BEAUTIFUL PARADISE -...

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BEAUTIFUL PARADISE

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BEAUTIFUL PARADISE

Volume 8

1. Le Grand HôtelUn rayon de soleil s’insinue traîtreusement sous mes paupières, me brûle les rétines, m’éblouit jusqu’à me faire mal. La tête me tourne. Je ne sais pas où je me trouve et lebruit autour de moi me donne le tournis.

Des voix.

Je ne comprends pas ce qu’elles me disent…

Une douleur diffuse se répand en moi, j’ai mal partout et nulle part à la fois. Je tente d’ouvrir les yeux mais il me semble que toutes mes forces rassemblées n'y suffiraient pas. Un simple battement de paupières, pourtant… mais je ne peux pas.

Soudain, mon estomac se contracte violemment, pendant qu’une vague de froid court dans mes veines. Une perle de sueur se promène le long de mon dos. Le sang quitte mon visage, mes lèvres et reflue dans mon corps. On dirait qu’il voudrait se cacher quelque part au fond de moi…

Où suis-je ?

Progressivement, une ombre salvatrice étend sa douceur au-dessus de mon visage et les voix se font plus précises. Je ne sais pas pourquoi, elles me donnent du courage. Je crois que je vais réussir à ouvrir les yeux. Et il y a ce parfum, autour de moi…

Ce parfum qui diffuse une vibration bienfaisante dans mon corps. Musc, ambre et autre chose aussi, à la fois piquant, boisé et frais.

Dans le filet de lumière qui perce entre mes cils, le corps qui me protège dessine une ombre parfaite, auréolée de rayons tendres et doux. Un ange.

Je voudrais lui dire quelque chose, mais je n’y arrive pas.

– Solveig, ma chérie… N’essaie pas de parler, murmure la voix tendre qui fait naître sur mes lèvres l’esquisse d’un sourire.

J’essaie d’articuler un mot. Sans succès.

– Mon amour, n’essaie pas de parler. Tout va bien, je suis là, chuchote la voix, grave et chaude. Rassurante, aimante. Tu m’entends ?

Je fais oui de la tête. J’essaie, en tout cas. Je me sens mieux, tout à coup. Il suffit que la voix me berce et rien de grave ne peut plus m’arriver…

– Tu as fait un malaise, mon ange. Réveille-toi tranquillement, doucement. Tout va bien. Ce n’est pas grave.

Je me souviens, maintenant. William.

Mon amour…

J’essaie de reconstituer le puzzle, mais quelque chose résiste, comme si ma pensée nevoulait pas se souvenir. Que s’est-il passé ?

Quelques secondes plus tard, je peux entendre deux autres voix se rapprocher. Affolées cette fois. Je ne peux entendre ce qu’elles disent, mais William les rassure immédiatement.

– Elle va bien ! leur crie-t-il d’une voix qui ne laisse planer aucune ombre. Puis il ajoute : Jackson, Sabine, j’ai besoin de mon nécessaire de secours qui se trouve dans le bateau. Pouvez-vous vous en charger ?

Enfin, William s’adresse à moi, d’une voix tendre. Il me tient dans ses bras. Contre son torse puissant, je peux sentir la pulsation de son cœur. Il me berce doucement en murmurant des mots dont je ne cherche pas à percevoir le sens : leur musique m’apaise. Ils me racontent l’amour qui nous unit.

Je voudrais que ce moment dure pour l’éternité.

Mais tout à coup, une image cauchemardesque s’impose à moi, comme un flash : palmiers déchiquetés, murs enchevêtrés, détresse… le chaos.

Non ! Je ne veux rien savoir ! se défend ma petite voix, tapie d’effroi dans un recoin de ma tête.

Tout me revient en tête. Le cyclone. Je me souviens de la longue colonne noire sur la mer, et de ce vent infernal. Ensuite, il y a eu cette nuit terrible dans le grand hall du village de vacances Hermann où nous nous sommes abritées, Sabine et moi. Les heures à attendre dans l’obscurité sans savoir si nous serions épargnées. Et puis l’horreur. Je me souviens de cette course folle vers Hannah Beach. Et ce spectacle terrifiant, devant nous : la maison de Sabine, entièrement détruite. Toutes les images de ce drame affluent en même temps, me frappent, me giflent et me coupent le souffle.

Je me réfugie dans les bras de William, le visage tout à coup crispé de douleur. Immédiatement, celui-ci s’inquiète :

– Mon ange, ouvre les yeux. Essaie de dire quelque chose. Tu as mal ? me dit-il, alarmé.

C’est l’inquiétude dans sa voix qui me donne le courage de rassembler mes forces. S’il sait que je souffre, il souffre. Je ne veux pas ça.

Lentement, mes paupières se relèvent.

– William, murmuré-je dans un filet de voix, en ouvrant les yeux sur son beau regard brun dans lequel je vois danser une myriade de paillettes vert tendre.

– Mon amour, dit-il en m’embrassant fougueusement le visage, avant de demander d'essayer de parler.

– Je t’aime… prononcé-je, dans un faible sourire.

Un rayon de bonheur illumine le visage de William, à ces mots. Son étreinte se resserre et, doucement, sa main glisse sur ma jambe.

– As-tu mal ? demande-t-il d’une voix très douce, alors qu’il masse ma cheville.

Je fais non de la tête, dans un demi-sourire.

Loin de réveiller une douleur, la main chaude et précise de William fait naître sur ma peau une envolée de frissons tandis qu’il remonte lentement de ma cheville à l’arrondi de mon mollet, en massant avec expertise. À demi allongée sur le sol, les jambes légèrement repliées, je suis lovée contre lui pendant qu’il me masse ainsi, doucement. Mon oreille collée à sa poitrine, je peux entendre son pouls s’accélérer légèrement.

Même dans un moment comme celui-ci, nos corps s’électrisent d’un simple effleurement.

Imperceptiblement, la caresse de William se fait plus tendre, pendant que je me love plus étroitement encore au creux de ses bras, allongeant la jambe pour goûter pleinement chacun de ses gestes.

En cette seconde précise, plus rien ne compte. Chacune de mes terminaisons nerveuses est tendue vers la sensation que mon amant fait naître en moi et, les yeux clos, je me laisse aller contre lui.

– William, c’est tout ce que j’ai trouvé, s’exclame tout à coup une voix tendue par l’angoisse qui nous fait tous les deux sursauter.

À quelques mètres de nous, Jackson avance, armé d’une trousse et de tout un matérielque je n’essaie même pas d’identifier, talonné de près par Sabine, que je n’ai jamais vue aussi pâle, malgré son teint plus que hâlé par le soleil des Bahamas.

William et moi échangeons un sourire complice, puis je me sens virer au cramoisi, à la seule idée que Jackson ait pu voir…

Mais non, le vieil homme a bien d’autres préoccupations et ne voit rien du trouble auquel nous venons de nous abandonner, William et moi. Il est bien trop inquiet pour ça. Sabine n’a rien vu, elle non plus, si j’en juge par le regard douloureux qu’elle m’adresse.

Aussi, lorsqu’ils comprennent que j’ai repris connaissance, un soulagement évident se lit sur leurs traits.

– Solveig ! s’écrient-ils d’une même voix.

– Comment vous sentez-vous ? demande Jackson plein de sollicitude.

– Comment te sens-tu, ma chérie ? s’inquiète Sabine au même moment.

– Je vais bien, je crois, dis-je d’une voix encore faible. Plus de peur que de mal, ajouté-je sur un ton aussi détaché que possible, tout en essayant de me lever pour prouver ce que j’avance.

Hélas, immédiatement, la tête me tourne et le sang, de nouveau, semble vouloir s’échapper de mon visage. Trois paires de bras s’avancent pour me soutenir, mais William les repousse en assurant que j’ai besoin d’air.

– Ne bouge pas, ma chérie, ordonne-t-il en me retenant par la taille, dans un geste

protecteur. Tu viens d’avoir un malaise. Le choc émotionnel que tu as éprouvé en découvrant l’état d’Hannah Beach conjugué à ta chute, explique-t-il doctement. Ce n’est pas grave, mais, avant de te lever, tu dois boire de l’eau, prendre du sucre et… me laisser vérifier que tu ne t’es pas blessée, ajoute-t-il plus bas, dans un demi-sourire.

Je me laisse faire, trop heureuse d’avoir une raison valable pour laisser les doigts de William courir le long de ma peau, me masser, me cajoler.

Mais au bout de quelques minutes, je me sens de nouveau d’attaque et nous avons tant à faire que je me sentirais coupable de laisser ces instants nous détourner plus longtemps de la réalité.

Et la réalité n’a rien de drôle.

Sabine et Jackson, assis dans le sable à quelques mètres de ce qui reste de la maison, contemplent les ruines dans un silence douloureux qui me serre le cœur.

Il ne reste plus rien de la maison.

D’un geste, je me relève, quittant les bras de William. Je dois faire quelque chose. Mais l’ampleur de la tâche est écrasante. Nous ne savons pas encore exactement quelle est l’étendue des dégâts sur l’île, mais le spectacle de la plage ne nous laisse pas beaucoup d’espoir.

Tout à coup, je pense à Sam, à Sally, aux jumeaux… Violaine, Luke et Robin sont sains et saufs : je le sais car nous étions ensemble au village Hermann, qui ne semblait pas avoir subi de gros dégâts. Mais les autres ?

Sans réfléchir, je m’empare de mon téléphone et entreprend de faire défiler les numéros de téléphone.

William, à présent debout à côté de moi, arrête mon geste, doucement.

– Tu n’arriveras à joindre personne, Solveig. La plupart des antennes sont détruites, mais ma ligne personnelle passe par des réseaux différents. Que veux-tu faire ? ajoute-t-il en me tendant son téléphone, signe qu’il me propose de l’utiliser.

– Savoir s’ils sont vivants, dis-je simplement, d’une voix rendue blanche par la peur, tout en commençant à pianoter sur l’appareil qu’il me remet.

Mais William arrête mon geste.

– Mon téléphone fonctionne, mais les leurs sont hors-service, dit-il calmement. Rassemblons-nous plutôt au Grand Hôtel. Mes parents m’ont affirmé que celui-ci n’avait presque pas souffert lorsque je les ai appelés via la ligne sécurisée de ma suitepersonnelle, où ils étaient installés. De là-bas, nous pourrons agir et retrouver les autres, ajoute-t-il avec énergie.

Jackson et Sabine, qui ont entendu la conversation, se lèvent comme un seul homme et je peux percevoir dans l’air que nous nous sentons prêts, tous les quatre, à affronterensemble ce qui nous attend. Chacun d’entre nous a repris des forces et, sans même échanger un mot, nous nous dirigeons vers le bateau de William.

La manœuvre pour quitter le ponton se fait dans le silence. Nous pensons tous à ce qui nous attend et le regard de Sabine me fend le cœur. Ma tante semble avoir vieilli de dix ans en quelques heures. Tout, dans son visage, exprime un chagrin indicible. Etpourtant, elle reste debout. Je me sens pleine d’admiration et sa force décuple la mienne.

Oui, je me sens forte.

Bien que j’appréhende ce que nous allons découvrir, je me fais la promesse de me mettre au service de ceux qui ont moins de chance que moi. Coûte que coûte, je vais me rendre utile.

Et en effet, le spectacle de la côte pendant que nous rejoignons le centre-ville de Cat Island par la mer, est effrayant. Tout n’est que maisons déchiquetées, débris éparpillés, végétation détruite.

En mer, nous croisons des morceaux de tout : ce qui semble être les restes de l’étrave d’un bateau (j’essaie de ne pas penser à l’Axolotl, le bateau de Sabine, dont nous n’avons pas retrouvé la trace), des bidons de plastique, des pare-battages par dizaines…

Combien y a-t-il eu de naufrages, cette nuit ?

Le trajet se déroule dans un silence terrible. Aucun d’entre nous ne peut articuler un mot et je sens que nous nous préparons tous, mentalement, à découvrir un spectacle insoutenable, conscients que nous devons rassembler tout ce que nous possédons de courage et d’énergie pour y faire face.

Lorsque le bateau se rapproche du port, nous retenons nos souffles.

Ce que nous voyons est irréel. Les navires du port semblent avoir été fracassés les uns contre les autres. La plupart des mâts sont tombés comme des quilles. Certains bateaux flottent tristement, le ventre en l’air, comme des poissons noyés. Plus loin, sur le quai, la route est jonchée de débris.

Certains toits de maisons ont disparu, mais heureusement la plupart d’entre elles sont debout. Dehors, des dizaines de personnes s’activent pour déblayer la route afin de la rendre praticable.

William pose sa main sur ma cuisse. Je me tourne vers lui et la tristesse que je peux lire dans son regard est infinie. Sa compassion me touche. Je sais qu’il est déjà au service de tous ces gens.

Je prends sa main, entrelace mes doigts aux siens et nous nous regardons en silence, les yeux rivés l’un à l’autre, débordants de tout l’amour que nous éprouvons, éperdus de gratitude.

Nous sommes en vie, c’est déjà tellement…

Puis, renonçant à s’amarrer au port, William fait demi-tour. Devançant nos questions, il ajoute avec autorité :

– Nous allons directement au Grand Hôtel. Je sais où amarrer le bateau.

Quelques minutes plus tard, nous avons accosté. Le Riva est amarré à un petit muret de pierre qui donne sur les cuisines de cet imposant bâtiment, propriété de William. Le Grand Hôtel semble ne pas avoir souffert et j’éprouve un grand soulagement à l’idée que tous les occupants de ce lieu, au moins, sont sains et saufs.

Nous entrons par une petite porte de service.

Dans les cuisines, tout le monde s’affaire. On pourrait presque croire que tout est normal, mais une sorte d’électricité dans l’air indique qu’il n’en est rien.

Dès que les employés reconnaissent William, ceux-ci le saluent en silence. L’un d’entre eux s’approche :

– Monsieur Burton, commence-t-il, nous avons pris l’initiative de préparer des ravitaillements pour tout le monde…

– Vous avez bien fait, assure William. Continuez comme ça. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites-le moi savoir.

Puis nous continuons notre route. À mesure que nous avançons, des clameurs se font entendre, de plus en plus rapprochées. Nous pressons le pas…

Lorsque nous pénétrons enfin dans le grand hall, le spectacle qui nous parvient dépasse l’imagination. Au milieu de tout ce luxe, une foule hétéroclite se bouscule dans une sorte de panique effrayante.

Immédiatement, nous comprenons que de nombreuses personnes ont trouvé refuge icipendant le cyclone, mais aussi après. Des blessés, des personnes perdues, terrifiées, sous le choc, affluent de toute part dans un désordre total. Le personnel de l’hôtel, pris de court, ne sait manifestement pas comment gérer la situation.

Je comprends instinctivement que si l’on n’organise pas les secours immédiatement, le désordre va se muer en panique, puis en drame.

William étend un bras devant Sabine, Jackson et moi pour nous protéger de la bousculade. Des yeux, je cherche avec espoir des visages connus, mais dans cette foule, c’est peine perdue.

Soudain, surgissant de nulle part, une silhouette féminine apparaît tout près de William et fond sur lui. J’amorce un mouvement pour l’en empêcher avant de comprendre :

– Mon chéri ! s’exclame la voix en se jetant dans les bras de William.

Je reconnais immédiatement la longue liane aux cheveux argentés qui se pend tendrement au cou de William. Sa maman. Elle étreint son fils avec passion, répétant son prénom à l’infini, pendant que celui-ci la rassure doucement.

Tout à coup, je pense à mes propres parents qui se trouvent en France et un sentiment d’urgence s’empare de moi. Je dois à tout prix les prévenir. S’ils ont vu les images ducyclone aux informations… Oh ! non…

La femme, enfin, se détache de William et s’approche de moi pour m’enlacer avec la même vigueur.

Je me raidis de surprise : nous nous connaissons à peine. Mais la situation présente, évidemment, change tout. Les réactions sont plus instinctives et plus émotives. À mon tour, je la serre dans mes bras.

– Madame Burton, je suis heureuse de voir que vous n’avez rien, dis-je d’une voix pleine de reconnaissance.

– Solveig, nous avons tous eu si peur pour vous, dit-elle avec émotion, en me prenant les deux mains. Quelle joie de vous voir en bonne santé !

– Merci, dis-je dans un sourire.

Puis je me retourne vers Sabine. Sabine et son regard vide, qui me font mal. Mais dèsque celle-ci se rend compte que je la regarde, elle me sourit. Elle sait qu'il y a bien plus grave en ce moment. Je vois bien qu’elle voudrait ne rien laisser paraître et se montrer forte.

Soudain, je pense à mes parents. Nous devons à tout prix les avertir. Qui sait quelles informations les médias ont-ils diffusées en France ?

Mais la mère de William ne me laisse pas le temps de chercher une solution à ce problème. Après avoir salué Jackson, elle se tourne vers ma tante. Puis, comme si cette dernière risquait à tout moment de se briser, elle se présente d’une voix feutrée, pleine de précaution et d’empathie :

– Vous devez être la tante de Solveig, commence-t-elle.

– Madame… murmure Sabine, en lui tendant la main.

– Je suis la mère de William et je suis très heureuse de vous rencontrer, madame. Solveig nous a parlé de vous avec tant de gentillesse. Vous devez avoir besoin de repos, ajoute-t-elle. Laissez-moi trouver une solution…

Au ton qu’elle emploie, je comprends que madame Burton a été tenue au courant de la situation par son fils. Elle connaît les difficultés qui se sont abattues sur Sabine et désire l’aider.

– Non, je vous remercie, répond ma tante d’une voix reconnaissante. Je ne n’ai pas plus besoin de repos que toutes ces personnes qui souffrent autour de nous.

– Permettez-moi d’insister. Ces dernières heures ont été épuisantes…

– Sabine, c’est une bonne idée, insisté-je alors en l’entourant de mes bras. Tu es épuisée, ajouté-je.

– Venez Sabine, ajoute Jackson, je vais vous accompagner. La proposition de madameBurton est très sage…

– Merci à tous, se défend Sabine avec douceur. Mais au contraire, agir me donnera de l’énergie. Je reste avec vous.

Ma tante est une femme solide, pensé-je en la regardant. Néanmoins, je me sens rassurée à l’idée que des personnes bienveillantes s’occupent d’elle.

Je peux donc m’occuper de ce qui m’inquiète terriblement depuis quelques minutes :

il me faut à tout prix joindre mes parents. Je me retourne vers William, mais celui-ci est occupé à téléphoner. Un pli soucieux barre son front et je comprends qu’il parle à son équipe. À Cole, probablement.

Quelque chose semble poser problème.

Pendant qu’il parle, je regarde autour de moi. Il faut vraiment faire quelque chose, sinon l’hôtel va être dépassé par ce qui se passe. De nombreuses personnes affluent etla situation risque de dégénérer.

Il faudrait définir des espaces : un premier pour les soins, par exemple le grand bar qui se trouve à l’arrière du hall. Celui-ci est au frais, à l’ombre et au calme. Ensuite, ilfaudrait plusieurs guichets pour répondre aux questions, prendre les noms des personnes qui semblent disparues et faire des listes. Nous allons également avoir besoin de créer des points de rassemblement pour aider les uns et les autres à se retrouver. Il faut aussi un lieu pour les plus petits et leurs parents. Et bien entendu, un lieu de ravitaillement. Le restaurant sera parfait pour cela, il suffira d’y installer de nouvelles tables. Il y a tant de choses à faire…

Dès que William raccroche, je lui demande son téléphone. Je pianote rapidement le numéro de mes parents et… tombe sur le répondeur.

Un immense soulagement s’empare de moi à la seconde où je comprends qu’il est un peu plus de six heures du matin pour eux. Je les ai probablement réveillés, mais au moins, ils auront mon message avant de découvrir les informations.

Calmement, j’expose au répondeur la situation : le cyclone est terminé et nous allons bien. L’île souffre de très gros dégâts, mais Sabine et moi avons pu nous abriter à temps. Je me montre aussi détendue et rassurante que possible. Il est inutile qu’ils se fassent un sang d’encre. Ils ne peuvent rien faire, de toute façon. Je choisis aussi de ne rien dire de la situation de Hannah Beach pour le moment. Nous aurons tout le temps d’en reparler dans quelques jours et à vrai dire, nous sommes très loin d’être les plus à plaindre en ce moment.

Puis je raccroche, rassurée, avant de me tourner vers William et lui exposer mon plan pour les secours.

– Solveig, me dit-il en m’embrassant, tu es merveilleuse. Viens, je vais te présenter audirecteur de l’hôtel, conclut-il en m’entraînant à travers la foule. Tu as carte blanche.

Quelques secondes plus tard, nous nous trouvons face à un homme d’une soixantaine d’années, qui semble débordé. William n’a rien à dire pour le convaincre car il accueille sa proposition avec un soulagement visible.

– Te voilà aux commandes du navire, ma chérie. Fais tout ce qui te semble nécessaire,réquisitionne les chambres s’il le faut et n’hésite pas à utiliser toutes les ressources dont tu as besoin, m’annonce William avec conviction.

La confiance que je peux lire dans ses yeux me transporte et me donne de la force.

Je t’aime tellement.

– De mon côté, je vais voir ce qui se passe dehors pour évaluer ce que nous pouvons

faire.

– Fais attention, ne puis-je m’empêcher de lui dire avec inquiétude.

– Je t’en fais la promesse, mon ange, dit-il en m’embrassant.

Malgré mon inquiétude à l’idée qu’il puisse se blesser, je suis admirative. Sans hésiter, lui, le milliardaire, se met au service des autres. Je suis si heureuse à l’idée departager sa vie.

Mais il ne le sait pas ! réalisé-je en le regardant disparaître au milieu de la foule.

Je me souviens maintenant… Il ne sait pas que j’accepte de vivre avec lui… Tout à l’heure, c’était pour ça que je m’élançais parmi les décombres de Hannah Beach ! C’est ce que je désirais lui dire. Et puis j’ai trébuché et me suis évanouie.

L’espace d’une seconde, je songe à me lancer à sa poursuite pour lui parler de ma décision, puis je réalise que ce n’est pas le moment. Trop de gens souffrent en ce moment, autour de nous. Ce serait parfaitement déplacé.

Mais cette pensée – le bonheur fou qui nous attend – me donne l’énergie de déplacer des montagnes et, sans attendre, je commence à donner mes directives au directeur del’hôtel.

Deux heures plus tard, le grand hall n’a plus rien à voir avec l’hôtel luxueux dans lequel William et moi nous sommes plusieurs fois donné rendez-vous.

Avec l’aide du personnel de l’hôtel, nous avons défini cinq espaces, correspondants aux cinq espaces de l’île pour former des points de ralliement entre les visiteurs qui peuvent poser des questions, se renseigner et aider quand ils le peuvent.

Tous les fauteuils ont été alignés à gauche, sur trois rangées, le long du mur, à l’attention des blessés légers. Deux infirmières passent dans les rangs pour leur donner les premiers soins.

Un espace permet aussi à ceux qui ont perdu leur maison de trouver de l’aide : toutes les chambres disponibles ont été réquisitionnées à cet effet et un grand élan de générosité s’est emparé de tout le monde. La plupart des hôtes ont proposé leurs bras,leurs jambes, leurs forces. Tout le monde s’active pour la cause commune.

Plus loin, dans le bar, notre infirmerie de fortune accueille les blessés plus graves. Les produits de soin ont été transportés ici, depuis le dispensaire voisin qui a beaucoup souffert du cyclone et nous avons un équipement minimal, mais qui permetde faire beaucoup.

Je ne sais plus où donner de la tête : tout le monde vient me poser des questions et chacun attend mes instructions. Je m’étonne d’avoir l’esprit si clair, de trouver des solutions et d’avoir des réponses. Je ne sais pas d’où me vient cette soudaine assurance, mais je constate que ça marche. Les choses s’organisent.

Je sais aussi que cette agitation me permet de me tenir à distance de ce qui vient d’arriver, comme si j’étouffais ma propre peur.

C’est à ce moment-là qu’au loin, je vois apparaître trois visages familiers. Sans

réfléchir une seconde, je me précipite vers eux.

Violaine, Luke et Robin viennent d’arriver. Quel soulagement de voir leurs visages !

– Comment allez-vous ? questionné-je tout en me jetant dans leurs bras.

– Sol ! s’écrient-ils tous d’une même voix, soulagés, à l’évidence, de me trouver en bonne santé.

– Tout va bien, assure Luke. Le village a été entièrement épargné. La radio locale a annoncé que le Grand Hôtel s’était transformé en poste de secours et nous sommes venus apporter de l’aide, explique-t-il.

– Et nous sommes sans nouvelles des jumeaux, de Sam et de Sally, ajoute Violaine avec angoisse. En as-tu ?

– Aucune, dis-je avec une boule dans la gorge.

– Pour commencer, nous allons faire le tour du hall et tenter d’avoir des informations,annonce Robin, déterminé. Inutile de paniquer tant que nous n’en savons pas plus.

– Parfait, conclus-je. Retrouvons-nous dans une demi-heure pour faire le point.

Mais à ce moment-là, un visage de petit chat apeuré attire mon attention parmi la foule. Sale, les vêtements abîmés, sans blessures graves apparemment, mais couverte d’égratignures, la jeune femme affiche une expression déchirante.

C’est Sally !

Dès qu’elle m’aperçoit, celle-ci se précipite dans mes bras et fond en larmes. Elle est terrorisée.

Robin accourt vers nous.

– Sally, s’angoisse-t-il en la prenant à son tour dans ses bras. Tu n’as rien ?

– Non, hoquette-t-elle sans parvenir à nous en dire davantage, la voix engloutie, littéralement, par ses larmes. Je… je… essaie-t-elle d’articuler, mais les sanglots reprennent de plus belle.

Peu à peu, Violaine et Luke se rassemblent eux aussi autour de nous. Robin, à force de mots tendres et de gentillesse, parvient finalement à calmer la plus jeune de nos amies. Nous apprenons ainsi qu’elle s’est trouvée prise dans le cyclone alors qu’elle était en ville. Elle a trouvé refuge dans une boutique. Elle n’est pas blessée, mais la peur l’a vraiment secouée. Elle est à l’évidence sous le choc.

Mais tout à coup, sans crier gare, les larmes reviennent envahir ses yeux. Elle tente denous dire quelque chose, mais les mots semblent coincés dans sa gorge.

– Parle-nous, Sally. Qu’y a-t-il ? demande Robin d’une voix douce et aimante, en lui caressant la main, comme s’il s’adressait à un petit enfant.

– C’est… Oh ! mon Dieu… fond-elle, de nouveau en larmes.

– Tu es avec nous, maintenant, reprend Robin. Tout va bien…

– Sam, les jumeaux, explose-t-elle alors. Avant le cyclone, je sais qu’ils étaient au

port et… maintenant, il n’y a plus rien. Le bateau de Sam n’est pas là et les jumeaux sont introuvables… J’ai croisé leurs parents, personne ne sait où ils se trouvent.

Il faut un moment pour que cette information soit absorbée par les différents membres de notre groupe et nous restons tous figés par l’horreur.

Scott et Malcom Ferley, les deux garçons les plus joyeux et rieurs que je connaisse, sont portés disparus. Et Sam ? Où pouvait-il être quand le cyclone est arrivé sur nous ? La dernière fois que nous l’avons vu, c’était au matin de la première alerte, à Hannah Beach.

Pourvu que les secours les trouvent rapidement…

La réalité nous frappe tous alors de plein fouet, répandant son manteau glacé sur nos épaules.

Combien sont ceux que nous ne reverrons jamais ?

2. Révélations troublantesLa situation ne nous permet malheureusement pas de nous appesantir sur notre sort : ils sont des dizaines à accourir de toute part et, malgré le calme relatif qui règne au Grand Hôtel, on ne peut pas ignorer les larmes, les cris, ni les regards mangés par l’angoisse ou la détresse.

Mes amis se montrent tous très désireux d’apporter leur contribution et me demandent de leur attribuer à tous un rôle. Je n’hésite pas une seconde, nous avons besoin de toutes les volontés.

– Robin, commencé-je, il manque pas mal de monde au ravitaillement. Les cuisines sont débordées et le service n’est pas assez rapide. Penses-tu pouvoir te charger d’organiser tout ça ?

– Compte sur moi ! enchaîne-t-il avec force. Puis, se retournant vers Sally, il ajoute à son attention : viens avec moi. Tu vas voir, travailler va t’aider à retrouver tes esprits.

Sans dire un mot, mais le regard encore plein de peur, Sally se laisse entraîner par Robin vers le restaurant de l’hôtel, transformé en cantine d’urgence.

Je me retourne alors vers Violaine et Robin. Je sais qu’ils sauront mieux que personnese charger d’accueillir les peronnes qui affluent à l’entrée et les aider à se diriger.

– Quant à vous deux, ce serait formidable si vous pouviez prendre en charge l’accueil à l’entrée de l’hôtel… dis-je.

Ces dernières semaines, mes deux amis se sont rapprochés. Je les ai vus tomber amoureux sous mes yeux, s’échangeant de longs regards, rougissant, s’épiant… Et d’après ce que je sais, leur relation était sur le point de devenir disons… plus officielle.

Mais tout à coup, quelque chose me saute aux yeux. Violaine et Luke se tiennent à

une distance anormale l’un de l’autre et… mais oui, on dirait qu’ils évitent de se regarder. Je pensais que le cyclone était la cause unique de leur accablement, mais à présent, je vois bien qu’il y a forcément autre chose.

– À la réflexion, corrigé-je, je crois que nous n’avons pas besoin de deux personnes pour cela. Luke, acceptes-tu de t’en charger ?

– Tout ce que tu veux, Sol, répond-il, visiblement soulagé.

– Violaine, te sens-tu capable de superviser l’infirmerie ?

Ma meilleure amie accepte d’un geste de la tête, déterminée, sans un regard pour Luke. Et, pendant que celui-ci se dirige tristement vers l’entrée de l’hôtel, j’accompagne Violaine au fond du hall, vers le bar, là où nous avons installé de quoi donner les premiers secours.

– Tout va bien ? questionné-je sans détour.

– Mmmm… grogne mon amie.

– Tu n’as peut-être pas envie d’en parler ? insisté-je, tout en lui laissant la possibilité de garder pour elle ce qu’elle a sur le cœur.

– C’est Luke, lâche-t-elle, furieuse.

– Il y a un problème entre vous ? Tu n’es plus amoureuse de lui ? dis-je, comprenant qu’elle a besoin, au contraire, de parler et n’attend qu’un coup de pouce pour cela.

Soudain, mon amie s’arrête net, prend une profonde respiration, murmure : « Non. Pas ici… » et m’entraîne dans un recoin plus calme.

Mais que se passe-t-il, bon sang ?

Alors mon amie me raconte.

– Tu te souviens, le coup de fil dont je t’ai parlé hier matin, avant que le cyclone ne fonde sur nous ? commence-t-elle.

– Oh ! cet appel étrange d’Hector Hermann ? Oui, je me souviens.

Avec tout ce qui s’est passé durant les dernières heures, je n’ai pas eu une minute pour réfléchir à tout ça. Mais je me rappelle à présent : Sabine a été expropriée de sa maison sans raison valable et, hier encore, nous préparions les cartons pour quitter Hannah Beach. Nous savions déjà qu’une firme étrangère convoitait cette partie de l’île, mais hier Violaine a surpris une conversation téléphonique suspecte entre HectorHermann, propriétaire du village de vacances voisin de la maison et accessoirement père de Luke, et une femme. Il y était question des titres de propriété de la maison…

Mon amie reprend, les yeux rouges de colère :

– J’en ai parlé à Luke… commence Violaine.

– Et ? dis-je en sentant mon estomac se contracter violemment…

C’est vrai que Luke a beaucoup changé ces dernières semaines…

– Et… je ne sais pas… se désole-t-elle. Il a fait comme s’il ne comprenait pas ce dont

je lui parlais, mais je ne le crois pas. Il dissimule quelque chose, j’en suis certaine. Il ne joue pas franc-jeu.

Je suis obligée de reconnaître que je trouve l’attitude de Luke vraiment étrange, moi aussi. Sa façon de fuir à chaque fois que je lui ai parlé de nos problèmes à Hannah Beach, par exemple…

Une sorte d’alarme se réveille dans mon cerveau. Et si Luke savait des choses à propos de cette horrible expropriation ? Et s’il était… complice ?

Non, Solveig ! N’accuse pas sans preuve. Dans cette situation, ce serait trop grave…

L’espace d’une seconde, je me sens sur le point de parler de mes propres doutes à Violaine, puis je me ravise. En ce moment précis, nous ne pouvons rien faire, de toutefaçon. Et il y a plus urgent.

Je me contente donc de tenter de rassurer mon amie : nous allons découvrir ce qui se passe. Et puis le regard de Luke tout à l’heure… Il semblait tellement triste. Je ne peux pas imaginer qu’il ait pu faire quelque chose pour nous nuire, à Sabine et à moi. Il y a forcément une explication.

Quelques minutes plus tard, Violaine est à son poste et, de mon côté, je suis de nouveau submergée par les questions, qui fusent de toute part. La fatigue commence à se faire sentir, mais il me suffit de penser à William, l’imaginer dehors en train de mettre toutes ses forces à aider ceux qui ont eu moins de chance que nous, et le courage me revient instantanément.

Le simple fait de penser à lui décuple mon énergie, songé-je dans un sourire.

Soudain, en traversant le grand hall pour voir si tout se passe bien du côté des blessés les plus légers, je tombe nez à nez avec madame Burton. Celle-ci semble manifestement chercher quelque chose et je m’empresse d'aller à sa rencontre.

– Madame Burton ! dis-je assez fort pour lui permettre de m’entendre de loin, tout en fendant la foule.

– Solveig ! s’exclame-t-elle. C’est méconnaissable, ici ! Vous avez fait un travail fantastique, me dit-elle vivement alors que je rougis.

– Merci, madame. Mais sans William, rien de tout cela ne serait possible, insisté-je.

– Vous êtes trop modeste, Solveig, commente-t-elle en souriant. Bien, comment puis-je me rendre utile ? Dites-moi. Je veux aider, moi aussi ! Mon mari est dehors, avec William. Sabine et Jackson sont allés aider au ravitaillement, précise-t-elle. Que puis-je faire pour vous ?

– Il y a tant à faire, dis-je pour me donner quelques secondes de réflexion.

– Savez-vous que j’ai interrompu des études de médecine avant de me marier puis melancer dans une carrière d’artiste ? dit-elle tout à coup. Avez-vous besoin de petites mains pour aider les médecins ? Le sang ne me fait pas peur, vous savez…

– Dans ce cas, je suis certaine que les médecins apprécieront votre aide, dis-je sans hésiter. Je vous accompagne ?

– C’est inutile, merci beaucoup. Vous avez beaucoup trop à faire. Je saurai trouver mon chemin.

Et je regarde cette longue liane s’élancer dans la foule, pleine d’énergie et de douceur.J’ai l’impression que nous nous entendons bien toutes les deux et cette idée provoqueun petit bond joyeux dans mon cœur.

Mais je suis interrompue par les cris d’une femme à quelques mètres de moi. Je m’approche pour voir ce qui se passe.

Rapidement, je comprends que le petit garçon de celle-ci a été grièvement blessé. Dessoins lui sont actuellement prodigués dans le dispensaire de fortune, mais son état est préoccupant. Elle explique que leur maison a été soufflée, ni plus ni moins. Elle-même n’a que des blessures très légères, mais son cœur, lui, est dévasté.

L’histoire de cette femme me bouleverse. Je m’installe auprès d’elle pour tenter de la calmer. Les mots sont inutiles. Aussi, je me contente d’être là, à ses côtés, et d’attendre, en lui tenant la main, le temps qu’une infirmière puisse prendre le relai.

Quelque temps plus tard, après que la femme ait été prise en charge et alors que je m’apprête à rejoindre les comptoirs destinés à permettre aux habitants de se regrouper, je pense à l’histoire de cette personne qui vient de tout perdre.

La vie, décidément, ne tient qu’à un fil…

L’image de William s’impose à mon esprit. Il y a quelques jours encore, j’hésitais à accepter de vivre avec lui. Il me semblait que tout allait trop vite, que j’étais trop jeune et que ce serait une folie…

Aujourd’hui, je vois les choses bien différemment : tout peut s’arrêter à chaque seconde qui passe et la seule chose que l’on puisse faire est de vivre le moment présent. Je sais une chose : j’aime William passionnément, de toute mon âme. Et je veux être auprès de lui, peu importe la situation.

Un sentiment d’urgence s’empare de moi. Il faut que je le lui dise… Vivre avec lui est ce que je désire le plus au monde et je voudrais pouvoir voler pour aller le lui dire.

Je souris en mon for intérieur.

Non, Sol. Choisis plutôt le bon moment pour ça…

Juste à ce moment-là, je suis interrompue par deux bras puissants qui me saisissent à la taille, par derrière, pour me soulever de terre. Je laisse échapper un cri de surprise et de joie.

William me serre contre lui. Le visage perdu dans mon cou, il embrasse tendrement ma nuque, mon cou, une épaule… avant de me reposer à terre.

Il est si beau. Ses vêtements sont couverts de poussière, déchirés, mais rien ne peut ternir la beauté de ses traits ni les proportions idéales de son corps. Je le contemple amoureusement.

– Solveig, tu es extraordinaire ! me dit-il en me prenant dans ses bras. Je savais que personne ne saurait mieux que toi gérer cette situation. Tu as tout organisé à la

perfection, insiste-t-il, admiratif, pendant que je rougis de plaisir et d’embarras.

– C’est grâce à toi, tout ça. Tu as mis tous les moyens disponibles à ma disposition, murmuré-je, et… tu m’as fait confiance.

Une fois de plus, je suis sur le point de lui dire que j’accepte de vivre avec lui, mais lasonnerie de son téléphone met un terme à cette possibilité.

Le combiné coincé sur l’oreille, je vois le visage de William marquer une inquiétude de plus en plus vive…

Lorsqu’il raccroche, je ne peux m’empêcher de le questionner du regard.

– Lana est introuvable, annonce-t-il, le regard particulièrement soucieux.

Lana est le bras droit de William. Elle coordonne toutes les missions de sauvetage auxquelles ils participent, lui et son équipe, depuis plusieurs années. Elle et moi ne nous entendons pas très bien, c’est le moins que l’on puisse dire ; mais en pareille situation, les inimitiés ne comptent plus et je suis alarmée par cette nouvelle.

Mais William reprend.

– Lana vient de perdre son frère, m’explique-t-il. Le cyclone l’a empêchée de se rendre à ses funérailles et je sais qu’elle en souffre beaucoup. J’espère qu’elle n’a pas tenté une action insensée pour tenter de rejoindre sa famille… prendre un bateau pourrejoindre Nassau, par exemple.

Voilà pourquoi elle pleurait, lors de la première alerte… Nous étions chez William et je me souviens très bien l’avoir surprise, alors qu’elle était en larmes.

J’hésite à en parler à William. Mais elle m’avait fait promettre de me taire, probablement pour ne pas paraître faible vis-à-vis de son patron.

Non. Je ne dirai rien.

– Elle t’en aurait parlé, William, me contenté-je de commenter.

– Oui, affirme-t-il, c’est ce qui m’inquiète. Depuis le cyclone, c’est comme si elle s’était évanouie dans la nature. Ça ne lui ressemble pas du tout. Nous avons lancé desrecherches, mais pour le moment, nous n’avons aucune piste.

Le visage de William est grave et je peux percevoir son désarroi.

Mais nous sommes de nouveau interrompus par un grand jeune homme, maigre, aux cheveux hirsutes, le visage coiffé de grandes lunettes rondes. Jason, le surdoué en informatique, dernière recrue de l’équipe de William.

Ce dernier semble si préoccupé que c’est à peine s’il me salue lorsqu’il parvient à notre hauteur.

– J’ai du nouveau, annonce-t-il sans autre forme de procès. Les lettres de sang…

– Je vous écoute, encourage William.

– De la peinture spéciale. J’ai analysé sa composition. Il s’agit d’un matériau dont la couleur n’apparaît qu’au bout de 24 heures. Une sorte d’encre sympathique, si vous préférez. Il est donc probable que ces lettres aient été peintes sur la coque du Richard

Parker bien avant la soirée d’anniversaire…

Alternativement, je regarde William et Jason.

Le lendemain de mon anniversaire, nous avions découvert ce terrible message : « Le bonheur est de courte durée » et je suis rassurée de savoir que l’enquête de Jason avance, même si, pour le moment, nous n’en savons pas beaucoup plus.

– Je pars immédiatement à la recherche du fabricant. Il pourra certainement nous mener à une piste, ajoute le jeune homme avec ferveur.

– Parfait, commente simplement William. Et les emails ?

– J’essaie toujours de comprendre comment ils ont été cryptés pour brouiller les pistes, mais cela prend beaucoup de temps. Tout ce que je peux vous dire, c’est que lapersonne qui les a envoyés savait ce qu’elle faisait.

Les mails cryptés ? J’adresse un regard interrogateur à William.

– Les mails anonymes que tu as reçus il y a plusieurs semaines, Solveig. Nous cherchons à connaître leur provenance exacte, explique William.

– Mais… Maria Lima ? protesté-je.

– Nous ne sommes plus sûrs de rien, à présent. Maria Lima a cherché à te faire du mal, c’est vrai. Et aujourd’hui, elle est sous contrôle. Mais quelque chose me dérange, dans cette histoire. Les messages anonymes que tu as reçus… Maria n’a pas les compétences pour faire cela.

– Elle a aussi pu faire appel à quelqu’un ? proposé-je.

– En effet, approuve William. Si c’est le cas, nous l’apprendrons très vite, grâce à Jason. Sinon, c’est que nous sommes sur une fausse piste depuis le début et que nous devons chercher ailleurs.

– D’ailleurs, j’y retourne, si vous n’avez pas d’autre instructions, dit Jason avec sérieux.

– Très bien, approuve William. Mais tenez-vous prêt, nous pourrions avoir besoin de vos services pendant les recherches pour retrouver Lana.

– Bien entendu, conclut Jason avant de tourner les talons.

Mais juste avant de disparaître dans la foule, il se retourne, et bien que ses yeux trahissent une sourde et profonde inquiétude, il m’adresse un large sourire et me dit :

– Je suis heureux de voir que vous êtes en bonne santé, mademoiselle.

– Merci Jason ! dis-je en lui adressant un geste de la main pendant qu’il s’éloigne. Heureuse que vous le soyez également, ajouté-je avec sollicitude.

Alors William se retourne vers moi, un doux sourire sur le visage. D’un geste tendre, il rassemble mes cheveux roux, éparpillés autour de mon visage.

Sale, fatiguée, je dois vraiment ressembler à un épouvantail. Cette idée me met mal à l’aise et je détourne le regard, mais, d’une main sur mon menton, il me force doucement à le regarder dans les yeux.

– Tu n’as jamais été plus belle, ma chérie. J’ai l’impression de voir une fleur s’épanouir. On dirait que tu es dans ton élément lorsque tu prends les choses en main comme tu le fais aujourd’hui, me dit-il tout bas, en se rapprochant de moi. Tout cela te rend encore plus séduisante, si c’est possible. J’ai hâte que nous soyons enfin seuls,murmure-t-il enfin à mon oreille, d’un ton suave qui me fait chavirer.

Le contact de son corps contre le mien me coupe le souffle. Nous sommes au milieu de la foule, mais en une fraction de seconde, c’est comme s’il me transportait ailleurs.J’ai l’impression que tout, le bruit, le malheur… tout vient de se mettre sur « pause » et nous sommes seuls au monde.

– Je voudrais pouvoir t’enlever, là, tout de suite, murmure William avant d’ajouter… et ensuite, t’enlever d’autres choses, lentement, un vêtement après l’autre.

Des milliers de fourmis se réveillent instantanément dans mon corps.

– J’ai hâte, dis-je dans un souffle, en rougissant à l’idée de ce qui nous attend.

– Bientôt, ajoute-t-il en me relâchant, dans un sourire qui me laisse parfaitement entrevoir la nature de ses pensées en cet instant.

Immédiatement, le bruit renaît autour de moi. De nouveau, nous nous trouvons sur l’île de Cat Island, en plein milieu d’un drame. William ajoute :

– Tu dois prendre un moment pour te restaurer, Solveig, ordonne-t-il gentiment.

– Je n’ai pas le temps, protesté-je.

– Si, c’est important. Comment feras-tu lorsque tu n’auras plus d’énergie ?

– Oui, tu as raison, admets-je finalement. Je vais rassembler tout le monde, mes amis, tes parents… et nous irons tous ensemble manger un peu.

– Excellente idée, ma princesse. Je vais chercher mon père, qui est encore dehors.

Et petit à petit, nous battons le rappel.

3. Sombre machinationRobin et Sally sont déjà au restaurant, qu’ils supervisent. Je me décide donc à retrouver Violaine ainsi que la maman de William au dispensaire, pour leur proposer une collation. Je trouve sans difficulté cette dernière, en train de soutenir une personne blessée et lui prodiguer les soins nécessaires.

– On dirait que j’ai tout de même quelques restes, me dit madame Burton, dans un sourire.

– Votre aide est inestimable, assuré-je.

– Comme celle de tous ceux qui se sont portés volontaires pour aider, corrige-t-elle, modeste.

– Acceptez-vous de vous joindre à nous pour une collation ? Nous avons tous besoin

de reprendre des forces, proposé-je.

– Je ne dis pas non, concède-t-elle.

– Nous avons convenu de nous retrouver au restaurant d’ici quelques minutes. À tout à l’heure, donc ! dis-je tout en cherchant déjà Violaine du regard, en vain.

Impossible de trouver mon amie. Je bas en retraite : elle est probablement partie chercher des médicaments ou aider quelqu’un à trouver son chemin. Je repasserai plus tard. Je choisis donc de retrouver Luke, non sans une petite appréhension : les révélations de Violaine, tout à l’heure, m’ont mise plus que mal à l’aise et j’ai peur dene pouvoir me montrer aussi aimable que d’habitude…

Mais alors que je m’apprête à gagner l’entrée du Grand Hôtel, je découvre mes deux amis, à demi dissimulés par une haute statue, près du mur de l’entrée. Visiblement, la discussion est animée. Après un quart de seconde d’hésitation, je décide de m’approcher discrètement : après tout, ce qu’il se disent concerne peut-être l’expropriation de Sabine et si c’est le cas, je veux savoir de quoi il retourne.

À mon tour, je m’approche. Le battant d’une porte restée ouverte me permet de tout entendre sans être vue et, même si j’éprouve un soupçon de culpabilité, je tends l’oreille attentivement.

La conversation est houleuse.

– Je sais que tu me caches quelque chose, Luke ! vocifère Violaine. Quelque chose de grave !

– S’il te plaît, arrête. Je… répond Luke, manifestement très malheureux de ce qui arrive.

– Non, je n’arrêterai pas ! s’exclame-t-elle. S’il ne s’agissait que de ma propre déception, je me contenterais de tourner les talons et m’enfuir, mais avoue que ce n’est pas le cas…

Luke marque une pause, hésitant, les épaules voûtées. Le regard translucide, on dirait qu’il porte le monde sur ses épaules. Il me fait de la peine. Mais Violaine ne semble pas s’en soucier, elle est hors d’elle.

– Que sais-tu du rapport entre ton père et l’expropriation de Sabine, Luke ? Réponds-moi, maintenant ! l’accable-t-elle.

– Je… commence alors Luke, rouge d’embarras.

– J’écoute, grince mon amie.

Alors commence le récit de Luke. Je l’écoute s’expliquer enfin, pendant qu’une bouleprend place, doucement, au fond de mon estomac et grossit, grossit, grossit…

– Oui, je sais ce qui s’est passé, Violaine, avoue enfin Luke, tout en regardant vers le sol, plus abattu que je ne l’ai jamais vu. En effet, c’est mon père qui a l’intention de racheter Hannah Beach.

– Et tu le savais depuis tout ce temps ? s’offusque Violaine, blanche d’indignation.

– Non, pas du tout ! se défend-il. Je sais depuis longtemps que mon père rêve de trouver un moyen pour racheter la propriété de Sabine, mais l’occasion ne s’est jamais présentée et Sabine a toujours refusé toute discussion à ce sujet.

– Alors, que s’est-il passé ? demande Violaine, poursuivant son interrogatoire sans relâche.

– Lorsque j’ai appris les difficultés de Sabine, je n’ai pas tout de suite pensé à mon père, commence-t-il. Ce n’est qu’en l’entendant discuter avec un jeune agent des archives de l’île que j’ai eu la puce à l’oreille : le type expliquait à mon père que la plupart des propriétaires de l’île l’étaient sans que jamais aucun papier n’ait été signé.Il donnait aussi des détails sur les procédures et les faiblesses de l’administration dansla conservation des documents.

– Et ça ne t’a pas suffi ? s’impatiente Violaine, toujours hors d’elle.

– Je ne pouvais avoir aucune certitude ! se défend Luke. L’histoire de Sabine s’est répandue comme une traînée de poudre. J’ai d’abord pensé que c’était simplement le sujet du moment sur l’île et que chacun commentait ce qui se passait. Mais ensuite, j’ai remarqué que mon père tournait de plus en plus souvent du côté de Hannah Beach… Il regardait la plage différemment. Alors j’ai commencé à avoir de véritablessoupçons et je lui ai posé la question. Bien entendu, il m’a assuré qu’il n’avait rien à voir avec ça et que, même s’il le voulait, il n’avait pas les fonds pour racheter HannahBeach.

Je bois douloureusement chaque parole échangée. Je me sens terriblement trahie par mon ami.

Il savait tout, ne puis-je m’empêcher de me répéter en boucle.

– Et tu n’as pas pensé à en parler à Solveig ? demande Violaine, courroucée.

– Mais que voulais-tu que je fasse ? s’impatiente alors Luke. D’abord, je n’étais absolument sûr de rien et ensuite, il s’agit de mon… père. Est-ce que tu crois que ma position est facile ?

– Mmmm… concède vaguement Violaine.

– Alors j’ai fait mes recherches. Et je n’ai rien trouvé. Absolument rien, Violaine… à part des plans pour la création d’un nouveau bâtiment. Là, j’ai compris que mon père n’était pas étranger à ce qui se passait à Hannah Beach. Mais il demeurait trop de zones d’ombre : où allait-t-il trouver le financement ? Et après tout, peut-être profitait-il seulement d’une opportunité qui n’avait rien de malhonnête ?

– Une opportunité ? aboie Violaine. Tu appelles ça une OPPORTUNITÉ !

Immédiatement, Luke comprend sa maladresse et se voûte encore plus.

– Mon père est un homme d’argent, un financier, reprend Luke. Pour lui, l’expropriation de Sabine, si injuste soit-elle, peut être, oui, une opportunité. Je ne prétends pas être d’accord avec ça. Tu sais bien que nos relations ne sont pas très bonnes, achève-t-il, l’air presque suppliant. Mais que puis-je y faire ?

– Et Carter & Drew, ça ne te dit rien, peut-être ? accuse encore Violaine.

– Qui ? questionne Luke, les yeux ronds.

– Carter & Drew, la firme étrangère qui s’intéresse à Hannah Beach, précise-t-elle d’une voix dure.

– Non, répond Luke, comme abasourdi. Ça ne me dit rien du tout. Je sais seulement que mon père a un contact. Une femme. Je n’en sais pas davantage.

Un long silence s’installe.

J’en veux terriblement à Luke de n’avoir pas cherché une seconde à m’avertir, même s’il n’était certain de rien. Le moindre indice aurait été précieux. Peut-être aurions-nous pu faire quelque chose ?

Violaine semble aussi fâchée que moi et, la connaissant, son silence vaut plus que tous les reproches du monde.

C’est alors que j’entends la voix de Luke, qui s’échappe en un mince filet, à peine perceptible.

– Je suis désolé, Violaine. Je ne savais vraiment pas quoi faire. Mon père n’est pas toujours quelqu’un de bien, je le sais. Je suis presque sûr qu’il a aussi fait trafiquer lesrésultats de mon concours d’entrée à la capitainerie. Même mes propres rêves, il les fait voler en éclats…

– Passe-moi tes jérémiades, s’il te plaît. J’imagine que tu as donné de nombreuses informations utiles à ton père, poursuit Violaine, sans relâche.

– Jamais ! Je te le jure, Violaine ! se défend-il, horrifié par les accusations de mon amie. Jamais je ne ferais une chose pareille !

Mais on dirait que Violaine ne peut rien entendre. Ses yeux expriment tout à la fois la fureur, la colère et le chagrin. Elle semble totalement perdue.

– Et dire que j’étais amoureuse de toi… coupe-t-elle alors, d’une voix gorgée d’amertume, avant de tourner les talons sans ajouter un mot et se perdre parmi la foule.

Luke, désormais seul, se laisse alors aller au découragement. Appuyé le long du mur, il se tient la tête entre les mains et je l’entends se lamenter.

– Quel crétin ! Tout est de ma faute… Maintenant on ne peut plus rien faire… Oh ! cen’est pas possible, gémit-il. Et je viens de la perdre, achève-t-il en donnant un coup de poing contre le mur.

Je n’ai aucun doute sur la sincérité de ses regrets et je me sens triste pour lui. Mais pour le moment, je suis moi-même beaucoup trop secouée pour avoir envie de le réconforter.

Je ne sais même pas si nous pourrons de nouveau être amis tous les deux.

À mon tour, je m’éloigne, le laissant seul avec sa conscience, et me dirige vers le restaurant, là où nous avions prévu de nous rejoindre. Je traverse le hall et déjà, au loin, je peux apercevoir Sabine, Jackson, les parents de William, Robin et Sally. Violaine, Luke et William manquent encore à l’appel.

Je n’ai plus faim, à présent. Les révélations de Luke résonnent en moi si intensément que je suis incapable d’autre chose que d’y réfléchir, tenter encore de trouver une parade, même si c’est peine perdue et que les dés sont jetés concernant Hannah Beach.

C’est alors que surgit l’homme de ma vie, juste devant moi. Comme par miracle. Immédiatement, il me prend par la main et cherche à m’entraîner.

– Te voilà ma princesse. Je te cherchais, dit-il avec une pointe de gaieté.

Mais dès que ses yeux se posent sur mon visage, il s’arrête.

– Que se passe-t-il, mon ange ? Tu es pâle comme un fantôme… Viens, il faut t’asseoir.

– Non, non, protesté-je doucement. Ça va.

– Non, ça ne va pas, je le vois bien, insiste-t-il en caressant ma joue. Dis-moi, Solveig. Qu’y a-t-il ?

– Je sais qui est responsable, pour Hannah Beach.

À son tour, William se fige, puis m’entraîne dans un coin un peu plus calme et me demande de tout lui expliquer, sans omettre le moindre détail.

Après avoir écouté mes explications, il résume, en homme habitué à gérer ce genre desituation :

– Il nous reste à prouver le lien entre Hector Hermann et cette firme, Carter & Drew, et à prouver qu’il est bien à l’origine de cette machination. Enfin, nous devons découvrir l’identité de cette mystérieuse femme qui semble être un lien important entre eux.

– Exactement, fais-je avec une note de découragement dans la voix.

– Ma chérie, je dois moi aussi te dire quelque chose. Voilà un moment que j’enquête sur cette histoire. Malheureusement pour nous, Hermann est un homme de la vieille école et nous avons beau surveiller ses appels, sa messagerie en ligne, nous n’avons rien pu trouver de concluant jusqu’à présent. Tout semble se passer en direct. Quant àl’appel dont parle Violaine, nous n’en avons pas connaissance, ce qui est un autre point d’ombre, explique-t-il.

– Alors on ne peut rien faire, laissé-je tomber, accablée, avant de reprendre, reconnaissante : merci pour tout ce que tu as fait pour nous. Tu es extraordinaire, murmuré-je en me jetant dans ses bras.

Alors tu t’occupais de ça depuis le début, songé-je avec passion.

Depuis qu’il est au courant des problèmes que nous traversons, William tente de faire quelque chose pour Sabine, alors même que celle-ci acceptait à peine de lui parler… Quel homme incroyable.

– Ne te décourage pas, mon ange, reprend William. Nous avons d’autres ressources. Nous savons de source sûre que Hannah Beach est convoitée par Carter & Drew. Nous ignorons le montant possible de la tractation, mais quelque chose me dit que

c’était très élevé. Je ne peux pas surenchérir tant qu’ils n’ont pas fait une offre et rien ne dit que mon offre serait acceptée. J’ignore quels sont les termes du marché, mais ilpeut y avoir bien autre chose en jeu que de l’argent. Une offre financière, c’est, disons… notre joker.

– William, je ne te demande pas ça, me récrié-je immédiatement.

– Je ne le ferais pas seulement pour toi, Solveig. Je le ferais parce que c’est juste. Mais je n’ai pas terminé, mon ange. Le cyclone, forcément, va ralentir les procédures,ce qui va nous laisser le temps de dénouer pas mal de ficelles. Comprendre qui sont ceux à qui Hermann a dû graisser la patte pour obtenir tout ça, par exemple. Et de mon côté, je vais immédiatement appeler mon bureau à Nassau : je crois que j’ai une excellente idée. Maintenant, je t’en prie, il faut que tu manges quelque chose, conclut-il en prenant mon visage entre ses mains.

Son sourire est le remède le plus puissant que je connaisse. Et je me sens mieux, instantanément.

Mais avant de me laisser partir, il ajoute :

– Je te rejoins dans quelques minutes. Je dois d’abord faire le point sur les recherches de mon équipe.

Un moment plus tard, je retrouve le reste de notre groupe d’amis, déjà attablé. Je suis heureuse de voir que ma tante, assise entre Jackson et madame Burton, a repris des couleurs. Elle avait raison : agir lui a donné du courage. Jackson et madame Burton semblent très attentionnés et désireux de la ménager et leur attitude me touche énormément. Seuls manquent à l’appel Luke et William.

Par-dessus la table, j’adresse à Sabine un sourire… qu’elle me rend. Il n’est peut-être pas aussi éclatant que d’habitude, ni aussi grand, mais c’est un vrai sourire.

Je ne peux m’empêcher d’éviter le regard de Violaine, gênée d’avoir surpris une conversation qui ne me regarde pas, mais désireuse, aussi, d’en parler avec elle. Je sais qu’au premier regard, elle comprendra que je l’ai espionnée, et elle n’a pas besoin de ça pour le moment. Sa déception doit être immense. Je sais à quel point ellecommençait à s’attacher à Luke.

Je me contente donc de lui tapoter amicalement l’épaule, avant de m’approcher de monsieur Burton.

Celui-ci, installé à côté de son épouse, a visiblement du mal à contenir son appétit gargantuesque et avale à grosses bouchées, avec un air d’excuse attendrissant. À la minute où il m’aperçoit, il se lève et se précipite pour me saluer.

– Solveig ! Vous voilà enfin. Vous devez être épuisée, commence-t-il, de sa voix de stentor.

– Bonjour monsieur, dis-je en souriant. Je ne crois pas avoir le droit de me plaindre dequoi que ce soit aujourd’hui, dis-je en regardant ceux que j’aime, rassemblés autour de la table de fortune.

– Vous avez raison, mademoiselle, concède-t-il volontiers. Asseyez-vous, ajoute-t-il

en tirant une chaise vers moi.

– Merci beaucoup, dis-je, soulagée de pouvoir faire enfin une pause.

Puis la conversation se poursuit. Je remarque que les présentations ont déjà été faites et que chacun sait qui est qui.

L’ambiance est vraiment étrange. Tout le monde est épuisé et pourtant doté d’une curieuse énergie. Les voix sont fortes, animées et laissent transparaître la terreur que nous avons vécue il y a seulement quelques heures. Malgré tout, une sorte de joie, aussi, est perceptible : si chacun est choqué par la situation, c’est un sentiment de reconnaissance qui domine. Même Violaine, qui vient pourtant d’essuyer une tempête, tente de faire comme si de rien n’était.

Nous avons tant de chance d’être en vie, songé-je en tentant de ne pas accorder trop de place à la terreur qui m’envahit chaque fois que je pense aux jumeaux et à Sam.

Dont nous n’avons toujours aucune nouvelle…

Comme si quelqu’un avait lu dans mes pensées, c’est à ce moment précis que surgissent en même temps William et Luke.

Le premier, plein d’une assurance tranquille, d’un calme que rien ne semble pouvoir perturber (et d’une beauté absolument époustouflante), se dirige vers le sourire fou amoureux que je lui tends, s’installe sur la chaise laissée libre à côté de moi et me glisse à l’oreille :

– T’ai-je dit que je t’aime, aujourd’hui ?

Instantanément, je me sens rougir de plaisir.

Mais le regard affolé de Luke me remet les pieds sur terre. Debout, à quelques centimètres de la table, il ne semble pas décidé à s’installer. Les yeux suppliants qu’il lance à Violaine – laquelle l’ignore superbement – me fendent littéralement le cœur.

Même si je comprends mon amie… et que je partage son indignation.

Debout devant nous, Luke semble chercher ses mots. Je vois ses mains qu’il tord nerveusement, ses lèvres pâles, son regard brûlant.

Quelque chose est arrivé…

Alors, enfin, il finit par prendre la parole.

– Je viens de parler à un sauveteur. Ils abandonnent les recherches au sud de l’île.

Immédiatement, la conversation de chacun se suspend. Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Pourquoi cela semble tant inquiéter Luke ?

Devançant la question que tout le monde se pose, celui-ci poursuit, d’une voix blanche :

– Le sud de l’île est la partie la moins touchée. Aussi bien dans les terres qu’en mer. Ils estiment donc que leurs efforts doivent se concentrer sur les zones qui ont le plus souffert.

Je ne comprends toujours pas le ton de Luke… A priori, ce devrait être une bonne

nouvelle, non ? Devant notre silence, le jeune homme reprend :

– Ni Sam, ni les jumeaux n’ont encore été secourus. Sally nous a dit qu’ils étaient au port la dernière fois qu’elle les a vus. Je suis sûr qu’ils étaient en mer, ils passent leur vie sur des bateaux. Or, si l’on tient compte du vent et des courants, ils ont pu dériver vers le sud et…

La voix de Luke se brise. Le silence autour de la table se fait de plomb. Chacun d’entre nous vient de réaliser où il veut en venir.

Si les secours s’interrompent maintenant, nos amis risquent de n’être jamais secourus.

4. Deux héros– Je pars immédiatement à leur recherche, annonce Luke, sans nous laisser le temps de protester.

– Attends une minute, coupe William d’une voix calme, tout en se levant à son tour. Comment vas-tu t’organiser ?

– J’ai mon bateau, insiste Luke, le visage fermé, plein d’une détermination que je n’aijamais vue chez lui.

– Mieux vaut prendre un hydravion, propose William.

– Un hydravion ? Et où trouverions-nous ça ?

– Il en reste un, dans l’hôtel. Trois des quatre hydravions qui servent au transport des voyageurs ont été mis à disposition des secours, mais je peux réquisitionner le dernier. Nous pourrons exploiter plus efficacement tes connaissances de la mer vue du ciel, explique William avec conviction.

– Mais la mer est encore mauvaise. Pourrons-nous nous poser sur l’eau ? demande-t-il.

– Nous pourrons, se contente de répondre William.

Après un court moment d’hésitation durant lequel il semble peser le pour et le contre,Luke approuve de la tête.

– Ne perdons pas de temps, alors. Suis-moi, l’hydravion se trouve derrière l’hôtel, commande William, à l’aise comme un poisson dans l’eau dans ce genre de situation.

Les deux hommes quittent la table sans attendre, ne nous donnant pas le temps de commenter leur décision… ni d’en mesurer la dangerosité.

Tout à coup, je réalise que William se jette une fois encore au devant du danger. Comme s’il était attiré par lui… Et cette idée provoque en moi une panique indescriptible.

Non ! Je ne veux pas qu’il risque sa vie une fois encore !

Et, sans réfléchir, je me jette à leur suite.

Il me faut un moment pour les retrouver, les indications de William n’ayant pas été très précises, et c’est à bout de souffle que je parviens enfin dans une sorte de garage. L’eau remplace simplement le bitume.

Les deux hommes ont déjà presque achevé de s’équiper et Luke monte dans l’avion, côté passager.

Sans hésiter, je m’élance vers l’homme que j’aime.

– William ! appelé-je, la voix étouffée par ma course.

En m’entendant, William se fige de stupeur. Rongée par l’angoisse, je me jette dans ses bras. Il m’enlace. Le parfum de sa peau m’enveloppe et deux bras puissants, sûrs d’eux, se resserrent autour de moi. Le simple fait de le sentir contre mon corps me fait un bien fou. Je ferme les yeux.

– Que se passe-t-il, mon ange ? demande-t-il, inquiet, en caressant mes cheveux.

– C’est que… je… balbutié-je, ne sachant que lui dire.

Nous sommes dans une situation d’urgence, je ne peux pas me permettre de leur faire perdre du temps. Mais j’ai besoin de savoir…

Je rassemble donc mes esprits et demande :

– Quel est le risque ? Dis-le moi…

– Je ne veux pas te mentir. Nous prenons un risque, Solveig. D’autant plus que je doisaussi continuer à coordonner mon équipe, toujours à la recherche de Lana. La mer estencore agitée, plusieurs avions sillonnent le ciel en même temps et des turbulences sont à prévoir. L’hydravion, en pareille situation, n’est pas idéal, reconnaît-il en me regardant au fond des yeux.

– Alors ne pars pas… supplié-je. Il y a certainement un autre moyen de les retrouver.

– C’est notre meilleure chance, mon amour. J’ai connu des situations bien plus dangereuses et, comme pilote, je me défends. Fais-moi confiance, nous allons les retrouver, assure-t-il d’une voix qui ne laisse planer aucun doute sur le fait qu’il sait ce qu’il fait.

L’étreinte de William se fait plus forte, plus douce et je me love contre lui. Je peux sentir son calme absolu, sa maîtrise de lui-même. Son cœur bat tranquillement. Aucunstress. Je sais qu’il est capable d’accomplir des miracles.

Oui, ils réussiront, décide avec force la petite voix de ma conscience.

– Oh ! je déteste tellement te laisser, Solveig, murmure William, les lèvres perdues dans mes cheveux, qu’il embrasse avec tendresse.

– Je t’attends, mon amour, dis-je en redressant la tête, plus confiante, à présent. Je saisque tu y arriveras. Je t’aime, ajouté-je enfin en mettant dans ces quelques mots tout l’amour infini, total que j’éprouve pour lui. Comme s’il s’agissait d’un talisman de protection.

– Oh ! Solveig, moi aussi je t’aime, répond-il avec passion en m’embrassant

fougueusement, d’un baiser qui me laisse les jambes en coton, avant de se diriger à son tour vers l’avion.

De là où je me trouve, je peux voir le visage de Luke, rongé par la tristesse et par l’angoisse. Je songe à ce que j’ai entendu tout à l’heure et, malgré le sentiment de trahison que j’éprouve, je ne peux m’empêcher de me mettre à sa place.

Que pouvait-il faire ? Luke est une personne loyale et droite… Il n’a pas voulu choisir entre son père et ses amis. Comment aurais-je agi, à sa place, ainsi prise entre deux feux ?

Alors l’avion commence à trembler légèrement, sur l’eau, signe que les deux hommessont prêts à partir.

– Bonne chance à tous les deux ! m’époumoné-je, avant de comprendre qu’ils ne peuvent pas m’entendre.

Puis je me dirige sans attendre vers l’hôtel. Chaque minute est précieuse et je dois retourner à mon poste. On compte sur moi.

***

Le temps passe à la fois très vite et très lentement.

On me sollicite de toute part, à chaque instant. Les heures, grâce à ça, défilent à toute allure. Je suis heureuse de voir que les efforts de tout le monde portent leurs fruits. Et le fait d’être ainsi occupée me permet de tenir à distance les flots de malheur qui s’engouffrent à chaque instant dans le grand hall.

Je sais qu’il suffirait d’une seconde d’inattention pour que les cris de détresse qui retentissent de toute part m’assaillent et me vident de toutes mes forces, jusqu’à la dernière goutte. Aussi, je m’active autant que possible.

Parfois, je croise le visage de ceux qui me sont chers. Au restaurant, Robin semble être partout à la fois, même s’il ne quitte pas des yeux Sally, qui n’a pas encore recouvré toutes ses forces. On dirait qu’il l’aide à tenir par l’entremise d’un fil invisible qui le relierait à elle.

Sabine et Jackson, eux, ont remplacé Luke à l’entrée et aident les habitants de l’île à se rassembler, transmettent les informations, tiennent des listes et tentent d’apaiser lesnouveaux arrivants. Violaine ne baisse pas le nez de son ouvrage à l’infirmerie. Le visage pâle, les yeux bordés de rouge, elle exécute pourtant chaque geste avec beaucoup d’attention envers ceux qu’elle aide à soigner.

La mère de William ne ménage pas sa peine, elle non plus. Quant à son père, je peux l’apercevoir parfois, depuis l’entrée du hall. Il poursuit le travail commencé tout à l’heure par son fils et supervise une équipe qui se charge de déblayer la chaussée et libérer certains blessés.

Nous n’échangeons que peu de mots, mais les regards que nous nous lançons sont, je le sais, un grand soutien pour chacun.

Mais il n’y a pas que ça : chaque habitant de l’île valide semble déterminé à apporter son aide et, malgré l’horreur de la situation, ce merveilleux élan de solidarité nous

porte tous.

Voilà ce qui accélère le temps. Pourtant, dans un coin de ma tête, les minutes s’égrènent avec une lenteur accablante : William et Luke ont-ils pu retrouver nos amis ? Arriveront-ils à temps ? Parviendront-ils à les sauver ?

Même si le vent est assez fort et que la mer est encore agitée, le temps est clair. Je sais aussi qu’ils ne disposent pas de ressources infinies et que la nuit commencera à tomber dans quelques heures, ce qui les forcera à interrompre leurs recherches… Leur temps est compté. Et Lana ? Où peut-elle être ?

Il s’est déjà écoulé plus de trois heures depuis qu’ils ont quitté l’hôtel.

Faites que tout aille bien… supplié-je intérieurement.

Quand tout à coup, un bruit tonitruant me fait tourner la tête.

Plusieurs blessés arrivent sur des brancards, créant un léger mouvement de foule autour d’eux.

Chaque habitant présent ici se demande s’il ne s’agit pas de l’un des siens, un ami, unvoisin, un enfant… Tout le monde est partagé entre la peur et l’espoir.

Je m’élance pour aider les secours à avancer vers l’infirmerie.

Les blessés sont au nombre de trois. D’où je me trouve, je ne peux pas voir leur visage. Je demande simplement :

– Quel type de blessures ?

– Plusieurs côtes cassées, une épaule luxée, quelques blessures plus légères et un cas assez sérieux de déshydratation, me répond laconiquement le brancardier.

– Je vous accompagne, fais-je en l’entraînant vers le fond du hall, tout en tentant de tenir à distance la foule qui se presse autour d’eux.

De nouveau, je pense à William, Luke, aux jumeaux et à Sam… Je voudrais tant les voir arriver sains et saufs, franchissant cette même porte sans qu’aucun d’entre eux ne soit blessé. C’est si dur de devoir attendre, impuissante…

C’est alors que, sur ma gauche, pendant que j’indique au brancardier le médecin qui pourra prendre en charge les malades, une voix faible mais presque joyeuse se fait entendre. Une voix familière.

– Solveig ! C’est toi ?

Je n’ose pas y croire. J’ai si envie que ce soit lui que j’ai peur que mon imagination ne me joue des tours et c’est le cœur battant à tout rompre que je laisse aller mon regard en direction de la voix.

– Sam ! Oh ! mon Dieu ! Tu es vivant ! m’exclamé-je en fondant sur lui.

– Et nous ? On compte pour du beurre ? renchérissent immédiatement deux timbres clairs et nonchalants.

– Oh ! vous ! fais-je en bondissant vers les deux autres brancards. Vous nous avez fait si peur !

De gratitude, les larmes, tout à coup, me montent aux yeux. Ils sont vivants, tous les trois. Nous avons une chance insolente…

Mes amis ne semblent pas très en forme, mais ils vont s’en tirer, c’est certain.

Violaine, qui a entendu le son de ma voix, se précipite vers nous. C’est la première fois que je la vois sourire depuis la dispute.

Mais tous trois doivent être soignés sans attendre et nous laissons au médecin le temps de les examiner et leur prodiguer les soins nécessaires : attelles pour les jumeaux qui ont tous deux de légères fractures, pansements et bandages autour de quelques blessures plus légères et solutés de réhydratation pour Sam.

Mais à présent que je les sais saints et saufs, je ne veux plus savoir qu’une chose : William, Luke… Pourquoi ne sont-ils pas avec eux ? Violaine, je le sais, se pose la même question que moi et c’est presque ensemble que nous leur demandons :

– Et William ?

– Et Luke ?

– Et William et Luke ?

Alors le visage des trois garçons se fait plus grave et mon estomac se contracte furieusement.

Que s’est-il passé ?

– Oh ! Solveig, ils ont été si courageux… commence Sam.

– Que s’est-il passé ? coupé-je, sans savoir si je suis capable d’endurer ce qu’il s’apprête à me dire.

– Après nous avoir secourus, ils ont décidé qu’ils ne pouvaient pas arrêter les recherches, poursuit-il, le regard embué par l’émotion.

– Alors ils sont encore dans cet enfer ? demande Violaine, sans s’adresser véritablement à aucun d’entre nous.

J’aurais dû savoir que William ne s’arrêterait pas là… Il ne se posera pas tant qu’il luirestera des forces, songé-je avec angoisse.

Violaine est dans le même état que moi. Et, sans échanger une parole, nous nous regardons toutes les deux intensément, comme pour ne pas nous laisser submerger par la peur.

Mais les cris de joie de Sally interrompent cet instant proche de la panique qui nous laisse, Violaine et moi, à bout de force. Peu à peu, Sabine, Robin et Jackson nous rejoignent et commence alors le récit de nos amis.

Nous apprenons que les jumeaux se trouvaient à proximité du port lorsqu’ils ont aperçu la longue colonne noire, dressée entre la mer et le ciel. L’abri le plus proche : un vieux bateau de pêche. Sans hésiter, ils se sont calfeutrés au fond des cales, accessibles par une trappe sur le pont, certains de ne pas survivre à cette expérience.

Le bateau a été très secoué. Ce qui explique leurs blessures. Tant et si bien que ses

amarres ont lâché et que l’embarcation a dérivé durant plusieurs heures avant que les deux garçons ne parviennent à sortir de la cale. Tous les instruments de navigation étant hors d’état, il leur était impossible de demander du secours.

– Sans les connaissances de Luke, on ne nous aurait sans doute pas retrouvés avant plusieurs jours, frissonne Malcom, l’un des deux jumeaux.

– C’est lui qui a remarqué l’absence du bateau à sa place habituelle, renchérit Scott, son frère.

– Il savait qu’avec sa coque en aluminium, il y avait peu de chance qu’il ait coulé, explique Malcom. C’est encore lui qui a pensé à analyser le vent et les courants pour nous retrouver.

– Vous vous rendez compte, insiste Scott, Luke connaît l’emplacement de chacun des bateaux du port ! Je ne comprends vraiment pas comment il a pu échouer à l’examen de la capitainerie… Sans lui, nous ne serions pas là à vous raconter tout cela.

– Mais le plus incroyable, poursuit Malcom, c’est lorsque l’hydravion a fondu sur nous. Solveig, je n’ai jamais vu un pilote aussi doué que William, dit-il en se tournantvers moi, les yeux pleins d’admiration.

– Vous auriez vu ça ! s’exclame son frère avec enthousiasme. On se serait cru dans unfilm d’action.

Sam écoute sans rien dire ce qui sera bientôt, dans l’esprit des jumeaux, une palpitante aventure. On dirait qu’il ne tient pas à raconter ce qu’il a vécu.

Mais Sally, pourtant, se retourne vers lui.

– Et soi, Sam ? dit-elle en lui prenant doucement la main.

– Moi, dit-il douloureusement, j’ai perdu mon bateau.

Une chape de plomb tombe sur le petit groupe que nous formons. Sam est un aventurier, de ces hommes qui s’efforcent de ne pas s’attacher aux biens matériels, mais son bateau, c’était sa maison, son unique port d’attache… Je me sens triste pour lui.

Mais il se reprend immédiatement.

– C’est la vie ! commente-t-il, philosophe, en essayant d’esquisser un sourire.

– Encore une fois, c’est la science de Luke qui a permis de retrouver Sam, raconte Scott, visiblement très excité par tout ce qui vient de lui arriver. Malcom et moi l’avions vu sortir en mer quelques heures avant le cyclone. Nous savions seulement qu’il faisait route vers le sud.

– J’étais à deux doigts du naufrage lorsque l’avion s’est posé près de moi, avoue Sam tristement. William a pris de gros risques pour me sauver en s’approchant du bateau assez près pour que je puisse les rejoindre à l’aide d’une simple bouée lancée dans madirection… Puis j’ai regardé mon bateau couler sous mes yeux, achève-t-il d’une voixqui se veut nonchalante, mais qui ne trompe personne.

– Nous venons de découvrir que nous avons deux héros parmi nos amis, conclut

presque joyeusement Scott.

Deux héros…

***

Deux heures s’écoulent encore dans l’attente insoutenable du retour de William et de Luke. Durant ce laps de temps, l’histoire de Sam et des jumeaux s’est répandue comme une traînée de poudre et tout le monde semble attendre le retour des héros.

Mais Violaine et moi ne tenons plus en place. À présent, j’ai du mal à me concentrer et de temps à autre, lorsque j’aperçois de loin mon amie, je vois que sa fébrilité transparaît dans chacun de ses gestes.

Je pense à Luke, aussi. Ce qu’il vient de faire est admirable et ma colère a sensiblement baissé depuis tout à l’heure. Mais je pense aussi à Sabine, à tout ce qu’elle a traversé ces dernières semaines et une pointe amère semble s’enfoncer dans ma gorge.

Comment a-t-il pu nous faire ça ?

Une clameur qui monte depuis le fond du hall, vers la gauche, me distrait de ces pensées et me met immédiatement en alerte : qui sait quelles terribles nouvelles on apporte encore ?

Je me dirige donc à grands pas vers le lieu d’où semble partir le bruit, dans la foule, mais je comprends vite que c’est un cri de liesse.

Des acclamations…

Comme si mon corps avait su, avant que l’information n’atteigne ma pensée, je me sens m’élancer instinctivement, parmi la foule, courant à perdre haleine en direction de ce point dense autour duquel s’éparpillent les bravos.

Enfin, je peux l’apercevoir.

Son visage exprime une fatigue si intense, mais une satisfaction si grande. Ses yeux bruns pailletés de vert ont l’éclat des victoires obtenues difficilement et semblent chercher quelque chose.

À l’instant où il m’aperçoit, courant ainsi vers lui, il s’élance également et, durant cesquelques secondes qui nous séparent l’un de l’autre, il me semble que le temps se suspend. De nouveau, nous sommes seuls au monde et lorsque je me jette dans ses bras, il me semble que rien ne pourra jamais plus me décider à détacher mon corps dusien.

– Mon amour, tu es vivant. Dis-moi que je ne rêve pas, que tu es bien vivant, murmuré-je tandis que les larmes glissent le long de mon visage sans que je puisse lescontrôler.

– C’est fini, ma chérie, je suis là. Je ne te quitterai plus. Je t’en prie, ne pleure plus mon ange, je suis là, tout va bien, répète-t-il en me couvrant de baiser brûlants et tendres.

Alors, oubliant toutes les promesses que je m’étais faites…

– C’est oui, William, dis-je tout à coup, parmi les baisers passionnés. Oui, je veux vivre avec toi. C’est ce que je désire le plus au monde.

L’homme que j’aime s’écarte alors légèrement de moi et je découvre un visage remplide stupeur, des yeux incrédules, un sourire hésitant, presque timide… et tout simplement magnifique.

– Tu… commence-t-il sans achever sa phrase.

– Je… acquiescé-je, plus amoureuse que jamais en resserrant mes bras autour de lui.

– Oh ! mon ange, je ne savais pas que je pourrais me sentir aussi heureux après une telle journée.

Puis il ajoute, après un silence.

– Je ne savais pas que je pouvais me sentir aussi heureux.

Mais nous n’avons pas le temps de savourer cet instant de bonheur volé à ces heures terrifiantes car nos amis se pressent maintenant autour de nous et attendent de pouvoir saluer le héros.

LES héros, corrige ma petite voix, me rappelant que William n’est pas le seul roi de cette journée.

Alors, je cherche Luke du regard.

Et je comprends immédiatement que, du côté de Violaine et de Luke, le cyclone est bel et bien passé : mon amie, les deux bras entourant la nuque du héros numéro deux, l’embrasse passionnément, le visage baigné de larmes.

Je suis bien placée pour savoir que l’amour peut tout, absolument tout pardonner.

Mon amoureux coupe court à ces réflexions en m’attirant à lui : autour de nous, de nombreuses personnes se pressent pour serrer la main des deux sauveteurs. En cet instant, ils incarnent l’espoir. Celui de retrouver un parent ou un ami dont on n’a pas de nouvelles et, plus généralement, l’espoir d’un dénouement positif, de quelque chose d’heureux dans cette débâcle.

Sans cesser d’adresser sourires modestes et remerciements, William me chuchote à l’oreille :

– Mon ange, tu es épuisée, commence-t-il sur un ton inquiet. Préviens ta tante que tu t’absentes pour la soirée.

Et, devançant ce que je m’apprête à dire, il ajoute :

– Ne proteste pas, tu as besoin de repos et, avec tout le travail que tu as accompli aujourd’hui, tout est parfaitement organisé. On peut se passer de toi pour la soirée. Ensuite, rejoins-moi au garage des hydravions, je viens d’avoir une idée, conclut-il, intriguant.

Je le regarde, éberluée.

Mais mon amant ne me laisse pas le temps pour réagir et, se détachant de moi, se dirige vers ses parents pour les embrasser, tout en m’adressant un clin d’œil

complice.

Je cherche Sabine du regard. Lorsque mes yeux se posent sur elle, je peux voir que celle-ci complimente Luke avec une ferveur qui me pince le cœur.

Si elle savait…

Je n’ai donc pas trop de difficulté à interrompre ces effusions. Et, après avoir félicité Luke qui vient tout de même de sauver trois personnes, trois amis qui nous sont chers, j’explique rapidement la situation à Sabine.

– Ma chérie, tout ce que tu as fait aujourd’hui est extraordinaire. Je suis si fière de toi,dit-elle en m’enlaçant avec tendresse.

– Je n’ai rien fait de si incroyable, fais-je en rougissant. Je n’ai sauvé personne, ajouté-je en coulant un regard vers William et Luke.

– Détrompe-toi, corrige-t-elle. Tu as su coordonner toutes les opérations avec beaucoup d’astuce et d’intelligence. Va te reposer avec William, tu ne le mérites que trop. Ne te fais pas de souci pour moi. Les parents de William sont charmants et Jackson est l’homme le plus attentionné du monde.

– Alors à demain, Sab. Repose-toi bien, toi aussi. La journée a été difficile.

– Compte sur moi ! répond-elle en souriant, signe qu’elle aussi attend la fin de cette journée avec impatience. Oh ! à propos de Jackson, reprend-elle… nous avons découvert quelque chose d’amusant, tous les deux, en discutant… Mais je t’en parlerai plus tard, se ravise-t-elle finalement. Il n’y a aucune urgence. Va rejoindre ton amoureux.

Je la regarde, interloquée. Que peut-elle avoir découvert qui lui donne à ce point le sourire ?

Mais je ne veux pas faire attendre William et après l’avoir embrassée une dernière fois, je m’éclipse discrètement.

Quelques minutes plus tard, je retrouve l’homme que j’aime.

Enfin seuls… songé-je, avec soulagement, mais non sans une pointe de culpabilité à l’idée de toutes ces personnes qui, ce soir, n’auront pas la chance de se coucher dans un endroit calme et sûr.

Impressionnée à l’idée de monter pour la première fois dans l’hydravion, je marque une pause. Celui-ci est magnifique. D’un blanc immaculé, flanqué du logo argenté duGrand Hôtel. William, dès qu’il m’aperçoit, m’entraîne vers l’appareil, ses doigts enlacés aux miens.

Je grimpe dans l’avion, à l’avant, côté passager.

Une lueur grivoise passe dans les yeux de William au moment où celui-ci attache ma ceinture et, effleurant légèrement mes genoux, il chuchote :

– Te voilà tout à moi, ma beauté. Impossible de m’échapper…

Le langoureux baiser que nous échangeons ensuite me laisse entrevoir ce que nous

allons faire bientôt, quel que soit le lieu où nous nous rendons, et je me tortille d’impatience sur mon siège.

Puis, après avoir appuyé sur une multitude de boutons, installé nos casques et vérifié que tout est en ordre, nous décollons.

– Nous n’allons pas loin, ma chérie, explique William. Tu te souviens de la surprise dont je t’avais parlé ? demande-t-il, une lueur rieuse dans la voix.

Il me faut un moment pour comprendre de quoi il s’agit. Puis tout à coup, je me souviens : le soir de mon anniversaire, il m’a offert une superbe photo de Miller White représentant une île à la forme exacte d’un cœur…

– Je veux que tu découvres ta surprise depuis le ciel, ajoute-t-il, plein de mystère.

– Quelle folie as-tu encore commise ? fais-je en me mordant les lèvres, à la fois émerveillée, intriguée et amusée par son visage d’enfant impatient de montrer ce qu’ila préparé en secret.

Tu es renversant, mon amour…

Et tellement attirant ! ajoute ma petite voix, totalement séduite.

Nous survolons maintenant le ciel qui, doucement, commence à se parer de rose, au-dessus d’une mer enfin calme. Le temps est redevenu dégagé et, d’où nous nous trouvons, notre île a repris ses teintes de paradis. L’eau translucide, les longues plagesde sable blanc, la douceur de l’air.

Vers le sud, j’aperçois une longue ligne claire. Je me demande s’il s’agit d’un nuage ou bien d’un banc de sable. C’est dans cette direction que nous avançons.

Petit à petit, la bande devient plus dense, plus nette. Non, il s’agit bien d’une île.

– Accroche-toi, Solveig, nous allons prendre de la hauteur. Et ouvre bien les yeux, commande William, dans un sourire énigmatique.

Les battements de mon cœur s’accélèrent.

Le visage rivé sur l’île, je scrute tout ce qui pourrait me donner un indice.

Ce n’est que lorsque nous la survolons que je comprends de quoi il s’agit…

Non, ce n’est pas possible…

– L’île en forme de cœur ! m’écrié-je avec un enthousiasme de petite fille. Je la reconnais, William, c’est l’île qui se trouve sur cette magnifique photo de Miller White que tu m’as offerte pour mon anniversaire.

Celui-ci me contemple en souriant, visiblement heureux du succès de sa surprise. Je voudrais pouvoir me jeter à son cou, mais la ceinture de sécurité m’en empêche.

Le spectacle est si beau que j’en ai le souffle coupé. L’île, bordée de blanc, cernée d’un turquoise très clair et pleine, en son cœur, d’un vert soutenu, est d’une beauté inouïe et je me délecte de chaque seconde, émerveillée de me trouver ici, par la magiede William, à qui rien, décidément, ne semble impossible.

Mais je ne suis pas au bout de mes surprises, car alors que je pensais que rien de plus

irréel ne pouvait arriver à cet instant précis, William lâche, avec malice :

– Bienvenue chez toi, mon ange. Bienvenue chez… nous.

Chez nous ? répété-je mentalement, interdite, en le contemplant avec des yeux ronds, ce qui a pour effet de le faire éclater de rire.

Un autre miracle… Les éclats de rire de William ne sont pas si fréquents.

Mais nous piquons déjà vers l’île et quelques secondes plus tard, l’hydravion se pose en douceur sur l’eau claire, dans le soleil déjà déclinant, au bord d’une plage immaculée, d’un blanc rendu orangé par la lumière du soir.

William attache rapidement l’avion à une bouée prévue à cet effet. L’eau, ici, semble très peu profonde – une soixantaine de centimètres, tout au plus – et mon amant contourne l’appareil pour m’inviter à descendre.

Je plonge littéralement dans ses bras en répétant : « Tu es fou, mon amour, tu es fou… Comment est-ce possible ? » et en le couvrant de baisers, prise d’une ivresse qui me met tous les sens en feu.

William, lui aussi, semble au comble du bonheur et me fait tournoyer dans l’eau.

– Nous allons être si heureux ici, ma chérie !

– Oui, si heureux… répondé-je en écho, sans réaliser pleinement ce qui est en train dese passer.

Chez, nous. Cette île… C’est incroyable…

C’est trop pour moi. Mon esprit ne réalise pas. Je me sens seulement comblée.

Puis William, doucement, me repose au sol. Nous avons de l’eau jusqu’aux genoux etnos vêtements sont trempés. Nous nous regardons tous deux, les yeux brillants de bonheur, souriants, incapables d’articuler le moindre mot.

Et progressivement, une autre énergie nous gagne, prend possession de nos corps. Nos sourires font place à des lèvres humides, nos poitrines se soulèvent à l’unisson etnos regards se font plus intenses, plus langoureux.

Nous nous trouvons à une dizaine de mètres d’une plage de sable fin d’un blanc immaculé. L’eau tiède des Bahamas nous entoure, claire, transparente et caresse nos jambes en ondulant autour de nous. Je me tiens face à lui, déjà frissonnante.

Les doigts de William courent le long de mes épaules, puis de mes bras. Je frémis à ce contact.

De ses deux mains, mon amant enserre alors fermement mes poignets, sans me quitterdes yeux. Une lueur carnassière s’allume au fond de son regard lorsqu’il caresse des yeux mon corps, à travers mes vêtements partiellement mouillés et rendus translucides à certains endroits.

Je me sens vibrer d’amour et de désir.

Des gouttes d’eau dansent sur sa peau bronzée et le tissu de son tee-shirt marque chacun de ses muscles avec une insolence appétissante. J’ai envie de me ruer sur lui,

mais il me retient.

– Tu es incroyablement belle, dit-il en détaillant les courbes de mon corps. Tes cheveux d’or et de feu dans lesquels je voudrais m’enfouir, chuchote-t-il en plongeantle visage dans mes boucles rousses pour en respirer le parfum. Ta peau laiteuse, à peine dorée par le soleil, poursuit-il en piquant mon épaule d’une envolée de baisers délicieux. Tes seins, ronds et pleins comme deux fruits mûrs…

L’une de ses mains se détache de mes poignets pour effleurer l’arrondi de mes seins qui, instantanément, se dressent et se contractent, se tendent pour le recevoir, impatients, déjà assoiffés de lui.

Mais il poursuit son voyage, erre sur mon ventre, décrivant de ses doigts de longues courbes dans l’arrondi de mes hanches avant de s’attarder sur mon nombril dans une caresse furtive. Ma respiration se fait plus saccadée lorsque d’un geste souple il s’insinue sous le tissu léger de mon petit haut. La pulpe de ses doigts me brûle et les muscles de mon corps se réveillent sous sa paume brûlante et douce.

Je ne peux me retenir d’avancer la main à mon tour vers son torse. L’envie de le toucher, de le pétrir, embrasser la peau mate et lisse de son ventre, jouer avec les contours ciselés de ses abdominaux de la pointe de la langue et enfin le goûter de meslèvres… Mon désir est trop fort.

Si fort que, lorsqu’il tente de me retenir, je me rebiffe et gémis.

– Non, mon ange, pas encore. Je te veux offerte, soumise.

Je baisse les yeux en rougissant, le cœur battant la chamade. Ces simples mots éveillent en moi un fourmillement diabolique et je ne peux m’empêcher de resserrer les jambes pour savourer la délicieuse pulsation qui bourdonne maintenant à la jonction de mes cuisses.

William sourit. Il sait ce qu’il fait.

Alors, tordant délicatement l’une des pointes saillantes qui saillent ardemment sous letissu tendu de mon tee-shirt, il susurre :

– Je vais te mettre au supplice, mon amour.

Les yeux baissés, je me mords les lèvres. William reprend :

– Enlève tes vêtements, maintenant. Je veux me délecter de ton corps parfait.

Sa voix autoritaire, pleine du désir qu’il éprouve, me renverse. Au plus secret de mon corps, je sens se déverser en moi un flot avide qui me rend moite, humide, liquide.

Haletante, je me plie à ses ordres. Les deux mains croisées sur mon ventre, d’un gesteaussi lent que possible, je soulève mon tee-shirt, puis le laisse tomber dans l’eau, à mes pieds.

Moi non plus, je ne vais pas te donner trop vite ce que tu attends de moi.

Les yeux dardés sur son ventre, alors que je dégrafe doucement mon soutien-gorge desatin vert d’eau, je vois l’arrondi de son short en toile se tendre et, lorsque je libère mes seins blancs, surmontés de deux petites pointes roses et brunes tendues vers lui,

William réprime un mouvement vers moi.

– J’ai envie de te dévorer, grogne-t-il, gourmand.

– Je ne te retiens pas… fais-je, dans un sourire, alors que, des deux pouces passés sous la ceinture de mon short, je me défais doucement de ce qui me reste de vêtements, révélant petit à petit le doux triangle de feu qui se tient au sommet de mes jambes frissonnantes.

Mes vêtements flottent à présent autour de moi dans un ballet coloré. D’un geste rapide, je les lance sur la plage.

Et me voici nue devant lui. À sa merci.

Je lève les yeux vers ses lèvres brillantes. Ses yeux, littéralement, me dévorent.

Une bouffée de chaleur se répand dans mon corps. Comme si mes sensations se trouvaient décuplées, la tiédeur de l’eau sur mes jambes me fait frémir, le vent se fait l’allié de William et m’enveloppe de son souffle chaud, savant, s’insinuant sous chaque repli de mon anatomie, prodiguant une caresse terriblement sensuelle. Les derniers rayons du soleil chauffent mon dos, coulent sur mes reins, s’emparent de mes fesses…

C’est si bon.

Sans quitter mon amant du regard, je tends mes doigts fébriles vers lui.

– Laisse-moi te déshabiller, imploré-je. Laisse-moi te contempler, mon amour…

William ne dit pas un mot. Mais je comprends que je suis autorisée à le toucher, enfin. J’avance d’un pas.

Le parfum de sa peau envahit l’air, autour de moi, de ses notes ambrées, chaudes, épicées. Je laisse jouer mes doigts sur son biceps ourlé. Sa beauté me submerge et je ne peux réprimer mon impatience, lorsque je passe enfin les mains sous son tee-shirt pour le lui ôter d’un geste.

Sans pouvoir m’en empêcher, mes lèvres se collent à son torse et je savoure contre ma bouche les battements de son cœur, la douceur de sa peau dorée, les courbes tentatrices de ses pectoraux.

William laisse échapper un spasme de plaisir.

Moi aussi, je veux te mettre au supplice, mon amour. Moi aussi je veux que tu me désires jusqu’à ne plus pouvoir supporter l’attente…

À présent, je m’appuie de tout mon corps contre lui, incapable de maîtriser le feu impérieux qui s’est emparé de moi. Je mouille abondamment désormais et je n’ai qu’une hâte, qu’il me fasse l’amour.

Je ne pense qu’à une chose : la protubérance dure, que je presse doucement contre mon ventre, encore entravée par son short.

Mais mon amant veut garder le contrôle et, les deux mains autour de mes épaules, il m’écarte de lui.

Nos regards se croisent, flamboyants d’un feu incandescent.

– Pas encore, commande-t-il.

Pourtant, il se débarrasse de ce qu'il lui reste de vêtements, sans me quitter du regard, une lueur fiévreuse agitant ses prunelles.

Nous voilà nus tous les deux. Autour de nous, l’immensité de l’eau, le sable blanc à quelques mètres seulement et le léger clapotis de la mer contre nos jambes.

Son sexe se dresse vers moi avec une ardeur qui attise ma gourmandise, lisse comme celui d’une statue érigée à la gloire de la virilité, bandé à l’extrême.

Je voudrais m’empaler à lui.

Mais mon amant a d’autres projets pour nous.

Doucement, il me prend la main et s’agenouille dans l’eau, m’attirant avec lui dans latiédeur parfaite et douce de la mer.

– Laisse-toi flotter mon amour, dit-il en renversant mon torse à la surface de l’eau. Fais-moi confiance, ne cherche plus à contrôler quoi que ce soit, murmure-t-il pendant que, sans un mot, j’obéis.

Contre mon dos, l’une de ses mains me soutient doucement et je peux sentir mes cheveux se répandre en une nappe dorée à la surface de l’eau qui me berce lascivement de ses vagues langoureuses.

D’un coup, William écarte largement mes jambes. Et la langue d’une vague vient lécher mon intimité désormais offerte. Je ne peux retenir un cri de surprise et de plaisir. Comme si la mer était un prolongement diabolique de mon amant, elle sembleaspirer mon clitoris, le masser, le sucer. La sensation que cela me procure est étourdissante.

Mon amant me berce, intensifiant ou ralentissant cette cadence infernale, au gré de son plaisir, tandis que je me laisse aller à lui, entièrement. La main restée libre de William glisse lentement le long de mes jambes, palpant longuement les rondeurs de mes cuisses jusqu’à l’entrée de mon sexe avide qu’il effleure furtivement avant de plonger en moi, d’un coup, tout en aspirant violemment la pointe d’un de mes seins.

Ces sensations mêlées me font perdre la tête et je bascule dans le plaisir pur.

– Oh ! mon amour ! Tu me rends folle ! gémis-je dans un souffle.

– Ma beauté… murmure William.

Puis sa langue quitte mon sein pour s’attarder autour de mon nombril, autour duquel il fait naître un million de frissons pendant que ses doigts me pénètrent avec une intensité croissante, l’eau décuplant chacune de mes sensations.

Chaque fois qu’il entre en moi, son pouce imprime un doux massage au point le plus sensible de mon intimité, mais dès que je tente de le retenir d’un mouvement de bassin, dès que je m’impatiente et que je le réclame, il s’échappe, me coupant le souffle de frustration et de désir.

William me malmène avec délectation, savourant sa toute puissance, le contrôle absolu qu’il exerce sur moi. Entre ses bras, je suis tout à lui, soumise à ce qu’il accepte de me donner ou de me prendre.

Parfois, il se glisse voluptueusement entre mes fesses, les séparant délicatement à la recherche de ce point sensible et nerveux, encore presque totalement inexploré et qui vibre d’excitation et de peur, chaque fois que mon amant s’en approche, sans jamais s’en emparer.

– Je veux t’emmener là où tu n’es encore jamais allée, souffle-t-il, haletant. Mais il faut que tu le veuilles, toi aussi, Solveig.

– Tout ce que tu voudras… avoué-je, le feu aux joues en tentant de cacher mon trouble.

– Tout ? Vraiment tout ? questionne-t-il, tout en appuyant doucement contre ma petite rose brune, serrée et frémissante.

– Je suis à toi, William. Tout entière, dis-je d’une voix à peine audible.

Tout mon corps est en ébullition à présent et je n’existe plus que par les caresses enivrantes de l’homme que j’aime.

Tendrement, un doigt fin et savant masse l’antre secret, entre mes fesses. Je me détends doucement, me laissant entièrement aller à ce plaisir inavouable jusqu’à ce qu’il entre en moi, délicatement, mais profondément.

Le souffle court et les lèvres entrouvertes, je m’abandonne pendant que son pouce force à son tour le fourreau trempé de mon sexe ouvert avant de se lancer dans un mouvement de va-et-vient qui me fait perdre la tête.

C’est si bon…

Mais mon amant n’en a pas fini avec moi. De sa main restée libre, il élève mon bassinpresque hors de l’eau, puis se penche vers ma toison rousse.

Ses lèvres se posent sur moi, douces, fermes et autoritaires. De sa langue, il ouvre les pétales de mon intimité ruisselante. Sa bouche baise mon sexe avec avidité, dardant une langue vorace sur mon bouton qui se gorge d’un plaisir brut, animal.

– Oui ! haleté-je, je suis à toi mon amour, prends-moi !

La volupté s’empare de chaque atome de mon corps à une vitesse fulgurante, prenant totalement possession de moi, me submerge et m’emporte vers les sommets les plus lointains de mon plaisir jusqu’à ce que celui-ci me noie dans un orgasme d’une puissance telle que je me sens soulevée de terre.

– Ma princesse, je t’aime, je t’aime comme un fou, exulte William, heureux de me prodiguer ces cascades de plaisir dans lesquelles je me perds.

Et le temps se suspend dans les contractions vertigineuses de mon corps. Jusqu’à ce qu’enfin l’orage qui déferle sur moi ne s’apaise, me laissant à bout de forces dans les bras de William qui me berce amoureusement.

Ses lèvres se posent sur mes paupières. Il sourit puis me soulève hors de l’eau.

Je frissonne au contact de l’air chaud qui souffle sur ma peau. Dans ses bras, je ne pèse pas plus qu’une plume.

Sans cesser d’embrasser mon visage, mon amant gagne la plage. Les saveurs salées de l’eau se mêlent au parfum de l’amour sur nos peaux enfiévrées. À chaque pas, le sexe de William caresse mes fesses, la naissance de mes reins et mon désir de lui se ranime, insatiable. De nouveau, je me liquéfie.

À mon tour, je veux lui donner du plaisir, le rendre fou. Je veux me repaître de sa virilité, de la saveur de sa bouche, du spectacle de son corps.

– Laisse-moi te faire l’amour, mon merveilleux Apollon, murmuré-je, soudain entreprenante.

Mais William ne dit rien, se contente de resserrer ses bras autour de moi et me conduit jusqu’à un lit de feuilles désordonnées, sur lequel il m’allonge, me laissant denouveau offerte à lui.

Moi aussi, je désire te surprendre et te combler… exige ma petite voix.

– Je t’en supplie, mon amour. Laisse-moi te chevaucher… dis-je d’une voix sensuelle,sans toutefois oser le regarder dans les yeux.

– Vos désirs sont des ordres… finit-il par avouer doucement, s’allongeant près de moisur le dos.

Il me faut quelques secondes pour comprendre ce qui se passe… Pour la première fois, William accepte de s’offrir à moi.

Mon amour…

Ainsi, c’est presque timidement que je me redresse sur un coude pour le contempler. Allongé près de moi, nu dans le soleil déclinant, le corps de William est une invitation à l’amour.

Je penche mon visage vers lui pour embrasser ses lèvres pleines, divinement ourlées. De la pointe de la langue, je franchis le barrage des dents pour me délecter des saveurs de sa bouche, pendant que mes doigts entreprennent d’explorer son anatomie parfaite.

Sa peau ruisselante frissonne sous mes caresses et, contre mes lèvres, je sens son souffle s’accélérer lorsque je me rapproche de sa verge dressée, fière, impatiente.

Mais à mon tour, je veux jouer…

Mes lèvres quittent alors les siennes et se lancent à l’assaut de son torse, courant avecavidité le long de la cicatrice nacrée qui lui barre la poitrine, s’amusant à agacer furtivement la pointe d’un téton, mordillant un muscle, léchant sa peau douce et tonique jusqu’à l’ivresse. Ma main, doucement, écarte sa cuisse pour se frayer un passage vers les bourses douces et rondes de mon amant, que je malaxe du bout des doigts, au rythme des mouvements impatients de son bassin.

Mes lèvres jouent sur son torse, descendent jusqu’au ventre frémissant jusqu’à ce queme joue se pose contre le membre dressé, brûlant.

– Oh ! mon Dieu… gémit William, haletant.

De nouveau, les battements de mon cœur s’accélèrent et je suis saisie d’un désir impérieux de lui.

De mes cheveux, je caresse son sexe, qui semble grandir encore, sans cesser de masser ses testicules, tout en me redressant vers lui. Puis, sans autre préliminaire, je m’installe sur lui et m’empale lentement sur sa verge en me mordant les lèvres de plaisir.

– Solveig ! gémit-il en se cambrant sous moi, m’empoignant les fesses avec force.

Dans cette position, je me sens toute puissante, ainsi rivée au corps de mon amant.

Alors, imperceptiblement, je commence à bouger, très lentement, une main appuyée sur son torse, tête renversée en arrière, poitrine dressée. Mon bassin danse autour de ce membre, ondule et je me laisse doucement emporter par la fièvre qui nous gagne tous les deux.

William empoigne l’un de mes seins dressés au-dessus de lui, qu’il pince brusquement, faisant naître en moi une décharge de plaisir qui m’embrase. Les mouvements de mon bassin redoublent d’intensité, me font creuser le dos, exposant plus encore mon ventre et mes seins au regard de mon amant.

– Continue, Solveig ! Oui, tu me rends fou ! commande-t-il en serrant ses deux mains autour de ma taille pour m’indiquer ce qu’il attend de moi.

Alors nos corps s’entraînent l’un l’autre dans cette course folle vers le plaisir, à l’unisson. Je ne sais plus lequel de nous deux chevauche l’autre, nous ne sommes plus qu’un être unique abîmé dans un plaisir qui nous dépasse. Un plaisir fou qui nous consume et nous domine.

– Oh ! mon amour, je suis à toi, crié-je, ivre de bonheur.

– Oui mon ange, viens ! Viens ! Je t’aime, hurle-t-il en retour pendant qu’une déflagration merveilleuse nous assaille et nous propulse dans des cascades de jouissance qui semblent inépuisables.

Puis le calme s’abat sur nos corps épuisés, nous enveloppant de sa tendresse. Je me laisse couler dans les bras de l’homme que j’aime dont le visage exprime une joie pure et simple. Les yeux clos, il me serre contre lui, paisible et silencieux, jusqu’à ce que la nuit étende sur nous son manteau étoilé.

– Tu es le plus grand bonheur de ma vie, Solveig, murmure William, comme s’il s’adressait à lui-même.

– Et toi le mien, dis-je un léger sourire aux lèvres en me serrant contre lui pendant que je glisse doucement dans un sommeil heureux.

5. Zone dangereuseD’après la hauteur du soleil dans le ciel, il n’est pas plus de sept heures du matin lorsque je me réveille.

Nue, à demi couverte par une couverture douce, je laisse avec délice ma peau se chauffer aux premiers rayons du jour. La journée s’annonce splendide et, à travers mes yeux à demi clos, je contemple la fine bande de sable blanc que lèche l’étendue immense et turquoise de la mer.

Je ne cherche même pas à comprendre où nous sommes, ni pourquoi je suis là. Seul cet instant béni a de l’importance.

Quel bonheur. Cet endroit ressemble au paradis.

Au paradis…

En un instant, toutes les images de la veille me reviennent en mémoire. William et moi, faisant l’amour passionnément dans l’eau, puis sur cette plage. Je me trémousse de plaisir à ce souvenir merveilleux. Puis je me rappelle où nous sommes…

L’île en forme de cœur… Notre île…

Rien que d’y penser, les battements de mon cœur s’accélèrent. Je n’arrive pas à réaliser.

Je souris en regardant la couverture : je n’ai aucun souvenir de William l’ayant apportée. Nous avons fait l’amour sur un tapis de feuilles. Mon amant m'en a sans doute couverte alors que je dormais. Quel homme attentionné…

Mais justement, où est William ? m’alarmé-je tout à coup, constatant qu’il n’est pas ici.

D’un bond, je saute sur mes pieds, le cherchant des yeux sans parvenir à le trouver. Mais au même moment, un grand « splash » me fait tourner la tête en direction du petit hydravion avec lequel nous sommes arrivés ici hier.

Mon amoureux vient de se jeter à l’eau. Aussi nu que moi, le visage barré d’un sourire lumineux, il vient de sauter dans l’eau depuis l’hydravion et s’élance vers moi.

– Ma princesse, tu es réveillée ! me lance-t-il, comme si cette information méritait de faire les gros titres des journaux du monde entier.

Je ris en me précipitant dans ses bras pour l’embrasser et nous nous étreignons passionnément, saisis par le bonheur simple de se trouver ensemble, à l’abri du reste du monde.

Je voudrais tant que ce soit ça, la vie : rester ici pour l’éternité, nue, avec lui. Faire l’amour, dormir, jouer dans l’eau et encore faire l’amour…

Mon amant me prend par la main et m’entraîne sur la plage. Nous courons à perdre haleine, puis nous nous laissons tomber sur le sable en riant, roulant l’un sur l’autre comme deux enfants.

– Nous sommes chez nous, mon amour ! murmure William.

– C’est une folie, dis-je, incrédule, incapable de réaliser ce qui nous arrive.

– Ton sourire me prouve que c’est tout sauf une folie, ajoute-t-il en m’embrassant.

Puis tout à coup, comme si l’enchantement venait de se briser, nos visages se font plus sérieux et je sais que nous revenons tous deux à la réalité. Que nous ne pouvons ni l’un ni l’autre ignorer plus longtemps. Le cyclone, le malheur, la souffrance, le silence de Lana, la peine immense de Sabine.

Ensemble, nous soupirons, conscients que nous ne pouvons pas rester ici.

D’un regard, je cherche nos vêtements. Ceux-ci gisent dans le sable, non loin de l’eau. J’espère qu’ils ont séché durant la nuit, sinon, la journée risque de ne pas être agréable…

– Le devoir nous appelle, n’est-ce pas ? dit William en se levant, visiblement à regret, comme s’il espérait que je lui annonce qu’il se trompe, que rien ne presse et que nousavons la vie devant nous.

Je hausse les épaules en signe d’assentiment et me lève à mon tour.

Nous enfilons rapidement nos vêtements et nous dirigeons vers l’hydravion, déjà prêts à regagner le Grand Hôtel. Il ne nous faut que quelques minutes pour nous installer et décoller. Une fois en vol, William m’annonce que nous n’avons pas assez de carburant pour regagner Cat Island.

– Nous allons nous poser sur mon île, explique-t-il. Tu pourras ainsi te changer et prendre quelques affaires. De mon côté, je prendrai le bateau pour rejoindre mon équipe. Nous n’avons toujours pas de nouvelles de Lana, la situation devient vraiment préoccupante et je veux me joindre aux recherches. Et puis, ajoute-t-il après un silence, j’ai un rendez-vous important.

Le ton de mon amant est à nouveau celui d’un professionnel. Je me demande de quel rendez-vous important il s’agit. Mais quoi qu’il en soit, il n’est pas question que je me tienne à l’écart de ce qui se passe en ce moment.

– Je ne veux pas rester sur l’île à me prélasser pendant que tu sauves le monde, me rebiffé-je dans un sourire timide, impressionnée par ma propre audace. Je viens avec toi.

William, un instant, semble sur le point de protester, mais il se ravise.

– Je comprends que tu veuilles aider, mon ange. Mais tu seras plus utile à Cat Island, au Grand Hôtel, qu’en bateau avec moi.

Il a raison, évidemment. Mais il n’est pas question que je le retarde dans ses recherches et sans attendre qu’il me propose de m’y déposer, je me lance :

– Je peux utiliser le petit bateau blanc… suggéré-je, consciente que je m’avance probablement en terrain miné.

Après me l’avoir offert, il me l’avait confisqué, craignant qu’il n’ait été piégé par Maria Lima.

Maria Lima… ou quelqu’un d’autre ! corrige avec angoisse ma petite voix intérieure.

Mais à ma grande surprise, William acquiesce d’un bref mouvement de tête.

– Très bien, dis-je en essayant de ne pas prendre un air surpris. Je vais pouvoir rejoindre les autres rapidement. C’est parfait.

Et déjà, je reconnais l’île sur laquelle se dresse la somptueuse maison de mon amant, blanche et brillante au milieu d’une oasis de verdure. Quelques minutes plus tard, nous avons atterri non loin de la plage et nous nous dirigeons tous deux vers la maison.

Le spectacle qui se déroule sous nos yeux m’arrache un frisson. Certes, la maison elle-même n’a pas beaucoup souffert du cyclone. Seuls le toit à demi effondré et les arbres arrachés nous rappellent cruellement ce qui est arrivé.

Immédiatement, je pense à Sabine. Aux ruines de Hannah Beach. À son départ imminent pour la France.

Quelle manière cruelle de tourner une page de sa vie, songé-je avec amertume.

Soudain, il me vient une idée…

Je voudrais organiser quelque chose pour l’aider à passer ce cap difficile. Et si…

– Mon amour, commencé-je, je voudrais organiser une… je ne sais pas, une sorte de cérémonie pour dire au revoir à Hannah Beach… À la maison telle qu’elle était il y a encore quelques jours.

– Que veux-tu dire ? demande William, pour m’encourager à développer mon idée.

– Eh bien, nous pourrions nous retrouver tous à Hannah Beach et nous… recueillir, nous remémorer les bons moments, parler de Ian, le mari de Sabine… Je suis sûre que ça l’aidera.

– Tu es merveilleuse, dit William en me regardant tendrement. Oui, c’est une très belle idée. Nous pourrions organiser cela à la tombée du jour, ce soir.

– Oui ! m’exclamé-je. Je vais inviter nos amis, pour les prévenir, et nous allons faire une surprise à Sabine. Nous avons tous besoin d’un moment comme celui-là. Je dois réfléchir à ce que nous allons faire…

Mais alors que nous approchons de l’entrée de la maison, pendant que je songe à la manière d’organiser cette cérémonie et que j’évoque mentalement toutes les belles choses que nous y avons vécues avec ma tante, William prend ma main pour attirer mon attention.

Immédiatement, je me tourne vers lui. Visiblement, il hésite à me dire quelque chose. Je l’interroge donc du regard, sans dire un mot pour ne pas le brusquer. Enfin, il commence :

– Ma chérie, je voudrais te dire quelque chose, dit-il, le front tout à coup barré d’un pli soucieux.

– Que se passe-t-il, mon amour ?

– Ce rendez-vous dont je t’ai parlé tout à l’heure… Je ne veux pas te donner de faux espoirs, mais… tu dois savoir.

– De faux espoirs ? dis-je, sans comprendre où il veut en venir.

– Tout à l’heure, deux agents du gouvernement chargés des allocations de fonds en cas de sinistre seront ici pour évaluer la situation, à Cat Island. Je dois à tout prix les rencontrer pour leur soumettre mon idée, à propos de Hannah Beach. Quoi qu’il arrive, ce soir, nous serons fixés sur le sort de la maison.

Ma gorge se serre. Nous voilà bel et bien au pied du mur. Et si William échouait ? paniqué-je intérieurement.

Mais je ne veux pas y penser pour le moment : si une personne est capable d’un tel miracle, même si j’ignore ce qu’il a en tête, c’est lui.

– Je sais que tu réussiras, dis-je, pleine d’espoir.

– Nous verrons, tempère-t-il. Ne dis rien à Sabine tant que je ne t’ai pas donné de nouvelles. Je ne veux pas qu’elle essuie une nouvelle déception, insiste-t-il.

– Bien entendu, fais-je en l’embrassant.

– Je dois partir sans attendre, mon amour, conclut-il. Chaque seconde compte pour Lana.

Et après m’avoir embrassée, William se dirige à l’arrière de l’île, là où sont maintenant amarrés les bateaux.

Quelques minutes plus tard, le moteur vrombit et, même si je ne le vois pas, je sais que mon amant a déjà quitté l’île.

Pour la première fois, me voici seule ici, dans cette grande maison intimidante et somptueuse.

La situation ne me laisse pas le loisir de prendre tout mon temps pour l’explorer librement et je m’élance sans perdre un instant en direction de la chambre de William.

Tout en me dirigeant dans le long couloir, je pianote des messages à l’intention de mes amis, leur exposant rapidement mon plan et leur proposant de me rejoindre à Hannah Beach à la nuit tombée.

À Sabine, je ne dis rien. Je désire lui faire une surprise et lui annonce simplement queje serai au Grand Hôtel vers neuf heures, c’est-à-dire d’ici une heure environ, ce qui me laisse assez de temps pour prendre une douche rapide, me changer et regagner l’île principale.

Lorsque je pénètre dans l’immense suite de William, je reste une fois de plus saisie par la beauté inouïe de ce lieu. Mais le silence y ajoute une autre dimension, presque effrayante, celle-ci.

La simple idée de prendre une douche dans cette baignoire-piscine d’un luxe étourdissant me met plus que mal à l’aise quand je pense à la nuit inconfortable que viennent de passer tant de gens sur l’île. Je me demande même si je suis capable de lafaire fonctionner…

Enfin, Sol ! Après tout ce que tu as vécu ces derniers jours, tu ne vas quand même paste laisser impressionner par une grande baignoire !

Cette idée me fait rire. Cette piscine magnifique… « une grande baignoire ».

Hélas, ce bref éclat de rire, ici, résonne durement, presque méchamment et me renvoie immédiatement à l’urgence : je dois partir d’ici au plus vite et rejoindre les autres.

C’est donc en me promettant de ne pas m’attarder ici que j’ôte rapidement mes vêtements pour me plonger dans l’eau douce et tiède. Je ferme les yeux pour me concentrer sur la sensation agréable de l’eau sur ma peau, mais non, décidément, je ne me sens pas très bien.

Je me savonne donc à la hâte et ressors immédiatement pour me ruer vers la partie du dressing où se trouvent les dizaines de vêtements assemblés ici à mon attention par mon amant.

Je réprime un sourire attendri devant ce débordement de luxe. Si j’avais la tête à ça, je crois que je pourrais passer des heures ici, à essayer toutes les merveilles qui s'y trouvent, magnifiquement rangées dans une multitude d’étagères, placards et boîtes de toutes les tailles. Mais, de nouveau, un sentiment d’urgence me prend à la gorge etje choisis en hâte ce qui me semble le plus adapté à la journée qui m’attend : un short de toile de coton souple d’un vert bouteille un peu passé, un chemisier blanc joliment échancré pour laisser deviner (si je me penche vers mon amant) un ensemble de lingerie sage de couleur crème, orné de dentelle. Une paire de sandales de cuir naturelet une jolie ceinture dorée viennent compléter l’ensemble.

Je suis impatiente de quitter le silence oppressant de cet endroit.

En refermant le dressing, un léger craquement me fait sursauter.

Tu vas arrêter de jouer les mauviettes, oui !

Rien. Je suis absolument seule ici. J’ignore pourquoi mon imagination se met à me jouer des tours. Je me dirige aussi calmement que possible, un peu honteuse de mon attitude, vers le petit sac qui contient mes affaires et me saisis de mon téléphone pour voir si mes amis ont reçu mes divers SMS, espérant que le réseau fonctionne de nouveau.

Je souffle de satisfaction en voyant les noms défiler sur mon écran. D’après ce que je peux voir, tout le monde a bien reçu la nouvelle.

Mais un autre craquement se fait entendre, tout près de moi, cette fois.

Et je n’ai que le temps de me retourner pour découvrir le visage qui se tient à quelques centimètres seulement du mien, transfiguré par la haine, brillant d’une lueurfanatique et mauvaise.

Une douleur fulgurante à la nuque me fait vaciller. À mes pieds, je peux entendre le bruit de mon téléphone qui vient de se fracasser au sol. J’essaie de dire quelque chose, mais je n’y arrive pas. Chacun de mes gestes me coûte un effort surhumain.

« Ce que j’ai souffert, il va l’endurer mille fois », explose la voix, méconnaissable et

victorieuse avant de m’asséner un grand coup dans le ventre.

Je voudrais riposter mais tout, autour de moi, se met à tourner, tourner, tourner jusqu’à ce que je m’écroule au sol, observant, impuissante, ma conscience se brouiller.

Puis s’éteindre.

À suivre,ne manquez pas le prochain épisode.