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http://www.lenouveleconomiste.fr/b-a-ba-13849/#comments B-A BA Expression écrite et orale, les nouveaux illettrés Maîtrise de moins en moins bien les fondamentaux, attention au risque de régression durable. Tel pourrait être le bulletin scolaire de toute une génération, au regard de sa capacité à s’exprimer de manière écrite ou orale. Le phénomène est aujourd’hui mesurable et il fait apparaître de réelles carences aussi bien à l’entré e du système scolaire qu’à sa sortie. Certaines techniques d’enseignement et priorités dans les programmes sont certes à revoir, notamment dans l’apprentissage de la prise de parole. Le monde professionnel n’est cependant pas exempt de responsabilités en la matière. Fonctions et secteurs d’activité privilégient les forts en maths plutôt que les forts en thème. Résultat, les sciences dites “dures” mobilisent bien plus l’attention des élèves et des étudiants que les “humanités”. Pourtant, tous seraient bien inspirés de reconsidérer la moindre valeur accordée à la langue écrite et parlée. Il en va de leur insertion mais aussi de leur ascension professionnelle, quand il ne s’agit pas d’éviter purement et simplement l’exclusion. Sans oublier bien entendu l’enjeu démocratique : la faiblesse du langage conduit souvent à recourir à la violence et les difficultés de compréhension font la part belle aux discours extrémistes. Durant deux heures chaque semaine, 150 étudiants inscrits en première année de la prestigieuse université Pierre-et- Marie- Curie vont à ce cours un peu particulier en traînant les pieds. Tous ont en commun de ne pas avoir obtenu la moyenne au bac de français, ce qui leur impose de devoir suivre cet enseignement obligatoire en orthographe et en syntaxe. Impensable il y a quelques années dans cette fac d’élite en matière scientifique, mais indispensable aujourd’hui, compte tenu du faible niveau d’un nombre croissant d’étudiants.

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B-A BAExpression écrite et orale, les nouveaux illettrés

Maîtrise de moins en moins bien les fondamentaux, attention au risque de régression durable. Tel pourrait être le bulletin scolaire de toute une génération, au regard de sa capacité à s’exprimer de manière écrite ou orale. Le phénomène est aujourd’hui mesurable et il fait apparaître de réelles carences aussi bien à l’entré e du système scolaire qu’à sa sortie. Certaines techniques d’enseignement et priorités dans les programmes sont certes à revoir, notamment dans l’apprentissage de la prise de parole. Le monde professionnel n’est cependant pas exempt de responsabilités en la matière. Fonctions et secteurs d’activité privilégient les forts en maths plutôt que les forts en thème. Résultat, les sciences dites “dures” mobilisent bien plus l’attention des élèves et des étudiants que les “humanités”.

Pourtant, tous seraient bien inspirés de reconsidérer la moindre valeur accordée à la langue écrite et parlée. Il en va de leur insertion mais aussi de leur ascension professionnelle, quand il ne s’agit pas d’éviter purement et simplement l’exclusion. Sans oublier bien entendu l’enjeu démocratique : la faiblesse du langage conduit souvent à recourir à la violence et les difficultés de compréhension font la part belle aux discours extrémistes.

Durant deux heures chaque semaine, 150 étudiants inscrits en première année de la prestigieuse université Pierre-et- Marie-Curie vont à ce cours un peu particulier en traînant les pieds. Tous ont en commun de ne pas avoir obtenu la moyenne au bac de français, ce qui leur impose de devoir suivre cet enseignement obligatoire en orthographe et en syntaxe. Impensable il y a quelques années dans cette fac d’élite en matière scientifique, mais indispensable aujourd’hui, compte tenu du faible niveau d’un nombre croissant d’étudiants.

“Il y a un désintérêt de l’écrit dès lors que les étudiants arrivent à l’université. Nous essayons de leur faire comprendre que les outils de construction sont essentiels pour objectiver leurs connaissances”, détaille Claire Blain, le professeur responsable du pôle français à l’université Pierre-et-Marie-Curie. Cette remise à niveau serait-elle une exception universitaire française ? Pas vraiment, une vingtaine d’établissements de l’enseignement supérieur ont instauré ce type d’enseignement pour pallier les carences de leurs étudiants.

L’expression écrite et orale, un mal français ? Une pathologie évolutive en tout état de cause. Et l’aggravation constatée ces dernières années fait de cette question l’une des préoccupations numéro un au ministère de l’Education nationale. Une maîtrise imparfaite de la langue écrite ou parlée conditionne en effet le devenir de toute une génération, que ce soit dans sa vie citoyenne ou professionnelle. L’épanouissement ou la marginalisation repose aussi sur ces fondamentaux. La tentation de se laisser séduire par un discours extrémiste n’y est pas étrangère.

La baisse incontestable de niveau Le niveau baisse ! Le constat revient régulièrement : chez le recruteur à la lecture d’une lettre de motivation, chez le téléspectateur en lisant les bandes défilantes au bas des programmes

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des chaînes d’information ou chez le justiciable au moment de signer un procès-verbal rédigé par un jeune policier. A chaque fois, des fautes d’orthographe apparaissent là où elles n’étaient pas envisageables une décennie plus tôt. Analyse purement empirique qui ne se vérifie pas sur le plus grand nombre, objecteront les plus optimistes.

“Il y a un fantasme du niveau qui baisse. Les inscriptions sur les murs de Pompéi comportaient déjà des fautes d’orthographe”, rappelle un inspecteur d’académie contraint de s’exprimer sous le couvert de l’anonymat, compte tenu de la réserve imposée aux hauts fonctionnaires en période préélectorale. Malheureusement, la réalité statistique a de quoi susciter de l’inquiétude. Entre 1987 et 2007, le ministère de l’Education nationale a mesuré les performances d’un panel de 2 500 à 4 500 élèves sur les connaissances de base : lire, écrire et compter en fin de CM2. Le résultat est édifiant. Pour ce qui est de la lecture, en 2007 “deux fois plus d’élèves se situent au niveau de compétence des 10 % d’élèves les plus faibles de 1987”.

Pour la compréhension d’un texte nécessitant la rédaction écrite d’une réponse, “le taux de non-réponse augmente de manière constante de 1987 à 2007. Il renvoie au fait que les élèves français ont tendance à s’abstenir de répondre aux questions exigeant un effort de rédaction”, conclut l’étude. Quant à la dictée de 85 mots, le nombre de fautes est passé de 10, 7 en 1987 à 14,7 en 2007. Le pourcentage d’élèves qui faisaient plus de 15 erreurs était de 26 % en 1987, il atteint 46 % 20 ans plus tard. Il ressort de cette enquête que la catégorie sociale d’appartenance joue un rôle dans la faiblesse du niveau, notamment pour la lecture qui va déterminer ensuite la maîtrise de l’expression tant écrite qu’orale. Le ministère reconnaît néanmoins que la baisse importante des résultats a touché toutes les catégories sociales, “ ce qui laisse supposer un effet principalement lié à l’apprentissage scolaire”, conclut-il sans prendre la peine de s’épargner.

L’accumulation des carences tout au long du cursus Or les carences accumulées en début de parcours se retrouvent tout au long du cursus. Dans les murs de la prestigieuse Sorbonne, le professeur Alain Bentolila a refroidi plus d’un étudiant de son master de linguistique générale. 10 sur 75 ont eu la fâcheuse surprise de récolter un 2 sur 20 “Lorsque je les reçois en tête à tête pour leur expliquer la raison de cette note, il réagissent en me disant : “Mais on ne m’avait pas fait ces remarques avant !”

Ils ont suivi un cursus qui les a amenés du collège au lycée puis à la licence et c’est à moi, en quatrième année, de pointer leurs faiblesses. Le système a levé les barrières et a installé un cursus complaisant et cruel car le constat des insuffisances se fait très tard.” Et que dire de ceux qui sortent très tôt du système scolaire ? Une équipe de chercheurs, dirigée par Alain Bentolila, épluche les résultats des tests dispensés lors de la journée d’appel et de préparation à la défense (JAPD). Le taux de celles et ceux qui sont considérés comme illettrés ne varie pas à la baisse. Il demeure, depuis des années, bloqué à 10,5%. Au final, le diagnostic est assez préoccupant, puisqu’aux difficultés de lecture et de compréhension de certains s’ajoutent l’incapacité à restituer ou à synthétiser de manière claire et compréhensible pour d’autres.

La défaillance des techniques d’enseignement La faute à qui ? Difficile d’exonérer le système scolaire, notamment dans sa partie obligatoire pour toute une génération. Ce sont d’abord des techniques d’enseignement qui ont causé pas mal de dégâts. Plus précisément, la méthode d’apprentissage de la lecture dite “globale”. Elle a privilégié, durant 20 ans, la reconnaissance des mots plutôt que la méthode dite “syllabique” qui met l’accent sur le déchiffrage. “L’institution a mis du temps à se rendre compte des effets

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de ce choix. Il y a eu une opposition entre les tenants du “code”, c’est-à-dire de l’accent mis sur le fait de déchiffrer, et les défenseurs du sens, c’est-à- dire de la méthode globale”, soupire un haut fonctionnaire du ministère de l’Education nationale.

Le linguiste Alain Bentolila va même jusqu’à rechercher les causes du mal encore plus tôt. Dans le rôle des parents, au moment de l’acquisition du langage. “On ne prend plus assez soin de la langue des enfants, qui est laissée livrée à elle-même. Un enfant ne peut se former au langage qu’à la condition que ses parents soient dans un mélange d’exigence et de bienveillance et n’hésitent pas à le reprendre lorsqu’il commet des erreurs.” L’étape suivante se joue à l’école maternelle où la scolarisation dès deux ans a eu tendance à transformer ces lieux en une super garderie. “Il y faut des maîtres formés spécifiquement et les notions de bilan et de progression doivent y être acceptées. Ce qui permettra ensuite de demander des moyens supplémentaires”, poursuit Alain Bentolila.

L’école primaire comporte également sa part de responsabilité. “Les élèves sont trop passifs, ils ne prennent pas assez la parole et n’écrivent pas suffisamment. Entre différents maîtres, la demande de production écrite peut varier de 1 à 7. Or les élèves verbalisent ce qu’ils ont vu et écrit”, note cet inspecteur d’académie qui relate, enthousiaste, une expérience menée dans un collège de sa circonscription. “Les enfants réalisaient un journal-école. Face au tableau interactif, un clavier sans fil circulait de manière à ce que chacun puisse écrire le titre et le sous-titre pour chaque article. Dans ce type d’exercice, l’implication de chacun était totale.”

Quant au lycée, c’est sans doute l’impréparation à l’enseignement supérieur qui lui est le plus reproché. Ce qui explique les nécessaires remises à niveau, initiées par les présidents d’université. Cette moins bonne maîtrise de l’écrit mais aussi de l’oral explique en partie les piètres résultats de l’enseignement supérieur en premier cycle. Certes, le défaut d’orientation joue un rôle, mais il est impossible d’exonérer le niveau des étudiants.

L’expression orale tout aussi préoccupanteA tous les stades du parcours scolaire, si l’écrit est insuffisamment maîtrisé, il fait néanmoins l’objet d’attention. L’expression orale est tout aussi préoccupante, mais elle est en outre délaissée. “C’est un problème universel, mais qui se pose plus particulièrement en France. Il faut à la fois une démarche de participation et une qualité de l’expression orale. Nous insistons sur celà dès l’école maternelle qui est, par excellence, l’école du langage, indique Jean-Michel Blanquer, directeur général de l’enseignement au ministère de l’Education nationale. N’oublions pas que dire c’est discourir, mais l’histoire de l’école en France est construite sur la valorisation de l’écrit et des auteurs. D’ailleurs il n’y a pas, dans notre pays, de mesure spécifique sur ce point. Le seul lieu où la prise de parole est valorisée est sans doute les grandes écoles. Ailleurs, il n’existe pas de matière spécifique dédiée, alors que dans le monde professionnel, le niveau d’exigence de l’expression orale a augmenté”, regrette Nicole Geneix, ex-secrétaire générale du syndicat d’enseignants SNUI et aujourd’hui directrice de l’éducation à Istres (Bouches-du-Rhône). Une étude menée par le CNRS sur 1 000 enfants donne une idée de l’hétérogénéité du niveau à l’entrée en sixième. “Les mieux lotis maîtrisent 2 500 mots, tandis que 11 % ont un champ lexical qui ne dépasse pas 350 mots, soit un écart de 1 à 7”, souligne Alain Bentolila.

Le monde professionnel préfère les forts en maths La baisse de niveau régulière dans la maîtrise de l’expression écrite et orale ne peut cependant se résumer à un procès exclusif de l’école. D’autant que l’institution a réagi à partir de 2008. “Les programmes ont été recentrés dans le primaire autour des fondamentaux : lire, écrire,

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calculer avec un cadre de progression défini. Par ailleurs une aide personnalisée de 2 heures par semaine a été instaurée pour les élèves les plus en difficulté”, détaille Jean-Michel Blanquer, le directeur général chargé de l’enseignement. Enfin, pour mesurer l’impact de cette réforme, une évaluation systématique, et non plus sur un panel, est menée chaque année sur 800 000 enfants en fin de CE1 et de CM1. Les premiers résultats, qui portent sur l’évolution 2008 / 2011, semblent encourageants. A l’intérieur de chaque classe d’âge découpée en quatre groupes de niveau, celui des “plus faibles” passe 8,5 à 7,5 % du total, tandis que le groupe des “plus forts” passe de 44 à 51 %.

La sphère professionnelle a elle aussi une sérieuse part de responsabilité dans la dévalorisation de l’écrit et de l’oral. Elle a épousé, voire accentué, la tendance générale qui veut que les sciences dures soient mieux considérées que les humanités. Les classes préparatoires scientifiques et commerciales attirent beaucoup plus de candidats aux grandes écoles que les “prépas littéraires”. Résultat, dans le top management des entreprises, les forts en maths sont bien plus nombreux que les forts en thème, a tel point que les normaliens comme Denis Olivennes (groupe Lagardère) font souvent figure d’exception face aux polytechniciens et aux HEC. Même constat pour les métiers et les fonctions. Les directeurs administratifs et financiers ont une influence et une rémunération souvent supérieures aux hommes de ressources humaines. Les seuls littéraires à tirer leur épingle du jeu semblent être les avocats, qui surfent sur la judiciarisation de la vie tant personnelle que professionnelle. Mais là encore, les spécialistes du droit fiscal et du droit commercial, souvent bardés d’un double cursus, sont bien plus prisés que les civilistes et les pénalistes.

Dans l’univers de la création, scénaristes et paroliers restent cantonnés à la confidentialité quand réalisateurs et interprètes mobilisent le devant de la scène. Derrière le succès du film Le Prophète mis en scène par Jaques Audiard ou encore la saison 2 de la série Braquo, peu connaissent la “plume” Abdel Raouf Dafri, le scénariste français sans doute le plus doué pour les films policiers. Même anonymat pour Eddy Marnay qui a composé les titres à l’origine du succès planétaire de Céline Dion ou encore Gérard Presgurvic qui a travaillé pour Patrick Bruel et Florent Pagny.Le microcosme politique ne valorise pas plus les forts en thème. Dans les cabinets ministériels, la plume est souvent confinée aux seconds rôles. Exception faite d’Henri Guaino, scribe de l’actuel président de la République. Il est néanmoins intéressant de constater qu’après la dissolution du gouvernement Jospin, son conseiller en communication Manuel Valls est devenu maire d’Evry (Essonne) et joue un rôle majeur dans la campagne de François Hollande. Celui qui, à l’époque, écrivait les discours, Aquilino Morelle, a intégré l’Inspection générale des affaires sociales. Seuls les initiés auront remarqué qu’il est l’auteur du rapport sur les dégâts causés par le Mediator.

Un passeport indispensable pour l’insertion professionnelleS’il est encore nécessaire à démontrer, le lien entre la maîtrise de la langue et l’insertion professionnelle tient à un chiffre. Alors que l’illettrisme (à ne pas confondre avec l’analphabétisme, voir encadré) représente 10,5 % de la population majeure, il touche 30 % des allocataires du RSA. Or les stages de remise à niveau sont sans effet, car ils ne permettent pas de travailler en profondeur et en amont sur les difficultés de lecture ou d’écriture. A l’autre bout de la chaîne, la responsable du pôle français à l’université Pierre-et-Marie-Curie, Claire Blain, note que la “non-maîtrise des outils linguistiques se retrouve de manière globale dans le projet professionnel des étudiants. Ils sont souvent moins impliqués et seront tentés de se dire qu’ils peuvent toujours faire écrire leur lettre de motivation par une tierce personne”.

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Et c’est justement lors de cette étape que se situe l’un des enjeux capitaux pour l’avenir de ces futurs actifs. Dans le secteur public, le recrutement passe par un concours, tout comme l’avancement souvent conditionné par des examens internes. Au sein de l’entreprise, lettre de motivation et entretiens souvent multiples constituent aujourd’hui encore le principal mode de sélection. Or à diplôme équivalent, ce sont bien les performances écrites et orales qui font la différence. Quant aux créateurs d’entreprise ou aux indépendants, leur réussite passe par leur capacité à vendre oralement un projet qu’ils auront préalablement écrit.

Le syndrome des technosA une autre extrémité de l’échelle sociale, les “spécialistes” souffrent également de carences en matière d’expression écrite et orale. Médecins, experts de tous ordres, avocats, magistrats, économistes ont du mal à sortir de leur jargon professionnel pour expliquer une situation au plus grand nombre ou transmettre un information en tête à tête. Habitués à échanger d’abord avec leur pairs, ils perdent progressivement l’habitude de choisir les mots qui pourraient être compris par ceux qui n’appartiennent pas à leur microcosme. Résultat, le patient va nourrir du ressentiment à l’égard de son thérapeute à qui il reprochera de ne pas lui avoir délivré une information correcte.

Le justiciable se plaindra du non respect de ses droits, faute d’information claires sur le déroulement d’une procédure. Sans compter les problèmes de cohésion interne, dans une entreprise, entre l’encadrement et l’exécution “Un bac p+ 5 qui utilise un langage hyper-spécialisé ne doit tout de même pas perdre de vue qu’il doit se faire comprendre par un bac plus 2” prévient un inspecteur d’académie. En la matière, les bonnes pratiques s’acquièrent également dès la formation. “Nous avons un effort à réaliser pour élargir le champ de connaissances et éviter cette hyper-spécialisation qui risque de devenir obsolète” met en garde Marie-Danièle Campion, recteur de l’académie de Rouen.

La violence en l’absence de mots Est-ce véritablement une surprise, la population pénitentiaire compte deux fois plus d’illettrés que la moyenne nationale “et ils ont un taux de récidive deux fois supérieur au reste de la population carcérale”, précise le linguiste Alain Bentolila. Une mauvaise maîtrise de la langue, surtout parlée, est souvent le détonateur du passage à l’acte violent, précisément chez les jeunes. A bout d’arguments, ils optent alors pour l’affrontement physique. Eric Debarbieux, l’un des meilleurs spécialistes des violences scolaires en France, estime d’ailleurs que la lutte contre les violences à l’école et contre l’illettrisme vont de pair. Il en veut pour exemple les expériences menées en ce sens au Québec où des séances de lecture organisées avant les cours donnent des résultats positifs.

Les conséquences d’une mauvaise maîtrise de l’expression tant écrite qu’orale ne constituent pas uniquement un enjeu sécuritaire mais bel et bien un défi démocratique. “Une langue pauvre conduit à ne parler qu’à ceux qui sont comme vous et donc contribue à appauvrir encore la langue, tandis qu’une langue forte vous amène à échanger avec ceux qui sont différents”, analyse Alain Bentolila. Un message à entendre à l’heure où les discours fondamentalistes martelés avec une syntaxe réduite au strict minimum, touchent justement ceux qui maîtrisent le moins bien le verbe. Invité à s’exprimer lors d’un colloque organisé, le 1er février à Casablanca par un hebdomadaire marocain, le linguiste a lancé, un rien provocateur, à l’assistance composée d’une partie de l’intelligentsia marocaine : “A quoi bon se débarrasser des dictateurs, si l’éducation n’a pas fait des peuples résistant à l’obscurantisme et à l’intégrisme ?” Le propos ne devait bien évidemment rien au hasard, dans un pays où l’analphabétisme touche près de 40 % de la population.

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Illetrisme et analphabétismeDes maux différents

Il est important de ne pas confondre l’illettrisme qui concerne de personnes passées par le système scolaire mais qui n’ont pas acquis les connaissances leur permettant d’être autonome dans la vie courante (lire un programme de télévision, comprendre un bulletin météo, écrire une liste de courses). L’analphabétisme concerne celles et ceux qui n’ont pas été en contact avec le système éducatif.Selon la dernière enquête menée par l’INSEE, 9 % de la population âgée de 18 à 65 ans et résidant en France, soit 3,1 millions de personnes, est touchée par le phénomène de l’illettrisme. 59 % sont des hommes et plus de la moitié ont plus de 45 ans. Un sur deux réside dans des zones faiblement peuplées, mais, à l’encontre des idées reçues, 57 % des personnes en situation d’illettrisme ont un emploi contre 11 % en situation de chômage.

Compréhension de l’écritLa France en 22 ème position

Tous les trois ans, l’OCDE évalue au sein des 34 Etats membres et 41 pays partenaires les connaissances et les acquis des jeunes de 15 ans en lecture, mathématiques, et sciences. Dans la catégorie performances des élèves en compréhension de l’écrit, Hong Kong arrive en première position suivi de Singapour, du Canada, de la Nouvelle- Zélande et du Japon. La France se situe en 22e position derrière l’Estonie, l’Islande et l’Irlande. Pour ce qui est du pourcentage d’élèves dit “résilients”, c’est-à-dire capables d’atteindre l’excellence en dépit d’une appartenance à un milieu social défavorisé, la France arrive en 9e position derrière la Corée, la Finlande, la Nouvelle-Zélande, le Japon ou encore le Portugal, mais devant l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Danemark.

Par Franck Bouaziz

Pierre Dupont dit :

24/02/2012 à 14 h 05 min

Excellent article mettant en exergue les enjeux de la faiblesse de la langue. Ancien enseignant du primaire, la pirouette rhétorique, référence à l’antiquité ne convainc guère. Recentrer les situations de langage au coeur de l’enseignement certes mais on déplore aussi la faiblesse des échanges oraux dans la cellule familliale, tout comme l’on constate la faiblesse des supports lus par les enfants dans certains foyers (parfois seulement le programme télé) à l’heure du livre numérique.De la stupéfaction aussi lorsque je repense à certains jeunes collègues qui multipliaient les fautes de syntaxes à l’oral et d’orthographe (accord du participe passé) au tableau pourtant très bien notés lors des inspections.

Diane dit :

24/02/2012 à 19 h 34 min

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Cher Franck Bouaziz,je viens de lire ton article très complet et intéressant sur le B A-BA qui, pour moi, est la base de notre insertion en société, à tous les niveaux. Bravo!!!

Si tu veux, je peux alimenter le débat car je suis Ecrivain public bénévole au sein d’une association AIDEMA(dans le 19ème) où nous faisons face à ces problématiques! Xavier Péron, Ecrivain Public « en chef » pourrait, si cela t’intéresse bien sûr, te rencontrer pour une interview! Un doc, en deux parties a été fait sur l’Association et ses usagers! Cela te donnera un aperçu de ce qu’il s’y « construit » ! Voici les liensPrête moi ta plume Part 1 – Vidéo Dailymotionhttp://www.dailymotion.com/…/xgnipk_prete-moi-ta-plume-..Prête moi ta plume Part 2 – Vidéo Dailymotionhttp://www.dailymotion.com/…/xgmd4u_prete-moi-ta-plum...

et son mail pour le joindre éventuellementAidema Paris

Merci de ton attention à ma prose!

Colette Diane (ex-Nouvel Economiste!!!)