Azzeddine

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N° 396 Lundi 11 Juillet 2011 Webmaster Archives Saphia Azzeddine. “Allah ne doit pas être tabou” LE MAG CULTURE Propos recueillis par Wafaa Lrhezzioui Saphia Azzeddine. “Allah ne doit pas être tabou” Saphia Azzeddine est déjà un écrivain à succès à seulement 29 ans. Et ça continue... (DR) Après Confidences à Allah, succès de librairie bientôt porté au cinéma, la jeune romancière d’origine marocaine récidive avec Mon père est femme de ménage (Ed. Léo Scheer, sept. 2009). TelQuel est allé à sa rencontre, à Paris. Votre dernier roman, Mon père est femme de ménage, raconte la vie de Polo, un adolescent qui vit dans une cité et tente de “s’en sortir” par l’amour de la littérature. D’où vous est venue cette histoire ? Je réfléchissais à un garçon qui aidait son père à faire des ménages au lieu d’aller au foot comme tous les autres gosses. Et, dans son malheur, il existait tout de même un peu de bonheur. Grâce aux mots, il va se donner un autre chemin que celui prédéfini par la parenté. Tuer le père est un thème central de votre roman. Quelles sont vos relations avec le vôtre ? Très bonnes. Mon père, comme ma maman, est couturier. Et il n’aimait pas faire le ménage, comme tous les papas. Petite fille, vous l’aidiez ? On n’avait pas le choix. Ma sœur, mon frère et moi devions ranger sa chambre. Et encore, on n’avait pas vraiment de chambre. La manière de parler, la vie en banlieue, les stéréotypes de la cité, faut-il y voir un peu de Jamel Debbouze, votre ex-compagnon ? Non, j’ai des oreilles, une télévision… Et Jamel ne parle pas vraiment comme un mec de banlieue. Polo non plus, il dit des mots qu’on emploie même dans les 6ème, 16ème, 8ème arrondissements, car tous les bourgeois adorent utiliser ces expressions. Dans vos deux romans le style est très cru. Parler sans tabous, ça vous vient d’où ? De mon père je pense. C’est quelqu’un de très direct et il m’a transmis cette manière de parler sans détour. ça vient aussi de mon éducation et de ma personnalité. Je ne sais pas arrondir les angles, mais je préfère être comme ça que tout en sucre. Jbara, l’héroïne de Confidences à Allah (Ed. Léo Scheer, 2008) est une bergère-prostituée. Vous semblez avoir arrondi les angles pour votre dernier personnage, Polo. Oui, car la vie de Polo est plus juste que celle de Jbara. C’est un adolescent dégoûté d’être moche et pauvre, il est mal dans sa peau mais ce n’est pas plus grave que ça. Jbara, elle, connaît la misère noire et touche l’enfer sur terre. Donc, je ne peux pas arrondir les angles de ce personnage. Sa seule chance est d’être moins seule que Polo. Alors qu’il cherche une communauté à tout prix, elle a Dieu comme allié, qui l’aime et ne la juge pas. Polo, votre second héros, cherche à faire partie d’une communauté, musulmane, juive, etc. Personnellement, votre double culture franco-marocaine vous travaille ? Pas du tout, mais l’idée de communauté ne me plaît pas forcément. La communauté a des côtés rassurants, je respecte le Nous qui passe avant le Je, quelque chose de très présent dans les communautés arabo- musulmanes. J’aime beaucoup, par exemple, la manière dont on traite les personnes âgées au Maroc. Cela me donne de l’espoir. Mais la communauté est à double tranchant, le côté “tout le monde se mêle de tout” me gonfle. Je prends soin de ma famille, mes proches, c’est ma petite communauté à moi. Peut-on dire que Confidences à Allah est un livre qui parle d’islam ? Non. Je ne suis pas islamologue. D’autres font ça très bien et c’est tant mieux pour eux. Par contre, je parle de foi et, surtout, je raconte des histoires. C’est ce que je fais dans Confidences à Allah. Le Maroc est un détail géographique et l’islam un détail religieux. Dans les sociétés catholiques, le jugement vis-à-vis des prostituées ou des filles-mères est le même. TelQuel : Le Maroc tel qu'il est http://www.telquel-online.com/396/mage_culture_396.shtml 1 of 3 7/11/11 2:36 PM

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  • N 396Lundi 11 Juillet 2011

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    Saphia Azzeddine. Allah ne doit pas tre tabou

    LE MAG CULTURE

    Propos recueillis par Wafaa Lrhezzioui

    Saphia Azzeddine. Allah ne doit pas tre tabou

    Saphia Azzeddine est dj uncrivain succs seulement29 ans. Et a continue... (DR)

    Aprs Confidences Allah, succs de librairie bientt port aucinma, la jeune romancire dorigine marocaine rcidive avecMon pre est femme de mnage (Ed. Lo Scheer, sept. 2009).TelQuel est all sa rencontre, Paris.

    Votre dernier roman, Mon pre est femme de mnage, raconte lavie de Polo, un adolescent qui vit dans une cit et tente de sensortir par lamour de la littrature. Do vous est venue cettehistoire ?Je rflchissais un garon qui aidait son pre faire des mnages au lieu daller au foot comme tous lesautres gosses. Et, dans son malheur, il existait tout de mme un peu de bonheur. Grce aux mots, il va sedonner un autre chemin que celui prdfini par la parent.

    Tuer le pre est un thme central de votre roman. Quelles sont vos relations avec le vtre ?Trs bonnes. Mon pre, comme ma maman, est couturier. Et il naimait pas faire le mnage, comme tous lespapas.

    Petite fille, vous laidiez ?On navait pas le choix. Ma sur, mon frre et moi devions ranger sa chambre. Et encore, on navait pasvraiment de chambre.

    La manire de parler, la vie en banlieue, les strotypes de la cit, faut-il y voir un peu de JamelDebbouze, votre ex-compagnon ?Non, jai des oreilles, une tlvision Et Jamel ne parle pas vraiment comme un mec de banlieue. Polo nonplus, il dit des mots quon emploie mme dans les 6me, 16me, 8me arrondissements, car tous lesbourgeois adorent utiliser ces expressions.

    Dans vos deux romans le style est trs cru. Parler sans tabous, a vous vient do ?De mon pre je pense. Cest quelquun de trs direct et il ma transmis cette manire de parler sans dtour.a vient aussi de mon ducation et de ma personnalit. Je ne sais pas arrondir les angles, mais je prfretre comme a que tout en sucre.

    Jbara, lhrone de Confidences Allah (Ed. Lo Scheer, 2008) est une bergre-prostitue. Voussemblez avoir arrondi les angles pour votre dernier personnage, Polo.Oui, car la vie de Polo est plus juste que celle de Jbara. Cest un adolescent dgot dtre moche et pauvre,il est mal dans sa peau mais ce nest pas plus grave que a. Jbara, elle, connat la misre noire et touchelenfer sur terre. Donc, je ne peux pas arrondir les angles de ce personnage. Sa seule chance est dtre moinsseule que Polo. Alors quil cherche une communaut tout prix, elle a Dieu comme alli, qui laime et ne lajuge pas.

    Polo, votre second hros, cherche faire partie dune communaut, musulmane, juive, etc.Personnellement, votre double culture franco-marocaine vous travaille ?Pas du tout, mais lide de communaut ne me plat pas forcment. La communaut a des cts rassurants,je respecte le Nous qui passe avant le Je, quelque chose de trs prsent dans les communauts arabo-musulmanes. Jaime beaucoup, par exemple, la manire dont on traite les personnes ges au Maroc. Celame donne de lespoir. Mais la communaut est double tranchant, le ct tout le monde se mle de toutme gonfle. Je prends soin de ma famille, mes proches, cest ma petite communaut moi.

    Peut-on dire que Confidences Allah est un livre qui parle dislam ?Non. Je ne suis pas islamologue. Dautres font a trs bien et cest tant mieux pour eux. Par contre, je parlede foi et, surtout, je raconte des histoires. Cest ce que je fais dans Confidences Allah. Le Maroc est undtail gographique et lislam un dtail religieux. Dans les socits catholiques, le jugement vis--vis desprostitues ou des filles-mres est le mme.

    TelQuel : Le Maroc tel qu'il est http://www.telquel-online.com/396/mage_culture_396.shtml

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  • Titrer votre premier roman, Confidences Allah, ctait de la provoc ?Il sagit dune jeune fille qui, tout au long du livre, se confie Allah, cest donc le titre le plus vident qui soit.Il ny a aucune provocation dans mon livre : cest le parcours dune jeune fille qui a un discours trs cru carsa vie est crue. Il ny a aucun blasphme : elle respecte Dieu et a un amour immense pour lui. Allah est unjoli mot, quelquun qui nous protge et nous aide. Il ne faut pas en faire un tabou.

    Entre la religion, le sexe et les gros mots, ct tabou, vous avez ralis un trio gagnantCe ne sont pas des tabous mais la vie de tous les jours. Personnellement, les gros mots ne me choquent pas.Et le sexe fait tourner le monde. Je ne dis rien de plus que la ralit. A savoir quil est trs hypocrite dans nossocits de juger la prostitution, le plus vieux mtier du monde, au lieu de regarder aussi du ct de lademande masculine. Arrtons de mettre les putes en taule, et de laisser les hommes partir.

    Un roman peut-il faire changer les choses ?Naguib Mahfouz disait quun roman peut dnoncer cent fois plus quun article de journal ou un pamphletpolitique. Je partage son analyse. Car un roman est moins sentencieux et plus sournois, on peut dire deschoses de manire plus lgre, en faisant rire.

    Malgr la duret de vos histoires, il y a beaucoup dhumour dans vos livres. Vous pensez quonpeut rire de tout ?Oui. Dabsolument tout.

    Confidences Allah dpeint les ingalits, lhypocrisie sociale, la soumission des femmes. Ce sont,pour vous, les dfis du Maroc actuel ?Le grand dfi, cest lducation. Avoir un taux danalphabtisme de 40% est honteux. Seul un peuple duqupourra voluer dans le bon sens. La prostitution existera toujours. Des avances symboliques ont eu lieu,concernant la condition de la femme, comme le Code de la famille, mais il faudra quelques annes avant queles mentalits changent.

    Vous revenez souvent au Maroc ?Je retourne une deux fois par an Figuig, le village de mon papa, dans lOriental, o il a ouvert une maisondhtes. Mais jaime aller dans la maison en terre de ma grand-mre, qui sent les dattes, le lait caill et lestapis faits lancienne. Cest le dpaysement total.

    Comment votre famille, votre entourage, ont accueilli Confidences Allah ?Mon papa a aim. Il ma dit : Y a beaucoup de gros mots. Je lui ai rpondu : Ecoute-toi parler dj. Et il asouri : Oui, tu as raison. Sur le fond aussi, mon pre et ma mre adorent ce livre.

    Et Figuig ?Entre oncles et tantes, on tait crouls de rire quand mon pre lisait certains passages. a les fait juste unpeu rougir, mais les gens sont plus ouverts quon ne le croit. Parmi les amis de mon pre ou les habitants duvillage, beaucoup lont lu. Et on en a parl. Certains me disaient que, certes le style est cru, mais le messagetrs bon.

    Votre premire hrone quitte son village natal avec une valise Jadore Dior, tombe dun car detouristes. Racontez-nous lhistoire de ce sac ?Je nadore pas Dior. Mais jai des amies qui me donnent des habits envoyer Figuig. Un jour, dans uncarton, il y avait un tee-shirt Jadore Dior dune copine trs riche Genve. Six mois plus tard, chez monpre, je vois une petite fille pauvre avec un pantalon, une robe, un pull et par-dessus ce tee-shirt. Je trouvaisa indcent, insolent et trs drle la fois. Je me suis dit, l, je tiens quelque chose : la mondialisation.

    Jbara se prostitue pour un Rabi Jamila. Vous tes nostalgique ?Jadore le Rabi Jamila. Tout. La couleur, le got. Et le souvenir denfance que a reprsente.

    Aprs une adaptation russie au thtre, Confidences Allah, crit lorigine comme un scnario,va tre adapt au cinma. La boucle est boucle ?Tant que je nai pas touch le chque et que je ne suis pas derrire la camra, rien nest boucl. Mais leproducteur de cinma Richard Grandpierre a rachet les droits de mon livre et nous sommes actuellement enpourparlers.

    Vous dites donc que vous raliserez vous-mme ce long-mtrage. Une collaboration avec leralisateur marocain Nabil Ayouch tait prvue. Que sest-il pass ?Jai rencontr Nabil mais ce ntait peut-tre pas le bon moment pour moi, je ntais pas sre. Depuis, a agerm et jai envie de le raliser moi-mme parce que je veux montrer une fille que jai vue plein de fois auMaroc, celle que jai fait vivre et parler. Jai trop peur que Jbara devienne une caricature de la putemarocaine. Et mon producteur actuel ma dit : Mme si tu nas jamais tourn, je pense quil ny a que toi quipeut le faire. Donc je suis ravie.

    Mme pas un petit peu peur ?Je me suis trop battue pour me laisser intimider. Cest un dfi incroyable, mais jaurais une bonne quipetechnique et il faut une premire fois pour tout.

    Pouvez-vous nous en dire plus sur le casting ?Pour linstant, je prfre faire les choses dans lordre. Ds que tout sera sign, je penserais aux comdiens.

    Une petite ide tout de mme pour Jbara ?Oui, jaime beaucoup Leila Bakti (Un prophte, de Jacques Audiard), sa manire de jouer et la personnequelle est.

    Le tournage aura-t-il lieu au Maroc ?Oui.

    A Figuig ?Jadorerais, mais pour des raisons financires nous devons rester proches des grandes villes.

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  • Ecrivain, scnariste, bientt ralisatrice. Avez-vous le sentiment davoir plusieurs mtiers ?Si je devais me dfinir, je dirais conteuse. Cest ce que jaime. Raconter des histoires par des livres, par desimages, crire des scnarios, des dialogues, tout a, cest un mme mtier.

    Do vous est venu votre intrt pour lcriture ?Je nai pas cherch comprendre. Je bossais, je memmerdais un peu dans mon travail, puis jai eu la chancedavoir une passion. Cest venu un moment donn. Et aujourdhui, je peux dire que jai la vie dont je rvaisil y a dix ans.

    De nouveaux projets, rves ?Mon film, un petit bb, ou deux, ou trois (rires). Un rve ? Que jaie toujours envie de dire des choses etque a continue dintresser.

    Portrait. A fleur de motA la question vous faites quoi dans la vie ?, Saphia Azzeddine rpond : Ben, jcris. Et mme le ton esthsitant. Je nose pas encore dire que je suis crivain, confie la jeune femme, sans fausse modestie.Lhumilit, cest, srement, ce qui rsume le mieux Saphia Azzeddine. Et pourtant, 29 ans, outre unphysique de rve, elle a, son actif, un premier roman qui sest trs bien vendu et un deuxime plbiscitpar la critique. Et encore, la grande brindille ne sarrte pas l : scnariste, dialoguiste, des premiers pasdactrice (elle vient de tourner aux cts de Kad Merad dans LItalien), et bientt de ralisatrice. Ctcoulisses, un peu de sport, quelques voyages et, encore et toujours, lcriture. Je nai que du temps pourmoi, vu que cest ma passion, sourit-elle. sa main qui passe frquemment dans ses longs cheveuxchtains, on dirait une adolescente namoure. Amoureuse des mots, elle voque, avec le sourire, assiseau fond dun caf du boulevard Saint-Germain, son quartier, les petites histoires de la vie quelle chronique.La jeune romancire rit de ses personnages, mme si quelques passages la font pleurer. Sans tabou, ellene compte pas mnager ceux des autres. La faute son ducation. Jai eu une enfance pleine damour etde communication. Ce qui nest pas souvent le cas dans les familles musulmanes, o lon ne parle pas, lonne se dit pas je taime, o lon ne se touche pas, philosophe la jeune femme. Ne au Maroc, dune mremi-normande, mi-marocaine et dun pre marocain, Saphia a grandi Agadir. Jai eu la plus belle enfancedu monde. Les parents, lcole, la plage, rsume-t-elle. Puis, 9 ans, elle dmnage en France, Ferney-Voltaire, une petite ville quelques kilomtres de la frontire suisse. Je nai pas vcu en banlieue, mais centait pas Byzance non plus. On avait aussi des factures impayes, des galres. Sauf quil y avait le lac, lamontagne et mon immeuble ne sentait pas la pisse, a fait toute la diffrence, raconte-t-elle. La jeuneSaphia frquente le lyce international o elle dcroche un bac L. Une licence de sociologie et un jobdassistante diamantaire Genve plus tard, elle est fire et contente de vivre de (sa) passion. Pourvuque a dure.

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