

temporis... Francfort, W. Hoffmann, 1628, 4 vol. in-f?.

Est. = Pierre de FEstoile, Journal du r?gne de Henri III, ?dit. L.-R. Lef?vre, Paris, 1943, in-8? (jusqu'? 1589).

Esto. = Pierre de I'Estoile, Journal du r?gne de Henri IV, La Haye, 1741, 4 vol. in-8? (apr?s 1589).

? L'ensemble des M?moires-Journaux de I'Estoile peut ?tre consult? dans l'?dition Lemerre, par Brunet, etc. Paris, 1875 1896, 12 vol. in-8?.

Sul. = M?moires de Sully, ?dition L.-R. Lef?vre, Paris, 1942, in-8?.

Baill. = Baillet. Jugemens des s?avans sur les principaux

ouvrages des auteurs, t. II, 2e partie, Paris, Ant. Deza

lier, 1685, in-12 ; et t. IV, 4e partie, ibid., id., 1686, in-12.

Del. = Ranutius Gherus (Ianus Gruter), Delitiae Poetarum Gallorum, Francfort, 1609, 3 t. en 6 vol. in-12. Bibl. nat., R?s. p. Yc 1134-39.

Lach. = F. Lachevre, Bibliographie des recueils collectifs de po?sies du XVI* si?cle (1502-1609), Paris, 1922, in-4?.

Pour les Correspondances, le chiffre romain donne le livre ou la centurie, le chiffre arabe le num?ro de la lettre. ? Pour les autres ouvrages, le chiffre romain indique (?ventuellement) le tome, le chiffre arabe donne la page.

II. ? Sur la chronologie des lettres de Baudier.

Baudier date en g?n?ral ses lettres selon le nouveau style Dans le cas contraire, il l'indique par la mention ? stylo ueteri ?

(v. g. Ep., I, 1, p. 2 ; II, 56, p. 242). Il est vrai qu'il pr?cise parfois aussi : ? stylo nouo ? (v. g. Ep., Ill, 50, p. 373). Mais,

1 C'est l'Edit de Paris (janvier 1564, article 39) qui impose en France l'usage du style moderne, mais les diff?rents Parlements

l'enregistrent ? des dates tr?s variables. L'emploi du style moderne est pratiquement g?n?ral en France ? partir de 1568, mais pour qu'il en soit de m?me dans toute l'Europe occidentale il faut attendre le

xvme si?cle. Cf. A. Giry, Manuel de diplomatique, 1894, p. 113.

13

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194 V.-L. SAULNIER

pour les lettres ne comportant aucune de ces deux mentions, l'encha?nement indique l'usage du style moderne.

Il date ses lettres tant?t ? l'antique (v. g. I, 13 : ? XV. K?lend. Octobr. MDXCI ?), tant?t ? la moderne (v. g. I, 15 : ? XII. Mart. Anno MDXCIl?). Il alternera toujours les deux notations.

Les lettres sont en g?n?ral class?es suivant l'ordre chrono

logique. Il y a des exceptions. La lettre I, 6, du 2 juin 1591, pr?c?de I, 7, qui est du 16 mai : la lettre 6 fait d'ailleurs allusion ? une lettre ant?rieure adress?e au m?me de Thou d?s l'arriv?e ? Caen, et peut-?tre perdue en route, qui n'est autre que la lettre 7. ? De m?me, la lettre I, 62, ?crite (de Middelburg, 16 octobre 1592) ? trois mois ? apr?s le retour d'An gleterre en Hollande, est plac?e avant la lettre 63 qui annonce le d?part de Londres, peut-?tre pour le lendemain (Londres, 23 juin 1592). Sont mal class?es aussi chronologiquement les lettres de la IVe centurie (les 23 premi?res seules sont d'ailleurs de Baudier).

Parmi les lettres de France, les seules dont la localisation chronologique pose un probl?me sont I, 5 ; I, 9 ; I, 10 ; I, 44 et I, 51. Parmi les lettres adress?es ? Baudier en France, I, 29 et I, 46.

I, 29 r?pond ? I, 27 (o? Baudier se plaint que Do?s ne lui communique pas toutes nouvelles relatives ? l'affaire Scaliger) et peut donc dater de fin avril 1593. Le d?lai de route Paris Leyde est de quinze jours environ (cf. entre I, 39 et I, 40) : d?lai minimum, sans doute ; et en I, 40, Scaliger para?t aussi press? de r?pondre ? I, 39 que Do?s en I, 29 ? I, 27. Comme I, 27 ?tait parti pour Leyde non de Paris mais de Tours, le d?lai doit ?tre un peu allong?.

I, 46 r?pond aussi directement (affaire de Caluard malade), et sans doute aussi vite, ? I, 45. On peut donc la dater de d?but

mai 1597. I, 51 se relie ?troitement ? I, 48-50 (lettres ?crites de la

prison de Paris) et remonte donc ? l'?t? 1598 (juillet). I, 44 est ?crite ?galement en prison. Elle est plac?e entre

I, 43 (10 d?c. 1595) et I, 45 (18 avr. 1597). Baudier aurait-il fait entre ces dates un premier s?jour en prison, avant celui de l'?t? 1598 ? Mais nous avons appris maintenant ? ne point trop consid?rer le classement des Ep. comme rigoureusement chronologique. Et puis, si un emprisonnement avait pr?c?d? en 1595-97 celui de 98, Baudier n'y aurait-il fait aucune allusion au cours de ces secondes ge?les ? Il aurait bien gliss? quelque part, dans les lettres I, 48-51, un denuo ou un rursus ac iterum. Il nous para?t donc que I, 44 fait partie du groupe de la prison de Paris 1598. D'apr?s son contenu, elle est la premi?re du groupe. Et l'ordre de fr?quence des appels r?it?r?s

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dominique baudier 195

et instants adress?s de prison ? de Thou (I, 48-5o : trois lettres en une semaine) nous invite ? la placer tr?s pr?s de I, 48, donc vers le 10 juillet 1598.

1, 9 est la lettre au Cardinal de Bourbon qui sert de pr?face aux ?ambes publi?s ? Tours en 1591. Or, I, 7 (16 mai 1591) fait allusion ? la chose (? opusculum ei inscripsi ?, etc.). D'autre part, Baudier a s?journe ? Tours avant juin 1591, puisque (outre qu'il y publie ses ?ambes), la lettre I, 8, du 19 juin 1591, fait allusion ? des entretiens de vive voix avec de Thou (? ea de re saepe coram egi cum D. Thuano. et absens per literas ?). Donc, I, 10, est ant?rieur au 16 mai 1591 et date du pre mier s?jour de Baudier ? Tours.

I, 10 est adress?e de Tours ? ses amis par Baudier malade. Sans doute la r?ponse de van der Do?s ? ces lamentations ne date que du 10 ao?t 1591. Mais si l'on observe que, dans remuneration que Baudier y fait de ses amis, il ne cite gu?re que des Belges, et Scaliger, mais ne nomme pas, par exemple, de Thou, on inclinera ? faire remonter cette lettre au premier s?jour de Baudier ? Tours, d?s son arriv?e en France et le premier contract pris avec Scaliger. C'est sans doute la premi?re lettre connue ?crite par Baudier en France. Van der Do?s se h?ta sans doute de lui r?pondre ; et en 1, 8 Baudier dit ? Sca liger (le 19 juin 1591) le conna?tre depuis peu (? quanquam recens haec inter nos notitia est ?) ; d'un autre c?t?, Baudier arrivera ? Caen tr?s peu de jours avant le 16 mai 1591 (d'apr?s I, 6, la lettre I, 7 est ?crite d?s l'arriv?e : ? ut primum in hanc urbem ueni ? ; or 1, 7 est du 16 mai) ; et il faut compter le d?lai du voyage Tours-Caen, et auparavant le temps mis par Bau dier malade ? se r?tablir. Pour toutes ces raisons, nous pla?ons I, 10 au d?but de l'ann?e 1591.

Quant ? I, 5, elle est adress?e au Chancelier de France Hurault de Cheverny : or Cheverny, chancelier en 1581, est en disgr?ce de 1589 ? 1590. Cette lettre donne ? Charles de Gontaud-Biron son titre d'amiral de France (? fortissimo heroi Bironio Galliarum thalassiarchae ?) : or c'est le 4 oct. 1592 que Biron fut fait ? admirai de France et de Bretagne ?. Mais si la lettre est ainsi post?rieure ? 1592, comme elles est adress?e au Chancelier ? Paris, elle n'est pas ant?rieure ? l'entr?e de Henri IV en cette ville, en mars 1594 (cf. Sul., 124). Cheverny meurt le 30 juillet 1599. La lettre se place donc entre mars 1594 et juillet 1599. Comme nous ne trouvons aucune allusion pr?cise aux difficult?s que cette lettre relate dans les autres lettres de Baudier, elle doit se situer ? l'une des places o? la lacune est importante, soit 1594, ou 1596-97. A partir de ce

point, on peut pr?ciser la localisation en deux sens divers : Io Biron cesse d'?tre Amiral de France d?s 1594 : au moment o?, Henri IV converti au catholicisme, la ville de Rouen se

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196 v.-l. saulnier

rend ? lui, Villars a mis au nombre de ses conditions que le roi lui conserverait la charge d'Amiral que lui avait confi?e la

Ligue et qu'Henri IV avait donn?e ? Biron : le roi accepta (cf. Sul., 120) et Biron c?da sa charge moyennant 120.000 ?cus.

On peut donc ?tre tent? de placer la lettre au plus pr?s du terminus a quo, mars 1594 (date de l'Entr?e ? Paris et de la soumission de Rouen). ?2? observant que les difficult?s ?vo

qu?es dans notre lettre semblent avoir dur? quelque temps, nous pr?f?rons penser qu'elles avaient commenc? du temps o? Biron ?tait amiral, mais que la lettre est post?rieure : une allusion de 1, 42 nous l'a fait placer au d?but de 1596 (sur cette allusion, cf. supra, p. 154).

III. R?pertoire des lettres ?crites par Baudier en France.

Les trente-sept lettres appartiennent toutes au recueil Ep. ? Les indications port?es entre crochets droits sont de nos

conjectures.

R?f? rence

1,10

1,9

1,7 1,6 1,8 1,14 1,15 1,16

1,18 1,20 1,21 1,23

1,24 1,27

1,28

Lieu et Date d'origine

Tours

do

Caen d? do d? d? d?

Tours d? d? d?

d? d?

d?

[d?but 1591]

[1591, avant mai]

16 mai 1591 2 juin 1591 19 juin 1591 19 d?c. 1591 12 mars 1592 17 mars 1592

29 avril 1592 6 mai 1592 15 mai 1592 23 juil. 1592

13 nov. 1592 8 avril 1593

9 avril 1593

Destinataire

Amicis suis Dom. Baudius aeger 1.

Cardinal Charles de Bour bon 2.

J. A. de Thou. d?

Joseph Scaliger, Preuilly. J. A. de Thou. Eric Dimmer, La Haye 8. Jean van der Do?s le p?re,

La Haye. Joseph Scaliger, Preuilly.

d? d? d? d?

Jean van der Do?s le p?re, La Haye.

Joseph Scaliger, Preuilly. Jean van der Do?s le fils,

Leyde. Jean van der Do?s le p?re,

La Haye.

1 Ep?tre en vers reproduite dans les Po?mes, Poe., 47.

2 Sert ?galement de pr?face ? Ylamborum liber, Tours, 1591. 3 Avec une pi?ce de vers In tres Iuris peruersores reproduite

in Poe., 171.

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DOMINIQUE BAUDIER 197

R?f? rence

1,30 1,31 1,33 1,34 1,35

1,36 1,37 1,38 1,39 1,41 1,42 1,43 1,5

1,45 1,47

1,44

1,48 1,49 1,50 1,51 1,52 1,53

Lieu et Date d'origine.

Tours d? d? d? d?

do Paris

Beaumont Paris

Olinville do d? [d? ?] Paris

d?

[do]

[do] d? d? [do] d? d?

28 avril 1593 7 mai 1593 11 mai 1593 23 mai 1593 24 ao?t 1593

13 nov. 1593 29 ao?t 1594 25 f?vr. 1595 31 mai 1595 18 ao?t 1595 27 nov. 1595 10 d?e. 1595 [d?but 1596 ?]

18 avril 1597 [d?but] 1598

[vers le 10 juil. 1598]

15 juil. 1598 18 juil. 1598 22 juil. 1598 [fin juil. 1598] 10 mars 1599 9 juil. 1601

Destinataire

Joseph Sealiger, Preuilly. d? d?

J. A. de Thou, Paris.

Joseph Scaliger, Preuilly. Jean van der Do?s, le p?re,

La Haye. Joseph Scaliger, Leyde. Juste-Lipse, Louvain 1. J. A de Thou, Paris.

Joseph Scaliger, Leyde 2. J. A. de Thou, [Paris].

d? d? d? [d?]

Philippe Hurault de Che verny, Paris.

Joseph Scaliger, Leyde. Justin de Nassau et Jean

dOlden de Barneveldt.

J. A. de Thou, [Paris]. d? d? d? d? d? d? d? d?8

Juste-Lipse, Louvain.

Joseph Scaliger, Leyde.

Sont intercal?es dans ces lettres de France deux lettres envoy?es de Hollande par Baudier au cours des dix ann?es :

I, 12. Middelburg, 17 sept. 1591. A Jean van der Do?s le p?re, La Haye.

I, 13. Middelburg, 17 sept. 1591. A Jean van der Do?s le fils, Leyde.

La derni?re lettre ant?rieure au d?part vers la France (I, 4) est dat?e de Leyde, 8 avril 1588. La premi?re qui suit le d?part de France (I, 54) est adress?e aux fr?res Dupuy, ? Paris, de

Londres, 29 janvier 1602.

1 ? raptim datum ?.

2 ? raptissime ?.

8 La premi?re moiti? de la lettre est fran?aise (fait exception nel) ; la seconde est latine et m?l?e de grec.

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198 v.-l. saulnier

IV. ? Les lettres re?ues par Baudier en France.

R?f?rence

Ep.,1,11

SCAL., IV, 469

Ep., I, 26

Ep., I, 17

Ep., I, 19

Ep., I, 22

Ep., I, 25

Ep.,IV, 50 Ep , IV, 51 Ep., I, 29

Ep., I, 32

Ep., I, 40

Ep., I, 46

Ep.,IV,29

Adresse

Caen

d?

Tours

[ou Caen Caen

Tours

[d?] d?

Tours d? d?

d? Paris

[do] d?

Date

10 ao?t 1591

18 sept. 1591

19 d?c. 1591

27 mars 1592 23 mai 1592 2 juin 1592 18 nov. 1592 4 janv. 1593 4 avril 1593 [fin avril 1593]

8 mai 1593 15 juin 1595

[d?but mai 1597] 25 f?vr. 1599

Exp?diteur

[Jean van der Do?s le fils, Leyde 1.

Jean van der Do?s le p?re, La Haye.

Florent Chr?tien, Ven d?me.

Louis Servin, Tours. I Joseph Scaliger, [Preuilly]2.

d? d?3 d? d?

Nicolas Audebert, [d0]. d? d?

Jean van der Do?s le fils, [Leyde] <.

Joseph Scaliger, [Preuilly]5. d? Leydee. d? [d?] 7.

Juste-Lipse, Louvain 8.

V. ? Les Correspondants.

Ont re?u des lettres de Baudier ou lui ont ?crit pendant ces dix ans (dans l'?tat actuel de nos connaissances, et ? ne

compter que celles dont nous avons le texte) :

Lettres re?ues ? lui de Baudier envoy?es

Joseph Scaliger 9 12 6

1 R?ponse ? Ep., I, 10.

2 Les six lettres de Scaliger inscrites au pr?sent tableau figurent aussi dans sa Correspondance g?n?rale, Scal., II, 187-192.

8 La date porte ? VI. Non. Iunii ?. Je lis IV au lieu de VI : il n'y a

pas six jours avant les nones de juin. ? Scal. donne : ? VI. Non.

Mai. ? (2 mai) : mais cette date n'est gu?re vraisemblable ; la lettre en question semble bien r?pondre ? Ep., I, 21 (allusion ? l'envoi de

vers), du 15 mai. 4

R?ponse ? Ep., I, 27. 5 Cette lettre croise en route Ep., I, 31. 6

R?ponse ? Ep., I, 39. 7

R?ponse ? Ep., I, 45. 8

Figure aussi in Iust., I, 51, avec la date du 1er mars 1599. 9 Autre lettre ? lui, en dehors des ann?es fran?aises : Ep., I, 64

(1602) ; de lui, I, 65 (1602). Cf. aussi Poe., 406.

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Page 205: Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome Vii - 1945

dominique baudier 199

Lettres re?ues ? lui de Baudier envoy?es

J. A. deThou1. 13 ?

Jean van der Do?s le p?re 2. 4 1 Jean van der Do?s le fils 3. 1 2

Juste-Lipse4. 2 1

Philippe Hurault de Cheverny. 1 ?

Cardinal Charles de Bourbon. 1 ?

Eric Dimmer.-. 1 ?

Justin de Nassau et Jean Olden de Barneveldt5. 1 ?

A ses amis. 1 ?

Nicolas Audebert. ne 2 Louis Servin7. ? 1 Florent Chr?tien8. ? 1

VI. ? Les uvres compos?es par Baudier en France.

Io Les deux recueils de vers qu'il publie pendant son s?jour : ? Iamborum liber, Tours, 1591, in-4?. ? Saturnales Elegi, Paris, 1600, in-4?. 2? Les lettres dont nous avons donn? le r?pertoire. 3? Le trait? De Foenore (cf. supra, p. 159), sur le pr?t ?

int?r?t.

4? Une petite partie des Gnomae Iambicae (environ 400 vers) compos?e et donn?e aux Dupuy peu avant le d?part de France

(cf. E ., I, 57) : dans leur forme d?finitive, les Gnomae (Poe., pp. 283 sqq.) occuperont, en 4 livres, 120 pages ? environ

35 vers. Ces quatre livres sont d?di?s ? Henri-Fr?d?ric, fils de

Jacques 1er d'Angleterre, Prince de Galles : cf. Poe., 654 : ? Regia progenies, cui uox. ?

1 Autres lettres ? lui, 1602-1610 ; Ep., I, 58, 86 ; II, 2 ; III, 18. Cf. aussi Poe. (voir infra append, vu), 46, 61, 62, 606, 609, 611.

2 Autre lettre ? lui, 1588 ; Ep., I, 1. Cf. aussi Poe. (supra, p. 143, n. 2). Voir aussi Scal., I, 23-29 ; IV, 462, 476, 477.

3 Ne figure pas ailleurs dans la Correspondance de Baudier. Pas

plus que Hurault, Bourbon, Dimmer, Nassau, Audebert. * Autres lettres ? lui : 1605 (Ep., II, 1 et 12) ; de lui, 1587-1606

(Ep., IV, 24 ? 34). Cf. aussi Poe. (supra, p. 169, n. 2). Les lettres

IV, 24 et 28 sont aussi dans Lips., II, 23 et 80. 5 Ne figure pas ailleurs dans E p. Mais cf. les po?mes ? la famille

(supra, p. 157, n. 3) et Scal., IV, 363-367 (1594-1599). 6 Allusion ? des lettres perdues, Ep., IV, 51. 7 Encore deux lettres de Baudier ? lui, 1606 et s. d. (III, 54 et

IV, 23). Cf. aussi Poe., 39. 8 Ne figure pas ailleurs dans Ep. Mais cf. Poe., 65.

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200 v.-l. saulnier

5? Des po?mes ?pars : ? deux pi?ces ins?r?es dans la Correspondance (Ep., I, 10

et I, 15), savoir Amicis suis Dom. Baudius aeger (= Alloquium moribundi ad amicos, Poe.,47. ? Qualem paludis stagna propter Asiae ?) et In tres Iuris peruersores (?galement reproduit dans Poe., 171 : ? Tres legulei praesidem legum Themin ?),mars 1592. ? la pr?face Ad Lectorem (cf. supra, p. 159), c'est

?-dire Praefatio ad lectorem : ? Benigne lector, si redundas otio ?, Poe., 3. (Ou peut-?tre Y herum ad eundem : ? Si quid

mearum forte lectores erunt ?, Poe., 16. ? deux pi?ces pieuses (un genre exceptionnel dans les uvres de Baudier) qui doivent dater de sa maladie comme

Ep., 1,10 (cf. supra, p. 144)-.Cupio dissolui et esse cum Christo: ? O uita curarum seges ?, Poe., 53 ; et Preces ad Christum : ? Mundi Creator gentium ?, Poe., 55. ? la pi?ce Poe., 224, In Obitum Philippi II Hispaniarum

regis : ? Expendat omnis h?rridas rerum uices ? (Philippe II est mort en 1598).

-? une partie des po?mes adress?s ? des Hollandais comme van der Do?s et Juste-Lipse ; cf. supra, pp. 143,169 et passim. ? la plupart des po?mes adress?s ? des Fran?ais, et dont nous allons donner la nomenclature.

VII. ? Po?mes adress?s par Baudier

a des gens de france.

Pompone de Bell??vre.

S?nete senex, sanctique decus sublime Senatus, Poe., 615.

Pierre de Beringen.

Si qua pios nostri continget cura nepotes, Poe., 614. Th?odore de B?ze.

In Psalmos Theodori Bezae : ? Quae melos, quum finis adest, ac meta senectae ?, Poe., 641.

? Idem

a e a..., Poe., 642. (Cf. encore In obitum uenerabilis uiri Th. Bezae : ? Nulla cern?s heic ?, Poe., 270 et FEpicedium uenerandi patris Th. ., epos IV, Poe., 421 : ? Maximus exiguo sub puluere ?). B?ze mourut en 1605.

Charles de Bourbon.

T?rbida ciuili dum feruet Gallia bello, Poe., 610 1. Henri de Bourbon-Montpensier.

Siue quis Heroum t?tulos miratur auorum, Poe., 635.

1 Ecrit ? quum ei Iamborum librum offerret ?, donc en 1591.

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dominique batjdier 201

Nicolas Brulart de Sillery.

Sublimis heros, cuius aequa sanctitas, Poe., 58.

Ogier Busbecq . Si quem beatum dicere in terris licet, Poe., 19.

Paul Chouart de Buzenval.

Te licet altus honos ingentibus undique curis, Poe., 637.

Philippe de Canaye. Seu leg?tus obis magnarum munia rerum. Poe., 637.

Casaubon.

Isaaco Casauboni... Athenaeum edenti : ? Quamuis decore

sat refulgeat suo ?, Poe., 123.

Florent Chr?tien.

Famili?ris Inuitatio : ? Adduxit aestus, ac sitim morta libus ?, Poe., 65.

Guillaume Dupeyrat.

Venuste vates qui forensibus curis. Poe., 73.

Claude Dupuy.

Adsiste funus dulc?s o coniux meum, Poe., 212.

Jacques Gillot.

Praestans fide Senator, ac prudentia. Poe., 75.

Marie de Gournay.

Heroicae viragini Mariae Gornacensi : ? Montanus ille, cuius augustum uiget ?, Poe., 75.

Claude Groulard.

Si uictura meis intexam nomina chartis. Poe., 613. Achille de Harlay.

Laudum tuarum fama nil falsi trahens, Poe., 57.

Magne Praeses qui reduc?s aureo sedo Themin, Poe., 280. Lumen orbis atque sidus aureae propaginis, Poe., 280.

Carmine quod tenui te magnum Heroa salutem, Poe., 611.

Christophe de Harlay. Parumne faustus fulsit hie mihi dies, Poe., 46 1. Ocelle fulgens Gallicae iuuentutis, Poe., 67. Genio Bellimontaneae libertatis : ? Haueto quisqu?s

hospes infers gradum ?, Poe., 67.

Christophorus Harlaeus... et Anna Rabotia parentes... :

? Heu fata saeua quae uetant diurnare ?, Poe., 223 2.

Unica magnanimi proles generosa Catonis, Poe., 612. His regalibus, ?ptimo dierum, Poe., 635 3.

1 Adress? aussi ? de Thou. 2 A l'occasion de la mort de leur fille, Anne Sophie de Harlay,

? quam fata terris ostenderunt et simul rapuerunt ?, dit Baudier,

parlant comme Virgile (?pisode de Marcellus, dans En?ide). s Ecrit ? l'occasion de l'arriv?e de Christophe de Harlay en Angle terre, en qualit? d'ambassadeur de France.

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202 v.-l. s aulnier

Henri IV et la famille de France :

Io A propos de Fattentat de Chastel, 1594 : Soterium nuncupatum Henrico IV : ? Ut inquiete naui

gantibus salo ?, Poe., 76.

Domus diruenda loquitur : ? Damnata dirae solitudinis domus ?, Poe., 84.

Carmen inscribendum pyramidi : ? Exeste quidquid fas

piumque, linquite ?, Poe., 86. Aliud : ? In hocce sacro manibus diris loco ?, Poe., 87. Aliud : ? Quod uox profari, cogitare mens fr?mit ?,

Poe., 88.

In sceleratissimum percussorem Iohannem Castellum :

? Africa terr?ficos olim solet edere partus ?, Poe, 480. Titulus Pyramidis : ? Hic ubi marmoreo subnixam robore

molem ?, Poe, 481.

In eundem : ? Gallia prodigiis expers erat ?, Poe., 481. Distichon index anni MDXCIV : ? Lata fauensque

duci ?, Poe., 481. Aliud : ? In regi incolumi soteriae ?, Poe., 481.

2? A propos de la Reconqu?te :

Epos III, Votum pro Rege Christianiss. quum bello ciuili Gallia flagraret : ? Rex, ueterum decus heroum, quos ubere laeto ?, Poe., 542 x.

3? A propos du mariage du Roi avec Marie de M?dicis :

Propempticon ad Mariam Medicen : ? Glauca Thetis, b?pedum quae curru insist?s equorum ?, Poe., 615 2.

Epithalamium regi Henrico IV et Mariae Medices : ? Cur ita praecipiti petis arduus aequora cursu ?, Poe., 619.

Aliud : ? Temporius solito cur uespera claudit Olympum? ?, Poe., 622.

Ludus super anni tempore : ? Quid tantum acc?l?r?t ?,

Poe., 627.

Aliud eiusdem argumenti : ? Phoebe quid Hesperio ?, Poe., 627.

4? Eloges du Roi : Ad Christianiss. Henricum IV : ? Fertur Alexander scito

sanxisse seuero ?, Poe., 628.

Aliud : ? Floruit ingeniis Augusti nobile regnum ?, Poe., 629.

Marti Gallico : ? Inclyte Mars, tibi ?, Poe., 630.

1 Semble contemporain (mouvement initial) de la pi?ce ? Charles

de Bourbon qui figure plus haut au pr?sent r?pertoire, donc de 1591. 2 Pour Marie de M?dicis quittant Florence pour la France, novem

bre 1600.

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dominique baudier 203

5? A propos de la nativit? du Dauphin : In natiuitatem Delphini : ? Dum lymphatur ouans toto

lasciuia regno ?, Poe., 633.

Disticha quibus singulis indicatur anno quo natus est : ? Exultet felix ingenti Gallus alumno ?, Poe., 633.

Duo sequentia : ? Cosme faue ?, Poe., 634.

Sonnet sur la naissance..., Poe., 634.

6? Sur la paix :

Super pace conuenta : ? Tristia compositis recreant se

s?cula bellis ?. Poe., 484 (? propos de la paix de Ver vins, 1598).

Quo tempore dux Allobrogum uenit in Galliam : ? Lili gero regi coniungitur ?. (Sur les n?gociations avec

Charles-Emmanuel, duc de Savoie, 1599-1600). Jean Hotman.

Hotomanne fili, digne m?ximo p?tre ; Poe., 117 Michel Hurault.

Culte et colende Gallici Atlantis nepos, Poe., 21. Charles Meinard.

Meinarde, darum patriae ac patrum decus, Poe., 63.

Jean-Jacques de Mesmes.

Memmi propago, cuius ingens gloria, Poe., 90. Fran?ois Mir?n.

Urbane praetor, qui benigniter soles, Poe., 89. Edouard Mole.

Flos o uirorum, principisque curiae, Poe, 62. Insigne lumen purpuratorum patrum, Poe., 88.

Philippe du Plessis-Mornay.

Quaecunque rectis pauciorum sensibus, Poe., 42.

Joseph-Juste Scaliger.

Ingens laude uirum, mentis ingentior heros, Poe., 406. Louis Servin.

Semine, delibate flos facundiae, Poe., 39. Sully (Maximilien de B?thune, seigneur de Rosny).

Epos II : ? Magne uir excelsi quem pectoris inclyta uir tus ?, Poe., 541.

J.-A. de Thou. Parumne faustus fulsit hie mihi dies, Poe., 46 6. Vir magne, cuius ex recessu pectoris, Poe., 61. A e a

' a a a a a, Poe., 62.

Ut res Francigenum crudeli Marte Thuanus. Poe., 606 3.

1 Adress? aussi Ad Petrum Regemorterum. 2 Adress? aussi ? Christophe de Harlay. 3 Ecrit ? cum ex grauissimo morbo laboraret anno 1592 ?.

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204 v.-l. saulnier

Flos hominum, cui iura Themis, cui carmina Phoebus, Poe., 609.

Pars haud infima sanctions aulae, Poe., 611. Jean Boissy de Thumery.

Dum Ianus anni, Poe., 97.

Jean de Vass?.

Praeclare cunctos obligat n?cessitas, Poe., 100.

Emery de Vie. Etsi dolore corpus urgetur graui. Poe., 98.

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DEUX PO?MES DE BERTAUT

Il y a un demi-si?cle, Ferdinand Brunot a fait un magis tral expos? des principes grammaticaux et stylistiques de Malherbe. Mais, maintenant encore, nous sommes mal

renseign?s sur leur originalit?, nous ne savons pas dans

quelle exacte mesure la doctrine de Malherbe s'accordait avec les tendances po?tiques du temps.

La situation de ce po?te dans l'activit? litt?raire de son

?poque est singuli?re : si l'on met ? part la plaquette des Larmes de S. Pierre, publi?e eri 1587, il n'a commenc? ? laisser imprimer ses uvres qu'en 1599,

? il avait alors

quarante-quatre ans, ? et il n'est venu r?sider ? Paris qu'?

l'?ge de cinquante ans. Deux po?tes, qui faisaient partie de la m?me g?n?ration, Bertaut, n? en 1552, et Du Perron, n? en 1556, avaient obtenu, bien avant lui, la faveur de la Cour. Si l'on veut conna?tre avec pr?cision les influences

qui se sont exerc?es entre Malherbe et les po?tes de son

temps, c'est par Bertaut et Du Perron que l'enqu?te doit commencer.

Or, il y a une trentaine d'ann?es, Vaganay et Vianey ont remarqu? les corrections qu'avait subies le texte de deux po?mes de Bertaut, et ils ont attribu? ces remanie ments ? l'influence des id?es de Malherbe Mais une

d?couverte bibliographique que je viens de faire, ruine en

grande partie leur th?se ; aussi me semble-t-il n?cessaire de

reprendre l'examen de ces deux uvres. Il importe d'appliquer aux r?visions op?r?es par Ber

taut la m?thode chronologique ; nous commencerons donc

par le Discours sur le tres pas de M. de Ronsard. Il parut pour la premi?re fois, non dans le Tombeau de Ronsard

(vers mars 1586), mais ? la fin de la 7e ?dition collective

1 Bertaut et la r?forme de Malherbe (R. H. L., XIX, pp. 161-167, et XXII, pp. 217-220).

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206 RAYMOND LEBEG UE

des uvres de ce po?te (d?cembre 1586). Vaganay et

Vianey ont compar? ? l'?dition princeps le texte qui fut

reproduit dans les uvres de Bertaut en 1605. Apr?s avoir d?termin? les motifs des corrections et class? les d?fauts auxquels Bertaut a voulu rem?dier, ils formulent cette conclusion p?remptoire : ?Dans les id?es de Malherbe, on voit que Bertaut accepte tout ?.

Malheureusement, leur d?monstration p?che par la base ; car ils n'ont pu se procurer la premi?re ?dition des

uvres de Bertaut, qui parut en 1601 (le privil?ge fut accord? le 9 juin). S'ils l'avaient consult?e, ils y auraient trouv? une r?daction de ce Discours qui est presque identique ? celle de 1605. Or, en 1601, la r?putation de

Malherbe ?tait-elle assez grande et assez r?pandue pour que Bertaut sub?t l'influence de ses id?es po?tiques et

grammaticales ? Je ne le crois pas. A Paris, on avait publi? seulement quatre ou cinq de ses uvres : les Larmes de S. Pierre, uvre de jeunesse, la Victoire de la Constance, Beaut?, mon beau souci, la Consolation ? Carit?e, et les Stances ? Madame, d'authenticit? douteuse ; parmi ces

pi?ces, trois ?taient anonymes. C'?tait peu, surtout en

comparaison des contributions que Bertaut, Du Perron La Roque, Trellon, Porch?res, Sponde, et d'autres don naient aux recueils collectifs du temps.

Je sais bien que, d?s la fin de l'ann?e 1600, Malherbe avait pr?sent? ? Marie de M?dicis une ode de bienvenue, et que le normand Du Perron, apr?s l'avoir re?ue des mains de Bertaut, premier aum?nier de la Reine, avait fait au Roi un grand ?loge de son auteur : nous avons con

serv? la lettre de remerciement que celui-ci lui adressa, et Racan a rapport? sous une forme hyperbolique le

jugement de l'?v?que d'Evreux1. Il est certain que Ber

taut, fort li? avec Du Perron, l'a entendu faire l'?loge de ? M. de Malherbe, gentilhomme de Normandie ?. Mais ? cette date, l'influence litt?raire de celui-ci ne pouvait

1 N'en tenait-il pas les termes de Malherbe lui-m?me ? C'est pro bable. Le Perroniana s'exprime sur Malherbe et son ode d'une fa?on ?logieuse, mais sans enthousiasme (Cologne, 1669, p. 192).

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DEUX PO?MES DE BERTAUT 207

s'exercer que sur ses amis familiers et sur les po?tes qui, comme Montchrestien, habitaient la m?me ville que lui :

? Caen en 1586-1595 et en 1598-1599, et ? Aix pendant le

reste du temps. Jusqu'? son ?tablissement ? Paris, il

semble avoir eu tr?s peu de relations directes avec les

habitants de la capitale. Bertaut et lui avaient un ami commun : leur vieux compatriote Vauquelin de La Fres

naye ; mais rien ne permet d'affirmer qu'ils aient entre

tenu des rapports avant 1605, ni de supposer que Bertaut

ait demand? des le?ons de po?sie ? un cadet ? peine connu. Non, en r?visant ses po?mes pour l'?dition de

1601, Bertaut n'a pu s'inspirer d'une doctrine que Mal

herbe ne r?v?lait alors qu'? quelques provinciaux. Nous commencerons par d?finir les diff?rents ?tats du

texte. Vaganay et Vianey ont eu entre les mains les uvres

de Ronsard publi?es en 1586-1587 par Galland et Binet.

J'ai consult? la plupart des autres ?ditions anciennes des uvres de Ronsard et les recueils collectifs de 1599 o? le

Discours a ?t? reproduit1 : il n'y a subi que quelques mo

difications insignifiantes. D'autre part, Pr. Blanchemain

l'a reproduit dans le Tombeau de Ronsard qui termine le tome VIII de l'?dition elz?virienne ; comme elle est plus facile ? consulter que celles de la fin du xvie si?cle, je

m'y suis report?. Malheureusement on ne peut pas plus se

fier ? cette r?impression du Discours qu'au texte de Ron

sard procur? par Blanchemain. Bibliophile z?l?, mais

d?plorable ?diteur, il ne reproduit pas int?gralement le

texte de 1586 ; il l'a mutil?, ? moins qu'il ne se soit servi

d'une ancienne ?dition o? ce texte ?tait incomplet. Blanchemain s'accorde avec l'?dition princeps jusqu'au vers 248 2 :

Et qu'aussi bien que toy du Sort nous nous plaignons.

Puis, nous lisons dans la premi?re ?dition :

1 Les Fleurs des plus excellents poetes de ce temps de Bonfons, l'Acad?mie des modernes poetes fran?ois de Du Brueil, et Us Muses

fran?oise? ralli?es de Guillemot. 2

Page 261 de l'?dition elz?virienne.

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208 RAYMOND LEB?GUE

Regarde ? moy qui suis le monarque celeste, 250 Encor ay-je senty que peut l'heure funeste,

Encor m'a fait gemir la rigueur de son trait. Et bien souvent outr? de dueil et de regret Pour mes propres enfans tuez dans les allarmes, La Mort jointe ? l'amour m'eust fait jetter des larmes,

255 Si la grandeur du Sceptre enferm? dans mes mains Me permettoit les pleurs aussi bien qu'aux humains. Mon Sarpedon mourut en la Troyenne guerre, Et mon Hercule mesme oste-mal de la terre, Bien qu'il fust destin? pour estre l'un des Dieux,

260 Sans passer par la Mort ne vint point dans les Cieux Ainsi ce que le Sort a de plus lamentable, etc..

Les vers 249-260 manquent ? l'?dition Blanchemain. Ensuite Jupiter pr?dit, apr?s coup 2, ? la France la c?r? monie qui eut lieu au coll?ge de Boncour le 24 f?vrier 1586 et la harangue fun?bre de Du Perron. Apr?s le vers 304

(Luy donnant, etc.), on lit dans les anciennes ?ditions du Discours :

305 Que si jamais on vit, soit dessous sa figure, Soit sous un autre habit Mercure estre Mercure,

1 Ce passage dans lequel Jupiter consolait la France de la mort de Ronsard en citant ses propres deuils, fait penser ? la strophe de la Consolation ? Cl?ophon, o? Malherbe all?guait ? son ami normand ses souffrances paternelles :

De moy desja deux fois d'une pareille foudre Je me suis veu perclus.

En outre, chez Bertaut, le dieu pronon?ait un peu plus loin, cette sentence :

... on ne peut Braver mieux le Destin qu'en voulant ce qu'il veut.

Et nous entendons en ?cho la fin de la Consofotion :

Vouloir ce que Dieu veut est la seule science

Qui nous met en repos.

Malherbe go?te tant cette formule qu'il l'utilisera de nouveau dans

la traduction de la 16e Ep?tre ? Lucilius et dans ses lettres (III, 530 et IV, 38 et 75). Ces ressemblances sont d'autant plus significa tives que la Consofation ? Cl?ophon a ?t? compos?e peu apr?s la

publication du Tombeau de Ronsard (cf. mon article sur la Consolation ?Du P?rier, publi? dans la Biblioth?que d'Humanisme et Renais

sance, III, p. 109 sq.). Quant ? Sarp?don, Malherbe l'a utilis? lui

aussi : il figure dans une belle strophe de la Consolation ? Carit?e,

qui fut compos?e avant 1599. 2 Comme disait d'Aubign?, c'est une apoph?tie !

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DEUX PO?MES DE BERTAUT 209

On le sentira l? par l'effect du parler, Qui comme un fleuve d'or coulant sans s'?couler

Fera lors par essay cognoistre ? l'assistence 310 Combien absolument les lois de l'?loquence

R?gnent sur les d?sirs des plus rebelles c urs, Ou commandant la joye, ou demandant les pleurs. L'assistance, etc..

Ces huit vers filandreux manquent ? l'?dition Blanche main comme aux ?ditions des uvres de Bertaut.

Enfin, le r?cit que celui-ci fait de ses d?buts po?tiques, est beaucoup plus long dans les anciennes ?ditions que dans le Ronsard de Blanchemain ; voici le morceau qui manque :

... je n'avois point donn?e,

Comme un jeune amoureux qui pense avoir perdu Le temps qu'? voir sa Dame il n'a point despendu. Depuis je vins ? voir les beaux vers de Des-Portes Et lors mon feu nouveau print des flames plus fortes,

395 Allum? d'un espoir qui me fist presumer De pouvoir ais?ment sa douceur exprimer, Espoir qui me trompa : car sa divine grace Qui va cachant son art, et qui de prime face Promettoit tout facile ? ma pr?somption,

400 S'esleve par dessus toute imitation. Lors ? toy

1 revenant et pensant que la peine De t'oser imiter ne seroit pas si vaine, Je te prins pour patron, mais je peu moins encor

Changer mes vers de cuivre en tes vers qui sont d'or, 405 Si bien que pour jamais ma simple outrecuidance

En gardant son d?sir, perdit son esperance. Adone plus que devant j'admiray vos esprits 2} Ma main n'usa plus rien que vos divins escrits.

A toute heure, en tous lieux, je portay vostre image 410 Devant mes yeux errante et ferme en mon courage.

Je reveray vos noms, reveray vos hostels (sic) Comme les temples saints, des grands Dieux immortels, Voyant la palme Grecque en vos mains reverdie : Bref je vous adoray (s'il faut qu'ainsi je die)

415 Tant de vostre bien dire enchant? je devins, Comme des dieux humains ou des hommes divins.

est vray que l'?clair de la vive lumiere

1 Ronsard. 2 Ceux de Ronsard et de Desportes.

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210 RAYMOND LEB?GUE

Que versoit vostre gloire en ma foible paupi?re, M'?blo?issant la ve?e au lieu de m'?clairer,

420 M'eust fait de vostre suite ? la fin retirer, Rebut? pour jamais des rives de Permesse : Si de mon vieil espoir confirmant la promesse, Vous n'eussiez mon esprit ? poursuivre incit?, Me redonnant le c ur que vous m'aviez ost?.

425 Toy1 principalement, belle et g?n?reuse ame Dont l'?ternel adieu de regret nous entame,

Qui voyant mon destin me vouer aux neuf S urs, Me promis quelque fruit de mes premieres fleurs : M'incitas de monter apr?s toy sur Parnasse,

430 Et m'en donnas l'exemple aussi bien que l'audace, Car tu fus lors un feu, etc.

Les vers 391-430, qui contiennent de si utiles renseigne ments biographiques, manquent ? l'?dition Blanchemain.

Revenons aux anciennes ?ditions du Discours. Entre 1586 et 1600, ce verbeux po?me embrassait 456 vers. En 1601, dans les uvres de Bertaut, leur nombre tombe ? 402. Comme le texte de 1601 nous servira de terme de

comparaison avec le texte primitif, nous allons citer ceux de ses vers qui ont ?t? modifi?s plus tard ; notre num?rota tion est celle des ?ditions de 1601 et de 1891. On lit en

1601 : 28 Qui gouvernez des flots les Royaumes humides 2.

173 Mais si la volont? de ton premier dessein... 249 Et s'il ne vit du corps, il vit de celle part 3. 255 Non de vulgaires pleurs, mais de pleurs

4 vrayment dignes

Et des cygnes Fran?ois et du pere des cygnes. 360 Devant mes yeux errante animer mon courage.

En comparant les r?dactions de 1586 et de 1601, nous nous inspirerons du plan qu'ont suivi Vaganay et Vianey et de celui qui nous a servi pour les variantes de la Sopho nisbe de Montchrestien 5. Nos observations sur le po?me

1 Ronsard. 2 Dans la r?daction d?finitive, Bertaut corrigera le pl?onasme

fhts... humides. 8 Sur la disparition de l'adjectif d?monstratif celui, cf. Brunot,

Histoire de la langue fran?aise, III, p. 493. 4 Bertaut ?vitera la double r?p?tition de pleurs. 5 Cf. notre article sur Malherbe correcteur de trag?die (R. H. L.,

XLI, 1934).

09:50:28 AM

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DEUX PO?MES DE BERTAUT 211

de Bertaut sont moins d?cisives que celles que nous avons

faites sur la trag?die de Montchrestien ; car le po?me est moins long que la pi?ce, et le r?viseur, qui est Bertaut lui

m?me, s'est montr? moins exigeant que celui de Sopho nisbe : il est rare que nous puissions citer de nombreuses corrections de m?me esp?ce.

lies changements portant sur le fond sont assez nom breux. Les plus int?ressants concernent l'attitude de Ber taut envers Ronsard et Desportes. En 1586, le premier ?tait le mort universellement r?v?r?, le po?te qui avait pu dire sans exag?ration ? ses ?mules :

Vous estes tous yssus de la grandeur de moy.

On songe ? la situation et aux obs?ques de Victor Hugo trois si?cles plus tard... Si Desportes jouissait, ? la Cour et parmi les po?tes, d'une grande vogue, n?anmoins il faisait figure d'?pigone. Quinze ans plus tard, la situation n'est plus la m?me. Certes, la gloire de Ronsard reste

solide, et elle est attest?e par les r?impressions de ses uvres. Mais elle recule vers l'horizon, tandis que Des

portes, bien rent? et ami de tout le monde, jouit d'une

pr??minence d'autant moins contest?e que Du Bartas et Garnier sont morts pr?matur?ment et que tr?s peu de

gens connaissent le talent po?tique de d'Aubign? Ces circonstances expliquent la plus grande partie des sup

pressions et des modifications dont nous allons parler. Nous rencontrons d'abord, aux vers 337-346, une des

cription des f?tes et des concours litt?raires qui auront lieu chaque ann?e, ? l'anniversaire de la mort de Ronsard, autour de son tombeau 2

; quiconque aura veill? pendant

1 C'est aussi l'opinion du meilleur historien de Desportes ; il a ?crit ces lignes qui s'accordent parfaitement avec notre th?se : ? N'oublions pas qu'en 1600 Malherbe est presque compl?tement inconnu et n'a encore presque rien publi? et que Desportes est alors ? peu pr?s unanimement consid?r? comme le plus grand po?te vivant. Il est m?me certain que beaucoup le consid?rent ? cette

?poque comme sup?rieur ? Ronsard. ? (J. Lavaud, Ph. Desportes,

p. 505). 2 Bertaut se souvenait sans doute de l'ode De l'?lection de son

s?pulcre. D'autre part, Galland avait d?j? d? publier son intention

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212 RAYMOND LEB?GUE

trois nuits pr?s du tombeau, s'en retournera po?te. Ron sard apr?s sa mort sera un Parnasse. En 1601, ce passage, dont l'inspiration antique s'accordait si bien avec l' uvre du chef de la Pl?iade, a ?t? sacrifi? ; cette suppression est

regrettable. Quelques vers plus loin, Bertaut adressait au po?te

d?funt une chaleureuse apostrophe :

O l'?ternel honneur de la France et des Muses, Qui premier d?brouillant les semences confuses

355 De nostre poesie en ordre les rangeas, Et leur chaos antique en ornement changeas, Qui luy donnas des fleurs, donnas de la lumiere, Reformas la laideur de sa forme premiere, De ses diversitez tiras de doux accords,

360 Et d'une ame divine avivas tout son corps : Bel esprit qui n'eus one ny n'auras en ce monde Au mestier d'Apollon d'esprit qui te seconde,

Pure et sa?nete clart? des esprits les plus purs, Espoir des temps passez, desespoir des futurs...

Ces douze vers, qui faisaient ?cho aux ?loges hyperbo liques formul?s par Du Perron et par Binet1, ont ?t?

remplac?s par quatre vers plus vagues. Quinze ans apr?s le d?c?s de Ronsard, son ?l?ve ne le proclame plus le r?novateur de notre po?sie et le plus grand des po?tes pass?s, pr?sents et futurs.

Dans le texte de 1586, les vers 385-444 sont consacr?s aux rapports de Bertaut avec ses deux ma?tres. D'abord, il y pr?tend, selon l'usage, que le go?t des vers lui est venu d?s l'adolescence : ? l'?ge de quinze ans il s'?prit des vers de Ronsard. Il ne ? prenoit passe-temps qu'? lire ses escrits ? ; il compare l'ardeur qu'il ?prouvait ? celle d'un

jeune amoureux. En 1601, il passera sous silence cette enthousiaste application, et supprimera la comparaison ;

de ? c?l?brer l'anniversaire de la mort de Ronsard par un service solennel et par des disputes litt?raires ? ; il l'a mise ? ex?cution, selon De Thou, dont je viens de citer l'Histoire (cf. Binet, Vie de Ronsard, ?d. Laumonier, p. 194, et aussi dans le Tombeau, l'?l?gie de R. Cailler).

1. Cf. la Vie de Ronsard, pp. 38 et 195.

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DEUX POEMES DE BERTAUT 213

il lui suffira d'avoir dit un peu plus haut : ? jour et nuict te lire, enchant? de ta grace... m'a faict estre po?te ? ; ici, il aimera mieux insister sur sa propre vocation po? tique, et, ? la place des vers 387-392, on lit :

Car deslors un d?sir d'?viter le trespas M'excita de te suivre et marcher en tes pas :

Me rendit d'une humeur pensive et solitaire 340 Et fist qu'en d?daignant les soucis du vulgaire,

Mon age qui fleury ne faisoit qu'arriver Aux mois de son Printemps, desja tint de l'Hyver.

Ensuite, Bertaut disait l'impression qu'il avait eue en

lisant les vers de Desportes. Il avait esp?r? imiter facile ment leur ? douceur ? ; mais ce fut en vain, car sa ? divine

gr?ce ? qui ? cach? son art ?, est inimitable. Cet ?loge si flatteur sera renforc? en 1601 :

... les beaux vers de Desportes Que l'Amour et la Muse ornent en tant de sortes...

... sa divine grace

Qui va cachant son art d'un art qui tout surpasse, N'a rien si difficile ? se voir exprimer Que la facilit? qui le fait estimer.

Le reste du d?veloppement n'a subi en 1601 que des cor

rections de forme, sauf les vers 431-434 qui ont ?t? sup prim?s. Les voici :

Car tu fus lors un feu de ma crainte vainqueur, Qui m'esclaira l'esprit et m'eschaufa le c ur,

Quand d'un conseil ami m'enseignant quelle voye Va droit sur Helicon, et quelle s'en d?voy?...

On ne voit pas bien le motif de cette derni?re suppression. Passons aux autres changements de fond. En 1586, Ber

taut avait fait un rapprochement entre la prise de Fran

?ois Ier ? Pavie et la naissance de Ronsard Il l'a gard? ; mais le d?veloppement sur la captivit? et la d?livrance du

Roi, nourri d'ornements et de sentences, n'offrait gu?re

1 II se trouvait d?j? dans les vers de Ronsard et dans les ?crits comm?moratifs de Du Perron et de Binet (cf. Vie de Ronsard, pp. 4 et 66).

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214 raymond leb?gue

d'int?r?t aux sujets d'Henri de Bourbon ; aussi les vers

95-104 ont-ils ?t? supprim?s Dans la premi?re r?daction, Bertaut faisait sa cour au roi r?gnant en des vers assez

plats : ...

celuy

Qui dans sa forte (!) main tient mon sceptre aujourd'huy, Le dernier des derniers en la suitte de l'?ge,

170 Le premier des premiers en prudence et courage.

Cet ?loge banal et imm?rit? d'Henri III a ?t? remplac? en 1601 par quatre vers qui s'appliquent heureusement au

r?gne d'Henri IV 2 : ...

celuy

Qui dans sa juste main tient mon sceptre aujourd'huy :

Roy de qui la prudence aux conseils occup?e, A banny de mon sein le regne de l'esp?e.

Nous passons maintenant aux changements de forme. Le signe

= marquera la correspondance entre le texte de 1586 et celui de 1601.

Vocabulaire et morphologie.

Infinitifs substantives 3. ? Le vers 206, o? on lisait du vivre de Ronsard, a ?t? compl?tement chang?, et vostre

bien dire (415) a ?t? remplac? par vostre eloquence (365). Par contre, vouloir, qui ?tait, en po?sie, d'un emploi plus fr?quent, a ?t? conserv? (180

= 166).

Adjectifs compos?s4. ?

L'?pith?te oste-mal (258), accol?e au nom d'Hercule, se trouvait dans un passage qui a ?t? supprim? en 1601 ; de toutes fa?ons, Bertaut ne

l'e?t pas conserv?e.

L'expression d?mener vos corolles (29) dispara?t en 1601.

1 En outre, ils avaient le d?faut de se terminer, huit fois de suite, sur le son ?.

2 Ici, Bertaut oublie que le discours de la France est cens? pro

nonc? en 1586. 8 Cf. R. H. L., 1934, p. 347, et Brunot, Histoire, III, p. 203. 4 Cf. R. H. L., 1934, p. 350, et Brunot, Doctrine de Malherbe,

p. 290.

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deux po?mes de bertaut 215

Le mot humeur (66), appliqu? ? l'eau de mer, est remplac? par onde (64), et loueur (316), qui sera encore employ? pendant le xvne si?cle, par h?raut (282).

Le participe pass? obtins (443) est remplac? par

acquis (389). S'aimer (22), dans le sens de se plaire (quelque part),

dispara?t. L'imp?ratif te desplais de voir... (239) est rem

plac? par t'afflige de voir (221). En 1601, Bertaut ?crit

presque atteinte d'envie (283) au lieu de comme esprise d'envie (317) ; mais ?prendre n'?tait pas devenu archa?que, car le po?te a conserv? la premiere flame Dont ta Muse

m?prit (386 = 336). A cause de la correction Vient ?s mers de de?? (73)

=

Vient aux mers de de?? (71), Vaganay et Vianey ont cru

que Bertaut ?tait devenu hostile ? ?s ; mais il a ?crit, en

1601, ?s ruisseaux de Parnasse (339). Leur affirmation au

sujet de ains 1 est encore moins fond?e ; car, si cette

conjonction, que Malherbe rejetait, a ?t? une fois rem

plac?e par mais (377 =

327), ailleurs elle a ?t? conserv?e

(12 = 14 et 65 =

63) ou introduite (196). On notera le

remplacement de adone 2 par alors (407

= 357). Joint que 3,

qui, selon Malherbe, ? sentait sa chicane ?, mais qui restera employ? par les prosateurs du xviie si?cle, c?de la

place ? et puis (277 =251).

Syntaxe.

L'article devant les noms g?ographiques. ? France (78)

= la France (77). Mais Parnasse, employ? sans ?pith?te, continue ? se passer de l'article (382

= 332, ? comparer avec 371 =

321) ; il en est de m?me des fleuves Ach?ron et Styx et du Permesse (147 = 123, 320 = 286 et 421 =

371). Verbe. ? Au vers 408, user, avec le sens de se servir, ?tait

1 Cf. R. H. L., 1934, p. 177, et Doctrine, p. 254. 2 Cf. Brunot, Histoire, III, p. 349, et Edm. Huguet, Quomodo,

1894, pp. 11 et 80. 8 Cf. Histoire, III, p. 390, et Doctrine, p. 307.

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216 RAYMOND LEBEGUE

suivi d'un compl?ment direct ; dans la nouvelle r?daction cette construction a disparu (358). En 1601, Bertaut se trouve d'accord avec Malherbe pour l'emploi de l'indicatif

apr?s il fait que 1 : en 1586, il avait ?crit celle-l? qui fait

quon survive (214) ; il corrige en survit (200). En 1601, il introduit une proposition participiale absolue avec le verbe estant (64) ; mais il a ?limin? les deux participes pas s?s absolus qui se trouvaient dans le texte primitif :

Finy donc le souper (75) et ceste response o?ye (349) 2. Notons ce changement : un petit bruit quelle a jadis est?

(232) = un petit bruit d'avoir jadis est? (214). En 1586, Bertaut s'?tait permis une anacoluthe :

Ains recognoissans bien qu'indignes de l'entr?e Leur humeur est prophane, et la grotte est sacr?e (6G).

Indignes se rapportait ?videmment au mot flots, qui ?tait

sujet de recognoissans et auquel se rapportait leur. D'Au

bign? et R?gnier faisaient bien d'autres anacoluthes, et

de plus obscures. Bertaut, lui, n'a pas os? la conserver, il a ?crit en 1601 :

Ains comme se sentans indignes de l'entr?e, Leur onde estant prophane et la grotte sacr?e, Ils s'en retirent loin...

Deux corrections de m?diocre importance concernent l'ordre des mots : De ne la point finir (219)

= De ne la

finir point (205) ; Et de qui justement nous pouvons pro noncer (363)

= Et de qui nous pouvons justement pronon cer9 (313).

1 Cf. Histoire, II, 447 et III, p. 575, et Doctrine, p. 440. 2 En 1626, MUe de Gournay affirmera que les novateurs rejetaient

le participe absolu, tandis que Du Perron, Bertaut et les prosateurs

employaient cette construction : ? L'ablatif absolu naturel et franc

que ces gens querellent aussi, ne manque pas ? nos Pr?lats ? (L'Om bre, p. 961). 3 Sur la tendance ? rapprocher l'adverbe du verbe, cf. Brunot,

Histoire, II, p. 483, et III, p. 682.

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deux po?mes de bertaut 217

Style.

Les impropri?t?s. ? Comme Vaganay et Vianey, je

crois qu'un bon nombre des corrections de 1601 concer

nent les impropri?t?s. Exemples : rompre les arrests de Dieu (190)

= enfreindre les loix... (176). Retractant effect

de ta promesse (181) = retractant ton antique promesse

(167). Le temps fera r?soudre Les temples, les chasteaux et les hommes en poudre (234)...

= et les villes en pouldre (216). Son trespas t'honore autant comme ta vie (318) : comme Bertaut s'adresse ? Ronsard, on attend ton trespas ; mais cela rendrait le vers cacophonique ; en 1601, il tournera la difficult? en parlant du d?funt ? la 3e personne

(281-284). Lors que mon premier jour salua le soleil (436) = ... veit les rais du Soleil (382). Pleurs que ton cher Binet... amasse (449)

= ... ramasse (395). Sceptre enferm? dans mes mains (255)

= sceptre enclos dedans mes mains (237).

Tous deux sont allez sous un mesme cercueil (176) = ... dans

un mesme cercueil (162). Ronsard, Dont ?ternel adieu de

regret nous entame (426) = Dont le juste regret tout le c ur

nous entame (376). La lumiere Que versoit voste gloire en ma

paupi?re (418) =

Quespandoit (368) : on verse un liquide, mais non de la lumi?re. Je portay vostre image Devant mes

yeux errante et ferme en mon courage (410) =

je senty votre image Devant mes yeux errante exciter mon courage (360) : une image qui ?tait ? la fois errante et ferme, c'?tait ?trange. Au vers 226, Bertaut a modifi? la m?ta

phore dans laquelle la ? rondeur de la terre ? ?tait pourvue d'un ? sein ?. On pourrait citer aussi les deux corrections suivantes : appaise ta tristesse (265)

= allege ta tristesse

(239), et De grands murs crystalins qui transmettent le

jour (68) = ... que transperce le jour (66).

Les obscurit?s. ? Bertaut rem?die aux ?quivoques et aux obscurit?s. Exemples : Et la publique foy des Destins viol?e (10) = Et la foy des destins sans raison viol?e (12) ; le premier texte pouvait ?tre compris ainsi : viol?e par les

Destins, ce qui faisait contre-sens. Qu elle perde donc tout

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218 RAYMOND LEBEGUE

(191) =

Quelle jette donc tout sous les pieds de la mort

(177) ; perdre ?tait ?quivoque. Et s'il ne vit du corps, il vit de ceste part Qui le jaisoit estre homme et mesme estre Ronsard (275-6)

= ... Qui parmy univers a fait estre un

Ronsard (250) ; le premier h?mistiche du vers 276 intro duisait une id?e qui ne s'accordait pas avec le contexte, o? seule l'immortalit? par la gloire est envisag?e. De mon

vieil espoir confirmant la promesse (422) = de mon jeune

espoir... ; Bertaut voulait dire qu'il avait form? tr?s anciennement cet espoir.

Renforcement de l'expression. ? Arriv? ? l'?ge m?r,

Bertaut comprit que son principal d?faut, c'?tait la pla titude et la mollesse du style *. De tr?s nombreuses cor

rections semblent avoir eu pour seul but de lui donner

plus de vigueur. Suppression des ?pith?tes de nature 2. ? La mer pro

fonde (33) = le sein de onde (31). Suppression des verbes inexpressifs.

? Ton vouloir est

luy-mesme autheur de ma tristesse (182) = Tu me pousses

toy-mesme en Vennuy qui m'oppresse (168) ; remarquez en outre l'introduction d'une m?taphore. Ce mesme an qui te

semble estre si deplorable (109) = ... qui te semble ? bon

droit deplorable (99). Tu te vois mesme avoir les Dieux pour compagnons (247)

= Le destin t'a donn? les Dieux... (229). Eut tant fait que mon Roy fut prins devant Pavie (86)

=

Rendit mon grand Fran?ois captif devant Pavie (84). Devant mes soupirs, le verbe finir est remplac? par accoiser

(131 =

121), qui sera encore employ? pendant le xvne si?

cle. Est-ce parce que tuez lui a sembl? banal, que Bertaut l'a remplac? par meurtris (253

= 235) ?

Renforcement de l'affirmation. ? Mais encor devrois

1 On lit dans le Perroniana, ? propos des vers de Bertaut et de Du Perron sur la prise de Laon : ? Les miens avoient un peu plus de

nerfs, un peu plus de vigueur ? (1669, p. 33) Rapprochez de ce

jugement l'euph?misme de Ronsard, qui, selon R?gnier, reprochait ? Bertaut d'?tre un ? po?te trop sage ?.

2 Bertaut pouvait lire ceci dans l'Art po?tique de son ma?tre Ronsard : ? Je te veux advertir de fuir les epithetes naturelz... comme la riviere coulante, la ver?? ram?e ?.

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DEUX PO?MES DE BERTAUT 219

tu (245) = Mais encore dois-tu (227). Bertaut ajoute fr?

quemment l'adjectif seul : et convenable aux Dieux (71) =

et seul digne des Dieux (69). Et dont il n'y a point d'autre mort que l'oubly (216)

= Et dont la seule mort c'est l'?ternel

oubly (202) ; la 2e r?daction de ce vers a d? plaire ?

Malherbe. Ceux de qui ses vers Voudront rendre le nom

fameux par l'univers (123-4) = Et que les seules fins ae ce

grand univers Bornent avec son nom la gloire de ses vers

(113-4). Malherbe, lui aussi, use souvent de cet adjectif. Introduction d'un nombre ?lev?. ? Et comme aux

immortels Luy donnant ce qui donne un temple et des autels (304)

= Luy face en mille esprits eriger mille autels

(278) ; la lre r?daction ?tait plate et peu claire. Mille

grands coraux (51) = mille et mille coraux (45).

Introduction d'une image saisissante. ? Qu'elle perde

donc tout (191) =

Qu'elle jette donc tout sous les pieds de la mort (177).

Introduction d'une antith?se emphatique : Qui parmy l'univers l'a fait estre un Ronsard (250).

Introduction d'une coordination emphatique : Et rendu le dessein digne de son autheur (28)

= Y monstre et la richesse et l'esprit de Vautheur (26).

Renforcement du sentiment. ? Une ?galle douleur (132) =

quelque amere douleur (122). Thetis dont il a l'ame encore ?namour?e (74)

= Thetis de qui l'amour rend son ame

ulc?r?e (72). Et qu'en ce qui nous fait es jouir ou douloir

(179) = Et que des plus grands maux qui nous facent

douloir (165). A la fin du vers, suppression d'un mot inexpressif, intro

duction d'un mot fort. ? S'en plaindre ? Jupiter qui durant ce temps-l? (16)

= A ins alla toute en pleurs s'en plaindre ? Jupiter. Tu fais tort ? Ronsard et ? toy-mesme encore

(269) = On fait tort ? Ronsard, tant s'en faut qu'on l'honore

(243). Une immortalit? maistresse de l'envie (122) = //

s'acqui?re en la terre une immortelle vie (112). Cf., supra, l'?ternel oubly (202). On se rappelle l'effet que recherchait

Malherbe en pla?ant ? la fin de ses vers l'adjectif ?ternel. Dans certains passages, Bertaut a introduit des pr?ci

sions. D'un superbe plancher que nul autre egalle (54) =

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220 RAYMOND LEB?GUE

... qui se courbe en ovale (48). V uvre qui conduisoit Fran cus au bord du Rhin (152)

= Vouvrage o? Francion boit

des ondes du Rhin (138). Dieu de qui subjets nous sommes

(185) ?Dieu de qui uvre nous sommes (171). Mais, ailleurs, il para?t avoir sacrifi? la pr?cision ? l'em

phase. Voyez ce passage sur les descendants de Francus ; lre r?daction :

L? j'esperois revoir ma couronne ducale

Croistre sous Pharamond en couronne royale :

L? Clotaire vengeant l'injure de son fils, 160 Mesurer derechef les Saxons d?confis

A la courte longueur de sa trenchante esp?e, Et de tous les plus grands la vie estre coup?e.

Texte de 1601 :

L? je me promettois de voir sa docte plume Vanger de ce vieillard qui tout ronge et consume,

145 Le renom des grands Rois qui m'ont fait triompher De cent peuples divers par la gloire du fer, For?ant les plus fameux en guerriere vaillance, D'adorer les Lis d'or et l'escu de la France.

La sobri?t?. ? On peut, semble-t-il, attribuer ? un

go?t tardif pour la sobri?t? la suppression, ici et l?, de

groupes de vers. Bertaut all?ge son po?me de quelques lieux communs : la vie n'est qu'une marche vers la mort

(221-4), l'?galit? de tous les hommes devant la mort diminue notre peine (261-4), le pouvoir de l'?loquence (305-312). Le d?veloppement sur la mort de Sarp?don et d'Hercule (257-260) est supprim? : Jupiter se contente d?sormais d'all?guer bri?vement ses deuils paternels. Quatre vers, o? ?tait d?lay? le chagrin de la France (12 15), sont abolis. Supprim?s aussi huit vers sur un mythe relatif ? la Terre et ? Amphitrite (37-44) et six vers sur

l'immortalit? que m?ritait Ronsard (141-6). Mais ce go?t se manifeste plus s?rement dans la suppression des

r?p?titions.

Les r?p?titions d'id?es et de mots. ? On notera la sup

pression de deux pl?onasmes qui affaiblissaient l'expres sion : A tromp? mon espoir et mon attente (139)

= A tromp?

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DEUX PO?MES DE BERTAUT 221

du depuis mon esperance (129). L'intention de ton premieu dessein (187)

= la volont? de ton premier dessein (173). Mais, en refondant le vers 212, Bertaut y a introduit une

tautologie flagrante : Une immortelle vie et franche du

trespas (198).

Vaganay et Vianey n'ont pas mentionn? les suppres sions des r?p?titions de mots ; cependant elles sont nom

breuses, et elles donnent lieu ? des observations analogues ? celles que j'ai faites sur la Sophonisbe de Montchrestien l. En 1601, Bertaut s'abstient g?n?ralement de r?p?ter un mot dans la m?me phrase ou dans une phrase voisine :

voir arriver ? quelqu'un L'accident que tu vois arriver ? chacun (239-240)

= ... L'accident que tu vois ? tous estre commun (221). Je ne soufflay jamais... Comme j'en souffle ray (117-9)

= Je ne soufflay jamais... Que j'en inspireray (107-9). Non seulement il acqui?re... Mais que mesme il

l'acqui?re (121-3). Ton vouloir (180-2). Incit?... incitas

(423, 429) = Incit?... excitas (373, 379). Se voir pourveu...

Je l'ay veu (335-6) = estre pourveu... Je l'ay veu (301-2).

Belle Reine... beau nom (319-320) = belle Roy ne... un nom

(285-6). Les grands palais des Rois, les grandes R?publiques, Et souvent ne rester d'une grande cit? (230-1)

= ... d'une

auguste cit?2 (212-3). Comme je l'avais remarqu? pour Montchrestien, Ber

taut a corrig? les phrases o? se trouvaient deux mots de m?me racine : Se complaignoit... sa complainte (201-3)

=

se complaignoit... ses plaintes (187-9). En 1601, il n'a pas conserv? les mots s?avamment et s?avoir (26-7).

Est-ce ? dire que le texte de 1601 ne contienne aucune

r?p?tition ? Ce serait une erreur. Immuable reste rapproch? de muable aux vers 172 et 174. Au vers 291, Bertaut a

supprim? tombeau qui se trouvait d?j? au vers 283 ; mais sa correction a eu pour effet de r?p?ter le mot cercueil

(262 et 265). En outre, il a conserv? la plupart des r?p?ti

1 Cf. R. H. L., 1934, pp. 486-487. 2 Le commentaire que Vianey a donn? de cette correction, est

d'une subtilit? bien inutile.

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222 RAYMOND LEB?GUE

tions voulues, de caract?re sym?trique ou emphatique ; en voici des exemples :

... ceste belle promesse

Qui ne tendoit alors qu'? tromper ma tristesse A tromp? mon espoir et mon attente aussi

(138-9 = 128-9).

pour longuement vivre, Il falloit longuement mourir (437-8 =

383-4),

De ces tristes presents l'offerte pitoyable, De ces tristes presents... (378-9

= 328-9).

Mais aussi ce grand tout, ce grand tout que tu vois (235 =

217), en du Perron, En ton grand du Perron (296-7 =

270-1). La double r?p?tition de pleurs, en antith?se, ne sera r?duite qu'apr?s 1601 (280-1

= 254-5). En 1601,

Bertaut a introduit des antith?ses portant sur le mot art,

qui est r?p?t?, et sur difficile et facilit? (348-350).

Les biens?ances. ? Dans la Sophonisbe de Montchres

tien, les biens?ances avaient donn? lieu ? de nombreuses

remarquesIci, une seule correction a droit ? cette

rubrique : le vieil pere Ner?e (21) =

Vantique dieu Ner?e

(19). Peut-on y ajouter celle-ci : son cher amy Galande

(286) = son fidelle Gualande (260) ? On pourrait noter

aussi qu'une comparaison qui ?tait d'actualit? en 1586, mais qui manquait de noblesse, a ?t? remplac?e par une autre plus majestueuse : plains-toy quune maison priv?e Du s?c universel ne se soit point sauv?e (237-8)

= ... que par le mesme orage Qui doit tout submerger, quelqu homme ait fait naufrage (219-220).

Par contre, en 1601, Bertaut nous fait entendre les ronflements des phoques(35). Mais il n'y a pas l? de contra diction ; car le verbe ronfler n'?tait d?daign? ni par Ron

sard, ni par Du Bartas, ni par Desportes, ni par Mont

chrestien 2, et, ? l'imitation du sternunt se somno phocae

1 Cf. R. H. L., 1934, pp. 354-359. 2

Ibid., p. 359, Brunot, Histoire, III, p. 176 et l'Adieu ? la

Pologne de Desportes.

09:50:28 AM

Page 229: Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome Vii - 1945

DEUX PO?MES DE BERTAUT 223

de Virgile, les po?tes l'appliquaient au troupeau de Prot?e 1.

La mythologie et l'histoire antique. ? En 1601, l'opi

nion de Bertaut sur la mythologie et l'histoire antique s'accorde enti?rement avec celle que F. Brunot et moi nous avons d?gag?e du commentaire de Desportes et de la

Sophonisbe 2. Les po?tes du temps y trouvent de pr?cieux ornements : il est plus ?l?gant d'appeler Galland VOreste de Ronsard que la moiti? de son c ur (286

= 260), bien

que cette derni?re expression ait ?t? emprunt?e ? Horace

par maints po?tes de la Renaissance 3. En 1601, Bertaut a ?toff? le mythe de la visite de la France ? Jupiter

4 : il a

plac? autour du berceau de Ronsard les trois Parques (7-10), comme le fera Rubens pour Marie de M?dicis ; il

?voque le pouvoir de Prot?e, et l'entoure de ses phoques (33-36) ; il ajoute des d?tails et des mati?res pr?cieuses :

opale, nacre, ambre, jaspe, porphyre, ? la description du

merveilleux antre sous-marin (39-44), et il la termine par

quatre vers pompeux (53-6) :

Tout y conjoint la grace avec la majest?...

Mais, comme Malherbe, Bertaut supprime les termes et les allusions obscurs ou p?dants. C'est sans doute la raison

pour laquelle il a fait dispara?tre le fameux tombeau de la

Gr?geoise cendre (154 =

139), le serment par les eaux de l?-bas (211

= 197), Jupiter nud de son Mgide

5 (15

= 17),

et Torean 6 (382 =332).

1 Cf. le Discours adress? par Ronsard en 1565 ? la reine d'Angle terre.

2 Cf. Doctrine, pp. 168-171, et jR. L., 1934, pp. 359-360. 8 Cf. mon article sur Horace en France pendant la Renaissance

(Humanisme et Renaissance, III, p. 145). 4 Comme l'a remarqu? G. Grente (J. Bertaut, p. 172), notre po?te s'est souvenu, en inventant ce mythe, de l'ode ? Michel de L'Hospi tal, o? Jupiter est festoy? dans le palais sous-marin de l'Oc?an.

6 Cette construction de l'adjectif nu se rencontre au vers 5$ des Larmes de S. Pierre : tout nud de glai*><e et de courage. Cf. aussi

Doctrine, p. 297. 8 Ronsard donnait souvent ce nom ? H?siode. Au d?but du

xvne si?cle, les adjectifs tir?s des noms propres de l'Antiquit?

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Page 230: Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome Vii - 1945

224 raymond leb?gue

Versification.

L'hiatus et la cacophonie. ?

Vaganay et Vianey ont observ? que les quatre hiatus du Discours de 1586 ont ?t? supprim?s en 1601 : ny une, y est, il y a, tu y (160, 146, 216, 229).

Bertaut a voulu rem?dier ? des consonnances d?sa

gr?ables : Ne vous offensant point si je vois en parlant (31)

= Ne vous offensez point.. (29). Ses chants Courant

l?g?rement par la trace des ans (164) = Courant d'un pas

leger par la trace des ans (150). Au vers 279, c ur se trou

vait pr?s de quatre fins de vers en eur ; si Bertaut l'a

remplac? par ame, c'est ?videmment pour supprimer la consonnance. En remaniant les vers 315-318, je crois qu'il a voulu ?viter cette succession de dentales : ton trespas t'honore autant comme ta vie. La correction du vers 7 a eu

pour r?sultat de faire dispara?tre l'allit?ration sansinsi. Mais Bertaut a eu le tort d'?crire, en 1601, ce vers f?cheux :

Si Ton le plore mort tout ainsi que l'on plore (244).

La rime. ? D?s la premi?re r?daction, les rimes de ce

po?me ?taient g?n?ralement correctes. Aussi n'ai-je remarqu? qu'un petit nombre de changements. Pour rimer avec grace, il remplace face par surpasse (397

= 347).

En 1601, comme en 1586, il fait rimer Allemaigne avec

baigne (329 =

295), il avec dueil et soleil1 (447 = 393 et

435 = 381). Il a soigneusement corrig? les fins de vers o?

un mot rimait avec lui-m?me, ou bien avec un mot de m?me racine : ? fin

? sans fin (119-120), permis ? sou

mis (191-2), conceue-deceue (205-6), renom-surnom 2 (323-4).

commenc?rent ? tomber en d?su?tude (cf. JF?. H. L., 1934, p. 350) ; toutefois Bertaut employait encore en 1607 l'adjectif idean (?d. elz?v., p. 431). 1 Cf. Brunot, Histoire, II, p. 266.

2 i^iie de Gournay a signal? dans les uvres de Du Perron et de Bertaut les rimes renom et surnom, jour et s?jour, etc. (L'Ombre, p. 953) ; mais elle se garde bien de dire que, dans ce po?me, Bertaut les a corrig?es.

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DEUX PO?MES DE BERTAUT 225

Une rime l?onine 1 a ?t? maintenue : Destins, hing, Latins

(327-8 =293-4).

La c?sure et l'enjambement. ? Il semble que Bertaut ait

parfois cherch? ? accentuer la coupe de l'alexandrin : Et la publique foy des Destins viol?s (10) = Et la foy des destins sans raison viol?e (12). Et moy qui me laissay piper ? Vesperance

2 (130)

= Et moy qui me repeu d'une vaine

esperance (120). Comme les temples saints des grands Dieux immortels (412)

= ... voilez aux immortels (362). Dans la correction du vers 86, que nous avons cit?e sous

la rubrique du renforcement, la c?sure est mieux marqu?e. Mais je ne veux pas me prononcer formellement, car les deux r?dactions de l'autre po?me de Bertaut contiennent bien des vers ? faible c?sure.

Certaines corrections ne paraissent pas avoir d'autre but que la suppression d'un enjambement ou d'un rejet h?mistiche. Exemples : toute en pleurs elle alla S'en plaindre ? Jupiter (15-16)

= Ains alla toute en pleurs s'en plaindre ? Jupiter. Et ne se monstrant Dieu Sinon en son parler, il s'ass?e au milieu De ceste docte bande attach?e ? sa langue

3

(299-301) = Et ne paroissant Dieu sinon en son parler, Il

laisse un fleuve d'or de ses l?vres couler, Et versant dans les c urs les doux flots de sa langue

4 (273-5). Que pour riche

pav? dessous les pieds blondoye Le luisant sable oVor qui dans Pactole ondoy? (57-8)

= Le luisant sable d'or qui dans Pactole ondoy?, D'un ?clat ?ternel sous les pieds y flamboy? (51-2). En modifiant des rimes d?fectueuses et en suppri

mant des participes absolus, Bertaut a supprim? aussi des

enjambements (75-6, 205-6 et 348-9).

1 Malherbe ?tait hostile ? ce genre de rimes (cf. M. Souriau, Evolution du vers fran?ais, p. 40). 2 ? C'est un vice, ?crivait Malherbe sur son Desportes, quand en un vers alexandrin... le verbe gouvernant est ? la fin de la premi?re moiti? du vers, et le verbe gouvern? commence l'autre moiti? ?

(?d. Lalanne, IV, p. 353). 8 Cette m?taphore est influenc?e par l'image de l'Hercule

gaulois, qui ?tait fort r?pandue au xvie si?cle (cf. la D?fense et

illustration, ?d. Ghamard, p. 341). 4 Bizarre m?taphore !

15

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226 RAYMOND LEB?GUE

Mais il se montre peu rigoureux ; car il en a conserv?

plusieurs : Le soleil voit-il bien quelqu'un qui se promette De ne la point finir (218-9

= 204-5) ; on ne peut Braver mieux

le destin (268 =

242) ; Ainsi dit Jupiter, chatouillant de ces mots L'esprit de la Princesse (347-8

= 305-6) ;

Car jour et nuict te lire enchant? de ta grace... M'a fait estre po?te : au moins si m'imposer Un nom si glorieux, ce n'est point trop oser

(381-4 = 331-4).

Et l'enjambement du vers 388 a ?t? remplac? par un autre

(342). Nous tirerons de la comparaison de ces deux textes,

que quinze ann?es s?parent l'un de l'autre, les conclusions suivantes Quelques mots et expressions tombent en

d?su?tude : le bien dire, le participe obtins, s'aimer en un

endroit, se d?plaire de, adone ; on exclut joint que de la

langue po?tique. User, dans son sens habituel, n'est plus transitif. Bertaut para?t renoncer au participe pass? absolu.

En se relisant, il trouve son style trop l?che et trop peu correct ; il s'applique, maintenant, ? employer le mot

propre, ? ?viter l'ambigu?t?, ? remplacer les mots plats par des termes forts, des images saisissantes, des affirma tions tranchantes, ou des hyperboles. Visant ? une sobri?t?

relative, il supprime les r?p?titions qui n'avaient pas de caract?re oratoire. De la mythologie et de l'histoire ancienne il rejette ce qui n'est accessible qu'aux savants.

Il pourchasse l'hiatus avec grand soin, et il ?vite les consonnances d?sagr?ables. Il remplace les rimes faites de deux compos?s de m?me racine ou d'un mot r?p?t?. Quelques enjambements ont ?t? supprim?s.

Apr?s avoir fait ces constatations, nous devons r?pondre ? deux questions : les principes que Bertaut applique en

1601, se retrouvent-ils dans les uvres d'autres po?tes contemporains ou ant?rieurs ? Et correspondent-ils

1 Parmi les changements dont je renonce ? trouver la cause, figure celui du b?cheron en un vigneron (148

= 134).

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DEUX PO?MES DE BERTAUT 227

exactement, ainsi que l'affirment Vaganay et Vianey, ? la doctrine de Malherbe ? A la premi?re question, on ne

pourra faire une r?ponse d?finitive qu'apr?s avoir ?tudi? de pr?s les uvres po?tiques du dernier tiers du xvie si?cle.

Cependant, il nous appara?t d?s maintenant que les prin cipaux po?tes de l'?poque, ? moins d'?tre des admira teurs attard?s de Du Bartas ou de la premi?re mani?re de Ronsard, suivaient plus ou moins consciemment les m?mes principes

Pendant la p?riode qui pr?c?de l'arriv?e de Malherbe ? la

Cour, le vocabulaire se restreint ; les n?ologismes risqu?s par les po?tes contemporains d'Henri commencent ? ?tre abandonn?s. Tandis qu'? ses d?buts le jeune Mont chrestien cultivait encore l'adjectif compos? 2, son pr?d? cesseur Robert Garnier y avait renonc? pour ses deux derni?res pi?ces 3.

En se corrigeant, Ronsard, Jamyn et Garnier rem? diaient aux obscurit?s et supprimaient les ?quivoques. Garnier et Montchrestien s'effor?aient de renforcer l'ex

pression 4. D?s 1585, Garnier avait diminu? le nombre de ses r?p?titions 5. Ronsard avait fait de m?me, et, en r?vi sant minutieusement ses vers, il s'attaquait aux impro pri?t?s, aux n?gligences, aux pl?onasmes et mots de rem

plissage. Si l'on met ? part des p?dants tels que Du Moulin ou

Matthieu, les po?tes de la fin de la Renaissance usent avec tact de la mythologie

6 et de l'histoire pa?enne ; ils

s'efforcent, en ce domaine, comme dans le vocabulaire

1 Je envoie, pour plus de d?tails, aux th?ses de Marcel Ray mond et de J. La vaud (Desportes, p. 291 sq.) et aux derniers travaux de Vianey : voir son livre sur les odes de Ronsard, et la R. H. L. de

1925, p. 290 sq. 2 R. H. L., 1934, pp. 350-351. 8 Seule exception : doux-coulant (Juives, v. 817). Ba?f et Jamyn,

eux aussi, les d?laissent (cf. Auge-Chiquet, Les Amours de Ba?f, p. 15, et Mme Graur, Jamyn, p. 324). 4 Cf. ma Trag?die fran?aise de la Renaissance, 1944, pp. 50 et 73.

6 Cf. mon article sur R. Garnier (R. C. C, 33e ann?e, 2e s?rie, p. 528). 6 Cf. pour Desportes la th?se de M. Raymond sur l'influence de

Ronsard, II, pp. 98-99.

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228 RAYMOND LEB?GUE

et la syntaxe, de rester clairs et accessibles au Fran?ais moyen,

? d?j? Montaigne disait : aux gens des Halles.

Un ?crivain dont on n'a pas suffisamment ?tudi? les uvres po?tiques, les principes de style et l'influence

litt?raire, ?

je veux dire le cardinal Du Perron ? mani festait dans ses propos un go?t ch?ti? en mati?re de pointes et de m?taphores 2.

L'euphonie est recherch?e par Desportes, dont les con

temporains c?l?brent ? l'envi la ? douceur ?, et par d'autres

po?tes. Pour l'hiatus, je renvoie au travail de Ph. Mar tinon sur la gen?se des r?gles de Lemaire ? Malherbe : il

y d?montre, chiffres en mains, que les hiatus sont devenus de plus en plus rares vers la fin du xvie si?cle 3

; Ronsard les condamnait dans son Art po?tique ; en se corrigeant, Desportes en a fait dispara?tre le plus grand nombre. Martinon n'a compt? dans la lre ?dition des uvres

de Bertaut que trois hiatus en 7.000 vers.

Ces quelques rapprochements r?v?lent chez ces po?tes des tendances semblables 4.

A la seconde question on doit r?pondre cat?goriquement ceci : il s'en faut que ce po?me, dans sa forme d?finitive, soit conforme ? la doctrine de Malherbe. Il reste long, diffus, souvent prosa?que. Que d'expressions eussent pu ?tre soulign?es par lui d'un trait r?probateur ! Bertaut

1 A. Cart lui rend justice dans une page de son livre sur la po?sie fran?aise au xvne si?cle.

2 Cf. dans le Perroniana (Cologne, 1669) les pages 28, 68,181,188, 195,198, 213 et 310. Malherbe e?t pu applaudir ? cette affirmation : ? L'excellence des vers consiste comme en un point indivisible de

perfection, de sorte que s'il s'y peut mettre un seul mot plus propre, ou plus significatif, ou m?me plus agr?able ? l'oreille, il ne peut estre dit parfait ? (p. 252).

3 R. H. L., 1909, XVI, pp. 76-83. 4 On objectera peut-?tre ? la th?se que j'ai soutenue sur la Sopho

nisbe de Montchrestien, que son auteur a pu suivre entre 1596 et 1601 ces tendances g?n?rales sans consulter Malherbe. Mais le cas de Montchrestien est bien diff?rent de celui de Bertaut : entre les deux ?ditions de sa pi?ce il s'est ?coul? seulement cinq ann?es. Et les remaniements sont si nombreux, et surtout ils supposent chez l'auteur une conversion si rapide et si radicale qu'il faut bien admettre une intervention ext?rieure. Or la seule qui soit vraisem blable est celle de Malherbe.

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DEUX POEMES DE BERTAUT 229

conserve ains et es, il introduit ja ( . 75) et du depuis (v. 129). Il continue de faire grand usage de l'adjectif appos? 1, du nombre emphatique mille, de la p?riphrase verbale (aller et le participe pr?sent). Il laisse des enjam bements et des rejets-h?mistiches.

En somme, l'examen auquel nous avons proc?d? et

qui ne pr?tend pas ?tre complet et d?finitif, aboutit ? des conclusions tr?s diff?rentes de celles de nos devanciers : la nouvelle r?daction du Discours a paru d?s 1601, elle n'a

pas ?t? influenc?e par les id?es de Malherbe ; tant pour le vocabulaire, la syntaxe et la versification que pour le style, elle reste loin de l'id?al que Malherbe imposait ? ses disciples ett ? lui-m?me. Mais elle t?moigne chez

Bertaut, parvenu ? l'?ge m?r, d'une ?volution analogue ? celle que l'on a constat?e chez un Ronsard, un Desportes et d'autres.

L'autre po?me de Bertaut est VEl?gie sur les Amours de M. Desportes. Elle fut publi?e en 1583 avec les uvres de ce po?te, et on la r?imprima sans changement dans leurs ?ditions successives. Mais, en 1609, Bertaut en fournit ? un recueil collectif une r?daction ? toute chang?e ?. Vingt six ann?es s?parent les deux textes, que Vaganay et

Vianey ont eu l'heureuse id?e de publier sur deux colonnes

parall?les 2. Mais ils ont pass? sous silence un fait impor tant : Malherbe, qui avait entre les mains un exemplaire de l'?dition de Desportes de 1600, y a inscrit, en marge du

po?me de Bertaut, des remarques que Lalanne a repro duites au tome IV de son ?dition, pages 351-353 3. Il sera utile de rapprocher de ces critiques, faites vers 1606 et rest?es in?dites jusqu'au xixe si?cle, le remaniement que Bertaut a publi? en 1609.

La longueur du po?me n'a pas vari? : il se compose de

1 Cf. Doctrine, pp. 360-2. 2 R. H. L., 1912, XIX, pp. 164-169. La 2* r?daction se trouve

aussi dans l'?dition Michicls des uvres de Desportes, pp. 226-230. a Les circonstances m'ont emp?ch? de me reporter ? l'original.

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Page 236: Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome Vii - 1945

230 raymond lebegue

184 alexandrins. Pour le fond, je ne vois qu'une seule modification ; mais elle m?rite qu'on s'y arr?te. A cette

?poque, les po?tes employaient volontiers le vocabulaire

religieux pour des sujets profanes ; ils appelaient ma sainte

l'objet de leur amour. Or, Bertaut, nomm? ?v?que de S?ez en 1606, avait ? pris au s?rieux son r?le 1 ? ; ici, il

mit autant de soin ? supprimer l'?pith?te sainct, l'adjectif d?vot, le mot Ciel, et la comparaison avec l'Ange d?chu

qu'? s'acquitter de ses devoirs ?piscopaux. Disons-le en

passant, ce scrupule est ?tranger au censeur de Desportes : ? il admet le m?lange du sacr? et du profane et ne trouve

pas mauvais que dans un m?me sonnet on implore le

Christ et sa dame ? 2.

Vocabulaire.

Le substantif los dispara?t de El?gie (43 et 134), de m?me qu'il avait ?t? biff? dans la Sophonisbe de Mont

chrestien ; Malherbe ne l'a employ? que dans un seul

po?me ; selon Mlle de Gournay, ce mot ?tait proscrit par les puristes 3. Mais Bertaut reste fid?le aux diminutifs,

que Malherbe ne go?tait gu?re ; il conserve oiselets (118) et

sagette (29), dont Malherbe ?crira, en marge de cette

El?gie : ? Je n'en voudrois user qu'en bouffonnerie 4 ?. Les

po?tes de la seconde moiti? du xvie si?cle donnaient ? l'Etna le nom de Montgibel, d'origine arabe. En 1609, commen?ait-il ? passer de mode ? Bertaut l'a remplac? par Mthne (24).

Phon?tique et Morphologie.

Au vers 71, Psych? rimait avec piqu? ; ce verbe sera

remplac? en 1609 par touch?.

1 G. Grente, J. Bertaut, 1903, p. 69 sq. 2 Cf. Brunot, Doctrine, p. 169 et la note 4. 3 Cf. Brunot, Histoire, III, p. 115, et R. H. L., 1934, p. 349.

Bertaut l'avait souvent employ? (?d. elz?v., pp. 16, 24, 58, 469...). 4 Cf. ?d. Lalanne, IV, p. 352, et Doctrine, p. 286.

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DEUX POEMES DE BERTAUT 231

Bertaut employait dans ses uvres les f?minins char

m?resse, dompteresse, tromperesse, vainqueresse ; mais le vers 54, o? se trouvait l'adjectif vainqueresse, a ?t? chang?, et cet adjectif a disparu ; on le rencontrait encore en 1604 dans Sophonisbe et Hector de Montchrestien x. Le pro nom cil, qui ?tait condamn? dans le Commentaire de Des

portes, a ?t? remplac? au vers 60 2. Brunot observe que nul est, ? cette ?poque, fortement menac? par personne, aucun, pas un 3

; dans le po?me de Bertaut, o? il signifie d?nu? d'importance sociale, il a ?t? remplac? par rien :

Soyons... ou rien, ou les premiers (155). Le verbe faillir ?tait repr?sent? au vers 132 par les formes fault et faillant; Bertaut lui a substitu? le verbe manquer ; je ne vois pas bien la cause de ce changement.

Dans les po?sies de Desportes, Malherbe a minutieuse ment soulign? ou annot? la p?riphrase du verbe aller et du

participe pr?sent ; il la rejetait donc, bien qu'on la trouve deux fois dans ses uvres imprim?es 4. Bertaut l'avait conserv?e en 1601 dans le Discours. Ici, il l'a fait dispara?tre des vers 20 et 139 ; mais il ne la juge pas archa?que, car

elle persiste aux vers 48, 74 et 80 5. One est conserv? au vers 84. Mais adone est chass? du

vers 131, comme il l'avait ?t? du Discours. La pr?position encontre, qui avait ?t? conserv?e dans le Discours (175

=

161), est remplac?e au vers 13 par contre ; elle commen

?ait ? vieillir 6.

1 Cf. Mlle de Gournay, L'Ombre, p. 955 et Brunot. Histoire, III, p. 278.

2 Cf. Doctrine, p. 393, Histoire, III, p. 290, et R. H. L., 1934, p. 174.

8 Histoire, III, p. 298.

4 Ode de bienvenue, v. 194, et Stances ? la R?gente, v. 18. Cf.

Doctrine, p. 416 et Histoire, III, p. 337. 6 Les bois vont racontant... Je m'?tonne que Malherbe n'ait pas

?crit avec la lourde ironie qui lui ?tait habituelle : ? Les bois racon tent ses amours en se promenant : c'est une fa?on bien nouvelle? (cf. son badinage, ?d. Lalanne, IV, p. 307). 8 Cf. Brunot, Histoire, III, p. 379.

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232 raymond leb?gue

Syntaxe.

J'ai rencontr? peu de changements significatifs. Con trairement ? ce que nous avions remarqu? dans le Discours, le mot France, au vers 169, continue ? se passer de l'article. Aux vers 22 et 72, Bertaut introduit en 1609 des superla tifs sans article : des ames plus barbares, de ses traits plus aigus ; Malherbe exigeait l'article x.

Au vers 174, Bertaut a introduit un h?bra?sme : ce vin

d'orgueil ; cette tournure, faite ? l'imitation du vinum irae ou furoris de la Bible, s'accorde mal avec un sujet aussi profane. Mais les h?bra?smes ?taient assez fr?quents ? cette ?poque, non seulement chez les po?tes protes tants, mais aussi chez les catholiques 2.

Vaganay pense que, dans l'apposition dolente esplo r?e (73), la suppression de dolente ?tait destin?e ? rem?dier ? l'asynd?te. Je ne le crois pas, car ce qui a choqu? Malherbe dans ce vers, ce n'est pas l'asynd?te, c'est le

pl?onasme. Notons cette correction : cest ouvrage est mien (58)

=

... est ? moy. Malherbe et ses contemporains emploient encore ce pronom possessif, mais nous avons relev? dans

Sophonisbe une correction semblable 3. Ordre des mots. ? Dont Vhonneur immortel (40) =Dont

l'immortel honneur. Malherbe condamnait les inversions

p?nibles ou obscures. Dans nos deux po?mes il n'y en a

gu?re. Bertaut a conserv? aux vers 74, 114 et 118 la trans

position du sujet : Ainsi... Rompit son flageolet l'audacieux

Satyre ; mais il a supprim? celle du compl?ment direct :

Que les plus haut-volants je verray dessous moy (92) = ... se

verront dessous moy, et celle du compl?ment d'un temps compos? : Celle de qui ces vers ont la beaut? descrite 4

(138) =

1 Cf. Doctrine, p. 357, et R. H. L., 1934, p. 179. 2 Cf. le vers 74 des Larmes de S. Pierre, de Malherbe : ? ceste roche

de foy, cet acier de courage ?. 3 Cf. Histoire, III, p. 489 et R. H. L., 1934, p. 181. 4 Ce genre d'inversion se trouve dans le Discours (173

= 159).

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deux po?mes de bertaut 233

... de qui la gloire en ces vers est descrite; et ? qui Pithon ceste gloire a donn?e (34)

= ? qui la gloire est encores donn?e. La correction du vers 174 avait peut-?tre pour but de

supprimer l'inversion du compl?ment indirect. De telles corrections s'accordent si bien avec la doctrine de Mal herbe 1

qu'en 1609 Bertaut a satisfait, sans la conna?tre, ? cette remarque que son censeur avait ?crite en marge de

quiconque sois-tu (39) : ? Il faut dire : quiconque tu sois ?. Par contre, quoi qu'en disent Vaganay et Vianey,

Bertaut reste fid?le en 1609, comme en 1601, ? cette

apposition de l'adjectif que la Pl?iade avait mise ? la mode et que Malherbe avait en aversion : il conserve libre je confesse (98), que le po?te-grammairien avait ainsi com ment? sur son Desportes : ? Mal, pour librement ?, et les constructions analogues des vers 111 et 156.

Style.

Les impropri?t?s. ? Voici un certain nombre d'expres

sions qui, apr?s un quart de si?cle, ont d? sembler ? Bertaut incorrectes ou illogiques et qu'il a corrig?es. Les non braves lauriers (156)

= les vulgaires Lauriers : cette correction est d'autant plus significative que l'auteur a sacrifi? l'antith?se braves... non braves. En marge du

vers 119 (se complaignant d'amour), Malherbe avait ?crit : ? Dis se plaignant ; on ne dit jamais : se complaindre de quel qu'un ? ; ce souhait fut exauc?, car Bertaut a remplac? cette expression. A c?t? du vers 152 (le droict plus foible et d'?loquence nu), le scoliaste avait formul? cette critique : ? Un droict nu d'?loquence est mal. Un langage nu d'?lo

quence seroit plus passable ? ; en 1609, nu d'?loquence a

disparu, mais je ne sais si Bertaut a voulu rem?dier ? une

impropri?t? ou am?liorer une antith?se. Je note avec

Vaganay et Vianey la correction leurs beautez Respon

1 Cf. Doctrine, pp. 497-501. ? Mlle de Gournay a not? la fr?quence des inversions chez Du Perron et Bertaut, et leur raret? chez les novateurs : ? Les transpositions de mots, assez rares entre ces gens se voyent ? la bonne mesure en nos Pr?lats ?

(L'Ombre, p. 960).

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Page 240: Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome Vii - 1945

234 RAYMOND LEB?GUE

doyent aux beaux vers (148) =

S'?galloient aux beaux vers ; mais cet emploi du verbe r?pondre avec le sens de corres

pondre, ?tre ?gal ?, ?tait-il devenu incorrect ? J'en suis moins persuad? qu'eux. Au vers 9, le mot roc perd l'?pi th?te insens?, qui signifiait en ce passage priv? de sensi bilit? ; cet emploi ?tait exceptionnel et pr?tait ? l'?qui voque.

En 1583, il avait ?crit : Si Vare de Cupidon avec sa fleche d'or... le reblessoit encor (3-4) ; on lit en 1609 : Si la Fleche d'Amour avec sa pointe d'or... le reblessoit encor ; en effet, ce n'est pas l'arc, mais la fl?che qui blesse Au vers 67, le verbe achev?, qui ?tait impropre, a ?t? remplac? par

fait.

Les obscurit?s.?Aux vers 151-152, Bertaut a remplac? cette construction ?quivoque : Et par ma seule faute un tort bien soustenu Vaincra le droict ; on pouvait croire que par ma seule faute se rapportait ? soustenu et non ? vaincra. Au vers 14, il a remarqu?, comme Malherbe l'avait fait 2,

l'ambigu?t? de en :

... s'irritant encontre son enfance, Ce Dieu ne le foudroy? en faisant la vengeance.

La nouvelle r?daction donne tout apaisement ? notre censeur :

La fureur de ce Dieu n'en face la vengeance.

Les m?taphores. ? Nous groupons plusieurs correc

tions qui se rapportent aux m?taphores. Les po?tes de la 2e moiti? du xvie si?cle avaient fait un emploi tr?s fr?

quent et m?me excessif de cette figure de style. Le com

mentaire de Desportes par Malherbe, les corrections de la

Sophonisbe et bien d'autres textes nous apprennent que

1 Vianey a donn? de ce changement une explication qui me

semble inacceptable. 2 Note de Malherbe : ? En faisant, tr?s mal ; car on dit, en allant, en dansant, en d?nant, etc... ; et l? en, n'est autre chose que la marque du g?rondif ; mais ici ce mot en signifie de lui : faisant la vengeance de ce contempteur ?.

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DEUX POEMES DE BERTAUT 235

les puristes de la lre moiti? du si?cle suivant ont ?mond? et

pass? ? la toise cette foisonnante v?g?tation x. Les po?tes de la Renaissance avaient souvent employ?

au figur? le participe ?maill? ; ils qualifiaient ainsi non

seulement les pr?s fleuris, mais les oiseaux, et le diction naire des Epith?tes de M. de La Porte faisait suivre le mot

oiseau des ?pith?tes peintur? et esmaill?. Bertaut avait ?crit au vers 118 : Des oiselets la brigade esmaill?e. Mais, au d?but du xvne si?cle, cette m?taphore se restreignit aux prairies ; aussi a-t-il remplac? esmaill?e par emplum?e.

Ronsard avait emprunt? aux Grecs l'emploi figur? du

participe empenn? : ceste parole empenn?e 2. S'adressant ? sa ma?tresse, Bertaut d?veloppait une belle image :

Seconde seulement du doux vent de ta grace 90 Et d'un peu de faveur le vol de mon audace :

Je monteray si haut, empenn? de ma foy, Que les plus haut-volants je verray dessous moy.

Mais, au temps de Malherbe, les po?tes n'os?rent plus employer cette m?taphore, et Bertaut lui substitua l'ex

pression sur Vaile de 3, bien qu'elle lui e?t d?j? servi au vers 83.

En 1583, il comparait l'?mulation entre les po?tes ? une course dans la carri?re :

L'espoir de les passer, encore en nous vivant, Nous sert d'un esper?n qui nous pousse en avant(128).

En 1609, il a remplac? l'image de l'?peron par une autre

plus banale, celle de l'aiguillon. Les puristes repoussaient les m?taphores qui s'accordent

mal avec la stricte logique. Est-ce parce qu'on ne peut lire

1 Cf. Doctrine, p. 209 sq. ; Histoire, III, p. 241 sq. ; JR. H. L., 1934, pp. 481-485. 1 Ode ? Michel de L'Hospital,

. 80. Cf. aussi la fin de l'Avertisse ment de ses Odes, et les odes ? d'Urvoi et ? The vet. Godefroy et

Marty-Laveaux citent des exemples de Ronsard, Ba?f, Jodelle, Tahureau et un tr?s beau vers de Du Bartas. Dans un po?me officiel, post?rieur ? l'ann?e 1602, Bertaut ?crivait encore : ? tant de vitesse

empenne mes propos ? (?d. elz?vir., p. 59). 8 Dans Panar?te (1607), Bertaut emploie deux fois cette m?ta

phore (ib., pp. 464 et 469).

09:50:28 AM

Page 242: Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome Vii - 1945

236 RAYMOND LEB?GUE

un soupir, que Bertaut a donn?, en 1609, comme compl? ment au verbe lire, la banale expression : ces amoureuses

plainctes, ? la place de : ces souspirs pleins de flame ? Les puristes, tels que Du Perron, reprochaient ? Du

Bartas de ? sales et vilaines ? m?taphores, c'est-?-dire des

m?taphores qui pr?sentent ? l'esprit une image vulgaire, par exemple le duc des chandelles pour d?signer le Soleil. En 1583, Bertaut avait compar? le prince des po?tes fran?ais ? un tireur ? l'arc qui atteint le centre de la cible :

Il y a ja long temps que l'Apollon Fran?ois A donn? dans le blanc menac? tant de fois.

Cette m?taphore ?tait naturelle dans un pays o? le tir ? l'arc comptait parmi les divertissements les plus popu laires ; Littr? cite le mot blanc employ? dans ce sens par Scarron. Mais, en 1609, Bertaut a probablement craint

que cette image f?t indigne de la majest? d'Apollon et de la po?sie, car il l'a remplac?e par une expression incolore :

Long temps a que la Muse et l'Apollon Fran?ois Ont fait naistre icy bas ce qu'encor tu con?ois.

Au vers 36, en am?liorant la rime, il a fait dispara?tre le mot harnois, qui ?tait pris dans le sens de guerre.

Renforcement de l'expression. ? Dans ce po?me j'ai

trouv? beaucoup moins d'exemples que dans l'autre ; sans

doute Bertaut a-t-il pens? que pour un th?me amoureux

il ne convenait pas de raidir et guinder le style. Cependant j'ai not? des corrections portant sur ces deux monosyl labes si expressifs : seul et rien. Au vers 57, il faisait dire ? la ma?tresse de Desportes : Je Vay seule inspir? ; au

moyen de l'inversion, il renforcera la valeur de cet adjectif: Seule je Vinspiray. Au vers 139, il introduit rien : Ne te va

surpassant = Ne te surpasse en rien. Au vers 155, il rem

place, comme nous l'avons vu, nuls par rien. En 1583, Bertaut disait ? sa ma?tresse au sujet des vers

amoureux de Desportes : Ces beaux mots, ces soupirs... M'ont du tout ost? Vame (104) ; il remplacera ost? par ravy,

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DEUX PO?MES DE BERTAU? 237

qui implique l'id?e d'un transport et d'une sorte d'extase ; mais le principal motif de ce changement fut de rem?dier ? une cacophonie.

Sym?tries et antith?ses. ? Comme l'?crit Vianey dans son ouvrage sur le P?trarquisme fran?ais, Bertaut mani feste une ? passion exclusive ? pour le parall?lisme et l'antith?se. Ces traits, dont il pars?me m?me ses po?sies religieuses, sont souvent recherch?s et factices ; mais il faut reconna?tre qu'ils donnent du relief ? l'id?e et accen tuent le rythme du vers ou du distique. Sym?tries et antith?ses abondent dans le Discours 1

; mais Y El?gie, elle aussi, nous pr?sente des exemples caract?ristiques. Quels que soient les motifs des changements apport?s aux vers 151-152, ils ont eu pour effet de mieux opposer l'un ? l'autre les deux termes de l'antith?se :

1) Et par ma seule faute un tort bien sous tenu Vaincra le droict plus foible et d'?loquence nu.

2) Et le faux eloquent t'ostant ce qui t'est deu, Vainer oit il en mes vers le vray mal deffendu ?

S'adressant ? sa ma?tresse, Bertaut introduit en 1609 une antith?se :

1) Apr?s ces autres cy tu marcheras seconde. 2) Pour 2 la premiere place aurois-tu la seconde ? (150).

A la fin du po?me, il introduit un parall?lisme en forme de chiasme :

1) Il voulut par ses vers rendre sa gloire telle. 2) Il voulut voir sa gloire ? ses graces pareille.

Il use d'un proc?d? tout ? fait classique, qui consiste ? r?partir sym?triquement dans les deux h?mistiches les

1 Cf. 106 = 96, 220 = 206, 282 = 256, 376 = 326, 406 = 356, les vers 312, 346 et 368 du premier texte, et les vers 54, 194, 278 342, et 350 de l'?dition de 1601.

2 Au lieu de.

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238 RAYMOND LEB?GUE

deux termes de l'antith?se ; ? la correction du vers 150

ajoutons celles-ci :

1) .... et plus que par tes faits De rebelles esprits par leur conseil desfaits.

2) ... tes ennemis def?aits Par leurs simples conseils plus que par tes effets.

1) D'avoir par le seul vent d'une diserte voix Plus renvers? d'estats, que luy par le harnois.

2) D'avoir plus fait tomber de Couronnes ? bas, Par le vent du parler, que luy par les combats.

1) En m?rite et beaut? l'air de ta ryme basse.

2) Les charmes de ces vers avec ceux de sa grace (178).

1) Indigne et de ton nom et de nostre esperance. 2) Contraire ? ton attente aussi bien qu'? la mienne1 (154).

Les r?p?titions d'id?es et de mots. ? Que Bertaut et

Malherbe condamnent tous deux le pl?onasme, c'est ce

que r?v?le la comparaison du texte de 1609 avec le com

mentaire du Desportes. Sans doute, Bertaut a conserv? reblessoit encor, alors que Malherbe jugeait superflu ou

bien re, ou bien encor ; mais il a supprim? le premier terme

de cette apposition : dolente esplor?e, en marge de laquelle le censeur avait ?crit : trop. Malherbe avait qualifi? de

superflus ces pl?onasmes : rien de mortel ni d'humain, et

du vent de ta grace et d'un peu de faveur ; or l'un et l'autre ont disparu. Ces co?ncidences sont significatives.

En ce qui concerne les r?p?titions de mots, l'El?gie donne mati?re aux m?mes remarques que le Discours.

R?p?titions supprim?es : du grand mont, Du negeux mont

Rhiph?e (24), divin... divine (50), haut (164, 166), mortelle main... plainte immortelle (68-70). Bertaut ne tol?re plus les doubles r?p?titions : est deu 2, doit-on, est deue (51-58)

=

se doit, doit-on ; une beaut? des plus belles la plus belle

1 Voir aussi les deux r?dactions du vers 132. 2 Vaganay affirme ? tort que Bertaut condamne est deu : il l'a

introduit au vers 151.

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deux po?mes de bertaut 239

(181) = une beaut? des beautez la merveille. Mais il conserve

ce jeu de mots : racontant les amours de Amour (80), la

r?p?tition emphatique de ciel (159-160), et la reprise du nom de Cyn?e (33-34).

La mythologie et l'histoire antique. ? A l'histoire

antique Bertaut n'a emprunt? que les noms de Pyrrhus et de Cin?as, qu'il francise selon son habitude. Mais, pour ce

th?me amoureux, il s'est abondamment servi de la mytho logie : comme il est naturel, nous rencontrons l'Amour, fils de Cyprine, la Cyth?r?e, Psych?, Daphn?, Narcisse, etc.. Il a jug? ?l?gant de remplacer cette pr?cision g?ographique : le rivage More (82) par une m?taphore tir?e de la mythologie : le lict de Aurore. Mais, en 1609, conform?ment au principe que nous avons ?nonc? plus haut, il supprimera la d?esse Pithon1, trop peu connue, et il remplacera la p?riphrase le chantre Delien par Apollon 2.

Versification.

L'hiatus et la cacophonie. ? La lre r?daction contenait

trois hiatus : tu es (37-38) et il y a (167) ; ils ont ?t? suppri m?s. Bertaut a supprim? aussi les allit?rations va voilant

(20), tat?, totour et toutot? (19, 56, 104).

La rime. ? En 1609, comme en 1601, il se montre sou

cieux d'am?liorer les rimes : grace, qu'il faisait rimer avec

audace, est remplac? par embrasse (89) ; toutefois il a

conserv? aux vers 41-42 ame et femme, que Malherbe, sur son exemplaire, qualifie de mauvaise rime, et aux vers 93-94 ame et Madame.

Aucune des rimes qu'il a introduites en 1609, n'est

1 Peith?, d?esse de la persuasion. Avant de retomber dans l'oubli,

elle avait ?t? c?l?br?e par les po?tes de l? Pl?iade : Du Bellay (? Pyth?, d?esse de persuasion ?, D?f. et ill., I, iv), Ronsard (passim), etc., et M. de La Porte lui avait consacr? un article de son diction naire ?'Epith?tes. 2 Mlle de Gournay signale chez Bertaut et Du Perron l'habitude, critiqu?e par les novateurs, de d?signer les Dieux par d?s syno nymes et des p?riphrases, tels que la Delienne (L'Ombre, p. 958),

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240 RAYMOND LEB?GUE

faible ; et il a fait dispara?tre un bon nombre de rimes masculines qui ?taient pauvres : entr?-consacr? (16)

= gr?

consacr?, mont-second (24) =

senty-converti), voix-harnois

(36) = bas-combats, souris-escrits (64)

= cris-escrits, vain

humain (88) = vain-escrivain, choir-espoir (132)

= adoucy

aussi, Fran?ois-fois (168) =

Fran?ois-con?ois. Bien entendu je n'affirmerai pas que dans chacun de ces cas le changement ait ?t? motiv? par la pauvret? de la rime ;

mais leur abondance est significative 1. Remarquons aussi l'am?lioration d'une rime f?minine : inimitables-pitoya bles (102)

= inimitables-indomptables. Une rime l?onine,

qui contribue ? l'effet de l'antith?se, a ?t? conserv?e au vers 37.

L'enjambement. ? Bertaut a introduit au vers 67 un

rejet-h?mistiche, et il a conserv? les enjambements des vers 116 (les tapis herbus Des prez Arcadiens) et 124. Mais

je constate apr?s Vaganay et Vianey la suppression de

plusieurs rejets-h?mistiches (31, 36, 90), qu'il remplace g?n?ralement par des alexandrins ? h?mistiches antith?

tiques, et de deux contre-rejets (133 et 135).

h9El?gie nous conduit donc aux m?mes conclusions que le Discours. Los, vainqueresse, cil, nuls, encontre, adone

disparaissent ; certaines inversions sont supprim?es 2. Bertaut proscrit les tournures ?quivoques. Il sacrifie les

m?taphores illogiques, vulgaires, ou audacieuses. Il affec tionne les sym?tries et les antith?ses, et s'efforce de dis

poser sym?triquement les deux moiti?s de l'alexandrin. Il fait dispara?tre les pl?onasmes et certaines r?p?titions de mots. Sur l'emploi de la mythologie, sur l'abolition de l'hiatus, nous ne pouvons que r?p?ter ce que nous

1 Par contre, en 1601, presque aucune des rimes pauvres du Discours n'avait ?t? am?lior?e.

2 Avant Malherbe et Deimier, Ronsard avait interdit les inver sions ; et, en corrigeant leurs uvres, Jamyn et Desportes en avaient r?duit le nombre (cf. la pr?face posthume de la Franciad? ; Mme Graur, Jamyn, p. 325 ; Lavaud, Desportes, p. 293 ; Brunot, Doctrine, p. 495).

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DEUX PO?MES DE BERTAUT 241

avons dit pour le Discours. Plusieurs enjambements et

contre-rejets ont disparu, et Bertaut s'applique, beau

coup plus qu'en 1601, ? changer les rimes pauvres l.

Quel fut le motif de ce remaniement ? Si nous en

croyons Vianey, ? l'id?e vint ? Bertaut de se rendre

agr?able au vivant en corrigeant l'?l?gie qu'il avait ?crite

jadis ? l'?loge du mort ?. Ce rapprochement est ing?nieux, ? trop ing?nieux, comme le sont certaines explications

auxquelles se plaisait cet ?rudit. Je ne crois nullement

qu'en corrigeant son ?loge des po?sies de Desportes, Bertaut ait voulu ? faire sa cour ? l'ennemi de Desportes ?. En premier lieu, s'il ne semble pas s'?tre brouill? avec son ambitieux compatriote2, du moins leurs relations ne furent pas cordiales. Il ne devait pas ignorer les plaisantes et cruelles appr?ciations que Malherbe formulait sur ses stances 3. R?ciproquement, selon Tallemant, il avait cri

tiqu?, ainsi que Desportes et Des Yveteaux, les po?sies de cet arrogant rival. Et, dans ses Advis, Mlle de Gournay pr?tend que Du Perron et lui s'?taient ? moqu?s opulem ment devant elle de la t?m?rit? de ces po?tes correcteurs de quereller la gloire de Ronsard ?. Contrairement ? l'opi nion de Vianey, je pense qu'en publiant dans le Parnasse de 1609 un texte am?lior? de ce chaleureux ?loge, Bertaut se montrait fid?le, et au souvenir de l'ancien ma?tre, et ? l'amiti? du po?te qui venait de lancer contre le d?trac

1 On pourra comparer ? la nouvelle r?daction de ces deux po?mes les derni?res uvres de Bertaut, en particulier la Panar?te, qui fut

compos?e ? la fin de 1606. Nous y trouvons non seulement ains, es, j?, mais aussi los (p. 469) et encontre (p. 433) ; les enjambements ne font pas d?faut ; l'auteur met en sc?ne des personnages all?goriques aux noms grecs. Mais il a soin d'en donner la traduction en note ; et dans ce trop long po?me certains passages ont un style vigoureux. 2 Tallemant ne mentionne aucune rupture entre eux, et d'Au

bign? ?voque, dans Faeneste (I, iv), une conversation que ces deux

po?tes eurent ensemble ? l'h?tel de Guise. 3 ? De toute cette vol?e il n'estimoit que Bertaut, encore ne l'esti

moit-il gu?res. Car, disoit-il, il pleure tous jours ; ses stances sont

Nichil-au-dos, et, pour trouver une pointe, il fait les trois premiers vers

insupportables ? (Tallemant). Malherbe ne l'a mentionn? qu'une

fois, ? propos de son oraison fun?bre d'Henri IV (?d. Lalanne, III, p. 202). En annotant son Desportes, il s'est montr? plus s?v?re

pour Bertaut que pour Du Perron (ib., IV, p. 327).

16

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242 RAYMOND LEB?GUE

teurde son oncle la virulente satire IX: Mathurin R?

gnier D'autre part, je reconnais que les principes que Bertaut

appliqua en 1609, s'accordent sur bien des points avec la doctrine de Malherbe : il est int?ressant de constater que

parmi les vingt-cinq passages annot?s par PAristarque fran?ais, le tiers a ?t? corrig? en 1609 2. En outre, il est certain qu'entre 1605 et 1609 il a subi, dans une mesure

qu'il est difficile de pr?ciser, l'influence des th?ories po? tiques et grammaticales que Malherbe, depuis son

arriv?e ? la Cour, professait bruyamment 3. Mais, ? et

c'est l? le point essentiel, ? nous avons vu qu'avant 1605

Bertaut et les plus estim?s de ses ?mules appliquaient, avec un z?le in?gal, des principes analogues ? ceux de Mal herbe 4. Ces principes peuvent ?tre d?finis ainsi : raj eu

1 Rappelons que parmi les Satires que R?gnier avait publi?es

en 1608, la 5e ?tait d?di?e ? son ami Bertaut. 2 Parmi les passages critiqu?s que Bertaut n'a pas modifi?s, je

signale ceux-ci : sanctuaire consacr?, le mot sagette, la rimeame

femme, la construction esclairans mes t?n?bres (cf. Doctrine, p. 431), libre je confesse, pouvoir allumer mesmes les rochers (Malherbe pr? f?rerait: les gla?ons /), le vers 108 ? c?sure trop faible, le f?minin une

espace (ib., p. 357), ils voisinent le but (ib., p. 317), et un jour dans le sens d'autrefois. 8 II faudrait proc?der ? une ?tude minutieuse des derni?res

uvres po?tiques de Bertaut. Cette influence appara?trait peut ?tre dans la diminution des inversions et des allit?rations (et des rimes pauvres ?). Bertaut se serait-il permis, en 1609, cette trans

position du sujet entre l'auxiliaire et le participe pass? que nous trouvons en 1601 dans le vers 73 du Discours :

Or l'avoit ce jour-l? dans l'antre paternel, La Deesse honor? d'un souper solennel ?

Et, quand il supprimait son vavo et son toutot?, ne se rappelait-il pas la r?cente et vive querelle de Malherbe avec Des Yveteaux et d'autres chicanes du m?me genre (cf. les Anecdotes in?dites, p. p. L. Arnould, l'Art po?tique de Deimier, p. 350, et l'?d. Mongr?dien des uvres de Des Yveteaux, 1921, p. 66) ?

4 Aussi les affirmations de Mlle de Gournay ne contiennent qu'une part de v?rit?. Laudatrice obstin?e de l'ancienne ?cole, elle employait sa bouillante ardeur ? y rattacher Du Perron et Bertaut, et ? opposer leurs principes po?tiques ? ceux des novateurs. Certes il ?tait de bonne guerre de jeter ? la t?te de Malherbe les noms r?v?r?s de ces ? deux pr?lats ?. Mais, s'ils avaient v?cu jusqu'? la publication de

l'Ombre, ils auraient trouv? son z?le intempestif, et ils eussent souri en lisant qu'ils avaient ? tousjours rever? Ronsard pour leur sou

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Page 249: Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome Vii - 1945

deux po?mes de bertaut 243

nissement et ?puration de la langue, correction gramma ticale, clart?, logique, renforcement de l'expression, sobri?t?, euphonie, am?lioration de la rime, construction

plus rigide de l'alexandrin .

Les deux po?mes de Bertaut, ? le premier surtout,

?

confirment la th?se qu'avaient d?j? pos?e, dans leurs r?cents travaux, M. Raymond, Vianey et J. Lavaud : ce

r?sultat valait la peine qu'on en f?t ? nouveau un examen

d?taill?.

Raymond Leb?gue.

verain Proph?te ? (p. 569). L'un d'eux, tout en admirant hautement

(mais avec quelques critiques) le grand Vcnd?mois, en vint ? pro fesser des id?es litt?raires auxquelles Malherbe souscrivait certaine

ment ; et l'autre n'attendit pas l'arriv?e'? la Cour du po?te-gram mairien pour ?plucher ses propres vers et les mettre au go?t du jour.

1 Sur les diff?rences fondamentales qui s?parent R?gnier de Mal

herbe, je suis d'accord, en gros, avec F. Brunot (cf. Doctrine, p. 541).

Cependant, l'estime que Malherbe ?pouvait pour l'auteur des Satires ne m'?tonne point ; car celui-ci, lui aussi, recherchait les termes

forts, les parall?les, les h?mistiches antith?tiques, les bonnes rimes, et un rythme bien accentu?. ? On pourra consulter, sur ces

mati?res, la petite ?tude synth?tique que j'ai publi?e, en octobre

1944, dans les Comptes-Rendus de l'Acad?mie des Inscriptions et

qui est intitul?e L'?volution de la forme po?tique en France ? la

fin de la Renaissance.

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NOTES ET DOCUMENTS

UN CANON D'AUTEL DU XV* SI?CLE

La liturgie catholique utilise encore le canon d'autel, ou feuillet imprim? d'un seul c?t?, et contenant un sommaire des principales pri?res du canon. Ce feuillet se trouve plac? durant la messe derri?re le calice. Le pr?tre s'y reporte au moment de la cons?cration pour ne pas avoir ? tourner les pages du missel plac? ? sa gauche.

Jusqu'? ce jour, le plus ancien exemple connu d'un canon d'autel semblait ?tre un fragment du milieu du xvie si?cle conserv? ? la Biblioth?que nationale. Nous avons eu en mains, voici quelques mois, un sp?cimen de canon d'autel absolu ment complet qui remonte aux derni?res ann?es du xve si?cle. Cette tr?s pr?cieuse impression se divise en trois comparti ments : un grand bois colori? occupe le centre du feuillet, le texte ?tant imprim? ? sa droite et ? sa gauche.

Le Typenrepertorium de Haebler ne nous a pas permis d'identifier d'une fa?on certaine l'imprimeur de cette pi?ce rarissime. Cependant, le style de la gravure et l'aspect des caract?res concourent ? donner une origine allemande indis

cutable, rh?nane sans doute, ? ce feuillet rest? inconnu ? la bibliographie des Einblattdrucke des XV. Jahrhunderts de Haebler. Le bois qui repr?sente une descente de croix n'est

pas d?crit par Schreiber, bien que quelques Piet?, analys?es par lui, soient assez voisines de ce mod?le.

L'exemplaire, tir? sur une longue feuille de v?lin, est doubl? de papier ancien portant quelques pri?res latines d'une ?cri ture germanique du xve si?cle. Il est assez curieux de constater

que, par transparence, et avec l'aide d'un ?clairage appropri? on d?couvre au verso du v?lin une longue suite de caract?res

h?bra?ques. L'imprimeur, peut-?tre conventuel, aura trouv?

pratique d'effectuer son tirage au verso d'une Thora dont le format allong? convenait parfaitement.

La reproduction qui accompagne cet article ?tant tr?s l?g?rement r?duite, nous donnerons ici les dimensions exactes de l'original. Le texte de gauche mesure dans sa hauteur totale 125 mm., celui de droite 135 mm., la gravure sur bois, carr? parfait, 128 mm. de c?t?.

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jfr* jrp* fili* tn" ?fie nf^ffcrtm'> tibi o?ecaltc? faiutari tu?oepc?tpa ait liai* vtm ofpeet? wtitne niaicf1 ati tue pjonofh a et pwtotuie m? di falute c? odo?c fuauttatf. afe?dat. perrpm onm nfm am cn ?

Mr fo? h?ilitans et m anio ormo fufctpiantur ate ?fte. et fie fiat fe

?ruuu? ttfm mpipectii tuo bodie. vr placcai tibi boinme beue.

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et m bonoze beate marte f?oer vtratnte et beati tobante ba^

j ?fi vet Cancro? apoll?lo? tuo? petrt et paulUfto? et o?tti fancto? I *r Is p?ofteiat ad fr onoz? nobie a?t ad falut?.et tili pjoriobt o i ter ? etcerc?tgnftunnceiiequcmmcmoztSfacim*

intente, gy?mbrim*

1 ?~ \1SU p;tt>:e c5 pateref- gecepit pan? m fanctae ac venerabile *yt /man 'fuae. teleuatieoculte in ceiu ad tcDc?patr??u?onV

fpo cnt? tib? grat?ee agen* beoe-f dint fregit bedit tufcipuiis fut? !* wc ?gecc?ptte et miducate er bocomeeCf^oc dl ein cozp'mc?:.

\ ? JjrruU modo poitqj cenato eft: aceiptene ct bfic p?cdflr? calice * J> ? mfanctae ac venerabile^ man9 fUae?;Jtettt ubi gractae agene?

i /bet le^dittt oedirq; ?iftpulte fuie ?tc?elfcctpite bibite cteo om '

ne< t('lfe?ic eil enfi catit languirne mei nout % eterni teftam?titmiileriti ".1 fid :t: quip?o vob?e p?omiUjie ctfundef inremifl?onem peccato?) ; plajee q??ctcn1c?q5fecemje 111 meiniemotiatnfSaene*

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NOTES ET DOCUMENTS 245

Un ?tui, dont la partie sup?rieure est faite d'un morceau d'?toffe brod?e repr?sentant une Crucifixion, sert encore

d'enveloppe protectrice ? ce canon d'autel. La broderie est un travail populaire de l'?poque de l'imprim?. Enfin, le tout est conserv? dans une boite mi-partie bois, mi-partie ?toffe ex?cut?e au xve si?cle, assez d?labr?e et qui a subi des restau rations successives. Ces deux pi?ces de fabrication allemande

n'apportent malheureusement aucun ?l?ment nouveau per mettant la moindre hypoth?se sur l'origine probable du

pr?cieux document imprim? qu'elles contiennent.

Lucien Scheler.

RABELAESIANA

I. ? Sur la date de naissance de Rabelais.

On a quelque scrupule ? pr?tendre rouvrir un d?bat o? tant de savants noms ont paru d?cider. Qu'on nous permette n?anmoins deux remarques.

Contre l'?pitaphier de Saint-Paul qui, faisant mourir Rabe lais le 9 avril 1553 ? l'?ge de 70 ans, ferait remonter sa nais sance ? l'ann?e 1483 ou environ, on all?gue couramment, pour la situer vers 1493-95 1 :

Io Une lettre de Rabelais ? Bud? (1521), o? il se qualifie lui m?me d'adulescens : ce qui, nous dit-on, serait ridicule s'il avait atteint alors sa 38e ann?e.

2? Le t?moignage de Tiraqueau, qui, en 1524, le f?licite d'?tre ? vir supra aetatem (...) utriusque linguae omnifariaeque doctrinae peritissimus ?. On n'adresse pas, nous dit-on, pareil compliment ? un quadrag?naire ; or, s'il ?tait n? vers 1483, Rabelais aurait eu ? l'?poque environ 41 ans.

De telles critiques semblent trahir des fa?ons de raisonner trop modernes appliqu?es ? des esprits anciens. Deux t?moi

gnages d'?poque nous permettront d'affirmer que l'on pouvait, au xvie si?cle, ?tre qualifi? d'adolescent apr?s la trentaine sonn?e, et se voir f?liciter ? plus de quarante ans d'?tre tr?s savant pour son ?ge.

Io Marot qualifie Antoine du Moulin d'adolescent dans la

pi?ce ? Adolescens qui la peine avez prise ? 2, que Villey date

1 Voir, en dernier lieu, j. Boulenger, Notes sur la vie de Rabelais, in Biblioth.

d'Hum. et Ren., t. I (1941), p. 30. 2 Ed. Jannet, t. Ill, p. 62.

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NOTES ET DOCUMENTS 245

Un ?tui, dont la partie sup?rieure est faite d'un morceau d'?toffe brod?e repr?sentant une Crucifixion, sert encore

d'enveloppe protectrice ? ce canon d'autel. La broderie est un travail populaire de l'?poque de l'imprim?. Enfin, le tout est conserv? dans une boite mi-partie bois, mi-partie ?toffe ex?cut?e au xve si?cle, assez d?labr?e et qui a subi des restau rations successives. Ces deux pi?ces de fabrication allemande

n'apportent malheureusement aucun ?l?ment nouveau per mettant la moindre hypoth?se sur l'origine probable du

pr?cieux document imprim? qu'elles contiennent.

Lucien Scheler.

RABELAESIANA

I. ? Sur la date de naissance de Rabelais.

On a quelque scrupule ? pr?tendre rouvrir un d?bat o? tant de savants noms ont paru d?cider. Qu'on nous permette n?anmoins deux remarques.

Contre l'?pitaphier de Saint-Paul qui, faisant mourir Rabe lais le 9 avril 1553 ? l'?ge de 70 ans, ferait remonter sa nais sance ? l'ann?e 1483 ou environ, on all?gue couramment, pour la situer vers 1493-95 1 :

Io Une lettre de Rabelais ? Bud? (1521), o? il se qualifie lui m?me d'adulescens : ce qui, nous dit-on, serait ridicule s'il avait atteint alors sa 38e ann?e.

2? Le t?moignage de Tiraqueau, qui, en 1524, le f?licite d'?tre ? vir supra aetatem (...) utriusque linguae omnifariaeque doctrinae peritissimus ?. On n'adresse pas, nous dit-on, pareil compliment ? un quadrag?naire ; or, s'il ?tait n? vers 1483, Rabelais aurait eu ? l'?poque environ 41 ans.

De telles critiques semblent trahir des fa?ons de raisonner trop modernes appliqu?es ? des esprits anciens. Deux t?moi

gnages d'?poque nous permettront d'affirmer que l'on pouvait, au xvie si?cle, ?tre qualifi? d'adolescent apr?s la trentaine sonn?e, et se voir f?liciter ? plus de quarante ans d'?tre tr?s savant pour son ?ge.

Io Marot qualifie Antoine du Moulin d'adolescent dans la

pi?ce ? Adolescens qui la peine avez prise ? 2, que Villey date

1 Voir, en dernier lieu, j. Boulenger, Notes sur la vie de Rabelais, in Biblioth.

d'Hum. et Ren., t. I (1941), p. 30. 2 Ed. Jannet, t. Ill, p. 62.

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246 notes et documents

de 1541 ou 1542 1. Or, Antoine du Moulin est n? au plus tard en 1510, sans doute dans les ann?es 1505-1510 2. Il avait donc entre trente et un et trente-sept ans au moment o? on le

traitait d'adolescent.

2? Dans une lettre d'Eustache Chapuys ? Corneille Agrippa 3, l'occultiste se trouve f?licit? d'?tre savant pour son ?ge : ? Je ne dirai point combien il est miraculeux que vous ayez pu en outre avoir d?j? embrass?, ? votre ?ge, la connaissance d'une

multitude d'autres sciences si vari?es.? Or, Agrippa avait alors

quarante-cinq ans.

Au fond, des formules telles qu' ? adolescent ? ou ? savant pour votre ?ge ? ne sont pas seulement relatives ? l'?ge du destinataire : elles d?pendent aussi bien de celui de l'exp?di teur. On n'est jamais jeune que par rapport ? quelqu'un. En tous cas, l'?pitaphier de Saint-Paul a beau avoir ?t? trans crit au xvme si?cle, son autorit? ne nous para?t gu?re ?branl?e par les critiques. Il y reste un texte historique, contre des conjectures.

V. L. Saulnier.

II. - Un troisieme exemplaire des grandes

et inestimables cronicques de gargantua.

1532

Si M. Abel Lefranc a clairement d?montr?, dans les ma? tresses pages qui ouvrent son ?dition monumentale de Rabe

lais, que les Grandes et inestimables Cronicques du grant et ?norme g?ant Gargantua ne sont pas l' uvre de l'immortel

tourangeau, il en conclut cependant qu'elles l'inspir?rent

1 Octobre 1541 ? ao?t 1542 selon Ville y, Recherches sur la chronologie des uvres de Marot, 1921, p. 136, en note : ? apr?s septembre 1541 ? selon le m?me

auteur, Marot et Rabefois, 1923, p. 341. 2 Du Moulin na?t en 1520 selon la tradition, mais c'est impossible puisqu'il

est, d?s 1536, valet de chambre de Marguerite de Navarre. F?lix Frank fait remonter sa naissance ? 1505 ; cf. Revue litt?raire et artistique, janvier 1887, p. 23. Ad. Chenevi?re, dans sa th?se sur Bonaventure des P?riers, p. 6, dit : 1510 au plus tard ; m?me date propos?e par Cartier et Chenevi?re dans la Revue d'Hist. litt?r. de la France, 1895, pp. 469 sqq. Encore la seule objection faite par ces auteurs ? la conjecture de Frank est-elle pr?cis?ment le fait que du Moulin soit qualifi? d'adolescent vers 1541.

* Lettre dat?e de Londres, 26 juin 1531. Cf. J. Orsier, Henri Corn?lis

Agrippa, sa vie et son uvre, d'apr?s sa correspondance (1486-1535), Paris, 1911, in-8?. Chapuys ?tait ambassadeur de Charles-Quint aupr?s de Henri VIII, de 1529 ? 1546. On rapprochera la formule de Chapuys ? une multitude de sciences si vari?es ? de celle de Tiraqueau ? onmifariae doctrinae ? : il s'agit de locutions toutes faites relevant de la civilit? d'?poque.

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NOTES ET DOCUMENTS 247

directement et qu'elles ont d?clench?, si j'ose dire, la nais sance de Pantagruel1. Tous les fid?les de Rabelais savent aussi l'histoire de ce fameux livret qui obtint tant de succ?s aux foires de Lyon d'ao?t 1532 qu'il en fut ? plus vendu par les

imprimeurs en deux moys qu'il ne sera achet? de Bibles en neuf ans. ? On n'en connut longtemps que le seul exemplaire de la Biblioth?que nationale [R?s. Y2. 2124], incomplet du f. 3 et ayant appartenu aux fr?res de Bure et au prince d'Ess ling. Puis, en 1909, Seymour de Ricci en d?couvrit un se

cond, complet, ? la bibliq.th?que de Munich et le reproduisit int?gralement en fac-simil? dans la Revue des Etudes rabelai siennes 2. Les lecteurs d'Humanisme et Renaissance appren dront sans doute avec int?r?t l'existence d'un troisi?me exem

plaire, non recens? jusqu'ici mais malheureusement incomplet du titre, ? la Biblioth?que municipale de Toulouse, o? il se cachait modestement dans un recueil factice, cot? d?sormais

R?s. D. xvi. 403.

Ce pr?cieux volume a conserv? sa reliure originale en peau de mouton, grossi?rement consolid?e au xvnie si?cle par une

pi?ce de basane. Les gardes portent, plusieurs fois gribouill?, le nom de Pierre Segaud, d'une ?criture de la fin du xvie si?cle. Des quatre pi?ces qu'il contient, seule la derni?re a conserv? son titre, ceux des trois autres ayant ?t? arrach?s d?s le xvnie si?cle3. Les Grandes Cronicques sont accompagn?es du Livre de saigesse [Lyon, Claude Veycellier, 1531], du Passe

Temps et Songe du Triste [Ibid., s. d., vers 1531-1533] et d'une

Prognostication nouvelle pour Van 1533 dont on peut attribuer

l'impression ? Jacques Moderne 4. Or, le nom de ce bon typo graphe lyonnais nous donne l'occasion de rouvrir une ancienne controverse : qui a imprim? les Grandes Cronicques ?

On a longtemps cru que c'?tait Claude Nourry, sp?cialiste des publications populaires, parce qu'il avait imprim? Panta gruel la m?me ann?e, avec des caract?res d'ailleurs diff?rents.

L'argument pouvait se soutenir parce que les Grandes Cro

nicques ?taient alors attribu?es ? Rabelais lui-m?me ; mais, n'a-t-il pas perdu toute valeur depuis la d?monstration de

1 Toutefois, M. Lefranc inclina plus tard ? penser que Rabelais n'?tait

peut-?tre pas ?tranger ? leur publication : ? C'est Rabelais qui apporta sans cloute ? Nourry ou ? Moderne la pr?cieuse plaquette, venue on ne sait d'o? ?.

[Cat. de l'Exposition Rabelais, 1933, p. 6]. 2 R. E. R., 1910, pp. 57-92 ; il a ?t? fait un tirage ? part de 100 ex. Une autre reproduction a ?t? publi?e en 1925, aux Ed. des Quatre-Chemins, avec une notice de Pierre Champion. 8 Une cote ms. du xvine si?cle et l'ancien tampon de la biblioth?que se trouvent en effet sur le f. A2 de la premi?re pi?ce. 4

Voir, en appendice, la description bibliographique de ces trois pi?ces que Baudrier a mal d?crites, faute de les avoir vues et sur la foi de renseignements erron?s.

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248 NOTES ET DOCUMENTS

M. Abel Lefranc ? Puis, en 1909, Seymour de Ricci proposa le nom de Jacques Moderne et se d?clara convaincu de cette attribution, bas?e sur l'examen d'un tr?s pr?cieux recueil de la biblioth?que J. de Rothschild renfermant vingt-deux impressions, toutes non sign?es, dont Emile Picot avait juste

ment cr?dit? cet imprimeur 1. De fait, nous y retrouvons bien la belle b?tarde des Grandes Cronicques, mais est-ce l? une raison suffisante ? Il eut sans doute ?t? pr?f?rable que Sey

mour de Ricci cherch?t un ?l?ment de comparaison diff?rent et surtout plus contemporain. On peut en effet pr?sumer que ces vingt-deux pi?ces, r?unies sous leur reliure originale en v?lin, ont paru ? peu pr?s en m?me temps puisque toutes sont des textes populaires destin?s ? s'?puiser rapidement, ? l'in verse de ce que les ?diteurs appellent des ? ouvrages de fonds ?. Il serait d'autre part extraordinaire qu'un tel recueil repr? sent?t les ?chantillons, les ? t?moins ? d'une production qui s'?tendrait sur de nombreuses ann?es d'exercice. Or, les titres de deux de ces pi?ces peuvent servir ? assigner au recueil une date voisine de 1544 : les vignettes du Livret nouveau [n? 308] et des Ventes d'amours [n? 550] proviennent en effet des Embl?mes d'Alciat, dont Jacques Moderne a donn? deux ?ditions en 1544 et 1545 2, soit douze ans apr?s la publication des Grandes Cronicques.

De plus, la date de 1532 est d?j? bien tardive pour per mettre d'affirmer que tel caract?re appartient en exclusivit? ? tel imprimeur et non ? un confr?re, client d'un fondeur commun. C'est ainsi que nous retrouvons chez un tr?s proche voisin de Jacques Moderne non seulement le caract?re en

question, mais surtout les belles lettres de forme, si typique ment lyonnaises, qui ont ?t? employ?es pour la premi?re ligne du titre des Grandes Cronicques et dont ne s'est jamais servi

Jacques Moderne. Ces deux sortes appartenaient en effet ?

l'atelier de Barnab? Chaussard, dont Baudrier a donn? une

monographie d'ailleurs incompl?te 3. Cet imprimeur bien connu travailla en association avec

Pierre Mareschal de 1492 ? 1515, puis seul jusqu'? sa mort survenue en 1527. Sa femme, Jeanne de la Saulc?e, m?re de

1 Cat. J. de Rothschild, I, 190, 199, 293, 308, 458, 481, 520, 530, 535, 546, 550, 553, 554, 565, 570, 575, 588 ; II, 1774,1775,1832,1835,1861 ; fac-simil?s.

? Une ?dition des Notables, enseignements de P. Gringore, sign?e de Jacques Moderne et imprim?e avec des caract?res identiques [Cat. Rothschild, I, 190, fac-simil?] justifiait l'opinion d'E. Picot.

2 Ed. de 1544 : Paris, Ec. des Beaux-Arts, legs Jean Masson, IV. E. 21 ; ?d. de 1545, Bibl. nat., R?s. . 17399.

8 Baudrier, XI, pp. 24-78. Jacques Moderne et Barnab? Chaussard voisi

naient si ?troitement dans la rue Merci?re qu'ils donnent une adresse iden

tique ? pr?s nostre dame de Confort ?.

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NOTES ET DOCUMENTS 249

deux enfants mineurs, Fran?ois et Beno?t, lui succ?da et se remaria Tann?e suivante avec Jean Lambany, son prote et

chef d'atelier. Mais Lambany, ? ivrogne et d?bauch? comme Pierre de Sainte-Lucie dont il ?tait l'ami ?, mourut ? la fin de 1529 apr?s avoir imprim? quelques volumes sous son propre nom, contrairement ? tout droit puisque l'atelier appartenait enti?rement aux Chaussard. Veuve ? nouveau, Jeanne de la

Saulc?e confia d?s lors la direction de sa maison ? Jean Canta rci dit Motin, qu'elle ?pousa en troisi?mes noces en 1533 et qui exer?a, selon Baudrier, jusqu'en 1552.

Trois impressions de Jean Lambany,excellent artisan malgr? ses d?fauts, et deux livres imprim?s chez la veuve Chaussard par Jean Motin nous permettent d'attribuer ? cet atelier l'im pression des Grandes Cronicques. C'est d'abord La grant et vraye L?gende dor?e qui date de 1529, et dont Baudrier, XI, p. 47, a reproduit le titre d'apr?s l'exemplaire de Besan?on. Nous y retrouvons les lettres de forme et la b?tarde des Grandes Cronicques, employ?es dans les deux productions d'une fa?on en tous points identique. C'est encore Y Amant des confort?, recueil de vers paru sans date et qui a fait l'objet d'une longue ?tude de Louis Loviot dans la Revue des Livres anciens 1. Si l'on n'y voit pas les lettres de forme d'ailleurs tr?s souvent utilis?es par les Chaussard, on peut constater que tout le livre est imprim?, et fort bien, comme les Grandes Cronicques, avec la b?tarde pr?cit?e. La veuve Chaussard en a

d'ailleurs publi? deux r?impressions, l'une sans date, l'autre en 1536, toujours avec le m?me caract?re, ce qui prouve bien qu'il se trouvait dans les casses de l'atelier pr?cis?ment au

moment qui nous int?resse. Et quant aux lettres orn?es, voici, sur le titre des Rondeaulx nouveaulx imprim?s par Jean Lam

bany 1, un R qui fait partie du m?me alphabet que les initiales suivantes des Grandes Cronicques : A, aux f?. C1 r? et C4r? ; I, au f. A2 v? et Q au f. A3 r?. Enfin, le du m?me alphabet se rencontre sur le titre de Plusieurs gentillesses pour faire en

toutes bonnes compaignies, ?dition sans date publi?e par la veuve Chaussard, vers 1545 selon Baudrier3, et toujours

imprim?e avec la b?tarde des Grandes Cronicques. D'autre part

? et ce nouvel argument n'est pas, croyons nous, sans valeur ? l'atelier de Barnab? Chaussard ?tait

sp?cialis?, tout comme ceux de Claude Nourry, de Jacques Moderne ou d'Olivier Arnoullet, dans l'?dition populaire. Il se

partageait entre les na?ves vies de saints et les joyeuset?s. De l? sont sorties la plupart des farces qui composent le c?l?bre

1 Revue des Livres anciens, I, pp. 153-165, avec reproduction du titre. 2

Paris, Ec. des Beaux-Arts, legs Jean Masson. 3

Paris, Ec. des Beaux-Arts, legs Jean Masson, IV. A. 12.

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250 notes et documents

recueil du British Museum, ? et plusieurs d'entre elles sont

imprim?es avec la b?tarde des Grandes Cronicques 1 ?, des

soties, des moralit?s, le Sermon joyeux de bien boire, la Farce des theologastres, le Caquet des bonnes chambri?res, la Fleur de toutes joyeusetez, les T?n?bres de mariage, plusieurs Prognosti cations et bien d'autres livres aux titres dignes de la biblio th?que de Saint-Victor, de joyeuse m?moire 2. Pourquoi les Grandes Cronicques ont-elles paru sans adresse, c'est ce que nous ne,savons pas et ne saurons

probablement jamais. Mais nous croyons pouvoir assurer qu'elles ont ?t? imprim?es par Jean Motin dans l'atelier de la veuve Chaussard, en nous rappelant cependant la parole d'Henri Poincar?, que l'on ne s'attendait gu?re ? voir en cette affaire : ? d?finitif ? doit ?tre ray? du vocabulaire scientifique.

Jacques M?gret.

APPENDICE

Voici la description bibliographique des trois pi?ces qui accompagnent les Grandes Cronicques dans le recueil de Toulouse :

I. [Le Livre de Saigesse. Suyuant les auctoritez des anciens Philosophes. Distinguant et parlant des vices et des vertus dont l'on peult estre prise ou desprise. Ensemble la maniere de tousiours bien et saigement parler ? toutes gens de quelque est?t quilz soyent]. [A la fin :] G Cy finist le liure de saigesse selon les dictz \\ des anciens philosophes imprime ? Ly? par || Claude Veycellier. M.CCCCC.xxxi. || [1531].

Pet. in-4, goth., de 44 ff. n. ch., sign, a-14, ? 29 IL, fig. sur bois au f. a3 *.

Baudrier, XII, p. 429. ? C'est le seul exemplaire connu ; le titre a ?t? r?tabli d'apr?s celui de l'?d. de Paris, A. Lotrian, s. d., pet. in-8 [Cat. J. de. Rothschild, I, 136].

L'ouvrage est un abr?g?, r?dig? vers la fin du xive si?cle, de la Somme Le Roy, par fr?re Laurent et il est pr?c?d? d'un prologue en vers. Aux autres ?ditions signal?es par Brunet, III, 1123 et

Baudrier, X, pp. 38-39 et 85, il faut ajouter une ?d. de Toulouse, Nie. Vieilhrd, s. d., pet. in-8, goth., de 48 ff. [Vente Pierre Louys, avril 1927].

1 E. Droz, Le Recueil Trepperei, I, p. lui, fac-simil?. 2 On peut ajouter Bigorne qui mange tous les homme* qui font le commande

ment de leurs femmes et Chhchefaee qui mange toutes les bonnes femmes, qui sortent tr?s probablement du m?me atelier [Cat. J. ?* Rothschild, 1, 527 et 528] ; l'Erreur et abuz des meschans usuriers, o? l'on retrouve la lettre tour neure L du titre des Grandes Cronicques [j. Babelon, Bibl. fr. de F, Colomb, n?61].

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NOTES ET DOCUMENTS 251

II. [Le Passe Temps et Songe du Triste.

En ce traict? plaisant et delectable Est contenu sans mensonge ne fable

Le mal, labbuz et trauail sans honneur

Dung poure amant trop hault entrepreneur Qui a este vray loyal poursuyuant Les biens damours dix ans en son viuant

Mais one nen eut demye once ne liure

Comme verras par cestuy le sien liure

Quii a nomme soit mauplaisant ou mixte Le passetemps et songe du Triste].

[A la fin :] Cy fine ce present liure inti-\\tule Le passe Temps le songe du \\ Triste | nouuellement imprime a \\ Ly? par

Claude veycellier \ demou\\rant en la rue merci?re a lenseigne || sainct Jehan baptiste. \\

1 L? de trois ?croix cinq croissant vng trepier [1530] Vindr?t despaigne noz seigneurs filz de trance Et a Bayonne de Juillet le premier De leur ostage fust faicte deliurance.

Pet. in-4, goth., de 68 f?. n. ch. le dernier blanc, sign. A-R4, ?

31 11. ? Imprim? vers 1531-1533.

Baudrier, XII, p. 428 [cit? d'apr?s cet ex., le seul connu avec celui

de F. Solar, que Baudrier a consid?r? par erreur comme d'une ?dition

diff?rente qu'il d?crit p. 428]. Le titre a ?t? r?tabli d'apr?s celui de l'?d. de Paris, Denys Janot pour Jean Longis, s. d., in-8 [Cat. J. de

Rothschild, IV, 2850]. Emile Picot voit en ce po?me la premi?re uvre de Fran?ois

Habert ; l'?dition originale a paru chez Jean Longis en 1529, 1530 n. s. [Cat. La Valli?re, 1783, II, 3072].

Autres ?d. : Paris, Jean Longis, 21 f?vrier 1530, 1531 n. st.

[Chantilly, IV. D. 148] ; ibid., J. Jehannot, s. d., in-8, goth. [De Bure, Bibl. instructive, 3071] ; Lyon, Ant. Blanchard, s. d. [vers 1532], in-8, goth. [Cat. J. de Rothschild, IV, 3177].

III. [ ?] Ronosticatio nouuel || le pour l? Mil.ccccc.|| xxxiii. auec lalmanac || au vray calcule en la || renomee vile de Dan||uers par vng tres re|| nomm?e docteur n?me maistre

Gasllpart layetta. || In^-4, goth., de 4 ff. n. ch., sign. A. F. 1 r? : titre orn? d'un bois repr?sentant un astrologue con

templant les ?toiles et assis devant une sph?re armillaire et un

cadran ; au dessous, un disque noir : la pleine lune ? F. 1 v?, texte ; f. 3 v? : C Exposition sur la presente Prognosti

cation H par lacteur faicte. || ; f. 4 v? : C Almanach pour ceste pre sente H ann?e. Mil. ccccc. xxxiii. ||

Gaspard Layetta n'est autre que l'astrologue anversois Jaspar Laet dont on conna?t d'autres pronostications pour diverses ann?es de 1524 ? 1561. C'est ? tort que Baudrier, XII, 430, attribue l'im

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pression de cette plaquette, connue par ce seul exemplaire, ? Claude

Veycellier. Les caract?res sont les m?mes que ceux du Pater et Ave des solliciteurs [Cat. J. de Rothschild, I, 520, fac-simil?] et l'initiale L du f. 3 r? se retrouve sur le titre des Ventes d'amours [Ibid., I, 550,

fac-simil?]. Emile Picot attribue ? avec certitude pour la der ni?re ? l'impression de ces deux pi?ces ? Jacques Moderne. La m?me initiale est d'ailleurs employ?e dans le titre d'une plaquette sign?e de cet imprimeur : le Lucidaire [Cat. Fairfax-Murray, I, 341, fac

simil?].

LE CONTRAT DE MARIAGE DE LOUIS LE CARON DIT CHARONDAS

AVEC MARIE DE H?NAULT

(Clermont-en-Beaumisis, 28 acrili 568J.

Bien que depuis une cinquantaine d'ann?es plusieurs auteurs se soient int?ress?s ? Louis Char ondas Le Caron, l'ouvrage d?finitif manque encore sur la vie et les uvres de ce c?l?bre

jurisconsulte , ? qui fut aussi po?te et philosophe, ? ami de

Ronsard, Pasquier, Plantin et Fauchet 2. Les ?l?ments de sa biographie sont ?pars. Lucien Pinvert 3

a consacr? ? Charondas une trentaine de pages (1901) qu'il a eu la bonne id?e de faire pr?c?der d'une reproduction du fron

tispice de la Coustume de Paris 4 donnant le portrait du ? juris consulte parisien, en l'an de son aage LXX ?, c'est-?-dire en

1605. Dans sa th?se latine (1902), F. Gohin 5, qui s'est attach? surtout ? ?tudier les po?sies et les n?ologismes fran?ais de

1 La plus r?cente ?tude d'ensemble est celle de Henry Queneuil, La vie et l' uvre de Loys Charondas Le Caron (dans Bull, et M?m. de la Soc. hist, et arch?ol. de Clermont-de-VOise, ann?e 1924, pp. 44-87) ; c'est une conf?rence au

style parfois recherch?, qui n'apprend pas grand'chose de nouveau ; l'auteur, pr?sident du Tribunal civil de Clermont, a utilis? l'article de Lucien Pinvert, indiqu? ci-dessous, n. 3, mais il a ignor? la th?se latine de F. Gohin, men tionn?e ci-dessous, n. 5. ? On lit avec beaucoup plus d'int?r?t et de profit l'article publi? en 1861 par Anicet Digard, avocat ? la cour imp?riale de Paris, Louis Le Caron dit Charondas, dans la Revue historique de Droit fran?ais et

?tranger, t. VII, pp. 177-192. 2 Voir notamment J.-G. Espiner-Scott, Claude Fauchet, sa vie, son

uvre, Paris, 1938, p. 21. * Lucien Pinvert, Louis le Caron, dit Charondas (1536-1613), dans la Revue

de la Renaissance, septembre 1901, article republi? par A. Pinvert, Clermontois et Beauvaisis, Paris, 1901, chap, vu (pp. 127-161). 4 Le Droit civil, ou Couslume r?form?e et r?dig?e par escrit de la Ville, Prevosl? et Vicomte de Paris, avec les annotations de L. Charondas Le Caron, juris consulte parisien, et un Avant-propos au S?nat et peuple parisien. Le portrait de l'auteur se trouve en t?te de l'?dition in-folio de 1605.

5 De Lud. Charondae (1534-1613) vita et versibus. Thesim facuitati litterarum in Universitate Parisiensi proponebat F. Gohin, Paris, 1902 ; 117 pages.

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252 NOTES ET DOCUMENTS

pression de cette plaquette, connue par ce seul exemplaire, ? Claude

Veycellier. Les caract?res sont les m?mes que ceux du Pater et Ave des solliciteurs [Cat. J. de Rothschild, I, 520, fac-simil?] et l'initiale L du f. 3 r? se retrouve sur le titre des Ventes d'amours [Ibid., I, 550,

fac-simil?]. Emile Picot attribue ? avec certitude pour la der ni?re ? l'impression de ces deux pi?ces ? Jacques Moderne. La m?me initiale est d'ailleurs employ?e dans le titre d'une plaquette sign?e de cet imprimeur : le Lucidaire [Cat. Fairfax-Murray, I, 341, fac

simil?].

LE CONTRAT DE MARIAGE DE LOUIS LE CARON DIT CHARONDAS

AVEC MARIE DE H?NAULT

(Clermont-en-Beaumisis, 28 acrili 568J.

Bien que depuis une cinquantaine d'ann?es plusieurs auteurs se soient int?ress?s ? Louis Char ondas Le Caron, l'ouvrage d?finitif manque encore sur la vie et les uvres de ce c?l?bre

jurisconsulte , ? qui fut aussi po?te et philosophe, ? ami de

Ronsard, Pasquier, Plantin et Fauchet 2. Les ?l?ments de sa biographie sont ?pars. Lucien Pinvert 3

a consacr? ? Charondas une trentaine de pages (1901) qu'il a eu la bonne id?e de faire pr?c?der d'une reproduction du fron

tispice de la Coustume de Paris 4 donnant le portrait du ? juris consulte parisien, en l'an de son aage LXX ?, c'est-?-dire en

1605. Dans sa th?se latine (1902), F. Gohin 5, qui s'est attach? surtout ? ?tudier les po?sies et les n?ologismes fran?ais de

1 La plus r?cente ?tude d'ensemble est celle de Henry Queneuil, La vie et l' uvre de Loys Charondas Le Caron (dans Bull, et M?m. de la Soc. hist, et arch?ol. de Clermont-de-VOise, ann?e 1924, pp. 44-87) ; c'est une conf?rence au

style parfois recherch?, qui n'apprend pas grand'chose de nouveau ; l'auteur, pr?sident du Tribunal civil de Clermont, a utilis? l'article de Lucien Pinvert, indiqu? ci-dessous, n. 3, mais il a ignor? la th?se latine de F. Gohin, men tionn?e ci-dessous, n. 5. ? On lit avec beaucoup plus d'int?r?t et de profit l'article publi? en 1861 par Anicet Digard, avocat ? la cour imp?riale de Paris, Louis Le Caron dit Charondas, dans la Revue historique de Droit fran?ais et

?tranger, t. VII, pp. 177-192. 2 Voir notamment J.-G. Espiner-Scott, Claude Fauchet, sa vie, son

uvre, Paris, 1938, p. 21. * Lucien Pinvert, Louis le Caron, dit Charondas (1536-1613), dans la Revue

de la Renaissance, septembre 1901, article republi? par A. Pinvert, Clermontois et Beauvaisis, Paris, 1901, chap, vu (pp. 127-161). 4 Le Droit civil, ou Couslume r?form?e et r?dig?e par escrit de la Ville, Prevosl? et Vicomte de Paris, avec les annotations de L. Charondas Le Caron, juris consulte parisien, et un Avant-propos au S?nat et peuple parisien. Le portrait de l'auteur se trouve en t?te de l'?dition in-folio de 1605.

5 De Lud. Charondae (1534-1613) vita et versibus. Thesim facuitati litterarum in Universitate Parisiensi proponebat F. Gohin, Paris, 1902 ; 117 pages.

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NOTES ET DOCUMENTS 253

Charondas, a publi? en appendices les actes de bapt?mes de ses douze enfants, et les lettres de noblesse accord?es en f?vrier 1601 par Henri IV ? son ? cher bien am? Me Louis Charondas Le Carr?n... naguerres lieutenant g?n?ral au baillage et comt? de Clermont-en-Beauvoisis ?, que le Roi loue singuli?rement pour ? les excellans et doctes livres qu'il auroit mis en lumi?re, m?mement pour avoir revu, augment? et illustr? d'annota tions le Code Henry 1i uvre digne de perp?tuelle m?moire et recommandation ?. Enfin tout r?cemment (1943), M. Ernest Laurain 2, a publi? le texte 3 original et complet de l'?pitaphe latine, aujourd'hui disparue, qui fut pos?e en l'?glise Saint Samson de Clermont, dans la chapelle Saint-Louis, par les soins des enfants de Louis Charondas (f 18 septembre 1613) et de Marie de H?nault (f 21 septembre 1624) 4.

Le document que nous publions ci-apr?s int?resse Charondas au premier chef puisque c'est son contrat de mariage avec Marie de H?nault, sa seconde femme 5, qui lui donna dix enfants 6, et fut pendant quarante-cinq ans la compagne de sa vie 7.

Cette pi?ce ? une grosse notariale en

parchemin ?

provient d'ailleurs certainement des archives m?mes de Charondas puis

qu'apr?s la date elle porte la mention : ? Ces presentes ser vane pour ledict sieur lieutenant general ? ; et elle fut pendant des g?n?rations conserv?e par ses descendants jusqu'au jour o? elle sortit de la famille, sans doute dans la seconde moiti? du si?cle dernier. Elle fait actuellement partie de la collection des manuscrits de la Biblioth?que municipale de Compi?gne, o? elle porte la cote 201, ayant ?t? acquise pour ce d?p?t, il y a une vingtaine d'ann?es, par le Baron de Bonnault d'Hou?t, ainsi qu'un important lot de vieux papiers et par

1 Le Code du Roy Henri III, roy de France et de Pologne, r?dig? en ordre par Messire Barnab? Brisson..., depuis augment?... et illustr?... par L. Charondas Le Caron, jurisconsulte parisien, Paris, 1601, in-fol.

2 E. Laurain, Epigraphie du canton de Clermont-en-Beauvaisis, Senlis, 1943, p. 219.

3 Conserv? par des copies de Dom Grenier et d'Afforty. * L'?pitaphe actuelle dont Gohin a publi? le texte, Op. cit., p. 18, n. 4, ne

date que de 1854 (Ch. Brainne Les hommes illustres du d?partement de l'Oise, Beauvais, 1858,1.1, p. 210). Elle reproduit l'ancienne, mais avec des variantes, et ne comporte pas l'inscription relative ? Marie de H?nault.

6 Charondas avait ?pous?, en premi?res noces, Jeanne Le Vallois (Gohin, Op. cit., p. 12). 6

Gohin, Op. cit., append. I. 7 La famille de H?nault ?tait une famille notable de Compi?gne. C'est ?

Compi?gne et non ? Clermont, ainsi que l'a ?crit Gohin [Op. cit., p. 13) que le

p?re de Marie, Nicolas de H?nault, fut ?lu sur le fait des aides. Parmi les parrains et marraines des enfants de Louis Le Caron et de Marie de H?nault, on rel?ve les noms de Suzanne de H?nault, marraine de Suzanne, le 17 nov. 1577, de Gilles de H?nault, parrain de Louis, le 17 ao?t 1580, et de Gamhaliel de H?nault, parrain de Michelle, le 19 mai 1591. (Gohin, Op. cit., pp. 101 et 102, notes).

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254 notes et documents

chemins, chez un bouquiniste antiquaire de la ville, nomm? Beaurain, lequel les aurait achet?s aux h?ritiers d'un ancien avou? 1.

Nos remerciements tr?s vifs vont ? M. J.-B. Mestre, le dili gent biblioth?caire de Compi?gne, qui a bien voulu nous donner toutes facilit?s pour pr?parer l'?dition de ce document.

Louis Carolus-Barr?.

DOCUMENT

A tous ceulx qui ces presentes lettres verront, Jehan Petit, licenci? es loix, seigneur de Giencourt, conseiller du Roy, nostre

sire, lieutenant particulier |2 civil et cryminel, ayant pour ce regard la garde du scel es bailliage et gouvernement du cont? de Clermont en Beauvoisiz pour le Roy, nostre sire, et la Royne |8 sa mere, con tesse dudict Clermont, salut. Savoir faisons que pardevant Jehan Allou et Phlippes Billouet, notaires royaulx oudict cont?, comparu rent! 4noble homme et sage maistre Loys Le Caron,escuier, seigneur de Canly 2, lieutenant general au bailliage et cont? de Clermont en Beauvoisiz,y demeurant, d'une part |6, maistre Adrien Tancart3, advocat audict bailliage, et damoiselle Marie Cuvellier 4, sa femme, auparavant luy femme de def?unt maistre Nicolas de Henault, en son vivant esleu a |6 Compiengne, tant en leurs noms que comme tuteurs et curateurs de Marie de Henault, fille dudict def?unt de Henault et de la dicte Cuvellier, et ladicte Marie de Henault |7, d'aultre, assit?e de Lancelot de Vousse 5, escuier, seigneur du

Metz, et demoiselle Suzanne Le Sceller, sa femme, mere de ladicte Cuvelier et ayeulle de ladicte Marie de Henault, |8 et recongnoissans voluntairement icelles parties sans contraincte avoir faict et font

respectivement les dons? promesses et conventions qui ensuyvent. C'est assavoir que ledit Le |9 Caron et Marie de Henault, de l'auc torit? desditz Tancart, sa future, et desdictz sieur du Metz et sa

femme, ses mere et ayeulle et tuteurs, ont promis et promettent se prendre |10 par foy de mariage dans le temps pour ce aco?stum? eii l'Eglise catholique, sy Dieu et notre mere Sainte Eglise s'y accordent.

1 P?re du Pr?sident Alexandre Sorel, auteur de bons ouvrages sur Compi?gne et sur Jeanne d'Arc. ? La totalit? des ? papiers ?e??rain ? ne fut pas acquise par la ville de Compi?gne : le reliquat d?laiss? p?t M. de Bonnault fut alors

acquis par M. Carolus-Barr? p?re, et fait actuel lenient partie de son cabinet. 2

Canly, Oise, arr. Compi?gne, cant. Estr?es-Siint-Denis. 3 Me Adrian Tancart fut sr du fief de la Tour, ? Saint-Germain-les-Ver

berie (A. Bataille, Antiquit?s du Valois, dans C?mit? arch?ol. de Senlis, I, 1896, p. 56). 4 Anne et Marie Cuvelier sont les deux marraines de Jeanne Le Caron, baptis?e le 27 f?vr. 1576 (Ibid., p. 100, n. 5). A la m?me ?poque vivait Charles Cuvelier* contr?leur du domaine du Roi ? Cl?rmont, en 1573 (E* Laurain, Op. cit., p. 221). Sur cette famille clermontoise, cf. Laurain, Ibid., table.

8 Appel? Lancelot de Venisse par Gohin (p. 101, n. 3) : il tint sur les funds

Marie Le Caron, baptis?e le 5 oct. 1582.

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NOTES ET DOCUMENTS 255

Et, en faveur dudict mariage, pour a icellui |u parvenir, lequel autrement n'eust est? faict, lesdictz Tancart et Cuvelier en leurs noms, en faveur d'icellui mariage, ont promis bailler et compter dans la veille du jour |12 des espouzailles audict Le Caron la somme de

quinze cens livres tournois, faire le bancquet desdictes espouzailles a leurs despens, jusques a tel nombre de personnes |18 qu'ilz ad vise ront ensemblement et luy donner et laisser les meubles qu'ilz luy ont preste/ pour s'accommoder en son mesnage, comme pareille

ment lesdictz de |14 Vousse et sa femme, luy ont donn? et donnent les meubles qu'ilz luy ont prestez estans de present en sa possession, et oultre ladicte Cuvelier, sp?cialement |15 auctoris?e dudit Tancart, son mary, pour ce faire et passer, a donn?, cedd?, quiet? et trans

port?, donne, cedde, quiete et transporte, et a promis |iegarandir de tous troubles et empeschements quelconques audit (sic) Le Caron et de Henault, futurs conjoinetz a ce prenans et acceptans pour eulx, leurs I17 hoirs et ayans cause, tout ce que a ladicte Marie Cuvelier

peult competer et apartenir au fief de la Mairie dudit Canly, emsem ble I18 aux rotures, tant en justice, cencives, droietz seigneuriaulx,

maisons et terres labourables, vignes, que aultres heritages et droietz

generallement |19 quelzconques, sans en riens excepter ny reserver, a ladicte Cuvellier appartenans tant par le moien des acquetz et

conquestz par elle faietz avec |20 ledit de Henault constant leur

mariage, que ceulx depuis par elle faietz audict village de Canly, et autrement en quelque sorte et maniere que ce soict, |21 pour en

jo?r par lesdictz futurs conjoinetz du jour de la conjonction dudict

mariage durant la vye de ladicte Cuvelier, et apr?s son trespas par lesdictz futurs |22 conjoinetz, leurs hoirs ou ayans cause, en pleine propri?t? a tousjours, si non que, apr?s le trespas de ladicte Cuvelier, le filz aisn? yssu dudict mariage |23 desdietz de Henault et Cuvelier, auquel ledict de Henault par son testament auroit donn? et l?gu? l'aultre moicti? dudict fief de la Mairie dudict |24 Canly, et terres a

luy appartenans de conquest faict constant ledict mariage, voullut prendre a son promet lesdictz heritages et choses donn?es par |25 ladicte Cuvelier pour son droit successif et portion h?r?ditaire de ladicte Cuvelier, sa mere, auquel cas et auparavant que ledict filz aisn? ou celluy quy le |2e representera puisse ce faire, lesdictz futurs conjoinetz, leursdictz hoirs ou ayans cause, prendront a leur choix et option autant de terres et heritages |27 de la succession dudit de Henault leur pere [en lieu et] assiette de pareille nature

condiction, rente, et valleur que lesdits terres, droietz, heritages |28 et choses cy-dessus donn?es, lesquelles choses ainsy donn?es par lesdictz Tancart et Cuvelier, sa femme, appartiendront ausdietz fu turs conjoinetz pour le droict |29successif de ladicte Marie de Henault en ladicte succession et h?r?dit? dudict def?unt de Henault, son

pere, auquel moiennant ladictes donnation |30 ladicte de Henault, future espouze, de l'auctorit? et licence dudict Le Caron a renonc? *du

1 Cinq ans plus tard\ le 22 novembre 1573, les deux ?poux d?clarent

effectivement s'en tenir aux donations qui leur avaient ?t? faites par Me Adrien Tancart et Marie Cuvelier, sa femme, leur m?re et belle-m?re, et renoncer ? la succession de Nicole de H?nault, lors d'un proc?s que leur intentait Charles Cuvelier? contr?leur du domaine du Roi ? Clermont (E. Laurain, Op. cit., p. 220, d'apr?s Arch. d?p. Oise, E : min. Ph. Billouet).

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256 NOTES ET DOCUMENTS

tout au prof fit dudictTancart et de ladictcCuvclieren |31leurs noms,

sy leur ceddant, quictant, transportant, sans toutcffois aucune

promesse de garantie, fors que de leurs faictz seullement, tous |32 droictz et actions que a ladicte de Henault eust peu compccter et

apartenir en ladicte succession, mesmcs les fruictz et revenus des

heritages |33 que a peu y avoir ladicte Guvellier an la succession dudict de Henault, emsemble tous aultrcs biens meubles et inmeu

bles, sans que cy apr?s |84ilz leur en puissent quereller et demander aultrement compte ; aussy lesdietz Tancart et Cuvellier ont promis et promettent atquicter et desdommager |35lcsdictz futurs conjoinetz de touttes dettes ypothecques, proc?s et aultrcs choses generalle ment quelconques dont ladicte Marie de Henault eust peu |36 estre

tenue a cause et par le moien de la succession et h?r?dit? dudict dei?unt de Henault, son pere, envers quelques personnes et pour

quelques causes que ce soit. |37 Et, pour ce que il s'est trouv? par Testat

du droict successif a ladicte de Henault apartenant a cause de ladicte

succession de son pere faict entre lesdictes parties |38 que les choses

cy dessus donn?es par le present contract tant en deniers, meubles

que h?ritages exceddent de la somme de mil livres tournois pour une I39 foys ledict droict successif de ladicte de Henault, a est? con

venu et accord? entre lesdictes parties que venant par ladicte de

Henault a la succession |40 de ladicte Cuvellier sa mere apres son

trespas, elle sera tenue de rapporter ladicte somme de mille livres

tournois pour une foys, ou moins prendre suyvant |41 la coustume

jusques a la concurance de laquelle somme de mil livres tournois tant seullement les choses dessus donn?es ausdicts futurs conjoinetz seront |42 a ladicte de Henault en advancement d'hoirie de la future succession de ladicte Cuvelicr sa mere, et le surplus pour son droict successif et portion |43 h?r?ditaire de ladicte succession dudict de Henault son pere.

Et de la part dudict Le Caron a promis douer icclle Marie de Henault en douaire |44 coustumer, ou de la somme de cent livres tournois de rente pour chascun an de douaire prefix au choix et

option de ladicte de Henault sy |46 tost que douaire aura lieu a

prendre et percepvoir sur tous et ung chascuns ses biens prescris et

advenir sur lesquclz il a des a present constitue, |46 assiz et assign? ladicte somme de cent livres tournois de rente ypothecquairement une partie respondant pour l'aulire ; et oultre a promis |47 a ses coustz et despens fournir a ladicte de Henault tous habillemens,

bagues et joyaulx concernans Testat qu'il luy plaira faire |48 porter, lesquelz demoureront a ladicte de Henault par preciput ou cas que ledict Le Caron aille de vye a trespas auparavant |49 elle, et sans que pour ce regard elle soit tenue payer aulcunes debtes, et reciprocque ment sy ladicte Marie decedde la premiere, iccllui |50 Le Caron

prendra par preciput ses acoustremens, livres, armes, chevaulx,

bagues et celebritcz servans a son usage ou estude. Et |51 a promis faire ratif??er le present contract par noble homme Pierre Le Caron, escuier, seigneur de Canly, roy d'armes de France au tiltre |52 de

Champagne 1, son pere, mesmes pour le regard de Tappleigement et

1 L'acte d'anoblissement de 1601, d?j? cit?, pr?cise que Pierre Le Caron avait exerc? ? l'espace de quarante ans l'?tat de nostre h?rauli d'armes au

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NOTES ET DOCUMENTS 257

asseurance de ladicte rente de cent livres tournois de douaire

prefix, I53 et i celle faire sums animent valloir sur tous et ung chascun ses biens des le jour des espouzailles.

Et, pour insinuer le present contract de |54 donnation et assigna tion de douaire, lcsdictz Tancart, Cuvelicr, sa femme et ledict Le Caron ont faict et constitu? leur procureur le porteur |56 de ces

presentes auquel ilz ont donn? et donnent plain povoir, procuration et mandement special pour requerir et faire l'insinuation |6edesdictes presentes au greffe du bailliage et ressort ou lesdictz heritages sont assiz et scituez, suyvant les edictz et ordonnances du |57 Roy ; pro

mectans respectivement tenir et avoir agr?able le contenu en ces

presentes, obligeans biens chascun endroict soy et n'y contrevenir |68 sur peine de tous deepens paier, renon?ans a toutes choses a ces lectres contraires, mesmes ladicte Guvelier et ladicte de Henault, des auctorilez |

9 que dessus, a tous droietz introduietz a la faveur

des femmes actendu qu'il est question de leur propre obligation et

que ledict |60 mariage n'eust est? faict. En tesmoing de ce nous avons scell? ces presentes dudict scel.

Ce fut faict et pass? |61a Clermont, le jeudi vingt deuxiesme jour d'avril l'an mil cinq cens soixante huict. Ces presentes |6a servane

pour ledict sieur lieutenant general.

Allou. Billouet.

(avec paraphes).

(Au verso de l'acte est ?crit :)

Le septiesme jour de d?cembre l'an mil cinq cens soixante huict, pardevant nous Anthoine Le F?ron, lieutenant civil et criminel a Compiengne de monsieur le bailly de Senlis, le present contract a est? insinu? et enregistr? au registre des insinuations du greffe dudict bailliage, a la requeste de Me Lois Le Caron, escuier, seigneur de Canli, lieutenant general au bailliage et cont? de Cleremont et damoiselle Marie de Henault, sa femme, donnataires d?nommez en icelluy contract, comparans par maistre Anthoine Thibault, advocat audict Compiengne, suivant la clause appos?e audict contract portant procuration au porteur d'icelluy pour faire ladicte

insinuation, dont ledict Thibault oudict nom a requis lectres pour servir et valloir audict Le Caron et sa femme comme de raison. Ce

que luy avons octroi?, et sign? ces presentes de nostre seing manuel les jours et ans dessus dietz.

F?ron. Lagnier.

(avec paraphes).

titre de Champagne, au grand contentement de nos dits pr?d?cesseurs Roys ?. Dans son tr?s long dialogue juridique La Claire ou de la Prudence de droit, paru en 1554, Charondas se fait dire par sa docte partenaire : ? la sacr? sainte etinuiolable dignit? de h?raus d'armes par les Romains appeliez f?ciales, laquelle d?core l'honneur de vostre noble et h?ro?que p?re, d?cor? du tiltre de Champagne? (fol. 77 v?, cit? par Gohin, Op. cit., p. 3, n. 1) ; ailleurs encore, Charondas fait l'?loge de cette charge de h?raut (Pandectes ou Digestes du Droit

fran?ois, fol. 364 v? ; cf. Pinvert, p. 130). ? Pierre le Caron vivait encore en

1576, puisque le 27 f?vrier de cette ann?e il tint sur les fonts baptismaux de Saint Samson de Clermont, sa petite fille Jeanne (Gohin, Op. cit., p. 100, n. 5).

17

09:50:49 AM

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258 NOTES ET DOCUMENTS

UN PRINCIPAL AU COLL?GE DU PLESSIS : NICOLE LESCOT

1558-1562

? En 1556 ?, ?crit M. Griveaud dans son Essai sur le Coll?ge du Plessis1 ? une communaut? de pensionnaires s'?tant

?tablie au coll?ge, les boursiers c?d?rent par bail ? un prin cipal

2 les revenus des loyers des chambres et des locaux pour l'entretien des r?gents et des enfants ?, et voici que le Minutier Central des Notaires offre, comme illustration ? ce

texte, les deux premiers de ces baux.

Trop succinct, le premier nous apprend seulement que la charge de la principaut? fut baill?e le 9 septembre 1556 ?

Barth?l?my Carreyra, docteur r?gent en la facult? de Th?o

logie, demeurant jusqu'alors au coll?ge de Montaigu3. Le second 4, au contraire, nous fournit des renseignements

pr?cieux : le 15 mai 1558, la charge de principal ?tant vacante, 15 des 40 boursiers du coll?ge se r?unirent pour lui nommer un titulaire. Leur choix se porta sur un habitu? de la maison, Nicole Lescot, ma?tre ?s arts, gouverneur et ?conome du

coll?ge ; et, bailleurs et preneur ?num?r?rent leurs droits et

leurs devoirs respectifs dans un long document qui nous four

nit maintes indications pr?cieuses sur l'office de principal 5. Les avantages de la charge consistaient dans la libre dis

position d'une partie des locaux du coll?ge. Lou?s ? des ?l?ves suivant les cours de la maison ou ?tudiant en ? facult? sup? rieure ?, ils abritaient ce qu'on appelait alors une ?

p?da

1 Martial Griveaud, Essai historique sur le Coll?ge du Ptessis de l'Uni versit? de Paris (1318-1797) dans Positions des th?ses soutenues par les ?l?ves de la promotion de 1922, pour obtenir le dipl?me d'archiviste pal?ographe, p. 60-69.

2 II est ? remarquer que la charge de principal existait d?j? puisque, en 1544, Michel du Guernier nous est signal? comme l'occupant (cf. Arch. Nat.,

Min. Ce?ir., Etude LXXIII, reg. 4 ? 1544 [n. st.], 22 f?vr.). * Arch. Nat., Min. Centr., Etude LXXIII, reg. 50, ? la date.

4 Id., Etude LXXIII, reg. 52, fol. 90 et sq. 5 Un document de ce genre a ?t? publi? par Charles Jourdain dans Le

Coll?ge du Cardinal Lemoine, extrait du tome III des M?moires de la Soci?t? de l'Histoire de Paris et de l'Ile-de-France (Paris, 1876), p. 25. Il s'agit d'une transaction terminant un proc?s qui avait mis aux prises boursiers et grand

ma?tre au sujet de l'attribution de la charge de principal. Cet acte est dat? du 15 janvier 1647 et sa comparaison avec le notre prouve qu'en l'espace d'un si?cle aucun changement notable n'?tait intervenu dans les fonctions d'un principal de grand coll?ge.

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NOTES ET DOCUMENTS 259

gogie ?. Si, mat?riellement, ce genre de pensionnat consti tuait un b?n?fice pour le principal, le coll?ge y trouvait aussi son profit, puisque l'affluence des ?l?ves servait tout

RUE SAINT - JACQUES

RUE CMARTI ERE

naturellement ? ?tendre sa renomm?e 1. Plus les b?timents

du coll?ge ?taient vastes, et plus la ? p?dagogie ? pouvait se faire sur une grande ?chelle. Il semble qu'? cet ?gard le col

l?ge du Plessis fut bien pourvu2 : quelques vagues que

1 Cf. Ch. Jourdain, art. cit?, p. 15. 2 Voici la description g?n?rale que citent Berty et Tisserand, dans Topo

graphie historique du Vieux Paris, R?gion Centrale de l'Universit? (Paris, 1887), p. 266 : ? corps dudict college contenant plusieuis corps d'hostel, chap pelle, cour et jardin et 2 maisons estantes dans lad. rue Sainct-Jacques con

tig?es dud. college, l'une le Mouton blanc, l'autre les Trois Saulcieres et deux

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260 NOTES ET DOCUMENTS

soient les indications, il est possible de d?terminer huit corps de logis : la maison de la Cuiller 19 rue Saint-Jacques, pr?s de la grande entr?e du coll?ge, le corps d'h?tel de la cha

pelle, le logis de brique pr?s du puits, la ? maison du four ?, deux corps d'h?tel neufs 2, l'un donnant sur le jardin et l'autre rue Fromentel 3, le logis situ? ? sous la cloche ? et enfin le corps d'h?tel ? o? loge le septiesme r?gent de gram maire ?. La totalit? de ces b?timents n'?tait pas accord?e au

principal : les boursiers se r?servaient leurs chambres et

quelques locaux qu'ils louaient ? leur profit. N?anmoins, les revenus en ?taient suffisamment importants pour que le

preneur, qui devait d?j? faire face ? un grand nombre de

d?penses inh?rentes ? ses fonctions, y trouv?t un b?n?fice

apr?s avoir pay? au Coll?ge un loyer annuel de 165 livres tournois. En dehors de cette redevance, quelles ?taient les

obligations du principal ? On les trouvera expos?es tout au

long dans l'acte, mais nous pensons qu'un r?sum? m?tho

dique en facilitera la lecture.

I) Obligations envers le Coll?ge :

a) C'est vers le bien de la personne morale, que repr?sente le coll?ge, que sont tourn?es les obligations du principal. Encore y en a-t-il certaines qui tendent plus sp?cialement ? maintenir la renomm?e et ? continuer les traditions de la maison. Ainsi, le principal devra-t-il, pour l'enseignement des arts, choisir ? bons regens bien renommez... comme on

faict aulx aultres colleges famez... en ceste d. Universit?

[8] 4 et ? leur faire faire et entretenyr sans diminuer l'exer

cice, tant en philosophie que grammaire et r?torique ? [1]. A son entr?e en fonction, le principal promettait de ne

prendre en m?me temps la charge d'aucun autre coll?ge et

s'engageait ? ne ? distraire aulcun des regens, pedagogues ou enf?ans ?, lors de son futur d?part [19].

La f?te du coll?ge, qui se c?l?brait le 4 juillet, le jour de la Saint-Martin d'?t? 5, donnait lieu ? diverses manifestations

petites boutiques, le tout attenant et, du cost? dud. college iespondant en lad. rue Sainct-Jacques, tenant tout led. college d'une part ? la rue Fro

mentel, d'autre part ^u college de Marmoutiers, par derri?re ? plusieurs maisons de la rue Chartiere. ?

1 Sise entre la maison du Mouton au Nord et le Coll?ge de Marmoutiers au Sud (Cf. Berty et Tisserand, op. cit., p. 243). 2 Berty et Tisserand (ibid., p. 266) disent au contraire que les b?timents faisant l'objet du legs de Geoffroy du Plessis n'avaient pas ?t? restaur? et subsistaient dans un grand ?tat de caducit?.

3 Elle prolongeait la rue du Cimeti?re Saint-Benoit vers l'Est et aboutis sait rue Charti?re.

4 Les num?ros correspondent ? ceux que nous avons inscrits en t?te des diff?rentes clauses de l'acte afin d'en rendre la consultation plus claire.

5 Le v?ritable nom du Coll?ge du Plessis ?tait Coll?ge de Saint-Martin du-Mont.

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NOTES ET DOCUMENTS 261

dont les pr?paratifs incombaient au principal. La veille de la f?te avaient lieu une collation et un feu de joie accom

pagn?s de r?citations ou de chants en latin et en fran?ais [21]. Le jour m?me ou le dimanche suivant, ?taient repr?sent?es, sous la responsabilit? du principal, diverses com?dies latines et fran?aises [11] \

La Saint-Jean, ?galement, ?tait l'objet de r?jouissances :

feu, collation et chants s'y d?roulaient selon le m?me pro gramme que la veille de la Saint-Martin [21].

C'est aussi au principal que revenait, en diverses circons tances (processions), le soin de faire tapisser la fa?ade du coll?ge qui, en bordure de la rue Saint-Jacques, allait de la

maison du Mouton au coll?ge de Marmoutiers [11] 2.

b) Les boursiers, qui ?taient les repr?sentants du coll?ge, avaient soin de se r?server certains privil?ges. Le principal devait les autoriser, ainsi que les ?tudiants de leur famille, ? suivre les cours d? philosophie sans rien exiger d'eux, si ce n'est un droit symbolique [14]. Lorsqu'une place de r?gent ?tait vacante au coll?ge, et s'il se trouvait un boursier qui e?t les capacit?s requises pour la remplir, le principal ?tait tenu de l'en pourvoir de pr?f?rence ? d'autres, et, s'il s'y refusait, devait une indemnit? [15],

Une grande libert? ?tait laiss?e aux boursiers et p?da gogues dans la direction qu'ils exer?aient sur les enfants ? qui ils louaient les chambres dont ils disposaient [16]. De m?me, ils pouvaient punir tout enfant trouv? en faute sans avoir besoin de pr?venir le principal [10]. Toutefois, les boursiers ne devaient pas, sans autorisation de celui-ci, louer leurs chambres ? des h?tes qui n'avaient pas quitt? le pen sionnat depuis plus de trois mois [17] 3. D'ailleurs, pour faciliter leurs locations, les boursiers se r?servaient la facult? de r?cup?rer certaines chambres pr?alablement c?d?es au

principal, quitte ? d?dommager celui-ci [22]. A son entr?e en fonction, le nouveau titulaire devait bailler

caution aux boursiers ? dedans trois mois ? [24] et leur pro mettait, s'il se d?sistait de son office avant l'expiration du bail, de les pr?venir par devant notaires six mois avant son

d?part. Il s'engageait, en outre, ? vider les lieux quinze jours auparavant afin de permettre ? son successeur de faire entrer ses provisions de bl?, de vin et de bois [25].

x Une forte amende de 15 ?cus d'or ?tait inflig?e au principal qui, sans excuse valable, manquait ? cette coutume.

8 Cette fa?ade ?tait constitu?e par la maison de la Cuiller. 3 Cette clause ?tait d'ailleurs r?ciproque et une amende de 2 ?cus d'or

frappait la partie qui ne la respectait pas.

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262 NOTES ET DOCUMENTS

En cas de guerre ou de peste, entra?nant l'?vacuation des ?coliers du coll?ge, les boursiers consentaient un rabais de loyer [24].

c) L'entretien des b?timents du coll?ge et le souci que le principal devait avoir de leur propret? faisaient l'objet de plusieurs stipulations [12] x. Le puits donnait mati?re ? une recommandation sp?ciale. 11 ?tait commun aux habi tants et locataires 2 du coll?ge et aux boursiers de Marmou tiers. Les voisins avaient droit d'y venir puiser leur eau ? condition de payer pour l'entretien de la corde et du seau. Le soin de ces deux accessoires revenait au principal qui devait veiller ? la salubrit? de l'eau et faire nettoyer le puits en mars, mai et ao?t, sous peine d'encourir une amende de 10 sous tournois [13]. L'entretien de la cloche lui incombait de m?me [25]. Quant aux meubles qui se trouvaient dans le coll?ge, le principal devait les laisser dans l'?tat o? il les avait pris [23]. 11 ?tait tenu ? un respect aussi scrupuleux des ? murailles, planchers et cloisons ? et les soumettait tous les six mois ? un inventaire, s'engageant ? r?tablir ce qu'il pouvait y avoir chang? [20]. Enfin, les r?parations int? rieures des b?timents lui incombaient [22].

II) Obligations ? V?gard des r?gents et p?dagogues :

Le principal devait veiller ? ce qu'ils assistent aux messes et services et ? se gouvernent selon les statuts de l'Univer sit? ?. Il se faisait aider d'eux pour maintenir les enfants ? en bonne crainte de Dieu et discipline ? [5].

Il avait soin aussi de leur ? faire faire leurs actes, tant aud.

college qu'en la rue du Fouerre ? [8] 3.

III) Obligations ? V?gard des ? hostes ? :

Le principal ?tait tenu de choisir gens ? bien renommez et non scandaleulx ? et de les tenir ? en est?t scollasticque hon

neste ?. Il ?tait responsable de leur conduite [6] et devait veiller ? ce qu'ils observent les coutumes du coll?ge, en par ticulier ? ce qu'ils ne jettent pas d'eau ? mesme propre ? dans les jardins, cours et autres lieux [3].

1 Une amende de 4 sols parisis sanctionnait leur inobservance. 2 L'une des deux boutiques que le coll?ge poss?dait rue Saint-Jacques

?tait lou?e ? Hector Turpin, compagnon imprimeur, et ? Prothaise Grand, sa femme, moyennant 25 livres tournois de loyer annuel. (Arch. Nat., Min. Ce?ir., ?tude LXXIII, registre 26 ? 1562 [ . st.], 7 mars). 8 C'?tait dans la rue au Fouarre, voisine de la place Maubert, que se trou vait la Facult? des Arts (Cf. A. Franklin, Etude sur le Plan de Paris de 1540, p. 106).

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NOTES ET DOCUMENTS 263

IV) Obligations ? V?gard des ?l?ves :

a) Au point de vue de l'instruction, le principal devait maintenir le niveau des classes, faisant lire aux enfants ? livres non scandaleulx ? adapt?s ? ? leur capacit? ? [1], 11 devait veiller ? ce qu'ils portent et lisent leurs ? rooles en chascune classe ? [1] et fassent ? le?ons et disputations non clameuses ? [4]. Permission ne sera donn?e aux ?tudiants de suivre des cours ? l'ext?rieur du coll?ge que pour ? ?tudier en sup?rieure facult? ? [6],

b) L'?ducation religieuse comportait la pr?sence aux ser vices divins 1. Les enfants devaient y assister sans oublier leurs ? heures ? et sans ? confabuler ? [5]. Les jours de f?tes, les dimanches de l'Avent et du Car?me, un sermon s'ajoutait aux offices ordinaires [9].

c) La discipline ?tait stricte. Devaient ?tre punis les enfants qui avaient, sans excuse valable, manqu? la messe

ou les le?ons et ne s'?taient pas, au jour fix?, rendus ? ? con fesse ? [1].

Le principal devait veiller ? ce qu'on ne s'amus?t point ? l'int?rieur des salles et galeries et dans les escaliers. Jouer aux raquettes et au palet, lancer des pierres ?tait d?fendu. L'acc?s du jardin et des galeries o? se trouvaient ? gens gradu?s

? ?taient ?galement interdit. A ces personnes, les

enfants ?taient tenus de porter ? honneur et reverence ?. Il

leur ?tait aussi fait recommandation expresse de s'abstenir

de jurer, blasph?mer et ? parler fran?ois 2? aussi bien durant les repas et les ? disputtes ? qu'? tout autre moment. Le soir, les ?coliers devaient se retirer ? d?s la retraite sonn?e ?

[2]. Pour l'aider dans sa t?che, le principal faisait choix d'un

? president de la discipline ? et avait soin de s'assurer d'un

portier ? qui ayt l' il sur les enfants ? et charg? par surcroit de retrouver ceux qui viendraient ? s'?chapper [18].

Voil? donc les obligations auxquelles s'?tait engag? Nicole Lescot pour un bail de six ann?es. Il ne put cependant les

remplir jusqu'au bout. La maladie le contraignit ? se d?char ger de l'administration du coll?ge apr?s quatre ans. Le 8 f?vrier 1562 [n. st.], il faisait part aux boursiers de son

1 D?tail curieux : c'?tait le principal qui fournissait le vin de la messe ; c'?tait lui, ?galement, qui procurait le pain quand il y avait messe de com munion des ?coliers.

* Sur l'emploi du fran?ais dans les Coll?ges, voir l'ouvrage du R. P. Fr. de

Dainville, La naissance de l'humanisme moderne, t. I (Paris, 1940), p. 6 et 121.

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264 NOTES ET DOCUMENTS

d?sir d'abandonner sa charge et, le 16 du m?me mois, un acte notari?1, pass? ? en la bibliothecque commune dud. colleige ?, enregistrait sa renonciation. La cessation de bail devait se faire ? la date du 1er avril. Jusqu'? ce jour, Nicole Lescot ?tait tenu de poursuivre sa t?che, si les boursiers ne lui trouvaient pas de successeur ; en ex?cution aux clauses du bail, il s'engageait ? r?gler certaines questions d'admi nistration int?rieure et ? s'acquitter de ce qu'il devait aux boursiers.

Yvonne Lanhers et M. Connat.

Et. LXXIII, reg. 52.

I

[ Folio 90]. Furent presen s v?n?rables et discrettes personnes ma?tres Jehan Davost, procureur, Regnault Cheval2, Jehan le

Ma?on, Jehan Desprez, Olivier Michel, Guillaume Michel, Mathurin

Colenau, Pierre Ramyer, Alain Laurens, Jehan Le Tort, Thomas

Brosse, Anthoine Le Roy, Guillaume Calvetz, Michel Trotte et Michel Mac?, boursiers tous du Coll?ge du Plcssis, fond? en l'Uni versit? de Paris, faisans et repr?sentans par le pr?sent, comme ilz

disoient, la plus grande et sayne partye des maistres, principal, procureurs et boursiers dud. coll?ge, deuement congregez et assem blez en la chappelle d'icelluy coll?ge, yssus de vespres, apr?s le son de la cloche, en la many?re acoustum?e, lieu acoustum? dud. congreger et assembler, pour traiter et d?lib?rer des affaires dud. coll?ge, d'une part ; et maistre Nicole Lescot, maistre es

artz, gouverneur, equonome dud. coll?ge en son nom, d'autre

part. Lesquelles partyes esd. noms, de leurs bons gr?z, recon

gnurent et confess?rent avoir faict, feirent et font entre culx et de bonne foy, les bail et prinse, conventions, accordz, promesse et obligations qui ensuivent. C'est assavoir, lesd. du coll?ge sus

nommez, pour et ou nom de leur d. coll?ge et pour le promt faire

d'icelluy, avoir baill? et d?less?, baillent et d?lessent ? tiltre de

loyer et pris d'argent, du jour de demain, sezeisme jour du pr? sent moys de may jusques ? jour Sainct Jehan-Baptiste prochain, et dud. jour Sainct Jehan-Baptiste prochain jusques ? six ans

prochains apr?s ensuivans, finiz, r?voluz et accompliz, et pro mectent, ou nom dud. coll?ge, garentyr durant led. temps, aud. maistre Nicole Lescot, preneur aud. tiltre pour luy, led. temps durant, l'exercice de la principault? des r?gens et enf?ans estu dians aud. coll?ge, selon la coustume des principaulx de coll?ges en l'universit? de Paris, avec les maisons, chambres et aultres choses et lieux cy apr?s d?clarez, le tout estant aud. coll?ge et des

appartenances d'icelluy [Verso]. C'est assavoir, deux chambres avec leurs estudes et grenyers

1 Arch. Nat., Min. Centr. Etude LXXIII, registre 26 ? la date. 1 Son inventaire apr?s d?c?s est du 13 novembre 1561 (Arch. Nat., Min.

Centr., Etude LXXIII, l'asse 43).

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NOTES ET DOCUMENTS 265

estans au logis de brique, pr?s le puys, contig?es de celles que tiennent et occuppent mais tres Pierre Ramyer et Pierre Riviere, bourcyers d'icelluy college. Item, la maison du four ainsi qu'elle se comporte. Item, la chambre et sallette basse avec leurs estudes et apartenances estans au corps de logis dessoubz la cloche de l'exercice. Item, une chambre haulte avec ses gienyers et estudes estans au corps d'hostel o? se tient, de pr?sent, le septiesme regent de gramaire. Item, une aultre chambre avec ses estudes aud.

corps d'hostel du logis, soubz la chambre o? se tient ? pr?sent led. maistre Regnault Cheval. Item, troys aultres chambres scitu?es sur les six, sept et huictiesmes classes avec leurs grenyers et estudes.

Item, toutes les chambres, grenyers et estudes du grand corps d'hostel neuf, sur le jardin, sauf et r?serv? troys chambres, leurs

estudes, grenyers, apartenances que tiennent de pr?sent maistres Allain Laurens, Michel Mac? et Thomas Brosse, boursyers dud.

college, reserv? aussi la salle et cuisine estant aud. corps d'hostel neuf, que lesd. du college bailleurs ont speciallement r?serv?es

pour leur usaige et commodit?. Item, une chambre et estude

jouxte la petitt? porte estant dessoubz la chambre maitre Jehan David, l'un desd. boursiers. Item, quatre petittes chambres faictes de boys avec leurs grenyers, estans sur les chambres de maistres Jehan Ma?on et Jehan Le Tort, aussi boursiers. Item, la pre my?re chambre du corps de logis faict de nouveau aud. college dessoubz la chambre de ma?tre Fran?oys Lain?, pareillement l'un desd. boursiers. Item, la cave estans dessoubz la dicte maison

ayant yssue d'un cost? en la rue de Fraumentel, et d'aultre cost?

par le pied de la mont?e dud. logis. Item, la grande salle, cuisine et d?pense avec toutes et chacunes les classes et reigles servans ?

[folio 91] l'exercice dud. coll?ge. Item, cinq chambres, leurs estudes et grenyers estans joignans et contig?es la mont?e par laquelle on va ? la chappelle d'icelluy coll?ge. Item, la maison de la Cuil

lyer estant dedans led. college, pr?s la grand porte, qui consiste en quatre chambres avec aucunes estudes, ayant veue sur la rue

Sainct-Jacques et la cave, caveau et sallette estant dessoubz lad. maison de la Guillyer, dont par cy devant auroyt est? faict bail par lesd. du coll?ge ? part. Pour desd. choses, ainsi de pr?sent baill?es et prinses, joyr par led. preneur aud. tiltre durant led. temps de tous fruictz, prouffictz, revenuz et esmoluemens, c?stz presens bail et prinse aud. tiltre faictz auxd. charges et r?servations cy apr?s d?clar?es, que led. preneur sera tenu faire et accomplyr sans diminution du pris cy apr?s d?clar?, de poinct en poinct, selon les articles et clauses qui ensyuvent :

[1] Premi?rement, sera led. preneur tenu de faire faire et entre

tenyr sans diminuer, l'exercice tant eh philosophie ? gram maire et r?toricque aud. coll?ge, et fera lire livres lion scanda leulx, mais approvez selon la capacitt? des enfans, en chacune classe, et contraindra faire porter et lire les roolles en chacune desdites classes et punyra les absens du divin service, gr?ces et

le?ons, ensemble ceulx qui, aux jours deputtez pour aller ? con

fesse, n'y auront est?, et pour ce en fera rendre compte ? chacun normateur led. jour ? gr?ces ou vespres.

[2] Item, ne permectra aux enf?ans d'estre ny jouer ? quelque Our que ce soyt es salles, galleryes et mont?es du coll?ge, aux

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266 NOTES ET DOCUMENTS

jeux qui leur seront permis de jouer ; les fera et contraindra reti

rer, incontinant apr?s la retraicte sonn?e, laquelle retraicte led.

preneur fera sonner ? l'heure de?e, ne les permectera, aussi quant ilz jouront, jouer de racquettes ny pallettes au dedans dud. col

lege, ne ruer pierres par led. coll?ge ny es lieulx circonvoysins. Et, l? o? de ce en advenoyt aulcun dommaige, led. preneur en

promect et sera tenu respondre et indempnis? lesd. du coll?ge bailleurs [perso] ne permectera aussi ausd. enf?ans se pourmener ny jouer au jour de jeu ou aultre jour par les courtz, salles ou gal leryes dud. coll?ge, pendant qu'il y aura esd. lieulx gens graduez ou aultre personne de qualit? et les contraindre selon raison por ter honneur et r?v?rance ? telles gens, oui tre en jouant ny autre

ment, ne permectera lesd. enf?ans jurer ne blasph?mer, parler fran?oys, ny jurer durant les repas, gr?ces sonn?es ny pendant les disputtes, le?ons, ne aultres heures indues de jouer. Plus, ne

communicquera sa clef du jardin desd. bailleurs et punyra les enf?ans qui seront entrez aud. jardin et en la cuisine et salle desd. bailleurs. [3] Item, ne permectera aussi ? aulcun de ses locataires

ny r?gens, jecter ny faire gecter eauls quelzconques, ? quelque heure que ce soyt, mesmes qu'elles feussent nectes, dedans led.

jardin, ny es courtz ny aultres lieulx dud. college et, o? aulcuns de ses d. regentz locataires ou leurs gens en gecterons, led. pre neur payera pour chacune foys quatre solz parisis d'amende aplic quable ? la discretion desd. bailleurs.

[4] Item, fera faire les le?ons et disputations non clameuses tant en philosophie, rethoricque que grammaire, tant generalles que parti cuill?res, selon la coustume des aultres bons colleges de ceste Universit?. [5] Item, contraindra ses regens et p?dagogues d'assister es messes et services et se gouverner en toutes aultres choses selon les statuz et ordonnances de ceste universit? prin cipallement assisteront ensemble led. preneur au divin service

pour faire leur deb voir, chacun en son endroict, de tenir et entre

tenyr les enf?ans en bonne crainte de Dieu, devotion et bonne

dicipline, et fera regarder, sonner et notter les enf?ans qui ne diront leurs heures et service, qui ne porteront heures et confabuleront

pendant led. service divin et ceulx qui y seront def?aullaintz, les

punyra selon raison. [6] Item, fera faire le sermon aulx bonnes festes de l'an et aulx dimanches de l'advan et karesme ? l'heure accoustum?e dud. coll?ge o? assisteront tous les enf?ans [folio 92] d?dict coll?ge, et ne pourront lesdictz enf?ans aller aux le?ons ? aultres coll?ges synon pour estudier en sup?rieure facult?.

[7] Item, ne baillera led. preneur aulcunes de ses chambres

synon ? gens bien renommez et non scandaleulx et desquelz led.

preneur ne veulle respondre comme de ses regens et les fera tenyr en est?t scollasticque honneste selon les statuz et ordonnances de ceste Universit? et, o? d'iceulx en adviendroict scandalle, en

quelque manyere que ce soyt, led. preneur en repondra. [8] Item,

prandra pour l'entretement des artz bons regens, bien renommez et les plus suf?isans et capables lesquelz il contraindra faire leurs actes solempnelz tant aud. coll?ge que ? la rue du Feurre, comme on faict aux aultres coll?ges famez et renommez en ceste d. Uni versit?. Pareillement, prandra, par toutes les aultres classes, bons regens bien renommez et doctes et d'iceulx gaigera les pre

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mier et second selon leurs merittes. [9] Item, contraindra les enffans et aultres ses subgectz aller au service divin quant lesd. bailleurs le feront sonner en leur chappelle et pour c?l?brer la messe ordinaire fournyra de vin et, pour communyer, fournyra led. preneur de vin et pain quant il eschera. [10] Item, quant l? o? aulcun desd. bailleurs trouveront en faulte quelque enf?ant

quelqu'il soyt, le pourra punyr sans appeller led. preneur ny aulcun de ses regens sy bon ne luy semble. [11] Item, led. preneur fera jouer publicquement, en la manyere acoustum?e, ? ses dee

pens, comedyes latines et fran?oises non scandaleuses, par chacun

an, au jour sainct Martin d'est? ou dimanche prochain apr?s. Et, o? il y aura faulte sans excuse legitime et approuv?e par lesd. bailleurs [cerso] en leur congregation solempnelle, led. preneur payera ausdictz bailleurs quinze escuz d'or soleil, lesquelz seront

aplicquez ? faire jouer et le reliqua desd. quinze escuz soleil, s'il

y en a, sera aplicqu? auxd. aornemens et luminaire ou livres de la

chappelle, ? la discreption desd. bailleurs, et ne fera led. pre neur riens jouer aud. college ne gens estans soubz sa charge, que

pr?alablement ce que l'on vouldra faire jouer ne soyt commu

nicqu? au maistre dud. college, et de ce qui sera jou? led. preneur en promect respondre s'il en advient scandalle, trouble ou fache

rye et pour faire lesd. jeulx et soullager led. preneur de fraiz, lesd. bailleurs seront tenuz faire dresser et eriger les escharfaulx ? leurs despens, aud. temps, pour ce faire. Plus, led preneur fera

tappisser et tendre devant le coll?ge, scavoir depuis la maison du Mouton jusques au college de Marmoutyer, quant besoing sera.

[12] Item, fera et sera led. preneur tenu de faire nectoyer tous et chacune les samedis les courtz, degrez et salles dud. college et contraindra les serviteurs porter les immondices tant des chambres

[folio 93] que desdictes salles, courtz et mont?es au dedans du lieu auquel ont est? acoustum? et qui est destin? ? mectre les dictes immondices et tous lesd. samedis en hyver, sy besoing est, faire gecter dedans les mictoryons dud. college, pour les nectoyer, de l'eaue necte, et en est? troys foys la sepmaine. Et, o? au con tenu en ceste article fera led. preneur faulte, payera quatre solz

parisis d'admende aplicable moicty? aux paoures et l'aultre moic

ty? au luminaire de la chappelle. Oultre, de quinzaine en quinzaine fera vuider et mectre hors les immondices dud. college ? ses des

pens et rendre le lieu ausd. immondices nect, desd. quinzaine en

quinzaine en peine de quatre solz parisis d'admende pour chacune

quinzaine, applicquable lad. admende comme dessus. [13] Item, sera tenu led. preneur faire curer le puys dud. college ? ses des

pens troys foys par chacun an, scavoir est au temps le plus com mode en mars, juing et aoust, et fournyra de cordes et sceaulx ? tirer l'eaue, auquel puys pourront venyr qu?rir de l'eaue les voisins dud. college en payant selon la coustume la corde et sceaulx, sauf et except? ceulx qui tiennent leurs maisons ou ouvrouers dud. college, les boursiers de Mairemoustier desquelz led. preneur n'exigera rien non plus que s'ilz estoyent dud. college, et, ? faulte de faire curer led. puys, comme diet est, aud. temps, et d'entre

tenyr de cordes et sceaulx vallables, en sorte qu'il ne soyt poinct une nuict sans corde et sceaulx, payera pour chacune foys dix solz parisis d'admende, applicqu?e comme dessus, et oultre les

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268 NOTES ET DOCUMENTS

dommaiges qui pourroient advenyr par faulte que led. puys n'eust est? gamy desd. sceaulx et cordes vallables et aultres choses

n?cessaires, lesdictz [perso] dix solz parisis applicables moicty? ? la boite des paouvres et l'aultre moicty? au luminaire de la

chappelle dud. college. [14] Item, ne prendra rien led. preneur pendant le temps de

son d. bail des boursiers faisans leurs actes au cours de philoso phie comme d?termination, bachelyers, responses, licences et maistrises ny des parens comme fr?res, cousins et nepveuz des d. bailleurs fors le droict d'honneur, savoir est les gandz et bonnet.

[15] Item, sera tenu led. preneur et piomect pourvoir les maistres es artz boursiers ou regens selon leur capacit? occurant lieu de vacation au jugement du maistre et des aultres bourcyers dud.

college faict en leur congregation, lesquelz seront pr?f?rez ? tous aultres ? la nomination des dictz du college pourveu que la dicte nomination soyt faicte au diet preneur en congregation, dedans le jour sainct Martin includ, qui est le quatriesme juillet, sans ce

que lesdictz boursiers aspir?ns ? la dicte r?gence soyent tenuz bailler aud. preneur aucuns pentionnaires ny aultres choses pour ladicte r?gence. Et l? o? ils mestoyent aulcuns de leurs eni?ans en la pention dud. preneur ?es pourront retirer, quant bon leur

semblera, en payant pr?alablement leur pention au prorata du

temps qu'ilz y auront est?. Lesquelz boursiers regens seront tenuz faire leur debvoir en la dicte r?gence et rendre ob?issance aud.

preneur [folio 94] comme les aultres regens sans que led. preneur soyt contrainct ne tenu ? cause de ladicte r?gence bailler chambre ausdietz boursiers regentans, mais se contenteront de leur chambre boursable sy aultrement lesdictz preneur et boursiers regentans ne l'acordoyent entre eulx pour certaines causes sans toutesfoys prejudieyer en rien en ce present bail. Et o? enti?rement led.

preneur n'observera et fera observer le contenu de poinct en

poinct en cest article payera pour chacune faulte de chacun poinct ung escu d'admende, moicty? aux paouvres et l'aultre moicty? ? la discretion desd. bailleurs, et, o? refusera apr?s la nomination dud. college, faicte comme dessus, de pourveoir les dictz boursiers de r?gence, payera la pention de Tan entyer, de celluy que aura ref?uz?. Et n'aura pourveu de regens selon ladicte nomination au

pris de pention de regens de vingt-six eseuz soleil et aultres dom

maiges de celluy qui seroyt ainsy ref?uz? par led. preneur. [16] Item, ne pourra exiger ne demander led. preneur aulcun

droit de cameristaige des cameristes et pencionnaires que tien dront lesd. boursiers tant regentans que non regentans ny de ceulx que tiendront les pedagoges tenans les chambres desdietz

boursiers, lesquelz boursiers et pedagogues [perso] pourront don ner cong? ? leurs enf?ans d'aller en ville ou aux champs quant bon leur semblera, sans rien en communicquer aud. preneur ny ? aultre. [17] Item, led. bailleurs ny leurs hostes ne pourront au cunement recepvoir en leurs chambres aulcuns enf?ans qui auront est? demourans es chambres dud. preneur ou d'aulcuns de ses

hostes, sans le consentement dud. preneur ou de sond. hoste en la chambre duquel sortira led. enfant ou enf?ans y demourans. Ne

pourront, aussi, lesd. bailleurs louer leurs chambres ? aulcuns des hostes dudict preneur sy apr?s avoir laiss? et estre sorty

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NOTES ET DOCUMENTS 269

dud. college led. hoste dud. preneur n'a est? absent l'espace de

troys moys hors dud. college, auquel cas pourra led. hoste estre receu sans le consentement dud. preneur, et est accord? entre les d. bailleurs et preneur que le contenu en cest article sera rcciprocque. Et, l? o? aulcun desd. bailleurs ou preneur ou leurs hostes aura faict au contraire en cest article, sera tenu vers l'aultre de deulx escuz soleil, pourquoy observer et garder led. preneur se charge pour ses hostes et regens en sorte que, s'ilz font au contraire de cest article, on ne s'en prandra que audict preneur, et en cas

pareil ? celluy des bailleurs, duquel l'hoste auroyt mal us?, en ce

que diet est cy dessus en cest article.

[18] Item, led. preneur sera tenu mectre ung portyer suffisant et de bonne vye et dilligence qui ayt l'oeil [folio 95] sur les enf fans, et fidelle comme ? ung portyer de college apartient de faire, et, o? il s'absentera aulcun des enf?ans, led. preneur sera tenu faire dilligences ? luy possibles de le recouvrer.

Et aussi sera tenu led. preneur nommer, presenter et mectre aud. college ung personnaige notable qui sera accept? par lesd. du college bailleurs pour avoir la charge de principal et president sur la discipline et regime des enf?ans et estudians aud. college et pour lequel president quant ? present led. preneur a present? et nomm? ausd. du college bailleurs maistre Jehan Hariel, nagueres recteur et ? pr?sent, et longtemps a, regent aud. college, qui a est? par eulx accept?.

[19] Item, led. preneur ne pourra cedder ne transporter le droict du present bail en tout ou partye ? aulcunes personnes sans le

gr?, voulloyr et consentement expr?s desd. bailleurs et, o? led.

preneur feroyt aultrement, led. present bail demeurera nul. Et aussi ne pourra led. preneur prendre charge d'aultre college pen dant led. present bail. Et quant d?partira ny auparadvant ny distraira aulcun des regens pedagogues ny enf?ans dud. college ? peine de tous despens, dommaiges et interestz. [20] Item, ne

pourra led. preneur ne ses hostes desmollyr, muer ny changer en aulcune manyere murailles ny planchers, cloisons ny couvertures

pour faire fenestres, changer les veues ny faire aultre chose sans

pr?alablement [perso] le consentement desd. bailleurs, et, o? aulcun de sesd. regens ou hostes ou leurs gens auroyent faict au contraire ne se prendront lesd. bailleurs que audict preneur, lequel sera tenu faire restablyr ce qui aura est? chang? ou des

moly en est?t deu et oultre sera tenu en tous les dommaiges qui pourroyent venyr ? cause desd. desmolissemens et chacun d'eulx. Et, pour ? ce faict pourveoyr, sera faict memoyre ou inventaire des veues qui sont esd. lieulx, baillez aud. bailleur [sic], lequel il sera tenu signer et bailler ausd. bailleurs et assistera en per sonne, de six moys en six moys, avec les deputtez ou d?l?guez de la communault? desd. bailleurs pour aller visiter lesd. lieulx et veoir s'il y aura poinct de demolissement et mutation de veues ou aultres choses.

[21] Oultre, led. preneur sera tenu, la vigilie Sainct Jehan

Baptiste, par chacun an, faire le feu et collation en la manyere acoustum?e ? ses despens, et la vigilie Sainct Martin d'est?, qu^a triesme jour de juillet, aussi par chacun an, auquel jour lesdietz bailleurs font le feu et collation, led. preneur contraindra ses

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270 NOTES ET DOCUMENTS

regentz et enffans faire carmes ou proses et esglogues pour d?cla mer et jouer devant led. feu en la manyere acoustum?e, sans eschafaulx toutesfoys.

[22] Plus, led. preneur sera tenu aux m?mes reparations des lieulx ? luy baillez selon les us et coustume de Paris et lesd. bail leurs le tiendront cloz et couvert. [22] Item, sera tenu led. pre neur et promect de bailler et laisser ausd. bailleurs, pendant le

temps dud. present bail, les chambres de boys ou aulcunes d'icelle, selon le nombre que lesd. bailleurs en pouront avoir affaire au

choix desd. bailleurs quant requis en sera par iceulx bailleurs, pour le pris de dix livres par [folio 96] an, ? desduyre aud. preneur sur le loyer dud. college, lesd. chambres situez au dessus des chambres de maistre Jehan le Ma?on et Jehan le Tort, bourciers, en luy signiiTiant devant aux us et coustume de Paris. [23] Item plus, rendra ? la fin dud. present bail ou quand il s'en ira les fenestres, verri?res, tables, treteaulx, bancqz, selles et tous aultres meubles

apartenans aud. college en tel est?t qu'ilz luy seront baillez et ainsi qu'ilz sont en iceulx lieulx ainsy baillez aud. preneur, et

lesquelz meubles luy seront baillez par inventaire par les deppu tez de la communault? desd. bailleurs pour lequel inventaire faire assistera led. preneur avec lesd. depputez et, estant faict, le signera et ce dedans ung moys apr?s led. present bail commenc?. [24] Et oultre a est? accord? que o? il adviendroyt fortune de guerre,

peste ou famyne (que Dieu ne veuille), de telle sorte que l'exercice dud. college et d'aultre les myeulx famez et renommez de ceste

Universit? fust distraict et rompu et que ses locantz delaisseroient ses chambres sans riens luy en payer, et ses gens et pensionnaires sortyroient dud. college ? cause desd. cas et fortune, sans que led.

preneur receust aulcun prouf?ict d'iceulx, lesd. bailleurs esd. cas et chacun d'iceulx advenans seront tenuz desduyre et rabattre aud. preneur les louaiges dudict college au prorata du temps que l'exercice auroyt cess? ausd. colleges famez. Moyennant aussi que led. preneur payera se que pouroyt estre deu ? cause dud. loyer auparavant lesd. fortunes advenues au pris dud. loyer. Et led.

preneur baillera et sera tenu bailler bonne et suffisante caution

bourgeoise [perso] du pris dudict loyer et accomplissement des

charges et conditions contenues en ce present bail, dedans troys moys apr?s le premyer jour de ce present bail. Et, ? faulte de ce

faire dedans led. temps, led. present bail sera et demeurera nul

sy bon semble ausd. du college bailleurs et pourront disposer et

bailler led. college ? qui et ainsy que bon leur semblera sans aul cune sollempnit? de justice y garder ny observer. Et, neaulmoins,

pourront lesdictz du college contraindre led. preneur ? leur payer ce qu'il pourroyt lors debvoir ? cause dud. present bail et loyer.

[25] Item, sera led. preneur encores tenu de garder et faire gar der et entretenyr la cloche dud. college servant ? l'exercice d'icelluy avec la corde d'icelle cloche, et, se advenoyt que pendant led.

temps d'icelluy present bail lad. cloche feust cass?e une foy ou

plusieurs, sera led. preneur tenu et promect icelle cloche faire refaire ? ses despens de pareils poix et mathiere qu'elle est de

present. [26] Plus, sy led. preneur voulloyt se desister et departyr dudict

present bail auparadvert que le temps d'icelluy feust finiz et

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NOTES ET DOCUMENTS 271

expir?, ne le pourra faire que pr?alablement ne Tayt d?clair? ausd. bailleurs, par devant deux notaires, six moys devant et ne

pourra s'en desister que le dernyer jour de juing de lad. ann?e

qu'il vouldra cedder ne soyt venu et en tel cas auparavant que se

departyr sera tenu quinze jours devant led. jour faire place ?

celluy qui viendra apr?s luy pour mectre ses prou visions de vins,

boys, bled et aultres [folio 97] choses ? luy necessayres et sy pro mect oultre led. preneur entretenyr, faire acomplyr et du tout observer toutes et chacunes les charges et conditions cy-dessus et aud. pr?sent bail et prinse contenues et escriptes de poinct en poinct selon leurs articles en peine de tous despens, dommaiges et interestz et payer les admendes de chacun article quant elles

escherront, et oultre toutes les charges et choses susd., moyennant le pris et somme de huict vingtz cinq livres tournoiz que de ferme et loyer pour et par chacune desd. six ann?es led. preneur en

promect et gaige bailler et payer ausd. du college bailleurs ? leur

procureur et recepveur ou au porteur ? deulx termes en Tan, ? chacun d'iceulx par egalle portion, scavoir est No?l et Sainct

Jehan, premyer terme de payement escheant au jour de No?l

prochainement venant, le second au jour sainct Jehan-Baptiste ensuivant de Tann?e que Ton comptera mil Ve cinquante-neuf, et ainsi continuer et, neaulmoings, jusques aud. jour sainct Jehan

Baptiste prochain, ledict preneur sera tenu et promect payer ausd. du college la portion de temps selon et au pris dessusd.

Car ainsy a est? le tout diet et convenu par entre lesd. partyes et par expr?s entre elles voulu, consenty et accord? en la forme et many?re et soubz les clauses dessusd. qui aultrement n'eussent est? faietz, passez ne accordez entre lesd. bailleurs et preneur, lesquelz presens bail et prinse, clauses et charges, promesses et

obligations, ensemble toutes et chacunes les choses dessusd. et en cesd. presentes lettres du bail contenues et descriptes lesd.

partyes et chacunes d'elles [verso] en droict soy promisrent et

jur?rent par leur d. foy et serment de leurs corps pour ce par elles et chacunes d'elles en droict soy baillez et jurez corporellement es mains desd. notaires comme en la nostre souveraine pour le roy nostre diet seigneur, tenyr, entretenyr et avoir agr?able, fermes et stables ? tousjours, sans jamays ? nul jour par elles ne par aultres directement ou indirectement aller, venyr, faire aller, dire, maintenyr ou all?guer contre en aulcune manyere, sur peine de

rendre, bailler et restituer l'un d'eulx ? Taultre ? pur et ? piain et sans aulcune forme ne figure de proc?s tous coustz, fraiz, mises, despens, dommaiges et interestz qui faietz, mis ou faietz, souf

fertz, soustenuz et encouruz seroient par def?ault des choses des susd. ou d'aulcunes d'icelles non faictes, tenues, entretenues et non deuement acomplyes, ainsi et par la forme et manyere que dessus estoit dicte et en ce pourchassant et requ?rant soubz l'obli

gation de tous et chacuns leurs biens meubles et immeubles et ceulx de leurs hoyrs presens et advenyr qu'ilz, esd. noms et en chacun d'iceulx, en droict soy, en ont submys et submectent pour ce du tout ? la justice, jurisdiction et contraincte de lad. prevost? de Paris et de toutes autres justices et jurisdictions ou trouvez

seront, pour le contenu en ces d. presentes justement et loyaul ment acomplyr ainsi et par la forme, manyere que dessus est dicte

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272 NOTES ET DOCUMENTS

et renonc?rent en ce faisans express?ment lesd. partycs par leurs d. foys et serment esd. noms ? toutes exceptions de deception, feauldres, baratz, cautelles, cavillations, noms, raisons et actions

quclsconques, ? tout droict escript ou non escript, canon et civil, ? toutes choses [folio 98] generallcment quelzconques ? ces lectres contraires et au droict disans gener?li? renonciation non valloyr. Faict et pass? double, Fan mil Ve cinquante huict, le dimanche

quinzeiesme jour de may.

Fardeau. Chapellain.

LXXIII, **26. II

Furent presens et comparurent personnellement venerables et discrettes personnes Mes Michel Trotte, procureur, Robert du

Val, Jehan Desprez, Olivier Michel, Guillaume Calvez, Mathurin Lalement, Pierre Ramyer, Jehan Le Tort, Thomas Brosse, Michel

Mac?, Fran?ois La?n?, Henry Le Gai, Pierre Pappe et Pierre

Michel, tous boursiers du Coll?ge du Plcssis, fond? en FUniver site de Paris, faisans et repr?sentais comme ilz disoient la plus grande et sayne partye des boursiers dud. coll?ge, estans deue

mens congregez et assemblez en la Bibliothecque commune dud.

coll?ge, lieu design? et acostum? pour d?lib?rer des affaires dud.

coileige, d'une part. Et honorable homme Nicolle Lescot, administrateur et echonome de l'exercice dud. coileige, d'autre

part. Disans lesd. partycs que, d?s le dymanche vine jour du pre sens moys de febvrier, le diet Lescot, en plaine congregation, les

auroyt requis, actendu l'indisposition de sa personne, le voulloir

descharger de l'administration dud. college ensemble de toutes les charges contenues au contract pass? entre luy et lesd. du col

lege touchant lad. administration. Laquelle requeste lesd. du

college, actendu lad. indisposition, luy auroient accord?e. Et

suyvant ce, icelles partyes de leur bonne volunt? recongnurent et confess?rent avoir faict, feirent et font entre eulx et de bonne foy les renonciations, accordz, promesses, convenances, desistemens et obligations qui ensuyvent. C'est assavoir : led. Lescot avoir d?s led. jour vine febvrier renonc?, comme encore a renonc? et renonce par ces presentes purement et simplement au proumet desd. du coileige ? lad. administration et echonomye pour en faire et dispose comme bon leur semblera, ? laquelle renonciation ilz l'ont receu et recoipvent ? la charge toutesfoys que led. Lescot sera tenu faire les pensions dud. coileige et icelluy administrer

jusques au premier jour d'apvril prochain, si plus tost ne se trouve

personne introduit par lesd. du coileige qui se charge de lad. admi nistration et echonomye. Laquelle neantmoins led. Lescot ne

pourra continuer oultre led. premi? jour d'apvril prochain pen dant lequel temps iceulx du coileige pourront pourveoir et bailler led. exercice sans que pour ce led. Lescot puisse pr?tendre aucune

rescompense, despens, domaiges et interests ; sera tenu et promect led. Lescot payer pour l'augmentation des gaiges acoustum?es du premier regent gramarien pour le r?sidu de l'ann?ee suyvant

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NOTES ET DOCUMENTS 273

led. premier jour d'avril prochain jusques a la Sainct-Remy pro chainement venant, la somme de quinze escuz d'or soleil. Item, payer pour semblable cause et temps pour le dialecticien la somme de dix escuz d'or soleil. Lesquelles sommes de quinze et dix escuz led. Lescot promect payer ausd. boursiers ou aultre ayant la

charge d'eulx pour baill? ausd. regens aux termes accordez avec iceulx regens. Item, sera tenu faire reparer les lieux lesquelz pour sa commodit? il a faict changer et muer au logis, o? il est de pre sent demouiant, et iceulx mectre en Test?t ausquelz ilz estoient lors qu'ilz luy furent baillez et mesmement la salle desd. bour siers pour la reparation de laquelle et d'aultres lieux il promect payer ? iceulx boursiers ou au porteur la somme de dix livres tz. Et si ont, par ces mesmes presentes, lesd. boursiers et led. Lescot faict compte general, ? cause de lad. administration du temps pass? jusques aud. premier jour d'apvril prochain, par lequel apr?s avoir desduict aud. Lescot le temps que l'exercice aud.

colleige a cess? pour la presente ann?e, ? raison des malladies

survenues, la loccation du colleige et toutes aultres choses ledict Lescot seroit et est demour? par led. compte redebvable envers lesd. boursiers en la somme de huict vingtz livres tournoiz oultre et par-dessus lesd. quinze escuz d'une part, dix escuz d'aultre et dix livres tz. d'aultre, cy dessus mentionn?s. Laquelle somme de vmxx 1. tz. led. Lescot promect bailler et payer ausd. du col

leige ou ? leur procureur et recepveur ou au porteur en ceste maniere : c'est assavoir, quatre-vingtz livres tz. du jour d'huy en

quinze jours prochains et les aultres 1. tz. dedans led. pre mier jour d'apvril prochain en partans. Moyennant le contenu en ces presentes et l'accomplissement d'icelles, ce sont lesd. par tyes respectivement quitt?es et quitent Tune d'elle Taultre de toutes choses g?n?ralement quelconques qu'ilz ont eu ? faire ensemble ? raison des choses dessusd. de tout le temps pass? jusques ? huy. Car ainsi etc. promettans... obligeans... chacun en droict soy renon?ant... Faict et pass? double, l'an mil cinq cens soixante et ung le lundi xvie jour de febvrier.

Chapellain. Cruce.

LA VIE DES ?COLIERS AU XVI* SI?CLE D'APR?S DEUX COMPTES DE TUTELLE.

Au milieu des horreurs de la guerre civile et du fracas de la guerre ?trang?re, au moment o? les partis s'affrontent et se d?chirent, en ce xvie si?cle, ?poque la plus troubl?e de notre histoire, la vie continue ? l'int?rieur des coll?ges. La jeunesse s'instruit tant bien que mal et trouve, dans le sur

saut d'enthousiasme qui suit toujours les p?riodes difficiles, le go?t de vivre quoi qu'il arrive en d?pit des ?v?nements.

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274 NOTES ET DOCUMENTS

Pourtant, la vie des ?coliers au xvie si?cle a fait l'objet des

plus sombres tableaux. La ? vraie ge?le de jeunesse captive ? d?nonc?e si vigoureusement par Montaigne, la discipline draconienne du coll?ge de Montaigu, le travail ?crasant fourni dans ses jeunes ann?es par un Henri de Mesmes 1

semblent caract?riser tout un r?gime scolaire. Mais, des

documents concrets ne permettent-ils pas d'?largir ce point de vue en d?couvrant le c?t? pittoresque et beaucoup moins

aust?re de l'existence des jeunes ?coliers d'autrefois ? Rien n'est plus r?v?lateur ? cet ?gard que l'examen des

comptes de tutelle d'un ?l?ve d'Auch, Denis Espaulard2, et d'un ?colier de Lyon, Olivier Martellange 3. Tous deux, ?l?ves des J?suites, appartiennent ? des familles de bonne bourgeoisie ; le premier est le fils d'un m?decin 4 et le second, celui d'un ma?tre des m?tiers de la corporation des peintres 5. Par une curieuse co?ncidence, leurs int?r?ts sont g?r?s, apr?s la mort de leurs parents, par deux apothicaires d?sign?s comme curateurs. T?che ingrate, du reste, puisque Pierre

Savoye, qui s'occupe du jeune Espaulard, note, avec quelque amertume, que son pupille

? s'en est all? sans dire adieu ?,

apr?s plus de trois ans qu'il a ? demur? s?ans ? 6. Il est vrai

qu'Olivier Martellange ne semble pas faire preuve de pareille indiff?rence envers son curateur, Me Jacques Callier. Sans

doute, n'en a-t-il gu?re l'occasion, puisqu'il habite au col

l?ge, tandis que son camarade d'Auch loge en ville chez Pierre Savoye. A cette ?poque, en effet, les ?coliers peuvent ?tre soit ? martinet ? ou externes, log?s comme Denis Espau lard chez leurs parents ou leurs tuteurs, soit internes au

coll?ge, comme Martellange, ? moins qu'ils ne prennent

pension chez des p?dagogues, qui non seulement leur four nissent le logement et la nourriture, mais encore leur servent

de r?p?titeurs. Bien que ces p?dagogues soient fort nombreux ? Lyon

? et tiennent enfans en pension depuis les Terreaux jusques aux Cordeliers ?7, Olivier Martellange est pensionnaire au

1 M?moires in?dits de Henri de Mesmes, ?d. E. Leroux, p. 139-140. * Bellanger (Louis), Les d?penses d'un ?colier du coll?ge d'Auch ? la fin

du XVIe s. et au commencement du XVIIe, Auch, 1903, in-8?. Edition sans commentaire d'apr?s un document des archives d'Auch.

8 Arch, d?part, du Rh?ne. J?suites de Lyon, s?rie H, carton 9 : Compte des fournitures faictes ? Olyvier Marielange, escolyer, par moi Jacques Callier de Lyon, accomen?ant en Vann?e mil cinq centz nonante.

4 Bellanger, op. cit., p. 17.

5 Bouchot (H.), Notice sur la vie et les travaux d'Etienne Martellange, architecte des J?suites, extrait de la Bibl. de l'Ecole des Chartes, t. XLVII (1886), p. 5. Les trois fils du peintre Martellange, Etienne, Beno?t et Olivier entr?rent dans la Compagnie de J?sus.

8 Bellanger, op. cit., p. 9

7 Arch, g?n?rales de la Compagnie de J?sus ? fund. coll. Lugdun., n? 7.

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NOTES ET DOCUMENTS 275

Coll?ge de la Trinit?. Il a pour condisciples des enfants de milieux sociaux tr?s diff?rents, car la gratuit? de l'enseigne ment, donn? ? cette ?poque par les J?suites, ouvre les portes du coll?ge aussi bien aux h?ritiers des meilleures familles de la ville 1

qu'aux fils des bateliers des bords du Rh?ne 2 ou aux orphelins ?lev?s par charit? 3. Cet ?clectisme du recrute

ment ne porte pas seulement sur la classe sociale ? laquelle

appartiennent les ?l?ves, mais aussi sur la confession ?

laquelle ils se rattachent. C'est ainsi que, dans ce coll?ge de Lyon, Olivier Martellange a certainement pour camarades des ?coliers protestants confi?s par leurs parents aux J?suites

? cause de la valeur des ?tudes dans les ?tablissements de la Compagnie 4. Mais, si les J?suites sont tr?s lib?raux pour l'admission des externes, ils sont beaucoup plus r?ticents pour accepter des pensionnaires5. Peut-?tre est-ce au fait

que son fr?re Etienne, qui deviendra l'un des plus illustres architectes du xvne si?cle 6, appartient d?j?, ? cette date, ? la Compagnie de J?sus qu'Olivier doit le privil?ge de b?n? ficier au coll?ge m?me du r?gime de l'internat. Il habite donc ces b?timents que le contrat de 1579 semble d?peindre sous un jour bien s?v?re. Les consuls de la ville, propri? taires de l'?tablissement confi?s par eux aux J?suites, n'ont

ils pas pris en effet toutes les pr?cautions possibles pour ?ter aux internes lyonnais tout espoir d'accomplir jamais la moindre fredaine ! ? Afin que lesdits escoliers pensionnaires, ont-ils d?clar?, n'aient ni l'occasion, ni les mo?ens de des

bauche, mais de se trouver ordinairement ausdites le?ons, ladite rue de Montribloud [contigu? au coll?ge] sera bouch?e aux deux bouts... et sera faicte une ouverture en icelle pour entrer aux classes dudit coll?ge et les portes et ouvertures

du coll?ge desdits pensionnaires seront fermantes ? double ressort, dont les clefs demeureront en la seule garde dudit

Principal recteur des pensionnaires ? 7. Si l'on ajoute qu'aux fen?tres basses douze barres de fer, d'un poids total de deux cent quinze livres8, compl?tent ce syst?me de d?fense, on

1 Monumenta Hist?rica Societalis Iesu, Epistolae P. Hieronymi Nodal, t. III, p. 621 et Perpiniani Opera, ?d. Lazeri, t. Ill, p. 123.

2 Cologne, Arch, municipales, Universit? XII (326 b.), f? 28 et ss.

3 Arch, d?part, du Rh?ne, Livre du Roi (1577-1580), f? 223. 4 Annuse litter Soc. Iesu (1583), p. 160 ; Arch, d?part, du Rh?ne, Audiences,

janvier-avril 1571, 10 janvier 1571, ? sa date. 5 ? Le coll?ge des J?suites est essentiellement con?u comme un externat.

L'internat vient-il s'y joindre, il demeure une exception consentie aux cir constances ? (P. de Dainville, La naissance de l'Humanisme moderne, 1940 ; in-8?, p. 348). A Lyon, la pression de la bourgeoisie obliger les J?suites ?

organiser, ? partir de 1579, un internat r?gulier. 6 Charvet, Etienne Martellante, 1569-1641, Lyon, 1874, in-8?.

7 Arch, munie, de Lyon, DD 371, pi?ce 15, 8

Ibid., CC 1324, pi?ce 50.

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276 NOTES ET DOCUMENTS

peut estimer les pensionnaires bien gard?s ! Mais, en revanche, de quelle vue ne jouissent-ils pas sur les bords du Rh?ne, depuis le cours du fleuve jusqu'? la cha?ne des Alpes ? 1

Si la cl?ture est stricte, la vie mat?rielle para?t fort bien assur?e. Ce n'est pas dans un dortoir que prend son repos le

jeune Martellange, mais dans un local fort bien meubl?, puisque

nous y trouvons non seulement ? lit ? banc sur des

aes ? agr?ment? d'un ? matelas neuf et palliasse neufve ?, mais encore ? table et armoyre fermant ? clef ? 2. Le r?iec

toire lambriss?, de tr?s vastes dimensions, n'est pas moins

bien dispos? avec ses ? grandes tables avec leurs bancz boys sapin >? et la ? ch?re o? se faisoit la lecture pendant la r?fec tion des dictz pensionnaires ? 3, qui mangent, fait int?res sant ? noter, avec ? culhi?re et forchete ? 4. Quant ? la qua lit? des menus, elle semble entour?e des meilleures garandes. N'y a-t-il pas, dans ce coll?ge de J?suites, four ? pain avec installation compl?te de ? bolengerie ? 5, ? cave des graisses ? et ? grand bachat de pierre propre ? tenir huille ? 6, sans

parler du vin que le coll?ge a le droit de faire entrer en toute

exemption jusqu'? concurrence de cent pi?ces 7.

Si nous sommes ainsi fort bien renseign?s sur le logement et la nourriture de notre ?colier de Lyon, nous le sommes

beaucoup moins en ce qui concerne son camarade d'Auch.

Nous constatons seulement que l'infortun? est oblig? de s'administrer quantit? de ?

pouz?me laxative, clist?re, ongant et potus cordial 8? pour gu?rir une maladie de foie ; ? moins que ce ne soit pour rem?dier ? quelques exc?s. La seconde

supposition serait peut-?tre plus plausible ?tant donn?e la

personnalit? du jeune Espaulard telle qu'elle appara?t entre les lignes d'un compte d?pourvu en apparence de toute indi

cation psychologique. Car c'est, semble-t-il, un joyeux com

pagnon que ce Denis qui quitte son curateur sans m?me lui

dire adieu, perd sa grammaire moins de cinq jours apr?s l'avoir achet?e, ne la retrouve que pour la perdre encore 9

et para?t guid?, dans tout son habillement, par un certain souci de plaire. Que de fantaisies vestimentaires son compte ne nous d?couvre-t-il pas ! Ce ne sont qu'achats d'?toffe

pour confectionner v?tements de toile de lin, en ?t?, et habits

1 Perpiniani opera, ?d. Lazeri, t. Ill, p. 124-125.

2 Compte d'O. Martellange, f? 1.

3 Arch, munie, de Lyon, FF, inventaire Chappe, vol. XIII, p. 45. 4 Compte d'O. Martellange, f? 6.

5 Arch, munie, de Lyon, DD 373 et FF, Inventaire Chappe, vol. XIII, p. 45.

6 Ibid. 7 Arch, d?part, du Rh?ne, D 5, pi?ce 10. 8 Bellanger, op. cit., p. 14.

9 Ibid., p. 5.

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NOTES ET DOCUMENTS 277

de laine en hiver. N'est-il pas le parfait jeune homme ?l?

gant avec son ? perpoint ? ? boutons, doubl? de fine toile, de la m?me qualit?, sans doute, que ces chemises de toile de lin ? ? rabatz ? 1, qui constituent une partie notable de ses d?penses d' ? acoutremens ? ? Et comme il ne s'accom

mode pas de l'uniformit? en mati?re d'habillement, Denis

porte tour ? tour les bas longs fix?s aux ? hautz de chausses ?

par des aiguillettes ou les bas courts serr?s sous le genou par des ? garrotierres ?

2 et maintenus par des ? solettes ? 3. Mais un esprit de stricte ?conomie pr?side cependant parfois ? ses d?penses et il faut noter qu'il sait, en temps utile, ? faire soler ses soliers vieulx ?4, comme son condisciple Martel

lange du reste.

Les soucis d'habillement ?taient certainement moins

pouss?s ? Lyon, ville aust?re, que dans ce Sud-Ouest, o? tout respire la douceur de vivre. Pas de pourpoints chamarr?s

dans le compte de notre Martellange, mais l'aust?re robe

longue des pensionnaires, orn?e pourtant de ? boutons de

soye ?. Pas de d?penses inconsid?r?es, mais quelques ? solz ?

par mois pour ? racoutrer ? les vieux habits. Il est vrai que toute l'?l?gance de notre ?colier lyonnais se concentre sur

le choix des chapeaux, qu'il manque rarement de faire orner d'un cordon, sans doute du plus galant effet. Lorsqu'une bonne paire de ? solyers ? ou de galoches, une paire de ? gans ? et sans doute un manteau, bien qu'il n'en soit pas fait men

tion comme dans le compte d'Auch, compl?tent cet ensemble vestimentaire, Olivier Martellange n'a peut-?tre au fond

rien ? envier, en fait d'?l?gance, ? son condisciple m?ridional. El?gance que laissera bien loin derri?re elle celle des ?coliers

du xviiie si?cle et, tandis qu'au xvie si?cle on note soigneu sement un sol pour se faire tondre5, au xvnie si?cle, on

notera avec non moins de soin les sommes consacr?es ? se

faire friser et poudrer. Et, puisque nos ?coliers du xvie si?cle portent les cheveux ras, comment s'?tonner de les voir mettre le soir, pour se coucher, la ? bonette de nuit ? 6, qui les pr?servera des rhumes et leur permettra d'affronter sans crainte le froid des chambres non chauff?es. Le soir, les

pieds dans leurs ? pantofles ?, les voil? donc pench?s sur leur travail ? la lueur de la ? chandelle d'estude ?, qui gr?ve

1 A partir du r?gne d'Henri II, la chemise eut un col rabattu. Voir Enlart, Manuel d'Arch?ologie, t. Ill, p. 118.

* Cf. Enlart, op. cit., p. 119. 3 Les solettes ?taient des sous-pieds de cuir. Voir Quicherat, Histoire du

costume en France, p. 458. 4 Bellanger, op. cit., p. 6.

5 Ibid., p. 14.

Ibid., p. 12.

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278 NOTES ET DOCUMENTS

lourdement leur budget. Ils ont, ? port?e de la main, le ? ganivet ?, qui sert ? tailler leurs plumes d'oie et ? l'escrip toire ? et ils s'appliquent consciencieusement sur le papier ? r?gl? rouge ?, tandis que ? l'orloge ?, ou plus exactement le sablier, d?limite sous leurs yeux le temps de l'?tude.

Mais, sur quels livres se penchent-ils donc ainsi ? C'est ce

qu'il convient maintenant de pr?ciser en ?tudiant les auteurs

qu'ils expliquent, les po?tes qu'ils redisent par c ur et les

philosophes qu'ils m?ditent. Les comptes de tutelle, s'?ten dant sur plusieurs ann?es, nous permettent de les voir de

classe en classe aux prises avec les difficult?s croissantes de

l'?tude des langues classiques. En 1602-1603, Denis Espau lard est ?l?ve de quatri?me

1 et il n'y a rien d'?tonnant ? le voir, d?s cette ?poque, s'initier aux r?gles du latin clas

sique dans le De ofjiciis de Cic?ron 2. En 1604, il passe en seconde et, selon la m?thode pratiqu?e dans les coll?ges de

J?suites, il prend contact avec les po?tes, et, en premier lieu, avec Virgile 3, qui l'introduit du domaine de l'?loquence cic?ronienne dans celui de la po?sie pure. L'ann?e suivante, il approfondit sa connaissance de la po?sie latine en expli quant en classe de rh?torique ? Catulle, Tibulle, Properse, Orase et Jubenal ?, tandis que, simultan?ment, Y Iliade lui d?couvre toute l'harmonieuse beaut? de la langue grecque 4.

Mais, il reste fid?le au ma?tre qui l'a form? et, si C?sar lui

apprend ? ?quilibrer ses phrases latines, Cic?ron garde toutes

ses pr?f?rences. Ne consacre-t-il pas, en effet, la somme

importante de 4 livres 6 deniers, soit la moiti? de son prix de pension mensuel5, ? l'achat des uvres compl?tes du

ma?tre de la latinit? 6. A Cic?ron, il demande non seulement les r?gles essentielles

de l'?tude du latin, mais aussi les principes d'une formation morale dans la ligne sto?cienne. L'explication des Trag?dies de S?n?que renforce ce climat de sto?cisme, que propage, dans les coll?ges de la Compagnie, le P?re del Rio, conscient des le?ons que peuvent tirer de la morale sto?cienne les

ma?tres de morale chr?tienne 7.

1 Bellanger, op. cit., p. 17. 2

Ibid., p. 10. 8

Ibid., p. 11. *

Ibid., p. 15 et 16. 8 Le prix de la pension de Denis Espaulard ?tait en effet de 9 livres par

mois. Chez les J?suites de Lyon, le prix de pension ?tait, en 1571, de 6 livres

par mois (Arch, d?part, du Rh?ne, B. Audiences, janvier-avril 1571, 10 jan vier 1571, ? sa date). 8

Bellanger, op. cit., p. 15. 7 Dreano, Humanisme chr?tien, La trag?die latine comment?e par les chr?

tiens du XVIo si?cle, par M. Ant. del Rio, Paris, 1936, in-8? ; F. de Dainville,

op. cit., p. 224.

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NOTES ET DOCUMENTS 279

Tandis que Denis Espaulard apprend de S?n?que des

pr?ceptes moraux, Olivier Martellange, ?l?ve de philosophie en 1594, ?tudie, dans VOrganon d'Aristote, les principes de la logique. Depuis deux ans, les bourgeois lyonnais ont fait

organiser au coll?ge de la Trinit? un cycle complet d'?tudes

philosophiques. Comme dans les autres coll?ges de la Com

pagnie, cet enseignement, qui se poursuit pendant le cours

de trois ann?es, est bas? sur Aristote. Sans doute, Olivier, comme ses condisciples, utilise-t-il pour cette ?tude les

commentaires du P. de Fons?ca connus sous le nom de

Conimbres, qui ont ?t? l'objet, en 1593-94, de nombreuses ?ditions lyonnaises 1. Et, quand il a m?dit? pendant toute la journ?e la philosophie du Stagirite, c'est sur la lecture des

Heures 2 que notre ?colier termine le labeur quotidien. Pro

gramme s?v?re, mais en apparence seulement, car les f?tes, les r?cr?ations, les promenades viennent apporter une diver

sion heureuse ? cette existence de travail. C'est ainsi que, chaque ann?e au coll?ge de Lyon, la f?te

de la Trinit? permet aux ?coliers de laisser, pendant toute une journ?e, livres et cahiers pour participer aux c?r?monies organis?es ? cette occasion3. Ce jour-l?, tous les ?l?ves

rev?tent sans aucun doute leur plus beau costume pour se

rendre, ? le cierge blanc ? ? la main 4, ? la procession solen nelle que les ?chevins lyonnais honorent r?guli?rement de leur pr?sence. Sans doute ont-ils part aussi au bon d?jeuner que ? Messieurs les consulz eschevins ? offrent ce jour-l? ? tous les J?suites du coll?ge 5. Et quelle intime satisfaction ne ressentent-ils pas lorsqu'un devoir remarqu? par leurs

professeurs m?rite, en cette circonstance, les honneurs de

l'affichage. Mais, ? c?t? des f?tes religieuses, les f?tes profanes n'ont

pas moins d'?clat, surtout quand le passage du Roi ou d'un

grand personnage en est le pr?texte. En 1574 en particulier, la renomm?e du coll?ge de la Trinit? se voit consacr?e par la visite d'Henri III et de Catherine de M?dicis, venue au devant de son fils pour l'accueillir ? son arriv?e de Pologne 6. La Reine s'arr?te dans une des classes, assiste ? la le?on de cat?chisme et t?moigne du plaisir qu'elle prend ? ?couter les tout-petits 7. Quant aux grands, ils ont l'insigne honneur

1 Baudrier, Bibliographie lyonnaise, t. VI, p. 415, 416, 418, 419, 421.

2 Compte d'O. Martellange, f? 6.

8 Arch, d?part, du Rh?ne, D2, pi?ce 6. 4

Compte d'O. Martellange, f? 2. 6 Arch, munie, de Lyon, CC 1389. 6

Compte d'O. Martellange, f? 2. 7 Cologne, Archives municipales, Universit? XII (326 b.). Lettre du P. Bal

samo, Lyon, 2 novembre 1574, cit?e en partie par Fouqueray, Histoire de la Compagnie de J?sus, t. I, p. 639-640, d'apr?s les Gall. Epist., t. VIII, f? 184.

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280 NOTES ET DOCUMENTS

de repr?senter Judith, trag?die fran?aise, devant les hauts personnages de la cour : cardinaux de Lorraine, de Bourbon, de Guise et d'Est?, ?v?ques d'Embrun, de Vienne, de Gen?ve, l?gats pontificaux d'Ecosse et de Venise 1.

Dans son coll?ge d'Auch, Denis Espaulard se livre lui aussi ? ces divertissements litt?raires auxquels il apporte non seulement le concours de son jeune talent, mais aussi sa

contribution financi?re. Il est vrai que cette distraction valait bien les 12 sols de d?pense consign?s dans son compte en cette occurrence 2.

A ces divertissements intellectuels viennent s'ajouter des d?lassements purement corporels. Et sans doute, Olivier Martellange s'exerce-t-il, comme les ?coliers, qui l'ont pr? c?d? sur les bancs du coll?ge au milieu du si?cle, ? en toute

mani?re de jeux lib?raulx... comme ? jeux de perci?e, de pel lotes et balle, ? jeux de nombre, ? chanter en musique, ? certains gectz de pierres ou pi?ces de boys o? seront entall?es les lectres grecques et latines bactaillans les unes contre les autres ?, en ?vitant ? tous villains jeux caignardiers de perte ou de dangier ? 3. Quand le temps le permet, Olivier traverse Lyon et va passer l'apr?s-midi, avec ses camarades, dans la

maison de campagne achet?e par les J?suites sur la colline

de Fourvi?re4. Et pourquoi, au passage, ne s'arr?terait-il

pas place Bellecour ? pour y voir picquer les chevaux ?, tout en devisant avec ses camarades des charmes du th?me latin 5. Heureux souvenirs qu'il ?voquera peut-?tre un jour avec son condisciple d'Auch, entr? comme lui dans la Compagnie de J?sus. Origine diff?rente et destin?e commune caract? risent ainsi la vie de ces deux ?coliers qui, parvenus ? l'?ge d'homme, ont voulu continuer, dans les disciplines m?mes

1 Rome, Bibi. Viet. Emm., mss. Gesuitici 1584 (3718)

? et Fouquerav, op. cit., t. I, note, p. 639. Il est ? noter que le coll?ge de Lyon, contrairement aux traditions des autres coll?ges de la Compagnie, abandonna de tr?s bonne heure la repr?sentation des pi?ces en latin pour leur substitu? r des pi?ces en

fran?ais. * Bellanger, op. cit.. p. 16.

8 Formulaire d'Aneau, Arch, munie, de Lyon, BB 57, f? 273. 4 Bibl. Vict.-Emm., mss. Gesuitici 1152 ; Arch, d?part, du Rh?ne, D5,

pi?ce 23. 5 Mermet (Cl.), La practique de l'orthographe fran?oise, Lyon, 1608, in 8?,

p. 109 et ss. 6 Olivier Martellange entra dans la Compagnie de J?sus et fut r?gent du

Coll?ge de Tournon en 1613 et 1614. Cf. Massip, Le coll?ge de Tournon, p. 103. Denis Espaulard entra en 1606 dans la Compagnie de J?sus, dont son fr?re

Jacques faisait d?j? partie depuis 1595. Il fit son noviciat ? Toulouse, ?tudia la th?ologie ? Bordeaux, puis professa les humanit?s et la rh?torique ? P?ri gueux et ? Limoges. Apr?s avoir ?t? ordonn? pr?tre en 1618, il fut recteur de plusieurs coll?ges, pr?cha des stations d'Avent et de Car?me ? Limoges, ? Agen, ? Tulle, ? Brive, dirigea le coll?ge de Tulle et mourut le 20 juillet 1639

(Bellanger, op. cit. p. 17-18).

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notes et documents 281

o? ils furent ?lev?s, les traditions scolaires de leur enfance. Cette ?ducation, qui r?servait ? c?t? de l'aust?rit? du travail les d?tentes n?cessaires ? l'esprit et au corps, n'?tait donc

pas si morose qu'on a bien voulu le pr?tendre. Tout en for mant l'intelligence, elle savait prendre le c ur et imprimer d?finitivement sa marque sur des esprits, qui n'auront plus que le d?sir de se consacrer tout entiers ? la gloire de la Com pagnie.

Georgette Brasart.

DE QUELQUES PO?SIES MANUSCRITES DE MALHERBE

Parmi les manuscrits de Pierre de L'Estoile se trouve un volume intitul? Recueils divers bigarr?s du grave et du fac? tieux, du bon et du mauvais, selon le temps ; il a appartenu au

pr?sident Bouhier, et il porte actuellement, dans le fonds fran?ais de la Biblioth?que nationale, le n? 25.560. Les der niers ?diteurs des M?moires-Journaux ont jug? inutile d'en

reproduire les pi?ces qui font partie du Parnasse satirique et des uvres de Malherbe. C'?tait leur droit ; mais ils auraient d? signaler les variantes que pr?sentaient les copies de L'Es toile, ou tout au moins donner les titres des pi?ces qu'ils s'abs tenaient de r?imprimer. Nous allons fournir la collation des trois po?sies de Malherbe qui se trouvent dans ce manuscrit : l'ode Sur Vheureux succ?s du voyage de Sedan, la chanson

Qu autres que vous, et la Pri?re pour le Roi allant en Limousin.

Quelles sont la date et l'origine de ces copies ? Les deux pre mi?res ont ?t? fournies en d?cembre 1606 par un collection neur de pi?ces nouvelles nomm? Despinelle. Or toutes les trois ont ?t? imprim?es pour la premi?re fois en 1607 dans le Par nasse de Guillemot, et ce recueil, comme les Muses ralli?es

du m?me auteur parisien, avait ?t? pr?par? par un certain Des

pinelle, qui ?tait sans doute identique ? l'ami de L'Estoile. L'achev? d'imprimer du tome I, qui contient la Pri?re, est du 25 f?vrier 1607 ; les deux autres po?mes ont paru dans le tome II.

Tandis que la Chanson ne pr?sente sous sa forme manuscrite aucune variante, le premier et le troisi?me po?mes contiennent de nombreuses diff?rences. Les unes sont, incontestablement, des lapsus du copiste ; mais les autres semblent bien ?tre une

premi?re r?daction, que Malherbe aura remplac?e tardive ment, peut-?tre sur ?preuves. On remarquera en

particulier la derni?re strophe de la Pri?re ; elle ne figure dans aucune

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282 NOTES ET DOCUMENTS

?dition du temps, mais elle a ?t? conserv?e dans le registre de L'Estolle et dans un autre manuscrit contemporain.

Io Vers de Malherbe sur la r?duction de Sedan.

Ce po?me fait suite, au folio 44, au Tableau de la grande pailfarde1. Despinelle en fournit le texte ? la fin de d?cembre 1606 2. Il avait ?t? compos? apr?s la reddition de Sedan, qui eut lieu le 2 avril 1606. Le plus ancien texte imprim? ne diff?re presque pas de celui des ?ditions ult?rieures. Voici les diff? rences que la copie de L'Estoile pr?sente avec l'?dition de 1627, reproduite par J. Lavaud ; nous ne signalerons pas celles qui concernent l'orthographe et la ponctuation,

5 Nos maulx n'ont plus de semence Par qui leur flux recommence 3.

14 Sedan est humili?.

15, la fouldre. ? 24, que ne fit Ilion. ? 26, de sa penible 4. ?

33, la bont? nompareille. 37 L'a peu tellement forcer.

39-40, la prendre, la menacer 5, ??

41, respandues.

55 Son front luisoit d'une audace Telle qu'a Mars en la Trace.

61 Qu'eust esper? ceste place Prenant un mauvais conseil

Que d'estre ce que la glace Est aux rayons du soleil Et voir sa faulte bornee ?...

73, la raison calme \ ? 78, touch? 8 non moins. ? 82, et

ranc urs (vers faux).

87 Nous tenoyent ensepvelis.

92 T'exemptes par tes Bontez

1 M?moires-Journaux, 1889, t. XI, p. 192.

8 Ibidem, VIII, pp. 262-263.

s Cette ? semence ? interrompait f?cheusement l'image de la temp?te ; dans l'imprim? cette image se prolongera sans arr?t jusqu'au vers 6.

* Le Parnasse de 1607 donne le m?me texte. 5 Le scribe fait ici Sedan du f?minin, quoique dans la 2e strophe il soit

masculin. Dans la r?daction d?finitive, cette comparaison assez mal choisie a ?t?

remplac?e par des termes abstraits. 7 Le mot piti? qui remplace raison, s'accorde mieux avec le sens de toute la

strophe. 8 Frapp?, qui remplace touch?, est plus fort.

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NOTES ET DOCUMENTS 283

Par qui le si?cle ou nous sommes

Voit tous ses maulx surmontez.

98 Quel homme 1 est si ridicule.

101 De combien de perfidies As tu limit? le cours De combien de Tragoedies As tu nettoy? nos jours a.

122 Et luy donne le plaisir D'accompaigner ta vaillance.

128, qui brise (lapsus). 129 De ta elle n'atterre (sic)

S'il n'employ? ta mercy (lapsus).

148, ses voisins (lapsus). 153 Faisant monter jusqu'aux nues.

155 Lors qu'on faira le message De ton renomm? passage 8.

158, envoyez.

160 Ne se voyent applanir 4.

165 Ne laisse point otieuses 6 Tant d'ames...

167, jusqu'o? (vers faux). 170 Aller chercher du butin.

171 Le Tesin des ja tout morne.

173 Craignant de perdre la corne.

179 Attend de voir en son onde.

1 Homme se trouvait d?j? au vers 91. * Limit? et nettoy? seront remplac?s par une image vigoureuse : pour ensan

glanter nos jours. * Malherbe n'admettait pas que le participe-adjectif en ? pr?c?d?t le subs tantif ; ses po?sies, dans leur ?tat d?finitif, contiennent seulement deux excep tions ? cette r?gle : au vers 99 de la Pri?re pour Henri IV, et au vers 102 de l'ode du voyage de Sedan (cf. Brunot, Dottrine, p. 504, et R. H. L., XLI, p. 344). * Le verbe voir ?tait d?j? employ? au vers 157. D'autre part, ? la m?me

?poque, Malherbe reprochait ? Desportes de compter deux syllabes dans voyent et de l'employer ? l'int?rieur d'un vers (?d. Lai., IV, p. 291). 5 Le remplacement de laisse est la cons?quence d? remaniement du vers 160.

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284 NOTES ET DOCUMENTS

181 Va doncq Prince magnanime.

183, en ses rives.

186 Voit tous les jours tout ce Monde Deux fois n'aura fourny Tan.

191, sera lors que. ?

198, ta victoire. ?

200, voir ainsy louer.

201 Tu te trompes si tu penses.

205 Tant de chefs d'oeuvres antiques.

210 Dure ?ternellement (vers faux).

214, d'un trespas. Parmi ces variantes, celles des vers 5 6, 55-6, 61-5, 92-4,

98, 101-4, 122-3, 153, 155-6, 160, 165, 173, 179, 187, 201 peu vent difficilement ?tre imput?es ? un copiste : il semble bien que Malherbe a volontairement enlev? un des deux participes pass?s qui pr?c?daient des substantifs (156), ?vit? les r?p?ti tions de mots (98 et peut-?tre 160 et 165), ?limin? une com

paraison un peu bizarre entre une place forte et la glace

fondante (61-4), r?duit ? l'unit? deux m?taphores (5), et sup prim? une allit?ration d?sagr?able (201).

Si la copie de L'Estoile fournit, pour les vers 181 et 191, un texte authentique, Malherbe l'aura corrig?, sans doute, pour ?viter la rencontre de consonnes doncprin et l'allit?ration lor...

lir. Le d?sir de renforcer l'expression, que r?v?le la correction

des vers 101-4, appara?t aussi dans les changements des vers

78, 200 et 26, s'ils sont dus ? l'auteur La collation de cette copie avec le Parnasse de 1607 donne

lieu aux remarques suivantes : au vers 23, la copie porte, comme l'?dition de 1627, eussent faict, alors que cette n?gation

expl?tive manque dans le Parnasse ; au vers 99, le Parnasse ?crit correctement Qu il tandis que l'auteur de la copie et l'?diteur de 1627 font la confusion qui ?tait si commune et que Malherbe lui-m?me commettait2 : Qui.

2? Vers de Malherbe, f? 121 r?.

C'est la chanson Qu autres que vous, compos?e en 1606. Elle fait suite ? Resveries 3 et au Combat de Vamour et du repos. Elle a ?t? remise ? L'Estoile par Despinelle, le 14 d?cembre

1 Cf. aussi les deux r?dactions du vers 34 de la Pri?re pour le Roi, et les variantes qui ont ?t? recueillies dans les ?ditions critiques des po?sies de Mal herbe.

2 Cf. infra et la Grammaire historique de Brunot et Bruneau, ? 989. 3 M?moires-journaux, XI, p. 270.

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NOTES ET DOCUMENTS 285

1606, avec la cruelle parodie que Berthelot en avait faite 1. Pas de variantes ? signaler.

3? Vers de Malerbe faicts sur le voyage du Roy en Limosin 1605, f? 131 r?.

Cette pi?ce fait suite au Sacrifice ? la libert? a. Voici sa colla tion avec le Recueil de 1627. Vers 8, si sagement a (lapsus). Au vers 12, comme dans le Parnasse, le verbe est au sub jonctif : si sage... que... nous ayons plus ; le Recueil de 1627 porte : n'avons. 34, la rebellion comme une hydre 3. ? 38, cest

object (lapsus).?-46, avoir est. ?-53, qui fairont (lapsus). ? 65, aux fureurs 4 de la guerre.

? 68, les molletz d?lices

(hpsus). ?

71, Et les justes. ?

75, Actes (lapsus). ?

80, Nos yeux ne verront plus.

? 83, nos faucilles. ?

91, la faveur de ses princes (lapsus).

? 92, ? des flatteurs.

95 Et si la vertu se peut dire estre sans crime (lapsus).

102, ne les trouve trop cours, ? 103, ces Espritz.

? 104, leur

rebelle manie 5. ?

106-7, leurs consciences, leurs impatiences. ? 111, Rende tout l'Univers. ? 124, discours (lapsus l).

Les vers 127-132, qui n'ont ?t? publi?s qu'? une ?poque r?cente, se trouvent seulement dans notre copie (v. 131, ses

menees) et dans le manuscrit n? 9225 du fonds fran?ais de la Biblioth?que nationale (ces menees, lapsus). Cette strophe est bien malherbienne avec son antith?se finale ; mais le dernier vers est obscur.

Au vers 66, tandis que le Parnasse de 1607 et les D?lices de 1615-1621 emploient orra, futur de ou?r, la copie de L'Estoile remplace, comme le Recueil de 1627, cet archa?sme par aura.

Enfin, il est curieux de constater qu'au vers 123, le manuscrit

porte, comme le Recueil, champs, et non pas camps.

Je n'ai pas retrouv? dans ce manuscrit d'autres pi?ces de

Malherbe, que L'Estoile avait re?ues de Pierre Dupuy, ami de Peiresc :

Le vendredi 17e [ao?t 1607]..., M. Du Pui m'a donn?, ce jour, ?quatre sonnets nouveaux de Malherbe, qu'on trouve assez bien faits 6.

1 Ibidem, Vili, p. 260 (il semble que, dans ce passage, un ou plusieurs mots

ont ?t? saut?s). 2 Ibidem, XI, p. 275.

8 Le texte imprim? a plus de force. 4 Cette r?daction me para?t plus normale et plus malherbienne que le texte

imprim? : aux frayeurs de la guerre. Frayeurs pourrait ?tre un lapsus caus? par la proximit? du verbe tremble. Mais, si c'est un lapsus commis par l'?diteur du Parnasse, pourquoi Malherbe ne l'a-t-il pas corrig? dans les r??ditions ? 6 Pour les vers 103 et 104, le Parnasse donne le m?me texte.

? M?moires-journaux, VIII, p. 331.

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286 notes et documents

L'un d'eux est probablement le sonnet Destins je le connoys,

compos? pour la naissance du premier duc d'Orl?ans (16 avril

1607). Les trois autres ne comprennent pas le sonnet Mon Roy, s'il est ainsi, qui est post?rieur ? celle de Gaston d'Anjou (25 avril 1608), mais plut?t plusieurs des six sonnets ? Caliste

qui furent imprim?s en 1609. Le catalogue des manuscrits de la collection Dupuy ne mentionne pas de po?sies de Malherbe.

Le manuscrit n? 24.009 des nouvelles acquisitions fran?aises de la Biblioth?que nationale contient, aux fos 162-163, une

copie autographe des stances d'Alcandre : Que d'espines, Amour... Elle provient de la collection Allard du Chollet. C'est une des pi?ces que Malherbe a compos?es pour Henri IV, amoureux de Charlotte de Montmorency. Le texte est iden

tique ? celui de la copie autographe qu'il envoya ? son amiPei resc le 5 janvier 1610 (B. N., f. fr. n? 9535). Au 2e vers il avait d'abord ?crit De quelle aveugle erreur ; il a corrig? en Que d'une

aveugle erreur. Au vers 56 on lit qu'il me dure, lapsus pour qui me dure.

Raymond Leb?gue.

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TABLE DES MATI?RES

Travaux

Andr? Chastel. Art et religion dans la Renaissance italienne. Essai sur la m?thode (4 h. t.). 7

Lucien Febvre. L'origine des placards de 1534 (1 h. t.) 62

Lucien Scheler. La navigabilit? de la Vilaine au xvie si?cle (3 h. t.). 76

Lewis C. Harmer. Lancelot de Carie et les hommes de lettres de son temps. 95

Dorothy Mackay Quynn. The early career of John Gordon, dean of Salisbury. 118

V.-L. Saulnier. Les dix ann?es fran?aises de Domi

nique Baudier (1591-1601). Etude sur la condition humaniste au temps des guerres civiles. 139

Raymond Leb?gue. Deux po?mes de Bertaut. 205

Notes et Documents

Lucien Scheler. Un canon d'autel du xve si?cle

(lh. t.). 244 Verdun L. Saulnier. Sur la date de naissance de

Rabelais. 245

Jacques M?g ret. Un troisi?me exemplaire des Grandes et inestimables cronicques de Gargantua. 246

Louis Carolus Barr?. Le contrat de mariage de Louis Le Caron dit Charondas avec Marie de H?nault.. .. 252

Yvonne Lanhers et Madeleine Connat. Un principal au Coll?ge du Plessis : Nicole Lescot (1558-1562)... 258

Georgette Brasart. La vie des ?coliers au xvie si?cle d'apr?s deux comptes de tutelle. 273

Raymond Leb?gue. De quelques po?sies manuscrites de Malherbe. 281

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ACHEV? D'IMPRIMER SUR LES PRESSES OFFSET DE L'IMPRIMERIE REDA S.A.

A CH?NE-BOURG (GEN?VE), SUISSE

JANVIER 1974

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