AVERTISSEMENT Pour les textes des auteurs … · 2014-07-21 · Le président de la fanfare vient...

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1 AVERTISSEMENT Ce texte a été téléchargé depuis le site http://www.leproscenium.com Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France). Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs. Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

Transcript of AVERTISSEMENT Pour les textes des auteurs … · 2014-07-21 · Le président de la fanfare vient...

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AVERTISSEMENT Ce texte a été téléchargé depuis le site http://www.leproscenium.com Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France). Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs. Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

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Un siècle en pièces Gérard William

TITRE Pièces évoquées Jouée en... Page Auteurs Implantation Je veux voir Mioussov 1970 4 Valentin Kataïev Le Théâtre rural Cabaret rustique 1978 8 Louis Pergaud Le drame historique Ils étaient venus pour... 1986 12 Marie Laberge Jean-Pierre 1 14 En répétition La sœur d’Agathe 1934 – 1938 14 Ed. Coquillon et Jean Darnac L’esprit d’à-propos J’y suis j’y reste 1957 17 Raymond Vincy et Jean Valmy Le théâtre engagé Casimir et Caroline 1993 19 Ödön von Horvàrth Acte pieux Iphigénie Hôtel 1991 22 Michel Vinaver Jean-Pierre 2 24 Le théâtre social L’atelier 2002 24 Jean-Claude Grumberg Le souffleur Les deux sourds 1911 29 Jules Moineaux Dénouement et après spectacle Marie-Jeanne 1923 – 1931 - 1950 32 Ennery et Maillan

ENTRACTE

En coulisses Aliénor 1953 35 René Morax Jean-Pierre 3 41 Les portes qui claquent Boeing-Boeing 1964 41 Marc Camoletti Le comité de lecture Le guichet 1960 44 Jean Tardieu Le théâtre intime Noces de sang 2001 47 Federico Garcia Lorca L’italienne La cuisine 1984 49 Arnold Wesker Avatars de jeu L’éducation des filles 1972 54 Jean Marsan Le living théâtre du Soleil Les Comptes d’une nuit d’été 1977 56 Création collective Jean-Pierre 4 58 Personnes et personnages Interdit aux fauves 2006 59 Nicolas Couchepin Epilogue Quand les lumières (chanson) 63

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Implantation Avec des extraits de « Je veux voir Mioussov » de Valentin Kataïev

Personnages (Pour simplifier, les comédiens de la troupe de théâtre portent les noms des personnages qu’ils interprètent dans « Mioussov ») Choura – Mioussov – Zaïtsev – Le portier – Vera Karpovna - Klava Igniatiouk - Docteur Kirilof - Kostia Galouchine - Professeur Doudkine- Madame Doudkina - Rosa Éréméèvna Le metteur en scène (Norbert) – L’éclairagiste (André) – Le président de la fanfare de Corgémont – un musicien Un plateau sur lequel on implante décors et éclairages pour le spectacle du soir. L’orchestre entame « comédie humaine » de Louis Chédid

La chanteuse : On rie on pleure On vit on meurt Un tour de piste et un requiem Comédie humaine

L’amour, la haine Nos joies, nos peines Un jour deviendront histoire ancienne Comédie humaine

Solo instrumental

Des comédiens amènent les éléments de décor à monter. L’éclairagiste arrive en scène en descendant une échelle.

L’éclairagiste - Amenez-moi la caisse verte ! Kostia Galouchine - Oh non ! elle est lourde comme une charogne ! L’éclairagiste - J’ai implanté tous les projos, je dois brancher maintenant ! Kostia Galouchine et Professeur Doudkine sortent chercher la caisse verte. Zaïtsev - Dis ! Il est vieux ce bois... Choura - Tu peux le dire ! C’était le buffet de service des « Deux orphelines » Le portier - On a joué ça y a plus de 30 ans! Rosa Éréméèvna – On a gardé le bas du buffet pour faire une longue commode, et en haut, on a enlevé les portes vermoulues et repeint... voilà deux éléments de bibliothèque!

Le président de la fanfare vient voir comment ça se passe sur le plateau. Fin du solo instrumental

La chanteuse : On rie on pleure On vit on meurt Un tour de piste et un requiem Comédie humaine

L’amour, la haine Nos joies, nos peines Un jour deviendront histoire ancienne Comédie humaine

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Fin de la musique. Le président de la fanfare, aux musiciens - Vous avez terminé votre Sound Check ? Un musicien - Oui, pour nous c’est bon ! Le président - Bon. On fait dans l’ordre inverse de passage dans la soirée... Donc, l’orchestre de danse, c’est fait. Au tour de la troupe de théâtre et ensuite la mise en place de la fanfare. Au metteur en scène : Alors ? vous nous présentez de nouveau une belle pièce (il prononce « piéce »), cette année ? Norbert - Plus belle que celle de l’année passée et moins bien que celle de l’année prochaine ! Et vous ? Le président - Nous c’t’année, la fanfare de Corgémont, on a un tout nouveau répertoire, avec des belles « piéces »... Norbert - On se réjouit de vous entendre. Le président - Et vous alors ? La « piéce » de c’t’année, ça donne du côté de la comédie ou du côté du drame ? Norbert - L’année passée c’était ?... Le président - Un drame... donc c’t’année, c’est une pièce comique. Vous êtes fins prêts ? Norbert - On le sera. Le président - Je vous laisse, je dois faire ma caisse !... (Il sort) Norbert, redevient anxieux - Le décor ? Pas de problème ? Zaïtsev - Tout est sous contrôle Norbert. Norbert - André ? L’éclairage ? André - Ça roule !... Norbert, à une comédienne qui passe - Tu vas où Rosa ? Rosa Éréméèvna - Pipi !... Norbert - Ça commence toujours plus tôt ! sa Éréméèvna - C’est que la deuxième fois ! Norbert - Tu n’as pas besoin de t’en faire comme ça... (elle est partie. Il sort à son tour) Docteur Kirilof - C’est le trac ça ! Klava Igniatiouk - C’est bon le trac ! Docteur Kirilof - Attention, il y a trac et trac, il y a le bon trac... et le trac qui détraque ! (Un élément du décor tombe) Choura - Et il y a le « patatrac » ! Madame Doudkina et Mioussov approchent d’André. Madame Doudkina - André, ça ne te fait rien si on répète une scène pendant que tu pointes les projos ? André - Ah non ! pas pendant que je pointe, j’ai besoin de la nuit totale pour faire la lumière. Mais tout de suite, là, vous avez trois minutes. Mme Doudkina - Merci André. (Le comédien se met par terre à quatre pattes.) Qu’est- ce que tu fais ? Mioussov - Ben, je me cache derrière le fauteuil, c’est le début de la scène... Docteur Kirilov – On l’amène tout à l’heure le fauteuil... Mme Doudkina – Ah oui ! Et j’entre à ce moment là ! Zaïtsev, tu peux faire la voix du début ? Zaïtsev, depuis les décors - Je veux voir Mioussov ! Je veux voir Mioussov ! Mme Doudkina fait mine d’entrée. Mioussov, sortant de sa cachette - Veuillez m’excuser, Zoïa Vassilievna, mais il faut que je vous parle. Doudkine est ici ! Mme Doudkina – Ah oui ? Je ne l’ai pas encore vu. Mioussov - Moi, je l’ai vu, j’étais assis là, dans ce fauteuil. Docteur Kirilov , intervenant - En fait, le fauteuil, il sera un peu plus à cour !...

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Mioussov - D’accord. Donc j’étais assis là (geste), dans ce fauteuil. Il m’a sauté à la gorge en hurlant : « Mioussov » ! Enfin je vous tiens. » Il écumait et les yeux lui sortaient de la bouche ! Enfin, on avait cette impression ! Mme Doudkina, sourire attendri - Cher Alexis, je le reconnais bien là ! Toujours impétueux comme un torrent de montagne Un décorateur cloue très fort. Mme Doudkina, au décorateur – Merci pour le torrent impétueux !... Mioussov, indigné - Applaudissez-le, pendant que vous y êtes ! Il a failli me tuer ! Je n’ai pu lui échapper que par miracle en courant me jeter dans le placard à balais ! Docteur Kirilov – Ici le placard à balai, il sera ici (geste). Mioussov - Merci. Mme Doudkina – Malheureux que vous êtes ! Profanateur ! Alors je vous choisis pour vivre un grand amour, je fais éclater jusqu’au sublime votre misérable vie de cloporte et vous, vous allez vous cacher dans un placard à balais... (Les yeux clos) Oh Mioussov, Mioussov, comme vous êtes petit ! Mioussov, en colère – Moins petit que le placard, malheureusement ! J’ai les reins en compote, moi ! Kostia Galouchine et Professeur Doudkine reviennent en peinant avec la caisse verte. Professeur Doudkine - Putain d’Adèle en chaleur, c’qu’elle est lourde cette caisse verte ! Kostia Galouchine - Pff, tu mets quoi là dedans André ? T’as coupé ta belle mère en rondelles ? André - C’est le gros câblage pour les blocs de puissance. (Il ouvre la caisse.) Meeer-de !! Il manque l’adaptateur de la prise 60 ampères ! Kostia Galouchine – C’est grave ? André - Ben ouais, c’est grave, je peux rien faire sans... pas de lumière ! Y’a qu’une solution, je pars la chercher ! Professeur Doudkine – Chez toi à Berne ? Tu n’y arriveras jamais ! André - En faisant du 130 dans les villages, c’est possible !... Surtout pas un mot à Norbert, vous savez comme il est anxieux, il faut l’épargner. Quoi qu’il arrive, tout va bien. Ciao. (Il sort précipitamment). Mioussov, reprenant la répét -Désolé de vous le dire, mais en venant ici, je n’aspirais pas au grand amour... je voulais juste me reposer, comme tous les dimanches ! Mme Doudkina, pleine de mépris – Vous et vos dimanches, vous me faites pitié ! Vera Karpovna – A propos de dimanche, vous n’avez pas oubliez que demain c’est « dimanche sans voitures » ? Klava Igniatiouk – Vive les années septante ! Ils nous pompent avec leur crise du pétrole !... Le portier - Le prix du pétrole à la pompe, c’est la crise ! Choura - Y’a rien à rire, le prix du brut a été multiplié par quatre... on en est à onze dollar soixante le baril !! Vous vous rendez compte ? Norbert, jaillissant – Y’a un problème ? Klava Igniatiouk – Non non, la crise du pétrole, c’est tout. Tout va bien. Norbert - Bon. Il est pas là André ? Le portier - Si si, il règle des projos, en haut... Norbert - Donc tout va bien ? TOUS - TOUT VA BIEN. (Norbert sort). Zaïtsev - Le seul point positif des dimanches sans voitures, c’est qu’on va faire la java toute la nuit en attendant le premier train demain, pour rentrer !

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Mme Doudkina - Bon, soyez gentils, on pourrait répéter ? (Les autres se taisent et reprennent leurs activités). Mioussov - Moi je les trouve très bien, mes dimanches ! Je passe six jours de la semaine à les attendre, mes dimanches ! Ce n’est pas pour servir de cible à un fou meurtrier armé jusqu’aux dents. Mme Doudkina – C’est la vie ! Deux beaux mâles, une belle femelle et le sang coule ! Choura, à Rosa qui revient - Ah ! te voilà Rosa ? Rosa Éréméèvna, s’arrêtant net – Il faut que j’y retourne ! (Elle repart). Vera Karpovna – Mince ! J’ai oublié tous les livres de la bibliothèque !... Kostia Galouchine – C’est pas vrai ! Comment on va faire ? Le président de la fanfare – Y’a un problème ? Norbert - Quoi ! Y’a un problème ? Klava Igniatiouk – Non non, pas de soucis ! Norbert - Mais j’ai entendu... Klava Igniatiouk – NON !... TOUS - TOUT VA BIEN ! (Norbert sort) Vera Karpovna, au président - On a un petit problème... j’ai oublié les livres de la bibliothèque !... Le président de la fanfare – Ça tombe bien, vous avez de la chance, je viens de trier des livres pour Emmaüs. Il y en a une malle pleine, il suffit d’aller les chercher, mais c’est lourd ! (A Kostia Galouchine et Professeur Doudkine). Venez avec moi... Kostia Galouchine et Professeur Doudkine – Ho noooon ! (Ils sortent derrière le président). Mioussov - Je reprends ! Je ne suis pas un beau mâle ! Il ne s’est rien passé entre nous ! Mme Doudkina , écoeurée, la main posée sur le cœur – Et là, savez-vous ce qui s’est passé là ? Mioussov - Je ne veux pas le savoir ! Je ne sais qu’une chose, c’est que votre mari finira certainement par me tuer ! Mme Doudkina – Cela va de soi ! Mioussov, Mioussov, comment ai-je pu vous aimer ! (Elle sort, très digne). Mioussov - Je plais, voilà. Je plais trop ! C’est terrible de plaire à ce point ! (Il sursaute). On vient ! C’est peut-être Doudkine ! Que faire ?... L’horloge, on a enlevé le balancier ! C’est merveilleux ! Docteur Kirilof – En fait, ce soir, ce sera pas une horloge, elle est en réparation... ce sera un bahut ! Norbert, revenant avec Rosa - Tout va bien ?, vous êtes prêt ? (Aux comédiens) Votre scène ? Mme Doudkina et Mioussov - TOUT VA BIEN ! Norbert - Le décor ? Choura, Zaïtsev, Le portier, Docteur Kirilof – TOUT VA BIEN . Norbert - Les accessoires ? Vera Karpovna - Klava Igniatiouk – TOUT VA BIEN. Norbert - Je ne vois pas les livres ?... Kostia Galouchine et Professeur Doudkine, arrivant avec les livres – TOUT VA BIEN ! Norbert - L’éclairage ? (Un temps) André ? André, arrivant exténué avec sa prise - TOUT VA BIEN ! Norbert - Donc pour jouer ce soir ? TOUS - TOUT VA BIEN !

(Rosa sort précipitamment. NOIR )

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Le Théâtre rural

Scène de « Cabaret rustique » d’après Louis Pergaud. Une place de village séparée en deux : à gauche le bistrot des rouges (la longue commode de « Je veux voir Mioussov » devient le comptoir du bar et derrière, les livres ont été remplacés par des bouteilles sur les deux éléments de bibliothèque placés l’un sur l’autre), à droite le quartier Général des blancs. Au départ, Abel boit chez les rouges et Laugu chez les blancs. Personnages Les rouges : Le père Cyprien, Gibus, Virgile , Griotte, La Moussotte, Adèle, Joséphine. Les blancs : Le Gros du Maréchal , Le tambour, Narcisse, Euphrasie, Philomène, La Guélotte, La Sœur. Abel et Laugu Les Rouges (républicains) Griotte - C'est le grand jour... Gibus - On va voter... La Moussotte - Ils vont voter !... Cyprien - Seuls les républicains veulent améliorer la situation des paysans, votre situation... TOUS - Vive la République ! Adèle - Si nous gagnons nous lutterons pour l'école laïque et l'enseignement gratuit ! Joséphine - Et pour le progrès, nous voulons le téléphone, aussi dans notre municipalité ! Griotte - Malheureux ouvriers des champs, courbés sous le travail sans fin, vous n'êtes que des esclaves. La Moussotte - La vraie révolution est celle qui fera le peuple souverain. Votre bulletin de vote dira que vous voulez l'obtenir. Virgile - Cessez de vous faire représenter par des bourgeois qui font leurs affaires avant tout. Faites-vous représenter par l'un des vôtres: votez tous pour le candidat républicain, le citoyen Cyprien. Cyprien Ecoutez, Il y aura toujours des forts et des faibles, des malins et des grugés... Il s'en trouvera toujours pour vivre du travail des autres. Mais n'ayant rien à craindre puisque nos rentes sont au bout de nos bras, nous pouvons nous risquer à voter pour des avancées quand ça serait pour embêter les bourgeois qui nous en ont tant fait ! Gibus - Bien dit ! TOUS - Vive la République ! Cyprien - Le progrès dans la liberté, c’est toujours c’que j'ai dit... mais pour gagner aux prochaines élections y faudrait les jeunes avec nous... Joséphine - Ouais, les jeunes, ils aiment le changement...Ils soutiendront nos idées. Adèle - Ils nous écouteront plus que le curé, j’en suis sûre ! Cyprien - Conclusion : avec nous, il y aura plus de justice, plus de progrès et on va maintenir les libertés... Il n'y a pas de bonheur sans liberté ! Votez pour maintenir la liberté. TOUS - Vive la république, vive la France !

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Les Blancs (Conservateurs) Narcisse - Paraît qu'il y a de l’agitation du côté des Rouges, hein? Le tambour - Ils parlent d'un nouveau programme; ils veulent tout démolir... Le Maréchal - Ils vont semer la pagaille dans notre paroisse avec leurs réformes. Euphrasie - Pourquoi tout changer quand ça va si bien? La Guélotte - On ne devrait pas tolérer de laisser des hommes comme ça. Ça ne peut que mettre la zizanie dans le monde en faisant croire des choses qui ne peuvent pas arriver. Philomène - Ces arguments: ils vont jusqu'à critiquer le curé, ils disent n'importe quoi... Euphrasie - Et puis la nouveauté, c’est bien joli, mais c'est pas ça qui nous fait vivre ! Narcisse - Ils peuvent toujours croire à leur Gambetta et a leur Jaurès... Le Maréchal - Ce sont des Utopiques, rien d’autre... Moi, Le Gros du Maréchal, je vous l'dis, en tant que chef du parti des Blancs, ne vous laissez pas influencer... Soyons vigilants. Les traditions ont fait leur preuve, restons dans la tradition. Euphrasie - Bien sûr. Pourquoi tout changer quand ça va si bien? La sœur - Si ceux-là arrivent au pouvoir, il n’y aura de sécurité pour personne. Le tambour - Et puis, toutes leurs réformes, ça va coûter cher... Qui c'est qui va payer, hein, je vous le demande? Narcisse - Un lavoir pour faciliter le travail de nos femmes, voilà du progrès intelligent ! Ça vaut dix fois leur foutu téléphone ! Le Maréchal - L'incertitude, voilà où ils nous amènent... Ils ne croient plus à rien, même pas a la Patrie !... Musique. Tous se lèvent. Ils entonnent le refrain de « En revenant de la revue » :

Gais et contents, nous marchions triomphants, En allant à Longchamp, le cœur à l'aise, Sans hésiter, car nous allions fêter, Voir et complimenter l'armée française Les Rouges. Les Rouges répondent par le refrain de « La chanson de Craonne » :

Adieu la vie, adieu l'amour, Adieu toutes les femmes. C'est bien fini, c'est pour toujours, De cette guerre infâme. C'est à Craonne, sur le plateau, Qu'on doit laisser sa peau Car nous sommes tous condamnés C'est nous les sacrifiés !

Virgile - Dites, aux dernières élections, on a perdu... de très peu ! Gibus: - On a perdu à cause de quelques citoyens... du genre Abel et Laugu ! Le terrible, c’est que le succès dépend du vote de ces deux olibrius ! Cyprien: - Vous savez, j'ai déjà causé avec Abel! C'est une affaire Faite. D'ailleurs, il est là, vous allez voir... (il se lève et va vers Abel) Abel, ton verre est vide (il le rempli)... J’espère que tes sentiments républicains sont durs comme fer, maintenant... enfin, on compte sur toi pour les prochaines élections. Abel: - Moi? Je suis toujours avec les bons.

Musique (rappel de « La chanson de Craonne »)

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Les Blancs. Le Maréchal: - Entre nous, les dernières élections, on les a gagnées à combien de voix de majorité? Le Tambour: - A une seule. Tu parles si je m'en souviens . Ah ! on a eu chaud. Au dernier moment, on a dû amener Abel le Rat aux urnes, son bulletin de vote à la main... même qu’il tenait une de ces cuites ! Le Maréchal: - Tiens, voilà justement Laugu. Je vais aller y causer... entre quatre yeux... (il se lève et va vers Laugu) Bonsoir Laugu. D’accord si j’te paie un litron ?... Dis pour les élections, on compte sur toi dans le parti, hein ? Laugu - Tu sais bien que je lâche jamais les amis...

Musique. (Rappel de « En revenant de la revue ».) Les Rouges. Cyprien: - Bon, Abel est de notre côté... Mais Laugu, j’m’en méfie. Un gars comme lui, ça retourne sa veste pour un oui, pour un non... Il faudra l'aider à bien choisir!

Les BIancs. Le Maréchal: - Laugu, j’l’ai confessé: nous le tenons! Mais Abel, il faudrait le travailler encore un peu... quelques chopines au bon moment... n'y aura qu'a veiller. La Guélotte - Ah! tenir en haleine Abel et Laugu ! On sait la manière!

Cyprien et le Maréchal se lèvent, leur litre à la main, se croisent, se toisent...

Les rouges et les Blancs. Cyprien à Laugu: - Salut Laugu! ... ça va ? Le Maréchal à Abel: - Bonsoir Abel! ça va?... Cyprien à Laugu: -Tu prendras bien encore un verre? avant le grand jour, hein? Le Maréchal à Abel: - Tu n'diras pas non si je remplis encore ton verre, hein? Cyprien à Laugu: - Dis donc, le gros du Maréchal, tu te souviens de la vacherie qu’il t'a faite l’année dernière? Juste au début des moissons, il engage le Constant... et toi, il te laisse tomber... Le Maréchal à Abel: - Dis, le Cyprien avec ses belles promesses... tu te souviens comment il a choisi ses "journaliers" pour ses dernières coupes de bois... rien pour l'Abel ! Cyprien à Laugu: - Alors c’est entendu, tu es avec nous... Tu votes du bon côté, tu votes pour les Rouges ! Le Maréchal à Abel: - Cette fois, c'est promis, tu es pour les Blancs , tu votes du bon côté... Abel et Laugu: (ensemble) - Tu sais bien qu’on a toujours été du bon côté... BLANCS ET ROUGES: - LE BON COTE, C’EST NOUS! Griotte entonne le troisième couplet de « La chanson de Craonne » : Griotte C'est malheureux d'voir sur les grands boul'vards Tous ces gros qui font leur foire ; Si pour eux la vie est rose, Pour nous c'est pas la mêm' chose. Au lieu de s'cacher, tous ces embusqués, F'raient mieux d'monter aux tranchées

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Pour défendr' leurs biens, car nous n'avons rien, Nous autr's, les pauvr's purotins. Tous les camarades sont enterrés là, Pour défendr' les biens de ces messieurs-là.

Tous les Rouges Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront, Car c'est pour eux qu'on crève. Mais c'est fini, car les troufions Vont tous se mettre en grève. Ce s'ra votre tour, messieurs les gros, De monter sur l'plateau, Car si vous voulez la guerre, Payez-la de votre peau !

Les blancs répondent en chantant un cantique :

Tous les blancs Je suis chrétien, voilà ma gloire Mon espérance et mon soutien Mon chant d’amour et de victoire Je suis chrétien, je suis chrétien...

Abel et Laugu passent d'une table à l’autre en exhibant leur bulletin de vote (les blancs aux Blancs; les rouges aux Rouges) et se font payer des verres. Un a un , tous les électeurs vont voter...

Gibus - Dis Abel, on vient de te voir trinquer avec les Blancs et tu reviens vers nous... C’est pas sérieux, tout ça !... Abel - Tu vois, je les roule les Blancs ; je leur montre ce bulletin là et ils croient que je vote pour eux ; mais pas de danger, je mettrai votre billet dans le trou...

Narcisse - Alors Langu, c’est le moment de pas nous lâcher et d’arrêter de te faire rincer le gosier par les rouges, c’est pas sérieux du tout, ça... Laugu - Tu comprends, j’suis pauvre, j’ai besoin de tout le monde ; mais pas de danger, tu sais, j’les roule ; je leur montre ce billet là et je leur fais croire que je vote pour eux... mais moi, je suis du bon côté, tu le sais bien !

Le tambour - Abel et Laugu, dans cinq minutes c’est la fermeture du scrutin. Il faut aller voter... allez... allez...

Tous les poussent vers les urnes et attendent. Abel et Laugu votent en cachant leur geste !... Joséphine pour les Rouges et La sœur pour les blancs comptent les bulletins. On attend les résultats...

Le tambour - Résultats des élections : 47 bulletins pour les Républicains... LES ROUGES - ON A GAGNE ! Le tambour - 47 bulletins pour les conservateurs... Grand silence. Tous, Rouges et Blancs, font des têtes...

Abel et Laugu entre quatre z’yeux : Laugu - Ils nous paient à boire des deux côtés, alors on leur doit quelque chose. Seulement, on ne peut pas partager une voix en deux, comme un litre: alors, on s'arrange... Abel - Cette fois, j’ai voté rouge et toi blanc, la fois d'après, ce sera le contraire... Comme ça on leur z’y doit rien ! On est honnête... Les deux - OU ON N’L'EST PAS !

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Le drame historique D’après « Ils étaient venu pour... » de Marie Laberge

Le chœur, habillé d’époque (guerre de 14-18), chante « Et la vie continue » (Paroles : Marie Laberge, Musique : Gérard William) Et la vie continue On travaille sans relâche Pour agrandir l’usine Et fonder la paroisse C’est en mille neuf cent seize Que l’village a reçu D’la capitale le droit D’afficher en français Arrive la première guerre On exige des hommes De tout laisser pour faire Des morts bien inutiles Les temps sont difficiles La guerre a peine finie V’là la grippe espagnole Solo instrumental Pour faucher ceux qui restent Rose-Aimée est entrée et s’est installée au centre de la scène, isolée dans la lumière. Le chœur lui tourne le dos sur un mouvement collectif. Pendant le récit de Rose-Aimée, au fur et à mesure, des choristes vont tomber et produiront le bruit de pluie en tapotant avec leurs doigts sur le sol. ROSE-AIMEE : L’automne... le 2 novembre... j'ai beau essayer, j'ai bien peur de ne pouvoir penser à rien d'autre qu’à eux, aujourd'hui. Depuis... tant d’années, le deux novembre,je ne suis bonne à rien de toute la journée...(Petit rire triste). C'est à croire que ce jour-là, j’ai donné toute l'énergie des deux novembre de ma vie. Chez nous, ça faisait dix jours que ça chauffait à fond, dix jours qu’les fenêtres et les rideaux étaient fermés, qu'les grosses couvertures de laine étaient sorties, ça faisait dix jours qu’la grippe espagnole s'était couchée dans notre lit avec Victor, mon mari de 32 ans. Aussitôt que l’mal a été déclaré dans notre coin, l'école a fermé. On essayait de garder les enfants le plus possible à l’intérieur, avec nous. Mais ils ne comprenaient pas, c’était pas facile ! Moi,j'en avais deux, pis l'espérance d'un troisième. Bien certaine qu'avec mes vingt-six ans,trois enfants, c'était encore pas trop de travail. La guerre finissait, les affaires allaient reprendre... Victor avait décidé de travailler plus au moulin, vu qu'il y avait pas mal de malades !... Y rentrait, presque mort, avec juste assez d'énergie pour manger sa soupe et aller s’coucher. Mais il était tellement costaud que j’m’étais pas trop inquiétée.

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L'plus drôle, c'est que lui s’inquiétait pour moi avec juste mes deux mois de grossesse : y avait pas une femme du Comté qui n’était pas morte en couches pendant cette grippe-là... Pauvre Victor, j’l'entends encore me dire d'faire attention, de porter des morceaux d'camphre... comme si ça aurait changé quelque chose !... Ce jour-là, quand je suis rentrée chez nous, les enfants jouaient tranquillement. J’aurais dû m’en douter aussi: ils étaient pas mal plus tranquilles que d'habitude ; tellement que j'ai demandé à mon plus grand, Eloi, si y avait quelque chose.Y m’a dit qu’non, mais qu'son père était rentré d'bonne heure pis qu'y s'était couché sans d'mander son reste. Le coeur m'a manqué. Après c'qu'y était déjà arrivé chez les voisins, après ceux qui étaient déjà morts, après les racontars de maladie qui dure douze heures pis qui vous laisse plus pauvre qu’à la naissance. C’est là que ça a commencé. L’inquiétude au coeur, comme une fatigue dans l'ventre, et dans ma tête, j'n’entendais rien qu’ça: « Faut pas qu’y meure, faut pas qu'y meure, faut pas qu'y meure..." Ah! Il était pas beau à voir, mon Victor: plus d'souffle, plus d'estomac, plus d'couleur, plus rien. Et moi, à chaque marche que j'montais ou que j'descendais.j'entendais rien qu'mon : « Faut pas qu'y meure, faut pas qu'y meure... » Le docteur est v'nu, le curé aussi, ils ont fait c'qu'ils pouvaient, chacun dans leur spécialité. Mais tant qu'c'était l'mal espagnol, pour moi, c’était la mort, et j’étais pas prête à y laisser mon Victor. Alors j’ai veillé et soigné, pendant sept jours. Au bout de sept jours, le docteur n'en r'venait pas qu’il ne soit pas encore mort, et là, il m’a dit que, si au premier novembre il était encore en vie, alors il le serait encore pour un bon bout d'temps. Ça, c'était l'vingt neuf octobre. Vous dire c'qui m'est v'nu au coeur quand j'ai entendu ça... Il me redonnait toute ma vie, mon amour, mon envie d’rire, mon courage C'est comme s'il m'arrivait une brassée d’lilas du printemps en plein mois d'novembre. J'ai fait un bon souper aux enfants, avec un gros gâteau au dessert, comme pour me faire pardonner d’les avoir oubliés un peu pour Victor, les derniers temps. Cette nuit-là, quand Eloi s’est réveillé en vomissant, j’ai pensé: c’est parce que le souper était trop riche... Je l'serrais dans mes bras en disant:"ça va passer, ça va passer", mais il tremblait tellement, mais il était si brûlant, qu’il me faisait de la peine : mon petit, mon tout petit, mon premier, mon si grand garçon... Je l'ai gardé sur mon ventre toute la nuit, toute la nuit, je l’ai gardé collé sur moi, comme si la mort aurait peur de v’nir le chercher là. J'n’ai pas appelé l'docteur, je savais qu’il mourrait, je l’sentais !... Son espèce de râle m’arrachait l’âme : il montait, il descendait... si fort, si fort !... Quand au matin ça s’est arrêté, que n’ai plus rien entendu qu'la pluie et mon souffle à moi, j'ai dit merci au bon Dieu, parce qu'un p'tit enfant, ça n’a pas assez pêché pour souffrir mille morts avant la sienne. Eloi... Eloi, ça a été l'premier. Le reste ça s’est passé tellement vite... on devient folle avec une douleur pareille !... J'me souviens être partie à l'aube chercher un p'tit cercueil blanc pour Eloi. J'suis r'venue, une heure après, et le petit était malade: le même râle, le même son, le même cri dans mon ventre.... Après lui, ça a été Victor, le 2 novembre, le dernier, comme pour faire mentir l’docteur. A chaque fois qu'j'allais conduire un mort au cimetière, je r'venais et un autre s'en allait, comme pour me r'procher d'être allée conduire l'autre. Même celui qui était dans mon ventre est parti, en dernier, pour que j’comprenne bien que j’étais toute seule... La grippe espagnole de 1918, pour moi, ça s’est fini le 2 novembre, l'jour des morts: dans ma maison, y avait plus rien que l'bruit d’la pluie...comme aujourd’hui. On appelle ça une catastrophe... pour moi, ça s’ras toujours, à chaque fois, un râle et une phrase qui m'cogne dans la tête: faut pas qu'y meure, faut pas qu'y meurt... La scène est jonchée de corps. On entend juste le bruit de la pluie.

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Jean-Pierre le doigt levé 1 L’ancien entre en scène, le doigt levé (Il a toujours le doigt levé) Jean-Pierre - Je m’rappelle, pour le cinquantième de la troupe, on avait joué Jedermann : un truc grandiose, en plein air sur la Place du Ring, avec un orchestre, des chœurs... 120 participants en tout ! Bon, je jouais le diable. Je jaillissais d’une ancienne porte de cave, je traversais la place et je devais bondir sur la fontaine pour lancer ma réplique. À la première, je glisse sur les barres mouillées de la fontaine... patatrac : le diable du feu de l’enfer tombait à l’eau !...

En répétition

LA SOEUR D'AGATHE d’après Ed. Coquillon et Jean Darnac Personnages Agathe, Bitache, Fernande, le metteur en scène

On retrouve les éléments du décor de « cabaret rustique » : la longue commode est dressée à la vertical et a un miroir sur la porte (c’est une armoire à glace), les deux éléments de bibliothèque sont placés séparément. Bitache déguisé en femme se regarde dans le miroir AGATHE, qui est entrée en même temps que lui. - Ah! qu't'es beau, comme ça !... BITACHE - N'me parle pas au masculin !... Je n'suis pus Bitache, j'suis une poule, j'suis ta soeur !... AGATHE - Ah mon Désiré!... (Elle l'embrasse.) BITACHE - Pas de blagues !... On ne s'embrasse pas comme ça, entre femmes !...Un baiser d'soeur, et pis c'est tout ! (Il I'embrasse sur le front du bout des lèvres puis, imitant la voix de femme.) Ah ! ma bonne Madame, ma chère !... AGATHE - Ah ! c'que t'es amusant ! BlTACHE (voix de femme) - Mais, minute. hein !... Pas de gaffes... LE METTEUR EN SCENE, intervenant - Non ! Là tu gardes ta voix d’homme !... BITACHE - Ah oui ! - Mais, minute. hein !... Pas de gaffes, comment que je m'appelle ? AGATHE - Valérie! BITACHE - Ah ! Valérie, j’vas te tuer ! AGATHE - Attention, v’là Madame!

Entrée de Fernande

M.E.S. à Fernande - Attends ! On reprend... (Fernande va se rasseoir). BITACHE - Au début ? M.E.S. - Oui, j’ai une idée : si tu chantonnais devant ton miroir ? BITACHE - D’accord, j’essaie... chantant comme à l’opéra, Ha ! je ris de me voir si belle en ce miroir... M.E.S. - C’est tout ce que tu as dans le registre « chantonner » ? De toute façon, ça ne fonctionne pas ! On va faire autre chose... J’aimerais que tu fasses quelque chose de très féminin... essaie de danser ? BITACHE s’exécute, il tente un entrechat et retombe lourdement - C’est pas très féminin ?!... M.E.S. soupirant - Pas vraiment... non, on va faire quelque chose de plus sobre... AGATHE - Et s’il rajustait sa perruque simplement ?

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M.E.S. - On essaie ça. Bitache se mire et lève les bras pour réajuster sa perruque. On garde ça. Mais il faudra que tu te rases sous les bras !... La suite. AGATHE - Ah! qu't'es beau, comme ça !... BITACHE - N'me parle pas au masculin !... Je n'suis pus Bitache, j'suis une poule, j'suis ta soeur !... M.E.S. - J’aimerais plus de contraste ! Essaie de dire « j’suis ta sœur » avec une voix de femme. Tu vois, Bitache, ton personnage, c’est un dur, un gars du peuple. Il me semble que ce serait plus drôle si tu disais, façon vulgaire « j’suis une poule », puis « j’suis ta sœur »... comme une bonne sœur ! BITACHE - N'me parle pas au masculin !... Je n'suis pus Bitache, (vulgaire) j'suis une poule, (religieux) j'suis ta soeur !... M.E.S. - Bien !... AGATHE - Ah mon Désiré!... (Elle l'embrasse.) BITACHE - Pas de blagues !... On ne s'embrasse pas comme ça, entre femmes ! M.E.S. - Reprends la voix de bonne sœur ! BITACHE (voix de bonne sœur) ...Un baiser d'soeur, et pis c'est tout ! M.E.S. - Oui mais le « et puis c’est tout », avec ta voix normale ! BITACHE (voix de bonne sœur) ... Un baiser de sœur (voix normale) et puis c’est tout ! M.E.S. - Non mais... par voix normale, j’entendais la voix de Bitache, pas la tienne ! BITACHE (voix de bonne sœur) ... Un baiser de sœur (voix de Bitache) et puis c’est tout ! (Il l'embrasse sur le front du bout des lèvres puis, imitant la voix de femme.) Ah ! ma bonne Madame, ma chère !... AGATHE - Ah ! c'que t'es amusant ! M.E.S. - T’as pas l’air ! AGATHE - De quoi ? M.E.S. - De t’amuser ! AGATHE - Ce serait plus facile s’il était vraiment amusant ! BITACHE (Voix normale) - J’vais essayer (voix de Bitache) ma poule ! (Voix de femme. Il ajoute des facéties et surjoue) Ah ! ma bonne Madame, ma chère !... AGATHE , amusée - Ah ! c'que t'es amusant ! M.E.S. - Plus jamais autrement ! La suite... BlTACHE - Mais, minute. hein !... Pas de gaffes, comment que je m'appelle ? AGATHE - Valérie! BITACHE - Ah ! Valérie, j’vas te tuer ! AGATHE - Attention, v’là Madame! (Un temps) FERNANDE - Je peux entrer là ? M.E.S. - On t’attend !... FERNANDE - Ah ! c'est votre soeur ? AGATHE - Oui, Madame ! FERNANDE - Elle est gentille ! Et, elle se porte bien! BlTACHE (Voix de Bitache) - J'ai profité en nourrice ! M.E.S. - Non ! Dès que Fernande est en scène, c’est fini la voix d’homme ! BITACHE - D’accord. (Voix de femme) J'ai profité en nourrice ! AGATHE, bas a Bitache. N'dis donc pas d'bêtises ! FERNANDE - Voyons ma fille... M.E.S. - Bon, on s’arrête là, la fin de la scène, ça roule ! FERNANDE - Attend, tu permets ?! J’aimerais bien moi aussi répéter ma scène ! M.E.S. - Bon d’accord ! On reprend tout... du début ! AGATHE - On répète tout ? Encore ?

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M.E.S. - Oui ! On répète encore et encore... parce qu’on est en « répétition » ! Allez...

Toute la scène avec les indications de mise en scène.

Bitache déguisé en femme se regarde dans le miroir. Il réajuste sa perruque. AGATHE, qui est entrée en même temps que lui. - Ah! qu't'es beau, comme ça !... BITACHE - N'me parle pas au masculin !... Je n'suis pus Bitache, (vulgaire) j'suis une poule, (Voix de bonne soeur) j'suis ta soeur !... AGATHE - Ah mon Désiré!... (Elle l'embrasse.) BITACHE - Pas de blagues !... On ne s'embrasse pas comme ça, entre femmes !... (Voix de bonne soeur) Un baiser d'soeur, (voix de Bitache) et pis c'est tout ! (Il I'embrasse sur le front du bout des lèvres puis, imitant la voix de femme, facétieux) Ah ! ma bonne Madame, ma chère !... AGATHE , amusée - Ah ! c'que t'es amusant ! BlTACHE - Mais, minute. hein !... Pas de gaffes, comment que je m'appelle ? AGATHE - Valérie! BITACHE - Ah ! Valérie, j’vas te tuer ! AGATHE - Attention, v’là Madame!

Entrée de Fernande

FERNANDE - Ah ! c'est votre soeur ? AGATHE - Oui, Madame ! FERNANDE - Elle est gentille ! Et, elle se porte bien! BlTACHE - J'ai profité en nourrice ! AGATHE, bas a Bitache. N'dis donc pas d'bêtises ! FERNANDE - Voyons ma fille, dites-moi, comment vous appelez-vous ? BITACHE - Désiré! AGATHE, bas. - Mais non ! FERNANDE - Désiré? BITACHE - Non, j'disais, vous désirez ? FERNANDE - Que vous me disiez votre nom. BITACHE, à part.- Zut !... J'me rappelle plus ! FERNANDE - Eh ! bien! vous ne savez pas? BITACHE - Oh ! mais si, Madame, mon nom, c'est ce que je sais le mieux. (A part, regardant Agathe.) comment que c'est-y?.. (Haut) Madame ne voudrait pas que je ne sache pas mon nom ! !... Ça s'rait un « combe » ! Je... je... m'appelle... (Agathe lui articule le nom de loin.) Valériane ! AGATHE . - ...rie . BITACHE - Oui, bien sûr... Rie !.., Valérie!... C'est gentil, n'est-ce pas? Faut pas faire attention, Madame, j'suis un peu z'émute ! FERNANDE - Vous êtes toute excusée !... Bien, vous vous appelez Valérie ? BlTACHE - Oui, madame !... Et vous ? (Agathe lui fait signe de se taire.) FERNANDE - Moi ?... Mais vous me parlerez à la troisième personne. BlTACHE - Même quand nous ne serons que deux? FERNANDE - Vous aimez la plaisanterie. BITACHB - Oui ! je n'la déteste pas !... On n's'embête pas avec moi, je suis un rigolo ! AGATHE - Une rigolote ! BITACHE - Mais oui, lote ! rigolote !... Madame me comprend ben ! FERNANDE - Certainement!... Quand vous serez habituée à moi, cela ira tout seul ! BITACHE - Parfaitement ! évidemment ! bien sûr !

M.E.S. - C’est bon. Pause !

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L’esprit d’à-propos A partir de « J’y suis...j’y reste ! » de Raymond Vincy et Jean Valmy

Personnages Nénette, La Comtesse, le Cardinal, Lucie, Patrice. La scène est vue de dos, depuis les coulisses. En scène Nénette et la comtesse. Les autres personnages en coulisse. La comtesse ronge son frein. Arrive Nénette, fébrile...

NENETTE - Qu' est-ce qui se passe? Qu'est-il arrivé? LA COMTESSE. - Une catastrophe! Vous avez un enfant! NENETTE, suffoquée. - Un... Non, mais dites donc! Je serais tout de même au courant ! LA COMTESSE. - Comprenez-moi vite ! Le Cardinal va revenir, nous n'avons que quelques minutes. NENETTE. - Mais enfin, à qui est ce moutard ? LA COMTESSE. - A la véritable épouse d'Hubert! C’est le dernier méfait de cette aventurière. NENETTE. - Et Monseigneur est convaincu que... LA COMTESSE. - ... c'est le fruit de votre faute, oui. NENETTE. - Ah! tant pis. Je vais tout lui dire ! Je ne peux pas lui laisser croire que je suis une épouse dévergondée qui s'est offert un coquin à la sauvette ! LA COMTESSE. – Pas du tout ! Vous serez tout simplement une femme du monde qui s'est laissée aller à un flirt un peu poussé ! NENETTE, pouffant. - Ah! oui, plutôt! LA COMTESSE. - Permettez-moi de vous dire, ma chère, que vous jugez cela d'un point de vue un peu trop... démocratique. Plus on s'élève dans l'échelle sociale, plus on considère ces choses de haut et plus elles apparaissent menues. NENETTE - C'est pratique! LA COMTESSE. - Une femme du peuple cocufie son mari, une bourgeoise le trompe, une femme de qualité a des aventures. LE CARDINAL, paraissant - Vous êtes seule ? LA COMTESSE - Euh... oui... presque ! LUCIE (en coulisse) - Il est fou ! Il rentre trop tôt !... LA COMTESSE - Antoinette allait coucher le bébé. (Elle fait signe à Nénette de sortir.) Son bébé. (Celle-ci s’exécute de mauvaise grâce). LUCIE, à Patrice - Habille-toi... vite !! LE CARDINAL - Comment a-t-elle fait ça ? LA COMTESSE - Oh !... Vous vous en doutez bien un peu ! NENETTE - Quel mufle ! Il m’a piqué trois pages de répliques !... PATRICE - Pas le temps de m’habiller !... LE CARDINAL - Je vais y réfléchir ! LA COMTESSE - A comment on fait les bébés ? LE CARDINAL - Non ! à que faire des bâtards !... (Il sort.) PATRICE - J’y vais ! LA COMTESSE - Patrice ! Eh bien ? Patrice !... PATRICE, paraissant en caleçon long, les bottes à la main - Que Madame m’excuse... LUCIE, au Cardinal arrivant en coulisse - Bâtard toi-même !

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LE CARDINAL - Désolé, j’ai planté ! LA COMTESSE - Quelle est cette tenue ? Patrice ! PATRICE - C’est que... euh... Quand Madame me demande, je suis si pressé de la satisfaire que je me précipite... LA COMTESSE - Allez vous habiller !... (Patrice sort en coulisse) LA COMTESSE, improvisant - Pauvre garçon ! Toujours aussi maladroit... il a deux mains gauches !... Heureusement que je suis parvenue à le dissuader de devenir pianiste ! (Elle marque un temps, visiblement elle attend son retour). Quand je l’ai sorti du Palace de troisième zone où il sévissait, quelle pitié c’était : il jouait « Viens poupoule » sur un tempo de marche funèbre ! (Elle chante, lugubre) « Viens poupoule, viens Poupoule, viens » ... à en attraper des maux de tête ! A ce propos, si Lucie pouvait m’amener l’aspirine que je lui ai commandée ! (Un temps. En coulisse, Lucie s’affaire pour préparer un verre d’eau. Patrice peine à enfiler ses bottes) Il n’y a qu’un air que Patrice réussissait à bien nous faire chanter, c’était : « J’attendrai, le jour et la nuit, j’attendrai toujours... (en direction des coulisses) ton retour ! » Mais quelle idée saugrenue j’ai eue de le nommer majordome !... Ha ! Lucie. LUCIE - Voici votre cachet Madame. LA COMTESSE - Merci ma petite Lucie. (Entrée de Patrice. Lucie ressort). Patrice ! Si à cause de vous je dois augmenter mes cachets, je vais diminuer le vôtre !... Alors ? Les nouvelles ? PATRICE - Pénibles ! Le Petit Louis a été arrêté ! LA COMTESSE - Pour la troisième fois ! Décidément, c’est un récidiviste ! PATRICE - La brigade l’a eu au tournant !... LA COMTESSE - Et ensuite ? PATRICE - Mon oncle Benjamin est tombé à la rivière. LA COMTESSE - Quel malheur ! PATRICE - Quant à Isabelle-La-Catholique, elle a été battue par Jéroboam. La COMTESSE - De beaucoup ? PATRICE - D’un museau. LA COMTESSE - Mais alors ? Alors ?... PATRICE - Madame la Comtesse me doit quatre-vingt-quinze mille francs ! LA COMTESSE, à part - Ce Bookmaker est un gouffre ! PATRICE, en sortant - Ha !... J’allais oublier... Monseigneur est arrivé. LA COMTESSE - Gagnant ou placé ? PATRICE - Que Madame la comtesse m’excuse, je parlais de son Eminence le Cardinal de Tramone. (Il sort) LE CARDINAL - Aïe ! J’ai déjà fait mon entrée !... LUCIE - Ça va, le public n’a rien remarqué ! (Air vexé du Cardinal). LA COMTESSE - Ah ! Ces courses, elles me font perdre non seulement mon argent, mais l’esprit ! (Les acteurs se félicitent en coulisse)

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Le théâtre engagé Extraits de « Casimir et Caroline » de Ödön von Horvàrth

Personnages La barmaid, le forain du tir pipe, le forain de l’appareil à mesurer la force, le bonimenteur, Juanita, 3 danseuses, Casimir, Caroline, Fumée, Lance, une cul-de-jatte, Juponet, Mélie, Marie, un vendeur et une vendeuse de brassards à croix gammée en chemise brune.

L’hymne munichois retenti (pour les musiques se référer aux partitions de Gérard William). Les personnages arrivent et montent les éléments de la fête : un bar à bière (on reconnaît la « longue commode »),un stand de tir forain (les cibles et les lots sont placés sur les rayons de la « bibliothèque »), un appareil pour mesurer sa force (tu tapes avec une masse en bois sur un coin, un autre coin monte le long d’une latte ; si le coin touche le haut de la latte, ça fait un gros boum et on te remet une médaille), un castelet dans lequel est exhibée Juanita, un carrousel de chevaux de bois. La plupart des fêtards boivent de la bière. Ils chantent le refrain de l’hymne munichois :

Aussi longtemps Aussi longtemps La bonne humeur La bonne humeur Survivra haha Survivra haha Aussi longtemps Aussi longtemps La bonne humeur La bonne humeur Survivra haha à Munich

Que vive que vive cette bonne humeur Une deux trois hop ! Cul sec ! Que vive que vive cette bonne humeur Une deux trois hop ! Cul sec !

L’orchestre enchaîne avec « La danse des proscrits » (gitanoslavoyiddisch). Trois danseuses se trémoussent très lascivement. A la fin de la danse, elles attrapent Fumée et Lance et leur chantent : Les trois danseuses, chantant - Je traque le cerf sous la futaie Et l’aigle aux sommets Fumée se dégage de ces filles de joie et approche du carrousel. Sur la musique de « La valse des phénomènes », Mélie, Marie, Juponet , la cul-de-jatte et Caroline tournent sur le carrousel. Fumée essaie d’apercevoir les dessous des filles... Mélie - Regarde-moi ce vieux chnoque. Marie - Un vrai fossile. Mélie - Le fumier ! Ça le démange encore. Fumée ne cesse de faire des sourires. Marie, le regardant gentiment ; sans qu’il puisse l’entendre - Espèce de sale maquereau ! Fumée flatté, salue. Mélie - Bonsoir Monsieur le pot de chambre ! Fumée salive. Marie - Tu ferais mieux de penser à mourir qu’à courir ! Lance a rejoint Fumée. Fumée - C’est parti comme en quatorze ! Lance - Deux péchés mortels. Tout ce qu’il y a de plus mignonnes, hein ? Le carrousel s’arrête gentiment. Sur la musique de « Bois, bois, mon ami bois », on voit Casimir taper sur l’appareil à mesurer la force. Ça ne fait boum qu’au troisième coup. Il reçoit une médaille.

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Caroline, - Casimir ! Casimir - Caroline ?

Ils se rejoignent et s’enlacent tendrement. La musique entame « Un jour les roses fleurissent ». Tout le monde sauf Casimir et Caroline chante :

Un jour, un jour les roses fleurissent Et tous les cœurs sont en joie Et quand les roses fleurissent En émoi C’est l’amour et les printemps toujours naissent Mais quand le long hiver est passé Seuls les hommes ne connaissent Qu’un unique mois de mai...

La musique s’arrête brusquement. Tout le monde écoute, et puis l’orchestre joue « Le Zeppelin ». Tous lèvent les yeux pour voir passer le Zeppelin...

Fumée - Bravo Zeppelin ! Bravo Eckener ! Bravo ! Le bonimenteur - Heil ! Lance - Majestueux. Hip hip hip... hourra ! La cul-de-jatte, agitant un mouchoir - Quand on pense, tout ce que nous avons déjà réalisé... Caroline - Il ne va pas tarder à disparaître, le zeppelin... La cul-de-jatte - Là-bas, à l’horizon. Caroline - Je ne le vois presque plus... Tu vois Casimir, dans pas longtemps, nous volerons tous. Casimir - Je m’en fous ! Pendant que vingt capitaines d’industrie s’envoient en l’air, des millions de gens crèvent de faim ici-bas. Ton Zeppelin, je l’emmerde, c’est de l’esbroufe, je connais, il suffit de raisonner... Le Zeppelin, tu comprends, c’est un aéronef, et quand nous autres on voit voler cet aéronef, on a l’impression que nous aussi, on est du voyage... alors que notre lot, c’est les semelles trouées et le coin de table pour s’écraser la gueule ! Caroline - A te voir si triste, je deviens triste aussi. Casimir - Je ne suis pas triste. Caroline - Si. Tu es pessimiste. Casimir - Ça oui. Si on est intelligent, on est forcément pessimiste. (Il l’abandonne pour taper à nouveau sur l’appareil à mesurer la force. Cette fois-ci, ça fait trois fois boum, il paie et reçoit trois médailles. Revenant vers Caroline). J’ai été renvoyé hier, demain, je pointe au chômage, mais aujourd’hui on s’amuse, on rit aux éclats. Caroline - Je n’ai pas ri !

(Très en colère, ne supportant plus la fête, il fuit en courant. En sortant, il croise un gars et une fille et chemise brune et brassard croix gammée. Il les toise méchamment et sort). Fumée et Lance ont rejoint le bar à bière. Ils boivent. Les chemises brunes viennent vendre leurs brassards à croix gammée. Fumée - Malgré la crise, malgré la politique – le chancelier a beau tempêter contre la liesse populaire, il n’aura pas raison de la Fête de la bière ! (Il achète un brassard aux chemises brunes). Tu trouves que j’exagère ? Lance - Subtil. Très subtil ! Fumée, mettant son brassard - L’homme de peine, coude à coude avec l’homme d’affaire, le commerçant avec l’industriel, le ministre avec l’ouvrier... Voilà comment je l’aime, la démocratie ! La majorité des gens refuse le brassard. Par contre, la cul-de-jatte en veut un, mais les chemises brunes refusent de le lui vendre. Ils la rejettent durement.

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Le bonimenteur, après un roulement de tambour - Mesdames et Messieurs ! Vous allez le constater, Juanita est velue de la tête aux pieds. (Il ouvre le rideau du castelet, Juanita apparaît). Cela n’empêche pas Juanita d’avoir une imagination extrêmement vive. En plus, elle est dotée d’une superbe voix naturelle, que vous allez avoir l’occasion d’apprécier - je vous en prie maestro...

L’orchestre lance « Belle nuit, ô nuit d’amour ».

Juanita, chante Belle nuit, ô nuit d’amour Souris à nos ivresses Nuit plus douce que le jour Ô belle nuit d’amour ! Le temps fuit et sans retour Emporte nos tendresses ! Loin de cet heureux séjour Le temps fuit sans retour

Le public Zéphirs embrasés Venez verser vos caresses Zéphirs embrasés Donnez-nous vos baisers...

Reprise bouche fermée : hm...

Juponet, s’approchant de Caroline qu’il n’a pas quitté des yeux - Tu as besoin de quelqu’un Caroline. Caroline - Mais c’est toujours la même misère. Juponet - Chut ! Ça va de mieux en mieux. Caroline - Qui dit ça ? Juponet - Monsieur Coué. Allez, vas-y. Ça va mieux. Caroline, répétant sans voix - Ça va mieux. Juponet - Ça va mieux, de mieux en mieux. Caroline - Ça va mieux, mieux – (dans un sourire) de mieux en mieux. Juponet l’embrasse et lui donne un long baiser. Caroline ne se défend pas. Il sort avec elle.

Le public Le temps fuit et sans retour Emporte nos tendresses ! Loin de cet heureux séjour Le temps fuit sans retour

Le bonimenteur achète un brassard. Les chemises brunes satisfaites s’en vont.

Zéphirs embrasés Venez verser vos caresses Zéphirs embrasés Donnez-nous vos baisers... Reprise bouche fermée : hm...

Juanita Belle nuit, ô nuit d’amour Nuit plus douce que le jour

Le public et Juanita Belle nuit, ô nuit d’amour Souris à nos ivresses Nuit plus douce que le jour Ô belle nuit d’amour !

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Acte pieux

Sur un extrait d’Iphigénie Hôtel, de Michel Vinaver

LA CHAMBRE DE LAURE ET DE PIERRETTE. Personnages : Des comédiens-décorateurs, Laure, Pierrette, Mme Sorbet, M. Véluze, Alain, Emilie, des comédiens porte-bougie. Dans une lumière de service, des comédiens viennent sur scène monter un grand lit, construit avec les vestiges des décors précédents : La longue commode devient la tête de lit, les deux éléments de la bibliothèque deviennent les sommiers (sur lesquels on ajoute les matelas et la literie)... on a ajouté des pieds ! Les « décorateurs » sortent. Deux comédiennes viennent s’allonger sur leur lit, Laure en combinaison, Pierrette les jambes nues, en slip et chemisier blanc, les bas descendus aux chevilles. Lumière. PIERRETTE. - Moi je le trouve dégoûtant. LAURE. - T’es pas la seule. Qu'est-ce qu'il faisait dans la chambre d'Oreste? PIERRETTE. - Est-ce que je sais? LAURE. - Tout ce que je sais, tu lui cours après. PIERRETTE, pouffant. – A tout prendre, j'aimerais mieux me faire ça moi-même. LAURE; pouffant. -Tu te le fais toi-même ? PIERRETTE. - Et toi ? LAURE. - Moi, non. Je m'arrange autrement. PIERRETTE. - Les clients? LAURE. - Ça non, jamais. Ils pourraient toujours essayer. D'ailleurs ils essayent. Je les envoie bouler. PIERRETTE. - Il y en a un qui s'inviterait volontiers à l'une ou à l'autre de nous deux. Rien que pour réveiller un peu sa dame. Elle en tient une couche cette Parisienne. LAURE. - La Sorbet ? Oui, mais lui aussi. Il est plutôt du genre enterré vif. PIERRETTE. - C'est unique comme il y en a, on dirait qu'ils sont doués pour s'ennuyer ensemble. (Elle ôte un bas et se frotte la plante du pied.) Oh mes pauvres pieds ! Elle a commencé ses règles cette nuit. Ça explique peut-être. LAURE. - Je ne sais pas si t'es comme moi. Les miennes ça me fait ni chaud ni froid. Mais celles des autres, je ne peux pas voir ça. PIERRETTE. S’esclaffant. - Moi c'est plutôt les messieurs. Chaque fois ça m'étonne. Il y en a qui s'en donnent à coeur joie. LAURE. - Tu devrais voir... Elle s’étrangle de rire. PIERRETTE. - Quoi? LAURE. - Le trente-quatre. PIERRETTE. - Monsieur Veluze ? Elle est gagnée par le rire. LAURE. - Oh c'est pas permis. PIERRETTE. - Quoi? LAURE. - Mon pauvre ventre.. . Elles se roulent de fou rire. PIERRETTE - Oh tais-toi! LAURE. - Mais je ne dis rien. PIERRETTE. - Oh Assez ! LAURE - Mais qu'es-ce que tu as? Tu pleures?

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PIERRETTE. - Je ne sais plus si je ris ou si je pleure. LAURE. - Ça fait du bien, même si ça fait chaud. PIERRETTE - C’est ça, parle de chaleur. Mes pieds, si tu savais. Comme si j’avais cavalé toute la journée sur de la braise. Et les bas qui collent à la peau comme un pansement. LAURE. - Par ces températures, ils pourraient nous les épargner. Mais je t’en fiche. « Mademoiselle, c’est une question de standing ». PIERRETTE. - Le standing. N’ont que ça dans la bouche. Je te jure Laure, jamais mes pieds m’ont fait mal comme ils me font ce soir. LAURE - Tu veux que je te frictionne ? PIERRETTE - Tu sais, si t’étais pas là, je ne sais vraiment pas... Laure a sauté de son lit, saisit un flacon et s’est accroupie au bout du lit de PIERRETTE. Soudain, tout s’éteint, c’est la nuit noire. Des coulisses on entend : MME SORBET - Qu’est-ce qui se passe ? M. VELUZE - C’est les plombs qui ont sauté ! On aperçoit des lueurs, les comédiens fumeurs allument leur briquet. ALAIN - Je crois plutôt que c’est le réseau... sauvés ! il y a des bougies. Prenez-en chacun une, on va les éclairer... EMILIE - Mais toi Alain, tu n’as pas besoin d’y aller ! ALAIN - Si, j’y vais. EMILIE - Alors je viens aussi ! Des comédiens portant des bougies arrivent sur scène. Ils se placent en demi cercle autour du lit. Un musicien se joint à la procession et « musicalise » la scène suivante. Les 2 comédiennes reprennent leurs rôles. Laure commence à frictionner les pieds de Pierrette. PIERRETTE - Ça fait du bien, Laure, tu peux pas savoir. LAURE. - Oui. PIERRETTE - Si j’ôtais tout ça et que tu me frottais du haut en bas ? LAURE - T’en as des idées. PIERRETTE. - C'est une idée que j'ai. EMILIE Jalouse - Alain !... ne regarde pas ! (Alain détourne la tête). LAURE. - Tu sais ce que ça coûte ici, l'eau de Cologne? Et d’abord (elle lui montre le flacon), y en a pour ainsi dire plus, tiens. Elle pose le flacon et commence à s’habiller. PIERRETTE - T’as pas d’imagination, Laure. LAURE - Non, mais j’ai la tête sur les épaules. PIERRETTE commençant également à s’habiller - Ça te suffit toi de nettoyer, de laver, de lessiver, de torcher, d’essuyer, de plier, de déplier... LAURE, les larmes aux yeux - Pendant que tu te promènes et que tu montres tes jambes à qui en veut et que tu te dores le nombril au soleil... PIERRETTE, les larmes aux yeux - Oh ! Laure... LAURE - Et que tu rôdes autour d’Alain tout en disant que tu le trouves dégoûtant...

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PIERRETTE et EMILIE - Oh ! Emilie gifle l’arrière de la tête à Alain. Pierrette et Laure sont dressées face à face, tremblantes.

LAURE . - Oui, je trime moi, pendant ce temps. Il faut bien qu’il y en ait une qui fasse le travail. Alors c’est moi. Pierrette se jette en avant et empoigne Laure avec un cri aigu. Elles s’agrippent, mais le lit s’effondre et elles cessent de se battre pour sangloter. LAURE. - Ce qu'on est bête, c'est ahurissant comme on peut être bête. PIERRETTE - Il y a beaucoup de choses pour nous énerver... LAURE - Alain qui va et qui vient... PIERRETTE. - Oh oui! Emilie redonne une tape à Alain ! LAURE - Il faut aller mettre le couvert pour le dîner. PIERRETTE - Oui, faut aller. Elles vont pour sortir. LAURE - Eteins ! En même temps que Pierrette fait le geste de presser un interrupteur, les comédiens soufflent leur bougie. Noir.

Jean-Pierre le doigt levé 2 L’ancien entre en scène, le doigt levé Jean-Pierre - Je m’rappelle... Hou c’est vieux ça ! Quand on jouait « Le tailleur des morts »... ça fait bientôt soixante ans !... Notre caissier avait accepté un petit rôle de figuration. Il devait se mettre dans une caisse, de laquelle il ne devait sortir qu’à la fin de l’acte ! Mais comme il s’ennuyait dans sa caisse, il n’y allait pas seul... ça veut dire que chaque fois qu’on déplaçait la caisse sur scène, on entendait rouler les bouteilles !... A la fin de l’acte, on peut dire que notre caissier avait pris une caisse... dans sa caisse ! (Il va pour partir, sûr de son effet, et se ravise) Naturellement, cette caisse, dans « Le tailleur des morts », c’était un cercueil. Avant j’ai dit une caisse, parce que c’était plus drôle : le caissier dans sa caisse qui prend une caisse. Mais c’était un cercueil. Bon. Ça se passait à une époque où on mettait nos décors dans le train, pour aller jouer... Donc, un dimanche matin, on décharge notre décor !... on peut dire qu’on a fait sensation en traversant toute la ville avec notre cercueil ! Mais le plus drôle, c’était de constater qu’un caissier ivre mort ressuscite ! Ha ! La tête des gens quand le couvercle s’est levé et qu’il l’ont vu dans sa bière avec une bière !... (Cette fois il sort, complètement satisfait).

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Le théâtre social Extrait de « L’atelier » d’après Jean-Claude Grumberg

Personnages : Hélène, Simone, Gisèle, Madame Laurence, Marie, Mimi, Monsieur Léon. Dans une lumière de service, des comédiens viennent sur scène monter les éléments d’un atelier de couture. On reconnaît la « longue commode » qui coupée en deux, forme deux établis. Il ne reste qu’un élément de bibliothèque sur lequel est posé le matériel de l’atelier : rouleaux de tissus, cartons à habits...) Les « décorateurs » sortent. Les comédiennes se mettent en place. Lumière. Un matin très tôt de l’année 1945. Les femmes travaillent dans l’atelier. La nouvelle, Simone , est de dos. En face d’elle Hélène, la femme du patron. Et puis Gisèle, Madame Laurence et Marie, très enceinte. Entre Mimi, elle semble courir. Gisèle - T’es encore tombée du lit ? Mimi tout en enfilant sa blouse répond d’un signe de main qui semble dire : « ne m’en parle pas ! » Hélène alors la présente. Hélène - Mademoiselle Mimi... Madame Simone... elle vient pour les finitions. Les deux femmes se sourient et se serrent la main. Dès que Mimi commence à travailler, Mme Laurence éloigne gentiment son tabouret. Mme Laurence - Vous allez m’éborgner un jour... Mimi ne relève pas. Elle travaille. Silence. Mimi - J’ai été danser hier soir... avec ma copine Huguette... Gisèle - La grosse ? Mimi - Elle est pas si grosse... Gisèle - Huguette, c’est pas celle que t’appelles la « grosse vache » ? Mimi - C’est ça, ça veut pas dire qu’elle est grosse : elle fait grosse... Hier on a été au guinche ensemble. On a dansé avec des amerloques... le swing ! Gisèle - Comment on peut aller danser comme ça tous les soir ? Marie - Vous savez, c’est normal à son âge de vouloir sortir... Mme Laurence - Vous aimeriez « sortir » dans votre état ? Marie - J’ai pas dit ça... Gisèle - Sortir, sortir, ont que ce mot-là à la bouche, moi j’aime rentrer, là... Mimi - Pour t’engueuler avec ton Jules ? Gisèle - On s’engueule pas tout le temps ! Marie (à Simone) - Vous aussi vous allez danser ? Simone (simplement pour couper court) - Ces temps-ci, je ne vais pas danser. Gisèle - Là ! Marie - Et avant, vous y alliez ? Simone - De temps en temps oui... Marie - C’est votre mari qui aime pas ça ? Simone (après un léger temps) Il est pas là, il est déporté. Bref silence. Gisèle - En tout cas, j’ai jamais dansé avec des troufions moi. Marie - Pourquoi pas, si c’est pas des boches ? Gisèle - N’empêche que les boches y a des choses qu’y faisaient pas... (elle se tourne vers Simone). Je m’excuse enfin, je veux dire que les américains parfois... Mimi - Tu veux qu’on leur demande de revenir, ils te manquent les frisés ?

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Mme Laurence - C’est vrai que les américains tant qu’ils étaient pas là on priait pour qu’ils arrivent, maintenant qu’ils sont là, on prierait pour qu’ils repartent. Marie - Il y en a un qui vous a manqué de respect Madame Laurence ? Mimi hurle de rire. Mme Laurence hausse les épaules. Gisèle - Faut rire, ça remplace la viande !... Monsieur Léon apparaît un bref instant et hurle : M. Léon - Hélène, Hélène ! Tout le monde a sursauté. Hélène sort. Mimi imite un chien qui grogne et aboie. Les ouvrières rient. Gisèle - Eh bien ça commence bien... Si ça hurle dès le matin moi... Elle ne finit pas sa phrase. Mimi - Eh bien chante alors, pour l’harmonie du lieu !... Gisèle - J’ai pas envie de chanter. Mimi (fredonnant) - Si j’avais deux grands bœufs dans mon étable » allez, vas-y... (elle reprend) « deux grands bœufs blancs... » Gisèle - Si j’avais deux grands bœufs je serais pas là... (un temps et puis). Les boucheries vont être fermées trois jours par semaine... Mme Laurence - Pas pour tout le monde : quand ç’est fermé par devant, ça travaille par derrière... Mimi (chante) Par-devant, par-derrière Tristement comme toujours Sans chichis sans manières Elle a connu l’amour Mme Laurence (poursuivant son idée) - Qu’est-ce que je pourrais faire samedi qui soit bon et qui bourre ?... Mimi - Des houppettes de cheval... Mme Laurence - Allons, allons... Mimi - Ben quoi, c’est bon et ça bourre... Gisèle commence à chantonner machinalement en travaillant. Les autres ouvrières arrêtent de jacasser et l’écoutent. S’en rendant compte, Gisèle chante d’une voix assurée et bien timbrée. Gisèle (chante) Je suis seule ce soir Avec mes rêves, Je suis seule ce soir Sans ton amour. Le jour tombe, ma joie s'achève, Tout se brise dans mon cœur lourd. Je suis seule ce soir Avec ma peine J'ai perdu l'espoir De ton retour, Et pourtant je t'aime encor' et pour toujours Ne me laisse pas seule sans ton amour. A part Marie qui résiste, les ouvrières sont prises par l’émotion, même Hélène qui est entrée... Gisèle arrête soudain de chanter. Mimi - Ben pourquoi tu t’arrêtes ?

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Gisèle (pointant ses ciseaux vers Marie) Elle, elle, elle se fout de moi... (Marie éclate de rire). Ah bien sûr, c’est pas swingue, c’est pas zazou... (elle fredonne menaçante) « Swing swing, zazou vachement shabada swing » ça c’est bien, ça c’est fin. Marie - Mais tu sais qu’c’est pas mal, ma gisou, tu ajoutes juste une position du corps dégingandée et un regard espiègle et... c’est parti ! Marie et Mimi (chantent. Les ouvrières reprendront le refrain) :

Y'a des zazous 1. Jusqu'ici sur Terre un homme pouvait être Blanc ou noir ou jaune ou rouge et puis c'est tout Mais une autre race est en train d'apparaître C'est les Zazous, C'est les Zazous... 2. Un vocal qui monte jusqu'aux amygdales Avec un veston qui descend jusqu'au genoux Les cheveux coupés jusqu'à l'épine dorsale Voila l’ Zazou, voila l’ Zazou Refrain 1. Y a des Zazous dans mon quartier Moi je l’ suis déjà à moitié A votre tour un de ces jours Vous serez tous Zazous comme nous Car le Zazou c'est contagieux Ça commence par un tremblement Qui vous prend soudain brusquement Et puis en plus des hurlements Ouah Da zizi You Dady zou houa 3. Si vous rencontrez un jour sur votr’ passage Un particulier coiffé d'un fromage mou Tenant dans ses doigts un poisson dans une cage C'est un Zazou, c'est un Zazou 4. Si votre épicier vous dit : " j'ai du gruyère Mais malheureusement il ne reste que les trous " Ne supposez pas qu'il fuit de la cafetière Il est Zazou, il est Zazou Refrain 2. Y a des zazous dans mon quartier Moi je l’ suis déjà à moitié Un de ces jours ça vous prendra Ouah Da zizi You Dady zou houa

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5. A son futur gendre avant-hier ma concierge Disait : voyez vous, ma fille est un bijou. Elle est encore mieux que si elle était vierge. Elle est Zazou, Elle est Zazou 6. A la société devant payer sa dette D’vant la guillotine Gégène il dit j'm'en fout Y a déjà longtemps que j'ai perdu la tête Je suis Zazou, je suis Zazou Refrain 3 Y a des zazous dans mon quartier Moi je le suis déjà à moitié Et à mon tour un de ces jours On finira par m'amener Dans un asile d'aliénés Entre zazous, on s'y retrouvera Car c'est fou ce qu'on rigolera Quand sous les douches on chantera comme ça Ouah Da zizi You Dady zou houa Monsieur Léon entre, furieux Léon - Vous voulez du divertissement ? vous allez en avoir ! (A Hélène). Tu leur as dit ? Gisèle - Qu’est-ce qui se passe Monsieur Léon ? Léon - Elle va vous le dire, elle va vous le dire... Il veut sortir. Hélène - Si t’es déjà là, dis-leur toi. Léon - Si je te dis de leur dire c’est pas pour que tu me dises toi de leur dire... Hélène (S’adressant aux ouvrières tout en s’affairant et en rangeant dans l’atelier) - On n’as pas reçu le tissu qu’on devait nous livrer ! Alors Monsieur Léon n’a pas pu couper... enfin vous finissez ce que vous avez en train et vous rentrez. Marie - Quoi ? (Hélène est déjà dehors). Gisèle - Ça alors... Qu’est-ce que je vais faire moi cet après-midi ? Mimi - Tu vas rentrer à la maison voir ton petit homme... Gésèle - Si tu crois que c’est drôle... Marie - Non mais t’as vu ? Il a pas reçu son tissus, c’est nous qui restons en carafe, il s’en fout lui si on vient pour rien, je traverse tout Paris moi. « Rentrez chez vous ! » C’est organisé ça fait peur. Mme Laurence - Bon ben moi Mesdames. Elle se lève, range ses ciseaux dans sa boîte et glisse sa boîte dans le tiroir. Marie et Mimi sortent en se tenant par le bras. Marie râle toujours. Marie l’imite en riant. Gisèle et Simone restent assises côte à côte et finissent leur travail en silence.

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Le souffleur A partir d’un texte extrait de « Les deux sourds » , de Jules Moineaux

Personnages : Boniface – Damoiseau – Placide – Eglantine (en coulisse) – Le souffleur (dans sa cage) Les acteurs jouent pour un public imaginaire en fond de scène. Ils tournent le dos en partie. Seul le souffleur est de face. Pour le décor, le lit rescapé de « Iphigénie Hôtel » a été transformé en canapé, un reste d’établi de « L’atelier » a été transformé en une table basse et en un fauteuil A l’avant-scène se trouve la coulisse où Eglantine tricote. BONIFACE (emmenant Placide devant Damoiseau) - Le voilà ! DAMOISEAU - Monsieur, vous vous permettez de vous introduire dans ma propriété ! Savez-vous que je vais vous traîner en police correctionnelle ?... PLACIDE à part - Sapristi !... DAMOISEAU criant - Votre nom ? BONIFACE - Vot’ nom ? PLACIDE balbutiant - Monsieur, voici c’qui... BONIFACE criant à l’oreille de Damoiseau - Il s’appelle Voiciski... c’est un Polonais. PLACIDE, à part. - Polonais !... Va pour Polonais... BONIFACE, à Placide. - Je vous ai crié : on n'entre pas, c’est une propriété privée... on aurait dit que je parlais à un sourd... que diable ! Vous n'êtes point sourd. LE SOUFFLEUR, perdu dans son texte - Attend... attend ! PLACIDE, à part, - Tiens ! Il me donne une idée ! DAMOISEAU, lentement - Qu'est-ce qu'il dit ? BONIFACE, - Il ne dit rien. PLACIDE,à part. - Essayons ! (Haut.) Messieurs, je vous demande... DAMOISEAU, - Hein ?... LE SOUFFLEUR - Rien, rien, c’est bon !... PLACIDE , faisant avec son doigt le geste d’écrire sur sa main. - Du papier... BONIFACE, surprit - Du papier ? Pour quoi faire ?... DAMOISEAU , au souffleur - Texte... texte ! LE SOUFFLEUR - Qu'est-ce qu'il dit ? DAMOISEAU - Je dis : le texte ! LE SOUFFLEUR - Le texte c’est : Qu'est-ce qu'il dit ? DAMOISEAU - Ha !... Qu'est-ce qu'il dit ? BONIFACE, criant. - Il demande du papier. (Il tend un bloc note et un crayon à Placide) PLACIDE - Ha !... (Il écrit rapidement) Que je suis bête, je suis sourd, pas muet !... Enfin ! (Il tend le papier à BONIFACE). BONIFACE, tendant le papier à DAMOISEAU - Lisez ! LE SOUFFLEUR - « Pardonnez-moi, mais je suis... » DAMOISEAU, au souffleur, - Ça va !... c’est écrit là !... lisant : « Pardonnez-moi, mais je suis affligé d’une surdité complète... » (Vexé, le souffleur lui fait un bras d’honneur... qui tape dans sa cage ! Après un « hou ! » de douleur, Il disparaît sous la scène) DAMOISEAU (Avec joie) - Sourd !... il est sourd !... BONIFACE - Sourd !... DAMOISEAU - Vous êtes sourd ? (Mimique) Sourd ? (Placide fait oui de la tête). Sourd !... PLACIDE, soufflant - Ah ! mon cher Boniface...

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DAMOISEAU - Ah ! mon cher Boniface, voilà le gendre que j’avais rêvé ! BONIFACE et PLACIDE, stupéfaits - Hein ? Le souffleur paraît en coulisse en tenant sa main endolorie. Il s’ouvre une bière et s’allume une cigarette. BONIFACE, à part - Voilà le gendre qu’il a rêvé ! un sourd !... ça m’en ferait deux dans la maison Ah ! non !... PLACIDE, soufflant - Donnez-vous... DAMOISEAU, à Placide - Donnez-vous... EGLANTINE , au souffleur - Hé ! Tu vas tout faire foirer !... PLACIDE , même jeu - La peine DAMOISEAU - La peine de... EGLANTINE, même jeu - Retourne - s’y ! (Le souffleur repart sous la scène). PLACIDE - De vous asseoir... DAMOISEAU - Donnez-vous la peine de vous asseoir (Placide ne bouge pas... à lui-même) Quel bonheur ! il n’entend pas !... (Plus haut) De vous asseoir... (Pantomime)... asseoir ! PLACIDE - Après vous Monsieur, après vous... Le souffleur réapparaît dans sa cage. DAMOISEAU, à part - Il est très bien élevé. BONIFACE - Mais qu’est-ce que je vais devenir avec deux pots pareils ? DAMOISEAU - Monsieur, êtes-vous... (il attend que le souffleur lui souffle. Le souffleur toujours vexé reste les bras croisés !) ... vieux garçon ?... LE SOUFFLEUR, savourant sa vengeance - C’est pas ça ! BONIFACE, soufflant à son tour - Célibataire ! DAMOISEAU - Etes-vous célibataire ?... (Criant) célibataire ?... (il tend l’oreille). PLACIDE - Oui. DAMOISEAU - Qu’est-ce que vous dites ?... PLACIDE, impatienté, criant - OUI !... (à part) Ah ça ! Mais c’est lui qui est sourd ! DAMOISEAU - Je crois qu’il a dit oui !... C’est un... (il attend qu’on lui souffle, puis tente sa chance) C’est un comble... LE SOUFFLEUR même jeu - C’est faux ! BONIFACE, soufflant - Gendre ! DAMOISEAU - C’est un gendre qui me tombe du ciel !... Monsieur, voulez-vous me faire le plaisir de dîner avec moi ?... (au souffleur) Et toc ! PLACIDE à part - Il est charmant, ce bonhomme-là !... (Lui criant dans l’oreille) Monsieur, j’accepte avec bonheur. DAMOISEAU - De bonne heure ? Si vous voulez ! Boniface, tu feras mettre trois couverts, entends-tu ?... et le dîner à cinq heures au lieu de six. BONIFACE, s’inclinant - Oui... Vieux sabot ! DAMOISEAU - Va, mon ami . BONIFACE - Oui, vieille ganache ! DAMOISEAU - Va va ! BONIFACE - Ah ! sans mes douze cents francs de rente, comme je t’aurais planté là, toi et ta baraque ! DAMOISEAU - Je le sais bien... tu m’es très dévoué... (Boniface sort en grommelant) PLACIDE à Damoiseau - Comment, Monsieur, vous permettez que ce drôle ?... BONIFACE, rejoignant la coulisse - C’est la cata !... Le vieux ne sait plus son texte ! EGLANTINE - Et le souffleur a disjoncté ! (Damoiseau hésite, on sent qu’il a encore oublié son texte...)

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LE SOUFFLEUR - Alors ? Qu’est-ce qu’y vient maintenant ?... BONIFACE - J’y vais ! (Il disparaît sous la scène). DAMOISEAU, fulminant, retrouve son texte - Un parfait serviteur, Monsieur (il veut envoyer un coup de pied au souffleur, mais son soulier part dans le public !) : le modèle des domestiques. (Cette fois il shoote la cage du souffleur. Le public voit la silhouette du souffleur, avec sa bière et les volutes de fumée. Rires du public) PLACIDE à part - ,Décidément, il est sourd . Le souffleur se retourne. Il a vu le public. Il se détourne avec une mine pathétique. Juste à ce moment, il disparaît d’un coup. EGLANTINE, au « vrai » public - Le souffleur a été soufflé ! Boniface réapparaît en coulisse. Il tire par les pieds le souffleur assommé . Damoiseau se lève et va contrôler que personne n’écoute derrière la porte. Il en profite pour jeter un œil en coulisse. DAMOISEAU, à la coulisse - Il a fini de nuire le tordu ?! (Il revient en scène, en faisant attention de ne pas faire de bruit... à Placide) Maintenant, mon cher Monsieur, causons... (criant) CONFIDENTIELLEMENT. Monsieur, je suis rond en affaires... si je vous ai invité à dîner, ce n’est pas pour manger... PLACIDE, à part - Pour quoi faire, alors ? DAMOISEAU - Je suis père d’une fille à marier... je ne sais pas si vous lui conviendrez tout à fait... PLACIDE, voulant se relever - Je ne crois pas... DAMOISEAU, le rasseyant - Mais vous me convenez parfaitement et je vous l’offre en mariage... PLACIDE, à part, se levant - Elle doit être bossue ! (Haut et saluant) Monsieur !... DAMOISEAU, se levant aussi - Cent cinquante mille francs de dot ! PLACIDE, à part - Alors, deux bosses !... DAMOISEAU - Monsieur, suivez mon idée... Vous ne vous êtes peut-être pas aperçu que je suis sourd ? (Il recule vers la coulisse et met une main dans le dos) PLACIDE, à part - Si peu... DAMOISEAU agitant sa main - Je vis seul... ici... avec ma fille. (Eglantine lui place le texte dans la main. Il se retourne et lit le texte. Pendant la réplique, il se retournera plusieurs fois !...) Supposez, entre elle et moi, un gendre comme on m’en a proposé trente-six... un homme doué de ses facultés auriculaires ; ma fille et lui auraient causé entre eux comme des gens qui ont l’oreille fine... de telle sorte que, pour ne pas être isolé, il m’eût fallu leur crier à chaque instant : Qu’est-ce que vous dites ?... C’était impossible !... nous nous rendions mutuellement insupportables... tandis qu’avec un gendre aussi sourd que vous l’êtes... car vous l’êtes encore plus que moi... cet inconvénient ne se produira pas... comme sourd, vous parlerez très haut à ma fille... elle vous parlera de même... et je serai à la conversation... tout naturellement, sans effort (en aparté à la coulisse) et sans souffleur... (à Placide) vous saisissez mon idée ?... PLACIDE, à part - Il est superbe d’égoïsme, ce papa-là ! BONIFACE entre et annonce - Mademoiselle Eglantine. Entrée d’Eglantine. DAMOISEAU à Placide - C’est ma fille. Touchez donc là !... Vous aurez une femme jolie, bien faite, adorable !... PLACIDE, ravi, à part -Pour sûr !... si elle bossue, ce n’est pas dans le dos ! (Il touche la main de Damoiseau en guise de contrat) BONIFACE, furieux, à part - Ça y est, me voilà avec deux sourds !...

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Dénouement et après spectacle Dénouement de « Marie-Jeanne », pièce de D’Ennery et Maillan

Personnages sur scène : Appiani – Marie-Jeanne – Théobald – Bertrand – Rémy – Sophie Personnages du public : Dormeur - Pincée – Enroué - Pleureuse – Priseuse – Ami comédien – Amie comédienne – Jumelles – Longue vue – d’autres spectateurs. Personnages du foyer : La barmaid (Sophie) - Dormeur – Pincée – Ami comédien – Amie comédienne – Jumelles – Longue vue – Rémy – Marie-Jeanne. Dans la salle, des spectateurs en costume d’époque (l’après guerre) : Dormeur dort paisiblement à côté de sa femme « Pincée », Enroué et Pleureuse forment le couple bruyant, lui se racle la gorge avec retenue en tendant de temps en temps un mouchoir à Pleureuse qui tente vainement de retenir ses sanglots, Priseuse regarde le spectacle avec passion, Ami comédien et Amie comédienne sont très concentrés, plus c’est dramatique, plus ils ont tendance à sourire ! Jumelles et Longue vue regardent plus la salle que la scène avec les appareils d’optique qui les nomment. Si possible, d’autres spectateurs remplissent les rangs... Sur scène se déroule l’action. Décor : Il ne reste qu’un élément des décors précédents : le cadre d’une cheminée, et à côté de la cheminée, le tas de bois est formé des débris des décors précédents !... On est au dénouement de la pièce : Bertrand et Théobald ont enfoncé la porte. Bertrand et Théobald - Misérable ! Bertrand court délivrer Marie-Jeanne des mains d’Appiani. Appiani - Grand Dieu ! Marie-Jeanne - Ah !... sauvez-moi ! Sauvez-moi ! Elle se jette dans les bras de Bertrand. Théobald - Oui, nous vous sauverons, pauvre femme, nous vous rendrons votre fils... (A Appiani) Car vous avez volé son enfant pour remplacer celui que votre ignorance avait tué. Appiani - Mensonge ! Marie-Jeanne - Il ose dire que c’est un mensonge... Bertrand - C’est la vérité ! vous avez volé le fils de Marie-Jeanne pour le donner à une pauvre mère, en le faisant passer pour son enfant disparu ! Et cela dans l’espoir de devenir le mari de cette femme jeune et riche. Appiani - Les preuves... vous m’entendez... les preuves... Bertrand (il exhibe un papier) – La voici la preuve, ho ! mais une preuve irrécusable ! Vous aviez promis cinq mille francs à Rémy pour faire une mauvaise action. On lui en a donné dix mille pour en faire une bonne... son cœur n’a pas hésité... Marie-Jeanne - Que dis-tu ?... Oh ! parle, parle vite !... Bertrand - Ceci est l’acte de décès du jeune Henri de Bussière... Sophie, qui est entrée depuis un moment – Ah ! qu’avez-vous dit ? qu’avez-vous dit ? Monsieur, mon fils, mon fils... (Elle prend le papier des mains de Bertrand) Ah !... (elle s’évanouie dans les bras de Théobald et Marie-Jeanne, qui la font asseoir) Théobald - Sophie !... chère Sophie !... au nom du ciel, revenez à vous... du secours ! du secours !... Appiani - Tout est perdu !...

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Au moment où il va sortir, Rémy apparaît et lui barre le passage. Rémy, très fort - Bien le bonjour...

Dormeur se réveille en sursaut. Il tentera de garder les yeux ouverts, mais dodelinera de la tête jusqu’aux applaudissements qui le réveilleront complètement.

Bertrand - Rémy !... Rémy - Je viens toucher mon argent. Appiani - Eh ! laisse-moi, malheureux !... Rémy, regardant autour de lui – Bon, je d’vine, plus d’hyménée... pas vrai ? En ce cas nous sommes quittes... Bonsoir, Monsieur ! Appiani, à part – Libre... (Il sort). Bertrand - Comment ! Tu l’as laissé partir... Rémy - Qu’importe ? Il y a d’la société en bas pour le r’cevoir... Bertrand - De la société ?... Rémy - Et de la bonne !... Théobald - Elle revient à elle... Sophie, revenant peu à peu - Marie-Jeanne...

Une petite musique triste soutient les émotions, comme dans un film. Marie-Jeanne, se jetant à ses genoux. – Je vous aurais donné ma vie, Madame : mais mon enfant !... je ne le pouvais pas !...

Duo de nez entre la pleureuse qui se mouche et la priseuse qui s’adonne à son vice.

Sophie, pleurant – Mort ! Mort !... Ah ! je te le rendrai... mais ne me l’arrache pas aujourd’hui... attend, attend un peu... Marie-Jeanne - Oh ! oui, oui, Madame, nous l’élèverons ensemble... nous attendrons... Bertrand, bas à Théobald – Nous attendrons que le bon Dieu lui en ait donné un autre.

Sophie tend la main à Théobald. Marie-Jeanne regarde dans la chambre où se trouve son enfant en souriant. Bertrand et Rémy regardent et écoutent à la porte par laquelle est parti Appiani. – Tableau. La musique enfle et gonfle le « pathos » . FIN.

Le public applaudit, d’abord timidement, puis de plus en plus fort. Les acteurs saluent, sortent, sont rappelés, resaluent... Fin de la musique. La lumière s’éteint sur scène et s’allume sur le public. Les spectateurs vont sortir ou se diriger vers le foyer, endroit où ils pourront boire un verre en attendant les comédiens.

Commentaires en sortant de la salle : Longue vue - Sur scène ça va, mais dans la salle il n’y a pas assez de lumière, on ne voit personne ! Jumelles - Ho ! on voyait assez pour remarquer que l’institutrice avait la même robe que moi ! (Et en effet, la priseuse marque un petit temps d’arrêt en les dépassant, signifiant qu’elle aussi est vexée ! Elle sort.) Ouf, elle s’en va, je peux rester prendre un verre au foyer. Pincée, à Dormeur – Nous rentrons tout de suite je pense ! Tu as dormi tout le long !! Dormeur - Puisque nous sommes là, on va se montrer, je vais féliciter Marie-Jeanne. Pincée - Et qu’est-ce que tu vas lui dire ? Dormeur - Je réfléchis... Amie comédienne - Ils ont deux ou trois bons éléments... mais pff, cette pièce sent la naphtaline, incroyable ! Qu’est-ce que je me suis ennuyée ! Ami comédien - Ha ouais ! Il a fallu vivre deux guerres pour voir ça ! ... Comment on peut monter une daube pareille à notre époque ?

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Amie comédienne - En tout cas, pas de danger qu’ils nous prennent du public... Enroué - Ça t’as plu ? Pleureuse - Ho oui !... Qu’est-ce que j’ai bien pleuré !... Enroué, d’un air coquin - On rentre à la maison ? Pleureuse, offerte - Ho oui... ! Ils sortent bras dessus bras dessous. Les spectateurs qui restent sont au foyer. Ils attendent la barmaid. Sophie arrive. Longue vue - Ho Sophie, vous tenez aussi le bar ? Mais vous faites tout ici... c’est déjà vous qui avez pris nos vestiaires !... Jumelles - Sophie, bravo. Bravo pour votre costume, il vous va à ravir... Sophie - Je le dirai à la costumière... et sinon ?... Jumelles - Je ne sais pas, qu’est-ce qu’on peut boire ? Sophie , atteinte - Ha... ! (se dominant) C’est un bar à champagne ici. Jumelles - Alors, champagne ! Sophie, très déçue verse le champagne dans les coupes. Rémy arrive au bar.

Ami et amie comédiens : - Haaa voilà la vedette ! Ils se saluent. Amie, elle l’embrasse : - Bravo ! Tu es vraiment... incroyable dans cette pièce ! Rémy - Tu m’as trouvé bien ? Amie - Ha oui, vraiment, je m’suis pas ennuyée une minute, ton personnage argotique, tu le tiens... incroyable !

Sophie, tendant la coupe à Jumelles – Voilà Mademoiselle, la coupe est pleine !

Rémy à l’ami - Et toi, tu m’as trouvé comment ? L’ami - Pareil ! Tu joues juste... belle énergie ! Bien... Rémy - Venant de vous, c’est un sacré compliment ! (Il distribue des coupes à ses amis et en prend une).

Jumelles - Pourquoi elle m’a dit ça ? Longue vue - Quoi ? Jumelles - A propos de la coupe ? Longue vue, regardant ses cheveux - Je ne sais pas, elle est très bien ta coupe !...

Rémy - Et la pièce, vous l’avez trouvée comment ? L’ami - Alors là, un drame pareil, je ne savais même pas que ça existait !... L’amie - Ha oui, c’est un drame... incroyable ! Rémy - Et vous, vous montez quoi en ce moment ? L’ami - Ha ! Voilà une question intéressante... (il rit). L’amie, riant, à propos de son ami : - Il est... incroyable ! Ils s’éloignent pour boire leur coupe (on n’entend plus leur conversation).

Marie-Jeanne s’approche de ses amis, Pincée et Dormeur. Marie-Jeanne, timide : - Alors ? Dormeur - Je vais être franc avec vous... Vous m’avez fait rêver ! Marie-Jeanne, émue - Ho ! Merci, merci... (à Pincée) et vous ? Pincée, très froide - Bouleversée, je suis bouleversée !...

Sophie, amère - Je lève mon verre à la sincérité ! Rémy - Naturellement, puisque c’est le verre de l’amitié ! (Au vrai public) On se retrouve après l’entracte... Parlez-en entre vous !...

Tout le monde trinque.

ENTRACTE

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EN COULISSE

Sur la base d’ALIENOR de René Morax (Musique de Gustave Doret) Cette scène montre surtout les coulisses du théâtre, face public. Le spectacle se donne à un public imaginaire en fond de scène. Pour des raisons de commodité de lecture, quand la pièce commence, il y aura deux colonnes : dans la première, l’action sur scène, dans la deuxième, l’action en coulisse. Personnages Robert, Barnabé, Hilaire, Aliénor (déguisée en homme), L’Emir, Le vieux chevalier, le geôlier, deux gardes. Exclusivement en coulisse - Amblarde nourrice d’Aliénor, Sybille mère de Robert, Manfroy frère de Robert (après avoir joué Le geôlier), Lancelot écuyer d’Aliénor (après avoir joué le premier garde), Vianette la fiancée de Lancelot, la paysanne, la Mahude mendiante, 3 servantes, Véro la coiffeuse- maquilleuse-costumière-accessoiriste. Avant une représentation, c’est la ruche en coulisse. Individuellement ou solidairement, les comédiens s’habillent, se maquillent, s’échauffent. Le vieux chevalier finit de se poudrer à la patte de lapin, puis il reste isolé dans un coin, très concentré. Le deuxième garde, fait les cent pas en pratiquant des exercices de diction. On l’entend quand il passe à l’avant-acène (il n’a aucune réplique dans « Aliénor »). Véro coiffe, habille, maquille à tour de bras !... Aliénor et Robert répètent leur texte en se donnant la réplique à voix basse. Amblarde tricote dans un coin. La 2ème servante fait de la respiration et des étirements. La paysanne et la Mahude se marrent comme des bossues (on pense bien que c’est parce qu’elles médisent de tout le monde) Barnabé et Hilaire jouent aux chars. Sybille est une fouine !Elle se mête de tout ce qu’elle peut... L’Emir est le metteur en scène. Il supervise un peu tout, sort de scène, revient, regarde l’heure, regarde par le rideau du fond si le public arrive... Véro finit d’habiller Vianette. Vianette - Ho ! mais il est trop beau ce costume, je l’adore... Véro - C’est bien ma chérie. Suivante !

Le deuxième garde, passant à l’avant-scène : - Je veux et j’exige, Je veux et j’exige, Je veux et j’exige...

Véro - Suivante, j’ai dit !... Le geôlier a pris place. Le voyant : Oh pardon ! Le geôlier - C’est pour ma balafre !...

La 3ème servante arrive de l’extérieur en courant. Sybille, l’interpellant - C’est maintenant que t’arrives ? 3ème servante - J’ai dû retourner chez moi, j’avais oublié mes godasses ! Sybille, à elle-même - Mais t’as pas oublié d’être blonde ! A Vianette qui passait à côté, qu’est-ce que tu fais ? Vianette - Je transpire tellement, je mets des mouchoirs sous les aisselles... j’ai trop peur d’endommager mon costume... il est tellement beau ce costume ! Le deuxième garde - Je veux, j’exige j’exècre et j’exagère d’exquises excuses...

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La 3ème servante, enlevant ses habits pour se costumer : - Ho non !... Véro - Quoi ? 3ème servante - J’ai pas mis le bon soutien-gorge ! Regarde, la couleur ne s’accorde pas du tout avec mon costume ! Je retourne vite chez moi le changer... Véro - Ha non ! Tu es déjà retournée chez toi pour chercher ton texte, alors que tu n’en a pas besoin !... Puis une deuxième fois, parce que tu pensais avoir éventuellement oublié de fermer la porte de ton frigidaire... Stop ! Tu n’as qu’à jouer sans soutien- gorge ! Le premier garde, qui a assisté à la scène va chercher Hilaire et Barnabé...

Le deuxième garde - Le scout scrute son casse croûte...

Sybille - On peut échanger nos soutien-gorge, si tu veux, avec mon costume, aucune chance qu’on aperçoive quoi que ce soit... 3ème servante – Je veux bien ! Il était hors de question que je joue sans soutien-gorge ! (Elle sort avec Sybille) Véro, aux 3 mecs qui suivaient la scène sans discrétion : - Qu’est-ce que vous faites là ? Barnabé - Hé bien... on répète... « Je suis riche là-bas, Je te payerai bien. » Hilaire - Non, moi, messire, prenez-moi.

Les trois hommes s’éloignent. Hilaire et Barnabé reprennent leur jeu.

La 1ère servante - Véro, si tu as deux minutes, tu me ravales un peu la façade ? J’aimerais paraître la plus jeune des servantes... Véro - Mais tu es la plus jeune !... 1ère servante - Alors disons la plus belle !... (elle s’installe). Le deuxième garde - Natacha n’attacha pas son chat Pacha qui s’échappa fâchant Sacha... 1ère servante - Tu comprends, ce soir y’a mon Jules qui vient pour la première de sa vie au théâtre... Il doit penser que c’est moi la diva! De toute façon, s’il en regarde une autre, je le tue !... Non ! Je LA tue et... Véro - ...et tu lui pardonnes ! 1ère servante - OUI ! Il est tellement beau... tu me trouves dingues, hein ? Véro - Tu es amoureuse...

La 3ème servante et Sybille reviennent en conversant.

Le deuxième garde - Combien sont ces six saucissons-ci ? Ces six saucissaux-ci... non ! ces six soncissons-ci... NON ! ces six saucissons-ci sont si son... sont sis sous ! Si ces six saucissons-ci sont six sous, ces soucis sont... non pas ces soucis sont ... ces saucissons-ci... ces six saucissons-ci ... sont trop sers... chers !... chont trop chers ! (énervé) Ches chaussichons-chi chont trop chers... Pff cha chuffit !! L’Emir - Bon, tout le monde : le toy toy ! Tous les comédiens se regroupent en cercle, bras dessus bras dessous. (Sauf le vieux chevalier, toujours à sa concentration). L’Emir - CONCENTRATION ? Tous, ton militaire – Oui !

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L’Emir - ARTICULATION ? Tous - - Oui ! L’Emir - Z’YEUX A L’HORIZON ? Tous - - Oui ! L’Emir - ET NOUS NOUS AMUSONS ! Tous - - Oui ! L’Emir - Pour cette seizième représentation d’Aliénor, trois fois ?... Tous - Merde Merde Merde ! Tout le monde s’encourage.La lumière diminue. Un comédien s’empare du brigadier et frappe les trois coups. Tous les personnages disponibles se mettent en formation de chœur en coulisse. Les comédiens qui doivent entrer en scène se placent à la queue leuleu. Musique (Acte 1 introduction). Ouverture du rideau (en fond de scène...). La Mahude, à Barnabé alors qu’il s’apprête à entrer en scène - Ta montre ! Barnabé enlève précipitamment sa montre et la donne à La Mahude. Barnabé - Tiens ! Pauvre hère... La Mahude- Merci ! Pauvre type ! Le vieux chevalier fait le signe de croix avant d’entrer en scène. Le deuxième garde chique. Sybille - Chewing-gum ! Trop tard, le deuxième garde doit avaler son chewing-gum. Il manque s’étouffer et tousse très fort en entrant sur scène !... SUR SCENE EN COULISSE

Le geôlier entre en scène, suivit d’un garde MUSIQUE Puis des prisonniers (Robert, Barnabé, Hilaire Et Le vieux chevalier), un garde ferme la Marche. Le geôlier enchaîne les prisonniers Chœur Ouvrez ! Ouvrez les portes du château ! Ouvrez ! Ouvrez ! Le geôlier et un garde sortent. Changement Les femmes Nous ouvrirons bientôt, Radical d’attitude à la sortie patientez ! Chœur Ouvrez ! Ouvrez ! Victoire aux pèlerins vêtus de fer ! Un garde reste de faction Victoire aux conquérants !

Fin de la musique. Les choristes reprennent leurs aises en coulisse ROBERT. - C'est l'heure, compagnons, où le bourreau vient choisir sa victime. A qui le tour? Première serveuse, aux deux autres : - C’est parti ! Elles se frappent dans les mains. BARNABE. - Non, non. (son pantalon ne tient pas bien. Il le relève sans cesse...) ROBERT. - Nous sommes sans rançon. Le geôlier va se rechanger en Manfroy. Rappelez-vous les autres. Ils descendaient à Le premier garde va se rechanger en l'aube et ne remontaient plus. Lancelot .Véro les aide.

HILAIRE. - Ils montent vite. Ils sont Tous font des bruits de pas et des éclats de nombreux. J'entends leurs voix dans l'escalier. Voix.

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ROBERT. - Je savoure l'angoisse de mon Amblarde a pris un tricot. Vianette heure dernière, qui coule goutte à goutte à s’approche d’elle... l'horloge des morts. HILAIRE. - Les voici... L'Emir ! (L'Emir paraît sur l'escalier. Aliénor le suit. Vianette - C’est quoi ? Elle est vêtue en homme : un étroit chaperon Amblarde – Oh, je sais plus quoi tricoter... rouge couvre son surcot fauve. Ses cheveux je n’apparais qu’à la fin du deuxième acte, sont coupés. Elle a l' apparence d'un frêle alors... J’ai déjà fait des pulls pour toute la et jeune jongleur.) troupe dans cette pièce !... ALIENOR. - Qui pourrait soupçonner la pauvre Aliénor sous cet habit menteur qui trompe tout le monde... Robert ? Il n'est pas Vianette , elle écoute un moment Aliénor, parmi eux. puis : - Et là, c’est une brassière ? pour le bébé de qui ? L'EMIR. - Choisis parmi ces hommes qui sont de ton pays. Amblarde : - Je ne sais pas... comme ça... ALIENOR. - A vous, salut en Dieu. Un temps assez long... HILAIRE. - Qui cherchez-vous ? ALIENOR. - Votre maître l’Emir, que l’Eternel bénisse, m’octroie un de vous pour La deuxième servante : - Oh ! tu peux bien me servir et me défendre. le dire ! LE VIEUX CHEVALIER. - Je suis trop (Le vieux chevalier joue très mal. Il annone. vieux, hélas. Mais prend un de ceux-ci ; ils On en profite pour discuter... ) sont vaillants et malheureux. Vianette : - Quoi ! Tu es enceinte ? ALIENOR. - Il me faut un valet courageux et Troisième servante : - C’est un secret de fidèle. Il aura maigre chère, dure fatigue et polichinelle! longue marche. S'il est selon mon cœur, il sera Première servante : - C’est le cas de le mon ami. dire... Polichinelle dans le tiroir ! HILAIRE. - Messire, prenez-moi. Je suis sec 2ème servante : - Ça se voit tant que ça, que je et râblé. Je ne crains rien, ni chaud, ni froid, ni suis prise ? vent, ni grêle, ni chrétien, ni païen, ni femme, 1ère servante : - Mais non ! Y’a juste que tu ni personne. Marches Comme un canard !... BARNABE, bas - Je suis riche là-bas, Je te 2ème servante : - Comment ? payerai bien. 3ème servante : Comme ça !... (démonstration) HILAIRE. - Non, moi, messire, prenez-moi. ALIENOR. - Et celui-là, pourquoi n'a-t-il rien 1ère servante : Moi, quand j’attendais mon dit ? premier, ça me tirait dans le dos, je marchais comme ça !... LE VIEUX CHEVALIER. - Il est très (Démonstration) courageux comme un cheval de race. Il n'attend 3ème servante : - Le pire, c’est les jumeaux ! rien des siens. Il n'a pas de rançon. J’ai une amie, elle marche comme ça !... ALIENOR. - Son nom? (Démonstration : c’est la femme de HILAIRE. - Romont, seigneur sans terre et Quasimodo ! Explosion de rires) sans argent. Le garde s’est approché de la coulisse. Le garde, en direction de la coulisse : - « Chut » ! ALIENOR. - Mon Dieu, c'est lui ! La 3ème servante reprend son imitation de la femme enceinte en faisant « Chut »...

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HILAIRE. - Qui le reconnaîtrait, le beau sire Les rires redoublent. Robert, dans ce vilain honteux qui cache son C’est le fou rire !... menton dans ses... (Le blanc, silence total en scène. C’est la N’entendant plus rien en scène... Silence... panique. Les comédiens se regardent sans Pesant ! savoir que faire !... ils regardent du côté des coulisses, implorant de l’aide... BARNABE, se ressaisissant soudain : - Debout Romont. (Il a été tellement théâtral Etonnement de tous. qu’il retient son pantalon de justesse !) Les autres retrouvent leurs marques. L'EMIR. – Lève-toi chien quand ton maître te parle. Ouf de soulagement pour tout le monde. ALIENOR. - Non, laissez-le. Sur le coup, les comédiens se concentrent sur ROBERT. - Qui êtes-vous ? ce qui se passe en scène !... ALIENOR. – J’ai traversé la mer pour t'apporter, Romont, le salut de ta femme. ROBERT. - Ne me parlez pas d'elle. Sybille : - Dis ! bravo Barnabé ! ALIENOR. - Pourquoi ? ROBERT. - Elle est morte pour moi. Amblarde : - Ouais, la classe ! ALIENOR. - Morte? ROBERT. - Oui. Lancelot : - Les autres, ils étaient paumés ! ALIENOR. - Elle pleurait quand je l'ai vue. Et quand elle a connu le but de mon voyage, elle m'a dit: Pèlerin, porte-lui ma plus chère pensée, et le tendre désir de le revoir bientôt. La Mahude - Bon, Aliénor, elle ne va pas Elle pleurait beaucoup, messire. mal non plus ! Lancelot - Le vieux par contre, il annone! LE VIEUX CHEVALIER -La rançon ne (Il singe le vieux) - La rançon ne vient pas. C'est elle qu'il accuse. vient pas. C'est elle qu'il accuse. Pour la suite du jeu, les comédiens jouent les rôles en textant sans son... ALIENOR. - Tu accuses ta femme ! Ils La Mahude, jouant Aliénor, Tu accuses ta mentent n'est-ce pas? Tu ne peux soupçonner femme ! Ils mentent, n'est-ce pas? Tu ne peux une femme qui t’aime. soupçonner une femme qui t’aime. ROBERT, se levant brusquement et la Amblarde - se levant brusquement et la prenant au poignet. - Tu as la même voix. prenant au poignet. - Tu as la même voix. Sais-tu mentir comme elle ? Sais-tu mentir comme elle ? HILAIRE. - Oh ! brutal, un enfant! Vianette, Geste efféminé : - Oh ! brutal, un enfant! LE VIEUX CHEVALIER. –Il t’a fait mal, tu Lancelot,même jeu: - Il t’a fait mal, tu pleures ! pleures ! Manfroy entre dans le jeu de l’Emir, il va mimer tout ce qu’il dit de façon grotesque ! En rajoutant des onomatopées... L’EMIR - Châtiez-le. Manfroy : - Châtiez-le. Quick... ouille ! ALIENOR. - Non, non, il m'a serré le poignet La Mahude - Non, non, il m'a serré le poignet un peu fort. un peu fort. L'EMIR - Je t'apprendrai à mordre la main Manfroy : - Je t'apprendrai à mordre la main Scrontch qui te caresse. Frappez-le. qui te caresse Hum... . Frappez-le. Pafff Oh ouiiii !

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Elles sont maintenant deux à contrefaire Aliénor : ALIENOR. - Non, non, messire, je vous prie La Mahude, La paysanne : - - Non, non, messire, à genoux, accordez-moi cet homme. je vous prie à genoux, accordez-moi cet homme. Tous les hommes font le vieux annonant : LE VIEUX CHEVALIER. – C’est une âme, LE VIEUX CHEVALIER. – C’est une âme, vois-tu très tendre et violente. Et j'aurais vois-tu très tendre et violente. Et j'aurais confiance en son coeur emporté mais sincère. confiance en son coeur emporté mais sincère. L'EMIR. - Il mérite le fouet !... Manfroy : - Il mérite le fouet !... Clac ! Toutes les femmes : Oh ouiiii ! Toutes les femmes jouent Aliénor : ALIENOR. – Accordez-moi cet homme. ALIENOR. – Accordez-moi cet homme. Rappelez.-vous, Seigneur, la parole jurée. Rappelez-vous, Seigneur, la parole jurée. L'EMIR. - Soit, prends avec toi ce fou. Brisez Manfroy : - Soit, prends avec toi ce fou Beurdzing. ses fers Brisez ses fers. Tous les hommes : - Gling Pling Tchoc Pour aller détacher Robert, le garde passe près de la coulisse... Le garde, vers la coulisse : - CHUT ! Le garde perd l’équilibre et chute bruyamment dans les coulisses ! Véro, en direction du public: - Oups, il a « chuté » ! ROBERT, - Laissez–moi laissez-moi. Prenez Les comédiens attrapent le garde et le un de ces hommes. balancent sur scène ! Barnabé voulant réceptionner le garde, oublie de tenir son pantalon... Ils ont là-bas des parents. Je n'ai personne. Je veux mourir ici. Sybille : - La claque ! La claque !! Le garde, groggy, semble effectivement vouloir mettre un terme à ses jours, mais réussit à briser ses chaînes Tout le monde se range en bord de scène et écoute concentré, la fin de la scène. LE VIEUX CHEVALIER. - Si tu veux être grand, apprends à obéir. ROBERT. - Tu prends pour serviteur désespoir et rancune. ALIENOR. - Je prends pour compagnon courage et loyauté. Un instant de suspension, puis tous les acteurs en coulisse applaudissent. Rideau (du fond).

Noir

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Jean-Pierre le doigt levé 3 L’ancien entre en scène, le doigt levé Jean-Pierre - Je m’rappelle, quand on jouait... (il réfléchit)... Ha ! je sais plus... j’crois toujours que c’est « La soupière », parce qu’il y avait une histoire de soupière... mais je vais vous la raconter avec une cruche, cette histoire, ça sera plus drôle ! A un moment donné dans la pièce, y’en a un qui lançait une cruche par la fenêtre !... Bon, derrière la fenêtre, il y a quelqu’un qui récupérait la cruche, pour pas la casser, et quelqu’un d’autre qui remuait un seau plein de vaisselle cassée pour faire le bruit... Bon ! Un jour derrière la fenêtre, on avait placé une fille pas maligne ! Au moment où la cruche passait par la fenêtre, on a vu distinctement deux mains la récupérer !... Hé ! On peut dire que la cruche a été récupérée par une cruche !... (Il sort, satisfait).

LES PORTES QUI CLAQUENT D’après un extrait de « Boeing-Boeing » de Marc Camoletti

Personnages : Janet – Robert – Bernard – Jacqueline – Judith Porte de la salle de bain – Porte de la chambre – Porte de la deuxième chambre - Porte d’entrée - porte face jardin. (Comme il n’y a pas de décor réaliste, les cinq portes sont jouées par des comédien(ne)s) (Janet sort de la salle de bain, coiffée d’un bonnet de bain très original- CLAC !) JANET. - Je me sens beaucoup mieux maintenant, Bernard chéri ! ROBERT. - Eh bien! vous avez de la chance! JANET, elle s'approche de Bernard. - Tu viens, mon amour? BERNARD, se dégageant. - Tout de suite, mon trésor, tout de suite... JANET. - Tu as encore à faire ? BERNARD. - Oui... oui... Quelques petites choses avec lui ! JANET. - Ne me fais pas trop attendre... BERNARD. - Mais non, mais non! JANET. - Bonne nuit, dear Robert! ROBERT ET BERNARD. - Bonne nuit, bonne nuit... JANET. - A tout de suite! BERNARD. - C'est ça ! (Elle sort chambre. CLAC ! ) ROBERT. - Ces Américaines sortant du bain, c'est quelque chose! ... Ton Allemande n'est pas mal non plus! . . . BERNARD. - Oui? Personnellement, je préfère Jacqueline! ROBERT. – La française ? Elle est épatante aussi... ça, tu as su les choisir tes hôtesses de l’air, il n'y a pas a dire... ça plane pour toi, au septième ciel ! (Jacqueline entre de la seconde chambre. CLAC !) JACQUELINE. - Tu sais, Bernard, il faut que tu m’épouses. BERNARD. - Mais oui... ça va venir ! ça va venir ! JACQUELINE. - Parce que je vais te dire, Bernard: tu es fait pour le mariage ! BERNARD. - Moi ? JACQUELINE. - OUI ! Tu as horreur des complications. Tu aimes les situations nettes. Tu es casanier, sans histoires...

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Robert - C’est vrai... c’est tout à fait toi ! Bernard - Tu trouves ? Robert - Oui (dit-il en faisant non de la tête). JACQUELINE.– Tu verras comme nous serons heureux ! Bernard - Mais on l’est déjà ! JACQUELINE. – Quand nous serons mariés, ce sera tout à fait différent. Tu verras. (Elle sort salle de bain. CLAC ! ) ROBERT. - Il doit bien y avoir un bon Dieu pour te sortir d’une situation pareille, quoique, en ce qui concerne ce harem, moi je compterais plutôt sur Mahomet... Il a l'habitude de ces choses-là, lui ! (Voyant Judith entrer par le fond.) Et il faut qu'il se manifeste maintenant ! BERNARD. - Pourquoi ? ROBERT. - Regarde. (Judith arrive par la porte d’entrée. CLAC ! ) BERNARD, se retournant. - Oh ! Là ! C'est toi ? JUDITH. - Oui, tu vois ! BERNARD. - Bon! bon! Eh bien! viens, ma chérie! (Il l'entraîne vers la porte face jardin.) JUDITH. - Non! Il faut que je te parle ! ROBERT. - Oui, oui ! Eh bien! c'est ça! Là, vous serez tranquilles ! BERNARD. - Oui ! Viens! JUDITH. - Non! Laisse-moi ! Je suis malhonnête. BERNARD. - Toi ? Malhonnête? JUDITH. - Oui. Ton ami me plait ! ROBERT. - Moi ? BERNARD. - Lui ? JUDITH. - Oui, vous ! BERNARD - Eh bien! c'est parfait! A moi aussi, il me plait! C'est un ami épatant. JUDITH. - Oui. Mais à moi, il me plait autrement qu'à toi. BERNARD. - Autrement ! Explique-toi ! JUDITH. - Oui! je l'ai embrassé... ! BERNARD, à Robert. - Tu l'as embrassée... ! ROBERT. - C'est-à-dire que... JUDITH. - Parce que j'ai cru que c'était toi ! BERNARD. - Moi ? JUDITH. - Oui! De dos ! BERNARD. - Ah ! bon. De dos ! JUDITH. - Et après c'est lui qui a voulu... Et ça m'a plu ! Et je l'aime, Bernard! ROBERT. - Moi.. ? Vous m'aimez... ? JUDITH. - Oui... ! Alors maintenant, je ne peux plus être ta petite fiancée d'Outre- Rhin... ! Tu comprends n’est-ce pas... ? BERNARD. - Tu exagères quand même, Robert ! Mais... Je ne vais pas être un obstacle! JUDITH ET ROBERT, ensemble, sautant au cou de Bernard. - Oh! Merci, Bernard, Merci! BERNARD. - Il n'y a pas de quoi! Il n’y a pas de quoi! JUDITH. - Ça ne te fait pas trop de peine? BERNARD. - Non... Si ! bien sûr... Mais qu'est-ce que tu veux y faire ? Embrassez-vous ! ça me consolera... JACQUELINE, sortant de la salle de bains. CLAC ! - Ça y est... Oh ! Pardon !... Qui est-ce ? BERNARD. - Oh ! La la ! JUDITH, à Robert. - Qui est-ce? ROBERT. - Qui est-ce ?

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JACQUELINE, à Bernard. - Qui est-ce ? BERNARD. - Qui est-ce? Qui est-ce? Qui est-ce ?.. Eh bien!... Je... Je... Je te présente la fiancée de Robert... C'est sa fiancée... Hein mon vieux? ROBERT. - Oui... Oui... JUDITH. - Ah! Si vous saviez comme je suis heureuse !.. JACQUELINE. - Je vous félicite !... Je vois que vous volez aussi... Nous sommes consoeurs en quelque sorte... Tu es en escale ! Qu'est-ce qui t'amène ici à cette heure ? ROBERT. - Voilà... C'est très simple! ... JACQUELINE. – Et vous ! pourquoi ne m'avez-vous pas dit que vous étiez fiancé? JUDITH. - C'est parce que ça vient de se faire ! ROBERT. - Oui... oui... A I'instant !... JACQUELINE. - Vous avez été rapides ! Le temps que j'entre dans la salle de bains, que je me douche, et hop! vous voilà fiancé? Etonnant. N’est-ce pas chéri ? BERNARD – Mais oui... oui... JUDITH - Comment ?... elle t’appelle chéri ? BERNARD - Oui... enfin... c’est-à-dire que c’est assez compliqué à expliquer. ROBERT - Oui, et il est déjà tard ! JUDITH - Tu es la fiancée de Bernard ? JACQUELINE - Oui... naturellement ! JUDITH - Impossible ! c’est moi qui étais la fiancée de Bernard ! JACQUELINE - Comment ? BERNARD - Attends, laisse-moi t’expliquer. J’étais fiancé avec elle avant de l’être avec toi. JACQUELINE - Ha oui ! Et alors ? BERNARD - Alors ? Alors... alors... Je me doutais qu’elle l’aimait ! ROBERT - Oui, voilà... BERNARD - (A Jacqueline) Alors je me suis fiancé avec elle. (A Judith) Enfin, avec Jacqueline ! (A Jacqueline) Enfin, avec toi. (A Judith) Pour ne pas être plaqué par toi... (A Jacqueline) Enfin, par elle !... JACQUELINE - Je ne comprends pas... BERNARD - C’est pourtant clair ! ROBERT - Ah ! ça ! Limpide ! JACQUELINE ET JUDITH - Pas d’entourloupe ? BERNARD ET ROBERT - Aucune ! JANET (sortant de la troisième chambre. CLAC !) – Tu viens Darling ? Suit une poursuite burlesque avec claquements de portes...

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Comité de lecture Avec des extraits de « Le guichet » de Jean Tardieu

Personnages Henri, Sylvette, Maria, Alcide, Jean-De, Danielle, Martha Un groupe de comédiens est assis en demi-cercle. Arrive Henri (le metteur en scène). Henri - Merci d’être tous là pour ce comité de lecture... Sylvette - Non Henri, il manque Martha ! Henri - Tiens donc, le contraire m’aurait étonné ! Qui devait aller la chercher ? Alcide - C’est moi, mais elle m’a téléphoné qu’elle arrivait par ses propres moyens... et franchement, je préfère ! La dernière fois, j’ai poireauté trois quarts d’heure dans la voiture ! Et quand je me suis décidé à monter chez elle, je l’ai découverte complètement schlass ! Sylvette - C’est une superbe comédienne, il faut le reconnaître, mais quelle chieuse ! Il faut toujours attendre sur elle... Henri - Mais c’est une superbe comédienne !... Danielle - Ça oui, elle te donne la chair de poule... quand elle joue, on dirait qu’elle joue... sa vie ! Jean-De - Oui, mais elle joue aussi avec nos nerfs... avec ses grands airs de diva ! Henri - D’accord, mais il faut admettre que c’est la seule qui peut se le permettre... c’est une superbe comédienne ! Sylvette - Oui... Tant qu’elle n’a pas bu !... Parce qu’après, c’est autre chose !! Henri - Même saoule, elle a toujours parfaitement assumé ses rôles !... Alcide - Oui parce que c’est... TOUS - Une superbe comédienne !... Henri - C’est pas moi qui l’ai dit !... Bon, on va commencer sans elle... c’est dommage, parce que je voulais commencer par lire « Le malentendu » de Camus. Il vient de nous quitter, il faut tout de suite le jouer... et naturellement, dans « Le malentendu », Martha, ce sera la mère ! Maria - Et la fille ? Henri - - Ce sera toi, Maria. Maria - Il n’en est pas question ! Henri - Pourquoi ? Maria - Dans une scène, la fille est en chemise de nuit. Henri - Et alors ? Maria - Moi je dors toujours en pyjama ! Tout le monde est tétanisé par cette réponse sans réplique possible ! Henri - Voilà voilà !... Donc, comme je vous l’ai annoncé, on va prendre un peu une nouvelle direction. Depuis la dernière guerre et maintenant, en pleine guerre d’Algérie, on nage dans l’absurdité ! Pour rendre compte, à notre modeste point de vue, de cette absurdité, nous allons jouer des textes absurdes... afin que la forme soit en adéquation avec le fond !... Alcide - Henri ! C’est trop intello, ça ! trop politique... Continuons à faire ce que nous savons faire : des bonnes pièces comiques et des bons drames ! Henri - Alcide ! On ne peut plus jouer des pièces comme « Le vétérinaire de ma belle-mère », « Ernestin fait de la peinture », « Thérèse ou l’orpheline de Genève »... Danielle - « Qui a bu boira »... Maria - « Momoche, femme de chambre »...

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Jean-De - « A qui la vache ? »... « Mimile » ! Alcide - Moquez-vous ! Mimile, on l’a joué des centaines de fois... il nous a renfloué les caisses ! Henri - Oui mais là stop ! Depuis, il y a eu Jean Vilar, le TNP... le monde bouge, le théâtre bouge, on veut jouer des auteurs vivants !... Alcide - Camus ? Henri - Oh qu’il est bas, ce coup là !... J’ai ici des pièces courtes de Obaldia, comme Edouard et Agrippine... Jean-De - Sei ruhig mein Kind... formidable ! Henri - Et on va commencer par « Le guichet » de Jean Tardieu. Voilà les textes. On distribue les textes. Sylvette - Combien de personnages ? Henri - Le préposé, le client... et puis, la radio, le haut-parleur... Alcide - Je le vois bien venir l’absurde ! Henri - Bon. Jean-De tu prends le préposé et Danielle le client... Danielle - Tu veux dire LA cliente ? Henri - Oui, ça va bien fonctionner avec une femme... Alcide, tu fais la radio... Alcide - - On ferait pas mieux de prendre un jeune... qui a des boutons, pour la radio ? Henri, sans réagir - Et Maria, tu feras le haut-parleur... Tu peux même le lire en pyjama si tu veux !... Je lis les didascalies... Le client frappe à la porte. Le préposé, criant d’un ton rogue. Le préposé (Jean-De) - Entrez ! Henri - Le client n’entre pas. Le préposé encore plus fort. Le préposé (Jean-De) - Entrez Henri - Le client entre, plus terrifié que jamais. Le client, se dirigeant vers le guichet. La cliente (Danielle) - Pardon, Monsieur... C’est bien ici... le bureau des renseignements ? Henri - Le préposé l’interrompant brutalement Le préposé (Jean-De) - C’est pour des renseignements ? Henri - Le client, ravi. La cliente (Danielle) - Oui ! Oui ! Précisément. Je venais... Le préposé (Jean-De) - Alors attendez ! La cliente (Danielle) - Pardon, attendre quoi ? Le préposé (Jean-De) - Attendez votre tour, attendez qu’on vous appelle ! La cliente (Danielle) - Mais... je suis seule ! Henri - Insolent et féroce. Le préposé (Jean-De) - C’est faux ! Nous sommes deux ! Tenez ! Henri - Il lui donne un jeton. Le préposé (Jean-De) - Voici votre numéro d’appel ! La cliente (Danielle) - Numéro 3640 ? Mais... je suis seule ! Le préposé (Jean-De) - Allez vous asseoir et attendez que je vous appelle. Henri - Le préposé referme bruyamment le guichet et allume la radio... (un temps) ... Alcide ! Alcide - Ha oui, la radio... cette connerie ! (Il fait des bruits de bouche incongrus). Henri - Qu’est-ce que tu fais ? Alcide - Je cherche un poste !... Ah voilà ! Quelques ondée intermittentes dans les régions pluvieuses, des tempêtes de neige sur les hautes montagnes, le beau temps persistera dans les secteurs ensoleillés. Vous venez d’entendre le bulletin météorologique. Henri - Le préposé arrête la radio et ouvre le guichet. Le préposé (Jean-De) - Numéro 3640 !!

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La cliente (Danielle) - Voilà ! Voilà ! Le préposé (Jean-De) - Votre jeton ! La cliente (Danielle) - Ho pardon ! Voici ! Le préposé (Jean-De) - Merci ! Henri - Un haut-parleur au loin, sur un ton étrange et rêveur. Le haut-parleur (Maria) - Messieurs les voyageurs pour toutes les directions, votre train, votre automobile, votre cheval vont partir dans quelques minutes... Attention !... Préparez-vous ! La cliente (Danielle) - Je voudrais tant savoir quelle direction prendre... dans la vie... Le préposé (Jean-De) - A votre place, au point où vous en êtes, je franchirais d’un bond le dernier fossé qui me sépare de la vie éternelle. La cliente (Danielle) Ha ! Je vous suis Monsieur ! Je vous suivrais jusqu’au bout du monde !... Le préposé (Jean-De) - Je vous emmène plus loin que le bout du monde : là où les formes ne sont plus que des idées, où les êtres ne sont plus que des essences... La cliente (Danielle) - Je vois, je vois... Quelle pluie d’étoiles ! Le préposé (Jean-De) - Il n’y a même plus d’étoiles ! La cliente (Danielle) - Quelle pluie d’absence d’étoiles !... Alcide - On n’aura pas de succès avec ça ! Vous verrez qu’on devra rejouer Mimile ! TOUS - Chut Martha , qui vient d’entrer - Quoi, chut ? Je n’ai encore rien dit !... Henri - Ha ! Martha... Mieux vaut tard que jamais ! Martha, mystérieuse - Chut !... Je viens vous faire mes adieux. Je quitte le théâtre pour la vie... « courante » ! Je vais suivre une cure de désintoxication. Henri - Bravo, c’est bien. Mais après reviens-nous : nous avons besoin de ton talent ! Martha - Mon talent se nourrit de ma cirrhose !... ou le contraire ? Si je ne guéris pas, j’aurai trop honte de reparaître devant vous ! Et si je guéris, je ne pourrai pas remonter sur les planches. Parce que sans alcool, je serai tout à fait lucide... et pour monter sur les planches, il faut être tout à fait inconscient !

Sans humeur ni rancoeur Sur le paillasson de votre cœur A vos pieds je dépose Le bouquet vermeil de ma cirrhose Ciao commedia, ciao tragedia ... Ciao... i miei amici C’eravamo tanti amati Elle sort, drapée dans sa dignité.

Tous sont éberlués !... Henri, ne sachant que dire - Continuez !... La cliente (Danielle) - Je vous entends. J’entends votre absence de voix proférer un néant de paroles... Je ne suis plus : j’étais. Je ne souffre plus : j’ai souffert. Je ne vis plus : j’ai vécu. Le préposé (Jean-De) - En esprit ! La cliente (Danielle) - Je suis esprit. Le préposé (Jean-De) - J’ai les ailes de l’esprit. La cliente (Danielle) - Je vole auprès de vous ! Le préposé (Jean-De) - Adieu, petite terre, adieu, adieu ! La cliente (Danielle), agitant son mouchoir - Adieu, petite boule de terre ! Le préposé (Jean-De), agitant aussi son mouchoir - Adieu, et bonne continuation !...

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Le théâtre intime

A partir d’un texte extrait de « NOCES DE SANG » , de Federico Garcia Lorca Personnages : La fiancée (Sylvie) – Léonard (Cédric) – Le metteur en scène – Le père de la comédienne – Carole – un comédien âgé C’est une scène de répétition. La fiancée s’est enfuie de sa noce avec Léonard. Ils sont traqués par le fiancé et la noce. Toute cette scène est violente et sensuelle. LA FIANCEE - Ah ! quelle folie ! Je ne veux partager ni ton lit, ni ton pain. Pourtant, je voudrais être avec toi toute la journée. Tu me traînes et je te suis. Tu me dis : « va-t’en » et je te suis dans l'air, comme un brin d'herbe. La couronne d'oranger sur la tête, j'ai laissé un homme dur et tous ses descendants au beau milieu des noces. Je ne veux pas que ce soit toi qu'on punisse. Laisse- moi! Sauve-toi ! Tu n'as personne, ici, pour te défendre! LEONARD - Les oiseaux du matin se cognent aux arbres. La nuit se meurt au tranchant de la pierre. Allons vers le coin d'ombre où je t'aimerai. Qu'importe les gens et leur poison? Il l’étreint fortement. LA FIANCEE - A tes pieds, pour veiller tes rêves, je dormirai nue et regardant les arbres (tragique) comme une chienne que je suis. Car je te regarde et ta beauté me brûle. LEONARD - La lumière étreint la lumière. La même petite flamme tue deux épis à la fois. Viens! Le metteur en scène (intervenant) – Sylvie, c’est très bien, tu joues la passion comme une andalouse, une vraie Carmen ! Mais du coup Cédric, par contraste, ton jeu devient trop fade ! Imagine, tu viens de l’enlever le jour de ses noces ! Tu es fou d’amour pour elle... Pensez toujours au titre de la pièce : « Noces de sang » ! Ici, les trois S ce n’est pas See Sex and Sun, mais Sueur Sperme et Sang ! On interprète du Federico Garcia Lorca, pas la série « Top Model » ! Donc tu la prends à bras le corps, tu te brûles à elle... vos corps sont en feu parce que vos âmes se consument !... on n’est plus dans l’ordre de l’humain : on est dans celui de la bête et du divin... et ça porte un nom : la passion !! Cédric Je sais bien tout ça... Mais elle me regarde avec tellement de désir... ça me met mal à l’aise ! Je n’oserai pas répondre à sa passion avec la même intensité en public... surtout devant ma copine ! Le metteur en scène - Mais on s’en fout de ça ! on est au théâtre... c’est un jeu ! Tu joues Roméo, tu meurs d’amour, et quand tu te relèves, après le spectacle, tu dragues la première gonzesse qui passe ! Tu dois juste paraître sincère, comme Sophie... On prend la suite. LA FIANCEE - Où m'emmènes-tu? LEONARD - Là où ceux qui nous cernent ne pourront pas aller. Dans un endroit ou je puisse te regarder ! LA FIANCEE (sarcastique.) - Emmène-moi de foire en foire, opprobre des honnêtes femmes, avec, comme étendard, les draps de ma noce au vent!

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LEONARD - Il faudrait que je puisse partir, ma1s je ne puis, moi aussi, que te suivre... Essaie... Fais un pas... Des clous de lune rivent tes hanches et ma taille. (Sortant du rôle, au metteur en scène) C’est mieux comme ça ? Le metteur en scène - Oui, c’était bien. La suite... LA FIANCEE - Tu entends? LEONARD - On vient! LA FIANCEE - Sauve-toi ! Il est juste que je meure ici, les pieds dans l'eau, des épines sur la tête. Les feuilles me pleureront, catin et pucelle. LEONARD - Tais-toi! Ils montent. LA FIANCEE - Pars! LEONARD - Silence! Qu'ils ne nous entendent pas. Allons, viens! Toi devant. La fiancée hésite. LA FIANCEE - Non. Ensemble. LEONARD (l'étreignant.) Comme tu voudras! S'ils nous séparent c'est que je serai mort. Le père de la comédienne (intervenant à son tour) - Bon, ça suffit ! Sylvie, rentre à la maison ! j’en ai assez vu comme ça !... Le metteur en scène - Mais pourquoi ? qu’est-ce qui ce passe ? Ce n’est que du théâtre, enfin ! Le père de la comédienne (à Sylvie) – Dis-leur ce que tu m’as dit ! Sylvie se tortille, confuse. Le metteur en scène - Qu’est-ce que c’est, Sylvie, il y a un problème ? Sylvie - Oui, je tombe vraiment amoureuse de mes partenaires ! Désolée... Le père prend sa fille par l’épaule. Ils sortent. Le metteur en scène - Ça alors !... on est dans la m... ! (un temps). Qui veut reprendre le rôle ? Une comédienne assez âgée lève la main. Carole - Moi. Le metteur en scène - Non Carole, c’est le rôle d’une jeune mariée... Carole - Et alors ? On voit de plus en plus de couple avec des grandes différences d’âge !... Le metteur en scène - Oui, mais enfin, on ne va pas non plus faire jouer le rôle de Juliette à la mère Ubu ! Ici, c’est une histoire de passion... Carole - Hé ! La passion, c’est pas une affaire d’âge ! Tiens, je vais t’en donner de la passion !! Elle prend le texte du metteur et joue avec lui en lisant. Carole - « A tes pieds, pour veiller tes rêves, je dormirai nue et regardant les arbres (tragique) comme une chienne que je suis. Car je te regarde et ta beauté me brûle. » Alors ? C’est pas assez passionné ça ?! Le metteur en scène - Si. T’en fais même un peu trop... mais ça ne sert à rien ! Un comédien âgé - Et si c’est moi qui reprenais le rôle de l’amoureux ? Le metteur en scène - Au point où nous en sommes... Mais on ne va plus appeler la pièce « Noces de sang », mais « Noces d’or » !

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