Benedict, R., Échantillons de Civilisation

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chantillons de civilisation

66Sociologie de la sant: la sant physique

Ruth Benedict, chantillons de civilisation2

Ruth Benedict (1950)

chantillons

de civilisationsUn document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay,

professeur de sociologie

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Site web: http://pages.infinit.net/sociojmtDans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"

Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.htmlUne collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque

Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de:

Benedict, Ruth (1950)

chantillons de civilisationUne dition lectronique ralise partir du livre Ruth Benedict (1950), chantillons de civilisations.Polices de caractres utilise:

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Table des matires

I.Connaissance de la coutumeIl.De la diversit des civilisationsIII.Comment se constitue une civilisationIV.Les Pueblos du Nouveau-MexiqueV.DobuVI.La cte nord-ouest de l'AmriqueVII.Nature de la socitVIII.L'individu et le type de civilisation

(

. I

CONNAISSANCEDE LA COUTUME

(

. L'anthropologie est l'tude de la vie sociale chez les hommes. Elle porte son attention sur les caractristiques physiques et les techniques industrielles, sur les conventions et les manires de voir qui diffrencient une communaut de toutes les autres possdant une tradition diffrente de la sienne.

Ce qui distingue nettement l'anthropologie des autres sciences sociales, c'est qu'elle fait entrer dans son cadre l'tude approfondie d'autres socits que la ntre. Pour le but qu'elle se propose, toute rglementation sociale du mariage et de la procration a une signification aussi importante que dans notre civilisation, quand bien mme il ne s'agirait que de celle des Dyaks de la Mer et n'a aucun rapport historique possible avec la rglementation que nous possdons chez nous. Pour l'anthropologiste, nos propres coutumes et les coutumes de la Nouvelle-Guine, par exemple, sont deux modles sociaux sur lesquels on peut se pencher en tudiant un mme problme ; et tant qu'il demeurera dans les limites de l'anthropologie, son devoir sera d'viter de conclure au profit ou au dtriment de l'un des deux. Il doit s'intresser au comportement humain, non par la faon dont il aurait t inspir par notre propre tradition, mais tel qu'il a t inspir par n'importe quelle tradition. Il doit s'intresser la vaste gamme de coutumes que l'on peut dcouvrir en diffrentes cultures et son objectif est de comprendre la manire dont ces cultures voluent et se diffrencient, les diffrentes formes par lesquelles elles s'expriment et la faon dont les coutumes de n'importe quelle peuplade fonctionnent dans les vies des individus qui la composent.

Jusqu' prsent, la coutume n'a pas t tenue comme un sujet de premire importance. C'est le travail intime de notre propre cerveau que nous avons considr comme l'unique sujet digne d'investigation ; quant la coutume, selon notre mode de pense, ce ne serait que la faon d'agir dans son sens le plus banal. En ralit il faut voir autrement les choses. La coutume traditionnelle, considrer les peuples de la terre, est une masse de comportements varis plus tonnants qu'on ne l'aurait imagin et que l'on ne pourrait attribuer des initiatives individuelles, si extravagants qu'ils puissent paratre. C'est mme l un aspect assez banal de la question. Le fait de majeure importance est le rle prdominant jou par la coutume sur la tradition et les croyances, et les trs multiples aspects qu'elle peut prendre.

On ne songe jamais regarder le monde avec des yeux de primitif. On le voit rgi par tout un mcanisme dfini de coutumes, d'institutions et de faons de penser. Mme dans nos investigations philosophiques, nous n'allons pas regarder ce qui existe derrire ces strotypes ; nos vritables concepts de la vrit et de l'erreur s'en rfreront toujours nos particularits traditionnelles. John Dewey a trs srieusement dclar que le rle jou par la coutume dans le faonnement de la conduite de l'individu, comme tout ce qu'il peut faire en s'en rapportant la coutume traditionnelle, sont dans la proportion du vocabulaire complet de sa langue maternelle et des mots du langage de sa petite enfance incorpors l'idiome de la famille. Quand on tudie srieusement les organisations sociales qui ont russi se dvelopper de faon autonome, cette comparaison n'est plus autre chose qu'une observation exacte qui correspond la ralit. L'histoire de la vie de tout individu est d'abord et avant tout l'accommodation aux modles et aux rgles en usage dans sa communaut. Ds sa naissance, les coutumes du monde o il est n modleront son exprience et son comportement futur. Quand il pourra s'exprimer il sera la petite crature de sa civilisation ; quand il aura grandi, il sera capable de prendre part aux activits de cette civilisation, ses habitudes seront devenues les habitudes de cette civilisation, de mme pour ses croyances, ses possibilits et ses non-possibilits. Tout enfant n dans le mme groupe participera cela et aucun enfant n n'importe o de l'autre ct du globe ne pourra jamais en raliser la millime partie. il n'y a pas de problme social qui nous incombe davantage que de comprendre ainsi le rle jou par la coutume. Tant que nous n'aurons pas compris ses lois et sa diversit, les ralits les plus complexes de l'existence humaine nous demeureront inintelligibles.

L'tude de la coutume peut tre profitable si certaines propositions prliminaires sont admises, et quelques-unes de celles-ci ont rencontr d'acharns contradicteurs. D'abord, toute tendue scientifique exige qu'il n'existe aucune prfrence dans l'apprciation de tel ou tel des articles de la srie qu'elle aura choisi pour objet. Sur tous les moindres terrains de controverse comme l'tude des cactus, des termites ou de la nature des nbuleuses, la mthode indispensable d'une tude doit consister rassembler et mettre en ordre les matriaux qui s'y rapportent et de noter toutes les variantes de formes et de combinaisons possibles. C'est ainsi que nous avons appris tout ce que nous savons des lois de l'astronomie, ou de la vie des colonies d'insectes, par exemple ; ce n'est que dans l'tude de l'homme lui-mme que les principales sciences sociologiques ont substitu toute autre tude celle d'une variante locale unique, savoir la civilisation occidentale.

L'anthropologie tait, par dfinition, impossible aussi longtemps que de pareilles distinctions entre nous-mmes et les primitifs, entre nous-mmes et les barbares, entre nous-mmes et les paens s'imposaient a l'esprit des peuples. Il tait d'abord ncessaire d'en arriver ce degr de sophistication o nous n'opposions plus nos croyances aux superstitions de nos voisins. Il tait ncessaire que ces institutions bases sur les mmes prmisses savoir le surnaturel, fussent considres ensemble, les ntres avec les autres.

Dans la premire moiti, du XIXe sicle, ce postulat lmentaire de l'anthropologie ne se serait pas prsent aux yeux des gens les plus clairs de notre civilisation occidentale. L'homme, au cours de son histoire, s'est fait un point d'honneur de dfendre sa primaut. Au temps de Copernic, cette prtention la suprmatie tait tellement tendue qu'elle englobait mme la terre sur laquelle nous vivons, et le XIVe sicle refusa passionnment de laisser assigner une place notre plante dans le systme solaire. A l'poque de Darwin, ayant abandonn le systme solaire l'ennemi, l'homme combattit avec le secours de toutes les armes qu'il possdait pour son droit la suprmatie de l'me, don mystrieux de la Divinit l'homme, rfutant de la sorte l'ancestralit de l'homme dans le rgne animal. Aucune solution de continuit dans cette argumentation, aucune hsitation quant la nature de cette me , pas mme le fait que le XIXe sicle ne recherchait le moins du monde sa parent avec quelque groupe tranger, rien de tout cela n'entrait en jeu pour combattre la fivre intense dchane contre cette honteuse volution qui mettait en pril le concept de la supriorit humaine.

Ces combats, nous pouvons justement les considrer comme gagns, et bientt, compltement gagns ; seulement le front de la bataille s'est dplac. Nous sommes parfaitement disposs reconnatre que la rvolution de la terre autour du soleil, ou crue l'origine animale de l'homme n'ont pas grand-chose voir avec l'originalit des ralisations humaines. Si le hasard a voulu que nous habitions une plante de l'une des myriades de systmes solaires, notre gloire n'en est que plus clatante, et si toutes les races humaines si disparates ont volu partir de l'animal, les diffrences prouvables entre nous-mmes et les races animales sont trs grandes et c'est cela mme qui rend si remarquable l'originalit des ralisations humaines. Mais nos ralisations, mais nos institutions sont uniques ; elles sont d'un ordre diffrent de celles des races infrieures et doivent tre tout prix sauvegardes. De sorte qu'aujourd'hui, soit pour des raisons d'imprialisme, soit cause de prjugs de race, ou par suite de comparaisons entre le monde chrtien et le monde paen, nous sommes toujours proccups de l'originalit, non pas des institutions humaines de l'ensemble de l'univers, ce dont jamais personne ne s'est souci le moins du monde, mais de nos propres institutions et ralisations, en un mot de notre propre civilisation.

La civilisation occidentale, par suite de circonstances historiques dues au hasard, s'est rpandue plus largement que tous les autres groupes locaux connus. Elle a impos son modle la plus grande partie du globe, d'o cette croyance l'uniformit du comportement humain, croyance qui, sans ces circonstances, ne serait jamais ne. Des peuplades, mme primitives, sont quelquefois beaucoup plus conscientes du rle de leurs propres traits culturels que nous ne le sommes des ntres. Ceci pour une excellente raison. Elles ont vu de prs diffrentes civilisations. Elles ont vu leur religion, leur systme conomique, leurs prohibitions en matire de mariage, s'effacer devant ceux de l'homme blanc. Elles ont abandonn les uns pour adopter les autres, souvent sans trop comprendre pourquoi, mais elles comprennent fort bien que l'on peut amnager l'existence humaine de diffrentes faons. Elles attribuent parfois les principales caractristiques de l'homme blanc ses comptitions commerciales ou son organisation militaire, exactement comme le fait l'anthropologiste.

L'exprience de l'homme blanc est tout autre. Il n'a, en gnral, jamais vu un homme d'une autre race qui ne ft dj europanis. Quand il a voyag, il aura vraisemblablement err de par le monde, sans jamais avoir habit en dehors des htels cosmopolites. Il connat peu de choses des diffrents modes de vie en dehors de celui de la sienne. L'uniformit des coutumes, et des conceptions de la vie qu'il voit autour de lui, lui parait suffisamment convaincante et lui cache ce fait qu'il n'est aprs tout qu'un accident historique. Il accepte sans grande difficult l'quivalence de la nature humaine et de ses propres talons de culture.

Pourtant la vaste diffusion de la civilisation blanche n'est pas l'unique phnomne historique du mme genre. Le groupe polynsien, en des temps relativement rcents, s'est rpandu de Ontong et Java jusqu'en Extrme-Orient, d'Hawa la Nouvelle-Zlande, et les peuplades de langue Bantou ont essaim du Sahara en Afrique du Sud. Mais nous ne voyons l qu'une prolifration d'un chantillon de l'espce humaine. Toutes les inventions de la civilisation occidentale ont t transportes travers le monde ; elle a impos des arrangements conomiques aux contres les plus lointaines pour remdier cette grande dispersion et il est ais de comprendre historiquement de quelle faon cela se produisit.

Les consquences conomiques de cette expansion de la civilisation blanche ne sont pas proportionnes aux consquences matrielles. Cette diffusion travers le monde nous a empchs, fait qui ne s'est jamais produit auparavant, de prendre au srieux les cultures des autres peuples ; elle a donn notre civilisation une universalit massive que nous avons depuis longtemps cess de tenir pour historique et que nous considrons plutt comme une consquence ncessaire et inluctable. Nous croyons que, dans notre civilisation, nous sommes dpendants des comptitions conomiques parce qu'il y aurait l le premier motif d'action qui puisse inspirer la nature humaine ; nous considrons le comportement des petits enfants, comme nous le trouvons faonn dans notre civilisation et tel qu'il est enregistr dans les rapports de cliniques, comme un phnomne de psychologie infantile, ou comme un processus que le jeune animal humain doit invitablement suivre. C'est l l'invitabilit de tous les motifs d'action de la famille, que nous dfendons, en essayant d'identifier nos propres modes personnels de vie avec la Manire de Vivre en soi, nos propres habitudes sociales avec la Nature humaine.

prsent, l'homme moderne a fait de cette thse une solution vivante dans sa faon de penser et dans ses actes, mais les sources de celle-ci doivent tre recherches bien loin derrire ce qui est apparent, en remontant sa distribution universelle parmi les peuples primitifs, l'une des premires en date des discriminations humaines, savoir la diffrence d'espce entre mon petit groupe crit moi et le monde extrieur. Toutes les tribus primitives reconnaissent cette catgorie d'hommes qui ne font pas partie du clan, ceux qui ne sont pas seulement en dehors des rgles du code moral qui existe dans les limites d'un peuple dtermin mais ceux aussi auxquels on refuse sommairement une place quelconque sur le plan humain. Un grand nombre de noms de tribus uss communment, Zun, Dn. Kiowa et d'autres encore sont des noms par lesquels des peuples primitifs se dsignent eux-mmes et qui ne sont que les vocables naturels qui signifient tres Humains , c'est--dire Nous-Mmes. En dehors de cet troit petit groupe, il n'y a pas d'tres humains. Et ceci, en dpit du fait que partant d'un point de vue objectif, chaque tribu est entoure de peuplades qui partagent ses arts et ses ralisations matrielles, ainsi que les pratiques minutieuses qui n'ont pu se dvelopper que par de mutuels changes d'un peuple l'autre dans les faons de vivre.

L'homme primitif n'a jamais jet ses regards sur l'ensemble du monde ; il a considr l'humanit comme un groupe ; il n'a su voir que les traits qu'elle pouvait possder en commun avec son espce. Au dbut l'homme primitif fut un provincial qui leva haut les barrires. Qu'il s'agt de prendre une femme ou de se choisir un chef, la premire et principale diffrence pour lui tait celle qui existait entre son groupe lui et le groupe qui tait de l'autre ct de la barrire. Il n'y avait pour lui que son propre groupe et sa faon de vivre.

De mme l'homme moderne, diffrenciant les Peuples lus et ces trangers qu'il lui faut redouter, groupe l'intrieur des limites de sa civilisation des peuples apparents les uns aux autres par l'origine et la culture, comme les tribus de la brousse australienne le sont entre elles et justifie une telle attitude par une longue continuit historique. Ce sont de semblables prtentions qu'ont fait valoir les Pygmes. Il n'est gure probable que nous nous dbarrassions facilement d'une caractristique aussi fondamentalement humaine, niais nous pouvons tout au moins apprendre lire l'histoire de ses manifestations perptuellement renouveles.

L'une de ces manifestations, celle dont il est le plus souvent parl comme une des plus importantes, avant son origine plutt dans des motions religieuses que dans cette sorte de provincialisme largi, est l'attitude qu'a universellement maintenue dans la civilisation occidentale la religion tant qu'elle n'a paru tre que l'unique solution au problme de l'existence. La distinction entre tout groupe repli sur soi-mme et les autres peuples devient sous le point de vue de la religion la mme que celle entre les vrais croyants et les paens. Entre ces deux catgories, pendant des milliers d'annes, il n'y eut aucun point de rencontre. Aucune ide ou institution florissante chez l'une qui ft valable chez l'autre. Ou pour mieux dire, toutes les institutions parurent s'opposer hostilement, attendu qu'elles appartenaient l'une ou l'autre de ces religions, d'ailleurs trs Peu diffrentes l'une de l'autre. Dans l'un (le ces camps ce qui tait en question c'tait la Rvlation Divine et la vraie croyance, la rvlation et la Divinit ; dans l'autre camp, on ne voyait l qu'erreur mortelle, fables, hrtiques et dmons. Il ne pouvait tre question de mettre sur le mme pied les attitudes de ces groupes antagonistes et, par suite, moins encore de comprendre la suite d'une tude objective la nature de ce trait humain si important : la Religion.

Nous prouvons un sentiment de lgitime supriorit lorsque nous lisons une description telle que celle-ci de l'attitude religieuse modle. Nous avons finalement rejet cette absurdit singulire et accept l'tude compare des religions. Mais en considrant les ravages qu'une prise de position de cette sorte a exercs dans notre civilisation sous la forme des prjugs de race, par exemple, nous nous croyons autoriss un lger scepticisme sur la question de savoir si notre sophistication en matire religieuse est due au fait que nous avons dpass le stade de la navet purile ou simplement au fait que la religion a cess d'tre le champ clos de la vie o se vident les grands diffrends modernes ; pour la solution rellement vivante crue doit dcouvrir notre civilisation, nous semblons loin d'avoir trouv le dtachement que nous avons si largement acquis en matire de religion.

Il existe une autre circonstance qui a fait de l'tude srieuse de la coutume une discipline tardive et subie comme contrecur et qui est plus difficile surmonter que celles dont nous venons de parler. La coutume n'a pas stimul l'attention des thoriciens sociaux parce qu'elle constituait le fondement mme de leur propre faon de penser : elle tait le verre grossissant sans lequel elle ne voyait absolument plus rien. Et par cela mme qu'elle tait fondamentale, elle avait son existence en dehors du champ de l'attention consciente. Il n'y a en vrit rien de mystique dans cet aveuglement. Quand un savant a rassembl toute une srie de documents pour une tude de crdits internationaux, ou pour le processus d'un enseignement, ou pour tablir le rle du narcissisme dans les psychonvroses, c'est par l'intermdiaire de ce corps de documentation et dans cette documentation elle-mme que l'conomiste, le psychologue ou le psychiatre oprent ; il ne tient pas compte de l'existence d'autres arrangements sociaux o les divers facteurs pourraient intervenir de faon diffrente. Il ne tient pas compte, vrai dire, des conditions culturelles. Il ne voit que la caractristique spciale qu'il a tudie et qu'il connat bien et ses invitables manifestations, et il les traite comme quelque chose d'absolu parce que, toutes, elles sont les matriaux avec lesquels il lui faut travailler. Il identifie les manires d'tre locales des annes 1930 avec la Nature humaine, et la description de celles-ci avec l'conomie politique ou la Psychologie.

Pratiquement cela, souvent, n'importe gure. Nos enfants doivent tre duqus dans notre tradition pdagogique, et l'tude de la marche de l'enseignement dans nos coles est d'une capitale importance. On pourrait justifier de mme le haussement d'paules par lequel nous accueillons souvent la discussion d'autres systmes conomiques. En dfinitive, il nous faut vivre dans le cadre du ce qui est moi et ce qui est toi institu par notre civilisation.

Telle est la vrit, et le fait que c'est selon leur situation dans l'espace que les diffrentes cultures peuvent tre le mieux tudies vient colorer notre nonchalance, mais ce n'est que par la limitation des matriaux historiques qui fait que les exemples n'en sont pas tirs de la succession des cultures dans le temps. Cette succession, nous ne pourrions nous y soustraire, mme si nous le dsirions, et quand il nous arrive de jeter un regard en arrire ne ft-ce que pour la dure d'une gnration, nous ralisons toute l'tendue de la rvision opre parfois mme en ce qui concerne notre comportement le plus intime. Et quand ces rvisions ont t inconscientes, nous ne pouvons enregistrer que rtrospectivement le rsultat des circonstances. Et sans notre rpugnance envisager le changement culturel dans notre comportement personnel tant que nous n'y sommes pas contraints, il ne serait pas impossible d'adopter une attitude plus intelligente et plus objective.

Ce phnomne de rsistance est, en grande partie, le rsultat de la fausse interprtation des conventions culturelles et provient spcialement de la trop grande importance que nous accordons celles que la destine a fait appartenir notre pays et notre temps. Une lgre connaissance des conventions trangres, et la conscience de leur diversit seraient trs efficace pour promouvoir un ordre social rationnel.

L'tude des diffrentes cultures exerce une autre influence importante sur la pense et la conduite contemporaines. L'existence moderne a cr des rapports troits entre un grand nombre de civilisations au moment prcis o la rponse prdominante cet tat de choses se trouve tre le nationalisme et le prjug racial. Il n'y a jamais eu une poque o la civilisation n'et davantage besoin d'individus rellement conscients de ce qu'est une civilisation et pouvant considrer en toute objectivit le comportement rsultant des conditions sociales des autres peuples, sans peur et sans rcriminations.

Le mpris de ce qui est tranger n'est pas l'urique solution possible du contact actuel (les races et des nationalits. Ce n'est mme pas une solution possdant des bases scientifiques. La traditionnelle intolrance anglo-saxonne est un trait de culture local et temporel tout comme, un autre. Mme un peuple aussi homogne de race et de culture que le peuple espagnol n'en est pas marqu et le prjug de race dans les pays d'origine espagnole est chose bien diffrente de celui qui existe dans les pays relevant de l'Angleterre ou des tats-Unis. Dans ceux-ci ce n'est apparemment pas une intolrance contre le mlange des sangs de races biologiquement trs diffrentes, car, l'occasion, l'excitation se monte un diapason aussi lev contre les Irlandais catholiques Boston ou contre les Italiens dans les villes manufacturires de la Nouvelle-Angleterre, que contre les Orientaux en Californie. Il !s'agit toujours l de la vieille distinction que l'on tablit entre ceux du groupe intrieur et ceux du groupe extrieur, et si nous conservons cette ancienne tradition en la matire, nous sommes beaucoup moins excusables que les tribus sauvages. Nous avons voyag, nous nous enorgueillissons de notre sophistication. Mais nous n'avons pas su comprendre la relativit (les habitudes culturelles et nous nous privons ainsi d'un grand profit et d'une grande satisfaction dans nos relations humaines avec des peuples de types de civilisations diffrents de la ntre, ce qui nous rend dloyaux dans nos rapports avec eux.

Le prjug racial reconnu comme un principe de culture est un effort dsespr de la civilisation occidentale. Nous en sommes arrivs ce point que nous conservons un prjug racial envers les Irlandais qui sont nos frres par le sana, et que Sude et Norvge parlent de leur inimiti rciproque comme si elles appartenaient, elles aussi, deux races de sangs diffrents. La soi-disant dmarcation de races au cours d'une guerre o France et Allemagne se combattirent parat avoir diffrenci les Badois des Alsaciens, bien que sous le rapport physique ils appartiennent les uns et les autres au sous-rameau alpin. A notre poque de libres dplacements des gens et de mariages mixtes dans la ligne des lments les plus dsirables de la communaut, nous osons encore prcher l'vangile de la puret, de la race.

ceci l'anthropologie fait deux rponses. La premire concerne la nature de la civilisation et la seconde la nature des qualits acquises. La rponse quant la nature de la civilisation, nous ramne aux types de socits d'avant l'humanit. Il y a des socits o la nature perptue les moindres faons d'agir grce des mcanismes biologiques, mais il s'agit l de socits non pas humaines, mais d'insectes vivant en socit. La fourmi-reine relgue dans un nid solitaire reproduira chaque trait de comportement sexuel, chaque particularit du nid. Les insectes vivant en socit reprsentent la nature dans des dispositions qui ne lui donnaient aucune chance d'avenir. Le plan de toute la structure sociale, elle le confiait l la conduite instinctive de la fourmi. Il n'y a pas plus grande chance que les classes sociales de la fourmilire, ou ses chantillons d'agriculture soient perdus par l'isolation d'une fourmi en dehors de son groupe que de voir la fourmi manquer de reproduire sa forme corporelle ou la structure de son abdomen. Pour le meilleur ou pour le pire, la solution chez les hommes, se trouve au ple oppos. Aucune particularit de son organisation sociale de la tribu, de son langage, de sa religion locale ne se trouve inscrite dans ses cellules germinatives. En Europe, aux sicles passs, lorsque des enfants furent occasionnellement dcouverts abandonns et livrs eux-mmes dans des forts, isols des autres tres humains, ils taient tous tellement semblables les uns aux autres que Linn les classa comme une espce distincte, l'homo ferus, et supposa que c'taient des sortes de gnomes crue l'homme avait eu peu d'occasions de rencontrer. Il ne pouvait pas concevoir que ces brutes peu prs dpourvues d'intelligence fussent des cratures humaines, car elles ne prenaient intrt rien de ce qui se passait autour d'elles, se balanant rythmiquement d'arrire en avant comme certaines btes sauvages dans les jardins zoologiques, pourvus de l'organe de la parole et comprenant tout juste ce qui pouvait leur tre utile, rsistant vtus de haillons aux intempries, mangeant des pommes de terre sans les avoir fait bouillir et sans en tre incommods. C'taient l, sans doute, bien entendu, des enfants abandonns ds le plus jeune ge et ce qui leur avait manqu le plus tous, c'tait la vie en commun avec d'autres tres de leur espce, seul moyen pour l'tre humain d'aiguiser ses facults et de leur donner une forme.

Nous ne rencontrons plus de ces enfants sauvages dans notre civilisation plus humaine. Mais la question a t clairement lucide dans tous les cas d'adoption d'un enfant par des gens d'une autre race et d'une autre civilisation que la leur.

Un enfant oriental adopt par une famille occidentale apprend l'anglais, montre envers ses parents adoptifs les attitudes courantes des enfants au milieu desquels il joue, et finit par s'adonner aux mmes mtiers qu'il est donn ceux-ci de choisir. Il apprend vivre conformment la srie tout entire des caractristiques de la culture de sa socit d'adoption et les caractristiques du groupe de ses vrais parents ne joue ds lors pour lui plus aucun rle. Le mme processus se ralise sur une grande chelle quand des peuples entiers dans la dure de deux gnrations ont abandonn leur culture traditionnelle pour se plier aux coutumes d'un peuple tranger. La culture des Noirs amricains dans les villes du Nord tend se rapprocher dans ses plus petits dtails de celle des Blancs dans les mmes cits. Il y a quelques annes, quand on tudia les coutumes de Harlem, on remarqua que l'un des traits particuliers aux Ngres tait leur faon de parier sur les trois derniers chiffres du stock chiffrer pour le lendemain. En fin de compte cette manire de faire est moins dispendieuse que la prdilection correspondante des Blancs de spculer sur les marchandises elles-mmes et elle tait tout aussi hasardeuse et tout aussi excitante. Il n'y avait l qu'une variation calque sur le modle des Blancs et, au fond, assez peu diffrente. Et la plupart des autres caractristiques d'Harlem sont encore plus proches des traits qui sont courants dans les groupements d'hommes blancs.

Partout dans l'univers, depuis le commencement de l'histoire humaine, on retrouve que les peuples ont t capables d'adopter la -culture de peuples d'un autre sang. Il n'y a rien dans la structure biologique de l'homme qui rende la chose malaise. L'homme n'est pas oblig de par sa constitution biologique une forme particulire de comportement. La grande diversit des solutions que l'homme a adoptes dans les diffrentes -civilisations pour le mariage, par exemple, ou pour le commerce, sont toutes galement possibles sur la base de ses aptitudes originelles.

Ce qui se trouve perdu quant la garantie de scurit accorde par la nature se trouve compens au profit d'une plasticit plus grande. L'animal humain n'acquiert pas, naturellement, comme l'ours, une fourrure polaire pour s'adapter au bout de toute une srie de gnrations au climat de l'Arctique. Il apprend coudre lui-mme un vtement et se btir une maison de neige. D'aprs tout ce que nous enseigne l'histoire de l'intelligence chez les socits prhistoriques aussi bien que chez les socits humaines, cette plasticit a t le terrain sur lequel le progrs humain a pu natre et grce auquel il a pu se dvelopper. A l'ge du mammouth des sries d'espces dpourvues de cette plasticit ont surgi, ont atteint l'apoge de leur dveloppement et se sont teintes, ruines par ce mme dveloppement des caractristiques qu'elles s'taient biologiquement donnes pour surmonter les difficults qui les entouraient. Les btes de proie et, finalement, les singes suprieurs en arrivrent lentement pouvoir subsister grce des adaptations autres que biologiques et, par suite de la plasticit croissante qui se dveloppa par la suite, des fondations s'levrent, petit petit, pour le dveloppement de l'intelligence. Peut-tre, ainsi qu'on l'a souvent suggr, l'espce humaine se dtruira-t-elle elle-mme prcisment par ce dveloppement de l'intelligence. Mais personne n'a jamais suggr le moyen par lequel nous pourrions en revenir aux mcanismes biologiques de l'insecte qui vit en socit et il n'existe pour nous aucune alternative. L'hritage culturel de l'humanit, pour le mieux comme pour le pire, n'est pas biologiquement transmissible.

La consquence qu'on en tire en sociologie moderne est qu'il n'existe pas, pour cette argumentation, de base qui nous permettrait de nous en remettre pour notre perfectionnement spirituel et culturel quelques chromosomes slectionns par l'hrdit. Dans notre civilisation occidentale, la direction a pass successivement travers les ges, des peuples de langues smitiques aux Chamites, au sous-groupe mditerranen de la race blanche et en dernier lieu aux Nordiques. On ne saurait mettre en doute la continuit culturelle de la civilisation, quel qu'en ait pu tre le reprsentant telle ou telle poque. Nous devons accepter toutes les implications de notre hritage humain, dont l'une des plus importantes est le champ restreint des manires d'agir biologiquement transmises et le rle norme que joue la culture dans la transmission de la tradition.

La seconde rponse que fait l'anthropologie l'argumentation du puriste racial concerne la nature de l'hrdit. Le puriste racial est victime de mythes. Car, en somme, qu'est-ce que ce fameux hritage racial ? Nous savons grossirement ce que reprsente l'hrdit du pre au fils.

Dans la ligne familiale, l'importance de l'hrdit est norme. Mais l'hrdit est une affaire de lignages familiaux. Au-del il n'y a que des mythes. Dans les communauts restreintes et statiques, comme les villages isols de l'Esquimau, l'hrdit de la race et l'hrdit de parents aux enfants sont pratiquement quivalentes ; c'est pour cela que dans ce cas, l'hrdit raciale possde une signification. Mais, en tant que concept appliqu un domaine plus tendu, aux peuples nordiques, par exemple, elle n'a pas de base dans la ralit. D'abord chez toutes les nations nordiques il existe des lignes familiales qui se trouvent aussi reprsentes dans les communauts alpines ou mditerranennes. Toute analyse de l'extrieur physique d'une population europenne nous montre ce qu'elle recouvre : celui qui, parmi les Sudois a des yeux noirs ou des cheveux noirs reprsente une ligne beaucoup plus mridionale, et nous devons le considrer en rapport avec sa filiation avec les collectivits du Sud. Son hrdit, en tant que ressemblance physique, est due cette ascendance, et ne doit pas tre limite la Sude. Nous ignorons jusqu' quel point les types physiques peuvent varier quand le mlange des sangs n'intervient pas. Nous connaissons l'influence des unions consanguines sur un type local. Mais c'est l quelque chose qui n'existe gure dans notre cosmopolite civilisation blanche, et lorsque l'on invoque l'hrdit raciale , ainsi qu'on a coutume de le faire pour dfinir un groupe de gens ayant le mme statut conomique, duqus dans les mmes coles, et lisant les mmes revues hebdomadaires, cette classification est tout simplement une nouvelle interprtation du groupe intrieur et du groupe extrieur et ne s'en rfre pas l'homognit biologique actuelle du groupe,

Ce qui rellement relie des hommes les uns aux autres c'est le mode de culture, les ides et le type d'existence qu'ils possdent en commun. Si, au lieu de choisir un symbole tel que la commune hrdit sanguine et de faire de cela un slogan, la nation dirigeait son attention plutt sur le type de culture qui fait l'unit de ses citoyens, en mettant l'accent sur ses plus grandes qualits et en reconnaissant celles qui pourraient s'panouir dans une civilisation diffrente, elle substituerait ainsi une faon de penser raliste une sorte de symbolisme dangereux parce qu'il est une source d'erreur.

La connaissance des diverses formes de culture est indispensable pour l'tude sociologique, et c'est cette tude de la culture qu'est vou le prsent volume. Ainsi que nous venons de le voir, la forme corporelle ou la race peuvent tre spares de la culture et peuvent donc, pour le but que nous nous proposons, tre traites part except sur certains points o pour quelque raison particulire elles paraissent en dpendre. La premire ncessit pour une discussion sur la culture est qu'on devrait la baser sur une large slection des formes culturelles possibles. Ce n'est qu'en procdant de la, sorte qu'il nous sera possible de diffrencier celles des institutions humaines qui sont conditionnes par la culture de celles qui sont communes tous les peuples et qui d'aprs ce que nous pouvons voir, sont l'apanage invitable de l'humanit.

Nous ne pouvons dcouvrir ni par l'introspection, ni par l'observation d'une socit quelconque quel est le mode de comportement qui est instinctif, c'est--dire organiquement dtermin. Pour classer un mode de vie comme instinctif, il serait, d'ailleurs, beaucoup plus ncessaire de prouver qu'il est automatique. La rponse ncessaire serait que l'automatisme quivaut ce qui est organiquement dtermin, et les rponses conditionnes par la culture constituent la plus grande part de l'norme accumulation de matriaux que nous fournit l'quipement automatique.

Cependant l'ensemble de matriaux le plus propre nous clairer pour l'tude des formes de civilisations et de leurs manires d'agir est celui des socits les moins proches historiquement de notre propre civilisation et de quelques autres encore. Dans le vaste rseau de rapports historiques qui ont dissmin les grandes civilisations sur de vastes surfaces de la terre, les cultures primitives sont dsormais l'unique source laquelle nous pouvons avoir recours. Ces cultures constituent le laboratoire o nous pouvons tudier la diversit des institutions humaines. Relativement isoles, maintes rgions primitives ont eu de nombreux sicles pour laborer les modles de culture dont elles ont tir la leur. Elles sont en mesure de nous fournir la documentation ncessaire concernant toutes les varits possibles dans les institutions humaines, et une tude critique de celles-ci est essentielle pour arriver comprendre le dveloppement des civilisations. C'est l le seul laboratoire de formations sociales que nous ayons ou que nous puissions avoir.

Ce laboratoire a encore un autre avantage. Les problmes s'y posent en termes plus simples que dans les grandes civilisations occidentales. Avec les inventions qui facilitent les transports, les transmissions par tlgraphe, tlphone et radio, celles qui assurent de faon continue la, distribution des feuilles imprimes, le dveloppement des groupes, religions et classes rivales et leur standardisation dans l'univers, la civilisation moderne est devenue quelque chose de trop complexe pour se prter une analyse adquate moins qu'on ne la divise cette fin en petites sections artificielles. Et ces analyses partielles sont inadquates parce que trop de facteurs internes chappent notre contrle. La vue d'ensemble d'un groupe quelconque comprend des individus appartenant des groupes htrognes opposs, avec des modes de vie diffrents, des perspectives sociales, des relations de famille et des morales diffrentes. Les rapports entre eux de ces groupes sont d'une complexit trop grande pour qu'on puisse les tudier dans tous leurs dtails, ainsi qu'il conviendrait de le faire. Dans la socit primitive, la tradition culturelle est suffisamment simple pour ne pas dborder du cadre de ce que l'on dsire connatre sur les individus de l'ge adulte, et les usages ainsi que les rgles de moralit du groupe se trouvent models sur un type gnral bien dfini. Il est ds lors possible d'estimer la corrlation des diffrentes caractristiques dans un milieu simple comme celui-ci d'une faon qui serait impossible dans l'intrication d'une civilisation complexe telle qu'est la ntre.

Aucune de ces raisons pour insister sur les faits de cette culture primitive n'a, si peu que ce soit faire avec l'usage qui a t fait selon les mthodes classiques de ces matriaux. Cet usage doit consister en une reconstruction des origines. Les premiers anthropologistes ont essay de ranger toutes les caractristiques des diverses cultures selon une ligne volutionniste en partant des formes primitives jusqu' leur panouissement final dans la civilisation occidentale. Mais il n'y a pas de raison pour supposer qu'en tudiant la religion australienne plutt que la ntre nous dcouvrions la religion primordiale, ou qu'en tudiant l'organisation sociale des Iroquois, nous retrouvions les coutumes matrimoniales des premiers ges de l'humanit.

Si nous sommes obligs de croire que la race humaine est une seule et unique espce, il en rsulte que partout l'homme a derrire lui une histoire d'gale dure. Quelques tribus primitives demeurent peut-tre de faons relatives attaches plus troitement aux formes primordiales d'existence que l'homme civilis, mais ceci ne peut tre que relatif et nos conjectures ce sujet peuvent aussi bien tre exactes qu'errones. ]Rien ne nous permet de justifier l'identification de quelqu'une des coutumes primitives encore en survivance avec le type originel de la manire de vivre des hommes. Mthodologiquement, il n'existe qu'un moyen par lequel nous puissions acqurir une connaissance approximative de ces dbuts de l'humanit. Ce moyen, c'est une tude de la distribution des quelques traits qui sont universels ou quasi universels dans la socit humaine. Plusieurs de ceux-ci sont bien connus. On retrouve notamment partout l'animisme ainsi que les restrictions exogamiques en matire de mariage. Les concepts si diffrents qui se rencontrent de l'me humaine et de l'aprs-vie soulvent d'autres questions. Des croyances presque aussi universellement rpandues que celles-ci, nous pouvons les considrer comme des inventions humaines d'une extrme anciennet. Ce qui n'quivaut pourtant pas les considrer comme biologiquement dtermines, car elles peuvent dater du dbut de l'humanit, tre des caractristiques de l'humanit au berceau , devenues depuis lors fondamentales dans toute la, pense humaine, En dernire analyse, elles peuvent tre tout aussi bien conditionnes socialement que n'importe quelle coutume locale. Mais elles sont devenues automatiques dans la faon de vivre des hommes. Elles sont trs vieilles et elles sont universelles. Tout ceci, cependant, ne constitue pas les formes que l'on pourrait considrer comme les formes originelles nes aux temps primitifs. Il n'existe pas non plus de moyen pour retrouver ces origines en tudiant leurs varits. On peut isoler le noyau universel des croyances et diffrencier celui-Ci des variantes locales, mais il est toujours possible qu'une de celles-ci ait pris naissance dans une forme locale dtermine et ne soit pas la rsultante due quelque commun dnominateur originel de tous les traits observs.

C'est pour cette raison que l'usage des coutumes primitives pour tablir des origines est quelque chose de spculatif. Il est possible d'difier une argumentation pour trouver une origine que l'on cherche, aussi bien pour les origines qui sont mutuellement exclusives que pour celles qui sont complmentaires les unes des autres. De tous les emplois de matriaux anthropologiques, c'est celui pour lequel la spculation s'est le plus donn libre cours et dont aucune preuve ne peut tre fournie quant la nature de son cas.

La raison du recours aux socits primitives pour l'tude des formes sociales ne doit pas ncessairement nous ramener au retour romantique la priode primitive. Aucun esprit ne voudra tenter de potiser les plus frustes parmi les peuplades. Il existe plusieurs voies par lesquelles la culture de tel ou tel peuple s'impose vigoureusement notre esprit en cette aire de standards htrognes et de tourbillonnement mcanis. Mais ce n'est point par un retour aux idaux que nous ont conservs les peuplades primitives que notre socit se gurira de ses maladies. L'utopisme romantique qui nous attire vers le primitivisme le plus simple, quelle que puisse tre sa puissance attractive, est, souvent aussi pour l'tude ethnologique, plutt un obstacle qu'un secours.

L'tude minutieuse des socits primitives est aujourd'hui d'une assez grande importance, ainsi que nous l'avons dj dit, parce qu'elle nous pourvoit d'un ensemble de cas qui serviront l'tude des modalits et des processus de civilisations. Elle nous aide faire une discrimination entre les conclusions qui sont spcifiques certains types de civilisations particulires et ceux qui sont communs l'humanit tout entire. En outre, elles nous aident apprcier et comprendre le rle extrmement important du comportement humain conditionn Par la civilisation. La culture avec ses processus et son fonctionnement est un sujet pour lequel nous avons besoin de toute la clart qu'il nous est possible de faire jaillir, et il n'existe pas de direction dans laquelle nous puissions nous aiguiller avec de plus grandes chances de succs que celle que nous indique le comportement des socits illettres.

II

DE LA DIVERSITDES CIVILISATIONS

(

. Un chef de pionniers indiens , ainsi que les dnomment les Californiens, m'entretint longuement un jour des coutumes de son peuple aux temps anciens. Il tait chrtien et dirigeait dans sa tribu la plantation des pches et des abricots sur des terres irrigues, mais quand il se mettait parler des sorciers qui s'taient devant ses yeux mtamorphoss en ours pour excuter la danse de l'ours, ses mains tremblaient et sa voix frmissait d'excitation. Quelle chose incomparable que la puissance possde autrefois par son peuple ! Son sujet de conversation prfr c'tait de m'numrer et de me dcrire tout ce qu'on avait mang dans le dsert. Il me parlait amoureusement des Plantes que l'on avait arraches la terre, avec un sens infaillible de leur importance. En ces jours anciens, son peuple avait mang la sant du dsert , disait-il, et ne savait pas ce que c'tait qu'une bote de fer-blanc et ce que l'on expose pour la vente l'tal des boucheries. C'taient des innovations de ce genre qui avaient caus la dcadence des siens l'poque actuelle.

Certain jour, sans transition, Ramon, tout coup, entreprit -de me dcrire le broyage du mesquite et la confection de la soupe aux glands. Au commencement, nie dit-il, Dieu a donn chaque homme un bol d'argile et ce fut dans ce bol que les gens burent leur vie.

J'ignore si cette mtaphore figurait dj dans un rituel traditionnel de la tribu, car je ne pus la dcouvrir nulle part, ou bien si elle tait un produit de l'imagination de Ramon. Il est difficile de croire qu'il l'et entendue dire par des Blancs qu'il avait connus Banning ; ces gens-l n'ayant pas coutume d'tudier l'thique des diffrentes peuplades.

En tout cas, dans l'esprit de ce modeste Indien, cette figure est claire et pleine de signification. Ils l'ont tous plong dans l'eau, poursuivit-il, mais leurs bols taient diffrents. Notre bol nous est cass maintenant. Il n'existe plus.

Notre bol est cass. Les choses qui avaient donn un sens la vie de son peuple, les rites alimentaires de la famille, les obligations de son systme conomique, la succession des crmonies au village, la possession de la danse de l'ours, leurs notions du bien et du mal, toutes ces choses avaient disparu et, avec elles la forme et le sens de leur vie. Ce vieil homme-l tait encore un homme vigoureux, c'tait un chef qui entretenait des relations avec les Blancs. Il n'entendait pas dire qu'il ft le moins du monde question de l'extinction de son peuple. Mais il avait dans l'esprit la perte de quelque chose possdant une valeur gale celle de la vie elle-mme, toute la cration du mode d'existence et des croyances de sa tribu. Il subsistait encore d'autres bols de vie qui s'emplissaient peut-tre de la mme eau, mais la perte tait irrparable. Il n'tait pas question de raccommoder le bol en ajoutant ici ou en retranchant l. C'tait le modelage qui tait d'importance fondamentale, en quelque sorte d'une seule pice. Il avait t leur proprit personnelle.

Ramon avait prouv personnellement l'exprience de ce dont il parlait. Il tait cheval sur deux civilisations dont les manires de voir et les modes de penser n'avaient rien de commun entre elles. Pnible situation pour un homme ! Dans notre civilisation occidentale, notre exprience a t tout autre. Nous avons t dresss pour une culture cosmopolite : nos sciences sociales, notre psychologie et notre thologie continuent ignorer la vrit exprime par cette mtaphore de Ramon.

Le cours de la vie et l'influence du milieu, sans parler de la fertilit de l'imagination humaine, fournissent un nombre incroyable de manires d'agir possibles ; toutes, semble-t-il, pourraient servir l'existence d'une socit. Il y a les divers types de proprit avec la hirarchie sociale qui peut s'associer ces possessions ; il y a les biens matriels avec leur minutieuse technoIogie ; il y a tous les aspects de la vie sexuelle, de la parent et de la progniture ; il y a les corporations ou les cultes qui peuvent servir de structure . une socit ; il y a les changes conomiques. Il y a les dieux et les sanctions surnaturelles. Chacune de ces choses et beaucoup d'autres encore ont pu tre insparables d'intentions culturelles et de crmonies qui monopolisent l'nergie culturelle et ne laissent pas grand-place la cration d'autres particularits caractristiques. Certains aspects de l'existence qui nous paraissent de prime importance ont pass presque inaperus de peuples dont la culture, oriente dans Une autre direction, tait loin pourtant d'tre pauvre. Il peut arriver aussi que le mme trait soit tellement travaill que nous en venons le considrer comme quelque chose de fantastique.

Il en est de la vie culturelle comme du langage ; la slection y est de premire ncessit. Le nombre de sons qui peuvent tre mis par nos cordes vocales, nos cavits buccales et nasales est pratiquement illimit ; les trois ou quatre douzaines de sons qui existent dans la langue anglaise, par exemple, sont le rsultat d'une slection qui ne concide mme pas avec ceux de dialectes aussi proches d'elle que l'allemand et le franais. Le total des sons employs dans les diverses langues du monde, personne ne s'est mme jamais risque l'estimer. Mais c'est chacun de ces langages qui doit oprer sa -slection et y demeurer fidle sous peine de ne plus tre du tout intelligible. Mme le langage qui a utilis les quelques centaines d'lments possibles et actuellement enregistrs ne pourrait servir comme instrument de communication. En outre, une grande partie de l'interprtation errone de langues non apparentes la ntre provient des tentatives que nous avons faites de nous en rfrer des systmes phontiques trangers aux ntres. Nous ne connaissons qu'un seul K. Si un autre peuple a cinq sons K mis de faons diffrentes par la bouche et par la gorge,' les diffrences de vocabulaire et de syntaxe qui dpendent de ces diffrences nous seront impossibles distinguer tant crue nous ne serons pas arrivs nous en rendre matres. Nous possdons un d et un n. Il peut aussi exister un son intermdiaire que, si nous ne russissons pas l'identifier, nous crivons tantt d et tantt n, introduisant ainsi dans le langage des distinctions qui n'existent pas. La ncessit lmentaire et pralable de l'analyse linguistique est une connaissance du nombre incroyable de sons parmi lesquels chaque langue opre ses propres slections.

De mme pour la culture ; il nous faut imaginer un grand ventail sur lequel se trouveraient ranges toutes les possibilits intressantes que nous rservent l'poque, ou le milieu, ou les diverses activits humaines. Une culture qui aura capitalis une proportion mme considrable de ceux-ci sera aussi inintelligible pour nous que le langage qui aurait utilis tous les bruits, tous les sons de la glotte, toutes les labiales, dentales, sifflantes et gutturales des muettes aux voyelles, des sonorits buccales aux sonorits nasales. Son identit en tant que culture dpend de la slection de quelques segments de cet ventail. Toute socit humaine, en quelque rgion que ce soit, a pratiqu une telle slection dans ses institutions culturelles. Chacun des points de vue d'autrui ignore ce qui est fondamental et exploite les singularits. Telle culture connat peine les valeurs montaires ; telle autre en a fait la base de toutes ses manires de vivre. Dans telle socit la technologie est mprise de faon incroyable jusque dans ses manires de vivre qui semblent ncessaires pour en assurer la survivance ; dans telle autre, galement simple, les ralisations technologiques sont complexes et s'appliquent admirablement bien la situation. On btit ainsi une norme superstructure culturelle sur l'adolescence, sur la mort, sur l'aprs-vie.

Le cas de l'adolescence est d'un intrt tout particulier, parce qu'il se trouve plac en pleine lumire dans notre civilisation et parce que nous profitons de l'ample information crue nous fournissent d'autres cultures. Dans notre civilisation, une bibliothque complte d'tudes psychologiques a, mis l'accent sur les troubles invitables de la priode de pubert. Celle-ci est, dans notre tradition, caractrise par des conflits avec la famille et des actes de rbellion, tout comme la typhode est accompagne de fivre. Il n'est pas question des faits. Ils ne sont pas rares en Amrique. La vritable question est plutt leur invitabilit.

Le simple examen des diverses manires dont diffrentes socits ont trait le problme de l'adolescence nous ramne toujours au fait suivant : mme dans les socits qui s'intressent le plus cette priode de l'existence, l'ge sur lequel elles concentrent leur attention s'tend sur une longue srie d'annes. A l'origine, en consquence, il est clair que les institutions concernant ce que l'on appelle la pubert sont une appellation errone, si nous ne pensons qu' la pubert biologique. Ce qu'ils appellent pubert est un vnement social et les crmonies clbres cette occasion sont, d'une manire ou de l'autre, la reconnaissance de la nouvelle situation, -dans la socit, de l'enfant qui vient d'entrer dans l'adolescence. Il est, des lors, investi de nouvelles occupations et de nouvelles obligations et cette investiture est, en consquence, aussi varie et aussi dpendante de la culture que les obligations et occupations elles-mmes. Puisque la seule tche honorable d'un homme ne doit consister qu'en actions guerrires, l'investiture du guerrier est plus tardive et d'une autre forme que celle qui est donne dans une socit o le principal privilge de l'adolescence consiste danser dans une reprsentation de dieux masqus. Afin de mieux comprendre les institutions relatives la pubert, nous n'avons pas besoin d'analyser la nature de ce que l'on appelle les rites de passage ; il nous faudrait plutt savoir ce que l'on identifie dans diffrentes cultures avec le dbut de l'adolescence et leurs mthodes pour l'admettre sous un nouveau statut. Ce n'est pas la pubert biologique, niais c'est ce que signifie l'adolescence au sein de cette culture qui dtermine le crmonial de la pubert.

L'adolescence, chez les peuples de l'Amrique du Nord centrale, signifie la prparation au mtier de guerrier. L'honneur dans la guerre y est ce qu'il y a de plus important pour tous les hommes. Le thme constamment rpt celui qui arrive l'ge d'homme, ainsi que celui qui doit tre prt pour la guerre tout ge, est un rituel magique pour obtenir la victoire. Ils ne se torturent pas les uns les autres, mais ils s'infligent la torture eux-mmes; ils se dcoupent des bandes de chair aux bras et aux jambes, ils se tranchent des doigts, ils portent de lourds poids suspendus par des crocs la poitrine ou aux muscles des jambes ; leur rcompense, par la suite, ce seront des prouesses plus grandes encore sous la forme de prouesses guerrires.

En Australie, d'autre part, adolescence signifie participation un culte rserv aux mles de la tribu et dont la caractristique fondamentale est l'exclusion des femmes. Toute femme est mise mort, si elle a entendu le mugissement de la trompe pendant les crmonies, car elle ne doit jamais rien savoir des rites. Les crmonies de la pubert sont une rpudiation dtaille et symbolique de toute association avec le sexe fminin ; les hommes sont symboliquement considrs comme devant se suffire soi-mme et comme le seul lment entirement responsable de la communaut. Pour raliser la chose, ils ont recours des rites sexuels rigoureux et font appel des protections surnaturelles.

Les ralits purement physiologiques de l'adolescence sont, par consquent, interprtes d'abord sur le plan social quelle qu'en soit l'importance. Mais l'tude approfondie des institutions relatives la pubert met en lumire un autre fait : la pubert est une matire physiologiquement diffrente selon qu'il s'agit de l'homme ou de la femme. Si l'importance culturelle tait proportionne l'importance physiologique, les crmonies pour les filles seraient plus srieuses que pour les garons ; mais il n'en est pas ainsi. Ces crmonies tiennent marquer un fait social : les prrogatives des hommes ayant atteint l'ge adulte entranent beaucoup plus de consquences dans toutes les civilisations que celles des femmes, et, en consquence, comme dans les exemples ci-dessus, il est plus frquent dans les diverses socits de clbrer plus grandement cette nouvelle priode de l'existence, pour les garons que pour les filles.

Cependant, dans certaines tribus, la pubert des garons et celle des filles est clbre de faon identique. L o, comme l'intrieur de la Colombie britannique, les rites de l'adolescence sont un entranement magique pour toutes les activits, les filles sont places sur le mme plan que les garons. Les garons doivent faire rouler des rochers le long des pentes montagneuses et les pousser jusqu'au fond de la valle pour acqurir de l'agilit ; ils doivent aussi lancer des javelines de pari pour avoir de la chance au jeu ; les filles, elles, doivent apporter de l'eau qu'elles ont puise des sources lointaines ou faire tomber (les pierres l'intrieur de leurs vtements afin que leurs enfants soient mis au monde sans Plus de difficult qu'elles n'en prouvent pour laisser tomber ces cailloux sur le sol.Dans une tribu comme celle des Nandi de la rgion des lacs de l'Est africain, il en est de mme : garons et filles participent un rite de la pubert qui est le mme pour les uns que pour les autres ; cependant, en raison du rle prminent que joue l'homme dans la socit, la priode d'entranement du garon est plus tendue que celle de la Jeune fille. Ici les rites de l'adolescence sont une preuve inflige par ceux qui se trouvent dj admis l'tat adulte ceux qui vont tre obligs de subir l'initiation. Ces rites exigent d'eux le stocisme le plus complet en face de tortures raffines associes la circoncision. Les rites pour les deux sexes se clbrent a part, mais se droulent de la mme faon. Pour l'un et l'autre, les novices ont revtu pour cette crmonie le vtement de celui ou de celle qu'ils aiment. Durant toute l'opration, l'assistance guette sur leurs visages la moindre crispation de souffrance, et la rcompense de leur courage leur est accorde, avec de vives dmonstrations de joie, par l'amant ou l'amante qui se prcipite vers lui afin qu'il lui fasse cadeau de quelques-uns de ses attributs dcoratifs. Pour la fille comme pour le garon, le rite marque l'entre dans un nouveau statut sexuel ; le garon est dsormais un guerrier et peut avoir une bonne amie, la fille est prsent nubile. Les tests de l'adolescence sont pour tous deux l'preuve prmaritale au bout de laquelle la palme leur est accorde par celui ou celle qui les aime.

Les rites de la pubert peuvent aussi tre bass sur le fait mme de la pubert des filles et ne pas s'appliquer aux garons. L'un des plus nafs de ces rites est l'institution d'une maison d'engraissement pour les filles dans l'Afrique centrale. Dans cette rgion o la beaut fminine s'identifie avec l'obsit, la fille est mise part quand elle devient pubre, quelquefois durant plusieurs annes ; on la nourrit de sucreries et de graisse ; on lui refuse toute activit, son corps est assidment frott d'huiles. On lui enseigne au cours de cette priode ses futurs devoirs, et sa retraite prend fin par une exhibition de sa corpulence suivie de son mariage avec un fianc qui s'enorgueillit d'elle. On ne juge pas ncessaire pour l'homme de parfaire sa beaut avant le mariage par un traitement de ce genre.

Les ides coutumires autour desquelles gravitent les institutions relatives la pubert des filles, et qui ne peuvent s'appliquer aux garons, sont celles qui ont trait la menstruation. L'impuret de la femme qui a ses rgles est une ide trs rpandue et, dans certaines rcrions, l'apparition de la menstruation constitue le centre de toutes les attitudes adopter. Dans ces cas-l, les rites de la pubert diffrent du tout au tout chez chacun des peuples dont nous avons parl. C'est chez les Indiens Carriers de la Colombie britannique que la crainte et l'horreur de la pubert de la fille ont atteint le plus haut degr. Les trois ou quatre annes de squestration de la fille y taient dnommes priode o elle est enterre vive , car pendant tout ce temps-l, elle vivait seule dans un lieu sauvage, sous une hutte de branchages, loin de tous les sentiers battus. Elle constituait un danger pour ceux qui l'auraient aperue, mme de faon fugitive, et son simple passage tait une souillure pour un sentier ou une rivire. Elle tait vtue d'une grande peau de bte tanne qui cachait son visage et ses seins et qui tranait sur le sol derrire elle. Ses bras et ses jambes taient emmaillots de bandelettes en tendons d'animaux pour la protger contre le mauvais esprit dont elle tait pleine. Car elle aussi se trouvait en pril, tout en tant une source de dangers pour tous les autres.

Les crmonies de la pubert des filles bases sur des ides associes aux menstrues peuvent aussi donner lieu une action exactement oppose. Il est toujours possible de donner deux aspects ce qui est sacr : il peut tre une source de prils ou bien une source de bndictions. Dans certaines tribus, l'apparition des rgles chez les filles est tenue pour une bndiction importante et surnaturelle. Chez les Apaches, j'ai vu les prtres eux-mmes dfiler genoux devant une range solennelle de fillettes pour obtenir la grce d'tre effleurs de leurs doigts. Tous les petits enfants et tous les vieillards viennent aussi pour se prmunir contre les maladies. Les filles adolescentes n'y sont pas recluses en tant que sources de danger, bien au contraire on les adule parce qu'elles sont les sources directes de bndictions surnaturelles. Puisque les ides qui donnent naissance aux rites de la pubert des filles, aussi bien chez les Indiens Carriers que chez les Apaches, sont fondes sur des croyances relatives la menstruation, elles ne s'appliquent pas aux garons, et la pubert de ceux-ci n'est clbre par aucun apparat, mais par de simples dmonstrations et preuves de leur courage masculin.

Ainsi la manire de vivre, mme celle des filles, n'tait pas dicte par certaines caractristiques physiologiques de cette priode elle-mme de l'adolescence, mais plutt par les ncessits matrimoniales ou magiques qui en dcoulent socialement. Ces croyances ont fait, dans telle tribu, de l'adolescence quelque chose de sereinement religieux et bnfique, et dans telle autre quelque chose de si dangereusement impur, que l'on prescrivait aux enfants de pousser des cris pour que les autres ne se rencontrassent pas avec une fille impure dans la fort. L'adolescence des filles peut, galement, ainsi que nous l'avons vu, constituer un thme que la culture ne place pas dans ses institutions. Mme dans le pays o, surtout en Australie, l'adolescence du garon est l'objet d'une attention spciale, c'est peut-tre parce que les rites sont une introduction la qualit d'homme fait et la participation des mles aux affaires de la tribu, que l'adolescence des femmes ne donne lieu aucune reconnaissance officielle.

Ces faits, cependant, laissent toujours la question principale sans rponse. Toutes les civilisations n'ont-elles pas affaire avec les troubles naturels cet ge, mme dfaut de toute conscration formelle" Le Dr Mead a. tudi cette question Samoa. Dans cette rgion, l'existence de la fille passe par des priodes bien marques. Ses premires annes, au sortir de la petite enfance, se passent avec les petites quipes du voisinage composes de fillettes et desquelles les garons se trouvent rigoureusement exclus. Le coin du village auquel elle appartient a une importance particulire, et les petits garons y sont considrs comme des ennemis traditionnels. Elle n'a qu'un devoir, celui de s'occuper des bbs, mais elle prendra le bb avec elle plutt que de rester la maison pour en prendre soin, et son activit n'est pas srieusement rduite. Environ deux ans avant la pubert, quand elle est devenue assez forte pour se Touer des tches plus difficiles et assez ge pour apprendre des techniques plus compliques, le groupe des compagnes de jeux de la petite fille a cesse d'exister. Elle revt des vtements de femme et doit participer aux occupations mnagres. C'est une priode de sa vie qui ne prsente que peu d'intrt pour elle et en ralit plutt calme. La pubert n'y apporte aucun changement.

Quelques annes aprs qu'elle est devenue majeure, commence pour elle le temps agrable des amourettes sans importance qu'elle fera durer le plus longtemps possible, jusqu' la priode o le mariage sera considr comme devant lui convenir. La pubert elle-mme n'est marque par aucune conscration sociale, aucun changement d'attitude prsent ou prvoir. Sa modestie d'avant l'adolescence est suppose devoir subsister pendant une couple d'annes. La vie de la fille Samoa est rgle par d'autres considrations que celles qui ont trait la maturit. physiologique et sexuelle, et la pubert est une priode particulirement banale et paisible durant laquelle aucune des difficults de l'adolescence ne se manifeste. Ainsi l'adolescence peut non seulement s'couler sans aucun crmonial spcial, mais elle peut aussi ne jouer aucun rle important dans l'existence motionnelle de l'enfant ni dans l'attitude du village vis--vis d'elle.

La guerre est un autre thme social dont on petit user ou ne pas user dans une socit. Dans une socit o on fait grand cas de la guerre, elle peut tre entreprise avec des objectifs diffrents, avec une organisation diffrente des institutions de l'tat, et comporter aussi des sanctions diffrentes. La guerre peut tre, tel tait le cas chez les Aztques, un moyen de conqurir des captifs pour les sacrifices religieux. Lorsque les Espagnols leur firent la guerre dans un but d'extermination, ce fut, selon les principes aztques, enfreindre les rgles du jeu. Le dcouragement s'empara des Aztques et Cortez put faire son entre triomphale dans leur capitale.

Dans certaines parties du monde, il existe mme des notions plus originales encore relatives la gruerre ; notre point de vue, qu'il nous suffise de faire remarquer qu'il y a des rgions o le recours organis un mutuel massacre ne se prsente jamais entre deux socits. Ce que nous savons de la guerre nous fait comprendre que l'tat de guerre devrait alterner avec l'tat de paix dans les rapports de deux tribus. Ide, naturellement, largement rpandue sur toute la surface de la terre. Mais, d'une part, il est impossible certains peuples de concevoir la possibilit d'un tat de paix, ce qui, selon leur faon de penser, quivaudrait ranger les tribus ennemies dans la catgorie d'tres humains, ce que par dfinition, ils ne sont pas, mme si ces tribus ainsi excluses de l'humanit appartiennent leur propre race et leur propre civilisation.

D'autre part, il peut tre galement impossible un peuple de concevoir la possibilit de l'tat de guerre. Rasmussen relate l'indiffrence que montre l'Esquimau l'expos de ce qui se passe chez nous. L'Esquimau admet parfaitement que l'on puisse tuer un autre homme. Si un homme se met en travers de vos projets, vous faites l'estimation de votre propre force et, si vous croyez pouvoir en user avec avantage, vous tuez votre adversaire. Mais l'ide d'un village esquimau marchant contre un autre village esquimau en ordre de bataille, ou d'une tribu contre une autre tribu, ou mme d'un autre village se livrant carrment une guerre d'embuscade, cette ide leur est totalement trangre. L'ide d'assassinat ne pourrait pntrer que dans une tte isole et ne pourrait pas se classer comme chez nous en deux catgories : l'une digne de tous loges, l'autre considre comme un acte criminel.

J'ai essay, moi-mme, de parler de la guerre la Mission indienne de Californie, mais cela fut chose impossible. Leur incomprhension cet gard tait phnomnale. Il n'existait dans leur culture aucune base sur laquelle tablir cette ide, et les essais qu'ils firent pour en raisonner rduisaient les grandes guerres auxquelles nous sommes capables de nous livrer avec quelque ferveur morale au niveau de querelles villageoises. Le type de civilisation dans laquelle ils vivaient ne leur permettait pas de faire la distinction entre les unes et les autres.

La guerre, nous sommes obligs de le reconnatre, cause de l'norme place qu'elle occupe dans notre civilisation, est un fait antisocial. Dans le chaos qui a succd la Guerre mondiale. les arguments du temps de guerre qui exaltaient ses manifestations de courage, d'altruisme, de valeurs spirituelles, rendaient un son faux et dsagrable. La guerre dans notre civilisation nous est une claire illustration du degr de destruction auquel l'volution d'une caractristique culturellement choisie peut arriver, Si nous lgitimons la guerre, c'est parce que tous les peuples lgitiment toujours les traits caractristiques qu'ils trouvent en leur possession, et non parce que la guerre peut supporter l'examen objectif de ce qu'elle pourrait avoir de mritoire.

Mais la guerre n'est pas un cas isol. Dans toutes les parties du monde et dans les domaines si divers des civilisations, il est possible d'illustrer l'exagration, et, finalement aussi ce que peut avoir d'asocial l'laboration d'une caractristique culturelle. L o ces cas sont les plus clairs, c'est, par exemple, dans les prescriptions alimentaires ou matrimoniales, o les usages traditionnels vont l'encontre des courants biologiques. L'organisation sociale, en anthropologie, a une signification toute particulire parce que toutes les socits humaines sont unanimes dterminer les liens de parent qui doivent interdire le mariage. Aucun des peuples que nous connaissons ne considre que l'on peut pouser n'importe quelle femme ; et ceci ne provient pas, selon moi, de la simple intention, comme on le suppose si souvent, d'empcher la, reproduction par mariages entre consanguins, car, dans maintes parties du monde, c'est une propre cousine, et souvent mme la fille du frre de la mre, qui est l'pouse prdestine. Les degrs de parent que vise la prohibition diffrent du tout au tout d'un peuple l'autre, mais toutes les socits humaines ont ceci de commun, c'est qu'elles dcrtent une prohibition. Aucune ide humaine n'a, t plus constamment et plus minutieusement travaille chez les peuples que celle de l'inceste. Les groupes incestueux sont souvent les units qui exercent les fonctions les plus importantes dans la tribu, et les devoirs de tout individu par rapport un autre se trouvent dfinis par leurs situations de parent dans ces groupes. Lesquels groupes fonctionnent comme units dans les crmonies religieuses et dans le cycle des changes conomiques, et il est impossible d'exagrer l'importance du rle qu'ils ont jou dans l'histoire de la socit.

Dans certaines rgions de la terre, on n'use qu'avec modration du tabou de l'inceste. En dpit des restrictions, il peut y avoir un nombre considrable de femmes dans lequel un homme a le droit de se choisir une pouse. Dans d'autres rgions, le groupe qui est tabou a t largi, par une fiction sociale, de faon y inclure un grand nombre d'individus qui n'ont pas d'anctres communs ou dont on peut dceler la parent, d'o il rsulte que le choix d'une pouse y est excessivement limit. Cette fiction sociale s'exprime d'une faon sans quivoque dans les degrs de parent qu'on fait valoir. Au lieu de distinguer la parent en ligne directe de la collatrale, ainsi que nous le faisons en distinguant le pre de l'oncle et le frre du cousin, il existe chez ces peuples un terme qui signifie littralement: homme du groupe de mon pre (parent, habitation, etc.) et de sa gnration , et qui ne fait pas de distinction entre les parents directes et les collatrales, mais en en tablissant d'autres qui nous sont trangres. Certaines tribus de l'Australie orientale poussent jusqu' l'extrme leur systme de classification d la parent. Ceux qu'ils qualifient de frres et de surs sont tous ceux de leur gnration avec lesquels ils se reconnaissent un lien de parent. Il n'existe pas chez eux de catgories de cousins ni quoi que ce soit qui y corresponde ; tous les parents de la gnration sont appels frres et surs.

Cette faon de classer la parent n'est pas rare dans le monde, mais l'Australie possde avec cela une horreur sans pareille pour le mariage avec une sur et un nombre infini de restrictions exogamiques. C'est ainsi que les Kurnai, avec leur systme de classification de la parent pousse l'extrme, prouvent l'aversion australienne pour les rapports sexuels avec n'importe laquelle de leurs surs, c'est--dire avec n'importe quelle femme de leur gnration qui leur soit plus ou moins apparente. En outre, les Kurnai possdent une rglementation strictement localise pour le choix du conjoint. Parfois deux localits, en dehors des quinze ou seize qui composent la tribu, doivent obligatoirement fournir les jeunes filles et ne peuvent prendre de conjoints dans un autre groupe. D'autres fois, il existe un groupe de deux ou trois localits auxquelles il est permis de faire des chantillons matrimoniaux avec deux ou trois autres. Et plus encore : ainsi que dans toute l'Australie, les hommes gs constituent un groupe privilgi et leurs prrogatives s'tendent jusqu' la licence d'pouser des filles Jeunes et sduisantes. Il rsulte de cette rglementation que, dans tout le groupe local qui doit selon de strictes prescriptions fournir a un jeune homme sa femme, il n'existe pas de fille qui ne soit touche par un de ces tabous. Ou bien elle est l'une de celles qui, par suite de parent avec la mre du jeune homme, se trouve tre sa sur , ou bien elle est dj promise un homme g, ou bien il existe une autre raison qui interdit le mariage.

Il ne rsulte aucunement de ceci que les Kurnai songent reformuler leurs rgles exogamiques. Ils les font valoir, au contraire, par toutes sortes d'actes de brutalit. Aussi le seul moyen auquel ils ont recours pour se marier est de violer ouvertement ces rgles. Ils recourent a l'enlvement. Ds que le village est inform de cet enlvement, il se met la poursuite des contrevenants, et si les deux coupables sont pris, l'un et l'autre sont mis mort. Peu importe d'ailleurs que tous les poursuivants soient dj eux-mmes maris de la mme faon par un recours l'enlvement. L'indignation morale est porte son comble. Il existe pourtant une le traditionnellement reconnue comme terre d'asile et si le couple russit l'atteindre et y sjourner jusqu' la naissance d'un enfant, il y est accueilli, tout d'abord, par des coups, il est vrai, mais il leur est permis de riposter. Aprs avoir pass par les baguettes et subi une correction, ils peuvent accepter le statut des gens maris de la tribu.

Les Kurnai ont affront ainsi leur dilemme culturel de faon assez typique. Ils ont largi et compliqu un systme particulier de conduite de vie qui en fait un vritable systme social. lis sont obligs, ou bien de le modifier, ou bien de recourir un subterfuge. Et c'est au subterfuge qu'ils ont recours. Ils vitent la dchance de leur rglementation et sauvegardent leur code de morale sans rvision officielle. Cette sorte de compromis avec la morale se retrouve aussi au cours de notre civilisation. La prcdente gnration, dans notre propre civilisation, a, de la sorte, la fois maintenu le principe de la monogamie, et tolr la prostitution et les pangyriques de la monogamie n'ont jamais t aussi fervents qu'aux beaux jours des quartiers lanternes rouges. Les socits ont toujours justifi les formes traditionnelles qui leur sont chres. Lorsque celles-ci chappent tout contrle et qu'on a recours quelque forme nouvelle pour y suppler, on continue d'approuver la forme traditionnelle, tout comme si le nouveau mode de conduite en la matire n'existait pas.Une pareille vue d'ensemble des forces culturelles humaines met en lumire un certain nombre de conceptions errones. Tout d'abord les institutions difies par les civilisations humaines sous l'influence du milieu ou en raison des ncessits physiques ne rpondent pas aussi directement une impulsion originelle, comme nous serions tents de le croire. Ces influences ne sont en ralit que de simples bauches assez frustes, une srie de faits trs simples. Ce sont des virtualits provenant de certains tats d'esprit et le travail cru! se fait autour d'elles est dict par de tout autres considrations. La guerre n'est pas l'expression de l'instinct de combativit. L'instinct de combativit de l'homme exerce une si petite influence sur les actions humaines qu'on ne peut pas dcouvrir son expression dans les relations entre tribus. Quand elle est leve la hauteur d'une institution, la forme qu'elle prend suit d'autres courants de pense que ceux qui taient impliqus dans l'lan originel. La combativit n'est antre chose que la rsistance un ensemble de coutumes et le choc qui en rsulte peut aussi tre vit.

Une telle manire de voir de notre part ncessite donc la rvision de notre argumentation courante pour maintenir nos institutions traditionnelles. Cette argumentation est gnralement base sur le fait qu'il est impossible l'homme de vivre sous ces formes traditionnelles particulires. Certains traits tout spciaux interviennent mme qui contribuent cette espce de validation, tels que, par exemple, la forme particulire de courant conomique qui prend naissance avec le systme particulier qui rgit chez nous le droit de proprit. Ce courant est quelque chose de tout fait spcial et l'on a, des preuves videntes que, mme dans notre gnration, il est en train de subir de srieuses modifications. En tout cas, nous ne devons pas en obscurcir le rsultat, en en discutant comme s'il tait question d'une survivance de valeurs biologiques. Se suffire soi-mme est un mobile que notre civilisation a capitalis ; si notre armature conomique vient se modifier au point que ce mobile cesse d'tre une force aussi puissante qu'elle l'tait sur le plan de l'industrialisation en pleine expansion, il existe bien d'autres mobiles qui pourraient s'adapter une organisation conomique nouvelle. Toute civilisation, toute poque exploite quelques possibilits choisies parmi un grand nombre d'autres ; les changements peuvent causer de grands troubles et impliquer de lourdes pertes, mais ceci est d la difficult mme du changement, non pas au fait que notre poque et notre pays aient trouv le seul mobile possible grce auquel la vie humaine peut tre dirige. Ce changement, rappelons-le encore, malgr toutes ses difficults, nous n'y chapperons pas. Nos craintes, ds qu'il s'agit de modifier la moindre de nos habitudes, sont gnralement tout fait ct de la question. Les civilisations pourraient se modifier beaucoup plus radicalement qu'aucune autorit humaine n'a jamais voulu ou imagin de le faire, et demeurer tout fait possibles. Les changements mineurs qui provoquent, de nos jours, une si grande indignation, tels que l'accroissement des divorces, la lacisation grandissante dans nos villes, l'influence de la dmagogie et bien d'autres encore, pourraient s'insrer trs aisment dans un modle lgrement diffrent de civilisation. En devenant traditionnelles, ces innovations auraient la mme richesse de contenu, la mme importance et la mme valeur que possdaient les anciens modles dans des civilisations diffrentes.

La vrit, en cette matire, rside plutt dans ce fait que les institutions et les motifs d'action possibles chez les hommes sont lgion sur tous les plans si nombreux de la simplicit ou de la complexit culturelles et que la sagesse consiste en une tolrance de plus en plus grande de leurs divergences. Personne ne peut entirement participer une civilisation quelle qu'elle soit s'il n'a t lev et s'il n'a vcu selon les principes de cette civilisation, mais il faut reconnatre a d'autres civilisations le mme sens de vie pour leurs adeptes que celui qu'il reconnat pour la sienne.

La diversit de culture ne rsulte pas seulement de l'aisance avec laquelle les socits tudient ou rejettent les conditions possibles de l'existence. Elle est due surtout un enchevtrement compliqu J'extrme des caractristiques culturelles. La forme finale de toute institution traditionnelle, comme nous venons de le dire, va bien au-del de ce que lui aurait donn l'impulsion humaine initiale. Cette forme dfinitive dpend en grande partie de la manire dont la caractristique a fusionn avec dautres caractristiques nes en d'autres terrains d'exprience. Une caractristique largement rpandue peut tre sature de dogmes religieux chez un peuple donn et fonctionner comme une partie importante de sa religion. Sur un autre plan, elle peut tre entirement matire changes conomiques et revtir l'aspect d'arrangements montaires. Ses possibilits sont infinies et l'on constate des ajustements souvent bizarres. La nature de cette caractristique sera tout fait diffrente sur les divers terrains selon les lments avec lesquels elle se sera combine.

Il est important de nous rendre intelligible un processus de ce genre, faute de quoi nous cderons facilement la tentation de gnraliser en une loi sociologique les rsultats d'une combinaison purement locale de ces traits caractristiques et de traiter cet alliage comme un phnomne universel. La grande priode de l'art plastique europen fut inspire par des motifs religieux. L'art traduisit en tableaux des scnes et des croyances religieuses fondamentales pour l'examen le cette priode.

L'esthtique europenne moderne aurait t bien diffrente si l'art mdival s'tait content de rester purement dcoratif et ne S'tait pas fondu dans la religion.

Fait historique, de grands dveloppements dans l'art se sont souvent trouvs remarquablement distincts de tout motif religieux et de toute utilisation religieuse. L'art peut tre tenu dfinitivement part de la religion, mme quand l'un et l'autre ont atteint un degr lev de dveloppement. Dans les villa-es du sud-ouest des tats-Unis, certaines formes d'art dans le travail de la poterie et des textiles mritent le respect pour J'artiste, tandis que leurs bois sacrs ports par les prtres ou exposs sur les autels ne sont que des articles de pacotille et leurs peintures dcoratives des lucubrations grossires sans aucun style. On connat des muses qui ont refus de recevoir des objets religieux du sud-ouest comme tant trop au-dessous du type traditionnel de fabrication. Nous avons une grenouille placer l , disent les Indiens Zuni, entendant signifier ainsi crue les exigences de la religion doivent liminer tout souci d'art. Cette sparation de l'art et de la religion n'est pas un trait caractristique des seuls Pueblos. Il existe (les tribus du Sud-Amrique et de la Sibrie qui tablissent la mme distinction, bien qu'en la motivant de faon diffrente. Ils ne mettent pas leurs talents artistiques au service de la religion. Au lieu, par exemple, de trouver des sources d'art dans des sujets d'importance locale, tels que la religion, ainsi que les anciens critiques d'art le firent parfois, il nous faut plutt rechercher jusqu' cruel point art et religion peuvent mutuellement s'interpntrer et quelles sont les consquences d'un semblable alliage, et pour l'art, et pour la religion.

L'interpntration de divers terrains d'exprience, et la modification qui s'ensuit pour les uns et les autres, peut se constater dans toutes les formes d'existence ; dans l'conomie politique, dans les rapports entre les sexes, dans le folklore, dans la civilisation matrielle et dans la religion. Ce processus trouve son illustration dans un des traits religieux les plus rpandus des Indiens du nord de l'Amrique. Du haut en bas du continent, dans toute aire de civilisation, except dans celle des peuplades du sud-ouest, le pouvoir surnaturel s'obtient par un rve ou une vision. La russite dans la vie, selon leurs croyances, est due un contact personnel avec le surnaturel. La vision peut donner tout homme un pouvoir pour la dure de son existence, et dans quelques tribus, l'homme ainsi privilgi est occup renouveler constamment ses relations personnelles avec les esprits par la recherche de nouvelles visions. Quel que soit l'objet qu'il voit, l'animal ou l'toile, la plante ou l'tre surnaturel, celui-ci l'adopte titre de protg personnel et on peut recourir lui en cas de ncessit. On a des devoirs remplir envers ce patron, des cadeaux lui offrir, et maintes obligations. En retour, l'esprit lui accorde les pouvoirs spcifiques qu'il lui a promis au cours de la vision.

Dans chaque grande rgion du nord de l'Amrique, cet esprit gardien complexe prend une forme diffrente approprie aux autres traits caractristiques de la culture auxquels il s'associe le plus troitement. Sur les plateaux de la Colombie britannique, il se mle aux crmonies de l'adolescence dont nous venons de parler. Filles et garons, dans ces tribus, se retirent au cur des montagnes, quand vient la pubert, pour un entranement la sorcellerie. Les rites de la pubert sont clbrs un peu partout le long de la cte du Pacifique, et, dans la plus grande partie de cette rgion, ces crmonies sont compltement distinctes des pratiques de l'esprit gardien. Mais dans la Colombie britannique elles ont fusionn. Le point culminant de l'entranement magique des adolescents, c'est l'acquisition d'un esprit gardien qui, selon les dons qu'il accorde, impose une profession pour toute l'existence future du jeune homme. Il sera guerrier, shaman (sorcier), chasseur ou joueur, selon son visiteur surnaturel. Les filles, elles aussi, reoivent la, visite d'un esprit gardien qui leur fixe des tches domestiques. L'exprience de l'esprit gardien chez ces peuples est si fortement lie au crmonial de l'adolescence que les anthropologistes qui connaissent cette rgion, ont prtendu que tout le complexe de la vision chez les Indiens de l'Amrique a son origine dans les rites de la pubert ; mais les deux n'taient pas associs l'origine. Ils ont fusionn localement et, dans cette fusion, l'un et l'autre trait ont pris des formes spciales et caractristiques.

Sur d'autres points du continent, on ne recherche pas l'esprit gardien au moment de la pubert et les autres jeunes gens de la tribune le recherchent pas non plus. C'est pourquoi le complexe n'a dans ces civilisations aucun rapport avec les rites de la pubert, mme l o ils existent. Dans les plaines du Sud, ce sont les hommes adultes qui doivent acqurir les approbations mystiques. Le complexe de la vision s'allie un trait tout fait indpendant des rites de la pubert. Les Osages sont organiss en groupes de parent o la descendance est indique par le pre et o on ne tient pas compte de la ligne maternelle. Ces petits clans ont hrit en commun la bndiction surnaturelle. La lgende de chacun de ces clans explique de quelle faon l'anctre commun a recherch une vision et comment il fut bni par l'animal qui a donn son nom au clan. L'anctre du clan de la moule a recherch, avec des larmes lui coulant sur la figure, et sept reprises, une bndiction surnaturelle. A la fin il a rencontr la moule et lui a parl ainsi :

0 Grand-Pre, les petits n'ont rien pour se faire un corps.

Ce quoi la moule lui rpondit:

Tu me dis que les petits n'ont rien pour se faire un corps - Alors, que les petits se fassent un corps de moi. Quand les petits feront de moi leurs corps ils vivront jusqu' un ge avanc. - Regarde les rides de ma coquille - que je me suis traces pour signifier que j'atteindrai la vieillesse. - Quand les petits feront de moi leurs corps - ils vivront et verront les marques de la vieillesse sur leurs peaux. - Les sept bras du fleuve de la vie, je les traverse avec succs. Et dans mes voyages, les Dieux eux-mmes n'ont pas le pouvoir de dceler ma trace. - Lorsque les petits auront fait de moi leurs corps - personne, pas mme les Dieux, ne sera capable de dceler leur trace.

Chez ces peuplades, on peut retrouver tous les lments habituels de la qute de la vision, mais celle-ci a t obtenue par un premier anctre du clan, et ses bndictions sont l'hritage commun du groupe qui descend de lui.

Cet tat de choses chez les Osages offre l'une des plus compltes peintures du monde du totmisme, o le souci de l'organisation sociale et la vnration religieuse pour J'anctre se trouvent troitement mls. On a dcrit le totmisme de toutes les parties du monde et des anthropologistes ont dmontr que le totem du clan tirait son origine du totem d'une personne, savoir d'un esprit gardien. Mais cet tat de choses est en tous points analogue celui qui existe sur les plateaux de la Colombie britannique o la qute de la vision fait partie des rites de l'adolescence, mais en outre elle y fait partie galement des rites hrditaires (lu clan. Cette association est devenue si forte qu'une vision n'y est plus considre comme pouvant automatiquement donner du pouvoir quelqu'un. Les bienfaits de la vision ne s'y obtiennent que par voie d'hritage et chez les Osages d'interminables chants sont moduls pour dcrire les visions de l'anctre et pour numrer les bienfaits que, de ce fait mme, ses descendants peuvent en attendre,

Dans chacun de ces deux cas, ce n'est pas seulement le complexe de la vision qui revt un caractre diffrent selon qu'il se fond avec les rites de la pubert ou bien avec l'organisation du clan. Les crmonies du clan et l'organisation sociale sont l'une et l'autre marques par ce mlange avec la recherche de la vision. Elles ragissent l'une sur l'autre. Le complexe de la vision, le rituel de la pubert, l'organisation du clan et bien d'autres traits encore qui ont bien des relations troites avec la vision, sont les fils avec lesquels sont trames toutes sortes de combinaisons. Les consquences des diverses combinaisons qui rsultent de cet entrelacs, on ne saurait les exagrer, Dans les deux rgions dont nous avons parl, et chez lesquelles l'exprience religieuse se fond avec le rituel de la pubert et o elle se fond aussi avec l'organisation du clan, comme le corollaire naturel de coutumes qui font alliance, dans ces tribus, disons-nous, tous les individus pourraient tre investis de certains pouvoirs grce la vision pour le succs de leurs entreprises. L'aboutissement heureux dans toute entreprise peut se rclamer d'une exprience visionnaire. Un joueur heureux ou un chasseur heureux tire son succs de la vision. tout comme le sorcier qui a, russi. Selon leur dogme, toutes les avenues de la puissance se trouvent barres ceux qui n'ont pu se gagner un patron surnaturel.

En Californie, la vision est la garantie professionnelle du sorcier. Elle en fait un personnage part. C'est prcisment dans cette rgion qu'apparaissent les aspects les plus extravagants de cette exprience. La vision n'y est plus une faible hallucination obtenue par un stage de jene, de torture et d'isolement. C'est une crise extatique qui s'empare des membres exceptionnellement nerveux de la communaut et tout spcialement des femmes. Chez les Shasta, il est convenu que cette grce ne soit accorde qu'aux femmes seulement. l'exprience ncessaire doit tre cataleptique et n'est accorde au nophyte qu'aprs qu'