AUX ORIGINES DE LA MÉTAPHYSIQUE L'INTERPRÉTATION PAR ...

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Université Charles de Gaulle Lille 3 UFR de Philosophie École Doctorale SHS Lille Nord de France UMR 8163 Savoirs Textes Langage Académie universitaire Wallonie-Europe Université de Liège Faculté de Philosophie et Lettres AUX ORIGINES DE LA MÉTAPHYSIQUE L'INTERPRÉTATION PAR ALEXANDRE D'APHRODISE DE LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE Thèse de doctorat en philosophie présentée par Gweltaz Guyomarc'h Sous la direction de Madame Annick Stevens et de Monsieur le Professeur Michel Crubellier Membres du jury : Madame Maddalena Bonelli, Ricercatore à l'Università di Bergamo, Centre Léon Robin Monsieur Riccardo Chiaradonna, Professore associato à l'Università degli Studi Roma Tre Monsieur le Professeur Michel Crubellier, Université Charles de Gaulle Lille 3 Monsieur Philippe Hoffmann, Directeur d'études à l'École Pratique des Hautes Études Madame le Professeur Annick Jaulin, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Madame Annick Stevens, Chargée de cours à l'Université de Liège Soutenue à Lille le 22/09/2012

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Universiteacute Charles de Gaulle Lille 3

UFR de Philosophie

Eacutecole Doctorale SHS Lille Nord de France

UMR 8163 Savoirs Textes Langage

Acadeacutemie universitaire Wallonie-Europe

Universiteacute de Liegravege

Faculteacute de Philosophie et Lettres

AUX ORIGINES DE LA MEacuteTAPHYSIQUE

LINTERPREacuteTATION PAR ALEXANDRE DAPHRODISE DE LA MEacuteTAPHYSIQUE DARISTOTE

Thegravese de doctorat en philosophie preacutesenteacutee par Gweltaz Guyomarch

Sous la direction de Madame Annick Stevens et de Monsieur le Professeur Michel Crubellier

Membres du jury

Madame Maddalena Bonelli Ricercatore agrave lUniversitagrave di Bergamo Centre Leacuteon Robin

Monsieur Riccardo Chiaradonna Professore associato agrave lUniversitagrave degli Studi Roma Tre

Monsieur le Professeur Michel Crubellier Universiteacute Charles de Gaulle Lille 3

Monsieur Philippe Hoffmann Directeur deacutetudes agrave lEacutecole Pratique des Hautes Eacutetudes

Madame le Professeur Annick Jaulin Universiteacute Paris 1 Pantheacuteon-Sorbonne

Madame Annick Stevens Chargeacutee de cours agrave lUniversiteacute de Liegravege

Soutenue agrave Lille le 22092012

Remerciements

Je tiens en premier lieu agrave exprimer toute ma reconnaissance envers mes deux directeurs

de thegravese ou selon le terme belge mes promoteurs (deux termes qui ont en commun de deacutecrire

adeacutequatement lindication dun sens et limpulsion dun mouvement) Madame Annick Stevens

et Monsieur Michel Crubellier Ce travail doit tout agrave leurs conseils relectures encouragements

Plus que cela ils mont formeacute et mont appris agrave lire les textes ce qui suit je lespegravere en porte la

trace

Je remercie les membres de leacutequipe Didaskalos Annick Jaulin Anne Balansard Cristina

Cerami et Laurent Lavaud qui tout au long de nos seacuteminaires sur le Commentaire agrave la

Meacutetaphysique dAlexandre mauront soutenu et conseilleacute mauront montreacute comment la recherche

peut seffectuer librement avec plaisir autant que rigueur

Gracircce au soutien de lrsquoUMR laquo Savoirs Textes Langage raquo de lUFR de philosophie de

lUniversiteacute de Lille 3 de lEacutecole Doctorale SHS Lille Nord de France jai pu effectuer mes

recherches dans un cadre de travail propice Je remercie eacutegalement mes collegravegues de lUFR de

philosophie

Il y a parmi ces collegravegues des amis dont les encouragements ont eacuteteacute source de reacuteconfort

Parce que selon une thegravese constante des penseurs antiques il ny a pas de philosophie sans

amitieacute je remercie singuliegraverement Peggy Avez Sarah Margairaz et Franccedilois Thomas

Morgann Guyomarch Nolwenn Guyomarch Claire Louguet et Marc Develey ont assureacute

la relecture de diverses parties du preacutesent travail Claire Louguet a en outre toujours su rester

attentive agrave la rigueur des traductions et agrave lintelligibiliteacute du propos Les obscuriteacutes restantes me

sont bien sucircr imputables

Ma gratitude pour mes parents deacutepasse le cadre de ce simple travail

Enfin agrave Olivier laquo ὁ δ ἀληθινὸς φίλος καὶ ἁπλῶς ὁ πρῶτος ἐστίν ἔστι δὲ τοιοῦτος ὁ δι

αὑτὸν αὐτὸς αἱρετός raquo1

1 Aristote EE VII 2 1236b 28-29

I

Sommaire

RemerciementsI

SommaireII

Abreacuteviations et conventionsVI

Introduction1

1 La fondation de la meacutetaphysique1

2 LExeacutegegravete par excellence et lhistoire de laristoteacutelisme7

3 Eacutetat de lart14

4 Thegravese et meacutethode ndash meacutetacommentaire17

Chapitre I La meacutetaphysique comme science une enjeux23

11 Y a-t-il un laquo champ de bataille de la meacutetaphysique raquo agrave leacutepoque dAlexandre 23

111 Contextualisation 24

a) Contextualiser une eacutenonciation philosophique24

b) Une contextualisation commandeacutee par le contexte27

112 Quelle meacutetaphysique 36

a) Larleacutesienne36

b) Trois critegraveres deacuteflationnistes du meacutetaphysique43

113 Implications meacutetaphysiques de deacutebats logique et physique51

a) Le problegraveme des universaux ouverture vers une question de lecirctre51

b) lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes la question des principes72

114 Conclusions trois reacutequisits pour la meacutetaphysique alexandrinienne86

12 Alexandre exeacutegegravete Uniteacute des noms uniteacute du traiteacute89

121 Luniteacute de la laquo πραγματεία raquo89

122 Luniteacute des noms une science heacuteteacuteronyme ou polyonyme 95

a) Linvention de la laquo meacutetaphysique raquo 96

b) La promotion de laquo philosophie premiegravere raquo la meacutetaphysique agrave lendroit98

c) La promotion de laquo philosophie premiegravere raquo louverture dun champ106

123 La Meacutetaphysique selon Alexandre117

II

a) Une lecture interne117

b) Authenticiteacute des livres et uniteacute du traiteacute119

c) La marche du traiteacute125

d) Conclusion limpeacuteratif duniteacute135

Chapitre II La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere137

21 La science du premier une theacuteologisation de la meacutetaphysique 137

211 Limpossible reacuteduction137

212 La viseacutee du premier143

213 Les principes premiers statut et identiteacute150

a) Le principe de causaliteacute du maximum150

b) Quels principes premiers 160

22 Une science universelle169

221 Lambition totalisante169

222 Eacutetudier leacutetant laquo en tant queacutetant raquo et ses proprieacuteteacutes176

223 Eacutetudier les modes decirctre des eacutetants ὕπαρξις185

a) ὕπαρξις avant et chez Alexandre ndash les raisons dune promotion190

b) Le commentaire agrave Γ 2 leacutetant et lun 197

c) Meacutetaphysique Δ 7 et son commentaire par Alexandre 203

224 Conclusions ndash existence et non-eacutetant comme objets de la meacutetaphysique213

23 La premiegravere des sciences lambition fondationnelle219

231 Une science architectonique220

232 Une science modegravele223

233 La science des axiomes228

234 Conclusions dialectique et meacutetaphysique238

a) Aristote et la dialectique platonicienne lheacuteritage238

b) Le parricide240

c) Meacutetaphysique et dialectique247

24 Lunification lobjet de la meacutetaphysique dans le commentaire agrave Γ 250

241 Plan et objet de Γ253

242 Trois passages architectoniques260

III

a) Les textes261

b) Eacutetat des lieux problegravemes et interpreacutetations270

c) La solution geacuteneacuterale la structure uni-reacutefeacuterentielle des sciences278

d) Ontologie ousiologie et theacuteologie286

243 Conclusions une structure laquo katholou-protologique raquo 296

Chapitre III Les objets de la meacutetaphysique301

31 Luniteacute de leacutetant en tant queacutetant303

311 Homonymie synonymie et plurivociteacute ndash trois gestes exeacutegeacutetiques dAlexandre308

a) Relation et deacutependance308

b) Entre homonymes et synonymes311

c) Limpeacuteratif de fondation318

312 La prioriteacute de la substance322

a) Un maximum322

b) Une cause329

c) Premier et universel derechef335

313 La relativiteacute des eacutetants non-substantiels337

32 Οὐσία et εἶδος dune cause de lecirctre agrave lautre348

321 La substance comme sujet dinheacuterence348

322 La forme qualiteacute ou substance 356

a) Le cas de lacircme 356

b) La Forme substance car partie de la substance365

323 Lessentialisme dAlexandre372

a) Extension de lhyleacutemorphisme ndash 1 373

b) Forme et diffeacuterence la deacutefinition de lhomme376

c) Causaliteacute de la forme et inheacuterence hyleacutemorphique385

323 Conclusions impeacuteratifs contextuels et coheacuterence interne389

33 La fin de lenquecircte la theacuteologie398

331 Extension de lhyleacutemorphisme ndash 2 la noeacutetique400

a) Concepts fondamentaux de la noeacutetique alexandrinienne400

b) Le principe de causaliteacute du maximum en noeacutetique407

332 Lordre du monde419

IV

a) Dramatis personae419

b) Agrave quoi bon un dieu 430

333 Meacutetaphysique et fin de lhomme438

Conclusions442

Annexes453

Bibliographie seacutelective453

Indices481

V

Abreacuteviations et conventions

Sauf indication contraire les citations des textes grecs sont extraites des eacuteditions retenuespar le Thesaurus Linguae Graecae Le volume Thesaurus linguae graecae canon of Greek authors andworks eacutediteacute par L Berkowitz et K A Squitier Oxford University Press 1990 recense ceseacuteditions il est mis agrave jour sur le site httpstephanustlguciedu

Sauf indication contraire les traductions proposeacutees sont nocirctres Les traductions duCommentaire agrave la Meacutetaphysique dAlexandre ont amplement beacuteneacuteficieacute des travaux de leacutequipeDidaskalos quoique nous ayons ici conserveacute nos propres traductions dans lattente de latraduction franccedilaise du Commentaire

Abreacuteviations des œuvres dAlexandre

In Topica In Top In Analytica Priora In AnPrIn Meteorologica In Meteor In Metaphysicam In MetDe anima DA Mantissa MantDe providentia De prov De principiis De princDe mixtione De mix

Les titres des autres œuvres nont pas eacuteteacute abreacutegeacutes Ces abreacuteviations valant eacutegalement pour les autres commentateurs le nom de lauteur a

eacuteteacute systeacutematiquement preacuteciseacute quand il ne sagissait pas dAlexandre On peut y rajouter In EN pour le commentaire dAspasius agrave lrsquoEacutethique agrave Nicomaque In

Cat pour les divers Commentaires aux Cateacutegories In Phys pour le commentaire de Simplicius agrave laPhysique

Abreacuteviations des œuvres dAristote

Cateacutegories Cat De interpretatione De intAnalytica priora AnPr Analytica posteriora AnPoTopica Top Physica PhysDe caelo Caelo De generatione et corruptione GCMeteorologica Meteor De Anima DADe partibus animalium PA De generatione animalium GAMetaphysica Met Eacutethique agrave Nicomaque ENEacutethique agrave Eudegraveme EE Politica PolPotreptique Protr

Autres abreacuteviations

De Comm Not Plutarque De Communibus notiis adversus Stoicos DL Diogegravene Laeumlrce Vies doctrines et sentences des philosophes illustresLS AA Long DN Sedley Les philosophes helleacutenistiques t I II III [1987] tr fr [2001] M Sextus Empiricus Adversus MathematicosSVF HFA Von Arnim Stoicorum veterum fragmentaLSJ H Liddel R Scott HS Jones R McKenzie A GreekndashEnglish Lexicon

Les œuvres dAlexandre neacutetant pas les plus accessibles nous navons pas heacutesiteacute agrave ecirctregeacuteneacutereux dans les citations en notes de bas de page

VI

Introduction

INTRODUCTION

φιλοπονωτάτου σαφηνισθεῖσαν Ἀλεξάνδρου1

1 La fondation de la meacutetaphysique

Aristote a dit-on fondeacute la meacutetaphysique2 Cette proposition est autant leacutegitime

quinacceptable en leacutetat

Leacutegitime elle lest en ceci quon ne trouvera sans doute pas dans lhistoire de la

philosophie (telle quelle comprend les penseacutees europeacuteenne byzantine syriaque arabe)

douvrage qui se revendique de laquo meacutetaphysique raquo sans aucun lien direct ou indirect avec

lœuvre du Stagirite La Meacutetaphysique deacutesigne au premier chef cet ensemble de livres dont on

attribue la paterniteacute agrave Aristote et cest par antonomase que le nom propre sest lexicaliseacute en celui

dune science Le Stagirite ne fonde pas seulement cette science en un sens bibliotheacutecaire au sens

ougrave ce sont ses traiteacutes qui ont eacuteteacute ainsi nommeacutes la premiegravere fois Ce titre de fondateur peut aussi

lui ecirctre agrave bon droit deacutecerneacute au regard de la cartographie des savoirs que le Stagirite eacutetablit et qui

a puissamment marqueacute lhistoire des sciences Cette cartographie construit de fait un territoire

qui sera investi par les meacutetaphysiques ulteacuterieures territoire qui ne se confond ni avec la

physique ni les matheacutematiques ni les sciences pratiques Si fonder signifie par analogie avec la

construction dun bacirctiment lacte de poser les maccedilonneries qui servent de base agrave un eacutedifice si de

1 Syrianus In Met 54 11-13 laquo ltταῦταgt πειράσεται μὲν ἐν ταύτῃ παραδοῦναι τῇ βίβλῳ ἣν ἡμεῖςἱκανῶς ὑπὸ τοῦ φιλοπονωτάτου σαφηνισθεῖσαν Ἀλεξάνδρου πᾶσαν μὲν οὐκ ἐξηγησόμεθα raquo laquo Cela Aristote va entreprendre de lexposer dans ce livre que quant agrave nous nous ne commenteronspas en entier puisquil a eacuteteacute suffisamment expliqueacute avec clarteacute par le tregraves industrieux Alexandre raquoC Luna [2001] p 73 cite une traduction ineacutedite de J-P Schneider qui propose eacuteleacutegamment laquo par cetravailleur infatigable quest Alexandre raquo

2 Voir par exemple R Boehm [1965] p 3 tr fr [1976] p 103 laquo Aristote est le fondateur de lameacutetaphysique raquo premiegravere phrase du premier chapitre Ou P Aubenque [2009b] p 21 laquo hellip Aristotequi est sinon linitiateur de la question de lecirctre deacutejagrave poseacutee par Parmeacutenide avant lui du moins lefondateur de la meacutetaphysique comme science autonome raquo

1

Introduction

surcroicirct cet acte implique la projection la deacutelimitation du lieu agrave la fois linstitution3 et

linauguration au double sens de lἀρχή alors la seule reacutefeacuterence des traditions laquo meacutetaphysiques raquo

agrave Aristote suffit agrave faire de lui un fondateur

Immeacutediatement pourtant on sait aussi queacuteriger Aristote en laquo pegravere de la meacutetaphysique raquo4

fait problegraveme La difficulteacute est double parler de laquo meacutetaphysique raquo chez Aristote ne va pas de soi

non plus que parler de laquo la raquo meacutetaphysique Faut-il le rappeler le terme nappartient pas agrave

lidiome aristoteacutelicien Agrave vrai dire il nexiste mecircme aucun adjectif ou nom de la sorte (en

μεταφυσικ-) en grec classique voire en grec ancien tout court5 La difficulteacute nest pas que les

livres aristoteacuteliciens ainsi reacuteunis soient deacutepourvus de titre ndash le fait nest pas rare dans lAntiquiteacute6

ndash mais que ces divers livres soient unifieacutes sous la rubrique dun terme eacutetranger agrave Aristote7 Agrave la

place les traiteacutes dits meacutetaphysiques proposaient pourtant une pluraliteacute de deacutenominations

sagesse philosophie premiegravere science theacuteologique science rechercheacutee agrave quoi lon peut ajouter

des descriptions comme science des premiers principes et des premiegraveres causes science de leacutetant

en tant queacutetant enquecircte sur la substance science de leacutetant immobile et seacutepareacute8 Pour des raisons

qui restent en partie encore agrave eacutelucider aucune de ces expressions cependant na sembleacute convenir

3 Sur le caractegravere opeacuteratoire de ce concept dans lhistoire des savoirs cf M Merleau-Ponty [1968] p 61

4 Sur Aristote comme le laquo pegravere de la meacutetaphysique raquo cf Schopenhauer Monde comme volonteacute et commerepreacutesentation tr fr [2004] p 852

5 Pour les occurrences probleacutematiques du terme chez Basile de Ceacutesareacutee et Simplicius dont la traditionmanuscrite est discuteacutee cf L Brisson [1999] On laisse ici de cocircteacute la question eacutepineuse de lapparitiondu terme dans lAnonyme de Meacutenage (cf M Narcy [2003] p 225)

6 Sur les titres des ouvrages dAristote dans les listes anciennes voir P Moraux [1951] Sur le titre de laMeacutetaphysique cf P Hoffmann [1997] p 88-89 et sur la notion mecircme de titre pour les ouvrages antiquesp 581 sq Voir aussi S Fazzo [2012] p 52

7 Que les eacutediteurs antiques quels quils soient naient pas conserveacute laquo philosophie premiegravere raquo parexemple reste une source dinterrogation Lexpression offrait aux successeurs dAristote des avantagesagrave la fois pratiques et theacuteoriques Le syntagme est dusage aiseacute a une origine textuelle aveacutereacutee et insistede faccedilon attendue sur la preacuteeacuteminence de la meacutetaphysique Mieux un passage du De motu animalium sereacutefegravere explicitement agrave des livres sous ce nom (laquo ἐν τοῖς περὶ τῆς πρώτης φιλοσοφίας raquo 700b 9) Au-delagrave mecircme des seuls textes aristoteacuteliciens lexpression consonne avec lobjet de ladite laquo Meacutetaphysique raquode Theacuteophraste (laquo τὴν ὑπὲρ τῶν πρώτων θεωρίαν raquo 4a 2-3) ce qui lui assure eacutegalement une assise ausein mecircme de leacutecole peacuteripateacuteticienne Autant datouts qui auraient ducirc assurer son succegraves Pourquoidegraves lors lui avoir progressivement preacutefeacutereacute cette deacutenomination proprement embarrassante demeacutetaphysique Pourquoi en tout cas apregraves Alexandre et Ascleacutepius (cf pour ce dernier In Met 3 27-28) nest-ce pas la laquo philosophie premiegravere raquo qui a emporteacute la partie et embrasseacute sous elle tous les autrestitres possibles Comme on le verra plus loin le cas dAlexandre deacutement en effet formellementlhypothegravese de P Aubenque selon qui laquo le titre de De la philosophie premiegravere ne leur [aux commentateurs]parut pas sappliquer adeacutequatement agrave lensemble des eacutecrits reacuteunis par une tradition anteacuterieure quilsavaient sous les yeux raquo agrave cause de son sens trop restrictif ie theacuteologique (P Aubenque [1962] p 34 n3) Cf ci-dessous sect 122b et c

8 Cf F Wolff [1997] p 293 et la liste complegravete et reacutefeacuterenceacutee eacutetablie dans R Goulet [2003] p 243

2

Introduction

aux lecteurs dAristote Toujours est-il que le traiteacute est ainsi peu agrave peu entreacute dans lhistoire au prix

dune premiegravere divergence qui seacutepare Aristote de lhistoire de la meacutetaphysique

Au demeurant il nest pas deacuteraisonnable de se deacutebarrasser de ces problegravemes lexicaux en

acceptant un usage anachronique et large de laquo meacutetaphysique raquo ndash comme on peut parler deacutethique

platonicienne ou dontologie aristoteacutelicienne ce qui nest pas de soi illeacutegitime Toutefois on ne

pourra alors limiter au seul Aristote la fondation de la meacutetaphysique En ce cas en effet le geste

de fondation devient inseacuteparable (au moins) du nom de Platon Lideacutee dune philosophie

premiegravere lideacutee dune science qui ne soit ni physique ni matheacutematique ni science pratique sest

constitueacutee collectivement au croisement de lAcadeacutemie et du Lyceacutee Comme le deacutecrit

M Crubellier apregraves avoir rappeleacute les premiegraveres lignes de la laquo Meacutetaphysique raquo (ou De principiis9) de

Theacuteophraste

Il a existeacute agrave Athegravenes au IVegraveme s deux ou trois geacuteneacuterations dhommes (peut-ecirctre pas plus dequelques dizaines de personnes en tout) pour qui cette question avait un sens et uneleacutegitimiteacute [hellip] Il a existeacute un certain domaine de recherches identifieacute comme tel par lesspeacutecialistes qui se concreacutetise dans une certaine terminologie (par exemple lemploi absolude τὰ πρῶτα) et dans un ensemble de questions reconnues comme pertinentes eu eacutegard agravecertains inteacuterecircts de la raison10

Deacutesigner Aristote comme le fondateur de la meacutetaphysique une entreprise en reacutealiteacute

collective en son origine relegraveve alors de la simplification

Enfin lœuvre appeleacutee Meacutetaphysique est loin de donner agrave lire la constitution nette et

deacutefinitive dun champ unifieacute du savoir Elle semble dabord comme on sait osciller entre

plusieurs objets les premiers principes et les premiegraveres causes leacutetant en tant queacutetant lun les

axiomes la substance le divin ou une substance immobile11 Au fur et agrave mesure des livres la

science rechercheacutee senfonce dans un relatif anonymat jusquagrave en perdre son nom mecircme de

science tout en voyant saccroicirctre son programme de recherches12 Cela constitue deacutejagrave en soi un

problegraveme eu eacutegard agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la science qui reacuteserve agrave chaque science un seul

9 Pour le titre de lopuscule de Theacuteophraste cf D Gutas [2010] p 9 sq

10 M Crubellier [1999] p 1 Voir aussi M Crubellier A Laks [2009] p 14

11 Voir entre autres Met A 2 982b 9 Γ 1 1003a 21 Γ 2 1003b 34-35 Γ 3 1005a 19-20 E 1 1025b 2 sq1026a 20 Z 1 1028b 2-4 I 1 1052b 1-3 Λ 1 1069a 18 sq On pourrait ajouter aussi les autres sens deleacutetant par accident par soi lacte et la puissance comme vrai cf Met Δ 7

12 Dans la Meacutetaphysique le terme de laquo science raquo napparaicirct plus pour deacutesigner lenquecircte meneacutee degraves apregravesle livre E sauf en K Voir tout de mecircme Λ 10 1075b 21 sq qui attribue lappellation de laquo science raquo agravelaquo dautres raquo mais pourrait laisser entendre quAristote reprend en son nom cette appellation

3

Introduction

genre-objet13 En outre parmi ces objets certains sont explicitement non geacuteneacuteriques ndash comme

leacutetant ou lun ndash et ne devraient pouvoir faire lobjet dune science14 On pourrait agrave la rigueur

admettre une pluraliteacute de programmes agrave linteacuterieur de la meacutetaphysique en soulignant par

exemple que les apories du livre B se formulent souvent sur le mode revient-il agrave une mecircme

science deacutetudier x et aussi y ce qui favorise lideacutee dune structure souple accueillante agrave la

diversiteacute15 Mais en ce cas il faut dune part admettre que la meacutetaphysique sort des limites du

reacutegime de scientificiteacute deacutecrit par Aristote dans les Analytiques dautre part il faut encore rendre

compte sur le modegravele justement de certaines apories de B de la compatibiliteacute des eacutetudes de ces

divers objets Une difficulteacute connue est de comprendre comment cette science peut eacutetudier agrave la

fois ce qui traverse tous les genres agrave savoir leacutetant en tant queacutetant et le premier de ces eacutetants la

substance immobile Eu eacutegard agrave la pluraliteacute des objets deacutejagrave souligneacutee mecircme ce problegraveme ndash on

aura reconnu la concurrence classique entre ontologie et theacuteologie16 ndash est une simplification

Comme le dit J Barnes la Meacutetaphysique semble alors davantage tenir du laquo farrago raquo du meacuteli-meacutelo

ou du pot-pourri17

Un tel deacutemantegravelement peut se soutenir de la composition du traiteacute lui-mecircme Des

arguments litteacuteraires sopposent agrave lunification du traiteacute et donc de la science quil est censeacute

exposer Depuis lAntiquiteacute on sinterroge en effet sur lachegravevement du traiteacute18 et par exemple

lauthenticiteacute du livre α la preacutesence du livre Δ agrave quoi lexeacutegegravese moderne a ajouteacute les doutes sur E

1 K la place de Z 7-9 luniteacute et la place de Λ etc Certains teacutemoignages anciens laissent entendre

que la composition du traiteacute nest pas dAristote lui-mecircme19 on a donc tenteacute de reformer le plan

du traiteacute en distinguant des strates selon une eacutevolution supposeacutee de la penseacutee du Stagirite ou

lordre argumentatif des textes20 Les textes ne sont manifestement pas eacutecrits dans la mecircme veine

et ne sadressent sans doute pas aux mecircmes publics vont de simples notes agrave ce quon considegravere

13 Par exemple AnPo I 28 87a 38-39 Met B 2 997a 21 Cf F Brentano [1862] tr fr [1992] p 141

14 En tout cas pris comme tels sans speacutecification (laquo en tant queacutetant raquo) Cf EE I 8 1217b 25-35

15 Cf Met B 1 995b 6-8 18-20 Voir aussi M Crubellier A Laks [2009] p 15

16 Preacutecisons dembleacutee quon utilisera dans le travail qui suit de telles deacutenominations dans le senscouramment accepteacute par les aristoteacutelisants sans preacutejuger de lexistence constitueacutee dune science deleacutetant en tant queacutetant distincte dune science de la substance distincte dune science du divin

17 J Barnes [1997] p 61

18 W Jaeger [1948] tr fr [1997] p 166

19 On revient sur tous ces points ci-dessous sect 112a

20 Voir les tentatives distinctes de W Jaeger [1948] B Dumoulin [1986] et dans un style tregraves diffeacuterentE Martineau [1997]

4

Introduction

en geacuteneacuteral comme une confeacuterence (Λ ou du moins son deacutebut)21 La Meacutetaphysique nest donc pas

vraiment un livre22 Lopinion est ancienne et assez commune on la lit par exemple sous la plume

de V Cousin laquo Lopinion la plus accreacutediteacutee est que la Meacutetaphysique est un tout factice composeacute

longtemps apregraves la mort dAristote de piegraveces et de morceaux plus ou moins bien cousus

ensemble raquo Et quelques lignes plus loin laquo Et la Meacutetaphysique dAristote sort tout en lambeaux de

cette discussion raquo23

Des arguments historiques viennent renforcer cette conclusion en mettant en doute

lexistence dune Meacutetaphysique constitueacutee agrave leacutepoque dAristote On ne trouve ainsi pas de trace

dun traiteacute meacutetaphysique dans le catalogue de Diogegravene Laeumlrce le teacutemoignage de Nicolas de

Damas est difficilement datable24 le teacutemoignage dAscleacutepius selon lequel il incomba agrave Eudegraveme de

Rhodes deacutediter le traiteacute est peu fiable25

Si lon rapproche le cas de la Meacutetaphysique de celui de la Physique la comparaison devient

sans appel Aristote a fondeacute ou du moins refondeacute la physique Il le fait certes agrave la suite dautres

auteurs (les laquo physiologues raquo) certes aussi lhistoire du texte de la Physique nest pas un long

fleuve tranquille on sinterroge parfois sur luniteacute du traiteacute Mais cette uniteacute demeure tout de

mecircme plus nette que celle de la Meacutetaphysique26 Au surplus la circonscription par Aristote dun

champ du savoir lidentification de son genre-objet et de son programme de travail27 la mise au

point de ses meacutethodes de travail tout cela est bien mieux attesteacute que pour la meacutetaphysique

Faut-il alors aller jusquagrave dissocier les traiteacutes dAristote de lhistoire de la meacutetaphysique

Pour les raisons preacuteceacutedemment mentionneacutees et dautres Heidegger affirme ainsi que laquo lon peut

neacuteanmoins douter que le contenu des eacutecrits aristoteacuteliciens reacuteunis sous le titre de Meacutetaphysique soit

vraiment une meacutetaphysique raquo ou pire laquo Aristote na jamais eacuteteacute en possession de ce qui a eacuteteacute

compris plus tard sous le mot et le concept de meacutetaphysique Il na en outre jamais chercheacute quoi

que ce soit qui ressemble tant soit peu agrave cela quon a cru depuis toujours pouvoir trouver chez lui

21 Tout cela est reacutesumeacute et accompagneacute dindications bibliographiques dans R Goulet [2003] ici p 235

22 A Jaulin [2003] p 11

23 V Cousin le dit dans son rapport agrave louvrage de K-L Michelet disciple et eacutediteur de Hegel et laureacuteatavec F Ravaisson du fameux concours sur la Meacutetaphysique dAristote Cf K-L Michelet [1836] p XIII-XIV

24 Cf S Fazzo [2008b] pour les autres teacutemoignages voir agrave nouveau la synthegravese de M Narcy [2003]

25 Sur tout cela cf ci-dessous 112a

26 Cf P Pellegrin [2002] p 27

27 Voir le beau passage des Meteor I 1 338a20 sq

5

Introduction

sous le nom de meacutetaphysique raquo28 Accepter de telles conclusions serait nier notre premiegravere seacuterie

darguments soutenir quAristote na rien agrave voir avec lhistoire de la meacutetaphysique est

inadmissible ndash mecircme en reacuteduisant celle-ci agrave lhistoire de lonto-theacuteologie Il demeure que la

contradiction entre les deux seacuteries darguments en faveur ou agrave lencontre dune fondation

aristoteacutelicienne de la meacutetaphysique est aigueuml

Toutefois le Philosophe lui-mecircme nous a appris quil ny avait contradiction que lorsque

les propositions eacutetaient prises laquo sous le mecircme aspect raquo29 Leacutetau logique de la contradiction peut

ecirctre desserreacute agrave condition de saviser dun fait simple toute fondation na de sens que de faccedilon

reacutetrospective Une fondation sans tradition est un vain mot steacuterile comme un precircche dans le

deacutesert On ninaugure et ninstitue que ce qui se deacuteploie dans un legs se reacutepegravete se reforme et se

deacuteforme dans un heacuteritage Il ny aurait pas de carteacutesianisme sans Descartes certes mais que

serait-il sans Mersenne Eacutelisabeth de Bohegraveme Malebranche Bayle

Degraves lors pour comprendre comment est neacutee la meacutetaphysique il faut se reacutefeacuterer non pas

seulement agrave Aristote mais aussi agrave sa tradition au premier chef de laquelle se place Alexandre

dAphrodise Lideacutee dorigines de la meacutetaphysique doit deacutecideacutement ecirctre pluraliseacutee

Notre hypothegravese geacuteneacuterale est la suivante lœuvre de l laquo Exeacutegegravete par excellence raquo a rendu

possible la fondation de la meacutetaphysique Paradoxalement ndash mais le paradoxe nest

quapparent ndash la possibiliteacute mecircme de laquo faire de la meacutetaphysique raquo sans que cela signifie

seulement commenter Aristote a eacuteteacute assureacutee par le travail de ces commentateurs et

singuliegraverement dAlexandre Le processus de diffeacuterenciation du travail exeacutegeacutetique et du travail

du meacutetaphysicien est un processus qui court sur un temps long On a pu faire lhypothegravese quil

eacutetait accompli seulement agrave la fin du Moyen Acircge par Suaacuterez30 Nous proposons den situer

lorigine chez Alexandre dAphrodise LExeacutegegravete travaille agrave faire de la Meacutetaphysique un livre et de

la meacutetaphysique une science une Leacutetude quon va lire porte sur cette double naissance dun

livre et dune science

28 M Heidegger respectivement GA 3 tr fr [1953] p 66 et GA 33 tr fr [1991] p 13-14

29 Aristote Met Γ 3 1005b 19-20 laquo τὸ γὰρ αὐτὸ ἅμα ὑπάρχειν τε καὶ μὴ ὑπάρχειν ἀδύνατον τῷ αὐτῷκαὶ κατὰ τὸ αὐτό raquo

30 Cf par exemple J-P Coujou [1999] p 8-9 ougrave lon voit Suaacuterez qui se pique de pointer les laquo deacutefauts raquo decomposition et de coheacuterence dans lœuvre aristoteacutelicienne Voir aussi la synthegravese stimulante de P Porro[2005] qui sintitule de faccedilon eacuteloquente laquo Dalla Metafisica alla metafisica e ritorno una storia medievale raquo

6

Introduction

2 LExeacutegegravete par excellence et lhistoire de laristoteacutelisme

Alexandre dAphrodise diadoque de philosophie peacuteripateacuteticienne agrave Athegravenes31 connaicirct

son floruit agrave la fin du IIegraveme s et au deacutebut du IIIegraveme s agrave la charniegravere de leacutepoque post-helleacutenistique et

de lAntiquiteacute tardive au commencement de llaquo egravere des commentateurs raquo Professeur ou

laquo universitaire raquo32 Alexandre enseigne agrave un cercle speacutecialiseacute deacutetudiants avanceacutes Il travaille aussi

agrave la deacutefense de la doctrine aristoteacutelicienne contre les autres eacutecoles et agrave sa diffusion vers un public

cultiveacute plus large LAphrodisien nest ni un doxographe ni un chercheur retireacute sur les cimes il

philosophe parce quil enseigne (ou reacuteciproquement33) Son œuvre se laisse structurer par la

pluraliteacute de ses publics Alexandre eacutecrit de longs commentaires pointus sur les grands textes

aristoteacuteliciens des synthegraveses sur une probleacutematique preacutecise des explications dun texte

particulier des batteries darguments pour deacutemontrer une thegravese Mais aussi des traiteacutes

deacutemontrant la supeacuterioriteacute de la doctrine aristoteacutelicienne sur telle question agrave la mode des billets

poleacutemiques34 Tous les textes que nous avons conserveacutes de son œuvre en grec ou en arabe

exemplifient cette diversiteacute35

Le choix dAlexandre dans la veacuterification de notre hypothegravese geacuteneacuterale se justifie par sa

position litteacuteralement deacutecisive dans lhistoire de la meacutetaphysique Son Commentaire agrave la

Meacutetaphysique dont nous ne posseacutedons que les cinq premiers livres36 est en effet le premier du

genre agrave avoir eacuteteacute transmis Jusquagrave preuve du contraire en leacutetat de nos sources Alexandre donne

le deacutepart dun regain dinteacuterecirct dans la philosophie antique pour la science meacutetaphysique du

31 Cf A Chaniotis [2004] p 388-389 Chaniotis traduit ainsi linscription honorifique deacutecouverte agraveAphrodisias laquo In accordance with a psephisma of the council and the people Titus Aurelius Alexandrosphilosopher one of the heads of the philosophical schools in Athens [τῶν Ἀθήνεσιν διαδόχων] (erected thestatue of) his father the philosopher T Aurelius Alexandros raquo (p 388)

32 M Rashed [2007b] p 1

33 Selon la Dreistufenlehre de DA II 5 qui implique que le savant en enteacuteleacutechie est un enseignant

34 Sur lœuvre dAlexandre cf RW Sharples [1987] p 1179-1199 R Goulet M Aouad [1989] S Fazzo[2003b] Sur lideacutee dune laquo eacutecole raquo dAlexandre (non au sens du bacirctiment mais de la communauteacute) cfRW Sharples [1990]

35 Certains de ces textes sont donc aussi probablement des notes de cours reacutedigeacutees par ses eacutelegraveves ce quipose la question de leur fiabiliteacute voire de leur authenticiteacute (ce qui nest pas la mecircme chose ) Dans letravail qui suit nous avons le plus souvent laisseacute de cocircteacute les textes qui ont eacuteteacute suspecteacutesdinauthenticiteacute et nous nous sommes focaliseacutes sur ceux pour lesquels lauthenticiteacute nest pas discuteacuteeNos (rares) reacutefeacuterences au De intellectu (Mantissa sect 2) sont dues agrave notre conviction de lauthenticiteacute dutexte Pour des raisons autant doctrinales que stylistiques les arguments avanceacutes par FM Schroeder etRB Todd [2008] contre son authenticiteacute ne nous semblent en effet pas dirimants Mais cela serait agravemontrer dans un autre travail

36 Selon la thegravese courante et agrave notre sens deacutemontreacutee de faccedilon nette par C Luna ([2001] p 53-71)

7

Introduction

Stagirite Le traiteacute a certes eacuteteacute travailleacute avant Alexandre ndash lExeacutegegravete lui-mecircme teacutemoigne des

opinions de certains devanciers sur lauthenticiteacute de tel livre ou la composition du traiteacute Rien

nindique cependant quavant lui ait eacuteteacute effectueacute un travail proprement philosophique sur lobjet

du traiteacute Alexandre dAphrodise est le premier auteur dont nous ayons conserveacute quelque chose

de substantiel faisant eacutetat dune attention agrave la fois philologique et philosophique porteacutee agrave la

Meacutetaphysique37

En outre lempreinte de lExeacutegegravete sur la tradition meacutetaphysique posteacuterieure est

incontestable Une eacutetude exhaustive de la transmission de la meacutetaphysique alexandrinienne reste

encore agrave mener Contentons-nous ici de quelques jalons significatifs

Selon le teacutemoignage de Porphyre les Commentaires dAlexandre font partie du mateacuteriau

de lenseignement de Plotin38 Dans leacutecole neacuteoplatonicienne les commentaires de Syrianus et

Ascleacutepius agrave la Meacutetaphysique citent plagient ou paraphrasent reacuteguliegraverement celui dAlexandre39 La

transmission dAlexandre aux latins est ainsi assureacutee via celle du neacuteoplatonisme celui par

exemple de Boegravece40 mais elle se reacutealise surtout au premier chef dans le Moyen Acircge byzantin et

arabe Le Commentaire dAlexandre est traduit et eacutetudieacute pendant lacircge dor abbasside Sy ajoutent

aussi le De principiis ou le De providentia41 Ses ouvrages sont mentionneacutes dans le Kitab-al-Fihrist

travailleacutes dans le cercle dal-Kindi42 traduits par Abu Bishr Matta diffuseacutes avec la pseudo

Theacuteologie dAristote travailleacutes encore au siegravecle suivant par Farabi QuAlexandre ait eacuteteacute lu par

Avicenne a deacutejagrave eacuteteacute montreacute mais demanderait agrave ecirctre plus systeacutematiquement travailleacute43

Alexandre constitue eacutegalement une reacutefeacuterence pour la philosophie de lIslam occidental en

particulier pour Averroegraves qui nous a livreacute de preacutecieux fragments du commentaire de

lAphrodisien agrave Meacutetaphysique Λ44 et dont on connaicirct le deacutebat avec la noeacutetique alexandrinienne

(laquelle comme on le montrera touche agrave sa meacutetaphysique) Cest principalement par ce biais

quAlexandre est transmis au monde latin qui lui accorde un regain drsquointeacuterecirct degraves les XIIegraveme s et

37 Cest aussi la thegravese de S Fazzo [2012]

38 Porphyre Vita plotini 14 13 La mention dAlexandre dans une eacutenumeacuteration coinceacute entre Aspasius etAdraste dAphrodise minore sans doute la reacuteelle importance de lExeacutegegravete pour Plotin

39 Voir les eacutetudes de C Luna [2001]

40 Pour Boegravece cf A de Libera [1999a] et pour Augustin cf les hypothegraveses dans A de Libera [2007] parexemple p 238

41 A de Libera [1993] p 74 sq G Endress [2002]

42 Cf S Fazzo H Wiesner [1993] C drsquoAncona-Costa [1995] p 167

43 Cf D Gutas (1988] R Brague [1999] p 272 n 7 A de Libera [1999a] p 505

44 Cf J Freudenthal [1884]

8

Introduction

XIIIegraveme s45 Geacuterard de Creacutemone et Dominique Gundissalvi traduisent certains de ses opuscules

physiques et son De intellectu promis agrave une fortune indeacuteniable dAlbert le Grand agrave Dietrich de

Freiberg Moiumlse de Narbonne ou David de Dinan La deuxiegraveme partie du XIIIegraveme s voit la

traduction du De fato et de certains de ses commentaires (dont lun par Guillaume de Moerbeke)

Sans ecirctre traduit le Commentaire agrave la Meacutetaphysique est eacutegalement transmis on en a une mention

dans le catalogue Hierosolymitanus46 Il sert encore par exemple agrave Suaacuterez47

Le Commentaire agrave la Meacutetaphysique (comprenant aussi la partie aujourdhui consideacutereacutee

comme inauthentique) nest traduit en latin quagrave la Renaissance par Juan Gineacutes de Sepuacutelveda en

1527 Les reacuteeacuteditions agrave Paris 1536 et agrave Venise en 1544 1551 1561 teacutemoignent sans doute possible

de son succegraves Le Commentaire reste linstrument majeur et indeacutepassable pour lire la Meacutetaphysique

aristoteacutelicienne48 ce quil sera jusquaux eacutepoques moderne et contemporaine ndash que ce soit chez

Hegel ou dans les notes de leditio major de la Meacutetaphysique de J Tricot Fatalement comme le dit

RW Sharples dans son ouvrage posthume sur la philosophie peacuteripateacuteticienne49 bon nombre de

thegraveses qui ont eacuteteacute tenues pour aristoteacuteliciennes dans lhistoire de la philosophie autant par ceux

qui ont eacutetudieacute Aristote que ceux qui lont critiqueacute sont des interpreacutetations dAlexandre RW

Sharples cite en note les plus remarquables exemples lidentification de la forme avec lessence

des espegraveces lideacutee que Meacutetaphysique Λ deacutelivre la theacuteologie dAristote que le mouvement des

cieux est causeacute par leur deacutesir dimiter le Moteur immobile

Il est ainsi de coutume au commencement dun travail sur Aristote de faire eacutetat du poids

eacutecrasant des commentaires agrave son sujet50 le terrain aristoteacutelicien eacutetant tellement laboureacute quil se

mue aiseacutement en une suite de fondriegraveres Ce fait paraicirct interdire tout espoir naiumlf (au sens de la

naiumlveteacute de loriginal deacutenonceacutee par Nietzsche51) de dire du neuf Cette convention est bien

ancienne puisquon la lit deacutejagrave chez Simplicius52 Nous nous proposons dans ce qui suit de nous

installer de plain pied dans cette tradition agrave son commencement et de la prendre pour objet

deacutetude Lenjeu geacuteneacuteral du preacutesent travail consiste agrave interroger la faccedilon dont une penseacutee (en

45 FE Cranz [1958] p 510

46 Cf Hierosolymitanus patr 106 fol 7 et P Wendland dans le tome III-1 des CAG p XV-XIX Voir enparticulier les ouvrages ndeg 15 p XVIII

47 Voir lindex des auteurs citeacutes par Suaacuterez dans J-P Coujou [1999] p 189

48 Sur lhistoire de cette transmission cf FE Cranz [1958]

49 RW Sharples [2010] p XI et n 3

50 Cf P Aubenque [1962] p 1 citant Natorp [1862] p VII

51 Humain trop humain II 1 376

52 In Cat 2 30 ndash 3 5

9

Introduction

loccurrence celle dAristote) sinscrit dans lhistoire Fonder lintroduction dAlexandre dans ce

travail requiert dabandonner une conception de lhistoire de la philosophie comme galerie de

grands portraits et son corollaire le renvoi de leacutetude des effets de tradition agrave lhistoire ou la

philologie53

Les conceptions de lhistoire de la philosophie comme deacutecadence ou comme succession

discregravete de Geacutenies seacutepareacutes les uns des autres par des mareacutecages de meacutediocres saccorde en effet

avec une certaine perception de la tradition philosophique54 Celle-ci est alors comme une

laquo tombe raquo55 Le mot est de Heidegger agrave propos justement de lhistoire de laristoteacutelisme ndash cas

paradigmatique dans ces questions sur lhistoire de la philosophie sil est vrai quaucune autre

penseacutee na davantage fait eacutecole La tradition se comprendrait comme une longue suite de

simplifications de trahisons56 Llaquo aristoteacutelisme raquo deacutesignerait lensemble des contresens commis

sur Aristote comme le marxisme le serait pour Marx57 Selon un paradigme biologique la

tradition laquo deacutevitalise raquo (le mot est toujours de Heidegger) les meacuteditations des geacutenies philosophes

elle perd le mouvement de leur penseacutee pour la figer La thegravese est reprise par P Aubenque agrave la fin

de son ouvrage magistral sur le laquo problegraveme de lecirctre raquo

On demandera il est vrai pourquoi la tradition a meacuteconnu laspect aporeacutetique de lameacutetaphysique dAristote et ses implications humaines Il resterait alors agrave montrer par uneeacutetude qui ne serait pas moins philosophique quhistorique comment et pourquoi latradition devrait ecirctre neacutecessairement tenteacutee de meacuteconnaicirctre ce quil y a deacuteternellementinacheveacute dans la meacutetaphysique aristoteacutelicienne []Transmettre louverture cest la clore Aristote comme en teacutemoigne lhistoire deslendemains immeacutediats de laristoteacutelisme eacutetait moins le fondateur dune tradition quelinitiateur dune question dont il nous a averti lui-mecircme quelle demeurait toujours initiale

53 Ou comme le dit Heidegger avec une once de meacutepris les laquo interpreacutetations historico-philologiques raquodans le tome 26 de la Gesamtausgabe (Metaphysische Anfangsgruumlnde der Logik im Ausgang von Leibniz) p17

54 On entend ici par tradition philosophique lensemble des pheacutenomegravenes historiques de transmission descorpus et des thegraveses philosophiques

55 M Heidegger GA 33 tr fr [1991] p 39 Voir aussi Sein und Zeit sect 6 laquo En acceacutedant ainsi agrave lasupreacutematie la tradition bien loin de rendre accessible ce qursquoelle laquo transmet raquo le recouvre drsquoabord et leplus souvent Elle livre ce contenu transmis agrave lrsquolaquo eacutevidence raquo et barre lrsquoaccegraves aux laquo sources raquo originellesougrave les cateacutegories et les concepts traditionnels furent puiseacutes en partie de maniegravere authentique Latradition va mecircme jusqursquoagrave plonger complegravetement dans lrsquooubli une telle provenance Elle supprimejusqursquoau besoin de seulement comprendre un tel retour en sa neacutecessiteacute propre raquo Et plus loin laquo Mais sila question de lrsquoecirctre requiert elle-mecircme que soit reconquise la transparence de sa propre histoire alorsil est besoin de ranimer la tradition durcie et de deacutebarrasser les alluvions deacuteposeacutees par elle raquo (tr fr EMartineau)

56 Cf agrave propos de Platon et Plotin D Montet [1996] p 7 laquo la trahison nest-elle pas le genre obligeacute detoute tradition philosophique raquo

57 Cest la fameuse thegravese de M Henry [1976] p 9

10

Introduction

et que la science qui la pose eacutetait eacuteternellement rechercheacutee 58

Ces affirmations ne sont pas inteacutegralement infondeacutees ndash elles sont dailleurs pour partie agrave

lorigine du preacutesent travail La scolarisation des thegraveses du Philosophe a impliqueacute de fixer leur

sens pour les rendre transmissibles de lisser les apparentes contradictions pour mieux deacutefendre

laristoteacutelisme de construire le corpus comme un tout coheacuterent Mais les propos de Heidegger ou

P Aubenque tendent en outre derriegravere ce paradigme vitaliste et une conception laquo monumentale raquo

de lhistoire59 agrave penser la tradition comme mortifegravere (scleacuteroseacutee neacutecroseacutee) comme le mouvement

dun laquo oubli raquo dune deacutecadence qui seacuteloigne dun paradis perdu60 celui dAristote en sa nativiteacute

Comme si lon pouvait avoir accegraves agrave un Aristote originel hors de toute meacutediation historique

comme si linterpregravete pouvait agrave la diffeacuterence des premiers aristoteacuteliciens sextraire de sa propre

historiciteacute ou la traverser pour atteindre la veacuteriteacute sur le Philosophe61

Agrave linverse prendre pour objet la tradition de laristoteacutelisme demande et conduit agrave

concevoir la tradition autrement que comme une longue suite derrements Il y a une feacuteconditeacute

conceptuelle des pheacutenomegravenes de transmission Ou encore pour eacuteviter le paradigme vitaliste la

transmission des problegravemes et des thegraveses par le seul fait du deacuteplacement transforme ce quelle

transmet le propose agrave la reacuteappropriation et produit du neuf dans lhistoire de la penseacutee62 Leacutetude

de laristoteacutelisme se leacutegitime degraves lors quon parvient agrave penser comment la reacutepeacutetition dune penseacutee

qui est comme lont montreacute chacun agrave leur maniegravere Husserl et Deleuze63 lessence de la tradition

58 P Aubenque [1962] p 506-508

59 Cf la deuxiegraveme Consideacuteration intempestive de Nietzsche

60 Sur les racines hegeliennes de la conception de lhistoire comme profanation et deacutecadence cf J-FMarquet [2010]

61 On reconnaicirctra lagrave les critiques adresseacutees agrave Heidegger entre autres par Gadamer et Derrida le premiermontrant comment linterpreacutetation suppose toujours la relativiteacute agrave la situation historique delinterpregravete le second comment est laquo meacutetaphysique raquo lideacutee dun accegraves agrave lorigine agrave propos des racineslutheacuteriennes du projet heideggerien de Destruktion (cf agrave ce sujet J-F Courtine [2008] p 22) De faccedilonamusante F Wolff deacutetermine comme typiques du disciple dAristote la croyance en une veacuteriteacute une etoriginelle du texte dAristote et le deacutesir den revenir agrave cette origine perdue dans laquo le pur face-agrave-facetranscendantal avec la lettre du texte raquo (F Wolff [2000] p 304-305) Il ny aurait rien de pluslaquo aristoteacutelicien raquo que la critique de laristoteacutelisme

62 Une ideacutee qui est bien eacuteloigneacutee de Heidegger sil est vrai que la thegravese dune constitution onto-theacuteologique de la meacutetaphysique revient agrave soutenir que lHistoire de la penseacutee est celle du longdeacuteroulement du Mecircme Pour la thegravese quau contraire il ny ait pas historiciteacute sans innovation etlaquo nataliteacute raquo il faut quitter Heidegger et se tourner vers H Arendt

63 Respectivement dans LOrigine de la geacuteomeacutetrie et Diffeacuterence et reacutepeacutetition La conception husserlienne de latradition eacutevite la caricature de la deacutecadence ou la laquo tombe raquo ou Husserl opegravere le lien essentiel entrehistoire et tradition quand il deacutefinit la premiegravere comme laquo le mouvement vivant de la solidariteacute et de

11

Introduction

comment cette reacutepeacutetition donc implique des eacutecarts qui produisent eux-mecircmes linscription dune

penseacutee dans lHistoire agrave la fois sa modification et sa transmission ndash donc aussi la possibiliteacute de sa

reacuteactivation Cest par la tradition quelle engendre quune penseacutee peut deacutepasser la seule diffusion

synchronique pour acceacuteder agrave son historiciteacute

Or le geste philosophique seffectue lui-mecircme en constituant en tradition ce qui le

preacutecegravede en initiant une nouvelle tradition64 Degraves lors aussi si toute philosophie ambitionne un

nouveau commencement elle le fait au prix dune illusion qui meacuteconnaicirct que tout

commencement est un recommencement65 illusion dont lhistorien de la philosophie doit se

preacutemunir Il faut pour lire les textes ne pas sabandonner agrave la vision de survol qui deacutegage une

direction teacuteleacuteologique de lhistoire qui la preacutecegravede et qui neacutecessairement porte agrave forcer les textes

mecircmes ndash cette violence de llaquo historialisme destinal raquo66 Cette sorte de lecture des philosophes

entre eux est peut-ecirctre productrice de sens creacuteatrice Mais la discipline de linterpreacutetation des

textes passeacutes si elle se veut rigoureuse si elle veut pouvoir mesurer la porteacutee de ces creacuteations

philosophiques doit travailler agrave sen preacuteserver Il convient alors de refuser les deux mythes

jumeaux de la tradition comme perte continue ou comme laquo regravegne raquo lineacuteaire de lorigine67 et les

deux eacutecueils du traditionalisme et du rationalisme anhistorique68 Pour ce faire on se gardera de

projeter dans cette tradition les lineacuteariteacutes du progregraves ou de la deacutecheacuteance ndash teacuteleacuteologies abstraites

qui rendent lhistorien inattentif aux pheacutenomegravenes leur contingence et donc leurs sens propres

Leacutetude dAlexandre ne viendra donc pas ici deacuteplorer en soupirant les erreurs

limplication mutuelle (des Miteinander und Ineinander) de la formation du sens (Sinnbildung) et de laseacutedimentation du sens originaire raquo (tr fr [1976] p 410) La seacutedimentation nest pas tant ici ce quiscleacuterose que ce qui conserve mecircme si Husserl est attentif aux deux versants du pheacutenomegravene

64 Cf J-L Marion [2008]

65 Cf G Deleuze [1968] p 169 sq

66 D Janicaud [1990] p 49 parle dune laquo synapse de penseacutee raquo de Heidegger caracteacuteriseacutee p 102 sq et p109 comme un neacutecessitarisme qui finit par laquo paralyse[r] la rationaliteacute politique tout comme il suspendla rationaliteacute en geacuteneacuteral raquo (p 121) Cf aussi G Deleuze [1991] p 91 laquo Hegel et Heidegger restenthistoricistes dans la mesure ougrave ils posent lhistoire comme une forme dinteacuterioriteacute dans laquelle leconcept deacuteveloppe ou deacutevoile neacutecessairement son destin La neacutecessiteacute repose sur labstraction deleacuteleacutement historique rendu circulaire On comprend mal alors limpreacutevisible creacuteation des concepts raquo

67 M Foucault [1969] p 12 Foucault affirme comme en un slogan laquo Le problegraveme nest plus de latradition et de la trace mais de la deacutecoupe et de la limite ce nest plus celui du fondement qui seperpeacutetue cest celui de transformations qui valent comme fondations et renouvellement desfondations raquo (p 12-13) Nous pourrions retourner cette affirmation en soutenant que telle estpreacuteciseacutement la raison pour laquelle laquo la tradition et la trace raquo font problegraveme ce qui justifie leur eacutetude

68 Cf TW Adorno selon qui la tradition laquo steht im Widerspruch zur Rationalitaumlt raquo (TW Adorno [1977] p310)

12

Introduction

interpreacutetatives de lExeacutegegravete ni constater avec satisfaction lorthodoxie du diadoque

laquo Heacuteteacuterodoxie raquo et laquo orthodoxie raquo deux termes qui ont cours dans les eacutetudes alexandriniennes

doivent ecirctre abandonneacutes sil est vrai que laristoteacutelisme nest pas une religion Alexandre est

comme on dit agrave juste titre le tenant dun laquo neacuteo-aristoteacutelisme raquo Il propose une certaine

interpreacutetation dAristote dont il nous incombe de voir si elle est coheacuterente ou non agrave la fois dun

point de vue interne et relativement agrave son objet Tout cela nest pas un travail de grand

inquisiteur On y reviendra plus loin Ce qui va constituer notre objet denquecircte cest donc ce que

forge linterpreacutetation alexandrinienne de la laquo meacutetaphysique raquo les effets quelle engendre sur la

conception aristoteacutelicienne dune philosophie premiegravere ce quelle legravegue agrave lHistoire comme

formant le cœur de laristoteacutelisme

Cette tacircche ne relegraveve ni dune archeacuteologie ni dune geacuteneacutealogie de la meacutetaphysique si lon

entend par lagrave en un sens courant aujourdhui69 la tacircche de deacutegager des laquo a priori historiques raquo le

travail de retour en deccedilagrave des constructions des seacutediments vers limplicite sous lexplicite dans

un mouvement reacutetrospectif Pour le dire briegravevement les deacutemarches de ce genre en se focalisant

sur les origines dune eacutepisteacutemegrave dun complexe de problegravemes dune thegravese ou dun champ de

savoir peinent toujours par essence agrave comprendre comment se sont deacuteposeacutes les seacutediments

quelles se sont efforceacutees de deacuteblayer On a donc tenteacute deffectuer le chemin inverse70 Il sest agi

dans un mouvement prospectif deacutetudier une construction les raisons dun succegraves historique en

lespegravece leacutedification de la meacutetaphysique comme science On na pas tenteacute de revenir laquo sous le

devenir tecirctu dune science sacharnant agrave exister et agrave sachever degraves son commencement raquo71 mais

preacuteciseacutement de deacutegager une premiegravere photographie de ce laquo devenir tecirctu raquo et den rendre raison72

69 Voir par exemple J-F Courtine [1990] et [2005] O Boulnois [1999] A de Libera [2008] tous sereacutefeacuterant agrave Nietzsche Heidegger et ou Foucault

70 Ce mouvement nest dailleurs pas incompatible avec le preacuteceacutedent mais ne poursuit pas la mecircmedirection

71 M Foucault [1968] p 11 Nous soulignons

72 Le titre choisi au commencement de ce travail est donc devenu en partie inadeacutequat puisquelexpression laquo aux origines raquo deacutesigne un mouvement reacutetrospectif Si lon souhaite donner un nom agrave cetype de projet ce pourrait ecirctre par opposition aux projets de Destruktion ou deacuteconstruction celui delaquo constructionnisme raquo et plus preacuteciseacutement pour le distinguer du constructionnisme social ou duconstructionnisme dans les theacuteories du Genre de laquo constructionnisme eacutepisteacutemologique raquo La questiondirectrice de ce type de projet est bien comment et pourquoi un champ donneacute du savoir (voire uneacuteleacutement de ce champ) sest-il imposeacute comment et pourquoi cette institution sest-elle geacuteneacuteraliseacuteeconstitueacutee en laquo paradigme raquo quelles sont les raisons historiques et philosophiques externes etinternes qui peuvent eacuteclairer le deacuteveloppement de ce champ la possibiliteacute et leffectiviteacute de sesreacuteappropriations

13

Introduction

3 Eacutetat de lart

Nombreux sont les travaux sur Aristote au XXegraveme s qui ont abandonneacute lambition

scolastique de mettre au jour un systegraveme de la penseacutee du Stagirite au profit dun Aristote plus

inchoatif73 Telle serait la fin de llaquo aristoteacutelisme raquo cest-agrave-dire labandon de cette maniegravere

daborder les textes aristoteacuteliciens avec limpeacuteratif de coheacuterence geacuteneacuterale et de systeacutematiciteacute74 Cet

abandon a certes rendu plus attentif aux textes agrave leurs particulariteacutes mais a parfois aussi fait

meacuteconnaicirctre ce quil y a aussi deffectivement laquo systeacutematique raquo chez Aristote ou du moins de

theacutetique De ce point de vue assureacutement les propos de P Aubenque agrave lendroit de la tradition

prennent sens et leacutegitimiteacute par rapport agrave cette neacutecessiteacute de relire pour eux-mecircmes les textes dans

leur probleacutematiciteacute Il fallait ainsi disjoindre Aristote de sa tradition par exemple en

laquo deacuteconstruisant raquo les dogmatismes issus de la lecture thomiste eacuteleveacutee au rang dopinio communis

Mais ce mouvement permet aussi de renverser la neacutegation de la tradition et de constituer cette

tradition elle-mecircme en objet deacutetude Cest dans la ligneacutee des eacutetudes contemporaines sur les

transferts culturels ou les effets de translatio studiorum75 que peut sinscrire le renouveau

contemporain des eacutetudes des commentateurs dAristote et dAlexandre en particulier

Il sagit degraves lors dextraire lrsquoœuvre dAlexandre de son statut dinstrument de lecture les

Commentaires de llaquo Exeacutegegravete par excellence raquo ont eacuteteacute couramment conccedilus comme autant doutils

par les lecteurs et interpregravetes dAristote Le mouvement dautonomisation de leacutetude des

Commentateurs a pris son essor au XXegraveme s mais demeure encore pour les commentaires

proprement dits agrave ses preacutemices76 Sans preacutetendre agrave lexhaustiviteacute mais en retenant les ouvrages

les plus saillants concentrons-nous sur les eacutetudes alexandriniennes

Cette autonomisation des œuvres alexandriniennes a valu au premier chef pour les textes

dits laquo personnels raquo qui ont davantage retenu lattention des speacutecialistes Les contributions les

73 M Crubellier [1999] p 2 La chose vaut autant du cocircteacute pheacutenomeacutenologique quanalytique

74 F Wolff [2000] p 304 qui propose mecircme de dater la fin de laristoteacutelisme agrave 1912 avec les publicationsde W Jaeger

75 Voir par exemple A de Libera [1993] Leacutetude des canaux de transmission de laristoteacutelisme contribueen effet au questionnement contemporain autour des laquo transferts culturels raquo qui sinterroge sur la faccedilondont les cultures communiquent et se structurent dans ces interactions (on songe aux travaux deM Espagne et M Werner qui ont mis au point la cateacutegorie historique de laquo transferts culturels raquo pourrepenser lapport de la culture reacuteceptrice dans les eacutechanges drsquoobjets de personnes drsquoideacutees)

76 Sur llaquo egravere des commentateurs raquo cf R Sorabji [1990] et [2005] M Tuominen [2009] R ChiaradonnaM Rashed [2010] Sauf erreur par exemple deux ouvrages seulement se sont attaqueacutes au monumentde la logique alexandrinienne K Flannery [1995] et L Gili [2011]

14

Introduction

plus importantes agrave ce sujet proviennent surtout des recherches italiennes et anglophones Agrave cet

eacutegard il convient toutefois de souligner limportance de louvrage de P Moraux sur la noeacutetique

dAlexandre (1942) qui reste un classique et a principalement occasionneacute deux types

dinterrogations sur la coheacuterence et le preacutesumeacute laquo mateacuterialisme raquo de lExeacutegegravete et sur lauthenticiteacute

et les rapports du traiteacute De lintellect avec le De lacircme77

Parmi les recherches italiennes fructueuses dans ce champ il faut signaler les travaux

deacutecisifs de P Accattino et P Donini sur la psychologie alexandrinienne78 Dautres œuvres

laquo personnelles raquo dAlexandre ont eacuteteacute eacutediteacutees et travailleacutees et un ouvrage collectif sest inteacuteresseacute agrave

la transmission de lExeacutegegravete dans la tradition arabe79 Les recherches anglophones se sont

eacutegalement aveacutereacutees prolifiques dans le mouvement initieacute par R Sorabji et RW Sharples Figure

marquante des eacutetudes alexandriniennes RW Sharples a eacutetudieacute une large part du corpus

dAlexandre en leacuteditant ou le traduisant et en en montrant linteacuterecirct non pas seulement

historique mais aussi philosophique80 Il est en outre lauteur du premier exposeacute portant sur

lensemble de ce corpus et dune eacutetude cruciale sur la question de leacutecole dAlexandre81

Agrave la suite de RW Sharples la recherche a donc commenceacute agrave consideacuterer Alexandre

comme un auteur au sens plein en travaillant agrave contextualiser sa doctrine speacutecialement par

rapport au stoiumlcisme cest ce quentreprennent dans deux articles majeurs S Bobzien sur la

question du libre-arbitre et I Kupreeva sur le statut du corps et des qualiteacutes82 Toutes deux

montrent comment linterpreacutetation dAristote par lExeacutegegravete est aussi modeleacutee par les poleacutemiques

de son eacutepoque La position historique de lExeacutegegravete situe ainsi les eacutetudes alexandriniennes agrave la

croiseacutee de deux champs deacutetude en pleine expansion les eacutetudes sur la peacuteriode post-helleacutenistique

et la confrontation entre eacutecoles et les eacutetudes sur llaquo egravere des Commentateurs raquo P Moraux avait deacutejagrave

produit un travail de grande ampleur avec Der Aristotelismus bei den Griechen le dernier tome

consacreacute agrave Alexandre ayant eacuteteacute compleacuteteacute par RW Sharples83 Eu eacutegard agrave ces avanceacutees la

recherche francophone est longtemps demeureacutee peu productive agrave ce jour encore seulement trois

ouvrages dAlexandre sont traduits et ce malgreacute des travaux importants sur la peacuteriode post-

77 Par exemple BC Bazaacuten [1973] P Thillet [1981] D Papadis [1991]

78 P Accattino P Donini [1996] mais aussi P Accattino [1988] [1995] ou [2001] P Donini [1971] etc

79 Respectivement S Fazzo [1999] et [2002a] C DAncona G Serra [2002]

80 Voir entre autres RW Sharples [1975] [1982a] [1983] [1992] [1994] [2004]

81 Respectivement RW Sharples [1987] et [1990]

82 S Bobzien [1998] et I Kupreeva [2003]

83 P Moraux [1973] [1984] [2001]

15

Introduction

helleacutenistique ou les commentateurs84

Le Commentaire dAlexandre agrave la Meacutetaphysique dAristote souffre encore dune relative

incurie similaire agrave celle qui affecte les eacutetudes des Commentaires en geacuteneacuteral Si depuis longtemps

lon se sert du Commentaire comme dune source il est encore rarement eacutetudieacute comme œuvre

Trois articles seulement abordent la question pourtant centrale de lobjet de la meacutetaphysique

selon Alexandre85 On y reviendra eacutevidemment en deacutetail Deux ouvrages majeurs toutefois ont

abordeacute chacun agrave leur maniegravere la meacutetaphysique de lExeacutegegravete en geacuteneacuteral

La premiegravere monographie est due agrave M Bonelli qui entreprend de deacutemontrer

quAlexandre conccediloit la meacutetaphysique comme une science selon le modegravele issu des Analytiques

Par lagrave seacuteclaire agrave la fois la puissance exeacutegeacutetique de lAphrodisien et la maniegravere dont il a marqueacute

les lectures ulteacuterieures de la meacutetaphysique Toutefois louvrage ne situe pas lExeacutegegravete dans son

contexte et diagnostique une incoheacuterence dAlexandre sur la question de lobjet de la

meacutetaphysique Alexandre tiendrait donc une thegravese forte celle du caractegravere deacutemonstratif de la

science meacutetaphysique mais preacutesenterait laquo plusieurs conceptions de la meacutetaphysique qui ne sont

pas toujours conciliables entre elles raquo86 Dans cette incoheacuterence se reacuteveacutelerait la pratique

alexandrinienne du commentaire souvent plus attacheacute au deacutetail et agrave lexplication litteacuterale quagrave la

systeacutematisation de la penseacutee dAristote LExeacutegegravete reacutepeacuteterait ici laquo loscillation raquo propre agrave la penseacutee

aristoteacutelicienne87 entre une science des principes et des causes premiegraveres une science de leacutetant en

tant queacutetant une science des substances et une theacuteologie

Le second ouvrage de M Rashed entend montrer comment sur la question de la

substance lExeacutegegravete travaille avec une option ontologique forte laquo une option doctrinale unique et

coheacuterente raquo88 agrave savoir la thegravese selon laquelle le cœur de la substance composeacutee et la substance la

plus haute cest lεἶδος Sans doute pour la premiegravere fois on deacutemontre nettement luniteacute et la

puissance dune position ontologique dAlexandre Nombreuses en effet eacutetaient les eacutetudes qui

en demeuraient au constat dincoheacuterence quillustre le titre de G Movia eacutecartelant Alexandre

84 P Thillet [2002] et [2003] M Bergeron R Dufour [2008] Pour les travaux franccedilais sur lescommentateurs voir les recherches de I Hadot ou P Hoffmann (par exemple I Hadot [1990] I HadotP Hadot [2004] P Hoffmann [1987] [2000] [2006]) Pour les recherches francophones sinteacuteressant agraveAlexandre voir aussi les travaux dA De Libera [1999a] et C Luna par exemple [2001]

85 P Merlan [1957) (qui agrave vrai dire ne sinteacuteresse agrave Alexandre que dans lorbe dAristote) C Genequand[1979] et P Donini [2003]

86 M Bonelli [2001] p 232

87 M Bonelli [2001] p 232-233

88 M Rashed [2007b] p 4 voir aussi p 326

16

Introduction

laquo tra naturalismo e misticismo raquo89 Tel eacutetait le destin incongru dun auteur tour agrave tour condamneacute

(degraves le Moyen Acircge) pour la laquo folie raquo90 de son mateacuterialisme loueacute pour son aristoteacutelisme (il serait le

dernier interpregravete authentiquement aristoteacutelicien dAristote) et tenu pour un preacutecurseur du

neacuteoplatonisme M Rashed atteste au contraire de la coheacuterence de la position laquo essentialiste raquo

dAlexandre en montrant comment elle traverse sa logique sa physique et saccomplit dans une

cosmologie geacuteneacuterale un systegraveme du monde

Le programme de notre travail deacutecoule logiquement de ce qui preacutecegravede il convient de

deacuteterminer si par delagrave lapparente multipliciteacute de ses objets lAphrodisien parvient agrave unifier le

champ meacutetaphysique Puisque preuve a eacuteteacute faite de la capaciteacute dAlexandre agrave tenir au fil de ses

commentaires certaines thegraveses interpreacutetatives fortes ne faut-il pas degraves lors reprendre la question

de lobjet de la meacutetaphysique et sonder linterpreacutetation alexandrinienne agrave son sujet Pour ce faire

il faudra donc revenir sur le diagnostic dincoheacuterence poseacute par M Bonelli comme sur lideacutee de M

Rashed selon laquelle lentreprise alexandrinienne vise plus une cosmologie geacuteneacuterale quune

science de lecirctre en tant quecirctre91

4 Thegravese et meacutethode ndash meacutetacommentaire

Sil est vrai que lentreprise meacutetaphysique dans toute son histoire se signale par sa

reacuteflexiviteacute alors neacutecessairement la question de son objet est lune des questions meacutetaphysiques

par excellence Ainsi Suaacuterez en se livrant agrave une vaste cartographie des meacutetaphysiques

meacutedieacutevales laquo ex parte objecti raquo enteacuterine-t-il par lagrave le caractegravere traditionnel de cette mise en

perspective de la meacutetaphysique au point de vue de son ou ses objet(s)92 Cette faccedilon daborder la

89 G Movia [1970]

90 Lexpression est de Guillaume dAuvergne cf A de Libera [1998] p 201 Les positionsalexandriniennes (ce qui eacutetait tenu comme tel agrave leacutepoque) ont eacuteteacute comme on sait viseacutees par lescondamnation drsquoEacutetienne Tempier au XIIIegraveme s

91 Cf M Rashed [2007b] p 327 et [2008] p 283

92 Disputes meacutetaphysiques I 1 sect 1-25 Voir agrave ce sujet J -F Courtine [1990] p 195-227 Voir aussi p 9 sqpour la question du sujet objet de la meacutetaphysique dans lensemble de la scolastique Lexpression delaquo sujet de la meacutetaphysique raquo remonte sans doute aux traductions latines dAvicenne au deacutebut de LaMeacutetaphysique du Shifā I 1 (en particulier p 86 de la traduction Anawati) Le terme arabe ʽmawdū deacutesigne en effet le sujet ou la matiegravere (le terme peut traduire lὑποκείμενον grec et a servi aussi dansles questions de noeacutetique) sur lequel une science conduit son enquecircte cest ce qui est poseacute comme lechamp parcouru par cette science Lobjectum renvoie quant agrave lui davantage agrave lobjet penseacute ce que vise

17

Introduction

Meacutetaphysique et la science correspondante est sans aucun doute beaucoup moins formaliseacutee ou

conventionnelle chez Alexandre LExeacutegegravete ne preacutesente jamais litteacuteralement un problegraveme du

type laquo Aristote semble octroyer plusieurs objets agrave la philosophie premiegravere quel est alors lobjet

principal de la meacutetaphysique ou comment sordonnent les eacutetudes de ces objets raquo Pourtant son

effort dunification de cette diversiteacute teacutemoigne au minimum de la conscience dune telle difficulteacute

Alexandre confegravere explicitement agrave la Meacutetaphysique le projet didentifier la laquo science

proposeacutee raquo (toujours au singulier) donc aussi son objet Il insiste de faccedilon presque incantatoire sur

son uniteacute elle est laquo μία ἐπιστήμη raquo93 On laura compris le preacutesent travail fait lhypothegravese

quAlexandre entend instituer la meacutetaphysique en une science une en inteacutegrant et en articulant

les divers aspects leacutegueacutes par la Meacutetaphysique dAristote Le deacutefi qui eacutechoit agrave Alexandre est donc agrave

la mesure de la difficulteacute preacutesenteacutee ci-dessus agrave la mesure des verrous qui semblent contrarier

lunification autant litteacuteraire que doctrinale du traiteacute et de la science proposeacutee

Soutenir quAlexandre travaille une option hermeacuteneutique que le deacutebat contemporain

pourrait volontiers qualifier dlaquo unitarienne raquo94 soulegraveve des difficulteacutes meacutethodologiques Une

telle hypothegravese dans sa reacutealisation mecircme sexpose en effet agrave un double obstacle Premiegraverement

la pratique alexandrinienne du commentaire semble destineacutee agrave reproduire les mecircmes variations

que celles du texte quil commente Pour eacuteviter larbitraire linterpregravete dAlexandre deacutesireux de

deacutemontrer que lExeacutegegravete propose une thegravese coheacuterente devrait alors se reacutesoudre agrave lausteacuteriteacute dune

eacutetude lineacuteaire ndash par exemple du Commentaire agrave la Meacutetaphysique En outre la mesure des eacutecarts

entre le Philosophe et son Exeacutegegravete suppose au moins que le terminus a quo soit deacutetermineacute Si

lobjectif de ce travail est de caracteacuteriser deacutetablir95 linterpreacutetation alexandrinienne alors cela ne

serait possible quagrave la condition de posseacuteder au preacutealable et inteacutegralement le sens des textes

la science comme disposition de lacircme

93 Pour cette expression voir In Met 8 21 15 9 172 2 175 18 183 8 194 17 etc Pour la question delobjet cf In Met 8 20 ou 171 5 et plus geacuteneacuteralement la reacutepeacutetition meacutecanique de la structure laquo ἡ σοφία(ou πρώτη φιλοσοφία) περὶ raquo La preacuteposition περὶ est alors aussi bien suivie du geacutenitif que delaccusatif si bien que la philosophie premiegravere porte aussi bien laquo περὶ τὸ ὂν καθόλου raquo (238 5) quelaquo περὶ παντὸς τοῦ ὄντος raquo (238 13) par exemple La nuance entre ce geacutenitif et cet accusatif est sansdoute assez faible On rappelle ci-dessous sect 123d lensemble des passages ougrave Alexandre reacutepegravete laformule laquo μία ἐπιστήμη raquo voire laquo μία τῷ γένει ἐπιστήμη raquo (voir entre autres In Met 238 19-20 241 1sq 243 20-28 243 33 etc)

94 Cette appellation est principalement issue de la philosophie de langue anglo-saxonne et se trouvesouvent opposeacutee agrave lapproche laquo developmentalist raquo ndash nous parlerions plutocirct en franccedilais de positionlaquo eacutevolutionniste raquo ou de meacutethode geacuteneacutetique Le floregraves de ce vocabulaire est en particulier ducirc auxdiscussions engageacutees suite au livre de DW Graham [1987]

95 Le terme est de M Bonelli [2001] p 19

18

Introduction

aristoteacuteliciens quinterpregravete Alexandre

Ces deux objections darbitraire et dincompleacutetude ont le mecircme reacutesultat rendre a priori

impossible le preacutesent projet Pour le reacutealiser il faudrait en effet conduire une interpreacutetation de

lensemble de la Meacutetaphysique dAristote avant de se pencher sur la meacutetaphysique dAlexandre en

travaillant ligne agrave ligne lensemble de lœuvre de lExeacutegegravete Mais une telle meacutethode outre quelle

est impossible dans un cadre limiteacute nest pas non plus souhaitable Elle confinerait agrave un cercle

vicieux linterpreacutetation dAlexandre qui en deacutecoulerait ne serait que le produit de

linterpreacutetation a priori dAristote son ombre porteacutee Dit autrement elle nous poserait en juge de

veacuteriteacute de linterpreacutetation alexandrinienne distributeur de bons points degraves quAlexandre

seacutecarterait de notre propre interpreacutetation dAristote il commettrait un contresens Notre

interpreacutetation dAlexandre nen serait alors que dautant plus arbitraire parce quincapable de se

laisser informer par le texte Si toute interpreacutetation part dun certain nombre de preacutejugeacutes ceux-ci

doivent tout de mecircme rester limiteacutes et une telle meacutethode reviendrait agrave empecirccher leur neacutecessaire

reacutevision

Deux principes sont communeacutement admis en hermeacuteneutique premiegraverement quil y a

des interpreacutetations fausses mais non pas dinterpreacutetation vraie au sens apodictique cest-agrave-dire

que certaines interpreacutetations sont meilleures plus ou moins coheacuterentes en elles-mecircmes et avec

leur objet96 deuxiegravemement que toute interpreacutetation part de preacutesupposeacutes Il est donc impossible

deacuteviter totalement le cercle entre notre preacute-compreacutehension dAristote et notre lecture

dAlexandre Mais dune part ce mouvement peut ecirctre inverseacute et nous avons ci-dessous tenteacute de

proceacuteder par un va-et-vient constant entre les deux textes Dautre part cest justement en

reconnaissant et en inteacutegrant ce cercle dans la recherche elle-mecircme (comme la montreacute Gadamer)

quon peut conjurer au moins en partie larbitraire de la meacutethode Si nous pensons avoir pu

eacutetablir certains eacutecarts dAlexandre ils ont eacuteteacute deacutetermineacutes comme tels non pas agrave partir dune

lecture preacutealable dAristote mais dans la comparaison entre le texte et son commentaire

Il deacutecoule de ce qui preacutecegravede que ce travail na pas besoin decirctre une eacutetude exhaustive de la

Meacutetaphysique dAristote ni de son Commentaire par Alexandre Lobjectif nest pas de deacutevoiler les

recoins de la meacutetaphysique alexandrinienne mais de deacutemontrer son uniteacute de mettre au jour les

grandes structures geacuteographiques du domaine meacutetaphysique Il reste assureacutement encore

beaucoup agrave faire et lon est donc loin de preacutetendre donner une analyse exhaustive de la

96 Cest ce qui explique le refus du vocabulaire de lorthodoxie

19

Introduction

meacutetaphysique alexandrinienne Les textes commenteacutes le sont tous avec en vue la mise agrave leacutepreuve

de lhypothegravese dune conception unitarienne de la meacutetaphysique Cela ne deacutebarrasse pas

totalement le preacutesent travail dune part darbitraire on a proceacutedeacute par recoupements en laissant

de cocircteacute certains pans du corpus aristoteacutelicien comme de lalexandrinien en eacutetudiant les textes qui

nous ont parus les plus significatifs eu eacutegard au projet fixeacute Il appartient au lecteur de juger si ces

lacunes sont des carences ou au contraire des moyens pragmatiques de deacutegager la vue en

soulignant ce qui charpente le paysage croiseacute des deux auteurs

Pour caracteacuteriser la position alexandrinienne trois voies se sont imposeacutees agrave nous En ce

qui concerne speacutecifiquement le Commentaire agrave la Meacutetaphysique la premiegravere a consisteacute agrave ecirctre attentif

aux eacuteleacutements eacutetrangers qui viennent se greffer sur la paraphrase repeacuterer les liens quAlexandre

eacutetablit entre les diffeacuterentes parties du corpus aristoteacutelicien ce quAlexandre introduit dans la

paraphrase dun lemme et qui indique la perspective prise sur ce morceau de texte De ce point

de vue notre interpreacutetation des textes dAristote est souvent sous-deacutetermineacutee elle en demeure agrave

un niveau relativement eacuteleacutementaire Lorsquelle est plus deacutetermineacutee cest parce quil a fallu

revenir agrave Aristote pour se deacutefaire du voile deacutevidence avec lequel certaines interpreacutetations

dAlexandre le recouvrent (ainsi de la deacutefinition de lhomme comme animal rationnel des enjeux

anti-dialectiques de la philosophie premiegravere de la deacutetermination du premier moteur comme

forme sans matiegravere) La mesure de leacutecart implique decirctre attentif agrave des modifications parfois

microscopiques (un laquo τε raquo lu laquo δέ raquo par exemple97) mais susceptibles de reacutesultats significatifs

dans linterpreacutetation dAristote par Alexandre

De mecircme on a tenteacute de repeacuterer les effets de reacutecurrence les reacutepeacutetitions dune thegravese dun

thegraveme dun concept Cest pourquoi on ne sest pas limiteacute au Commentaire agrave la Meacutetaphysique

Certes la multiplication dune thegravese dans un corpus philosophique ne signifie pas neacutecessairement

quelle soit logiquement centrale ndash un auteur peut atteindre une intuition de fond en un passage

unique mais deacutecisif tandis que ce quil reacutepegravete fera partie de lair du temps philosophique

Toutefois mecircme si cette meacutethode na rien dabsolu telle a eacuteteacute sans doute lune des voies les plus

efficaces parce quAlexandre en bon enseignant a des tics de penseacutee des passages aristoteacuteliciens

de preacutedilection des arguments favoris

Enfin plus occasionnellement on est alleacute chercher chez les commentateurs ulteacuterieurs

(Ascleacutepius Syrianus Simplicius) ce qui a eacuteteacute identifieacute comme une interpreacutetation dAlexandre98

97 Cf ci-dessous sect 242

98 Cela entraicircne une preacutecision sur notre mode deacutecriture Il est courant quand on commente un texte

20

Introduction

Le plan du travail deacutecoule de ce qui preacutecegravede On a tenteacute en un premier temps de proceacuteder

agrave la recontextualisation de la meacutetaphysique alexandrinienne Alexandre est seacutepareacute par cinq

siegravecles dAristote linterpreacuteter hors de son contexte est illusoire Il faut donc precircter attention aux

aspects conjoncturels aux strateacutegies des discours aux effets du contexte concurrentiel de la

philosophie agrave leacutepoque dAlexandre Toutes choses qui peuvent paraicirctre vulgairement

historiques ne pas relever de lauthentique histoire de la philosophie Elles sont pourtant

indispensables pour qui veut comprendre les raisons du succegraves de la meacutetaphysique et eacuteviter les

mirages dune histoire de la philosophie laquo pure raquo confineacutee aux seuls textes ou aux seules

doctrines veacutehiculeacutees par ces textes On revendique ici une pragmatique du discours

philosophique et son eacutemergence dans et agrave partir dune histoire En ce sens nous croyons pouvoir

repeacuterer deux contraintes dordre laquo professionnel raquo qui pegravesent sur la lecture alexandrinienne de la

meacutetaphysique et lui imposent le projet dune lecture unitarienne agrave savoir son inscription dans un

champ philosophique agonistique et son statut de diadoque et dexeacutegegravete

Le deuxiegraveme chapitre le cœur de ce travail en vient alors agrave la reacutealisation de ce

programme unitarien Alexandre parvient-il agrave penser de faccedilon coheacuterente la meacutetaphysique

comme laquo une science une raquo (selon lexpression courante du commentaire agrave Meacutetaphysique Γ)

Alexandre reacuteduit-il ou assimile-t-il les divers objets que la Meacutetaphysique semble lui attribuer La

reacuteponse est selon nous que cette uniteacute nest pas simple mais articuleacutee et articuleacutee en trois

programmes principaux une eacutetude universelle de leacutetant en tant queacutetant une eacutetude de la

substance une eacutetude de la substance premiegravere et divine Cette articulation sopegravere en outre agrave la

faveur dun principe qui constitue lun des schegravemes cardinaux de la penseacutee alexandrinienne le

principe de causaliteacute du maximum

Enfin le dernier chapitre entend recueillir la conclusion preacuteceacutedente et deacutevelopper cette

triple articulation au niveaux mecircme des trois objets principaux leacutetant en tant queacutetant la

deacutecrire en reprenant les propos de lauteur agrave son compte de lexpliquer directement par lareformulation en passant sous silence lactiviteacute mecircme de linterpregravete qui a pu aboutir agrave cetteexplication la dimension agrave la fois heuristique et argumentative de son activiteacute (les raisons deprivileacutegier telle lecture) pour mieux en preacutesenter le reacutesultat final Telle eacutetait deacutejagrave agrave lorigine lattitudedAlexandre en particulier dans ses traiteacutes dits personnels On a choisi de maintenir dans leacutecrituremecircme du travail qui va suivre la dimension exploratoire et argumentative voire tacirctonnante delinterpreacutetation au risque sans doute non eacuteviteacute de la lourdeur Parce quon est aux prises avec un textede commentaire il serait circulaire (vicieusement circulaire) de reprendre et reacutepeacuteter les optionshermeacuteneutiques de lExeacutegegravete quon commente en nous faisant le laquo porte-voix raquo dAlexandre commelui-mecircme se fait le laquo porte-voix raquo dAristote (cf Alexandre DA 2 3-6)

21

Introduction

substance et le divin Comment et pourquoi se produit le passage dun niveau agrave lautre Pour

deacutemontrer que la meacutetaphysique alexandrinienne ne sacrifie pas son uniteacute dans ces trois moments

de leacutetude (lontologie lousiologie et la theacuteologie) il convient deacutetudier comment dune part

dans le traitement de ces objets se produit la neacutecessiteacute quils relegravevent dune unique science et

comment dautre part chacun appelle le suivant Ces trois programmes ne sidentifient pas mais

pour autant ne se seacuteparent pas non plus en trois sciences distinctes parce quil incombe agrave la

mecircme science de les conduire

22

Chapitre I

CHAPITRE I

LA MEacuteTAPHYSIQUE COMME SCIENCE UNE ENJEUX

Alexandre philosophe et exeacutegegravete

11 Y a-t-il un laquo champ de bataille de la meacutetaphysique raquo agrave leacutepoque dAlexandre

Sinterroger sur la transmission dune penseacutee ndash en loccurrence celle dAristote ndash cest

questionner la maniegravere dont se constitue lhistoire (Historie et non Geschichte) de la philosophie

Une telle enquecircte exige de quitter la seule confrontation des textes sub specie aeternitatis pour par

exemple faire intervenir les eacuteleacutements non-textuels qui structurent le champ philosophique agrave

leacutepoque des textes en question Bref elle appelle une tentative de contextualisation des textes

viseacutes Cette tentative est solidaire du projet de traiter Alexandre comme un auteur et de cerner en

quoi il laquo augmente raquo son texte-source On souhaiterait en outre montrer dans ce qui suit que les

raisons poussant agrave sinterroger sur le contexte de lactiviteacute philosophique dAlexandre ne

ressortissent pas seulement agrave des deacutecisions meacutethodologiques a priori mais sont requises par la

situation dAlexandre sa maniegravere de faire de la philosophie Lhabitude encore tenace

aujourdhui1 de traiter Alexandre dans sa seule dimension exeacutegeacutetique comme sil se tenait hors

de toute historiciteacute face au texte aristoteacutelicien comme si lon pouvait biffer les cinq siegravecles qui les

1 Mais la voie dune contextualisation dAlexandre a deacutejagrave eacuteteacute traceacutee par les travaux par exemple de SBobzien [1998] et I Kupreeva [2003] Voir aussi RW Sharples [2002a] pour la theacuteologie ou V Cordonier[2007] et [2008]

23

La meacutetaphysique comme science une enjeux

seacuteparent cette habitude donc devrait se voir abandonneacutee

Mais surtout lhypothegravese est que seule une telle enquecircte serait agrave mecircme dexpliciter les

enjeux de linterpreacutetation alexandrinienne de la meacutetaphysique en mettant en lumiegravere agrave la fois les

attendus ou les reacutequisits qui traversent son entreprise de constituer la meacutetaphysique en une

science une et les tensions ou les obstacles qui sy opposent La mise en contexte na sans doute

pas de pouvoir explicatif absolu ndash si lon comprend par lagrave la seule recherche de causes positives

deacuteterminantes ndash mais elle nest pour autant pas deacutepourvue de pouvoir explicatif notamment si

lon y entend aussi la position de problegravemes

111 Contextualisation

a) Contextualiser une eacutenonciation philosophique

Le risque dune telle entreprise de contextualisation est quelle pourrait paraicirctre verser

dans lhistoire des ideacutees et lhistoricisme2 Ce risque tient agrave ce que lhistoire de la philosophie

demeure au pli dune tension quillustre son double nom Si lhistoire de la philosophie se veut

philosophique (ou si lon preacutefegravere philosophante) et si donc lon souhaite eacuteconduire au moins

partiellement la distinction entre laquo histoire de la philosophie raquo et philosophie dite laquo geacuteneacuterale raquo il

sera neacutecessaire dassumer trois thegraveses neacutegatives quil ny a pas de penseacutee solitaire quil ny a pas

dinnovation philosophique sans institution dune tradition et donc conscience du passeacute quenfin

il ny a pas accegraves aux choses mecircmes ou aux problegravemes philosophiques hors de toute discursiviteacute

Positivement cela implique dune part que la philosophie laquo geacuteneacuterale raquo ne puisse faire leacuteconomie

dune reacuteflexion critique sur son propre passeacute et dautre part que lhistoire de la philosophie

quant agrave elle doive viser de lactuel elle cherche (au moins agrave titre dideacuteal reacutegulateur) la

2 La notion est souvent brandie comme un eacutepouvantail dans les reacuteflexions sur lhistoire de laphilosophie Il faut plus lentendre comme une reconstruction que renvoyant agrave une pratique effectivede lhistoire Lhistoire des ideacutees prise en mauvaise part deacutesignerait une branche de lhistoire qui eacutetudiele deacuterouleacute des penseacutees au plus pregraves de leurs conditions mateacuterielles et contingentes de production envisant une preacutetendue neutraliteacute

24

La meacutetaphysique comme science une enjeux

preacutesentification dun acte de penseacutee sa reacutepeacutetition toujours possible3 en reacuteactivant et reacuteactualisant

luniversaliteacute dune penseacutee par la position de problegravemes Mais la contextualisation dune penseacutee

ne contredit-elle pas ce projet Correacutelativement que reste-t-il dhistorique dans lhistoire de la

philosophie une fois ces objectifs poseacutes

Le principe du contexte (en un sens qui nest pas exactement celui de Frege mais nen est

pas non plus si eacuteloigneacute) en histoire de la philosophie comme ailleurs4 se heurte en effet agrave de

solides objections Si lhistoire de la philosophie a pour vocation de reacuteactiver les sens dune

penseacutee la contextualisation semble au contraire enfermer le texte dans un passeacute reacutevolu Pour bien

lire un texte philosophique il faudrait au contraire le lire laquo comme sil eacutetait sorti dans Mind il y a

un an raquo5 La contextualisation relegraveverait dune deacuterive historiciste de lhistoire de la philosophie6

Elle conduirait en outre agrave expulser le sens du texte hors de lui-mecircme en le faisant reacutegresser vers

son contexte et sexposerait donc agrave une pure et simple perte de son objet initial Elle rendrait

enfin aveugle aux innovations conceptuelles et probleacutematiques en les reacuteduisant agrave necirctre que le

reacutesultat dun croisement dlaquo influences raquo exteacuterieures

Ces critiques sont solidaires et toutes trois preacutesupposent en creux une conception

positiviste du sens comme immanent au texte En peu de mots dans cette conception le texte

sassimile agrave une monade replieacutee sur une clocircture textuelle7 que viendrait rompre la

contextualisation Correacutelativement le contexte eacutenonciatif est conccedilu comme un donneacute positif

exteacuterieur et preacuteexistant au texte Une telle conception nest pas infondeacutee ndash en premiegravere analyse

elle possegravede lindeacuteniable atout de nous contraindre agrave lire le texte pour lui-mecircme et agrave partir de lui-

mecircme garde-fou contre tout deacutelire interpreacutetatif Toutefois il se pourrait quagrave la condition

3 Cf Hegel Leccedilons sur lhistoire de la philosophie (cours de 1825-1826) laquo nous navons pas affaire agravequelque chose de passeacute mais au preacutesent agrave lactiviteacute de penser agrave lesprit proprement dit raquo

4 Voir les discussions des problegravemes poseacutes par la notion de contexte en linguistique Cf par exemple FRastier [1988] et R Micheli [2006]

5 Lanecdote et le conseil sont de J Barnes dans S Marchand [2008] Il faut noter que Barnes ne militefinalement pas pour une meacutethode purement atomiste et deacutecontextualiseacutee en histoire de la philosophieOn en trouvera davantage dans R Rorty [1984] Pour une reacuteponse laquo hermeacuteneutique raquo cf P Aubenque[2001]

6 Comme le dit Gadamer laquo le texte compris en historien est formellement deacuteposseacutedeacute de la preacutetention agravedire quelque chose de vrai raquo cf H-G Gadamer [1960] p 308 tr fr [1996] p 325

7 Cette notion est ici prise non pas en son sens mateacuteriel (ce qui marque typographiquement les bornesdu texte) mais hermeacuteneutique signifiant que le texte est une totaliteacute close agrave laquelle le sens estimmanent et qui fournit donc au lecteur ses propres instruments de lecture Cf F Rastier [1988] p 107et plus geacuteneacuteralement U Eco [1965] Il faudrait sans doute ici distinguer ce qui relegraveve de linterpreacutetationestheacutetique (des textes litteacuteraires) de linterpreacutetation philosophique On ne peut sans doute pas balayerla question dune autoreacutefeacuterentialiteacute de la litteacuterature dun revers de main

25

La meacutetaphysique comme science une enjeux

dabandonner cette substantialisation du texte et sa notion concomitante de contexte il soit

possible deacuteviter les critiques eacutevoqueacutees Nous pourrions ainsi envisager une contextualisation qui

soit agrave mecircme de nous informer sur le sens du texte lui-mecircme et de contribuer agrave sa reacuteactualisation

Pour ce faire il faut tenir une double thegravese selon laquelle un texte est situeacute dans un

contexte autant que reacuteciproquement un contexte est en partie le produit dun texte Comme

lindique le terme laquo contexte raquo est une notion relative son sens deacutepend en partie de son texte-

source de mecircme que le sens du texte peut seacuteclairer par sa situation (en un sens quasi sartrien)

dans le contexte Le contexte est pour ainsi dire lombre dune penseacutee ndash et donc le produit

conjugueacute de cette penseacutee et de son environnement Partant le contexte exige toujours decirctre

reconstruit Sa valeur explicative nest donc pas absolue un texte philosophique ne peut se

reacuteduire agrave laquo un libelle ou texte de circonstance raquo8 Parler de situation cest au contraire refuser

doctroyer au contexte un pouvoir explicatif deacutefinitif lequel serait de toute faccedilon contradictoire

avec lideacutee que le sens dun texte en tout cas philosophique est reacuteactualisable9 La viseacutee

universelle du texte philosophique nimplique pas la biffure de toute dimension historique mais

sa libeacuteration (entendue comme processus) Reacuteciproquement la contextualisation dun texte

philosophique peut servir agrave montrer comment cette universaliteacute se conquiert agrave la fois agrave partir de

et par-delagrave sa propre historiciteacute Le contexte nest pas un simple arriegravere-fond il est ce que le texte

philosophique reprend et forge pour le discuter et (tenter de) le surmonter

Cette conception du texte philosophique accueillante vis-agrave-vis dun travail de

contextualisation qui cherche agrave eacuteviter aussi bien la deacutecontextualisation totale que lrsquohistoricisation

forte appellerait pour ecirctre inteacutegralement fondeacutee des analyses qui outrepassent le preacutesent

propos Du moins peut-on tenter den souligner linteacuterecirct et les modaliteacutes pratiques Dans ce qui

suit nous nous reacutefeacutererons autant agrave des contemporains dAlexandre quaux textes dAlexandre lui-

mecircme Pour cette raison aussi par exemple nous exclurons de la discussion les eacutepicuriens Cette

eacuteviction se justifie (1) par le statut particulier du Jardin agrave leacutepoque10 et (2) par le fait que sauf sur

8 Y-C Zarka [2001] p 28

9 Octroyer au contexte un tel pouvoir explicatif rendrait absurde la possibiliteacute mecircme dune valeur trans-historique et conduirait agrave absorber lhistoire de la philosophie dans lhistoire des ideacutees Comme le ditM Merleau-Ponty laquo Nous avons beaucoup agrave faire pour eacuteliminer les mythes jumeaux de la philosophiepure et de lhistoire pure et pour retrouver leurs rapports effectifs Il nous faudrait dabord une theacuteoriedu concept ou de la signification qui prenne lideacutee philosophique comme elle est jamais deacutelesteacutee desimports historiques et jamais reacuteductible agrave ses origines raquo cf M Merleau-Ponty [1960] p 209-210

10 Leacutecole reste certes tregraves active ndash cf les inscriptions dŒnanda qui dateraient de 150 ndash mais son modedorganisation communautaire reste assez archaiumlque sur le modegravele helleacutenistique dune eacutecole agrave forteorthodoxie qui tolegravere peu les divergences theacuteoriques Cf J-M Andreacute [1987] et D Sedley [1989]

26

La meacutetaphysique comme science une enjeux

certaines questions de physique et peut-ecirctre en eacutethique leacutepicurisme a tregraves probablement eu

moins dimportance dans la reacuteflexion dAlexandre11 ndash moins en tout cas que le stoiumlcisme et le

platonisme

b) Une contextualisation commandeacutee par le contexte

Au surplus indeacutependamment des problegravemes geacuteneacuteraux hermeacuteneutiques du concept de

contexte le cas particulier dAlexandre requiert de lui-mecircme une telle lecture Largument

pourrait ici passer pour circulaire il ne fait en reacutealiteacute que deacuteployer une impression celle dun

geste philosophique dont le sens eacutechappe en partie sil nest restitueacute agrave son histoire Les textes

dAlexandre reacutecusent la clocircture dune lecture purement interne

On distingue en effet communeacutement deux types dœuvres dAlexandre les

commentaires et les ouvrages dits laquo personnels raquo Mais cette bipartition ne reacutesiste pas agrave un survol

mecircme rapide des textes cest mecircme comme le dit M Rashed une laquo ideacutee fausse qui peut faire

des ravages dans une eacutetude consacreacutee agrave Alexandre raquo12 Les œuvres laquo personnelles raquo en effet

saffichent elles aussi explicitement dans leur reacutefeacuterence agrave Aristote Le De anima par exemple est

aussi une explication du De anima dAristote Alexandre dit en commenccedilant quil se fait le laquo porte-

voix raquo ou laquo lambassadeur raquo de la doctrine aristoteacutelicienne13 Degraves le deacutebut assez emphatique du De

Numeacutenius en teacutemoigne clairement laquo Τοῦτο δ οἱ Ἐπικούρειοι οὐκ ὤφελον μέν μαθόντες δ οὖν ἐνοὐδενὶ ὤφθησαν Ἐπικούρῳ ἐναντία θέμενοι οὐδαμῶς ὁμολογήσαντες δ εἶναι σοφῷσυνδεδογμένοι καὶ αὐτοὶ διὰ τοῦτο ἀπέλαυσαν τῆς προσρήσεως εἰκότως ὑπῆρξέ τε ἐκ τοῦ ἐπὶπλεῖστον τοῖς μετέπειτα Ἐπικουρείοις μηδ αὐτοῖς εἰπεῖν πω ἐναντίον οὔτε ἀλλήλοις οὔτεἘπικούρῳ μηδὲν εἰς μηδὲν ὅτου καὶ μνησθῆναι ἄξιον ἀλλ ἔστιν αὐτοῖς παρανόμημα μᾶλλον δἀσέβημα καὶ κατέγνωσται τὸ καινοτομηθέν raquo (Fr 24 l 22-31) laquo Voilagrave ce que les eacutepicuriensnauraient pas ducirc apprendre ltagrave savoir veacuteneacuterer son maicirctre et ne pas se mettre en deacutesaccord avec lui etentre euxgt ils lont appris cependant et jamais daucune faccedilon on ne les a vus soutenir le contrairedEacutepicure agrave force de convenir quils partageaient les ideacutees dun sage ils ont joui eux aussi et non sansraison de ce titre et il fut acquis degraves longtemps aux eacutepicuriens posteacuterieurs quils ne seacutetaient jamaiscontredits entre eux ni navaient contredit Eacutepicure en rien qui valucirct la peine den parler cest chez euxune illeacutegaliteacute ou plutocirct une impieacuteteacute et toute nouveauteacute est proscrite raquo (tr Des Places)

11 Voir la Quaestio I 13 sur les couleurs (laquo Ὅτι μὴ ὁμοίως κατά τε τὰς ἄλλας αἱρέσεις καὶ κατἘπίκουρον εἰσάγεται τὰ χρώματα ὡς ἔλεγεν Κηνσωρῖνος ὁ Ἀκαδημαικός raquo) et la Quaestio III 12 surlinfiniteacute de lunivers (laquo Ὅτι μὴ ἄπειρον τὸ ὄν raquo) Pour leacutethique cela semble moins clair cf RWSharples [1990] p 95

12 M Rashed [2007b] p 3

13 Alexandre DA 2 3-6 laquo ἐπεὶ δ ὥσπερ ἐν τοῖς ἄλλοις τὰ Ἀριστοτέλους πρεσβεύομεν ἀληθεστέραςἡγούμενοι τὰς ὑπ αὐτοῦ παραδεδομένας δόξας τῶν ἄλλοις εἰρημένων raquo Selon la suite du texte leprojet que se fixe Alexandre est dexpliquer laquo aussi clairement que possible ce qui a eacuteteacute dit par Aristote

27

La meacutetaphysique comme science une enjeux

fato lExeacutegegravete se donne comme projet de preacutesenter laquo la doctrine dAristote concernant le destin et

ce qui deacutepend de nous raquo ayant reccedilu la mission impeacuteriale de sen faire le heacuteraut (laquo οὗ τῆς

φιλοσοφίας προΐσταμαι ὑπὸ τῆς ὑμετέρας μαρτυρίας διδάσκαλος αὐτῆς κεκηρυγμένος raquo 164

14-15) En ce sens on pourrait montrer que tout texte dAlexandre est selon les termes de G

Genette ou un hypertexte ou un meacutetatexte14 Alexandre eacutecrit dans une reacutefeacuterence constante agrave

Aristote Inversement les commentaires dAristote sont eux aussi eacutecrits contre et par rapport aux

autres eacutecoles comme le proclame par exemple nettement le deacutebut du Commentaire aux Topiques

lequel se place au croisement des stoiumlciens et de Platon sur la logique et la dialectique15

Il faut donc saffranchir de cette preacutetendue scission entre des traiteacutes poleacutemiques originaux

dune part et de purs commentaires de lautre Le projet alexandrinien reacutevegravele au fond une

certaine uniteacute et la distinction du statut des œuvres est surtout formelle ou de public il est en

effet probable que les commentaires aient eacuteteacute reacuteserveacutes agrave des eacutetudiants avanceacutes et que les œuvres

laquo personnelles raquo aient eacuteteacute destineacutees agrave un public plus large quoique informeacute comme lont montreacute

P Accattino et P Donini dans le cas du De anima par exemple16 Neacuteanmoins il faut sans doute se

garder de trop forcer lideacutee de textes de vulgarisation la doctrine du De anima dAlexandre paraicirct

peut-ecirctre laquo simplifieacutee raquo aux yeux de ces auteurs mais le public auquel elle sadresse sans

connaicirctre les meacuteandres du texte dAristote est agrave tout le moins assez au courant des concepts de

forme de matiegravere de qualiteacute etc Surtout mecircme sans une connaissance pousseacutee de la theacuteorie

aristoteacutelicienne (dougrave le projet de louvrage) il nen est pas moins capable dacceacuteder agrave des

discussions fouilleacutees de chimie eacuteleacutementaire ou de noeacutetique Cest enfin un public qui connaicirct

probablement les doctrines des autres eacutecoles vers qui sont dirigeacutees bon nombre dallusions

dAlexandre Une conclusion en deacutecoule simplement les Commentaires ont eacuteteacute eacutecrits selon une

vocation dabord interne agrave lenseignement de lAphrodisien Les œuvres dites personnelles sont

au sujet de lacircme raquo et de preacutesenter laquo les explications propres agrave deacutemontrer que chacune des choses quila dites est parfaite [καλῶς]raquo DA 2 8-9

14 Dans vocabulaire de Genette un texte meacutetatextuel est un commentaire quoique pas neacutecessairementexplicite Lhypertextualiteacute deacutesigne un texte deacuteriveacute dun autre texte preacuteexistant au terme duneopeacuteration de transformation Sur ce point voir S Fazzo [2008a] particuliegraverement p 615 et n 23 Il fautcependant nuancer tout texte alexandrinien nest pas un meacutetatexte et la cateacutegorie de lhypertexte doitecirctre ajouteacutee (S Fazzo ne prend pas en compte la diffeacuterence entre hypertexte et meacutetatexte) Que soientdes meacutetatextes les commentaires certaine Quaestiones et mecircme le De anima cest probable Celadevient plus difficile agrave soutenir pour le De fato les Quaestiones dans leur ensemble certains traiteacutesconserveacutes seulement en arabe (voir la Reacuteponse agrave Xeacutenocrate par exemple) qui conservent une relationplus distendue avec la source aristoteacutelicienne

15 Cf In Top 1 10 sq

16 P Accattino P Donini [1996] p XI

28

La meacutetaphysique comme science une enjeux

quant agrave elles plus geacuteneacuteralistes agrave destination peut-ecirctre deacutetudiants moins avanceacutes et plus

certainement des membres des autres eacutecoles et du public cultiveacute au fait des poleacutemiques

contemporaines

La situation historique dAlexandre reacutecuse eacutegalement le projet dune lecture purement

interne ou dans le seul face agrave face avec Aristote Par laquo eacutepoque dAlexandre raquo on entendra dabord

en un sens restreint agrave peu pregraves le IIegraveme s en maintenant une certaine eacutepaisseur agrave la notion de ce

qui est contemporain dAlexandre Son preacutesent philosophique seacutetendant jusquagrave Chrysippe17

Aristote et Platon il faut probablement se garder dy projeter notre moderne laquo actualiteacute raquo Pour

comprendre leacutepoque dAlexandre on pourra donc aussi leacutetendre agrave la peacuteriode quon nommera

faute de mieux laquo post-helleacutenistique raquo qui court entre la fin du IIegraveme s av J-C et la fin du IIegraveme s

ap J-C18 Le IIegraveme s av J-C signe la fin de legravere helleacutenistique avec par exemple le deacutebut du

renouveau de lautoriteacute dAristote (avant mecircme Andronicos dailleurs) la peacuteriode laquo impeacuteriale raquo

du stoiumlcisme le renouveau du platonisme dogmatique etc et la fin du IIegraveme s ap J-C marque le

deacutebut de legravere des Commentateurs19

Bien que ce soit une banaliteacute de dire quun auteur se situe agrave une eacutepoque de transition

dans le cas dAlexandre cette banaliteacute fait sens Au niveau politique Alexandre se situe entre la

fin du Haut-Empire et le deacutebut de lAntiquiteacute tardive (ce quon appelait autrefois le laquo Bas-

Empire raquo deacutebut de la laquo deacutecadence romaine raquo20) La peacuteriode est ainsi tendue entre les Antonins et

les Seacutevegraveres donc entre dune part les grandes campagnes de Marc Auregravele pour la deacutefense de la

peacuteripheacuterie de lEmpire et dautre part les importantes mutations dans lEmpire romain au IIIegraveme

17 Cf par exemple De mix 213 7 216 8 etc

18 laquo Post-helleacutenistique raquo parce que cette peacuteriode ne commence pas strictement avec lempire (et ne peutdonc ecirctre nommeacutee impeacuteriale) R Sorabji et RW Sharples se contentaient en ce sens de la deacutelimiter parses dates Voir R Sorabji RW Sharples [2007] dont le titre est laquo Greek and Roman Philosophy 100 BCndash200AD raquo RW Sharples reacuteemploie ladjectif laquo post-hellenistic raquo par exemple dans R W Sharples [2002a]p 2

19 Sur cette peacuteriodisation voir M Frede [1999] R Sorabji [2004] et surtout R Sorabji RW Sharples[2007] et RW Sharples [2010] Sur le renouveau de laristoteacutelisme voir P Moraux [1973] p 45 sq et MFrede [1999] p 772 sq

20 Cest le deacutebut du laquo Decline and fall of the roman empire raquo de Gibbon Voir les eacutetudes classiques de H-IMarrou [1977] et plus reacutecemment J-M Carrieacute et A Rousselle [1999] On prendra toutefois avecprudence certains renseignements glaneacutes dans ce dernier ouvrage en ce qui concerne la philosophie en lespace de deux pages Alexandre passe du statut de laquo stoiumlcien raquo (p 440) agrave celui de laquo platonicien raquo(p 442) La deacutedicace agrave Septime Seacutevegravere et Antonin Caracalla dont il est fait mention p 442 ne concernepas le De lacircme comme il est eacutecrit mais bien le De fato

29

La meacutetaphysique comme science une enjeux

s ainsi la monteacutee des laquo provinciaux raquo dans les sphegraveres du pouvoir21 lapogeacutee du droit romain la

centralisation administrative la Constitution de Caracalla en 212 qui octroie la citoyenneteacute

romaine agrave tous les habitants libres de lEmpire les tensions religieuses avec la perseacutecution des

Chreacutetiens puis leur expansion etc

Au niveau intellectuel le IIegraveme s est le theacuteacirctre dune effervescence dans de nombreuses

disciplines de la rheacutetorique agrave la meacutedecine22 En philosophie la peacuteriode correspond au regravegne

finissant des stoiumlciens au deacutebut de laquo legravere des commentateurs raquo aux preacutemices de la supreacutematie de

leacutecole platonicienne Charniegravere la peacuteriode lest encore en ceci quelle voit agrave la fois le

deacuteveloppement de Rome comme capitale philosophique (au Ier s en particulier) et le retour

dAthegravenes (degraves la fin du IIegraveme) bipolariteacute culturelle dont teacutemoignent les deux ceacutelegravebres discours

dAeacutelius Aristide en lhonneur des deux citeacutes Lhelleacutenisme romain est loin decirctre mort au

moment ougrave lactiviteacute philosophique en langue latine bourdonne agrave Rome se deacuteveloppe aussi la

tradition des commentaires de Platon et Aristote ndash ce que montrent aussi en litteacuterature les Nuits

Attiques dAulu-Gelle Degraves lors si lon accepte de parler de laquo romaniteacute raquo (notion agrave manier sans

doute prudemment23) on peut dire que le siegravecle dAlexandre se signale par sa poursuite du projet

dune culture24 du legs grec classique R Brague geacuteneacuteralise cette attitude pour constituer lessence

de la romaniteacute laquo La structure de transmission dun contenu qui nest pas le sien propre voilagrave

justement le veacuteritable contenu Les Romains nont fait que transmettre mais ce nest pas rien raquo25

La locution neacutegative restrictive est une exageacuteration dauteur le simple fait de la transmission

consiste agrave apporter laquo lancien comme nouveau raquo26 et la reacutepeacutetition nest jamais neutre ndash comme on

le voit dans diverses mesures avec Lucregravece Alexandre et Plotin Par le concept de culture les

21 Voir J-M Carrieacute A Rousselle [1999] p 49 sq

22 Cest par exemple lessor de la seconde sophistique les eacutecrivains Lucien Aulu-Gelle etc J-M Andreacute[1987] retrace aussi cette laquo apogeacutee du siegravecle dor raquo p 51 P Athanassiadi ([2006] p 74 n 7) propose enpassant une analogie avec la laquo Belle eacutepoque raquo

23 Sur cette notion cf R Brague [1999] et pour son emploi heideggerien F Volpi [2001] La prudence estrequise agrave deux eacutegards dabord parce quoriginellement la romanitas est un concept ideacuteologiquecomparable agrave celui de lamerican way of life En outre et plus geacuteneacuteralement lideacutee mecircme de substantiverun adjectif dappartenance et dessentialiser un nom de pays (ou de ville) a certains relents historiquesdeacutesagreacuteables En tout eacutetat de cause le terme est rare et serait un hapax de Tertullien dans le Dumanteau IV 1 laquo Quid nunc si est Romanitas omni salus nec honestis tamen modis ad Graios estis raquo

24 En un sens dabord agricole cf la fameuse deacutefinition de la philosophie par Ciceacuteron Tusculanes II 5Pour le lien entre romaniteacute et culture cf deacutejagrave M Heidegger [1961] tr fr [1971] p 331 et H Arendt[1978] tr fr [2005] p 200

25 R Brague [1999] p 46

26 R Brague [1999] p 46

30

La meacutetaphysique comme science une enjeux

penseurs romains contribuent donc aussi agrave forger celui solidaire de tradition Le sens premier de

traditio est commercial (la livraison) et miliaire (la reddition) et cest par extension quil deacutesigne la

transmission dun enseignement La tradition ne deacutesigne donc pas dabord comme ce peut lecirctre

en franccedilais la passation entre geacuteneacuterations de comportements culturels ou symboliques mais

celle deacutetermineacutee dune penseacutee ou dun savoir Cest par ce terme que Quintilien reacutesume son

projet au livre III de lInstitution oratoire27 en se placcedilant sous le patronage dun Lucregravece qui sut

transmettre sans deacuteplaire Selon la formule de Seacutenegraveque la laquo communication des connaissances raquo

(traditio studiorum) meacuterite en effet notre gratitude et fait naicirctre lamitieacute elle relegraveve logiquement

des laquo bienfaits raquo28 La tradition reacutevegravele ainsi un rapport agrave lorigine fondatrice comme ce dont on

doit se montrer digne qui fait autoriteacute et nous relie au passeacute29

Enfin fait eacuteloquent et connu cest le lent essor du codex qui par rapport au rouleau va

modifier le rapport agrave leacutecrit dans le sens dune relation agrave la fois plus intime et plus synoptique30

Mais le livre acquiert ainsi par-delagrave ses aleacuteas mateacuteriels et la concurrence entre volumen et codex

un statut speacutecifique nouveau autant dailleurs chez les paiumlens que les chreacutetiens Leacutepoque nest

peut-ecirctre pas encore tout agrave fait agrave llaquo idolacirctrie du livre raquo selon la formule de P Athanassiadi31

puisque la culture scientifique demeure bien une culture de loraliteacute Mais M Frede a bien montreacute

que la fin de la peacuteriode helleacutenistique signe un changement de rapport avec leacutecrit et donc en

partie (mais souhaiterions-nous rajouter en partie seulement) un changement daspect de

lactiviteacute philosophique dont Alexandre teacutemoigne explicitement32 Ce changement de rapport au

livre est tregraves solidaire du renouveau dinteacuterecirct pour Platon et Aristote apregraves lopposition agrave la

philosophie classique qui marque la peacuteriode helleacutenistique et en particulier son opposition aux

27 Voir III 1 3 l 1 laquo quippe quod prope nudam praeceptorum traditionem desideret raquo et l 7

28 De beneficiis VI 17 2 La phrase entiegravere meacuterite decirctre citeacutee laquo Adice quod talium studiorum traditio miscetanimos hoc cum factum est tam medico quam praeceptori pretium operae solvitur animi debetur raquo

29 Cf H Arendt [1972]

30 Le codex ne remplacera le rouleau que tregraves progressivement la mutation finissant de saccomplir agraveleacutepoque dAugustin Cf H-I Marrou [1977] J Irigoin [2001] p 59-73 et les eacuteleacutegantes pages deP Athanassiadi [2006] p 116-118

31 P Athanassiadi [2006] p 119-120

32 M Frede [1999] en particulier p 784 sq Voir aussi sur le rapport au livre dans lAntiquiteacute lescontributions agrave ce sujet dans G Cavallo R Chartier [1997] Pour Alexandre sur le commentairecomme activiteacute philosophique cf In Top 27 12-16 laquo ἦν δὲ σύνηθες τὸ τοιοῦτον εἶδος τῶν λόγωντοῖς ἀρχαίοις καὶ τὰς συνουσίας τὰς πλείστας τοῦτον ἐποιοῦντο τὸν τρόπον οὐκ ἐπὶ βιβλίωνὥσπερ νῦν (οὐ γὰρ ἦν πω τότε τοιαῦτα βιβλία) ἀλλὰ θέσεώς τινος τεθείσης εἰς ταύτηνγυμνάζοντες αὑτῶν τὸ πρὸς τὰς ἐπιχειρήσεις εὑρετικὸν ἐπεχείρουν κατασκευάζοντές τε καὶἀνασκευάζοντες δι ἐνδόξων τὸ κείμενον raquo Ce passage est citeacute et traduit par P Hadot [1995] p 165

31

La meacutetaphysique comme science une enjeux

speacuteculations ontologiques ou meacutetaphysiques33 Cest ce changement dattitude ce deacutesir de retour

aux sources qui rend raison des eacuteditions en particulier des travaux pour leacutedition dite romaine

dAristote34

Il faut toutefois preacutevenir une caricature facile dans la peacuteriode helleacutenistique on ferait

encore de la philosophie en soccupant du laquo reacuteel raquo avec la deacutecadence romaine en revanche

lactiviteacute dite philosophique ne serait plus que lexeacutegegravese affadie de textes croulant sous le poids

des commentaires seacutedimenteacutes ndash une telle vision35 eacutetant couramment solidaire de lideacutee que le

Moyen Acircge scolastique poursuit ce mouvement On verra plus loin quagrave notre sens le preacutejugeacute ne

reacutesiste pas agrave lexamen des textes Toutefois la pratique exeacutegeacutetique dun Alexandre sinscrit agrave

leacutevidence dans ce nouveau rapport au livre qui nest pas encore celui dune sacralisation mais

quillustre bien lassociation systeacutematique dans liconographie agrave partir du IIegraveme s de lhomme

cultiveacute avec le livre36 Le livre devient le relais neacutecessaire dune parole qui risque de se perdre

non seulement menaceacutee par loubli mais aussi par la laquo διάστασις raquo les dissensions entre lecteurs

comme le montre par exemple le Fr 24 de Numeacutenius et son projet de retrouver Platon dans sa

laquo pureteacute premiegravere raquo37 Ce double risque rend raison de lœuvre du diadoque laquo porte-voix raquo38 qui

heacuterite doit cultiver et transmettre la doctrine de son maicirctre mais aussi des tentatives au sein des

eacutecoles pour maintenir lorthodoxie ou encore des premiers travaux deacutedition critique Le terme

qui deacutesigne lactiviteacute philosophique dAlexandre laquo διάδοχος raquo renvoie en effet dabord

litteacuteralement au passage du flambeau agrave la succession (celle dAlexandre le Grand par exemple)

et agrave la reacuteception dun heacuteritage En philosophie le terme a donc dabord servi agrave deacutesigner les divers

successeurs agrave la tecircte des eacutecoles helleacutenistiques En deacutepit de la disparition des eacutecoles suite au sac

dAthegravenes par Sylla ndash en tout cas du Portique de lAcadeacutemie et du Lyceacutee39 ndash le terme na pas

disparu Il ne reacutefegravere deacutesormais plus au lieu physique de leacutecole mais agrave la doctrine de celle-ci et

33 M Frede [1999] en particulier p 784 sq Hermarque par exemple le successeur dEacutepicure avait eacutecritun Contre Platon et un Contre Aristote selon DL X 25

34 Sur la prudence dont il faut jouer avec cette expression voir par exemple HB Gottschalk [1987] p1093 J Barnes [1999] et ci-dessous

35 Qui a deacutejagrave Eacutepictegravete pour partisan cf Entretiens III 21 6-7

36 P Athanassiadi [2006] p 119

37 Ainsi Des Places traduit-il agrave la fin du fragment lexpression laquo ἐάσομεν αὐτὸν ἐφ ἑαυτοῦ raquo (l 70) Plusgeacuteneacuteralement agrave propos de cette laquo lutte pour lorthodoxie dans le platonisme tardif raquo voir PAthanassiadi [2006]

38 Cest le laquo πρεσβεύομεν raquo du DA 2 3-6 deacutejagrave rencontreacute ci-dessus

39 Pour le Lyceacutee cf JP Lynch [1972] Voir aussi RW Sharples [1999]

32

La meacutetaphysique comme science une enjeux

conserve la signification de reacutecipiendaire dun heacuteritage et de successeur40

Lun des faits marquants et philosophiquement significatifs de leacutepoque dAlexandre est

linstitution agrave Athegravenes des chaires de philosophie et de rheacutetorique par Marc Auregravele en 17641 cest-

agrave-dire la mise en place de postes fixes pour diadoques Marc Auregravele regravegle ainsi la question du

statut juridique des professeurs de philosophie par un eacutevergeacutetisme eacuteducatif qui reacuteagit agrave la rareteacute

des professeurs de philosophie en leur garantissant un salaire constant42 ndash et cette consolidation

juridique du rocircle des professeurs de philosophie nest sans doute pas totalement deacutenueacutee dune

volonteacute politique de mieux les controcircler Le nombre de ces chaires nest pas tregraves sucircr43 (peut-ecirctre y

eut-il deux professeurs par eacutecoles) mais du moins sait-on quil y avait quatre eacutecoles repreacutesenteacutees

(et par eacutecole on nentend donc plus ici un centre de vie communautaire comme agrave leacutepoque

helleacutenistique mais un courant de penseacutee44) stoiumlcienne eacutepicurienne platonicienne

peacuteripateacuteticienne Il conviendra toutefois de se garder de reacuteduire le champ philosophique agrave ces

quatre eacutecoles Presque neacutecessairement le cynisme ou le pyrrhonisme se deacuteveloppent hors des

eacutecoles constitueacutees en reacuteaction au dogmatisme scolaire45 Agrave la marge de ces eacutecoles se tiennent

aussi des auteurs qui creusent leur propre sillon ndash Galien ou Ptoleacutemeacutee46

De ces eacuteleacutements reacutesulte un espace de la penseacutee philosophique marqueacute par deux tendances

contradictoires La premiegravere immeacutediatement perceptible est celle du mouvement agonistique

poleacutemique47 Lopposition entre eacutecoles est tout autant intellectuelle ndash voire ideacuteologique ndash

queacuteconomique contrairement agrave ce quon pourrait croire linstitution des chaires a en reacutealiteacute

exacerbeacute cette concurrence48 comme le deacutecrit Lucien dans LEunuque On le verra le dialogue

40 Cf S Toulouse [2008] p 139 n1 et p 170 sq

41 Lun des teacutemoignages ndash assez grandiloquent ndash se trouve chez Dion Cassius dans son Histoire romaine(71313) laquo ὁ δὲ Μᾶρκος ἐλθὼν ἐς τὰς Ἀθήνας καὶ μυηθεὶς ἔδωκε μὲν τοῖς Ἀθηναίοις τιμάς ἔδωκεδὲ καὶ πᾶσιν ἀνθρώποις διδασκάλους ἐν ταῖς Ἀθήναις ἐπὶ πάσης λόγων παιδείας μισθὸν ἐτήσιονφέροντας raquo

42 Cf S Toulouse [2008] p 136

43 Cf S Toulouse[2008] p 159 sq

44 Lorganisation communautaire nest attesteacutee que chez les eacutepicuriens agrave Athegravenes au IIegraveme s cf S Toulouse[2008] p 139

45 Cf Sextus Empiricus bien sucircr mais aussi Lucien dans les dialogues tels que LEunuque LesAnabiountes etc

46 Cf R Sorabji [2007] t 1 p 1

47 J-M Andreacute parle de laquo virulence raquo ([1987] p55) Ces poleacutemiques seront railleacutees par le pyrrhonisme oupar la patristique au motif dune deacutevaluation des philosophies anteacuterieures (chez CleacutementdAlexandrie par exemple)

48 Quand un eacutetudiant vient agrave Athegravenes il sinscrit aupregraves dun professeur ndash ceacutetait deacutejagrave vrai avantlinstitution des chaires voir par exemple le cas dAulu Gelle (JP Lynch [1972] p 175) Avec

33

La meacutetaphysique comme science une enjeux

entre eacutecoles conduit agrave des discussions parfois violentes ougrave lon fait feu de tout bois ougrave lon

reconstruit la position de ses adversaires pour mieux mettre en valeur la validiteacute de ses principes

propres49 Ces poleacutemiques eacuteclatent autant entre les eacutecoles quau sein mecircme des eacutecoles cest par

exemple Atticus eacutecrivant Contre ceux qui se flattent dinterpreacuteter Platon par Aristote Ce traiteacute qui

eacutetait sans doute connu dAlexandre50 ne vise pas des aristoteacuteliciens mais bien des platoniciens

(on songe agrave Alcinoos)

Simultaneacutement cette tendance agonistique implique aussi un certain alignement ou du

moins une porositeacute si ce nest des doctrines du moins des vocabulaires Les emprunts

terminologiques sont freacutequents il suffit de constater les vocables typiquement stoiumlciens chez

Alexandre Ainsi dans son commentaire agrave Meacutetaphysique A 2 lorsquil est question pour Aristote

de collecter les opinions sur le sage dans une perspective dialectique Alexandre transforme-t-il

les laquo opinions raquo rapporteacutees par Aristote en laquo φυσικαὶ καὶ κοιναὶ ἔννοιαι raquo51 Toute la question est

de savoir si Alexandre ne tente pas de travestir le vocabulaire stoiumlcien en y injectant des

significations aristoteacuteliciennes ou si au contraire il lui est possible de semparer de la

terminologie stoiumlcienne sans que celle-ci convoie aussi des eacuteleacutements conceptuels issus de son

contexte dorigine Peu importe pour notre preacutesent propos puisquil faudra juger au cas par cas

il suffit deacutetablir cette permeacuteabiliteacute au moins terminologique entre les laquo sectes raquo52 Une telle

porositeacute peut dailleurs ecirctre consciente et assumeacutee constituant un projet philosophique promis agrave

de beaux jours leacutepoque est aussi celle des premiegraveres tendances harmonisantes entre Platon et

Aristote sur fond defforts geacuteneacuteraliseacutes pour preacutesenter et systeacutematiser lensemble du savoir53

Le corpus alexandrinien est donc fonciegraverement ouvert agrave la fois en tant que corpus

linstitution des chaires la rivaliteacute entre professeurs saccroicirct dautant plus agrave la fois entre professeurssalarieacutes et non-salarieacutes quentre professeurs salarieacutes titulaires dune chaire

49 M Rashed [2004] p 10

50 Cf la Quaestio II 21 70 33-34 qui reprend les mecircmes termes du titre dAtticus que chez Eusegravebe laquo τοὺςτὰ Πλάτωνος μὲν ὑπισχνουμένους raquo (cf RW Sharples [1994] note adloc et E Des Places [1977] p8)

51 Alexandre In Met 9 19 et 23 Voir dans le mecircme passage la substitution de la προλήψεσις agravelὑπολήψις du texte dAristote Sur la reprise meacutedio-platonicienne de ce vocabulaire cf RChiaradonna [2007]

52 Ce qui preacutecegravede montrant justement comment ce vocabulaire peut ecirctre trompeur les sectes eacutetant moinscoupeacutees les unes des autres quil ny paraicirct

53 Voir deacutejagrave Seacutenegraveque dans ses Questions naturelles ou Galien Cf aussi la floraison des recueilsdoxographiques agrave leacutepoque post-helleacutenistique (Arius Didyme Diogegravene Laeumlrce Cleacutement dAlexandrie)Cest leacutepoque de lorganisation encyclopeacutedique du savoir sur cette systeacutematisation des eacutetapes de laphilosophie cf M Zambon [2002] p 30 52 et 55 qui montre comment lorganisation meacutedio-platonicienne des degreacutes du savoir correspond agrave des degreacutes de la reacutealiteacute

34

La meacutetaphysique comme science une enjeux

exeacutegeacutetique (qui fait toujours signe vers Aristote) et comme corpus scolaire de cette fin du IIegraveme s

De ce point de vue Alexandre est aussi bien pris par les deacutebats internes agrave leacutecole peacuteripateacuteticienne

que par ceux qui ont cours entre les diffeacuterentes eacutecoles la question de la place de la logique en est

un exemple significatif la noeacutetique ou leacutethique en sont dautres Pourquoi donc nen irait-il pas

de mecircme en ce qui concerne la meacutetaphysique La contextualisation du projet alexandrinien

dune meacutetaphysique est fondeacutee par les conditions mecircmes de production du discours cest la

deacutefinition de lactiviteacute philosophique dAlexandre qui commande une telle lecture

Mais disons-le dembleacutee ce projet doit affronter un obstacle pratique si le propre dun

auteur est de produire en partie son contexte la difficulteacute est que chez Alexandre les

interlocuteurs sont tregraves souvent anonymes et les noms propres sont souvent ceux dauteurs non

contemporains54 Dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique qui est particuliegraverement discret agrave cet

eacutegard mecircme par rapport aux autres commentaires les stoiumlciens (laquo οἱ ἀπὸ τῆς Στοᾶς raquo) par

exemple sont nommeacutes en tout et pour tout deux fois55 Si le nom de Platon est eacutevidemment tregraves

freacutequent il est en revanche tout aussi rare quAlexandre se reacutefegravere aux laquo acadeacutemiciens raquo aux

laquo platoniciens raquo ou agrave laquo ceux qui professent la position de Platon raquo (la Quaestio II 21 par exemple

fait figure dexception56) La contextualisation doit donc faire avec ce qui est sans doute une

convention de leacutepoque puisquon retrouve le mecircme pheacutenomegravene chez dautres auteurs57

Plus important la tentative de contextualisation de la meacutetaphysique se heurte agrave un

veacuteritable problegraveme agrave la fois theacuteorique et pratique dont lexposeacute requiert davantage de preacutecision

dans le champ philosophique de leacutepoque post-helleacutenistique la meacutetaphysique sous quelque

forme que ce soit paraicirct surtout briller par son absence

54 Sauf erreur lun des stoiumlciens les plus reacutecents citeacutes par Alexandre (De mix 216 12) est Sosigegravene lestoiumlcien eacutelegraveve dAntipater de Tarse au IIegraveme s av J-C (et non pas Sosigegravene le maicirctre dAlexandrecontrairement agrave ce quindique HB Gottschalk [1987] p 1143)

55 En 178 18 (mais le passage est crucial cf ci-dessous) et 308 18

56 Lexpression exacte est laquo τοὺς τὰ Πλάτωνος μὲν ὑπισχνουμένους raquo (70 34) Ladjectif Πλατωνικόςest un hapax de le Quaestio II 13 alors que cest ladjectif en grec comme en latin qui se popularise auIIegraveme s pour deacutesigner ceux qui eacutetudient Platon ou se piquent de suivre la mode cf P Athanassiadi[2006] p 22-24

57 Il suffit de comparer avec Sextus Empiricus Mais cf aussi Plutarque qui dans son De virtute moraliemploie des arguments dorigine manifestement peacuteripateacuteticienne pour reacutefuter la theacuteorie stoiumlcienne dela vertu en visant surtout Zeacutenon ou Chrysippe HB Gottschalk ([1987] p 1142) en conclut que lesaristoteacuteliciens de leacutepoque de Plutarque devait surtout concentrer leurs poleacutemiques contre lesfondateurs du stoiumlcisme plus que contre leurs contemporains et Gottschalk le confirme avec le casdAlexandre (p 1143) mais le pheacutenomegravene pourrait aussi sexpliquer avec lhypothegravese de la convention

35

La meacutetaphysique comme science une enjeux

112 Quelle meacutetaphysique

a) Larleacutesienne

La meacutetaphysique ne semble pas ecirctre inscrite agrave lagenda des questions que se posent les

philosophes du IIegraveme s poursuivant ainsi une veine ouverte par une certaine opposition de la

philosophie helleacutenistique agrave la philosophie classique Un teacutemoignage eacuteloquent en est le reacutesumeacute de

philosophie aristoteacutelicienne que donne Diogegravene Laerce (deacutebut du IIIegraveme s58) et qui remonte tregraves

probablement agrave la peacuteriode helleacutenistique Comme le note RW Sharples le compendium ne contient

quasiment rien sur les thegravemes laquo ontologiques raquo (sur les notions de forme matiegravere substance acte

etc) juste de quoi dit Sharples comprendre tregraves grossiegraverement la deacutefinition de lacircme dans le De

anima59 On rappellera que le catalogue de Diogegravene ne mentionne dailleurs pas la Meacutetaphysique

Or cette absence semble plus geacuteneacuteralement sattester agrave tous les niveaux agrave leacutepoque dAlexandre

Tout dabord comme on la deacutejagrave dit on ne trouvera forceacutement pas de laquo meacutetaphysique raquo

sous ce nom Les termes en laquo μεταφυσικndash raquo napparaissent en grec quen deux occurrences assez

probleacutematiques et de toute faccedilon tregraves posteacuterieures agrave Alexandre ndash agrave savoir chez Basile de Ceacutesareacutee

et Simplicius dans des passages pour lesquels les leccedilons des manuscrits divergent60 Certes on

verra quAlexandre semble au moins une fois employer laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo pour deacutesigner non

pas les livres mais la science Mais en dehors dAlexandre agrave notre connaissance on ne lit ni

laquo μεταφυσική raquo ni laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo ni davantage laquo philosophie premiegravere raquo ni chez les

meacutedio-platoniciens ni chez les stoiumlciens ni en grec ni en latin Cela interdit donc toute deacutefinition

interne de la meacutetaphysique il nest pas possible de chercher ce que serait la meacutetaphysique agrave

leacutepoque et en dehors dAlexandre en prenant pour point de deacutepart les deacuteterminations explicites

et textuelles de celle-ci chez les autres auteurs

Mecircme dans lhistoire anteacuterieure du Peripatos la Meacutetaphysique est loin decirctre louvrage le

plus travailleacute dAristote Si leacutepoque dAlexandre au sens large (leacutepoque post-helleacutenistique) voit

58 La datation de Diogegravene on le sait est sujette agrave caution

59 RW Sharples [2010] p 33

60 Cf L Brisson[1999]

36

La meacutetaphysique comme science une enjeux

un renouveau de linteacuterecirct pour Aristote il demeure que cet inteacuterecirct ne semble pas secirctre porteacute sur

ce traiteacute Les reacutefeacuterences directes agrave la Meacutetaphysique dAristote avant legravere des commentateurs sont

de toute faccedilon quasi inexistantes dans leacutetat actuel de nos sources61 Aux deux premiers siegravecles de

notre egravere on na ainsi trace que dun peacuteripateacuteticien qui se soit inteacuteresseacute agrave la Meacutetaphysique

Aspasius62 auquel on peut ajouter le platonicien Eudore citeacute lui aussi par Alexandre pour ce qui

a eacuteteacute lu comme une correction du texte de Meacutetaphysique A 6 mais cest lagrave encore tout ce qui en a

surveacutecu63 Agrave chaque fois il sagirait de toute faccedilon dun inteacuterecirct eacuteditorial ou textuel rien ne peut

nous assurer dun inteacuterecirct philosophique et conceptuel Mais on peut mecircme aller plus loin et

comme la montreacute tregraves reacutecemment S Fazzo lire les passages ougrave Alexandre semble imputer un

travail sur leacutetat du texte de la Meacutetaphysique agrave Aspasius et Eudore comme des preacutecisions sur la

doctrine de Platon ou celle des neacuteo-pythagoriciens (ou de meacutedio-platoniciens pythagorisants64) et

non sur leacutetat preacutecis du texte de la Meacutetaphysique65

La Meacutetaphysique a toutefois probablement connu les mecircmes efforts deacutedition critique

quon trouve pour dautres ouvrages comme les Cateacutegories par exemple Cependant les auteurs de

ces corrections les intervenants dans le deacutebat sur lauthenticiteacute ou non de tel livre comme on le

verra chez Alexandre restent anonymes66

Ainsi quon la rapidement indiqueacute en introduction Alexandre constitue en reacutealiteacute la

premiegravere trace tangible dun travail philologique et philosophique sur ce traiteacute Lideacutee commune

que la Meacutetaphysique constitue un assemblage eacuteditorial posteacuterieur agrave Aristote se fonde sur deux

textes dAscleacutepius un passage parallegravele du Pseudo-Alexandre et la mention par Porphyre du

travail dAndronicos Or S Menn a montreacute de faccedilon convaincante combien les trois premiers de

ces passages ne sont pas contraignants67 Lorsquil eacutevoque la possibiliteacute dune mise en ordre des

61 Voir quand mecircme Theacuteon de Smyrne De utilitate mathematicae 178 10 Laissons ici de cocircteacute le casprobleacutematique de Nicolas de Damas cf S Fazzo [2008b]

62 Pour Aspasius on dispose de trois reacutefeacuterences dAlexandre dans son propre commentaire Quant agraveAristote de Mytilegravene le cas est encore plus sujet agrave caution et son existence est de toute faccedilon assezconjecturale via une reacutefeacuterence de Syrianus et peut-ecirctre Elias (cf P Moraux [1984]) Pour la trace tregravesdouteuse du travail dun laquo Euharmostos raquo cf S Fazzo [2012] p 62-63 Est-ce agrave partir de ces maigresinformations que HB Gottschalk peut soutenir que la Meacutetaphysique fait partie des ouvrages laquo eacutetudieacutessysteacutematiquement raquo agrave leacutepoque (HB Gottschalk [1987] p 1101)

63 Cf Alexandre In Met 59 7 et sur cette correction P Moraux [1969]Voir aussi S Fazzo [2012]

64 Sur les liens entre platonisme et pythagorisme par exemple cf J-M Andreacute [1987] p 55

65 S Fazzo [2012] en particulier p 64 -66

66 Cf ci-dessous sect 123

67 S Menn [1995]

37

La meacutetaphysique comme science une enjeux

traiteacutes par Eudegraveme de Rhodes Ascleacutepius se contente en reacutealiteacute de rapporter une tradition sur le

mode du laquo voilagrave ce quon dit raquo Tel est tregraves vraisemblablement le sens par exemple du pluriel

laquo ἀπολογοῦνται raquo on le dit pour la deacutefense dAristote68 Leacutevocation dadditions opeacutereacutees par les

lecteurs ulteacuterieurs dAristote agrave partir des autres traiteacutes69 a donc ineacutevitablement le mecircme statut que

la mention preacuteceacutedente dEudegraveme de Rhodes il sagit toujours du rappel dune tradition De

mecircme lorsque Ascleacutepius commente Δ 2 le verbe au pluriel quil emploie a sans doute un sujet

sous-entendu agrave valeur indeacutefinie traduit litteacuteralement laquo ils disaient en effet que que certaines

choses avaient eacuteteacute deacutetruites et que incapables de les imiter ils adaptegraverent [ou laquo suppleacuteegraverent raquo

comme le propose S Menn] ltdes passagesgt de ses propres ltœuvresgt raquo70 S Menn commente agrave

raison

The subject of they said is not an historical witness certainly not the editors of the Metaphysicsbut the same anonymous they who offered the nice defense of Aristotle in the earlier passage71

Ascleacutepius et le Pseudo-Alexandre sont ainsi conscients dun texte plus malmeneacute que celui

des autres traiteacutes (sans aller jusquau laquo farrago raquo de Barnes72) et utilisent dans ce cas lhypothegravese de

corrections ulteacuterieures Quil sagisse dune tradition nimplique eacutevidemment pas quelle soit

fausse seulement quon ne peut pas lui accorder plus de creacutedit que de raison Cette tradition par

ailleurs ne porte pas sur lassemblage complet de la Meacutetaphysique mais sur lajout de passages

quand certains eacutetaient perdus le deacuteplacement de certains autres73 ou sur les livres

probleacutematiques A α74 et K

68 La phrase complegravete dAscleacutepius en In Met 4 8-11 est laquo ἀπολογοῦνται δὲ ὑπὲρ τούτου καὶ καλῶςἀπολογοῦνται ὅτι γράψας τὴν παροῦσαν πραγματείαν ἔπεμψεν αὐτὴν Εὐδήμῳ τῷ ἑταίρῳ αὐτοῦτῷ Ῥοδίῳ εἶτα ἐκεῖνος ἐνόμισε μὴ εἶναι καλόν ὡς ἔτυχεν ἐκδοθῆναι εἰς πολλοὺς τηλικαύτηνπραγματείαν raquo

69 Ascleacutepius In Met 4 12-15 laquo μὴ τολμῶντες δὲ προσθεῖναι οἴκοθεν οἱ μεταγενέστεροι διὰ τὸ πολὺπάνυ λείπεσθαι τῆς τοῦ ἀνδρὸς ἐννοίας μετήγαγον ἐκ τῶν ἄλλων αὐτοῦ πραγματειῶν τὰλείποντα ἁρμόσαντες ὡς ἦν δυνατόν raquo

70 Ascleacutepius In Met 305 20-21 laquo ἔλεγον γὰρ ὅτι τινὰ παραπώλοντο καὶ μὴ δυνηθέντες μιμήσασθαιἐκ τῶν αὐτοῦ ἐφήρμοσαν raquo

71 S Menn [1995] p 206

72 J Barnes [1997] p 61 laquo It was clear to scholars in antiquity that the fourteen-volume Met is a farrago raquo JBarnes cite ensuite le passage deacutejagrave vu dAscleacutepius In Met 4 4-8

73 Cest le sens de la reacutefeacuterence agrave Eudegraveme chez le Ps-Alexandre In Met 515 8-11 laquo καὶ οἶμαι καὶ ταῦταἐκείνοις ἔδει συντάττεσθαι καὶ ἴσως ὑπὸ μὲν Ἀριστοτέλους συντέτακται (ἐν οὐδεμιᾷ γὰρ τῶνἄλλων αὐτοῦ πραγματειῶν εὑρίσκεται τοιοῦτόν τι πεποιηκὼς ὁποῖα ἐνταῦθα φαίνεται) ὑπὸ δὲτοῦ Εὐδήμου κεχώρισται raquo

74 Il faut ici jouer de prudence M Hecquet-Devienne [2005] a reacutecemment tenteacute de montrer que leprincipal passage sur lequel on se fonde traditionnellement pour attribuer le livre α agrave Pasiclegraves de

38

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Enfin J Barnes a montreacute de faccedilon salutaire avec quelles preacutecautions il importait de

prendre lhypothegravese dune laquo eacutedition andronicienne raquo (ou eacutedition romaine) du corpus aristoteacutelicien

et a fortiori de la Meacutetaphysique75 Dans sa Vie de Plotin Porphyre deacuteclare en effet prendre modegravele

sur Apollodore dAthegravenes pour les œuvres dEacutepicharme et sur laquo Andronicos le Peacuteripateacuteticien raquo

pour les œuvres dAristote et Theacuteophraste76 Andronicos aurait en effet laquo diviseacute les œuvres

dAristote et Theacuteophraste en traiteacutes en rassemblant dans la mecircme ltœuvregt [ou laquo au mecircme

endroit raquo] les sujets approprieacutes raquo77 De mecircme Porphyre classera les cinquante-quatre traiteacutes de

Plotin en six Enneacuteades Passons sur largument de S Menn selon lequel Porphyre ne cite pas la

Meacutetaphysique (il ne cite aucun traiteacute ) et accordons par hypothegravese le maximum de creacutedit agrave

Porphyre Sa description de lactiviteacute dAndronicos nimplique clairement aucune production ou

reacuteeacutecriture de traiteacutes mais lorganisation dun mateacuteriau preacuteexistant De prime abord cela semble

parfaitement imaginable pour les traiteacutes composant la Meacutetaphysique se retrouvant avec une

collection de livres (βιβλία) Andronicos les aurait alors rassembleacutes en un seul grand traiteacute

(πραγματεία) S Menn reacutetorque que cette opeacuteration aurait exigeacute un travail plus important dans

le cadre de la Meacutetaphysique avec au premier chef laddition des reacutefeacuterences internes au traiteacute (par

exemple entre le livre B et les suivants) ce que Porphyre na pas du tout fait dans les Enneacuteades78

Cependant pourrait-on reacutepondre il arrive agrave Aristote de faire des reacutefeacuterences agrave un traiteacute depuis un

autre ndash par exemple au De lacircme dans le De sensu79 Ces reacutefeacuterences ne paraicirctraient alors internes

quagrave la suite agrave la composition par Andronicos Sil y a des reacutefeacuterences internes troublantes dans la

Meacutetaphysique cest peut-ecirctre plutocirct par exemple le laquo ἐν τοῖς πεφροιμιασμένοις raquo de B 1 995b 5

Le mot mecircme de laquo preacuteambule raquo interdit tout renvoi agrave un autre traiteacute80 Reste une possibiliteacute qui ne

Rhodes (une scholie du Parisinus gr 1853 agrave la jonction du premier et du deuxiegraveme livre) pourrait enreacutealiteacute concerner le livre A M Hecquet-Devienne confirmerait ainsi les analyses avanceacutees par E Berti[1982] et G Vuillemin-Diem [1983] Mais cf deacutejagrave W Jaeger [1948] tr fr p 174-175 et 458

75 J Barnes [1997] Voir aussi HB Gottschalk [1987] p 1093 et les arguments tregraves convaincants de MFrede [1999] p 772 sq

76 Porphyre Vita Plotini 24 6-11 laquo μιμησάμενος δ Ἀπολλόδωρον τὸν Ἀθηναῖον καὶ Ἀνδρόνικον τὸνΠεριπατητικόν ὧν ὁ μὲν Ἐπίχαρμον τὸν κωμῳδιογράφον εἰς δέκα τόμους φέρων συνήγαγεν ὁ δὲτὰ Ἀριστοτέλους καὶ Θεοφράστου εἰς πραγματείας διεῖλε τὰς οἰκείας ὑποθέσεις εἰς ταὐτὸνσυναγαγών raquo

77 Pour une autre traduction voir M Crubellier [agrave paraicirctre] Andronicos laquo divisa les œuvres dAristote etde Theacuteophraste en pragmateiai en ramenant agrave luniteacute les propos particuliers lt de chacun des eacuteleacutementsdune pragmateiagt raquo

78 S Menn [1995] n6 p 204

79 De sensu 1 436b 10

80 Cf M Crubellier [2009] p 47 laquo The mention of prefatory remarks refers certainly to book A raquo

39

La meacutetaphysique comme science une enjeux

peut ecirctre exclue celle dun assemblage en un grand traiteacute de diffeacuterents groupes de livres

(imaginons A-B-Γ Ζ-Η-Θ etc)81 mais cette possibiliteacute commence deacutejagrave agrave seacuteloigner de la

description porphyrienne De surcroicirct aucune source ne fait eacutetat dune eacutedition andronicienne de

la Meacutetaphysique Le fait est moins surprenant chez Alexandre contrairement agrave ce que dit Barnes82

vu son silence sur ses preacutedeacutecesseurs mais on aurait toutefois pu ly attendre chez dautres

commentateurs moins avares de noms propres En dernier lieu si le travail porphyrien se donne

comme copie ou imitation du modegravele andronicien il convient de rejeter lideacutee mecircme dune

construction de traiteacutes singuliers au profit bien plutocirct de leur mise en ordre systeacutematique En ce

sens le travail dAndronicos naurait pas tant porteacute sur tel ou tel traiteacute mais sur leur classement

mettant par exemple agrave la suite les Cateacutegories les Premiers et les Seconds Analytiques etc83

En leacutetat de nos sources agrave peu de choses pregraves lhistoire de la Meacutetaphysique avant

Alexandre navigue agrave vue entre le possible et le probable Le livre a eacuteteacute eacutediteacute corrigeacute ou discuteacute

dans son eacutetablissement voilagrave le peu que lon sache Si lon veut pousser au bout le raisonnement

on sera vite tenteacute de soutenir que dans la contingence des histoires de reacuteception il y a aussi

parfois une rationaliteacute agrave lœuvre rien ne sest conserveacute avant Alexandre sur la Meacutetaphysique

parce que peut-ecirctre ny avait-il rien de philosophiquement consistant Agrave tout le moins en eacutetant

plus prudent autant dire que si lon souhaite prendre laquo meacutetaphysique raquo non plus comme nom de

la science mais titre de lœuvre dAristote lentreprise de contextualisation dAlexandre agrave ce sujet

semblera dembleacutee vaine

Chercher ce quil en est de la meacutetaphysique agrave leacutepoque dAlexandre ne peut donc se faire

ni avec une entente litteacuterale et interne de la meacutetaphysique ni avec une deacutetermination litteacuteraire en

partant de la reacuteception de lœuvre dAristote

Enfin et surtout dun point de vue eacutepisteacutemologique la tripartition du logos en logique-

physique-eacutethique ne semble pas laisser place agrave quelque meacutetaphysique que ce soit Or cette

81 Sur lhistoire de ces hypothegraveses en particulier au XIXegraveme siegravecle voir entre autres S Menn [2009] surtoutp 100-105

82 J Barnes [1997] p 29

83 J Barnes avance une ideacutee similaire (cf p 37-41) en particulier en distinguant pour Porphyre le modegraveledApollodore et celui dAndronicos Enfin lun des derniers arguments de Barnes consiste en laconstruction suivante Andronicos avait connaissance de la correspondance (inauthentique) entreAristote et Eudegraveme donc du mythe qui trouverait lagrave son origine dune eacutedition eudeacutemienne de laMeacutetaphysique Il naurait donc pu preacutetendre avoir lui-mecircme produit ce traiteacute Cf J Barnes [1997] p 62-63 Cette construction repreacutesente tout de mecircme un bel enchacircssement dhypothegraveses

40

La meacutetaphysique comme science une enjeux

tripartition a cours au-delagrave des seuls stoiumlciens chez les eacutepicuriens et au moins en partie les

platoniciens84 Agrave la faveur de son origine partiellement aristoteacutelicienne85 cette partition se joue

aussi bien chez les peacuteripateacuteticiens comme en teacutemoigne un texte du Pseudo-Plutarque (Aetius)86

Le passage entier est inteacuteressant parce quil expose une division de la philosophie sans doute

assez caracteacuteristique de leacutepoque Pour introduire agrave son sujet et montrer combien la physique est

une partie importante de la philosophie Aetius se propose en effet deacutenumeacuterer les parties de la

philosophie87 Il expose ensuite la tripartition stoiumlcienne (qui correspond agrave SVF II 35)88 Cest agrave ce

moment quAetius introduit les peacuteripateacuteticiens en disant quAristote Theacuteophraste et laquo presque

tous les peacuteripateacuteticiens raquo divisaient ainsi la philosophie89 et la division qui est proposeacutee ensuite

fusionne manifestement la reacutefeacuterence aux Topiques dAristote et la partition stoiumlcienne agrave la division

en philosophie theacuteoreacutetique et pratique90

Plus geacuteneacuteralement mecircme dans les manuels de philosophie qui preacutesentent plusieurs

eacutecoles (par exemple Arius Didyme) cest cette tripartition qui regravegne et contraint agrave une lecture des

diverses doctrines dans les trois champs de la physique de la logique ou de leacutethique91 Cette

preacutepondeacuterance du stoiumlcisme empecircche donc les questions hors-cadre de venir sur le devant de la

scegravene92 De fait la laquo koinegrave des problegravemes philosophiques raquo selon lheureuse expression de

84 La chose est discuteacutee par D OMeara [1986] p 5 on y revient ci-dessous sect 113b

85 Cest le fameux texte des Topiques I 14 105b 19-29 Sur le fait quil ne sagisse pas lagrave dune division desparties de la philosophie cf P Hadot [1979] p 107 et M Crubellier [agrave paraicirctre]

86 Cf aussi le Divisiones Aristoteleae sect 42 (Mutschmann) qui propose cinq espegraveces de la philosophie politique dialectique physique eacutethique et rheacutetorique Sur cette question voir P Hadot [1979] etJ Mansfeld [1992a] p 83-84

87 Placita philosophorum 874d-e (DG 273 11 sq) laquo Μέλλοντες τὸν φυσικὸν παραδώσειν λόγονἀναγκαῖον ἡγούμεθα εὐθὺς ἐν ἀρχαῖς διελέσθαι τὴν τῆς φιλοσοφίας πραγματείαν ἵν εἰδῶμεν τίἐστι καὶ πόστον μέρος αὐτῆς ἡ φυσικὴ διέξοδος raquo

88 laquo Οἱ μὲν οὖν Στωικοὶ ἔφασαν τὴν μὲν σοφίαν εἶναι θείων τε καὶ ἀνθρωπίνων ἐπιστήμην τὴν δὲφιλοσοφίαν ἄσκησιν ἐπιτηδείου τέχνης ἐπιτήδειον δ εἶναι μίαν καὶ ἀνωτάτω τὴν ἀρετήν ἀρετὰςδὲ τὰς γενικωτάτας τρεῖς φυσικὴν ἠθικὴν λογικήν δι ἣν αἰτίαν καὶ τριμερής ἐστιν ἡ φιλοσοφίαἧς τὸ μὲν φυσικὸν τὸ δ ἠθικὸν τὸ δὲ λογικόν καὶ φυσικὸν μὲν ὅταν περὶ κόσμου ζητῶμεν καὶ τῶνἐν κόσμῳ ἠθικὸν δὲ τὸ κατησχολημένον περὶ τὸν ἀνθρώπινον βίον λογικὸν δὲ τὸ περὶ τὸν λόγονὃ καὶ διαλεκτικὸν καλοῦσιν raquo

89 Aetius Placita 874e (DG 273 25) laquo Ἀριστοτέλης δὲ καὶ Θεόφραστος καὶ σχεδὸν πάντες οἱΠεριπατητικοὶ διείλοντο τὴν φιλοσοφίαν οὕτως raquo

90 Cf J Mansfeld [1992a] p 84 sq Sur la fusion de la tripartition stoiumlcienne et la bipartitionaristoteacutelicienne cf aussi Alcinoos Didaskalikos 152 30 sq

91 Chez P Hadot [1979] p 211 P Moraux [1973] p 259-443 HB Gottschalk [1987] p 1125

92 Cf aussi sur linfluence des questions stoiumlciennes chez les peacuteripateacuteticiens RW Sharples [2010] p XIV

41

La meacutetaphysique comme science une enjeux

P Moraux93 se nourrit des deacutebats suivants En logique sur les critegraveres du vrai et les cateacutegories

sur les universels94 En eacutethique sur le bonheur et la vertu95 ou la question de linneacute et de lacquis

dans la vie morale Entre physique et eacutethique sur la liberteacute et le deacuteterminisme via la question du

destin96 En physique la providence (Dieu se preacuteoccupe-t-il du Monde et des Hommes ) et la

cosmologie97 en geacuteneacuteral ou encore la constitution de lacircme98 Mais dans le stoiumlcisme impeacuterial

cest leacutethique qui aurait pris le pas sur les autres domaines du Logos comme en teacutemoignent les

œuvres drsquoEacutepictegravete et Marc Auregravele et la position de leacutethique comme fin des deux autres

domaines99

Lactualiteacute de ces domaines dinvestigation se lit chez Alexandre lui-mecircme dans les titres

des œuvres dites personnelles Du destin De la providence De lacircme Questions et solutions

[physiques] Du meacutelange Problegravemes eacutethiques

Bref pour chercher sil y a de la meacutetaphysique agrave leacutepoque dAlexandre dAphrodise on ne

trouvera aucun secours dans une deacutetermination interne ou au niveau explicite des textes Sil y a

du meacutetaphysique si lon peut dire (comme au neutre100) il naura guegravere la forme dune science

autonome et risque de se trouver eacuteclateacute dans divers champs101 agrave la marge des poleacutemiques

explicites anonyme et comme laquo en griseacute raquo102 dans les coulisses du champ de bataille

philosophique On sera bien plus dans la clandestiniteacute des intrigues de cour que dans une

frontale guerre de trancheacutees De faccedilon concomitante il ne faudra pas tant chercher ce qui aurait

93 P Moraux [1984] p 436-437 Voir aussi M Frede [1999] par exemple p 781 sur lorigine stoiumlcienne debon nombre de ces problegravemes

94 La question des cateacutegories a eacuteteacute traiteacutee par Nicostrate et Lucius mais aussi Plutarque (cf HBGottschalk [1987] p 1146) Linteacuterecirct pour le texte neacutetait en effet pas limiteacute aux seuls peacuteripateacuteticienspuisquil concerne eacutegalement des stoiumlciens comme Atheacutenodore ou Cornutos

95 Cf Aulu-Gelle avec le deacutebat sur la vita beata entre le Portique et le Peripatos XVIII 1

96 J-M Andreacute [1987] p64

97 Avec le De mundo cf aussi Apuleacutee par exemple (HB Gottschalk [1987] p 1148) Cf encore lesquestions sur leacutether par exemple Plutarque Sur la cinquiegraveme substance (HB Gottschalk [1987] p 1146)

98 Avec Galien ou Atticus

99 Cf P Hadot [1979] p 210 sur la laquo reacuteduction agrave leacutethique raquo et C Gill [2003] p 33

100 Ce neutre na pas de sens essentialisant ndash comme quand on dit laquo le beau raquo τὸ καλόν pour dire laquo labeauteacute raquo ndash mais signifie plutocirct des eacuteleacutements textuels qui peuvent ressortir agrave la meacutetaphysique sansquon ait affaire agrave une science constitueacutee ou un champ du savoir deacutelimiteacute

101 D Sedley [2005a] p 118

102 Ce ne serait ainsi pas seulement lontologie qui serait grise comme chez Descartes (selon le titre de J-LMarion) mais la meacutetaphysique en son entier

42

La meacutetaphysique comme science une enjeux

eacuteteacute intentionnellement conccedilu comme meacutetaphysique dans les eacutecoles stoiumlciennes et meacutedio-

platoniciennes ndash ce serait une enquecircte assez vaine vu ce quon en a dit ci-dessus Il faudra bien

plutocirct se demander ce qui a pu apparaicirctre aux yeux dAlexandre comme laquo meacutetaphysique raquo dans

les autres eacutecoles

b) Trois critegraveres deacuteflationnistes du meacutetaphysique

Il est degraves lors neacutecessaire de produire une caracteacuterisation extrinsegraveque de la meacutetaphysique

(et non mecircme neacutecessairement une deacutefinition au sens strict pour autant que ce soit possible) Une

telle caracteacuterisation ne doit ecirctre ni trop eacutetroite afin de se laisser informer par les textes eux-

mecircmes103 ni trop large afin de ne pas perdre tout pouvoir discriminant Il convient donc de

deacuteterminer des critegraveres preacutecis mais en admettant quils sont provisoires agrave reacuteviser dans un sens

assez proche des laquo preacutejugeacutes raquo selon Gadamer104 Ces critegraveres fonctionneraient donc comme des

indices des signes au sein des discours marquant la possibiliteacute dune compreacutehension

meacutetaphysique Cest-agrave-dire des indices dun champ de discussions inter-scolaires qui a pu jouer

et ecirctre reacutecupeacutereacute au niveau meacutetaphysique par Alexandre

On pourrait concevoir en premier lieu une deacutetermination de la meacutetaphysique par son

objet comme leacutetude de ce qui se trouve au-delagrave de la nature et par-delagrave nos sens Une telle

deacutefinition a pour elle le poids de reacutefeacuterences prestigieuses jusquagrave Kant et Nietzsche et deacutejagrave un

passage dAristote selon lequel sil ny avait pas de substances seacutepareacutees ce serait la philosophie

seconde qui serait premiegravere105 Chez ce dernier justement on pourrait dailleurs se demander si ce

nest pas dans la reprise et la reacutefutation du platonisme (donc de la thegravese des Ideacutees) que le livre A

de la Meacutetaphysique en vient agrave quitter la seule physique qui semblait fournir une scegravene suffisante

pour les discussions anteacuterieures avec les physiologues Ce critegravere nest donc assureacutement pas

deacutenueacute de leacutegitimiteacute On a cependant choisi de leacutecarter ici ou du moins de le minorer

Une premiegravere justification consiste agrave rappeler que mecircme en reacutegime aristoteacutelicien fixer le

supra-sensible comme objet de la meacutetaphysique se laisse pour le moins discuter On accordera

tregraves rapidement et pour meacutemoire que si la meacutetaphysique eacutetait au premier chef science des

103 Une deacutefinition trop eacutetroite interdirait de reconnaicirctre de nouveaux visages de la meacutetaphysique

104 H-G Gadamer tr fr [1996] p 286 sq

105 Meacutetaphysique E 1 1026a 27-29

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

substances seacutepareacutees et supra-sensibles alors les pages deacutevolues agrave cette eacutetude dans les eacutecrits

dAristote seraient bien maigres Au surplus dans les livres centraux cest bien la substance

sensible quAristote eacutetudie prioritairement pour saisir ce quest la substance Eacutetant donneacute la

densiteacute des analyses de la substance sensible il paraicirct assez faible de reacutetorquer que ce nest lagrave

quun deacutetour meacutethodologique pour mieux eacutetudier les substances seacutepareacutees ndash Aristote a sans doute

en vue la substantialiteacute en geacuteneacuteral Enfin on le verra Alexandre lui-mecircme ne reacuteduit pas la

meacutetaphysique agrave leacutetude de la substance immobile et eacuteternelle

Surtout la raison la plus importante pour minorer le critegravere de lobjet supra-sensible est

dordre pragmatique ou meacutethodologique un tel critegravere deviendrait agrave la fois trop large et trop

eacutetroit En effet si est laquo meacutetaphysique raquo tout discours sur le supra-sensible agrave ce compte nimporte

quel texte platonicien en relegraveve puisque comme en teacutemoigne un fragment dAtticus lun des

fondamentaux du platonisme (quoique discuteacute agrave lrsquoeacutepoque106) est la position de substances

incorporelles et non-naturelles les Ideacutees

Οἵ τ αὖ τὰ τοῦ Πλάτωνος συνιστάναιἐγνωκότες τὸν πλεῖστον ἀγῶνα τῶν λόγων ἐντούτῳ τίθενται πάνυ ἀναγκαίως οὐδὲν γὰρἔτι τὸ Πλατωνικὸν ἀπολείπεται εἰ μὴ τὰςπρώτας καὶ ἀρχικωτάτας φύσεις ταύταςσυγχωρήσεταί τις αὐτοῖς ὑπὲρ Πλάτωνος ταῦτα γάρ ἐστιν οἷς μάλιστα τῶν ἄλλωνὑπερέχει

Quant agrave ceux qui ont deacutecideacute de deacutefendre ladoctrine de Platon ils font de cette question ltlesIdeacuteesgt leur principal terrain de discussion et ils ysont bien obligeacutes rien ne reste plus du platonismeen effet si on ne leur concegravede en faveur de Platonces natures premiegraveres et tout agrave fait primordiales carcest par lagrave surtout quil lemporte sur les autres

(Fr 9 41-6 tr Des Places)

Or il paraicirct intuitivement insuffisant de poser lexistence dIdeacutees ou de parler de Dieux

pour faire de la meacutetaphysique Par exemple de nombreux textes platoniciens qui reposent

logiquement sur la thegravese des Ideacutees ou qui traitent du supra-sensible ont une viseacutee directement

cosmogonique ou eacutethique et sinscrivent agrave leacutepoque post-helleacutenistique dans la physique ou

leacutethique Un champ dinvestigation scientifique peut se donner un objet supra-sensible sans que

immeacutediatement sa meilleure appellation ni son skopos soient la meacutetaphysique ainsi une eacutethique

qui reposerait sur une valeur transcendante et normative absolue conccedilue comme existant

reacuteellement nen resterait pas moins une eacutethique si sa fin est lagir et le bien-vivre107 Dit

autrement il est assureacutement difficile de consideacuterer que lideacutealisme eacutethique serait de facto une

meacutetaphysique si les modaliteacutes de lacte de poser une valeur absolue ne sont pas eacutelaboreacutees pour

106 Atticus a en vue les tentatives dharmonisation de Platon et Aristote (on en lit un exemple chezAlcinoos) qui introduisent un eacutetat de la forme dans la matiegravere

107 La section eacutethique du Didaskalikos commence ainsi par poser lIdeacutee du Bien

44

La meacutetaphysique comme science une enjeux

elles-mecircmes (pour reprendre un vocabulaire contemporain dans une meacuteta-eacutethique se posant des

questions de second ordre par exemple) laquo Meacutetaphysique raquo deviendrait alors un terme dont

lextension serait telle que la notion perdrait son inteacuterecirct discriminant ndash agrave nen pas douter cest lun

des sens du terme en franccedilais pour deacutesigner tout discours qui envisage un au-delagrave des sens

Toute theacuteologie toute mythologie serait alors meacutetaphysique voire un laquo polar raquo ou une

symphonie108 Un tel emploi nest pas opeacuteratoire en histoire de la philosophie

Enfin un tel critegravere serait eacutegalement trop eacutetroit agrave telle enseigne les stoiumlciens nauront

deacutefinitivement rien agrave nous dire de et sur la meacutetaphysique Comme le rappelle J Brunschwig109

pour les stoiumlciens il ny a pas non plus dentiteacute laquo au-delagrave raquo de la nature laquelle embrasse toute

chose y compris celles qui sont par dautres qualifieacutees de surnaturelles rien ne vient laquo apregraves raquo la

science physique en quelque sens que ce soit Or comme on va le voir certains aspects de la

penseacutee stoiumlcienne ont tregraves facilement pu ecirctre compris comme laquo meacutetaphysiques raquo preacuteciseacutement par

quelquun comme Alexandre Ainsi bien que reconstituant leur position comme un pur

immanentisme des principes Alexandre par lagrave-mecircme contribue agrave importer la position stoiumlcienne

dans un environnement typiquement meacutetaphysique (dans tous les sens du terme y compris le

plus courant)

Ἀλλεἰ καὶ ἔστι τι καθ αὑτὸ αἴτιον παρὰτὴν ὕλην καὶ ἄλλο τί φησι δεῖν ἐπισκέψασθαιπότερον τοῦτό ἐστι κεχωρισμένον ὕλης καὶαὐτὸ καθ αὑτὸ ὑφεστώς ἢ ἐν τῇ ὕλῃ ὁποῖόνἐστι τὸ ἔνυλον εἶδος καὶ ὡς τοῖς ἀπὸ τῆςΣτοᾶς ἔδοξεν ὁ θεὸς καὶ τὸ ποιητικὸν αἴτιονἐν τῇ ὕλῃ εἶναι Καὶ εἰ ἔστι τι αἴτιον χωριστὸν[17820] καὶ ἄυλον πότερον ἓν τοῦτο κατἀριθμόν ἐστιν ἢ πλείω περὶ ὧν αὐτὸς ἐν τῷ Λτῆσδε τῆς πραγματείας λέγει raquo

Mais110 sil y a aussi quelque cause par soi endehors de la matiegravere il affirme quil faut eacutegalementexaminer autre chose agrave savoir si cette cause estseacutepareacutee de la matiegravere et si elle-mecircme subsiste en soiou bien si elle est dans la matiegravere comme lest laforme dans la matiegravere et agrave la maniegravere dont lesstoiumlciens estimaient que le dieu crsquoest-agrave-dire la causeagente est dans la matiegravere Et srsquoil y a quelque causeseacutepareacutee et immateacuterielle il faut examiner si elle estune en nombre ou plusieurs ce dont Aristote parleau livre Λ de ce traiteacute

(In Met 178 15-21)

Ce texte est riche et important pour saisir la position personnelle dAlexandre et la

108 Et bien plus encore comme F Nef en fait plaisamment le catalogue (F Nef [2004] p 31-37) finissantpar reacutesumer laquo ltLadjectifgt meacutetaphysique en langage peacutedant seacutetant deacuteseacutemantiseacute est devenu uneespegravece de vide qui attire la reseacutementisation sauvage La meacutetaphysique pour notre contemporain est untrou noir qui avale tout et ne restitue rien raquo (p 37)

109 J Brunschwig [2003] p 206

110 Ou mais mecircme si Mais le passage assez parallegravele de 179 1 laisse plutocirct entendre une addition unequestion suppleacutementaire se deacuteroulant par arborescence (comme aussi dans la Meacutetaphysique deTheacuteophraste)

45

La meacutetaphysique comme science une enjeux

maniegravere dont il conccediloit celle-ci dans son propre contexte On y reviendra Agrave tout le moins faut-il

dembleacutee constater combien la contextualisation du projet alexandrinien dune meacutetaphysique se

leacutegitime de ce passage Assureacutement dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique il constitue sauf

erreur un hapax aucun autre texte nexplicite agrave ce point les enjeux poleacutemiques du Commentaire

Mais sa singulariteacute nempecircche pas son importance Le silence dAlexandre dans ses reacutefeacuterences

contemporaines on la dit est sans doute conventionnel On a donc la chance de tenir ici un texte

qui va au-delagrave de la convention et nous renseigne autrement que par allusion (quoique ne

comportant toujours aucun nom propre)

Sur la question qui nous occupe on pourrait objecter que ce nest pas parce quon discute

de la position dun auteur en meacutetaphysique que celui-ci peut pour autant ecirctre annexeacute agrave ce

domaine dinvestigation et consideacutereacute sans reste comme meacutetaphysicien Certes Mais nous ne

sommes pas en quecircte dune deacutetermination interne de la meacutetaphysique chez les stoiumlciens Parler

de meacutetaphysique stoiumlcienne est pour partie leffet dun regard reacutetrospectif leacutegitimement

discutable par les speacutecialistes du stoiumlcisme comme le dit nettement D Sedley laquo It is primarily

when looking through a Platonist or Aristotelian lens that we are likely to see in them a unified area of

philosophical discourse raquo111 Toutefois dans la suite de son article D Sedley nuance ce jugement et

envisage que les stoiumlciens aient eux-mecircmes perccedilu le caractegravere meacuteta-philosophique de certaines

questions Quoi quil en soit cest justement ce regard reacutetrospectif qui nous inteacuteresse degraves lors

quon a fourni une deacutetermination relative du contexte en en rejetant la version positiviste Or

eacutetant donneacute lanonymat des reacutefeacuterences dAlexandre et la rareteacute de ces passages directement

dirigeacutes contre le Portique nous avons besoin de critegraveres externes nous permettant de deacuteterminer

ce qui a pu constituer une reacutefeacuterence (fucirct-elle critique) et ainsi agir au cœur mecircme de la

meacutetaphysique alexandrinienne

Agrave ce titre et pour les raisons preacuteceacutedentes le critegravere dun objet hyper-physique nest pas

pertinent Ce nest probablement pas un hasard si la question de lobjet de la meacutetaphysique

deviendra un lieu commun de dispute dans tout le Moyen Acircge latin apregraves la reacuteception de la

Meacutetaphysique dAristote et des commentateurs arabes Mais tout le monde ne tient pas pour

acquis que la meacutetaphysique a pour objet le suprasensible ou plus preacuteciseacutement les formes

seacutepareacutees de la matiegravere (deacutetermination sans doute dorigine lointainement alexandrinienne112)

111 D Sedley [2005a] p 118 Cf aussi KM Vogt [2009]

112 Comparer le Guide de leacutetudiant parisien et le deacutebut du commentaire dAlexandre agrave Meacutetaphysique B (InMet 171 7-11) Pour certains nominalistes comme Duns Scot par exemple Dieu ne peut ecirctre objet de

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

Comme on sait la meacutetaphysique dans son histoire est prise dans un mouvement perpeacutetuel de

redeacutefinition ndash la meacutetaphysique elle-mecircme est un objet de la meacutetaphysique Cependant que la

meacutetaphysique se caracteacuterise par exemple comme enquecircte rationnelle sur le supra-sensible

science geacuteneacuterale de leacutetant commun ou eacutetude du laquo quelque chose raquo objet de lintellect113 il nous

semble possible de deacutegager agrave titre de critegraveres des attendus du discours meacutetaphysique lui-mecircme

des preacutetentions communes et intrinsegraveques qui sont autant dobjets (en un sens non reacutealiste) mais

qui diversement combineacutees et accentueacutees contribuent agrave eacutelire telle ou telle entiteacute ou tel ou tel

champ comme intenteacute privileacutegieacute de lenquecircte

Trois critegraveres nous paraissent ainsi pouvoir ecirctre deacutegageacutes

1 Lambition de totaliteacute ou duniversaliteacute cest lideacutee que la meacutetaphysique cherche agrave

produire une deacutetermination de la totaliteacute du laquo reacuteel raquo et ne se conccediloit pas comme

discours purement reacutegional laquo Reacuteel raquo est ici employeacute faute de mieux le reacuteel nest

jamais ce qui est donneacute pour un discours meacutetaphysique mais constitue le problegraveme

Cette ambition universaliste peut se deacutecliner sous divers degreacutes de lambition dune

universaliteacute transversale agrave des formes plus indirectes duniversaliteacute114

2 Un certain reacutegime de rationaliteacute au sens ougrave mecircme si cette rationaliteacute finit pas

seacutepuiser cest elle qui permet de reacuteduire ses propres preacutetentions Leacutelucidation dune

ineffabiliteacute du premier principe par exemple peut se faire de faccedilon parfaitement

dialectique et la laquo meacutethode neacutegative raquo de neacuteo-pythagoriciens comme Numeacutenius reste

bien une meacutethode ndash laquelle serait dailleurs peut-ecirctre issue de la geacuteomeacutetrie ndash et les

neacuteoplatoniciens comme Syrianus ou Proclus nabandonnent jamais limpeacuteratif de

rationaliteacute dans leur eacutelucidation des principes115 Il convient du reste de ne pas

la meacutetaphysique lequel est leacutetant au sens du laquo quelque chose raquo pensable par lintellect Duns Scotquoiquavec nuance choisit Avicenne contre Averroegraves

113 Sur ces diverses figures des meacutetaphysiques meacutedieacutevales cf O Boulnois [2001] A de Libera [2005a]p 7-8

114 On pense bien sucircr agrave Meacutetaphysique Γ 1 mais on peut ajouter parmi de multiples exemples le laquo grandprincipe raquo de Leibniz qui permet de sortir de la physique pour laquo seacutelever agrave la meacutetaphysique raquo laquo rienne se fait sans raison suffisante cest-agrave-dire que rien narrive sans quil soit possible agrave celui quiconnaicirctrait assez les choses de rendre une raison qui suffise pour deacuteterminer pourquoi il en est ainsi etnon pas autrement raquo cf Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison (1718) sect 7 La marque dugrand principe cest bien davoir toute chose pour sujet fucirct-ce neacutegativement

115 Alcinoos deacutejagrave dans son Didaskalikos compare explicitement la meacutethode neacutegative de labstraction pourconnaicirctre le dieu avec la conception du point laquo par abstraction du sensible en ayant penseacute la surfacepuis la ligne et pour finir le point raquo cf Didaskalikos 165 16-19 laquo Ἔσται δὴ πρώτη μὲν αὐτοῦ νόησις ἡ

47

La meacutetaphysique comme science une enjeux

confondre theacuteologie neacutegative et expeacuterience mystique

Cette rationaliteacute se reacutealise pleinement dans la reacuteflexiviteacute de toute entreprise

meacutetaphysique qui interroge toujours sa propre possibiliteacute comme discours ndash comme le disait

Merleau-Ponty en leacutetendant agrave toute interrogation philosophique

Quest-ce que le monde ou mieux Quest-ce que lEcirctre ces questions ne deviennentphilosophiques que si par une sorte de diplopie elles visent en mecircme temps quun eacutetat deschoses elles-mecircmes comme questions ndash en mecircme temps que la signification laquo ecirctre raquo lecirctrede la signification et la place de la signification dans lEcirctre Cest le propre delinterrogation philosophique que de se retourner sur elle-mecircme de se demander aussi ceque cest que questionner et ce que cest que reacutepondre116

3 Par addition des deux premiers critegraveres on peut attendre de la meacutetaphysique une

certaine viseacutee du principiel la meacutetaphysique cherche agrave rendre raison de la totaliteacute du

reacuteel au moyen par exemple dun terme premier auquel la recherche peut sarrecircter117

Si donc la meacutetaphysique choisit de se concentrer sur une reacutegion de lecirctre (par exemple

supra-sensible) cest au profit dune viseacutee universelle parce que dans son eacuteminence

et son caractegravere fondateur cette reacutegion laquo dit quelque chose raquo (pour rester neutre) des

autres reacutegions de lecirctre Ou encore si la meacutetaphysique se conccediloit comme effort pour

fonder le laquo reacuteel raquo dans des principes par deacutefinition elle aura pour tacircche deacutelucider ce

principe (deacutetablir son existence de justifier son caractegravere principiel den eacutetablir les

modaliteacutes) mais son discours sur ce principe a rapport avec lensemble du reacuteel en tant

que principieacute fondeacute par le principe lui-mecircme Toute theacuteologie nest pas delle-mecircme

meacutetaphysique118

κατὰ ἀφαίρεσιν τούτων ὅπως καὶ σημεῖον ἐνοήσαμεν κατὰ ἀφαίρεσιν ἀπὸ τοῦ αἰσθητοῦἐπιφάνειαν νοήσαντες εἶτα γραμμήν καὶ τελευταῖον τὸ σημεῖον raquo Le problegraveme de la scientificiteacutedune enquecircte sur les premiers principes se pose aussi dans la meacutetaphysique neacuteoplatonicienne delAntiquiteacute tardive Voir agrave ce sujet D OMeara [1986] p 10 sq

116 M Merleau-Ponty [1964] p 157-158 On ne pourra donc saccorder avec Hegel qui dans lEncyclopeacutedie(add au sect 28) fustige la laquo meacutetaphysique dentendement raquo pour ce manque de reacuteflexiviteacute Les cateacutegoriesdAristote que Hegel prend pour exemple au sect 33 interrogent la possibiliteacute du discours en geacuteneacuteral et afortiori la possibiliteacute dune science de leacutetant en tant queacutetant

117 Ces expressions peuvent se pluraliser On retrouve ici au fond la deacutefinition que donne lEncylopeacutedie deDiderot et DAlembert laquo Meacutetaphysique cest la science des raisons des choses raquo

118 Cest lun des enjeux de la distinction queffectue Thomas dAquin entre theacuteologie reacuteveacuteleacutee et theacuteologiedes philosophes (ou meacutetaphysique) dans son commentaire au De trinitate de Boegravece La theacuteologiephilosophique eacutetudie des principes au premier sens agrave savoir des principes qui meacuteritent une eacutetude eneux-mecircmes (cest celle queffectue en reacutealiteacute la theacuteologie reacuteveacuteleacutee) parce quils sont dune laquo naturecomplegravete raquo mais qui nen restent pas principes dautre chose queux-mecircmes par diffeacuterence desprincipes au deuxiegraveme sens qui sont bien principes dautre chose queux-mecircmes mais nont pas denature complegravete et ne peuvent donc ecirctre eacutetudieacutes pour eux-mecircmes La theacuteologie philosophique neacutetudie

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

Rappelons-le il nest pas dans notre objectif de fournir un eacutenonceacute de lessence de la

meacutetaphysique en geacuteneacuteral (pour autant quune telle chose soit possible et souhaitable) mecircme si agrave

plusieurs titres ces critegraveres nous paraissent pouvoir fonctionner pour dautres eacutepoques119 Nous

cherchons seulement agrave deacutegager des indices du meacutetaphysique en explicitant un certain nombre de

nos attendus face agrave un discours tel quil puisse meacuteriter le titre de meacutetaphysique dans le cadre

restreint dune contextualisation dAlexandre Ces indices ne preacutetendent mecircme pas constituer des

laquo propres raquo de la meacutetaphysique et ont davantage agrave voir avec des marques dappartenance des

ressemblances familiales agrave la Wittgenstein

Neacuteanmoins mecircme au cœur des deacutebats sur la laquo constitution onto-theacuteologique raquo de la

meacutetaphysique gisent bien ces trois indices Ce quajoute lideacutee heideggerienne du moins agrave partir

de 1949 cest 1) quon aurait affaire agrave un invariant agrave une laquo essence raquo120 du discours

meacutetaphysique malgreacute toutes ses transformations historiques 2) que la recherche meacutetaphysique

est premiegraverement recherche de leacutetantiteacute de leacutetant 3) que le principe laquo divin raquo est lui-mecircme un

eacutetant leacutetant suprecircme Il faut toutefois rappeler et souligner contre les trop courantes

meacutesinterpreacutetations que cet eacutetant eacuteminent nest pas neacutecessairement un ou le laquo Dieu raquo ndash ce peut

ecirctre lego comme chez Descartes121 Lexpression laquo constitution onto-theacuteologique raquo ne signifie

donc pas que laquo la philosophie est orienteacutee vers la theacuteologie ou mecircme quelle en est une au sens du

pas ces principes (les choses divines) pour eux-mecircmes mais comme principes de son sujet agrave savoirleacutetant en tant queacutetant thegravese reacutesumeacutee en laquo Sic ergo theologia sive scientia divina est duplex Una in quaconsiderantur res divinae non tamquam subiectum scientiae sed tamquam principia subiecti et talis esttheologia quam philosophi prosequuntur quae alio nomine metaphysica dicitur raquo (Super De Trinitate pars 3 q5 a 4 co 4)

119 Cest pourquoi nous ne nous sommes pas priveacute de reacutefeacuterences non antiques dans les passages quipreacutecegravedent Ces critegraveres fonctionnent eacutegalement pour des penseacutees qui ne se revendiquent pas commemeacutetaphysiques mais dont linteacutegration a posteriori dans une probleacutematique meacutetaphysique est renduepossible ndash cest le cas de Hume la science de la nature humaine se caracteacuterise en effet par son ambitionde totaliteacute ou duniversaliteacute parce quen eacutetudiant laquo les principes de la nature humaine raquo elle se donnecomme anteacuterieure agrave toutes les sciences particuliegraveres et se signale aussi par sa reacuteflexiviteacute (voirlintroduction au Traiteacute de la nature humaine)

120 Cf M Heidegger [1957] tr fr [1968] p 286 289 294 etc Cf a contrario sur cet essentialisme GDeleuze [1991] p 91 laquo Hegel et Heidegger restent historicistes dans la mesure ougrave ils posent lhistoirecomme une forme dinteacuterioriteacute dans laquelle le concept deacuteveloppe ou deacutevoile neacutecessairement sondestin La neacutecessiteacute repose sur labstraction de leacuteleacutement historique rendu circulaire On comprend malalors limpreacutevisible creacuteation des concepts raquo (Deleuze deacutesigne ici une conception de lhistoire qui sous-tend preacuteciseacutement la conception essentialiste de la meacutetaphysique) Cf aussi J Derrida [1972] p 67 Surles diffeacuterentes versions que Heidegger donne de lonto-theacuteologie voir O Boulnois [2001] p 380-389 etB Mabille [2004] p 293 sq

121 Cf M Heidegger [1980] (= GA Bd 32) tr fr [1984] p 196

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

concept [] de la theacuteologie speacuteculative ou rationnelle raquo122 La laquo theacuteologie raquo doit ici davantage ecirctre

entendue comme le projet de fonder leacutetantiteacute de tout eacutetant dans un eacutetant suprecircme conccedilu comme

principe ou laquo premier fond raquo laquo πρώτη ἀρχή raquo123 Degraves lors le θέος dont parle Heidegger peut

aussi bien ecirctre deacutefini comme laquo leacutetant purement et simplement raquo124 Lonto-theacuteologie deacutetermine

donc une dynamique unitaire daller-retour entre la recherche sur leacutetant et la consideacuteration de

son principe125

Ce que nous retirons agrave la constitution onto-theacuteologique ce sont donc agrave la fois le(s) trait(s)

dunion (luniteacute essentielle et impenseacutee dune constitution) le terme deacutetant et le divin conccedilu

comme eacutetant exemplaire Par abstraction nous reste donc de luniversel du principiel du logos

Il ne sagit mecircme plus de la structure katholou-protologique que R Brague avait justement

construite comme preacutemices de lonto-theacuteologie car nous ne preacutejugeons pas de lhomogeacuteneacuteiteacute de

nature entre le laquo premier raquo et ce quil fonde De fait la structure katholou-protologique est deacutefinie

par R Brague comme une voie de recherche qui ne se cantonne pas au seul domaine

laquo ontologique raquo Ce mouvement consiste dans le but de deacuteterminer une geacuteneacuteraliteacute (lamitieacute en

geacuteneacuteral la penseacutee en geacuteneacuteral etc) agrave prendre leacuteleacutement eacuteminent de lensemble consideacutereacute comme

exemplifiant particuliegraverement les traits propres agrave lensemble consideacutereacute et ce au point de

reacutesoudre ou dabsorber la recherche sur lensemble geacuteneacuteral126 La conseacutequence au niveau dune

enquecircte sur leacutetant est que son premier principe doit aussi ecirctre un eacutetant Cette structure nous

paraicirct encore trop deacutetermineacutee et pour le dire vite ne pas pouvoir sappliquer au cas dun quasi

contemporain dAlexandre agrave savoir Plotin127

122 M Heidegger [1980] tr fr [1984] p 157 Cette preacutecision qui vaut pour la premiegravere figure de lonto-theacuteo-logie (ici avec trois tirets) dans litineacuteraire de Heidegger se voit cependant maintenue dans lesversions suivantes qui leacutetendent agrave lensemble de lhistoire de la meacutetaphysique

123 M Heidegger [1957] tr fr [1968] p 294

124 Cf par exemple M Heidegger [2007] (= Gesamtausgabe Bd 26) p 13

125 Cest la raison pour laquelle Heidegger peut deacutefinir la theacuteologie de cette maniegravere laquo quand lameacutetaphysique pense leacutetant comme tel dans son Tout cest-agrave-dire dans la perspective de lEacutetantsuprecircme qui fonde en raison toutes choses elle est alors une logique en tant que theacuteo-logique raquo (MHeidegger [1957] tr fr [1968] p 305) La theacuteologie est donc ici une maniegravere de penser leacutetantlogiquement anteacuterieure aux theacuteologies historiquement formuleacutees Dit autrement ce que Heideggerappelle ici theacuteologie constitue comme la condition de possibiliteacute de ce qui a eacuteteacute nommeacute dans lhistoirede la penseacutee laquo theacuteologie raquo ndash sans que cette theacuteologie cette orientation theacuteologique de lontologie doiveneacutecessairement sincarner dans une laquo theacuteologie raquo explicitement constitueacutee

126 Voir en particulier R Brague [1988] p 513-515

127 Agrave propos de Plotin et du fait quil ne souscrit ni agrave une constitution onto-theacuteologique ni mecircme agrave lakatholou-protologie telle quon vient de rapidement lexpliciter voir W Beierwaltes [1972] B Mabille[2004] p 312 sq sur la laquo relativisation de lonto-theacuteo-logie raquo Sur llaquo autre meacutetaphysique raquo de Plotin

50

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Nos critegraveres repreacutesentent donc et nous lassumons quelque chose dencore plus pauvre

speacuteculativement parlant et de meacutethodologiquement plus sceptique Lenjeu est de laisser le

champ libre agrave lhistoire effective de la meacutetaphysique en refusant agrave la fois la pente dogmatique

dune laquo essence de la meacutetaphysique raquo et celle historiciste qui perd la meacutetaphysique dans une

multipliciteacute deacutesordonneacutee et irrationnelle faisant alors de laquo meacutetaphysique raquo un terme purement

eacutequivoque

Certains secteurs du deacutebat philosophique contemporain agrave Alexandre semblent bien

souscrire agrave cet ensemble de critegraveres

113 Implications meacutetaphysiques de deacutebats logique et physique

a) Le problegraveme des universaux ouverture vers une question de lecirctre

Notre examen des rapports dAlexandre avec les autres eacutecoles doit surmonter la difficulteacute

deacutejagrave mentionneacutee du freacutequent anonymat des interlocuteurs dans ses textes Si la mention de

contemporains est assez rare cependant lorsque Alexandre discute les positions de Platon ou de

Chrysippe il est douteux quil ny englobe pas aussi ceux qui professent leurs doctrines agrave son

eacutepoque Or son positionnement face au platonisme comme au stoiumlcisme semble assez net cest le

plus souvent lopposition frontale Alexandre figure certainement laboutissement dune tradition

anti-platonicienne chez les Peacuteripateacuteticiens128 ndash sa connaissance de certains textes dAristote

comme le De ideis ou le De bono ny est peut-ecirctre pas pour rien129 Le commentaire agrave certaines

apories de B par exemple se fait tregraves souvent en en explicitant sans concession lenjeu anti-

platonicien ou anti-acadeacutemicien Une telle position navait pourtant rien de totalement eacutevident

comme le rappelle M Frede le peacuteripateacuteticien Cleacutearque eacutetait aussi lauteur dun Eacuteloge de Platon130

Toutefois lanti-platonisme dAlexandre nest pas strictement symeacutetrique agrave son anti-stoiumlcisme Au

voir L Lavaud [2008a]

128 Cf M Rashed [2007b] n 5 p 2

129 Pour le De bono voir en particulier M Isnardi Parente [2000]

130 DL III 2 M Frede [1999] p 787

51

La meacutetaphysique comme science une enjeux

niveau explicite des textes lopposition aux stoiumlciens est souvent plus forte orchestreacutee plus

bruyamment ndash que ce soit sur la question du destin la nature du meacutelange ou la place de la

logique dans la philosophie La raison en est assez claire comme on la vu au IIegraveme s ce sont

encore les stoiumlciens qui deacutefinissent en grande partie lagenda des questions philosophiques Les

platoniciens peuvent alors parfois servir dallieacutes objectifs agrave cet anti-stoiumlcisme ndash on le verra cest en

partie le cas dans le deacutebat sur lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes mais on peut aussi songer agrave la thegravese de

limmateacuterialiteacute de lacircme ou dans certaines questions eacutethiques131 ndash conformeacutement dailleurs agrave une

tradition contre laquelle reacuteagissent Taurus et Atticus132

Il reste quil est souvent aiseacute ou tentant de preacutesenter les probleacutematiques alexandriniennes

comme la recherche dune troisiegraveme voie par-delagrave stoiumlcisme et platonisme Cest particuliegraverement

le cas dans le problegraveme des universaux La question des universaux chez Alexandre a eacuteteacute

beaucoup travailleacutee dans la deuxiegraveme moitieacute du XXegraveme s peut-ecirctre mecircme trop133 son traitement

abondant a engendreacute un effet de loupe parfois biaiseacute sur lAntiquiteacute tardive et le Moyen Acircge

lequel a au moins eu le meacuterite de favoriser une certaine reviviscence des eacutetudes tardo-antiques et

meacutedieacutevales en geacuteneacuteral et alexandriniennes en particulier Pour la rappeler extrecircmement

briegravevement la laquo querelle des universaux raquo134 pose la question du mode decirctre des termes

universaux que nous employons dans les deacutefinitions les genres et les espegraveces On en lit la

formulation consacreacutee dans le questionnaire dresseacute par Porphyre au deacutebut de son Isagogegrave texte

souvent donneacute comme lorigine de la querelle meacutedieacutevale des universaux

Αὐτίκα περὶ τῶν γενῶν τε καὶ εἰδῶν τὸμὲν εἴτε ὑφέστηκεν εἴτε καὶ ἐν μόναις ψιλαῖςἐπινοίαις κεῖται εἴτε καὶ ὑφεστηκότασώματά ἐστιν ἢ ἀσώματα καὶ πότερονχωριστὰ ἢ ἐν τοῖς αἰσθητοῖς καὶ περὶ ταῦταὑφεστῶτα παραιτήσομαι λέγειν βαθυτάτηςοὔσης τῆς τοιαύτης πραγματείας καὶ ἄλληςμείζονος δεομένης ἐξετάσεως

Tout dabord agrave propos des genres et des espegravecesquant agrave savoir 1) srsquoils subsistent ou bien ne reacutesidentque dans de pures conceptions 2) ou dans le cas ougraveils subsistent sils sont des corps ou des incorporelset 3) srsquoils sont seacutepareacutes ou bien sils sont dans lessensibles et subsistent en rapport avec eux135 ndash de celaje refuserai de parler parce quune telle eacutetude est tregravesprofonde et quelle requiert un autre examen plus

131 M Frede [1999] p 789

132 Pour Taurus cf HB Gottschalk [1987] p 1143 Pour Atticus M Frede [1999] p 787 renvoie aupassage dAtticus citeacute par Eusegravebe Preacutep Ev XV 4 6-19 5 3

133 Cest ce qui explique sans doute la position trancheacutee de M Rashed [2007b] p 254 qualifiant de laquo fauxproblegraveme raquo le statut des universaux chez Alexandre

134 Selon lexpression populariseacutee par louvrage dA de Libera [1996]

135 Ou laquo ou bien srsquoils existent dans les sensibles et en rapport avec eux raquo (tr A de Libera et A-P Segonds[1998] p 1) mais cf J Barnes [2003] p 44 n 81 qui renvoie agrave Elias In Isag 49 22-24 laquo ἐν τοῖςαἰσθητοῖς τὰ ἐν τοῖς πολλοῖς περὶ ταῦτα ὑφεστῶτα τὰ ἐπὶ τοῖς πολλοῖς ὡς καὶ ἀνωτέρωεἴρηται raquo

52

La meacutetaphysique comme science une enjeux

important(Introduction aux Cateacutegories 1 9-14)

Texte paradoxal comme de nombreux lecteurs lont noteacute puisque le terme mecircme

drsquouniversel nrsquoy apparaicirct pas136 quil srsquoagit sans doute chez Porphyre plus drsquoun questionnaire que

drsquoun problegraveme137 et surtout drsquoun questionnaire ajourneacute par son auteur comme exceacutedant le projet

du livre Le texte pose trois questions qui semblent senchaicircner en arbre138 La chose est claire

pour les deux premiegraveres gracircce agrave la reacutepeacutetition de laquo ὑφιστάναι raquo mais il est de mecircme assez

naturel de penser que la troisiegraveme question se pose si la deuxiegraveme a eacuteteacute reacutesolue dans le sens des

incorporels puisque cette derniegravere question est peu senseacutee si elle porte sur des universaux

deacutetermineacutes comme corps (on se demande bien ce que seraient des universaux corporels existant

laquo dans les sensibles et subsistant en rapport avec eux raquo)

Cette structure en arbre exige donc de lire la premiegravere question comme la plus

fondamentale Or la formulation mecircme de cette question a fait deacutebat chez les lecteurs de

Porphyre Le mouvement plus naturel est dy lire des reacutefeacuterences au stoiumlcisme139 nombreux sont

les textes stoiumlciens ou les teacutemoignages sur les thegraveses stoiumlciennes agrave employer un tel vocabulaire

une telle opposition

Cette tendance a toutefois eacuteteacute battue en bregraveche par J Barnes selon qui le vocabulaire ici

employeacute par Porphyre est en reacutealiteacute tregraves courant agrave leacutepoque Porphyre se servirait de termes qui

relegravevent en reacutealiteacute dune laquo lingua franca philosophique raquo de leacutepoque un langage laquo neutre raquo dun

point de vue doctrinal140 Pour J Barnes en substance si ces termes ont eacuteteacute peut-ecirctre populariseacutes

par les stoiumlciens leur origine sest en effet perdue pour Porphyre La recherche de sources

stoiumlciennes relegraveve dun travail de laquo deacutetective amateur raquo141 et J Barnes donne agrave raison de multiples

reacutefeacuterences pour laquo ἐπίνοια raquo en soulignant par exemple que lajout de ladjectif laquo ψιλός raquo est

simplement pleacuteonastique142 Porphyre construirait son questionnaire indeacutependamment des

136 Cf par exemple LP Gerson [2004] p 245 laquo There is a certain irony in the fact that though this passagebecame the fons et origo of the problem of universals the word lsquouniversalrsquo does not appear here In fact it doesnot appear as a technical term at all in this work raquo

137 LP Gerson [2004] p 246

138 Ce quexplicite la traduction dA de Libera et A-P Segonds [1998] p 1 Contre les doutes de J Barnesagrave ce sujet cf R Chiaradonna [2008b] p 20-21

139 Cf A de Libera A-P Segonds [1998] p 33-35

140 J Barnes [2003] p XIX

141 J Barnes [2003] p XIX

142 J Barnes [2003] p 40-41

53

La meacutetaphysique comme science une enjeux

positions philosophiques qui lui sont contemporaines

Assureacutement ces termes (lopposition entre laquo ὑφιστάναι raquo et laquo ἐπίνοια raquo) sont employeacutes

par tous les penseurs de leacutepoque et non pas seulement les stoiumlciens Tel est le reacutesultat du

pheacutenomegravene deacutejagrave signaleacute de porositeacute terminologique entre les diffeacuterentes eacutecoles Assureacutement

aussi la preacutesence de vocables stoiumlciens nautorise pas agrave infeacuterer une influence stoiumlcienne subie par

Porphyre Cependant il est dune part douteux que Porphyre a fortiori en tant queacutelegraveve de Plotin

soit totalement innocent en matiegravere stoiumlcienne Dautre part cela ninterdit pas de chercher les

anteacuteceacutedents des positions typiques auxquelles il se reacutefegravere ici143 Lattitude de linterpregravete ne se

limite pas ici agrave deux positions possibles soit reconnaicirctre le caractegravere stoiumlcien du vocabulaire

employeacute par Porphyre et soutenir quil y a ipso facto influence soit admettre que ce vocabulaire

est neutre dun point de vue philosophique Il y a une diffeacuterence entre subir une influence et

reprendre un vocabulaire en se reacutefeacuterant agrave des thegraveses pour poser un problegraveme144 Agrave comparer les

sources lexpression laquo ἐν μόναις ψιλαῖς ἐπινοίαις κεῖται raquo renvoie clairement agrave une conception

stoiumlcienne ou stoiumlcisante de luniversel145

De fait la position du problegraveme du statut de luniversel via lopposition entre une position

platonisante et une position stoiumlcisante se lit deacutejagrave chez Alexandre dAphrodise Or sur un certain

nombre de points et en particulier la question de luniversel on suspecte souvent Porphyre

davoir puiseacute agrave la source dAlexandre146 Lopposition entre laquo ὑφιστάναι raquo et laquo ἐπίνοια raquo sert

couramment chez lExeacutegegravete non pas seulement agrave propos du statut de luniversel mais aussi du

statut ontique des objets matheacutematiques par exemple Mais on ne peut pas sarrecircter lagrave pour

deacutevider la pelote jusquau bout Alexandre lui-mecircme heacuterite de ce vocabulaire au moins en partie

des stoiumlciens De fait le problegraveme du statut des universaux trouve lune de ses origines agrave leacutepoque

post-helleacutenistique dans la confrontation des eacutecoles qui occasionne la consolidation dune

probleacutematique et dun vocabulaire communs

143 Voir dans un sens similaire R Chiaradonna [2008b] p 16-17

144 Comme le reacutesume tregraves bien R Chiaradonna ([2008b] p 16) laquo B posits a radical alternative either (i)Porphyry is quoting a Stoic theory without any alterations or (ii) he is simply ignoring Stoicism By ruling out(i) B infers (ii) Brsquos is certainly an elegant procedure but also a non sequitur what we know about thereception of Stoic theories among imperial and late antique authors often contradicts the positing of any suchradical alternative raquo

145 Sur cette expression ou des expressions approchantes cf Alexandre Quaestio I 16 29 21 et Sextus MVIII 459 1-2 Cf surtout Syrianus qui deacutecrit ainsi la position stoiumlcienne In Met 106 12

146 Le laquo problegraveme de Porphyre raquo est la laquo dramatisation drsquoune discussion anteacuterieure meneacutee parAlexandre raquo selon A de Libera [1999a] p 49

54

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Alexandre fait lui-mecircme eacutetat dun tel deacutebat

ltΤίνων εἰσὶν οἱ ὁρισμοίgtΟἱ ὁρισμοὶ τῶν μὲν καθέκαστα οὐκ εἰσίν

ὅτι ταῦτα μετὰ συμβεβηκότων τινῶν τὸ εἶναιτοιαῦτα ἔχει καὶ οὐκ ἀεὶ τῶν αὐτῶν ἀλλὰμεταπιπτόντων καὶ αἰσθήσεων μᾶλλον ἢλόγου δηλώσοντος αὐτὰ δεομένων ἀλλ οὐδὲκοινοῦ τινος τῶν καθέκαστα κεχωρισμένουκαὶ ὄντος ἀσωμάτου [725] τινὸς φύσεως καὶἀιδίου πῶς γὰρ ἂν εἴη δίπουν ἀσώματόν τιἢ πῶς θνητὸν ἀίδιον λέγομεν δὲ ὁριζόμενοιτὸν ἄνθρωπον ποτὲ μὲν ζῷον πεζὸν δίπουνποτὲ δὲ ζῷον λογικὸν θνητόν ἀλλ εἰσὶν οἱὁρισμοὶ τῶν ἐν τοῖς καθέκαστα κοινῶν ἢτῶν καθέκαστα κατὰ τὰ ἐν αὐτοῖς κοινά

laquo De quoi il y a deacutefinition raquoLes deacutefinitions ne sont pas deacutefinitions des

particuliers parce que lecirctre de ces dernierssaccompagne daccidents qui ne sont pas toujours lesmecircmes mais changeants et qui neacutecessitent plutocirct dessensations qursquoun eacutenonceacute qui les fasse voir147 Maiselles ne sont pas non plus deacutefinitions de quelqueltreacutealiteacutegt commune seacutepareacutee des particuliers et quiserait quelque nature incorporelle et eacuteternelleComment en effet bipegravede serait-il quelque chosedrsquoincorporel ou mortel quelque chose drsquoeacuteternel Nous disons pourtant en deacutefinissant lhomme tantocirctquil est animal terrestre bipegravede tantocirct animalrationnel mortel148 Bien plutocirct les deacutefinitions sontdeacutefinitions des communs dans les particuliers ou desparticuliers selon les communs qursquoil y a en eux

(Quaestio I 3 7 20-28)

Pour reacutepondre agrave la question laquo de quoi il y a deacutefinition raquo Alexandre commence en effet par

y preacutesenter deux vues contradictoires et selon lui eacutegalement erroneacutees Lune est nettement

platonicienne qui soutient que les deacutefinitions deacutefinissent laquo quelque chose de commun seacutepareacute des

particuliers et qui serait quelque nature incorporelle et eacuteternelle raquo (7 24-25) dans un vocabulaire

dont lExeacutegegravete se sert aussi dans son commentaire agrave A 9 par exemple Il y a cependant un doute

quant agrave lautre position preacutesenteacutee tregraves succinctement dans la premiegravere phrase selon laquelle les

deacutefinitions deacutefinissent des particuliers et leurs accidents et qui appelle dans le deuxiegraveme

paragraphe149 la position dune laquo nature raquo commune Selon M Rashed cette clarification est laquo agrave

usage interne de leacutecole raquo laquo les aristoteacuteliciens ne doivent pas combatte le platonisme en sombrant

dans le nominalisme raquo150

Cependant cette clarification fait au moins double emploi en visant aussi les stoiumlciens

(voire ne vaut que pour ces derniers) La strateacutegie employeacutee ici par Alexandre pour contrer cette

thegravese ndash agrave savoir la position dune nature dune essence commune la forme qui joue le rocircle de

fondement reacuteel de la deacutefinition ndash est exactement la mecircme que celle dont il use dans son

147 laquo Δηλόω raquo a probablement un sens technique on retrouve par exemple de nombreuses occurrences decet emploi dans le Commentaire agrave Meacutetaphysique Γ

148 RW Sharples [1992] p 24 et M Rashed [2007b] p 257 suppriment les parenthegraveses de Bruns

149 Quaestio I 3 8 8-17 Nous suivons la division en paragraphes proposeacutee par M Rashed [2007b] p 257-258

150 M Rashed [2007b] p 259

55

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Commentaire aux Topiques contre la conception stoiumlcienne de la deacutefinition Celle-ci en effet selon

Alexandre confond diffeacuterence speacutecifique et propre parce quelle meacuteconnaicirct justement la notion

de forme cest-agrave-dire laquo ce en fonction eacuteminente de quoi le deacutefini a lecirctre raquo151 La deacutefinition

stoiumlcienne comme laquo ἰδίου ἀπόδοσις raquo se contente au moins au niveau formel dun critegravere

extensif la reacuteciprocabiliteacute du deacutefini avec sa deacutefinition ce que la Quaestio I 3 de faccedilon peut-ecirctre

plus diffuse critique aussi Assureacutement lidentiteacute des gestes reacutefutatifs entre la Quaestio et le

Commentaire aux Topiques nassure pas que les adversaires viseacutes soient chaque fois les mecircmes

comme le montre la Quaestio la mecircme thegravese sur la deacutefinition permet agrave la fois de reacutefuter la position

platonicienne et celle opposeacutee selon laquelle les deacutefinitions laquo sont ltdeacutefinitionsgt des particuliers raquo

(ὁρισμοὶ τῶν καθέκαστα) La thegravese selon laquelle laquo les deacutefinitions deacutefinissent les communs dans

les particuliers ou les particuliers selon les communs qursquoil y a en eux raquo152 suivant la faccedilon dont

on laccentue sadresse agrave lune ou lautre des positions reacutefuteacutees Toutefois un argument de poids

agrave porter au creacutedit de lidentiteacute des premiers adversaires est que la position stoiumlcienne sur la

deacutefinition est preacuteciseacutement tregraves proche de celle esquisseacutee par Alexandre Cest un fait connu quen

reacutegime stoiumlcien la deacutefinition saffirme dabord comme deacutefinition des particuliers les eacutenonceacutes

universels sur lhomme sont toujours reacuteductibles dapregraves le teacutemoignage de Sextus agrave des eacutenonceacutes

portant sur un homme particulier La deacutefinition laquo lhomme est un animal raisonnable mortel raquo dit

Sextus eacutequivaut dabord et en reacutealiteacute agrave laquo si quelque chose est un homme cette chose est un

animal raisonnable mortel raquo153 Si la similariteacute du contre-argument de la Quaestio avec celui du

Commentaire aux Topiques ne saurait agrave elle seule emporter la conviction elle devient toutefois

davantage probante une fois coupleacutee avec cette similariteacute des sources154

Lenjeu pour Alexandre dans cette Quaestio est donc aussi de caracteacuteriser la position

aristoteacutelicienne par diffeacuterence davec la doctrine stoiumlcienne Alexandre soutient lui aussi une

position qui pourrait paraicirctre conceptualiste mais ce qui fait lobjet dun concept cest cette

151 laquo Καθ ὃ μάλιστά ἐστι τῷ ὁριστῷ τὸ εἶναι raquo In Top 46 10-11 Cf aussi In Top 42 25 ndash 438 (= SVF II228)

152 Quaestio I 3 7 27-28 laquo ἀλλ εἰσὶν οἱ ὁρισμοὶ τῶν ἐν τοῖς καθέκαστα κοινῶν ἢ τῶν καθέκαστα κατὰτὰ ἐν αὐτοῖς κοινά raquo Sur cette proposition et sa formulation en deux temps voir M Rashed [2007b] p258-259

153 Sextus M XI 8-11 (= SVF II 224 et LS 30 I)

154 M Rashed ne produit en revanche pas darguments textuels sur lidentiteacute peacuteripateacuteticienne de cespremiers adversaires ndash mais seulement (si lon peut dire) des arguments systeacutematiques qui quoiquetregraves solides et offrant une belle coheacuterence ne nous paraissent pas absolument contraignants Cf MRashed [2007b] p 258-260

56

La meacutetaphysique comme science une enjeux

nature commune la forme laquo τὸ τοιοῦτον ἐν ἑκάστῳ νοούμενον κοινόν τί ἐστι καὶ ἐν πλείοσι

ταὐτόν raquo (8 21-22) Cest ce qui explique les deacuteveloppements sur la nature conceptuelle de la

forme le conceptualisme alexandrinien ndash le fait que laquo les deacutefinitions se rapportent aux concepts raquo

(νοημάτων 8 17) ndash saccompagne dun reacutealisme quant agrave lexistence in re de la forme et diffegravere en

ce sens du conceptualisme stoiumlcien dans lequel du moins selon une certaine lecture appeleacutee agrave

devenir populaire les universaux ne subsistent que dans de laquo purs concepts raquo155

On dispose dun dernier indice de lopposition alexandrinienne aux stoiumlciens (et que telle

est la lecture la plus probante de la Quaestio I 3) dans un autre passage du Commentaire aux

Topiques

Θείη δ ἂν τὸ τοιοῦτον ἐπεὶ τὰ γένη οὔτεκαθ αὑτά ἐστιν ὑφεστῶτά που οὔτε ἐστὶψιλὰ χωρὶς ὑπάρξεως νοήματα ὡςἱπποκένταυρος ἀλλ ἔστιν ἡ ὑπόστασιςαὐτῶν ἐν τούτοις ὧν κατηγορεῖται καὶἀναιρουμένοις τοῖς ἐν οἷς [35515] ἐστι καὶφθειρομένοις ἀνάγκη συμφθείρεσθαι καὶ τὸἐν ἐκείνοις ὂν τοῦ γένους ἡ γὰρ οὐσίαἔμψυχος αἰσθητικὴ ἡ ἐν Ἀλεξάνδρῳφθείρεται φθειρομένου Ἀλεξάνδρουσήμερον

On poserait la chose suivante puisque les genresne subsistent pas par eux-mecircmes ni ne sont de pursconcepts seacutepareacutes de lexistence (commelhippocentaure) mais que leur subsistance reacutesidedans ce dont ils sont preacutediqueacutes si ce dans quoi ils setrouvent est supprimeacute ou deacutetruit il est neacutecessaire quesoit deacutetruit aussi avec eux lecirctre du genre En effet lalaquo substance animeacutee capable de sensation raquo156 qui setrouve en Alexandre est deacutetruite si est deacutetruitlAlexandre daujourdhui

(In Top 355 12-17157)

Les similariteacutes avec la premiegravere alternative du questionnaire porphyrien sont frappantes

Dans cette preacutehistoire de la querelle des universaux Alexandre construit donc sa position dans

une double opposition agrave la fois contre ceux qui font des universaux les Ideacutees le centre de leur

ontologie et contre ceux qui les renvoient dans les limbes du laquo non quelque chose raquo Pour

comprendre comment la querelle repose sur des questions meacutetaphysiques et appelle agrave des

deacuteveloppements meacutetaphysiques selon les critegraveres poseacutes ci-dessus on doit alors repartir de la

theacuteorie stoiumlcienne des universaux ndash agrave titre deacutecole la plus influente

Le terrain eacutetant mineacute on propose den rappeler ici quelques eacuteleacutements connus et agrave peu

155 Voir la reacutefeacuterence rappeleacutee ci-dessus de Syrianus In Met 106 12 cfaussi Simplicius In Cat 222 30-33Sur la lecture conceptualiste de la theacuteorie stoiumlcienne des universaux cf D Sedley [1985] pour unecritique de cette position cf V Caston [1999] et en particulier laffirmation nette de la note 14 p 161Que la position stoiumlcienne ne soit pas en soi exactement un conceptualisme nempecircche pas quelle aiteacuteteacute ainsi lue dans la tradition et quAlexandre soit peut-ecirctre lune des sources de ce que Castonconsidegravere comme un faux-sens

156 Deacutefinition du genre animal

157 Contexte Commentaire de Top IV 5 (les lieux du genre) 127a 3 sq critique de la deacutefinition du ventcomme air en mouvement

57

La meacutetaphysique comme science une enjeux

pregraves consensuels Degraves lancien stoiumlcisme158 le Portique procegravede agrave une critique radicale des Ideacutees

platoniciennes Syrianus lexpose dans son commentaire agrave Meacutetaphysique M 4 1078b 12 sq ougrave il

est question de la genegravese de la doctrine des Ideacutees Syrianus en profite alors pour rappeler

ἄρα τὰ εἴδη παρὰ τοῖς θείοις τούτοιςἀνδράσιν οὔτε πρὸς τὴν χρῆσιν τῆς τῶνὀνομάτων συνηθείας παρήγετο ὡς Χρύσιπποςκαὶ Ἀρχέδημος καὶ οἱ πλείους τῶν Στωικῶνὕστερον ᾠήθησαν (πολλαῖς γὰρ διαφοραῖςδιέστηκε τὰ καθ αὑτὰ εἴδη τῶν ἐν τῇ συνηθείᾳλεγομένων) [10525] οὔτε τοῖς λεκτοῖς τοῖςπολυθρυλήτοις ἀνάλογον τῷ νῷ παρυφίσταταιὡς ᾑρεῖτο Λογγῖνος πρεσβεύειν οὐδὲν γὰρὅλως παρυφίσταται τῷ νῷ εἴπερ ἀνούσιόν ἐστιτὸ παρυφιστάμενον πῶς δ ἂν τὸ αὐτὸ νοητόντε εἴη καὶ παρυφίσταιτο οὐ μὴν οὐδ ἐννοήματάεἰσι παρ αὐτοῖς αἱ ἰδέαι ὡς Κλεάνθης ὕστερονεἴρηκεν οὐδ ὡς Ἀντωνῖνος μιγνὺς τὴνΛογγίνου καὶ Κλεάνθους [10530] δόξαν τῷ νῷπαρυφίστανται κατὰ τὰς ἐννοητικὰς ἰδέας

Les Formes donc nont pas eacuteteacute introduites159

par ces hommes divins160 pour lusageconventionnel des noms comme lont cruChrysippe Archeacutedegraveme et la plupart des stoiumlciensulteacuterieurs (car les Formes en soi diffegraverent demultiples faccedilons de ce qui se dit par convention)Elles ne subsistent pas non plus dans lintellect agravela maniegravere des fameux laquo exprimables raquo commeLongin avait deacutecideacute de sen faire lambassadeurcar absolument rien ne subsiste dans lintellect silest vrai que ce qui subsiste dans autre chose estsans substance Comment donc la mecircme chosepourrait-elle agrave la fois ecirctre intelligible et subsisterdans autre chose Cependant pour eux les Ideacuteesne sont pas non plus des concepts commeCleacuteanthe la ensuite dit ni comme la dit Antoninen meacutelangeant les opinions de Longin et Cleacuteanthene subsistent dans lintellect agrave la maniegravere des ideacuteesconceptuelles

(In Met 105 21-30)

Syrianus preacutesente ainsi de faccedilon systeacutematique et non chronologique trois critiques

stoiumlciennes de type geacuteneacutealogique sur la formation des Ideacutees leur introduction ou leur laquo mise en

scegravene raquo par les platoniciens La premiegravere est dobeacutedience laquo nominaliste raquo les Ideacutees neacutetant au fond

que leffet dune substantialisation indue de termes geacuteneacuteraux la deuxiegraveme agrave cheval entre une

critique nominaliste et conceptualiste identifie Ideacutees et exprimables ou plus exactement assimile

le mode decirctre des Ideacutees agrave celui des exprimables Il nest en effet pas certain que beaucoup de

stoiumlciens auraient accepteacute de parler des exprimables comme des universaux Enfin Syrianus

preacutesente une critique conceptualiste remontant agrave Cleacuteanthe Ces trois critiques progressent

logiquement depuis un eacuteliminativisme qui procircne la destruction pure et simple des Ideacutees comme

simples conventions linguistiques agrave la reacuteduction de la substantialiteacute des Ideacutees et leur conversion

en autre chose La proposition laquo pour eux les Ideacutees ne sont certes pas non plus des concepts

comme Cleacuteanthe la ensuite dit raquo implique que pour Cleacuteanthe les Ideacutees ne sont valides que si

158 Cf J Brunschwig [1988] V Caston [1999] et en particulier p 149 sq

159 Voire en mauvaise part laquo mises en scegravene raquo sens courant dans le grec plus tardif de Plutarque etDiogegravene Laeumlrce

160 laquo Socrate Platon les parmeacutenidiens et les pythagoriciens raquo cf Syrianus In Met 105 20-21

58

La meacutetaphysique comme science une enjeux

elles sont reacuteduites agrave des concepts161 Lensemble signifie donc que si dans lancien stoiumlcisme au

moins plusieurs positions avaient cours elles avaient toutefois pour point commun de refuser

aux Ideacutees une subsistance par elles-mecircmes Le maximum de reacutealiteacute qui leur est accordeacute est de

subsister en autre chose quelles-mecircmes ce quindique le verbe laquo παρυφίσταναι raquo162 La reacutealiteacute

des concepts ou des exprimables est une reacutealiteacute heacuteteacuteronome deacuteriveacutee ndash ce qui attire bien sucircr les

leacutegitimes foudres de Syrianus

Si les stoiumlciens du moins certains dentre eux reacuteduisent les Ideacutees agrave des concepts il faut

degraves lors comprendre comment la chose est compatible avec la thegravese (dailleurs partageacutee avec les

eacutepicuriens) selon laquelle au sens fort il ny a que des particuliers163 On sen souvient la

physique stoiumlcienne est gouverneacutee par une thegravese de fond seuls les corps sont Or cette ontologie

neacutetant pas accueillante agrave lideacutee de degreacutes de lecirctre ce qui nest pas un corps ou quelque chose du

corps ie lincorporel devrait sombrer dans le neacuteant ndash theacutematique pourtant absente de nos

sources stoiumlciennes On a pu soutenir que cette absence serait preacuteciseacutement due au deacutesinteacuterecirct des

stoiumlciens pour la notion deacutetant ou decirctre et au caractegravere laquo trop complexe raquo de la cateacutegorie du non-

eacutetant164 Il nous semble au contraire que leffort des stoiumlciens et leur grandeur est de navoir pas

ceacutedeacute agrave linfeacuterence selon laquelle si cest incorporel alors ce nest rien

Les stoiumlciens reconnaissent en effet qulaquo il y a raquo des choses qui ne sont pas des corps et qui

sont en quelque sorte ce dans quoi les corps prennent place ainsi le vide le temps le lieu Le

tout du monde prend place dans le vide et un corps est un objet spatio-temporel ce qui interdit

daccorder un statut corporel agrave lespace et au temps puisque par exemple un corps pouvant

changer de lieu le lieu doit diffeacuterer du corps lui-mecircme Or mecircme dans une ontologie

corporaliste il est difficile dadmettre que ce dans quoi sont les corps nest rien Si lune des

caracteacuteristiques des corps est la tridimensionnaliteacute cette proprieacuteteacute doit bien se reacutealiser dans un

lieu Si en outre le propre des corps est de changer de se mouvoir selon des chaicircnes de causaliteacute

161 En tout cas dapregraves ce texte ndash voir agrave linverse V Caston [1999] p 176 sq

162 Le LSJ deacutefinit laquo stand close beside raquo laquo subsist coordinately with raquo (avec reacutefeacuterences agrave Sextus DiogegravenePlotin Porphyre Ascleacutepius Simplicius) laquo arise in consequence raquo Sur ce sens chez Porphyre cf A Smith[1994] p 36-38

163 Dont teacutemoigne Syrianus lui-mecircme cf In Met 104 21 Pour V Caston cest la preuve que les stoiumlciensont geacuteneacuteralement refuseacute de penser les Ideacutees comme des concepts laquo Had the Stoics identified Forms withconcepts and included them within their ontology as not-somethings Syrianus global claim would be false ndashthere would be common entities as well as particulars But if there are not then the Stoics are not admittingForms when they acknowledge concepts raquo (V Caston [1999] p 168) On va tenter de montrer que laposition nous paraicirct malgreacute tout plus complexe

164 KM Vogt [2009]

59

La meacutetaphysique comme science une enjeux

il est difficile de ne pas admettre que ces mouvements impliquent ou supposent une temporaliteacute

En conceacutedant quen un sens faible laquo il y a raquo des incorporels les stoiumlciens ont donc ducirc ameacutenager

leurs concepts fondamentaux pour dire le reacuteel Notre langage est ici agrave la limite les incorporels ne

sont pas seulement ils ne laquo sont raquo pas rien Il doit donc y avoir un genre au-dessus de lecirctre agrave

savoir le laquo quelque chose raquo Ecirctre quelque chose (sans aucun poids existentiel au verbe ecirctre) cest

ecirctre ce dont on peut parler ce quon peut penser sur lequel on peut raisonner (les incorporels

sont atteints via une certaine infeacuterence165) cest aussi sans doute ecirctre individuel Le laquo τι raquo stoiumlcien

serait le laquo τόδε τι raquo aristoteacutelicien amputeacute de la substantialiteacute et de la manifestation ou de la

monstration ndash cest-agrave-dire pas grand-chose mais quelque chose quand mecircme Lincorporel donc

bien quincapable daction ou de passion neacuteant au sens ougrave il nest pas un corps est toutefois

quelque chose qui a partie lieacutee au corps qui est comme le reacutesume justement I Kupreeva

laquo concomitant dune action raquo166

La plupart des textes octroient aux incorporels le mode decirctre dune certaine

subsistance167 Le vocabulaire nindique pas que ceux-ci aient agrave proprement parler une autre

forme de reacutealiteacute par exemple une reacutealiteacute inteacutegralement mentale les incorporels sont certes

atteints par abstraction168 mais doivent le fait dlaquo ecirctre raquo quelque chose agrave un corps ils sont lieacutes

(dune maniegravere propre agrave chacun) agrave des entiteacutes corporelles169 Dans ce cas la subsistance deacutesigne la

liaison dun non-eacutetant agrave un eacutetant Il y a une forme dobjectiviteacute du temps du lieu du vide et des

165 DL VII 53

166 I Kupreeva [2003] p 301

167 Voire une certaine existence mais dans ce cas laquo ὑπάρχειν raquo est toujours modaliseacute Cf par exemplePlutarque Contre Colotegraves 1116 bc laquo τοῦτο δὲ καὶ τοῖς νεωτέροις συμβέβηκε πολλὰ γὰρ καὶ μεγάλαπράγματα τῆς τοῦ ὄντος ἀποστεροῦσι προσηγορίας τὸ κενὸν τὸν χρόνον τὸν τόπον ἁπλῶς τὸτῶν λεκτῶν γένος ἐν ᾧ καὶ τἀληθῆ πάντ ἔνεστι ταῦτα γὰρ ὄντα μὲν μὴ εἶναι τινὰ δ εἶναιλέγουσι χρώμενοι δ αὐτοῖς ὡς ὑφεστῶσι καὶ ὑπάρχουσιν ἐν τῷ βίῳ καὶ τῷ φιλοσοφεῖνδιατελοῦσιν raquo Sur le mode decirctre des incorporels voir plus geacuteneacuteralement AA Long [1971] Ladistinction entre ὑφιστάναι et ὑπάρχειν a eacuteteacute discuteacutee par P Hadot [1969] et V Goldschmidt [1972] les arguments de ce dernier nous paraissent plus convaincants On ocircte de toute faccedilon une partie dusens de la poleacutemique degraves lors que lon savise (en eacutetudiant ce vocabulaire de faccedilon transversale entreles diverses eacutecoles) que ces termes ne prennent sens que speacutecifieacutes ou modaliseacutes et en un certaincontexte Cf aussi ci-dessous Pour la subsistance par la penseacutee des incorporels cf Proclus In Plat Tim271d (LS 51F) sur les exprimables DL VII 63 (LS 33F) Sextus Empiricus M VIII 70 (LS 33C) M VIII11-12 (LS 33B)

168 DL VII 53 (SVF II 87 LS 39 D) parle dun laquo transfert raquo pour les exprimables ou le lieu

169 Cf aussi V Caston [1999] p 154 De ce point de vue laquo ὑφιστάναι raquo pour un incorporel cest toujoursen fait laquo παρυφίσταναι raquo Cf par exemple Simplicius In Cat 361 10-11 laquo καί φησιν ὅτι εἰ μὲν ὡς οἱΣτωικοὶ λέγουσιν παρυφίσταται τοῖς σώμασιν ὁ τόπος raquo (SVF II 507) Voir V De Harven [agrave paraicirctre]p 7-10

60

La meacutetaphysique comme science une enjeux

exprimables Ainsi comprise la position dincorporels ne vient pas remettre en cause la thegravese

centrale de lontologie du Portique

En outre la reacutealiteacute des incorporels ne seacutepuise pas dans leur relation agrave la penseacutee agrave linverse

des concepts Dans la subsistance par la penseacutee il faudrait alors distinguer cette objectiviteacute des

incorporels170 et la pure subsistance mentale des correacutelats de nos conceptions que sont les

concepts Cette pure subsistance mentale est aussi celle des phantasmes de limagination ou des

hallucinations des fous ce que pour les stoiumlciens les platoniciens ne sont pas loin decirctre Les

platoniciens sont fous parce quils croient quexiste quelque chose qui na plus rien agrave voir avec les

corps Le correacutelat mental dune Ideacutee pour un stoiumlcien cest bien un phantasme une attraction agrave

vide de limagination le concept de chien naboie pas Comme le dit tregraves bien D Sedley lIdeacutee

dHomme pour un stoiumlcien est comparable agrave llaquo homme moyen raquo des statistiques171

Les concepts universaux sont rapprocheacutes des incorporels par leur subsistance mentale

mais simultaneacutement ils en sont distingueacutes parce queux ne sont plus rien des corps dougrave sans

doute le fait quils ne figurent jamais dans la liste canonique des incorporels Et pour cause si les

incorporels sont laquo quelque chose raquo parce quils sont particuliers les universaux tombent agrave la

limite du paysage ainsi dessineacute La question est alors de savoir si les concepts universels sont agrave

classer hors du quelque chose ou sils doivent ecirctre rattacheacutes agrave un groupe flottant sous le quelque

chose ni corps ni incorporels Il sagit ici de comprendre les liens entre la critique stoiumlcienne des

Ideacutees et la position de concepts universels auxquels les stoiumlciens reconnaissent du moins agrave

certaines conditions une leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique172

Ce nœud a fait deacutebat chez les interpregravetes il nest pas neacutecessaire den deacuteployer toutes les

implications Deux textes centraux sont en effet discuteacutes lun de Stobeacutee lautre de Diogegravene qui

font des universaux des phantasmes issus de lacircme et des laquo quasi quelque chose raquo Lexpression

laquo quasi quelque chose raquo doit bien sentendre au sens ougrave par exemple ce qui est laquo presque vrai raquo

ne lest en reacutealiteacute pas du tout a fortiori dans une penseacutee qui nest pas friande des degreacutes de lecirctre

170 Pour les phantasmes qui ne renvoient agrave rien (cf par exemple Marc Auregravele Penseacutees IX 42 2 ou ladeacutefinition des phantasmes dans Aetius IV 12 1-5 LS 39B) Lincorporel est atteint via une abstractionmais demeure analysable en un particulier rattacheacute agrave un corps Par exemple le lieu en geacuteneacuteral estlensemble abstrait des lieux particuliers dans lesquels sont les corps

171 D Sedley [1985]

172 Cf D Sedley [1985] p 88-89 Le concept laquo ἐννόημα raquo est le correacutelat objectif dune conceptionlaquo ἔννοια raquo et doit ecirctre distingueacute de lensemble des laquo νοούμενα raquo (voir les textes rassembleacutes dans JBrunschwig [1988] p 34 sq) Sur la question de la leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique des concepts voir AA Long[1971] p 113 J Brunschwig [1988] p 37-39 AA Long DN Sedley [1987] tr fr [2001] t II p 185-186

61

La meacutetaphysique comme science une enjeux

ou en loccurrence du quelque chose Que les concepts ne soient quelque chose que laquo pour ainsi

dire raquo signifient quils ne sont pas quelque chose mais ne sont pas rien du tout Pour meacutemoire il

sagit des passages suivants

ltΖήνωνοςgt Τὰ ἐννοήματα φασὶ μήτετινὰ εἶναι μήτε ποιά ὡσανεὶ δὲ τινὰ καὶὡσανεὶ ποιὰ φαντάσματα ψυχῆς ταῦτα δὲὑπὸ τῶν ἀρχαίων ἰδέας προσαγορεύεσθαιΤῶν γὰρ κατὰ τὰ ἐννοήματα ὑποπιπτόντωνεἶναι τὰς ἰδέας οἷον ἀνθρώπων ἵππωνκοινότερον εἰπεῖν πάντων τῶν ζῴων καὶ τῶνἄλλων ὁπόσων λέγουσιν ἰδέας εἶναι Ταύταςδὲ οἱ ltΣτωικοὶgt φιλόσοφοι φασὶνἀνυπάρκτους εἶναι καὶ τῶν μὲνἐννοημάτων μετέχειν ἡμᾶς τῶν δὲπτώσεων ἃς δὴ προσηγορίας καλοῦσιτυγχάνειν

De Zeacutenon les concepts selon eux ne sont niquelque chose ni qualifieacutes mais des phantasmesissus de lacircme qui sont presque quelque chose etpresque qualifieacutes ces concepts sont appeleacutes laquo Ideacutees raquopar les Anciens Les Ideacutees en effet sont Ideacutees de cequi tombe sous les concepts par exemple deshommes ou des chevaux et pour parler plusgeacuteneacuteralement de tous les animaux et de toutes lesautres choses dont selon eux173 il y a des Ideacutees Maisces Ideacutees les philosophes stoiumlciens disent quellessont inexistantes dune part ce sont des conceptsque nous participons et dautre part nous sommesporteurs des termes deacuteclinables quils nommentlaquo appellatifs raquo174

(Stobeacutee I 136 20 ndash 137 6175)

Ἐννόημα δέ ἐστι φάντασμα διανοίαςοὔτε τὶ ὂν οὔτε ποιόν ὡσανεὶ δέ τι ὂν καὶὡσανεὶ ποιόν οἷον γίνεται ἀνατύπωμαἵππου καὶ μὴ παρόντος

Un concept est un phantasme issu de la penseacuteequi nest ni quelque chose ni qualifieacute mais presquequelque chose176 et presque qualifieacute agrave la faccedilon dontse produit la repreacutesentation dun cheval mecircme en sonabsence

(Diogegravene Laeumlrce VII 61)

Notre traduction reflegravete un parti-pris qui a tout au moins lavantage de maintenir la

coheacuterence entre ces deux textes eux-mecircmes et entre ces textes et dautres177 parmi lesquels un

passage parallegravele chez Alexandre

173 Les platoniciens

174 Sur le vocabulaire technique de cette fin de phrase cf LS 30 A et 33 B

175 = Arius Didyme Physique Fr 40 = SVF I 65

176 Le problegraveme se situe dans lexpression laquo ὡσανεὶ δέ τι ὄν raquo que V Caston ([1999] p 169) traduit par laquo as if it were something existent raquo En ce sens le concept est bien un quelque chose mais seulementlaquo quasi existant raquo en prenant laquo ὄν raquo au sens existentiel Il devient degraves lors inutile de forger aux cocircteacutes dela classe des quelque chose une nouvelle classe des non quelque chose V Caston libegravere en outre lesstoiumlciens de la critique qui consiste agrave demander sil y a un genre supeacuterieur au-dessus des quelque choseet non quelque chose Voir lexcellente reacuteponse de Brunschwig [2003] p 226 Surtout comme lamontreacute J Brunschwig ([2003] p 225-226) la solution de V Caston demeure difficile au point de vuesyntaxique cette compreacutehension suppose de faire porter le laquo ὡσανεί raquo seulement sur laquo ὄν raquo et nonpas pas sur laquo τι raquo De surcroicirct cest lagrave une traduction philosophiquement coucircteuse car elle implique deconsideacuterer que le texte parallegravele de Stobeacutee contient une distorsion

177 Cf aussi Simplicius In Cat 105 8-16 (SVF II 278 LS 30 E) On laisse ici de cocircteacute le difficile texte deSextus M I 17 (SVF II 330 LS 27C) dont V Caston se sert eacutevidemment beaucoup et sur lequel JBrunschwig a eacutemis de leacutegitimes doutes cf J Brunschwig [2003] p 226

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

Οὕτω δειχθήσεται μηδὲ τὸ τὶ γένος ὂντῶν πάντων ἔσται γὰρ καὶ τοῦ ἑνὸς γένος ἢἐπ ἴσης ὄντος αὐτῷ ἢ καὶ ἐπὶ πλέον εἴ γε τὸμὲν ἓν καὶ κατὰ τοῦ ἐννοήματος τὸ δὲ τὶκατὰ [35915] μόνων σωμάτων καὶἀσωμάτων τὸ δὲ ἐννόημα μηδέτερον τούτωνκατὰ τοὺς ταῦτα λέγοντας Οὕτωςἁμαρτάνοι ἂν ὁ τοῦ ὄντος διαφορὰν τὸδοξαστὸν ἀποδούς ἐπὶ πλέον γὰρ τοῦ ὄντοςτὸ δοξαστόν εἴ γε δοξαστὸν καὶ τὸ μὴ ὄν

On montrera de cette faccedilon que le laquo quelquechose raquo non plus nest pas le genre de toutes chosesEn effet le quelque chose sera aussi le genre de lunqui a une extension eacutegale agrave la sienne ou mecircmesupeacuterieure si du moins lun sattribue aussi auconcept tandis que le quelque chose sattribueseulement aux corps et aux incorporels et que leconcept nest ni lun ni lautre dapregraves ceux qui disentcela Cest commettre la mecircme erreur que de donnerlobjet dopinion comme diffeacuterence de leacutetant carlrsquoobjet drsquoopinion a plus drsquoextension que lrsquoeacutetant sil estvrai que le non-eacutetant aussi est objet dopinion

(In Top 359 12-18178)

La fiabiliteacute de ce teacutemoignage a pu ecirctre remise en cause179 Pris dans un mouvement

poleacutemique Alexandre trahirait lesprit de la doctrine stoiumlcienne La chose nest pas impossible

puisqursquoil lui arrive bien de radicaliser voire de caricaturer les stoiumlciens pour mieux faire ressortir

les contradictions internes agrave leurs doctrines Il serait cependant eacutetonnant de la part dAlexandre

de combiner une preacutemisse authentique et attesteacutee (celle selon laquelle le quelque chose comprend

les corps et les incorporels) avec une inauthentique (celle selon laquelle les concepts ne sont ni

corps ni incorporels)180 Degraves lors conformeacutement au teacutemoignage dAlexandre en coheacuterence avec

les textes preacuteceacutedents il ny a pas de troisiegraveme possibiliteacute entre corporels et incorporels les

fictions de lesprit par exemple quelles soient fictions dindividus ou espegraveces fictives sont des

non quelque chose Ainsi comprise la position stoiumlcienne meacutenage donc agrave luniversel une place agrave

la limite ou dans les marges dun paysage non pas ontologique mais si lon peut dire

tinologique

Or cette thegravese puissante et agrave plusieurs eacutegards reacutevolutionnaire a tregraves probablement connu

un regain dinteacuterecirct agrave leacutepoque post-helleacutenistique De fait les teacutemoignages deacutejagrave mentionneacutes

semblent la faire remonter jusquagrave lancien stoiumlcisme181 il ny a cependant aucune raison de

limiter agrave cette peacuteriode les interrogations sur le statut des universaux et la distinction entre

178 Contexte Commentaire de Top IV 6 127a 26 sq (contre les confusions possibles sur le genre quil nya pas de genre de toutes choses donc pas de genre de leacutetant ni de lun)

179 V Caston [1999] p 162 sq

180 J Brunschwig [2003] p 222-223

181 Il faut toutefois garder agrave lesprit que Stobeacutee emploie toujours laquo Zeacutenon raquo pour deacutesigner les stoiumlciens engeacuteneacuteral mecircme pour des thegraveses moins anciennes ndash dougrave le pluriel qui suit Cf D Sedley [2005a] p 119n 8 contre V Caston [1999]

63

La meacutetaphysique comme science une enjeux

quelque chose et non quelque chose Le passage de Syrianus fait eacutetat dune discussion suivie ndash

mecircme si nous savons peu de choses des thegraveses de Longin et Antonin agrave ce sujet Mais si la peacuteriode

post-helleacutenistique deacutemontre un inteacuterecirct pour ces questions cest aussi voire surtout agrave la faveur du

retour sur la scegravene philosophique dacadeacutemiciens non sceptiques Les stoiumlciens discutent ainsi agrave

nouveau les thegraveses platoniciennes182

En teacutemoigne nettement la Lettre 58 de Seacutenegraveque

Illud genus quod est generale supra senihil habet initium rerum est omnia sub illosunt

(13) Stoici uolunt superponere huic etiamnunc aliud genus magis principale de quostatim dicam si prius illud genus de quolocutus sum merito primum poni docuerocum sit rerum omnium capax

(14) Quod est in has species diuido utsint corporalia aut incorporalia nihil tertiumest Corpus quomodo diuido ut dicam autanimantia sunt aut inanima Rursus animantiaquemadmodum diuido ut dicam quaedamanimum habent quaedam tantum animam atsic quaedam impetum habent incedunttranseunt quaedam solo affixa radicibusaluntur crescunt Rursus animalia in quasspecies seco aut mortalia sunt aut immortalia

(15) Primum genus Stoicis quibusdamuidetur quid quare uideatur subiciam Inrerum inquiunt natura quaedam suntquaedam non sunt et haec autem quae nonsunt rerum natura complectitur quae animosuccurrunt tamquam Centauri Gigantes etquidquid aliud falsa cogitatione formatumhabere aliquam imaginem coepit quamuis nonhabeat substantiam183

Ce genre geacuteneacuteral laquo ce qui est raquo na rien au-dessusde lui il est le principe des choses tout lui estsubordonneacute

Les stoiumlciens veulent encore lui superposer unautre genre plus premier jen parlerai tout agrave lheurequand jaurai eacutetabli que celui dont je viens de traiterest mis agrave bon droit le premier puisquil enveloppetoutes choses

laquo Ce qui est raquo je le divise en deux espegraveces quiseront le corporel ou lincorporel Il ny a pas de tierceespegravece Et pour le corps comment le diviseacute-je Comme je vais le dire il y a des ecirctres animeacutes il y ades ecirctres inanimeacutes Derechef comment diviseacute-je lesecirctres animeacutes Comme je vais le dire certains ecirctresont un esprit dautres nont que lacircme et ainsi certains ont limpulsion marchent se deacuteplacent certains implanteacutes dans le sol se nourrissentsaccroissent par leurs racines Derechef pour lesanimaux en quelles espegraveces les partager Ils sontmortels ou immortels

Le premier genre dans lopinion de certainsstoiumlciens est laquo quelque chose raquo Voici sur quoi ilsfondent leur opinion laquo Dans la nature disent-ils il ya des choses qui sont des choses qui ne sont pas Orla nature embrasse les choses qui ne sont pas ce quise preacutesente agrave lesprit comme les Centaures lesGeacuteants et tout ce qui issu dune penseacutee fausse acommenceacute agrave prendre quelque consistance dimagetout en eacutetant deacutepourvu de substance raquo

(Tr H Noblot [1947] tregraves modifieacutee)

182 Cf Antipater Posidonius Paneacutetius Cornutos auxquels se reacutefegravere D Sedley [2005a] La p 118 cite mecircmeun ouvrage dAntipater sur le bien platonicien

183 On pourrait penser que le grec derriegravere le latin laquo substantia raquo ne peut ecirctre οὐσία eacutetant donneacute queSeacutenegraveque a proposeacute un peu plus haut (sect 6) de traduire οὐσία par essentia D Sedley ([2005] p 124 n 18)propose de lire ici une reacutefeacuterence agrave la ὑπόστασις que les stoiumlciens accordent normalement auxincorporels tandis que οὐσία dit le mode decirctre des corps (Proclus In Tim 138e = SVF II 533) Ilfaudrait se reacutesoudre agrave comprendre que dans la theacuteorie preacutesenteacutee par Seacutenegraveque les fictions sontdeacutepourvues non seulement decirctre mais aussi de laquo reacutealiteacute raquo ou de laquo subsistance raquo Les fictions nauraientdonc mecircme pas la subsistance des incorporels parce quelles sont illusoires sans aucune attache dans lecorporel Toutefois on pourrait eacutemettre lhypothegravese que ὑπόστασις est bien plutocirct agrave chercher derriegraverelaquo animo succurrunt raquo qui rendrait laquo ὑφιστάναι τῇ ἐπινοίᾳ raquo (cf V de Harven [agrave paraicirctre]) Seacutenegraveque

64

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Dans cette lettre apregraves secirctre plaint de la pauvreteacute du latin pour traduire laquo ὄν raquo Seacutenegraveque

preacutesente de faccedilon scolaire six usages dlaquo eacutetant raquo chez Platon avant den venir au problegraveme de la

position dlaquo eacutetant raquo comme genre suprecircme Le philosophe ne preacutesente guegravere ici la theacuteorie

stoiumlcienne des universaux mais il parle de la division genre ndash espegravece et des fictions de lesprit184

et fait aussi eacutetat de deacutebats sur la distinction entre laquo eacutetant raquo (ou laquo ce qui est raquo) et laquo quelque chose raquo

dans le contexte dune preacutesentation de la notion platonicienne dὀυσία et des diffeacuterents degreacutes de

la reacutealiteacute

Contre une lecture simplement eacuteclectique de cette lettre contre lideacutee dun Seacutenegraveque

stoiumlcien versatile ou peu orthodoxe185 meacutelangeant sans coheacuterence des sources diverses il nous

paraicirct au contraire plus pertinent de prendre la lettre au seacuterieux Celle-ci prouve non seulement

lexistence de poleacutemiques entre stoiumlciens et platoniciens mais aussi la diffusion de certaines

thegraveses stoiumlciennes chez les platoniciens186 Mais Seacutenegraveque teacutemoigne aussi de deacutebats internes au

stoiumlcisme sous la pression de la reviviscence du platonisme Seacutenegraveque revendique ainsi comme sa

propre position le maintien de leacutetant comme genre suprecircme187 tout en restreignant agrave laquo certains

stoiumlciens raquo une version heacuteteacuterodoxe du moins non standard de la theacuteorie du quelque chose

comme genre suprecircme188 Mais cest preacuteciseacutement cette heacuteteacuterodoxie qui est inteacuteressante la Lettre

emploie en effet une expression latine destineacutee agrave devenir courante pour parler de lirreacuteel comme ce quine possegravede pas de substance (laquo habere substantiam raquo cf les passages listeacutes par J-F Courtine [1980] agravecomparer aussi avec Ciceacuteron Top V 25-27) Ainsi comprise la thegravese serait coheacuterente avec les textes ougravelon parle des phantasmes fictions ou concepts comme doteacutes dune seule subsistance mentale (cf lespassages deacutejagrave citeacutes de Syrianus et Stobeacutee voir aussi Marc Auregravele Penseacutees IX 42 2) mais bien sucircrdeacutepourvus de toute substance cest-agrave-dire de toute corporaliteacute En ce cas substantia ne peut traduireὑπόστασις puisque celle-ci est effectivement accordeacutee aux fictions de lesprit qui laquo animo succurrunt raquoDougrave notre traduction par laquo substance raquo et non laquo subsistance raquo

184 On peut toujours tenter de penser que les universaux sont compris dans la cateacutegorie des Centaures etdes Geacuteants et laquo quidquid aliud falsa cogitatione formatum habere aliquam imaginem coepit quamvis non habeatsubstantiam raquo (Lettre 58 15) Cf V Caston [1999] p 154 sq et agrave linverse J Brunschwig [2003] p 222

185 KM Vogt [2009]

186 Ainsi au paragraphe 22 dans sa description de la hieacuterarchie ontologique platonicienne Seacutenegraveque place-t-il le vide et le temps deacutetermineacutes comme laquo quasi eacutetants raquo (quae quasi sunt) au dernier rang de cetteeacutechelle des eacutetants Cf D Sedley [2005a] p 125

187 Cette attribution agrave eacuteteacute discuteacutee cf J Mansfeld [1992a] p 84-85 n 22 et agrave linverse D Sedley [2005a] p125 Voir les usages de la premiegravere personne dans le sect 14 dont il nous paraicirct difficile de penser quilssont simplement rheacutetoriques

188 Non standard par exemple parce quici les laquo quelque chose non eacutetant raquo ne sont pas la liste canoniquedes incorporels mais des fictions les centaures et les geacuteants On laissera ici de cocircteacute les hypothegraveses agravenotre sens assez faibles selon lesquelles Seacutenegraveque aurait commis une laquo erreur raquo dans sa liste (cf PPasquino [1978] et en particulier p 378) On laisse eacutegalement de cocircteacute la question plus cruciale de savoir

65

La meacutetaphysique comme science une enjeux

vient deacutementir les affirmations de certains interpregravetes selon lesquelles les stoiumlciens se seraient

deacutesinteacuteresseacutes des notions deacutetant ou decirctre auraient buteacute sur le caractegravere laquo trop complexe raquo de la

cateacutegorie du non-eacutetant189 Au contraire la lettre constitue un document sur les deacutebats

ontologiques qui ont eu cours degraves le deacutebut de legravere post-helleacutenistique sur ce qui est reacuteel agrave partir de

ce qui ne lest pas

Cest en effet dans ce contexte que lon peut inscrire un certain nombre de thegraveses et

darguments platoniciens et peacuteripateacuteticiens de leacutepoque Comme la noteacute J Brunschwig au

premier chef les stoiumlciens deacutefont en effet la ligature platonicienne et aristoteacutelicienne entre ecirctre et

ecirctre quelque chose ndash celle par exemple queacutenonce le Parmeacutenide en 132 b-c190 Cest ce qui exige

reacuteponse de la part des eacutecoles rivales Les platoniciens par exemple se font fort de reacuteaffirmer

presque brutalement limpossibiliteacute de seacuteparer le τι de lὄν191 Les strateacutegies plus raffineacutees

consisteront agrave montrer limpossibiliteacute pour le quelque chose decirctre un genre supeacuterieur agrave lecirctre192

ou du cocircteacute peacuteripateacuteticien agrave rappeler les arguments qui interdisent la position dun genre de

leacutetant Plusieurs passages dAlexandre recyclent ainsi les arguments aristoteacuteliciens explicitement

contre les stoiumlciens193

Top IV 1 121a10 ldquoΠάλιν εἰ ἀνάγκη ἢἐνδέχεται τοῦ τεθέντος ἐν τῷ γένει μετέχειντὸ γένοςrdquo

Τί μέν ἐστι μετέχειν αὐτὸς ἐδήλωσε τὸγὰρ ltἐπιδέχεσθαι τὸν [30110] τοῦμετέχεσθαι λεγομένου λόγονgt μετέχεινἐστὶν αὐτοῦ Τὸ δὲ τιθέμενον ἐν τῷ γένειἐστὶ τὸ εἶδος οὗ τὸ ἀποδιδόμενον ὡς γένοςἀποδίδοται Ἐπεὶ τοίνυν κεῖται τὰ μὲν εἴδητὸν τῶν γενῶν ἐπιδέχεσθαι λόγον τὰ δὲγένη τὸν τῶν εἰδῶν οὐκέτι τὰ μὲν εἴδημετέχοι ἂν τῶν γενῶν οὐκέτι δὲ καὶ τὰ γένητῶν εἰδῶν

Οὕτως τοίνυν τούτων ἐχόντων εἰ τοῦ

laquo Et encore voir sil ne se trouve pas que le genre doitou peut participer de ce qui a eacuteteacute placeacute en lui raquo

Ce que cest que laquo participer raquo dune partAristote la lui-mecircme fait voir lten disantgt laquo admettrela deacutefinition du terme dont on est dit participer raquocest y participer Ce qui est laquo placeacute dans le genre raquodautre part cest lespegravece dont leacutenonceacute est donneacutecomme genre Donc puisquil a eacuteteacute poseacute que lesespegraveces admettent leacutenonceacute des genres tandis que lesgenres nadmettent plus celui des espegraveces alors lesespegraveces participeront aux genres mais les genres neparticiperont plus aux espegraveces

Degraves lors les choses eacutetant ce quelles sont si duterme placeacute comme en un genre194 le terme preacutediqueacute

si ces choses (centaures geacuteants) sont des particuliers fictifs ou bien des espegraveces fictives

189 KM Vogt [2009]

190 Cest la thegravese ceacutelegravebre de J Brunschwig [1988] reprise et deacuteveloppeacutee par P Aubenque [1991]

191 Et ce mecircme quand ils reprennent apparemment la theacuteorie stoiumlcienne du genre suprecircme ainsi chezPhilon dAlexandrie (SVF II 334) Severus aurait quant agrave lui argumenteacute le fait que les Ideacutees sontlaquo quelque chose raquo (D Sedley [2005a] p 129-131) Plutarque enfin preacutesente une affirmation brute de cetype voir par exemple De Comm Not 1073a sq

192 Cf Plotin Traiteacute 42 Enn VI 1 25-27 et largument de limpossibiliteacute dun genre commun au corporel etagrave lincorporel

193 Voir le passage deacutejagrave citeacute dIn Top 359 12-18

194 Agrave savoir lespegravece

66

La meacutetaphysique comme science une enjeux

τεθέντος [30115] ὡς ἐν γένει τινὶ τὸκατηγορηθὲν ὡς γένος αὐτοῦ τὸν λόγον τεκαὶ ὁρισμὸν ἢ ἐπιδέχεται ἢ οἷόν τεἐπιδέχεσθαι οὐκ ἂν εἴη γένος τὸεἰλημμένον

Οἷον ἂν λέγῃ τις τοῦ ὄντος γένος [τὸ] τιεἶναι ἢ τοῦ ἑνός τὸ γὰρ τούτων τινὸςἀποδοθὲν ὡς γένος πάντως ἐπιδέξεται τόντε τοῦ ὄντος λόγον καὶ τὸν τοῦ ἑνός πᾶνγὰρ τὸ ἐν ὑπάρξει ὂν καὶ ὂν καὶ ἕν ἐστινΟὕτω δεικνύοις [30120] ἂν ὅτι μὴ καλῶς τὸτὶ οἱ ἀπὸ τῆς Στοᾶς γένος τοῦ ὄντος τίθενταιεἰ γὰρ τί δῆλον ὅτι καὶ ὄν εἰ δὲ ὄν τὸν τοῦὄντος ἀναδέχοιτο ἂν λόγον

Ἀλλ ἐκεῖνοι νομοθετήσαντες αὑτοῖς τὸὂν κατὰ σωμάτων μόνων λέγεσθαιδιαφεύγοιεν ἂν τὸ ἠπορημένον διὰ τοῦτογὰρ τὸ τὶ γενικώτερον αὐτοῦ φασιν εἶναικατηγορούμενον οὐ κατὰ σωμάτων μόνονἀλλὰ καὶ κατὰ [30125] ἀσωμάτων Ἀλλ ἐπεὶγενικώτατον τὸ τί εἴη ἂν ὑπ αὐτὸ καὶ τὸ ἕνἀλλἔστι καὶ τοῦ τινὸς αὐτοῦ τὸ ἓνκατηγορῆσαι ὥστε οὐ γένος τὸ τὶ τοῦ ἑνόςἐπιδεχόμενον αὐτοῦ τὸν λόγον

comme eacutetant son genre admet ou peut admettre soneacutenonceacute et sa deacutefinition195 alors ce quon a poseacute ne serapas un genre

Par exemple quelquun pourrait soutenir que lequelque chose196 est genre de leacutetant ou de lun Defait le genre de lun de ces deux si on le donnaitcomme genre de toutes choses admettra aussi agrave lafois la deacutefinition de leacutetant et celle de lun car tout cequi est dans lexistence est agrave la fois eacutetant et un Tumontrerais ainsi que cest de faccedilon incorrecte que lesstoiumlciens posent le quelque chose comme genre delrsquoeacutetant Si en effet il y a quelque chose il est clair quecest aussi un eacutetant Et si cest un eacutetant il recevra ladeacutefinition de lrsquoeacutetant

Mais ceux-lagrave eacutedictant pour eux-mecircmes la loiselon laquelle lrsquoeacutetant se dit uniquement des corpsvoudraient eacutechapper agrave la difficulteacute pour cette raisonen effet ils disent que le quelque chose est plusgeacuteneacuterique que leacutetant preacutediqueacute qursquoil est nonseulement des corps mais aussi des incorporelsNeacuteanmoins puisque le quelque chose est le genre leplus haut lun sera sous lui Or il est possible depreacutediquer lun du quelque chose lui-mecircme de sorteque le quelque chose nest pas le genre de lunpuisquil admet sa deacutefinition

(In Top 301 9-27)

La reacutefeacuterence du commentaire agrave la doctrine du Portique semble appeleacutee par le texte

dAristote lui-mecircme Dans ce chapitre des Topiques le Philosophe eacutetudie le genre en tant quatome

de toute deacutefinition et eacutetablit les critegraveres agrave partir desquels on peut eacutetablir un genre ou deacutecider si

telle chose appartient ou non agrave tel genre Lextrait que commente ici Alexandre eacutetablit comme

critegravere la non-participation agrave ce qui est placeacute sous soi Il sagit bien dun critegravere neacutegatif si ce quon

a pris pour un laquo genre raquo participe de ce quon a pris pour lune de ses espegraveces alors ce nest pas

un genre car cest lespegravece qui doit participer du genre et non linverse Que veut dire ici

participer Lemploi aristoteacutelicien nest bien sucircr pas totalement homonyme avec lemploi

platonicien (mais dans ce cadre il est deacutelesteacute de toute implication ontique) participer signifie

laquo admettre la deacutefinition du terme dont on participe raquo (ἐπιδέχεσθαι τὸν τοῦ μετεχομένου λόγον

121a 11-12) En reacutesumeacute si la deacutefinition dun preacutetendant au titre de genre admet dans sa deacutefinition

195 La deacutefinition de lespegravece Si un genre peut ecirctre deacutefini par la deacutefinition de lespegravece alors ce nest pas ungenre car comme le dit Aristote laquo lespegravece admet bien la deacutefinition du genre mais le genre nadmetpas celle de lespegravece raquo (121a 13-14 traduction J Brunschwig)

196 Latheacutetegravese proposeacutee par Wallies contre tous les manuscrits ne semble pas neacutecessaire

67

La meacutetaphysique comme science une enjeux

un eacuteleacutement deacutefinitionnel de lespegravece alors ce nest pas un genre Et Aristote de lillustrer en

prenant sans deacutetour un exemple agrave la fois philosophiquement lourd et dialectiquement

convaincant ndash leacutetant et lun dont lextension197 est telle que rien ne peut en constituer le genre De

fait tout ce qui preacutetendrait au titre de genre de leacutetant et de lun devrait admettre dans sa

deacutefinition le fait decirctre un eacutetant ou decirctre un Il est donc aiseacute pour Alexandre demployer ce

raisonnement contre le quelque chose stoiumlcien en reacuteinstaurant le lien rompu entre ecirctre et ecirctre

quelque chose

Mais platoniciens et peacuteripateacuteticiens ne se cantonnent pas agrave la reacutefutation logique de la

thegravese stoiumlcienne qui fait des universaux des non quelque chose Il sagit aussi pour chaque eacutecole

de reacuteaffirmer sa propre conception de luniversel et den deacutemontrer la supeacuterioriteacute Dans cette pars

construens les platoniciens sattachent ainsi agrave distinguer les Ideacutees de concepts universaux en

mettant en exergue la causaliteacute des Ideacutees qui donnent lecirctre au sensible198 On verra aussi plus loin

comment tous les platoniciens reacutepegravetent le geste platonicien du laquo renversement raquo199 en deacutemontrant

que lincorporel est le veacuteritable ecirctre

Au sein du Peripatos Alexandre constitue un exemple de choix dans la discussion du

statut des universaux et la reacuteflexion ontologique que soulegraveve cette discussion On rappellera

briegravevement sur cette question tregraves disputeacutee200 que lExeacutegegravete distingue deux eacutetats et deux modes

decirctre de lrsquouniversel in re et post rem Il ny a bien sucircr pas duniversel ante rem ou selon un

vocabulaire freacutequent chez lExeacutegegravete duniversel subsistant par soi ayant une laquo ἰδία ὑπόστασις raquo

La thegravese dAlexandre est agrave grands traits la suivante pour quune essence puisse ecirctre qualifieacutee

drsquouniverselle elle doit reacutesider en plusieurs particuliers Si elle ne reacuteside que dans un particulier

lrsquouniversaliteacute est supprimeacutee201 Lrsquouniversel a une certaine laquo existence raquo dans les choses

particuliegraveres et ce nest quau terme drsquoun acte drsquoabstraction que le concept universel est obtenu

doteacute alors dune subsistance par la penseacutee (laquo τῇ ἐπινοίᾳ raquo)202 Contrairement peut-ecirctre aux

197 Cf aussi Met I 2 1053b 17 sq

198 Plutarque Contre Colotegraves 1115e sq Cest lagrave aussi le seul texte quon ait trouveacute agrave faire eacutetat duneincursion eacutepicurienne dans le deacutebat

199 Selon le titre eacutevocateur de H Joly [1974]

200 Voir entre autres AC Lloyd [1981] MM Tweedale [1984] A de Libera [1999a] RW Sharples [2005]

201 Cf Alexandre In Top 355 18 sq

202 Cf DA 90 2-11 laquo Ἐπὶ μὲν οὖν τῶν ἐνύλων εἰδῶν ὥσπερ εἶπον ὅταν μὴ νοῆται τὰ τοιαῦτα εἴδηοὐδέ ἐστιν αὐτῶν τι νοῦς εἴ γε ἐν τῷ νοεῖσθαι αὐτοῖς ἡ τοῦ νοητοῖς εἶναι ὑπόστασις Τὰ γὰρκαθόλου καὶ κοινὰ τὴν μὲν ὕπαρξιν ἐν τοῖς καθέκαστά τε καὶ ἐνύλοις ἔχει Νοούμενα δὲ χωρὶςὕλης κοινά τε καὶ καθόλου γίνεται καὶ τότε ἐστὶ νοῦς ὅταν νοῆται εἰ δὲ μὴ νοοῖτο οὐδὲ ἔστιν ἔτιὭστε χωρισθέντα τοῦ νοοῦντος αὐτὰ νοῦ φθείρεται εἴ γε ἐν τῷ νοεῖσθαι τὸ εἶναι αὐτοῖς ὅμοια δὲ

68

La meacutetaphysique comme science une enjeux

apparences Alexandre ny soutient donc pas un conceptualisme qui le rapprocherait des stoiumlciens

puisque les universaux ne sont pas purement mentaux Lobjectif est bien de substantialiser

luniversel (agrave la faveur de sa coordination avec la forme hyleacutemorphique) de lui accorder une

subsistance in re contre le conceptualisme stoiumlcien sans tomber pour autant dans le platonisme

conformeacutement au deacutefi poseacute par exemple par la Quaestio I 3 Ce geste suppose en amont tout un

travail pointu et technique sur la nature de la forme du composeacute hyleacutemorphique son lien avec la

diffeacuterence speacutecifique et le genre sur leacuteterniteacute speacutecifique de la forme une modeacutelisation de lacte

de connaicirctre par labstraction matheacutematique203 quon esquissera plus loin Certes ce

positionnement dAlexandre pour ecirctre totalement compris devrait eacutegalement ecirctre rattacheacute agrave un

contexte interne au Peripatos la discussion sans doute du conceptualisme de Boeacutethos de Sidon Il

en va de mecircme pour les platoniciens la theacuteorie des Ideacutees et les arguments au profit de la thegravese

identifiant lincorporel et lecirctre ont neacutecessairement partie lieacutee avec des probleacutematiques

exeacutegeacutetiques et des querelles internes au meacutedio-platonisme Il nen demeure pas moins impossible

de lire ces deacuteveloppements hors du contexte agonistique de leacutepoque post-helleacutenistique

Au terme de ce premier parcours nous sommes en mesure de fonder davantage notre

thegravese Leacutepoque post-helleacutenistique outre quelle a servi dincubateur agrave la querelle tardo-antique et

meacutedieacutevale des universaux nest pas deacutenueacutee de preacuteoccupations laquo meacutetaphysiques raquo selon les

critegraveres eacutetablis ci-dessus Linterrogation sur les universaux est loccasion de deacuteveloppements

rationnels et transversaux sur la reacutealiteacute du reacuteel en ses genres ultimes La diffusion en ce contexte

du terme de laquo ὑπόστασις raquo tant chez les stoiumlciens que les platoniciens ou les peacuteripateacuteticiens

signe la constitution dun vocabulaire ontologique commun La thegravese de J Barnes selon laquelle

le questionnaire de Porphyre sexprime dans la laquo lingua franca raquo philosophique de leacutepoque

constitue moins une objection quun argument en faveur de la recherche des sources du Tyrien

Faut-il pour autant en deacuteduire une uniformisation doctrinale de leacutepoque Cest

τούτοις καὶ τὰ ἐξ ἀφαιρέσεως ὁποῖά ἐστι τὰ μαθηματικά raquo laquo Ainsi pour les formes donneacutees dansune matiegravere comme je lrsquoai dit quand de telles formes ne sont pas penseacutees aucune drsquoelles nrsquoest unintellect sil est vrai que crsquoest dans le fait drsquoecirctre penseacutees que reacuteside pour elles la reacutealiteacute de leur ecirctredintelligibles En effet les universels et les communs existent dans les choses particuliegraveres etmateacuterielles Crsquoest une fois penseacutes agrave part de la matiegravere qursquoils deviennent communs et universels et ilssont intellects au moment ougrave ils sont penseacutes Srsquoils ne sont pas penseacutes ils ne ltlegt sont plus de sorte queseacutepareacutes de lrsquointellect qui les pense ils se corrompent puisque leur ecirctre reacuteside dans le fait drsquoecirctre penseacuteSont semblables agrave eux les choses obtenues par abstraction comme les ecirctres matheacutematiques raquo

203 On a tenteacute den dire quelques mots dans G Guyomarch [2008]

69

La meacutetaphysique comme science une enjeux

lhypothegravese deacutefendue par exemple par J-F Courtine selon qui la traduction dοὐσία en substantia

qui se fait jour agrave leacutepoque post-helleacutenistique et dans lAntiquiteacute tardive est le reacutesultat de la

popularisation du corporalisme stoiumlcien204 Cette thegravese ne nous paraicirct pas reacutesister aux textes205

Chaque eacutecole emploie laquo ὑπόστασις raquo ou laquo ὑφιστάναι raquo agrave sa maniegravere pour formuler ses propres

thegraveses pour poser la question de la reacutealiteacute du reacuteel Il est ainsi net que lorsque Alexandre reprend

laquo ὑπόστασις raquo il aristoteacutelise un vocable dorigine stoiumlcienne Quand lExeacutegegravete deacutenie une laquo ἰδία

ὑπόστασις raquo ou une laquo ὑπόστασις καθ αὑτά raquo aux Ideacutees il entend explicitement par

laquo ὑπόστασις raquo lindeacutependance de la substance en un sens typiquement aristoteacutelicien206 Mais

mecircme chez lExeacutegegravete le terme ne prend sens quen contexte quand il est qualifieacute et cest pourquoi

Alexandre eacutevoque parfois une subsistance de luniversel mais cest alors une subsistance laquo τῇ

ἐπινοίᾳ raquo207 La mecircme amplitude seacutemantique se lira chez Plotin qui parle aussi bien de

lhypostase des Ideacutees que de lhypostase de lacircme des relatifs ou de la matiegravere208 Ce vocabulaire

ne prend consistance quau sein dun systegraveme ontologique global sans quoi il demeure une

coquille vide un signifiant flottant comme laquo chose raquo209

Si saffine un tel vocabulaire ontologique cest bien que la question de lecirctre na pas

disparu agrave leacutepoque dAlexandre et que le traitement quen donne Alexandre nest pas isolable de

ce contexte On aura bien du mal sans cela agrave comprendre pourquoi en plein deacutebut de son

commentaire agrave Meacutetaphysique Γ lExeacutegegravete sexclame quil ny a rien au-dessus de leacutetant210 Du

204 Cf J-F Courtine [1980] On notera en passant que la dissension entre Courtine (ou de Libera) et Barnesmime pour le coup de faccedilon assez nette lune des lignes de fractures entre philosophies ditesanalytique et continentale Se dessine en creux le problegraveme classique de lhistoriciteacute du mot et du statutveacutehiculaire ou non du langage Sommes-nous maicirctres de nos mots lesquels seraient en particulierdans les contextes techniques comme ceux de la philosophie par exemple de purs instruments Ousommes-nous le jouet de forces historiales agrave lœuvre dans une langue qui parle delle-mecircme

205 Sauf agrave reacutegresser agrave une thegravese extrecircmement vague cette eacutepoque penserait uniformeacutement la reacutealiteacutecomme le fait de subsister (sous-entendu alors quon peut concevoir autrement le reacuteel ndash comme ek-sistence etc) Mais une telle thegravese par sa geacuteneacuteraliteacute en devient peu discriminante Or entre lasubsistance du corps stoiumlcien celle de la substance alexandrinienne et celle des Ideacutees plotiniennes il ya discussion diffeacuterence eacutecarts Agrave notre sens concevoir le corps stoiumlcien (qui est une fonction ou uneacuteveacutenement) comme une substance aristoteacutelicienne est extrecircmement discutable

206 Voir entre autres exemples lemploi du terme dans le commentaire agrave Met A (In Met 92 19 110 13etc)

207 Ainsi en DA 90 2-11 Alexandre accepte aussi bien de parler dune ὑπόστασις des universaux mais ilsagit de laquo ἡ τοῦ νοητοῖς εἶναι ὑπόστασις raquo la reacutealiteacute de leur ecirctre dintelligibles ou de leur essenceintelligible Nous nous permettons de renvoyer aussi agrave G Guyomarch [2008] p 333-334

208 Cf les listes eacutetablies par C Rutten [1994]

209 On nemploie pas ici laquo signifiant flottant raquo dans son sens rigoureusement levi-straussien

210 In Met 240 20 laquo ἀλλ οὐδὲν ὑπὲρ τὸ ὄν raquo Linterpreacutetation que donne J-F Courtine ([2005] p 131 n

70

La meacutetaphysique comme science une enjeux

laquo problegraveme de lecirctre raquo on nattendra toutefois pas une formulation dans les termes de la

Meacutetaphysique dAristote Agrave cet eacutegard la situation de leacutepoque post-helleacutenistique est similaire agrave

celle du haut Moyen Acircge latin211 De mecircme quune penseacutee politique de la justice ou une penseacutee de

la liberteacute prennent leur essor sur fond dune eacutepreuve de linjustice ou de la contrainte de mecircme le

point de deacutepart du Portique pour poser la question de lecirctre serait ces choses qui ne sont pas ou agrave

peine Le problegraveme nest donc pas laquo onto-logique raquo au sens de leacutelaboration dun discours (ou

dune science) sur lecirctre mais laquo ontique raquo La question stoiumlcienne des modes decirctre eacutemerge en effet

agrave partir de questions locales Des eacutetants divers soffrent agrave mon regard et de lagrave se posent les

questions les corps ou les universaux sont-ils et sont-ils seulement quelque chose Sils ne sont

pas de la mecircme maniegravere comment dire ces deux modes decirctre sans briser la continuiteacute de ce qui

est Il sagit alors de classer ce qui nest pas au sens plein en fonction de ce qui est proprement

en eacutelaborant des critegraveres et une taxinomie des eacutetants ndash comme un inventaire du monde et qui

rapprocherait plutocirct cette penseacutee de lontologie au sens de Russell ou Armstrong212 On pourrait

par ailleurs se demander si la vogue des Cateacutegories dAristote213 jusque chez les stoiumlciens (mecircme si

cest sur un mode critique) et quelques platoniciens na pas joueacute un rocircle dans cette question du

mode decirctre des genres et des espegraveces214 On aurait ainsi affaire agrave une une transmission comme

laquo lateacuterale raquo de questions meacutetaphysiques via les Cateacutegories agrave linstar encore de ce qui se produira

dans le Haut Moyen Acircge latin215

2) de la proposition ndash qui nest pas lue dans son contexte ndash nous semble discutable

211 Voir A de Libera [1999b] et [2005]

212 Voir S Chauvier [2003] p 413

213 Ce souci classificatoire est peut-ecirctre agrave lorigine chez Aristote de la distinction des cateacutegories Cest lagraveune thegravese de Ross selon qui la distinction des cateacutegories a dabord eacuteteacute motiveacutee chez Aristote par lesouci de classer et non la question des sens de lecirctre (voir aussi en ce sens A Stevens [2000] p 184) Surle fait que la plurivociteacute de leacutetant chez Aristote ne doive justement pas sentendre au sens de lapluraliteacute de classes deacutetants divers ou mecircme seulement de classes de preacutedicats cf M Crubellier PPellegrin [2002] p 346

214 Sur cette datation tardive cf aussi J-B Gourinat [2009] p 73

215 Cf A de Libera [1999b] et [2005] Nous manquons cependant de sources pour totalement eacutetablir cettehypothegravese Les extraits stoiumlciens agrave ce sujet (dans Simplicius par exemple) ne semblent pas deacuteborder lestrict cadre de la logique On se rappelle en outre que parler de laquo cateacutegories raquo stoiumlciennes est un effetreacutetrospectif jamais le mot napparaicirct dans les sources stoiumlciennes (cf S Menn [1999]) et des diffeacuterencesimportantes seacuteparent les cateacutegories aristoteacuteliciennes des stoiumlciennes qui ne constituent pas des classesde preacutedicats ou de sens de lecirctre mais des couches dans toute chose du monde Les quatre genres ducorps sont en effet quatre strates de tout corps Neacuteanmoins le regard reacutetrospectif linteacutegration parSimplicius des positions stoiumlciennes dans son commentaire aux Cateacutegories nest-il pas fondeacute par desdeacutebats plus anciens Cf agrave ce sujet les hypothegraveses de Sharples agrave propos du renouveau des Cateacutegories agraveleacutepoque post-helleacutenistique dans RW Sharples [2008b] et surtout les corrections rapidementapporteacutees dans RW Sharples [2010] p 48 qui nous semblent plus probables

71

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Mais quoiquelle en naisse cette question de lecirctre nest ni confineacutee ni assujettie agrave ces

secteurs purement locaux Il se pourrait mecircme au contraire que certains stoiumlciens naient pas eacuteteacute

inconscients des problegravemes transversaux et meacuteta-philosophiques que posaient ces questions216 La

tendance intrinsegraveque agrave la systeacutematisation nest sans doute pas eacutetrangegravere agrave cela mais cette

propension au systegraveme devait ecirctre compenseacutee par la tendance (opposeacutee et correacutelative) agrave la

classification des problegravemes et leur traitement en fonction des parties de la philosophie

Neacuteanmoins en se demandant si lecirctre est le preacutedicat le plus universel et au sommet de la

hieacuterarchie du monde ou bien sil est second en attaquant leacutequation platonicienne entre ecirctre et

quelque chose les stoiumlciens ne posent deacutejagrave plus seulement une question classificatoire ou ontique

Linventaire ontique nest pas deacutenueacute de toute ambition fondatrice La secondarisation ou la

reacutetrogradation de leacutetant quopegraverent les stoiumlciens sa disjonction davec le quelque chose peut bien

apparaicirctre comme un geste eacuteminemment laquo meacutetaphysique raquo selon les critegraveres que nous avons

proposeacutes plus haut217 Les reacuteactions platonicienne et peacuteripateacuteticienne en relegravevent elles aussi

Un deuxiegraveme deacutebat litteacuteralement crucial pour leacutepoque est agrave mecircme de conforter cette

conclusion Cette fois-ci la poleacutemique prend son essor agrave partir dune question de physique dont

la transversaliteacute et le caractegravere fondamental tendent au218 meacutetaphysique

b) lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes la question des principes

On se souvient de laffirmation fondamentale de la physique stoiumlcienne seuls les corps

sont Dit autrement seules les entiteacutes tri-dimensionnelles doteacutees de reacutesistance sont des eacutetants219

Comme chez les fils de la Terre dans le Sophiste220 le critegravere stoiumlcien de la corporeacuteiteacute consiste en la

216 Comme la bien vu D Sedley ([2005] p 140) qui termine en disant agrave propos de linteacuterecirct de Seacutenegravequepour les questions meacutetaphysiques laquo I have tried to sketch in a background which makes it plausible that farfrom being Senecas own quirk this attitude was characteristic of Roman Stoicism in his days raquo

217 Contre KM Vogt [2009]

218 En employant ici agrave nouveau un neutre par distinction de laquo la raquo meacutetaphysique comme science

219 Le critegravere de la reacutesistance nest pas toujours preacutesent mais cf Galien SVF II 381 Pour la tri-dimensionnaliteacute cf DL VII 135 Pour lidentiteacute corps et eacutetant cf deacutejagrave chez Platon Sophiste 246b Pourleacutequivalence entre eacutetant et corps cf Sextus Empiricus M X 3-4 (SVF II 505 et LS 49B)

220 Platon Sophiste 247c Le critegravere est commun aux fils de la terre et aux amis des formes comme critegraverede la reacutealiteacute Il sagit en fait ici dune complication introduite dans la doctrine des fils de la Terre suiteaux apories ougrave les conduisait leur theacuteorie premiegravere professant un corporalisme assez simpliste Surtout cela cf J Brunschwig [1988] voir aussi I Kupreeva [2003] p 300-301

72

La meacutetaphysique comme science une enjeux

capaciteacute dagir ou decirctre affecteacute (Alexandre lui-mecircme en teacutemoigne221) Le laquo ou raquo importe sil est

vrai que certains ecirctres ne sont capables que de lun ou de lautre agrave savoir les deux principes

ultimes le dieu et la matiegravere222 Cependant agrave la diffeacuterence des fils de la Terre les stoiumlciens

utilisent le critegravere action-passion pour eacutelargir la classe des eacutetants corporels agrave des eacutetants qui ne le

semblent pas et ne sont pas perceptibles223 Ainsi lacircme ou les vertus eacutetant capables dagir elles

doivent donc ecirctre compteacutees parmi les corps Cela teacutemoigne de ce que le corporalisme stoiumlcien est

plus une position theacuteorique quune simple geacuteneacuteralisation inductive ou une reprise irreacutefleacutechie

dun mateacuterialisme naiumlf224 La conseacutequence de cette thegravese corporaliste est que dans la nature seuls

les corps sont causes225 mecircme si selon le teacutemoignage de Sextus226 leffet de la cause nest pas un

nouveau corps mais un preacutedicat incorporel (un exprimable) qui se surajoute au corps lequel

continue de persister dans la chaicircne causale avec de nouvelles deacuteterminations corporelles

Ce qui va devenir le problegraveme de lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes consiste agrave se demander ce

qui qualifie (en un sens tregraves large) ce qui deacutetermine un corps est-il ou non corporel Le problegraveme

part en effet dune conseacutequence de la thegravese corporaliste esquisseacutee ci-dessus Les stoiumlciens

distinguent dans un corps son substrat et ses qualiteacutes227 Les qualiteacutes sont des modifications de la

corporeacuteiteacute qui deacuteterminent et diffeacuterencient chaque corps et qui reacutesultent de lactiviteacute divine228 Le

laquo qualifieacute raquo correspond donc au corps au sens plein du terme229 Il faut alors ici jouer de prudence

et ne pas ceacuteder agrave la tentation den conclure que dun strict point de vue stoiumlcien les qualiteacutes sont

corporelles (ainsi que le comprendront platoniciens et peacuteripateacuteticiens) Il nest en effet pas certain

que les stoiumlciens aient soutenu sans condition la pleine corporeacuteiteacute des laquo qualiteacutes raquo230 ce qui existe

221 Par exemple De mix 230 26 sq et surtout 224 32 sq (SVF II 310)

222 Le statut corporel de ces deux principes nest toutefois pas unanime comme le montrent les difficulteacutestextuelles de DL VII 134

223 Cest la laquo greffe de corporeacuteiteacute raquo deacutecrite par J Brunschwig [1988] p 88

224 Cf I Kupreeva [2003] p 301

225 Selon le teacutemoignage de Cleacutement dAlexandrie (cf SVF II 345) Une telle thegravese implique avec elle derepenser ce quest la cause une theacuteorie stoiumlcienne bien documenteacutee et dont les enjeux historiques sontdeacutecisifs cf M Frede [1980] et dans un style diffeacuterent V Carraud [2002]

226 Sextus M IX 211 (SVF II 341)

227 Sur ce quon nomme les laquo cateacutegories raquo stoiumlciennes voir S Menn [1999]

228 Simplicius In Cat 222 30-33 (SVF II 378 LS 28H) Cf aussi justement Alexandre In Top 360 9-12(SVF II 379) laquo κατὰ μὲν οὖν τὸν ἐν ὑποκειμένῳ ἀναιροῖτ ἂν τὸ τὴν ποιότητα εἶναι πνεῦμά πωςἔχον ἢ ὕλην πως ἔχουσαν οὐ γὰρ δύναται τὸ πνεῦμα ἢ ἡ ὕλη γένος εἶναι τῆς ποιότητος ἐνὑποκειμένοις γὰρ αὐτοῖς ἡ ποιότης raquo

229 Cf M Frede [2005] p 222-223

230 Cf V Cordonier [2008] p 361 laquo la thegravese de la corporeacuteiteacute des qualiteacutes elle non plus nest pas attesteacutee

73

La meacutetaphysique comme science une enjeux

corporellement pour un stoiumlcien ce nest pas tant la coupure du couteau encore moins la

caballeacuteiteacute cest mon doigt coupeacute en cuisinant ou le cheval lui-mecircme comme laquo qualifieacute raquo231 La

preacutecision terminologique des textes stoiumlciens qui consiste agrave poser comme second genre le

laquo qualifieacute raquo (ποῖον) ou encore plus clairement lindividu qualifieacute (ποῖος) et non la qualiteacute

(ποιότης) doit donc ecirctre respecteacutee232

Cette thegravese physique est pleinement coheacuterente avec la critique des Ideacutees quon a vue ci-

dessus incorporelles et mecircme moins eacutetantes que les veacuteritables incorporels elles sont moins que

rien incapables de subir ou dexercer quelque action que ce soit Lattaque frontale ne peut

quexiger reacuteponse de la part des platoniciens a fortiori degraves lors que le courant platonicien comme

cest le cas au II egraveme s se recentre sur la theacuteorie des Ideacutees233 Contre les stoiumlciens les platoniciens

doivent donc rendre compte du pouvoir causal de lincorporel et de son rocircle dans la

deacutetermination du corps Il leur faut donc deacutemontrer le caractegravere incorporel des laquo qualiteacutes raquo et leur

pleine existence Mais comme par effet de retour la critique platonicienne va eacutegalement tendre agrave

simplifier la position stoiumlcienne en lissant les nuances quon a tenteacute de rendre ci-dessus pour

leur faire soutenir la thegravese dune corporeacuteiteacute des qualiteacutes ndash quon retrouvera chez Alexandre234

De fait les parallegraveles entre les textes sur lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes et en particulier chez

Plutarque laissent supposer une origine acadeacutemique des critiques adresseacutees agrave la thegravese

stoiumlcienne235 Comme lindique un passage du De Qualitatibus incorporeis236 la deacutemonstration de

lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes devient un locus communis des eacutecoles qui conduit agrave deacuteployer des

dans les fragments et les teacutemoignages stoiumlciens fiables raquo Mais pour nuancer cette affirmation il fautrappeler que certains textes deacutecrivent les qualiteacutes comme actives ou principes dactiviteacute du corps ndash ence sens elles remplissent le critegravere de la corporeacuteiteacute

231 Selon Antisthegravene dapregraves Simplicius In Cat 211 15-21 Voir A Brancacci [2005] p 57

232 Cf AA Long DN Sedley [1987] tr fr [2001] t II p 38

233 Selon le teacutemoignage dAtticus Fr 13 41-6 (Des Places) M Zambon ([2002] p 77-78) avance cependantque Plutarque par exemple serait peu inteacuteresseacute par la doctrine des Ideacutees Agrave ce compte toutefois oncomprendrait mal la radicaliteacute de sa critique de la corporeacuteiteacute des qualiteacutes par exemple dans le DeComm Not 50 ou les preacutecisions apporteacutees agrave ce sujet dans le Contre Colotegraves 1115e sq Plutarque resteencore assez platonicien pour avoir agrave cœur de maintenir lincorporeacuteiteacute de lecirctre

234 Cf DA 18 7-10 Cette simplification de la thegravese est reprise sans vergogne par Simplicius (SVF II 383-393)

235 I Kupreeva [2003] p 304

236 De Qualitatibus incorporeis 318 25 eacutedition Giusta (citeacutee par Kupreeva [2003] p 304) ou dans leacuteditionKuumlhn 19 481 7-10 laquo Τί δὲ ποιήσουσι πρὸς τοὺς οὐδὲ ποιεῖν φάσκοντας τὰ σώματα μόνα δὲ τὰἀσώματα τί δὲ πρὸς Ἀριστοτέλην ὃς καὶ αὐτὸς γενικὴν τῶν ὄντων διαίρεσιν ποιούμενος τὰ μὲνεἶναί φησιν οὐσίας τὰ δὲ συμβεβηκότα raquo Sur ce texte et lidentiteacute de son auteur voir P Moraux[1984] p 470-471 n 130 et les reacutefeacuterences plus reacutecentes listeacutees par I Kupreeva [2003] p 304 n 23

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

arguments bien rodeacutes parfois eacuteculeacutes237 La section du Didaskalikos dAlcinoos deacutevolue agrave ce sujet

atteste encore plus nettement de ce caractegravere scolaire agrave travers une suite de syllogismes simples

sans justification des preacutemisses

Καὶ μὴν καὶ αἱ ποιότητες τοῦτον τὸντρόπον δεικνύοιντ ἂν ἀσώματοι Πᾶν σῶμαὑποκείμενόν ἐστιν ἡ δὲ ποιότης οὐχὑποκείμενον ἀλλὰ συμβεβηκός οὐκ ἄρασῶμα ἡ ποιότης Πᾶσα ποιότης ἐνὑποκειμένῳ οὐδὲν δὲ σῶμα ἐν ὑποκειμένῳοὐκ ἄρα σῶμα ἡ ποιότης []

Εἰ δὲ αἱ ποιότητες ἀσώματοι καὶ τὸδημιουργικὸν τούτων ἀσώματον Ἔτι τὰποιοῦντα οὐκ ἂν ἄλλα εἴη ἢ τὰ ἀσώματαπαθητὰ γὰρ τὰ σώματα καὶ ῥευστὰ καὶ οὐκἀεὶ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτως ἔχοντα οὐδὲμόνιμα καὶ ἔμπεδα ἅ γε καὶ ἐν οἷς δοκεῖ τιποιεῖν πολὺ πρόσθεν εὑρίσκεται πάσχονταὥσπερ οὖν ἔστι τι παθητικὸν εἰλικρινῶςοὕτως ἀναγκαῖόν τι εἶναι καὶ ἀτρεκῶςποιητικόν οὐκ ἄλλο δὲ εὕροιμεν ἂν τοῦτο ἢἀσώματον

laquo De plus que les qualiteacutes soient incorporelles onpeut le montrer de la faccedilon suivante Tout corps estun sujet or la qualiteacute nest pas un sujet mais unaccident donc la qualiteacute nest pas un corps Toutequaliteacute est dans un sujet or aucun corps nest dans unsujet donc la qualiteacute nest pas un corps []

Et si les qualiteacutes sont incorporelles ce qui lesproduit doit lui aussi ecirctre incorporel De plus lescauses efficientes ne sauraient ecirctre autre chose que lesincorporels les corps en effet sont passibles etfluents ils ne sont jamais identiques agrave eux-mecircmes niinvariables ils nont ni stabiliteacute ni soliditeacute et mecircmelorsquils paraissent produire une action onsaperccediloit que ce sont dabord eux qui la subissentDonc de mecircme quil existe aussi quelque chose depurement passif de mecircme est-il neacutecessaire quil existeaussi quelque chose de reacuteellement actif or cela nesaurait ecirctre autre chose quincorporel raquo

(Alcinoos Enseignement des doctrines de Platon XI166 15-35 tr P Louis modifieacutee)

De mecircme que la critique platonicienne conduit agrave simplifier la position stoiumlcienne et y

injecter de la laquo qualiteacute raquo lagrave ougrave le Portique parle de laquo qualifieacute raquo de mecircme aussi le deacutebat pousse les

eacutecoles concurrentes agrave modifier leur vocabulaire traditionnel Ainsi le terme de laquo ποιότης raquo est-il

un hapax chez Platon238 et il nest eacutevidemment pas anodin que les platoniciens convertissent le

laquo ποῖον raquo stoiumlcien en une laquo ποιότης raquo La neacutecessiteacute de reacutepondre aux stoiumlciens nest ainsi pas sans

conseacutequence sur la conception meacutedio-platonicienne des Ideacutees

En effet les platoniciens travaillent agrave deacutemontrer que lincorporel est lecirctre (et

reacuteciproquement) agrave partir dun critegravere proche de celui des stoiumlciens Le texte dAlcinoos qui en

offre une version peu raffineacutee se contente de renverser la descriptions stoiumlcienne du corps les

corps en effet selon un terme extrecircmement courant agrave leacutepoque chez les platoniciens239 sont

237 On pourrait comparer terme agrave terme le passage citeacute du Didaskalikos et celui eacutegalement tregraves scolairedAlexandre dans la Mantissa sect 6

238 Platon Theacuteeacutetegravete 182a 8 Pour la reprise meacutedio-platonicienne du terme de qualiteacute cf deacutejagrave Antiochus etles reacutefeacuterences donneacutees par J Dillon [1977] p 82-83

239 Cf la note 9 de J Whittaker [1990] p 74-75 Pour une origine platonicienne Whittaker renvoie parexemple au Philegravebe 43a 3 ndash lequel renvoie sans doute aussi au mobilisme heacuteracliteacuteen

75

La meacutetaphysique comme science une enjeux

laquo ῥευστά raquo ils noffrent donc pas la reacutesistance et la consistance240 que leur accordent les stoiumlciens

Bien sucircr la soliditeacute est ici identifieacutee avec la capaciteacute de perdurer dans lecirctre et non une proprieacuteteacute

physique Selon un critegravere agrave la fois temporel et qualitatif le plus reacutesistant le plus consistant cest

ce qui nest jamais soumis agrave modification et demeure tel quen lui-mecircme Dans un geste reacutepeacutetant

le renversement platonicien les meacutedio-platoniciens proposent donc une doctrine contre-intuitive

ou litteacuteralement paradoxale241 Le manuel dAlcinoos conserve ainsi le critegravere daction et de

passion eacuteleveacute par les stoiumlciens au rang de critegravere de la corporeacuteiteacute (et donc de leacutetantiteacute) mais

introduit la coupure platonicienne au sein mecircme du couple les corps ne sont que passiviteacute et

laction est reacuteserveacutee agrave lintelligible agrave la faveur dun lien eacutetymologisant entre laquo ποιότητες raquo et

laquo ποιεῖν raquo242 Alcinoos dans la section XI tout en tentant une reacutefutation des stoiumlciens reprend la

distinction des deux principes eacuteternels de la physique du Portique un eacuteleacutement purement passif

identifieacute avec les corps en geacuteneacuteral (alors quagrave la section VIII il leacutetait avec la matiegravere laquo ni

corporelle ni incorporelle raquo du Timeacutee) et un eacuteleacutement purement actif donc incorporel agrave savoir le

deacutemiurge

On perccediloit donc deacutejagrave comment la dispute sur lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes implique des

choix philosophiques qui outrepassent la seule physique ou du moins interrogent cette derniegravere

dans ce quelle a de plus fondamental En reprenant la meacutetaphore kantienne on peut dire que

loffensive du stoiumlcisme contraint les eacutecoles concurrentes agrave assurer leurs arriegraveres agrave la faveur dun

retour agrave leurs principes fondamentaux En ce sens la reacuteponse des platoniciens agrave la question de

lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes ndash mecircme chez ceux qui reprennent sans ciller la tripartition stoiumlcienne

en logique physique eacutethique ndash ne se situe pas dans la physique proprement dite La question est

telle quAlcinoos par exemple lextirpe du champ physique et la place agrave la fin de la section

theacuteologique Selon lui en effet la theacuteologie appartient agrave la partie theacuteoreacutetique de la philosophie

240 Cf aussi le passage de Galien (SVF II 440) par exemple qui parle du laquo συνέχειν raquo des corps que leurassurent le feu et le souffle Pour lἀντιτυπία cf aussi Galien De Qualitatibus incorporeis SVF II 381

241 Cf entre autres le Pheacutedon 78c sq etc Le pheacutenomegravene savegravere dautant plus complexe que lon admetcertaines filiations ndash mecircme sur un mode critique ndash entre le stoiumlcisme et la philosophie platonicienneAinsi identifier comme le fait Alcinoos le deacutemiurge du Timeacutee au principe actif ndash dans des termesconsonants avec le dieu stoiumlcien ndash peut-il tregraves bien passer pour un juste retour de cette thegravese dans legiron du platonisme si lon admet que la theacuteologie stoiumlcienne nest pas sans racine platonicienne (cf DSedley [2002]) Sinterroger sur la part respective du platonisme dorigine et du stoiumlcisme ambiant dansla doctrine meacutedio-platonicienne constitue un champ de recherches passionnant a fortiori pour laquestion de la cosmologie du Timeacutee

242 Pour lorigine de ce lien cf J Whittaker [1990] n 215 p 108 et J Dillon [1977] p 285

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

partie qui consiste en la connaissance des eacutetants243 (expression dans laquelle on doit sans doute

donner un sens fort agrave laquo eacutetants raquo) et soppose aux parties pratique et dialectique On reconnaicirct ici

sans difficulteacute la tripartition stoiumlcienne ndash agrave ceci pregraves que la physique noccupe plus le champ

theacuteorique agrave elle seule la partie theacuteoreacutetique comprend la theacuteologie la physique et la

matheacutematique244 Lobjet de la theacuteologie ce sont preacuteciseacutement laquo les causes premiegraveres cest-agrave-dire

ltles causesgt suprecircmes et principielles raquo245 qui seront deacuteveloppeacutees par une eacutetude de la matiegravere des

Ideacutees et du Dieu avant den venir agrave la deacutemonstration de lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes Le texte du

Didaskalikos que nous citions plus haut se termine en effet par laquo Tel est donc le discours au sujet

des principes que lon pourrait appeler theacuteologique raquo246

De mecircme Numeacutenius subsume clairement le deacutebat de lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes sous la

question laquo quest-ce que leacutetant raquo qui constitue lobjet de la laquo science suprecircme raquo (Fr2) La reacuteponse

agrave cette question est en effet lincorporel dont le nom est laquo essence et ecirctre raquo Ce nom eacutetait dit

Numeacutenius laquo chercheacute depuis longtemps [πάλαι ζητούμενον] raquo247 Agrave la diffeacuterence dAlcinoos ou

de Plutarque Numeacutenius propose donc agrave partir de la question du statut de lincorporel une

theacuteologie dont les enjeux ontologiques sont explicites et assumeacutes Le point de deacutepart est

semblable ndash agrave la fois platonicien (etou pythagoricien) et stoiumlcien Dans le De bono en effet

Numeacutenius eacutecarte les candidats au titre de reacuteponses agrave la question laquo quest-ce que leacutetant raquo en

visant manifestement le corporalisme stoiumlcien248 Calcidius considegravere dailleurs que si Numeacutenius

use de la doctrine de Pythagore cest dans lobjectif de reacutefuter la doctrine stoiumlcienne des

principes249 De Platon Numeacutenius cite le passage du Timeacutee divisant ecirctre et devenir

Platon sexprime ainsi (voyons que je me rappelle la phrase) laquo Quest-ce que ce qui est

243 Alcinoos Didaskalikos 153 25-30 Voir aussi le tableau reacutecapitulatif de la division de la philosophieselon Alcinoos proposeacute par I Hadot [1990] p 77

244 Notons quAtticus lui reacuteduit la physique agrave la theacuteologie (cf Fr 1 2) tout en rappelant la deacutenominationplatonicienne dlaquo histoire de la nature raquo Sur lideacutee dun deacuteveloppement autonome de la theacuteologie agraveleacutepoque post-helleacutenistique cf RW Sharples [2002a] et [2010] p X

245 Alcinoos Didaskalikos 161 1 Le vocabulaire est ici satureacute de reacutefeacuterences tant platoniciennesquaristoteacuteliciennes Cf aussi 162 24-26

246 Alcinoos Didaskalikos 166 35-36 laquo Ὁ μὲν δὴ περὶ τῶν ἀρχῶν λόγος τοιοῦτος ἄν τις εἴη θεολογικὸςλεγόμενος raquo

247 Numeacutenius Fr 6 laquo Καὶ δῆτα λέγω τὸ ὄνομα αὐτῷ εἶναι τοῦτο τὸ πάλαι ζητούμενον raquo dans uneexpression qui consonne avec le laquo πάλαι τε καὶ νῦν καὶ ἀεὶ ζητούμενον raquo aristoteacutelicien (Met Z 11028b 2)

248 Cf Fr 4b sur la reacutefeacuterence explicite aux stoiumlciens Pour les autres lieux voir M Zambon [2002] p 205

249 Cf Fr 52 (Calcidius In Tim 297 7 sq) laquo magisterio Stoicorum hoc de initiis dogma refellens Pythagoraedogmate raquo

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

eacuteternellement et na pas de devenir Et quest-ce que ce qui devient mais na jamaislecirctre raquo()250

Entre la poleacutemique anti-stoiumlcienne et la reacutefeacuterence platonicienne sexplicite naturellement

chez Numeacutenius leacutequation entre laquo ecirctre et essence raquo divin incorporel et intelligible LApameacuteen

deacutefinit en effet le premier dieu comme laquo celui qui est raquo sinscrivant peut-ecirctre ainsi dans la

meacutetaphysique de lexode chegravere agrave Gilson251 Lidentification du dieu et de lecirctre nest dailleurs pas

circonscrite agrave lœuvre de Numeacutenius ndash mecircme si chez lui la filiation biblique est sans doute plus

claire Numeacutenius qualifie Platon de laquo Moiumlse parlant attique raquo fait preuve dune certaine

connaissance de la Bible et montre une bienveillance agrave lendroit des veacuteriteacutes deacutecouvertes par laquo les

Brahmanes les Juifs les Mages et les Eacutegyptiens raquo252 Mais deacutejagrave Plutarque dans lenquecircte Sur lE

de Delphes expliquait finalement la preacutesence dans le temple de cet E par la nature du dieu

Nous reacutepondons au dieu en lui disant laquo tu es raquo lui donnant lappellation vraie deacutepourvuede fausseteacute la seule qui ne convienne quagrave lui seul et qui soit lappellation de son ecirctre253

Mecircme Alcinoos dans leacutenumeacuteration des noms du dieu lui accorde celui dοὐσιότης254 On

est donc fondeacute agrave affirmer que les meacutedio-platoniciens agrave la faveur du deacutebat sur les qualiteacutes tentent

de renverser le stoiumlcisme en concentrant dans lincorporel lecirctre et la diviniteacute dans une deacutemarche

explicitement theacuteologique mais quil nest pas exageacutereacute de qualifier eacutegalement dontologique

Quelles conclusions tirer de cela Un constat simpose on deacutecegravele une structure de

transgression du domaine physique qui conduit rationnellement (au moins en partie) agrave la

connaissance de lecirctre et du divin Certes chez Numeacutenius comme chez Plutarque par exemple

laccegraves final agrave lecirctre se fera davantage par une sorte de vision dans le domaine supra-rationnel de

leacutepoptique255 Mais le chemin pour y parvenir est rigoureusement dialectique ou dialogique256

250 Fr 7 et Timeacutee 27d

251 Fr 13 laquo Ὁ μέν γε ὤν raquo dans une formule proche de Exode 3 14 dans la version des LXX laquo καὶ εἶπενὁ θεὸς πρὸς Μωυσῆν Ἐγώ εἰμι ὁ ὤν raquo

252 Fr 1a Pour Moiumlse cf fr 8 et les tregraves fines analyses de M Burnyeat [2005] p 143-169

253 Plutarque Sur lE de Delphes 392a laquo ἡμεῖς δὲ πάλιν ἀμειβόμενοι τὸν θεόν lsquoεἶrsquo φαμέν ὡς ἀληθῆ καὶἀψευδῆ καὶ μόνην μόνῳ προσήκουσαν τὴν τοῦ εἶναι προσαγόρευσιν ἀποδιδόντες raquo traduction FIldefonse

254 Did 164 34

255 Cf Plutarque De Iside 382d par exemple Voir I Hadot [1990] p 42

256 Cf le laquo dialogue avec soi-mecircme raquo du Fr 4a de Numeacutenius et les arguments deacuteployeacutes pour eacutetablirlincorporeacuteiteacute du premier dieu

78

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Cette eacutepoptique Cleacutement dAlexandrie lassimile agrave la laquo meacutetaphysique raquo dAristote257 et agrave la

dialectique platonicienne qui permet de deacutecouvrir lexplication ou la manifestation des eacutetants

(laquo τῆς τῶν ὄντων δηλώσεως εὑρετική τίς ἐστιν ἐπιστήμη raquo) Il semble mecircme dapregraves Calcidius

que Numeacutenius distinguait clairement leacutepoptique de la physique la physique eacutetant lieacutee agrave la

lecture du Timeacutee et leacutepoptique se reacutefeacuterant au Parmeacutenide interpreacuteteacute comme dialogue theacuteologique258

Bref contrairement agrave ce que lon avait pu croire la tripartition stoiumlcienne na pas empecirccheacute des

secteurs du savoir de se deacutetacher en sorientant vers la meacutetaphysique259 Cependant il ne suffit

pas de constater la preacutesence de theacutematiques ou de deacuteveloppements orienteacutes vers la

meacutetaphysique encore faut-il rendre raison de ce deacutebordement dune poleacutemique physique et

identifier les figures de la meacutetaphysique ici en jeu Or une objection simpose la theacuteologie et

leacutepoptique meacutedio-platoniciennes heacuteritent-elles reacuteellement de lambition totalisante et

universalisante que nous avions fixeacutee comme indice du meacutetaphysique Moins quune

meacutetaphysique na-t-on pas affaire agrave une connaissance purement reacutegionale du domaine supra-

sensible du laquo monde intelligible raquo

La reacuteponse agrave cette question qui indique simultaneacutement lorientation et le contenu de ces

deacuteveloppements meacutetaphysiques agrave leacutepoque dAlexandre tient en un mot celui de principe Dans

son Commentaire agrave Meacutetaphysique B Alexandre renvoie ainsi dos agrave dos stoiumlciens et platoniciens

laquo Ἀλλεἰ καὶ ἔστι τι καθ αὑτὸ αἴτιον παρὰτὴν ὕλην καὶ ἄλλο τί φησι δεῖν ἐπισκέψασθαιπότερον τοῦτό ἐστι κεχωρισμένον ὕλης καὶαὐτὸ καθαὑτὸ ὑφεστώς ἢ ἐν τῇ ὕλῃ ὁποῖόνἐστι τὸ ἔνυλον εἶδος καὶ ὡς τοῖς ἀπὸ τῆςΣτοᾶς ἔδοξεν ὁ θεὸς καὶ τὸ ποιητικὸν αἴτιονἐν τῇ ὕλῃ εἶναι Καὶ εἰ ἔστι τι αἴτιον χωριστὸν[17820] καὶ ἄυλον πότερον ἓν τοῦτοκατἀριθμόν ἐστιν ἢ πλείω περὶ ὧν αὐτὸς ἐντῷ Λ τῆσδε τῆς πραγματείας λέγει raquo

Mais mecircme srsquoil existe une certaine cause par soi agravecocircteacute de la matiegravere il faut selon Aristote examiner unautre point agrave savoir si cette cause est seacutepareacutee de lamatiegravere et si elle subsiste par elle-mecircme comme telleou bien si elle est dans la matiegravere comme la formedonneacutee dans la matiegravere et au sens ougrave les stoiumlcienspensaient que le dieu crsquoest-agrave-dire la cause agente estdans la matiegravere Et srsquoil existe une certaine causeseacutepareacutee et immateacuterielle [il faut examiner] si elle estune en nombre ou plusieurs ce qursquoAristote eacutetudiedans le livre Λ de ce traiteacute

(In Met 178 15-21)

Le contexte exeacutegeacutetique de cette incise dans le commentaire dAlexandre est

257 Cleacutement dAlexandrie Stromates I 28 176 2-3 laquo τέταρτον ἐπὶ πᾶσι τὸ θεολογικὸν εἶδος ἡ ἐποπτείαἥν φησιν ὁ Πλάτων τῶν μεγάλων ὄντως εἶναι μυστηρίων Ἀριστοτέλης δὲ τὸ εἶδος τοῦτο μετὰ τὰφυσικὰ καλεῖ raquo

258 Cf lanalyse et les reacutefeacuterences donneacutees par M Zambon [2002] p 59 Sur lattribution de cette division dela philosophie agrave Numeacutenius cf p 181

259 Sur leacutepoptique et son identification agrave la laquo meacutetaphysique raquo cf aussi P Hadot [1966] p 127-129 (reprisdans P Hadot [1999] p 317-319)

79

La meacutetaphysique comme science une enjeux

linterpreacutetation de B 1 995b 31 qui preacutesente la huitiegraveme aporie du livre B Quoi quil en soit des

divergences entre la preacutesentation de laporie en B 1 et son deacuteveloppement en B 4 le

questionnement en B 1 semble se concentrer sur 1) lexistence dune cause par soi immateacuterielle 2)

sa seacuteparation 3) son nombre 4) la possibiliteacute quelle soit laquo agrave cocircteacute raquo du composeacute 5) la question de

savoir si cette cause agrave cocircteacute du composeacute concerne tous les ecirctres ou seulement certains et 6) dans ce

dernier cas lesquels Dans son commentaire Alexandre divise cette preacutesentation en exposant les

questions 1 2 et 3 dun cocircteacute puis 4 5 6 comme deux apories distinctes Outre la raison de

syntaxe260 la raison exeacutegeacutetique en est sans doute quil nest pas immeacutediatement eacutevident de

comprendre en quoi sinterroger sur une cause laquo agrave cocircteacute du composeacute raquo ne reacutepegravete pas le premier

sous-groupe de questions261

Notre passage se situe donc dans la preacutesentation de ce premier sous-groupe Alexandre

identifie immeacutediatement la position selon laquelle seule la matiegravere est cause par soi comme celle

des anciens physiologues (laquo τῶν ἀρχαίων φυσικῶν τινες raquo 178 5) Ces causes (lair leau ou

lintermeacutediaire) eacutetaient donc les seules laquo par soi raquo les affections de la matiegravere neacutetant que causes

accidentelles Il est eacutetrange au premier abord de voir Alexandre se concentrer sur une branche

de la premiegravere alternative qui ne semble pas ici la plus en cause le vocabulaire mecircme dAristote

la notion de seacuteparation lapparente reacutepeacutetition de celle-ci dans le laquo παρά raquo invitent plutocirct agrave

envisager la position platonicienne Mais comme le montre le commentaire du lemme suivant

(995b34) selon Alexandre cest ce que nous avons appeleacute le laquo second groupe raquo de questions qui

interroge proprement lexistence dune forme immateacuterielle de type platonicien262 Le terme clef du

premier groupe serait donc celui de cause non celui de forme Et il est inteacuteressant de noter que le

commentaire de ce premier groupe souvre avec les anciens physiologues et sachegraveve sur une

reacutefeacuterence stoiumlcienne Alexandre recyclerait les arguments aristoteacuteliciens en les reacutecupeacuterant pour

les faire jouer contre des positions qui lui sont contemporaines via une identification entre les

positions des adversaires dAristote et celles de ses propres opposants263 En clair il sefforcerait

de se placer lui-mecircme dans ce quil comprend du contexte aristoteacutelicien par-delagrave Platon et le

260 Les deux groupes de questions semblent avoir deux sujets diffeacuterents dun cocircteacute τι παρὰ τὴν ὕληναἴτιον et de lautre τι παρὰ τὸ σύνολον

261 Voir S Broadie [2009] particuliegraverement p 138-141

262 In Met 179 1-5 laquo εἴη δἂν διὰ μὲν τῆς πρὸ ταύτης ἀπορίας ζητῶν εἰ ἔστι τι παρὰ τὴν ὕλην καὶἄλλο αἴτιον καθ αὑτό καὶ εἰ ἔστι πότερον κεχωρισμένον ὕλης ἢ σὺν ὕλῃ καὶ αὐτό διὰ δὲ τῆςδευτέρας ἁπλῶς εἰ ἔστι τι εἶδος ἄυλον raquo

263 Pour un autre exemple cf le laquo recyclage raquo contre les stoiumlciens des arguments aristoteacuteliciens contre lesSophistes In Met 301 18

80

La meacutetaphysique comme science une enjeux

mateacuterialisme des preacutesocratiques pour Aristote par-delagrave les meacutedio-platoniciens et le mateacuterialisme

stoiumlcien pour lui-mecircme

Malgreacute cette insistance il semble bien que dans notre extrait la premiegravere branche de

lalternative renvoie aux platoniciens Toutefois ladjectif laquo χώριστος raquo se lit tregraves peu souvent

chez les meacutedio-platoniciens On le trouve par exemple sous linspiration peut-ecirctre de E 1 dans

un passage dAlcinoos264 au neacutegatif (ἀχώριστα) pour deacutesigner les formes engageacutees dans la

matiegravere et donc inseacuteparables delles par opposition aux Ideacutees les premiers intelligibles dont on

peut deacuteduire quelles sont seacutepareacutees de la matiegravere Le participe laquo κεχωρισμένον raquo est lui aussi

rare mais Atticus sen sert dans un fragment qui semble pertinent pour notre propos et dont nous

sommes deacutesormais en mesure de saisir les enjeux poleacutemiques Dans ce fragment 5 Atticus

vilipende Aristote qui en laquo mauvais imitateur raquo naurait fait quinducircment transfeacuterer les

proprieacuteteacutes dimpassibiliteacute et dincorruptibiliteacute agrave des reacutealiteacutes ne les meacuteritant pas par exemple les

astres Or reacutetorque Atticus un corps ne peut ecirctre impassible Si une reacutealiteacute est κεχωρισμένον et agrave

part de la matiegravere alors elle est incorporelle265 Malgreacute ces rareteacutes lexicales la description des

Ideacutees platoniciennes comme laquo seacutepareacutees raquo nest donc pas absente de leacutepoque alexandrinienne ndash

sans compter quagrave limage du doublet laquo αὐτὸ καθαὑτό raquo elle deacutecoule naturellement du contexte

aristoteacutelicien dans lequel se trouve Alexandre

Plus inteacuteressante est la formulation employeacutee par Alexandre pour deacutecrire la position

stoiumlcienne Comme la tregraves bien montreacute V Cordonier ces modifications lexicales apporteacutees par

Alexandre agrave la doctrine stoiumlcienne sont reacuteveacutelatrices de son propre projet Elles forment en

quelque sorte des reacuteeacutecritures de termes stoiumlciens en vocabulaire aristoteacutelicien ou plutocirct

peacuteripateacuteticien266 Alexandre transforme en effet le laquo ποιοῦν raquo du Portique en laquo ποιητικόν raquo et le

laquo λόγος raquo en laquo ἔνυλον εἶδος raquo Or le choix de ces termes par les stoiumlciens nest sans doute pas

anodin Laissons ici de cocircteacute la transformation du ποιοῦν en ποιητικόν agrave propos de laquelle il

faudrait se demander si eacutetant poseacute la diffeacuterence entre lefficience stoiumlcienne et llaquo agence raquo

aristoteacutelicienne il ny a pas contamination de la seconde par la premiegravere chez lAphrodisien

La seconde traduction est plus importante pour notre propos Du point de vue lexical et

historique il eacutetait sans doute plus aiseacute de concevoir un λόγος totalement immanent le refus

264 Alcinoos Didaskalos 155 40

265 Atticus Fr 5 71-74 (Des Places) laquo Εἰ δέ τι ἀπαθὲς εἴη τοῦτο ἀφειμένον καὶ ἐλεύθερον ἀπὸ τοῦπάσχοντος εἶναι δεῖ ὥστε χωρὶς ἂν εἴη τῆς ὕλης ἧς κεχωρισμένον ἀσώματον ἀναγκαίωςὁμολογοῖτ ἄν raquo

266 Lexpression ἔνυλον εἶδος ne se lit pas chez Aristote

81

La meacutetaphysique comme science une enjeux

stoiumlcien des Ideacutees a donc ducirc jouer dans labandon dεἶδος267 Pourquoi alors cette reacuteeacutecriture (dont

Alexandre serait au surplus le premier auteur) La reacuteponse proposeacutee par V Cordonier est agrave la

fois ingeacutenieuse et peut-ecirctre trop contourneacutee Pour comprendre cette traduction du λογὸς en

εἶδος V Cordonier part en effet des deacuteterminations de la matiegravere selon Aetius Sans qualiteacute ni

figure (ἄμορφον ἀνείδεον ἀσχημάτιστον ἄποιον et pourtant σωματοειδῆ268) la matiegravere

premiegravere se deacutecrit par la neacutegativiteacute et la privation Selon V Cordonier il est tout agrave fait possible

quAlexandre reprenant agrave son compte cette description de la matiegravere ait laquo projeteacute raquo les

laquo eacutequivalents positifs raquo des adjectifs privatifs pour deacutecrire le principe actif stoiumlcien269

La chose nous semble agrave la fois plus simple et plus massive comme laquo λόγος raquo le dieu

stoiumlcien est ce qui vient laquo qualifier raquo la matiegravere donc la deacuteterminer (dans tous les sens du terme)

Pour un aristoteacutelicien comme pour les platoniciens cela est lœuvre dun principe intelligible ndash

seacutepareacute ou non De mecircme que les platoniciens reprennent le vocabulaire stoiumlcien de la qualiteacute (le

ποῖον ou plutocirct dans la version meacutedio-platonicienne la ποιότης) de mecircme Alexandre peut-il

appeler εἶδος le principe stoiumlcien de qualification des corps la conversion ou la traduction

fonctionne dans les deux sens

Linteacutegration des stoiumlciens dans un deacutebat meacutetaphysique sur les principes est ainsi

accomplie par Alexandre Or cette inteacutegration est rendue possible par la nature mecircme du

discours stoiumlcien Si comme le dit J Brunschwig la meacutetaphysique a geacuteneacuteralement agrave voir avec une

science des principes premiers alors la physique du Portique nen est en effet pas tregraves eacuteloigneacutee270

Puisque pour les stoiumlciens ecirctre cest ecirctre un corps cest la physique qui prend la position de

philosophie premiegravere271 et qui en assume les ambitions dans sa partie speacutecifique la physique

preacutetend en effet ecirctre une eacutetude rationnelle de lensemble de la reacutealiteacute et de ses constituants

267 Les stoiumlciens ont donc preacutefeacutereacute des verbes plus concrets comme laquo σχηματίζω raquo ou laquo μορφόω raquo cf VCordonier [2008] p 364

268 Aetius Placita I 9 2-5 p 307 sq

269 V Cordonier [2008] p 365

270 J Brunschwig [2003] p 208-209 Cf aussi AA Long DN Sedley [1987] tr fr [2001] t II p 239 ougrave ALong et D Sedley nheacutesitent pas agrave identifier la partie speacutecifique de la physique avec la philosophiepremiegravere dAristote On se rappelle que selon la distinction opeacutereacutee par DL VII 132-133 la physiquespeacutecifique a cinq objets corps principes eacuteleacutements dieux ltlimite lieu et videgt et ces objets sontpropres agrave la seule physique La partie geacuteneacuterique soccupe de trois objets monde eacuteleacutements recherchedes causes Ces objets peuvent ecirctre pris en charge par dautres disciplines Cf MJ White [2003] p 125et J Brunschwig [2003] p 206-208

271 Nous prenons ce terme ici en un sens large et fonctionnel par opposition avec lideacutee que la physiqueserait seulement philosophie seconde ndash cest ce que font eacutegalement J Brunschwig et A Long etD Sedley (cf note preacuteceacutedente) Cf ci-dessous sect 122c

82

La meacutetaphysique comme science une enjeux

premiers et universels La nature selon le Portique est laquo ce qui fait tenir le monde ensemble raquo ou laquo ce

qui fait pousser les choses sur la terre raquo272 La physique a ainsi pour objet principal ce qui

maintient la coheacutesion (συνέχειν)273 du monde compris comme lensemble de ce qui est Le

Portique conccediloit le monde (et donc lecirctre) comme menaceacute par un neacuteant agrave venir (sans quoi on ne

chercherait pas ce qui permet cette coheacutesion) et la physique doit rendre raison de ce qui fait tenir

le monde entre deux embrasements cycliques

Pour ce faire les stoiumlciens posent deux laquo principes raquo qui contrairement par exemple aux

eacuteleacutements ne subissent pas lembrasement peacuteriodique et permettent une continuiteacute de lecirctre

Lembrasement est le moment ougrave la laquo biographie raquo du dieu ne sidentifie plus agrave celle du monde274

et ougrave le dieu et la matiegravere manifestent leur statut principiel Mais le dieu et la matiegravere ne sont pas

seulement des principes du devenir ils sont aussi indissolublement principes eacutepisteacutemologiques

Ce nest pas un hasard sil y a homologie entre les critegraveres de corporeacuteiteacute (la capaciteacute dagir et de

pacirctir) et les principes ultimes Le dieu et la matiegravere nexpliquent pas seulement pourquoi les

choses sont mais aussi pourquoi elles sont ce quelles sont ndash et par-lagrave ce que lon peut en dire ou

en penser Dans un remarquable souci deacuteconomie comme le disent A Long et D Sedley la

matiegravere et le dieu laquo donnent agrave eux deux le fondement meacutetaphysique de tout eacutenonceacute sur le monde

puisque preacutediquer une proprieacuteteacute dun sujet nest rien dautre que de deacutecrire une qualiteacute ou une

disposition de dieu dans la matiegravere raquo275

Nous sommes donc deacutesormais en mesure de comprendre pourquoi le deacutebat physique sur

la corporeacuteiteacute ou non des qualiteacutes a neacutecessairement conduit les eacutecoles adverses agrave une mise au

point theacuteologique et meacutetaphysique theacuteologique parce que la raison des qualiteacutes dans les corps

reacuteside dans le dieu et provient de lui meacutetaphysique parce quil est ici question des principes du

devenir et du sens du monde La notion mecircme dune connaissance des principes de la totaliteacute du

reacuteel souscrit en effet aux critegraveres que nous avions deacutegageacutes comme indice dune meacutetaphysique

elle implique agrave la fois une quecircte de rationaliteacute (le principe rend raison de ce dont il est principe)

272 DL VII 148 laquo φύσιν δὲ ποτὲ μὲν ἀποφαίνονται τὴν συνέχουσαν τὸν κόσμον ποτὲ δὲ τὴν φύουσαντὰ ἐπὶ γῆς raquo

273 Le terme est encore reacutepeacuteteacute une ligne plus loin la nature via les laquo σπερματικοί λόγοι raquo conduit agravelachegravevement et agrave la coheacutesion laquo ἀποτελοῦσά τε καὶ συνέχουσα raquo On a vu ci-dessus comment cettelaquo coheacutesion raquo est pour les stoiumlciens la marque de lecirctre cest-agrave-dire des corps

274 Pour cette belle meacutetaphore selon laquelle le Feu artisan nest pas seacutepareacute du monde et dont lalaquo biographie est coextensive agrave celle du monde quil creacutee raquo cf AA Long DN Sedley [1987] tr fr[2001] t II p 261

275 AA Long DN Sedley [1987] tr fr [2001] t II p 247

83

La meacutetaphysique comme science une enjeux

et conserve neacutecessairement une vocation totalisante

Quen est-il chez les platoniciens Comme on la noteacute poser une reacutegion de lecirctre plus

stable et plus peacuterenne seacutepareacutee de celle du devenir (ainsi que le fait Plutarque agrave la fin du traiteacute sur

LE de Delphes276) ne suffit pas pour constituer une meacutetaphysique Mais la puissance laquo archique raquo

ou principielle des objets de la theacuteologie deacuteveloppeacutee par certains meacutedio-platoniciens va au-delagrave

de ce seul geste La vocation totalisante de la theacuteologie nest pas toujours perceptible dans un

manuel comme le Didaskalikos du fait de son mode dexposition scolaire et la deacutefinition de la

theacuteologie comme science des laquo causes premiegraveres cest-agrave-dire ltles causesgt suprecircmes et

principielles raquo277 semble parfois bien nominale Le projet de fondation des corps naturels par la

theacuteologie est plus perceptible dans les fragments de Numeacutenius De fait ce dernier remonte au

principe apregraves en avoir montreacute la neacutecessiteacute pour que les corps fluents puissent se maintenir dans

lecirctre En effet

Ἀλλὰ τί δή ἐστι τὸ ὄν ἆρα ταυτὶ τὰστοιχεῖα τὰ τέσσαρα ἡ γῆ καὶ τὸ πῦρ καὶ αἱἄλλαι δύο μεταξὺ φύσεις ἆρα οὖν δὴ τὰὄντα ταῦτά ἐστιν ἤτοι συλλήβδην ἢ καθ ἕνγέ τι αὐτῶν

ndash Καὶ πῶς ἅ γέ ἐστι καὶ γενητὰ καὶπαλινάγρετα εἴ γ ἔστιν ὁρᾶν αὐτὰ ἐξἀλλήλων γιγνόμενα καὶ ἐπαλλασσόμενακαὶ μήτε στοιχεῖα ὑπάρχοντα μήτεσυλλαβάς

ndash Σῶμα μὲν ταυτὶ οὕτως οὐκ ἂν εἴη τὸὄν Ἀλλ ἄρα ταυτὶ μὲν οὔ ἡ δὲ ὕλη δύναταιεἶναι ὄν

ndash Ἀλλὰ καὶ αὐτὴν παντὸς μᾶλλονἀδύνατον ἀρρωστίᾳ τοῦ μένειν ποταμὸςγὰρ ἡ ὕλη ῥοώδης καὶ ὀξύρροπος βάθος καὶπλάτος καὶ μῆκος ἀόριστος καὶ ἀνήνυτος

Mais quest-ce donc que leacutetant Seraient-ce cesquatre eacuteleacutements la terre le feu les deux autresnatures intermeacutediaires Seraient-ils donc enfin leseacutetants soit en bloc soit isoleacutement ndash Et comment (le seraient-ils) sagissant de chosesengendreacutees et susceptibles de meacutetamorphosespuisquon peut les voir naicirctre les uns des autressalteacuterer ne subsister ni comme eacuteleacutements ni commeagreacutegats ndash Ainsi en tant que corps ces eacuteleacutements ne seront pasleacutetant Mais peut-ecirctre si eux ne le sont pas lamatiegravere elle sera leacutetant ndash Mais elle aussi en est plus que tout incapableimpuissante quelle est agrave demeurer dans le mecircmeeacutetat car cest un fleuve impeacutetueux et instable que lamatiegravere elle est en profondeur en largeur enlongueur indeacutefinie et illimiteacutee

(Fr 3tr Des Places modifieacutee)

Degraves lors

Τὰ σώματα τῇ οἰκείᾳ φύσει τρεπτὰ ὄντακαὶ σκεδαστὰ καὶ διόλου εἰς ἄπειρον τμητάμηδενὸς ἐν αὐτοῖς ἀμεταβλήτουὑπολειπομένου δεῖται τοῦ συνέχοντος καὶσυνάγοντος καὶ ὥσπερ συσφίγγοντος καὶσυγκρατοῦντος αὐτά ὅπερ ψυχὴν λέγομεν

Les corps eacutetant par leur nature proprechangeants susceptibles de se dissiper etinteacutegralement divisibles agrave linfini sans que demeureen eux rien dimmuable il leur faut quelque chose quiles contienne les rassemble les lie ensemble pourainsi dire et les retienne ensemble ce que

276 Agrave partir de 392a

277 161 1 et 162 24-26

84

La meacutetaphysique comme science une enjeux

preacuteciseacutement nous appelons une acircme(Fr 4b 5-9

tr Des Places modifieacutee)

On notera agrave nouveau le vocabulaire de la coheacutesion du rassemblement par opposition agrave

une matiegravere vue comme seacutecoulant de toute part Dun cocircteacute donc les corps parce quils sont

mateacuteriels peuvent ecirctre deacutecrits comme volatiles ou liquides mais de lautre ils ont bien malgreacute

tout une certaine soliditeacute qui rend raison des erreurs du mateacuterialisme naiumlf et du corporalisme

stoiumlcien Pour un stoiumlcien dans une peacuteriode situeacutee entre deux embrasements les corps sont le

modegravele mecircme de la consistance et de la reacutesistance alors que pour les platoniciens ils sont par

leur nature propre perpeacutetuellement soumis agrave la dissolution et menaceacutes par le neacuteant Surtout

selon les platoniciens lerreur des stoiumlciens est deacutechouer dans leur preacutetention de fondation de

cette coheacutesion des corps En effet lanalyse (ici restreinte par Numeacutenius aux corps vivants) insiste

sur la neacutecessiteacute de poser un principe de coheacutesion qui soit heacuteteacuterogegravene et extrinsegraveque agrave son

principieacute il ny a pas simple chaicircne de causaliteacute Cest pourquoi Numeacutenius poursuit laquo on a

montreacute que tout corps requiert de quoi le maintenir [δεῖσθαι τοῦ συνέχοντος] et il en ira ainsi agrave

linfini jusquagrave ce que nous parvenions agrave lincorporel raquo (Fr 4b)

Entre les stoiumlciens et les meacutedio-platoniciens Alexandre se situe donc lui-mecircme agrave

lintersection des deux impeacuteratifs agrave la fois contradictoires et propres agrave tout principe Le principe

doit ecirctre simultaneacutement lieacute agrave ce dont il est le principe pour pouvoir le fonder et seacutepareacute pour en

eacuteviter la contingence278 Un principe purement homogegravene agrave ce dont il est le principe risque de

deacutechoir en simple cause parmi dautres ou en simple eacuteleacutement et ne pouvoir assumer son statut

premier Un principe totalement deacutetacheacute de ses effets perd sa puissance agrave la fois explicative et

ontologique et se recroqueville comme un dieu eacutepicurien dont on na que faire ndash comme aussi

justement un dieu aristoteacutelicien selon lattaque dAtticus qui renvoie dos agrave dos Eacutepicure et

Aristote279

Le deacutefaut des platoniciens de leacutepoque et pour autant quon puisse en juger leur

infeacuterioriteacute par rapport agrave Plotin cest peut-ecirctre ce manque de deacuteveloppement sur la relation

ontologique280 des principes agrave leurs effets La chose a agrave voir avec une tendance au dualisme ndash non

278 Voir par exemple les analyses de S Roux [2004] p 14 sq et B Mabille [2006]

279 Atticus Fr 3 52-57 Des Places Sur ce texte et le deacutefi quil pose aux aristoteacuteliciens cf RW Sharples[2002] et ci-dessous sect 333

280 On laisse de cocircteacute ici la relation eacutethique que peut impliquer la thegravese dune Providence

85

La meacutetaphysique comme science une enjeux

sans lien avec la vogue de la gnose Cest pourquoi agrave notre connaissance les deacuteveloppements sur

la participation par exemple sont quasi absents des corpus281 Il reste quon lit dans le meacutedio-

platonisme une reprise de la tentative acadeacutemicienne de poser ces principes ultimes que sont lun

et la dyade282 ie des principes qui soient conditions de possibiliteacute agrave la fois de lecirctre des corps et

de la connaissance en geacuteneacuteral On y lit aussi une reacuteflexion sur la Providence qui si elle ne se

deacuteveloppe pas prioritairement du cocircteacute des effets ontologiques de la puissance divine les eacutevoque

cependant283 Mais la seacuteparation des laquo mondes raquo sensible et intelligible propre au meacutedio-

platonisme284 rendra neacutecessaire une nouvelle penseacutee de la maniegravere dont le principe fonde

Pour le stoiumlcien la corporeacuteiteacute du qualifieacute provient de laction du feu divin sur la matiegravere

premiegravere mais degraves lors que la causaliteacute est reacuteduite agrave lefficience dun corps285 et que le dieu est un

principe automoteur (preacuteciseacutement pour eacuteviter la reacutegression agrave linfini) il doit ecirctre cause

laquo sustentatrice raquo et neacutecessairement immanent agrave ce sur quoi il agit Selon la formule rapporteacutee par

Alexandre laquo Rien dans le monde en effet nest ni ne devient sans cause parce que rien dans le

monde nest deacutelivreacute ni seacutepareacute de tout ce qui le preacutecegravede raquo286 Tout le problegraveme est cependant de

comprendre comment cette cause par excellence ce principe quest le dieu peut lui-mecircme ecirctre dit

laquo corps raquo sans tomber dans la reacutegression agrave linfini que tous se sont plu agrave railler287 et si son

caractegravere automoteur suffit pour en garantir la principialiteacute

114 Conclusions trois reacutequisits pour la meacutetaphysique alexandrinienne

Quil y ait une (ou laquo de la raquo) meacutetaphysique agrave leacutepoque post-helleacutenistique est discutable si

281 Toutefois cette mise en retrait du concept de participation est peut-ecirctre aussi lieacutee agrave lalaquo subjectivisation raquo des Ideacutees (lexpression est de J-F Pradeau [2003] p 25) deacutesormais comprisescomme penseacutees du deacutemiurge

282 Pour une reprise numeacutenienne de ces thegravemes cf Fr 11 et 39 Plutarque est plus prolixe sur lun et ladyade cf par exemple De Iside 354f 370e 374a etc Pour lorigine acadeacutemicienne de la doctrine de lunet de la dyade cf M Isnardi Parente [1981]

283 Sur la providence dans le meacutedio-platonisme voir par exemple M Dragona-Monachou [1994] Sur ladoctrine des principes voir M Zambon [2002]

284 J Laurent [2002] p 57 sq J-F Pradeau [2003] p 26

285 Sextus M IX 211 (SVF II 341 et LS 55B) Pour lidentification du dieu agrave laquo la raquo cause cf Seacutenegraveque Lettre65 2 (LS 55E)

286 De fato XXII 43 20-22 (Thillet) Pour ces chaicircnes causales cf aussi Ciceacuteron De div I 126

287 Cf Plutarque De Comm Not 50 Pour une tentative de reacutesolution de ce problegraveme cf M Frede [2005]

86

La meacutetaphysique comme science une enjeux

lon entend par lagrave un champ deacutelimiteacute du savoir un espace eacutepisteacutemique deacutefini commun aux

diffeacuterents auteurs par-delagrave les divergences scolaires Certes dans le meacutedio-platonisme se font

jour des tentatives pour surmonter la tripartition logique-physique-eacutethique pour eacutelaborer une

theacuteologie et ce qui se rapproche dune meacutetaphysique Mais ces tentatives seffectuent encore ndash agrave

notre connaissance ndash en labsence de probleacutematisation du statut eacutepisteacutemologique de la

meacutetaphysique

Quil y ait laquo du raquo meacutetaphysique de puissantes tendances inheacuterentes aux deacutebats post-

helleacutenistiques faisant signe vers le meacutetaphysique cela nous paraicirct en revanche incontestable Or

ces diffeacuterentes tendances ont quant agrave elles pu laquo faire contexte raquo pour Alexandre Vont dans ce

sens les deacuteveloppements stoiumlciens sur les universaux ou lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes qui nous ont

servi dexemples types ou du cocircteacute platonicien la renaissance dun platonisme dogmatique de la

doctrine des Ideacutees de lideacutee dun premier dieu qui est lecirctre Certes dans le contexte de lExeacutegegravete

ces questionnements meacutetaphysiques se font agrave loccasion de deacutebats plus laquo brucirclants raquo mais ils ont

bien comme le dit J Brunschwig un statut meacuteta-philosophique ndash meacuteta-physique ou meacuteta-

logique288

Si donc comme lon peut penser au premier abord Alexandre marque une reviviscence

meacutetaphysique il faut preacuteciser Dune part lExeacutegegravete sinscrit dans les deacutebats quon peut qualifier a

posteriori de meacutetaphysiques Dautre part son innovation doit ecirctre chercheacutee du cocircteacute de la

constitution de la meacutetaphysique en science La contextualisation permet donc si ce nest de

rendre raison du moins deacuteclairer les deacutefis que doit affronter une meacutetaphysique aristoteacutelicienne agrave

leacutepoque post-helleacutenistique Eu eacutegard agrave son contexte et degraves lors quAlexandre sinteacuteresse agrave la

meacutetaphysique et entreprend de commenter la Meacutetaphysique289 il se doit en effet

1) De procurer aux questions quon vient deacutenoncer un statut eacutepisteacutemique et de lutter contre

leur dispersion en minant de linteacuterieur la tripartition logique-physique-eacutethique Par

statut eacutepisteacutemique il faut entendre agrave la fois la meacutethode dune science mais surtout et au

premier chef son uniteacute interne et sa deacutelimitation

2) De reacuteaffirmer luniversaliteacute de lecirctre en luttant contre sa reacutetrogradation On a pu dire que

la deacutetermination neacuteoplatonicienne du premier principe comme au-delagrave de lecirctre neacutetait

288 J Brunschwig [2003] p 209

289 Sur ce point bute lentreprise de contextualisation et telle est la limite du pouvoir explicatif ducontexte la raison pour laquelle Alexandre se reacute-inteacuteresse agrave la meacutetaphysique comme science demeuredans lombre Le contexte permet agrave tout le moins de diagnostiquer ici par eacutecart linnovation

87

La meacutetaphysique comme science une enjeux

pas sans rapport avec la theacuteorie stoiumlcienne du τι comme genre suprecircme290 Cette thegravese

semble difficile agrave confirmer historiquement mais il reste quAlexandre se situe bien au

croisement de deux attaques magistrales contre luniversaliteacute ou la primauteacute de lecirctre Agrave

cet eacutegard le geste alexandrinien peut paraicirctre ici comme ailleurs selon le mot de M

Rashed laquo reacuteactionnaire raquo comme plus geacuteneacuteralement le laquo retour agrave la science theacuteoreacutetique

pure raquo quil procircne291 Le contexte est ici ce agrave quoi le penseur reacutesiste sil le deacutetermine cest

neacutegativement

3) De concevoir enfin un principe du monde qui ne soit ni purement immanent ni

totalement seacutepareacute

Comme on voit ces trois projets correspondent agrave des poleacutemiques que nous avons

abordeacutees dans ce qui preacutecegravede Ils correspondent eacutegalement aux trois critegraveres que nous avions

deacutetermineacutes pour deacuteceler la preacutesence du meacutetaphysique agrave leacutepoque dAlexandre le principe de

rationaliteacute lambition duniversaliteacute et la recherche du fondement ou du principe Linstitution

alexandrinienne de la meacutetaphysique se comprend donc sur le fond de lencyclopeacutedisme de son

eacutepoque et de son opposition aux autres eacutecoles la notion dune philosophie premiegravere est le propre

et la marque du neacuteo-aristoteacutelisme alexandrinien

Mais contextualiser linstitution alexandrinienne de la meacutetaphysique cest aussi faire

droit agrave lœuvre du commentateur On a souhaiteacute le souligner dentreacutee de jeu lAphrodisien est un

philosophe et sa lecture exige agrave ce titre les mecircmes meacutethodes dhistoriographie quon applique

couramment aux stoiumlciens ou aux platoniciens post-helleacutenistiques Le lire dans son seul face-agrave-

face avec le texte aristoteacutelicien sub specie aeternitatis cest manquer la reacutealiteacute (lrsquohistoriciteacute) de son

geste philosophique En revanche loin decirctre contradictoire avec une approche purement

exeacutegeacutetique de lœuvre alexandrinienne notre tentative de contextualisation achemine

naturellement vers celle-ci Philosophe Alexandre lest indissociablement en ce quil est exeacutegegravete

Et linstitution de la meacutetaphysique comme science une ressortit eacutevidemment agrave cette activiteacute

interpreacutetative

290 Il sagit de P Hadot [1968] p175 sq Voir toutefois les arguments de P Aubenque [1991] [2009a] p320

291 M Rashed [2007b] p 317 n 864

88

La meacutetaphysique comme science une enjeux

12 Alexandre exeacutegegravete Uniteacute des noms uniteacute du traiteacute

121 Luniteacute de la laquo πραγματεία raquo

On vient de voir comment le projet alexandrinien dune meacutetaphysique eacutemerge dans un

contexte ougrave en leacutetat de nos sources la meacutetaphysique nexiste pas comme science constitueacutee Mais

degraves lors quAlexandre se donne pour objectif de la reacuteinteacutegrer dans le champ scientifique de son

eacutepoque il lui incombe deacutetablir et dassurer son uniteacute Cela rend raison de la maniegravere dont

lExeacutegegravete lit le traiteacute lui-mecircme Si comme nous en faisons lhypothegravese linterpreacutetation

alexandrinienne a contribueacute agrave autonomiser la meacutetaphysique comme science en la deacutetachant de

son origine textuelle (faire de la meacutetaphysique ne se reacuteduirait plus agrave lire et eacutetudier Aristote) il

nen demeure pas moins quAlexandre est dabord un commentateur Alexandre identifie ainsi

meacutetaphysique et Meacutetaphysique tout en rendant possible leur deacutecollement ulteacuterieur La position

laquo unitarienne raquo dont on fait lhypothegravese chez Alexandre salimente en effet dune entente stricte

de luniteacute litteacuteraire de la Meacutetaphysique

Pourtant en bonne logique une position unitarienne quant agrave lobjet et la structure de la

science meacutetaphysique ie laffirmation de son laquo uniteacute theacuteorique raquo292 nimplique pas

neacutecessairement laffirmation de luniteacute de composition du traiteacute On peut tregraves bien tout agrave la fois

concevoir luniteacute du projet aristoteacutelicien dune philosophie premiegravere mais admettre que le traiteacute

exposant celle-ci preacutesente des irreacutegulariteacutes de reacutedaction voire quil nest pas un laquo livre raquo que cest

une laquo chimegravere raquo293 Lun des moyens dassurer cette uniteacute theacuteorique peut mecircme ecirctre de se

deacutebarrasser de la diversiteacute des objets que le traiteacute passe en revue en tirant argument de

292 A Jaulin [1999]

293 A Jaulin [2003] p 11

89

La meacutetaphysique comme science une enjeux

linauthenticiteacute de sa composition On montrerait ainsi que le projet dune science de leacutetant en

tant queacutetant est celui dune science unifieacutee qui ne concurrence pas une autre science speacuteciale et

subordonneacutee la theacuteologie dE 1 et du livre Λ que cest une erreur dinterpreacutetation qui a pousseacute

les eacutediteurs agrave rassembler sous un mecircme ensemble des textes quen fait ils ne comprenaient pas

reacuteellement

Alexandre est agrave mille lieues de ces tendances Non que celles-ci soit reacuteserveacutees aux

interpreacutetations qui nous sont contemporaines comme on va le voir il y a sans doute eu degraves

avant Alexandre des lecteurs qui ont douteacute que la Meacutetaphysique fucirct un livre LExeacutegegravete aurait

donc tregraves bien pu lui aussi proceacuteder agrave une critique de la composition du traiteacute pour salleacuteger de

certains problegravemes connus Au contraire lAphrodisien fait preuve dune option hermeacuteneutique

dautant plus forte quelle ne simplifie pas son travail de commentateur selon lui la

Meacutetaphysique telle quil la possegravede est ordonneacutee coheacuterente rien ne doit ecirctre deacuteplaceacute ou en ecirctre

retireacute Le traiteacute unifieacute preacutesente une science une

Cest ce quindique lambiguiumlteacute de lemploi alexandrinien de laquo πραγματεία raquo On le sait le

terme embarrassant pour les traducteurs deacutesigne aussi bien leacutetude la doctrine et en

loccurrence une science que le traiteacute au sens physique dun ensemble de livres Conformeacutement

aux emplois courants du terme Alexandre emploie laquo πραγματεία raquo pour dire lun autant que

lautre ndash au sens ougrave comme le dira V Cousin laquo elle [la meacutetaphysique] est tout autant dans cet

ensemble [la Meacutetaphysique] raquo294 Aussi quand Alexandre soutient que cest sur la sagesse que

porte laquo ἡ προκειμένη πραγματεία raquo295 est-il difficile de ne pas y entendre les textes

aristoteacuteliciens De mecircme lorsquil se reacutefegravere aux diffeacuterents livres qui composent la πραγματεία296

Le sens premier de laquo πραγματεία raquo cependant reperce quand le terme deacutesigne une

294 V Cousin dans KL Michelet [1836] si Andronicos avait composeacute louvrage Meacutetaphysique alors laquo ceserait un homme du plus beau geacutenie puisquil aurait creacuteeacute lensemble de la Meacutetaphysique cest-agrave-direla Meacutetaphysique elle-mecircme car elle est tout entiegravere dans cet ensemble cest cet ensemble qui nous enmanifeste la meacutethode la marche les proceacutedeacutes raquo p XXV (nous reproduisons la typographie qui laisseeacutevidemment dans lambiguiumlteacute la question de savoir si lon a affaire au traiteacute ou agrave la science) Lamusantest que V Cousin reacutesumant Michelet sen sert dargument pour refuser la paterniteacute de la Meacutetaphysiqueagrave Andronicos dans un syllogisme du type la Meacutetaphysique est un ouvrage de geacutenie si Andronicoslavait composeacutee il en serait un (or ndash preacutemisse sous-entendue sans doute si eacutevidente quil seraitineacuteleacutegant de la dire ndash Andronicos nest pas un geacutenie) il ne peut donc ecirctre lauteur de la Meacutetaphysiquelaquo comme ce nest ni Lycurgue ni Pisistrate qui ont fait lIliade raquo

295 In Met 6 2-3 laquo συνιστὰς καὶ δεικνὺς ὅτι μάλιστα τῆς σοφίας ἐστὶν ἴδιον τὸ τὰς αἰτίαςγιγνώσκειν περὶ ἧς ἡ προκειμένη πραγματεία raquo

296 Par exemple la reacutefeacuterence agrave M en In Met 111 13-14 laquo λέγει δὲ περὶ αὐτῶν ἐν τῷ Μ τῆσδε τῆςπραγματείας raquo ou agrave Λ en 178 21 Voir aussi 169 22-23 172 21-22 179 33 201 20

90

La meacutetaphysique comme science une enjeux

certaine recherche celle qui nous est proposeacutee ici par le traiteacute ndash donc une activiteacute qui nest pas le

traiteacute lui-mecircme puisquelle en fait lobjet Alexandre commente en effet la subordonneacutee de 982a

4 laquo ἐπεὶ δὲ ταύτην τὴν ἐπιστήμην ζητοῦμεν raquo en compleacutetant laquo τουτέστιν ἐπειδὴ ἡ

προκειμένη ἡμῖν πραγματεία ζήτησίς ἐστι ταύτης τῆς ἐπιστήμης δεῖ ἰδεῖν περὶ ποῖά ἐστιν

ἐπιστήμη ἡ ζητουμένη raquo (8 19-21) De surcroicirct le thegraveme de la naturaliteacute de cette πραγματεία

peut difficilement sappliquer au traiteacute lui-mecircme297

Neacuteanmoins la distinction entre les deux sens est parfois tregraves malaiseacutee Par exemple la

laquo πραγματεία raquo nommeacutee par Aristote laquo theacuteologie raquo deacutesigne-t-elle la science elle-mecircme ou lun

des noms possibles du traiteacute298 De mecircme l laquo ἀποδεικτικὴν πραγματείαν raquo qui pourrait laquo en

un sens raquo faire partie de la philosophie299 deacutesigne-t-elle le(s) traiteacute(s) selon la traduction

dA Madigan ou plutocirct leacutetude que megravene lOrganon

Une maniegravere de reacutepondre serait de soutenir que lambiguiumlteacute est sinon volontaire du

moins eacuteloquente Le passage par meacutetonymie300 du traiteacute qui lexpose agrave leacutetude pourrait signaler un

certain rapport agrave leacutecrit bien diffeacuterent de celui de leacutepoque classique Pour le dire briegravevement il

ne serait pas absurde de soutenir quagrave laube de lEgravere des Commentateurs une science consiste

autant en une disposition de lacircme quen louvrage qui lexpose ou que tout au moins un lien

puissant unit ces deux modes decirctre

En ce sens lambiguiumlteacute du premier commentaire agrave B 1 sen trouverait fondeacutee Le texte

ceacutelegravebre est le suivant

Ἡ μὲν ἐπιζητουμένη ἐπιστήμη καὶπροκειμένη νῦν αὐτή ἐστιν ἡ σοφία τε καὶ ἡθεολογική ἣν καὶ Μετὰ τὰ φυσικὰἐπιγράφει τῷ τῇ τάξει μετ ἐκείνην εἶναιπρὸς ἡμᾶς λέγει δὲ αὐτὴν καὶ πρώτηνσοφίαν ὅτι τῶν πρώτων καὶ τιμιωτάτων ἐστὶθεωρητική Διὰ τὸ αὐτὸ δὲ τοῦτο καὶθεολογική περὶ γὰρ τοῦ αἰτίου καὶ εἴδους ὃπάντῃ ἄυλός ἐστιν οὐσία [17110] κατ αὐτόν

La science quAristote recherche celle-lagrave mecircmequil propose maintenant est la sagesse et la ltsciencegttheacuteologique quil intitule aussi laquo Meacuteta-physique raquo dufait que dans lordre elle vient pour nous apregraves laphysique Et il dit quelle est aussi laquo sagessepremiegravere raquo parce quelle eacutetudie les choses premiegraveres etles plus estimables Cest pour cette mecircme raisonquelle est eacutegalement laquo theacuteologique raquo Pour Aristote eneffet le discours contenu dans ces livres porte

297 In Met 140 2-4 laquo δοκεῖ δέ μοι διὰ μὲν τοῦ πολλούς τε ἐπιβάλλεσθαι λέγειν περὶ αὐτῆς καὶμηδένα αὐτῶν πάντῃ διαμαρτάνειν δείκνυσθαι τὸ κατὰ φύσιν ἡμῖν εἶναι τήνδε τὴνπραγματείαν raquo

298 In Met 18 10-11 laquo διὰ τούτων δὲ ἔδειξεν ὅτι καὶ εὐλόγως ἥδε ἡ πραγματεία θεολογικὴ καλεῖται raquoVoir aussi 210 26 ougrave lon trouve lexpression laquo πρὸς τὴν γνῶσιν τῶν ἀρχῶν καὶ ὅλως πρὸς τὴνπροκειμένην πραγματείαν raquo

299 In Met 191 11-12 laquo εἴη δ ἄν πως διὰ τούτων καὶ τὸ μέρος φιλοσοφίας εἶναι τὴν ἀποδεικτικὴνπραγματείαν τιθέμενον raquo Pour la traduction anglaise par laquo treatise raquo cf A Madigan [1992] p 119

300 Ou synecdoque si lon prend ce terme au sens du transfert reposant non pas sur une inclusionmeacutereacuteologique mais sur la base dune deacutependance mateacuterielle

91

La meacutetaphysique comme science une enjeux

ἣν καὶ πρῶτον θεὸν καὶ νοῦν καλεῖ ὁ λόγοςἐν τούτοις προηγουμένως αὐτῷ γίνεται

principalement sur la cause plus preacuteciseacutement laforme qui est selon lui une substance totalementimmateacuterielle quil appelle aussi Premier dieu etintellect

(171 5-11)

Le verbe qui introduit la deacutenomination de laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo laquo ἐπιγράφει raquo deacutesigne

neacutecessairement une opeacuteration bibliographique le fait de donner un titre agrave un ouvrage ndash le terme

renvoie dabord agrave laction deacutegratigner ou de graver sans que ce soit automatiquement pour

eacutecrire puis au fait dinscrire des lettres laquo au-dessus raquo par exemple en eacutepitaphe intituler ou

apposer sa signature etc301 Il na en tout eacutetat de cause jamais le sens de laquo καλέω raquo ou de

laquo λέγω raquo On pourrait objecter que lanteacuteceacutedent de la relative (laquo ἡ μὲν ἐπιζητουμένη

ἐπιστήμη raquo) renvoie bien agrave une science et non agrave des livres La question est donc de savoir si

laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo est un nom propre (deacutesignant uniquement le traiteacute) ou deacutejagrave un nom

commun (deacutesignant la science) Au strict point de vue lexical et grammatical Alexandre est en

train de dire quAristote a laquo aussi raquo (laquo καὶ raquo 171 6) donneacute ce titre agrave la science La synecdoque joue

donc agrave plein Sans doute ne faut-il pas exageacuterer ce point lExeacutegegravete sait tregraves bien quune science

est dabord une ἕξις (celle justement de lintellect ἐν ἕξει et ἐπίκτητός302) mais agrave titre

heuristique un bon moyen de comprendre comment il unifie la meacutetaphysique serait donc de

repeacuterer si et comment il unifie la Meacutetaphysique

Il est inutile de revenir ici inteacutegralement sur lhermeacuteneutique geacuteneacuterale dAlexandre La

chose a deacutejagrave eacuteteacute eacutetudieacutee avec preacutecision303 et lon peut se contenter den tirer les conseacutequences pour

ce qui nous inteacuteresse sa lecture de la Meacutetaphysique Plutocirct que de proceacuteder uniquement a priori

on cherchera agrave deacutechiffrer ses proceacutedeacutes hermeacuteneutiques agrave mecircme son interpreacutetation du traiteacute

Rappelons seulement que dans le but de clarifier les textes du Stagirite son Exeacutegegravete

travaille agrave expliquer laquo Aristotelem ex Aristotele raquo304 La premiegravere partie de lexpression a son

importance Alexandre vise la penseacutee du Philosophe il commente davantage Aristote que les

301 Sur ce verbe et son emploi posteacuterieur chez les commentateurs neacuteoplatoniciens cf P Hoffmann [1997]p 75 sq

302 Cf Alexandre DA 82 1 sq et 85 25 sq

303 Cf principalement RW Sharples [1987] p 1179-1181 J Barnes [1992] P Donini [1995] S Fazzo[2004] Voir aussi les indications de M Bonelli [2001] p 22 sq

304 Lexpression se lit deacutejagrave agrave la Renaissance chez Bartolomeo Pascual laquo si Aristotelem ex Aristoteleinterpraetemur quae una ratio Aristotelis interpretandi auditoribus Philosophiae idonea semper visa est et mihivehementer probata raquo De optimo genere explanandi Aristotelem cf L Bianchi [2002]

92

La meacutetaphysique comme science une enjeux

textes aristoteacuteliciens305 Ou plus exactement Alexandre explique aussi des textes aristoteacuteliciens

mais la finaliteacute et le critegravere de linterpreacutetation consistent autant en ce qua dit le Philosophe quen

ce quil a laquo voulu dire raquo en sorte que lensemble soit coheacuterent Le principe de chariteacute

hermeacuteneutique est pousseacute agrave son maximum ndash ce qui nempecircche pas de tregraves rares corrections du

texte aristoteacutelicien en soulignant par exemple lemploi inadeacutequat dun terme306 Alexandre

propose parfois plusieurs interpreacutetations dun mecircme passage sans trancher ouvertement en

faveur dune option ou de lautre eacutenonce eacutegalement les diverses leccedilons des manuscrits quil a

sous les yeux307 Les commentaires proposeacutes seacutechelonnent depuis la simple note de bas de page

qui rappelle un eacuteleacutement technique ou une deacutefinition jusquagrave la reprise inteacutegrale du passage sa

mise en ordre logique son inscription dans le projet geacuteneacuteral du traiteacute308 De ce point de vue la

meacutethode est beaucoup moins systeacutematique ou formaliseacutee que celle dun Averroegraves par exemple

LExeacutegegravete sadapte aux textes va plus vite sur des passages dont le sens est plus clair sarrecircte tregraves

longuement sur ceux qui exigent explication ndash autant de traits que nimporte quel professeur

reconnaicirct comme caracteacuteristiques de la situation denseignement des textes

La seconde partie de la proposition laquo ex Aristotele raquo indique loption dune lecture

interne ndash on y reviendra mais il faut preacuteciser dembleacutee que cet laquo inteacuterieur raquo deacutesigne lensemble du

corpus aristoteacutelicien Linterpreacutetation alexandrinienne dAristote est en effet marqueacutee par le

proceacutedeacute de laquo deacuteterritorialisation raquo ou plus modestement du transfert de llaquo import-export raquo309

des thegraveses ou des concepts du Stagirite LAphrodisien se sert du reste du corpus pour interpreacuteter

tel ou tel passage Cela preacutesume de la part dAlexandre une forme deacutegalisation du corpus en tout

cas dune certaine partie de celui-ci310 Si donc lon peut employer dans la Meacutetaphysique un concept

305 Voir la belle formule de M Rashed [2007b] n 515 p 181 distinguant lhermeacuteneutique dAlexandre decelle de J Brunschwig laquo le premier explique Aristote et le second des textes aristoteacuteliciens raquo

306 Cf ci-dessous par exemple agrave propos du vocabulaire du genre et de lespegravece en Γ (sect 242c)

307 Les exemples se lisent agrave chaque page du commentaire on en donnera de nombreux dans les pages quisuivent (voir les diffeacuterentes interpreacutetations dans le commentaire agrave la fin dA 9 avec la grande reprise de116 25 sq ou les deux interpreacutetations cruciales de Γ 3 1005b 5-7 (267 24 sq) sur lesquelles onreviendra plus bas) Pour laccegraves aux divers manuscrits voir par exemple la mentions dun γράφεταιen In Met 46 23 sq (sur ce passage cf H Diels [1905] C Luna [2001] p 127 B Bydeacuten [2005] p 107sq)

308 Pour une laquo note de bas de page raquo voir par exemple le commentaire agrave B 1 995b 18 sur la distinction desproprieacuteteacutes par soi (In Met 176 19 sq) pour un exemple frappant de mise en forme logique voir lecommentaire agrave A 3 983b 32 (In Met 25 13 sq) Pour la reacuteinscription dun passage dans le projet dutraiteacute voir sur la fin dA 9 In Met 133 22 ndash 134 14

309 Il ne faut entendre dans cette expression quune seule et mecircme opeacuteration qui peut ecirctre vue commelaquo importation raquo ou laquo exportation raquo selon le point de vue adopteacute

310 On a deacutejagrave remarqueacute que lExeacutegegravete fait peu de cas des traiteacutes biologiques par exemple Cf M Rashed

93

La meacutetaphysique comme science une enjeux

ou une thegravese issus de lEacutethique agrave Nicomaque ou des Seconds Analytiques cest parce que ces

ouvrages sont deacutegale valeur exprimant chacun agrave leur faccedilon sur leur sujet une parcelle de la

penseacutee monoiumlde dAristote

Une telle maniegravere de faire est au fond assez banale en histoire de la philosophie (se reacutefeacuterer

agrave telle lettre de Descartes agrave Eacutelisabeth pour commenter tel paragraphe des Passions de lacircme agrave

lanalytique des principes de la Critique de la raison pure pour telle section de la Critique de la

faculteacute de juger) Mais elle a eacuteteacute pousseacutee agrave un tel degreacute dans la lecture dAristote que les travaux

contemporains sur le Stagirite voire en philosophie ancienne en geacuteneacuteral en ont souligneacute les

limites Il a en effet eacuteteacute plusieurs fois remarqueacute combien les eacutelaborations conceptuelles dAristote

sont deacutependantes de la position dun problegraveme deacutetermineacute L Couloubaritsis la par exemple mis

en eacutevidence agrave propos de la notion de changement311 P Aubenque le dit de faccedilon plus

affirmative

On ne commente pas une phrase dAristote comme on commenterait un verset de la Biblecar elle renvoie agrave la totaliteacute des autres elle est moins signifiante que co-signifiante et saveacuteriteacute ne seacuteclairera que reacutetrospectivement au regard de la totaliteacute de ce quelle contribue agraveconstituer312

Agrave vrai dire ce principe doit ecirctre nuanceacute sous peine de tomber dans un holisme aussi

imprudent dun point de vue hermeacuteneutique que la meacutethode dexeacutegegravese purement locale Sil faut

avoir commenteacute la totaliteacute du corpus aristoteacutelicien avant de lire un texte il serait bien difficile de

seulement commencer agrave lire ce corpus Il y a donc neacutecessairement un cercle entre le tout et la

partie et sans doute Alexandre procegravede-t-il dune maniegravere assez similaire en ce que comme on

la dit il commente Aristote avec une impressionnante partie du corpus preacutesente agrave lesprit

La diffeacuterence est quAlexandre table313 sur une coheacuterence geacuteneacuterale et assez stricte des

textes des thegraveses et des concepts Cela nimplique pas une meacuteconnaissance des difficulteacutes qui se

posent alors ndash on ne peut lui reprocher une vision agrave ce point naiumlve de lrsquoœuvre aristoteacutelicien ndash mais

leffort constant quoique souvent implicite de leur reacutesolution Agrave tout le moins nest-il pas toucheacute

[2007b] p 27

311 L Couloubaritsis [1997] p 54 laquo peut-on utiliser chez lui [Aristote] une notion dont la theacuteorie estdeacuteployeacutee ulteacuterieurement pour eacutelucider une probleacutematique exposeacutee anteacuterieurement dans le texte raquo

312 P Aubenque [1964] [2009a] p 139 La comparaison avec lexeacutegegravese biblique est au demeurantdiscutable sil est vrai que traditionnellement la tradition exeacutegeacutetique favorise agrave plein les renvoisinternes voire les eacutechos entre lAncien et le Nouveau Testament

313 Cest davantage une preacutesomption quun donneacute le travail de commentateur eacutetant de deacutemontrer cettecoheacuterence lagrave mecircme ougrave elle nest pas eacutevidente

94

La meacutetaphysique comme science une enjeux

par le soupccedilon dune eacutevolution dAristote ou lideacutee quon aurait affaire agrave une penseacutee inchoative et

non systeacutematique Il ny a donc pas lieu de deacutevaluer des parties du corpus sous preacutetexte quelles

seraient laquo de jeunesse raquo ndash ainsi le Protreptique dont M Rashed a bien montreacute limportance pour

Alexandre314 Bref luniteacute organique du corpus permet cette deacuteterritorialisation ces imports-

exports que nous eacutevoquions Mais cette uniteacute vaut agrave linteacuterieur mecircme du corpus pour ces uniteacutes

que sont les traiteacutes La Meacutetaphysique en est un exemple Pour eacuteclairer comment seacutelabore cette

position de lExeacutegegravete on montrera comment loption unitarienne sillustre au premier chef dans

lidentiteacute en extension des titres du traiteacute et des noms de la science que celui-ci expose on

deacuteveloppera ensuite linterpreacutetation geacuteneacuterale quAlexandre offre de la composition de la

Meacutetaphysique

122 Luniteacute des noms une science heacuteteacuteronyme ou polyonyme

On sait que la science proposeacutee par la Meacutetaphysique reccediloit diverses appellations sagesse

philosophie premiegravere science theacuteologique agrave quoi on peut ajouter des descriptions comme science

de leacutetant en tant queacutetant science rechercheacutee science de la substance315 Cette diversiteacute se

maintiendra jusquagrave leacutepoque moderne avec la concurrence entre laquo metaphysica raquo et laquo prima

philosophia raquo (on songe agrave Descartes) et indique agrave elle seule une difficulteacute pour tout lecteur de la

Meacutetaphysique Alexandre neacutechappe pas agrave la regravegle il est mecircme le premier agrave affronter cette

difficulteacute

Or le contexte scolaire dAlexandre pousse ainsi agrave un travail de justification continue de la

doctrine et de deacutemonstration de sa supeacuterioriteacute par rapport aux autres Cet enjeu agonistique voire

concurrentiel qui peut paraicirctre relever de la vulgaire conjoncture a en reacutealiteacute joueacute le rocircle dun

puissant aiguillon dans la formalisation et leacutenonciation des thegraveses propres agrave chaque penseacutee

Laffirmation dune science de leacutetant en tant queacutetant science des principes et causes premiers

etc a sans doute eacuteteacute pour Alexandre lun des marqueurs de laristoteacutelisme316 or du point de vue

314 Cf M Rashed [2000] et M Rashed [2007b] p 40 304 311

315 Au sujet de la distinction deacutejagrave mentionneacutee entre dune part les laquo noms raquo (sagesse science rechercheacuteephilosophie premiegravere) et dautre part les laquo caracteacuterisations raquo ou laquo deacutefinitions raquo (science des premiersprincipes et des premiegraveres causes science de leacutetant en tant queacutetant enquecircte sur la substance sciencede leacutetant immobile et seacutepareacute) cf F Wolff [1997] p 293

316 Plus en tout cas que dans lancien Peripatos

95

La meacutetaphysique comme science une enjeux

rheacutetorique et dialogique de la deacutefense et de laffirmation de la doctrine on peut leacutegitimement

penser que la pluraliteacute des deacutenominations neacutetait pas un avantage Lunification de la

meacutetaphysique et au premier chef de ses noms lui incombe donc agrave titre de diadoque

De fait lExeacutegegravete semble souvent faire feu de tout bois en multipliant les deacutenominations

de la meacutetaphysique Agrave lanonymat progressif dans lequel senfonce la science au fur et agrave mesure

de la Meacutetaphysique dAristote reacutepond chez Alexandre une profusion de noms Le fait est frappant

dans son proegraveme agrave Γ ougrave la beacuteance quouvre lindeacutefini de Γ 1 (laquo ἐπιστήμη τις raquo 1003a 21) se voit

combleacutee par tous les noms possibles La premiegravere impression est ainsi celle dune assimilation des

diffeacuterents intituleacutes317

Toutefois en reacutegime alexandrinien il y a deux maniegraveres pour des noms de seacutequivaloir

soit la science que ces noms deacutesignent est un laquo polyonyme raquo318 cest-agrave-dire quun mecircme reacutefeacuterent

se trouve deacutesigneacute par plusieurs noms posseacutedant exactement la mecircme deacutefinition soit elle est un

laquo heacuteteacuteronyme raquo319 cest-agrave-dire une chose doteacutee de noms diffeacuterents chaque nom renvoyant agrave une

description diffeacuterente mais ayant strictement la mecircme extension Cette possibiliteacute ouverte par la

terminologie de lExeacutegegravete invite donc contrairement agrave ce que font geacuteneacuteralement ses lecteurs agrave

jouer de prudence peut-ecirctre faut-il aller au-delagrave de cette apparente eacutequivalence des intituleacutes de

la meacutetaphysique La comparaison de lensemble des occurrences de σοφία πρώτη φιλοσοφία

θεολογική et μετὰ τὰ φυσικά fait paraicirctre des diffeacuterences dans leur traitement quil va falloir

analyser On peut partir en premier lieu du nom qui ne se trouve pas dans le corpus alexandrinien

mais dont heacuterite Alexandre celui promis agrave la fortune que lon sait le nom de meacutetaphysique

a) Linvention de la laquo meacutetaphysique raquo

Le syntagme laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo est assez rarement employeacute par Alexandre Son sens est

majoritairement bibliographique par exemple lorsque lExeacutegegravete fait reacutefeacuterence agrave lun des laquo livres raquo

ou agrave leacutenonceacute dune thegravese contenue dans les livres320

317 Voir In Met 15 32 175 4 237 3-4 238 3-4 239 36

318 Cf In Met 247 27-28 280 18-35 281 24 282 21

319 Le terme napparaicirct pas chez Aristote Pour Alexandre cf In Met 378 13-14 et 379 20-22 laquo δύναταιδιαφέροντα λέγειν καὶ ὅσα κατὰ τὸ ὑποκείμενον ὄντα ταὐτά κατὰ τὴν οὐσίαν καὶ τὸν ὁρισμὸνἔχει τὴν ἑτερότητα ὡς ἔχει τὰ ἑτερώνυμα raquo Cf aussi In Top 398 2 405 6 475 16 Mais le terme esteffectivement assez rare (dix fois dans le TLG)

320 In Met 137 2 169 22 172 21 344 2-3 In Top 26 20 45 9 420 11 504 15 Mantissa 170 10

96

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Restent trois passages ambigus deux dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique et un dans

celui aux Topiques321 ougrave lon peut leacutegitimement se demander si Alexandre nemploie pas pour la

premiegravere fois laquo meacutetaphysique raquo comme un nom commun se livrant ainsi une antonomase

deacutecisive322 Cependant dune part les deux passages de lIn Met sont particuliers puisquil sagit

du deacutebut du commentaire agrave B et du proegraveme agrave Γ dautre part lexpression y est toujours

distingueacutee des autres noms Ainsi dans le deacutebut de B323 laquo sagesse raquo et laquo ltsciencegt theacuteologique raquo

sont indiscutablement des noms de la science qui est selon lexpression tregraves usuelle laquo proposeacutee raquo

par ce traiteacute Mais le texte montre certainement en seacuteparant par une relative laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo

des autres deacutenominations quAlexandre sait que ce terme napparaicirct jamais dans le corps du

traiteacute ni dans le reste du corpus Certes le sujet sous-entendu dlaquo ἐπιγράφει raquo est Aristote mais si

lauthenticiteacute du terme ne semble pas remise en cause son traitement particulier est au moins le

signe de la preacutecaution dAlexandre

Le proegraveme du commentaire agrave Γ preacutesente une ambiguiumlteacute similaire

Προθέμενος ἐν τῇ Μετὰ τὰ Φυσικὰπραγματείᾳ ἣν καὶ σοφίαν καὶ πρώτηνφιλοσοφίαν ἔστι δὲ ὅτε καὶ θεολογικὴν ἔθοςαὐτῷ καλεῖν

Puisque Aristote sest proposeacute dans le traiteacute deMeacutetaphysique quil a pour habitude dappeler sagesse et philosophie premiegravere et parfois aussitheacuteologique

(237 3-4)

Lambiguiumlteacute releveacutee preacuteceacutedemment quant agrave la πραγματεία joue ici agrave plein Alexandre

mecirclant indication bibliographique et noms de la science De mecircme le syntagme laquo μετὰ τὰ

φυσικά raquo est agrave nouveau seacutepareacute des autres noms De mecircme enfin il est agrave nouveau difficile

daffirmer sans aucune heacutesitation quAlexandre emploie ici laquo meacutetaphysique raquo comme le nom

dune science quoique le texte en trace la voie

Autant dire que le seul lieu ougrave Alexandre use indiscutablement de laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo

comme dun nom commun est le passage du Commentaire aux Topiques Alexandre y explique une

proposition dAristote qui a sans doute une certaine importance pour lui puisquelle se trouve

citeacutee ailleurs avec force dans le commentaire agrave B sur lutiliteacute de la dialectique pour la recherche

de la veacuteriteacute324 Ce faisant lExeacutegegravete explicite quelles sont les laquo τὰς κατὰ φιλοσοφίαν ἐπιστήμας raquo

321 In Met 171 5-7 237 3-4 In Top 28 26

322 Cf M Bonelli [2001] p 56

323 In Met 171 5-7 laquo Ἡ μὲν ἐπιζητουμένη ἐπιστήμη καὶ προκειμένη νῦν αὐτή ἐστιν ἡ σοφία τε καὶ ἡθεολογική ἣν καὶ Μετὰ τὰ φυσικὰ ἐπιγράφει τῷ τῇ τάξει μετ ἐκείνην εἶναι πρὸς ἡμᾶς raquo

324 Comparer In Top 28 26 sq et In Met 173 22 sq On y retrouve lanalogie avec le juge qui pour mieuxjuger doit entendre les deux parties plaider lune contre lautre (ἀντιδικέω mecircme verbe dans les deux

97

La meacutetaphysique comme science une enjeux

du texte dAristote (101a 27-28) auxquelles la dialectique sera profitable325 Tels sont selon

Alexandre les savoirs qui visent la connaissance scientifique et la deacutecouverte de la veacuteriteacute cest-agrave-

dire laquo la physique leacutethique la logique et la meacutetaphysique raquo La proposition centrale est en

effet

Τρίτον τῆς ὠφελείας αὐτῆς ἐκτίθεταιτρόπον τὸν πρὸς φιλοσοφίαν καὶ τὴν κατἐπιστήμην γνῶσιν τοῦτ ἔστι πρὸς τὴν τοῦἀληθοῦς εὕρεσίν [2825] τε καὶ γνῶσινltκατὰ φιλοσοφίανgt δὲ ltἐπιστήμαςgt εἶπε τὴνφυσικήν τὴν ἠθικήν τὴν λογικήν τὴν μετὰτὰ φυσικά

Il expose la troisiegraveme faccedilon dont elle est utilepour la philosophie et la connaissance scientifiquecest-agrave-dire pour la deacutecouverte et la connaissance duvrai Par laquo sciences philosophiques raquo il veut dire326 laltsciencegt physique leacutethique la logique lameacutetaphysique

(In Top 28 23-26)

Le texte est agrave leacutevidence traverseacute par une double reacutefeacuterence agrave la fois aristoteacutelicienne et

stoiumlcienne nous avons vu en effet comment un passage posteacuterieur des Topiques (105b 19-21) a

servi agrave asseoir la tripartition helleacutenistique du logos en physique logique et eacutethique et par la suite

sa reacutecupeacuteration peacuteripateacuteticienne Le coup de force dAlexandre est manifeste puisquil rompt

cette tripartition327 De ce point de vue il nest pas exageacutereacute de tenir ce texte pour lacte de

naissance de la meacutetaphysique comme science quoiquil sagisse lagrave en toute rigueur du seul texte

ougrave lantonomase semble parfaitement consommeacutee cest-agrave-dire le seul lieu ougrave lExeacutegegravete appelle

sans doute possible une science laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo

b) La promotion de laquo philosophie premiegravere raquo la meacutetaphysique agrave lendroit

Dans lapparente eacutequivalence des noms une premiegravere distinction doit donc ecirctre faite eu

eacutegard agrave la prudence de lemploi alexandrinien de laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo Mais Alexandre est tout

aussi prudent avec ladjectif laquo θεολογικός raquo De ce point de vue leacuteconomie dAristote dans

textes) In Top commente justement le passage ougrave Aristote eacutenumegravere les types de services que peutrendre la dialectique et Alexandre en commentant B conclut laquo ἀληθὲς ἄρα τὸ ἐν τοῖς Τοπικοῖςεἰρημένον τὸ χρήσιμον εἶναι τὴν διαλεκτικὴν πρὸς τὰς κατὰ φιλοσοφίαν ζητήσεις raquo (174 2-4)

325 In Top 28 23-26 laquo Τρίτον τῆς ὠφελείας αὐτῆς ἐκτίθεται τρόπον τὸν πρὸς φιλοσοφίαν καὶ τὴν κατἐπιστήμην γνῶσιν τοῦτ ἔστι πρὸς τὴν τοῦ ἀληθοῦς εὕρεσίν τε καὶ γνῶσιν ltκατὰ φιλοσοφίανgt δὲltἐπιστήμαςgt εἶπε τὴν φυσικήν τὴν ἠθικήν τὴν λογικήν τὴν μετὰ τὰ φυσικά raquo

326 Par convention on ne traduit pas les aoristes dont Alexandre se sert dans ses commentaires pour sereacutefeacuterer au texte par un temps du passeacute le preacutesent convenant mieux en franccedilais

327 Quoiquen veacuteriteacute si lon se fie au deacutebut du Commentaire aux Premiers Analytiques la logique ne tiendrapas longtemps son rang de science On y revient ci-dessous

98

La meacutetaphysique comme science une enjeux

lemploi de laquo θεολογικός raquo se retrouve telle quelle chez lExeacutegegravete Dans le Commentaire agrave la

Meacutetaphysique Alexandre nutilise laquo θεολογικός raquo que pour parler dune partie ou dun aspect

(restons pour le moment dans ce flou) de la science proposeacutee Il ne le fait en outre quen trois

passages328 agrave lexclusion de tout autre dans le corpus dans le contexte du commentaire agrave A 2 par

simple effet de reacutepeacutetition exeacutegeacutetique qui opegravere le lien entre lappellation de E 1 et la qualification

en A 2 de la sagesse comme laquo θειοτάτη raquo (983a 5) et dans les textes deacutejagrave rencontreacutes du deacutebut du

commentaire agrave B et du proegraveme de Γ

Or sil est dans lessence dun commentaire daugmenter le texte-source cette eacuteconomie en

paraicirct dautant plus frappante Une objection serait que nous ne posseacutedons pas la totaliteacute du

commentaire dAlexandre ndash en particulier celui de E ou de Λ ndash mais lobjection ne tient pas

reacuteellement puisque comme on va le voir Alexandre emploie par exemple laquo philosophie

premiegravere raquo bien au-delagrave des seuls lieux ougrave Aristote la mentionne Il atteste dailleurs lui-mecircme de

cet usage parcimonieux du terme chez Aristote comme le deacutenote le laquo ὅτε raquo dans le proegraveme agrave Γ en

237 3-4329 Reacutepeacutetons un fait connu la lexicographie comprise comme la mesure des occurrences

dun terme chez un auteur est un instrument philosophiquement ambigu Un concept rare peut

ecirctre central et un concept courant se reacuteveacuteler parfaitement superficiel Ce qui est inteacuteressant ici

cest la comparaison la freacutequence relative agrave la fois des termes entre eux agrave linteacuterieur du corpus

alexandrinien et par rapport agrave leurs emplois aristoteacuteliciens Degraves lors par opposition aux noms

preacuteceacutedents les usages courants chez Alexandre de laquo sagesse raquo et plus encore de laquo philosophie

premiegravere raquo apparaissent deacutelibeacutereacutes

De fait chez Alexandre les occurrences de laquo sagesse raquo et de laquo philosophie premiegravere raquo

rivalisent agrave peu de choses pregraves non seulement en quantiteacute mais en qualiteacute dans les passages

significatifs il sagit aussi des passages ougrave leacutequivalence des noms est la plus bruyamment

orchestreacutee330 Or dans la Meacutetaphysique dAristote il y a une incontestable disproportion entre les

328 In Met 18 11 171 6-9 (deux occurrences) 237 4

329 Cest le texte citeacute ci-dessus laquo Προθέμενος ἐν τῇ Μετὰ τὰ Φυσικὰ πραγματείᾳ ἣν καὶ σοφίαν καὶπρώτην φιλοσοφίαν ἔστι δὲ ὅτε καὶ θεολογικὴν ἔθος αὐτῷ καλεῖν raquo

330 Agrave titre dexemple degraves le commentaire agrave A 2 (In Met 15 32-33) laquo τὴν αὐτὴν δὲ ἔθος αὐτῷ καλεῖνσοφίαν τε καὶ πρώτην φιλοσοφίαν raquo Voir aussi 175 4 238 4 239 36 245 37 sq 266 14 sq Pourdautres occurrences de laquo philosophie premiegravere raquo dans le Commentaire voir aussi 177 9-12 (Aristotemontrera quil incombe au philosophe premier deacutetudier le mecircme et lautre le semblable etc Cettediscipline qui nest pas une laquo logique raquo soccupe de leacutetant en tant queacutetant) 191 10 (ce nest peut-ecirctrepas la tacircche du philosophe premier deacutetudier les principes de la deacutemonstration ndash mais cest bien la tacircchedu philosophe) Les textes qui suivent font lobjet dun traitement speacutecifique ci-dessous au sect 24 24534 250 27 sq 264 1 sq 265 8 266 32 Voir enfin le proegraveme agrave Δ 344 6 sq (le philosophe premier

99

La meacutetaphysique comme science une enjeux

eacutenonceacutes de laquo sagesse raquo et de laquo philosophie premiegravere raquo331 La freacutequence chez Alexandre de

laquo σοφία raquo sexplique dabord par la mention du terme dans le texte aristoteacutelicien ie par le travail

exeacutegeacutetique qui reprend les terme des lemmes quil commente La promotion alexandrinienne de

laquo sagesse raquo peut aiseacutement se revendiquer du livre A ou de son eacutevocation en Γ 3 1005b 1-2

Toutefois rien de tel ne vient justifier une preacutesence aussi importante de laquo philosophie

premiegravere raquo Nous sommes degraves lors fondeacutes agrave y lire plus encore que pour laquo sagesse raquo une

opeacuteration volontaire ndash et cela seul suffit agrave justifier lattention particuliegravere que nous accorderons

plus avant agrave ce concept Du reste par contraste encore il est notable que toute proportion

gardeacutee lexpression laquo philosophie seconde raquo soit aussi exceptionnelle chez Alexandre que chez

Aristote332

Cest en effet comme on le verra plus loin sur laquo philosophie premiegravere raquo quAlexandre va

jouer pour poser la question de luniteacute et de la deacutelimitation de la science rechercheacutee et ce

probablement en raison du fait que lintituleacute de laquo philosophie premiegravere raquo appelle la question du

partage du travail avec une laquo philosophie seconde raquo333 Lexpression couvre sans aucun doute

possible lensemble du champ de la meacutetaphysique puisque tous les objets deacutevolus agrave la science

rechercheacutee sont agrave un moment ou un autre attribueacutes agrave la philosophie premiegravere Dans le

commentaire laquo philosophie premiegravere raquo deacutesigne ainsi tantocirct la science universelle de leacutetant en

tant queacutetant (elle est aussi en ce sens laquo philosophie geacuteneacuterale raquo334) et tantocirct la laquo theacuteologie raquo Par

exemple dans le proegraveme agrave Δ Alexandre confirme apregraves le commentaire agrave Γ quil incombe au

philosophe premier deacutetudier leacutetant de faccedilon universelle et laquo de faccedilon commune les attributs qui

sont communs agrave leacutetant raquo335 Mais il emploie aussi couramment laquo philosophie premiegravere raquo pour

deacutesigner la science speacuteciale qui eacutetudie les substances laquo ingeacuteneacutereacutees et incorruptibles incorporelles

eacutetudie universellement leacutetant et ses proprieacuteteacutes en geacuteneacuteral)

331 Pour meacutemoire laquo philosophie premiegravere raquo est employeacutee deux ou trois fois dans la Meacutetaphysique suivantque lon tienne ou non K pour authentique et si lon accepte leacutequivalence de laquo sagesse premiegravere raquo aveclaquo philosophie premiegravere raquo en Γ 3 En revanche laquo σοφία raquo se lit entre quatorze et vingt fois (en comptantou non K)

332 Sauf erreur laquo philosophie seconde raquo apparaicirct une seule fois en Met Z 11 1037a 15 et peut se deacuteduirede Γ 2 1004a 6-9 Dans lensemble des eacutecrits dAlexandre on la lit seulement trois fois In Met 250 31 251 24-25 251 36 tous trois passages qui commentent justement 1004a 2

333 Voir dembleacutee par exemple In Met 245 34 sq

334 Pour lexpression de laquo φιλοσοφία καθόλου raquo cf 244 26 et 32 258 24 264 24 344 6 sq

335 In Met 344 5-8 laquo δέδειχε μὲν γὰρ ὅτι τοῦ πρώτου φιλοσόφου ἡ περὶ τοῦ ὄντος καθόλουπραγματεία καὶ τῶν τούτῳ κοινῶς ὑπαρχόντων κοινὰ δὲ τοῦ ὄντος εἰσίν οἷς ἐπιστῆμαι πᾶσαιχρῶνται περὶ τούτων γὰρ ἡ θεωρία τοῦ πρώτου φιλοσόφου raquo Cf aussi 177 9-12 383 15

100

La meacutetaphysique comme science une enjeux

et immobiles raquo336 Y a-t-il donc lagrave inconsistance dun Exeacutegegravete davantage preacuteoccupeacute de questions

hermeacuteneutiques locales et peu rigoureux dans lemploi du vocabulaire aristoteacutelicien La chose

serait pour le moins surprenante quand on sait la tendance geacuteneacuterale dAlexandre au lissage des

diffeacuterences lexicales et agrave la normalisation des terminologies Comment donc rendre raison de

cette promotion

Une premiegravere explication est quAlexandre y a vu un moyen de leacutegitimer le titre Μετὰ τὰ

Φυσικὰ tout en employant un terme authentiquement aristoteacutelicien en tout cas preacutesent dans le

corps des traiteacutes Cest ce quatteste le deacutebut du commentaire agrave B Lexpression de laquo sagesse

premiegravere raquo (171 7) y est strictement eacutequivalente agrave laquo philosophie premiegravere raquo comme sen avise

laltera recensio qui remplace lune par lautre Le passage deacutejagrave citeacute de Γ 3 1005b 1-2 eacutevoque

assureacutement une sagesse premiegravere dans un contexte ougrave lon aurait tout agrave fait pu lire laquo philosophie

premiegravere raquo Dapregraves le commentaire agrave B donc laquo philosophie premiegravere raquo nest rien dautre que

lenvers pris en soi de ce que laquo meacutetaphysique raquo deacutesigne laquo pour nous raquo P Aubenque et dautres agrave

sa suite lisent ce passage en parallegravele avec celui correspondant dAscleacutepius337 Leur comparaison

devrait toutefois faire ressortir la relative prudence dAlexandre eu eacutegard au contresens signaleacute

par P Aubenque Ce dernier a en effet insisteacute sur le caractegravere inauthentique dune telle

application de la distinction laquo en soi raquo (ou laquo par nature raquo) et laquo pour nous raquo338 Jamais Aristote

nemploie cette terminologie pour distinguer ce qui est de ce que nous en connaissons puisque la

distinction ne fonctionne que par rapport au connu ou plus connu laquo γνωριμώτερον raquo339 Or au

commencement de B Alexandre paraicirct bien opposer ce qui est posteacuterieur pour nous dans lordre

de la connaissance agrave (et ici il faut ecirctre preacutecis) un savoir dont la primauteacute sexplique parce quil

336 Par exemple en 193 10 sur la laquo substance intelligible raquo 251 34-35

337 Ascleacutepius In Met 1 10-18 laquo Δεῖ ἡμᾶς ἀρχομένους τῆς παρούσης πραγματείας εἰπεῖν τὸν σκοπόντὴν τάξιν τὴν αἰτίαν τῆς ἐπιγραφῆς σκοπὸς μὲν οὖν ἐστι τῆς παρούσης πραγματείας τὸθεολογῆσαι θεολογεῖ γὰρ ἐν αὐτῇ Ἀριστοτέλης ἡ δὲ τάξις ὅτι ἐκ τῶν φύσει ὑστέρων ἡμεῖς τὰςἀρχὰς ποιούμεθα ἐπειδὴ ταῦτα μᾶλλον [110] συνεγνωσμένα ἡμῖν ὑπάρχουσι διὰ τοῦτο τοίνυν ὁἈριστοτέλης πρότερον διελέχθη ἡμῖν περὶ τῶν φυσικῶν πραγμάτων ταῦτα γὰρ τῇ φύσει ὕστεραὑπάρχουσιν ἡμῖν δὲ πρότερα ἡ δὲ παροῦσα πραγματεία τῇ μὲν φύσει προτέρα ὡς τὸ τέλειονἔχουσα ἡμῖν δὲ ὑστέρα πρότερα γὰρ τὰ ἄφθαρτα τῶν φθαρτῶν καὶ τὰ ἀγένητα τῶν γινομένωνδιὰ τοῦτο τοίνυν ὁ Ἀριστο-[115]τέλης πρότερον διελέχθη ἡμῖν περὶ τῶν ἀτάκτως κινουμένων ἐντοῖς Μετεώροις καὶ πάλιν περὶ τῶν τεταγμένως κινουμένων ἐν τῇ Περὶ οὐρανοῦ φημὶ δὴ περὶἀστέρων καὶ σφαιρῶν καὶ λοιπὸν ἐν ταύτῃ τῇ πραγματείᾳ διαλέγεται ἡμῖν περὶ τῶν πάντῃἀκινήτων τοῦτο δέ ἐστι θεολογία raquo

338 P Aubenque [1962] p 32-33 et 66-68

339 Cf par exemple AnPr II 23 68b 35-36 AnPo I 2 72a 1-4 I 3 72b 27-30 Top VI 4 141b 5-14 MetZ 3 1029b 7-8 Phys I 1 184a 16-18 EN I 2 1095b 2-4 etc

101

La meacutetaphysique comme science une enjeux

eacutetudie des laquo choses raquo premiegraveres et plus estimables Alexandre sinscrit dailleurs peut-ecirctre dans

une certaine tradition dexeacutegegravese si nous ne connaissons pas dexplications du titre anteacuterieures agrave

celle quil fournit on sait neacuteanmoins que Boeacutethos mettait la physique au commencement du

corpus parce quelle est familiegravere et plus proche de lexpeacuterience340 Alexandre agrave la suite dAristote

emploie bien quant agrave lui deux comparatifs341

Cependant la distinction entre un premier pour nous (dans lordre de la connaissance) et

un premier en soi (dans lordre de lecirctre) reste extrecircmement teacutenue au laquo πρὸς ἡμᾶς raquo du texte

par exemple ne reacutepond aucun laquo φύσει raquo contrairement agrave ce qui se produit chez Ascleacutepius La

thegravese est par ailleurs assez circonscrite dans le corpus Assureacutement Alexandre assigne souvent agrave

la physique une position premiegravere dans lordre de la connaissance pour nous La physique est

premiegravere pour nous dit-il parce quelle part de la sensation ndash lagrave encore il sagit bien de

connaissabiliteacute Dans son commentaire agrave Δ 1 Alexandre affirme ainsi que laquo καὶ ἡ φυσικὴ ἀπὸ

τῶν αἰσθητῶν ὅτι ἡμῖν γνωριμώτερα ἀλλ οὐκ ἀπὸ τῶν πρώτων ἀρχῶν raquo (345 33-34) ce qui

oppose bien deux ordres de connaissance Ce sont les laquo αἰσθητῶν raquo qui sont laquo γνωριμώτερα raquo et

la prioriteacute des principes peut encore tregraves bien sentendre dans lordre de la connaissance non

celui de lecirctre Alexandre ne dit donc pas aussi explicitement quAscleacutepius que lobjet de la

philosophie premiegravere se signale par la conjonction de deux prioriteacutes agrave savoir quil serait agrave la fois

premier par nature et anteacuterieur dans lordre de la connaissance par nature ndash mais posteacuterieur dans

lordre de la connaissance pour nous

Il est neacuteanmoins tregraves probable comme on le verra342 que lExeacutegegravete a bien a lesprit

quelque chose comme cette correacutelation du premier dans lordre de lecirctre et dans lordre de la

connaissance en soi En Δ 1 en effet lexemple de la physique fait suite agrave une reacutefeacuterence aux

Cateacutegories sur la qualiteacute laquo ποιότης raquo ougrave Alexandre loue Aristote davoir commenceacute son

explication par le laquo ποιός raquo Le laquo ποιός raquo dit lExeacutegegravete est plus connaissable pour nous il nous

est plus familier bien quen reacutealiteacute il soit posteacuterieur agrave la qualiteacute laquo ὑστέρου μὲν ὄντος τῆς

ποιότητος γνωριμωτέρου δέ raquo (345 31-32) Il est tout de mecircme difficile de ne pas lire lexemple

suivant sur la physique par analogie avec ce qui preacutecegravede Or si la physique est agrave la connaissance

340 Cf Philopon In Cat 5 16-18 laquo Βόηθος μὲν οὖν φησιν ὁ Σιδώνιος δεῖν ἀπὸ τῆς φυσικῆς ἄρχεσθαιπραγματείας ἅτε ἡμῖν συνηθεστέρας καὶ γνωρίμου δεῖν δὲ ἀεὶ ἀπὸ τῶν σαφεστέρων ἄρχεσθαικαὶ γνωρίμων raquo Voir agrave ce sujet P Moraux [1973] p143 sq HB Gottschalk [1987] p 1099

341 RW Sharples [2010] p 43 note que le Fr 3 de Nicolas de Damas contient les mecircmes termes que celuide Boeacutethos

342 Cf ci-dessous sect 21

102

La meacutetaphysique comme science une enjeux

des premiers principes ce quest la connaissance du laquo ποιός raquo agrave celle de la laquo ποιότης raquo alors

immanquablement la physique est anteacuterieure dans lordre de notre connaissance parce quelle

part des sensations mais son objet est posteacuterieur par nature aux premiers principes

Toutefois la plupart des passages sur lanteacuterioriteacute de la physique ne vont pas aussi loin et

sen tiennent au champ de la connaissance Telle est selon Alexandre la raison principale de la

prioriteacute de la sagesse qui partant de ce qui est le plus eacuteloigneacute des sensations (les principes) est

aussi laquo la plus difficile raquo des sciences Commentant ce passage de A 2 Alexandre renvoie

explicitement la prioriteacute par nature de la sagesse agrave lordre de la connaissance et citera ensuite

Physique I 1 pour justifier le lien entre le plus connaissable pour nous et la sensation343 Il en va de

mecircme lorsque Alexandre commente la derniegravere phrase du livre α selon laquelle laquo il faut dabord

examiner ce quest la nature raquo344 LrsquoExeacutegegravete propose alors deux interpreacutetations de cette ouverture

du livre α vers la physique Selon la premiegravere le livre est une introduction agrave la philosophie

theacuteoreacutetique en geacuteneacuteral et nappartient pas speacutecifiquement agrave la Meacutetaphysique dapregraves la seconde

le livre est agrave la bonne place et fait effectivement partie de la Meacutetaphysique Le point commun de

ces deux interpreacutetations est la place premiegravere assigneacutee agrave la physique dans lordre du connaissable

pour nous laquo ἀλλὰ προγραφόμενόν τι πάσης τῆς θεωρητικῆς φιλοσοφίας ἧς ὡς πρὸς ἡμᾶς

πρώτη ἡ φυσική raquo (169 23-25) ou encore laquo ἀλλ ὅτι πρὸ τῆσδε τῆς πραγματείας δεῖ περὶ τῶν

φυσικῶν πεπραγματεῦσθαι raquo (170 1-2)

Comme au deacutebut du commentaire agrave B la posteacuteriteacute de la meacutetaphysique saffirme donc

dans lordre de la connaissance pour nous Mais cela nimplique pas une prioriteacute de la

philosophie premiegravere agrave cause de la prioriteacute ontologique de son objet plutocirct quagrave cause de la

prioriteacute eacutepisteacutemologique du connaissable par nature Or si cette conception de la meacutetaphysique

comme posteacuterieure agrave la physique dans lordre du savoir est souvent pointeacutee du doigt comme

lune des interpreacutetations majeures du titre inauthentique on doit cependant rappeler

quAlexandre sacrifie sans doute ici agrave une banaliteacute de leacutepoque P Hadot en effet a bien montreacute le

floregraves agrave leacutepoque post-helleacutenistique de la division des parties de la philosophie en fonction de

lordre peacutedagogique chez les stoiumlciens autant que chez les platoniciens Linteacuterecirct de la position

343 In Met 11 12-13 laquo τῇ φύσει γὰρ ἐκεῖνα τῶν αἰσθητῶν γνωριμώτερα raquo Cf Phys I 1 184a 18-21 laquo Διόπερ ἀνάγκη τὸν τρόπον τοῦτον προάγειν ἐκ τῶν ἀσαφεστέρων μὲν τῇ φύσει ἡμῖν δὲσαφεστέρων ἐπὶ τὰ σαφέστερα τῇ φύσει καὶ γνωριμώτερα raquo Voir In Met 12 5-14 Alexandre essaieaussi et surtout de justifier lemploi difficile de laquo καθόλου raquo dans ce passage Voir aussi le commentaireagrave 983a 27 (In Met 20 5 sq)

344 Met α 3 995a 17-19 laquo διὸ σκεπτέον πρῶτον τί ἐστιν ἡ φύσις οὕτω γὰρ καὶ περὶ τίνων ἡ φυσικὴδῆλον ἔσται raquo

103

La meacutetaphysique comme science une enjeux

alexandrinienne se situe plutocirct dans son effort pour concilier divers types dorganisation du

savoir philosophique qua classeacutes P Hadot celui heacuteriteacute de Platon et Aristote (qui classent les

disciplines en fonction de leur objet) avec les preacuteoccupations grandissantes de peacutedagogie et

dordre de lenseignement345 On la vu Alexandre est dabord un laquo universitaire raquo346

Pour reacutesumer il convient donc deacutevaluer plus preacuteciseacutement ce quil y a de non

aristoteacutelicien dans la position alexandrinienne Le premier grief de P Aubenque on la dit

concerne lexportation de la distinction pour nous par nature en dehors du seul champ

eacutepisteacutemologique Ce grief est partiellement fondeacute mecircme sil faut jouer de prudence puisque le

contresens nest pas formuleacute sans deacutetours ni sous-entendus et ne constitue pas la thegravese la plus

constante de lExeacutegegravete La thegravese majoritaire de son corpus ne fait quappliquer ladite dichotomie

dans le champ de la connaissance Agrave tout le moins Alexandre fournit-il agrave Ascleacutepius les moyens

pour commettre clairement le contresens auquel lui-mecircme semble encore reacutepugner ndash et ce nest

pas un hasard si les interpregravetes347 se fondent davantage sur les textes dAscleacutepius que ceux

dAlexandre pour deacutenoncer ce contresens

Lautre reproche formuleacute par P Aubenque est que selon lui la philosophie premiegravere doit

lecirctre aussi dans lordre de la connaissance laquo Or on voit mal que la philosophie premiegravere

souvent deacutesigneacutee comme la plus haute des sciences puisse obeacuteir agrave un autre ordre que celui-lagrave raquo agrave

savoir lordre de la science deacutemonstrative des Seconds Analytiques P Aubenque poursuit laquo la

theacuteologie eacutetait appeleacutee par Aristote philosophie premiegravere non seulement parce que son objet eacutetait

premier dans lordre de lecirctre mais aussi parce quelle-mecircme devait ecirctre premiegravere dans lordre du

savoir raquo348 Passons sur la reacuteduction de la philosophie premiegravere agrave la theacuteologie que nous tenterons

plus loin de deacutefaire Mais pourquoi donc la philosophie premiegravere ne pourrait-elle ecirctre premiegravere

par nature dans lordre du savoir mais moins familiegravere pour nous (donc posteacuterieure) P

Aubenque souhaite que cette philosophie soit premiegravere ou anteacuterieure dans tous les sens du terme

deacutegageacutes en Δ 11349 mais quand ce chapitre aborde lanteacuterioriteacute selon la connaissance cest bien

pour montrer la reacuteversibiliteacute entre notre connaissance et la connaissabiliteacute en soi350 Si la

345 P Hadot [1979] p 214 sq

346 M Rashed [2007b] p 1

347 Par exemple J-F Courtine [2005] p 127 sq

348 P Aubenque [1962] p 67

349 P Aubenque [1962] p 47

350 Quoique lon doive noter que la distinction ny est pas donneacutee sous sa forme la plus courante cf MetΔ 11 1018b 30 sq

104

La meacutetaphysique comme science une enjeux

philosophie premiegravere est par nature plus connaissable et anteacuterieure nest-elle pas neacutecessairement

posteacuterieure dans cet ordre pour nous cest-agrave-dire moins familiegravere Il y aurait alors contre

P Aubenque et agrave la maniegravere dAlexandre un moyen de rendre raison du doublet meacutetaphysique

philosophie premiegravere agrave condition de ne pas sortir dune question de connaissance ndash cest par

exemple la lecture proposeacutee par M Burnyeat351

Il est plus deacutecisif de rappeler que jamais Aristote nutilise cette dichotomie pour reacutegler la

question des rapports entre philosophies premiegravere et seconde Ce couple ne sapplique quagrave

linteacuterieur dune mecircme science ndash quelle soit la physique la science pratique ou la science

deacutemonstrative en geacuteneacuteral Lutilisation hors contexte du couple conceptuel est bien une

construction dinterpregravete La thegravese alexandrinienne de la posteacuteriteacute de la meacutetaphysique est sans

doute le produit dun croisement de textes et dinfluences la distinction des Analytiques lideacutee

tireacutee agrave la fois du Protreptique et du livre α selon laquelle la philosophie est difficile laquo pour nous raquo

et sans doute la lecture de Theacuteophraste352 Mais cest plus geacuteneacuteralement la notion mecircme

dlaquo ordre raquo (τάξις) qui est eacutetrangegravere agrave Aristote comme le signale E Martineau353 qui soutient en

effet que sur ce point P Aubenque ne se deacutemarque pas dAlexandre ou Ascleacutepius lorsquil pose

une distinction entre un ordre de fait et un ordre de droit dans le savoir Nous pourrions aller

plus loin la diffeacuterence qui seacutepare Aristote et Alexandre sur ce point la diffeacuterence qui seacutepare une

laquo progression raquo au sein dune mecircme science (laquo προάγειν raquo laquo μεταβαίνειν raquo354) et un laquo ordre raquo

entre deux sciences distinctes serait comparable agrave la diffeacuterence entre le continu et le discret La

primauteacute de la philosophie premiegravere chez Aristote na sans doute rien agrave voir avec un ordre

peacutedagogique355 Le changement de contexte de lactiviteacute philosophique entre Aristote et

Alexandre se deacutecegravele ici nettement et lon se rappellera que lun des preacutedeacutecesseurs dAlexandre

Adraste dAphrodise est lauteur dun laquo Περὶ τῆς τάξεως τῆς Ἀριστοτέλους φιλοσοφίας raquo356

Enfin et ce nest pas le moindre il y a incontestablement un contresens agrave identifier lordre entre

351 M Burnyeat [2001] p 6-8 et 120-124

352 Cf Theacuteophraste Met 9b 8-16

353 E Martineau [1974]

354 Respectivement Phys I 1 184a 19 (Cf aussi la meacutetaphore du laquo chemin raquo) et Met Z 3 1029b 3

355 Cf ci-dessous sect 122c

356 Le traiteacute est citeacute par Simplicius In Cat 16 1-2 18 16-17 In Phys 4 11 Cependant pour ecirctre honnecirctenous ne posseacutedons aucune preuve dun lien directe entre Adraste et Alexandre Quils soient tous deuxpeacuteripateacuteticiens et originaires dAphrodise ne fournit quune forte preacutesomption (voir aussi P Thillet[2002] p XXXII) Agrave tout le moins peut-on utiliser la reacutefeacuterence agrave Adraste pour deacutemontrer au sein dupeacuteripateacutetisme lexistence de questions dordre

105

La meacutetaphysique comme science une enjeux

physique et philosophie premiegravere avec un ordre entre sensible et intelligible comme si la

physique navait pas affaire agrave de lintelligible comme si la meacutetaphysique navait pas affaire agrave la

substance sensible Cette thegravese est tregraves probablement une simplification dont lExeacutegegravete lui-mecircme

devait avoir conscience puisquil attribue ailleurs agrave la philosophie premiegravere une eacutetude de la

substantialiteacute en geacuteneacuteral ndash donc aussi de la substance sensible quoique pas en tant que mobile

Mais la simplification se lit bien en toutes lettres dans le Commentaire357

c) La promotion de laquo philosophie premiegravere raquo louverture dun champ

Alexandre a donc ducirc trouver dans laquo philosophie premiegravere raquo une appellation authentique

propre agrave justifier celle de laquo meacutetaphysique raquo Cependant cette promotion du nom de philosophie

premiegravere implique-t-elle aussi dembleacutee une orientation quant agrave lobjet de la meacutetaphysique

Induit-elle par exemple une quelconque laquo theacuteologisation raquo de celle-ci comme le soutiennent

plusieurs interpregravetes358 Il nous semble au contraire que cette promotion sexplique en second lieu

par le caractegravere relativement geacuteneacuteral quAlexandre a ducirc y percevoir ou tout du moins la

possibiliteacute de sa geacuteneacuteralisation agrave lensemble de la meacutetaphysique Contrairement agrave nombre de

commentateurs contemporains qui reacuteduisent chez Aristote la philosophie premiegravere agrave la

theacuteologie359 Alexandre a su voir quune telle reacuteduction est en fait impossible Le problegraveme de

lobjet de la laquo science rechercheacutee raquo est preacutesent dans la seule notion de laquo philosophie premiegravere raquo

Deacutevelopper inteacutegralement la thegravese selon laquelle lexpression laquo philosophie premiegravere raquo a

chez le Stagirite un sens plus large que la seule science theacuteologique nous conduirait trop loin

Toutefois la thegravese de lidentiteacute theacuteologique de la philosophie premiegravere est suffisamment

reacutepandue pour quon prenne la peine de donner ici quelques indications360

Une eacutetude de lensemble des textes dAristote sur la philosophie premiegravere a eacuteteacute meneacutee en

357 In Met 193 10-12 laquo δοκεῖ ἡ περὶ τὴν οὐσίαν πραγματεία ἅπασα φιλοσοφία εἶναι οὐ μὴν πᾶσαπάσης τῆς οὐσίας ἐστίν ἀλλὰ κατὰ μὲν ἄλλο μέρος αὐτῆς τῆς αἰσθητῆς τε καὶ φυσικῆς κατ ἄλλοδὲ τῆς νοητῆς raquo laquo on estime que leacutetude de la substance est toute la philosophie ndash non pas que toutela philosophie porte sur toute la substance mais lune porte sur la substance sensible et naturellequand lautre porte sur la substance intelligible raquo On aborde ci-dessous au sect 242d la question desavoir si Alexandre prescrit bien agrave la philosophie premiegravere une eacutetude geacuteneacuterale de la substantialiteacute

358 Cf P Aubenque [1962] p 66 sq P Donini [2005] J-F Courtine [2005] est toutefois plus nuanceacute cfp 125

359 Cf entre autres A Mansion [1958] et P Aubenque [1962]

360 Quon pourra deacutevelopper dans un travail ulteacuterieur

106

La meacutetaphysique comme science une enjeux

deacutetail par A Mansion Il en conclut que la deacutetermination du contenu de la philosophie premiegravere

est constante dans lensemble du corpus celle-ci porte sur laquo lecirctre suprasensible raquo Il sagit lagrave des

laquo formes analogues ou semblables aux Ideacutees platoniciennes et deacutegageacutees comme elles de la

matiegravere ndash ou encore de Dieu le premier moteur caracteacuteriseacute par son immateacuterialiteacute et son

immobiliteacute ndash ou enfin de lintelligence ou de lacircme en tant quintelligente raquo361 La lecture

dA Mansion est souvent partageacutee non pas forceacutement dans sa formulation assez poleacutemique (qui

eacutevoque des analogues des Ideacutees chez Aristote ou parle de Dieu avec une majuscule) mais dans

lideacutee que la philosophie premiegravere correspond assez bien agrave la science theacuteologique dE 1 Une vue

plus attentive agrave la fonction argumentative de lexpression laquo philosophie premiegravere raquo pourrait

toutefois permettre de nuancer ou partiellement contredire la thegravese de lidentiteacute theacuteologique de la

philosophie premiegravere

Agrave strictement parler le syntagme laquo philosophie premiegravere raquo apparaicirct sept fois dans le

corpus aristoteacutelicien De anima I 1 De caelo I 8 De motu animalium Physique I 9 et II 2

Meacutetaphysique E 1 et K 4362 Agrave cet ensemble de textes il faut encore ajouter deux passages qui

mentionnent une philosophie ou une enquecircte laquo anteacuterieure raquo (προτέρα) agrave la physique en

Geacuteneacuteration et corruption I 3 et De caelo III 1

Au regard de cette eacutenumeacuteration un premier constat simpose la philosophie premiegravere

est bien plus preacutesente dans les traiteacutes de philosophie seconde On reacutetorquera que cest

statistiquement explicable par la plus grande quantiteacute des traiteacutes physiques qui nous sont

parvenus mais sil y a un endroit ougrave lon aurait pu attendre davantage dexplicitations sur la

philosophie premiegravere cest bien dans les traiteacutes qui composent la Meacutetaphysique Au demeurant

leacutetude des divers contextes de ces occurrences vient fonder cette premiegravere remarque purement

formelle En un mot la preacutesence de la laquo philosophie premiegravere raquo dans les traiteacutes physiques se

comprend aiseacutement si lon savise quelle est une expression fonctionnelle qui renseigne plus sur le

statut laquo non-premier raquo de la physique que sur le statut de cette laquo autre raquo363 enquecircte Dans le texte

361 A Mansion [1958] p 166

362 Ce dernier passage est en fait le doublon de Γ 2 dans lequel on lit quil y a autant de parties de laphilosophie quil y a de sortes substances et quil y a donc une premiegravere partie de la philosophie Ausurplus dit ensuite Aristote le philosophe est laquo comme le matheacutematicien raquo et puisquil y a unematheacutematique premiegravere on peut en deacuteduire quil y a une philosophie premiegravere ndash cest le pas quefranchit K 4 mais il est inteacuteressant de noter que le texte de Γ est plus contourneacute et plus prudent Demecircme en Γ 3 lideacutee dune laquo sagesse premiegravere raquo napparaicirct que neacutegativement pour refuser ce statut agrave laphysique

363 Sur cette expression dune laquo autre raquo enquecircte cf De Caelo III 1 298b 19-20 et peut-ecirctre GC I 3 318a 5-6mais les manuscrits ne sont pas unanimes sur ce point et il pourrait justement y avoir contamination agrave

107

La meacutetaphysique comme science une enjeux

aristoteacutelicien lexpression laquo philosophie premiegravere raquo a toujours pour fonction argumentative de

limiter la physique de deacutesigner ce qui ne peut pas en faire lobjet et partant de servir une

strateacutegie de secondarisation ou si lon preacutefegravere de limitation de la physique

Cest ainsi que le recours et le renvoi agrave la philosophie premiegravere arrivent souvent agrave des

points critiques ou des carrefours dans les textes Les deux passage citeacutes de la Physique par

exemple figurent comme des laquo fins raquo dargumentation ou des charniegraveres364 Physique I 9 par

exemple clocirct leacutetude des principes du devenir annonceacutee en I 1365 Le chapitre donne alors agrave lire

un eacutetrange retour du platonisme366 en se livrant agrave une sorte de redressement ou de rectification

des principes acadeacutemiciens La confrontation avec le platonisme aboutit agrave une deacutefinition de la

matiegravere et Aristote contraste immeacutediatement leacutetude de la forme pour elle-mecircme est en

revanche ajourneacutee367 Aristote trace ainsi un programme de recherche sur laquo le principe selon la

forme raquo par opposition aux formes naturelles et corruptibles qui seront traiteacutees dans les livres

suivants (ou dans lensemble des traiteacutes physiques) La reacutefeacuterence agrave la philosophie premiegravere

deacutelimite effectivement ce que peut eacutetudier la physique et il nest pas anodin que cela se situe au

sein dune critique du platonisme Cette remarque sur le principe formel et la philosophie

partir du texte preacuteceacutedent dans le De caelo ndash voir la note de M Rashed ad loc

364 Mecircme sil faut prendre avec preacutecaution les deacutecoupages en chapitres qui on le sait ne sont pasdAristote il nempecircche que ces deux passages ont manifestement une fonction darrecirct et de transitionet que le deacutecoupage en chapitres ou en livres agrave ces endroits est tout agrave fait deacutefendable

365 Quon accepte ou non le deacuteplacement de la premiegravere phrase de II 1 agrave la fin de I 9 comme le fait lemanuscrit E il demeure que la proposition se reacutefeacuterant agrave la philosophie premiegravere appartient bien agrave laconclusion du chapitre I 9 et du livre I en entier qui se terminent alors par la neacutecessiteacute toutaristoteacutelicienne dun nouveau commencement (laquo ἄλλην ἀρχήν raquo) En fait pour saisir pourquoiAristote renvoie agrave cet endroit leacutetude du principe formel agrave la philosophie premiegravere il faudrait retracer leplan de lensemble du livre I

366 Lexamen doxographique semble avoir eacuteteacute meneacute agrave bien dans les chapitres 2 3 et 4 Certes lePhilosophe a peut-ecirctre deacutejagrave eacutevoqueacute les platoniciens par exemple en I 2 185a 27-29 mais cest agrave titredhypothegravese theacuteorique agrave partir des thegraveses eacuteleacuteatiques Cette allusion ne constitue pas une preacutesentation niune reacutefutation des thegraveses platoniciennes pour elles-mecircmes De mecircme en I 3 Aristote pense-t-il peut-ecirctre aux platoniciens quand il parle de ceux qui ont laquo ceacutedeacute raquo [ἐνέδοσαν] aux arguments parmeacutenidiensmais lagrave encore les platoniciens naccegravedent pas au rang dadversaires bien deacutefinis et sont explicitementrangeacutes sous la banniegravere dune sorte de post-eacuteleacuteatisme Il nest donc pas abusif davancer que letraitement doxographique des chapitres 2 3 et 4 est structureacute par lopposition entre Eacuteleacuteates etlaquo physiciens raquo au sens large

367 Phys I 9 92a 34-b2 laquo Περὶ δὲ τῆς κατὰ τὸ εἶδος ἀρχῆς πότερον μία ἢ πολλαὶ καὶ τίς ἢ τίνες εἰσίνδιἀκριβείας τῆς πρώτης φιλοσοφίας ἔργον ἐστὶν διορίσαι ὥστ εἰς ἐκεῖνον τὸν καιρὸν [192b1]ἀποκείσθω περὶ δὲ τῶν φυσικῶν καὶ φθαρτῶν εἰδῶν ἐν τοῖς ὕστερον δεικνυμένοις ἐροῦμεν raquo laquo En ce qui concerne le principe selon la forme quant agrave savoir srsquoil est un ou multiple quelle chose lrsquoestou quelles choses le sont crsquoest la tacircche de la philosophie premiegravere de le deacuteterminer avec preacutecision aussi laissons cela de cocircteacute jusqursquoagrave cette occasion Quant aux formes naturelles et peacuterissables nous enparlerons dans nos prochains exposeacutes raquo (tr A Stevens)

108

La meacutetaphysique comme science une enjeux

premiegravere doit en effet ecirctre lue au sein du chapitre sauf agrave perdre lordre du propos et reacuteduire la

rigueur du texte aristoteacutelicien Or si lon veut maintenir un lien entre ce passage et ce qui

preacutecegravede il faut sans doute comprendre le laquo δὲ raquo dans laquo περὶ δὲ τῆς κατὰ τὸ εἶδος ἀρχῆς raquo

comme venant compleacuteter la liste des principes aristoteacuteliciens du devenir apregraves avoir eacutevoqueacute la

privation (en 192a 27) puis la matiegravere (deacutefinie en 192a 31-32) Mais vu que la distinction entre

matiegravere et privation prend deacutejagrave sens au sein dune rectification du platonisme on peut penser

quil en va de mecircme pour le laquo principe selon la forme raquo il y aurait lagrave une maniegravere de renvoyer la

critique des Formes platoniciennes agrave dautres traiteacutes tandis que la discussion de la deacutefinition de

la matiegravere a sa place en physique

Ainsi en va-t-il en II 2 qui traite de la diffeacuterence entre le physicien et le matheacutematicien et

permet agrave Aristote de preacuteciser ce quil entend par science physique son objet propre et sa

meacutethode Le Stagirite mentionne la philosophie premiegravere en 194b 9-15 dans un passage dont

leacutetablissement est difficile mais qui vient conclure largumentation preacuteceacutedente368 Il revient agrave la

philosophie premiegravere de sinterroger sur le laquo seacutepareacute raquo (laquo τὸ χωριστόν raquo) comment il est et ce quil

est La mention de la laquo philosophie premiegravere raquo sert donc bien ici agrave montrer ce qui outrepasse la

tacircche du physicien

On pourrait ecirctre tenteacute de nuancer cette conclusion en objectant que laspect fonctionnel de

lexpression laquo philosophie premiegravere raquo a partie lieacutee au statut mecircme de ces extraits de la Physique Il

serait preacutevisible que ces passages traitent des limites (au double sens du terme) de la physique et

que le Philosophe y eacutevoque ce qui excegravede la laquo reacutegion raquo propre agrave la science physique sil est vrai

que la Physique surtout en son deacutebut relegraveve tout autant dun meacuteta-discours sur la science

naturelle Toutefois notre hypothegravese se laisse confirmer par dautres passages qui eux ne

relegravevent pas dune eacutepisteacutemologie de la physique Ainsi en va-t-il du De Caelo I 8 ougrave Aristote

montre que la thegravese (physique) de luniciteacute du ciel a pour elle agrave la fois des arguments physiques et

des arguments extra-physiques quoique ce ne soit pas le lieu de les deacutevelopper La deacutelimitation

de la physique sopegravere ici in actu dans la deacutemonstration particuliegravere dune thegravese deacutetermineacutee De

mecircme dans De generatione I 3 comme dans le De caelo III 1 Le seul fait quAristote parle non

pas dune philosophie premiegravere mais dune enquecircte laquo anteacuterieure raquo agrave la physique indique le

caractegravere relatif du concept Lhabitude interpreacutetative est didentifier immeacutediatement comme

368 Les chevilles qui lient ce passage avec le reste du chapitre sont de fait nombreuses la question de laseacuteparation qui court depuis le deacutebut en est une lanalogie avec lart une autre la question du laquo μέχρι raquoune troisiegraveme

109

La meacutetaphysique comme science une enjeux

laquo philosophie premiegravere raquo cette philosophie laquo anteacuterieure raquo Agrave linverse on pourrait bien plutocirct

partir de cette expression de laquo philosophie anteacuterieure raquo pour comprendre et interpreacuteter ce quest

la philosophie premiegravere Que cette philosophie soit premiegravere au sens danteacuterieure montre quelle

doit ecirctre comprise en reacutefeacuterence agrave la physique Et de fait agrave chaque fois les occurrences de

philosophie premiegravere nous renseignent davantage sur la physique elle-mecircme369

En ce sens on pourrait sans truisme affirmer que la laquo philosophie premiegravere raquo est premiegravere

parce que la physique est (et doit ecirctre) seconde Lenvers positif de cette secondarisation est la

limitation agrave un genre par laquelle la physique gagne ses galons de science Eacutetant donneacute

lextension du genre des choses naturelles Aristote tient agrave reacutefuter la preacutetention agrave la totaliteacute et agrave

luniversaliteacute qui aurait marqueacute les premiegraveres physiques Cest ainsi le mecircme motif qui sous-tend

la critique de la dialectique platonicienne et de cette ancienne physique le refus dune science

universelle370 La strateacutegie de secondarisation de la physique (et de reacutegionalisation de leacutetant

naturel) est donc autant due agrave la deacutefinition aristoteacutelicienne de la science quagrave la maniegravere dont il se

situe dans lhistoire de la philosophie Et cette strateacutegie est indissociable du projet aristoteacutelicien

dune laquo refondation raquo371 de la physique Dans lexpression certes assez rare de laquo philosophie

seconde raquo laquo second raquo veut surtout dire laquo non total raquo comme le montre aussi Meacutetaphysique E 1372

369 La chose est tregraves nette dans le De Caelo III 1 ougrave Aristote procegravede agrave une reacutefutation de Parmeacutenide etMeacutelissos lesquels se montrent incapables de fonder une theacuteorie authentiquement laquo physique raquo (DeCaelo III 1 298b 14-18 laquo Οἱ μὲν γὰρ αὐτῶν ὅλως ἀνεῖλον γένεσιν καὶ φθοράν οὐθὲν γὰρ οὔτεγίγνεσθαί φασιν οὔτε φθείρεσθαι τῶν ὄντων ἀλλὰ μόνον δοκεῖν ἡμῖν οἷον οἱ περὶ Μέλισσόν τεκαὶ Παρμενίδην οὕς εἰ καὶ τἆλλα λέγουσι καλῶς ἀλλ οὐ φυσικῶς γε δεῖ νομίσαι λέγειν raquo) Leurtheacuteorie sous le coup de la critique aristoteacutelicienne se reacutevegravele en effet inapte agrave rendre compte despheacutenomegravenes ndash si elle nest pas φυσικῶς cest peut-ecirctre selon lopposition courante dans le corpusparce quelle est laquo verbeuse raquo λογικῶς Mais de surcroicirct parce quelle ne parvient pas agrave eacutelaborer uneeacutetude scientifique de la geacuteneacuteration des corps elle consiste en de la mauvaise laquo science physique raquo(φυσικῶς au sens de ce qui relegraveve de la φυσική ἀκρόασις) Il sagit donc bien ici pour Aristote de poserune caracteacuterisation neacutegative de la physique elle nest pas la science de lingeacuteneacuterable et de limmobile etles Eacuteleacuteates se rendent coupables dune confusion des sciences et leurs domaines

370 Met Γ 3 1005a 34 Comme le reacutesume P Pellegrin dans son eacutelaboration de la physique Aristotetravaille donc agrave partir dune double opposition aux Mileacutesiens pour qui laquo tout eacutetait inclus dans laphysis raquo et aux Eacuteleacuteates qui eacutetaient agrave lorigine dune laquo nouvelle science raquo laquo celle de lecirctre immobile etidentique agrave lui-mecircme Pour eux tout est donc justiciable de lontologie y compris la physique raquo cf PPellegrin [2000] p 15

371 P Pellegrin [2000] p 16

372 Sans entrer dans le deacutetail de ce chapitre qui a lapparence de laquo la fausse simpliciteacute des textesprogrammatiques raquo (M Crubellier P Pellegrin [2002] p 217) il faut neacuteanmoins souligner sa coheacuterenceavec les autres passages que nous avons citeacutes Ici comme ailleurs Aristote insiste sur les limites de laphysique Celle-ci porte sur laquo un genre de leacutetant raquo laquo ἡ φυσικὴ ἐπιστήμη τυγχάνει οὖσα περὶ γένοςτι τοῦ ὄντος raquo (1025b 18-19) ce qui permet de la promouvoir au rang des sciences theacuteoreacutetiquesToutefois il faut aussi entendre dans la suite du chapitre quelle ne porte que sur un genre de leacutetant En

110

La meacutetaphysique comme science une enjeux

La primauteacute de la philosophie premiegravere doit alors sentendre comme une anteacuterioriteacute relative

anteacuterioriteacute qui tient agrave la digniteacute et leacuteminence de son objet selon le motif connu de Meacutetaphysique

A373 repris par E 1

Aristote se sert donc manifestement de la reacutefeacuterence agrave une philosophie premiegravere pour

exprimer la limitation de la physique et son statut second cela implique-t-il que le reacutesidu de

cette opeacuteration soit le mecircme dans tous les passages Tous ces passages octroient-ils le mecircme

objet agrave la philosophie premiegravere Certes dans la seule occurrence que nous posseacutedions ne

deacutesignant plus la philosophie premiegravere comme une science mais comme les livres lexposant agrave

savoir le De motu animalium 6 Aristote renvoie nommeacutement le premier moteur agrave la philosophie

premiegravere374 Mais le passage implique aussi que la philosophie premiegravere puisse eacutetudier le

mouvement375 Sans cela les passages du De caelo et du De motu circonscrivent en fait la

effet agrave partir de la combinatoire des proprieacuteteacutes seacuteparable mobile et leurs contraires le Stagirite endeacuteduit la neacutecessiteacute dune science portant sur une substance seacutepareacutee et immobile Le nœud delargument est que si cette substance nexistait pas laquo ἡ φυσικὴ ἂν εἴη πρώτη ἐπιστήμη raquo (1026a 28-29) or faut-il sous-entendre par modus tollens ce nest pas le cas Quoique la viseacutee de ce chapitreprogrammatique soit plus vaste que les autres mentions de la philosophie premiegravere que nous avonsvues il reste bien un motif constant la physique est seconde au sens ougrave elle nest pas universelleparce quil y a quelque chose qui restera neacutecessairement en dehors de son champ deacutetude Cest doncpar rapport agrave elle que lautre philosophie est premiegravere cest la limitation de la physique qui exige unephilosophie premiegravere au sens danteacuterieure comme le souligne bien le chapitre agrave deux reprises en1026a 13 (laquo ἀλλὰ προτέρας ἀμφοῖν raquo) et surtout en 1026a 29-30 (laquo εἰ δ ἔστι τις οὐσία ἀκίνητος αὕτηπροτέρα καὶ φιλοσοφία πρώτη raquo)

373 Cf A 2 983a 4-5 laquo οὔτε τῆς τοιαύτης ἄλλην χρὴ νομίζειν τιμιωτέραν Ἡ γὰρ θειοτάτη καὶτιμιωτάτη raquo agrave comparer avec E 1 1026a 21-22 laquo καὶ τὴν τιμιωτάτην δεῖ περὶ τὸ τιμιώτατον γένοςεἶναι raquo et le doublon de K 7 1064b 4-6 On peut eacutegalement songer agrave lexpression de Λ 10 1075b 20-21 laquo καὶ τοῖς μὲν ἄλλοις ἀνάγκη τῇ σοφίᾳ καὶ τῇ τιμιωτάτῃ ἐπιστήμῃ εἶναί τι ἐναντίον ἡμῖν δ οὔ raquo

374 Cf DMA 6 700b 4-11 laquo Περὶ μὲν οὖν ψυχῆς εἴτε κινεῖται εἴτε μή καὶ εἰ κινεῖται πῶς κινεῖταιπρότερον εἴρηται ἐν τοῖς διωρισμένοις περὶ αὐτῆς Ἐπεὶ δὲ τὰ ἄψυχα πάντα κινεῖται ὑφ ἑτέρουπερὶ δὲ τοῦ πρώτου κινουμένου καὶ ἀεὶ κινουμένου τίνα τρόπον κινεῖται καὶ πῶς κινεῖ τὸ πρῶτονκινοῦν διώρισται πρότερον ἐν τοῖς περὶ τῆς πρώτης φιλοσοφίας λοιπόν ἐστι θεωρῆσαι πῶς ἡψυχὴ κινεῖ τὸ σῶμα καὶ τίς ἡ ἀρχὴ τῆς τοῦ ζῴου κινήσεως raquo laquo Agrave propos dune part de lacircme ltetde la question de savoirgt si elle se meut ou non et si elle se meut comment elle se meut on en a deacutejagraveparleacute dans les analyses agrave son sujet Puisque dautre part tous les ecirctres inanimeacutes sont mus par autrechose et que quant au premier mucirc qui est toujours mucirc de quelle faccedilon il est mucirc et comment le meutle premier moteur on la deacutejagrave analyseacute dans le traiteacute de philosophie premiegravere il reste donc agrave eacutetudiercomment lacircme meut le corps et quel est le principe du mouvement de lanimal raquo

375 Dapregraves ce passage en effet (voir note preacuteceacutedente) la philosophie premiegravere peut bien eacutetudier un ecirctremobile le compleacutement laquo περὶ δὲ τοῦ πρώτου κινουμένου raquo deacutepend de laquo διώρισται πρότερον raquo Onpeut neacuteanmoins imaginer que cest parce quelle le fait agrave partir de son eacutetude du premier moteur qui estlui immobile Mais comme on la vu le De caelo I 8 lui-mecircme renvoie agrave la philosophie premiegraverecomme agrave une eacutetude fournissant des arguments suppleacutementaires pour deacutemontrer luniciteacute du ciel Defait Aristote y dit laquo Ἔτι δὲ καὶ διὰ τῶν ἐκ [b10] τῆς πρώτης φιλοσοφίας λόγων δειχθείη ἄν καὶ ἐκτῆς κύκλῳ κινήσεως ἣν ἀναγκαῖον ἀΐδιον ὁμοίως ἐνταῦθά τ εἶναι καὶ ἐν τοῖς ἄλλοις κόσμοις raquo(277b 9-12) que C Dalimier et P Pellegrin traduisent par laquo De plus on peut aussi montrer cela par le

111

La meacutetaphysique comme science une enjeux

laquo philosophie premiegravere raquo agrave une portion extrecircmement congrue du corpus aristoteacutelicien en gros Λ

6-8 parfois associeacute agrave Physique VIII ndash on se retrouve agrave nouveau agrave la limite entre physique et

meacutetaphysique376

Il faut toutefois se garder dune tendance agrave lhomogeacuteneacuteisation on pourrait ainsi tout agrave

fait montrer que le texte eacutevoqueacute du De caelo III 1 est plus indeacutetermineacute et supporterait sans peine

la thegravese selon laquelle la philosophie premiegravere a aussi agrave soccuper des formes des composeacutes

hyleacutemorphiques On sen souvient dans la critique des Eacuteleacuteates Aristote confie agrave cette enquecircte

anteacuterieure agrave la physique leacutetude de laquo certaines choses (ἄττα τῶν ὄντων) inengendreacutees et

totalement immobiles raquo (ἀγένητα καὶ ὅλως ἀκίνητα)377 Or certaines propositions de la

Meacutetaphysique peuvent laisser penser que la forme serait en un sens immobile et inengendreacutee378 et

biais darguments tireacutes de la philosophie premiegravere ainsi que du [ou en particulier par le] mouvementen cercle qui est neacutecessairement eacuteternel aussi bien ici que dans les autres mondes raquo Comme le souligneP Pellegrin en note on peut en effet traduire le καὶ de la proposition laquo καὶ ἐκ τῆς κύκλῳ κινήσεως raquosoit comme conjonction de coordination (laquo et en outre raquo) soit dans sa valeur expleacutetive (laquo cest-agrave-dire raquoou laquo plus preacuteciseacutement raquo) Eacutetant donneacute la briegraveveteacute de largument il paraicirct difficile de ne pas penser quelaquo καὶ ἐκ τῆς κύκλῳ κινήσεως raquo vient deacutevelopper le renvoi agrave la philosophie premiegravere sans quoi cerenvoi resterait bien eacutenigmatique et de peu deffet argumentatif

376 Comme sen avisent pour le De caelo Alexandre et Simplicius cf Simplicius In De caelo 269 31 sqQuant au passage du De generatione Aristote lui-mecircme renvoie agrave un Traiteacute du mouvement (laquo ἐν τοῖς περὶκινήσεως λόγοις raquo 318a 3-4) dans lequel a eacuteteacute montreacute que lautre cause de la perpeacutetuiteacute de lageacuteneacuteration (autre que la matiegravere dont il va ecirctre ici question) doit ecirctre immobile cause dun mobiletoujours en mouvement et cest ce premier moteur queacutetudie la philosophie premiegravere

377 On trouve dailleurs ce mecircme couple dadjectifs dans le De generatione et corruptione II 10 quand leStagirite montre quil est neacutecessaire quil y ait un moteur premier origine absolue du mouvement cfGC II 10 337a 15 sq et en particulier l 19-20 laquo ἓν τὸ αὐτὸ καὶ ἀκίνητον καὶ ἀγένητον καὶἀναλλοίωτον raquo

378 Certes sauf erreur ladjectif laquo ἀγένητος raquo napparaicirct quune seule fois dans toute la Meacutetaphysique en B4 999b 7-8 dans le deacuteveloppement de la huitiegraveme aporie Il est cependant envisageable que lareacutesolution de cette aporie ne se fasse pas en Λ mais bien dans les livres centraux en tant quilsdeacuteveloppent la question de lοὐσία celle des relations entre forme et matiegravere et quils reacutefutent par lagrave-mecircme la seacuteparation de la forme selon les platoniciens Or que la forme dune substance composeacutee nesoit pas seacutepareacutee au sens platonicien nimplique pas quelle soit laquo geacuteneacutereacutee raquo pour autant agrave titre deprincipe du devenir elle preacutecegravede le devenir lui-mecircme et ce qui devient agrave proprement parler cesttoujours un composeacute (Cf par exemple Z 9 1034b 7-19) En outre que la forme ne puisse peacuterir commeleacutetablit Aristote agrave plusieurs endroits implique neacutecessairement quelle ne soit pas geacuteneacutereacutee et exclue duflux du devenir Enfin la forme est immobile au sens ougrave comme le rappelle K 11 par exemple le sontles formes comme termes du changement (1067b 9-11) Plusieurs moments de la Meacutetaphysiquementionnent dailleurs une substance (οὐσία) immobile ou seacutepareacutee des sensibles et sans trancher dansla preacutecipitation il est remarquable que ces passages font eacutegalement sens (et peut-ecirctre davantage) silon y entend non pas le premier moteur immobile mais bien la forme substantielle Annick Jaulinrenvoie par exemple agrave Γ 5 1009a 36-38 qui mentionne lexistence dune laquo autre substance des eacutetants agravelaquelle nappartiennent pas du tout ni le mouvement ni la corruption ni la geacuteneacuteration raquo A Jaulinrenvoie eacutegalement agrave Z 11 1037a 10-17 et Λ 1 1069a 33-b 2 cf A Jaulin M-P Duminil [2008] p 16A Jaulin a en effet soutenu que la philosophie premiegravere na pas pour seul objet les premiers moteurs

112

La meacutetaphysique comme science une enjeux

le contexte du chapitre du De caelo III 1 peut venir asseoir cette lecture quoique les indices

textuels demeurent assureacutement assez minces379 En reacutealiteacute tout se passe comme si dans ce

passage lidentiteacute des laquo choses raquo immobiles et inengendreacutees neacutetait pas ce qui importait

Pourquoi Parce que justement il suffit agrave Aristote dexclure du champ de la physique ces deux

proprieacuteteacutes (peu importe leur porteur) pour que sa critique fasse mouche Cest agrave la philosophie

premiegravere de deacuteterminer sil y a ou non [laquo τὸ γὰρ εἶναι raquo] des ecirctres de ce type et le cas eacutecheacuteant

de les eacutetudier pour eux-mecircmes Le programme assigneacute par ces deux adjectifs serait alors

deacutelibeacutereacutement ouvert puisquil peut aussi bien comprendre les parties plus theacuteologiques du corpus

que lousiologie des livres centraux voire la reacutefutation du platonisme Le principal est que cela ne

fasse pas lobjet de la physique pour disqualifier lentreprise parmeacutenidienne On pourrait montrer

dans le mecircme esprit quidentifier en Physique I 9 le laquo principe selon la forme raquo (qui constitue un

hapax) agrave un renvoi agrave la theacuteologie des moteurs immobiles revient agrave ceacuteder agrave une tradition

peacuteripateacuteticienne laquelle remonte au moins agrave Alexandre et systeacutematise la notion de forme depuis

les reacutegions infeacuterieures du sensible au niveau eacuteleacutementaire jusque dans les cieux380

Ainsi en va-t-il encore de louverture du laquo χωριστόν raquo que la Physique II 2 octroie comme

objet agrave la philosophie premiegravere ou du laquo ᾗ δὲ κεχωρισμένα raquo du De anima Agrave chaque fois

lindeacutetermination lampleur du champ perceacute parce quelle se reacutepegravete ne peut ecirctre due au pur

hasard381 Le concept aristoteacutelicien de laquo philosophie premiegravere raquo exemplifie agrave plein la ductiliteacute

divins mais aussi ndash et sans contradiction ndash les formes comme substances immobiles des substancescomposeacutees sensiblesVoir en particulier A Jaulin [2008a] p 347-360 Pour la reacutepeacutetition volontaire delaquo οὐσία raquo cf A Jaulin dans A Jaulin M-P Duminil [2008] p 12

379 Sur la diffeacuterence entre les moteurs ceacutelestes et les formes des composeacutes cf Z 15 1039b 20-27 qui montreque les formes des composeacutes sont certes inengendreacutees et impeacuterissables et mecircme immobiles mais ellene sont pas toujours elles sont et ne sont pas Sur la maniegravere dont physique et meacutetaphysique separtagent leacutetude de la forme cf A Stevens [agrave paraicirctre] qui montre comment la philosophie premiegraverelaquo ne se deacutefinit pas par des objets propres mais par eacutetude propre des objets qui sont aussi ceux drsquoautressciences raquo sur lesquels elle prend une perspective particuliegravere

380 Cf infra sect 32 et 33

381 A Mansion comme on sen doute se sert du passage de Phys II 2 194b 14 pour opposer deux sortesde formes celles dans la matiegravere et celles seacutepareacutees (dans leur ecirctre) de la nature On reconnaicirct aiseacutementici lascendance alexandrinienne comme on le verra Pour la fin de Physique II 2 comme pour lepassage du DA I 1 403 b 7-16 la prudence est requise Ce dernier passage meacuteriterait agrave lui seul touteune eacutetude eu eacutegard aux deacutesaccords des traducteurs et des interpregravetes Il est en effet possible que bienconstruite la proposition cruciale de 403b 10-16 (laquo ἀλλ ὁ φυσικὸς περὶ ἅπανθ ὅσα τοῦ τοιουδὶσώματος καὶ τῆς τοιαύτης ὕλης ἔργα καὶ πάθη ὅσα δὲ μὴ τοιαῦτα ἄλλος [hellip] ᾗ δὲ κεχωρισμένα ὁπρῶτος φιλόσοφος raquo) ramasse lideacutee que le philosophe premier doit soccuper non pas du seacutepareacutesimplement (lintellect agent selon Mansion) mais des laquo affections de la matiegravere raquo en tant quelles sontseacutepareacutees de la matiegravere (ie ces deacuteterminations de la matiegravere prises en tant que seacutepareacutees)

113

La meacutetaphysique comme science une enjeux

terminologique du Stagirite ndash les concepts aristoteacuteliciens sont comme on dit dans lindustrie

textile des laquo mateacuteriaux souples raquo382 De fait luniteacute fonctionnelle de laquo philosophie premiegravere raquo

nimplique pas en ce qui concerne son objet la reacuteduction agrave luniteacute Par laquo philosophie premiegravere raquo

le Stagirite ouvre un horizon qui peut renvoyer certes agrave la theacuteologie du moteur immobile mais

aussi bien agrave linterrogation sur la forme du composeacute voire agrave la critique des Ideacutees383

Contre lideacutee que la promotion alexandrinienne de laquo philosophie premiegravere raquo sexpliquerait

a priori par un projet de theacuteologisation de la meacutetaphysique il faut donc bien plutocirct faire

lhypothegravese dune conscience de la largeur de leacuteventail ouvert par lexpression dans le corpus

aristoteacutelicien Cest ce qui explique que lExeacutegegravete emploie aussi souvent laquo philosophie premiegravere raquo

avec sagesse deux expressions conccedilues comme synonymes384

Toutefois si Alexandre a perccedilu la geacuteneacuteralisation possible de laquo philosophie premiegravere raquo agrave

lensemble de la meacutetaphysique chez lui en revanche laquo philosophie premiegravere raquo nest plus le nom

dune thegravese qui deacutelimite la physique nest plus un concept qui prend son sens relativement agrave la

philosophie seconde Du fait mecircme de son hermeacuteneutique Alexandre cherche par delagrave la

coheacuterence fonctionnelle du syntagme agrave en fixer la signification et donc agrave fixer lobjet de la

meacutetaphysique ou agrave les articuler entre eux La possibiliteacute mecircme de la question de lobjet de la

philosophie premiegravere est bien le reacutesultat dune opeacuteration exeacutegeacutetique typique dAlexandre

Et de fait comme on la vu dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Alexandre utilise

preacuteciseacutement laquo philosophie premiegravere raquo comme un terme collectif qui en vient agrave deacutesigner

lensemble de la science proposeacutee par le traiteacute dans toutes ses dimensions Le problegraveme de lobjet

de la meacutetaphysique se concentre dans la question de la signification de laquo philosophie premiegravere raquo

En atteste un passage du Commentaire aux Premiers analytiques

382 Cf J Brunschwig [1979] qui se fonde en particulier sur lideacutee dune dune souplesse du lexiquearistoteacutelicien comme en teacutemoigne limportante proposition finale qui demeure une sourcedinspiration selon laquelle il faut lire Aristote avec preacutesente agrave lesprit la regravegle laquo reconnaicirctre aux motsle sens tout le sens rien que le sens que la fonction quils remplissent dans les eacutenonceacutes contraint deleur reconnaicirctre raquo (p 158)

383 En Phys II 2 194b 14-15 cest bien une question (τί ἐστι ) qui est attribueacutee agrave la philosophie premiegravereOr cette question de savoir si la forme est laquo χωριστόν raquo peut sentendre selon les trois sens de ladjectifchez Aristote la forme est-elle seacuteparable seulement τῷ λόγῳ ou ἁπλῶς Si la forme nest seacuteparableque τῷ λόγῳ peut-elle agrave bon droit prendre le titre de substance premiegravere Si lon maintient en outre lasubstantivation de τὸ χωριστόν sans sous-entendre laquo forme raquo alors la perspective seacutelargit davantage quest-ce qui est seacutepareacute Ces questions sont toutes traiteacutees dans les livres centraux dont linterrogationinitiale part de la substance et deacutefinit parmi ses critegraveres la seacuteparabiliteacute Mais plus encore la critiquede Formes universelles seacutepareacutees courant de A agrave N cest en un sens une grande partie de laMeacutetaphysique qui pourrait ici ecirctre viseacutee

384 Au sens contemporain

114

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Πάλιν εἴ τις λάβοι ὅτι ἡ τοῦ ὄντοςἐπιστήμη ᾗ ὂν ἐπιστήμη ἐστὶ τοῦ πρώτουαἰτίου κινοῦντος ἡ δέ γε ἐπιστήμη ἡ τοῦπρώτου αἰτίου κινοῦντος ἡ πρώτη [35735]ἐστὶ φιλοσοφία καὶ συνάγοι ἐκ τούτων ὅτιἡ τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ἐπιστήμη ἡ [3581] πρώτηἐστὶ φιλοσοφία

laquo Ensuite si lon posait que la science de leacutetant entant queacutetant est science de la premiegravere cause motriceet que la science de la premiegravere cause motrice est laphilosophie premiegravere alors on en infeacutererait385 de lagraveque la science de leacutetant en tant queacutetant est laphilosophie premiegravere raquo

(In AnPr 357 32 ndash 358 1)

Sans vouloir pousser le goucirct du paradoxe ce passage est inteacuteressant justement parce quil

est anodin ce nest lagrave quun exemple comme donneacute en passant mais cet exemple nappartient

pas au Commentaire agrave la Meacutetaphysique et nest donc pas le fruit dune exeacutegegravese locale Au surplus

rien dans le passage des Premiers Analytiques ne pousse agrave son usage Le contexte en effet est le

commentaire du chapitre I 35 qui sinsegravere dans un moment du traiteacute ougrave Aristote deacutenonce les

erreurs agrave eacuteviter dans les raisonnements deacuteductifs Il est ici question des erreurs lieacutees agrave la

formulation des deacuteductions en langage naturel386 et du problegraveme des laquo noms raquo des termes du

syllogisme Alexandre commente la proposition dAristote selon laquelle laquo il ne faut pas toujours

chercher agrave exprimer les termes par un nom souvent en effet il y aura des expressions [λόγοι]

pour lesquelles on na pas eacutetabli de nom raquo387 Ce nest pas parce quun des termes na pas de nom

et ne sexprime que par une laquo locution composeacutee raquo (ainsi Tricot traduit-il laquo λόγοι raquo) que pour

autant il ne faut pas consideacuterer ce terme comme une uniteacute logiquement repreacutesentable par une

lettre par exemple mecircme si reconnaicirct Aristote cela peut poser des difficulteacutes lors de la

reconduction du syllogisme en question agrave lune des trois figures

Alexandre a dabord choisi un cas ougrave seul le moyen terme du syllogisme sexprime par

une proposition et non par une expression nominale ou un adjectif laquo le courageux deacutedaigne son

propre salut au profit de lutiliteacute commune or tout homme qui deacutedaigne son propre salut au

profit de lutiliteacute commune est digne deacuteloge donc le courageux est digne deacuteloge raquo388 Peu

importe donc dit Alexandre que le moyen-terme ne sexprime pas ici par un nom pour pouvoir

reconduire ce syllogisme agrave la premiegravere figure Alexandre complique ensuite laffaire en prenant

385 Les traducteurs anglais du Commentaire aux Topiques par exemple proposent aussi en ce sens laquo todeduce raquo

386 M Crubellier [2008] p 144

387 An Pr I 35 48a 29-30 laquo Οὐ δεῖ δὲ τοὺς ὅρους ἀεὶ ζητεῖν ὀνόματι ἐκτίθεσθαι πολλάκις γὰρ ἔσονταιλόγοι οἷς οὐ κεῖται ὄνομα raquo

388 In AnPr 357 27-29 laquo lsquoὁ ἀνδρεῖος καταφρονεῖ τῆς ἑαυτοῦ σωτηρίας ὑπὲρ τοῦ κοινῇ συμφέροντοςπᾶς ὁ καταφρονῶν τῆς ἑαυτοῦ σωτηρίας ὑπὲρ τοῦ κοινῇ συμφέροντος τιμῆς ἄξιος ὁ ἄρα ἀνδρεῖοςτιμῆς ἄξιοςrsquo raquo

115

La meacutetaphysique comme science une enjeux

un exemple ndash le passage citeacute ndash ougrave ce sont agrave la fois un extrecircme et le moyen-terme qui sexpriment

par des locutions complexes et ougrave au surplus le syllogisme porte sur une question de

deacutenomination Lagrave encore pour analyser ce syllogisme comme relevant de la premiegravere figure il

est inutile voire preacutejudiciable de chercher les noms des termes agrave la place de ces expressions389

Ce simple exemple suffit ainsi agrave montrer premiegraverement que lexpression laquo philosophie

premiegravere raquo est bien au centre dune question de deacutenomination et deuxiegravemement quAlexandre a

choisi de nommer ainsi lontologie Cela confirme donc que le double emploi de laquo philosophie

premiegravere raquo autant que laquo sagesse raquo que nous avions eacutevoqueacute preacuteceacutedemment nest pas une

maladresse une neacutegligence ni une scorie de lExeacutegegravete

Nous nous interrogions donc sur lapparente eacutequivalence des noms de la science

rechercheacutee Peut-ecirctre sommes-nous deacutesormais en mesure daffiner cette eacutequivalence Si lon reacuteduit

les candidats aux seuls noms (en laissant de cocircteacute les laquo λόγοι raquo comme laquo science de leacutetant en tant

queacutetant raquo)390 alors il y a disproportion entre les deacutenominations les plus employeacutees par

Alexandre sagesse et philosophie premiegravere et les autres theacuteologie et meacutetaphysique Cette

diffeacuterence quantitative est signifiante elle signale la lecture unitarienne de lExeacutegegravete qui

privileacutegie des termes agrave la fois explicitement conceptualiseacutes par Aristote et susceptibles de couvrir

lensemble du champ perceacute par la Meacutetaphysique alors que laquo theacuteologique raquo neacutevoque quun aspect

de cette science Avec ces deux premiers noms il semble quon ait affaire agrave de parfaits synonymes

au sens contemporain ou polyonymes391 Alexandre emploie lun autant que lautre lun agrave la

place de lautre lun avec lautre Cest strictement la mecircme personne qui est sage et philosophe

premier392 et la mecircme science qui est sagesse et philosophie premiegravere ougrave lexpression se construit

comme un hendiadyn laquo τὴν αὐτὴν δὲ ἔθος αὐτῷ καλεῖν σοφίαν τε καὶ πρώτην φιλοσοφίαν raquo

15 32-33)

389 In AnPr 358 1-4

390 Comme le fait F Wolff [1997] p 293

391 En toute rigueur cest le reacutefeacuterent deacutesigneacute par ces termes qui est polyonyme et non les noms eux-mecircmes

392 In Met 239 34-37 ougrave ces deux noms deacutesignent Aristote en personne laquo λαμβάνει τὸ δεῖν τὰς ἀρχὰςτὰς πρώτας καὶ τὰς ἀκροτάτας αἰτίας ἃς νῦν φησιν εἶναι τὰς ζητουμένας ὑπ αὐτοῦ τουτέστινὑπὸ τοῦ σοφοῦ τε καὶ πρώτου φιλοσόφου φύσεώς τινος ἀρχὰς εἶναι καθ αὑτὸ καὶ μὴκατὰσυμβεβηκός raquo

116

La meacutetaphysique comme science une enjeux

123 La Meacutetaphysique selon Alexandre

a) Une lecture interne

Loption unitarienne de lExeacutegegravete se perccediloit donc dans lidentiteacute en extension des titres du

traiteacute et des noms de la science que celui-ci expose La promotion et lemploi alexandrinien de

laquo philosophie premiegravere raquo indiquent toutefois deacutejagrave agrave titre de piste que cette unification ne se fera

pas neacutecessairement au profit de leacutelection dun seul objet de la meacutetaphysique On a vu de fait

comment le choix de lExeacutegegravete en faveur de laquo sagesse raquo et surtout de laquo philosophie premiegravere raquo

sexpliquait par leur capaciteacute agrave couvrir une tregraves large partie de la Meacutetaphysique Il convient degraves

lors de se demander comment lExeacutegegravete conccediloit en geacuteneacuteral la composition du traiteacute Nous nous

cantonnerons ici principalement aux cinq premiers livres Des conjectures pour les livres restants

seraient envisageables sur la base des remarques donneacutees par Alexandre au fil du commentaire

des cinq premiers mais lentreprise restera assez speacuteculative393 Au surplus ces cinq livres offrent

deacutejagrave de solides indications sur la conception alexandrinienne du traiteacute et posent agrave lExeacutegegravete des

problegravemes (dauthenticiteacute et de place) similaires agrave ceux quont pu lui poser les livres suivants

Dans une synthegravese remarquable394 M Frede a deacutecrit la situation de tout interpregravete

contemporain devant la Meacutetaphysique Voilagrave un traiteacute dont le nom est inauthentique et dont la

composition paraicirct au moins irreacuteguliegravere Ces textes nont tregraves probablement pas eacuteteacute eacutecrits dune

seule traite et sont de statuts diffeacuterents395 mais nous ne posseacutedons aucune preuve indiscutable du

fait que la Meacutetaphysique soit ou non un agreacutegat (au sens leibnizien) composeacute par les successeurs ou

les eacutediteurs dAristote Comme le souligne en effet S Menn396 contre une opinion reacutepandue ce

deacutefaut de preuves externes laisse encore ouverte la possibiliteacute que la Meacutetaphysique ait eacuteteacute formeacutee

par Aristote lui-mecircme On a rappeleacute les doutes agrave ce sujet ci-dessus il semble tregraves improbable

quon puisse acceacuteder agrave une certitude quant agrave la formation (et encore moins au sens) de la

Meacutetaphysique agrave partir de ces teacutemoignages externes Pour hasarder une comparaison le lecteur

contemporain de la Meacutetaphysique se trouve devant son texte dans une situation pire que celle dun

393 Voir cependant avec laide dAverroegraves les conjectures ci-dessous sect 243

394 M Frede [1987b] p 81-83

395 Voir aussi A Stevens [2000] p 11 et 17

396 S Menn [1995]

117

La meacutetaphysique comme science une enjeux

speacutecialiste des Essais priveacute des indications marginales A B C397 Degraves lors pour comprendre quel

est le sens du projet dAristote il ne nous reste selon M Frede quune voie et une possibiliteacute

laquo the only avenue raquo

We have to go by Aristotles explicit remarks about the project he is engaged in see to what extendthis project actually is carried out and extrapolate on what the finished project would have lookedlike398

Bref cest limpeacuteratif hermeacuteneutique dune lecture interne qui doit preacutevaloir Pour un

lecteur contemporain la regravegle deviendrait donc autant quil est possible chercher le sens de ces

textes agrave partir deux-mecircmes sans employer la deacuterobade dune composition inauthentique ou

dadditions extrinsegraveques399 Cette regravegle soit dit en passant nastreint pas delle-mecircme agrave une

option unitarienne elle consiste bien plutocirct en lassomption dun scepticisme preacutealable

paradoxalement producteur de sens400

Or il est frappant de constater agrave quel point Alexandre nest pas si eacuteloigneacute de ce lecteur

contemporain On aurait pu attendre de lExeacutegegravete une documentation historique plus preacutecise des

sources plus autoriseacutees Jamais Alexandre ne fait intervenir Eudegraveme Pasiclegraves ou Andronicos ou

qui que ce soit dautre comme auteurs de corrections exteacuterieures pour justifier tel eacutetat du texte

Est-ce par ignorance de ces hypothegraveses On peut en douter les teacutemoignages sur leacutedition de la

Meacutetaphysique lui sont posteacuterieurs il fait lui-mecircme eacutetat de remises en causes eacuteditoriales du traiteacute il

preacutesente des variantes des manuscrits et naffiche donc pas en ce sens de sacralisation excessive

du texte en son niveau le plus mateacuteriel Cela deacutenote bien plutocirct une certaine option

hermeacuteneutique celle dune lecture interne qui pousse agrave son maximum la preacutesomption de

coheacuterence geacuteneacuterale du texte

397 Quoique bien sucircr la laquo rapsodie raquo montanienne (cf Essais I 13 et 56) soit tregraves diffeacuterente de celle queKant reproche agrave Aristote ne serait-ce que par leur rapport agrave la veacuteriteacute

398 M Frede [1987b] p 83

399 Cf aussi S Menn [1995] p 208 laquo Of course we may very well conclude that the order of the text as we haveit fails in some major way to reflect Aristotles intentions [] but we cannot draw such conclusions fromauthority We can only draw them if after serious effort we are unable to make sense of the text as we have it raquo

400 Parce que la mise en suspens des questions externes et de la valeur de veacuteriteacute des teacutemoignages eacutevite dessolutions faciles et pousse agrave lapprofondissement des interpreacutetations On nous reacutetorquera que cela estcontradictoire avec limpeacuteratif de contextualisation soutenu au deacutebut de ce travail Toutefois ce seraitfaire un mauvais procegraves la mise en suspens de ces indices externes douteux quant agrave la composition dela Meacutetaphysique ninterdit pas par exemple la prise en compte de la dimension collective et dialogiquedu travail philosophique agrave leacutepoque dAristote

118

La meacutetaphysique comme science une enjeux

b) Authenticiteacute des livres et uniteacute du traiteacute

Un fait trop rarement souligneacute est en effet que le commentaire dAlexandre teacutemoigne agrave

maintes reprises de discussions anteacuterieures sur la composition de la Meacutetaphysique ou sur

lauthenticiteacute de certains livres Degraves avant Alexandre ndash assez tocirct donc ndash les lecteurs de la

Meacutetaphysique auraient eu conscience davoir affaire agrave un ensemble plus ou moins instable voire

corrompu Agrave chaque fois pourtant sans relacircche Alexandre seacutelegraveve contre ces soupccedilons La

question de lauthenticiteacute du livre A quAlexandre eacutetablit entre autres au deacutetour dun

commentaire agrave B 2 en est un bon exemple

Μέλλων δὲ πρὸς αὐτὰς λέγειν πρῶτονὑπομιμνήσκει ἡμᾶς ὁποίας τινὰς [19620]ἔλεγον αὐτὰς εἶναι ἀναπέμπων εἰς τὰεἰρημένα ἐν τῷ πρώτῳ Ὅθεν καὶ δῆλον ἐκπλειόνων ἤδη ὅτι κἀκεῖνο Ἀριστοτέλους τέἐστι καὶ ἐκ ταύτης τῆς πραγματείας Καὶ γὰρἐν τῷ ἤθει ὁμοίως ἐκεῖ τε περὶ αὐτῶν εἴρηκεκαὶ ἐνταῦθα ἐμνημόνευσεν ὡς γὰρ περὶοἰκείας τῆς δόξης τῆς περὶ ἰδεῶν οὔσης τοὺςλόγους ἐν ἀμφοτέροις πεποίηται

Dans lintention de parler contre ces substancesAristote nous rappelle dabord quelle sorte desubstances elles sont aux dires ltplatoniciensgtrenvoyant agrave ce quil a dit dans le premier livre De lagraveaussi il est eacutevident ndash comme ce leacutetait deacutejagrave agrave partir demultiples points ndash que ce ltlivregt est dAristote et faitpartie de ce traiteacute De fait cest dans un espritsimilaire quil a parleacute de ces substances au premierlivre et quil les eacutevoque ici car dans les deux cas il aconstruit son discours comme si la doctrine des Ideacuteeseacutetait la sienne propre

(196 19-24)

Largument est simple ndash lauthenticiteacute de A et donc luniteacute du traiteacute seacutetablissent agrave la

faveur de ce renvoi ndash quoiquil soit amusant de voir Alexandre sassurer de lauthenticiteacute du livre

gracircce agrave un passage ougrave Aristote se comprend parmi les platoniciens Pour lExeacutegegravete la deacuteclaration

dAristote laquo or comment nous disons que les formes sont causes et substances par soi cela a eacuteteacute

dit dans nos premiers exposeacutes agrave leur sujet raquo401 ne peut viser que A ndash on imagine quil sagit de A 6

et peut-ecirctre 9402 Quant aux autres lieux visant A et mentionneacutes par Alexandre ce sont sans doute

995b 4-6 et 996b 8-10 Alexandre aurait-il eu connaissance de lattribution du livre agrave Pasiclegraves de

Rhodes Laffirmation est risqueacutee mais E Berti la oseacutee en mettant en parallegravele la thegravese

alexandrinienne et un passage dAscleacutepius refusant lattribution du livre agrave Pasiclegraves403 Selon Berti

401 Met B 2 997b 3-5 laquo ὡς μὲν οὖν λέγομεν τὰ εἴδη αἴτιά τε καὶ οὐσίας εἶναι καθ ἑαυτὰς εἴρηται ἐντοῖς πρώτοις λόγοις περὶ αὐτῶν raquo

402 Voir F De Haas [2009] p 81 et 85

403 Voir E Berti [1982] et M Hecquet-Devienne [2005] p 146 Pour Ascleacutepius cf In Met 4 17-24 laquo Εἶταλοιπὸν δεῖ εἰπεῖν καὶ περὶ τοῦ μεγάλου ἄλφα καὶ περὶ τοῦ μικροῦ ἄλφα εἰδέναι τοίνυν χρὴ ὅτιδεκατέσσαρα βιβλία ἔγραψεν ὁ Ἀριστοτέλης ἐν τῇ παρούσῃ πραγματείᾳ μέχρι γὰρ τοῦ ltνgtστοιχείου ἔγραψε καὶ [420] αὐτοῦ τινὲς δὲ εἰρήκασιν ὅτι δεκατρία τὸ γὰρ μεῖζον ἄλφα περὶ οὗνῦν πρώτως διαλέγεται οὔ φασιν εἶναι αὐτοῦ ἀλλὰ Πασικλέους τοῦ υἱοῦ Βοήθου τοῦ ἀδελφοῦ

119

La meacutetaphysique comme science une enjeux

si Ascleacutepius connaicirct cette fausse attribution et reprend la thegravese dAlexandre cest que deacutejagrave

Alexandre devait en ecirctre informeacute Une telle interpreacutetation ne peut quen rester au stade de la

conjecture404 Largument dAlexandre est en tout cas promis agrave un beau succegraves Syrianus par

exemple lempruntera dans son propre commentaire ndash mais de faccedilon plus cinglante ndash et il

constitue certainement la source dune des scolies marginales du manuscrit E405

De telles poleacutemiques sur le texte mecircme du traiteacute se perccediloivent aussi agrave propos des livres α

et Δ Commenccedilons par le plus simple Δ dit Alexandre est manifestement un livre de la

Meacutetaphysique et qui plus est il se trouve agrave la bonne place Contrairement agrave ce qui se produit dans

nos deacutebats contemporains sur Δ les discussions anteacuterieures agrave Alexandre vont donc bien au-delagrave

de sa seule appartenance ou non au traiteacute Lenjeu nest pas seulement de savoir si le livre que

Diogegravene Laeumlrce cite comme Περὶ τῶν ποσαχῶς λεγομένων ἢ κατὰ πρόσθεσιν est un livre

indeacutependant ou non mais mecircme sil est dAristote sil est agrave la bonne place et enfin sil est

complet

Le proegraveme semble ainsi deacutejagrave annoncer les introductions scolaires quon pourra lire chez

les auteurs neacuteo-platoniciens Aux dires de Simplicius celles-ci devaient traiter laquo du but de

lutiliteacute de la raison decirctre du titre de la place du traiteacute dans lordre de la lecture de son

authenticiteacute de la division en chapitres raquo auxquels sajoute linterrogation sur laquo la partie de la

philosophie raquo sous laquelle se range le traiteacute406 La formule demeure manifestement moins

conventionnelle que chez Simplicius mais une bonne part des reacutequisits de lintroduction selon ce

dernier est deacutejagrave un passage obligeacute chez Alexandre

Comme dans le passage preacuteceacutedent lauthenticiteacute saffirme via lemploi explicite du nom

dἈριστοτέλης et se fonde agrave la fois sur le fond et la forme du traiteacute laquo ἀπὸ τῆς λέξεως καὶ ἀπὸ

Εὐδήμου τοῦ ἑταίρου αὐτοῦ οὐκ ἔστι δὲ ἀληθές σώζεται γὰρ ἡ τοῦ Ἀριστοτέλους δεινότης καὶ ἐκτῆς λέξεως καὶ ἐκ τῆς θεωρίας καὶ πολὺ πλέον ὅτι μέμνηται αὐτοῦ ἐν τῷ ἐλάττονι ἄλφα raquo

404 Cf M Hecquet-Devienne [2005] p 146 laquo Le fait quAscleacutepios oppose directement lavis dAlexandre agravelopinion qui faisait de Pasiclegraves lauteur de Grand Alpha semble donner raison agrave Berti lorsquilconsidegravere quAlexandre connaissait deacutejagrave cette derniegravere la discussion sur lauthenticiteacute de Grand Alphaagrave laquelle il reacutepond sinscrit probablement dans la mecircme tradition que celle qui est rapporteacutee parAscleacutepios quatre siegravecles plus tard Mais on ne peut pas exclure son inscription dans une tradition quifaisait de Theacuteophraste lauteur de Grand Alpha et qui neacutetait pas connue dAscleacutepios raquo

405 Pour Syrianus voir In Met 23 8-9 laquo ἀναπέμπει ἡμᾶς ἐπὶ τὰ ἐν τῷ μείζονι Α ῥηθέντα γελοῖοι οὖνκαὶ ταύτῃ οἱ τὸ βιβλίον νοθεύοντες raquo C Luna eacutetablit ce parallegravele (parmi de multiples autres) ensoulignant par exemple la structure commune laquo ἀναπέμπει ἡμᾶς ἐπὶ τὰ ἐν τῷ μείζονι Α ῥηθέντα raquo(Syrianus) et laquo ἀναπέμπων εἰς τὰ εἰρημένα ἐν τῷ πρώτῳ raquo (Alexandre) Cf C Luna [2001] p 83Pour le manuscrit E cf M Hecquet-Devienne [2005] p 135-136

406 Simplicius In Cat 8 10-13 Voir agrave ce sujet I Hadot [1990] en particulier p 23-47 et 138-160

120

La meacutetaphysique comme science une enjeux

τῶν ἐν αὐτῷ λεγομένων raquo (344 2-3)407 Le lien theacutematique permet eacutegalement agrave Alexandre

denteacuteriner la position du livre dans le traiteacute Reacutesumons la longue argumentation dAlexandre408

du point de vue qui nous inteacuteresse sans pour le moment entrer dans tous les enjeux conceptuels

qui sy concentrent Selon Alexandre Δ a pour objet la distinction de certains plurivoques Or le

livre Γ a fermement eacutetabli quil appartenait au philosophe premier de traiter leacutetant en tant

queacutetant et ses proprieacuteteacutes par soi En outre le philosophe premier a pour tacircche de traiter

scientifiquement ce que le dialecticien ne fait que traiter logiquement (laquo λογικῶς raquo 344 19) agrave

partir des laquo ἔνδοξα raquo Or les plurivoques de Δ sont de ces proprieacuteteacutes communes que toutes les

sciences particuliegraveres utilisent sans pouvoir les eacutetudier speacutecifiquement parce quelles

appartiennent agrave toutes choses Le livre Δ est donc un livre de philosophie premiegravere il appartient

bel et bien au traiteacute

Qui plus est ce livre est agrave sa juste place (laquo τάξις raquo 344 20) dans le traiteacute il fallait B puis Γ

pour eacutetablir que parmi les objets du philosophe premier figurent ces notions plurivoques qui

sont des proprieacuteteacutes communes de leacutetant en tant queacutetant Alexandre conccediloit ainsi leacutetude de Δ

comme une suite directe de lanalyse des axiomes (le principe de non-contradiction) queffectuait

la seconde partie de Γ puisque les axiomes de Γ et les plurivoques de Δ ont en commun de servir

aux sciences particuliegraveres

Fait assez deacutesespeacuterant pour le lecteur dAlexandre lExeacutegegravete eacutenonce lhypothegravese dun

livre tronqueacute comme le fait danonymes laquo certains raquo (laquo ὅτι δὲ μὴ ἀτελὲς τὸ βιβλίον ὡς οἴονταί

τινες raquo 345 4) Toutefois agrave lopposeacute de ce qui se produit chez Ascleacutepius cette affirmation ne

repose pas ici sur lideacutee daccidents affectant le manuscrit ou de la perte de parties409 Largument

comme le contre-argument sont bien internes agrave lideacutee que le livre est incomplet parce quil nest

pas exhaustif (Aristote ny deacutefinit pas tous les plurivoques) Alexandre riposte en reacuteaffirmant

lobjet de Δ Le livre na simplement pas agrave traiter de tous les plurivoques mais seulement de ceux

qui sont employeacutes en commun par les sciences particuliegraveres pour laquo prouver leur objet raquo (laquo τὰ

προκείμενα αὐταῖς δεικνύουσιν raquo 345 5) Or ces notions agrave titre dattributs de leacutetant en tant

queacutetant heacuteritent en quelque sorte de la plurivociteacute de leur sujet dougrave le neacutecessaire travail de

division (laquo διαίρεσις raquo) de leurs sens

407 Alexandre ne renvoie pas au livre I (qui semble faire reacutefeacuterence agrave Δ en 1052a 15-16 laquo ἐν τοῖς περὶ τοῦποσαχῶς διῃρημένοις raquo)

408 In Met 344 2 ndash 345 20

409 Ascleacutepius In Met 305 20

121

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Lemploi par Alexandre de lindeacutefini ou labsence de sujet explicite sont constants dans ce

genre de questions ndash par exemple pour savoir si B est ou non le premier livre du traiteacute410 ou si la

premiegravere aporie de B doit ecirctre placeacutee agrave la fin de α411 Il est difficile de savoir si les pratiques

exeacutegeacutetiques et philologiques ainsi eacutevoqueacutees sont seulement anteacuterieures agrave Alexandre ou encore

contemporaines lExeacutegegravete emploie dans ces circonstances aussi bien le preacutesent que limparfait et

laoriste mais le preacutesent et laoriste nont peut-ecirctre pas leur valeur temporelle412 Agrave tout le moins

cela teacutemoigne de la vigueur de lacircpreteacute de ces pratiques413 Les allusions dAlexandre sont en effet

congruentes avec lune des rares descriptions de lexeacutegegravese et de la philologie agrave leacutepoque post-

helleacutenistique celle de P Moraux Selon le savant

Avec Andronicus commence leacutepoque des commentaires ceux-ci ne sont pas en tant quetels des creacuteations ex nihilo ils ont comme modegraveles lointains les commentaires agrave diversauteurs dont Homegravere conccedilus et reacutealiseacutes par les grands philologues alexandrins Lesmeacutethodes proprement philologiques eacutegalement creacuteeacutees par leacuterudition alexandrine ont eacuteteacuteappliqueacutees par les commentateurs au texte dAristote Degraves avant Alexandre dAphrodiseceux-ci pratiquaient ce que nous appelons aujourdhui la critique des textes ilsmentionnaient et interpreacutetaient les leccedilons de plusieurs manuscrits le cas eacutecheacuteant ilssefforccedilaient dameacuteliorer par des conjectures diverses un eacutenonceacute quils trouvaient fautif oupeu satisfaisant Enfin la critique dite supeacuterieure a laisseacute des traces assez nombreuses danslœuvre des commentateurs Nous apprenons ainsi que lauthenticiteacute de plusieurs livresavait eacuteteacute contesteacutee surtout en raison de preacutetendues divergences doctrinales aveclaristoteacutelisme authentique Lhypothegravese a aussi eacuteteacute avanceacutee que tel livre ne serait pas agrave saplace lagrave ougrave nous le trouvons quil naurait pas eacuteteacute termineacute par Aristote ou nous seraitarriveacute incomplet414

Si lon cherche un nom propre on pourra ecirctre tenteacute de prononcer celui de Nicolas de

Damas qui aux dires dAverroegraves aurait proposeacute un ordre diffeacuterent pour les livres ndash par exemple

en parsemant les apories de B comme les deacutefinitions de Δ tout au long du traiteacute sur le modegravele de

ce qui se produit dans la Physique Lopinio communis date en effet geacuteneacuteralement lactiviteacute de

410 In Met 172 21-22 laquo διό τισιν ἔδοξε τῆς Μετὰ τὰ φυσικὰ πραγματείας τοῦτο εἶναι τὸ πρῶτον raquo

411 In Met 174 24-25 laquo τινὲς μέντοι διὰ τὸ νῦν εἰρημένον ὑπ αὐτοῦ ἐπὶ τέλει τοῦ τῶν Α ἐλάττονοςταύτην τὴν ἀπορίαν προσγράφουσι κατ οὐδένα λόγον ἐκεῖ κειμένην raquo

412 Voir par exemple ndash outre les exemples citeacutes ci-dessus In Met 141 10 345 4

413 M Crubellier a compareacute certaines pratiques philologiques de leacutecole de Tuumlbingen avec les deacutebuts delarcheacuteologie moderne laquo Les deacutebuts de larcheacuteologie moderne ont eacuteteacute le fait dhommes qui recircvaient dedeacutecouvrir des treacutesors et que leur passion a conduits agrave deacutetruire bon nombre de grands sites Lesarcheacuteologues daujourdhui regrettent ces pillages plus patients et plus modestes (mais parce quilsont dautres ambitions) ils savent quavant de toucher agrave quoi que ce soit il est indispensable de fairedes releveacutes soigneux agrave chaque eacutetape de la fouille raquo Cf M Crubellier [1994] p 11-12 Cette oppositionpourrait bien sappliquer aux pratiques philologiques dont Alexandre semble se deacutegager dans sonCommentaire

414 P Moraux [1986] p 143-144

122

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Nicolas et la reacutedaction du De philosophia Aristotelis du Ier s et la description donneacutee par Averroegraves

pourrait fort bien convenir aux allusions laisseacutees par Alexandre415 Toutefois rien ne permet

daller au-delagrave de la simple hypothegravese sans compter le statut d laquo outsider raquo de Nicolas416

Cette tradition philologique anonyme satteste encore dans le traitement reacuteserveacute au livre

α Ce livre est tregraves probablement celui qui pose le plus difficulteacute agrave Alexandre (agrave juste titre sans

doute) comme le montre la pluraliteacute des passages agrave ce sujet et le caractegravere ouvert de ses

hypothegraveses de lecture La question de son authenticiteacute est toutefois rapidement reacutegleacutee degraves la

premiegravere ligne du commentaire ndash cela ne semble pas faire vraiment difficulteacute Notons en passant

que des cinq premiers livres du traiteacute seuls Β et Γ auraient donc eacutechappeacute au soupccedilon

dinauthenticiteacute La difficulteacute se concentre plutocirct dans la double question ce livre est-il issu de la

Meacutetaphysique et est-il agrave la bonne place Mais dans toutes ses hypothegraveses de lecture Alexandre

nenvisage jamais une autre position pour α que la deuxiegraveme lalternative est donc simple soit

α suit A soit il ne fait pas partie du traiteacute ou du moins pas totalement

Cette seconde branche de lalternative laisse en effet ouvertes plusieurs possibiliteacutes ou

bien le livre est une introduction agrave la philosophie theacuteorique en geacuteneacuteral et nest donc pas eacutetranger

agrave la Meacutetaphysique ou bien il est une introduction agrave la seule Physique thegravese supporteacutee par la

derniegravere phrase du livre laquo Crsquoest pourquoi il faut dabord examiner ce qursquoest la nature ainsi en

effet on verra aussi clairement de quoi traite la physique raquo qui semble ouvrir agrave la physique en

dressant un programme que le livre B ne remplira pas417 Le contenu mecircme du livre favorise

lhypothegravese de proleacutegomegravenes agrave toute philosophie theacuteorique ndash le thegraveme de la faciliteacute ou non de la

recherche de la veacuteriteacute par exemple Cela explique la circonspection dAlexandre qui dans cette

hypothegravese soutient seulement que laquo ce qui est dit dans ce livre nrsquoest agrave mon avis pas non plus

totalement eacutetranger au preacutesent traiteacute raquo418 Paradoxalement au premier abord la mention

aristoteacutelicienne du terme de laquo φύσις raquo (celle de 993b 2 et non de 995a 18) est pour Alexandre un

argument en faveur de lhypothegravese de proleacutegomegravenes agrave toute philosophie theacuteorique ndash et non

415 Voir les passages citeacutes par S Fazzo [2008b] p 116-117 S Fazzo entreprend cependant dans cet articlede discuter la datation de Nicolas et du De philosophia Aristotelis quelle propose de rejeter auxalentours du IVegraveme s

416 Le terme est de D Gutas [2010] p 17

417 Pour toute cette lecture voir Met α 3 995a 17-19 laquo διὸ σκεπτέον πρῶτον τί ἐστιν ἡ φύσις οὕτω γὰρκαὶ περὶ τίνων ἡ φυσικὴ δῆλον ἔσται raquo commenteacute ad loc(169 20 sq) mais annonceacute degraves le deacutebut en137 15 sq

418 In Met 138 6-7 laquo οὐ μὴν οὐδὲ τὰ ἐν τούτῳ λεγόμενα ἀλλότρια πάντῃ τῆς προκειμένηςπραγματείας εἶναί μοι δοκεῖ raquo Pour cette hypothegravese voir aussi 140 1 sq et 169 22

123

La meacutetaphysique comme science une enjeux

seulement agrave la physique Cest sans doute que pour lui laquo φύσις raquo peut ici prendre un sens large

non pas la nature en particulier mais la reacutealiteacute en geacuteneacuteral ce qui est de mecircme que le terme peut

semployer pour dire ces ecirctres que sont la substance ou pour les platoniciens les Ideacutees419

Lhypothegravese selon laquelle le livre est agrave la bonne place reccediloit moins darguments explicites

de la part dAlexandre ndash sans quon puisse en conclure de sa part un rejet de cette ideacutee Le trait

commun avec la preacuteceacutedente fil rouge de la reacuteflexion dAlexandre est que le livre α ne ressemble

pas agrave un veacuteritable livre mais plutocirct agrave une partie (laquo μέρος βιβλίου raquo)420 en particulier parce que

lExeacutegegravete a sous les yeux deux leccedilons pour la toute premiegravere phrase avec et sans laquo ὅτι raquo Voilagrave

sans doute pourquoi dans le proegraveme de Δ par exemple Alexandre deacutesigne B comme le

deuxiegraveme livre et Γ comme le troisiegraveme421 Dans ce cas α pourrait ecirctre une sorte dappendice agrave A

et sa suite logique (laquo ἀκόλουθον raquo422) au motif que α discute lui aussi des difficulteacutes preacutealables agrave

propos des causes comme annonceacute agrave la fin de A423 Cet argument est implicitement preacutesent dans

B agrave au moins deux reprises Alexandre se reacutefegravere agrave α agrave propos de la reacutegression agrave linfini ou non

des principes424

La discussion sera reprise agrave la fin du livre reacuteduite aux deux hypothegraveses 1) soit le livre

nappartient pas agrave la Meacutetaphysique parce quil est un prologue agrave toute philosophie theacuteorique

Lideacutee dune introduction agrave la physique a donc eacuteteacute abandonneacutee alors quAlexandre est en train de

commenter 995a 17-19 ougrave apparaicirct pourtant laquo ἡ φυσική raquo La justification nous lavons deacutejagrave lue

est que dans lordre de notre connaissance la physique est premiegravere 2) La seconde hypothegravese

consiste agrave enteacuteriner la place de α dans le traiteacute en justifiant ndash assez acrobatiquement ndash la

derniegravere phrase du livre par la volonteacute dAristote de distinguer physique et meacutetaphysique et

donc dindiquer la neacutecessiteacute de lire en premier la Physique avant la Meacutetaphysique425 Lorsque

419 Cf W E Dooley [1992] p 13 n 14

420 In Met 137 2 sq et 138 25 sq

421 In Met 344 22-25 Voir aussi 184 16 ougrave comme le note WE Dooley ([1992] p 10 n7) laquo ἐν τῷ πρὸτούτου τῷ μείζονι raquo deacutesigne bien A La question est toutefois de savoir si laquo πρὸ τούτου raquo signifieneacutecessairement laquo le livre immeacutediatement anteacuterieur raquo car mecircme si on place α entre A et B A reste bienlaquo πρὸ τούτου raquo Notons toutefois que selon laltera recensio de Γ le livre est compteacute comme eacutetant lequatriegraveme (cf 238 1) titre quil partage avec Δ en 344 1

422 In Met 143 23

423 Voir Met A 10 993a 25-27 (laquo ὅσα δὲ περὶ τῶν αὐτῶν τούτων ἀπορήσειεν ἄν τις ἐπανέλθωμενπάλιν τάχα γὰρ ἂν ἐξ αὐτῶν εὐπορήσαιμέν τι πρὸς τὰς ὕστερον ἀπορίας) Et le commentairedAlexandre en 136 12-17 et la reprise de largument en 137 7 sq

424 In Met 174 18-20 et 221 34

425 In Met 169 26 ndash 170 4 laquo εἰ δέ τις ἀκούοι τοῦ λόγου οὕτως εἰρημένου πρὸς διάκρισιν τῶν τεφυσικῶν λόγων καὶ τῶν κατὰ τήνδε τὴν πραγματείαν (ὁ γὰρ ἐπεσκεμμένος πρῶτον τί ἐστι φύσις

124

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Alexandre donne plusieurs interpreacutetations sa preacutefeacuterence semble souvent aller vers la derniegravere

quil preacutesente et il est tentant ici den tirer la mecircme conclusion Une raison suppleacutementaire de

laccepter est la suivante on pourrait tout de mecircme attendre si Alexandre eacutetait profondeacutement

convaincu de lexteacuterioriteacute du livre α au traiteacute quil lui fasse un sort plus cateacutegorique et deacutefinitif

En ce sens quAlexandre sy reacutefegravere dans les livres suivants (comme un livre complet ou non peu

importe) relegraveve soit de la faiblesse (laquo malgreacute mon argumentation jaccepte la position et

linteacutegration du livre dans le traiteacute raquo) soit signale quAlexandre considegravere non sans reacuteserves et

apregraves atermoiements que lon peut agrave raison conserver le livre agrave sa place

Trois conclusions doivent ecirctre tireacutees de ce premier tour dhorizon de la lecture

alexandrinienne du traiteacute ndash trois conclusions qui sont particuliegraverement mises en lumiegravere par sa

lecture de α

Agrave chaque fois en effet les arguments dAlexandre 1) dessinent une position assez

conservatrice426 agrave la diffeacuterence de laquo certaines raquo pratiques anteacuterieures moins preacutecautionneuses ou

plus interventionnistes 2) reposent sur des eacuteleacutements textuels et sur des preuves internes ndash et non

sur de quelconques informations extrinsegraveques enfin 3) concourent tous agrave eacutetablir luniteacute du traiteacute

Mises ensemble ces trois conclusions permettent den tirer une plus geacuteneacuterale loption

unitarienne dAlexandre nest pas la conseacutequence dune tradition ou la force dune habitude elle

est le fruit dune interpreacutetation consciente

c) La marche du traiteacute

Cela eacutetabli nous sommes deacutesormais mieux en mesure de dresser dans linterpreacutetation

dAlexandre le plan des cinq premiers livres du traiteacute Deux types de passages se reacutevegravelent

fructueux de ce point de vue les deacutebuts de traiteacute (tous et non pas seulement les proegravemes agrave α Γ et

Δ) mais aussi les nombreux passages ougrave Alexandre reacutesume la progression du propos dAristote

καὶ εἰδὼς περὶ τίνων ἡ φυσική οἶδεν οὗτος ὅτι οἵδε οἱ λόγοι οὐ φυσικοὶ ἀλλ ἀκριβέστεροί τε καὶπερὶ ἀύλων) οὐχ ὅτι δὲ χρὴ νῦν ἐπισκέπτεσθαι τί ἐστι φύσις λέγοι ἄν ἀλλ ὅτι πρὸ τῆσδε τῆςπραγματείας δεῖ περὶ τῶν φυσικῶν πεπραγματεῦσθαι αὕτη γὰρ ἡ τάξις τῶν πραγματειῶν καὶ ὁἐν τῇ περὶ ἐκείνων θεωρίᾳ γεγυμνασμένος οὕτως ἂν καὶ τοῖς εἰς τήνδε συντείνουσιπαρακολουθεῖν δύναται raquo

426 Cf P Moraux [1986] p 144

125

La meacutetaphysique comme science une enjeux

en employant meacutecaniquement des structures telles que laquo εἰπὼν ἑξῆς ἐδήλωσε raquo (ou

laquo προστίθησιν raquo laquo ἔδειξε raquo) ou simplement laquo λέγει ἑξῆς raquo

Les livres A et α forment donc une introduction au traiteacute tandis que B en est le veacuteritable

commencement

Ἔστι δὲ αὐτῷ τῆς προκειμένηςπραγματείας ἐντεῦθεν ἡ ἀρχή περὶ γὰρ τῶνἀναγκαίως συντεινόντων εἰς τὰ προκείμεναἐνταῦθα λέγειν ἄρχεται [17220] ὅσα δὲ ἐντοῖς Α εἴρηται προλεγόμενα ἂν εἴη αὐτῆςκαὶ εἰς τὴν προκατάστασιν συντελοῦνταΔιό τισιν ἔδοξε τῆς Μετὰ τὰ φυσικὰπραγματείας τοῦτο εἶναι τὸ πρῶτον

Pour Aristote cest ici que se trouve le deacutebut dupreacutesent traiteacute car il commence ici agrave parler de chosesqui ont neacutecessairement trait427 aux preacutesentesquestions Tout ce qui a eacuteteacute dit au livre A constitueraitdonc des proleacutegomegravenes agrave ce traiteacute et contribuerait agravelintroduire Cest pourquoi certains ont cru que lelivre B eacutetait le premier livre du traiteacute Meacutetaphysique

(172 18-22)

Ces proleacutegomegravenes ont dabord en charge lexamen doxographique des preacuteconceptions

communes (laquo κοιναὶ προλήψεις raquo) sur le sage et la sagesse428 Ces preacute-conceptions ont

naturellement leur place dans des pro-leacutegomegravenes et par voie de conseacutequence au vu de lobjet de

ces preacuteconceptions ces proleacutegomegravenes appartiennent agrave juste titre au traiteacute Cet examen est preacuteceacutedeacute

dune courte introduction (A 1) ougrave selon Alexandre Aristote deacutecrit le deacuteveloppement graduel

des puissances de lacircme afin daboutir au plus haut degreacute du savoir qui fait lobjet du traiteacute la

sagesse429 Le recours aux preacuteconceptions permet alors de speacutecifier lobjet du sage les principes

et les causes et plus preacuteciseacutement ceux qui sont premiers430 Ici au fond dapregraves Alexandre

Aristote suivrait la mecircme meacutethode que dans la Physique ougrave il a eacutegalement recours aux notions

communes (laquo κοιναὶ ἔννοιαι raquo 9 23431) La saturation du vocabulaire est eacutevidente et Alexandre ne

semble eacuteprouver aucune difficulteacute agrave traduire en vocabulaire stoiumlcien les laquo ὑπολήψεις raquo dAristote

(982a 6) mais comme on la dit il est bien possible quen ces matiegraveres lExeacutegegravete aristoteacutelise les

concepts stoiumlciens plus quil ne stoiumlcise Aristote

427 Ce terme est souvent employeacute par Alexandre et en particulier dans cet usage exeacutegeacutetique cf 170 3 etc

428 Cf In Met 184 14-19 laquo Εἰπὼν τίνα τούτων φατέον τὴν ζητουμένην ὅτι πάσας ἐνδέχεται λέγεινδείκνυσι χρώμενος τοῖς ἐν τῷ Α περὶ τῆς σοφίας εἰρημένοις Εἶπε γὰρ ἐν τῷ πρὸ τούτου τῷ μείζονιτίνες κοιναὶ περὶ τοῦ σοφοῦ προλήψεις ἐν οἷς ἦν τὸ δεῖν ἀρχικωτάτην καὶ ἀρχιτεκτονικωτάτηναὐτὴν εἶναι ἀλλὰ καὶ ἀκριβεστάτην καὶ μάλιστα εἰδυῖαν ἀλλὰ καὶ τῶν χαλεπῶν γνωστικήνἀλλὰ καὶ πάντα εἰδυῖαν ὡς ἐνδέχεται ἀλλὰ καὶ διδασκαλικήν raquo

429 Cf la phrase tregraves nette de 3 6-7 laquo τείνει δ αὐτῷ ταῦτα πάντα εἰς τὸν περὶ σοφίας λόγον καὶ τὸδεῖξαι τίς ἐστιν ὁ σοφός raquo

430 Voir le commentaire agrave 982a 4 en 8 20 sq

431 La suite dit en effet laquo οὕτως καὶ ἐν τῇ Φυσικῇ ἀκροάσει πεποίηκε περὶ τόπου ζητῶν ὁμοίως δὲ καὶπερὶ χρόνου σχεδὸν δὲ καὶ περὶ τῶν ἄλλων ἁπάντων προβλημάτων τῇ ὁδῷ ταύτῃ κέχρηται raquo (923-25)

126

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Le livre A aboutit bien agrave ce que lon peut consideacuterer comme une deacutefinition de la sagesse

(laquo la science qui eacutetudie theacuteoriquement les premiers principes et les premiegraveres causes raquo432) et il est

coheacuterent quAristote enchaicircne avec la division des causes433 qui va loccuper jusquagrave la fin du

livre Si donc lon accepte la place de α le livre continue logiquement le preacuteceacutedent et ce pour

deux raisons La premiegravere est que α semble fonder en raison lexamen doxographique meneacute

preacuteceacutedemment quand Aristote affirme que

Il est juste decirctre reconnaissant non seulement envers ceux avec lesquels on peut avoir encommun des opinions mais aussi envers ceux qui forment des opinions plussuperficielles434

Alexandre commente

Comment en effet ecirctre reconnaissant envers eux ndash comme il se doit ndash sans avoir dabordenquecircteacute sur leurs opinions 435

Cette enquecircte est en effet agrave mecircme de nous procurer une familiariteacute436 avec de telles

opinions (laquo ἡ γὰρ τῶν καταβεβλημένων δοξῶν εὐπορία raquo 143 20-21) qui savegravere neacutecessaire agrave la

deacutecouverte de la veacuteriteacute Et cest preacuteciseacutement agrave cette occasion quAlexandre insiste sur la continuiteacute

entre les deux livres

La seconde raison tient agrave lannonce faite agrave la fin du premier livre des difficulteacutes quil

faudra soulever sur les causes Or on la vu dans ses reacutefeacuterences ou ses renvois Alexandre reacutesume

tregraves souvent α agrave une seule interrogation une aporie avant lheure celle de savoir laquo si la cause va agrave

linfini en seacuterie verticale ou en espegraveces ou bien si elle sarrecircte et est deacutelimiteacutee raquo437

Se pose degraves lors agrave Alexandre la question de la distinction entre lapproche des causes en

432 In Met 15 6-8 laquo Ἐφ οἷς δειχθεῖσι συγκεφαλαιοῦται τὰ εἰρημένα δεικνὺς ὅτι ἐξ ἁπάντων τῶν τοῖςσοφοῖς ἑπομένων δέδεικται σοφία οὖσα ἡ τῶν πρώτων ἀρχῶν τε καὶ αἰτίων θεωρητική raquo EtAlexandre dinsister juste apregraves en 15 11-12 laquo ἐξ ἁπάντων οὖν τῶν εἰρημένων γίγνεται ἡ σοφία ἡτῶν πρώτων ἀρχῶν τε καὶ αἰτίων θεωρητική raquo

433 In Met 19 17-18 laquo εὐλόγως πρῶτον τὴν τῶν αἰτίων ποιεῖται διαίρεσιν καθὰ καὶ ἐν τῇ Φυσικῇἀκροάσει εἰς τέσσαρα αἴτια διαιρῶν raquo

434 Met α 1 993b 11-13 laquo οὐ μόνον δὲ χάριν ἔχειν δίκαιον τούτοις ὧν ἄν τις κοινώσαιτο ταῖς δόξαιςἀλλὰ καὶ τοῖς ἐπιπολαιότερον ἀποφηναμένοις raquo

435 In Met 143 21-23 laquo πῶς γὰρ οἷόν τε χάριν ἔχειν τούτοις ὡς ἀξιοῖ μὴ πρῶτον αὐτῶν τὰς δόξαςἱστορηκότας raquo

436 Lemploi dlaquo εὐπορία raquo dans ce contexte est sans doute non technique

437 Voir par exemple dans le commentaire agrave B en 174 18-20 laquo ἐν δὲ τῷ ἐλάττονι ζητήσας εἰ ἐπ ἄπειρόνἐστι τὸ αἴτιον ἢ κατ εὐθυωρίαν ἢ κατεἶδος ἢ ἵσταται καὶ ἔστι πεπερασμένον raquo et en 213 13-15 laquo ἀλλὰ μὴν οὐδὲ ἐπἄπειρον οἷόν τε ἄλλο ἄλλου αἴτιον εἶναι καὶ ἄλλο ἄλλῳ ὑποκεῖσθαι κατεὐθυωρίαν ὡς ἔδειξεν ἐν τῷ ἐλάττονι τῶν Α ὄντι πρὸ τούτου raquo De mecircme dans le commentaire agrave Γen 309 19-20 laquo εἰ ἐπ ἄπειρον εἴη ἡ γένεσις ἄναρχος οὖσα ὡς καὶ ἐν τῷ Α τῷ ἐλάττονι ἐδείχθη raquo

127

La meacutetaphysique comme science une enjeux

A laporie sur leur reacutegression agrave linfini en α et les authentiques apories de B Lenjeu est clair il

sagit pour lExeacutegegravete de rendre raison de la progression du traiteacute en attribuant agrave chaque livre la

tacircche qui lui revient Cest sans doute ce problegraveme qui rend raison du commentaire tregraves sinueux agrave

995b 4 laquo Une premiegravere difficulteacute concerne ce que nous avons exploreacute dans notre preacuteambule raquo

Alexandre y deacuteploie son commentaire avec un scrupule qui paraicirct presque maniaque surtout

dans un cas ougrave lon peine agrave voir ce qui justifie cet effort La phrase dAristote ne devient en fait

troublante que si lon rappelle dune part comme lExeacutegegravete quAristote na jamais deacuteveloppeacute ni

en A ni en α la premiegravere aporie que cette proposition introduit Si dautre part la proposition

engendre son embarras cest peut-ecirctre du fait du verbe laquo διηπορήσαμεν raquo qui pris au sens strict

ne relegraveverait pour Alexandre que de la meacutethode dialectique mise en œuvre dans B438

La solution consiste agrave comprendre que la reacutefeacuterence dAristote ne vaut que pour le sujet ou

la matiegravere de cette premiegravere aporie agrave savoir les causes et non pour laporie elle-mecircme

Οὐ τὴν ἀπορίαν ἣν τίθησι φησὶνἠπορῆσθαι ἐν τοῖς πεφροιμιασμένοις ἔστιγὰρ ἡ ἀπορία ἡ πρώτη ὡς λέγει ὀφείλουσαἀπορηθῆναι περὶ τοῦ πότερον μιᾶςἐπιστήμης θεωρῆσαι τὰς πάντων αἰτίας ἢπλειόνων ὡς [17410] ἄλλην ἐπιστήμηνἄλλων ἀρχῶν καὶ αἰτίων εἶναι θεωρητικήνταύτην δὲ τὴν ἀπορίαν οὐ δοκεῖ κεκινηκέναιἐν τοῖς πρὸ τούτου βιβλίοις ἐν γὰρ τῷπρώτῳ Περὶ ψυχῆς δοκεῖ αὐτῆςμεμνημονευκέναι διὸ εἴη ἂν τὸ εἰρημένονπερὶ ὧν ἠπορήσαμεν ἐν τοῖςπεφροιμιασμένοις ἡμῖν πρώτη ἔστινἀπορία ἣν καὶ πρώτην τίθησιν ἠπόρησε γὰρἐν ἐκείνοις περὶ αἰτίων περὶ [17415] δὲ τῶναἰτίων δὴ πρώτην φησὶν ἀπορίαν εἶναι ἧςμνημονεύει διηπόρησε δὲ περὶ αἰτίων ἐν μὲντῷ μείζονι Α ζητῶν πόσα τὰ εἴδη τῶν αἰτίωνκαὶ τὰς τῶν ἄλλων δόξας ἐκθέμενος περὶαἰτίων καὶ πρὸς αὐτὰς εἰπών ἐπιστώσατοεἶναι τέσσαρα αἰτίων εἴδη ἐν δὲ τῷ ἐλάττονιζητήσας εἰ ἐπ ἄπειρόν ἐστι τὸ αἴτιον ἢ κατεὐθυωρίαν ἢ κατ εἶδος ἢ ἵσταται καὶ ἔστι[17420] πεπερασμένον πρώτη δὲ ἀπορία ἡπερὶ τούτων εἴη ἂν ἡ νῦν λεγομένη

Ce nest pas la difficulteacute quil est en train de poserdont il affirme quelle a eacuteteacute souleveacutee dans lepreacuteambule En effet la difficulteacute la laquo premiegravere raquocomme il dit qui doit ecirctre souleveacutee concerne laquestion de savoir sil appartient agrave une science uniquedeacutetudier les causes de toutes choses ou agrave plusieursau sens ougrave des sciences diffeacuterentes eacutetudieraient desprincipes et des causes diffeacuterents Or cette difficulteacutene semble pas avoir eacuteteacute souleveacutee dans les livrespreacuteceacutedant celui-ci (cest en fait dans le premier livredu De lacircme quil semble lavoir eacutevoqueacutee439) Cestpourquoi ce quil veut dire cest sans doute quelaquo concernant ce que nous avons exploreacute dans notrepreacuteambule raquo il y a une laquo premiegravere difficulteacute raquo quilpose justement en premier car dans ces livres il asouleveacute des difficulteacutes agrave propos des causesConcernant les causes donc il y a affirme-t-il unepremiegravere difficulteacute quil est en train deacutevoquer Or il aexploreacute des difficulteacutes concernant les causes dunepart au livre A en cherchant combien il y a despegravecesde causes et ltougravegt apregraves avoir exposeacute les opinionsdautres ltpenseursgt sur les causes et les avoircritiqueacutees il a confirmeacute quil y a quatre espegraveces decauses Dans le livre α dautre part il a chercheacute si lacause va agrave linfini en seacuterie verticale ou en espegraveces ou

438 Il ne semble pas y avoir de preuve textuelle tangible dun embarras dAlexandre agrave cause de ce verbemais on peut tout de mecircme en faire lhypothegravese sur la base de sa pratique terminologique la pluscourante celle qui tend agrave constituer un lexique stable et relativement univoque Pour un traitementcontemporain de laquo διηπορήσαμεν raquo voir par exemple M Crubellier [2009] p 47 sq

439 Peut-ecirctre DA I 1 402a 11 sq Pour limportance de ce passage chez Alexandre cf par exemple ladifficile Quaestio I 11

128

La meacutetaphysique comme science une enjeux

bien si elle sarrecircte et est deacutelimiteacutee Or la laquo difficulteacute raquoqui concerne ces questions et dont il parlemaintenant sera la premiegravere

(174 7-20)

Alexandre deacutelivre Aristote du soupccedilon de reacutepeacutetition ndash et donc en partie dincoheacuterence ndash

en insistant sur la continuiteacute des livres et le traitement ordonneacute des questions avant de poser

laporie au sujet de la science des causes il fallait confirmer leur nombre Il latteste ensuite

Et il aurait donc raison de parler de laquo ce que nous avons exploreacute dans notre preacuteambule raquocar au livre A il a chercheacute sil y a quatre espegraveces de causes et cest agrave propos de ces quatrecauses quil va maintenant chercher si leur connaissance appartient agrave une uniquescience (174 30-31)

Les livres preacuteceacutedents ont poseacute des jalons indispensables agrave cette eacutetape dialectique De fait

Alexandre nest guegravere avare en B de renvois agrave A ou α aussi bien agrave propos des causes440 que de la

reacutefutation de Platon441 ou de la sagesse442

Mais la diffeacuterence entre A α et B tient aussi tregraves certainement agrave leur faccedilon daborder ces

questions La gain veacuteritable de B ce qui en fait laquo le deacutebut du preacutesent traiteacute raquo (laquo τῆς προκειμένης

πραγματείας ἡ ἀρχή raquo 172 18) et peut-ecirctre mecircme le commencement de la philosophie

premiegravere est cette meacutethode aporeacutetique et dialectique Cest de ce point de vue que la

doxographie de A est susceptible decirctre deacutevalueacutee au rang de simple propeacutedeutique et ne peut

acceacuteder agrave celui de partie inteacutegrante du cheminement scientifique lui-mecircme Il est significatif

quAlexandre affirme que le livre B est le vrai deacutebut de la Meacutetaphysique ce qui nen fait pas pour

autant le premier livre juste apregraves avoir deacutecrit limportance du moment aporeacutetique pour la

recherche scientifique (le deacutebut du commentaire agrave B est en effet truffeacute de formes de laquo ζητέω raquo)

Comme cest parfois le cas Alexandre soffre le luxe de corriger le texte dAristote443 ndash sans que

lon sache si cest Aristote lui-mecircme quil cherche agrave ameacuteliorer ou les manuscrits quil a sous les

yeux444 ndash et dit

440 Ιn Met 179 11 sq

441 Ιn Met 179 33 sq 197 22 sq 201 19 sq

442 Ιn Met 184 16 sq 187 8 sq

443 Pour meacutemoire le texte dAristote est Met B 1 995a 27-31 laquo ἔστι δὲ τοῖς εὐπορῆσαι βουλομένοιςπροὔργου τὸ διαπορῆσαι καλῶς ἡ γὰρ ὕστερον εὐπορία λύσις τῶν πρότερον ἀπορουμένων ἐστίλύειν δ οὐκ ἔστιν ἀγνοοῦντας τὸν δεσμόν ἀλλ ἡ τῆς διανοίας ἀπορία δηλοῖ τοῦτο περὶ τοῦπράγματος raquo

444 Rappelons quAlexandre a au moins deux manuscrits sous les yeux cf par exemple 46 23 sq

129

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Εἴη δὲ ἂν καταλληλότερον εἰ ἀντὶ τοῦltἔστι δέgt εἴη γεγραμμένον ltἔστι γάρgt ἡ γὰρὕστερον εὐπορία λύσις τῶν [17215]προειρημένων ἀπόρων ἐστίν Ἴσον δέ ἐστιτοῦτο τῷ ἡ γὰρ λύσις τῶν προηπορημένωναἰτία τῆς ὕστερον γιγνομένης εὐπορίας ἢοὕτως ἡ γὰρ ὕστερον εὐπορία γιγνομένη ἐκτῆς λύσεως τῶν πρώτων ἠπορημένωνγίγνεται

Ce serait plus coheacuterent si agrave la place de laquo mais ilest raquo (995a 27) eacutetait eacutecrit laquo en effet il est raquo445 car lafuture sortie de la difficulteacute cest la reacutesolution desdifficulteacutes quon a anteacuterieurement eacutevoqueacutees Or celaeacutequivaut agrave dire en effet la reacutesolution des difficulteacutesanteacuterieures446 est la cause de la sortie ulteacuterieure de ladifficulteacute Ou encore la sortie ulteacuterieure de ladifficulteacute provient de la reacutesolution de ce qui au deacutebutmettait en difficulteacute

(172 13-17)

Linsistance sur la relation causale entre moment aporeacutetique et moment euporeacutetique

reacuteversible en relation de provenance est nette Lagrave serait bien le commencement du chemin vers la

veacuteriteacute comme leacutetablit ensuite Alexandre lorsquil parle de lobligation de laquo commencer par ecirctre

en difficulteacute raquo (προαπορέω ou διαπορεῖν πρῶτον)

Διὰ δὲ τῶν προειρημένων περὶ τοῦ δεῖνδιαπορεῖν πρῶτον εἴη ἂν αὐτῷ δεικνύμενονἅμα καὶ τὸ χρήσιμον τῆς διαλεκτικῆς πρὸςφιλοσοφίαν καὶ τὴν τῆς ἀληθείας εὕρεσιντῆς γὰρ διαλεκτικῆς τὸ διαπορεῖν καὶἐπιχειρεῖν εἰς ἑκάτερα ἀληθὲς ἄρα τὸ ἐντοῖς Τοπικοῖς εἰρημένον τὸ χρήσιμον εἶναιτὴν διαλεκτικὴν πρὸς τὰς κατὰ φιλοσοφίανζητήσεις

En outre par ce qui a eacuteteacute dit sur lobligation decommencer par explorer les difficulteacutes Aristote apeut-ecirctre simultaneacutement deacutemontreacute lutiliteacute de ladialectique pour la philosophie et la deacutecouverte de laveacuteriteacute Cest en effet agrave la dialectique quil revientdexplorer les difficulteacutes et dargumenter447 dans lesdeux ltdirectionsgt Ce qui a eacuteteacute dit dans les Topiquessur lutiliteacute de la dialectique pour les recherchesphilosophiques est donc vrai448

(173 27 ndash 174 4)

Ces passages deacutevoilent donc tregraves probablement la strateacutegie de lExeacutegegravete par rapport agrave la

place de B dans le traiteacute et au rocircle de la dialectique dans la meacutetaphysique sur lequel nous

reviendrons Il conviendra en effet de nous demander plus preacuteciseacutement si entre la doxographie

du livre A et la dialectique de B il faut distinguer des degreacutes dans les preacutealables ou si comme il

semble plutocirct nous sommes deacutejagrave de plain pied dans la philosophie premiegravere ndash ce qui implique

davoir avanceacute dans une question non plus exeacutegeacutetique ou bibliographique mais bien

philosophique et speacuteculative sur sa conception de la philosophie premiegravere

Cet ensemble de remarques et la constance de linterpreacutetation dAlexandre vont trouver

445 Cf A Laks [2009] p 39 n 43 qui indique quil nest pas rare quAlexandre preacutefegravere gar agrave de (In An Pr66 29-67 In Met 54 11-13 etc) et fait eacutetat de problegravemes paleacuteographiques avec ces deux particules

446 Pour ce terme cf aussi 173 8

447 Terme employeacute speacutecifiquement par Alexandre pour deacutecrire largumentation dialectique cf la notedA Madigan [1992] ad loc et son index

448 Cf In Top 28 23 sq qui commente les Topiques I 2 101a 26 sq

130

La meacutetaphysique comme science une enjeux

deacuteclatantes confirmations dans le proegraveme agrave Γ Comme la bien noteacute M Bonelli449 Alexandre

affirme ici le caractegravere central du livre Γ

Προθέμενος ἐν τῇ Μετὰ τὰ Φυσικὰπραγματείᾳ ἣν καὶ σοφίαν καὶ πρώτηνφιλοσοφίαν ἔστι δὲ ὅτε καὶ θεολογικὴν ἔθοςαὐτῷ καλεῖν περὶ [237 5] τοῦ ὄντος ᾗ ὂνθεωρῆσαι

καὶ δείξας ὅτι ἡ προκειμένη πραγματείαμήτε τῶν περὶ τὴν τῶν ἀναγκαίων γνῶσινκαταγινομένων ἐστὶ τεχνῶν ἢ ἐπιστημῶνμήτε τῶν περὶ τὰ χρήσιμα ἀλλ ἔστιν αὐτῆςχάριν τῆς γνώσεώς τε καὶ ἐπιστήμηςμετιοῦσα dagger αὐτὰ ἐπ αὐτὰ μέτεισι δείξας δὲαὐτὴν θεωρητικὴν οὖσαν τῶν πρώτωνἀρχῶν τε καὶ αἰτίων (ταῦτα γὰρ μάλιστα [10]ὄντα) πρὸ τοῦ ζητεῖν τίνες αἱ πρῶται ἀρχαίκινήσας καθόλου τὸν περὶ τῶν αἰτίων λόγονκαὶ τὰς δόξας τῶν πρὸ αὐτοῦ τὰς περὶ τῶνἀρχῶν ἐκθέμενός τε καὶ ἱστορήσας καὶἀντειπὼν πρὸς αὐτάς

δείξας δὲ ὅτι εἰσί τινες ἀρχαὶ πρῶται καὶοὐκ ἐπ ἄπειρον ἡ τῶν ἀρχῶν ἄνοδος

καὶ ἐπὶ τούτοις ὡς χρήσιμον καὶἀναγκαῖον πρὸς τὴν εὕρεσιν τῶν τῇ σοφίᾳ[15] προκειμένων ἀπορήσας τινὰς ἀπορίαςπερί τε τοῦ ὄντος καὶ τῶν ἀρχῶν καὶ [238 1]τῶν τούτοις παρακειμένων

μετὰ τὰς ἀπορίας ἄρχεται τοῦπροκειμένου τοῦ Γ βιβλίου λοιπὸν ἐν τούτῳλέγων τε καὶ κατασκευάζων τὰ αὐτῷδοκοῦντα καὶ λύων τὰ ἠπορημένα

Puisque Aristote sest proposeacute dans le traiteacute deMeacutetaphysique quil a pour habitude dappeler sagesse et philosophie premiegravere et parfois aussi theacuteologiquedeacutetudier leacutetant en tant queacutetant

1) il a dabord montreacute que leacutetude en questionnappartient ni aux techniques ni aux sciences ayanttrait agrave la connaissance du neacutecessaire ni agrave celles ayanttrait agrave lutile mais que cest en vue de la connaissanceet de la science elle-mecircme quelle recherche celamecircme quelle recherche450 il a ensuite montreacute quelleeacutetudie les principes et les causes premiers (ceux-ci eneffet sont au plus haut point) et avant de rechercherquels sont ces principes premiers il a introduit demaniegravere geacuteneacuterale agrave la discussion sur les causes enexposant et en rapportant les opinions de sesdevanciers sur les principes puis en les reacutefutant

2) il a ensuite montreacute quil existe des principespremiers et que la remonteacutee451 aux principes ne va pasagrave linfini

3) et lagrave-dessus dans lideacutee que cest chose utile etneacutecessaire agrave la deacutecouverte des objets de la sagesse il asouleveacute certaines difficulteacutes agrave propos de leacutetant desprincipes et de ce qui sy rattache

apregraves ces difficulteacutes il entame le preacutesent livre Γdans lequel deacutesormais il eacutenonce et eacutetablit ses propresopinions et ougrave il reacutesout ce qui faisait difficulteacute

(237 3 ndash 238 3)

La mise en paragraphes du passage rend deacutejagrave assez eacutevident le plan du traiteacute qui y est

deacuteveloppeacute Ce plan est au preacutealable attacheacute agrave un objet qui sera effectivement deacuteployeacute au livre Γ

mecircme si lon ne donne pas au premier participe laquo προθέμενος raquo un sens causal il apparaicirct au

moins quau niveau du sens les participes suivants en sont deacutependants Or la suite du texte qui

deacuteroule le plan de Γ le montre leacutetude de leacutetant en tant queacutetant est bien lobjet principal du

livre laquo Aristote montre dans le livre que voici ce sur quoi porte la sagesse quil nomme aussi

449 M Bonelli [2001] p 35-38 paragraphe intituleacute laquo La centralitagrave del commentario al libro Gamma dellaMetafisica raquo

450 Avec Bonitz nous lisons laquo μετιοῦσα αὐτὰ ἅ μέτεισι raquo

451 Le terme nest pas aristoteacutelicien On le lit trois fois chez Alcinoos dans des expressions du type laquo laremonteacutee depuis les sensibles jusquaux intelligibles premiers raquo (Didaskalikos V 4 l3)

131

La meacutetaphysique comme science une enjeux

bien philosophie que philosophie premiegravere En premier lieu il eacutetablit quelle porte sur leacutetant en

geacuteneacuteral raquo452 Or Alexandre affirme sans deacutetour le caractegravere selon lui theacutetique de Γ dans la

derniegravere phrase du passage citeacute Leacutetude de leacutetant en tant queacutetant eacutechoit donc agrave lensemble du

traiteacute et Γ ne peut en ecirctre que le livre central Alexandre assure en effet la transition des

preacuteceacutedents livres agrave Γ en annonccedilant degraves le livre A leacutetude de leacutetant en tant queacutetant (qui ne se

trouve pas chez Aristote) et en reprenant le motif dune recherche des premiers principes et des

premiegraveres causes (marque de A) agrave la faveur de Γ 1 La conclusion quen tire immeacutediatement et

implicitement Alexandre consiste en lrsquoidentiteacute de la sagesse et de la science de leacutetant en tant

queacutetant453 Lenquecircte de Γ est donc elle aussi pleinement une enquecircte causale454

Linterpreacutetation mecircme de lobjet des livres preacuteceacutedents illustre en effet cette cristallisation

autour de Γ lu comme laquo le raquo livre central de leacutetant en tant queacutetant Comme il eacutetait preacutevisible

Alexandre reacutesume en effet A agrave ses deux moments deacutejagrave citeacutes le premier A 1-2 ayant preacutesenteacute ces

preacuteconceptions sur la sagesse a aussi contribueacute agrave deacutelimiter la sagesse par rapport agrave ses autres et

fixeacute son objet tandis que le second A 3-10 est bien une laquo introduction geacuteneacuterale raquo Le verbe

laquo introduire raquo nest pas tel quel dans le texte mais il est difficile de reacutesister agrave la tentation de

traduire ainsi le groupe laquo κινήσας καθόλου raquo qui se rattache sans couture agrave ce que nous avons

vu du caractegravere preacuteparatoire de la doxographie de A Dans cette sous-partie Alexandre a

distingueacute deux tacircches ndash qui ont en reacutealiteacute eacuteteacute meneacutees de front exposition des opinions

preacuteceacutedentes (laquo ἐκθέμενός raquo et laquo ἱστορήσας raquo sont fortement coordonneacutes par laquo τε καὶ raquo) puis

reacutefutation (laquo ἀντειπὼν πρὸς αὐτάς raquo neacutetant lieacute au reste que par un seul laquo καὶ raquo) Alexandre

lavait deacutejagrave indiqueacute en B avec la formule laquo καὶ τὰς τῶν ἄλλων δόξας ἐκθέμενος περὶ αἰτίων καὶ

πρὸς αὐτὰς εἰπών raquo (174 16-17) Et comme dans ce passage le livre α est reacuteduit agrave laporie sur la

remonteacutee des causes ndash fait qui nest finalement pas sans indiquer la relative faiblesse de la

position dAlexandre et la difficulteacute de tout lecteur de la Meacutetaphysique agrave justifier la position du

livre agrave cet endroit Le livre B retrouve ici aussi sa position solide de preacutelude dialectique et

Alexandre emploie comme dans B lui-mecircme ou dautres commentaires lexpression figeacutee quasi

452 In Met 238 3-5 laquo δείκνυσι δὲ ἐν τῷδε τῷ βιβλίῳ περὶ τίνα ἐστὶν ἡ σοφία ἣν καὶ φιλοσοφίανὀνομάζει καὶ πρώτην φιλοσοφίαν Καὶ πρῶτον μὲν συνίστησιν ὅτι περὶ τὸ ὂν καθόλου raquo

453 Voir In Met 239 11-15

454 Nous soulignons cette interpreacutetation alexandrinienne car elle a eacuteteacute discuteacutee par W Leszl selon qui lonpourrait soutenir que Γ nest pas inteacutegralement voire pas du tout deacutevolu agrave une enquecircte causale et ceen deacutepit de lannonce faite agrave la fin de Γ 1 (cf W Leszl [2010] p 208 sq)

132

La meacutetaphysique comme science une enjeux

lexicaliseacutee dune phase laquo utile et neacutecessaire agrave la deacutecouverte raquo La deacutecouverte eacutetait auparavant

celle de la veacuteriteacute ou des objets de la recherche455 elle est ici celle des objets de la sagesse ou plus

litteacuteralement de ce que la sagesse se propose de traiter Si donc A eacutetait preacuteparatoire B comme

lest la dialectique en geacuteneacuteral selon Alexandre est positivement exploratoire ou heuristique B

pose ainsi les apories que Γ va reacutesoudre

Le livre Γ est quant agrave lui placeacute tout entier sous le signe de lobjet de la science rechercheacutee

B Cassin et M Narcy ont distingueacute deux faccedilons daborder ce livre celle du laquo penseur raquo qui dans

Γ met en avant la science de leacutetant en tant queacutetant (et donc les premiers chapitres du livre) et la

lecture du laquo logicien raquo qui insiste davantage sur le principe de non-contradiction et la poleacutemique

contre les sophistes456 Placer Alexandre dans le premier groupe ne fait aucune difficulteacute

Alexandre conccediloit en effet le lien entre les deux questions comme une relation deacuteductive en

interpreacutetant la primauteacute de la premiegravere question (la question ontologique) comme une primauteacute

tant logique que chronologique Une fois quon a montreacute quune science de leacutetant en tant queacutetant

est possible il faut en effet sattacher agrave eacutetudier les autres objets de cette science qui soccupe

eacutegalement des axiomes communs agrave toutes les sciences ndash au premier chef desquels le principe de

non-contradiction Dit autrement parce que la science rechercheacutee porte sur leacutetant en tant

queacutetant elle en eacutetudie aussi neacutecessairement les proprieacuteteacutes donc les axiomes donc le principe de

non-contradiction Cest ce que dit la suite du proegraveme

Ἀλλ εἰ περὶ πάντα τὰ ὄντα καὶ περὶπάντα τὰ [15] καθ αὑτά τε καὶ κοινῶς τῷὄντι ᾗ ὂν ὑπάρχονταmiddot τοιαῦτα δὲ καὶ τὰἀξιώματα Ἐφ οἷς δείκνυσιν ὅτι κοινότατονκαὶ γνωριμώτατον τῶν ἀξιωμάτων ἐστὶ τὸ

Mais si elle porte sur tous les eacutetants alors elleporte aussi sur tout ce qui appartient par soi etcommuneacutement agrave leacutetant en tant queacutetant or tels aussisont les axiomes A propos de ceux-ci il montre quelaxiome le plus commun et le plus connu est

455 Cette expression reacutepond certainement agrave labondance de ζητέω quon a souligneacutee plus haut Voir dansle seul commentaire agrave B 171 11-12 laquo φησὶ δὲ ἀναγκαῖον εἶναι πρὸς τὴν εὕρεσιν τῆς τε ἐπιστήμηςαὐτῆς καὶ τῶν κατὰ τὴν ἐπιστήμην ταύτην ζητουμένων raquo 172 11 laquo πρὸς τὴν τῶν ζητουμένωνεὕρεσιν raquo 174 1 laquo πρὸς φιλοσοφίαν καὶ τὴν τῆς ἀληθείας εὕρεσιν raquo Dans le Commentaire auxPremiers Analytiques 2 33-36 εἰ δὲ μὴ πᾶσαν λέγοιεν τὴν λογικὴν πραγματείαν πρὸς τὴν εὕρεσίντε καὶ σύστασιν τῶν κατὰ φιλοσοφίαν ζητουμένων τὴν ἀναφορὰν ἔχειν ἢ τῶν κατ ἄλληνἐπιστήμην ἢ τέχνην τινὰ θεωρουμένων τε καὶ ζητουμένων raquo 3 10-11 laquo ἔτι εἰ σπουδάζοιτο ὡςγυμνάσιον τῆς διανοίας πρὸς τὴν εὕρεσιν τῶν ἐν τοῖς μέρεσι τῆς φιλοσοφίας ζητουμένων raquo Cestaussi la premiegravere phrase du Commentaire aux Topiques laquo Τὴν μὲν πρόθεσιν τὴν κατὰ τὴν τοπικὴνπραγματείαν καὶ πρὸς πόσα τε καὶ τίνα χρήσιμός ἐστι τῷ φιλοσοφοῦντι ἥδε ἡ μέθοδος καὶ τί τὸτέλος αὐτῆς αὐτὸς λέγει τὸ μὲν ἀρχόμενος εὐθύς τὸ δὲ ὀλίγον προελθών δι ὧν γνώριμονποιεῖται ὅτι καὶ τοῖς προηγουμένως φιλοσοφοῦσιν ἀξία σπουδῆς ἡ διαλεκτική πρὸς τὴν εὕρεσιντῆς ἀληθείας αὐτοῖς συντελοῦσα ὃ τέλος ἐστὶ τῆς φιλοσόφου θεωρίας raquo puis en 27 2-4 laquo δείκνυσιν ὅτι καὶ πρὸς φιλοσοφίαν καὶ τὴν εὕρεσιν τῶν ἀληθῶν χρήσιμος ἡ διαλεκτικὴ καὶ οὐκἔξω φιλοσοφίας ἡ προκειμένη πραγματεία raquo Voir aussi 27 25 28 23 29 10-1 etc

456 B Cassin M Narcy [1989] p 13-14

133

La meacutetaphysique comme science une enjeux

μὴ δύνασθαι συνυπάρχειν τὴν ἀντίφασιν limpossibiliteacute de la coexistence de deuxcontradictoires457

(238 14-17)

La position quAlexandre assigne agrave Δ se comprend alors delle-mecircme Comme nous

lavons vu lExeacutegegravete conccediloit les termes du Livre des deacutefinitions comme des outils plurivoques et

communs agrave toutes les sciences particuliegraveres Alexandre est donc agrave cent lieues de laffirmation de

WD Ross laquo It (Δ) is a useful preliminary to the Metaphysics but it is not preliminary to it in

particular raquo458 ou du lapidaire laquo intruder raquo de M Burnyeat459 Ross poursuivait sa deacuteclaration en

arguant que certaines des notions du livre nont pas leur place dans la Meacutetaphysique par exemple

le laquo tronqueacute raquo ou le laquo faux raquo Largument porte sans doute pour le tronqueacute dont lanalyse

aristoteacutelicienne principalement neacutegative sefforce de restreindre lapplication Alexandre en est

dailleurs conscient et semble exprimer son malaise en soulignant agrave la fin de son commentaire

qulaquo Aristote ne produit pas de distinction de la pluraliteacute des sens du tronqueacute mais une

information et un enseignement ltagrave son sujetgt raquo460 Sappliquant uniquement agrave certaines quantiteacutes

doueacutees de position on pourrait donc douter que le tronqueacute relegraveve de ces notions transversales

aux sciences particuliegraveres Quant au laquo faux raquo cependant eacutetant donneacute que le vrai est un sens de

leacutetant et que la science de quelque chose doit aussi eacutetudier son opposeacute il eacutetait preacutevisible que

dans la perspective alexandrinienne il eacutechucirct agrave la philosophie premiegravere den exposer la

plurivociteacute

Rares sont les interpregravetes contemporains agrave aller aussi loin quAlexandre dans laffirmation

de la continuiteacute entre Γ et Δ461 Cest en effet clairement cela quavait en tecircte Alexandre dans son

proegraveme au livre Γ Alexandre va toutefois plus loin en mettant sur le mecircme plan les axiomes

laquo proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant raquo et les plurivoques de Δ proprieacuteteacutes communes de leacutetant

en geacuteneacuteral462

457 Ou peut-ecirctre plus juste la co-reacutefeacuterence de deux propositions contradictoires ltagrave une mecircme chosegt

458 WD Ross [1924] p XXV

459 M Burnyeat [2001] p 127

460 In Met 428 8-10 laquo σημειωτέον ὅτι μὴ διαίρεσιν τοῦ κολοβοῦ πολλαχῶς λεγομένου πεποίηταιἀλλὰ μήνυσίν τε καὶ διδασκαλίαν raquo

461 Sauf peut-ecirctre S Menn qui retrouve un argument alexandrinien laquo so Γ 2 1004a16-31 calls for a study ofthe many senses of one and many and same and other and contrary and so on as well as of being ndashthat is it calls for Metaphysics Δ which deals with these terms as well as with arkhai cause and otherterms whose senses must be distinguished for the investigation of the arkhai to be carried out successfully raquoS Menn [agrave paraicirctre]

462 In Met 344 5-7 laquo δέδειχε μὲν γὰρ ὅτι τοῦ πρώτου φιλοσόφου περὶ τοῦ ὄντος καθόλου πραγματεία

134

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Cette conception du livre Δ confirme sans aucun doute le caractegravere central du livre Γ (et

mecircme serait-on tenteacute de dire de Γ 1-2) Toutefois nuanccedilons pour finir la remarque de M Bonelli

Il faut ici se preacutemunir contre les effets de perspective dus au fait que nous ne posseacutedons que les

cinq premiers commentaires Le caractegravere central de Γ ne peut en toute rigueur saffirmer que de

ce premier moment ou morceau (chunk)463 de la Meacutetaphysique On peut sattendre agrave ce que les

morceaux Z-H-Θ ou Λ ne soient pas lus par Alexandre que comme des appendices agrave Γ Cette

position de Γ dans ce premier moment constitue agrave tout le moins une indication forte pour la

conception alexandrinienne de lobjet de la meacutetaphysique Cependant dans lun des rares

passages ougrave Alexandre esquisse un plan de la suite du traiteacute agrave la fin de son commentaire agrave Δ 7 ce

sont bien les divers sens de leacutetant qui servent agrave structurer les traiteacutes suivants E aurait en effet

pour objet (sans que cela soit exclusif pour lExeacutegegravete) leacutetant par accident Z et H leacutetant par soi et

Θ leacutetant selon lacte et la puissance464

d) Conclusion limpeacuteratif duniteacute

Il devient deacutesormais urgent de passer du premier au second sens de πραγματεία Si donc

Alexandre se livre agrave une lecture unitaire du traiteacute on a avec ce qui preacutecegravede toutes les raisons de

penser quil en va de mecircme pour la science De fait jamais lExeacutegegravete ne preacutesente le traiteacute comme

exposant plusieurs sciences Le singulier prime absolument La pluraliteacute des intituleacutes on la vu

renvoie agrave une mecircme science quoique diversement deacutecrite

Ce fait savegravere en toutes lettres dans le commentaire agrave Γ par exemple qui reacutepegravete

inlassablement quAristote preacutesente une laquo science une raquo (laquo μία ἐπιστήμη raquo) voire une laquo science

une par le genre raquo (laquo μία τῷ γένει ἐπιστήμη raquo)465 En nous faisant comme lanalyste du discours

alexandrinien nous avons indiqueacute dans lintroduction comment cela reacuteveacutelait a minima la

καὶ τῶν τούτῳ κοινῶς ὑπαρχόντων κοινὰ δὲ τοῦ ὄντος εἰσίν οἷς ἐπιστῆμαι πᾶσαι χρῶνται raquo

463 Lexpression est de M Burnyeat [2001]

464 In Met 372 34-37 laquo Ποιήσεται δὲ τὸν λόγον περὶ μὲν τοῦ κατὰ συμβεβηκὸς ὄντος καὶ περὶ τοῦ ὡςἀληθοῦς ἐν τῷ μετὰ τοῦτο περὶ δὲ τοῦ καθ αὑτὸ ὄντος ἐν τῷ Ζ καὶ Η περὶ δὲ τοῦ δυνάμει τε καὶἐντελεχείᾳ ἐν τῷ Θ raquo

465 Sans doute sagit-il lagrave dune reacuteminiscence par exemple de AnPo I 28 87a 38-39 Voir In Met 238 19-20 241 1 sq 243 20-28 243 33 (en reacutefeacuterence agrave 1003b 12) 244 5-11 244 18-25 245 2 sq 245 22sq 245 36 246 28 249 26 251 5 252 9-10 255 23-25 261 21-26 262 25-26 263 2-3 263 12-18 265 6

135

La meacutetaphysique comme science une enjeux

conscience chez lExeacutegegravete du problegraveme que pose lunification de la meacutetaphysique

Or on peut imaginer deux maniegraveres pour un interpregravete dAristote dunifier cette

apparente dispariteacute des noms de la science et des objets que ces noms recouvrent soit identifier

ces objets les uns aux autres en montrant par exemple que leacutetant en tant queacutetant nest autre que

leacutetant au sens absolu lequel nest autre que le principe divin le premier moteur soit unifier les

diverses tacircches de la science en montrant par exemple queacutetudier leacutetant en tant queacutetant

implique aussi neacutecessairement ndash en demeurant agrave linteacuterieur dune mecircme science ndash deacutetudier la

substance et le Premier moteur Voyons ce quil en est chez Alexandre

136

Chapitre II

CHAPITRE II

LA MEacuteTAPHYSIQUE COMME SCIENCE UNIVERSELLE ET PREMIEgraveRE

21 La science du premier une theacuteologisation de la meacutetaphysique

211 Limpossible reacuteduction

La question de lobjet de la meacutetaphysique selon Alexandre reste un terrain encore peu

laboureacute et par comparaison avec le champ aristoteacutelicien le lopin alexandrinien fait figure de

friche La rareteacute cependant nempecircche pas le deacutesaccord ndash au contraire peut-ecirctre Ainsi au XXegraveme

siegravecle lune des premiegraveres reacuteponses agrave cette question celle par rapport agrave laquelle toutes les autres

ont ducirc se positionner est due agrave P Merlan Dapregraves Merlan lidentification des intituleacutes de la

science chez Alexandre reacutevegravele une identification des objets cette identification seffectue au

profit du dieu de la substance premiegravere deacutefinie comme cause premiegravere agrave laquelle se ramegravene lὄν

ᾗ ὄν1 Alexandre engagerait ainsi une theacuteologisation de la meacutetaphysique que poursuivront les

commentateurs neacuteoplatoniciens2

1 P Merlan [1957] p 91

2 Sur le fait quil soit courant chez les neacuteoplatoniciens de classer la Meacutetaphysique dans les laquo eacutecritstheacuteologiques raquo (dapregraves la classification des sciences de Met E 1) voir le tableau synoptique de

137

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Commenccedilant par la fin du traiteacute Merlan se fonde tout dabord sur un fragment du

commentaire dAlexandre agrave Λ rapporteacute par Averroegraves Dapregraves le Cordouan Alexandre deacutefinirait

lobjet du livre comme laquo les principes de leacutetant en tant queacutetant cest-agrave-dire ceux de la substance

premiegravere raquo Or le livre Λ ayant pour objet le premier moteur divin cest bien quAlexandre

identifie lὄν ᾗ ὄν au premier moteur Cette thegravese unitaire est selon Merlan confirmeacutee par le

Commentaire conserveacute En effet en commentant α Alexandre eacutetablit aussi que les principes sur

lesquels enquecircte la sagesse sont au plus haut point et de ce fait sont vrais au plus haut point et

causes de lecirctre et de la veacuteriteacute de toutes les autres choses3 La thegravese se trouve dailleurs reacutepeacuteteacutee

dans le proegraveme agrave Γ quand Alexandre reacutesume lacquis du livre A4 Dailleurs souligne Merlan

dans le proegraveme du commentaire agrave Γ Alexandre se reacutefegravere agrave A qui preacutesente la philosophie

premiegravere comme la science du divin mais ne parle jamais deacutetant en tant queacutetant On doit donc

en infeacuterer une identification de lὄν ᾗ ὄν au premier moteur5 Lobjet de la philosophie premiegravere

se reacuteduit agrave cette substance comprise comme cause de lecirctre des autres eacutetants6 laquelle dapregraves

Merlan ne saurait ecirctre autre chose que la cause premiegravere le premier moteur Cette substance

premiegravere et divine est le sens premier de lecirctre par rapport auquel et agrave partir duquel tous les

autres eacutetants sont La science qui leacutetudie est donc agrave la fois premiegravere et universelle mais quand

Alexandre parle de καθόλου il ne peut pas vouloir dire que cette science porte sur la totaliteacute de

leacutetant καθόλου signifierait ici que la substance premiegravere accomplit partout son pouvoir causal

quelle est laquo uumlberall ursaumlchlich anwesend raquo7 En tant que science la plus haute la meacutetaphysique

classification des ouvrages dAristote par I Hadot ([1990] p 65) qui mentionne Philopon SimpliciusOlympiodore et David

3 In Met 138 19-23 laquo μάλιστα γὰρ ἔστι τὰ πρῶτα αἴτια καὶ αἱ ἀρχαί τὰ δὲ μάλιστα ὄντα καὶ ἀληθῆμάλιστα καὶ τοῖς ἄλλοις αἴτια τοῦ τε εἶναι καὶ τῆς ἐν αὐτοῖς ἀληθείας ταῦτα δείκνυσι δὲ ἐν αὐτῷκαθόλου τε καὶ κοινῶς καὶ ὅτι εἰσὶν ἀρχαὶ καὶ αἰτίαι τῶν ὄντων ἀνελὼν τὸ ἐπ ἄπειρον τὴνπρόοδον τῶν αἰτίων εἶναι raquo Pour un commentaire deacutetailleacute de ce passage cf nfra sect 213a

4 In Met 273 9-10

5 P Merlan [1957] p 91 laquo Indem er den Inhalt der Bucher A und B referiert sagt Alexander hier (p 237 3-5Hayduck vgl die Alternativrezension p I71 ad 5 Hayduck) daB Aristoteles sich in denselben vorgenommenhabe von der Ersten Philosophie dh vom ὄν ᾗ ὄν zu sprechen Nun ist ja weder in A noch in B vom ὄν ᾗ ὄν dieRede in A ist Erste Philosophie klarerweise die Wissenschaft vom Goumlttlichen raquo

6 Cf par exemple 244 19-20 246 10-12 occurrences citeacutees par P Merlan Nous revenons ci-dessous auchapitre III sur cette expression lancinante non seulement dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique maisdans toute lœuvre dAlexandre

7 P Merlan [1957] p 91 Merlan se fonde sur deux passages lun concernant les sens de lecirctre (244 19-20)et le second qui renvoie explicitement agrave Met E 1 en In Met 246 10-13 laquo ἅμα τέ ἐστι πρώτη καὶκαθόλου ἐν γὰρ τοῖς ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγομένοις τὸ πρῶτον καὶ καθόλου τῷ καὶ τοῖςἄλλοις αὐτὸ εἶναι αἴτιον τοῦ εἶναι ὡς καὶ αὐτὸς ἐν τῷ Ε τῆσδε τῆς πραγματείας ἐρεῖ raquo Ces deuxpassages sont effectivement cruciaux on y revient ci-dessous sect 242

138

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

portera donc neacutecessairement sur le premier des ecirctres8 et quels que soient ses autres noms se

dissout dans la theacuteologie

La position de P Merlan a susciteacute des reacutefutations cinglantes de la part de C Genequand

puis P Donini9 Une premiegravere remarque de meacutethode simpose Merlan se cantonne agrave des

passages limiteacutes et de statuts tregraves divers dans des deacutecoupages trop restreints voueacutes agrave produire

des effets de perspective Laspect paraphrastique du commentaire dAlexandre et ce qui relegraveve

davantage de linterpreacutetation ne sont jamais distingueacutes ndash et pour cause puisque selon Merlan

linterpreacutetation dAlexandre est fondamentalement correcte elle reacutevegravele ce que pense le Stagirite

Premier contre-argument le texte du commentaire agrave Λ sur lequel Merlan fonde une

bonne partie de son argument est non seulement un teacutemoignage mais un teacutemoignage sujet agrave

caution10 Il ne sagit mecircme pas de souligner que dans le commentaire agrave Λ il arrive

manifestement agrave Averroegraves de reformuler Alexandre dans ses propres termes avec ses propres

concepts si le texte est ici sujet agrave caution cest au niveau mecircme de son eacutetablissement

Assureacutement le passage est deacuteriveacute des premiegraveres phrases du livre dAristote lues de faccedilon forceacutee

puisque la substance que mentionne Aristote ne peut pas ne pas ecirctre autre chose que la premiegravere

cateacutegorie eacutetant donneacutee leacutevocation suivante de la quantiteacute et la qualiteacute11 Or le commentaire

dAverroegraves ne fait aucun doute sur lidentiteacute divine de cette premiegravere substance Selon le

Cordouan ndash et peut-ecirctre donc Alexandre ndash Aristote ayant deacutejagrave eacutetudieacute les principes de la

substance sensibles aux livres centraux il prend ici en vue les principes de la substance

eacuteternelle12 Mais le texte sur lequel se fonde Merlan est celui eacutediteacute par Freudenthal qui pousse

lidentification entre les deux sortes de principes Freudenthal traduit en effet la phrase arabe

par

In diesem Buche aber spricht er uumlber die Principien dessen was ist insofern es ist das sind die

8 P Merlan [1957] p 91

9 C Genequand [1979] P Donini [2003] et [2005]

10 C Genequand [1979] p 49 Merlan cite dailleurs de travers en disant laquo houmlchste Substanz raquo au lieu delaquo erste Substanz raquo et deacuteveloppe une eacutetrange theacuteorie agrave partir de cela mais comme le note C Genequand([1979 p 49 n 5) cette laquo misquotation [] naffecte pas le fond du problegraveme raquo malgreacute lauto-correctionde Merlan dans [1963] p 37 n 1

11 Met Λ 1 1069a 18-21 laquo Περὶ τῆς οὐσίας ἡ θεωρία τῶν γὰρ οὐσιῶν αἱ ἀρχαὶ καὶ τὰ αἴτιαζητοῦνται Καὶ γὰρ εἰ ὡς ὅλον τι τὸ πᾶν ἡ οὐσία πρῶτον μέρος καὶ εἰ τῷ ἐφεξῆς κἂν οὕτωςπρῶτον ἡ οὐσία εἶτα τὸ ποιόν εἶτα τὸ ποσόν raquo Sur ce texte cf W D Ross [1924] t II p 349

12 C Genequand [1986] p 65 (= 1407 Bouyges)

139

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Prinzipien der ersten Substanz ltund uumlber die erste Substanzgt13 deren Existenz houmlchste Wahrheitist

Freudenthal se fonde sur le manuscrit B et de lheacutebreu pour conserver laquo wa-hiya raquo14 qui

pousse agrave lidentification entre principes de leacutetant en tant queacutetant et principes de la substance

premiegravere C Genequand a au contraire proposeacute de conserver la leccedilon donneacutee par Bouyges agrave

savoir laquo wa-fī raquo qui a un support textuel leacutegegraverement plus fort et lon obtiendrait alors

But in this book he talks about the principles of being qua being and the principles of the firstsubstance which is absolutely real (haqīqa)15

Ainsi compris dans son contexte Alexandre aurait donc distingueacute laquo certains livres raquo

traitant de leacutetant en tant queacutetant et celui-ci traitant non seulement des principes de leacutetant en

tant queacutetant mais aussi des principes de la substance premiegravere ce qui suppose une distinction

entre les deux objets La suite du texte (Bouyges 1394) octroie certes agrave leacutetude de cette substance la

position dobjet final de lenquecircte ou du traiteacute (πραγματεῖα16) mais nimplique pas la reacuteduction

de la totaliteacute de lenquecircte agrave cet objet De ce point de vue le teacutemoignage dAverroegraves pose plus de

questions quil napporte de reacuteponses il faut donc comprendre en quel sens pour lExeacutegegravete sont

coordonneacutees les enquecirctes ontologique ousiologique et theacuteologique17 Degraves lors objecter agrave P

Merlan comme le fait C Genequand que ce passage ne donne que lobjet du livre Λ et non celui

de la Meacutetaphysique en son entier est peu heureux De fait si lon se fie aux citations dAverroegraves le

livre Λ a pour Alexandre une place speacuteciale dans leacutedifice Si la Meacutetaphysique eacutetait une catheacutedrale

le livre Λ pour Alexandre en serait la flegraveche ou lapex et cest agrave bon doit selon lExeacutegegravete quon le

considegravere comme le dernier livre M et N nayant quune fonction critique ils sont tenus pour

quantiteacute neacutegligeable18 Le livre Λ imprime donc une certaine orientation agrave la Meacutetaphysique telle

13 Proposition absente de lheacutebreu comme de larabe rajouteacutee par Freudenthal (cf J Freudenthal [1885]p 68 n 4)

14 J Freudenthal [1885] p 68 et en particulier la note 4

15 C Genequand [1986] p 59 et deacutejagrave [1979] p 49 n 4 La correction ne legraveve pas toutes les difficulteacutesneacuteanmoins car si la premiegravere substance qui est absolument reacuteelle ou vraie deacutesigne bien le premiermoteur alors que peuvent bien ecirctre ses principes sans quon retombe dans une reacutegression agrave linfini Onreacutetorquera que lexpression nest peut-ecirctre pas dAlexandre lui-mecircme mais une reformulationdAverroegraves Cependant le passage commence et se termine par ce qui se preacutesente comme des citationsla charge de la preuve revient donc agrave celui qui entend contester leur authenticiteacute

16 C Genequand [1986] p 59 n 5 sur larabe laquo şanaca raquo

17 Comme dit preacuteceacutedemment on nemploie ces termes malgreacute leur caractegravere jargonnant que parcommoditeacute pour eacuteviter eacutetude de leacutetant en tant queacutetant eacutetude de la substance et eacutetude du divin

18 C Genequand [1986] p 59 (= 1394 Bouyges) et agrave nouveau p 65 (= 1407 Bouyges)

140

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

quAlexandre la comprend mais il ne concentre clairement pas agrave lui seul le tout de la

meacutetaphysique Bref eacutetant donneacute lincertitude de son eacutetablissement et son caractegravere secondaire un

tel texte peut eacuteventuellement valoir comme confirmation voire comme indice mais jamais

comme preuve Sa compreacutehension qui requiert neacutecessairement une confrontation avec le reste du

Commentaire authentique doit ecirctre prorogeacutee

Bien plus deacutecisive contre la position de Merlan est lobjection suivante si cette thegravese eacutetait

vraie encore faudrait-il pouvoir alors rendre compte de tous les passages ougrave Alexandre assigne

explicitement agrave la meacutetaphysique leacutetude de tout leacutetant ou de leacutetant en totaliteacute19 Dans son proegraveme

agrave Γ Alexandre insiste sans discussion possible sur le fait que la philosophie premiegravere est laquo περὶ

παντὸς τοῦ ὄντος raquo (238 13) ou laquo περὶ πάντα τὰ ὄντα raquo (238 14) que lon retrouve dans le

proegraveme agrave Δ laquo περὶ τοῦ ὄντος καθόλου raquo (344 6)20 Alexandre souligne le caractegravere laquo καθόλου raquo

de la science elle-mecircme par exemple en 244 27-28 261 5 ou plus nettement encore en 264 23-

25 ougrave Alexandre affirme quil appartient au philosophe (sous-entendu premier) deacutetudier

universellement tous les ecirctres et donc toutes les causes21 En outre dans lun des rares passages

ougrave Alexandre esquisse un plan de la suite des traiteacutes cest bien leacutetude des sens de leacutetant qui

forme le fil directeur des divers livres22 Lexpression de laquo καθόλου φιλοσοφία raquo23 lappariement

de καθόλου avec κοινὴ et le lien entre περὶ παντὸς τοῦ ὄντος et καθόλου ne laissent enfin

aucune chance agrave la lecture de cet adverbe par P Merlan Certes il est logiquement possible dans

le cadre dune interpreacutetation theacuteologisante de la meacutetaphysique de rendre malgreacute tout compte de

son ambition universelle ce qui eacutebranle voire ruine la lecture de P Merlan est que jamais il ne

prend en compte ces passages et la reacutecurrence des thegraveses qui doit pourtant sonner comme lindice

dune position assumeacutee par lExeacutegegravete

En outre pour reprendre le mot de P Donini24 il faut une lecture bien laquo meacutecanique raquo pour

infeacuterer agrave partir des deacutebuts des commentaires agrave B et Γ quAlexandre identifie laquo eacutetant en tant

queacutetant raquo et laquo premier dieu raquo De fait ce nest pas parce quune mecircme science eacutetudie x et y que x

et y sont neacutecessairement identiques Cela se laisse confirmer par un fait assez troublant lorsque

19 Cf aussi C Genequand [1979] p 51

20 Voir deacutejagrave en 238 5 laquo καὶ πρῶτον μὲν συνίστησιν ὅτι περὶ τὸ ὂν καθόλου [scil πρώτη φιλοσοφία] raquo

21 In Met 264 23-25 laquo ἐκ δὲ τούτων δῆλον ὅτι εἰ περὶ πάντων τῶν ὄντων τοῦ φιλοσόφου θεωρεῖν καὶὁ περὶ τῶν αἰτίων πάντων καθόλου λόγος οἰκεῖος τῷ φιλοσόφῳ raquo

22 In Met 372 34-37

23 En 244 26-32 ou 258 23-24 Cf ci-dessous sect 221

24 P Donini [2003] p 19 et [2005] p 84 la version franccedilaise rajoutant mecircme laquo naiumlvement meacutecanique raquo

141

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Alexandre eacutenonce les objets de la meacutetaphysique le laquo premier dieu raquo ou la laquo cause premiegravere raquo ont

toujours un statut second meacutediat Alexandre deacuteveloppe lideacutee que la cause premiegravere fait lobjet

de la meacutetaphysique agrave partir dautres objets qui sont dembleacutee donneacutes poseacutes Le pheacutenomegravene est

dimportance comme on le verra car il exemplifie la faccedilon dont Alexandre organise

deacuteductivement les diffeacuterents objets possibles de la meacutetaphysique afin den structurer le champ de

recherche Cest en effet dit Alexandre parce que la meacutetaphysique a pour objet les principes et

les causes premiers quelle eacutetudie le dieu25 Dans son commentaire agrave A lExeacutegegravete ne pose comme

objet de la sagesse les choses ou les ecirctres divins quau terme dun syllogisme scolaire qui se

conclut par le fait que le divin soit objet de la meacutetaphysique la sagesse porte sur les principes

premiers et les causes premiegraveres or le dieu est premier principe et cause de tout le reste donc la

sagesse est connaissance des choses qui ont trait au dieu En outre le dieu dans le texte

aristoteacutelicien nest pas donneacute comme la seule cause premiegravere mais lune dentre elles26 et

Alexandre semble respecter la nuance en nemployant aucun article deacutefini (18 9-10 laquo ὁ δὲ θεὸς

ἀρχὴ πρώτη καὶ αἰτία τῶν ἄλλων raquo)

De mecircme au seuil du commentaire agrave B cest parce que la meacutetaphysique a pour objet les

laquo πρῶτα καὶ τιμιώτατα raquo quelle a pour objet le laquo premier dieu et intellect raquo et encore Alexandre

se sent-il obligeacute de preacuteciser en justifiant ainsi la place du dieu dans la meacutetaphysique cest parce

que (γάρ) la meacutetaphysique porte sur la cause comme forme substantielle totalement seacutepareacutee de la

matiegravere27 La meacutetaphysique se donne donc dabord comme une enquecircte sur les premiers comme

protologie geacuteneacuterale avant decirctre preacuteciseacutee en theacuteologie par lajout du καί adverbial et lexpression

laquo διὰ τὸ αὐτὸ δὲ τοῦτο raquo Sauf erreur ce sont lagrave les seuls passages du Commentaire conserveacute agrave

assigner explicitement et sans doute possible le dieu comme objet agrave la meacutetaphysique

Tout cela tend donc agrave confirmer la remarque geacuteneacuterale (et malheureusement peu eacutetayeacutee)

25 Pour le passage qui suit cf In Met 18 5-10 laquo ἡ γὰρ θειοτάτη κατὰ τοῦτο μάλιστα τιμιωτάτη ἡ δὲτοιαύτη θειοτάτη κατά τε τὸ μάλιστα ὁμοίαν τῇ τῶν θείων ἐνεργείᾳ εἶναι (ἐνεργεῖν μὲν γὰρεὔλογον τὸ θεῖον οὐκ ἄλλη δέ τις ἐνέργεια θεῶν ἀξία παρὰ τὴν τοιαύτην) ἀλλὰ καὶ διὰ τὸ τῶνθείων γνῶσιν εἶναι εἴγε τῶν πρώτων αἰτίων γνῶσίς ἐστι καὶ τῶν ἀρχῶν ὁ δὲ θεὸς ἀρχὴ πρώτηκαὶ αἰτία τῶν ἄλλων raquo

26 Aristote Meacutet A 2 983a 8-9 laquo ὅ τε γὰρ θεὸς δοκεῖ τῶν αἰτίων πᾶσιν εἶναι καὶ ἀρχή τις raquo Sur cepassage voir E Berti [2006] [2008a] p 426-427

27 In Met 171 5-11 Pour meacutemoire le texte est laquo Ἡ μὲν ἐπιζητουμένη ἐπιστήμη καὶ προκειμένη νῦναὐτή ἐστιν ἡ σοφία τε καὶ ἡ θεολογική ἣν καὶ Μετὰ τὰ φυσικὰ ἐπιγράφει τῷ τῇ τάξει μετ ἐκείνηνεἶναι πρὸς ἡμᾶς λέγει δὲ αὐτὴν καὶ πρώτην σοφίαν ὅτι τῶν πρώτων καὶ τιμιωτάτων ἐστὶθεωρητική διὰ τὸ αὐτὸ δὲ τοῦτο καὶ θεολογική περὶ γὰρ τοῦ αἰτίου καὶ εἴδους ὃ πάντῃ ἄυλόςἐστιν οὐσία κατ αὐτόν ἣν καὶ πρῶτον θεὸν καὶ νοῦν καλεῖ ὁ λόγος ἐν τούτοις προηγουμένωςαὐτῷ γίνεται raquo

142

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

de J-F Courtine laquo aucun des commentateurs anciens ndash et surtout pas Alexandre ndash nassimile

purement et simplement comme le suggegraverent pourtant J Owens et P Merlan lἐπιστήμη τοῦ ὄντος

ᾗ ὄν et la recherche theacuteologique de lοὐσία πρώτη raquo28 Il convient cependant de rester plus

mesureacute dans le cas des commentateurs neacuteoplatoniciens29 Mais la chose est du moins peu

discutable pour Alexandre et malgreacute les liens explicites entre les divers Commentaires agrave la

Meacutetaphysique les diffeacuterences sont agrave cet eacutegard patentes

212 La viseacutee du premier

Pour ecirctre unilateacuterale la lecture de Merlan nen est cependant pas inteacutegralement fausse et

il convient de nuancer la leveacutee de boucliers quelle a susciteacutee Linterpreacutetation de P Merlan se

laisse partiellement comprendre agrave condition de reacutegresser dune interpreacutetation theacuteologique de la

meacutetaphysique agrave sa condition le caractegravere protologique de cette science Or Alexandre enteacuterine et

accentue cette viseacutee du premier et ce statut de science premiegravere qui marque la sagesse deacutecrite

dans la Meacutetaphysique Telle est sans doute la deacutetermination embleacutematique de la science deacutecrite

dans les premiers livres du traiteacute La laquo sagesse raquo peut ecirctre agrave la fois dite science premiegravere et science

du premier Science du premier tel est son contenu puisque dapregraves la doxographie du livre A 1-

2 elle ne peut quecirctre science des causes et des principes premiers ndash cest lagrave le gain speacutecifique de

largumentation de A 2 Posseacuteder le savoir scientifique cest connaicirctre la cause or si la science

quon recherche est la plus estimable des sciences celle qui est laquo le plus sagesse raquo alors il faut

quelle soit la connaissance des causes premiegraveres La sagesse est donc autant science premiegravere que

science du premier et les deux deacuteterminations renvoient lune agrave lautre parce quelle est la

28 J-F Courtine [2005] p 125 (nous soulignons)

29 Ascleacutepius par exemple est beaucoup plus disert sur la nature theacuteologique de la meacutetaphysique Chezlui la cause premiegravere nest pas un objet deacuteduit elle est poseacutee dembleacutee au mecircme titre que les principeset les causes premiers par exemple Il est comme eacutevident pour Ascleacutepius que dans la MeacutetaphysiqueAristote laquo theacuteologise raquo laquo θεολογεῖ γὰρ ἐν αὐτῇ Ἀριστοτέλης raquo et cest pourquoi tel est le σκοπός decette eacutetude Tels sont les premiers mots du Commentaire dAscleacutepius cf In Met 1 6-8 laquo Δεῖ ἡμᾶςἀρχομένους τῆς παρούσης πραγματείας εἰπεῖν τὸν σκοπόν τὴν τάξιν τὴν αἰτίαν τῆς ἐπιγραφῆςσκοπὸς μὲν οὖν ἐστι τῆς παρούσης πραγματείας τὸ θεολογῆσαι θεολογεῖ γὰρ ἐν αὐτῇἈριστοτέλης raquo Si Ascleacutepius enteacuterine leacutetant en tant queacutetant ou leacutetant conccedilu universellement commeobjet du traiteacute cest immeacutediatement en rajoutant laquo il se propose en effet de theacuteologiser dans le preacutesentouvrage raquo Ascleacutepius In Met 2 14-15 laquo καθόλου περὶ πάντων τῶν ὄντων θεολογῆσαι γὰρ αὐτῷπρόκειται ἐν τῷ παρόντι συγγράμματι raquo formule qui ne se lit assureacutement pas chez Alexandre

143

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

science la plus haute elle doit ecirctre science du premier parce quelle est science du premier elle

est donc la plus estimable comme en teacutemoigne encore E 1 1026a 21-22

En eacutetablissant cette thegravese aux chapitres A 1 et 2 Aristote emploie de faccedilon remarquable

laquo sagesse raquo avec des comparatifs instituant ainsi un continuum entre les diffeacuterentes formes de

savoir Le passage de la perception agrave la meacutemoire puis agrave lexpeacuterience agrave la technique aux sciences

productrices et enfin aux sciences theacuteoriques est progressif ce qui leacutegitime quon examine ainsi

les diffeacuterentes formes de savoir en se demandant laquelle est laquo le plus sagesse raquo30 Il est peut-ecirctre

abusif de voir dans ce laquo μᾶλλον raquo un laquo principe raquo systeacutematique comme le propose M-H

Gauthier-Muzellec31 mais le projet agrave lorigine de leacutetablissement dune sagesse est sans aucun

doute sous-tendu par quelque chose comme laquo une mecircme logique hieacuterarchique une theacuteorie du

plus haut degreacute raquo32 La sagesse se fait lheacuteritiegravere de la dialectique platonicienne que lon

compare avec le jeu des comparatifs et des superlatifs quand Platon deacutecrit la dialectique dans le

Philegravebe (55c ndash 59d)33 Alexandre dailleurs a clairement noteacute cette gradation opeacutereacutee par le livre A et

la syntheacutetise dans son commentaire agrave 981b 27 en affirmant que laquo lrsquoexpeacuterience est plus sage que la

sensation raquo laquo lrsquoart est plus sage que lrsquoexpeacuterience raquo afin dillustrer le fait que laquo on attribue

toujours le nom de sagesse plutocirct [μᾶλλον] agrave ceux qui ont plus [μᾶλλον] de savoir raquo34 La

sagesse comme connaissance des principes et des causes premiers est donc en fait laquo sagesse au

plus haut point raquo35

La question pour tout lecteur des premiers livres de la Meacutetaphysique est de savoir quels

30 Par exemple Met A 1 981b 29 ndash 982a 1 laquo ὥστε καθάπερ εἴρηται πρότερον ὁ μὲν ἔμπειρος τῶνὁποιανοῦν ἐχόντων αἴσθησιν εἶναι δοκεῖ σοφώτερος ὁ δὲ τεχνίτης τῶν ἐμπείρων χειροτέχνου δὲἀρχιτέκτων αἱ δὲ θεωρητικαὶ τῶν ποιητικῶν μᾶλλον raquo Il faut sous-entendre σοφία apregraves leμᾶλλον voir A Jaulin et M-P Duminil [2008] p 75 Cf aussi A 2 982a 14-16 ougrave la chose est sansambiguiumlteacute laquo καὶ τῶν ἐπιστημῶν δὲ τὴν αὑτῆς ἕνεκεν καὶ τοῦ εἰδέναι χάριν αἱρετὴν οὖσαν μᾶλλονεἶναι σοφίαν ἢ τὴν τῶν ἀποβαινόντων ἕνεκεν raquo

31 M-H Gauthier-Muzellec [2008]

32 M-H Gauthier-Muzellec [2008] p 183

33 W Jaeger avait employeacute cette apparente parenteacute comme argument pour deacutemontrer la proximiteacute entrele livre A et les fragments qui nous restent du Protreptique [1948] tr fr [1997] p 68-74 cf eacutegalementdans ce sens W Leszl [1975] p 107-109 On revient ci-dessous sur la proximiteacute avec la dialectique cf sect234

34 In Met 8 10-14 laquo ὃ ἐδείξαμεν δείξαντες αὐτοὺς ἀεὶ μᾶλλον τὸ τῆς σοφίας κατηγοροῦντας ὄνομακατὰ τῶν εἰδότων μᾶλλον σοφωτέρα γὰρ τῆς μὲν αἰσθήσεως ἡ ἐμπειρία διὰ τὸ ἤδη λογική τιςεἶναι γνῶσις (λογικὴ γὰρ ἡ τοῦ καθόλου περίληψις) ἡ δὲ τέχνη τῆς ἐμπειρίας ὅτι αὕτη ἤδη καὶτῆς αἰτίας ἐστὶ γνωστική raquo

35 In Met 6 2-4 laquo συνιστὰς καὶ δεικνὺς ὅτι μάλιστα τῆς σοφίας ἐστὶν ἴδιον τὸ τὰς αἰτίας γιγνώσκεινπερὶ ἧς ἡ προκειμένη πραγματεία καὶ μάλιστα σοφία ἡ τῶν πρώτων γνῶσις αἰτίων raquo

144

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

sont ces principes premiers et de quoi ils sont principes De ce point de vue le livre A en

particulier reste assez ouvert si ce nest eacutevasif et la deacutetermination de la sagesse comme

archeacuteologie pourrait bien navoir quune valeur preacutealable36 Cela paraicirct confirmeacute par le livre B et

la premiegravere aporie en preacutesentant celle-ci en effet Aristote se reacutefegravere tregraves probablement au livre

A37 mais se sert de cette reacutefeacuterence pour interroger la nature de la sagesse en posant la question de

savoir si agrave chaque cause correspond une laquo sagesse raquo et quelle serait degraves lors la sagesse la plus

sagesse la plus architectonique38

Surtout un signe de la valeur preacutealable ou du caractegravere accueillant de la description de la

sagesse en A est la faccedilon dont louverture de ce champ rend possible la discussion des thegraveses des

physiologues autant que des positions platoniciennes Cest sans doute pourquoi une fois deacutefinie

(au moins nominalement39) en A 1 et 2 la sagesse nest plus theacutematiseacutee dans les livres suivants

comme si suffisait linstitution de ce terrain daffrontement comme si importait plus

linterrogation sur les causes que la reacuteflexion eacutepisteacutemologique sur le statut de la discussion elle-

mecircme Dans les chapitres suivants lune des seules mentions de la sagesse sert ainsi agrave qualifier

les physiologues de laquo sages raquo en vue de dresser un premier bilan de la discussion de leurs

thegraveses40 ce qui souligne encore son aspect peu discriminant ndash agrave la maniegravere dont dans le Pheacutedon

(95e sq) lenquecircte sur les causes de la geacuteneacuteration et de la corruption rend possible aussi bien

lautobiographie intellectuelle de Socrate (ie sa discussion des thegraveses laquo preacutesocratiques raquo) que la

seconde navigation et lhypothegravese de Formes41

36 Voir M Crubellier et P Pellegrin [2002] p 327

37 Met B 2 996b 8 laquo ἐκ μὲν οὖν τῶν πάλαι διωρισμένων raquo

38 Met B 2 996b 1-10 Voir agrave ce sujet S Roux [2004] p 145-146

39 Il faut toutefois chez Aristote se meacutefier de ce qui ne paraicirct que nominal telle est bien lune desmaniegraveres de deacutefinir selon AnPo II 10 93b 9 sq Pour les dangers dun emploi de la notion delaquo deacutefinition nominale raquo chez le Stagirite cf J Barnes [1994] p 223

40 Met A 5 987a 2-3 laquo ἐκ μὲν οὖν τῶν εἰρημένων καὶ παρὰ τῶν συνηδρευκότων ἤδη τῷ λόγῳ σοφῶνταῦτα παρειλήφαμεν raquo Hormis celle-ci apregraves A 2 on ne trouvera plus quune seule autre mention(mais cruciale) de la sagesse en A 9 992a 24-25 laquo ὅλως δὲ ζητούσης τῆς σοφίας περὶ τῶν φανερῶντὸ αἴτιον raquo

41 Une question est de savoir si malgreacute tout chez Aristote et agrave linstar de ce qui se produit dans le Pheacutedonlinterrogation eacutepisteacutemologique ne se poursuit pas en sous-main dans la critique des physiologues aumotif que mecircme si lon peut leur accorder le titre de laquo sages raquo ils nen sont pas pour autant toujours delaquo bons sages raquo incapables quils seraient de respecter les reacutequisits eacutepisteacutemologiques de leur propreenquecircte Il y aurait ainsi un inteacuterecirct agrave comparer les motifs des reacutefutations ou des critiques enversAnaxagore dans le Pheacutedon et dans Meacutetaphysique A Agrave ce titre il faudrait peut-ecirctre nuancer laffirmationde W Leszl selon qui laquo Il resto del libro I non concerne direttamente la questione delle cause come oggetto dellasapienza raquo (W Leszl [2010] p 190)

145

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Cest peut-ecirctre cette ouverture qui rend raison de ce que la recherche de causes et de

principes premiers se retrouve au-delagrave des livres A et B par exemple en Γ E et Λ Comme le

soutient M Crubellier

La deacutefinition de la meacutetaphysique comme doctrine des principes par exemple est peut-ecirctresimplement fonctionnelle cest-agrave-dire quelle reacutesumerait simplement lideacutee dunephilosophie premiegravere A ce titre elle serait compatible aussi bien avec les conceptions quien font la science dune reacutealiteacute absolue (la theacuteologie) quavec celles qui en font une eacutetude dela reacutealiteacute dans ses structures les plus geacuteneacuterales cest-agrave-dire une science de leacutetant en tantque tel ou une science de la substance 42

Cela nempecircche pas ndash au contraire ndash que cette enquecircte puisse avoir des formes distinctes

quil y ait des nuances entre une recherche des principes premiers et des causes premiegraveres et celle

des principes et des eacuteleacutements par exemple43

La meacutethode dAlexandre et le type de commentaire quil met en œuvre vont lengager agrave

reacuteduire cette ductiliteacute agrave preacuteciser la nature de ces principes et agrave lisser les nuances Pour ce faire

degraves le commentaire agrave A lAphrodisien complegravete les principes queacutetudie la sagesse sont les

principes et les causes de leacutetant (ou des eacutetants) et mecircme les principes de leacutetant en tant queacutetant

Agrave elle seule la simple addition de ce compleacutement deacutegage deacutejagrave une piste vers lunification du

traiteacute comme lavait deacutejagrave noteacute P Donini44 P Donini ne distingue pas entre les expressions

laquo ἀρχαί τοῦ ὄντος raquo et laquo ἀρχαί τοῦ ὄντος ᾗ ὄν raquo et en effet il ne semble pas quAlexandre fasse

une grande diffeacuterence45 si ce nest peut-ecirctre quil emploie plutocirct le redoublement laquo τοῦ ὄντος ᾗ

ὄν raquo quand il est question de luniversaliteacute de la science (ce qui nest certes pas rien) Au point de

vue des effets cependant il faut diffeacuterencier si lexpression simple peut sautoriser de certains

passages dialectiques de A (et encore Aristote ne sen sert apparemment jamais pour deacutesigner ses

42 M Crubellier P Pellegrin [2002] p 329

43 Pour une distinction entre une approche causale et une approche laquo elementaristico raquo cf W Leszl [2010]p 233 sq

44 P Donini [2005] p 83 laquo Alexandre traduit immeacutediatement et sans problegraveme la science des principes etdes premiegraveres causes dont parle Aristote en A en sciences des principes de lecirctre ce qui est faire lepas neacutecessaire et suffisant pour unifier en principe tous les objets possibles et apparemmentdisparates que les livres de la Meacutetaphysique deacutesignent comme le contenu de la discipline philosophiquequils sont en train de constituer raquo

45 Voir par exemple loccurrence des deux expressions en In Met 134 11-12 (laquo ἀλλ εἰσὶν αἱ ζητούμεναιὑπ αὐτοῦ τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ἀρχαὶ κοιναὶ πάντων ἀρχαὶ αὗται) ougrave κοιναὶ πάντων ἀρχαὶ semblestrictement synonyme du πάντων τῶν ὄντων κοιναί agrave la ligne preacuteceacutedente Nous reviendrons sur cepassage complexe ndash on pourrait nous opposer quAlexandre emploie laquo πάντων τῶν ὄντων κοιναί raquojustement dans une proposition neacutegative mais en reacutealiteacute ce que selon Alexandre Aristote se refuseraitagrave faire cest de poser des principes communs de toutes choses laquo ὡς ἡγοῦντο οἱ εἰς τὸ ἓν πάνταπειρώμενοι διὰ τῶν κοινῶν ἀνάγειν ὁμοιοτήτων raquo (l 9-10)

146

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

propres principes) lexpression redoubleacutee est propre agrave agrave Γ 1 et E46 dougrave leffet dunification du

corpus Dans le commentaire agrave A Alexandre emploie lexpression simple pour deacutesigner non

seulement lobjet de la philosophie premiegravere mais aussi lobjet des recherches des physiologues

dun cocircteacute et de celles des pythagoriciens et de Platon de lautre47 Dans le cas des physiologues il

lui arrive certes de limiter ces recherches aux principes des eacutetants laquo naturels raquo ou laquo en devenir raquo

mais en un passage dA 8 agrave propos de ceux qui posaient comme principe des eacutetants laquo une seule

nature comme matiegravere raquo lExeacutegegravete emploie lexpression de faccedilon absolue48 Deacutejagrave une expression

dAristote en A 5 lautorisait agrave se servir de lexpression telle quelle agrave propos des Pythagoriciens

qui faisaient des principes matheacutematiques les laquo principes des eacutetants raquo49 Alexandre explicite de la

mecircme faccedilon lobjet du deacutebat avec Platon Aristote dit en A 6 laquo telles sont donc les explications de

Platon sur ce que nous recherchons raquo et Alexandre dajouter laquo Font lobjet de nos recherches les

principes et les causes des eacutetants raquo50

Pour deacutesigner lobjet de la sagesse ou de la philosophie premiegravere lexpression est

freacutequente degraves le deacutebut du Commentaire

46 Met Γ 1 1003a 31-32 laquo διὸ καὶ ἡμῖν τοῦ ὄντος ᾗ ὂν τὰς πρώτας αἰτίας ληπτέον raquo Met E 1 1025b3-4 laquo Αἱ ἀρχαὶ καὶ τὰ αἴτια ζητεῖται τῶν ὄντων δῆλον δὲ ὅτι ᾗ ὄντα raquo Cf aussi E 4 1028a 2-4 laquo διὸταῦτα μὲν ἀφείσθω σκεπτέον δὲ τοῦ ὄντος αὐτοῦ τὰ αἴτια καὶ τὰς ἀρχὰς ᾗ ὄν raquoIl ne semble pasque la variation entre αἰτίας dun cocircteacute et ἀρχαὶ καὶ αἴτια soit significative

47 Sur cette reacutepartition des adversaires voir Aristote en A 8 989b 21 sq et le commentaire dAlexandread loc 70 10 sq

48 Cest le deacutebut de A 8 quAlexandre commente en disant que laquo πρῶτον μὲν ὅτι βουλόμενοι τῶν ὄντωνἀρχὰς ἐκθέσθαι πάντων οἱ δὲ τῶν σωμάτων μόνον ἀποδιδόασιν ὄντων τινῶν καὶ ἀσωμάτων raquo(64 21-23) Voir deacutejagrave agrave propos de Thalegraves en 24 13-14 laquo Ὃ βούλεται μὲν συνάγειν ἔστιν ὅτι οἱ τὸντῶν θεῶν ὅρκον ὕδωρ ὑποθέμενοι παραπλησίως Θαλῇ ἀρχὴν τῶν ὄντων τὸ ὕδωρ ὑποτίθενται raquoCf aussi 40 14 41 20 42 10 53 20-21 etc

49 In Met 37 12-13 laquo τούτους δέ φησιν ἐντραφέντας τοῖς μαθήμασι τὰς τῶν μαθημάτων ἀρχὰς τῶνὄντων ἀρχὰς θέσθαι raquo qui renvoie agrave A 5 985b 24-26 laquo καὶ ἐντραφέντες ἐν αὐτοῖς τὰς τούτωνἀρχὰς τῶν ὄντων ἀρχὰς ᾠήθησαν εἶναι πάντων raquo

50 Meacutet A 6 988a 7-8 laquo Πλάτων μὲν οὖν περὶ τῶν ζητουμένων οὕτω διώρισεν raquo (tr A Jaulin ndash MPDuminil leacutegegraverement modifieacutee) In Met 58 25-26 laquo Ὑφ ἡμῶν δὲ ζητοῦνται αἱ ἀρχαὶ καὶ τὰ αἴτια τῶνὄντων Περὶ μὲν οὖν τῶν ἀρχῶν ταῦτα εἴρηται Πλάτωνι raquo Sur Platon voir encore le commentaire agraveA 9 en 129 17- 130 10 ougrave Alexandre sautorise probablement lexpression aristoteacutelicienne laquo eacuteleacutementsde tous les eacutetants raquo

147

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Χρὴ οὖν ἐκ τῆσδε τῆς πραγματείαςἀπαιτεῖν τὴν γνῶσιν τῶν πρώτων ἀρχῶν καὶαἰτίων αὗται δ ἂν [910] εἶεν τοῦ ὄντος οἷονἀρχαί δι ἃς τῶν ὄντων ἕκαστόν ἐστιν ὧν τὸεἶναι κατηγοροῦμεν τοιαῦται δὲ αἱ πρῶταικαὶ κυριώταται οὐσίαι αὗται μὲν γὰρ τῶνοὐσιῶν ἀρχαί αἱ δὲ οὐσίαι τῶν ἄλλωνἁπάντων ὡς δείξει Τήν τε οὖν τούτωνγνῶσιν ἀπαιτεῖν χρὴ ἐκ τῆσδε τῆςπραγματείας καὶ ἔτι ὅσα εἰς τὴν τούτωνγνῶσιν συντελεῖ εἰς ἃ καὶ ὁ πλεῖστος αὐτῷλόγος [915] ἀναλίσκεται οὐ γὰρ οἷόν τε ἦνἐκείνων γνῶσιν ἄλλως λαβεῖν μὴπροκαταστήσαντα καὶ προεκκαθάραντα τὰἐμποδών

Il faut donc attendre de cette eacutetude laconnaissance des premiers principes et des premiegraverescauses Ceux-ci seront des sortes de principes deleacutetant agrave cause51 desquels chaque eacutetant auquel nousattribuons lecirctre est Or telles sont les substancespremiegraveres et les plus eacuteminentes Elles-mecircmes en effetsont principes des substances qui sont principes detout le reste comme il le montrera Degraves lors cest laconnaissance de cela quil faut attendre de cette eacutetudeet en outre de tout ce qui contribue agrave leurconnaissance agrave quoi il voue la majeure partie de sondiscours Il neacutetait en effet pas possible de prendreconnaissance de cela autrement quen commenccedilantpar exposer et lever ces obstacles

(9 8-16)

Ce passage met fin au commentaire de A 2 982a 4 et concentre une bonne part de la

compreacutehension alexandrinienne de la meacutetaphysique certains de ses enjeux seacuteclaireront donc par

la suite52 Alexandre y deacuteveloppe la premiegravere phrase de A 2 (laquo or puisque nous recherchons cette

science voici ce quil faudra examiner raquo) en expliquant en quoi sinterroger sur cette science

implique une recherche sur les objets eux-mecircmes de cette science LExeacutegegravete reprend alors les

acquis du chapitre preacuteceacutedent53 Si leacutetude des opinions sur la sagesse permet dasseoir lideacutee que

celle-ci est connaissance des causes et des principes encore faut-il savoir lesquels ce qui nest pas

eacutevident54 Alexandre voit ainsi dans cette proposition agrave la fois lannonce de A 2 (sur le fait quil

sagisse des principes premiers) et du reste du livre A agrave partir de A 3 agrave travers la neacutecessiteacute de

distinguer quatre sens de la cause55

Pris dans ce mouvement dannonce et deacutelargissement lExeacutegegravete conclut son commentaire

51 Lexpression est peut-ecirctre peu heureuse en franccedilais mais pour des raisons qui seacuteclaireront au chapitreIII lideacutee importante est en effet la causaliteacute Sur le fait que laquo δι ὅ raquo signifie strictement la cause pourAlexandre (agrave la suite dAristote) cf par exemple In Met 247 11-15 et deacutejagrave In Met 24 29-25 1

52 Pour lexpression de causes (ou principes) de lecirctre cf ci-dessous chapitre III particuliegraverementsect 312b et 323

53 In Met 8 27-28 laquo φθάνει μὲν οὖν εἰρηκέναι ὅτι τὴν ὀνομαζομένην σοφίαν περὶ τὰ πρῶτα αἴτιακαὶ τὰς ἀρχὰς ὑπολαμβάνουσι πάντες raquo

54 Il est probable que comme le proposent Brandis et Bonitz il faille corriger le εὔδηλον de 9 1 en οὐδῆλον dans la phrase 9 1-3 laquo ἐπεὶ δὲ τίνες αἱ πρῶται ἀρχαὶ καὶ τὰ πρῶτα αἴτια εὔδηλον λαβὼν τὸπερὶ ἀρχὰς καὶ αἰτίας τὴν σοφίαν εἶναι ὡς ὁμολογούμενον τὸ περὶ ποίας ζητήσει καὶ ὅτι περὶ τὰςπρώτας δείξει raquo

55 In Met 9 4-8 laquo διὸ ἀναγκαίως καὶ τῆς τῶν αἰτίων διαιρέσεως μνημονεύει ὅτι τετραχῶς τὰ αἴτιαλέγεται καὶ τὴν ἱστορίαν τῶν πρὸ αὐτοῦ τι περὶ αἰτιῶν εἰρηκότων παρατίθεται εὐλόγως ἵν εἰ μὲνὀρθῶς εὑρεθῇ τι τῶν εἰρημένων ὑπ ἐκείνων ἀκολουθοίημεν αὐτῷ εἰ δὲ μή πλέον τι ζητοίημεναὐτοί raquo

148

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

par cette remarque geacuteneacuterale qui vient qualifier la laquo recherche raquo mentionneacutee par Aristote La

valeur agrave accorder au laquo οἷον raquo dans la proposition laquo αὗται δ ἂν εἶεν τοῦ ὄντος οἷον ἀρχαί raquo (9 9-

10) nest toutefois pas claire La distinction entre principes de la deacutemonstration et principes des

eacutetants sur laquelle nous allons revenir nest sans doute pas la bonne clef puisque laquo οἷον raquo

semble plutocirct porter sur laquo ἀρχαί raquo voire sur lexpression complegravete On pourrait plutocirct lire ce

laquo οἷον raquo comme un marqueur dimpreacutecision ducirc agrave ce quon se situe dans une anticipation De

mecircme les laquo obstacles raquo quannonce Alexandre peuvent tregraves bien renvoyer aux difficulteacutes sur la

conception des causes quAristote va affronter au livre A mais aussi les apories proprement dites

du livre B eu eacutegard agrave la construction des verbes laquo προκαταστήσαντα καὶ προεκκαθάραντα raquo

qui ne sont pas sans rappeler ceux par lesquels Alexandre deacutecrit la deacutemarche dialectique du Livre

des difficulteacutes56 Cest en tout cas une bonne partie du traiteacute qui se trouve ainsi anticipeacutee

Comme on la dit cette unification deviendra plus nette quand Alexandre deacuteveloppera

cette expression en laquo principes de leacutetant en tant queacutetant raquo par exemple une page plus loin laquo or

est universelle au plus haut point la science qui porte sur les eacutetants en tant queacutetants car leacutetant

est commun agrave toutes les choses qui sont dans lexistence raquo57 Ou de mecircme agrave la fin de son

commentaire agrave A 9 dans les commentaires agrave α ougrave les principes qui font lobjet de la sagesse sont

dits causes de lecirctre des autres choses ou encore agrave Γ58 Le projet dune recherche des premiers

principes et des premiegraveres causes traverse tout le traiteacute et reacutegente ainsi lensemble de la

meacutetaphysique Les passages qui impriment une telle orientation agrave la meacutetaphysique ne sont pas

seulement ou pas tous leffet du commentaire dans sa dimension paraphrastique Alexandre

maintient cette orientation en dehors des commentaires aux seuls passages qui leacutetablissent ndash

ainsi nettement dans le commentaire agrave Γ et non pas seulement agrave propos de loccurrence en Γ 1

de laquo premiegraveres causes de leacutetant en tant queacutetant raquo (1003a 31) mais aussi dans tout le reste du

livre59 Enfin on la vu Averroegraves fait remonter agrave Alexandre lideacutee que le livre Λ accomplit aussi la

recherche des laquo principes de leacutetant en tant queacutetant raquo expression absente du texte aristoteacutelicien

56 Voir In Met 172 16 et 173 7-8 laquo καὶ διὰ τὸ δεῖν οὖν γνωρίζειν τὸν δεσμόν εἰ μέλλει τις λύσειναὐτόν ἀναγκαῖόν φησιν εἶναι προαπορεῖν raquo ou encore lemploi de πρό-ἐπέρχομαι en 173 27 (laquo εἰπάντα τις τὰ ἀπορεῖσθαι δυνάμενα καὶ λέγεσθαι πρὸς τὴν κατασκευὴν αὐτῶν καὶ θέσινπροεπέλθοι τε καὶ λύσαι)

57 In Met 11 7-8 laquo Μάλιστα δὲ καθόλου ἐστὶν ἐπιστήμη ἡ περὶ τῶν ὄντων ᾗ ὄντα κοινὸν γὰρ τὸ ὂνπᾶσι τοῖς ἐν ὑπάρξει raquo

58 En particulier In Met 134 7-10 138 19-21 239 15 240 23-25 Cf aussi 240 33-34 244 21-23 24433-34

59 Cf de faccedilon paradigmatique In Met 246 9 sq

149

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

qui parle seulement de laquo principes et causes des substances raquo (laquo τῶν γὰρ οὐσιῶν αἱ ἀρχαὶ καὶ τὰ

αἴτια raquo 1069a 18-19) Cette opeacuteration exeacutegeacutetique dunification paraicirct loin decirctre totalement

infondeacutee Pour deacutejouer la multipliciteacute des objets de la meacutetaphysique employer la deacutetermination

protologique (ou archeacuteologique) est sans doute une voie plutocirct efficace une voie qui en tout cas

se justifie en partie par le texte lui-mecircme Alexandre non seulement ratifie le caractegravere deacutejagrave

transversal de cette deacutetermination chez Aristote mais la deacuteveloppe aussi en la reliant

immeacutediatement au projet dune science de leacutetant et mecircme de leacutetant en tant queacutetant

213 Les principes premiers statut et identiteacute

a) Le principe de causaliteacute du maximum

Linsistance alexandrinienne sur la recherche des principes premiers et des causes

premiegraveres ne sert toutefois pas seulement agrave unifier formellement le traiteacute et la science Il serait du

reste assez artificiel mecircme pour unifier le traiteacute den rythmer le parcours par linsistance sur

cette dimension de la sagesse De surcroicirct le projet dune recherche des principes premiers nest

pas que fonctionnel pour lExeacutegegravete et celui-ci travaille aussi bien la notion mecircme de laquo principes

premiers raquo Le fait de les cibler comme principes de leacutetant ou causes de lecirctre deacutejagrave reacuteduit cette

ouverture fonctionnelle de la recherche archeacuteologique En outre Alexandre deacutetermine ces

principes premiers comme agrave la fois principes decirctre et de connaissance parce que

neacutecessairement eux-mecircmes sont agrave la fois les plus connaissables et les plus laquo eacutetants raquo60 comme le

confirme par exemple le proegraveme agrave Γ laquo elle [la sagesse ou philosophie premiegravere] eacutetudie les

principes premiers et les causes premiegraveres ceux-ci en effet sont [ou sont des eacutetants61] au plus

haut point raquo62 En tant que principes de connaissance ils sont eacutegalement les laquo plus vrais raquo comme

60 Pour les affirmations reacutecurrentes sur le fait que les principes premiers sont principes decirctre et deconnaissance parce quils sont les plus eacutetants et les plus connaissables cf aussi dans un contexte certesdialectique In Met 216 17

61 Ce qui pour Alexandre veut dire la mecircme chose cf In AnPr 15 15-22

62 In Met 237 8-10 laquo δείξας δὲ αὐτὴν θεωρητικὴν οὖσαν τῶν πρώτων ἀρχῶν τε καὶ αἰτίων (ταῦταγὰρ μάλιστα ὄντα) raquo

150

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

lannonce le proegraveme agrave α ce qui trouvera sa justification dans la suite du livre63

Le commentaire au livre α est en effet le lieu deacutelaboration dun axiome qui selon nous

innerve lensemble de la meacutetaphysique alexandrinienne et quon nommera pour plus de faciliteacute

laquo principe de causaliteacute du maximum raquo La raison de son apparition dans le commentaire agrave α est

exeacutegeacutetique le principe alexandrinien de causaliteacute du maximum se donne agrave lire comme une

interpreacutetation dα 1 993b 23-31 On tentera cependant de montrer par la suite que ce principe

travaille largement le corpus alexandrinien au-delagrave de son contexte dorigine Une telle extension

se laisse deacutejagrave deviner dans le commentaire quen donne ad locum lAphrodisien

Le texte dAristote que commente Alexandre est le suivant

Οὐκ ἴσμεν δὲ τὸ ἀληθὲς ἄνευ τῆς αἰτίαςἕκαστον δὲ μάλιστα αὐτὸ τῶν ἄλλων καθ ὃκαὶ τοῖς ἄλλοις ὑπάρχει τὸ συνώνυμον (οἷοντὸ πῦρ θερμότατον καὶ γὰρ τοῖς ἄλλοις τὸαἴτιον τοῦτο τῆς θερμότητος) ὥστε καὶἀληθέστατον τὸ τοῖς ὑστέροις αἴτιον τοῦἀληθέσιν εἶναι Διὸ τὰς τῶν ἀεὶ ὄντων ἀρχὰςἀναγκαῖον ἀεὶ εἶναι ἀληθεστάτας (οὐ γάρποτε ἀληθεῖς οὐδ ἐκείναις αἴτιόν τί ἐστι τοῦεἶναι ἀλλ ἐκεῖναι τοῖς ἄλλοις) ὥσθ ἕκαστονὡς ἔχει τοῦ εἶναι οὕτω καὶ τῆς ἀληθείας

Nous ne connaissons pas le vrai sans la cause etchaque chose en vertu de laquelle la proprieacuteteacute demecircme nom appartient aussi aux autres possegravede cetteproprieacuteteacute au plus haut point entre lttoutesgt les autres(par exemple le feu est la chose la plus chaude et defait il est la cause de la chaleur des autres choses)Par conseacutequent est le plus vrai64 ce qui est cause delecirctre vrai de ce qui vient apregraves lui Cest pourquoi lesprincipes des choses qui sont toujours sontneacutecessairement toujours les plus vrais (car ils ne sontpas vrais quelquefois et nont pas non plus une causede leur ecirctre [vrais] mais eux le sont pour les autres)de sorte que pour chaque chose de mecircme quelle secomporte du point de vue de lecirctre de mecircme elle secomporte du point de vue de la veacuteriteacute

(Met α 1 993b 23-31)

Ce passage se lit agrave la fin du chapitre consacreacute agrave leacutetude de la veacuteriteacute (laquo Ἡ περὶ τῆς

ἀληθείας θεωρία raquo 993a 30) Le deacutebut du chapitre se constitue de trois moments qui analysent

ou exemplifient la faciliteacute et la difficulteacute de cette recherche65 La quatriegraveme moment du chapitre

identifie cette eacutetude avec la philosophie en la distinguant en un premier temps de la science

pratique ndash ce quAlexandre interpregravete en introduisant le vocabulaire du τέλος et du σκοπός

promis agrave une fortune certaine dans les commentaires neacuteoplatoniciens (In Met 145 15-26) Le

passage ci-dessus explicite en outre la distinction entre sciences theacuteorique et pratique en

63 Cf In Met 138 19-21

64 Jaeger propose la correction du superlatif en comparatif sur la foi dAlexandre alors que les manuscritsdonnent tous le superlatif Il faudrait pour le coup ecirctre plus meacutefiant agrave leacutegard dAlexandre cest peut-ecirctre lagrave un effet de son commentaire que de passer du superlatif (qui peut supposer une distinctionentre le maximum et tout le reste) au comparatif (qui instaure une uniteacute entre des eacuteleacutements quon peutdistinguer par degreacutes)

65 Pour une eacutetude densemble du chapitre de sa progression et de ses enjeux voir E Berti [1983]

151

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

soutenant que la science pratique ne vise que la cause laquo relative au cas preacutesent raquo66 Lobjectif est

deacutetablir que la philosophie comme science de la veacuteriteacute doit avoir plus preacuteciseacutement pour objet ce

qui est vrai au plus haut point agrave savoir les principes premiers Le principe (ou comme dit E

Berti cette laquo loi geacuteneacuterale raquo67) qui va retenir Alexandre sert de cheville agrave ce raisonnement

La traduction du principe pose toutefois difficulteacute Les traducteurs ne sont pas unanimes

et leur deacutesaccord provient peut-ecirctre de la lecture quen fait Alexandre J Tricot et G Reale68 par

exemple traduisent en effet de la faccedilon suivante le passage crucial

laquo Ἕκαστον δὲ μάλιστα αὐτὸ τῶν ἄλλων καθ ὃ καὶ τοῖς ἄλλοις ὑπάρχει τὸσυνώνυμον raquoJ Tricot laquo et la chose qui parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujourscelle dont les autres choses tiennent en commun cette nature raquoG Reale laquo Ma ogni cose che possiede in grado supremo la natura che le egrave propriaconstituisce la causa in virtugrave della quale anche alle altre conviene quella stessa natura raquo

A linverse par exemple WD Ross E Berti et A Jaulin et M-P Duminil69 traduisent la

proposition de telle sorte que le raisonnement aille non pas de leacuteminence agrave la causaliteacute mais de

la causaliteacute agrave leacuteminence

WD Ross laquo and a thing has a quality in a higher degree than other things if in virtue of itthe similar quality belongs to the other things as well raquoE Berti laquo chaque chose selon laquelle un caractegravere ayant le mecircme nom quelle appartientaussi agrave dautres choses a ce caractegravere plus que toutes les autres raquo70A Jaulin M-P Duminil laquo Et chaque chose par laquelle la proprieacuteteacute de mecircme deacutefinitionappartient aussi aux autres choses est cause au plus haut point entre toutes les autres raquo

La reconstruction de largumentation nous semble exiger de conserver cette seconde

traduction En effet Aristote procegravede en posant une regravegle celle de leacuteminence de la cause (pour

une proprieacuteteacute x donneacutee la cause de la proprieacuteteacute x est elle-mecircme x au plus haut point) La regravegle est

66 La proposition de 993b 21-23 est sujette agrave caution Ross imprime laquo καὶ γὰρ ἂν τὸ πῶς ἔχει σκοπῶσινοὐ τὸ ἀΐδιον ἀλλ ὃ πρός τι καὶ νῦν θεωροῦσιν οἱ πρακτικοί raquo en suivant Ab Jaeger choisit laquo καὶ γὰρἂν τὸ πῶς ἔχει σκοπῶσιν οὐ τὸ αἴτιον καθ αὑτὸ ἀλλὰ πρός τι raquo avec E Alexandre teacutemoigne deacutejagravedes deux leccedilons mecircme si la premiegravere semble avoir sa preacutefeacuterence cf In Met 145 21 sq (laquo γράφεται δὲἔν τισιν ἀντιγράφοις ltοὐ τὸ αἴτιον καθ αὑτὸ ἀλλὰ πρός τι καὶ νῦν θεωροῦσινgt οὗ γεγραμμένουεἴη ἂν λέγων ὅτι raquo)

67 E Berti [1983] [2008a] p 253

68 Respectivement J Tricot [1953] (leditio minor de 1933 traduit de maniegravere similaire laquo De plus la chosequi possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les autres choses tiennent en communcette nature raquo) G Reale [2004]

69 Respectivement WD Ross [1928] E Berti [1983] A Jaulin M-P Duminil [2008] La traduction deWD Ross revue par J Barnes [1984] donne la mecircme phrase en supprimant seulement laquo as well raquo agrave lafin

70 E Berti [1983] [2008a] p 253

152

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

illustreacutee par le cas du feu qui est chaud au plus haut point en tant que cause Elle est ensuite

appliqueacutee aux choses vraies la cause de la veacuteriteacute est vraie au plus haut point Une preacutemisse est

neacutecessairement sous-entendue or ce qui est toujours vrai est plus vrai que ce qui lest parfois

Conclusion du raisonnement donc les causes de ce qui est toujours vrai sont les plus vraies de

toutes Les principes des choses qui sont toujours conjuguent donc deux proprieacuteteacutes qui leur

permettent decirctre les plus vrais de toutes choses ils sont principes et ils sont toujours

Rien ne contraint degraves lors agrave la lecture gradualiste de la derniegravere proposition du chapitre

La plupart des traducteurs en effet agrave la suite dAlexandre traduisent laquo ὥσθἕκαστον ὡς ἔχει τοῦ

εἶναι οὕτω καὶ τῆς ἀληθείας raquo par laquo de sorte que pour chaque chose autant elle a decirctre autant

elle a de veacuteriteacute raquo71 Toutefois comme le montre A Stevens72 plusieurs raisons grammaticales et

lexicales sopposent agrave une telle traduction la tournure laquo ὡς οὕτω raquo na pas neacutecessairement de

sens quantitatif le Bailly et le Liddell-Scott attestent de la tournure classique ἔχω avec ὡς οὕτως

ou un adverbe et le geacutenitif comme signifiant laquo se comporter relativement agrave raquo ou laquo cest le cas

pour raquo Sil est impossible de construire la phrase comme si laquo τοῦ εἶναι raquo eacutetait agrave laccusatif cest

sans doute linterpreacutetation du geacutenitif comme partitif qui justifie ces traductions mais au vu de

ce qui preacutecegravede ce nest ni eacutevident ni neacutecessaire WD Ross fait figure de notable exception parmi

les traducteurs que nous avons consulteacutes en traduisant en ce sens laquo so that as each thing is in

respect of being so is it in respect of truth raquo73 Ce quest une chose sa position par rapport agrave dautres

(son anteacuterioriteacute son statut de cause ou inversement deffet sa posteacuterioriteacute) implique un statut

deacutetermineacute quant agrave la veacuteriteacute un principe par exemple est plus certain que sa conclusion Lu

ainsi le passage du chapitre α 1 demeure coheacuterent avec lautre texte source du principe du

maximum de la cause ie Seconds Analytiques I 2 72a 25-32 Dans ce passage Aristote ne dit pas

que les preacutemisses sont plus vraies que les conclusions parce quelle auraient plus decirctre mais

parce quelles leur sont logiquement anteacuterieures Les preacutemisses en effet sont mieux connues par

nature (et non pour nous) parce quelles sont plus universelles Les anteacuteceacutedents et les conseacutequents

ne diffegraverent manifestement pas par une quantiteacute decirctre74

71 A Jaulin laquo si bien que chaque chose a autant de veacuteriteacute que decirctre raquo J Tricot laquo Ainsi autant une chosea decirctre autant elle a de veacuteriteacute raquo G Reale laquo Siccheacute ogni cose possiede tanto di verita quanto possiededi essere raquo E Berti laquo autant une chose a decirctre autant elle a de veacuteriteacute raquo

72 Nous remercions Annick Stevens pour nous avoir communiqueacute ces arguments et la note affeacuterente de satraduction agrave paraicirctre de la Meacutetaphysique

73 WD Ross [1928] La version revue par J Barnes (J Barnes [1984] t II p 1570) conserve la mecircmetraduction

74 Cf Aristote AnPo I 2 72a 25-32 laquo Ἐπεὶ δὲ δεῖ πιστεύειν τε καὶ εἰδέναι τὸ πρᾶγμα τῷ τοιοῦτον

153

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Dans son commentaire Alexandre en revanche propose une interpreacutetation nettement

gradualiste de la derniegravere proposition du chapitre et exploite au maximum les tendances

platonisantes du texte aristoteacutelicien

Εἰπὼν ὅτι μὴ οἷόν τε τὴν ἀλήθειαν τὴνἐν τοῖς ἔχουσιν αἰτίας γνῶναι χωρὶς τῆςγνώσεως τῶν αἰτιῶν αὐτῶν καὶ διὰ τούτουδείξας ἀναγκαίαν [1475] τῇ θεωρητικῇφιλοσοφίᾳ τὴν τῶν αἰτίων γνῶσιν νῦν ὅτιἀναγκαία δείκνυσι πάλιν διὰ τοῦ δεῖν μὲντὸν περὶ τῆς ἀληθείας φιλοσοφοῦντα τὰμάλιστα ἀληθῆ γνωρίζειν μάλιστα δὲἀληθῆ τὰ ἀίδια αἴτια ταῦτα γὰρ καὶ τῆς τῶνδι αὐτὴν ὄντων ἀληθείας αἴτιαἈληθέστατον μὲν γὰρ ὃ καὶ τοῖς ἄλλοιςαἴτιον τοῦ ἀληθέσιν εἶναι αἱ δὲ ἀρχαὶ αἴτιατῆς ἐν τοῖς δι αὐτὰς [14710] οὖσιν ἀληθείαςἝκαστον γὰρ τῶν ὄντων ἐφ ὅσον τοῦ εἶναιμετέχει ἐπὶ τοσοῦτον καὶ τῆς ἀληθείας τὸγοῦν ψεῦδος μὴ ὄν Διὸ τὰ ἀίδια μάλισταὄντα καὶ μάλιστα ἡ ἐκείνων γνῶσιςἀλήθεια εἴ γε ἐπιστήμη

Apregraves avoir dit quil est impossible de connaicirctrela veacuteriteacute dans ce qui a des causes sans connaicirctre lescauses elles-mecircmes et par lagrave ayant montreacute laneacutecessiteacute pour la philosophie theacuteorique de connaicirctreles causes agrave preacutesent il montre agrave nouveau que cestune neacutecessiteacute agrave travers le fait que celui qui philosophesur la veacuteriteacute doit connaicirctre ce qui est vrai au plus hautpoint et que sont vraies au plus haut point les causeseacuteternelles car celles-ci sont eacutegalement causes de laveacuteriteacute des eacutetants qui sont par elles Dune part eneffet le plus vrai cest ce qui est cause pour le restede leur ecirctre vrai dautre part les principes sontcauses de la veacuteriteacute dans les eacutetants qui sont par euxPour chaque eacutetant en fait autant il participe de lecirctreautant il participe aussi de la veacuteriteacute75 ndash en tout cas76 lefaux est non eacutetant Partant les choses eacuteternelles sontdes eacutetants77 au plus haut point et leur connaissanceest vraie au plus haut point si du moins cest unescience

ἔχειν συλλογισμὸν ὃν καλοῦμεν ἀπόδειξιν ἔστι δ οὗτος τῷ ταδὶ εἶναι ἐξ ὧν ὁ συλλογισμόςἀνάγκη μὴ μόνον προγινώσκειν τὰ πρῶτα ἢ πάντα ἢ ἔνια ἀλλὰ καὶ μᾶλλον αἰεὶ γὰρ δι ὃὑπάρχει ἕκαστον ἐκείνῳ μᾶλλον ὑπάρχει οἷον δι ὃ φιλοῦμεν ἐκεῖνο φίλον μᾶλλον raquo laquo Maispuisquil faut agrave la fois ecirctre convaincu de la chose et la connaicirctre par le fait de posseacuteder un syllogismedu genre que nous appelons deacutemonstration ndash et que ce syllogisme est tel du fait que ce sont ces chosesdont il procegravede ndash il est neacutecessaire non seulement de connaicirctre agrave lavance les preacutemisses premiegraverestoutes ou certains dentre elles mais aussi de les connaicirctre mieux que les conclusions Toujours eneffet ce agrave cause de quoi une chose appartient agrave un sujet appartient plus au sujet que celle-ci parexemple ce agrave cause de quoi nous aimons cela est plus aimeacute que lobjet aimeacute raquo (tr P Pellegrin [2005]p 71)

75 Ou chaque eacutetant participe de la veacuteriteacute agrave la mesure ougrave il participe de lecirctre

76 Les traductions anglaise et italienne traduisent laquo for raquo et laquo giacche raquo M Rashed garde un laquo en tout cas raquo([2007b] p 312) qui nous semble preacutefeacuterable eu eacutegard agrave la marche argumentative du passage

77 Il faudrait presque traduire par laquo eacutetants raquo tout court ce qui est certes ineacuteleacutegant mais est exigeacute par lacoheacuterence du passage qui veut quon entende ici des proprieacuteteacutes (en un sens large de cet terme) commela chaleur

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Εἰ δὲ τὰ ἀίδια μάλιστα ὄντα ἔτι μᾶλλονὄντα τὰ τούτοις αἴτια τοῦ εἶναι ἀεί διὰ γὰρτὸ εἶναι αἴτια τούτοις ἐκεῖνα τούτων μᾶλλονὄντα καὶ μάλιστα ὄντα [14715] Οὗ τὴναἰτίαν παρέθετο εἰπὼν ltἕκαστον δὲ μάλιστααὐτὸ τῶν ἄλλων καθ ὃ καὶ τοῖς ἄλλοιςὑπάρχει τὸ συνώνυμονgt δι ὃ γάρ τισινὑπάρχει τὸ τοῖσδέ τισιν εἶναι καὶσυνωνύμοις κατὰ τοῦτο ἀλλήλοις οἷονθερμοῖς ἐκεῖνο μάλιστα θερμόν Δεῖ γὰρ μὴμόνον ἀλλήλοις αὐτὰ εἶναι συνώνυμα ἀλλὰκαὶ τὸ αἴτιον αὐτοῖς τοῦ εἶναι τοιούτοιςσυνώνυμον αὐτοῖς [14720] εἶναι τότε γὰρἔσται μάλιστα τοιοῦτον αὐτό ὅταν ᾖ πρῶτοντοιοῦτον οἷον μάλιστα θερμὸν ἔσται τὸ τοῖςθερμοῖς αἴτιον τοῦ εἶναι θερμοῖς πρῶτονθερμὸν ὂν αὐτό Οὕτως αἴτιον τὸ πῦρ τοῖςθερμοῖς τοῦ εἶναι θερμοῖς τοῦτο γὰρἐδήλωσε διὰ τοῦ εἰπεῖν ltκαθ ὃ καὶ τοῖςἄλλοιςgt ἐπεὶ δύναται αἴτιόν τισιν εἶναι τοῦτοῖσδε εἶναι μὴ ὂν αὐτὸ τοιοῦτον οἷον ἡτρῖψις [14725] αἰτία θερμότητός τισιν ἀλλοὐ μάλιστα θερμὴ οὖσα αἰτία τῆςθερμότητος ἐκείνοις Τὸ δὲ πῦρ ἐπεὶ τοῖςθερμοῖς αἴτιον τῆς θερμότητος θερμὸν ὂνκαὶ αὐτό διὰ τοῦτο μάλιστα καὶ αὐτὸθερμόν

Mais si les choses eacuteternelles sont des eacutetants auplus haut point les causes du fait quelles sonttoujours sont encore davantage des eacutetants du faitquelles sont leurs causes elles sont plus eacutetants queltles choses eacuteternellesgt et eacutetants au plus haut pointAristote en a preacutesenteacute78 la raison en disant laquo etchaque chose en vertu de laquelle la proprieacuteteacute de mecircmenom appartient aussi aux autres possegravede cette proprieacuteteacute auplus haut point entre [toutes] les autres raquo car ce agrave causede79 quoi il appartient agrave certaines choses davoir uneproprieacuteteacute deacutetermineacutee et dapregraves cela de posseacuteder lesunes et les autres le mecircme nom80 comme parexemple les choses chaudes cela81 est chaud au plushaut point Il faut en effet non seulement que les uneset les autres aient le mecircme nom mais en outre que lacause du fait quelles sont de telle nature ait le mecircmenom quelles en effet ltcette causegt elle-mecircme serade cette nature au plus haut point chaque fois quelleest la premiegravere de cette nature82 Par exemple serachaude au plus haut point la cause de lecirctre chaud deschoses chaudes eacutetant elle-mecircme la premiegravere chosechaude Cest de cette maniegravere que le feu est cause delecirctre chaud des choses chaudes Aristote a eacuteclairci cepoint en disant laquo ce dapregraves quoi aussi les autres raquopuisque la cause du fait que certaines choses ont uneproprieacuteteacute deacutetermineacutee peut ne pas ecirctre de mecircmenature Par exemple la friction est cause de chaleurpour certaines choses mais ce nest pas en eacutetantchaude au plus haut point quelle est cause de leurchaleur En revanche le feu puisquil est cause de lachaleur des choses chaudes en eacutetant lui-mecircme chaudest pour cette raison lui-mecircme chaud au plus hautpoint

78 Ou laquo en preacutesente raquo lemploi par Alexandre de laoriste quand il se reacutefegravere au texte dAristotecorrespond mieux agrave un preacutesent en franccedilais

79 Noter quon passe de καθ ὃ agrave δι ὃ

80 La question est de savoir si Alexandre entend laquo συνωνύμοις raquo en un sens technique ou de faccedilonlitteacuterale Cest ainsi que le comprend WE Dooley qui va jusquagrave traduire laquo in virtue of wich they have thesame name and the same nature (συνωνύμοις) raquo et qui dans la suite du texte ne conserve que laquo the samenature raquo La traduction italienne se limite agrave laquo lo stesso nome raquo qui nous semble plus prudent etphilosophiquement plus fondeacute

81 Agrave savoir cette cause

82 Ou laquo en effet chaque fois quil y a un terme premier de cette nature il sera alors lui-mecircme de cettenature au plus haut point raquo WE Dooley note que mecircme si le sujet grammatical de cette propositionpeut ecirctre lαἴτιον preacuteceacutedent cela ne peut ecirctre logiquement le cas car alors le raisonnement seraittautologique WE Dooley propose donc de consideacuterer que le sujet de laquo ἔσται raquo est le laquo πρῶτον raquo de lasubordonneacutee suivante Toutefois le raisonnement nest pas tautologique si lon savise quil porte enreacutealiteacute autant sur la communauteacute de proprieacuteteacute entre la cause et ses effets (le feu agrave linverse de lafriction est lui-mecircme chaud) que sur son double statut de cause de premier et de maximum Cequillustre preacuteciseacutement lexemple suivant

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Καὶ τὰ τῶν ὄντων δὴ μάλιστα αἴτια ὄντακαὶ αὐτά ὄντα μᾶλλον ἐκείνων τῷ αἴτιααὐτῶν εἶναι [1481] καὶ ἀληθῆ ἔτι μᾶλλονἦν γὰρ κείμενον τὸ ᾗ ἕκαστον τοῦ ὄντοςμετέχει οὕτω καὶ τῆς ἀληθείας ἔχειν Καθὅσον μὲν οὖν ἀίδια καὶ τὰ ἀεὶ ὄντα λέγω καὶτὰ τούτων αἴτια κατὰ τοσοῦτον συνωνύμωςἀλλήλοις τε καὶ τοῖς αἰτίοις αὐτῶν ἀληθῆκαθ ὅσον δὲ αἴτιά τισι τοῦ εἶναι μάλιστατοιαῦτα [1485] κατὰ τοσοῦτον μᾶλλον ἐντοῖς ἀιδίοις ἀληθῆ τὰ αἴτια αὐτῶν ὥστεμάλιστα ἂν εἴη περὶ ἀληθείας ἡ περὶ τῶντοιούτων αἰτίων γνῶσις Καὶ γὰρ εἰ τὰ ἀεὶὄντα περὶ ἃ ἡ θεωρία ἀεὶ ἀληθῆ τῷ ἀεὶεἶναι ἀλλ οὖν καὶ ἐν τούτοις μάλιστα τὰαἴτια τῶν αἰτιατῶν ἀληθῆ τὰ μὲν γὰρπρῶτα τὰ δὲ ὕστερα οὐ τῷ χρόνῳ (ἀμφότεραγὰρ ἀίδια) ἀλλὰ τῇ φύσει φύσει [14810] γὰρπρῶτον τὸ αἴτιον τῶν οἷς ἐστιν αἴτιον

Donc les choses qui sont au plus haut pointcauses des eacutetants qui sont elles aussi des eacutetants sontplus des eacutetants que celles-ci83 (parce quelles sontleurs causes) et encore plus vraies On a poseacute en effetquautant chaque chose participe de leacutetant autantelle participe aussi de la veacuteriteacute Degraves lors dans lamesure ougrave jappelle eacuteternels agrave la fois les eacutetants quisont toujours et leurs causes ainsi ces lteacutetants qui sonttoujoursgt reccediloivent-ils les uns par rapport aux autreset par rapport agrave leurs causes le mecircme nom delaquo vrais raquo84 Mais dans la mesure ougrave les causes de lecirctrede certaines choses sont lteacutetantsgt85 au plus haut pointainsi dans les choses eacuteternelles les causes de lecirctresont-elles plus vraies Par conseacutequent la connaissancede telles causes sera connaissance au plus haut pointde la veacuteriteacute De fait si les eacutetants qui sont toujours surlesquels porte leacutetude sont toujours vrais du faitquils sont toujours alors dans ceux-ci les causessont certainement bien plus vraies que les chosesquelles causent Les unes en effet sont anteacuterieures lesautres posteacuterieures non dans le temps (toutes sonteacuteternelles) mais par nature car la cause est par natureanteacuterieure agrave ce dont elle est la cause86

(147 3 ndash 148 10)

Ce passage preacutesente deux gestes remarquables En premier lieu Alexandre considegravere le

principe aristoteacutelicien comme pouvant se lire dans les deux sens Alexandre soutient en effet

aussi bien (en notant c le fait decirctre cause et m le fait de posseacuteder une certaine proprieacuteteacute au plus

haut point)

147 7-8 laquo Dune part en effet le plus vrai (m) cest ce qui est cause pour le reste de leurecirctre vrai (c) raquo147 12-14 Mais si les choses eacuteternelles sont eacutetants au plus haut point (m) les causes dufait quelles sont toujours sont encore davantage eacutetants du fait quelles sont leurs causes(c) elles sont plus eacutetants que ltles choses eacuteternellesgt et eacutetants au plus haut point (m) raquo

Le principe du maximum de la causaliteacute est eacutegalement un principe de causaliteacute du

maximum et au fond peu importe comment on le formule Ce qui donne en toutes lettres dans

83 Les choses eacuteternelles

84 Ou laquo ainsi ceux-lagrave sont-ils vrais de maniegravere synonymique les uns par rapport aux autres et par rapportagrave leurs causes raquo (M Rashed [2007b] p 315 n 859)

85 WE Dooley glose (agrave raison selon nous cf le commentaire de ce passage) laquo beings raquo M Rashedconserve laquo telles raquo Sur ce passage cf aussi Θ 8 1050 b 6 sq

86 Agrave comparer aussi avec Jamblique Protreptique 57 12-19 laquo Οὐ γὰρ μόνον τὸ μᾶλλον λέγομεν καθὑπεροχὴν ὧν ἂν εἷς ᾖ λόγος ἀλλὰ καὶ κατὰ τὸ πρότερον εἶναι τὸ δ ὕστερον οἷον τὴν ὑγίειαν τῶνὑγιεινῶν μᾶλλον ἀγαθὸν εἶναί φαμεν καὶ τὸ καθ αὑτὸ τὴν φύσιν αἱρετὸν τοῦ ποιητικοῦ raquo

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

un ensemble de choses ayant une proprieacuteteacute x ce qui est x au plus haut point est neacutecessairement

cause de lecirctre x des autres choses mais reacuteciproquement il est aussi vrai de soutenir que dans

cet ensemble ce qui est cause de lecirctre x des autres choses est neacutecessairement lui-mecircme x au plus

haut point Tout se passe donc comme sil sagissait ici dune eacutequivalence logique au sens

rigoureux limplication eacutetant aussi vraie que sa reacuteciproque On verra plus loin la mecircme

conclusion sur la double lecture du principe fondeacutee par un passage du De anima 88 24 ndash 89 887

Le principe tel quil est appliqueacute par Alexandre est donc plus deacutetermineacute que laxiome meacutedieacuteval

consistant seulement agrave infeacuterer que la cause est supeacuterieure ou eacutegale agrave son effet88 et a davantage agrave

voir avec la formulation rigoureuse laquo propter quod alia id maximum tale raquo si et seulement si lon

accepte aussi de lire cette derniegravere agrave rebours89

Dautre part Alexandre lit clairement le principe aristoteacutelicien en un sens quantitatif

comme lindique la formulation du principe degraves le premier moment du commentaire laquo Ἕκαστον

γὰρ τῶν ὄντων ἐφ ὅσον τοῦ εἶναι μετέχει ἐπὶ τοσοῦτον καὶ τῆς ἀληθείας raquo (147 10-11) et

comme le confirme la paraphrase quAlexandre propose de 993b 30-31

ltὥστε ἕκαστον ὡς ἔχει τοῦ εἶναι οὕτω καὶ τῆς ἀληθείαςgt ἴσον λέγων τῷ ὡς γὰρἕκαστον ἔχει τε καὶ μετέχει τοῦ εἶναι οὕτω καὶ τῆς ἀληθείας (149 7-9)

Via lemploi du verbe laquo participer raquo Alexandre reacutesout donc la question du geacutenitif du texte

aristoteacutelicien ce qui suffit agrave obtenir ce sens quantitatif la proposition exprimant degraves lors quagrave un

degreacute decirctre correspond un degreacute de veacuteriteacute Alexandre deacuteploie en effet ici ce que M Rashed

appelle un laquo gradualisme de lecirctre et de la veacuteriteacute raquo ou si lon preacutefegravere agrave une ontologie scalaire90

puisque cest du degreacute decirctre que deacutepend le degreacute de veacuteriteacute Alexandre le dit clairement agrave la fin

du commentaire de ce lemme laquo ἐπεὶ τῷ ὄντι ἕπεται τὸ ἀληθές τῷ μάλιστα ὄντι ἕποιτο ἂν τὸ

μάλιστα ἀληθές raquo (147 17-19) On trouve probablement ici lune des racines de la theacuteorie

meacutedieacutevale des transcendantaux

Cest ce que montre eacutegalement la progression mecircme du commentaire dans le premier

moment lExeacutegegravete affirme la thegravese en syntheacutetisant largument qui sera ensuite deacuteployeacute agrave savoir

la correacutelation entre causaliteacute et maximum dune part entre ecirctre et veacuteriteacute dautre part et enfin

entre ecirctre et eacuteterniteacute Par un passage a fortiori le second moment va pouvoir ressaisir ces trois

87 Cf ci-dessous sect 331

88 Contrairement agrave ce que dit AC Lloyd [1976]

89 Cf aussi M Rashed [2007b] p 312

90 M Rashed [2007b] p 309 sq

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

correacutelations agrave un niveau supeacuterieur celui des causes des choses eacuteternelles puisquelles sont

causes et eacuteternelles leur degreacute decirctre et correacutelativement leur degreacute de veacuteriteacute sont donc

supeacuterieurs agrave ce quelles causent Mais pour ecirctre valide ce raisonnement doit eacutetablir lidentiteacute de

nom et le partage de la proprieacuteteacute entre les causes et ce quelles causent Cest ce quindique la

distinction finale entre le feu et la friction Le principe de causaliteacute du maximum ne vaut que

dans le cas ougrave la cause instancie elle-mecircme la proprieacuteteacute x dont elle cause loccurrence ndash sans quoi

elle ne pourrait ecirctre dite laquo x au plus haut point raquo Cela suppose non pas tant une synonymie au

sens fort du rapport genre ndash espegravece (des choses chaudes peuvent ecirctre naturelles ou artificielles

par exemple et comme on le verra Alexandre envisage couramment une application du principe

de causaliteacute du maximum agrave des choses dites ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν91) mais seulement une

communauteacute de nom La causaliteacute ici en jeu sinscrit donc plus geacuteneacuteralement dans ce que certains

interpregravetes ont nommeacute laquo Transmission Model of Causality raquo92 La distinction entre le feu et la friction

na pas dautre objectif que deacutetablir cette condition de lapplicabiliteacute du principe elle ne vaut

absolument pas comme une critique du principe contrairement agrave ce que croit P Moraux93 La

suite du commentaire agrave partir de 147 27 assure ainsi cette laquo synonymie raquo dans la veacuteriteacute pour les

choses eacuteternelles et leurs causes et autorise alors la conclusion selon laquelle la connaissance de

la veacuteriteacute doit ecirctre connaissance des causes eacuteternelles Que telle soit la thegravese du passage est

indiqueacute par le fait que la proposition laquo μάλιστα ἂν εἴη περὶ ἀληθείας ἡ περὶ τῶν τοιούτων

αἰτίων γνῶσις raquo (148 5-6) se donne comme la conseacutequence de ce qui preacutecegravede (laquo ὥστε raquo 148 5) et

se trouve justifieacutee par un argument suppleacutementaire (introduit par une seacuterie de laquo γὰρ raquo agrave partir

de 148 6)

Degraves le premier moment du texte la correacutelation entre ecirctre et veacuteriteacute nest pas argumenteacutee

pour elle-mecircme Ou du moins lest-elle seulement via sa neacutegation agrave savoir que le faux est un non-

91 Cf ci-dessous sect 312 et 331 contrairement agrave ce que dit Lloyd (AC Lloyd [1976] p 150-151) Il fautmecircme aller plus loin pour Alexandre le principe de causaliteacute du maximum ne peut fonctionner quedans les ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν si lon se fie agrave la distinction que lExeacutegegravete dresse entre ceux-ci et lessynonymes Les synonymes en effet pour Alexandre sont caracteacuteriseacutes par une eacutegaliteacute dans lapreacutedication quand le propre des ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν est lineacutegaliteacute qui rend preacuteciseacutement possible lastructure de la causaliteacute du maximum Cf par exemple In Met 243 29 ndash 244 8 et infra sect 312

92 AC Lloyd [1976] et surtout A Mourelatos [1984] pour leacutetude du modegravele chez Aristote Preacutecisons ilest eacutevident que le principe de causaliteacute du maximum sinscrit dans ce laquo TMC raquo mais que tout TMCnimplique pas forceacutement daccepter sa version forte de causaliteacute du maximum

93 P Moraux [1942] p 90 laquo Alexandre deacutenonce [dans le commentaire agrave Met α] comme non aristoteacutelicienle principe sur lequel il base sa propre argumentation dans le De anima raquo

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

eacutetant ce qui indique que cette correacutelation signifie quelque chose sur la nature mecircme de la veacuteriteacute94

On aura tocirct fait didentifier celle-ci avec une conception laquo ontologique raquo du vrai comme le dit

rapidement le traducteur anglais en note95 Il convient de reacutefeacuterer cette doctrine agrave son origine

platonicienne ndash que lon songe agrave la laquo plaine de la veacuteriteacute raquo du Phegravedre ndash doctrine dune veacuteriteacute

comme deacutevoilement ndash pour le coup les meacuteditations heideggeriennes sur lἀ-λήθεια ne seraient

pas hors de propos ndash ou comme le dit M Rashed agrave la suite dI Duumlring dune ἀλήθεια-φύσις96

De fait comme on sait la conception aristoteacutelicienne de la veacuteriteacute au livre α converge avec celle du

Protreptique et Alexandre reprend en toutes lettres cette caracteacuterisation du vrai et de la

destination de lhomme comme deacutevoilement des eacutetants lorsquil constitue le corpus analytique en

Organon97 Il faudrait toutefois se garder de charger cette conception de la veacuteriteacute daccents trop

anteacutepreacutedicatifs si la veacuteriteacute est manifestation des eacutetants cette manifestation na lieu que dans un

type deacutetermineacute de connaissance agrave savoir la science deacutefinie comme connaissance de la cause ndash

dougrave la preacutecision reacutepeacuteteacutee laquo si du moins cest une science raquo98 Comme le dit eacutegalement E Berti (sur

une suggestion de M Mignucci) mecircme pour Aristote en Met α laquo la veacuteriteacute doit ecirctre exprimeacutee

par des eacutenonceacutes et par conseacutequent les eacutenonceacutes sont plus ou moins vrais selon leur conformiteacute agrave

la veacuteriteacute de lecirctre raquo99 Alexandre le preacutecise en outre in extremis sans doute pour eacuteviter une trop

grande discordance avec les doctrines de Δ 29 et E 4 laquo καθ ἕκαστον ἡ τοῦ ὄντος ὡς ἔχει

γνῶσις ἀλήθεια οὐ κατ αὐτά (οὐ γὰρ ἐν τοῖς πράγμασιν ἡ ἀλήθεια) ἀλλὰ καθ ὅσον ἡ τοῦ

ὄντος ὡς ἔχει γνῶσις ἀλήθεια raquo (148 14-16)100 La veacuteriteacute est donc laquo connaissance de leacutetant

94 Cf M Rashed [2007b] p 312-313

95 WE Dooley [1992] p 25 n 49 Cf aussi E Berti [1983] [2008a] p 252 mais Berti met ladjectif entreguillemets

96 I Duumlring [1960] M Rashed [2000]

97 Alexandre In AnPr 5 13-20 M Rashed [2000]

98 In Met 147 12 148 17 Voir aussi WE Dooley [1992] p 22-23 n 39

99 E Berti [1983] [2008a] p 252 n 44

100 Cf In Met 148 10-19 laquo Οὐδὲν δὲ ἄτοπον λέγειν ἀληθὲς ἀληθοῦς διαφέρειν εἴ γε τὸ μὲν ἀληθὲςτοῦ εἶναι ἤρτηται διαφέρον δὲ τὸ εἶναι τοῖς γνωστοῖς τὰ μὲν γὰρ αὐτῶν ἐστιν ἐπιστητὰ τὰ δὲδοξαστά Τὴν γὰρ ὕλην ὡς προελθὼν ἐρεῖ [κινουμένων εἶναι] ἀνάγκη Οὐ γὰρ ἐπιστητὰ τὰ ὄνταπάντα ἀληθῆ δὲ τὰ ὄντα ἀλλὰ καθ ἕκαστον ἡ τοῦ ὄντος ὡς [14815] ἔχει γνῶσις ἀλήθεια οὐ καταὐτά (οὐ γὰρ ἐν τοῖς πράγμασιν ἡ ἀλήθεια) ἀλλὰ καθ ὅσον ἡ τοῦ ὄντος ὡς ἔχει γνῶσις ἀλήθειαεἰ δὲ τοῦτο καὶ ἡ τοῦ μάλιστα ὡς ἔχει γνῶσις μάλιστα ἀλήθεια εἴ γε καὶ ἐπιστήμη Ὥστἐπεὶ τῷὄντι ἕπεται τὸ ἀληθές τῷ μάλιστα ὄντι ἕποιτο ἂν τὸ μάλιστα ἀληθές raquo Tr M Rashed ([2007b] p315-316) laquo Il nrsquoy a rien drsquoabsurde agrave dire qursquoune chose vraie diffegravere drsquoune chose vraie si du moins levrai est suspendu agrave lrsquoecirctre et que lrsquoecirctre est diffeacuterent pour les choses connues Certaines parmi elles sonten effet objets de science drsquoautres objets drsquoopinion La matiegravere en effet comme il le dira en avanccedilant ilest neacutecessaire de la penser par un mucirc Ne sont pas objets de science tous les eacutetants mais les eacutetants sontvrais Toutefois pour chacun la connaissance de lrsquoeacutetant comme il est est veacuteriteacute non en fonction drsquoeux

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

comme il est raquo et cest pourquoi dans le raisonnement alexandrinien agrave partir de 147 12 cest le

fait decirctre un eacutetant qui prend le pas sur la veacuteriteacute

M Rashed a montreacute combien cette page du Commentaire ne pouvait ecirctre tenue pour laquo une

page parmi drsquoautres drsquoAlexandre qursquoil serait indu drsquoeacuteriger en cleacute de sa conception du monde raquo101

agrave propos de la correacutelation entre ecirctre et veacuteriteacute On montrera pour notre part dans toute la suite du

preacutesent travail quil en va de mecircme agrave propos du principe de causaliteacute du maximum Agrave tout le

moins pour ce passage preacuteciseacutement lidentiteacute de la science de la veacuteriteacute reacutesulte-t-elle clairement

de la combinaison de ce principe et de la thegravese de degreacutes de lecirctre agrave partir desquels Alexandre

infegravere des degreacutes de veacuteriteacute Les principes sur lesquels va enquecircter la meacutetaphysique se donnent

ainsi comme eacuteternels davantage eacutetants et vrais Gracircce au principe de causaliteacute du maximum et

au fait que la science viseacutee doit ecirctre agrave la fois science premiegravere et (comme toute science) science de

la cause le raisonnement alexandrinien retrouve ici la progression du chapitre A 2 qui

deacuteterminait la sagesse selon une laquo logique hieacuterarchique une theacuteorie du plus haut degreacute raquo102

Reste agrave savoir quels sont preacuteciseacutement ces principes

b) Quels principes premiers

Selon le commentaire au livre α la sagesse a pour objet des principes premiers

laquo totalement seacutepareacutes de la sensation et qui sont par leur propre nature raquo103 Le commentaire du

(la veacuteriteacute nrsquoest pas en effet dans les choses) mais pour autant que la connaissance de lrsquoeacutetant comme ilest est veacuteriteacute Mais srsquoil en va ainsi la connaissance du maximalement eacutetant comme il est estmaximalement veacuteriteacute si du moins elle est aussi science En sorte que puisque le vrai suit lrsquoecirctre lemaximalement vrai suivra le maximalement ecirctre raquo Le passage sur la matiegravere et le mucirc est sujet agravecaution le texte auquel fait ici reacutefeacuterence Alexandre (994b 25-26) est en reacutealiteacute corrompu et le lemmeciteacute en 164 15 ne correspond pas exactement agrave ce que commente Alexandre par la suite Via laparaphrase dAlexandre M Rashed en deacuteduit laquo Il paraicirct donc probable que le texte de basedrsquoAlexandre eacutetait ἀλλὰ καὶ τὴν ὕλην κινουμένῳ νοεῖν ἀνάγκη Cela est corroboreacute par la citationfautive en 14813 (τὴν γὰρ ὕλην ὡς προελθὼν ἐρεῖ κινουμένων εἶναι ἀνάγκη) qui srsquoexplique tregravesfacilement comme une corruption meacutecanique par double meacutecoupure haplographie (lettres circulairesOE lues E) et deacutedoublement (A lu AIA) dans un exemplaire en scriptio continua onciale ΚΙΝΟΥΜΕΝΩΝΟΕΙΝΑΝΑΓΚΗ eacutetant lu ΚΙΝΟΥΜΕΝΩΝΕΙΝΑΙΑΝΑΓΚΗ raquo (M Rashed ([2007b] p315-316 et n 861)

101 M Rashed [2007b] p 317

102 M-H Gauthier-Muzellec [2008] p 183

103 In Met 144 18 ndash 145 3 laquo λέγων ltθεωρητικῆς μὲν γὰρ τέλος ἀλήθειαgt καὶ ταύτης ἔτι μᾶλλον τὴνπερὶ τῶν πρώτων ἀρχῶν τε καὶ αἰτίων τῶν παντάπασιν αἰσθήσεως κεχωρισμένων καὶ τῇ αὐτῶνφύσει ὄντων ἣν καὶ σοφίαν καλεῖ raquo en corrigeant le dernier αὐτῶν en αὑτῶν

160

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

livre se referme en affirmant semblablement que laquo le discours sur les principes premiers a pour

objet des choses immateacuterielles et non celles auxquelles nous sommes accoutumeacutes raquo104 et ce afin

dexpliquer la diffeacuterence entre la physique et la meacutetaphysique On reacutetorquera que cest lagrave un effet

du livre α et de son supposeacute platonisme mais de telles affirmations sont reacutecurrentes dans

lensemble du commentaire conserveacute Alexandre justifie ainsi linteacuterecirct supeacuterieur de leacutetude des

doctrines pythagoricienne et platonicienne par rapport agrave celle des physiologues leurs theacuteories

sont plus proches de lobjet du preacutesent traiteacute laquo puisque notre enquecircte ne porte pas sur ces sortes

de causes qui sont ltcausesgt des choses naturelles ou de celles en mouvement mais sur des

ltcausesgt intelligibles et incorporelles raquo105

De mecircme dans son commentaire agrave la troisiegraveme aporie du livre B Alexandre sarrecircte sur

lhypothegravese dune pluraliteacute de sciences de la substance en ajoutant laquo on estime que leacutetude de la

substance est toute la philosophie ndash non pas que toute la philosophie porte sur toute la substance

mais lune porte sur la substance sensible et naturelle quand lautre porte sur la substance

intelligible raquo106 Alexandre inaugure tout au moins par ces affirmations une conception de la

meacutetaphysique comme trans-physique (Kant) en deacutefaisant par une franche seacuteparation la parenteacute

qui unit chez Aristote les philosophies premiegravere et seconde Pour ce qui nous occupe maintenant

on se rappellera enfin que cest agrave ce titre que laquo le premier dieu raquo entre dans le champ de la

meacutetaphysique ie comme forme et substance totalement immateacuterielle

Mais preacuteciseacutement peut-on reacutesister agrave lideacutee quAlexandre dans son entente des principes

premiers et des causes premiegraveres naurait en vue que le(s) moteur(s) immobile(s) Les proprieacuteteacutes

des principes premiers que nous venons deacutenumeacuterer valent-elles pour toutes les sortes de

principes premiers queacutevoque lAphrodisien au cours de son commentaire Si oui cela ne

contraint-il pas agrave la reacuteduction de la protologie alexandrinienne agrave une theacuteologie ruinant ainsi les

arguments que nous avons opposeacutes agrave P Merlan

En effet comme nous lavons vu avec le commentaire agrave A 2 et comme lexplicitent W

Leszl et P Donini107 sont principes de leacutetant en tant queacutetant les substances premiegraveres au sens de

104 In Met 169 8-9 laquo περὶ ἀύλων γὰρ ὁ περὶ τῶν πρώτων ἀρχῶν λόγος καὶ οὐ συνήθων raquo cf aussiplus bas 169 27-30

105 In Met 71 7-9 laquo ἐπεὶ ἡ ζήτησις ἡμῖν περὶ τοιούτων αἰτίων ἃ οὐδὲ τῶν φύσει οὐδὲ τῶν ἐν κινήσειἐστίν ἀλλὰ περὶ νοητῶν τε καὶ ἀσωμάτων raquo

106 In Met 193 9-12 laquo τοῦτο δὲ προσέθηκεν ἐπεὶ δοκεῖ ἡ περὶ τὴν οὐσίαν πραγματεία ἅπασαφιλοσοφία εἶναι οὐ μὴν πᾶσα πάσης τῆς οὐσίας ἐστίν ἀλλὰ κατὰ μὲν ἄλλο μέρος αὐτῆς τῆςαἰσθητῆς τε καὶ φυσικῆς κατ ἄλλο δὲ τῆς νοητῆς raquo

107 P Donini [2005] p 83 laquo lobjet propre du traiteacute dAristote consiste en les causes et les principes

161

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

substances intelligibles non sensibles qui existent par elles-mecircmes ingeacuteneacutereacutees et incorruptibles

immobiles et incorporelles108 Il y a peu de doutes pour que la science qui les eacutetudie soit autre que

la theacuteologie Mais la sagesse naurait-elle pas en vue plusieurs sortes de principes premiers

Une premiegravere reacuteponse agrave cette derniegravere question est positive la sagesse vise agrave la fois les

principes premiers de leacutetant et les principes premiers de la deacutemonstration autrement dit les

laquo axiomes raquo109 Alexandre reprend agrave plusieurs reprises cette distinction en lexprimant parfois

sous la forme dune dichotomie entre principes de la substance (plutocirct que de leacutetant) et principes

de la deacutemonstration110 Cependant les axiomes ne forment pas lobjet principal de la sagesse et

sils entrent dans le champ de celle-ci cest de faccedilon secondaire ou deacuteriveacutee En effet Alexandre

profite de Γ 3 pour faire des axiomes des proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant (laquo τῶν τῷ ὄντι ᾗ ὂν

ὑπαρχόντων raquo en 266 2 par exemple) lagrave ougrave Aristote se cantonne agrave lemploi du geacutenitif (par

exemple en 1005a 24111) Chez lExeacutegegravete ces proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant constituent

mecircme la classe commune dans laquelle placer les axiomes aux cocircteacutes des plurivoques de Δ ou des

contraires Par lagrave Alexandre reconnaicirct la porteacutee ontologique de leacutetude des axiomes et a fortiori du

premier dentre eux celui de non-contradiction La discussion de celui-ci dans la deuxiegraveme partie

de Γ nest donc pas quaffaire de logique au mauvais sens du terme mais trouve de plein droit sa

place dans la Meacutetaphysique entre la position dune science de leacutetant en tant queacutetant (Γ 1-2) et le

deacuteveloppement des termes plurivoques communs aux sciences particuliegraveres (Δ)

Il demeure cependant que cette place nest quune conseacutequence de lobjet premier de cette

premiers de lecirctre mais il faut entendre par lagrave les substances premiegraveres cest-agrave-dire les substancesintelligibles immateacuterielles et divines les moteurs des cieux raquo W Leszl [1975] p 190-191 laquo Thetraditional view concerning the principles of being qua being is that they coincide with the unmoved movers iewith the primary type of substance (and less ultimately with substance in general) [] In a survey we could goback as far as Alexander who claims that the principles of being qua being and those of substance are the same inview of the fact that substance itself is the principle of anything else ie of all that is found in the other categories(see In Metaph 244 21-24) Evidently he regards these principles as identical with things eternal andunchangeable and divine (246 1-2) raquo

108 Cf In Met 246 3-4 250 30-33 et 266 3-10 pour la science qui les eacutetudie Nous revenons sur ces textesau sect 24 Pour ces proprieacuteteacutes des substances premiegraveres voir 251 34-36 et 376 2-4 Cf aussi In AnPr 45-7 laquo εἴ γε αἱ ἀσώματοί τε καὶ νοηταὶ οὐσίαι πρῶταί τε καὶ τιμιώτεραι τῶν αἰσθητῶν ὧν ὁφιλόσοφος θεωρητικός raquo et la Quaestio I25 39 19-24 etc Par exemple 40 8-9 laquo ἡ πρώτη τε καὶἀσώματος καὶ ἀκίνητος καὶ ἀίδιος οὐσία raquo

109 Pour la deacutefinition courante des axiomes comme principes des deacutemonstrations cf In Met 13 sq 1755 sq 179 19 sq 187 17 188 15 sq 191 3-4 264 35 sq 266 19 sq

110 Cest un effet du commentaire agrave la deuxiegraveme aporie cf 175 3 sq (preacutesentation de laporie) 190 22 sq(exploration de laporie) et en 264 30 sq (reacutesolution de laporie)

111 Aristote emploie certes le verbe en 1005a 22 mais de lagrave agrave faire des axiomes des laquo proprieacuteteacutes raquo il y a unpas quAlexandre franchit sans doute agrave cause de la proximiteacute avec la fin de Γ 2

162

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

science Certes dans au moins un passage du Commentaire il est difficile de dire si ce sont les

principes de leacutetant ou les axiomes qui sont principes premiers connaissables au plus haut point

et condition de toute connaissance112 Mais on voit mal comment les axiomes pourraient

supporter toutes les proprieacuteteacutes des principes premiers que nous venons deacutevoquer Et dans les

autres passages ougrave Alexandre souligne la maximale connaissabiliteacute ou veacuteraciteacute des principes

premiers il ne peut clairement pas sagir des axiomes113 puisque on la vu de tels principes sont

deacutecrits comme des eacutetants La philosophie premiegravere a donc bien affaire agrave ces deux sortes de

principes mais dans lensemble de ses objets ceux-ci ne se placent pas au mecircme niveau la

balance penchant nettement du cocircteacute des principes de leacutetant

Il faut donc reposer et preacuteciser la question tous les principes premiers de leacutetant sont-ils

immateacuteriels eacuteternels et seacutepareacutes intelligibles

Il est assez clair dans lensemble du Commentaire quAlexandre relie principes de leacutetant

et principes de la substance Dans son deacuteveloppement de la deuxiegraveme aporie en effet il emploie

lexpression de laquo περὶ τῶν τῆς οὐσίας καὶ τοῦ ὄντος ἀρχῶν raquo comme un seul groupe par

opposition aux axiomes (187 20-21) Selon une antienne du Commentaire la cause de lecirctre des

autres eacutetants agrave savoir des accidents ce sont les substances114 Comme on verra plus loin et comme

le dit explicitement Alexandre115 les principes de la substance seront donc aussi ceux de leacutetant

Or dautres candidats que les substances premiegraveres eacuteternelles peuvent preacutetendre au titre de

principes de la substance La thegravese est formuleacutee dans le dernier commentaire agrave α 1

993b28 ltΔιὸ τὰς τῶν ἀεὶ ὄντων ἀρχὰςἀναγκαῖον ἀεὶ εἶναι ἀληθεστάταςgt

Τουτέστι τὴν γνῶσιν αὐτῶν εἶναι ἀεὶἀληθεστάτην εἰ γὰρ τὸ ὂν ἀληθές τὸ ἀεὶ ὂνἀληθὲς ἀεί Ὃ δὴ τοῦ ἀεὶ ἀληθοῦς ἐστινἀληθέστερον ἀεὶ ἀληθέστατον ἂν εἴηΤοιαῦτα δὲ τὰ αἴτια τῶν ὄντων ἀεί οἷονκόσμου [14825] τοῦδε καὶ τῶν ἄστρων ἢ τῶντεσσάρων σωμάτων ὧν κατ εἶδος ἡἀιδιότης καὶ τῶν ἐπὶ τοῖς καθ ἕκαστά τε καὶ

laquo Cest pourquoi les principes des eacutetants qui sonttoujours sont neacutecessairement toujours les plus vrais raquo

Cest-agrave-dire que la connaissance de ces principesest toujours la plus vraie car si leacutetant est vrai ce quiest toujours est toujours vrai Donc ce qui est plusvrai que ce qui est toujours vrai sera toujours le plusvrai Or telles sont les causes des eacutetants qui sonttoujours par exemple ltles causesgt de cet univers etdes astres ou des quatre corps dont leacuteterniteacute estspeacutecifique116 et de ce qui est eacuteternel dans le cas des

112 Voir In Met 13 24 sq le passage est en effet ambigu car on peut se demander sil sagit des principesde leacutetant ou de la deacutemonstration la distinction eacutetant mentionneacutee juste avant en 13 2-3

113 Cf par exemple le proegraveme au commentaire de α ou les pages 147-148 citeacutees ci-dessus

114 Voir entre autres exemples 205 1-2

115 In Met 244 21-24 laquo τῶν οὐσιῶν ἄρα τὰς ἀρχὰς καὶ τὰς αἰτίας ζητητέον τῷ φιλοσόφῳ ᾧ ἡπραγματεία περὶ τὸ ὂν ᾗ ὄν αἱ γὰρ ταύτης ἀρχαὶ καὶ τοῦ ὄντος ἂν παντὸς εἶεν εἴ γε τοῖς ἄλλοις ἡοὐσία ἀρχή τε καὶ αἰτία τοῦ εἶναι raquo

116 Cf la note 56 de W E Dooley ([1992] p 26) qui renvoie avec raison agrave la Quaestio III 5 (en particulier 88

163

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ἐν γενέσει ἀιδίων καὶ γὰρ αὐτὰ ἀίδια particuliers en devenir car cela aussi est eacuteternel (148 20-27)

Leacutetude des principes premiers eacuteternels ne confine donc pas seulement agrave la theacuteologie des

moteurs immobiles (agrave la laquo meacutetaphysique raquo au sens de supra-physique) elle vaut aussi pour ce

qui est meacuteta-physique comme on parle dun meacuteta-discours La sagesse vise les constituants

ultimes du reacuteel soustraits du fait de leur eacuteterniteacute agrave leacutetude physique et qui dans la suite du

commentaire sont tous qualifieacutes sans distinction de laquo αἴτιον τοῦ εἶναι raquo On le verra plus loin

Alexandre a ceci de propre quil eacutetend explicitement lhyleacutemorphisme au cas des eacuteleacutements Il faut

donc compter au rang des principes viseacutes par la sagesse ces principes des substances que sont

leur matiegravere et leur forme Rien deacutetonnant donc agrave ce quen commentant la preacutesentation de la

sixiegraveme aporie de B Alexandre donne agrave nouveau comme exemples de constituants agrave pouvoir

preacutetendre au titre de principes laquo matiegravere et forme ou les quatre eacuteleacutements raquo117

De ce point de vue le commentaire agrave α 2 meacuterite une attention particuliegravere car certains

interpregravetes contemporains et notamment E Berti118 sen servent pour pluraliser les sens des

laquo principes premiers et causes premiegraveres raquo du deacutebut de la Meacutetaphysique et faire obstacle agrave leur

reacuteduction theacuteologique On sen souvient dans ce chapitre Aristote entreprend une deacutemonstration

de limpossibiliteacute dune reacutegression agrave linfini dans lordre des diffeacuterentes causes Alexandre le suit

pas agrave pas et distingue au moins deux moments principaux dans le chapitre119 une deacutemonstration

geacuteneacuterale (du deacutebut jusquagrave 994b 6) puis la deacutemonstration meneacutee pour chaque sorte de causes

LExeacutegegravete peut ainsi parler dune cause premiegravere mateacuterielle cest-agrave-dire un premier

substrat eacuteternel ingeacuteneacutereacute et impeacuterissable120 Ce premier substrat deacutesigne certainement la matiegravere

13 sq) Mais voir le traitement deacuteveloppeacute de la question dans M Rashed [2007b] p 237-250

117 In Met 177 28-29 laquo ὡς οὐσία δοκεῖ εἰς ὕλην τε καὶ εἶδος ἢ τὰ τέσσαρα στοιχεῖα ἢ ἃ ἄν τιςὑποθῆται τοιαῦτα raquo

118 E Berti [2006] [2008a] p 427 laquo agrave cocircteacute des causes premiegraveres motrices il y a selon Aristote lespremiegraveres causes mateacuterielles cest-agrave-dire les eacuteleacutements les premiegraveres causes formelles cest-agrave-dire lesformes substantielles et les acircmes et les premiegraveres causes finales cest-agrave-dire les enteacuteleacutechies de chaquesubstance qui font eacutegalement lobjet de la philosophie premiegravere et qui nont rien agrave voir avec les reacutealiteacutesseacutepareacutees et immobiles raquo Cf eacutegalement [1983] [2008] p 257

119 In Met 158 4-6 laquo Δείξας κοινῶς πρῶτον μὲν ὅτι μὴ ἐπὶ τὸ ἄνω οἷόν τε ἄπειρα τὰ αἴτια εἶναιδεύτερον δὲ ὅτι μηδὲ ἐπὶ τὸ κάτω νῦν καὶ περὶ ἑκάστου τῶν αἰτίων ἰδίᾳ δείκνυσιν ὅτι μὴἐπἄπειρόν τι αὐτῶν εἶναι οἷόν τε raquo

120 In Met 158 8-11 laquo συγχρῆται δὲ εἰς τὴν δεῖξιν τοῦ μὴ εἶναι εἰς τὸ ἄνω ἐπ ἄπειρον προϊόντα τὰαἴτια τῷ τὸ πρῶτον ὑποκείμενον ἀίδιον εἶναι εἰ γὰρ ἐγένετο ἦν ἄν τι πρῶτον αὐτοῦ ἐξ οὗὑποκειμένου ἐγίγνετο οὕτως δὲ οὐκέτ ἂν πρῶτον ἦν ἐπεὶ δὲ μὴ τοῦτο ἀίδιον καὶ ἀγένητονγίγνεται τὸ πρῶτον ὑποκείμενον raquo Pour le caractegravere impeacuterissable cf 158 18 laquo καθ αὑτὴν δὲ

164

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

premiegravere lexpression surgissant finalement en 159 2-3 (laquo ἐκ τῆς ὕλης τῆς πρώτης raquo) La

deacutemonstration de limpossibiliteacute dune reacutegression agrave linfini dabord et surtout meneacutee pour la

cause mateacuterielle contraint agrave poser un principe qui pourrait de prime abord assez bien concourir

pour le titre de principe premier queacutetudie la sagesse Neacutetait toutefois que la matiegravere pour

lExeacutegegravete nest pas un objet de connaissance et selon lexpression platonicienne qui a sa faveur

ne peut guegravere faire lobjet que dun laquo raisonnement bacirctard raquo121 Or Alexandre rappelle

preacuteciseacutement cette thegravese quelques pages plus loin gracircce en outre au renfort de la Physique selon

laquelle la matiegravere ne peut ecirctre connue que par analogie (191a 8) Il est peu probable que dans le

systegraveme alexandrinien la matiegravere premiegravere occupe le rang dobjet de la philosophie premiegravere

quoiquelle puisse compter au nombre des principes de la substance122 Le commentaire agrave B sen

fait leacutecho lorsque Alexandre commente la premiegravere aporie LExeacutegegravete note quAristote envisage

seulement les trois cas dune sagesse portant sur les causes finale formelle et motrice La raison

en est que la sagesse est connaissance au sens strict ou de faccedilon eacuteminente et que la connaissance

de ces trois causes est plus (ou plutocirct) science que la connaissance de la matiegravere123

Apregraves le cas de la cause mateacuterielle le commentaire agrave α 2 envisage celui dune cause finale

premiegravere qui est quant agrave elle identifieacutee au bien gracircce au deacutebut de lEacutethique agrave Nicomaque Cette

thegravese semble poser moins de difficulteacutes agrave Alexandre apregraves tout lidentification de la cause finale

au bien ou simplement de la laquo cause premiegravere raquo au bien suprecircme que laquo toutes choses deacutesirent raquo

(laquo τὸ κυριώτατον ἀγαθόν οὗ πάντα ἐφίεται raquo 160 12) a deacutejagrave eacuteteacute meneacutee dans le commentaire

au livre preacuteceacutedent124 Mais il est difficile de savoir si dans le commentaire agrave α 2 la cause finale

premiegravere deacutesigne (pour le dire sans preacutecaution) le premier moteur immobile ou bien si

ἄφθαρτος raquo

121 Cf In Met 164 20-21 et Quaestio I 1 4 10-11 M Rashed ([2007b] n 523 p 185) cite eacutegalement la scolie20 (Simplicius In Phys 542 19-22) et commente laquo nous avons lagrave visiblement lrsquoun des tregraves rarespassages de Platon dont Alexandre lui-mecircme aimait agrave se reacuteclamer raquo

122 Cest lune des conseacutequences de son essentialisme cf infra sect 32 et 33

123 In Met 187 8-13 laquo μνημονεύσας δὲ τῶν τριῶν αἰτίων καὶ δείξας κατὰ τί δύναται ἡ ἑκάστουτούτων γνωστικὴ ἐπιστήμη σοφία εἶναι ἡ ζητουμένη νῦν οὐκέτι τῆς κατὰ τὴν ὕλην αἰτίαςἐμνημόνευσεν ὡς τῆς ἐκείνων τῶν αἰτίων γνώσεως κυριωτέρας καὶ μᾶλλον ἐπιστήμης οὔσης τῆςὑλικῆς κυριώτερα γὰρ ἐκεῖνα καὶ μᾶλλον αἴτια ἡ γὰρ ὕλη ἐν τοῖς ἐξ αὐτῆς γινομένοις τὸν τοῦ οὗοὐκ ἄνευ λόγον ἔχειν δοκεῖ raquo Cf M Bonelli [2009b] et ci-dessous sect 323c Dans le commentaire agrave αAlexandre lui-mecircme note que le texte dAristote noffre pas de preuve distincte pour la causemateacuterielle laquo οὐκέτι δὲ ὅτι μηδὲ τὰ ποιητικὰ αἴτια ἄπειρα ἰδίᾳ ἔδειξεν ὡς φανερά εἰ γὰρ μηδὲ τὰγιγνόμενα ἄπειρα κατὰ τὸ εἶδος ἀλλ ἀνακάμπτει δῆλον ὡς πολὺ μᾶλλον οὐκ ἂν εἴη αὐτὰ τὰποιητικὰ αἴτια ἄπειρα raquo (165 25-27)

124 In Met 14 15 et 15 3 sq

165

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Alexandre maintient une pluraliteacute chaque chose ayant sa propre fin et son propre bien125 Le

commentaire alexandrinien esquisserait ainsi lideacutee que tout processus de geacuteneacuteration implique

une cause finale qui est premiegravere au sens ougrave elle arrecircte la remonteacutee de la seacuterie des causes Une

telle cause finale premiegravere deacutesignerait par exemple le point culminant de leffort dexplication

dun pheacutenomegravene ce en deccedilagrave de quoi il nest pas besoin de remonter pour rendre raison du

pheacutenomegravene mais qui ne deacutesigne donc pas neacutecessairement le premier moteur immobile de Λ

Pour toute chose le bien propre serait de tendre (ἔφεσις ἐφίημι) vers sa fin cest-agrave-dire vers la

perfection (τελειότης) de sa forme Ainsi comprise leacutetude de la cause finale ne confine pas agrave la

theacuteologisation de la recherche des principes premiers et des causes premiegraveres126 La question est

peut-ecirctre volontairement laisseacutee dans lindeacutecision par lExeacutegegravete voire repreacutesente une ambiguiumlteacute

de fond de sa position sur le statut de cause finale du Premier moteur Il faudra donc y revenir

plus bas en affrontant preacuteciseacutement cette question127

Plus fructueux pour la question qui nous occupe est le cas des formes des composeacutes les

formes substantielles Alexandre commente alors la proposition de 994b 16-18 laquo Mais on ne peut

pas non plus ramener la quidditeacute agrave une autre deacutefinition plus eacutetendue dans sa formule raquo128 Le

passage est difficile mais il est clair quAlexandre ny envisage jamais autre chose comme cause

formelle premiegravere que la quidditeacute des substances Le paragraphe soriente vers la question de la

formulation des deacutefinitions et de leur adeacutequation agrave la quidditeacute de la chose deacutefinie on nen saura

donc guegravere plus sur la forme comme cause premiegravere de la substance celle dapregraves la formule

reacutepeacuteteacutee selon laquelle chaque substance a lecirctre129

Alexandre conccediloit donc lagrave une voie importante pour la recherche des causes de leacutetant en

tant queacutetant et des causes des substances Or cette voie contrarie la reacuteduction de la protologie agrave la

125 Conformeacutement agrave la leccedilon de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque sur les sens du bien

126 Une telle lecture peut revendiquer agrave son creacutedit la reacutepeacutetition dans le texte dAlexandre des expressionsdu genre laquo ἐν τοῖς γιγνομένοις φύσει raquo (160 4 ou 7-8) Mais dans ce cas la mention du laquo κυριώτατονἀγαθόν οὗ πάντα ἐφίεται raquo (160 12) serait assez deacutevalueacutee et presque eacutetrange

127 Cf infra sect 333 et dembleacutee M Rashed [2011a] p 159-161 pour les deux interpreacutetations laquo faible raquo etlaquo forte raquo de la cosmologie alexandrinienne

128 Traduction Tricot modifieacutee de laquo ἀλλὰ μὴν οὐδὲ τὸ τί ἦν εἶναι ἐνδέχεται ἀνάγεσθαι εἰς ἄλλονὁρισμὸν πλεονάζοντα τῷ λόγῳ raquo Nous suivons la remarque de WE Dooley ([1992] n131 p 48)selon laquelle Alexandre comprend ici λόγος en un sens assez technique de formule verbale exprimantla deacutefinition dougrave mon deacutecalque de laquo formula raquo en laquo formule raquo qui semble se reacutepandre dans les travauxfrancophones sans doute par anglicisme

129 Par exemple 20 5-6 laquo Λέγει μὲν τὴν κατὰ τὸ εἶδος οὐσίαν εἰκότως δὲ εἶπεν οὐσίαν ἑκάστου τὸεἶδος κατὰ γὰρ τὸ εἶδος ἑκάστῳ τὸ εἶναι τοῦτο ὅ ἐστιν raquo Cf ci-dessous sect 32

166

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

theacuteologie Et de fait lorsque dans la preacutesentation de la premiegravere aporie Alexandre envisage une

sagesse portant sur les causes finale formelle puis motrice agrave aucun moment il nest question

dune quelconque cause premiegravere divine Agrave propos de la cause formelle dans son introduction

liminaire au commentaire de 996b 13 sq lExeacutegegravete va jusquagrave dire laquo Dans la mesure affirme

Aristote ougrave la sagesse agrave son tour a eacuteteacute dite capable de connaicirctre les premiegraveres causes et les objets

de science les plus hauts dapregraves cela on estimera ensuite que la connaissance de la forme et de

cette sorte de cause est une sagesse raquo130 parce que la forme est au plus haut point connaissable

(laquo μάλιστα γνωστόν raquo 184 34) Or par anticipation il faut annoncer que selon Alexandre la

premiegravere aporie est reacutesolue en Γ dans lideacutee que toutes les causes font lobjet de la philosophie

premiegravere131

Degraves lors le diagnostic se doit decirctre nuanceacute oui Alexandre assume ostensiblement la

preacutetention de la meacutetaphysique agrave ecirctre science premiegravere et du premier Cette ambition est

logiquement anteacuterieure et textuellement plus constante que la viseacutee theacuteologique Mecircme si la

theacuteologie constitue un prolongement attendu et sans doute fondamental de la protologie cette

derniegravere ne saurait sy reacuteduire Dans le passage citeacute du commentaire agrave A 2 comme ailleurs les

substances premiegraveres et les plus eacuteminentes eacutechoient agrave la meacutetaphysique agrave partir dun objet donneacute

premier ie les principes et les causes premiers Si lordre des mots et des concepts quils

deacutesignent a un sens il est frappant que laspect theacuteologique soit second non pas au sens de

subalterne mais bien deacuteduit ou infeacutereacute Lenquecircte theacuteologique est au programme de la recherche

des premiers principes et des causes premiegraveres mais elle nen est pas le tout Celle-ci affiche aussi

au programme de la meacutetaphysique une eacutetude ousiologique qui vise surtout la forme et marque

comme on le verra lessentialisme dAlexandre

Cependant il faut degraves lors comprendre comment cette ambition protologique de lenquecircte

meacutetaphysique est compatible avec les passages que nous avons citeacutes contre linterpreacutetation de P

Merlan et qui assignent agrave la meacutetaphysique une viseacutee universelle Alexandre a-t-il lui-mecircme

conscience dun eacuteventuel problegraveme Cette universaliteacute est-elle selon la distinction forgeacutee par

130 Alexandre eacutelimine ainsi leacuteventuelle ambiguiumlteacute du texte dAristote qui comportait seulement οὐσία CfIn Met 184 30-32 laquo Καθ ὅσον φησί πάλιν ἡ σοφία ἐρρήθη τῶν πρώτων αἰτίων εἶναι γνωστικὴκαὶ τῶν μάλιστα ἐπιστητῶν κατὰ τοῦτο πάλιν δόξει ἡ τοῦ εἴδους καὶ τῆς τοιαύτης αἰτίας γνῶσιςσοφία εἶναι raquo

131 In Met 264 23-27

167

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

W Leszl intrinsegraveque ou deacuteriveacutee (consequential)132 Autrement dit la viseacutee universelle de la

meacutetaphysique est-elle inteacutegralement remplie comme par surcroicirct par la seule recherche des

premiers principes Le principe de causaliteacute du maximum pourrait en effet laisser entendre que

le principe exemplifiant au maximum la proprieacuteteacute (au sens large) quil cause une eacutetude de ce

principe pourrait revendiquer une forme duniversaliteacute indirecte Il sagit donc de savoir si

Alexandre maintient la validiteacute dune enquecircte sur leacutetant en tant queacutetant

132 W Leszl [1975] p 176 sq

168

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

22 Une science universelle

221 Lambition totalisante

Que la meacutetaphysique dans sa version alexandrinienne revendique une ambition

universaliste nous lavons eacutevoqueacute contre la reacuteduction theacuteologique proposeacutee par P Merlan La

chose est nette dans le commentaire agrave Γ ou dans le proegraveme agrave Δ au point quAlexandre nheacutesite

pas agrave parler de laquo philosophie universelle raquo pour deacutesigner la science rechercheacutee Cette expression

ne se lit pas telle quelle chez le Stagirite133 quoique Alexandre la deacuterive probablement de Γ 3

(1005a 35) ougrave il revient agrave celui qui laquo eacutetudie universellement raquo dexaminer les axiomes agrave savoir le

sage134 et surtout K 3 (1060b 31-32) qui mentionne degraves le deacutepart et sans complexe la science du

philosophe agrave qui il incombe deacutetudier laquo universellement raquo leacutetant en tant queacutetant (alors quen Γ

lidentification de cette science avec la philosophie est conquise elle est argumenteacutee et nest pas

donneacutee immeacutediatement) Alexandre quant agrave lui emploie souvent lexpression comme un

syntagme figeacute bien avant le commentaire agrave Γ 3 Aussi est-ce la laquo philosophie universelle raquo qui a

pour objet leacutetant en tant queacutetant (244 26-32) ou inversement la science de leacutetant est-elle la

philosophie commune et universelle (laquo καθόλου τε καὶ κοινὴ φιλοσοφία raquo 258 23-24) Cette

philosophie universelle est la mecircme que la laquo philosophie commune et geacuteneacuterique raquo qui a pour

objet de science laquo la nature commune de leacutetant raquo135

Mais outre ces usages lexicaliseacutes cest ainsi quAlexandre qualifie reacuteguliegraverement leacutetude

conduite par le philosophe Par exemple le philosophe traite universellement de tous les contraires

133 On revient sur les raisons de cette absence ci-dessous sect 234

134 Sans doute renforceacute par E 1 (1026a 24 et 30-31)

135 In Met 245 29-30 laquo ἔστι δὲ τὸ γένος καὶ ἡ τοῦ ὄντος κοινὴ φύσις ἐπιστητὴ τῇ κοινῇ τε καὶ γενικῇφιλοσοφίᾳ raquo

169

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

(261 5)136 Ou encore agrave la fin du commentaire agrave Γ 2 ougrave Alexandre clocirct le parcours du champ

deacutetude du meacutetaphysicien par une analogie entre son eacutetude de leacutetant et son eacutetude des causes afin

de reacutesoudre la premiegravere aporie de B laquo sil appartient au philosophe deacutetudier theacuteoriquement tous

les eacutetants ltalorsgt le discours universel sur toutes les causes est eacutegalement propre au

philosophe raquo137 Cest aussi cette universaliteacute qui garantit luniteacute de la meacutetaphysique138 On lit

enfin dans le proegraveme agrave Δ lexpression laquo ἡ περὶ τοῦ ὄντος καθόλου πραγματεία raquo explicitement

eacutequivalente agrave leacutetude de leacutetant en tant queacutetant139

La question de savoir en quel sens chez Aristote la science de leacutetant en tant queacutetant est

universelle est eacutepineuse Agrave lEacutethique agrave Eudegraveme I 8 1217b 25-35 qui nie toute possibiliteacute dune

science de leacutetant parce que ce dernier ne constitue pas un universel semble reacutepondre en

Meacutetaphysique Γ le redoublement de lexpression laquo eacutetant en tant queacutetant raquo140 Aristote cherche sans

doute agrave se preacutemunir de luniversaliteacute encyclopeacutedique distributive de la sophistique autant que

de luniversaliteacute de la dialectique platonicienne141 Quoi quil en soit il suffit pour notre propos

de souligner que lExeacutegegravete quant agrave lui ne sembarrasse pas de telles nuances Si Aristote est

circonspect quand il eacutevoque lobjet de la science rechercheacutee son Exeacutegegravete quant agrave lui traduit

reacuteguliegraverement la viseacutee de laquo leacutetant en tant queacutetant raquo par des expressions telles que laquo περὶ τὸ ὂν

καθόλου raquo ou laquo περὶ πάντων τῶν ὄντων raquo142 Alexandre nheacutesite donc pas agrave transcrire

136 Peut-ecirctre faut-il eacutegalement donner un sens fort agrave ladverbe en 257 19-21 laquo Ὅτι τοῦ φιλοσόφου ἥ τεπερὶ τῆς οὐσίας θεωρία καὶ περὶ τῶν τῇ οὐσίᾳ συμβεβηκότων ὁμοίως δὲ καὶ περὶ ταὐτοῦ καὶἑτέρου καὶ ὅσα καθόλου περὶ ἐναντίων ζητεῖται raquo Cf deacutejagrave 245 36

137 In Met 264 23-27 laquo ἐκ δὲ τούτων δῆλον ὅτι εἰ περὶ πάντων τῶν ὄντων τοῦ φιλοσόφου θεωρεῖν καὶὁ περὶ τῶν αἰτίων πάντων καθόλου λόγος οἰκεῖος τῷ φιλοσόφῳ καὶ οὐ πλειόνων ἐπιστημῶν ἐστιτὰ αἴτια θεωρῆσαι καὶ γὰρ ταῦτα ἢ ἐναντία ἢ ἐξ ἐναντίων Ἦν δὲ ἐν τῷ Β πρῶτον τοῦτο τῶνἀπορηθέντων raquo

138 In Met 245 35-37

139 In Met 344 5-7

140 Nous remercions A Jaulin pour cette suggestion

141 Cf ci-dessous sect 234b Certes quand en Γ 2 il compare le philosophe au dialecticien et au sophisteAristote affirme indirectement quil appartient au philosophe deacutetudier laquo toutes choses raquo (laquo περὶἁπάντων raquo 1004b 20 agrave propos du dialecticien) et il en donne la raison laquo leacutetant est commun agrave tout raquo(Met Γ 2 1004b 17-22) Cependant une comparaison implique preacuteciseacutement similitudes et diffeacuterenceset reacuteduire luniversaliteacute de la science de leacutetant en tant queacutetant agrave celles de la sophistique et ladialectique serait aller vite en besogne

142 Voir simplement 238 5 laquo καὶ πρῶτον μὲν συνίστησιν ὅτι περὶ τὸ ὂν καθόλου raquo [sous-entendu πρώτην φιλοσοφίαν] Ou 244 32-34 laquo εἰπὼν δὲ ὅτι τοῦ φιλοσόφου ἐστὶ τὸ τῶν οὐσιῶν εἰδέναι τὰςἀρχὰς καὶ τὰς αἰτίας ὅτι μὴ μόνον περὶ τῆς οὐσίας αὐτῷ ἡ πραγματεία ἀλλὰ καὶ καθόλου περὶπαντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὄν raquo etc Pour lemploi du pluriel voir 257 11 laquo δείξας ὅτι τοῦ φιλοσόφου τὸπερὶ πάντων τῶν ὄντων γνῶσιν ἔχειν raquo 261 20 sq 264 24 sq etc

170

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

luniversaliteacute de la science attesteacutee par Aristote en Γ 1 en terme de totaliteacute Eacutetudier leacutetant en tant

queacutetant cest viser universellement tous les eacutetants cest-agrave-dire eacutetudier les eacutetants en totaliteacute143

Cette viseacutee universelle saffirme degraves les premiers livres courant ainsi sur lensemble du

Commentaire conserveacute Alexandre pouvait sans doute trouver un point dappui dans la premiegravere

des opinions du livre A sur la sagesse selon laquelle laquo le sage sait toutes choses autant quil est

possible sans avoir une science de chaque chose en particulier raquo144 Dans le commentaire assez

paraphrastique agrave cette proposition Alexandre distingue le sage des hommes de meacutetier et des

savants (laquo τεχνίτας καὶ ἐπιστήμονας raquo 9 33) qui ne savent laquo toutes choses raquo que dans un

domaine circonscrit Selon cette opinion le sage en revanche sait toutes choses de faccedilon

commune et universelle et il en a une appreacutehension englobante (laquo περὶ πάντων δύνασθαι

διαλαμβάνειν περιληπτικῶς raquo 9 31) Alexandre peut degraves lors interpreacuteter la clause laquo autant quil

est possible raquo de faccedilon purement interne145 en expliquant que cela renvoie agrave lopposition entre

science universelle de toutes choses et science de chaque chose en particulier La reacutefeacuterence

poleacutemique agrave la dialectique platonicienne est donc biffeacutee au profit dune reacutefeacuterence agrave une

universaliteacute distributive (celle peut-ecirctre de la sophistique) ce qui rend possible la reprise

alexandrinienne des expressions de la totaliteacute lagrave ougrave le Philosophe preacutefeacuterait parler duniversaliteacute

Cette theacutematique est reprise deux pages plus loin dans le commentaire agrave 982a 21-22 ougrave

Aristote dit laquo τούτων δὲ τὸ μὲν πάντα ἐπίστασθαι τῷ μάλιστα ἔχοντι τὴν καθόλου ἐπιστήμην

ἀναγκαῖον ὑπάρχειν raquo Tel est du moins le texte eacutediteacute par WD Ross et W Jaeger Ross signale en

apparat que laquo πάντα raquo est la leccedilon de la premiegravere main du Parisinus gr 1853 de la traduction de

Guillaume de Moerbeke et dune citation dAscleacutepius146 mais quil est absent dAlexandre et

comme de juste de la correction E2 puisque ce scribe se reacutefegravere souvent agrave Alexandre quil avait

143 Dans le commentaire dAlexandre cest presque toujours la science leacutetude la philosophie qui sontaffecteacutees duniversaliteacute Certains passages sont neacuteanmoins plus ambigus Commentant Γ 3 Alexandreparle en effet de leacutetant comme laquo τὸ κοινότατον καὶ γενικώτατον raquo (268 29) une appellation couranteagrave leacutepoque alexandrinienne Il demeure que mecircme dans ce passage (268 28-31) luniversaliteacute est bien untrait de la recherche elle-mecircme

144 Met A 2 982a 8-10 laquo ὑπολαμβάνομεν δὴ πρῶτον μὲν ἐπίστασθαι πάντα τὸν σοφὸν ὡς ἐνδέχεταιμὴ καθ ἕκαστον ἔχοντα ἐπιστήμην αὐτῶν raquo

145 Voir dans le mecircme esprit et en reacutefeacuterence agrave Alexandre P Aubenque [1962] p 214 qui comme Tricotintroduit en outre la distinction en acte ndash en puissance sans doute hors de propos ici au vu ducontexte doxographique Y lire une reacutefeacuterence poleacutemique est au contraire coheacuterent avec ce contexte etsonne comme une lointaine anticipation de la fin du livre A

146 Ascleacutepius cite en effet exactement cette leccedilon (In Met 16 21-22)

171

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

manifestement sous les yeux147 Lautre branche celle de Laurentianus (Ab) donne quant agrave elle

laquo ἅπαντα raquo

Alexandre lui-mecircme souligne labsence de laquo πάντα raquo dans son propre texte et reacutetablit la

lacune148 On ne peut donc pas eacutecarter la possibiliteacute que la version dAscleacutepius comme les leccedilons

des manuscrits ulteacuterieurs remontent agrave la correction alexandrinienne neacutecessaire agrave la plus

eacuteleacutementaire clarteacute Neacuteanmoins chez lExeacutegegravete la divergence est plus importante que ce que note

Ross Bonitz et Hayduck en effet eacuteditent le lemme suivant laquo Τούτων δὲ τὸ μὲν ἐπίστασθαι τῷ

μάλιστα ἔχοντι τὴν κατὰ πάντων ἐπιστήμην raquo (11 3-4) Il y a donc outre la disparition du

πάντα la leccedilon laquo κατὰ πάντων raquo en lieu et place du laquo καθόλου raquo

Certes si jamais Aristote ne parle dune science κατὰ πάντων il lui est en revanche

ordinaire de parler dune science ou dune connaissance laquo κατὰ μέρος raquo par opposition agrave

laquo καθόλου raquo (qui est eacutetymologiquement construit agrave partir de κατά)149 Certes aussi laquo κατὰ

πάντων raquo se lit chez Aristote pour signifier luniversaliteacute Cependant jamais Aristote ne lemploie

dans le cas de la science Lexpression deacutesigne luniversaliteacute distributive ie ce qui vaut dans tous

les cas ou se dit de tous les eacuteleacutements dun ensemble150 Or preacuteciseacutement en A 2 le Stagirite ne peut

maintenir lideacutee dune science de chaque chose et les raisons en sont assez transparentes la

deacutemarche doxographique implique de mettre au jour et de reacutecupeacuterer dans les opinions leur fond

de veacuteriteacute Mais cette part de veacuteriteacute nest sucircrement pas lideacutee dune science laquo κατὰ πάντων raquo et la

proposition dAristote en 982a 21-22 se construit justement comme une reprise qui reformule en

passant (en suivant la leccedilon majoritaire) du laquo πάντα ἐπίστασθαι raquo agrave laquo τὴν καθόλου

ἐπιστήμην raquo Cest pourquoi dans la mecircme phrase Aristote modalise le fait de connaicirctre laquo tous

les substrats raquo par un laquo πως raquo (982a 23) qui disparaicirct dans le commentaire alexandrinien

Alexandre en effet considegravere manifestement laquo καθόλου raquo et laquo κατὰ πάντων raquo comme

eacutequivalents puisque dans la proposition compleacuteteacutee du corps du commentaire il emploie lun

pour lautre Pour lExeacutegegravete il nest pas ici question dune science des principes premiers dont

luniversaliteacute serait indirecte comme par ricochet ou pour reprendre le vocabulaire de W Leszl

147 WD Ross [1924] p CLVI n 1 M Hecquet-Devienne [2005] p 131 et 137

148 In Met 11 5-6 laquo Ἐλλείπει τῷ ἐπίστασθαι τὸ τὰ ltπάνταgt τὸ γὰρ πάντα ἐπίστασθαι τῷ μάλισταἔχοντι τὴν καθόλου ἐπιστήμην ὑπάρχει raquo

149 Voir par exemple le deacutebut de K 3 1060b 31-32 laquo Ἐπεὶ δ ἐστὶν ἡ τοῦ φιλοσόφου ἐπιστήμη τοῦ ὄντοςᾗ ὂν καθόλου καὶ οὐ κατὰ μέρος raquo Cf aussi AnPr II 21 66b 31-33 67a 23 sq AnPo I 24 86a 7 pour les sciences partielles voir aussi EN VI 11 1143a 1

150 On trouve un texte donnant les deux expressions coordonneacutees en B 3 999a 20-21 ougrave justementluniversaliteacute doit sentendre en ce sens de la totaliteacute distributive

172

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

laquo par conseacutequence raquo (laquo consequential raquo) au sens ougrave son universaliteacute tiendrait agrave ce que les principes

sont principes du tout151 Au contraire luniversaliteacute qui se fait jour ici est celle premiegravere et

intrinsegraveque de la science laquo des eacutetants en tant queacutetants raquo Alexandre deacuteclare en effet laquo est

universelle au plus haut point la science qui porte sur les eacutetants en tant queacutetants car leacutetant est

commun agrave tout ce qui est dans lexistence raquo152 Luniversaliteacute de la science reacutepond sans meacutediation

agrave la communauteacute de son objet et le degreacute maximal de cette universaliteacute suit directement sa

distribution laquo agrave toute chose raquo

Par lagrave-mecircme ndash et le gain nest certainement pas mince ndash Alexandre se donne les moyens

de tracer une nouvelle ligne de force entre les diffeacuterents livres du livre A vers Γ Mais par lagrave

aussi Alexandre tend agrave sous-eacutevaluer voire outrepasser les discregravetes limites traceacutees par Aristote

en A 2 agrave lencontre de la dialectique platonicienne agrave savoir la clause de possibiliteacute (laquo le sage sait

toutes choses autant quil est possible raquo) et la transcription par Aristote de la totaliteacute en

universaliteacute

Cette thegravese savegravere encore si lon compare avec le passage immeacutediatement preacuteceacutedent dans

le commentaire En effet comme cela lui arrive parfois ndash bien que jamais de faccedilon anodine ndash

Alexandre commente deux fois dans deux commentaires distincts (agrave 982a 6 et 982a 21) la reprise

de cette premiegravere opinion sur le sage Le commentaire agrave 982a 6 a en effet passeacute en revue les cinq

ou six opinions sur le sage153 et finit par une remarque de meacutethode en sappuyant sur ces

preacuteconceptions le Stagirite va ensuite laquo reconduire chaque figure du sage agrave celui qui connaicirct les

causes premiegraveres et universelles raquo154 Et Alexandre enchaicircne alors agrave titre dillustration immeacutediate

avec la premiegravere opinion

Καθόλου τε γὰρ μάλιστα καὶ κοινῶςπερὶ πάντων οὗτος ἐπίσταται ὁ τὰς πρώταςἀρχὰς εἰδώς ὡς γὰρ ὁ τάς τινων ἀρχὰς εἰδὼςκαθολικήν τινα γνῶσιν ἐκείνων [111] ἔχειοὕτως καὶ ὁ τὰς πάντων εἰδὼς ἀρχὰςκαθολικὴν ἄν τινα γνῶσιν ἁπάντων ἔχοι

Celui en effet qui a la science de toutes choses defaccedilon agrave la fois universelle au plus haut point etcommune cest celui qui connaicirct les premiersprincipes car de mecircme que celui qui connaicirct lesprincipes de certaines choses possegravede une certaineconnaissance universelle de ces choses de mecircme

151 Cf W Leszl [1975] p 176 sq

152 In Met 11 7-8 laquo μάλιστα δὲ καθόλου ἐστὶν ἐπιστήμη ἡ περὶ τῶν ὄντων ᾗ ὄντα κοινὸν γὰρ τὸ ὂνπᾶσι τοῖς ἐν ὑπάρξει raquo avec sans doute une reacutefeacuterence agrave Γ 2 1004b 20 Cf aussi 265 25

153 Alexandre en compte six parce quil distingue en 982a 12-13 entre laquo τὸν ἀκριβέστερον raquo et laquo τὸνδιδασκαλικώτερον τῶν αἰτιῶν raquo

154 Le passage complet est en In Met 10 19-23 laquo ταῦτα δὴ λαβὼν ὡς κατὰ τὰς κοινὰς ὑπολήψειςδοξαζόμενα περὶ τοὺς σοφούς κατὰ ταῦτα πειρᾶται ἕκαστον αὐτῶν προσάγειν τῷ τὰς πρώτας καὶτὰς καθόλου αἰτίας εἰδότι δεικνὺς διὰ τούτων ὃ φθάσας εἶπον τὸ ὅτι τὴν ὀνομαζομένην σοφίανπερὶ τὰ πρῶτα αἴτια καὶ τὰς ἀρχὰς ὑπολαμβάνουσι πάντες raquo

173

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

celui qui connaicirct les principes de toutes chosesposseacutedera une certaine connaissance universelle detoutes choses sans exception

(10 23 ndash 11 2)

Alexandre part de lideacutee que connaicirctre les principes dun genre donneacute de choses cest

connaicirctre ces choses Le preacutesupposeacute est la thegravese de la connaissance causale (connaicirctre x cest

connaicirctre la cause de x) et limpeacuteratif duniversaliteacute de toute connaissance scientifique ndash quoique

le texte dise seulement laquo γνῶσις raquo La connaissance ici deacutecrite est dabord archeacuteologique quecircte

du premier et ne devient universelle que comme par surcroicirct Largument procegravede alors a fortiori

ce qui vaut pour la connaissance des principes dun type de choses vaut pour la connaissance des

principes de toutes choses et laspect a fortiori se signale par lemploi dἁπάντων

La meacutetaphysique est donc une science universelle mais reste agrave savoir si cette universaliteacute

est intrinsegraveque ou par conseacutequence indirecte155 Agrave tout le moins pour nous avancer dans cette

question peut-on dembleacutee souligner contrairement agrave ce que soutenait P Merlan quAlexandre

ne reacuteduit pas luniversaliteacute agrave une forme de primauteacute ou agrave une autre maniegravere de dire le premier

Alexandre distingue explicitement le fait decirctre premier et universel

Le passage le plus indiscutable agrave cet eacutegard se lit dans la suite du commentaire agrave A 2

lorsque Alexandre reprend avec Aristote la troisiegraveme opinion sur le sage le reacutequisit dexactitude

(laquo ἀκριβεια raquo) Apregraves avoir indiqueacute la quecircte duniversaliteacute de la sagesse et ainsi fondeacute en raison la

premiegravere et la deuxiegraveme opinion le Stagirite affirme alors la dimension protologique de la

sagesse qui navait pas eacuteteacute mentionneacutee dans la premiegravere revue des opinions et la donne comme

une conseacutequence de lexactitude laquo Les sciences les plus exactes sont celles qui portent au plus

haut point sur des choses premiegraveres raquo (982a 25-26) Mais au moment de commenter ce passage il

semble quAlexandre se ravise et se penche sur le lien implicite entre la troisiegraveme et la deuxiegraveme

opinion celle sur la difficulteacute de la sagesse Le commentaire est en effet beaucoup moins litteacuteral

quagrave son habitude et plein dimplicites

Οὐχ ὑποληπτέον τοῦτο μάχεσθαι τῷ ἐντῷ προοιμίῳ τῆς Φυσικῆς εἰρημένῳ ἔνθαλέγων ὅθεν δεῖ ἄρχεσθαι ἀπὸ τῶν ἡμῖνγνωρίμων λέγει ldquoτὸ γὰρ ὅλον κατὰ τὴν

Il ne faut pas penser que cela contredit ce qui aeacuteteacute dit au deacutebut de la Physique ougrave en disant dougrave ilfaut commencer agrave savoir des choses connaissablespour nous il dit en effet le tout est plus

155 On trouve eacutegalement une distinction entre deux formes duniversaliteacute dans le commentaire du Ps-Alexandre agrave E (In Met 447 22-32 et en particulier l 28-29 laquo εἰ δὴ καθόλου ἐστὶν ὡς πρὸς τὰς ἄλλαςτὰ δὲ καθόλου καὶ τιμιώτερα αἱρετώτερα τῶν μὴ τοιούτων αἱρετωτέρα ἄρα αὕτη τῶν ἄλλων raquo) Ladistinction nest pas exactement celle que nous deacutecrivons mais est loin decirctre incompatible

174

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

αἴσθησιν γνωριμώτερον τὸ δὲ καθόλου ὅλοντί [1210] ἐστινrdquo Οὔτε γὰρ τὸ πρῶτον καὶ τὸκαθόλου ταὐτόν τὸ γοῦν πρῶτον αἴτιον τὸκινητικόν περὶ οὗ νῦν αὐτῷ λέγεινπρόκειται πρὸ ἁπάντων μέν ἐστιν οὐ μὴνοὕτως καθόλου ὡς τὰ γένη Ἀλλ οὐδὲ τὸ ὡςγένος λεγόμενον καθόλου ἐκεῖ πρὸς τὴναἴσθησιν πρῶτον εἶπεν ἀλλὰ τὸ κοινότερονκαὶ πλείοσι συμβεβηκός ὡς ἐδήλωσε διὰτῶν παραδειγμάτων

connaissable selon la sensation et luniversel est uncertain tout En effet premier et universel ne sontpas la mecircme chose Certes la cause premiegravere la causemotrice dont il se propose ici de traiter preacutecegravedetoutes les choses sans exception mais nestassureacutement pas universelle au sens ougrave le sont lesgenres Mais il na pas dit non plus dans ce texte-lagraveque luniversel au sens du genre est premier pour lasensation mais quest premier pour la sensation cequi est plus commun et qui est un accident de plus dechoses comme il la fait voir par ses exemples

(12 7-14)

Aristote vient dexpliquer la difficulteacute de lobjet de la sagesse par son universaliteacute reliant

ainsi premiegravere et deuxiegraveme opinion ndash en fondant en raison la deacutemarche dialectique relie ce qui

nest queacutepars dans lopinion Or cette difficulteacute de connaicirctre luniversel est elle-mecircme justifieacutee

par leacuteloignement de la sensation Agrave ce moment du texte le sage a donc pour tacircche la

connaissance de luniversel de ce qui est eacuteloigneacute de la sensation et rajoute lexplication de la

troisiegraveme opinion de ce qui est premier ce qui justifie le reacutequisit dexactitude Or dapregraves

Alexandre le lecteur risque de percevoir (horresco referens) une contradiction avec le deacutebut de la

Physique La citation en effet est extraite du passage ougrave en Physique I Aristote explicite le

laquo chemin naturel raquo la meacutethode qui sera emprunteacutee par le traiteacute et qui consiste agrave aller du plus

connu pour nous au plus connu par nature Le Stagirite le justifie et le reformule alors en un

vocabulaire qui a deacuteconcerteacute tous les commentateurs depuis lAntiquiteacute le plus connu pour nous

est le plus proche de la sensation cest le laquo confus raquo luniversel compris comme des totaliteacutes quil

faut diviser en leurs principes et eacuteleacutements et ce sont ces derniers qui sont plus connus en soi

Contrairement agrave la doctrine standard Aristote deacuteclare donc quil faut aller de luniversel au

particulier Or le texte de la Meacutetaphysique est quant agrave lui plus proche de cette doctrine standard en

soutenant que la sagesse vise le plus universel le plus eacuteloigneacute de la sensation qui est aussi au

plus haut point premier Alexandre entreprend alors dexpliquer de quel universel et de quel

premier il est ici question ce nest pas luniversel confus premier dans lordre de la connaissance

pour nous que la fin du commentaire appelle laquo le plus commun et qui est un accident de plus de

choses raquo sans doute par anticipation du commentaire suivant selon lequel laquo ce qui en effet a

moins daccidents cela est plus difficile agrave connaicirctre et requiert davantage dexactitude raquo (12 16-

17)

Dans le chemin de la connaissance la meacutetaphysique se trouve donc au plus loin ndash comme

175

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

nous lavons deacutejagrave vu156 ndash et pour illustrer ces laquo choses premiegraveres raquo Alexandre prend le plus

premier le premier moteur157 qui lui permet de preacuteciser sa distinction entre premier et universel

Il serait assez naturel de comprendre la distinction comme signifiant la sagesse porte au plus

haut point sur luniversel (premiegravere et deuxiegraveme opinion) et le premier (troisiegraveme opinion) mais

non au sens de luniversel qui est premier dans la sensation celui dont il est question dans la

Physique Aristote ne se contredit donc pas la sagesse porte en fait sur luniversel qui est le plus

eacuteloigneacute des sensations et qui est premier dans lordre de la connaissance en soi La distinction

centrale eacutenonceacutee dans le texte naurait donc quune valeur occasionnelle et pourrait impliquer

une forme duniversaliteacute dans le cas du premier moteur Mais la proposition a neacutecessairement un

sens plus geacuteneacuteral puisque dans la phrase qui suit le premier moteur offre un cas de premier qui

nest universel ni au sens de la totaliteacute confuse ni au sens du genre Le premier moteur nest pas

un Universel substantiveacute nest pas une Ideacutee La meacutetaphysique est une science universelle mais

cest aussi une science dun Premier qui nest universel eu aucun des sens du terme Comment

sarticulent universaliteacute et primauteacute Le livre Γ se collettera avec cette question mais signalons

dembleacutee que le problegraveme est poseacute agrave quelques pages dintervalle Alexandre caracteacuterise donc la

sagesse comme science des principes premiers et donc universelle parce quils sont principes de

toutes choses mais aussi comme science universelle parce que science de tous les eacutetants en tant

queacutetants et enfin science dun premier qui nest pas un universel Le balancement entre

primauteacute et universaliteacute se trouve certes deacutejagrave dans le texte dAristote mais Alexandre le

cristallise dA jusquen Γ158 parce quil conccediloit systeacutematiquement la reprise des opinions en A 2

comme autant danticipations sur le traiteacute et la science quil expose

222 Eacutetudier leacutetant laquo en tant queacutetant raquo et ses proprieacuteteacutes

Si donc la meacutetaphysique a pour Alexandre une viseacutee universelle en ce quelle eacutetudie tous

les eacutetants cette thegravese engage neacutecessairement avec elle une certaine compreacutehension de ce que veut

dire eacutetudier llaquo eacutetant en tant queacutetant raquo

156 Cf ci-dessus sect 122b

157 Lexpression est agrave comparer avec In AnPr 357 32 ndash 358 1 (laquo τοῦ πρώτου αἰτίου κινοῦντος raquo)

158 Ce balancement va dailleurs se poursuivre ainsi en B dans le commentaire agrave la deuxiegraveme aporie Voir190 19 sq et en particulier l 25-29

176

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Chez Alexandre lexpression apparaicirct degraves le commentaire au livre A par exemple en 11

5 sq lorsque lAphrodisien explicite lopinion selon laquelle la sagesse est connaissance de toutes

choses en la reliant agrave luniversaliteacute maximale de la science des eacutetants en tant queacutetants Chez

Aristote en revanche laquo τὸ ὂν ᾗ ὄν raquo repreacutesente la perceacutee conceptuelle propre agrave Γ 1-3 ougrave

lexpression apparaicirct au singulier et parfois au pluriel159 La perceacutee est reprise par E 1 au

singulier et au pluriel (1025b 3-4) Comme en Γ eacutetudier leacutetant en tant queacutetant nest pas eacutetudier

un certain eacutetant (laquo ὄν τι raquo) ici expliciteacute en laquo un certain genre raquo (laquo γένος τι raquo) Leacutetude de leacutetant en

tant queacutetant y est rapprocheacutee de leacutetude de leacutetant laquo pris absolument raquo (laquo περὶ ὄντος ἁπλῶς raquo

1025b 9) Par la suite seuls K 3 et 7 reprennent la tournure

Dans le Commentaire dAlexandre le syntagme se construit toujours de deux faccedilons

principales dune part pour deacutesigner ce queacutetudie une certaine science (θεωρεῖν θεωρητική) et

ce agrave propos de quoi elle est (περί suivi indiffeacuteremment du geacutenitif et de laccusatif)160 dautre part

pour eacutevoquer des choses qui appartiennent agrave leacutetant en tant queacutetant (soit au geacutenitif soit avec

ὑπάρχειν) qui en sont les causes et les principes les proprieacuteteacutes les affections ou encore les

axiomes161 Les emplois alexandriniens miment ici strictement ndash ou presque162 ndash leur modegravele

aristoteacutelicien les deux cateacutegories demplois citeacutes ci-dessus se lisent aussi bien en Γ E et K163 De

ce point de vue sauf erreur de notre part il ny a dailleurs aucune diffeacuterence entre les trois

159 Pour meacutemoire lexpression se lit au pluriel en Met Γ 2 1003b 15-16 En Γ 1 1003a 30-31 les mss E et Jdonnent la tournure laquo τοῦ ὄντος εἶναι μὴ κατὰ συμβεβηκὸς ἀλλ ᾗ ὄντα raquo Ab corrige en ᾗ ὄν BCassin et M Narcy et A Jaulin et M-P Duminil retiennent cette lectio difficilior qui suppose tout demecircme une torsion grammaticale difficilement supportable mecircme chez un Aristote M Hecquet-Devienne avance lhypothegravese tout agrave fait creacutedible dune erreur de copiste due agrave un saut de ligne et aulaquo τὰς raquo qui se trouve apregraves laquo τοῦ ὄντος ᾗ ὂν raquo en 1003a 31 (M Hecquet-Devienne [2008] p 105 n 2)Alexandre ne fait aucune mention dune telle tournure conjuguant singulier et pluriel

160 Cf In Met 11 7 177 12 237 5 238 20 239 6-10 239 16 239 31 etc

161 Cf In Met pour les principes et causes 134 8 sq 239 15 239 30 240 21 etc Pour les proprieacuteteacutes(ὑπάρχοντα) 238 15 238 23 sq etc Pour les affections (πάθη) cf 264 8-22 Pour les axiomes quiappartiennent agrave leacutetant en tant queacutetant cf entre autres 265 12

162 Alexandre ne parle jamais deacuteleacutements de leacutetant en tant queacutetant et preacutefegravere nettement lexpression tregravesreacutecurrente de laquo principes et causes (parfois preacuteciseacutes en laquo premiers raquo) de leacutetant en tant queacutetant raquo auprofit bien sucircr dune lecture unitarienne du traiteacute qui reacuteunit les objets des livres A et Γ Dans sa lecturede Γ 1 Alexandre reacuteserve laquo στοιχεῖα raquo aux devanciers dAristote et les traduit en laquo τὰς τοῦ ὄντοςπρώτας ἀρχὰς καὶ τὰ αἴτια raquo pour deacutesigner lobjet de la preacutesente enquecircte Voir In Met 240 25-31 ougraveAlexandre termine en soulignant lobscuriteacute du propos aristoteacutelicien

163 Cf pour leacutetant en tant queacutetant comme objet de science Met 1003a 21 1003a 24 1003b 16 1005b 101025b 9-10 1061b 30 etc Pour les eacuteleacutements 1003a 30 pour les causes 1003a 31 1028a 3-4 pour lesaffections 1004b 5-6 pour ce qui est propre (ἴδια) agrave leacutetant en tant queacutetant 1004b 15-16 pour sesproprieacuteteacutes (ὑπάρχοντα) 1005a 14 1026a 32 pour les axiomes qui appartiennent agrave leacutetant en tantqueacutetant 1005a 24 etc

177

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

livres tous les usages de Γ se retrouvent en E et en K

Autant dire que pour Aristote et Alexandre agrave sa suite leacutetant en tant queacutetant nest jamais

sujet grammatical dune action Agrave la maniegravere de la ligne laquo en tant que matheacutematique raquo de la

Physique II 2 leacutetant en tant queacutetant nest pas une entiteacute mais un objet ndash un objet formel et non un

objet mateacuteriel164 ndash bref le correacutelat dun θεωρεῖν ce quexplicite preacuteciseacutement la nature adverbiale

de la locution laquo ᾗ ὄν raquo165 laquo En tant queacutetant raquo est le compleacutement de laquo eacutetudier raquo il nest pas le

redoublement ou le surencheacuterissement166 de la nature dune entiteacute particuliegravere qui indiquerait

son excellence En reacutegime aristoteacutelicien un eacutetant en tant queacutetant nexiste pas Ce serait alors en

reacutefeacuterence agrave cette premiegravere construction que devraient sentendre les occurrences du second ordre

Les laquo proprieacuteteacutes raquo de leacutetant en tant queacutetant par exemple ne seraient alors pas similaires aux

proprieacuteteacutes dune entiteacute (la grandeur dune statue lagrave devant moi ou la blancheur de la neige)

elles signifieraient effectivement ce qui caracteacuterise leacutetant (et nen sont donc pas moins laquo reacuteelles raquo

si lon veut que les proprieacuteteacutes de premier ordre) mais pris comme objet dune eacutetude qui leacutetudie

sous une certaine perspective QuAlexandre entende encore le caractegravere adverbial de la locution

laquo ᾗ ὄν raquo se perccediloit bien quil ne la deacutefinisse jamais ex professo dans la faccedilon dont il la paraphrase

De fait pour lExeacutegegravete eacutetudier leacutetant en tant queacutetant cest leacutetudier laquo καθὸ ὄν ἐστι raquo (244 7)167

Analyseacutee en ce sens et employeacutee comme on la deacutecrite plus haut lexpression ne peut ecirctre

consideacutereacutee comme un groupe nominal ni comme deacutesignant une entiteacute capable de faire ou de ne

pas faire decirctre sujette agrave des preacutedications

De la conception alexandrinienne se seacuteparent ses avatars neacuteoplatoniciens Syrianus et

164 Pour une distinction similaire entre laquo intensional objects raquo et laquo extensional objects raquo cf CH Kahn[1985] p 313-314

165 Sur cette nature adverbiale voir W Leszl [1970] p 145 sq P Destreacutee [1992] p 432 J Barnes [1995] p70 et M Crubellier [2005] p 60 Pour une compreacutehension similaire voir A Mansion [1956] p 156-157 U Dhondt [1961] p 7 L Routila [1969] p 117 W Leszl [1975] p 151 A Stevens [2000] p 221Mansion injecte alors la notion dabstraction mais comme le dit fort justement W Leszl on peut tregravesbien accepter la construction de la locution proposeacutee par Mansion laquo sans adopter une formedabstractionnisme raquo (p 152) ndash sauf agrave entendre laquo abstraction raquo au sens de S Breton ([1982] p 67) laquo Entant que connote un mouvement de seacuteparation en ce sens une abstraction qui nous fait perdre unimmeacutediat pour retrouver lecirctre de ce qui est Il nous oblige agrave lasceacutetisme dun Epochegrave qui suspend noshabitudes de preacutecipitation pour nous mettre en marche ny eacutetant pas de plain pied vers ce qui nousest donneacute raquo

166 P Destreacutee [1992] p 429

167 Expression quil est difficile de traduire sans reacutepeacuteter le laquo en tant que raquo puisque laquo dans la mesure raquolaisserait entendre une quantification ici hors de propos Agrave noter mais sans que lon puisse en tirer degrandes conclusions quon lit un laquo καθ ὅσον ὄντα raquo chez Aristote () en K 3 1060b 31 pour deacutesignerlobjet de la science premiegravere et qui semble manifestement gloser le laquo ᾗ ὄντα raquo de la ligne preacuteceacutedente

178

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Ascleacutepius ont en effet en commun de proposer une laquo sorte de deacutefinition neacutegative raquo168 de lὂν ᾗ ὄν

qui nest rien dautre quun eacutetant pur eacutetant par soi (laquo ὃ μόνως ὄν ἐστιν αὐτοὸν ὑπάρχον raquo

Syrianus In Met 55 9) plus veacuteneacuterable que toute autre chose Certes Syrianus semble parfois

opeacuterer une distinction entre leacutetant par soi et les eacutetants en tant queacutetants169 mais les deux

deacutesignent bien des entiteacutes les seconds proceacutedant du premier que Syrianus finit par identifier au

Bien de la Reacutepublique170 Mecircme si Ascleacutepius reprend dAlexandre lexplicitation du laquo ᾗ ὄν raquo en

laquo καθὸ ὄν raquo la substantivation ne fait plus aucun doute leacutetant en tant queacutetant est explicitement

leacutetant suprecircme (laquo μάλιστα raquo) ou eacuteminent (laquo κυρίως raquo)171 identique au Bien et doteacute dune

laquo puissance productrice raquo (laquo ἔχον γόνιμον δύναμιν raquo 225 16) dont tout le reste procegravede Cet

eacutetant eacuteminent laquo en soi et par soi raquo (225 23) possegravede lexistence dans leacutetant lui-mecircme et ce qui ne

participe pas de lui nest pas un eacutetant172 Il est donc la substance la plus premiegravere173 cest-agrave-dire

encore comme il est clair depuis le deacutebut du Commentaire dAscleacutepius le divin et lintelligible174

Chez Alexandre seul un passage soriente vers une telle cristallisation de lexpression et

vers la substantivation de leacutetant en tant queacutetant agrave savoir en 239 25 dans le commentaire agrave Γ 1

ougrave laquo ᾗ ὄν raquo est expliciteacute en laquo καθὸ ὄν raquo

Ἡ δὲ μὴ περὶ ὄν τι καταγινομένη μηδὲπερὶ μέρος τοῦ ὄντος ἀλλ ἁπλῶς περὶ τὸ ὂνκαθὸ ὄν ἐστι δι ὃ καὶ τά τινα ὄντα ὄντα καὶτοῦτο ὑποκείμενον [23925] ἔχουσα ἄλλη ἂν

Or cette science qui ne soccupe ni dun eacutetantdeacutetermineacute175 ni dune partie de leacutetant maissimplement de leacutetant en tant quil est eacutetant par quoiaussi les eacutetants deacutetermineacutes sont eacutetants ayant cela

168 C Luna [2001] p 170

169 Syrianus In Met 45 29-30

170 Syrianus In Met 55 12-27 Sur ce texte voir J-F Courtine [2005] p 133-135 et A Longo [2005] p 228

171 Sur lidentiteacute entre μάλιστα ὄν et ὂν ᾗ ὂν voir deacutejagrave Syrianus In Met 55 3-6 Sur leacutetant κυρίως voirAscleacutepius In Met 225 16 et 22

172 Ascleacutepius In Met 225 34 ndash 226 1 laquo τὸ μέντοι κυρίως ὂν ἐν αὐτῷ τῷ ὄντι τὴν ὕπαρξιν ἔχει καὶ τὰμὴ μετέχοντα αὐτοῦ οὐκ ἔστιν ὄντα raquo

173 Voir par exemple Ascleacutepius In Met 226 6-8 laquo φανερὸν δὲ ὅτι ἐκ τοῦ κυρίως καὶ ἁπλῶς ὄντοςτουτέστι τῆς πρωτίστης οὐσίας προῆλθε τὸ ὂν ἐπὶ ταῦτα διὰ τὴν γόνιμον αὐτοῦ δύναμιν raquo

174 Ascleacutepius In Met 3 10

175 La traduction de laquo ὄν τι raquo par laquo eacutetant deacutetermineacute raquo (litteacuteralement laquo un certain eacutetant raquo mais l expressiondevient difficilement manipulable quand on passe au pluriel) est une traduction par deacutefaut quipourrait malheureusement laisser entendre que leacutetant en tant queacutetant par opposition seraitlaquo indeacutetermineacute raquo ce qui nest en soi pas exact (il y a des proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant) Il est clairchez Aristote comme Alexandre que lexpression est synonyme dune laquo partie de leacutetant raquo unelaquo reacutegion raquo pourrait-on dire aujourdhui cest-agrave-dire une certaine classe deacutetants qui peuvent ecirctreregroupeacutes en genre ou espegravece (celle des nombres par exemple) Leacutetant en tant queacutetant comme objetformel deacutesigne lensemble des eacutetants pris agrave part ou en-deccedilagrave de ces diverses classes et le laquo τι raquo nest paslindeacutefini laquo nimporte quel eacutetant raquo mais bien laquo un certain type deacutetant raquo

179

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ἐκείνων εἴη pour sujet elle sera diffeacuterente des preacuteceacutedentes (239 22-25)

Lexpression laquo δι ὃ καὶ τά τινα ὄντα ὄντα raquo dont nous traiterons en deacutetail plus bas est

dans tout le reste du corpus reacuteserveacutee agrave la substance ou agrave la forme comprises comme cause de

lecirctre (laquo cause de lecirctre raquo eacutetant eacutequivalent agrave laquo par quoi les eacutetants sont des eacutetants raquo176) On comprend

donc pourquoi ce texte a pu ecirctre employeacute pour justifier son eacutequation entre eacutetant en tant queacutetant

substance premiegravere et premier moteur177 Bien plutocirct et eu eacutegard agrave ce que nous avons eacutetabli ci-

dessus le passage manifeste une ambiguiumlteacute voire comme le pointe P Destreacutee avec rigueur178 une

contradiction en deacuteterminant leacutetant dont on soccupe laquo en tant quil est eacutetant raquo tout en le

qualifiant de cause de lecirctre des eacutetants Dans le premier cas leacutetant est un objet formel le correacutelat

dun θεωρεῖν dans le second il tend vers lentiteacute lobjet mateacuteriel agrave mecircme dassumer le statut de

cause Ce texte est certes un hapax et nautorise donc pas agrave lui seul comme le fait ensuite

P Destreacutee agrave tirer Alexandre du cocircteacute des neacuteoplatoniciens Mais il demeure eacutetrange eu eacutegard au

reste de la doctrine alexandrinienne ndash lon aurait plutocirct attendu quelque chose comme laquo περὶ τὸ

ὂν καθὸ ὄν ἐστι τε καὶ τοῦτο δι ὃ [= ἠ οὐσία] τά τινα ὄντα ὄντα raquo

Pour lever cette contradiction sans transformer le texte M Bonelli propose de le

construire diffeacuteremment en prenant pour anteacuteceacutedent du laquo δι ὃ raquo le seul laquo τὸ ὂν raquo et non pas laquo τὸ

ὂν καθὸ ὄν ἐστι raquo laquo Τὸ ὂν raquo serait alors un singulier valant pour laquo τὰ ὄντα raquo (ce qui est certes le

cas chez Alexandre) et laquo δι ὃ καὶ τά τινα ὄντα ὄντα raquo deacutesignerait la simple appartenance de tous

les eacutetants agrave ce pseudo-genre agrave cette laquo nature raquo quest leacutetant179 Cette solution toutefois implique

une parataxe dont Alexandre est peu coutumier et sous-eacutevalue la valeur formulaire de la seconde

relative et le sens causal de laquo δι ὃ raquo pour deacutesigner la substance comme cause de lecirctre ou de

lappellation laquo eacutetant raquo des autres eacutetants180 Soit donc on admet ici quAlexandre va trop vite en

besogne et se contredit soit on suppose quil faut prendre lexpression comme une version

extrecircmement ramasseacutee de la thegravese exposeacutee ailleurs en se reacutesolvant agrave la parataxe

176 Voir ci-dessous sect 312b et dembleacutee leacutequivalence agrave la page 244 entre laquo δι ὃ καὶ τὰ ἄλλα ὄντα raquo (l19-20) laquo διὰ ταύτην ltla substancegt ὄντα κἀκεῖνα raquo (l 21) et laquo ἀρχή τε καὶ αἰτία τοῦ εἶναι raquo (l 24)

177 P Merlan [1957] p 90-92

178 P Destreacutee [1992] p 430 laquo Ce commentaire est profondeacutement ambigu vise-t-on la mecircme choselorsque lon parle dun eacutetant dans la mesure ougrave il est eacutetant et lorsque lon parle dun eacutetant par lequelles eacutetants existent raquo

179 M Bonelli [2001] p 87 qui met laquo genere raquo entre guillemets

180 Comparer ce passage avec avec In Met 244 19-20 et 250 25-26 laquo ἡ περὶ αὐτὰ ἐπιστήμη κυρίως τοῦπρώτου ἐξ οὗ τὰ ἄλλα ἤρτηται καὶ δι ὃ καὶ τὰ ἄλλα ὄντα λέγεται raquo

180

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Une troisiegraveme solution est possible car le texte ici eacutediteacute par Hayduck est douteux ndash en

deacutepit dun apparat critique bien discret Certes la paraphrase dAscleacutepius bien quelle soit un

peu diffeacuterente en seacuteparant les deux relatives par laquo ἡ πρώτη ἐστὶ φιλοσοφία raquo donne un sens

similaire181 Mais dans lapparat au texte correspondant chez Ascleacutepius (et non dans son eacutedition

dAlexandre ) Hayduck indique pour le texte dAlexandre une leccedilon concurrente dans le

manuscrit L (=Ab pour les eacutediteurs dAristote) laquo διὸ καὶ οὐ τά τινα ὄντα ὄντα ὑποκείμενον raquo

Bonitz182 cite en outre en apparat la traduction latine de Sepuacutelveda qui va dans le sens de la leccedilon

du manuscrit L avec la neacutegation οὐ sans toutefois la reacutepeacutetition du ὄντα183 Enfin le texte traduit

par Sepuacutelveda que nous avons eacutegalement pu veacuterifier inteacutegralement donne

Haec autem non ens aliquod nec partem entis sed ens qua est ens simpliciter consideratquoniam si versaretur in particularibus entibus non esset ab illis diversa

Bref le passage meacuterite une veacuterification directe des manuscrits Celle de Laurentianus

donne le texte suivant184

ἡ δὲ μὴ περὶ ὄν τί καταγινομένη μὴδε περὶ μέρος τοῦ ὄντος ἀλλ ἁπλῶς περὶ τὸ ὂνκαθὸ ὄν ἐστι διὸ καὶ οὐ τὰ τινὰ ὄντα ὄντα ὑποκείμενον ἔχουσα ἄλλη ἐκείνων εἴη

Le dernier membre de phrase est celui qui pose le plus problegraveme mais la veacuterification

offre deux issues Soit on conserve la reacutepeacutetition du laquo ὄντα raquo en consideacuterant quon a un groupe

nominal avec participe substantiveacute (la copule) dont le preacutedicat est laquo τινὰ ὄντα raquo Alexandre

parlerait de ltchosesgt qui sont (laquo ὄντα raquo) des laquo τινὰ ὄντα raquo Le rendu est un peu rude et sauf

erreur sans parallegravele exact dans le corpus Il est peut-ecirctre plus simple de voir dans cette reacutepeacutetition

une dittographie La ponctuation de surcroicirct avec ses deux points en haut est peu satisfaisante

Lusage dAlexandre est toutefois demployer laquo διὸ καὶ raquo pour indiquer une ponctuation forte on

peut donc conserver le premier point en haut Enfin la construction de la premiegravere proposition

(laquo ἡ δὲ μὴ περὶ ὄν τί καταγινομένη καθὸ ὄν ἐστι raquo) nest pas des plus aiseacutees une fois quon la

181 Ascleacutepius In Met 225 1-4 laquo ἡ δὲ μὴ περὶ ὄν τι καταγινομένη μήτε περὶ μέρος τοῦ ὄντος ἀλλὰἁπλῶς περὶ τὸ ὄν καθὸ ὄν ἐστιν ἡ πρώτη ἐστὶ φιλοσοφία δι ὃ καὶ τὰ ὄντα καὶ τοῦτοὑποκείμενον ἔχουσα ἄλλη ἂν ἐκείνων εἴη raquo

182 Les reacutefeacuterences de la phrase dans leacutedition de Bonitz sont 195 2-4 Comme dailleurs Hayduck le faitdans lapparat agrave Ascleacutepius en donnant la leccedilon de la vulgate dAlexandre Bonitz na pas fait imprimerlaquo δι ὃ raquo mais bien laquo διὸ raquo (alors que partout ailleurs il les distingue)

183 Bonitz indique que la reacutepeacutetition de ὄντα est la leccedilon quil a tireacutee de A mais celle-ci est confirmeacutee parnotre relecture de L

184 La veacuterification de Laurentianus gr 8712 f100r a eacuteteacute effectueacutee par les soins de M Hecquet-Devienne quenous remercions ici chaleureusement

181

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

seacutepare de sa suite Tous ces eacuteleacutements rendent compreacutehensibles les corrections de Bonitz et de

Hayduck Nous proposons la construction suivante La proposition laquo ἡ δὲ μὴ περὶ ὄν τί

καταγινομένη μὴδε περὶ μέρος τοῦ ὄντος ἀλλ ἁπλῶς περὶ τὸ ὂν καθὸ ὄν ἐστι raquo a pour verbe

principal le dernier laquo ἐστι raquo185 Quant agrave son sens elle se charge de rappeler laffirmation initiale

du chapitre Γ 1 en opposant le fait davoir une reacutegion deacutetermineacutee de leacutetant au fait davoir pour

objet leacutetant en tant queacutetant La deuxiegraveme proposition laquo διὸ καὶ οὐ τὰ τινὰ ὄντα ὑποκείμενον

ἔχουσα ἄλλη ἐκείνων εἴη raquo enteacuterine cette distinction en expliquant que puisque cette science na

pas pour sujet des eacutetants deacutetermineacutes (une reacutegion de leacutetant) elle marque sa diffeacuterence davec les

autres sciences Cette proposition vient ainsi comme un laquo CQFD raquo conclure largumentation de

la thegravese eacutenonceacutee quelques lignes plus haut en 239 16 Lensemble du passage donnerait ainsi

Ὅτι μὲν οὖν ἡ περὶ τὸ ὂν ᾗ ὂν ἐπιστήμηἄλλη τῶν λοιπῶν ἐπιστημῶν δῆλον ἐκ τοῦἑκάστην περὶ τὶ ὂν καὶ μέρος τοῦ ὄντοςπραγματεύεσθαιmiddot ἡ μὲν γὰρ ἀριθμητικὴ περὶἀριθμούς οἵτινες τὶ ὄν εἰσιν ἡ δὲ γεωμετρίαπερὶ γραμμὰς καὶ ἐπίπεδα καὶ στερεά ἃ καὶαὐτά τινα ὄντα Tὸν αὐτὸν [23920] δὲ τρόπονκαὶ τῶν ἄλλων ἑκάστη περὶ μέρος τι τοῦὄντος καταγίνεται καὶ τὰ τούτῳ ὑπάρχοντακαθ αὑτὰ θεωρεῖ (τὰ γὰρ συμβεβηκότατοῦτο σημαίνει νῦν) τοῦτο γὰρ τῆς περὶἕκαστον ἐπιστήμης ἴδιον Ἡ δὲ μὴ περὶ ὄν τίκαταγινομένη μὴδε περὶ μέρος τοῦ ὄντοςἀλλ ἁπλῶς περὶ τὸ ὂν καθὸ ὄν ἐστι διὸ καὶοὐ τὰ τινὰ ὄντα ὑποκείμενον ἔχουσα ἄλληἐκείνων εἴη

Que donc la science de leacutetant en tant queacutetantdiffegravere du reste des sciences cela est manifeste du faitque chacune ltde ces derniegraveresgt a affaire agrave un eacutetantdeacutetermineacute186 cest-agrave-dire agrave une partie de leacutetantLarithmeacutetique par exemple porte sur les nombresqui sont bien des eacutetants deacutetermineacutes la geacuteomeacutetrieporte sur les lignes les plans et les solides qui sonteux aussi des eacutetants deacutetermineacutes De la mecircme maniegraverechacune des autres ltsciencesgt soccupe aussi dunepartie deacutetermineacutee de leacutetant et examine ses proprieacuteteacutespar soi (ce qui en effet signifie ici ses accidents187)car cest le propre de la science de chaque ltsortedeacutetantgt En revanche la ltsciencegt qui ne soccupe nidun eacutetant deacutetermineacute ni dune partie de leacutetant portesimplement sur leacutetant en tant queacutetant cestpourquoi nayant pas pour sujet les eacutetantsdeacutetermineacutes elle sera diffeacuterente des autres

(239 16-25)

Alexandre commente ici en effet 1003a 22-26 qui distingue la science de leacutetant en tant

queacutetant et les sciences reacutegionales qui traitent dune partie de leacutetant La fin du passage (notre

185 Ce verbe nappartient donc plus agrave la relative laquo καθὸ ὄν raquo (qui se lit souvent chez Alexandre sans verbeexprimeacute sur le modegravele de laquo ᾗ ὄν raquo Cette construction implique que le ἀλλά ne coordonne pas deuxpropositions de mecircme niveau grammatical mais vienne seulement renforcer lopposition entre laquo μὴπερὶ ὄν τί μὴδε περὶ μέρος τοῦ ὄντος raquo et laquo περὶ τὸ ὂν καθὸ ὄν raquo

186 Ou laquo de quelque chose qui est raquo si lon souhaite rendre lordre des mots περὶ τὶ ὂν et non pas commeapregraves περὶ ὂν τὶ (239 23) Cependant la marche geacuteneacuterale du raisonnement dans le passage sembleindiquer quAlexandre ne distingue pas reacuteellement entre ὄν τι et τι ὂν le reste du corpus ne permet pasnon plus dasseoir une telle distinction

187 Pour une critique de cette lecture cf B Cassin M Narcy [1998] p 161

182

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

texte) proposerait alors une sorte dargument par labsurde assez formel188 venant justifier

laffirmation aristoteacutelicienne si la science en question soccupait dun certain eacutetant au sens dune

partie de leacutetant elle ne pourrait plus ecirctre laquo autre raquo diffeacuterente des sciences reacutegionales

quAlexandre a illustreacutees plus haut par les exemples des matheacutematiques et de la geacuteomeacutetrie

Libeacutereacute de cette contradiction ce passage confirme notre interpreacutetation geacuteneacuterale pour

Alexandre laquo en tant queacutetant raquo deacutesigne la perspective prise sur leacutetant propre agrave la philosophie

premiegravere ou la sagesse189 Celle-ci a donc en partie les mecircmes objets que la geacuteomeacutetrie par

exemple les lignes les plans et les solides qui sont eux aussi un certain type deacutetants190 Mais

chaque science reacutegionale theacuteorise un type deacutetants en les rassemblant selon une classe et en les

eacutetudiant du point de vue de leur appartenance agrave cette classe

Καὶ περὶ τοῦ ὄντος δὲ μιᾶς ἐπιστήμηςθεωρῆσαι καθὸ ὄν ἐστιν οὐ γὰρ καθὸμουσικὰ ἢ ἰατρικά ἀλλὰ καθὸ ὄντα καὶ τῆςτοῦ ὄντος κεκοινώνηκε φύσεως

Or pour leacutetant aussi il appartient agrave une uniquescience de leacutetudier en tant quil est un eacutetant Ce nesten effet pas en tant que musicales ou meacutedicalesltquelle eacutetudie ces chosesgt mais en tant queacutetantscest-agrave-dire lten tantgt quelle en viennent agrave partager lanature de leacutetant191

(244 6-8)

Cela permet de fonder la remarque que nous avons faite plus haut sur les proprieacuteteacutes de

leacutetant en tant queacutetant celles-ci ne sont donc pas agrave entendre chez Alexandre comme des

proprieacuteteacutes dun objet mateacuteriel au premier degreacute mais comme des proprieacuteteacutes dun objet formel

Ainsi en va-t-il du laquo mecircme raquo et du laquo contraire raquo et plus geacuteneacuteralement des laquo affections raquo de lun et

de leacutetant dont Aristote parle en Γ 2 1004b 5-8 en disant quil appartient agrave la science en question

de les eacutetudier ainsi que leurs accidents parce que ces affections appartiennent agrave lun en tant

quun et leacutetant en tant queacutetant laquo et non en tant que nombres lignes ou feu raquo (1004b 6)

Pour lExeacutegegravete192 si lidentiteacute lalteacuteriteacute la ressemblance etc eacutetaient des proprieacuteteacutes par soi

des nombres des lignes ou du feu (cest-agrave-dire des laquo parties de leacutetant raquo selon la terminologie de

Γ 1) alors elles seraient des proprieacuteteacutes seulement accidentelles de leacutetant pris en tant queacutetant

188 Mais Alexandre est tregraves coutumier du fait

189 Ces noms sont donneacutes juste apregraves en 239 35-36 par exemple

190 In Met 239 18-19 laquo ἡ δὲ γεωμετρία περὶ γραμμὰς καὶ ἐπίπεδα καὶ στερεά ἃ καὶ αὐτά τινα ὄντα raquo

191 Autre traduction possible (choisie par A Madigan dans la traduction anglaise et M Casu pourlitalienne) laquo Ce nest en effet pas en tant que musicales ou meacutedicales mais en tant queacutetants que ceschoses en viennent aussi agrave partager la nature de leacutetant raquo M Bonelli traduit de la mecircme faccedilon que ceque nous proposons ([2001] p 95) Nous revenons sur ce texte au sect 31

192 In Met 258 14-24

183

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

parce quelles ne seraient pas communes agrave tous les eacutetants Autrement dit elles ne pourraient pas

transgresser lincommunicabiliteacute des genres En deacuteveloppant la situation imagineacutee par

Alexandre si lune de ces proprieacuteteacutes mettons lidentiteacute eacutetait une proprieacuteteacute par soi des lignes

alors seules les lignes pourraient ecirctre dites laquo identiques raquo les unes aux autres ndash le laquo par soi raquo

impliquant ici une stricte coextensiviteacute entre la proprieacuteteacute et la classe des choses qui en sont les

porteuses193 Cest via ce raisonnement quAlexandre explicite ensuite le caractegravere laquo universel et

geacuteneacuteral raquo de la philosophie (laquo ἡ καθόλου τε καὶ κοινὴ φιλοσοφία raquo 258 23-24) par opposition

au physicien ou au geacuteomegravetre ce qui confirme que lobjet propre agrave la philosophie universelle soit

bien le laquo en tant queacutetant raquo Alexandre deacutefinit alors neacutegativement les proprieacuteteacutes par soi de leacutetant

en tant queacutetant comme ce qui nappartient essentiellement agrave laquo aucun eacutetant deacutetermineacute raquo (laquo μηδενὶ

ἀφωρισμένως τῶν ὄντων raquo 258 20) On laura compris bien sucircr ces proprieacuteteacutes appartiennent

aux divers eacutetants donc aussi au feu aux nombres ou aux lignes mais elles ne leur appartiennent

essentiellement que sous leur perspective deacutetants la neacutegation dans la proposition de 258 20 porte

sur la deacuteterminiteacute des eacutetants non pas sur les eacutetants eux-mecircmes pris comme eacutetants194 Ce nest

donc pas parce que lexpression laquo eacutetant en tant queacutetant raquo est employeacutee absolument sous

lapparence dun groupe nominal quelle deacutesigne une entiteacute un objet mateacuteriel il faut toujours

sous-entendre le verbe laquo θεωρεῖν raquo ou un eacutequivalent

Agrave notre connaissance le syntagme laquo ὂν ᾗ ὄν raquo reste agrave leacutepoque la marque stricte de

laristoteacutelisme agrave tout le moins dAlexandre Aucun autre auteur de leacutepoque post-helleacutenistique

quil soit dans une des quatre eacutecoles ou en dehors nemploie le syntagme195 Ce nest quavec

Plotin que lexpression reparaicirct ndash au sein des traiteacutes 42 et 43196 sur les genres de leacutetant Tant sen

faut cependant que linteacuterecirct alexandrinien pour la question de lecirctre soit totalement deacutetacheacute de

193 Sur la difficulteacute de savoir si Alexandre distingue entre καθ αὑτὰ et καθ αὑτὸ et sil prend cesexpressions comme des adverbes ou non cf M Bonelli [2001] p 133-142 qui montre finalementquaucune distinction stricte ne peut ecirctre adopteacutee entre les deux tournures comme il en va deacutejagraveprobablement chez Aristote

194 Cf une explication similaire en In Met 259 19-22 laquo ὡς οὖν τούτων ἑκάστῳ ἔστι τινὰ οἰκείωςὑπάρχοντα οὕτως ἔστι τινὰ οἰκεῖα καὶ τοῦ ὄντος ᾗ ὄν οὐκ ἀφωρισμένου τινὸς γένους τῶν ὑπὸ τὸὄν ἀλλ ἐν πᾶσιν ὡρισμένα ὄντα τοῖς οὖσι περὶ ὧν ὁ θεωρητικὸς φιλόσοφος raquo

195 Une exception notable est un hapax de Philon dAlexandrie qui deacutetermine lecirctre du Dieu laquo en tant quilest eacutetant raquo et non de faccedilon relative Cf De mutatione nominum 27 1-4 laquo ἀλλὰ γὰρ οὐδ ἐκεῖνοπροσῆκεν ἀγνοεῖν ὅτι τὸ ldquoἐγώ εἰμι θεὸς σὸςrdquo (Gen 17 1) 273 λέγεται καταχρηστικῶς οὐ κυρίωςτὸ γὰρ ὄν ᾗ ὄν ἐστιν οὐχὶ τῶν πρός τι raquo

196 Plotin Enneacuteade VI 1 (42) 10 12 VI 2 (43) 17 21 Voir toutefois aussi chez Sextus AM IX 273 3-4 2754

184

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

toute preacuteoccupation contemporaine comme on a deacutejagrave essayeacute de le montrer et comme on va y

revenir Si leacutetant en tant queacutetant demeure la chasse gardeacutee de lExeacutegegravete cest dans son approche

du verbe laquo ecirctre raquo quon va voir se reacuteveacuteler certains enjeux agonistiques qui gregravevent la question

ontologique

223 Eacutetudier les modes decirctre des eacutetants ὕπαρξις

Alexandre a ceci de remarquable quil explicite freacutequemment les termes ὄν ou εἶναι par

celui de laquo ὕπαρξις raquo

laquo Κοινὸν γὰρ τὸ ὂν πᾶσι τοῖς ἐν ὑπάρξει raquo (In Met 11 8)

laquo Διὰ μὲν τοῦ ὂν εἰπεῖν τι τὴν ὕπαρξιν σημαίνοντες αὐτοῦ raquo (In Met 247 19)

laquo Τὴν γὰρ οἰκείαν ὕπαρξιν ἑκάστου σημαίνει τὸ ὂν ὁμώνυμον [hellip] τὸ μὲν γὰρ τῇ οὐσίᾳσυντασσόμενον εἶναι τὴν οὐσιώδη ὕπαρξιν σημαίνει raquo (In Met 371 22-25)

laquo Φησὶ δέ ἐπεὶ τὸ εἶναι πλεοναχῶς (δεκαχῶς γάρ) τὸ κατὰ τὸ εἶναι πρῶτον καὶ κατὰτὴν ὕπαρξίν φησιν εἶναι τὸ πᾶσιν ὑποκείμενον τοῖς ἄλλοις τοιοῦτον δὲ τὴν οὐσίανεἶναι raquo (In Met 387 8-10)

laquo Πᾶν γὰρ τὸ ἐν ὑπάρξει ὂν καὶ ὂν καὶ ἕν ἐστιν raquo (In Top 301 19)

Or si les emplois de ὕπαρξις ont eacuteteacute deacutejagrave bien eacutetudieacutes chez les neacuteoplatoniciens ou

ὑπάρχειν chez les stoiumlciens197 lusage alexandrinien de ce champ lexical reste encore trop peu

exploreacute agrave lexception notable de M Bonelli198 alors que comme en teacutemoignent les passages citeacutes

il meacuterite une attention soutenue Quoi quil en soit pour le moment des diffeacuterences entre ces

textes un fait semble en effet acquis laquo ecirctre raquo ou laquo eacutetant raquo peuvent ecirctre exprimeacutes par ὕπαρξις

pour deacutesigner comme on va le voir le fait decirctre Le terme se laisse ici presque naturellement

traduire par laquo existence raquo et tel est bien son premier sens attesteacute tant dans le Bailly que le Liddle-

Scott On pourrait sarrecircter ici et consideacuterer le problegraveme comme reacutegleacute Or encore faut-il

comprendre ce que lon peut entendre par laquo existence raquo un coup dœil jeteacute agrave lhistoire du terme

suffit agrave montrer quon ne peut pas faire comme si sa signification eacutetait eacutevidente ou tellement

197 Voir entre autres P Hadot [1969] V Goldschmidt [1972] F Romano DP Taormina [1994]

198 M Bonelli [2001] p 89-95

185

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

commune quelle nexigerait pas deffort de deacutefinition199 Traduire ὕπαρξις par laquo existence raquo nest

pas reacutesoudre le problegraveme mais le poser

La thegravese alexandrinienne selon laquelle ὕπαρξις nous livrerait la signification de laquo ecirctre raquo

deacuteconcerte en effet dabord en ce que pour donner la signification dun verbe lExeacutegegravete emploie

un nom lagrave ougrave il lui eucirct eacuteteacute possible dutiliser ὑπάρχειν La chose est en fait probablement lieacutee agrave la

tendance du grec tardif agrave substantiver et agrave produire en ce qui concerne le vocabulaire

philosophique en particulier des noms en -σις

Mais le simple fait quecirctre puisse laquo signifier raquo et signifier un sens fait difficulteacute certains

passages dans Aristote par exemple Γ 2 semblent au contraire vider lecirctre de tout sens lexical

En soutenant dans un passage de Γ 2 que dire laquo homme raquo ou laquo un homme qui est raquo (un ecirctre

humain) nest quun redoublement Aristote ne considegravere-t-il pas que ladjonction de laquo eacutetant raquo agrave

un nom napporte aucune information sur le nom ni sur ce quil deacutesigne comme si luniverselle

extension de lecirctre eacutetait telle quelle compromettrait leacutepaisseur de son intension Par suite le

terme laquo eacutetant raquo pourrait bien passer pour un laquo attribut vide raquo200 Telle semble ecirctre eacutegalement selon

P Aubenque la tendance du chapitre 3 du De interpretatione ougrave laquo ecirctre raquo est compris comme

copule laquo ecirctre raquo sursignifie mais contrairement aux autres verbes il ne fait que cela et ne signifie

rien par lui-mecircme Deacutepourvu toute profondeur seacutemantique il se reacuteduit agrave un rocircle purement

coheacutesif ou copulatif dit autrement deacutenueacute de tout sens lexical laquo ecirctre raquo naurait quune fonction

syntaxique

Pourtant on pressent deacutejagrave les limites dune telle analyse eu eacutegard au projet mecircme dune

science de leacutetant en tant queacutetant Cest bien quecirctre signifie mais dapregraves Γ 2 et Δ 7 il laquo se dit en

plusieurs sens raquo Cette plurivociteacute ninterdit-elle pas agrave son tour de promouvoir une notion

unitaire comme celle de ὕπαρξις On va preacuteciseacutement montrer quAlexandre reporte cette

plurivociteacute sur ὕπαρξις201 le terme lui servant alors agrave expliciter la polyseacutemie de lecirctre et agrave

expliciter que cette polyseacutemie est une polyseacutemie de modes decirctre de faccedilons dexister Alexandre

est loin de lideacutee selon laquelle il y aurait malgreacute tout un sens lexical implicite du verbe ecirctre

Cette thegravese a eacuteteacute proposeacutee par P Aubenque ndash sans doute dans le sillage heideggerien ndash en

employant justement le verbe ὑπάρχειν pour deacutelivrer cette signification lexicale du verbe

laquo ecirctre raquo Heidegger soutient ainsi que laquo le terme le plus eacutetendu pour εἶναι en tant quecirctre-preacutesent

199 Sauf agrave ecirctre un carteacutesien convaincu

200 P Aubenque [1962] p 232 et [1985] [2009a] p 354-355

201 In Met 371 22-23 cf ci-dessous

186

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

lequel en mecircme temps en eacutelucide linterpreacutetation grecque est ὑπάρχειν raquo au sens de laquo dominer

du fait de se trouver lagrave au preacutealable le preacute-dominer au sens grec en tant que ecirctre-preacutesent agrave

partir de soi-mecircme raquo202 P Aubenque assoit cette interpreacutetation agrave partir dune lecture au

demeurant discutable203 du De interpretatione 3 lecture selon laquelle tous les verbes sursignifient

non seulement le temps et la liaison avec le sujet mais en outre lexistence le fait que ce soit le cas

(ὑπάρχει)204 Selon P Aubenque cela vaut a fortiori pour le verbe laquo ecirctre raquo laquo Le verbe ecirctre dans la

mesure mecircme ougrave il paraicirct ne pas avoir de sens propre devient ainsi vicariant pour tous les autres

verbes raquo et de ce fait assume laquo de faccedilon eacuteminente et pure les trois sursignifications qui dans les

autres verbes se surajoutent agrave une signification lexicale particuliegravere raquo205

Lemploi alexandrinien du nom ὕπαρξις est peut-ecirctre agrave lorigine dune telle thegravese mais il

ne se fait jamais au profit dune unification des sens de leacutetant ndash au contraire Degraves lors la difficulteacute

poseacutee par les affirmations alexandriniennes est davantage lexicale et conceptuelle il sagit de

comprendre ce que signifie ὕπαρξις Assisterait-on agrave leacutemergence dun concept dexistence en

terrain aristoteacutelicien

Lexistence comme simple fait decirctre distinct de lessence lexistence comme laquo la nue

202 M Heidegger [1961] trfr [1971] p 382 cf aussi p 379

203 Aristote au deacutebut du De int 3 affirme que le laquo verbe raquo (ou le rhegraveme si lon veut souligner la diffeacuterencedavec notre conception grammaticale courante du verbe) sursignifie le laquo νῦν ὑπάρχειν raquo (16b 9) Soiton comprend ce passage comme signifiant que tout verbe sursignifie laquo que cest un attributmaintenant raquo (cest le sens de la traduction de C Dalimier [2007] p 265) avec un sens purementattributif de ὑπάρχειν P Aubenque propose au contraire dentendre ὑπάρχειν au sens absolu etavance trois arguments 1) cest un des sens du verbe 2) dans la phrase il est employeacute sanscompleacutement 3) on trouve deacutejagrave le sens existentiel de laquo ecirctre raquo en 16a 18 Aubenque en deacuteduit donc laquo Lasursignification temporelle du verbe inclut donc la fonction copulative mais aussi la fonctionexistentielle exprimeacutee par lautre sens du verbe hyparchein raquo (P Aubenque [1991] [2009a] p 109) Cestaller vite en besogne aucun des arguments de P Aubenque nest agrave lui seul contraignant Surtoutlinterpreacutetation de P Aubenque repose sur le fait que lexemple de sursignification temporelle pris parAristote est le preacutesent ndash mais cela ne fonctionnerait pas avec un exemple de futur Enfin laffirmationdAristote agrave cet endroit repose sur la distinction immeacutediatement preacuteceacutedente Le verbe sursignifie agrave lafois le temps et laquo quune chose est dite dune autre raquo ce que recueille et reacutesume le laquo νῦν ὑπάρχειν raquo quand je dis laquo je marche raquo je sursignifie laquo maintenant raquo et laquo que quelque chose marrive raquo agrave savoir queje suis en train de marcher Ce passage ne peut soutenir la thegravese selon laquelle tout verbe aurait unesursignification laquo theacutetique (au sens de la position dexistence) raquo comme le dit Aubenque

204 Pour cette traduction cf P Aubenque [1991] [2009a] p 109

205 P Aubenque [1991] [2009a] p 109 et 111

187

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

entiteacute le simple et nu ecirctre des choses raquo206 ne semble en effet pas appartenir aux laquo ontologegravemes raquo207

du Stagirite On reacutetorquera que la matrice de la distinction meacutetaphysique entre lessence et

lexistence peut ecirctre trouveacutee dans la distinction grammaticale entre le verbe laquo ecirctre raquo comme

copule et le verbe laquo ecirctre raquo pris au sens absolu Or une telle distinction se lit assez aiseacutement dans

les Reacutefutations sophistiques 5 167a 4 laquo ce nest pas la mecircme chose decirctre quelque chose et decirctre

absolument (εἶναι ἁπλῶς) raquo208 De mecircme les Seconds Analytiques II 1 neacutelaborent-ils pas une

ceacutelegravebre diffeacuterence entre les questions laquo εἰ ἔστιν raquo et laquo τί ἐστιν raquo209 Agrave lencontre de cette thegravese qui

a pour elle la plausibiliteacute du bon sens on pourrait dabord sinterroger sur le preacutesupposeacute selon

lequel les concepts meacutetaphysiques naicirctraient de distinctions grammaticales cette proposition

pouvant parfaitement sinverser210 De surcroicirct dautres lieux du corpus semblent mecircme

parfaitement confondre ces deux sens du verbe laquo ecirctre raquo211 Plus dirimante est lobservation

suivante aussi cruciale que puisse paraicirctre cette distinction elle nest de toute faccedilon jamais

mentionneacutee comme lun des sens de lecirctre et nest jamais theacutematiseacutee comme telle dans la

Meacutetaphysique212 Ainsi comme le disent M Crubellier et P Pellegrin laquo tout se passe comme si

Aristote ne consideacuterait pas lusage existentiel [du verbe ecirctre] en tant que tel comme capital pour

la philosophie premiegravere raquo213

206 Selon lexpression de Scipion Dupleix La meacutetaphysique ou science surnaturelle laquo Il est donc certain quily a notable diffeacuterence entre lexistence et lessence des choses Mais pour le mieux entendre il fautobserver quen notre langue franccedilaise nous navons point de terme qui reacuteponde eacutenergiquement au latinexistentia qui signifie raquo (cf J-F Courtine [2003b] p 37 n 25)

207 Ce terme est forgeacute par F Nef (cf F Nef [2009])

208 Cf aussi SE 25 180a 35 sq et De int 11 21 a 33 Pour une discussion du sens de cette alternative voir lanote suggestive de GEL Owen [1957] p 165 n 3

209 Lon peut sinterroger pour savoir si la reacuteponse agrave la question laquo est-ce que cest raquo est vraiment unereacuteponse par instanciation du type exist x F(x) Cf les arguments que donne TV Upton contrelinterpreacutetation courante (celle de Owens en particulier) dans TV Upton [1991] TV Upton montrecomment dans la pratique aristoteacutelicienne les deux questions sont absolument inseacuteparables (etdoivent lecirctre) et comment le texte des AnPo II 1 appelle non pas une reacuteponse en termedinstanciation mais fait toujours reacutefeacuterence agrave un complexe sujet-preacutedicat en vue de lenquecircte sur lescauses du sujet en question Upton va jusquagrave interpreacuteter le passage comme signifiant quagrave unequestion laquo est-ce que cest raquo les seules reacuteponses possibles sont de type preacutedicatif (que la preacutedicationsoit essentielle ou accidentelle) Ceci rend en outre raison de Met E 1 1025b 16 sq

210 Il serait dailleurs inteacuteressant de connaicirctre leacutepoque dapparition dans les grammaires de la distinctionentre fonctions (ou sens) copulative et existentielle du verbe laquo ecirctre raquo

211 JJ Hintikka [1986] par exemple p 83 sur le texte des SE 5 166b 28-36

212 Hormis en un passage en E 1 1025b 16-18 Mais cest agrave titre de rappel de la theacuteorie geacuteneacuterale de la science(et cest dailleurs lun des arguments de Martineau en faveur de linauthenticiteacute dE1)

213 M Crubellier P Pellegrin [2002] p 343

188

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

On peut eacutemettre lhypothegravese214 selon laquelle cette absence de theacutematisation de lusage

existentiel constitue une thegravese dAristote Cest peut-ecirctre que cela na aucun sens pour le

Philosophe de concevoir un pur fait decirctre sans aucune deacutetermination distinct de lessence Plus

preacuteciseacutement il arrive assureacutement agrave Aristote de poser la question de savoir laquo si cest raquo en

particulier dans la Physique215 mais le pur fait decirctre ne paraicirct agrave tout le moins pas pertinent pour

une science de leacutetant en tant queacutetant Ecirctre pour Platon216 et Aristote cest toujours ecirctre quelque

chose ndash et reacuteciproquement un laquo quelque chose raquo est forceacutement un eacutetant comme sen avise

Alexandre contre les stoiumlciens Par suite lorsque dans la Meacutetaphysique Aristote enquecircte sur lὂν

ἁπλῶς ce que veut dire simplement ecirctre ou leacutetant au sens absolu cest bien de lοὐσία quil est

question laquo τὸ πρώτως ὂν καὶ οὐ τὶ ὂν ἀλλ ὂν ἁπλῶς ἡ οὐσία ἂν εἴη raquo dit Aristote en Z 1217 Or

le propre de la notion dοὐσία est preacuteciseacutement de conjoindre pour le dire vite essence et

existence lecirctre et lecirctre deacutetermineacute la reacutealiteacute dans tous ses sens218 Par suite aussi il ny a pas

selon Aristote dessence des non-eacutetants comme le bouc-cerf que lon ne peut deacutefinir et un

homme mort nest pas un homme219

En un mot il ny a pas dessence qui ne soit pas il ny a pas non plus dessence pour ce

qui nest pas Degraves lors on peut comprendre que pour Aristote deacuteterminer ce quest une chose

214 Cette hypothegravese requerrait des deacuteveloppements plus approfondis que ce que nous donnons ici agrave titredesquisse Sur la question dun concept aristoteacutelicien dexistence voir entre autres RM Dancy [1986]J Hintikka [1986] GB Matthews [1995] Sur la question de la validiteacute en grec classique dunedistinction entre usage copulatif et existentiel de εἶναι voir CH Kahn [1986] et les articles rassembleacutesdans CH Kahn [2009] (on rappellera que la laquo regravegle de Herman raquo qui fait la distinction entre les deuxusages par laccentuation est extrecircmement tardive cf CH Kahn [1973] p 420-434) Hintikka eacutetend lathegravese agrave lensemble de la distinction fregeo-russellienne (comprenant en outre lidentiteacute et la veacuteriteacute) maisdiscute laspect elliptique de cette thegravese (selon laquelle mecircme les emplois absolus du verbe laquo ecirctre raquo sonten reacutealiteacute preacutedicatifs (voir par exemple p 86 sq) Pour une approche originale cf I Olivo-Poindron[2003] qui enquecircte sur les origines aristoteacuteliciennes de la notion dexistence agrave travers une meacuteditationsur lοὐσῖα et lεἶναι ἁπλῶς et deacuteveloppe lideacutee que sil y a une notion aristoteacutelicienne de lexistenceelle doit ecirctre chercheacutee dans le concept dἐνέργεια et son extension analogique au livre H de laMeacutetaphysique

215 Pour le lieu le vide ou le temps par exemple voir Phys IV 1 208a 28 IV 6 213a 13 IV 10 217b 31 sq

216 Cf S Delcominette [2006] p 529 montre comment la thegravese selon laquelle chez Platon le verbe ecirctre esttoujours deacutetermineacute permet de reacutesoudre les questions sur un usage existentiel ou preacutedicatif de laquo ecirctre raquodans le corpus platonicien Cf en particulier la n 6 Le texte crucial est bien sucircr le Sophiste Sur lesvaleurs copulatives et existentielles de laquo ecirctre raquo chez Platon cf M Dixsaut [1985] p 326 (laquo Platon neconfond pas plus les deux sens du terme son sens dexistence et son sens de copule quil ne lesdistingue raquo) Sur leacutetant et le quelque chose dans le Sophiste cf aussi P Aubenque [1991]

217 Met Z 1 1028a 30-31

218 Sur cette traduction cf F Wolff [2005] p 145

219 Cf par exemple De int 21a 21-23 (et sur ce texte et ses implications cf GEL Owen [1965] p 78)

189

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

cest deacuteterminer comment elle est (existe) comme chose deacutetermineacutee il y a identiteacute entre le ce que

cest dune chose et son mode decirctre220 Contrairement agrave ce que soutenait naguegravere E Gilson

Aristote na pas laquo manqueacute raquo la distinction entre essence et existence bien plutocirct il interroge lecirctre

en-deccedilagrave de cette distinction221 Lexistence nest pas un philosophegraveme de la science de leacutetant en

tant queacutetant ou si lon preacutefegravere lexistence nest pas un laquo ontologegraveme raquo aristoteacutelicien En ce sens

de profonds motifs sopposent agrave la possibiliteacute dun concept ontologique dexistence chez Aristote

si lon entend par lagrave un concept explicite et textuellement theacutematiseacute du pur ecirctre indeacutetermineacute

logiquement et ou reacuteellement distinct de celui dessence

Si donc Alexandre avait favoriseacute leacutemergence dun concept dexistence dans son

interpreacutetation dAristote ce sera ou bien au prix de certains deacuteplacements ou bien au prix dune

compreacutehension pointue et nuanceacutee de ce que veut dire ὕπαρξις Nous allons tenter de montrer

que ces deux voies ne sont pas incompatibles et sont effectivement emprunteacutees par lExeacutegegravete Au

vu de lhistoire ulteacuterieure de lexistence en meacutetaphysique cette question meacuterite quon sy arrecircte

Avant denvisager comment Alexandre fait intervenir ὕπαρξις dans son exeacutegegravese dAristote il

convient donc tout dabord de tenter de cerner plus avant le terme de mesurer sa polyseacutemie pour

deacutecider en quel sens Alexandre lemploie

a) ὕπαρξις avant et chez Alexandre ndash les raisons dune promotion

Dans un article remarquable John Glucker a suffisamment brosseacute lhistoire de ὑπάρχω et

ὕπαρξις pour que lon puisse se limiter ici agrave quelques rappels222 Si ὑπάρχω se lit une fois chez

Homegravere cest surtout un terme de prose classique qui prend principalement deux groupes de

sens premiegraverement commencer et donc ecirctre deacutejagrave lagrave dougrave ecirctre preacutesent exister223 et

deuxiegravemement ecirctre disponible pour ecirctre posseacutedeacute appartenir et le verbe vaut alors pour des

220 Cf les analyses dA Stevens [2000] p 176 laquo Dapregraves ces textes [ie tireacutes de De int 9] la liaison entrelessence et lexistence vient du fait que deacuteterminer la nature ou lessence dune chose cest deacuteterminerson mode dexistence et le type deacutetant quelle constitue raquo On pense eacutegalement agrave Met H 2 1042b 25 sq

221 E Martineau [1997] p 453

222 J Glucker [1994] Le seul reproche que lon pourrait eacutemettre est labsence totale de reacutefeacuterence agraveAlexandre alors quAlexandre est justement lun des initiateurs du statut philosophique de ὕπαρξις

223 Le sens existentiel admet eacutegalement une construction copulative comme auxiliaire J Gluckerdistingue ici le sens temporel qui insiste sur la prioriteacute et le sens existentiel mais note lui-mecircme queces sens sont tregraves proches

190

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

proprieacuteteacutes mateacuterielles tant quabstraites Le verbe nest donc pas radicalement eacutequivoque et lon

discerne aiseacutement les liens entre les diverses significations une preacutesence est ce qui me preacutecegravede

qui commence et mattend soffre ainsi agrave mon action en restant disponible sous la main

Ὑπάρχω bottelle donc lavoir et lecirctre par le nœud du laquo deacutejagrave-lagrave raquo et de lanteacuterioriteacute Cette

anteacuterioriteacute peut ecirctre celle dun premier qui commence et qui commande mais ce peut ecirctre aussi

ce qui reacutesulte dun fonds litteacuteralement primordial De mecircme ce que je possegravede attend peut-ecirctre

son usage actuel mais dune certaine faccedilon ceacutetait de fait deacutejagrave preacutesent

Or cette uniteacute des sens du verbe paraicirct cruciale pour saisir son usage philosophique Chez

Aristote le premier sens reste comme chez Platon agrave leacutetat de vocabulaire non-technique224 Plus

nouveau est chez le Stagirite le second sens dappartenance techniquement travailleacute pour

formuler la proposition preacutedicative en langage rigoureux (Aristote lexprimant rarement sous la

forme laquo S est P raquo sauf pour citer des expressions courantes ou fautives) Degraves lors ὑπάρχω se

prend en autant de sens que le verbe ecirctre autant quil y a de cateacutegories225 Sous forme participiale

le terme deacutesigne logiquement les laquo proprieacuteteacutes raquo par soi ou par accident Mais lon peut se

demander si ce sens technique nest pas eacutegalement lesteacute du sens existentiel lappartenance dun

preacutedicat au sujet signifierait aussi quil est reacuteellement dans le sujet que cest le cas mais

probablement sans une option ontologique tregraves forte226 Enfin Aristote ne se prive pas

demployer voire dinventer des composeacutes ἐνυπάρχω par exemple ou προϋπάρχειν227

De son cocircteacute le substantif ὕπαρξις plus tardif a le sens courant de laquo possession raquo

laquo richesse raquo en revanche tous les autres emplois sont des emplois techniques en grammaire228

par exemple ou en matheacutematiques229 Avant Alexandre le terme au sens de lexistence

apparaicirctrait pour la premiegravere fois non pas chez Philon dAlexandrie comme le soutient J

Glucker mais chez Philodegraveme230 agrave propos de lexistence des dieux Mais cest bien agrave propos de la

224 On le trouve par exemple en Met Θ 2 1046b 10

225 Cf An Pr I 36 48b 2-4 et An Pr I 37 49a 6-9

226 Cest pourquoi la proposition de J Glucker de le traduire par laquo to exist for raquo est sans doute encore tropdeacutetermineacutee

227 Que ne mentionne pas Glucker sans doute parce que la preacuteposition ne fait quexpliciter lun des sensdu verbe mais dont linteacuterecirct philosophique nest pas des moindres Ce composeacute apparaicirct danscertaines propositions cruciales du corpus aristoteacutelicien ougrave on le traduit couramment par laquo preacuteexister raquomecircme quand cela nest pas sans poser problegraveme au niveau du sens par exemple agrave propos de la matiegravereen Z 7 1032b 30-32 passage inteacuteressant qui mecircle προϋπάρχοι ὑπάρξει et ἐνυπάρχει

228 Cf par exemple Apollonius Dyscole Des conjonctions 221 17

229 Chez Diophante par exemple Arithmeticorum libri sex 2 16 et 12 19

230 De Dis 3 col 10 35 Diels De pietate col 22 628 Selon MF Burnyeat [2003] p 14 n 49 le sens

191

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

mecircme question que le terme reparaicirctra chez Philon231 qui distingue agrave plusieurs reprises entre

lοὐσία et la ὕπαρξις de Dieu cest-agrave-dire entre ce que Dieu est et le fait quil soit Selon Philon

en effet lessence de Dieu reste inaccessible agrave lhomme qui peut seulement saisir les puissances

divines qui reacutevegravelent son laquo existence raquo car laquo le fait quIl est peut ecirctre saisi sous le nom dexistence raquo

(τὸ δ ὅτι ἔστιν ὑπάρξεως ὄνοματι καταληπτὸν ὄν)232

Ὕπαρξις renvoie donc clairement agrave une question de fait par opposition agrave la question de

lessence on le lit chez Plutarque dans un contexte logique233 ou tregraves clairement chez Galien

dans lInstitution logique qui oppose les preacutemisses portant sur llaquo existence simple raquo (celle de la

Providence et de lhippocentaure) par diffeacuterence des preacutemisses portant sur lessence234 Agrave chaque

fois il sagit donc de sassurer de la reacutealiteacute dun fait difficile agrave eacutetablir en particulier parce quil

eacutechappe agrave la perception le destin la providence les dieux bref des reacutealiteacutes proprement meacuteta-

physiques (ou agrave tout le moins sur le statut meacutetaphysique desquelles on sinterroge)235 On

retrouve dailleurs exactement ce sens chez Alexandre par exemple au deacutebut de la Mantissa

Περὶ ψυχῆς τί τέ ἐστι καὶ τίς αὐτῆς ἡοὐσία καὶ τίνα αὐτῇ τὰ συμβεβηκότα οὐπρόχειρον οὐδὲ ἐκ τοῦ ῥᾴστου καταμαθεῖνἀλλ ἔστιν τῶν χαλεπωτάτων ἡ περὶ τούτωνθεωρία καίτοι τό γε εἶναι τὴν ψυχὴνγνωριμώτατον καὶ φανερώτατον Ἀλλ ἔστινπολλὰ τῶν ὄντων ἃ τὴν μὲν ὕπαρξιν ἔχειγνωριμωτάτην ἀγνωστοτάτην δὲ τὴνοὐσίαν ὥσπερ ἥ τε κίνησις καὶ ὁ τόπος ἔτιδὲ μᾶλλον ὁ χρόνος ἑκάστου γὰρ τούτων τὸμὲν εἶναι γνώριμον καὶ ἀναμφίλεκτον τίς δέποτέ ἐστιν αὐτῶν ἡ οὐσία τῶνχαλεπωτάτων ὁραθῆναι

Agrave propos de lacircme ce quelle est quelle est sonessence et quels sont ses accidents cela nest ni agrave laporteacutee de tous ni tregraves facile agrave deacutecouvrir au contraireleacutetude de ces choses appartient aux plus ardues bienque le fait que lacircme est soit tregraves connu et tregraves eacutevidentMais parmi les eacutetants nombreux sont ceux dontlexistence est bien connue mais dont lessence estinconnue comme le mouvement et le lieu et plusencore le temps De chacune de ces choses en effetlecirctre est connu et indubitable mais [quant agrave savoir]quelle peut bien ecirctre leur essence cela fait partie deschoses les plus difficiles agrave voir

(Mantissa 101 3-10)

dappartenance est attesteacute avant mais Burnyeat nen cite pas les occurrences

231 De opificio mundi 170 laquo Πρῶτον μὲν ὅτι ἔστι τὸ θεῖον καὶ ὑπάρχει διὰ τοὺς ἀθέους ὧν οἱ μὲνἐνεδοίασαν ἐπαμφοτερίσαντες περὶ τῆς ὑπάρξεως αὐτοῦ οἱ δὲ τολμηρότεροι καὶ κατεθρασύναντοφάμενοι μηδ ὅλως εἶναι raquo

232 De praemiis 40 Sur ce passage (et la lecture ὄνοματι) cf MF Burnyeat [2003] p 15 n 54

233 Plutarque Sur lE de Delphes 386f 3 387c 6

234 Galien Institutio logica II 1 laquo ltΤῶν δὲ προτάσεωνgt ἔνιαι μὲν ὑπὲρ ἁπλῆς ὑπάρξεως ἀποφαίνονταικαθάπερ ὁπόταν εἴπῃς lsquoπρόνοια ἔστιν ἱπποκένταυρος οὐκ ἔστινrsquo [αἴνιγμα] ἢ ltπερὶ τῆς οὐσίαςκαθάπερgt αἱ τοιαίδε lsquoὁ ἀὴρ σῶμά ἐστιν ὁ ἀὴρ οὐκ ἔστι σῶμαrsquo ὑπὲρ δὲ τοῦ μεγέθους lsquoὁ ἥλιοςltποδιαῖός ἐστιν ὁ ἥλιοςgt οὐκ ἔστι ποδιαῖοςrsquo ἔνιαι δὲ ὑπὲρ τῆς ποιότητος lsquoὁ ἥλιος ltφύσει θερμόςἐστιν ὁ ἥλιοςgt οὐκ ἔστι φύσει θερμόςrsquo ἔνιαι δὲ ὑπὲρ τοῦ ltπρόςgt τι lsquoμείζων ἐστὶν ὁ ἥλιος τῆςσελήνης raquo

235 Galien Institutio logica XIV 1

192

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Comme chez Galien et Philon le terme fonctionne par diffeacuterence davec lessence ndash mais il

faut noter que la relation entre essence et existence est ici inverseacutee par rapport agrave Galien Dune

faccedilon peut-ecirctre plus aristoteacutelicienne Alexandre preacutesente un fait connu eacutetabli et cest sur lessence

que va se concentrer la recherche philosophique Ce prologue adopte cependant un ton assez

rheacutetorique et nest donc pas encore suffisant pour eacutetablir leacutemergence de ὕπαρξις comme concept

philosophique

Mais Alexandre emploie eacutegalement le terme dans des textes techniques par exemple

limportante Quaestio I 8 selon laquelle laquo La forme nest pas dans la matiegravere comme en un

substrat raquo ougrave ὕπαρξις deacutesigne ce que la forme rend possible pour la matiegravere236 Le forme en effet

y est dite contribuer agrave lexistence de la matiegravere (laquo ἐν δὲ τῇ ὕλῃ ᾗ συντελεῖ πρὸς ὕπαρξιν raquo 18 7)

parce quelle contribue agrave la subsistance du substrat (laquo συντελεῖ πρὸς τὸ εἶναι ἐν ὑποστάσει raquo 18

6)237 Le terme y est redoubleacute par le participe ὑπάρχον pour deacutesigner le mode decirctre du

particulier en acte La Quaestio I 17 reacutepegravete dans un sens similaire que la matiegravere premiegravere ne

saurait exister sans une forme mais accorde de faccedilon plus eacutequitable que laquo chacune des deux a

besoin de lautre pour ecirctre en acte et dans lexistence raquo238 Lexistence reacutecupegravere donc ici au moins

linguistiquement des concepts typiquement aristoteacuteliciens ce qui existe cest le particulier le

composeacute en acte

Dans le corpus alexandrinien le terme prend aussi un sens plus large qui deacutecoule du

preacuteceacutedent pour deacutesigner le donneacute positif la reacutealiteacute comme ce qui est indeacutependant de ma

perception et de ma penseacutee et qui en fait lobjet contre les sophistes239 Dans le commentaire agrave

Meacutetaphysique Γ 5-6 Alexandre emploie ὕπαρξις pour dire la preacuteexistence des substrats de la

sensation la reacutealiteacute qui se trouve en deccedilagrave de lapparaicirctre240 Que ὕπαρξις fonctionne par

236 Quaestio I 8 18 4-9

237 Sur cette thegravese cf ci-dessous sect 322 et 323

238 Quaestio I 17 30 4-6 laquo οὔτε γὰρ τὴν ὕλην χωρὶς εἴδους οἷόν τε ἐν ὑποστάσει εἶναι οὔτε τὸ εἶδοςἄνευ τῆς ὕλης ἑκάτερον γὰρ αὐτῶν τοῦ ἑτέρου δεῖται πρὸς τὸ εἶναι ἐνεργείᾳ τε καὶ ἐν ὑπάρξει raquo

239 Cf par exemple In Met 326 5-9 laquo Καὶ ἔτι ὁ λέγων εἰ ἐν τῷ δοξάζεσθαι ἑκάστῳ τῶν ὄντων ἐστὶ τὸεἶναι μὴ ὄντος γε τοῦ δοξάσαντος οὐδὲν ἔσται ὥστε ἀναιρεθέντος ζῴου οὐδὲν ἄλλο εἴη καὶσυμφθείροιτο ἂν τῷ δοξάζοντι φθειρομένῳ ἡ ὕπαρξις τῶνδε ὧν ἐδόξαζεν ὡς εἴπομεν ἤδη raquo laquo Enoutre il y a largument selon lequel si cest dans le fait decirctre objet dopinion que reacuteside son ecirctre pourchaque eacutetant alors sil ny a personne pour avoir une opinion rien nexistera Degraves lors en supprimantlanimal rien dautre nexistera et avec la destruction du sujet opinant sera eacutegalement supprimeacuteelexistence de tout ce sur quoi il a eu une opinion comme nous lavons deacutejagrave dit raquo

240 Cf par exemple In Met 316 9 et 25 et In Met 323 7-10 laquo Ῥᾴδιον δέ ὅτι μὴ ἔστιν ἐν τῷ φαίνεσθαιτοῖς οὖσι τὸ εἶναι καταμαθεῖν καὶ ἐκ τοῦ τὰ μὲν πρός τι ἅμα εἶναι τῇ φύσει μὴ συναναιρεῖσθαι δὲτῷ δοξάζοντι τὴν τῶν δοξαζομένων οὐσίαν τε καὶ ὕπαρξιν raquo laquo Mais il est eacutegalement facile de

193

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

opposition au simple apparaicirctre est confirmeacute par dautres passages qui la rangent du cocircteacute du

πρᾶγμα241 Mais ὕπαρξις se rapproche eacutegalement du sens cateacutegorial de lοὐσία et sert agrave dire la

primauteacute de lοὐσία dans lordre des ecirctres ou le mode decirctre quasi-substantiel des artefacts242

Agrave chaque fois donc ὕπαρξις a agrave avoir avec οὐσία soit pour sen distinguer (quand οὐσία

signifie lessence sur le modegravele de la distinction entre εἰ ἔστιν et τί ἐστιν) soit pour se

rapprocher de son sens large (ce qui est la reacutealiteacute) ou de son sens de premiegravere cateacutegorie Le terme

paraicirct donc avoir un statut notionnel dans le vocabulaire alexandrinien bien quil ne soit pas

theacutematiseacute comme tel Malgreacute la diversiteacute de ses usages il renvoie communeacutement agrave llaquo existence raquo

certes mais entendue comme laquo le fait que ce soit le cas raquo la factualiteacute par exemple le factum

brutum243 du particulier sensible dont lexistence simpose agrave moi ou encore lactualiteacute dun eacutetat de

fait (un complexe substance-accident)244 La liaison avec lοὐσία comprise comme substance

seacuteclaire alors dire quune chose laquo existe raquo ou est laquo dans lexistence raquo cest dire soit quelle

compose une substance soit quelle est une substance (pour laquelle on peut sinterroger sur ce

quelle est ou si elle est) ou encore quelle est le preacutedicat dune substance agrave laquelle elle

appartient Il ny a donc pas radicale eacutequivociteacute entre le sens dit laquo existentiel raquo ou factuel et le

sens dappartenance que le terme a surtout dans le Commentaire aux Premiers Analytiques Si lon

prend le terme dappartenance au sens reacutealiste comme on a pu le faire deacutejagrave chez Aristote alors

comprendre que lecirctre des eacutetants ne consiste pas dans leur apparaicirctre agrave partir du fait que tandis que lesrelatifs sont par nature simultaneacutes la substance et lexistence des objets de croyance ne sont passupprimeacutees avec celui qui y croit raquo

241 Cf par exemple In Met 431 20 ndash 432 5 et surtout In Meteor 131 23 Cf aussi In De sensu 63 20

242 Cf In Met 359 33 ndash 360 1 laquo Διὸ καὶ τὸ κατὰ τέχνην γινόμενον εἶδος οὐσίαν ὂν τῶν ἔργων τῶντεχνητῶν οὕτω καλοῦσιν ἕκαστον γὰρ καὶ τούτων οἰκείαν τινὰ οὐσίαν καὶ ὕπαρξιν ἔχει ἣ καὶαὐτὴ φύσις καλεῖται εἶδος ὂν αὐτῶν διὸ καὶ λέγεται οἰκείαν ἔχειν οὐσίαν raquo laquo Cest pourquoi onappelle laquo nature raquo la forme qui advient par la technique parce quelle est la substance des objetstechniques Chacun de ces objets en effet possegravede aussi une certaine substance propre et uneexistence quon appelle aussi laquo nature raquo parce quelle est la forme de ces objets ndash et cest pourquoi ilssont dits avoir une substance propre raquo Cf aussi In Met 387 8-12 laquo Φησὶ δέ ἐπεὶ τὸ εἶναι πλεοναχῶς(δεκαχῶς γάρ) τὸ κατὰ τὸ εἶναι πρῶτον καὶ κατὰ τὴν ὕπαρξίν φησιν εἶναι τὸ πᾶσιν ὑποκείμενοντοῖς ἄλλοις τοιοῦτον δὲ τὴν οὐσίαν εἶναι καθὸ γὰρ συναναιρεῖ μὲν μὴ συναναιρεῖται δέ πρώτητῶν ἄλλων Ἀλλὰ καὶ καθὸ ὑπόκειται καὶ καθὸ τἆλλα ἔστι τῷ ἐν ταύτῃ ὑποκειμένῃ εἶναι μάλιστακαὶ πρῶτον ὄν raquo laquo laquo[Aristote] dit en outre que puisque lecirctre [se dit] en plusieurs sens (agrave savoir endix sens) ce qui est premier selon lecirctre et selon lexistence est selon lui substrat pour toutes les autreschoses ndash et telle est la substance car dans la mesure ougrave [si] on supprime [tout le reste] elle nest passupprimeacutee elle est la premiegravere de tout le reste Mais cest agrave la fois dans la mesure ougrave elle est sous-jacente et ougrave les autres choses sont parce quelles reacutesident en ce substrat quelle est un eacutetant suprecircme etpremier raquo Voir aussi In Met 399 12-19

243 Nietzsche Geacuteneacutealogie de la morale III sect 24

244 Pour une occurrence temporelle de ὕπαρξις cf In Met 385 29

194

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

cela voudrait dire que 1) construit avec double reacutegime datifgeacutenitif ὕπαρξις signifie loccurrence

de x en y et 2) sans compleacutement ὕπαρξις deacutesigne loccurrence ndash au sens anglo-saxon ndash dune

chose

Or si avant Alexandre le terme est assez peu employeacute245 il prend toutefois une veacuteritable

ampleur dans le deacutebat philosophique de son eacutepoque ndash chez Sextus246 ou Galien par exemple ndash et

il est donc leacutegitime de sinterroger sur les raisons dune telle promotion en se demandant si ses

emplois par diffeacuterents auteurs favorisent leacutemergence dun sens unique Dans une note agrave son

article sur les traductions latines dοὐσία247 J-F Courtine eacutevoque ainsi lideacutee selon laquelle la

traduction dοὐσία par substantia est lieacutee agrave la traduction au sein du grec dοὐσία en ὕπαρξις

Comme on la deacutejagrave eacutevoqueacute248 pour J-F Courtine en effet agrave la peacuteriode post-helleacutenistique la

laquo preacutesence raquo devient penseacutee en termes de laquo fait raquo quil faut eacutetablir et sur lequel on peut construire

le discours (quil soit judiciaire physique etc) Cette thegravese demande agrave ecirctre nuanceacutee et ne peut ecirctre

geacuteneacuteraliseacutee agrave lensemble du vocabulaire ontologique mais en lespegravece les occurrences de

ὕπαρξις que nous avons trouveacutees chez Philon Galien ou Alexandre vont dans ce sens Il est donc

naturel de ce point de vue que le vocable laquo ὕπαρξις raquo soit reacuteguliegraverement employeacute dans les

questions sur lecirctre et le mode decirctre de ces choses dont nous savons quelles sont mais qui

nexistent pas agrave la maniegravere des corps sensibles telles les ideacutees les cateacutegories le temps lacircme les

universaux mais aussi (voire surtout) les objets matheacutematiques249 ndash comme en teacutemoigne

Alexandre lui-mecircme250 reacutecupeacuterant un terme sans doute diffuseacute par le Portique

Si ὕπαρξις ne se lit que dans des teacutemoignages plus tardifs le verbe ὑπάρχω quant agrave lui

est clairement attesteacute degraves les premiers stoiumlciens Le verbe intervient en effet agrave la fois dans la

deacutefinition par Zeacutenon de la φαντασία καταληπτικὴ dans la deacutefinition de la veacuteriteacute ou dans les

questions du mode decirctre des incorporels et en particulier celui des exprimables251 Sans quil soit

ici neacutecessaire de trancher la poleacutemique sur la signification du verbe en lien avec un passage de

245 On le lit certes dix-huit fois chez Philon mais cest dans une œuvre pour le moins prolifique

246 Par exemple PH II 14 M VIII 453

247 J-F Courtine [1980] [2003a] p 74 n 1

248 Cf ci-dessus sect 113a

249 Cf DP Taormina [1994]

250 Sur lexistence du vide et du non-eacutetant etc Cf In Met 35 24 ndash 36 3 Mantissa 172 12 Quaestio 10611 etc

251 Voire respectivement Sextus Empiricus M VII 248 (dans cette deacutefinition Ciceacuteron traduit ὑπάρχονpar id quod est) M VIII 10 DL VII 63 (= SVF II 181) et Sextus M VIII 70

195

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Plutarque sur le temps252 agrave tout le moins peut-on repeacuterer ceci de clair dans la deacutefinition de la

veacuteriteacute ou de la φαντασία καταληπτικὴ le terme ὑπάρχον fait toujours signe vers ce qui est

reacuteellement actuellement avec lideacutee dun laquo eacutetat de choses raquo (plus que dune entiteacute exteacuterieure) Le

terme peut en outre deacutesigner agrave la fois ce qui est doteacute de ce mode decirctre que ce qui est fondeacute dans

un tel mode decirctre De mecircme dans les passages de Sextus contenant ὕπαρξις et visant les

stoiumlciens on trouve ce sens de la reacutealiteacute extra-mentale dun eacutetat de choses Mais si ὑπάρχον

deacutesigne effectivement le mode decirctre des corps il peut aussi renvoyer agrave lecirctre des incorporels au

sens ougrave ils sont actuellement instancieacutes dans quelque chose253 Il en va ici comme il en va pour

ὑπόστασις le champ lexical de lὑπάρχειν demeure suffisamment labile pour sadapter agrave des

contextes et des niveaux ontologiques diffeacuterents Les auteurs de la peacuteriode post-helleacutenistique et

de lAntiquiteacute tardive y trouvent un moyen dexprimer leur propre conception du laquo reacuteel raquo de ce

qui nous est donneacute factuellement indeacutependamment du bon-vouloir du sujet ndash que lon deacutesigne

par lagrave les corps les Ideacutees ou le composeacute hyleacutemorphique

Reacutecapitulons cette bregraveve esquisse de lhistoire de ὕπαρξις reacutevegravele une option ontologique

plus forte que celle que ne laissait preacutesager lemploi classique du verbe correspondant Le

substantif naicirct clairement dans des circonstances ougrave il sagit de sinterroger sur ou de prouver le

fait quune chose (Dieu le vide etc) est Si les emplois dans les diffeacuterentes eacutecoles reacutevegravelent des

conceptualisations distinctes lideacutee demeure dun fondement actuel extra-mental

Propre agrave Alexandre serait bien plutocirct le geste consistant agrave reacuteinteacutegrer ce terme dans une

science de leacutetant en tant queacutetant en reacuteaffirmant contre le divorce stoiumlcien entre leacutetant et le

quelque chose254 que nexiste que ce qui est cest-agrave-dire qui est quelque chose Deux

conseacutequences deacutecoulent de cette thegravese

Quoique donc le terme ne soit pas dorigine alexandrinienne son statut dinstrument

ontologique est bien un acquis de lExeacutegegravete Il est difficile de penser que la thegravese porphyrienne de

lexistence comme laquo ecirctre raquo indeacutetermineacute donc dun lien fort entre ὕπαρξις et εἶναι na pas lune de

ses racines chez Alexandre ne serait-ce quen en faisant loutil de deacuteveloppements

ontologiques255 Sauf erreur aucun autre auteur passeacute ou contemporain navait jusquagrave

252 Plutarque De Comm Not 41 1081f Cf P Hadot [1969] et V Goldschmidt [1972]

253 Cf D Sedley [2005b] p 86 Sur les exprimables voir aussi AA Long [1971] et sur lexistence et lasubsistance V Caston [1999] p 152 sq

254 Cf le texte anti-stoiumlcien deacutejagrave citeacute de In Top 301 19 laquo πᾶν γὰρ τὸ ἐν ὑπάρξει ὂν καὶ ὂν καὶ ἕν ἐστιν raquo

255 On revient sur cette question ci-dessous sect 224

196

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Alexandre inteacutegreacute ὕπαρξις agrave une science ni mecircme agrave une reacuteflexion geacuteneacuterale sur lecirctre et leacutetant

Seulement dans tous les exemples que nous venons de voir et agrave la diffeacuterence de

Porphyre Victorinus ou Damascius lExeacutegegravete emploie ὕπαρξις pour deacutesigner la factualiteacute dune

substance deacutetermineacutee ou celle dune deacutetermination de la substance qui tient son ecirctre delle Si

Alexandre ne seacutepare pas ecirctre et substance et encore moins existence et essence il ouvre malgreacute

tout la voie agrave une penseacutee de lexistence comme nue entiteacute en eacutetant deacutesormais en mesure

dexprimer et mecircme de theacutematiser ce qui dans la chose correspond au fait quelle soit Cest lagrave

ce que confirment les commentaires agrave Γ 2 agrave propos de lidentiteacute de leacutetant et de lun et Δ 7 agrave

propos du sens laquo par soi raquo de lecirctre

b) Le commentaire agrave Γ 2 leacutetant et lun

La question de lidentiteacute entre eacutetant et un nest pas pour Alexandre quune question

dexeacutegegravese locale mais constitue un point litteacuteralement crucial Elle figure en effet un carrefour du

chapitre Γ 2 et reacutepond plus geacuteneacuteralement agrave limpeacuteratif de coordination des divers objets de la

meacutetaphysique que semble secirctre fixeacute lExeacutegegravete ndash et dont teacutemoignent amplement les proegravemes aux

commentaires de Γ et Δ Le plan du commentaire agrave Γ 1-3256 montre en effet combien cest agrave partir

de cette thegravese quAlexandre comprend tout le reste du chapitre Γ 2 Le commentaire agrave 1003b 33

eacutetablit ainsi que non seulement les espegraveces de leacutetant sont au mecircme nombre que les espegraveces de

lun mais en outre que les espegraveces de lun sont les espegraveces de leacutetant en tant queacutetant et font donc

lobjet de la philosophie257 Agrave partir de lagrave peuvent sinteacutegrer agrave ce champ tous les opposeacutes et les

contraires agrave lun ce qui justifie finalement luniversaliteacute de la meacutetaphysique258 qui est reacutepeacuteteacutee en

conclusion du commentaire au chapitre259 Alexandre a donc probablement entrevu que lidentiteacute

entre eacutetant et un est plus quune theacutematique ou un champ de recherche parmi dautres pour la

science de leacutetant en tant queacutetant et constitue une question structurante pour lobjet et la

possibiliteacute mecircme de cette science260 Or cest agrave loccasion du commentaire de cette thegravese

256 Donneacute ci-dessous sect 241

257 In Met 249 33 sq

258 In Met 261 19 sq

259 In Met 264 24 sq

260 L Couloubaritsis souligne aussi la circulariteacute par exemple qui se manifeste dans lemploi des notionsdrsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave propos de leacutetant et de lun cf L Couloubaritsis [1983] p 66

197

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

quAlexandre explicite le sens de leacutetant par ὕπαρξις Rappelons le texte dAristote commenteacute par

Alexandre261

Εἰ δὴ τὸ ὂν καὶ τὸ ἓν ταὐτὸν καὶ μίαφύσις τῷ ἀκολουθεῖν ἀλλήλοις ὥσπερ ἀρχὴκαὶ αἴτιον ἀλλ οὐχ ὡς ἑνὶ λόγῳ δηλούμενα(διαφέρει δὲ οὐθὲν οὐδ ἂν ὁμοίωςὑπολάβωμεν ἀλλὰ καὶ πρὸ ἔργου μᾶλλον)ταὐτὸ γὰρ εἷς ἄνθρωπος [καὶ ἄνθρωπος]262καὶ ὢν ἄνθρωπος καὶ οὐχ ἕτερόν τι δηλοῖκατὰ τὴν λέξιν ἐπαναδιπλούμενον τὸ ἔστινἄνθρωπος ἄνθρωπος καὶ τὸ ἔστινἄνθρωπος263

Si donc leacutetant et lun sont identiques et une seulenature en ce quils se suivent lun lautre comme lefont principe et cause mais non parce quils sontdeacutesigneacutes par une unique notion (dailleurs cela nechangerait rien que nous les concevions de cettemaniegravere et ce serait mecircme plus pratique) car il y aidentiteacute entre laquo un humain raquo laquo humain raquo et laquo ecirctrehumain raquo et le redoublement dans lexpression laquo l264

humain est humain raquo et laquo lhumain est raquo nindiquerien de diffeacuterent

(Met Γ 2 1003b 22-29)

Avant ce texte Aristote a entrepris de deacuteterminer les objets de la science de leacutetant en tant

queacutetant Apregraves avoir souligneacute que leacutetude du philosophe portera sur lοὐσία eacutetant donneacute sa

primauteacute265 Aristote deacuteveloppe lideacutee que parce que laquo eacutetant raquo et laquo un raquo sont des preacutedicats qui

simpliquent toujours mutuellement alors la science qui eacutetudie leacutetant en tant queacutetant eacutetudiera

aussi lun Le passage citeacute est le cœur de largument selon lequel leacutetant et lun sont identiques

laquo la mecircme chose et une seule nature raquo Largument dAristote est pour le dire vite

indissociablement linguistique et ontologique266 et doit tregraves probablement ecirctre compris dans son

rapport agrave la theacuteorie acadeacutemicienne de lunivociteacute de lIdeacutee de lUn et au danger du monisme

parmeacutenidien quexplicitait davantage la onziegraveme aporie de B267 Mais afin de mettre en lumiegravere

linterpreacutetation alexandrinienne il importe de noter que lidentiteacute professeacutee entre leacutetant et lun est

ici exigeacutee pour les besoins de largumentation qui autorisent dans ce contexte agrave minimiser la

diffeacuterence qui demeure entre les deux notions268 On ne saurait tenir pour rien cette diffeacuterence

entre eacutetant et un quAristote maintient sans doute par manœuvre anti-acadeacutemicienne La nuance

se lit encore au livre I laquo lun signifie en quelque sorte (πως) la mecircme chose que leacutetant raquo269 et

comme le preacutecise ici Aristote lun et leacutetant diffegraverent par leur λόγος Il convient donc de rendre

compte de cette identiteacute entre leacutetant et lun tout en expliquant leur diffeacuterence par leur λόγος

Cest agrave reacutesoudre ce problegraveme que sattache Alexandre dans son commentaire

261 Nous essayons donc ici de donner le texte lu par Alexandre dans la mesure du possible eu eacutegard auxheacutesitations parallegraveles du texte aristoteacutelicien et de celui dAlexandre ndash les manuscrits A et L (Ab) donnantaussi pour le Commentaire des leccedilons distinctes Sur le texte dAristote outre les apparats critiques deRoss et Jaeger voir en particulier B Cassin M Narcy [1998] p 164-165 M Hecquet-Devienne [2008]p 108

262 Cf la citation en 247 33-34

198

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Pour comprendre tout dabord lidentiteacute de lun et de leacutetant Alexandre use de lanalogie

avec principe et cause quil interpregravete en un sens strict pour lExeacutegegravete lanalogie ne porte pas

seulement sur le fait positif quils laquo se suivent lun lautre raquo mais aussi sur leur diffeacuterence Or

selon lui principe et cause sont identiques au sens ougrave il se disent des mecircmes choses ce qui est

principe est aussi neacutecessairement cause et reacuteciproquement

Λέγει δὲ τὸ ἓν τῷ ὄντι οὕτω ταὐτὸν εἶναιὡς ἔστι ταὐτὰ ἀρχή τε καὶ αἴτιον Ὡς γὰρταῦτα ἀμφότερα μὲν [24710] ἀκολουθεῖ τεἀλλήλοις καὶ κατὰ τοῦ αὐτοῦ κατηγορεῖται(ὃ γὰρ ἀρχή τοῦτο καὶ αἴτιον καὶ ὃ αἴτιοντοῦτο καὶ ἀρχή) ἄλλος μέντοι λόγος αὐτοῦκαὶ ἄλλη ἐπιβολὴ τῆς διανοίας καθὸ ἀρχὴλέγεται καὶ ἄλλος καθὸ αἴτιον (ἡ μὲν γὰρἀρχὴ καθὸ πρῶτόν ἐστι τοῦ οὗ ἐστιν ἀρχήκαὶ καθὸ ἐξ αὐτοῦ τὰ ὧν ἐστιν ἀρχή τὸ δὲαἴτιον καθό ἐστι δι αὐτὸ τὸ οὗ αἴτιον ἄλλο[24715] δὲ τὸ ἐξ οὗ ἐστι καὶ ἄλλο τὸ δι ὅ)οὕτω δή φησιν ἔχειν πρὸς ἄλληλα τό τε ὂνκαὶ τὸ ἕν

ltAristotegt dit en outre que lun est identique agraveleacutetant comme le sont le principe et la cause De mecircmeen effet que ces deux derniers se suivent lun lautre etse preacutediquent dune mecircme chose (car ce qui estprincipe est aussi cause et ce qui est cause est aussiprincipe) et que toutefois leur notion diffegravere cest-agrave-dire quautre est lintention de la penseacutee quand on ditlaquo principe raquo et autre quand on dit laquo cause raquo (en effet lton parle degt principe quand il est le premier de cedont il est principe et quand cest agrave partir de lui quesont les choses dont il est principe et lton parle degtcause quand cest par elle quest ce dont elle est causeOr cest une chose dlaquo ecirctre agrave partir de raquo une autred laquo ecirctre par raquo) de mecircme affirme-t-il lun et leacutetant secomportent-ils lun vis-agrave-vis de lautre

(In Met 247 8-16)

Par-delagrave le caractegravere discutable de cette affirmation270 linterpreacutetation dAlexandre tient

263 Que nous deacuterivons agrave partir de 247 4 ndash 248 1 laquo τὸ ἔστιν ἄνθρωπος ἄνθρωπος οὐχ ἕτερόν τι σημαίνειτοῦ ἔστιν ἄνθρωπος ἁπλοῦ raquo Mais on peut se demander si Alexandre na pas une autre version sousles yeux car dans la suite du commentaire (248 5-8) il parle de laquo redoublement raquo (ἐπαναδίπλωσις)entre laquo ὤν ἐστιν ἄνθρωπος raquo et laquo ἕν ἐστιν ἄνθρωπος raquo (ou laquo εἷς ἐστιν ἄνθρωπος raquo 248 11) Lareacutepeacutetition de laquo ἔστιν ἄνθρωπος ἄνθρωπος raquo est confirmeacutee en 248 12 (alors quelle est absente de nosmanuscrits dAristote) Contrairement agrave nos manuscrits dAristote qui tous (mais sous des formesdiffeacuterentes) reacuteintroduisent ici laquo εἷς raquo Alexandre est contraint agrave davantage dacrobaties hermeacuteneutiquespour expliquer le lien de cet exemple de redoublement avec la thegravese de lidentiteacute de lun et de leacutetantCest peut-ecirctre alors cela et non la diversiteacute des leccedilons quil a sous les yeux qui expliquent sa doubleinterpreacutetation

264 Il ny pas darticle dans le texte grec mais si lon traduisait par laquo un homme raquo la traduction en diraitplus que le texte-source

265 Si lon accepte le deacuteplacement du passage 1003b 19-22 apregraves 1004a 2

266 Pour les passages parallegraveles cf Met I 2 1054a 13-19 H 6 1045a 36 ndash b 7 et les commentaires quendonne A Stevens [2000] p 172

267 Met B 1 996a 4-9 et B 4 1001a 4-8 Cf larticle classique de E Berti [1979]

268 Cf L Couloubaritsis [1983] p 86

269 Meacutet I 2 1054a 13 La question est de savoir quel sens a ici laquo signifier raquo est-ce le sens preacute-aristoteacuteliciendindiquer renvoyer agrave ou le sens quinstitue Aristote de signifier comme laquo avoir un sens raquo (sans quecela deacutenote neacutecessairement un eacutetat du monde)

270 Alexandre peut justifier la thegravese selon laquelle toute cause est aussi principe gracircce agrave Δ 1 1013a 17 Maison peut sinterroger sur la reacuteciproque il nest pas certain quAristote admette que tout principe soit

199

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

comme de juste agrave son effort deacutejagrave eacutevoqueacute de systeacutematisation et de stabilisation du lexique Une

fois souligneacutee lidentiteacute entre principe et cause reste encore agrave eacutetablir leur diffeacuterence Lisant

lanalogie en un sens fort Alexandre se sert deacutejagrave de la diffeacuterence quAristote va eacutenoncer entre un

et eacutetant pour distinguer principe et cause Ils diffegraverent par le λόγος ce quAlexandre interpregravete

comme signifiant laquo ἐπιβολὴ τῆς διανοίας raquo un projet de penseacutee la faccedilon dont la penseacutee

discursive sapplique ou pour reprendre un terme meacutedieacuteval271 lintention de la penseacutee Cet

emploi par Alexandre de διανοία se fait probablement par opposition agrave la λέξις du texte

aristoteacutelicien de 1003b 27272 La penseacutee lorsquelle preacutedique de quelque chose son caractegravere de

laquo principe raquo vise la primauteacute du principe pour signifier la relation de provenance entre le

principe et son objet On parlera en revanche de cause pour signifier que leffet est ou est ce quil

est par sa cause et la reacutepeacutetition eacutetant ineacutevitable en franccedilais agrave cause de sa cause273 Bref pour

conjuguer identiteacute et diffeacuterence du principe et de la cause Alexandre utilise ce que nous

pourrions appeler une distinction entre extension et compreacutehension Principe et cause deacutesignent

des choses laquo heacuteteacuteronymes raquo cest-agrave-dire selon la deacutefinition quen donne Alexandre des choses

qui ont des noms diffeacuterents chaque nom renvoyant agrave une essence ou une intention diffeacuterente

mais ayant strictement la mecircme extension comme laquo lindivisible et le plus petit la semence et la

graine la monteacutee et la descente raquo274

Degraves lors quAlexandre a insisteacute sur lanalogie entre principe et cause dune part et eacutetant et

un dautre part il peut appliquer le mecircme scheacutema explicatif agrave leacutetant et lun Notre passage

commence donc par eacutetablir lidentiteacute en extension de lun et de leacutetant

cause Il faudrait ici comparer les extensions du principe et de la cause en Δ 1 et 2 Cf aussi Λ 4 1070b23-24 la causaliteacute se divise entre principes et eacuteleacutements Cf A Stevens [2000] p 36-41

271 Cf par exemple Guillaume dAuvergne De Trinitate Prol 2 sur les laquo intentions raquo exprimeacutees par leverbe ecirctre

272 Et lon pourrait sinterroger sur le caractegravere eacuteventuellement stoiumlcien dune telle compreacutehension ducouple (certes dorigine aristoteacutelicienne) λέξις-διανοία

273 Sur cette distinction cf aussi In Met 24 29-25 1 Sur le principe comme ὅθεν chez Aristote cf Δ 11013a 17-19 Sur la cause comme διότι cf les An Po 78a 22 90a 6-7 90a 32-35 etc

274 Le terme napparaicirct pas chez Aristote Pour Alexandre cf In Met 247 22-24 378 13-14 et 379 20-22 laquo δύναται διαφέροντα λέγειν καὶ ὅσα κατὰ τὸ ὑποκείμενον ὄντα ταὐτά κατὰ τὴν οὐσίαν καὶ τὸνὁρισμὸν ἔχει τὴν ἑτερότητα ὡς ἔχει τὰ ἑτερώνυμα raquo Cf aussi In Top 398 2 405 6 475 16

200

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Καθ ὧν μὲν γὰρ θάτερον πάντως καὶθάτερον διὸ καὶ ἀμφότερα τῶν πολλαχῶςλεγομένων ἐστὶ τῶν ὡς εἴρηκε πρὸς ἓν καὶπρὸς μίαν φύσιν λεγομένων κατὰ διάφορονδὲ ἐπίνοιαν τό τε ὂν καὶ τὸ ἓν κατηγοροῦμενδιὰ μὲν τοῦ ὂν εἰπεῖν τι τὴν ὕπαρξινσημαίνοντες αὐτοῦ [24720] διὰ δὲ τοῦ ἓν τὸνἀπὸ τῶν ἄλλων χωρισμὸν καὶ τὸν ἀπὸ τοῦπλήθους ἅμα δὲ ὄν τί ἐστι καὶ διαφέρον τῶνἄλλων καὶ ἔστιν ἓν καὶ οὐ πλῆθος

Les choses en effet auxquelles lton attribuegt lepremier275 lton leur attribuegt aussi totalement lesecond Cest pourquoi comme il la dit tous deuxappartiennent aux choses qui parmi celles qui sedisent en de multiples sens se disent relativement agraveune uniteacute cest-agrave-dire relativement agrave une uniquenature Mais cest en vertu dune intention diffeacuterenteque nous attribuons leacutetant et lun en disant dequelque chose quil est un eacutetant nous signifions sonexistence et en disant quil est un nous signifions saseacuteparation davec toute autre chose et davec lemultiple Mais tout agrave la fois276 ltcette chosegt est uneacutetant diffegravere des autres choses est une et nest pasmultiple

(In Met 247 16-21)

Une fois rappeleacutee lidentiteacute en extension Alexandre en deacuteduit queacutetant et un sont tous

deux plurivoques puisque luniverselle extension de leacutetant a pour contrepartie quil ne peut ecirctre

dit en un seul sens Mais comme le rappelle Alexandre bien que plurivoque leacutetant nest pas

pour autant un homonyme ndash et ainsi en ira-t-il pour lun Il est dailleurs eacutetonnant quAlexandre

renforce cette thegravese par un laquo ὡς εἴρηκε raquo ce quAristote laquo a dit raquo est que leacutetant relegraveve des laquo πρὸς

ἓν καὶ πρὸς μίαν φύσιν λεγομένων raquo au deacutebut du chapitre mais on serait bien en peine de

trouver un passage anteacuterieur dans le chapitre eacutenonccedilant en toute lettre la plurivociteacute de lun

Laffirmation indique combien la meacutecanique de la convertibiliteacute est en marche luni-reacutefeacuterentialiteacute

de lun deacutecoule neacutecessairement de son identiteacute avec leacutetant une fois que cette identiteacute est

comprise comme identiteacute en extension

Reste donc agrave expliquer la diffeacuterence entre leacutetant et lun Certes dans lensemble de son

commentaire Alexandre inaugure sans doute une lecture qui force la convertibiliteacute entre eacutetant et

un Neacuteanmoins comme on le voit dans ce passage lExeacutegegravete maintient une diffeacuterence laquo logique raquo

entre eux interpreacuteteacutee en terme dintention de penseacutee ou de signification cest ce que dit le terme

laquo ἐπίνοια raquo qui est agrave lire comme la contraction de lexpression preacuteceacutedente d laquo ἐπιβολὴ τῆς

διανοίας raquo Tout le dispositif hermeacuteneutique est donc precirct lanalogie avec principe et cause la

deacutefinition du logos en terme dintention de penseacutee et la distinction entre identiteacute en extension et

diffeacuterence en compreacutehension Cest cet ensemble qui explique la proposition centrale

Cest en vertu dune intention diffeacuterente que nous attribuons leacutetant et lun en disant de

275 Lun ou leacutetant

276 Et non pas laquo en mecircme temps raquo ou laquo simultaneacutement raquo car il nest pas question ici de pheacutenomegravenes seproduisant au mecircme instant

201

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

quelque chose quil est un eacutetant nous signifions son existence et en disant quil est unnous signifions sa seacuteparation davec toute autre chose et davec le multiple

En premier lieu il convient ici de nuancer lideacutee dune stricte synonymie (au sens

moderne) entre laquo eacutetant raquo et laquo existence raquo dune part et laquo un raquo et laquo seacuteparation raquo dautre part

Leacutequivalence entre les termes est davantage fonctionnelle Alexandre propose manifestement

quelque chose comme des termes voisins de laquo eacutetant raquo ou laquo un raquo afin de mieux distinguer

lintention avec laquelle nous employons ces preacutedicats En ce sens laquo σημαίνω raquo na pas ici le sens

fort dune deacutefinition mais dit lintention avec laquelle nous preacutediquons laquo eacutetant raquo ou laquo un raquo277

Il y a dans tous les eacutetants une double dimension le fait decirctre et luniteacute qui leur

appartient en tant queacutetants parce que leacutetant et lun se suivent et quils relegravevent donc de la mecircme

science cest dailleurs ainsi quAlexandre comprend la clause aristoteacutelicienne selon laquelle

consideacuterer leacutetant et lun comme laquo ἑνὶ λόγῳ δηλούμενα raquo serait mecircme plus pratique

L Couloubaritsis a montreacute combien cette parenthegravese reacutevegravele paradoxalement que la diffeacuterence

entre leacutetant et lun constitue un obstacle pour la science de leacutetant en tant queacutetant et que

laffirmation de leur identiteacute relegraveve donc au fond davantage de laquo lhypothegravese de travail raquo278

Alexandre comprend au contraire la clause agrave travers le prisme de la distinction entre

heacuteteacuteronymes et polyonymes laquo lesquels ont plusieurs noms mais dont chaque nom a la mecircme

deacutefinition raquo (ὧν πλείω μὲν ὀνόματα καθ ἕκαστον δὲ τῶν ὀνομάτων ὁ αὐτὸς λόγος 247 27-

28) Dans ce dernier cas leacutetude de leacutetant et lun laquo relegraveverait encore davantage de la mecircme

science sils diffeacuteraient seulement par le nom raquo (ἔτι γὰρ μᾶλλον τῆς αὐτῆς ἐπιστήμης ἔσται ὁ

περὶ ἑκατέρου αὐτῶν λόγος εἰ μόνον κατὰ τὸ ὄνομα διαφέροιεν 247 31-32) Le controcircle de

leur diffeacuterence est donc dans le dispositif alexandrinien absolument neacutecessaire pour maintenir

luniteacute de la meacutetaphysique et la structure de son champ

Quoique leur diffeacuterence reacuteside plus que dans le seul nom elle tient au fond simplement agrave

deux maniegraveres distinctes de deacutecrire la mecircme laquo nature sous-jacente raquo (laquo κατὰ τὴν ὑποκειμένην

φύσιν raquo 247 26-27) Lexistence et la seacuteparation nindiquent pas un attribut particulier de la chose

qui la distingue dune autre et eacuteventuellement la rapproche dune autre Ils disent ce qui fait

dune chose une chose Si Alexandre inaugure donc la compreacutehension de ce passage de Γ 2 en

termes de rapport entre essence et existence cest donc de faccedilon lointaine Cette ideacutee reste sans

277 Les deux termes sont en effet ici comme plus loin envisageacutes comme des preacutedicats (cf par exemple InMet 248 26)

278 Cf L Couloubaritsis [1983] p 86

202

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

aucun doute agrave leacutetat de piste dans le commentaire dAlexandre agrave Γ 2 et se voit davantage fondeacutee

par celui agrave Δ 7

c) Meacutetaphysique Δ 7 et son commentaire par Alexandre

Καθ αὑτὰ δὲ εἶναι λέγεται ὅσαπερσημαίνει τὰ σχήματα τῆς κατηγορίαςὁσαχῶς γὰρ λέγεται τοσαυταχῶς τὸ εἶναισημαίνει Ἐπεὶ οὖν τῶν κατηγορουμένων τὰμὲν τί ἐστι σημαίνει τὰ δὲ ποιόν τὰ δὲποσόν τὰ δὲ πρός τι τὰ δὲ ποιεῖν ἢ πάσχειντὰ δὲ πού τὰ δὲ ποτέ ἑκάστῳ τούτων τὸεἶναι ταὐτὸ σημαίνει οὐθὲν γὰρ διαφέρει τὸldquoἄνθρωπος ὑγιαίνων ἐστὶνrdquo ἢ τὸ ldquoἄνθρωποςὑγιαίνειrdquo οὐδὲ τὸ ldquoἄνθρωπος βαδίζωνἐστὶνrdquo ἢ ldquoτέμνωνrdquo τοῦ ldquoἄνθρωπος βαδίζειrdquo ἢldquoτέμνειrdquo ὁμοίως δὲ καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων

Ecirctre par soi se dit en autant de sens que signifientles figures de la preacutedication car en autant de senselles se disent en autant de sens lecirctre signifie Doncpuisque parmi les preacutedicats certains signifient le ceque cest dautres la qualiteacute dautres la quantiteacutedautres la relation dautre le faire ou le subirdautres le lieu dautres le temps laquo ecirctre raquo signifie lamecircme chose que chacun de ces [preacutedicats] car il nya aucune diffeacuterence entre laquo un homme est bienportant raquo et laquo un homme se porte bien raquo ni entre laquo unhomme est en train de marcher raquo ou laquo en train decouper raquo et laquo un homme marche raquo ou laquo coupe raquo etcaetera

(Met Δ 7 1017a 22-31)

Dans ce chapitre ceacutelegravebre du Livre des deacutefinitions Aristote preacutesente la plurivociteacute de leacutetant

non plus sous sa seule figure cateacutegoriale mais de faccedilon quadruple comme ecirctre par accident ecirctre

par soi ecirctre comme vrai et ecirctre en acte et en puissance Aristote ouvre la partie avec les sens par

accident et par soi ainsi quil la fait pour lun au chapitre preacuteceacutedent Malgreacute lapparente distance

de leurs probleacutematiques respectives certains liens peuvent ecirctre tisseacutes entre Δ 7 et Γ 2 qui

expliquent quon retrouve une thegravese similaire dans les commentaires dAlexandre Dans ces deux

passages en effet Aristote se livre agrave une reacuteflexion sur le langage et particuliegraverement sur le sens

de laquo ecirctre raquo dans les propositions du langage ordinaire279 Mais tandis que Γ 2 prend en

consideacuteration un simple nom (laquo homme raquo) Δ 7 opegravere sur une proposition complegravete Dans un cas

loccurrence mecircme du nom implique neacutecessairement la preacutedication de lecirctre parler dun homme

cest dire quil est un eacutetant ou encore dire de quelque chose que cest un homme implique

neacutecessairement quon lui attribue le fait decirctre un eacutetant En Δ il sagit en revanche avec les

exemples de montrer quune proposition quelconque du type laquo Sujet ndash verbe raquo peut se reacuteduire agrave

la forme laquo S est P raquo Appliquer un verbe agrave un sujet eacutequivaut agrave lui attribuer un preacutedicat Mecircme

dans une proposition du langage ordinaire qui nemploie pas le verbe ecirctre lecirctre est quoi quon

279 Pour une reacuteflexion similaire cf aussi De int 12 21b 9

203

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

dise toujours deacutejagrave lagrave280 et ce fait structurel savegravere deacutejagrave au simple niveau nominal

Le problegraveme principal que pose notre extrait est de comprendre ce que veut dire ici laquo ecirctre

par soi raquo laquo ecirctre raquo deacutesigne-t-il ici la copule ou doit-il sentendre au sens dit existentiel281 et laquo par

soi raquo est-il agrave comprendre comme renvoyant agrave la preacutedication essentielle ou bien au sens absolu

celui que dit lοὐσία en Z 1 1028a 29-31 par exemple et qui est deacutefini en Δ 18282 Bref ce qui laquo est

par soi raquo deacutesigne-t-il ici des preacutedicats et la liaison entre sujet et preacutedicat ou bien deacutesigne-t-il les

sujets des eacutetants qui sont pleinement dont lecirctre ne serait pas deacuteriveacute par opposition aux

accidents

La premiegravere lecture (WD Ross P Aubenque283) se justifie par la reacutefeacuterence faite aux

cateacutegories aux laquo figures de la preacutedication raquo284 Or il serait absurde de soutenir quune qualiteacute ou

une relation puissent ecirctre par soi au sens absolu ndash cela seul est reacuteserveacute agrave la premiegravere cateacutegorie la

substance285 Le passage signifierait donc que les genres des preacutedicats essentiels (essentiellement

attribueacutes agrave un sujet) sont au mecircme nombre que les cateacutegories De fait il est possible deffectuer

une preacutedication essentielle dune qualiteacute dune quantiteacute etc Tout deacutepend du sujet auquel on

attribue le preacutedicat appartenant agrave lun des genres ndash pour certaines choses la couleur appartient

intrinsegravequement agrave leur essence (la blancheur de la neige) pour dautre cest la position (celle du

seuil par exemple) etc Dans cette lecture la symeacutetrie avec le passage preacuteceacutedent sur lecirctre par

accident ndash qui donne manifestement des exemples de preacutedication accidentelle ndash est respecteacutee Ecirctre

par soi ou ecirctre par accident deacutesignent donc des classes de liaisons entre un sujet et un preacutedicat286

La seconde lecture est deacutefendue par exemple par A Baumlck287 selon qui il ne peut ecirctre

question ici de preacutedication essentielle ecirctre par soi concerne le sujet de la proposition attributive

Largument principal consiste agrave noter quAristote se sert dexemples de preacutedications accidentelles

(laquo un homme marche raquo laquo un homme coupe raquo etc) Pour que ces exemples soient senseacutes par

280 Cf aussi Met I 2 1054a 13-19

281 Nous reacutepeacutetons pour autant que cette distinction ait un sens chez Aristote Si nous reprenons cettedistinction cest parce quelle sert de fil conducteur dans les diverses interpreacutetations proposeacutees de cepassage (cf les notes suivantes)

282 Cf le sens de laquo ce qui na pas dautre cause raquo en Met Δ 18 1022a 32-36

283 WD Ross [1924] I p306-307 P Aubenque [1962] p 142 n 1

284 Pour cette expression en nous limitant agrave la Meacutetaphysique voir entre autres Met Δ 6 1016b 34 Δ 281024b 13 (preacuteciseacutees en laquo τοῦ ὄντος raquo) E 2 1026a 36 Θ 10 1051a 35 I 3 1054b 29 Cf WD Ross [1924]I p LXXXIV-LXXXV

285 Largument eacutetait deacutejagrave avanceacute par Thomas dAquin (In Met Δ Lect 9 sect 885 Cathala-Spiazzi)

286 Cf A Stevens [2000] p 212 (qui critique cette lecture)

287 A Baumlck [2000] p 70 sq

204

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

rapport agrave lobjectif du paragraphe et quon ne tombe pas dans la contradiction pointeacutee par

Thomas dAquin288 il faut donc exclure quAristote eacutetudie ici la preacutedication essentielle De ce

point de vue la manœuvre de Ross consistant agrave reacuteduire limportance des exemples (lesquels

rendent le propos dAristote laquo unnecessarily obscure raquo289) est purement dilatoire et affaiblit la

coheacuterence du passage De surcroicirct agrave plusieurs reprises dans le chapitre cest bien de lecirctre au

sens absolu quil est question Degraves le paragraphe sur laccident par exemple Aristote dit que laquo de

cette faccedilon on dit aussi que le non-blanc est parce que ce agrave quoi il survient cela est raquo (1017a 18-

19) Comme le reacutesume clairement A Stevens laquo Autrement dit le verbe ecirctre ne signifie plus

seulement la copule mais devient lui-mecircme le preacutedicat attribueacute au sujet raquo290

La distinction entre laquo par accident raquo et par soi raquo signifie que certaines choses nont un ecirctre

que deacuteriveacute et que dautres lont par elles-mecircmes Mais cette derniegravere interpreacutetation repose le

problegraveme que reacutesolvait la premiegravere dans ce cas pourquoi Aristote dit-il que les choses par soi

peuvent appartenir agrave toutes les cateacutegories Cest donc que laquo par soi raquo ne peut signifier ici

lindeacutependance ontologique propre agrave la seule substance Il faut en deacutegager une nouvelle entente

et cest ici que peut intervenir la proposition alexandrinienne291

288 Thomas dAquin In Met Δ Lect 9 sect 885 Cathala-Spiazzi Cf G Reale [2004] p 911 Le commentairede Thomas meacuteriterait une attention soutenue parce quil tente de concilier les deux interpreacutetationsesquisseacutees ci-dessus Cf aussi E Berti [1979] [2008a] p 175 n 48

289 WD Ross [1924] I p307 Pour une critique de la solution proposeacutee par Ross cf aussi G Reale [2004]p 913

290 A Stevens [2000] p 212-213

291 Cf A Baumlck [2000] p 72 laquo Aristotle then says that to be per se is said in as many ways as there are categoriesThat is S is signifies that S really exists and since Aristotle recognizes ten ultimate sorts of beings or realexistents for S to really exists requires that S be a substance or a quale or a quantum etc raquo

205

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Εἰπὼν δὲ περὶ τοῦ κατὰ συμβεβηκὸςὄντος ἑξῆς περὶ τοῦ καθ αὑτὸ λέγει Φησὶ δὲτοσαυταχῶς τὸ καθ αὑτὸ ὂν λέγεσθαι ὅσασχήματα καὶ γένη κατηγοριῶν Σχήματα δὲκατηγοριῶν τὰς [37120] δέκα κατηγορίαςλέγει δεκαχῶς οὖν φησι τὸ καθ αὑτὸ ὂνλέγεσθαι Καὶ αἴτιον τούτου ἀποδίδωσινἐπεὶ γὰρ ἑκάστῳ τῶν ὄντων τὸ εἶναισυντασσόμενον ταὐτὸν ᾧ συντάσσεταισημαίνει τὴν γὰρ οἰκείαν ὕπαρξιν ἑκάστουσημαίνει τὸ ὂν ὁμώνυμον εἰ δὲ δέκα αἱ κατὰτὰ ἀνωτάτω γένη διαφοραί δεκαχῶς καὶ τὸὄν τε καὶ τὸ εἶναι ῥηθήσεται Τὸ μὲν γὰρ τῇοὐσίᾳ [37125] συντασσόμενον εἶναι τὴνοὐσιώδη ὕπαρξιν σημαίνει τὸ δὲ τῷ ποσῷτὴν ὡς ποσοῦ καὶ τῷ ποιῷ τὴν ὡς ποιοῦ καὶἐπὶ τῶν ἄλλων γενῶν ὁμοίως

Apregraves avoir parleacute de leacutetant par accident Aristotediscute ensuite de leacutetant par soi Il affirme alors queleacutetant par soi se dit en autant de sens que les figureset les genres des cateacutegories Par laquo figures descateacutegories raquo il entend les dix cateacutegories Doncaffirme-t-il leacutetant par soi se dit en dix sens Et il endonne la raison cest parce que laquo ecirctre raquo quand il estcombineacute292 avec chaque eacutetant signifie la mecircme choseque ce agrave quoi il est combineacute Cest en effet lexistencepropre de chaque chose que signifie leacutetant qui esthomonyme293 Or294 sil y a dix diffeacuterences295 selon lesgenres suprecircmes leacutetant et lecirctre se diront aussi en dixsens Dabord en effet laquo ecirctre raquo combineacute avec lasubstance signifie lexistence substantielle ensuiteavec la quantiteacute il signifie ltlexistencegt comme celledune quantiteacute avec la qualiteacute ltlexistencegt commecelle dune qualiteacute et de mecircme pour les autres genres

292 Le verbe συντάσσω se lit souvent chez Alexandre au sens de laquo ranger avec raquo laquo classifier avec raquo ndashlitteacuteralement co-ordonner (In Top54 31 62 8 Quaestio 112 11 etc) Il peut aussi signifier le fait decomposer un livre (avec un jeu sur lordonnance meacutedicale In Met 242 2-3) et σύνταξις deacutesigne lalaquo composition raquo dun livre ndash par exemple celle du traiteacute de la Meacutetaphysique In met 137 13 345 16Pour ce passage WE Dooley pense ici agrave une meacutetaphore militaire le verbe peut effectivement avoir cesens (commander agrave une armeacutee la ranger en ordre de bataille) et Dooley propose donc laquo to be aligned raquoMais le verbe na jamais ce sens chez Alexandre et lideacutee nest pas que lecirctre et leacutetant sont mis sur lamecircme ligne rangeacutes au mecircme niveau mais quils sont composeacutes dans une proposition Lorsque lontraduit laquo συντασσόμενον raquo il faut donc penser par anticipation agrave la citation finale du De interpretationequi eacutevoque la σύνθεσις et emploie le verbe σύγκειμαι

293 La traduction par une tournure causale est peut-ecirctre trop deacutetermineacutee par rapport au grec Mais tel estbien le sens leacutetant ne signifie pas lexistence en soi mais parce quil est plurivoque ou laquo homonyme raquocomme le dit ici Alexandre dans un langage plus relacirccheacute (quil attribue ailleurs agrave Aristote lui-mecircme cfIn Met 241 21-24) cette existence se pluralise en fonction des sens de laquo ecirctre raquo selon les cateacutegories

294 Il faut peut-ecirctre lire εἰ δὴ selon Bonitz en apparat critique parce que Sepuacutelveda traduit laquo si ergo raquoHayduck garde la leccedilon des mss

295 Pour les cateacutegories comme laquo diffeacuterences raquo cf Top VI 8 146b 20-35

206

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Ὥστε καὶ ὅταν ἐν τῇ οὐσίᾳ τινὸς τούτωντι κατηγορῆται ὡς γένος ἢ ὡς διαφορὰ ἢ ὡςὁρισμός τινος ὂν αὐτῶν τὸ ἔστι τὸ τοῖς οὕτωκατηγορουμένοις συντασσόμενον εἴη ἂνκαθ αὑτὸ κατηγορούμενον

Δεικτικὸν δὲ [37130] τοῦ τὸ ἔστιν ᾧ ἂνσυντάσσηται ἐκείνην σημαίνειν τὴν φύσινπαρέθετο τὸ μηδὲν σημαίνειν ἄλλο τὸἄνθρωπος ὑγιαίνων ἐστὶν ἢ τὸ ἄνθρωποςὑγιαίνει τουτέστι τὸ ἔστιν ὃ ἐπὶ τῇ ὑγείᾳσυντέτακται μηδὲν ἄλλο ἢ τὴν τῆς ὑγείαςὕπαρξιν σημαίνει ὁμοίως καὶ ἐπὶ τοῦβαδίζων τὴν τῆς βαδίσεως καὶ ἐπὶ τοῦτέμνων τὴν τῆς τομῆς καὶ ἐπὶ πάντωνὁμοίως Ὡς γὰρ εἶπεν ἐν τῷ [37135] Περὶἑρμηνείας αὐτὸ μὲν οὐδέν ἐστιπροσσημαίνει δὲ σύνθεσίν τινα ἣν ἄνευ τῶνσυγκειμένων οὐχ οἷόν τε εἶναι

Degraves lors aussi quand dans la ltcateacutegorie de lagtsubstance lun de ces ltgenresgt est attribueacute agrave quelquechose parce quil est son genre sa diffeacuterence ou sadeacutefinition le laquo est raquo combineacute avec ce type depreacutedicats296 sera297 attribueacute par soi

Pour deacutemontrer en outre que laquo est raquo avec quoiquil puisse ecirctre combineacute signifie cette natureAristote a ajouteacute que laquo un homme est bien portant raquone signifie rien dautre que laquo un homme se portebien raquo cest-agrave-dire que le laquo est raquo combineacute avec la santeacutene signifie rien dautre que lexistence de la santeacute Demecircme aussi pour laquo marchant raquo et ltlexistencegt de lamarche laquo coupant raquo et ltlexistencegt de la coupe etautres cas similaires Car comme il la dit dans leTraiteacute de linterpreacutetation laquo en soi ltecirctregt nest rienmais sursignifie une composition laquelle ne peutecirctre sans ses composants raquo298

(In Met 371 17-36)

Apregraves avoir souligneacute que pour parler de leacutetant (ὄν) Aristote emploie des exemples avec

laquo ἔστιν raquo parce que ce dernier a eacuteteacute laquo formeacute raquo agrave partir du premier (370 9) Alexandre commente le

sens de lecirctre par accident comme deacutesignant la preacutedication accidentelle celle par laquelle des

accidents sont attribueacutes agrave leacutetant substantiel et sont ne sont pas proprement ou eacuteminemment

quelque chose (laquo μὴ κυρίως τί ἐστι raquo 370 22) Le sens de lecirctre par accident combine donc agrave la fois

la division entre la substance et ses accidents299 et la notion de preacutedication accidentelle Lecirctre

musical de lhomme est un accident parce quil ne deacutecoule pas de lοὐσία de lhomme (laquo ἐκ τῆς

οὐσίας raquo 371 5) qui elle est au sens plein300

En revanche lorsquil aborde lecirctre par soi Alexandre ne comprend pas lexpression

comme deacutesignant un ecirctre qui existerait par lui-mecircme mais comme lun des sens que peut

prendre le verbe ecirctre dans une preacutedication une des significations possibles du verbe ecirctre Le sens

de la copule dit en effet Alexandre varie en fonction de leacutetant qui lui est coordonneacute La question

est de savoir ce quAlexandre entend ici par laquo eacutetant raquo La combinaison de leacutetant avec le verbe ecirctre

296 Litteacuteralement laquo les items ainsi preacutediqueacutes raquo ou laquo ainsi attribueacutes raquo

297 Cas laquo troublant raquo dit J Bertrand dans sa Grammaire grecque dune subordonneacutee au subjonctif avec ἂνet dune principale avec verbe agrave loptatif Pour J Bertrand loptatif atteacutenue les effets du futurs attendu

298 De int 3 16b 24 Le texte qui nous a eacuteteacute transmis est laquo αὐτὸ μὲν γὰρ οὐδέν ἐστιν προσσημαίνει δὲσύνθεσίν τινα ἣν ἄνευ τῶν συγκειμένων οὐκ ἔστι νοῆσαι raquo

299 Sur cette division et ses origines cf ci-dessous sect 323

300 Cf en particulier la phrase de 371 4-5 laquo καὶ ἔστιν οὕτως ὂν ὡς ὄντι συμβεβηκός κυρίως ἂν καὶαὐτὸ ὄν εἰ ἦν ἐκ τῆς οὐσίας αὐτοῦ raquo

207

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

concerne-t-elle le sujet de la preacutedication ou les preacutedicats La reacuteponse nous est fournie par les

exemples il sagit neacutecessairement des preacutedicats Ecirctre signifie par soi quand son sens se reacutesout

dans celui du preacutedicat sy assimile Plus preacuteciseacutement laquo ecirctre raquo signifie lappartenance actuelle de

lattribut au sujet de la preacutedication ndash et donc signifie que la proposition preacutedicative en son entier

renvoie agrave un eacutetat de chose Alexandre reacutesoudrait ainsi la question de savoir pourquoi pour

illustrer lecirctre par soi Aristote donne des exemples de preacutedications accidentelles La reacuteponse est

que laquo ecirctre raquo signifie laquo par soi raquo a son sens essentiel quand dans nimporte quelle preacutedication

(essentielle ou non301) le preacutedicat appartient de fait agrave son sujet et deacutesigne comme le dit bien

E Berti qui se situe ici dans la ligneacutee alexandrinienne laquo des faccedilons effectives decirctre raquo302

Dans la question de savoir si les cateacutegories aristoteacuteliciennes deacutesignent des genres

suprecircmes de lecirctre ou des figures de la preacutedication Alexandre tente ainsi manifestement de tenir

la crecircte La preacutedication exprime non seulement une appartenance mais aussi ce quAlexandre

appelle ensuite une laquo nature raquo (371 30) cest-agrave-dire des modes decirctre que deacutesignent preacuteciseacutement

les diffeacuterentes cateacutegories On retrouve de ce point de vue le lien entre les deux sens de ὕπαρξις

le fait et lappartenance Comme Thomas lexplicite laquo Unde oportet quod ens contrahatur ad diversa

genera secundum diversum modum praedicandi qui consequitur diversum modum essendi raquo (In Met Δ

Lect 9 sect 890 Cathala-Spiazzi)

Pourtant on reacutetorquera quil y a bien un passage ougrave laquo ecirctre par soi raquo semble chez

Alexandre se reacutefeacuterer agrave la preacutedication essentielle

Degraves lors aussi quand dans la ltcateacutegorie de lagt substance lun de ces ltgenresgt est attribueacuteagrave quelque chose parce quil est son genre sa diffeacuterence ou sa deacutefinition303 le laquo est raquocombineacute avec ce type de preacutedicats sera attribueacute par soi (371 27-29)

Dans une conversion peut-ecirctre discutable304 lexpression laquo ἐν τῇ οὐσίᾳ raquo explicite ici le

301 Le laquo ᾧ ἂν συντάσσηται raquo de 371 30 va dans ce sens Nous remercions Annick Stevens pour cettesuggestion et le temps passeacute agrave tenter de retrouver le sens de ce passage

302 E Berti [1979] [2008a] p 175 n 48 laquo Les exemples decirctres par soi adopteacutes par Aristote (homme estbien portant homme est marchant homme est coupant) nexpriment en effet pas des connexionsessentielles mais simplement des faccedilons effectives decirctre raquo

303 Sur labsence du propre qui eacutetonne le traducteur anglais W Dooley cf A Stevens [2000] p 197 il fautdistinguer entre les preacutedications dans lessence (avec les preacutedicables deacutefinition genre diffeacuterence) et lespreacutedications accidentelles (propres et accidents) Cf aussi An Pr I 27 43b 1-11 La preacutedicationessentielle implique que sujet et preacutedicat appartiennent agrave la mecircme cateacutegorie ce qui nest pas le casdans les preacutedications du propre et de laccident Cf aussi Top I 8

304 Selon A Stevens pour la premiegravere cateacutegorie Aristote parle plutocirct de τί ἐστι quand il est question despreacutedicats (cf Top I 9 130b 20-39 mais aussi 120b 21-29 178a 4-8) et plutocirct dοὐσία quand il estquestion de la liste des eacutetants (cf Top 103b 28 31 120b 38 121a 7)

208

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

laquo ἐπεὶ οὖν τῶν κατηγορουμένων τὰ μὲν τί ἐστι σημαίνει raquo du texte aristoteacutelicien (1017 a 24-

25) Alexandre emploie couramment cette expression quil deacuteveloppe parfois par laquo ecirctre preacutediqueacute

par soi raquo305 Mais dans ces cas de preacutedications essentielles ce agrave quoi sinteacuteresse Alexandre cest

bien le sens du verbe laquo ecirctre raquo et son attribution au sujet Toute preacutedication se fait avec comme en

ombre la preacutedication de laquo ἔστι raquo au sujet La preacutedication essentielle exemplifie au mieux

comment la preacutedication explicite implique neacutecessairement lattribution implicite dun certain

mode decirctre

On peut deacutesormais davantage eacuteclaircir la reacutefeacuterence faite au De interpretatione agrave la fin de

notre extrait

Car comme il la dit dans le Traiteacute de linterpreacutetation en soi ltecirctregt nest rien maissursignifie une composition laquelle ne peut ecirctre sans ses composants

En premiegravere approche en effet le passage paraicirct doublement contradictoire avec

linterpreacutetation geacuteneacuterale dAlexandre Dune part dans le reste du commentaire Alexandre

semble affirmer qulaquo ecirctre raquo signifie quelque chose alors que la citation soutient qu laquo ecirctre raquo ne

signifie rien Dautre part dans la citation le verbe laquo ecirctre raquo semble reacuteduit agrave la fonction copulative

et non pas doteacute dune signification lexicale dexistence

Ce double paradoxe nest en fait quapparent et peut ecirctre leveacute gracircce agrave linterpreacutetation

quAlexandre donne de cette fin du chapitre 3 du De interpretatione dont Ammonius teacutemoigne

305 Ainsi en 285 25 sq sur Γ 4 agrave propos des sophistes qui laquo suppriment la substance raquo et affirment quelaquo tout est accident raquo Alexandre dit que laquo οὐδὲν γὰρ ἔσται τῶν κατηγορουμένων τινὸς ὡς γένος καὶἐν τῷ ltὅπερgt τουτέστιν ἐν τῇ οὐσίᾳ κατηγορούμενον οὐδὲ ὅλως ὡς οὐσία καὶ εἶδος καὶ ὡςὁρισμὸς καὶ τί ἦν εἶναι raquo Sur cette expression cf aussi In Met 224 27 225 18 256 8 285 11 et 17Cf encore In Top 38 2 sq Voir enfin les occurrences dans la difficile Quaestio I 11 Peut-ecirctreleacutequivalence se fait-elle en reacutefeacuterence agrave Z 4

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Εἰ δέ τις μὴ προσίοιτο ταύτην τοῦπροσσημαίνειν τὴν ἐξήγησιν πειθέσθω τῷἈλεξάνδρῳ λέγοντι διὰ τοῦ ltαὐτὸ μὲν γὰροὐδέν ἐστιgt καὶ τῶν ἐφεξῆς περὶ τοῦ ltἔστιgtδιαλέγεσθαι πάλιν τὴν Ἀριστοτέλην μετὰ τὸεἰπεῖν διὰ μέσου περὶ τοῦ ὄντος ὡς οὐδὲτούτου ὅταν καθ αὑτὸ λέγηται δυναμένουσημαίνειν τι ἀληθὲς ἢ ψεῦδος καὶ λέγειν ὅτιτοῦτο τὸ ἔστιν ἢ καὶ τὸ οὐκ ἔστιν (ὁ αὐτὸςγὰρ περὶ ἑκατέρου λόγος) αὐτὸ καθ αὑτὸλεγόμενον ἀληθὲς μέν τι σημαίνειν ἢψεῦδος οὐ πέφυκεν ὄνομα δέ τι ὄν ὥσπερκαὶ τὰ ἄλλα ῥήματα δύναμιν ἔχειπροηγουμένως μὲν σημαντικὴν τῆς τοῦὄντος μεθέξεως ἢ στερήσεως κατὰ δεύτερονδὲ λόγον καὶ κατηγορουμένου τινὸς πρὸςὑποκείμενον συμπλοκῆς οἷς προστιθέμενοντέλειόν τε ποιεῖ τὸν λόγον καὶ σημαντικὸν ἢἀληθείας ἢ ψεύδους καὶ γὰρ ἂν ἀμέσωςκατηγορῆται τοῦ ὑποκειμένου καὶ τότεδυνάμει τὸ μὲν ἔστι συμπλοκὴν αὐτοῦ πρὸςτὸ ὂν σημαίνει οἷον lsquoΣωκράτης ὄν ἐστιrsquo τὸδὲ οὐκ ἔστι διαίρεσιν ἢ καὶ ἀμφότερασύνθεσιν ὅπερ γὰρ εἴρηται ἐν τοῖς Περὶψυχῆς lsquoκαὶ ὁ μὴ εἶναί τι λευκὸν φάσκων τὸμὴ εἶναι λευκὸν συνέθηκε τῷ ὑποκειμένῳrsquo

Mais si lon nadmet pas cette interpreacutetation dulaquo sursignifier raquo que lon se fie agrave Alexandre selon quipar laquo lui-mecircme nest rien raquo et ce qui suit Aristoteapregraves avoir parleacute au milieu306 de eacutetant discute agravenouveau de est en disant que celui-ci quand il estdit par lui-mecircme ne peut pas non plus signifier quequelque chose est vrai ou faux et que le est et lenest pas (car le discours est le mecircme pour chacundes deux) dit eux-mecircmes en eux-mecircmes ne peuventpar nature signifier que quelque chose est vrai oufaux eacutetant des noms comme les autres verbes ils ontau premier chef la valeur seacutemantique307 departicipation agrave leacutetant ou de privation de leacutetant etdeuxiegravemement la liaison dun certain preacutedicat agrave unsujet308 auxquels309 ils sajoutent pour produire un uneacutenonceacute acheveacute et capable de signifier la veacuteriteacute ou lafausseteacute De fait sils sont preacutediqueacutes directement dusujet alors lagrave aussi est signifie par son sens310 laliaison du sujet agrave leacutetant ndash par exemple Socrate est uneacutetant ndash tandis que nest pas signifie la dissociationndash quoique les deux signifient une combinaison Cesten effet preacuteciseacutement ce qui est dit dans le Traiteacute delacircme laquo mecircme celui qui affirme que quelque chosenest pas blanc a assembleacute ne pas ecirctre blanc avec lesujet

(Ammonius In De int 57 18-33)

Lune des difficulteacutes poseacutees par la proposition aristoteacutelicienne laquo αὐτὸ μὲν γὰρ οὐδέν

ἐστι raquo311 reacuteside dans le αὐτὸ sagit-il de dire que le verbe laquo ecirctre raquo na jamais aucun sens en lui-

mecircme (cest-agrave-dire consideacutereacute pour lui-mecircme au sein dune proposition) Linterpreacutetation

dAlexandre est tout autre312 LAphrodisien lit la proposition comme signifiant le verbe laquo ecirctre raquo

306 Cest-agrave-dire laquo entre parenthegraveses raquo ou laquo entre-temps raquo ( F Ildefonse J Lallot [1992] p 64)

307 Nous empruntons cette heureuse traduction agrave F Ildefonse J Lallot [1992] p 64

308 On suit ici la traduction que donne plus reacutecemment J Lallot seul ([2003] p 18 n 16) laquo mais ensecond lieu ils signifient la combinaison drsquoun preacutedicat avec un sujet auxquels ils srsquoajoutent pour formerun eacutenonceacute complet signifiant veacuteriteacute ou fausseteacute raquo et non la version preacuteceacutedente en collaboration avecF Ildefonse laquo et en second il a aussi valeur de preacutedicat dans une combinaison avec un sujet raquo(F Ildefonse J Lallot [1992] p 64) qui bien que proposant un sens diffeacuterent mais coheacuterent avec ce quisuit nous paraicirct grammaticalement moins correcte

309 Agrave savoir agrave ces sujet et preacutedicat est et nest pas sajoutent

310 Ou laquo en puissance raquo (J Lallot [2003] p 18 n 16 traduit laquo potentiellement raquo mais il nous paraicirct plusprobable que le laquo δυνάμει raquo de 57 30 ait le mecircme sens que laquo δύναμιν raquo de 57 26)

311 Sur les problegravemes textuels et les diffeacuterentes leccedilons de De int 3 16b 20-25 cf S Husson [2009]

312 Il faudrait travailler plus en profondeur la sillage qui lie ensemble les commentaires agrave ce sujetdAlexandre dAmmonius et de Boegravece On doit rappeler limportance capitale du commentaire deBoegravece pour la constitution de la notion meacutedieacutevale de copule Sur ce passage chez Boegravece cf J Lallot[2003] p 22 et surtout I Rosier-Catach [2009]

210

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

quand il est pris en dehors de toute composition (comme si lon disait laquo est raquo) na aucun statut

propositionnel et nest pas susceptible de veacuteriteacute ou de fausseteacute Une telle interpreacutetation convient

dailleurs beaucoup mieux avec le contexte du chapitre313

Le propre de lanalyse dAlexandre est de distinguer deux niveaux dans cette laquo valeur

seacutemantique raquo quil est tentant de lire comme la distinction entre signification existentielle du

verbe ecirctre pris absolument et fonction copulative qui rend possible les propositions et les ouvre agrave

la veacuteriteacute ou la fausseteacute314 La seconde valeur se maintient dailleurs dans la premiegravere puisque

lemploi absolu du verbe laquo ecirctre raquo peut se reacutesoudre en une preacutedication comme en teacutemoigne aussi

le deacutebat engageacute avec le Περὶ λέξεως dEudegraveme dans le Commentaire aux Premiers Analytiques

Alexandre y affirme en effet que dans les propositions ougrave ecirctre est employeacute absolument le verbe

est en quelque sorte le preacutedicat315 car conformeacutement aussi au deacutebut du commentaire agrave Δ 7

laquo est raquo est deacuteriveacute de laquo eacutetant raquo LrsquoExeacutegegravete a ici retenu la leccedilon aristoteacutelicienne adresseacutee au

Lycophron de Physique I 2 185b 28 sq en renforccedilant le regravegle du modegravele preacutedicatif pour toute

proposition

Mais si Alexandre ne parle ici pour le premier niveau que dune laquo participation raquo ou

laquo privation de leacutetant raquo il faut parier sur la coheacuterence (que rien ne vient deacutementir) et lier ensemble

le commentaire agrave Δ 7 et celui au De int 3 pour comprendre que laquo eacutetant raquo attribueacute agrave un sujet ou

laquo ecirctre raquo employeacute absolument signifient le fait decirctre lexistence comme factualiteacute Toutefois cette

signification existentielle est impensable sans la combinaison du verbe laquo ecirctre raquo avec au

minimum un sujet (laquo Socrate est raquo qui signifie en reacutealiteacute laquo Socrate est eacutetant raquo) et au maximum un

sujet et un autre preacutedicat

Ici se reacutesolvent les derniegraveres difficulteacutes qui apparaissaient pour saisir la coheacuterence de la

citation du De interpretatione avec le reste de linterpreacutetation de Δ 7 La citation intervient en effet

comme justification des exemples de transformation des eacutenonceacutes laquo lhomme marche raquo en

laquo lhomme est marchant raquo ougrave laquo ecirctre raquo affirme Alexandre signifie lexistence de la marche pour

un sujet Autant dire que lexistence nest jamais la nue entiteacute de quelque chose seacuteparable de

celle-ci Il faut bien un sujet au verbe ecirctre pour que quelque chose soit dit exister et le sens mecircme

de lexistence varie en fonction de ce qui est dit ecirctre autant que de ce que le sujet est La notion

mecircme de factualiteacute qui exprime au plus pregraves ce quAlexandre deacutesigne par ὕπαρξις implique ceci

313 M Burnyeat en donne dailleurs une version approchante (cf M Burnyeat [2003] p 14)

314 Cest le pas que saute J Lallot [2003] p 18 n 16

315 In AnPr 15 15-22

211

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

quagrave la diffeacuterence du concept avicennien dexistence la factualiteacute ne peut pas ecirctre penseacutee comme

une position neutre dune essence preacuteexistante mais quelle enveloppe ce qui est et le fait quil

soit deacutetermineacute comme un donneacute positif316 Toutes les propositions peuvent se reacutesoudre en des

propositions preacutedicatives lesquelles peuvent toutes se reacutesoudre dans les diverses figures de

lattribution qui disent toutes un certain mode decirctre lhomme qui laquo est marchant raquo a un attribut

dont le mode decirctre est laction celui qui est blanc un attribut dont le mode decirctre est qualiteacute et

ainsi de suite

Si ce qui preacutecegravede est juste Alexandre proceacutederait alors agrave une reformulation de la thegravese

aristoteacutelicienne dont nous parlions plus haut lexistence nest pas pensable en dehors de

lessence qui existe ndash mais avec cette diffeacuterence majeure quAlexandre introduit le mot pour le

dire Sans opposer le fait et lessence lExeacutegegravete peut du moins dire leur uniteacute en les distinguant

parce quil peut deacutesormais parler de lexistence au sens du fait que quelque chose soit Cette

promotion dun concept dexistence entendue comme la factualiteacute dune essence est donc tout agrave

la fois un instrument exeacutegeacutetique et une interpreacutetation deacutetermineacutee coheacuterente avec son contexte

de lecirctre

Lideacutee selon laquelle Alexandre ne pense pas la seacuteparation entre lexistence dune chose et

son essence trouvera enfin confirmation dans sa theacuteorie des universaux telle quelle se deacuteveloppe

dans les Quaestiones ou le commentaire aux Topiques La question ayant eacuteteacute amplement traiteacutee on

pourra se cantonner agrave quelques brefs rappels Certains auteurs ont cru lire chez Alexandre les

preacutemices des theacuteories meacutedieacutevales du sujet unique et de lindiffeacuterence de lessence ndash cest-agrave-dire les

preacutemices de la doctrine avicennienne selon laquelle lexistence nest quun accident de lessence317

Cependant au vu des textes il est clair que pour Alexandre toute essence est neacutecessairement

essence drsquoau moins un particulier318 lrsquoessence nrsquoest pas indiffeacuterente agrave la particulariteacute quoiquelle

316 Au sens du reacutealisme du fait contre lequel Merleau-Ponty lutte depuis la Pheacutenomeacutenologie de la perception jusque dans Le Visible et linvisible (cf R Barbaras [1991] p 117-122)

317 Cf sur toutes ces questions cf A de Libera [1999a] et particuliegraverement p 149

318 Cf le texte sur-commenteacute de In Top 355 18-24 traduit par A de Libera [1999a] p 143 laquo Ce agrave quoi ileacutechoit agrave titre drsquoaccident drsquoecirctre un genre est aneacuteanti purement et simplement si toutes les choses qui serangent sous [lui] sont aneacuteanties [En revanche] cela est aneacuteanti en tant que genre si une seule deschoses qui se rangent sous [lui] qursquoelle soit une en nombre ou en espegravece subsiste Car lrsquoanimal est ungenre non parce que crsquoest un ecirctre animeacute doteacute de sensation mais parce qursquoune telle nature existe enplusieurs choses qui diffegraverent speacutecifiquement les unes des autres Si toutes [ces espegraveces] eacutetaientsupprimeacutees en dehors drsquoune seule qui subsisterait ecirctre animeacute doteacute de sensation agrave savoir animal ne seraitplus un genre raquo (laquo ἁπλῶς μὲν οὖν συμφθείρεται τοῦτο ᾧ συμβέβηκεν εἶναι γένει πάντων τῶνὑπαὐτὸ φθαρέντων ὡς δὲ γένος φθείρεται εἰ ἕν τι μόνον ἢ κατ ἀριθμὸν ἢ κατὰ εἶδος τῶνὑπαὐτὸ σώζοιτο τὸ γὰρ ζῷον γένος ἐστίν οὐχ ὅτι ἐστὶν οὐσία ἔμψυχος αἰσθητική ἀλλ ὅτι ἡ

212

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

le soit peut-ecirctre agrave la pluraliteacute de ses instanciations et ce ultimement parce que la forme ne saurait

en toute rigueur laquo exister raquo sans la matiegravere Pour lExeacutegegravete il nexiste pas drsquoessence sans au moins

une instanciation et donc en langage neacuteoplatonicien drsquouniversel ante rem Agrave la thegravese selon

laquelle rien nexiste qui nait une essence ou ne soit quelque chose dune substance reacutepond

lanathegraveme anti-platonicien bien connu il ne peut y avoir dessence geacuteneacuterale existant par elle-

mecircme ou dit autrement il ny a pas de factualiteacute de lessence hors de la substance

On pourrait alors ecirctre en mesure de rendre raison de labsence quasi totale de ὕπαρξις

chez Plotin Pour lexpliquer C Rutten319 eacutemet agrave partir de la reacutefeacuterence alexandrinienne

lhypothegravese selon laquelle ce terme serait devenu agrave leacutepoque de Plotin comme un signe exteacuterieur

daristoteacutelisme Certes on la vu Alexandre heacuterite lui-mecircme du terme La prudence quand il

sagit dinterpreacuteter une absence est de mise mais il serait bien possible que ὕπαρξις soit devenue

comme le fanal de laristoteacutelisme suite agrave sa reprise alexandrinienne

224 Conclusions ndash existence et non-eacutetant comme objets de la meacutetaphysique

La conception alexandrinienne de ὕπαρξις ndash laquo existence raquo si lon veut maintenir le fil qui

relie le vocable agrave son histoire ulteacuterieure ou laquo factualiteacute raquo qui est plus proche de ce quAlexandre

semble y entendre ndash ne contrevient pas agrave la pluraliteacute des sens de lecirctre Chaque cateacutegorie emporte

avec elle une ὕπαρξις propre un certain mode decirctre Chaque cateacutegorie est un sens de lexistence

la modaliteacute decirctre dune classe de deacutetermination La promotion du concept ne doit donc pas

sentendre comme celle dun certain sens de leacutetant au deacutetriment des autres mais comme

linterpreacutetation alexandrinienne de cette plurivociteacute de leacutetant

Peut-on pour autant en deacuteduire que lobjet de la meacutetaphysique alexandrinienne est leacutetant

en tant queacutetant compris comme laquo lexistant en tant quexistant raquo320 Alexandre ne propose jamais

une telle substitution alors quil en avait manifestement les moyens linguistiques Au surplus

lobjet de la science de leacutetant en tant queacutetant est plus large que le seul existant Lexplicitation de

τοιαύτη φύσις ἐν πλείοσίν ἐστι κατ εἶδος ἀλλήλων διαφέρουσιν ὧν ἀναιρουμένων ἑνὸς δὲ μόνουσωζομένου οὐκέτ ἂν εἴη γένος ἡ οὐσία ἔμψυχος αἰσθητική τοῦτ ἔστι τὸ ζῷον raquo) Cf aussi RWSharples [1992] p 52-53 note 140 et M Rashed [2007b] p 254-257

319 Cf C Rutten [1994]

320 Comme la proposeacute M Bonelli [2001] p 94 et 98

213

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

leacutetant par lexistence nest proposeacutee en Δ 7 que pour leacutetant par soi et non pas pour laccident Or

ce dernier mecircme sil sapproche du non-eacutetant incombe aussi agrave la meacutetaphysique321

On reacutetorquera quil y a un paradoxe bien grossier agrave tenir pour non-eacutetant un sens de

leacutetant laccidentaliteacute Le paradoxe nest toutefois quapparent sil est vrai que selon le

commentaire agrave Γ 2 laquo mecircme les neacutegations sont des eacutetants raquo parce quelle sont quelque chose de la

substance au sens ougrave elles entretiennent une certaine relation (σχέσις) agrave celle-ci322 Nous pouvons

donc dit Alexandre leur attribuer lecirctre et telle est bien la laquo force de la substance relativement agrave

lecirctre et agrave leacutetant raquo (τὴν τῆς οὐσίας ἰσχὺν πρὸς τὸ εἶναί τε καὶ τὸ ὄν 243 10) Mais alors que le

texte de Γ 2 soutient que laquo nous affirmons que le non-eacutetant est non-eacutetant raquo (τὸ μὴ ὂν εἶναι μὴ ὄν

φαμεν 1003b 10) en employant ce que nous appellerions le sens didentiteacute du verbe laquo ecirctre raquo

Alexandre dit quant agrave lui que nous lui attribuons simplement le fait decirctre (laquo τὸ εἶναι

κατηγοροῦντες raquo 243 16) et lexplicite

Οὕτω καὶ τὸ μὴ ὂν εἶναι μὴ ὄν φαμεν τοῦ μὴ ὄντος ὅ ἐστι τοῦ ὄντος ἀπόφασις τὸεἶναι κατηγοροῦντες ὅτι τοῦ ὄντος τί ἐστιν οὐ μὴν ἁπλῶς εἶναι αὐτὸ λέγοντες ἀλλὰτὸ ὅλον τοῦτο μὴ ὂν εἶναι (243 15-17)

La proposition dans sa derniegravere partie pose des problegravemes de construction et donc de

traduction A Madigan propose de prendre laquo τὸ ὅλον τοῦτο raquo comme sujet et laquo μὴ ὂν raquo comme

preacutedicat

So too we say that even non-being is [Madigan souligne] non-being predicating being of non-being which is the negation of being because it is something that belongs to being ndash not in thesense that it simply is but rather that this whole [en note the object together with its negativeattribute of not being such-and-such] is non-being323

Outre que la post-position du deacutemonstratif est agrave notre connaissance rare sinon

inexistante chez Alexandre il nest pas certain que le sens ainsi obtenu soit satisfaisant Il nous

semble en fait que lopposition dans le passage se joue davantage entre laquo αὐτὸ raquo dune part et

321 Lune des thegraveses ontologiques sous-jacentes agrave leacutethique alexandrinienne dans la Mantissa (quel quensoit son auteur cf RW Sharples [1975] p 52 S Bobzien [1998] p 169 D Lefebvre [2006] p 104 n 1)consiste preacuteciseacutement agrave accentuer le rapprochement de leacutetant par accident avec un non-eacutetant opeacutereacute parAristote en E 2 1026b 21 et mecircme agrave identifier eacutetant par accident et non-eacutetant Le chapitre XXII de laMantissa deacutecrit en effet le laquo meacutelange raquo du non-eacutetant agrave leacutetant du monde sublunaire tel quil fonde le faitde laccident et permet de sauver la liberteacute (cf Mantissa 169 33 sq) Pour des raisons qui serontexpliciteacutees plus loin et tiennent agrave la concentration de lecirctre dans la substance (cf infra sect 321a) cettethegravese nous paraicirct sinon authentique du moins tregraves proche de la penseacutee alexandrinienne

322 In Met 243 10-13

323 A Madigan [1993] p 17 et note 54 p 147 La traductrice italienne (M Casu in G Movia [2007] p 579)suit eacutegalement cette construction

214

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

laquo τὸ ὅλον τοῦτο μὴ ὂν raquo dautre part Pour paraphraser Alexandre nous ne disons pas que le

non-eacutetant est en lui-mecircme absolument car son ecirctre est deacuteriveacute Son ecirctre tient agrave ce quil est

laquo quelque chose de la substance raquo agrave savoir une laquo neacutegation raquo qui a donc une certaine relation agrave

elle en vertu de laquelle on peut le dire ecirctre ou lappeler eacutetant ndash comme lexplicite le passage

immeacutediatement preacuteceacutedent Ce qui est donc cest en fait le complexe formeacute par la substance et la

neacutegation laquo τὸ ὅλον raquo Dans la traduction proposeacutee par A Madigan le raisonnement dAlexandre

confine presque agrave labsurditeacute en soutenant que la substance et la neacutegation forment un non-eacutetant

alors quAlexandre est preacuteciseacutement en train de justifier linteacutegration des neacutegations de la substance

et de ses proprieacuteteacutes au champ de la science de leacutetant en tant queacutetant au motif quelles sont aussi

appeleacutees laquo eacutetants raquo (243 10-13) Pour sauver la compreacutehension de Madigan il faut supposer que

la preacutedication de lecirctre et donc lappellation de laquo eacutetant raquo pour les neacutegations est implicite agrave leur

preacutedication mecircme de non-eacutetant

Il nous semble que le raisonnement dAlexandre est agrave la fois plus simple mais aussi plus

radical qui traduit lidentiteacute chez Aristote en laquo ecirctre raquo existentiel tout en refusant cependant ndash

mais le point est eacutevident ndash que lexistence du non-eacutetant soit assimileacutee agrave lexistence laquo absolue raquo ou

laquo simple raquo celle de la substance En effet il est grammaticalement possible de consideacuterer que le

sujet de εἶναι est laquo τὸ ὅλον τοῦτο μὴ ὂν raquo324 ce qui donnerait dans une traduction litteacuterale dont

on nous pardonnera la laideur

Οὕτω καὶ τὸ μὴ ὂν εἶναι μὴ ὄν φαμεντοῦ μὴ ὄντος ὅ ἐστι τοῦ ὄντος ἀπόφασις τὸεἶναι κατηγοροῦντες ὅτι τοῦ ὄντος τί ἐστινοὐ μὴν ἁπλῶς εἶναι αὐτὸ λέγοντες ἀλλὰ τὸὅλον τοῦτο μὴ ὂν εἶναι

De la mecircme faccedilon laquo nous affirmons que le non-eacutetant est non-eacutetant raquo du non-eacutetant qui est laneacutegation de leacutetant nous preacutediquons lecirctre parce quilest quelque chose de leacutetant325 non pas que nous ledisions ecirctre au sens absolu mais parce que lensemblece non-eacutetant est

(In Met 243 15-17)

Il y aurait bien ainsi une factualiteacute mecircme du non-eacutetant326 ndash comme si Alexandre avait ici

en tecircte une certaine interpreacutetation de Physique I 3 Cest donc agrave un double titre que le non-eacutetant

tombe dans le champ de la science de leacutetant en tant queacutetant parce quil revient agrave la mecircme

science deacutetudier un objet et sa neacutegation ou son absence (ἀπουσία)327 mais aussi positivement

324 La possibiliteacute de prendre τὸ ὅλον au sens adverbial est eacutegalement tentante mais sauf erreur leCommentaire agrave la Meacutetaphysique nemploie jamais cette tournure

325 La proposition renvoie agrave lideacutee eacutenonceacutee preacuteceacutedemment laquo ὄντος γάρ τινος ἡ ἀπόφασις raquo (243 14)

326 On songe au laquo Jai tout de suite vu quil neacutetait pas lagrave raquo de Sartre dans LEcirctre et le neacuteant ([1943] p 43)

327 Sur le non-eacutetant comme objet de lontologie cf le commentaire agrave 1004a 10-11 sq In Met 252 18 ndash 254

215

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

parce quen un sens faible lui aussi est Lontologie a aussi pour objet des choses qui ne sont que

sur un mode extrecircmement deacutegradeacute purement deacuteriveacute mais qui ne sont pas du non-eacutetant

absolu328

Assiste-t-on toutefois agrave leacutemergence dun concept dexistence en terrain aristoteacutelicien

Encore faut-il sentendre ici sur ce quest laquo un concept dexistence raquo Or bien posteacuterieur au

classique existere329 le concept latin dexistentia apparaicirct un peu plus dun siegravecle apregraves Alexandre

dans la correspondance entre Candide lArrien et Marius Victorinus330 Chez Victorinus

lexistentia est explicitement une traduction de ὕπαρξις ndash ce qui permet deacutelever lenquecircte sur

ὕπαρξις au rang de preacutehistoire de lexistence Mais lexistentia apparaicirct pour dire quelque chose

de plus que ὕπαρξις en deacutesignant la venue agrave lecirctre comme laquo sortie de raquo en particulier dans le cas

du Fils et du Pegravere V Carraud a en effet montreacute combien la naissance de lexistence penseacutee dans

sa double dimension comme ex- et -sistere est inseacuteparable dune probleacutematique dabord

christologique331 Si lon reacuteduit lexistence agrave cette dimension en insistant sur le preacutefixe on aura

alors beau jeu de soutenir quil ne peut y avoir de concept dexistence dans la philosophie

grecque paiumlenne332

Neacuteanmoins dans le texte victorinien lexistence deacutesigne aussi le caractegravere substratif de la

substance333 le sujet du composeacute et son ecirctre indeacutetermineacute Telle nest pas lavanceacutee de Victorinus ndash

qui naurait pas eu besoin pour dire cela de forger existentia Ce sens nest toutefois pas

15 et particuliegraverement 252 29-30 laquo ἧς γὰρ τὸ τόδε τι θεωρῆσαι ταύτης καὶ τὴν ἀπουσίαν τὴνἐκείνου raquo Sur le non-eacutetant comme objet de la meacutetaphysique chez Aristote voire en particulier E Berti[1990]

328 Et ce parce que lontologie ne se reacuteduit pas lousiologie cf ci-dessous sect 24

329 Cf E Gilson [1972] p 344-349 le poids du verbe en latin classique porte sur le laquo ex raquo et signifie doncsortir dougrave laquo se montrer raquo laquo paraicirctre raquo (cf Ciceacuteron laquo Existunt in animis varietates raquo De officiis I 107)laquo existunt raquo signifiant dabord laquo on rencontre raquo laquo il apparaicirct que raquo et non pas laquo il existe raquo mecircme sicomme le souligne Gilson (p 344) le lien se pressent facilement) Le sens de existo comme ecirctre au sensabsolu se fait selon Gilson au IVegraveme siegravecle dans les traductions de Platon par Calcidius

330 Sur une occurrence anteacuterieure chez Calcidius dans sa traduction du Timeacutee en 25d cf V Carraud[2003] p 7-8 V Carraud note eacutegalement la possibiliteacute dune apparition plus ancienne agrave partir duteacutemoignage de Victorinus lui-mecircme p 8 agrave propos de Adversus Arium I 30 18-21 Mais cest peut-ecirctrelagrave une reacutefeacuterence davantage agrave lemploi contemporain de ὕπαρξις plutocirct que la mention dune histoireanteacuterieure de laquo existentia raquo

331 Telle est la thegravese soutenue dans V Carraud [2003]

332 CH Kahn [1982] p 7

333 Adversus Arium I 30 18-25 Cf P Hadot [1968] I p 269-270 n 8 Il nous semble cependant difficile dedire avec P Hadot que cet ecirctre pur nest pas laquo sujet raquo au vu des meacutetaphores et du vocabulaireemployeacute il y a quelque chose de laquo fondamental raquo dans lexistence ainsi deacutefinie mais sans doute Hadotveut-il dire par lagrave que cet existence nest pas sujet dune preacutedication Voir aussi P Hadot [1972]

216

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ininteacuteressant en ce quil est sans doute lune des lignes de force les plus constantes de lhistoire du

concept dexistence celle-ci acqueacuterant plus tard une consistance conceptuelle en se distinguant de

lessence Scipion Dupleix par exemple a encore en vue ce sens quand dans le franccedilais du

XVIIegraveme il deacutefinit lexistence comme laquo la nue entiteacute le simple et nu ecirctre des choses raquo qui nest pas

sans rappeler llaquo ecirctre pur sans addition raquo de Victorinus334 Manifestement si lon veut chercher de

lexistence en dehors de toute penseacutee creacuteationniste cest cette direction qui doit ecirctre prise

Damascius par exemple comme la montreacute P Hadot parle de lexistence ce sens et distingue

aussi ὕπαρξις et ὀυσία en travaillant agrave partir de leacutetymologie mecircme du vocable ὕπαρξις comme

deacutesignant laquo le premier principe de chaque hypostase raquo qui est comme une laquo assise ou un

fondement raquo et qui deacutesigne lUn avant sa composition avec la substance335 Or cette thegravese de

Victorinus et Damascius trouve ultimement sa source chez Porphyre Le terme ὕπαρξις se lit

certes assez rarement sous le calame de Porphyre mais la distinction entre ὕπαρξις et ὀυσία

entre lecirctre indeacutetermineacute et la deacutetermination est un acquis du Commentaire au Parmeacutenide336 Or la

connaissance que Porphyre a dAlexandre est hors de doute eacutetant donneacute son teacutemoignage sur

lenseignement de Plotin La quecircte dune source alexandrinienne du concept dexistence agrave travers

celui de ὕπαρξις nest pas sans fondement historique

La perceacutee conceptuelle meneacutee par Alexandre et repreacutesenteacutee par lexplicitation de leacutetant

dans lexistence figure lun des gestes exeacutegeacutetiques marquants du Commentaire alexandrinien et

repreacutesente le point de deacutepart dune tradition qui saccomplira au Moyen Acircge dans les emplois de

lexistence pour dire leacutetant dans les passages de Γ 2 et Δ 7 La nuance est toutefois de mise si

Aristote interroge lecirctre en-deccedilagrave des distinctions grammatico-philosophiques posteacuterieures fregeo-

russelliennes et si Alexandre entend par ὕπαρξις non pas lexistence nue mais plutocirct laquo le fait

que ce soit le cas raquo on aurait de bonnes raisons de penser que lontologie alexandrinienne

maintient effectivement lambiguiumlteacute positive du verbe laquo ecirctre raquo quinterroge Aristote qui unit tout

agrave la fois la copule et lexistence lidentiteacute et la veacuteriteacute

Il demeure que la science de leacutetant ainsi comprise mecircme avec cette accentuation en

334 Voir J-F Courtine dans B Cassin [2004] p 404 art laquo essence raquo

335 Cf Damascius De principiis 312 15-18 laquo ἡ ὕπαρξις ὡς δηλοῖ τὸ ὄνομα τὴν πρώτην ἀρχὴν δηλοῖτῆς ὑποστάσεως ἑκάστης οἷόν τινα θεμέλιον ἢ οἷον ἔδαφος προϋποτιθέμενον τῆς ὅλης καὶ τῆςπάσης ἐποικοδομήσεως raquo et P Hadot [1968] I p 268

336 P Hadot [1968] I p 269 et [1973] p 108 (= [1999] p 80) Hadot preacutecise que cette distinction nest pasencore celle de lexistence et de lessence Il nous semble cependant leacutegitime de consideacuterer quon tient lagravelune de ses matrices

217

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

faveur de lexistence maintient la polyseacutemie de son objet et se donne effectivement agrave lire comme

une science universelle Dans les tacircches de cette science figure donc leacutetude des modes decirctre des

eacutetants Et on insiste sur le pluriel la meacutetaphysique alexandrinienne ainsi comprise ne peut se

reacuteduire agrave leacutetude de lun de ces modes decirctre La theacuteologisation de la meacutetaphysique

alexandrinienne est donc une thegravese deacutefinitivement intenable Science du premier il lui incombe

aussi simultaneacutement decirctre science universelle ou en termes anachroniques meacutetaphysique

geacuteneacuterale Il va donc falloir comprendre si et comment pour lExeacutegegravete sarticulent ces deux

dimensions Luniteacute de la meacutetaphysique peut-elle reacutesister agrave un programme traverseacute dune telle

tension Avant de voir comment cette tension se reacutesout au niveau des objets de la science

rechercheacutee on va tenter de montrer comment chez lAphrodisien cette double caracteacuterisation

joue agrave plein au niveau du statut eacutepisteacutemologique de la science La meacutetaphysique est universelle et

premiegravere parce quelle est la science la plus haute et fondatrice des autres sciences

218

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

23 La premiegravere des sciences lambition fondationnelle

Parce quelle est science premiegravere et universelle lExeacutegegravete octroie aussi agrave la meacutetaphysique

la fonction de fonder les autres sciences Le fait nest pas difficile agrave eacutetablir Alexandre le dit

explicitement

Aristote a donc raison daffirmer que le savoir deacutepend de la connaissance des premiegraverescauses ayant eacutetabli par lagrave que le fait pour les autres sciences decirctre des sciences leur vientde la sagesse qui eacutetudie les premiegraveres causes337

La proposition est forte puisque la tournure laquo εἶναι raquo avec le datif sert couramment chez

Aristote et Alexandre agrave dire lessence Il ne sagit pas simplement du statut de science (laquo status raquo)

comme le traduit WE Dooley comme si un savoir preacuteexistant pouvait acceacuteder au rang de

science il sagit de faccedilon plus brute de leur ecirctre-science de leur scientificiteacute comme on parle de

la laquo caballeacuteiteacute raquo du cheval En cela cette proposition est dautant plus extravagante en reacutegime

aristoteacutelicien et donc aussi deacutecisive

On le verra plus en deacutetail agrave la fin de notre parcours mais rappelons dembleacutee combien les

Seconds Analytiques sopposent reacutesolument agrave lideacutee dune science fondatrice des autres sciences

Contre la conception platonicienne de savoirs placeacutes sous leacutegide totalisante de la dialectique les

sciences aristoteacuteliciennes conquiegraverent leur autonomie De fait une deacutemonstration ne vaut que

dans un certain genre chaque science a ses propres principes la valeur scientifique des axiomes

communs est limiteacutee ou tout du moins ils ne peuvent ecirctre eacutetudieacutes par une science au sens des

Seconds Analytiques338

Or le contexte de la phrase dAlexandre ne fournit que peu deacuteclairage agrave un eacutecart aussi

lourd de conseacutequences et mecircme ne len fait que davantage ressortir LAphrodisien est en train de

337 In Met 19 33 ndash 20 3 laquo Εἰκότως οὖν τῆς τῶν πρώτων αἰτίων γνώσεως ἠρτῆσθαί φησι τὸ εἰδέναισυνιστὰς διὰ τούτου καὶ ταῖς ἄλλαις ἐπιστήμαις τὸ εἶναι ἐπιστήμαις παρὰ τῆς σοφίας τῆς τῶνπρώτων αἰτίων θεωρητικῆς παραγίνεσθαι raquo

338 Cf ci-dessous sect 234

219

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

commenter la premiegravere phrase dA 3 laquo puisque manifestement il faut acqueacuterir la science des

causes principielles (nous affirmons en effet connaicirctre chaque chose lorsque nous pensons

acqueacuterir la connaissance de sa cause premiegravere) raquo (983a 24-26) Comme bon nombre de

commentateurs apregraves lui Alexandre traduit immeacutediatement laquo τῶν ἐξ ἀρχῆς αἰτίων raquo en laquo τῶν

πρώτων raquo Se reacutefeacuterant alors explicitement agrave la Physique et aux Seconds Analytiques339 il rend raison

de la proposition aristoteacutelicienne gracircce agrave un modus ponens mais cette deacutemonstration ne prend

place que dans le cadre dune science ou de la connaissance dune chose de celles de ses causes

prochaines et de ses causes premiegraveres Le saut se produit en ce quAlexandre passe brusquement

agrave une pluraliteacute de sciences Pour le comprendre il est neacutecessaire de sous-entendre que de la

preacuteeacuteminence de la connaissance des causes premiegraveres sur celle des causes prochaines pour

acqueacuterir la science dune chose Alexandre induit par analogie ou par extension la preacuteeacuteminence

de la science des causes premiegraveres sur les autres sciences La deacutependance (laquo ἤρτηται raquo 19 26)

observeacutee entre la science dune chose et la connaissance de ses premiegraveres causes sapplique alors

au rapport entre la science geacuteneacuterale des premiegraveres causes et les autres sciences Alexandre signale

mecircme la chose en renforccedilant laquo παραγίγνομαι raquo par la reacutepeacutetition de la preacuteposition laquo παρά raquo

Sauf erreur aucun autre passage du corpus alexandrinien nest aussi net Toutefois

plusieurs eacuteleacutements convergent quant agrave eux mieux attesteacutes qui confirment lhypothegravese que la

deacuteclaration du commentaire agrave A 3 nest pas accidentelle

231 Une science architectonique

Il y a premiegraverement le commentaire quAlexandre offre agrave la position laquo maicirctresse raquo de la

sagesse dans les opinions dA 2 Aristote y reacutecupeacuterait en effet lideacutee que la sagesse a agrave

commander science des hommes libres il eacutetait en effet logique que la sagesse ne pucirct laquo recevoir

des ordres raquo (982a 17-18) Mais surtout elle est connaissance du principe ndash le jeu entre laquo ἀρχή raquo

laquo ἀρχικωτέραν raquo (a 16-17) et laquo ἀρχικωτάτη raquo (b 4) est transparent ndash et singuliegraverement

connaissance de la fin cest-agrave-dire du bien Sa maicirctrise ou son commandement ne lui viennent

donc pas en premier lieu dune fonction quelle aurait par rapport aux autres sciences mais de

son objet-mecircme de la supreacutematie de la cause finale Or cest cela qui inteacuteresse Aristote en A non

339 Sans doute respectivement Phys I 1 (184a 10 sq) et AnPo I 2 (cf WE Dooley [1989] p 37)

220

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

pas sa position dans un systegraveme des sciences La thegravese pose assureacutement des problegravemes de fond

elle est comme le dit sobrement Ross laquo difficile raquo340 notamment quand on la confronte avec les

Eacutethiques De son cocircteacute lEacutethique agrave Nicomaque parle dune science non pas seulement souveraine

mais laquo architectonique raquo341 qui commande agrave la maniegravere dun architecte dirigeant ses ouvriers

parce quil sait la fin de louvrage Par extension ladjectif deacutesigne aussi le supeacuterieur hieacuterarchique

qui preacuteside et donne des ordres par exemple le meacutedecin chef deacutecole342 cest donc laspect

agissant de la souveraineteacute qui est mis en avant343 Certes la meacutetaphore de larchitecte se lit aussi

en A 1 comme Alexandre sempresse de sen aviser344 mais cest toujours dans le registre strict de

lanalogie avec lart par exemple pour illustrer le rapport entre sciences productrices et

theacuteoriques En reacutealiteacute jamais Aristote ne qualifie litteacuteralement la sagesse darchitectonique

On reacutetorquera quentre souveraineteacute ou principat (laquo ἀρχικωτέραν raquo laquo ἀρχικωτάτη raquo) et

laquo architectonique raquo la diffeacuterence est minime quil est malaiseacute de concevoir une supreacutematie sans

commandement effectif des subordonneacutes ndash donc pour une science le commandement des

sciences infeacuterieures345 ndash et que la fin dA 2 suppose bien au moins une science laquo au service raquo de la

sagesse346 Mais ailleurs Aristote a la finesse de distinguer entre laquo commander raquo (ἄρχων) et

laquo donner des ordres raquo (ἐπιτακτικῶς) dans un contexte ougrave il est question de cause finale Cette

distinction nest pas quelconque sil est vrai quelle empecircche de concevoir le premier moteur

comme un Dieu leacutegislateur347 Cette direction est probablement celle quil faudrait explorer En

tout eacutetat de cause il reste simplement quen A 2 Aristote ne dit pas que la sagesse serait

architectonique au sens ougrave elle serait condition de la scientificiteacute des autres sciences ndash le cas

eacutecheacuteant cela constituerait agrave leacutevidence un bouleversement important par rapport agrave ses thegraveses

340 WD Ross [1924] t 1 p 121-122

341 Cf EE I 6 1217a 6-7 EN I 1 1094a 14 sq VI 8 1141b 23 sq VII 12 1152b 2 Sur les artsarchitectoniques cf aussi Met Δ 1 1013a 14 et Phys II 2 194b 2 sq

342 Pol III 11 1282a 3 Voir aussi les occurrences inteacuteressantes de VII 3 1325b 23 agrave comparer avec 1260a18

343 Chez Platon ladjectif napparaicirct quune seule fois mais dans une occurrence inteacuteressante dans lePolitique 261c 9 par distinction de lart royal

344 Voir Met A 1 981a 30 et 982a 1 Pour Alexandre cf In Met 14 6

345 On lobjectera dautant plus quAristote lui-mecircme sexprime en termes de sciences subordonneacutees etsupeacuterieures dans les Seconds Analytiques (par exemple AnPo I 13) mais il nest pas sucircr que ce soit aumecircme sens

346 Cf 982b 5 laquo τῆς ὑπηρετούσης raquo

347 EE VIII 3 1249b 13-15 laquo οὐ γὰρ ἐπιτακτικῶς ἄρχων ὁ θεός ἀλλ οὗ ἕνεκα ἡ φρόνησις ἐπιτάττει raquoCe sont les mecircmes termes quen A 2 Agrave linverse sur lassociation constante des deux chez Alexandrevoir par exemple In Met 346 21 sq

221

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

anti-dialectiques

QuAristote ne le dise pas quil soit possible dinterpreacuteter cette souveraineteacute sans fonction

de fondation eacutepisteacutemique cela concourt agrave caracteacuteriser encore davantage la position

alexandrinienne De fait Alexandre rabat cette souveraineteacute sur une fonction architectonique

entendue comme fonction de fondation ndash et cette thegravese nest pas isoleacutee Cest dabord manifeste

dans la substitution de llaquo architectonique raquo au registre de la souveraineteacute et du laquo plus apte agrave

commander raquo lors du commentaire de la fin dA 2 lagrave ougrave justement Aristote ne dit plus

laquo architectonique raquo ni mecircme laquo donner des ordres raquo Alexandre se reacutefegravere alors en toutes lettres agrave

lexemple des architectes dA 1 puis agrave lEacutethique agrave Nicomaque afin dasseoir lusage du terme Mais

linterpreacutetation peut encore se comprendre par rapport agrave la supreacutematie du savoir de la cause

finale et nimplique pas encore de rapport de fondation elle fait seulement un pas dans cette

direction

Le fait est plus clair dans la reprise des opinions sur la sagesse en B 2 dans lexamen de la

premiegravere aporie Aristote y renvoie aux laquo distinctions anteacuterieures pour savoir quelle science il

faut appeler sagesse raquo cest-agrave-dire agrave A 2 Mais le Philosophe sen tient lagrave encore agrave qualifier la

sagesse dapte agrave commander et agrave diriger (laquo ἀρχικωτάτη καὶ ἡγεμονικωτάτη raquo en 996b 10 ougrave lon

retrouve dailleurs la logique du maximum propre agrave A 2348) Seulement du fait du rappel dA 2 agrave

cause peut-ecirctre aussi de lexemple preacuteceacutedent du laquo constructeur de maison raquo surtout enfin agrave

cause de lideacutee que laquo les autres sciences nont pas le droit de la contredire raquo Alexandre sautorise

agrave reacuteintroduire la fonction dlaquo architectonique raquo Celle-ci est explicitement deacutefinie par le fait decirctre

maicirctresse des autres sciences (laquo δέσποινα τῶν ἄλλων ἐπιστημῶν raquo 184 22-23) et de leur donner

des ordres (laquo ἐπιτάσσουσιν raquo 184 24) Lintervention dAlexandre est notable et Syrianus

dailleurs ne sy trompera pas qui reprendra agrave lAphrodisien la transformation dlaquo ἀρχικωτάτη raquo

en laquo ἀρχιτεκτονικωτάτην raquo349 Avec Alexandre la philosophie premiegravere devient ainsi cette

science qui fin de toute connaissance assume agrave plein lambition architectonique de la

philosophie en geacuteneacuteral350

348 Cf W Leszl [1975] p 101 sq M-H Gautier-Muzellec [2008]

349 Syrianus In Met 15 23-24 Le parallegravele est eacutetudieacute par C Luna [2001] p 78-79

350 Alexandre semble en effet impliquer cet argument quand au deacutebut du Commentaire aux PremiersAnalytiques il discute le statut de la logique (partie ou instrument ) en tenant le raisonnement suivant si la logique est une partie de la philosophie attendu que dautres sciences sen servent alors les autressciences domineront la philosophie puisque la science ou la technique qui se sert dune partie duneautre science ou technique lui est supeacuterieure (ce qui est fin est supeacuterieur agrave ce qui est instrument) enreacutefeacuterence agrave EN 1094a 6-16 Ces autres sciences seront alors plus parfaites que la philosophie (In AnPr

222

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

232 Une science modegravele

Une deuxiegraveme seacuterie de textes promeut lideacutee dune science fondatrice agrave savoir tous ceux

qui leacuterigent en science modegravele La meacutetaphysique est agrave la fois une science agrave part ndash parce

quarchitectonique ndash et la science par excellence Agrave ce titre Alexandre nheacutesite pas agrave employer des

arguments a fortiori du type si cela vaut pour les autres sciences alors cela vaut pour celle-ci

Ainsi en va-t-il exemplairement dans le commentaire au deacutebut de B351 Certes le livre A et sa

logique du maximum avaient deacutejagrave traceacute la voie en en faisant selon les opinions en la matiegravere la

science la plus exacte la plus apte agrave instruire etc et Alexandre ne sest pas priveacute de le souligner

agrave grand renfort de comparatifs ou de superlatifs de κυρίως et de μάλιστα Mais cette position

eacuteminente est maintenue sur lensemble du Commentaire conserveacute La science premiegravere est ainsi

celle qui exemplifie au mieux ce quest une science en geacuteneacuteral352

Comme M Bonelli la amplement montreacute Alexandre efforce drsquoinstituer la meacutetaphysique

selon le modegravele de la science deacutemonstrative des Seconds Analytiques Cest le cas degraves le livre A

alors quAristote peut sen tenir agrave une distinction entre science et technique Alexandre y ajoute la

deacutetermination de science deacutemonstrative en se reacutefeacuterant explicitement aux thegraveses de lOrganon et agrave la

deacutefinition de la science en Eacutethique agrave Nicomaque VI353 Jamais au livre A Aristote ne se prononce sur

le caractegravere deacutemonstratif de la science Seul K parlera dune laquo sagesse deacutemonstrative raquo (1059a 32-

33)354 Chez Alexandre au contraire limportation des thegraveses des Analytiques contamine tout le

commentaire le haut degreacute dexactitude de la sagesse se trouve par exemple fondeacute par les thegraveses

2 28 sq) Largument est donneacute comme deacutebut dune deacutemonstration par labsurde quil nest danslesprit dAlexandre mecircme pas besoin dexpliciter Cela implique que pour lExeacutegegravete il est eacutevident (etce passage est confirmeacute par le commentaire agrave A 2) que cest la laquo philosophie raquo qui est architectoniquedes autres sciences et cest pourquoi la logique ne peut en ecirctre une partie On notera au passage laspectretors de largument dAlexandre qui mecircme dans son rendu de la conception de la logique commepartie utilise de toute faccedilon le vocabulaire de linstrument et de lusage

351 In Met 172 2 laquo εἰ δὲ πρὸς πᾶσαν [sc ἐπιστήμην] καὶ τὴν προκειμένην raquo

352 On pourrait ici nous reprocher un raisonnement circulaire chercher agrave deacutemontrer la fonction defondation eacutepisteacutemique de la meacutetaphysique en nous appuyant sur son statut de science modegravele tout enexpliquant ce statut par la fonction fondationnelle (la science fondatrice de la scientificiteacute des autressciences ne pouvait pas ne pas preacutesenter elle-mecircme la scientificiteacute agrave leacutetat le plus pur) cest tomber dansle paralogisme du diallegravele Toutefois nous navons pas annonceacute vouloir preacutesenter des preuves ducaractegravere fondationnel de la meacutetaphysique selon Alexandre mais des eacuteleacutements laquo convergents raquo Lacirculariteacute est une conseacutequence de cette convergence et relegraveve des neacutecessaires pis-allers delinterpreacutetation lorsquelle est libeacutereacutee du mirage de la veacuteriteacute apodictique

353 Voir les citations faites lors du commentaire agrave 981b 25 (In Met 7 10 sq)

354 M Bonelli [2001] p 43 n 12

223

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

du chapitre I 27 des Seconds Analytiques qui deacutecrivent lexactitude dune science comme croissant

agrave proportion inverse du nombre de ses principes355

Degraves lors que la sagesse est deacutefinie comme science des premiers principes et des premiegraveres

causes limportation des Seconds Analytiques devient pour le moins probleacutematique comme

lindique le commentaire embarrasseacute et apparemment sans solution agrave 982a 26 Alexandre y tente

par la distinction entre axiomes et principes de leacutetant de sauver lideacutee que la sagesse est

deacutemonstrative La reacuteflexion dAlexandre part de lideacutee que les principes de leacutetant agrave linverse des

axiomes sont deacutemontrables il y a donc des choses premiegraveres (des preacutemisses mais le terme nest

pas dans le texte) anteacuterieures agrave leacutetablissement des principes de leacutetant puisque laquo les axiomes

servent aussi de principes agrave leur deacutemonstration raquo356 Mais dans ce cas quest-ce qui empecircche la

reacutegression agrave linfini cest-agrave-dire quil y ait des causes agrave ces choses premiegraveres principes des

principes de leacutetant Il faudrait alors supposer dit Alexandre que laquo toute deacutemonstration ne se

fait pas par la cause raquo Au milieu de ce deacuteveloppement tortueux lExeacutegegravete est precirct pour les

besoins de la cause agrave admettre la deacutemontrabiliteacute des principes de leacutetant ou agrave disjoindre

deacutemonstration et causaliteacute ndash cependant il ne semble jamais lui venir agrave lideacutee que la sagesse ne soit

pas deacutemonstrative quelle soit (si lon tient agrave limportation des Analytiques) deacutefinitionnelle par

exemple357

Le commentaire agrave B quant agrave lui deacuteploie ce reacutequisit au cœur mecircme des apories en tout

cas dans les quatre premiegraveres agrave la faveur de pistes poseacutees par le Stagirite Mais si chez Aristote le

modegravele deacutemonstratif fait partie inteacutegrante de la deacutemarche aporeacutetique (il est une structure qui

litteacuteralement fait problegraveme) chez Alexandre comme la montreacute M Bonelli358 il sannonce comme

partie de la solution En effet coutumier des anticipations qui tressent la trame de la

Meacutetaphysique et assurent sa coheacutesion Alexandre annonce les voies dlaquo euporie raquo des difficulteacutes

preacutesenteacutees en B Voire selon M Bonelli il laquo les reacutesout au moins en partie deacutejagrave dans le

commentaire au livre B raquo359 Un exemple typique en est fourni par la quatriegraveme aporie qui se

demande si la science des substances porte aussi sur leurs accidents par soi (laquo συμβεβηκότα καθ

355 Aristote AnPo I 27 87a 34-35 Alexandre In Met 11 15 sq et 12 21 sq

356 In Met 13 4-6 laquoἈρχαὶ γὰρ καὶ τῆς τούτων δείξεως τὰ ἀξιώματα Ἀλλ ἐπεὶ πᾶσα ἀπόδειξις ἐκπρώτων εἴη ἄν τινα καὶ τούτων πρῶτα raquo

357 On esquisse la possibiliteacute dune solution agrave cette question dune connaissance scientifique des premiersprincipes de leacutetant ci-dessous sect 333 Pour les axiomes voir 233

358 M Bonelli [2001] p 39 sq

359 M Bonelli [2001] p 44

224

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

αὑτά raquo) et des preacutedicats comme laquo mecircme raquo laquo autre raquo laquo semblable raquo etc Degraves son commentaire agrave la

preacutesentation de laporie en B 1 Alexandre introduit la theacuteorie des proprieacuteteacutes par soi (laquo καθ αὑτὸ

ὑπάρχοντα raquo) des Seconds Analytiques et distingue donc entre des proprieacuteteacutes par soi laquo au sens

propre raquo qui sont inclues dans les deacutefinitions et celles qui sont laquo inseacuteparables propres agrave la chose

et peu sen faut essentielles raquo quon trouve dans les seules laquo descriptions raquo (ὑπογραφή)360 Cette

distinction constitue clairement une reformulation des Seconds Analytiques I 4 et de lideacutee en I 22

que la deacutemonstration travaille avec les deux types de proprieacuteteacutes par soi (84a 11-17)361 Certes la

deacutefinition du second type donneacute par Alexandre ne correspond pas exactement agrave celle dAristote

mais les exemples qui suivent dans le commentaire agrave 995b 18 montrent que lAphrodisien

identifie les deux et cest dans cette seconde cateacutegorie quil range le mecircme lautre etc

Degraves la preacutesentation de laporie la faccedilon dont Alexandre anticipe sa reacutesolution est hors de

doute la philosophie premiegravere est de plein droit une science deacutemonstrative parce quelle use de

ces proprieacuteteacutes par soi dans les deux sens En effet laquo il nest mecircme pas possible dacqueacuterir la

science de quelque chose autrement quen connaissant ce type de proprieacuteteacutes raquo agrave savoir celles au

premier sens362 et pour le second type laquo il lui est aussi neacutecessaire de sen servir dans ses

deacutemonstrations car elles sont des instruments communs agrave ceux qui font des deacutemonstrations raquo363

Mais le philosophe premier est en outre celui qui les eacutetudie parce que agrave titre dinstruments

communs agrave toutes les sciences aucune science partielle ne peut les prendre pour objets deacutetude

et parce que loin de relever dune quelconque laquo logique raquo elles sont des notions qui

laquo appartiennent en commun agrave leacutetant raquo lequel en tant queacutetant fait lobjet de la philosophie

premiegravere364

Preacuteciseacutement dans le deacuteveloppement de cette quatriegraveme aporie Alexandre va en outre

injecter dans la philosophie premiegravere la distinction entre les tacircches deacutefinitoire et deacutemonstrative

de la science Alors que le deacuteveloppement dAristote en B 2 est purement interrogatif ndash et se

360 Sur ce texte voir M Rashed [2007b] p 309 et sur la distinction des deux sens de laquo par soi raquo cf tout le sect1 du chap VIII Sur lὑπογραφή cf M Bonelli [2001] p 65-66 et M Rashed ibid Sur la familiariteacutedAlexandre avec la distinction entre les deux laquo par soi raquo cf entre autres Quaest I 26 42 25 ndash 43 2

361 Sur tout ceci cf M Bonelli [2001] p 66 sq

362 In Met 176 22-24 laquo περὶ μὲν τούτων ἀναγκαῖος ὁ λόγος αὐτῷ [sc ὁ σοφὸς] οὐδὲ γὰρ ἄλλως οἷόντε περί τινων ἐπιστήμην λαβεῖν χωρὶς τοῦ γιγνώσκειν τὰ οὕτως ὑπάρχοντα raquo

363 In Met 177 6-8 laquo ἀλλὰ καὶ τοῖς ἄλλοις οἷς κατέλεξε πᾶσιν ἐν ταῖς ἀποδείξεσιν ἀναγκαῖον αὐτῷπροσχρῆσθαι κοινὰ γὰρ ταῦτα ὄργανα τοῖς ἀποδεικνύουσι raquo Sur lusage des axiomes par laphilosophie premiegravere cf M Bonelli [2001] p 152-157 et 250-251

364 In Met 177 4-14

225

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

termine par la qualification laquo de la plus haute difficulteacute raquo (997a 33-34) ndash chez Alexandre la

solution est expliciteacutee La sagesse ici deacutefinie comme science de la substance puis plus

preacuteciseacutement de la substance premiegravere (195 26 sq) heacuterite des deux tacircches Du point de vue

dAlexandre la principale difficulteacute agrave reacutesoudre est dexpliquer que ce nest pas parce quune

mecircme science agrave la fois deacutefinit (ce quest une substance) et deacutemontre (ses accidents par soi) que

pour autant il y a confusion entre les deux activiteacutes et quon tomberait dans lerreur de vouloir

deacutemontrer une essence365 Alexandre le dit simplement laquo en effet deacutefinir et deacutemontrer ne

sidentifient pas lun agrave lautre sil [ou laquo sous preacutetexte quil raquo] appartient agrave une seule personne ltde

les eacutetudiergt tous les deux raquo366 De toute faccedilon si les deux tacircches nappartenaient pas agrave la mecircme

science on ne verrait pas qui pourrait bien soccuper de la deacutemonstration des accidents par soi de

la substance Et de fait le geacuteomegravetre ndash et lExeacutegegravete prend bien soin de souligner lanalogie

Aristote fait comme si le geacuteomegravetre avait affaire agrave des substances367 ndash le geacuteomegravetre donc agrave la fois

deacutefinit ce quest une ligne (laquo longueur priveacutee de largeur raquo) et deacutemontre ses accidents essentiels

(par exemple decirctre droite ou courbe) Pour autant le geacuteomegravetre nentreprend pas de deacutemontrer sa

deacutefinition De mecircme pour le physicien qui eacutetudie effectivement des substances celle qui sont

naturelles et de mecircme aussi (laquo ὁμοίως δή raquo 195 25) pour la science des substances premiegraveres si

du moins celles-ci ont des accidents368 La sagesse est une science comme les autres et cest la

reacutefeacuterence aux autres sciences qui permet dasseoir son contenu qui chez Aristote restait en

suspens

Le texte reacutecupegravere donc explicitement la distinction entre fonctions deacutefinitionnelle

(laquo ὁριστική raquo) et deacutemonstrative (laquo ἀποδεικτική raquo) de la science introduite dans laporie

preacuteceacutedente369 et lapplique au cas de la science des substances premiegraveres Toutefois comme le dit

M Bonelli attendu quAlexandre a attribueacute agrave la science de leacutetant en tant queacutetant leacutetude des

proprieacuteteacutes essentielles et communes (les preacutedicats dialectiques) on peut se douter que la

reacutesolution de la quatriegraveme aporie donne eacutegalement des indications valant pour la laquo philosophie

universelle raquo370 Et de fait cet ensemble de caracteacuteristiques de la sagesse se trouve recueilli dans

365 La chose sexplique par les impeacuteratifs du commentaire cf 997a 30 sq

366 In Met 194 33-35 laquo οὐ γὰρ γίνεται ταὐτὸν θάτερον θατέρῳ τὸ ὁρίσασθαι τῷ ἀποδεῖξαι εἰ ἄμφωἑνὸς εἴη raquo

367 Cf le laquo εἴ γε ταῦτα οὐσίας λέγει raquo de 195 5-6

368 In Met 195 19-27

369 In Met 193 26 sq

370 M Bonelli [2001] p 73-74

226

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

le commentaire agrave Γ La science anonyme du deacutebut du laquo livre du philosophe raquo est une science

deacutemonstrative Alexandre commente en effet la fameuse ouverture laquo ἔστιν ἐπιστήμη τις ἣ

θεωρεῖ τὸ ὂν ᾗ ὂν καὶ τὰ τούτῳ ὑπάρχοντα καθ αὑτό raquo en disant

Λαμβάνει πρῶτον μὲν τὸ εἶναί τιναἐπιστήμην περὶ τὸ ὂν ᾗ ὄν τουτέστι τοῦὄντος ᾗ ὂν θεωρητικήν τε καὶ ἀποδεικτικὴντῶν τούτῳ καθαὑτὰ ὑπαρχόντων Πᾶσα γὰρἡ οὑτινοσοῦν ἐπιστήμη τῶν ἐκείνῳ καθαὑτὰὑπαρχόντων ἐστὶν ἀποδεικτική

ltAristotegt pose tout dabord quil y a une sciencequi porte sur leacutetant en tant queacutetant cest-agrave-dire quieacutetudie371 leacutetant en tant queacutetant et deacutemontre sesproprieacuteteacutes par soi Toute science en effet quel quesoit son objet deacutemontre les proprieacuteteacutes par soi de cetobjet

(239 6-9)

La distinction entre partie deacutefinitionnelle ndash ici conserveacutee dans le laquo θεωρητικήν raquo plus

fidegravele au texte dAristote ndash et partie deacutemonstrative portant sur les proprieacuteteacutes par soi de lobjet

sera maintenue au cours du livre en particulier lorsquAlexandre entreprendra de montrer

comment Aristote y reacutesout la quatriegraveme aporie de B

Δι ὧν δὲ εἴρηκέ τε καὶ κατεσκεύασελέλυκεν ἀπορίας τῶν ἐν τῷ Β βιβλίῳῥηθεισῶν τήν τε εἰ τῆς αὐτῆς ἐπιστήμης ἐστὶπερὶ τῶν [24615] οὐσιῶν πασῶν τὴν θεωρίανποιεῖσθαι ἢ ἄλλη ἄλλης οὐσίας ἐστὶνἐπιστήμη ἔτι καὶ τὴν εἰ τῆς αὐτῆς ἐστι περίτε τῆς οὐσίας θεωρεῖν καὶ τῶνσυμβεβηκότων αὐτῇ

Gracircce agrave ce quil a dit et eacutetabli Aristote a reacutesoludes difficulteacutes parmi celles eacutevoqueacutees au livre B ltladifficulteacute de savoirgt sil appartient agrave la mecircme sciencede faire leacutetude de toutes les substances ou si pourchaque substance il y a une science diffeacuterente celleen outre de savoir si cest agrave la mecircme science quilappartient deacutetudier agrave la fois la substance et sesaccidents

Ἀλλ εἰ δέδεικται ὅτι τῆς αὐτῆς τῷ γένειπερί τε πασῶν τῶν οὐσιῶν καὶ ἔτι περὶ τῶνὑπαρχόντων αὐταῖς οὐ διὰ τοῦτο ἔσται καὶτοῦ τί ἐστιν ἀπόδειξις οὐδὲν γὰρ κωλύειὑπὸ τὴν αὐτὴν τῷ γένει ἐπιστήμην [24620]εἶναι καὶ τὴν ὁριστικήν ἥτις τοῦ τί ἐστιθεωρητική καὶ τὴν ἀποδεικτικήν ἣ τῶν καθαὑτὰ ὑπαρχόντων ἑκάστῳ γένει ἐστὶνἀποδεικτική Καὶ τὸ ἐφεξῆς δὲ τούτῳἀπορηθὲν ἑξῆς λύει πρὸς δὲ τούτοις περὶταὐτοῦ καὶ ἑτέρου καὶ ὁμοίου καὶ ἀνομοίουκαὶ περὶ ἐναντιότητος δείκνυσι γὰρ ὅτι καὶἡ περὶ τούτων θεωρία οἰκεία τῇ περὶ τοῦὄντος

Mais sil a eacuteteacute montreacute que cest agrave une scienceidentique en genre deacutetudier toutes les substances eten outre leurs proprieacuteteacutes il ny aura pour autant pasdeacutemonstration de lessence Rien en effet nempecirccheque sous une science identique en genre il y ait agrave lafois la science deacutefinitionnelle qui eacutetudie lessence et ladeacutemonstrative qui deacutemontre les proprieacuteteacutes par soi dechaque genre Puis il reacutesout aussi le point qui faisaitensuite difficulteacute celui ltqui portegt en outre sur lemecircme et lautre le semblable et le dissemblable et lacontrarieacuteteacute il montre en effet que leacutetude de ceschoses est propre agrave celle de leacutetant

(246 13-24)

Il ne nous est pas ici neacutecessaire dexpliquer en deacutetail comment Aristote a bien pu en Γ

371 La traduction est peut-ecirctre un peu sous-deacutetermineacutee par rapport agrave lexpression grecque laquo θεωρητικήν raquomais dune part Alexandre semble employer ce genre de terme sans en faire grand cas (ainsi justeapregraves laquo ἀποδεικτική raquo) et dautre part la notion de capaciteacute dans les adjectifs en -ικος semble secirctrepassablement amenuiseacutee dans la langue dAlexandre

227

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

laquo dire et eacutetablir raquo la solution aux troisiegraveme et quatriegraveme apories372 un simple survol du passage

permet de confirmer que la double fonction deacutefinitionnelle et deacutemonstrative vaut aussi pour la

philosophie universelle Lagrave mecircme ougrave en Γ le vocabulaire de la deacutemonstration est presque

totalement absent373 Alexandre le suppleacutee comme si lExeacutegegravete se refusait agrave envisager pour la

meacutetaphysique une autre maniegravere decirctre une science Or il est tout agrave fait possible que pour le

Stagirite la reacutesolution des apories de B ne soit possible quau profit dun statut dexception

eacutepisteacutemique de la science de leacutetant en tant queacutetant374 Jamais par exemple le Stagirite ne prend-

il la peine de sexpliquer sur le statut deacutemontrable ou non des proprieacuteteacutes par soi de leacutetant en

tant queacutetant

Agrave linverse le maintien par Alexandre du modegravele des Analytiques se fait au profit non

seulement de la coheacuterence du traiteacute en lui-mecircme (la suite logique des livres entre eux) et avec le

reste de lœuvre aristoteacutelicienne mais aussi du statut eacutepisteacutemique de la science rechercheacutee La

comprendre comme une certaine science dapregraves le statut et le fonctionnement connus de

nimporte quel familier des Seconds Analytiques est une option exeacutegeacutetique forte Celle-ci preacutesente

des attraits hermeacuteneutiques indeacuteniables ndash mecircme les lecteurs dAristote qui soutiennent une

exceptionnaliteacute eacutepisteacutemique de la meacutetaphysique le font avec extrecircme prudence car peu sen faut

alors quon frocircle lincoheacuterence Il serait donc erroneacute de croire quAlexandre nagit ainsi que par

rigiditeacute et platitude terminologiques incapable de percevoir la souplesse du Stagirite cest-agrave-dire

sa capaciteacute agrave plier le λόγος au poids du reacuteel et du problegraveme agrave reacutesoudre Chez lExeacutegegravete le motif

du statut eacutepisteacutemique octroyeacute agrave la meacutetaphysique est plus profond qui provient du rang de

science modegravele quon a tenteacute dillustrer

233 La science des axiomes

Outre ses statuts de science architectonique et de science modegravele ndash deacutefinitionnelle et

deacutemonstrative ndash un troisiegraveme eacuteleacutement est agrave mettre au compte du rocircle fondationnel de la

meacutetaphysique agrave savoir sa capaciteacute agrave traiter des axiomes On entend par axiomes au premier chef

372 Cf ci-dessous 242

373 Le cas de la laquo deacutemonstration par reacutefutation raquo de Γ 4 1006a 11-12 est eacutevidemment un cas particulier

374 Sur cette exceptionnaliteacute cf entre autres P Aubenque [1962] et agrave sa suite J-F Courtine [2005] p 119Cf surtout M Crubellier [2005] qui affirme le laquo statut deacuterogatoire de la meacutetaphysique raquo (p 78)

228

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

le principe de non-contradiction mais aussi par exemple celui du tiers exclu375 En tant que

principes communs les sciences ordinaires en usent sans jamais pouvoir les eacutetudier pour eux-

mecircmes ni les eacutetablir ni mecircme simplement laquo en parler raquo376 Dans la meacutetaphysique au contraire

on la vu les axiomes constituent agrave la fois des instruments et des objets deacutetude Cette thegravese entre

cependant en directe contradiction avec le point preacuteceacutedent comment une science deacutemonstrative

peut-elle avoir agrave eacutetablir la veacuteraciteacute des axiomes Traiter cette question cest aussi se donner les

moyens de comprendre comment concregravetement la meacutetaphysique fonde les autres sciences et

garantit leur scientificiteacute

Aristote demandait en effet dans la deuxiegraveme aporie de B sil appartient agrave la mecircme

science de consideacuterer les principes de la substance et ceux de la deacutemonstration La reacuteponse

dAlexandre au cours du commentaire agrave Γ est sans appel

Πάντες οὖν διὰ τοῦτο αὐτοῖς χρῶνται Tous donc pour cette raison utilisent ltles

375 Alexandre donne aussi couramment comme exemples laquo des termes eacutegaux agrave une mecircme chose sontaussi eacutegaux entre eux raquo laquo si agrave partir de choses eacutegales des choses eacutegales sont retrancheacutees les restes sonteacutegaux raquo laquo tout deacutesir est deacutesir dun bien ou dun bien apparent raquo (cf par exemple In Met 175 9-13) Onlaisse ici de cocircteacute le problegraveme que posent ces exemples agrave savoir quil est difficile de comprendre en quoices axiomes (le dernier ne se lisant nulle part tel quel chez Aristote) peuvent reacuteellement passer pourdes principes communs Ce problegraveme est dailleurs deacutejagrave preacutesent chez Aristote (cf par exemple MMignucci [1975] p 135 et [2003] p 95) Une hypothegravese cependant pourrait ecirctre la suivante Aristoteaccepte par exemple de parler de la regravegle sur la soustraction des quantiteacutes eacutegales comme dun principecommun parce quil est impossible de restreindre ce principe agrave une seule science il ne peut doncconstituer un principe propre interne agrave une unique science Le mecircme argument vaudrait pour ledernier exemple proprement alexandrinien plusieurs sciences pourraient se servir dune telle regraveglepar exemple la science pratique mais aussi la physique de lacircme (cf la fin du De anima et le De motu)En ce sens seuls le principe de non-contradiction et son corollaire le tiers exclu seraient des principescommuns au sens le plus fort du terme agrave savoir laquo partageacutes par toutes les sciences raquo Les autresexemples seraient communs en un sens qui est sinon plus faible du moins neacutegatif agrave savoir ce quinappartient pas en propre agrave un individu ndash ce qui nimplique pas que ce commun au second sens soitpartageacute par tous les membres de la mecircme classe laquo Commun raquo signifie alors quelque chose comme laquo qui appartient agrave plus dun raquo (un terrain peut ecirctre commun parce que non soumis agrave la proprieacuteteacutepriveacutee sans pour autant ecirctre la proprieacuteteacute de tous) Le principe de non-contradiction serait donc laquo leplus ferme de tous raquo (Γ 3) parce que outre son statut de principe des autres axiomes il est aussi le plusuniversel le plus transversal ndash comme le dit Alexandre laquo καὶ κοινότατόν γε τὸ τῆς ἀντιφάσεωςἁπάντων τῶν ἀξιωμάτων ἀληθὲς γὰρ ἐπὶ πάντων raquo (175 13-14) Cf agrave ce sujet M Bonelli [2001] p248 sq qui propose lideacutee seacuteduisante selon laquelle Alexandre soutiendrait une hieacuterarchie de tous lesprincipes en fonction de leur universaliteacute (cf aussi p 251) Agrave tout le moins est-il plus certain que pourAlexandre ndash dans la ligne dAristote sur ce point ndash le principe de non-contradiction a un statut speacutecialNombreux sont les textes agrave aller dans ce sens qui font la part belle aux superlatifs et aux comparatifsentre le principe de non-contradiction et les autres axiomes Cependant il semble difficile de tirer deces textes autre chose quune deacutenivellation entre le principe de non-contradiction et les autres axiomeset daller jusquagrave y deacuteceler une hieacuterarchie deacuteveloppeacutee

376 Sur lopposition entre parler des axiomes et les utiliser cf entre autres In Met 187 31-32 laquo οὔτε γὰργεωμετρία περὶ αὐτῶν οὔτε μουσικὴ λέγει καίτοι χρώμεναι αὐτοῖς raquo

229

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ὅτι καθὸ ὄντα ἐστὶ περὶ ἃ πραγμα-[26525]τεύονται κατὰ τοῦτο αὐτοῖς ὑπάρχειπᾶσι γὰρ αὐτοῖς τὸ ὂν κοινόν Καὶ οὐδεμίατῶν κατὰ μέρος ἐπιστημῶν ἐπιχειρεῖ περὶαὐτῶν λέγειν ὅτι ἀληθῆ ἢ οὐκ ἀληθῆ οὔτεγὰρ γεωμέτρης καίτοι χρώμενος αὐτοῖςοὔτε ἀριθμητικὸς οὔτε τῶν ἄλλων τις ἰατρὸςἢ ἀστρολόγος ἢ μουσικός ltἀλλὰ τῶνφυσικῶν ἔνιοιgt Καὶ διὰ τούτου συνίστησι τὸεἶναι ταῦτα τῷ ὄντι ᾗ ὂν [26530] ὑπάρχονταΤῶν μὲν γὰρ περί τινος μέρους τοῦ ὄντοςλεγόντων οὐδεὶς περὶ αὐτῶν ἐγχειρεῖ λέγειν

axiomesgt parce que cest dans la mesure ougrave ce dontils traitent ce sont des eacutetants que ltles axiomesgt leurappartiennent car leacutetant leur est commun agrave tous Etaucune science partielle nentreprend agrave propos desaxiomes de dire sils sont vrais ou non ni legeacuteomegravetre quoiquil utilise ces ltaxiomesgt nilarithmeacuteticien ni aucun autre ndash meacutedecin astronomeou musicien ndash laquo mais certains physiciens raquo [lontentrepris] Et par lagrave Aristote confirme que lesltaxiomesgt sont des proprieacuteteacutes de leacutetant en tantqueacutetant En effet parmi ceux qui tiennent desdiscours sur une partie de leacutetant personne nesengage agrave discuter des ltaxiomesgt

(265 24-31)

On la vu Alexandre leste les axiomes et a fortiori celui de non-contradiction dune

puissante charge ontologique La deuxiegraveme partie de Γ nest pas un appendice logique agrave une

premiegravere partie ontologique mais la continuation des deacuteveloppements sur lun et donc le mecircme

lautre etc ces derniers ayant le statut de proprieacuteteacutes par soi de leacutetant en tant queacutetant Cette

charge ontologique repreacutesente une interpreacutetation sinon valide du moins parfaitement deacutefendable

et coheacuterente377 Leacutecart se creuse dans le fait que chez Alexandre les axiomes se placent sous la

cateacutegories des proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant aux cocircteacutes des plurivoques de Δ ou des

contraires alors quAristote semble cest peu de le dire moins affaireacute agrave les classer

LExeacutegegravete ne contrevient pas agrave lindeacutemontrabiliteacute des principes de la deacutemonstration et la

rappelle mecircme au seuil du commentaire agrave Γ 3 les axiomes sont ces laquo principes communs et

indeacutemontrables raquo (264 35-36) Comment une science deacutemonstrative peut-elle les prendre pour

objet M Bonelli a proposeacute de desserrer leacutetau de la contradiction en soutenant que pour

Alexandre les axiomes ne sont pas indeacutemontrables au sens de laquo ne peuvent pas faire lobjet dune

deacutemonstration raquo mais de laquo nont pas besoin decirctre deacutemontreacutes raquo ce qui sous-entend quils le

pourraient malgreacute tout378 Effectivement en un passage379 lAphrodisien glose ainsi ladjectif

laquo ἀποδεικτικός raquo Mais une telle geacuteneacuteralisation est discutable trop de textes dAlexandre ne

377 Pour des interpreacutetations modernes en ce sens voir par exemple F Wolff [2000] p 73-102 ouM Crubellier [2008] et [2009] p 71

378 M Bonelli [2001] p 241-242

379 In Met 271 11-13 laquo τῶν δὲ ἀξιωμάτων πάντων ταύτην εἶπεν ἀρχὴν εἶναι οὐκ ἀποδεικτικήν (οὐδὲγὰρ δεῖται ἀποδείξεως τὰ ἀξιώματα οὐ γὰρ ἂν ἔτι ἀξιώματα εἶεν οὐδὲ ἀρχαί) raquo M Bonelli [2001]p 242 n 20 traduit ainsi la parenthegravese laquo infatti gli assiomi non hanno bisogno di dimostrazione altrimentinon sarebbero piugrave assiomi neacute principi raquo Mais cela nous paraicirct malgreacute tout difficile Voir en ce sens et entreautres pour un autre type de principe la Quaestio I 1 4 4-5 laquo οὐ γὰρ οἷόν τε τῆς πρώτης ἀρχῆςἀπόδειξιν εἶναι raquo

230

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

feraient plus du tout sens si lon deacutefinissait ainsi laquo ἀποδεικτικός raquo Par exemple dans son

commentaire agrave A 9 Alexandre preacutesente la connaissance des axiomes comme inaccessible par la

deacutemonstration et comme laquo immeacutediate raquo380 et en Γ 4 il affirme clairement quil est impossible de le

deacutemontrer (laquo οὐχ οἷόν τε δὲ πρῶτόν τι καὶ γνωριμώτερον τούτου λαβεῖν ὡς προείρηται ὥστε

οὐδὲ ἀποδεῖξαι αὐτὸ οἷόν τε raquo 273 6-8) Le principe de non-contradiction est donc

indeacutemontrable dans tous les sens du terme assureacutement aussi dans le second sens distingueacute par

M Bonelli puisque cet axiome est laquo le plus familier raquo mais il demeure surtout indeacutemontrable au

premier sens

Il sagit degraves lors de comprendre en quel sens en Γ 3 Aristote peut affirmer que

laquo lexamen raquo des axiomes appartient au philosophe (laquo σκέψις raquo 1005a 22) et qulaquo il appartient

donc au philosophe cest-agrave-dire agrave celui qui eacutetudie la substance tout entiegravere en tant que constitueacutee

ltcomme tellegt381 dexaminer aussi les principes deacuteductifs raquo (1005b 6-8) Alexandre deacuteveloppe

deux fois cette ideacutee

Λέγει δὲ τὸν πρῶτον φιλόσοφον περὶτῶν ἀξιωμάτων ἐρεῖν οὐχ ὡς ἀποδείξοντά[26620] τι αὐτῶν (ἀναπόδεικτοι γὰρ αἱ ἀρχαὶτῶν ἀποδείξεων ὡς λέγει) ἀλλὰ τίς ἡ φύσιςαὐτῶν καὶ πῶς ἡμῖν ἐγγίγνεται καὶ πῶςαὐτοῖς χρηστέον καὶ ὅσα ἄλλα περὶ αὐτῶνἐν τοῖς Περὶ ἀποδείξεως πραγματεύεταιὥσπερ γὰρ ὁ περὶ τῶν ἀξιωμάτων λόγος τοῦφιλοσόφου οὕτω καὶ ὁ περὶ ἀποδείξεως οὐπερὶ τῆς τοῦδε ἢ τοῦδε ἀλλὰ καθόλου τί τέἐστιν ἀπόδειξις καὶ πῶς [26625] γίνεταιΟὐδὲ γὰρ ἡ ἀπόδειξις ἑνί τινι γένει τῶν ὑπὸτὰς ἐπιστήμας ὑπάρχει ἀλλ ἔστι καθἑκάστην ἐπιστήμην ἀπόδειξις παρὰ τὰοἰκεῖα τῆς ἐπιστήμης καὶ χρῆται ἕκαστος ἐξ

Aristote dit que le philosophe premier parlerades axiomes non pas dans lintention den deacutemontrerun (car les principes des deacutemonstrations sontindeacutemontrables comme il le dit) mais ltde diregtquelle est leur nature comment ils viennent en nouscomment nous devons les utiliser et toutes ces autreschoses dont il soccupe dans le De la deacutemonstration382De mecircme en effet que la discussion des axiomesincombe au philosophe de mecircme aussi celle sur ladeacutemonstration ndash non pas sur la deacutemonstration de ceciou de cela mais sur en geacuteneacuteral ce quest unedeacutemonstration et comment elle se produit Car ladeacutemonstration nappartient pas non plus agrave lun desgenres qui sont sous les sciences mais il y a danschaque science une deacutemonstration pour383 les objets

380 Cf In Met 130 13 -16 laquo Kαὶ ἔστι τινὰ καὶ ἐν ταῖς δι ἀποδείξεως διδασκαλίαις γνωριζόμενα ὑπὸτοῦ μανθάνοντος ἄλλα ὄντα τῶν ἀποδεικνυμένων τοιαῦτα γὰρ τὰ ἀξιώματα φυσικαί τινεςοὖσαι ἔννοιαι καὶ προτάσεις ἄμεσοι raquo Cf aussi le commentaire agrave B 2 996b 35 sq (In Met 188 9 sq)et (traduit ci-dessous) 266 19 sq Voir enfin 272 20 sq et 274 32 sq M Mignucci ([2003] p 95)paraphrase ainsi la position alexandrinienne laquo I principi sono indimostrabili e sarebbe unimperdonabilemancanza di conoscenza della logica pretendere che tutto debba essere provato raquo en citant en note 266 18-20 et266 32 ndash 267 6

381 La traduction sinspire de celle de M Crubellier ([2005] p 69) mais la formule est vraiment difficileAinsi W Leszl propose-t-il de construire laquo ᾗ πέφυκεν raquo avec laquo τοῦ φιλοσόφου raquo et milite contre Rosset avec Bonitz (Index aristotelicus 833a 30 sq) pour une traduction du type laquo conformeacutement agrave sanature raquo Cf W Leszl [2008] p 248 n 17

382 Agrave savoir les Seconds Analytiques voir par exemple In AnPr 6 32-33 et 7 33 ndash 8 2 M Bonelli ([2001]p 272 n 101) renvoie eacutegalement agrave Galien

383 Lusage de παρά est un peu eacutetonnant dans ce contexte nous navons trouveacute aucun emploi parallegravele

231

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ὑποθέσεως παρὰ φιλοσοφίας τὸ πῶςἀποδεικνύναι χρὴ λαμβάνων

propres de la science et chaque ltscientifiquegt sensert sur la base dune hypothegravese recevant de laphilosophie la faccedilon dont il faut deacutemontrer raquo

(266 18-28)

Ce quil reprend ensuite en disant

Ὅτι περὶ τὰ ἀξιώματα λέγων εἶναι τὸνπρῶτον φιλόσοφον οὐχ ὡς ἀποδεικνύντααὐτὸν λέγει ἀλλ ὡς δεικνύντα ὅτι ἀρχαὶἀποδείξεως αἱ δὲ ἀρχαὶ ἀναπόδεικτοι δηλοῖδι ὧν ἄρτι λέγει πρὸς τοὺς οἰομένουςπάντων [26635] ἀπόδειξιν εἶναι καὶ μηδὲνἀποδέχεσθαι ἀξιοῦντας ἀληθὲς εἶναι ἄνευ[2671] ἀποδείξεως λεγόμενον περὶ ὧνεἴρηκε καὶ ἐν τοῖς Ὑστέροις ἀναλυτικοῖςτούτους γάρ φησι δι ἀπαιδευσίαν τῶνἀναλυτικῶν ταῦτα λέγειν Δέδεικται γὰρ ἐνἐκείνοις ὅτι δεῖ ἀρχὴν ἀποδείξεως εἶναι καὶταύτην ἀναπόδεικτον Οὐδὲ γὰρ ἂν ὅλωςἀπόδειξις εἴη εἰ περὶ πάντων ζητοίη τιςΠᾶσα γὰρ [2675] διδασκαλία ὡς ἐν ἐκείνοιςεἴρηται καὶ πᾶσα μάθησις διανοητικὴ ἐκπροϋπαρχούσης γίνεται γνώσεως καὶ ἔστιταῦτα τὰ ἀξιώματα καλούμενα

En disant que le philosophe premier a affaire auxaxiomes il veut dire non pas quil les deacutemontre maisquil montre quils sont principes de ladeacutemonstration alors que les principes sontindeacutemontrables384 et il le fait voir par ce quil ditmaintenant contre ceux qui croient quil y a unedeacutemonstration de toutes choses et estiment quon nedoit rien accepter comme veacuteridique sansdeacutemonstration ce dont il a aussi parleacute dans lesSeconds Analytiques ndash car ceux-lagrave affirme-t-il tiennentce langage par manque de formation aux AnalytiquesIl a montreacute en effet dans les Seconds Analytiques quil ya neacutecessairement un principe de la deacutemonstration etque celui-ci est indeacutemontrable Il ny aurait en faitaucune deacutemonstration si lon recherchait unedeacutemonstration de toutes choses Car laquo toutenseignement comme il la dit dans ces livres et toutapprentissage qui ont lieu par un raisonnementprocegravedent dune connaissance preacuteexistante raquo385 et ceschoses sont ce quon appelle axiomes

(266 32 ndash 267 6)

Le premier texte est la fin du commentaire agrave la premiegravere phrase de Γ 3 (1005a 19-21) mais

Alexandre y commente en reacutealiteacute toute la premiegravere partie du chapitre Le second se situe au

deacutebut du commentaire agrave 1005b 2-4 dougrave la reacutefeacuterence agrave ceux qui ignorent les Analytiques On se

rappelle que la probleacutematique du chapitre chez Aristote est tregraves semblable sinon identique agrave la

deuxiegraveme aporie comme Alexandre sen est aviseacute degraves le deacutebut de son commentaire ie la

question appartient-il agrave la mecircme science de traiter de la substance et des axiomes On le sait

aussi la reacuteponse dAristote est ici positive et le deacutebut du chapitre (1005a 21-b 8) entreprend

Le manuscrit L donne dailleurs laquo περί raquo qui convient mieux Les diverses traductions du passagedonnent M Mignucci ([2003] p 96) laquo piuttosto la dimostrazione egrave di ciascuna scienza secondo le coseappropiate alla scienza raquo M Bonelli ([2001] p 271 n 100) laquo ma per ogni scienza vi egrave una dimostrazionepresso le cose proprie della scienza raquo A Madigan ([1993] p 46) laquo on the contrary in each science there is ademonstration corresponding to the proper objects of the science raquo M Casu ([2007] p 629) laquo piuttosto inciascuna scienza la dimostrazione egrave applicata agli oggetti propri della scienza raquo

384 Ou laquo il montre quil sont principes de la deacutemonstration mais quils sont indeacutemontrables Il le faitvoir raquo (cest loption choisie par A Madigan)

385 Aristote AnPo I 1 71a 1-2 traduction P Pellegrin

232

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

dargumenter cette position en liant leacutetude des axiomes agrave leacutetude de la substance laquo ᾗ πέφυκεν raquo

et de leacutetant en tant queacutetant386 En Γ le Stagirite ne rappelle jamais expresseacutement les arguments

preacutesenteacutes contre cette reacuteponse agrave laporie en B et son argumentation y est plus pro que contra

Alexandre en revanche affronte le problegraveme de la connaissance des axiomes cest-agrave-dire celui de

leur deacutemontrabiliteacute la difficulteacute seacutetant chez lui figeacutee en un veacuteritable nœud eacutetant donneacute la

meacutethode prescrite agrave la philosophie premiegravere

La thegravese qui saffirme agrave travers les deux textes consiste donc agrave soutenir que le philosophe

premier tient sur les axiomes un discours quon peut qualifier de deacutefinitionnel et de descriptif Il

doit dire laquo quelle est leur nature comment ils viennent en nous comment nous devons les

utiliser raquo proposition ramasseacutee dans le second extrait en un simple laquo il montre quils sont

principes de la deacutemonstration raquo cest-agrave-dire quil dit ce quils sont On songe ici aux Seconds

Analytiques I 3 peut-ecirctre I 11 et surtout II 19 le texte est agrave mecircme de soutenir lhypothegravese selon

laquelle Alexandre a sans doute en tecircte les recoupements entre ce dernier chapitre des

Analytiques et le premier de la Meacutetaphysique Mais le champ deacutetude seacutetend en reacutealiteacute agrave lensemble

du traiteacute De la deacutemonstration puisque le philosophe premier doit aussi connaicirctre laquo ce quest en

geacuteneacuteral une deacutemonstration raquo (266 24) dans une tournure qui rappelle trop lessence pour ne pas

ecirctre preacutemeacutediteacutee par lAphrodisien

Le pas le plus deacutecisif consiste ainsi agrave retourner positivement la proposition dAristote sur

laquo lignorance des Analytiques raquo Alexandre transforme en effet la double neacutegation de la critique

aristoteacutelicienne contre ceux qui ne connaissent pas les Analytiques en laffirmation en faveur de

lappartenance des Seconds Analytiques agrave la philosophie premiegravere Or que le philosophe premier

386 Il nous semble en effet agrave la diffeacuterence de la preacutesentation proposeacutee par A Jaulin et M-P Duminil([2008] p 152-153) que ces lignes forment un tout une premiegravere argumentation apregraves le rappelliminaire de la question Celle-ci reccediloit une reacuteponse explicite dans une phrase qui vient nettementconclure ce qui preacutecegravede laquo ὅτι μὲν οὖν τοῦ φιλοσόφου καὶ τοῦ περὶ πάσης τῆς οὐσίας θεωροῦντος ᾗπέφυκεν καὶ περὶ τῶν συλλογιστικῶν ἀρχῶν ἐστὶν ἐπισκέψασθαι δῆλον raquo (1005b 5-8) Dailleurs siRoss imprime ici un tiret avant la phrase et un simple point en haut apregraves son commentaire pose uneclaire division en b 8 (cf [1924] p 263) Il ne nous paraicirct en tout cas pas possible de couper comme lefont A Jaulin et M-P Duminil en 1005b 11 (apregraves laquo ἔστι δ οὗτος ὁ φιλόσοφος raquo) car il est tregravesprobable que le laquo βεβαιοτάτας raquo de 1005b 11 soit eacutetroitement lieacute au laquo βεβαιοτάτη raquo qui suit Voir agrave cesujet M Crubellier [2008] p 388 Alexandre quant agrave lui propose de deacuteplacer la phrase de b 2-5 apregravesle laquo δῆλον raquo de b 8 ce qui revient agrave intervertir la position de lun des arguments et de sa conclusionMais la phrase valant conclusion pour lensemble de ce qui preacutecegravede on doit plutocirct conserver lordre dutexte en leacutetat En fait ce faisant Alexandre propose de consideacuterer b 2-5 comme relevant de ladeuxiegraveme argumentation principale du chapitre en faveur dune reacuteponse positive agrave laporie Alexandreconnecte ainsi la question de la veacuteriteacute et lignorance des Analytiques avec laquo la connaissance de chaquegenre raquo et la qualification du laquo principe le plus sucircr raquo (In Met 267 14-21) Voir contre ce deacuteplacementles arguments de M Crubellier [2008] p 383 n 10

233

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

sen prenne agrave ceux qui ignorent les Analytiques nimplique certainement pas que la connaissance

de ces derniers relegraveve de la philosophie premiegravere La thegravese alexandrinienne commet un saut

logique

Mais la question est de savoir sil faut prendre le passage au pied de la lettre quand

jamais Aristote naffirme une telle chose quand jamais les Analytiques ne sont preacutesents dans les

listes aristoteacuteliciennes des diverses sciences387 quand le deacutebut du Commentaire aux Premiers

Analytiques dAlexandre lui-mecircme reprend parfaitement la position peacuteripateacuteticienne

traditionnelle qui conccediloit les Analytiques et la logique en geacuteneacuteral non comme une partie de la

philosophie (position stoiumlcienne et stoiumlcisante) mais comme un instrument (lorganon) des

diverses sciences388 Linterpreacutetation dAlexandre est dautant plus choquante que la proposition

dAristote en Γ 3 aurait eacuteteacute tout agrave fait compatible avec une conception simplement instrumentale

des Analytiques Ici se situerait alors lune des manifestations les plus eacuteclatantes de la conception

fondationnelle de la meacutetaphysique comme principe de la scientificiteacute des autres sciences

Or tout concourt agrave ce que agrave la suite de M Bonelli389 on doive ici prendre au seacuterieux une

telle affirmation Tout dabord la thegravese est reacutepeacuteteacutee deux fois dans le commentaire agrave Γ En outre

comme le fait remarquer M Bonelli elle se lisait deacutejagrave agrave la fin du commentaire au deacuteveloppement

de la deuxiegraveme aporie en B 2 quoique sous une forme prudente laquo par ces consideacuterations il

serait aussi eacutetabli que leacutetude de la deacutemonstration est en un sens une partie de la philosophie raquo390

Du reste la position est coheacuterente avec ce que de notre cocircteacute nous avons deacutejagrave releveacute quant

au rocircle fondationnel de la meacutetaphysique selon Alexandre elle en figure comme la pointe ultime

La reacuteduction instrumentale de la logique agrave lœuvre dans le Commentaire aux Premiers Analytiques

nest pas incompatible avec lideacutee que la logique est aussi lœuvre du seul philosophe ndash cest mecircme

la proposition inaugurale du Commentaire391 On serait alors fondeacute agrave preacuteciser quelle est mecircme

lœuvre du philosophe premier Enfin la position est eacutegalement coheacuterente avec ce qui suit sur

leacutetablissement du principe de non-contradiction

387 Cf aussi M Mignucci [2003] p 96

388 In AnPr 1 7 ndash 3 29

389 M Bonelli [2001] p 270-276

390 In Met 191 11-12 laquo εἴη δ ἄν πως διὰ τούτων καὶ τὸ μέρος φιλοσοφίας εἶναι τὴν ἀποδεικτικὴνπραγματείαν τιθέμενον raquo M Bonelli [2001] p 275

391 Cf In AnPr 1 3-6 laquo Ἡ λογική τε καὶ συλλογιστικὴ πραγματεία ἡ νῦν ἡμῖν προκειμένη ὑφἣν ἥ τεἀποδεικτικὴ καὶ ἡ διαλεκτική τε καὶ πειραστικὴ ἔτι τε καὶ ἡ σοφιστικὴ μέθοδος ἔστι μὲν ἔργονφιλοσοφίας χρῶνται δὲ αὐτῇ καὶ ἄλλαι τινὲς ἐπιστῆμαι καὶ τέχναι ἀλλὰ παρὰ φιλοσοφίαςλαβοῦσαι raquo Cf agrave ce sujet P Hadot [1979]

234

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Alexandre va en effet renforcer cette thegravese agrave loccasion de la laquo deacutemonstration par

reacutefutation raquo (qui nest donc pas une veacuteritable deacutemonstration) du principe laquo le plus sucircr de tous raquo

Comme la montreacute M Mignucci dans un article extrecircmement eacuteclairant lExeacutegegravete deacuteveloppe une

interpreacutetation forte de laffirmation dAristote selon laquelle cette laquo opinion derniegravere raquo le principe

de non-contradiction est aussi laquo le principe de tous les autres axiomes raquo (1005b 32-34) Le texte

dAristote doit probablement ecirctre pris avec une extrecircme prudence sil est vrai que lopposition

dAristote agrave la dialectique platonicienne interdit dy lire lideacutee que les principes des diverses

sciences sont prouveacutes par la philosophie premiegravere392 Cest pourquoi Mignucci propose de le lire

en lien avec le texte dAnPo I 11 comme signifiant que le principe de non-contradiction est une

condition neacutecessaire mais non suffisante agrave la veacuteriteacute des principes des diverses sciences Or dans

son commentaire au passage393 Alexandre explique que la neacutegation des axiomes implique

neacutecessairement une contradiction ce qui revient agrave admettre une deacuterivabiliteacute de tous les axiomes agrave

partir du principe de non-contradiction394 Cet argument est donneacute en faveur de la thegravese selon

laquelle nous employons souvent le principe afin de confirmer les axiomes et notre conviction en

eux (laquo πολλάκις εἰς σύστασιν αὐτῶν καὶ πίστιν τούτῳ προσχρώμεθα raquo 271 13-14)

Si Alexandre reste malheureusement assez silencieux sur la valeur eacutepisteacutemologique de

cette reacutefutation comme le remarque agrave raison Mignucci395 on peut malgreacute tout se risquer agrave

quelques hypothegraveses en particulier gracircce au paralleacutelisme quAlexandre opegravere entre la

confirmation par labsurde des divers axiomes et largumentation reacutefutative en faveur du principe

de non-contradiction396 Conccediloit-il toute cette entreprise comme dialectique en se rapprochant

ainsi de nombre de lectures modernes397

Puisque les sciences partielles sont incapables dlaquo entreprendre agrave propos des axiomes de

392 M Mignucci [2003] p 97

393 Voir en particulier 271 7-21

394 Cf 271 14-21 laquo Συνιστάντες γὰρ ὅτι τὰ τῷ αὐτῷ ὅμοια καὶ ἀλλήλοις ἐστὶν ὅμοια λαμβάνομεν εἰγὰρ μὴ τοῦτο οὐχ ὅμοια ἀλλήλοις ἔσται εἰ δὲ μὴ ἀλλήλοις ὅμοια οὐδ ἂν ἑνί τινι τῷ αὐτῷ ὅμοιαεἴη ἀλλὰ παραλλάσσοι ἂν αὐτοῦ καθὸ καὶ ἀλλήλων ἔκειτο δὲ ὅμοια εἶναι τὰ αὐτὰ ἄρα ἅμα τῷαὐτῷ ὅμοιά τε καὶ οὐχ ὅμοια ἐφὃ ὡς εἰς ἀδύνατον φανερὸν ἀγαγόντες τὸν λόγον ἡγούμεθαβεβοηθηκέναι εἰς σύστασιν τῷ ἀξιώματι τῷ λέγοντι τὰ τῷ αὐτῷ ὅμοια καὶ ἀλλήλοις εἶναι ὅμοια raquoCf M Mignucci [2003] p 98 qui explique comment Φ deacutesignant un axiome et PNC le principe denon-contradiction linfeacuterence not Φ ⊢ not PNC est logiquement eacutequivalente agrave Φ ⊢ PNC qui est contraire agravela charge anti-dialectique de la penseacutee aristoteacutelicienne Cf aussi M Bonelli [2001] p 269

395 M Mignucci [2003] p 101

396 M Bonelli [2001] p 263 et M Mignucci [2003] p 100

397 Voir agrave titre dexemple A Code [1986] discuteacute par R Bolton [1990]

235

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

dire sils sont vrais ou non raquo (265 26-27) on pourrait en infeacuterer que la meacutetaphysique elle le peut

Or le verbe laquo ἐπιχειρεῖ raquo qui signifie en geacuteneacuteral laquo mettre la main sur raquo laquo entreprendre raquo peut

avoir chez Alexandre (et deacutejagrave chez Aristote) un sens plus preacutecis argumenter tenter damener agrave

une conclusion398 il dit alors une argumentation proprement dialectique399 Mais lemploi

dἐπιχειρεῖ en 265 26 est en reacutealiteacute non technique Alexandre emploie laquo ἐπιχειρεῖ raquo en eacutecho avec

le laquo ἐγχειροῦσι raquo de 1005b 2 dans le texte dAristote Le verbe est en outre construit avec une

infinitive et ceci incite donc agrave le prendre en un sens faible ou plus geacuteneacuteral Le plus important est

alors linfinitive qui suit ce verbe le philosophe premier a agrave laquo entreprendre raquo de laquo dire sils ltles

axiomesgt sont vrais ou non raquo Or dans le scheacutema alexandrinien ce nest pas agrave la dialectique de se

prononcer sur la veacuteriteacute ndash la dialectique peut fournir une aide ou un soutien elle est mecircme tregraves

laquo utile raquo400 mais la recherche de la veacuteriteacute incombe uniquement agrave la philosophie et agrave la science401 Si

ce que la philosophie premiegravere doit confirmer cest la veacuteriteacute ndash connue dabord immeacutediatement ndash

des axiomes il semble alors difficile de comprendre leacutetablissement de celle-ci comme une

entreprise dialectique

Cette entreprise nest bien sucircr pas deacutemonstrative ndash Alexandre ne confond pas

laquo deacutemonstration absolue raquo et laquo deacutemonstration par reacutefutation raquo (cf 273 5 sq) ce qui serait une

voie peut-ecirctre efficace mais bien grossiegravere pour faire entrer leacutetablissement du principe de non-

398 Cf en ce sens In Met 14 18-19 (laquo ἐπιχείρησις raquo) 139 7 etc

399 Dans le Commentaire aux Topiques le verbe deacutesigne celui qui emploie une ἐπιχείρησις cest-agrave-direconformeacutement agrave son emploi aristoteacutelicien (quoique plus rare) largument dialectique qui vise agrave reacutefuterlopposant plutocirct que deacutetablir la veacuteriteacute Cf WE Dooley [1992] p 56 n 151 et surtout Aristote Top I2 101a 30 etc et Alexandre In Top 2 20 sq 76 10 133 29 547 8-14 Le terme a donc un sens prochede la notion dlaquo attaque raquo dialectique ndash comme le traduit J Brunschwig chez Aristote (par exemple TopII 2 110a 11) Dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique il sert ainsi agrave deacutesigner le travail de la dialectique(In Met 174 2 sq 260 21 sq (anticipeacute dans le proegraveme en 236 26) 166 20 176 35 181 2 etc) Eacutetantdonneacute le statut dialectique quAlexandre octroie agrave la deacutemarche aporeacutetique le terme est freacutequent pourdeacutesigner ce que fait Aristote en B ndash ainsi quand il laquo argumente raquo au profit dune position puis de soncontraire

400 Conformeacutement aux Topiques I 2 101a 34 ndash 101b 2

401 Voir In Met 174 1 176 35 sq pour lopposition entre le sage qui vise la veacuteriteacute et le dialecticien (demecircme 177 20 sq) Dans le commentaire agrave Γ lopposition est plus fine philosophie et dialectique sonttoutes deux syllogistiques et ont le mecircme champ deacutetude mais la premiegravere deacutemontre les veacuteriteacutes tandisque la dialectique met agrave leacutepreuve et laquo syllogise raquo agrave propos des veacuteriteacutes et des opinions admises (260 3-5 laquo ἀλλ ἡ μὲν τὴν δύναμιν συλλογιστικὴν ἀποδεικτικὴν ἔχει τῶν ἀληθῶν ἡ δὲ διαλεκτικὴπειραστικὴ περὶ τῶν ἀληθῶν καὶ τοῦ ἐνδόξου συλλογιστική raquo) Sur lassociation deacutemonstration veacuteriteacute par opposition agrave la dialectique voir aussi In AnPr 8 23 sq In Top 1 7 sq Le Commentaire auxTopiques ne sembarrasse dailleurs pas des subtiliteacutes du commentaire agrave Γ laquo ὥστε οὐκ ἐν τῷ διἀληθῶν συλλογίζεσθαι ἡ διαλεκτικὴ τὸ εἶναι ἂν ἔχοι ἀλλ ἐν τῷ δι ἐνδόξων raquo (3 21-23 confirmeacutepar 6 12 sq 16 27 sq etc)

236

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

contradiction dans la philosophie premiegravere conccedilue comme science deacutemonstrative Cependant

puisque la philosophie premiegravere est une science au sens plein elle nest pas seulement

deacutemonstrative mais aussi laquo horistique raquo deacutefinitionnelle ou deacutefinissante Leacutetablissement du

principe et la connaissance des Analytiques en geacuteneacuteral pourraient bien se produire de ce cocircteacute-lagrave

on se rappelle en effet quil sagit selon Alexandre de savoir laquo ce quest la deacutemonstration raquo (266

24) de montrer comment les axiomes sont ce quils sont agrave savoir des principes de la

deacutemonstration

Finalement et de faccedilon peut-ecirctre sophistique lExeacutegegravete peut retourner largument selon

lequel la meacutetaphysique eacutetant une science deacutemonstrative au sens fort elle ne pourrait eacutetudier les

axiomes Cest preacuteciseacutement dit Alexandre parce que le philosophe premier se doit decirctre un expert

en deacutemonstration (dailleurs de lui les autres sciences pourront apprendre agrave bien deacutemontrer402)

quil doit aussi travailler ce qui fonde les deacutemonstrations Largument tombera agrave pic pour des

platoniciens comme en teacutemoigne sa reprise pure et simple par Syrianus403

Selon M Bonelli le fait que la meacutetaphysique traite ainsi des axiomes permet de

rapprocher sa version alexandrinienne de lideacutee platonicienne dune laquo super-science raquo agrave laquelle

sont subordonneacutees les autres404 Le seul fait que les axiomes tombent dans le champ de la

philosophie premiegravere ne suffit pas agrave deacutemontrer la thegravese puisque dans ce cas il faudrait peut-ecirctre

tirer la mecircme conclusion du cocircteacute dAristote Comme le dit M Mignucci laquo Alessandro non diventa

un partigiano della subordinazione delle scienze alla filosofia ma certamente fa un passo in quella

direzione raquo405 De fait affirmer la deacuterivation des divers axiomes agrave partir du principe de non-

contradiction nest pas encore totalement reacuteduire lautonomie des sciences reacutegionales ndash mais cest

lui porter un coup non neacutegligeable

Comme nous avons essayeacute de le montrer cest la correacutelation de trois eacuteleacutements qui affermit

cette conclusion chacun renforccedilant les deux autres La meacutetaphysique alexandrinienne peut ecirctre

qualifieacutee de science fondatrice parce quelle se vise explicitement et de faccedilon reacutepeacuteteacutee comme

402 In Met 261 2-6 laquo ὃ ποιήσει ἕκαστος αὐτῶν ltsc les diverses sciences partiellesgt λαβὼν παρὰ τοῦἀποδεικτικοῦ τε καὶ φιλοσόφου τό τε πῶς ἐκ τῶν ὑπαρχόντων τῷ ἀποδεικνυμένῳ χρὴ τὰςἀποδεικτικὰς λαμβάνειν προτάσεις καὶ πῶς ταύτας ἀλλήλαις συμπλέκειν καὶ τὰ ἄλλα ὅσα ἐντοῖς Περὶ ἀποδείξεως λέγεται τὰ δὲ ἀξιώματα κοιναὶ πάσης ἀποδείξεως ἀρχαί raquo

403 Cf Syrianus In Met 55 33 ndash 56 4 et M Bonelli [2009a] p 426-427 Sur le principe de non-contradiction chez Syrianus voir aussi leacutetude suggestive dA Longo [2005] Le passage citeacute est eacutetudieacuteaux p 246-281

404 M Bonelli [2001] p 239

405 M Mignucci [2003] p 99

237

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

architectonique parce quelle figure la science modegravele et quenfin agrave ce titre elle se sert des axiomes

autant quelle en eacutetablit la veacuteraciteacute ndash a fortiori pour le premier dentre eux principe de tous les

autres ndash et donc plus geacuteneacuteralement montre aux autres sciences comment il faut deacutemontrer La

meacutetaphysique garantit en derniegravere instance la veacuteriteacute des sciences partielles et norme leurs

proceacutedures eacutepisteacutemiques en en figurant lideacuteal La proposition dAlexandre selon laquelle laquo le fait

pour les autres sciences decirctre des sciences leur vient de la sagesse qui eacutetudie les premiegraveres

causes raquo406 neacutetait donc pas un accident

234 Conclusions dialectique et meacutetaphysique

La meacutetaphysique alexandrinienne se preacutesente comme une science agrave la fois universelle et

fondatrice des autres sciences Par lagrave elle accentue ce qui dans le texte aristoteacutelicien demeure agrave

titre dheacuteritage de la dialectique platonicienne tout en outrepassant les critiques dAristote contre

cette derniegravere Il importe alors pour conclure et mesurer leacutecart entre les auteurs de situer

succinctement Alexandre dans cette histoire

a) Aristote et la dialectique platonicienne lheacuteritage

Aristote entretient avec la dialectique de Platon des rapports aussi complexes que

conflictuels et il nest pas question ici de tenter den prendre lentiegravere mesure La seule dialectique

platonicienne remplirait largement un programme de recherches407 Restreindre le propos aux

relations de la philosophie premiegravere agrave la dialectique ne serait pas dun plus grand secours

quoique le sujet ait deacutejagrave eacuteteacute partiellement baliseacute408 Bornons-nous donc agrave quelques indications

406 In Met 20 1-3

407 Dailleurs la seule nature de la dialectique platonicienne suffirait agrave nourrir une ambitieuse recherchecomme le disait deacutejagrave J Brunschwig dans une situation semblable laquo on ne saurait deacutefinir en peu demots le contenu de la notion de dialectique chez Platon raquo (J Brunschwig [1967] p IX-X) La difficulteacuteprovient dailleurs peut-ecirctre de Platon lui-mecircme comme le soutient S Rosen laquo Malgreacute une bonnedose de ce quon pourrait appeler de la reacuteclame vantant les meacuterites dune science dialectique cest-agrave-dire dune science des Ideacutees Platon ne nous montre jamais sur des cas preacutecis comment fonctionne unescience de ce type raquo (S Rosen [2008] p 60)

408 Voir en particulier JDG Evans [1977] E de Strycker [1979] TA Szelzaacutek [1994] et W Leszl [2008]

238

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

syntheacutetiques en retenant ce qui nous permettra de caracteacuteriser la philosophie alexandrinienne

La philosophie premiegravere dAristote se fait agrave la fois lheacuteritiegravere et la matricide de la

dialectique platonicienne Heacuteritiegravere cela se perccediloit dabord dans le projet mecircme de cette science

Le livre A deacutecrit ainsi la sagesse comme la plus haute des sciences et la science des hommes

libres agrave linstar du Sophiste (253c) ou deacutejagrave du Theacuteeacutetegravete (175e) On objectera que cest lagrave chose

attendue en raison du caractegravere doxographique de la deacutemarche toutefois la filiation semble se

poursuivre au-delagrave et en particulier en Γ 1 et E 1 Lideacutee dune science laquo premiegravere raquo distincte des

sciences particuliegraveres parce que selon E 1 elle nest pas limiteacutee agrave un genre et ne se contente pas

de poser des laquo hypothegraveses raquo fait neacutecessairement eacutecho agrave Reacutepublique VII409 Chez Platon ou Aristote

la science qui eacutetudie le principe anhypotheacutetique est la laquo philosophie raquo la dialectique

platonicienne et la science rechercheacutee par Aristote ont en commun linterrogation sur la nature de

la philosophie par opposition agrave la sophistique410

Lheacuteritage se pressent eacutegalement agrave un second niveau celui du contenu mecircme de la

science de ses objets Il est bien difficile de reacutesister agrave la reacuteminiscence des grands genres du

Sophiste quand Aristote eacutevoque certaines notions qui font lobjet de la science de leacutetant en tant

queacutetant La dialectique platonicienne la dialectique aristoteacutelicienne et la philosophie premiegravere

entrent ici en contact et en concurrence De fait on se rappelle que dans le Sophiste en particulier

il eacutechoit agrave la dialectique deacutetudier le mecircme lautre le mouvement le repos et leur laquo chef de file raquo

leacutetant (Sophiste 243d) La dialectique aristoteacutelicienne de son cocircteacute a elle aussi affaire au mecircme et

agrave lautre ndash et par lagrave au semblable au dissemblable agrave la contrarieacuteteacute etc ndash selon B 1 995b 20-25

par exemple La mention dans ce contexte dun travail agrave partir des seules opinions admises (laquo ἐκ

τῶν ἐνδόξων μόνων raquo 995b 25) vaut en effet au moins pour la discipline des Topiques si ce nest

409 Cf la comparaison meneacutee par M Narcy [2000] p 72-73 Cf deacutejagrave E de Strycker [1979] p 50 Cestcertes lagrave un des eacuteleacutements quemploie E Martineau pour disqualifier lauthenticiteacute du chapitre au motifque son auteur ferait un laquo usage [] lourdement technique raquo de la reacutefeacuterence agrave la Reacutepublique (cf EMartineau [1997] p 449) Agrave ce compte il faudrait refuser lauthenticiteacute de Γ car si nulle part nest faitmention de sciences proceacutedant par hypothegraveses y reacutepond tout de mecircme la qualification dlaquo anhypotheacutetique raquo pour le principe de non-contradiction (1005b 14 cf aussi le fait quil ne soit laquo pasune hypothegravese raquo en 1005b 16) Or on sait que ladjectif est un neacuteologisme platonicienparfaitement laquo technique raquo qui ne se lit quen deux occurrences dans la Reacutepublique en 510b 7 et 511b 6(cf M Narcy [2000] p 74)

410 M Narcy [2000] p 77 Pour lidentiteacute entre dialectique et philosophie chez Platon cf Sophiste 253 b-ePar lagrave aussi peut-ecirctre ndash mais cela nous megravenerait trop loin ndash toutes deux ont pour ambition de fonder lelogos en sa possibiliteacute contre ses perversions sophistiques cf P Aubenque [1962] p 98 sq E deStrycker [1979] p 53 et 57 sq qui le relie aussi agrave laffrontement de la doctrine des Eacuteleacuteates B CassinM Narcy [1989] p 27 sq M Crubellier [2005] p 65 W Leszl [2008] p 224

239

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

pour toute forme de dialectique donc aussi pour celle de Platon411 Or ce sont ces preacutedicats

queacutetudie agrave lavenant ndash mais de faccedilon scientifique ndash la science de leacutetant en tant queacutetant du livre Γ

ainsi que latteste la fin de Γ 2412 Leur extension est en effet si large413 quelle excegravede

neacutecessairement lobjet des sciences partielles Leur eacutetude degraves lors ne semble pouvoir revenir agrave

aucune autre science que celle de leacutetant en tant queacutetant Telle eacutetait dailleurs linterrogation poseacutee

par la quatriegraveme aporie de B Ces preacutedicats y intervenaient agrave titre de proprieacuteteacutes essentielles de la

substance et la question eacutetait de savoir si ces proprieacuteteacutes font lobjet de la science rechercheacutee Cest

agrave cette aporie que reacutepond preacuteciseacutement ndash et de faccedilon affirmative ndash le chapitre Γ 2 Si donc Aristote

eacutetend la liste de ces laquo preacutedicats dialectiques raquo il nen reste pas moins que lagrave aussi la Meacutetaphysique

se signale par sa reacutecupeacuteration deacuteleacutements qui ont indiscutablement trait agrave la dialectique

platonicienne414

b) Le parricide415

Comme il se doit cependant la reacutepeacutetition aristoteacutelicienne de ces marqueurs platoniciens

ne se fait pas sans subversion ndash la distance entre lanhypotheacutetique platonicien et celui du Stagirite

par exemple nest pas mince Mais il y a plus sur au moins trois points lopposition dAristote agrave

son maicirctre semble frontale et inflexible

Le premier est bien connu et ne nous concerne pas directement cest le refus par Aristote

de toute preacutetention scientifique agrave la dialectique416

411 Cf W Leszl [2008] p 224-225

412 En particulier 1005a 13-18

413 Cf Sophiste 254c ndash 255c et M Crubellier [2005] p 64-65 laquo le mecircme et lautre dans le Sophiste dePlaton preacutesentent la particulariteacute remarquable de permettre de deacutecrire toutes les relations entre lesgenres donneacutes (leacutetant le mouvement et le repos) mais aussi les rapports entre eux-mecircmes et cesautres genres de sorte quils complegravetent et achegravevent le cadre de lanalyse dialectique raquo

414 Lexpression de laquo preacutedicats dialectiques raquo nest bien sucircr pas dAristote mais de M Crubellier ([2005] p65) Sur cette question voir aussi W Leszl [2008] en particulier p 222-223 ougrave Leszl parle dunlaquo overlapping between the notions which are mentioned by Aristotle in the passages now considered [B 1 et Γ 2]and the notions which are regarded by Plato in the Sophist and also in the Parmenides to be object ofdialectic raquo

415 Sur cette reprise du thegraveme du parricide cf par exemple M Dixsaut [2004]

416 Ce point nest pas sans poser problegraveme et la litteacuterature agrave ce sujet est assez pleacutethorique Voir entre autresJ Brunschwig [1967] [2000] JDG Evans [1977] T Irwin [1988] R Bolton [1990] P Aubenque[1990] E Berti [1996] [1997] [2001] etc

240

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Le second point porte sur lextension du champ dinvestigation de la dialectique et de la

philosophie premiegravere Chez Platon celui-ci entre en rivaliteacute directe avec la fausse universaliteacute de

la sophistique Le sophiste comme en teacutemoigne le dialogue eacuteponyme est celui qui croit pouvoir

et savoir parler de tout (laquo περὶ πάντων raquo en 232e 3 et laquo πάντα raquo en 233a 3) au sens ougrave lon dit en

franccedilais laquo de tout et nimporte quoi raquo mais ce ne sont lagrave que faux-semblants et apparences de

savoir417 Aristote sera dailleurs encore clairement dans cette ligne quand il deacutecrira la sophistique

en Γ comme laquo une sagesse seulement en apparence raquo418 Chez Platon la critique se concentre en

effet dabord dans lapparence de savoir et non dans son extension comme telle Ou plutocirct si lon

preacutefegravere Platon ne critique dabord la preacutetention agrave luniversaliteacute quagrave titre de conseacutequence de

lapparence de savoir le peacutecheacute originel et irreacutemissible du sophiste cest loxymore dune

laquo science opinative raquo419

Quant agrave son champ de (preacutetendue) compeacutetence lerreur sophistique reacuteside dans une

compreacutehension distributive du πάντα et cest ce qui va permettre agrave lrsquoEacutetranger dans la suite du

Sophiste (234b sq) de rapprocher sophistique et art dimitation420 La deacutevaluation de la

sophistique ne se fait donc pas tant sur lextension-mecircme de son objet que sur la perspective prise

sur cet objet (toutes choses) qui selon Platon lui interdit dacceacuteder au rang de science De ce

point de vue tout change chez Aristote pour qui la notion mecircme dune science de toutes choses

(sans speacutecification) forme un oxymore il suffit donc pour la deacutebouter deacutetablir cette preacutetention

417 Loin decirctre des laquo savants universels raquo (ainsi Robin traduit-il lexpression de lrsquoEacutetranger en 233c 6 laquo Πάντα ἄρα σοφοὶ τοῖς μαθηταῖς φαίνονται raquo) ils nont quune laquo science de toutes choses paropinion raquo (laquo Δοξαστικὴν ἄρα τινὰ περὶ πάντων ἐπιστήμην raquo 233c 10)

418 Cf Met Γ 2 1004b 18-20 laquo ἡ γὰρ σοφιστικὴ φαινομένη μόνον σοφία ἐστί καὶ οἱ διαλεκτικοὶδιαλέγονται περὶ ἁπάντων raquo Le reste du passage de Γ nest pas eacuteloigneacute de la critique platoniciennede la sophistique lorsquil eacutevoque laquo le choix de vie raquo du sophiste (1004b 24-25 laquo τῆς δὲ τοῦ βίου τῇπροαιρέσει raquo) On pourrait seacutetonner de ce que le Stagirite nemploie pas ici son argument massuecontre lideacutee dune science universelle Cest peut-ecirctre parce que la science de leacutetant en tant queacutetant estce qui sen rapproche le plus et que laquo la dialectique et la sophistique tournent autour du mecircme genreque la philosophie raquo (1004b 23-22 tr A Jaulin ndash M-P Duminil) Sur la critique des sophistes et lideacuteedune science universelle en ce sens cf aussi SE I 11

419 Plus preacuteciseacutement la sophistique est le regravegne de lopinion et ce agrave deux titres parce que le sophiste faitpasser des opinions pour du savoir (au niveau mecircme du discours) et parce que sil le fait cest (auniveau pragmatique et conatif) pour des raisons eacuteconomiques pour susciter de nouvelles opinions quileur font laquo une reacuteputation plus grande dintelligence raquo cf Sophiste 233b 4-5 laquo φαινόμενοί τε εἰ μηδὲναὖ μᾶλλον ἐδόκουν διὰ τὴν ἀμφισβήτησιν εἶναι φρόνιμοι raquo tr L Robin

420 Ce ceacutelegravebre passage est preacuteceacutedeacute dune interrogation de Theacuteeacutetegravete sur lideacutee proposeacutee par lrsquoEacutetranger dunart de faire toutes choses laquo En quel sens as-tu dit toutes raquo (233e 1 laquo Πῶς πάντα εἶπες raquo) EtlrsquoEacutetranger de lexpliciter via une eacutenumeacuteration laquo toi et moi et en plus de nous le reste des animaux etdes plantes raquo (233e 5-6 laquo Λέγω τοίνυν σὲ καὶ ἐμὲ τῶν πάντων καὶ πρὸς ἡμῖν τἆλλα ζῷα καὶδένδρα raquo)

241

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

absurde sans besoin de sonder la valeur de veacuteriteacute de ce qui y est dit Platon doit en revanche

examiner le fonds du discours sophistique pour montrer que contrairement aux apparences il ne

sagit que de laquo science opinative raquo Certes par opposition agrave la sophistique si la dialectique est

science universelle ce nest pas en ce sens distributif421 Comme limpliquent les difficiles pages

253-254 du Sophiste le dialecticien a affaire agrave une totaliteacute mais non agrave une totaliteacute indiffeacuterencieacutee

Ce refus de la totaliteacute indiffeacuterencieacutee et distributive se perccediloit jusque dans la meacutethode prescrite par

lrsquoEacutetranger dans la suite du dialogue il ne convient pas de traiter sans distinction de la totaliteacute

des Formes (laquo περὶ πάντων τῶν εἰδῶν raquo) car cette multipliciteacute nous troublerait (laquo ἵνα μὴ

ταραττώμεθα ἐν πολλοῖς raquo 254 c) Cest pourquoi il faudra partir des genres les plus

importants ceux qui ouvrent laccegraves agrave tous les autres et organisent leur multipliciteacute en une

pluraliteacute et ce au niveau mecircme du discours qui les prend pour thegravemes La dialectique est savoir

de larticulation ici celle des genres entre eux le savoir dune multipliciteacute organiseacutee422

Faut-il degraves lors tracer un lien entre la dialectique comme savoir du laquo principe du tout raquo de

la Reacutepublique (VI 511b 7) et la dialectique comme savoir des grands genres dans le Sophiste

Aristote en tout cas paraicirct consideacuterer la tentative platonicienne comme tombant dans lerreur

dune science de toutes choses La fin de Meacutetaphysique A 9 (992b 18 ndash 993a 10) est agrave cet eacutegard sans

appel Apregraves avoir reacutefuteacute la notion dIdeacutees comme instruments eacutepisteacutemologiques le chapitre

preacutesente une derniegravere argumentation laquo geacuteneacuterale raquo (laquo ὅλως raquo 992b 18) une charge presque

sceptique423 contre une connaissance des Ideacutees ndash comme si le Philosophe disait mecircme sans avoir

des Ideacutees une conception stricte on tombera toujours ineacutevitablement dans les arguments qui

suivent contre une science des Ideacutees Ou encore plus rigoureusement mecircme sil y avait des

eacuteleacutements de tous les eacutetants ils resteraient inconnus et inconnaissables En effet le passage ne

parle jamais dεἴδη mais d laquo eacuteleacutements raquo la reacutefeacuterence est cependant transparente eu eacutegard au

contexte et sil est vrai que Platon est le premier agrave employer ce terme en un sens technique424 Degraves

lors dans sa critique Aristote ne vise pas ici une science de toutes choses en un sens pauvre

sophistique celui de la totaliteacute distributive du laquo tout et nimporte quoi raquo de leacutenumeacuteration

421 Voir tout de mecircme RepVII 534b laquo ῏Η καὶ διαλεκτικὸν καλεῖς τὸν λόγον ἑκάστου λαμβάνοντα τῆςοὐσίας raquo

422 Cf M Dixsaut [2001] p 333-334

423 Le passage commence par souligner que son objet consiste dans la deacutecouverte des eacuteleacutements de touteacutetant (εὑρεῖν 992b 19) et se clocirct par un argument (993a 1-7) qui pourrait presque passer pour le tropesceptique de la diversiteacute des opinions

424 Cf M Crubellier [1999] p 45-54

242

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

comme il le fait plutocirct dans les Reacutefutations sophistiques en I 9 ou 11 Il entreprend au contraire de

reacutefuter une science des eacuteleacutements de tous les eacutetants

Aristote y deacuteploie son argumentation agrave deux niveaux une science des eacuteleacutements des

eacutetants est fondamentalement dans lerreur quant agrave son objet mais elle est mecircme et surtout

impossible comme science Ces deux niveaux sont lieacutes ce que pointe Aristote agrave chaque fois cest

la preacutetention agrave luniversaliteacute ou agrave la totaliteacute425 Le texte est beaucoup plus concis sur le premier

niveau en eacutevoquant la neacutecessiteacute de distinguer des types deacutetants et concentre son attention sur le

niveau eacutepisteacutemologique Via une deacutemonstration par labsurde le Stagirite montre en effet que

lideacutee dune science universelle contrevient au principe selon lequel toute science part de

connaissances anteacuterieures La constitution mecircme dune science implique une exteacuterioriteacute qui la

deacutelimite426

Bref deacutepourvue dexteacuterioriteacute et donc de limites inneacutee et donc latente une science de

toutes choses ne meacuteriterait simplement pas de quelque faccedilon que ce soit le nom de science On

pouvait sy attendre le refus par Aristote de la dialectique platonicienne ne transcrit pas le

simple deacutesir doriginaliteacute dun disciple seacuteditieux cest un motif de fond un point de convergence

de plusieurs thegraveses cruciales de son eacutepisteacutemologie

425 Nous ne distinguons pas ici entre les deux eacutetant donneacute les formules du texte

426 Toutefois le Philosophe ne se contente pas de deacutenoncer comme formellement la transgression duneregravegle Il pointe la contradiction interne dune science qui ne saurait ecirctre apprise Cest pourquoi le texteenchaicircne immeacutediatement avec la question de linneacuteiteacute de cette science (laquo σύμφυτος raquo 993a 1 sq) Toutescience en tant que disposition de lacircme suppose une double situation de celui qui lapprend sonignorance de la matiegravere agrave apprendre et ses connaissances anteacuterieures qui ne relegravevent pas de cettederniegravere Savoir et donc apprendre impliquent un tel mixte de connaissance et dignorance De cepoint de vue le passage se situe au plus pregraves du paradoxe du Meacutenon et dans les parages du dernierchapitre des Seconds Analytiques Comme pour son maicirctre il ny a pas pour Aristote de point zeacutero delapprentissage ndash le deacutebut du livre A lavait deacutejagrave deacutecrit Nous sommes toujours deacutejagrave en train de savoir laconnaissance est une maniegravere decirctre Mais de Platon agrave Aristote ce qui change cest le mode et le lieude cette anteacuterioriteacute de la connaissance La diffeacuterence se creuse du passeacute mythique et de lodysseacutee de lareacuteminiscence agrave lanteacuterioriteacute de la sensation puisque vivre pour les animaux cest sentir Or cechangement de conception complique lideacutee mecircme dune science synoptique Sans conteste pourAristote le procegraves de la connaissance a toujours deacutejagrave commenceacute en lhomme mais les sciences seconstruisent de faccedilon lineacuteaire et non circulaire La totaliteacute nest pas donneacutee dembleacutee comme pourPlaton lequel sassurait ainsi de la possibiliteacute de la science en posant son effectiviteacute anteacuterieure ChezAristote la science se conquiert elle ne peut donc ecirctre inneacutee ni a priori totale Le Stagirite peut ainsipour finir se payer le luxe de retourner contre Platon lune de ses propres thegraveses savoir cest savoirque lon sait (la thegravese se lit par exemple dans lautobiographie intellectuelle du Pheacutedon et sadeacutenonciation des physiques anteacuterieures) Mais en ce cas la plus haute des sciences ne peut resterlatente dans une acircme

243

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Cependant la critique aristoteacutelicienne agrave lendroit de la dialectique comme science

universelle vise aussi un autre aspect de la thegravese platonicienne celui selon lequel la dialectique

est science universelle parce quelle absorbe et concentre la totaliteacute du savoir427 Lrsquointerpreacutetation

drsquoAristote se discute sans doute mais elle nest en tout cas pas sans fondement dans le corpus

platonicien La derniegravere pomme de discorde entre la dialectique platonicienne et la philosophie

premiegravere consiste pour le dire vite en lideacutee dune science de la science dune science suprecircme

qui prise dans un mouvement reacuteflexif fonde toutes les autres

Sil aime savoir le philosophe platonicien ne peut se contenter dune seule espegravece de

savoir et aime neacutecessairement la sagesse dans son ensemble428 On comprend que le programme

deacuteducation de la Reacutepublique se couronne par laffirmation de la capaciteacute laquo synoptique raquo du

dialecticien429 Le critegravere pour distinguer le laquo naturel dialectique raquo (laquo διαλεκτικῆς φύσεως raquo 537c

6) reacuteside en effet dans la capaciteacute agrave voir la laquo parenteacute raquo agrave la fois des savoirs entre eux puis des

savoirs avec la nature de leacutetant Il sagit donc toujours d laquo articuler raquo (ici laquo συνακτέον raquo 537c 2)

mais lrsquoarticulation sapplique en premier lieu aux apprentissages aux savoirs eux-mecircmes et non

ici aux Formes ou aux Genres430

La dialectique de Platon nest pas une eacutepisteacutemologie au sens moderne elle nest pas

destineacutee agrave reacutegler a posteriori des questions de proceacutedures internes agrave telle discipline scientifique

Elle est bien plutocirct lorigine et la mesure de scientificiteacute de toutes les autres sciences et cest

pourquoi en elle le savoir et la meacutethode se confondent431 Dans la Reacutepublique la dialectique est

tout agrave la fois la science la plus haute une laquo pierre de faicircte raquo et en un sens la seule veacuteritable

science432 La dialectique est supeacuterieure au point ougrave elle sexcepte du reacutegime des autres sciences

427 Cf P Aubenque [1962] p 211 sq

428 Reacutepublique V 475b et W Leszl [2008] p 218-219

429 Reacutepublique VII 537c 2 et surtout c 7 laquo ὁ μὲν γὰρ συνοπτικὸς διαλεκτικός ὁ δὲ μὴ οὔ raquo

430 Certes cette capaciteacute agrave prendre le point de vue de surplomb (comme dirait Merleau-Ponty) se litdabord dans le Phegravedre (265d et 273e) ou le Timeacutee (83c) mais agrave propos de luniteacute ou de lunification quepermet la Forme Assureacutement aussi Platon ne scinde jamais lordre du connaicirctre et de lecirctre si ladialectique est science universelle parce que science de toutes les sciences elle lest aussi en quelquemaniegravere du fait de son objet Il nen demeure pas moins quau cœur de la compeacutetence synoptique lonpeut distinguer ces deux aspects (la dialectique comme science de tout de ce qui est dune part etdautre part en tant quelle concentre le savoir en totaliteacute) et ce parce que ces deux dimensionsrenvoient agrave deux critiques diffeacuterentes chez Aristote

431 Comme leacutecrit M Dixsaut elle est laquo la science la plus haute ne faisant quun avec le chemin quelle sefraie raquo cf M Dixsaut [2001] p 9 Pour la dialectique comme mesure de scientificiteacute voir par exemplePhilegravebe 57e-59d

432 Appeleacutee dabord laquo νόησις raquo (511e) la dialectique finira en effet par ecirctre la seule agrave meacuteriter le nomd laquo ἐπιστήμη raquo les autres laquo techniques raquo eacutetant degraves lors laffaire de la laquo διάνοια raquo (533 d-e) Voir Reacutep

244

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

en brisant lapparente continuiteacute qui la reliait par exemple aux matheacutematiques et en se

reacuteservant le nom qui valait auparavant pour les autres Si elle le peut cest parce quelle conquiert

le fondement du reste des sciences elle est la capaciteacute agrave rendre raison du principe quand les

matheacutematiques se contentent de laquo poser raquo Finalement elle est la seule agrave pouvoir atteindre le

Bien Or cest parce quelle est connaissance du Principe433 que la dialectique peut revendiquer

une forme de fondation par rapport aux autres arts Reacuteflexive elle est donc deacutejagrave dans la

Reacutepublique le savoir qui permet de deacutecouvrir laquo la communauteacute et la parenteacute ltquontgt entre elles raquo

les diffeacuterentes sciences434 Cest agrave la fois par la dialectique et par rapport agrave elle que les autres

sciences sont jugeacutees et cest elle-mecircme qui sinstitue science suprecircme Toutes les sciences

preacutesupposent cette science universelle la dialectique qui constitue leur condition de possibiliteacute

parce quelle en trace les cadres conceptuels et quelle est la science agrave leacutetat le plus pur la science

la plus scientifique435 Cest pourquoi la dialectique manifeste cette reacuteflexiviteacute agrave la fois juge et

partie parce quen elle et par elle est atteint le sommet de la hieacuterarchie par deacutefinition rien

dextrinsegraveque ou de supeacuterieur ne peut plus servir de critegravere ou de fondement436 La reacuteflexiviteacute est

VII 534e 2 ndash 535a 1 laquo Ἆρ οὖν δοκεῖ σοι ἔφην ἐγώ ὥσπερ θριγκὸς τοῖς μαθήμασιν ἡ διαλεκτικὴἡμῖν ἐπάνω κεῖσθαι καὶ οὐκέτ ἄλλο τούτου μάθημα ἀνωτέρω ὀρθῶς ἂν ἐπιτίθεσθαι ἀλλ ἔχεινἤδη τέλος τὰ τῶν μαθημάτων raquo Reacutep VII 533a 8 et c 7 M Dixsaut [2001] p 60 Comme lesmatheacutematiques la dialectique ne concerne plus la dimension de la geacuteneacuteration et de la corruption maiscelle de lecirctre Cependant elle a ceci de propre ndash outre quelle nemploie aucun laquo diagramme raquo ndash decirctreanhypotheacutetique Dans la partie supeacuterieure de la Ligne (510b) lrsquointellect a la laquo puissance raquo de monter delhypothegravese jusquau laquo principe du tout raquo puis descendre du principe vers sa conclusion gracircce auxseules Formes (511b)

433 Cest un problegraveme connu ndash que nous laissons de cocircteacute ndash de savoir si le Bien doit ecirctre identifieacute avecllaquo anhypotheacutetique raquo Une telle identification remonte agrave Proclus

434 Reacutep VII 531c 9 ndash d 4 laquo Οἶμαι δέ γε ἦν δ ἐγώ καὶ ἡ τούτων πάντων ὧν διεληλύθαμεν μέθοδος ἐὰνμὲν ἐπὶ τὴν ἀλλήλων κοινωνίαν ἀφίκηται καὶ συγγένειαν καὶ συλλογισθῇ ταῦτα ᾗ ἐστὶνἀλλήλοις οἰκεῖα φέρειν τι αὐτῶν εἰς ἃ βουλόμεθα τὴν πραγματείαν καὶ οὐκ ἀνόνητα πονεῖσθαιεἰ δὲ μή ἀνόνητα raquo On pourrait prolonger cette thegravese via la reacutefeacuterence au Philegravebe ougrave plutocirct que lameacutethode hypotheacutetique la dialectique est la meacutethode des divisions et des rassemblements Elleconserve pourtant cette position de science la plus haute de toutes mais aussi simultaneacutement descience par excellence ndash au point de meacuteriter agrave elle seule les noms dintelligence et de sagesse (59 c-d) Seretrouve donc lambiguiumlteacute de la Reacutepublique dune dialectique agrave la fois situeacutee dans un continuumsommet dune progression reacuteguliegravere mais aussi seacutepareacutee du reste des savoirs (comme lindiquent lesruptures textuelles dans les introductions de la dialectique dans la Reacutepublique autant que dans lePhilegravebe)

435 Les pages 55-59 du Philegravebe montrent quil y a des sciences plus scientifiques que dautres parce quil y ades sciences plus pures et donc meilleures (au sens du Bien) que dautres Le genre de la science admetcomme on la vu agrave la fois une continuiteacute qui rend possible la diffeacuterence de degreacute et une rupture entrela dialectique et le reste des savoirs Sur ceci voir S Delcomminette [2006] p 511-512 et p 533-534

436 Et lon peut penser quici se dessine lun des moments clefs pour comprendre le caractegravere reacuteflexif etautoreacutefeacuterenceacute de toute meacutetaphysique en tout cas de tout savoir qui se preacutetend premier

245

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

une contrepartie de la primauteacute

De Platon agrave Aristote ce qui change nest ainsi pas seulement la nature de la science

premiegravere mais le paysage geacuteneacuteral des disciplines particuliegraveres Ces derniegraveres sont pour le

Stagirite en tregraves grande partie autonomes et autosuffisantes437 Aristote libegravere les sciences

reacutegionales de leur tutelle dialectique La thegravese est nette dans les Seconds Analytiques en particulier

au livre I dans les chapitres 9 11 et 32 Aristote seacutelegraveve expresseacutement en I 9 contre la possibiliteacute

dune science laquo eacuteminente de toutes choses raquo (laquo κυρία πάντων raquo 76a 18) en deacutemontrant que les

principes de chaque science doivent leur ecirctre approprieacutes puisquune deacutemonstration ne vaut que

dans un certain genre (76a 22)438 Le chapitre 11 limite de mecircme lusage des axiomes insistant sur

la seacuteparation des diverses sciences et lincommunicabiliteacute des genres439 Et sans entrer dans le

deacutetail du chapitre I 32 ndash laquo le chemin du doute et du deacutesespoir raquo pour les interpregravetes440 ndash on peut

cependant souligner comment dans la partie laquo scientifique raquo du chapitre Aristote refuse que ces

axiomes puissent servir de fonds commun agrave toutes les deacutemonstrations de toutes les sciences441 Le

texte distingue entre dune part les genres de choses queacutetudie une science et laquo avec raquo lesquels

elle peut deacutemontrer et dautre part les axiomes reacuteduits ici agrave un rocircle purement instrumental Une

science des axiomes communs serait donc agrave la fois pour partie vide et pour partie aveugle agrave

lopposeacute une bonne deacutemonstration limitera son office agrave la cateacutegorie deacutetants quelle eacutetudie en

usant de ses principes propres autant que des axiomes mais sans outrepasser son domaine en

usant de principes attacheacutes agrave une autre cateacutegorie

437 Ceacutetait dailleurs lune des remarques que formulait W Leszl apregraves lexposeacute de E de Strycker sur lesujet cf E de Strycker [1979] p 65

438 Sur ce passage difficile cf M Mignucci [1975] p 178-184 Le lien entre ce passage et le chapitre I 32fait question (cf J Barnes [1993] p 136)

439 Le chapitre sinscrit ainsi dans la suite directe de la charge anti-platonicienne deacutejagrave preacutesente en I 10comme la souligneacute J Barnes contre les tentatives de deacuteplacement ou de suppression du premierparagraphe (77a 5-9) J Barnes [1993] p 144 cf aussi P Pellegrin [2005] p 361

440 P Pellegrin [2005] p 392

441 An Po I 32 88b 1-3 laquo τὰ γὰρ γένη τῶν ὄντων ἕτερα καὶ τὰ μὲν τοῖς ποσοῖς τὰ δὲ τοῖς ποιοῖςὑπάρχει μόνοις μεθ ὧν δείκνυται διὰ τῶν κοινῶν raquo laquo les genres des eacutetants en effet sont diffeacuterentset certaines choses appartiennent seulement agrave des quantiteacutes dautres agrave des qualiteacutes et cest en accordavec ces genres et agrave travers les principes communs que lon prouve raquo tr fr P Pellegrin

246

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

c) Meacutetaphysique et dialectique

Le refus dune science de toutes choses et limpossibiliteacute dune science principe de la

scientificiteacute des autres savoirs forment certainement deux contraintes majeures pour la

philosophie premiegravere aristoteacutelicienne Les gegravenes communs avec la dialectique (lideacutee dune

science premiegravere) contrecarrent le geste parricide442 Aristote se tient donc sur une crecircte dont on

peut se demander si elle a toujours eacuteteacute perccedilue par Alexandre Ou plutocirct si cette tension ne devait

pas ecirctre reacuteduite pour constituer la meacutetaphysique en une science une

Le fantocircme de la dialectique reprend consistance dans la meacutetaphysique selon Alexandre

442 On aura tout loisir de deacutenouer cette contradiction en invoquant la chronologie ndash ainsi Owen parexemple qui sen sert pour renvoyer les Reacutefutations sophistiques et les Topiques agrave la jeunesse dAristotepar opposition agrave la Meacutetaphysique cf GEL Owen [1960] et JDG Evans [1977] p 42 sq Evans tente dedeacutejouer lapparente contradiction en distinguant trois faccedilons decirctre science universelle ou science detoutes choses 1) ecirctre science de quelque chose agrave propos de toutes choses dun aspect commun agrave tout 2) ecirctre science de tous les aspects dune reacutealiteacute 3) ecirctre science de tous les aspects de toute reacutealiteacute PourEvans ce qui est rejeteacute dans lOrganon (par exemple en SE 9 170a 2) et lEacutethique agrave Eudegraveme (par exempleen 1217b 35) est cette troisiegraveme et derniegravere entente La premiegravere repreacutesente loption deacuteveloppeacutee par lascience de leacutetant en tant queacutetant et la deuxiegraveme celle de toutes les sciences partielles ndash la physiqueeacutetudiant tous les aspects des eacutetants naturels etc Evans eacutetaie son scheacutema en soutenant quAristotedispose des outils conceptuels suffisants pour diffeacuterencier ces trois maniegraveres de comprendre laquo sciencesde toutes choses raquo via la distinction sujet ndash preacutedicat agrave partir de Met Z 1 1028a 30-31 et An Po I 4 73b5-8 (JDG Evans [1977] p 47) Cet argument pose de nombreux problegravemes dune part quant agrave lascience de leacutetant en tant queacutetant (en quel sens leacutetant en tant queacutetant deacutesigne-t-il un preacutedicatuniversel ) autant que dautre part du point de vue des sciences reacutegionales En outre cetteinterpreacutetation relegraveve de la construction hermeacuteneutique ndash Evans ne cite aucun passage dAristotelaissant apercevoir une telle distinction ndash dune construction qui est certes inteacuteressante et opeacuteratoiremais qui comme telle reste bien hypotheacutetique Agrave linverse on notera que lentente purementlaquo distributive raquo de laquo science de toutes choses raquo que nous avons deacutegageacutee chez Platon et Aristote estquant agrave elle beaucoup plus fondeacutee dans le texte Certes Evans rend ainsi possible le deacutenouement de lacontradiction souligneacutee par Owen (JDG Evans [1977] p 48) Mais nest-ce pas lisser le texte au pointde lui faire perdre sa dynamique probleacutematique La Meacutetaphysique elle aussi met en scegravene ce refusdune certaine science universelle agrave la fin dA 9 jusque dans Γ agrave propos de la destitution de la physiquecomme science totale Or cette preacutesence en A B et Γ du repoussoir dune science universelle comprisede maniegravere platonicienne semble au contraire favoriser lideacutee que pour Aristote il y a bien quelquechose de la science de toutes choses quil doit reacutefuter et dont il doit se preacutemunir qui insiste alors que ladistinction dEvans regravegle et donc eacutevacue le problegraveme Loin de larrecircter cette contradiction mettrait entension la penseacutee aristoteacutelicienne dans la mesure ougrave elle forme lune des racines du projet dune eacutetudede leacutetant en tant queacutetant Cette seconde maniegravere de voir se rapproche de celle dAubenque Mais cedernier pousse la contradiction au point de poser limpossibiliteacute en fait dune quelconque meacutetaphysiqueOn peut se demander si une telle radicalisation est reacuteellement eacuteclairante et opeacuteratoire pour la lecturedAristote (Sur par exemple lopposition entre le fait et le droit chez Aristote selon P Aubenque cf[1962] p 206 sq) Lideacutee de tension pourrait bien ecirctre ici plus fertile dun point de vue hermeacuteneutiqueEntre la probleacutematiciteacute exacerbeacutee dAubenque qui conduit agrave limpossibiliteacute et agrave llaquo eacutechec raquo de la sciencede leacutetant en tant queacutetant et la distinction dEvans qui eacutevacue toute difficulteacute il y a lieu pour unelecture probleacutematique qui conccediloit le texte comme en tension mais aussi comme effort de reacutesolution

247

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Ce dernier affirme plus directement quAristote luniversaliteacute de la philosophie premiegravere sans

doute parce que la discussion avec le platonisme na pas du tout pour lui le mecircme sens historique

que pour le Stagirite LAphrodisien assigne de surcroicirct agrave la meacutetaphysique une fonction de

fondation de la scientificiteacute pour les autres savoirs La meacutetaphysique selon Alexandre preacutesente

degraves lors lambiguiumlteacute inheacuterente agrave tout projet dune science premiegravere telle quelle se manifeste

dabord dans la dialectique platonicienne Cette science est agrave la fois semblable aux autres sciences

et plus haute quelles agrave la fois lincarnation suprecircme du reacutegime eacutepisteacutemique ordinaire et son

exception parce quelle linstitue agrave la fois son maximum et son principe La raison dune telle

ambiguiumlteacute est agrave chercher dans le lien entre reacuteflexiviteacute et primauteacute quon a deacuteceleacute chez Platon443

Cette double position de la meacutetaphysique fera eacutepoque origine dune tradition durable dans

lhistoire de la philosophie Que la meacutetaphysique alexandrinienne soit travailleacutee par cette

ambiguiumlteacute sera particuliegraverement opportun pour les tentatives de conciliation du platonisme et de

laristoteacutelisme444

Mais et la nuance nest pas leacutegegravere cette conception sactualise chez lExeacutegegravete agrave la faveur

de potentialiteacutes du texte aristoteacutelicien Simplicius naurait en tout cas pas totalement tort

daffirmer dans son Commentaire agrave la Physique quil arrive agrave Alexandre de laquo parler comme un

platonicien raquo quand il soutient que laquo puisque les premiers principes eacutegalement certains sont

propres agrave certaines cateacutegories de choses comme les deacutefinitions et les axiomes de la geacuteomeacutetrie

tandis que drsquoautres sont communs agrave toutes Alexandre dit que celui qui veut devenir savant doit

connaicirctre ces principes communs parlant lagrave comme un platonicien raquo445

Parce que donc elle se rapproche de la dialectique platonicienne ou plus preacuteciseacutement

parce quelle transgresse certaines des limites traceacutees par Aristote agrave lencontre de celle-ci la

meacutetaphysique alexandrinienne se heurte agrave la concurrence exacerbeacutee dambitions diverses

preacutesentes agrave lorigine dans le texte dAristote Dit autrement leffort dunification et la proximiteacute

accrue avec la mathesis prima et universalis de Platon aggrave la divergence apparemment deacutejagrave

443 Toute laquo science premiegravere raquo quelle quelle soit est condamneacutee agrave la reacuteflexiviteacute puisque son institution nepeut ecirctre quune auto-institution

444 M Bonelli [2001] p 44 cite agrave titre dexemples Syrianus In Met 55 33 ndash 56 4 Ascleacutepius In Met 74 5-10 (qui parle dune laquo τέχνη τεχνῶν καὶ ἐπιστήμη ἐπιστημῶν ἥτις καὶ πάντα 748 ἁπλῶς τὰ ὄνταοἶδεν ᾗ ὄντα ἐστί καὶ τὰ ἐσόμενα καὶ τὰ μέλλοντα καὶ τὰ καθόλου καὶ τὰ καθ ἕκαστα raquo 224 15-17 246 8 Cf aussi DJ OMeara [1986]

445 Simplicius In Phys 12 5-8 (traduction M Rashed [2007b] p 194 n 553) laquo ἐπειδὴ δὲ καὶ πρῶταιἀρχαὶ αἱ μέν εἰσιν ἑκάστων οἰκεῖαι ὡς γεωμετρίας οἵ τε ὅροι καὶ τὰ ἀξιώματα αἱ δὲ κοιναὶπάντων ὁ Ἀλέξανδρος τὰς κοινὰς ταύτας φησὶ δεῖν γινώσκειν τὸν μέλλοντα ἐπιστήμονα ἔσεσθαιΠλατωνικῶς τοῦτο φθεγγόμενος raquo

248

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

preacutesente chez Aristote la meacutetaphysique devient agrave la fois science du premier science de

luniversel si ce nest de toutes choses et mecircme finalement science fondatrice Il sagit degraves lors de

savoir si lune de ces ambitions prend le pas sur les autres ou plus preacuteciseacutement comment se

conjuguent et sarticulent la primauteacute et luniversaliteacute de lobjet de la meacutetaphysique Agrave cette fin il

nest plus temps de diffeacuterer leacutetude du commentaire agrave Meacutetaphysique Γ ougrave lAphrodisien sessaie agrave

quelques scheacutemas architectoniques dorganisation des sciences theacuteoriques

249

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

24 Lunification lobjet de la meacutetaphysique dans le commentaire agrave Γ

Cest effectivement dans le commentaire agrave Γ quAlexandre se montre le plus disert autant

sur la position de la meacutetaphysique par rapport aux autres sciences ndash on vient de le voir avec la

question des axiomes ndash que sur son objet Les commentaires aux livres preacuteceacutedents ne sen

tiennent pourtant pas agrave heacutesiter entre divers objets de la meacutetaphysique (premiers principes eacutetant

en tant queacutetant substance premier moteur) et ne sont pas exempts desquisses de solution en

tout cas de tentatives dunification des objets ce qui manifeste deacutejagrave la conscience dun problegraveme

Un passage symptomatique agrave cet eacutegard se situe agrave la toute fin du commentaire agrave A 9 On a

vu comment chez Aristote ce chapitre crucial orchestre le rejet dune science universelle et inneacutee

des laquo eacuteleacutements de tous les eacutetants raquo laquo sans faire de distinction raquo446 Or Alexandre deacuteveloppe par

exemple largument dAristote sur la diversiteacute des eacutetants en un syllogisme scolaire qui se conclut

par limpossibiliteacute de deacutecouvrir des principes communs (laquo κοιναὶ ἀρχαί raquo 128 12-14) aux eacutetants

Alexandre degraves le deacutebut du commentaire traduit donc sans peine les laquo eacuteleacutements raquo du texte en

laquo principes raquo Largumentation dAristote ainsi comprise pose degraves lors dineacuteluctables problegravemes

par rapport agrave la conception de la sagesse comme science des premiers principes et des premiegraveres

causes De surcroicirct en ayant pousseacute luniversaliteacute de la sagesse vers la totaliteacute447 Alexandre

sexpose agrave ces arguments il ne suffit pas de rejeter linneacuteiteacute de la sagesse pour sortir indemne de

la fin dA 9 Comment degraves lors maintenir lideacutee dune science des principes de toutes choses tout

en commentant ce texte Le commentaire alexandrinien souffrirait en ce cas du deacutefaut de

coheacuterence quon lui a parfois reprocheacute enferreacute dans la plate lineacuteariteacute de la paraphrase Or il nen

est rien et Alexandre semble tout agrave fait conscient du frottement entre la thegravese dune science des

446 Pour meacutemoire rappelons les expressions aristoteacuteliciennes MetA 9 992b 18-20 laquo ὅλως τε τὸ τῶνὄντων ζητεῖν στοιχεῖα μὴ διελόντας πολλαχῶς λεγομένων ἀδύνατον εὑρεῖν ἄλλως τε καὶ τοῦτοντὸν τρόπον ζητοῦντας ἐξ οἵων ἐστὶ στοιχείων raquo et plus loin b 22-24 laquo ὥστε τὸ τῶν ὄντων ἁπάντωντὰ στοιχεῖα ἢ ζητεῖν ἢ οἴεσθαι ἔχειν οὐκ ἀληθές πῶς δ ἄν τις καὶ μάθοι τὰ τῶν πάντωνστοιχεῖα raquo

447 Voir ci-dessus sect 221

250

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

principes de tous les eacutetants et la critique dune science inneacutee des laquo eacuteleacutements de toutes choses raquo

Comment donc Aristote a-t-il pu ndash selon Alexandre ndash deacutefinir la sagesse comme la science des

principes de tous les eacutetants et rejeter ici sa possibiliteacute Cest cette question que pose la toute fin

du commentaire agrave A 9

Οὐ μαχόμενος δὲ αὑτῷ λέγοι ἂν ζητῶνμὲν τὰς τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ἀρχάς τε καὶ αἰτίαςδεικνὺς δὲ διὰ τούτων ὅτι ἄγνωστοί εἰσινΔείξει γὰρ ὅτι μηδέ εἰσι πάντων τῶν ὄντωνκοιναί τινες ἀρχαί ὡς ἡγοῦντο [13410] οἱ εἰςτὸ ἓν πάντα πειρώμενοι διὰ τῶν κοινῶνἀνάγειν ὁμοιοτήτων Ἀλλεἰσὶν αἱζητούμεναι ὑπ αὐτοῦ τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ἀρχαὶκοιναὶ πάντων ἀρχαὶ αὗται ἀλλαἱ τῆςοὐσίας οὐκ οὖσαι ὁμοίως καὶ τῶν ἄλλων τῶνπαρὰ τὴν οὐσίαν ὄντων ἀρχαί γίγνονταίπως κἀκείνων ἀρχαὶ τῷ καὶ τῶν ἄλλων τῶνὄντων ἕκαστον παρὰ τῆς οὐσίας τὸ εἶναιἔχειν

Aristote ne se contredit peut-ecirctre pas enrecherchant les principes et des causes de leacutetant entant queacutetant tout en montrant par cela448 quils sontinconnaissables Il va en effet montrer quen aucuncas il ny a de principes communs de tous les eacutetantsau sens ougrave ltlesgt concevaient ceux qui tentaient deramener toutes choses agrave lUn par leurs communesressemblances Les principes de leacutetant en tantqueacutetant quil recherche sont ces principes communsde toutes choses mais les principes de la substancequi ne sont pas principes de la mecircme faccedilon que ceuxdes autres eacutetants en dehors de la substancedeviennent aussi en quelque maniegravere les principes deces eacutetants du fait que chacun des autres eacutetants tientson ecirctre de la substance

(134 7-14)

La contradiction apparente quAlexandre cherche ici agrave lever reflegravete sa propre conception

de la sagesse et leffort exeacutegeacutetique quelle suscite La solution proposeacutee est dautant plus eacuteleacutegante

quelle se fonde ouvertement sur lun des arguments du texte celui selon lequel si on peut

deacutecouvrir les eacuteleacutements de quelque chose ce ne peut pas ecirctre pour laquo le faire le subir ou le droit raquo

mais laquo seulement pour les substances raquo (992b 21-22) Dans son commentaire Alexandre avait

compleacuteteacute cette proposition plutocirct laconique les eacuteleacutements en question sont ici la matiegravere et la

forme correspondant chez les platoniciens agrave la Dyade indeacutefinie et lUniteacute agrave partir desquelles

ceux-ci tentaient de faire deacuteriver toutes choses Or reacutetorque Alexandre le faire et le subir nont

aucune matiegravere ou plutocirct sils en ont une cest seulement par accident parce quils appartiennent

agrave une substance qui a par elle-mecircme une certaine matiegravere Ayant implicitement injecteacute la

distinction des cateacutegories degraves le deacutebut du texte lorsque Aristote parle du fait que les diffeacuterents

eacutetants se disent de multiples faccedilons Alexandre retrouve ici le schegraveme cateacutegorial avec dautant

plus de faciliteacute Il peut donc conclure le commentaire agrave 992b 18 sq en disant quil ny a en fait de

tels principes (matiegravere et forme) que pour les substances Les autres eacutetants degraves lors nont de tels

principes que parce que la substance est laquo la seule agrave ecirctre substrat des eacutetants raquo lesquels laquo sont dans

448 Ce qui vient decirctre dit

251

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

la substance ou quelque chose de la substance raquo449 Cest ce que recueille la fin de notre texte dans

lideacutee que laquo chacun des autres eacutetants tient son ecirctre de la substance raquo De ce point de vue cest en

deacutefinitive agrave Γ que renvoie ici Alexandre et agrave ses analyses sur la substance comme laquo cause de

lecirctre raquo450

Mais la reacuteponse dAristote agrave cette difficulteacute cette exigence de laquo distinction raquo dans la

recherche des principes des eacutetants pourrait tout aussi bien se trouver en Λ 4 et 5 et il nest pas

impossible quAlexandre ait songeacute agrave ce rapprochement Or Aristote y propose deux voies dune

part lusage analogique des principes (les principes sont les mecircmes pour tous les eacutetants mais

seulement par analogie) et dautre part une voie par la causaliteacute de la substance Le chapitre 4

semploie en effet agrave montrer que les causes et les principes des eacutetants sont en un sens les mecircmes

en un autre diffeacuterents ce que reacutesume le concept danalogie (1070b 17)451 et la proximiteacute avec les

objections dA 9 agrave lendroit de la dialectique nest pas que terminologique Toutefois mecircme si

Alexandre est conscient de ce possible rapprochement il se concentre nettement sur la voie de la

reacuteduction agrave la substance Pour sortir de laporie construite agrave partir de la rencontre entre deux

thegraveses soutenues selon Alexandre par Aristote (il est agrave la recherche laquo des principes et des causes

de leacutetant en tant queacutetant raquo mais ceux-ci laquo sont inconnaissables raquo 134 7-8) Alexandre circonscrit

linconnaissabiliteacute aux laquo principes communs de toutes choses raquo Il produit alors la diffeacuterence entre

les principes de la substance et ceux des autres eacutetants LExeacutegegravete joue donc surtout sur la

transitiviteacute des principes de la substance la substance est cause de lecirctre des autres eacutetants donc

les principes de la substance sont principes du principe de lecirctre des autres eacutetants et donc laquo aussi

en quelque maniegravere les principes de ces eacutetants raquo Il sagit bien lagrave de la transitiviteacute deacutecrite par

Aristote en Λ 5 1071a 34-35 (laquo καὶ ὡδὶ τὰ τῶν οὐσιῶν αἴτια ὡς αἴτια πάντων raquo) mais sans

mention explicite ni bruyamment orchestreacutee de lidentiteacute seulement analogique des principes

Peut-ecirctre faut-il toutefois y entendre un eacutecho dans laffirmation que les principes de la substance

laquo ne sont pas principes de la mecircme faccedilon que ceux des autres eacutetants en dehors de la substance raquo

(134 12-13 qui pourrait se reacutefeacuterer agrave Λ 5 1071a 29 sq) Mais ce qui inteacuteresse surtout Alexandre est

bien ce schegraveme de la transitiviteacute causale ou principielle qui traverse le corpus on en a deacutejagrave vu un

449 In Met 128 12 ndash 129 9 et plus preacuteciseacutement 129 7-8 laquo μόνη γὰρ αὕτη τῶν ὄντων ὑποκείμενον τὰ δἄλλα ἐν ταύτῃ καὶ ταύτης τι raquo

450 Voir infra sect 312

451 Sur lanalogie des principes cf M Crubellier [1997] sur Λ 4 voir M Crubellier [2000] sur Λ 5 DCharles [2000] sur lensemble G Aubry [2006] p 155 sq

252

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

exemple dans le commentaire agrave A 2452

Sesquisse alors une interpreacutetation possible de luniversaliteacute de la sagesse problegraveme

central de la meacutetaphysique alexandrinienne qui ne sexacerbe que parce quAlexandre a

outrepasseacute certaines des limites traceacutees par Aristote agrave lencontre de la dialectique La sagesse

naurait quune universaliteacute par conseacutequence ou indirecte453 Elle se sauverait de la difficulteacute

exposeacutee par le commentaire agrave A 9 en se focalisant sur la substance et ses principes Ce serait parce

que les principes de la substance sont laquo aussi en quelque maniegravere les principes de ces eacutetants raquo

cest-agrave-dire litteacuteralement de tout le reste de ce qui est quune science de la substance (et donc de

ses principes et de ses causes) serait indirectement universelle Mais pour ecirctre avaliseacutee une telle

solution devra affronter une autre difficulteacute celle quexpose la troisiegraveme aporie (y a-t-il une seule

science pour eacutetudier toutes les substances ) et que selon Alexandre Γ va reacutesoudre La voie

dessineacutee en A 9 se maintient-elle dans le commentaire agrave Γ Est-ce agrave dire que leacutetude universelle

des eacutetants en tant queacutetants se laisse inteacutegralement absorber par lousiologie

241 Plan et objet de Γ

Le livre Γ on la vu454 se preacutesente en effet dans la lecture alexandrinienne du traiteacute

comme une acmeacute le moment ougrave Aristote recueille les opinions preacuteceacutedemment discuteacutees reacutesout

les difficulteacutes et expose ses propres thegraveses Cest aussi le livre de lunification des objets de la

meacutetaphysique comme en teacutemoigne le proegraveme du commentaire

452 In Met 9 8-16 cf ci-dessus sect 212

453 W Leszl [1975] p 176 sq

454 Cf ci-dessus sect 123c

253

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Δείκνυσι δὲ ἐν τῷδε τῷ βιβλίῳ περὶ τίναἐστὶν ἡ σοφία ἣν καὶ φιλοσοφίαν ὀνομάζεικαὶ πρώτην φιλοσοφίαν [2385] Καὶ πρῶτονμὲν συνίστησιν ὅτι περὶ τὸ ὂν καθόλου καὶἐπεὶ τῷ ὄντι τὸ ἓν κατὰ τὸ ὑποκείμενον τὸαὐτό ὅτι καὶ περὶ τοῦτο Ἀλλὰ καὶ περὶ τῶνὑπὸ τὸ ἕν ὧν ἐστι τὸ ταὐτὸν τὸ ἴσον τὸὅμοιον Ἀλλὰ καὶ περὶ τῶν ἀντικειμένων τῷἑνί ταῦτα δέ ἐστι τὰ πολλάmiddot τῆς γὰρ αὐτῆς ἡγνῶσις τῶν ἀντικειμένων Καὶ περὶ τῶν τοῖςεἰρημένοις ἄρα ἀντικειμένων ἀλλὰ [23810]καὶ περὶ πάντων τῶν ἐναντίωνmiddot πάντα γὰρτὰ ἐναντία ὑπὸ τὴν ἑτερότητα ἡ δὲ ἑτερότηςὑπὸ τὰ πολλά τὰ δὲ πολλὰ καὶ ἓνἀντικείμενα Εἰ δὲ περὶ πάντων τῶνἐναντίων τε καὶ ἀντικειμένων δῆλον καὶ ἐκτούτου ὅτι καὶ περὶ παντὸς τοῦ ὄντοςmiddot πάνταγὰρ τὰ ὄντα ἐν τούτοιςmiddot ἢ γὰρ ἐναντία ἢ ἐξἐναντίων Ἀλλ εἰ περὶ πάντα τὰ ὄντα καὶπερὶ πάντα τὰ [23815] καθ αὑτά τε καὶκοινῶς τῷ ὄντι ᾗ ὂν ὑπάρχονταmiddot τοιαῦτα δὲκαὶ τὰ ἀξιώματα Ἐφ οἷς δείκνυσιν ὅτικοινότατον καὶ γνωριμώτατον τῶνἀξιωμάτων ἐστὶ τὸ μὴ δύνασθαισυνυπάρχειν τὴν ἀντίφασιν

Aristote montre dans le livre que voici ce sur quoiporte la sagesse quil nomme aussi bien philosophieque philosophie premiegravere455 En premier lieu il eacutetablitquelle porte sur leacutetant en geacuteneacuteral et puisque lun estidentique agrave leacutetant au point de vue de leur sujet456quelle porte eacutegalement sur lun Mais aussi quelleporte sur les choses qui sont sous lun parmilesquelles sont le mecircme leacutegal le semblable Maisaussi quelle porte sur ce qui soppose agrave lun cest-agrave-dire sur le multiple car cest agrave la mecircme ltscience457gtquappartient la connaissance des opposeacutes Elle portedonc aussi sur les opposeacutes de ce quon a dit458 et deplus sur tous les contraires car tous les contrairessont sous lalteacuteriteacute et lalteacuteriteacute est sous le multiple orle multiple et lun sont opposeacutes Or si elle porte surtous les contraires et les opposeacutes il est manifeste agravepartir de cela aussi quelle porte aussi sur leacutetant entotaliteacute car tous les eacutetants sont compris dans ltlescontrairesgt ou bien en effet ils sont des contrairesou bien ils en sont composeacutes Mais si elle porte surtous les eacutetants alors elle porte aussi sur tout ce quiappartient par soi et communeacutement agrave leacutetant en tantqueacutetant or tels aussi sont les axiomes A propos deceux-ci il montre que laxiome le plus commun et leplus connu est limpossibiliteacute de la coexistence dedeux contradictoires

(238 3-17)

Dans le plan du proegraveme ce passage se situe apregraves le rappel des livres anteacuterieurs (237 3 ndash

238 3) et avant lannonce du plan du livre formant ainsi un ensemble de facture probablement

traditionnelle et scolaire Notre passage se donne donc pour objectif de preacutesenter de faccedilon

syntheacutetique lobjet et la thegravese du livre tout entier tourneacute vers lobjet de la philosophie premiegravere

comme en teacutemoigne la reacutepeacutetition de la tournure περί suivi indiffeacuteremment de laccusatif ou du

geacutenitif En fait dobjet Alexandre offre une multipliciteacute de champs de recherche au philosophe

premier Mais tregraves clairement son souci principal se porte sur la coordination de ces diffeacuterents

455 On pourrait peut-ecirctre aussi confeacuterer au premier καὶ une valeur adverbiale et donner au second unevaleur epexeacutegeacutetique ce qui donnerait laquo quil nomme aussi philosophie et plus preacuteciseacutement philosophiepremiegravere raquo Mais il semble plus naturel de lire la polysyndegravete classique καὶ καὶ

456 Ou laquo par le sujet raquo ie eacutetant et un sont neacutecessairement preacutediqueacutes des mecircmes sujets La traduction laquo parrapport raquo est ici trop vague pour traduire le κατὰ On peut comprendre la preacuteposition commesignifiant que nous attribuons (κατηγοροῦμεν) lun et leacutetant au mecircme substrat et quils ont donc lamecircme extension bien que leur compreacutehension soit diffeacuterente Cf 247 16 sq

457 La version alternative suppleacutee le terme de laquo science raquo

458 La version alternative rappelle les opposeacutes alteacuteriteacute ineacutegaliteacute dissemblance

254

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

objets dougrave la reacutepeacutetition du laquo ἀλλὰ καὶ raquo qui en grec tardif signifie souvent laddition et ne suit

pas neacutecessairement un laquo οὐ μόνον raquo Seulement lExeacutegegravete ne se contente pas daccumuler les

objets mais travaille en outre agrave les relier logiquement et les deacuteduire les uns des autres Le reacutesultat

est une seacutequence ordonneacutee ougrave lattribution dun objet deacutetude au philosophe premier entraicircne un

autre objet ou confirme une preacuteceacutedente attribution

Ainsi la philosophie premiegravere a-t-elle explicitement pour objet leacutetant en geacuteneacuteral et donc

aussi lun laquo puisque lun est identique agrave leacutetant κατὰ τὸ ὑποκείμενον raquo Mais quelle ait leacutetant en

geacuteneacuteral pour objet est eacutegalement confirmeacute par le fait quelle eacutetudie laquo tous les contraires et les

opposeacutes raquo et que laquo tous les eacutetants sont compris dans ltles contrairesgt raquo De leacutetude de leacutetant en

geacuteneacuteral Alexandre a deacuteduit leacutetude de lun donc celle de son opposeacute le multiple donc de

lalteacuteriteacute donc des contraires donc de leacutetant en totaliteacute Et cest bouclant cette boucle

quAlexandre peut enfin introduire tout le reste du livre avec leacutetude du principe de non

contradiction

Le plan mecircme du livre Γ est ainsi identique au programme de recherches du philosophe

premier et lon retrouve ici sous-jacente mais jouant agrave plein lambiguiumlteacute que nous avons releveacutee

dans le terme laquo πραγματεία raquo459 le traiteacute disant leacutetude et neacutetant pas simplement preacuteparatoire

puisquil accomplit pour partie lœuvre du philosophe premier ndash ne serait-ce par exemple que

pour le principe de non contradiction On comprend degraves lors pourquoi dans le proegraveme le

passage deacutevolu au sommaire de Γ est assez proche de celui qui expose les objets de la

philosophie premiegravere

Dans ce sommaire Alexandre distingue en Γ plusieurs moments principaux Γ 1 laquo pose raquo

que la sagesse traite de leacutetant le chapitre 2 part de la plurivociteacute de leacutetant et en deacutegageant

luniteacute de cette plurivociteacute montre aussi comment la science qui leacutetudie est une Par lagrave mecircme

cette science est aussi la premiegravere et laquo la plus eacuteminente raquo ou la science laquo au sens le plus propre raquo

(laquo κυριωτάτη raquo 238 20) Il faut donc la distinguer de ses rivales en terme dobjet la dialectique et

la sophistique Alexandre tient apparemment pour crucial le passage de Γ 2 1004b 17-26 celui-ci

est mis en exergue dans le proegraveme agrave Γ comme dans celui agrave Δ460 De cette confrontation est issue

lideacutee que le philosophe doit eacutetudier les laquo proprieacuteteacutes communes de leacutetant en tant queacutetant raquo (fin

de Γ 2) Cela entraicircne la neacutecessiteacute de laquo montrer limpossibiliteacute pour deux contradictoires decirctre agrave

la fois vraies ou agrave la fois fausses raquo (238 28 pour Γ 3 sq) et requiert la reacutefutation dHeacuteraclite et

459 Cf ci-dessus sect 121

460 Voir In Met 344 14 sq

255

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Protagoras (Γ 3-8)

Au cours du commentaire ce plan va bien sucircr saffiner Pour plus de commoditeacute et eacuteviter

de trop lourdes recontextualisations des textes architectoniques quil va nous falloir analyser

nous proposons ci-dessous un plan syntheacutetique de Γ selon Alexandre Eu eacutegard agrave la conception

du plan du livre eacutevoqueacutee ci-dessus nous nous limitons agrave Γ 1-3 Ce plan tente de refleacuteter le plus

fidegravelement possible la lecture alexandrinienne du texte dAristote il a eacuteteacute rendu possible par les

freacutequentes transitions ougrave lAphrodisien articule la progression du propos en employant

meacutecaniquement des structures du type δείξας ou εἰπὼν ἑξῆς ἐδήλωσε etc Quant aux

reacutefeacuterences agrave Aristote nous nous sommes surtout aideacute des lemmes ou des citations explicites (sauf

lorsque la paraphrase eacutetait trop eacutevidente) afin de mettre en valeur les passages litteacuteralement

pointeacutes par Alexandre

Ar Al Γ 1

03a 21 2395 Objet existence dune science au sens plein de leacutetant en tant queacutetant

23916 bull Elle soppose aux sciences partielles

23925 bull Elle est identique agrave la science des principes premiers ie la Sagesse

23933 Argument les principes premiers sont par soi principes de leacutetant entant queacutetant = des eacutetants en geacuteneacuteral

240 3240 7240 21

bull Ces principes sont premiers et donc communs bull Distinction causes par soi par accident bull La laquo nature raquo dont les principes sont principes est leacutetant en

tant queacutetant

Γ 2

03a 33 2411 Objet possibiliteacute dune science une de leacutetant en tant queacutetant

03b 8 et 9

241 10241 15241 27242 6242 10

242 25

bull Argument leacutetant comme ἀφ ἑνός τινος ἢ πρὸς ἓν λεγόμενον Distinction synonymes homonymes Les ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγόμενα Le sain et le meacutedical Leacutetant comme ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγόμενον Distinction entre la substance et les autres genres accidents de la

substance Les accidents de la substance dans le texte (relatifs neacutegations etc)

bull Conseacutequences Uniteacute quasi-geacuteneacuterique de la science de leacutetant en tant

256

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

03b 1103b 1603b 19

243 17244 10244 32

queacutetant Uniteacute de la science de leacutetant La science de leacutetant est science du premier ie de la substance La science de la substance est universelle la science de la substance est

aussi science de leacutetant en tant queacutetant

04a 2

04a 5

250 21

251 28

(En suivant lordre argumentatif proposeacute par Alexandre et linsertion ici du commentaire agrave1004a 2-9 en 250 21 ndash 251 38 )

Conseacutequence le paralleacutelisme entre les espegraveces de la science de lasubstance et lordre des substances elles-mecircmes Dougrave lexistence dephilosophies premiegravere seconde troisiegraveme Analogie avec lesmatheacutematiques

03b 21245 21245 33246 6246 13

bull Les espegraveces de leacutetant et les espegraveces de la science de leacutetant Analogie objet science de leacutetant Uniteacute primauteacute et universaliteacute de la science de leacutetant

Reacutesolution des troisiegraveme et quatriegraveme apories de B 461

03b 22

03b 2403b 26

03b 2903b 32

246 28

247 8

247 16247 32

249 3

Nombre et nature des espegraveces de leacutetant [le plan de cette section estdonneacute inteacutegralement en 246 28 ndash 247 8 et avait deacutejagrave eacuteteacute esquisseacute dans leproegraveme]

Neacutecessiteacute den passer par lun et ses espegraveces bull Argument convertibiliteacute de leacutetant et de lun

Analogie avec laquo principe raquo et laquo cause raquo bull Polyonymie ou heacuteteacuteronymie de leacutetant et de lun bull Eacutequivalence entre laquo un humain raquo laquo ecirctre humain raquo

et laquo humain raquo ces expressions signifient lasubstance Laddition de laquo naicirct raquo ou laquo secorrompt raquo ne change rien

bull Nouvelle deacutemonstration de la convertibiliteacute deleacutetant et de lun la substance comme ce qui esteacuteminemment et comme eacuteminemment une

03b 33

03b 35

249 20

249 33

Conseacutequence les espegraveces462 de leacutetant sont au mecircme nombre queles espegraveces de lun Plus les espegraveces de lun sont les espegraveces de leacutetant en tant queacutetantElles font donc lobjet de la philosophie Reacutesolution de la quatriegraveme aporie de B

03b 3604a 9

250 5 +252 2

bull Le philosophe en eacutetudiera aussi les opposeacutes Science de leacutetant = sciencede lun = science des espegraveces de leacutetant et de lun = science de leurs opposeacutes

461 Sur la maniegravere dont les apories de B seraient reacutesolues par Γ et peut-ecirctre certains livres suivants cfaussi D Ross [1924] p XXIII-XXIV

462 Pour la justification de ces guillemets voir In Met 249 28 sq laquo κοινότερον δὲ εἴδη λέγει τοῦ ὄντοςκαὶ τοῦ ἑνός οὔτε γὰρ τὸ ὂν καὶ ἓν κυρίως γένος οὔτε τὰ ὑπ αὐτὰ εἴδη raquo

257

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

04a 10

04a 12

252 18252 30253 1

Argument privation et neacutegation de x comme objets de la science de x Preacutecisions463 sur lun et le multiple Distinction privation neacutegation

04a 1604a 18

253 27253 34

Nature des opposeacutes et des contraires de lun Reacuteductibiliteacute de tous les opposeacutes agrave lun et au multiple cest donc

la mecircme personne qui les eacutetudie

04a 22 2555 Leur plurivociteacute ne les empecircche pas de faire lobjet dune science uneie la philosophie Deacutemonstration en deux temps

04a 24

04a 2804a 30

255 19

256 5257 7

Objets dune science une bull Argument uni-reacutefeacuterentialiteacute en geacuteneacuteral et uni-reacutefeacuterentialiteacute

des opposeacutes agrave lun Le ἕν du πρὸς ἕν la substance Conclusion cest la mecircme science qui les eacutetudie

04b 1

04b 5

257 19

258 1

Objets de la philosophie bull Argument comme la substance et ses accidents ils ne peuvent

faire lobjet dune autre science bull Argument les opposeacutes de lun sont des attributs essentiels de

leacutetant et de lun ils font donc eux aussi lobjet de lalaquo philosophie universelle et geacuteneacuterale raquo

04b 8

04b 10

04b 17

04b 27

258 26

259 2

259 24

260 32

(Geacuteneacuteralisation non plus seulement les opposeacutes mais toutes les espegraveces464) bull Les espegraveces et les opposeacutes de lun et de leacutetant sont objets de la

philosophie mais pas seulement Distinction philosophes sophistes qui parlent eux aussi

des opposeacutes et des contraires Ce sont des attributs de leacutetant en tant queacutetant donc objet

du philosophe Distinction entre le philosophe le sophiste et le

dialecticien

bull Argument(s) additionnel(s)465 la seacuterie des contraires

04b 29

04b 30

26119

261 30262 3

bull Conclusion le philosophe eacutetudie les contraires et donc la philosophieeacutetudie universellement tous les eacutetants466 Deux interpreacutetations possibles Argument suppleacutementaire dialectique reacutefeacuterence agrave ceux qui faisaient des

463 Le passage qui preacutecegravede est en effet qualifieacute de κοινῶς (252) 30

464 Cf la reacutefeacuterence aux laquo choses mentionneacutees raquo en 258 14 et en 259 3-2 qui vaut aussi pour lecommentaire preacuteceacutedent dans lequel Alexandre a introduit la distinction avec le sophiste Ces chosesmentionneacutees sont en effet sans doute le mecircme et lautre le semblable et le dissemblable etc donc nonseulement les opposeacutes et les contraires (cf 258 30) mais aussi les espegraveces positives de lun Cf laconfirmation en 259 25

465 Ce sont peut-ecirctre deux arguments cf 261 9

466 Conclusion de largumentation sur les contraires qui avait eacuteteacute annonceacutee dans le proegraveme cf 238 11-14Le fait quil sagit agrave la fois de la conclusion du passage sur les contraires et dune conseacutequence pargeacuteneacuteralisation est expliqueacute par Alexandre en 261 26 sq

258

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

contraires les principes

05a 2

05a 5

05a 10

05a 11

262 22

263 1

263 19

263 35

Reacutepeacutetition de la thegravese qui en deacutecoule la philosophie eacutetudie les contrairescomme eacuteleacutements de leacutetant et de la substance et donc tous les eacutetants defaccedilon universelle

bull Argument Plurivociteacute des contraires mais reacutefeacuterence agrave lasubstance

bull Distinction dans les plurivoques entre luni-reacutefeacuterentialiteacute et laseacuterie de conseacutecution

bull Or seul le philosophe traite des πρὸς ἕν et des ἐφεξῆς non lessciences partielles

05a 15 264 18 bull Derniegravere extension du champ de la philosophie premiegravere anteacuterieur posteacuterieur genre espegravece tout partie

264 23 bull Tout leacutetant est objet de la philosophie donc toutes les causesen geacuteneacuteral

Reacutesolution de la premiegravere aporie

Γ 3

05a 19 264 31 Objet reacutesolution de la deuxiegraveme aporie de B

05a 24

05a 2505a 2905a 3105b 1

265 6

265 24265 26265 28266 5266 18

bull Argument geacuteneacuteral le philosophe traite de la substance et de leacutetant en tantqueacutetant et donc des axiomes Les axiomes sont des proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant

bull Cest pourquoi toutes les sciences partielles sen servent Mais aucune ne peut les eacutetudier

bull Confirmation lerreur de certains physiciensbull En quel sens la vraie philosophie premiegravere est premiegravere

Cest bien la philosophie premiegravere qui traite des axiomes CQFD

05b 5 26724 Le philosophe eacutetudie la substance donc les axiomes

05b 2 266 31(En tenant compte du deacuteplacement proposeacute en 267 15)

Contre ceux qui ignorent les analytiques et croient quon peut toutdeacutemontrer

05b 8

05b 11

268 9

268 11268 25

bull Transition et preacutecision Le philosophe doit connaicirctre le premier axiome Argument la connaissance du premier

bull dans la science en geacuteneacuteralbull par rapport agrave la nature de la philosophie

05b 11

05b 1905b 23

268 33

269 19269 32

bull Nature du premier axiome Le plus certain le plus connu et lanhypotheacutetique Agrave savoir le principe de non contradiction

bull qui est conforme agrave la description du premier axiome donneacutee

259

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

05b 30270 3271 1

ci-dessusbull car il est impossible de ne pas y croirebull et cest pourquoi il est le plus certain

05b 33 27111 bull Le principe de tous les axiomes

242 Trois passages architectoniques

Rappelons le problegraveme esquisseacute ci-dessus la question est de savoir si Alexandre conccediloit

plusieurs sciences dans la Meacutetaphysique (en faisant par exemple coexister une ontologie et une

theacuteologie) ou sil reacuteduit agrave luniteacute la diversiteacute quon a observeacutee On a en effet vu comment

Alexandre semble osciller entre deux sortes duniversaliteacute pour la meacutetaphysique intrinsegraveque ou

par conseacutequence et par lagrave entre deux grands genres dambitions celle dune philosophie

universelle science de tous les eacutetants en tant quils sont et celle dune science dun genre

particulier deacutetants (le premier) dont leacutetude permet indirectement de savoir ce quil en est de

toutes choses Cette derniegravere cateacutegorie deacutesigne tantocirct la science des principes premiers et des

causes premiegraveres tantocirct la science de la substance en geacuteneacuteral tantocirct plus preacuteciseacutement celle des

substances premiegraveres comprises comme les moteurs ceacutelestes et le premier dentre eux Il arrive

aussi agrave Alexandre ndash et cela se trouvera confirmeacute par les passages ci-dessous du commentaire agrave Γ ndash

de reacuteduire cette multipliciteacute agrave la dichotomie entre ontologie et theacuteologie467 Or quoi quil en soit

multipliciteacute ou dichotomie celle-ci sachoppe directement agrave la lecture unitarienne du traiteacute Au

demeurant jamais Alexandre ne parle de deux sciences (ou davantage) proposeacutees agrave leacutetude par le

traiteacute et cest toujours le singulier qui preacutevaut lorsquil est question de la science ou de

leacutetude proposeacutees468

Or en trois passages lExeacutegegravete affronte cette difficulteacute aux pages 245-246 250-251 et 265-

266 du Commentaire agrave Meacutetaphysique Γ Ce quy dit Alexandre na pas toujours paru

particuliegraverement clair agrave ses lecteurs et a tout du moins susciteacute leur deacutesaccord Pour en sonder la

coheacuterence il vaut donc la peine de consideacuterer ensemble les trois textes puis de rappeler les

467 On en a vu un exemple frappant avec In AnPr 357 32 ndash 358 4

468 Pour les expressions laquo προκειμένη πραγματεία raquo ou laquo προκειμένη ἐπιστήμη raquo cf In Met 8 20 159 171 5 175 17 237 5 etc

260

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

positions principales des commentateurs agrave ce sujet

a) Les textes

Le premier passage se situe dans le commentaire de Γ 2 1003b 21 qui entame le moment

du chapitre ougrave selon Alexandre Aristote va deacuteployer les espegraveces de lun et donc de leacutetant qui

font lobjet de la philosophie premiegravere Le passage suit la deacutemonstration de luniciteacute de la science

de leacutetant en tant queacutetant qui occupe toute la premiegravere partie du chapitre Deacutesormais lobjectif

on sen souvient est de souligner lextension de la science rechercheacutee pour confirmer sa porteacutee

universelle Le passage auquel sattaque ici Alexandre est en outre reacuteputeacute pour sa difficulteacute et il

convient de lexpliciter pour mieux appreacutecier la position de lExeacutegegravete On se demande dabord

comment il est possible de parler ici de genre et despegravece alors que leacutetant ne se dit pas de faccedilon

synonymique et quil nest donc pas un genre Mais mecircme si lon arrive agrave justifier cela la nature

des laquo espegraveces de leacutetant raquo et des laquo espegraveces des espegraveces raquo nest pas claire ndash sont-ce les mecircmes quen

1003b 34 ou y a-t-il dun cocircteacute les genres des substances puis les cateacutegories de lautre cocircteacute Enfin

si lon comprend que les espegraveces de leacutetant doivent ecirctre eacutetudieacutees par les espegraveces de la science de

leacutetant comme le fait Alexandre comment cela peut-il ecirctre compatible avec la premiegravere partie de

la phrase soutenant neacutecessairement quil laquo appartient agrave une science une par le genre deacutetudier

toutes (ὅσα) les espegraveces de leacutetant raquo 469

Preacutecisons immeacutediatement que le lemme dAristote a eacuteteacute ici traduit en fonction de la

compreacutehension quen montre ensuite Alexandre dans son commentaire En effet pour Alexandre

Aristote deacuteveloppe une analogie entre lorganisation de la science dun objet et la structure de cet

objet mecircme Cest ce quimplique la diffeacuterence pourtant leacutegegravere entre le texte dAristote que lit

Alexandre et le nocirctre Alexandre lit laquo τὰ δὲ εἴδη τῶν εἰδῶν raquo en 1003b 22 quand nous avons laquo τά

τε εἴδη τῶν εἰδῶν raquo Si le texte de Ab (L chez les eacutediteurs dAlexandre) arrecircte le lemme avant cette

expression on la trouve bien avec δὲ dans le Parisinus gr 1876 (A) et on la lit plus loin telle

quelle en 245 25 et 251 4-5 autant en Ab quen A470 il ny a donc pas de doute que ce soit le texte

469 Pour un aperccedilu des difficulteacutes on peut citer sans preacutetendre agrave lexhaustiviteacute WD Ross [1924] p 257 J Tricot [1952] p 182 P Aubenque [1962] p 181 V Deacutecarie [1972] p 103 W Leszl [1975] p 261 AJaulin [1999] p 20 et 84 A Stevens [2000] p 226-227 et [2008] p 276-277 L-A Dorion [2008] p 334etc

470 M Hecquet-Devienne [2008] p 46 ndash lapparat de Hayduck est moins complet Cf aussi M Bonelli

261

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

dAlexandre Quelle est la diffeacuterence avec notre texte Dans notre cas la traduction agrave notre sens

la plus naturelle serait quelque chose comme471 laquo cest agrave une science une par le genre quil

appartient deacutetudier toutes les espegraveces de leacutetant et les espegraveces des [on comprend alors de ses]

espegraveces raquo Les laquo espegraveces raquo ici ne concernent que leacutetant lobjet de la science geacuteneacuteriquement une

En revanche pour Alexandre dans lexpression laquo τὰ δὲ εἴδη τῶν εἰδῶν raquo les unes sont celles de

laquo leacutetant raquo et les autres celles de laquo la science une par le genre raquo Dougrave lanalogie eacutelaboreacutee par

lAphrodisien entre la structure du genre-objet de science et la structure de la science geacuteneacuterique

faisant correspondre agrave chaque espegravece du genre-objet une espegravece de la science Dougrave aussi la thegravese

selon laquelle la science universelle de leacutetant a pour espegravece premiegravere la science de la substance

premiegravere

Texte 1

1003b 21 Διὸ καὶ τοῦ ὄντος472 ὅσα εἴδηθεωρῆσαι μιᾶς ἐστιν ἐπιστήμης τῷ γένει τὰδὲ εἴδη τῶν εἰδῶν

Δείξας ὅτι μιᾶς ἐστιν ἐπιστήμης ἡ περὶπαντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὂν θεωρία ἥτις ἐστὶσοφία τε καὶ φιλοσοφία (εἴρηται δὲ ὅτι μιᾶςἐστι τῷ γένει τουτέστι μιᾶς κατὰ τὸ γένοςἐπιστήμης ὅσα εἴδη καὶ ὅσαι διαφοραὶ τοῦ[24525] ὄντος ᾗ ὂν θεωρῆσαι) ἐπήνεγκε τὸldquoτὰ δὲ εἴδη τῶν εἰδῶνrdquo

Ὡς γὰρ ἔχει τὸ γένος τὸ ἐπιστητὸν πρὸςτὰ ὑπ αὐτὸ εἴδη οὕτω καὶ τὸ γένος τῆςτούτου ἐπιστήμης πρὸς τὰ εἴδη τὰ αὐτῆς καὶἐναλλὰξ ἄρα ὡς τὸ γένος τὸ ἐπιστητὸν πρὸςτὸ γένος τῆς οἰκείας ἐπιστήμης οὕτω καὶ τὰ

1003b 21 laquo Cest pourquoi il appartient agrave une scienceune par le genre deacutetudier toutes les espegraveces de leacutetant etaux espegraveces ltde la science deacutetudiergt les espegraveces ltdeleacutetantgt raquo

Apregraves avoir montreacute que leacutetude de tout eacutetant entant queacutetant appartient agrave une science une laquelle estsagesse et philosophie (on a dit quil appartient agrave unescience une par le genre cest-agrave-dire une science uneselon le genre deacutetudier toutes les espegraveces et toutesles diffeacuterences de leacutetant en tant queacutetant) Aristote aajouteacute laquo et aux espegraveces ltde la science deacutetudiergt lesespegraveces ltde leacutetantgt raquo473

En effet le genre de la science qui eacutetudie ltungenregt entretient avec les espegraveces de cette science lemecircme rapport474 que celui que le genre qui est objetde science a avec les espegraveces qui sont sous lui et parconseacutequent en permutant les termes475 le genre qui

[2001] p 203

471 Mais la chose est discuteacutee cf L-A Dorion [2008] et A Stevens [2008]

472 Ross et Jaeger donnent laquo διὸ καὶ τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ὅσαraquo Conformeacutement au lemme dAlexandre et auxmanuscrits E et J B Cassin et M Narcy et M Hecquet-Devienne suppriment laddition de laquo ᾗ ὂν raquomarginale dans J mais qui est la leccedilon de Ab Comme le note Jaeger laddition peut toutefois sautoriserde la paraphrase qui suit

473 Tous nos manuscrits comportent τε et non δὲ Nous traduisons lexpression telle quAlexandrelentend Pour une critique de cette lecture cf par exemple A Mansion [1985] p 53-109

474 Nous empruntons cette eacuteleacutegante maniegravere de traduire lanalogie avec laquo ἔχει raquo agrave la traduction deP Donini [2005] p 88 Cependant il faut eacutegalement inverser lordre de la phrase (ce que ne fait pasDonini) puisquen grec laquo ὡς γὰρ ἔχει raquo introduit le comparant et laquo οὕτω καὶ raquo le compareacute laccent delanalogie si lon veut porte ici sur la deuxiegraveme partie de la phrase grecque (laquo τὸ γένος τῆς τούτουἐπιστήμης πρὸς τὰ εἴδη raquo) dougrave notre inversion

262

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

εἴδη τοῦ ἐπιστητοῦ πρὸς τὰ εἴδη τῆςἐπιστήμης ἔστι δὲ τὸ γένος καὶ ἡ [24530] τοῦὄντος κοινὴ φύσις ἐπιστητὴ τῇ κοινῇ τε καὶγενικῇ φιλοσοφίᾳ καὶ τὰ μέρη ἄρα τοῦὄντος ἐπιστητὰ τοῖς τῆς φιλοσοφίας μέρεσινὥστε ἑκάστου τῶν τοῦ ὄντος εἰδῶν ἐπιστήμηἂν εἴη ἑκάστη τούτων ὅσαι ὑπὸ φιλοσοφίανὡς γενικήν τινα ἐπιστήμην τεταγμέναι εἰσὶνἐπιστῆμαι

est objet de science a aussi avec le genre de la sciencequi lui est propre le mecircme rapport que les espegraveces delobjet avec les espegraveces de la science Or le genre cest-agrave-dire la nature commune de leacutetant est objet descience pour la philosophie commune et geacuteneacuterique donc les parties de leacutetant sont objets de science pourles parties de la philosophie De la sorte sera sciencede chaque espegravece de leacutetant chacune de celles-ci476 ndashcest-agrave-dire toutes les sciences qui sont rangeacutees sous laphilosophie comme sous une science geacuteneacuterique477

Διὰ δὲ τῶν νῦν εἰρημένων δέδεικται ὅτιτῆς πρώτης φιλοσοφίας ἡ εἰς τὰ γένη τοῦ[24535] ὄντος διαίρεσις ὃ πεποίηκεν αὐτὸςἐν ταῖς Κατηγορίαις ἅμα δὲ καὶ ἐνεδείξατοἡμῖν διὰ τούτων καὶ πῶς ἐστι μία ἐπιστήμη ἡφιλοσοφία τῷ γὰρ καθόλου εἴδη δὲ αὐτῆςὅσα τὰ τοῦ ὄντος εἴδη γὰρ αὐτῆς ἥ τε πρώτη[2461] φιλοσοφία ἥτις καὶ κυρίως σοφίακαλεῖται οὖσα ἐπιστήμη τῶν ἀιδίων τε καὶἀκινήτων καὶ θείων Ἡ μὲν γὰρ σοφία ἐστὶνἡ καθόλου τε καὶ πρώτη εἴ γε αὐτή ἐστιν ἡπερὶ τὸ ὂν ᾗ ὂν ἀλλ οὐ τὶ ὄν ἔστι δὲ ὑπὸταύτην ἡ μέν τις πρώτη φιλοσοφία ἡ περὶτὰς πρώτας οὐσίας ἡ δὲ φυσικὴ οὖσα [2465]περὶ τὰ φυσικά ἐν οἷς ἤδη κίνησις καὶμεταβολή ἡ δέ τίς ἐστι τῶν πρακτῶνθεωρητική τοιαῦτα γὰρ καὶ τῶν ὄντων τινά

Gracircce agrave ce qui vient decirctre dit on a montreacutequappartient agrave la philosophie premiegravere la division deleacutetant en genres ce quAristote lui-mecircme a effectueacutedans les Cateacutegories Mais simultaneacutement il nous aaussi indiqueacute par ces mots en quel sens laphilosophie est une science une parce quelle estuniverselle Ses espegraveces sont au mecircme nombre quecelles de leacutetant En effet ses espegraveces sont laphilosophie premiegravere qui est aussi appeleacutee sagesse enun sens eacuteminent parce quelle est la science des choseseacuteternelles immobiles et divines Dune part en effet ily a la sagesse qui est universelle et premiegravere vuquelle porte sur leacutetant en tant queacutetant et non sur untype deacutetant et dautre part il y a sous elle 1) unecertaine478 philosophie premiegravere qui porte sur lessubstances premiegraveres 2) une ltphilosophiegt naturellequi porte sur les ecirctres naturels degraves lors que reacutesidenten eux mouvement et changement 3) et il y a enfinune certaine ltphilosophiegt qui eacutetudie les objetsdaction ndash tels sont aussi en effet certains eacutetants

Ὅτι δὲ μία τῷ γένει ἡ περὶ τὸ ὂν ᾗ ὂνπραγματευομένη φιλοσοφία ἐδήλωσε καὶ ἐξὧν εὐθὺς ἀρχόμενος τοῦ βιβλίου εἶπενldquoαὕτη δέ ἐστιν οὐδεμιᾷ τῶν ἐν μέρειλεγομένων ἡ αὐτήrdquo ἡ περὶ τὰς ἀρχὰς καὶ τὰπρῶτα αἴτια καὶ τὴν οὐσίαν [24610]πραγματευομένη ἅμα τέ ἐστι πρώτη καὶ

Et que soit une par le genre la philosophie quisoccupe de leacutetant en tant queacutetant Aristote la aussiexpliqueacute agrave partir de ce quil a dit degraves le deacutebut dulivre laquo elle nest identique agrave aucune des sciencesdites partielles raquo agrave savoir celle qui soccupe desprincipes des causes premiegraveres et de la substanceElle est agrave la fois premiegravere et universelle car dans ce

475 Cf M Bonelli [2001] p 207 et P Donini [2005] p 88 n 25 sur le sens de ce terme en geacuteomeacutetrie

476 Les parties de la philosophie

477 Ou laquo sous une science en quelque sorte geacuteneacuterique raquo Il est en effet tentant comme le fait A Madigande prendre le τινα comme alienans puisquAlexandre est conscient de la difficulteacute ndash quoiquil force lepassage ndash ainsi que le montrent 249 28-33 confirmeacute en 250 8 255 21

478 Ou une philosophie laquo en quelque sorte premiegravere raquo puisque lagrave aussi il est tentant de confeacuterer agrave lindeacutefinisa valeur alienans Alexandre modalisant la primauteacute puisquil est en train de distinguer deuxphilosophies premiegraveres Sur le fait que ce nest pas lagrave un emploi rare de lindeacutefini chez Alexandre voiraussi outre les reacutefeacuterences donneacutees dans la note ci-dessus limportant passage du De anima 88 23(confirmeacute par le De intellectu 106 19) sur lexpression laquo ὑλικός τις νοῦς raquo On pourrait eacutegalement seposer la question pour la philosophie pratique qui est mentionneacutee quelques lignes plus bas laphysique quant agrave elle nest pas introduite avec lindeacutefini lexpression laquo ἡ δέ τίς ἐστι τῶν πρακτῶνθεωρητική raquo nest pas seulement leffet dun paralleacutelisme

263

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

καθόλου ἐν γὰρ τοῖς ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓνλεγομένοις τὸ πρῶτον καὶ καθόλου τῷ καὶτοῖς ἄλλοις αὐτὸ εἶναι αἴτιον τοῦ εἶναι ὡςκαὶ αὐτὸς ἐν τῷ Ε τῆσδε τῆς πραγματείαςἐρεῖ

Δι ὧν δὲ εἴρηκέ τε καὶ κατεσκεύασελέλυκεν ἀπορίας τῶν ἐν τῷ Β βιβλίῳῥηθεισῶν τήν τε εἰ τῆς αὐτῆς ἐπιστήμης ἐστὶπερὶ τῶν [24615] οὐσιῶν πασῶν τὴν θεωρίανποιεῖσθαι ἢ ἄλλη ἄλλης οὐσίας ἐστὶνἐπιστήμη ἔτι καὶ τὴν εἰ τῆς αὐτῆς ἐστι περίτε τῆς οὐσίας θεωρεῖν καὶ τῶνσυμβεβηκότων αὐτῇ

qui se dit agrave partir dune uniteacute et relativement agrave uneuniteacute le premier est aussi universel du fait que pourles autres choses il est lui-mecircme cause de leur ecirctrecomme le dira aussi Aristote au livre E de ce traiteacute

Gracircce agrave ce quil a dit et eacutetabli Aristote a reacutesoludes difficulteacutes parmi celles eacutevoqueacutees au livre B ltladifficulteacute de savoirgt sil appartient agrave la mecircme sciencede faire leacutetude de toutes les substances ou si pourchaque substance il y a une science diffeacuterente celleen outre de savoir si cest agrave la mecircme science quilappartient deacutetudier agrave la fois la substance et sesaccidents

(245 20 ndash 246 17)

Le second texte se situe peut-ecirctre logiquement avant le preacuteceacutedent si lon suit lordre du

texte remanieacute par Alexandre Pour plus de commoditeacute on y reviendra ci-dessous

Texte 2

1004a 2 Καὶ τοσαῦτα μέρη φιλοσοφίαςἐστὶν ὅσαι περ αἱ οὐσίαι

Ἐπεὶ τοῦ ὄντος τὸ μὲν ἦν κυρίως καὶ καθαὑτὸ ὄν τὸ δὲ κατὰ συμβεβηκός κυρίως μὲνκαὶ καθ αὑτὸ ὂν ἡ οὐσία κατὰ συμβεβηκὸςδὲ τά τε τῇ οὐσίᾳ ὑπάρχοντα καὶ τὰ ὅλως ἐπὶταύτην ἔχοντα τὴν ἀναφοράν [25025]πανταχοῦ δέ ὡς ἔφαμεν οἷς ἡ τάξις αὕτη ἡπερὶ αὐτὰ ἐπιστήμη κυρίως τοῦ πρώτου ἐξοὗ τὰ ἄλλα ἤρτηται καὶ δι ὃ καὶ τὰ ἄλλαὄντα λέγεται ἡ δὲ φιλοσοφία ἐπιστήμηπερὶ οὐσίαν αὕτη γὰρ κυρίως ὄν καὶ ἐπεὶπλείους αἱ οὐσίαι ἔσται καὶ τῆς ἐπιστήμηςτῆς περὶ τὴν οὐσίαν (αὕτη δὲ ἦν ἡφιλοσοφία) μιᾶς οὔσης τῷ γένει τοσαῦταμέρη τε καὶ εἴδη ὅσαι [25030] καὶ οὐσίαι Καὶὡς τῶν οὐσιῶν αἱ μὲν πρῶται αἱ δὲ δεύτεραιοὕτως ἡ φιλοσοφία ἡ μέν τις ἔσται πρώτη ἡδέ τις δευτέρα καὶ μετ ἐκείνην ὡς ἡ τάξις ἡ

1004a 2 laquo Et il y a autant de parties de la philosophiequil y a preacuteciseacutement de substances raquo

Puisque parmi leacutetant il y a comme on la vu479dun cocircteacute ce qui est eacutetant de faccedilon eacuteminente et par soiet de lautre cocircteacute ltce qui lestgt par accident etpuisquest eacutetant de faccedilon eacuteminente et par soi lasubstance et ltsont eacutetantsgt par accident les proprieacuteteacutesde la substance et en geacuteneacuteral ce qui a rapport avecelle et que comme nous lavons dit pour les chosesougrave reacuteside cet ordre dans tous les cas la science de ceschoses est eacuteminemment science du premier dont lereste deacutepend et agrave cause duquel le reste est appeleacuteeacutetant ltalors puisque la philosophie porte surleacutetantgt la philosophie ltsera eacuteminemmentgt science dela substance480 car celle-ci est eacuteminemment un eacutetantEt puisquil y a plusieurs substances alors la sciencequi porte sur la substance (comme on a vu cest laphilosophie) ltcette sciencegt qui est une par le genreaura autant de parties et481 despegraveces quil y a de

479 En glosant limparfait cf la note 108 de A Madigan ad loc Pour la reacutefeacuterence cf In Met 242 10 sq

480 Hayduck propose de combler la lacune signaleacutee par Bonitz gracircce au texte dAscleacutepius qui de fait suitpas agrave pas celui dAlexandre Cf In Met 237 16-22 laquo Ἐπεὶ τοῦ ὄντος τὸ μὲν κυρίως ἐστὶν ὂν καὶ καθαὑτό τὸ δὲ κατὰ συμβεβηκός κυρίως μὲν καὶ καθ αὑτὸ ἡ οὐσία κατὰ συμβεβηκὸς δὲ τὰ τῇ οὐσίᾳὑπάρχοντα καὶ τὰ ὅλως ἐπὶ ταύτην ἔχοντα τὴν ἀναφοράν πανταχοῦ δὲ ἀναγκαῖον εἶναί τιναπρώτην φιλοσοφίαν ἐν οἷς οὖν ἡ τάξις αὕτη κυρίως ἐστὶν ἐπιστήμη τοῦ πρώτου καὶ ἐξ οὗ τὰ ἄλλαἤρτηται καὶ δι ὃ λέγονται ἡ δὲ φιλοσοφία περὶ τὸ ὄν εἴη ἂν κυρίως ἡ φιλοσοφία ἐπιστήμη περὶοὐσίαν αὕτη γὰρ κυρίως ὄν raquo

264

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ἐν αὐταῖς substances Et de mecircme que parmi les substances lesunes sont premiegraveres et les autres secondes il y aurade mecircme une philosophie premiegravere et une autreseconde et posteacuterieure agrave la premiegravere selon lordredans les substances

Καὶ εἴη ἂν ἀκόλουθος ἡ λέξις αὕτη τῇπρὸ ὀλίγου εἰρημένῃ τῇ ldquoεἰ οὖν τοῦτ ἐστὶν ἡοὐσία τῶν οὐσιῶν ἂν δέοι τὰς [2511] ἀρχὰςκαὶ τὰς αἰτίας ἔχειν τὸν φιλόσοφονrdquo ταύτῃγὰρ ἀκολουθεῖ τὸ ldquoκαὶ τοσαῦτα μέρηφιλοσοφίας ὅσαι περ αἱ οὐσίαιrdquo διὸ καὶ ἦνἂν σαφέστερα τὰ λεγόμενα εἰ ἦν ἡ λέξιςαὕτη κειμένη πρὸ τῆς ldquoεἰ δὴ τὸ ὂν καὶ τὸ ἓνταὐτόνrdquo συνάπτουσα τῇ ldquoδιὸ καὶ τοῦ ὄντοςτὰ εἴδη θεωρῆσαι [2515] μιᾶς ἐστινἐπιστήμης τῷ γένει τὰ δὲ εἴδη τῶν εἰδῶνrdquoἀκόλουθον γὰρ τούτῳ τὸ ldquoκαὶ τοσαῦτα μέρηφιλοσοφίας ἐστὶν ὅσαι περ αἱ οὐσίαιrdquo

Cette proposition fait peut-ecirctre suite agrave celle ditepeu avant laquo Donc si cela cest la substance ce sontdes substances que le philosophe devra posseacuteder lesprincipes et les causes raquo (1003b 17-19) car de celasensuit que laquo ltil y agt autant de de parties de laphilosophie quil y a preacuteciseacutement de substances raquo(1004a 2-9) Cest pourquoi ses paroles seraient plusclaires si cette proposition eacutetait placeacutee avant laquo si donclun et leacutetant sont une mecircme chose raquo (1003b 22-23) etrattacheacutee agrave laquo cest pourquoi il appartient agrave une scienceune par le genre deacutetudier toutes les espegraveces deleacutetant et aux espegraveces ltde la science deacutetudiergt lesespegraveces ltde leacutetantgt raquo (1003b 21-22) car de cela suitque laquo et il y a autant de parties de la philosophie quily a preacuteciseacutement de substances raquo (1004a 2-3)

Ἦν δὲ ἐν τοῖς ἠπορημένοις καὶ τοῦτο ὡςπροεῖπον ἤδη πότερον μία περὶ πάσαςοὐσίας εἴη ἢ πλείονές εἰσι κἂν εἰ πλείονεςπότερον συγγενεῖς Δέδειχε γὰρ ὅτιπλείονες ἀλλ ὡς ὑπὸ μίαν πᾶσαι τῷ γένειτὴν φιλοσοφίαν [25110] τὸ δὲ ltὑπάρχει γὰρεὐθὺς γένη ἔχοντα τὸ ὂν καὶ τὸ ἓνgt ἴσον ἐστὶτῷ ἔστι γὰρ καὶ τοῦ ἑνὸς καὶ τοῦ ὄντος γένητινά τουτέστι κατὰ γενῶν τινων τό τε ἓν καὶτὸ ὂν κατηγορεῖται Ὂν δὲ τὸ κυρίως ὂνλαμβάνει ὁμοίως καὶ ἕν τοῦτο δέ ἐστιν ἡοὐσία

Cela se trouvait aussi dans Les Difficulteacutes commeje lai deacutejagrave dit avant482 ltla difficulteacute de savoirgt si cestune unique ltsciencegt qui porte sur toutes lessubstances ou si elles sont plusieurs et si elles sontplusieurs si elles sont de mecircme genre En effetAristote a montreacute quelles sont plusieurs mais danslideacutee quelles sont toutes sous la philosophie qui estune par le genre La ltphrasegt laquo en effet leacutetant et lunse trouvent avoir immeacutediatement des genres raquoeacutequivaut agrave ltdiregt quen effet il y a des genres de lunet de leacutetant cest-agrave-dire que lun et leacutetant sattribuentagrave certains genres et il prend laquo eacutetant raquo en son senseacuteminent (et de mecircme pour lun) cest-agrave-dire au sensde substance

481 En geacuteneacuteral quand Alexandre eacutecrit laquo τε καὶ raquo cest pour coordonner mais il est probable que latournure soit ici expleacutetive

482 In Met 246 14 sq

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Εἶναι οὖν φησι ταῖς οὐσίαις γένη τινὰκαὶ διαφοράς αἷς οὐσίαις γένεσιν οὔσαιςκαὶ ἄλλου γένους τινὸς εἴδε-[25115]σινἑκάστῃ ὑπάρχει καθ αὑτὸ καὶ τὸ ὂν καὶ τὸἕν τοῖς μὲν γὰρ συμβεβηκόσιν οὐ καθ αὑτὸοὔτε τὸ ὂν οὔτε τὸ ἓν ὑπάρχει ταῖς δὲοὐσίαις Ὥστε εἰ ὁ μὲν φιλόσοφος περὶ τὸκυρίως ὂν καὶ κυρίως ἓν πραγματεύεταιπλείω δέ ἐστι τὰ οἷς τὸ κυρίως ἕν τε καὶ ὂνὑπάρχει διαφέροντα τῷ γένει πλείω οὖν καὶμέρη ἔσται φιλοσοφίας κατὰ γὰρ τὰς τῶνοὐσιῶν διαφορὰς [25120] διάφορός τις ἔσταικαὶ φιλοσοφία τῷ ἑκάστην αὐτῶν περί τι ἓνγένος ἀφωρισμένον πραγματεύεσθαι

Il dit donc que pour les substances il y a desgenres et des diffeacuterences et quagrave chacune de cessubstances qui sont genres et483 espegraveces dun autregenre lun et leacutetant appartiennent par soi En effet nilun ni leacutetant nappartiennent par soi aux accidentsmais ltils appartiennent par soigt aux substances Degraveslors si le philosophe traite de leacutetant au sens eacuteminentet de lun au sens eacuteminent mais quil y a plusieursltclasses de chosesgt diffeacuterant par le genre auxquelleslun et leacutetant au sens eacuteminent appartiennent alors il yaura aussi plusieurs parties dans la philosophie Eneffet en fonction des diffeacuterences entre les substancesil y aura aussi une philosophie diffeacuterente du fait quechacune des ltparties de la philosophiegt traite duncertain genre deacutetermineacute

Γράφεται καὶ ldquoγένη ἔχονrdquo εἰ δὲ τοῦτοοὐκ ἂν εἴη ἓν γένος λέγων τὴν οὐσίαν ἀλλὰκαὶ αὐτὴν ἔχειν τὸ πρότερον καὶ ὕστερον Ἢltγένηgt λέγει ἀντὶ τοῦ φύσεις διαφερούσαςἀλλήλων εἰσὶ γὰρ τῶν οὐσιῶν διαφοραί

Il y a aussi la leccedilon laquo qui a des genres raquo Dans cecas il ne serait pas en train de dire que la substanceest un genre unique mais quelle admet de lanteacuterieuret du posteacuterieur Ou alors il dit laquo genre raquo agrave la place delaquo natures diffeacuterant les unes des autres raquo car il y a desdiffeacuterences entre les substances

Εἰπὼν δὲ ἔσεσθαι τὴν μὲν πρώτηνφιλοσοφίαν τὴν [25125] δὲ δευτέραν κατὰτὴν τῶν οὐσιῶν τάξιν πρὸς ἀλλήλας περὶ ἃςκαταγίνονται οὕτως φησὶν εἶναι τὸνφιλόσοφον ὡς τὸν μαθηματικόν Ὡς γὰρμιᾶς οὔσης τῷ γένει τῆς μαθηματικῆς κατὰτὰς διαφορὰς καὶ τάξεις τῶν περὶ ἅ ἐστιν ἡμαθηματική τάξις τίς ἐστι καὶ διαφορὰ καὶτῶν τῆς μαθηματικῆς μερῶν (τῷ γὰρ εἶναιτὰ μέν τινα πρῶτα ἐν τοῖς μαθήμασι τὰ δὲ[25130] δεύτερα καὶ τῆς μαθηματικῆς ἡ μέντίς ἐστι πρώτη ἡ δὲ δευτέρα ἡ δὲ τρίτηπρώτη μέν ἂν οὕτω τύχῃ ἡ περὶ τὰ ἐπίπεδακαταγινομένη καὶ μετὰ ταῦτα ἡ περὶ τὰστερεά εἶτα ἥ τε ἀστρολογική οὖσα ἡ εἰςστερεὰ κινούμενα καὶ μετὰ ταῦτα ἡμηχανική ἤδη περὶ γιγνόμενά τε καὶφθειρόμενα πραγματευομένη)

οὕτω καὶ περὶ τῶν οὐσιῶν πρῶται μὲν αἱἀγέ-[25135]νητοί τε καὶ ἄφθαρτοι ἀσώματοίτε καὶ ἀκίνητοι περὶ ἃς ἂν εἴη ἡ πρώτηφιλοσοφία ἡ δὲ περὶ τὰς ἀιδίους μὲν ἐνκινήσει δὲ δευτέρα τρίτη δὲ ἡ περὶ τὰς

Apregraves avoir dit quil y aura la philosophiepremiegravere et la philosophie seconde dapregraves lordre dessubstances entre elles dont soccupent ltles diversesphilosophiesgt il dit que le philosophe est comme lematheacutematicien En effet la matheacutematique eacutetant unepar le genre il y a aussi en fonction des diffeacuterences etde lordre484 de ce sur quoi porte la matheacutematique unordre et une diffeacuterence entre les parties de lamatheacutematique (parce que dans les objetsmatheacutematiques les uns sont premiers les autresseconds et que dans la matheacutematique il y a unematheacutematique premiegravere une seconde et unetroisiegraveme La premiegravere si cest bien le cas soccupedes surfaces ensuite il y a celle qui soccupe dessolides485 ensuite lastronomie qui soccupe dessolides en mouvement et enfin la meacutecanique quitraite deacutejagrave des choses qui sont geacuteneacutereacutees etcorruptibles)

Il en va de mecircme pour les substances sontpremiegraveres les ltsubstancesgt ingeacuteneacutereacutees etincorruptibles incorporelles et immobiles et cest surelles que portera la philosophie premiegravere Celle quiporte sur les substances eacuteternelles mais en

483 Les traductions italienne et anglaise comprennent un laquo καὶ raquo expleacutetif ndash mais il ne nous semble pas quelaquo genre raquo implique neacutecessairement decirctre espegravece dun genre supeacuterieur

484 Litteacuteralement les ordres

485 Pour cette eacutetrange doctrine voir Reacutepublique VII (par exemple 528 a sq) sur la steacutereacuteomeacutetrieintermeacutediaire entre la geacuteomeacutetrie et lastronomie Mais cela ne rend pas raison de la place accordeacutee agrave lameacutecanique qui demeure assez eacutetonnante

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

οὐσίας τὰς ἐν γενέσει καὶ φθορᾷ ἐπειδὴ καὶαὗται τῶν οὐσιῶν τελευταῖαι

mouvement est la ltphilosophiegt seconde et latroisiegraveme est celle qui porte sur les substances prisesdans la geacuteneacuteration et la corruption puisquelles sontaussi les substances ultimes

(250 21 ndash 251 38)

Comme lindique le second paragraphe du texte ci-dessus Alexandre propose donc de

placer le passage de 1004a 2-9486 soit entre 1003b 17-19 et 1003b 21-22 soit entre 1003b 21-22 et 22-

23 Dans le premier cas le texte dAristote donne

Donc si cela cest la substance ce sont des substances que le philosophe devra posseacuteder lesprincipes et les causes [03b 17-19] Et il y a autant de parties de la philosophie quil y a preacuteciseacutement de substances de sorteque neacutecessairement [04a 2-9]

Alexandre ne le dit pas explicitement mais on peut supposer que le texte se poursuivrait

alors avec les lignes 1003b 19-21 laquo de tout genre un il y a une sensation une et une science

une raquo

Dans le second cas on obtiendrait

Cest pourquoi il appartient agrave une science une par le genre deacutetudier toutes les espegraveces deleacutetant et aux espegraveces ltde la science deacutetudiergt les espegraveces ltde leacutetantgt [03b 21-22] Et il y a autant de parties de la philosophie quil y a preacuteciseacutement de substances de sorteque neacutecessairement [04a 2-9] Si donc lun et leacutetant sont une mecircme chose [03b 21-23] raquo

Le commentaire dAlexandre en effet ne brille pas par sa clarteacute Alexandre deacuteclare

dabord que cette proposition laquo fait suite raquo agrave celle de 1003b 17-19 mais soutient deux lignes plus

loin quelle laquo se rattache raquo agrave 1003b 21-22 et se place laquo avant raquo 1003b 22-23 Degraves lors soit on sen

tient agrave un constat dincoheacuterence de lExeacutegegravete (comme le fait L-A Dorion487) soit on essaie de

forcer la coheacuterence en posant que lune des deux formules laquo fait suite raquo (laquo εἴη ἂν ἀκόλουθος raquo

486 Contre Jaeger Madigan ([1993] note 115 ad loc) soutient que le deacuteplacement opeacutereacute par Alexandre neconcerne que 1004a 2-3 ndash sans doute parce quAlexandre dans le commentaire ci-dessous ne citeexplicitement que cette proposition Neacuteanmoins ce ne serait pas la premiegravere fois quAlexandre cite ledeacutebut dune proposition valant par meacutetonymie pour tout lensemble Surtout si le deacuteplacement nevalait que pour 1004a 2-3 on ne comprendrait absolument plus pourquoi Alexandre dit ensuite agravepropos de 1004a 9-10 laquo Or puisquil appartient agrave une seule science deacutetudier les opposeacutes et quagrave lunsoppose le multiple toute cette proposition peut se rattacher agrave consideacuterons que cela a eacuteteacute eacutetudieacutedans notre Choix des contraires raquo (In Met 252 3-4 laquo ldquoἘπεὶ δὲ μιᾶς τὰ ἀντικείμενα θεωρῆσαι τῷ δἑνὶ ἀντίκειται τὸ πλῆθοςrdquo Εἴη ἂν αὕτη ἡ λέξις πᾶσα συνάπτουσα τῇ ldquoτεθεωρήσθω δὲ τοῦτο ἡμῖνἐν τῇ Ἐκλογῇ τῶν ἐναντίωνrdquo raquo) cette derniegravere proposition eacutetant justement celle de 1004a 1-2 Cfaussi L-A Dorion [2008] p 324 n 5

487 L-A Dorion [2008] p 324

267

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

250 32) ou laquo rattacheacutee raquo (laquo συνάπτουσα raquo 251 4) ne signifie pas que le passage agrave deacuteplacer doive

ecirctre immeacutediatement apregraves ou avant Toutefois il est dans lhabitude de lExeacutegegravete de prendre ces

termes en un sens strict Une derniegravere possibiliteacute en faveur du second deacuteplacement consiste agrave

consideacuterer que aux lignes 250 33 sq la citation par Alexandre de 1003b 17-19 vaut eacutegalement

jusquagrave 1003b 22 (de la mecircme faccedilon que sa citation de 1004b 2 couvre en fait 1004a 2-9) Au creacutedit

de cette lecture compte le fait que dans le commentaire agrave 1003b 19-21 Alexandre opegravere la

transition avec 1003b 17-19 donc sans coupure488 Mais largument nest que peu contraignant et

nautorise quune conclusion leacutegegraverement au-dessus du possible

Quant au sens la diffeacuterence entre le deacuteplacement de 1004a 2-9 apregraves 1003b 19 ou b 22

reacuteside en ceci que dans le premier cas ndash le plus courant chez les interpregravetes partisans du

deacuteplacement489 ndash on peut lier lideacutee que la philosophie premiegravere est science du premier ie de la

substance et la proposition suivante comme sa conseacutequence directe les parties de la philosophie

suivront donc lordre des diffeacuterentes substances Dans le second cas490 qui revient agrave placer notre

texte 2 (le commentaire agrave 1004a 2) juste apregraves le texte 1 (le commentaire agrave 1003b 21) Alexandre lit

un enchaicircnement de passages architectoniques sur les espegraveces de la science de leacutetant et cela a en

outre lavantage de ne pas isoler les lignes 1003b 16 agrave 19491 Une telle jonction est possible parce

que pour lExeacutegegravete dans la proposition laquo il appartient agrave une science une par le genre deacutetudier

toutes les espegraveces de leacutetant et aux espegraveces ltde la science deacutetudiergt les espegraveces ltde leacutetantgt raquo les

espegraveces de leacutetant correspondent agrave des espegraveces de substances492 ndash quoiquAlexandre dailleurs ait

peut-ecirctre aperccedilu lautre interpreacutetation quand il parle dans le texte 1 de laquo la division de leacutetant en

genres ce quAristote lui-mecircme a effectueacute dans les Cateacutegories raquo (245 34-35)

En reacutealiteacute la coheacuterence avec laquelle lAphrodisien interpregravete ces divers passages ndash en

faisant coiumlncider dans les deux commentaires agrave 1003b 21 et 1004a 2 les divisions de la

philosophie avec la distinction des substances ndash cette coheacuterence lautorise agrave accepter les deux

deacuteplacements Au surplus le gain commun agrave ces deux deacuteplacements quel que soit celui choisi

consiste agrave pouvoir lire dun seul bloc toute la question des opposeacutes et des contraires (de 1004a 2 agrave

a 9 en passant par dessus le passage deacuteplaceacute) La question de savoir si 1004a 2-9 doit ecirctre placeacute

488 In Met 244 32 sq

489 Voir toutes les reacutefeacuterences dans L-A Dorion [2008] p 324 n 7

490 Choisi par exemple par A Stevens [2000] p 228 n 1 et deacutejagrave Christ [1895] p 62

491 A Stevens [2000] p 228 n 1

492 Voir pour une interpreacutetation diffeacuterente (les espegraveces de leacutetant sont les cateacutegories) par exemple PAubenque [1962] p 181 ou W Leszl [1975] p 261

268

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

en 1003b 19 ou en 1003b 22 est donc peut-ecirctre moins cruciale pour Alexandre

Le dernier passage se situe dans le long commentaire au deacutebut de Γ 3 1005a 19 dont nous

avons deacutejagrave parleacute493 Rappelons briegravevement quy est proposeacutee la reacutesolution de la deuxiegraveme aporie

la question de savoir sil incombe au philosophe qui eacutetudie la substance de prendre aussi les

principes de la deacutemonstration pour objet Le deacuteveloppement sur la philosophie premiegravere est

appeleacute par la reacutefeacuterence dAristote aux physiciens qui preacutetendaient tenir un discours sur la totaliteacute

de leacutetant et se permettaient donc de parler des axiomes ndash laquo non sans raison raquo ajoute Aristote

(1005a 32) puisque lui-mecircme entend associer luniversaliteacute de la science et leacutetude des principes

de la deacutemonstration Cest pourquoi le Philosophe qualifie la physique de laquo sagesse raquo qui vaut

sans doute ici pour laquo philosophie raquo mais laquo pas la premiegravere raquo (1005b 1-2) Alexandre propose donc

un scheacutema reacutecapitulatif des diverses espegraveces de philosophie et de leur ordre respectif Par lagrave

aussi il preacutecise la nature de la philosophie premiegravere

Texte 3

Τῶν μὲν γὰρ περί τινος μέρους τοῦ ὄντοςλεγόντων οὐδεὶς περὶ αὐτῶν ἐγχειρεῖ λέγειντῶν δὲ φυσικῶν τινες οἳ ᾤοντο πάντα τὰὄντα ἐν τοῖς φυσικοῖς εἶναι καὶ μηδὲντούτων ἔξω καὶ περὶ τούτων ἐνεχείρουνλέγειν ὡς τῷ ὄντι ᾗ ὂν ὑπαρχόντων Τῶνγὰρ φυσικῶν τινες ἐπεχείρησαν περὶ αὐτῶνλέγειν ὅτι καὶ περὶ παντὸς τοῦ ὄντος ᾤοντολέ-[26535]γειν αὐτοί οὐδὲν γὰρ ἔξω τῶνφυσικῶν ᾤοντο εἶναι Καθ ὅσον μὲν οὖνοἰκεῖον ὑπελάμβανον εἶναι τὸν περὶ τούτωνλόγον τῷ περὶ παντὸς καθόλου τοῦ ὄντοςθεωροῦντι δεόντως ἐποίουν διημάρτανονδὲ τῷ μηδὲν ἄλλο ἔξω τῶν φυσικῶνὑπολαμβάνειν εἶναι περὶ ὧνἐπραγματεύοντο ἐπὶ πλέον γὰρ τῶνφυσικῶν τὸ ὄν καὶ ἔστι τινὰ ὄντα καὶ παρὰτὰ φυσικά ἡ γὰρ ἀσώ-[26540]ματός τε καὶἀκίνητος οὐσία οὐ φυσική ldquoἓν γάρ τι γένοςτοῦ ὄντος [2661] ἡ φύσιςrdquo ἀρχὴ καὶ αἰτίακινήσεως οὖσα καθ αὑτὴν τοῖς ἐν οἷς ἐστινΔιὸ οὐ τοῦ φυσικοῦ ἡ περὶ τῶν τῷ ὄντι ᾗ ὂνὑπαρχόντων θεωρία ἀλλὰ τοῦ φιλοσόφουὅς ἐστιν ἀνωτέρω ἔτι τοῦ φυσικοῦ περὶπαντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὂν τὴν θεωρίαν

En effet parmi ceux qui tiennent des discours surune partie de leacutetant personne ne sengage agrave discuterdes ltaxiomesgt Toutefois certains physiciens quicroyaient que tous les eacutetants se trouvaient dans leschoses naturelles et quil ny avait rien en dehors decelles-ci entreprirent aussi de discuter de ceux-cidans lideacutee quils appartiennent agrave leacutetant en tantqueacutetant En effet certains physiciens entreprirent dediscuter de ceux-ci parce queux-mecircmes pensaientparler de tout leacutetant car ils croyaient quil ny avaitrien en dehors des choses naturelles Dans la mesuredonc ougrave ils supposaient que le discours sur ceux-cieacutetait ltla tacircchegt propre de celui qui eacutetudie tout leacutetanten geacuteneacuteral ils agirent en conseacutequence mais en setrompant totalement dans leur supposition quil nyavait rien dautre en dehors des choses naturellesdont ils traitaient En effet leacutetant a plus dextensionque les choses naturelles et il y a encore certainseacutetants en plus des choses naturelles la substanceincorporelle et immobile nest pas naturelle laquo Car lanature nest quun genre de leacutetant raquo elle qui est parsoi principe et cause du mouvement pour ce dansquoi elle reacuteside Aussi nest-ce pas au physicienquincombe leacutetude des proprieacuteteacutes de leacutetant en tantqueacutetant mais au philosophe qui est encore au-dessus

493 Cf ci-dessus sect 233

269

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ποιούμενος καὶ μάλιστα καὶ πρώτως περὶτοῦ μάλιστα [2665] καὶ πρώτου τῶν ὄντων ὃοὐσία μέν ἐστιν οὐ μὴν φυσική

du physicien parce quil procegravede agrave leacutetude de toutleacutetant en tant queacutetant et surtout et au premier chefltagrave leacutetudegt de ce qui est eacutetant surtout et au premierchef qui est certes une substance mais pas unesubstance naturelle

Ἔστι μὲν γὰρ καὶ ἡ φυσικὴ σοφία τις καὶφιλοσοφία ἀλλ οὐχ ἡ πρώτη Πρώτη δ ἂνεἴη ἥ τε περὶ τῶν πρώτων οὐσιῶν θεωροῦσακαὶ ἡ καθόλου περὶ πάσης οὐσίας καὶ τῶν τῷαὐτῆς τι εἶναι ὄντων καὶ αὐτῶν Ἀμφοτέρωςδὲ ἡ αὐτὴ γίνεται πρώτη ἥ τε γὰρ περὶ τῶνπρώτων οὐσιῶν θεωροῦσα καὶ [26610] περὶτῶν ἄλλων πάντων θεωρεῖ οἷς ἐκ τούτωνἤρτηται τὸ εἶναι ἥ τε κοινῶς περὶ τοῦ ὄντοςᾗ ὂν θεωροῦσα ἐπεὶ τὸ ὂν τῶν ἀφ ἑνός τεκαὶ πρὸς ἓν λεγομένων μάλιστα ἂν περὶταύτης τῆς φύσεως θεωροίη πρὸς ἣν καὶ τὰἄλλα περὶ ὧν ποιεῖται τὸν λόγονἀναφέρεται καὶ ἀφ οὗ τὸ εἶναι ἔχει

En effet la physique est aussi une certainesagesse et une philosophie mais pas la premiegravere Enrevanche sera premiegravere celle qui eacutetudie lessubstances premiegraveres et celle qui lteacutetudiegtuniversellement toute substance et toutes ces chosesqui sont elles aussi des eacutetants parce quelles sontquelque chose de la substance Or la mecircmeltphilosophiegt devient premiegravere de deux faccedilons 1)celle qui eacutetudie les substances premiegraveres eacutetudie aussitoutes les choses dont lecirctre deacutepend des substancespremiegraveres et 2) celle qui eacutetudie en geacuteneacuteral leacutetant entant queacutetant puisque leacutetant appartient agrave ce qui se ditagrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacuteeacutetudiera surtout cette nature agrave laquelle se reacutefegraverenttoutes les autres choses sur lesquelles cettephilosophie produit un discours et agrave partir delaquelle elles ont lecirctre494

Ὅτι δὲ ἣν ἐν τῷ πρώτῳ σοφίαν ἔλεγεταύτην νῦν φιλοσοφίαν [26615] κοινήν τεκαὶ πρώτην λέγει δῆλον καὶ ἐκ τοῦ εἰπεῖνldquoἔστι δὲ σοφία τις καὶ ἡ φυσική ἀλλ οὐπρώτηrdquo ἦν γὰρ τῆς πρώτης σοφίας ἡ περὶτούτων θεωρία λέγει δὲ νῦν ταύτην εἶναιτὴν φιλοσοφίαν τὴν αὐτήν τε φιλοσοφίανλέγει πρώτην καὶ σοφίαν τὴν πρώτην τε καὶκυριωτάτην

Or que celle quil appelait laquo sagesse raquo dans lepremier livre soit celle quil appelle maintenantphilosophie geacuteneacuterale et ltphilosophiegt premiegravere cestclair du fait quil dit laquo la physique aussi est unesagesse mais non la premiegravere raquo car cest agrave la sagessepremiegravere quincombait leacutetude de ces choses mais ildit maintenant que cest agrave cette philosophie et cest lamecircme quil appelle philosophie premiegravere et sagessecelle qui est premiegravere et la plus eacuteminente

(265 30 ndash 266 18)

b) Eacutetat des lieux problegravemes et interpreacutetations

La confrontation de ces trois textes fait de prime abord ressortir leurs divergences On

propose ci-dessous de souligner ce qui constitue selon nous le nœud principal deacutelaguer le

terrain en reacuteduisant certaines difficulteacutes plus secondaires de preacutesenter enfin les interpreacutetations

principales agrave la difficulteacute centrale

Le premier texte semble en effet distinguer deux sagesses495 La premiegravere eacutetudie leacutetant en

494 On revient ci-dessous sur les choix de traduction ici agrave lœuvre

495 Pour meacutemoire le passage en question est laquo Mais simultaneacutement il nous a aussi indiqueacute par ces mots

270

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

tant queacutetant elle est semble-t-il geacuteneacuterique et a trois espegraveces Parmi ces espegraveces se trouve si lon

ose dire une seconde philosophie premiegravere qui portant sur les substances premiegraveres peut ecirctre

identifieacutee avec la theacuteologie Agrave sa suite viennent la physique et la philosophie pratique qui est ici

classeacutee au mecircme rang que les sciences de la substance ndash thegravese qui pour le moins nest pas des

plus classiques en reacutegime aristoteacutelicien Scheacutematiseacute le texte semble donc soutenir la chose

suivante496

Scheacutema 1

Le second texte quant agrave lui se cantonne agrave une distinction entre les sciences des substances

cest-agrave-dire les laquo philosophies raquo497 La science de leacutetant en tant queacutetant est donc ici absente Par

analogie avec la matheacutematique il y aura dit Alexandre une philosophie premiegravere identifiable

avec la theacuteologie des moteurs immobiles une philosophie seconde cette fois-ci identifiable avec

en quel sens la philosophie est une science une parce quelle est universelle Ses espegraveces sont au mecircmenombre que celles de leacutetant En effet ses espegraveces sont la philosophie premiegravere qui est aussi appeleacuteesagesse en un sens eacuteminent parce quelle est la science des choses eacuteternelles immobiles et divinesDune part en effet il y a la sagesse qui est universelle et premiegravere vu quelle porte sur leacutetant en tantqueacutetant et non sur un type deacutetant et dautre part il y a sous elle 1) une certaine philosophiepremiegravere qui porte sur les substances premiegraveres 2) une ltphilosophiegt naturelle qui porte sur les ecirctresnaturels degraves lors que reacutesident en eux mouvement et changement 3) et il y a enfin une certaineltphilosophiegt qui eacutetudie les objets daction ndash tels sont aussi en effet certains eacutetants raquo (In Met 245 36 ndash246 6)

496 On se reportera ici aux scheacutematisations proposeacutees par M Bonelli [2001] p 212 Annonccedilons dembleacuteeque ces scheacutematisations posent selon nous un problegraveme de fond sur lequel on revient ci-dessous

497 Le passage le plus significatif est In Met 251 34-38 laquo Il en va de mecircme pour les substances sontpremiegraveres les ltsubstancesgt ingeacuteneacutereacutees et incorruptibles incorporelles et immobiles et cest sur ellesque portera la philosophie premiegravere Celle qui porte sur les substances eacuteternelles mais en mouvementest la ltphilosophiegt seconde et la troisiegraveme est celle qui porte sur les substances prises dans lageacuteneacuteration et la corruption puisquelles sont aussi les substances ultimes raquo

271

Philosophie premiegravere et universelle (eacutetant en tant queacutetant)

Philosophie premiegravere Sagesse eacuteminente(Substances premiegraveres divines)

Physique Philosophie pratique

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

lastronomie (leacutetude des substances eacuteternelles mais mobiles) et une derniegravere philosophie qui

deacutesigne neacutecessairement la physique sublunaire (leacutetude des substances geacuteneacuterables et

corruptibles) Du second rang qui lui est normalement attribueacute chez Aristote voici que la

physique paraicirct deacuteclasseacutee agrave celui de philosophie troisiegraveme ndash lExeacutegegravete se gardant bien dailleurs

de forger une expression aussi absente du corpus Pourtant en 250 30-32 Alexandre avait bien

mentionneacute une philosophie seconde dont on sattend agrave ce quelle soit la physique selon la thegravese

standard498

Toutefois les textes posant suffisamment de reacuteels problegravemes on peut dembleacutee aplanir

cette difficulteacute Cette distinction de trois niveaux de substantialiteacute nest pas deacutepourvue de racines

dans le corpus on songe au livre Λ en particulier Λ 1 1069a 30-b 2 et Λ 6 1071b 3-5 Si tels sont

bien les textes quAlexandre a agrave lesprit alors la difficulteacute est en partie reacutesolue puisque Λ 6

qualifie les deux derniegraveres espegraveces de substances de laquo naturelles raquo La distinction des parties de la

philosophie en fonction des substances est degraves lors agrave deux branches plutocirct quagrave trois499 Agrave de

simples fins de clarteacute on peut proposer le scheacutema (2) suivant quoiquil soit comme on va le voir

partiellement inexact

Scheacutema 2

Enfin le troisiegraveme texte eacutevoque quant agrave lui deux philosophies premiegraveres ou plutocirct une

498 In Met 250 30-32 laquo Et de mecircme que parmi les substances les unes sont premiegraveres et les autressecondes il y aura de mecircme une philosophie premiegravere et une autre seconde et posteacuterieure agrave lapremiegravere selon lordre dans les substances raquo

499 Contrairement agrave ce que soutient par exemple M Bonelli dans le scheacutema ndeg3 (M Bonelli [2001] p 223)Sur ce texte cf aussi M Rashed [2007b] p 319-320 On trouvera confirmation de ce quAlexandrereprend ce trio dans le Commentaire dAverroegraves agrave Λ (cf Bouyges 1402 sq)

272

Science de la substance Philosophie

Science de la substance premiegravere immobile Philosophie premiegravere

Science de la substance seconde philosophie seconde physique

Substances eacuteternelles mais mobiles

Substances mobiles en devenir

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

philosophie qui laquo devient premiegravere de deux faccedilons raquo en eacutetudiant leacutetant en tant queacutetant et en

eacutetudiant les substances premiegraveres Avant den venir en deacutetail agrave ce texte difficile une premiegravere

remarque simpose bien avant Natorp donc la probleacutematique alexandrinienne de la

meacutetaphysique est dembleacutee centreacutee sur la distinction entre universaliteacute et primauteacute Elle est

structureacutee par E 1 comme en teacutemoigne sa reacutefeacuterence explicite degraves notre premier texte500

Leacutecart apparent des thegraveses a naturellement susciteacute le deacutesaccord exeacutegeacutetique Selon

C Genequand la penseacutee dAlexandre est une eacutebauche de la distinction entre metaphysica generalis

et metaphysica specialis501 Dans un article dirigeacute contre la lecture de P Merlan et sa theacuteologisation

de la meacutetaphysique alexandrinienne (et aristoteacutelicienne502) C Genequand insistait agrave raison sur

tous les passages ougrave Alexandre affirme luniversaliteacute de la meacutetaphysique et de son objet Le point

crucial de larticle survient lorsque est abordeacute notre troisiegraveme texte dont Genequand traduit ainsi

le passage central

La meacutetaphysique est premiegravere de deux maniegraveres dune part parce quelle traite dessubstances premiegraveres et de toutes les autres ltsubstancesgt dont lecirctre deacutepend de celles-lagrave etdautre part parce quelle traite dune maniegravere geacuteneacuterale de lecirctre en tant quecirctre et puisquelecirctre fait partie des ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγομένων la meacutetaphysique traitera surtoutde cette nature agrave laquelle se rapportent les autres choses dont on discute et dont ellestiennent leur ecirctre (266 8-14)

Et Genequand contre Merlan503 dexpliciter que la laquo nature raquo en question ne peut pas

deacutesigner le premier moteur mais bien la substance en renvoyant agrave 266 7-8 et 250 22-26 Dans ce

texte Genequand souligne en effet la laquo dualiteacute raquo504 de la meacutetaphysique qui est selon lui tout agrave fait

coheacuterente avec les pages 245-246 (notre premier texte et notre premier scheacutema) selon lesquelles il

500 In Met 246 10-13

501 C Genequand [1979]

502 Il est symptomatique que tous ces interpregravetes dAlexandre reacutefegraverent leur lecture agrave leur compreacutehensiondAristote et tentent de montrer comment linterpreacutetation dAlexandre reacutepegravete voire garantit leurpropre compreacutehension de la structure de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne On assiste ainsi agravelintrusion dans la question de lobjet de la meacutetaphysique chez Alexandre deacuteleacutements aristoteacuteliciens(des textes qui ne sont pas eacutevoqueacutes par Alexandre ou des maniegraveres de comprendre Aristote qui nesont pas chez Alexandre) afin de fonder leur interpreacutetation de la lecture dAristote par Alexandre ndashsans que soit suffisamment eacutevoqueacutee la possibiliteacute dune divergence entre le Philosophe et lExeacutegegravetelaquelle fournirait peut-ecirctre le point de deacutepart dune compreacutehension plus pointue de la thegravesealexandrinienne Agrave ce titre cest assez logiquement que le conflit des interpreacutetations autour de lameacutetaphysique alexandrinienne reacutepegravete et mime le conflit des interpreacutetations autour dAristote ndashquoique de faccedilon bien moins florissante et bigarreacutee

503 P Merlan [1957] p 92 et C Genequand [1979] p 53-54

504 C Genequand [1979] p 54

273

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

faut distinguer entre une philosophie premiegravere geacuteneacuterale qui porte sur leacutetant en tant queacutetant et

sa premiegravere espegravece qui traite des choses laquo eacuteternelles immobiles et divines raquo (246 1-2)

Genequand en conclut laquo on y rencontre agrave leacutetat deacutebauche et sans doute pour la premiegravere fois la

distinction meacutedieacutevale entre metaphysica generalis et metaphysica specialis raquo505 Telle est finalement

selon lui la raison de la disparition de la fin du Commentaire dAlexandre parce que Plotin et

Porphyre sont passeacutes par lagrave une conception de la meacutetaphysique qui limite leacutetude du divin agrave une

science subordonneacutee ne pouvait rencontrer daudience chez les neacuteoplatoniciens et leurs

successeurs506 Cette derniegravere thegravese requiert toutefois decirctre immeacutediatement nuanceacutee puisque 1)

elle est assez peu compatible avec la premiegravere thegravese selon laquelle LExeacutegegravete aurait donneacute

naissance agrave la distinction meacutetaphysique geacuteneacuterale meacutetaphysique speacuteciale et 2) que dans ce cas

la perte du commentaire agrave Λ deviendrait difficilement compreacutehensible

Dans leacutetude la plus deacutetailleacutee sur ces questions M Bonelli reprend et complexifie la thegravese

de Genequands507 Selon M Bonelli Alexandre eacutelabore plusieurs modegraveles concurrents et

partiellement incoheacuterents entre eux de hieacuterarchisation des sciences theacuteoreacutetiques Guideacute par le

principe dune explication litteacuterale508 lExeacutegegravete reproduirait ici laquo loscillation raquo propre agrave la penseacutee

aristoteacutelicienne509 entre une science des principes et des causes premiegraveres une science de leacutetant

en tant queacutetant une science des substances et une theacuteologie M Bonelli distingue ainsi chez

Alexandre pas moins de cinq scheacutemas dorganisation des sciences et range ces cinq scheacutemas

laquo parfois inconciliables raquo510 en deux groupes selon quils concernent leacutetant ou lun Les trois

premiers concernent les trois textes ci-dessus Preacutesentons dembleacutee succinctement leur contenu

le scheacutema 1 sautorise de notre texte 1 (voir ci-dessus) Le deuxiegraveme scheacutema se preacutesente comme

un raffinement du preacuteceacutedent suite aux lignes 246 6-13 de notre texte 1511 Il expose agrave son comble

505 C Genequand [1979] p 55

506 C Genequand [1979] p 56-57

507 Pour la reprise de la thegravese de C Genequand cf M Bonelli [2001] p 201 p 215 et n 31

508 M Bonelli [2001] p 233

509 M Bonelli [2001] p 232-233

510 M Bonelli [2001] p 201

511 In Met 246 6-13 laquo Et que soit une par le genre la philosophie qui soccupe de leacutetant en tant queacutetantAristote la aussi expliqueacute agrave partir de ce quil a dit degraves le deacutebut du livre elle nest identique agrave aucunedes sciences dites partielles agrave savoir celle qui soccupe des principes des causes premiegraveres et de lasubstance Elle est agrave la fois premiegravere et universelle car dans ce qui se dit agrave partir dune uniteacute etrelativement agrave une uniteacute le premier est aussi universel du fait que pour les autres choses il est lui-mecircme cause de leur ecirctre comme le dira aussi Aristote au livre E de ce traiteacute raquo Le deuxiegraveme scheacutema deM Bonelli [2001] se trouve p 213

274

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

le problegraveme que suscite le texte

On revient en deacutetail ci-dessous sur la question quillustre ce scheacutema

Le troisiegraveme scheacutema proposeacute par M Bonelli part de notre texte 2 et preacutesente

verticalement les trois sciences de la substance science de la substance premiegravere incorporelle et

immobile science des substances eacuteternelles mais mobiles (astronomie) science des substances

mobiles et en devenir (physique)512 On a tenteacute de montrer ci-dessus que rattacheacutee aux passages

de Λ quelle anticipe tels que selon Averroegraves Alexandre les a commenteacutes la distinction des trois

degreacutes de la substance nest pas incompatible avec une division bifide de la philosophie

M Bonelli deacutegage en outre un second groupe de scheacutemas (figures 4 et 5) relativement

similaires Ces deux scheacutemas preacutesentent en fait la distinction des parties de la philosophie agrave partir

des espegraveces non plus de leacutetant mais de lun M Bonelli construit en effet ces deux scheacutemas513 agrave

partir des pages 246 28-35 (la suite de notre premier texte) et 249 17-28 selon lesquels la science

de leacutetant eacutetudie aussi lun Les espegraveces de la science de leacutetant seront donc les espegraveces de la

science de lun514 La science de leacutetant en tant queacutetant et de lun en tant quun doit donc eacutetudier la

substance et lidentiteacute la qualiteacute et la ressemblance la quantiteacute et leacutegaliteacute et ainsi de suite515

Mais la mecircme science doit aussi eacutetudier les opposeacutes agrave son objet Il faut donc rajouter les opposeacutes

de ces espegraveces ndash et cest lobjet du dernier scheacutema qui additionne au scheacutema preacuteceacutedent lalteacuteriteacute la

dissemblance et lineacutegaliteacute516 Le travail du philosophe est ici d laquo eacutetudier ce quest chacun

deux raquo517 conformeacutement aux indications donneacutees pour la quatriegraveme aporie du livre B Bref sous

512 M Bonelli [2001] p 223

513 M Bonelli [2001] p 224-228

514 Cf Aristote Met Γ 2 1003b 32 sq

515 Quoique sauf erreur de notre part on ne trouve pas dautres exemples dans le texte Cf In Met 251 5-17

516 Cf In Met 250 10 sq

517 In Met 250 3-5 laquo διὰ δὲ τούτων δείκνυσιν ὅτι τοῦ φιλοσόφου ἴδιόν ἐστι τοῦ τῆς οὐσίας θεωρητικοῦ

275

Filos generale Prima = teologia

Filos prima= teologia

Fisica Pratica

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

une science geacuteneacuterique agrave laquelle incombe la division des ses propres espegraveces se placeraient

suivant lordre des cateacutegories une eacutetude de la substance lidentiteacute et la diffeacuterence une eacutetude de

la qualiteacute la ressemblance et la dissemblance une eacutetude de la quantiteacute leacutegal et lineacutegal

Afin de ne pas inutilement multiplier les problegravemes et aggraver leacuteclatement du texte

alexandrinien il faut dire degraves maintenant que ces scheacutemas dorganisation agrave partir des espegraveces de

lun totalement compatibles entre eux sont en outre compatibles avec les preacuteceacutedents Il est clair

que les espegraveces ici distingueacutees diffegraverent des espegraveces de substances et des espegraveces correspondantes

de philosophie et ce pour une raison simple dans le cas de leacutetant et de la substance les espegraveces

distinguent des sciences alors que leacutetude des espegraveces de lun correspond aux proprieacuteteacutes par soi

de leacutetant en tant queacutetant aux preacutedicats dialectiques que sont le mecircme lautre le semblable etc

Or leacutetude de ces preacutedicats incombe agrave la seule philosophie premiegravere conformeacutement agrave la

reacutesolution proposeacutee de la quatriegraveme aporie

Ὥστε ὁ φιλόσοφος ᾗ φιλόσοφος καὶ περὶἑνὸς καὶ πλήθους διαλήψεται καὶ τῶν ὑπὸταῦτα καὶ περὶ μὲν τοῦ ἑνὸς καὶ τῶν ὑπὸτοῦτο ἅ ἐστι τὸ ταὐτόν τὸ ἴσον τὸ ὅμοιονκαὶ ὅσα τοιαῦτα ὅτι τὸ ἓν τῷ ὄντι [2475]ὁμοίως τε καὶ κατὰ τῶν αὐτῶν λέγεται περὶδὲ τοῦ ὄντος τούτου τὸ θεωρεῖν περὶ δὲ τοῦπλήθους καὶ τῶν ὑπὸ τοῦτο ὅτι τῆς αὐτῆςἐπιστήμης ἡ τῶν ἐναντίων γνῶσις ἐναντίονδὲ τὸ μὲν πλῆθος τῷ ἑνί τὰ δὲ ὑπὸ τὸπλῆθος εἴδη τοῖς τοῦ ἑνὸς εἴδεσι

De la sorte le philosophe en tant que philosophediscutera agrave la fois de lun et du multiple et de ce quise range sous eux agrave savoir qu[il discutera] de lun etde ce qui est sous lui cest-agrave-dire lidentique leacutegal lesemblable et caetera parce que lun se dit de la mecircmemaniegravere et des mecircmes choses que leacutetant leacutetude duphilosophe portera aussi sur leacutetant Et elle porteraaussi sur le multiple et ce qui est sous lui parce quela connaissance des contraires relegraveve de la mecircmescience que le multiple est contraire agrave lun et lesespegraveces qui sont sous le multiple contraires agrave cellesde lun

(247 2-8)

Alexandre reacutepeacutetera cette thegravese plus loin en la liant explicitement agrave la quatriegraveme aporie

cest agrave la philosophie laquo qui est une en genre raquo de traiter leacutetant en tant queacutetant donc aussi lun en

tant quun donc aussi les espegraveces de lun donc aussi leurs contraires (249 25-28) Ces tacircches sont

internes agrave la science de leacutetant en tant queacutetant et ne posent pas le problegraveme de sa deacutelimitation par

rapport aux autres sciences ni celui de sa coordination entre philosophie universelle et science

des substances premiegraveres Ces thegraveses nentrent donc pas en concurrence avec les trois textes que

nous avons citeacutes plus haut et ne peuvent en tout cas pas ecirctre mises sur le mecircme plan

La derniegravere eacutetude est celle de P Donini qui reprend et critique la thegravese selon laquelle la

meacutetaphysique dAlexandre eacutebauche la distinction entre metaphysica generalis et metaphysica speciali

τὸ καὶ τί ἐστιν ἕκαστον τούτων θεωρῆσαι ὃ καὶ αὐτῷ ἐζητεῖτό τε καὶ ἠπορεῖτο ἐν τῷ πρὸ τούτου raquo

276

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

De fait contre cette lecture il faut en premier lieu dire que les lignes 266 8-9 ne peuvent signifier

que la meacutetaphysique laquo est premiegravere de deux faccedilons raquo518 Bien plutocirct il faut traduire comme le

propose P Donini laquo la mecircme ltphilosophiegt devient premiegravere de deux faccedilons raquo C Genequand

traduit comme si laquo ἡ αὐτὴ raquo navait quune valeur de rappel alors que la fonction de rappel ne

vaut pas au nominatif preacuteceacutedeacute de larticle Le texte devient en outre plus coheacuterent avec cette

lecture agrave condition contre ses traductions anglaise et italienne de ne pas traduire de faccedilon

expleacutetive le καὶ de la phrase preacuteceacutedente en 266 6-8 (laquo En revanche sera premiegravere celle qui eacutetudie

les substances premiegraveres et universellement toute la substance et toutes ces choses qui sont elles

aussi des eacutetants raquo) Donini pointe agrave raison la reacutepeacutetition de larticle (laquo πρώτη δ ἂν εἴη ἥ τε

περὶκαὶ ἡ καθόλου περὶ raquo) et commente laquo jusquagrave ce point Alexandre raisonne comme si les

deux objets pouvaient encore correspondre agrave deux sciences distinctes raquo519 ce qui explique et rend

possible lidentification agrave la ligne suivante

Pour P Donini en effet contre les deux autres textes ce dernier reacutepegravete la thegravese standard

de lExeacutegegravete agrave savoir laquo une interpreacutetation strictement unitaire de lobjet de la meacutetaphysique

aristoteacutelicienne raquo En outre selon lui les passages sur lesquels sappuie C Genequand noffrent

en fait quune laquo lointaine ressemblance raquo avec la distinction entre metaphysica generalis et

metaphysica specialis et seraient compatibles avec la thegravese unitarienne520 Mais au cours de son

article face aux textes P Donini semble nuancer sa thegravese luniteacute nimplique pas lidentiteacute et la

position dAlexandre tend bien plutocirct agrave une hieacuterarchisation entre enquecircte sur leacutetant en tant

queacutetant et les cateacutegories dune part et lenquecircte sur la cause premiegravere dautre part (la philosophie

premiegravere au sens strict) Finalement le commentateur reconnaicirct ne pas avoir reacuteussi laquo agrave mettre

vraiment tout en ordre raquo521 nos deux premiers textes figureraient comme des atermoiements

non deacutenueacutes dinteacuterecirct historique avant la reacutesolution sauvegardant luniteacute de la meacutetaphysique aux

pages 265-266

De fait tous les problegravemes mecircme en comptant ces textes au rang de fausses-routes ou

dincidents de parcours ne sont pas reacutesolus ne serait-ce que dans lintroduction de la science

518 Pour meacutemoire le texte grec est laquo Πρώτη δ ἂν εἴη ἥ τε περὶ τῶν πρώτων οὐσιῶν θεωροῦσα καὶ ἡκαθόλου περὶ πάσης οὐσίας καὶ τῶν τῷ αὐτῆς τι εἶναι ὄντων καὶ αὐτῶν Ἀμφοτέρως δὲ ἡ αὐτὴγίνεται πρώτη ἥ τε γὰρ περὶ τῶν πρώτων οὐσιῶν θεωροῦσα καὶ περὶ τῶν ἄλλων πάντων θεωρεῖοἷς ἐκ τούτων ἤρτηται τὸ εἶναι ἥ τε κοινῶς περὶ τοῦ ὄντος ᾗ ὂν θεωροῦσα raquo (In Met 266 6-11)

519 P Donini [2005] p 85 n 13 On ajoutera quil est quand mecircme plus naturel de traduire le τε καὶ parune coordination

520 P Donini [2005] p 82 et deacutejagrave [2003] p 16

521 P Donini [2005] p 96

277

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

pratique dans le scheacutema des philosophies ou plus crucial dans la distinction dans les deux

premiers textes de deux niveaux de primauteacute Mais P Donini a le meacuterite de rendre au texte

alexandrinien la progressiviteacute propre au commentaire Bien que P Donini ne deacuteveloppe pas ce

point on peut lajouter au creacutedit de sa lecture le texte alexandrinien nest pas une suite de

fragments ou un ensemble dont tous les moments seraient eacutequivalents La maniegravere mecircme dont

Alexandre comprend le traiteacute dAristote comme la justement deacutecrit M Bonelli implique

lattribution agrave chaque livre agrave chaque chapitre de fonctions diffeacuterentes reacutepondant agrave une intention

densemble Or ce pheacutenomegravene entraicircne avec lui une dramatisation une diffeacuterenciation dans la

valeur de ces moments Il nest donc pas absurde de consideacuterer que notre troisiegraveme texte reacutepond

bien plus agrave la thegravese la plus constante de lExeacutegegravete sur luniteacute de la meacutetaphysique et de lui donner

pour cette raison davantage de poids

c) La solution geacuteneacuterale la structure uni-reacutefeacuterentielle des sciences

Sans preacutetendre pouvoir reacutesoudre toutes ces difficulteacutes il nous semble cependant possible

de montrer comment les deux premiers textes preacuteparent en reacutealiteacute le dernier ou tout du moins

sont fondamentalement sur la mecircme ligne agrave savoir la ligne unitaire larticulation des tacircches (et

non lidentification des objets) en une mecircme science Le problegraveme est simple Alexandre semble

parfois seacuteparer une eacutetude universelle et une eacutetude de la substance premiegravere parfois il les

rassemble dans la mecircme science Pour comprendre cela il faut repartir du texte 1 Plusieurs

solutions ont eacuteteacute proposeacutees pour faire retrouver davantage de coheacuterence agrave ce texte assez tortureacute

qui meacuteritent un examen deacutetailleacute

Le premier texte le commentaire agrave 1003b 21-22 a en effet lair au premier abord de

naviguer sans but dune thegravese agrave lautre et pose principalement trois questions522 1) pourquoi les

espegraveces de la science de leacutetant en tant queacutetant sont-elles les diverses sciences de la substance

alors quon pourrait sattendre agrave une classification des sciences selon les cateacutegories (substance

qualiteacute quantiteacute etc) et quAlexandre lui-mecircme cite les Cateacutegories523 2) Ougrave est la meacutetaphysique

522 Nous syntheacutetisons les difficulteacutes rencontreacutees par M Bonelli [2001] p 209-217 et P Donini [2003] p 24-25 et [2005] p 87-96

523 Sur cette compreacutehension des Cateacutegories voir aussi M Rashed [2007b] p 39 n 119 et surtout [2011b]qui montre quAlexandre ne pensait probablement pas les Cateacutegories comme un ouvrage logique maisbien plutocirct ontologique Voir aussi deacutejagrave In Met 242 17 Sur limportance des Cateacutegories agrave leacutepoque

278

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

dans tout cela au niveau geacuteneacuterique ou au niveau de la premiegravere espegravece 3) Quelle consistance

eacutepisteacutemique peut bien avoir la science geacuteneacuterique Est-elle vraiment une science ou seulement

une classification Quel est son rocircle

Une question subsidiaire est de savoir ce que vient faire ici leacutethique comme troisiegraveme

espegravece de la science de leacutetant en tant queacutetant Agrave quoi lon peut reacutepondre dembleacutee (mais non de

faccedilon totalement satisfaisante) quAlexandre reprend en fait la division stoiumlcienne des sciences

apregraves la physique vient leacutethique et la meacutetaphysique remplace sans reste la logique car cest elle

qui est architectonique et non cette derniegravere La meacutetaphysique trouve sa place de science en

eacutevacuant la logique au rang dinstrument voire en linteacutegrant au moins partiellement524 ce qui ne

laisse plus que la physique et leacutethique Quant aux matheacutematiques leur absence sauf agrave titre

danalogon de la philosophie marque dailleurs nos trois textes et sexplique par les reacuteticences

dAlexandre agrave accepter les objets matheacutematiques au rang deacutetants525 Il demeure eacutetonnant que

cette prudence nait pas aussi affecteacute les objets daction compter la science des laquo objets daction raquo

au rang de ces sciences de leacutetant au motif que laquo tels sont aussi en effet certains eacutetants raquo (246 6)

nest pas sans provoquer la confusion526 puisque jamais Aristote ne propose une tel scheacutema des

sciences

Donini propose de reconstruire la position suivante selon Alexandre la philosophie

universelle (la science de leacutetant en tant queacutetant) tiendrait le rang de science geacuteneacuterique et naurait

dautre tacircche que la distinction des espegraveces ou des genres de leacutetant527 cest-agrave-dire la division des

cateacutegories promouvant ainsi le traiteacute homonyme au rang de traiteacute meacutetaphysique (ou preacute-

dAlexandre et mecircme degraves le Ier s av J-C cf HB Gottschalk [1987] et RW Sharples [2008b]

524 Selon quon adopte la position standard du Commentaire aux Analytiques ou la position plus heacuteteacuterodoxede certains passages du Commentaire agrave la Meacutetaphysique

525 Voir agrave titre dexemple le passage dIn Met 169 1 sq qui admet bien les objets de la physique au rangdὄντα mais ne le fait jamais pour les objets immateacuteriels et abstraits des matheacutematiques

526 Donini par exemple affirme quune telle interpreacutetation laquo entraicircne le raisonnement dAlexandre agrave unedistance absolument intoleacuterable de toute interpreacutetation plausible des passages de Γ raquo ([2005] p 93)avant davancer que cette position est lieacutee agrave limportance prise par la doctrine des cateacutegories (mais agravequelle cateacutegorie se rattacherait la science des πρακτά Comment ce quil y a laquo agrave faire raquo pourrait-il ecirctreun eacutetant ) et qulaquo avec cette distribution si articuleacutee des sciences de lecirctre il est possible mecircme dedeacutepasser la lettre du texte dAristote tout en interpreacutetant de faccedilon entiegraverement correcte la penseacutee dumaicirctre raquo (p 97) M Bonelli ([2001] p 211) propose dy voir un eacutecho avec 257 2-4 (laquo τὰ μὲν οὖν τῷἔχεσθαι ὑπ ἐκείνου οὕτως ῥηθήσεται τὰ δὲ τῷ ἐνέργειαί τινες εἶναι αὐτοῦ τῶν γὰρ τῆς οὐσίαςἐνεργειῶν ἑκάστη ὄν τε καὶ ἕν ὅτι ἔστιν αὐτὰς ἡ οὐσία ποιοῦσα raquo) Mais il est tout de mecircmedifficile de lire dans ce texte autre chose que le sens ontologique de lacte

527 Sur le flottement du vocabulaire cf 245 16-17 sur lidentiteacute des laquo genres de leacutetant raquo avec lescateacutegories cf 242 12 sur ce passage et cette interpreacutetation cf P Donini [2005] par exemple p 89

279

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

meacutetaphysique) Sous cette science geacuteneacuterique se diviseraient des espegraveces de sciences en fonction

des diffeacuterentes cateacutegories La philosophie premiegravere du texte celle qui a pour objet les substances

premiegraveres constituerait degraves lors une espegravece de la science des substances donc une sous-sous-

espegravece de la science geacuteneacuterique Le raisonnement dAlexandre ainsi interpreacuteteacute entraicircne

neacutecessairement la position de deux philosophies premiegraveres consacreacutee dans la phrase laquo Dune

part en effet il y a la sagesse qui est universelle et premiegravere vu quelle porte sur leacutetant en tant

queacutetant et non sur un type deacutetant et dautre part il y a sous elle une philosophie premiegravere qui

porte sur les substances premiegraveres raquo (246 2-4) Donini distingue alors deux sens de laquo premier raquo

selon quil deacutesigne la science du premier (les substances premiegraveres) ou la science la plus

englobante (la philosophie universelle) et en conclut finalement agrave la contradiction frontale avec

linterpreacutetation unitaire528

Pour dissiper la confusion M Bonelli a proposeacute de proceacuteder agrave latheacutetegravese de 245 37 ndash 246

2 agrave savoir la phrase laquo En effet ses espegraveces sont la philosophie premiegravere qui est aussi appeleacutee

sagesse en un sens eacuteminent parce quelle est la science des choses eacuteternelles immobiles et

divines raquo On en comprend aiseacutement la raison le texte est bien moins lineacuteaire quagrave laccoutumeacutee

Alexandre deacutecrit la science geacuteneacuteriquehellip

Gracircce agrave ce qui vient decirctre dit on a montreacute quappartient agrave la philosophie premiegravere ladivision de leacutetant en genres ce quAristote lui-mecircme a effectueacute dans les Cateacutegories Maissimultaneacutement il nous a aussi indiqueacute par ces mots en quel sens la philosophie est unescience une parce quelle est universelle

hellip puis sa premiegravere espegravece (245 37) alors quil emploie un pluriel pour annoncer laquo les

espegraveces raquo de la science geacuteneacuterique

Ses espegraveces sont au mecircme nombre que celles de leacutetant En effet ses espegraveces sont laphilosophie premiegravere qui est aussi appeleacutee sagesse en un sens eacuteminent parce quelle est lascience des choses eacuteternelles immobiles et divines

Il caracteacuterise ensuite agrave nouveau la science geacuteneacuterique en lui donnant le mecircme nom ndash

laquo sagesse raquo ndash que celui quil vient dattribuer agrave sa premiegravere espegravece (246 2-3)

Dune part en effet il y a la sagesse qui est universelle et premiegravere vu quelle porte surleacutetant en tant queacutetant et non sur un type deacutetant

Et enfin eacutenumegravere lensemble de ses espegraveces (246 3-6)

et dautre part il y a sous elle 1) une certaine philosophie premiegravere qui porte sur les

528 P Donini [2005] p 91

280

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

substances premiegraveres 2) une ltphilosophiegt naturelle qui porte sur les ecirctres naturels degraveslors que reacutesident en eux mouvement et changement 3) etc

Le texte opegravere donc une sorte de boucle (science geacuteneacuterique premiegravere espegravece science

geacuteneacuterique premiegravere deuxiegraveme et troisiegraveme espegraveces) et il est tentant den supprimer la premiegravere

courbe pour niveler lensemble Toutefois comme le montre P Donini on doit conserver cette

phrase qui rend raison de linsistance en 246 2-3 sur luniversaliteacute et la primauteacute de la sagesse et

qui neacutecessite de toutes faccedilons une distinction avec une autre forme de laquo sagesse raquo quil effectue

en 246 3 sq Bref sans la phrase incrimineacutee la suite serait moins claire529

Mais la difficulteacute saggrave dans la suite du texte qui voit reparaicirctre la thegravese unitaire

pourtant contredite au paragraphe preacuteceacutedent Rappelons la phrase coupable

Et que soit une par le genre la philosophie qui soccupe de leacutetant en tant queacutetant Aristotela aussi expliqueacute agrave partir de ce quil a dit degraves le deacutebut du livre laquo elle nest identique agraveaucune des sciences dites partielles raquo agrave savoir celle qui soccupe des principes des causespremiegraveres et de la substance Elle est agrave la fois premiegravere et universelle

Cest cette phrase qui fait dire agrave M Bonelli que deacutesormais pour Alexandre la

philosophie premiegravere universelle et geacuteneacuterique est la theacuteologie le texte semble en effet dire que

la science de leacutetant en tant queacutetant est la science des principes et causes premiers laquelle est la

theacuteologie Dans ce cadre en effet si lon reprend le texte dans son ensemble la science geacuteneacuterique

qui est la theacuteologie aura la theacuteologie pour premiegravere espegravece530

Cependant Donini propose de modifier leacutegegraverement la ponctuation dans le paragraphe

suivant pour atteacutenuer la contradiction La phrase eacutediteacutee par Hayduck en 246 5-10 est

Ὅτι δὲ μία τῷ γένει ἡ περὶ τὸ ὂν ᾗ ὂν πραγματευομένη φιλοσοφία ἐδήλωσε καὶ ἐξ ὧνεὐθὺς ἀρχόμενος τοῦ βιβλίου εἶπεν ldquoαὕτη δέ ἐστιν οὐδεμιᾷ τῶν ἐν μέρει λεγομένων ἡαὐτήrdquo ἡ περὶ τὰς ἀρχὰς καὶ τὰ πρῶτα αἴτια καὶ τὴν οὐσίαν πραγματευομένη Ἅμα τέἐστι πρώτη καὶ καθόλου

Modifieacutee par Donini531

Ὅτι δὲ μία τῷ γένει ἡ περὶ τὸ ὂν ᾗ ὂν πραγματευομένη φιλοσοφία ἐδήλωσε καὶ ἐξ ὧνεὐθὺς ἀρχόμενος τοῦ βιβλίου εἶπεν ldquoαὕτη δέ ἐστιν οὐδεμιᾷ τῶν ἐν μέρει λεγομένων ἡαὐτήrdquo Ἡ περὶ τὰς ἀρχὰς καὶ τὰ πρῶτα αἴτια καὶ τὴν οὐσίαν πραγματευομένη ἅμα τέἐστι πρώτη καὶ καθόλου

529 P Donini [2005] p 90 n 31

530 M Bonelli [2001] p 215

531 P Donini [2003] p 30-35 [2005] p 94

281

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Ce qui pourrait se traduire par

Et que soit une par le genre la philosophie qui soccupe de leacutetant en tant queacutetant Aristotela aussi expliqueacute agrave partir de ce quil a dit degraves le deacutebut du livre laquo elle nest identique agraveaucune des sciences dites partielles raquo La ltsciencegt qui soccupe des principes des causespremiegraveres et de la substance est agrave la fois premiegravere et universelle

Le propos deviendrait degraves lors coheacuterent avec la distinction deacutejagrave vue en 245 22 sq Apregraves

avoir alors distingueacute deux types de primauteacute Alexandre distinguerait laquo deux niveaux diffeacuterents

duniversaliteacute raquo532 Et lon comprendrait aussi pourquoi Alexandre enchaicircnerait avec le principe

de luni-reacutefeacuterentialiteacute (laquo dans ce qui se dit agrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacute raquo)

pour pouvoir preacuteciser que la seconde science premiegravere et universelle dabord preacutesenteacutee comme

une science de la substance en geacuteneacuteral est en reacutealiteacute science de la substance premiegravere comme elle

leacutetait au paragraphe preacuteceacutedent Cette science laquo universelle de second niveau raquo formerait la

veacuteritable meacutetaphysique alexandrinienne ndash la philosophie universelle de premier niveau (laquo la plus

premiegravere raquo selon le vocabulaire que Donini reprend sans le citer agrave Ascleacutepius533) nayant rien de

plus agrave faire que de diviser les cateacutegories534 Toutes les contradictions avec la thegravese unitaire ne

seraient certes pas effaceacutees ndash une certaine dualiteacute demeure ndash et le rocircle des pages 265-266 serait

alors de retrouver le droit chemin en reacute-affirmant luniteacute complegravete de la meacutetaphysique

Cette modification de la ponctuation toutefois ne nous semble ni souhaitable ni

neacutecessaire Elle implique dune part une asyndegravete des plus rares chez lExeacutegegravete535 Dautre part

elle rompt la marche du raisonnement pourquoi brusquement apregraves avoir eacutenumeacutereacute ses espegraveces

Alexandre affirmerait-il luniteacute geacuteneacuterique de la science de leacutetant La correction accentue aussi la

brusquerie du passage de la science geacuteneacuterale agrave la science premiegravere sans ordre logique clair

En outre contrairement agrave ce que dit Donini lobjet de la proposition de 246 7-10 (laquo Et que

soit une par le genre la philosophie qui soccupe de leacutetant en tant queacutetant raquo) nest pas de

justifier luniversaliteacute de cette science mais bien le fait quelle soit une Luniversaliteacute nen est que

le moyen ou la raison au mecircme sens ougrave quelques lignes plus haut en 245 35-37 Alexandre a

532 P Donini [2005] p 94

533 Ascleacutepius In Met 238 4-6

534 P Donini [2005] p 95-96

535 P Donini reacutepond agrave cette objection dont il admet donc au moins une partie du bien-fondeacute dans laversion italienne de larticle ([2003] n 60 p 35-36) Trouver un cas dasyndegravete chez Alexandre nest pasdeacutemontrer sa freacutequence seulement que lobjection de lasyndegravete nest pas dirimante si elle est preacutesenteacuteeseule On rappellera en outre que les particules sont justement ce dont se servaient les copistes pourponctuer le texte quand il eacutetait en scriptio continua

282

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

dit laquo mais simultaneacutement il nous a aussi indiqueacute par ces mots en quel sens la philosophie est

une science une parce quelle est universelle raquo

Enfin cette modification rend incompreacutehensible entre autres textes le proegraveme agrave Δ par

exemple qui fait de la philosophie premiegravere une science universelle de leacutetant en tant queacutetant et

lobjet principal du traiteacute ndash et non dune philosophie premiegravere de second niveau science des

principes et des causes de la substance premiegravere Dailleurs on la deacutejagrave vu cette philosophie

universelle ne peut avoir comme seule tacircche la division des cateacutegories LExeacutegegravete affirme trop

souvent quelle soccupe eacutegalement des attributs essentiels de leacutetant en tant queacutetant de lun et de

ses espegraveces des preacutedicats dialectiques et des axiomes On est loin de la science minimale de

Donini ou de la simple cateacutegorie geacuteneacuterale deacutecrite par Bonelli536

Il faut donc garder le texte en leacutetat et chercher une autre explication En premier lieu il

est crucial de garder agrave lesprit que le vocabulaire de genre et despegravece doit ici ecirctre pris avec

preacutecaution comme Alexandre lui-mecircme nous le conseille agrave plusieurs reprises dans le commentaire

agrave Γ Mecircme si dans notre premier texte on ninterpregravete pas comme alienans le τινα de 245 32-33

(dans la proposition laquo ὅσαι ὑπὸ φιλοσοφίαν ὡς γενικήν τινα ἐπιστήμην τεταγμέναι εἰσὶν

ἐπιστῆμαι raquo) Alexandre le dit trop souvent ailleurs ainsi en toutes lettres en 249 28-33 pour

leacutetant lun et leurs pseudo-espegraveces Il devient degraves lors extrecircmement difficile de ne pas consideacuterer

aussi comme alienans lindeacutefini dans la formule quelques lignes plus loin laquo ὡς ὑπὸ γένος τι raquo

(250 8) Et Alexandre le reacutepegravete agrave nouveau dans son commentaire agrave 1004a 22 en 255 21 Aristote

emploie laquo genre raquo en un sens lacircche (laquo κοινότερον raquo)537 Ce sens avait deacutejagrave eacuteteacute deacutefini en 245 3 sq

un genre au sens lacircche ce sont laquo toutes les choses qui en viennent agrave avoir quelque chose en

commun les unes avec les autres (κεκοινώνηκεν ἀλλήλοις) en fonction dune certaine nature raquo

(245 4) deacutefinition qui peut bien sappliquer aux plurivoques

Pourquoi cette prudence de vocabulaire Eacutevidemment parce que lanalogie de structure

entre leacutetant et les sciences de leacutetant (cest-agrave-dire aussi bien les sciences tout court) interdit de

penser les espegraveces des sciences comme de veacuteritables espegraveces sous un genre commun Si ceacutetait le

cas si les sciences de leacutetant avaient entre elles un rapport genre-espegravece au sens strict cela

536 Agrave titre de simple exemple voir 249 20 sq ougrave apregraves avoir rappeleacute que les espegraveces de la science deleacutetant sont aussi celles de lun Alexandre dit laquo εὐλόγως ἐπήνεγκε τὸ ὅσα τοῦ ἑνὸς εἴδη τοσαῦτα καὶτοῦ ὄντος εἶναι περὶ ὧν εἰδῶν τὸ τί ἐστιν ἕκαστον αὐτῶν κατὰ τὸ γένος τῆς αὐτῆς ἐπιστήμηςθεωρῆσαι raquo (l 22-24) la science qui constitue le genre de ces espegraveces nest donc pas quune coquillevide

537 Cf aussi 245 3

283

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

impliquerait que leacutetant ait avec ses laquo espegraveces raquo un rapport de synonymie Or selon Alexandre

leacutetant nest pas un synonyme mais un plurivoque ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν Mecircme si lon peut

penser quAlexandre rapproche autant que possible les plurivoques des synonymes que la

diffeacuterence quil maintient entre eux est bien mince il reste quil ne les confond pas538 Les sciences

qui leacutetudient ne peuvent donc pas avoir entre elles un rapport de synonymie savoir un rapport

genre-espegravece au sens strict Non seulement cest la logique mecircme du texte mais en outre

Alexandre le dit en toutes lettres

dans ce qui se dit agrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacute le premier est aussiuniversel du fait que pour les autres choses il est lui-mecircme cause de leur ecirctre comme ledira aussi Aristote au livre E de ce traiteacute (246 10-13)539

Bref les diverses sciences ont entre elles ce mecircme rapport duni-reacutefeacuterentialiteacute et de

provenance non un rapport synonymique de genre-espegravece Ceci explique la prudence avec

laquelle nous avons proposeacute les scheacutemas 1 et 2 au paragraphe preacuteceacutedent ces scheacutemas pour des

raisons de clarteacute se preacutesentent comme des relations genre-espegravece et cest preacuteciseacutement de cette

erreur quil faut se preacutemunir ndash la chose neacutetant pas aiseacutee car Alexandre precircte le flanc agrave cette erreur

de lecture en ne reacutepeacutetant pas clairement dans notre texte 1 que le vocabulaire du genre et de

lespegravece est ici agrave prendre laquo κοινότερον raquo

Cette mise au point a des conseacutequences sur le sens du texte et sa coheacuterence avec la suite

Comme lexplique Alexandre dans son commentaire au deacutebut de Γ 2 il peut y avoir une laquo science

une raquo de leacutetant comme il y a une science une de la santeacute qui est la meacutedecine (243 24 sq) Mais

imaginons agrave partir de cette thegravese dAlexandre dautres sciences des choses saines autres que la

science par excellence de la santeacute agrave savoir la meacutedecine Mecircme si par exemple il y avait une

science des reacutegimes (disons la dieacuteteacutetique) ou bien une science des meacutedicaments (la

pharmacologie)540 il resterait neacuteanmoins nous semble-t-il que ces sciences ne seraient pas des

espegraveces de la meacutedecine au sens strict La pharmacologie nest aujourdhui dailleurs pas une

speacutecialisation meacutedicale et le dieacuteteacuteticien nappartient pas comme tel agrave lordre des meacutedecins ndash

mecircme sils ont tous agrave voir avec le meacutedical (on parle aussi de professions parameacutedicales)

Mais la science du sain est dabord et au premier chef la science de la santeacute La structure

538 Cf ci-dessous sect 311

539 Sur les ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν cf ci-dessous sect 31

540 Pour ces exemples (sans les reacutefeacuterences agrave la dieacuteteacutetique et la pharmacologie) cf 241 28 ndash 242 3 et 244 4-5 Hormis ces exemples le raisonnement nest bien sucircr pas dAlexandre

284

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

uni-reacutefeacuterentielle implique un chevauchement541 entre le niveau geacuteneacuterique et la premiegravere pseudo-

espegravece parce que le santeacute est le sain de faccedilon eacuteminente la raison decirctre de toutes les autres choses

saines comme le meacutedecin en quelque faccedilon rend raison du pharmacien et du dieacuteteacuteticien Preuve

en est que la laquo meacutedecine raquo est science des choses saines en geacuteneacuteral542 mais aussi laquo eacuteminemment et

au plus haut point science de la santeacute raquo (laquo ἡ γοῦν ἰατρική πάντων οὖσα τῶν ὑγιεινῶν

ἐπιστήμη κυρίως καὶ μάλιστα τῆς ὑγιείας ἐστί πρὸς ἣν τὰ ἄλλα λέγεται raquo 244 15-16) De

mecircme aussi la science de leacutetant en tant queacutetant est-elle au premier chef science de la substance

et celle-ci au premier chef science de la substance premiegravere eacuteternelle et divine543 Cest bien cela

qui explique la reacutefeacuterence aux ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν dans le passage citeacute ci-dessus (246 10-13)

Cest aussi ce qui explique la structure en boucle du paragraphe 245 33 ndash 242 6 comme

dans le texte 3 en 266 5-14 Alexandre part ici aussi dune dualiteacute pour en montrer luniteacute et la

reprise ou lapparente circulariteacute de 246 2-4 (laquo Dune part en effet il y a la sagesse qui est

universelle et premiegravere vu quelle porte sur leacutetant en tant queacutetant et non sur un type deacutetant et

dautre part il y a sous elle raquo) Cette reprise nest lagrave que pour mieux preacuteparer lunification qui se

lit au paragraphe suivant Il revient agrave la mecircme science deacutetudier universellement leacutetant en tant

queacutetant les principes et les causes premiegraveres et la substance ndash et a fortiori la substance divine

Loin des atermoiements quon a pu y deacuteceler ces passages sont coheacuterents avec le reste de

linterpreacutetation unitaire quoique peut-ecirctre de faccedilon contourneacutee voire en indiquant comme en

filigrane les autres interpreacutetations possibles qui auraient tenteacute Alexandre

Contrairement agrave ce que laisse croire la reacutefeacuterence dAlexandre agrave E 1 la meacutetaphysique

alexandrinienne nest pas laquo universelle parce que premiegravere raquo ou laquo universelle au sens ougrave elle est

premiegravere raquo544 ndash autant de maniegraveres de modaliser luniversaliteacute La meacutetaphysique alexandrinienne

est laquo en mecircme temps universelle et premiegravere raquo (246 10) ne renonccedilant ainsi agrave aucune des

ambitions que son voisinage avec la dialectique platonicienne avait attiseacutees La fonction de

fondation de la meacutetaphysique trouve ici aussi son motif sous-jacent si le modegravele des ἀφ ἑνός τε

καὶ πρὸς ἓν se voit appliqueacute aux sciences et si laquo dans ce qui se dit agrave partir dune uniteacute et

relativement agrave une uniteacute le premier est aussi universel du fait que pour les autres choses il est

541 Au moins jusquagrave un certain point ndash cf ci-dessous sect 312 et 313

542 Cf In Met 243 22 et 244 6

543 P Donini voit bien que ce principe sapplique dans lidentification de la science de la substance agrave cellede la substance premiegravere Mais ce raisonnement vaut aussi et dabord entre la science de leacutetant en tantqueacutetant et celle de la substance

544 Aristote Met E 1 1026a 30-31 laquo καὶ καθόλου οὕτως ὅτι πρώτη raquo

285

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

lui-mecircme cause de leur ecirctre raquo alors il est logique que la premiegravere science fonde la scientificiteacute des

autres sciences Degraves lors enfin si Alexandre se trouve agrave lorigine du concept de metaphysica

generalis cest de faccedilon extrecircmement lointaine lExeacutegegravete sefforce encore de penser luniteacute ou

larticulation de ce que les concepts de metaphysica generalis et specialis vont preacuteciseacutement

disjoindre

d) Ontologie ousiologie et theacuteologie

Pour finir de fonder totalement cette interpreacutetation il faut justifier ce qui nest pas

totalement explicite dans notre premier texte agrave savoir que la meacutetaphysique inclut en reacutealiteacute trois

moments ou trois programmes principaux qui progressent entre eux via une certaine lecture de la

relation πρὸς ἕν comme faisant le lien entre le niveau pseudo-geacuteneacuterique et la premiegravere pseudo-

espegravece Agrave savoir donc que la meacutetaphysique recouvre science universelle de leacutetant en tant

queacutetant eacutetude de la substance et de ses principes eacutetude de la substance premiegravere et divine Une

preacutecision dembleacutee nous disons bien laquo programmes principaux raquo la meacutetaphysique a aussi agrave

eacutetudier lun les preacutedicats dialectiques (mecircme autre diffeacuterent etc) les axiomes ou la forme

substantielle Mais lun les proprieacuteteacutes par soi de lun les axiomes relegravevent explicitement de

leacutetude universelle de leacutetant en tant queacutetant la forme substantielle par exemple relegraveve de

leacutetude de la substance

On pourrait ainsi nous reprocher de tirer trop de choses du texte 1 qui renvoie agrave une

dualiteacute et ne semble pas faire eacutetat de trois programmes principaux de la meacutetaphysique Pour

reacutepondre agrave cette objection on notera dabord que le texte 2 preacutesente quant agrave lui ces trois

programmes Quon se remeacutemore la progression de son premier moment

hellip dans tous les cas la science de ces choses est eacuteminemment science du premier dont lereste deacutepend et agrave cause duquel le reste est appeleacute eacutetant ltalors puisque la philosophieporte sur leacutetantgt la philosophie ltsera eacuteminemmentgt science de la substance car celle-ciest eacuteminemment un eacutetant Et puisquil y a plusieurs substances alors la science qui portesur la substance (comme on a vu cest la philosophie) ltcette sciencegt qui est une par legenre aura autant de parties et despegraveces quil y a de substances Et de mecircme que parmiles substances les unes sont premiegraveres et les autres secondes il y aura de mecircme unephilosophie premiegravere et une autre seconde et posteacuterieure agrave la premiegravere selon lordre dansles substances (250 25-32)

Les trois programmes sont bien science de leacutetant en tant queacutetant science de la

286

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

substance et science de la substance premiegravere La chose est confirmeacutee par notre texte 3 ougrave

Alexandre reprend ces trois eacutetapes dans un ordre inverseacute qui va vers luniversaliteacute la plus

grande

En revanche sera premiegravere celle qui eacutetudie les substances premiegraveres et celle qui lteacutetudiegtuniversellement toute substance et toutes ces choses qui sont elles aussi des eacutetants parcequelles sont quelque chose de la substance (266 6-8)

On pourrait toutefois modifier et renforcer lobjection si la meacutetaphysique est laquo agrave la fois

universelle et premiegravere raquo encore faut-il savoir de quelle universaliteacute lon parle Une interpreacutetation

possible serait de comprendre que pour Alexandre le projet dune science geacuteneacuterale de leacutetant est

accompli inteacutegralement par leacutetude de la substance laquelle ne pourrait ecirctre accomplie quune

fois reacuteduite agrave leacutetude de la substance premiegravere La mention alexandrinienne dune science de la

substance geacuteneacuteriquement une ne vaudrait que comme nom commun aux diverses sciences des

substances (philosophies premiegravere et seconde) une classe deacutepourvue de toute consistance

eacutepisteacutemique Loin decirctre une science autonome cette eacutetude de la substance ne serait quune

cateacutegorie geacuteneacuterale

En clair ce serait la theacuteologie qui ressaisirait in fine lensemble des programmes deacutevolus agrave

la meacutetaphysique le projet dune science de leacutetant en tant queacutetant neacutecessiterait le projet dune

science de la substance laquelle agrave son tour ne se verrait concregravetement effectueacutee dans la

theacuteologie Luniversaliteacute de la philosophie premiegravere ne serait donc quindirecte par conseacutequence

Le niveau geacuteneacuterique est-il donc agrave chaque fois inteacutegralement absorbeacute par sa premiegravere pseudo-

espegravece et jusquougrave va lidentification entre les deux niveaux lidentiteacute ou larticulation

Lenjeu est donc aussi de savoir comment Alexandre reacutesout la troisiegraveme aporie de B sur

luniteacute de leacutetude de la substance Selon P Donini la reacutesolution de la deuxiegraveme aporie de B (sur

leacutetude des principes de la substance et de ceux de la deacutemonstration) se ferait indeacuteniablement au

profit dune solution unitaire (texte 3) En revanche les pages 246 et 251 proposeraient des

solutions non unitaires aux troisiegraveme (y a-t-il une science pour toutes les substances ) et

quatriegraveme apories (la science des substances eacutetudie-t-elle aussi leurs proprieacuteteacutes essentielles

etc )545

En plusieurs passages lon retrouve en effet luniversaliteacute par conseacutequence que nous

avions vue agrave lœuvre en particulier dans le commentaire agrave A Alexandre semble construire des

545 P Donini [2003] p 41 (partie absente de la version franccedilaise de larticle)

287

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

raisonnements du type cest en connaissant la substance que le philosophe premier connaicirctra

tous les eacutetants puisquils deacuterivent delle et quelle est la cause de leur ecirctre546 Cependant la

deacutependance ontique des accidents (agrave savoir tous les autres eacutetants) agrave la substance implique

neacutecessairement la reacuteduction du champ deacutetude du sage Les textes dAlexandre (par exemple In

Met 9 8-16 ou 134 7-14) qui semblent tirer luniversaliteacute de la meacutetaphysique vers une

universaliteacute indirecte ou par conseacutequence reposent tous sur la thegravese de la transitiviteacute causale des

principes de la substance (les principes de la substance sont en un sens principes de tous les

eacutetants parce que la substance est cause de lecirctre du reste des eacutetants) Or ce schegraveme est

parfaitement compatible avec une universaliteacute intrinsegraveque dessinant plutocirct que la voie dune

reacuteduction (celle de lontologie geacuteneacuterale agrave lousiologie) un programme de recherches coordonnant

ontologie ousiologie et theacuteologie

Lenquecircte sur la substance ne deacutelivre en effet pas le philosophe de la neacutecessiteacute de

conduire une enquecircte sur leacutetant en tant queacutetant et ses proprieacuteteacutes essentielles Alexandre le dit au

moins une fois

Apregraves avoir dit que cest au philosophe quil incombe de connaicirctre les principes et lescauses des substances il montre que son eacutetude porte non seulement sur la substance maisaussi de faccedilon universelle sur la totaliteacute de leacutetant en tant queacutetant547

La proposition pourrait encore paraicirctre ambigueuml si elle eacutetait lue comme indiquant la voie

dune universaliteacute par conseacutequence Mais cest parce quelle traite de tous les eacutetants ou

universellement de leacutetant en tant queacutetant que cette science eacutetudie eacutegalement les preacutedicats

dialectiques et tous les contraires (et reacuteciproquement comme on la vu dans le proegraveme) sans quil

soit alors fait mention de la substance548 Et que la science de leacutetant en tant queacutetant soit

universelle et commune implique quelle eacutetudie agrave la fois (τε καὶ) la substance et laquo ce qui a lecirctre

546 Cf 244 20 sq En 245 12-16 le passage est plus ambigu laquo ἐπεὶ τοίνυν καὶ τὸ ὂν μιᾶς φύσεωςκεκοινώνηκε καθὸ ὄν (τοιοῦτον γὰρ ἐδείχθη) οὗ τὸ θεωρεῖν περὶ τῆς οὐσίας τούτου καὶ περὶπαντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ἔσται τὸ θεωρεῖν ὥστε εἰ ἡ σοφία περὶ τὴν οὐσίαν τε καὶ τὰς τῆς οὐσίαςἀρχάς καὶ περὶ πάντα τὰ ὄντα καὶ τὰς πάντων ἀρχὰς ἂν εἴη raquo avec le jeu des καὶ qui laisse assezouverte linterpreacutetation soit le sage devra laquo aussi raquo cest-agrave-dire en outre connaicirctre leacutetant en tantqueacutetant donc lontologie ne se reacuteduit pas agrave lousiologie soit en ayant pour objet premier la substanceet ses principes le sage connaicirctre aussi par lagrave-mecircme sans effort suppleacutementaire si lon peut dire parconseacutequence leacutetant en tant queacutetant

547 In Met 244 32-34 laquo εἰπὼν δὲ ὅτι τοῦ φιλοσόφου ἐστὶ τὸ τῶν οὐσιῶν εἰδέναι τὰς ἀρχὰς καὶ τὰςαἰτίας ὅτι μὴ μόνον περὶ τῆς οὐσίας αὐτῷ ἡ πραγματεία ἀλλὰ καὶ καθόλου περὶ παντὸς τοῦ ὄντοςᾗ ὄν raquo

548 Cf aussi 252 1-16

288

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

agrave partir de la substance raquo549 Tous ces passages tissent une voie nette

Cest ce que montrent eacutegalement les passages preacuteceacutedant notre texte 1 dans le

commentaire agrave 1003b 16-17 Alexandre vient deacutetablir que dans le cas des choses dites ἀφ ἑνός τε

καὶ πρὸς ἕν la science qui les eacutetudie est laquo eacuteminemment et au plus haut point raquo (κυρίως καὶ

μάλιστά 244 13) science du premier Lontologie se transforme donc pour les besoins de la

cause en ousiologie en science des laquo principes et des causes des substances raquo dans des formules

et pour des raisons identiques agrave celles que nous avons lues agrave la fin du commentaire agrave A 9550

Pourtant comme le souligne P Donini551 une ligne plus loin Alexandre reacuteaffirme la

nature laquo universelle raquo de la philosophie qui enquecircte sur leacutetant en tant queacutetant et neacutetudie pas un

eacutetant en particulier contrairement aux sciences partielles et conformeacutement agrave Γ 1 (244 21-28) P

Donini tente de rendre raison de ce revirement en renvoyant agrave la mention du laquo philosophe raquo dans

le texte dAristote (1003b 19) et non du sage ou du philosophe premier Toutefois comme nous

lavons montreacute plus haut pour Alexandre la laquo philosophie premiegravere raquo peut tout agrave fait deacutesigner la

philosophie universelle la science de leacutetant en tant queacutetant lexplication ne tient donc pas Il y a

degraves lors deux possibiliteacutes ou bien le texte dAlexandre teacutemoigne dune tension et dune

heacutesitation entre deux conceptions de la philosophie premiegravere (comme ontologie et comme

ousiologie) ou bien plus charitable il ny a pas pour lAphrodisien de reacuteelle diffeacuterence de nature

entre les deux et lousiologie vient compleacuteter et parachever lenquecircte universelle sur leacutetant mais

non pas la reacuteduire Cest en tout cas au mecircme laquo philosophe raquo quil revient deffectuer ces

enquecirctes Contre Donini cette seconde lecture a notre preacutefeacuterence ainsi interpreacuteteacute en effet le

passage reacuteaffirme au contraire la mecircme ligne ie luniteacute de la meacutetaphysique Le passage suivant

(244 31 ndash 245 19) qui commente 1003b 19-21 ne procegravede alors pas agrave un laquo retour raquo agrave la perspective

549 In Met 257 6-9 laquo ἐπιφέρει τὸ τῆς αὐτῆς εἶναι περί τε τούτων ἃ ἀπὸ τῆς οὐσίας τὸ εἶναι ἔχει καὶπερὶ τῆς οὐσίας ἔχειν ἐπιστήμην raquo Comme le note A Madigan ([1993] n 169) laquo αὐτῆς raquo anticipeprobablement sur la laquo πραγματεία τῷ φιλοσόφῳ raquo qui suit immeacutediatement Cette philosophie estneacutecessairement la science de leacutetant en tant queacutetant cf 257 11 (laquo περὶ πάντων τῶν ὄντων raquo) et dans lecommentaire suivant en 257 22-25 laquo οὐδὲ γὰρ γεωμέτρου οὔτε μουσικοῦ οὔτ ἄλλου τινὸςἐπιστήμην ἔχοντός τινα ἄλλην παρὰ τὴν τοῦ ὄντος ᾗ ὄν τὸ διαλαβεῖν καὶ ἰδεῖν πότερον ταὐτόνἐστιν ἡ οὐσία ἁπλῶς λαμβανομένη καὶ μετά τινος συμβεβηκότος ἢ ἕτερον raquo

550 Comparer avec In Met 244 20-23 laquo τὴν δὲ οὐσίαν τοιοῦτον λέγουσιν ἐκ ταύτης γὰρ ἤρτηται τὸ εἶναι τῶνἄλλων καὶ διὰ ταύτην ὄντα κἀκεῖνα τῶν οὐσιῶν ἄρα τὰς ἀρχὰς καὶ τὰς αἰτίας ζητητέον τῷ φιλοσόφῳᾧ ἡ πραγματεία περὶ τὸ ὂν ᾗ ὄν raquo avec 134 10-14 laquo Ἀλλεἰσὶν αἱ ζητούμεναι ὑπ αὐτοῦ τοῦ ὄντος ᾗ ὂνἀρχαὶ κοιναὶ πάντων ἀρχαὶ αὗται ἀλλαἱ τῆς οὐσίας οὐκ οὖσαι ὁμοίως καὶ τῶν ἄλλων τῶν παρὰ τὴνοὐσίαν ὄντων ἀρχαί γίγνονταί πως κἀκείνων ἀρχαὶ τῷ καὶ τῶν ἄλλων τῶν ὄντων ἕκαστον παρὰ τῆςοὐσίας τὸ εἶναι ἔχειν raquo

551 P Donini [2003] p 21-22 ndash ce passage est absent de la version franccedilaise de larticle

289

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

unitaire comme le dit Donini552 mais agrave sa prolongation quand il affirme

Ἐπεὶ τοίνυν καὶ τὸ ὂν μιᾶς φύσεωςκεκοινώνηκε καθὸ ὄν (τοιοῦτον γὰρἐδείχθη) οὗ τὸ θεωρεῖν περὶ τῆς οὐσίαςτούτου καὶ περὶ παντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ἔσταιτὸ θεωρεῖν Ὥστε εἰ ἡ σοφία περὶ τὴν οὐσίαντε καὶ [24515] τὰς τῆς οὐσίας ἀρχάς καὶ περὶπάντα τὰ ὄντα καὶ τὰς πάντων ἀρχὰς ἂν εἴηἯς δὲ περὶ πᾶν τὸ ὂν ἡ πραγματεία ταύτηςκαὶ τὸ εἰδέναι πόσα εἴδη τοῦ ὄντος τουτέστιπόσα γένη τοῦ γὰρ εἰδότος τινὰ τὸ καὶ τὴνδιαφορὰν αὐτῶν εἰδέναι τὴν πρὸς ἄλληλα ὁγὰρ τὰ μὴ ταὐτὰ τὰ αὐτὰ ἀλλήλοιςἡγούμενος οὐδ ἂν τὴν ἀρχὴν εἰδείη τιαὐτῶν

Degraves lors puisque leacutetant dans la mesure ougrave il esten vient agrave partager une nature une (on a effet montreacutequil est ainsi553) celui agrave qui il appartient deacutetudier lasubstance il lui reviendra aussi deacutetudier tout leacutetanten tant queacutetant Ainsi si cest la sagesse qui soccupede la substance et des principes de la substance ellesoccupera aussi de tous les eacutetants et de leursprincipes agrave tous Mais la science agrave qui il appartient detraiter de leacutetant en totaliteacute il lui appartient aussi deconnaicirctre le nombre des espegraveces de leacutetant cest-agrave-direle nombre de ses genres car celui qui connaicirctcertaines choses il lui appartient aussi de connaicirctreles diffeacuterences de ces choses entre elles Celui en effetqui jugerait identiques des choses qui ne le sont pasne connaicirctrait absolument aucune de ces choses

(245 12-19)

Contrairement agrave ce que sous-entend Donini ce passage ne permet pas dinfeacuterer que la

reacutesolution du problegraveme dune science de leacutetant en tant queacutetant implique sa dissolution dans

lousiologie Aux yeux dAlexandre il ny a pas plus de contradiction ici que dans le commentaire

preacuteceacutedent agrave 1003b 16 Certes comme le dit Donini554 la deuxiegraveme partie du passage (245 16-19)

preacutepare certainement le commentaire suivant agrave 1003b 21-22 (ie notre texte 1) Mais la reacutepeacutetition

de la mecircme dualiteacute que dans le commentaire preacuteceacutedent et son deacuteveloppement dans le suivant

sont bien ecirctre les indices de la thegravese unitaire dAlexandre plutocirct que la marque de ses heacutesitations

Un test simple peut ecirctre fait si toutes les proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant saveacuteraient

selon Alexandre reacuteductibles aux proprieacuteteacutes de la substance la dissolution de la science de leacutetant

en tant queacutetant dans lenquecircte sur la substance semblerait ineacutevitable W Leszl a qualifieacute cette

position de laquo deacuteductionniste raquo555 Alexandre dans son commentaire agrave 1004a 22 a dabord lair de

ceacuteder agrave cette position en disant que le mecircme le semblable et leacutegal se reacutefegraverent agrave une uniteacute

(laquo πάντα γὰρ ταῦτα πρὸς ἕν τι τὴν ἀναφορὰν ἔχει raquo 255 25) agrave savoir la substance qui est

eacuteminemment une Mais la suite du commentaire permet de preacuteciser que leacutetude des preacutedicats

dialectiques et de leurs contraires ne se restreint pas agrave ceux de la substance parce que cette eacutetude

552 P Donini [2003] p 23

553 Sans doute dans les commentaires agrave 1003b 5-15 Voir Donini [2003] p 24 et la n 36 sur la traduction deτοιοῦτον

554 P Donini [2003] p 24

555 W Leszl [1975] p 181

290

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

implique eacutegalement deacutetudier la relation des autres eacutetants agrave la substance Par exemple dit

Alexandre en prenant pour objet ce qui est dit laquo mecircme que raquo (ou laquo identique agrave raquo si lon preacutefegravere) il

faut se reacutefeacuterer agrave ce qui est dit laquo mecircme raquo au sens propre ou eacuteminemment et montrer comment

lidentiteacute des autres choses que la substance se reacutefegravere agrave lidentiteacute substantielle556 Aussi forte que

soit la reacutefeacuterence agrave la substance elle nest manifestement pas exclusive Alexandre le reacutepegravete agrave au

moins deux reprises et compare ce qui se passe pour ces preacutedicats avec ce qui se passe pour

leacutetant il sagit de montrer comment tous les eacutetants autres que la substance sont des eacutetants en

vertu de la substance et plus geacuteneacuteralement comment de tels preacutedicats sappliquent dans les cas

secondaires agrave partir du premier dentre eux557 Leacutetude des eacutetants non-substantiels est clairement

orienteacutee vers celle de la substance mais non pas subrogeacutee par elle

On comprend alors pourquoi Alexandre peut preacutesenter deux interpreacutetations

concurrentes mais selon lui compatibles agrave la proposition de 1004b 29-30

Presque tous saccordent agrave penser que les eacutetants et la substance sont composeacutes decontraires

Pour paraphraser la premiegravere interpreacutetation le philosophe eacutetudie la substance donc ses

principes et ses eacuteleacutements parmi lesquels figurent les contraires558 donc il eacutetudie les contraires Et

Alexandre enchaicircne si les eacutetants sont composeacutes de contraires et que ceux-ci sont reacuteductibles agrave

lun et au multiple alors celui qui eacutetudie lun et le multiple eacutetudiera aussi les contraires et si le

philosophe eacutetudie les contraires il eacutetudie leacutetant puisque les contraires en sont les principes et

queacutetudier ces principes cest eacutetudier ce dont ils sont principes

La seconde interpreacutetation part quant agrave elle non pas des contraires mais de la science de

leacutetant en tant queacutetant qui doit donc aussi eacutetudier les eacuteleacutements de leacutetant parmi lesquels les

contraires559 Les raisonnements ont ceci de remarquable quAlexandre peut passer de la

556 In Met 255 35 ndash 256 4 laquo ὥστε ἐπεὶ καὶ ταῦτα τῷ ὄντι ὁμοίως τῶν πλεοναχῶς λεγομένων ὡςἀφἑνὸς καὶ πρὸς ἕν χρὴ διαιρουμένους καὶ λαμβάνοντας καθ ἕκαστον αὐτῶν τὸ κυρίως τοιοῦτοντἆλλα δεικνύναι κατὰ τί ἀπ ἐκείνου καὶ ταῦτα οὕτω λέγεται οἷον καθ ὅσων τὸ ταὐτὸνκατηγορεῖται λαβόντας πρὸς τὸ κυρίως ταὐτόν τουτέστι τὸ ἐν οὐσίᾳ τὴν τῶν ἄλλων ἀναφορὰνποιεῖσθαι δεικνύντας τῷ τί ἐκείνου εἶναι καὶ τούτων ἕκαστον ταὐτὸν λέγεται πάλιν τὸ ἕτερονεἶτα τὸ ὅμοιον καὶ τὸ ἀνόμοιον καὶ τὰ ἄλλα οὕτως raquo

557 In Met 256 15-18 laquo ὡς γὰρ περὶ τοῦ ὄντος λέγοντες λαβόντες τὸ κυρίως εἶναι τὴν οὐσίαν ἓνἕκαστον τῶν ἄλλων ὧν τὸ ὂν κατηγορεῖται δείκνυμεν ὂν ἢ τῷ πάθος εἶναι τῆς οὐσίας ἢ τῷγένεσιν ἢ τῷ ἐνέργειαν ἢ τῷ ἄλλο τι οὕτω φησὶ δεῖν καὶ ἐπὶ τούτων ποιεῖν raquo et de faccedilon reacutesumeacutee etplus geacuteneacuterale en 256 20-23

558 Cf aussi agrave ce sujet la Quaestio I 16

559 In Met 261 30 ndash 262 3

291

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

substance agrave leacutetant sans agrave-coup et le pheacutenomegravene samplifie dans les lignes suivantes agrave la faveur

du couple laquo τὰ δ ὄντα καὶ τὴν οὐσίαν raquo en 1004b 29-30

La science de leacutetant en tant queacutetant eacutetudie donc aussi bien les eacuteleacutements de la substance

que ceux des eacutetants en geacuteneacuteral560 et ce nest pas parce que son eacutetude porte eacuteminemment sur le

premier eacutetant quelle sy reacuteduit Il en va de mecircme pour la progression dune enquecircte sur la

substance vers une enquecircte sur la substance premiegravere Leacutetude de la substance nest pas quune

cateacutegorie geacuteneacuterale qui ne laisserait au philosophe premier comme tacircche effective que leacutetude de

la substance premiegravere Lenquecircte sur la substance constitue une eacutetude agrave part entiegravere Certes en

251 7-9 Alexandre disait

Cela se trouvait aussi dans Les Difficulteacutes comme je lai deacutejagrave dit avant ltla difficulteacute desavoirgt si cest une unique ltsciencegt qui porte sur toutes les substances ou si elles sontplusieurs et si elles sont plusieurs si elles sont de mecircme genre En effet Aristote a montreacutequelles sont plusieurs mais dans lideacutee quelles sont toutes sous la philosophie qui est unepar le genre

Toutefois le texte neacuteclate pas la science de la substance en plusieurs genres distincts

puisque la pluraliteacute des sortes de substances nempecircche pas luniteacute de leur eacutetude Alexandre sait

quil ny a pas une seule nature (il ne dit pas ici laquo genre raquo) de la substance ndash comme il le reacutepeacutetera

par exemple en 267 29-32

Les unes sont incorporelles les autres corporelles et les unes immobiles les autresmobiles et les unes ingeacuteneacutereacutees les autres dans la geacuteneacuteration et les unes animeacutees les autressans acircmes

Mais cela nempecircche pas que la philosophie premiegravere ait agrave enquecircter sur la substance en

geacuteneacuteral et ses principes Alexandre laffirme trop souvent pour que agrave chaque fois il faille sous-

entendre quen fait il ne sagirait que de la substance premiegravere eacuteternelle et divine LExeacutegegravete

malgreacute quen ait P Donini la dit bien avant notre texte 3 par exemple en 246 9-10 et deacutejagrave en 245

14-15 dans le commentaire agrave 1003b 19

Ainsi si cest la sagesse qui soccupe de la substance et des principes de la substance ellesoccupera aussi de tous les eacutetants et de tous leurs principes

Cest en outre ce qui fait la diffeacuterence entre le philosophe et le sophiste ce dernier ne

parle pas de la substance alors que le discours agrave son sujet est la tacircche laquo la plus propre au

560 In Met 262 24-26 (et la suite) laquo λαβὼν δὲ ὅτι καὶ τῶν ὄντων καὶ τῆς οὐσίας στοιχεῖα τὰ ἐναντίαδῆλόν φησι καὶ ἐκ τούτων εἶναι ὅτι μιᾶς ἐστιν ἐπιστήμης ἡ περὶ τοῦ ὄντος ᾗ ὂν θεωρία raquo

292

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

philosophe raquo561 Alexandre parle-t-il ici de tout philosophe y compris le physicien Ce serait faire

fi de lacquis du commentaire preacuteceacutedent agrave 1004b 1 le philosophe (lagrave encore sans speacutecification

mais neacutecessairement le premier) eacutetudie la substance et ses accidents et le mecircme lautre etc car

cette eacutetude nincombe agrave aucune autre science ni la geacuteomeacutetrie ni la musique ni la physique mais

seulement agrave celle qui eacutetudie universellement leacutetant en tant queacutetant562 Or dans le commentaire agrave

1004b 8 le laquo philosophe raquo est aussi deacutesigneacute comme celui qui eacutetudie la substance et ses attributs et

par lagrave laquo les contraires et les opposeacutes les choses dites en plusieurs sens les accidents etc raquo (258

29-28) dont parlent aussi les sophistes mais sans leur reacutefeacuterence neacutecessaire agrave la substance

Enfin Alexandre le reacutepeacutetera en toutes lettres justement dans le commentaire agrave Γ 3 1005b

5-7 quand il commente la difficile formule que nous avons deacutejagrave lue selon laquelle le philosophe

eacutetudie toute la substance laquo ᾗ πέφυκεν raquo Le commentaire propose en reacutealiteacute deux interpreacutetations

possibles soit le philosophie premier563 eacutetudie la substance laquo universellement ndash et non pas cette

substance-ci ou cette substance-lagrave raquo cest-agrave-dire aussi quil eacutetudie laquo universellement quelle est la

nature de la substance raquo564 soit il eacutetudie la nature de chaque espegravece de substance La premiegravere

interpreacutetation vient donc conforter lideacutee quil y a dans la meacutetaphysique une eacutetude geacuteneacuterale de la

substantialiteacute tandis que la seconde se fonde sur la diffeacuterence de nature des substances

conformeacutement au commentaire de la troisiegraveme aporie de B565 Alexandre prescrirait alors au

philosophe un programme deacutetude qui pourrait se deacutecliner en une eacutetude de la substantialiteacute des

substances secondes mobiles (eacutetude qui nest pas la physique mais qui a pour objet les principes

561 In Met 258 26-27 laquo Λέγει δὲ περὶ τῶν σοφιστῶν οἳ ὑποδυόμενοι τὸ φιλοσόφου ὄνομα περὶ τῆςοὐσίας περὶ ἧς οἰκειότατος καὶ προηγούμενος ὁ λόγος τῷ φιλοσόφῳ raquo

562 In Met 257 19 ndash 258 24

563 On a vu ci-dessus comment le laquo philosophe raquo pouvait chez Alexandre deacutesigner strictement laquo lephilosophe premier raquo Il est ici clair que cest le meacutetaphysicien qui est concerneacute puisquil lui incomberaaussi dans la suite du commentaire agrave 1005b 5-7 deacutetudier les principes du syllogisme lesquels nepeuvent faire lobjet daucune science reacutegionale

564 In Met 267 24-29 juste avant quAlexandre ne rappelle cependant quil y a diffeacuterentes sortes desubstances raquo Ἤτοι ltπερὶ πάσης οὐσίαςgt εἶπεν ἀντὶ τοῦ περὶ παντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὄν ἢ καὶ ltπερὶπάσης οὐσίαςgt ὅτι καὶ ἡ περὶ τοῦ ὄντος ἐπιστήμη περὶ οὐσίας ἐστὶ μάλιστα κυριώτατον γὰρ τοῦτοἐν τοῖς οὖσιν ὡς ἐρρέθη καὶ πρὸς τοῦτο τἆλλα τὸ δὲ περὶ ltπάσηςgt οὐσίας ἴσον ἐστὶ τῷ καθόλουπερὶ οὐσίας ἀλλ οὐ τῆσδε ἢ τῆσδε τὸ δὲ ltᾗ πέφυκεgt σημαίνοι ἂν ἤτοι θεωροῦντος τίς καθόλουφύσις οὐσίας ἢ τίς ἡ φύσις ἑκάστης οὐσίας raquo

565 Voir In Met 191 15 ndash 194 7

293

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

de la substance naturelle566) et une eacutetude de la substance premiegravere eacuteternelle et divine567

Toutefois si lon table sur la coheacuterence de ce passage avec notre troisiegraveme texte selon

lequel la philosophie premiegravere eacutetudie laquo καθόλου περὶ πάσης οὐσίας raquo alors il faut en conclure

que cest la premiegravere interpreacutetation de ce passage de Γ 3 qui a la faveur dAlexandre Cela

rendrait raison des nombreux passages ougrave lExeacutegegravete attribue effectivement agrave la meacutetaphysique

deacutetudier laquo la substance raquo (sans preacuteciser) et laquo les principes et les causes de la substance raquo568 Ceci

est coheacuterent avec le fait quailleurs (nos textes 1 et 2) Alexandre ne mentionne une heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute

des substances et une reacutesolution non unitaire de la troisiegraveme aporie que pour fonder la

distinction entre philosophies premiegravere et seconde la physique a en propre deacutetudier les

substances mobiles en tant que mobiles tandis que les substances premiegraveres ne peuvent queacutechoir

agrave la philosophie premiegravere

Mais cette thegravese ninterdit pas que justement parce quelle peut aussi enquecircter sur les

substances premiegraveres la philosophie premiegravere (contrairement agrave la physique des anciens) soit en

mesure de conduire une eacutetude sur lensemble du champ de la substantialiteacute sur la transversaliteacute

analogique des principes des substances569 Sans cela on est exposeacute agrave reacuteduire les passages citeacutes

sur une eacutetude laquo καθόλου raquo de la substance agrave des erreurs de parcours Mais il faut alors distinguer

entre le refus dune science geacuteneacuterale des substances qui reacuteduirait la physique agrave necirctre quune

566 Cette interpreacutetation pourrait sautoriser du ceacutelegravebre passage de Met Z 15 1037a 14-16 qui esquisse uneeacutetude de la substance sensible scindeacutee entre la philosophie premiegravere et laquo dune certaine maniegravere raquo aussila philosophie seconde (laquo ἐπεὶ τρόπον τινὰ τῆς φυσικῆς καὶ δευτέρας φιλοσοφίας ἔργον ἡ περὶ τὰςαἰσθητὰς οὐσίας θεωρία raquo) quoique que nous nen disposions pas de traces En revanche leteacutemoignage dAverroegraves sur le commentaire dAlexandre agrave Λ 1 1069a 36 ndash 1069b 2 va bien dans ce sensAverroegraves critique lopinion dAlexandre selon laquelle la physique recevrait ses principes de laphilosophie premiegravere (Freudenthal Fr 6 et 7 Bouyges p 1429-1430)

567 On pourrait davantage fonder cette interpreacutetation si lon posseacutedait par exemple le commentairedAlexandre agrave Z 2

568 Outre les passages citeacutes ci-dessus voir aussi 244 17-23 laquo καὶ περὶ τοῦ ὄντος δὴ παντός ἐπεὶ τῆςαὐτῆς ἐστι φύσεως τὸ ὄν μία μὲν ἐπιστήμη αὕτη δὲ μάλιστα ἐπὶ τοῦ πρώτου καὶ κυρίως ὄντοςἔσται δι ὃ καὶ τὰ ἄλλα ὄντα τὴν δὲ οὐσίαν τοιοῦτον λέγουσιν ἐκ ταύτης γὰρ ἤρτηται τὸ εἶναι τῶνἄλλων καὶ διὰ ταύτην ὄντα κἀκεῖνα τῶν οὐσιῶν ἄρα τὰς ἀρχὰς καὶ τὰς αἰτίας ζητητέον τῷφιλοσόφῳ ᾧ ἡ πραγματεία περὶ τὸ ὂν ᾗ ὄν raquo Et peu apregraves 244 32-24 laquo εἰπὼν δὲ ὅτι τοῦφιλοσόφου ἐστὶ τὸ τῶν οὐσιῶν εἰδέναι τὰς ἀρχὰς καὶ τὰς αἰτίας ὅτι μὴ μόνον περὶ τῆς οὐσίαςαὐτῷ ἡ πραγματεία ἀλλὰ καὶ καθόλου περὶ παντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὄν raquo La substance est certesabsente des objets deacutevolus agrave la sagesse dans le proegraveme mais celui-ci tente clairement deacutetendre aumaximum lextension de lobjet du philosophe premier pour justifier son eacutetude de leacutetant en totaliteacute

569 La phrase de 266 7-8 quon a deacutejagrave citeacutee part de fait des substances premiegraveres pour en infeacutererluniversaliteacute de la philosophie premiegravere comme eacutetude de la substance en geacuteneacuteral et in fine de touteacutetant (laquo πρώτη δ ἂν εἴη ἥ τε περὶ τῶν πρώτων οὐσιῶν θεωροῦσα καὶ ἡ καθόλου περὶ πάσης οὐσίαςκαὶ τῶν τῷ αὐτῆς τι εἶναι ὄντων καὶ αὐτῶν raquo)

294

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

province de la meacutetaphysique (ce qui est impossible) et ladheacutesion agrave une eacutetude universelle de la

substance qui ne peut eacutechoir quagrave la philosophie premiegravere et qui nempecircche pas que la physique

constitue une science autonome Ceci est confirmeacute par le teacutemoignage dAverroegraves sur le

commentaire dAlexandre agrave Λ 1 1069a 36 ndash 1069b 2570 Averroegraves y preacutesente deux thegraveses

dAlexandre les substances mobiles (eacuteternelles ou corruptibles) font lobjet de la physique mais

il revient agrave la philosophie premiegravere deacutetudier agrave la fois la substance eacuteternelle et les principes de la

substance naturelle La position dune physique nempecircche pas que ses principes (on songe agrave la

forme substantielle) fassent lobjet de la meacutetaphysique571

De ce point de vue les deux interpreacutetations proposeacutees pour ce passage de Γ 3 ne sont pas

si incompatibles que cela la seconde interpreacutetation maintient une ambition duniversaliteacute dans

lemploi de laquo ἑκάστης raquo (267 29) dans laquo τίς ἡ φύσις ἑκάστης οὐσίας raquo (sous-entendu

laquo θεωροῦντος raquo) Alexandre prescrit donc bien agrave la meacutetaphysique une enquecircte sur la substance

en geacuteneacuteral qui ne se reacuteduit pas agrave une enquecircte sur les substances premiegraveres et divines mais eacutetudie

aussi les substances les plus communes De mecircme que lenquecircte sur la substance nempecircche pas

que le philosophe premier doive conduire une enquecircte sur leacutetant en tant queacutetant de mecircme

leacutetude de la substance premiegravere ne reprend pas inteacutegralement le projet dune enquecircte geacuteneacuterale

sur la substance (sinon Alexandre ne dirait mecircme pas que le philosophe enquecircte sur laquo les

substances premiegraveres et universellement toute la substance raquo 266 7-8)

Si donc lon imagine comme le fait P Donini un scheacutema dans lequel sous la philosophie

laquo geacuteneacuterique raquo et universelle (la science de leacutetant en tant queacutetant) figure une premiegravere espegravece

(leacutetude de la substance) en fonction de la division des cateacutegories puis sous cette premiegravere

espegravece une sous-espegravece leacutetude de la substance premiegravere en fonction de lordre des substances

alors la thegravese unitarienne nous contraint agrave rassembler le niveau geacuteneacuterique et les premiers niveaux

speacutecifique et sous-speacutecifique laquo La mecircme ltphilosophiegt devient premiegravere de deux faccedilons raquo (266

8-9) Elle est dabord premiegravere du fait de son objet les substances premiegraveres (qui sont tregraves

probablement les mecircmes que celles dont parle le deuxiegraveme texte incorporelles immobiles

570 Freudenthal Fr 6 et 7 Bouyges p 1429-1430 On revient sur le plan de la Meacutetaphysique donneacute parAverroegraves dans la conclusion ci-dessous

571 La position est certes discutable au motif de lautonomie des sciences et du fait quen reacutegimearistoteacutelicien la science de x est science des principes de x ndash le Cordouan ne se prive pas de critiquerAlexandre sur ce point (cf Bouyges p 1429)

295

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

etc572) Alexandre deacuteveloppe en outre cette primauteacute via luniversaliteacute par conseacutequence (laquo celle

qui eacutetudie les substances premiegraveres eacutetudie aussi tout ce dont lecirctre deacutepend des substances

premiegraveres raquo) Mais elle est aussi premiegravere parce que eacutetudiant laquo en geacuteneacuteral leacutetant en tant

queacutetant raquo elle doit eacutetudier le premier eacutetant la substance Dans notre texte 3 lExeacutegegravete suit un

ordre qui fait le va-et-vient entre les trois niveaux distingueacutes par P Donini (geacuteneacuterique premiegravere

espegravece premiegravere sous-espegravece) sans doute preacuteciseacutement parce que lenjeu est lunification ndash non

pas lidentiteacute sans meacutediation mais larticulation ndash de ces trois niveaux en tant quils sentre-

reacutepondent Toutefois telle eacutetait bien la thegravese dAlexandre degraves le deacutepart quoique peut-ecirctre son

eacutetablissement ne soit pas alleacute sans obscuriteacutes

243 Conclusions une structure laquo katholou-protologique raquo

Agrave notre sens la meacutetaphysique alexandrinienne est tout ce quen dit lExeacutegegravete science de

leacutetant en tant queacutetant cest-agrave-dire science universelle de leacutetant en totaliteacute science de la

substance donc573 de ses principes et ses causes science de la substance premiegravere eacuteternelle et

immobile En deacutepit de cette diversiteacute elle ne perd pas son uniteacute mais cette derniegravere est

complexe articuleacutee meacutedieacutee Gracircce agrave la structure du ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν luniteacute est agrave chaque

fois assureacutee par le mecircme principe de reconduction au premier agrave leacuteleacutement eacuteminent de lensemble

souvent baliseacutee dans le texte par les laquo μάλιστα καὶ πρώτως raquo ou laquo κυρίως raquo574

Leacutetude de leacutetant en tant queacutetant requiert comme son accomplissement celle du premier

eacutetant la substance leacutetude de la substance (de la substance en geacuteneacuteral ou des substances les plus

communes)575 requiert celle de la substance premiegravere Mais ce mouvement ne supprime pas la

neacutecessiteacute du moment geacuteneacuteral qui le preacutecegravede logiquement On pourra donc avec J-F Courtine

employer la meacutetaphore selon laquelle lontologie culmine dans ou avec la theacuteologie mais non pas

dire quil y aurait un mouvement de laquo reacuteduction ou ltdegt reconduction reacutesolue aussi immeacutediate

572 Cf P Donini [2005]

573 Il est tregraves probable que pour Alexandre connaicirctre les principes et les causes de x cest connaicirctre x etreacuteciproquement Voir In Met 10 23 ndash 11 2 et 261 37-38 Pour une discussion de cette question voir parexemple W Leszl [2010] p 214

574 Sur cet adverbe voir les remarques de W Leszl [1975] p 185-186

575 Selon lambiguiumlteacute que nous avons preacuteceacutedemment eacutenonceacutee agrave propos du commentaire agrave Γ 3 1005b 5-7

296

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

que possible de tout eacutetant jusquagrave un point sublime qui absorbe en lui tout le reste raquo576 selon ce

que nous avons vu il faut en reacutealiteacute distinguer reconduction et reacuteduction Si lon nopegravere pas une

telle distinction on sera alors neacutecessairement tenteacute de voir dans les textes dAlexandre laquo un

certain flottement raquo577 parce que agrave la diffeacuterence dAscleacutepius et Syrianus Alexandre ne va pas

aussi loin dans la theacuteologisation de la meacutetaphysique Nous avons au contraire essayeacute de montrer

comment malgreacute certaines heacutesitations lAphrodisien travaille agrave rassembler tous les aspects de la

science rechercheacutee par Aristote en maintenant le projet dune science universelle de leacutetant en

tant queacutetant

Ainsi deacutecrite la meacutetaphysique deacuteploie la double dimension leacutegueacutee par la dialectique

platonicienne agrave Aristote Elle remplit en outre fermement les enjeux que nous avons tenteacute de

deacutecrire dans la premiegravere partie Alexandre offre agrave la meacutetaphysique une place et une fonction dans

le scheacutema classique des sciences de son eacutepoque elle y trocircne eacutecarte la logique au rang

dinstrument voire selon les textes se linfeacuteode en linteacutegrant partiellement fonde la scientificiteacute

des autres savoirs et prend pour objet ce quaucune science partielle ne peut eacutetudier leacutetant en

tant queacutetant la substance la substance immobile et divine ou encore les axiomes et lun Enfin

par lagrave-mecircme Alexandre-commentateur garantit au traiteacute dAristote une uniteacute forte

On aura en effet compris que les trois niveaux distingueacutes ci-dessous correspondent selon

nous agrave la compreacutehension alexandrinienne du programme de la Meacutetaphysique La meacutetaphysique

comme science articuleacutee progresse comme progresse la Meacutetaphysique Apregraves les livres

introductifs qui en deacutemontrent la neacutecessiteacute et posent les difficulteacutes quelle doit reacutesoudre la

science tout en fondant ainsi sa propre possibiliteacute entre de plain pied dans son moment le plus

universel sur leacutetant en tant queacutetant ses proprieacuteteacutes essentielles le principe de non contradiction

et les divers plurivoques (Γ-Δ) La neacutecessiteacute de poursuivre par une enquecircte sur la substance en

geacuteneacuteral a eacuteteacute justifieacutee en Γ elle est remplie au moins en partie par les livres centraux

Pour la suite Averroegraves nous offre en effet un plan du traiteacute quil dit avoir puiseacute chez

Alexandre578 ndash quoiquil soit probable comme le dit C Genequand que le Commentateur y ait

576 J-F Courtine [2005] p 132-133 Ce mouvement de reacuteduction sera celui de lune des figures meacutedieacutevalesde la meacutetaphysique (cf O Boulnois [2001] p 390-393) celle du Guide de leacutetudiant selon lequel il fautreconduire au sens de reacuteduire leacutetant en tant queacutetant agrave leacutetant premier (laquo reduci habet raquo O Boulnois[2001] p 392)

577 J-F Courtine [2005] p 130

578 Cf Bouyges 1395 ndash 1405 (C Genequand [1986] p 60-65)

297

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ajouteacute des remarques de son fait579 Si lon sen tient aux grandes structures on aboutit aux

reacutesultats suivants Le livre Z (nommeacute geacuteneacuteralement Zāy) tel que deacutecrit par Averroegraves se donnerait

pour objectif leacutetude du laquo principe de leacutetant raquo agrave savoir la substance et donc celle de ses propres

principes ndash pour la substance prise dans le devenir il sagit de la forme et de la matiegravere (on

reconnaicirct ici le moment laquo physique raquo de Z) La conclusion de Z est que la forme est substance et

non les accidents ou les universaux Le livre H poursuit sur cette lanceacutee en eacutetudiant la part

respective de la forme et de la matiegravere dans le composeacute Averroegraves marque cependant une

diffeacuterence entre Z et H dune part et Θ de lautre ce dernier eacutelargirait le propos jusquici limiteacute

agrave la substance sensible580 en senqueacuterant des proprieacuteteacutes geacuteneacuterales de leacutetant en tant queacutetant agrave

savoir la puissance et lacte agrave quoi fait suite leacutetude de lun et du multiple autres proprieacuteteacutes de

leacutetant en tant queacutetant en I Le livre K (ici nommeacute Yā) enquecircte sur le mouvement et linfini mais

dun autre point de vue que celui du physicien Il sert aussi de reacutesumeacute des aporie de B et des

solutions qui y ont eacuteteacute apporteacutees dans les livres preacuteceacutedents581 Le livre Λ enfin poursuit leacutetude

de la substance sensible en reprenant les acquis de Z et H (cette fois-ci Wāw et Zāy) mais en se

proposant leacutetude de toutes les substances il en vient aux principes de la substance premiegravere

Aristote aurait ainsi laquo acheveacute raquo son enquecircte sur les laquo principes de tout eacutetant raquo En effet les deux

livres M et N napportent pas reacuteellement de nouveaux enseignements et nont de valeur que

reacutefutative Le livre Λ est le veacuteritable achegravevement de la Meacutetaphysique comme laurait dit Alexandre

selon le teacutemoignage dAverroegraves582 auquel nous avons donc maintenant toutes les raisons

daccorder creacutedit Lorientation theacuteologique de la meacutetaphysique ne veut donc pas dire sa

theacuteologisation et ceci rend raison du caractegravere meacutediat ou deacuteduit de lobjet theacuteologique que nous

avions souligneacute583

579 C Genequand [1986] p 8 On peut comparer avec lesquisse deacutejagrave citeacutee de la fin du commentaire agrave Δ 7(In Met 372 34-37)

580 Ceci serait coheacuterent avec lideacutee que nous avons proposeacutee preacuteceacutedemment selon laquelle lameacutetaphysique aurait dabord agrave eacutetudier des principes des substances les plus communes (les sensibles)avant de senqueacuterir de la substance divine et eacuteternelle Il ny aurait pas ainsi de moment universel deleacutetude de la substance dans la Meacutetaphysique ndash et les passages ougrave Alexandre mentionne cette eacutetude καθόλου seraient des incidents de parcours On notera cependant que du moins pour ce quenteacutemoigne le bref reacutesumeacute donneacute par Averroegraves les thegraveses eacutelaboreacutees sur la substance en Z ne sont pasdeacutementies dans leacutetude de la substance divine et surtout que leacutetude geacuteneacuterale sur la substance estdeacuteporteacutee depuis les livres centraux jusquau cœur de Λ

581 Sur les problegravemes du livre K dans ce passage cf C Genequand [1986] p 9

582 Bouyges 1394 (Genequand [1986] p 59)

583 Cf ci-dessus sect 21

298

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Si donc la description de lobjet de la meacutetaphysique alexandrinienne que nous avons

proposeacutee comporte une part darbitraire et par deacutefaut de sources tient neacutecessairement de la

reconstruction celle-ci se voit neacuteanmoins renforceacutee par le teacutemoignage du Commentator

La meacutetaphysique ainsi deacutecrite pourrait se laisser adeacutequatement saisir dans la grille de la

structure katholou-protologique qua formuleacutee R Brague Cette grille de lecture se donne comme

plus geacuteneacuterale et logiquement anteacuterieure agrave la constitution onto-theacuteologique de la meacutetaphysique

Elle consiste agrave partir dune geacuteneacuteraliteacute laquo pour aboutir agrave une concentration sur une reacutealiteacute suprecircme

(premiegravere) mais telle quelle permet de recouvrer la geacuteneacuteraliteacute qui avait dabord eacuteteacute quitteacutee raquo584

R Brague prend soin de preacuteciser que cette nouvelle geacuteneacuteraliteacute laquo nest pourtant jamais reacutecupeacutereacutee

au mecircme niveau raquo Il est possible dinjecter ici la distinction entre deux universaliteacutes quagrave la suite

de W Leszl nous avons nommeacutees universaliteacute par conseacutequence et universaliteacute intrinsegraveque et

dont nous avons vu le jeu dans le Commentaire dAlexandre585 Que la structure katholou-

protologique soit proprement aristoteacutelicienne ou bien un heacuteritage platonicien (lun dailleurs

nempecircchant pas lautre) elle sest en tout cas deacuteployeacutee chez lAphrodisien agrave la faveur dune

proximiteacute accrue avec la dialectique Elle reacutevegravele en outre une interpreacutetation de la Meacutetaphysique en

grande partie fondeacutee sur la fin de E 1586 comme lillustre la coagulation des objets de la

meacutetaphysique autour de leacutetant en tant queacutetant de la substance en geacuteneacuteral et de la premiegravere

dentre elles (les autres objets lun et les axiomes par exemple neacutetant jamais au centre des textes

architectoniques que nous avons lus)

Si la meacutetaphysique alexandrinienne nous paraicirct effectivement structureacutee de faccedilon

katholou-protologique il est en revanche encore trop tocirct pour affirmer avec R Bodeacuteuumls que

lonto-theacuteologie est moins le fait dAristote que de ses commentateurs587 Encore faudrait-il

584 R Brague [1988] p 514 Sur cette structure cf aussi B Mabille [2004] en particulier p 319 sq avec ladiscussion de la lecture de Plotin par J-M Narbonne (en particulier J-M Narbonne [2001])

585 R Brague neacuteanmoins deacutecrit ces deux sortes de laquo geacuteneacuteraliteacutes raquo de faccedilon plus deacutetermineacutee puisque aufond elles deacutesignent selon lui la preacutesence en geacuteneacuteral et le plus preacutesent lecirctre et leacutetant (cf R Brague[1988] p 514) Mais on pourrait aussi faire un usage plus lacircche de cette structure et peut-ecirctre plusrespectueux des textes

586 Sur la reprise deacuteleacutements platoniciens dans ce chapitre voir par exemple M Narcy [2000] p 72-73

587 R Bodeacuteuumls [1992] p 73 laquo Les liens rigoureux entre meacutetaphysique et theacuteologie qui ont produit lonto-theacuteologie sont historiquement datables en Occident dune eacutepoque qui nest pas exactement la sienne[celle dAristote] et on ne peut lui imputer lentiegravere responsabiliteacute de liens quil ne songeait pasvraiment agrave nouer raquo Cf aussi E Berti [2005a] p 55 Pour ecirctre exact E Berti considegravere plutocirct que ce sontles laquo interpregravetes meacutedieacutevaux (et peut-ecirctre deacutejagrave les commentateurs neacuteoplatoniciens) raquo qui ont laquo fait de lameacutetaphysique dAristote une theacuteologie raquo et que ce sont les laquo interpregravetes modernes et contemporains raquoqui en ont fait une onto-theacuteologie

299

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

comprendre si et comment le divin est chez Alexandre un eacutetant maximal en sorte quil dise

quelque chose de lensemble des autres eacutetants voire quil les fonde Selon la thegravese la plus

courante chez lExeacutegegravete cest bien plutocirct la substance qui est cet eacutetant premier par lesquels les

autres eacutetants ont lecirctre qui est la laquo cause de leur ecirctre raquo Avant donc de nous inteacuteresser au statut

du divin dans le systegraveme alexandrinien il convient tout dabord den revenir agrave leacutetant en tant

queacutetant et agrave la substance et par lagrave agrave la relation ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν La question est de

savoir par quels moyens cette unification articuleacutee (et non immeacutediate) de la meacutetaphysique est

rendue possible au niveau de ses objets

300

Chapitre III

CHAPITRE III

LES OBJETS DE LA MEacuteTAPHYSIQUE

leacutetant en tant queacutetant la substance la cause premiegravere

Agrave ce stade du travail notre hypothegravese est que la meacutetaphysique alexandrinienne se

cristallise autour de trois objets leacutetant en tant queacutetant la substance et le divin auxquels se

rattachent secondairement les autres ndash lun et les axiomes par exemple sont assigneacutes agrave la

province de lontologie Pour deacutemontrer que la meacutetaphysique alexandrinienne ne sacrifie pas son

uniteacute dans ces trois moments de leacutetude (lontologie lousiologie et la theacuteologie) il convient degraves

lors deacutetudier comment au niveau des objets se produit la neacutecessiteacute quils relegravevent dune unique

science

Lune des conceptions de la meacutetaphysique comme science une que deacutecrit P Aubenque

conception selon lui erroneacutee se rapproche de celle que nous pensons pouvoir assigner agrave

Alexandre

La science de lecirctre serait science de lessence [ie de lοὐσία] ou mieux encore science desprincipes de lessence qui est elle-mecircme principe cest-agrave-dire science des premiersprincipes et par lagrave seulement meacutediatement universelle universelle parce que premiegravere1

Dans ce modegravele la meacutetaphysique sassure ainsi de son uniteacute via un enchacircssement de

causes la substance serait alors cause de lecirctre des autres eacutetants comme la substance premiegravere

divine serait cause des autres substances Comme le note Aubenque cette theacuteorie nest en effet

valide qulaquo agrave une condition que le premier soit principe cest-agrave-dire quil rende raison de ce qui

1 P Aubenque [1962] p 246

301

Les objets de la meacutetaphysique

vient apregraves lui raquo2

Ce modegravele ne sapplique certes pas inteacutegralement agrave Alexandre ndash qui est peut-ecirctre parmi

dautres viseacute par ces lignes3 Comme on la vu en effet Alexandre ne renonce pas agrave luniversaliteacute

intrinsegraveque de la meacutetaphysique parce que la reconduction au premier (au premier sens de leacutetant

la substance puis agrave la substance premiegravere) nest pas une reacuteduction du moment preacuteceacutedent il

incombe par exemple au philosophe premier deacutetudier les proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant

Autrement dit lontologie repreacutesente un passage obligeacute un moment infrangible de la

meacutetaphysique Mais la progression geacuteneacuterale deacutecrite par P Aubenque sapplique adeacutequatement agrave

Alexandre dautant que lhypothegravese dune unification de la meacutetaphysique par la causaliteacute (la

substance comme cause de lecirctre la substance premiegravere comme cause des substances) semble

pouvoir saccorder avec ce que nous avons preacuteceacutedemment cru pouvoir deacuteceler chez lExeacutegegravete

Le principe geacuteneacuteral de la solution quAlexandre nous semble avoir retenue consiste en

effet agrave octroyer agrave chaque niveau supeacuterieur qui est aussi un niveau plus speacutecial (la substance par

rapport agrave leacutetant en tant queacutetant la ndash ou les ndash substance(s) divine(s) de premier rang4 par

rapport agrave toutes les autres) un double statut de maximum et de cause par rapport au niveau

infeacuterieur Ce serait ainsi lapplication du principe de causaliteacute du maximum qui exigerait agrave

chaque fois que lanalyse franchisse un pas suppleacutementaire pour mieux accomplir le niveau

preacuteceacutedent lousiologie accomplirait lontologie comme la theacuteologie accomplirait lousiologie

Il nous eacutechoit donc agrave preacutesent de veacuterifier cette hypothegravese au niveau mecircme des objets et

pour ce faire dune part mesurer en quel sens la substance peut ecirctre principe des autres sens de

leacutetant pour Alexandre et dautre part deacuteterminer si le divin saffirme chez lExeacutegegravete comme agrave la

fois principe de tout le reste et maximum de ce qui est

2 P Aubenque [1962] p 246

3 P Aubenque dit seulement laquo les commentateurs raquo quelques lignes apregraves

4 In Met 376 2-3 laquo ἐν τῇ πρώτῃ μοίρᾳ τῆς οὐσίας raquo

302

Les objets de la meacutetaphysique

31 Luniteacute de leacutetant en tant queacutetant5

Le problegraveme aristoteacutelicien de luniteacute de la science de leacutetant en tant queacutetant se laisse

adeacutequatement formuler dans un deacutesormais classique trilemme eacutetabli par P Aubenque6 Ce qui en

effet selon lui gregraveve la possibiliteacute mecircme dune science de leacutetant en tant queacutetant est la collision

de trois propositions impossibles agrave soutenir simultaneacutement

1) Il y a une science qui eacutetudie leacutetant en tant queacutetant

2) Une science une porte sur un genre un

3) Leacutetant nest pas un genre il se dit en plusieurs sens

Ces trois propositions sont expliciteacutees agrave divers endroits du corpus mais se concentrent

surtout en Meacutetaphysique Γ 2 Le chapitre devient de ce fait le lieu par excellence de

questionnement de luniteacute de cette science dont lexistence est affirmeacutee en Γ 1 Le Commentaire

dAlexandre agrave Meacutetaphysique Γ deacutenote une conscience du problegraveme ainsi formuleacute et rappelle tour

agrave tour ces trois propositions

La premiegravere proposition est la donneacutee textuelle de Γ 1 annonceacutee dans le proegraveme (In Met

238 5 sq) et enteacuterineacutee dans le commentaire ad loc (In Met 239 5 sq) Pour desserrer la

contradiction l laquo Exeacutegegravete par excellence raquo ne peut donc eacutevidemment la rejeter

La deuxiegraveme preacutemisse saffirme dans lanalyse de la meacutetaphysique comme science par

excellence que nous avons eacutetudieacutee plus haut7 Contrairement agrave certaines tentatives

contemporaines lExeacutegegravete nassouplit pas non plus ce second reacutequisit Non seulement la

meacutetaphysique se conforme au modegravele de scientificiteacute issu des Analytiques (le commentaire agrave Γ 1

commence immeacutediatement par interpreacuteter la science de leacutetant en tant queacutetant agrave laune de laquo toute

5 Conformeacutement agrave ce qui preacutecegravede on entend donc dans ce titre la question de luniteacute du champ deacutetudede la science qui eacutetudie leacutetant en tant queacutetant de son objet et non luniteacute dune entiteacute quelconque

6 P Aubenque [1962] p 222 cf aussi M Crubellier [2005] p 60

7 Cf ci-dessus sect 232

303

Les objets de la meacutetaphysique

science raquo en rappelant une thegravese des Seconds Analytiques8) mais elle en est mecircme la plus illustre

repreacutesentante la condition de possibiliteacute de toute scientificiteacute Si elle est laquo autre raquo que toutes les

autres sciences par lextension de son objet9 deacutemonstration et deacutefinition demeurent ses voies de

recherche Agrave la fois science la plus haute et fondement de la scientificiteacute des autres sciences en

tant que science deacutemonstrative elle se doit donc de porter sur un genre

Or leacutetant parce quil se dit en plusieurs sens nest pas un genre la proposition

inaugurale de Γ 2 (laquo Τὸ δὲ ὂν λέγεται μὲν πολλαχῶς raquo 1003a 33) semble contredire celle de

Γ 1 Mais comme on sait Aristote poursuit laquo ἀλλὰ πρὸς ἓν καὶ μίαν τινὰ φύσιν καὶ οὐχ

ὁμωνύμως raquo (1003a 33-34) Chez nombre de lecteurs dAristote le recours en Γ 2 agrave luniteacute

reacutefeacuterentielle (πρὸς ἕν) a pu passer pour un moyen de reacutesoudre ce trilemme De fait pour

paraphraser le Philosophe en 1003b 12-14 il y a une science une non seulement de ce qui se dit

selon une uniteacute (laquo καθἕν raquo cest-agrave-dire pour ce qui est univoque forme un genre pour les choses

synonymes) mais aussi dans le cas de ce qui se dit laquo relativement agrave une unique nature (laquo τῶν

πρὸς μίαν λεγομένων φύσιν raquo) Sauf agrave vouloir aller contre leacutevidence10 cette thegravese trace les

contours dun domaine posseacutedant effectivement une certaine uniteacute de sens qui quoique

diffeacuterente de luniteacute geacuteneacuterique11 rend eacutegalement possible luniteacute dune science sans dailleurs que

le texte hieacuterarchise en quelque maniegravere ces deux possibiliteacutes

Eacutetant donneacute le maintien sinon le durcissement par lExeacutegegravete des deux premiegraveres

preacutemisses du trilemme deacutecrire leacutedification alexandrinienne de la meacutetaphysique comme science

implique degraves lors de precircter une attention toute particuliegravere agrave sa theacuteorie de luniteacute reacutefeacuterentielle

comprise comme la relation qui permettrait de reacutesoudre le trilemme

Le problegraveme cependant est de mesurer jusquagrave quel point Alexandre demeure fidegravele agrave la

proposition inaugurale du chapitre leacutetant se dit en plusieurs sens ndash qui deacutecoule de la neacutegation

il ne forme pas un genre Pour P Aubenque et dautres agrave sa suite12 Alexandre na pu rendre

possible la science de leacutetant en tant queacutetant comme une science une autrement quen

rapprochant la classe des choses dites πρὸς ἕν de celle des synonymes au point de les confondre

8 La deuxiegraveme phrase du commentaire agrave Γ 1 est en effet laquo πᾶσα γὰρ ἡ οὑτινοσοῦν ἐπιστήμη τῶνἐκείνῳ καθαὑτὰ ὑπαρχόντων ἐστὶν ἀποδεικτική raquo (In Met 239 9-8)

9 In Met 239 25 laquo Ἄλλη ἂν ἐκείνων εἴη raquo

10 Comme semble parfois le faire P Aubenque [1962] p 242 sq 246-250

11 Car ce qui se dit relativement agrave une uniteacute ne se dit καθ ἕν que dune laquo certaine maniegravere raquo (1003b 14)

12 P Aubenque [1962] p 200-201 auquel se reacutefegravere W Leszl [1970] p 159 J-F Courtine [2005] p 202 laquo Alexandre cherche agrave rapprocher autant que possible lhomonymie par reacutefeacuterence de la preacutedicationsynonymique καθ ἕν raquo

304

Les objets de la meacutetaphysique

en ouvrant ainsi la voie agrave une platonisation dAristote P Aubenque pour ce faire sappuie sur le

commentaire dAlexandre au passage citeacute de 1003b 12-14

1003b 12 Οὐ γὰρ μόνον τῶν καθἓνλεγομένων ἐπιστήμης ἐστὶ θεωρῆσαι μιᾶς

Καθ ἓν μὲν λεγόμενα λέγει τὰσυνώνυμα καὶ ὑφ ἕν τι κοινὸν τεταγμέναγένος Οὐ μόνον δέ φησί τῶν οὕτωςἐχόντων πρὸς ἄλληλα μία ἐπιστήμη ἀλλὰκαὶ τῶν ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν Τρόπον δέ τινακαὶ [2441] ταῦτα πρὸς μίαν φύσιν τὴνἀναφορὰν ἔχοντα καθ ἓν λέγεται καθ ὅσονἐν πᾶσί πως αὐτοῖς ὁρᾶται ἡ φύσις αὕτη ἀφἧς καὶ δι ἣν οὕτως καλεῖται εἰ καὶ μὴὁμοίως καὶ ἐπίσης αὐτῆς πάντα μετέχει Καὶγὰρ ἐν τῷ φυλακτικῷ τῆς ὑγιείας καὶ ἐν τῷποιητικῷ καὶ ἐν τῷ δεκτικῷ ὑγίειά [2445]ἐστιν ἡ θεωρουμένη διὸ καὶ ἔστι πως αὐτῶνεἷς λόγος καὶ μιᾶς ἐπιστήμης ἡ πάντωντούτων θεωρία τῆς γὰρ ἰατρικῆς Καὶ περὶτοῦ ὄντος δὲ μιᾶς ἐπιστήμης θεωρῆσαι καθὸὄν ἐστιν οὐ γὰρ καθὸ μουσικὰ ἢ ἰατρικάἀλλὰ καθὸ ὄντα καὶ τῆς τοῦ ὄντοςκεκοινώνηκε φύσεως

laquo Car non seulement eacutetudier ce qui se dit dans uneuniteacute appartient agrave une unique science raquo

Par laquo ce qui se dit dans une uniteacute raquo Aristote veutdire les synonymes cest-agrave-dire ce qui se range sousun unique genre commun Or affirme-t-il est unenon seulement la science des choses qui ont un telrapport entre elles mais aussi celle des choses quisont agrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacuteDune certaine faccedilon celles-ci se reacutefeacuterant agrave une natureunique elles aussi se disent dans une uniteacute dans lamesure ougrave cette nature agrave partir de laquelle et agrave causede laquelle on les appelle ainsi se laisse voir dequelque maniegravere en elles toutes mecircme si toutes neparticipent de cette nature ni de la mecircme faccedilon ni agraveeacutegaliteacute De fait la santeacute qui est objet deacutetude se trouveagrave la fois dans ce qui conserve la santeacute dans ce qui laproduit et dans ce qui la reccediloit Cest pourquoi ausside ces choses il y a en quelque maniegravere un uniquediscours et que leacutetude de toutes ces choses appartientagrave une unique science la meacutedecine Or pour leacutetantaussi il appartient agrave une unique science de leacutetudieren tant quil est un eacutetant Ce nest en effet pas en tantque musicales ou meacutedicales ltquelle eacutetudie ceschosesgt mais en tant queacutetants cest-agrave-dire lten tantgtquelle en viennent agrave partager la nature de leacutetant

(243 29 ndash 244 8)

Ce texte riche meacuterite damples commentaires Cependant notons dembleacutee combien cest

aller vite en besogne que de reprocher agrave Alexandre de soutenir laquo dune certaine faccedilon celles-ci

ltles ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν λεγόμεναgt se reacutefeacuterant agrave une nature unique elles aussi se disent dans

une uniteacute (καθ ἕν) raquo Pour le coup lExeacutegegravete reprend ici presque litteacuteralement laffirmation

dAristote laquo de fait celles-ci se disent dune certaine maniegravere dans une uniteacute raquo (καὶ γὰρ ταῦτα

τρόπον τινὰ λέγονται καθ ἕν 1003b 14-15) proposition qui mecircme lorsque lon soutient que

lecirctre selon Aristote est fondamentalement homonyme ne peut ecirctre totalement minoreacutee Qui plus

est contrairement agrave certains interpregravetes contemporains deacutecideacutes agrave rapprocher la plurivociteacute de

leacutetant dune forme de synonymie Alexandre enteacuterine et tente de rendre raison du laquo τρόπον

τινὰ raquo du texte aristoteacutelicien13 signe quil nassimile pas simplement lune et lautre En outre

lemploi du verbe laquo participer raquo nautorise pas pour autant agrave taxer lanalyse alexandrinienne de

13 Sur ces interpregravetes (Owens par exemple) et les diverses faccedilons de comprendre cette affirmation cfentre autres W Leszl [1975] p 181

305

Les objets de la meacutetaphysique

platonisante14 Aristote lui-mecircme emploie dans ce cas μετέχω par exemple dans le passage

crucial pour Alexandre des Topiques IV 1 (sur le genre) ougrave le verbe est litteacuteralement deacutefini par

laquo admettre la deacutefinition du terme auquel on a part raquo15 ndash sens faible qui convient tregraves bien ici

Enfin laisser entendre comme le fait P Aubenque que la glose de laquo ὂν ᾗ ὂν raquo par laquo ὂν καθὸ ὂν raquo

(ou laquo καθὸ ὄντα raquo agrave la fin de notre passage)16 rapproche leacutetant dun καθ ἕν cest jouer sur une

simple homophonie et une eacutetymologie commune toutes deux peu convaincantes Cest faire fi de

lesprit dun texte qui par-delagrave les similariteacutes de lettre semploie justement comme on la vu agrave ne

pas substantialiser leacutetant en tant queacutetant

P Aubenque en conclut

Lecirctre en tant quecirctre nest plus cet au-delagrave insaisissable cette impossible uniteacute de sespropres significations quil nous paraissait ecirctre chez Aristote mais il devient dune part lefondement des significations ndash rocircle qui chez Aristote eacutetait deacutevolu agrave lessence et dautrepart ce fondement est preacutesenteacute comme le ἕν dun καθ ἕν luniteacute essentielle dun dire quise contente dattribuer un nombre indeacutefini de fois lecirctre agrave ce qui est (bien quAlexandrenaille pas jusquau bout de son interpreacutetation en faisant de lecirctre un genre) ndash et non pluscomme le ἕν dun πρὸς ἕν luniteacute probleacutematique dune pluraliteacute irreacuteductible designifications17

Cette conclusion nous semble au mieux sous-argumenteacutee au pire infondeacutee encore eucirct-il

fallu fournir une base textuelle agrave une telle substitution de lecirctre en tant quecirctre agrave laquo lessence raquo

comme laquo fondement des significations raquo laquelle est selon nous introuvable dans le corpus

alexandrinien La thegravese dun rapprochement avec la synonymie meacuterite en revanche un examen

approfondi P Aubenque pointe agrave raison certains parallegraveles entre la caracteacuterisation

alexandrinienne des synonymes et celle des πρὸς ἕν mais cette interpreacutetation exige decirctre plus

systeacutematiquement mise agrave leacutepreuve des textes

De fait lideacutee quAlexandre aurait pour reprendre lexpression de W Leszl une

laquo conception synonymique de luniteacute focale de signification raquo ne laisse pas deacutetonner Alexandre

14 P Aubenque [1962] p 200 et J-F Courtine [2005] p 203

15 Top IV 1 121a 11-12 Voir aussi M Bonelli [2001] p 116 Leacutecole neacuteoplatonicienne deacuteveloppera unedeacutefinition similaire de laquo participer raquo admettant deux sens celui fort et ontologique dont selon nous ilnest pas question ici et le second plus faible deacutesignant le fait davoir part agrave laquo former un tout avec raquo etdonc lagrave aussi admettre la mecircme deacutefinition ou la mecircme appellation celle du tout (cf Porphyre Isag 195 et P Hadot [1973] p 104) Pour un emploi faible du verbe cf aussi entre autres exemples AlexandreDA 93 20 In De sens 105 5 In Met 148 1 Si agrave chaque fois on injecte dans ces passages de laparticipation platonicienne cest toute la coheacuterence de lExeacutegegravete qui tombe dans la contradiction la plusgrossiegravere

16 Sur cette glose cf ci-dessus sect 222

17 P Aubenque [1962] p 201

306

Les objets de la meacutetaphysique

lui-mecircme ne rappelle-t-il pas reacuteguliegraverement la non-geacuteneacutericiteacute de leacutetant Leacutetant dit lExeacutegegravete

laquo nest pas le genre des choses auxquelles il est attribueacute (car parler ainsi comporte certaines

difficulteacutes comme il le montre en plusieurs endroits) raquo18 Et si Aristote peut parfois se laisser aller

agrave parler de laquo genre raquo en Γ 2 par exemple en 1003b 19 cest preacutecise Alexandre laquo en un sens tregraves

commun agrave la place de une unique nature raquo19 Agrave plusieurs reprises Alexandre va ainsi jusquagrave

corriger Aristote lorsque celui-ci emploie le vocabulaire du genre et de lespegravece

La thegravese de la non-geacuteneacutericiteacute de leacutetant est en outre une thegravese constante de lExeacutegegravete

deacuteveloppeacutee dans dautres lieux ndash outre eacutevidemment le commentaire agrave Meacutetaphysique B par

exemple dans son Commentaire aux Topiques en un passage crucial quon a deacutejagrave commenteacute dirigeacute

contre la theacuteorie stoiumlcienne du laquo quelque chose raquo qui indique combien cette thegravese correspond

aussi pour Alexandre agrave une actualiteacute poleacutemique

Enfin bien que placcedilant comme on va le voir les choses dites πρὸς ἕν dans une position

intermeacutediaire entre les homonymes et les synonymes jamais Alexandre nest alleacute jusquagrave tenir

comme Syrianus que les πρὸς ἕν se rapprocheraient cependant davantage des synonymes20 Or

agrave eacutevaluer la position alexandrinienne agrave laune du geste quon lit chez Syrianus ou Ascleacutepius on

trouvera toujours que ceux-ci offrent une laquo formulation plus rigoureuse raquo21 Mais cest lagrave se livrer

agrave une lecture teacuteleacuteologique et tenir pour rien la diffeacuterence de rapport agrave Platon et Aristote qui

seacutepare Alexandre des neacuteoplatoniciens Au contraire linteacuterecirct du commentaire alexandrinien

pourrait justement consister dans son effort pour tenir la crecircte entre la non-geacuteneacutericiteacute de leacutetant et

lexigence duniteacute de lobjet de la meacutetaphysique Assureacutement la question demeure ensuite de

savoir si (ou jusquagrave quel point) par-delagrave les seules deacuteclarations explicites du texte dans sa

conception mecircme de la relation πρὸς ἕν Alexandre reacuteussit agrave maintenir cette plurivociteacute de

leacutetant

18 In Met 241 5-7 laquo δείξει τὸ ὂν μήτε γένος ὂν τῶν καθ ὧν κατηγορεῖται (ἔχει γάρ τινας ἀπορίας τὸοὕτω λέγειν ὡς δείκνυσιν ἐν πολλοῖς) raquo

19 In Met 245 3-4 laquo ltγένουςgt μὲν κοινότερον λαμβάνων ἀντὶ τοῦ φύσεως μιᾶς γένη γὰρ κοινότερονπάντα ὅσα κατά τινα μίαν φύσιν κεκοινώνηκεν ἀλλήλοις raquo La mecircme substitution est opeacutereacutee un peuplus loin quand Aristote parle lui-mecircme de laquo genre raquo en 1003b 21 sq Alexandre explicite avec un καὶexpleacutetif laquo τὸ γένος καὶ ἡ τοῦ ὄντος κοινὴ φύσις raquo (245 29-30) De mecircme si en 1003b 33-34 Aristoteparle d laquo espegraveces raquo de lun et de leacutetant cest aussi en un sens lacircche (laquo κοινότερον δὲ εἴδη λέγει τοῦὄντος καὶ τοῦ ἑνός raquo 248 28-29) Cf aussi 255 21 sq Voir aussi M Bonelli [2001] p 122 et 124

20 Syrianus In Met 57 19-20 Cf P Aubenque [1962] p 201

21 J-F Courtine [2005] p 205 agrave propos du passage deacutejagrave vu dAscleacutepius In Met 225 34 ndash 226 3

307

Les objets de la meacutetaphysique

311 Homonymie synonymie et plurivociteacute ndash trois gestes exeacutegeacutetiques dAlexandre

Linterpreacutetation alexandrinienne de ce quon appellera ici indiffeacuteremment uniteacute

reacutefeacuterentielle ou relation πρὸς ἕν se laisse deacutecrire en trois gestes exeacutegeacutetiques trois interventions

deacutecisives dans le commentaire du texte aristoteacutelicien qui commandent la compreacutehension de

lensemble du chapitre Γ 2

a) Relation et deacutependance

Le premier geste dAlexandre bien connu consiste agrave coupler la relation πρὸς ἕν avec

lexpression laquo ἀφ ἑνός raquo qui dit luniteacute de provenance Les deux syntagmes de construction

parallegravele sont agrave maintes reprises fortement coordonneacutes dans le corpus alexandrinien (τε καὶ)22 M

Bonelli a toutefois pointeacute trois passages dans le Commentaire agrave Γ ougrave une distinction entre les deux

semble seacutelaborer comme ce sera ulteacuterieurement le cas chez les neacuteoplatoniciens23

Dans le premier passage24 cependant en 241 18-21 la distinction pourrait bien necirctre que

fonctionnelle Elle nest en tout cas pas du tout incompatible avec la coordination comme si les

choses ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν eacutetaient des heacuteteacuteronymes au sens alexandrinien chaque

expression ayant strictement la mecircme reacutefeacuterence mais deacutecrivant la mecircme reacutealiteacute de deux maniegraveres

diffeacuterentes Rien nindique que le laquo ἢ raquo dans lexpression laquo ἀφ οὗ ὄντα ἢ πρὸς ὃ λόγον ἔχοντά

τινα raquo soit exclusif ndash le reste du corpus pesant au contraire pour une disjonction non exclusive

Le deuxiegraveme passage en 255 13-17 intervient incidemment dans le commentaire agrave 1004a

30-31 et affirme que tous les plurivoques ne sont pas eacuteclateacutes entre diffeacuterentes sciences mais

seulement ceux-lagrave qui ne sont ni ἀφ ἑνός (expliciteacute par le verbe ἀρτάω) ni πρὸς ἕν (expliciteacute par

le verbe ἀναφέρω)25 Alexandre classe alors lexemple du meacutedical dans les ἀφ ἑνός et le sain

dans les πρὸς ἕν Cette distinction ne remet pas en cause lideacutee que les eacutetants puissent ecirctre quant

agrave eux adeacutequatement deacutecrits par la conjonction des deux expressions ndash ainsi que laccomplit le

22 Voir aussi hors du seul Commentaire agrave la Meacutetaphysique Probl 128 15 In Top 301 33

23 M Bonelli [2001] p 105 sq (Cf aussi C Luna dans I Hadot [1990] p 84-86)

24 Nous revenons sur ce texte immeacutediatement apregraves

25 In Met 255 13-17 laquo οὐ γὰρ πάντα τὰ πολλαχῶς λεγόμενα ὑπὸ ἑτέρας καὶ διαφόρους ἐπιστήμαςτέτακται ἀλλὰ ταῦτα μόνα τῶν πολλαχῶς λεγομένων ὅσων μήτε ἀφ ἑνός τινος ἠρτημένοι εἰσὶνοἱ λόγοι μήτε ἐπί τι ἓν ἀναφέρονται ἀφ ἑνὸς μέν ὡς ἐπὶ τῶν ἰατρικῶν ἐδείχθη (ἀπὸ γὰρ τῆς τοῦἰατρικοῦ χρήσεως τὰ ἰατρικά) πρὸς ἓν δὲ τὰ ὑγιεινά raquo

308

Les objets de la meacutetaphysique

reste du texte ndash mais elle est sans doute ce qui sapproche le plus dune distinction entre les deux

types de relation

Enfin le dernier passage pointeacute par M Bonelli en 263 34-3526 prend place dans le

commentaire au terme de Γ 2 et travaille la distinction quAristote semble eacutelaborer agrave cet endroit

entre les πρὸς ἕν et les conseacutecutifs (laquo τὰ μὲν πρὸς ἓν τὰ δὲ τῷ ἐφεξῆς raquo 1005a 10-11) Le passage

embarrasse apparemment Alexandre (et pour cause ) qui va dabord produire une distinction

entre reacutefeacuterence agrave une uniteacute et conseacutecution comprises comme deux sortes de plurivociteacute27 Mais il

reste que la mention aristoteacutelicienne des conseacutecutifs ne cadre pas avec linterpreacutetation geacuteneacuterale

du passage que propose Alexandre et le couplage entre ἀφ ἑνός et πρὸς ἕν LExeacutegegravete se

demande donc sur un ton prudent si Aristote nidentifie pas ici ἐφεξῆς et ἀφ ἑνός car dit

Alexandre cest ainsi quAristote a jusque lagrave diviseacute le domaine des plurivoques qui ne sont pas

strictement homonymes ndash un comble puisque comme on le sait lexpression ἀφ ἑνός napparaicirct

jamais en Γ 228 Degraves la ligne suivante Alexandre rassemble dailleurs les trois sortes de relations

(laquo τῶν ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἓν λεγομένων [] καὶ τῶν ἐχόντων τὸ πρότερον καὶ ὕστερον (ταῦτα

γάρ ἐστι τὰ ἐφεξῆς) raquo 263 36-37) comme objets de la philosophie premiegravere thegravese sans

eacutequivalent dans le reste du corpus ndash qui se contente des deux premiegraveres ndash et qui sexplique sans

doute uniquement par la fideacuteliteacute exeacutegeacutetique et la neacutecessiteacute dexpliquer le passage en question Lagrave

encore la distinction est faible voire avanceacutee du bout des legravevres et natteint pas la clarteacute du

deuxiegraveme passage citeacute destineacute cependant agrave demeurer agrave leacutetat de hapax chez lExeacutegegravete

Cependant si lassociation entre ἀφ ἑνός et πρὸς ἕν ne se lit nulle part explicitement en

Γ 2 la question est donc de savoir dougrave Alexandre la tire pourquoi il intervient aussi visiblement

sur le texte Pour expliquer cette association on se reacutefegravere tregraves freacutequemment au passage connu de

lrsquoEacutethique agrave Nicomaque I 4 sur le Bien On se rappelle en effet que les Eacutethiques commencent par

mettre hors jeu lIdeacutee platonicienne du Bien et donc un genre des choses bonnes ndash opeacuteration

quAristote effectue tout en lattribuant agrave un autre discours que le discours eacutethique29 Mais cette

destruction amegravene dembleacutee avec elle la question de savoir ce qui degraves lors justifie lappellation

26 In Met 263 34-35 laquo δύναται τὸ ltτὰ δὲ τῷ ἐφεξῆςgt δηλωτικὸν εἶναι τοῦ ἀφ ἑνός διεῖλε γὰρ τὰοὕτω λεγόμενα πολλαχῶς εἴς τε τὰ ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν raquo Sur ce texte cf A Stevens [2000] p 82-83

27 Nous revenons eacutegalement ci-dessous sur ce texte (263 25-33)

28 Si Alexandre avait voulu parler dautres textes il aurait preacuteciseacute par quelque chose comme un laquo ἐνἄλλοις raquo

29 EN I 4 1096b 25-26

309

Les objets de la meacutetaphysique

de laquo bien raquo pour tous les divers biens Cest agrave cette occasion quAristote exclut une homonymie

laquo par hasard raquo (ἀπὸ τύχης 1096b 26-27) accidentelle une pure eacutequivociteacute Il eacutevoque alors trois

autres modes duniteacute luniteacute de provenance (ἀφ ἑνὸς) cest-agrave-dire la deacuterivation des divers biens

agrave partir dun bien premier la relation agrave une uniteacute (πρὸς ἕν) cest-agrave-dire la convergence ou la

contribution de tous les biens vers le bien premier et enfin lanalogie (κατ ἀναλογίαν)

expliciteacutee par les exemples de la vue pour le corps et de lintellect pour lacircme30 Or ces trois modes

dunification sont bien preacutesenteacutes comme trois options concurrentes trois alternatives distingueacutees

par la conjonction ἢ laquo ou bien raquo Et mecircme si lanalogie introduite par lexpression laquo ou plutocirct raquo (ἢ

μᾶλλον) semble leacutegegraverement dissocieacutee des deux options preacuteceacutedentes rien nindique quon

pourrait coordonner les deux premiers modes duniteacute31

Reacutefeacuterer la coordination entre ἀφ ἑνός et πρὸς ἕν agrave ce passage de lEacutethique agrave Nicomaque32

revient donc agrave attribuer agrave Alexandre une lecture assez brutale Si Alexandre se contentait

dimporter meacutecaniquement ce passage en Γ pourquoi secirctre arrecircteacute aux deux premiegraveres options

Et les quelques autres emplois aristoteacuteliciens dἀπό quAlexandre pourrait revendiquer agrave son

creacutedit neffectuent pas la coordination explicite avec le πρὸς ἕν ou restent trop teacutenus en

noctroyant pas de statut conceptuel deacutetermineacute agrave lemploi de la preacuteposition33 Degraves lors

limportation du ἀφ ἑνός en Γ ne reacutepond peut-ecirctre pas tant agrave un souci exeacutegeacutetique de

systeacutematisation des textes quagrave des raisons plus profondeacutement doctrinales quil va nous falloir

eacutelucider Mais cela requiert dentrer plus avant dans sa theacuteorie des choses dites ἀφ ἑνός et πρὸς

ἕν

30 EN I 4 1096b 26-29 laquo οὐ γὰρ ἔοικε τοῖς γε ἀπὸ τύχης ὁμωνύμοις ἀλλ ἆρά γε τῷ ἀφ ἑνὸς εἶναι ἢπρὸς ἓν ἅπαντα συντελεῖν ἢ μᾶλλον κατ ἀναλογίαν ὡς γὰρ ἐν σώματι ὄψις ἐν ψυχῇ νοῦς καὶἄλλο δὴ ἐν ἄλλῳ raquo

31 A Stevens [2000] p 146 est plus nuanceacutee ἀφ ἑνός et πρὸς ἕν laquo sont articuleacutes par une disjonctionqui nest pas neacutecessairement exclusive mais qui rend en tout cas non neacutecessaire la correacutelation des deuxen une seule forme duniteacute raquo Voir aussi la note de Tricot ad loc Nous ne deacuteveloppons pas ici lareacutefeacuterence eudeacutemienne puisque le texte est singuliegraverement absent de lensemble du corpusalexandrinien contrairement agrave lEacutethique agrave Nicomaque qui est tregraves reacuteguliegraverement citeacutee dont Alexandrereprend le vocabulaire etc

32 M Bonelli [2001] p 99-100 et 110

33 Voir par exemple EE VII 2 1236b 21 sur lamitieacute et le commentaire quen donne A Stevens [2000] p119 Cf aussi Met Δ 12 sur la puissance qui fait eacutetat dune uniteacute laquo πρὸς τὴν πρώτην raquo (1019b 35 ndash1020a 1 voir aussi Θ 1 1046a 9-10 laquo πρὸς τὸ αὐτὸ εἶδος [] πρὸς πρώτην μίαν λέγονται raquo) et lecommentaire dAlexandre en 395 24 (laquo ἀπ ἐκείνης raquo) Le chapitre K 3 parle bien dun sens du meacutedicallaquo τῷ τὸ μὲν ἀπὸ τῆς ἰατρικῆς ἐπιστήμης εἶναι raquo (1061a 4-5) mais cela ne concerne pas tous les sensdu laquo meacutedical raquo

310

Les objets de la meacutetaphysique

b) Entre homonymes et synonymes

Le second geste exeacutegeacutetique dAlexandre consiste en effet agrave octroyer agrave la classe des choses

dites ἀφ ἑνός et πρὸς ἕν un statut intermeacutediaire entre synonymes et homonymes au sens strict

(ou par hasard) Alexandre leacutenonce degraves son commentaire agrave la premiegravere proposition de Γ 2

[24110] Διαφέρει δὲ τὰ οὕτω λεγόμεναἐκείνων ἑκατέρου ὅτι τὰ μὲν συνώνυμα καὶὑπό τι κοινὸν γένος καὶ ἰσοτίμως καὶ ὁμοίωςπάντα τῆς ὑπὸ τοῦ κατηγορουμένου γένουςαὐτῶν δηλουμένης οὐσίας κοινωνεῖ τε καὶμετέχει τὰ δέ γε ὁμώνυμα οὐδενὸς κοινωνεῖἀλλήλοις ἄλλου κατὰ τὸ κοινῶςκατηγορούμενον αὐτῶν ὄνομα ἢ τοῦὀνόματος μόνου εἴ γε ὁμώνυμά ἐστιν ὧν[15] ὄνομα μόνον κοινόν ὁ δὲ κατὰ τοὔνομαλόγος τῆς οὐσίας ἕτεροςmiddot

τὰ δὲ ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγόμεναοὔτε τὴν τῶν συνωνύμων ἰσοτιμίαν πρὸς τὸκατηγορούμενον σώζει πρὸς ἄλληλα οὔτεπάλιν ἔχει τὴν τῶν ὁμωνύμων ἄκρατόν τεκαὶ ἄμικτον ἑτερότητα ἀλλ ἔστι τις αὐτοῖςκοινωνία κατὰ τὸ εἶναι ταῦτα ἃ λέγεται τῷεἶναί τινα φύσιν ἐκείνου τοῦ πράγματος καὶ

Les choses qui se disent ainsi diffegraverent dechacune des deux preacuteceacutedentes parce que les chosessynonymes agrave savoir celles qui sont sous un certaingenre commun cest avec un droit eacutegal et de faccedilonsimilaire que toutes34 partagent et participent agravelessence manifesteacutee par le genre qui leur est attribueacute et que en revanche les choses homonymes nepartagent entre elles par rapport au nom qui leur estattribueacute en commun rien dautre que ce seul nom silest vrai que sont homonymes laquo ce dont le nom seulest commun mais dont leacutenonceacute de lessencecorrespondant au nom est diffeacuterent raquo35

Or les choses dites agrave partir dune uniteacute etrelativement agrave une uniteacute ne conservent entre elles nileacutegale condition par rapport agrave ce qui leur est attribueacutepropre aux synonymes ni nont inversementlalteacuteriteacute pure et sans meacutelange propre auxhomonymes bien plutocirct elles partagent une certainecommunauteacute dans le fait decirctre ce quelles sont dites

34 Le passage pose un problegraveme grammatical au niveau des valeurs agrave accorder aux diffeacuterents καὶ et laplace un peu eacutetrange du πάντα La marche du raisonnement et lopposition qui va suivre avec les ἀφἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγόμενα nous semblent impliquer quἰσοτίμως et ὁμοίως portent sur les verbesconjugueacutes (κοινωνεῖ τε καὶ μετέχει) et non sur le groupe preacuteceacutedent ὑπό τι κοινὸν γένος mais cela nechange peut-ecirctre pas fondamentalement le sens eu eacutegard agrave leacutequivalence entre laquo ecirctre sous un genrecommun raquo et laquo partager et participer agrave lessence raquo

35 Cat 1 1a 1-2 Alexandre propose donc ici un texte plus riche que celui que lisaient Andronicos etBoeacutethos Cf Simplicius In Cat 29 28 sq

311

Les objets de la meacutetaphysique

[20] ταύτην ἐν τούτοις πως ἐνορᾶσθαι πᾶσινἀφ οὗ ὄντα ἢ πρὸς ὃ λόγον ἔχοντά τινα διὰτοῦτο καὶ τοῦ ὀνόματος κεκοινώνηκεναὐτοῦ

Tὴν δὲ τοιαύτην φύσιν ἐν ἄλλοις μὲνὑπὸ τὰ ὁμώνυμα κοινότερον ἐτίθειmiddot ἐνταῦθαδὲ ἐπιμελεστέραν ποιούμενος τὴν διαίρεσινδιαφέρειν τε αὐτήν φησι τῶν ὁμωνύμων καὶτίνι διαφέρει λέγει Οὐ γὰρ μόνον ὀνόματοςκεκοινώνηκε [25] τὰ τοιαῦτα καὶ οὕτωςἔχοντα πρὸς ἄλληλα ὡς τὰ κυρίωςὁμώνυμα λεγόμενα ἅ ἐστι τὰ ἀπὸ τύχηςἀλλὰ καὶ αἰτίαν τινὰ ἔχει τοῦ ὁμοίωςἀλλήλοις ὠνομάσθαι Κατὰ κοινὴν γάρ τιναφύσιν τοιαῦτά φησιν εἶναι τά τε ὑγιεινὰ καὶτὰ ἰατρικά

parce quil y a une certaine nature de cet objet qui enquelque faccedilon se laisse voir en toutes et comme ellesen proviennent ou quelles entretiennent un certainrapport agrave cela36 pour cette raison elles en viennentaussi agrave partager le mecircme nom

Cette sorte de nature Aristote la placcedilait ailleursplus communeacutement sous les homonymes Mais enproduisant ici une distinction plus soigneacutee il affirmequelle diffegravere des homonymes et dit par quoi elle estdiffeacuterente De telles choses en effet qui ont un telrapport entre elles37 nen viennent pas agrave partager leseul nom comme celles quon dit homonymes ausens propre qui sont les homonymes par hasard mais il y a une certaine cause au fait quon les nommede la mecircme maniegravere Aristote affirme en effet quecest en vertu dune nature commune que les chosessaines et les choses meacutedicales sont telles

( In Met 241 10-28)

Ce nest certes pas la premiegravere fois que dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Alexandre

aborde les notions dhomonymie de synonymie et de plurivociteacute38 Aristote les a en effet

mentionneacutees (en tout cas lhomonymie) degraves lintroduction de la thegravese platonicienne en A 6 ndash fait

qui milite en faveur dune origine platonicienne ou acadeacutemicienne pour ces notions39 Le

commentaire agrave A 6 donne ainsi agrave voir un Exeacutegegravete embarrasseacute aux prises avec le vocabulaire de la

synonymie et de lhomonymie dont il ne parvient plus clairement agrave savoir comment lappliquer

aux Ideacutees platoniciennes et agrave ce qui en participe40 Mais cest surtout le commentaire agrave A 9 qui a

eacuteteacute lun des lieux de deacuteploiement de ces notions dans la critique des Ideacutees Dans ces passages la

36 Ou laquo ont une certaine deacutefinition relativement agrave cela raquo Rien dans le texte ne permet de lire dans ceλόγον une avanceacutee vers la doctrine de lanalogie une logicisation voire une matheacutematisation durapport des eacutetants non-substantiels agrave la substance contrairement agrave ce que soutient P Aubenque ([1962]p 200)

37 Litteacuteralement qui se comportent ainsi les unes par rapport aux autres

38 Notons en passant que les reacuteflexions dAlexandre sur la plurivociteacute ne prennent sans doute pas leuressor agrave part de toute reacutefeacuterence contemporaine Galien aurait en effet eacutecrit deux traiteacutes (aujourdrsquohuiperdu) sur les plurivoques cf RB Eldow [1977] p 31

39 Cf J Barnes [1971] sur le traitement de lhomonymie et de la synonymie par Speusippe et ses tracesdans Aristote et JK Ward [2008] p 31 sq qui montre comment la notion dhomonymie est au cœur dela discussion de la thegravese platonicienne au livre A et comment Aristote joue sur le double sens du termele sens platonicien (lhomonymie deacutesignant la relation entre les Formes et les particuliers quand Platoninsiste sur leur diffeacuterence de statut meacutetaphysique tandis que leacuteponymie insiste davantage sur leurressemblance) et le sien (leacutequivociteacute) Mecircme si nous ne nous accordons pas toujours sur la descriptionpar Ward de lhomonymie aristoteacutelicienne lideacutee que cette notion apparaicirct chez Aristote agrave la faveurdun deacutebat avec leacuteponymie nous paraicirct hors de doute (cf sa conclusion p 42)

40 Cf le passage discuteacute de 987b 9-10 et son commentaire In Met 50 19 ndash 51 25

312

Les objets de la meacutetaphysique

plurivociteacute de lUn par exemple est pousseacutee du cocircteacute de lhomonymie (au sens aristoteacutelicien)41 et

deacutesigne alors pour Alexandre une certaine communauteacute de preacutedicat mais telle quelle exclut la

geacuteneacutericiteacute la laquo ressemblance essentielle raquo et interdit par lagrave-mecircme de reacuteduire la communauteacute dans

lattribution dun preacutedicat (en loccurrence leacutetant et lun) agrave la communauteacute dune Ideacutee42 Comme

cest le cas dans dautres textes43 la plurivociteacute est donc encore ici penseacutee agrave partir de ce qui se

reacuteveacutelera ensuite comme lune de ses espegraveces lhomonymie

Seul le proegraveme agrave Γ et le commentaire agrave Γ 2 opegraverent implicitement puis explicitement une

distinction entre plurivociteacute et homonymie en introduisant une seconde espegravece de plurivoques

non homonymes les ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἓν λεγόμενα ndash dougrave la neacutecessiteacute pour Alexandre de

preacuteciser que la plurivociteacute des ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἓν λεγόμενα nest pas homonymique44 Juste

avant le commentaire agrave la premiegravere proposition de Γ 2 Alexandre a en outre de faccedilon assez

scolaire rassembleacute homonymie synonymie et plurivociteacute dans une mecircme classe ce qui se range

sous un terme commun45 Notre passage pose alors la thegravese qui se perccediloit degraves la preacutesentation

41 Cf In Met 116 18-23

42 In Met 126 30 sq toujours dans le cadre du commentaire agrave A 9 (et en particulier ici la phrase de 992b12-13) interpreacuteteacutee comme signifiant quil y a certains termes universels qui ne sont pas des genrescest-agrave-dire que la communauteacute et luniversaliteacute ne se reacuteduisent pas agrave celle des Ideacutees Alexandre affirmealors (126 31-37) laquo συμβαίνει γὰρ ἔνια τῶν κοινῶς κατά τινων κατηγορουμένων μὴ δύνασθαιγένη εἶναι τούτων ὧν κοινῶς κατηγορεῖται τοιαῦτα γὰρ τὰ πολλαχῶς λεγόμενα [] εἰ δὲ μή ἐστιγένος τὸ ἕν ἀλλὰ τῶν πολλαχῶς λεγομένων δῆλον ὡς οὐδὲ ὁμοιότης ἂν τοῖς οὖσιν οὐσιώδηςκατὰ τοῦτο εἴηraquo laquo Il arrive en effet que quelques uns des termes qui sont preacutediqueacutes en commun decertaines choses ne puissent ecirctre les genres de ce dont ils sont preacutediqueacutes en commun telles sont leschoses dites en plusieurs sens [hellip] Si lun nest pas un genre mais appartient aux choses dites enplusieurs sens alors agrave leacutevidence il ny aura aucune ressemblance essentielle pour les eacutetants enfonction de ltlungt raquo Un terme plurivoque est donc bien un terme laquo preacutediqueacute en commun de certaineschoses raquo comme le rappellera le commentaire agrave Γ 2 sans pour autant signifier le genre de ce dont il estpreacutediqueacute en commun Voir aussi le commentaire deacutejagrave citeacute agrave la fin dA 9 (992b 18 sq) In Met 128 11 sq

43 Cf In Top 97 21 sq 108 15 sq 114 4 sq etc

44 Cf In Met 238 18 sq et clairement In Met 242 8-10 laquo οὐ γὰρ μόνα τὰ ὁμώνυμα τῶν πολλαχῶςλεγομένων ἐστίν ἀλλὰ καὶ τὰ ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν ὡς ἔχει τά τε προειρημένα καὶ τὸ ὄν raquo laquo Leshomonymes en effet ne sont pas les seules choses agrave ecirctre dites en plusieurs sens mais cest aussi le casdes choses dites agrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacute comme le sont agrave la fois les chosespreacuteceacutedemment mentionneacutees [le sain et le meacutedical] et leacutetant raquo Va dans ce sens aussi la construction dela proposition de 247 16-18 laquo διὸ καὶ ἀμφότερα τῶν πολλαχῶς λεγομένων ἐστὶ τῶν ὡς εἴρηκεπρὸς ἓν καὶ πρὸς μίαν φύσιν λεγομένων raquo laquo cest pourquoi comme il la dit tous deuxappartiennent aux choses qui parmi celles qui se disent en de multiples sens se disent relativement agraveune uniteacute cest-agrave-dire relativement agrave une unique nature raquo Grammaticalement deux groupes successifsau geacutenitif expriment souvent un cas particulier au sein dun groupe plus large Cf aussi In Met 36013-16 Le passage du proegraveme du commentaire agrave Δ est plus ambigu la double neacutegation nimpliquantpas neacutecessairement une distinction (345 8-11) Sur cette question voir A Stevens [2000] p 68

45 In Met 241 3-5 laquo διαίρεσιν δὲ ποιεῖται τῶν ὑπό τι κοινὸν τεταγμένων ὡς ἔχει τά τε ὁμώνυμα καὶτὰ συνώνυμα καὶ τὰ ἀφ ἑνός τινος ἢ πρὸς ἓν λεγόμενα raquo laquo Aristote fait en outre une distinction

313

Les objets de la meacutetaphysique

immeacutediatement preacuteceacutedente ougrave par une double neacutegation Alexandre annonce lobjet second du

chapitre montrer que leacutetant nest ni un genre ni un pur homonyme (2415-8) mais un

intermeacutediaire (laquo μεταξὺ raquo) afin deacutetablir quil est susceptible decirctre eacutetudieacute par une science une ndash

ce qui constitue pour lui lobjet premier du chapitre46 La deacutemonstration de la thegravese a la forme

dun tregraves classique syllogisme de premiegravere figure qui classe leacutetant sous les ἀφ ἑνός et les πρὸς

ἕν et deacuteveloppe la position intermeacutediaire de ces derniers

Dans son commentaire Alexandre eacutevoque ainsi dautres textes ougrave Aristote aurait plutocirct

poseacute leacutetant dans la classe des homonymes Sauf erreur jamais Aristote ne se livre agrave une

affirmation aussi explicite La proposition dAlexandre trouve peut-ecirctre sa source soit dans

certains textes comme le propose le traducteur anglais en note qui semblent identifier

plurivociteacute et homonymie47 soit plus probablement agrave notre sens dans des textes qui posent

lhomonymie du Bien et semblent preacutesupposer une homonymie de leacutetant agrave tout le moins

expriment lhomonymie du Bien dans la diversiteacute des cateacutegories48 En revanche cest bien agrave

Alexandre quil arrive de proclamer en toutes lettres lhomonymie de leacutetant par exemple dans

son commentaire agrave Δ 749

Le paradoxe est alors quen comprenant la clause laquo de faccedilon non homonyme raquo dans la

premiegravere phrase du chapitre comme deacutesignant les homonymes au sens strict ceux qui sont par

hasard Alexandre aurait tregraves bien pu maintenir une coheacuterence entre les textes ndash du moins entre

les textes tels quil les lit Il aurait en effet tregraves bien pu soutenir comme certains interpregravetes

contemporains50 que leacutetant reste en quelque faccedilon homonyme mais en un sens plus large dans un

parmi les choses quon range sous un terme commun comme le sont les homonymes les synonymes etce qui se dit agrave partir dune certaine uniteacute ou relativement agrave une uniteacute raquo Le passage montreincidemment comment dans le commentaire agrave Γ la plurivociteacute est centreacutee sur les ἀφ ἑνός et les πρὸςἕν et leur est eacutequivalente Sur le scheacutema ici proposeacute cf M Bonelli [2001] p 103

46 Cf degraves le deacutebut du commentaire agrave Γ 2 laquo ἐφεξῆς δείκνυσι πῶς οἷόν τε εἶναι περὶ τὸ ὂν ἐπιστήμηνμίαν raquo (240 34 ndash 241 1)

47 A Madigan [1993] n 38 p 146 (le texte le moins sujet agrave caution auquel renvoie A Madigan est plutocirctTop VI 2 139b 19-31) Cf Top I 15 106b 33 sq pour le sain Les partisans dune identiteacute entreplurivoques et homonymes (P Aubenque W Leszl E Berti etc) ne sont pas sans arguments mais cfla discussion meneacutee par A Stevens [2001] p 65-76

48 Cf P Aubenque [1962] p 176 qui renvoie entre autres agrave EN I 4 EE I 8 Top I 15 et en particulier107 a 11-12 laquo ὥστε ὁμώνυμον τὸ ἀγαθόν raquo Alexandre dans son commentaire relie explicitementlhomonymie du Bien agrave la pluraliteacute des dix cateacutegories (In Top 106 14-16 laquo ἐπεὶ οὖν τὰ δέκα γένηκατὰ τοῦ ἀγαθοῦ κατηγορεῖται δῆλον ltὅτι ὁμώνυμον τὸ ἀγαθόνgt raquo Sur lhomonymie du Bien cfaussi In Top 105 25 120 16

49 Voir aussi In Met 44 18

50 Cest lagrave la thegravese geacuteneacuterale de P Aubenque par exemple ou W Leszl (P Aubenque [1962] W Leszl

314

Les objets de la meacutetaphysique

degreacute moindre que les homonymes par hasard Au demeurant certains textes dAristote

semblent bien admettre des degreacutes dans lhomonymie51

Autant dire que la position intermeacutediaire des πρὸς ἕν52 reacutepond ici aussi agrave une exigence

autant doctrinale quexeacutegeacutetique sinon davantage mecircme si elle nest effectivement pas sans

attache dans le corpus en particulier en Meacutetaphysique Z quAlexandre a tregraves probablement agrave

lesprit pendant tout son commentaire agrave ce deacutebut de Γ53 En reacutealiteacute cette thegravese dAlexandre

reacutepond agrave une strateacutegie agrave partir de lagrave Alexandre va en effet pouvoir deacutefinir les πρὸς ἕν dans un

jeu de double opposition avec les synonymes et les homonymes

Pour ce faire Alexandre reprend les deacutefinitions des homonymes et synonymes quil lit

dans les Cateacutegories On sen souvient sont synonymes les choses qui possegravedent agrave la fois un nom

en commun et la deacutefinition correspondante du nom ndash laquo animal raquo peut sappliquer agrave lhomme et au

bœuf tout en conservant la mecircme deacutefinition Alexandre reprend cette deacutefinition dune part en la

reacuteduisant agrave la relation genre-espegravece ce qui est correct dautre part en insistant sur leacutequivalence

du preacutedicat attribueacute de faccedilon synonymique

Cest avec un droit eacutegal et de faccedilon similaire que toutes partagent et participent agrave lessencemanifesteacutee par le genre qui leur est attribueacute (241 10-12)

Pour reacutesumer et eu eacutegard agrave la deacutefinition quil reprend du verbe laquo participer raquo agrave partir des

Topiques lideacutee dAlexandre est que dans le cas de la preacutedication synonymique le preacutedicat est

attribueacute aux choses synonymes en conservant non seulement le mecircme sens la mecircme deacutefinition

mais en outre sans diffeacuterence de degreacute ou de valeur54 Un homme nest pas plus ou laquo mieux raquo

animal quun bœuf55

[1970])

51 Pour lideacutee de degreacute dans les homonymes voir Phys VII 4 249a 22-25 (qui integravegre dans leshomonymes mecircme des cas de ressemblance ou danalogie quon ne considegravere pas comme deshomonymes laquo alors quils en sont raquo) et A Stevens [2000] p 100 Voir aussi lideacutee dune homonymie quinest pas totale agrave propos de lamitieacute en EE VII 2 1236a 16-17 laquo ἀνάγκη ἄρα τρία φιλίας εἴδη εἶναικαὶ μήτε καθ ἓν ἁπάσας μηδ ὡς εἴδη ἑνὸς γένους μήτε πάμπαν λέγεσθαι ὁμωνύμως raquo

52 Cette expression vaut on laura compris comme abreacuteviation de laquo les choses dites agrave partir dune uniteacute etrelativement agrave une uniteacute raquo

53 Cf en particulier Met Z 4 1030a 32 sq qui toutefois ne parle pas de synonymes mais dunepreacutedication ὡσαύτως et duniteacute καθ ἕν Au demeurant cette conception des πρὸς ἕν commeintermeacutediaires ndash qui nest jamais mentionneacutee par Aristote ndash pose problegraveme Cf par exemple JK Ward[2008] p 106 sq

54 Deacuteriveacute peut-ecirctre de Z 4 et du laquo ὡσαύτως raquo en 1030a 35 Sur les problegravemes quengendre cette ideacutee cf ci-apregraves

55 Sur le modegravele de Cat 5 2b 27-28

315

Les objets de la meacutetaphysique

Pour les homonymes en revanche leacuteleacutement commun nest pas lessence du terme

attribueacute mais le seul nom Lemploi homonymique dun terme est donc deacutetacheacute de toute

reacutefeacuterentialiteacute et la communauteacute des choses ainsi deacutesigneacutees est purement linguistique Les

formulations dAlexandre montrent bien que contrairement agrave certaines meacutesinterpreacutetations

ulteacuterieures et agrave la diffeacuterence du concept moderne dhomonymie il est clair pour lui que laquo le

nom raquo en question est un terme quon preacutedique des reacutealiteacutes homonymes56 laquo Animal raquo peut en

effet ecirctre homonyme sil est appliqueacute agrave la peinture et agrave lhomme Lorsque donc Alexandre reacutesume

la deacutefinition de lhomonymie en parlant dune communauteacute seulement nominale (laquo κατὰ

τοὔνομα μόνον [] κοινωνία raquo par exemple en 243 2757) il faut neacutecessairement sous-entendre la

suite cette communauteacute est purement nominale parce quelle nest pas nominale et

deacutefinitionnelle ou essentielle

Agrave partir de lagrave la caracteacuterisation alexandrinienne des ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν senchaicircne

comme naturellement Contre les homonymes on retient que les ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν ont plus

en commun que le seul nom ils nont pas dit Alexandre cette laquo alteacuteriteacute pure et sans meacutelange raquo

des homonymes ndash expression leacutegegraverement grandiloquente qui ne rend pas justice au fait que

lanimal peint et lanimal vivant ont tout de mecircme un peu plus en commun que le seul nom mais

qui senracine dans le point de vue de laquo leacutenonceacute de lessence raquo propre aux concepts

dhomonymie et de synonymie

Contre les synonymes en revanche on retient lideacutee quil ny a pas dans les preacutedications

πρὸς ἕν deacutegaliteacute dans la preacutedication Autrement dit une chose peut ecirctre plus ou moins saine

plus ou moins meacutedicale ndash et de mecircme plus ou moins laquo eacutetant raquo Cette derniegravere ideacutee et plus

geacuteneacuteralement sa preacutemisse pour diverses raisons quon va voir posent problegraveme Dembleacutee on

rappellera deux textes qui semblent aller agrave son encontre Le chapitre VII 4 de la Physique tout

dabord affirme que les choses qui ne sont pas synonymes ne sont pas comparables58 le chapitre

I 15 des Topiques deacuteclare de mecircme que les homonymes sont incomparables parce que deacutepourvus

56 Cf 241 13-14 laquo κατὰ τὸ κοινῶς κατηγορούμενον αὐτῶν ὄνομα raquo Pour la critique de cesmeacutesinterpreacutetations cf B Cassin M Narcy [1998] p 198 Contrairement toutefois agrave ce que soutient BCassin en un premier temps lenjeu nest pas de savoir si ὄνομα est preacuteceacutedeacute ou non de larticle silsagit du nom ou dun nom mais de comprendre que laquo le nom raquo en question est comme elle se ravisequelques lignes plus loin laquo le nom en commun et non lun des termes speacutecifiques raquo Preuve en estquAlexandre maintient larticle sans tomber dans lerreur deacutenonceacutee par Cassin qui est probablementdue agrave nos deacutefinitions modernes de lhomonymie ndash dont Alexandre est par deacutefinition preacuteserveacute

57 Cf aussi In Met 241 14 241 24

58 Phys VII 4 laquo ἀλλ ὅσα μὴ συνώνυμα πάντ ἀσύμβλητα raquo 248 b 6-7 le texte pose des problegravemesdeacutetablissement cf la note de P Pellegrin ad loc et A Stevens [2000] p 98 n 1

316

Les objets de la meacutetaphysique

de commune mesure et quil ne peut y avoir de diffeacuterence de degreacutes quentre des synonymes59 Le

commentaire dAlexandre agrave ce chapitre preacutecise alors deux cas soit des choses sont synonymes

sans admettre de plus et de moins et elles sont comparables au sens ougrave elles sont laquo similaires raquo ndash

ainsi les cercles60 ou les hommes Socrate est autant homme que Coriscos parce que en tant que

synonymes cest-agrave-dire en tant quils laquo participent du commun raquo ils sont laquo comparables en vertu

de leur ressemblance raquo61 Mais sont aussi synonymes ou comme le glose le texte laquo participent du

mecircme raquo des choses qui admettent des degreacutes Ces derniegraveres peuvent degraves lors ecirctre compareacutees au

regard du preacutedicat qui leur est attribueacute synonymiquement ndash par exemple la clarteacute pour les

diverses couleurs62 contrairement agrave la clarteacute dune voix par rapport agrave la clarteacute du jour

Notre passage du commentaire agrave Γ preacutesente donc un infleacutechissement ou une

simplification par rapport agrave cette theacuteorie puisque Alexandre reacuteserve lineacutegaliteacute dans la

preacutedication aux ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν (qui ne sont donc pas par deacutefinition synonymes) et

cantonne les synonymes au cas de leacutegaliteacute dans la preacutedication et la ressemblance ndash comme si

laquo clair raquo neacutetait plus synonyme pour les couleurs ou comme si la clarteacute ne pouvait sattribuer

synonymiquement aux couleurs quagrave la condition quelles soient toutes claires agrave eacutegaliteacute de mecircme

quil ny a pas de cercle qui soit davantage laquo cercle raquo quun autre Cet infleacutechissement nous semble

central et causeacute par la description quAlexandre donne des ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν il tient au

meacutecanisme qui leacutegitime la preacutedication ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν selon Alexandre et qui implique

neacutecessairement une ineacutegaliteacute entre un premier terme et les autres

Pour anticiper et rappeler briegravevement en effet chez Aristote comme chez Alexandre agrave la

diffeacuterence des synonymes la relation πρὸς ἕν exige dinteacutegrer un troisiegraveme terme en plus de

ladjectif agrave attribuer (laquo sain raquo laquo meacutedical raquo) et de ce qui peut le recevoir (une promenade un bon

teint dans le cas du sain dans le cas du meacutedical le scalpel ou un livre de meacutedecine etc) Le

troisiegraveme terme appartient agrave ce dernier ensemble des choses qui peuvent recevoir le preacutedicat

59 Top I 15 107b 13-18

60 Peut-ecirctre est-ce une reacuteminiscence de Cat 8 11a 5-13 Voir aussi Pol I 13 1259b 36-38

61 La phrase complegravete est laquo ὁμοίως καὶ οἱ ἄνθρωποι καὶ ὅλως ἐν οἷς μή ἐστι τὸ μᾶλλόν τε καὶ ἧττονταῦτα ὁμοίως τοῦ κοινοῦ μετέχει καὶ κατὰ τὸ ὅμοιόν ἐστι συμβλητά raquo(In Top 111 12-14) On noteraquAlexandre choisit ici des exemples plus simples ou du moins plus frappants de synonymie non paslattribution synonymique de lanimal au bœuf et agrave lhomme qui suppose la connaissance du genrecommun aux deux espegraveces mais la ressemblance entre deux hommes ndash qui quoique constituantassureacutement un exemple correct de synonymie aristoteacutelicienne sonne beaucoup plus proche deleacuteponymie platonicienne

62 In Top 111 7-20

317

Les objets de la meacutetaphysique

mais sen distingue en ce quil le reccediloit de faccedilon premiegravere (pour le dire encore de faccedilon neutre) Le

πρὸς ἕν deacutesigne alors la relation des autres termes disons secondaires63 agrave ce terme premier telle

que la preacutedication ne seffectue plus de faccedilon homonymique mais toujours ndash cest en tout cas la

position dAlexandre ndash avec une certaine conservation du sens premier64 Pour caracteacuteriser les

πρὸς ἕν Alexandre retient en effet des synonymes lideacutee dune laquo nature de lobjet raquo qui se

manifeste dans les preacutedications du terme Lexpression donneacutee dans la deacutefinition des synonymes

selon laquelle toutes (les choses synonymes) laquo partagent et participent agrave lessence manifesteacutee par

le genre qui leur est attribueacute raquo devient pour les πρὸς ἕν

Il y a une certaine nature de cet objet (ἐκείνου τοῦ πράγματος) qui en quelque faccedilon selaisse voir en toutes et comme elles en proviennent ou quelles entretiennent un certainrapport agrave cela pour cette raison elles en viennent aussi agrave partager le mecircme nom (241 19-21)

Une question est de savoir quel est ici cet objet ce laquo πρᾶγμα raquo Lemploi du deacutemonstratif

(laquo ἐκείνου τοῦ πράγματος raquo) et le fait que le terme constitue lanteacuteceacutedent des relatifs laquo ἀφ οὗ raquo et

laquo πρὸς ὃ raquo impliquent que la nature de lobjet en question soit celle du ἕν du ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς

ἕν luniteacute dont proviennent et agrave laquelle se reacutefegraverent les autres choses ndash la santeacute pour les choses

saines la meacutedecine pour les choses meacutedicales la substance pour les eacutetants65 La preacutedication de

laquo sain raquo est degraves lors possible et valide parce que la nature de ce qui est sain au sens propre est

visible laquo se laisse voir raquo dans chacune des choses saines Cela nous conduit au troisiegraveme geste

exeacutegeacutetique dAlexandre

c) Limpeacuteratif de fondation

Lobjectif du commentaire au deacutebut de Γ 2 est en effet clair il sagit pour Alexandre de

63 Met Z 4 1030a 22 dit laquo ἑπομένως raquo

64 Sur les diffeacuterentes maniegraveres de comprendre la theacuteorie aristoteacutelicienne du πρὸς ἕν voir W Leszl [1970]p 120 sq et cf ci-dessous Soulignons en passant quici se produit la diffeacuterence entre le cas du sain etcelui de leacutetant Lattribution de laquo eacutetant raquo aux diverses choses qui sont des eacutetants relativement agrave lasubstance nest pas une attribution parmi dautres Le sens de laquo eacutetant raquo pour une qualiteacute cest lecirctre dela qualiteacute Parler comme on le fera plus bas de deacutependance deacutefinitionnelle agrave la substance agrave propos deluniteacute πρὸς ἕν nest pas seulement dire que le sens de laquo eacutetant raquo propre agrave la qualiteacute deacutepend ou renvoieau sens de laquo ecirctre raquo propre agrave la substance mais cest aussi dire que ce quest cette qualiteacute (ce que cestdecirctre pour elle) deacutepend de la substance

65 Cf les formules en In Met 244 1 sq

318

Les objets de la meacutetaphysique

fonder lordre du discours sur les plurivoques ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν dans lordre des choses afin

den controcircler la possible dispersion Ce reacutequisit de fondation fait partie de ce quAlexandre

retient des synonymes De fait lexpression d laquo essence manifesteacutee par le genre raquo (pour les

synonymes en 241 11-12) ou dune laquo nature de lobjet raquo qui se manifeste dans les choses (pour les

πρὸς ἕν en 241 19-20) revient couramment sous le calame dAlexandre quand il est question des

synonymes et des homonymes pour les homonymes laquo rien de propre nest manifesteacute par le nom

qui leur est commun raquo (μηδὲν ὑπὸ κοινοῦ ὀνόματος ἴδιον δηλοῦσθαι 243 25-26) les πρὸς ἕν

sont doteacutes dune laquo nature raquo qui laquo se laisse voir en quelque maniegravere en tous raquo (ἐν πᾶσί πως αὐτοῖς

ὁρᾶται ἡ φύσις αὕτη 244 2) les choses synonymes laquo manifestent une unique nature

deacutetermineacutee raquo (μίαν τινὰ δηλοῦν φύσιν 82 12-13) il ny a donc plus dhomonymie si la formule

qui deacutesigne les choses en question saccorde agrave elles parce quelle manifeste une essence et une

nature uniques et deacutetermineacutees de lobjet (laquo εἰ μὲν οὐσίαν τινὰ μίαν καὶ φύσιν πράγματος

δηλῶν ὁ λόγος οὗτος ἅπασιν ἐφαρμόζοι οὐκέτ ἂν ὁμώνυμα εἴη raquo In Top 473 18-20) 66

Outre un eacutecho agrave un passage de Γ67 ces expressions renvoient peut-ecirctre agrave la position de

lExeacutegegravete sur lobjet des Cateacutegories et la question classique de savoir si louvrage parle de noms ou

de choses Alexandre dapregraves Simplicius fait en effet partie de ceux qui considegraverent louvrage

comme traitant dexpressions simples premiegraveres et geacuteneacuteriques en tant quelles sont capables de

signifier les eacutetants donc traitant aussi des choses qui sont signifieacutees par ces expressions68 On

retrouve de fait dans le Commentaire aux Cateacutegories de Simplicius des formules similaires agrave celles

quemploie Alexandre quand il deacutefinit les synonymes ou les πρὸς ἕν Mais comme on voit cest

plus geacuteneacuteralement une theacuteorie de la signification qui est ici en jeu Le verbe laquo δηλόω raquo prend en

effet deux sens dans nos passages soit il deacutesigne le fait que les synonymes laquo manifestent raquo un

caractegravere commun une ressemblance dont parle le Commentaire aux Topiques qui laquo se laisse voir raquo

en eux du fait de leur communauteacute essentielle et non pas seulement linguistique soit dans un

66 Voir aussi la Quaestio I 11 23 6-7 laquo τὸ δὲ ζῷον τὸ κοινῶς κατ αὐτῶν ltsc le cheval le chien lhumainet le dieugt κατηγορούμενον ἤτοι οὐδεμίαν οἰκείαν σημαίνει φύσιν ἀλλ ἔσται ὁμώνυμον raquo

67 Met Γ 2 1003b 22-25 laquo εἰ δὴ τὸ ὂν καὶ τὸ ἓν ταὐτὸν καὶ μία φύσις τῷ ἀκολουθεῖν ἀλλήλοις ὥσπερἀρχὴ καὶ αἴτιον ἀλλ οὐχ ὡς ἑνὶ λόγῳ δηλούμενα raquo Le passage constitue peut-ecirctre plus quunsimple eacutecho eacutetant donneacute linterpreacutetation quAlexandre donne de lidentiteacute et la diffeacuterence entre eacutetant etun dont nous avons traiteacute ci-dessus (sect 223 leacutetant et lun sont identiques en extension (ils se disentexactement des mecircmes sujets) mais distincts en intension (ils ne se preacutediquent pas avec la mecircmeintention de penseacutee)

68 Simplicius In Cat 13 13-15 laquo περὶ τῶν ἁπλῶν καὶ πρώτων καὶ γενικῶν φωνῶν καθὸ σημαντικαὶτῶν ὄντων εἰσίν συνδιδάσκεται δὲ πάντως καὶ τὰ σημαινόμενα ὑπ αὐτῶν πράγματα καὶ τὰνοήματα καθὸ σημαίνεται τὰ πράγματα ὑπὸ τῶν φωνῶν raquo

319

Les objets de la meacutetaphysique

sens probablement technique69 il exprime la capaciteacute du mot agrave laquo manifester raquo lessence commune

et deacutesigne donc la reacutefeacuterentialiteacute la signification comme relation entre le mot et la chose plus

preacuteciseacutement entre le mot la chose et son essence ou sa nature Ainsi employeacute dans le cadre de

choses synonymes par exemple un mot signifie-t-il parce quil renvoie agrave la mecircme essence (ou la

mecircme nature) deacutetermineacutee Le traitement alexandrinien des synonymes et des homonymes dans

son commentaire agrave Γ 2 est marqueacute par une conception de la signification comme reacutefeacuterentialiteacute

meacutediate laquelle ne se lit pas encore chez Aristote agrave ce moment du livre Γ70

Bref comme le reacutesume Alexandre agrave la page 243 dans le cas des synonymes la

communauteacute du nom laquo deacutepend raquo de la communauteacute des objets laquo ἤρτηται ἡ κατὰ τοῦτο

κοινωνία ltsc ἡ κατὰ τοὔνομα κοινωνίαgt τῆς τῶν πραγμάτων κοινωνίας raquo (243 27-28) et de

cela il y a une science une Or le dernier paragraphe de notre texte du premier commentaire agrave Γ 2

recueille cette exigence pour les πρὸς ἕν quand il deacuteclare

De telles choses en effet qui ont un tel rapport entre elles nen viennent pas agrave partager leseul nom comme celles quon dit homonymes au sens propre qui sont les homonymes parhasard mais il y a une certaine cause au fait quon les nomme de la mecircme maniegravere (24124-27)

Cette thegravese alexandrinienne est le produit des trois gestes exeacutegeacutetiques que lon vient de

deacutecrire Elle enteacuterine la coordination des πρὸς ἕν avec les ἀφ ἑνός qui couple les relations de

reacutefeacuterence et de deacutependance Elle place les choses dites ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν dans une position

intermeacutediaire entre homonymes et synonymes qui permet deacutecarter leacutecueil dune preacutedication ne

reposant sur rien dautre que des conventions linguistiques et induit lideacutee dune preacutedication avec

conservation du sens premier au moins dans une certaine mesure (qui reste agrave eacutelucider)

Correacutelativement enfin elle fait eacutemerger lideacutee que la preacutedication dans le cas des ἀφ ἑνὸς καὶ

πρὸς ἕν est fondeacutee dans une deacutependance ou une relation qui nest pas que linguistique mais

bien ontique La theacuteorie de la signification meacutediate dont on vient de parler exige en effet que les

termes qui sont dits ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν (la promenade saine le meacutedicament sain pour la santeacute

par exemple) manifestent ou se reacutefegraverent agrave un certain eacutetat de choses Les choses saines meacutedicales

ou les eacutetants sont donc non seulement dits laquo agrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacute raquo

69 Voir par exemple Quaestio I 37 23 qui parle de laquo λόγου δηλώσοντος raquo

70 Cette conception est en effet selon les travaux de B Cassin lacquis propre de la theacuteorie de lasignification deacuteployeacutee par Aristote dans la suite du livre Γ particuliegraverement au chapitre 4 Cf parexemple B Cassin [1991] p 315 Aristote deacutefait laquo limplication [] entre legein et einai raquo signifier nestplus deacutesigner le laquo reacuteel raquo mais se reacutefeacuterer agrave un sens un Cf aussi B Cassin M Narcy [1998] p 34-35 parexemple

320

Les objets de la meacutetaphysique

mais doivent avant tout ecirctre laquo agrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacute raquo71 Le meacutedicament

peut ecirctre leacutegitimement appeleacute laquo sain raquo (ie laquo sain raquo peut ecirctre agrave bon droit preacutediqueacute du

meacutedicament) si cette appellation se fait en reacutefeacuterence agrave la santeacute parce que ce meacutedicament est dans

les faits au niveau des πραγμάτα connecteacute agrave la santeacute Comme Alexandre lillustre

immeacutediatement apregraves notre passage laquo les choses saines sont appeleacutees ainsi parce quelles

entretiennent une certaine relation avec la santeacute raquo (τὰ μὲν γὰρ ὑγιεινὰ τῷ πρὸς ὑγίειαν ἔχειν

πως οὕτως ὠνόμασται 241 28-29)

Reste entre autres agrave savoir en quel sens il faut comprendre cette laquo certaine cause raquo ou

laquo cause deacutetermineacutee raquo qui selon notre passage (en 241 26) fonde la preacutedication Deacutesigne-t-elle

simplement un eacutetat de fait reacuteel correspondant agrave la preacutedication ndash αἰτία signifiant alors quelque

chose comme laquo raison raquo Dans ce cas la proposition pourrait ecirctre paraphraseacutee ainsi il y a un

certain eacutetat de fait qui est la raison justifiant la preacutedication Mais peut-ecirctre faut-il donner agrave αἰτία

un sens plus deacutetermineacute celui dune entiteacute capable dexercer une causaliteacute La phrase signifie

alors il existe dans le monde quelque chose qui cause la similariteacute dans la preacutedication de ces ἀφ

ἑνός et πρὸς ἕν Comme on va le voir cest cette seconde solution qui dans le cas des eacutetants et de

la substance nous paraicirct la bonne Agrave la maniegravere de ce quont entrepris certains interpregravetes

contemporains72 et pour syntheacutetiser les trois eacuteleacutements quon a rappeleacute il incombe donc agrave

Alexandre dexpliciter du cocircteacute des choses mecircmes la nature de cette deacutependance qui fonde la

possibiliteacute dappeler laquo eacutetants raquo les eacutetants

71 La disparition du laquo λεγόμενα raquo quon observe parfois dans lemploi alexandrinien de lexpression ἀφἑνὸς καὶ πρὸς ἕν ne nous semble ainsi pas accidentelle ou seulement la contraction dune expressionsous-entendant neacutecessairement laquo λεγόμενα raquo (voir par exemple 243 18 243 33) Voir surtoutlemploi des preacutepositions dans les exemples du sain et du meacutedical (In Met 241 28 sq) conformeacutementagrave ce que fait aussi Aristote (cf ci-apregraves)

72 C Shields [1999] et de faccedilon plus nuanceacutee JK Ward [2008] Shields ne se reacutefegravere pas explicitement agraveAlexandre mais agrave la thegravese de Cajetan dune analogie de lecirctre Lauteur se propose didentifier lacausaliteacute de la substance comme le fondement de luniteacute πρὸς ἕν et qualifie la substance de laquo sorte decause de lexistence raquo (cf p 124-125) La thegravese de Shields est le produit dune meacutethode qui sonde lapenseacutee aristoteacutelicienne agrave la fois dans sa coheacuterence interne au niveau textuel mais aussi par rapport aulaquo reacuteel raquo dans sa viseacutee de veacuteriteacute Toutefois la mise en œuvre de cette meacutethode finit par faire perdre letexte de vue au profit dune pure et simple reconstruction dAristote Shields soutient dans son dernierchapitre que lecirctre pour Aristote ne doit ecirctre ni homonyme ni mecircme plurivoque mais synonyme parceque telle est selon Shields la thegravese la plus conforme au reacuteel La lecture de Ward quoique plus attentiveaux textes est au moins en partie deacutependante de celle de Shields et se fonde sur la mecircme theacuteorielaquo reacutealiste raquo de la signification que celle que nous avons cru pouvoir deacuteceler dans le commentairedAlexandre (cf JK Ward [2008] p 13)

321

Les objets de la meacutetaphysique

312 La prioriteacute de la substance

a) Un maximum

Comprise comme nous venons de le proposer lentreprise dAlexandre implique

doutrepasser le seul texte aristoteacutelicien de Γ 2 Dans le passage sur le πρὸς ἕν au deacutebut de Γ 2

Aristote ne se propose manifestement pas de fonder un fait linguistique dans une causaliteacute

ontique Comme certains interpregravetes contemporains lont remarqueacute73 le deacutebut de Γ 2 offre bien

plutocirct une esquisse la bregraveve analyse dun donneacute ndash cette briegraveveteacute adjointe agrave limportance de la

question traiteacutee expliquant le deacutechaicircnement des commentaires Apregraves en effet avoir poseacute la

plurivociteacute de leacutetant et la relation πρὸς ἕν (1003a 33-34) Aristote produit immeacutediatement une

analogie avec le sain et le meacutedical comme lindique ensuite le laquo οὕτω δὲ καὶ raquo de 1003b 5

Lanalogie a pour but de preacuteciser le sens du πρὸς ἕν dougrave la reacutepeacutetition de la preacuteposition par

exemple laquo πρὸς ὑγίειαν raquo (1003a 35) laquo πρὸς ἰατρικήν raquo (b 1) Si cette relation explique le fait que

telle chose soit dite laquo saine raquo ou laquo meacutedicale raquo ndash elle est preacutesenteacutee via la tournure τῷ + infinitif ndash

elle ne preacutejuge absolument du statut causal ou non accordeacute au sens de reacutefeacuterence (et a fortiori du

type de cause en question)

La description est alors reprise au niveau de leacutetant (b 5-6) Llaquo uniteacute raquo agrave laquelle se

reacutefegraverent les eacutetants nest expliciteacutee comme deacutesignant la substance quagrave travers la liste qui suit (b 6-

10) dans laquelle les eacutetants se trouvent deacutesigneacutes comme des substances quelque chose de la

substance (au geacutenitif) vers la substance ou en relation avec elle (reacutepeacutetition de la preacuteposition

πρός) La liste se clocirct par le cas particulier des laquo neacutegations raquo dans lequel cette relation savegravere

mecircme indirecte puisquune neacutegation peut ecirctre appeleacutee laquo eacutetant raquo non pas seulement quand elle

est neacutegation dune substance (geacutenitif) mais aussi quand elle est neacutegation de quelque chose de

relatif agrave la substance (1003b 9-10) Ainsi comme pour le sain et le meacutedical les divers eacutetants non-

substantiels74 sont exprimeacutes par un eacutenonceacute agrave chaque fois formuleacute en rapport avec la substance

73 P Aubenque [1962] p 192 sq M Crubellier [2005] p 67

74 On parlera ici plus aiseacutement deacutetants non-substantiels que de laquo cateacutegories secondaires raquo oulaquo obliques raquo comme cest parfois le cas Si le texte aristoteacutelicien de Z fait clairement la diffeacuterence entredes cateacutegories la liste de Γ 2 est connue pour la difficulteacute quelle pose agrave ce sujet celle de savoir si cetteliste correspond agrave la liste des cateacutegories ou si (ce qui est notre avis) elle est plus large Pourlinterpreacutetation dAlexandre cf In Met 242 10-15 (le texte est citeacute ci-dessous en 313)

322

Les objets de la meacutetaphysique

Cette reacutefeacuterence agrave la substance est poseacutee comme un donneacute ou une thegravese plausible sans quil

semble neacutecessaire den rendre raison comme sil suffisait deacutetablir ici quil y a quelque chose par

rapport agrave quoi les eacutetants sont dits dans une situation comparable agrave celle des choses dites saines

par rapport agrave la santeacute Ce passage demeure ainsi relativement descriptif il met en eacutevidence la

relation qui rend raison de lappellation en la confortant par une analogie sans que les divers

modes de la relation (ecirctre vers ecirctre quelque chose de) ne soient pour eux-mecircmes argumenteacutes ni

expliciteacutes ce nest quune fois cela eacutetabli que le texte redevient nettement argumentatif et tire la

conclusion quil doit y avoir une science une de leacutetant75

Aristote est donc pour le moins elliptique et le fonctionnement du πρὸς ἕν exige

commentaire Sil souhaite comprendre la nature exacte de cette reacutefeacuterence linterpregravete est

naturellement tenteacute de deacuteterminer le type de prioriteacute propre au premier sens Aristote qualifie en

effet la substance (ou du moins peut-on len deacuteduire) de laquo premiegravere raquo en 1003b 16 et en 1004a 25

sq ndash malheureusement lagrave non plus il ne dit pas en quel sens elle lest Il est clair toutefois que les

diverses interpreacutetations du πρὸς ἕν reposent au moins en partie sur la faccedilon dont on comprend la

prioriteacute ou la primauteacute de cet ἕν Pour Owen par exemple la prioriteacute proprement conquise par Γ

est celle laquo λόγῳ raquo en sorte que le laquo focal meaning raquo deacutesigne la possibiliteacute de laquo traduire raquo les

eacutenonceacutes sur lecirctre des eacutetants non-substantiels en eacutenonceacutes sur une substance de mecircme que tout

eacutenonceacute sur le caractegravere laquo sain raquo dun meacutedicament par exemple serait reacuteductible agrave un eacutenonceacute sur

la santeacute76

Quil y ait deacutependance deacutefinitionnelle77 des eacutetants non-substantiels agrave la substance cest-agrave-

75 Avec la particule οὖν en 1003b 11 La proposition preacuteceacutedente est certes introduite par διὸ (laquo καὶ τὸ μὴὂν εἶναι μὴ ὄν φαμεν raquo) mais semble davantage faire figure dincise dans le catalogue

76 Cf GEL Owen [1960] particuliegraverement p 180 Si la notion de focal meaning est entreacutee dans les mœurscontemporaines des aristoteacutelisants si ce nest des philosophes en geacuteneacuteral cela ne doit pas faire oublierquelle est porteuse de deux thegraveses extrecircmement fortes et tout aussi discutables (au meilleur sens duterme) la thegravese de la traduction quon vient desquisser et celle de la plurivociteacute πρὸς ἕν comprisecomme une extension de la synonymie Les critiques contemporaines adresseacutees agrave Owen (pour nouslimiter agrave deux exemples tregraves diffeacuterents W Leszl [1970] ou C Shields [1999]) portent geacuteneacuteralement surlensemble formeacute par ces deux thegraveses Pour un eacutetat des lieux des deacutebats contemporains autour de lathegravese dOwen (et une critique de celle-ci) cf aussi par exemple H Sefrin-Weis [2009] La substitutiondu vocable laquo focal meaning raquo par laquo core-dependent raquo chez Shields est agrave cet eacutegard significative Les critiquesles plus solides restent selon nous celles de Leszl [1970] cf aussi W Leszl [1975] p 228 sq

77 Lexpression ndash qui nest pas si loin du ἀφ ἑνός alexandrinien ndash est courante dans la litteacuterature sur lesujet cf par exemple FA Lewis [2004] p 7 Cf aussi les remarques agrave ce sujet de D Devereux [2008]p 288 sq qui qualifie cette conception (lideacutee que les eacutetants non-substantiels preacutesenteacutes dans Γ sontrelatifs agrave la substance dun point de vue seacutemantique par cette laquo deacutependance deacutefinitionnelle raquo) commela laquo standard view raquo (p 288) Lenjeu est de savoir 1) jusquougrave seacutetend cette deacutependance et 2) ce que veutdire ici laquo deacutependance raquo si elle implique un rapport de causaliteacute et si oui en quel sens Sur la distinction

323

Les objets de la meacutetaphysique

dire que ce que signifie ecirctre pour les eacutetants non-substantiels doive ecirctre reacutefeacutereacute agrave la substance cela

est eacutetabli en Γ 2 La substance est donc agrave cet eacutegard premiegravere ce que le livre Z explicite et

complegravete en ajoutant agrave la prioriteacute laquo λόγῳ raquo les prioriteacutes dans la connaissance et le temps78

Alexandre emploie certainement ce sens logique de la prioriteacute quand il deacutecrit la reacutefeacuterence

neacutecessaire des sens secondaires au premier79 Mais dune part pour fonder la relation seacutemantique

des divers eacutetants agrave la substance qui permet quils soient eacutetudieacutes par une seule et mecircme science

Alexandre ne reacuteduit pas la prioriteacute de la substance agrave une prioriteacute seulement deacutefinitionnelle Car

mecircme si lExeacutegegravete nemploie jamais explicitement le vocabulaire des diffeacuterents sens de la prioriteacute

dans son commentaire agrave Γ la faccedilon dont il deacutecrit le rapport des eacutetants non-substantiels agrave la

substance implique davantage que la prioriteacute λόγῳ et soriente vers une deacutependance naturelle ou

existentielle prise au sens le plus fort Mais puisque Aristote lui-mecircme deacutecrit des cas de non-

correacutelation entre ces deux prioriteacutes cela demande donc agrave ecirctre eacutetabli Dautre part lenjeu est de

savoir si cette deacutependance deacutefinitionnelle entraicircne que lecirctre des eacutetants non-substantiels soit

reacuteductible agrave celui de simples modaliteacutes de la substance Dit autrement pour savoir si Alexandre

soutient une conception du πρὸς ἕν qui tend vers la synonymie il faut deacuteterminer si selon lui la

reacutefeacuterence des sens secondaires agrave ce sens premier quest la substance implique pour reprendre les

termes de Owen une traductibiliteacute inteacutegrale des eacutenonceacutes sur ce quest ecirctre pour les eacutetants non-

substantiels en eacutenonceacutes mentionnant la substance En ce cas quelle autonomie de sens peuvent

encore conserver les diverses maniegraveres decirctre attribueacutees aux eacutetants non-substantiels Dans quelle

de la prioriteacute logique (ou deacutefinitionnelle) et de la prioriteacute naturelle (ou substantielle) cf Δ 11 1018b34-37 et M 2 1077b 1 sq Sur le fait que la coheacuterence de Γ 2 implique une correacutelation forte entredeacutependance deacutefinitionnelle et deacutependance naturelle cf MT Ferejohn [1980] p 122-123

78 Cf Z 1 1028a 34-36 et la confirmation en Z 4 1030a 17 ndash b 7 et surtout Z 5 1031 a 1-4 et lexpressiondlaquo ἐκ προσθέσεως raquo Voir en outre la reprise de lideacutee au deacutebut de Θ 1 1045b 31-32 mais aussi peut-ecirctre laffirmation de EE VII 2 1236a 20-21 agrave condition de corriger le texte laquo πρῶτον δ οὗ λόγος ἐνἡμῖν ὑπάρχει raquo en laquo ἐν πᾶσιν ὑπάρχει raquo (voir la note de V Deacutecarie ad loc)

79 Voir par exemple In Met 255 17-19 laquo ἐπὶ γὰρ τὸν τῆς ὑγιείας λόγον πάντων τῶν ὑγιεινῶν ἡἀναφορά διὸ καὶ ἔστι μιᾶς ἐπιστήμης ἡ γνῶσις αὐτῶν raquo (laquo cest en effet agrave leacutenonceacute de la santeacute que sefait la reacutefeacuterence de toutes les choses saines raison pour laquelle la connaissance des choses saines estune science une raquo) cf aussi 255 35 ndash 256 3 On pourrait enfin lire en ce sens ie comme deacutecrivant unedeacutependance dabord deacutefinitionnelle le laquo προσκατηγορούμενον raquo de 256 7 quoique le texte soit icisuspect (laquo τὸ δὲ ltοὕτως ἀποδοτέον πρὸς τὸ πρῶτον ἐν ἑκάστῃ κατηγορίᾳ πῶς πρὸς ἐκεῖνολέγεταιgt [1004a 28-30 ] εἶπεν ἀντὶ τοῦ πῶς ἕκαστον τῶν καθ ἑκάστην κατηγορίαν οὕτωςλεγομένων προσκατηγορούμενον πρὸς τὸ πρῶτον καὶ κυρίως τοιοῦτον λεγόμενον ἔχει ὅ ἐστι τὸἐν τῇ οὐσίᾳ καὶ πῶς ἀπ ἐκείνου λέγεται raquo 256 4-9) Pour le texte dAlexandre Bonitz indique ici unlaquo corruptum videtur raquo On peut proposer la traduction suivante laquo Il dit cela [1004a 28-30] agrave la place de ltil faut diregt comment chaque chose qui se dit ainsi dans chaque cateacutegorie se preacutedique en outrerelativement au terme premier et qui est dit tel [ou x] de faccedilon eacuteminente qui est dans la ltcateacutegorie delagt substance et comment chaque chose se dit agrave partir de lui raquo

324

Les objets de la meacutetaphysique

mesure la prioriteacute de la substance se distinguerait-elle alors dune prioriteacute geacuteneacuterique80

Ce qui montre au premier chef quAlexandre ne se limite pas ici conformeacutement aux

reacutequisits deacutefinis preacuteceacutedemment agrave une prioriteacute deacutefinitionnelle est la faccedilon dont pour lui la prioriteacute

de la substance est celle dun maximum La substance est non seulement dite laquo eacutetant raquo au sens

propre ou eacuteminemment mais elle est eacutetant au plus haut point Ce sont lagrave les deux adverbes qui

reviennent freacutequemment chez lExeacutegegravete laquo κυρίως καὶ μάλιστα raquo ndash dont il nest pas toujours

facile de savoir sil sagit lagrave ou non dun hendiadyn sil faut traduire par laquo eacuteminemment et au plus

haut point raquo ou plutocirct laquo au sens propre et au plus haut point raquo (distinguant une prioriteacute

deacutefinitionnelle et une prioriteacute naturelle)81 Agrave tout le moins est-il clair que pour lExeacutegegravete ces

adverbes viennent qualifier une certaine maniegravere decirctre premier82

Par analogie le point est en effet eacutetabli sans ambiguiumlteacute pour la meacutedecine ou plus

exactement le meacutedecin

[24135] Ὁμοίως καὶ τὸ ἰατρικὸν τὸ μὲνλέγεται οὕτως τῷ ἔχειν ἰατρικήν ὡς ὁἰατρικός ὃ καὶ κυρίως καὶ μάλιστα ἰατρικόντὸ δὲ τῷ εὐφυὲς εἶναι πρὸς τὸ ἀναλαβεῖνἰατρικήν τὸ δὲ ὡς ἔργον καὶ ἀποτέλεσμαἰατρικῆς ὡς [2421] λέγομεν ἰατρικῶςτετμῆσθαί τι τὸ δὲ ὡς ὄργανον πρὸςἰατρικὴν συντελοῦν ἢ φάρμακον Λέγεται δὲκαὶ βιβλίον ἰατρικὸν τὸ περὶ ἰατρικῆςσυντεταγμένον

De mecircme pour laquo meacutedical raquo quon dit ainsidabord parce quil possegravede la meacutedecine comme lemeacutedecin qui est eacuteminemment et au plus hautpoint meacutedical ensuite parce quil est naturellementdoueacute pour apprendre la meacutedecine ou encore parcequil est lacte et lachegravevement de la meacutedecine ndashcomme on dit de quelque chose quil a eacuteteacute deacutecoupeacute demaniegravere meacutedicale83 ndash ou encore comme un instrumentqui contribue agrave la meacutedecine ou un meacutedicament Ondit aussi laquo meacutedical raquo un livre qui a eacuteteacute composeacute84 agravepropos de la meacutedecine

(241 35 ndash 242 3)

Il ne faut pas se laisser ici abuser par le report du premier sens de la meacutedecine vers le

meacutedecin la science meacutedicale est de fait une disposition de lacircme du meacutedecin Lanalogie avec

leacutetant et le sain est toujours la suivante

80 Pour reprendre les termes de la critique de E Berti adresseacutee fort justement agrave la thegravese de Owen (cf EBerti [2001] [2008a] p 358-359) Cf GEL Owen [1960] p 169 n 16 laquo all the senses of on must bedefined in terms of ousia raquo

81 Pour un bon exemple de couplage de ces deux adverbes voir le texte fort de 183 11-13 laquo τοιοῦτονγὰρ καὶ τὸ τῆς σοφίας τέλος ἡ γὰρ τοῦ κυριωτάτου τε καὶ ἀρίστου τῶν ὄντων καὶ μάλιστα ὄντοςγνῶσις μέγιστον οὖσα ἀγαθὸν ἐκείνῃ τέλος raquo

82 Voir entre autres In Met 244 19 ou 266 4-5

83 En bon franccedilais de maniegravere chirurgicale

84 Il y a peut-ecirctre jeu de mots avec laquo τὰ συντεταγμένα raquo qui deacutesigne speacutecifiquement lordonnancemeacutedicale ndash mais le verbe est courant pour deacutesigner la composition dun livre

325

Les objets de la meacutetaphysique

Meacutedical Meacutedecine Meacutedecin Autres choses meacutedicales (scalpel ouvrage demeacutedecine etc)

Sain Santeacute Autres choses saines (reacutegimes promenademeacutedicament bon teint etc)

Eacutetant Substance Eacutetants non-substantiels (accidents de la substancechemins vers la substance etc)85

Il ny a donc aucune raison de penser que la meacutedecine est analogue agrave leacutetant et le meacutedecin

agrave la substance cest la meacutedecine ndash en tant quelle est neacutecessairement posseacutedeacutee par un meacutedecin ndash

qui est bien le sens premier du meacutedical86

Alexandre naffirme en revanche jamais aussi explicitement que la santeacute est saine au plus

haut point ndash ce qui pour le coup sonnerait peut-ecirctre par trop platonicien Juste avant notre

passage il eacutetablit dabord prudemment la deacutependance des choses saines agrave la santeacute de faccedilon

neacutegative laquo ce qui ne contribue en rien agrave la santeacute si on lappelait sain le serait dit de maniegravere

homonymique par rapport agrave tout le reste des choses saines raquo (241 33-34) La santeacute est ainsi la

reacutefeacuterence de toutes les choses saines et agrave ce titre elle fait laquo eacuteminemment et au plus haut point raquo

lobjet de la meacutedecine87

Quant agrave la substance on peut dabord songer agrave une prioriteacute seulement deacutefinitionnelle

celle dun sens propre agrave cause de lambiguiumlteacute de κυριῶς ainsi en 242 10-11 laquo ὂν γὰρ λέγεται

κυρίως μὲν ἡ οὐσία raquo Mais cela devient beaucoup plus intenable lorsque une page plus loin

Alexandre proclame la laquo force de la substance relativement agrave lecirctre et agrave leacutetant raquo88 qui permet que

mecircme ses neacutegations soient tenues pour des eacutetants Ainsi selon un raisonnement deacutejagrave analyseacute au

chapitre preacuteceacutedent la science de leacutetant en tant queacutetant est-elle surtout (μάλιστα) science de la

substance parce que celle-ci est la plus eacuteminente parmi les eacutetants laquo κυριώτατον γὰρ τοῦτο ἐν

τοῖς οὖσιν ὡς ἐρρέθη καὶ πρὸς τοῦτο τἆλλα raquo (267 26-27) Multiplier les exemples serait

redondant pour Alexandre la substance est bien le premier eacutetant ce qui est au plus haut point89

85 Pour les exemples du sain cf In Met 241 29-33 pour les exemples du meacutedical cf le texte citeacute ci-dessus pour les types deacutetants voir 242 10 sq

86 Contrairement agrave ce que soutient M Bonelli [2001] p 109

87 In Met 24415-16 (laquo ἡ γοῦν ἰστρική πάντων οὖσα τῶν ὑγιεινῶν ἐπιστήμη κυρίως καὶ μάλιστα τῆςὑγιείας ἐστί πρὸς ἣν τὰ ἄλλα λέγεται raquo) Pour la laquo reacutefeacuterence raquo cf entre autres le passage deacutejagrave citeacute de255 17-19

88 In Met 243 9-10 laquo Ἐνδείκνυται δὲ τὴν τῆς οὐσίας ἰσχὺν πρὸς τὸ εἶναί τε καὶ τὸ ὄν raquo

89 Voir aussi In Met 244 19-20 (laquo τοῦ πρώτου καὶ κυρίως ὄντος ἔσται δι ὃ καὶ τὰ ἄλλα ὄντα raquo) 255 27(laquo τὸ πρῶτον τῶν ὄντων τοῦτο δέ ἐστιν ἡ οὐσία raquo) 387 11-12 (laquo ἀλλὰ καὶ καθὸ ὑπόκειται καὶ καθὸτἆλλα ἔστι τῷ ἐν ταύτῃ ὑποκειμένῃ εἶναι μάλιστα καὶ πρῶτον ὄν raquo)

326

Les objets de la meacutetaphysique

Il arrive certes agrave Aristote de qualifier dans certains cas de plurivociteacute le sens premier de

laquo κυριῶς raquo voire ailleurs de correacuteler les adverbes μάλιστα et κυριῶς mais jamais ne dit-il que

le sens premier (de lamitieacute de la puissance etc) est tel au plus haut point ndash sauf peut-ecirctre en un

passage du Protreptique90 Pour Alexandre au contraire la substance est non seulement par soi

mais mecircme par soi un eacutetant ce quest preacuteciseacutement un eacutetant91 ndash autant dexpressions que lExeacutegegravete

emploie dailleurs aussi agrave la lettre quand il parle de leacutetant selon Platon ou des Ideacutees92 Cela agrave soi

seul nimplique pas une lecture platonisante de la doctrine aristoteacutelicienne de la substance mais

plutocirct une certaine maniegravere dinterpreacuteter la critique de lIdeacutee platonicienne La doctrine de la

substance serait ainsi conccedilue comme reacuteussissant lagrave ougrave eacutechouait la theacuteorie platonicienne la

substance elle-mecircme venant prendre en charge ce que ne parvenaient pas agrave faire les Ideacutees

Surtout la thegravese selon laquelle la substance est un eacutetant au plus haut point nest rien

dautre au fond que lapplication directe de la diffeacuterence que fait Alexandre entre synonymes et

πρὸς ἕν Labsence d laquo isotimie raquo lineacutegaliteacute de condition quAlexandre avait annonceacutee comme

caracteacuteristique des πρὸς ἕν trouve donc son expression dans une diffeacuterence de degreacutes Ici aussi

comme on la vu dans sa theacuteorie des principes et singuliegraverement dans le commentaire agrave α 1

Alexandre ouvre la voie agrave ce que M Rashed appelle un laquo gradualisme de lecirctre raquo ou si lon

preacutefegravere agrave une ontologie scalaire93 ndash mecircme si son laquo eacutechelle raquo ne compte ici que deux barreaux la

substance et les eacutetants non substantiels Le laquo gradualisme raquo que M Rashed discerne entre les

diffeacuterentes substances et les diffeacuterentes formes vaut donc deacutejagrave selon nous au niveau

preacutedicamental pour dire la prioriteacute de la substance telle quelle rend possible une preacutedication

90 Pour la correacutelation de μάλιστα et κυριῶς cf par exemple GC I 4 320a 2 Le deacutebut de Θ 1 qualifie bienun sens de la puissance agrave savoir la puissance selon le mouvement de laquo μάλιστα κυρίως raquo (1045b 36)mais nest-ce pas plutocirct comme le traduisent adeacutequatement A Jaulin et M-P Duminil parce que telest le laquo sens le plus propre raquo dans la mesure ougrave laquo puissance raquo est dabord une notion doriginephysique ou comme le dit G Aubry laquo kineacutetique raquo (G Aubry [2006] p 113) et qui sera ensuite deacutepasseacutedans le livre Θ Pour lrsquoideacutee que le sens premier est κυριῶς cf EEVII 2 1236a 20 et EN VIII 5 1157a31 Enfin le Protreptique accorde quant agrave lui explicitement une supeacuterioriteacute de la santeacute sur les chosessaines (Jamblique Protreptique 42 23-29)

91 In Met 249 13 laquo ἡ οὐσία ὅπερ ὄν ἐστι καὶ κυρίως ὄν raquo Voir aussi 250 22 sq (l 23 laquo κυρίως μὲν καὶκαθ αὑτὸ ὂν ἡ οὐσία raquo)

92 LIdeacutee deacutegal par exemple est de fait leacutegal laquo κυρίως raquo et plus geacuteneacuteralement les Ideacutees sont ce quellessont laquo κυρίως raquo (83 14 et 21 Sur ce texte voir entre autres GEL Owen [1957] et L Gazziero [2008]Notons en passant que jamais en A Aristote nemploie ladverbe pour qualifier les Ideacutees) Les Ideacuteesdoivent aussi ecirctre de mecircme nature au plus haut point laquo μάλιστα raquo (89 24)

93 On se rappelle que pour Alexandre les principes premiers sont eacutetants au plus haut point (la thegravese estreacutepeacuteteacutee dans le proegraveme du commentaire agrave Γ en 237 5 sq) et que tels sont les objet de la sagesse (183 10sq) Pour le commentaire agrave α 1 cf ci-dessus sect 213 Sur le gradualisme de lecirctre et de la veacuteriteacute cf MRashed [2007b] p 309 sq

327

Les objets de la meacutetaphysique

leacutegitime de laquo eacutetant raquo ni homonymique ni du moins selon Alexandre synonymique preacuteciseacutement

du fait de cette ineacutegaliteacute

Agrave cela sajoute que pour lExeacutegegravete cette eacutechelle de leacutetant est aussi une eacutechelle de luniteacute

En vertu de la convertibiliteacute entre eacutetant et un la substance est en effet aussi eacuteminemment et par

soi laquo une raquo94 Degraves lors laquo πρὸς ἕν raquo et laquo ἀφ ἑνός raquo signifient dans le cas des eacutetants non pas

seulement le fait decirctre relatif ou de provenir dune uniteacute parmi dautres mais de luniteacute au sens

propre luniteacute substantielle

Leacutecart avec Aristote et le texte de Γ 2 est alors net Et mecircme si lon soutient quAlexandre

lit Γ 2 en ayant le livre Z en tecircte95 ougrave le privilegravege de la substance est davantage eacutetayeacute il reste

quen Z la substance est uniquement deacutetermineacutee comme le laquo premier eacutetant raquo celui que

laquo suivent raquo les eacutetants non substantiels96 non comme eacutetant au plus haut point On a de toute faccedilon

de nombreuses raisons de penser que lontologie aristoteacutelicienne nest pas une ontologie scalaire

ne serait-ce que parce que comme on la vu pour Aristote il ny a de comparaison possible

quentre des synonymes quil ne peut donc pas y avoir de plus et de moins entre les eacutetants97

Seuls peut-ecirctre Meacutetaphysique α et les fragments du Protreptique pourraient admettre une lecture

gradualiste98 La conception de degreacutes dans leacutetant tend agrave affadir la thegravese de sa plurivociteacute agrave en

donner en tout cas une version ordonneacutee et si ce nest homogegravene du moins unifieacutee

Mais il y a plus Alexandre ne se contente pas deacutetablir cette prioriteacute de la substance

comme maximum decirctre et duniteacute pour fonder luniteacute reacutefeacuterentielle des autres eacutetants Si la

substance est le premier eacutetant leacutetant au sens propre ou eacuteminent cest aussi parce que

simultaneacutement elle est cause de lecirctre des autres eacutetants

94 Cf par exemple In Met 249 5 sq et 13-14 laquo ὥσπερ ἡ οὐσία ὅπερ ὄν ἐστι καὶ κυρίως ὄν οὕτω καὶὅπερ ἓν καὶ κυρίως ἕν ἀλλ οὐ κατὰ συμβεβηκός raquo

95 M Bonelli [2001] p 119 sq

96 Respectivement en Z 1 1028a 14 et Z 4 1030a 22

97 Pour ces arguments ndash et dautres ndash cf W Leszl [1970] p 75 sq et 280 sq On peut tout agrave fait expliquercertains passages de Z par exemple qui ont lair gradualistes sans recourir agrave une ontologie scalaire Ilnous paraicirct mecircme quinjecter des degreacutes de lecirctre ou de la substance dans les passages ougrave Aristote parlede ce qui est laquo plutocirct substance raquo ou laquo plutocirct eacutetant raquo (1028a 26 1029a 6 1029a 29-30 1040b 22-24 etc)relegraveverait du faux-sens Cf aussi B 5 1002a 4-8 et 15-18 Sur ces questions voir agrave nouveau W Leszl[1970] 354-355

98 Cf R Brague [1988] p 407 n 24 Pour limportance de Meacutetaphysique α et du Protreptique pourAlexandre cf M Rashed [2000] et [2007b] p 309 sq et ci-dessus sect 213

328

Les objets de la meacutetaphysique

b) Une cause

On sen souvient selon Alexandre la preacutedication de laquo eacutetant raquo est fondeacutee en ce que la

nature de la substance se donne agrave laquo voir raquo dans les diffeacuterents eacutetants99 Agrave la question de savoir en

quelle faccedilon la substance se manifeste dans les eacutetants la reacuteponse est quelle le fait agrave titre de cause

La deacutependance des eacutetants agrave la substance est comprise comme une deacutependance causale Ici aussi

se creuse leacutecart entre le Philosophe et son Exeacutegegravete Alexandre va introduire dans son

commentaire agrave Γ le vocabulaire de la causaliteacute (laquo αἰτία raquo ou laquo δι ὅ raquo) un vocabulaire absent du

texte aristoteacutelicien Aristote y qualifie la substance de laquo principe raquo100 sans jamais speacutecifier outre

mesure On la dit la nature de la prioriteacute de la substance la faccedilon dont elle est principe des

autres significations est agrave peu de choses pregraves laisseacutee dans lombre en Γ elle nest en tout cas pas

expliciteacutee dans les termes de Z (prioriteacute deacutefinitionnelle dans la connaissance et dans le temps) Si

lon peut accorder agrave Owen quen Γ laccent est davantage mis sur la deacutependance deacutefinitionnelle

caracteacuterisant la substance comme laquo focal meaning raquo la chose demeure de toute faccedilon moins

explicite quen Z 1 1028a 34-36 ou Θ 1 1045b 31 par exemple De surcroicirct peut-ecirctre en Z 1

Aristote est-il au plus pregraves deacutetablir en outre une deacutependance decirctre entre la substance et les

eacutetants non substantiels en disant que cest laquo par la substance raquo (laquo διὰ ταύτην raquo) que laquo sont raquo les

autres eacutetants101 Mais admettre une deacutependance decirctre entre la substance et les autres eacutetants ou

deacutesigner la substance comme condition sine qua non des autres eacutetants nest mecircme pas encore la

tenir pour une cause ndash ce quAristote ne fera quau bout du chemin de Z en Z 17 et en H et

encore est-ce en un sens tregraves deacutetermineacute102 En outre que la substance soit principe pour les autres

eacutetants nest pas exactement dire que lecirctre des autres eacutetants serait en quelque faccedilon reacuteductible agrave

voire deacuteductible de lecirctre de ce principe lui-mecircme

Pour Alexandre au contraire la causaliteacute de la substance est un acquis un donneacute et lideacutee

que la substance est cause de lecirctre des autres eacutetants est sans doute lune des thegraveses les plus

99 Pour meacutemoire In Met 243 33 ndash 244 3 laquo τρόπον δέ τινα καὶ ταῦτα πρὸς μίαν φύσιν τὴν ἀναφορὰνἔχοντα καθ ἓν λέγεται καθ ὅσον ἐν πᾶσί πως αὐτοῖς ὁρᾶται ἡ φύσις αὕτη ἀφ ἧς καὶ δι ἣν οὕτωςκαλεῖται εἰ καὶ μὴ ὁμοίως καὶ ἐπίσης αὐτῆς πάντα μετέχει raquo Pour ecirctre exact ce qui se laisse voirnest pas laquo la nature de la substance au sens de lessence de la substance mais plutocirct laquo cette naturequest la substance raquo φύσις eacutetant sans doute employeacutee ici au sens tregraves large de laquo reacutealiteacute raquo

100 Met Γ 2 1003b 6 laquo πρὸς μίαν ἀρχήν raquo

101 Met Z 1 1028a 29-30 Sur le saut de largumentation agrave lœuvre agrave cet endroit de Z 1 cf JK Ward [2010]p 114 Voir aussi parmi dautres textes GC I 3 317b 4-11

102 Voir aussi Met Λ 5 1071a 1-2

329

Les objets de la meacutetaphysique

constantes de lExeacutegegravete On en a ainsi une esquisse dans une preacutemisse de la reacutefutation des Ideacutees

en 89 12 sq Ce passage tend dailleurs agrave conforter lhypothegravese selon laquelle pour Alexandre la

theacuteorie aristoteacutelicienne de la substance est la pars construens de la destruction des Ideacutees La

substance est ce qui fait que les autres eacutetants sont ou sont ce quils sont103 sans tomber dans la

meacutetaphore du modegravele ni la position dentiteacutes universelles seacutepareacutees En commentant A 9 et la

question de savoir si les platoniciens peuvent de faccedilon coheacuterente poser ou non lexistence

dIdeacutees dautres choses que des substances Alexandre suit en un premier temps au plus pregraves

Aristote Les platoniciens sont deacutecrits comme deacutechireacutes entre deux injonctions contradictoires

leur tendance dune part agrave poser des Ideacutees dautres choses que des substances puisquil y a des

formes de tout ce qui peut ecirctre objet de science (990b 11-13) et que les sciences ne portent pas que

sur les substances (b 26-27) dautre part une conception de la participation comme ce qui na pas

lieu par accident mais par soi et ougrave le participeacute laquo ne se disant pas dun substrat raquo (b 31) il doit

ecirctre substantiel

Agrave partir de 89 9 toutefois Alexandre introduit dans son commentaire un deacuteveloppement

qui nest plus une simple paraphrase104 Il y fait en somme le raisonnement suivant les Ideacutees

doivent ecirctre causes de lecirctre des choses qui sont relativement agrave elles (laquo αἰτίαι τοῖς πρὸς αὐτὰς

οὖσι τοῦ εἶναι raquo 89 9) et cette causaliteacute sexerce par la participation de ces deux preacutemisses il

sensuit que les Ideacutees doivent ecirctre par soi causes pour les choses qui sont relativement agrave elles et agrave

cause delles (laquo αἴτια τοῖς πρὸς αὐτὰς καὶ δι αὐτὰς οὖσιν raquo 89 11) Si cette causaliteacute sexerccedilait

par accident les Ideacutees ne pourraient en effet fournir lecirctre agrave ces choses (laquo τὸ εἶναι ἂν τοῖς πρὸς

αὐτὰς οὖσι παρέχοιεν raquo 89 14-15) Largument dAlexandre est donc diffeacuterent de celui

dAristote et va agrave tout le moins au-delagrave du seul texte lExeacutegegravete se sert de la proprieacuteteacute pour les

Ideacutees decirctre laquo causes de lecirctre raquo pour asseoir quelles sont substances et que degraves lors ce qui en

participe ne peut ecirctre que substantiel (89 18-20) On note en outre lemploi singulier de la

preacuteposition πρός quAristote nutilise pas en ce contexte Chez Alexandre elle signifie la relation

des choses sensibles aux Ideacutees et se trouve donc donneacutee comme la reacuteversion de la relation de

causaliteacute des Ideacutees agrave leacutegard de ce qui en participe

Plus geacuteneacuteralement la thegravese selon laquelle les Ideacutees ont agrave assumer le rocircle de laquo causes de

103 Nous laissons encore ici dans lombre la nature exacte de la causaliteacute exerceacutee par la substance celle-cineacutetant quimplicite dans le commentaire agrave A

104 WE Dooley [1989] p 126 n 275 note bien quAlexandre nest plus dans la simple paraphraseSeulement pour Dooley Alexandre se contente en fait lagrave de laquo deacutevelopper les implications du texte raquo ilnous semble quAlexandre en fait davantage

330

Les objets de la meacutetaphysique

lecirctre raquo pour le reste est freacutequente dans le commentaire alexandrinien agrave A 9105 bien plus freacutequente

que dans le texte dAristote Le Stagirite rappelle une seule fois laffirmation du Pheacutedon qui veut

que les Ideacutees soient laquo causes de lecirctre et du devenir raquo Or pour la critique aristoteacutelicienne cest la

conjonction de lecirctre et du devenir qui est cruciale106 Mais si la substance aristoteacutelicienne pour

Alexandre peut ecirctre leacutegitimement consideacutereacutee comme laquo cause de lecirctre raquo cest bien parce que le

concept de substance est en mesure dassumer une tacircche theacuteorique deacutecrivant adeacutequatement le

reacuteel que les Ideacutees ne parviennent agrave exercer La substance est ainsi cause de lecirctre des autres eacutetants

sans pour autant supprimer le fait de laccidentaliteacute et la multipliciteacute du monde La thegravese

platonicienne en effet par lideacutee de participation agrave leacutetant en soi et lun en soi tend agrave reacuteduire

toutes choses agrave luniteacute alors que mecircme dans le cadre platonicien laquo bien que ltces chosesgt

viennent agrave ecirctre relativement agrave une certaine uniteacute elles sont et demeurent pourtant multiples raquo107

Et cest cette contradiction que la theacuteorie aristoteacutelicienne de la substance et la doctrine attenante

du πρὸς ἕν permettent deacuteviter

Cette fonction de laquo cause de lecirctre raquo est en effet explicitement attribueacutee agrave la substance dans

le cadre de sa fonction duniteacute de reacutefeacuterence dans le commentaire de 1003b 16-17 lagrave ougrave Aristote

dit

Or dans tous les cas la science est proprement science du premier dont deacutepend tout lereste et par quoi il se dit

Cette affirmation est bien sucircr cruciale pour linterpreacutetation dAlexandre Mais la

proposition aristoteacutelicienne contrairement peut-ecirctre aux apparences nimplique pas

neacutecessairement de poser la substance comme cause de lecirctre En effet on peut tregraves bien comme le

propose P Aubenque108 consideacuterer quon a lagrave leacutenonceacute dun principe geacuteneacuteral (laquo dans tous les cas la

science est proprement science du premier raquo) valant dans deux cas distincts comme en teacutemoigne

105 Voir par exemple In Met 77 23 94 5 96 26-27 (ougrave il est question pour les Ideacutees de laquo contribuer raquoσυντελεῖν agrave lecirctre des autres choses) 97 2 etc Cf aussi le rappel dans le commentaire agrave Δ 8 In Met374 36 (laquo αἱ γὰρ ἰδέαι ἀριθμοὶ οὖσαι τοῦ εἶναι τοῖς ἄλλοις αἴτιαι raquo)

106 En A 9 991b 4 se reacutefeacuterant sans doute au Pheacutedon 97b 5-6 ougrave Socrate apregraves avoir annonceacute une enquecirctesur les causes de la geacuteneacuteration et la corruption ajoute la question de savoir laquo pourquoi une chose est raquoPour cette critique aristoteacutelicienne voir le passage parallegravele de M 5 1080a 3 et GC II 9 335b 15-16

107 In Met 125 11-13 la phrase complegravete eacutetant laquo ὥστε οὐ τὰ πολλὰ καὶ τὰ πάντα ἓν γίγνεται κἂνσυγχωρήσῃ τις αὐτοῖς πάντα ἃ λαμβάνουσιν ἀλλὰ πρὸς ἕν τι γεγονότα πολλὰ μέντοι ὄντα καὶμένοντα raquo qui commente Met A 9 992b 10-11 Preacutecisons que pour Alexandre cette critique se faitbien dun point de vue platonicien comme le preacutecise le deacutebut de cette phrase et entend pointer unecontradiction interne Pour la pluraliteacute des choses en dehors des Ideacutees cf entre autres Rep VI 507b

108 P Aubenque [1985a] [2009a] p 297

331

Les objets de la meacutetaphysique

la polysyndegravete avec la reacutepeacutetition du καὶ Si la polysyndegravete doit ecirctre lue comme unifiant ces deux

laquo cas raquo rien nempecircche pour autant dentendre la laquo deacutependance raquo mentionneacutee dans la premiegravere

relative agrave la lumiegravere de la seconde et deacutesignant donc une deacutependance dabord seacutemantique Tenir

cette deacutependance pour une forme de causaliteacute est un geste dinterpregravete ndash qui nest du reste guegravere

neacutecessaire pour rendre raison de la progression argumentative du passage ndash et Alexandre lui

saute allegravegrement ce pas

1003b16 Πανταχοῦ δὲ κυρίως τοῦπρώτου ἡ ἐπιστήμη

[24410] Λαβὼν ὅτι τῶν πολλαχῶςλεγομένων ὡς ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓνἐπιστήμη μία ἑξῆς δείκνυσιν ὅτι ἐν τοῖςοὕτως ἔχουσιν ἐν οἷς τὸ μὲν πρῶτόν τί ἐστικαὶ κυρίως λεγόμενον τὰ δὲ ἀπ ἐκείνου ὡςἔχει ἐν τοῖς ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἓν λεγομένοιςτοῦ πρώτου κυρίως καὶ μάλιστά ἐστιν ἡ περὶἐκείνην τὴν φύσιν καταγινομένη ἐπιστήμηπρὸς ἣν καὶ τὰ ἄλλα συντελεῖ [24415]

laquo Or dans tous les cas la science est eacuteminemmentscience du premier raquo

Apregraves avoir poseacute que des choses dites enplusieurs sens comme celles agrave partir dune uniteacute etrelativement agrave une uniteacute il y a une unique science ilmontre ensuite que dans les choses qui se comportentainsi dans lesquelles il y a dune part quelque chosequi est premier et est dit eacuteminemment et dautre partce qui en provient (comme il en va dans ce qui se dit agravepartir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacute) lascience qui porte sur cette nature agrave laquellecontribuent les autres choses est eacuteminemment et auplus haut point science du premier

Ἡ γοῦν ἰστρική πάντων οὖσα τῶνὑγιεινῶν ἐπιστήμη κυρίως καὶ μάλιστα τῆςὑγιείας ἐστί πρὸς ἣν τὰ ἄλλα λέγεταιὁμοίως καὶ ἡ περὶ ἀγαθῶν κυρίως καὶμάλιστά ἐστι περὶ τοῦ τελειοτάτου τῶνἀγαθῶν

Par exemple la meacutedecine qui est science detoutes les choses saines est eacuteminemment et au plushaut point science de la santeacute relativement agrave laquelletoutes les autres choses ltsainesgt sont dites ltsainesgtDe la mecircme maniegravere la science des biens porteeacuteminemment et au plus haut point sur le plus parfaitdes biens

Καὶ περὶ τοῦ ὄντος δὴ παντός ἐπεὶ τῆςαὐτῆς ἐστι φύσεως τὸ ὄν μία μὲν ἐπιστήμηαὕτη δὲ μάλιστα ἐπὶ τοῦ πρώτου καὶ κυρίωςὄντος ἔσται δι ὃ [24420] καὶ τὰ ἄλλα ὄνταTὴν δὲ οὐσίαν τοιοῦτον λέγουσιν ἐκ ταύτηςγὰρ ἤρτηται τὸ εἶναι τῶν ἄλλων καὶ διὰταύτην ὄντα κἀκεῖνα Τῶν οὐσιῶν ἄρα τὰςἀρχὰς καὶ τὰς αἰτίας ζητητέον τῷ φιλοσόφῳᾧ ἡ πραγματεία περὶ τὸ ὂν ᾗ ὄν αἱ γὰρταύτης ἀρχαὶ καὶ τοῦ ὄντος ἂν παντὸς εἶενεἴ γε τοῖς ἄλλοις ἡ οὐσία ἀρχή τε καὶ αἰτίατοῦ εἶναι

Donc aussi pour leacutetant dans sa totaliteacute puisqueleacutetant est de mecircme nature il y a une unique sciencemais celle-ci portera principalement sur leacutetantpremier et eacuteminent par lequel109 tous les autres eacutetantsaussi sont lteacutetantsgt Un tel eacutetant on dit que cest lasubstance De celle-ci en effet deacutepend lecirctre des autreseacutetants et par elle ceux-ci sont eacutetants110 Ce sont doncles principes et les causes des substances que doitchercher le philosophe lui dont leacutetude porte surleacutetant en tant queacutetant Les principes de la substanceen effet seraient aussi les principes de tout eacutetant silest vrai que la substance est agrave la fois principe et causede lecirctre pour le reste des eacutetants

(244 9-24)

109 Ou ndash mais cest plus lourd ndash laquo agrave cause duquel raquo De mecircme pour loccurrence suivante agrave propos de lasubstance Sur leacutequivalence systeacutematique de laquo δι ὃ raquo avec la cause chez Alexandre voir aussi In Met247 13-15

110 Pour meacutemoire leacutequivalence de laquo ecirctre raquo employeacute absolument avec laquo ecirctre un eacutetant raquo est eacutetablie en In AnPr 15 15-22

332

Les objets de la meacutetaphysique

Le texte concentre un certain nombre des gestes exeacutegeacutetiques deacutejagrave observeacutes chez

Alexandre au sujet non seulement des plurivoques mais aussi de la science de leacutetant en tant

queacutetant et la place quy occupe la substance nous ny revenons pas Le premier moment du texte

(deacutelimiteacute ci-dessus par le premier paragraphe) reacutecupegravere les analyses preacuteceacutedentes sur les ἀφ ἑνός

τε καὶ πρὸς ἕν et les applique au cas des sciences qui les eacutetudie la science de ces choses est

laquo eacuteminemment et au plus haut point raquo science du premier sens ndash ce qui ne signifie pas quelle soit

exclusivement science de celui-ci La suite deacutecline cette thegravese par deux modegraveles qui rendent

visibles les efforts dAlexandre pour aplanir le texte dAristote quoique dune maniegravere assez

ingeacutenieuse Le premier cas explicite ainsi le lien entre les deux exemples aristoteacuteliciens du sain et

du meacutedical pour mieux mettre au jour la communauteacute de structure entre lobjet de la science (le

sain et la santeacute) et la science (la meacutedecine) Le cas du Bien absent du texte dAristote est

eacutegalement inteacuteressant Alexandre le classe ici explicitement dans les ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν ce

qui justifie a posteriori sa reprise deacuteleacutements de lanalyse anti-platonicienne du deacutebut de lrsquoEacutethique agrave

Nicomaque dans le traitement des ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν Il est en outre probable quAlexandre

lintroduise au titre dobjet de la sagesse et donc par anticipation de leacutetant puisque celle-ci porte

sur le Bien qui est non pas objet daction mais de contemplation laquo le plus eacuteminent et le meilleur

des eacutetants raquo laquo ce qui est au plus haut point raquo111 La position du Bien dans les ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς

ἕν est lun des multiples aspects de lunification alexandrinienne de la Meacutetaphysique

Par analogie et gracircce agrave cette meacutediation que constitue le cas du bien112 la mecircme analyse se

voit degraves lors appliqueacutee agrave leacutetant la science de leacutetant en tant queacutetant porte sur luniteacute agrave laquelle se

reacutefegraverent les eacutetants la substance Mais ce qui est neuf par rapport aux exemples preacuteceacutedents113 est

lunification des relations de provenance et de reacutefeacuterence (ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν) dans la

deacutependance causale La substance est cause de lecirctre des autres eacutetants et cest en vertu de cette

causaliteacute quils sont des eacutetants et sont donc appeleacutes laquo eacutetants raquo La difficulteacute est bien sucircr de savoir

ce que veut dire ici laquo cause de lecirctre raquo une question eacutepineuse dans les deacutetails de laquelle on

peacuteneacutetrera plus avant degraves la prochaine partie

111 Cf In Met 183 11-13 laquo τοιοῦτον γὰρ καὶ τὸ τῆς σοφίας τέλος ἡ γὰρ τοῦ κυριωτάτου τε καὶἀρίστου τῶν ὄντων καὶ μάλιστα ὄντος γνῶσις μέγιστον οὖσα ἀγαθὸν ἐκείνῃ τέλος raquo

112 On en perccediloit un usage similaire (du cas du Bien comme laquo plaque tournante raquo du raisonnement) dansle passage eacutetudieacute ci-apregraves du De anima 88 24- 89 8 ougrave le bien est lexemple dapplication de principede causaliteacute du maximum qui permet quon applique ensuite le principe au cas des intelligibles et delintellect agent

113 Alors que dans dautre texte (cf note preacuteceacutedente) Alexandre nrsquoheacutesite pas agrave poser le bien suprecircmecomme cause de la bonteacute des autres biens

333

Les objets de la meacutetaphysique

Dembleacutee cependant en vertu du commentaire au dernier sens de la prioriteacute en Δ 11 on

est fondeacute agrave comprendre cette cause de lecirctre agrave laune dune deacutependance existentielle Alexandre

dit en effet dans son commentaire agrave Δ 11 que la substance est premiegravere par rapport agrave ses

accidents au sens ougrave la destruction de la substance entraicircne celle des accidents mais que la

destruction des accidents nentraicircne pas celle de la substance114 Cette anteacuterioriteacute est une prioriteacute

laquo selon lecirctre et lexistence raquo (κατὰ τὸ εἶναι [hellip] καὶ κατὰ τὴν ὕπαρξίν 387 8-9) et Alexandre la

rattache agrave la fonction substrative de la substance en vertu de laquelle elle est llaquo eacutetant au plus

haut point et premier raquo (μάλιστα καὶ πρῶτον ὄν 387 12)

Lanteacuterioriteacute de la substance qui se fait jour dans le traitement alexandrinien des πρὸς ἕν

est donc le sens de laquo premier raquo quAristote qualifie lui-mecircme de platonicien la prioriteacute naturelle

ou substantielle J Cleary note en effet que dans tout le traitement aristoteacutelicien de la prioriteacute

dans lensemble du corpus cest le seul sens qui se trouve rattacheacute agrave une figure historique ndash

quoique lon puisse avoir du mal agrave trouver une reacutefeacuterence agrave cette laquo division raquo dans les dialogues115

Ce critegravere de lanteacuterioriteacute que reprend Alexandre et qui nest pas sans rappeler eacutegalement les

Cateacutegories 12 et 13116 doit ainsi ecirctre lu dans la continuiteacute de son gradualisme ndash comme en

teacutemoigne aussi le commentaire agrave B 5 sur le corps qui est moins substance que la surface parce

que lun implique lautre mais non linverse117

La diffeacuterence flagrante entre Aristote et Alexandre est quAlexandre tire de cette prioriteacute

de la substance un double statut de cause et de maximum decirctre ce que fait par exemple dans le

commentaire agrave Δ 11 la proposition de 387 11-12 laquo ἀλλὰ καὶ καθὸ ὑπόκειται καὶ καθὸ τἆλλα

ἔστι τῷ ἐν ταύτῃ ὑποκειμένῃ εἶναι μάλιστα καὶ πρῶτον ὄν raquo Si lExeacutegegravete est coheacuterent ndash et rien

nindique le contraire ndash il faut entendre le laquo καθὸ τἆλλα ἔστι raquo en eacutecho avec la deacutetermination de

la substance comme cause de lecirctre Cest de cette deacutetermination quAlexandre tire lideacutee quelle

est eacutetant au plus haut point et premier selon le principe sous-jacent que nous nommons

laquo principe de causaliteacute du maximum raquo dapregraves lequel dans un ensemble deacuteleacutements doteacutes du

mecircme preacutedicat x leacuteleacutement qui est x au plus haut point est alors neacutecessairement la cause de lecirctre-

x des eacuteleacutements restants et reacuteciproquement

114 Pour largument de suppression cf ci-dessous sect 321

115 JJ Cleary [1988] p 44-45 et WD Ross [1924] I p 317 Cleary renvoie au Sophiste et au Politique

116 Cf par exemple sur lanteacuterioriteacute des genres Cat 13 15a 4-6

117 Cleary se livre dailleurs agrave une lecture gradualiste de ce passage cf JJ Cleary [1988] n 56 p 111 PourAlexandre cf In Met 228 30 sq

334

Les objets de la meacutetaphysique

Ce passage ne fait selon nous que concentrer ce qui se trouve implicite dans le reste du

corpus mais qui est trop freacutequent pour ne pas ecirctre significatif agrave savoir la correacutelation pour la

substance de son statut de cause avec celui de maximum decirctre ou deacutetant premier et au plus

haut point Le principe de causaliteacute du maximum est la structure cacheacutee qui guide la

compreacutehension alexandrinienne de la relation ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν Gracircce agrave lui lobjectif que

seacutetait fixeacute lExeacutegegravete est rempli la relation seacutemantique des divers eacutetants agrave la substance et la

possibiliteacute de tous les nommer laquo eacutetants raquo est fondeacutee en reacutealiteacute Les eacutetants non substantiels nont

lecirctre quen vertu de la substance comprise comme eacutetant maximal et capable dexercer la fonction

de laquo cause de lecirctre raquo pour tout le reste Luniteacute des divers eacutetants est donc maintenue les eacutetants

non substantiels laquo partagent une certaine communauteacute dans le fait decirctre ce quils sont dits parce

quil y a une certaine nature de cet objet ltla substancegt qui en quelque faccedilon se laisse voir en

tous raquo (241 18-20)

c) Premier et universel derechef

La proposition de Derrida selon laquelle dans lhistoire de la philosophie la polyseacutemie

nest jamais penseacutee que dans lhorizon laquo dune lecture inteacutegrale raquo celui laquo dune parousie finale du

sens enfin deacutechiffreacute reacuteveacuteleacute devenu preacutesent dans la richesse rassembleacutee de ses

deacuteterminations raquo118 si elle ne nous paraicirct pas pouvoir deacutecrire la situation aristoteacutelicienne (voire

induire un contre-sens sur Γ 2 qui a bien davantage agrave voir avec la laquo disseacutemination raquo) cette

proposition donc pourrait commencer agrave valoir pour son interpreacutetation alexandrinienne Pour ce

faire il faudrait eacutetablir si pour Alexandre la substance suffirait agrave signifier inteacutegralement leacutetant

La polyseacutemie alexandrinienne nest-elle quun tribut accordeacute de mauvaise gracircce agrave la

disseacutemination aristoteacutelicienne Et en ce cas dans quelle mesure le πρὸς ἕν nest-il pas quune

version leacutegegraverement retravailleacutee ie rendue immanente de leacuteponymie platonicienne 119 Lecirctre des

118 J Derrida [1972a] p 389 et [1972b] p 368 et 392

119 JK Ward ([2008] p 39 sq) montre la similariteacute entre la notion platonicienne et le πρὸς ἕν aristoteacutelicienWard en insistant sur ces similariteacutes tend dailleurs agrave donner du πρὸς ἕν aristoteacutelicien une versionsinguliegraverement proche de celle dAlexandre ndash et doit se reprendre quelques pages apregraves (p 40) ensoulignant aussi ce qui seacutepare eacuteponymie et uni-reacutefeacuterentialiteacute agrave savoir que les diffeacuterentes entiteacutesauxquelles sappliquent les preacutedicats (sain eacutetant) sont laquo de mecircme statut meacutetaphysique raquo Mais ladiffeacuterence est eacutevidemment plus forte et Ward le note ensuite au risque dune contradiction avec lespages preacuteceacutedentes la deacutependance entre les Formes et les particuliers na finalement rien agrave voir avec larelation entre le sens premier et les sens secondaires (p 41)

335

Les objets de la meacutetaphysique

eacutetants non substantiels ne serait alors rien dautre que leffet de la causaliteacute ontique de la

substance un reflet de sa nature deacutetant eacuteminent et la laquo nature raquo de la substance dont il est

question figurerait agrave peu de chose pregraves un genre

Tel serait lultime accomplissement de la coordination du πρὸς ἕν avec lἀφ ἑνός La

relation ἀφ ἑνός inverse en effet le point de vue du πρὸς ἕν en accentuant la position eacuteminente

de luniteacute en question et la deacutependance des autres choses Agrave ce titre la deacutetermination de la

substance comme cause de lecirctre nest rien dautre que lexpression dynamique de la relation ἀφ

ἑνός comme Alexandre lillustre lui-mecircme en disant que cest laquo agrave partir raquo de la substance que les

autres eacutetants possegravedent lecirctre (laquo ἀπὸ τῆς οὐσίας τὸ εἶναι ἔχει raquo 257 8) On pourrait ainsi

concevoir par exemple que le πρὸς ἕν ne deacutesigne plus que la reacutefeacuterence (lanaphore) seacutemantique

des eacutetants non-substantiels agrave la substance la relation de deacutependance lἀφ ἑνός signifiant au

contraire leur relation reacuteelle la causaliteacute de la substance120

De faccedilon plus geacuteneacuterale la substance est-elle pour autant essentiellement un eacutetant au point

davoir lecirctre pour essence de ne plus figurer un sens de leacutetant parmi dautres fucirct-il le premier

mais suffisant agrave dire la totaliteacute ce que cest que decirctre La substance premiegravere selon lecirctre et

premiegravere selon leacutenonceacute serait premiegravere dans la connaissance mais au sens ougrave la connaissance du

reste se laisserait deacuteduire de la connaissance du premier Telle est la thegravese qui selon W Leszl ou

E Berti par exemple se trouve au fond des conceptions synonymiques du πρὸς ἕν des

tentatives pour reacuteduire la plurivociteacute de leacutetant121 Or nous avons deacutejagrave croiseacute un passage qui

semble aller dans ce sens en identifiant premier et universel

Ὅτι δὲ μία τῷ γένει ἡ περὶ τὸ ὂν ᾗ ὂνπραγματευομένη φιλοσοφία ἐδήλωσε καὶ ἐξὧν εὐθὺς ἀρχόμενος τοῦ βιβλίου εἶπενldquoαὕτη δέ ἐστιν οὐδεμιᾷ τῶν ἐν μέρειλεγομένων ἡ αὐτήrdquo ἡ περὶ τὰς ἀρχὰς καὶ τὰπρῶτα αἴτια καὶ τὴν οὐσίαν [24610]πραγματευομένη ἅμα τέ ἐστι πρώτη καὶκαθόλου ἐν γὰρ τοῖς ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓνλεγομένοις τὸ πρῶτον καὶ καθόλου τῷ καὶτοῖς ἄλλοις αὐτὸ εἶναι αἴτιον τοῦ εἶναι ὡςκαὶ αὐτὸς ἐν τῷ Ε τῆσδε τῆς πραγματείαςἐρεῖ

Et que soit une par le genre la philosophie quisoccupe de leacutetant en tant queacutetant Aristote la aussiexpliqueacute agrave partir de ce quil a dit degraves le deacutebut dulivre laquo elle nest identique agrave aucune des sciencesdites partielles raquo elle qui soccupe des principes descauses premiegraveres et de la substance Elle est agrave la foispremiegravere et universelle car dans ce qui se dit agrave partirdune uniteacute et relativement agrave une uniteacute le premier estaussi universel du fait que pour les autres choses ilest lui-mecircme cause de leur ecirctre comme le dira aussiAristote lui-mecircme au livre E de ce traiteacute

(246 6-13)

120 Cf A Stevens [2000] p 79

121 Cf entre autres W Leszl [1970] et E Berti [1979] et [2001] Lexpression de laquo conception synonymique raquonest pas chez E Berti mais cest bien cela quil vise quand il eacutetudie la thegravese dOwen par exemple Voiraussi P Aubenque [1962] p 194 sq

336

Les objets de la meacutetaphysique

Si ce passage commentant 1003b 21-22 ne concerne que la structure uni-reacutefeacuterentielle de

la science de leacutetant en tant queacutetant il preacutetend toutefois eacutenoncer une regravegle geacuteneacuterale pour les laquo ἀφ

ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν raquo agrave savoir la conjonction du premier et de luniversel Luniteacute agrave laquelle se

reacutefegravere et dont proviennent les autres choses dit aussi universellement ce qui vaut pour le reste agrave

titre de laquo cause de lecirctre raquo Appliqueacute au cas preacutedicamental de la substance par rapport aux eacutetants

non-substantiels il faudrait alors le lire en conjonction avec les passages ougrave Alexandre dit que la

substance est laquo par soi raquo eacutetant et une122 La substance alexandrinienne ne serait degraves lors plus tregraves

loin de l laquo αὐτοὸν καὶ αὐτοέν raquo des platoniciens ou dans une version meacutedieacutevale de lesse ipsum

subsistens de Thomas dont E Berti a bien montreacute ce quil perdait de la thegravese aristoteacutelicienne de la

plurivociteacute de leacutetant et ce quil meacutecomprenait de la onziegraveme aporie de B123 Toutefois il nest pas

certain que la thegravese alexandrinienne selon laquelle la substance est par soi un eacutetant tombe dans

le travers deacutenonceacute par Ε Berti si la substance est par soi tout ce quelle est nest-il pas logique

quelle soit eacutegalement par soi un eacutetant De lagrave agrave affirmer quelle est lecirctre par soi et geacuteneacuterique des

platoniciens deacutenonceacute par Aristote il y a tout de mecircme un pas et il reste agrave savoir si Alexandre le

franchit

313 La relativiteacute des eacutetants non-substantiels

La position dAlexandre telle quelle eacutemerge des passages quon vient de citer pourrait

en effet tomber sous les coups adresseacutes par Leszl aux tenants de laquo la conception synonymique du

πρὸς ἕν raquo Parmi les objections de Leszl lune des plus dirimantes consiste agrave mettre au jour agrave titre

de preacutesupposeacute dune telle conception la reacuteductibiliteacute de lecirctre de telle qualiteacute (par exemple) agrave

lecirctre de la substance posseacutedant cette qualiteacute ndash cest lagrave la thegravese de la laquo traduction raquo chez Owen124

122 In Met 250 22 sq

123 Cf E Berti [1979] et [2001] [2008a] particuliegraverement p 364 sq Berti considegravere quil y a un refus defond pour Aristote dune laquo substance dont lessence serait decirctre raquo Sur cette ideacutee cf aussi P Aubenque[1962] p 196-197 qui renvoie agrave AnPo II 7 92b 14

124 W Leszl [1970] p 245 Heidegger aussi se meut encore dans cette conception quand il dit encommentant le deacutebut de Θ 1 laquo par exemple le ποιόν lecirctre-tel il nexiste pas seul en lui-mecircme on nela preacuteciseacutement pas saisi dans sa signification la plus propre lorsquon ne saisit pas en mecircme temps lecirctre-tel de quelque chose Ce rapport ndash laquode quelque chose raquo ndash est constitutif des cateacutegories Celles-cine sont donc pas occasionnellement et apregraves-coup rapporteacutees agrave la premiegravere cateacutegorie par le biais deleacutenonceacute comme si agrave part ccedila elles pouvaient encore signifier quelque chose en elle-mecircme raquo (GA 33 p 8 tr frp 17) Notons cependant au creacutedit de Heidegger que cette interpreacutetation nest avanceacutee quau titre de

337

Les objets de la meacutetaphysique

Or outre que cette interpreacutetation attente par trop clairement agrave lideacutee mecircme dune plurivociteacute de

leacutetant Aristote dit linverse en toutes lettres quand il reacutefute le monisme parmeacutenidien au premier

livre de la Physique125 La deacutependance des eacutetants non-substantiels envers la substance ne peut

preacuteciseacutement pas signifier chez Aristote leur reacuteduction au statut de simples modaliteacutes de la

substance deacutepourvues decirctre propre126 Ce que veut dire laquo eacutetant raquo attribueacute aux eacutetants non-

substantiels ne peut ecirctre inteacutegralement reacuteductible agrave ce quil signifie pour une substance de mecircme

que le sens de laquo sain raquo pour un meacutedicament nest pas uniquement compreacutehensible dans le sens

qua laquo sain raquo pour la santeacute Il nest mecircme pas besoin daller jusquagrave soutenir agrave partir de lagrave une

laquo homonymie raquo de leacutetant ndash thegravese qui se heurtera toujours au deacutebut de Γ 2 ndash car le contre-

argument preacuteceacutedent nimplique aucune autre contrepartie que la seule affirmation dune non-

synonymie de leacutetant

Cela entraicircne que dun point de vue aristoteacutelicien si lattribution de laquo eacutetant raquo aux eacutetants

non-substantiels deacutepend de la substance si donc leacutenonceacute de la substance laquo est preacutesent raquo127 dans

leacutenonceacute de lecirctre des eacutetants non-substantiels il est toutefois impossible que ce soit agrave la maniegravere

dune laquo partie de la deacutefinition raquo Formuleacute en des termes plus proches de lexeacutegegravese dAlexandre ndash

qui ici passe tregraves rapidement sur ces questions de deacutefinitions et insiste bien plus sur la causaliteacute

ontique de la substance ndash il faudrait rendre raison de la deacutependance des eacutetants non-substantiels agrave

la substance sans pour autant leur deacutenier tout sens propre decirctre

Or ce deacuteni pourrait bien avoir eacuteteacute une tentation dAlexandre en particulier quand il veut

justifier la neacutecessiteacute pour le philosophe deacutetudier la substance en octroyant agrave une telle eacutetude une

universaliteacute par conseacutequence128 Cette tentation fait fonds sur une distinction forte qui parcourt

tout le commentaire entre la substance et les eacutetants non-substantiels conccedilus comme des relatifs agrave

la substance Cette thegravese recueille lheacuteritage dAndronicos mais son origine remonte sans doute agrave

lancienne Acadeacutemie129 voire au Sophiste (255c) Chez Andronicos la thegravese intervient dans la

laquo premier deacutegrossissement raquo Rien cependant ne semble linfirmer dans la suite du cours

125 Phys I 3 186a 30-31

126 W Leszl [1970] p 247 Cf aussi P Aubenque [1962] p 193 et 247

127 Aristote emploie simplement laquo ἐνυπάρχειν raquo en Z 1 1028a 35-36 et le deacutebut de Θ 1 dit que les eacutenonceacutesdes cateacutegories secondaires contiendront (laquo ἕξει raquo 1045b 31) celui de la substance Les deux verbes tregraveslarges autorisent donc un eacuteventail dinterpreacutetations

128 Cette tentation rejoindrait la tentation eacutevoqueacutee au chapitre preacuteceacutedent de ne confeacuterer agrave la philosophiepremiegravere quune universaliteacute par conseacutequence On a vu en effet que certains passages du Commentaireneacutetaient pas eacuteloigneacutes de cette voie mecircme si lExeacutegegravete se reprenait ensuite

129 Dapregraves le teacutemoignage des Divisiones aristotelae cf aussi EN I 4 1096a 17-23 Agrave ce sujet voir GELOwens [1960] p 171 et W Leszl [1970] p 348 Pour lorigine acadeacutemicienne nous disposons eacutegalement

338

Les objets de la meacutetaphysique

question dun ordre des cateacutegories agrave la faveur du renouveau du traiteacute aristoteacutelicien au deacutebut de

legravere post-helleacutenistique aux alentours du 1er s av J-C Les cateacutegories peuvent en effet selon

Andronicos se diviser en deux groupes celle qui est par soi la substance et toutes les autres

qui en tant queacutetants sont relatives agrave la substance

Si la position dAndronicos dapregraves les teacutemoignages na pas toujours paru tregraves claire cest

dune part parce que le scolarque pouvait agrave la fois parler de laquo πρός τι raquo en un sens large pour

deacutesigner les cateacutegories secondaires et en un sens restreint comme lune de ces cateacutegories130 et

dautre part parce que malgreacute cette division des cateacutegories en deux classes il est aussi tenu pour

avoir laquo preacuteserveacute le nombre des dix cateacutegories raquo131 Cette derniegravere difficulteacute est cependant

purement apparente rien nempecircche de superposer agrave la division en dix cateacutegories celle de ces

dix en deux groupes et comme on va le voir cest ce que fait Alexandre Quoi quil en soit

lorsquil se fait le teacutemoin de cette thegravese Simplicius la considegravere comme laquo similaire raquo agrave celle qui

divise les cateacutegories en substance et laquo accidents de la substance raquo Lopposition entre par soi et

relatif dans le Sophiste eacutetait dailleurs eacutegalement lue agrave travers le prisme de la distinction entre par

soi et par accident132

Cest en ces termes quon la lit chez Alexandre

Ὄν γὰρ λέγεται κυρίως μὲν ἡ οὐσίαλέγεται δέ γε ὄντα καὶ τὰ τῇ οὐσίᾳσυμβεβηκότα ἅ ἐστι τὰ ἐννέα γένη Οὐ μὴναὐτὸς οὕτως χρῆται νῦν τοῖς παραδείγμασινἑκάστου γένους ἓν τιθείς ἀλλὰ δι αὐτῶνἐξαρίθμησίν τινα τῶν ὑπαρχόντων τῇ οὐσίᾳκαὶ δι αὐτὴν ὄντων καὶ αὐτῶν λεγομένωνποιεῖται ὧν πολλὰ [24215] καὶ ὑφ ἓν γένοςκαὶ τὴν αὐτήν ἐστι κατηγορίαν Καὶ εἴη ἂν

En effet ce qui est dit eacuteminemment eacutetant cest lasubstance mais sont aussi dits eacutetants les accidents dela substance que sont les neuf genres CependantAristote lui-mecircme nutilise pas ici dexemples aupoint den donner un de chaque genre mais par leurbiais il fait une sorte deacutenumeacuteration des proprieacuteteacutes dela substance agrave savoir des choses qui sont elles aussidites eacutetants agrave cause de la substance parmi lesquellesplusieurs sont sous un seul genre cest-agrave-dire sous la

du teacutemoignage de Simplicius In Cat 63 21-24 (laquo οἱ γὰρ περὶ Ξενοκράτη καὶ Ἀνδρόνικον πάντα τῷκαθ αὑτὸ καὶ τῷ πρός τι περιλαμβάνειν δοκοῦσιν ὥστε περιττὸν εἶναι κατ αὐτοὺς τὸ τοσοῦτοντῶν γενῶν πλῆθος ἄλλοι δὲ εἰς οὐσίαν καὶ συμβεβηκὸς διατέμνουσιν raquo)

130 Voir le bref reacutesumeacute des deacutebats dans RW Sharples [2010] p 62 et lexcellent article de T Reinhardt[2007] Sur la transmission de cette division jusque dans le De divisione de Boegravece cf M Griffin [2009] p140-143 Voir plus geacuteneacuteralement P Moraux [1973] p 103-104

131 Simplicius In Cat 342 24-25

132 Cf Simplicius In Phys 99 25-31 et M Griffin [2009] p 142 et 147

339

Les objets de la meacutetaphysique

τῇ πρώτῃ διαιρέσει τῶν ἐν Κατηγορίαις τοῦὄντος γεγονυιῶν μᾶλλον χρώμενος καθ ἣνδιαιρεῖ τὰ ὄντα εἰς οὐσίαν καὶ συμβεβηκότα

mecircme cateacutegorie Peut-ecirctre utilise-t-il davantage lapremiegravere des divisions de leacutetant quil a faites dans lesCateacutegories dapregraves laquelle il divise les eacutetants ensubstance et accidents

(242 10-17)

On cherchera en vain une telle laquo premiegravere division raquo dans les Cateacutegories133 ndash quoiquelle y

trouve eacutevidemment ses sources ndash Alexandre faisant ici reacutefeacuterence agrave un donneacute exeacutegeacutetique tellement

eacutetabli quil se mecircle au texte-source Mais cette bipartition entraicircne avec elle lapparence dune

contradiction puisque les cateacutegories secondaires se trouvent classeacutees sous une cateacutegorie

particuliegravere134 tension dont on peut penser quAlexandre la reccediloit du double emploi de

lexpression laquo πρός τι raquo par Andronicos mais qui prend un relief particulier quand on est

preacuteciseacutement en train de travailler la relation laquo πρὸς ἕν raquo des eacutetants agrave la substance La reacuteduction

des eacutetants non-substantiels agrave des relatifs agrave la substance est en effet manifestement pour lExeacutegegravete

un corollaire direct de la theacuteorie de luniteacute reacutefeacuterentielle135

Or Alexandre ne semble pas totalement inconscient dune telle difficulteacute quand

commentant la liste des eacutetants relatifs agrave la substance de Γ 2 il en vient agrave lexpression par laquelle

Aristote semble deacutesigner les relatifs Alexandre reacutetablit en effet in extremis cette interpreacutetation

standard mais les termes quil emploie deacutenotent une heacutesitation et montrent quil a entrevu la

possibiliteacute dinterpreacuteter cette affirmation dAristote comme valant pour tous les eacutetants non-

substantiels Avant den venir aux neacutegations la liste dAristote eacutevoque laquo ce qui se dit relativement

agrave la substance raquo (1003b 9) ce quAlexandre commente en deux temps

Εἰπὼν δὲ ποιητικὰ καὶ γεννητικὰ οὐσίας[24230] ἐπήνεγκεν ἢ τῶν πρὸς τὴν οὐσίανλεγομένων τουτέστιν τῶν τῇ οὐσίᾳσυμβεβηκότων ἃ λέγεται ὄντα τῷ πρὸςοὐσίαν πως ἔχειν

Apregraves avoir citeacute ce qui peut produire etengendrer une substance Aristote a ajouteacute laquo ou de cequi se dit relativement agrave la substance raquo agrave savoir lesaccidents de la substance qui sont dits eacutetants parcequils sont disposeacutes relativement agrave la substance

(242 29-31)

133 Cf la tentative avorteacutee dA Madigan [1993] n 44 p 146

134 Cf aussi P Aubenque [1962] p 195 sur la laquo peacutetition de principe raquo quil y aurait agrave deacutefinir le statut descateacutegories de lecirctre par lune de ces cateacutegories Aubenque reacutepond de faccedilon ingeacutenieuse laquo en reacutealiteacuteforce est de reconnaicirctre que les cateacutegories sentre-signifient constamment que toute cateacutegorie soitrelative agrave lessence et appartienne par lagrave agrave la cateacutegorie des relatifs cela nest pas plus eacutetonnant que deconstater que toute cateacutegorie a une essence et appartient par lagrave agrave la cateacutegorie de lessence raquo On netrouvera pas de theacuteorie de lentre-signification des cateacutegories chez Andronicos et Alexandre

135 En plusieurs passages Alexandre traite clairement lexpression laquo πρὸς ἕν raquo comme eacutequivalent agrave laquo πρὸςἕν τι raquo quil emploie ailleurs pour le relatif cf In Met 255 25 263 12 etc

340

Les objets de la meacutetaphysique

Sensuivent alors par une sorte de retour en arriegravere quelques exemples de ce qui peut

laquo produire et engendrer une substance raquo dans une interpreacutetation au demeurant assez contourneacutee

puisque les exemples que cite Alexandre ne sont manifestement pas des substance (les couleurs

les affections et les sciences) et quon en revient pour finir au cas de la santeacute qui peut ecirctre

produite par laquo lexercice et les efforts une bonne constitution raquo136 Puis Alexandre reprend

Ἔτι τὰ πρὸς τὴν οὐσίαν ὄντα τε καὶλεγόμενα οἷα τὰ πρός τιmiddot τὰ γὰρ πρός τι ἐνοὐσιῶν σχέσει

En outre ltil y agt ce qui est et est dit relativementagrave la substance tels que les relatifs137 car les relatifsreacutesident dans un rapport entre substances

(242 34-35)

LExeacutegegravete propose donc apregraves une interpreacutetation large des relatifs agrave la substance comme

deacutesignant toutes les cateacutegories secondaires dentendre lexpression dAristote en un sens

restreint mais cette interpreacutetation ne contredisait pas la preacuteceacutedente De fait la cateacutegorie des

relatifs constitue parmi les autres cateacutegories un cas de ce qui dans son ecirctre est relatif agrave la

substance Lambiguiumlteacute se dissipe dailleurs ensuite Dans les lignes qui suivent immeacutediatement138

Alexandre reprend linterpreacutetation et la reacutefeacuterence aux Cateacutegories donneacutees en 242 10-17 mais cette

fois-ci agrave la premiegravere personne du pluriel La redondance est telle que Bonitz et Hayduck en

proposent latheacutetegravese Toutefois il nest pas impossible quAlexandre se soit ici rendu compte de

lambiguiumlteacute de sa derniegravere interpreacutetation des relatifs (toutes les cateacutegories secondaires

seulement lune dentre elles) Mecircme si lon supprime ce passage il y aura de toute faccedilon encore

reacutepeacutetition agrave quelques mots pregraves mais qui suffisent agrave faire la diffeacuterence De fait apregraves le passage

dont on a proposeacute latheacutetegravese Alexandre reprend

Καὶ μὴν αὐτῶν δύναται ὡς κατ ἰδίανεἰρημένου τις ἀκοῦσαι Ἢ τῶν πρὸς τὴνοὐσίαν τὰ πρός τι λέγειmiddot τὰ γὰρ πρός τι ἐνοὐσιῶν σχέσει

Agrave vrai dire on peut aussi entendre ces mots139

comme si Aristote les avait dit en un sens speacutecifiqueOu alors il dit que les relatifs comptent parmi leschoses relatives agrave la substance car les relatifs reacutesident

136 Sur ce passage et la question du texte cf M Bonelli [2001] p 111 n 114

137 Hayduck suit Bonitz pour corriger le laquo ποιὰ raquo du manuscrit A en laquo οἷα raquo qui se sert de la traduction deSepuacutelveda (laquo qualia raquo)

138 In Met 242 35 ndash 243 5 laquo Τοῖς δὲ παραδείγμασιν οὐχ οὕτως νῦν κεχρήμεθα ὡς ἐξ ἑκάστου γένουςἓν παραθέσθαι ἀλλὰ δι αὐτῶν ἐξαρίθμησίν τινα τῶν ὑπαρχόντων τῇ οὐσίᾳ καὶ δι αὐτὴν ὄντωνκαὶ αὐτῶν λεγομένων πεποιήμεθα ὧν πολλὰ καὶ ὑφ ἓν γένος καὶ τὴν αὐτήν ἐστι κατηγορίανὥστε τῇ πρώτῃ διαιρέσει τῶν ἐν Κατηγορίαις τοῦ ὄντος γεγονυιῶν μᾶλλον εἴημεν κεχρημένοικαθ ἣν διῃρεῖτο τὰ ὄντα εἰς οὐσίαν καὶ συμβεβηκότα raquo

139 Grammaticalement laquo αὐτῶν raquo peut aussi sentendre comme renvoyant aux laquo accidents raquo qui preacutecegravedentimmeacutediatement mais cela nous semble moins probable puisque Alexandre est clairement en train depreacuteciser le sens que lon peut donner agrave 1003b 9 Notre traduction laquo ces mots raquo glose le pronom derappel par un deacutemonstratif afin de clarifier

341

Les objets de la meacutetaphysique

dans un rapport entre substances140 (243 5-7)

LExeacutegegravete est donc bien conscient de la double possibiliteacute dinterpreacuteter la mention

aristoteacutelicienne de laquo ce qui se dit relativement agrave la substance raquo en un sens large et en un sens

restreint et il laisse ouverte cette double possibiliteacute Ce fait implique alors que la reacuteduction des

eacutetants non-substantiels agrave des relatifs agrave la substance deacutetermine une certaine maniegravere de

comprendre leur statut ontique Il est de fait difficile de croire que les doctrines andronicienne et

alexandrinienne des relatifs soient totalement sans effet sur leur conception des eacutetants comme

relatifs agrave la substance Dit autrement mecircme si Andronicos peut-ecirctre et Alexandre plus

sucircrement distinguent un sens large et un sens laquo speacutecifique raquo du πρός τι il reste que la

nomenclature cateacutegoriale par soi relatif ou par soi par accident ne peut que jouer directement

sur la faccedilon dont sont conccedilus les eacutetants non-substantiels

Or Andronicos et Alexandre ont en commun de reacuteputer le relatif pour presque rien en

tout cas la plus infirme des cateacutegories141 Andronicos est en effet connu pour assigner au relatif

laquo la derniegravere place raquo parmi les cateacutegories parce quil est deacutepourvu de matiegravere agrave la diffeacuterence des

neuf autres cateacutegories un simple laquo surgeon [] tisseacute dans ce qui possegravede sa propre racine raquo142 La

phrase reacuteemploie le terme de laquo παραφυάς raquo du passage ceacutelegravebre de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (1096a

22) et qui a ducirc devenir degraves leacutepoque dAndronicos comme un megraveme143 dans la question des

relatifs144 Lintroduction dans ce contexte du terme de laquo σχέσις raquo pour expliciter ce que sont les

relatifs pas plus que lexpression laquo πρός τί πως ἔχειν raquo ne sont neacutecessairement des dettes

contracteacutees agrave leacutegard des stoiumlciens La deacutefinition des relatifs par Andronicos comme ce dont lecirctre

seacutepuise dans sa laquo relation raquo et sa laquo disposition relative agrave autre chose raquo peut se lire comme une

certaine interpreacutetation des Cateacutegories 8a 31-32145

140 La thegravese qui reacuteduit les relatifs agrave ce qui se produit seulement entre deux substances est tout de mecircmeeacutetrange par rapport agrave ce quen dit Met Δ 15 Nous remercions Annick Stevens de nous avoir permis deconsulter son commentaire agrave paraicirctre sur ce chapitre

141 Dans la ligneacutee par exemple de Met N 1 1088a 22-25 et 29-34

142 Elias In Cat 201 18-27 Sur la doctrine andronicienne des relatifs voir les textes dans RW Sharples[2010] p 58 sq cf aussi P Moraux [1973] et M Griffin [2009]

143 Au sens contemporain dun eacuteleacutement culturel (ici un certain vocable) se diffusant par imitation au seindun champ donneacute selon un modegravele couplant le darwinisme eacutetendu et celui de la reacuteplicationgeacuteneacutetique

144 Voir par exemple la mention de la critique dEudore dans Simplicius In Cat 174 14-18

145 Sur la possibiliteacute dune origine acadeacutemicienne de lexpression laquo πρός τι πως ἔχειν raquo reprise parAristote dans les Cat mais aussi par les stoiumlciens cf D Sedley [2002] Comme le note aussi M Griffin

342

Les objets de la meacutetaphysique

Alexandre reprend manifestement une thegravese de ce genre quand il deacutefinit en plusieurs

lieux les relatifs comme des laquo surgeons raquo laquo ce dont lecirctre est identique au fait decirctre disposeacute

relativement agrave quelque chose raquo et ce qui a une laquo relation agrave une nature preacuteexistante laquelle est

anteacuterieure agrave la relation qui lui eacutechoit accidentellement raquo146 Or ces caracteacuterisations semblent bien

pouvoir sappliquer agrave la prioriteacute de la substance et lasymeacutetrie du πρὸς ἕν telle quon la vue se

dessiner dans le commentaire agrave Meacutetaphysique Γ La mecircme expression de laquo τῷ πρὸς οὐσίαν πως

ἔχειν raquo se lisait ainsi deacutejagrave dans linterpreacutetation laquo large raquo de la mention par Aristote des relatifs en

Γ 2 Mais agrave travers cette expression de laquo πρὸς οὐσίαν πως ἔχειν raquo si la conception des eacutetants

non-substantiels comme relatifs cocirctoie voire repose sur la doctrine sur les relatifs comme

cateacutegorie singuliegravere alors force est de reconnaicirctre que pour Alexandre ce que cest decirctre pour

les eacutetants non-substantiels se reacutesorbe dans leur relation agrave la substance Ceux-ci deacutechoiraient

effectivement au rang de simples modaliteacutes de la substance surgeons qui ne valent plus comme

des sens de leacutetant agrave part entiegravere surgeons qui doivent ecirctre compris comme des parasites147

Linterpreacutetation des eacutetants non-substantiels seffectue ainsi par le bas si lon peut dire la prioriteacute

de la substance est telle quelle fait refluer les autres cateacutegories vers la plus subalterne dentre

elles La conception synonymique du πρὸς ἕν est donc une tendance de fond du commentaire

alexandrinien

Cette interpreacutetation peut enfin sautoriser de la maniegravere dont Alexandre deacutecrit et glose la

relation des eacutetants non-substantiels agrave la substance La relation πρὸς ἕν en effet nest pas

seulement deacutecrite par le terme aristoteacutelicien de laquo reacutefeacuterence raquo (ἀναφορά)148 mais eacutegalement par le

verbe laquo συντελεῖν raquo Ainsi ce qui ne laquo contribue raquo en rien agrave la santeacute ne pourrait-il ecirctre appeleacute

laquo sain raquo que de faccedilon homonyme149 et dit Alexandre en un passage deacutejagrave vu qui introduit agrave

leacutetude de la substance la science est eacuteminemment science du premier laquo auquel le reste

Andronicos pourrait donc refleacuteter davantage une doctrine de lancienne Acadeacutemie quune vuestoiumlcienne (M Griffin [2009] p 146)

146 Quaest I 8 19 2 laquo πρός τί ἐστιν οἷς τὸ εἶναι ταὐτόν ἐστι τῷ πρός τί πως ἔχειν raquo Sur les relatifs voiraussi les Quaest I 7 et II 9 54 24 In Met 86 8-10 laquo σχέσιν γὰρ προϋποκειμένης φύσεως τὸ πρός τισημαίνει ἥτις πρώτη τῆς συμβεβηκυίας σχέσεως αὐτῇ raquo Sur la reprise de laquo παραφυάς raquo cf In Met83 33 86 10

147 Sur lopposition entre παραφυάς et παρασπάς le Bailly et le LSJ renvoient agrave Theacuteophraste De causisplantarum II24

148 Pour Alexandre cf par exemple In Met 244 1 250 24 255 18 etc Pour son origine aristoteacuteliciennecf Met Γ 2 1004a 25-26 Θ 1 1045b 28 et peut-ecirctre aussi EE VIII 3 1249a 21

149 In Met 241 33-34 laquo ὥστε τό γε μηδὲν εἰς ὑγίειαν συντελοῦν εἰ ὑγιεινὸν λέγοιτο ὁμωνύμως ἂν εἴητοῦτο τοῖς ἄλλοις ὑγιεινοῖς λεγόμενον raquo

343

Les objets de la meacutetaphysique

contribue raquo150 Dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique un passage crucial applique cette

laquo contribution raquo au cas des πρὸς ἕν

Διαφέρει δὲ τὰ ἐφεξῆς τῶν πρὸς ἕνἀμφότερα τῶν πολλαχῶς λεγομένων ὄνταὅτι τὰ μὲν πρὸς ἓν τῷ ἐκείνου τι εἶναι τοῦἑνὸς οὕτω λέγεται τάξιν τινὰ ἔχοντα πρὸςἄλληλα ὡς ἐδείχθη τὰ ὑγιεινὰ τὰ ἰατρικὰ τὰὄντα τὰ δὲ τῷ ἐφεξῆς κατὰ τοῦτό ἐστι τῶνπολλαχῶς λεγομένων μόνον ὅτι τὸ μὲνπρῶτόν ἐστιν αὐτῶν τὸ δὲ [26330] δεύτερονοὐ γὰρ τῷ τῇ δυάδι ὑπάρχειν ἢ συντελεῖν τιεἰς δυάδα τὰ τρία καὶ τέσσαρα καὶ οἱ ἐφεξῆςεἰσιν ἀριθμοί τοὐναντίον γὰρ τὸ οὕτωςπρῶτον τοῖς μετ αὐτὸ συντελεῖ Διὸ ἐπὶ μὲντῶν οὕτω πολλαχῶς λεγομένων τὰ ὕστερατελειότερα ἐπὶ δὲ τῶν πρὸς ἓν τὸ ἓν πρὸς ὃτὰ ἄλλα ἀναφέρεται

Les choses par conseacutecution diffegraverent de cellesrelatives agrave une uniteacute bien que les deux appartiennentagrave ce qui se dit en plusieurs sens en ce que cellesrelatives agrave une uniteacute sont appeleacutees ainsi du faitquelles sont quelque chose de cette uniteacute et quellesont un certain ordre entre elles comme on la montreacutepour les choses saines les meacutedicales et les eacutetants Enrevanche les choses par conseacutecution appartiennent agravece qui se dit en plusieurs sens seulement en ceci quily a parmi elles dune part un premier et dautre partun deuxiegraveme Ce nest en effet pas parce quilsappartiennent ou contribuent en quelque chose au 2que le 3 le 4 et les suivants sont des nombres car cestau contraire ce qui est premier en ce sens quicontribue agrave ce qui vient apregraves lui Cest pourquoidans le cas des choses qui se disent de cette faccedilon enplusieurs sens les posteacuterieures sont plus parfaitesalors que dans celui des choses relatives agrave une uniteacutecest luniteacute agrave quoi les autres se reacutefegraverent ltqui est plusparfaitegt

(263 25-33)

Ce passage prend place dans le long commentaire agrave 1005a 2-3 et porte plus

particuliegraverement sur la suite en 1005a 9-11 ougrave (selon Alexandre) Aristote explique que leacutetant et

lun ne sont ni des universaux ni seacutepareacutes mais appartiennent aux choses relatives agrave une uniteacute et

agrave celles par conseacutecution151 Alexandre se demande degraves lors si Aristote inclut ici leacutetant et lun dans

les conseacutecutifs et sattache agrave distinguer luniteacute par conseacutecution de luniteacute πρὸς ἕν LExeacutegegravete

produit une distinction terme agrave terme de ces deux modes duniteacute commenccedilant neacuteanmoins par

une premiegravere description assez large des πρὸς ἕν sont πρὸς ἕν les termes qui laquo sont quelque

chose de cet un raquo On ne voit pas encore en quoi lappartenance suffirait agrave distinguer conseacutecutifs

et πρὸς ἕν En outre dans le cas des conseacutecutifs leur inscription dans les plurivoques se justifie

uniquement (laquo μόνον raquo) par la conseacutecution elle-mecircme lagrave encore on ne voit pas tregraves bien en quoi

cela se distinguerait de l laquo ordre raquo propre aux πρὸς ἕν Cest dans la suite que lopposition

devient plus fructueuse

Dans le cas des conseacutecutifs en effet il y a une contribution des anteacuterieurs aux posteacuterieurs

150 In Met 244 14 Voir aussi lemploi du verbe dans le DA 89 3-4 sur lequel nous revenons ci-dessoussect 331b

151 Cf ci-dessus 311

344

Les objets de la meacutetaphysique

La laquo contribution raquo deacutesigne ici le fait quun terme anteacuterieur soit condition de possibiliteacute du

suivant Il me faut avoir ou connaicirctre 2 pour obtenir 3 Cest mecircme lapplication de laquo nombre raquo au

terme posteacuterieur qui est conditionneacutee par la contribution du terme anteacuterieur Les conseacutecutifs sont

donc ordonneacutes selon un degreacute croissant de perfection En revanche comme limplique la fin du

texte dans les πρὸς ἕν par exemple les eacutetants ce nest pas la substance qui contribue agrave ce qui

vient apregraves elle La relation nest pas ici descendante (de la substance agrave ses accidents) comme

lindique lexpression ἀφ ἑνός elle est aussi si lon peut dire effectivement ascendante Cela

entraicircne en premier lieu limpossibiliteacute de reacuteduire le πρὸς ἕν agrave une relation seulement

seacutemantique par distinction de la deacutependance ontique de lἀφ ἑνός

Que peut donc signifier dans tous ces passages lideacutee de contribution La chose nest pas

immeacutediatement intelligible Mais dans la Quaestio I 8 sans doute sur fond de discussion avec

Boeacutethos de Sidon Alexandre distingue deux maniegraveres de contribuer (τὸ συντελεῖν) agrave la

substance agrave la faccedilon dont la forme comme partie de la substance contribue agrave lecirctre de celle-ci152 agrave

la faccedilon dont ses accidents contribuent agrave la substance153 Alexandre donne comme exemple la

configuration (σχῆμα) et la couleur pour un corps (17 14) Lideacutee de contribution en ce cas (et

non dans celui de lacircme pour lhomme par exemple) semble ecirctre celle dun enrichissement de la

substance dun ajout de deacuteterminations au sujet Lemploi par Alexandre de cette notion

polyseacutemique de contribution qui revient dans le commentaire agrave Γ confirme ainsi le statut

accidentel des cateacutegories secondaires Sans doute cette notion a-t-elle servi aux commentateurs

posteacuterieurs agrave Alexandre pour comprendre ici lideacutee dune causaliteacute finale de la substance154 Au

demeurant en ce qui concerne Alexandre alors que la contribution des eacutetants non-substantiels agrave

la substance pouvait de prime abord apparaicirctre comme contrebalanccedilant la prioriteacute envahissante

de la substance en reacutealiteacute cette contribution ne fait que confirmer la deacutevaluation des eacutetants non-

substantiels

Le lecteur dAlexandre pourrait alors ecirctre tenteacute de comprendre la prioriteacute de la substance

152 Voir un usage similaire du verbe chez Plotin en VI 3 [44] 5 7 sq et le commentaire quen donne RChiaradonna [2008a] p 381-382

153 Quaestio I 8 17 8-22 Sur ce texte et la discussion avec Boeacutethos cf M Rashed [2007b] p 25 n 82 et p45-46

154 C Luna dans I Hadot [1990] p 85 agrave propos dAmmonius puis Philopon et Olympiodore PourAmmonius cf In Cat 21 16 sq Pour Olympiodore In Cat 34 20 sq Cf aussi J-F Courtine [2005] p236-237

345

Les objets de la meacutetaphysique

comme une prioriteacute eacutepisteacutemologique au sens preacutecis ougrave la connaissance de la substance

deacutelivrerait (de) la connaissance des autres sens de leacutetant155 Le projet dune ontologie geacuteneacuterale ne

devrait-il pas se reacutesorber dans lousiologie Il reste quAlexandre a selon nous reacutesisteacute agrave ces

conseacutequences les plus extrecircmes de la thegravese de la relativiteacute des eacutetants non-substantiels ndash agrave savoir

quil nest pas alleacute jusquagrave lideacutee dune geacuteneacutericiteacute de leacutetant ou de son univociteacute Un argument

tempegravere en effet la conclusion eacutetablie ci-dessus

Si lExeacutegegravete consideacuterait que ce que veut dire laquo ecirctre raquo attribueacute aux eacutetants non-substantiels

se reacutesorbe inteacutegralement dans leur relation agrave la substance cela deacutebouterait en effet de toute

preacutetention et de tout inteacuterecirct le projet dune eacutetude universelle des eacutetants en tant queacutetants Plus

exactement une telle eacutetude pourrait ecirctre inteacutegralement prise en charge par leacutetude de la

substance puisque cest la laquo nature raquo de celle-ci qui se manifeste dans les divers eacutetants et signifie

par soi leacutetant Or nous avons plus haut tenteacute de montrer que ce neacutetait pas le cas Alexandre

maintient trop freacutequemment la neacutecessiteacute et la valeur dune science laquo universelle raquo de laquo tous les

eacutetants raquo qui ne se contente pas uniquement dune eacutetude de la substance156 Ce moment universel

de la meacutetaphysique nest pas pour reprendre une meacutetaphore platonicienne quun preacutelude

propeacutedeutique au chant de leacutetude centrale de la substance Cest une premiegravere eacutetape agrave part

entiegravere de la meacutetaphysique Que lontologie soit accomplie par lousiologie ne signifie pas que

cette derniegravere la reacuteduise agrave rien Et de fait le moment ontologique comprend par exemple leacutetude

de la relation entre la substance et les eacutetants non-substantiels leacutetude des preacutedicats dialectiques

non pas seulement dans leur sens premier (substantiel) mais aussi les sens dans lesquels ils

sappliquent laquo dans les autres cas raquo157 La deacuteductibiliteacute des autres cateacutegories agrave partir de la

premiegravere dentre elles ne peut donc ecirctre totale la deacuterivabiliteacute de leacutenonceacute des cateacutegories

secondaires agrave partir de leacutenonceacute de la substance est certes un gage duniteacute de la science qui les

eacutetudie158 parce quelle structure un champ theacuteorique mais non parce quelle la soustrairait agrave la

155 Sur cette question chez Aristote voir P Aubenque [1962] p 194-195 Lideacutee authentiquementaristoteacutelicienne dune prioriteacute eacutepisteacutemologique nimplique en effet pas que la substance soit principesuffisant de la connaissance de leacutetant en tant queacutetant Notons toutefois que certaines interpreacutetationscontemporaines montrent que la thegravese de la reacuteduction de la science de leacutetant en tant queacutetant agrave uneeacutetude de la substance (impliquant dans cette lecture labsence dune science universelle des eacutetants entant queacutetants) peut parfaitement ecirctre soutenue sans tomber dans la geacuteneacutericiteacute de leacutetant en tantqueacutetant Cf par exemple la direction suivie par A Jaulin depuis A Jaulin [1999]

156 On rappellera uniquement ici le passage de 244 33-34 laquo ὅτι μὴ μόνον περὶ τῆς οὐσίας αὐτῷ ἡπραγματεία ἀλλὰ καὶ καθόλου περὶ παντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὄν raquo cf ci-dessus sect 242d

157 Cf les passages de 256 15-18 et 20-24

158 Sur le modegravele de In Met 255 17-198 laquo ἐπὶ γὰρ τὸν τῆς ὑγιείας λόγον πάντων τῶν ὑγιεινῶν ἡ

346

Les objets de la meacutetaphysique

neacutecessiteacute deacutetudier ces cateacutegories obliques

Si donc lunification de la plurivociteacute des eacutetants au profit dune diversiteacute ordonneacutee agrave une

cause est une tendance de fond de linterpreacutetation alexandrinienne jamais lExeacutegegravete ne va jusquagrave

reacuteduire leacutetant en tant queacutetant agrave un genre et les divers eacutetants agrave des synonymes Certes en vertu

du principe de causaliteacute du maximum les divers eacutetants en tant queacutetants constituent comme des

effets de la substance159 de ce point de vue ils peuvent bien passer pour de simples surgeons

des relatifs agrave la substance Paradoxalement cest toutefois parce que la substance concentre en elle

lessentiel de lecirctre160 parce quelle est eacuteminemment que leacutetant en tant queacutetant ne forme pas un

genre Lineacutegaliteacute de condition entre les eacutetants est le dernier rempart contre la synonymie mais ce

rempart est deacuteployeacute agrave plein profondeacutement ancreacute dans linterpreacutetation dAlexandre Limiter la

diffeacuterence entre synonymes et plurivoques ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν agrave ce seul critegravere deacutegaliteacute peut

bien paraicirctre faible mais on ne peut pas taxer Alexandre de le tenir pour rien

La lecture des diffeacuterents commentaires autant antiques que contemporains de la

premiegravere phrase de Γ 2 laisse maintes fois limpression que les deux propositions inaugurales

(laquo leacutetant se dit en plusieurs sens raquo laquo mais relativement agrave une uniteacute et une unique nature raquo) sont

dans une telle tension quelles travaillent en fonction inverse lune de lautre Les commentaires

qui insistent sur luniteacute reacutefeacuterentielle sexposent au risque de neacutegliger la plurivociteacute de leacutetant et

inversement La difficulteacute consiste alors agrave tenir ensemble les deux propositions et agrave comprendre

ce qui fait leur eacutequilibre dans le texte aristoteacutelicien Il est clair quAlexandre penche plutocirct du cocircteacute

de ceux qui exploitent au maximum la relation πρὸς ἕν parce quil se donne pour projet contre

une partie de son contexte historique de reacuteactiver la science de leacutetant en tant queacutetant la

meacutetaphysique comme science une et suprecircme La position dAlexandre aussi discutable quelle

puisse paraicirctre lui permet agrave tout le moins et tout agrave la fois de fonder la neacutecessiteacute dune science

universelle des eacutetants en tant queacutetants dunifier ce champ deacutetude et de justifier lexigence pour

laccomplir de proceacuteder agrave une eacutetude de la substance pour elle-mecircme

ἀναφορά διὸ καὶ ἔστι μιᾶς ἐπιστήμης ἡ γνῶσις αὐτῶν raquo

159 Unification qui ouvre sans doute agrave la theacuteorie de lanalogie de lecirctre cf J-F Courtine [2005] etparticuliegraverement p 199 sq

160 Ce qui rappelons-le est lune des chevilles ouvriegraveres des interpreacutetations laquo synonymiques du πρὸς ἕν raquo(W Leszl) au sens ougrave ces interpreacutetations concentrent lecirctre dans la substance en tendant agrave deacutenier touteautonomie decirctre aux autres cateacutegories agrave sous-eacutevaluer le fait quelles constituent des sens de leacutetant agravepart entiegravere

347

Les objets de la meacutetaphysique

32 Οὐσία et εἶδος dune cause de lecirctre agrave lautre

321 La substance comme sujet dinheacuterence

Luniteacute de leacutetant en tant queacutetant comme premier objet de lenquecircte meacutetaphysique est

donc assureacutee par une ineacutegaliteacute centrale entre la substance et les autres sens de leacutetant Par cette

position litteacuteralement principale de lοὐσία comme cause de lecirctre des autres eacutetants lenquecircte

universelle sur leacutetant en tant queacutetant appelle donc delle-mecircme pour saccomplir une enquecircte

sur la substance Encore faut-il comprendre en quel sens la substance assume cette causaliteacute

Convient-il par exemple comme lont tenteacute certains auteurs contemporains didentifier cette

causaliteacute parmi lune des quatre causes poseacutees par le Stagirite et enteacuterineacutees par son Exeacutegegravete 161

Deux passages permettent de preacuteciser cette causaliteacute Le premier quon a deacutejagrave briegravevement citeacute se

situe dans le commentaire agrave Δ 11 larticle du Livre des deacutefinitions qui porte preacuteciseacutement sur

lanteacuterieur et le posteacuterieur Alexandre commente ainsi le sens de la prioriteacute (ou lanteacuterioriteacute)

quAristote rattache au nom de Platon

Λέγεσθαι γάρ φησι καὶ φύσει τε καὶοὐσίᾳ πρῶτα ὡς τὰ συναναιροῦντα μὲν μὴσυναναιρούμενα δέ ᾧ φησι σημαινομένῳπρώτῳ Πλάτωνα χρήσασθαι οὕτω πρώτηκαὶ ἡ γραμμὴ τῆς ἐπιφανείας ἐστίν Φησὶ δέἐπεὶ τὸ εἶναι πλεοναχῶς (δεκαχῶς γάρ) τὸκατὰ τὸ εἶναι πρῶτον καὶ κατὰ τὴν ὕπαρξίν

En effet il affirme aussi que lanteacuterieur se ditselon la nature et la substance162 comme ces chosesqui suppriment ce qui est avec elle mais ne sont passupprimeacutees avec ltle restegt163 signification dont ilaffirme que Platon fut le premier agrave lemployer Cesten ce sens aussi que la ligne est anteacuterieure agrave lasurface Il affirme en outre que puisque lecirctre se dit

161 Pour une preacutesentation scolaire et figeacutee de la quadruple causaliteacute chez Alexandre cf De fato 166 22-27et la mise au point dans V Carraud [2002] p 50-51 Pour une tentative de cerner la causaliteacute de lasubstance chez Aristote parmi lune des quatre causes cf C Shields [1999]

162 Une traduction dοὐσία par laquo essence raquo nous paraicirctrait relever ici du contresens sur linterpreacutetationdAlexandre

163 Nous nous contentons ici dune traduction litteacuterale cf ci-dessous

348

Les objets de la meacutetaphysique

φησιν εἶναι τὸ πᾶσιν ὑποκείμενον τοῖςἄλλοις [38710] τοιοῦτον δὲ τὴν οὐσίαν εἶναικαθὸ γὰρ συναναιρεῖ μὲν μὴ συναναιρεῖταιδέ πρώτη τῶν ἄλλων Ἀλλὰ καὶ καθὸὑπόκειται καὶ καθὸ τἆλλα ἔστι τῷ ἐν ταύτῃὑποκειμένῃ εἶναι μάλιστα καὶ πρῶτον ὄν

en plusieurs sens (agrave savoir en dix sens) lanteacuterieurselon lecirctre et lexistence affirme-t-il est ce qui estsubstrat de tout le reste ndash et telle est la substanceDans la mesure en effet ougrave elle supprime ce qui estavec elle mais nest pas supprimeacutee avec ltle restegt elleest anteacuterieure agrave tout le reste Mais en outre dans lamesure ougrave elle est substrat164 et ougrave le reste existe dufait decirctre dans ce substrat165 elle est eacutetant au plushaut point et premier

(In Met 387 5-12)

Largument central du passage consiste en ce quil est convenu dappeler un argument de

suppression La racine de συναναιρέω le verbe ἀναιρέω est freacutequemment employeacutee par

Alexandre pour deacutesigner ce dont une theacuteorie nest plus agrave mecircme de rendre compte ce que ses

concepts conduisent agrave eacutevacuer166 Le composeacute συναναιρέω est ici employeacute pour deacutesigner une

opeacuteration autant physique que logique et si lon glose le preacutefixe συν- la formule laquo τὰ

συναναιροῦντα μὲν μὴ συναναιρούμενα δέ raquo donnerait agrave peu pregraves les choses qui si on les

supprime (en penseacutee comme en reacutealiteacute) suppriment ce qui est avec elle mais ne sont pas

supprimeacutees si lon supprime le reste167 Le verbe glose largument dAristote agrave propos de ce qui

peut laquo ecirctre sans raquo (εἶναι ἄνευ)168 Chez Alexandre un tel proceacutedeacute est courant On le retrouve par

exemple dans la ceacutelegravebre Quaestio I 11 pour deacutemontrer lanteacuterioriteacute du commun et la posteacuterioriteacute

du genre comme universel ndash et largument est promis agrave une fortune certaine169 La regravegle est donc

164 Ou si lon nest pas allergique agrave lemphase dans la mesure ougrave elle sous-gicirct

165 Le feacuteminin sexplique eacutevidemment par la preacutesence dοὐσία il faudrait presque entendre quelque chosecomme laquo le reste existe du fait decirctre en ltelle qui est leurgt substrat raquo Nous ne faisons pas ici comme ci-apregraves de diffeacuterence stricte entre laquo substrat raquo et laquo sujet raquo tous deux traduisant ὑποκείμενον seulementlhabitude dans les Cateacutegories par exemple est de traduire laquo ἐν ὑποκειμένῳ raquo par laquo dans un sujet raquo

166 Ainsi dans un exemple paradigmatique la liberteacute chez les stoiumlciens selon le De fato 181 13

167 Ainsi glose WE Dooley ([1993] p 63)

168 Mais voir aussi Met K 1 1059b 38 ndash 1060a 2 ougrave lauteur eacutetablit lanteacuterioriteacute et le caractegravere principiel desgenres par le fait que leur suppression entraicircne celle des espegraveces Le verbe employeacute est eacutegalementlaquo συναναιρέω raquo Le reacutesumeacute de K diffegravere ici de B 3 qui nemploie pas en tout cas pas aussi nettementlargument de suppression Pour dautres lieux plus fiables de largument de suppression cf Cat 7 7b28 et de mecircme pour la sensation en b 37 sq Top IV 2 123a 15 VI 4 141b 28 La preacutesence du termedans le Divisiones Aristotelae pourrait appuyer lideacutee quon a affaire agrave un proceacutedeacute ayant cours danslAcadeacutemie On le lit eacutegalement dans le commentaire dAlexandre In Met 55 20 sq dans un passageque Ross considegravere comme repris du De bono (voir les deacutetails donneacutes par WE Dooley [1989] ad loc)Pour un emploi dun argument similaire mais sans le verbe cf Aristote DA II 3 415a 1 sq

169 Sur la fortune ulteacuterieure de largument par exemple chez Porphyre ou Simplicius cf A de Libera[1999a] p 57-66 et 134 sq M Rashed [2007b] p 192 n 546 La Refutation de Xeacutenocrate emploieeacutegalement largument dans un cadre meacutereacuteologique Lemploi courant de largument pourrait ainsiremonter agrave Andronicos cf M Rashed [2004] p 31 n 51

349

Les objets de la meacutetaphysique

la suivante qui repose sur une asymeacutetrie permettant deacutetablir la prioriteacute x est anteacuterieur agrave y si la

suppression de x entraicircne celle de y mais que celle de y nentraicircne pas celle de x Toutefois tandis

que dans le cas du genre et de lespegravece une question est de savoir si largument de suppression

renvoie agrave une proceacutedure theacuteorique et une anteacuterioriteacute purement logique ou sil renvoie eacutegalement

au fondement physique de cette anteacuterioriteacute170 dans le cas preacutesent il faut sans heacutesiter opter pour

les deux La substance est anteacuterieure agrave ses accidents parce que lecirctre de ces derniers est par fiction

logique impensable sans la substance mais il y a davantage si lon deacutetruit ce cheval blanc au

loin la blancheur de ce cheval-ci nexiste plus alors que la suppression de cette blancheur (si par

meacutegarde je laisse tomber un pot de peinture sur mon cheval) ne supprime pas lexistence du

cheval171

Largument permet donc deacutetablir non seulement une anteacuterioriteacute logique (x est

impensable sans y) mais mecircme une anteacuterioriteacute dans lexistence au sens ougrave Alexandre lemploie

aussi par exemple pour montrer que si lon deacutetruit celui qui a une opinion son objet dopinion

nen continuera pas moins d laquo exister raquo et quil lui est agrave la fois relatif et anteacuterieur172 Cette maniegravere

de comprendre la qualification dune prioriteacute laquo φύσει τε καὶ οὐσίᾳ raquo se laisse voir dans

lintroduction nette par Alexandre du vocabulaire de lexistence et de la subjectiteacute Sans la

substance les accidents (laquo tout le reste raquo de leacutetant donc) ne seraient pas un monde daccidents

sans sujets serait parfaitement volatile aussi fumeux que le discours dun sophiste173 De ce point

170 La question est ingeacutenieusement poseacutee en ces termes par M Rashed [2004] p 40-41 qui deacutemontre quedans le cas de lanteacuterioriteacute du genre il faut plutocirct opter pour la premiegravere compreacutehension de largumentde suppression Dit autrement dans ce cas laquo la suppression possible de E sans celle de G indique queG est anteacuterieur agrave E sans qursquoon sache encore preacuteciseacutement ce que cette relation signifie au planontologique raquo (alors que dans le second cas ougrave largument de suppression indique le fondement delanteacuterioriteacute laquo la relation constitue la signification mecircme analytique de lrsquoanteacuterioriteacute qui se reacutesumeraitdegraves lors agrave un fait de syntaxe raquo p 41)

171 Pour un autre emploi de largument de suppression visant agrave eacutetablir une substantialiteacute cf le passageinteacuteressant du commentaire agrave B 5 ougrave Alexandre emploie largument de suppression logique poureacutetablir ndash agrave tort comme il sera deacutemontreacute ensuite ndash que les points lignes et surfaces sont davantagesubstances De fait un corps ne peut ecirctre penseacute agrave part de la surface une surface agrave part de la ligne laligne agrave part du point Cela selon lExeacutegegravete deacutemontre que les points lignes et surfaces sont doncdavantage eacutetants et substances que le corps (laquo μᾶλλον ὄντα καὶ μᾶλλον οὐσίαι raquo) gracircce agrave largumentlaquo topique raquo du plus et du moins (In Met 229 19 laquo τῷ ἀπὸ τοῦ μᾶλλον καὶ ἧττον χρησάμενοςτόπῳ raquo Pour une lecture contemporaine eacutegalement gradualiste de ce passage cf JJ Cleary [1988] n56 p 111) Cf aussi infra

172 Voir en effet les formulations tregraves similaires en In Met 323 9-10 (laquo μὴ συναναιρεῖσθαι δὲ τῷδοξάζοντι τὴν τῶν δοξαζομένων οὐσίαν τε καὶ ὕπαρξιν raquo) qui confirme aussi en passant le lienavec les passages citeacutes des Cateacutegories

173 Pour lideacutee que lontologie des Sophistes en est une des accidents ndash ce qui en fin de compte raye lideacuteemecircme dune ontologie cf P Aubenque [1962] p 134 sq

350

Les objets de la meacutetaphysique

de vue la traduction dοὐσία en substantia qui se reacutepand agrave leacutepoque dAlexandre est

parfaitement fondeacutee en raison par lExeacutegegravete174 et sautorise de la suite du texte dAristote175 Mais

Alexandre va plus loin que la seule deacutependance dune part il traduit la deacutependance en causaliteacute

dautre part il hisse la substance au rang deacutetant premier et au plus haut point La convergence du

commentaire vers cette thegravese dont on a deacutejagrave pointeacute linfluence et la constance dans le corpus

indique que cette compreacutehension de la prioriteacute laquo φύσει τε καὶ οὐσίᾳ raquo de la substance est loin

decirctre marginale pour lExeacutegegravete176

De fait dans son commentaire agrave B 5 qui invite agrave sinterroger sur la substantialiteacute des

entiteacutes geacuteomeacutetriques lExeacutegegravete convertit sans reste le fait de ne pouvoir laquo ecirctre sans raquo (le corps dit

seulement Aristote ne peut ecirctre sans la surface et ainsi de suite177) en un argument de

suppression uniquement logique178 Largument fonctionne ici de faccedilon fallacieuse qui fait des

entiteacutes geacuteomeacutetriques des substances au plus haut degreacute La thegravese est clairement en contradiction

avec une donneacutee deacutecrite comme eacutevidente expliciteacutee au deacutebut du chapitre et rappeleacutee dans la

partie reacutefutative du commentaire ce sont les corps qui comme sujets sont plus substances que

les affections du corps qui sont laquo dites dun sujet raquo Si largument de suppression marche agrave

linverse de ce qui se produisait dans le commentaire agrave Δ 11 une thegravese court entre les deux

commentaires qui se trouve confirmeacutee agrave la faveur dun rappel des Cateacutegories ecirctre substance cest

ecirctre sujet et par lagrave ecirctre doteacute de reacutealiteacute (laquo ὑπόστασις raquo) cest-agrave-dire de capaciteacute agrave ecirctre seacutepareacute au

sens de lindeacutependance propre agrave ce qui nest ni dans un sujet ni dit dun sujet179 Dans le corpus

174 Cf J-F Courtine [1980]

175 Met Δ 11 1019a 4-6 laquo ἐπεὶ δὲ τὸ εἶναι πολλαχῶς πρῶτον μὲν τὸ ὑποκείμενον πρότερον διὸ ἡοὐσία πρότερον raquo Linterpreacutetation dAlexandre suppose de couper la parenthegravese que lon faithabituellement commencer au laquo ἐπεὶ raquo et de scinder la phrase avec une ponctuation forte apregraveslaquo πρότερον raquo Le laquo ἔπειτα raquo de 1019a 6 est en effet interpreacuteteacute par Alexandre comme initiant unnouveau sens laquo κατ ἄλλο πάλιν σημαινόμενον raquo (In Met 387 12-13)

176 Cf ci-dessus sect 312 pour lideacutee que le texte laisse ici entrevoir lapplication du principe de causaliteacute dumaximum agrave la substance Pour un sens non adversatif du laquo ἀλλὰ καὶ raquo cf par exemple son emploi enDA 89 2 et notre commentaire ci-dessous sect 331b

177 Met B 5 1002a 6-8

178 Cest ce quindique le verbe laquo συναναιρέω raquo en 229 18 et quexpliciteront les lignes 230 1 sq surlimpossibiliteacute de concevoir (laquo νοηθῆναι raquo) le corps sans la surface etc Voir la formulation claire delargument en terme de deacutefinitions en 229 20 sq

179 Cf In Met 229 8-10 qui attribue aux cateacutegories non-substantielles (quAlexandre nombre ici agrave dixpeut-ecirctre par meacutegarde comme le suggegravere le traducteur anglais cf A Madigan [1992] p 184 n 426) lefait decirctre dites dun sujet conformeacutement agrave 1001b 31-32 et mecircme decirctre laquo dans un sujet raquo donc de nepouvoir ecirctre laquo par soi sujet raquo et donc de ne pas ecirctre substances Et pour labsence dhypostase dessurfaces lignes et points qui nexistent quἐπινοίᾳ cf In Met 230 34 ndash 231 1 laquo οὐ γὰρ δὴ τῇὑποστάσει καὶ τῷ χωρίζεσθαι δύνασθαι raquo

351

Les objets de la meacutetaphysique

alexandrinien dailleurs le critegravere de la seacuteparation est toujours interpreacuteteacute agrave laune de la

subsistance des Cateacutegories au fait decirctre sujet Ecirctre substance cest ecirctre seacutepareacute cest-agrave-dire

subsister (ὑπόστασις ὑφίστημι) par soi et ecirctre sujet180

Un dernier passage deacutejagrave vu dans le commentaire agrave A 9 vient corroborer cette donneacutee la

toute fin du commentaire agrave A 9 on sen souvient deacutecrit une universaliteacute indirecte de la

meacutetaphysique celle-ci eacutetant science de toutes choses seulement dans la mesure ougrave elle est science

des principes de la substance laquelle est cause de lecirctre du reste des eacutetants La mineure du

raisonnement est en effet expliciteacutee cest que laquo chacun des autres eacutetants tient son ecirctre de la

substance raquo181 Mais le sens en lequel comprendre cette preacutemisse a eacuteteacute donneacute au deacutebut du

commentaire du lemme matiegravere et forme ne sont principes que des substances les autres eacutetants

degraves lors nont de tels principes quindirectement parce que la substance est laquo la seule agrave ecirctre

substrat des eacutetants raquo tandis que ceux-ci laquo sont dans la substance ou quelque chose de la

substance raquo182 Le statut de la substance comme cause de lecirctre lui vient donc de sa fonction

substrative

Peu sen faut degraves lors quon soit tenteacute daffilier lExeacutegegravete agrave la ligneacutee des commentateurs

aristoteacuteliciens laquo Cateacutegories-centristes raquo183 qui promeuvent au rang le plus haut de la substantialiteacute

la substance premiegravere des Cateacutegories insistent sur sa fonction de sujet et font deacutechoir la forme au

rang de qualiteacute du composeacute Si comme nous avons tenteacute de leacutetablir linterpreacutetation

alexandrinienne du πρὸς ἕν et des rapports entre la substance et les autres cateacutegories est

profondeacutement marqueacutee par le statut de la substance comme maximum et cause de lecirctre et si

cette causaliteacute tient agrave sa fonction substrative laquelle rend raison de la reacuteduction dans la ligneacutee

dAndronicos de tous les eacutetants non-substantiels agrave de simples accidents ou relatifs agrave la substance

alors on a deacutejagrave de bonnes raisons dinteacutegrer Alexandre agrave une telle tradition du Peripatos Et

comme on va le voir dautres raisons tout aussi puissantes sy adjoignent

180 Outre le passage citeacute voir aussi entre autres exemples In Met 68 21-22 224 31 288 3-7 In An Pr4 17 et surtout DA 6 1 sq Voir ci-dessous pour lanalyse de ce dernier passage Le rapprochemententre la subjectiteacute des Cateacutegories et le critegravere de seacuteparation se fait peut-ecirctre agrave la faveur de la preacutecisiondes Cat 2 1a 25

181 In Met 134 13-14 laquo τῷ καὶ τῶν ἄλλων τῶν ὄντων ἕκαστον παρὰ τῆς οὐσίας τὸ εἶναι ἔχειν raquo Sur cepassage cf ci-dessus sect 24

182 In Met 128 12 ndash 129 9 et plus preacuteciseacutement 129 7-8 laquo μόνη γὰρ αὕτη τῶν ὄντων ὑποκείμενον τὰ δἄλλα ἐν ταύτῃ καὶ ταύτης τι raquo

183 Lexpression est de M Rashed par exemple [2007b] p 42

352

Les objets de la meacutetaphysique

Rappelons tout dabord briegravevement lenjeu dune telle question Une tension qui au vu

de nos sources travaille laristoteacutelisme degraves son origine consiste en lapparente dissension qui

seacuteparerait dune part la theacuteorie de la substance dans les Cateacutegories et dautre part celle des livres

centraux de la Meacutetaphysique les Substanzbuumlcher Ζ-Η-Θ184 Dans le premier traiteacute du moins selon

sa compreacutehension courante est substance au sens propre premier et au plus haut point la

substance individuelle Selon le double critegravere neacutegatif eacutelaboreacute au chapitre 2 et appliqueacute au

chapitre 5 la substance laquo ne se dit pas dun certain sujet et nest pas dans un certain sujet raquo185

Cest laquo un certain homme raquo ou laquo un certain cheval raquo qui sont des substances au sens premier non

pas lhomme et lanimal qui sont certes des substances mais laquo secondes raquo Le livre Z quant agrave lui

en se demandant ce qui est substance et ce quest la substance preacutesente dabord quatre candidats

au titre de substance (Z 3 1028b 34 sq) ie la quidditeacute (ou lessentiel de lessence τὸ τί ἦν εἶναι)

luniversel le genre et le substrat ou sujet (τὸ ὑποκείμενον)186 Le double critegravere des Cateacutegories

pourrait bien alors se retrouver au deacutebut du chapitre 3 quand Aristote deacutefinit le substrat comme

laquo ce dont le reste est dit alors que que lui-mecircme ne lest plus drsquoautre chose raquo187 et en infegravere

qulaquo on estime en effet quest surtout substance le sujet premier raquo (1029a 1-2) Une question

classique est de savoir si au cours du chapitre Aristote maintient ou abandonne cette

deacutetermination subjective de la substance et si les critegraveres proposeacutes agrave partir de 1029a 27 en sont

des nouveaux Le Stagirite deacuteclare laquo de fait on estime que le seacutepareacute (τὸ χωριστὸν) et le ceci (τὸ

τόδε τι)188 appartiennent surtout agrave la substance raquo (1029a 27-28) apregraves avoir semble-t-il deacutecrit la

conseacutequence absurde qui sensuit si lon retient comme seul critegravere de substantialiteacute le fait decirctre

184 Une preacutesentation claire et sans esquive de ladite dissension peut se lire dans M Frede G Patzig [1988]p 35-36

185 Cat 5 2a 12-13 laquo μήτε καθ ὑποκειμένου τινὸς λέγεται μήτε ἐν ὑποκειμένῳ τινί ἐστιν raquo Sur lapossibiliteacute voire la neacutecessiteacute grammaticale de traduire dans la premiegravere phrase du chapitre (2a 11-12 laquo Οὐσία δέ ἐστιν ἡ κυριώτατά τε καὶ πρώτως καὶ μάλιστα λεγομένη raquo) non pas par laquo est ditsubstance au sens strict premier et au plus haut point raquo mais en prenant le groupe laquo ἡ κυριώτατά λεγομένη raquo comme attribut et donc en traduisant par laquo la substance est ce qui se dit au sens strictpremier et au plus haut point raquo cf M Crubellier P Pellegrin [2007] p 220 n 1

186 La question du choix entre laquo sujet raquo ou laquo substrat raquo ne nous semble pas deacutecisive Laccent pourrait iciecirctre davantage porteacute sur le laquo sujet raquo ndash en geacuteneacuteral reacuteserveacute agrave lemploi logique de ὑποκείμενον commesujet ultime de la preacutedication ndash et non le laquo substrat raquo qui insiste plutocirct sur ce qui demeurephysiquement dans le changement Si la question de traduction ne nous paraicirct pas cruciale et releverdavantage de questions de convention luniteacute conceptuelle de ces deux sens de ὑποκείμενον demandeau contraire assureacutement reacuteflexion (cf la distinction de Z 13 1038b 5-6)

187 Met Z 3 1028b 36-37 laquo καθ οὗ τὰ ἄλλα λέγεται ἐκεῖνο δὲ αὐτὸ μηκέτι κατ ἄλλου raquo

188 Ou laquo le ceci deacutetermineacute raquo ou encore laquo lindividualiteacute raquo selon une proposition de F Wolff ([2005] parexemple p 165)

353

Les objets de la meacutetaphysique

sujet Quil y ait alors addition de nouveaux critegraveres ou reacutevision du critegravere de subjectiteacute le reacutesultat

est le mecircme qui fait lobjet de lensemble du livre Z jusquagrave son nouveau deacutepart en Z 17 cest la

forme de lindividu189 comprise comme sa quidditeacute qui est substance premiegravere plus substance

que la matiegravere et le composeacute Le genre et luniversel seront en outre deacutebouteacutes de toute preacutetention

agrave la substantialiteacute (Z 13-16) semblant ainsi reacuteduire agrave rien la notion de substances secondes

Selon une preacutesentation courante190 il y aurait donc double dissension sur lidentiteacute de la

substance premiegravere et le statut deacuteventuelles substances secondes Que lon considegravere cette double

dissension comme reacuteelle ou seulement apparente parce que soluble (ce qui du reste indiquerait

bien quil y avait au moins en partie problegraveme) elle demeure une donneacutee de laristoteacutelisme

historique191 Or dans ce deacutebat qui distingue les laquo aristoteacutelismes possibles raquo192 les lectures

anciennes teacutemoignent de cette tension193 La position reacutegnante semble secirctre arrimeacutee aux reacutesultats

eacutelaboreacutes par les Cateacutegories agrave la faveur de la vogue deacutejagrave mentionneacutee du traiteacute194 Le cas le plus

clair est celui de Boeacutethos de Sidon eacutelegraveve dAndronicos de Rhodes et professeur daristoteacutelisme

aupregraves de Strabon qui a veacutecu aux alentours de la deuxiegraveme moitieacute du Ier s av J-C et de la

premiegravere moitieacute du Ier s ap J-C195 Dans son Commentaire aux Cateacutegories Simplicius preacutesente la

189 Sur la question de savoir si cette forme est non seulement laquo de lindividu raquo mais mecircme laquo individuelle raquocf M Frede [1985] M Frede G Patzig [1988] M Zingano [2005] etc

190 Cf par exemple la preacutesentation du problegraveme dans R Boeacuteduumls [2005] qui considegravere toutefois cettedissension comme purement apparente reposant sur une laquo singuliegravere meacuteprise raquo (p 341) on yreviendra agrave la fin de cette partie Voir aussi la note suivante

191 Cf M Burnyeat [2001] p 40 selon qui admettre cette dissension revient agrave laquo succumbing toequivocation raquo agrave savoir leacutequivoque de ladjectif laquo premier raquo Voir aussi les analyses peacuteneacutetrantes deF Wolff [2005] en particulier agrave propos des critegraveres de substantialiteacute (et la question de savoir si le critegraverede subjectiteacute est ou non maintenu) agrave linverse entre autres de R Boehm [1965] P Aubenque [2000] ouA Jaulin [1999] en particulier p 91 sq Cf aussi M-L Gill [1989] en particulier p 3 13-16 31-37 Pourune tentative de distinction entre laquo substance premiegravere raquo et laquo substance au plus haut point raquo dans lelivre Z cf aussi G Aubry [2006] et en particulier p 77 sq Voir les eacuteleacutements dans M Frede G Patzig[1988]

192 M Rashed en trace une cartographie dans M Rashed [2007b] p 4-6 Voir aussi H Granger [1996] p 8sq qui selon une habitude anglo-saxonne deacutenomme les deux positions attributivisme etsubstantialisme On y revient ci-dessous

193 Sur la conscience de la tension entre les Cateacutegories et les livres centraux de la Meacutetaphysique degravesAndronicos et Boeacutethos cf R Chiaradonna [1999] p 32 laquo la presenza nel corpus aristotelico di dueconcezioni concorrenti della sostanza egrave rilevata sin dai primi commentatori raquo

194 Lordre logique de cette phrase peut en leacutetat actuel des recherches sur cette vogue des Cateacutegories ecirctrerenverseacute cest peut-ecirctre linteacuterecirct de certains aristoteacuteliciens ndash au premier chef desquels Andronicos nonle moindre ndash pour les reacutesultats obtenus par les Cateacutegories qui a entraicircneacute ce statut de best-seller deleacutepoque post-helleacutenistique

195 Sur Boeacutethos voir P Moraux [1973] p 143-179 HB Gottschalk [1987] p 1107-1110 1116-1119 J-PSchneider [1994] p 126-130 Sur le fait que Boeacutethos ait eacuteteacute leacutelegraveve dAndronicos cf Jean Philopon In

354

Les objets de la meacutetaphysique

thegravese centrale de Boeacutethos comme la reacuteponse agrave une objection connue reprise par Nicostrate puis

Plotin sur luniteacute de la cateacutegorie de la substance les Cateacutegories traitent-elles de la substance

sensible autant quintelligible Comment la substance peut-elle constituer un genre

un 196 Boeacutethos reformule alors cette question sous un aspect similaire au questionnaire de

Meacutetaphysique Z en se demandant lequel de la matiegravere du composeacute et de la forme est

veacuteritablement substance Le Sidonien pointe en effet une contradiction entre certains passages (le

texte reste vague laquo ἐν ἄλλοις raquo) ougrave Aristote aurait indiqueacute trois faccedilons possibles decirctre

substance ou trois sens possibles du terme de substance et le preacutesent passage des Cateacutegories 5 qui

pose la substance comme une cateacutegorie une

La reacuteponse de Boeacutethos est alors double et sans appel dune part les Cateacutegories ne traitent

que de la substance sensible Dautre part mecircme pour celle-ci une laquo aporie raquo le problegraveme de

luniteacute se pose Or les critegraveres des Cateacutegories inclinent agrave ne tenir pour veacuteritables substances que la

matiegravere et le composeacute qui sont substances en fonction du mecircme λόγος de la substance premiegravere

et ne brisent pas donc pas luniteacute de la cateacutegorie En revanche la forme laquo sera hors de la substance

et tombera sous une autre cateacutegorie la qualiteacute ou la quantiteacute ou une autre raquo197 La cateacutegorie de la

qualiteacute est la plus tentante Boeacutethos ayant probablement en tecircte le passage des Cateacutegories 5 selon

lequel les substances secondes indiquent une certaine qualiteacute quoique non au sens strict (3b 15-

18)198 Nous navons toutefois comme lindique M Rashed aucun teacutemoignage positif en faveur

dune identification par Boeacutethos de la forme du livre Z avec les substances secondes des

Cateacutegories199 dautant que certains teacutemoignages noctroient mecircme plus aux universaux le statut de

substances selon une thegravese quon taxe souvent de nominaliste200 La position de Boeacutethos donc

conserve aussi une dimension exeacutegeacutetique et se fonde en outre tregraves probablement sur une

Cat 5 16-19 ndash mais la thegravese nest pas unanimement accepteacutee voir ce quen dit M Griffin [2009] p 210

196 Ce qui pourrait laisser entendre si lon se fie agrave la preacutesentation de Simplicius que lobjection remonte agraveun auteur contemporain de Boeacutethos peut-ecirctre Lucius Voir Simplicius In Cat 76 13 sq et M Griffin[2009] p 249 sq Le chapitre 2 du Traiteacute 42 de Plotin sur cette question est mis en contexte et eacutetudieacute inextenso par R Chiaradonna [2002] en particulier p 56 sq

197 Simplicius In Cat 78 18-20 laquo τὸ δὲ εἶδος τῆς μὲν οὐσίας ἐκτὸς ἔσται ὑπ ἄλλην δὲ πεσεῖταικατηγορίαν ἤτοι τὴν ποιότητα ἢ ποσότητα ἢ ἄλλην τινά raquo Voir plus geacuteneacuteralement le passage de 784-20 Sur ce passage cf R Chiaradonna [1999] p 25ndash29 et [2008] p 382-383

198 Cf par exemple RW Sharples [2010] p 86

199 M Rashed [2007b] p 23 n 78

200 R Chiaradonna [2008a] p 383 Pour lappellation de laquo nominaliste raquo voir deacutejagrave P Moraux [1942] parexemple p 49 Sur la doctrine boeacutethienne des universaux voir aussi M Griffin [2009] p 227 sq etlanalyse du texte de Dexippe In Cat 45 3-30

355

Les objets de la meacutetaphysique

seacutelection de certains lieux deacutetermineacutes ou certaines difficulteacutes du corpus aristoteacutelicien Il arrive agrave

Aristote lui-mecircme de parler de la forme en terme de qualiteacute201 voire de la traiter comme un

laquo preacutedicat raquo de la matiegravere202

Or certains passages du corpus alexandrinien poussent agrave affilier lExeacutegegravete agrave une telle

conception de la substantialiteacute non seulement parce que la deacutetermination subjective de la

substance sous-tend sa compreacutehension de la substance comme cause de lecirctre mais aussi parce

quelle est correacuteleacutee agrave une reacuteduction de la forme agrave une laquo qualiteacute raquo du composeacute

322 La forme qualiteacute ou substance

a) Le cas de lacircme

Une telle reacuteduction nest pas sans lien avec le problegraveme agrave lagenda philosophique de la

peacuteriode post-helleacutenistique la question de lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes Le pheacutenomegravene sobserve en

particulier dans le Traiteacute de lacircme dAlexandre Ces textes ayant deacutejagrave eacuteteacute bien travailleacutes203

201 Met Δ 14 donne comme premier sens de la qualiteacute la diffeacuterence essentielle (laquo ἡ διαφορὰ τῆς οὐσίας raquo) mais il est inteacuteressant de noter dembleacutee pour ce qui suit quAlexandre sefforce dans son commentairede distinguer la diffeacuterence speacutecifique dune qualiteacute standard (une affection qualitative du composeacute) enfaisant appel aux Cateacutegories (en loccurrence agrave travers une citation de Cat 5 3b 20) La caracteacuterisation dela diffeacuterence comme qualiteacute substantielle se retrouve eacutegalement dans la seconde version de la secondeQuaestio laquo De la diffeacuterence raquo conserveacutee seulement en arabe (et traduite dans ses deux versions par MRashed [2007b] p 56-58 le paragraphe qui nous inteacuteresse le sect 7 dans la version de Damas se lit p 60et est commenteacute par M Rashed p 70) Pour les autres passages dAristote pouvant avoir servi desource agrave la thegravese boeacutethienne de la forme comme qualiteacute on songe aussi aux cas de geacuteneacuterations non-substantielles (le laquo replacement model raquo de ML Gill) ougrave une forme peut tregraves bien deacutesigner une qualiteacutepar exemple en Phys I

202 Cf les textes rassembleacutes et lindispensable mise au point par J Brunschwig [1979] qui se fonde enparticulier sur lideacutee dune souplesse du lexique aristoteacutelicien comme en teacutemoigne limportanteproposition finale qui demeure une source dinspiration selon laquelle il faut lire Aristote avecpreacutesente agrave lesprit la regravegle laquo reconnaicirctre aux mots le sens tout le sens rien que le sens que la fonctionquils remplissent dans les eacutenonceacutes contraint de leur reconnaicirctre raquo (p 158) Une telle approche se situesans doute aux antipodes dune certaine fixation peacutedagogique et scolastique du vocabulaire chezAlexandre

203 Voir en particulier I Kupreeva [2003] et V Cordonier [2008]

356

Les objets de la meacutetaphysique

rappelons-en quelques eacuteleacutements saillants Contre le corporalisme stoiumlcien et la seacuteparation meacutedio-

platonicienne de lincorporel Alexandre trouve un terrain de choix pour penser limmanence de

la forme incorporelle dans le composeacute hyleacutemorphique Pour ce faire lExeacutegegravete se sert davantage

du stoiumlcisme comme repoussoir en menant leur position jusque dans leurs conseacutequences

extrecircmes

Ἀλλ οὐδὲ κατὰ τοὺς λέγοντας πᾶν σῶμαἢ ὕλην ἢ ἐξ ὕλης εἶναι (ὡς τοῖς ἀπὸ τῆς Στοᾶςδοκεῖ) εἴη ἂν τὸ εἶδος σῶμα Οὔτε γὰρ ὕλη τὸεἶδος (ἡ μὲν γὰρ ἄποιος τὸ δὲ ποιότης τις)οὔτε ἐξ ὕλης εἰ γὰρ εἴη τὸ εἶδος ἐξ ὕλης καὶεἴδους πρῶτον μὲν ἔσται ταὐτὸν τὸ ἕτερον τῷσυναμφοτέρῳ ἔπειτα εἰς ἄπειρονπροελεύσεται [20] εἴ γε τὸ μὲν εἶδος ἐξ ὕληςτε καὶ εἴδους πάλιν δὲ ἐκεῖνο τὸ εἶδος ὕλης τεκαὶ εἴδους δεήσεται

Mais mecircme dapregraves ceux qui soutiennent quetout corps est une matiegravere ou est composeacute de matiegravere(comme il semble agrave ceux du Portique) la forme nepourrait pas non plus ecirctre un corps En effet la formenest pas une matiegravere (car celle-ci est sans qualiteacutequand la forme est elle une certaine qualiteacute) ni nestcomposeacutee de matiegravere Si en effet la forme estcomposeacutee de matiegravere et de forme tout dabord lundes deux ltcomposantsgt sera identique au composeacutedes deux ensuite on proceacutedera ainsi agrave linfini si dumoins la forme est composeacutee de matiegravere et de formeet que cette forme agrave son tour devra ecirctre composeacutee dematiegravere et de forme

(De anima 17 15-21)

Le passage prend place dans la section du De anima qui enteacuterine les conseacutequences de la

deacutefinition geacuteneacuterale204 de lacircme comme forme perfection (τελειότης) et finalement laquo enteacuteleacutechie

premiegravere dun corps naturel organiseacute raquo205 La premiegravere de ces conseacutequences est linseacuteparabiliteacute de

lacircme et du corps au motif que toute forme (ici il nest pas question deacuteventuelles formes seacutepareacutees

et immateacuterielles) laquo appartient agrave autre chose raquo lacircme ne peut donc laquo subsister raquo (ὑφεστάναι 17

15) par soi ce qui semble lui retirer une bonne part de substantialiteacute Cette thegravese est coheacuterente

avec la reacuteduction de la forme agrave une qualiteacute qui seacutetablit dans la deuxiegraveme conseacutequence de la

theacuteorie de lacircme et constitue lobjet du texte ci-dessus

Cette deuxiegraveme conseacutequence est lincorporeacuteiteacute de lacircme Alexandre soppose frontalement

au Portique via une strateacutegie argumentative qui consiste agrave reacuteduire le corporalisme stoiumlcien agrave un

mateacuterialisme Il faut en effet rappeler quaucun autre teacutemoignage ne fait dire aux stoiumlciens que

tous les corps sont laquo une matiegravere raquo206 En premier lieu pour un stoiumlcien il y a un corps qui est

distinct de toute matiegravere cest le feu divin qui anime la matiegravere premiegravere qui lui est immanent

mais sans se confondre avec elle Le seul fait quil y ait deux principes corporels au Monde

204 Geacuteneacuterale mais non pas geacuteneacuterique les diffeacuterentes acircmes ne sont pas des espegraveces cf DA 16 18 sq

205 DA 16 1 sq Sur le concept de laquo perfection raquo cf ci-dessous 331a et M Rashed [2011a] en particulierp 135 sq

206 Sauf un texte de Plotin dans le Traiteacute 42 (cf V Cordonier [2008] p 358)

357

Les objets de la meacutetaphysique

devrait deacutejagrave eacuteveiller quelques doutes sur un preacutetendu monisme mateacuterialiste stoiumlcien207 Surtout

comme on la vu208 le corporalisme stoiumlcien ninvoque pas la mateacuterialiteacute comme critegravere de

corporeacuteiteacute toutes les deacutefinitions du corps donnent la tridimensionnaliteacute la capaciteacute dagir ou de

pacirctir ndash eacuteventuellement la reacutesistance La matiegravere au sens strict deacutesigne un principe qui est un

corps parce quelle est capable de pacirctir ce qui en fait agrave linstar du dieu un corps dun genre

particulier Bref quoique tout corps soit fait de matiegravere luniteacute ontologique minimale des

stoiumlciens ce sont bien les corps et non pas la matiegravere qui nest quun aspect ou une fonction des

corps

La reconstruction alexandrinienne vise agrave miner la thegravese stoiumlcienne de linteacuterieur en

faisant refluer le corps stoiumlcien vers la pure matiegravere Alexandre meacutenage lespace pour la forme

incorporelle Il lui est donc neacutecessaire de plaquer lhyleacutemorphisme sur lentente stoiumlcienne du

corps ndash ce quAlexandre ne sera dailleurs pas le dernier agrave faire209 mais il faut voir que cette

interpreacutetation du stoiumlcisme prend consistance dans une entreprise de reacutefutation Cest dans ce

contexte que lon peut comprendre le premier argument preacutesenteacute dans ce passage en assimilant

le corps agrave la matiegravere il devient impossible de concevoir les qualiteacutes comme corporelles puisque

par deacutefinition elles se distinguent de la matiegravere laquo inqualifieacutee raquo210

Largument suivant se concentre non plus sur lidentiteacute entre forme et matiegravere mais sur

la composition mateacuterielle de la forme I Kupreeva interpregravete agrave raison cet argument comme une

laquo aporeacutetique reacuteduction agrave labsurde raquo211 ou bien la partie est eacutegale au tout ou bien une reacutegression

agrave linfini Cest en ce sens quAlexandre envisage par hypothegravese une composition hyleacutemorphique

de la forme elle-mecircme La forme ne peut donc ecirctre corporelle si laquo corporel raquo signifie laquo fait de

matiegravere raquo Il convient ici de souligner combien la diffeacuterence entre les conceptions stoiumlcienne et

peacuteripateacuteticienne se manifeste dans la strateacutegie argumentative dAlexandre Largumentation

dAlexandre peut ne pas sembler contraignante parce quici sopposent en reacutealiteacute deux theacuteories

de la causaliteacute et si lon peut dire en allant vite deux faccedilons daborder lontologie Alexandre

sefforce dinteacutegrer les concepts stoiumlciens dans un discours peacuteripateacuteticien Or le corps cest-agrave-dire

la reacutealiteacute ontologique centrale la laquo substance premiegravere raquo des stoiumlciens nest pas deacutefini par sa

207 Cf B Besnier [2003] J-B Gourinat [2005]

208 Ci-dessus sect 113

209 Cf Porphyre selon Simplicius In Cat 48 11-16 voir I Kupreeva [2003] p 297

210 Sur la matiegravere inqualifieacutee cf aussi Alexandre DA 18 4 Plutarque De Comm Not 50 V Cordonier[2008] p 361-362

211 I Kupreeva [2003] p 317

358

Les objets de la meacutetaphysique

nature ses composants ni nest justement conccedilu dun point de vue substantiel Le corps est

caracteacuteriseacute par ses fonctions laction et la passion Le dieu et la matiegravere ne sont pas dabord des

corps parce quils produisent les corps mais parce quils remplissent ces critegraveres Les critiques

platonicienne et peacuteripateacuteticienne reacuteintroduisent le point de vue substantiel lagrave ougrave la penseacutee

stoiumlcienne se deacutefinit davantage en terme de processus et deacuteveacutenements212

Toutefois si lextrait peut laisser croire en un premier temps quAlexandre se situe sur le

mecircme terrain que les platoniciens (par son vocabulaire voire par une partie des thegraveses avanceacutees)

son argumentation ne peut eacutevidemment pas se limiter agrave la deacutemonstration de lincorporeacuteiteacute de la

forme Daccord avec les platoniciens pour dire quil faut de lincorporel pour obtenir un corps

Alexandre sen seacutepare ensuite quand il montre que cela nimplique pas une seacuteparation ni une

action exteacuterieure de la forme non seulement comme le dit Aristote lacircme nest pas comme un

laquo marin raquo (πλωτὴρ) mais en outre elle nest pas non plus comme un pilote (κυβερνήτης) ndash le

terme promis agrave la fortune que lon sait est dAlexandre213 Selon le De anima comme le

Commentaire au De sensu il convient de refuser laction et la passion tout autant aux seuls corps

(ce qui contredit une thegravese dAristote en personne 214) quaux incorporels il ny a action et

passion des corps quen vertu de lincorporel en eux215 Mais pas plus que la matiegravere ne peut ecirctre

sans la forme cette forme elle-mecircme ne peut laquo exister raquo sans une matiegravere et agrave ce titre elle peut

ecirctre deacutecrite comme une sorte de qualiteacute survenant au composeacute216

Or non seulement cette thegravese nest pas isoleacutee dans le corpus217 mais elle savegravere coheacuterente

avec la tradition peacuteripateacuteticienne autant que la description par Alexandre de lacircme comme

forme Apregraves les travaux de ces derniegraveres anneacutees la thegravese de P Moraux selon laquelle Alexandre

212 P Aubenque lance une indication en ce sens agrave partir de la grammaire stoiumlcienne voir P Aubenque[1991] [2009a] p 112

213 Cf DA agrave partir de 18 10 ougrave Alexandre aborde la maniegravere dont forme et matiegravere peuvent ecirctrequalifieacutees de laquo parties raquo et surtout 20 26 sq Sur la theacutematique alexandrinienne du pilote dans lenavire voir leacutetude de A Schniewind [2008] en particulier p 277-280 qui montre les enjeux de lasubstitution de κυβερνήτης agrave πλωτὴρ Le terme apparaicirct dans le DA dAlexandre en 14 4 15 9-27 20 28 ndash 21 10

214 Aristote De caelo I 7 275b 5-6 Sur tout cela voir les analyses de V Cordonier [2008] p 369-370

215 In De sens 73 18-21 laquo Μάθοι δ ἄν τις ἐκ τούτων τὴν Ἀριστοτέλους δόξαν περὶ τῶν ποιούντων τεκαὶ πασχόντων Οὔτε γὰρ τὰ σώματα αὐτῷ δοκεῖ ποιεῖν τε καὶ πάσχειν ὡς ἀρέσκει τοῖς ἀπὸΣτοᾶς οὔτε πάλιν τὰ ἀσώματα ὡς ἐδόκει τοῖς περὶ Πλάτωνα ἀλλὰ κατὰ τὰς ἐν αὐτοῖςἐναντιώσεις οὔσας ἀσωμάτους raquo DA 7 13-14 laquo διὸ καὶ εὐλόγως λέγεται τὸ κατὰ τὰ ἀσώματαποιεῖν τε καὶ πάσχειν τὰ σώματα raquo

216 Cf DA 4 20 sq

217 Voir outre la suite du DA (18 5 sq) Quaestio I 6 13 21 et les textes citeacutes ci-dessous

359

Les objets de la meacutetaphysique

se livrerait dans son De anima agrave une lecture mateacuterialiste de la psychologie aristoteacutelicienne nest

plus soutenable sous quelque deacutefinition de laquo mateacuterialisme raquo que ce soit Quon entende par lagrave un

mateacuterialisme reacuteductionniste ou seulement confineacute agrave la thegravese dune continuiteacute laquo entre vivant et

non-vivant raquo218 cela ne convient pas agrave Alexandre LAphrodisien maintient la diffeacuterence de nature

entre forme et matiegravere lacircme est incorporelle distincte du meacutelange des eacuteleacutements ndash comme le

montre aussi un passage rarement citeacute219 car eacuteloigneacute des cruces commentatorum

Οἱ μὲν οὖν ἀρχαῖοι τὴν [9125] ψυχὴνπάντα ἔλεγον εἶναι τὰ πράγματα τῷ ποιεῖναὐτὴν ἐκ τῶν ἀρχῶν ἐξ ὧν καὶ τὰ ὄνταπάντα αὐτοῖς ἦν τὰ δὲ νῦν εἰρημένα περὶψυχῆς [921] ἔδειξεν οὐχ οὕτως αὐτὴν οὖσαντὴν αὐτήν τῷ ἐκ τῶν αὐτῶν αὐτοῖς ἀρχῶνγεγονέναι Οὕτως μὲν γὰρ οὐχ ἡ ψυχὴ μόνηπᾶσιν τοῖς οὖσιν ἡ αὐτή ἀλλὰ καὶ εἴ τι ἄλλοσύνθετον ὂν ἐκ πασῶν τῶν ἀρχῶνσυνέστηκεν Ἔτι τε ἀναγκαῖον οὕτωςμέγεθός τι αὐτὴν εἶναι καὶ σῶμα πρὸς δὲτούτοις μηδὲ [925] δύνασθαί τινι τῶν ὄντωνοὕτως αὐτὴν εἶναι τὴν αὐτήν εἴ γε ἐν τῇποιᾷ μὲν συνθέσει τε καὶ μίξει τῶν ἀρχῶν ἡἑκάστου τῶν πραγμάτων οὐσία ἐπεὶ τῷ γεἐκ τῶν αὐτῶν ἀρχῶν εἶναι πάντα ἂν ἦνταὐτὰ ἀλλήλοις μηδενὸς δὲ τῶν ἑτέρων τῆςψυχῆς δύνασθαι εἶναι τὴν κρᾶσιν τε καὶμῖξιν ἐν τῇ ψυχῇ Ἦν γὰρ ἂν ἐκεῖνο ἀλλ οὐψυχή

Ainsi les Anciens disaient-ils que lacircme est toutesles choses parce quils la produisaient agrave partir desprincipes dont selon eux touts les eacutetants proviennentaussi mais ce quon vient de dire sur lacircme a montreacutequelle nest pas identique aux choses au sens ougrave elleest issue des mecircmes principes quelles De cettemaniegravere en effet non seulement lacircme seraitidentique agrave tous les eacutetants mais ce serait aussi le casde nimporte quel autre composeacute qui serait constitueacutede tous les principes Par ailleurs il faudrait alorsquelle soit une certaine grandeur220 et un corps Enoutre il ne serait plus possible pour lacircme decirctre ainsiidentique agrave lun des eacutetants sil est vrai que lasubstance de chaque chose consiste dans unecomposition qualifieacutee et dans le meacutelange desprincipes puisque du fait que les choses proviennentdes mecircmes principes elles seraient toutes identiquesles unes aux autres Et221 il ne pourrait y avoir enlacircme de mixture ou de meacutelange avec rien qui soitdiffeacuterent de lacircme car elle serait cette chose et nonpas une acircme

Ἀλλ ἔστιν ἡ ψυχὴ τοῖς [9210] οὖσινοὕτως ἡ αὐτὴ τῷ δύναμις εἶναι τῶν εἰδῶναὐτῶν ληπτικὴ κατά τε τὸ νοεῖν καὶ τὸ

Mais lacircme est identique aux eacutetants au sens ougraveelle est une puissance propre agrave recevoir leurs formespar le fait de penser et de sentir Cest en cela en effet

218 P Moraux [1942] p 32-33

219 Seul agrave notre connaissance P Thillet lui accorde lattention quil meacuterite cf P Thillet [1981] enparticulier p 12-13 On peut toutefois se montrer plus reacuteserveacute agrave lendroit de certaines analyses delarticle ndash par exemple p 10 sur le sens de ladjectif laquo premier raquo dans lexpression laquo enteacuteleacutechie premiegraveredun corps naturel organiseacute raquo ou p 21 sq sur lintellect agent comme donateur de formes

220 Or ce nrsquoest pas le cas cf Aristote DA I 3 407 a 2-3

221 La ponctuation du texte grec est de notre fait Nous interpreacutetons en effet le δέ de la l8 commelrsquointroduction drsquoune deuxiegraveme conseacutequence absurde de la thegravese des laquo Anciens raquo dont la conclusion aeacuteteacute eacutenonceacutee l 4-5 Bruns met entre parenthegraveses la proposition geacuteneacuterale des lignes 5-6 (laquo εἴ γε τῇ ποιᾷ[] τῶν πραγμάτων οὐσια raquo) P Accattino et P Donini mettent entre parenthegraveses la propositionsuivante l 7 (laquo ἐπει τῷ γε [] ἦν ταὐτα ἀλλήλοις raquo) en soulignant la deacutependance du δύνασθαι (l8) agravelrsquo ἀναγκαῖον de la l4 Mais ces diverses parenthegraveses ne nous semblent pas indispensables degraves lors quelrsquoon voit qursquoAlexandre eacutenonce drsquoabord la conclusion de la reacutefutation puis une preacutemisse geacuteneacuterale puisdeux conseacutequences absurdes la premiegravere l 7 et la seconde l 7-9 expliciteacutee par le laquo ἦν γὰρ raquo de la l9R Dufour et M Bergeron traduisent ce δέ (l 8) par un laquo mais raquo ndash mais crsquoest ambigu puisque ce δέ nrsquoaprobablement pas ici son sens adversatif

360

Les objets de la meacutetaphysique

αἰσθάνεσθαι Ἐν τούτῳ γὰρ τῇ τοιαύτῃ ψυχῇτὸ εἶναι

que reacuteside lessence dune telle acircme (De anima 91 24 ndash 92 11)

En commentant le slogan aristoteacutelicien laquo lacircme est en un sens tous les eacutetants raquo222

Alexandre revient donc sur lessence immateacuterielle de lacircme en rappelant le refus de la thegravese de la

connaissance du semblable par le semblable et de lacircme comme composition eacuteleacutementaire en De

anima I 2 et 5 Malgreacute quen ait P Moraux les arguments accumuleacutes dans cette section viennent

tout de mecircme singuliegraverement limiter les affirmations selon lesquelles laquo chez Alexandre

dAphrodise les tendances mateacuterialistes introduites par le troisiegraveme chef du Lyceacutee apparaissent

dans toute leur puissance raquo ou plus loin laquo toutes les deacuteviations quil [Alexandre] impose agrave la

doctrine aristoteacutelicienne visent agrave pousser cette doctrine dans le sens du mateacuterialisme raquo223

P Moraux se fondait entre autres sur la doctrine alexandrinienne de lacircme comme

deacuteriveacutee deacuteleacutements corporels et laffirmation correacutelative qulaquo aucune activiteacute de lacircme ne peut se

produire sans un mouvement du corps raquo224 ndash ce quAlexandre montre pour toutes les activiteacutes

psychiques (dans lordre nutrition croissance geacuteneacuteration sensation imagination et penseacutee

pour laquelle Alexandre reprend largumentation dAristote en I 1 403 a 7-10) Certes le doute

souleveacute par Aristote225 a ici complegravetement disparu Pour autant cela ne suffit pas agrave justifier une

quelconque interpreacutetation reacuteductionniste de la doctrine de lExeacutegegravete Non seulement Alexandre

souligne nettement la diffeacuterence entre matiegravere et forme corporel et incorporel mais il prend

mecircme soin de distinguer ndash peut-ecirctre contre Galien ndash lacircme comme puissance et forme de la

proportion dune part et le meacutelange le tempeacuterament corporel lui-mecircme dautre part226

La thegravese alexandrinienne de l laquo eacutepigeacutenegravese raquo de lacircme227 ne doit donc pas ecirctre comprise au

sens ougrave il y aurait proprement laquo geacuteneacuteration raquo de la forme agrave partir dun certain meacutelange

eacuteleacutementaire Comme la souligneacute P Accattino il arrive agrave Aristote lui-mecircme demployer

222 Aristote DA III 8 431b 21

223 P Moraux [1942] respectivement p 167 et 168 P Moraux reacuteagit au passage citeacute (91 24 ndash 92 11) et agravelarticle de P Thillet dans P Moraux [1984] p 783 n 399 au motif que laquo Alexanders Ausfuumlhrungen inDe an 91 24 ndash 92 11 auf die Thillet 12-13 groszliges Gewicht legt besagen lediglich daszlig die Seele keineswegs mitden koumlrperlichen Elementen identifiziert werden kann raquo

224 Alexandre DA 12 9-10 Cf P Accattino P Donini [1996] p XV

225 En DA I 1 403 a 5 sq

226 Alexandre DA 25 2-9 26 20-27 sur cela et plus geacuteneacuteralement le rapport agrave Galien voir V Cordonier[2007]

227 Alexandre DA 25 2-3 laquo ἡ γὰρ δύναμις καὶ τὸ εἶδος τὸ ἐπιγινόμενον τῇ κατὰ τὸν τοιόνδε λόγονκράσει τῶν σωμάτων ψυχή raquo cf aussi 26 22

361

Les objets de la meacutetaphysique

laquo γίγνεσθαι raquo en un sens tregraves large en parlant de la forme ou de la quidditeacute228 De surcroicirct

soutenir que laquo la geacuteneacuteration de lacircme provient [ἐκ] dun meacutelange qualifieacute et dune mixture des

corps premiers raquo nest pas encore dire quun certain eacutetat corporel (plus que mateacuteriel dailleurs)

produit lacircme ndash sauf agrave confondre causaliteacutes mateacuterielle et productrice ou agrave consideacuterer quAlexandre

le fait et accepte inteacutegralement la theacuteorie stoiumlcienne de la causaliteacute ce qui commence agrave faire

beaucoup229

LAphrodisien corregravele assureacutement le degreacute de complexiteacute dune matiegravere et celui dune

forme Il conccediloit donc lacircme comme une forme complexe laquo plus diversifieacutee et plus acheveacutee raquo agrave

laquelle laquo contribuent raquo les formes infeacuterieures lacircme devenant alors comme laquo une forme des

formes et une perfection des perfections raquo au motif leacutegitime quelle est la forme dun corps

complexe et non simple Mais en cela Alexandre ne fait rien dautre au fond que se montrer

conscient de caractegravere fonctionnel du couple forme ndash matiegravere Leacutetat infeacuterieur nest une matiegravere

quau regard de la forme de lacircme et Alexandre travaille agrave montrer dans les pages 7-9 comment

ce qui apparaicirct comme matiegravere est en fait composeacute230 Il ny a au demeurant rien de

laquo mateacuterialiste raquo agrave soutenir quune certaine forme ne peut ecirctre lieacutee quagrave une certaine matiegravere

dapregraves la regravegle qui exclut laquo nimporte quelle forme dans nimporte quelle matiegravere raquo231 Enfin

Alexandre ne preacutesente en rien une description de cette geacuteneacuteration agrave partir de la seule matiegravere

comme si celle-ci produisait elle-mecircme sa propre information et lExeacutegegravete nabandonne pas lideacutee

dune geacuteneacuteration du vivant preacutesideacutee par une forme232 Il faut en reacutealiteacute distinguer comme le

propose P Accattino entre le processus dynamique de la geacuteneacuteration du vivant et le cadre statique

de la bipartition corps simples ndash composeacutes233 Ou plutocirct parce que les descriptions

228 P Accattino [1995] p 198-200 Sur le fait quAlexandre soutienne le caractegravere inengendreacute des formesvoir Simplicius In Phys 234 11-28 In De caelo 578 32 sq et M Rashed [2007b] p 237 sq Voir aussiP Accattino P Donini [1996] p 114-116 et le reacutesumeacute tregraves clair dans P Accattino [2009] p 59-60

229 DA 24 3-4 (laquo ἡ γὰρ γένεσις αὐτῆς ἐκ τῆς ποιᾶς μίξεώς τε καὶ κράσεως τῶν πρώτων σωμάτων ὡςἐδείχθη raquo) R Dufour et M Bergeron ont utilement listeacute les passages controverseacutes (M Bergeron RDufour [2008] p 27) Voir aussi entre autres Mantissa 104 28-29 laquo καὶ ἔστι τὸ σῶμα καὶ ἡ τούτουκρᾶσις αἰτία τῇ ψυχῇ τῆς ἐξ ἀρχῆς γενέσεως raquo

230 DA 8 8-14 Sur la difficulteacute poseacutee par la thegravese selon laquelle la forme des composeacutes survient agrave partir dela forme des corps simples le fait quune telle thegravese est absente du corpus aristoteacutelicien cf P Accattino[1995] p 192 sur limportance du passage de DA 8 8-14 qui bien lu vient deacutementir toutmateacuterialisme cf p 200

231 Alexandre DA 10 26 (voir aussi Mantissa sect 1 103 26) peut-ecirctre agrave partir dAristote DA II 4 414a 19sq Cf RW Sharples [1994] p 165 R Dufour M Bergeron [2008] p 33

232 Voir DA 36 19 ndash 37 3 et M Bergeron R Dufour [2008] p 31 Sur le rocircle de la semence voir aussi Demix 226 5-6

233 P Accattino [1995] p 201

362

Les objets de la meacutetaphysique

alexandriniennes de cette section du De anima nous paraissent bien peu laquo statiques raquo il faut

distinguer entre deux focales de lanalyse celle laquo chimique raquo si lon veut234 en tout cas interne agrave

la matiegravere du corps vivant deacutecrivant leacutetagement hyleacutemorphique du monde dans ses premiers

degreacutes et celle macroscopique eacutelargissant le point de vue au niveau inter-substantiel agrave celui de

la transmission de la forme via la semence du pegravere et de lidentiteacute speacutecifique de la forme

Toutefois si une telle description de lacircme nest en rien mateacuterialiste au sens reacuteductionniste

et vise probablement agrave se deacutefaire aussi dun dualisme trop strict elle pourrait bien se laisser

adeacutequatement lire agrave travers la grille de leacutemergentisme En philosophie contemporaine

leacutemergentisme est couramment tenu pour une sorte de version revue et corrigeacutee de

leacutepipheacutenomeacutenalisme Dans le laquo mind-body problem raquo leacutepipheacutenomeacutenalisme est cette position qui

consiste agrave concevoir les eacutetats mentaux agrave la fois comme des effets deacutetats physiques et comme eux-

mecircmes deacutepourvus de tout pouvoir causal Cela revient plus geacuteneacuteralement agrave accepter la reacutealiteacute

des eacutetats mentaux leur distinction davec les eacutetats ceacutereacutebraux agrave maintenir donc un certain

dualisme (quoique non-substantiel235) tout en posant une franche asymeacutetrie entre le corps et

lesprit Les eacutetats mentaux sont bien alors des laquo eacutepipheacutenomegravenes raquo dans tous les sens du terme agrave

la fois des symptocircmes et des pheacutenomegravenes secondaires produits survenant sur autre chose

queux-mecircmes Une correction de cette theacuteorie est leacutemergentisme qui accepte la survenance de la

position eacutepipheacutenomeacutenaliste tout en lamendant sur la question de la causaliteacute pour deacutefendre une

causaliteacute dans les deux sens au moins partielle en ce qui concerne les eacutetats mentaux

V Caston a proposeacute demployer cette grille de lecture pour les doctrines anciennes de

lacircme et du corps236 La theacuteorie de lacircme-harmonie discuteacutee par Socrate dans le Pheacutedon et Aristote

au livre I du De anima semble en effet adeacutequatement souscrire agrave une telle qualification la

meacutetaphore de la meacutelodie eacutetant dailleurs reacuteguliegraverement employeacutee par les eacutepipheacutenomeacutenalistes

contemporains237 Mais au livre I du De anima tout en refusant linefficaciteacute du mental de la thegravese

eacutepipheacutenomeacutenaliste et agrave la diffeacuterence de la critique platonicienne Aristote ne remet pas en cause

une forme de survenance du mental sur le physique ndash sauf peut-ecirctre dans le cas probleacutematique de

234 En employant anachroniquement ce terme pour deacutesigner la physique eacuteleacutementaire et les questions dumeacutelange

235 Un eacutepipheacutenomeacutenaliste classique naccepterait par deacutefinition pas de parler dune subsistance autonomedes eacutetats mentaux voire dune immortaliteacute de lacircme

236 V Caston [1997] comme le note I Kupreeva ([2010] p 215 n 12) cette lecture nest pas discuteacutee parM Rashed dans M Rashed [2007b]

237 Respectivement Platon Pheacutedon 85e-86e et 92a-95a Aristote DA I 4 V Caston [1997] p 323-332

363

Les objets de la meacutetaphysique

lintellect238

Cette lecture de la thegravese aristoteacutelicienne demanderait plus ample discussion239 mais de

telles distinctions conceptuelles se montrent opeacuteratoires en ce qui concerne Alexandre LExeacutegegravete

en effet tout en eacuteconduisant la thegravese de lacircme-harmonie pourrait sen rapprocher agrave certains

eacutegards Comme y insiste V Caston il faut cependant ecirctre nuanceacute240 Alexandre cherche agrave

maintenir une causaliteacute de lacircme tout en insistant sur la survenance psycho-physique et sinscrit

donc dans les parages les plus immeacutediats dAristote De fait on la vu Alexandre deacuteveloppe de

fond en comble lideacutee qulaquo aucune activiteacute de lacircme ne peut se produire sans un mouvement du

corps raquo241 lacircme est dite explicitement laquo survenir raquo (laquo ἐπιγίγνομαι raquo ou laquo γεννωμένη ἐπὶ raquo) sur le

meacutelange corporel dans un sens tregraves proche de la covariation contemporaine entre eacutetats mentaux

et eacutetats physiques sans perdre son statut de cause242 Tout concourt donc agrave pouvoir caracteacuteriser

adeacutequatement lExeacutegegravete comme eacutemergentiste dun eacutemergentisme toutefois plus proche de

leacutepipheacutenomeacutenalisme que celui dAristote parce que plus systeacutematique sur la relation de

survenance et leacutetat de linfrastructure corporelle243

Une telle interpreacutetation saccorderait degraves lors avec la conception plus geacuteneacuterale de la forme

comme qualiteacute Pour le dire dune formule leacutemergentisme en philosophie de lesprit saccorde en

effet avec un attributivisme en ontologie244 Alexandre se placerait ainsi dans une filiation critique

avec leacutepipheacutenomeacutenaliste dun Diceacutearque qui concevait lacircme comme une laquo qualiteacute raquo245 Tout en

acceptant cette derniegravere position et sans deacuteroger agrave la prioriteacute substantielle du composeacute (laquo ce nest

238 Pour le maintien de la survenance cf le texte important du DA I 1 403a 3-19

239 Voir par exemple le deacutebat entre D Charles et V Caston en particulier dans D Charles [2009] etV Caston [2009]

240 V Caston [1997] p 347 Une telle thegravese a eacuteteacute avanceacutee par P Donini [1971] (quoique V Caston nen fassepas mention) pour qui Alexandre naurait pas compris une partie de la critique aristoteacutelicienne delacircme-harmonie

241 Alexandre DA 12 9-22

242 V Caston [1997] p 348-349 et Mantissa sect 1 104 27-34 Pour les occurrences de laquo γεννωμένη hellip ἐπὶ raquocf DA 24 22-23 26 26-27 29-30 Pour laquo ἐπιγίγνομαι raquo cf 25 2-3 26 22 Lacircme comme cause DA24 4-13

243 V Caston [1997] p 3583 laquo What we find in both Alexander and Galen then is a thoroughgoing emergentismThey offer a clear notion of mental powers that do not belong to the elements but arise only at certain levels ofcomplexity raquo

244 Pour reprendre les cateacutegories deacutecrites par H Granger [1996] ndash qui emploie justement lattributivismeen philosophie de lesprit (voir la deacutefinition de lattributivisme en contexte psychologique p 11 enreacutefeacuterence aux travaux de J Barnes en particulier [1971-1972])

245 Cf Diceacutearque fr 8 Wehrli (P Moraux [1973] p 243ndash246 V Caston [1997] p 339 sq M Rashed[2007b] p 19)

364

Les objets de la meacutetaphysique

pas lacircme elle-mecircme qui se promegravene ou sadonne agrave la lutte mais lhomme qui la possegravede raquo246)

Alexandre la corrigerait cependant en consideacuterant lacircme comme une proprieacuteteacute certes mais une

proprieacuteteacute doueacutee dun pouvoir causal Il en irait de mecircme chez Andronicos Selon ce dernier en

effet lacircme nest pas substance parce quelle nest pas substrat Pour Andronicos seul le corps est

veacuteritablement substrat et lacircme nest que la puissance conseacutecutive aux meacutelanges des eacuteleacutements

corporels247 Or comme on la vu Andronicos est lauteur de la division des cateacutegories en par soi

dune part et par accident ou relatifs de lautre La classe laquo par soi raquo contenant uniquement la

substance et lacircme neacutetant pas pour Andronicos une substance elle se trouve ainsi releacutegueacutee du

cocircteacute des laquo relatifs raquo agrave la substance248 La psychologie alexandrinienne exemplifierait donc la

position ontologique laquo Cateacutegories-centriste raquo

b) La Forme substance car partie de la substance

On nous reacutetorquera cependant quAlexandre accepte bien de parler en plusieurs endroits

de la forme comme substance Du reste il distingue son inheacuterence agrave la matiegravere de celle des

accidents dans pas moins de trois Quaestiones (I 8 17 26) deacuteveloppant lideacutee que laquo la forme nest

pas dans la matiegravere comme en un sujet raquo Dembleacutee cependant cest bien le maintien du critegravere

de subjectiteacute issu des Cateacutegories qui rend raison de cette question quoi quil en soit pour linstant

du deacutetail des arguments il est net que ce problegraveme ne peut eacutemerger que parce quAlexandre

conserve au moins jusquagrave un certain point la thegravese selon laquelle une substance nest ni dans un

sujet ni dite dun sujet et quil arrive pourtant agrave Aristote lui-mecircme de dire que la forme est dans la

matiegravere249 La question prend en effet sa source exeacutegeacutetique dans la double caracteacuterisation de lin

246 Mantissa 104 36-37 laquo ὡς γὰρ οὐ βαδίζει ἡ ψυχὴ αὐτὴ οὐδὲ παλαίει ἀλλ ὁ ἔχων αὐτὴνἄνθρωπος raquo sur cette proposition voir M Rashed [2007b] p 42

247 Galien Quod animi mores 4 44 12-20 Muumlller (RW Sharples [2010] texte 24P p 239) Galien preacutesente la position dAndronicos sous deux formes (lacircme est le meacutelange lui-mecircme ou la puissance conseacutecutive aumeacutelange) mais sa critique se focalisant sur la derniegravere deacutefinition on peut penser que cest celle-lagrave qui est la plus fidegravele agrave la position andronicienne

248 M Rashed [2007b] p 21-22

249 Si lon deacutecrit autrement la substantialiteacute si lon y ajoute par exemple le couple de lecirctre en acte et delecirctre en puissance le problegraveme dune inheacuterence de la forme dans la matiegravere disparaicirct ou du moins nese pose plus dans les mecircmes termes Tel est lenjeu du livre H Pour un cas de laquo forme dans la matiegravere raquochez Aristote cf De caelo I 9 278b 1-3

365

Les objets de la meacutetaphysique

subjecto des Cateacutegories comme ce qui nest ni une partie250 ni ne peut ecirctre seacutepareacute de ce en quoi il est

(1a 24-25) Si la forme souscrit au second critegravere on comprend linsistance dAlexandre sur son

statut de partie et son refus dune inheacuterence accidentelle elle nest pas laquo une deacutetermination

parmi dautres raquo251 Mais si la forme est substance cest alors agrave lombre dune substance premiegravere

eacutevidemment conccedilue agrave partir des Cateacutegories

Mecircme le deacutetail de largumentation semble reacuteaffirmer le primat des Cateacutegories Ainsi en va-

t-il des passages ougrave lExeacutegegravete fait appel agrave un argument agrave lapparence scolaire selon lequel laquo les

parties de la substance sont des substances raquo252 Ainsi dans la Mantissa

Πῶς οὖν τὰ μὲν μέρη τῆς οὐσίας [1225]οὐσίαν λέγομεν καὶ διὰ τοῦτο τὸ εἶδος καὶτὴν ὕλην οὐσίαν φαμέν τὰ δὲ μέρη τοῦσώματος οὐκέτι σώματα εἴ γε καὶ ταῦταμέρη σώματος τὸ εἶδος καὶ ἡ ὕλη ἢ οὐκ ἔστιτὸ εἶδος καὶ ἡ ὕλη ὡς σώματος μέρηΣώματος μὲν γὰρ μέρη τὰ συμπληρωτικὰτοῦ σώματος ταῦτα δὲ οὐ συμπληροῖ τὸσῶμα Ὡς δὲ οὐσίας ἐστὶ μέρη

En quel sens donc disons-nous que les partiesdune substance sont substances et que pour celanous affirmons que la forme et la matiegravere sontsubstances mais non pas que les partie du corps sontdes corps sil est vrai que celles-ci aussi sont desparties du corps (ie la forme et la matiegravere) Ou alorsla forme et la matiegravere ne sont pas des parties en tantque ltparties dungt corps253 Sont en effet parties duncorps ce qui complegravete254 le corps alors que forme etmatiegraveres ne complegravetent pas le corps Cest quellessont des parties en tant que ltpartiesgt dunesubstance

(Mantissa sect 5 122 4-9)

Le texte ndash quon ne pourra soupccedilonner dinauthenticiteacute puisque largument se retrouve

presque agrave lidentique au De anima 18 8-27 ndash sinscrit dans un long catalogue darguments sorte

de boicircte agrave outils ou darsenal visant agrave deacutemontrer que lacircme nest pas dans le corps comme en un

sujet Largument preacutesenteacute ci-dessus apparaicirct au moment du texte sattachant agrave montrer que lacircme

nest pas un corps et (pourtant est-on tenteacute dajouter) est substance Le De anima explicite plus

avant lorigine de largument selon lequel lacircme eacutetant partie dun corps elle doit elle-mecircme ecirctre

corporelle il est le fait de ceux laquo ἀπὸ τῆς Στοᾶς raquo (17 16) qui dressent un parallegravele entre les

250 Comme le rappellent R Bodeacuteuumls ([2002] p 12 n 8) et M Rashed ([2007b] p 43) on comprendcouramment dans ces parties les organes du vivant par exemple

251 M Rashed [2007b] p 46 (agrave propos de la Quaestio I 8)

252 Principalement DA 6 3 sq Mantissa sect 5 122 4 sq On peut y ajouter comme on va le voir lesQuestiones I 8 I 17 I 26 Lorigine de cet argument pourrait ecirctre lideacutee aristoteacutelicienne courante que lesparties des substances naturelles ndash par exemple les organes des vivants ndash sont elles aussi des substances(De caelo III 1 298a 29-32 Met Δ 8 1017b 10-12 Z 2 1028b 9-13 H 1 1042a 9-11) Mais Alexandredistingue justement parties du vivant et parties comme forme et matiegravere Sur cet argument et saposteacuteriteacute voir K Wurm [1973] p 185 n 28 R Chiaradonna [1999] M Rashed [2007b] p 42 sq

253 Nous nous rangeons ici agrave la lecture de RW Sharples cf RW Sharples [2004] p 71-72

254 Il faut bien sucircr entendre lideacutee de laquo partie compleacutetive raquo

366

Les objets de la meacutetaphysique

parties des surfaces des lignes et du temps qui sont respectivement elles-mecircmes surfaces lignes

et temps (18 11-13) Contre cela on doit montrer que le terme de laquo partie raquo nimplique pas

neacutecessairement lidentiteacute de nature avec le tout quil faut donc pluraliser la notion de laquo parties raquo

du corps Forme et matiegravere ne sont pas des parties comme le sont les membres

Si la forme est une qualiteacute elle nest donc cependant pas assimilable agrave nimporte quelle

qualiteacute ou agrave nimporte quel proprieacuteteacute accidentelle255 Mais comme on le saisit sans peine le fait

quAlexandre considegravere ici la forme comme substance ne constitue pas une objection dirimante agrave

ce qui a eacuteteacute preacuteceacutedemment eacutetabli Dabord il est tout agrave fait possible que Boeacutethos ait formuleacute une

telle distinction et nait pas non plus assimileacute la forme-qualiteacute agrave nimporte quelle qualiteacute256 Que la

forme ne soit pas comme nimporte quelle qualiteacute ne fait pas pour autant sortir de

lattributivisme Dans un tel argument le composeacute demeure substance premiegravere et ses parties

naccegravedent agrave la substantialiteacute que de faccedilon deacuteriveacutee Seul le composeacute est laquo seacutepareacute raquo au sens ougrave il

est sujet et donc pleinement substance La forme laquo contribue raquo certes agrave lecirctre du composeacute mais

cest toujours agrave ce titre de laquo partie raquo quelle est substance257 On a vu en outre comment la

contribution agrave la substance est associeacutee par Alexandre au fait des cateacutegories secondaires258 En

tant que parties forme et matiegravere diffegraverent des membres du corps ou des parties de la statue

elles ne sont pas atteintes par division et la figure de la statue en particulier ne contribue pas

laquo εἰς τὸ ποσὸν raquo agrave la statue mais laquo ὡς εἰς τὸ ποιόν raquo (DA 18 22)

Qui plus est lasymeacutetrie entre forme et matiegravere saveacuterait deacutejagrave en toutes lettres dans les

premiegraveres pages du De anima ougrave Alexandre preacutesente de faccedilon geacuteneacuterale les instruments

conceptuels qui vont innerver le reste du traiteacute forme et matiegravere corps simples et corps

composeacutes LExeacutegegravete distingue dabord le substrat des corps simples et celui des composeacutes pour

montrer que la matiegravere des corps composeacutes est elle-mecircme composeacutee cest un laquo corps naturel fait

de matiegravere et de forme raquo (3 24) agrave la diffeacuterence des corps simples dont la matiegravere nest pas un

corps mais une entiteacute priveacutee de forme qui est donc matiegravere laquo ἁπλῶς raquo (4 5 et 7) Alexandre

255 Sur la question des qualiteacutes substantielles voir J Ellis [1994] R Chiaradonna [2002] p 71 n 41 MRashed [2007b] p 307-308

256 M Rashed en fait lhypothegravese agrave partir de sa lecture de Simplicius In Phys 211 3-23 cf M Rashed[2007b] p 199-202 et particuliegraverement p 201 pour lideacutee que laquo si la forme est bien qualitative pour lui[Boeacutethos] elle ne saurait pourtant se confondre avec nimporte quelle qualification raquo

257 Par exemple Quaestio I 8 17 15 sq

258 Cf ci-dessus sect 313 Sur cette notion de laquo partie compleacutetive raquo (deacutejagrave attribueacutee par Simplicius agrave Lucius InCat 48 1 sq) voir R Chiaradonna [2002] p 69 sq et M Rashed [2007b] p 147 sq On y reviendra ci-dessous

367

Les objets de la meacutetaphysique

deacuteveloppe alors linseacuteparabiliteacute de cette matiegravere son incapaciteacute agrave subsister par elle-mecircme parce

quen reacutealiteacute toujours unie avec une forme (laquo car il est impossible de prendre une certaine cire qui

soit deacutepourvue de figure raquo 4 12) Cest alors quAlexandre applique la mecircme ideacutee agrave la forme elle

non plus ne peut pas subsister seule Et mecircme poursuit lExeacutegegravete laquo au contraire cela vaut encore

plus pour la forme que pour la matiegravere raquo (4 21-22 laquo καὶ μᾶλλόν γε τὸ εἶδος τοῦτο τῆς ὕλης

πέπονθεν raquo) La raison en est quune certaine matiegravere la matiegravere prochaine (celle par exemple

des artefacts) est agrave mecircme de subsister par elle-mecircme puisquil sagit en fait dun corps qui nest

matiegravere que pour une forme supeacuterieure alors que la forme des composeacutes sous quelque espegravece

que ce soit ne peut jamais subsister par elle-mecircme Alexandre semble cependant se reprendre

quelques lignes apregraves la forme des corps naturels est toutefois substance Mais le critegravere paraicirct

bien faible ou si lon nous passe lexpression artificiel la nature eacutetant substance et la forme

eacutetant nature elle sera substance (5 3-4) Argument au fond aussi artificiel que celui qui est adopteacute

une page plus loin les parties dune substance sont substances (6 2) Cest dire combien la

diffeacuterence avec Boeacutethos semble alors mince Alexandre ne remettant pas fondamentalement en

cause le paradigme de son preacutedeacutecesseur

Si donc la psychologie alexandrinienne ne professe aucun mateacuterialisme elle se laisse

cependant lire comme un eacutemergentisme Mecircme en admettant une eacuteleacutevation de la forme au rang

de substance cet eacutemergentisme continue de se mouvoir dans ce que M Rashed nomme

diversement preacutedicativisme ou conceptualisme abstrait quon nomme aussi couramment

attributivisme ndash maniegraveres de deacutesigner une theacuteorie qui conccediloit comme substance par excellence le

composeacute hyleacutemorphique individuel et ramegravene la forme au rang de preacutedicat qualitatif du

composeacute Une telle lecture de lousiologie alexandrinienne a dailleurs eacuteteacute soutenue avec une

certaine coheacuterence259 Toutefois agrave ce compte on aura du mal agrave rendre raison dune autre ligne de

force dans la penseacutee de lExeacutegegravete dont voici trois signes

En premier lieu lune des antiennes de lensemble du corpus alexandrinien consiste en

lassertion selon laquelle cest par leur forme que les choses ont lecirctre ou quelles sont ce quelles

sont que la forme est cause de lecirctre (laquo αἰτία τοῦ εἶναι raquo)260 Le paralleacutelisme avec cet autre slogan

259 K Wurm [1973] p 181-193 (discuteacute par M Rashed [2007b] p 36 sq) Pour la notion de preacutedicativismeet les divers conceptualismes cf M Rashed [2007b] p 4 sq et speacutecifiquement p 5 n 17

260 Entre autres passages In Met 96 26 185 15 214 26 359 34 375 9 sq In Meteor 224 20-21 DA91 17-18 Mantissa 120 4 etc

368

Les objets de la meacutetaphysique

deacutejagrave convoqueacute qui fait de la substance premiegravere des Cateacutegories la cause de lecirctre du reste des

eacutetants est indiscutable Assureacutement ce nest pas parce que οὐσία et εἶδος partagent litteacuteralement

cette deacutenomination de laquo cause de lecirctre raquo que la forme doit ipso facto ecirctre tenue pour substance par

excellence ni que forme et substance sont causes au mecircme sens Si le statut de laquo cause de lecirctre raquo

pour lοὐσία se laisse aiseacutement concevoir ndash sans substance pas daccidents de la substance cest-

agrave-dire aucun autre eacutetant la substance eacutetant ce qui soutient les autres eacutetants dans lecirctre et

lexistence (ὕπαρξις) ndash il faut encore comprendre en quel sens la forme est dite laquo cause de lecirctre raquo

Neacuteanmoins un tel geste revient deacutejagrave agrave faire revenir lexpression de laquo cause de lecirctre raquo dans le

giron de son contexte originel agrave savoir Z 17 (et dans la mecircme ligne H 2 1043a 3-4) ce qui deacutenote

une lecture du corpus aristoteacutelicien qui nest plus exactement Cateacutegories-centriste On se rappelle

en effet quau terme du voyage du livre Z Aristote eacutelit la forme comprise comme quidditeacute au

rang de substance premiegravere261 Elle est premiegravere cause de lecirctre laquo οὐσία δὲ ἑκάστου μὲν τοῦτο

(τοῦτο γὰρ αἴτιον πρῶτον τοῦ εἶναι) raquo (1041b 27-28)262 Le De anima dAristote emploie dailleurs

eacutegalement lexpression pour dire la causaliteacute de lacircme cause de la vie et donc de lecirctre des ecirctres

vivants (414b 12 sq)263

QuAlexandre reacutepegravete inlassablement que la forme est cause de lecirctre vient sans conteste

heurter la thegravese dune homogeacuteneacuteiteacute doctrinale avec ses preacutedeacutecesseurs mecircme dans la version

remanieacutee dune forme substance au motif quelle est laquo partie de la substance raquo Il se pourrait bien

comme on va le voir quagrave partir de la substance composeacutee cause de lecirctre de ses accidents

Alexandre opegravere une remonteacutee vers la cause de cette cause LAphrodisien renverserait alors le

261 Cf deacutejagrave entre autres Z 7 1032b 1-2

262 Sur cette proposition et son lien avec Z 1 voir M Burnyeat [2001] p 60-61 Sur le fait que Z 17accomplisse le programme du deacutebut de Z voir par exemple R Boehm [1965] p 187 sq F Wolff[2005] Pour lideacutee que Z 17 montre au contraire linsuffisance de la forme et la neacutecessiteacute du nouveaudeacutepart voir I Olivo-Poindron [2003] p 85 G Aubry [2006] p 82-83 Voir aussi sur la forme commecause pour la matiegravere du fait quelle est ceci ce qui annonce les analyses de H et Θ laquo ὥστε τὸ αἴτιονζητεῖται τῆς ὕλης (τοῦτο δ ἐστὶ τὸ εἶδος) ᾧ τί ἐστιν τοῦτο δ ἡ οὐσία raquo (1041b 7-9) Comme on saitcette proposition a eacuteteacute suspecteacutee par Christ et se trouve mise entre crochets par Jaeger La raison en estsans doute la rupture grammaticale entre le relatif ᾧ et son anteacuteceacutedent (dougrave les parenthegraveses de Ross) etparce que lincise serait redondante avec laquo τοῦτο δ ἡ οὐσία raquo M Burnyeat aideacute dA Laks ([2001] p60 n 124) propose une seconde solution qui construit τὸ εἶδος comme lanteacuteceacutedent de ᾧ On ajouteraque le Ps-Alexandre semble bien avoir lu un texte similaire quand il paraphrase laquo τοῦτο δὲ τὸ αἴτιόνἐστι τὸ εἶδος ᾧ τι ἔστι τουτέστιν ἐν ᾧ ἡ ὕλη ἐστίν τοῦτο δὲ τὸ εἶδός ἐστιν ἡ οὐσία raquo (In Met 542 2-3)

263 Thegravese reprise par Alexandre dans la bregraveve Quaestio II 10 (laquo Que lacircme nest pas automotrice raquo) cf 55 5-6 Mais la Quaestio reprend ensuite le couplet sur la forme inseacuteparable de la matiegravere son incapaciteacute agraveecirctre καθ αὑτὸ etc

369

Les objets de la meacutetaphysique

point de vue sur une forme qui nest substance que par extension de la substantialiteacute de la

substance premiegravere des Cateacutegories vers la conception dune forme comme cause de la

substantialiteacute de cette substance composeacutee et donc davantage substance Tel serait le sens dun

eideacutetisme ou dun laquo essentialisme raquo dAlexandre264

Deuxiegraveme signe de ce changement de perspective la reacuteduction de la forme agrave une qualiteacute

(ou du moins le fait quelle ne soit alors pas substance) est explicitement circonscrite par

Alexandre au cas des artefacts Laffirmation est constante agrave travers lensemble du corpus ndash M

Rashed en parle comme une laquo thegravese fondamentale raquo265 Entre autres lieux dans la Quaestio I 21

Ἢ εἰ ἡ τοιαύτη ἐνέργειά [355] τε καὶἐντελέχεια εἶδος τῶν δὲ εἰδῶν τὰ μὲνφυσικά τὰ δὲ τεχνικά καὶ ἔστι τὰ μὲνφυσικὰ εἴδη οὐσίαι τὰ δὲ τεχνικὰ ποιότητεςεἴη ἂν καὶ τῶν ἐνεργειῶν αὕτη διαφορά

Ou bien si un tel acte et une telle enteacuteleacutechie266 sontune forme et que parmi les formes les unes sontnaturelles les autres artificielles que les formesnaturelles sont substances tandis que les artificiellessont des qualiteacutes cette diffeacuterence peut sappliqueraussi aux actes

(Quaestio I 21 35 4-7)

Plus geacuteneacuteralement laquo la forme engendreacutee dapregraves lart nest pas une substance raquo (De anima

5 1-2) Agrave la diffeacuterence de la forme naturelle la forme artificielle est dans la matiegravere comme en un

sujet parce que son sujet est deacutejagrave un τόδε τι posseacutedant lui-mecircme une forme une forme naturelle

(Mantissa sect 5 120 4 sq) Ces passages sur la non-substantialiteacute ou la substantialiteacute faible des

formes des artefacts267 ont donc ceci dinteacuteressant que par opposition ils barrent la route agrave une

conception faible de la substantialiteacute de la forme des substances naturelles (substantialiteacute deacuteriveacutee

ou substantialiteacute dune qualiteacute substantielle) Lopposition entre substances naturelles et artefacts

fonctionne comme un reacuteveacutelateur ndash agrave la maniegravere de ce quon vient de voir dans la Mantissa ndash qui

permet agrave Alexandre de sortir de lattributivisme dans le cas des substances naturelles Autrement

264 Que nous appelions avant la lecture de M Rashed laquo eideacutetique raquo ou laquo eideacutetisme raquo empruntant le termeagrave la tradition pheacutenomeacutenologique P Rodrigo par exemple emploie ce terme en contexte aristoteacuteliciendans P Rodrigo [1995] Pour un excellent reacutesumeacute de ce que signifie pour Merleau-Ponty unelaquo approche eideacutetique de lEcirctre raquo qui est llaquo intellectualisme raquo voir les travaux de R Barbaras parexemple la description syntheacutetique dans R Barbaras [1998] p 46-47 et de faccedilon plus deacuteveloppeacuteedans R Barbaras [1991] p 21 sq

265 M Rashed [2007b] p 179 n 509

266 En reacutefeacuterence sans doute agrave la distinction preacuteceacutedente entre acte incomplet et acte complet (laquo ἡ μὲν οὖνἀτελὴς ἐνέργεια πάθος οὖσα εἴη ἂν ποιότης ἡ δὲ τέλειος ἐνέργεια τί ἂν εἴη καὶ ὑπὸ κατηγορίαντίνα raquo Quaestio I 21 35 3-4)

267 Voir aussi sur la diffeacuterence entre formes naturelle et artificielle In Met 215 18-29 sur le fait que laforme artificielle nest pas substance Mantissa sect 1 103 29 voir aussi In Met 359 30 sq qui se conclutsur le fait que les artefacts ont seulement laquo une sorte de substance approprieacutee et dexistence raquo (laquo οἰκείαντινὰ οὐσίαν καὶ ὕπαρξιν raquo)

370

Les objets de la meacutetaphysique

dit lopposition contraint lExeacutegegravete agrave deacuteployer une argumentation qui pour les substances

naturelles se joue alors agrave un niveau diffeacuterent de celui par exemple du simple argument des

parties de la substance

Dernier signe syntheacutetisant les deux preacuteceacutedents le De anima dAlexandre teacutemoigne de ce

revirement dans un passage frappant qui circonscrit lattributivisme au cas des artefacts et

inverse son point de vue pour le cas des substances naturelles

Σῶμα μὲν οὖν οὐδέτερόν ἐστιν ἐξ ὧνπρώτων τὸ ἁπλοῦν ἐστι σῶμα Οὔτε γὰρ ἡὕλη σῶμα πᾶν [520] μὲν γὰρ σῶμα ἁπτόντε καὶ μετ ἐναντιώσεώς τινος ἡ δὲ ὕληπάσης ἁπτῆς ποιότητος καὶ ἐναντιώσεωςἐκτός ἐστιν καὶ τὸ μὲν σῶμα ὑφεστός ἡ δὲὕλη εἴδους δεῖται πρὸς τὸ εἶναι Διὰ τοῦτο δὲοὐδὲ τὸ εἶδος σῶμα [61] ὅτι μηδὲ τοῦτο οἷόντε καθ αὑτὸ εἶναι τῆς ὕλης ἀχώριστον ὄνὡς δέδεικται

Οὐσία μέντοι ἑκάτερον αὐτῶν Ὡς γὰρ ἡὕλη οὕτως δὲ καὶ τὸ φυσικὸν εἶδος οὐσίαΟὐσίαι γὰρ τὰ μέρη τῆς οὐσίας μᾶλλον δέδιότι ἑκάτερον ἐκείνων οὐσία καὶ τὸ ἐξἀμφοῖν οὐσία καὶ μία τις φύσις οὐχ [65] ὡςτὰ κατὰ τέχνην γινόμενα ἃ κατὰ τὸὑποκείμενόν τε καὶ τὴν ὕλην εἰσὶν οὐσίαικατὰ δὲ τὰ εἴδη ποιότητες

Ni lun ni lautre des termes premiers dont reacutesultele corps simple ne sont corps La matiegravere en effet nestpas un corps car tout corps est tangible et possegravedequelque contrarieacuteteacute268 alors que la matiegravere esteacutetrangegravere agrave toute qualiteacute tangible et toute contrarieacuteteacuteet que si le corps est subsistant la matiegravere elle abesoin dune forme pour ecirctre Pour cette raison laforme non plus nest pas un corps parce quelle nepeut ecirctre par soi eacutetant inseacuteparable de la matiegraverecomme on la montreacute

Pourtant chacune des deux est substance Demecircme en effet que lest la matiegravere de mecircme aussi laforme naturelle est substance car les parties de lasubstance sont substances ndash ou plutocirct parce quechacune delles est substance ce qui reacutesulte des deuxest aussi substance et une certaine nature unique nonpas agrave la maniegravere des objets engendreacutes par lart quisont substances en vertu de leur substrat et de leurmatiegravere mais qui sont qualiteacutes en vertu de leursformes

(DA 5 18 ndash 6 6)

Passage relativement scolaire dans son ensemble au ton poleacutemique aiseacutement identifiable

deacutevolu agrave la deacutemonstration de lincorporeacuteiteacute des deux principes de tout corps sensible contre le

corporalisme stoiumlcien il nest guegravere neacutecessaire de rappeler tous les eacuteleacutements eacutevoqueacutes ci-dessus

qui sy concentrent Mais le passage donne eacutegalement agrave lire un renversement qui va non plus du

composeacute agrave ses composants (forme et matiegravere) mais des composants vers le composeacute Le

revirement satteste mecircme en toutes lettres avec le laquo μᾶλλον δέ raquo de la ligne 6 3 cest laquo parce

que raquo (διότι) forme et matiegravere sont substances que ce qui reacutesulte des deux est lui-mecircme

substance269 Artefacts et eacutetants naturels ont en commun davoir une matiegravere qui est substrat et

268 Ni P Accattino et P Donini ni M Bergeron et R Dufour ne donnent en note la reacutefeacuterence probable ici agraveGC II 2 329b 7-11 Sur ce sujet cf les indications de S Fazzo [2002a] qui propose une reconstructiondu commentaire dAlexandre agrave GC II 2

269 M Rashed lexplique nettement laquo Ce texte nous deacutelivre par lagrave-mecircme un indice preacutecieux surlrsquointerpreacutetation qursquoAlexandre donnait drsquoun principe qui apparaicirct trop souvent de maniegravere figeacutee dans

371

Les objets de la meacutetaphysique

substance en ce sens mais agrave la diffeacuterence des eacutetants naturels la forme des artefacts nest quune

qualiteacute Lopposition reacuteiteacutereacutee avec les artefacts suppose neacutecessairement que la substantialiteacute des

eacutetants naturels leur vient aussi quant agrave eux du statut substantiel de leur forme La maniegravere dont

la forme est principe de substantialiteacute de leacutetant naturel nest pas encore preacuteciseacutee quoiquon en ait

peut-ecirctre un indice avec la mention de laquo μία τις φύσις raquo Ce passage du De anima condense en

reacutealiteacute ce qui se confirme dans le reste du corpus

323 Lessentialisme dAlexandre

La disparition du commentaire alexandrinien aux Substanzbuumlcher de la Meacutetaphysique

demeure un motif de deacutesolation pour lhistorien Cependant la question du statut de la forme est

dune telle actualiteacute pour lExeacutegegravete que dautres textes viennent donner quelques assises agrave une

tentative de reconstruction de la doctrine alexandrinienne agrave ce sujet Telle est lambition

poursuivie ndash et accomplie ndash par les travaux de M Rashed270 Pour ce dernier lessentialisme

dAlexandre traverse les textes de lExeacutegegravete et les domaines de la logique la physique et la

cosmologie Il constitue lavanceacutee majeure de ce quon a pu nommer laquo neacuteo-aristoteacutelisme raquo On

rappellera ici quelques uns des arguments les plus convaincants de linterpreacutetation en ciblant

davantage ce qui inteacuteresse notre propos agrave savoir la meacutetaphysique de lExeacutegegravete Il est toutefois

arriveacute agrave M Rashed de soutenir que cet essentialisme conduisait lExeacutegegravete agrave deacutebouter de ses

preacutetentions le projet dune science de leacutetant en tant queacutetant agrave transformer la Meacutetaphysique en

laquo cosmologie de lεἶδος raquo271 Ces propositions qui ne nous sont pas immeacutediatement claires nous

paraissent en tout cas prises agrave la lettre partiellement inexactes On espegravere pouvoir montrer que

si tregraves certainement la meacutetaphysique alexandrinienne a agrave voir avec un laquo systegraveme du monde raquo

une laquo cosmologie de lεἶδος raquo elle ne laquo rompt raquo pourtant pas laquo les amarres avec le projet dune

science de lecirctre en tant quecirctre raquo Au contraire la doctrine alexandrinienne de lεἶδος preacutetend

son œuvre Ce nrsquoest pas une eacuteventuelle substantialiteacute primordiale de la substance premiegravere de Cat 5qui se transmet agrave la forme et agrave la matiegravere mais lrsquoinverse raquo (M Rashed [2007b] p 50) Sur ce passagevoir aussi R Chiaradonna [2008a] p 386-387

270 Et singuliegraverement M Rashed [2007b] On en lira une preacutesentation syntheacutetique et parfois critique dansI Kupreeva [2010] M Rashed reacutesume lui-mecircme ses thegraveses de faccedilon succincte et limpide dans MRashed [2011c]

271 Ces propositions se lisent par exemple dans M Rashed [2007b] p 327 et [2008] p 283

372

Les objets de la meacutetaphysique

accomplir le projet dontologie geacuteneacuterale Lenquecircte sur la forme nest que la suite logique de la

thegravese de la prioriteacute cateacutegoriale de la substance telle quon a tenteacute de la deacutecrire plus haut

Que faut-il tout dabord entendre par laquo essentialisme raquo

Jappelle en effet laquo essentialiste raquo une ligne doctrinale selon laquelle mdash 1) leidos est le lieuunique de lecirctre et de luniteacute ie de la reacutealiteacute mdash 2) lindividu ne lui ajoute rien quiveacuteritablement soit mdash 3) le genre est pour autant qursquoil est un constituant de leidos mdash 4)lanalogie nest quun mode de lexamen mdash 5) la deacutefinition speacutecifique coiumlncide avec ladeacutefinition hyleacutemorphique272

On se concentrera ici sur la premiegravere thegravese les quatre autres en figurant des corollaires ou

des conseacutequences Au point de vue du corpus lessentialisme conduit agrave un certain deacutesinteacuterecirct de

lExeacutegegravete pour la biologie des espegraveces au profit de la systeacutematisation et de la fondation logique et

ontologique de lhyleacutemorphisme273 Cette fondation peut ecirctre deacuteclineacutee sous deux aspects

extensifs et intensifs

a) Extension de lhyleacutemorphisme ndash 1

On a vu comment les onze premiegraveres pages du De anima dAlexandre sur la constitution

chimique du corps vivant (en particulier les pages 7 14 ndash 9 11) avaient susciteacute des interpreacutetations

mateacuterialistes incompatibles avec le reste du corpus il fallait donc comprendre autrement

leacutepigeacutenegravese de lacircme son eacutemergence agrave partir dune certaine constitution du corps vivant comme

corps complexe Mais il y a plus en reacutealiteacute une attention plus soutenue agrave la lettre du texte et sa

strateacutegie conduit agrave une conclusion inverse de celle du mateacuterialisme reacuteductionniste voire de

leacutepipheacutenomeacutenalisme agrave savoir la preacutegnance de la forme degraves les niveaux les plus frustes du

sensible

Comme cela a deacutejagrave eacuteteacute souligneacute selon le teacutemoignage de Simplicius agrave la deacutefinition

aristoteacutelicienne du corps dans le De caelo par la tridimensionnaliteacute Alexandre rajoute le critegravere de

subsistance le corps est laquo συνεστὼς raquo ou laquo ὑφεστός raquo Il peut subsister par soi (laquo καθαὑτὸ

ὑφίστασθαι raquo)274 Dans cet ordre dideacutees et dans la veine de Galien la diffeacuterence entre corps

272 M Rashed [2007b] p 31

273 Deacutejagrave noteacute en partie par P Donini [1971] p 81-82 et surtout RW Sharples [1985] p 121-123 (citeacute parM Rashed [2007b] p 30 n 95)

274 Cf Simplicius In De caelo 8 4-6 (laquo ὁ μέντοι Ἀλέξανδρος καὶ σημεῖον τοῦ ἐκ παραλλήλου ταῦτακεῖσθαι προστίθησι τὸ μὴ εἶναι ἄλλο τι φύσει συνεστὼς μέγεθος παρὰ τὸ σῶμα raquo) commentant De

373

Les objets de la meacutetaphysique

simples et composeacutes samenuise les deux sortes de corps pouvant sanalyser selon le mecircme

schegraveme hyleacutemorphique275 Alexandre teacutemoigne en toutes lettres de cette continuiteacute dans le De

anima la laquo diffeacuterence raquo entre corps simples et corps composeacutes ne consiste en rien dautre quen ce

que les seconds sont composeacutes des premiers leur matiegravere laquo est elle aussi un corps naturel fait

dune matiegravere et dune forme (car tout corps naturel est composeacute de matiegravere et forme) raquo276 La

critique du corporalisme stoiumlcien reacuteduit agrave un mateacuterialisme permet ainsi la mise en œuvre de

principes incorporels ndash et au premier chef la forme ndash pour rendre raison de la subsistance des

corps degraves les premiers degreacutes277

Cest en effet en rappelant que les corps sont ce quils sont en vertu de leur forme (laquo κατὰ

τὸ εἶδός ἐστι τοῦτο ὅ ἐστι raquo DA 6-22-23) quAlexandre entreprend lanalyse hyleacutemorphique des

corps simples Sans leur forme en effet les corps simples seraient identiques car laquo la matiegravere et le

substrat sont identiques en eux tous raquo (laquo ἡ ὕλη καὶ τὸ ὑποκείμενον ταὐτὸν ἐν πᾶσιν αὐτοῖς raquo 6

28) condition indispensable pour quils puissent se transformer les uns en les autres278 La forme

est ainsi principe de ce quils sont en tant que corps simples particuliers du fait quils se

distinguent les uns des autres mais aussi principe de leur corporeacuteiteacute elle-mecircme puisque tout

corps est capable daction et de passion et que la forme est ce qui leur permet dagir et de pacirctir

Alexandre laffirme par exemple en DA 7 9-13 les corps reccediloivent de leur forme la capaciteacute

dagir et de pacirctir et les diffeacuterences entre les corps agrave cet eacutegard sont dues agrave leur forme Cest

pourquoi plus geacuteneacuteralement chaque corps doit agrave sa forme decirctre ce quil est et de diffeacuterer des

autres corps279

Lapparente stoiumlcisation dans la deacutefinition du corps nest que la face cacheacutee dune

caelo I 1 Voir agrave ce sujet V Cordonier [2008] dont nous suivons ici les analyses Sur le critegravere desubsistance pour les corps chez Alexandre voir De mix 228 10-22 la deacutefinition traverse tout lInMeteor Lexpression καθ αὑτὸ ὑφίστασθαι se lit par exemple en DA 19 7 (laquo σῶμα τόδε τι ὂν καὶκαθ αὑτὸ ὑφίστασθαι δυνάμενον raquo) Cf aussi DA 5 7-9 5 21 etc

275 Cf V Cordonier [2007]

276 DA 3 23-25 laquo καὶ αὐτὸ φυσικὸν σῶμα ἐξ ὕλης τε καὶ εἴδους ἐστίν (πᾶν γὰρ φυσικὸν σῶμα ἐκτούτων σύνθετον raquo

277 Le deacuteveloppement alexandrinien dans le De anima sautorise aussi comme deacuteveloppement exeacutegeacutetiquedAristote DA II 11 423b 27-30

278 Cf DA 5 8-9 laquo δι ἣν φύσιν [agrave savoir le substrat capable de recevoir telle ou telle proprieacuteteacutes] αἱ τῶνἁπλῶν σωμάτων εἰς ἄλληλα γίνονται μεταβολαί raquo

279 DA 7 9-13 laquo Οὐ μόνον δὲ παρὰ τοῦ εἴδους τό τε εἶναι ἑκάστῳ καὶ αἱ πρὸς τὰ ἄλλα τὰ ὄνταδιαφοραί ἀλλὰ καὶ αἱ κατὰ τὸ ποιεῖν τε καὶ πάσχειν διαφοραὶ τοῖς σώμασι γίνονται κατὰ τὰ εἴδηποιοῦντα γὰρ καὶ πάσχοντα καθὸ σώματα τὸ τόδε τι ποιεῖν καὶ τόδε τι πάσχειν παρὰ τοῦ εἴδουςἔχει κατὰ γὰρ τὴν κατ εἴδη διαφορὰν καὶ τούτων ἑκάτερον raquo Ce texte est traduit et commenteacute parV Cordonier [2008] p 368

374

Les objets de la meacutetaphysique

entreprise de subversion qui mine le corporalisme stoiumlcien de linteacuterieur pour mieux faire valoir

lhyleacutemorphisme280 Lasymeacutetrie quon avait noteacutee au deacutebut du De anima entre forme et matiegravere

quant agrave la capaciteacute dexister agrave leacutetat seacutepareacute se reacutevegravele ainsi inverseacutee dans la suite des analyses du

traiteacute On comprend par lagrave a posteriori ce que cette thegravese dun anti-platonisme scolaire nous

apprend sur lhyleacutemorphisme militant de lExeacutegegravete De fait la forme eacutetait dite ne pouvoir

subsister par elle-mecircme encore moins que la matiegravere (DA 4 21-22) par un recours au cas de la

matiegravere prochaine en reacutealiteacute composeacutee Mais si la subsistance de cette matiegravere prochaine est

assureacutee par sa propre forme il devient alors difficile de consideacuterer ce passage comme une simple

reacutepeacutetition du geste Cateacutegories-centriste de Boeacutethos

En alliant les donneacutees du De generatione et corruptione et du De caelo Alexandre deacutecrit donc

les corps simples dapregraves leur forme ou laquo nature raquo281 Ainsi le feu a-t-il pour forme les laquo qualiteacutes raquo

de chaleur et de seacutecheresse desquelles eacutemerge la leacutegegravereteacute (laquo ἐκ τούτων τε καὶ ἐπὶ τούτοις

γεννωμένη raquo 5 5-6) La chimie du De generatione vient soutenir la cineacutetique du De caelo la forme

du feu est agrave la fois un ensemble de deux pocircles dans les quatre contraires tangibles et une certaine

laquo puissance raquo de mouvement Mais on se situe lagrave agrave loreacutee dune innovation alexandrinienne ie le

concept de perfection (laquo τελειότης raquo) qui deacutesigne leacutetat acheveacute de la forme sa pleine actualisation

lorsquelle a accompli sa puissance par exemple le feu qui accomplit sa leacutegegravereteacute en rejoignant son

lieu naturel282 Alexandre nomme bien cet ensemble de trois qualiteacutes laquo forme raquo ce quAristote ne

fait jamais aussi nettement283 Quel est lenjeu de cette homogeacuteneacuteisation du sensible sous leacutegide

de lhyleacutemorphisme Cest quoutre les possibiliteacutes poleacutemiques anti-stoiumlcienne et anti-

platonicienne quun tel geste offre agrave Alexandre ce grand mouvement continu deacutetagement des

formes vient fonder par avance les affirmations qui seront ensuite faites sur lacircme De mecircme par

exemple que la leacutegegravereteacute est puissance et principe de mouvement sans ecirctre elle-mecircme mue ainsi

280 Cf aussi V Cordonier [2008] p 368 On ne peut donc reacuteduire lhyleacutemorphisme alexandrinien agrave uncorporalisme au sens ougrave pour lExeacutegegravete seuls les corps seraient veacuteritablement eacutetants la forme et lamatiegravere neacutetant que des abstractions contre K Wurm [1973] V Cordonier [2008] p 370

281 Sur lidentification entre εἶδος et φύσις dans ces pages du DA cf P Accattino [1995] p 185

282 La centraliteacute du concept de τελειότης a eacuteteacute reacutecemment souligneacutee par M Rashed [2011a] Le conceptdeacutesigne laquo une formaliteacute supeacuterieure raquo (p 142) vers laquelle tendent les eacutetants Il resterait agrave montrer danscette veine comment le De anima est charpenteacute par ce concept et plus particuliegraverement que lespassages sur le mouvement des corps simples rejoignent nettement les deacuteveloppements agrave ce sujet duCommentaire agrave la Physique ndash voir surtout les scholies 590 591 et 594 dans M Rashed [2011a] p 523-530

283 Comme le note P Accattino [1995] p 186-187 Aristote parle seulement des contrarieacuteteacutes tangiblescomme produisant des laquo formes et des principes raquo des corps tangibles (GC II 2 329b 8 laquo εἴδη καὶἀρχὰς raquo) Le terme de laquo principe raquo se retrouve en PA II 2 648b 9-10 et Meteor I 2 339a 13-14

375

Les objets de la meacutetaphysique

en va-t-il pour lacircme284 Le concept dεἶδος structure ainsi plus geacuteneacuteralement lensemble de la

psychologie de lExeacutegegravete beaucoup plus que celui dacte par exemple LrsquoExeacutegegravete nabandonne

bien sucircr pas le couple de lacte et de la puissance qui comme on sait trouve un de ses hauts-

lieux deacutelaboration dans le De anima dAristote mais celui-ci se trouve infeacuteodeacute au couple forme-

matiegravere lequel sert de cheville ouvriegravere dans la totaliteacute de la deacutemonstration des proprieacuteteacutes de

lrsquoacircme285 On pourrait ainsi montrer comment par exemple le concept de τελειότης reprend agrave son

compte la doctrine des degreacutes de lacte et de la puissance eacutelaboreacutee en De anima II 5 mais en

pensant ces degreacutes comme deux eacutetats de la forme Or lideacutee de perfection traverse non seulement

lanalyse du mouvement des corps simples mais elle constitue linterpreacutetation alexandrinienne

de la deacutefinition de lacircme comme laquo enteacuteleacutechie premiegravere raquo devenue laquo perfection premiegravere raquo286

La systeacutematisation du couple matiegravere ndash forme lextension du champ dapplication de

lanalyse hyleacutemorphique des eacutetants cela est plus quun indice de ce qui seacutepare Alexandre de ses

preacutedeacutecesseurs peacuteripateacuteticiens Cest deacutejagrave un premier motif de rupture On montrera plus loin

comment cette extension atteint eacutegalement les niveaux les plus eacuteleveacutes de leacutechelle des eacutetants287

b) Forme et diffeacuterence la deacutefinition de lhomme

Lessentialisme comme position philosophique signifie la correacutelation entre ecirctre et

284 P Accattino [1995] p 188-189 Comparer DA 5 12-18 et 21 24 sq Nous laissons de cocircteacute ce quedeacuteveloppe ensuite Accattino la question de savoir si la seule leacutegegravereteacute est forme du feu ou aussi le secet le chaud le texte deacutejagrave citeacute appelle forme du feu la conjonction du chaud et du sec qui produisent laleacutegegravereteacute Cf note suivante

285 Comme la noteacute V Cordonier [2007] cf par exemple DA 15 28 17 11 20 26 etc En reprenant le planproposeacute par M Bergeron et R Dufour en tecircte de leur traduction on pourrait en effet montrer quetoutes les proprieacuteteacutes de lacircme donneacutees par Alexandre comme deacutecoulant de la deacutefinition canonique delacircme comme enteacuteleacutechie premiegravere dun corps organiseacute sont en fait tireacutees de son statut de forme et de ladescription de la forme qui a eacuteteacute preacutepareacutee au deacutebut du traiteacute Ainsi lacircme est incorporelle (17 15- 1920) inseacuteparable du corps (elle nest pas comme le pilote du navire 20 26 ndash 21 21) elle se corromptavec le corps (21 22-24 donneacute explicitement comme conseacutequence du fait que lacircme est laquo forme ducorps raquo) elle meut sans ecirctre mue (21 24 ndash 24 11) etc

286 Le concept de laquo perfection premiegravere raquo est deacutefinie agrave propos des corps simples en DA 9 19 sq on laretrouve agrave propos de la deacutefinition de lacircme en 11 1 (voir aussi le texte eacutetonnant de 16 5-6 laquo ἔθος δὲἈριστοτέλει τὴν τελειότητα καὶ ἐντελέχειαν λέγειν raquo alors que sauf erreur le texte du DA dAristotene parle pas de τελειότης La τελειότης se retrouve ensuite dans la deacutefinition de lacircme en 16 8 sq quideacutetaille les deux sens de τελειότης) Cela confirmerait une hypothegravese que nous avions preacuteceacutedemmentproposeacutee dans vraiment pouvoir la deacutemontrer (G Guyomarch [2008] p 330)

287 Ci-dessous sect 331

376

Les objets de la meacutetaphysique

connaicirctre ladeacutequation pleine et entiegravere voire lidentiteacute de notre connaissance agrave son objet ndash une

thegravese qui trouve bien sucircr ses origines chez Aristote lui-mecircme288 Nos deacutefinitions des eacutetants ne sont

degraves lors pas des constructions arbitraires elles disent ce qui est tel quil est M Rashed a ainsi

retraceacute comment cette position prend corps au premier chef dans leffort geacuteneacuteral de lExeacutegegravete

pour rapprocher et coordonner la constitution logique de lespegravece intensive et de la diffeacuterence

speacutecifique avec la forme du composeacute hyleacutemorphique ou pour le dire autrement la relation

diffeacuterence-genre avec la relation forme-matiegravere

Un tel geste nest pas sans preacuteceacutedent le rapprochement de la diffeacuterence avec la forme se

lit peut-ecirctre deacutejagrave chez Boeacutethos Mais cest chez le Sidonien dans une perspective bien diffeacuterente

de celle dAlexandre puisque Boeacutethos se reacutefegravere preacuteciseacutement agrave la diffeacuterence comprise comme

laquo qualiteacute raquo du genre289 Chez Alexandre au contraire le rapprochement entre forme et diffeacuterence

seffectue bien plutocirct au profit dune version qui substantialise la forme et pose sa preacuteeacuteminence

dans le composeacute dans une lecture qui promeut Z 12 au rang de texte central Aristote y correacutelait

en effet uniteacute de la deacutefinition et uniteacute de la substance dune part290 et dautre part la laquo derniegravere

diffeacuterence raquo qui integravegre toutes les divisions qui megravenent agrave elle cest-agrave-dire la forme cest-agrave-dire la

substance (1038a 25-26)

Comme en atteste sans doute possible la Quaestio I 15 Alexandre comprend en effet la

diffeacuterence comme lexpression de la forme comme laquo indicative raquo de la forme laquo selon laquelle

lecirctre appartient agrave ce qui est raquo Degraves lors dans le cas des substances naturelles la diffeacuterence ne peut

ecirctre une qualiteacute elle est laquo indicative dune certaine substance raquo291 Cette thegravese constitue aussi

lenjeu dune Quaestio conserveacutee seulement en arabe intituleacutee laquo De la diffeacuterence II raquo par M

Rashed Alexandre sy interroge sur la cateacutegorie dont relegraveve la diffeacuterence si elle appartient au

288 Cf par exemple Aristote DA III 7 431a 1

289 Selon Aristote Top VI 6 144a 21-22 cf aussi Met Δ 28 1024b 8-9 (et on rappellera Cat 5 3a 22 sq ladiffeacuterence nest pas dans un sujet mais elle se dit dun sujet) Sur Boeacutethos cf Simplicius In Cat 97 23-34 et M Rashed [2007b] p 24 n 79

290 Voir le reacutesumeacute de M Crubellier P Pellegrin [2002] p 371 Pour limportance de Z 12 dans la penseacuteealexandrinienne cf M Rashed [2007b] p 84

291 Quaestio I 15 27 12-18 laquo ἔτι δὲ οὐ πᾶσα διαφορὰ ποιότης εἰ γὰρ ἡ διαφορά ἐστι καθ ἣνἀντιδιαιρεῖται ἀλλήλοις ltτὰgt ἐκ τοῦ αὐτοῦ γένους εἴδη εἴη ἂν τοῦ εἴδους ἑκάστου ἡ διαφορὰ οὗἐστι διαφορά καθ ὃ τὸ εἶναί ἐστιν αὐτῷ τούτῳ ὅ ἐστι δηλωτική ἀλλὰ μὴν πάντων τῶνσυνεστώτων φύσει ltοἷςgt οὐχ ἡ ὕλη μόνον οὐσία ἀλλὰ καὶ τὸ εἶδος ἐν τούτοις ἡ διαφορὰδηλωτικὴ εἴη ἂν οὐσίας τινὸς ἀλλοὐ ποιότητος raquo Voir la confirmation de cette thegravese dansSimplicius In Cat 99 19-31 (cf S Fazzo [2002a] p 130-131)

377

Les objets de la meacutetaphysique

genre quelle speacutecifie ou agrave un autre292 La Quaestio propose agrave ce titre une solution nuanceacutee qui

distingue la diffeacuterence selon quelle est prise en soi sans matiegravere et selon quelle est prise avec le

genre quelle diffeacuterencie Sous la premiegravere perspective la diffeacuterence est laquo une substance agrave la

maniegravere de la forme raquo ou plus loin laquo forme sans matiegravere produisant lune des choses qui sont

sous le genre raquo293 En revanche laquo rationnel raquo pris avec un genre (laquo animal raquo) indique de facto une

espegravece En ce cas la diffeacuterence relegraveve du genre quelle diffeacuterencie et se preacutedique

synonymiquement des espegraveces et des individus alors que quand laquo bipegravede raquo par exemple est pris

en soi il na pas le mecircme sens pour lautruche ou lhomme294

Tout en relativisant le critegravere de subjectiteacute issu des Cateacutegories295 la Quaestio propose donc

nettement un rapprochement entre diffeacuterence (deacutefinie comme ce qui compose un genre la

composition mecircme du genre) et forme hyleacutemorphique De toutes deux il est dit quelles sont

substances ndash mecircme si les deux versions de la Quaestio diffegraverent par leur argumentation sur ce

point Comme le reacutesume M Rashed cette thegravese tend par lagrave mecircme agrave laquo une assimilation de leacutetant

au deacutefinissable raquo geste essentialiste sil en est

Il faut toutefois se garder dune lecture trop meacutecanique la tendance au rapprochement

ne veut pas dire identification On ne peut pas reacuteduire le genre agrave un ensemble de traits mateacuteriels

communs agrave des espegraveces diffeacuterencieacutees par certaines formes ndash comme si laquo animal raquo ne renvoyait

quagrave une substructure mateacuterielle commune agrave lautruche et lhomme Alexandre est ainsi tregraves clair

292 LExeacutegegravete refuse expressis verbis cette solution cf laquo De la diffeacuterence II raquo sect 5 (eacutetablissement du texte ettraduction M Rashed [2007b] p 58) laquo si les diffeacuterences qui produisent des espegraveces eacutetaient sous legenre lui-mecircme de ces espegraveces il faudrait que les diffeacuterences qui divisent le vivant soient eacutegalementsous le vivant et puisque ce qui est sous le vivant est vivant la diffeacuterence deviendrait une substancecomposeacutee et une espegravece du vivant puisque la chose dont se preacutedique le vivant de maniegraveresynonymique si elle est commune crsquoest une espegravece du vivant tandis que si elle nrsquoest pas communecrsquoest un individu parmi les individus appartenant agrave ses espegraveces raquo Voir aussi In Met 206 17-19

293 Respectivement laquo De la diffeacuterence II raquo sect 6 et sect 7 (M Rashed [2007b] p 59 et 60)

294 Les origines exeacutegeacutetiques de cette question sont Cat5 3b 1-2 et Top IV 2 122b 20-24 (M Rashed [2007b]p 68-69) La thegravese dAlexandre dans cette Quaestio se confirme par dautres passages outre laquo De ladiffeacuterence I raquo voir aussi In Top 47 14-23 et 365 4-21 La solution est toutefois plus complexe commeen teacutemoigne la suite de laquo De la diffeacuterence II raquo qui distingue entre les diffeacuterences des genres premiers(les cateacutegories) qui sont immeacutediatement des espegraveces et celles des autres genres qui doivent ecirctre prisavec une certaine matiegravere Ainsi laquo rationnel raquo nest pas en soi une espegravece il faut dit Alexandre leprendre avec un certaine matiegravere pour quil deacutesigne une espegravece Alexandre dit en effet laquo si [rationnel]est composeacute avec vivant il signifie le rationnel ayant une matiegravere ndash puisque le vivant qui a cet attributsignifie de la maniegravere la plus geacuteneacuterale une nature composeacutee Si donc rationnel est pris de la sorte ilsagit drsquoune espegravece En revanche pour les genres de ce type la diffeacuterence nrsquoest pas en eux comme uneespegravece du genre qursquoelles divisent quand elle est prise isoleacutement et indeacutependamment du genre raquo (sect 8 M Rashed [2007b] p 61-62)

295 Cf laquo De la diffeacuterence II raquo sect 12 et 12 M Rashed [2007b] p 64 et 74-75

378

Les objets de la meacutetaphysique

sur le fait que laquo la matiegravere nest pas un genre raquo titre de la Quaestio II 28296 Dans cette Quaestio

lAphrodisien apregraves avoir montreacute la parenteacute entre genre et matiegravere (le fait quils soient

laquo communs raquo anteacuterieurs agrave ce qui leur est subordonneacute quils se diffeacuterencient selon une certaine

combinaison avec un certain εἶδος) souligne en effet lasymeacutetrie qui les seacutepare La Quaestio ne

brille pas forceacutement par sa coheacuterence en rassemblant des caracteacuterisations de la matiegravere et du

genre ou des raisons de les distinguer qui napparaissent pas toujours compatibles entre elles

Mais lune des distinctions les plus claires entre matiegravere et genre outre les caractegraveres physique de

la premiegravere et logique du second consiste en ceci que le genre a laquo quelque chose de formel raquo au

sens peut-on supposer ougrave il est principe de deacutetermination On en trouvera confirmation dans le

commentaire agrave Meacutetaphysique Δ 24 sur la provenance (laquo ἔκ τινος raquo) qui distingue matiegraveres

sensible et intelligible et deacutesigne les parties de la deacutefinition comme parties de la forme297

Linheacuterence de la forme dans la matiegravere nest donc pas exactement similaire au rapport genre ndash

espegravece298

Cest agrave partir de ce rapprochement tendanciel et typiquement essentialiste entre forme et

diffeacuterence que lon peut rendre raison de la cristallisation chez Alexandre de la deacutefinition de

lhomme comme animal mortel rationnel Pour Alexandre il est clair que supprimer la rationaliteacute

(τὸ εἶναι λογικῷ) laquo cest supprimer lhomme raquo299 Dans la Mantissa seul lhomme laquo parmi les

choses ici-bas a reccedilu en partage la plus parfaite des puissances de lacircme agrave savoir lintellect et lui

seul possegravede une acircme rationnelle raquo300 Quil sagisse bien lagrave dune deacutefinition par genre et

diffeacuterence est clair par exemple dans le Commentaire aux Topiques cest au cœur dune preacutecision

sur la constitution dune deacutefinition le fait quelle ne se reacuteduit pas agrave leacutenonceacute du propre que

lExeacutegegravete affirme que les laquo les deacutefinitions au sens strict raquo sont les formules qui laquo contiennent ce en

296 Sur ce texte cf la traduction et les notes de RW Sharples [1994] les indications de S Fazzo [2002a] p63-65 et la traduction et le commentaire de M Rashed [2007b] p 94-104

297 Quaestio II 28 78 32-33 laquo ἔχον γάρ τι τοῦ εἴδους ἐν τῷ τοῦ οἰκείου λόγῳ raquo M Rashed [2007b] p 99Cf aussi RW Sharples note ad loc [1994] p127 n 180-181 laquo the genera of comound beings are definedin a way that involves reference to both matter and form raquo Voir aussi la distinction en In Met 422 21 ndash 4238 et M Rashed [2007b] p 100-102

298 Mais les textes dAlexandre ne preacutecisent guegravere cette diffeacuterence Dans plusieurs textes Alexandresemble dailleurs admettre une anteacuterioriteacute du genre sur lespegravece mais cest lagrave encore en reacutealiteacute auprofit dune thegravese essentialiste qui comprend le genre de faccedilon intensive et ordonne les deacuteterminationsde la substance composeacutee sur cette question voir RW Sharples [2005] M Rashed [2004] et [2007b] p89-94 Les principaux textes dAlexandre en jeu sont la Quaestio I 11 et lEacutepicirctre en reacuteponse agrave Xeacutenocrate

299 De Fato 184 15-20

300 Mantissa 172 19-21 laquo μόνον γὰρ κεκοινώνηκεν τοῦτο τῶν τῇδε τῆς τελειοτάτης τῶν ψυχικῶνδυνάμεων αὕτη δέ ἐστι νοῦς καὶ μόνον ψυχὴν λογικὴν ἔχει raquo

379

Les objets de la meacutetaphysique

fonction eacuteminente de quoi le deacutefini possegravede lecirctre comme lhomme ltpossegravede lecirctregt en fonction

du rationnel raquo301 Alexandre en propose eacutegalement une version longue qui ajoute un propre

lhomme est un animal mortel rationnel capable de recevoir lintellect et la science302

Or comme il est connu la deacutefinition napparaicirct jamais telle quelle chez Aristote303

Assureacutement les hommes ou la plupart dentre eux sont des animaux qui ont en partage le λόγος

et disposent dun intellect Mais labsence lexicale de la formule deacutefinitionnelle dans le corpus

aristoteacutelicien le dispute agrave labondance des deacutefinitions laquo mannequins raquo304 qui font de lhomme un

animal terrestre bipegravede sans plume ou vivipare bipegravede305 Le fameux texte des Politiques I 2 1253a

1-18 ne parle pas de deacutefinition ni ne formule quoi que ce soit dans les termes du genre et de la

diffeacuterence306 De mecircme quand Aristote eacutevoque la possession humaine du λόγος dans la Politique

ou les Eacutethiques par exemple il a systeacutematiquement recours au preacutedicable du laquo propre raquo et non la

diffeacuterence307 Degraves lors soit ce terme prend son sens technique et Aristote nemploie

volontairement pas laquo diffeacuterence raquo ce nest donc pas une deacutefinition soit ce terme prend un sens

large mais cela confirme aussi le statut non deacutefinitionnel de ces passages Assureacutement les raisons

textuelles inclinant agrave jeter le doute sur lattribution agrave Aristote de la formule deacutefinitionnelle

laquo lhomme est un animal rationnel raquo ne sont pas suffisantes pour interdire de reconnaicirctre comme

le dit F Wolff que cette formule laquo trouve indiscutablement son origine dans la philosophie

301 In Top 46 10-11 laquo κυρίως δ ἂν εἶεν ὅροι οἱ ἔχοντες πρὸς τούτῳ καὶ καθ ὃ μάλιστά ἐστι τῷ ὁριστῷτὸ εἶναι ὡς τῷ ἀνθρώπῳ κατὰ τὸ λογικόν raquo Cf M Rashed [2007b] p 154 On y revient ci-dessous

302 Pour lajout de laquo mortel raquo aux cocircteacutes de laquo rationnel raquo comme diffeacuterence speacutecifique voir par exemple InMet 51 23-25 161 4 162 13-15 205 18 414 9-10 etc Sur la rationaliteacute cf aussi In AnPr 73 10 sqSur le rire et la rationaliteacute In AnPr 295 32 sq et 298 9 sq Sur laquo capable de science raquo cf In Top 43 27sq le dieu nen est pas capable cest un laquo propre raquo de lhomme En In Top 307 28 lajouteacute de laquo podeacute raquo(πεζός) suffit agrave distinguer lhomme comme animal rationnel du dieu (le dieu na pas de pied ou nestpas terrestre donc) En 319 20 sq et 353 24 sq cest au contraire lajout de mortel raquo ou laquo immortel raquoqui distingue lhomme du dieu les deux espegraveces eacutetant des animaux rationnels (cf aussi 422 18 sq) Laformule complegravete se lit enfin en In Top 478 23-24 laquo ἄνθρωπός ἐστι ζῷον λογικὸν θνητὸν νοῦ καὶἐπιστήμης δεκτικόν raquo (cf aussi 495 5) Sur laquo νοῦ καὶ ἐπιστήμης δεκτικόν raquo comme un propre ndashconformeacutement agrave Aristote Top V 2 130b 8 V 3 132a 19-20 etc ndash voir In Top 387 24 aux cocircteacutes du rireou 373 2 etc Que le fait d laquo ecirctre capable de science raquo soit deacuteductible de la rationaliteacute cf In Met 38220-22

303 On trouvera le dossier complet dans C Beacutegorre-Bret [2004] Voir aussi F Wolff [2010] p 26-52

304 J Brunschwig [1967] p XII

305 Entre autres PA I 3 643a 3 HA V 1 539a 14 lensemble de Met Z 12 etc

306 Pour une analyse de ce texte par rapport agrave la deacutefinition de lhomme voir par exemple F Wolff [2010] p33-36

307 Pol I 2 1253a 16 EE II 1 1219b 38 sq EN I 6 1096b 34 (laquo ζητεῖται δὲ τὸ ἴδιον raquo)

380

Les objets de la meacutetaphysique

dAristote raquo308 Soutenir que la tradition est une longue suite derrements qui se serait

miseacuterablement obstineacutee agrave imputer agrave Aristote une formule erroneacutee serait contradictoire avec le

projet mecircme du preacutesent travail Il nempecircche que la mise en doute de cette attribution peut aussi

revendiquer agrave son creacutedit des raisons proprement doctrinales Sans les deacutevelopper inteacutegralement

ici ndash cela a deacutejagrave eacuteteacute fait309 ndash tenons pour acquis que ces raisons manifestent les tensions et les

verrous que linterpregravete doit reacutesoudre pour lire une telle deacutefinition de lhomme chez le

Philosophe La deacutefinition de lhomme par la possession du λόγος entraicircne en effet avec elle des

problegravemes dextension (par rapport au statut probleacutematique des esclaves310 aux barbares agrave

certains animaux reconnus comme intelligents) et donc reacuteciproquement dintension si le λόγος

doit recouvrir de faccedilon assez stricte un type deacutetermineacute dopeacuterations cognitives (la capaciteacute agrave

discuter du juste et de linjuste agrave faire des choix reacutefleacutechis etc) alors de nombreux ecirctres qui

paraissent humains ne le sont plus tandis que si lon admet ndash ce qui est tregraves plausible eu eacutegard au

reacutegime aristoteacutelicien de la terminologie ndash une polyseacutemie ou une souplesse aristoteacutelicienne en la

matiegravere lon risque alors de peacutecher par excegraves311 Puisque la diffeacuterence na pas agrave ecirctre laquo propre raquo ie

co-extensive agrave ce quelle deacutefinit il faudrait alors ajouter une autre diffeacuterence agrave la seule rationaliteacute

(ou mecircme agrave la possession de lintellect) pour distinguer lespegravece humaine dans le genre animal

Ce quaucun texte aristoteacutelicien ne fait expresseacutement

Sans doute ce fait est-il agrave classer avec labsence plus geacuteneacuterale de deacutefinitions dautres

substances naturelles dans le corpus comme si lagrave neacutetait pas lagrave lenjeu principal pour le Stagirite312

Plus speacutecifiquement pour lHomme il faudrait eacutegalement chercher du cocircteacute du rapport que celui-

ci entretient avec sa propre essence ndash si cest la rationaliteacute Lhomme est une substance naturelle

animeacutee comme nimporte quel autre animal et rien ne soppose agrave ce quil puisse ecirctre deacutefini mais

308 F Wolff [2010] p 26

309 Cf agrave nouveau lensemble du travail de C Beacutegorre-Bret [2004] convaincant mais peut-ecirctre aussiexcessif preacuteciseacutement agrave cet eacutegard

310 Les esclaves sont des hommes pour Aristote (ce nest pas parce quAristote compare les esclaves agrave desanimaux quils en sont cf C Beacutegorre-Bret [2004] p 345) Sur lhumaniteacute des esclaves cf EN VIII 141161b 6 Pol I 4 1254a 13 sq I 13 1259b 26-27 etc Les esclaves sont priveacutes de διανοία de λόγοςactif et sont seulement doteacutes dun λόγος passif capable dobeacuteir cf Pol I 2 et I 5 Comment admettreles esclaves dans lHumaniteacute tout en leur refusant la moitieacute ce qui fait lHomme

311 Aristote qualifie certains animaux d laquo intelligents raquo (φρόνιμος par exemple MetA 1 980b 21 sq) et ilssont mecircme capables dapprendre et denseigner (HA IX 1 608b 17-21 De sensu 437a 1-17) Sur lesgrues qui ont une forme dintelligence cf HA VIII 12 La diffeacuterence entre lhomme et lanimal ne passepas pour Aristote entre lintelligence et linstinct cf J-L Labarriegravere [2001]

312 Comme le reacutesume F Wolff laquo limportant semble moins de connaicirctre ce quest lessence de lhomme oude pouvoir la dire que de savoir ou de poser quil en a une neacutecessairement raquo cf F Wolff [2000] p 104

381

Les objets de la meacutetaphysique

quAristote eacutelabore une eacutethique explicitement centreacutee sur lhomme et les laquo affaires humaines raquo

indique pour celui-ci un rapport complexe voire meacutediatiseacute avec sa propre nature313 On perccediloit

deacutejagrave comment eu eacutegard agrave ce quon a eacutevoqueacute preacuteceacutedemment le concept alexandrinien de

laquo perfection raquo comme eacutetat acheveacute et supeacuterieur de la forme va pouvoir se couler dans une telle

ambivalence314

Quoiquelle ne soit pas infondeacutee la deacutefinition de lhomme comme laquo animal mortel

rationnel raquo est donc neacutecessairement une construction dinterpregravete Il revient agrave Alexandre davoir

consacreacute cette formule comme deacutefinition canonique en terrain aristoteacutelicien315 Cette derniegravere

preacutecision est neacutecessaire on a pu soutenir non sans raison quune telle deacutefinition eacutetait en reacutealiteacute

stoiumlcienne316 Pour autant que nous le sachions le texte le plus ancien qui emploie la formule se lit

chez Ciceacuteron317 mais il nen revendique pas lui-mecircme la paterniteacute lexpression eacutetant devenue un

veacuteritable locus communis au sens le plus plein une expression courante dans la koinegrave

philosophique Les occurrences d laquo animal mortel rationnel raquo se multiplient de faccedilon massive agrave

partir des IIegraveme et IIIegravemes ap J-C chez Eacutepictegravete Marc Auregravele Alcinoos Sextus Empiricus etc Or

les stoiumlciens constituent de bons candidats au titre sinon dinventeurs du moins de propagateurs

de la formule Celle-ci sadapte au mouvement stoiumlcien agrave deux eacutegards en intension le λόγος

stoiumlcien deacutesigne clairement une instance psychique unifieacutee318 en extension cette faculteacute est

explicitement refuseacutee aux autres animaux que lhomme et le dieu319 la raison suffit donc agrave deacutefinir

lhomme degraves lors quelle est coupleacutee avec le fait decirctre mortel en vertu de la theacuteorie stoiumlcienne de

313 Octroyer agrave lhomme le λόγος pour laquo fonction propre raquo cela dit tout agrave la fois ce qui est et ce qui doitecirctre Cest aussi dire que lhomme est lecirctre qui peut manquer le plein accomplissement de sonhumaniteacute cf G Aubry [2002]

314 Cf ci-dessous sect 331a

315 On trouve toutefois un preacuteceacutedent avec Aspasius mais de faccedilon moins systeacutematique et pluscontextuelle il sagit du commentaire agrave EN I 6 ndash voir par exemple In EN 18 9-29

316 Voir T Beacutenatouiumll [2006] p 71-77 et en particulier les passages sur les laquo usages de la raison raquo Surlaquo animal rationale raquo comme laquo deacutecalque de la deacutefinition stoiumlcienne raquo cf p 73

317 Ciceacuteron Premiegraveres Acadeacutemiques II VII laquo si homo est animal est mortale rationis particeps raquo Ciceacuteron neposseacutedait pas encore ladjectif laquo rationalis raquo qui apparaicirct chez Seacutenegraveque cf T Beacutenatouiumll [2006] p 74 Surlhistoire geacuteneacuterale de lexpression voir GM DeDurand [1973] pour la deacutefinition comme lieu commundont personne ne revendique la paterniteacute cf p 341 Sur le passage de Ciceacuteron p 337-338

318 La partie logique de lacircme heacutegeacutemonique est siegravege et sujet de tous les eacutetats mentaux (en tout cas chezChrysippe) Elle est responsable de lanalyse des donneacutees des sens de la capaciteacute agrave forger desraisonnements et de la prise de deacutecision et sa seule preacutesence suffit agrave modifier les autres faculteacutes delacircme lapparition de la raison chez lhomme par exemple produit lapparition de lassentiment oudes impressions rationnelles

319 Lhomme se trouve donc comme le deacutecrit Eacutepictegravete avoir en commun son corps avec les animaux et saraison avec les dieux (Entretien I III 3)

382

Les objets de la meacutetaphysique

la deacutefinition comme laquo repreacutesentation du propre raquo (ἰδίου ἀπόδοσις)

Or la deacutefinition de lhomme comme animal mortel rationnel chez Alexandre trouve ici un

double ancrage agrave la fois dans la discussion avec cette derniegravere theacuteorie de la deacutefinition et dans la

reacuteflexion alexandrinienne sur la diffeacuterence speacutecifique Tout en reprenant la formule stoiumlcienne

pour mieux la reacutefuter Alexandre lui fait donc aussi retrouver son origine aristoteacutelicienne Mais

eacutetant donneacute les laquo verrous raquo deacutejagrave signaleacutes les difficulteacutes agrave consideacuterer immeacutediatement lhomme

comme un animal rationnel en terrain aristoteacutelicien Alexandre doit proceacuteder agrave certains

ajustements En premier lieu lExeacutegegravete corregravele rationaliteacute et possession de lintellect320 ndash et il lui lui

arrive tout simplement de reacuteintroduire dans la formule la possession du νοῦς Alors que ladjectif

λογικός sest agrave leacutepoque deacuteveloppeacute bien au-delagrave des seuls textes stoiumlciens le vocabulaire de

lintellect est en effet relativement absent des textes stoiumlciens et demeure un marqueur conceptuel

platonico-peacuteripateacuteticien321 Alexandre peut ainsi asseoir la deacutefinition de lhomme par sa

rationaliteacute en conjuguant deux seacuteries de textes dAristote ceux sur le λόγος et ceux sur le νοῦς

avec sans doute agrave lesprit les formules frappantes dAristote selon qui laquo lrsquointellect est par

excellence lrsquohomme raquo322 De telles propositions ont certes chez le Philosophe autant valeur

prescriptive que descriptive mais comme on le verra plus loin la noeacutetique alexandrinienne

travaille justement ces diffeacuterents eacutetats de lintellect celui qui en puissance deacutefinit lhumaniteacute de

tout homme et celui qui laquo acheveacute raquo pleinement en acte couronne son excellence323 Cest

dailleurs lagrave ce qui distingue le propre de la diffeacuterence dit aussi Alexandre on ne peut tenir le

rire pour la diffeacuterence speacutecifique de lhomme parce quon aura du mal agrave imaginer que lhomme

acheveacute est celui qui comme le traduit M Rashed laquo rit sans entrave et pleinement raquo (τέλειος

ἄνθρωπος εἴη ἂν ὁ ἀνεμποδίστως τε καὶ εὖ γελῶν In Top 46 4-5)324

Tout est donc reacuteuni pour quon soit en droit de dire que la formule laquo animal mortel

rationnel raquo est aristoteacutelicienne si par laquo aristoteacutelicien raquo on entend laristoteacutelisme dAlexandre

320 Par exemple en DA 80 16-24 qui ouvre agrave leacutetude de lintellect

321 Cf T Beacutenatouiumll [2006] p 74 De la part dAlexandre le maintien de lintellection dans la rationaliteacuteimplique par rapport aux stoiumlciens un changement dans ce que recouvre la notion de laquo rationnel raquo etpermet par exemple linsistance sur la connaissance intellective comme saisie des formes ce qui estbien sucircr absent chez les stoiumlciens

322 Pour lideacutee que le De anima soit un de ces textes dont parle F Wolff et quil faut ranger parmi ceuxphysiques qui insistent sur la continuiteacute du vivant par opposition aux textes eacutethiques qui pointentplutocirct la diffeacuterence entre lhomme et les autres animaux cf F Wolff [2000] p 136-137

323 Cf ci-dessous sect 331a

324 Cf M Rashed [2007b] p 153

383

Les objets de la meacutetaphysique

Alexandre refonde de linteacuterieur cette deacutefinition de lhomme agrave la fois au niveau de son sens de

son contenu mais aussi de sa structure et par lagrave il en fait la piegravece maicirctresse de sa meacutecanique anti-

stoiumlcienne La deacutefinition sert en effet de modegravele dans la reacutefutation de la theacuteorie stoiumlcienne de la

deacutefinition qui confond diffeacuterence speacutecifique et propre agrave cause preacuteciseacutement de la disparition de la

notion de forme ou de quidditeacute ce que prouvent plusieurs passages du Commentaire aux

Topiques325 Cela explique linsistance dAlexandre sur la fonction causale de la rationaliteacute pour

lhomme cest en effet gracircce agrave elle que nous sommes des ecirctres politiques ou

laquo communautaires raquo capables de deacutelibeacuterer ou que nous sommes libres326 La rationaliteacute forme le

foyer commun qui ordonne les diffeacuterentes descriptions de lhomme Mais cest aussi la possession

de la rationaliteacute qui rend raison agrave titre de cause finale de la configuration de notre corps et sa

composition chimique Cest selon M Rashed pour cette raison quAlexandre a preacutefeacutereacute consacrer

la rationaliteacute comme diffeacuterence speacutecifique de lhomme plutocirct que la bipeacutedie La rationaliteacute

preacutesuppose en effet toute une infrastructure mateacuterielle et formelle dont elle est le

couronnement327 Elle inclut donc aussi la bipeacutedie qui selon certaines indications dAristote lui-

mecircme vaut comme une conseacutequence de certaines proprieacuteteacutes essentielles de lhumaniteacute328 Cest

325 Ainsi In Top 42 25 ndash 438 (SVF II 228) laquo Καὶ ἔστιν ἴσον τὸ εἰρημένον τῷ lsquoλόγος ὁ τῆς τοῦπράγματος οὐσίας δηλωτικὸς καὶ καθ ὅ ἐστιν αὐτῷ τὸ εἶναιrsquo Οἱ δὲ λέγοντες ὅρον εἶναι λόγονκατὰ ἀνάλυσιν ἀπαρτιζόντως ἐκφερόμενον ἀνάλυσιν μὲν λέγοντες τὴν ἐξάπλωσιν τοῦ ὁριστοῦκαὶ κεφαλαιωδῶς ἀπαρτιζόντως δὲ τὸ μήτε ὑπερβάλλειν μήτε ἐνδεῖν οὐδὲν ἂν λέγοιεν τὸν ὅρονδιαφέρειν τῆς τοῦ ἰδίου ἀποδόσεως Λόγος γὰρ καὶ τὸ lsquoζῷον γελαστικόνrsquo καὶ ἀπερίττως τε καὶἀνελλιπῶς σημαίνει τὸν ἄνθρωπον οὔτε γὰρ ἐπὶ πλέον οὔτε ἐπ ἔλαττόν ἐστι τοῦ ἀνθρώπουἈλλὰ πλεῖστον ὁρισμοῦ ὁ διὰ τοῦ ἰδίου λόγος ἀποδιδόμενος διαφέρει ὅτι μὴ σημαίνει ἐν τίνι ἐστὶτὸ εἶναι τῷ ἀνθρώπῳ Ὅτι γὰρ μὴ ἐν τῷ γελαστικῷ τῷ ἀνθρώπῳ τὸ εἶναι δῆλον ἐκ τοῦ τὰς καθ ὅἐστιν ἕκαστον ἐνεργείας ταύτας τελειοῦν αὐτό οὐκ ἔστι δὲ τελειότης ἀνθρώπου τὸ γελᾶν raquo laquo Etcette expression est eacutequivalente agrave laquo formule qui manifeste lessence de la chose et dapregraves laquelle lachose a lecirctre raquo Mais ceux qui disent que la deacutefinition est une formule analytique exprimeacutee de faccedilonadeacutequate (voulant dire par laquo analytique raquo lexposition du deacutefini de faccedilon sommaire et par laquo de faccedilonadeacutequate raquo le fait quelle noutrepasse ni ne manque ltle deacutefinigt) diraient que la deacutefinition ne diffegravere enrien de la repreacutesentation du propre En effet laquo animal capable de rire raquo est aussi une formule etsignifie lhomme de faccedilon exhaustive et complegravete car son extension nest ni plus grande ni plus petiteque celle de lhomme Mais la formule quon donne au moyen du propre est tregraves diffeacuterente dunedeacutefinition parce quelle ne signifie pas en quoi reacuteside lecirctre essentiel de lhomme En effet que lecirctreessentiel de lhomme ne reacuteside pas dans sa capaciteacute agrave rire cest manifeste agrave partir du fait que chaquechose est acheveacutee par les activiteacutes conformes agrave ce quelle est et que le rire nest pas un achegravevement delhomme raquo Voir aussi In Top 46 6-14 (traduit et commenteacute par M Rashed [2007b] p 154

326 Cf respectivement Mantissa sect 19 157 9 sq sect 23 172 19 ndash 173 10 Quaestio III 13 107 7 sq Problegravemeseacutethiques 24 De fato 184 5 sq etc

327 Voir De providentia 87 5 ndash 91 4 (Ruland) M Rashed [2007b] p 154-155 agrave propos de In Top 46 6-14Cf aussi p 156-158

328 Cf C Beacutegorre-Bret [2004] p 242 sq La station droite par exemple est la cause finale de la bipeacutedie cfDe incessu animalium 11 710b 5 sq Voir aussi les liens entre bipeacutedie possession de fesses permettant le

384

Les objets de la meacutetaphysique

dire combien la description ascendante de la constitution du corps animeacute dans le De anima

nexclut pas une position substantialiste et vient au contraire la soutenir

c) Causaliteacute de la forme et inheacuterence hyleacutemorphique

Le fait que la forme soit laquo cause de lecirctre raquo commence donc agrave seacuteclairer celle-ci est ce qui

fait du composeacute ce quil est son essence et la fin qui rend raison de sa structure mateacuterielle ce quil

est degraves sa geacuteneacuteration mais aussi sa laquo perfection raquo cette formaliteacute supeacuterieure vers laquelle il tend

Mais Alexandre preacutecise encore le forme fonde la substantialiteacute de la substance composeacutee

au sens des Cateacutegories Dans le paragraphe deacutejagrave citeacute de la Mantissa qui deacutemontre que la forme

nest pas dans la matiegravere comme en un sujet Alexandre deacuteclare en effet que la substance est

sujette au sens des Cateacutegories parce quelle est un τόδε τι Or le composeacute ne saurait ecirctre agrave part de

sa forme un τόδε τι329 cest-agrave-dire un composeacute particulier330 Et agrave la fin du paragraphe la thegravese

est reacutepeacuteteacutee le composeacute est substance non seulement parce quil est sujet mais aussi parce quil

est τόδε τι331 Or il faut aller au-delagrave de lapparent ireacutenisme dune telle thegravese qui semble conjuguer

en un mecircme ensemble les Cateacutegories et Meacutetaphysique Z Alexandre infeacuteode explicitement le fait

decirctre sujet au fait decirctre τόδε τι et remonte de celui-ci jusquagrave sa cause agrave savoir lεἶδος On passe

donc de la substantialiteacute agrave la subjectiteacute de celle-ci au τόδε τι de celui-ci agrave lεἶδος Cest pourquoi

la phrase immeacutediatement suivante peut effectuer le parcours inverse parce quelle fait du

repos neacutecessaire agrave la suite de la fatigue engendreacutee par la station droite possession dun visage etdiviniteacute de lhomme (cf PA IV 10)

329 Mantissa sect 5 119 32 ndash 120 1 laquo οὐ γὰρ οἷόν τε τὸ εἶδος ἐν ὕλῃ ὡς ἐν ὑποκειμένῳ εἶναι εἴ γε τὸ ἐνὑποκειμένῳ ἐστίν ὃ ἔν τινι μὴ ὡς μέρος ὂν ἀδύνατον χωρὶς εἶναι τοῦ ἐν ᾧ ἐστιν (δεῖ γὰρ τὸὑποκείμενον τῷ ἐν ὑποκειμένῳ ὄντι τόδε τι εἶναι) οὐδὲν δὲ πρὸς τὸ εἶναι ἐνεργείᾳ τόδε τι καὶ τοῦἐν ᾧ λέγεται εἶναι χωρὶς εἴδους raquo

330 Pour la deacutefinition du τόδε τι cf DA 87 7 sq Mantissa sect 1 101 18-20 laquo σύνθετον μὲν οὖν οὐσίανλέγομεν εἶναι ταύτην ἧς τόδε τι κατηγορῆσαι δυνάμεθα τὴν αἰσθητήν τε καὶ ἐνεργείᾳ οὖσαν καὶπᾶσιν τοῖς ἄλλοις γένεσιν τοῦ ὄντος ὑποκειμένην raquo

331 Comme lindique RW Sharples ad loc ([2004] p 72 n 225) dans la proposition de 122 11-12 laquo ὅτι δὲὡς οὐσίας ἐστὶ μέρη δῆλον ἐκ τοῦ τὴν οὐσίαν τὴν συναμφότερον καὶ καθὸ ὑπόκειται οὐσίανλέγεσθαι καὶ καθὸ τόδε τί ἐστι τὸ εἶδος raquo laquo τὸ εἶδος raquo est peut-ecirctre une interpolation (ce quesuggeacuterait deacutejagrave Bruns Il nous semble en effet que par parallegravele avec le passage citeacute en note ci-dessuscest bien le composeacute qui est dit τόδε τι et que la forme en est la cause ndash mais Alexandre naffirme pasque la forme soit elle-mecircme un τόδε τι Pour les deux sens de laquo sujet raquo selon Aristote cf Met Z 131038b 5-6 Mais lagrave ougrave Aristote maintient deux maniegraveres decirctre sujet Alexandre lui reacuteduit ici lasubjectiteacute agrave celle du sujet des diverses proprieacuteteacutes

385

Les objets de la meacutetaphysique

composeacute un τόδε τι la forme est cause de la subjectiteacute de la substance composeacutee laquo εἴη ἂν πρὸς

τὸ ὑποκείμενον εἶναι ἡ οὐσία βοηθουμένη ὑπὸ τοῦ εἴδους raquo (122 13-14) Le geste se confirme

en dautres passages332

Cela doit ecirctre compris dans lorbe de la fonction de compleacutetion remplie par la forme ndash

qua mise en lumiegravere M Rashed et dont il est utile de rappeler ici briegravevement quelques eacuteleacutements

Que pour Alexandre la forme laquo preacuteserve raquo lindividu doit ecirctre compris agrave partir de lindication

dAristote en Top VI 6 145a 3-12 Aristote y dit en effet que la diffeacuterence contrairement agrave une

affection laquo preacuteserve raquo (σῴζειν 145a 5) ce dont elle est la diffeacuterence Dans le commentaire

dAlexandre333 cest bien la rationaliteacute ndash et non la bipeacutedie comme chez Aristote ndash qui est dite

preacuteserver la substance (σωστικὴ 455 11) Cette fonction de preacuteservation ou de sauvegarde

renforce lideacutee que la forme permet agrave la substance de devenir elle-mecircme334 Comme le dit par

exemple la Quaestio I 8 la forme ne laquo contribue raquo pas au composeacute au sens ougrave le font les accidents

selon une terminologie deacutejagrave vue335 La forme laquo contribue raquo au composeacute parce que son absence

entraicircne la destruction du composeacute lempecircche de preacuteserver sa propre nature dans le changement

(laquo σῶζον τὴν οἰκείαν φύσιν raquo 18 14)336 Lacircme contribue ainsi agrave lhomme parce quelle contribue

agrave son ecirctre dhomme (laquo πρὸς τὸ εἶναι ἀνθρώπῳ raquo 18 22) contrairement agrave tel ou tel accident

Cette fonction de la forme eacutevidemment centrale dans lessentialisme dAlexandre a deux

corollaires au double sens de conseacutequence et justification suppleacutementaire de la thegravese La forme

en effet ne peut plus ecirctre une partie du composeacute au sens dun morceau ou comme le dit M

Rashed au sens de ce qui laquo appartient raquo au tout La forme est une partie au sens de ce qui fonde

laquo prend part agrave la constitution du tout raquo337

332 Entre autres Mantissa sect 1 102 4 sq toute chose est un laquo ceci raquo en vertu de sa forme Cf de mecircme InMet 204 3 376 11-12 (laquo ὃ γὰρ αἴτιον τοῦ τόδε τι εἶναι τῷ χωριστῷ τοῦτο ἡ κατὰ τὸ εἶδος οὐσία raquo) Quaestio II 10 55 6 etc

333 Si cest lui ndash M Rashed note agrave la suite de Wallies les doutes agrave ce sujet cf M Rashed [2007b] p 53 n164 Pour le commentaire de ce passage cf M Rashed [2007b] p 160-161

334 On songe ici agrave lemploi du verbe par Aristote en DA II 5 417b 2-5

335 Cf ci-dessus sect 313 Voir Quaestio I 8 17 17-22 Sur ce texte cf S Fazzo [2002a] p 90-94 99-101 MRashed [2007b] p 46-47

336 Lexpression est donneacutee pour le cas des accidents qui sont dans le composeacute comme en un substratparce quils peuvent subir le changement cependant que le composeacute laquo conserve sa propre nature raquomais lexpression peut seacutetendre par opposition agrave la forme qui est eacutevoqueacutee juste apregraves via un argumentde suppression cf Quaestio I 8 18 10-24

337 M Rashed [2007b] p 147 et p 164 [La forme comme partie] laquo nrsquoest pas seulement une composantemoriologique mais elle est eacutegalement compleacutetive ce caractegravere laquo compleacutetif raquo nrsquoest pas un asylumignorantiae commode mais implique une fonction de preacuteservation de la substance La forme est moinsune laquo partie raquo de la substance qursquoun principe de production et de preacuteservation de cette derniegravere En

386

Les objets de la meacutetaphysique

Linheacuterence de la forme agrave la matiegravere ne souscrit donc pas aux critegraveres des Cateacutegories Cest

cela qui explique leffort reacutepeacuteteacute dAlexandre pour deacuteterminer cette inheacuterence autrement que

comme inheacuterence subjective Dougrave aussi sa meacuteditation particuliegraverement riche de lecirctre-dans au

sein de ses commentaires perdus agrave Physique II et IV mais aussi dans la Mantissa Alexandre y

deacuteveloppe en effet agrave chaque fois une remarque laquo digne decirctre signaleacutee raquo (laquo σημειωτέον raquo) selon

laquelle la forme est dans la matiegravere au sens preacutecis ougrave elle neacutecessite elle laquo a besoin raquo dun certain

substrat338 La Quaestio II 10 le dit encore la forme ne peut ecirctre par soi ni seacutepareacutee de la matiegravere

parce quelle laquo a besoin de la matiegravere pour son ecirctre eacutetant quelque chose de celle-ci raquo (laquo ὕλης

δεῖται πρὸς τὸ εἶναι ταύτης τι ὄν raquo 55 11-12) LExeacutegegravete accomplit ainsi le tour de force

danalyser linheacuterence hyleacutemorphique dans un sens qui ne contredit pas la substantialiteacute de la

forme tout en barrant la route agrave une tendance platonisante intrinsegraveque agrave cette thegravese339 Car si lon

se rappelle comment lacircme rationnelle est cause finale de toute la structure mateacuterielle du corps

organique (la bipeacutedie une certaine chaleur du sang etc) alors le laquo besoin de matiegravere raquo ne signifie

pas seulement lincapaciteacute de la forme agrave ecirctre seacutepareacutee Le laquo τινός raquo par exemple dans la

proposition laquo δεῖται πρὸς τὸ εἶναι ὑποκειμένου τινός raquo doit ecirctre pris en un sens deacuteterminatif

Pour les artefacts la forme est la qualiteacute dun substrat qui est en reacutealiteacute un corps deacutejagrave informeacute

pour les substances naturelles lanalyse alexandrinienne fait passer la forme en premier Cest elle

qui deacutetermine la matiegravere quelle informe matiegravere reacuteguliegraverement conccedilue par Alexandre comme

une pure reacuteceptiviteacute340

Le second corollaire qui serait plutocirct agrave deacutevelopper dans un travail sur la physique de

lExeacutegegravete consiste en la limitation de la notion de cause mateacuterielle Plusieurs passages en effet

derniegravere instance cela explique que la forme soit la substance raquo Sur cet aspect compleacutetif cf SimpliciusIn Cat 98 22-35 et M Rashed [2007b] p 141-143

338 Les quatre textes le prouvant sont (M Rashed [2007b] p 174-175) Mantissa sect 5 121 4-7 laquo λέγων δὲτὸ μὲν σῶμα μὴ εἶναι τοιοῦτον τὴν δὲ ψυχήν ἢ δύναται καθ ὑποκειμένου οὐ τὸ ἐν ὑποκειμένῳλέγειν νῦν ἀλλ ὃ δεῖται πρὸς τὸ εἶναι ὑποκειμένου τινός οὕτως δὲ ἔχει καὶ τὸ εἶδος τὸ ἐν τῇὕλῃ raquo Simplicius In Phys 270 26-34 In De caelo 279 5-9 et le Suppl gr 643 fol 61V que lonretrouve inteacutegralement dans M Rashed [2011a] scolie [29] (cf aussi Simplicius In Phys 552 18-24)Ces textes constituent pour M Rashed une piegravece maicirctresse de son interpreacutetation dAlexandre (et lunedes plus convaincantes) comme en teacutemoigne sa reacutefeacuterence dans la conclusion p 326

339 Voir aussi les analyses de V Cordonier [2008] p 365-366 qui montre comment linseacuteparabiliteacute de laforme pour Alexandre laquo ne signifie aucune deacutependance ontologique de la premiegravere [la forme] parrapport agrave la seconde [la matiegravere] elle ne soppose pas agrave une hieacuterarchie des principes et nempecircchenullement la preacuteeacuteminence de leidos sur la matiegravere Bref le fait que leidos ait besoin de matiegravere pourexister nimplique pas qursquoil en soit tributaire pour ecirctre ce qursquoil est raquo

340 Voir les analyses dE Gannageacute [2002]

387

Les objets de la meacutetaphysique

convergent vers lideacutee que la matiegravere nest pas cause de proprieacuteteacutes du composeacute mais simplement

son constituant interne et la condition laquo sans laquelle raquo il ny aurait pas de composeacute capable de

devenir341 Agrave partir de lagrave se comprend la thegravese deacutejagrave vue selon laquelle la matiegravere est laquo moins

cause raquo que les autres causes et que la connaissance des trois autres causes est plus (ou laquo plutocirct raquo)

science que la connaissance de la matiegravere laquelle comme le dit souvent Alexandre ne peut ecirctre

connue que par un raisonnement bacirctard et par analogie342 On comprend lenjeu eu eacutegard agrave ce

qui preacutecegravede la forme aspire en elle le centre de graviteacute du composeacute laissant peu despace agrave la

matiegravere Toutefois cette derniegravere ne peut totalement disparaicirctre sous peine de confusion avec le

platonisme Cest agrave frayer une telle voie que sefforce sans doute Alexandre quand il meacutenage agrave la

matiegravere la place de condition sine qua non343 mais aussi dans sa critique de la matiegravere premiegravere

chez Boeacutethos QuAlexandre deacutecrive la matiegravere comme sans forme et sans qualiteacute (ἄμορφός

ἀνείδεος ἀσχημάτιστος ἄποιος) ndash ce quon ne lit pas chez Aristote ndash est tregraves probablement un

donneacute scolaire344 Mais cette conception de la matiegravere prend un nouveau sens au sein dun

systegraveme essentialiste qui rapproche au maximum possible la matiegravere du non-eacutetant sans franchir

totalement le pas quon lira par exemple chez Plotin345

341 Sur cette question cf S Fazzo [2002a] p 115-125 et 136-137 M Rashed [2007b] p 182-214 M Bonelli[2009b]

342 In Met 187 8-13 et ci-dessus sect 213b M Bonelli [2009b] renvoie eacutegalement agrave In Met 178 14-15 laquo οὐδὲ γὰρ ἔλαττον ἀλλὰ καὶ μᾶλλον ἂν φανεῖεν αἴτια τὰ ἄλλα τῆς ὕλης raquo

343 Cf ci-dessus In Met 187 12-13 laquo ἡ γὰρ ὕλη ἐν τοῖς ἐξ αὐτῆς γινομένοις τὸν τοῦ οὗ οὐκ ἄνευ λόγονἔχειν δοκεῖ raquo et M Bonelli [2009b]

344 Cf I Kupreeva [2010] p 227-228 et en particulier n 52 qui renvoie agrave la tradition stoiumlcienne SVF I 85493 II 300 301 318 320 326 380 etc Chez Alexandre DA 4 1-2 17 17 18 2-4 De mix 226 15Mantissa 104 19 113 33 115 12 124 7 Quaestiones 37 4-22 52 20 ndash 53 26 60 27 et cf aussi pour ladoxographie de la tradition aristoteacutelicienne [Arius Didyme] Phys Fragm 2 3 Sur la discussion parAlexandre de la matiegravere premiegravere chez Boeacutethos cf M Rashed [2007b] p 201-205 en particulier sur laQuaestio II 7 I Kupreeva propose une inteacuteressante correction de linterpreacutetation de M Rashed agrave proposde Boeacutethos (cf I Kupreeva [2010] p 228) laquo It is not clear that Boethus himself attributed separate existenceto the Peripatetic prime matter Even the Stoics who treated their ousia (a counterpart of prime matter) ascorporeal did not think of its existence as separate from either a qualified composite or the active principle It ismore likely that separate existence of the prime matter is derived by Alexander as an implausible consequence ofBoethusrsquo failure to draw a distinction between the prime matter and the antecedent matter raquo

345 Sur matiegravere non-eacutetant et privation chez Alexandre et Plotin cf L Lavaud [2008b] et plus geacuteneacuteralementL Lavaud [2008a] sur la matiegravere chez Plotin p 17-77 Sur le lien entre non-eacutetant accident et matiegraverechez Alexandre cf D Lefebvre [2006]

388

Les objets de la meacutetaphysique

323 Conclusions impeacuteratifs contextuels et coheacuterence interne

Si le dernier mot dAlexandre au sujet de la forme et de la substance consiste en une

position essentialiste il reste encore agrave comprendre les passages et les thegraveses exposeacutes

preacuteceacutedemment qui semblaient lattirer dans lorbe de lattributivisme Alexandre nabandonne

manifestement pas la compreacutehension de la substance comme substance premiegravere des Cateacutegories

il lui arrive de parler de la forme comme dune qualiteacute et non pas seulement dans le cas des

artefacts il lui arrive aussi dinfeacuteoder la substantialiteacute de la forme comprise comme laquo partie raquo agrave

celle du composeacute Quoiquelles semblent peu compatibles avec lessentialisme deacutecrit ci-dessus il

sagit bien lagrave de donneacutees textuelles

Degraves lors soit lon considegravere ce qui est peu charitable que lExeacutegegravete nest pas

inteacutegralement coheacuterent quil se meut encore dans la tradition qui le preacutecegravede tout en perccedilant une

nouvelle voie Soit pour preacuteserver la coheacuterence de lExeacutegegravete lon distingue le statut des textes

Telle est la position de M Rashed selon qui les passages attributivistes dans le corpus sont

seulement dus agrave une viseacutee peacutedagogique ou agrave un contexte poleacutemique anti-stoiumlcien ndash bref agrave leur

origine scolaire Contre les stoiumlciens et selon un geste rebattu il importe agrave Alexandre de

deacutemontrer lincorporeacuteiteacute de la forme Or cela peut ecirctre meneacute avec une entente faible de sa

substantialiteacute en employant le vocabulaire traditionnel de la qualiteacute Il faudrait donc distinguer

cette tacircche scolaire dune part de la discussion avec Boeacutethos dautre part Celle-ci en effet

exigerait dAlexandre un effort dautant plus important par rapport agrave ce contexte agonistique

quil nest pas dans son inteacuterecirct de laisser paraicirctre des dissensions internes au Peripatos On

comprendrait pourquoi Alexandre ne sen prend jamais expressis verbis agrave Boeacutethos tout en

travaillant continucircment agrave reacutefuter sa lecture M Rashed soutient ainsi que

Autant en effet la reacutefutation des Platoniciens ou des Stoiumlciens mettait en jeu des argumentsparfaitement rodeacutes voire eacuteculeacutes autant celle dAndronicos et de Boeacutethos demandait undoigteacute peu commun il fallait expliquer pour quelle raison leur ligne exeacutegeacutetique eacutetaiterroneacutee sans ecirctre ameneacute agrave professer la fausseteacute de la moitieacute de laristoteacutelisme dAristote ouagrave scinder la doctrine en deux laquo veacuteriteacutes raquo partielles ouvrant ainsi une bregraveche fatale auxattaques des eacutecoles rivales platonicienne en particulier346

Mais un tel parti-pris quoique moins oneacutereux dun point de vue hermeacuteneutique que le

premier nous paraicirct cependant contestable Dans ce cas en effet on est conduit agrave sous-eacutevaluer

certains textes dallure scolaire ndash par exemple le paragraphe 5 de la Mantissa la totaliteacute du De

346 M Rashed [2007b] p 6 Cf aussi le reacutesumeacute efficace dans M Rashed [2011c] p 1017-1018

389

Les objets de la meacutetaphysique

anima certaines Quaestiones347 Or que le De anima par exemple soit un texte laquo scolaire raquo (mais au

fond quel texte dAlexandre ne lest pas ) quil soit agrave tout le moins destineacute agrave un public qui nest

ni totalement ignorant ni grand speacutecialiste dAristote348 cela nempecircche quau cœur mecircme de

cette œuvre Alexandre glisse des indications cruciales pour la coheacuterence globale de son systegraveme

On en a donneacute un exemple frappant avec le retournement de la page 6 2-6 qui va du composeacute agrave

la forme puis de la substantialiteacute de la forme agrave celle du composeacute ndash exemple auquel M Rashed est

lui-mecircme sensible On en donnera dautres dans la prochaine partie sur lintellect Se couper de

tels textes ndash ce que dailleurs M Rashed ne peut faire et ne fait pas ndash est cher payer pour sauver

la coheacuterence de lExeacutegegravete sans compter le coucirct encouru par la tendance concomitante agrave extraire

Alexandre de son contexte historique349 Si enfin on conserve comme significatifs ces textes

apparemment scolaires encore faudra-t-il parvenir agrave seacuteparer les passages contre Boeacutethos des

passages anti-stoiumlciens ce qui est loin decirctre toujours aiseacute350 Il nous semble au contraire que dans

la strateacutegie philosophique globale dAlexandre pour des raisons de liens doctrinaux la

discussion de lattributivime de Boeacutethos se mecircle souvent agrave celle du corporalisme stoiumlcien

Une autre voie pour sauver la coheacuterence de lExeacutegegravete est possible qui consiste agrave souligner

de nouveau leffort typique de systeacutematisation dunification et dorganisation des diffeacuterentes

parties du corpus aristoteacutelicien LAphrodisien ne neacuteglige pas les Cateacutegories mecircme si M Rashed a

indeacuteniablement raison sur ce point elles ne forment plus pour lui le noyau dur de son

aristoteacutelisme lequel se deacuteplace vers Meacutetaphysique Z et lhyleacutemorphisme du De anima Alexandre

maintient toutefois ensemble la deacutetermination subjective de la substance premiegravere issue des

Cateacutegories et la thegravese de la forme comme substance premiegravere sans doute gracircce agrave la reprise du

347 Agrave propos du De anima traiteacute laquo simplifieacute raquo laquo pour les non-speacutecialistes raquo laquo Il serait par conseacutequent fortpeacuterilleux de se fonder sur des expressions dualistes ou privileacutegiant le composeacute sur la forme pour enreconstituer quoi que ce soit des thegraveses personnelles drsquoAlexandre raquo cf M Rashed [2007b] p 37 Orcomme la excellemment noteacute I Kupreeva sous-estimer le De anima empecircche de comprendrepleinement lhyleacutemorphisme alexandrinien Cf I Kupreeva [2010] p 233 Plus geacuteneacuteralement cf aussiM Rashed [2007b] p 40 laquo K Wurm demeurait dans son approche drsquoAlexandre influenceacute par lesthegraveses de P Moraux elles-mecircmes reprises entretemps avec approbation par Ph Merlan Reacuteveacutelateur estcependant le fait que jamais ces auteurs ne srsquointerrogent veacuteritablement sur le statut du texte dont ilstirent les deacuteveloppements drsquoAlexandre les plus proches de lrsquoexeacutegegravese du premier Peacuteripatos raquo

348 En tout cas pas le mecircme public que celui des Commentaires Cf P Accattino P Donini [1996] p XI

349 Pour cette atteacutenuation des effets de contexte la chose est tregraves consciemment meneacutee par M Rashed quicontre I Kupreeva considegravere qulaquo il ne faut pas surestimer lrsquoimportance de ces effets poleacutemiques [ieles poleacutemiques anti-stoiumlciennes] Crsquoest le combat interne agrave lrsquoeacutecole peacuteripateacuteticienne contre Boeacutethos quidemeure deacutecisif raquo (M Rashed [2007b] p 140 n 116) Voir aussi p 326-327 laquo en parlant de Boeacutethos etde Platon je nai jamais entendu faire reacutefeacuterence agrave cette dimension culturelle de lrsquoactiviteacute drsquoAlexandre raquo

350 On en a donneacute un exemple ci-dessus sur la Quaestio I 3

390

Les objets de la meacutetaphysique

critegravere de subjectiteacute en Z 3 1028b 36-37 Seulement ce qui sauve Alexandre de lapparente

incoheacuterence est quil naccepte pas agrave un mecircme niveau la description de la substance issue des

Cateacutegories et celle issue de Meacutetaphysique Z LrsquoExeacutegegravete subordonne la premiegravere agrave la seconde

Que le composeacute soit sujet que ce soit lagrave ce qui marque sa substantialiteacute est une donneacutee

immeacutediate de laristoteacutelisme De ce premier point de vue la forme peut se laisser deacutecrire comme

qualiteacute mais ce nest lagrave quun moment de la thegravese geacuteneacuterale On en a un exemple dans le passage

citeacute du De anima 6 2-6 largument des parties de la substance qui ne considegravere la forme comme

substance que dun point de vue deacuteriveacute par rapport au composeacute sert tout de mecircme dindicateur

pour poser la substantialiteacute de la forme Il nest pas deacutefinitif ndash agrave preuve le texte ne sarrecircte pas lagrave

LExeacutegegravete considegravere en effet quon doit aller plus loin et cest sans doute ce agrave quoi selon

lui sappliquent les livres centraux de la Meacutetaphysique on peut remonter agrave la cause de cette

subjectiteacute Comme on la vu dans la Mantissa le composeacute est sujet agrave titre de τόδε τι Or cela lui est

confeacutereacute par sa forme telle est la laquo contribution raquo de la forme au tout du composeacute Lanalyse

parvenue agrave ce point peut alors eacutelever la forme au rang de substance premiegravere La fin du

paragraphe 5 de la Mantissa deacuteplie ce qui se trouve resserreacute dans la formule frappante du De

anima 6 2-4351 Le retournement (laquo μᾶλλον δέ raquo) qui sopegravere dans ce dernier passage dessine le

mouvement qui va des Cateacutegories agrave Meacutetaphysique Z De la substance agrave la forme on passe bien

dune cause de lecirctre agrave lautre Le composeacute substantiel est cause de lecirctre de ses accidents qui sans

lui ne sauraient se maintenir dans lexistence la forme quant agrave elle est cause de lecirctre du

composeacute parce quelle est ce en vertu de quoi il est tel ou tel composeacute mais aussi ce en vertu de

quoi il est substance cest-agrave-dire en ce cas sujet de ses accidents Si agrave notre connaissance aucun

texte alexandrinien ne vient corroborer ici une application du principe de causaliteacute du maximum

il reste que la forme constitue effectivement pour Alexandre une cause eacuteminente et un maximum

decirctre et dintelligibiliteacute352

351 Pour meacutemoire laquo Οὐσία μέντοι ἑκάτερον αὐτῶν Ὡς γὰρ ἡ ὕλη οὕτως δὲ καὶ τὸ φυσικὸν εἶδοςοὐσία Οὐσίαι γὰρ τὰ μέρη τῆς οὐσίας μᾶλλον δέ διότι ἑκάτερον ἐκείνων οὐσία καὶ τὸ ἐξ ἀμφοῖνοὐσία καὶ μία τις φύσις raquo laquo Pourtant chacune des deux est substance De mecircme en effet que lest lamatiegravere de mecircme aussi la forme naturelle est substance car les parties de la substance sont substancesndash ou plutocirct parce que chacune delles est substance ce qui reacutesulte des deux est aussi substance et unecertaine nature unique raquo

352 Cf par exemple Quaestio I 1 4 7sq (mais cest au sein dune discussion sur la cause premiegravere lesrenseignements doivent donc ecirctre pris avec prudence) Cf aussi Quaestio I 15 39 14 sq (mecircmeremarque que preacuteceacutedemment mais ici il est explicitement question des formes donneacutees dans lamatiegravere) DA 88 25 sq In Met 96 23-24 (laquo οὐσία γὰρ κυρίως ἑκάστου τὸ εἶδος καθ ὅ ἐστιν αὐτῷτὸ εἶναι κατὰ τοῦτο δὲ καὶ γνωστὸν ἕκαστον raquo)

391

Les objets de la meacutetaphysique

Cette interpreacutetation se voit confirmeacutee par le commentaire dAlexandre agrave Δ 8353 Celui-ci

peut paraicirctre deacutecevant agrave certains eacutegards parce quassez paraphrastique Il offre neacuteanmoins trois

renseignements cruciaux En premier lieu comme la noteacute M Rashed cest le seul passage du

corpus ougrave Alexandre propose une distinction des sens de laquo εἶδος raquo Dans son commentaire agrave

1017b 21-22354 Alexandre distingue en effet dune part la substance comme forme dans la matiegravere

(laquo ἐνύλου εἴδους raquo 375 3) des eacutetants naturels et dautre part la substance comme quidditeacute des

cateacutegories secondaires (qualiteacute quantiteacute etc) puisqulaquo il ny a pas de quidditeacutes que dans le cas

des substances raquo355 Or seule la premiegravere au titre de cause de lecirctre est substance au sens strict

(laquo κυρίως raquo) On en deacuteduit donc que les autres quidditeacutes le sont en un sens second La preacutecision

lourdement souligneacutee sur les eacutetants laquo naturellement constitueacutes raquo permet par opposition

dinteacutegrer aussi dans ces cas secondaires les eacutetants artificiels dont on a vu que pour Alexandre

leur forme eacutetait une qualiteacute

Cest agrave ce moment que surgit la distinction entre deux sens de εἶδος M Rashed note

quelle arrive assez abruptement sans connecteur logique fort En reacutealiteacute lExeacutegegravete emploie

comme il est courant dans son Commentaire un laquo καὶ raquo adverbial qui propose une autre

interpreacutetation ou comme cest le cas ici une preacutecision suppleacutementaire

Δύναταί τις καὶ τοῦ [37510] εἴδους ὡςπλεοναχῶς λεγομένου ἀκούειν καὶ ἑνὸς μὲνὄντος ὡς αἰτίου τοῦ εἶναι τῷ ἐν ᾧ ἐστιν ὡς ἡψυχή περὶ οὗ εἶπε πρώτου ἄλλου δὲ ὡςαὐτοῦ εἶναι οὗ ἦν αἰτία ἡ ψυχὴ [ἡαἰσθητική]356 ὃ οὐκ ἔστι ταὐτὸν τῇ ψυχῇἐκείνη μέντοι αἰτία τούτου

On peut aussi entendre laquo forme raquo comme sedisant en plusieurs sens en un premier sens commela cause de lecirctre pour ce dans quoi elle est (parexemple lacircme) sens dont il a parleacute en premier maisen un autre sens elle est lecirctre mecircme dont lacircme est lacause qui nest pas identique agrave lacircme bien que celle-cien soit la cause

(375 9-13)

La distinction est inteacuteressante en ce quelle explicite une ambiguiumlteacute qui selon R Brague

353 Sur ce texte voir plus geacuteneacuteralement leacutetude de G Abbate [2009]

354 Aristote Met Δ 8 1017b 21-22 laquo ἔτι τὸ τί ἦν εἶναι οὗ ὁ λόγος ὁρισμός καὶ τοῦτο οὐσία λέγεταιἑκάστου raquo laquo en outre ltest substancegt la quidditeacute dont leacutenonceacute est une deacutefinition et cela est appeleacutesubstance de chaque chose raquo

355 In Met 375 7 laquo οὐ γὰρ μόνον τὸ τί ἦν εἶναι ἐπὶ τῶν οὐσιῶν raquo La reacutefeacuterence sous-jacente est sansdoute ici Met Z 4 1030a 17 sq

356 M Rashed propose latheacutetegravese de cet eacutetrange qualificatif Le passage nest pas commenteacute par Ascleacutepiusqui ne peut donc pas servir de teacutemoin du manuscrit Sepuacutelveda teacutemoigne aussi dune laquo sensualisanima raquo Mais ce qualificatif ne fait sens ni par rapport agrave ce qui preacutecegravede ni par rapport agrave ce qui suitComme le dit M Rashed laquo une fois que lon supprime le terme perceptive introduit sans doute parun hyleacutemorphiste zeacuteleacute qui ne saisissant pas pourquoi ce dont lacircme est cause nest pas identique agravelacircme aurait ainsi tenteacute dintroduire une diffeacuterence au sein de lacircme on comprend peut-ecirctre ladistinction dAlexandre raquo (M Rashed [2007b] p 233)

392

Les objets de la meacutetaphysique

gregraveve eacutegalement la deacutefinition aristoteacutelicienne de lacircme dans le De anima II 1-4 Ces chapitres en

effet donnent agrave voir tour agrave tour lacircme comme la cause de la vie des ecirctres vivants (et donc cause de

lecirctre) et lacircme comme la vie elle-mecircme des vivants357 Il est eacutegalement notable que pour

Alexandre ce qui est substance au sens strict et ce qui est donc forme au sens strict cest le

premier sens la forme donneacutee dans la matiegravere des eacutetants naturels donc en loccurrence lacircme

comme cause de la vie LExeacutegegravete opegravere en fait ici un lien entre le deuxiegraveme sens dοὐσία eacutenonceacute

par le chapitre (la laquo cause de lecirctre laquo ἄλλον δὲ τρόπον ὃ ἂν ᾖ αἴτιον τοῦ εἶναι raquo 1017b 14-15)

qui a eacuteteacute immeacutediatement identifieacute avec la forme substantielle des corps naturels et le quatriegraveme

sens qui renvoie agrave la quidditeacute et la deacutefinition358 Cest bien la fonction causale de la forme qui

assure ici luniteacute au deacuteveloppement comme la suite va le confirmer

Le deuxiegraveme point dinteacuterecirct de ce commentaire reacuteside en effet dans lexplication de la fin

du chapitre lagrave ougrave Aristote regroupe les sens dοὐσία en deux principaux laquo le sujet ultime qui ne

se dit plus agrave propos dautre chose raquo et laquo ce qui eacutetant un ceci peut aussi ecirctre seacutepareacute et telles sont

la figure et la forme de chaque chose raquo359 Alexandre va en reacutealiteacute hieacuterarchiser les deux types de

critegraveres Le premier qui est commun aux Cateacutegories et Meacutetaphysique Z est dans lesprit de

lExeacutegegravete le plus large Il permet de consideacuterer comme substances la substance individuelle agrave

titre de laquo sujet ultime raquo mais aussi la laquo forme premiegravere raquo et la matiegravere car cette derniegravere ne se

preacutedique de rien dautre (laquo κατ οὐδενὸς γὰρ ἡ ὕλη raquo 375 24) Le second critegravere paraicirct en

revanche plus restrictif et nadmet comme substances que lacircme et plus geacuteneacuteralement les formes

naturelles (laquo τὰ φυσικὰ εἴδη raquo 375 27) ou ce qui sen rapproche les constituants qui deacutelimitent

(comme les limites des corps) et la μορφή Alexandre y inclut eacutegalement le quatriegraveme sens

eacutenumeacutereacute par le chapitre la quidditeacute360 Alors que pour le premier sens Alexandre propose trois

candidats tregraves distincts les sens rassembleacutes sous la seconde rubrique convergent vers un mecircme

foyer quon a vu sesquisser plus haut est substance la forme naturelle donneacutee dans la matiegravere et

cause de lecirctre du composeacute

357 R Brague [1988] p 336-342

358 Pour la deacutelimitation nette de ces diffeacuterents sens selon Alexandre voir le deacutecoupage opeacutereacute par WEDooley [1993] p 46-49 Pour le deuxiegraveme sens cf 373 22-25 laquo εἴη δ ἂν λέγων τὰ τῶν φύσεισυνεστώτων εἴδη ταῦτα δέ ἐστι τὰ φυσικὰ καὶ ἔνυλα εἴδη ὁποῖόν ἐστιν ἐν τοῖς ζῴοις ἡ ψυχή διὰγὰρ ταύτην ζῷα καὶ ἐπὶ τῶν φυσικῶν δὲ σωμάτων τὸ εἶδος ἑκάστῳ αἴτιον τοῦ εἶναι ὅ ἐστιν raquo

359 Aristote Met Δ 8 1017b 23-26

360 In Met 375 26-29 laquo ὑφ ὃ πάλιν σημαινόμενον ἥ τε ὡς ψυχὴ οὐσία ὑπάγοιτ ἄν ὡς ἐλέγομεν τὰφυσικὰ εἴδη καὶ ἡ κατὰ τὰ ἐνυπάρχοντά τε καὶ ὁρίζοντα ὡς ἡ κατὰ τὰ τῶν σωμάτων πέρατακατὰ ταῦτα γὰρ ἡ τῶν σωμάτων μορφή ἥ τε κατὰ τὰ σχήματα καὶ ἡ κατὰ τὸ τί ἦν εἶναι raquo

393

Les objets de la meacutetaphysique

Une telle compreacutehension pose alors agrave lExeacutegegravete la difficulteacute de savoir ce que veut dire ici

laquo χωριστὸν raquo sil sattribue agrave la forme LExeacutegegravete explicite il sagit soit de la seacuteparabiliteacute logique

de la forme (laquo ἐπινοίᾳ raquo 375 30) soit sa corruptibiliteacute (laquo χωριζόμενόν τε καὶ φθειρόμενον raquo

375 34-33) Sensuit un deacuteveloppement sur les formes incorruptibles sur lequel nous reviendrons

plus loin et qui teacutemoigne de lextension de lhyleacutemorphisme jusquau supralunaire

Plus inteacuteressant pour notre propos est la reprise agrave la fin du commentaire de la question

du sens de laquo χωριστὸν raquo

Δύναται καὶ ltὃ ἂν τόδε τι ὂν καὶχωριστὸνgt εἰρηκέναι ἐπὶ τῶν εἰδῶν τῶν ἐν τῇοὐσίᾳ λέγων ἀντὶ τοῦ ἐν χωριστῷ μόνονγὰρ τῶν ὄντων χωριστὸν καὶ καθ αὑτὸ ὂν ἡοὐσία ὡς λέγειν αὐτὸν μὴ περὶ παντὸςσημαινομένου τῆς οὐσίας ἀλλὰ τῆς κυρίωςἥτις εἴη ἂν ἐν τοῖς δυσὶ τοῖς προειρημένοις[37610] τῷ τε ἐσχάτῳ ὑποκειμένῳ ὅ ἐστιν ἡὕλη καὶ τῷ ἐν ταύτῃ εἴδει τοιοῦτον γὰρ τὸ ὃἂν τόδε τι ὂν καὶ χωριστὸν ᾖ ὃ γὰρ αἴτιοντοῦ τόδε τι εἶναι τῷ χωριστῷ τοῦτο ἡ κατὰτὸ εἶδος οὐσία

Il est aussi possible quAristote ait parleacute de laquo cequi eacutetant un ceci est aussi seacutepareacute raquo pour le cas desformes dans la substance en disant laquo seacutepareacute raquo agrave laplace de laquo dans le seacutepareacute raquo car seule parmi les eacutetantsla substance est seacutepareacutee et par soi en sorte quil neparle pas lticigt de chaque signification delaquo substance raquo mais de la substance au sens strict quise trouve peut-ecirctre dans le deux sens preacuteceacutedemmentmentionneacutes le sujet ultime cest-agrave-dire la matiegravere etla forme qui se trouve en celle-ci Tel est en effet cequi laquo eacutetant un ceci peut aussi ecirctre seacutepareacute raquo car ce quiest cause du fait decirctre un ceci pour le seacutepareacute celacest la substance formelle

(376 5-12)

La seacuteparation est ici envisageacutee comme lindeacutependance du composeacute lideacutee dune forme

seacutepareacutee eacutetant trop contradictoire avec le fait que pour Alexandre la toute fin du chapitre ne peut

parler que de lἔνυλον εἶδος361 Puis lExeacutegegravete reacutedige une sorte de bilan les deux derniers sens

mentionneacutes par Aristote deacutesignent la substance laquo κυρίως raquo Cependant contrairement aux

apparences les deux sens ne sont pas au au mecircme niveau Le premier le laquo sujet ultime raquo est ici

reacuteduit agrave la matiegravere (comme en Z 3) Le composeacute a disparu comme tel il napparaicirct plus que

comme effet du sens qui est manifestement le plus important pour Alexandre On la compris il

sagit de la forme entendue comme la cause de lecirctre du composeacute comme la cause du fait que en

tant que ceci il est sujet selon le premier sens de ὑποκείμενον distingueacute en Z 13

On retrouve donc notre thegravese de la fin du paragraphe 5 de la Mantissa La forme est la

substance par laquelle il y a une substance premiegravere au sens des Cateacutegories362 Se comprend degraves

lors linsistance tout au long du commentaire du chapitre sur la fonction causale de la forme qui

361 LExeacutegegravete la dit preacuteceacutedemment en 375 34-35 laquo τοιοῦτον γὰρ τὸ ἔνυλον εἶδος πᾶν οὗ μνημονεύειδιὰ τοῦ δευτέρου σημαινομένου τῆς οὐσίας raquo

362 Dans le commentaire agrave Δ 8 Alexandre a dailleurs eacutevoqueacute les Cateacutegories quelques lignes plus haut agravepropos de labsence dans le chapitre des substances secondes cf In Met 376 4-5

394

Les objets de la meacutetaphysique

vient arrecircter la recherche de la substantialiteacute et rend raison des autres sens deacuteriveacutes de

laquo substance raquo Les reacutefeacuterences aux Cateacutegories et agrave Meacutetaphysique Z sintegravegrent ainsi dans un ensemble

coheacuterent Cela assoit par conseacutequent notre interpreacutetation selon laquelle il y a au fond continuiteacute

pour Alexandre entre les deux traitements de la substance

Rectifions toutefois une telle interpreacutetation nest pas non plus fondamentalement

eacuteloigneacutee de ce que soutient ici ou lagrave M Rashed Selon ce dernier par exemple les Cateacutegories lues

par Alexandre deacutecriraient l laquo ecirctre-au-monde des individus raquo selon des laquo critegraveres subjectifs (pour

nous) mais non objectifs (en soi) de la substantialiteacute raquo363 Mais nest-ce pas dire degraves lors

quAlexandre procegravede moins agrave un rejet de lattributivisme de Boeacutethos quagrave son inteacutegration dans

un reacuteseau argumentatif plus pousseacute Il faudrait ainsi comprendre les passages alexandriniens

qui font de la forme une qualiteacute sur le modegravele de ce que selon M Rashed Alexandre fait pour la

diffeacuterence On a vu en effet preacuteceacutedemment que la Quaestio laquo De la diffeacuterence II raquo opeacuterait une

distinction modale entre la diffeacuterence selon quelle est prise avec son genre ou en soi sans

matiegravere Cette distinction modale M Rashed la retrouveacutee dans certains teacutemoignages sur la

chimie alexandrinienne agrave propos des qualiteacutes eacuteleacutementaires364 Selon lAphrodisien en effet ces

derniegraveres quand elles constituent une substance eacuteleacutementaire sont elles-mecircmes substantielles

Elles en sont la forme puisque comme on la vu Alexandre applique le schegraveme hyleacutemorphique

au cas des eacuteleacutements Mais il arrive agrave Alexandre de les traiter litteacuteralement comme des qualiteacutes et

cela correspond au point de vue sous lequel le chaud le froid le sec et lhumide sont conccedilus en

eux-mecircmes selon leur nature et non leur fonction de mecircme que la diffeacuterence prise en soi peut

ecirctre conceptualiseacutee comme une qualiteacute365 Dougrave la conclusion de M Rashed

Il faut conclure qursquoAlexandre pouvait sans gecircne deacutesigner la diffeacuterence soit comme formesoit comme qualiteacute Plus exactement il postulait sans doute que des entiteacutesstructurellement qualitatives sont fonctionnellement substantielles Ainsi que lrsquoa bienreconstitueacute Averroegraves la laquo chaleur raquo dans sa notion indiffeacuterencieacutee est pour Alexandre unequaliteacute comme lrsquoatteste son mode drsquoinheacuterence agrave certaines substances mais dans le cas

363 M Rashed [2007b] p 42 et la thegravese laquo Si cependant [Alexandre] semble parfois sen rapprocher [delattributivisme] pour des raisons qui ne seraient pas simplement didactiques ou poleacutemiques ce nrsquoestpas tant par fideacuteliteacute ou inertie inconsciente que parce qursquoelle-mecircme se rapproche drsquoun aspect delrsquoontologie drsquoAristote raquo

364 Voir pour ce qui suit M Rashed [2007b] p 128-143 Les textes centraux sont Elias In Cat 179 34 ndash 1803 agrave mettre en regard avec une scolie marginale dAmmonius (eacutediteacutee par M Rashed p 131) AverroegravesGrand Commentaire agrave la Physique 215e ndash 216a Theacutemistius In Phys 170 8-19 Voir aussi la tregravesimportante scholie [247] (M Rashed [2011a] p 313) laquo la diffeacuterence quand elle est dite en soi est unequaliteacute tandis que quand elle est coordonneacutee au genre substantiel elle devient une forme raquo

365 Pour les passages qui font de la diffeacuterence une qualiteacute voir par exemple In Top 47 14-23 113 22-27 421 15-18 444 4-7 451 15-18

395

Les objets de la meacutetaphysique

preacutecis du feu cette qualiteacute fait fonctionnellement partie de la forme substantielle366

Cette modalisation de la diffeacuterence deacutemontre leffort inteacutegrateur de lExeacutegegravete ndash et une

certaine subtiliteacute On pourrait ainsi avancer sur le mecircme modegravele que pour Alexandre

lattributivisme est un point de vue temporaire et partiel sur les eacutetants suffisant pour meacutenager

une place pour la forme incorporelle mais seulement provisoire en ce qui concerne la structure

profonde des individus qui se manifestent comme substances Une telle interpreacutetation ne requiert

absolument pas de deacuteniveler le corpus alexandrinien en reacuteputant certaines parties comme

seulement conjoncturelles Les diffeacuterents moments du raisonnement geacuteneacuteral srsquoharmonisent dans

un tout coheacuterent degraves lors quon fait droit agrave sa progressiviteacute

Linterpreacutetation dAlexandre pourrait ainsi se comprendre agrave la maniegravere de ce qua

proposeacute par exemple R Bodeacuteuumls367 Selon ce dernier la divergence entre les Cateacutegories et les livres

centraux de la Meacutetaphysique nest quapparente des ponts se tissent entre les deux textes par

exemple dans le rappel deacutejagrave mentionneacute du critegravere de subjectiteacute logique en Z 3 1028b 36-37 La

diffeacuterence entre les Cateacutegories et les livres centraux reacuteside en ceci que les livres centraux

reprennent poursuivent et approfondissent lenquecircte initieacutee par le traiteacute logique sur la substance

Dans les Cateacutegories la substance est le reacutesultat ultime auquel aboutit la division en genres et

espegraveces le sujet dimputation Mais ce sujet laquo est encore analysable raquo en matiegravere forme et

composeacute ce que selon Bodeacuteuumls preacutesupposaient deacutejagrave les Cateacutegories agrave linstar semble-t-il

dAlexandre368 Certes tandis que lExeacutegegravete reconnaicirct la matiegravere et les formes dans les laquo parties raquo

de la substance que mentionnent les Cateacutegories (par exemple en Cat 2 1a 24-25) Bodeacuteuumls quant agrave

lui selon une interpreacutetation courante et tregraves plausible y lit un renvoi aux diffeacuterents organes

parties du corps Mais il retrouve une eacutevocation de lhyleacutemorphisme dans la mention de lacircme et

du corps en Cat 2 1a 21-28

Les deux interpregravetes chacun agrave leur maniegravere trament donc un lien entre les Cateacutegories et

Meacutetaphysique Z via lhyleacutemorphisme Et si la Meacutetaphysique nappelle pas substances premiegraveres les

composeacutes elle reconnaicirct cependant agrave deux reprises cruciales en Z 2 et H 1 que les corps les

animaux et leurs parties sont laquo manifestement raquo des substances sur lesquelles en premier lieu

366 M Rashed [2007b] p 139

367 R Bodeacuteuumls [2005]

368 R Bodeacuteuumls [2005] p 133-135 Les trois sens sont bien sucircr une reacutefeacuterence agrave Met Z 3 1029a 1-3 Pour leslaquo parties raquo qui sont aussi substances cf 3a 29-32 8a 18-19 8a 26-27 8b 15-21 Sur ce point voir aussiM Rashed [2007b] p 43

396

Les objets de la meacutetaphysique

tout le monde laquo saccorde raquo369 Les Cateacutegories comprises en ce sens deacutecrivent donc des faits les

laquo pheacutenomegravenes qui paraissent ecirctre substances raquo tandis que la Meacutetaphysique laquo sur la base des

mecircmes pheacutenomegravenes des mecircmes faits sinterroge en plus sur leur pourquoi et tente ainsi une

explication scientifique de la substance raquo370

Une telle interpreacutetation permet de surcroicirct de comprendre le rocircle quAlexandre confegravere

aux Cateacutegories agrave la page 245 du Commentaire agrave la Meacutetaphysique Selon ce passage laquo appartient agrave la

philosophie premiegravere la division de leacutetant en genres quAristote lui-mecircme a effectueacutee dans les

Cateacutegories raquo371 Les Cateacutegories posent ce qui sera fondeacute dans le travail authentiquement scientifique

du philosophe premier et il en irait de mecircme pour le traitement de la substance Pour Alexandre

non seulement la Meacutetaphysique eacutetablit la fonction causale des substances premiegraveres (au sens des

Cateacutegories mais aussi au sens laquo platonicien raquo de Δ 11) par rapport agrave leurs attributs mais elle

remonte en outre la seacuterie des causes selon un schegraveme typique de lExeacutegegravete Les livres centraux

assument ainsi le projet dune enquecircte sur les principes de la substance qui sont en un sens

principes de tous les eacutetants puisque la substance composeacutee est la cause de leur ecirctre372 et eacutetablit

principalement la forme au rang de substance par excellence et de cause de la substantialiteacute des

substances composeacutees

De leacutetant en tant queacutetant agrave la substance de la substance composeacutee agrave sa forme le chemin

se fait donc gracircce au concept de cause et mecircme plus preacuteciseacutement de laquo cause de lecirctre raquo quoique

ce ne soit pas au mecircme sens Luniteacute articuleacutee et la progression de la Meacutetaphysique sont assureacutees et

coheacuterentes cest la mecircme science poursuivant le mecircme objectif qui doit enquecircter sur leacutetant en

tant queacutetant la substance et la forme Il reste donc agrave voir comment lenquecircte theacuteologique vient

couronner cet ensemble ou en dautres termes comment leacutetude de la forme substantielle exige

de remonter agrave la substance premiegravere qui est aussi forme premiegravere

369 Cf Met Z 2 1028b 8-10 (laquo Δοκεῖ δ ἡ οὐσία ὑπάρχειν φανερώτατα μὲν τοῖς σώμασιν raquo) et H 11042a 6-11 (laquo οὐσίαι δὲ αἱ μὲν ὁμολογούμεναί εἰσιν ὑπὸ πάντων raquo) R Bodeacuteuumls [2005] p 135-136

370 R Bodeacuteuumls [2005] p 138

371 In Met 245 34-35 laquo τῆς πρώτης φιλοσοφίας ἡ εἰς τὰ γένη τοῦ ὄντος διαίρεσις ὃ πεποίηκεν αὐτὸςἐν ταῖς Κατηγορίαις raquo Cf ci-dessus sect 242a texte 1

372 Par exemple en In Met 137 7-14

397

Les objets de la meacutetaphysique

33 La fin de lenquecircte la theacuteologie

Parvenus agrave la derniegravere eacutetape de lenquecircte meacutetaphysique il sera ici question de

larticulation interne de la science via son faicircte de la maniegravere dont ce dernier programme deacutetude

ndash la theacuteologie373 ndash vient parachever et clore les programmes preacuteceacutedents Il ne sagit plus de savoir

comment les enquecirctes sur leacutetant en tant queacutetant et la substance maintiennent leur leacutegitimiteacute tout

en relevant de la mecircme science On a tenteacute de montrer ci-dessus que la meacutetaphysique ne se reacutesout

pas dans lousiologie ni a fortiori dans la theacuteologie mais que leacutetude de leacutetant en tant queacutetant

conduit agrave leacutetude de la substance enquecirctes relevant toutes deux de la mecircme science Cest de fait

lontologie qui reacutevegravele que la substance est cause de lecirctre des autres eacutetants de mecircme que

lousiologie deacutemontre que la forme est cause de lecirctre des substances Conformeacutement aux

commentaires des livres A α et Γ on attend alors de la theacuteologie ndash cest-agrave-dire de la science des

substances premiegraveres incorruptibles et eacuteternelles qui sont au plus haut point et dont tout le reste

deacutepend374 ndash quelle offre un point darrecirct agrave la reacutegression des causes Comment cet arrecirct se justifie-

t-il et sopegravere-t-il dans la recherche Tel sera notre angle pour aborder les hauteurs agrave la fois

vastes et escarpeacutees de la theacuteologie La theacuteologie alexandrinienne se trouve agrave la croiseacutee de

questions qui exigeraient un deacuteveloppement dune envergure telle quon ne pourra en tracer ici

que les lineacuteaments Deux raisons principales expliquent lampleur de ce champ deacutetude

Dune part une eacutetude exhaustive de la theacuteologie dAlexandre demanderait un important

travail de contextualisation La theacuteologie qui agrave elle seule forme deacutejagrave un champ florissant agrave

leacutepoque post-helleacutenistique entrelace noeacutetique et cosmologie deux autres domaines tregraves

373 Comme on sait le nom laquo theacuteologie raquo est rarement employeacute par lExeacutegegravete cf ci-dessus sect 122b Onparlera ici de theacuteologie au sens de la laquo science theacuteologique raquo qui porte sur les substances premiegraveres etqui constitue lun des programmes de la meacutetaphysique Sur la theacuteologie comme science du divin etleacutecart dAlexandre dans son interpreacutetation dA 2 983a 2-10 cf In Met 18 9 et RW Sharples [2002a]p 32

374 Cf par exemple In Met 266 4-5 laquo περὶ τοῦ μάλιστα καὶ πρώτου τῶν ὄντων raquo 266 9-10 laquo ἥ τε γὰρπερὶ τῶν πρώτων οὐσιῶν θεωροῦσα καὶ περὶ τῶν ἄλλων πάντων θεωρεῖ οἷς ἐκ τούτων ἤρτηται τὸεἶναι raquo

398

Les objets de la meacutetaphysique

travailleacutes par les auteurs (et le second tout particuliegraverement) dans toutes les eacutecoles et en dehors

delles Le De mundo quAlexandre tient sans doute pour authentique est par exemple lun des

ouvrages aristoteacuteliciens les plus diffuseacutes375 Il faudrait aussi tenir compte des avanceacutees de la

cosmologie post-helleacutenistique (la remise en question du modegravele homocentrique par le modegravele

eacutepicyclique) qui viennent eacutebranler lautoriteacute dAristote et placer les peacuteripateacuteticiens dans une

position inconfortable ndash et donc palpitante376

Dautre part les textes dAlexandre agrave ce sujet meacuteriteraient agrave la fois une analyse interne et

une comparaison systeacutematique Le De principiis en particulier attend encore une eacutedition

complegravete et une traduction qui propose une interpreacutetation de larticulation du traiteacute377 De mecircme

pour les teacutemoignages quAverroegraves donne du commentaire alexandrinien agrave Λ Mais il faudrait de

surcroicirct repeacuterer de maniegravere systeacutematique les convergences et les divergences entre ces textes en y

ajoutant notamment certaines Quaestiones le De anima les teacutemoignages de Simplicius etc Ainsi

disperseacutees les positions dAlexandre ne semblent pas toujours extrecircmement stabiliseacutees

Cependant puisque cest luniteacute de la meacutetaphysique alexandrinienne qui fait notre objet

il sagit de consideacuterer la theacuteologie non pas comme telle mais en tant que partie ou programme

de la meacutetaphysique Nous sommes degraves lors fondeacutes agrave conduire plus syntheacutetiquement

linvestigation en ciblant notre propos sur la maniegravere dont la theacuteologie achegraveve la meacutetaphysique

375 Il est par exemple reproduit dans Stobeacutee paraphraseacute en latin par Apuleacutee etc Cf HB Gottschalk[1987] p 1132-1139

376 Voir agrave ce sujet RW Sharples [2002a] lensemble du volume (D Frede A Laks [2002]) fournit depreacutecieuses indications sur ce contexte Voir aussi les textes rassembleacutes dans RW Sharples [2010] enparticulier p 180-195 sur lrsquoastronomie et les contribution de Sosigegravene et Adraste dAphrodise et p 196-210 agrave propos de la providence Cf R Sorabji [2007]

377 Le De principiis (ou Mabādi al-kull) a eacuteteacute dabord eacutediteacute par A Badawi en 1947 et traduit dans A Badawi[1987] p 135-153 Badawi sest fondeacute sur une version incomplegravete du texte dans le manuscrit de Damasqui comporte en outre parfois des absurditeacutes (un corps spheacuterique laquo peacuterissable raquo par exemple)C Genequand a proposeacute une eacutedition comblant ces lacunes (C Genequand [2001]) qui repreacutesentemalgreacute tout un progregraves indeacuteniable par rapport agrave celle de Badawi Toutefois la traduction ne se fondeque sur une tradition celle que Genequand appelle laquo Texte A raquo en laissant complegravetement de cocircteacute leTexte B (eacutediteacute mais non traduit) et sans proposer une comparaison de ces deux versions ni entre ellesni avec le texte syriaque quon suppose plus proche de loriginal En outre le texte traduit parGenequand est tregraves peu articuleacute et ne met pas en valeur les eacutetapes du raisonnement alexandrinienEnfin on regrettera la tentative de populariser le titre laquo On the cosmos raquo titre qui fait perdre laccentporteacute sur les principes S Fazzo suppose que loriginal grec devait comporter laquo Περὶ ἀρχῶν raquo nouspourrions ajouter que cela inscrivait le traiteacute alexandrinien dans la ligne de ladite laquo Meacutetaphysique raquo deTheacuteophraste (pour le titre de lopuscule de Theacuteophraste cf D Gutas [2010] p 9 sq) Ces critiques surleacutedition de Genequand (qui demeure un outil indispensable pour lalexandrinien non arabisant) onteacuteteacute souligneacutees par R Brague [2002] J McGinnis [2004] S Fazzo [2008a] p 612-613 Dans ce qui suitles reacutefeacuterences au De principiis se feront toutefois par commoditeacute en fonction des uniteacutes (sect) deacutecoupeacuteespar C Genequand [2001]

399

Les objets de la meacutetaphysique

Afin de comprendre comment leacutetude sur la substance premiegravere exige un traitement speacutecifique

qui accomplit le projet initial dune enquecircte universelle sur leacutetant en tant queacutetant il faudra degraves

lors reacutepondre agrave deux questions lune sur la nature et le nombre de la (ou des) substance(s)

premiegravere(s) lautre sur la relation entre la substance premiegravere et le reste des substances Cette

double enquecircte doit prendre en compte les aspects agrave la fois noeacutetiques et cosmologiques de la

conception alexandrinienne du laquo dieu raquo La theacuteologie nous donnera ainsi agrave lire une derniegravere

confirmation ndash mais non la moindre ndash de lusage transversal du principe de causaliteacute du

maximum Elle offrira en outre une ultime justification de luniteacute de la meacutetaphysique La

theacuteologie repreacutesente un point maximal dunification analogue dans lordre du savoir agrave ce que le

premier moteur reacutealise dans lordre de lecirctre luniteacute et la fondation du monde en un

laquo systegraveme raquo378

331 Extension de lhyleacutemorphisme ndash 2 la noeacutetique

a) Concepts fondamentaux de la noeacutetique alexandrinienne

Apregraves avoir montreacute quAlexandre polarise le sensible degraves ses niveaux les plus

eacuteleacutementaires par le schegraveme hyleacutemorphique il convient de souligner combien cette extension se

poursuit jusquaux niveaux les plus eacuteleveacutes de leacutechelle de leacutetant Que le premier moteur soit une

forme est une thegravese massive de lExeacutegegravete379 Cette thegravese saffirme au premier chef dans sa

noeacutetique Elle est commandeacutee par lensemble des concepts que lAphrodisien met en jeu pour

construire lideacutee dintellect agent divin rappelons-en donc scheacutematiquement les eacutetapes

principales

Lhomme est un animal mortel rationnel Sa forme qui est sa diffeacuterence speacutecifique est son

378 Nous empruntons lexpression de laquo systegraveme du monde raquo agrave M Rashed [2007b] p 319 qui parle aussidlaquo ontologie close raquo

379 On complegravete ici les indications seulement esquisseacutees dans G Guyomarch [2008]

400

Les objets de la meacutetaphysique

acircme rationnelle380 cest-agrave-dire son intellect dans son double usage pratique et theacuteoreacutetique381 Or agrave

titre de fondement de la diffeacuterence speacutecifique lintellect doit ecirctre agrave la fois inneacute et acquis inneacute ou

naturel382 parce quil ny a geacuteneacuteralement pas dhomme sans intellect acquis parce que lhomme

est libre quil peut manquer sa propre nature et que manifestement tous les hommes

nactualisent pas leur faculteacute de penser au mecircme degreacute383 Dans la section noeacutetique de son De

anima lobjectif dAlexandre est de concevoir une naturaliteacute de notre faculteacute de penser sans

rendre sa reacutealisation meacutecanique agrave la maniegravere stoiumlcienne384

Comme il est connu la solution dAlexandre consiste agrave distinguer diffeacuterents degreacutes de

lintellect Lintellect en puissance et mateacuteriel est inneacute et preacutesent chez tous les hommes ndash sauf chez

les infirmes385 Il est donc bien laquo naturel raquo au sens du laquo ὡς ἐπί τὸ πολύ raquo Il est comparable agrave la

matiegravere car nest rien dautre que notre laquo aptitude agrave accueillir les formes raquo386 Il est la simple

possibiliteacute de la rationaliteacute387 labsence de forme en nous qui rend possible lintellection de toute

forme non pas comme une tablette vierge mais comme lecirctre-vierge de la tablette388 Il est de ce

fait impassible ndash il ny a pas dintellect laquo παθητικὸς raquo chez Alexandre389 Le second degreacute de

380 DA 80 20-24 laquo ἔστιν δὲ παρὰ ταύτας τε καὶ ἐπὶ ταύταις δύναμίς τις ψυχῆς καὶ ἡ λογική [] ἣνἄνθρωπος ἐξαίρετον ἔχων παρὰ τἆλλα ζῷα τιμιώτερόν τέ ἐστι ζῷον καὶ τελειότερον καθ ἣνδύναμιν καὶ λογικὸς καλεῖται raquo

381 DA 80 24 ndash 81 13

382 Cf DA 81 26-27 justifiant la qualification de laquo naturel raquo pour lintellect mateacuteriel par laffirmation quilse trouve en tous ou presque

383 DA 81 27-28 (sur les laquo plus doueacutes raquo et les laquo moins doueacutes raquo) et 82 9 sq Cf Aristote EN III 7 1114 b 6 sqpour cette ideacutee que certains sont εὐφυὴς ou dεὐφυΐα Laristocratisme eacutethique est ainsi transposeacute auniveau intellectuel Tout ce traitement de lintellect est dailleurs traverseacute par une analogie plus oumoins explicite avec lacquisition de la vertu dans une tradition exeacutegeacutetique dont teacutemoigne la parenteacutelexicale avec le commentaire dAspasius agrave lEN Comparer Aspasius In EthNic 38 10-22 De fatosect XXVII et ces passages du DA

384 Pour les stoiumlciens la partie rationnelle se deacuteveloppe naturellement en lhomme et sajoutenaturellement agrave limpulsion dont elle est comme lartisan Cf par exemple LS 57A La fin du Deintellectu dAlexandre nous porte dailleurs agrave croire que lopinion courante chez certains peacuteripateacuteticienseacutetait assez proche de la doctrine stoiumlcienne (De intellectu 113 16-18) Alexandre dit en effet quil lui estneacutecessaire de sopposer agrave lopinion selon laquelle laquo le fait de penser ne deacutependrait pas de nous ni neserait notre œuvre propre raquo mais quil surviendrait en nous degraves notre naissance

385 DA 81 26-27 82 12 On peut se demander si laffirmation de la quasi universaliteacute de lintellect mateacuterielne vient pas dune analogie entre genre et matiegravere et la reacutefeacuterence agrave DA II 5 417a 25 sq

386 DA 84 24-25 laquo ἐπιτηδειότης τις [] πρὸς τὴν τῶν εἰδῶν ὑποδοχὴν raquo

387 En vertu de leacutequation selon laquelle ecirctre rationnel cest posseacuteder lintellect

388 Cf DA 84 24 ndash 85 1

389 Le terme ne se trouve jamais appliqueacute agrave lintellect dans le DA Dans le De intellectu il apparaicirctneacutegativement en 111 2-3 laquo οὐ γὰρ παθητικὸς ὁ νοῦς τῇ αὑτοῦ φύσει ὡς ὑπὸ ἄλλου γίνεσθαι καὶπάσχειν καθάπερ ἡ αἴσθησις raquo laquo en effet par sa nature lintellect nest pas passif au sens ougrave il

401

Les objets de la meacutetaphysique

lintellect est celui qui laquo survient en plus raquo et est en ce sens seacutepareacute (ou seacuteparable) de notre acircme390

Cest lintellect laquo ὡς ἕξις raquo laquo comme disposition acquise raquo laquo comme compeacutetence raquo ou laquo en

habitus raquo Seuls le possegravedent les laquo zeacuteleacutes raquo391 les hommes eacuteduqueacutes qui ont fait leffort dactualiser

leur capaciteacute agrave penser Ce niveau dintellect affirme Alexandre est lintellect commun (laquo κοινὸς

νοῦς raquo) parce que le plus reacutepandu chez les hommes392 Lintellect en acte enfin est lintellect laquo ὡς

ἕξις raquo en tant quil pense effectivement une forme agrave part de la matiegravere

Il est inutile dentrer ici dans la difficile question de savoir comment se produit

exactement le passage de lintellect mateacuteriel agrave lintellect comme disposition acquise et ce qui

accomplit ce passage393 Contentons-nous de rappeler quagrave travers une double reacutefeacuterence agrave

Meacutetaphysique A 1 et Seconds Analytiques II 19 Alexandre deacutecrit lactualisation de lintellect

mateacuteriel selon le mouvement de linduction Cest par la sensation la meacutemoire et lexpeacuterience que

changerait et serait affecteacute sous leffet dautre chose comme lest la sensation raquo Cf aussi 111 14

390 En effet en 81 13-20 agrave propos de lintellect lExeacutegegravete deacutecrit clairement ce qui est inneacute comme eacutetantlaquo inseacuteparable de celui qui le possegravede raquo [ἀχώριστα τοῦ ἔχοντος] par opposition agrave ce qui laquo survient enplus raquo [προσγίνεται] Lenjeu exeacutegeacutetique est probablement de rendre raison des formulations connuesqui dans le De anima dAristote semblent tirer la noeacutetique en sens contradictoires lintellect estqualifieacute de seacutepareacute mais semble aussi en III 4 appartenir agrave lacircme (laquo ὁ ἄρα καλούμενος τῆς ψυχῆςνοῦς raquo 429a 22) chapitre qui souvre dailleurs en annonccedilant leacutetude dune partie de lacircme (laquo Περὶ δὲτοῦ μορίου τοῦ τῆς ψυχῆς ᾧ γινώσκει τε ἡ ψυχὴ καὶ φρονεῖ raquo) Reacuteponse dAlexandre lintellectmateacuteriel est inseacuteparable de lacircme non pas son actualisation en intellect comme ἕξις

391 DA 82 10-11 laquo διὸ τοῦτον τὸν νοῦν λέγομεν οὐ πάντας ἔχειν ἔτι ἀλλὰ μόνου τοῦ σπουδαίου τὸνοῦν ἔχειν κατηγοροῦμεν raquo laquo Cest pour cela que nous disons que tous nont pas encore cet intellectmais que nous attribuons le fait de posseacuteder lintellect seulement agrave lhomme zeacuteleacute raquo

392 Le passage semble reacutefeacuterer agrave une tradition (cf laquo καλούμενος raquo en 82 14-15 laquo οὗτός ἐστι κυριώτερον ὁκοινὸς νοῦς καλούμενος ἡ δὲ ἐπὶ πλέον ἐξεργασία κατ αὐτὸν γίνεται τὸν εἰρημένον τρόπον raquo laquo Celui-lagrave est plus proprement appeleacute intellect commun son deacuteveloppement se produisant pour laplus grande part de la faccedilon que nous avons dite raquo) Une question est de savoir qui donc parle ainsidintellect commun M Bergeron et R Dufour font lhypothegravese quil sagit dAristote lui-mecircme parceque Theacutemistius lui-mecircme en parle (M Bergeron R Dufour [2008] p 337) Toutefois comme le notenteux-mecircmes M Bergeron et R Dufour lexpression se laisse tout de mecircme difficilement deacuteriver ducorpus mecircme du DA I 4 408b 28-29 En revanche on trouve exactement cette expression chez Eacutepictegravete(Entretiens III 6 8 laquo κοινὸς νοῦς καλεῖται raquo) Le stoiumlcien compare cet intellect commun agrave louiumle etdistingue entre louiumle commune qui perccediloit les sons et celle qui perccediloit les paroles et nest pluscommune mais laquo apprise raquo laquo technique raquo (laquo οὐκέτι κοινή ἀλλὰ τεχνική raquo) Quant agrave lintellect Eacutepictegraveterajoute il y a des choses que tous les hommes voient sils nont pas lesprit totalement tordu ndash on songeaux laquo infirmes raquo dAlexandre Le texte se reacutefegravere en outre agrave la formation laquo naturelle raquo inductive desnotions communes et des preacuteconceptions doctrine courante dans le stoiumlcisme Cela conviendrait aussiau contexte dAlexandre qui mentionne que la formation de cet intellect commun est due agrave lalaquo connaissance par synthegravese raquo (laquo κατὰ σύνθεσιν γνῶσίν τινων raquo 82 13) Contrairement agrave ce quesoutiennent M Bergeron et R Dufour qui renvoient agrave Aristote DA III 6 430a 27 sq il ne peut sagir enfait ici que de linduction (voir la reprise du mot laquo σύνθεσιν raquo en 83 12)

393 Question qui agite les interpregravetes depuis P Moraux [1942] jusque BC Bazan [1973] P Accattino et PDonini [1996] ou M Tuominen [2010]

402

Les objets de la meacutetaphysique

la saisie de luniversel cest-agrave-dire labstraction de la forme devient possible394 La difficulteacute est

que certains passages du De anima semblent octroyer agrave lintellect mateacuteriel la capaciteacute de saisir les

formes agrave part de la matiegravere afin de construire cette reacuteserve de concepts que constitue lintellect

comme disposition acquise alors que lintellect mateacuteriel a eacuteteacute caracteacuteriseacute comme une possibiliteacute

de recevoir395 La difficulteacute vient donc de ce quil semble impossible que lintellect mateacuteriel soit en

acte de quelque maniegravere Cest ici la raison mecircme de cette difficulteacute qui nous inteacuteresse plus que la

difficulteacute elle-mecircme

De fait celle-ci provient de ce que pour forger sa distinction entre les intellects mateacuteriel

comme disposition acquise et en acte Alexandre reprend la theacuteorie des trois degreacutes de la

puissance et de lacte La chose a deacutejagrave eacuteteacute remarqueacutee et mise au compte des systeacutematisations

conceptuelles freacutequentes chez lExeacutegegravete Lintellect mateacuteriel se situe ainsi au premier degreacute dans

la Dreistufenlehre la puissance en son premier sens qui dans lanalogie eacutelaboreacutee par le Stagirite II

5 417 a 21-b 2 correspond agrave lignorance Lintellect comme ἕξις est le second sens de la puissance

qui est aussi acte au sens premier Alexandre reprend lanalogie aristoteacutelicienne

Ὅταν γὰρ ἐν ἕξει γένηται διὰ τὰςσυνεχεῖς ἐνεργείας τοιαύτῃ ὡς δι αὑτοῦλοιπὸν ἐνεργεῖν δύνασθαι τότε ὁ ὡς ἕξις[861] καλούμενος νοῦς γίνεται ἀνάλογονὢν τῷ ἐπιστήμονι ὃς τοῦ τε κατὰ δύναμιν

En effet chaque fois que lintellect accegravede agrave unetelle disposition par des activiteacutes continues au pointquil peut ensuite de lui-mecircme396 sactualiser alors ildevient ce quon appelle laquo intellect commedisposition raquo Il est analogue au savant qui tient le

394 Cela est deacutecrit en DA 83 2-13 et 85 21-25 Pour lidentiteacute de la saisie de luniversel et de la saisie de laforme agrave part de sa matiegravere cf 85 14-16 laquo ὅ τε γὰρ τὸ εἶδός τινος χωρὶς τῆς ὕλης λαβὼν ἔχει τὸκοινόν τε καὶ καθόλου (ὁ γὰρ τὸ εἶδος τοῦ ἀνθρώπου λαβὼν χωρὶς τῶν ὑλικῶν περιστάσεων ἔχειτὸν κοινὸν ἄνθρωπον raquo laquo En effet celui qui saisit la forme agrave part de sa matiegravere obtient lecommun et luniversel (car celui qui saisit la forme de lhomme agrave part de ses circonstancesmateacuterielles obtient lhomme commun raquo

395 Voir en particulier DA 85 10 ndash 86 6 Dans ce texte en effet il semble que ce soit lintellect qui soit ditrecevoir ou saisir (λαμβάνειν) les formes ce qui revient agrave les seacuteparer de sa matiegravere (cf aussi DA 8419-21) Degraves lors il semblerait que lintellect mateacuteriel soit responsable dune premiegravere saisie (cflaquo λαμβάνοντος raquo 85 22 voir aussi 85 29 et 86 16) de la forme ou de luniversel De cette opeacuterationnaicirctrait lintellect en habitus Or lintellect mateacuteriel a eacuteteacute explicitement conccedilu comme une purelaquo aptitude raquo reacuteceptive non pas mecircme une tablette vierge mais le caractegravere vierge de cette tabletteComme le dit P Moraux cest comme si dans lanalogie entre la tablette vierge et lintellect mateacuteriel latablette elle-mecircme se couvrait deacutecriture (P Moraux [1942] p 75) P Moraux va ainsi qualifier cettethegravese de laquo la plus grave heacutereacutesie qui puisse sortir de la bouche dun aristoteacutelicien raquo (P Moraux [1942] p173) Cette difficulteacute ne nous paraicirct pas insoluble il faut toutefois se garder de la simplifier en lareacuteduisant agrave la question dune passiviteacute ou activiteacute de lintellect mateacuteriel ndash comme on sait laquo λαμβάνειν raquopeut ecirctre traduit selon les deux sens La difficulteacute ne tient pas tant agrave la nature active ou passive de cettesaisie mais agrave ce quune telle saisie suppose que lintellect mateacuteriel soit quelque chose de plus quunepure puissance au premier sens du terme (selon les distinctions du DA II 5 dAristote)

396 On corrige le laquo διἀυτοῦ raquo de Bruns en laquo διαὑτοῦ raquo comme le font les traducteurs italiens et franccedilaisCf le laquo ἑαυτοῦ raquo du Ps-Alexandre In Met 697 24-25

403

Les objets de la meacutetaphysique

ἐπιστήμονος λεγομένου καὶ τοῦ κατἐπιστήμην ἐνεργοῦντός ἐστι μεταξύ ὅσονἀπολείπεσθαι δοκεῖ τοῦ κατὰ τὴν ἐπιστήμηνἐνεργοῦντος τοσοῦτον πλεονεκτεῖ τὸν κατὰδύναμιν ἐπιστήμονα ἐνεργοῦσα δὲ ἥδε[865] ἡ ἕξις ὁ κατ ἐνέργειαν γίνεται νοῦς ὁγὰρ κατὰ ἕξιν νοῦς ἀποκείμενά πώς ἐστινἀθρόα καὶ ἠρεμοῦντα τὰ νοήματα

milieu entre celui quon dit savant laquo en puissance raquo etle savant en acte397 et il semble autant deacutepasseacute par lesavant en acte quil ne lemporte398 sur le savant enpuissance Et lorsquelle passe agrave lacte cettedisposition devient lintellect en acte car lintellect entant que disposition est en un sens les penseacuteesrassembleacutees mises en reacuteserve399 et au repos

(De anima 85 25 ndash 86 2)

Ce qui a eacuteteacute moins souligneacute est la reformulation de cette doctrine de la puissance et de

lacte dans le schegraveme hyleacutemorphique400 Par exemple

Ὁ δὲ ἐπίκτητός τε καὶ ὕστερονἐγγινόμενος καὶ εἶδος καὶ ἕξις ὢν καὶτελειότης τοῦ φυσικοῦ οὐκέτ ἐν πᾶσινἀλλἐν τοῖς ἀσκήσασίν τε καὶ μαθοῦσιν ὃντρόπον καὶ ἐπὶ τῶν ἐπιστημῶν ἔχει

En revanche le second intellect est acquis etsurvient ulteacuterieurement401 et comme il est une formeune disposition et une perfection de lintellect naturelon ne le trouve plus en tous mais en ceux qui sy sontexerceacutes et ont appris agrave la faccedilon dont il en va aussipour les sciences

(82 1-3)

Καὶ τοιοῦτος μὲν ὁ ὑλικὸς νοῦς ὁ δὲ ὡςἕξις λεγόμενος εἶδός ἐστι καὶ δύναμις καὶτελειότης τούτου

Et tel est lintellect mateacuteriel quant agrave celui quondit laquo comme une disposition raquo il est une forme unepuissance402 et une perfection du premier

(85 10-11)

Le caractegravere fonctionnel du schegraveme hyleacutemorphique joue ici agrave plein lintellect en habitus

est donneacute comme la laquo forme raquo de lintellect mateacuteriel Le fait geacuteneacuteral se perccediloit degraves la description

de lintellect mateacuteriel non pas tant en terme de puissance quagrave travers des concepts qui servent

ailleurs agrave lExeacutegegravete pour expliciter la nature de la matiegravere403 Lintellect comme laquo ἕξις raquo dit alors la

397 Litteacuteralement laquo celui qui sactualise selon son savoir raquo

398 Correction du laquo πλεονεκτῶν raquo de Bruns en laquo πλεονεκτεῖ raquo cf Ps-Alexandre In Met 697 l37

399 Cf par exemple Plutarque Des Comm Not 1085a 9-b 1 laquo τὰς ἐννοίας ltἐνgt αποκειμένας τινὰςὁριζόμενοι νοήσεις μνήμας δὲ μονίμους καὶ σχετικὰς τυπώσεις raquo

400 Cette hypothegravese a eacuteteacute eacutegalement deacuteveloppeacutee lors dun colloque agrave Paris sur la meacutetaphysique delExeacutegegravete en juin 2012 par C Cerami que nous remercions pour les discussions agrave ce sujet

401 Bruns propose agrave partir de la version heacutebraiumlque laquo der in uns der Genossenschaft der Menschen entsteht raquo On peut en effet supposer que quelque chose se soit perdu entre le ἐγ- et le ndashγινόμενος

402 Latheacutetegravese de laquo δύναμις raquo par Freudenthal et Bruns est probablement inutile Il faut entendre iciδύναμις au sens second Pour ce double sens chez Alexandre cf DA 16 8 86 1-20 90 16 Cf aussi lepassage parallegravele dans le Ps-Alexandre In Met 697 18-39

403 Comparer par exemple DA 81 13-14 (laquo γίνεται δὲ ὁ ἄνθρωπος οὐκ εὐθὺς ἔχων τήνδε τὴν ἕξιν ἀλλἔχων μὲν δύναμιν καὶ ἐπιτηδειότητα τοῦ δέξασθαι αὐτήν raquo) et sur la matiegravere la Quaestio I 10 2033 Voir aussi les fragments arabes du commentaire au De generatione et corruptione (E Gannageacute [2005])et la discussion meneacutee aussi par E Gannageacute [2002] Que lintellect mateacuteriel ne soit pas laquo mateacuteriel raquo ausens strict est eacutevident agrave partir de DA 84 26-27 et surtout du De intellectu 106 20-23 laquo ὑλικὸν δὲ λέγω

404

Les objets de la meacutetaphysique

forme qui laquo survient raquo dans cette matiegravere et preacutesente un premier perfectionnement de lhomme

cette perfection la plus courante de lhomme commun qui nest ni sage ni handicapeacute Le concept

de laquo τελειότης raquo retranscrit lideacutee dactualisation dans lorbe hyleacutemorphique comme si Alexandre

se faisait fort de ne pas employer laquo enteacuteleacutechie raquo404 Contrairement agrave ce que dit M Rashed

laquo τελειότης raquo nintervient donc pas laquo toujours raquo pour deacutesigner le second degreacute de la forme ie la

forme pleinement reacutealiseacutee telle quelle correspond au dernier degreacute de lenteacuteleacutechie405 mecircme si

Alexandre emploie aussi le terme agrave ce niveau Ainsi dans la Quaestio III 2 par exemple sur la

Dreistufenlehre aristoteacutelicienne Alexandre reprend-il lideacutee que ce passage de lacte 1 agrave lacte 2 est

un laquo progregraves vers soi-mecircme raquo et commente en disant que lintellect en acte est lui aussi une

laquo perfection raquo de lintellect en habitus406 De ce point de vue lhomme na donc pas laquo trois

intellects raquo Lintellect en acte est lintellect en habitus reacutealiseacute parvenu au terme de sa perfection

La doctrine des trois degreacutes (ou eacutetats) de lintellect exemplifie ainsi la distinction

alexandrinienne pointeacutee par M Rashed entre deux eacutetat de la forme ndash sauf que la noeacutetique prend

eacutegalement en compte un analogue de la matiegravere Il faut pour Alexandre diffeacuterencier la forme

seulement laquo posseacutedeacutee raquo par le composeacute de la forme pleinement actualiseacutee Pour reprendre un

exemple alexandrinien tel est ce qui seacutepare lhomme sans vertu (qui est tout de mecircme un

homme) de lhomme vertueux qui a atteint la perfection et le sommet de sa nature407 Cette

distinction entre deux eacutetats de la forme a dailleurs eacuteteacute preacutepareacutee depuis le deacutebut du De anima

avec par exemple pour les corps simples leacutecart instaureacute entre la forme comme puissance (la

puissance qua la terre daller vers le bas par exemple) et la perfection de cette puissance qui est

proprement ἐνέργεια Le premier degreacute est lui aussi une perfection mais une perfection de la

matiegravere de mecircme que lintellect en habitus est une laquo perfection raquo de lintellect mateacuteriel Cette

premiegravere perfection qui dit lenteacuteleacutechie premiegravere est anteacuterieure dans le temps agrave la seconde

οὐ τῷ ὑποκείμενόν τινα εἶναι ὥσπερ τὴν ὕλην (ὕλην γὰρ λέγω ὑποκείμενόν τι δυνάμενον εἴδουςτινὸς παρουσίᾳ τόδε τι γενέσθαι) ἀλλ ἐπεὶ τῇ ὕλῃ τὸ εἶναι ὕλῃ ἐν τῷ δύνασθαι πάντα ἐν ᾧ τὸδύνασθαι καὶ αὐτὸ τὸ δυνάμει καθόσον ἐστὶ τοιοῦτον ὑλικόν raquo laquo Toutefois je lappelle mateacuterielnon parce quil serait une sorte de substrat comme la matiegravere (jappelle en effet matiegravere cette sorte desubstrat capable de devenir un ceci par la preacutesence dune forme deacutetermineacutee) mais puisque lecirctre de lamatiegravere consiste agrave pouvoir ecirctre toutes choses alors ce dans quoi reacuteside cette puissance et cela mecircme quiest en puissance pour autant quil est tel est mateacuteriel raquo

404 Dans toute la section noeacutetique du DA Alexandre nemploie ἐντελέχεια quune seule fois en 81 26 Agravelinverse le DA dAristote nemploie jamais τελειότης

405 M Rashed [2011a] p 147

406 Quaestio III 2 81 23-25

407 De fato 197 30 ndash 198 3 Cf M Rashed [2011a] en particulier p 147 n 293

405

Les objets de la meacutetaphysique

laquelle se donne degraves lors comme une perfection de perfection Lanalyse sexemplifie aussi dans

le cas de lacircme408 La noeacutetique au fond ne fait quheacuteriter de ce travail sur les deux eacutetats de la

forme

Mais au niveau de lintellect en acte le schegraveme hyleacutemorphique sapplique dautant mieux

quen vertu du principe de lidentiteacute entre le pensant et le penseacute lintellect en acte est en reacutealiteacute

une forme intelligible en acte en tant quelle est penseacutee Les textes sont indiscutables agrave ce sujet

lintellect en acte nest laquo rien dautre que la forme penseacutee raquo409 Ou encore

Ὃ γὰρ δύναται νοεῖν τοῦτο αὐτὸ αὐτὸςνοῶν γίνεται καὶ ἔστιν ὅταν νοῇπροηγουμένως μὲν καὶ καθ αὑτὸν νοῶν τὸνοητὸν εἶδος κατὰ συμβεβηκὸς δὲ ἑαυτὸν τῷσυμβεβηκέναι αὐτῷ ὅταν νοῇ γίνεσθαιἐκεῖνο ὃ νοεῖ πρὸ μὲν οὖν τοῦ κατἐνέργειαν τὸν νοῦν νοεῖν πρὸς ἄλληλά ἐστιτὸ νοοῦν τε καὶ τὸ νοούμενον καὶἀντικείμενα [8625] ἀλλήλοις ὡς τὰ πρός τιὅταν δὲ ἐνεργῶσιν ἓν γινόμενα παύεται τῆςἀντιθέσεως οὐδὲ γὰρ ἐφαρμόζειν αὐτοῖςοἷόν τέ ἐστι τὸν τοῦ πρός τι λόγον Διὸ ὁ κατἐνέργειαν νοῦς ὁ αὐτὸς γινόμενος τῷ νοητῷεὐλόγως αὑτὸν λέγεται νοεῖν

De fait cela quil peut penser il le devient lui-mecircme en le pensant et chaque fois quil pense cestabsolument et par soi quil est en la pensant la formepenseacutee mais par accident lui-mecircme parce quil luieacutechoit quand il pense de devenir ce quil pense410Donc avant que lintellect ne pense en acte ce quipense et ce qui est penseacute sont relatifs lun agrave lautre etopposeacutes comme les termes dune relation411 maisquand ils sactualisent devenus une seule chose ilscessent de sopposer En fait il nest mecircme pluspossible de leur appliquer la deacutefinition du relatifCest pourquoi on dit avec raison que lintellect enacte devenu identique au penseacute se pense lui-mecircme

(86 20-28)

Cest uniquement dans ce contexte que lon peut comprendre la deacutetermination par

Alexandre de lintellect agent comme forme dun type particulier Cette deacutetermination de

lintellect agent se donne en effet comme laboutissement de deux mouvements dune part

408 Pour la transcription de lenteacuteleacutechie premiegravere en laquo perfection raquo dans le cas de la deacutefinition de lacircme cfen particulier DA 16 5-7 laquo ἔθος δὲ Ἀριστοτέλει τὴν τελειότητα καὶ ἐντελέχειαν λέγειν ὡς τοῦ ἐντῷ τέλει εἶναι τὸ πρᾶγμα οὗ ἐστιν οὖσαν αἰτίαν raquo Pour les corps simples cf DA 9 14-26 Nousremercions C Cerami davoir attireacute notre attention sur ce passage passionnant

409 DA 86 14-15 laquo καὶ ἐπεί ἐστιν ὁ κατ ἐνέργειαν νοῦς οὐδὲν ἄλλο ἢ τὸ εἶδος τὸ νοούμενον raquo

410 V Caston (dans R Sorabji [2005] p 136) traduit aussi 86 14-23 Le deacutesaccord entre dune part lestraductions Accattino-Donini et Caston dune part et la traduction Bergeron-Dufour dautre partrepose sur la ponctuation et le sens agrave donner au verbe laquo συμβεβηκέναιrdquo les premiers lui donnent lesens impersonnel d laquo eacutechoir par accident raquo (en anglais laquo it belongs to it incidentallyhellip raquo en italien laquo gliaccade dihellip raquo) En revanche M Bergeron et R Dufour traduisent laquo τῷ συμβεβηκέναι αὐτῷ ὅταν νοῇ raquopar laquo parce quil coiumlncide avec la forme intelligible lorsquil pense raquo ce qui est bien sucircr conforme ausens geacuteneacuteral du passage Μais cela requiert de comprendre les lignes 21-23 (de laquo προηγουμένος raquo agravelaquo νοῇ raquo) comme une longue incise et de faire deacutependre le laquo γίνεσθαι raquo l 23 du laquo ἔστιν raquo l 21 Cettesolution est tout de mecircme peu naturelle ndash dautant que (mais cet argument nest pas inteacutegralementcontraignant seulement probable) laquo συμβεβηκέναι raquo se trouvant agrave cocircteacute de laquo συμβεβηκὸς raquo onpourrait attendre des deux termes quils soient agrave comprendre dans un sens voisin

411 Cf Aristote Met ∆ 15 1020 b 31 1021 a 9 sq

406

Les objets de la meacutetaphysique

leacutelaboration des eacutetats de lintellect en termes de matiegravere de perfection et de forme et dautre

part une typologie des formes On reviendra plus loin sur cette seconde preacutemisse Poursuivons

notre description du premier moment

Agrave cet instant du raisonnement alexandrinien la description de lintellection humaine

semble en effet exhaustive Elle procegravede depuis sa simple possibiliteacute jusquagrave lintellection effective

dune forme quelconque Cette gradation correspond agrave la maturation de lecirctre humain qui

acquiert la connaissance au cours de sa vie agrave la fois par lapprentissage (81 25) et par linduction

(85 20-25) Parvenu agrave ce point on pourrait leacutegitimement sattendre agrave ce que la reacuteflexion

dAlexandre sinterrompe nous obtenons en effet une theacuteorie qui semble adeacutequatement deacutecrire

les processus de la penseacutee humaine Cen est agrave tout le moins une description intuitive coheacuterente

avec un empirisme commun Toutefois Alexandre ne sarrecircte pas en chemin et ajoute un dernier

intellect lintellect agent Il est donc leacutegitime de se demander agrave quelle exigence reacutepond

lintroduction de ce troisiegraveme intellect Nest-il pas comme le demandait deacutejagrave P Moraux quune

laquo addition inutile raquo412

b) Le principe de causaliteacute du maximum en noeacutetique

Voici le texte central agrave cet eacutegard

Ἐπεὶ δὲ ἐν πᾶσιν τοῖς γινομένοις τε καὶσυνεστῶσιν κατὰ φύσιν ἐν οἷς ὕλη τίς ἐστιντὸ μέν τι ὕλη ἐστὶν ἐν ἐκείνῳ τῷλαμβανομένῳ γένει (τοῦτο δέ ἐστιν ὃ πάνταδυνάμει ἐστὶ τὰ ἐν ἐκείνῳ τῷ γένει) τὸ δέ τι[8820] ποιητικὸν τοῦ ἐν τῇ ὕλῃ γίνεσθαιταῦτα ὧν ἐστι δεκτική (ὥσπερ καὶ ἐπὶ τῶνκατὰ τέχνην γινομένων ἔχον ὁρῶμεν ἡ γὰρτέχνη τοῦ τὸ εἶδος ἐν τῇ ὕλῃ γίνεσθαι τὴναἰτίαν ἔχει) ἀναγκαῖον δοκεῖ καὶ ἐπὶ τοῦ νοῦταύτας εἶναι τὰς διαφοράς Καὶ ἐπεί ἐστινὑλικός τις νοῦς εἶναί τινα δεῖ καὶ ποιητικὸννοῦν ὃς αἴτιος τῆς ἕξεως τῆς τοῦ ὑλικοῦ νοῦγίνεται

Puisque parmi toutes les choses en devenir etconstitueacutees selon la nature dans lesquelles se trouveune certaine matiegravere il y a dune part quelque chosequi est matiegravere dans le genre consideacutereacute (cest-agrave-dire cequi est en puissance toutes les choses qui sont dansce genre) et dautre part quelque chose qui est agentdu fait quadvient dans la matiegravere ce quelle estcapable de recevoir (ainsi comme nous le voyons enva-t-il pour ce qui existe par lart car lart est cause deladvenue de la forme dans la matiegravere) alors il sembleneacutecessaire que ces diffeacuterences sappliquent aussi aucas de lintellect Et puisquil existe un certain intellectmateacuteriel413 il doit aussi y avoir un intellect agent quidevienne cause de la disposition de lintellectmateacuteriel

412 P Moraux [1942] p 87

413 On peut se demander si le τις sapplique agrave νοῦς ou agrave ὐλικός mais lambiguiumlteacute peut ecirctre maintenue aveclaquo un certain intellect mateacuteriel raquo

407

Les objets de la meacutetaphysique

Εἴη δ ἂν [8825] οὗτος τὸ κυρίως τε καὶμάλιστα νοητὸν εἶδος τοιοῦτον δὲ τὸ χωρὶςὕλης Ἐν πᾶσιν γὰρ τὸ μάλιστα καὶ κυρίως τιὂν καὶ τοῖς ἄλλοις αἴτιον τοῦ εἶναι [891]τοιούτοις Τό τε γὰρ μάλιστα ὁρατόντοιοῦτον δὲ τὸ φῶς καὶ τοῖς ἄλλοις τοῖςὁρατοῖς αἴτιον τοῦ εἶναι ὁρατοῖς ἀλλὰ καὶ τὸμάλιστα καὶ πρώτως ἀγαθὸν καὶ τοῖς ἄλλοιςἀγαθοῖς αἴτιον τοῦ εἶναι τοιούτοις τὰ γὰρἄλλα ἀγαθὰ τῇ πρὸς τοῦτο συντελείᾳκρίνεται Καὶ τὸ μάλιστα δὴ καὶ τῇ αὑτοῦ[895] φύσει νοητὸν εὐλόγως αἴτιον καὶ τῆςτῶν ἄλλων νοήσεως

Τοιοῦτον δὲ ὂν εἴη ἂν ὁ ποιητικὸς νοῦςΕἰ γὰρ μὴ ἦν τι νοητὸν φύσει οὐδ ἂν τῶνἄλλων τι νοητὸν ἐγίνετο ὡς προείρηται Ἐνγὰρ πᾶσιν ἐν οἷς τὸ μὲν κυρίως τί ἐστιν τὸ δὲδευτέρως τὸ δευτέρως παρὰ τοῦ κυρίως τὸεἶναι ἔχει

Ἔτι εἰ ὁ τοιοῦτος νοῦς τὸ πρῶτον αἴτιονὃ αἰτία καὶ ἀρχὴ τοῦ εἶναι πᾶσι [8910] τοῖςἄλλοις εἴη ἂν καὶ ταύτῃ ποιητικός ᾗ αὐτὸςαἴτιος τοῦ εἶναι πᾶσι τοῖς νοουμένοις Καὶἔστιν ὁ τοιοῦτος νοῦς χωριστός τε καὶἀπαθὴς καὶ ἀμιγὴς ἄλλῳ ἃ πάντα αὐτῷ διὰτὸ χωρὶς ὕλης εἶναι ὑπάρχει

Celui-ci serait par excellence la forme intelligibleau plus haut degreacute or telle est la forme qui est agravepart414 de la matiegravere Pour toute chose en effet cest cequi est par excellence et au plus haut point x qui estaussi cause pour toutes les autres du fait quellessont x Ainsi ce qui est au plus haut point visible ndashtelle est la lumiegravere ndash est cause de la visibiliteacute de toutesles autres choses visibles Mais en outre le biensuprecircme et premier est cause pour tous les autresbiens du fait quils sont tels En effet les autres bienssont distingueacutes en fonction de leur contribution agravecelui-lagrave Et donc ce qui est intelligible au plus hautpoint et par sa nature propre est aussi en bonnelogique cause de lintellection des autres choses

Lintellect agent sera de cette sorte Si en effet ilnexistait pas un intelligible par nature alors riendautre ne deviendrait intelligible comme on la ditauparavant car dans tous les cas ougrave il y a dune partquelque chose qui est eacuteminemment x415 et une autrequi lest en second lieu celle qui lest en second lieutient son ecirctre de celle qui lest eacuteminemment

En outre si un tel intellect est la cause premiegraverequi est cause et principe de lecirctre-tel pour toutes lesautres choses il sera alors aussi agent au sens ougrave ilsera cause de lecirctre de toutes les choses penseacutees Et untel intellect est seacutepareacute impassible sans meacutelange avecquoi que ce soit dautre ndash toutes choses qui sontsiennes du fait quil est agrave part de la matiegravere

(88 17 ndash 89 12)

Notre extrait est rythmeacute par trois moments distincts

Dans le premier Alexandre se livre agrave une paraphrase en regravegle du De anima III 5 430a 10-

15 Dun point de vue argumentatif lExeacutegegravete se sert de lanalogie aristoteacutelicienne pour introduire

la neacutecessiteacute de lexistence dun intellect agent agrave partir dun principe geacuteneacuteral de la distinction entre

devenir et produire principe reacuteceptif et principe producteur

Dans le deuxiegraveme moment Alexandre identifie lintellect agent avec un autre ecirctre dont

lexistence a deacutejagrave eacuteteacute deacuteveloppeacutee agrave la section immeacutediatement preacuteceacutedente une forme par soi

immateacuterielle intelligible par sa propre nature Cest ce passage qui nous retiendra le plus

414 Ou laquo seacutepareacutee de raquo pour traduire ici la preacuteposition χωρὶς Dans lensemble du DA sur lintellectAlexandre est clairement conscient du lien eacutetymologique entre χωρὶς et χωριστός Par ailleurs dans lasuite du texte Alexandre justifie la seacuteparation de lintellect agent par sa seacuteparation davec la matiegravere laquo Καὶ ἔστιν ὁ τοιοῦτος νοῦς χωριστός τε καὶ ἀπαθὴς καὶ ἀμιγὴς ἄλλῳ ἃ πάντα αὐτῷ διὰ τὸ χωρὶςὕλης εἶναι ὑπάρχει raquo

415 Peut-ecirctre ltκαὶ πρώτωςgt dapregraves la version heacutebraiumlque (reposant sur un effet de double traduction delarabe )

408

Les objets de la meacutetaphysique

Enfin la nature de lintellect agent ayant eacuteteacute preacuteciseacutee Alexandre se livre agrave linterpreacutetation

qui fera sa renommeacutee lintellect agent est la laquo cause premiegravere raquo cest-agrave-dire dans le langage de

lExeacutegegravete le premier moteur Alexandre sappuie sans doute ici sur le fait que chez Aristote les

proprieacuteteacutes de lintellect dans DA III 5 sont souvent (voire toutes) identiques agrave celles du premier

moteur de Meacutetaphysique Λ416

Passons donc assez rapidement sur ce premier moment de paraphrase Pour en saisir les

traits saillants on peut figurer lensemble en un tableau

Aristote Alexandre

Ἐπεὶ δὥσπερ ἐν ἁπάσῃ τῇ φύσει ἐστί Ἐπεὶ δὲ ἐν πᾶσιν τοῖς γινομένοις τε καὶ συνεστῶσινκατὰ φύσιν

ἐν οἷς ὕλη τίς ἐστιν

ndash τι τὸ μὲν ὕλη ἐκάστῳ γένει (τοῦτο δὲ ὅ πάντα δυνάμει ἐκεῖνα)

ndash τὸ μέν ἐστὶν ἐν ἐκείνῳ τῷ λαμβανομένῷ γένει (τοῦτο δέ ἐστιν ὅ πάντα δυνάμει ἐστὶ τὰἐν ἐκείνῳ τῷ γένει)

ndash ἕτερον δὲ τὸ αἴτιον καὶ ποιητικόν ὅτῳποιεῖν πάντα

οἶον ἡ τέχνη πρὸς τὴν ὕληνπέπονθεν

ndash τὸ δέ τι ποιητικὸν τοῦ ἐν τῇ ὕλῃ γίνεσθαιταῦτα ὧν ἐστι δεκτική

(ὥσπερ καὶ ἐπὶ τῶν κατὰ τέχνην γινομένωνἔχον ὁρῶμεν ἡ γὰρ τέχνη τοῦ τὸ εἶδος ἐν τῇὕλῃ γίνεσθαι τὴν αἰτίαν ἔχει)

ἐν τῇ ψυχῇ ὑπάρχειν ταύτας διαφοράς ἀναγχαῖον δοκεῖ καὶ ἐπὶ τοῦ νοῦ ταύτας εἶναι τὰςδιαφοράς

ndash ἔστιν ὁ μὲν τοιοῦτος νοῦς τῷ πάνταγίνεσθαι

ndash Καὶ ἐπεί ἐστιν ὑλικός τις νοῦς

ndash ὁ δὲ τῷ πάντα ποιεῖνὡς ἕξις τις οἷον τὸ φῶς

ndash εἶναι τινα δεῖ καὶ ποιητικὸν νοῦν ὃς αἴτιος τῆς ἕξεως τῆς τοῦ ὑλικοῦ νοῦ

γίνεται

La paraphrase dAlexandre commence par expliciter et augmenter le texte source Puis la

version alexandrinienne connaicirct une diminution relative parce que lAphrodisien va en

deacutevelopper les eacuteleacutements dans le moment suivant en reprenant les acquis anteacuterieurs Malgreacute la

difficulteacute du texte certaines des gloses dAlexandre sont peu sujettes agrave discussion quand elles

sont par exemple des explicitations grammaticales (ainsi laquo οῦτο δέ ἐστιν ὅ πάντα δυνάμει ἐστὶ

τὰ ἐν ἐκείνῳ τῷ γένει raquo) ou des sortes de notes de bas de page qui rappellent au lecteur les

416 Voir le catalogue auquel se livre V Caston [1999] p 211-212 qui pointe les similariteacutes entre lesintellects des deux textes lintellect est χωριστὸς (430 a 17) ou seacutepareacute des sensibles (1073 a 4) ἀπαθής(430 a 18 1073a 11) τῇ οὐσίᾳ ὤν ἐνέργεια (430 a 18) ou ἐνέργεια οὖσα (1072 a 25-26) τιμιώτερον(430 a 18) ou τιμιώτατον (1074 b 26) ἀθάνατον καὶ ἀΐδιον (430a 23) ou ἀΐδιον (1072 a 25 1073 a 4)etc Le paralleacutelisme nest toutefois quun indice sil est vrai que la communauteacute de proprieacuteteacutesnimplique pas neacutecessairement lrsquoidentiteacute des porteurs de ces proprieacuteteacutes

409

Les objets de la meacutetaphysique

thegraveses auxquelles Aristote fait allusion ndash ainsi pour lart417

Quant aux distorsions on notera la disparition du terme opeacuterateur de lanalogie

laquo ὥσπερ raquo La structure de lintellect nest pas comme celle de la nature mais elle y souscrit Est-

ce toutefois si significatif Ross et Tricot biffent eux aussi le laquo comme raquo Chez Ross cest

clairement au profit dune thegravese unitaire sur lintellect lintellect est dans la nature Il ne sagit

donc pas dune analogie mais de lapplication dun principe geacuteneacuteral agrave un cas particulier Faut-il

pour autant taxer Alexandre dincoheacuterence lui qui soutient au contraire la seacuteparation de

lintellect agent On peut reacutepondre que le principe eacutenonceacute ici par Aristote vaut eacutegalement selon

Alexandre entre le supralunaire et le sublunaire parce que dans le supralunaire aussi reacutesident

des formes LAphrodisien transpose donc entre sublunaire et supralunaire un principe dabord

visible dans le sublunaire

La seconde distorsion plus importante consiste en ce que la diffeacuterence entre matiegravere et

agent ne concerne plus lacircme mais lintellect Par lagrave agrave leacutevidence plus rien nempecircche de

consideacuterer quil y a deux intellects distincts dont lun peut ecirctre seacutepareacute de lautre Neacuteanmoins

quAristote limite ici la distinction et lanalogie au cas de lacircme implique-t-il automatiquement

que lintellect agent ne soit pas seacutepareacute de lacircme V Caston parle agrave propos de cet argument dun

laquo pur bluff raquo418 et rappelle la richesse de la notion aristoteacutelicienne de llaquo ecirctre-dans raquo419 Mais le sens

locatif eacutetant plus immeacutediat Alexandre se laisse davantage de latitude en transformant laquo dans

lacircme raquo en laquo dans lintellect raquo

Enfin lExeacutegegravete interpregravete de faccedilon assez attendue (mais discutable) la mention dun

laquo τοιοῦτος νοῦς raquo comme signifiant laquo ὑλικός τις νοῦς raquo dont Alexandre a deacutejagrave montreacute quil

pouvait laquo devenir toutes choses raquo420

Le terrain est ainsi preacutepareacute et nattend plus que linvention de lintellect agent Le passage

suivant central pour la penseacutee alexandrinienne agrave bien des eacutegards doit ecirctre commenteacute avec soin

La reacutepeacutetition en son sein du principe de causaliteacute du maximum doit nous alerter et poser la

417 Cf par exemple Aristote Met Z 8 1033 a 24-31

418 V Caston [1999] p 206

419 Phys IV 3 210a 14-24 V Caston [1999] p 206 sq Pour la validiteacute de lanalogie laquo dans lacircme raquo doitavoir le mecircme sens que laquo dans la nature raquo pour Caston ces expressions servent en effet agrave limiterlextension du principe qui suit aux pheacutenomegravenes naturels dune part psychologiques dautre partlaquo Dans raquo aurait ici un sens similaire agrave laquo dans un genre raquo (Phys 210a 18) ie au sens de laquo ce qui vautpour les espegraveces naturelles psychologiques raquo Cela nimpliquerait donc pas que laffirmationdAristote se limite agrave lacircme individuelle La preacuteposition naurait pas son sens locatif

420 DA 84 14-24 Pour une autre interpreacutetation de ce passage voir par exemple LP Gerson [2004b] p 362

410

Les objets de la meacutetaphysique

question de la coheacuterence de la progression argumentative Largumentation de lExeacutegegravete se laisse

reconstruire dans son ordre logique et non textuel de la faccedilon suivante

Premier paragraphe (dans notre division)

ndash Position dun principe geacuteneacuteral distinction entre un principe agent cause dinformation

et la reacuteceptiviteacute du principe mateacuteriel Appliquons cette distinction agrave lintellect

ndash Or il existe un certain intellect mateacuteriel

ndash Donc (conclusion du premier paragraphe) il doit exister un intellect agent qui comme

lart soit cause dinformation et dactualisation Ici la deacutetermination importante est la

causaliteacute

Le deuxiegraveme paragraphe enchaicircne alors avec la conclusion preacuteceacutedente

[2] Celui-ci serait par excellence la forme intelligible au plus haut degreacute or telle est laforme qui est agrave part de la matiegravere [1] Pour toute chose en effet cest ce qui est parexcellence et au plus haut point x qui est aussi cause pour toutes les autres du faitquelles sont x [1a] Ainsi ce qui est au plus haut point visible ndash telle est la lumiegravere ndash estcause de la visibiliteacute de toutes les autres choses visibles [1b] Mais en outre le biensuprecircme et premier est cause pour tous les autres biens du fait quils sont tels En effet lesautres biens sont distingueacutes en fonction de leur contribution agrave celui-lagrave [3] Et donc ce quiest intelligible au plus haut point et par sa nature propre est aussi en bonne logique causede lintellection des autres choses

[1] Or principe de causaliteacute du maximum (laquo Ἐν πᾶσιν γὰρ τὸ μάλιστα καὶ κυρίως τι ὂν

καὶ τοῖς ἄλλοις αἴτιον τοῦ εἶναι τοιούτοις raquo) auquel sajoutent les analogies [1a] et [1b] avec la

lumiegravere et le bien)

Sensuivent deux conclusions La premiegravere est donneacutee avant leacutenonceacute du principe dougrave le

laquo γὰρ raquo qui introduit le principe de causaliteacute du maximum et signale quon a affaire avec le

principe agrave une preacutemisse justifiant cette premiegravere conclusion Lautre conclusion est donneacutee apregraves

(introduite par laquo δὴ raquo) qui explicite le raisonnement par analogie avec la lumiegravere et le bien Ces

conclusions sont

[2] Donc puisquil est cause lintellect agent est forme intelligible au plus haut point

[3] Donc puisque cette forme est eacuteminemment intelligible elle est cause (en loccurrence

de lintellection ndash on y reviendra)

Il ny a ainsi pas tant circulariteacute du raisonnement comme on peut le croire au premier

abord mais va-et-vient constant entre deux deacuteterminations de lintellect agent son intelligibiliteacute

maximale et le fait quil soit cause La premiegravere partie du raisonnement (jusquaux analogies en

411

Les objets de la meacutetaphysique

89 4) induit agrave partir de lexistence dun intellect reacuteceptif et causeacute421 lexistence dun intellect cause

et producteur et elle deacuteduit une intelligibiliteacute maximale agrave partir de cette causaliteacute

La troisiegraveme partie du raisonnement (agrave la suite de la conclusion [3] en 89 5) vise agrave

preacuteciser la causaliteacute de lintellect agrave la deacuteterminer comme laquo agente raquo venant ainsi expliciter la

caracteacuterisation geacuteneacuterale qui avait eacuteteacute donneacutee en 88 24 (lintellect agent comme cause de la

disposition acquise de lintellect mateacuteriel)

[6] Eacutetant tel ce sera lintellect agent [5] Si en effet il nexistait pas un intelligible par naturealors rien dautre ne deviendrait intelligible comme on la dit auparavant car [4] dans tousles cas ougrave il y a dune part quelque chose qui est eacuteminemment x et une autre qui lest ensecond lieu celle qui lest en second lieu tient son ecirctre de celle qui lest eacuteminemment

Remis dans son ordre logique le raisonnement se poursuit en effet ainsi

[3] cette forme eacuteminemment intelligible est cause

[4] Or principe de causaliteacute du maximum (qui est cette fois-ci lu du maximum vers la

causaliteacute)

[5] Donc laquo sil nexistait pas un intelligible par nature alors rien dautre ne deviendrait

intelligible raquo (raisonnement par modus ponens qui applique le principe de causaliteacute du maximum agrave

lintelligibiliteacute)

[6] Donc cette forme intelligible qui est aussi une cause est intellect agent Cette

conclusion sera expliciteacutee dans le moment suivant qui pose sans la justifier pour elle-mecircme

lidentiteacute de cet intellect agent avec la laquo cause premiegravere raquo

Cette analyse appelle plusieurs remarques Tout dabord le va-et-vient entre causaliteacute et

intelligibiliteacute est ducirc agrave ce quAlexandre lit le principe de causaliteacute du maximum dans les deux

sens ce qui est eacuteminemment x est cause de lecirctre x des autres choses x ce qui est cause de lecirctre x

des choses x est eacuteminemment x Cette pratique semble familiegravere agrave Alexandre il a en effet deacutejagrave

appliqueacute une lecture similaire au principe aristoteacutelicien selon lequel penser cest ecirctre identique agrave

ce que lon pense Ce qui inteacuteresse le plus Alexandre dans cette thegravese cest sa reacuteciproque ndash qui ne

se lit pas chez Aristote En 88 1-2 en effet lExeacutegegravete retourne la proposition laquo Or le penseacute en acte

est identique agrave lintellect en acte sil est vrai que ce qui est penseacute est identique agrave ce qui pense raquo La

relation didentiteacute semble autoriser un tel retournement422 ndash peu importe dira-t-on de formuler

421 On peut penser ici agrave lideacutee quon lit chez Aristote en Z 17 selon laquelle la forme est cause pour lamatiegravere du fait quelle est un ceci (cf 1041B 7-9 et ci-dessus sect 322b)

422 P Accattino P Donini [1996] p 285

412

Les objets de la meacutetaphysique

que a = b ou que b = a Mais cest dans ce genre de retournements que simmisce loriginaliteacute de

lExeacutegegravete Car ce retournement lui permet de poser que certaines formes sont des intellects423 Il en

va de mecircme ici ougrave Alexandre par le renversement logique du principe de causaliteacute du

maximum affermit la double nature de lintellect agent comme forme eacuteminemment intelligible et

comme cause

En outre on peut deacutesormais eacuteclaircir ce qui est preacutesenteacute par les interpregravetes comme lune

des difficulteacutes majeures du passage agrave savoir le fait que dans la premiegravere partie du raisonnement

lagrave ougrave lon eucirct attendu que lintellect agent fucirct deacutecrit comme laquo cause de lintelligibiliteacute raquo Alexandre

a indiqueacute laquo cause de lintellection raquo Ainsi M Bergeron et R Dufour soulignent laquo les deux

derniegraveres eacutetapes du raisonnement sont assez obscures on sattendait agrave ce que lintelligible par

excellence soit cause de lintelligibiliteacute alors quil est cause de lintellection raquo424 Cette difficulteacute

sinscrirait dans le problegraveme plus geacuteneacuteral de comprendre comment lintellect agent peut ecirctre agrave la

fois comme le soutient notre extrait laquo cause de la disposition acquise de lintellect mateacuteriel raquo (88

23-24) laquo cause de lintellection raquo (89 5) laquo cause de lintelligibiliteacute raquo (89 6-7) et laquo cause de lecirctre de

toutes choses raquo (89 9-10)425 Or il nous semble que ces expressions deacutenotent toutes la mecircme

causaliteacute signifient la mecircme reacutealiteacute Les diffeacuterences lexicales quant agrave elles tiennent au contexte et

agrave la position dans lordre argumentatif du passage

Il convient en premier lieu de ne pas se laisser tromper par lexpression laquo cause de lecirctre raquo

Certains interpregravetes entendent le verbe au sens absolu et tendent mecircme agrave y comprendre

lexistence qui ouvrirait agrave la thegravese avicennienne du dator formarum426 Or le verbe laquo ecirctre raquo est ici agrave

la fois preacutedicatif et absolu Il est preacutedicatif parce que le contexte commande dentendre laquo cause de

lecirctre [intelligible] raquo sans quoi les analogies avec la lumiegravere (comme cause de visibiliteacute) et le bien

(comme cause laquo cause de lecirctre tel raquo des autres biens) nauraient plus aucun sens Il est absolu si

lon veut parce quecirctre cest ecirctre intelligible Comme on la vu dans le commentaire agrave

Meacutetaphysique α 1 autant une chose a decirctre autant elle a de veacuteriteacute Le De anima souligne deacutejagrave

lidentiteacute extensive entre ecirctre et intelligibiliteacute laquo Mais en veacuteriteacute tous les eacutetants sont penseacutes par

423 Cf DA 88 14-15 et ci-dessous

424 R Dufour M Bergeron [2008] p 348

425 Voir le reacutesumeacute des difficulteacutes et des solutions donneacute par R Dufour et M Bergeron p 50-55 Voir aussisur ces questions entre autres P Moraux [1942] p 92 sq RW Sharples [1987] p 1207-1208 PAccattino P Donini [1996] p 288-293

426 P Moraux [1942] p 92 sq selon qui lintellect agent est similaire au dator formarum avicennien il estprincipe dintelligibiliteacute potentielle des composeacutes et nest donc quindirectement cause de lintellection

413

Les objets de la meacutetaphysique

lintellect sil est vrai que parmi les eacutetants les uns sont intelligibles les autres sensibles raquo (84 18-

19) Il faut sans doute sous-entendre or tous les composeacutes sensibles peuvent ecirctre penseacutes par

lintellect Cest la raison pour laquelle lacircme est en un sens tous les eacutetants si tous ne peuvent ecirctre

sentis agrave tout le moins tous peuvent ecirctre intelligeacutes laquo Cause de lecirctre raquo ou laquo cause de

lintelligibiliteacute raquo disent donc dans notre contexte la mecircme chose

De plus si lon doit prendre au seacuterieux lanalogie avec la lumiegravere lintellect agent ne

produit pas lintelligibiliteacute en puissance ndash de mecircme que la lumiegravere ne produit pas la visibiliteacute en

puissance mais rend possible la vision Comme le dit clairement la page 44 du De anima la

lumiegravere laquo est agrave la fois visible au plus haut point et devient cause pour les autres visibles du fait

quil sont vus raquo427 parce quelle actualise leur visibiliteacute en actualisant le diaphane et en

permettant ainsi la mise en relation du voyant et du vu En ce sens dit Alexandre laquo visible raquo

(comme laquo audible raquo ou laquo tangible raquo) nest pas le nom dun substrat mais celui dune relation

(σχέσις)428 Lintellect agent doit ecirctre quelque chose comme la condition de possibiliteacute de la

relation entre lintellect et lintelligible

De mecircme donc lintellect agent est cause de lintelligibiliteacute en acte parce quaussi bien il

est responsable de lactualisation de notre intellect mateacuteriel Le raisonnement dAlexandre en

bonne logique aurait peut-ecirctre exigeacute que la conclusion en fucirct laquo lintellect est cause de

lintelligibiliteacute raquo Alexandre peut toutefois remplacer cette conclusion par laquo cause de

lintellection raquo parce que pour les formes donneacutees dans une matiegravere du moins il ny a pas

dintelligibiliteacute en acte en dehors dune intellection par notre intellect Dailleurs mecircme

lintelligibiliteacute de lintellect agent qui lui est donneacutee sans recevoir le laquo secours raquo dun autre

intellect429 est actuelle dans le fait quil se pense lui-mecircme Ce nest sans doute pas un hasard si

dans ces pages Alexandre prend la peine de souligner que lintellection est une relation

particuliegravere (laquo πρὸς raquo) mecircme si cette relation finit par se supprimer pour se muer en une

identification430 Lactualisation de lintellection et celle de lintelligible deacutesignent bien une seule et

427 DA 44 13-15 laquo τὸ μὲν οὖν φῶς ὃ μάλιστά τέ ἐστιν ὁρατὸν καὶ τοῖς ἄλλοις τοῖς ὁρατοῖς αἴτιον τοῦὁρᾶσθαι γίνεται τί ποτέ ἐστιν εἴρηται ὅτι γὰρ ἐνέργεια τοῦ ἀορίστου διαφανοῦς ᾗ διαφανές raquo Surle rapprochement voire lidentification chez Alexandre entre lumiegravere et source de la lumiegravere cf FMSchroeder [1981] p 218-219 et deacutejagrave P Moraux [1942] p 89-90

428 DA 56 8-10 laquo οὐ γάρ ἐστι τὸ ἁπτὸν ὄνομα τοῦ ὑποκειμένου ἀλλὰ τῆς σχέσεως ὡς τὸ ὁρατόν ὡςτὸ ἀκουστόνraquo

429 DA 87 25-28

430 DA 86 23-26 laquo πρὸ μὲν οὖν τοῦ κατ ἐνέργειαν τὸν νοῦν νοεῖν πρὸς ἄλληλά ἐστι τὸ νοοῦν τε καὶτὸ νοούμενον καὶ ἀντικείμενα ἀλλήλοις ὡς τὰ πρός τι ὅταν δὲ ἐνεργῶσιν ἓν γινόμενα παύεται

414

Les objets de la meacutetaphysique

mecircme reacutealiteacute Si Alexandre utilise lexpression laquo cause de lintellection raquo plutocirct que laquo cause de

lintelligibiliteacute raquo cest afin de redonner au problegraveme une formulation preacuteciseacutement noeacutetique et non

geacuteneacuteralement ontologique Rendu agrave son mouvement argumentatif le texte est moins incoheacuterent

quil ny paraicirct de prime abord

Ainsi de mecircme que la lumiegravere est agrave la fois une chose visible et lune des conditions de la

visibiliteacute431 de mecircme lintellect agent est pensable et condition de la penseacutee Agrave ce titre il est agrave la

fois le preacutealable et lacmeacute de notre intellection Cette double position devient claire degraves lors que

lon aperccediloit le rocircle structurant du principe de causaliteacute du maximum agrave lœuvre dans le texte

Que la lumiegravere soit visible et lintellect agent intelligible nest quune conseacutequence du principe

de causaliteacute du maximum sur lequel repose toute la deacutemonstration et qui implique une identiteacute

de proprieacuteteacute entre la cause maximale et ses effets

Tout cela implique-t-il degraves lors une platonisation dAristote Le texte preacutesente trois points

dachoppement Il rapproche dune part la lumiegravere et le bien (ce dernier eacutetant absent du DA III 5)

lien qui rappelle Reacutepublique VI Le principe de la causaliteacute du maximum semble rappeler la

causaliteacute platonicienne du soleil et constituera a fortiori un principe typiquement

neacuteoplatonicien432 Enfin ce principe tel quil est eacutenonceacute dans Meacutetaphysique α 1 semble ne valoir

que pour les classes decirctres synonymes ndash dont les biens ne relegravevent pas433 Pour le dire vite deux

lignes interpreacutetatives sopposent sur cette question soit que lon considegravere quAlexandre ouvre ici

la voie agrave Plotin en reprenant lheacuteritage platonicien434 soit que lon considegravere quAlexandre est

parfaitement orthodoxe voire dit la mecircme chose quAristote Accomplissant son travail de

commentateur Alexandre opeacutererait la synthegravese de Meacutetaphysique Λ 9 sur lintellect Λ 10 sur le

Bien et du De anima III 5 pour la lumiegravere435 Or ces deux lignes interpreacutetatives conduisent toutes

deux agrave des impasses en sous-eacutevaluant ce que lautre souligne Agrave reacuteduire ces textes agrave leur origine

aristoteacutelicienne on en oublie de mesurer leacutecart qui se creuse entre le Philosophe et son Exeacutegegravete

τῆς ἀντιθέσεως raquo laquo Donc avant que lintellect ne pense en acte ce qui pense et ce qui est penseacute sontrelatifs lun agrave lautre et opposeacutes comme les termes dune relation mais quand ils sactualisent devenusune seule chose ils cessent de sopposer En fait il nest mecircme plus possible de leur appliquer ladeacutefinition du relatif raquo

431 DA 43 13-14 et 46 1-4 Pour les distorsions imprimeacutees ici agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la lumiegraverevoir FM Schroeder [1981]

432 Cf Proclus Eacuteleacutements de theacuteologie propositions 7 et 97 et AC Lloyd [1976]

433 Cf AC Lloyd [1976] p 146-156 particuliegraverement p 151 et deacutejagrave P Moraux [1942] p 90-91

434 P Merlan [1969] p 39

435 RW Sharples [1987] p 1206 H Blumenthal [1996] p 18 P Accattino P Donini [1996] p 290-292 M Bergeron R Dufour [2008] p 348-351

415

Les objets de la meacutetaphysique

et lon refuse aux thegraveses alexandriniennes lautonomie dune interpreacutetation constructive436 Agrave trop

lire ces textes comme preacute-plotiniens on en oublie de consideacuterer que les eacutecarts qui seacuteparent ici

Alexandre dAristote sont moins leffet dune lecture de Platon que les conseacutequences dune

certaine interpreacutetation dAristote

On y reviendra ci-dessous437 Mais disons dembleacutee que rien nindique que le Bien soit ici

conccedilu comme synonyme alors que partout ailleurs Alexandre le tient explicitement pour un

laquo ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἓν λεγόμενον raquo438 Si Alexandre se reacutefegravere ici au bien cest peut-ecirctre

preacuteciseacutement pour souligner luniversaliteacute du principe de causaliteacute du maximum ndash dougrave le laquo ἀλλὰ

καὶ raquo qui lintroduit ndash puisque celui-ci sapplique aussi agrave des choses dans lesquelles la proprieacuteteacute

nest pas preacutesente de la mecircme faccedilon dans les eacuteleacutements de lensemble Alexandre souligne

dailleurs cette diversiteacute via la notion de συντελεία laquo τὰ γὰρ ἄλλα ἀγαθὰ τῇ πρὸς τοῦτο

συντελείᾳ κρίνεται raquo (89 3-4) Tous les biens ne sont pas bons au mecircme niveau cela deacutepend de

leur contribution ou de leur association en vue du Bien suprecircme

Or cette proposition est parfaitement coheacuterente avec ce quAlexandre dit par ailleurs des

plurivoques Les uni-reacutefeacuterentiels ne partagent pas en effet laquo leacutegale condition dans ce qui leur est

attribueacute propre aux synonymes raquo439 Dans le cas de leacutetant la causaliteacute de la substance fonde la

leacutegitimiteacute de lattribution de laquo eacutetant raquo aux autres eacutetants Telle est la laquo force raquo de la substance440 il

suffit agrave une chose de sy reacutefeacuterer mecircme sur le mode de la neacutegation pour pouvoir ecirctre

leacutegitimement nommeacutee laquo eacutetant raquo Mais les accidents de la substance cest-agrave-dire tout ce qui relegraveve

des cateacutegories secondaires441 sont des eacutetants non seulement parce quils se reacutefegraverent agrave la

substance mais aussi parce quils en deacutependent causalement La substance est cause de lecirctre

436 On entend ici par interpreacutetation constructive (on pourrait dire aussi laquo systeacutematique raquo) uneinterpreacutetation qui comme on en lit aujourdhui parfois dans le monde anglo-saxon tente dereconstruire la penseacutee de lauteur interpreacuteteacute en maximisant sa coheacuterence agrave la fois interne et par rapportaux pheacutenomegravenes (on a eacutevoqueacute un exemple de ce genre dinterpreacutetations avec celle de lhomonymielaquo core-dependent raquo par C Shields [2003]) Par opposition on pourrait la distinguer dune interpreacutetationstrictement laquo textuelle raquo qui sen tient agrave lexplicite Ces deux types sont des modegraveles qui dans lapratique se trouvent bien souvent mecircleacutes

437 Cf infra notre conclusion geacuteneacuterale

438 Entre autres In Met 242 5 implicitement en 244 17 Dans le commentaire aux Topiques Alexandre leclasse parmi les homonymes (mais comme on sait lExeacutegegravete diagnostique chez Aristote un usage largeet un usage preacutecis de la classe des homonymes) cf In Top 105 25 106 15 120 16 325 28 326 27

439 In Met 241 15-17 laquo τὰ δὲ ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγόμενα οὔτε τὴν τῶν συνωνύμων ἰσοτιμίανπρὸς τὸ κατηγορούμενον σώζει πρὸς ἄλληλα raquo

440 Cf In Met 243 10 laquo Ἐνδείκνυται δὲ τὴν τῆς οὐσίας ἰσχὺν πρὸς τὸ εἶναί τε καὶ τὸ ὄνmiddot raquo

441 Cf In Met 242 15 242 30-31 243 3-5

416

Les objets de la meacutetaphysique

pour tout le reste des eacutetants442 La substance est eacuteminemment laquo eacutetante raquo et les autres eacutetants ont en

commun cette nature laquo qui se laisse voir en eux raquo et agrave laquelle ils contribuent [συντελεῖν]443 de

faccedilon diffeacuterente

Tout cela pointe lhomologie structurelle dans lapplication du principe de causaliteacute du

maximum au cas preacutedicamental (la relation des eacutetants non-substantiels agrave la substance) au cas de

la relation des biens secondaires agrave un bien premier et au cas de lintellect agent et des autres

intelligibles On note en outre quen un passage de son commentaire agrave Λ 4 dapregraves Averroegraves

Alexandre refuse explicitement que le premier moteur de toutes choses soit synonyme avec tous

les autres moteurs Parce quil est commun agrave toutes choses dit Averroegraves citant Alexandre il ne

peut ecirctre synonyme444

Agrave chaque fois la structure est celle dun eacuteleacutement eacuteminent posseacutedant une proprieacuteteacute au

maximum et cause de la preacutesence de cette proprieacuteteacute dans les autres eacuteleacutements de lensemble Le

bien joue ici le rocircle de meacutediateur a fortiori si lon relie ce passage du De anima agrave ceux du

Commentaire agrave la Meacutetaphysique selon lesquels la laquo cause premiegravere raquo est le bien suprecircme que

laquo toutes choses deacutesirent raquo (laquo τὸ κυριώτατον ἀγαθόν οὗ πάντα ἐφίεται raquo In Met 160 12)445 ie

le Bien qui est non pas objet daction mais de contemplation laquo le plus eacuteminent et le meilleur des

eacutetants raquo laquo ce qui est au plus haut point raquo446 Il est difficile de ne pas songer ici au texte fameux de

lEacutethique agrave Nicomaque qui explicite le premier sens du bien comme laquo ὁ θεὸς καὶ ὁ νοῦς raquo447 La

source exeacutegeacutetique la plus immeacutediate pour cette laquo συντελεία raquo des biens secondaires au bien

premier doit probablement ecirctre chercheacutee dans lEacutethique agrave Nicomaque448 et non pas tant

Meacutetaphysique Λ 10 1075a 11-22 comme lont proposeacute certains interpregravetes449 Toutefois lintuition

442 Cf par exemple 244 23-24 laquo αἱ γὰρ ταύτης ἀρχαὶ καὶ τοῦ ὄντος ἂν παντὸς εἶεν εἴ γε τοῖς ἄλλοις ἡοὐσία ἀρχή τε καὶ αἰτία τοῦ εἶναι raquo

443 In Met 241 33-34 avec le mecircme emploi du verbe laquo συντελεῖν raquo et 263 30 (qui parle de contributiondans le cas des conseacutecutifs mais quon peut appliquer par opposition agrave la relation des eacutetants non-substantiels agrave la substance comme on la vu preacuteceacutedemment)

444 Cf Averroegraves p 1529-1530 Bouyges = Fr 20a et 20b Freudenthal

445 Cf deacutejagrave In Met 14 15 et 15 3 sq

446 Cf In Met 183 11-13 laquo τοιοῦτον γὰρ καὶ τὸ τῆς σοφίας τέλος ἡ γὰρ τοῦ κυριωτάτου τε καὶἀρίστου τῶν ὄντων καὶ μάλιστα ὄντος γνῶσις μέγιστον οὖσα ἀγαθὸν ἐκείνῃ τέλος raquo

447 EN I 4 1096a 24-25 Sur ce passage cf A Stevens [2000] p 144-148 Alexandre se reacutefegravere dailleurs agravelEN en 160 10-11 (dans le commentaire agrave α 2 994b 6) juste avant deacutevoquer le laquo κυριώτατον ἀγαθόνοὗ πάντα ἐφίεται raquo

448 EN I 4 1096b 28

449 M Bergeron R Dufour [2008] p 350

417

Les objets de la meacutetaphysique

de fond derriegravere ce rapprochement bien que deacutepourvue de confirmation directe par les textes

nous paraicirct conforme agrave lesprit alexandrinien

Alexandre serait degraves lors le premier interpregravete de la Meacutetaphysique agrave mettre en œuvre ndash

sans pour autant lexpliciter telle quelle ndash la thegravese dun paralleacutelisme entre la relation si lon peut

dire horizontale des eacutetants non-substantiels agrave la substance et la relation verticale des diverses

substances agrave la substance divine450 Peut-ecirctre agrave la faveur de lemploi du verbe laquo ἀρτάω raquo par

Aristote en Γ 2 et Λ 7 lExeacutegegravete produit une analogie entre la laquo deacutependance raquo agrave la substance et la

laquo deacutependance raquo agrave la substance premiegravere451 Or cette analogie nest possible que gracircce agrave lextension

de lhyleacutemorphisme et la conception correacutelative de la cause premiegravere comme forme sans matiegravere

intelligible au plus haut point Concevoir ainsi la cause premiegravere permet en effet comme on va le

voir de la penser comme un eacutetat ideacuteal des formes des composeacutes parce que libeacutereacutee des entraves

de la matiegravere se pensant elle-mecircme sans le secours daucun autre intellect La thegravese de lanalogie

entre le niveau horizontal et le niveau vertical participe certainement de lunification de

lontologie lousiologie et la theacuteologie qui deacutevoilent une structure commune du monde Il est

toutefois ici question danalogie et non didentiteacute puisque comme on sait Alexandre nidentifie

pas eacutetant en tant queacutetant substance et cause premiegravere agrave tout le moins cette thegravese tend-elle les

bras aux unifications neacuteoplatoniciennes

Une telle thegravese demande encore confirmation Dune part on pourrait nous objecter que

la thegravese de la cause premiegravere comme forme pure ne provient que du contexte noeacutetique auquel on

sest pour linstant limiteacute Lapplication du principe de causaliteacute du maximum contraignant agrave

deacutefinir la cause premiegravere comme une forme ne fonctionnerait que dans le cadre dune reacuteflexion

sur lintelligibiliteacute des composeacutes hyleacutemorphiques Il convient alors deacutetendre nos investigations

aux autres textes alexandriniens sur la cause premiegravere En outre tout ce qui a eacuteteacute dit ne reacutesout pas

encore la question de savoir en quel sens lintellect agent peut ecirctre qualifieacute de laquo cause de lecirctre raquo

intelligible des intelligibles La nature exacte de la causaliteacute de la cause premiegravere demande encore

agrave ecirctre eacutelucideacutee

450 On lit une interpreacutetation similaire dans G Patzig [1960] p 192 Pour les preacutemisses dune telleinterpreacutetation dans le commentarisme neacuteoplatonicien cf J-F Courtine [2005] p 197 sq

451 On se rappelle quAristote emploie laquo ἤρτηται raquo aussi bien en Γ 2 1003b 16-17 (laquo πανταχοῦ δὲ κυρίωςτοῦ πρώτου ἡ ἐπιστήμη καὶ ἐξ οὗ τὰ ἄλλα ἤρτηται καὶ δι ὃ λέγονται raquo) quen Λ 7 1072b 13-14 (laquo ἐκτοιαύτης ἄρα ἀρχῆς ἤρτηται ὁ οὐρανὸς καὶ ἡ φύσις raquo) Sur ce double emploi cf P Aubenque[1985a] [2009a] p 297-298 Sur cet laquo amalgame raquo (entre ordre vertical ou transcendantal et ordrehorizontal ou preacutedicamental) cf aussi M Zingano [1997] p 355-356 pour qui cet amalgame est aumoins en partie preacutepareacute par Aristote

418

Les objets de la meacutetaphysique

332 Lordre du monde452

a) Dramatis personae

Si pour les besoins de la preacutesentation nous nous sommes dabord focaliseacutes sur la

dimension noeacutetique de la cause premiegravere selon Alexandre il convient toutefois de ne pas ceacuteder agrave

leffet de perspective ainsi induit Dans la conception alexandrinienne les dimensions noeacutetique et

cosmologique sont inseacuteparables Cela ressort des deux textes qui abordent la reacutealiteacute

cosmologique de la cause premiegravere le De principiis et la Quaestio I 1

Avant toute chose ces deux textes ont linteacuterecirct de confirmer la thegravese selon laquelle

lintellect agent du De anima est le premier moteur immobile le dieu de Λ 7453 Lexpression

laquo cause premiegravere raquo a pu tromper certains lecteurs mais il est indiscutable que telle est

lappellation alexandrinienne du premier moteur D Papadis ainsi tenteacute de soutenir que la

noeacutetique alexandrinienne eacutetait parfaitement fidegravele agrave lindeacutecision aristoteacutelicienne La question de

lidentiteacute de lintellect agent avec lintellect divin demeurerait encore ouverte non trancheacutee par

lExeacutegegravete Certes agrave aucun moment Alexandre ne parle de Premier moteur immobile ni ne dit

que lintellect agent est le laquo θεός raquo Alexandre emploie en outre il est vrai ladjectif laquo divin raquo en

un sens aussi large que ce que fait Aristote454 Dautre part lexpression de laquo premiegravere cause raquo ne

se trouve quune fois chez le Stagirite pour qualifier non pas le premier moteur immobile mais la

premiegravere cause au sens de premier moyen455 Lexpression chez Alexandre ne constituerait donc

rien dautre que la glose du caractegravere agent de lintellect456

Cest oublier cependant que dans lensemble du corpus les expressions laquo πρῶτον

αἴτιον raquo ou laquo πρώτη αἰτία raquo deacutesignent indeacuteniablement le premier moteur immobile Ainsi en va-

452 Pour cette expression cf Quaestio II 19 dont les premiegraveres lignes (63 10 sq) sont laquo Εἰ ὁ κόσμος ἀίδιοςτῇ ἑαυτοῦ φύσει τὸ δὲ κόσμῳ εἶναί ἐστι τὸ ἐν τοιᾷδε τάξει εἶναί τινι εἴη ἂν καὶ τὴν τάξιν παρὰ τῆςἑαυτοῦ φύσεως ἔχων raquo Lexpression est courante chez les stoiumlciens et est parfois aussi construitecomme un hendyadin (τάξιν δὲ καὶ κόσμον τάξει καὶ κοσμίως) par exemple chez Musonius ouEacutepictegravete

453 On rappellera la parcimonie dAristote dans lemploi de laquo θεός raquo agrave propos du premier moteurimmobile ndash mais le terme apparaicirct bien en 1072b 25 et 30

454 D Papadis [1991] p 149

455 Cf Aristote EN II 5 1112b 19 D Papadis [1991] p 142

456 D Papadis [1991] p 144

419

Les objets de la meacutetaphysique

t-il dans la Quaestio I 1 comme dans le De principiis457 Ce vocable se lit deacutejagrave dans le De mundo458

Du reste lidentiteacute entre intellect agent et premier moteur le fait quil soit le dieu et une forme

sans matiegravere tout cela deacutecoule neacutecessairement des argumentations alexandriniennes

La thegravese est en effet doublement confirmeacutee par la Quaestio I 1 et le De principiis Comme la

montreacute S Fazzo ces textes exemplifient la thegravese selon laquelle tout eacutecrit alexandrinien deacuterive

dune maniegravere ou dune autre dAristote459 En loccurrence les progressions argumentatives de

ces deux textes peuvent sexpliquer par le(s) passage(s) dAristote quils commentent La Quaestio

I 1 en effet se constitue de deux moments principaux Le premier qui se fonde sur Λ 6 (jusque

1071b 22) et Λ 7 (jusque 1072a 27) Alexandre y accumule une suite dargument pour laquo eacutetablir la

cause premiegravere raquo (laquo συστήσαι τὸ πρῶτον αἴτιον raquo 2 19) Ainsi le fait-il dabord par modus tollens

en deacutemontrant limpossibiliteacute que tout soit corruptible afin de justifier que puisque le

mouvement est eacuteternel il doit y avoir un premier mouvement non engendreacute (2 20-29) puis quil

doit y avoir un premier mucirc continucircment et non une suite ininterrompue de mouvements se

transmettant de proche en proche (3 1-7) Agrave cet endroit intervient la preacutemisse selon laquelle seul

le deacuteplacement circulaire peut ecirctre un mouvement eacuteternel et continu le corps ainsi mucirc doit ecirctre

le meilleur des corps il est donc animeacute (3 7-14) Degraves lors pour pouvoir ecirctre mucirc comme tout ecirctre

animeacute il doit lecirctre par une impulsion et un deacutesir (laquo καθ ὁρμὴν καὶ κατ ἔφεσίν τινος raquo 3 17)

Son moteur doit donc ecirctre en acte et continucircment en acte pour eacuteviter la reacutegression agrave linfini (3 14

ndash 4 1) La thegravese centrale sur laquelle on reviendra tireacutee dune certaine lecture de Λ 7 1072a 26-27

surgit alors le corps divin est mucirc parce quil contemple son moteur immobile le deacutesire et tend agrave

limiter (laquo τῷ νοεῖν τοῦτο460 καὶ ἔφεσιν καὶ ὄρεξιν ἔχειν τῆς ὁμοιώσεως αὐτοῦ raquo 4 1-3)461 Suit

une preacutecision meacutethodologique qui nous retiendra eacutegalement plus loin et signe la fin du premier

457 Cf Quaestio I 1 2 19 De principiis sect 3 (A Badawi [1987] p 135) Voir aussi In Met 12 10-11 (laquo τὸ γοῦνπρῶτον αἴτιον τὸ κινητικόν raquo) 15 3-5 (sur le premier bien comme cause premiegravere) 18 5-11 (ougraveAlexandre parle du laquo θεὸς raquo comme laquo ἀρχὴ πρώτη καὶ αἰτία τῶν ἄλλων raquo)

458 En 398 b 36 et 399 a 26 Contrairement agrave ce que soutient C Genequand ([2001] p 145) lexpression nestpas si rare en grec On la lit par exemple dans Stobeacutee (Aetius 310 12) ou Marc Auregravele (Penseacutees IX 1 2)

459 S Fazzo [2008a] p 615 n 23 On a eacutemis ci-dessus quelques reacuteserves sur cette thegravese et eacutevoqueacute laneacutecessiteacute de distinguer entre hypertexte et meacutetatexte sect 111b

460 Sur la correction du τὸ αὐτὸ des mss en τοῦτο cf lapparat de Bruns suivi par RW Sharples [1992] p120 et M Rashed [2007b] p 292 n 790 qui explique laquo Les neutres de la phrase qui reprennent lefeacuteminin οὐσία de la phrase preacuteceacutedente srsquoexpliquent sans doute par la reacuteticence drsquoAlexandre agravefeacuteminiser le premier principe dieu raquo

461 Pour les reacutefeacuterences agrave Λ 6 et 7 voir S Fazzo [2008a] p 619-623 Sur cette Quaestio I 1 voir aussi latraduction de M Rashed [2007b] p 291-293

420

Les objets de la meacutetaphysique

moment

Le second moment reprend plus ou moins Λ 7 (1072a 27 sq) mais comme le note agrave

raison S Fazzo de faccedilon bien moins servile que dans le premier moment462 Cest donc aussi la

partie qui nous inteacuteresse le plus Alexandre y entreprend de deacutemontrer trois caracteacuteristiques du

moteur immobile quil est le premier intelligible au plus haut point quil est le premier

deacutesirable et laquo surtout raquo (laquo μάλιστα raquo) la laquo forme motrice du mouvement circulaire raquo (laquo τὸ

κινητικὸν τῆς κύκλῳ κινήσεως εἶδος raquo 4 8) Agrave vrai dire leacuteleacutement inteacuteressant est que dans la

discussion qui suit jamais Alexandre ne justifie que la cause premiegravere soit une forme Bien au

contraire mecircme le fait quelle soit une forme sert agrave fonder ses autres caracteacuteristiques Ainsi pour

lintelligibiliteacute

Κυρίως νοητὸν τὸ εἶδος Ἡ γὰρ ὕληοὐδὲν οὖσα [410] τῶν ὄντων ἐνεργείᾳ κατἀναλογίαν ἐστὶν νοητή καὶ ὡς ὁ Πλάτωνφησὶ νόθῳ λογισμῷ τὸ δὲ εἶδος νοητὸνἐνεργείᾳ τι ὄν καὶ τῶν εἰδῶν μᾶλλον νοητὸντὸ ἐν οὐσίᾳ ἢ τὸ ἐν ἄλλῳ τινί ὅτι καὶμᾶλλον ὄν463 καὶ τῶν ἐν τῇ οὐσίᾳ τὸ μάλισταἁπλοῦν καὶ ἀεὶ ὂν ἐνεργείᾳ μάλιστα γὰρνοητὸν τοῦτο τῷ τε μάλιστα εἶναι ἀεὶ ὂνἐνεργείᾳ καὶ τῷ τῇ ἑαυτοῦ φύσει τὸ ἁπλοῦν[415] νοητόν Καὶ γὰρ τὰ ἐν τοῖς συνθέτοιςτότε νοητά ὅταν ὁ νοῦς αὐτὰ χωρίσῃ τῶν ἐνοἷς ἐστι καὶ ὥσπερ ἁπλᾶ αὐτὰ θεωρῇΤοιαύτη δὲ ἡ κινητικὴ τοῦ παντὸς οὐσία μάλιστα αὕτη νοητή

La forme est eacuteminemment intelligible car lamatiegravere qui nest aucun des eacutetants en acte nestintelligible que par analogie et comme laffirmePlaton par un laquo raisonnement bacirctard raquo464 tandis quela forme est quelque chose en acte Et parmi lesformes celle dans la substance est plus intelligibleque celle dans autre chose parce quelle est aussidavantage un eacutetant et parmi les formes dans lasubstance ltest plus intelligiblegt celle qui est simpleau plus haut point et qui est toujours en acte En effetelle est intelligible au plus haut point du fait quelleest au plus haut point eacutetant toujours en acte et que lesimple est intelligible du fait de sa propre nature Defait ltles formesgt qui reacutesident dans les composeacutes nesont intelligibles que lorsque lintellect les seacutepare dece dans quoi elles reacutesident et quil les contemplecomme si elles eacutetaient simples Telle est la substancequi meut le tout elle-mecircme est intelligible au plushaut point

(Quaestio I 1 4 9-17)

Outre le caractegravere injustifieacute de la nature formelle de la cause premiegravere ce texte appelle

trois autres remarques En premier lieu lextrait montre comment Alexandre lisait le passage

connu de Λ 7 1072a 25-26 Ross et Jaeger impriment ainsi la participiale laquo ἀΐδιον καὶ οὐσία καὶ

ἐνέργεια οὖσα raquo Pour autant que lon puisse tirer quoi que ce soit de substantiel dun maigre

462 S Fazzo [2008a] p 618 et 623

463 M Rashed suppose une haplographie ([2007b] p 293 n 791) RW Sharples [1992] p 120 avec le Ps-Alexandre

464 Platon Timeacutee 52b ndash passage quAlexandre affectionne particuliegraverement

421

Les objets de la meacutetaphysique

iota souscrit la proposition dit que le premier moteur nest pas laquo en acte raquo mais laquo acte raquo465

Alexandre quant agrave lui a tregraves probablement interpreacuteteacute le texte quil avait sous les yeux dans le

sens dun datif466 La cause premiegravere nest pas laquo acte raquo elle est un eacutetant laquo en acte raquo parmi dautres

le sommet dune seacuterie

La chose pourrait paraicirctre minime si elle ne sinscrivait dans le mouvement geacuteneacuteral du

raisonnement Alexandre ne fait pas encore ici explicitement usage du principe de causaliteacute du

maximum mais de sa moitieacute si lon peut dire ie la logique du μᾶλλον et du μάλιστα Cette

tendance est certes deacutejagrave chez Aristote elle preacuteside en Λ 7 agrave largument de la συστοίχια (1072a 26

ndash b 4) Elle se retrouve dans la description de la διαγωγὴ de lintellect divin comme eacutetant la

meilleure la plus agreacuteable et dans la description de son intellection comme la plus haute parce

que portant sur ce quil y a de plus haut (1072b 14-19)467

Chez Alexandre que ce soit dans la Quaestio I 1 ou dans le De principiis cette logique de

lintensification connaicirct une veacuteritable explosion468 Elle est eacutevidemment faciliteacutee par

lhomogeacuteneacuteisation de la seacuterie des formes que suppose largument alexandrinien Parce que la

cause premiegravere est elle-mecircme une forme elle se laisse comparer aux autres formes celles qui

inhegraverent agrave des composeacutes et ne sont intelligibles en acte et laquo seacutepareacutees raquo que par la penseacutee De cette

logique deacutecoulent dans largumentation les proprieacuteteacutes de la cause premiegravere comme simple au

plus haut point et toujours en acte (gracircce en outre agrave lexploitation de lopposition de la substance

aux autres cateacutegories) Coupleacutee avec la deacutetermination de la cause premiegravere comme forme cette

logique du maximum conduit aussi agrave sa qualification de laquo deacutesirable au plus haut point raquo

(laquo μάλιστα ὀρεκτή raquo 4 17-18) et de laquo belle au plus haut point raquo (4 18-19) Cest alors que resurgit

plus clairement le principe de causaliteacute du maximum qui conclut la Quaestio

Ἐν τῷ εἴδει τὸ καλὸν μᾶλλον ἢ ἐν τῇ Le beau est plus dans la forme que dans la

465 Voir aussi Λ 6 1071b 20 et Λ 7 1072 b 27-28 Pour les interpreacutetations de ce nominatif voir entre autresG Aubry [2006] p 19 (qui renvoie agrave tous les passages ougrave Aristote associe lecirctre du premier moteur agravelacte) et p 166 A Laks [2007] (version remanieacutee et compleacuteteacutee de A Laks [2000]) p 112 pour le lienavec DA III 5 430a 17 Voir aussi plus geacuteneacuteralement les p 93-98 pour linterpreacutetation de 1072a 23-26

466 Agrave propos de Quaestio I 1 3 25-26 (laquo ἔσται τις ἀίδιος οὐσία ἁπλῆ καὶ ἀκίνητος ἐνεργείᾳ ltαἰτίαgt raquoladdition de αἰτία par Bruns qui se justifie par le passage parallegravele du Ps-Alexandre est accepteacutee parRW Sharples) cf S Fazzo [2008a] p 622 n 42 laquo le manuscrit le plus ancien J (Vind gr 100) aἐνεργεια sans accent Cest le signe que lonciale devait ecirctre interpreacuteteacutee Les autres copistes ontinterpreacuteteacute le nom au nominatif alors quAlexandre autour de lan 200 ap J-C semble pour sa partlrsquoavoir lu ou interpreacuteteacute au datif raquo La thegravese se veacuterifie dans le De principiis par exemple

467 Pour cette logique de llaquo intensification raquo (et les problegravemes quelle pose) cf A Laks [2007] p 115-117

468 Voir De principiis sect 7-8 19 24 26-27 99-100 104-15 enfin et surtout voir le sect 126 qui relie cettelogique de lintensification aux notions communes sur le dieu

422

Les objets de la meacutetaphysique

ὕλῃ καὶ ἐν εἴδει τῷ ἐν οὐσίᾳ μᾶλλον ἢ ἔντινι ἄλλῳ τῶν γενῶν Διὰ γὰρ τοῦτο καὶ τὰἄλλα ἔστιν Καὶ τῶν ἐν οὐσίᾳ τὸ μάλιστα ὂνκαὶ ἁπλοῦν [425] καὶ ἄμοιρον τοῦ δυνάμεικαλὸν μάλιστα Τοιαύτη δὲ οὖσα δέδεικται ἡπροειρημένη φύσις κυρίως καὶ πρώτως αὕτηὀρεκτή τε καὶ νοητή

matiegravere et plus dans la forme qui est dans lasubstance que dans un autre genre Cest en effet agravecause delle que sont aussi les autres choses Et parmice qui est dans la substance ce qui est au plus hautpoint ce qui est simple et exempt de puissance469 estbeau au plus haut point Telle est comme on lamontreacute la nature preacuteceacutedemment mentionneacutee eacuteminemment et au premier chef agrave la fois deacutesirable etintelligible

(4 22-26)

Il est ici leacutegitime de lire une application du principe de causaliteacute du maximum parce que

le texte opegravere larticulation explicite (qui eacutetait jusqualors implicite) entre le statut de cause et le

statut de maximum pour la forme sans matiegravere Alexandre justifie (laquo γὰρ raquo 4 23) la gradation en

beauteacute qui va de la forme agrave la forme dans la cateacutegorie de la substance par la causaliteacute de cette

forme

La Quaestio enfin appelle une derniegravere remarque elle prouve en effet que la

deacutetermination de la cause premiegravere comme forme sans matiegravere ne provenait pas seulement du

contexte noeacutetique du De anima Plus son ecirctre formel est une donneacutee du raisonnement qui nest

deacuteriveacutee de rien dautre sans doute parce quelle nest pas une proprieacuteteacute ou un mode decirctre de la

cause premiegravere comme sa simpliciteacute son actualiteacute sa beauteacute et son caractegravere deacutesirable La forme

dit lrsquoecirctre mecircme de la cause premiegravere En ce sens aussi son incorporeacuteiteacute est litteacuteralement

primordiale si la cause premiegravere est forme et intelligible au plus haut point elle ne peut quecirctre

sans matiegravere Trop eacutevidente lincorporeacuteiteacute nest dailleurs mecircme pas mentionneacutee ici mais la

Quaestio I 25 et le De anima suffisent agrave confirmer sa position de proprieacuteteacute primordiale470 Noeacutetique

et cosmologie sarticulent donc sans difficulteacute dans la theacuteologie alexandrinienne Ceacutetait deacutejagrave vrai

dAristote puisquon a maintes fois souligneacute les liens entre le De anima et Meacutetaphysique Λ ccedila lest

dautant plus chez Alexandre que le premier moteur est lintellect agent

Degraves lors les doutes de C Genequand agrave propos de la preacutesence du passage proprement

noeacutetique dans le De principiis (sect 99-120) sont au moins partiellement infondeacutes C Genequand

considegravere en effet quagrave rompre ainsi lordre de largumentation ce passage est une

469 Ou comme le propose M Rashed [2007b] p 293 ce qui est laquo exempt de len-puissance raquo Sur cettetraduction voir aussi G Aubry [2006]

470 DA 87 25 sq Quaestio I 25 39 9 sq Voir aussi la deacutemonstration de lincorporeacuteiteacute dans le Deprincipiis sect 109-112

423

Les objets de la meacutetaphysique

interpolation471 Mais cest simplement que ces paragraphes pour des raisons de logique interne agrave

largumentation integravegrent une discussion sur le statut noeacutetique du premier moteur tireacutee de Λ 9

(sect 113-119) agrave un deacuteveloppement geacuteneacuteral sur la causaliteacute du premier moteur comme eacuteromegravene

intelligible (sect 97-112 120-126)472 Ce long passage deacutecoule donc de ce qui preacutecegravede puisque les

paragraphes 95-96 ont clos la discussion sur luniteacute ou la pluraliteacute des moteurs immobiles en

soulignant la difficulteacute de cette question eu eacutegard agrave limmateacuterialiteacute du ou des moteur(s) et en

revenant agrave la faccedilon dont les sphegraveres ceacutelestes sont mues Agrave lautre bout du deacuteveloppement

noeacutetique enfin les paragraphes 126 et suivants enteacuterinent le fait que le premier moteur meuve

comme objet de deacutesir et dimitation et deacutecrivent les conseacutequences du mouvement quil met en

branle

Non seulement la thegravese de la cause premiegravere comme forme nest pas deacutementie par les

textes plus directement theacuteologiques dAlexandre mais elle sy trouve mecircme renforceacutee Ici se

situe la fine pointe de lextension alexandrinienne de lhyleacutemorphisme ndash et leacutecart avec Aristote Il

faut en effet rappeler que jamais le Philosophe ne qualifie explicitement le premier moteur de

forme et semble mecircme reacuteticent agrave employer ce vocabulaire en Λ473 Un passage en Λ 8 parle certes

de la laquo premiegravere quidditeacute raquo qui est sans matiegravere et enteacuteleacutechie et en tire dans la proposition

immeacutediatement suivante une conclusion sur le premier moteur immobile474 Le passage est

toutefois bien peu clair et requiert une extrecircme prudence475 Que ce passage ait ou non servi agrave

471 C Genequand [2001] p 16-17 C Genequand avance aussi agrave partir de larabe des arguments textuelsque nous ne sommes pas en mesure deacutevaluer

472 Sur la division de ce passage en fonction de ses textes-sources cf S Fazzo [2008a] p 616

473 Cf EE Ryan [1970] G Aubry [2006] p 19-20 On a repris ces eacuteleacutements dans G Guyomarch [2008]p 326 sq De Λ 6 agrave 9 laquo εἶδος raquo napparaicirct que trois fois deux fois pour dire les Ideacutees platoniciennes etune fois au datif pour exprimer luniciteacute speacutecifique du ciel (1071 b 15 1071b17 1074 a 32) Commenous la suggeacutereacute M Crubellier on pourrait ajouter quen Λ 4 Aristote propose un scheacutema dans lequelle moteur est un facteur distinct de la forme et que la fin du chapitre eacutetend explicitement ce scheacutema aulaquo premier de tous les moteurs raquo qui laquo meut toutes choses raquo cf Λ 4 1070b 34-35 et sur les deuxinterpreacutetations possibles de cette proposition M Crubellier [2000] p 158 M Crubellier y discutelinterpreacutetation dAverroegraves (p 1529-1530 Bouyges) selon qui la forme du premier moteur est en un senstoutes les formes Or Averroegraves se reacutefegravere juste apregraves agrave Alexandre (Fr 20a et 20b Freudenthal) et lon peutdegraves lors se demander si linterpreacutetation du moteur comme forme de toutes les formes nest pas deacutejagravedAlexandre

474 MetΛ 8 1074a 35-37 laquo τὸ δὲ τί ἦν εἶναι οὐκ ἔχει ὕλην τὸ πρῶτον ἐντελέχεια γάρ ἓν ἄρα καὶ λόγῳκαὶ ἀριθμῷ τὸ πρῶτον κινοῦν ἀκίνητον ὄν raquo

475 Le raisonnement se construit ainsi tout ce qui est multiple a une matiegravere or la premiegravere quidditeacute estsans matiegravere donc le premier moteur et le premier mucirc sont numeacuteriquement un Rien logiquementnimplique que la premiegravere quidditeacute deacutesigne le premier moteur elle peut aussi tout agrave fait deacutesigner lepremier mucirc Pour les anomalies de ce passage et son apparente contradiction avec la section 1073b 3 ndash1074a 14 cf GER Lloyd [2000] p 266-267 et F Baghdassarian [2011] p 407-408 et p 442 sq (laquo une

424

Les objets de la meacutetaphysique

Alexandre ou que la thegravese de la cause premiegravere comme forme soit la continuation dune tradition

anteacuterieure il reste quelle fait systegraveme dans la penseacutee de lExeacutegegravete476

Lunivers alexandrinien compte donc trois types de formes qui correspondent aux trois

sortes de substances mentionneacutees dans le commentaire agrave Γ Alexandre y reprenait la distinction

entre substances mobiles et corruptibles mobiles mais incorruptibles immobiles et eacuteternelles477

Au plus bas de leacutechelle reacutesident donc ces formes donneacutees dans une matiegravere qui ne sont

seacuteparables et intelligibles en acte que par la penseacutee Le deuxiegraveme niveau correspond aux acircmes

des sphegraveres ceacutelestes Il ny a plus pour Alexandre que huit sphegraveres celle des fixes celles des cinq

planegravetes celles enfin du soleil et de la lune478 Leur matiegravere pour autant quelle meacuterite ce nom

neacutetant que locale ces substances sont effectivement incorruptibles479 Immobiles en elles-mecircmes

leurs acircmes sont cependant mues par accident480 Or Alexandre distingue les acircmes des sphegraveres

ceacutelestes de leur(s) moteur(s) Chaque sphegravere est animeacutee et son acircme est diffeacuterente du moteur

contraction finale raquo) Certains auteurs ont en effet eacuteteacute tenteacutes de consideacuterer ce passage final comme uneaddition ulteacuterieure (par exemple W Jaeger [1948] tr fr [1997] p 367 B Dumoulin [1986] p 337) Ilnest pas certains que ces arguments soient les plus convaincants mais ils montrent agrave tout le moinscombien il est hasardeux de tirer de ce passage des conclusions deacutefinitives quant agrave lecirctre du premiermoteur

476 La thegravese de la cause premiegravere comme forme se lit aussi en In Met 171 9 sq Quaestio I 25 39 10-15 De intellectu 108 2 Un passage du commentaire agrave la Physique semble remettre en cause cetteconclusion (M Rashed [2011a] scolie 818 p 639 cf Simplicius In Phys 1354 25-34) qui affirme quele premier moteur nest pas une forme En fait le passage vise plus exactement linheacuterence du premiermoteur et refuse que celle-ci soit assimilable agrave linheacuterence dune forme Sur ce texte cf M Rashed[2007b] p 314 Quant agrave savoir si la thegravese de la cause premiegravere comme forme est simplement unheacuteritage cf tout de mecircme Ps-Plutarque (Aetius) Placita philosopharum 381e-f laquo Ἀριστοτέλης τὸν μὲνἀνωτάτω θεὸν εἶδος χωριστὸν ἐπιβεβηκότα τῇ σφαίρᾳ τοῦ παντός ἥτις ἐστὶν αἰθέριον σῶμα τὸπέμπτον ὑπ αὐτοῦ καλούμενον raquo

477 In Met 251 23-38 (texte 2 ci-dessus au sect 242a) Cf M Rashed [2007b] p 319-322

478 Quaestio I 25 40 23-27 laquo πλειόνων δὲ σφαιρῶν οὐσῶν τῶν τοῦ θείου σώματος ἡ μὲν πρώτη τε καὶἐξωτάτω ἁπλῆν τε καὶ μίαν κινεῖται κίνησιν ἐκείνης ἐφέσει τῆς οὐσίας αἱ δὲ μετὰ ταῦτα ἑπτὰκινοῦνται μὲν καὶ τούτων ἑκάστη ἐφέσει τε καὶ ὀρέξει τῆς οὐσίας ὁποίας καὶ ἡ πρὸ αὐτῶν raquo Sur lelien de cette reacuteduction du nombre de sphegraveres par rapport aux 55 47 ou 49 dAristote cf RW Sharples[1982a] p 209 n 91 et [1992] p 85 n 261 Sharples renvoie aux modifications de lastronomie avantAlexandre cf par exemple Theacuteon de Smyrne De utilitate mathematicae 180 22 sq agrave propos dAdrastedAphrodise Voir aussi In Met 40 28 sq

479 Cf Quaestiones I 10 et I 15 De mixione 229 6-9 IM Bodnar [1997] p 190 n 3 M Rashed [2007b] p321

480 Selon le teacutemoignage de Simplicius In Phys 1261 30-33 laquo καὶ ὁ μὲν Ἀλέξανδρος τὰς ἐν ταῖςπλανωμέναις σφαίραις ψυχὰς κατὰ συμβεβηκὸς κινεῖσθαί φησιν οὐχ ὑφ ἑαυτῶν μέντοι ἀλλ ὑπὸτῆς τὰ σώματα αὐτῶν κινούσης διότι ἐν τούτοις εἰσὶ κινουμένοις οὐκ ἐπὶ τὰ αὐτά ἐφ ἃ κινεῖταιὑπὸ τῶν ἐν αὐτοῖς ἀκινήτων raquo Sur ce passage voir RW Sharples [1982a] p 209

425

Les objets de la meacutetaphysique

quelle deacutesire481 Enfin lultime sorte de forme est ce moteur la cause premiegravere forme de toutes

les formes482 Cette description requiert une explication

Le problegraveme reacuteside en effet dans le nombre de moteurs immobiles cest-agrave-dire le nombre

de formes pures quAlexandre accepte faut-il accorder agrave chaque sphegravere son propre moteur le

premier moteur deacutesignant alors celui de la sphegravere des fixes ou bien ny en a-t-il quun que

toutes les sphegraveres deacutesirent chacune agrave leur faccedilon La question reacutepegravete une difficulteacute chez Aristote

lui-mecircme et lon peut attendre de son Exeacutegegravete quil lait traiteacutee Or les choses ne sont pas aussi

simples dautant que chez les lecteurs dAlexandre la question se deacuteporte immeacutediatement vers

celle de son supposeacute platonisme ndash diagnostic quil vaut mieux suspendre pour traiter la

question483

Tout dabord lorsque le De anima opegravere une typologie des formes le nombre des formes

seacutepareacutees oscille sans cesse entre luniteacute et la pluraliteacute Le passage (87 6 ndash 88 16) va permettre agrave

Alexandre de poser lexistence de lintellect agent484 LAphrodisien y repart de la diffeacuterence entre

sensation et intellection quil distingue agrave la fois par leurs objets et par la maniegravere dont toutes

deux les discernent La sensation reccediloit la forme dans la matiegravere et porte donc sur lindividu elle

discerne le composeacute Lintellect discerne la forme du composeacute sans sa matiegravere ni en tant que

matiegravere Ici intellect et sensation portent donc sur les mecircmes formes les formes laquo mateacuterielles raquo ou

laquo donneacutees dans une matiegravere raquo (τὰ ἔνυλα εἴδη) mais laquo cest en un sens que la sensation les

discerne et lintellect en un autre raquo485

Mais Alexandre pose un second type de formes des laquo formes par soi seacutepareacutees de la

481 Quaestio I 1 4 1 sq Quaestio I 25 40 8-10 Voir RW Sharples [1982a] p 208 Sur le contexteexeacutegeacutetique dune telle position dAlexandre cf Simplicius In De caelo 381 5 sq RW Sharples [2002a]p 4 sq Voir aussi pour le De principiis par exemple sect 96 et C Genequand [2001] p 9-10 Surlapparente remise en question de cette thegravese par Simplicius (In Phys 1261 33-37) cf RW Sharples[1982a] p 208 et [2002a] p 18-19

482 Si lon accepte notre hypothegravese selon laquelle la proposition dAverroegraves (p 1529 Bouyges) qui veut quela forme du premier moteur est en un sens toutes les formes reprendrait deacutejagrave une thegravesealexandrinienne Cette thegravese du Cordouan se situe en effet juste avant une citation dAlexandre (Fr 20aFreudenthal) Pour meacutemoire on trouve lexpression laquo forme des formes raquo pour lintellect chez AristoteDA III 8 432a 2 mais Aristote ne veut sans doute pas y dire que lintellect est une forme suprecircme

483 P Merlan [1963] par exemple p 17 laquo we see that Alexander unhesitatingly assumes the existence ofimmanent eidegrave roughly corresponding to Aristotles forms ie Platonic ideas made immanent but also ofimmaterial transcendent intelligibles raquo Alexandre serait donc fidegravele agrave la distinction dAlcinoos entreintelligibles premiers et seconds (Didaskalikos 155 39-41)

484 RW Sharples [1987] p 1211

485 DA 87 5-6

426

Les objets de la meacutetaphysique

matiegravere et de tout substrat raquo486 (87 26) Pour ces formes il ny a pas de distinction entre lὕπαρξις

et lεἶναι τῇ ἐπινοίᾳ il ny a pas de diffeacuterence entre ce quelles sont en elles-mecircmes (laquo par leur

subsistance propre raquo487) et ce quelles sont par la penseacutee Pour elles laquo le ceci est identique agrave

lessence raquo488 Lunification des modes dexistence va de pair avec celle des faculteacutes qui les

saisissent laquo seul lintellect est capable de les contempler raquo489 Mais cette contemplation nest pas

actualisation de lintelligibiliteacute comme il en va pour les formes des composeacutes sensibles parce

que preacuteciseacutement lexistence de ces formes incorporelles ne compose pas avec la matiegravere et que

ces formes sont degraves lors intelligibles en acte laquo sans le secours de ce qui les pense raquo elles sont des

intellects490

Or si Alexandre emploie un pluriel en 87 26 il revient au singulier en 88 2 Cest

pourquoi RW Sharples ne lit dans ce pluriel quune geacuteneacuteralisation transitoire491 et lon peut

porter au creacutedit de sa lecture le fait que ce pluriel se trouve au sein dune proposition

hypotheacutetique Cependant le pluriel se retrouve clairement reacutepeacuteteacute en 88 6-9 mais sera finalement

reacuteduit agrave luniteacute lorsquil sera question de lintellect agent

Le texte est donc peu stable et cette mecircme instabiliteacute traverse le Commentaire agrave la

Meacutetaphysique le deacutebut du commentaire agrave B neacutevoque quune laquo cause raquo forme absolument sans

matiegravere qui est le dieu et lintellect492 Quelques pages plus loin dans le commentaire agrave la

preacutesentation de la huitiegraveme aporie Alexandre annonce lenquecircte de Meacutetaphysique Λ 8 et laisse agrave

deux reprises ouverte la possibiliteacute que ces formes sans matiegravere soient plusieurs en nombre493

Enfin dans le commentaire agrave Δ 8 Alexandre mentionne au pluriel les moteurs des sphegraveres

ceacutelestes en les opposant aux formes des composeacutes sublunaires et en les deacutecrivant comme des

486 DA 87 25-27 laquo εἰ δέ τινά ἐστιν εἴδη ὡς τὰ καθ αὑτά χωρὶς ὕλης τε καὶ ὑποκειμένου τινός ταῦτακυρίως ἐστὶ νοητά raquo

487 DA 88 7 laquo κατὰ τὴν οἰκείαν ὑπόστασιν raquo

488 DA 87 20

489 DA 87 21-22

490 DA 87 28 ndash 88 1

491 RW Sharples [1987] p 1211 laquo the references to pure forms in this passage are generally in the plural butboth these and the exceptions in the singular seem to be abstract generalizations raquo

492 In Met 171 9-11 laquo περὶ γὰρ τοῦ αἰτίου καὶ εἴδους ὃ πάντῃ ἄυλός ἐστιν οὐσία κατ αὐτόν ἣν καὶπρῶτον θεὸν καὶ νοῦν καλεῖ ὁ λόγος ἐν τούτοις προηγουμένως αὐτῷ γίνεται raquo

493 In Met 178 19-21 (laquo καὶ εἰ ἔστι τι αἴτιον χωριστὸν καὶ ἄυλον πότερον ἓν τοῦτο κατ ἀριθμόν ἐστινἢ πλείω περὶ ὧν αὐτὸς ἐν τῷ Λ τῆσδε τῆς πραγματείας λέγει raquo) et 179 1-2 (laquo καὶ εἰ ἔστιν ὅλωςἄυλά τινα εἴδη ὁπόσα ταῦτά ἐστι περὶ ὧν ὡς προεῖπον ποιήσεται λόγον ἐν τῇ περὶ τῶνἀνελιττουσῶν θεωρίᾳ raquo)

427

Les objets de la meacutetaphysique

substances au sens des Cateacutegories Ces formes reacutealisent lunification de lensemble des critegraveres de

la substantialiteacute ce sont non seulement des formes mais encore des formes autonomes

subsistant par elles-mecircmes

Ἐπιζητήσαι τις ἂν πρὸς τοῦτο περὶ τῶνεἰδῶν τῶν ἐν τοῖς θείοις [3761] σώμασιν ταῦτα γὰρ οὔτε ἔνυλα οὔτε φθαρτὰ καὶχωριστὰ τῇ ἐπινοίᾳ τοῦ ὑποκειμένου αὐτοῖςσώματος Τὰ μὲν γὰρ κινητικὰ αὐτῶν εἴδηεἴη ἂν ἐν τῇ πρώτῃ μοίρᾳ τῆς οὐσίας ἄτομοιγὰρ καὶ αὗται οὐσίαι καὶ ἔσχατοι καὶ ἐνμηδενὶ οὖσαι

On peut enquecircter en outre sur les formes dans ledomaine des corps divins Celles-ci en effet ne sontni dans une matiegravere ni corruptibles ni seacuteparables parla penseacutee du corps qui serait leur substrat Dune parten effet les formes qui les meuvent seraient dessubstances de premier ordre car elles aussi sontindivisibles ultimes et ne reacutesident dans rien

(In Met 375 37 ndash 376 3)

Si ce texte identifiait lacircme des sphegraveres avec leurs moteurs il irait contre la thegravese standard

de lExeacutegegravete Mais les formes en question correspondent bien aux moteurs immobiles des sphegraveres

ceacutelestes et non agrave leur acircme comme lindique le laquo κινητικὰ raquo494 La mention laquo ἐν τοῖς θείοις

σώμασιν raquo ne doit pas eacutegarer elle ne signifie pas que les moteurs inhegraverent aux sphegraveres au sens

de linheacuterence hyleacutemorphique495 Ces formes sont bien les substances premiegraveres du commentaire

agrave Meacutetaphysique Γ distinctes des substances au second sens les sphegraveres elles-mecircmes ou leur acircme

La question de la pluraliteacute ou de luniteacute des moteurs immobiles meacuteriterait decirctre

poursuivie mais une remarque de simple logique simpose Dun point de vue linguistique

lemploi par Alexandre dun singulier est aiseacutement compatible avec la thegravese dune pluraliteacute de

formes sans matiegraveres Soutenir que la theacuteologie a pour objet une forme (parce quelle est premiegravere

et eacuteminente) ne contredit pas la conception dune pluraliteacute des moteurs ceacutelestes ndash et peut

saccompagner en sous-main par exemple dune hieacuterarchie de ces moteurs En revanche

lemploi du pluriel dans les textes ne saccorde que difficilement avec une doctrine de luniciteacute du

premier moteur Or ce pluriel est reacutecurrent Toutefois comme on va le voir plus loin dans le feu

de laction argumentative lorsquAlexandre eacutelabore la complexe meacutecanique ceacuteleste du

mouvement des sphegraveres il ne preacutesuppose jamais quun seul moteur immobile496

Lheacutesitation de lExeacutegegravete si comme nous tendons agrave le penser il y en a une porte au fond

494 Alexandre ne distingue pas entre κινητικόν qui deacutesignerait un moteur mucirc et κινοῦν un mouvantimmobile (agrave la faccedilon de L Couloubaritsis [1997] p 75 n 71) Cf par exemple In Met 12 11 Quaestio I1 4 8

495 Cf le teacutemoignage clair de Philopon qui cite le commentaire dAlexandre au DA II 3 415a 11 (In DA261 10-15) et le passage citeacute ci-dessus du commentaire perdu agrave la Physique (M Rashed [2011a] scolie818 p 639 cf Simplicius In Phys 1354 25-34)

496 Cf en ce sens IM Bodnar [1997] p 192 n 8

428

Les objets de la meacutetaphysique

sur la difficulteacute de savoir comment des formes sans matiegravere pourraient ecirctre numeacuteriquement

multiples et distinctes les unes des autres Cest lun des problegravemes que pose la section finale de

Λ 8 problegraveme repris par Theacuteophraste497 et Alexandre dans son De principiis Mecircme en reacuteduisant le

nombre de sphegraveres agrave huit on neacutelimine en effet pas la question de la multipliciteacute numeacuterique de

leurs moteurs puisquils sont absolument sans matiegravere Le De principiis affirme ainsi quils ne

peuvent ecirctre ni speacutecifiquement identiques (sinon leur distinction exigerait une matiegravere) ni

speacutecifiquement multiples (sinon il faudrait une diffeacuterence speacutecifique donc une composition qui

contredirait leur simpliciteacute)498

La solution de laporie consiste agrave soutenir une multipliciteacute en ordre selon lanteacuterieur et le

posteacuterieur Cette solution est dabord critiqueacutee parce quelle semble supposer une forme de

contrarieacuteteacute qui est inacceptable dans le supralunaire499 Au comble dune ontologie scalaire

lAphrodisien comprend en effet ici lordre selon lanteacuterieur et le posteacuterieur en termes

daugmentation et de diminution ce qui suppose que les choses ainsi ordonneacutees participent de

lun des contraires au sens ougrave quelque chose de moins chaud le serait par participation du froid

Mais lobjection est ensuite retourneacutee un ordre selon lanteacuterieur et le posteacuterieur nimplique pas

neacutecessairement de contrarieacuteteacute Alexandre renvoie ici au fameux sens de lanteacuterioriteacute qui semble

jouer un rocircle crucial dans sa meacutetaphysique lanteacuterioriteacute substantielle500 Il explique alors

pourquoi une diffeacuterence en anteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute nimplique pas de contrarieacuteteacute via lexemple

de la chaleur une chose peut ecirctre moins chaude quune autre sans pour autant ecirctre meacutelangeacutee agrave

du froid (sect 93) Il est donc leacutegitime de parler dune hieacuterarchie des moteurs ceacutelestes selon

Alexandre cest-agrave-dire une pluraliteacute de formes quon peut bien qualifier de laquo pures raquo501 ordonneacutee

497 Theacuteophraste De principiis (laquo Meacutetaphysique raquo) 5a 14 sq

498 Voir respectivement De principiis sect 86 et 87 Cf C Genequand [2001] p 10-11 et deacutejagrave RW Sharples[1982a] p 209

499 De principiis sect 88

500 De principiis sect 92 en reacutefeacuterence sans doute agrave Met Λ 8 1073b 1-3 comme le note C Genequand [2001]p 11 Mais contrairement agrave ce que dit C Genequand (note ad loc p 160) Aristote parle bien dans laMeacutetaphysique dune anteacuterioriteacute selon la substance agrave savoir en Δ 11 Passons sur la confusion danslaquelle tombe ensuite (p 11-12) C Genequand entre προς ἕν et ἐφεξῆς Sur les substances divinescomme laquo plus nobles raquo (laquo τιμιώτεραι raquo) cf In AnPr 4 5-7 Lanteacuterioriteacute substantielle du premiermoteur est aussi affirmeacutee dans le De principiis sect 62 qui justifie que le premier moteur soit une substanceparce quil est impossible que ce qui est anteacuterieur agrave la substance ne soit pas une substance

501 Le terme nest pas chez Alexandre mais si lon entend par lagrave comme il est courant une formeimmateacuterielle et seacutepareacutee alors cela sapplique parfaitement agrave ce quil en dit Sur cette expression cf EERyan [1973]

429

Les objets de la meacutetaphysique

selon leur noblesse et leur degreacute decirctre502

b) Agrave quoi bon un dieu

Les personnages eacutetant poseacutes il faut maintenant esquisser comment se joue la piegravece

Au sommet de lordre du monde ou plus exactement agrave sa circonfeacuterence503 reacuteside le

premier moteur immobile forme pure qui se pense elle-mecircme intellect eacuteternellement en acte

voire laquo acte pur raquo ndash lexpression trouve peut-ecirctre sa premiegravere occurrence chez Alexandre504 Le

premier moteur conformeacutement agrave la double critique du platonisme et du stoiumlcisme preacutesenteacutee dans

le commentaire agrave la huitiegraveme aporie de B nest ni purement seacutepareacute ni immanent505 La thegravese

permet en outre agrave lExeacutegegravete dassigner un laquo lieu raquo agrave un ecirctre qui nest pas corporel Le premier

moteur est une laquo substance par soi qui emplit la totaliteacute de la surface exteacuterieure raquo du ciel506

Une question est de savoir si sa penseacutee seacutetend eacutegalement agrave ce qui deacutecoule de lui ce quil

met en mouvement Le De anima naborde pas cette question et reste malgreacute tout focaliseacute sur

lintellection humaine De mecircme la penseacutee de soi nest octroyeacutee quagrave lintellect humain quand il

est en acte et seulement de faccedilon accidentelle elle ny est pas explicitement accordeacutee agrave la cause

premiegravere507 En revanche le De principiis argumente clairement en faveur dune intellection du

premier moteur restreinte agrave lui-mecircme508 La thegravese est confirmeacutee par une citation dAverroegraves le De

502 Cela deacutecoule de lexemple du chaud mais aussi et surtout du commentaire agrave Meacutetaphysique α cf InMet 147 3 ndash 148 10 (citeacute ci-dessus sect 213a) Quil y ait un ordre dans le ciel voire une hieacuterarchieselon les peacuteripateacuteticiens est mentionneacute par Atticus Fr 3 sect 9 (laquo εἰ καὶ τὰ κατ οὐρανὸν ἐν τάξει τινὶ καὶκόσμῳ διοικεῖται raquo)

503 Cf par exemple Simplicius In Phys 1354 26 sq

504 Voir lexpression en arabe du moins dans le De principiis sect 64 R Brague fait lhypothegravese quil sagiraitde la premiegravere occurrence dans R Brague [2002] p 202

505 Cf ci-dessus sect 113b laquo Seacutepareacute raquo doit sentendre ici au sens du χωρισμός reprocheacute agrave Platon non ausens de lindeacutependance dexistence que possegravede le premier moteur immobile

506 Commentaire perdu agrave la Physique scolie 821 (M Rashed [2011a] p 640-641)

507 Pour la penseacutee de soi par accident cf DA 86 15 sq Sauf erreur lexpression laquo νόησις νοήσεως raquonapparaicirct agrave aucun moment du corpus grec dAlexandre

508 De principiis sect 107 112-116 Logiquement la chose devrait sappliquer aux autres moteurs immobilesmais ces passages neacutevoquent le premier moteur quau singulier La thegravese selon laquelle les moteursimmobiles devraient se penser les uns les autres a eacuteteacute avanceacutee par P Donini [1974] p 32-34Contrairement agrave ce que soutient RW Sharples [2002b] p 8 n 31 le paragraphe 114 ne soutient pasvraiment que le premier moteur pense autre chose que lui-mecircme agrave la suite du sect 114 lhypothegravese selonlaquelle il pourrait le faire est contredite par limpossibiliteacute quil pense quelque chose de moins nobleque lui

430

Les objets de la meacutetaphysique

intellectu et la Quaestio I 25 dans une argumentation tregraves semblable agrave celle du De principiis509

Un passage du De principiis cependant laisse ouverte la possibiliteacute quil faille aussi au

premier moteur penser ce qui reacutesulte du mouvement du corps divin quil meut (sect 120) Le De

providentia propose la mecircme thegravese (65 13 sq Ruland) en arguant que lopinion selon laquelle le

dieu ne connaicirctrait pas ce qui advient gracircce agrave lui est absurde510 parce queacutetant le plus sage des

ecirctres il doit aussi connaicirctre ce qui eacutemane de lui Mais le corpus ne semble pas agrave notre

connaissance contenir de deacuteveloppement explicitant lapparente contradiction avec les passages

qui soutiennent une intellection divine limiteacutee agrave elle-mecircme511

Apregraves la cause premiegravere vient le premier mucirc Le mouvement de la sphegravere des fixes est

simple continu eacuteternel et circulaire Il est seulement causeacute par le deacutesir dimiter le premier moteur

immobile512 Les sphegraveres des planegravetes du soleil et de la lune quant agrave elles sont mues de deux

mouvements513 Elles le sont dune part par un mouvement autonome douest en est causeacute par le

mecircme deacutesir dimiter le moteur immobile514 Elles sont mues en outre par un mouvement diurne

509 Pour le teacutemoignage dAverroegraves cf p 1623 Bouyges (C Genequand [1986] p 161) = Fr 32 FreudenthalCf agrave ce sujet S Pines [1987] p 179 De intellectu 109 23-25 laquo καὶ ὁ πρῶτος δὲ νοῦς καὶ ἐνεργείᾳνοῦς αὑτὸν νοεῖ παραπλησίως καὶ διὰ τὴν αὐτὴν αἰτίαν Ἀλλἐκεῖνος πλέον τι παρὰ τοῦτονἔχει Οὐδὲν γὰρ ἄλλο ἢ αὑτὸν νοεῖ raquo laquo Quant au premier intellect cest-agrave-dire lintellect en acteil se pense aussi lui-mecircme presque de la mecircme maniegravere et pour la mecircme raison Mais celui-cipossegravede quelque chose de plus que le preacuteceacutedent [ie lintellect humain] il ne pense rien dautreque lui-mecircme raquo Le passage de la Quaestio I 25 est le suivant (39 11-14) laquo νοῦν δὲ τὸν κατἐνέργειαν ἀεὶ γὰρ νοοῦντα καὶ νοοῦντα τὸ τῶν ὄντων ἄριστον τοῦτο δ ἐστὶν αὐτός αὑτὸν δὴ ἀεὶνοεῖ ὁ νοῦς οὗτος τὸ γὰρ μάλιστα νοητὸν ὁ μάλιστα νοῦς νοεῖ μάλιστα δὲ νοητὸν τὸ χωρὶς ὕληςεἶδος raquo et quelques lignes plus loin (39 19-20) laquo ἀλλὰ μὴν ἡ τοιαύτη οὐσία ὁ προειρημένος νοῦςἐστιν διὸ ἑαυτὸν νοεῖ raquo

510 S Fazzo M Zonta [1999] p 143 P Thillet ([2003] p 115) donne une traduction en tout pointsimilaire laquo En outre la thegravese selon laquelle Dieu ne connaicirctrait pas les choses qui viennent agrave lecirctre parlui est tout agrave fait absurde raquo Sur la possibiliteacute que cette thegravese se lise aussi dans la Quaestio II 21 cf RWSharples [2002b] p 8 et n 32

511 Pour un contraste sur cette question avec Theacutemistius cf S Pines [1987]

512 Voir entre autres De principiis sect 7-12

513 La description qui suit est tireacutee de la Quaestio I 25 dans la lecture deacutefendue par IM Bodnar [1997] quientreprend de reacutesoudre sans transformation excessive du texte les problegravemes souleveacutes par RWSharples [1982a] p 209-210 agrave propos du passage de 40 23 -30 Voir aussi pour une descriptionsimilaire le teacutemoignage de Simplicius In De caelo 472 8 sq

514 La difficulteacute reste entiegravere de savoir sil sagit de leur propre moteur immobile ou du premier dentreeux (mais dans ce cas agrave quoi serviraient les autres moteurs ) Le problegraveme repose entre autres sur lalecture de la Quaestio I 25 40 25-27 laquo αἱ δὲ μετὰ ταῦτα ἑπτὰ κινοῦνται μὲν καὶ τούτων ἑκάστηἐφέσει τε καὶ ὀρέξει τῆς οὐσίας ὁποίας καὶ ἡ πρὸ αὐτῶν raquo Dans laquo ἐφέσει τε καὶ ὀρέξει τῆςοὐσίας raquo le laquo τῆς raquo est une correction de Bruns contre un laquo τινὸς οὐσίας raquo donneacute par tous lesmanuscrits qui convient mieux agrave lὁποίας qui suit (RW Sharples [1982a] p 209 n 92 IM Bodnar[1997] p 192 n 8) Sur ce deacutesir de lacircme des sphegraveres pour le premier moteur cf le commentaire agraveMeacutetaphysique Λ Fr 21 Freudenthal (Averroegraves p 1534-1535 Bouyges) Cf aussi Simplicius In Phys 1354

431

Les objets de la meacutetaphysique

opposeacute au preacuteceacutedent causeacute par le mouvement de la premiegravere sphegravere En un sens donc tous les

mouvements reacutesultent du premier moteur515 Celui-ci meut comme cause finale objet ultime vers

lequel tend la volonteacute rationnelle des sphegraveres ceacutelestes (βουλητόν βούλησις)516 Cette volonteacute est

libre mais parce quelle est ferme et rationnelle elle explique la reacutegulariteacute du mouvement de la

premiegravere sphegravere517

Que le moteur immobile soit laquo aimeacute raquo par lensemble des sphegraveres signifie que celles-ci

veulent sy assimiler non pas quelles veulent lacqueacuterir518 En ce sens selon Alexandre le

mouvement de la sphegravere des fixes laquo imite raquo le repos du premier moteur immobile Plus

geacuteneacuteralement cest cette quecircte dassimilation qui rend raison de la tendance (ἔφεσις) inheacuterente agrave

toute substance ndash et non pas uniquement aux substances animeacutees ndash agrave actualiser sa forme agrave se

perfectionner et ainsi agrave deacutesirer une immortaliteacute restaureacutee (laquo ἐφέσει ἀθανασίας ἐπισκευαστῆς

τινος raquo DA 36 7)519 Les substances sont ainsi polariseacutees par le deacutesir du bien suprecircme520

Cette conception alexandrinienne des rapports entre les sphegraveres et leur moteur est

29-34

515 Cest ce qui explique sans doute le passage de Simplicius In Phys 1357 6 sq ougrave il est dit que selonAlexandre mecircme le mouvement diurne est causeacute par le moteur de la premiegravere sphegravere Cf RWSharples [1982a] p 2010 et IM Bodnar [1997] p 199 n 25 Voir de mecircme De principiis sect 55

516 Simplicius In Phys 941 21 ndash 942 2 M Rashed [2007b] p 297-298 Certains teacutemoignages semblentoctroyer au premier moteur une causaliteacute efficiente par exemple Simplicius In Phys 258 14-15 etCommentaire perdu agrave la physique scolie 826 Voir agrave ce sujet RW Sharples [2002a] p 19 n 94 M Rashed[2007b] p 198 M Rashed [2011a] p 127 n 234 Ces passages ne sont pas dirimants

517 Cf au sujet de lemploi en ce contexte de βούλησις les reacuteflexions de M Rashed [2011a] p 130-133Voir aussi le fragment 30 de Freudenthal (Averroegraves 1605 Bouyges) traduit dans C Genequand [1986]p 154 et M Rashed [2011a] p 130

518 Cf Quaestio I 25 40 17-18 (laquo ἡ δ ἔφεσις αὐτῷ οὐ τοῦ λαβεῖν αὐτό raquo) et 40 21-23 laquo ἔτι τε ὁμοίωσίςἐστι τῷ τελείῳ καὶ ἡ καθόλου ἣν δύναται ἕκαστον τῶν ὁμοιοῦltσθαι ἐφιεgtμένων αὐτῷltτελειοῦσθαιgt τελειότης τελειότης δὲ τοῦ κυκλοφορητικοῦ σώματος ἡ τοιαύτη περιφορά raquo Ladistinction entre la fin vers laquelle on tend et la cause finale au sens de ce dont on cherche agrave semparertrouve son origine dans une certaine lecture de Met Λ 7 1072b 2-3 texte extrecircmement disputeacutequAlexandre a sans doute lu comme laquo ἔστι γὰρ τινὶ τὸ οὗ ἕνεκα καὶ τινός ὧν τὸ μὲν ἔστι τὸ δ οὐκἔστι raquo (reconstruit avec prudence par M Rashed [2011a] p 127-130 agrave la diffeacuterence de E Berti parexemple dans E Berti [2000] p 230) Alexandre y a en effet lu une distinction entre la fin dont lecirctre estindeacutependant de celui qui tend vers elle et la fin comme le beacuteneacuteficiaire qui est transformeacute parlacquisition de la fin Sur ce texte voir entre autres S Fazzo [2002b] et en particulier p 370-375 pourune autre reconstitution du texte lu par Alexandre Voir aussi A Laks [2007] p 107 F Baghdassarian[2011] p 296 sq Le passage est souvent lu en lien avec DA II 4 415b 2-3 mais le lien entre les deuxtextes nest pas non plus exempt de toute difficulteacute Cf aussi GA II 6 742a 20 sq

519 Pour le fait que mecircme les substances inanimeacutees peuvent ecirctre creacutediteacutees dune laquo ἔφεσις raquo cf la QuaestioII 23 et M Rashed [2011a] p 143 Le terme laquo ἔφεσις raquo se lit deacutejagrave chez Theacuteophrase

520 Pour lidentification de la laquo cause premiegravere raquo au bien suprecircme que laquo toutes choses deacutesirent raquo cf In Met14 15 15 3 sq 160 12 (laquo τὸ κυριώτατον ἀγαθόν οὗ πάντα ἐφίεται raquo)

432

Les objets de la meacutetaphysique

devenue agrave des degreacutes divers lopinio communis de la theacuteologie aristoteacutelicienne521 Agrave ce titre aussi

elle a subi toutefois une cinglante critique de la part dE Berti Rappelons-en briegravevement lenjeu

Que le mouvement circulaire soit dune certaine maniegravere un repos est attesteacute dans Aristote lui-

mecircme en Phys VIII 9 265b 1-2 Mais jamais Aristote ne se sert du concept dimitation en Λ

Alexandre eacutetend en fait agrave lensemble du monde une relation qui ne se lit chez Aristote que pour

dire meacutetaphoriquement la relation de la nature au ciel522 ndash et non pas pas du ciel envers le

premier moteur De surcroicirct lusage des thegraveses sur la motriciteacute animale et le moteur immobile du

deacutesirable523 ne saurait que difficilement sappliquer agrave la relation au premier moteur lequel nest

pas un laquo bien pratique raquo Enfin que le premier moteur meuve laquo comme eacuteromegravene raquo ne vaut que

par meacutetaphore une meacutetaphore qui au demeurant nautorise mecircme pas de penser lideacutee

dassimilation524

La thegravese de lExeacutegegravete repreacutesente assureacutement lun des plus eacuteclatants exemples de la

meacutethode dimport-export quon a eacutevoqueacutee plus haut525 qui eacutegalisant le corpus en vient agrave effacer

les speacutecificiteacutes de ses probleacutematiques locales Or il est difficile de ne pas penser quAlexandre a eu

connaissance des critiques que Theacuteophraste avait lanceacute contre cette interpreacutetation Theacuteophraste a

en effet montreacute dune part quune telle incursion de la notion de laquo μίμησις raquo relevait du

platonisme dautre part que la notion dimitation ne peut que mal convenir agrave la relation entre un

ecirctre immobile et un mouvement fucirct-il circulaire526 Laccusation de platonisme nest de fait pas

deacutenueacutee de raison non seulement agrave cause de leacutelaboration platonicienne de la relation mimeacutetique

qui lie ecirctre et devenir corruptible et incorruptible mais aussi en raison de son emploi dans le

Timeacutee par exemple un ouvrage quindiscutablement Alexandre connaicirct Le geste alexandrinien

ne peut pas ecirctre purement innocent de ces critiques Pire il semble mecircme precircter le flanc agrave cette

critique dans le De principiis un traiteacute avare en noms propres qui reprend Meacutetaphysique Λ 6-10

521 E Berti deacutecline son influence dans E Berti [2000] p 237 sq Pour la transmission arabe des thegravesesalexandriniennes sur la cause premiegravere voir leacutetude passionnante de G Endress [2002]

522 GC II 10 337a 3-7 Meteor I 9 346b 35-36 Met Θ 8 1050b 28

523 DA III 9-10 et DMA 6

524 Ces critiques se lisent dans les nombreux articles dE Berti agrave ce sujet Voir E Berti [1998] [2002] [2007] Ces articles sont repris dans E Berti [2008a] E Berti reprend eacutegalement des arguments dAStevens exposeacutes par exemple dans A Stevens [2011] Sur les problegravemes que pose plus geacuteneacuteralementlideacutee du premier moteur comme cause finale cf la synthegravese eacuteclairante de F Baghdassarian [2011] p328-358

525 Cf ci-dessus sect 121

526 Voir Theacuteophraste De principiis (laquo Meacutetaphysique raquo) 5a 23-b 10 7b 23 sq 11a 27 sq

433

Les objets de la meacutetaphysique

en lexpurgeant de ses passages proprement doxographiques527 Alexandre se pique de citer

Platon et sa deacutefinition du dieu comme Un parce quil se pense lui-mecircme528

Il est toujours loisible de trouver pour laquo deacutefendre raquo Alexandre tous les lieux du corpus

dont lExeacutegegravete a tireacute cette doctrine ndash cest une regravegle rien dans Alexandre nest jamais tout agrave fait

sans raison textuelle529 En tant quinterpreacutetation la doctrine alexandrinienne demeure

seacuteduisante preacuteciseacutement par sa capaciteacute agrave syntheacutetiser les textes en proposant un modegravele

coheacuterent530 Mais surtout ndash cest lagrave agrave notre sens lenjeu principal pour qui veut lire Alexandre ndash

cette doctrine fait sens avec une interpreacutetation geacuteneacuterale de lontologie aristoteacutelicienne Le concept

dimitation trouve sa place dans un modegravele du monde finaliseacute et inteacutegralement gouverneacute par

lhyleacutemorphisme dont le dieu est une forme pure agrave la fois cause et maximum de lecirctre

Limitation deacutecrit la tendance de toute forme supra- ou sublunaire agrave viser sa propre perfection

Autrement dit non seulement leacutecart avec Aristote nest pas indeacutefendable en tant

quinterpreacutetation constructive de la penseacutee aristoteacutelicienne mais surtout il est partie prenante de

laristoteacutelisme que bacirctit Alexandre

Ainsi compris le premier moteur ne penche-t-il pas toutefois vers le paradigme

platonicien Il est en tout cas certain que la cause premiegravere nest pas un universel substantiveacute et

seacutepareacute Mais maximum dintelligibiliteacute et decirctre dont la seule preacutesence suffit agrave produire lordre

du monde531 elle exemplifie agrave plein le principe de causaliteacute du maximum La critique

theacuteophrasteacuteenne qui demande comment un ecirctre immobile pourrait bien ecirctre imiteacute par des ecirctres

mobiles ne semble pas gecircner outre mesure Alexandre Limmobiliteacute srsquoaccommode de la notion

dimitation preacuteciseacutement parce que lontologie scalaire agrave lrsquoœuvre dans le principe de causaliteacute du

maximum implique une deacutenivellation entre la cause qui est maximalement x dune part et le

reste des choses qui sont x dautre part Or ici le laquo x raquo en question nest pas la mobiliteacute ou

limmobiliteacute (qui vient au contraire creuser leacutecart entre la cause maximale et le reste) mais lecirctre

ou lintelligibiliteacute Limmobiliteacute est lagrave pour garantir limpossibiliteacute de la reacutegression agrave linfini et le

527 Cf S Fazzo [2008a] p 616

528 De principiis sect 121 C Genequand note quil est difficile de trouver exactement la source platoniciennedAlexandre (C Genequand [2001] p 163) mais la thegravese est courante dans les cercles meacutedio-platoniciens

529 Voir la reconstruction par M Rashed du commentaire agrave Phys I 9 et la justification de la notiondassimilation dans M Rashed [2011a] p 136-139

530 La thegravese de la causaliteacute finale du premier moteur compte encore de seacuterieux deacutefenseurs cf A Laks[2000] et [2007] J-B Gourinat [2004] etc

531 Cf Fr 30 Freudenthal et RW Sharples [2002a] p 6

434

Les objets de la meacutetaphysique

maximum de perfection possible532 Comme cause finale et via laction des sphegraveres ceacutelestes et de la

laquo puissance divine raquo le premier moteur produit non seulement lordre du monde mais aussi sa

permanence533

Alexandre est en effet connu pour sa theacuteorie de la providence534 Seacutecartant de la thegravese

courante agrave leacutepoque qui limite lexercice de la providence au supralunaire et sans doute en lien

avec les critiques dAtticus535 lExeacutegegravete affirme que la providence divine sexerce aussi dans le

sublunaire quoiquelle naille pas jusquau niveau de lindividu et de laccident536 La providence

garantit en effet leacuteterniteacute speacutecifique des formes et la succession des geacuteneacuterations537 Mais

Alexandre theacuteorise en outre les effets de cette laquo puissance divine raquo qui instituant une continuiteacute

entre les lieux sublunaire et supralunaire538 intervient jusque dans lapparition de lacircme en

produisant les conditions de son eacutemergence539 En ce sens Alexandre peut affirmer que le moteur

eacuteternel est laquo cause de lecirctre raquo (laquo αἴτιον τοῦ εἶναι raquo) de tous les automoteurs sublunaires540 Par

effet de laquo transmission raquo la nature est comme un montreur de marionnettes qui tire les fils des

pantins sublunaires541

532 Voir la deacutemonstration de limmobiliteacute du premier moteur dans le De principiis sect 29-44

533 La source de cette thegravese doit ecirctre chercheacutee dans GC II 10

534 Sur le texte du De providentia et son authenticiteacute cf HJ Ruland [1976] p 144 sq S Fazzo M Zonta[1999] p 87 sq 167 sq P Thillet [2003] p 64 sq C Riedweg [2011] (qui agrave la suite de P Thilletreprend en compte les fragments grecs du traiteacute les eacutedite et les traduit)

535 Atticus Fr 3 7-10 RW Sharples [2002a] p 13 sq Pour une mise en contexte cf aussi S Fazzo MZonta [1999] p 18-35

536 Cf De providentia 63 2 Quaestio I 25 41 8 sq Quaestio II 19 63 15 sq Quaestio II 21 65 25 sq RWSharples [2002a] p 30

537 Sur les diffeacuterentes interpreacutetations de laction de la providence cf RW Sharples [2002a] p 34-35 Sur lacompreacutehension alexandrinienne de leacuteterniteacute speacutecifique des formes cf M Rashed [2007b] p 237-246

538 Sur cette distinction chez Alexandre cf M Rashed [2011a] p 74 sq

539 On peut lire cette theacuteorie comme linsistance sur le rocircle du soleil dans la thegravese aristoteacutelicienne selonlaquelle cest un homme qui engendre lhomme et aussi le soleil Cf M Rashed [2007b] p 284-285 Pourla notion de puissance divine cf In Met 104 8 In Meteor 7 11 De providentia 77 12 Quaestio II 3 4730 sq et 49 29 Mantissa 172 17 Cf P Donini [1996] S Fazzo [2002a] p 201-207 RW Sharples[2002b] p 12 n 53 Lexpression se lit deacutejagrave dans le De mundo 6 397b 19 398b 8 Sur le caractegraveremeacutecanique de cette action cf RW Sharples [2002b] p 11 sq et M Rashed [2007b] p 278-285

540 Commentaire perdu agrave la physique scolie 662 (M Rashed [2011a] p 567-568 commenteacute dans M Rashed[2007b] p 277-278) Comme le note M Rashed (p 277) eacutetant donneacute le contexte laquo moteur eacuteternel raquorenvoie sans doute ici au premier mucirc

541 Sur ce texte tregraves commenteacute dAlexandre citeacute par Simplicius In Phys 311 29-37 et lanalogie deslaquo νευροσπαστούμενα raquo cf I Kupreeva [2003] p 328-330 P Accattino [2003] p 176-178 M Rashed[2007b] p 279 sq Sur le concept de διαδοχή voir Simplicius In Phys 311 18-19 et la Quaestio I 1 3 1-9 M Rashed [2007b] p 278-285

435

Les objets de la meacutetaphysique

Le divin cest-agrave-dire en derniegravere analyse le premier moteur542 cause ainsi la

laquo permanence raquo du monde comme laffirment deux passages du De principiis et le De

providentia543 Le premier passage du De principiis deacutecrit en effet leffet de la puissance divine

comme ce qui assure lunification du monde544 Le second passage plus nettement deacutecrit

comment la laquo substance premiegravere raquo meut agrave titre de cause finale Toutes les substances dit alors

Alexandre visent cette substance premiegravere agrave la mesure de leurs moyens selon ce qui est propre agrave

chacune et cest ce qui explique le fait quelles se maintiennent dans la dureacutee Les termes arabes

sont ici laquo baqā᾽ raquo et laquo thabāt raquo qui traduisent tregraves probablement le grec laquo διαμονή raquo quon lit dans

un fragment grec du De providentia et la Quaestio I 25545 La version arabe du De principiis de

Theacuteophraste traduit dailleurs le verbe laquo διαμένω raquo par laquo baqā un raquo dans un passage selon lequel

laquo le divin est le principe de toutes choses par lequel toutes choses agrave la fois sont et demeurent raquo546

Comme le dit M Rashed en remplaccedilant lanalogie des automates du De generatione

animalium par celle du montreur de marionnettes laquo Alexandre coupe court agrave une interpreacutetation

de GA qui se passerait du Premier Moteur raquo547 Au niveau purement pheacutenomeacutenal lunivers

aristoteacutelicien est peut-ecirctre indiscernable dun univers eacutepicurien agrave tout le moins dun univers

eacutepicurien au mieux de sa forme en terme de reacutegulariteacutes des enchaicircnements de causes et

deffets548 Du point de vue aristoteacutelicien les pheacutenomegravenes naturels se laissent ainsi inteacutegralement

et adeacutequatement expliquer par leurs propres causes sans recourir agrave un premier moteur immobile

divin La santeacute recouvreacutee par son patient sexplique inteacutegralement par son premier moteur la

542 Laction de la providence est indirectement causeacutee par le premier moteur immobile cf De providentia93 8 ndash 95 16 Ruland (P Thillet [2003] p 124-125 M Rashed [2007b] p 283-284) Alexandre ycommente le laquo τἆλλα raquo de Met Λ 7 1072b 3-4 laquo κινεῖ δὴ ὡς ἐρώμενον κινούμενα δὲ τἆλλα κινεῖ raquo

543 Cf De principiis sect 128 et 130

544 Le traducteur arabe du De principiis rend le terme grec quil avait sous les yeux par deux mots ᾿ittihādet ᾿intiżām qui disent la reacuteunion et lunification Nous remercions chaleureusement M Crubellier pources veacuterifications

545 Le fragment se lit dans Cyrille Contra Julianum III 625c Fr 3 Grant cf P Thillet [2003] p 105 et CRiedweg [2011] p 294 Le passage tregraves proche de la Quaestio I 25 41 12 sq est le suivant laquo ἐπειδὴ τῆςτούτου χάριν τεταγμένης μεταβολῆς καὶ ἀιδίου κατ εἶδος διαμονῆς κεῖνται κινεῖσθαι τοῦκυκλοφορητικοῦ σώματος αἱ μετὰ τὴν πρώτην τε καὶ ἀπλανῆ καλουμένην ἑπτὰ σφαῖραι τὴνκίνησιν τὴν δευτέραν raquo

546 Theacuteophraste De principiis (laquo Meacutetaphysique raquo) 4b 15-16 laquo θεία γὰρ ἡ πάντων ἀρχή δι ἧς ἅπαντα καὶἔστιν καὶ διαμένει raquo En ce qui concerne cette relative A Laks et G Most penchent pour une tournureproverbiale (A Laks G Most [1993] p 31 n 18)

547 M Rashed [2011a] p 151 agrave propos de GA II 1 734b 4-19 et II 6 741b 7-9 Sur la preacutesence de lanalogiedu montreur de marionnettes dans le De mundo 398b 1-27 cf aussi p 152

548 En mettant de cocircteacute le vide et le hasard incompressibles propres agrave lunivers eacutepicurien

436

Les objets de la meacutetaphysique

science meacutedicale du meacutedecin Agrave quoi bon un premier moteur immobile alors Pour le dire en

peu de mots le premier moteur dAristote est lagrave pour nous assurer que laquo nihil sub sole novum raquo il

garantit quil en sera toujours continuellement ainsi549

Alexandre sefforce au contraire de penser une puissance divine qui innerve la totaliteacute du

monde Sans doute sagit-il pour lui de reacutepondre agrave un anathegraveme lanceacute par Atticus Ce dernier

deacutecrit preacuteciseacutement le monde aristoteacutelicien comme indiscernable dun monde eacutepicurien au sens

ougrave il est gouverneacute par des dieux deacutesinteacuteresseacutes du sort des humains550 Aristote qui aurait eacuteloigneacute

les dieux ne sen remettant quagrave sa vue laquo pour controcircler sa croyance raquo et frocirclant alors latheacuteisme

se reacutevegravele finalement pire encore qursquoEacutepicure551 Atticus sexclame552 nous cherchons une

providence qui fasse une diffeacuterence pour nous Alexandre lui reacutepond mais ndash cest lagrave son tour de

force ndash sans pour autant penser une providence qui implique une rationaliteacute au sens de la

deacutelibeacuteration ni une providence qui deacutechoirait jusquagrave lindividuel553 Mecircme en limitant ainsi

laction divine sur le monde Alexandre construit bien une theacuteorie de la providence qui fait une

diffeacuterence pour nous humains Cest en effet elle qui est in fine responsable de lapparition de la

rationaliteacute humaine554 La theacuteologie a donc agrave voir avec la faccedilon dont lhomme lui-mecircme peut

549 Par exemple dans le retour cyclique des saisons cf GC II 10 (qui a ducirc constituer une sourcedinspiration forte pour Alexandre) Nous reacutesumons ici de faccedilon drastique une expeacuterience de penseacutee etlhypothegravese attenante qui nous ont eacuteteacute suggeacutereacutees par M Crubellier Pour ce dernier le premier moteurest donc en un sens inutile pour les pheacutenomegravenes naturels en un autre indispensable (en tant quilconstitue lactualiteacute du monde) M Crubellier renvoie en outre agrave Phys VIII 6 258b 26 sq Soit dit enpassant les fragments du commentaire dAlexandre agrave ces lignes sont peu instructifs mais cest encommentant les lignes immeacutediatement suivantes (259a 5 sq) quAlexandre transforme le laquo αἴτιακινήσεως raquo de 259a 6 en laquo αἴτια τοῦ εἶναι raquo ce qui signe pour lui lintervention tregraves active dusupralunaire dans le sublunaire

550 Atticus Fr 3 sect 7-8 laquo Τί οὖν φήσαι τις ἄν ἐν ταὐτῷ τάττεις Ἀριστοτέλην καὶ Ἐπίκουρον πάνυ μὲνοὖν ὥς γε πρὸς τὸ προκείμενον Τί γὰρ διαφέρει πρὸς ἡμᾶς ἢ τοῦ κόσμου τὸ θεῖον ἐξοικίσασθαικαὶ μηδεμίαν ἡμῖν πρὸς αὐτὸ κοινωνίαν ἀπολιπεῖν ἢ ἐν κόσμῳ τοὺς θεοὺς καθείρξαντα τῶν ἐπὶγῆς πραγμάτων ἀποστῆσαι κατ ἴσον γὰρ παρ ἀμφοτέροις τὸ ἐκ θεῶν ἀμελὲς εἰς τοὺςἀνθρώπους καὶ ἴση τοῖς ἀδικοῦσιν ἡ ἀπὸ τῶν θεῶν ἄδεια raquo laquo Eh quoi dira-t-on tu mets sur lemecircme pied Aristote et Eacutepicure Absolument au moins sur ce point [8] Quelle diffeacuterence en effet y a-t-il pour nous entre expulser le divin du monde sans nous laisser aucune relation avec lui ou bienapregraves avoir enfermeacute les dieux dans le monde les couper des affaires terrestres Chez lun et lautremecircme insouciance des dieux agrave leacutegard des hommes mecircme absence de crainte chez les malfaiteurs agraveleacutegard des dieux raquo (traduction Des Places)

551 Atticus Fr 3 sect 13-14 Des Places

552 Atticus Fr 3 sect 10 laquo Πρόνοιαν γὰρ ζητοῦμεν ἡμῖν διαφέρουσαν raquo

553 Pour la distinction des trois types de providence dans le meacutedio-platonisme (celle qui ne concerne quele ciel celle qui garantit la preacuteservation des espegraveces sublunaires et celle qui preacuteside aux destineacuteesindividuelles) cf RW Sharples [2002a] p 35

554 Quaestio II 3 48 18-22 Cf RW Sharples [2002a] p 29 et la probabiliteacute dune reacutefeacuterence au De providentia(cf S Fazzo [1988] p 646 n 23 qui rappelle que le traiteacute relie diffeacuterenciation des genres dacircmes et

437

Les objets de la meacutetaphysique

atteindre la perfection de sa forme Ce que nous apprend finalement la meacutetaphysique cest quil

est agrave la fois de notre nature et de notre devoir de faire de la meacutetaphysique

333 Meacutetaphysique et fin de lhomme

On vient de le voir la theacuteologie comme ultime partie de la meacutetaphysique a pour objet les

substances premiegraveres et la cause premiegravere principes au-delagrave desquels il nest plus possible de

remonter Ce sommet a pour contrepartie de pousser la meacutetaphysique agrave la limite de ses forces

deacutemonstratives Alexandre le souligne dans la Quaestio I 1 la preuve (laquo δεῖξις raquo) de lexistence et

de la nature de la cause premiegravere se fait laquo κατὰ ἀνάλυσιν raquo en vertu de lindeacutemontrabiliteacute du

premier principe Il faut entendre par lagrave que le critegravere du raisonnement est laccord avec les

laquo choses derniegraveres et manifestes raquo555 Le De principiis introduit en son deacutebut le mecircme thegraveme de la

laquo symphonie raquo entre les principes poseacutes par la doctrine et les pheacutenomegravenes (sect 2556) et conclut sur la

supeacuterioriteacute de la theacuteorie aristoteacutelicienne eu eacutegard agrave ce critegravere (sect 145) Alexandre affronte ainsi

laporie ndash dorigine eacutevidemment aristoteacutelicienne ndash pointeacutee par Theacuteophraste sur la connaissance du

premier principe voire aussi les critiques sceptiques adresseacutees par Galien agrave lencontre de la

theacuteologie aristoteacutelicienne557 La reacuteponse de lExeacutegegravete est agrave chercher dans la distinction entre le

plus connaissable pour nous et le plus connaissable en soi558

Bien que pousseacutee aux limites de la deacutemonstration il reste que la connaissance des

principes premiers ne sort jamais du champ de la premiegravere des sciences Alexandre le dit agrave

plusieurs reprises par exemple en commentant les opinions sur le sage en A 2 (982a 21 sq) la

action des ecirctres divins)

555 Quaestio I 1 4 4-7 laquo ἡ δεῖξις κατὰ ἀνάλυσιν οὐ γὰρ οἷόν τε τῆς πρώτης ἀρχῆς ἀπόδειξιν εἶναιἀλλὰ δεῖ ἀπὸ τῶν ὑστέρων τε καὶ φανερῶν ἀρξαμένους κατὰ τὴν πρὸς ταῦτα συμφωνίανἀναλύσει χρωμένους συστῆσαι τὴν ἐκείνου φύσιν raquo Alexandre ne procegravede pas que par analysecomme lindique M Rashed agrave propos de la seconde partie de la Quaestio qui semble quant agrave elleprogresser agrave partir de la notion elle-mecircme cf M Rashed [2007b] p 275 n 739

556 Pour une critique de la traduction de ce passage cf S Fazzo [2008a] p 614 et n 17 C Genequand[2001] note la similariteacute terminologique entre la Quaestio et le De principiis p 144 n 2

557 Lhypothegravese de discussion avec Galien est proposeacutee par M Rashed [2007b] p 275-276 et discuteacutee parS Fazzo [2008a] p 622 n 43

558 Cf entre autres Phys I 1 184a 19-21 On se rappelle que cette distinction qui est probablement agravelarriegravere-fond de la Quaestio I 1 est agrave lœuvre dans le deacutebut du commentaire agrave B quand il estpreacuteciseacutement question de laquo meacutetaphysique raquo et laquo theacuteologique raquo (171 5 sq) Voir aussi In Met 138 13 sq

438

Les objets de la meacutetaphysique

connaissance de ce qui est au plus haut point ie les principes premiers est la laquo science la plus

exacte raquo559 LExeacutegegravete ne deacutevie jamais de lideacutee que la sagesse agrave laquelle incombe la connaissance

des premiers principes de leacutetant est une science Cette deacutetermination lui pose assureacutement

problegraveme eu eacutegard agrave son deacutesir de calquer cette science sur le modegravele de la science deacutemonstrative

On a un exemple frappant de son embarras agrave nouveau dans le commentaire agrave A 2 (In Met 13 1-

9) dans un passage qui ne deacutegage aucune solution claire560

Une hypothegravese est quAlexandre comprend en fait la sagesse comme une discipline agrave la

fois deacutemonstrative (scientifique au sens strict) et noeacutetique Elle est donc en mesure de deacutemontrer

scientifiquement ce qui deacutepend des principes indeacutemontrables mais aussi de penser ces principes

pour eux-mecircmes La thegravese se soutient de passages ceacutelegravebres de lEacutethique agrave Nicomaque que lExeacutegegravete

cite au moins trois fois dans le corpus561 Parce quelle est premiegravere la sagesse ne peut recevoir ses

principes daucune autre science quelle-mecircme Cette primauteacute fait comme on la vu quelle doit

agrave la fois ecirctre la plus scientifique des sciences principe de scientificiteacute des autres sciences tout en

ayant agrave inteacutegrer dans son champ deacutetude des objets qui ne sont pas deacutemontrables mais qui ne

peuvent que lui incomber

La question est alors de savoir si de ce fait la meacutetaphysique integravegre aussi une activiteacute non

discursive autrement dit sil y a pour Alexandre un eacutequivalent peacuteripateacuteticien de leacutepoptique La

mention de laquo lanalyse raquo dans la Quaestio I 1 deacutetermine-t-elle une proceacutedure discursive propre agrave

convaincre dune connaissance deacutejagrave acquise (par une intuition intellectuelle par exemple) ou la

559 In Met 11 13-15 laquo ἀλλὰ καὶ ἀκριβεστάτη τῶν ἐπιστημῶν ἡ τῶν μάλιστα πρώτων γνῶσις καὶ γὰρτῶν ἄλλων ἐπιστημῶν ἀκριβέστεραι αἱ ἐκ τῶν πρώτων εἰσίν εἴγε αἱ ἐξ ἐλαττόνων ἀκριβέστεραι raquo

560 Cf ci-dessus 232 Certains passages refusent simplement de parler de la connaissance des principescomme dune science au sens strict (une science deacutemonstrative) voir par exemple In Met 146 20 sqMais lExeacutegegravete se reprend immeacutediatement la connaissance des principes premiers est agrave tout le moinsla plus vraie

561 Une telle hypothegravese peut se reacuteclamer de plusieurs textes le Problegraveme eacutethique 25 (en particulier 151 5-10 laquo καὶ ἐπεὶ ἡ ἀπόδειξις διά τινων πρώτων τοῦ δεικνυμένου καὶ οἰκείων καὶ ἀληθῶν καὶ οὐκἐπἄπειρον ἐν αὐτοῖς τὸ πρῶτον ἀλλ ἔστιν τι καὶ κυρίως ἐν αὐτοῖς πρῶτον ἡ τοῦ οὕτως πρώτουγνῶσίς τε καὶ εὕρεσις νοῦς καλεῖται σοφία δὲ ἡ ἄμφω ἔχουσα τήν τε τῶν ἀρχῶν εὕρεσιν καὶ τὴνδιὰ τῶν ἀρχῶν τῶν μετ αὐτὰς εὕρεσίν τε καὶ δεῖξιν raquo qui se reacutefegravere agrave EN VI 7 1141a 17-20) Voir aussiDA 66 16-19 laquo ἐπιστήμη δὲ συλλογισμὸς ἀποδεικτικὸς ἢ γνῶσις τῆς τοῦ ἐπιστητοῦ αἰτίας ὅτιἐκείνου ἐστὶ καὶ ἀδύνατον αὐτὸ ἄλλως ἔχειν νοῦς δὲ δύναμις τῶν ἀύλων εἰδῶν ληπτική ἢδύναμις ᾗ ἀληθεύομεν περὶ τὰς ἀναποδείκτους ἀρχάς raquo Voir enfin et surtout la reprise de la mecircmethegravese (issue agrave nouveau de EN VI) en In Met 7 24-25 Apregraves y avoir rappeleacute la deacutefinition de la sciencecomme capaciteacute agrave deacutemontrer et de lintellect comme capaciteacute agrave connaicirctre laquo les principes indeacutemontrablesdes choses deacutemontrables raquo (laquo τὰς τῶν ἀποδεικτῶν ἀρχὰς τὰς ἀναποδείκτους raquo 7 24-25) Alexandredeacutefinit la sagesse comme laquo νοῦν καὶ ἐπιστήμην τῶν τιμιωτάτων τῇ φύσει raquo (7 25-26) Voir enfinlallusion en 144 14-15

439

Les objets de la meacutetaphysique

maniegravere mecircme dacqueacuterir cette connaissance Il faudrait ainsi distinguer ici la capaciteacute de notre

acircme agrave saisir les premiers principes agrave savoir lintellect des proceacutedures discursives par lesquelles

nous pouvons convaincre autrui de la veacuteraciteacute dune doctrine agrave leur sujet ou prouver la

supeacuterioriteacute de cette doctrine sur les autres La chose nest pas impossible562 Mais quand

Alexandre eacutevoque lanalyse et le critegravere de conformiteacute avec les pheacutenomegravenes il fait eacutetat dune

meacutethode propre agrave eacutetablir ce quest la cause premiegravere (laquo συστῆσαι τὴν ἐκείνου φύσιν raquo 4 7)

conformeacutement agrave ce qui apparaicirct563

Il reste toutefois que le passage du De anima agrave propos de la saisie par notre intellect de

lintellect agent et notre laquo assimilation raquo laisse ouverte la possibiliteacute dune lecture intuitionniste

Cet intuitionnisme nimplique pas neacutecessairement une mystique de la fusion avec le dieu

Alexandre comme le dit RW Sharples nest pas tant un mystique quun laquo provider of ideas that

others could use for mystical purposes raquo564 Le De anima deacutecrit en effet lintellect agent comme cette

penseacutee565 incorruptible qui pendant le moment de son intellection deacutelivre agrave notre intellect un

morceau deacuteterniteacute cest-agrave-dire datemporaliteacute566 Lintellect agent est ainsi cause de notre

intellection au sens de la cause finale il en est lobjet ultime mais aussi la condition de possibiliteacute

parce que sans cette forme ultime il ne saurait y avoir dintelligibiliteacute dans le monde Le reacuteel est

rationnel parce que son membre le plus eacuteminent est une forme intellective en son eacutetat maximal

vers laquelle toutes choses tendent pour reacutealiser la perfection de leur forme

Connaissance par lintellect dun intellect la theacuteologie est agrave mecircme de rendre raison de sa

propre neacutecessiteacute Le De providentia se conclut sur cette ideacutee qui vient justifier par la pratique la

562 Voir en particulier les formulations de la fin du De principiis sect 145 sq

563 La question reacutepegravete une difficulteacute inheacuterente agrave laristoteacutelisme et la lecture dAnPo II 19 justementJ Barnes ([1993] p 269) a ainsi proposeacute de distinguer dans ce chapitre deux questions laquo commentapprenons-nous agrave connaicirctre les principes raquo (reacuteponse par linduction) et laquo par quel eacutetat mental lesconnaissons-nous raquo (reacuteponse le νοῦς) Une telle interpreacutetation pose toutefois problegraveme Comme lenotent M Crubellier et P Pellegrin ([2002] p 91) les deux questions sont inseacuteparables chez Aristote ndashet ce dautant plus que la science est en elle-mecircme une disposition du sujet connaissant Senqueacuterir dela science de ses maniegraveres de proceacuteder cest donc aussi toucher agrave ce quun moderne appellerait desquestions psychologiques Il ny a pas chez Aristote de distinction forte entre le contexte empirique(psychologique) de la deacutecouverte scientifique et la logique de la recherche scientifique

564 RW Sharples [2002b] p 3

565 Voir entre autres DA 90 11 et 23

566 Sur le caractegravere transitoire de cet accegraves agrave leacuteterniteacute cf 88 10 et 90 15 Cette thegravese se nourrit de passagesbien connus dAristote dont il nest pas certain cependant quil faille les prendre en un senslaquo mystique raquo cf linterpreacutetation geacuteneacuterale de M Crubellier et P Pellegrin [2002] sur leacuteterniteacute de lapenseacutee comme thegravese eacutepisteacutemologique p 212 et p 244

440

Les objets de la meacutetaphysique

theacuteorie eacutelaboreacutee dans le traiteacute567 Lintellect est ce qui nous permet de suppleacuteer agrave nos deacutefauts en

connaissant ce quil y a de plus haut dans lecirctre le divin Le texte reprend alors le lieu commun

dun homme deacutemuni par son corps infeacuterieur en cela aux autres animaux mais supeacuterieur par son

intellect568 Le lieu commun se voit cependant reacuteinvesti notre faiblesse est notre ecirctre en puissance

et notre laquo perfection raquo se reacutealise dans lintellection de ce quil y a de plus haut La theacuteologie a ainsi

une dimension performative elle dit comme science ce quelle reacutealise dans le mecircme temps

comme eacutetat de lacircme

Or si les analyses conduites dans lensemble du preacutesent travail sont correctes alors cette

conclusion sur la theacuteologie peut ecirctre eacutetendue agrave lensemble de la meacutetaphysique Nous avons en

effet tenteacute de montrer que la theacuteologie formait la fine pointe de la meacutetaphysique alexandrinienne

laccomplissement de lenquecircte universelle sur leacutetant en tant queacutetant qui conduit agrave une enquecircte

sur la substance et finalement agrave une eacutetude de la substance premiegravere cause de toutes choses La

Meacutetaphysique souvrait sur luniverselle tendance des hommes agrave connaicirctre Pour lExeacutegegravete la

proposition aristoteacutelicienne indique la voie du perfectionnement de lhomme569 cest-agrave-dire ce par

quoi chacun progressant vers lui-mecircme atteint agrave la fois son bien dans lequel il obtient laquo son ecirctre

et sa preacuteservation raquo570 Comme on sy attend la science que propose le traiteacute accomplit selon

Alexandre cette tendance Pour ecirctre pleinement un homme et peut-ecirctre davantage571 il suffit de

faire de la meacutetaphysique

567 laquo Pratique raquo nest pas pris ici au sens de theacuteorie de laction mais de ce qui dans la notion de viecontemplative met davantage en lumiegravere sa dimension existentielle (Pour cette fin du De providentiacf p 99 sq Ruland Le passage est confirmeacute par les fragments grecs du traiteacute (cf Fr 4 6 et 7 Grant)

568 De providentia 99 Ruland On aura reconnu le mythe de Promeacutetheacutee Ces passages consonent avec destheacutematiques du Protreptique dont on sait limportance pour Alexandre

569 Cf In Met 1 4 sq et la profusion de laquo τελειότης raquo

570 In Met 1 6-7 laquo πᾶσα δὲ τελειότης ἑκάστου τὸ ἑκάστου ἀγαθόν ἐστιν ἐν δὲ τῷ ἀγαθῷ ἕκαστονἔχει τὸ εἶναί τε καὶ σώζεσθαι raquo laquo ltparce quegt le bien de chaque chose est dans tous les cas laperfection de chaque chose et que cest dans son bien que chaque chose obtient son ecirctre et sapreacuteservation raquo Il est difficile de ne pas songer ici agrave un emploi de σῴζω en consonance avec DA II 5417b 2 sq et lideacutee dun progregraves vers soi-mecircme (b 6-7 laquo εἰς αὑτὸ γὰρ ἡ ἐπίδοσις καὶ εἰςἐντελέχειαν raquo)

571 DA 91 5-6 laquo διὸ οἷς μέλει τοῦ ἔχειν τι θεῖον ἐν αὑτοῖς τούτοις προνοητέον τοῦ δύνασθαι νοεῖν τικαὶ τοιοῦτον raquo laquo cest pourquoi ceux qui se soucient davoir en eux quelque chose de divin doiventveiller agrave parvenir agrave penser quelque chose qui est aussi de cette nature raquo agrave savoir le laquo νοούμενοςἄφθαρτος raquo (90 23)

441

Conclusions

CONCLUSIONS

QuAlexandre philosophe et exeacutegegravete se propose et sefforce effectivement de constituer la

meacutetaphysique en une science une est certain Quil y soit parvenu est une autre affaire

Agrave tout le moins avons-nous cru pouvoir repeacuterer une thegravese alexandrinienne sur luniteacute de

la meacutetaphysique Celle-ci est une science agrave la fois universelle et premiegravere1 agrave la fois science modegravele

et fondatrice des autres sciences Elle reacutealise agrave leur degreacute maximal les impeacuteratifs de scientificiteacute

qui incombent aux autres Mais elle paie aussi le tribut de sa primauteacute et de sa reacuteflexiviteacute en

atteignant les limites du modegravele des Analytiques normalement preacutevu pour des sciences

reacutegionales Autre deacuterogation ses objets sont pluriels et lui incombent parce quils ne peuvent ecirctre

traiteacutes par aucune autre science ndash les axiomes ou les plurivoques dont elle fait le catalogue en Δ

par exemple Mais la meacutetaphysique neacutegare pas son uniteacute dans cette pluraliteacute Luniteacute de cette

diversiteacute provient dune part de luniteacute du projet lequel impose au meacutetaphysicien den passer

par plusieurs stades principaux Elle provient dautre part de larticulation de ces stades ou

programmes Nous avons tenteacute de montrer que la meacutetaphysique coagulait ses divers objets en

trois programmes principaux leacutetant en tant queacutetant la substance la cause premiegravere Ces trois

programmes sont distincts mais coordonneacutes et suffisamment proches pour ne pas pouvoir ecirctre

eacutetudieacutes par une autre science ni eacuteclateacutes entre diverses sciences

Science des principes premiers et des causes premiegraveres de leacutetant en tant queacutetant telle est

son ambition initiale2 Agrave aucun moment la meacutetaphysique alexandrinienne nabandonne le projet

dune enquecircte universelle sur leacutetant en totaliteacute La reacutealisation de ce projet et la structure mecircme

du champ eacutepisteacutemologique de leacutetant en tant queacutetant astreignent le meacutetaphysicien agrave proceacuteder agrave

une eacutetude du premier eacutetant la substance Sans abroger la neacutecessiteacute dune eacutetude des autres sens de

1 Selon la thegravese dIn Met 246 10

2 Par exemple In Met 9 9-12 134 7-8 etc

442

Conclusions

leacutetant il demeure que dans le traitement alexandrinien de luniteacute ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν la

substance aspire en elle lessentiel de lecirctre Elle est non seulement leacutetant premier mais aussi

leacutetant au plus haut point dans lordre cateacutegorial la cause de lecirctre de tout le reste Parce que la

substance se reacutevegravele premiegravere en un sens presque ordinal et non pas seulement de digniteacute

lExeacutegegravete pose les fondements dune ontologie scalaire qui justifie la neacutecessiteacute deacutetudier la

substance pour elle-mecircme Ce moment ousiologique de la meacutetaphysique reacutevegravele alors que le cœur

du reacuteel est constitueacute par la forme substance au plus haut point cause dintelligibiliteacute et decirctre de

tout ce qui est Tel est leideacutetisme ou lessentialisme dAlexandre Le projet dune enquecircte sur les

principes et les causes de leacutetant en tant queacutetant et donc les principes et les causes de la

substance demande enfin deacutetudier la substance la plus haute la substance premiegravere dans lordre

du monde agrave savoir la cause premiegravere3 Comme on pouvait sy attendre celle-ci se deacutetermine

aussi comme une forme mais en son eacutetat le plus pur comme une forme sans matiegravere autonome

qui nest forme de rien dautre quelle-mecircme Immobile elle est cause du mouvement de

lensemble du supralunaire et du sublunaire Elle est en effet la fin que toute substance deacutesire

parce que toute substance tend vers la perfection de sa propre forme Fondement de luniteacute du

monde elle lest aussi de la meacutetaphysique en tant quelle constitue son objet ultime La

meacutetaphysique est une science ordonneacutee et progressive mais cette progressiviteacute interne na rien de

tregraves deacutetonnant chez un auteur qui justifie le titre laquo meacutetaphysique raquo par rapport agrave la physique en

recourant agrave lideacutee dordre dans la connaissance4

Cette interpreacutetation de la meacutetaphysique alexandrinienne satteste selon nous en de

nombreux endroits du corpus Assureacutement leacutetablissement de cette thegravese ne va pas sans tensions

ni heacutesitations de la part de lExeacutegegravete Parce quil commente il subit en partie ndash mais en partie

seulement ndash les vicissitudes des textes quil affronte La description proposeacutee ci-dessus repreacutesente

en quelque sorte une version lisseacutee de la meacutetaphysique alexandrinienne Il nous semble toutefois

que cette description permet de rendre raison dun nombre important de textes diffeacuterents de la

reacutecurrence de certaines thegraveses et de leur posteacuteriteacute

La meacutetaphysique comme science constitueacutee et autonome deacutelimiteacutee et praticable est une

3 Cet enchaicircnement des causes se lit on se le rappelle sous des versions plus ou moins reacutesumeacutees en InMet 9 9-12 134 7-14 On le lit aussi dans un teacutemoignage Averroegraves Fr 21 Freudenthal (Avrroegraves p1534 Boutges)

4 La chose a dailleurs un anteacuteceacutedent illustre avec le programme de la physique deacutecrit en Meteor I 1338a20 sq et son interpreacutetation en terme dordre par Alexandre (laquo ἅμα δὲ καὶ τὴν τάξιν ἡμῖνὑπογράφει πάσης τῆς φυσικῆς θεωρίας raquo In Meteor 1 6-7)

443

Conclusions

virtualiteacute du texte aristoteacutelicien que fait donc eacutemerger Alexandre Laccentuation de la

probleacutematiciteacute aristoteacutelicienne par P Aubenque a parfois entraicircneacute la sous-eacutevaluation des efforts

du Philosophe lui-mecircme pour proposer des voies de reacutesolution Il demeure neacuteanmoins vrai quen

comparaison de ses successeurs le texte dAristote garde effectivement un caractegravere ouvert sinon

inchoatif Mais refuser la thegravese dun dogmatisme du Philosophe nimplique pas pour autant de

diagnostiquer un inachegravevement essentiel Agrave tout le moins peut-on se rendre attentif agrave la plasticiteacute

des concepts aristoteacuteliciens agrave leur caractegravere souvent fonctionnel aux effets de reprise des

problegravemes Autant dire si lon affectionne les paradoxes quil ny a pas laquo une meacutetaphysique

aristoteacutelicienne raquo Le texte dAristote preacutesente une pluraliteacute de voies qui sefforcent de reacutepondre

ensemble agrave une seacuterie de problegravemes5 La Meacutetaphysique est ainsi agrave limage mais dans une version

immense et deacuteployeacutee du chapitre III 5 du De anima La profusion des commentaires est agrave la

mesure inverse de la briegraveveteacute deacutecourageante du chapitre Lintelligibiliteacute mecircme du texte requiert

le travail de ce disciple aristoteacutelicien dont F Wolff a montreacute quil prenait neacutecessairement la figure

de linterpregravete6 Pour la Meacutetaphysique il appartient au lecteur de sonder voire de construire la

coheacuterence et lenchaicircnement de ces programmes

Cest ce agrave quoi se livre le premier de ces lecteurs Alexandre qui propose une conception

possible de luniteacute de la meacutetaphysique Pour sactualiser cette virtualiteacute a requis une certaine

cristallisation des positions aristoteacuteliciennes cest-agrave-dire aussi parfois un durcissement

Lintervention la plus nette de lExeacutegegravete a consisteacute agrave systeacutematiser les relations causales sous la

forme en particulier du principe de causaliteacute du maximum qui implique et permet de passer de

leacutetant en tant queacutetant au premier eacutetant la substance et des substances agrave la premiegravere dentre

elles la substance divine ou bien pour cette derniegravere eacutetape des formes intelligibles donneacutees

dans la matiegravere agrave la forme sans matiegravere quest lintellect agent Cet enchaicircnement de causaliteacutes se

lit explicitement en de nombreux endroits du corpus Pour rappeler et formuler en un tableau ce

quon a expliqueacute ci-dessus

Proprieacuteteacute Premier terme Autres termes

Ecirctre (ecirctre un eacutetant)Substance

eacutetant premier et maximalLes accidents de la substance7

autres eacutetants

IntelligibiliteacuteIntellect agent = Forme sans

matiegravereIntelligibles

5 La coheacuterence de la Meacutetaphysique nest pas que probleacutematique elle reacuteside aussi dans cet effort theacutetique

6 F Wolff [2000] en particulier p 207 et 299-307

7 Cf In Met 242 15 242 30-31 243 3-5

444

Conclusions

On pourrait y ajouter les exemples favoris dAlexandre le feu est chaud au maximum et

cause de la chaleur des choses chaudes la lumiegravere est visible au maximum et cause de la visibiliteacute

des choses visibles Et plus crucial le bien premier est cause de la bonteacute des autres biens8 La

systeacutematisation du principe de causaliteacute du maximum fait elle-mecircme systegraveme avec tout un

ensemble de thegraveses agrave savoir la position essentialiste qui conccediloit la forme comme le cœur de tout

ecirctre la contamination de la meacutetaphysique par certains traits de la dialectique platonicienne qui

lui permet de tenir son rang de philosophie laquo agrave la fois raquo premiegravere et universelle Une question

finale pourrait donc ecirctre y a-t-il platonisation de la meacutetaphysique par Alexandre

La reacuteponse agrave cette question est agrave notre sens positive mais agrave limportante condition dy lire

un platonisme qui se trouve dans Aristote Alexandre nest pas un preacutecurseur ou un heacuteritier des

projets de lecture laquo symphonique raquo de Platon et Aristote Si lon nous passe le paradoxe le

platonisme dAlexandre nest pas celui de Platon Le platonisme dAlexandre est celui quil trouve

chez Aristote agrave savoir un ensemble de thegraveses qui sont preacutesentes chez le Stagirite si ce nest

positivement du moins neacutegativement Alexandre lit Platon dans ce quen dit le Stagirite et il

savegravere que certains lieux ou certaines thegraveses les plus laquo platonisants raquo du corpus sont aussi les plus

cardinaux pour lExeacutegegravete Ce platonisme est la reprise dun heacuteritage qui se lit dans le corpus

aristoteacutelicien il est une virtualiteacute dAristote en deux sens 1 il repose sur des eacuteleacutements textuels

platoniciens qui se lisent chez Aristote (soit repris soit critiqueacutes) Alexandre nimporte que tregraves

peu deacuteleacutements textuels platoniciens de reacutefeacuterences platoniciennes9 et cela suffit agrave le distinguer

des commentateurs ulteacuterieurs 2 Il sagit dun platonisme qui repreacutesente une version exacerbeacutee

de ce quil y a de platonicien en Aristote Lexploitation de la parenteacute entre dialectique et

philosophie premiegravere en est un exemple De mecircme la compreacutehension du πρὸς ἕν agrave partir du

principe de causaliteacute du maximum nest pas sans lien avec leacuteponymie platonicienne celle que

discute Aristote

M Rashed fait ainsi eacutetat chez Alexandre de laquo sa propension non entiegraverement controcircleacutee agrave

srsquoen remettre agrave des schegravemes verticaux et gradualistes de lrsquoefficience raquo10 Le principe de causaliteacute

8 Sur les biens comme plurivoques relatifs un terme unique cf In Met 242 5 et ci-dessous T5 In Met244 16-17

9 Sauf peut-ecirctre lideacutee que la matiegravere est connue par un laquo raisonnement bacirctard raquo Sur les indices dunelecture de Platon par Alexandre cf RW Sharples [1990] p 90-92

10 Le passage dit laquo Mentionnons [] sa propension non entiegraverement controcircleacutee agrave srsquoen remettre agrave desschegravemes verticaux et gradualistes de lrsquoefficience qui srsquoils ne sont pas absents du corpus aristoteacutelicien

445

Conclusions

du maximum peut se classer dans ces laquo schegravemes verticaux raquo Un tel principe se lit effectivement

chez Aristote mais celui-ci ne lapplique jamais au cas de la substance ou du premier moteur

immobile Que ce principe puisse ou non se revendiquer de Platon fait problegraveme11 de mecircme que

fait problegraveme son application chez Plotin

On lit en effet chez ce dernier la thegravese selon laquelle le premier principe selon une belle

formule de J-L Chreacutetien laquo donne ce quil na pas raquo12 quil est principe dans la mesure mecircme ougrave il

ne possegravede pas ce quil cause dans ses principieacutes Toutefois certains passages des Enneacuteades

semblent eacutegalement soutenir quun principe possegravede au plus haut degreacute la proprieacuteteacute dont il cause

la preacutesence ndash ce qui correspond exactement agrave ce que nous avons appeleacute principe de causaliteacute du

maximum (ou du maximum de la causaliteacute puisquon a montreacute quAlexandre le lisait dans les

deux sens) et qui a aussi eacuteteacute nommeacute laquo causaliteacute par eacuteminence raquo13 La question de savoir si chez

Plotin le principe de causaliteacute du maximum vaut de tous les principes ou bien de tous sauf du

premier dentre eux ne nous occupe pas ici directement14 Agrave tout le moins peut-on tirer de cela

que hormis la difficulteacute de son application au premier principe cette structure est effectivement

reprise par les neacuteoplatoniciens Elle se trouvera ainsi formaliseacutee par Proclus15 et par ce biais

transmise au Moyen Acircge Il nest pas extravagant de formuler lhypothegravese quAlexandre a ouvert

cette voie en extrayant le principe de ses deux passages aristoteacuteliciens dorigine pour lui

permettre de structurer sa meacutetaphysique Et pour nous avancer cette extraction a probablement

agrave voir avec le fait que lun de ces passages relegraveve de ceux qui dans le corpus aristoteacutelicien

sont au nombre des eacuteleacutements qui historiquement le rattachent le plus eacutetroitement au platonisme raquo MRashed [2007b] p 324

11 En Reacutepublique VI le Bien nest pas cause de la bonteacute des autres choses mais de leur connaissabiliteacute deleur ecirctre et de leur essence laquo Καὶ τοῖς γιγνωσκομένοις τοίνυν μὴ μόνον τὸ γιγνώσκεσθαι φάναιὑπὸ τοῦ ἀγαθοῦ παρεῖναι ἀλλὰ καὶ τὸ εἶναί τε καὶ τὴν οὐσίαν ὑπ ἐκείνου αὐτοῖς προσεῖναι οὐκοὐσίας ὄντος τοῦ ἀγαθοῦ ἀλλ ἔτι ἐπέκεινα τῆς οὐσίας πρεσβείᾳ καὶ δυνάμει ὑπερέχοντος raquo laquo Ehbien donc pour les choses connaissables ce nest pas seulement la connaissabiliteacute quelles reccediloiventmanifestement du Bien mais aussi agrave la fois lecirctre et lessence qui par lui sattachent agrave eux alors que leBien nest pas une essence mais quil est mecircme au-delagrave de lessence lemportant en digniteacute et enpuissance raquo (509b 6-10) Si lon veut trouver une causaliteacute du maximum il faudrait alors songer agravelexplication laquo sucircre mais naiumlve raquo dans la laquo seconde navigation raquo du Pheacutedon mais sauf erreur jamaisSocrate ny dit que le Beau en soi est beau au plus haut point On pourrait renvanche tirer un telprincipe du Didaskalikos dAlicinoos agrave propos de la fameuse voie deacuteminence cf Alcinoos Did 165 26sq

12 J-L Chreacutetien [1980]

13 Par exemple en III 6 [26] cf C DAncona [2009] p 362 Pour lexpression de causaliteacute par eacuteminence cfL Lavaud [2008a] p 209 sq en reacutefeacuterence agrave la via eminentiae quon lit par exemple chez Alcinoos

14 Voir agrave nouveau C DAncona [2009] et L Lavaud [2008a] p 205-207 et 209 sq

15 Eacuteleacutements de theacuteologie propositions 7 et 97 et AC Lloyd [1976] p 152 sq

446

Conclusions

supportent le mieux une lecture gradualiste16 tandis que lautre donne comme exemple lamant

et laimeacute17 qui a pu consoner pour Alexandre avec lanalyse de la cause premiegravere comme premier

deacutesirable

Linterpreacutetation dAristote a certes requis pour Alexandre une forme de cristallisation de

la penseacutee dAristote mais cette cristallisation na donc dune part rien agrave voir avec les

laquo deacutevitalisations raquo que deacuteplorait Heidegger dans la tradition aristoteacutelicienne Linterpreacutetation

alexandrinienne produit du sens et de lhistoire Elle a dautre part pour agent une certaine

forme de platonisme Cette platonisation de la meacutetaphysique par Alexandre relegraveve non pas tant

dun contresens mais de lun de ces laquo hypersens raquo que mentionne briegravevement M Rashed dans

une publication reacutecente et qui consiste agrave laquo accentuer certaines theacutematiques preacutesentes en puissance

chez Aristote raquo18 Lideacutee magistralement exprimeacutee par lEacutecole dAthegravenes selon laquelle lhistoire de

la philosophie est lhistoire du dialogue entre Platon et Aristote peut ainsi sappliquer agrave lhistoire

des origines de la meacutetaphysique Celle-ci reacutesulte dans un contexte conceptuel domineacute par les

stoiumlciens de la renaissance dun aristoteacutelisme qui sous plusieurs aspects et jusquagrave un certain

point flirte avec le platonisme comme son allieacute objectif La conservation dune partie du

Commentaire alexandrinien nest ainsi pas sans lien avec une reprise neacuteoplatonicienne qui se

comprend degraves lors dautant plus aiseacutement19

Pour situer la thegravese interpreacutetative dAlexandre dans le champ contemporain on affirmera

que lExeacutegegravete assume une position unitarienne forte Mais il ne sagit pas seulement dune uniteacute

theacuteorique de la science par opposition agrave labsence duniteacute textuelle du traiteacute LExeacutegegravete sefforce

aussi de rendre inteacutegralement raison de la forme du traiteacute tel quil lui est parvenu ndash cest-agrave-dire

pour autant quon puisse en juger dans un eacutetat similaire agrave celui que nous posseacutedons ndash et ce avec

une meacutethode de lecture interne qui nest pas si eacuteloigneacutee de la situation du lecteur contemporain

priveacute de renseignements preacutecis sur la formation du traiteacute La Meacutetaphysique est un traiteacute un la

meacutetaphysique est une science une La position de lAphrodisien est en outre totalisante et

16 Quoiquon ait tenteacute de montrer ci-dessus (sect 213a) que telle neacutetait pas la lecture la plus respectueusede la lettre du texte dα 1 993b 23-31 il reste que linterpreacutetation gradualiste si elle nous paraicirctdiscutable est bien compreacutehensible

17 Aristote AnPo I 2 72a 30 laquo δι ὃ φιλοῦμεν ἐκεῖνο φίλον μᾶλλον raquo

18 M Rashed [2011b] p VI

19 Toutefois on peut se demander sil na pas fallu attendre Syrianus et Ascleacutepius pour que linstitutionalexandrinienne de la meacutetaphysique comme science une gagne une posteacuteriteacute Il faudrait eacutetudier le rocirclede la lecture dAlexandre chez Porphyre et son lien ou non avec la classification porphyrienne desEnneacuteades en eacutethique ndash physique ndash theacuteologie

447

Conclusions

inteacutegratrice la meacutetaphysique est tout ce quen dit Aristote elle eacutetudie tous les objets que lui fixe

le traiteacute Alexandre se distingue donc des interpregravetes contemporains pour lesquels par exemple

ontologie et theacuteologie forment deux sciences distinctes20 Mais Alexandre se distingue aussi de

ceux qui forcent luniteacute en identifiant laquo eacutetant en tant queacutetant raquo et premier moteur divin21 La thegravese

alexandrinienne est on la vu celle dune articulation entre les eacutetudes de leacutetant en geacuteneacuteral de la

substance et du divin Alexandre est alors agrave classer avec ceux pour qui il ny a laquo aucun obstacle

insurmontable dans la remonteacutee depuis la dispersion cateacutegoriale de lecirctre envisageacutee par

lontologie jusquagrave la cateacutegorie premiegravere ie la substance fondement des autres cateacutegories

(ousiologie) pour parvenir enfin agrave la substance suprecircme Dieu principe de toutes les substances

sensibles comme aussi de maniegravere meacutediate de toutes les autres cateacutegories de lecirctre raquo22

La meacutetaphysique telle que construite par Alexandre deacuteploie alors une certaine forme

donto-theacuteologie23 Elle le fait mecircme de maniegravere assez rigoureuse si lon entend par onto-theacuteologie

la figure dune meacutetaphysique qui pour mieux reacutealiser lambition universaliste deacutetudier tout

leacutetant promeut un eacutetant eacuteminent et exemplaire mais ce (et cest important) sans pour autant

abandonner lambition universaliste Contre les simplifications de ladite constitution il est

indispensable de rappeler que celle-ci ne signifie pas une reacuteduction de la meacutetaphysique agrave la

theacuteologie24 Pour Heidegger lonto-theacuteologie signifie larticulation entre deux formes de totaliteacute

celle de leacutetant en tant queacutetant laquo dans ses traits les plus geacuteneacuteraux raquo et celle qui se reacutesume ou se

concentre dans leacutetant le plus haut25 La laquo dimorphie raquo26 de la meacutetaphysique signifie que celle-ci

est agrave la fois ontologie et theacuteologie (et non pas seulement theacuteologie) parce que comme leacutecrit

Heidegger elle vise laquo leacutetant comme tel et dans son tout raquo (les italiques sont de Heidegger)27 En ce

qui concerne en tout cas les textes de 1927 jusque 1957 cest le projet ontologique qui prime dans

la laquo constitution raquo et cest la reacutealisation de ce premier projet qui commande le passage agrave lenquecircte

20 Par exemple A Stevens [2000] p 234

21 Par exemple P Merlan [1957]

22 J-M Narbonne [1992] p 111

23 La citation preacuteceacutedente sert preacuteciseacutement agrave J-M Narbonne pour deacutecrire la position onto-theacuteologique

24 En ce sens certains des arguments avanceacutes par E Berti contre une constitution onto-theacuteologique de lameacutetaphysique chez Aristote (thegravese avec laquelle au demeurant nous sommes pleinement daccord)tombent agrave cocircteacute Cf par exemple E Berti [1996]

25 Voir par exemple laquo Quest-ce que la meacutetaphysique raquo tr fr dans Questions I et II [1968] p 40

26 Quon lit par exemple dans sa formule classique dans le Kantbuch de 1929 (p 7 de leacutedition allemande)

27 laquo La constitution onto-theacuteo-logique de la meacutetaphysique raquo tr fr dans Questions I et II [1968] p 289 Surce passage lrsquoitalique et la question du trait dunion (ou non) entre theacuteo et logique cf B Mabille [2004] p118-119

448

Conclusions

theacuteologique sur le laquo fond raquo de leacutetant son principe

Ainsi chez Alexandre lontologie saccomplit-elle sans se renier en ousiologie laquelle

saccomplit en theacuteologie Ce mouvement suppose leacutelection dune maniegravere decirctre eacuteminente et

premiegravere celle de la substance comprise comme forme dont on a vu comment Alexandre la

systeacutematise dans toute leacutechelle de lecirctre et qui vient se reacutealiser au plus haut point dans lintellect

agent En pensant la cause premiegravere comme une substance anteacuterieure agrave toutes les substances28

forme sans matiegravere purement en acte qui est donc au plus haut point Alexandre rend possible

une unification onto-theacuteologique Et de fait certaines des formules quemploie Heidegger au

meacutepris avoueacute des laquo interpreacutetations historico-philologiques raquo pour deacutecrire la constitution onto-

theacuteologique degraves Aristote (en citant le De mundo) sappliquent beaucoup mieux agrave Alexandre29

Mais parce quelle ne reacutesout pas leacutetant en un concept unique la constitution onto-

theacuteologique de la meacutetaphysique alexandrinienne reste relative Il a eacuteteacute en effet souligneacute combien

pour pouvoir ecirctre deacuteceleacutee dans les textes la constitution onto-theacuteologique de la meacutetaphysique ne

peut fonctionner que soutenue par la thegravese dune univociteacute de leacutetant Pour que lenquecircte sur

leacutetant en tant queacutetant puisse inteacutegralement saccomplir dans lenquecircte sur le premier eacutetant il

faut que ce laquo fond raquo soit dune part esse ipsum et dautre part eacutetant au mecircme sens que le reste des

eacutetants En ce sens tant que regravegne la polyseacutemie aristoteacutelicienne il ne peut y avoir de veacuteritable

onto-theacuteologie30 Or chez Alexandre la polyseacutemie de leacutetant si elle se trouve controcircleacutee nest pas

totalement eacutevacueacutee Comme on la vu linterpreacutetation alexandrinienne de la relation πρὸς ἕν ne

va pas jusquagrave faire de leacutetant un genre

Nous nous trouvons ainsi dans la situation paradoxale de croire profondeacutement agrave la

pluraliteacute des figures de la meacutetaphysique tout en devant reconnaicirctre devant les textes que la

premiegravere meacutetaphysique constitueacutee celle dAlexandre dAphrodise se rapproche en fait de cette

constitution onto-theacuteologique de la meacutetaphysique Mais deacutecouvrir une esquisse de la constitution

onto-theacuteologique chez Alexandre va paradoxalement dans le sens de sa relativisation de son

historicisation comme par un effet de retour nous sommes autoriseacutes agrave poser que cette

constitution onto-theacuteologique ne se lit pas chez Aristote parce quelle implique une seacuterie

dopeacuterations porteacutees sur la Meacutetaphysique qui sont le fait dAlexandre Ces opeacuterations consistent au

28 De principiis sect 62

29 Voir les passages p 17-19 du tome 26 de la Gesamtausgabe (Metaphysische Anfangsgruumlnde der Logik imAusgang von Leibniz) citeacutes et commenteacutes par J-F Courtine [1999] p 149-150

30 J-L Marion [1999] et [2001] p 175 O Boulnois [1995] et [1999] J-F Courtine [1999] p 153 pour lathegravese de lesse ipsum et [2005]

449

Conclusions

premier chef en une unification geacuteneacuteraliseacutee du corpus lapplication dune certaine

compreacutehension du πρὸς ἕν aussi bien au niveau preacutedicamental que transcendantal la

deacutetermination de la substance comme cause de lecirctre la deacutetermination du premier moteur

comme cause de lecirctre parce que forme pure

Lintituleacute de ce travail insistant sur la pluraliteacute des laquo origines raquo de la meacutetaphysique on

nentend donc pas verser la thegravese ainsi obtenue au creacutedit du slogan selon lequel la totaliteacute de la

meacutetaphysique se reacutesoudrait en une unique essence Alexandre propose une figure possible de la

meacutetaphysique laquelle se pluralisera irreacutemeacutediablement juste apregraves lui degraves Plotin et au Moyen

Acircge31 Certes dans cette histoire Alexandre joue un rocircle de maillon clef parce quil deacutetermine un

complexe de concepts et dambitions qui joueront agrave plein dans les traiteacutes ulteacuterieurs de

meacutetaphysique Mais cette figure en est une parmi dautres telle quelle interdit lunification du

mouvement historique de la meacutetaphysique en une seule laquo constitution raquo Lideacutee que le propre de

la meacutetaphysique est de se deacutepasser continuellement elle-mecircme (selon la fonction laquo meacuteta raquo32) est

sans doute une faciliteacute rheacutetorique parce que elle nest pas discriminante ni reacuteserveacutee agrave la

meacutetaphysique Mais elle savegravere agrave tout le moins dans le cas de la meacutetaphysique en son histoire

Autant dire clairement pour terminer que la justification de lenquecircte historique sur les

origines de la meacutetaphysique nest donc pas agrave chercher dans une quelconque croyance en

leacutepuisement des possibiliteacutes du meacutetaphysique en lhomme Comme si parodiant la proposition

marxienne jusquici les philosophes avaient fait de la meacutetaphysique et transformeacute celle-ci et quil

ne nous restait plus quagrave linterpreacuteter Lesprit de ce travail nest pas celui du fossoyeur pleurant la

meacutetaphysique perdue ni celui du passeacuteiste se reacutefugiant dans lhistoire et reacuteclamant vainement le

retour agrave la tradition ni enfin celui du deacuteconstructeur occupeacute agrave laquo faire passer raquo la meacutetaphysique

Seuls la mode ou un esprit chagrin peuvent laisser croire que la meacutetaphysique est morte33

ou du moins quelle a laquo eacutepuiseacute ses possibiliteacutes raquo quelle nest pas la laquo penseacutee agrave venir raquo34 La mode

pousse agrave leacutecholalie dont on sait les effets pervers pour le sens ndash un signifiant reacutepeacuteteacute agrave lenvi finit

par necirctre plus quun bruit Personne de seacuterieux ne peut preacutetendre eacuteteintes les interrogations sur

31 Sur Plotin voir L Lavaud [2008a] Pour le Moyen Acircge voir entre autres O Boulnois [1995] et [2001] J-F Courtine [2005] A de Libera [2005a]

32 Par exemple J Greisch [1996]

33 Thegravese qui agrave strictement parler ne se lit pas chez Heidegger lui-mecircme qui pense au contraire que lameacutetaphysique sest pleinement accomplie au XXegraveme s et nen finit pas de finir Voir agrave ce sujet la mise aupoint tregraves claire de J-L Marion [2005]

34 Selon cette fois deux expression effectivement heideggeriennes lune dans le Nietzsche II p 179lautre agrave la fin de la Lettre sur lhumanisme deacuteployeacutee par F Dastur dans F Dastur [2011]

450

Conclusions

ce qui fait que les choses sont quelles sont ce quelles sont pourquoi et en quel(s) sens elles sont

Que lon qualifie ou non ce style dinterrogations de laquo meacutetaphysique raquo en un sens large il nen

demeure pas moins quelles sont les heacuteritiegraveres dune figure de penseacutee qui sappelle la

meacutetaphysique en un sens strict historique et textuel Ceux qui sinterrogent encore aujourdhui

sur le sens de laquo ecirctre raquo sur les modes de donation de tout pheacutenomegravene ie de toute chose en tant

quelle apparaicirct jusquagrave mecircme poser un laquo archi-pheacutenomegravene raquo absolu ceux qui sinterrogent sur

les conditions du sens de notre expeacuterience ou sur la structure du reacuteel ceux-lagrave bon ou mal greacute

font de la meacutetaphysique Deacutecider de lappeler laquo philosophie premiegravere raquo35 ne trompe personne

Ce travail est ainsi neacute de la conviction que pour redonner sens agrave la meacutetaphysique il est

encore possible et neacutecessaire de questionner et creacuteer des concepts pour penser ce que cest que

decirctre ce quest la reacutealiteacute ce quest une chose ou ses principes Mais cet effort peut se nourrir dun

retour agrave lhistoire du terme du livre et de la discipline qui se sont ainsi intituleacutes par apregraves

laquo Meacutetaphysique raquo retrouverait alors lun de ses traits caracteacuteristiques agrave savoir quelle sest forgeacutee

dans et par le dialogue diachronique quont entretenu les meacutetaphysiciens dans les reprises

successives de son projet La meacutetaphysique est une discipline qui maintient un lien organique

avec sa propre histoire parce que sinterroger sur le sens le contenu et la validiteacute du projet

meacutetaphysique cest deacutejagrave faire de la meacutetaphysique Dit autrement la meacuteta-meacutetaphysique est de la

meacutetaphysique (alors que la meacuteta-matheacutematique se distingue de la matheacutematique ordinaire) et ce

parce que la meacutetaphysique repreacutesente lambition dun savoir fondamental premier et donc

reacuteflexif36

Au terme de ce travail sur ses origines on veut affirmer combien le monde contemporain

neacutechappe pas au besoin de meacutetaphysique Agrave une egravere de privation du monde de perte de

lhistoriciteacute du regravegne non pas tant de la technique en geacuteneacuteral que dune certaine organisation

eacuteconomique de la technique37 linterrogation sur ce qui distingue un objet une chose et un eacutetant

est loin de perdre sa validiteacute et sa neacutecessiteacute Lhistoire de la meacutetaphysique nous paraicirct aujourdhui

agrave mecircme de libeacuterer des possibiliteacutes pour la penseacutee pour une meacutetaphysique instruite de ses

35 Par exemple J-L Marion revendiquant la fin de la meacutetaphysique tout en promouvant une philosophiepremiegravere (cf J-L Marion [2001] p 3 sq qui assume que laquo la philosophie ne reste conforme agrave sa propreessence quen preacutetendant par essence au rang de philosophie premiegravere raquo)

36 Agrave la diffeacuterence de ce que soutient P Aubenque [2009b] p 6 sq il nous semble possible de penser lerapport speacutecifique que la meacutetaphysique entretient avec sa propre histoire sans rabattre son objet (lunde ses objets) lecirctre sur lhistoire elle-mecircme ndash selon le geste heideggerien dans M Heidegger [1961] p489 tr fr [1971] p 398 pour qui laquo lhistoire de lecirctre est lrsquoecirctre lui-mecircme raquo

37 Cf F Fischbach [2011] (mais ce sont lagrave aussi des thegraveses bien connues de Marx)

451

Conclusions

origines de ses revirements ou deacuteconstructions une meacutetaphysique en un sens large Leacutepoque

nest plus agrave la fin de la meacutetaphysique

452

Annexes

ANNEXES

BIBLIOGRAPHIE SEacuteLECTIVE

Cette bibliographie rassemble les œuvres et eacutetudes qui sont citeacutees dans ce travail ou qui furentconsulteacutees pour sa preacuteparation

I Eacuteditions et traductions des textes citeacutes

I1 Alexandre dAphrodise

ndash Commentaria in Aristotelem graeca (CAG) In Aristotelis Metaphysica commentaria M Hayduck (ed) CAG I Berlin 1891In librum de sensu commentaria P Wendland (ed) CAG II 1 Berlin 1901 In Aristotelis Topicorum libros octo commentaria M Wallies (ed) CAG II 2 Berlin 1891Praeter Commentaria scripta minora De Anima liber cum Mantissa I Bruns (ed) in SupplementumAristotelicum II 1 Berlin 1887 Praeter Commentaria scripta minora Quaestiones De Fato De Mixtione I Bruns (ed) in SupplementumAristotelicum II 2 Berlin 1892

ndash Autres eacuteditions Bonitz H (ed) 1847 Alexandri Aphrodisiensis Commentarius in libros metaphysicos aristotelis

Berolini

FREUDENTHAL J 1884 Die durch Averroes erhaltenen Fragmente Alexanders zur Metaphysik desAristoteles Berlin

RASHED M 2011a Alexandre drsquoAphrodise Commentaire perdu agrave la Physique drsquoAristote (Livres IV-VIII) Les scholies byantines Berlin W De Gruyter

453

Annexes

VITELLI G 1902 laquo Due frammenti di Alessandro di Afrodisia raquo in M von Schwind[ed] Festschrift Theodor Gomperz dargebracht zum siebzigsten Geburtstage am29 Maumlrz 1902 Vienne A Houmllder p 90-93

ndash Traductions a) Commentaire agrave la MeacutetaphysiqueDOOLEY WE 1989 Alexander of Aphrodisias On Aristotles Metaphysics 1 London New-York

Duckworth Cornell University Press

ndash 1993 Alexander of Aphrodisias On Aristotles Metaphysics 5 London New-York Duckworth Cornell University Press

DOOLEY WEMADIGAN A

1992 Alexander of Aphrodisias On Aristotles Metaphysics 2-3 London New-York Duckworth Cornell University Press

MADIGAN A 1993 Alexander of Aphrodisias On Aristotles Metaphysics 4 London New-York Duckworth Cornell University Press

MOVIA G (ED) 2007 Alessandro di Afrodisia Commentario alla Metafisica di Aristotele Milan Bompiani (Traduction des Livres A et B P Lai Livre α MC Pogliani Γet Θ M Casu Δ A Borgia E N Cauli Z et I S Loche H E Carta K P Serra Λ R Salis M et N E Cattanei)

SEPUacuteLVEDA (DE) JG 1527 Alexandri Aphrodisiei Commentaria In duodecim Aristotelis libros de primaPhilosophia Rome 1527 Paris 1536 Venise 1544 1551 1561

b) Commentaire aux Premiers AnalytiquesBARNES J BOBZIEN SFLANNERY K IERODIAKONOU K

1991 Alexander of Aphrodisias On Aristotle Prior Analytics 11-7 London New-York Duckworth Cornell University Press

MUELLER I 2006a Alexander of Aphrodisias On Aristotle Prior Analytics 123-31 London New-York Duckworth Cornell University Press

ndash 2006b Alexander of Aphrodisias On Aristotle Prior Analytics 132-46 London New-York Duckworth Cornell University Press

MUELLER IGOULD J

1999a Alexander of Aphrodisias On Aristotle Prior Analytics 18-13 London New-York Duckworth Cornell University Press

ndash Alexander of Aphrodisias On Aristotle Prior Analytics 114-22 London New-York Duckworth Cornell University Press

c) Commentaire aux TopiquesVAN OPHUIJSEN JM 2000 Alexander of Aphrodisias On Aristotle Topics 1 London New-York

Duckworth Cornell University Press

d) Autres commentairesGANNAGE E 2005 Alexander of Aphrodisias On Aristotle On Coming-to-Be and Perishing 22-5

London New-York Duckworth Cornell University Press

LEWIS E 1993 Alexander of Aphrodisias On Aristotle Meteorology 4 London New-York Duckworth Cornell University Press

TOWEY A 2000 Alexander of Aphrodisias On Aristotle On Sense Perception London New-York Duckworth Cornell University Press

e) De anima

454

Annexes

ACCATTINO PDONINI P

1996 Alessandro di Afrodisia Lrsquoanima Rome Bari Biblioteca universale Laterza

BERGERON MDUFOUR R

2008 Alexandre dAphrodise De lacircme Paris Vrin

e) MantissaACCATTINO P 2001 Alessandro di Afrodisia De Intellectu Introduzione traduzione e commento di

Paolo Accottino Turin Theacutelegraveme

SHARPLES RW 2004 Alexander of Aphrodisias Supplement to On the soul New-York CornellUniversity Press

SHARPLES RW 2008a Alexander of Aphrodisias De Anima libri mantissa introduction andcommentary Berlin W de Gruyter

f) Quaestiones ndash ProblemataSHARPLES RW 1990 Alexander of Aphrodisias Ethical problems London New-York Duckworth

Cornell University Press

ndash 1992 Alexander of Aphrodisias Quaestiones 11 ndash 215 London New-York Duckworth Cornell University Press

ndash 1994 Alexander of Aphrodisias Quaestiones 216 ndash 3 15 London New-York Duckworth Cornell University Press

g) De fatoSHARPLES RW 1983 Alexander of Aphrodisias On fate London Duckworth

THILLET P 1984 Alexandre dAphrodise Traiteacute du destin Paris Belles Lettres

h) De providentiaFAZZO SZONTA M

1999 Alessandro di Afrodisia La provvidenza Questioni sulla provvidenza Milan Biblioteca Universale Rizzoli

RIEDWEG C 2011 laquo Alexander of Aphrodisias De prouidentia Greek Fragments and ArabicVersions raquo in D Obbink R Rutherford (ed) Culture in pieces essays onancient texts in honour of Peter Parsons Oxford Oxford University Pressp 277-301

THILLET P 2001 Alexandre dAphrodise Traiteacute de la providence Lagrasse Verdier

i) De principiisBADAWI A 1968 La transmission de la philosophie grecque au monde arabe Paris Vrin

GENEQUAND C 2001 Alexander of Aphrodisias On the cosmos Leiden Brill

I2 Aristote

ndash Œuvres complegravetes O Gigon (ed) Aristotelis Opera graece ex rec I Bekkeri Berlin 1831 vol I-II et IV-V Berlin W deGruyter 1960-1961J Barnes (ed) The complete works of Aristotle The Revised Oxford Translation 2 vol Princeton Bollingen Series 1984

455

Annexes

E Flashar (ed) Aristoteles Werke in deutscher Uumlbersetzung Berlin Akademie-Verlag 20 vol 1956-

ndash Eacuteditions et traductions

a) MeacutetaphysiqueANNAS J 1976 Aristotlersquos Metaphysics Books M and N Oxford Clarendon Press

BOSTOCK 1994 Aristotle Metaphysics books Z and H translated with a commentary Oxford Clarendon Press

CASSIN BNARCY M

1998 La Deacutecision du sens le livre Gamma de la Meacutetaphysique drsquoAristote Paris Vrin

CHRIST W 1903 Metaphysica Leipzig Teubner

DUMINIL M-PJAULIN A

2008 Meacutetaphysique Paris GF Flammarion

HECQUET-DEVIENNE M A (ED)

2008 Aristote Meacutetaphysique Gamma Eacutedition traduction eacutetudes Louvain Peeters

JAEGER W 1957 Metaphysica Oxford Oxford Classical Texts

KIRWAN C 1993 Metaphysics Books Gamma Delta and Epsilon Oxford Clarendon Press

REALE G 2004(reacuteeacuted)

Introduzione traduzione e commentario della metafisica di Aristotele Milano Bompiani

ROSS WD 1924 Aristotlersquos Metaphysics a Revised Text with Introduction and CommentaryOxford Clarendon Press

ndash 1928sup2 Metaphysica in The Works of Aristotle Translated into English vol 8Oxford Clarendon Press

SCHWEGLER A 1960 Die Metaphysik des Aristoteles III Frankfort Minerva (premiegravere eacutedition1847-1848)

TRICOT J 1933 Meacutetaphysique tomes 1 et 2 (laquo editio minor raquo) Paris Vrin

ndash 1952 Meacutetaphysique tomes 1 et 2 (laquo editio major raquo) Paris Vrin

b) De animaBODEacuteUumlS R 1993 De lacircme Paris GF Flammarion

JANNONE ABARBOTIN E

1966 De lacircme Paris Belles Lettres

ROSS WD 1961 De Anima Oxford Oxford Classical Texts

THILLET P 2005 De lacircme Paris Gallimard

TRICOT 1934 De lacircme Paris Vrin

c) Categoriae ndash De interpretationeBODEacuteUumlS R 2001 Les Cateacutegories Paris Belles Lettres

COOK HP 1938 Categories The Loeb Classical Library Cambridge Harvard UniversityPress

ILDFEONSE FLALLOT J

2002 Cateacutegories Paris Seul

CRUBELLIER MDALIMIER CPELLEGRIN P

2007 Cateacutegories Sur lrsquointerpreacutetation Introduction traduction et notes Paris GF

MINIO-PALUELLO L 1949 Categoriae et De Interpretatione Oxford Oxford Classical Texts

456

Annexes

RODIER G 1900 Traiteacute de lrsquoacircme 2 vol Paris Ernest Leroux Eacutediteur

TRICOT J 1957 Cateacutegories De lrsquointerpreacutetation Paris Vrin

d) De caeloDALIMIER CPELLEGRIN P

2004 Traiteacute du Ciel Paris GF Flammarion

MORAUX P 1965 Du Ciel Paris Belles Lettres

STOCKS JL 1930 On the Heavens in The Works of Aristotle translated into English vol 2Oxford Clarendon Press

TRICOT J 1949 Traiteacute du ciel suivi du traiteacute pseudo-aristoteacutelicien Du monde Paris Vrin

e) De generatione animaliumPLATT A 1911 De generatione animalium in The Works of Aristotle translated into English

vol 5 Oxford Clarendon Press

f) De generatione et corruptioneJOACHIM HH 1922 Aristotle On Coming-to-Be and Passing-away Oxford Clarendon Press

RASHED M 2005 De la Geacuteneacuteration et de la corruption Paris Belles Lettres

TRICOT J 1933 De la Geacuteneacuteration et de la corruption Paris Vrin

g) Ethica Eudemia ndash Ethica NicomacheaBLOCH OLEANDRI A

2011 Eacutethique agrave Eudegraveme Paris Encre Marine

BODEacuteUumlS R 2004 Eacutethique agrave Nicomaque Paris GF-Flammarion

BYWATER I 1894 Aristotelis Ethica Nicomachea Oxford Oxford Classical Texts

DEacuteCARIE V 1978 Eacutethique agrave Eudegraveme Paris Vrin

GAUTHIER R-AJOLIF J-Y

1970 LEacutethique agrave Nicomaque 4 vol Louvain Peeters

TRICOT J 1959 Eacutethique agrave Nicomaque Paris Vrin

WALZER R RMingay J M

1991 Ethica Eudemia Oxford Oxford Classical Text

h) MeteorologicaGROISARD J 2008 Meacuteteacuteorologiques Paris GF

LOUIS P 1982 Meacuteteacuteorologiques 2 vol Paris Belles Lettres

TRICOT J 1941 Les Meacuteteacuteorologiques Paris Vrin

i) De motu animaliumFORSTER ES 1937 Movement of Animals Progression of Animals The Loeb Classical Library

Cambridge Harvard University Press

LOUIS P 1973 Traiteacute du mouvement des animaux Paris Belles Lettres

NUASSBAUM M 1978 De Motu animalium Princeton Princeton University Press

j) Parva NaturaliaHETT WS 1936 Parva naturalia The Loeb Classical Library Cambridge Harvard

University Press

457

Annexes

MOREL P-M 2000 Petits traiteacutes drsquohistoire naturelle Paris GF

ROSS WD 1955 Parva naturalia Oxford Clarendon Press

k) PhysicaGRAHAM D 1999 Aristotle Physics Book VIII Translated with a Commentary Oxford Clarendon

Press

PELLEGRIN P 2002 Physique Paris GF

ROSS WD 1960 Physica Oxford Oxford Classical Texts

ROSS WD 1966 Aristotlersquos Physics a Revised Text with Introduction and Commentary Oxford Clarendon Press

STEVENS A 1999 La physique Paris Vrin

l) Priora ndash posteriora analyticaBARNES J 1975

1993sup2Aristotles Posterior Analytics Oxford Clarendon Press

PELLEGRIN P 2005 Seconds Analytiques Paris GF

ROSS WD 1949 Prior and Posterior analytics Oxford Clarendon Press

TRICOT J 19471992

Organon III Les Premiers analytiques Paris Vrin

TRICOT J 1995(reacuteeacuted)

Organon IV Les Seconds analytiques Paris Vrin

m) Topica ndash Sophistici elenchiBRUNSCHWIG J 1967

2007Topiques 2 vol Paris Belles Lettres

DORION L-A 1995 Reacutefutations sophistiques Paris Laval Vrin Presses de lUniversiteacute de Laval

ROSS WD 1958 Topica et Sophistici Elenchi Oxford Oxford Classical Texts

TRICOT J 1966 Reacutefutations sophistiques Paris Vrin

I3 Autres auteurs anciens et meacutedieacutevaux

Sourcebooks AA LONG DN SEDLEY The Hellenistic philosophers 2 vol Cambridge CambridgeUniversity Press tr fr J Brunschwig P Pellegrin Les Philosophes helleacutenistiques 3 volParis GF 2001RW SHARPLES Peripatetic Philosophy 200 BC to AD 200 An Introduction and Collection ofSources in Translation Cambridge Cambridge University Press 2010 R SORABJI (ED) The philosophy of the commentators 200-600 AD 3 vol London New-York Duckworth Cornell University Press 2005

ALCINOOS Enseignement des doctrines de Platon texte introduit eacutetabli et commenteacute par JWhittaker traduit par P louis Paris Belles Lettres 1990

AMMONIUS In De interpretatione A Busse (ed) CAG IV5 Berlin 1897

458

Annexes

laquo Ammonius Commentaire du Peri hermeneias Preacuteambule et chapitres I agrave V raquo FIldefonse J Lallot (ed) Archives dhistoire et deacutepisteacutemologie des sciences du langage 2e

seacuterie ndeg 7 1992 p 1-91

ASCLEacutePIUS In Aristotelis metaphysicorum libros A-Z M Hayduck (ed) CAG VI 2 Berlin 1888

ASPASIUS In Ethica Nicomachea G Heylbut (ed) CAG XIX 1-2 Berlin 1889

ATTICUS Fragments E des Places (ed) Paris Belles Lettres 1977

AVERROEgraveS Tafsicircr macirc balsquod at-Tabicirclsquoat Grand commentaire sur la Meacutetaphysique M Bouygues (ed) 3vol Beyrouth Dacircr el-Machreq 1938-1948

ndash Ibn Rushds metaphysics A translation with introduction of Ibn Rushds commentary onAristotle Metaphysics Book lām C Genequand (ed) Leiden Brill 1986

ndash Averroegraves Lrsquointelligence et la penseacutee Grand commentaire du De anima IIITraductionintroduction bibliographie chronologie notes et index A de Libera Paris Flammarion 1998

GALIEN Galen on Language and Ambiguity An English Translation of Galens De Captionibus(On Fallacies) with Introduction Text and Commentary R Eldow Leiden Brill 1977

ndash Traiteacutes philosophiques et logiques traductions ineacutedites par P Pellegrin C Dalimier etJ-P Levet Preacutesentation par P Pellegrin Paris GF 1998

NUMENIUS Fragments E des Places (ed) Paris Belles Lettres 1973

PHILOPON In De Anima M Hayduck (ed) CAG XV Berlin 1887

PLATON Œuvres complegravetes Paris Belles Lettres t I-XII 1920-1983Œuvres complegravetes par L Robin avec la collaboration de J Moreau 2 vol Paris Gallimard 1969sup2Œuvres complegravetes sous la direction de L Brisson Paris Flammarion 2008

PORPHYRE Isagoge et in Aristotelis categorias A Busse (ed) CAG IV 1 Berlin 1887

Isagogecirc A de Libera A-Ph Segonds (ed) Paris Vrin 1998

ndash Introduction J Barnes (ed) Oxford Oxford University Press 2003

SIMPLICIUS In Aristotelis physicorum libros quatuor priores [-posteriores] H Diels (ed) CAG IX etX Berlin 1882-1885

ndash In Aristotelis De caelo IL Heiberg (ed) CAG VII Berlin 1894

ndash In Aristotelis Catgeorias C Kalbfleisch (ed) CAG VIII Berlin1907

ndash Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories I Hadot (ed) Fascicules I et III Leiden Brill 1990

ndash Commentaire sur les ldquoCateacutegoriesrdquo dAristote Chapitres 2-4 I Hadot (ed) P Hoffmann(tr) Paris Belles Lettres 2001

SYRIANUS In Metaphysica G Kroll (ed) CAG VI 1 Berlin 1902

ndash On Aristotle Metaphysics 3-4 D OrsquoMeara J Dillon London New-York DuckworthCornell University Press 2008

THEacuteOPHRASTE Sources for his life writings thought and influence 2 vol WW Fortenbaugh et al(ed) Leiden Brill 1992

ndash Meacutetaphysique A Laks G Most (ed) Paris Belles Lettres 2001

ndash On First Principles (known as his Metaphysics) D Gutas (ed) Leiden Brill

THOMAS DAQUIN In duodecim libros metaphysicorum aristotelis expositio eacutediteacute par M R Cathala et P- FrRaymundi M Spiazzi Turin Rome Marietti 1950

459

Annexes

II Eacutetudes critiques

II1 Alexandre

ABBATE G 2009 laquo Acerca de la primaciacutea del ХΩΡΙΣΤOacuteΝ en la sustancia aristoteacutelica Elcomentario de Alejandro de Afrodisia a Metafiacutesica V 8 1017b 23-26 raquoEstudios de Filosofiacutea 40 p 29-52

ACCATTINO P 1988 laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzioneanimale raquo Atti della Accademia delle Scienze di Torino 72 p 79-94

ndash 1995 laquo Generazione dellrsquoanima in Alessandro di Afrodisia De anima 210-1113 raquo Phronesis 40 2 p 182-201

ndash 2003 laquo Processi naturali e comparsa delleidos in Alessandro di Afrodisia raquo inG Movia [2003] p 167-186

ndash 2009 laquo Alejandro de Afrodisia inteacuterprete del De Anima de Aristoacuteteles raquo Estudiosde Filosofiacutea 40 p 53-78

ACCATTINO PDONINI P

1994 laquo Alessandro di Afrodisia De an 90 23 sq a proposito del νοῦς θύραθενraquoHermes 122 p 373-375

BARNES J 1992 laquo Metacommentary raquo Oxford Studies in Ancient Philosophy X p 267-281

BAZAacuteN BC 1973 laquo Lauthenticiteacute du De intellectu attribueacute agrave Alexandre dAphrodise raquo Revuephilosophique de Louvain ndeg71 p 468-487

BERTI E 2000 laquo Il movimento del cielo in Alessandri di Afrodisia raquo in A Brancacci (ed)La filosofia in etagrave imperiale Napoli Bibliopolis p 225-243

BOBZIEN S 1998 laquo The Inadvertent Conception and Late Birth of the FreendashWill Problem raquoPhronesis 43 2 p 133ndash175

BODNAacuteR IM 1997 laquo Alexander of Aphrodisias on Celestial Motions raquo Phronesis 42 2 p 190-205

BONELLI M 2001 Alessandro di Afrodisia e la metafisica come scienza dimostrativaNapoli Bibliopolis

ndash 2009a laquo Dialectique et philosophie premiegravere Syrianus et AlexandredAphrodise raquo in A Longo (ed) Syrianus et la Meacutetaphysique de lrsquoAntiquiteacuteTardive Napoli Bibliopolis p 423-438

ndash 2009b laquo Alexandre drsquoAphrodise et la cause mateacuterielle raquo Journal of AncientPhilosophy Vol III Issue 2

BOTTER B 2009 laquo El aristotelismo de Alejandro de Afrodisia en la cultura del comentario raquoEstudios de Filosofiacutea 40 p 109-134

BRAGUE R 2002 laquo Alexander of Aphrodisias on the Cosmos by Charles Genequand raquo StudiaIslamica 94 p 201-202

CASTON V 1997 laquo Epiphenomenalisms Ancient and Modern raquo The Philosophical Review 1063 p 309-363

CATTANEI E 2003 laquo Gli entici matematici per astrazione secondo Alessandro di Afrodisia elo Pseudo-Alessandro raquo in G Movia [2003] p 255-276

CHIANOTIS A 2004 laquo New inscriptions from Aphrodisias (1995-2001) raquo American Journal ofArcheology 108 3 p 377-416

460

Annexes

CHIARADONNA R 2008a laquo Hyleacutemorphisme et causaliteacute des intelligibles Plotin et AlexandredAphrodise raquo Les eacutetudes philosophiques 86 3 p 379-398

CHIARADONNA RRASHED M

2010 laquo Before and after the commentators an exercise in periodization raquo OxfordStudies in Ancient Philosophy 38 p 251-297

CORDONIER V 2007 laquo Matiegravere qualiteacutes meacutelange La physique eacuteleacutementaire drsquoAristote chezGalien et Alexandre drsquoAphrodise raquo Quaestio Annuario di storia dellametafisica 7 p 79-103

ndash 2008 laquo Corps Matiegravere Contact La coheacuterence du sensible selon AlexandredAphrodise raquo Les eacutetudes philosophiques 86 3 p 353-378

COROLEU A 1996 laquo The Fortuna of Juan Gineacutes de Sepuacutelvedas Translations of Aristotle and ofAlexander of Aphrodisias raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes59 p 325-332

CRANZ FE 1958 laquo The Prefaces to the Greek Editions and Latin Translations of Alexander ofAphrodisias 1450 to 1575 raquo Proceedings of the American Philosophical Society102 5 p510-546

DANCONA CSERRA G (ED)

2002 Aristotele e Alessandro di Afrodisia nella tradizione araba Padoue Il Poligrafo

DONINI P 1971 laquo Lanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Attidella Accademia delle scienze di Torino 105 p 61-107

ndash 1995 laquo Alessandro di Afrodisia e i metodi dell esegesi filosofica raquo inC Moreschini Esegesi parafrasi e compilazione in etagrave tardoantica Napoli Bibliopolis p107-129

ndash 1996 laquo Theia Dynamis in Alessandro di Afrodisia raquo in F Romano RL Cardullo(ed) Dunamis nel neoplatonismo Firenze 1996 p 11-29

ndash 2003 laquo Unitagrave e oggetto della metafisica secondo Alessandro di Afrodisia raquo in GMovia [2003] p 15-52

ndash 2005 laquo Lobjet de la meacutetaphysique selon Alexandre dAphrodise raquo in M NarcyA Tordesillas [2005] p 81-98

ndash 2010 Commentary and Tradition Aristotelianism Platonism and Post-HellenisticPhilosophy M Bonazzi (ed) Berlin W De Gruyter

ELLIS J 1994 laquo Alexanders Defense of Aristotles raquo Phronesis 39 1 p 69-89

ENDRESS G 2002 laquo Alexander arabus on the first cause Aristotles First Mover in an Arabictreatise attributed to Alexander of Aphrodisiasrdquo in C DrsquoAncona G Serra[2002] p 19ndash74

FAZZO S 1988 laquo Alexander of Aphrodisias and Ptolimy Aristotelianism and astrologybetween the 2nd and 3rd centuries raquo Rivista di storia della filosofia 43 4p 627-649

ndash 1999 laquo Frammenti da Alessandro in De generatione et corruptione nel Kitacircb al-Tasricircf raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 10 p 195-203

ndash 2002a Aporia e sistema La materia la forma il divino nelle Quaestiones di Alessandro diAfrodisia Pise Edizioni ETS

ndash 2003a laquo Alexander of Aphrodisias on the cosmos raquo Rivista di storia della filosofia58 2 p 384-387

ndash 2003b laquo Alexandros dAphrodisias raquo in R Goulet (ed) Dictionnaire des philosophesantiques Suppleacutement Paris CNRS eacuteditions p 61-70

ndash 2004 laquo Aristotelianism as a Commentary Tradition raquo Supplement of the Bulletin ofthe Institute for Classical Studies p 1-19

461

Annexes

ndash 2008a laquo Lrsquoexeacutegegravese du livre Lambda de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans le Deprincipiis et dans la Quaestio I1 drsquoAlexandre drsquoAphrodise raquo Lavaltheacuteologique et philosophique 64 3 p 607-626

ndash 2012 laquo The Metaphysics from Aristotle to Alexander of Aphrodisias raquo Bulletin ofthe Institute of Classical Studies 55 1 p 51-68

FAZZO SWIESNER H

1993 Alexander of Aphrodisias in the Kindī-Circle and in Al-Kindī Cosmology Arabic Sciences and Philosophy 3 p 119-153

FLANNERY KL 1995 Ways into the logic of Alexander of Aphrodisias Leiden Brill

ndash 2003 laquo Logic and ontology in Alexander of Aphrodisiass commentary onMetaphysics IV raquo in G Movia [2003] p 117-134

FREUDENTHAL G 2009 laquo The Astrologization of the Aristotelian Cosmos Celestial Influences onthe Sublunary World in Aristotle Alexander of Aphrodisias andAverroes raquo in AC Bowen C Wildberg (ed) A Companion to AristotlesCosmology Collected Papers on De Caelo Leiden Brill p 239-281

GENEQUAND C 1979 laquo Lobjet de la meacutetaphysique selon Alexandre dAphrodisias raquo MuseumHelveticum 36 p 48-57

GILI L 2011 La sillogistica di Alessandro di Afrodisia Sillogistica categorica e sillogisticamodale nel commento agli Analitici Primi di Aristotele Hildesheim GeorgOlms Verlag

GOULET RAOUAD M

1989 laquo Alexandros drsquoAphrodisias raquo in R Goulet (ed) Dictionnaire des philosophesantiques t I Paris CNRS eacuteditions p 124-139

GRIFFIN M 2009 The Reception of Aristotlersquos Categories c 80 BC to AD 220 Thegravese de doctoratpreacutesenteacutee le 30 mars 2009 agrave lUniversiteacute dOxford

GUYOMARCH G 2008 laquo Le visage du divin la forme pure selon Alexandre dAphrodise raquo Leseacutetudes philosophiques 86 3 p 323-341

ISNARDI-PARENTE M 2000 laquo Alessandro di Afrodisia e il ΠΕΡΙ ΤΑΓΑΘΟΥ di Aristotele raquo in ABrancacci (ed) La filosofia in etagrave imperiale Napoli Bibliopolis p 245-270

JAULIN A 2008b laquo Remarques sur les conceptions de la nature dans les sect2-6 du De fatodAlexandre dAphrodise raquo Les eacutetudes philosophiques 86 3 p 343-352

KUPREEVA I 2003 laquo Qualities and bodies Alexander against the Stoics raquo Oxford studies inAncient philosophy 25 p 297-344

ndash 2004 laquo Alexander of Aphrodisias on mixture and growth raquo Oxford studies inancient philosophy 27 p 297-334

ndash 2010 laquo Alexander of Aphrodisias on form a discussion of M RashedEssentialisme raquo Oxford Studies in Ancient Philosophy 38 p 211-249

LAVAUD L 2008b laquo Matiegravere et privation chez Alexandre dAphrodise et Plotin raquo Les eacutetudesphilosophiques 86 3 p 399-414

LEFEBVRE D 2006 laquo Extrait de ce que dit Aristote sur ce qui deacutepend de nous raquo (Mantissa 16933-172 15) in C Romano J Laurent (ed) Le Neacuteant Contribution agrave lrsquohistoiredu non-ecirctre dans la philosophie occidentale Paris PUF p103-117

LUNA C 2001 Trois eacutetudes sur la tradition des commentaires anciens agrave la meacutetaphysiquedAristote Leiden Brill

MCGINNIS J 2004 laquo Alexander of Aphrodisias on the Cosmos by Charles Genequand raquo Journal ofthe American Oriental Society 124 1 p 103-108

MADIGAN A 1987 laquo Alexander of Aphrodisias the book of Ethical Problems raquo in W Haase(ed) Aufstieg und Niedergang der roumlmischen Welt Geschichte und Kultur Romsim Spiegel der neueren Forschung 361 Berlin W De Gruyter p 1260-1279

462

Annexes

MERLAN P 1957 laquo Metaphysik Name und Gegenstand raquo The Journal of Hellenic Studies 771 p 87-92

MOVIA G 1970 Alessandro di Afrodisia Tra naturalismo e misticismo Padova EditriceAntenore

MOVIA G (ED) 2003 Alessandro di Afrodisia e la Metafisica di Aristotele Milano Vita e pensiero

MORAUX P 1942 Alexandre drsquoAphrodise Exeacutegegravete de la noeacutetique drsquoAristote (Bibliothegraveque de lafaculteacute de philosophie et lettre de lrsquouniversiteacute de Liegravege fasc XCIX) LiegravegendashParis

ndash 1969 laquo Eine Korrektur des mittelplatoniker Eudoros zum Text der Metaphysik desAristoteles in R Stiehl HE Stier (ed) Beitraumlge zur alten Geschichte undderen Nachleben Berlin p 492-504

ndash 1973 Der Aristotelismus bei den Griechen von Andronikos bis Alexander vonAphrodisias Berlin W De Gruyter T 1 Die Renaissance des Aristotelismus im 1 Jh v Chr

ndash 1984 T 2 Der Aristotelismus im I und II Jh n Chr

MORAUX PJ WIESNER (ED)

2001 T 3 Alexander von Aphrodisias

MIGNUCCI M 2003 laquo Alessandro interprete di Aristotele luci e ombre del commento a MetaphΓ raquo in G Movia [2003] p 93-116

MUELLER I 1990 laquo Aristotlersquos doctrine of abstraction in the commentators raquo in R Sorabji[1990] p 463-480

NATALI C 2003 laquo Causa formale e causa motrice in Alessandro di Afrodisia raquo in G Movia[2003] p 153-166

PAPADIS 1991 laquo Lintellect agent selon Alexandre dAphrodise raquo Revue de philosophieancienne IX 2 p 133-151

RASHED M 2000 laquo Alexandre drsquoAphrodise lecteur du Protreptique raquo in J Hamesse (ed) Lesprologues meacutedieacutevaux Textes et eacutetudes du Moyen Acircge 15 Brepols p 1-37

ndash 2004 laquo Prioriteacute de lΕΙΔΟΣ ou du ΓΕΝΟΣ entre Andronicos et Alexandre vestiges arabes et grecs ineacutedits raquo Arabic Sciences and Philosophy 14 p 9-63

ndash 2007a LHeacuteritage aristoteacutelicien Textes ineacutedits de lAntiquiteacute Paris Belles Lettres

ndash 2007b Essentialisme Alexandre dAphrodise entre logique physique et cosmologieBerlin W De Gruyter

ndash 2008 laquo Alexandre dAphrodise de leidocentrisme comme actualisation dunaristoteacutelisme possible raquo Les eacutetudes philosophiques 86 3 p 281-284

ndash 2011b laquo Un corpus de logique anti-platonicienne drsquoAlexandre drsquoAphrodise raquo in TBeacutenatouiumll E Maffi F Trabattoni (ed) Plato Aristotle or Both Dialoguesbetween Platonism and Aristotelianism in Antiquity Hildesheim Olms p 85-94

ndash 2011c laquo Commentateurs antiques raquo in J Brunschwig GER Lloyd P Pellegrin(ed) Le savoir grec Dictionnaire critique Paris Flammarion (eacutedition revue etaugmenteacutee) p 1082-1099

SHARPLES RW 1975 laquo Aristotelian and Stoic Conceptions of Necessity in the De Fato ofAlexander of Aphrodisias raquo Phronesis 20 3 p 247-274

ndash 1982a laquo Alexander of Aphrodisias on divine providence two problems raquoClassical Quarterly 32 p 198 -211

ndash 1982b laquo Alexander of Aphrodisias on Time raquo Phronesis 27 1 p 58-81

463

Annexes

_ 1987 laquo Alexander of Aphrodisias scholasticism and innovation raquo in HTemporini W Haase (ed) Aufstieg und Niedergang der roumlmischen WeltGeschichte und Kultur Roms im Spiegel der neueren Forschung 361 Berlin W De Gruyter 1987 p 1176-1243

_ 1990 laquo The school of Alexander raquo in R Sorabji (ed) Aristotle TransformedLondresndashNew-York DuckworthndashCornell University Press 1990

_ 1994 laquo On body soul and generation in Alexander of Aphrodisias raquo Apeiron 27p 163- 170

_ 1999a laquo The Peripatetic School raquo in DJ Furley (ed) From Aristotle to AugustineLondon Routledge p 147-187

_ 1999b laquo On being a tode ti in Aristotle and Alexander raquo Methexis 12 p 77 - 87

_ 2000 laquo Alexander of Aphrodisias De intellectu 10014 I heard this fromAristotle A modest proposal raquo Classical Quarterly 50 1 p 252-256

_ 2002a laquo Aristotelian Theology after Aristotle raquo in D Frede A Laks (ed) Traditionsof Theology Studies in Hellenistic Theology Its Background and AftermathLeiden Brill p 1-40

_ 2002b laquo Alexander of Aphrodisias and the end of Aristotelian Theology raquo in TKobusch M Erler (ed) Metaphysik und Religion zur Signatur des spaumltantikenDenkens Munich KG Saur p 1 - 21

_ 2003 laquo Pseudo-Alexander on Aristotle Metaphysics Λ raquo in G Movia [2003] p187-218

_ 2005 laquo Alexander of Aphrodisias on universals two problematic texts raquoPhronesis 50 1 p 43-55

_ 2008b laquo Habent sua fata libelli Aristotles Categories in the first century BC raquo ActaAntiqua Academiae Scientarum Hungaricae 48 1-2 p 273-287

_ 2009 laquo The hellenistic period whats happened to hylomorphism raquo in G VanRiel P Destreacutee (ed) Ancient Perspectives on Aristotles De anima Ancient andMedieval Philosophy Series I 41 Leuven Leuven University Press p 155-166

SCHNIEWIND A 2008 laquo Lrsquoacircme est-elle comme un marin dans un navire raquo in C ErismannASchniewind (ed) Compleacutements de substance Paris Vrin p 273-287

FM SCHROEDER 1981 laquo The analogy of the active intellect to light in the De Anima of Alexander ofAphrodisias raquo Hermes 109 p 215-225

_ 1982 laquo The potential or material intellect and the autoship of the De Intellectu areply to BC Bazan raquo Symbolae Osloenses 57 p 115-125

_ 1984 laquo Light and the active intellect in Alexander and Plotinus raquo Hermes 112 p239-248

FM SCHROEDER

RB TODD

2008 laquo The De intellectu revisited raquo Laval theacuteologique et philosophique 64 3 p 663-680

SORABJI R SHARPLES RW (ED)

2007 Greek and Roman Philosophy 100 BC-200 AD 2 vols Bulletin of the Institute ofClassical Studies Supplement 94 Londres Institute of Classical StudiesUniversity of London

SORABJI R (ED) 1990 Aristotle Transformed The Ancient Commentators and Their Influence LondonNew York Duckworth Cornell University Press

TUOMINEN M 2009 The Ancient Commentators on Plato and Aristotle Stocksfield Acumen 2009

_ 2010 laquo Receptive Reason Alexander of Aphrodisias on Material Intellect raquoPhronesis 55 2 p 170-190

464

Annexes

THILLET P 1981 laquo Mateacuterialisme et theacuteorie de lacircme et de lintellect chez AlexandredAphrodise raquo Revue philosophique de la France et de leacutetranger 106 p 5-24

TWEEDALE M 1984 laquo Alexander of Aphrodisias views on universals raquo Phronesis 29 3 p 279-303

II2 Aristote

ANNAS J 1974 laquo Forms and First Principles raquo Phronesis 19 3 p 257-283

ndash 1982 laquo Aristotle on Inefficient Causes raquo The Philosophical Quarterly 32 129p 311-326

ANTON JP 1969 laquo Ancient Interpretations of Aristotles Doctrine of Homonyma raquo Journal ofthe History of Philosophy 7 1 p 1-18

AUBENQUE P 1962 Le Problegraveme de lrsquoecirctre chez Aristote Paris PUF

_ 1963 La Prudence chez Aristote Paris PUF

_ 1971 laquo Plotin et le deacutepassement de lontologie grecque raquo in Le neacuteoplatonismeColloque international au CNRS Paris p 101-109

_ 1978 laquo Les origines de la doctrine de lrsquoanalogie de lrsquoecirctre Sur lrsquohistoire drsquouncontresens raquo Les eacutetudes Philosophiques 1 p 3-12

_ 1981 laquo Neacuteoplatonisme et analogie de lecirctre raquo in Neoplatonisme Meacutelanges offerts agraveJean Trouillard Les Cahiers de Fontenay 1981 p 63-76

_ 1983 laquo Sur linauthenticiteacute du livre K de la Meacutetaphysique raquo in P Moraux JWiesner (ed) Zweifelhaftes in Corpus Aristotelicum Sutiden zu einigen DubiaSymposium Aristotelicum Berlin W De Gruyter

_ 1985a laquo Plotin et Dexippe exeacutegegravetes des Cateacutegories dAristote raquo in AristotelicaMeacutelanges offerts agrave Marcel de Corte Bruxelles Ousia p 7-40

_ 1985b laquo Les origines aristoteacuteliciennes de la thegravese de Kant sur lecirctre raquo inA Cazenave J-F Lyotard (ed) Lart des confins Meacutelanges offerts agrave Mauricede Gandillac Paris PUF p 513-530

_ 1985c laquo Sens et structure de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne raquo in P Aubenque etalii [1985] p 111-152

_ 1991a laquo Une occasion manqueacutee la genegravese avorteacutee de la distinction entre l eacutetantet le quelque chose raquo in P Aubenque M Narcy (ed) Eacutetudes sur leSophiste de Platon Rome Bibliopolis p 367-385

_ 1991b laquo La question de lrsquoontotheacuteologie chez Aristote et Hegel raquo in T de KoninckG Planty-Bonjour (ed) La Question de Dieu selon Aristote et Hegel Paris PUF p 259-283

_ 2000a laquo Peut-on parler aujourdhui de fin de la meacutetaphysique raquo Agora Papeles defilosofia 19 p 5-14

_ 2000b laquo Sur lrsquoambivalence du concept aristoteacutelicien de substance raquo in N-LCordero [2000] p 93-105

_ 2001 laquo Le conflit actuel des interpreacutetations analytique ou hermeacuteneutique raquo inYC Zarka [2001] p 45-58

_ 2004 laquo Ravaisson interpregravete dAristote raquo in D Thouard (ed) Aristote au XIXegraveme

segravecle Lille Presses universitaires du Septentrion p 157-170

465

Annexes

_ 2009a Problegraveme aristoteacuteliciens ndash Philosophie theacuteorique Paris Vrin

_ 2009b Faut-il deacuteconstruire la meacutetaphysique Paris PUF

AUBENQUE P (ED) 1979 Eacutetudes sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Actes du VIegraveme symposium aristotelicumParis Vrin

AUBENQUE ET ALII 1985 Eacutetudes aristoteacuteliciennes meacutetaphysique et theacuteologie Paris Vrin

AUBRY G 2002 laquo Dunamis et energeia dans leacutethique aristoteacutelicienne leacutethique dudeacutemonique raquo in G Romeyer Dherbey G Aubry (ed) [2002] p 75-94

ndash 2006 Dieu sans la puissance Dunamis et energeia chez Aristote et Plotin Paris Vrin

BAumlCK A 2000 Aristotles Theory of Predication Leiden Brill

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_ 1983 laquo Quelques remarques sur la conception aristoteacutelicienne du non-ecirctre raquoRevue de philosophie ancienne 2 p 115-142

_ 1996 laquo La Meacutetaphysique dAristote onto-theacuteologie ou philosophiepremiegravere raquo Revue de philosophie ancienne 14 1 p 61-85

_ 1998 laquo De qui est fin le Moteur immobile raquo in M Bastit J Follon (ed) Essaissur la theacuteologie drsquoAristote Actes du colloque de Dijon Louvain Peeters p 5-28

_ 2000 laquo Unmoved Mover(s) as Efficient Cause(s) in Metaphysics Lambda 6 raquo inM Frede D Charles [2000] p 181-206

_ 2005a laquo La meacutetaphysique dAristote raquo in Y-C Zarka B Pinchard (ed) Y a-t-il unehistoire de la meacutetaphysique Paris PUF p 45-56

_ 2005b laquo Que reste-t-il aujourdrsquohui de la Meacutetaphysique drsquoAristote raquo in M NarcyA Tordesillas [2005] p 227-238

_ 2006 laquo Y a-t-il une theacuteologie drsquoAristote raquo in P Langlois Y-C Zarka LesPhilosophes et la question de Dieu Paris PUF p 55-71

_ 2008a Dialectique physique et meacutetaphysique Eacutetudes sur Aristote Louvain Peeters

_ 2008b laquo Les passages dits ldquotheacuteologiquesrdquo du livre Gamma raquo in M Hecquet-Devienne A Stevens [2008] p 423-438

466

Annexes

_ 2009 laquo La cause du mouvement dans les ecirctres vivants raquo in G Van Riel P Destreacutee(ed) Ancient Perspectives on Aristotles De anima Ancient and MedievalPhilosophy Leuven Leuven University Press 2009 p 141-154

BIANCHI L 2002 laquo Interpreacuteter Aristote par Aristote Parcours de lrsquohermeacuteneutiquephilosophique agrave la Renaissance raquo Methodos [En ligne] 2httpmethodosrevuesorg98

BODEacuteUumlS R 1992 Aristote et la theacuteologie des vivants immortels Paris Belles Lettres

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_ 1994 ldquoAristotlersquos Conception of Metaphysics as a Sciencerdquo in TD ScaltsasD Charles ML Gill (ed) Unity Identity and Explantion in AristotlersquosMetaphysics Oxford Oxford University Press p 321-354

BRAGUE R 1988 Aristote et la question du monde Paris PUF

_ 2002 laquo Alexander of Aphrodisias on the Cosmos by Charles Genequand raquoIslamica 94 p 201-202

BRENTANO F 18621992

Von den mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles Freiburgtr fr 1992 Aristote et les significations de lrsquoecirctre de la diversiteacute de lrsquoecirctre drsquoapregravesAristote tr P David Paris Vrin

BROADIE S 2009 laquo Aporia 8 raquo in M Crubellier A Laks [2009] p 136-150

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2005 Les Cateacutegories et leur histoire Paris Vrin

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_ 1979 laquo La forme preacutedicat de la matiegravere raquo in P Aubenque [1979] p 131-166

_ 2000 laquo Dialectique et philosophie chez Aristote agrave nouveau raquo in N-L Cordero[2000] p 107-130

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ndash 2009 laquo Commentary on Charles raquo Proceedings Boston Area Colloquium in AncientPhilosophy 24 p 30-47

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_ 1988 Aristotle on the many senses of priority Carbondale Journal of the History ofPhilosophy Monograph Series

_ 1995 Aristotle and Mathematics Aporetic Method in Cosmology and MetaphysicsLeiden Brill

467

Annexes

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COULOUBARITSIS L 1983 laquo LEcirctre et lUn chez Aristote raquo Revue de philosophie ancienne 1 p 49-98 143-195

ndash 1985 laquo Le statut du devenir dans Meacutetaphysique Z et H raquo in J Wiesner [1985] t I p288-310

ndash 1997sup2 La Physique drsquoAristote lrsquoavegravenement de la science physique Bruxelles Ousia

CASSIN B 1991 laquo Les muses et la philosophie raquo in P Aubenque M Narcy (ed) Eacutetudes surle Sophiste de Platon Rome Bibliopolis p 292-316

CODE A 1997 laquo Aristotles metaphysics as a science of principles raquo Revue Internationale dePhilosophie 3 201 p 357-378

CRUBELLIER M 1994 Les livres Mu et Nu de la Meacutetaphysique dAristote Traduction et commentaireThegravese de doctorat preacutesenteacutee le 7 deacutecembre 1994 Universiteacute Charles deGaule ndash Lille 3

_ 1997 laquo La beauteacute du monde Les sciences matheacutematiques et la philosophiepremiegravere raquo Revue Internationale de Philosophie 51 p 307-331

ndash 1999 Recherches sur la constitution de lideacutee de philosophie premiegravere dans la philosophiegrecque classique meacutemoire en vue de lrsquohabilitation agrave diriger les recherchespreacutesenteacute le 23 janvier 1999 agrave lrsquoUniversiteacute Charles de Gaule Lille-III

ndash 2000 laquo Metaphysics Lambda 4 raquo in M Frede D Charles [2000] p 137-160

ndash 2005 laquo Les faits ontologiques et leurs causes raquo in M Narcy A Tordesillas [2005]p 59-80

_ 2008 laquo La tactique argumentative de Meacutetaphysique Gamma 3-6 raquo in M Hecquet-Devienne A Stevens [2008] p 423-438

ndash Agraveparaicirctre

laquo Luniteacute de lOrganon raquo in J Brumberg-Chaumont (ed) LOrganon dans latranslatio studiorum Turnhout Brepols

CRUBELLIER MLAKS A

2009 Aristotlersquos Metaphysics Beta Oxford Oxford University Press

CRUBELLIER MPELLEGRIN P

2002 Aristote le philosophe et les savoirs Paris Seuil

DANCY RM 1986 laquo Aristotle and Existence raquo in S Knuuttila J Hintikka [1986] p 49-80

DECARIE V 1972sup2 LrsquoObjet de la Meacutetaphysique selon Aristote Paris Vrin

DESTREacuteE P 1992 laquo Physique et meacutetaphysique chez Aristote Agrave propos de lexpression ONHE ON raquo Revue Philosophique de Louvain 90 4 p 422-444

DEVEREUX D 2008 laquo Commentary on Sefrin-Weis raquo Proceedings of the Boston Area Colloquiumin Ancient Philosophy 24 XXIV p 286-297

DHONDT U 1961 laquo Science suprecircme et ontologie chez Aristote raquo Revue Philosophique deLouvain 59 p 5-30

DIELS H 1905 laquo Aristotelica raquo Hermes 40 p 301-316

DIXSAUT M 2004 laquo Aristote parricide Note sur la dialectique chez Platon et Aristote raquo in ITsimbidaros (ed) Platon et Aristote Dialectique et meacutetaphysique Bruxelles Ousia p 71-99

468

Annexes

DORION L-A 2008 laquo Un passage ldquodeacuteplaceacuterdquo Agrave propos de Meacutetaphysique Γ 2 1004a 2-9 et desrapports entre philosophie et philosophie premiegravere raquo in M Hecquet-Devienne A Stevens [2008] p 323-346

DUMOULIN B 1986 Analyse geacuteneacutetique de la Meacutetaphysique drsquoAristote Paris Belles Lettres

DUumlRING I 1960 laquo Aristotle on Ultimate Principles from ldquoNature and realityrdquo in I DuumlringGEL Owen (ed) Aristotle and Plato in the mid-fourth Century Goumlteborg Studia Graeca et Latina Gothoburgensia p 35-55

EVANS JDG 1977 Aristotles Concept of Dialectic Cambridge Cambridge University Press

FAZZO S 2002 laquo Lambda 7 1072b2-3 raquo Elenchos 23 p 357-375

ndash 2009 Il libro Lambda della Metafisica di Aristotele Parte I Edizione ndash Parte II Interpretazione ndash Parte III Tradizione Thegravese de doctorat preacutesenteacutee le 15deacutecembre 2009 Universiteacute Charles de Gaule ndash Lille 3

FEREJOHN MT 1980 laquo Aristotle on focal meaning and the unity of science raquo Phronesis 25 2p 117-128

FINE G 1984 laquo Separation raquo Oxford Studies in Ancient Philosophy 2 p 31-87

_ 1987 laquo Forms as Causes Plato and Aristotle raquo in A Gresen (ed) Mathematicsand Metaphysics in Aristotle Bern Stuttgart Verlag Paul Haupt p 69-112

FREDE M 1981 laquo Categories in Aristotle raquo in DJ OrsquoMeara (ed) Studies in AristotleWashington D C The Catholic University of America Press p 1-24

_ 1987a laquo Substance in Aristotlersquos Metaphysics raquo in Essays in Ancient PhilosophyOxford Clarendon Press p 72-80

_ 1987b laquo The Unity of General and Special Metaphysics Aristotlersquos Conception ofMetaphysics raquo in Essays in Ancient Philosophy Oxford Clarendon Pressp 81-95

_ 1990 laquo The Definition of Sensible Substances in MetZ raquo in D Devereux PPellegrin (ed) Biologie logique et meacutetaphysique chez Aristote Paris Eacuteditionsdu CNRS p 113-129

_ 1996 laquo La theacuteorie aristoteacutelicienne de lrsquointellect agent raquo in G Romeyer DherbeyC Viano (ed) Corps et acircme sur le De Anima drsquoAristote Paris Vrin

FREDE MPATZIG G

1988 Aristoteles Metaphysik Z Text bersetzung und Kommentar 2 Bde Muumlnchen

FREDE M CHARLES D (ED)

2000 Aristotlersquos Metaphysics Lambda XIVegraveme Symposium Aristotelicum Oxford Clarendon Press

GAUTIER-MUZELLECM-H

2008 laquo Aristote et le principe du μᾶλλον raquo in M Hecquet-Devienne A Stevens[2008] p 179-215

GAZZIERO L 2008 Rationes ex machina La micrologie agrave lacircge de lindustrie de largument Paris Vrin

GERSON LP 2004 laquo The unity of intellect in Aristotles De anima raquo Phronesis 49 4 p 348-373

GILL M-L 1989 Aristotle on Substance The Paradox of Unity Princeton Princeton UniversityPress

ndash 1996 laquo Metaphysics H 1ndash5 on Perceptible Substances raquo in C Rapp (ed)Metaphysik Die Substanzbuumlcher (Ζ Η Θ) Berlin Akademia Verlag p 209-228

ndash 2005 laquo Aristotles Metaphysics Reconsidered raquo Journal of the History of Philosophy43 3 p 223-251

469

Annexes

GOURINAT J-B 2004 laquo Lrsquointellect divin drsquoAristote est-il cause efficiente raquo Bollettino filosoficoUniversita della Calabria laquo Modelli di Ragione raquo 20

GRANGER H 1997 Aristotlersquos Idea of the Soul Dordrecht Kluwer Academic Publishers

HAAS (DE) FAJ 2009 laquo Aporiai 3-5 raquo in M Crubellier A Laks [2009] p 73-104

HAMELIN O 1953 La Theacuteorie de lrsquointellect drsquoapregraves Aristote et ses commentateurs Paris Vrin

HINTIKKA J 1959 laquo Aristotle and the Ambiguity of Ambiguity raquo Inquiry 2 p 137-151

ndash 1971 laquo Different Kinds of Equivocation in Aristotle raquo Journal of the History ofPhilosophy 9 3 p 368-372

ndash 1986 laquo The Varieties of Being in Aristotle raquo in S Knuuttila J Hintikka [1986] p81ndash114

HECQUET-DEVIENNE M 2004 laquo A Legacy from the Library of the Lyceum Inquiry into the JointTransmission ofTheophrastus and Aristotles Metaphysics Based onEvidence Provided by Manuscripts E and J raquo Harvard Studies in ClassicalPhilology 102 p 171-189

ndash 2005 laquo Lauthenticiteacute de Meacutetaphysique Alpha (meizon ou elatton) dAristote unfaux problegraveme Une confirmation codicologique raquo Phronesis 50 2 p 129-149

HECQUET-DEVIENNE MSTEVENS A (ED)

2008 Aristote Meacutetaphysique Gamma eacutedition traduction eacutetudes Louvain Peeters

HUSSON S (ED) 2009 Interpreacuteter le De Interpretatione Paris Vrin

ILDEFONSE F 2005 laquo Analyse du langage et analyse de lrsquoecirctre dans la Meacutetaphysique raquo in MNarcy A Tordesillas [2005] p 183-198

IRWIN T 1988 Aristotlersquos First Principles Oxford Clarendon Press

ISNARDI PARENTE M 1981 laquo Le Peri ideocircn dAristote Platon ou Xeacutenocrate raquo Phronesis 26 2 p 135-152

JAEGER W 1997 Aristote fondements pour une histoire de son eacutevolution tr O Sedeyn Paris LrsquoEacuteclat

JAULIN A 1999 Eidos et ousia De lrsquouniteacute theacuteorique de la Meacutetaphysique drsquoAristote Paris Klincksieck

_ 2008a laquo La philosophie premiegravere dans le livre Γ raquo in M Hecquet-Devienne AStevens [2008] p 347-360

_ 2008-2009

laquo Le retour de la physique dans la Meacutetaphysique dAristote raquo Philonsorbonne3 p 97-107

JAULIN A ET ALII 2003 La philosophie dAristote Paris PUF

LABARRIEgraveRE J-L 2001 laquo Aristote penseur de la diffeacuterence entre lhomme et lanimal raquoAnthropozoologica 33-34 p 105-112

LAKS A 2000 laquo Metaphysics Lambda 7 raquo in M Frede D Charles [2000] p 207-243

_ 2007 Histoire doxographie veacuteriteacute Eacutetudes sur Aristote Theacuteophraste et la philosophiepreacutesocratique Louvain Peeters

LEAR J 1982 laquo Aristotles Philosophy of Mathematics raquo The Philosophical Review 91 2p 161-192

LESZL W 1970 Logic and metaphysics in Aristotle ndash Aristotles treatment of equivocity and itsrelevance to his metaphysical theories Padova Editrice Antenore

_ 1975 Aristotles conception of ontology Padova Editrice Antenore

_ 1975b Il De ideis di Aristotele e la teoria platonica delie Idee Florence Olschki

470

Annexes

_ 2008 laquo On the science of being qua being and its platonic background raquo in MHecquet-Devienne A Stevens [2008] p 217-265

_ 2010 laquo Lo studio dellΟΥΣΙΑ e lindagine circa le cause i principi e gli elementinella Metafisica raquo in F Fronterotta (ed) La scienza e le cause a partire dallaMetafisica di Aristotele Napoli Bibliopolis p 187-312

LEWIS FA 2004 laquo Aristotle on the Homonymy of Being raquo Philosophy and PhenomenologicalResearch 68 1 p 1-36

LLOYD AC 1962 laquo Genus Species and Ordered Series in Aristotle raquo Phronesis 7 1 p 67-90

ndash 1981 Form and universal in Aristotle Liverpool Francis Cairns

LLOYD GER 2000 laquo Metaphysics Lambda 8 raquo in M Frede D Charles [2000] p 245-273

MANSION A 1956 laquo Lobjet de la science philosophique suprecircme dapregraves Aristote MeacutetaphE 1 raquo in Meacutelanges Mgr Diegraves Paris p 151-168

_ 1958 laquo Philosophie premiegravere philosophie seconde et meacutetaphysique raquo Revuephilosophique de Louvain 56 p 195-221

MARTINEAU E 1997 De linauthenticiteacute du livre E de la Meacutetaphysique dAristote Confeacuterence 5p 445-509

MATTHEWS GB 1995 laquo Aristotle on existence raquo Bulletin of the Institute of Classical Studies 40 1p 223-238

MICHELET KL 1836 Examen critique de louvrage dAristote intituleacute Meacutetaphysique Paris

MIGNUCCI M 1975 Largomentazione dimostrativa in Aristolele Commento agli Analitici SecondiPadova Antenore

MENN S 1995 laquo The Editors of the Metaphysics raquo Phronesis 40 2 p 202-208

_ 2009 laquo Zeller and the Debates about Aristotles Metaphysics raquo in G Hartung (ed)Eduard Zeller Philosophie- und Wissenschaftsgeschichte im 19 JahrhundertBerlin W De Gruyter p 93-122

_ Agraveparaicirctre

The Aim and the Argument of Aristotles Metaphysics

MORAUX P 1951 Les Listes anciennes des ouvrages drsquoAristote Louvain Eacuteditions Universitairesde Louvain

MOURELATOS APD 1984 laquo Aristotles Rationalist Account of Qualitative Interaction raquo Phronesis 291 p 1-16

NARCY M TORDESILLAS A (ED)

2005 La Meacutetaphysique dAristote Perspectives contemporaines Paris Vrin

NARCY M 2000 laquo La dialectique entre Platon et Aristote raquo in NL Cordero [2000] p 69-89

ndash 2003 laquo La Meacutetaphysique Tradition grecque Origine et titre raquo in R Goulet(ed) Dictionnaire des philosophes antiques Suppleacutement Paris Eacuteditionsdu CNRS p 224-229

_ 2008 laquo Philosophie premiegravere heacuteritage ou reniement du platonisme raquo in M Hecquet-Devienne A Stevens [2008] p 361-377

NATALI C 1998 laquo Cause motrice et cause finale dans le livre Lambda de la MeacutetaphysiquedrsquoAristote raquo in M Bastit J Follon (ed) Essai sur la theacuteologie drsquoAristote Actesdu colloque de Dijon Louvain Peeters p 29-50

NATORP P 1888 laquo Thema und Disposition der aristotelischen Metaphysik raquo PilosophischeMonatschefte 24 p 37-65 540-574

MC NUSSBAUM

AO RORTY (ED)1992 Essays on Aristotles De anima Oxford Clarendon Press

471

Annexes

OLIVO-POINDRON I 2003 laquo Οὐσία ὡς ἐνέργεια ou de lexistence chez Aristote raquo Quaestio Annuariodi metafisica 3 p 71-109

OWEN GEL 1957 laquo A proof in the ΠΕΡΙ ΙΔΕΩΝ raquo The Journal of Hellenistic Studies 77 1p 103-111

_ 1960 laquo Logic and metaphysics in some earlier works of Aristotle raquo in I DuumlringGEL Owen (ed) Aristotle and Plato in the mid-fourth Century Goumlteborg Studia Graeca et Latina Gothoburgensia p 163-190

_ 1965 laquo The Platonism of Aristotle raquo in Proceedings of the British Academy 41p 125-150

_ 1980(reacuteeacuted)

laquo Τιθέναιτὰφαινόμενα raquo in Aristote et les problegravemes de meacutethode Louvain Eacuteditions de lrsquoInstitut supeacuterieur de philosophie p 83-103

_ 1986 Logic science and dialectic collected papers in Greek philosophy (ed parM Nussbaum) London Duckworth

OWENS J 1951 The Doctrine of Being in the Aristotelian Metaphysics Toronto PontificalInstitute of Medieval Studies

PATZIG G 1979 laquo Theology and Ontology in Aristotlersquos Metaphysics raquo in J Barnes MSchofield (ed) Articles on Aristotle vol 3 London Duckworth p 33- 49

PRIMAVESI O 2007 laquo Ein Blick in den Stollen von Skepsis vier Kapitel zur fruumlhenUumlberlieferung des Corpus Aristotelicum raquo Philologus 151 p 51-77

RODRIGO P 1995 Aristote lrsquoeideacutetique et la pheacutenomeacutenologie Grenoble Millon

_ laquo Eacutethique et politique la question de lrsquoarchitectonie raquo in G RomeyerDherbey G Aubry [2002] p 10-34

ROUTILA L 1969 Die aristotelische Idee der Ersten Philosophic Untersuchungen zur onto-theologischen Verfassung der Metaphysik des Aristoteles Amsterdam

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RUTTEN C 1983 laquo Lrsquoanalogie chez Aristote raquo Revue de philosophie ancienne 1 p 30-48

RYAN EE 1973 laquo Pure form in Aristotle raquo Phronesis 18 p 209-224

SCHIELDS C 1999 Order in Multiplicity Homonymy in the Philosophy of Aristotle Oxford Clarendon Press

SEFRIN-WEIS H 2009 laquo Pros hen and the foundation of aristotelian metaphysics raquo Proceedings ofthe Boston Area Colloquium in Ancient Philosophy 24 XXIV p 261-285

STEVENS A 2000 LrsquoOntologie drsquoAristote au carrefour de la logique et du reacuteel Paris Vrin

_ 2003 laquo Aristote Meacutetaphysique raquo in A Motte C Rutten P Somville (ed)Philosophie de la Forme eidos idea morphegrave dans la philosophie grecque desorigines agrave Aristote Louvain Peeters p 469-496

_ 2005 laquo La plurivociteacute de leacutetant et de lun est-elle bien celle que lon croit raquo inM Narcy A Tordesillas [2005] p 49-58

_ 2008 laquo La science de lrsquoecirctre en tant qursquoecirctre une nouvelle conception du savoirphilosophique raquo in M Hecquet-Devienne A Stevens [2008] p 267-268

_ 2009 laquo Lapparition de la conscience dans le De anima dAristote et dautresœuvres raquo in G Van Riel P Destreacutee (ed) Ancient Perspectives on AristotlesDe anima Ancient and Medieval Philosophy Series I 41 Leuven LeuvenUniversity Press 2009 p 35-48

_ 2011 laquo La causaliteacute de lintellect dans la Meacutetaphysique et le traiteacute De lacircme raquo inL Couloubaritsis S Delcomminette (ed) La causaliteacute chez Aristote ParisBruxelles Vrin Ousia p 125-137

472

Annexes

Agraveparaicirctre

laquo Approches physique et meacutetaphysique de lrsquoeidos raquo

STRYCKER (DE) E 1979 laquo Notes sur les relations entre la probleacutematique du Sophiste de Platon etcelle de la Meacutetaphysique d Aristote raquo in P Aubenque [1979] p 49-65

SZELZAacuteK TA 1994 laquo La prosecuzione di spunti platonici nella Metafisica aristotelica raquo in ABausola G Reale [1994] p 215-232

TARAacuteN L 1978 laquo Speusippus and Aristotle on Homonymy and Synonymy raquo Hermes 1061 p 73-99

UPTON TV 1991 laquo The if-it-is question in Aristotle raquo Ancient Philosophy 11 p 315-330

VOGEL (DE) CJ 1980(reacuteeacuted)

laquo La meacutethode drsquoAristote en Meacutetaphysique drsquoapregraves Meacutetaphysique A 1-2 raquoin Aristote et les problegravemes de meacutethode Louvain Eacuteditions de lrsquoInstitutsupeacuterieur de philosophie p 147-170

WARD JK 2008 Aristotle on Homonymy Dialectic and Science Cambridge CambridgeUniversity Press

WIESNER J (ED) 19851987

Aristoteles Werk und Wirkung Paul Moraux Gewidmet 2 Vol Berlin W DeGruyter

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Die Philosophie der Griechen in ihrer geschichtlichen entwicklung II AbteilungAristoteles und die alten Peripatetiker Leipzig O R Reisland

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BEIERWALTES W 1972 Platonismus und Idealismus Frankfurt am Main V Klostermann

BEacuteNATOUIumlL T 2006 Faire usage la pratique du stoiumlcisme Paris Vrin

BESNIER B 2003 laquo La conception stoiumlcienne de la matiegravere raquo Revue de meacutetaphysique et de morale1 p 51-64

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Annexes

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ndash 2003 laquo Stoic Metaphysics raquo in B Inwood [2003] p 206ndash232

CARRIEacute J-MROUSSELLE A

1999 Nouvelle histoire de lAntiquiteacute T 10 Lrsquoempire romain en mutation des Seacutevegraveresagrave Constantin 192-337 Paris Seuil

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ndash 1999 ldquoSomething and Nothing The Stoics on Concepts and Universalsrdquo OxfordStudies in Ancient Philosophy 27 p 145-213

ndash 2001 laquo Dicaearchusrsquo philosophy of mind raquo in WW Fortenbaugh ESchuumltrumpf(ed) Dicaearchus of Messana Text Translation and Discussion NewBrunswick p 175-193

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ndash 2002 Sostanza movimento analogia Plotino critico di Aristotele Napoli Bibliopolis

ndash 2007 Platonismo e teoria della conoscenza stoica tra II e III secolo d C in M BonazziC Helmig (ed) Platonic Stoicism-Stoic Platonism The Dialogue BetweenPlatonism and Stoicism in Antiquity Leuven Leuven University Press p209-242

ndash 2008b laquo What is Porphyrys Isagoge raquo Documenti e studi sulla tradizione filosoficamedievale 19 p 1-30

CHIARADONNA R (ED) 2012 Filosofia tardoantica Storia e problemi Roma Carocci

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ndash 2003a Les cateacutegories de lecirctre Eacutetudes de philosophie ancienne et meacutedieacutevale Paris PUF

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ndash 2005 Inventio analogiae Meacutetaphysique et onto-theacuteo-logie Paris Vrin

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DELCOMMINETTE S 2006 Le Philegravebe de Platon Introduction agrave lrsquoagathologie platonicienne Leiden Brill

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Annexes

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1994 laquo Divine Providene in the Philosophy of the Empire raquo in W Haase (ed)Aufstieg und Niedergang der roumlmischen Welt 367 Berlin W De Gruyterp 4417-4490

FAZZO S 2008b laquo Nicolas lrsquoauteur du Sommaire de la Philosophie drsquoAristote Doutes surson identiteacute sa datation son origine raquo Revue des Eacutetudes Grecques 121 1p 99-126

FREDE M 1999 laquo Epilogue raquo in K Algra J Barnes J Mansfedl M Schofield (ed) TheCambridge History of Hellenistic Philosophy Cambridge CambridgeUniversity Press p 771-797

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GLUCKER J 1994 laquo The Origin of hyparkhocirc and hyparxis as philosophical terms raquo inF Romano DP Taormina [1994] p 1-23

GOTTSCHALK HB 1987 laquo Aristotelian Philosophy in the Roman World from the Time of Cicero tothe End of the Second Century AD raquo in W Haase (ed) Aufstieg undNiedergang der roumlmischen Welt 361 Berlin W De Gruyter p 1079-1174

ndash 1990 laquo The earliest Aristotelian commentators raquo in R Sorabji [1990] p 55-81

GOURINAT J-B 2005 laquo La theacuteorie stoiumlcienne de la matiegravere entre le mateacuterialisme et une relectureldquocorporalisterdquo du Timeacutee raquo dans C Viano (ed) Lrsquoalchimie et ses racinesphilosophiques La tradition grecque et la tradition arabe Paris Vrin p 37-62

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ndash 1969 laquo Zur Vorgeschichte des Begriffs Existenz Υπάρχειν bei den StoikernraquoArchiv fuumlr Begriffsgeschichte 13 p 115- 127

1972 laquo Existentia raquo Historisches Woumlrtebuch der Philosophie t II Bacircle Stuttgart col854-856 repris dans P Hadot [1999] p 57-61

ndash 1973 laquo Lecirctre et leacutetant dans le Neacuteoplatonsime raquo Revue de theacuteologie et dephilosophie 2 p 101-113

ndash 1979 laquo Les divisions des parties de la philosophie dans lAntiquiteacute raquo MuseumHelveticum 36 p 201-223

ndash 1995 Quest-ce que la philosophie antique Paris Gallimard

ndash 1999 Plotin Porphyre Eacutetudes neacuteoplatoniciennes Paris Belles Lettres

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laquo Everything is Something Why the Stoic ontology is principled coherentand comprehensive raquo

HOFFMANN P 1987 laquo Cateacutegories et langage selon Simplicius La question du skopos du traiteacutearistoteacutelicien des Cateacutegories raquo in I Hadot [1987] p 61-90

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Annexes

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ndash 2000 laquoLes cateacutegories aristoteacuteliciennes pote et pou drsquoapregraves le Commentaire deSimplicius Meacutethode drsquoexeacutegegravese et aspects doctrinauxraquo in M-O Goulet-Cazeacute et al Le Commentaire entre tradition et innovation Paris Vrin p 355-376

ndash 2006 laquo What was Commentary in Late Antiquity The Example of theNeoplatonic Commentatorsraquo in ML Gill P Pellegrin (ed) A Companion toAncient Philosophy Oxford Malden Blackwell Publishing p 597-622

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JOLY H 1974 Le Renversement platonicien Logos eacutepisteacutemegrave polis Paris Vrin

LALLOT J 2003 laquo Agrave propos des syncateacutegoregravemes consignification et signification adjacentedans la tradition logicogrammaticale grecque raquo Histoire EacutepisteacutemologieLangage 25 2 p 9-32

LAURENT J 2002 La mesure de lrsquohumain selon Platon Paris Vrin

LAVAUD L 2008a Dune meacutetaphysique agrave lautre Figures de lalteacuteriteacute dans la philosophie de PlotinParis Vrin

LIBERA (DE) A 1993 La Philosophie meacutedieacutevale Paris PUF

ndash 1996 La Querelle des universaux de Platon agrave la fin du Moyen Acircge Paris Seuil

ndash 1999a Lart des geacuteneacuteraliteacutes Theacuteories de labstraction Paris Aubier

ndash 1999b laquo Genegravese et structure des meacutetaphysiques meacutedieacutevales raquo in J-M NarbonneL Langlois [1999] p 159-182

ndash 2005a Meacutetaphysique et noeacutetique Albert le Grand Paris Vrin

ndash 2005b laquo Lrsquoonto-theacuteo-logique de Boegravece Doctrine des cateacutegories et theacuteorie de lapreacutedication dans le De Trinitate raquo in O Bruun L Corti [2005] p 175-222

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LONGO A 2005 Siriano e i principi della scienza Napoli Bibliopolis

MANSFELD J 1992a Heresiography in Context Hippolytus Elenchos as a Source for Greek PhilosophyLeiden Brill

ndash 1992b laquo Physikai doxai and Problemata physika from Aristotle to Aetius (andBeyond) raquo in WW Fortenbaugh D Gutas (ed) Theophrastus hisPsychological Doxographical and Scientific Writings New Brunswick RutgersUniversity Studies in the Classical Humanities 5 p 83-84

MARROU H-I 1977 Deacutecadence romaine ou antiquiteacute tardive Paris Seuil

MENN S 1999 laquo The Stoic Theory of Categories raquoOxford Studies in Ancient Philosophy XVII Oxford Oxford University Press p 215-247

MERLAN P 1960sup2 From Platonism to Neoplatonism The Hague Martinus Nijhoff

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Annexes

ndash 1963 Monopsychism Mysticism Metaconsciousness Problems of the soul in the Neo-Aristotelian and Neoplatonic tradition The Hague Archives internationalesdhistoires des ideacutees 2

MONTET D 1996 Archeacuteologie et geacuteneacutealogie Plotin et la theacuteorie platonicienne des genres Grenoble Millon

NARBONNE J-M 2001sup2 La meacutetaphysique de Plotin suivi de Henocircsis et Ereignis Remarques sur uneinterpreacutetation heideggeacuterienne de lrsquoUn plotinien Paris Vrin

OMEARA DJ 1986 laquo Le problegraveme de la meacutetaphysique dans lAntiquiteacute tardive raquo FreiburgerZeitschrift fur Philosophie und Theologie 33 p 3-22

PASQUINO P 1978 laquo Le statut ontologique des incorporels dans lancien stoiumlcisme raquo in JBrunschwig (ed) Les stoiumlciens et leur logique Paris Vrin p 333-346

PINES S 1987 laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in Themistius Commentaryon Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in JWiesner [1987] t II p 177-204

PRADEAU J-F 2003 Limitation des principes Plotin et la participation Paris VrinREINHARDT T 2007 laquo Andronicus of Rhodes and Boethius of Sidon on Aristotles Categories raquo in

RW Sharples R Sorabji [2007] p 513-529

ROMANO FTAORMINA DP (ED)

1994 Hyparxis e Hypostasis nel Neoplatonismo Florence Leo S Olschki

RUTTEN C 1994 laquo Hyparxis et hypostasis chez Plotin raquo in F Romano FP Taormina [1994] p25ndash32

ROSIER-CATACH I 2009 laquo Sur le verbe substantif la preacutedication et la consignification ndash PeriHermeneias 16b20-25 dans les traductions et commentaires en latin raquo inSuzanne Husson (ed) Interpreacuteter le De interpretatione Paris Vrin p 97-131

SEDLEY D 1985 laquo The Stoic Theory of Universals raquo Southern Journal of Philosophy 23 p 87ndash92

ndash 1989 laquo Philosophical Allegiance in the Greco-Roman World raquo in M Griffith JBarnes (ed) Philosophia Togata Essays on Philosophy and Roman SocietyOxford Oxford University Press p 97ndash119

ndash 2002 laquo Aristotelian relativities raquo in M Canto Sperber P Pellegrin (ed) Le Stylede la penseacutee Recueil drsquohommages agrave Jacques Brunschwig Paris Vrin p 324-352

ndash 2005a laquo Stoic metaphysics at Rome raquo in R Salles (ed) Metaphysics Soul and EthicsThemes from the Work of Richard Sorabji Oxford Oxford University Pressp 117-142

ndash 2005b laquo La deacutefinition stoiumlcienne de la phantasia katalecircptikecirc raquo in G RomeyerDherbey J-B Gourinat (ed) Les Stoiumlciens Paris Vrin p 75-92

SORABJI R 2007 laquo Adrastus Modifications to Aristotles physics of the heavens byAristotelians and others 100BC to 200AD in R Sorabji RW Sharples[2007]

TOULOUSE S 2008 laquo Les chaires impeacuteriales agrave Athegravenes aux IIe et IIIe siegravecles raquo in H Hugonnard-Roche Lenseignement supeacuterieur dans les mondes antiques et meacutedieacutevaux Paris Vrin p 127-174

VOGT KM 2009 laquo Sons of the Earth Are the Stoics Metaphysical Brutes raquo Phronesis 54 2p 136-154

WHITE MJ 2003 laquo Stoic natural philosophy (physics and cosmology raquo in B Inwood [2003]p 124-152

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Annexes

WURM K 1973 Substanz und Qualitaumlt Ein Beitrag zur Interpretation der plotinischen TraktateVI 1 2 und 3 Berlin W De Gruyter

ZAMBON M 2002 Porphyre et le moyen-platonisme Paris Vrin

II4 La meacutetaphysique et son histoire

ARMSTRONG D 2007 laquo Les universaux comme attributs raquo in E Garcia F Nef (ed) Textes Cleacutes demeacutetaphysique contemporaine Proprieacuteteacutes mondes possibles et personne Paris Vrin

BOULNOIS O 1995 laquo Quand commence lontotheacuteologie Aristote Thomas dAquin et DunsScot raquo Revue thomiste 95 1 p 85-108

ndash 1999 Ecirctre et Repreacutesentation Une geacuteneacutealogie de la meacutetaphysique moderne agrave lrsquoeacutepoque deDuns Scot Paris PUF

ndash 2001 laquo Heidegger lrsquoontotheacuteologie et les structures meacutedieacutevales de lameacutetaphysique raquo Quaestio Annuario di storia della metafisica 1 p 379-406

ndash 2002 laquo Le besoin de meacutetaphysique raquo dans J-L Solegravere Z Kaluza (ed) La Servanteet la consolatrice La philosophie dans ses rapports avec la theacuteologie au Moyen AcircgeParis Vrin p 45-94

ndash 2005 laquo La meacutetaphysique au Moyen-Age Onto-theacuteologie ou diversiteacute rebelle raquoQuaestio Annuario di storia della metafisica 5 p 37-66

BRISSON L 1999 laquo Un si long anonymat raquo in J-M Narbonne L Langlois [1999] p 37-60

CARRAUD V 2002 Causa sive ratio La raison de la cause de Suaacuterez agrave Leibniz Paris PUF

ndash 2003 laquo Linvention de lexistence Note sur la christologie de Marius Victorinus raquoQuaestio Annuario di storia della metafisica 3 p 3-25

CHAUVIER S 2003 laquo Existence et ilyance raquo Quaestio Annuario di storia della metafisica 3 p 413-432

COUJOU J-P 1999 Suarez et la refondation de la meacutetaphysique comme ontologie Louvain Peeters

COURTINE J-F 1999 laquo Meacutetaphysique et ontotheacuteologie raquo in J-M Narbonne L Langlois [1999]p 137-158

DASTUR F 2011 Heidegger et le penseacutee agrave venir Paris Vrin

GILSON E 1972sup2 LEcirctre et lessence Paris Vrin

GREISCH J 1996 laquo La fonction meacuteta dans lespace contemporain du pensable raquo in Le statutcontemporain de la philosophie premiegravere Paris Beauchesne p 5-28

HEIDEGGER M 19611971

Nietzsche Band II Pfullingen Neske tr P Klossowski Paris Gallimard1971

ndash 1968 Questions 1 et II Paris Gallimard

ndash 1991 AristoteMeacutetaphysique Θ 1-3 De lessence et de la reacutealiteacute de la force trB Stevens P Vandevelde Paris Gallimard

KAHN CH 1973 The verb be in ancient Greek Dordrecht Boston Reidel

478

Annexes

ndash 1982 laquo Why Existence Does not Emerge as a Distinct Concept in GreekPhilosophy raquo in P Morewedge (ed) Philosophies of Existence Ancient andMedieval New York Fordham University Press p 7-17

ndash 1985 laquo On the Intended Interpretation of Aristotles Metaphysics raquo in J Wiesner[1985] t I p 311-338

ndash 1986 laquo Retrospect on the verb to be and the concept of Being raquo in S Knuuttila JHintikka [1986] p 1-28

ndash 2009 Essays on being Oxford Oxford University Press

KNUUTTILA S HINTIKKA J (ED)

1986 The Logic of Being Historical studies Dordrecht

MABILLE B 2004 Hegel Heidegger et la meacutetaphysique Recherches pour une constitution Paris Vrin

MABILLE B (ED) 2006 Le principe Paris Vrin

NARBONNE J-M 1992 laquo Note critique Meacutetaphysique et possibiliteacute Agrave propos de Suarez et lesystegraveme de la meacutetaphysique de Jean-Franccedilois Courtine raquo Laval theacuteologique etphilosophique 48 1 p 109-123

NARBONNE J-MLANGLOIS L

1999 La Meacutetaphysique ndash son histoire sa critique ses enjeux Actes du XXVIIe Congregravesde lrsquoASPLF Paris Queacutebec Vrin PUL

MARION J-L 1999 laquo La science toujours rechercheacutee et toujours manquante raquo in J-MNarbonne L Langlois [1999] p 13-36

ndash 2001 De surcroicirct Paris PUF

ndash 2005 laquo La fin de la meacutetaphysique comme possibiliteacute raquo in Y-C Zarka BPinchard [2005] p 343-368

NEF F 2004 Quest-ce que la meacutetaphysique Paris Gallimard

ndash 2009 Traiteacute donto1ogie pour les non-philosophes (et les philosophes) Paris Gallimard

PORRO P 2005 laquo Introduzione Dalla Metafisica alla metafisica e ritorno una storiamedievale raquo Quaestio Annuario di storia della metafisica 5 p IX-LI

ROSEN S 2008 La question de lecirctre Heidegger renverseacute tr E Helmer Paris Vrin

ZARKA Y-CPINCHARD B (ED)

2005 Y a-t-il une histoire de la meacutetaphysique Paris PUF

II5 Autres

ADORNO TW 1977 Uumlber Tradition in Gesammelte Schriften 101 Suhrkamp Verlag Frankfurt amMain

ARENDT H 1972 La crise de la culture tr P Levy Paris Gallimard

ndash 19782005

The Life of the Mind New York Harcourt Brace Jovanovich La vie de lesprit trL Lotringer Paris PUF

BARBARAS R 1991 De lecirctre du pheacutenomegravene Sur la pheacutenomeacutenologie de Merleau-Ponty Grenoble Millon

ndash 1998 Le tournant de lrsquoexpeacuterience - Recherches sur la philosophie de Merleau-Ponty Paris Vrin

479

Annexes

BRETON S 1982 laquoDe lusage philosophique de quelques particulesraquo Revue philosophique deLouvain 80 p 64-84

CASSIN B (ED) 2004 Vocabulaire europeacuteen des philosophies Dictionnaire des intraduisibles Paris SeuilLe Robert

CAVALLO GCHARTIER R (ED)

1997 Histoire de la lecture dans le monde occidental Paris Seuil

DELEUZE G 1968 Diffeacuterence et reacutepeacutetition Paris PUF

ndash 1991 Quest-ce que la philosophie Paris Eacuteditions de Minuit

DERRIDA J 1972a Marges ndash de la philosophie Paris Eacuteditions de Minuit

ndash 1972b La Disseacutemination Paris Seuil

ECO U 1965 LŒuvre ouverte Paris Seuil

FISCHBACH F 2011 La privation de monde Temps espace et capital Paris Vrin

GADAMER HG 19601996

Wahrheit und Methode Tuumlbingen Mohr Veacuteriteacute et Meacutethode tr G Pruchon JGrondin G Merlio Paris Seuil

HENRY M 1976 Marx I Une philosophie de la reacutealiteacute Paris Gallimard

HUSSERL E 1976 La Crise des sciences europeacuteennes et la pheacutenomeacutenologie transcendantale tr fr GGranel Paris Gallimard

MARCHAND S 2008 laquo Entretien avec Jonathan Barnes agrave propos de son interpreacutetation duscepticisme antique raquo Cahiers Philosophiques 115 p 113-123

MARION J-L 2008 laquo Remarques sur lusage de tradition en histoire de la philosophie raquo inC Erismann ASchniewind (ed) Compleacutements de substance Paris Vrin p 1-18

MICHELI R 2006 laquo Contexte et contextualisation en analyse du discours regard sur les travauxde Teun Van Dijk raquo SEMEN 21 p 103-120

MERLEAU-PONTY M 1960 Signes Paris Gallimard

ndash 1968 Reacutesumeacutes de cours collegravege de France 1952-1960 Paris Gallimard

RASTIER F 1998 laquo Le problegraveme eacutepisteacutemologique du contexte et le statut de linterpreacutetationdans les sciences du langage raquo Langages 32 p 97-111

RORTY R 1984 laquo The Historiography of Philosophy Four Genresraquo in R Rorty JBSchneewind Q Skinner (ed) Philosophy in History Cambridge CambridgeUniversity Press 1984 tr in G Vattimo (ed) Que peut faire la philosophie de sonhistoire Paris Seuil 1989

SARTRE J-P 1943 LEcirctre et le neacuteant Paris Gallimard

VOLPI F 2001 laquo Heidegger et la romaniteacute philosophique raquo Revue de Meacutetaphysique et deMorale 3 31 p 287-300

WOLFF F 2010 Notre humaniteacute DAristote aux neurosciences Paris Fayard

ZARKA YC (ED) 2001 Comment eacutecrire lhistoire de la philosophie Paris PUF

480

Annexes

INDICES

Index des passages traduits

Alexandre dAphrodiseCommentaire agrave la Meacutetaphysique9 8-16 p 148-14910 23 ndash 11 2 p 174-17512 7-14 p 175-17619 33 ndash 20 3 p 219134 7-14 p 251147 3 ndash 148 10 p 155-157148 20-27 p 164171 5-11 p 92-93172 13-17 p 131172 18-22 p 127173 27 ndash 174 4 p 131174 7-20 p 129-130178 15-21 p 80196 19-24 p 120237 3-4 p 98237 3 ndash 238 3 p 132 238 3-17 p 254238 14-17 p 134239 6-9 p 227239 22-25 p 180-181239 16-25 p 183241 10-28 p 310-311241 35 ndash 242 3 p 324242 10-17 p 338-339242 29-31 p 339242 34-35 p 340243 5-7 p 340243 15-17 p 215243 29 ndash 244 8 p 304244 6-8 p 182244 9-24 p 331245 12-19 p 289-290245 20 ndash 246 17 p 262-264246 6-13 p 335246 13-24 p 227247 8-16 p 200247 16-21 p 201250 21 ndash 251 38 p 264-266263 25-33 p 343265 24-31 p 230265 30 ndash 266 18 p 269-270

Commentaire agrave la Meacutetaphysique (suite)266 18-28 p 231-232266 32 ndash 267 6 p 232371 17-36 p 206-207375 9-13 p 391375 37 ndash 376 3 p 427376 5-12 p 393387 5-12 p 347-348

Commentaire aux Topiques28 23-26 p 99301 9-27 p 67355 12-17 p 57359 12-18 p 63

Commentaire aux Premiers Analytiques357 32 ndash 358 1 p 116

De anima5 18 ndash 6 6 p 37017 15-21 p 35682 1-3 p 40385 10-11 p 40385 25 ndash 86 2 p 40386 20-28 p 40588 17 ndash 89 12 p 406-40791 24 ndash 92 11 p 359

Mantissa101 3-10 p 193122 4-9 p 365

QuaestionesI 1 4 9-17 p 420I 1 4 22-26 p 422I 3 7 20-28 p 55I 21 35 4-7 p 369

481

Annexes

AlcinoosDidaskalikos XI 166 15-35 p 75

Ammonius In De int 57 18-33 p 210

AristoteMet α 1 993b 23-31 p 152Met Γ 2 1003b 22-29 p 199Met Δ 7 1017a 22-31 p 204

Atticus Fr 9 41-6 p 44

Diogegravene Laeumlrce VII 61 p 62

Numeacutenius Fr 3 et 4b 5-9 p 84-85

Plutarque Sur lE de Delphes 392a p78

Porphyre Isagogegrave 1 9-14 p 52

Seacutenegraveque Lettre 58 sect 12-15 p 64

Stobeacutee I 136 20 ndash 137 6 p 62

Syrianus In Met 105 21-30 p 58

482

Annexes

Index des auteurs anciens et meacutedieacutevaux

ALCINOOS34 75 SV 81 381 457

AMMONIUS210 457 SV

ANDRONICOS DE RHODES29 37 39 SV 119 337 SV

341 351 353 364 388 462

ASCLEacutePIUS5 8 20 37 SV 102 SV 105 SV 120 SV

172 SV 180 182 282 296 306 458

ATTICUS34 44 52 81 86 434 436 458

AVERROEgraveS 8 94 123 SV 139 SV 150 275 294 297

SV 394 398 416 429 458

BOEacuteTHOS DE SIDONhellip103 344 353 SV 366 SV

374 376 387 SV 394

CHRYSIPPE29 51 58

CLEacuteANTHE58

DIOGEgraveNE LAEumlRCE5 SV 36 61 SV 121

GALIEN33 193 SV 196 360 372 437 458 460

MARC AUREgraveLE29 33 42 381

MARIUS VICTORINUS198 216 SV 474 477

NICOLAS DE DAMAS5 123 SV 474

NUMEacuteNIUS32 47 77 SV 84 SV 472

PHILON DALEXANDRIE192 SV 196 469

PLATON3 28 SV 34 SV 37 51 55 65 75 78 81

86 105 130 145 148 190 192 238 SV 244 246

248 273 297 304 SV 325 SV 347 374 396 415

420 432 SV 444 SV 457 SV 460 462 464 467 469

SV

PLOTIN8 30 39 50 54 70 86 185 213 217

273 354 387 414 445 449 460 SV 463 SV 471

473 SV

PLUTARQUEVI 41 75 77 SV 84 193 197

PORPHYREhellip8 37 39 52 SV 70 198 217 273

458 474 477

SEacuteNEgraveQUE31 64 SV

SEXTUS EMPIRICUSVI 56 73 196 SV 381

SIMPLICIUSVI 9 20 36 121 248 318 338 353

372 398 458 474 SV

STOBEacuteE61 SV

SUAacuteREZ6 9 17 477

SYRIANUS8 20 47 58 SV 64 121 179 SV 222

237 296 306 458 SV

THEacuteOPHRASTE3 39 41 106 428 432 435 437

458 469

ZEacuteNON DE CITIUM62 196

483

Annexes

Index des auteurs modernes et contemporains

ACCATTINO P15 28 360 SV 454 459

AUBENQUE P10 SV 14 95 102 105 SV 187 SV

205 300 SV 330 443 464 SV 472 SV

BARNES J 4 38 SV 53 70 453 SV 457 SV 465 471

473 SV 476 479

BERTI E 120 153 160 165 208 335 SV 432 459

465

BODEacuteUumlS R299 395 455 SV 466

BONELLI M 16 SV 132 136 181 186 223 SV

226 230 SV 234 237 274 SV 277 280 SV 283 307

SV 459

BONITZ H173 182 SV 340 452

BRAGUE R30 50 298 SV 391 459 466 472

BURNYEAT M106 135 466 473

CARRAUD V216 477

CASTON V362 SV 409 459 466 473

CHIARADONNA R 460 473

CORDONIER V81 SV 460

COULOUBARITSIS L95 203 467 471

COURTINE J-F70 144 196 296 473 477 SV

CRUBELLIER MI 3 147 189 455 466 SV 469

DONINI P15 28 140 142 147 162 276 SV 279

SV 287 289 SV 292 295 454 459 SV

FAZZO S37 419 SV 454 460 SV 468 474

FREDE M31 51 118 SV 463 465 467 SV 474

GENEQUAND C140 SV 272 SV 276 SV 297 422

454 458 SV 461 466

GILSON E78 191 477

HADOT P104 SV 217 458 474

HAYDUCK M173 182 SV 281 340 452 458

HEIDEGGER M5 10 SV 50 187 446 SV 477 SV

HOFFMANN P 458 474

JAULIN AI 153 455 461 469

KUPREEVA I15 60 357 461

LESZL W162 169 173 290 299 305 335 SV 469

MANSION A108 470

MENN S37 SV 118 470 475

MERLAN P138 SV 144 162 168 170 175 273

462 475

MERLEAU-PONTY M48 478 SV

MIGNUCCI M160 235 237 462 470 473

MORAUX P15 41 123 159 358 360 406 456

462 464 470 472

MOVIA G16 453 459 SV

RASHED M16 SV 27 55 88 96 158 160 SV 326

354 367 369 371 376 SV 382 SV 385 388 SV

391 394 404 435 444 446 452 456 460 SV

ROSS WD 135 153 SV 172 SV 191 205 SV 214

221 237 409 420 455 457

SHARPLES RW9 15 36 426 439 454 457 462

SV 476

STEVENS A I 154 206 455 457 465 467 SV 477

TRICOT J9 116 153 409 455 SV

WOLFF F379 443 472 479

484

Page 2: AUX ORIGINES DE LA MÉTAPHYSIQUE L'INTERPRÉTATION PAR ...

Remerciements

Je tiens en premier lieu agrave exprimer toute ma reconnaissance envers mes deux directeurs

de thegravese ou selon le terme belge mes promoteurs (deux termes qui ont en commun de deacutecrire

adeacutequatement lindication dun sens et limpulsion dun mouvement) Madame Annick Stevens

et Monsieur Michel Crubellier Ce travail doit tout agrave leurs conseils relectures encouragements

Plus que cela ils mont formeacute et mont appris agrave lire les textes ce qui suit je lespegravere en porte la

trace

Je remercie les membres de leacutequipe Didaskalos Annick Jaulin Anne Balansard Cristina

Cerami et Laurent Lavaud qui tout au long de nos seacuteminaires sur le Commentaire agrave la

Meacutetaphysique dAlexandre mauront soutenu et conseilleacute mauront montreacute comment la recherche

peut seffectuer librement avec plaisir autant que rigueur

Gracircce au soutien de lrsquoUMR laquo Savoirs Textes Langage raquo de lUFR de philosophie de

lUniversiteacute de Lille 3 de lEacutecole Doctorale SHS Lille Nord de France jai pu effectuer mes

recherches dans un cadre de travail propice Je remercie eacutegalement mes collegravegues de lUFR de

philosophie

Il y a parmi ces collegravegues des amis dont les encouragements ont eacuteteacute source de reacuteconfort

Parce que selon une thegravese constante des penseurs antiques il ny a pas de philosophie sans

amitieacute je remercie singuliegraverement Peggy Avez Sarah Margairaz et Franccedilois Thomas

Morgann Guyomarch Nolwenn Guyomarch Claire Louguet et Marc Develey ont assureacute

la relecture de diverses parties du preacutesent travail Claire Louguet a en outre toujours su rester

attentive agrave la rigueur des traductions et agrave lintelligibiliteacute du propos Les obscuriteacutes restantes me

sont bien sucircr imputables

Ma gratitude pour mes parents deacutepasse le cadre de ce simple travail

Enfin agrave Olivier laquo ὁ δ ἀληθινὸς φίλος καὶ ἁπλῶς ὁ πρῶτος ἐστίν ἔστι δὲ τοιοῦτος ὁ δι

αὑτὸν αὐτὸς αἱρετός raquo1

1 Aristote EE VII 2 1236b 28-29

I

Sommaire

RemerciementsI

SommaireII

Abreacuteviations et conventionsVI

Introduction1

1 La fondation de la meacutetaphysique1

2 LExeacutegegravete par excellence et lhistoire de laristoteacutelisme7

3 Eacutetat de lart14

4 Thegravese et meacutethode ndash meacutetacommentaire17

Chapitre I La meacutetaphysique comme science une enjeux23

11 Y a-t-il un laquo champ de bataille de la meacutetaphysique raquo agrave leacutepoque dAlexandre 23

111 Contextualisation 24

a) Contextualiser une eacutenonciation philosophique24

b) Une contextualisation commandeacutee par le contexte27

112 Quelle meacutetaphysique 36

a) Larleacutesienne36

b) Trois critegraveres deacuteflationnistes du meacutetaphysique43

113 Implications meacutetaphysiques de deacutebats logique et physique51

a) Le problegraveme des universaux ouverture vers une question de lecirctre51

b) lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes la question des principes72

114 Conclusions trois reacutequisits pour la meacutetaphysique alexandrinienne86

12 Alexandre exeacutegegravete Uniteacute des noms uniteacute du traiteacute89

121 Luniteacute de la laquo πραγματεία raquo89

122 Luniteacute des noms une science heacuteteacuteronyme ou polyonyme 95

a) Linvention de la laquo meacutetaphysique raquo 96

b) La promotion de laquo philosophie premiegravere raquo la meacutetaphysique agrave lendroit98

c) La promotion de laquo philosophie premiegravere raquo louverture dun champ106

123 La Meacutetaphysique selon Alexandre117

II

a) Une lecture interne117

b) Authenticiteacute des livres et uniteacute du traiteacute119

c) La marche du traiteacute125

d) Conclusion limpeacuteratif duniteacute135

Chapitre II La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere137

21 La science du premier une theacuteologisation de la meacutetaphysique 137

211 Limpossible reacuteduction137

212 La viseacutee du premier143

213 Les principes premiers statut et identiteacute150

a) Le principe de causaliteacute du maximum150

b) Quels principes premiers 160

22 Une science universelle169

221 Lambition totalisante169

222 Eacutetudier leacutetant laquo en tant queacutetant raquo et ses proprieacuteteacutes176

223 Eacutetudier les modes decirctre des eacutetants ὕπαρξις185

a) ὕπαρξις avant et chez Alexandre ndash les raisons dune promotion190

b) Le commentaire agrave Γ 2 leacutetant et lun 197

c) Meacutetaphysique Δ 7 et son commentaire par Alexandre 203

224 Conclusions ndash existence et non-eacutetant comme objets de la meacutetaphysique213

23 La premiegravere des sciences lambition fondationnelle219

231 Une science architectonique220

232 Une science modegravele223

233 La science des axiomes228

234 Conclusions dialectique et meacutetaphysique238

a) Aristote et la dialectique platonicienne lheacuteritage238

b) Le parricide240

c) Meacutetaphysique et dialectique247

24 Lunification lobjet de la meacutetaphysique dans le commentaire agrave Γ 250

241 Plan et objet de Γ253

242 Trois passages architectoniques260

III

a) Les textes261

b) Eacutetat des lieux problegravemes et interpreacutetations270

c) La solution geacuteneacuterale la structure uni-reacutefeacuterentielle des sciences278

d) Ontologie ousiologie et theacuteologie286

243 Conclusions une structure laquo katholou-protologique raquo 296

Chapitre III Les objets de la meacutetaphysique301

31 Luniteacute de leacutetant en tant queacutetant303

311 Homonymie synonymie et plurivociteacute ndash trois gestes exeacutegeacutetiques dAlexandre308

a) Relation et deacutependance308

b) Entre homonymes et synonymes311

c) Limpeacuteratif de fondation318

312 La prioriteacute de la substance322

a) Un maximum322

b) Une cause329

c) Premier et universel derechef335

313 La relativiteacute des eacutetants non-substantiels337

32 Οὐσία et εἶδος dune cause de lecirctre agrave lautre348

321 La substance comme sujet dinheacuterence348

322 La forme qualiteacute ou substance 356

a) Le cas de lacircme 356

b) La Forme substance car partie de la substance365

323 Lessentialisme dAlexandre372

a) Extension de lhyleacutemorphisme ndash 1 373

b) Forme et diffeacuterence la deacutefinition de lhomme376

c) Causaliteacute de la forme et inheacuterence hyleacutemorphique385

323 Conclusions impeacuteratifs contextuels et coheacuterence interne389

33 La fin de lenquecircte la theacuteologie398

331 Extension de lhyleacutemorphisme ndash 2 la noeacutetique400

a) Concepts fondamentaux de la noeacutetique alexandrinienne400

b) Le principe de causaliteacute du maximum en noeacutetique407

332 Lordre du monde419

IV

a) Dramatis personae419

b) Agrave quoi bon un dieu 430

333 Meacutetaphysique et fin de lhomme438

Conclusions442

Annexes453

Bibliographie seacutelective453

Indices481

V

Abreacuteviations et conventions

Sauf indication contraire les citations des textes grecs sont extraites des eacuteditions retenuespar le Thesaurus Linguae Graecae Le volume Thesaurus linguae graecae canon of Greek authors andworks eacutediteacute par L Berkowitz et K A Squitier Oxford University Press 1990 recense ceseacuteditions il est mis agrave jour sur le site httpstephanustlguciedu

Sauf indication contraire les traductions proposeacutees sont nocirctres Les traductions duCommentaire agrave la Meacutetaphysique dAlexandre ont amplement beacuteneacuteficieacute des travaux de leacutequipeDidaskalos quoique nous ayons ici conserveacute nos propres traductions dans lattente de latraduction franccedilaise du Commentaire

Abreacuteviations des œuvres dAlexandre

In Topica In Top In Analytica Priora In AnPrIn Meteorologica In Meteor In Metaphysicam In MetDe anima DA Mantissa MantDe providentia De prov De principiis De princDe mixtione De mix

Les titres des autres œuvres nont pas eacuteteacute abreacutegeacutes Ces abreacuteviations valant eacutegalement pour les autres commentateurs le nom de lauteur a

eacuteteacute systeacutematiquement preacuteciseacute quand il ne sagissait pas dAlexandre On peut y rajouter In EN pour le commentaire dAspasius agrave lrsquoEacutethique agrave Nicomaque In

Cat pour les divers Commentaires aux Cateacutegories In Phys pour le commentaire de Simplicius agrave laPhysique

Abreacuteviations des œuvres dAristote

Cateacutegories Cat De interpretatione De intAnalytica priora AnPr Analytica posteriora AnPoTopica Top Physica PhysDe caelo Caelo De generatione et corruptione GCMeteorologica Meteor De Anima DADe partibus animalium PA De generatione animalium GAMetaphysica Met Eacutethique agrave Nicomaque ENEacutethique agrave Eudegraveme EE Politica PolPotreptique Protr

Autres abreacuteviations

De Comm Not Plutarque De Communibus notiis adversus Stoicos DL Diogegravene Laeumlrce Vies doctrines et sentences des philosophes illustresLS AA Long DN Sedley Les philosophes helleacutenistiques t I II III [1987] tr fr [2001] M Sextus Empiricus Adversus MathematicosSVF HFA Von Arnim Stoicorum veterum fragmentaLSJ H Liddel R Scott HS Jones R McKenzie A GreekndashEnglish Lexicon

Les œuvres dAlexandre neacutetant pas les plus accessibles nous navons pas heacutesiteacute agrave ecirctregeacuteneacutereux dans les citations en notes de bas de page

VI

Introduction

INTRODUCTION

φιλοπονωτάτου σαφηνισθεῖσαν Ἀλεξάνδρου1

1 La fondation de la meacutetaphysique

Aristote a dit-on fondeacute la meacutetaphysique2 Cette proposition est autant leacutegitime

quinacceptable en leacutetat

Leacutegitime elle lest en ceci quon ne trouvera sans doute pas dans lhistoire de la

philosophie (telle quelle comprend les penseacutees europeacuteenne byzantine syriaque arabe)

douvrage qui se revendique de laquo meacutetaphysique raquo sans aucun lien direct ou indirect avec

lœuvre du Stagirite La Meacutetaphysique deacutesigne au premier chef cet ensemble de livres dont on

attribue la paterniteacute agrave Aristote et cest par antonomase que le nom propre sest lexicaliseacute en celui

dune science Le Stagirite ne fonde pas seulement cette science en un sens bibliotheacutecaire au sens

ougrave ce sont ses traiteacutes qui ont eacuteteacute ainsi nommeacutes la premiegravere fois Ce titre de fondateur peut aussi

lui ecirctre agrave bon droit deacutecerneacute au regard de la cartographie des savoirs que le Stagirite eacutetablit et qui

a puissamment marqueacute lhistoire des sciences Cette cartographie construit de fait un territoire

qui sera investi par les meacutetaphysiques ulteacuterieures territoire qui ne se confond ni avec la

physique ni les matheacutematiques ni les sciences pratiques Si fonder signifie par analogie avec la

construction dun bacirctiment lacte de poser les maccedilonneries qui servent de base agrave un eacutedifice si de

1 Syrianus In Met 54 11-13 laquo ltταῦταgt πειράσεται μὲν ἐν ταύτῃ παραδοῦναι τῇ βίβλῳ ἣν ἡμεῖςἱκανῶς ὑπὸ τοῦ φιλοπονωτάτου σαφηνισθεῖσαν Ἀλεξάνδρου πᾶσαν μὲν οὐκ ἐξηγησόμεθα raquo laquo Cela Aristote va entreprendre de lexposer dans ce livre que quant agrave nous nous ne commenteronspas en entier puisquil a eacuteteacute suffisamment expliqueacute avec clarteacute par le tregraves industrieux Alexandre raquoC Luna [2001] p 73 cite une traduction ineacutedite de J-P Schneider qui propose eacuteleacutegamment laquo par cetravailleur infatigable quest Alexandre raquo

2 Voir par exemple R Boehm [1965] p 3 tr fr [1976] p 103 laquo Aristote est le fondateur de lameacutetaphysique raquo premiegravere phrase du premier chapitre Ou P Aubenque [2009b] p 21 laquo hellip Aristotequi est sinon linitiateur de la question de lecirctre deacutejagrave poseacutee par Parmeacutenide avant lui du moins lefondateur de la meacutetaphysique comme science autonome raquo

1

Introduction

surcroicirct cet acte implique la projection la deacutelimitation du lieu agrave la fois linstitution3 et

linauguration au double sens de lἀρχή alors la seule reacutefeacuterence des traditions laquo meacutetaphysiques raquo

agrave Aristote suffit agrave faire de lui un fondateur

Immeacutediatement pourtant on sait aussi queacuteriger Aristote en laquo pegravere de la meacutetaphysique raquo4

fait problegraveme La difficulteacute est double parler de laquo meacutetaphysique raquo chez Aristote ne va pas de soi

non plus que parler de laquo la raquo meacutetaphysique Faut-il le rappeler le terme nappartient pas agrave

lidiome aristoteacutelicien Agrave vrai dire il nexiste mecircme aucun adjectif ou nom de la sorte (en

μεταφυσικ-) en grec classique voire en grec ancien tout court5 La difficulteacute nest pas que les

livres aristoteacuteliciens ainsi reacuteunis soient deacutepourvus de titre ndash le fait nest pas rare dans lAntiquiteacute6

ndash mais que ces divers livres soient unifieacutes sous la rubrique dun terme eacutetranger agrave Aristote7 Agrave la

place les traiteacutes dits meacutetaphysiques proposaient pourtant une pluraliteacute de deacutenominations

sagesse philosophie premiegravere science theacuteologique science rechercheacutee agrave quoi lon peut ajouter

des descriptions comme science des premiers principes et des premiegraveres causes science de leacutetant

en tant queacutetant enquecircte sur la substance science de leacutetant immobile et seacutepareacute8 Pour des raisons

qui restent en partie encore agrave eacutelucider aucune de ces expressions cependant na sembleacute convenir

3 Sur le caractegravere opeacuteratoire de ce concept dans lhistoire des savoirs cf M Merleau-Ponty [1968] p 61

4 Sur Aristote comme le laquo pegravere de la meacutetaphysique raquo cf Schopenhauer Monde comme volonteacute et commerepreacutesentation tr fr [2004] p 852

5 Pour les occurrences probleacutematiques du terme chez Basile de Ceacutesareacutee et Simplicius dont la traditionmanuscrite est discuteacutee cf L Brisson [1999] On laisse ici de cocircteacute la question eacutepineuse de lapparitiondu terme dans lAnonyme de Meacutenage (cf M Narcy [2003] p 225)

6 Sur les titres des ouvrages dAristote dans les listes anciennes voir P Moraux [1951] Sur le titre de laMeacutetaphysique cf P Hoffmann [1997] p 88-89 et sur la notion mecircme de titre pour les ouvrages antiquesp 581 sq Voir aussi S Fazzo [2012] p 52

7 Que les eacutediteurs antiques quels quils soient naient pas conserveacute laquo philosophie premiegravere raquo parexemple reste une source dinterrogation Lexpression offrait aux successeurs dAristote des avantagesagrave la fois pratiques et theacuteoriques Le syntagme est dusage aiseacute a une origine textuelle aveacutereacutee et insistede faccedilon attendue sur la preacuteeacuteminence de la meacutetaphysique Mieux un passage du De motu animalium sereacutefegravere explicitement agrave des livres sous ce nom (laquo ἐν τοῖς περὶ τῆς πρώτης φιλοσοφίας raquo 700b 9) Au-delagrave mecircme des seuls textes aristoteacuteliciens lexpression consonne avec lobjet de ladite laquo Meacutetaphysique raquode Theacuteophraste (laquo τὴν ὑπὲρ τῶν πρώτων θεωρίαν raquo 4a 2-3) ce qui lui assure eacutegalement une assise ausein mecircme de leacutecole peacuteripateacuteticienne Autant datouts qui auraient ducirc assurer son succegraves Pourquoidegraves lors lui avoir progressivement preacutefeacutereacute cette deacutenomination proprement embarrassante demeacutetaphysique Pourquoi en tout cas apregraves Alexandre et Ascleacutepius (cf pour ce dernier In Met 3 27-28) nest-ce pas la laquo philosophie premiegravere raquo qui a emporteacute la partie et embrasseacute sous elle tous les autrestitres possibles Comme on le verra plus loin le cas dAlexandre deacutement en effet formellementlhypothegravese de P Aubenque selon qui laquo le titre de De la philosophie premiegravere ne leur [aux commentateurs]parut pas sappliquer adeacutequatement agrave lensemble des eacutecrits reacuteunis par une tradition anteacuterieure quilsavaient sous les yeux raquo agrave cause de son sens trop restrictif ie theacuteologique (P Aubenque [1962] p 34 n3) Cf ci-dessous sect 122b et c

8 Cf F Wolff [1997] p 293 et la liste complegravete et reacutefeacuterenceacutee eacutetablie dans R Goulet [2003] p 243

2

Introduction

aux lecteurs dAristote Toujours est-il que le traiteacute est ainsi peu agrave peu entreacute dans lhistoire au prix

dune premiegravere divergence qui seacutepare Aristote de lhistoire de la meacutetaphysique

Au demeurant il nest pas deacuteraisonnable de se deacutebarrasser de ces problegravemes lexicaux en

acceptant un usage anachronique et large de laquo meacutetaphysique raquo ndash comme on peut parler deacutethique

platonicienne ou dontologie aristoteacutelicienne ce qui nest pas de soi illeacutegitime Toutefois on ne

pourra alors limiter au seul Aristote la fondation de la meacutetaphysique En ce cas en effet le geste

de fondation devient inseacuteparable (au moins) du nom de Platon Lideacutee dune philosophie

premiegravere lideacutee dune science qui ne soit ni physique ni matheacutematique ni science pratique sest

constitueacutee collectivement au croisement de lAcadeacutemie et du Lyceacutee Comme le deacutecrit

M Crubellier apregraves avoir rappeleacute les premiegraveres lignes de la laquo Meacutetaphysique raquo (ou De principiis9) de

Theacuteophraste

Il a existeacute agrave Athegravenes au IVegraveme s deux ou trois geacuteneacuterations dhommes (peut-ecirctre pas plus dequelques dizaines de personnes en tout) pour qui cette question avait un sens et uneleacutegitimiteacute [hellip] Il a existeacute un certain domaine de recherches identifieacute comme tel par lesspeacutecialistes qui se concreacutetise dans une certaine terminologie (par exemple lemploi absolude τὰ πρῶτα) et dans un ensemble de questions reconnues comme pertinentes eu eacutegard agravecertains inteacuterecircts de la raison10

Deacutesigner Aristote comme le fondateur de la meacutetaphysique une entreprise en reacutealiteacute

collective en son origine relegraveve alors de la simplification

Enfin lœuvre appeleacutee Meacutetaphysique est loin de donner agrave lire la constitution nette et

deacutefinitive dun champ unifieacute du savoir Elle semble dabord comme on sait osciller entre

plusieurs objets les premiers principes et les premiegraveres causes leacutetant en tant queacutetant lun les

axiomes la substance le divin ou une substance immobile11 Au fur et agrave mesure des livres la

science rechercheacutee senfonce dans un relatif anonymat jusquagrave en perdre son nom mecircme de

science tout en voyant saccroicirctre son programme de recherches12 Cela constitue deacutejagrave en soi un

problegraveme eu eacutegard agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la science qui reacuteserve agrave chaque science un seul

9 Pour le titre de lopuscule de Theacuteophraste cf D Gutas [2010] p 9 sq

10 M Crubellier [1999] p 1 Voir aussi M Crubellier A Laks [2009] p 14

11 Voir entre autres Met A 2 982b 9 Γ 1 1003a 21 Γ 2 1003b 34-35 Γ 3 1005a 19-20 E 1 1025b 2 sq1026a 20 Z 1 1028b 2-4 I 1 1052b 1-3 Λ 1 1069a 18 sq On pourrait ajouter aussi les autres sens deleacutetant par accident par soi lacte et la puissance comme vrai cf Met Δ 7

12 Dans la Meacutetaphysique le terme de laquo science raquo napparaicirct plus pour deacutesigner lenquecircte meneacutee degraves apregravesle livre E sauf en K Voir tout de mecircme Λ 10 1075b 21 sq qui attribue lappellation de laquo science raquo agravelaquo dautres raquo mais pourrait laisser entendre quAristote reprend en son nom cette appellation

3

Introduction

genre-objet13 En outre parmi ces objets certains sont explicitement non geacuteneacuteriques ndash comme

leacutetant ou lun ndash et ne devraient pouvoir faire lobjet dune science14 On pourrait agrave la rigueur

admettre une pluraliteacute de programmes agrave linteacuterieur de la meacutetaphysique en soulignant par

exemple que les apories du livre B se formulent souvent sur le mode revient-il agrave une mecircme

science deacutetudier x et aussi y ce qui favorise lideacutee dune structure souple accueillante agrave la

diversiteacute15 Mais en ce cas il faut dune part admettre que la meacutetaphysique sort des limites du

reacutegime de scientificiteacute deacutecrit par Aristote dans les Analytiques dautre part il faut encore rendre

compte sur le modegravele justement de certaines apories de B de la compatibiliteacute des eacutetudes de ces

divers objets Une difficulteacute connue est de comprendre comment cette science peut eacutetudier agrave la

fois ce qui traverse tous les genres agrave savoir leacutetant en tant queacutetant et le premier de ces eacutetants la

substance immobile Eu eacutegard agrave la pluraliteacute des objets deacutejagrave souligneacutee mecircme ce problegraveme ndash on

aura reconnu la concurrence classique entre ontologie et theacuteologie16 ndash est une simplification

Comme le dit J Barnes la Meacutetaphysique semble alors davantage tenir du laquo farrago raquo du meacuteli-meacutelo

ou du pot-pourri17

Un tel deacutemantegravelement peut se soutenir de la composition du traiteacute lui-mecircme Des

arguments litteacuteraires sopposent agrave lunification du traiteacute et donc de la science quil est censeacute

exposer Depuis lAntiquiteacute on sinterroge en effet sur lachegravevement du traiteacute18 et par exemple

lauthenticiteacute du livre α la preacutesence du livre Δ agrave quoi lexeacutegegravese moderne a ajouteacute les doutes sur E

1 K la place de Z 7-9 luniteacute et la place de Λ etc Certains teacutemoignages anciens laissent entendre

que la composition du traiteacute nest pas dAristote lui-mecircme19 on a donc tenteacute de reformer le plan

du traiteacute en distinguant des strates selon une eacutevolution supposeacutee de la penseacutee du Stagirite ou

lordre argumentatif des textes20 Les textes ne sont manifestement pas eacutecrits dans la mecircme veine

et ne sadressent sans doute pas aux mecircmes publics vont de simples notes agrave ce quon considegravere

13 Par exemple AnPo I 28 87a 38-39 Met B 2 997a 21 Cf F Brentano [1862] tr fr [1992] p 141

14 En tout cas pris comme tels sans speacutecification (laquo en tant queacutetant raquo) Cf EE I 8 1217b 25-35

15 Cf Met B 1 995b 6-8 18-20 Voir aussi M Crubellier A Laks [2009] p 15

16 Preacutecisons dembleacutee quon utilisera dans le travail qui suit de telles deacutenominations dans le senscouramment accepteacute par les aristoteacutelisants sans preacutejuger de lexistence constitueacutee dune science deleacutetant en tant queacutetant distincte dune science de la substance distincte dune science du divin

17 J Barnes [1997] p 61

18 W Jaeger [1948] tr fr [1997] p 166

19 On revient sur tous ces points ci-dessous sect 112a

20 Voir les tentatives distinctes de W Jaeger [1948] B Dumoulin [1986] et dans un style tregraves diffeacuterentE Martineau [1997]

4

Introduction

en geacuteneacuteral comme une confeacuterence (Λ ou du moins son deacutebut)21 La Meacutetaphysique nest donc pas

vraiment un livre22 Lopinion est ancienne et assez commune on la lit par exemple sous la plume

de V Cousin laquo Lopinion la plus accreacutediteacutee est que la Meacutetaphysique est un tout factice composeacute

longtemps apregraves la mort dAristote de piegraveces et de morceaux plus ou moins bien cousus

ensemble raquo Et quelques lignes plus loin laquo Et la Meacutetaphysique dAristote sort tout en lambeaux de

cette discussion raquo23

Des arguments historiques viennent renforcer cette conclusion en mettant en doute

lexistence dune Meacutetaphysique constitueacutee agrave leacutepoque dAristote On ne trouve ainsi pas de trace

dun traiteacute meacutetaphysique dans le catalogue de Diogegravene Laeumlrce le teacutemoignage de Nicolas de

Damas est difficilement datable24 le teacutemoignage dAscleacutepius selon lequel il incomba agrave Eudegraveme de

Rhodes deacutediter le traiteacute est peu fiable25

Si lon rapproche le cas de la Meacutetaphysique de celui de la Physique la comparaison devient

sans appel Aristote a fondeacute ou du moins refondeacute la physique Il le fait certes agrave la suite dautres

auteurs (les laquo physiologues raquo) certes aussi lhistoire du texte de la Physique nest pas un long

fleuve tranquille on sinterroge parfois sur luniteacute du traiteacute Mais cette uniteacute demeure tout de

mecircme plus nette que celle de la Meacutetaphysique26 Au surplus la circonscription par Aristote dun

champ du savoir lidentification de son genre-objet et de son programme de travail27 la mise au

point de ses meacutethodes de travail tout cela est bien mieux attesteacute que pour la meacutetaphysique

Faut-il alors aller jusquagrave dissocier les traiteacutes dAristote de lhistoire de la meacutetaphysique

Pour les raisons preacuteceacutedemment mentionneacutees et dautres Heidegger affirme ainsi que laquo lon peut

neacuteanmoins douter que le contenu des eacutecrits aristoteacuteliciens reacuteunis sous le titre de Meacutetaphysique soit

vraiment une meacutetaphysique raquo ou pire laquo Aristote na jamais eacuteteacute en possession de ce qui a eacuteteacute

compris plus tard sous le mot et le concept de meacutetaphysique Il na en outre jamais chercheacute quoi

que ce soit qui ressemble tant soit peu agrave cela quon a cru depuis toujours pouvoir trouver chez lui

21 Tout cela est reacutesumeacute et accompagneacute dindications bibliographiques dans R Goulet [2003] ici p 235

22 A Jaulin [2003] p 11

23 V Cousin le dit dans son rapport agrave louvrage de K-L Michelet disciple et eacutediteur de Hegel et laureacuteatavec F Ravaisson du fameux concours sur la Meacutetaphysique dAristote Cf K-L Michelet [1836] p XIII-XIV

24 Cf S Fazzo [2008b] pour les autres teacutemoignages voir agrave nouveau la synthegravese de M Narcy [2003]

25 Sur tout cela cf ci-dessous 112a

26 Cf P Pellegrin [2002] p 27

27 Voir le beau passage des Meteor I 1 338a20 sq

5

Introduction

sous le nom de meacutetaphysique raquo28 Accepter de telles conclusions serait nier notre premiegravere seacuterie

darguments soutenir quAristote na rien agrave voir avec lhistoire de la meacutetaphysique est

inadmissible ndash mecircme en reacuteduisant celle-ci agrave lhistoire de lonto-theacuteologie Il demeure que la

contradiction entre les deux seacuteries darguments en faveur ou agrave lencontre dune fondation

aristoteacutelicienne de la meacutetaphysique est aigueuml

Toutefois le Philosophe lui-mecircme nous a appris quil ny avait contradiction que lorsque

les propositions eacutetaient prises laquo sous le mecircme aspect raquo29 Leacutetau logique de la contradiction peut

ecirctre desserreacute agrave condition de saviser dun fait simple toute fondation na de sens que de faccedilon

reacutetrospective Une fondation sans tradition est un vain mot steacuterile comme un precircche dans le

deacutesert On ninaugure et ninstitue que ce qui se deacuteploie dans un legs se reacutepegravete se reforme et se

deacuteforme dans un heacuteritage Il ny aurait pas de carteacutesianisme sans Descartes certes mais que

serait-il sans Mersenne Eacutelisabeth de Bohegraveme Malebranche Bayle

Degraves lors pour comprendre comment est neacutee la meacutetaphysique il faut se reacutefeacuterer non pas

seulement agrave Aristote mais aussi agrave sa tradition au premier chef de laquelle se place Alexandre

dAphrodise Lideacutee dorigines de la meacutetaphysique doit deacutecideacutement ecirctre pluraliseacutee

Notre hypothegravese geacuteneacuterale est la suivante lœuvre de l laquo Exeacutegegravete par excellence raquo a rendu

possible la fondation de la meacutetaphysique Paradoxalement ndash mais le paradoxe nest

quapparent ndash la possibiliteacute mecircme de laquo faire de la meacutetaphysique raquo sans que cela signifie

seulement commenter Aristote a eacuteteacute assureacutee par le travail de ces commentateurs et

singuliegraverement dAlexandre Le processus de diffeacuterenciation du travail exeacutegeacutetique et du travail

du meacutetaphysicien est un processus qui court sur un temps long On a pu faire lhypothegravese quil

eacutetait accompli seulement agrave la fin du Moyen Acircge par Suaacuterez30 Nous proposons den situer

lorigine chez Alexandre dAphrodise LExeacutegegravete travaille agrave faire de la Meacutetaphysique un livre et de

la meacutetaphysique une science une Leacutetude quon va lire porte sur cette double naissance dun

livre et dune science

28 M Heidegger respectivement GA 3 tr fr [1953] p 66 et GA 33 tr fr [1991] p 13-14

29 Aristote Met Γ 3 1005b 19-20 laquo τὸ γὰρ αὐτὸ ἅμα ὑπάρχειν τε καὶ μὴ ὑπάρχειν ἀδύνατον τῷ αὐτῷκαὶ κατὰ τὸ αὐτό raquo

30 Cf par exemple J-P Coujou [1999] p 8-9 ougrave lon voit Suaacuterez qui se pique de pointer les laquo deacutefauts raquo decomposition et de coheacuterence dans lœuvre aristoteacutelicienne Voir aussi la synthegravese stimulante de P Porro[2005] qui sintitule de faccedilon eacuteloquente laquo Dalla Metafisica alla metafisica e ritorno una storia medievale raquo

6

Introduction

2 LExeacutegegravete par excellence et lhistoire de laristoteacutelisme

Alexandre dAphrodise diadoque de philosophie peacuteripateacuteticienne agrave Athegravenes31 connaicirct

son floruit agrave la fin du IIegraveme s et au deacutebut du IIIegraveme s agrave la charniegravere de leacutepoque post-helleacutenistique et

de lAntiquiteacute tardive au commencement de llaquo egravere des commentateurs raquo Professeur ou

laquo universitaire raquo32 Alexandre enseigne agrave un cercle speacutecialiseacute deacutetudiants avanceacutes Il travaille aussi

agrave la deacutefense de la doctrine aristoteacutelicienne contre les autres eacutecoles et agrave sa diffusion vers un public

cultiveacute plus large LAphrodisien nest ni un doxographe ni un chercheur retireacute sur les cimes il

philosophe parce quil enseigne (ou reacuteciproquement33) Son œuvre se laisse structurer par la

pluraliteacute de ses publics Alexandre eacutecrit de longs commentaires pointus sur les grands textes

aristoteacuteliciens des synthegraveses sur une probleacutematique preacutecise des explications dun texte

particulier des batteries darguments pour deacutemontrer une thegravese Mais aussi des traiteacutes

deacutemontrant la supeacuterioriteacute de la doctrine aristoteacutelicienne sur telle question agrave la mode des billets

poleacutemiques34 Tous les textes que nous avons conserveacutes de son œuvre en grec ou en arabe

exemplifient cette diversiteacute35

Le choix dAlexandre dans la veacuterification de notre hypothegravese geacuteneacuterale se justifie par sa

position litteacuteralement deacutecisive dans lhistoire de la meacutetaphysique Son Commentaire agrave la

Meacutetaphysique dont nous ne posseacutedons que les cinq premiers livres36 est en effet le premier du

genre agrave avoir eacuteteacute transmis Jusquagrave preuve du contraire en leacutetat de nos sources Alexandre donne

le deacutepart dun regain dinteacuterecirct dans la philosophie antique pour la science meacutetaphysique du

31 Cf A Chaniotis [2004] p 388-389 Chaniotis traduit ainsi linscription honorifique deacutecouverte agraveAphrodisias laquo In accordance with a psephisma of the council and the people Titus Aurelius Alexandrosphilosopher one of the heads of the philosophical schools in Athens [τῶν Ἀθήνεσιν διαδόχων] (erected thestatue of) his father the philosopher T Aurelius Alexandros raquo (p 388)

32 M Rashed [2007b] p 1

33 Selon la Dreistufenlehre de DA II 5 qui implique que le savant en enteacuteleacutechie est un enseignant

34 Sur lœuvre dAlexandre cf RW Sharples [1987] p 1179-1199 R Goulet M Aouad [1989] S Fazzo[2003b] Sur lideacutee dune laquo eacutecole raquo dAlexandre (non au sens du bacirctiment mais de la communauteacute) cfRW Sharples [1990]

35 Certains de ces textes sont donc aussi probablement des notes de cours reacutedigeacutees par ses eacutelegraveves ce quipose la question de leur fiabiliteacute voire de leur authenticiteacute (ce qui nest pas la mecircme chose ) Dans letravail qui suit nous avons le plus souvent laisseacute de cocircteacute les textes qui ont eacuteteacute suspecteacutesdinauthenticiteacute et nous nous sommes focaliseacutes sur ceux pour lesquels lauthenticiteacute nest pas discuteacuteeNos (rares) reacutefeacuterences au De intellectu (Mantissa sect 2) sont dues agrave notre conviction de lauthenticiteacute dutexte Pour des raisons autant doctrinales que stylistiques les arguments avanceacutes par FM Schroeder etRB Todd [2008] contre son authenticiteacute ne nous semblent en effet pas dirimants Mais cela serait agravemontrer dans un autre travail

36 Selon la thegravese courante et agrave notre sens deacutemontreacutee de faccedilon nette par C Luna ([2001] p 53-71)

7

Introduction

Stagirite Le traiteacute a certes eacuteteacute travailleacute avant Alexandre ndash lExeacutegegravete lui-mecircme teacutemoigne des

opinions de certains devanciers sur lauthenticiteacute de tel livre ou la composition du traiteacute Rien

nindique cependant quavant lui ait eacuteteacute effectueacute un travail proprement philosophique sur lobjet

du traiteacute Alexandre dAphrodise est le premier auteur dont nous ayons conserveacute quelque chose

de substantiel faisant eacutetat dune attention agrave la fois philologique et philosophique porteacutee agrave la

Meacutetaphysique37

En outre lempreinte de lExeacutegegravete sur la tradition meacutetaphysique posteacuterieure est

incontestable Une eacutetude exhaustive de la transmission de la meacutetaphysique alexandrinienne reste

encore agrave mener Contentons-nous ici de quelques jalons significatifs

Selon le teacutemoignage de Porphyre les Commentaires dAlexandre font partie du mateacuteriau

de lenseignement de Plotin38 Dans leacutecole neacuteoplatonicienne les commentaires de Syrianus et

Ascleacutepius agrave la Meacutetaphysique citent plagient ou paraphrasent reacuteguliegraverement celui dAlexandre39 La

transmission dAlexandre aux latins est ainsi assureacutee via celle du neacuteoplatonisme celui par

exemple de Boegravece40 mais elle se reacutealise surtout au premier chef dans le Moyen Acircge byzantin et

arabe Le Commentaire dAlexandre est traduit et eacutetudieacute pendant lacircge dor abbasside Sy ajoutent

aussi le De principiis ou le De providentia41 Ses ouvrages sont mentionneacutes dans le Kitab-al-Fihrist

travailleacutes dans le cercle dal-Kindi42 traduits par Abu Bishr Matta diffuseacutes avec la pseudo

Theacuteologie dAristote travailleacutes encore au siegravecle suivant par Farabi QuAlexandre ait eacuteteacute lu par

Avicenne a deacutejagrave eacuteteacute montreacute mais demanderait agrave ecirctre plus systeacutematiquement travailleacute43

Alexandre constitue eacutegalement une reacutefeacuterence pour la philosophie de lIslam occidental en

particulier pour Averroegraves qui nous a livreacute de preacutecieux fragments du commentaire de

lAphrodisien agrave Meacutetaphysique Λ44 et dont on connaicirct le deacutebat avec la noeacutetique alexandrinienne

(laquelle comme on le montrera touche agrave sa meacutetaphysique) Cest principalement par ce biais

quAlexandre est transmis au monde latin qui lui accorde un regain drsquointeacuterecirct degraves les XIIegraveme s et

37 Cest aussi la thegravese de S Fazzo [2012]

38 Porphyre Vita plotini 14 13 La mention dAlexandre dans une eacutenumeacuteration coinceacute entre Aspasius etAdraste dAphrodise minore sans doute la reacuteelle importance de lExeacutegegravete pour Plotin

39 Voir les eacutetudes de C Luna [2001]

40 Pour Boegravece cf A de Libera [1999a] et pour Augustin cf les hypothegraveses dans A de Libera [2007] parexemple p 238

41 A de Libera [1993] p 74 sq G Endress [2002]

42 Cf S Fazzo H Wiesner [1993] C drsquoAncona-Costa [1995] p 167

43 Cf D Gutas (1988] R Brague [1999] p 272 n 7 A de Libera [1999a] p 505

44 Cf J Freudenthal [1884]

8

Introduction

XIIIegraveme s45 Geacuterard de Creacutemone et Dominique Gundissalvi traduisent certains de ses opuscules

physiques et son De intellectu promis agrave une fortune indeacuteniable dAlbert le Grand agrave Dietrich de

Freiberg Moiumlse de Narbonne ou David de Dinan La deuxiegraveme partie du XIIIegraveme s voit la

traduction du De fato et de certains de ses commentaires (dont lun par Guillaume de Moerbeke)

Sans ecirctre traduit le Commentaire agrave la Meacutetaphysique est eacutegalement transmis on en a une mention

dans le catalogue Hierosolymitanus46 Il sert encore par exemple agrave Suaacuterez47

Le Commentaire agrave la Meacutetaphysique (comprenant aussi la partie aujourdhui consideacutereacutee

comme inauthentique) nest traduit en latin quagrave la Renaissance par Juan Gineacutes de Sepuacutelveda en

1527 Les reacuteeacuteditions agrave Paris 1536 et agrave Venise en 1544 1551 1561 teacutemoignent sans doute possible

de son succegraves Le Commentaire reste linstrument majeur et indeacutepassable pour lire la Meacutetaphysique

aristoteacutelicienne48 ce quil sera jusquaux eacutepoques moderne et contemporaine ndash que ce soit chez

Hegel ou dans les notes de leditio major de la Meacutetaphysique de J Tricot Fatalement comme le dit

RW Sharples dans son ouvrage posthume sur la philosophie peacuteripateacuteticienne49 bon nombre de

thegraveses qui ont eacuteteacute tenues pour aristoteacuteliciennes dans lhistoire de la philosophie autant par ceux

qui ont eacutetudieacute Aristote que ceux qui lont critiqueacute sont des interpreacutetations dAlexandre RW

Sharples cite en note les plus remarquables exemples lidentification de la forme avec lessence

des espegraveces lideacutee que Meacutetaphysique Λ deacutelivre la theacuteologie dAristote que le mouvement des

cieux est causeacute par leur deacutesir dimiter le Moteur immobile

Il est ainsi de coutume au commencement dun travail sur Aristote de faire eacutetat du poids

eacutecrasant des commentaires agrave son sujet50 le terrain aristoteacutelicien eacutetant tellement laboureacute quil se

mue aiseacutement en une suite de fondriegraveres Ce fait paraicirct interdire tout espoir naiumlf (au sens de la

naiumlveteacute de loriginal deacutenonceacutee par Nietzsche51) de dire du neuf Cette convention est bien

ancienne puisquon la lit deacutejagrave chez Simplicius52 Nous nous proposons dans ce qui suit de nous

installer de plain pied dans cette tradition agrave son commencement et de la prendre pour objet

deacutetude Lenjeu geacuteneacuteral du preacutesent travail consiste agrave interroger la faccedilon dont une penseacutee (en

45 FE Cranz [1958] p 510

46 Cf Hierosolymitanus patr 106 fol 7 et P Wendland dans le tome III-1 des CAG p XV-XIX Voir enparticulier les ouvrages ndeg 15 p XVIII

47 Voir lindex des auteurs citeacutes par Suaacuterez dans J-P Coujou [1999] p 189

48 Sur lhistoire de cette transmission cf FE Cranz [1958]

49 RW Sharples [2010] p XI et n 3

50 Cf P Aubenque [1962] p 1 citant Natorp [1862] p VII

51 Humain trop humain II 1 376

52 In Cat 2 30 ndash 3 5

9

Introduction

loccurrence celle dAristote) sinscrit dans lhistoire Fonder lintroduction dAlexandre dans ce

travail requiert dabandonner une conception de lhistoire de la philosophie comme galerie de

grands portraits et son corollaire le renvoi de leacutetude des effets de tradition agrave lhistoire ou la

philologie53

Les conceptions de lhistoire de la philosophie comme deacutecadence ou comme succession

discregravete de Geacutenies seacutepareacutes les uns des autres par des mareacutecages de meacutediocres saccorde en effet

avec une certaine perception de la tradition philosophique54 Celle-ci est alors comme une

laquo tombe raquo55 Le mot est de Heidegger agrave propos justement de lhistoire de laristoteacutelisme ndash cas

paradigmatique dans ces questions sur lhistoire de la philosophie sil est vrai quaucune autre

penseacutee na davantage fait eacutecole La tradition se comprendrait comme une longue suite de

simplifications de trahisons56 Llaquo aristoteacutelisme raquo deacutesignerait lensemble des contresens commis

sur Aristote comme le marxisme le serait pour Marx57 Selon un paradigme biologique la

tradition laquo deacutevitalise raquo (le mot est toujours de Heidegger) les meacuteditations des geacutenies philosophes

elle perd le mouvement de leur penseacutee pour la figer La thegravese est reprise par P Aubenque agrave la fin

de son ouvrage magistral sur le laquo problegraveme de lecirctre raquo

On demandera il est vrai pourquoi la tradition a meacuteconnu laspect aporeacutetique de lameacutetaphysique dAristote et ses implications humaines Il resterait alors agrave montrer par uneeacutetude qui ne serait pas moins philosophique quhistorique comment et pourquoi latradition devrait ecirctre neacutecessairement tenteacutee de meacuteconnaicirctre ce quil y a deacuteternellementinacheveacute dans la meacutetaphysique aristoteacutelicienne []Transmettre louverture cest la clore Aristote comme en teacutemoigne lhistoire deslendemains immeacutediats de laristoteacutelisme eacutetait moins le fondateur dune tradition quelinitiateur dune question dont il nous a averti lui-mecircme quelle demeurait toujours initiale

53 Ou comme le dit Heidegger avec une once de meacutepris les laquo interpreacutetations historico-philologiques raquodans le tome 26 de la Gesamtausgabe (Metaphysische Anfangsgruumlnde der Logik im Ausgang von Leibniz) p17

54 On entend ici par tradition philosophique lensemble des pheacutenomegravenes historiques de transmission descorpus et des thegraveses philosophiques

55 M Heidegger GA 33 tr fr [1991] p 39 Voir aussi Sein und Zeit sect 6 laquo En acceacutedant ainsi agrave lasupreacutematie la tradition bien loin de rendre accessible ce qursquoelle laquo transmet raquo le recouvre drsquoabord et leplus souvent Elle livre ce contenu transmis agrave lrsquolaquo eacutevidence raquo et barre lrsquoaccegraves aux laquo sources raquo originellesougrave les cateacutegories et les concepts traditionnels furent puiseacutes en partie de maniegravere authentique Latradition va mecircme jusqursquoagrave plonger complegravetement dans lrsquooubli une telle provenance Elle supprimejusqursquoau besoin de seulement comprendre un tel retour en sa neacutecessiteacute propre raquo Et plus loin laquo Mais sila question de lrsquoecirctre requiert elle-mecircme que soit reconquise la transparence de sa propre histoire alorsil est besoin de ranimer la tradition durcie et de deacutebarrasser les alluvions deacuteposeacutees par elle raquo (tr fr EMartineau)

56 Cf agrave propos de Platon et Plotin D Montet [1996] p 7 laquo la trahison nest-elle pas le genre obligeacute detoute tradition philosophique raquo

57 Cest la fameuse thegravese de M Henry [1976] p 9

10

Introduction

et que la science qui la pose eacutetait eacuteternellement rechercheacutee 58

Ces affirmations ne sont pas inteacutegralement infondeacutees ndash elles sont dailleurs pour partie agrave

lorigine du preacutesent travail La scolarisation des thegraveses du Philosophe a impliqueacute de fixer leur

sens pour les rendre transmissibles de lisser les apparentes contradictions pour mieux deacutefendre

laristoteacutelisme de construire le corpus comme un tout coheacuterent Mais les propos de Heidegger ou

P Aubenque tendent en outre derriegravere ce paradigme vitaliste et une conception laquo monumentale raquo

de lhistoire59 agrave penser la tradition comme mortifegravere (scleacuteroseacutee neacutecroseacutee) comme le mouvement

dun laquo oubli raquo dune deacutecadence qui seacuteloigne dun paradis perdu60 celui dAristote en sa nativiteacute

Comme si lon pouvait avoir accegraves agrave un Aristote originel hors de toute meacutediation historique

comme si linterpregravete pouvait agrave la diffeacuterence des premiers aristoteacuteliciens sextraire de sa propre

historiciteacute ou la traverser pour atteindre la veacuteriteacute sur le Philosophe61

Agrave linverse prendre pour objet la tradition de laristoteacutelisme demande et conduit agrave

concevoir la tradition autrement que comme une longue suite derrements Il y a une feacuteconditeacute

conceptuelle des pheacutenomegravenes de transmission Ou encore pour eacuteviter le paradigme vitaliste la

transmission des problegravemes et des thegraveses par le seul fait du deacuteplacement transforme ce quelle

transmet le propose agrave la reacuteappropriation et produit du neuf dans lhistoire de la penseacutee62 Leacutetude

de laristoteacutelisme se leacutegitime degraves lors quon parvient agrave penser comment la reacutepeacutetition dune penseacutee

qui est comme lont montreacute chacun agrave leur maniegravere Husserl et Deleuze63 lessence de la tradition

58 P Aubenque [1962] p 506-508

59 Cf la deuxiegraveme Consideacuteration intempestive de Nietzsche

60 Sur les racines hegeliennes de la conception de lhistoire comme profanation et deacutecadence cf J-FMarquet [2010]

61 On reconnaicirctra lagrave les critiques adresseacutees agrave Heidegger entre autres par Gadamer et Derrida le premiermontrant comment linterpreacutetation suppose toujours la relativiteacute agrave la situation historique delinterpregravete le second comment est laquo meacutetaphysique raquo lideacutee dun accegraves agrave lorigine agrave propos des racineslutheacuteriennes du projet heideggerien de Destruktion (cf agrave ce sujet J-F Courtine [2008] p 22) De faccedilonamusante F Wolff deacutetermine comme typiques du disciple dAristote la croyance en une veacuteriteacute une etoriginelle du texte dAristote et le deacutesir den revenir agrave cette origine perdue dans laquo le pur face-agrave-facetranscendantal avec la lettre du texte raquo (F Wolff [2000] p 304-305) Il ny aurait rien de pluslaquo aristoteacutelicien raquo que la critique de laristoteacutelisme

62 Une ideacutee qui est bien eacuteloigneacutee de Heidegger sil est vrai que la thegravese dune constitution onto-theacuteologique de la meacutetaphysique revient agrave soutenir que lHistoire de la penseacutee est celle du longdeacuteroulement du Mecircme Pour la thegravese quau contraire il ny ait pas historiciteacute sans innovation etlaquo nataliteacute raquo il faut quitter Heidegger et se tourner vers H Arendt

63 Respectivement dans LOrigine de la geacuteomeacutetrie et Diffeacuterence et reacutepeacutetition La conception husserlienne de latradition eacutevite la caricature de la deacutecadence ou la laquo tombe raquo ou Husserl opegravere le lien essentiel entrehistoire et tradition quand il deacutefinit la premiegravere comme laquo le mouvement vivant de la solidariteacute et de

11

Introduction

comment cette reacutepeacutetition donc implique des eacutecarts qui produisent eux-mecircmes linscription dune

penseacutee dans lHistoire agrave la fois sa modification et sa transmission ndash donc aussi la possibiliteacute de sa

reacuteactivation Cest par la tradition quelle engendre quune penseacutee peut deacutepasser la seule diffusion

synchronique pour acceacuteder agrave son historiciteacute

Or le geste philosophique seffectue lui-mecircme en constituant en tradition ce qui le

preacutecegravede en initiant une nouvelle tradition64 Degraves lors aussi si toute philosophie ambitionne un

nouveau commencement elle le fait au prix dune illusion qui meacuteconnaicirct que tout

commencement est un recommencement65 illusion dont lhistorien de la philosophie doit se

preacutemunir Il faut pour lire les textes ne pas sabandonner agrave la vision de survol qui deacutegage une

direction teacuteleacuteologique de lhistoire qui la preacutecegravede et qui neacutecessairement porte agrave forcer les textes

mecircmes ndash cette violence de llaquo historialisme destinal raquo66 Cette sorte de lecture des philosophes

entre eux est peut-ecirctre productrice de sens creacuteatrice Mais la discipline de linterpreacutetation des

textes passeacutes si elle se veut rigoureuse si elle veut pouvoir mesurer la porteacutee de ces creacuteations

philosophiques doit travailler agrave sen preacuteserver Il convient alors de refuser les deux mythes

jumeaux de la tradition comme perte continue ou comme laquo regravegne raquo lineacuteaire de lorigine67 et les

deux eacutecueils du traditionalisme et du rationalisme anhistorique68 Pour ce faire on se gardera de

projeter dans cette tradition les lineacuteariteacutes du progregraves ou de la deacutecheacuteance ndash teacuteleacuteologies abstraites

qui rendent lhistorien inattentif aux pheacutenomegravenes leur contingence et donc leurs sens propres

Leacutetude dAlexandre ne viendra donc pas ici deacuteplorer en soupirant les erreurs

limplication mutuelle (des Miteinander und Ineinander) de la formation du sens (Sinnbildung) et de laseacutedimentation du sens originaire raquo (tr fr [1976] p 410) La seacutedimentation nest pas tant ici ce quiscleacuterose que ce qui conserve mecircme si Husserl est attentif aux deux versants du pheacutenomegravene

64 Cf J-L Marion [2008]

65 Cf G Deleuze [1968] p 169 sq

66 D Janicaud [1990] p 49 parle dune laquo synapse de penseacutee raquo de Heidegger caracteacuteriseacutee p 102 sq et p109 comme un neacutecessitarisme qui finit par laquo paralyse[r] la rationaliteacute politique tout comme il suspendla rationaliteacute en geacuteneacuteral raquo (p 121) Cf aussi G Deleuze [1991] p 91 laquo Hegel et Heidegger restenthistoricistes dans la mesure ougrave ils posent lhistoire comme une forme dinteacuterioriteacute dans laquelle leconcept deacuteveloppe ou deacutevoile neacutecessairement son destin La neacutecessiteacute repose sur labstraction deleacuteleacutement historique rendu circulaire On comprend mal alors limpreacutevisible creacuteation des concepts raquo

67 M Foucault [1969] p 12 Foucault affirme comme en un slogan laquo Le problegraveme nest plus de latradition et de la trace mais de la deacutecoupe et de la limite ce nest plus celui du fondement qui seperpeacutetue cest celui de transformations qui valent comme fondations et renouvellement desfondations raquo (p 12-13) Nous pourrions retourner cette affirmation en soutenant que telle estpreacuteciseacutement la raison pour laquelle laquo la tradition et la trace raquo font problegraveme ce qui justifie leur eacutetude

68 Cf TW Adorno selon qui la tradition laquo steht im Widerspruch zur Rationalitaumlt raquo (TW Adorno [1977] p310)

12

Introduction

interpreacutetatives de lExeacutegegravete ni constater avec satisfaction lorthodoxie du diadoque

laquo Heacuteteacuterodoxie raquo et laquo orthodoxie raquo deux termes qui ont cours dans les eacutetudes alexandriniennes

doivent ecirctre abandonneacutes sil est vrai que laristoteacutelisme nest pas une religion Alexandre est

comme on dit agrave juste titre le tenant dun laquo neacuteo-aristoteacutelisme raquo Il propose une certaine

interpreacutetation dAristote dont il nous incombe de voir si elle est coheacuterente ou non agrave la fois dun

point de vue interne et relativement agrave son objet Tout cela nest pas un travail de grand

inquisiteur On y reviendra plus loin Ce qui va constituer notre objet denquecircte cest donc ce que

forge linterpreacutetation alexandrinienne de la laquo meacutetaphysique raquo les effets quelle engendre sur la

conception aristoteacutelicienne dune philosophie premiegravere ce quelle legravegue agrave lHistoire comme

formant le cœur de laristoteacutelisme

Cette tacircche ne relegraveve ni dune archeacuteologie ni dune geacuteneacutealogie de la meacutetaphysique si lon

entend par lagrave en un sens courant aujourdhui69 la tacircche de deacutegager des laquo a priori historiques raquo le

travail de retour en deccedilagrave des constructions des seacutediments vers limplicite sous lexplicite dans

un mouvement reacutetrospectif Pour le dire briegravevement les deacutemarches de ce genre en se focalisant

sur les origines dune eacutepisteacutemegrave dun complexe de problegravemes dune thegravese ou dun champ de

savoir peinent toujours par essence agrave comprendre comment se sont deacuteposeacutes les seacutediments

quelles se sont efforceacutees de deacuteblayer On a donc tenteacute deffectuer le chemin inverse70 Il sest agi

dans un mouvement prospectif deacutetudier une construction les raisons dun succegraves historique en

lespegravece leacutedification de la meacutetaphysique comme science On na pas tenteacute de revenir laquo sous le

devenir tecirctu dune science sacharnant agrave exister et agrave sachever degraves son commencement raquo71 mais

preacuteciseacutement de deacutegager une premiegravere photographie de ce laquo devenir tecirctu raquo et den rendre raison72

69 Voir par exemple J-F Courtine [1990] et [2005] O Boulnois [1999] A de Libera [2008] tous sereacutefeacuterant agrave Nietzsche Heidegger et ou Foucault

70 Ce mouvement nest dailleurs pas incompatible avec le preacuteceacutedent mais ne poursuit pas la mecircmedirection

71 M Foucault [1968] p 11 Nous soulignons

72 Le titre choisi au commencement de ce travail est donc devenu en partie inadeacutequat puisquelexpression laquo aux origines raquo deacutesigne un mouvement reacutetrospectif Si lon souhaite donner un nom agrave cetype de projet ce pourrait ecirctre par opposition aux projets de Destruktion ou deacuteconstruction celui delaquo constructionnisme raquo et plus preacuteciseacutement pour le distinguer du constructionnisme social ou duconstructionnisme dans les theacuteories du Genre de laquo constructionnisme eacutepisteacutemologique raquo La questiondirectrice de ce type de projet est bien comment et pourquoi un champ donneacute du savoir (voire uneacuteleacutement de ce champ) sest-il imposeacute comment et pourquoi cette institution sest-elle geacuteneacuteraliseacuteeconstitueacutee en laquo paradigme raquo quelles sont les raisons historiques et philosophiques externes etinternes qui peuvent eacuteclairer le deacuteveloppement de ce champ la possibiliteacute et leffectiviteacute de sesreacuteappropriations

13

Introduction

3 Eacutetat de lart

Nombreux sont les travaux sur Aristote au XXegraveme s qui ont abandonneacute lambition

scolastique de mettre au jour un systegraveme de la penseacutee du Stagirite au profit dun Aristote plus

inchoatif73 Telle serait la fin de llaquo aristoteacutelisme raquo cest-agrave-dire labandon de cette maniegravere

daborder les textes aristoteacuteliciens avec limpeacuteratif de coheacuterence geacuteneacuterale et de systeacutematiciteacute74 Cet

abandon a certes rendu plus attentif aux textes agrave leurs particulariteacutes mais a parfois aussi fait

meacuteconnaicirctre ce quil y a aussi deffectivement laquo systeacutematique raquo chez Aristote ou du moins de

theacutetique De ce point de vue assureacutement les propos de P Aubenque agrave lendroit de la tradition

prennent sens et leacutegitimiteacute par rapport agrave cette neacutecessiteacute de relire pour eux-mecircmes les textes dans

leur probleacutematiciteacute Il fallait ainsi disjoindre Aristote de sa tradition par exemple en

laquo deacuteconstruisant raquo les dogmatismes issus de la lecture thomiste eacuteleveacutee au rang dopinio communis

Mais ce mouvement permet aussi de renverser la neacutegation de la tradition et de constituer cette

tradition elle-mecircme en objet deacutetude Cest dans la ligneacutee des eacutetudes contemporaines sur les

transferts culturels ou les effets de translatio studiorum75 que peut sinscrire le renouveau

contemporain des eacutetudes des commentateurs dAristote et dAlexandre en particulier

Il sagit degraves lors dextraire lrsquoœuvre dAlexandre de son statut dinstrument de lecture les

Commentaires de llaquo Exeacutegegravete par excellence raquo ont eacuteteacute couramment conccedilus comme autant doutils

par les lecteurs et interpregravetes dAristote Le mouvement dautonomisation de leacutetude des

Commentateurs a pris son essor au XXegraveme s mais demeure encore pour les commentaires

proprement dits agrave ses preacutemices76 Sans preacutetendre agrave lexhaustiviteacute mais en retenant les ouvrages

les plus saillants concentrons-nous sur les eacutetudes alexandriniennes

Cette autonomisation des œuvres alexandriniennes a valu au premier chef pour les textes

dits laquo personnels raquo qui ont davantage retenu lattention des speacutecialistes Les contributions les

73 M Crubellier [1999] p 2 La chose vaut autant du cocircteacute pheacutenomeacutenologique quanalytique

74 F Wolff [2000] p 304 qui propose mecircme de dater la fin de laristoteacutelisme agrave 1912 avec les publicationsde W Jaeger

75 Voir par exemple A de Libera [1993] Leacutetude des canaux de transmission de laristoteacutelisme contribueen effet au questionnement contemporain autour des laquo transferts culturels raquo qui sinterroge sur la faccedilondont les cultures communiquent et se structurent dans ces interactions (on songe aux travaux deM Espagne et M Werner qui ont mis au point la cateacutegorie historique de laquo transferts culturels raquo pourrepenser lapport de la culture reacuteceptrice dans les eacutechanges drsquoobjets de personnes drsquoideacutees)

76 Sur llaquo egravere des commentateurs raquo cf R Sorabji [1990] et [2005] M Tuominen [2009] R ChiaradonnaM Rashed [2010] Sauf erreur par exemple deux ouvrages seulement se sont attaqueacutes au monumentde la logique alexandrinienne K Flannery [1995] et L Gili [2011]

14

Introduction

plus importantes agrave ce sujet proviennent surtout des recherches italiennes et anglophones Agrave cet

eacutegard il convient toutefois de souligner limportance de louvrage de P Moraux sur la noeacutetique

dAlexandre (1942) qui reste un classique et a principalement occasionneacute deux types

dinterrogations sur la coheacuterence et le preacutesumeacute laquo mateacuterialisme raquo de lExeacutegegravete et sur lauthenticiteacute

et les rapports du traiteacute De lintellect avec le De lacircme77

Parmi les recherches italiennes fructueuses dans ce champ il faut signaler les travaux

deacutecisifs de P Accattino et P Donini sur la psychologie alexandrinienne78 Dautres œuvres

laquo personnelles raquo dAlexandre ont eacuteteacute eacutediteacutees et travailleacutees et un ouvrage collectif sest inteacuteresseacute agrave

la transmission de lExeacutegegravete dans la tradition arabe79 Les recherches anglophones se sont

eacutegalement aveacutereacutees prolifiques dans le mouvement initieacute par R Sorabji et RW Sharples Figure

marquante des eacutetudes alexandriniennes RW Sharples a eacutetudieacute une large part du corpus

dAlexandre en leacuteditant ou le traduisant et en en montrant linteacuterecirct non pas seulement

historique mais aussi philosophique80 Il est en outre lauteur du premier exposeacute portant sur

lensemble de ce corpus et dune eacutetude cruciale sur la question de leacutecole dAlexandre81

Agrave la suite de RW Sharples la recherche a donc commenceacute agrave consideacuterer Alexandre

comme un auteur au sens plein en travaillant agrave contextualiser sa doctrine speacutecialement par

rapport au stoiumlcisme cest ce quentreprennent dans deux articles majeurs S Bobzien sur la

question du libre-arbitre et I Kupreeva sur le statut du corps et des qualiteacutes82 Toutes deux

montrent comment linterpreacutetation dAristote par lExeacutegegravete est aussi modeleacutee par les poleacutemiques

de son eacutepoque La position historique de lExeacutegegravete situe ainsi les eacutetudes alexandriniennes agrave la

croiseacutee de deux champs deacutetude en pleine expansion les eacutetudes sur la peacuteriode post-helleacutenistique

et la confrontation entre eacutecoles et les eacutetudes sur llaquo egravere des Commentateurs raquo P Moraux avait deacutejagrave

produit un travail de grande ampleur avec Der Aristotelismus bei den Griechen le dernier tome

consacreacute agrave Alexandre ayant eacuteteacute compleacuteteacute par RW Sharples83 Eu eacutegard agrave ces avanceacutees la

recherche francophone est longtemps demeureacutee peu productive agrave ce jour encore seulement trois

ouvrages dAlexandre sont traduits et ce malgreacute des travaux importants sur la peacuteriode post-

77 Par exemple BC Bazaacuten [1973] P Thillet [1981] D Papadis [1991]

78 P Accattino P Donini [1996] mais aussi P Accattino [1988] [1995] ou [2001] P Donini [1971] etc

79 Respectivement S Fazzo [1999] et [2002a] C DAncona G Serra [2002]

80 Voir entre autres RW Sharples [1975] [1982a] [1983] [1992] [1994] [2004]

81 Respectivement RW Sharples [1987] et [1990]

82 S Bobzien [1998] et I Kupreeva [2003]

83 P Moraux [1973] [1984] [2001]

15

Introduction

helleacutenistique ou les commentateurs84

Le Commentaire dAlexandre agrave la Meacutetaphysique dAristote souffre encore dune relative

incurie similaire agrave celle qui affecte les eacutetudes des Commentaires en geacuteneacuteral Si depuis longtemps

lon se sert du Commentaire comme dune source il est encore rarement eacutetudieacute comme œuvre

Trois articles seulement abordent la question pourtant centrale de lobjet de la meacutetaphysique

selon Alexandre85 On y reviendra eacutevidemment en deacutetail Deux ouvrages majeurs toutefois ont

abordeacute chacun agrave leur maniegravere la meacutetaphysique de lExeacutegegravete en geacuteneacuteral

La premiegravere monographie est due agrave M Bonelli qui entreprend de deacutemontrer

quAlexandre conccediloit la meacutetaphysique comme une science selon le modegravele issu des Analytiques

Par lagrave seacuteclaire agrave la fois la puissance exeacutegeacutetique de lAphrodisien et la maniegravere dont il a marqueacute

les lectures ulteacuterieures de la meacutetaphysique Toutefois louvrage ne situe pas lExeacutegegravete dans son

contexte et diagnostique une incoheacuterence dAlexandre sur la question de lobjet de la

meacutetaphysique Alexandre tiendrait donc une thegravese forte celle du caractegravere deacutemonstratif de la

science meacutetaphysique mais preacutesenterait laquo plusieurs conceptions de la meacutetaphysique qui ne sont

pas toujours conciliables entre elles raquo86 Dans cette incoheacuterence se reacuteveacutelerait la pratique

alexandrinienne du commentaire souvent plus attacheacute au deacutetail et agrave lexplication litteacuterale quagrave la

systeacutematisation de la penseacutee dAristote LExeacutegegravete reacutepeacuteterait ici laquo loscillation raquo propre agrave la penseacutee

aristoteacutelicienne87 entre une science des principes et des causes premiegraveres une science de leacutetant en

tant queacutetant une science des substances et une theacuteologie

Le second ouvrage de M Rashed entend montrer comment sur la question de la

substance lExeacutegegravete travaille avec une option ontologique forte laquo une option doctrinale unique et

coheacuterente raquo88 agrave savoir la thegravese selon laquelle le cœur de la substance composeacutee et la substance la

plus haute cest lεἶδος Sans doute pour la premiegravere fois on deacutemontre nettement luniteacute et la

puissance dune position ontologique dAlexandre Nombreuses en effet eacutetaient les eacutetudes qui

en demeuraient au constat dincoheacuterence quillustre le titre de G Movia eacutecartelant Alexandre

84 P Thillet [2002] et [2003] M Bergeron R Dufour [2008] Pour les travaux franccedilais sur lescommentateurs voir les recherches de I Hadot ou P Hoffmann (par exemple I Hadot [1990] I HadotP Hadot [2004] P Hoffmann [1987] [2000] [2006]) Pour les recherches francophones sinteacuteressant agraveAlexandre voir aussi les travaux dA De Libera [1999a] et C Luna par exemple [2001]

85 P Merlan [1957) (qui agrave vrai dire ne sinteacuteresse agrave Alexandre que dans lorbe dAristote) C Genequand[1979] et P Donini [2003]

86 M Bonelli [2001] p 232

87 M Bonelli [2001] p 232-233

88 M Rashed [2007b] p 4 voir aussi p 326

16

Introduction

laquo tra naturalismo e misticismo raquo89 Tel eacutetait le destin incongru dun auteur tour agrave tour condamneacute

(degraves le Moyen Acircge) pour la laquo folie raquo90 de son mateacuterialisme loueacute pour son aristoteacutelisme (il serait le

dernier interpregravete authentiquement aristoteacutelicien dAristote) et tenu pour un preacutecurseur du

neacuteoplatonisme M Rashed atteste au contraire de la coheacuterence de la position laquo essentialiste raquo

dAlexandre en montrant comment elle traverse sa logique sa physique et saccomplit dans une

cosmologie geacuteneacuterale un systegraveme du monde

Le programme de notre travail deacutecoule logiquement de ce qui preacutecegravede il convient de

deacuteterminer si par delagrave lapparente multipliciteacute de ses objets lAphrodisien parvient agrave unifier le

champ meacutetaphysique Puisque preuve a eacuteteacute faite de la capaciteacute dAlexandre agrave tenir au fil de ses

commentaires certaines thegraveses interpreacutetatives fortes ne faut-il pas degraves lors reprendre la question

de lobjet de la meacutetaphysique et sonder linterpreacutetation alexandrinienne agrave son sujet Pour ce faire

il faudra donc revenir sur le diagnostic dincoheacuterence poseacute par M Bonelli comme sur lideacutee de M

Rashed selon laquelle lentreprise alexandrinienne vise plus une cosmologie geacuteneacuterale quune

science de lecirctre en tant quecirctre91

4 Thegravese et meacutethode ndash meacutetacommentaire

Sil est vrai que lentreprise meacutetaphysique dans toute son histoire se signale par sa

reacuteflexiviteacute alors neacutecessairement la question de son objet est lune des questions meacutetaphysiques

par excellence Ainsi Suaacuterez en se livrant agrave une vaste cartographie des meacutetaphysiques

meacutedieacutevales laquo ex parte objecti raquo enteacuterine-t-il par lagrave le caractegravere traditionnel de cette mise en

perspective de la meacutetaphysique au point de vue de son ou ses objet(s)92 Cette faccedilon daborder la

89 G Movia [1970]

90 Lexpression est de Guillaume dAuvergne cf A de Libera [1998] p 201 Les positionsalexandriniennes (ce qui eacutetait tenu comme tel agrave leacutepoque) ont eacuteteacute comme on sait viseacutees par lescondamnation drsquoEacutetienne Tempier au XIIIegraveme s

91 Cf M Rashed [2007b] p 327 et [2008] p 283

92 Disputes meacutetaphysiques I 1 sect 1-25 Voir agrave ce sujet J -F Courtine [1990] p 195-227 Voir aussi p 9 sqpour la question du sujet objet de la meacutetaphysique dans lensemble de la scolastique Lexpression delaquo sujet de la meacutetaphysique raquo remonte sans doute aux traductions latines dAvicenne au deacutebut de LaMeacutetaphysique du Shifā I 1 (en particulier p 86 de la traduction Anawati) Le terme arabe ʽmawdū deacutesigne en effet le sujet ou la matiegravere (le terme peut traduire lὑποκείμενον grec et a servi aussi dansles questions de noeacutetique) sur lequel une science conduit son enquecircte cest ce qui est poseacute comme lechamp parcouru par cette science Lobjectum renvoie quant agrave lui davantage agrave lobjet penseacute ce que vise

17

Introduction

Meacutetaphysique et la science correspondante est sans aucun doute beaucoup moins formaliseacutee ou

conventionnelle chez Alexandre LExeacutegegravete ne preacutesente jamais litteacuteralement un problegraveme du

type laquo Aristote semble octroyer plusieurs objets agrave la philosophie premiegravere quel est alors lobjet

principal de la meacutetaphysique ou comment sordonnent les eacutetudes de ces objets raquo Pourtant son

effort dunification de cette diversiteacute teacutemoigne au minimum de la conscience dune telle difficulteacute

Alexandre confegravere explicitement agrave la Meacutetaphysique le projet didentifier la laquo science

proposeacutee raquo (toujours au singulier) donc aussi son objet Il insiste de faccedilon presque incantatoire sur

son uniteacute elle est laquo μία ἐπιστήμη raquo93 On laura compris le preacutesent travail fait lhypothegravese

quAlexandre entend instituer la meacutetaphysique en une science une en inteacutegrant et en articulant

les divers aspects leacutegueacutes par la Meacutetaphysique dAristote Le deacutefi qui eacutechoit agrave Alexandre est donc agrave

la mesure de la difficulteacute preacutesenteacutee ci-dessus agrave la mesure des verrous qui semblent contrarier

lunification autant litteacuteraire que doctrinale du traiteacute et de la science proposeacutee

Soutenir quAlexandre travaille une option hermeacuteneutique que le deacutebat contemporain

pourrait volontiers qualifier dlaquo unitarienne raquo94 soulegraveve des difficulteacutes meacutethodologiques Une

telle hypothegravese dans sa reacutealisation mecircme sexpose en effet agrave un double obstacle Premiegraverement

la pratique alexandrinienne du commentaire semble destineacutee agrave reproduire les mecircmes variations

que celles du texte quil commente Pour eacuteviter larbitraire linterpregravete dAlexandre deacutesireux de

deacutemontrer que lExeacutegegravete propose une thegravese coheacuterente devrait alors se reacutesoudre agrave lausteacuteriteacute dune

eacutetude lineacuteaire ndash par exemple du Commentaire agrave la Meacutetaphysique En outre la mesure des eacutecarts

entre le Philosophe et son Exeacutegegravete suppose au moins que le terminus a quo soit deacutetermineacute Si

lobjectif de ce travail est de caracteacuteriser deacutetablir95 linterpreacutetation alexandrinienne alors cela ne

serait possible quagrave la condition de posseacuteder au preacutealable et inteacutegralement le sens des textes

la science comme disposition de lacircme

93 Pour cette expression voir In Met 8 21 15 9 172 2 175 18 183 8 194 17 etc Pour la question delobjet cf In Met 8 20 ou 171 5 et plus geacuteneacuteralement la reacutepeacutetition meacutecanique de la structure laquo ἡ σοφία(ou πρώτη φιλοσοφία) περὶ raquo La preacuteposition περὶ est alors aussi bien suivie du geacutenitif que delaccusatif si bien que la philosophie premiegravere porte aussi bien laquo περὶ τὸ ὂν καθόλου raquo (238 5) quelaquo περὶ παντὸς τοῦ ὄντος raquo (238 13) par exemple La nuance entre ce geacutenitif et cet accusatif est sansdoute assez faible On rappelle ci-dessous sect 123d lensemble des passages ougrave Alexandre reacutepegravete laformule laquo μία ἐπιστήμη raquo voire laquo μία τῷ γένει ἐπιστήμη raquo (voir entre autres In Met 238 19-20 241 1sq 243 20-28 243 33 etc)

94 Cette appellation est principalement issue de la philosophie de langue anglo-saxonne et se trouvesouvent opposeacutee agrave lapproche laquo developmentalist raquo ndash nous parlerions plutocirct en franccedilais de positionlaquo eacutevolutionniste raquo ou de meacutethode geacuteneacutetique Le floregraves de ce vocabulaire est en particulier ducirc auxdiscussions engageacutees suite au livre de DW Graham [1987]

95 Le terme est de M Bonelli [2001] p 19

18

Introduction

aristoteacuteliciens quinterpregravete Alexandre

Ces deux objections darbitraire et dincompleacutetude ont le mecircme reacutesultat rendre a priori

impossible le preacutesent projet Pour le reacutealiser il faudrait en effet conduire une interpreacutetation de

lensemble de la Meacutetaphysique dAristote avant de se pencher sur la meacutetaphysique dAlexandre en

travaillant ligne agrave ligne lensemble de lœuvre de lExeacutegegravete Mais une telle meacutethode outre quelle

est impossible dans un cadre limiteacute nest pas non plus souhaitable Elle confinerait agrave un cercle

vicieux linterpreacutetation dAlexandre qui en deacutecoulerait ne serait que le produit de

linterpreacutetation a priori dAristote son ombre porteacutee Dit autrement elle nous poserait en juge de

veacuteriteacute de linterpreacutetation alexandrinienne distributeur de bons points degraves quAlexandre

seacutecarterait de notre propre interpreacutetation dAristote il commettrait un contresens Notre

interpreacutetation dAlexandre nen serait alors que dautant plus arbitraire parce quincapable de se

laisser informer par le texte Si toute interpreacutetation part dun certain nombre de preacutejugeacutes ceux-ci

doivent tout de mecircme rester limiteacutes et une telle meacutethode reviendrait agrave empecirccher leur neacutecessaire

reacutevision

Deux principes sont communeacutement admis en hermeacuteneutique premiegraverement quil y a

des interpreacutetations fausses mais non pas dinterpreacutetation vraie au sens apodictique cest-agrave-dire

que certaines interpreacutetations sont meilleures plus ou moins coheacuterentes en elles-mecircmes et avec

leur objet96 deuxiegravemement que toute interpreacutetation part de preacutesupposeacutes Il est donc impossible

deacuteviter totalement le cercle entre notre preacute-compreacutehension dAristote et notre lecture

dAlexandre Mais dune part ce mouvement peut ecirctre inverseacute et nous avons ci-dessous tenteacute de

proceacuteder par un va-et-vient constant entre les deux textes Dautre part cest justement en

reconnaissant et en inteacutegrant ce cercle dans la recherche elle-mecircme (comme la montreacute Gadamer)

quon peut conjurer au moins en partie larbitraire de la meacutethode Si nous pensons avoir pu

eacutetablir certains eacutecarts dAlexandre ils ont eacuteteacute deacutetermineacutes comme tels non pas agrave partir dune

lecture preacutealable dAristote mais dans la comparaison entre le texte et son commentaire

Il deacutecoule de ce qui preacutecegravede que ce travail na pas besoin decirctre une eacutetude exhaustive de la

Meacutetaphysique dAristote ni de son Commentaire par Alexandre Lobjectif nest pas de deacutevoiler les

recoins de la meacutetaphysique alexandrinienne mais de deacutemontrer son uniteacute de mettre au jour les

grandes structures geacuteographiques du domaine meacutetaphysique Il reste assureacutement encore

beaucoup agrave faire et lon est donc loin de preacutetendre donner une analyse exhaustive de la

96 Cest ce qui explique le refus du vocabulaire de lorthodoxie

19

Introduction

meacutetaphysique alexandrinienne Les textes commenteacutes le sont tous avec en vue la mise agrave leacutepreuve

de lhypothegravese dune conception unitarienne de la meacutetaphysique Cela ne deacutebarrasse pas

totalement le preacutesent travail dune part darbitraire on a proceacutedeacute par recoupements en laissant

de cocircteacute certains pans du corpus aristoteacutelicien comme de lalexandrinien en eacutetudiant les textes qui

nous ont parus les plus significatifs eu eacutegard au projet fixeacute Il appartient au lecteur de juger si ces

lacunes sont des carences ou au contraire des moyens pragmatiques de deacutegager la vue en

soulignant ce qui charpente le paysage croiseacute des deux auteurs

Pour caracteacuteriser la position alexandrinienne trois voies se sont imposeacutees agrave nous En ce

qui concerne speacutecifiquement le Commentaire agrave la Meacutetaphysique la premiegravere a consisteacute agrave ecirctre attentif

aux eacuteleacutements eacutetrangers qui viennent se greffer sur la paraphrase repeacuterer les liens quAlexandre

eacutetablit entre les diffeacuterentes parties du corpus aristoteacutelicien ce quAlexandre introduit dans la

paraphrase dun lemme et qui indique la perspective prise sur ce morceau de texte De ce point

de vue notre interpreacutetation des textes dAristote est souvent sous-deacutetermineacutee elle en demeure agrave

un niveau relativement eacuteleacutementaire Lorsquelle est plus deacutetermineacutee cest parce quil a fallu

revenir agrave Aristote pour se deacutefaire du voile deacutevidence avec lequel certaines interpreacutetations

dAlexandre le recouvrent (ainsi de la deacutefinition de lhomme comme animal rationnel des enjeux

anti-dialectiques de la philosophie premiegravere de la deacutetermination du premier moteur comme

forme sans matiegravere) La mesure de leacutecart implique decirctre attentif agrave des modifications parfois

microscopiques (un laquo τε raquo lu laquo δέ raquo par exemple97) mais susceptibles de reacutesultats significatifs

dans linterpreacutetation dAristote par Alexandre

De mecircme on a tenteacute de repeacuterer les effets de reacutecurrence les reacutepeacutetitions dune thegravese dun

thegraveme dun concept Cest pourquoi on ne sest pas limiteacute au Commentaire agrave la Meacutetaphysique

Certes la multiplication dune thegravese dans un corpus philosophique ne signifie pas neacutecessairement

quelle soit logiquement centrale ndash un auteur peut atteindre une intuition de fond en un passage

unique mais deacutecisif tandis que ce quil reacutepegravete fera partie de lair du temps philosophique

Toutefois mecircme si cette meacutethode na rien dabsolu telle a eacuteteacute sans doute lune des voies les plus

efficaces parce quAlexandre en bon enseignant a des tics de penseacutee des passages aristoteacuteliciens

de preacutedilection des arguments favoris

Enfin plus occasionnellement on est alleacute chercher chez les commentateurs ulteacuterieurs

(Ascleacutepius Syrianus Simplicius) ce qui a eacuteteacute identifieacute comme une interpreacutetation dAlexandre98

97 Cf ci-dessous sect 242

98 Cela entraicircne une preacutecision sur notre mode deacutecriture Il est courant quand on commente un texte

20

Introduction

Le plan du travail deacutecoule de ce qui preacutecegravede On a tenteacute en un premier temps de proceacuteder

agrave la recontextualisation de la meacutetaphysique alexandrinienne Alexandre est seacutepareacute par cinq

siegravecles dAristote linterpreacuteter hors de son contexte est illusoire Il faut donc precircter attention aux

aspects conjoncturels aux strateacutegies des discours aux effets du contexte concurrentiel de la

philosophie agrave leacutepoque dAlexandre Toutes choses qui peuvent paraicirctre vulgairement

historiques ne pas relever de lauthentique histoire de la philosophie Elles sont pourtant

indispensables pour qui veut comprendre les raisons du succegraves de la meacutetaphysique et eacuteviter les

mirages dune histoire de la philosophie laquo pure raquo confineacutee aux seuls textes ou aux seules

doctrines veacutehiculeacutees par ces textes On revendique ici une pragmatique du discours

philosophique et son eacutemergence dans et agrave partir dune histoire En ce sens nous croyons pouvoir

repeacuterer deux contraintes dordre laquo professionnel raquo qui pegravesent sur la lecture alexandrinienne de la

meacutetaphysique et lui imposent le projet dune lecture unitarienne agrave savoir son inscription dans un

champ philosophique agonistique et son statut de diadoque et dexeacutegegravete

Le deuxiegraveme chapitre le cœur de ce travail en vient alors agrave la reacutealisation de ce

programme unitarien Alexandre parvient-il agrave penser de faccedilon coheacuterente la meacutetaphysique

comme laquo une science une raquo (selon lexpression courante du commentaire agrave Meacutetaphysique Γ)

Alexandre reacuteduit-il ou assimile-t-il les divers objets que la Meacutetaphysique semble lui attribuer La

reacuteponse est selon nous que cette uniteacute nest pas simple mais articuleacutee et articuleacutee en trois

programmes principaux une eacutetude universelle de leacutetant en tant queacutetant une eacutetude de la

substance une eacutetude de la substance premiegravere et divine Cette articulation sopegravere en outre agrave la

faveur dun principe qui constitue lun des schegravemes cardinaux de la penseacutee alexandrinienne le

principe de causaliteacute du maximum

Enfin le dernier chapitre entend recueillir la conclusion preacuteceacutedente et deacutevelopper cette

triple articulation au niveaux mecircme des trois objets principaux leacutetant en tant queacutetant la

deacutecrire en reprenant les propos de lauteur agrave son compte de lexpliquer directement par lareformulation en passant sous silence lactiviteacute mecircme de linterpregravete qui a pu aboutir agrave cetteexplication la dimension agrave la fois heuristique et argumentative de son activiteacute (les raisons deprivileacutegier telle lecture) pour mieux en preacutesenter le reacutesultat final Telle eacutetait deacutejagrave agrave lorigine lattitudedAlexandre en particulier dans ses traiteacutes dits personnels On a choisi de maintenir dans leacutecrituremecircme du travail qui va suivre la dimension exploratoire et argumentative voire tacirctonnante delinterpreacutetation au risque sans doute non eacuteviteacute de la lourdeur Parce quon est aux prises avec un textede commentaire il serait circulaire (vicieusement circulaire) de reprendre et reacutepeacuteter les optionshermeacuteneutiques de lExeacutegegravete quon commente en nous faisant le laquo porte-voix raquo dAlexandre commelui-mecircme se fait le laquo porte-voix raquo dAristote (cf Alexandre DA 2 3-6)

21

Introduction

substance et le divin Comment et pourquoi se produit le passage dun niveau agrave lautre Pour

deacutemontrer que la meacutetaphysique alexandrinienne ne sacrifie pas son uniteacute dans ces trois moments

de leacutetude (lontologie lousiologie et la theacuteologie) il convient deacutetudier comment dune part

dans le traitement de ces objets se produit la neacutecessiteacute quils relegravevent dune unique science et

comment dautre part chacun appelle le suivant Ces trois programmes ne sidentifient pas mais

pour autant ne se seacuteparent pas non plus en trois sciences distinctes parce quil incombe agrave la

mecircme science de les conduire

22

Chapitre I

CHAPITRE I

LA MEacuteTAPHYSIQUE COMME SCIENCE UNE ENJEUX

Alexandre philosophe et exeacutegegravete

11 Y a-t-il un laquo champ de bataille de la meacutetaphysique raquo agrave leacutepoque dAlexandre

Sinterroger sur la transmission dune penseacutee ndash en loccurrence celle dAristote ndash cest

questionner la maniegravere dont se constitue lhistoire (Historie et non Geschichte) de la philosophie

Une telle enquecircte exige de quitter la seule confrontation des textes sub specie aeternitatis pour par

exemple faire intervenir les eacuteleacutements non-textuels qui structurent le champ philosophique agrave

leacutepoque des textes en question Bref elle appelle une tentative de contextualisation des textes

viseacutes Cette tentative est solidaire du projet de traiter Alexandre comme un auteur et de cerner en

quoi il laquo augmente raquo son texte-source On souhaiterait en outre montrer dans ce qui suit que les

raisons poussant agrave sinterroger sur le contexte de lactiviteacute philosophique dAlexandre ne

ressortissent pas seulement agrave des deacutecisions meacutethodologiques a priori mais sont requises par la

situation dAlexandre sa maniegravere de faire de la philosophie Lhabitude encore tenace

aujourdhui1 de traiter Alexandre dans sa seule dimension exeacutegeacutetique comme sil se tenait hors

de toute historiciteacute face au texte aristoteacutelicien comme si lon pouvait biffer les cinq siegravecles qui les

1 Mais la voie dune contextualisation dAlexandre a deacutejagrave eacuteteacute traceacutee par les travaux par exemple de SBobzien [1998] et I Kupreeva [2003] Voir aussi RW Sharples [2002a] pour la theacuteologie ou V Cordonier[2007] et [2008]

23

La meacutetaphysique comme science une enjeux

seacuteparent cette habitude donc devrait se voir abandonneacutee

Mais surtout lhypothegravese est que seule une telle enquecircte serait agrave mecircme dexpliciter les

enjeux de linterpreacutetation alexandrinienne de la meacutetaphysique en mettant en lumiegravere agrave la fois les

attendus ou les reacutequisits qui traversent son entreprise de constituer la meacutetaphysique en une

science une et les tensions ou les obstacles qui sy opposent La mise en contexte na sans doute

pas de pouvoir explicatif absolu ndash si lon comprend par lagrave la seule recherche de causes positives

deacuteterminantes ndash mais elle nest pour autant pas deacutepourvue de pouvoir explicatif notamment si

lon y entend aussi la position de problegravemes

111 Contextualisation

a) Contextualiser une eacutenonciation philosophique

Le risque dune telle entreprise de contextualisation est quelle pourrait paraicirctre verser

dans lhistoire des ideacutees et lhistoricisme2 Ce risque tient agrave ce que lhistoire de la philosophie

demeure au pli dune tension quillustre son double nom Si lhistoire de la philosophie se veut

philosophique (ou si lon preacutefegravere philosophante) et si donc lon souhaite eacuteconduire au moins

partiellement la distinction entre laquo histoire de la philosophie raquo et philosophie dite laquo geacuteneacuterale raquo il

sera neacutecessaire dassumer trois thegraveses neacutegatives quil ny a pas de penseacutee solitaire quil ny a pas

dinnovation philosophique sans institution dune tradition et donc conscience du passeacute quenfin

il ny a pas accegraves aux choses mecircmes ou aux problegravemes philosophiques hors de toute discursiviteacute

Positivement cela implique dune part que la philosophie laquo geacuteneacuterale raquo ne puisse faire leacuteconomie

dune reacuteflexion critique sur son propre passeacute et dautre part que lhistoire de la philosophie

quant agrave elle doive viser de lactuel elle cherche (au moins agrave titre dideacuteal reacutegulateur) la

2 La notion est souvent brandie comme un eacutepouvantail dans les reacuteflexions sur lhistoire de laphilosophie Il faut plus lentendre comme une reconstruction que renvoyant agrave une pratique effectivede lhistoire Lhistoire des ideacutees prise en mauvaise part deacutesignerait une branche de lhistoire qui eacutetudiele deacuterouleacute des penseacutees au plus pregraves de leurs conditions mateacuterielles et contingentes de production envisant une preacutetendue neutraliteacute

24

La meacutetaphysique comme science une enjeux

preacutesentification dun acte de penseacutee sa reacutepeacutetition toujours possible3 en reacuteactivant et reacuteactualisant

luniversaliteacute dune penseacutee par la position de problegravemes Mais la contextualisation dune penseacutee

ne contredit-elle pas ce projet Correacutelativement que reste-t-il dhistorique dans lhistoire de la

philosophie une fois ces objectifs poseacutes

Le principe du contexte (en un sens qui nest pas exactement celui de Frege mais nen est

pas non plus si eacuteloigneacute) en histoire de la philosophie comme ailleurs4 se heurte en effet agrave de

solides objections Si lhistoire de la philosophie a pour vocation de reacuteactiver les sens dune

penseacutee la contextualisation semble au contraire enfermer le texte dans un passeacute reacutevolu Pour bien

lire un texte philosophique il faudrait au contraire le lire laquo comme sil eacutetait sorti dans Mind il y a

un an raquo5 La contextualisation relegraveverait dune deacuterive historiciste de lhistoire de la philosophie6

Elle conduirait en outre agrave expulser le sens du texte hors de lui-mecircme en le faisant reacutegresser vers

son contexte et sexposerait donc agrave une pure et simple perte de son objet initial Elle rendrait

enfin aveugle aux innovations conceptuelles et probleacutematiques en les reacuteduisant agrave necirctre que le

reacutesultat dun croisement dlaquo influences raquo exteacuterieures

Ces critiques sont solidaires et toutes trois preacutesupposent en creux une conception

positiviste du sens comme immanent au texte En peu de mots dans cette conception le texte

sassimile agrave une monade replieacutee sur une clocircture textuelle7 que viendrait rompre la

contextualisation Correacutelativement le contexte eacutenonciatif est conccedilu comme un donneacute positif

exteacuterieur et preacuteexistant au texte Une telle conception nest pas infondeacutee ndash en premiegravere analyse

elle possegravede lindeacuteniable atout de nous contraindre agrave lire le texte pour lui-mecircme et agrave partir de lui-

mecircme garde-fou contre tout deacutelire interpreacutetatif Toutefois il se pourrait quagrave la condition

3 Cf Hegel Leccedilons sur lhistoire de la philosophie (cours de 1825-1826) laquo nous navons pas affaire agravequelque chose de passeacute mais au preacutesent agrave lactiviteacute de penser agrave lesprit proprement dit raquo

4 Voir les discussions des problegravemes poseacutes par la notion de contexte en linguistique Cf par exemple FRastier [1988] et R Micheli [2006]

5 Lanecdote et le conseil sont de J Barnes dans S Marchand [2008] Il faut noter que Barnes ne militefinalement pas pour une meacutethode purement atomiste et deacutecontextualiseacutee en histoire de la philosophieOn en trouvera davantage dans R Rorty [1984] Pour une reacuteponse laquo hermeacuteneutique raquo cf P Aubenque[2001]

6 Comme le dit Gadamer laquo le texte compris en historien est formellement deacuteposseacutedeacute de la preacutetention agravedire quelque chose de vrai raquo cf H-G Gadamer [1960] p 308 tr fr [1996] p 325

7 Cette notion est ici prise non pas en son sens mateacuteriel (ce qui marque typographiquement les bornesdu texte) mais hermeacuteneutique signifiant que le texte est une totaliteacute close agrave laquelle le sens estimmanent et qui fournit donc au lecteur ses propres instruments de lecture Cf F Rastier [1988] p 107et plus geacuteneacuteralement U Eco [1965] Il faudrait sans doute ici distinguer ce qui relegraveve de linterpreacutetationestheacutetique (des textes litteacuteraires) de linterpreacutetation philosophique On ne peut sans doute pas balayerla question dune autoreacutefeacuterentialiteacute de la litteacuterature dun revers de main

25

La meacutetaphysique comme science une enjeux

dabandonner cette substantialisation du texte et sa notion concomitante de contexte il soit

possible deacuteviter les critiques eacutevoqueacutees Nous pourrions ainsi envisager une contextualisation qui

soit agrave mecircme de nous informer sur le sens du texte lui-mecircme et de contribuer agrave sa reacuteactualisation

Pour ce faire il faut tenir une double thegravese selon laquelle un texte est situeacute dans un

contexte autant que reacuteciproquement un contexte est en partie le produit dun texte Comme

lindique le terme laquo contexte raquo est une notion relative son sens deacutepend en partie de son texte-

source de mecircme que le sens du texte peut seacuteclairer par sa situation (en un sens quasi sartrien)

dans le contexte Le contexte est pour ainsi dire lombre dune penseacutee ndash et donc le produit

conjugueacute de cette penseacutee et de son environnement Partant le contexte exige toujours decirctre

reconstruit Sa valeur explicative nest donc pas absolue un texte philosophique ne peut se

reacuteduire agrave laquo un libelle ou texte de circonstance raquo8 Parler de situation cest au contraire refuser

doctroyer au contexte un pouvoir explicatif deacutefinitif lequel serait de toute faccedilon contradictoire

avec lideacutee que le sens dun texte en tout cas philosophique est reacuteactualisable9 La viseacutee

universelle du texte philosophique nimplique pas la biffure de toute dimension historique mais

sa libeacuteration (entendue comme processus) Reacuteciproquement la contextualisation dun texte

philosophique peut servir agrave montrer comment cette universaliteacute se conquiert agrave la fois agrave partir de

et par-delagrave sa propre historiciteacute Le contexte nest pas un simple arriegravere-fond il est ce que le texte

philosophique reprend et forge pour le discuter et (tenter de) le surmonter

Cette conception du texte philosophique accueillante vis-agrave-vis dun travail de

contextualisation qui cherche agrave eacuteviter aussi bien la deacutecontextualisation totale que lrsquohistoricisation

forte appellerait pour ecirctre inteacutegralement fondeacutee des analyses qui outrepassent le preacutesent

propos Du moins peut-on tenter den souligner linteacuterecirct et les modaliteacutes pratiques Dans ce qui

suit nous nous reacutefeacutererons autant agrave des contemporains dAlexandre quaux textes dAlexandre lui-

mecircme Pour cette raison aussi par exemple nous exclurons de la discussion les eacutepicuriens Cette

eacuteviction se justifie (1) par le statut particulier du Jardin agrave leacutepoque10 et (2) par le fait que sauf sur

8 Y-C Zarka [2001] p 28

9 Octroyer au contexte un tel pouvoir explicatif rendrait absurde la possibiliteacute mecircme dune valeur trans-historique et conduirait agrave absorber lhistoire de la philosophie dans lhistoire des ideacutees Comme le ditM Merleau-Ponty laquo Nous avons beaucoup agrave faire pour eacuteliminer les mythes jumeaux de la philosophiepure et de lhistoire pure et pour retrouver leurs rapports effectifs Il nous faudrait dabord une theacuteoriedu concept ou de la signification qui prenne lideacutee philosophique comme elle est jamais deacutelesteacutee desimports historiques et jamais reacuteductible agrave ses origines raquo cf M Merleau-Ponty [1960] p 209-210

10 Leacutecole reste certes tregraves active ndash cf les inscriptions dŒnanda qui dateraient de 150 ndash mais son modedorganisation communautaire reste assez archaiumlque sur le modegravele helleacutenistique dune eacutecole agrave forteorthodoxie qui tolegravere peu les divergences theacuteoriques Cf J-M Andreacute [1987] et D Sedley [1989]

26

La meacutetaphysique comme science une enjeux

certaines questions de physique et peut-ecirctre en eacutethique leacutepicurisme a tregraves probablement eu

moins dimportance dans la reacuteflexion dAlexandre11 ndash moins en tout cas que le stoiumlcisme et le

platonisme

b) Une contextualisation commandeacutee par le contexte

Au surplus indeacutependamment des problegravemes geacuteneacuteraux hermeacuteneutiques du concept de

contexte le cas particulier dAlexandre requiert de lui-mecircme une telle lecture Largument

pourrait ici passer pour circulaire il ne fait en reacutealiteacute que deacuteployer une impression celle dun

geste philosophique dont le sens eacutechappe en partie sil nest restitueacute agrave son histoire Les textes

dAlexandre reacutecusent la clocircture dune lecture purement interne

On distingue en effet communeacutement deux types dœuvres dAlexandre les

commentaires et les ouvrages dits laquo personnels raquo Mais cette bipartition ne reacutesiste pas agrave un survol

mecircme rapide des textes cest mecircme comme le dit M Rashed une laquo ideacutee fausse qui peut faire

des ravages dans une eacutetude consacreacutee agrave Alexandre raquo12 Les œuvres laquo personnelles raquo en effet

saffichent elles aussi explicitement dans leur reacutefeacuterence agrave Aristote Le De anima par exemple est

aussi une explication du De anima dAristote Alexandre dit en commenccedilant quil se fait le laquo porte-

voix raquo ou laquo lambassadeur raquo de la doctrine aristoteacutelicienne13 Degraves le deacutebut assez emphatique du De

Numeacutenius en teacutemoigne clairement laquo Τοῦτο δ οἱ Ἐπικούρειοι οὐκ ὤφελον μέν μαθόντες δ οὖν ἐνοὐδενὶ ὤφθησαν Ἐπικούρῳ ἐναντία θέμενοι οὐδαμῶς ὁμολογήσαντες δ εἶναι σοφῷσυνδεδογμένοι καὶ αὐτοὶ διὰ τοῦτο ἀπέλαυσαν τῆς προσρήσεως εἰκότως ὑπῆρξέ τε ἐκ τοῦ ἐπὶπλεῖστον τοῖς μετέπειτα Ἐπικουρείοις μηδ αὐτοῖς εἰπεῖν πω ἐναντίον οὔτε ἀλλήλοις οὔτεἘπικούρῳ μηδὲν εἰς μηδὲν ὅτου καὶ μνησθῆναι ἄξιον ἀλλ ἔστιν αὐτοῖς παρανόμημα μᾶλλον δἀσέβημα καὶ κατέγνωσται τὸ καινοτομηθέν raquo (Fr 24 l 22-31) laquo Voilagrave ce que les eacutepicuriensnauraient pas ducirc apprendre ltagrave savoir veacuteneacuterer son maicirctre et ne pas se mettre en deacutesaccord avec lui etentre euxgt ils lont appris cependant et jamais daucune faccedilon on ne les a vus soutenir le contrairedEacutepicure agrave force de convenir quils partageaient les ideacutees dun sage ils ont joui eux aussi et non sansraison de ce titre et il fut acquis degraves longtemps aux eacutepicuriens posteacuterieurs quils ne seacutetaient jamaiscontredits entre eux ni navaient contredit Eacutepicure en rien qui valucirct la peine den parler cest chez euxune illeacutegaliteacute ou plutocirct une impieacuteteacute et toute nouveauteacute est proscrite raquo (tr Des Places)

11 Voir la Quaestio I 13 sur les couleurs (laquo Ὅτι μὴ ὁμοίως κατά τε τὰς ἄλλας αἱρέσεις καὶ κατἘπίκουρον εἰσάγεται τὰ χρώματα ὡς ἔλεγεν Κηνσωρῖνος ὁ Ἀκαδημαικός raquo) et la Quaestio III 12 surlinfiniteacute de lunivers (laquo Ὅτι μὴ ἄπειρον τὸ ὄν raquo) Pour leacutethique cela semble moins clair cf RWSharples [1990] p 95

12 M Rashed [2007b] p 3

13 Alexandre DA 2 3-6 laquo ἐπεὶ δ ὥσπερ ἐν τοῖς ἄλλοις τὰ Ἀριστοτέλους πρεσβεύομεν ἀληθεστέραςἡγούμενοι τὰς ὑπ αὐτοῦ παραδεδομένας δόξας τῶν ἄλλοις εἰρημένων raquo Selon la suite du texte leprojet que se fixe Alexandre est dexpliquer laquo aussi clairement que possible ce qui a eacuteteacute dit par Aristote

27

La meacutetaphysique comme science une enjeux

fato lExeacutegegravete se donne comme projet de preacutesenter laquo la doctrine dAristote concernant le destin et

ce qui deacutepend de nous raquo ayant reccedilu la mission impeacuteriale de sen faire le heacuteraut (laquo οὗ τῆς

φιλοσοφίας προΐσταμαι ὑπὸ τῆς ὑμετέρας μαρτυρίας διδάσκαλος αὐτῆς κεκηρυγμένος raquo 164

14-15) En ce sens on pourrait montrer que tout texte dAlexandre est selon les termes de G

Genette ou un hypertexte ou un meacutetatexte14 Alexandre eacutecrit dans une reacutefeacuterence constante agrave

Aristote Inversement les commentaires dAristote sont eux aussi eacutecrits contre et par rapport aux

autres eacutecoles comme le proclame par exemple nettement le deacutebut du Commentaire aux Topiques

lequel se place au croisement des stoiumlciens et de Platon sur la logique et la dialectique15

Il faut donc saffranchir de cette preacutetendue scission entre des traiteacutes poleacutemiques originaux

dune part et de purs commentaires de lautre Le projet alexandrinien reacutevegravele au fond une

certaine uniteacute et la distinction du statut des œuvres est surtout formelle ou de public il est en

effet probable que les commentaires aient eacuteteacute reacuteserveacutes agrave des eacutetudiants avanceacutes et que les œuvres

laquo personnelles raquo aient eacuteteacute destineacutees agrave un public plus large quoique informeacute comme lont montreacute

P Accattino et P Donini dans le cas du De anima par exemple16 Neacuteanmoins il faut sans doute se

garder de trop forcer lideacutee de textes de vulgarisation la doctrine du De anima dAlexandre paraicirct

peut-ecirctre laquo simplifieacutee raquo aux yeux de ces auteurs mais le public auquel elle sadresse sans

connaicirctre les meacuteandres du texte dAristote est agrave tout le moins assez au courant des concepts de

forme de matiegravere de qualiteacute etc Surtout mecircme sans une connaissance pousseacutee de la theacuteorie

aristoteacutelicienne (dougrave le projet de louvrage) il nen est pas moins capable dacceacuteder agrave des

discussions fouilleacutees de chimie eacuteleacutementaire ou de noeacutetique Cest enfin un public qui connaicirct

probablement les doctrines des autres eacutecoles vers qui sont dirigeacutees bon nombre dallusions

dAlexandre Une conclusion en deacutecoule simplement les Commentaires ont eacuteteacute eacutecrits selon une

vocation dabord interne agrave lenseignement de lAphrodisien Les œuvres dites personnelles sont

au sujet de lacircme raquo et de preacutesenter laquo les explications propres agrave deacutemontrer que chacune des choses quila dites est parfaite [καλῶς]raquo DA 2 8-9

14 Dans vocabulaire de Genette un texte meacutetatextuel est un commentaire quoique pas neacutecessairementexplicite Lhypertextualiteacute deacutesigne un texte deacuteriveacute dun autre texte preacuteexistant au terme duneopeacuteration de transformation Sur ce point voir S Fazzo [2008a] particuliegraverement p 615 et n 23 Il fautcependant nuancer tout texte alexandrinien nest pas un meacutetatexte et la cateacutegorie de lhypertexte doitecirctre ajouteacutee (S Fazzo ne prend pas en compte la diffeacuterence entre hypertexte et meacutetatexte) Que soientdes meacutetatextes les commentaires certaine Quaestiones et mecircme le De anima cest probable Celadevient plus difficile agrave soutenir pour le De fato les Quaestiones dans leur ensemble certains traiteacutesconserveacutes seulement en arabe (voir la Reacuteponse agrave Xeacutenocrate par exemple) qui conservent une relationplus distendue avec la source aristoteacutelicienne

15 Cf In Top 1 10 sq

16 P Accattino P Donini [1996] p XI

28

La meacutetaphysique comme science une enjeux

quant agrave elles plus geacuteneacuteralistes agrave destination peut-ecirctre deacutetudiants moins avanceacutes et plus

certainement des membres des autres eacutecoles et du public cultiveacute au fait des poleacutemiques

contemporaines

La situation historique dAlexandre reacutecuse eacutegalement le projet dune lecture purement

interne ou dans le seul face agrave face avec Aristote Par laquo eacutepoque dAlexandre raquo on entendra dabord

en un sens restreint agrave peu pregraves le IIegraveme s en maintenant une certaine eacutepaisseur agrave la notion de ce

qui est contemporain dAlexandre Son preacutesent philosophique seacutetendant jusquagrave Chrysippe17

Aristote et Platon il faut probablement se garder dy projeter notre moderne laquo actualiteacute raquo Pour

comprendre leacutepoque dAlexandre on pourra donc aussi leacutetendre agrave la peacuteriode quon nommera

faute de mieux laquo post-helleacutenistique raquo qui court entre la fin du IIegraveme s av J-C et la fin du IIegraveme s

ap J-C18 Le IIegraveme s av J-C signe la fin de legravere helleacutenistique avec par exemple le deacutebut du

renouveau de lautoriteacute dAristote (avant mecircme Andronicos dailleurs) la peacuteriode laquo impeacuteriale raquo

du stoiumlcisme le renouveau du platonisme dogmatique etc et la fin du IIegraveme s ap J-C marque le

deacutebut de legravere des Commentateurs19

Bien que ce soit une banaliteacute de dire quun auteur se situe agrave une eacutepoque de transition

dans le cas dAlexandre cette banaliteacute fait sens Au niveau politique Alexandre se situe entre la

fin du Haut-Empire et le deacutebut de lAntiquiteacute tardive (ce quon appelait autrefois le laquo Bas-

Empire raquo deacutebut de la laquo deacutecadence romaine raquo20) La peacuteriode est ainsi tendue entre les Antonins et

les Seacutevegraveres donc entre dune part les grandes campagnes de Marc Auregravele pour la deacutefense de la

peacuteripheacuterie de lEmpire et dautre part les importantes mutations dans lEmpire romain au IIIegraveme

17 Cf par exemple De mix 213 7 216 8 etc

18 laquo Post-helleacutenistique raquo parce que cette peacuteriode ne commence pas strictement avec lempire (et ne peutdonc ecirctre nommeacutee impeacuteriale) R Sorabji et RW Sharples se contentaient en ce sens de la deacutelimiter parses dates Voir R Sorabji RW Sharples [2007] dont le titre est laquo Greek and Roman Philosophy 100 BCndash200AD raquo RW Sharples reacuteemploie ladjectif laquo post-hellenistic raquo par exemple dans R W Sharples [2002a]p 2

19 Sur cette peacuteriodisation voir M Frede [1999] R Sorabji [2004] et surtout R Sorabji RW Sharples[2007] et RW Sharples [2010] Sur le renouveau de laristoteacutelisme voir P Moraux [1973] p 45 sq et MFrede [1999] p 772 sq

20 Cest le deacutebut du laquo Decline and fall of the roman empire raquo de Gibbon Voir les eacutetudes classiques de H-IMarrou [1977] et plus reacutecemment J-M Carrieacute et A Rousselle [1999] On prendra toutefois avecprudence certains renseignements glaneacutes dans ce dernier ouvrage en ce qui concerne la philosophie en lespace de deux pages Alexandre passe du statut de laquo stoiumlcien raquo (p 440) agrave celui de laquo platonicien raquo(p 442) La deacutedicace agrave Septime Seacutevegravere et Antonin Caracalla dont il est fait mention p 442 ne concernepas le De lacircme comme il est eacutecrit mais bien le De fato

29

La meacutetaphysique comme science une enjeux

s ainsi la monteacutee des laquo provinciaux raquo dans les sphegraveres du pouvoir21 lapogeacutee du droit romain la

centralisation administrative la Constitution de Caracalla en 212 qui octroie la citoyenneteacute

romaine agrave tous les habitants libres de lEmpire les tensions religieuses avec la perseacutecution des

Chreacutetiens puis leur expansion etc

Au niveau intellectuel le IIegraveme s est le theacuteacirctre dune effervescence dans de nombreuses

disciplines de la rheacutetorique agrave la meacutedecine22 En philosophie la peacuteriode correspond au regravegne

finissant des stoiumlciens au deacutebut de laquo legravere des commentateurs raquo aux preacutemices de la supreacutematie de

leacutecole platonicienne Charniegravere la peacuteriode lest encore en ceci quelle voit agrave la fois le

deacuteveloppement de Rome comme capitale philosophique (au Ier s en particulier) et le retour

dAthegravenes (degraves la fin du IIegraveme) bipolariteacute culturelle dont teacutemoignent les deux ceacutelegravebres discours

dAeacutelius Aristide en lhonneur des deux citeacutes Lhelleacutenisme romain est loin decirctre mort au

moment ougrave lactiviteacute philosophique en langue latine bourdonne agrave Rome se deacuteveloppe aussi la

tradition des commentaires de Platon et Aristote ndash ce que montrent aussi en litteacuterature les Nuits

Attiques dAulu-Gelle Degraves lors si lon accepte de parler de laquo romaniteacute raquo (notion agrave manier sans

doute prudemment23) on peut dire que le siegravecle dAlexandre se signale par sa poursuite du projet

dune culture24 du legs grec classique R Brague geacuteneacuteralise cette attitude pour constituer lessence

de la romaniteacute laquo La structure de transmission dun contenu qui nest pas le sien propre voilagrave

justement le veacuteritable contenu Les Romains nont fait que transmettre mais ce nest pas rien raquo25

La locution neacutegative restrictive est une exageacuteration dauteur le simple fait de la transmission

consiste agrave apporter laquo lancien comme nouveau raquo26 et la reacutepeacutetition nest jamais neutre ndash comme on

le voit dans diverses mesures avec Lucregravece Alexandre et Plotin Par le concept de culture les

21 Voir J-M Carrieacute A Rousselle [1999] p 49 sq

22 Cest par exemple lessor de la seconde sophistique les eacutecrivains Lucien Aulu-Gelle etc J-M Andreacute[1987] retrace aussi cette laquo apogeacutee du siegravecle dor raquo p 51 P Athanassiadi ([2006] p 74 n 7) propose enpassant une analogie avec la laquo Belle eacutepoque raquo

23 Sur cette notion cf R Brague [1999] et pour son emploi heideggerien F Volpi [2001] La prudence estrequise agrave deux eacutegards dabord parce quoriginellement la romanitas est un concept ideacuteologiquecomparable agrave celui de lamerican way of life En outre et plus geacuteneacuteralement lideacutee mecircme de substantiverun adjectif dappartenance et dessentialiser un nom de pays (ou de ville) a certains relents historiquesdeacutesagreacuteables En tout eacutetat de cause le terme est rare et serait un hapax de Tertullien dans le Dumanteau IV 1 laquo Quid nunc si est Romanitas omni salus nec honestis tamen modis ad Graios estis raquo

24 En un sens dabord agricole cf la fameuse deacutefinition de la philosophie par Ciceacuteron Tusculanes II 5Pour le lien entre romaniteacute et culture cf deacutejagrave M Heidegger [1961] tr fr [1971] p 331 et H Arendt[1978] tr fr [2005] p 200

25 R Brague [1999] p 46

26 R Brague [1999] p 46

30

La meacutetaphysique comme science une enjeux

penseurs romains contribuent donc aussi agrave forger celui solidaire de tradition Le sens premier de

traditio est commercial (la livraison) et miliaire (la reddition) et cest par extension quil deacutesigne la

transmission dun enseignement La tradition ne deacutesigne donc pas dabord comme ce peut lecirctre

en franccedilais la passation entre geacuteneacuterations de comportements culturels ou symboliques mais

celle deacutetermineacutee dune penseacutee ou dun savoir Cest par ce terme que Quintilien reacutesume son

projet au livre III de lInstitution oratoire27 en se placcedilant sous le patronage dun Lucregravece qui sut

transmettre sans deacuteplaire Selon la formule de Seacutenegraveque la laquo communication des connaissances raquo

(traditio studiorum) meacuterite en effet notre gratitude et fait naicirctre lamitieacute elle relegraveve logiquement

des laquo bienfaits raquo28 La tradition reacutevegravele ainsi un rapport agrave lorigine fondatrice comme ce dont on

doit se montrer digne qui fait autoriteacute et nous relie au passeacute29

Enfin fait eacuteloquent et connu cest le lent essor du codex qui par rapport au rouleau va

modifier le rapport agrave leacutecrit dans le sens dune relation agrave la fois plus intime et plus synoptique30

Mais le livre acquiert ainsi par-delagrave ses aleacuteas mateacuteriels et la concurrence entre volumen et codex

un statut speacutecifique nouveau autant dailleurs chez les paiumlens que les chreacutetiens Leacutepoque nest

peut-ecirctre pas encore tout agrave fait agrave llaquo idolacirctrie du livre raquo selon la formule de P Athanassiadi31

puisque la culture scientifique demeure bien une culture de loraliteacute Mais M Frede a bien montreacute

que la fin de la peacuteriode helleacutenistique signe un changement de rapport avec leacutecrit et donc en

partie (mais souhaiterions-nous rajouter en partie seulement) un changement daspect de

lactiviteacute philosophique dont Alexandre teacutemoigne explicitement32 Ce changement de rapport au

livre est tregraves solidaire du renouveau dinteacuterecirct pour Platon et Aristote apregraves lopposition agrave la

philosophie classique qui marque la peacuteriode helleacutenistique et en particulier son opposition aux

27 Voir III 1 3 l 1 laquo quippe quod prope nudam praeceptorum traditionem desideret raquo et l 7

28 De beneficiis VI 17 2 La phrase entiegravere meacuterite decirctre citeacutee laquo Adice quod talium studiorum traditio miscetanimos hoc cum factum est tam medico quam praeceptori pretium operae solvitur animi debetur raquo

29 Cf H Arendt [1972]

30 Le codex ne remplacera le rouleau que tregraves progressivement la mutation finissant de saccomplir agraveleacutepoque dAugustin Cf H-I Marrou [1977] J Irigoin [2001] p 59-73 et les eacuteleacutegantes pages deP Athanassiadi [2006] p 116-118

31 P Athanassiadi [2006] p 119-120

32 M Frede [1999] en particulier p 784 sq Voir aussi sur le rapport au livre dans lAntiquiteacute lescontributions agrave ce sujet dans G Cavallo R Chartier [1997] Pour Alexandre sur le commentairecomme activiteacute philosophique cf In Top 27 12-16 laquo ἦν δὲ σύνηθες τὸ τοιοῦτον εἶδος τῶν λόγωντοῖς ἀρχαίοις καὶ τὰς συνουσίας τὰς πλείστας τοῦτον ἐποιοῦντο τὸν τρόπον οὐκ ἐπὶ βιβλίωνὥσπερ νῦν (οὐ γὰρ ἦν πω τότε τοιαῦτα βιβλία) ἀλλὰ θέσεώς τινος τεθείσης εἰς ταύτηνγυμνάζοντες αὑτῶν τὸ πρὸς τὰς ἐπιχειρήσεις εὑρετικὸν ἐπεχείρουν κατασκευάζοντές τε καὶἀνασκευάζοντες δι ἐνδόξων τὸ κείμενον raquo Ce passage est citeacute et traduit par P Hadot [1995] p 165

31

La meacutetaphysique comme science une enjeux

speacuteculations ontologiques ou meacutetaphysiques33 Cest ce changement dattitude ce deacutesir de retour

aux sources qui rend raison des eacuteditions en particulier des travaux pour leacutedition dite romaine

dAristote34

Il faut toutefois preacutevenir une caricature facile dans la peacuteriode helleacutenistique on ferait

encore de la philosophie en soccupant du laquo reacuteel raquo avec la deacutecadence romaine en revanche

lactiviteacute dite philosophique ne serait plus que lexeacutegegravese affadie de textes croulant sous le poids

des commentaires seacutedimenteacutes ndash une telle vision35 eacutetant couramment solidaire de lideacutee que le

Moyen Acircge scolastique poursuit ce mouvement On verra plus loin quagrave notre sens le preacutejugeacute ne

reacutesiste pas agrave lexamen des textes Toutefois la pratique exeacutegeacutetique dun Alexandre sinscrit agrave

leacutevidence dans ce nouveau rapport au livre qui nest pas encore celui dune sacralisation mais

quillustre bien lassociation systeacutematique dans liconographie agrave partir du IIegraveme s de lhomme

cultiveacute avec le livre36 Le livre devient le relais neacutecessaire dune parole qui risque de se perdre

non seulement menaceacutee par loubli mais aussi par la laquo διάστασις raquo les dissensions entre lecteurs

comme le montre par exemple le Fr 24 de Numeacutenius et son projet de retrouver Platon dans sa

laquo pureteacute premiegravere raquo37 Ce double risque rend raison de lœuvre du diadoque laquo porte-voix raquo38 qui

heacuterite doit cultiver et transmettre la doctrine de son maicirctre mais aussi des tentatives au sein des

eacutecoles pour maintenir lorthodoxie ou encore des premiers travaux deacutedition critique Le terme

qui deacutesigne lactiviteacute philosophique dAlexandre laquo διάδοχος raquo renvoie en effet dabord

litteacuteralement au passage du flambeau agrave la succession (celle dAlexandre le Grand par exemple)

et agrave la reacuteception dun heacuteritage En philosophie le terme a donc dabord servi agrave deacutesigner les divers

successeurs agrave la tecircte des eacutecoles helleacutenistiques En deacutepit de la disparition des eacutecoles suite au sac

dAthegravenes par Sylla ndash en tout cas du Portique de lAcadeacutemie et du Lyceacutee39 ndash le terme na pas

disparu Il ne reacutefegravere deacutesormais plus au lieu physique de leacutecole mais agrave la doctrine de celle-ci et

33 M Frede [1999] en particulier p 784 sq Hermarque par exemple le successeur dEacutepicure avait eacutecritun Contre Platon et un Contre Aristote selon DL X 25

34 Sur la prudence dont il faut jouer avec cette expression voir par exemple HB Gottschalk [1987] p1093 J Barnes [1999] et ci-dessous

35 Qui a deacutejagrave Eacutepictegravete pour partisan cf Entretiens III 21 6-7

36 P Athanassiadi [2006] p 119

37 Ainsi Des Places traduit-il agrave la fin du fragment lexpression laquo ἐάσομεν αὐτὸν ἐφ ἑαυτοῦ raquo (l 70) Plusgeacuteneacuteralement agrave propos de cette laquo lutte pour lorthodoxie dans le platonisme tardif raquo voir PAthanassiadi [2006]

38 Cest le laquo πρεσβεύομεν raquo du DA 2 3-6 deacutejagrave rencontreacute ci-dessus

39 Pour le Lyceacutee cf JP Lynch [1972] Voir aussi RW Sharples [1999]

32

La meacutetaphysique comme science une enjeux

conserve la signification de reacutecipiendaire dun heacuteritage et de successeur40

Lun des faits marquants et philosophiquement significatifs de leacutepoque dAlexandre est

linstitution agrave Athegravenes des chaires de philosophie et de rheacutetorique par Marc Auregravele en 17641 cest-

agrave-dire la mise en place de postes fixes pour diadoques Marc Auregravele regravegle ainsi la question du

statut juridique des professeurs de philosophie par un eacutevergeacutetisme eacuteducatif qui reacuteagit agrave la rareteacute

des professeurs de philosophie en leur garantissant un salaire constant42 ndash et cette consolidation

juridique du rocircle des professeurs de philosophie nest sans doute pas totalement deacutenueacutee dune

volonteacute politique de mieux les controcircler Le nombre de ces chaires nest pas tregraves sucircr43 (peut-ecirctre y

eut-il deux professeurs par eacutecoles) mais du moins sait-on quil y avait quatre eacutecoles repreacutesenteacutees

(et par eacutecole on nentend donc plus ici un centre de vie communautaire comme agrave leacutepoque

helleacutenistique mais un courant de penseacutee44) stoiumlcienne eacutepicurienne platonicienne

peacuteripateacuteticienne Il conviendra toutefois de se garder de reacuteduire le champ philosophique agrave ces

quatre eacutecoles Presque neacutecessairement le cynisme ou le pyrrhonisme se deacuteveloppent hors des

eacutecoles constitueacutees en reacuteaction au dogmatisme scolaire45 Agrave la marge de ces eacutecoles se tiennent

aussi des auteurs qui creusent leur propre sillon ndash Galien ou Ptoleacutemeacutee46

De ces eacuteleacutements reacutesulte un espace de la penseacutee philosophique marqueacute par deux tendances

contradictoires La premiegravere immeacutediatement perceptible est celle du mouvement agonistique

poleacutemique47 Lopposition entre eacutecoles est tout autant intellectuelle ndash voire ideacuteologique ndash

queacuteconomique contrairement agrave ce quon pourrait croire linstitution des chaires a en reacutealiteacute

exacerbeacute cette concurrence48 comme le deacutecrit Lucien dans LEunuque On le verra le dialogue

40 Cf S Toulouse [2008] p 139 n1 et p 170 sq

41 Lun des teacutemoignages ndash assez grandiloquent ndash se trouve chez Dion Cassius dans son Histoire romaine(71313) laquo ὁ δὲ Μᾶρκος ἐλθὼν ἐς τὰς Ἀθήνας καὶ μυηθεὶς ἔδωκε μὲν τοῖς Ἀθηναίοις τιμάς ἔδωκεδὲ καὶ πᾶσιν ἀνθρώποις διδασκάλους ἐν ταῖς Ἀθήναις ἐπὶ πάσης λόγων παιδείας μισθὸν ἐτήσιονφέροντας raquo

42 Cf S Toulouse [2008] p 136

43 Cf S Toulouse[2008] p 159 sq

44 Lorganisation communautaire nest attesteacutee que chez les eacutepicuriens agrave Athegravenes au IIegraveme s cf S Toulouse[2008] p 139

45 Cf Sextus Empiricus bien sucircr mais aussi Lucien dans les dialogues tels que LEunuque LesAnabiountes etc

46 Cf R Sorabji [2007] t 1 p 1

47 J-M Andreacute parle de laquo virulence raquo ([1987] p55) Ces poleacutemiques seront railleacutees par le pyrrhonisme oupar la patristique au motif dune deacutevaluation des philosophies anteacuterieures (chez CleacutementdAlexandrie par exemple)

48 Quand un eacutetudiant vient agrave Athegravenes il sinscrit aupregraves dun professeur ndash ceacutetait deacutejagrave vrai avantlinstitution des chaires voir par exemple le cas dAulu Gelle (JP Lynch [1972] p 175) Avec

33

La meacutetaphysique comme science une enjeux

entre eacutecoles conduit agrave des discussions parfois violentes ougrave lon fait feu de tout bois ougrave lon

reconstruit la position de ses adversaires pour mieux mettre en valeur la validiteacute de ses principes

propres49 Ces poleacutemiques eacuteclatent autant entre les eacutecoles quau sein mecircme des eacutecoles cest par

exemple Atticus eacutecrivant Contre ceux qui se flattent dinterpreacuteter Platon par Aristote Ce traiteacute qui

eacutetait sans doute connu dAlexandre50 ne vise pas des aristoteacuteliciens mais bien des platoniciens

(on songe agrave Alcinoos)

Simultaneacutement cette tendance agonistique implique aussi un certain alignement ou du

moins une porositeacute si ce nest des doctrines du moins des vocabulaires Les emprunts

terminologiques sont freacutequents il suffit de constater les vocables typiquement stoiumlciens chez

Alexandre Ainsi dans son commentaire agrave Meacutetaphysique A 2 lorsquil est question pour Aristote

de collecter les opinions sur le sage dans une perspective dialectique Alexandre transforme-t-il

les laquo opinions raquo rapporteacutees par Aristote en laquo φυσικαὶ καὶ κοιναὶ ἔννοιαι raquo51 Toute la question est

de savoir si Alexandre ne tente pas de travestir le vocabulaire stoiumlcien en y injectant des

significations aristoteacuteliciennes ou si au contraire il lui est possible de semparer de la

terminologie stoiumlcienne sans que celle-ci convoie aussi des eacuteleacutements conceptuels issus de son

contexte dorigine Peu importe pour notre preacutesent propos puisquil faudra juger au cas par cas

il suffit deacutetablir cette permeacuteabiliteacute au moins terminologique entre les laquo sectes raquo52 Une telle

porositeacute peut dailleurs ecirctre consciente et assumeacutee constituant un projet philosophique promis agrave

de beaux jours leacutepoque est aussi celle des premiegraveres tendances harmonisantes entre Platon et

Aristote sur fond defforts geacuteneacuteraliseacutes pour preacutesenter et systeacutematiser lensemble du savoir53

Le corpus alexandrinien est donc fonciegraverement ouvert agrave la fois en tant que corpus

linstitution des chaires la rivaliteacute entre professeurs saccroicirct dautant plus agrave la fois entre professeurssalarieacutes et non-salarieacutes quentre professeurs salarieacutes titulaires dune chaire

49 M Rashed [2004] p 10

50 Cf la Quaestio II 21 70 33-34 qui reprend les mecircmes termes du titre dAtticus que chez Eusegravebe laquo τοὺςτὰ Πλάτωνος μὲν ὑπισχνουμένους raquo (cf RW Sharples [1994] note adloc et E Des Places [1977] p8)

51 Alexandre In Met 9 19 et 23 Voir dans le mecircme passage la substitution de la προλήψεσις agravelὑπολήψις du texte dAristote Sur la reprise meacutedio-platonicienne de ce vocabulaire cf RChiaradonna [2007]

52 Ce qui preacutecegravede montrant justement comment ce vocabulaire peut ecirctre trompeur les sectes eacutetant moinscoupeacutees les unes des autres quil ny paraicirct

53 Voir deacutejagrave Seacutenegraveque dans ses Questions naturelles ou Galien Cf aussi la floraison des recueilsdoxographiques agrave leacutepoque post-helleacutenistique (Arius Didyme Diogegravene Laeumlrce Cleacutement dAlexandrie)Cest leacutepoque de lorganisation encyclopeacutedique du savoir sur cette systeacutematisation des eacutetapes de laphilosophie cf M Zambon [2002] p 30 52 et 55 qui montre comment lorganisation meacutedio-platonicienne des degreacutes du savoir correspond agrave des degreacutes de la reacutealiteacute

34

La meacutetaphysique comme science une enjeux

exeacutegeacutetique (qui fait toujours signe vers Aristote) et comme corpus scolaire de cette fin du IIegraveme s

De ce point de vue Alexandre est aussi bien pris par les deacutebats internes agrave leacutecole peacuteripateacuteticienne

que par ceux qui ont cours entre les diffeacuterentes eacutecoles la question de la place de la logique en est

un exemple significatif la noeacutetique ou leacutethique en sont dautres Pourquoi donc nen irait-il pas

de mecircme en ce qui concerne la meacutetaphysique La contextualisation du projet alexandrinien

dune meacutetaphysique est fondeacutee par les conditions mecircmes de production du discours cest la

deacutefinition de lactiviteacute philosophique dAlexandre qui commande une telle lecture

Mais disons-le dembleacutee ce projet doit affronter un obstacle pratique si le propre dun

auteur est de produire en partie son contexte la difficulteacute est que chez Alexandre les

interlocuteurs sont tregraves souvent anonymes et les noms propres sont souvent ceux dauteurs non

contemporains54 Dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique qui est particuliegraverement discret agrave cet

eacutegard mecircme par rapport aux autres commentaires les stoiumlciens (laquo οἱ ἀπὸ τῆς Στοᾶς raquo) par

exemple sont nommeacutes en tout et pour tout deux fois55 Si le nom de Platon est eacutevidemment tregraves

freacutequent il est en revanche tout aussi rare quAlexandre se reacutefegravere aux laquo acadeacutemiciens raquo aux

laquo platoniciens raquo ou agrave laquo ceux qui professent la position de Platon raquo (la Quaestio II 21 par exemple

fait figure dexception56) La contextualisation doit donc faire avec ce qui est sans doute une

convention de leacutepoque puisquon retrouve le mecircme pheacutenomegravene chez dautres auteurs57

Plus important la tentative de contextualisation de la meacutetaphysique se heurte agrave un

veacuteritable problegraveme agrave la fois theacuteorique et pratique dont lexposeacute requiert davantage de preacutecision

dans le champ philosophique de leacutepoque post-helleacutenistique la meacutetaphysique sous quelque

forme que ce soit paraicirct surtout briller par son absence

54 Sauf erreur lun des stoiumlciens les plus reacutecents citeacutes par Alexandre (De mix 216 12) est Sosigegravene lestoiumlcien eacutelegraveve dAntipater de Tarse au IIegraveme s av J-C (et non pas Sosigegravene le maicirctre dAlexandrecontrairement agrave ce quindique HB Gottschalk [1987] p 1143)

55 En 178 18 (mais le passage est crucial cf ci-dessous) et 308 18

56 Lexpression exacte est laquo τοὺς τὰ Πλάτωνος μὲν ὑπισχνουμένους raquo (70 34) Ladjectif Πλατωνικόςest un hapax de le Quaestio II 13 alors que cest ladjectif en grec comme en latin qui se popularise auIIegraveme s pour deacutesigner ceux qui eacutetudient Platon ou se piquent de suivre la mode cf P Athanassiadi[2006] p 22-24

57 Il suffit de comparer avec Sextus Empiricus Mais cf aussi Plutarque qui dans son De virtute moraliemploie des arguments dorigine manifestement peacuteripateacuteticienne pour reacutefuter la theacuteorie stoiumlcienne dela vertu en visant surtout Zeacutenon ou Chrysippe HB Gottschalk ([1987] p 1142) en conclut que lesaristoteacuteliciens de leacutepoque de Plutarque devait surtout concentrer leurs poleacutemiques contre lesfondateurs du stoiumlcisme plus que contre leurs contemporains et Gottschalk le confirme avec le casdAlexandre (p 1143) mais le pheacutenomegravene pourrait aussi sexpliquer avec lhypothegravese de la convention

35

La meacutetaphysique comme science une enjeux

112 Quelle meacutetaphysique

a) Larleacutesienne

La meacutetaphysique ne semble pas ecirctre inscrite agrave lagenda des questions que se posent les

philosophes du IIegraveme s poursuivant ainsi une veine ouverte par une certaine opposition de la

philosophie helleacutenistique agrave la philosophie classique Un teacutemoignage eacuteloquent en est le reacutesumeacute de

philosophie aristoteacutelicienne que donne Diogegravene Laerce (deacutebut du IIIegraveme s58) et qui remonte tregraves

probablement agrave la peacuteriode helleacutenistique Comme le note RW Sharples le compendium ne contient

quasiment rien sur les thegravemes laquo ontologiques raquo (sur les notions de forme matiegravere substance acte

etc) juste de quoi dit Sharples comprendre tregraves grossiegraverement la deacutefinition de lacircme dans le De

anima59 On rappellera que le catalogue de Diogegravene ne mentionne dailleurs pas la Meacutetaphysique

Or cette absence semble plus geacuteneacuteralement sattester agrave tous les niveaux agrave leacutepoque dAlexandre

Tout dabord comme on la deacutejagrave dit on ne trouvera forceacutement pas de laquo meacutetaphysique raquo

sous ce nom Les termes en laquo μεταφυσικndash raquo napparaissent en grec quen deux occurrences assez

probleacutematiques et de toute faccedilon tregraves posteacuterieures agrave Alexandre ndash agrave savoir chez Basile de Ceacutesareacutee

et Simplicius dans des passages pour lesquels les leccedilons des manuscrits divergent60 Certes on

verra quAlexandre semble au moins une fois employer laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo pour deacutesigner non

pas les livres mais la science Mais en dehors dAlexandre agrave notre connaissance on ne lit ni

laquo μεταφυσική raquo ni laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo ni davantage laquo philosophie premiegravere raquo ni chez les

meacutedio-platoniciens ni chez les stoiumlciens ni en grec ni en latin Cela interdit donc toute deacutefinition

interne de la meacutetaphysique il nest pas possible de chercher ce que serait la meacutetaphysique agrave

leacutepoque et en dehors dAlexandre en prenant pour point de deacutepart les deacuteterminations explicites

et textuelles de celle-ci chez les autres auteurs

Mecircme dans lhistoire anteacuterieure du Peripatos la Meacutetaphysique est loin decirctre louvrage le

plus travailleacute dAristote Si leacutepoque dAlexandre au sens large (leacutepoque post-helleacutenistique) voit

58 La datation de Diogegravene on le sait est sujette agrave caution

59 RW Sharples [2010] p 33

60 Cf L Brisson[1999]

36

La meacutetaphysique comme science une enjeux

un renouveau de linteacuterecirct pour Aristote il demeure que cet inteacuterecirct ne semble pas secirctre porteacute sur

ce traiteacute Les reacutefeacuterences directes agrave la Meacutetaphysique dAristote avant legravere des commentateurs sont

de toute faccedilon quasi inexistantes dans leacutetat actuel de nos sources61 Aux deux premiers siegravecles de

notre egravere on na ainsi trace que dun peacuteripateacuteticien qui se soit inteacuteresseacute agrave la Meacutetaphysique

Aspasius62 auquel on peut ajouter le platonicien Eudore citeacute lui aussi par Alexandre pour ce qui

a eacuteteacute lu comme une correction du texte de Meacutetaphysique A 6 mais cest lagrave encore tout ce qui en a

surveacutecu63 Agrave chaque fois il sagirait de toute faccedilon dun inteacuterecirct eacuteditorial ou textuel rien ne peut

nous assurer dun inteacuterecirct philosophique et conceptuel Mais on peut mecircme aller plus loin et

comme la montreacute tregraves reacutecemment S Fazzo lire les passages ougrave Alexandre semble imputer un

travail sur leacutetat du texte de la Meacutetaphysique agrave Aspasius et Eudore comme des preacutecisions sur la

doctrine de Platon ou celle des neacuteo-pythagoriciens (ou de meacutedio-platoniciens pythagorisants64) et

non sur leacutetat preacutecis du texte de la Meacutetaphysique65

La Meacutetaphysique a toutefois probablement connu les mecircmes efforts deacutedition critique

quon trouve pour dautres ouvrages comme les Cateacutegories par exemple Cependant les auteurs de

ces corrections les intervenants dans le deacutebat sur lauthenticiteacute ou non de tel livre comme on le

verra chez Alexandre restent anonymes66

Ainsi quon la rapidement indiqueacute en introduction Alexandre constitue en reacutealiteacute la

premiegravere trace tangible dun travail philologique et philosophique sur ce traiteacute Lideacutee commune

que la Meacutetaphysique constitue un assemblage eacuteditorial posteacuterieur agrave Aristote se fonde sur deux

textes dAscleacutepius un passage parallegravele du Pseudo-Alexandre et la mention par Porphyre du

travail dAndronicos Or S Menn a montreacute de faccedilon convaincante combien les trois premiers de

ces passages ne sont pas contraignants67 Lorsquil eacutevoque la possibiliteacute dune mise en ordre des

61 Voir quand mecircme Theacuteon de Smyrne De utilitate mathematicae 178 10 Laissons ici de cocircteacute le casprobleacutematique de Nicolas de Damas cf S Fazzo [2008b]

62 Pour Aspasius on dispose de trois reacutefeacuterences dAlexandre dans son propre commentaire Quant agraveAristote de Mytilegravene le cas est encore plus sujet agrave caution et son existence est de toute faccedilon assezconjecturale via une reacutefeacuterence de Syrianus et peut-ecirctre Elias (cf P Moraux [1984]) Pour la trace tregravesdouteuse du travail dun laquo Euharmostos raquo cf S Fazzo [2012] p 62-63 Est-ce agrave partir de ces maigresinformations que HB Gottschalk peut soutenir que la Meacutetaphysique fait partie des ouvrages laquo eacutetudieacutessysteacutematiquement raquo agrave leacutepoque (HB Gottschalk [1987] p 1101)

63 Cf Alexandre In Met 59 7 et sur cette correction P Moraux [1969]Voir aussi S Fazzo [2012]

64 Sur les liens entre platonisme et pythagorisme par exemple cf J-M Andreacute [1987] p 55

65 S Fazzo [2012] en particulier p 64 -66

66 Cf ci-dessous sect 123

67 S Menn [1995]

37

La meacutetaphysique comme science une enjeux

traiteacutes par Eudegraveme de Rhodes Ascleacutepius se contente en reacutealiteacute de rapporter une tradition sur le

mode du laquo voilagrave ce quon dit raquo Tel est tregraves vraisemblablement le sens par exemple du pluriel

laquo ἀπολογοῦνται raquo on le dit pour la deacutefense dAristote68 Leacutevocation dadditions opeacutereacutees par les

lecteurs ulteacuterieurs dAristote agrave partir des autres traiteacutes69 a donc ineacutevitablement le mecircme statut que

la mention preacuteceacutedente dEudegraveme de Rhodes il sagit toujours du rappel dune tradition De

mecircme lorsque Ascleacutepius commente Δ 2 le verbe au pluriel quil emploie a sans doute un sujet

sous-entendu agrave valeur indeacutefinie traduit litteacuteralement laquo ils disaient en effet que que certaines

choses avaient eacuteteacute deacutetruites et que incapables de les imiter ils adaptegraverent [ou laquo suppleacuteegraverent raquo

comme le propose S Menn] ltdes passagesgt de ses propres ltœuvresgt raquo70 S Menn commente agrave

raison

The subject of they said is not an historical witness certainly not the editors of the Metaphysicsbut the same anonymous they who offered the nice defense of Aristotle in the earlier passage71

Ascleacutepius et le Pseudo-Alexandre sont ainsi conscients dun texte plus malmeneacute que celui

des autres traiteacutes (sans aller jusquau laquo farrago raquo de Barnes72) et utilisent dans ce cas lhypothegravese de

corrections ulteacuterieures Quil sagisse dune tradition nimplique eacutevidemment pas quelle soit

fausse seulement quon ne peut pas lui accorder plus de creacutedit que de raison Cette tradition par

ailleurs ne porte pas sur lassemblage complet de la Meacutetaphysique mais sur lajout de passages

quand certains eacutetaient perdus le deacuteplacement de certains autres73 ou sur les livres

probleacutematiques A α74 et K

68 La phrase complegravete dAscleacutepius en In Met 4 8-11 est laquo ἀπολογοῦνται δὲ ὑπὲρ τούτου καὶ καλῶςἀπολογοῦνται ὅτι γράψας τὴν παροῦσαν πραγματείαν ἔπεμψεν αὐτὴν Εὐδήμῳ τῷ ἑταίρῳ αὐτοῦτῷ Ῥοδίῳ εἶτα ἐκεῖνος ἐνόμισε μὴ εἶναι καλόν ὡς ἔτυχεν ἐκδοθῆναι εἰς πολλοὺς τηλικαύτηνπραγματείαν raquo

69 Ascleacutepius In Met 4 12-15 laquo μὴ τολμῶντες δὲ προσθεῖναι οἴκοθεν οἱ μεταγενέστεροι διὰ τὸ πολὺπάνυ λείπεσθαι τῆς τοῦ ἀνδρὸς ἐννοίας μετήγαγον ἐκ τῶν ἄλλων αὐτοῦ πραγματειῶν τὰλείποντα ἁρμόσαντες ὡς ἦν δυνατόν raquo

70 Ascleacutepius In Met 305 20-21 laquo ἔλεγον γὰρ ὅτι τινὰ παραπώλοντο καὶ μὴ δυνηθέντες μιμήσασθαιἐκ τῶν αὐτοῦ ἐφήρμοσαν raquo

71 S Menn [1995] p 206

72 J Barnes [1997] p 61 laquo It was clear to scholars in antiquity that the fourteen-volume Met is a farrago raquo JBarnes cite ensuite le passage deacutejagrave vu dAscleacutepius In Met 4 4-8

73 Cest le sens de la reacutefeacuterence agrave Eudegraveme chez le Ps-Alexandre In Met 515 8-11 laquo καὶ οἶμαι καὶ ταῦταἐκείνοις ἔδει συντάττεσθαι καὶ ἴσως ὑπὸ μὲν Ἀριστοτέλους συντέτακται (ἐν οὐδεμιᾷ γὰρ τῶνἄλλων αὐτοῦ πραγματειῶν εὑρίσκεται τοιοῦτόν τι πεποιηκὼς ὁποῖα ἐνταῦθα φαίνεται) ὑπὸ δὲτοῦ Εὐδήμου κεχώρισται raquo

74 Il faut ici jouer de prudence M Hecquet-Devienne [2005] a reacutecemment tenteacute de montrer que leprincipal passage sur lequel on se fonde traditionnellement pour attribuer le livre α agrave Pasiclegraves de

38

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Enfin J Barnes a montreacute de faccedilon salutaire avec quelles preacutecautions il importait de

prendre lhypothegravese dune laquo eacutedition andronicienne raquo (ou eacutedition romaine) du corpus aristoteacutelicien

et a fortiori de la Meacutetaphysique75 Dans sa Vie de Plotin Porphyre deacuteclare en effet prendre modegravele

sur Apollodore dAthegravenes pour les œuvres dEacutepicharme et sur laquo Andronicos le Peacuteripateacuteticien raquo

pour les œuvres dAristote et Theacuteophraste76 Andronicos aurait en effet laquo diviseacute les œuvres

dAristote et Theacuteophraste en traiteacutes en rassemblant dans la mecircme ltœuvregt [ou laquo au mecircme

endroit raquo] les sujets approprieacutes raquo77 De mecircme Porphyre classera les cinquante-quatre traiteacutes de

Plotin en six Enneacuteades Passons sur largument de S Menn selon lequel Porphyre ne cite pas la

Meacutetaphysique (il ne cite aucun traiteacute ) et accordons par hypothegravese le maximum de creacutedit agrave

Porphyre Sa description de lactiviteacute dAndronicos nimplique clairement aucune production ou

reacuteeacutecriture de traiteacutes mais lorganisation dun mateacuteriau preacuteexistant De prime abord cela semble

parfaitement imaginable pour les traiteacutes composant la Meacutetaphysique se retrouvant avec une

collection de livres (βιβλία) Andronicos les aurait alors rassembleacutes en un seul grand traiteacute

(πραγματεία) S Menn reacutetorque que cette opeacuteration aurait exigeacute un travail plus important dans

le cadre de la Meacutetaphysique avec au premier chef laddition des reacutefeacuterences internes au traiteacute (par

exemple entre le livre B et les suivants) ce que Porphyre na pas du tout fait dans les Enneacuteades78

Cependant pourrait-on reacutepondre il arrive agrave Aristote de faire des reacutefeacuterences agrave un traiteacute depuis un

autre ndash par exemple au De lacircme dans le De sensu79 Ces reacutefeacuterences ne paraicirctraient alors internes

quagrave la suite agrave la composition par Andronicos Sil y a des reacutefeacuterences internes troublantes dans la

Meacutetaphysique cest peut-ecirctre plutocirct par exemple le laquo ἐν τοῖς πεφροιμιασμένοις raquo de B 1 995b 5

Le mot mecircme de laquo preacuteambule raquo interdit tout renvoi agrave un autre traiteacute80 Reste une possibiliteacute qui ne

Rhodes (une scholie du Parisinus gr 1853 agrave la jonction du premier et du deuxiegraveme livre) pourrait enreacutealiteacute concerner le livre A M Hecquet-Devienne confirmerait ainsi les analyses avanceacutees par E Berti[1982] et G Vuillemin-Diem [1983] Mais cf deacutejagrave W Jaeger [1948] tr fr p 174-175 et 458

75 J Barnes [1997] Voir aussi HB Gottschalk [1987] p 1093 et les arguments tregraves convaincants de MFrede [1999] p 772 sq

76 Porphyre Vita Plotini 24 6-11 laquo μιμησάμενος δ Ἀπολλόδωρον τὸν Ἀθηναῖον καὶ Ἀνδρόνικον τὸνΠεριπατητικόν ὧν ὁ μὲν Ἐπίχαρμον τὸν κωμῳδιογράφον εἰς δέκα τόμους φέρων συνήγαγεν ὁ δὲτὰ Ἀριστοτέλους καὶ Θεοφράστου εἰς πραγματείας διεῖλε τὰς οἰκείας ὑποθέσεις εἰς ταὐτὸνσυναγαγών raquo

77 Pour une autre traduction voir M Crubellier [agrave paraicirctre] Andronicos laquo divisa les œuvres dAristote etde Theacuteophraste en pragmateiai en ramenant agrave luniteacute les propos particuliers lt de chacun des eacuteleacutementsdune pragmateiagt raquo

78 S Menn [1995] n6 p 204

79 De sensu 1 436b 10

80 Cf M Crubellier [2009] p 47 laquo The mention of prefatory remarks refers certainly to book A raquo

39

La meacutetaphysique comme science une enjeux

peut ecirctre exclue celle dun assemblage en un grand traiteacute de diffeacuterents groupes de livres

(imaginons A-B-Γ Ζ-Η-Θ etc)81 mais cette possibiliteacute commence deacutejagrave agrave seacuteloigner de la

description porphyrienne De surcroicirct aucune source ne fait eacutetat dune eacutedition andronicienne de

la Meacutetaphysique Le fait est moins surprenant chez Alexandre contrairement agrave ce que dit Barnes82

vu son silence sur ses preacutedeacutecesseurs mais on aurait toutefois pu ly attendre chez dautres

commentateurs moins avares de noms propres En dernier lieu si le travail porphyrien se donne

comme copie ou imitation du modegravele andronicien il convient de rejeter lideacutee mecircme dune

construction de traiteacutes singuliers au profit bien plutocirct de leur mise en ordre systeacutematique En ce

sens le travail dAndronicos naurait pas tant porteacute sur tel ou tel traiteacute mais sur leur classement

mettant par exemple agrave la suite les Cateacutegories les Premiers et les Seconds Analytiques etc83

En leacutetat de nos sources agrave peu de choses pregraves lhistoire de la Meacutetaphysique avant

Alexandre navigue agrave vue entre le possible et le probable Le livre a eacuteteacute eacutediteacute corrigeacute ou discuteacute

dans son eacutetablissement voilagrave le peu que lon sache Si lon veut pousser au bout le raisonnement

on sera vite tenteacute de soutenir que dans la contingence des histoires de reacuteception il y a aussi

parfois une rationaliteacute agrave lœuvre rien ne sest conserveacute avant Alexandre sur la Meacutetaphysique

parce que peut-ecirctre ny avait-il rien de philosophiquement consistant Agrave tout le moins en eacutetant

plus prudent autant dire que si lon souhaite prendre laquo meacutetaphysique raquo non plus comme nom de

la science mais titre de lœuvre dAristote lentreprise de contextualisation dAlexandre agrave ce sujet

semblera dembleacutee vaine

Chercher ce quil en est de la meacutetaphysique agrave leacutepoque dAlexandre ne peut donc se faire

ni avec une entente litteacuterale et interne de la meacutetaphysique ni avec une deacutetermination litteacuteraire en

partant de la reacuteception de lœuvre dAristote

Enfin et surtout dun point de vue eacutepisteacutemologique la tripartition du logos en logique-

physique-eacutethique ne semble pas laisser place agrave quelque meacutetaphysique que ce soit Or cette

81 Sur lhistoire de ces hypothegraveses en particulier au XIXegraveme siegravecle voir entre autres S Menn [2009] surtoutp 100-105

82 J Barnes [1997] p 29

83 J Barnes avance une ideacutee similaire (cf p 37-41) en particulier en distinguant pour Porphyre le modegraveledApollodore et celui dAndronicos Enfin lun des derniers arguments de Barnes consiste en laconstruction suivante Andronicos avait connaissance de la correspondance (inauthentique) entreAristote et Eudegraveme donc du mythe qui trouverait lagrave son origine dune eacutedition eudeacutemienne de laMeacutetaphysique Il naurait donc pu preacutetendre avoir lui-mecircme produit ce traiteacute Cf J Barnes [1997] p 62-63 Cette construction repreacutesente tout de mecircme un bel enchacircssement dhypothegraveses

40

La meacutetaphysique comme science une enjeux

tripartition a cours au-delagrave des seuls stoiumlciens chez les eacutepicuriens et au moins en partie les

platoniciens84 Agrave la faveur de son origine partiellement aristoteacutelicienne85 cette partition se joue

aussi bien chez les peacuteripateacuteticiens comme en teacutemoigne un texte du Pseudo-Plutarque (Aetius)86

Le passage entier est inteacuteressant parce quil expose une division de la philosophie sans doute

assez caracteacuteristique de leacutepoque Pour introduire agrave son sujet et montrer combien la physique est

une partie importante de la philosophie Aetius se propose en effet deacutenumeacuterer les parties de la

philosophie87 Il expose ensuite la tripartition stoiumlcienne (qui correspond agrave SVF II 35)88 Cest agrave ce

moment quAetius introduit les peacuteripateacuteticiens en disant quAristote Theacuteophraste et laquo presque

tous les peacuteripateacuteticiens raquo divisaient ainsi la philosophie89 et la division qui est proposeacutee ensuite

fusionne manifestement la reacutefeacuterence aux Topiques dAristote et la partition stoiumlcienne agrave la division

en philosophie theacuteoreacutetique et pratique90

Plus geacuteneacuteralement mecircme dans les manuels de philosophie qui preacutesentent plusieurs

eacutecoles (par exemple Arius Didyme) cest cette tripartition qui regravegne et contraint agrave une lecture des

diverses doctrines dans les trois champs de la physique de la logique ou de leacutethique91 Cette

preacutepondeacuterance du stoiumlcisme empecircche donc les questions hors-cadre de venir sur le devant de la

scegravene92 De fait la laquo koinegrave des problegravemes philosophiques raquo selon lheureuse expression de

84 La chose est discuteacutee par D OMeara [1986] p 5 on y revient ci-dessous sect 113b

85 Cest le fameux texte des Topiques I 14 105b 19-29 Sur le fait quil ne sagisse pas lagrave dune division desparties de la philosophie cf P Hadot [1979] p 107 et M Crubellier [agrave paraicirctre]

86 Cf aussi le Divisiones Aristoteleae sect 42 (Mutschmann) qui propose cinq espegraveces de la philosophie politique dialectique physique eacutethique et rheacutetorique Sur cette question voir P Hadot [1979] etJ Mansfeld [1992a] p 83-84

87 Placita philosophorum 874d-e (DG 273 11 sq) laquo Μέλλοντες τὸν φυσικὸν παραδώσειν λόγονἀναγκαῖον ἡγούμεθα εὐθὺς ἐν ἀρχαῖς διελέσθαι τὴν τῆς φιλοσοφίας πραγματείαν ἵν εἰδῶμεν τίἐστι καὶ πόστον μέρος αὐτῆς ἡ φυσικὴ διέξοδος raquo

88 laquo Οἱ μὲν οὖν Στωικοὶ ἔφασαν τὴν μὲν σοφίαν εἶναι θείων τε καὶ ἀνθρωπίνων ἐπιστήμην τὴν δὲφιλοσοφίαν ἄσκησιν ἐπιτηδείου τέχνης ἐπιτήδειον δ εἶναι μίαν καὶ ἀνωτάτω τὴν ἀρετήν ἀρετὰςδὲ τὰς γενικωτάτας τρεῖς φυσικὴν ἠθικὴν λογικήν δι ἣν αἰτίαν καὶ τριμερής ἐστιν ἡ φιλοσοφίαἧς τὸ μὲν φυσικὸν τὸ δ ἠθικὸν τὸ δὲ λογικόν καὶ φυσικὸν μὲν ὅταν περὶ κόσμου ζητῶμεν καὶ τῶνἐν κόσμῳ ἠθικὸν δὲ τὸ κατησχολημένον περὶ τὸν ἀνθρώπινον βίον λογικὸν δὲ τὸ περὶ τὸν λόγονὃ καὶ διαλεκτικὸν καλοῦσιν raquo

89 Aetius Placita 874e (DG 273 25) laquo Ἀριστοτέλης δὲ καὶ Θεόφραστος καὶ σχεδὸν πάντες οἱΠεριπατητικοὶ διείλοντο τὴν φιλοσοφίαν οὕτως raquo

90 Cf J Mansfeld [1992a] p 84 sq Sur la fusion de la tripartition stoiumlcienne et la bipartitionaristoteacutelicienne cf aussi Alcinoos Didaskalikos 152 30 sq

91 Chez P Hadot [1979] p 211 P Moraux [1973] p 259-443 HB Gottschalk [1987] p 1125

92 Cf aussi sur linfluence des questions stoiumlciennes chez les peacuteripateacuteticiens RW Sharples [2010] p XIV

41

La meacutetaphysique comme science une enjeux

P Moraux93 se nourrit des deacutebats suivants En logique sur les critegraveres du vrai et les cateacutegories

sur les universels94 En eacutethique sur le bonheur et la vertu95 ou la question de linneacute et de lacquis

dans la vie morale Entre physique et eacutethique sur la liberteacute et le deacuteterminisme via la question du

destin96 En physique la providence (Dieu se preacuteoccupe-t-il du Monde et des Hommes ) et la

cosmologie97 en geacuteneacuteral ou encore la constitution de lacircme98 Mais dans le stoiumlcisme impeacuterial

cest leacutethique qui aurait pris le pas sur les autres domaines du Logos comme en teacutemoignent les

œuvres drsquoEacutepictegravete et Marc Auregravele et la position de leacutethique comme fin des deux autres

domaines99

Lactualiteacute de ces domaines dinvestigation se lit chez Alexandre lui-mecircme dans les titres

des œuvres dites personnelles Du destin De la providence De lacircme Questions et solutions

[physiques] Du meacutelange Problegravemes eacutethiques

Bref pour chercher sil y a de la meacutetaphysique agrave leacutepoque dAlexandre dAphrodise on ne

trouvera aucun secours dans une deacutetermination interne ou au niveau explicite des textes Sil y a

du meacutetaphysique si lon peut dire (comme au neutre100) il naura guegravere la forme dune science

autonome et risque de se trouver eacuteclateacute dans divers champs101 agrave la marge des poleacutemiques

explicites anonyme et comme laquo en griseacute raquo102 dans les coulisses du champ de bataille

philosophique On sera bien plus dans la clandestiniteacute des intrigues de cour que dans une

frontale guerre de trancheacutees De faccedilon concomitante il ne faudra pas tant chercher ce qui aurait

93 P Moraux [1984] p 436-437 Voir aussi M Frede [1999] par exemple p 781 sur lorigine stoiumlcienne debon nombre de ces problegravemes

94 La question des cateacutegories a eacuteteacute traiteacutee par Nicostrate et Lucius mais aussi Plutarque (cf HBGottschalk [1987] p 1146) Linteacuterecirct pour le texte neacutetait en effet pas limiteacute aux seuls peacuteripateacuteticienspuisquil concerne eacutegalement des stoiumlciens comme Atheacutenodore ou Cornutos

95 Cf Aulu-Gelle avec le deacutebat sur la vita beata entre le Portique et le Peripatos XVIII 1

96 J-M Andreacute [1987] p64

97 Avec le De mundo cf aussi Apuleacutee par exemple (HB Gottschalk [1987] p 1148) Cf encore lesquestions sur leacutether par exemple Plutarque Sur la cinquiegraveme substance (HB Gottschalk [1987] p 1146)

98 Avec Galien ou Atticus

99 Cf P Hadot [1979] p 210 sur la laquo reacuteduction agrave leacutethique raquo et C Gill [2003] p 33

100 Ce neutre na pas de sens essentialisant ndash comme quand on dit laquo le beau raquo τὸ καλόν pour dire laquo labeauteacute raquo ndash mais signifie plutocirct des eacuteleacutements textuels qui peuvent ressortir agrave la meacutetaphysique sansquon ait affaire agrave une science constitueacutee ou un champ du savoir deacutelimiteacute

101 D Sedley [2005a] p 118

102 Ce ne serait ainsi pas seulement lontologie qui serait grise comme chez Descartes (selon le titre de J-LMarion) mais la meacutetaphysique en son entier

42

La meacutetaphysique comme science une enjeux

eacuteteacute intentionnellement conccedilu comme meacutetaphysique dans les eacutecoles stoiumlciennes et meacutedio-

platoniciennes ndash ce serait une enquecircte assez vaine vu ce quon en a dit ci-dessus Il faudra bien

plutocirct se demander ce qui a pu apparaicirctre aux yeux dAlexandre comme laquo meacutetaphysique raquo dans

les autres eacutecoles

b) Trois critegraveres deacuteflationnistes du meacutetaphysique

Il est degraves lors neacutecessaire de produire une caracteacuterisation extrinsegraveque de la meacutetaphysique

(et non mecircme neacutecessairement une deacutefinition au sens strict pour autant que ce soit possible) Une

telle caracteacuterisation ne doit ecirctre ni trop eacutetroite afin de se laisser informer par les textes eux-

mecircmes103 ni trop large afin de ne pas perdre tout pouvoir discriminant Il convient donc de

deacuteterminer des critegraveres preacutecis mais en admettant quils sont provisoires agrave reacuteviser dans un sens

assez proche des laquo preacutejugeacutes raquo selon Gadamer104 Ces critegraveres fonctionneraient donc comme des

indices des signes au sein des discours marquant la possibiliteacute dune compreacutehension

meacutetaphysique Cest-agrave-dire des indices dun champ de discussions inter-scolaires qui a pu jouer

et ecirctre reacutecupeacutereacute au niveau meacutetaphysique par Alexandre

On pourrait concevoir en premier lieu une deacutetermination de la meacutetaphysique par son

objet comme leacutetude de ce qui se trouve au-delagrave de la nature et par-delagrave nos sens Une telle

deacutefinition a pour elle le poids de reacutefeacuterences prestigieuses jusquagrave Kant et Nietzsche et deacutejagrave un

passage dAristote selon lequel sil ny avait pas de substances seacutepareacutees ce serait la philosophie

seconde qui serait premiegravere105 Chez ce dernier justement on pourrait dailleurs se demander si ce

nest pas dans la reprise et la reacutefutation du platonisme (donc de la thegravese des Ideacutees) que le livre A

de la Meacutetaphysique en vient agrave quitter la seule physique qui semblait fournir une scegravene suffisante

pour les discussions anteacuterieures avec les physiologues Ce critegravere nest donc assureacutement pas

deacutenueacute de leacutegitimiteacute On a cependant choisi de leacutecarter ici ou du moins de le minorer

Une premiegravere justification consiste agrave rappeler que mecircme en reacutegime aristoteacutelicien fixer le

supra-sensible comme objet de la meacutetaphysique se laisse pour le moins discuter On accordera

tregraves rapidement et pour meacutemoire que si la meacutetaphysique eacutetait au premier chef science des

103 Une deacutefinition trop eacutetroite interdirait de reconnaicirctre de nouveaux visages de la meacutetaphysique

104 H-G Gadamer tr fr [1996] p 286 sq

105 Meacutetaphysique E 1 1026a 27-29

43

La meacutetaphysique comme science une enjeux

substances seacutepareacutees et supra-sensibles alors les pages deacutevolues agrave cette eacutetude dans les eacutecrits

dAristote seraient bien maigres Au surplus dans les livres centraux cest bien la substance

sensible quAristote eacutetudie prioritairement pour saisir ce quest la substance Eacutetant donneacute la

densiteacute des analyses de la substance sensible il paraicirct assez faible de reacutetorquer que ce nest lagrave

quun deacutetour meacutethodologique pour mieux eacutetudier les substances seacutepareacutees ndash Aristote a sans doute

en vue la substantialiteacute en geacuteneacuteral Enfin on le verra Alexandre lui-mecircme ne reacuteduit pas la

meacutetaphysique agrave leacutetude de la substance immobile et eacuteternelle

Surtout la raison la plus importante pour minorer le critegravere de lobjet supra-sensible est

dordre pragmatique ou meacutethodologique un tel critegravere deviendrait agrave la fois trop large et trop

eacutetroit En effet si est laquo meacutetaphysique raquo tout discours sur le supra-sensible agrave ce compte nimporte

quel texte platonicien en relegraveve puisque comme en teacutemoigne un fragment dAtticus lun des

fondamentaux du platonisme (quoique discuteacute agrave lrsquoeacutepoque106) est la position de substances

incorporelles et non-naturelles les Ideacutees

Οἵ τ αὖ τὰ τοῦ Πλάτωνος συνιστάναιἐγνωκότες τὸν πλεῖστον ἀγῶνα τῶν λόγων ἐντούτῳ τίθενται πάνυ ἀναγκαίως οὐδὲν γὰρἔτι τὸ Πλατωνικὸν ἀπολείπεται εἰ μὴ τὰςπρώτας καὶ ἀρχικωτάτας φύσεις ταύταςσυγχωρήσεταί τις αὐτοῖς ὑπὲρ Πλάτωνος ταῦτα γάρ ἐστιν οἷς μάλιστα τῶν ἄλλωνὑπερέχει

Quant agrave ceux qui ont deacutecideacute de deacutefendre ladoctrine de Platon ils font de cette question ltlesIdeacuteesgt leur principal terrain de discussion et ils ysont bien obligeacutes rien ne reste plus du platonismeen effet si on ne leur concegravede en faveur de Platonces natures premiegraveres et tout agrave fait primordiales carcest par lagrave surtout quil lemporte sur les autres

(Fr 9 41-6 tr Des Places)

Or il paraicirct intuitivement insuffisant de poser lexistence dIdeacutees ou de parler de Dieux

pour faire de la meacutetaphysique Par exemple de nombreux textes platoniciens qui reposent

logiquement sur la thegravese des Ideacutees ou qui traitent du supra-sensible ont une viseacutee directement

cosmogonique ou eacutethique et sinscrivent agrave leacutepoque post-helleacutenistique dans la physique ou

leacutethique Un champ dinvestigation scientifique peut se donner un objet supra-sensible sans que

immeacutediatement sa meilleure appellation ni son skopos soient la meacutetaphysique ainsi une eacutethique

qui reposerait sur une valeur transcendante et normative absolue conccedilue comme existant

reacuteellement nen resterait pas moins une eacutethique si sa fin est lagir et le bien-vivre107 Dit

autrement il est assureacutement difficile de consideacuterer que lideacutealisme eacutethique serait de facto une

meacutetaphysique si les modaliteacutes de lacte de poser une valeur absolue ne sont pas eacutelaboreacutees pour

106 Atticus a en vue les tentatives dharmonisation de Platon et Aristote (on en lit un exemple chezAlcinoos) qui introduisent un eacutetat de la forme dans la matiegravere

107 La section eacutethique du Didaskalikos commence ainsi par poser lIdeacutee du Bien

44

La meacutetaphysique comme science une enjeux

elles-mecircmes (pour reprendre un vocabulaire contemporain dans une meacuteta-eacutethique se posant des

questions de second ordre par exemple) laquo Meacutetaphysique raquo deviendrait alors un terme dont

lextension serait telle que la notion perdrait son inteacuterecirct discriminant ndash agrave nen pas douter cest lun

des sens du terme en franccedilais pour deacutesigner tout discours qui envisage un au-delagrave des sens

Toute theacuteologie toute mythologie serait alors meacutetaphysique voire un laquo polar raquo ou une

symphonie108 Un tel emploi nest pas opeacuteratoire en histoire de la philosophie

Enfin un tel critegravere serait eacutegalement trop eacutetroit agrave telle enseigne les stoiumlciens nauront

deacutefinitivement rien agrave nous dire de et sur la meacutetaphysique Comme le rappelle J Brunschwig109

pour les stoiumlciens il ny a pas non plus dentiteacute laquo au-delagrave raquo de la nature laquelle embrasse toute

chose y compris celles qui sont par dautres qualifieacutees de surnaturelles rien ne vient laquo apregraves raquo la

science physique en quelque sens que ce soit Or comme on va le voir certains aspects de la

penseacutee stoiumlcienne ont tregraves facilement pu ecirctre compris comme laquo meacutetaphysiques raquo preacuteciseacutement par

quelquun comme Alexandre Ainsi bien que reconstituant leur position comme un pur

immanentisme des principes Alexandre par lagrave-mecircme contribue agrave importer la position stoiumlcienne

dans un environnement typiquement meacutetaphysique (dans tous les sens du terme y compris le

plus courant)

Ἀλλεἰ καὶ ἔστι τι καθ αὑτὸ αἴτιον παρὰτὴν ὕλην καὶ ἄλλο τί φησι δεῖν ἐπισκέψασθαιπότερον τοῦτό ἐστι κεχωρισμένον ὕλης καὶαὐτὸ καθ αὑτὸ ὑφεστώς ἢ ἐν τῇ ὕλῃ ὁποῖόνἐστι τὸ ἔνυλον εἶδος καὶ ὡς τοῖς ἀπὸ τῆςΣτοᾶς ἔδοξεν ὁ θεὸς καὶ τὸ ποιητικὸν αἴτιονἐν τῇ ὕλῃ εἶναι Καὶ εἰ ἔστι τι αἴτιον χωριστὸν[17820] καὶ ἄυλον πότερον ἓν τοῦτο κατἀριθμόν ἐστιν ἢ πλείω περὶ ὧν αὐτὸς ἐν τῷ Λτῆσδε τῆς πραγματείας λέγει raquo

Mais110 sil y a aussi quelque cause par soi endehors de la matiegravere il affirme quil faut eacutegalementexaminer autre chose agrave savoir si cette cause estseacutepareacutee de la matiegravere et si elle-mecircme subsiste en soiou bien si elle est dans la matiegravere comme lest laforme dans la matiegravere et agrave la maniegravere dont lesstoiumlciens estimaient que le dieu crsquoest-agrave-dire la causeagente est dans la matiegravere Et srsquoil y a quelque causeseacutepareacutee et immateacuterielle il faut examiner si elle estune en nombre ou plusieurs ce dont Aristote parleau livre Λ de ce traiteacute

(In Met 178 15-21)

Ce texte est riche et important pour saisir la position personnelle dAlexandre et la

108 Et bien plus encore comme F Nef en fait plaisamment le catalogue (F Nef [2004] p 31-37) finissantpar reacutesumer laquo ltLadjectifgt meacutetaphysique en langage peacutedant seacutetant deacuteseacutemantiseacute est devenu uneespegravece de vide qui attire la reseacutementisation sauvage La meacutetaphysique pour notre contemporain est untrou noir qui avale tout et ne restitue rien raquo (p 37)

109 J Brunschwig [2003] p 206

110 Ou mais mecircme si Mais le passage assez parallegravele de 179 1 laisse plutocirct entendre une addition unequestion suppleacutementaire se deacuteroulant par arborescence (comme aussi dans la Meacutetaphysique deTheacuteophraste)

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

maniegravere dont il conccediloit celle-ci dans son propre contexte On y reviendra Agrave tout le moins faut-il

dembleacutee constater combien la contextualisation du projet alexandrinien dune meacutetaphysique se

leacutegitime de ce passage Assureacutement dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique il constitue sauf

erreur un hapax aucun autre texte nexplicite agrave ce point les enjeux poleacutemiques du Commentaire

Mais sa singulariteacute nempecircche pas son importance Le silence dAlexandre dans ses reacutefeacuterences

contemporaines on la dit est sans doute conventionnel On a donc la chance de tenir ici un texte

qui va au-delagrave de la convention et nous renseigne autrement que par allusion (quoique ne

comportant toujours aucun nom propre)

Sur la question qui nous occupe on pourrait objecter que ce nest pas parce quon discute

de la position dun auteur en meacutetaphysique que celui-ci peut pour autant ecirctre annexeacute agrave ce

domaine dinvestigation et consideacutereacute sans reste comme meacutetaphysicien Certes Mais nous ne

sommes pas en quecircte dune deacutetermination interne de la meacutetaphysique chez les stoiumlciens Parler

de meacutetaphysique stoiumlcienne est pour partie leffet dun regard reacutetrospectif leacutegitimement

discutable par les speacutecialistes du stoiumlcisme comme le dit nettement D Sedley laquo It is primarily

when looking through a Platonist or Aristotelian lens that we are likely to see in them a unified area of

philosophical discourse raquo111 Toutefois dans la suite de son article D Sedley nuance ce jugement et

envisage que les stoiumlciens aient eux-mecircmes perccedilu le caractegravere meacuteta-philosophique de certaines

questions Quoi quil en soit cest justement ce regard reacutetrospectif qui nous inteacuteresse degraves lors

quon a fourni une deacutetermination relative du contexte en en rejetant la version positiviste Or

eacutetant donneacute lanonymat des reacutefeacuterences dAlexandre et la rareteacute de ces passages directement

dirigeacutes contre le Portique nous avons besoin de critegraveres externes nous permettant de deacuteterminer

ce qui a pu constituer une reacutefeacuterence (fucirct-elle critique) et ainsi agir au cœur mecircme de la

meacutetaphysique alexandrinienne

Agrave ce titre et pour les raisons preacuteceacutedentes le critegravere dun objet hyper-physique nest pas

pertinent Ce nest probablement pas un hasard si la question de lobjet de la meacutetaphysique

deviendra un lieu commun de dispute dans tout le Moyen Acircge latin apregraves la reacuteception de la

Meacutetaphysique dAristote et des commentateurs arabes Mais tout le monde ne tient pas pour

acquis que la meacutetaphysique a pour objet le suprasensible ou plus preacuteciseacutement les formes

seacutepareacutees de la matiegravere (deacutetermination sans doute dorigine lointainement alexandrinienne112)

111 D Sedley [2005a] p 118 Cf aussi KM Vogt [2009]

112 Comparer le Guide de leacutetudiant parisien et le deacutebut du commentaire dAlexandre agrave Meacutetaphysique B (InMet 171 7-11) Pour certains nominalistes comme Duns Scot par exemple Dieu ne peut ecirctre objet de

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

Comme on sait la meacutetaphysique dans son histoire est prise dans un mouvement perpeacutetuel de

redeacutefinition ndash la meacutetaphysique elle-mecircme est un objet de la meacutetaphysique Cependant que la

meacutetaphysique se caracteacuterise par exemple comme enquecircte rationnelle sur le supra-sensible

science geacuteneacuterale de leacutetant commun ou eacutetude du laquo quelque chose raquo objet de lintellect113 il nous

semble possible de deacutegager agrave titre de critegraveres des attendus du discours meacutetaphysique lui-mecircme

des preacutetentions communes et intrinsegraveques qui sont autant dobjets (en un sens non reacutealiste) mais

qui diversement combineacutees et accentueacutees contribuent agrave eacutelire telle ou telle entiteacute ou tel ou tel

champ comme intenteacute privileacutegieacute de lenquecircte

Trois critegraveres nous paraissent ainsi pouvoir ecirctre deacutegageacutes

1 Lambition de totaliteacute ou duniversaliteacute cest lideacutee que la meacutetaphysique cherche agrave

produire une deacutetermination de la totaliteacute du laquo reacuteel raquo et ne se conccediloit pas comme

discours purement reacutegional laquo Reacuteel raquo est ici employeacute faute de mieux le reacuteel nest

jamais ce qui est donneacute pour un discours meacutetaphysique mais constitue le problegraveme

Cette ambition universaliste peut se deacutecliner sous divers degreacutes de lambition dune

universaliteacute transversale agrave des formes plus indirectes duniversaliteacute114

2 Un certain reacutegime de rationaliteacute au sens ougrave mecircme si cette rationaliteacute finit pas

seacutepuiser cest elle qui permet de reacuteduire ses propres preacutetentions Leacutelucidation dune

ineffabiliteacute du premier principe par exemple peut se faire de faccedilon parfaitement

dialectique et la laquo meacutethode neacutegative raquo de neacuteo-pythagoriciens comme Numeacutenius reste

bien une meacutethode ndash laquelle serait dailleurs peut-ecirctre issue de la geacuteomeacutetrie ndash et les

neacuteoplatoniciens comme Syrianus ou Proclus nabandonnent jamais limpeacuteratif de

rationaliteacute dans leur eacutelucidation des principes115 Il convient du reste de ne pas

la meacutetaphysique lequel est leacutetant au sens du laquo quelque chose raquo pensable par lintellect Duns Scotquoiquavec nuance choisit Avicenne contre Averroegraves

113 Sur ces diverses figures des meacutetaphysiques meacutedieacutevales cf O Boulnois [2001] A de Libera [2005a]p 7-8

114 On pense bien sucircr agrave Meacutetaphysique Γ 1 mais on peut ajouter parmi de multiples exemples le laquo grandprincipe raquo de Leibniz qui permet de sortir de la physique pour laquo seacutelever agrave la meacutetaphysique raquo laquo rienne se fait sans raison suffisante cest-agrave-dire que rien narrive sans quil soit possible agrave celui quiconnaicirctrait assez les choses de rendre une raison qui suffise pour deacuteterminer pourquoi il en est ainsi etnon pas autrement raquo cf Principes de la nature et de la gracircce fondeacutes en raison (1718) sect 7 La marque dugrand principe cest bien davoir toute chose pour sujet fucirct-ce neacutegativement

115 Alcinoos deacutejagrave dans son Didaskalikos compare explicitement la meacutethode neacutegative de labstraction pourconnaicirctre le dieu avec la conception du point laquo par abstraction du sensible en ayant penseacute la surfacepuis la ligne et pour finir le point raquo cf Didaskalikos 165 16-19 laquo Ἔσται δὴ πρώτη μὲν αὐτοῦ νόησις ἡ

47

La meacutetaphysique comme science une enjeux

confondre theacuteologie neacutegative et expeacuterience mystique

Cette rationaliteacute se reacutealise pleinement dans la reacuteflexiviteacute de toute entreprise

meacutetaphysique qui interroge toujours sa propre possibiliteacute comme discours ndash comme le disait

Merleau-Ponty en leacutetendant agrave toute interrogation philosophique

Quest-ce que le monde ou mieux Quest-ce que lEcirctre ces questions ne deviennentphilosophiques que si par une sorte de diplopie elles visent en mecircme temps quun eacutetat deschoses elles-mecircmes comme questions ndash en mecircme temps que la signification laquo ecirctre raquo lecirctrede la signification et la place de la signification dans lEcirctre Cest le propre delinterrogation philosophique que de se retourner sur elle-mecircme de se demander aussi ceque cest que questionner et ce que cest que reacutepondre116

3 Par addition des deux premiers critegraveres on peut attendre de la meacutetaphysique une

certaine viseacutee du principiel la meacutetaphysique cherche agrave rendre raison de la totaliteacute du

reacuteel au moyen par exemple dun terme premier auquel la recherche peut sarrecircter117

Si donc la meacutetaphysique choisit de se concentrer sur une reacutegion de lecirctre (par exemple

supra-sensible) cest au profit dune viseacutee universelle parce que dans son eacuteminence

et son caractegravere fondateur cette reacutegion laquo dit quelque chose raquo (pour rester neutre) des

autres reacutegions de lecirctre Ou encore si la meacutetaphysique se conccediloit comme effort pour

fonder le laquo reacuteel raquo dans des principes par deacutefinition elle aura pour tacircche deacutelucider ce

principe (deacutetablir son existence de justifier son caractegravere principiel den eacutetablir les

modaliteacutes) mais son discours sur ce principe a rapport avec lensemble du reacuteel en tant

que principieacute fondeacute par le principe lui-mecircme Toute theacuteologie nest pas delle-mecircme

meacutetaphysique118

κατὰ ἀφαίρεσιν τούτων ὅπως καὶ σημεῖον ἐνοήσαμεν κατὰ ἀφαίρεσιν ἀπὸ τοῦ αἰσθητοῦἐπιφάνειαν νοήσαντες εἶτα γραμμήν καὶ τελευταῖον τὸ σημεῖον raquo Le problegraveme de la scientificiteacutedune enquecircte sur les premiers principes se pose aussi dans la meacutetaphysique neacuteoplatonicienne delAntiquiteacute tardive Voir agrave ce sujet D OMeara [1986] p 10 sq

116 M Merleau-Ponty [1964] p 157-158 On ne pourra donc saccorder avec Hegel qui dans lEncyclopeacutedie(add au sect 28) fustige la laquo meacutetaphysique dentendement raquo pour ce manque de reacuteflexiviteacute Les cateacutegoriesdAristote que Hegel prend pour exemple au sect 33 interrogent la possibiliteacute du discours en geacuteneacuteral et afortiori la possibiliteacute dune science de leacutetant en tant queacutetant

117 Ces expressions peuvent se pluraliser On retrouve ici au fond la deacutefinition que donne lEncylopeacutedie deDiderot et DAlembert laquo Meacutetaphysique cest la science des raisons des choses raquo

118 Cest lun des enjeux de la distinction queffectue Thomas dAquin entre theacuteologie reacuteveacuteleacutee et theacuteologiedes philosophes (ou meacutetaphysique) dans son commentaire au De trinitate de Boegravece La theacuteologiephilosophique eacutetudie des principes au premier sens agrave savoir des principes qui meacuteritent une eacutetude eneux-mecircmes (cest celle queffectue en reacutealiteacute la theacuteologie reacuteveacuteleacutee) parce quils sont dune laquo naturecomplegravete raquo mais qui nen restent pas principes dautre chose queux-mecircmes par diffeacuterence desprincipes au deuxiegraveme sens qui sont bien principes dautre chose queux-mecircmes mais nont pas denature complegravete et ne peuvent donc ecirctre eacutetudieacutes pour eux-mecircmes La theacuteologie philosophique neacutetudie

48

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Rappelons-le il nest pas dans notre objectif de fournir un eacutenonceacute de lessence de la

meacutetaphysique en geacuteneacuteral (pour autant quune telle chose soit possible et souhaitable) mecircme si agrave

plusieurs titres ces critegraveres nous paraissent pouvoir fonctionner pour dautres eacutepoques119 Nous

cherchons seulement agrave deacutegager des indices du meacutetaphysique en explicitant un certain nombre de

nos attendus face agrave un discours tel quil puisse meacuteriter le titre de meacutetaphysique dans le cadre

restreint dune contextualisation dAlexandre Ces indices ne preacutetendent mecircme pas constituer des

laquo propres raquo de la meacutetaphysique et ont davantage agrave voir avec des marques dappartenance des

ressemblances familiales agrave la Wittgenstein

Neacuteanmoins mecircme au cœur des deacutebats sur la laquo constitution onto-theacuteologique raquo de la

meacutetaphysique gisent bien ces trois indices Ce quajoute lideacutee heideggerienne du moins agrave partir

de 1949 cest 1) quon aurait affaire agrave un invariant agrave une laquo essence raquo120 du discours

meacutetaphysique malgreacute toutes ses transformations historiques 2) que la recherche meacutetaphysique

est premiegraverement recherche de leacutetantiteacute de leacutetant 3) que le principe laquo divin raquo est lui-mecircme un

eacutetant leacutetant suprecircme Il faut toutefois rappeler et souligner contre les trop courantes

meacutesinterpreacutetations que cet eacutetant eacuteminent nest pas neacutecessairement un ou le laquo Dieu raquo ndash ce peut

ecirctre lego comme chez Descartes121 Lexpression laquo constitution onto-theacuteologique raquo ne signifie

donc pas que laquo la philosophie est orienteacutee vers la theacuteologie ou mecircme quelle en est une au sens du

pas ces principes (les choses divines) pour eux-mecircmes mais comme principes de son sujet agrave savoirleacutetant en tant queacutetant thegravese reacutesumeacutee en laquo Sic ergo theologia sive scientia divina est duplex Una in quaconsiderantur res divinae non tamquam subiectum scientiae sed tamquam principia subiecti et talis esttheologia quam philosophi prosequuntur quae alio nomine metaphysica dicitur raquo (Super De Trinitate pars 3 q5 a 4 co 4)

119 Cest pourquoi nous ne nous sommes pas priveacute de reacutefeacuterences non antiques dans les passages quipreacutecegravedent Ces critegraveres fonctionnent eacutegalement pour des penseacutees qui ne se revendiquent pas commemeacutetaphysiques mais dont linteacutegration a posteriori dans une probleacutematique meacutetaphysique est renduepossible ndash cest le cas de Hume la science de la nature humaine se caracteacuterise en effet par son ambitionde totaliteacute ou duniversaliteacute parce quen eacutetudiant laquo les principes de la nature humaine raquo elle se donnecomme anteacuterieure agrave toutes les sciences particuliegraveres et se signale aussi par sa reacuteflexiviteacute (voirlintroduction au Traiteacute de la nature humaine)

120 Cf M Heidegger [1957] tr fr [1968] p 286 289 294 etc Cf a contrario sur cet essentialisme GDeleuze [1991] p 91 laquo Hegel et Heidegger restent historicistes dans la mesure ougrave ils posent lhistoirecomme une forme dinteacuterioriteacute dans laquelle le concept deacuteveloppe ou deacutevoile neacutecessairement sondestin La neacutecessiteacute repose sur labstraction de leacuteleacutement historique rendu circulaire On comprend malalors limpreacutevisible creacuteation des concepts raquo (Deleuze deacutesigne ici une conception de lhistoire qui sous-tend preacuteciseacutement la conception essentialiste de la meacutetaphysique) Cf aussi J Derrida [1972] p 67 Surles diffeacuterentes versions que Heidegger donne de lonto-theacuteologie voir O Boulnois [2001] p 380-389 etB Mabille [2004] p 293 sq

121 Cf M Heidegger [1980] (= GA Bd 32) tr fr [1984] p 196

49

La meacutetaphysique comme science une enjeux

concept [] de la theacuteologie speacuteculative ou rationnelle raquo122 La laquo theacuteologie raquo doit ici davantage ecirctre

entendue comme le projet de fonder leacutetantiteacute de tout eacutetant dans un eacutetant suprecircme conccedilu comme

principe ou laquo premier fond raquo laquo πρώτη ἀρχή raquo123 Degraves lors le θέος dont parle Heidegger peut

aussi bien ecirctre deacutefini comme laquo leacutetant purement et simplement raquo124 Lonto-theacuteologie deacutetermine

donc une dynamique unitaire daller-retour entre la recherche sur leacutetant et la consideacuteration de

son principe125

Ce que nous retirons agrave la constitution onto-theacuteologique ce sont donc agrave la fois le(s) trait(s)

dunion (luniteacute essentielle et impenseacutee dune constitution) le terme deacutetant et le divin conccedilu

comme eacutetant exemplaire Par abstraction nous reste donc de luniversel du principiel du logos

Il ne sagit mecircme plus de la structure katholou-protologique que R Brague avait justement

construite comme preacutemices de lonto-theacuteologie car nous ne preacutejugeons pas de lhomogeacuteneacuteiteacute de

nature entre le laquo premier raquo et ce quil fonde De fait la structure katholou-protologique est deacutefinie

par R Brague comme une voie de recherche qui ne se cantonne pas au seul domaine

laquo ontologique raquo Ce mouvement consiste dans le but de deacuteterminer une geacuteneacuteraliteacute (lamitieacute en

geacuteneacuteral la penseacutee en geacuteneacuteral etc) agrave prendre leacuteleacutement eacuteminent de lensemble consideacutereacute comme

exemplifiant particuliegraverement les traits propres agrave lensemble consideacutereacute et ce au point de

reacutesoudre ou dabsorber la recherche sur lensemble geacuteneacuteral126 La conseacutequence au niveau dune

enquecircte sur leacutetant est que son premier principe doit aussi ecirctre un eacutetant Cette structure nous

paraicirct encore trop deacutetermineacutee et pour le dire vite ne pas pouvoir sappliquer au cas dun quasi

contemporain dAlexandre agrave savoir Plotin127

122 M Heidegger [1980] tr fr [1984] p 157 Cette preacutecision qui vaut pour la premiegravere figure de lonto-theacuteo-logie (ici avec trois tirets) dans litineacuteraire de Heidegger se voit cependant maintenue dans lesversions suivantes qui leacutetendent agrave lensemble de lhistoire de la meacutetaphysique

123 M Heidegger [1957] tr fr [1968] p 294

124 Cf par exemple M Heidegger [2007] (= Gesamtausgabe Bd 26) p 13

125 Cest la raison pour laquelle Heidegger peut deacutefinir la theacuteologie de cette maniegravere laquo quand lameacutetaphysique pense leacutetant comme tel dans son Tout cest-agrave-dire dans la perspective de lEacutetantsuprecircme qui fonde en raison toutes choses elle est alors une logique en tant que theacuteo-logique raquo (MHeidegger [1957] tr fr [1968] p 305) La theacuteologie est donc ici une maniegravere de penser leacutetantlogiquement anteacuterieure aux theacuteologies historiquement formuleacutees Dit autrement ce que Heideggerappelle ici theacuteologie constitue comme la condition de possibiliteacute de ce qui a eacuteteacute nommeacute dans lhistoirede la penseacutee laquo theacuteologie raquo ndash sans que cette theacuteologie cette orientation theacuteologique de lontologie doiveneacutecessairement sincarner dans une laquo theacuteologie raquo explicitement constitueacutee

126 Voir en particulier R Brague [1988] p 513-515

127 Agrave propos de Plotin et du fait quil ne souscrit ni agrave une constitution onto-theacuteologique ni mecircme agrave lakatholou-protologie telle quon vient de rapidement lexpliciter voir W Beierwaltes [1972] B Mabille[2004] p 312 sq sur la laquo relativisation de lonto-theacuteo-logie raquo Sur llaquo autre meacutetaphysique raquo de Plotin

50

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Nos critegraveres repreacutesentent donc et nous lassumons quelque chose dencore plus pauvre

speacuteculativement parlant et de meacutethodologiquement plus sceptique Lenjeu est de laisser le

champ libre agrave lhistoire effective de la meacutetaphysique en refusant agrave la fois la pente dogmatique

dune laquo essence de la meacutetaphysique raquo et celle historiciste qui perd la meacutetaphysique dans une

multipliciteacute deacutesordonneacutee et irrationnelle faisant alors de laquo meacutetaphysique raquo un terme purement

eacutequivoque

Certains secteurs du deacutebat philosophique contemporain agrave Alexandre semblent bien

souscrire agrave cet ensemble de critegraveres

113 Implications meacutetaphysiques de deacutebats logique et physique

a) Le problegraveme des universaux ouverture vers une question de lecirctre

Notre examen des rapports dAlexandre avec les autres eacutecoles doit surmonter la difficulteacute

deacutejagrave mentionneacutee du freacutequent anonymat des interlocuteurs dans ses textes Si la mention de

contemporains est assez rare cependant lorsque Alexandre discute les positions de Platon ou de

Chrysippe il est douteux quil ny englobe pas aussi ceux qui professent leurs doctrines agrave son

eacutepoque Or son positionnement face au platonisme comme au stoiumlcisme semble assez net cest le

plus souvent lopposition frontale Alexandre figure certainement laboutissement dune tradition

anti-platonicienne chez les Peacuteripateacuteticiens128 ndash sa connaissance de certains textes dAristote

comme le De ideis ou le De bono ny est peut-ecirctre pas pour rien129 Le commentaire agrave certaines

apories de B par exemple se fait tregraves souvent en en explicitant sans concession lenjeu anti-

platonicien ou anti-acadeacutemicien Une telle position navait pourtant rien de totalement eacutevident

comme le rappelle M Frede le peacuteripateacuteticien Cleacutearque eacutetait aussi lauteur dun Eacuteloge de Platon130

Toutefois lanti-platonisme dAlexandre nest pas strictement symeacutetrique agrave son anti-stoiumlcisme Au

voir L Lavaud [2008a]

128 Cf M Rashed [2007b] n 5 p 2

129 Pour le De bono voir en particulier M Isnardi Parente [2000]

130 DL III 2 M Frede [1999] p 787

51

La meacutetaphysique comme science une enjeux

niveau explicite des textes lopposition aux stoiumlciens est souvent plus forte orchestreacutee plus

bruyamment ndash que ce soit sur la question du destin la nature du meacutelange ou la place de la

logique dans la philosophie La raison en est assez claire comme on la vu au IIegraveme s ce sont

encore les stoiumlciens qui deacutefinissent en grande partie lagenda des questions philosophiques Les

platoniciens peuvent alors parfois servir dallieacutes objectifs agrave cet anti-stoiumlcisme ndash on le verra cest en

partie le cas dans le deacutebat sur lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes mais on peut aussi songer agrave la thegravese de

limmateacuterialiteacute de lacircme ou dans certaines questions eacutethiques131 ndash conformeacutement dailleurs agrave une

tradition contre laquelle reacuteagissent Taurus et Atticus132

Il reste quil est souvent aiseacute ou tentant de preacutesenter les probleacutematiques alexandriniennes

comme la recherche dune troisiegraveme voie par-delagrave stoiumlcisme et platonisme Cest particuliegraverement

le cas dans le problegraveme des universaux La question des universaux chez Alexandre a eacuteteacute

beaucoup travailleacutee dans la deuxiegraveme moitieacute du XXegraveme s peut-ecirctre mecircme trop133 son traitement

abondant a engendreacute un effet de loupe parfois biaiseacute sur lAntiquiteacute tardive et le Moyen Acircge

lequel a au moins eu le meacuterite de favoriser une certaine reviviscence des eacutetudes tardo-antiques et

meacutedieacutevales en geacuteneacuteral et alexandriniennes en particulier Pour la rappeler extrecircmement

briegravevement la laquo querelle des universaux raquo134 pose la question du mode decirctre des termes

universaux que nous employons dans les deacutefinitions les genres et les espegraveces On en lit la

formulation consacreacutee dans le questionnaire dresseacute par Porphyre au deacutebut de son Isagogegrave texte

souvent donneacute comme lorigine de la querelle meacutedieacutevale des universaux

Αὐτίκα περὶ τῶν γενῶν τε καὶ εἰδῶν τὸμὲν εἴτε ὑφέστηκεν εἴτε καὶ ἐν μόναις ψιλαῖςἐπινοίαις κεῖται εἴτε καὶ ὑφεστηκότασώματά ἐστιν ἢ ἀσώματα καὶ πότερονχωριστὰ ἢ ἐν τοῖς αἰσθητοῖς καὶ περὶ ταῦταὑφεστῶτα παραιτήσομαι λέγειν βαθυτάτηςοὔσης τῆς τοιαύτης πραγματείας καὶ ἄλληςμείζονος δεομένης ἐξετάσεως

Tout dabord agrave propos des genres et des espegravecesquant agrave savoir 1) srsquoils subsistent ou bien ne reacutesidentque dans de pures conceptions 2) ou dans le cas ougraveils subsistent sils sont des corps ou des incorporelset 3) srsquoils sont seacutepareacutes ou bien sils sont dans lessensibles et subsistent en rapport avec eux135 ndash de celaje refuserai de parler parce quune telle eacutetude est tregravesprofonde et quelle requiert un autre examen plus

131 M Frede [1999] p 789

132 Pour Taurus cf HB Gottschalk [1987] p 1143 Pour Atticus M Frede [1999] p 787 renvoie aupassage dAtticus citeacute par Eusegravebe Preacutep Ev XV 4 6-19 5 3

133 Cest ce qui explique sans doute la position trancheacutee de M Rashed [2007b] p 254 qualifiant de laquo fauxproblegraveme raquo le statut des universaux chez Alexandre

134 Selon lexpression populariseacutee par louvrage dA de Libera [1996]

135 Ou laquo ou bien srsquoils existent dans les sensibles et en rapport avec eux raquo (tr A de Libera et A-P Segonds[1998] p 1) mais cf J Barnes [2003] p 44 n 81 qui renvoie agrave Elias In Isag 49 22-24 laquo ἐν τοῖςαἰσθητοῖς τὰ ἐν τοῖς πολλοῖς περὶ ταῦτα ὑφεστῶτα τὰ ἐπὶ τοῖς πολλοῖς ὡς καὶ ἀνωτέρωεἴρηται raquo

52

La meacutetaphysique comme science une enjeux

important(Introduction aux Cateacutegories 1 9-14)

Texte paradoxal comme de nombreux lecteurs lont noteacute puisque le terme mecircme

drsquouniversel nrsquoy apparaicirct pas136 quil srsquoagit sans doute chez Porphyre plus drsquoun questionnaire que

drsquoun problegraveme137 et surtout drsquoun questionnaire ajourneacute par son auteur comme exceacutedant le projet

du livre Le texte pose trois questions qui semblent senchaicircner en arbre138 La chose est claire

pour les deux premiegraveres gracircce agrave la reacutepeacutetition de laquo ὑφιστάναι raquo mais il est de mecircme assez

naturel de penser que la troisiegraveme question se pose si la deuxiegraveme a eacuteteacute reacutesolue dans le sens des

incorporels puisque cette derniegravere question est peu senseacutee si elle porte sur des universaux

deacutetermineacutes comme corps (on se demande bien ce que seraient des universaux corporels existant

laquo dans les sensibles et subsistant en rapport avec eux raquo)

Cette structure en arbre exige donc de lire la premiegravere question comme la plus

fondamentale Or la formulation mecircme de cette question a fait deacutebat chez les lecteurs de

Porphyre Le mouvement plus naturel est dy lire des reacutefeacuterences au stoiumlcisme139 nombreux sont

les textes stoiumlciens ou les teacutemoignages sur les thegraveses stoiumlciennes agrave employer un tel vocabulaire

une telle opposition

Cette tendance a toutefois eacuteteacute battue en bregraveche par J Barnes selon qui le vocabulaire ici

employeacute par Porphyre est en reacutealiteacute tregraves courant agrave leacutepoque Porphyre se servirait de termes qui

relegravevent en reacutealiteacute dune laquo lingua franca philosophique raquo de leacutepoque un langage laquo neutre raquo dun

point de vue doctrinal140 Pour J Barnes en substance si ces termes ont eacuteteacute peut-ecirctre populariseacutes

par les stoiumlciens leur origine sest en effet perdue pour Porphyre La recherche de sources

stoiumlciennes relegraveve dun travail de laquo deacutetective amateur raquo141 et J Barnes donne agrave raison de multiples

reacutefeacuterences pour laquo ἐπίνοια raquo en soulignant par exemple que lajout de ladjectif laquo ψιλός raquo est

simplement pleacuteonastique142 Porphyre construirait son questionnaire indeacutependamment des

136 Cf par exemple LP Gerson [2004] p 245 laquo There is a certain irony in the fact that though this passagebecame the fons et origo of the problem of universals the word lsquouniversalrsquo does not appear here In fact it doesnot appear as a technical term at all in this work raquo

137 LP Gerson [2004] p 246

138 Ce quexplicite la traduction dA de Libera et A-P Segonds [1998] p 1 Contre les doutes de J Barnesagrave ce sujet cf R Chiaradonna [2008b] p 20-21

139 Cf A de Libera A-P Segonds [1998] p 33-35

140 J Barnes [2003] p XIX

141 J Barnes [2003] p XIX

142 J Barnes [2003] p 40-41

53

La meacutetaphysique comme science une enjeux

positions philosophiques qui lui sont contemporaines

Assureacutement ces termes (lopposition entre laquo ὑφιστάναι raquo et laquo ἐπίνοια raquo) sont employeacutes

par tous les penseurs de leacutepoque et non pas seulement les stoiumlciens Tel est le reacutesultat du

pheacutenomegravene deacutejagrave signaleacute de porositeacute terminologique entre les diffeacuterentes eacutecoles Assureacutement

aussi la preacutesence de vocables stoiumlciens nautorise pas agrave infeacuterer une influence stoiumlcienne subie par

Porphyre Cependant il est dune part douteux que Porphyre a fortiori en tant queacutelegraveve de Plotin

soit totalement innocent en matiegravere stoiumlcienne Dautre part cela ninterdit pas de chercher les

anteacuteceacutedents des positions typiques auxquelles il se reacutefegravere ici143 Lattitude de linterpregravete ne se

limite pas ici agrave deux positions possibles soit reconnaicirctre le caractegravere stoiumlcien du vocabulaire

employeacute par Porphyre et soutenir quil y a ipso facto influence soit admettre que ce vocabulaire

est neutre dun point de vue philosophique Il y a une diffeacuterence entre subir une influence et

reprendre un vocabulaire en se reacutefeacuterant agrave des thegraveses pour poser un problegraveme144 Agrave comparer les

sources lexpression laquo ἐν μόναις ψιλαῖς ἐπινοίαις κεῖται raquo renvoie clairement agrave une conception

stoiumlcienne ou stoiumlcisante de luniversel145

De fait la position du problegraveme du statut de luniversel via lopposition entre une position

platonisante et une position stoiumlcisante se lit deacutejagrave chez Alexandre dAphrodise Or sur un certain

nombre de points et en particulier la question de luniversel on suspecte souvent Porphyre

davoir puiseacute agrave la source dAlexandre146 Lopposition entre laquo ὑφιστάναι raquo et laquo ἐπίνοια raquo sert

couramment chez lExeacutegegravete non pas seulement agrave propos du statut de luniversel mais aussi du

statut ontique des objets matheacutematiques par exemple Mais on ne peut pas sarrecircter lagrave pour

deacutevider la pelote jusquau bout Alexandre lui-mecircme heacuterite de ce vocabulaire au moins en partie

des stoiumlciens De fait le problegraveme du statut des universaux trouve lune de ses origines agrave leacutepoque

post-helleacutenistique dans la confrontation des eacutecoles qui occasionne la consolidation dune

probleacutematique et dun vocabulaire communs

143 Voir dans un sens similaire R Chiaradonna [2008b] p 16-17

144 Comme le reacutesume tregraves bien R Chiaradonna ([2008b] p 16) laquo B posits a radical alternative either (i)Porphyry is quoting a Stoic theory without any alterations or (ii) he is simply ignoring Stoicism By ruling out(i) B infers (ii) Brsquos is certainly an elegant procedure but also a non sequitur what we know about thereception of Stoic theories among imperial and late antique authors often contradicts the positing of any suchradical alternative raquo

145 Sur cette expression ou des expressions approchantes cf Alexandre Quaestio I 16 29 21 et Sextus MVIII 459 1-2 Cf surtout Syrianus qui deacutecrit ainsi la position stoiumlcienne In Met 106 12

146 Le laquo problegraveme de Porphyre raquo est la laquo dramatisation drsquoune discussion anteacuterieure meneacutee parAlexandre raquo selon A de Libera [1999a] p 49

54

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Alexandre fait lui-mecircme eacutetat dun tel deacutebat

ltΤίνων εἰσὶν οἱ ὁρισμοίgtΟἱ ὁρισμοὶ τῶν μὲν καθέκαστα οὐκ εἰσίν

ὅτι ταῦτα μετὰ συμβεβηκότων τινῶν τὸ εἶναιτοιαῦτα ἔχει καὶ οὐκ ἀεὶ τῶν αὐτῶν ἀλλὰμεταπιπτόντων καὶ αἰσθήσεων μᾶλλον ἢλόγου δηλώσοντος αὐτὰ δεομένων ἀλλ οὐδὲκοινοῦ τινος τῶν καθέκαστα κεχωρισμένουκαὶ ὄντος ἀσωμάτου [725] τινὸς φύσεως καὶἀιδίου πῶς γὰρ ἂν εἴη δίπουν ἀσώματόν τιἢ πῶς θνητὸν ἀίδιον λέγομεν δὲ ὁριζόμενοιτὸν ἄνθρωπον ποτὲ μὲν ζῷον πεζὸν δίπουνποτὲ δὲ ζῷον λογικὸν θνητόν ἀλλ εἰσὶν οἱὁρισμοὶ τῶν ἐν τοῖς καθέκαστα κοινῶν ἢτῶν καθέκαστα κατὰ τὰ ἐν αὐτοῖς κοινά

laquo De quoi il y a deacutefinition raquoLes deacutefinitions ne sont pas deacutefinitions des

particuliers parce que lecirctre de ces dernierssaccompagne daccidents qui ne sont pas toujours lesmecircmes mais changeants et qui neacutecessitent plutocirct dessensations qursquoun eacutenonceacute qui les fasse voir147 Maiselles ne sont pas non plus deacutefinitions de quelqueltreacutealiteacutegt commune seacutepareacutee des particuliers et quiserait quelque nature incorporelle et eacuteternelleComment en effet bipegravede serait-il quelque chosedrsquoincorporel ou mortel quelque chose drsquoeacuteternel Nous disons pourtant en deacutefinissant lhomme tantocirctquil est animal terrestre bipegravede tantocirct animalrationnel mortel148 Bien plutocirct les deacutefinitions sontdeacutefinitions des communs dans les particuliers ou desparticuliers selon les communs qursquoil y a en eux

(Quaestio I 3 7 20-28)

Pour reacutepondre agrave la question laquo de quoi il y a deacutefinition raquo Alexandre commence en effet par

y preacutesenter deux vues contradictoires et selon lui eacutegalement erroneacutees Lune est nettement

platonicienne qui soutient que les deacutefinitions deacutefinissent laquo quelque chose de commun seacutepareacute des

particuliers et qui serait quelque nature incorporelle et eacuteternelle raquo (7 24-25) dans un vocabulaire

dont lExeacutegegravete se sert aussi dans son commentaire agrave A 9 par exemple Il y a cependant un doute

quant agrave lautre position preacutesenteacutee tregraves succinctement dans la premiegravere phrase selon laquelle les

deacutefinitions deacutefinissent des particuliers et leurs accidents et qui appelle dans le deuxiegraveme

paragraphe149 la position dune laquo nature raquo commune Selon M Rashed cette clarification est laquo agrave

usage interne de leacutecole raquo laquo les aristoteacuteliciens ne doivent pas combatte le platonisme en sombrant

dans le nominalisme raquo150

Cependant cette clarification fait au moins double emploi en visant aussi les stoiumlciens

(voire ne vaut que pour ces derniers) La strateacutegie employeacutee ici par Alexandre pour contrer cette

thegravese ndash agrave savoir la position dune nature dune essence commune la forme qui joue le rocircle de

fondement reacuteel de la deacutefinition ndash est exactement la mecircme que celle dont il use dans son

147 laquo Δηλόω raquo a probablement un sens technique on retrouve par exemple de nombreuses occurrences decet emploi dans le Commentaire agrave Meacutetaphysique Γ

148 RW Sharples [1992] p 24 et M Rashed [2007b] p 257 suppriment les parenthegraveses de Bruns

149 Quaestio I 3 8 8-17 Nous suivons la division en paragraphes proposeacutee par M Rashed [2007b] p 257-258

150 M Rashed [2007b] p 259

55

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Commentaire aux Topiques contre la conception stoiumlcienne de la deacutefinition Celle-ci en effet selon

Alexandre confond diffeacuterence speacutecifique et propre parce quelle meacuteconnaicirct justement la notion

de forme cest-agrave-dire laquo ce en fonction eacuteminente de quoi le deacutefini a lecirctre raquo151 La deacutefinition

stoiumlcienne comme laquo ἰδίου ἀπόδοσις raquo se contente au moins au niveau formel dun critegravere

extensif la reacuteciprocabiliteacute du deacutefini avec sa deacutefinition ce que la Quaestio I 3 de faccedilon peut-ecirctre

plus diffuse critique aussi Assureacutement lidentiteacute des gestes reacutefutatifs entre la Quaestio et le

Commentaire aux Topiques nassure pas que les adversaires viseacutes soient chaque fois les mecircmes

comme le montre la Quaestio la mecircme thegravese sur la deacutefinition permet agrave la fois de reacutefuter la position

platonicienne et celle opposeacutee selon laquelle les deacutefinitions laquo sont ltdeacutefinitionsgt des particuliers raquo

(ὁρισμοὶ τῶν καθέκαστα) La thegravese selon laquelle laquo les deacutefinitions deacutefinissent les communs dans

les particuliers ou les particuliers selon les communs qursquoil y a en eux raquo152 suivant la faccedilon dont

on laccentue sadresse agrave lune ou lautre des positions reacutefuteacutees Toutefois un argument de poids

agrave porter au creacutedit de lidentiteacute des premiers adversaires est que la position stoiumlcienne sur la

deacutefinition est preacuteciseacutement tregraves proche de celle esquisseacutee par Alexandre Cest un fait connu quen

reacutegime stoiumlcien la deacutefinition saffirme dabord comme deacutefinition des particuliers les eacutenonceacutes

universels sur lhomme sont toujours reacuteductibles dapregraves le teacutemoignage de Sextus agrave des eacutenonceacutes

portant sur un homme particulier La deacutefinition laquo lhomme est un animal raisonnable mortel raquo dit

Sextus eacutequivaut dabord et en reacutealiteacute agrave laquo si quelque chose est un homme cette chose est un

animal raisonnable mortel raquo153 Si la similariteacute du contre-argument de la Quaestio avec celui du

Commentaire aux Topiques ne saurait agrave elle seule emporter la conviction elle devient toutefois

davantage probante une fois coupleacutee avec cette similariteacute des sources154

Lenjeu pour Alexandre dans cette Quaestio est donc aussi de caracteacuteriser la position

aristoteacutelicienne par diffeacuterence davec la doctrine stoiumlcienne Alexandre soutient lui aussi une

position qui pourrait paraicirctre conceptualiste mais ce qui fait lobjet dun concept cest cette

151 laquo Καθ ὃ μάλιστά ἐστι τῷ ὁριστῷ τὸ εἶναι raquo In Top 46 10-11 Cf aussi In Top 42 25 ndash 438 (= SVF II228)

152 Quaestio I 3 7 27-28 laquo ἀλλ εἰσὶν οἱ ὁρισμοὶ τῶν ἐν τοῖς καθέκαστα κοινῶν ἢ τῶν καθέκαστα κατὰτὰ ἐν αὐτοῖς κοινά raquo Sur cette proposition et sa formulation en deux temps voir M Rashed [2007b] p258-259

153 Sextus M XI 8-11 (= SVF II 224 et LS 30 I)

154 M Rashed ne produit en revanche pas darguments textuels sur lidentiteacute peacuteripateacuteticienne de cespremiers adversaires ndash mais seulement (si lon peut dire) des arguments systeacutematiques qui quoiquetregraves solides et offrant une belle coheacuterence ne nous paraissent pas absolument contraignants Cf MRashed [2007b] p 258-260

56

La meacutetaphysique comme science une enjeux

nature commune la forme laquo τὸ τοιοῦτον ἐν ἑκάστῳ νοούμενον κοινόν τί ἐστι καὶ ἐν πλείοσι

ταὐτόν raquo (8 21-22) Cest ce qui explique les deacuteveloppements sur la nature conceptuelle de la

forme le conceptualisme alexandrinien ndash le fait que laquo les deacutefinitions se rapportent aux concepts raquo

(νοημάτων 8 17) ndash saccompagne dun reacutealisme quant agrave lexistence in re de la forme et diffegravere en

ce sens du conceptualisme stoiumlcien dans lequel du moins selon une certaine lecture appeleacutee agrave

devenir populaire les universaux ne subsistent que dans de laquo purs concepts raquo155

On dispose dun dernier indice de lopposition alexandrinienne aux stoiumlciens (et que telle

est la lecture la plus probante de la Quaestio I 3) dans un autre passage du Commentaire aux

Topiques

Θείη δ ἂν τὸ τοιοῦτον ἐπεὶ τὰ γένη οὔτεκαθ αὑτά ἐστιν ὑφεστῶτά που οὔτε ἐστὶψιλὰ χωρὶς ὑπάρξεως νοήματα ὡςἱπποκένταυρος ἀλλ ἔστιν ἡ ὑπόστασιςαὐτῶν ἐν τούτοις ὧν κατηγορεῖται καὶἀναιρουμένοις τοῖς ἐν οἷς [35515] ἐστι καὶφθειρομένοις ἀνάγκη συμφθείρεσθαι καὶ τὸἐν ἐκείνοις ὂν τοῦ γένους ἡ γὰρ οὐσίαἔμψυχος αἰσθητικὴ ἡ ἐν Ἀλεξάνδρῳφθείρεται φθειρομένου Ἀλεξάνδρουσήμερον

On poserait la chose suivante puisque les genresne subsistent pas par eux-mecircmes ni ne sont de pursconcepts seacutepareacutes de lexistence (commelhippocentaure) mais que leur subsistance reacutesidedans ce dont ils sont preacutediqueacutes si ce dans quoi ils setrouvent est supprimeacute ou deacutetruit il est neacutecessaire quesoit deacutetruit aussi avec eux lecirctre du genre En effet lalaquo substance animeacutee capable de sensation raquo156 qui setrouve en Alexandre est deacutetruite si est deacutetruitlAlexandre daujourdhui

(In Top 355 12-17157)

Les similariteacutes avec la premiegravere alternative du questionnaire porphyrien sont frappantes

Dans cette preacutehistoire de la querelle des universaux Alexandre construit donc sa position dans

une double opposition agrave la fois contre ceux qui font des universaux les Ideacutees le centre de leur

ontologie et contre ceux qui les renvoient dans les limbes du laquo non quelque chose raquo Pour

comprendre comment la querelle repose sur des questions meacutetaphysiques et appelle agrave des

deacuteveloppements meacutetaphysiques selon les critegraveres poseacutes ci-dessus on doit alors repartir de la

theacuteorie stoiumlcienne des universaux ndash agrave titre deacutecole la plus influente

Le terrain eacutetant mineacute on propose den rappeler ici quelques eacuteleacutements connus et agrave peu

155 Voir la reacutefeacuterence rappeleacutee ci-dessus de Syrianus In Met 106 12 cfaussi Simplicius In Cat 222 30-33Sur la lecture conceptualiste de la theacuteorie stoiumlcienne des universaux cf D Sedley [1985] pour unecritique de cette position cf V Caston [1999] et en particulier laffirmation nette de la note 14 p 161Que la position stoiumlcienne ne soit pas en soi exactement un conceptualisme nempecircche pas quelle aiteacuteteacute ainsi lue dans la tradition et quAlexandre soit peut-ecirctre lune des sources de ce que Castonconsidegravere comme un faux-sens

156 Deacutefinition du genre animal

157 Contexte Commentaire de Top IV 5 (les lieux du genre) 127a 3 sq critique de la deacutefinition du ventcomme air en mouvement

57

La meacutetaphysique comme science une enjeux

pregraves consensuels Degraves lancien stoiumlcisme158 le Portique procegravede agrave une critique radicale des Ideacutees

platoniciennes Syrianus lexpose dans son commentaire agrave Meacutetaphysique M 4 1078b 12 sq ougrave il

est question de la genegravese de la doctrine des Ideacutees Syrianus en profite alors pour rappeler

ἄρα τὰ εἴδη παρὰ τοῖς θείοις τούτοιςἀνδράσιν οὔτε πρὸς τὴν χρῆσιν τῆς τῶνὀνομάτων συνηθείας παρήγετο ὡς Χρύσιπποςκαὶ Ἀρχέδημος καὶ οἱ πλείους τῶν Στωικῶνὕστερον ᾠήθησαν (πολλαῖς γὰρ διαφοραῖςδιέστηκε τὰ καθ αὑτὰ εἴδη τῶν ἐν τῇ συνηθείᾳλεγομένων) [10525] οὔτε τοῖς λεκτοῖς τοῖςπολυθρυλήτοις ἀνάλογον τῷ νῷ παρυφίσταταιὡς ᾑρεῖτο Λογγῖνος πρεσβεύειν οὐδὲν γὰρὅλως παρυφίσταται τῷ νῷ εἴπερ ἀνούσιόν ἐστιτὸ παρυφιστάμενον πῶς δ ἂν τὸ αὐτὸ νοητόντε εἴη καὶ παρυφίσταιτο οὐ μὴν οὐδ ἐννοήματάεἰσι παρ αὐτοῖς αἱ ἰδέαι ὡς Κλεάνθης ὕστερονεἴρηκεν οὐδ ὡς Ἀντωνῖνος μιγνὺς τὴνΛογγίνου καὶ Κλεάνθους [10530] δόξαν τῷ νῷπαρυφίστανται κατὰ τὰς ἐννοητικὰς ἰδέας

Les Formes donc nont pas eacuteteacute introduites159

par ces hommes divins160 pour lusageconventionnel des noms comme lont cruChrysippe Archeacutedegraveme et la plupart des stoiumlciensulteacuterieurs (car les Formes en soi diffegraverent demultiples faccedilons de ce qui se dit par convention)Elles ne subsistent pas non plus dans lintellect agravela maniegravere des fameux laquo exprimables raquo commeLongin avait deacutecideacute de sen faire lambassadeurcar absolument rien ne subsiste dans lintellect silest vrai que ce qui subsiste dans autre chose estsans substance Comment donc la mecircme chosepourrait-elle agrave la fois ecirctre intelligible et subsisterdans autre chose Cependant pour eux les Ideacuteesne sont pas non plus des concepts commeCleacuteanthe la ensuite dit ni comme la dit Antoninen meacutelangeant les opinions de Longin et Cleacuteanthene subsistent dans lintellect agrave la maniegravere des ideacuteesconceptuelles

(In Met 105 21-30)

Syrianus preacutesente ainsi de faccedilon systeacutematique et non chronologique trois critiques

stoiumlciennes de type geacuteneacutealogique sur la formation des Ideacutees leur introduction ou leur laquo mise en

scegravene raquo par les platoniciens La premiegravere est dobeacutedience laquo nominaliste raquo les Ideacutees neacutetant au fond

que leffet dune substantialisation indue de termes geacuteneacuteraux la deuxiegraveme agrave cheval entre une

critique nominaliste et conceptualiste identifie Ideacutees et exprimables ou plus exactement assimile

le mode decirctre des Ideacutees agrave celui des exprimables Il nest en effet pas certain que beaucoup de

stoiumlciens auraient accepteacute de parler des exprimables comme des universaux Enfin Syrianus

preacutesente une critique conceptualiste remontant agrave Cleacuteanthe Ces trois critiques progressent

logiquement depuis un eacuteliminativisme qui procircne la destruction pure et simple des Ideacutees comme

simples conventions linguistiques agrave la reacuteduction de la substantialiteacute des Ideacutees et leur conversion

en autre chose La proposition laquo pour eux les Ideacutees ne sont certes pas non plus des concepts

comme Cleacuteanthe la ensuite dit raquo implique que pour Cleacuteanthe les Ideacutees ne sont valides que si

158 Cf J Brunschwig [1988] V Caston [1999] et en particulier p 149 sq

159 Voire en mauvaise part laquo mises en scegravene raquo sens courant dans le grec plus tardif de Plutarque etDiogegravene Laeumlrce

160 laquo Socrate Platon les parmeacutenidiens et les pythagoriciens raquo cf Syrianus In Met 105 20-21

58

La meacutetaphysique comme science une enjeux

elles sont reacuteduites agrave des concepts161 Lensemble signifie donc que si dans lancien stoiumlcisme au

moins plusieurs positions avaient cours elles avaient toutefois pour point commun de refuser

aux Ideacutees une subsistance par elles-mecircmes Le maximum de reacutealiteacute qui leur est accordeacute est de

subsister en autre chose quelles-mecircmes ce quindique le verbe laquo παρυφίσταναι raquo162 La reacutealiteacute

des concepts ou des exprimables est une reacutealiteacute heacuteteacuteronome deacuteriveacutee ndash ce qui attire bien sucircr les

leacutegitimes foudres de Syrianus

Si les stoiumlciens du moins certains dentre eux reacuteduisent les Ideacutees agrave des concepts il faut

degraves lors comprendre comment la chose est compatible avec la thegravese (dailleurs partageacutee avec les

eacutepicuriens) selon laquelle au sens fort il ny a que des particuliers163 On sen souvient la

physique stoiumlcienne est gouverneacutee par une thegravese de fond seuls les corps sont Or cette ontologie

neacutetant pas accueillante agrave lideacutee de degreacutes de lecirctre ce qui nest pas un corps ou quelque chose du

corps ie lincorporel devrait sombrer dans le neacuteant ndash theacutematique pourtant absente de nos

sources stoiumlciennes On a pu soutenir que cette absence serait preacuteciseacutement due au deacutesinteacuterecirct des

stoiumlciens pour la notion deacutetant ou decirctre et au caractegravere laquo trop complexe raquo de la cateacutegorie du non-

eacutetant164 Il nous semble au contraire que leffort des stoiumlciens et leur grandeur est de navoir pas

ceacutedeacute agrave linfeacuterence selon laquelle si cest incorporel alors ce nest rien

Les stoiumlciens reconnaissent en effet qulaquo il y a raquo des choses qui ne sont pas des corps et qui

sont en quelque sorte ce dans quoi les corps prennent place ainsi le vide le temps le lieu Le

tout du monde prend place dans le vide et un corps est un objet spatio-temporel ce qui interdit

daccorder un statut corporel agrave lespace et au temps puisque par exemple un corps pouvant

changer de lieu le lieu doit diffeacuterer du corps lui-mecircme Or mecircme dans une ontologie

corporaliste il est difficile dadmettre que ce dans quoi sont les corps nest rien Si lune des

caracteacuteristiques des corps est la tridimensionnaliteacute cette proprieacuteteacute doit bien se reacutealiser dans un

lieu Si en outre le propre des corps est de changer de se mouvoir selon des chaicircnes de causaliteacute

161 En tout cas dapregraves ce texte ndash voir agrave linverse V Caston [1999] p 176 sq

162 Le LSJ deacutefinit laquo stand close beside raquo laquo subsist coordinately with raquo (avec reacutefeacuterences agrave Sextus DiogegravenePlotin Porphyre Ascleacutepius Simplicius) laquo arise in consequence raquo Sur ce sens chez Porphyre cf A Smith[1994] p 36-38

163 Dont teacutemoigne Syrianus lui-mecircme cf In Met 104 21 Pour V Caston cest la preuve que les stoiumlciensont geacuteneacuteralement refuseacute de penser les Ideacutees comme des concepts laquo Had the Stoics identified Forms withconcepts and included them within their ontology as not-somethings Syrianus global claim would be false ndashthere would be common entities as well as particulars But if there are not then the Stoics are not admittingForms when they acknowledge concepts raquo (V Caston [1999] p 168) On va tenter de montrer que laposition nous paraicirct malgreacute tout plus complexe

164 KM Vogt [2009]

59

La meacutetaphysique comme science une enjeux

il est difficile de ne pas admettre que ces mouvements impliquent ou supposent une temporaliteacute

En conceacutedant quen un sens faible laquo il y a raquo des incorporels les stoiumlciens ont donc ducirc ameacutenager

leurs concepts fondamentaux pour dire le reacuteel Notre langage est ici agrave la limite les incorporels ne

sont pas seulement ils ne laquo sont raquo pas rien Il doit donc y avoir un genre au-dessus de lecirctre agrave

savoir le laquo quelque chose raquo Ecirctre quelque chose (sans aucun poids existentiel au verbe ecirctre) cest

ecirctre ce dont on peut parler ce quon peut penser sur lequel on peut raisonner (les incorporels

sont atteints via une certaine infeacuterence165) cest aussi sans doute ecirctre individuel Le laquo τι raquo stoiumlcien

serait le laquo τόδε τι raquo aristoteacutelicien amputeacute de la substantialiteacute et de la manifestation ou de la

monstration ndash cest-agrave-dire pas grand-chose mais quelque chose quand mecircme Lincorporel donc

bien quincapable daction ou de passion neacuteant au sens ougrave il nest pas un corps est toutefois

quelque chose qui a partie lieacutee au corps qui est comme le reacutesume justement I Kupreeva

laquo concomitant dune action raquo166

La plupart des textes octroient aux incorporels le mode decirctre dune certaine

subsistance167 Le vocabulaire nindique pas que ceux-ci aient agrave proprement parler une autre

forme de reacutealiteacute par exemple une reacutealiteacute inteacutegralement mentale les incorporels sont certes

atteints par abstraction168 mais doivent le fait dlaquo ecirctre raquo quelque chose agrave un corps ils sont lieacutes

(dune maniegravere propre agrave chacun) agrave des entiteacutes corporelles169 Dans ce cas la subsistance deacutesigne la

liaison dun non-eacutetant agrave un eacutetant Il y a une forme dobjectiviteacute du temps du lieu du vide et des

165 DL VII 53

166 I Kupreeva [2003] p 301

167 Voire une certaine existence mais dans ce cas laquo ὑπάρχειν raquo est toujours modaliseacute Cf par exemplePlutarque Contre Colotegraves 1116 bc laquo τοῦτο δὲ καὶ τοῖς νεωτέροις συμβέβηκε πολλὰ γὰρ καὶ μεγάλαπράγματα τῆς τοῦ ὄντος ἀποστεροῦσι προσηγορίας τὸ κενὸν τὸν χρόνον τὸν τόπον ἁπλῶς τὸτῶν λεκτῶν γένος ἐν ᾧ καὶ τἀληθῆ πάντ ἔνεστι ταῦτα γὰρ ὄντα μὲν μὴ εἶναι τινὰ δ εἶναιλέγουσι χρώμενοι δ αὐτοῖς ὡς ὑφεστῶσι καὶ ὑπάρχουσιν ἐν τῷ βίῳ καὶ τῷ φιλοσοφεῖνδιατελοῦσιν raquo Sur le mode decirctre des incorporels voir plus geacuteneacuteralement AA Long [1971] Ladistinction entre ὑφιστάναι et ὑπάρχειν a eacuteteacute discuteacutee par P Hadot [1969] et V Goldschmidt [1972] les arguments de ce dernier nous paraissent plus convaincants On ocircte de toute faccedilon une partie dusens de la poleacutemique degraves lors que lon savise (en eacutetudiant ce vocabulaire de faccedilon transversale entreles diverses eacutecoles) que ces termes ne prennent sens que speacutecifieacutes ou modaliseacutes et en un certaincontexte Cf aussi ci-dessous Pour la subsistance par la penseacutee des incorporels cf Proclus In Plat Tim271d (LS 51F) sur les exprimables DL VII 63 (LS 33F) Sextus Empiricus M VIII 70 (LS 33C) M VIII11-12 (LS 33B)

168 DL VII 53 (SVF II 87 LS 39 D) parle dun laquo transfert raquo pour les exprimables ou le lieu

169 Cf aussi V Caston [1999] p 154 De ce point de vue laquo ὑφιστάναι raquo pour un incorporel cest toujoursen fait laquo παρυφίσταναι raquo Cf par exemple Simplicius In Cat 361 10-11 laquo καί φησιν ὅτι εἰ μὲν ὡς οἱΣτωικοὶ λέγουσιν παρυφίσταται τοῖς σώμασιν ὁ τόπος raquo (SVF II 507) Voir V De Harven [agrave paraicirctre]p 7-10

60

La meacutetaphysique comme science une enjeux

exprimables Ainsi comprise la position dincorporels ne vient pas remettre en cause la thegravese

centrale de lontologie du Portique

En outre la reacutealiteacute des incorporels ne seacutepuise pas dans leur relation agrave la penseacutee agrave linverse

des concepts Dans la subsistance par la penseacutee il faudrait alors distinguer cette objectiviteacute des

incorporels170 et la pure subsistance mentale des correacutelats de nos conceptions que sont les

concepts Cette pure subsistance mentale est aussi celle des phantasmes de limagination ou des

hallucinations des fous ce que pour les stoiumlciens les platoniciens ne sont pas loin decirctre Les

platoniciens sont fous parce quils croient quexiste quelque chose qui na plus rien agrave voir avec les

corps Le correacutelat mental dune Ideacutee pour un stoiumlcien cest bien un phantasme une attraction agrave

vide de limagination le concept de chien naboie pas Comme le dit tregraves bien D Sedley lIdeacutee

dHomme pour un stoiumlcien est comparable agrave llaquo homme moyen raquo des statistiques171

Les concepts universaux sont rapprocheacutes des incorporels par leur subsistance mentale

mais simultaneacutement ils en sont distingueacutes parce queux ne sont plus rien des corps dougrave sans

doute le fait quils ne figurent jamais dans la liste canonique des incorporels Et pour cause si les

incorporels sont laquo quelque chose raquo parce quils sont particuliers les universaux tombent agrave la

limite du paysage ainsi dessineacute La question est alors de savoir si les concepts universels sont agrave

classer hors du quelque chose ou sils doivent ecirctre rattacheacutes agrave un groupe flottant sous le quelque

chose ni corps ni incorporels Il sagit ici de comprendre les liens entre la critique stoiumlcienne des

Ideacutees et la position de concepts universels auxquels les stoiumlciens reconnaissent du moins agrave

certaines conditions une leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique172

Ce nœud a fait deacutebat chez les interpregravetes il nest pas neacutecessaire den deacuteployer toutes les

implications Deux textes centraux sont en effet discuteacutes lun de Stobeacutee lautre de Diogegravene qui

font des universaux des phantasmes issus de lacircme et des laquo quasi quelque chose raquo Lexpression

laquo quasi quelque chose raquo doit bien sentendre au sens ougrave par exemple ce qui est laquo presque vrai raquo

ne lest en reacutealiteacute pas du tout a fortiori dans une penseacutee qui nest pas friande des degreacutes de lecirctre

170 Pour les phantasmes qui ne renvoient agrave rien (cf par exemple Marc Auregravele Penseacutees IX 42 2 ou ladeacutefinition des phantasmes dans Aetius IV 12 1-5 LS 39B) Lincorporel est atteint via une abstractionmais demeure analysable en un particulier rattacheacute agrave un corps Par exemple le lieu en geacuteneacuteral estlensemble abstrait des lieux particuliers dans lesquels sont les corps

171 D Sedley [1985]

172 Cf D Sedley [1985] p 88-89 Le concept laquo ἐννόημα raquo est le correacutelat objectif dune conceptionlaquo ἔννοια raquo et doit ecirctre distingueacute de lensemble des laquo νοούμενα raquo (voir les textes rassembleacutes dans JBrunschwig [1988] p 34 sq) Sur la question de la leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique des concepts voir AA Long[1971] p 113 J Brunschwig [1988] p 37-39 AA Long DN Sedley [1987] tr fr [2001] t II p 185-186

61

La meacutetaphysique comme science une enjeux

ou en loccurrence du quelque chose Que les concepts ne soient quelque chose que laquo pour ainsi

dire raquo signifient quils ne sont pas quelque chose mais ne sont pas rien du tout Pour meacutemoire il

sagit des passages suivants

ltΖήνωνοςgt Τὰ ἐννοήματα φασὶ μήτετινὰ εἶναι μήτε ποιά ὡσανεὶ δὲ τινὰ καὶὡσανεὶ ποιὰ φαντάσματα ψυχῆς ταῦτα δὲὑπὸ τῶν ἀρχαίων ἰδέας προσαγορεύεσθαιΤῶν γὰρ κατὰ τὰ ἐννοήματα ὑποπιπτόντωνεἶναι τὰς ἰδέας οἷον ἀνθρώπων ἵππωνκοινότερον εἰπεῖν πάντων τῶν ζῴων καὶ τῶνἄλλων ὁπόσων λέγουσιν ἰδέας εἶναι Ταύταςδὲ οἱ ltΣτωικοὶgt φιλόσοφοι φασὶνἀνυπάρκτους εἶναι καὶ τῶν μὲνἐννοημάτων μετέχειν ἡμᾶς τῶν δὲπτώσεων ἃς δὴ προσηγορίας καλοῦσιτυγχάνειν

De Zeacutenon les concepts selon eux ne sont niquelque chose ni qualifieacutes mais des phantasmesissus de lacircme qui sont presque quelque chose etpresque qualifieacutes ces concepts sont appeleacutes laquo Ideacutees raquopar les Anciens Les Ideacutees en effet sont Ideacutees de cequi tombe sous les concepts par exemple deshommes ou des chevaux et pour parler plusgeacuteneacuteralement de tous les animaux et de toutes lesautres choses dont selon eux173 il y a des Ideacutees Maisces Ideacutees les philosophes stoiumlciens disent quellessont inexistantes dune part ce sont des conceptsque nous participons et dautre part nous sommesporteurs des termes deacuteclinables quils nommentlaquo appellatifs raquo174

(Stobeacutee I 136 20 ndash 137 6175)

Ἐννόημα δέ ἐστι φάντασμα διανοίαςοὔτε τὶ ὂν οὔτε ποιόν ὡσανεὶ δέ τι ὂν καὶὡσανεὶ ποιόν οἷον γίνεται ἀνατύπωμαἵππου καὶ μὴ παρόντος

Un concept est un phantasme issu de la penseacuteequi nest ni quelque chose ni qualifieacute mais presquequelque chose176 et presque qualifieacute agrave la faccedilon dontse produit la repreacutesentation dun cheval mecircme en sonabsence

(Diogegravene Laeumlrce VII 61)

Notre traduction reflegravete un parti-pris qui a tout au moins lavantage de maintenir la

coheacuterence entre ces deux textes eux-mecircmes et entre ces textes et dautres177 parmi lesquels un

passage parallegravele chez Alexandre

173 Les platoniciens

174 Sur le vocabulaire technique de cette fin de phrase cf LS 30 A et 33 B

175 = Arius Didyme Physique Fr 40 = SVF I 65

176 Le problegraveme se situe dans lexpression laquo ὡσανεὶ δέ τι ὄν raquo que V Caston ([1999] p 169) traduit par laquo as if it were something existent raquo En ce sens le concept est bien un quelque chose mais seulementlaquo quasi existant raquo en prenant laquo ὄν raquo au sens existentiel Il devient degraves lors inutile de forger aux cocircteacutes dela classe des quelque chose une nouvelle classe des non quelque chose V Caston libegravere en outre lesstoiumlciens de la critique qui consiste agrave demander sil y a un genre supeacuterieur au-dessus des quelque choseet non quelque chose Voir lexcellente reacuteponse de Brunschwig [2003] p 226 Surtout comme lamontreacute J Brunschwig ([2003] p 225-226) la solution de V Caston demeure difficile au point de vuesyntaxique cette compreacutehension suppose de faire porter le laquo ὡσανεί raquo seulement sur laquo ὄν raquo et nonpas pas sur laquo τι raquo De surcroicirct cest lagrave une traduction philosophiquement coucircteuse car elle implique deconsideacuterer que le texte parallegravele de Stobeacutee contient une distorsion

177 Cf aussi Simplicius In Cat 105 8-16 (SVF II 278 LS 30 E) On laisse ici de cocircteacute le difficile texte deSextus M I 17 (SVF II 330 LS 27C) dont V Caston se sert eacutevidemment beaucoup et sur lequel JBrunschwig a eacutemis de leacutegitimes doutes cf J Brunschwig [2003] p 226

62

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Οὕτω δειχθήσεται μηδὲ τὸ τὶ γένος ὂντῶν πάντων ἔσται γὰρ καὶ τοῦ ἑνὸς γένος ἢἐπ ἴσης ὄντος αὐτῷ ἢ καὶ ἐπὶ πλέον εἴ γε τὸμὲν ἓν καὶ κατὰ τοῦ ἐννοήματος τὸ δὲ τὶκατὰ [35915] μόνων σωμάτων καὶἀσωμάτων τὸ δὲ ἐννόημα μηδέτερον τούτωνκατὰ τοὺς ταῦτα λέγοντας Οὕτωςἁμαρτάνοι ἂν ὁ τοῦ ὄντος διαφορὰν τὸδοξαστὸν ἀποδούς ἐπὶ πλέον γὰρ τοῦ ὄντοςτὸ δοξαστόν εἴ γε δοξαστὸν καὶ τὸ μὴ ὄν

On montrera de cette faccedilon que le laquo quelquechose raquo non plus nest pas le genre de toutes chosesEn effet le quelque chose sera aussi le genre de lunqui a une extension eacutegale agrave la sienne ou mecircmesupeacuterieure si du moins lun sattribue aussi auconcept tandis que le quelque chose sattribueseulement aux corps et aux incorporels et que leconcept nest ni lun ni lautre dapregraves ceux qui disentcela Cest commettre la mecircme erreur que de donnerlobjet dopinion comme diffeacuterence de leacutetant carlrsquoobjet drsquoopinion a plus drsquoextension que lrsquoeacutetant sil estvrai que le non-eacutetant aussi est objet dopinion

(In Top 359 12-18178)

La fiabiliteacute de ce teacutemoignage a pu ecirctre remise en cause179 Pris dans un mouvement

poleacutemique Alexandre trahirait lesprit de la doctrine stoiumlcienne La chose nest pas impossible

puisqursquoil lui arrive bien de radicaliser voire de caricaturer les stoiumlciens pour mieux faire ressortir

les contradictions internes agrave leurs doctrines Il serait cependant eacutetonnant de la part dAlexandre

de combiner une preacutemisse authentique et attesteacutee (celle selon laquelle le quelque chose comprend

les corps et les incorporels) avec une inauthentique (celle selon laquelle les concepts ne sont ni

corps ni incorporels)180 Degraves lors conformeacutement au teacutemoignage dAlexandre en coheacuterence avec

les textes preacuteceacutedents il ny a pas de troisiegraveme possibiliteacute entre corporels et incorporels les

fictions de lesprit par exemple quelles soient fictions dindividus ou espegraveces fictives sont des

non quelque chose Ainsi comprise la position stoiumlcienne meacutenage donc agrave luniversel une place agrave

la limite ou dans les marges dun paysage non pas ontologique mais si lon peut dire

tinologique

Or cette thegravese puissante et agrave plusieurs eacutegards reacutevolutionnaire a tregraves probablement connu

un regain dinteacuterecirct agrave leacutepoque post-helleacutenistique De fait les teacutemoignages deacutejagrave mentionneacutes

semblent la faire remonter jusquagrave lancien stoiumlcisme181 il ny a cependant aucune raison de

limiter agrave cette peacuteriode les interrogations sur le statut des universaux et la distinction entre

178 Contexte Commentaire de Top IV 6 127a 26 sq (contre les confusions possibles sur le genre quil nya pas de genre de toutes choses donc pas de genre de leacutetant ni de lun)

179 V Caston [1999] p 162 sq

180 J Brunschwig [2003] p 222-223

181 Il faut toutefois garder agrave lesprit que Stobeacutee emploie toujours laquo Zeacutenon raquo pour deacutesigner les stoiumlciens engeacuteneacuteral mecircme pour des thegraveses moins anciennes ndash dougrave le pluriel qui suit Cf D Sedley [2005a] p 119n 8 contre V Caston [1999]

63

La meacutetaphysique comme science une enjeux

quelque chose et non quelque chose Le passage de Syrianus fait eacutetat dune discussion suivie ndash

mecircme si nous savons peu de choses des thegraveses de Longin et Antonin agrave ce sujet Mais si la peacuteriode

post-helleacutenistique deacutemontre un inteacuterecirct pour ces questions cest aussi voire surtout agrave la faveur du

retour sur la scegravene philosophique dacadeacutemiciens non sceptiques Les stoiumlciens discutent ainsi agrave

nouveau les thegraveses platoniciennes182

En teacutemoigne nettement la Lettre 58 de Seacutenegraveque

Illud genus quod est generale supra senihil habet initium rerum est omnia sub illosunt

(13) Stoici uolunt superponere huic etiamnunc aliud genus magis principale de quostatim dicam si prius illud genus de quolocutus sum merito primum poni docuerocum sit rerum omnium capax

(14) Quod est in has species diuido utsint corporalia aut incorporalia nihil tertiumest Corpus quomodo diuido ut dicam autanimantia sunt aut inanima Rursus animantiaquemadmodum diuido ut dicam quaedamanimum habent quaedam tantum animam atsic quaedam impetum habent incedunttranseunt quaedam solo affixa radicibusaluntur crescunt Rursus animalia in quasspecies seco aut mortalia sunt aut immortalia

(15) Primum genus Stoicis quibusdamuidetur quid quare uideatur subiciam Inrerum inquiunt natura quaedam suntquaedam non sunt et haec autem quae nonsunt rerum natura complectitur quae animosuccurrunt tamquam Centauri Gigantes etquidquid aliud falsa cogitatione formatumhabere aliquam imaginem coepit quamuis nonhabeat substantiam183

Ce genre geacuteneacuteral laquo ce qui est raquo na rien au-dessusde lui il est le principe des choses tout lui estsubordonneacute

Les stoiumlciens veulent encore lui superposer unautre genre plus premier jen parlerai tout agrave lheurequand jaurai eacutetabli que celui dont je viens de traiterest mis agrave bon droit le premier puisquil enveloppetoutes choses

laquo Ce qui est raquo je le divise en deux espegraveces quiseront le corporel ou lincorporel Il ny a pas de tierceespegravece Et pour le corps comment le diviseacute-je Comme je vais le dire il y a des ecirctres animeacutes il y ades ecirctres inanimeacutes Derechef comment diviseacute-je lesecirctres animeacutes Comme je vais le dire certains ecirctresont un esprit dautres nont que lacircme et ainsi certains ont limpulsion marchent se deacuteplacent certains implanteacutes dans le sol se nourrissentsaccroissent par leurs racines Derechef pour lesanimaux en quelles espegraveces les partager Ils sontmortels ou immortels

Le premier genre dans lopinion de certainsstoiumlciens est laquo quelque chose raquo Voici sur quoi ilsfondent leur opinion laquo Dans la nature disent-ils il ya des choses qui sont des choses qui ne sont pas Orla nature embrasse les choses qui ne sont pas ce quise preacutesente agrave lesprit comme les Centaures lesGeacuteants et tout ce qui issu dune penseacutee fausse acommenceacute agrave prendre quelque consistance dimagetout en eacutetant deacutepourvu de substance raquo

(Tr H Noblot [1947] tregraves modifieacutee)

182 Cf Antipater Posidonius Paneacutetius Cornutos auxquels se reacutefegravere D Sedley [2005a] La p 118 cite mecircmeun ouvrage dAntipater sur le bien platonicien

183 On pourrait penser que le grec derriegravere le latin laquo substantia raquo ne peut ecirctre οὐσία eacutetant donneacute queSeacutenegraveque a proposeacute un peu plus haut (sect 6) de traduire οὐσία par essentia D Sedley ([2005] p 124 n 18)propose de lire ici une reacutefeacuterence agrave la ὑπόστασις que les stoiumlciens accordent normalement auxincorporels tandis que οὐσία dit le mode decirctre des corps (Proclus In Tim 138e = SVF II 533) Ilfaudrait se reacutesoudre agrave comprendre que dans la theacuteorie preacutesenteacutee par Seacutenegraveque les fictions sontdeacutepourvues non seulement decirctre mais aussi de laquo reacutealiteacute raquo ou de laquo subsistance raquo Les fictions nauraientdonc mecircme pas la subsistance des incorporels parce quelles sont illusoires sans aucune attache dans lecorporel Toutefois on pourrait eacutemettre lhypothegravese que ὑπόστασις est bien plutocirct agrave chercher derriegraverelaquo animo succurrunt raquo qui rendrait laquo ὑφιστάναι τῇ ἐπινοίᾳ raquo (cf V de Harven [agrave paraicirctre]) Seacutenegraveque

64

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Dans cette lettre apregraves secirctre plaint de la pauvreteacute du latin pour traduire laquo ὄν raquo Seacutenegraveque

preacutesente de faccedilon scolaire six usages dlaquo eacutetant raquo chez Platon avant den venir au problegraveme de la

position dlaquo eacutetant raquo comme genre suprecircme Le philosophe ne preacutesente guegravere ici la theacuteorie

stoiumlcienne des universaux mais il parle de la division genre ndash espegravece et des fictions de lesprit184

et fait aussi eacutetat de deacutebats sur la distinction entre laquo eacutetant raquo (ou laquo ce qui est raquo) et laquo quelque chose raquo

dans le contexte dune preacutesentation de la notion platonicienne dὀυσία et des diffeacuterents degreacutes de

la reacutealiteacute

Contre une lecture simplement eacuteclectique de cette lettre contre lideacutee dun Seacutenegraveque

stoiumlcien versatile ou peu orthodoxe185 meacutelangeant sans coheacuterence des sources diverses il nous

paraicirct au contraire plus pertinent de prendre la lettre au seacuterieux Celle-ci prouve non seulement

lexistence de poleacutemiques entre stoiumlciens et platoniciens mais aussi la diffusion de certaines

thegraveses stoiumlciennes chez les platoniciens186 Mais Seacutenegraveque teacutemoigne aussi de deacutebats internes au

stoiumlcisme sous la pression de la reviviscence du platonisme Seacutenegraveque revendique ainsi comme sa

propre position le maintien de leacutetant comme genre suprecircme187 tout en restreignant agrave laquo certains

stoiumlciens raquo une version heacuteteacuterodoxe du moins non standard de la theacuteorie du quelque chose

comme genre suprecircme188 Mais cest preacuteciseacutement cette heacuteteacuterodoxie qui est inteacuteressante la Lettre

emploie en effet une expression latine destineacutee agrave devenir courante pour parler de lirreacuteel comme ce quine possegravede pas de substance (laquo habere substantiam raquo cf les passages listeacutes par J-F Courtine [1980] agravecomparer aussi avec Ciceacuteron Top V 25-27) Ainsi comprise la thegravese serait coheacuterente avec les textes ougravelon parle des phantasmes fictions ou concepts comme doteacutes dune seule subsistance mentale (cf lespassages deacutejagrave citeacutes de Syrianus et Stobeacutee voir aussi Marc Auregravele Penseacutees IX 42 2) mais bien sucircrdeacutepourvus de toute substance cest-agrave-dire de toute corporaliteacute En ce cas substantia ne peut traduireὑπόστασις puisque celle-ci est effectivement accordeacutee aux fictions de lesprit qui laquo animo succurrunt raquoDougrave notre traduction par laquo substance raquo et non laquo subsistance raquo

184 On peut toujours tenter de penser que les universaux sont compris dans la cateacutegorie des Centaures etdes Geacuteants et laquo quidquid aliud falsa cogitatione formatum habere aliquam imaginem coepit quamvis non habeatsubstantiam raquo (Lettre 58 15) Cf V Caston [1999] p 154 sq et agrave linverse J Brunschwig [2003] p 222

185 KM Vogt [2009]

186 Ainsi au paragraphe 22 dans sa description de la hieacuterarchie ontologique platonicienne Seacutenegraveque place-t-il le vide et le temps deacutetermineacutes comme laquo quasi eacutetants raquo (quae quasi sunt) au dernier rang de cetteeacutechelle des eacutetants Cf D Sedley [2005a] p 125

187 Cette attribution agrave eacuteteacute discuteacutee cf J Mansfeld [1992a] p 84-85 n 22 et agrave linverse D Sedley [2005a] p125 Voir les usages de la premiegravere personne dans le sect 14 dont il nous paraicirct difficile de penser quilssont simplement rheacutetoriques

188 Non standard par exemple parce quici les laquo quelque chose non eacutetant raquo ne sont pas la liste canoniquedes incorporels mais des fictions les centaures et les geacuteants On laissera ici de cocircteacute les hypothegraveses agravenotre sens assez faibles selon lesquelles Seacutenegraveque aurait commis une laquo erreur raquo dans sa liste (cf PPasquino [1978] et en particulier p 378) On laisse eacutegalement de cocircteacute la question plus cruciale de savoir

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

vient deacutementir les affirmations de certains interpregravetes selon lesquelles les stoiumlciens se seraient

deacutesinteacuteresseacutes des notions deacutetant ou decirctre auraient buteacute sur le caractegravere laquo trop complexe raquo de la

cateacutegorie du non-eacutetant189 Au contraire la lettre constitue un document sur les deacutebats

ontologiques qui ont eu cours degraves le deacutebut de legravere post-helleacutenistique sur ce qui est reacuteel agrave partir de

ce qui ne lest pas

Cest en effet dans ce contexte que lon peut inscrire un certain nombre de thegraveses et

darguments platoniciens et peacuteripateacuteticiens de leacutepoque Comme la noteacute J Brunschwig au

premier chef les stoiumlciens deacutefont en effet la ligature platonicienne et aristoteacutelicienne entre ecirctre et

ecirctre quelque chose ndash celle par exemple queacutenonce le Parmeacutenide en 132 b-c190 Cest ce qui exige

reacuteponse de la part des eacutecoles rivales Les platoniciens par exemple se font fort de reacuteaffirmer

presque brutalement limpossibiliteacute de seacuteparer le τι de lὄν191 Les strateacutegies plus raffineacutees

consisteront agrave montrer limpossibiliteacute pour le quelque chose decirctre un genre supeacuterieur agrave lecirctre192

ou du cocircteacute peacuteripateacuteticien agrave rappeler les arguments qui interdisent la position dun genre de

leacutetant Plusieurs passages dAlexandre recyclent ainsi les arguments aristoteacuteliciens explicitement

contre les stoiumlciens193

Top IV 1 121a10 ldquoΠάλιν εἰ ἀνάγκη ἢἐνδέχεται τοῦ τεθέντος ἐν τῷ γένει μετέχειντὸ γένοςrdquo

Τί μέν ἐστι μετέχειν αὐτὸς ἐδήλωσε τὸγὰρ ltἐπιδέχεσθαι τὸν [30110] τοῦμετέχεσθαι λεγομένου λόγονgt μετέχεινἐστὶν αὐτοῦ Τὸ δὲ τιθέμενον ἐν τῷ γένειἐστὶ τὸ εἶδος οὗ τὸ ἀποδιδόμενον ὡς γένοςἀποδίδοται Ἐπεὶ τοίνυν κεῖται τὰ μὲν εἴδητὸν τῶν γενῶν ἐπιδέχεσθαι λόγον τὰ δὲγένη τὸν τῶν εἰδῶν οὐκέτι τὰ μὲν εἴδημετέχοι ἂν τῶν γενῶν οὐκέτι δὲ καὶ τὰ γένητῶν εἰδῶν

Οὕτως τοίνυν τούτων ἐχόντων εἰ τοῦ

laquo Et encore voir sil ne se trouve pas que le genre doitou peut participer de ce qui a eacuteteacute placeacute en lui raquo

Ce que cest que laquo participer raquo dune partAristote la lui-mecircme fait voir lten disantgt laquo admettrela deacutefinition du terme dont on est dit participer raquocest y participer Ce qui est laquo placeacute dans le genre raquodautre part cest lespegravece dont leacutenonceacute est donneacutecomme genre Donc puisquil a eacuteteacute poseacute que lesespegraveces admettent leacutenonceacute des genres tandis que lesgenres nadmettent plus celui des espegraveces alors lesespegraveces participeront aux genres mais les genres neparticiperont plus aux espegraveces

Degraves lors les choses eacutetant ce quelles sont si duterme placeacute comme en un genre194 le terme preacutediqueacute

si ces choses (centaures geacuteants) sont des particuliers fictifs ou bien des espegraveces fictives

189 KM Vogt [2009]

190 Cest la thegravese ceacutelegravebre de J Brunschwig [1988] reprise et deacuteveloppeacutee par P Aubenque [1991]

191 Et ce mecircme quand ils reprennent apparemment la theacuteorie stoiumlcienne du genre suprecircme ainsi chezPhilon dAlexandrie (SVF II 334) Severus aurait quant agrave lui argumenteacute le fait que les Ideacutees sontlaquo quelque chose raquo (D Sedley [2005a] p 129-131) Plutarque enfin preacutesente une affirmation brute de cetype voir par exemple De Comm Not 1073a sq

192 Cf Plotin Traiteacute 42 Enn VI 1 25-27 et largument de limpossibiliteacute dun genre commun au corporel etagrave lincorporel

193 Voir le passage deacutejagrave citeacute dIn Top 359 12-18

194 Agrave savoir lespegravece

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

τεθέντος [30115] ὡς ἐν γένει τινὶ τὸκατηγορηθὲν ὡς γένος αὐτοῦ τὸν λόγον τεκαὶ ὁρισμὸν ἢ ἐπιδέχεται ἢ οἷόν τεἐπιδέχεσθαι οὐκ ἂν εἴη γένος τὸεἰλημμένον

Οἷον ἂν λέγῃ τις τοῦ ὄντος γένος [τὸ] τιεἶναι ἢ τοῦ ἑνός τὸ γὰρ τούτων τινὸςἀποδοθὲν ὡς γένος πάντως ἐπιδέξεται τόντε τοῦ ὄντος λόγον καὶ τὸν τοῦ ἑνός πᾶνγὰρ τὸ ἐν ὑπάρξει ὂν καὶ ὂν καὶ ἕν ἐστινΟὕτω δεικνύοις [30120] ἂν ὅτι μὴ καλῶς τὸτὶ οἱ ἀπὸ τῆς Στοᾶς γένος τοῦ ὄντος τίθενταιεἰ γὰρ τί δῆλον ὅτι καὶ ὄν εἰ δὲ ὄν τὸν τοῦὄντος ἀναδέχοιτο ἂν λόγον

Ἀλλ ἐκεῖνοι νομοθετήσαντες αὑτοῖς τὸὂν κατὰ σωμάτων μόνων λέγεσθαιδιαφεύγοιεν ἂν τὸ ἠπορημένον διὰ τοῦτογὰρ τὸ τὶ γενικώτερον αὐτοῦ φασιν εἶναικατηγορούμενον οὐ κατὰ σωμάτων μόνονἀλλὰ καὶ κατὰ [30125] ἀσωμάτων Ἀλλ ἐπεὶγενικώτατον τὸ τί εἴη ἂν ὑπ αὐτὸ καὶ τὸ ἕνἀλλἔστι καὶ τοῦ τινὸς αὐτοῦ τὸ ἓνκατηγορῆσαι ὥστε οὐ γένος τὸ τὶ τοῦ ἑνόςἐπιδεχόμενον αὐτοῦ τὸν λόγον

comme eacutetant son genre admet ou peut admettre soneacutenonceacute et sa deacutefinition195 alors ce quon a poseacute ne serapas un genre

Par exemple quelquun pourrait soutenir que lequelque chose196 est genre de leacutetant ou de lun Defait le genre de lun de ces deux si on le donnaitcomme genre de toutes choses admettra aussi agrave lafois la deacutefinition de leacutetant et celle de lun car tout cequi est dans lexistence est agrave la fois eacutetant et un Tumontrerais ainsi que cest de faccedilon incorrecte que lesstoiumlciens posent le quelque chose comme genre delrsquoeacutetant Si en effet il y a quelque chose il est clair quecest aussi un eacutetant Et si cest un eacutetant il recevra ladeacutefinition de lrsquoeacutetant

Mais ceux-lagrave eacutedictant pour eux-mecircmes la loiselon laquelle lrsquoeacutetant se dit uniquement des corpsvoudraient eacutechapper agrave la difficulteacute pour cette raisonen effet ils disent que le quelque chose est plusgeacuteneacuterique que leacutetant preacutediqueacute qursquoil est nonseulement des corps mais aussi des incorporelsNeacuteanmoins puisque le quelque chose est le genre leplus haut lun sera sous lui Or il est possible depreacutediquer lun du quelque chose lui-mecircme de sorteque le quelque chose nest pas le genre de lunpuisquil admet sa deacutefinition

(In Top 301 9-27)

La reacutefeacuterence du commentaire agrave la doctrine du Portique semble appeleacutee par le texte

dAristote lui-mecircme Dans ce chapitre des Topiques le Philosophe eacutetudie le genre en tant quatome

de toute deacutefinition et eacutetablit les critegraveres agrave partir desquels on peut eacutetablir un genre ou deacutecider si

telle chose appartient ou non agrave tel genre Lextrait que commente ici Alexandre eacutetablit comme

critegravere la non-participation agrave ce qui est placeacute sous soi Il sagit bien dun critegravere neacutegatif si ce quon

a pris pour un laquo genre raquo participe de ce quon a pris pour lune de ses espegraveces alors ce nest pas

un genre car cest lespegravece qui doit participer du genre et non linverse Que veut dire ici

participer Lemploi aristoteacutelicien nest bien sucircr pas totalement homonyme avec lemploi

platonicien (mais dans ce cadre il est deacutelesteacute de toute implication ontique) participer signifie

laquo admettre la deacutefinition du terme dont on participe raquo (ἐπιδέχεσθαι τὸν τοῦ μετεχομένου λόγον

121a 11-12) En reacutesumeacute si la deacutefinition dun preacutetendant au titre de genre admet dans sa deacutefinition

195 La deacutefinition de lespegravece Si un genre peut ecirctre deacutefini par la deacutefinition de lespegravece alors ce nest pas ungenre car comme le dit Aristote laquo lespegravece admet bien la deacutefinition du genre mais le genre nadmetpas celle de lespegravece raquo (121a 13-14 traduction J Brunschwig)

196 Latheacutetegravese proposeacutee par Wallies contre tous les manuscrits ne semble pas neacutecessaire

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

un eacuteleacutement deacutefinitionnel de lespegravece alors ce nest pas un genre Et Aristote de lillustrer en

prenant sans deacutetour un exemple agrave la fois philosophiquement lourd et dialectiquement

convaincant ndash leacutetant et lun dont lextension197 est telle que rien ne peut en constituer le genre De

fait tout ce qui preacutetendrait au titre de genre de leacutetant et de lun devrait admettre dans sa

deacutefinition le fait decirctre un eacutetant ou decirctre un Il est donc aiseacute pour Alexandre demployer ce

raisonnement contre le quelque chose stoiumlcien en reacuteinstaurant le lien rompu entre ecirctre et ecirctre

quelque chose

Mais platoniciens et peacuteripateacuteticiens ne se cantonnent pas agrave la reacutefutation logique de la

thegravese stoiumlcienne qui fait des universaux des non quelque chose Il sagit aussi pour chaque eacutecole

de reacuteaffirmer sa propre conception de luniversel et den deacutemontrer la supeacuterioriteacute Dans cette pars

construens les platoniciens sattachent ainsi agrave distinguer les Ideacutees de concepts universaux en

mettant en exergue la causaliteacute des Ideacutees qui donnent lecirctre au sensible198 On verra aussi plus loin

comment tous les platoniciens reacutepegravetent le geste platonicien du laquo renversement raquo199 en deacutemontrant

que lincorporel est le veacuteritable ecirctre

Au sein du Peripatos Alexandre constitue un exemple de choix dans la discussion du

statut des universaux et la reacuteflexion ontologique que soulegraveve cette discussion On rappellera

briegravevement sur cette question tregraves disputeacutee200 que lExeacutegegravete distingue deux eacutetats et deux modes

decirctre de lrsquouniversel in re et post rem Il ny a bien sucircr pas duniversel ante rem ou selon un

vocabulaire freacutequent chez lExeacutegegravete duniversel subsistant par soi ayant une laquo ἰδία ὑπόστασις raquo

La thegravese dAlexandre est agrave grands traits la suivante pour quune essence puisse ecirctre qualifieacutee

drsquouniverselle elle doit reacutesider en plusieurs particuliers Si elle ne reacuteside que dans un particulier

lrsquouniversaliteacute est supprimeacutee201 Lrsquouniversel a une certaine laquo existence raquo dans les choses

particuliegraveres et ce nest quau terme drsquoun acte drsquoabstraction que le concept universel est obtenu

doteacute alors dune subsistance par la penseacutee (laquo τῇ ἐπινοίᾳ raquo)202 Contrairement peut-ecirctre aux

197 Cf aussi Met I 2 1053b 17 sq

198 Plutarque Contre Colotegraves 1115e sq Cest lagrave aussi le seul texte quon ait trouveacute agrave faire eacutetat duneincursion eacutepicurienne dans le deacutebat

199 Selon le titre eacutevocateur de H Joly [1974]

200 Voir entre autres AC Lloyd [1981] MM Tweedale [1984] A de Libera [1999a] RW Sharples [2005]

201 Cf Alexandre In Top 355 18 sq

202 Cf DA 90 2-11 laquo Ἐπὶ μὲν οὖν τῶν ἐνύλων εἰδῶν ὥσπερ εἶπον ὅταν μὴ νοῆται τὰ τοιαῦτα εἴδηοὐδέ ἐστιν αὐτῶν τι νοῦς εἴ γε ἐν τῷ νοεῖσθαι αὐτοῖς ἡ τοῦ νοητοῖς εἶναι ὑπόστασις Τὰ γὰρκαθόλου καὶ κοινὰ τὴν μὲν ὕπαρξιν ἐν τοῖς καθέκαστά τε καὶ ἐνύλοις ἔχει Νοούμενα δὲ χωρὶςὕλης κοινά τε καὶ καθόλου γίνεται καὶ τότε ἐστὶ νοῦς ὅταν νοῆται εἰ δὲ μὴ νοοῖτο οὐδὲ ἔστιν ἔτιὭστε χωρισθέντα τοῦ νοοῦντος αὐτὰ νοῦ φθείρεται εἴ γε ἐν τῷ νοεῖσθαι τὸ εἶναι αὐτοῖς ὅμοια δὲ

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

apparences Alexandre ny soutient donc pas un conceptualisme qui le rapprocherait des stoiumlciens

puisque les universaux ne sont pas purement mentaux Lobjectif est bien de substantialiser

luniversel (agrave la faveur de sa coordination avec la forme hyleacutemorphique) de lui accorder une

subsistance in re contre le conceptualisme stoiumlcien sans tomber pour autant dans le platonisme

conformeacutement au deacutefi poseacute par exemple par la Quaestio I 3 Ce geste suppose en amont tout un

travail pointu et technique sur la nature de la forme du composeacute hyleacutemorphique son lien avec la

diffeacuterence speacutecifique et le genre sur leacuteterniteacute speacutecifique de la forme une modeacutelisation de lacte

de connaicirctre par labstraction matheacutematique203 quon esquissera plus loin Certes ce

positionnement dAlexandre pour ecirctre totalement compris devrait eacutegalement ecirctre rattacheacute agrave un

contexte interne au Peripatos la discussion sans doute du conceptualisme de Boeacutethos de Sidon Il

en va de mecircme pour les platoniciens la theacuteorie des Ideacutees et les arguments au profit de la thegravese

identifiant lincorporel et lecirctre ont neacutecessairement partie lieacutee avec des probleacutematiques

exeacutegeacutetiques et des querelles internes au meacutedio-platonisme Il nen demeure pas moins impossible

de lire ces deacuteveloppements hors du contexte agonistique de leacutepoque post-helleacutenistique

Au terme de ce premier parcours nous sommes en mesure de fonder davantage notre

thegravese Leacutepoque post-helleacutenistique outre quelle a servi dincubateur agrave la querelle tardo-antique et

meacutedieacutevale des universaux nest pas deacutenueacutee de preacuteoccupations laquo meacutetaphysiques raquo selon les

critegraveres eacutetablis ci-dessus Linterrogation sur les universaux est loccasion de deacuteveloppements

rationnels et transversaux sur la reacutealiteacute du reacuteel en ses genres ultimes La diffusion en ce contexte

du terme de laquo ὑπόστασις raquo tant chez les stoiumlciens que les platoniciens ou les peacuteripateacuteticiens

signe la constitution dun vocabulaire ontologique commun La thegravese de J Barnes selon laquelle

le questionnaire de Porphyre sexprime dans la laquo lingua franca raquo philosophique de leacutepoque

constitue moins une objection quun argument en faveur de la recherche des sources du Tyrien

Faut-il pour autant en deacuteduire une uniformisation doctrinale de leacutepoque Cest

τούτοις καὶ τὰ ἐξ ἀφαιρέσεως ὁποῖά ἐστι τὰ μαθηματικά raquo laquo Ainsi pour les formes donneacutees dansune matiegravere comme je lrsquoai dit quand de telles formes ne sont pas penseacutees aucune drsquoelles nrsquoest unintellect sil est vrai que crsquoest dans le fait drsquoecirctre penseacutees que reacuteside pour elles la reacutealiteacute de leur ecirctredintelligibles En effet les universels et les communs existent dans les choses particuliegraveres etmateacuterielles Crsquoest une fois penseacutes agrave part de la matiegravere qursquoils deviennent communs et universels et ilssont intellects au moment ougrave ils sont penseacutes Srsquoils ne sont pas penseacutes ils ne ltlegt sont plus de sorte queseacutepareacutes de lrsquointellect qui les pense ils se corrompent puisque leur ecirctre reacuteside dans le fait drsquoecirctre penseacuteSont semblables agrave eux les choses obtenues par abstraction comme les ecirctres matheacutematiques raquo

203 On a tenteacute den dire quelques mots dans G Guyomarch [2008]

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

lhypothegravese deacutefendue par exemple par J-F Courtine selon qui la traduction dοὐσία en substantia

qui se fait jour agrave leacutepoque post-helleacutenistique et dans lAntiquiteacute tardive est le reacutesultat de la

popularisation du corporalisme stoiumlcien204 Cette thegravese ne nous paraicirct pas reacutesister aux textes205

Chaque eacutecole emploie laquo ὑπόστασις raquo ou laquo ὑφιστάναι raquo agrave sa maniegravere pour formuler ses propres

thegraveses pour poser la question de la reacutealiteacute du reacuteel Il est ainsi net que lorsque Alexandre reprend

laquo ὑπόστασις raquo il aristoteacutelise un vocable dorigine stoiumlcienne Quand lExeacutegegravete deacutenie une laquo ἰδία

ὑπόστασις raquo ou une laquo ὑπόστασις καθ αὑτά raquo aux Ideacutees il entend explicitement par

laquo ὑπόστασις raquo lindeacutependance de la substance en un sens typiquement aristoteacutelicien206 Mais

mecircme chez lExeacutegegravete le terme ne prend sens quen contexte quand il est qualifieacute et cest pourquoi

Alexandre eacutevoque parfois une subsistance de luniversel mais cest alors une subsistance laquo τῇ

ἐπινοίᾳ raquo207 La mecircme amplitude seacutemantique se lira chez Plotin qui parle aussi bien de

lhypostase des Ideacutees que de lhypostase de lacircme des relatifs ou de la matiegravere208 Ce vocabulaire

ne prend consistance quau sein dun systegraveme ontologique global sans quoi il demeure une

coquille vide un signifiant flottant comme laquo chose raquo209

Si saffine un tel vocabulaire ontologique cest bien que la question de lecirctre na pas

disparu agrave leacutepoque dAlexandre et que le traitement quen donne Alexandre nest pas isolable de

ce contexte On aura bien du mal sans cela agrave comprendre pourquoi en plein deacutebut de son

commentaire agrave Meacutetaphysique Γ lExeacutegegravete sexclame quil ny a rien au-dessus de leacutetant210 Du

204 Cf J-F Courtine [1980] On notera en passant que la dissension entre Courtine (ou de Libera) et Barnesmime pour le coup de faccedilon assez nette lune des lignes de fractures entre philosophies ditesanalytique et continentale Se dessine en creux le problegraveme classique de lhistoriciteacute du mot et du statutveacutehiculaire ou non du langage Sommes-nous maicirctres de nos mots lesquels seraient en particulierdans les contextes techniques comme ceux de la philosophie par exemple de purs instruments Ousommes-nous le jouet de forces historiales agrave lœuvre dans une langue qui parle delle-mecircme

205 Sauf agrave reacutegresser agrave une thegravese extrecircmement vague cette eacutepoque penserait uniformeacutement la reacutealiteacutecomme le fait de subsister (sous-entendu alors quon peut concevoir autrement le reacuteel ndash comme ek-sistence etc) Mais une telle thegravese par sa geacuteneacuteraliteacute en devient peu discriminante Or entre lasubsistance du corps stoiumlcien celle de la substance alexandrinienne et celle des Ideacutees plotiniennes il ya discussion diffeacuterence eacutecarts Agrave notre sens concevoir le corps stoiumlcien (qui est une fonction ou uneacuteveacutenement) comme une substance aristoteacutelicienne est extrecircmement discutable

206 Voir entre autres exemples lemploi du terme dans le commentaire agrave Met A (In Met 92 19 110 13etc)

207 Ainsi en DA 90 2-11 Alexandre accepte aussi bien de parler dune ὑπόστασις des universaux mais ilsagit de laquo ἡ τοῦ νοητοῖς εἶναι ὑπόστασις raquo la reacutealiteacute de leur ecirctre dintelligibles ou de leur essenceintelligible Nous nous permettons de renvoyer aussi agrave G Guyomarch [2008] p 333-334

208 Cf les listes eacutetablies par C Rutten [1994]

209 On nemploie pas ici laquo signifiant flottant raquo dans son sens rigoureusement levi-straussien

210 In Met 240 20 laquo ἀλλ οὐδὲν ὑπὲρ τὸ ὄν raquo Linterpreacutetation que donne J-F Courtine ([2005] p 131 n

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

laquo problegraveme de lecirctre raquo on nattendra toutefois pas une formulation dans les termes de la

Meacutetaphysique dAristote Agrave cet eacutegard la situation de leacutepoque post-helleacutenistique est similaire agrave

celle du haut Moyen Acircge latin211 De mecircme quune penseacutee politique de la justice ou une penseacutee de

la liberteacute prennent leur essor sur fond dune eacutepreuve de linjustice ou de la contrainte de mecircme le

point de deacutepart du Portique pour poser la question de lecirctre serait ces choses qui ne sont pas ou agrave

peine Le problegraveme nest donc pas laquo onto-logique raquo au sens de leacutelaboration dun discours (ou

dune science) sur lecirctre mais laquo ontique raquo La question stoiumlcienne des modes decirctre eacutemerge en effet

agrave partir de questions locales Des eacutetants divers soffrent agrave mon regard et de lagrave se posent les

questions les corps ou les universaux sont-ils et sont-ils seulement quelque chose Sils ne sont

pas de la mecircme maniegravere comment dire ces deux modes decirctre sans briser la continuiteacute de ce qui

est Il sagit alors de classer ce qui nest pas au sens plein en fonction de ce qui est proprement

en eacutelaborant des critegraveres et une taxinomie des eacutetants ndash comme un inventaire du monde et qui

rapprocherait plutocirct cette penseacutee de lontologie au sens de Russell ou Armstrong212 On pourrait

par ailleurs se demander si la vogue des Cateacutegories dAristote213 jusque chez les stoiumlciens (mecircme si

cest sur un mode critique) et quelques platoniciens na pas joueacute un rocircle dans cette question du

mode decirctre des genres et des espegraveces214 On aurait ainsi affaire agrave une une transmission comme

laquo lateacuterale raquo de questions meacutetaphysiques via les Cateacutegories agrave linstar encore de ce qui se produira

dans le Haut Moyen Acircge latin215

2) de la proposition ndash qui nest pas lue dans son contexte ndash nous semble discutable

211 Voir A de Libera [1999b] et [2005]

212 Voir S Chauvier [2003] p 413

213 Ce souci classificatoire est peut-ecirctre agrave lorigine chez Aristote de la distinction des cateacutegories Cest lagraveune thegravese de Ross selon qui la distinction des cateacutegories a dabord eacuteteacute motiveacutee chez Aristote par lesouci de classer et non la question des sens de lecirctre (voir aussi en ce sens A Stevens [2000] p 184) Surle fait que la plurivociteacute de leacutetant chez Aristote ne doive justement pas sentendre au sens de lapluraliteacute de classes deacutetants divers ou mecircme seulement de classes de preacutedicats cf M Crubellier PPellegrin [2002] p 346

214 Sur cette datation tardive cf aussi J-B Gourinat [2009] p 73

215 Cf A de Libera [1999b] et [2005] Nous manquons cependant de sources pour totalement eacutetablir cettehypothegravese Les extraits stoiumlciens agrave ce sujet (dans Simplicius par exemple) ne semblent pas deacuteborder lestrict cadre de la logique On se rappelle en outre que parler de laquo cateacutegories raquo stoiumlciennes est un effetreacutetrospectif jamais le mot napparaicirct dans les sources stoiumlciennes (cf S Menn [1999]) et des diffeacuterencesimportantes seacuteparent les cateacutegories aristoteacuteliciennes des stoiumlciennes qui ne constituent pas des classesde preacutedicats ou de sens de lecirctre mais des couches dans toute chose du monde Les quatre genres ducorps sont en effet quatre strates de tout corps Neacuteanmoins le regard reacutetrospectif linteacutegration parSimplicius des positions stoiumlciennes dans son commentaire aux Cateacutegories nest-il pas fondeacute par desdeacutebats plus anciens Cf agrave ce sujet les hypothegraveses de Sharples agrave propos du renouveau des Cateacutegories agraveleacutepoque post-helleacutenistique dans RW Sharples [2008b] et surtout les corrections rapidementapporteacutees dans RW Sharples [2010] p 48 qui nous semblent plus probables

71

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Mais quoiquelle en naisse cette question de lecirctre nest ni confineacutee ni assujettie agrave ces

secteurs purement locaux Il se pourrait mecircme au contraire que certains stoiumlciens naient pas eacuteteacute

inconscients des problegravemes transversaux et meacuteta-philosophiques que posaient ces questions216 La

tendance intrinsegraveque agrave la systeacutematisation nest sans doute pas eacutetrangegravere agrave cela mais cette

propension au systegraveme devait ecirctre compenseacutee par la tendance (opposeacutee et correacutelative) agrave la

classification des problegravemes et leur traitement en fonction des parties de la philosophie

Neacuteanmoins en se demandant si lecirctre est le preacutedicat le plus universel et au sommet de la

hieacuterarchie du monde ou bien sil est second en attaquant leacutequation platonicienne entre ecirctre et

quelque chose les stoiumlciens ne posent deacutejagrave plus seulement une question classificatoire ou ontique

Linventaire ontique nest pas deacutenueacute de toute ambition fondatrice La secondarisation ou la

reacutetrogradation de leacutetant quopegraverent les stoiumlciens sa disjonction davec le quelque chose peut bien

apparaicirctre comme un geste eacuteminemment laquo meacutetaphysique raquo selon les critegraveres que nous avons

proposeacutes plus haut217 Les reacuteactions platonicienne et peacuteripateacuteticienne en relegravevent elles aussi

Un deuxiegraveme deacutebat litteacuteralement crucial pour leacutepoque est agrave mecircme de conforter cette

conclusion Cette fois-ci la poleacutemique prend son essor agrave partir dune question de physique dont

la transversaliteacute et le caractegravere fondamental tendent au218 meacutetaphysique

b) lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes la question des principes

On se souvient de laffirmation fondamentale de la physique stoiumlcienne seuls les corps

sont Dit autrement seules les entiteacutes tri-dimensionnelles doteacutees de reacutesistance sont des eacutetants219

Comme chez les fils de la Terre dans le Sophiste220 le critegravere stoiumlcien de la corporeacuteiteacute consiste en la

216 Comme la bien vu D Sedley ([2005] p 140) qui termine en disant agrave propos de linteacuterecirct de Seacutenegravequepour les questions meacutetaphysiques laquo I have tried to sketch in a background which makes it plausible that farfrom being Senecas own quirk this attitude was characteristic of Roman Stoicism in his days raquo

217 Contre KM Vogt [2009]

218 En employant ici agrave nouveau un neutre par distinction de laquo la raquo meacutetaphysique comme science

219 Le critegravere de la reacutesistance nest pas toujours preacutesent mais cf Galien SVF II 381 Pour la tri-dimensionnaliteacute cf DL VII 135 Pour lidentiteacute corps et eacutetant cf deacutejagrave chez Platon Sophiste 246b Pourleacutequivalence entre eacutetant et corps cf Sextus Empiricus M X 3-4 (SVF II 505 et LS 49B)

220 Platon Sophiste 247c Le critegravere est commun aux fils de la terre et aux amis des formes comme critegraverede la reacutealiteacute Il sagit en fait ici dune complication introduite dans la doctrine des fils de la Terre suiteaux apories ougrave les conduisait leur theacuteorie premiegravere professant un corporalisme assez simpliste Surtout cela cf J Brunschwig [1988] voir aussi I Kupreeva [2003] p 300-301

72

La meacutetaphysique comme science une enjeux

capaciteacute dagir ou decirctre affecteacute (Alexandre lui-mecircme en teacutemoigne221) Le laquo ou raquo importe sil est

vrai que certains ecirctres ne sont capables que de lun ou de lautre agrave savoir les deux principes

ultimes le dieu et la matiegravere222 Cependant agrave la diffeacuterence des fils de la Terre les stoiumlciens

utilisent le critegravere action-passion pour eacutelargir la classe des eacutetants corporels agrave des eacutetants qui ne le

semblent pas et ne sont pas perceptibles223 Ainsi lacircme ou les vertus eacutetant capables dagir elles

doivent donc ecirctre compteacutees parmi les corps Cela teacutemoigne de ce que le corporalisme stoiumlcien est

plus une position theacuteorique quune simple geacuteneacuteralisation inductive ou une reprise irreacutefleacutechie

dun mateacuterialisme naiumlf224 La conseacutequence de cette thegravese corporaliste est que dans la nature seuls

les corps sont causes225 mecircme si selon le teacutemoignage de Sextus226 leffet de la cause nest pas un

nouveau corps mais un preacutedicat incorporel (un exprimable) qui se surajoute au corps lequel

continue de persister dans la chaicircne causale avec de nouvelles deacuteterminations corporelles

Ce qui va devenir le problegraveme de lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes consiste agrave se demander ce

qui qualifie (en un sens tregraves large) ce qui deacutetermine un corps est-il ou non corporel Le problegraveme

part en effet dune conseacutequence de la thegravese corporaliste esquisseacutee ci-dessus Les stoiumlciens

distinguent dans un corps son substrat et ses qualiteacutes227 Les qualiteacutes sont des modifications de la

corporeacuteiteacute qui deacuteterminent et diffeacuterencient chaque corps et qui reacutesultent de lactiviteacute divine228 Le

laquo qualifieacute raquo correspond donc au corps au sens plein du terme229 Il faut alors ici jouer de prudence

et ne pas ceacuteder agrave la tentation den conclure que dun strict point de vue stoiumlcien les qualiteacutes sont

corporelles (ainsi que le comprendront platoniciens et peacuteripateacuteticiens) Il nest en effet pas certain

que les stoiumlciens aient soutenu sans condition la pleine corporeacuteiteacute des laquo qualiteacutes raquo230 ce qui existe

221 Par exemple De mix 230 26 sq et surtout 224 32 sq (SVF II 310)

222 Le statut corporel de ces deux principes nest toutefois pas unanime comme le montrent les difficulteacutestextuelles de DL VII 134

223 Cest la laquo greffe de corporeacuteiteacute raquo deacutecrite par J Brunschwig [1988] p 88

224 Cf I Kupreeva [2003] p 301

225 Selon le teacutemoignage de Cleacutement dAlexandrie (cf SVF II 345) Une telle thegravese implique avec elle derepenser ce quest la cause une theacuteorie stoiumlcienne bien documenteacutee et dont les enjeux historiques sontdeacutecisifs cf M Frede [1980] et dans un style diffeacuterent V Carraud [2002]

226 Sextus M IX 211 (SVF II 341)

227 Sur ce quon nomme les laquo cateacutegories raquo stoiumlciennes voir S Menn [1999]

228 Simplicius In Cat 222 30-33 (SVF II 378 LS 28H) Cf aussi justement Alexandre In Top 360 9-12(SVF II 379) laquo κατὰ μὲν οὖν τὸν ἐν ὑποκειμένῳ ἀναιροῖτ ἂν τὸ τὴν ποιότητα εἶναι πνεῦμά πωςἔχον ἢ ὕλην πως ἔχουσαν οὐ γὰρ δύναται τὸ πνεῦμα ἢ ἡ ὕλη γένος εἶναι τῆς ποιότητος ἐνὑποκειμένοις γὰρ αὐτοῖς ἡ ποιότης raquo

229 Cf M Frede [2005] p 222-223

230 Cf V Cordonier [2008] p 361 laquo la thegravese de la corporeacuteiteacute des qualiteacutes elle non plus nest pas attesteacutee

73

La meacutetaphysique comme science une enjeux

corporellement pour un stoiumlcien ce nest pas tant la coupure du couteau encore moins la

caballeacuteiteacute cest mon doigt coupeacute en cuisinant ou le cheval lui-mecircme comme laquo qualifieacute raquo231 La

preacutecision terminologique des textes stoiumlciens qui consiste agrave poser comme second genre le

laquo qualifieacute raquo (ποῖον) ou encore plus clairement lindividu qualifieacute (ποῖος) et non la qualiteacute

(ποιότης) doit donc ecirctre respecteacutee232

Cette thegravese physique est pleinement coheacuterente avec la critique des Ideacutees quon a vue ci-

dessus incorporelles et mecircme moins eacutetantes que les veacuteritables incorporels elles sont moins que

rien incapables de subir ou dexercer quelque action que ce soit Lattaque frontale ne peut

quexiger reacuteponse de la part des platoniciens a fortiori degraves lors que le courant platonicien comme

cest le cas au II egraveme s se recentre sur la theacuteorie des Ideacutees233 Contre les stoiumlciens les platoniciens

doivent donc rendre compte du pouvoir causal de lincorporel et de son rocircle dans la

deacutetermination du corps Il leur faut donc deacutemontrer le caractegravere incorporel des laquo qualiteacutes raquo et leur

pleine existence Mais comme par effet de retour la critique platonicienne va eacutegalement tendre agrave

simplifier la position stoiumlcienne en lissant les nuances quon a tenteacute de rendre ci-dessus pour

leur faire soutenir la thegravese dune corporeacuteiteacute des qualiteacutes ndash quon retrouvera chez Alexandre234

De fait les parallegraveles entre les textes sur lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes et en particulier chez

Plutarque laissent supposer une origine acadeacutemique des critiques adresseacutees agrave la thegravese

stoiumlcienne235 Comme lindique un passage du De Qualitatibus incorporeis236 la deacutemonstration de

lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes devient un locus communis des eacutecoles qui conduit agrave deacuteployer des

dans les fragments et les teacutemoignages stoiumlciens fiables raquo Mais pour nuancer cette affirmation il fautrappeler que certains textes deacutecrivent les qualiteacutes comme actives ou principes dactiviteacute du corps ndash ence sens elles remplissent le critegravere de la corporeacuteiteacute

231 Selon Antisthegravene dapregraves Simplicius In Cat 211 15-21 Voir A Brancacci [2005] p 57

232 Cf AA Long DN Sedley [1987] tr fr [2001] t II p 38

233 Selon le teacutemoignage dAtticus Fr 13 41-6 (Des Places) M Zambon ([2002] p 77-78) avance cependantque Plutarque par exemple serait peu inteacuteresseacute par la doctrine des Ideacutees Agrave ce compte toutefois oncomprendrait mal la radicaliteacute de sa critique de la corporeacuteiteacute des qualiteacutes par exemple dans le DeComm Not 50 ou les preacutecisions apporteacutees agrave ce sujet dans le Contre Colotegraves 1115e sq Plutarque resteencore assez platonicien pour avoir agrave cœur de maintenir lincorporeacuteiteacute de lecirctre

234 Cf DA 18 7-10 Cette simplification de la thegravese est reprise sans vergogne par Simplicius (SVF II 383-393)

235 I Kupreeva [2003] p 304

236 De Qualitatibus incorporeis 318 25 eacutedition Giusta (citeacutee par Kupreeva [2003] p 304) ou dans leacuteditionKuumlhn 19 481 7-10 laquo Τί δὲ ποιήσουσι πρὸς τοὺς οὐδὲ ποιεῖν φάσκοντας τὰ σώματα μόνα δὲ τὰἀσώματα τί δὲ πρὸς Ἀριστοτέλην ὃς καὶ αὐτὸς γενικὴν τῶν ὄντων διαίρεσιν ποιούμενος τὰ μὲνεἶναί φησιν οὐσίας τὰ δὲ συμβεβηκότα raquo Sur ce texte et lidentiteacute de son auteur voir P Moraux[1984] p 470-471 n 130 et les reacutefeacuterences plus reacutecentes listeacutees par I Kupreeva [2003] p 304 n 23

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

arguments bien rodeacutes parfois eacuteculeacutes237 La section du Didaskalikos dAlcinoos deacutevolue agrave ce sujet

atteste encore plus nettement de ce caractegravere scolaire agrave travers une suite de syllogismes simples

sans justification des preacutemisses

Καὶ μὴν καὶ αἱ ποιότητες τοῦτον τὸντρόπον δεικνύοιντ ἂν ἀσώματοι Πᾶν σῶμαὑποκείμενόν ἐστιν ἡ δὲ ποιότης οὐχὑποκείμενον ἀλλὰ συμβεβηκός οὐκ ἄρασῶμα ἡ ποιότης Πᾶσα ποιότης ἐνὑποκειμένῳ οὐδὲν δὲ σῶμα ἐν ὑποκειμένῳοὐκ ἄρα σῶμα ἡ ποιότης []

Εἰ δὲ αἱ ποιότητες ἀσώματοι καὶ τὸδημιουργικὸν τούτων ἀσώματον Ἔτι τὰποιοῦντα οὐκ ἂν ἄλλα εἴη ἢ τὰ ἀσώματαπαθητὰ γὰρ τὰ σώματα καὶ ῥευστὰ καὶ οὐκἀεὶ κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτως ἔχοντα οὐδὲμόνιμα καὶ ἔμπεδα ἅ γε καὶ ἐν οἷς δοκεῖ τιποιεῖν πολὺ πρόσθεν εὑρίσκεται πάσχονταὥσπερ οὖν ἔστι τι παθητικὸν εἰλικρινῶςοὕτως ἀναγκαῖόν τι εἶναι καὶ ἀτρεκῶςποιητικόν οὐκ ἄλλο δὲ εὕροιμεν ἂν τοῦτο ἢἀσώματον

laquo De plus que les qualiteacutes soient incorporelles onpeut le montrer de la faccedilon suivante Tout corps estun sujet or la qualiteacute nest pas un sujet mais unaccident donc la qualiteacute nest pas un corps Toutequaliteacute est dans un sujet or aucun corps nest dans unsujet donc la qualiteacute nest pas un corps []

Et si les qualiteacutes sont incorporelles ce qui lesproduit doit lui aussi ecirctre incorporel De plus lescauses efficientes ne sauraient ecirctre autre chose que lesincorporels les corps en effet sont passibles etfluents ils ne sont jamais identiques agrave eux-mecircmes niinvariables ils nont ni stabiliteacute ni soliditeacute et mecircmelorsquils paraissent produire une action onsaperccediloit que ce sont dabord eux qui la subissentDonc de mecircme quil existe aussi quelque chose depurement passif de mecircme est-il neacutecessaire quil existeaussi quelque chose de reacuteellement actif or cela nesaurait ecirctre autre chose quincorporel raquo

(Alcinoos Enseignement des doctrines de Platon XI166 15-35 tr P Louis modifieacutee)

De mecircme que la critique platonicienne conduit agrave simplifier la position stoiumlcienne et y

injecter de la laquo qualiteacute raquo lagrave ougrave le Portique parle de laquo qualifieacute raquo de mecircme aussi le deacutebat pousse les

eacutecoles concurrentes agrave modifier leur vocabulaire traditionnel Ainsi le terme de laquo ποιότης raquo est-il

un hapax chez Platon238 et il nest eacutevidemment pas anodin que les platoniciens convertissent le

laquo ποῖον raquo stoiumlcien en une laquo ποιότης raquo La neacutecessiteacute de reacutepondre aux stoiumlciens nest ainsi pas sans

conseacutequence sur la conception meacutedio-platonicienne des Ideacutees

En effet les platoniciens travaillent agrave deacutemontrer que lincorporel est lecirctre (et

reacuteciproquement) agrave partir dun critegravere proche de celui des stoiumlciens Le texte dAlcinoos qui en

offre une version peu raffineacutee se contente de renverser la descriptions stoiumlcienne du corps les

corps en effet selon un terme extrecircmement courant agrave leacutepoque chez les platoniciens239 sont

237 On pourrait comparer terme agrave terme le passage citeacute du Didaskalikos et celui eacutegalement tregraves scolairedAlexandre dans la Mantissa sect 6

238 Platon Theacuteeacutetegravete 182a 8 Pour la reprise meacutedio-platonicienne du terme de qualiteacute cf deacutejagrave Antiochus etles reacutefeacuterences donneacutees par J Dillon [1977] p 82-83

239 Cf la note 9 de J Whittaker [1990] p 74-75 Pour une origine platonicienne Whittaker renvoie parexemple au Philegravebe 43a 3 ndash lequel renvoie sans doute aussi au mobilisme heacuteracliteacuteen

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

laquo ῥευστά raquo ils noffrent donc pas la reacutesistance et la consistance240 que leur accordent les stoiumlciens

Bien sucircr la soliditeacute est ici identifieacutee avec la capaciteacute de perdurer dans lecirctre et non une proprieacuteteacute

physique Selon un critegravere agrave la fois temporel et qualitatif le plus reacutesistant le plus consistant cest

ce qui nest jamais soumis agrave modification et demeure tel quen lui-mecircme Dans un geste reacutepeacutetant

le renversement platonicien les meacutedio-platoniciens proposent donc une doctrine contre-intuitive

ou litteacuteralement paradoxale241 Le manuel dAlcinoos conserve ainsi le critegravere daction et de

passion eacuteleveacute par les stoiumlciens au rang de critegravere de la corporeacuteiteacute (et donc de leacutetantiteacute) mais

introduit la coupure platonicienne au sein mecircme du couple les corps ne sont que passiviteacute et

laction est reacuteserveacutee agrave lintelligible agrave la faveur dun lien eacutetymologisant entre laquo ποιότητες raquo et

laquo ποιεῖν raquo242 Alcinoos dans la section XI tout en tentant une reacutefutation des stoiumlciens reprend la

distinction des deux principes eacuteternels de la physique du Portique un eacuteleacutement purement passif

identifieacute avec les corps en geacuteneacuteral (alors quagrave la section VIII il leacutetait avec la matiegravere laquo ni

corporelle ni incorporelle raquo du Timeacutee) et un eacuteleacutement purement actif donc incorporel agrave savoir le

deacutemiurge

On perccediloit donc deacutejagrave comment la dispute sur lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes implique des

choix philosophiques qui outrepassent la seule physique ou du moins interrogent cette derniegravere

dans ce quelle a de plus fondamental En reprenant la meacutetaphore kantienne on peut dire que

loffensive du stoiumlcisme contraint les eacutecoles concurrentes agrave assurer leurs arriegraveres agrave la faveur dun

retour agrave leurs principes fondamentaux En ce sens la reacuteponse des platoniciens agrave la question de

lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes ndash mecircme chez ceux qui reprennent sans ciller la tripartition stoiumlcienne

en logique physique eacutethique ndash ne se situe pas dans la physique proprement dite La question est

telle quAlcinoos par exemple lextirpe du champ physique et la place agrave la fin de la section

theacuteologique Selon lui en effet la theacuteologie appartient agrave la partie theacuteoreacutetique de la philosophie

240 Cf aussi le passage de Galien (SVF II 440) par exemple qui parle du laquo συνέχειν raquo des corps que leurassurent le feu et le souffle Pour lἀντιτυπία cf aussi Galien De Qualitatibus incorporeis SVF II 381

241 Cf entre autres le Pheacutedon 78c sq etc Le pheacutenomegravene savegravere dautant plus complexe que lon admetcertaines filiations ndash mecircme sur un mode critique ndash entre le stoiumlcisme et la philosophie platonicienneAinsi identifier comme le fait Alcinoos le deacutemiurge du Timeacutee au principe actif ndash dans des termesconsonants avec le dieu stoiumlcien ndash peut-il tregraves bien passer pour un juste retour de cette thegravese dans legiron du platonisme si lon admet que la theacuteologie stoiumlcienne nest pas sans racine platonicienne (cf DSedley [2002]) Sinterroger sur la part respective du platonisme dorigine et du stoiumlcisme ambiant dansla doctrine meacutedio-platonicienne constitue un champ de recherches passionnant a fortiori pour laquestion de la cosmologie du Timeacutee

242 Pour lorigine de ce lien cf J Whittaker [1990] n 215 p 108 et J Dillon [1977] p 285

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

partie qui consiste en la connaissance des eacutetants243 (expression dans laquelle on doit sans doute

donner un sens fort agrave laquo eacutetants raquo) et soppose aux parties pratique et dialectique On reconnaicirct ici

sans difficulteacute la tripartition stoiumlcienne ndash agrave ceci pregraves que la physique noccupe plus le champ

theacuteorique agrave elle seule la partie theacuteoreacutetique comprend la theacuteologie la physique et la

matheacutematique244 Lobjet de la theacuteologie ce sont preacuteciseacutement laquo les causes premiegraveres cest-agrave-dire

ltles causesgt suprecircmes et principielles raquo245 qui seront deacuteveloppeacutees par une eacutetude de la matiegravere des

Ideacutees et du Dieu avant den venir agrave la deacutemonstration de lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes Le texte du

Didaskalikos que nous citions plus haut se termine en effet par laquo Tel est donc le discours au sujet

des principes que lon pourrait appeler theacuteologique raquo246

De mecircme Numeacutenius subsume clairement le deacutebat de lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes sous la

question laquo quest-ce que leacutetant raquo qui constitue lobjet de la laquo science suprecircme raquo (Fr2) La reacuteponse

agrave cette question est en effet lincorporel dont le nom est laquo essence et ecirctre raquo Ce nom eacutetait dit

Numeacutenius laquo chercheacute depuis longtemps [πάλαι ζητούμενον] raquo247 Agrave la diffeacuterence dAlcinoos ou

de Plutarque Numeacutenius propose donc agrave partir de la question du statut de lincorporel une

theacuteologie dont les enjeux ontologiques sont explicites et assumeacutes Le point de deacutepart est

semblable ndash agrave la fois platonicien (etou pythagoricien) et stoiumlcien Dans le De bono en effet

Numeacutenius eacutecarte les candidats au titre de reacuteponses agrave la question laquo quest-ce que leacutetant raquo en

visant manifestement le corporalisme stoiumlcien248 Calcidius considegravere dailleurs que si Numeacutenius

use de la doctrine de Pythagore cest dans lobjectif de reacutefuter la doctrine stoiumlcienne des

principes249 De Platon Numeacutenius cite le passage du Timeacutee divisant ecirctre et devenir

Platon sexprime ainsi (voyons que je me rappelle la phrase) laquo Quest-ce que ce qui est

243 Alcinoos Didaskalikos 153 25-30 Voir aussi le tableau reacutecapitulatif de la division de la philosophieselon Alcinoos proposeacute par I Hadot [1990] p 77

244 Notons quAtticus lui reacuteduit la physique agrave la theacuteologie (cf Fr 1 2) tout en rappelant la deacutenominationplatonicienne dlaquo histoire de la nature raquo Sur lideacutee dun deacuteveloppement autonome de la theacuteologie agraveleacutepoque post-helleacutenistique cf RW Sharples [2002a] et [2010] p X

245 Alcinoos Didaskalikos 161 1 Le vocabulaire est ici satureacute de reacutefeacuterences tant platoniciennesquaristoteacuteliciennes Cf aussi 162 24-26

246 Alcinoos Didaskalikos 166 35-36 laquo Ὁ μὲν δὴ περὶ τῶν ἀρχῶν λόγος τοιοῦτος ἄν τις εἴη θεολογικὸςλεγόμενος raquo

247 Numeacutenius Fr 6 laquo Καὶ δῆτα λέγω τὸ ὄνομα αὐτῷ εἶναι τοῦτο τὸ πάλαι ζητούμενον raquo dans uneexpression qui consonne avec le laquo πάλαι τε καὶ νῦν καὶ ἀεὶ ζητούμενον raquo aristoteacutelicien (Met Z 11028b 2)

248 Cf Fr 4b sur la reacutefeacuterence explicite aux stoiumlciens Pour les autres lieux voir M Zambon [2002] p 205

249 Cf Fr 52 (Calcidius In Tim 297 7 sq) laquo magisterio Stoicorum hoc de initiis dogma refellens Pythagoraedogmate raquo

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

eacuteternellement et na pas de devenir Et quest-ce que ce qui devient mais na jamaislecirctre raquo()250

Entre la poleacutemique anti-stoiumlcienne et la reacutefeacuterence platonicienne sexplicite naturellement

chez Numeacutenius leacutequation entre laquo ecirctre et essence raquo divin incorporel et intelligible LApameacuteen

deacutefinit en effet le premier dieu comme laquo celui qui est raquo sinscrivant peut-ecirctre ainsi dans la

meacutetaphysique de lexode chegravere agrave Gilson251 Lidentification du dieu et de lecirctre nest dailleurs pas

circonscrite agrave lœuvre de Numeacutenius ndash mecircme si chez lui la filiation biblique est sans doute plus

claire Numeacutenius qualifie Platon de laquo Moiumlse parlant attique raquo fait preuve dune certaine

connaissance de la Bible et montre une bienveillance agrave lendroit des veacuteriteacutes deacutecouvertes par laquo les

Brahmanes les Juifs les Mages et les Eacutegyptiens raquo252 Mais deacutejagrave Plutarque dans lenquecircte Sur lE

de Delphes expliquait finalement la preacutesence dans le temple de cet E par la nature du dieu

Nous reacutepondons au dieu en lui disant laquo tu es raquo lui donnant lappellation vraie deacutepourvuede fausseteacute la seule qui ne convienne quagrave lui seul et qui soit lappellation de son ecirctre253

Mecircme Alcinoos dans leacutenumeacuteration des noms du dieu lui accorde celui dοὐσιότης254 On

est donc fondeacute agrave affirmer que les meacutedio-platoniciens agrave la faveur du deacutebat sur les qualiteacutes tentent

de renverser le stoiumlcisme en concentrant dans lincorporel lecirctre et la diviniteacute dans une deacutemarche

explicitement theacuteologique mais quil nest pas exageacutereacute de qualifier eacutegalement dontologique

Quelles conclusions tirer de cela Un constat simpose on deacutecegravele une structure de

transgression du domaine physique qui conduit rationnellement (au moins en partie) agrave la

connaissance de lecirctre et du divin Certes chez Numeacutenius comme chez Plutarque par exemple

laccegraves final agrave lecirctre se fera davantage par une sorte de vision dans le domaine supra-rationnel de

leacutepoptique255 Mais le chemin pour y parvenir est rigoureusement dialectique ou dialogique256

250 Fr 7 et Timeacutee 27d

251 Fr 13 laquo Ὁ μέν γε ὤν raquo dans une formule proche de Exode 3 14 dans la version des LXX laquo καὶ εἶπενὁ θεὸς πρὸς Μωυσῆν Ἐγώ εἰμι ὁ ὤν raquo

252 Fr 1a Pour Moiumlse cf fr 8 et les tregraves fines analyses de M Burnyeat [2005] p 143-169

253 Plutarque Sur lE de Delphes 392a laquo ἡμεῖς δὲ πάλιν ἀμειβόμενοι τὸν θεόν lsquoεἶrsquo φαμέν ὡς ἀληθῆ καὶἀψευδῆ καὶ μόνην μόνῳ προσήκουσαν τὴν τοῦ εἶναι προσαγόρευσιν ἀποδιδόντες raquo traduction FIldefonse

254 Did 164 34

255 Cf Plutarque De Iside 382d par exemple Voir I Hadot [1990] p 42

256 Cf le laquo dialogue avec soi-mecircme raquo du Fr 4a de Numeacutenius et les arguments deacuteployeacutes pour eacutetablirlincorporeacuteiteacute du premier dieu

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

Cette eacutepoptique Cleacutement dAlexandrie lassimile agrave la laquo meacutetaphysique raquo dAristote257 et agrave la

dialectique platonicienne qui permet de deacutecouvrir lexplication ou la manifestation des eacutetants

(laquo τῆς τῶν ὄντων δηλώσεως εὑρετική τίς ἐστιν ἐπιστήμη raquo) Il semble mecircme dapregraves Calcidius

que Numeacutenius distinguait clairement leacutepoptique de la physique la physique eacutetant lieacutee agrave la

lecture du Timeacutee et leacutepoptique se reacutefeacuterant au Parmeacutenide interpreacuteteacute comme dialogue theacuteologique258

Bref contrairement agrave ce que lon avait pu croire la tripartition stoiumlcienne na pas empecirccheacute des

secteurs du savoir de se deacutetacher en sorientant vers la meacutetaphysique259 Cependant il ne suffit

pas de constater la preacutesence de theacutematiques ou de deacuteveloppements orienteacutes vers la

meacutetaphysique encore faut-il rendre raison de ce deacutebordement dune poleacutemique physique et

identifier les figures de la meacutetaphysique ici en jeu Or une objection simpose la theacuteologie et

leacutepoptique meacutedio-platoniciennes heacuteritent-elles reacuteellement de lambition totalisante et

universalisante que nous avions fixeacutee comme indice du meacutetaphysique Moins quune

meacutetaphysique na-t-on pas affaire agrave une connaissance purement reacutegionale du domaine supra-

sensible du laquo monde intelligible raquo

La reacuteponse agrave cette question qui indique simultaneacutement lorientation et le contenu de ces

deacuteveloppements meacutetaphysiques agrave leacutepoque dAlexandre tient en un mot celui de principe Dans

son Commentaire agrave Meacutetaphysique B Alexandre renvoie ainsi dos agrave dos stoiumlciens et platoniciens

laquo Ἀλλεἰ καὶ ἔστι τι καθ αὑτὸ αἴτιον παρὰτὴν ὕλην καὶ ἄλλο τί φησι δεῖν ἐπισκέψασθαιπότερον τοῦτό ἐστι κεχωρισμένον ὕλης καὶαὐτὸ καθαὑτὸ ὑφεστώς ἢ ἐν τῇ ὕλῃ ὁποῖόνἐστι τὸ ἔνυλον εἶδος καὶ ὡς τοῖς ἀπὸ τῆςΣτοᾶς ἔδοξεν ὁ θεὸς καὶ τὸ ποιητικὸν αἴτιονἐν τῇ ὕλῃ εἶναι Καὶ εἰ ἔστι τι αἴτιον χωριστὸν[17820] καὶ ἄυλον πότερον ἓν τοῦτοκατἀριθμόν ἐστιν ἢ πλείω περὶ ὧν αὐτὸς ἐντῷ Λ τῆσδε τῆς πραγματείας λέγει raquo

Mais mecircme srsquoil existe une certaine cause par soi agravecocircteacute de la matiegravere il faut selon Aristote examiner unautre point agrave savoir si cette cause est seacutepareacutee de lamatiegravere et si elle subsiste par elle-mecircme comme telleou bien si elle est dans la matiegravere comme la formedonneacutee dans la matiegravere et au sens ougrave les stoiumlcienspensaient que le dieu crsquoest-agrave-dire la cause agente estdans la matiegravere Et srsquoil existe une certaine causeseacutepareacutee et immateacuterielle [il faut examiner] si elle estune en nombre ou plusieurs ce qursquoAristote eacutetudiedans le livre Λ de ce traiteacute

(In Met 178 15-21)

Le contexte exeacutegeacutetique de cette incise dans le commentaire dAlexandre est

257 Cleacutement dAlexandrie Stromates I 28 176 2-3 laquo τέταρτον ἐπὶ πᾶσι τὸ θεολογικὸν εἶδος ἡ ἐποπτείαἥν φησιν ὁ Πλάτων τῶν μεγάλων ὄντως εἶναι μυστηρίων Ἀριστοτέλης δὲ τὸ εἶδος τοῦτο μετὰ τὰφυσικὰ καλεῖ raquo

258 Cf lanalyse et les reacutefeacuterences donneacutees par M Zambon [2002] p 59 Sur lattribution de cette division dela philosophie agrave Numeacutenius cf p 181

259 Sur leacutepoptique et son identification agrave la laquo meacutetaphysique raquo cf aussi P Hadot [1966] p 127-129 (reprisdans P Hadot [1999] p 317-319)

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La meacutetaphysique comme science une enjeux

linterpreacutetation de B 1 995b 31 qui preacutesente la huitiegraveme aporie du livre B Quoi quil en soit des

divergences entre la preacutesentation de laporie en B 1 et son deacuteveloppement en B 4 le

questionnement en B 1 semble se concentrer sur 1) lexistence dune cause par soi immateacuterielle 2)

sa seacuteparation 3) son nombre 4) la possibiliteacute quelle soit laquo agrave cocircteacute raquo du composeacute 5) la question de

savoir si cette cause agrave cocircteacute du composeacute concerne tous les ecirctres ou seulement certains et 6) dans ce

dernier cas lesquels Dans son commentaire Alexandre divise cette preacutesentation en exposant les

questions 1 2 et 3 dun cocircteacute puis 4 5 6 comme deux apories distinctes Outre la raison de

syntaxe260 la raison exeacutegeacutetique en est sans doute quil nest pas immeacutediatement eacutevident de

comprendre en quoi sinterroger sur une cause laquo agrave cocircteacute du composeacute raquo ne reacutepegravete pas le premier

sous-groupe de questions261

Notre passage se situe donc dans la preacutesentation de ce premier sous-groupe Alexandre

identifie immeacutediatement la position selon laquelle seule la matiegravere est cause par soi comme celle

des anciens physiologues (laquo τῶν ἀρχαίων φυσικῶν τινες raquo 178 5) Ces causes (lair leau ou

lintermeacutediaire) eacutetaient donc les seules laquo par soi raquo les affections de la matiegravere neacutetant que causes

accidentelles Il est eacutetrange au premier abord de voir Alexandre se concentrer sur une branche

de la premiegravere alternative qui ne semble pas ici la plus en cause le vocabulaire mecircme dAristote

la notion de seacuteparation lapparente reacutepeacutetition de celle-ci dans le laquo παρά raquo invitent plutocirct agrave

envisager la position platonicienne Mais comme le montre le commentaire du lemme suivant

(995b34) selon Alexandre cest ce que nous avons appeleacute le laquo second groupe raquo de questions qui

interroge proprement lexistence dune forme immateacuterielle de type platonicien262 Le terme clef du

premier groupe serait donc celui de cause non celui de forme Et il est inteacuteressant de noter que le

commentaire de ce premier groupe souvre avec les anciens physiologues et sachegraveve sur une

reacutefeacuterence stoiumlcienne Alexandre recyclerait les arguments aristoteacuteliciens en les reacutecupeacuterant pour

les faire jouer contre des positions qui lui sont contemporaines via une identification entre les

positions des adversaires dAristote et celles de ses propres opposants263 En clair il sefforcerait

de se placer lui-mecircme dans ce quil comprend du contexte aristoteacutelicien par-delagrave Platon et le

260 Les deux groupes de questions semblent avoir deux sujets diffeacuterents dun cocircteacute τι παρὰ τὴν ὕληναἴτιον et de lautre τι παρὰ τὸ σύνολον

261 Voir S Broadie [2009] particuliegraverement p 138-141

262 In Met 179 1-5 laquo εἴη δἂν διὰ μὲν τῆς πρὸ ταύτης ἀπορίας ζητῶν εἰ ἔστι τι παρὰ τὴν ὕλην καὶἄλλο αἴτιον καθ αὑτό καὶ εἰ ἔστι πότερον κεχωρισμένον ὕλης ἢ σὺν ὕλῃ καὶ αὐτό διὰ δὲ τῆςδευτέρας ἁπλῶς εἰ ἔστι τι εἶδος ἄυλον raquo

263 Pour un autre exemple cf le laquo recyclage raquo contre les stoiumlciens des arguments aristoteacuteliciens contre lesSophistes In Met 301 18

80

La meacutetaphysique comme science une enjeux

mateacuterialisme des preacutesocratiques pour Aristote par-delagrave les meacutedio-platoniciens et le mateacuterialisme

stoiumlcien pour lui-mecircme

Malgreacute cette insistance il semble bien que dans notre extrait la premiegravere branche de

lalternative renvoie aux platoniciens Toutefois ladjectif laquo χώριστος raquo se lit tregraves peu souvent

chez les meacutedio-platoniciens On le trouve par exemple sous linspiration peut-ecirctre de E 1 dans

un passage dAlcinoos264 au neacutegatif (ἀχώριστα) pour deacutesigner les formes engageacutees dans la

matiegravere et donc inseacuteparables delles par opposition aux Ideacutees les premiers intelligibles dont on

peut deacuteduire quelles sont seacutepareacutees de la matiegravere Le participe laquo κεχωρισμένον raquo est lui aussi

rare mais Atticus sen sert dans un fragment qui semble pertinent pour notre propos et dont nous

sommes deacutesormais en mesure de saisir les enjeux poleacutemiques Dans ce fragment 5 Atticus

vilipende Aristote qui en laquo mauvais imitateur raquo naurait fait quinducircment transfeacuterer les

proprieacuteteacutes dimpassibiliteacute et dincorruptibiliteacute agrave des reacutealiteacutes ne les meacuteritant pas par exemple les

astres Or reacutetorque Atticus un corps ne peut ecirctre impassible Si une reacutealiteacute est κεχωρισμένον et agrave

part de la matiegravere alors elle est incorporelle265 Malgreacute ces rareteacutes lexicales la description des

Ideacutees platoniciennes comme laquo seacutepareacutees raquo nest donc pas absente de leacutepoque alexandrinienne ndash

sans compter quagrave limage du doublet laquo αὐτὸ καθαὑτό raquo elle deacutecoule naturellement du contexte

aristoteacutelicien dans lequel se trouve Alexandre

Plus inteacuteressante est la formulation employeacutee par Alexandre pour deacutecrire la position

stoiumlcienne Comme la tregraves bien montreacute V Cordonier ces modifications lexicales apporteacutees par

Alexandre agrave la doctrine stoiumlcienne sont reacuteveacutelatrices de son propre projet Elles forment en

quelque sorte des reacuteeacutecritures de termes stoiumlciens en vocabulaire aristoteacutelicien ou plutocirct

peacuteripateacuteticien266 Alexandre transforme en effet le laquo ποιοῦν raquo du Portique en laquo ποιητικόν raquo et le

laquo λόγος raquo en laquo ἔνυλον εἶδος raquo Or le choix de ces termes par les stoiumlciens nest sans doute pas

anodin Laissons ici de cocircteacute la transformation du ποιοῦν en ποιητικόν agrave propos de laquelle il

faudrait se demander si eacutetant poseacute la diffeacuterence entre lefficience stoiumlcienne et llaquo agence raquo

aristoteacutelicienne il ny a pas contamination de la seconde par la premiegravere chez lAphrodisien

La seconde traduction est plus importante pour notre propos Du point de vue lexical et

historique il eacutetait sans doute plus aiseacute de concevoir un λόγος totalement immanent le refus

264 Alcinoos Didaskalos 155 40

265 Atticus Fr 5 71-74 (Des Places) laquo Εἰ δέ τι ἀπαθὲς εἴη τοῦτο ἀφειμένον καὶ ἐλεύθερον ἀπὸ τοῦπάσχοντος εἶναι δεῖ ὥστε χωρὶς ἂν εἴη τῆς ὕλης ἧς κεχωρισμένον ἀσώματον ἀναγκαίωςὁμολογοῖτ ἄν raquo

266 Lexpression ἔνυλον εἶδος ne se lit pas chez Aristote

81

La meacutetaphysique comme science une enjeux

stoiumlcien des Ideacutees a donc ducirc jouer dans labandon dεἶδος267 Pourquoi alors cette reacuteeacutecriture (dont

Alexandre serait au surplus le premier auteur) La reacuteponse proposeacutee par V Cordonier est agrave la

fois ingeacutenieuse et peut-ecirctre trop contourneacutee Pour comprendre cette traduction du λογὸς en

εἶδος V Cordonier part en effet des deacuteterminations de la matiegravere selon Aetius Sans qualiteacute ni

figure (ἄμορφον ἀνείδεον ἀσχημάτιστον ἄποιον et pourtant σωματοειδῆ268) la matiegravere

premiegravere se deacutecrit par la neacutegativiteacute et la privation Selon V Cordonier il est tout agrave fait possible

quAlexandre reprenant agrave son compte cette description de la matiegravere ait laquo projeteacute raquo les

laquo eacutequivalents positifs raquo des adjectifs privatifs pour deacutecrire le principe actif stoiumlcien269

La chose nous semble agrave la fois plus simple et plus massive comme laquo λόγος raquo le dieu

stoiumlcien est ce qui vient laquo qualifier raquo la matiegravere donc la deacuteterminer (dans tous les sens du terme)

Pour un aristoteacutelicien comme pour les platoniciens cela est lœuvre dun principe intelligible ndash

seacutepareacute ou non De mecircme que les platoniciens reprennent le vocabulaire stoiumlcien de la qualiteacute (le

ποῖον ou plutocirct dans la version meacutedio-platonicienne la ποιότης) de mecircme Alexandre peut-il

appeler εἶδος le principe stoiumlcien de qualification des corps la conversion ou la traduction

fonctionne dans les deux sens

Linteacutegration des stoiumlciens dans un deacutebat meacutetaphysique sur les principes est ainsi

accomplie par Alexandre Or cette inteacutegration est rendue possible par la nature mecircme du

discours stoiumlcien Si comme le dit J Brunschwig la meacutetaphysique a geacuteneacuteralement agrave voir avec une

science des principes premiers alors la physique du Portique nen est en effet pas tregraves eacuteloigneacutee270

Puisque pour les stoiumlciens ecirctre cest ecirctre un corps cest la physique qui prend la position de

philosophie premiegravere271 et qui en assume les ambitions dans sa partie speacutecifique la physique

preacutetend en effet ecirctre une eacutetude rationnelle de lensemble de la reacutealiteacute et de ses constituants

267 Les stoiumlciens ont donc preacutefeacutereacute des verbes plus concrets comme laquo σχηματίζω raquo ou laquo μορφόω raquo cf VCordonier [2008] p 364

268 Aetius Placita I 9 2-5 p 307 sq

269 V Cordonier [2008] p 365

270 J Brunschwig [2003] p 208-209 Cf aussi AA Long DN Sedley [1987] tr fr [2001] t II p 239 ougrave ALong et D Sedley nheacutesitent pas agrave identifier la partie speacutecifique de la physique avec la philosophiepremiegravere dAristote On se rappelle que selon la distinction opeacutereacutee par DL VII 132-133 la physiquespeacutecifique a cinq objets corps principes eacuteleacutements dieux ltlimite lieu et videgt et ces objets sontpropres agrave la seule physique La partie geacuteneacuterique soccupe de trois objets monde eacuteleacutements recherchedes causes Ces objets peuvent ecirctre pris en charge par dautres disciplines Cf MJ White [2003] p 125et J Brunschwig [2003] p 206-208

271 Nous prenons ce terme ici en un sens large et fonctionnel par opposition avec lideacutee que la physiqueserait seulement philosophie seconde ndash cest ce que font eacutegalement J Brunschwig et A Long etD Sedley (cf note preacuteceacutedente) Cf ci-dessous sect 122c

82

La meacutetaphysique comme science une enjeux

premiers et universels La nature selon le Portique est laquo ce qui fait tenir le monde ensemble raquo ou laquo ce

qui fait pousser les choses sur la terre raquo272 La physique a ainsi pour objet principal ce qui

maintient la coheacutesion (συνέχειν)273 du monde compris comme lensemble de ce qui est Le

Portique conccediloit le monde (et donc lecirctre) comme menaceacute par un neacuteant agrave venir (sans quoi on ne

chercherait pas ce qui permet cette coheacutesion) et la physique doit rendre raison de ce qui fait tenir

le monde entre deux embrasements cycliques

Pour ce faire les stoiumlciens posent deux laquo principes raquo qui contrairement par exemple aux

eacuteleacutements ne subissent pas lembrasement peacuteriodique et permettent une continuiteacute de lecirctre

Lembrasement est le moment ougrave la laquo biographie raquo du dieu ne sidentifie plus agrave celle du monde274

et ougrave le dieu et la matiegravere manifestent leur statut principiel Mais le dieu et la matiegravere ne sont pas

seulement des principes du devenir ils sont aussi indissolublement principes eacutepisteacutemologiques

Ce nest pas un hasard sil y a homologie entre les critegraveres de corporeacuteiteacute (la capaciteacute dagir et de

pacirctir) et les principes ultimes Le dieu et la matiegravere nexpliquent pas seulement pourquoi les

choses sont mais aussi pourquoi elles sont ce quelles sont ndash et par-lagrave ce que lon peut en dire ou

en penser Dans un remarquable souci deacuteconomie comme le disent A Long et D Sedley la

matiegravere et le dieu laquo donnent agrave eux deux le fondement meacutetaphysique de tout eacutenonceacute sur le monde

puisque preacutediquer une proprieacuteteacute dun sujet nest rien dautre que de deacutecrire une qualiteacute ou une

disposition de dieu dans la matiegravere raquo275

Nous sommes donc deacutesormais en mesure de comprendre pourquoi le deacutebat physique sur

la corporeacuteiteacute ou non des qualiteacutes a neacutecessairement conduit les eacutecoles adverses agrave une mise au

point theacuteologique et meacutetaphysique theacuteologique parce que la raison des qualiteacutes dans les corps

reacuteside dans le dieu et provient de lui meacutetaphysique parce quil est ici question des principes du

devenir et du sens du monde La notion mecircme dune connaissance des principes de la totaliteacute du

reacuteel souscrit en effet aux critegraveres que nous avions deacutegageacutes comme indice dune meacutetaphysique

elle implique agrave la fois une quecircte de rationaliteacute (le principe rend raison de ce dont il est principe)

272 DL VII 148 laquo φύσιν δὲ ποτὲ μὲν ἀποφαίνονται τὴν συνέχουσαν τὸν κόσμον ποτὲ δὲ τὴν φύουσαντὰ ἐπὶ γῆς raquo

273 Le terme est encore reacutepeacuteteacute une ligne plus loin la nature via les laquo σπερματικοί λόγοι raquo conduit agravelachegravevement et agrave la coheacutesion laquo ἀποτελοῦσά τε καὶ συνέχουσα raquo On a vu ci-dessus comment cettelaquo coheacutesion raquo est pour les stoiumlciens la marque de lecirctre cest-agrave-dire des corps

274 Pour cette belle meacutetaphore selon laquelle le Feu artisan nest pas seacutepareacute du monde et dont lalaquo biographie est coextensive agrave celle du monde quil creacutee raquo cf AA Long DN Sedley [1987] tr fr[2001] t II p 261

275 AA Long DN Sedley [1987] tr fr [2001] t II p 247

83

La meacutetaphysique comme science une enjeux

et conserve neacutecessairement une vocation totalisante

Quen est-il chez les platoniciens Comme on la noteacute poser une reacutegion de lecirctre plus

stable et plus peacuterenne seacutepareacutee de celle du devenir (ainsi que le fait Plutarque agrave la fin du traiteacute sur

LE de Delphes276) ne suffit pas pour constituer une meacutetaphysique Mais la puissance laquo archique raquo

ou principielle des objets de la theacuteologie deacuteveloppeacutee par certains meacutedio-platoniciens va au-delagrave

de ce seul geste La vocation totalisante de la theacuteologie nest pas toujours perceptible dans un

manuel comme le Didaskalikos du fait de son mode dexposition scolaire et la deacutefinition de la

theacuteologie comme science des laquo causes premiegraveres cest-agrave-dire ltles causesgt suprecircmes et

principielles raquo277 semble parfois bien nominale Le projet de fondation des corps naturels par la

theacuteologie est plus perceptible dans les fragments de Numeacutenius De fait ce dernier remonte au

principe apregraves en avoir montreacute la neacutecessiteacute pour que les corps fluents puissent se maintenir dans

lecirctre En effet

Ἀλλὰ τί δή ἐστι τὸ ὄν ἆρα ταυτὶ τὰστοιχεῖα τὰ τέσσαρα ἡ γῆ καὶ τὸ πῦρ καὶ αἱἄλλαι δύο μεταξὺ φύσεις ἆρα οὖν δὴ τὰὄντα ταῦτά ἐστιν ἤτοι συλλήβδην ἢ καθ ἕνγέ τι αὐτῶν

ndash Καὶ πῶς ἅ γέ ἐστι καὶ γενητὰ καὶπαλινάγρετα εἴ γ ἔστιν ὁρᾶν αὐτὰ ἐξἀλλήλων γιγνόμενα καὶ ἐπαλλασσόμενακαὶ μήτε στοιχεῖα ὑπάρχοντα μήτεσυλλαβάς

ndash Σῶμα μὲν ταυτὶ οὕτως οὐκ ἂν εἴη τὸὄν Ἀλλ ἄρα ταυτὶ μὲν οὔ ἡ δὲ ὕλη δύναταιεἶναι ὄν

ndash Ἀλλὰ καὶ αὐτὴν παντὸς μᾶλλονἀδύνατον ἀρρωστίᾳ τοῦ μένειν ποταμὸςγὰρ ἡ ὕλη ῥοώδης καὶ ὀξύρροπος βάθος καὶπλάτος καὶ μῆκος ἀόριστος καὶ ἀνήνυτος

Mais quest-ce donc que leacutetant Seraient-ce cesquatre eacuteleacutements la terre le feu les deux autresnatures intermeacutediaires Seraient-ils donc enfin leseacutetants soit en bloc soit isoleacutement ndash Et comment (le seraient-ils) sagissant de chosesengendreacutees et susceptibles de meacutetamorphosespuisquon peut les voir naicirctre les uns des autressalteacuterer ne subsister ni comme eacuteleacutements ni commeagreacutegats ndash Ainsi en tant que corps ces eacuteleacutements ne seront pasleacutetant Mais peut-ecirctre si eux ne le sont pas lamatiegravere elle sera leacutetant ndash Mais elle aussi en est plus que tout incapableimpuissante quelle est agrave demeurer dans le mecircmeeacutetat car cest un fleuve impeacutetueux et instable que lamatiegravere elle est en profondeur en largeur enlongueur indeacutefinie et illimiteacutee

(Fr 3tr Des Places modifieacutee)

Degraves lors

Τὰ σώματα τῇ οἰκείᾳ φύσει τρεπτὰ ὄντακαὶ σκεδαστὰ καὶ διόλου εἰς ἄπειρον τμητάμηδενὸς ἐν αὐτοῖς ἀμεταβλήτουὑπολειπομένου δεῖται τοῦ συνέχοντος καὶσυνάγοντος καὶ ὥσπερ συσφίγγοντος καὶσυγκρατοῦντος αὐτά ὅπερ ψυχὴν λέγομεν

Les corps eacutetant par leur nature proprechangeants susceptibles de se dissiper etinteacutegralement divisibles agrave linfini sans que demeureen eux rien dimmuable il leur faut quelque chose quiles contienne les rassemble les lie ensemble pourainsi dire et les retienne ensemble ce que

276 Agrave partir de 392a

277 161 1 et 162 24-26

84

La meacutetaphysique comme science une enjeux

preacuteciseacutement nous appelons une acircme(Fr 4b 5-9

tr Des Places modifieacutee)

On notera agrave nouveau le vocabulaire de la coheacutesion du rassemblement par opposition agrave

une matiegravere vue comme seacutecoulant de toute part Dun cocircteacute donc les corps parce quils sont

mateacuteriels peuvent ecirctre deacutecrits comme volatiles ou liquides mais de lautre ils ont bien malgreacute

tout une certaine soliditeacute qui rend raison des erreurs du mateacuterialisme naiumlf et du corporalisme

stoiumlcien Pour un stoiumlcien dans une peacuteriode situeacutee entre deux embrasements les corps sont le

modegravele mecircme de la consistance et de la reacutesistance alors que pour les platoniciens ils sont par

leur nature propre perpeacutetuellement soumis agrave la dissolution et menaceacutes par le neacuteant Surtout

selon les platoniciens lerreur des stoiumlciens est deacutechouer dans leur preacutetention de fondation de

cette coheacutesion des corps En effet lanalyse (ici restreinte par Numeacutenius aux corps vivants) insiste

sur la neacutecessiteacute de poser un principe de coheacutesion qui soit heacuteteacuterogegravene et extrinsegraveque agrave son

principieacute il ny a pas simple chaicircne de causaliteacute Cest pourquoi Numeacutenius poursuit laquo on a

montreacute que tout corps requiert de quoi le maintenir [δεῖσθαι τοῦ συνέχοντος] et il en ira ainsi agrave

linfini jusquagrave ce que nous parvenions agrave lincorporel raquo (Fr 4b)

Entre les stoiumlciens et les meacutedio-platoniciens Alexandre se situe donc lui-mecircme agrave

lintersection des deux impeacuteratifs agrave la fois contradictoires et propres agrave tout principe Le principe

doit ecirctre simultaneacutement lieacute agrave ce dont il est le principe pour pouvoir le fonder et seacutepareacute pour en

eacuteviter la contingence278 Un principe purement homogegravene agrave ce dont il est le principe risque de

deacutechoir en simple cause parmi dautres ou en simple eacuteleacutement et ne pouvoir assumer son statut

premier Un principe totalement deacutetacheacute de ses effets perd sa puissance agrave la fois explicative et

ontologique et se recroqueville comme un dieu eacutepicurien dont on na que faire ndash comme aussi

justement un dieu aristoteacutelicien selon lattaque dAtticus qui renvoie dos agrave dos Eacutepicure et

Aristote279

Le deacutefaut des platoniciens de leacutepoque et pour autant quon puisse en juger leur

infeacuterioriteacute par rapport agrave Plotin cest peut-ecirctre ce manque de deacuteveloppement sur la relation

ontologique280 des principes agrave leurs effets La chose a agrave voir avec une tendance au dualisme ndash non

278 Voir par exemple les analyses de S Roux [2004] p 14 sq et B Mabille [2006]

279 Atticus Fr 3 52-57 Des Places Sur ce texte et le deacutefi quil pose aux aristoteacuteliciens cf RW Sharples[2002] et ci-dessous sect 333

280 On laisse de cocircteacute ici la relation eacutethique que peut impliquer la thegravese dune Providence

85

La meacutetaphysique comme science une enjeux

sans lien avec la vogue de la gnose Cest pourquoi agrave notre connaissance les deacuteveloppements sur

la participation par exemple sont quasi absents des corpus281 Il reste quon lit dans le meacutedio-

platonisme une reprise de la tentative acadeacutemicienne de poser ces principes ultimes que sont lun

et la dyade282 ie des principes qui soient conditions de possibiliteacute agrave la fois de lecirctre des corps et

de la connaissance en geacuteneacuteral On y lit aussi une reacuteflexion sur la Providence qui si elle ne se

deacuteveloppe pas prioritairement du cocircteacute des effets ontologiques de la puissance divine les eacutevoque

cependant283 Mais la seacuteparation des laquo mondes raquo sensible et intelligible propre au meacutedio-

platonisme284 rendra neacutecessaire une nouvelle penseacutee de la maniegravere dont le principe fonde

Pour le stoiumlcien la corporeacuteiteacute du qualifieacute provient de laction du feu divin sur la matiegravere

premiegravere mais degraves lors que la causaliteacute est reacuteduite agrave lefficience dun corps285 et que le dieu est un

principe automoteur (preacuteciseacutement pour eacuteviter la reacutegression agrave linfini) il doit ecirctre cause

laquo sustentatrice raquo et neacutecessairement immanent agrave ce sur quoi il agit Selon la formule rapporteacutee par

Alexandre laquo Rien dans le monde en effet nest ni ne devient sans cause parce que rien dans le

monde nest deacutelivreacute ni seacutepareacute de tout ce qui le preacutecegravede raquo286 Tout le problegraveme est cependant de

comprendre comment cette cause par excellence ce principe quest le dieu peut lui-mecircme ecirctre dit

laquo corps raquo sans tomber dans la reacutegression agrave linfini que tous se sont plu agrave railler287 et si son

caractegravere automoteur suffit pour en garantir la principialiteacute

114 Conclusions trois reacutequisits pour la meacutetaphysique alexandrinienne

Quil y ait une (ou laquo de la raquo) meacutetaphysique agrave leacutepoque post-helleacutenistique est discutable si

281 Toutefois cette mise en retrait du concept de participation est peut-ecirctre aussi lieacutee agrave lalaquo subjectivisation raquo des Ideacutees (lexpression est de J-F Pradeau [2003] p 25) deacutesormais comprisescomme penseacutees du deacutemiurge

282 Pour une reprise numeacutenienne de ces thegravemes cf Fr 11 et 39 Plutarque est plus prolixe sur lun et ladyade cf par exemple De Iside 354f 370e 374a etc Pour lorigine acadeacutemicienne de la doctrine de lunet de la dyade cf M Isnardi Parente [1981]

283 Sur la providence dans le meacutedio-platonisme voir par exemple M Dragona-Monachou [1994] Sur ladoctrine des principes voir M Zambon [2002]

284 J Laurent [2002] p 57 sq J-F Pradeau [2003] p 26

285 Sextus M IX 211 (SVF II 341 et LS 55B) Pour lidentification du dieu agrave laquo la raquo cause cf Seacutenegraveque Lettre65 2 (LS 55E)

286 De fato XXII 43 20-22 (Thillet) Pour ces chaicircnes causales cf aussi Ciceacuteron De div I 126

287 Cf Plutarque De Comm Not 50 Pour une tentative de reacutesolution de ce problegraveme cf M Frede [2005]

86

La meacutetaphysique comme science une enjeux

lon entend par lagrave un champ deacutelimiteacute du savoir un espace eacutepisteacutemique deacutefini commun aux

diffeacuterents auteurs par-delagrave les divergences scolaires Certes dans le meacutedio-platonisme se font

jour des tentatives pour surmonter la tripartition logique-physique-eacutethique pour eacutelaborer une

theacuteologie et ce qui se rapproche dune meacutetaphysique Mais ces tentatives seffectuent encore ndash agrave

notre connaissance ndash en labsence de probleacutematisation du statut eacutepisteacutemologique de la

meacutetaphysique

Quil y ait laquo du raquo meacutetaphysique de puissantes tendances inheacuterentes aux deacutebats post-

helleacutenistiques faisant signe vers le meacutetaphysique cela nous paraicirct en revanche incontestable Or

ces diffeacuterentes tendances ont quant agrave elles pu laquo faire contexte raquo pour Alexandre Vont dans ce

sens les deacuteveloppements stoiumlciens sur les universaux ou lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes qui nous ont

servi dexemples types ou du cocircteacute platonicien la renaissance dun platonisme dogmatique de la

doctrine des Ideacutees de lideacutee dun premier dieu qui est lecirctre Certes dans le contexte de lExeacutegegravete

ces questionnements meacutetaphysiques se font agrave loccasion de deacutebats plus laquo brucirclants raquo mais ils ont

bien comme le dit J Brunschwig un statut meacuteta-philosophique ndash meacuteta-physique ou meacuteta-

logique288

Si donc comme lon peut penser au premier abord Alexandre marque une reviviscence

meacutetaphysique il faut preacuteciser Dune part lExeacutegegravete sinscrit dans les deacutebats quon peut qualifier a

posteriori de meacutetaphysiques Dautre part son innovation doit ecirctre chercheacutee du cocircteacute de la

constitution de la meacutetaphysique en science La contextualisation permet donc si ce nest de

rendre raison du moins deacuteclairer les deacutefis que doit affronter une meacutetaphysique aristoteacutelicienne agrave

leacutepoque post-helleacutenistique Eu eacutegard agrave son contexte et degraves lors quAlexandre sinteacuteresse agrave la

meacutetaphysique et entreprend de commenter la Meacutetaphysique289 il se doit en effet

1) De procurer aux questions quon vient deacutenoncer un statut eacutepisteacutemique et de lutter contre

leur dispersion en minant de linteacuterieur la tripartition logique-physique-eacutethique Par

statut eacutepisteacutemique il faut entendre agrave la fois la meacutethode dune science mais surtout et au

premier chef son uniteacute interne et sa deacutelimitation

2) De reacuteaffirmer luniversaliteacute de lecirctre en luttant contre sa reacutetrogradation On a pu dire que

la deacutetermination neacuteoplatonicienne du premier principe comme au-delagrave de lecirctre neacutetait

288 J Brunschwig [2003] p 209

289 Sur ce point bute lentreprise de contextualisation et telle est la limite du pouvoir explicatif ducontexte la raison pour laquelle Alexandre se reacute-inteacuteresse agrave la meacutetaphysique comme science demeuredans lombre Le contexte permet agrave tout le moins de diagnostiquer ici par eacutecart linnovation

87

La meacutetaphysique comme science une enjeux

pas sans rapport avec la theacuteorie stoiumlcienne du τι comme genre suprecircme290 Cette thegravese

semble difficile agrave confirmer historiquement mais il reste quAlexandre se situe bien au

croisement de deux attaques magistrales contre luniversaliteacute ou la primauteacute de lecirctre Agrave

cet eacutegard le geste alexandrinien peut paraicirctre ici comme ailleurs selon le mot de M

Rashed laquo reacuteactionnaire raquo comme plus geacuteneacuteralement le laquo retour agrave la science theacuteoreacutetique

pure raquo quil procircne291 Le contexte est ici ce agrave quoi le penseur reacutesiste sil le deacutetermine cest

neacutegativement

3) De concevoir enfin un principe du monde qui ne soit ni purement immanent ni

totalement seacutepareacute

Comme on voit ces trois projets correspondent agrave des poleacutemiques que nous avons

abordeacutees dans ce qui preacutecegravede Ils correspondent eacutegalement aux trois critegraveres que nous avions

deacutetermineacutes pour deacuteceler la preacutesence du meacutetaphysique agrave leacutepoque dAlexandre le principe de

rationaliteacute lambition duniversaliteacute et la recherche du fondement ou du principe Linstitution

alexandrinienne de la meacutetaphysique se comprend donc sur le fond de lencyclopeacutedisme de son

eacutepoque et de son opposition aux autres eacutecoles la notion dune philosophie premiegravere est le propre

et la marque du neacuteo-aristoteacutelisme alexandrinien

Mais contextualiser linstitution alexandrinienne de la meacutetaphysique cest aussi faire

droit agrave lœuvre du commentateur On a souhaiteacute le souligner dentreacutee de jeu lAphrodisien est un

philosophe et sa lecture exige agrave ce titre les mecircmes meacutethodes dhistoriographie quon applique

couramment aux stoiumlciens ou aux platoniciens post-helleacutenistiques Le lire dans son seul face-agrave-

face avec le texte aristoteacutelicien sub specie aeternitatis cest manquer la reacutealiteacute (lrsquohistoriciteacute) de son

geste philosophique En revanche loin decirctre contradictoire avec une approche purement

exeacutegeacutetique de lœuvre alexandrinienne notre tentative de contextualisation achemine

naturellement vers celle-ci Philosophe Alexandre lest indissociablement en ce quil est exeacutegegravete

Et linstitution de la meacutetaphysique comme science une ressortit eacutevidemment agrave cette activiteacute

interpreacutetative

290 Il sagit de P Hadot [1968] p175 sq Voir toutefois les arguments de P Aubenque [1991] [2009a] p320

291 M Rashed [2007b] p 317 n 864

88

La meacutetaphysique comme science une enjeux

12 Alexandre exeacutegegravete Uniteacute des noms uniteacute du traiteacute

121 Luniteacute de la laquo πραγματεία raquo

On vient de voir comment le projet alexandrinien dune meacutetaphysique eacutemerge dans un

contexte ougrave en leacutetat de nos sources la meacutetaphysique nexiste pas comme science constitueacutee Mais

degraves lors quAlexandre se donne pour objectif de la reacuteinteacutegrer dans le champ scientifique de son

eacutepoque il lui incombe deacutetablir et dassurer son uniteacute Cela rend raison de la maniegravere dont

lExeacutegegravete lit le traiteacute lui-mecircme Si comme nous en faisons lhypothegravese linterpreacutetation

alexandrinienne a contribueacute agrave autonomiser la meacutetaphysique comme science en la deacutetachant de

son origine textuelle (faire de la meacutetaphysique ne se reacuteduirait plus agrave lire et eacutetudier Aristote) il

nen demeure pas moins quAlexandre est dabord un commentateur Alexandre identifie ainsi

meacutetaphysique et Meacutetaphysique tout en rendant possible leur deacutecollement ulteacuterieur La position

laquo unitarienne raquo dont on fait lhypothegravese chez Alexandre salimente en effet dune entente stricte

de luniteacute litteacuteraire de la Meacutetaphysique

Pourtant en bonne logique une position unitarienne quant agrave lobjet et la structure de la

science meacutetaphysique ie laffirmation de son laquo uniteacute theacuteorique raquo292 nimplique pas

neacutecessairement laffirmation de luniteacute de composition du traiteacute On peut tregraves bien tout agrave la fois

concevoir luniteacute du projet aristoteacutelicien dune philosophie premiegravere mais admettre que le traiteacute

exposant celle-ci preacutesente des irreacutegulariteacutes de reacutedaction voire quil nest pas un laquo livre raquo que cest

une laquo chimegravere raquo293 Lun des moyens dassurer cette uniteacute theacuteorique peut mecircme ecirctre de se

deacutebarrasser de la diversiteacute des objets que le traiteacute passe en revue en tirant argument de

292 A Jaulin [1999]

293 A Jaulin [2003] p 11

89

La meacutetaphysique comme science une enjeux

linauthenticiteacute de sa composition On montrerait ainsi que le projet dune science de leacutetant en

tant queacutetant est celui dune science unifieacutee qui ne concurrence pas une autre science speacuteciale et

subordonneacutee la theacuteologie dE 1 et du livre Λ que cest une erreur dinterpreacutetation qui a pousseacute

les eacutediteurs agrave rassembler sous un mecircme ensemble des textes quen fait ils ne comprenaient pas

reacuteellement

Alexandre est agrave mille lieues de ces tendances Non que celles-ci soit reacuteserveacutees aux

interpreacutetations qui nous sont contemporaines comme on va le voir il y a sans doute eu degraves

avant Alexandre des lecteurs qui ont douteacute que la Meacutetaphysique fucirct un livre LExeacutegegravete aurait

donc tregraves bien pu lui aussi proceacuteder agrave une critique de la composition du traiteacute pour salleacuteger de

certains problegravemes connus Au contraire lAphrodisien fait preuve dune option hermeacuteneutique

dautant plus forte quelle ne simplifie pas son travail de commentateur selon lui la

Meacutetaphysique telle quil la possegravede est ordonneacutee coheacuterente rien ne doit ecirctre deacuteplaceacute ou en ecirctre

retireacute Le traiteacute unifieacute preacutesente une science une

Cest ce quindique lambiguiumlteacute de lemploi alexandrinien de laquo πραγματεία raquo On le sait le

terme embarrassant pour les traducteurs deacutesigne aussi bien leacutetude la doctrine et en

loccurrence une science que le traiteacute au sens physique dun ensemble de livres Conformeacutement

aux emplois courants du terme Alexandre emploie laquo πραγματεία raquo pour dire lun autant que

lautre ndash au sens ougrave comme le dira V Cousin laquo elle [la meacutetaphysique] est tout autant dans cet

ensemble [la Meacutetaphysique] raquo294 Aussi quand Alexandre soutient que cest sur la sagesse que

porte laquo ἡ προκειμένη πραγματεία raquo295 est-il difficile de ne pas y entendre les textes

aristoteacuteliciens De mecircme lorsquil se reacutefegravere aux diffeacuterents livres qui composent la πραγματεία296

Le sens premier de laquo πραγματεία raquo cependant reperce quand le terme deacutesigne une

294 V Cousin dans KL Michelet [1836] si Andronicos avait composeacute louvrage Meacutetaphysique alors laquo ceserait un homme du plus beau geacutenie puisquil aurait creacuteeacute lensemble de la Meacutetaphysique cest-agrave-direla Meacutetaphysique elle-mecircme car elle est tout entiegravere dans cet ensemble cest cet ensemble qui nous enmanifeste la meacutethode la marche les proceacutedeacutes raquo p XXV (nous reproduisons la typographie qui laisseeacutevidemment dans lambiguiumlteacute la question de savoir si lon a affaire au traiteacute ou agrave la science) Lamusantest que V Cousin reacutesumant Michelet sen sert dargument pour refuser la paterniteacute de la Meacutetaphysiqueagrave Andronicos dans un syllogisme du type la Meacutetaphysique est un ouvrage de geacutenie si Andronicoslavait composeacutee il en serait un (or ndash preacutemisse sous-entendue sans doute si eacutevidente quil seraitineacuteleacutegant de la dire ndash Andronicos nest pas un geacutenie) il ne peut donc ecirctre lauteur de la Meacutetaphysiquelaquo comme ce nest ni Lycurgue ni Pisistrate qui ont fait lIliade raquo

295 In Met 6 2-3 laquo συνιστὰς καὶ δεικνὺς ὅτι μάλιστα τῆς σοφίας ἐστὶν ἴδιον τὸ τὰς αἰτίαςγιγνώσκειν περὶ ἧς ἡ προκειμένη πραγματεία raquo

296 Par exemple la reacutefeacuterence agrave M en In Met 111 13-14 laquo λέγει δὲ περὶ αὐτῶν ἐν τῷ Μ τῆσδε τῆςπραγματείας raquo ou agrave Λ en 178 21 Voir aussi 169 22-23 172 21-22 179 33 201 20

90

La meacutetaphysique comme science une enjeux

certaine recherche celle qui nous est proposeacutee ici par le traiteacute ndash donc une activiteacute qui nest pas le

traiteacute lui-mecircme puisquelle en fait lobjet Alexandre commente en effet la subordonneacutee de 982a

4 laquo ἐπεὶ δὲ ταύτην τὴν ἐπιστήμην ζητοῦμεν raquo en compleacutetant laquo τουτέστιν ἐπειδὴ ἡ

προκειμένη ἡμῖν πραγματεία ζήτησίς ἐστι ταύτης τῆς ἐπιστήμης δεῖ ἰδεῖν περὶ ποῖά ἐστιν

ἐπιστήμη ἡ ζητουμένη raquo (8 19-21) De surcroicirct le thegraveme de la naturaliteacute de cette πραγματεία

peut difficilement sappliquer au traiteacute lui-mecircme297

Neacuteanmoins la distinction entre les deux sens est parfois tregraves malaiseacutee Par exemple la

laquo πραγματεία raquo nommeacutee par Aristote laquo theacuteologie raquo deacutesigne-t-elle la science elle-mecircme ou lun

des noms possibles du traiteacute298 De mecircme l laquo ἀποδεικτικὴν πραγματείαν raquo qui pourrait laquo en

un sens raquo faire partie de la philosophie299 deacutesigne-t-elle le(s) traiteacute(s) selon la traduction

dA Madigan ou plutocirct leacutetude que megravene lOrganon

Une maniegravere de reacutepondre serait de soutenir que lambiguiumlteacute est sinon volontaire du

moins eacuteloquente Le passage par meacutetonymie300 du traiteacute qui lexpose agrave leacutetude pourrait signaler un

certain rapport agrave leacutecrit bien diffeacuterent de celui de leacutepoque classique Pour le dire briegravevement il

ne serait pas absurde de soutenir quagrave laube de lEgravere des Commentateurs une science consiste

autant en une disposition de lacircme quen louvrage qui lexpose ou que tout au moins un lien

puissant unit ces deux modes decirctre

En ce sens lambiguiumlteacute du premier commentaire agrave B 1 sen trouverait fondeacutee Le texte

ceacutelegravebre est le suivant

Ἡ μὲν ἐπιζητουμένη ἐπιστήμη καὶπροκειμένη νῦν αὐτή ἐστιν ἡ σοφία τε καὶ ἡθεολογική ἣν καὶ Μετὰ τὰ φυσικὰἐπιγράφει τῷ τῇ τάξει μετ ἐκείνην εἶναιπρὸς ἡμᾶς λέγει δὲ αὐτὴν καὶ πρώτηνσοφίαν ὅτι τῶν πρώτων καὶ τιμιωτάτων ἐστὶθεωρητική Διὰ τὸ αὐτὸ δὲ τοῦτο καὶθεολογική περὶ γὰρ τοῦ αἰτίου καὶ εἴδους ὃπάντῃ ἄυλός ἐστιν οὐσία [17110] κατ αὐτόν

La science quAristote recherche celle-lagrave mecircmequil propose maintenant est la sagesse et la ltsciencegttheacuteologique quil intitule aussi laquo Meacuteta-physique raquo dufait que dans lordre elle vient pour nous apregraves laphysique Et il dit quelle est aussi laquo sagessepremiegravere raquo parce quelle eacutetudie les choses premiegraveres etles plus estimables Cest pour cette mecircme raisonquelle est eacutegalement laquo theacuteologique raquo Pour Aristote eneffet le discours contenu dans ces livres porte

297 In Met 140 2-4 laquo δοκεῖ δέ μοι διὰ μὲν τοῦ πολλούς τε ἐπιβάλλεσθαι λέγειν περὶ αὐτῆς καὶμηδένα αὐτῶν πάντῃ διαμαρτάνειν δείκνυσθαι τὸ κατὰ φύσιν ἡμῖν εἶναι τήνδε τὴνπραγματείαν raquo

298 In Met 18 10-11 laquo διὰ τούτων δὲ ἔδειξεν ὅτι καὶ εὐλόγως ἥδε ἡ πραγματεία θεολογικὴ καλεῖται raquoVoir aussi 210 26 ougrave lon trouve lexpression laquo πρὸς τὴν γνῶσιν τῶν ἀρχῶν καὶ ὅλως πρὸς τὴνπροκειμένην πραγματείαν raquo

299 In Met 191 11-12 laquo εἴη δ ἄν πως διὰ τούτων καὶ τὸ μέρος φιλοσοφίας εἶναι τὴν ἀποδεικτικὴνπραγματείαν τιθέμενον raquo Pour la traduction anglaise par laquo treatise raquo cf A Madigan [1992] p 119

300 Ou synecdoque si lon prend ce terme au sens du transfert reposant non pas sur une inclusionmeacutereacuteologique mais sur la base dune deacutependance mateacuterielle

91

La meacutetaphysique comme science une enjeux

ἣν καὶ πρῶτον θεὸν καὶ νοῦν καλεῖ ὁ λόγοςἐν τούτοις προηγουμένως αὐτῷ γίνεται

principalement sur la cause plus preacuteciseacutement laforme qui est selon lui une substance totalementimmateacuterielle quil appelle aussi Premier dieu etintellect

(171 5-11)

Le verbe qui introduit la deacutenomination de laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo laquo ἐπιγράφει raquo deacutesigne

neacutecessairement une opeacuteration bibliographique le fait de donner un titre agrave un ouvrage ndash le terme

renvoie dabord agrave laction deacutegratigner ou de graver sans que ce soit automatiquement pour

eacutecrire puis au fait dinscrire des lettres laquo au-dessus raquo par exemple en eacutepitaphe intituler ou

apposer sa signature etc301 Il na en tout eacutetat de cause jamais le sens de laquo καλέω raquo ou de

laquo λέγω raquo On pourrait objecter que lanteacuteceacutedent de la relative (laquo ἡ μὲν ἐπιζητουμένη

ἐπιστήμη raquo) renvoie bien agrave une science et non agrave des livres La question est donc de savoir si

laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo est un nom propre (deacutesignant uniquement le traiteacute) ou deacutejagrave un nom

commun (deacutesignant la science) Au strict point de vue lexical et grammatical Alexandre est en

train de dire quAristote a laquo aussi raquo (laquo καὶ raquo 171 6) donneacute ce titre agrave la science La synecdoque joue

donc agrave plein Sans doute ne faut-il pas exageacuterer ce point lExeacutegegravete sait tregraves bien quune science

est dabord une ἕξις (celle justement de lintellect ἐν ἕξει et ἐπίκτητός302) mais agrave titre

heuristique un bon moyen de comprendre comment il unifie la meacutetaphysique serait donc de

repeacuterer si et comment il unifie la Meacutetaphysique

Il est inutile de revenir ici inteacutegralement sur lhermeacuteneutique geacuteneacuterale dAlexandre La

chose a deacutejagrave eacuteteacute eacutetudieacutee avec preacutecision303 et lon peut se contenter den tirer les conseacutequences pour

ce qui nous inteacuteresse sa lecture de la Meacutetaphysique Plutocirct que de proceacuteder uniquement a priori

on cherchera agrave deacutechiffrer ses proceacutedeacutes hermeacuteneutiques agrave mecircme son interpreacutetation du traiteacute

Rappelons seulement que dans le but de clarifier les textes du Stagirite son Exeacutegegravete

travaille agrave expliquer laquo Aristotelem ex Aristotele raquo304 La premiegravere partie de lexpression a son

importance Alexandre vise la penseacutee du Philosophe il commente davantage Aristote que les

301 Sur ce verbe et son emploi posteacuterieur chez les commentateurs neacuteoplatoniciens cf P Hoffmann [1997]p 75 sq

302 Cf Alexandre DA 82 1 sq et 85 25 sq

303 Cf principalement RW Sharples [1987] p 1179-1181 J Barnes [1992] P Donini [1995] S Fazzo[2004] Voir aussi les indications de M Bonelli [2001] p 22 sq

304 Lexpression se lit deacutejagrave agrave la Renaissance chez Bartolomeo Pascual laquo si Aristotelem ex Aristoteleinterpraetemur quae una ratio Aristotelis interpretandi auditoribus Philosophiae idonea semper visa est et mihivehementer probata raquo De optimo genere explanandi Aristotelem cf L Bianchi [2002]

92

La meacutetaphysique comme science une enjeux

textes aristoteacuteliciens305 Ou plus exactement Alexandre explique aussi des textes aristoteacuteliciens

mais la finaliteacute et le critegravere de linterpreacutetation consistent autant en ce qua dit le Philosophe quen

ce quil a laquo voulu dire raquo en sorte que lensemble soit coheacuterent Le principe de chariteacute

hermeacuteneutique est pousseacute agrave son maximum ndash ce qui nempecircche pas de tregraves rares corrections du

texte aristoteacutelicien en soulignant par exemple lemploi inadeacutequat dun terme306 Alexandre

propose parfois plusieurs interpreacutetations dun mecircme passage sans trancher ouvertement en

faveur dune option ou de lautre eacutenonce eacutegalement les diverses leccedilons des manuscrits quil a

sous les yeux307 Les commentaires proposeacutes seacutechelonnent depuis la simple note de bas de page

qui rappelle un eacuteleacutement technique ou une deacutefinition jusquagrave la reprise inteacutegrale du passage sa

mise en ordre logique son inscription dans le projet geacuteneacuteral du traiteacute308 De ce point de vue la

meacutethode est beaucoup moins systeacutematique ou formaliseacutee que celle dun Averroegraves par exemple

LExeacutegegravete sadapte aux textes va plus vite sur des passages dont le sens est plus clair sarrecircte tregraves

longuement sur ceux qui exigent explication ndash autant de traits que nimporte quel professeur

reconnaicirct comme caracteacuteristiques de la situation denseignement des textes

La seconde partie de la proposition laquo ex Aristotele raquo indique loption dune lecture

interne ndash on y reviendra mais il faut preacuteciser dembleacutee que cet laquo inteacuterieur raquo deacutesigne lensemble du

corpus aristoteacutelicien Linterpreacutetation alexandrinienne dAristote est en effet marqueacutee par le

proceacutedeacute de laquo deacuteterritorialisation raquo ou plus modestement du transfert de llaquo import-export raquo309

des thegraveses ou des concepts du Stagirite LAphrodisien se sert du reste du corpus pour interpreacuteter

tel ou tel passage Cela preacutesume de la part dAlexandre une forme deacutegalisation du corpus en tout

cas dune certaine partie de celui-ci310 Si donc lon peut employer dans la Meacutetaphysique un concept

305 Voir la belle formule de M Rashed [2007b] n 515 p 181 distinguant lhermeacuteneutique dAlexandre decelle de J Brunschwig laquo le premier explique Aristote et le second des textes aristoteacuteliciens raquo

306 Cf ci-dessous par exemple agrave propos du vocabulaire du genre et de lespegravece en Γ (sect 242c)

307 Les exemples se lisent agrave chaque page du commentaire on en donnera de nombreux dans les pages quisuivent (voir les diffeacuterentes interpreacutetations dans le commentaire agrave la fin dA 9 avec la grande reprise de116 25 sq ou les deux interpreacutetations cruciales de Γ 3 1005b 5-7 (267 24 sq) sur lesquelles onreviendra plus bas) Pour laccegraves aux divers manuscrits voir par exemple la mentions dun γράφεταιen In Met 46 23 sq (sur ce passage cf H Diels [1905] C Luna [2001] p 127 B Bydeacuten [2005] p 107sq)

308 Pour une laquo note de bas de page raquo voir par exemple le commentaire agrave B 1 995b 18 sur la distinction desproprieacuteteacutes par soi (In Met 176 19 sq) pour un exemple frappant de mise en forme logique voir lecommentaire agrave A 3 983b 32 (In Met 25 13 sq) Pour la reacuteinscription dun passage dans le projet dutraiteacute voir sur la fin dA 9 In Met 133 22 ndash 134 14

309 Il ne faut entendre dans cette expression quune seule et mecircme opeacuteration qui peut ecirctre vue commelaquo importation raquo ou laquo exportation raquo selon le point de vue adopteacute

310 On a deacutejagrave remarqueacute que lExeacutegegravete fait peu de cas des traiteacutes biologiques par exemple Cf M Rashed

93

La meacutetaphysique comme science une enjeux

ou une thegravese issus de lEacutethique agrave Nicomaque ou des Seconds Analytiques cest parce que ces

ouvrages sont deacutegale valeur exprimant chacun agrave leur faccedilon sur leur sujet une parcelle de la

penseacutee monoiumlde dAristote

Une telle maniegravere de faire est au fond assez banale en histoire de la philosophie (se reacutefeacuterer

agrave telle lettre de Descartes agrave Eacutelisabeth pour commenter tel paragraphe des Passions de lacircme agrave

lanalytique des principes de la Critique de la raison pure pour telle section de la Critique de la

faculteacute de juger) Mais elle a eacuteteacute pousseacutee agrave un tel degreacute dans la lecture dAristote que les travaux

contemporains sur le Stagirite voire en philosophie ancienne en geacuteneacuteral en ont souligneacute les

limites Il a en effet eacuteteacute plusieurs fois remarqueacute combien les eacutelaborations conceptuelles dAristote

sont deacutependantes de la position dun problegraveme deacutetermineacute L Couloubaritsis la par exemple mis

en eacutevidence agrave propos de la notion de changement311 P Aubenque le dit de faccedilon plus

affirmative

On ne commente pas une phrase dAristote comme on commenterait un verset de la Biblecar elle renvoie agrave la totaliteacute des autres elle est moins signifiante que co-signifiante et saveacuteriteacute ne seacuteclairera que reacutetrospectivement au regard de la totaliteacute de ce quelle contribue agraveconstituer312

Agrave vrai dire ce principe doit ecirctre nuanceacute sous peine de tomber dans un holisme aussi

imprudent dun point de vue hermeacuteneutique que la meacutethode dexeacutegegravese purement locale Sil faut

avoir commenteacute la totaliteacute du corpus aristoteacutelicien avant de lire un texte il serait bien difficile de

seulement commencer agrave lire ce corpus Il y a donc neacutecessairement un cercle entre le tout et la

partie et sans doute Alexandre procegravede-t-il dune maniegravere assez similaire en ce que comme on

la dit il commente Aristote avec une impressionnante partie du corpus preacutesente agrave lesprit

La diffeacuterence est quAlexandre table313 sur une coheacuterence geacuteneacuterale et assez stricte des

textes des thegraveses et des concepts Cela nimplique pas une meacuteconnaissance des difficulteacutes qui se

posent alors ndash on ne peut lui reprocher une vision agrave ce point naiumlve de lrsquoœuvre aristoteacutelicien ndash mais

leffort constant quoique souvent implicite de leur reacutesolution Agrave tout le moins nest-il pas toucheacute

[2007b] p 27

311 L Couloubaritsis [1997] p 54 laquo peut-on utiliser chez lui [Aristote] une notion dont la theacuteorie estdeacuteployeacutee ulteacuterieurement pour eacutelucider une probleacutematique exposeacutee anteacuterieurement dans le texte raquo

312 P Aubenque [1964] [2009a] p 139 La comparaison avec lexeacutegegravese biblique est au demeurantdiscutable sil est vrai que traditionnellement la tradition exeacutegeacutetique favorise agrave plein les renvoisinternes voire les eacutechos entre lAncien et le Nouveau Testament

313 Cest davantage une preacutesomption quun donneacute le travail de commentateur eacutetant de deacutemontrer cettecoheacuterence lagrave mecircme ougrave elle nest pas eacutevidente

94

La meacutetaphysique comme science une enjeux

par le soupccedilon dune eacutevolution dAristote ou lideacutee quon aurait affaire agrave une penseacutee inchoative et

non systeacutematique Il ny a donc pas lieu de deacutevaluer des parties du corpus sous preacutetexte quelles

seraient laquo de jeunesse raquo ndash ainsi le Protreptique dont M Rashed a bien montreacute limportance pour

Alexandre314 Bref luniteacute organique du corpus permet cette deacuteterritorialisation ces imports-

exports que nous eacutevoquions Mais cette uniteacute vaut agrave linteacuterieur mecircme du corpus pour ces uniteacutes

que sont les traiteacutes La Meacutetaphysique en est un exemple Pour eacuteclairer comment seacutelabore cette

position de lExeacutegegravete on montrera comment loption unitarienne sillustre au premier chef dans

lidentiteacute en extension des titres du traiteacute et des noms de la science que celui-ci expose on

deacuteveloppera ensuite linterpreacutetation geacuteneacuterale quAlexandre offre de la composition de la

Meacutetaphysique

122 Luniteacute des noms une science heacuteteacuteronyme ou polyonyme

On sait que la science proposeacutee par la Meacutetaphysique reccediloit diverses appellations sagesse

philosophie premiegravere science theacuteologique agrave quoi on peut ajouter des descriptions comme science

de leacutetant en tant queacutetant science rechercheacutee science de la substance315 Cette diversiteacute se

maintiendra jusquagrave leacutepoque moderne avec la concurrence entre laquo metaphysica raquo et laquo prima

philosophia raquo (on songe agrave Descartes) et indique agrave elle seule une difficulteacute pour tout lecteur de la

Meacutetaphysique Alexandre neacutechappe pas agrave la regravegle il est mecircme le premier agrave affronter cette

difficulteacute

Or le contexte scolaire dAlexandre pousse ainsi agrave un travail de justification continue de la

doctrine et de deacutemonstration de sa supeacuterioriteacute par rapport aux autres Cet enjeu agonistique voire

concurrentiel qui peut paraicirctre relever de la vulgaire conjoncture a en reacutealiteacute joueacute le rocircle dun

puissant aiguillon dans la formalisation et leacutenonciation des thegraveses propres agrave chaque penseacutee

Laffirmation dune science de leacutetant en tant queacutetant science des principes et causes premiers

etc a sans doute eacuteteacute pour Alexandre lun des marqueurs de laristoteacutelisme316 or du point de vue

314 Cf M Rashed [2000] et M Rashed [2007b] p 40 304 311

315 Au sujet de la distinction deacutejagrave mentionneacutee entre dune part les laquo noms raquo (sagesse science rechercheacuteephilosophie premiegravere) et dautre part les laquo caracteacuterisations raquo ou laquo deacutefinitions raquo (science des premiersprincipes et des premiegraveres causes science de leacutetant en tant queacutetant enquecircte sur la substance sciencede leacutetant immobile et seacutepareacute) cf F Wolff [1997] p 293

316 Plus en tout cas que dans lancien Peripatos

95

La meacutetaphysique comme science une enjeux

rheacutetorique et dialogique de la deacutefense et de laffirmation de la doctrine on peut leacutegitimement

penser que la pluraliteacute des deacutenominations neacutetait pas un avantage Lunification de la

meacutetaphysique et au premier chef de ses noms lui incombe donc agrave titre de diadoque

De fait lExeacutegegravete semble souvent faire feu de tout bois en multipliant les deacutenominations

de la meacutetaphysique Agrave lanonymat progressif dans lequel senfonce la science au fur et agrave mesure

de la Meacutetaphysique dAristote reacutepond chez Alexandre une profusion de noms Le fait est frappant

dans son proegraveme agrave Γ ougrave la beacuteance quouvre lindeacutefini de Γ 1 (laquo ἐπιστήμη τις raquo 1003a 21) se voit

combleacutee par tous les noms possibles La premiegravere impression est ainsi celle dune assimilation des

diffeacuterents intituleacutes317

Toutefois en reacutegime alexandrinien il y a deux maniegraveres pour des noms de seacutequivaloir

soit la science que ces noms deacutesignent est un laquo polyonyme raquo318 cest-agrave-dire quun mecircme reacutefeacuterent

se trouve deacutesigneacute par plusieurs noms posseacutedant exactement la mecircme deacutefinition soit elle est un

laquo heacuteteacuteronyme raquo319 cest-agrave-dire une chose doteacutee de noms diffeacuterents chaque nom renvoyant agrave une

description diffeacuterente mais ayant strictement la mecircme extension Cette possibiliteacute ouverte par la

terminologie de lExeacutegegravete invite donc contrairement agrave ce que font geacuteneacuteralement ses lecteurs agrave

jouer de prudence peut-ecirctre faut-il aller au-delagrave de cette apparente eacutequivalence des intituleacutes de

la meacutetaphysique La comparaison de lensemble des occurrences de σοφία πρώτη φιλοσοφία

θεολογική et μετὰ τὰ φυσικά fait paraicirctre des diffeacuterences dans leur traitement quil va falloir

analyser On peut partir en premier lieu du nom qui ne se trouve pas dans le corpus alexandrinien

mais dont heacuterite Alexandre celui promis agrave la fortune que lon sait le nom de meacutetaphysique

a) Linvention de la laquo meacutetaphysique raquo

Le syntagme laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo est assez rarement employeacute par Alexandre Son sens est

majoritairement bibliographique par exemple lorsque lExeacutegegravete fait reacutefeacuterence agrave lun des laquo livres raquo

ou agrave leacutenonceacute dune thegravese contenue dans les livres320

317 Voir In Met 15 32 175 4 237 3-4 238 3-4 239 36

318 Cf In Met 247 27-28 280 18-35 281 24 282 21

319 Le terme napparaicirct pas chez Aristote Pour Alexandre cf In Met 378 13-14 et 379 20-22 laquo δύναταιδιαφέροντα λέγειν καὶ ὅσα κατὰ τὸ ὑποκείμενον ὄντα ταὐτά κατὰ τὴν οὐσίαν καὶ τὸν ὁρισμὸνἔχει τὴν ἑτερότητα ὡς ἔχει τὰ ἑτερώνυμα raquo Cf aussi In Top 398 2 405 6 475 16 Mais le terme esteffectivement assez rare (dix fois dans le TLG)

320 In Met 137 2 169 22 172 21 344 2-3 In Top 26 20 45 9 420 11 504 15 Mantissa 170 10

96

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Restent trois passages ambigus deux dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique et un dans

celui aux Topiques321 ougrave lon peut leacutegitimement se demander si Alexandre nemploie pas pour la

premiegravere fois laquo meacutetaphysique raquo comme un nom commun se livrant ainsi une antonomase

deacutecisive322 Cependant dune part les deux passages de lIn Met sont particuliers puisquil sagit

du deacutebut du commentaire agrave B et du proegraveme agrave Γ dautre part lexpression y est toujours

distingueacutee des autres noms Ainsi dans le deacutebut de B323 laquo sagesse raquo et laquo ltsciencegt theacuteologique raquo

sont indiscutablement des noms de la science qui est selon lexpression tregraves usuelle laquo proposeacutee raquo

par ce traiteacute Mais le texte montre certainement en seacuteparant par une relative laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo

des autres deacutenominations quAlexandre sait que ce terme napparaicirct jamais dans le corps du

traiteacute ni dans le reste du corpus Certes le sujet sous-entendu dlaquo ἐπιγράφει raquo est Aristote mais si

lauthenticiteacute du terme ne semble pas remise en cause son traitement particulier est au moins le

signe de la preacutecaution dAlexandre

Le proegraveme du commentaire agrave Γ preacutesente une ambiguiumlteacute similaire

Προθέμενος ἐν τῇ Μετὰ τὰ Φυσικὰπραγματείᾳ ἣν καὶ σοφίαν καὶ πρώτηνφιλοσοφίαν ἔστι δὲ ὅτε καὶ θεολογικὴν ἔθοςαὐτῷ καλεῖν

Puisque Aristote sest proposeacute dans le traiteacute deMeacutetaphysique quil a pour habitude dappeler sagesse et philosophie premiegravere et parfois aussitheacuteologique

(237 3-4)

Lambiguiumlteacute releveacutee preacuteceacutedemment quant agrave la πραγματεία joue ici agrave plein Alexandre

mecirclant indication bibliographique et noms de la science De mecircme le syntagme laquo μετὰ τὰ

φυσικά raquo est agrave nouveau seacutepareacute des autres noms De mecircme enfin il est agrave nouveau difficile

daffirmer sans aucune heacutesitation quAlexandre emploie ici laquo meacutetaphysique raquo comme le nom

dune science quoique le texte en trace la voie

Autant dire que le seul lieu ougrave Alexandre use indiscutablement de laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo

comme dun nom commun est le passage du Commentaire aux Topiques Alexandre y explique une

proposition dAristote qui a sans doute une certaine importance pour lui puisquelle se trouve

citeacutee ailleurs avec force dans le commentaire agrave B sur lutiliteacute de la dialectique pour la recherche

de la veacuteriteacute324 Ce faisant lExeacutegegravete explicite quelles sont les laquo τὰς κατὰ φιλοσοφίαν ἐπιστήμας raquo

321 In Met 171 5-7 237 3-4 In Top 28 26

322 Cf M Bonelli [2001] p 56

323 In Met 171 5-7 laquo Ἡ μὲν ἐπιζητουμένη ἐπιστήμη καὶ προκειμένη νῦν αὐτή ἐστιν ἡ σοφία τε καὶ ἡθεολογική ἣν καὶ Μετὰ τὰ φυσικὰ ἐπιγράφει τῷ τῇ τάξει μετ ἐκείνην εἶναι πρὸς ἡμᾶς raquo

324 Comparer In Top 28 26 sq et In Met 173 22 sq On y retrouve lanalogie avec le juge qui pour mieuxjuger doit entendre les deux parties plaider lune contre lautre (ἀντιδικέω mecircme verbe dans les deux

97

La meacutetaphysique comme science une enjeux

du texte dAristote (101a 27-28) auxquelles la dialectique sera profitable325 Tels sont selon

Alexandre les savoirs qui visent la connaissance scientifique et la deacutecouverte de la veacuteriteacute cest-agrave-

dire laquo la physique leacutethique la logique et la meacutetaphysique raquo La proposition centrale est en

effet

Τρίτον τῆς ὠφελείας αὐτῆς ἐκτίθεταιτρόπον τὸν πρὸς φιλοσοφίαν καὶ τὴν κατἐπιστήμην γνῶσιν τοῦτ ἔστι πρὸς τὴν τοῦἀληθοῦς εὕρεσίν [2825] τε καὶ γνῶσινltκατὰ φιλοσοφίανgt δὲ ltἐπιστήμαςgt εἶπε τὴνφυσικήν τὴν ἠθικήν τὴν λογικήν τὴν μετὰτὰ φυσικά

Il expose la troisiegraveme faccedilon dont elle est utilepour la philosophie et la connaissance scientifiquecest-agrave-dire pour la deacutecouverte et la connaissance duvrai Par laquo sciences philosophiques raquo il veut dire326 laltsciencegt physique leacutethique la logique lameacutetaphysique

(In Top 28 23-26)

Le texte est agrave leacutevidence traverseacute par une double reacutefeacuterence agrave la fois aristoteacutelicienne et

stoiumlcienne nous avons vu en effet comment un passage posteacuterieur des Topiques (105b 19-21) a

servi agrave asseoir la tripartition helleacutenistique du logos en physique logique et eacutethique et par la suite

sa reacutecupeacuteration peacuteripateacuteticienne Le coup de force dAlexandre est manifeste puisquil rompt

cette tripartition327 De ce point de vue il nest pas exageacutereacute de tenir ce texte pour lacte de

naissance de la meacutetaphysique comme science quoiquil sagisse lagrave en toute rigueur du seul texte

ougrave lantonomase semble parfaitement consommeacutee cest-agrave-dire le seul lieu ougrave lExeacutegegravete appelle

sans doute possible une science laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo

b) La promotion de laquo philosophie premiegravere raquo la meacutetaphysique agrave lendroit

Dans lapparente eacutequivalence des noms une premiegravere distinction doit donc ecirctre faite eu

eacutegard agrave la prudence de lemploi alexandrinien de laquo μετὰ τὰ φυσικά raquo Mais Alexandre est tout

aussi prudent avec ladjectif laquo θεολογικός raquo De ce point de vue leacuteconomie dAristote dans

textes) In Top commente justement le passage ougrave Aristote eacutenumegravere les types de services que peutrendre la dialectique et Alexandre en commentant B conclut laquo ἀληθὲς ἄρα τὸ ἐν τοῖς Τοπικοῖςεἰρημένον τὸ χρήσιμον εἶναι τὴν διαλεκτικὴν πρὸς τὰς κατὰ φιλοσοφίαν ζητήσεις raquo (174 2-4)

325 In Top 28 23-26 laquo Τρίτον τῆς ὠφελείας αὐτῆς ἐκτίθεται τρόπον τὸν πρὸς φιλοσοφίαν καὶ τὴν κατἐπιστήμην γνῶσιν τοῦτ ἔστι πρὸς τὴν τοῦ ἀληθοῦς εὕρεσίν τε καὶ γνῶσιν ltκατὰ φιλοσοφίανgt δὲltἐπιστήμαςgt εἶπε τὴν φυσικήν τὴν ἠθικήν τὴν λογικήν τὴν μετὰ τὰ φυσικά raquo

326 Par convention on ne traduit pas les aoristes dont Alexandre se sert dans ses commentaires pour sereacutefeacuterer au texte par un temps du passeacute le preacutesent convenant mieux en franccedilais

327 Quoiquen veacuteriteacute si lon se fie au deacutebut du Commentaire aux Premiers Analytiques la logique ne tiendrapas longtemps son rang de science On y revient ci-dessous

98

La meacutetaphysique comme science une enjeux

lemploi de laquo θεολογικός raquo se retrouve telle quelle chez lExeacutegegravete Dans le Commentaire agrave la

Meacutetaphysique Alexandre nutilise laquo θεολογικός raquo que pour parler dune partie ou dun aspect

(restons pour le moment dans ce flou) de la science proposeacutee Il ne le fait en outre quen trois

passages328 agrave lexclusion de tout autre dans le corpus dans le contexte du commentaire agrave A 2 par

simple effet de reacutepeacutetition exeacutegeacutetique qui opegravere le lien entre lappellation de E 1 et la qualification

en A 2 de la sagesse comme laquo θειοτάτη raquo (983a 5) et dans les textes deacutejagrave rencontreacutes du deacutebut du

commentaire agrave B et du proegraveme de Γ

Or sil est dans lessence dun commentaire daugmenter le texte-source cette eacuteconomie en

paraicirct dautant plus frappante Une objection serait que nous ne posseacutedons pas la totaliteacute du

commentaire dAlexandre ndash en particulier celui de E ou de Λ ndash mais lobjection ne tient pas

reacuteellement puisque comme on va le voir Alexandre emploie par exemple laquo philosophie

premiegravere raquo bien au-delagrave des seuls lieux ougrave Aristote la mentionne Il atteste dailleurs lui-mecircme de

cet usage parcimonieux du terme chez Aristote comme le deacutenote le laquo ὅτε raquo dans le proegraveme agrave Γ en

237 3-4329 Reacutepeacutetons un fait connu la lexicographie comprise comme la mesure des occurrences

dun terme chez un auteur est un instrument philosophiquement ambigu Un concept rare peut

ecirctre central et un concept courant se reacuteveacuteler parfaitement superficiel Ce qui est inteacuteressant ici

cest la comparaison la freacutequence relative agrave la fois des termes entre eux agrave linteacuterieur du corpus

alexandrinien et par rapport agrave leurs emplois aristoteacuteliciens Degraves lors par opposition aux noms

preacuteceacutedents les usages courants chez Alexandre de laquo sagesse raquo et plus encore de laquo philosophie

premiegravere raquo apparaissent deacutelibeacutereacutes

De fait chez Alexandre les occurrences de laquo sagesse raquo et de laquo philosophie premiegravere raquo

rivalisent agrave peu de choses pregraves non seulement en quantiteacute mais en qualiteacute dans les passages

significatifs il sagit aussi des passages ougrave leacutequivalence des noms est la plus bruyamment

orchestreacutee330 Or dans la Meacutetaphysique dAristote il y a une incontestable disproportion entre les

328 In Met 18 11 171 6-9 (deux occurrences) 237 4

329 Cest le texte citeacute ci-dessus laquo Προθέμενος ἐν τῇ Μετὰ τὰ Φυσικὰ πραγματείᾳ ἣν καὶ σοφίαν καὶπρώτην φιλοσοφίαν ἔστι δὲ ὅτε καὶ θεολογικὴν ἔθος αὐτῷ καλεῖν raquo

330 Agrave titre dexemple degraves le commentaire agrave A 2 (In Met 15 32-33) laquo τὴν αὐτὴν δὲ ἔθος αὐτῷ καλεῖνσοφίαν τε καὶ πρώτην φιλοσοφίαν raquo Voir aussi 175 4 238 4 239 36 245 37 sq 266 14 sq Pourdautres occurrences de laquo philosophie premiegravere raquo dans le Commentaire voir aussi 177 9-12 (Aristotemontrera quil incombe au philosophe premier deacutetudier le mecircme et lautre le semblable etc Cettediscipline qui nest pas une laquo logique raquo soccupe de leacutetant en tant queacutetant) 191 10 (ce nest peut-ecirctrepas la tacircche du philosophe premier deacutetudier les principes de la deacutemonstration ndash mais cest bien la tacircchedu philosophe) Les textes qui suivent font lobjet dun traitement speacutecifique ci-dessous au sect 24 24534 250 27 sq 264 1 sq 265 8 266 32 Voir enfin le proegraveme agrave Δ 344 6 sq (le philosophe premier

99

La meacutetaphysique comme science une enjeux

eacutenonceacutes de laquo sagesse raquo et de laquo philosophie premiegravere raquo331 La freacutequence chez Alexandre de

laquo σοφία raquo sexplique dabord par la mention du terme dans le texte aristoteacutelicien ie par le travail

exeacutegeacutetique qui reprend les terme des lemmes quil commente La promotion alexandrinienne de

laquo sagesse raquo peut aiseacutement se revendiquer du livre A ou de son eacutevocation en Γ 3 1005b 1-2

Toutefois rien de tel ne vient justifier une preacutesence aussi importante de laquo philosophie

premiegravere raquo Nous sommes degraves lors fondeacutes agrave y lire plus encore que pour laquo sagesse raquo une

opeacuteration volontaire ndash et cela seul suffit agrave justifier lattention particuliegravere que nous accorderons

plus avant agrave ce concept Du reste par contraste encore il est notable que toute proportion

gardeacutee lexpression laquo philosophie seconde raquo soit aussi exceptionnelle chez Alexandre que chez

Aristote332

Cest en effet comme on le verra plus loin sur laquo philosophie premiegravere raquo quAlexandre va

jouer pour poser la question de luniteacute et de la deacutelimitation de la science rechercheacutee et ce

probablement en raison du fait que lintituleacute de laquo philosophie premiegravere raquo appelle la question du

partage du travail avec une laquo philosophie seconde raquo333 Lexpression couvre sans aucun doute

possible lensemble du champ de la meacutetaphysique puisque tous les objets deacutevolus agrave la science

rechercheacutee sont agrave un moment ou un autre attribueacutes agrave la philosophie premiegravere Dans le

commentaire laquo philosophie premiegravere raquo deacutesigne ainsi tantocirct la science universelle de leacutetant en

tant queacutetant (elle est aussi en ce sens laquo philosophie geacuteneacuterale raquo334) et tantocirct la laquo theacuteologie raquo Par

exemple dans le proegraveme agrave Δ Alexandre confirme apregraves le commentaire agrave Γ quil incombe au

philosophe premier deacutetudier leacutetant de faccedilon universelle et laquo de faccedilon commune les attributs qui

sont communs agrave leacutetant raquo335 Mais il emploie aussi couramment laquo philosophie premiegravere raquo pour

deacutesigner la science speacuteciale qui eacutetudie les substances laquo ingeacuteneacutereacutees et incorruptibles incorporelles

eacutetudie universellement leacutetant et ses proprieacuteteacutes en geacuteneacuteral)

331 Pour meacutemoire laquo philosophie premiegravere raquo est employeacutee deux ou trois fois dans la Meacutetaphysique suivantque lon tienne ou non K pour authentique et si lon accepte leacutequivalence de laquo sagesse premiegravere raquo aveclaquo philosophie premiegravere raquo en Γ 3 En revanche laquo σοφία raquo se lit entre quatorze et vingt fois (en comptantou non K)

332 Sauf erreur laquo philosophie seconde raquo apparaicirct une seule fois en Met Z 11 1037a 15 et peut se deacuteduirede Γ 2 1004a 6-9 Dans lensemble des eacutecrits dAlexandre on la lit seulement trois fois In Met 250 31 251 24-25 251 36 tous trois passages qui commentent justement 1004a 2

333 Voir dembleacutee par exemple In Met 245 34 sq

334 Pour lexpression de laquo φιλοσοφία καθόλου raquo cf 244 26 et 32 258 24 264 24 344 6 sq

335 In Met 344 5-8 laquo δέδειχε μὲν γὰρ ὅτι τοῦ πρώτου φιλοσόφου ἡ περὶ τοῦ ὄντος καθόλουπραγματεία καὶ τῶν τούτῳ κοινῶς ὑπαρχόντων κοινὰ δὲ τοῦ ὄντος εἰσίν οἷς ἐπιστῆμαι πᾶσαιχρῶνται περὶ τούτων γὰρ ἡ θεωρία τοῦ πρώτου φιλοσόφου raquo Cf aussi 177 9-12 383 15

100

La meacutetaphysique comme science une enjeux

et immobiles raquo336 Y a-t-il donc lagrave inconsistance dun Exeacutegegravete davantage preacuteoccupeacute de questions

hermeacuteneutiques locales et peu rigoureux dans lemploi du vocabulaire aristoteacutelicien La chose

serait pour le moins surprenante quand on sait la tendance geacuteneacuterale dAlexandre au lissage des

diffeacuterences lexicales et agrave la normalisation des terminologies Comment donc rendre raison de

cette promotion

Une premiegravere explication est quAlexandre y a vu un moyen de leacutegitimer le titre Μετὰ τὰ

Φυσικὰ tout en employant un terme authentiquement aristoteacutelicien en tout cas preacutesent dans le

corps des traiteacutes Cest ce quatteste le deacutebut du commentaire agrave B Lexpression de laquo sagesse

premiegravere raquo (171 7) y est strictement eacutequivalente agrave laquo philosophie premiegravere raquo comme sen avise

laltera recensio qui remplace lune par lautre Le passage deacutejagrave citeacute de Γ 3 1005b 1-2 eacutevoque

assureacutement une sagesse premiegravere dans un contexte ougrave lon aurait tout agrave fait pu lire laquo philosophie

premiegravere raquo Dapregraves le commentaire agrave B donc laquo philosophie premiegravere raquo nest rien dautre que

lenvers pris en soi de ce que laquo meacutetaphysique raquo deacutesigne laquo pour nous raquo P Aubenque et dautres agrave

sa suite lisent ce passage en parallegravele avec celui correspondant dAscleacutepius337 Leur comparaison

devrait toutefois faire ressortir la relative prudence dAlexandre eu eacutegard au contresens signaleacute

par P Aubenque Ce dernier a en effet insisteacute sur le caractegravere inauthentique dune telle

application de la distinction laquo en soi raquo (ou laquo par nature raquo) et laquo pour nous raquo338 Jamais Aristote

nemploie cette terminologie pour distinguer ce qui est de ce que nous en connaissons puisque la

distinction ne fonctionne que par rapport au connu ou plus connu laquo γνωριμώτερον raquo339 Or au

commencement de B Alexandre paraicirct bien opposer ce qui est posteacuterieur pour nous dans lordre

de la connaissance agrave (et ici il faut ecirctre preacutecis) un savoir dont la primauteacute sexplique parce quil

336 Par exemple en 193 10 sur la laquo substance intelligible raquo 251 34-35

337 Ascleacutepius In Met 1 10-18 laquo Δεῖ ἡμᾶς ἀρχομένους τῆς παρούσης πραγματείας εἰπεῖν τὸν σκοπόντὴν τάξιν τὴν αἰτίαν τῆς ἐπιγραφῆς σκοπὸς μὲν οὖν ἐστι τῆς παρούσης πραγματείας τὸθεολογῆσαι θεολογεῖ γὰρ ἐν αὐτῇ Ἀριστοτέλης ἡ δὲ τάξις ὅτι ἐκ τῶν φύσει ὑστέρων ἡμεῖς τὰςἀρχὰς ποιούμεθα ἐπειδὴ ταῦτα μᾶλλον [110] συνεγνωσμένα ἡμῖν ὑπάρχουσι διὰ τοῦτο τοίνυν ὁἈριστοτέλης πρότερον διελέχθη ἡμῖν περὶ τῶν φυσικῶν πραγμάτων ταῦτα γὰρ τῇ φύσει ὕστεραὑπάρχουσιν ἡμῖν δὲ πρότερα ἡ δὲ παροῦσα πραγματεία τῇ μὲν φύσει προτέρα ὡς τὸ τέλειονἔχουσα ἡμῖν δὲ ὑστέρα πρότερα γὰρ τὰ ἄφθαρτα τῶν φθαρτῶν καὶ τὰ ἀγένητα τῶν γινομένωνδιὰ τοῦτο τοίνυν ὁ Ἀριστο-[115]τέλης πρότερον διελέχθη ἡμῖν περὶ τῶν ἀτάκτως κινουμένων ἐντοῖς Μετεώροις καὶ πάλιν περὶ τῶν τεταγμένως κινουμένων ἐν τῇ Περὶ οὐρανοῦ φημὶ δὴ περὶἀστέρων καὶ σφαιρῶν καὶ λοιπὸν ἐν ταύτῃ τῇ πραγματείᾳ διαλέγεται ἡμῖν περὶ τῶν πάντῃἀκινήτων τοῦτο δέ ἐστι θεολογία raquo

338 P Aubenque [1962] p 32-33 et 66-68

339 Cf par exemple AnPr II 23 68b 35-36 AnPo I 2 72a 1-4 I 3 72b 27-30 Top VI 4 141b 5-14 MetZ 3 1029b 7-8 Phys I 1 184a 16-18 EN I 2 1095b 2-4 etc

101

La meacutetaphysique comme science une enjeux

eacutetudie des laquo choses raquo premiegraveres et plus estimables Alexandre sinscrit dailleurs peut-ecirctre dans

une certaine tradition dexeacutegegravese si nous ne connaissons pas dexplications du titre anteacuterieures agrave

celle quil fournit on sait neacuteanmoins que Boeacutethos mettait la physique au commencement du

corpus parce quelle est familiegravere et plus proche de lexpeacuterience340 Alexandre agrave la suite dAristote

emploie bien quant agrave lui deux comparatifs341

Cependant la distinction entre un premier pour nous (dans lordre de la connaissance) et

un premier en soi (dans lordre de lecirctre) reste extrecircmement teacutenue au laquo πρὸς ἡμᾶς raquo du texte

par exemple ne reacutepond aucun laquo φύσει raquo contrairement agrave ce qui se produit chez Ascleacutepius La

thegravese est par ailleurs assez circonscrite dans le corpus Assureacutement Alexandre assigne souvent agrave

la physique une position premiegravere dans lordre de la connaissance pour nous La physique est

premiegravere pour nous dit-il parce quelle part de la sensation ndash lagrave encore il sagit bien de

connaissabiliteacute Dans son commentaire agrave Δ 1 Alexandre affirme ainsi que laquo καὶ ἡ φυσικὴ ἀπὸ

τῶν αἰσθητῶν ὅτι ἡμῖν γνωριμώτερα ἀλλ οὐκ ἀπὸ τῶν πρώτων ἀρχῶν raquo (345 33-34) ce qui

oppose bien deux ordres de connaissance Ce sont les laquo αἰσθητῶν raquo qui sont laquo γνωριμώτερα raquo et

la prioriteacute des principes peut encore tregraves bien sentendre dans lordre de la connaissance non

celui de lecirctre Alexandre ne dit donc pas aussi explicitement quAscleacutepius que lobjet de la

philosophie premiegravere se signale par la conjonction de deux prioriteacutes agrave savoir quil serait agrave la fois

premier par nature et anteacuterieur dans lordre de la connaissance par nature ndash mais posteacuterieur dans

lordre de la connaissance pour nous

Il est neacuteanmoins tregraves probable comme on le verra342 que lExeacutegegravete a bien a lesprit

quelque chose comme cette correacutelation du premier dans lordre de lecirctre et dans lordre de la

connaissance en soi En Δ 1 en effet lexemple de la physique fait suite agrave une reacutefeacuterence aux

Cateacutegories sur la qualiteacute laquo ποιότης raquo ougrave Alexandre loue Aristote davoir commenceacute son

explication par le laquo ποιός raquo Le laquo ποιός raquo dit lExeacutegegravete est plus connaissable pour nous il nous

est plus familier bien quen reacutealiteacute il soit posteacuterieur agrave la qualiteacute laquo ὑστέρου μὲν ὄντος τῆς

ποιότητος γνωριμωτέρου δέ raquo (345 31-32) Il est tout de mecircme difficile de ne pas lire lexemple

suivant sur la physique par analogie avec ce qui preacutecegravede Or si la physique est agrave la connaissance

340 Cf Philopon In Cat 5 16-18 laquo Βόηθος μὲν οὖν φησιν ὁ Σιδώνιος δεῖν ἀπὸ τῆς φυσικῆς ἄρχεσθαιπραγματείας ἅτε ἡμῖν συνηθεστέρας καὶ γνωρίμου δεῖν δὲ ἀεὶ ἀπὸ τῶν σαφεστέρων ἄρχεσθαικαὶ γνωρίμων raquo Voir agrave ce sujet P Moraux [1973] p143 sq HB Gottschalk [1987] p 1099

341 RW Sharples [2010] p 43 note que le Fr 3 de Nicolas de Damas contient les mecircmes termes que celuide Boeacutethos

342 Cf ci-dessous sect 21

102

La meacutetaphysique comme science une enjeux

des premiers principes ce quest la connaissance du laquo ποιός raquo agrave celle de la laquo ποιότης raquo alors

immanquablement la physique est anteacuterieure dans lordre de notre connaissance parce quelle

part des sensations mais son objet est posteacuterieur par nature aux premiers principes

Toutefois la plupart des passages sur lanteacuterioriteacute de la physique ne vont pas aussi loin et

sen tiennent au champ de la connaissance Telle est selon Alexandre la raison principale de la

prioriteacute de la sagesse qui partant de ce qui est le plus eacuteloigneacute des sensations (les principes) est

aussi laquo la plus difficile raquo des sciences Commentant ce passage de A 2 Alexandre renvoie

explicitement la prioriteacute par nature de la sagesse agrave lordre de la connaissance et citera ensuite

Physique I 1 pour justifier le lien entre le plus connaissable pour nous et la sensation343 Il en va de

mecircme lorsque Alexandre commente la derniegravere phrase du livre α selon laquelle laquo il faut dabord

examiner ce quest la nature raquo344 LrsquoExeacutegegravete propose alors deux interpreacutetations de cette ouverture

du livre α vers la physique Selon la premiegravere le livre est une introduction agrave la philosophie

theacuteoreacutetique en geacuteneacuteral et nappartient pas speacutecifiquement agrave la Meacutetaphysique dapregraves la seconde

le livre est agrave la bonne place et fait effectivement partie de la Meacutetaphysique Le point commun de

ces deux interpreacutetations est la place premiegravere assigneacutee agrave la physique dans lordre du connaissable

pour nous laquo ἀλλὰ προγραφόμενόν τι πάσης τῆς θεωρητικῆς φιλοσοφίας ἧς ὡς πρὸς ἡμᾶς

πρώτη ἡ φυσική raquo (169 23-25) ou encore laquo ἀλλ ὅτι πρὸ τῆσδε τῆς πραγματείας δεῖ περὶ τῶν

φυσικῶν πεπραγματεῦσθαι raquo (170 1-2)

Comme au deacutebut du commentaire agrave B la posteacuteriteacute de la meacutetaphysique saffirme donc

dans lordre de la connaissance pour nous Mais cela nimplique pas une prioriteacute de la

philosophie premiegravere agrave cause de la prioriteacute ontologique de son objet plutocirct quagrave cause de la

prioriteacute eacutepisteacutemologique du connaissable par nature Or si cette conception de la meacutetaphysique

comme posteacuterieure agrave la physique dans lordre du savoir est souvent pointeacutee du doigt comme

lune des interpreacutetations majeures du titre inauthentique on doit cependant rappeler

quAlexandre sacrifie sans doute ici agrave une banaliteacute de leacutepoque P Hadot en effet a bien montreacute le

floregraves agrave leacutepoque post-helleacutenistique de la division des parties de la philosophie en fonction de

lordre peacutedagogique chez les stoiumlciens autant que chez les platoniciens Linteacuterecirct de la position

343 In Met 11 12-13 laquo τῇ φύσει γὰρ ἐκεῖνα τῶν αἰσθητῶν γνωριμώτερα raquo Cf Phys I 1 184a 18-21 laquo Διόπερ ἀνάγκη τὸν τρόπον τοῦτον προάγειν ἐκ τῶν ἀσαφεστέρων μὲν τῇ φύσει ἡμῖν δὲσαφεστέρων ἐπὶ τὰ σαφέστερα τῇ φύσει καὶ γνωριμώτερα raquo Voir In Met 12 5-14 Alexandre essaieaussi et surtout de justifier lemploi difficile de laquo καθόλου raquo dans ce passage Voir aussi le commentaireagrave 983a 27 (In Met 20 5 sq)

344 Met α 3 995a 17-19 laquo διὸ σκεπτέον πρῶτον τί ἐστιν ἡ φύσις οὕτω γὰρ καὶ περὶ τίνων ἡ φυσικὴδῆλον ἔσται raquo

103

La meacutetaphysique comme science une enjeux

alexandrinienne se situe plutocirct dans son effort pour concilier divers types dorganisation du

savoir philosophique qua classeacutes P Hadot celui heacuteriteacute de Platon et Aristote (qui classent les

disciplines en fonction de leur objet) avec les preacuteoccupations grandissantes de peacutedagogie et

dordre de lenseignement345 On la vu Alexandre est dabord un laquo universitaire raquo346

Pour reacutesumer il convient donc deacutevaluer plus preacuteciseacutement ce quil y a de non

aristoteacutelicien dans la position alexandrinienne Le premier grief de P Aubenque on la dit

concerne lexportation de la distinction pour nous par nature en dehors du seul champ

eacutepisteacutemologique Ce grief est partiellement fondeacute mecircme sil faut jouer de prudence puisque le

contresens nest pas formuleacute sans deacutetours ni sous-entendus et ne constitue pas la thegravese la plus

constante de lExeacutegegravete La thegravese majoritaire de son corpus ne fait quappliquer ladite dichotomie

dans le champ de la connaissance Agrave tout le moins Alexandre fournit-il agrave Ascleacutepius les moyens

pour commettre clairement le contresens auquel lui-mecircme semble encore reacutepugner ndash et ce nest

pas un hasard si les interpregravetes347 se fondent davantage sur les textes dAscleacutepius que ceux

dAlexandre pour deacutenoncer ce contresens

Lautre reproche formuleacute par P Aubenque est que selon lui la philosophie premiegravere doit

lecirctre aussi dans lordre de la connaissance laquo Or on voit mal que la philosophie premiegravere

souvent deacutesigneacutee comme la plus haute des sciences puisse obeacuteir agrave un autre ordre que celui-lagrave raquo agrave

savoir lordre de la science deacutemonstrative des Seconds Analytiques P Aubenque poursuit laquo la

theacuteologie eacutetait appeleacutee par Aristote philosophie premiegravere non seulement parce que son objet eacutetait

premier dans lordre de lecirctre mais aussi parce quelle-mecircme devait ecirctre premiegravere dans lordre du

savoir raquo348 Passons sur la reacuteduction de la philosophie premiegravere agrave la theacuteologie que nous tenterons

plus loin de deacutefaire Mais pourquoi donc la philosophie premiegravere ne pourrait-elle ecirctre premiegravere

par nature dans lordre du savoir mais moins familiegravere pour nous (donc posteacuterieure) P

Aubenque souhaite que cette philosophie soit premiegravere ou anteacuterieure dans tous les sens du terme

deacutegageacutes en Δ 11349 mais quand ce chapitre aborde lanteacuterioriteacute selon la connaissance cest bien

pour montrer la reacuteversibiliteacute entre notre connaissance et la connaissabiliteacute en soi350 Si la

345 P Hadot [1979] p 214 sq

346 M Rashed [2007b] p 1

347 Par exemple J-F Courtine [2005] p 127 sq

348 P Aubenque [1962] p 67

349 P Aubenque [1962] p 47

350 Quoique lon doive noter que la distinction ny est pas donneacutee sous sa forme la plus courante cf MetΔ 11 1018b 30 sq

104

La meacutetaphysique comme science une enjeux

philosophie premiegravere est par nature plus connaissable et anteacuterieure nest-elle pas neacutecessairement

posteacuterieure dans cet ordre pour nous cest-agrave-dire moins familiegravere Il y aurait alors contre

P Aubenque et agrave la maniegravere dAlexandre un moyen de rendre raison du doublet meacutetaphysique

philosophie premiegravere agrave condition de ne pas sortir dune question de connaissance ndash cest par

exemple la lecture proposeacutee par M Burnyeat351

Il est plus deacutecisif de rappeler que jamais Aristote nutilise cette dichotomie pour reacutegler la

question des rapports entre philosophies premiegravere et seconde Ce couple ne sapplique quagrave

linteacuterieur dune mecircme science ndash quelle soit la physique la science pratique ou la science

deacutemonstrative en geacuteneacuteral Lutilisation hors contexte du couple conceptuel est bien une

construction dinterpregravete La thegravese alexandrinienne de la posteacuteriteacute de la meacutetaphysique est sans

doute le produit dun croisement de textes et dinfluences la distinction des Analytiques lideacutee

tireacutee agrave la fois du Protreptique et du livre α selon laquelle la philosophie est difficile laquo pour nous raquo

et sans doute la lecture de Theacuteophraste352 Mais cest plus geacuteneacuteralement la notion mecircme

dlaquo ordre raquo (τάξις) qui est eacutetrangegravere agrave Aristote comme le signale E Martineau353 qui soutient en

effet que sur ce point P Aubenque ne se deacutemarque pas dAlexandre ou Ascleacutepius lorsquil pose

une distinction entre un ordre de fait et un ordre de droit dans le savoir Nous pourrions aller

plus loin la diffeacuterence qui seacutepare Aristote et Alexandre sur ce point la diffeacuterence qui seacutepare une

laquo progression raquo au sein dune mecircme science (laquo προάγειν raquo laquo μεταβαίνειν raquo354) et un laquo ordre raquo

entre deux sciences distinctes serait comparable agrave la diffeacuterence entre le continu et le discret La

primauteacute de la philosophie premiegravere chez Aristote na sans doute rien agrave voir avec un ordre

peacutedagogique355 Le changement de contexte de lactiviteacute philosophique entre Aristote et

Alexandre se deacutecegravele ici nettement et lon se rappellera que lun des preacutedeacutecesseurs dAlexandre

Adraste dAphrodise est lauteur dun laquo Περὶ τῆς τάξεως τῆς Ἀριστοτέλους φιλοσοφίας raquo356

Enfin et ce nest pas le moindre il y a incontestablement un contresens agrave identifier lordre entre

351 M Burnyeat [2001] p 6-8 et 120-124

352 Cf Theacuteophraste Met 9b 8-16

353 E Martineau [1974]

354 Respectivement Phys I 1 184a 19 (Cf aussi la meacutetaphore du laquo chemin raquo) et Met Z 3 1029b 3

355 Cf ci-dessous sect 122c

356 Le traiteacute est citeacute par Simplicius In Cat 16 1-2 18 16-17 In Phys 4 11 Cependant pour ecirctre honnecirctenous ne posseacutedons aucune preuve dun lien directe entre Adraste et Alexandre Quils soient tous deuxpeacuteripateacuteticiens et originaires dAphrodise ne fournit quune forte preacutesomption (voir aussi P Thillet[2002] p XXXII) Agrave tout le moins peut-on utiliser la reacutefeacuterence agrave Adraste pour deacutemontrer au sein dupeacuteripateacutetisme lexistence de questions dordre

105

La meacutetaphysique comme science une enjeux

physique et philosophie premiegravere avec un ordre entre sensible et intelligible comme si la

physique navait pas affaire agrave de lintelligible comme si la meacutetaphysique navait pas affaire agrave la

substance sensible Cette thegravese est tregraves probablement une simplification dont lExeacutegegravete lui-mecircme

devait avoir conscience puisquil attribue ailleurs agrave la philosophie premiegravere une eacutetude de la

substantialiteacute en geacuteneacuteral ndash donc aussi de la substance sensible quoique pas en tant que mobile

Mais la simplification se lit bien en toutes lettres dans le Commentaire357

c) La promotion de laquo philosophie premiegravere raquo louverture dun champ

Alexandre a donc ducirc trouver dans laquo philosophie premiegravere raquo une appellation authentique

propre agrave justifier celle de laquo meacutetaphysique raquo Cependant cette promotion du nom de philosophie

premiegravere implique-t-elle aussi dembleacutee une orientation quant agrave lobjet de la meacutetaphysique

Induit-elle par exemple une quelconque laquo theacuteologisation raquo de celle-ci comme le soutiennent

plusieurs interpregravetes358 Il nous semble au contraire que cette promotion sexplique en second lieu

par le caractegravere relativement geacuteneacuteral quAlexandre a ducirc y percevoir ou tout du moins la

possibiliteacute de sa geacuteneacuteralisation agrave lensemble de la meacutetaphysique Contrairement agrave nombre de

commentateurs contemporains qui reacuteduisent chez Aristote la philosophie premiegravere agrave la

theacuteologie359 Alexandre a su voir quune telle reacuteduction est en fait impossible Le problegraveme de

lobjet de la laquo science rechercheacutee raquo est preacutesent dans la seule notion de laquo philosophie premiegravere raquo

Deacutevelopper inteacutegralement la thegravese selon laquelle lexpression laquo philosophie premiegravere raquo a

chez le Stagirite un sens plus large que la seule science theacuteologique nous conduirait trop loin

Toutefois la thegravese de lidentiteacute theacuteologique de la philosophie premiegravere est suffisamment

reacutepandue pour quon prenne la peine de donner ici quelques indications360

Une eacutetude de lensemble des textes dAristote sur la philosophie premiegravere a eacuteteacute meneacutee en

357 In Met 193 10-12 laquo δοκεῖ ἡ περὶ τὴν οὐσίαν πραγματεία ἅπασα φιλοσοφία εἶναι οὐ μὴν πᾶσαπάσης τῆς οὐσίας ἐστίν ἀλλὰ κατὰ μὲν ἄλλο μέρος αὐτῆς τῆς αἰσθητῆς τε καὶ φυσικῆς κατ ἄλλοδὲ τῆς νοητῆς raquo laquo on estime que leacutetude de la substance est toute la philosophie ndash non pas que toutela philosophie porte sur toute la substance mais lune porte sur la substance sensible et naturellequand lautre porte sur la substance intelligible raquo On aborde ci-dessous au sect 242d la question desavoir si Alexandre prescrit bien agrave la philosophie premiegravere une eacutetude geacuteneacuterale de la substantialiteacute

358 Cf P Aubenque [1962] p 66 sq P Donini [2005] J-F Courtine [2005] est toutefois plus nuanceacute cfp 125

359 Cf entre autres A Mansion [1958] et P Aubenque [1962]

360 Quon pourra deacutevelopper dans un travail ulteacuterieur

106

La meacutetaphysique comme science une enjeux

deacutetail par A Mansion Il en conclut que la deacutetermination du contenu de la philosophie premiegravere

est constante dans lensemble du corpus celle-ci porte sur laquo lecirctre suprasensible raquo Il sagit lagrave des

laquo formes analogues ou semblables aux Ideacutees platoniciennes et deacutegageacutees comme elles de la

matiegravere ndash ou encore de Dieu le premier moteur caracteacuteriseacute par son immateacuterialiteacute et son

immobiliteacute ndash ou enfin de lintelligence ou de lacircme en tant quintelligente raquo361 La lecture

dA Mansion est souvent partageacutee non pas forceacutement dans sa formulation assez poleacutemique (qui

eacutevoque des analogues des Ideacutees chez Aristote ou parle de Dieu avec une majuscule) mais dans

lideacutee que la philosophie premiegravere correspond assez bien agrave la science theacuteologique dE 1 Une vue

plus attentive agrave la fonction argumentative de lexpression laquo philosophie premiegravere raquo pourrait

toutefois permettre de nuancer ou partiellement contredire la thegravese de lidentiteacute theacuteologique de la

philosophie premiegravere

Agrave strictement parler le syntagme laquo philosophie premiegravere raquo apparaicirct sept fois dans le

corpus aristoteacutelicien De anima I 1 De caelo I 8 De motu animalium Physique I 9 et II 2

Meacutetaphysique E 1 et K 4362 Agrave cet ensemble de textes il faut encore ajouter deux passages qui

mentionnent une philosophie ou une enquecircte laquo anteacuterieure raquo (προτέρα) agrave la physique en

Geacuteneacuteration et corruption I 3 et De caelo III 1

Au regard de cette eacutenumeacuteration un premier constat simpose la philosophie premiegravere

est bien plus preacutesente dans les traiteacutes de philosophie seconde On reacutetorquera que cest

statistiquement explicable par la plus grande quantiteacute des traiteacutes physiques qui nous sont

parvenus mais sil y a un endroit ougrave lon aurait pu attendre davantage dexplicitations sur la

philosophie premiegravere cest bien dans les traiteacutes qui composent la Meacutetaphysique Au demeurant

leacutetude des divers contextes de ces occurrences vient fonder cette premiegravere remarque purement

formelle En un mot la preacutesence de la laquo philosophie premiegravere raquo dans les traiteacutes physiques se

comprend aiseacutement si lon savise quelle est une expression fonctionnelle qui renseigne plus sur le

statut laquo non-premier raquo de la physique que sur le statut de cette laquo autre raquo363 enquecircte Dans le texte

361 A Mansion [1958] p 166

362 Ce dernier passage est en fait le doublon de Γ 2 dans lequel on lit quil y a autant de parties de laphilosophie quil y a de sortes substances et quil y a donc une premiegravere partie de la philosophie Ausurplus dit ensuite Aristote le philosophe est laquo comme le matheacutematicien raquo et puisquil y a unematheacutematique premiegravere on peut en deacuteduire quil y a une philosophie premiegravere ndash cest le pas quefranchit K 4 mais il est inteacuteressant de noter que le texte de Γ est plus contourneacute et plus prudent Demecircme en Γ 3 lideacutee dune laquo sagesse premiegravere raquo napparaicirct que neacutegativement pour refuser ce statut agrave laphysique

363 Sur cette expression dune laquo autre raquo enquecircte cf De Caelo III 1 298b 19-20 et peut-ecirctre GC I 3 318a 5-6mais les manuscrits ne sont pas unanimes sur ce point et il pourrait justement y avoir contamination agrave

107

La meacutetaphysique comme science une enjeux

aristoteacutelicien lexpression laquo philosophie premiegravere raquo a toujours pour fonction argumentative de

limiter la physique de deacutesigner ce qui ne peut pas en faire lobjet et partant de servir une

strateacutegie de secondarisation ou si lon preacutefegravere de limitation de la physique

Cest ainsi que le recours et le renvoi agrave la philosophie premiegravere arrivent souvent agrave des

points critiques ou des carrefours dans les textes Les deux passage citeacutes de la Physique par

exemple figurent comme des laquo fins raquo dargumentation ou des charniegraveres364 Physique I 9 par

exemple clocirct leacutetude des principes du devenir annonceacutee en I 1365 Le chapitre donne alors agrave lire

un eacutetrange retour du platonisme366 en se livrant agrave une sorte de redressement ou de rectification

des principes acadeacutemiciens La confrontation avec le platonisme aboutit agrave une deacutefinition de la

matiegravere et Aristote contraste immeacutediatement leacutetude de la forme pour elle-mecircme est en

revanche ajourneacutee367 Aristote trace ainsi un programme de recherche sur laquo le principe selon la

forme raquo par opposition aux formes naturelles et corruptibles qui seront traiteacutees dans les livres

suivants (ou dans lensemble des traiteacutes physiques) La reacutefeacuterence agrave la philosophie premiegravere

deacutelimite effectivement ce que peut eacutetudier la physique et il nest pas anodin que cela se situe au

sein dune critique du platonisme Cette remarque sur le principe formel et la philosophie

partir du texte preacuteceacutedent dans le De caelo ndash voir la note de M Rashed ad loc

364 Mecircme sil faut prendre avec preacutecaution les deacutecoupages en chapitres qui on le sait ne sont pasdAristote il nempecircche que ces deux passages ont manifestement une fonction darrecirct et de transitionet que le deacutecoupage en chapitres ou en livres agrave ces endroits est tout agrave fait deacutefendable

365 Quon accepte ou non le deacuteplacement de la premiegravere phrase de II 1 agrave la fin de I 9 comme le fait lemanuscrit E il demeure que la proposition se reacutefeacuterant agrave la philosophie premiegravere appartient bien agrave laconclusion du chapitre I 9 et du livre I en entier qui se terminent alors par la neacutecessiteacute toutaristoteacutelicienne dun nouveau commencement (laquo ἄλλην ἀρχήν raquo) En fait pour saisir pourquoiAristote renvoie agrave cet endroit leacutetude du principe formel agrave la philosophie premiegravere il faudrait retracer leplan de lensemble du livre I

366 Lexamen doxographique semble avoir eacuteteacute meneacute agrave bien dans les chapitres 2 3 et 4 Certes lePhilosophe a peut-ecirctre deacutejagrave eacutevoqueacute les platoniciens par exemple en I 2 185a 27-29 mais cest agrave titredhypothegravese theacuteorique agrave partir des thegraveses eacuteleacuteatiques Cette allusion ne constitue pas une preacutesentation niune reacutefutation des thegraveses platoniciennes pour elles-mecircmes De mecircme en I 3 Aristote pense-t-il peut-ecirctre aux platoniciens quand il parle de ceux qui ont laquo ceacutedeacute raquo [ἐνέδοσαν] aux arguments parmeacutenidiensmais lagrave encore les platoniciens naccegravedent pas au rang dadversaires bien deacutefinis et sont explicitementrangeacutes sous la banniegravere dune sorte de post-eacuteleacuteatisme Il nest donc pas abusif davancer que letraitement doxographique des chapitres 2 3 et 4 est structureacute par lopposition entre Eacuteleacuteates etlaquo physiciens raquo au sens large

367 Phys I 9 92a 34-b2 laquo Περὶ δὲ τῆς κατὰ τὸ εἶδος ἀρχῆς πότερον μία ἢ πολλαὶ καὶ τίς ἢ τίνες εἰσίνδιἀκριβείας τῆς πρώτης φιλοσοφίας ἔργον ἐστὶν διορίσαι ὥστ εἰς ἐκεῖνον τὸν καιρὸν [192b1]ἀποκείσθω περὶ δὲ τῶν φυσικῶν καὶ φθαρτῶν εἰδῶν ἐν τοῖς ὕστερον δεικνυμένοις ἐροῦμεν raquo laquo En ce qui concerne le principe selon la forme quant agrave savoir srsquoil est un ou multiple quelle chose lrsquoestou quelles choses le sont crsquoest la tacircche de la philosophie premiegravere de le deacuteterminer avec preacutecision aussi laissons cela de cocircteacute jusqursquoagrave cette occasion Quant aux formes naturelles et peacuterissables nous enparlerons dans nos prochains exposeacutes raquo (tr A Stevens)

108

La meacutetaphysique comme science une enjeux

premiegravere doit en effet ecirctre lue au sein du chapitre sauf agrave perdre lordre du propos et reacuteduire la

rigueur du texte aristoteacutelicien Or si lon veut maintenir un lien entre ce passage et ce qui

preacutecegravede il faut sans doute comprendre le laquo δὲ raquo dans laquo περὶ δὲ τῆς κατὰ τὸ εἶδος ἀρχῆς raquo

comme venant compleacuteter la liste des principes aristoteacuteliciens du devenir apregraves avoir eacutevoqueacute la

privation (en 192a 27) puis la matiegravere (deacutefinie en 192a 31-32) Mais vu que la distinction entre

matiegravere et privation prend deacutejagrave sens au sein dune rectification du platonisme on peut penser

quil en va de mecircme pour le laquo principe selon la forme raquo il y aurait lagrave une maniegravere de renvoyer la

critique des Formes platoniciennes agrave dautres traiteacutes tandis que la discussion de la deacutefinition de

la matiegravere a sa place en physique

Ainsi en va-t-il en II 2 qui traite de la diffeacuterence entre le physicien et le matheacutematicien et

permet agrave Aristote de preacuteciser ce quil entend par science physique son objet propre et sa

meacutethode Le Stagirite mentionne la philosophie premiegravere en 194b 9-15 dans un passage dont

leacutetablissement est difficile mais qui vient conclure largumentation preacuteceacutedente368 Il revient agrave la

philosophie premiegravere de sinterroger sur le laquo seacutepareacute raquo (laquo τὸ χωριστόν raquo) comment il est et ce quil

est La mention de la laquo philosophie premiegravere raquo sert donc bien ici agrave montrer ce qui outrepasse la

tacircche du physicien

On pourrait ecirctre tenteacute de nuancer cette conclusion en objectant que laspect fonctionnel de

lexpression laquo philosophie premiegravere raquo a partie lieacutee au statut mecircme de ces extraits de la Physique Il

serait preacutevisible que ces passages traitent des limites (au double sens du terme) de la physique et

que le Philosophe y eacutevoque ce qui excegravede la laquo reacutegion raquo propre agrave la science physique sil est vrai

que la Physique surtout en son deacutebut relegraveve tout autant dun meacuteta-discours sur la science

naturelle Toutefois notre hypothegravese se laisse confirmer par dautres passages qui eux ne

relegravevent pas dune eacutepisteacutemologie de la physique Ainsi en va-t-il du De Caelo I 8 ougrave Aristote

montre que la thegravese (physique) de luniciteacute du ciel a pour elle agrave la fois des arguments physiques et

des arguments extra-physiques quoique ce ne soit pas le lieu de les deacutevelopper La deacutelimitation

de la physique sopegravere ici in actu dans la deacutemonstration particuliegravere dune thegravese deacutetermineacutee De

mecircme dans De generatione I 3 comme dans le De caelo III 1 Le seul fait quAristote parle non

pas dune philosophie premiegravere mais dune enquecircte laquo anteacuterieure raquo agrave la physique indique le

caractegravere relatif du concept Lhabitude interpreacutetative est didentifier immeacutediatement comme

368 Les chevilles qui lient ce passage avec le reste du chapitre sont de fait nombreuses la question de laseacuteparation qui court depuis le deacutebut en est une lanalogie avec lart une autre la question du laquo μέχρι raquoune troisiegraveme

109

La meacutetaphysique comme science une enjeux

laquo philosophie premiegravere raquo cette philosophie laquo anteacuterieure raquo Agrave linverse on pourrait bien plutocirct

partir de cette expression de laquo philosophie anteacuterieure raquo pour comprendre et interpreacuteter ce quest

la philosophie premiegravere Que cette philosophie soit premiegravere au sens danteacuterieure montre quelle

doit ecirctre comprise en reacutefeacuterence agrave la physique Et de fait agrave chaque fois les occurrences de

philosophie premiegravere nous renseignent davantage sur la physique elle-mecircme369

En ce sens on pourrait sans truisme affirmer que la laquo philosophie premiegravere raquo est premiegravere

parce que la physique est (et doit ecirctre) seconde Lenvers positif de cette secondarisation est la

limitation agrave un genre par laquelle la physique gagne ses galons de science Eacutetant donneacute

lextension du genre des choses naturelles Aristote tient agrave reacutefuter la preacutetention agrave la totaliteacute et agrave

luniversaliteacute qui aurait marqueacute les premiegraveres physiques Cest ainsi le mecircme motif qui sous-tend

la critique de la dialectique platonicienne et de cette ancienne physique le refus dune science

universelle370 La strateacutegie de secondarisation de la physique (et de reacutegionalisation de leacutetant

naturel) est donc autant due agrave la deacutefinition aristoteacutelicienne de la science quagrave la maniegravere dont il se

situe dans lhistoire de la philosophie Et cette strateacutegie est indissociable du projet aristoteacutelicien

dune laquo refondation raquo371 de la physique Dans lexpression certes assez rare de laquo philosophie

seconde raquo laquo second raquo veut surtout dire laquo non total raquo comme le montre aussi Meacutetaphysique E 1372

369 La chose est tregraves nette dans le De Caelo III 1 ougrave Aristote procegravede agrave une reacutefutation de Parmeacutenide etMeacutelissos lesquels se montrent incapables de fonder une theacuteorie authentiquement laquo physique raquo (DeCaelo III 1 298b 14-18 laquo Οἱ μὲν γὰρ αὐτῶν ὅλως ἀνεῖλον γένεσιν καὶ φθοράν οὐθὲν γὰρ οὔτεγίγνεσθαί φασιν οὔτε φθείρεσθαι τῶν ὄντων ἀλλὰ μόνον δοκεῖν ἡμῖν οἷον οἱ περὶ Μέλισσόν τεκαὶ Παρμενίδην οὕς εἰ καὶ τἆλλα λέγουσι καλῶς ἀλλ οὐ φυσικῶς γε δεῖ νομίσαι λέγειν raquo) Leurtheacuteorie sous le coup de la critique aristoteacutelicienne se reacutevegravele en effet inapte agrave rendre compte despheacutenomegravenes ndash si elle nest pas φυσικῶς cest peut-ecirctre selon lopposition courante dans le corpusparce quelle est laquo verbeuse raquo λογικῶς Mais de surcroicirct parce quelle ne parvient pas agrave eacutelaborer uneeacutetude scientifique de la geacuteneacuteration des corps elle consiste en de la mauvaise laquo science physique raquo(φυσικῶς au sens de ce qui relegraveve de la φυσική ἀκρόασις) Il sagit donc bien ici pour Aristote de poserune caracteacuterisation neacutegative de la physique elle nest pas la science de lingeacuteneacuterable et de limmobile etles Eacuteleacuteates se rendent coupables dune confusion des sciences et leurs domaines

370 Met Γ 3 1005a 34 Comme le reacutesume P Pellegrin dans son eacutelaboration de la physique Aristotetravaille donc agrave partir dune double opposition aux Mileacutesiens pour qui laquo tout eacutetait inclus dans laphysis raquo et aux Eacuteleacuteates qui eacutetaient agrave lorigine dune laquo nouvelle science raquo laquo celle de lecirctre immobile etidentique agrave lui-mecircme Pour eux tout est donc justiciable de lontologie y compris la physique raquo cf PPellegrin [2000] p 15

371 P Pellegrin [2000] p 16

372 Sans entrer dans le deacutetail de ce chapitre qui a lapparence de laquo la fausse simpliciteacute des textesprogrammatiques raquo (M Crubellier P Pellegrin [2002] p 217) il faut neacuteanmoins souligner sa coheacuterenceavec les autres passages que nous avons citeacutes Ici comme ailleurs Aristote insiste sur les limites de laphysique Celle-ci porte sur laquo un genre de leacutetant raquo laquo ἡ φυσικὴ ἐπιστήμη τυγχάνει οὖσα περὶ γένοςτι τοῦ ὄντος raquo (1025b 18-19) ce qui permet de la promouvoir au rang des sciences theacuteoreacutetiquesToutefois il faut aussi entendre dans la suite du chapitre quelle ne porte que sur un genre de leacutetant En

110

La meacutetaphysique comme science une enjeux

La primauteacute de la philosophie premiegravere doit alors sentendre comme une anteacuterioriteacute relative

anteacuterioriteacute qui tient agrave la digniteacute et leacuteminence de son objet selon le motif connu de Meacutetaphysique

A373 repris par E 1

Aristote se sert donc manifestement de la reacutefeacuterence agrave une philosophie premiegravere pour

exprimer la limitation de la physique et son statut second cela implique-t-il que le reacutesidu de

cette opeacuteration soit le mecircme dans tous les passages Tous ces passages octroient-ils le mecircme

objet agrave la philosophie premiegravere Certes dans la seule occurrence que nous posseacutedions ne

deacutesignant plus la philosophie premiegravere comme une science mais comme les livres lexposant agrave

savoir le De motu animalium 6 Aristote renvoie nommeacutement le premier moteur agrave la philosophie

premiegravere374 Mais le passage implique aussi que la philosophie premiegravere puisse eacutetudier le

mouvement375 Sans cela les passages du De caelo et du De motu circonscrivent en fait la

effet agrave partir de la combinatoire des proprieacuteteacutes seacuteparable mobile et leurs contraires le Stagirite endeacuteduit la neacutecessiteacute dune science portant sur une substance seacutepareacutee et immobile Le nœud delargument est que si cette substance nexistait pas laquo ἡ φυσικὴ ἂν εἴη πρώτη ἐπιστήμη raquo (1026a 28-29) or faut-il sous-entendre par modus tollens ce nest pas le cas Quoique la viseacutee de ce chapitreprogrammatique soit plus vaste que les autres mentions de la philosophie premiegravere que nous avonsvues il reste bien un motif constant la physique est seconde au sens ougrave elle nest pas universelleparce quil y a quelque chose qui restera neacutecessairement en dehors de son champ deacutetude Cest doncpar rapport agrave elle que lautre philosophie est premiegravere cest la limitation de la physique qui exige unephilosophie premiegravere au sens danteacuterieure comme le souligne bien le chapitre agrave deux reprises en1026a 13 (laquo ἀλλὰ προτέρας ἀμφοῖν raquo) et surtout en 1026a 29-30 (laquo εἰ δ ἔστι τις οὐσία ἀκίνητος αὕτηπροτέρα καὶ φιλοσοφία πρώτη raquo)

373 Cf A 2 983a 4-5 laquo οὔτε τῆς τοιαύτης ἄλλην χρὴ νομίζειν τιμιωτέραν Ἡ γὰρ θειοτάτη καὶτιμιωτάτη raquo agrave comparer avec E 1 1026a 21-22 laquo καὶ τὴν τιμιωτάτην δεῖ περὶ τὸ τιμιώτατον γένοςεἶναι raquo et le doublon de K 7 1064b 4-6 On peut eacutegalement songer agrave lexpression de Λ 10 1075b 20-21 laquo καὶ τοῖς μὲν ἄλλοις ἀνάγκη τῇ σοφίᾳ καὶ τῇ τιμιωτάτῃ ἐπιστήμῃ εἶναί τι ἐναντίον ἡμῖν δ οὔ raquo

374 Cf DMA 6 700b 4-11 laquo Περὶ μὲν οὖν ψυχῆς εἴτε κινεῖται εἴτε μή καὶ εἰ κινεῖται πῶς κινεῖταιπρότερον εἴρηται ἐν τοῖς διωρισμένοις περὶ αὐτῆς Ἐπεὶ δὲ τὰ ἄψυχα πάντα κινεῖται ὑφ ἑτέρουπερὶ δὲ τοῦ πρώτου κινουμένου καὶ ἀεὶ κινουμένου τίνα τρόπον κινεῖται καὶ πῶς κινεῖ τὸ πρῶτονκινοῦν διώρισται πρότερον ἐν τοῖς περὶ τῆς πρώτης φιλοσοφίας λοιπόν ἐστι θεωρῆσαι πῶς ἡψυχὴ κινεῖ τὸ σῶμα καὶ τίς ἡ ἀρχὴ τῆς τοῦ ζῴου κινήσεως raquo laquo Agrave propos dune part de lacircme ltetde la question de savoirgt si elle se meut ou non et si elle se meut comment elle se meut on en a deacutejagraveparleacute dans les analyses agrave son sujet Puisque dautre part tous les ecirctres inanimeacutes sont mus par autrechose et que quant au premier mucirc qui est toujours mucirc de quelle faccedilon il est mucirc et comment le meutle premier moteur on la deacutejagrave analyseacute dans le traiteacute de philosophie premiegravere il reste donc agrave eacutetudiercomment lacircme meut le corps et quel est le principe du mouvement de lanimal raquo

375 Dapregraves ce passage en effet (voir note preacuteceacutedente) la philosophie premiegravere peut bien eacutetudier un ecirctremobile le compleacutement laquo περὶ δὲ τοῦ πρώτου κινουμένου raquo deacutepend de laquo διώρισται πρότερον raquo Onpeut neacuteanmoins imaginer que cest parce quelle le fait agrave partir de son eacutetude du premier moteur qui estlui immobile Mais comme on la vu le De caelo I 8 lui-mecircme renvoie agrave la philosophie premiegraverecomme agrave une eacutetude fournissant des arguments suppleacutementaires pour deacutemontrer luniciteacute du ciel Defait Aristote y dit laquo Ἔτι δὲ καὶ διὰ τῶν ἐκ [b10] τῆς πρώτης φιλοσοφίας λόγων δειχθείη ἄν καὶ ἐκτῆς κύκλῳ κινήσεως ἣν ἀναγκαῖον ἀΐδιον ὁμοίως ἐνταῦθά τ εἶναι καὶ ἐν τοῖς ἄλλοις κόσμοις raquo(277b 9-12) que C Dalimier et P Pellegrin traduisent par laquo De plus on peut aussi montrer cela par le

111

La meacutetaphysique comme science une enjeux

laquo philosophie premiegravere raquo agrave une portion extrecircmement congrue du corpus aristoteacutelicien en gros Λ

6-8 parfois associeacute agrave Physique VIII ndash on se retrouve agrave nouveau agrave la limite entre physique et

meacutetaphysique376

Il faut toutefois se garder dune tendance agrave lhomogeacuteneacuteisation on pourrait ainsi tout agrave

fait montrer que le texte eacutevoqueacute du De caelo III 1 est plus indeacutetermineacute et supporterait sans peine

la thegravese selon laquelle la philosophie premiegravere a aussi agrave soccuper des formes des composeacutes

hyleacutemorphiques On sen souvient dans la critique des Eacuteleacuteates Aristote confie agrave cette enquecircte

anteacuterieure agrave la physique leacutetude de laquo certaines choses (ἄττα τῶν ὄντων) inengendreacutees et

totalement immobiles raquo (ἀγένητα καὶ ὅλως ἀκίνητα)377 Or certaines propositions de la

Meacutetaphysique peuvent laisser penser que la forme serait en un sens immobile et inengendreacutee378 et

biais darguments tireacutes de la philosophie premiegravere ainsi que du [ou en particulier par le] mouvementen cercle qui est neacutecessairement eacuteternel aussi bien ici que dans les autres mondes raquo Comme le souligneP Pellegrin en note on peut en effet traduire le καὶ de la proposition laquo καὶ ἐκ τῆς κύκλῳ κινήσεως raquosoit comme conjonction de coordination (laquo et en outre raquo) soit dans sa valeur expleacutetive (laquo cest-agrave-dire raquoou laquo plus preacuteciseacutement raquo) Eacutetant donneacute la briegraveveteacute de largument il paraicirct difficile de ne pas penser quelaquo καὶ ἐκ τῆς κύκλῳ κινήσεως raquo vient deacutevelopper le renvoi agrave la philosophie premiegravere sans quoi cerenvoi resterait bien eacutenigmatique et de peu deffet argumentatif

376 Comme sen avisent pour le De caelo Alexandre et Simplicius cf Simplicius In De caelo 269 31 sqQuant au passage du De generatione Aristote lui-mecircme renvoie agrave un Traiteacute du mouvement (laquo ἐν τοῖς περὶκινήσεως λόγοις raquo 318a 3-4) dans lequel a eacuteteacute montreacute que lautre cause de la perpeacutetuiteacute de lageacuteneacuteration (autre que la matiegravere dont il va ecirctre ici question) doit ecirctre immobile cause dun mobiletoujours en mouvement et cest ce premier moteur queacutetudie la philosophie premiegravere

377 On trouve dailleurs ce mecircme couple dadjectifs dans le De generatione et corruptione II 10 quand leStagirite montre quil est neacutecessaire quil y ait un moteur premier origine absolue du mouvement cfGC II 10 337a 15 sq et en particulier l 19-20 laquo ἓν τὸ αὐτὸ καὶ ἀκίνητον καὶ ἀγένητον καὶἀναλλοίωτον raquo

378 Certes sauf erreur ladjectif laquo ἀγένητος raquo napparaicirct quune seule fois dans toute la Meacutetaphysique en B4 999b 7-8 dans le deacuteveloppement de la huitiegraveme aporie Il est cependant envisageable que lareacutesolution de cette aporie ne se fasse pas en Λ mais bien dans les livres centraux en tant quilsdeacuteveloppent la question de lοὐσία celle des relations entre forme et matiegravere et quils reacutefutent par lagrave-mecircme la seacuteparation de la forme selon les platoniciens Or que la forme dune substance composeacutee nesoit pas seacutepareacutee au sens platonicien nimplique pas quelle soit laquo geacuteneacutereacutee raquo pour autant agrave titre deprincipe du devenir elle preacutecegravede le devenir lui-mecircme et ce qui devient agrave proprement parler cesttoujours un composeacute (Cf par exemple Z 9 1034b 7-19) En outre que la forme ne puisse peacuterir commeleacutetablit Aristote agrave plusieurs endroits implique neacutecessairement quelle ne soit pas geacuteneacutereacutee et exclue duflux du devenir Enfin la forme est immobile au sens ougrave comme le rappelle K 11 par exemple le sontles formes comme termes du changement (1067b 9-11) Plusieurs moments de la Meacutetaphysiquementionnent dailleurs une substance (οὐσία) immobile ou seacutepareacutee des sensibles et sans trancher dansla preacutecipitation il est remarquable que ces passages font eacutegalement sens (et peut-ecirctre davantage) silon y entend non pas le premier moteur immobile mais bien la forme substantielle Annick Jaulinrenvoie par exemple agrave Γ 5 1009a 36-38 qui mentionne lexistence dune laquo autre substance des eacutetants agravelaquelle nappartiennent pas du tout ni le mouvement ni la corruption ni la geacuteneacuteration raquo A Jaulinrenvoie eacutegalement agrave Z 11 1037a 10-17 et Λ 1 1069a 33-b 2 cf A Jaulin M-P Duminil [2008] p 16A Jaulin a en effet soutenu que la philosophie premiegravere na pas pour seul objet les premiers moteurs

112

La meacutetaphysique comme science une enjeux

le contexte du chapitre du De caelo III 1 peut venir asseoir cette lecture quoique les indices

textuels demeurent assureacutement assez minces379 En reacutealiteacute tout se passe comme si dans ce

passage lidentiteacute des laquo choses raquo immobiles et inengendreacutees neacutetait pas ce qui importait

Pourquoi Parce que justement il suffit agrave Aristote dexclure du champ de la physique ces deux

proprieacuteteacutes (peu importe leur porteur) pour que sa critique fasse mouche Cest agrave la philosophie

premiegravere de deacuteterminer sil y a ou non [laquo τὸ γὰρ εἶναι raquo] des ecirctres de ce type et le cas eacutecheacuteant

de les eacutetudier pour eux-mecircmes Le programme assigneacute par ces deux adjectifs serait alors

deacutelibeacutereacutement ouvert puisquil peut aussi bien comprendre les parties plus theacuteologiques du corpus

que lousiologie des livres centraux voire la reacutefutation du platonisme Le principal est que cela ne

fasse pas lobjet de la physique pour disqualifier lentreprise parmeacutenidienne On pourrait montrer

dans le mecircme esprit quidentifier en Physique I 9 le laquo principe selon la forme raquo (qui constitue un

hapax) agrave un renvoi agrave la theacuteologie des moteurs immobiles revient agrave ceacuteder agrave une tradition

peacuteripateacuteticienne laquelle remonte au moins agrave Alexandre et systeacutematise la notion de forme depuis

les reacutegions infeacuterieures du sensible au niveau eacuteleacutementaire jusque dans les cieux380

Ainsi en va-t-il encore de louverture du laquo χωριστόν raquo que la Physique II 2 octroie comme

objet agrave la philosophie premiegravere ou du laquo ᾗ δὲ κεχωρισμένα raquo du De anima Agrave chaque fois

lindeacutetermination lampleur du champ perceacute parce quelle se reacutepegravete ne peut ecirctre due au pur

hasard381 Le concept aristoteacutelicien de laquo philosophie premiegravere raquo exemplifie agrave plein la ductiliteacute

divins mais aussi ndash et sans contradiction ndash les formes comme substances immobiles des substancescomposeacutees sensiblesVoir en particulier A Jaulin [2008a] p 347-360 Pour la reacutepeacutetition volontaire delaquo οὐσία raquo cf A Jaulin dans A Jaulin M-P Duminil [2008] p 12

379 Sur la diffeacuterence entre les moteurs ceacutelestes et les formes des composeacutes cf Z 15 1039b 20-27 qui montreque les formes des composeacutes sont certes inengendreacutees et impeacuterissables et mecircme immobiles mais ellene sont pas toujours elles sont et ne sont pas Sur la maniegravere dont physique et meacutetaphysique separtagent leacutetude de la forme cf A Stevens [agrave paraicirctre] qui montre comment la philosophie premiegraverelaquo ne se deacutefinit pas par des objets propres mais par eacutetude propre des objets qui sont aussi ceux drsquoautressciences raquo sur lesquels elle prend une perspective particuliegravere

380 Cf infra sect 32 et 33

381 A Mansion comme on sen doute se sert du passage de Phys II 2 194b 14 pour opposer deux sortesde formes celles dans la matiegravere et celles seacutepareacutees (dans leur ecirctre) de la nature On reconnaicirct aiseacutementici lascendance alexandrinienne comme on le verra Pour la fin de Physique II 2 comme pour lepassage du DA I 1 403 b 7-16 la prudence est requise Ce dernier passage meacuteriterait agrave lui seul touteune eacutetude eu eacutegard aux deacutesaccords des traducteurs et des interpregravetes Il est en effet possible que bienconstruite la proposition cruciale de 403b 10-16 (laquo ἀλλ ὁ φυσικὸς περὶ ἅπανθ ὅσα τοῦ τοιουδὶσώματος καὶ τῆς τοιαύτης ὕλης ἔργα καὶ πάθη ὅσα δὲ μὴ τοιαῦτα ἄλλος [hellip] ᾗ δὲ κεχωρισμένα ὁπρῶτος φιλόσοφος raquo) ramasse lideacutee que le philosophe premier doit soccuper non pas du seacutepareacutesimplement (lintellect agent selon Mansion) mais des laquo affections de la matiegravere raquo en tant quelles sontseacutepareacutees de la matiegravere (ie ces deacuteterminations de la matiegravere prises en tant que seacutepareacutees)

113

La meacutetaphysique comme science une enjeux

terminologique du Stagirite ndash les concepts aristoteacuteliciens sont comme on dit dans lindustrie

textile des laquo mateacuteriaux souples raquo382 De fait luniteacute fonctionnelle de laquo philosophie premiegravere raquo

nimplique pas en ce qui concerne son objet la reacuteduction agrave luniteacute Par laquo philosophie premiegravere raquo

le Stagirite ouvre un horizon qui peut renvoyer certes agrave la theacuteologie du moteur immobile mais

aussi bien agrave linterrogation sur la forme du composeacute voire agrave la critique des Ideacutees383

Contre lideacutee que la promotion alexandrinienne de laquo philosophie premiegravere raquo sexpliquerait

a priori par un projet de theacuteologisation de la meacutetaphysique il faut donc bien plutocirct faire

lhypothegravese dune conscience de la largeur de leacuteventail ouvert par lexpression dans le corpus

aristoteacutelicien Cest ce qui explique que lExeacutegegravete emploie aussi souvent laquo philosophie premiegravere raquo

avec sagesse deux expressions conccedilues comme synonymes384

Toutefois si Alexandre a perccedilu la geacuteneacuteralisation possible de laquo philosophie premiegravere raquo agrave

lensemble de la meacutetaphysique chez lui en revanche laquo philosophie premiegravere raquo nest plus le nom

dune thegravese qui deacutelimite la physique nest plus un concept qui prend son sens relativement agrave la

philosophie seconde Du fait mecircme de son hermeacuteneutique Alexandre cherche par delagrave la

coheacuterence fonctionnelle du syntagme agrave en fixer la signification et donc agrave fixer lobjet de la

meacutetaphysique ou agrave les articuler entre eux La possibiliteacute mecircme de la question de lobjet de la

philosophie premiegravere est bien le reacutesultat dune opeacuteration exeacutegeacutetique typique dAlexandre

Et de fait comme on la vu dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Alexandre utilise

preacuteciseacutement laquo philosophie premiegravere raquo comme un terme collectif qui en vient agrave deacutesigner

lensemble de la science proposeacutee par le traiteacute dans toutes ses dimensions Le problegraveme de lobjet

de la meacutetaphysique se concentre dans la question de la signification de laquo philosophie premiegravere raquo

En atteste un passage du Commentaire aux Premiers analytiques

382 Cf J Brunschwig [1979] qui se fonde en particulier sur lideacutee dune dune souplesse du lexiquearistoteacutelicien comme en teacutemoigne limportante proposition finale qui demeure une sourcedinspiration selon laquelle il faut lire Aristote avec preacutesente agrave lesprit la regravegle laquo reconnaicirctre aux motsle sens tout le sens rien que le sens que la fonction quils remplissent dans les eacutenonceacutes contraint deleur reconnaicirctre raquo (p 158)

383 En Phys II 2 194b 14-15 cest bien une question (τί ἐστι ) qui est attribueacutee agrave la philosophie premiegravereOr cette question de savoir si la forme est laquo χωριστόν raquo peut sentendre selon les trois sens de ladjectifchez Aristote la forme est-elle seacuteparable seulement τῷ λόγῳ ou ἁπλῶς Si la forme nest seacuteparableque τῷ λόγῳ peut-elle agrave bon droit prendre le titre de substance premiegravere Si lon maintient en outre lasubstantivation de τὸ χωριστόν sans sous-entendre laquo forme raquo alors la perspective seacutelargit davantage quest-ce qui est seacutepareacute Ces questions sont toutes traiteacutees dans les livres centraux dont linterrogationinitiale part de la substance et deacutefinit parmi ses critegraveres la seacuteparabiliteacute Mais plus encore la critiquede Formes universelles seacutepareacutees courant de A agrave N cest en un sens une grande partie de laMeacutetaphysique qui pourrait ici ecirctre viseacutee

384 Au sens contemporain

114

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Πάλιν εἴ τις λάβοι ὅτι ἡ τοῦ ὄντοςἐπιστήμη ᾗ ὂν ἐπιστήμη ἐστὶ τοῦ πρώτουαἰτίου κινοῦντος ἡ δέ γε ἐπιστήμη ἡ τοῦπρώτου αἰτίου κινοῦντος ἡ πρώτη [35735]ἐστὶ φιλοσοφία καὶ συνάγοι ἐκ τούτων ὅτιἡ τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ἐπιστήμη ἡ [3581] πρώτηἐστὶ φιλοσοφία

laquo Ensuite si lon posait que la science de leacutetant entant queacutetant est science de la premiegravere cause motriceet que la science de la premiegravere cause motrice est laphilosophie premiegravere alors on en infeacutererait385 de lagraveque la science de leacutetant en tant queacutetant est laphilosophie premiegravere raquo

(In AnPr 357 32 ndash 358 1)

Sans vouloir pousser le goucirct du paradoxe ce passage est inteacuteressant justement parce quil

est anodin ce nest lagrave quun exemple comme donneacute en passant mais cet exemple nappartient

pas au Commentaire agrave la Meacutetaphysique et nest donc pas le fruit dune exeacutegegravese locale Au surplus

rien dans le passage des Premiers Analytiques ne pousse agrave son usage Le contexte en effet est le

commentaire du chapitre I 35 qui sinsegravere dans un moment du traiteacute ougrave Aristote deacutenonce les

erreurs agrave eacuteviter dans les raisonnements deacuteductifs Il est ici question des erreurs lieacutees agrave la

formulation des deacuteductions en langage naturel386 et du problegraveme des laquo noms raquo des termes du

syllogisme Alexandre commente la proposition dAristote selon laquelle laquo il ne faut pas toujours

chercher agrave exprimer les termes par un nom souvent en effet il y aura des expressions [λόγοι]

pour lesquelles on na pas eacutetabli de nom raquo387 Ce nest pas parce quun des termes na pas de nom

et ne sexprime que par une laquo locution composeacutee raquo (ainsi Tricot traduit-il laquo λόγοι raquo) que pour

autant il ne faut pas consideacuterer ce terme comme une uniteacute logiquement repreacutesentable par une

lettre par exemple mecircme si reconnaicirct Aristote cela peut poser des difficulteacutes lors de la

reconduction du syllogisme en question agrave lune des trois figures

Alexandre a dabord choisi un cas ougrave seul le moyen terme du syllogisme sexprime par

une proposition et non par une expression nominale ou un adjectif laquo le courageux deacutedaigne son

propre salut au profit de lutiliteacute commune or tout homme qui deacutedaigne son propre salut au

profit de lutiliteacute commune est digne deacuteloge donc le courageux est digne deacuteloge raquo388 Peu

importe donc dit Alexandre que le moyen-terme ne sexprime pas ici par un nom pour pouvoir

reconduire ce syllogisme agrave la premiegravere figure Alexandre complique ensuite laffaire en prenant

385 Les traducteurs anglais du Commentaire aux Topiques par exemple proposent aussi en ce sens laquo todeduce raquo

386 M Crubellier [2008] p 144

387 An Pr I 35 48a 29-30 laquo Οὐ δεῖ δὲ τοὺς ὅρους ἀεὶ ζητεῖν ὀνόματι ἐκτίθεσθαι πολλάκις γὰρ ἔσονταιλόγοι οἷς οὐ κεῖται ὄνομα raquo

388 In AnPr 357 27-29 laquo lsquoὁ ἀνδρεῖος καταφρονεῖ τῆς ἑαυτοῦ σωτηρίας ὑπὲρ τοῦ κοινῇ συμφέροντοςπᾶς ὁ καταφρονῶν τῆς ἑαυτοῦ σωτηρίας ὑπὲρ τοῦ κοινῇ συμφέροντος τιμῆς ἄξιος ὁ ἄρα ἀνδρεῖοςτιμῆς ἄξιοςrsquo raquo

115

La meacutetaphysique comme science une enjeux

un exemple ndash le passage citeacute ndash ougrave ce sont agrave la fois un extrecircme et le moyen-terme qui sexpriment

par des locutions complexes et ougrave au surplus le syllogisme porte sur une question de

deacutenomination Lagrave encore pour analyser ce syllogisme comme relevant de la premiegravere figure il

est inutile voire preacutejudiciable de chercher les noms des termes agrave la place de ces expressions389

Ce simple exemple suffit ainsi agrave montrer premiegraverement que lexpression laquo philosophie

premiegravere raquo est bien au centre dune question de deacutenomination et deuxiegravemement quAlexandre a

choisi de nommer ainsi lontologie Cela confirme donc que le double emploi de laquo philosophie

premiegravere raquo autant que laquo sagesse raquo que nous avions eacutevoqueacute preacuteceacutedemment nest pas une

maladresse une neacutegligence ni une scorie de lExeacutegegravete

Nous nous interrogions donc sur lapparente eacutequivalence des noms de la science

rechercheacutee Peut-ecirctre sommes-nous deacutesormais en mesure daffiner cette eacutequivalence Si lon reacuteduit

les candidats aux seuls noms (en laissant de cocircteacute les laquo λόγοι raquo comme laquo science de leacutetant en tant

queacutetant raquo)390 alors il y a disproportion entre les deacutenominations les plus employeacutees par

Alexandre sagesse et philosophie premiegravere et les autres theacuteologie et meacutetaphysique Cette

diffeacuterence quantitative est signifiante elle signale la lecture unitarienne de lExeacutegegravete qui

privileacutegie des termes agrave la fois explicitement conceptualiseacutes par Aristote et susceptibles de couvrir

lensemble du champ perceacute par la Meacutetaphysique alors que laquo theacuteologique raquo neacutevoque quun aspect

de cette science Avec ces deux premiers noms il semble quon ait affaire agrave de parfaits synonymes

au sens contemporain ou polyonymes391 Alexandre emploie lun autant que lautre lun agrave la

place de lautre lun avec lautre Cest strictement la mecircme personne qui est sage et philosophe

premier392 et la mecircme science qui est sagesse et philosophie premiegravere ougrave lexpression se construit

comme un hendiadyn laquo τὴν αὐτὴν δὲ ἔθος αὐτῷ καλεῖν σοφίαν τε καὶ πρώτην φιλοσοφίαν raquo

15 32-33)

389 In AnPr 358 1-4

390 Comme le fait F Wolff [1997] p 293

391 En toute rigueur cest le reacutefeacuterent deacutesigneacute par ces termes qui est polyonyme et non les noms eux-mecircmes

392 In Met 239 34-37 ougrave ces deux noms deacutesignent Aristote en personne laquo λαμβάνει τὸ δεῖν τὰς ἀρχὰςτὰς πρώτας καὶ τὰς ἀκροτάτας αἰτίας ἃς νῦν φησιν εἶναι τὰς ζητουμένας ὑπ αὐτοῦ τουτέστινὑπὸ τοῦ σοφοῦ τε καὶ πρώτου φιλοσόφου φύσεώς τινος ἀρχὰς εἶναι καθ αὑτὸ καὶ μὴκατὰσυμβεβηκός raquo

116

La meacutetaphysique comme science une enjeux

123 La Meacutetaphysique selon Alexandre

a) Une lecture interne

Loption unitarienne de lExeacutegegravete se perccediloit donc dans lidentiteacute en extension des titres du

traiteacute et des noms de la science que celui-ci expose La promotion et lemploi alexandrinien de

laquo philosophie premiegravere raquo indiquent toutefois deacutejagrave agrave titre de piste que cette unification ne se fera

pas neacutecessairement au profit de leacutelection dun seul objet de la meacutetaphysique On a vu de fait

comment le choix de lExeacutegegravete en faveur de laquo sagesse raquo et surtout de laquo philosophie premiegravere raquo

sexpliquait par leur capaciteacute agrave couvrir une tregraves large partie de la Meacutetaphysique Il convient degraves

lors de se demander comment lExeacutegegravete conccediloit en geacuteneacuteral la composition du traiteacute Nous nous

cantonnerons ici principalement aux cinq premiers livres Des conjectures pour les livres restants

seraient envisageables sur la base des remarques donneacutees par Alexandre au fil du commentaire

des cinq premiers mais lentreprise restera assez speacuteculative393 Au surplus ces cinq livres offrent

deacutejagrave de solides indications sur la conception alexandrinienne du traiteacute et posent agrave lExeacutegegravete des

problegravemes (dauthenticiteacute et de place) similaires agrave ceux quont pu lui poser les livres suivants

Dans une synthegravese remarquable394 M Frede a deacutecrit la situation de tout interpregravete

contemporain devant la Meacutetaphysique Voilagrave un traiteacute dont le nom est inauthentique et dont la

composition paraicirct au moins irreacuteguliegravere Ces textes nont tregraves probablement pas eacuteteacute eacutecrits dune

seule traite et sont de statuts diffeacuterents395 mais nous ne posseacutedons aucune preuve indiscutable du

fait que la Meacutetaphysique soit ou non un agreacutegat (au sens leibnizien) composeacute par les successeurs ou

les eacutediteurs dAristote Comme le souligne en effet S Menn396 contre une opinion reacutepandue ce

deacutefaut de preuves externes laisse encore ouverte la possibiliteacute que la Meacutetaphysique ait eacuteteacute formeacutee

par Aristote lui-mecircme On a rappeleacute les doutes agrave ce sujet ci-dessus il semble tregraves improbable

quon puisse acceacuteder agrave une certitude quant agrave la formation (et encore moins au sens) de la

Meacutetaphysique agrave partir de ces teacutemoignages externes Pour hasarder une comparaison le lecteur

contemporain de la Meacutetaphysique se trouve devant son texte dans une situation pire que celle dun

393 Voir cependant avec laide dAverroegraves les conjectures ci-dessous sect 243

394 M Frede [1987b] p 81-83

395 Voir aussi A Stevens [2000] p 11 et 17

396 S Menn [1995]

117

La meacutetaphysique comme science une enjeux

speacutecialiste des Essais priveacute des indications marginales A B C397 Degraves lors pour comprendre quel

est le sens du projet dAristote il ne nous reste selon M Frede quune voie et une possibiliteacute

laquo the only avenue raquo

We have to go by Aristotles explicit remarks about the project he is engaged in see to what extendthis project actually is carried out and extrapolate on what the finished project would have lookedlike398

Bref cest limpeacuteratif hermeacuteneutique dune lecture interne qui doit preacutevaloir Pour un

lecteur contemporain la regravegle deviendrait donc autant quil est possible chercher le sens de ces

textes agrave partir deux-mecircmes sans employer la deacuterobade dune composition inauthentique ou

dadditions extrinsegraveques399 Cette regravegle soit dit en passant nastreint pas delle-mecircme agrave une

option unitarienne elle consiste bien plutocirct en lassomption dun scepticisme preacutealable

paradoxalement producteur de sens400

Or il est frappant de constater agrave quel point Alexandre nest pas si eacuteloigneacute de ce lecteur

contemporain On aurait pu attendre de lExeacutegegravete une documentation historique plus preacutecise des

sources plus autoriseacutees Jamais Alexandre ne fait intervenir Eudegraveme Pasiclegraves ou Andronicos ou

qui que ce soit dautre comme auteurs de corrections exteacuterieures pour justifier tel eacutetat du texte

Est-ce par ignorance de ces hypothegraveses On peut en douter les teacutemoignages sur leacutedition de la

Meacutetaphysique lui sont posteacuterieurs il fait lui-mecircme eacutetat de remises en causes eacuteditoriales du traiteacute il

preacutesente des variantes des manuscrits et naffiche donc pas en ce sens de sacralisation excessive

du texte en son niveau le plus mateacuteriel Cela deacutenote bien plutocirct une certaine option

hermeacuteneutique celle dune lecture interne qui pousse agrave son maximum la preacutesomption de

coheacuterence geacuteneacuterale du texte

397 Quoique bien sucircr la laquo rapsodie raquo montanienne (cf Essais I 13 et 56) soit tregraves diffeacuterente de celle queKant reproche agrave Aristote ne serait-ce que par leur rapport agrave la veacuteriteacute

398 M Frede [1987b] p 83

399 Cf aussi S Menn [1995] p 208 laquo Of course we may very well conclude that the order of the text as we haveit fails in some major way to reflect Aristotles intentions [] but we cannot draw such conclusions fromauthority We can only draw them if after serious effort we are unable to make sense of the text as we have it raquo

400 Parce que la mise en suspens des questions externes et de la valeur de veacuteriteacute des teacutemoignages eacutevite dessolutions faciles et pousse agrave lapprofondissement des interpreacutetations On nous reacutetorquera que cela estcontradictoire avec limpeacuteratif de contextualisation soutenu au deacutebut de ce travail Toutefois ce seraitfaire un mauvais procegraves la mise en suspens de ces indices externes douteux quant agrave la composition dela Meacutetaphysique ninterdit pas par exemple la prise en compte de la dimension collective et dialogiquedu travail philosophique agrave leacutepoque dAristote

118

La meacutetaphysique comme science une enjeux

b) Authenticiteacute des livres et uniteacute du traiteacute

Un fait trop rarement souligneacute est en effet que le commentaire dAlexandre teacutemoigne agrave

maintes reprises de discussions anteacuterieures sur la composition de la Meacutetaphysique ou sur

lauthenticiteacute de certains livres Degraves avant Alexandre ndash assez tocirct donc ndash les lecteurs de la

Meacutetaphysique auraient eu conscience davoir affaire agrave un ensemble plus ou moins instable voire

corrompu Agrave chaque fois pourtant sans relacircche Alexandre seacutelegraveve contre ces soupccedilons La

question de lauthenticiteacute du livre A quAlexandre eacutetablit entre autres au deacutetour dun

commentaire agrave B 2 en est un bon exemple

Μέλλων δὲ πρὸς αὐτὰς λέγειν πρῶτονὑπομιμνήσκει ἡμᾶς ὁποίας τινὰς [19620]ἔλεγον αὐτὰς εἶναι ἀναπέμπων εἰς τὰεἰρημένα ἐν τῷ πρώτῳ Ὅθεν καὶ δῆλον ἐκπλειόνων ἤδη ὅτι κἀκεῖνο Ἀριστοτέλους τέἐστι καὶ ἐκ ταύτης τῆς πραγματείας Καὶ γὰρἐν τῷ ἤθει ὁμοίως ἐκεῖ τε περὶ αὐτῶν εἴρηκεκαὶ ἐνταῦθα ἐμνημόνευσεν ὡς γὰρ περὶοἰκείας τῆς δόξης τῆς περὶ ἰδεῶν οὔσης τοὺςλόγους ἐν ἀμφοτέροις πεποίηται

Dans lintention de parler contre ces substancesAristote nous rappelle dabord quelle sorte desubstances elles sont aux dires ltplatoniciensgtrenvoyant agrave ce quil a dit dans le premier livre De lagraveaussi il est eacutevident ndash comme ce leacutetait deacutejagrave agrave partir demultiples points ndash que ce ltlivregt est dAristote et faitpartie de ce traiteacute De fait cest dans un espritsimilaire quil a parleacute de ces substances au premierlivre et quil les eacutevoque ici car dans les deux cas il aconstruit son discours comme si la doctrine des Ideacuteeseacutetait la sienne propre

(196 19-24)

Largument est simple ndash lauthenticiteacute de A et donc luniteacute du traiteacute seacutetablissent agrave la

faveur de ce renvoi ndash quoiquil soit amusant de voir Alexandre sassurer de lauthenticiteacute du livre

gracircce agrave un passage ougrave Aristote se comprend parmi les platoniciens Pour lExeacutegegravete la deacuteclaration

dAristote laquo or comment nous disons que les formes sont causes et substances par soi cela a eacuteteacute

dit dans nos premiers exposeacutes agrave leur sujet raquo401 ne peut viser que A ndash on imagine quil sagit de A 6

et peut-ecirctre 9402 Quant aux autres lieux visant A et mentionneacutes par Alexandre ce sont sans doute

995b 4-6 et 996b 8-10 Alexandre aurait-il eu connaissance de lattribution du livre agrave Pasiclegraves de

Rhodes Laffirmation est risqueacutee mais E Berti la oseacutee en mettant en parallegravele la thegravese

alexandrinienne et un passage dAscleacutepius refusant lattribution du livre agrave Pasiclegraves403 Selon Berti

401 Met B 2 997b 3-5 laquo ὡς μὲν οὖν λέγομεν τὰ εἴδη αἴτιά τε καὶ οὐσίας εἶναι καθ ἑαυτὰς εἴρηται ἐντοῖς πρώτοις λόγοις περὶ αὐτῶν raquo

402 Voir F De Haas [2009] p 81 et 85

403 Voir E Berti [1982] et M Hecquet-Devienne [2005] p 146 Pour Ascleacutepius cf In Met 4 17-24 laquo Εἶταλοιπὸν δεῖ εἰπεῖν καὶ περὶ τοῦ μεγάλου ἄλφα καὶ περὶ τοῦ μικροῦ ἄλφα εἰδέναι τοίνυν χρὴ ὅτιδεκατέσσαρα βιβλία ἔγραψεν ὁ Ἀριστοτέλης ἐν τῇ παρούσῃ πραγματείᾳ μέχρι γὰρ τοῦ ltνgtστοιχείου ἔγραψε καὶ [420] αὐτοῦ τινὲς δὲ εἰρήκασιν ὅτι δεκατρία τὸ γὰρ μεῖζον ἄλφα περὶ οὗνῦν πρώτως διαλέγεται οὔ φασιν εἶναι αὐτοῦ ἀλλὰ Πασικλέους τοῦ υἱοῦ Βοήθου τοῦ ἀδελφοῦ

119

La meacutetaphysique comme science une enjeux

si Ascleacutepius connaicirct cette fausse attribution et reprend la thegravese dAlexandre cest que deacutejagrave

Alexandre devait en ecirctre informeacute Une telle interpreacutetation ne peut quen rester au stade de la

conjecture404 Largument dAlexandre est en tout cas promis agrave un beau succegraves Syrianus par

exemple lempruntera dans son propre commentaire ndash mais de faccedilon plus cinglante ndash et il

constitue certainement la source dune des scolies marginales du manuscrit E405

De telles poleacutemiques sur le texte mecircme du traiteacute se perccediloivent aussi agrave propos des livres α

et Δ Commenccedilons par le plus simple Δ dit Alexandre est manifestement un livre de la

Meacutetaphysique et qui plus est il se trouve agrave la bonne place Contrairement agrave ce qui se produit dans

nos deacutebats contemporains sur Δ les discussions anteacuterieures agrave Alexandre vont donc bien au-delagrave

de sa seule appartenance ou non au traiteacute Lenjeu nest pas seulement de savoir si le livre que

Diogegravene Laeumlrce cite comme Περὶ τῶν ποσαχῶς λεγομένων ἢ κατὰ πρόσθεσιν est un livre

indeacutependant ou non mais mecircme sil est dAristote sil est agrave la bonne place et enfin sil est

complet

Le proegraveme semble ainsi deacutejagrave annoncer les introductions scolaires quon pourra lire chez

les auteurs neacuteo-platoniciens Aux dires de Simplicius celles-ci devaient traiter laquo du but de

lutiliteacute de la raison decirctre du titre de la place du traiteacute dans lordre de la lecture de son

authenticiteacute de la division en chapitres raquo auxquels sajoute linterrogation sur laquo la partie de la

philosophie raquo sous laquelle se range le traiteacute406 La formule demeure manifestement moins

conventionnelle que chez Simplicius mais une bonne part des reacutequisits de lintroduction selon ce

dernier est deacutejagrave un passage obligeacute chez Alexandre

Comme dans le passage preacuteceacutedent lauthenticiteacute saffirme via lemploi explicite du nom

dἈριστοτέλης et se fonde agrave la fois sur le fond et la forme du traiteacute laquo ἀπὸ τῆς λέξεως καὶ ἀπὸ

Εὐδήμου τοῦ ἑταίρου αὐτοῦ οὐκ ἔστι δὲ ἀληθές σώζεται γὰρ ἡ τοῦ Ἀριστοτέλους δεινότης καὶ ἐκτῆς λέξεως καὶ ἐκ τῆς θεωρίας καὶ πολὺ πλέον ὅτι μέμνηται αὐτοῦ ἐν τῷ ἐλάττονι ἄλφα raquo

404 Cf M Hecquet-Devienne [2005] p 146 laquo Le fait quAscleacutepios oppose directement lavis dAlexandre agravelopinion qui faisait de Pasiclegraves lauteur de Grand Alpha semble donner raison agrave Berti lorsquilconsidegravere quAlexandre connaissait deacutejagrave cette derniegravere la discussion sur lauthenticiteacute de Grand Alphaagrave laquelle il reacutepond sinscrit probablement dans la mecircme tradition que celle qui est rapporteacutee parAscleacutepios quatre siegravecles plus tard Mais on ne peut pas exclure son inscription dans une tradition quifaisait de Theacuteophraste lauteur de Grand Alpha et qui neacutetait pas connue dAscleacutepios raquo

405 Pour Syrianus voir In Met 23 8-9 laquo ἀναπέμπει ἡμᾶς ἐπὶ τὰ ἐν τῷ μείζονι Α ῥηθέντα γελοῖοι οὖνκαὶ ταύτῃ οἱ τὸ βιβλίον νοθεύοντες raquo C Luna eacutetablit ce parallegravele (parmi de multiples autres) ensoulignant par exemple la structure commune laquo ἀναπέμπει ἡμᾶς ἐπὶ τὰ ἐν τῷ μείζονι Α ῥηθέντα raquo(Syrianus) et laquo ἀναπέμπων εἰς τὰ εἰρημένα ἐν τῷ πρώτῳ raquo (Alexandre) Cf C Luna [2001] p 83Pour le manuscrit E cf M Hecquet-Devienne [2005] p 135-136

406 Simplicius In Cat 8 10-13 Voir agrave ce sujet I Hadot [1990] en particulier p 23-47 et 138-160

120

La meacutetaphysique comme science une enjeux

τῶν ἐν αὐτῷ λεγομένων raquo (344 2-3)407 Le lien theacutematique permet eacutegalement agrave Alexandre

denteacuteriner la position du livre dans le traiteacute Reacutesumons la longue argumentation dAlexandre408

du point de vue qui nous inteacuteresse sans pour le moment entrer dans tous les enjeux conceptuels

qui sy concentrent Selon Alexandre Δ a pour objet la distinction de certains plurivoques Or le

livre Γ a fermement eacutetabli quil appartenait au philosophe premier de traiter leacutetant en tant

queacutetant et ses proprieacuteteacutes par soi En outre le philosophe premier a pour tacircche de traiter

scientifiquement ce que le dialecticien ne fait que traiter logiquement (laquo λογικῶς raquo 344 19) agrave

partir des laquo ἔνδοξα raquo Or les plurivoques de Δ sont de ces proprieacuteteacutes communes que toutes les

sciences particuliegraveres utilisent sans pouvoir les eacutetudier speacutecifiquement parce quelles

appartiennent agrave toutes choses Le livre Δ est donc un livre de philosophie premiegravere il appartient

bel et bien au traiteacute

Qui plus est ce livre est agrave sa juste place (laquo τάξις raquo 344 20) dans le traiteacute il fallait B puis Γ

pour eacutetablir que parmi les objets du philosophe premier figurent ces notions plurivoques qui

sont des proprieacuteteacutes communes de leacutetant en tant queacutetant Alexandre conccediloit ainsi leacutetude de Δ

comme une suite directe de lanalyse des axiomes (le principe de non-contradiction) queffectuait

la seconde partie de Γ puisque les axiomes de Γ et les plurivoques de Δ ont en commun de servir

aux sciences particuliegraveres

Fait assez deacutesespeacuterant pour le lecteur dAlexandre lExeacutegegravete eacutenonce lhypothegravese dun

livre tronqueacute comme le fait danonymes laquo certains raquo (laquo ὅτι δὲ μὴ ἀτελὲς τὸ βιβλίον ὡς οἴονταί

τινες raquo 345 4) Toutefois agrave lopposeacute de ce qui se produit chez Ascleacutepius cette affirmation ne

repose pas ici sur lideacutee daccidents affectant le manuscrit ou de la perte de parties409 Largument

comme le contre-argument sont bien internes agrave lideacutee que le livre est incomplet parce quil nest

pas exhaustif (Aristote ny deacutefinit pas tous les plurivoques) Alexandre riposte en reacuteaffirmant

lobjet de Δ Le livre na simplement pas agrave traiter de tous les plurivoques mais seulement de ceux

qui sont employeacutes en commun par les sciences particuliegraveres pour laquo prouver leur objet raquo (laquo τὰ

προκείμενα αὐταῖς δεικνύουσιν raquo 345 5) Or ces notions agrave titre dattributs de leacutetant en tant

queacutetant heacuteritent en quelque sorte de la plurivociteacute de leur sujet dougrave le neacutecessaire travail de

division (laquo διαίρεσις raquo) de leurs sens

407 Alexandre ne renvoie pas au livre I (qui semble faire reacutefeacuterence agrave Δ en 1052a 15-16 laquo ἐν τοῖς περὶ τοῦποσαχῶς διῃρημένοις raquo)

408 In Met 344 2 ndash 345 20

409 Ascleacutepius In Met 305 20

121

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Lemploi par Alexandre de lindeacutefini ou labsence de sujet explicite sont constants dans ce

genre de questions ndash par exemple pour savoir si B est ou non le premier livre du traiteacute410 ou si la

premiegravere aporie de B doit ecirctre placeacutee agrave la fin de α411 Il est difficile de savoir si les pratiques

exeacutegeacutetiques et philologiques ainsi eacutevoqueacutees sont seulement anteacuterieures agrave Alexandre ou encore

contemporaines lExeacutegegravete emploie dans ces circonstances aussi bien le preacutesent que limparfait et

laoriste mais le preacutesent et laoriste nont peut-ecirctre pas leur valeur temporelle412 Agrave tout le moins

cela teacutemoigne de la vigueur de lacircpreteacute de ces pratiques413 Les allusions dAlexandre sont en effet

congruentes avec lune des rares descriptions de lexeacutegegravese et de la philologie agrave leacutepoque post-

helleacutenistique celle de P Moraux Selon le savant

Avec Andronicus commence leacutepoque des commentaires ceux-ci ne sont pas en tant quetels des creacuteations ex nihilo ils ont comme modegraveles lointains les commentaires agrave diversauteurs dont Homegravere conccedilus et reacutealiseacutes par les grands philologues alexandrins Lesmeacutethodes proprement philologiques eacutegalement creacuteeacutees par leacuterudition alexandrine ont eacuteteacuteappliqueacutees par les commentateurs au texte dAristote Degraves avant Alexandre dAphrodiseceux-ci pratiquaient ce que nous appelons aujourdhui la critique des textes ilsmentionnaient et interpreacutetaient les leccedilons de plusieurs manuscrits le cas eacutecheacuteant ilssefforccedilaient dameacuteliorer par des conjectures diverses un eacutenonceacute quils trouvaient fautif oupeu satisfaisant Enfin la critique dite supeacuterieure a laisseacute des traces assez nombreuses danslœuvre des commentateurs Nous apprenons ainsi que lauthenticiteacute de plusieurs livresavait eacuteteacute contesteacutee surtout en raison de preacutetendues divergences doctrinales aveclaristoteacutelisme authentique Lhypothegravese a aussi eacuteteacute avanceacutee que tel livre ne serait pas agrave saplace lagrave ougrave nous le trouvons quil naurait pas eacuteteacute termineacute par Aristote ou nous seraitarriveacute incomplet414

Si lon cherche un nom propre on pourra ecirctre tenteacute de prononcer celui de Nicolas de

Damas qui aux dires dAverroegraves aurait proposeacute un ordre diffeacuterent pour les livres ndash par exemple

en parsemant les apories de B comme les deacutefinitions de Δ tout au long du traiteacute sur le modegravele de

ce qui se produit dans la Physique Lopinio communis date en effet geacuteneacuteralement lactiviteacute de

410 In Met 172 21-22 laquo διό τισιν ἔδοξε τῆς Μετὰ τὰ φυσικὰ πραγματείας τοῦτο εἶναι τὸ πρῶτον raquo

411 In Met 174 24-25 laquo τινὲς μέντοι διὰ τὸ νῦν εἰρημένον ὑπ αὐτοῦ ἐπὶ τέλει τοῦ τῶν Α ἐλάττονοςταύτην τὴν ἀπορίαν προσγράφουσι κατ οὐδένα λόγον ἐκεῖ κειμένην raquo

412 Voir par exemple ndash outre les exemples citeacutes ci-dessus In Met 141 10 345 4

413 M Crubellier a compareacute certaines pratiques philologiques de leacutecole de Tuumlbingen avec les deacutebuts delarcheacuteologie moderne laquo Les deacutebuts de larcheacuteologie moderne ont eacuteteacute le fait dhommes qui recircvaient dedeacutecouvrir des treacutesors et que leur passion a conduits agrave deacutetruire bon nombre de grands sites Lesarcheacuteologues daujourdhui regrettent ces pillages plus patients et plus modestes (mais parce quilsont dautres ambitions) ils savent quavant de toucher agrave quoi que ce soit il est indispensable de fairedes releveacutes soigneux agrave chaque eacutetape de la fouille raquo Cf M Crubellier [1994] p 11-12 Cette oppositionpourrait bien sappliquer aux pratiques philologiques dont Alexandre semble se deacutegager dans sonCommentaire

414 P Moraux [1986] p 143-144

122

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Nicolas et la reacutedaction du De philosophia Aristotelis du Ier s et la description donneacutee par Averroegraves

pourrait fort bien convenir aux allusions laisseacutees par Alexandre415 Toutefois rien ne permet

daller au-delagrave de la simple hypothegravese sans compter le statut d laquo outsider raquo de Nicolas416

Cette tradition philologique anonyme satteste encore dans le traitement reacuteserveacute au livre

α Ce livre est tregraves probablement celui qui pose le plus difficulteacute agrave Alexandre (agrave juste titre sans

doute) comme le montre la pluraliteacute des passages agrave ce sujet et le caractegravere ouvert de ses

hypothegraveses de lecture La question de son authenticiteacute est toutefois rapidement reacutegleacutee degraves la

premiegravere ligne du commentaire ndash cela ne semble pas faire vraiment difficulteacute Notons en passant

que des cinq premiers livres du traiteacute seuls Β et Γ auraient donc eacutechappeacute au soupccedilon

dinauthenticiteacute La difficulteacute se concentre plutocirct dans la double question ce livre est-il issu de la

Meacutetaphysique et est-il agrave la bonne place Mais dans toutes ses hypothegraveses de lecture Alexandre

nenvisage jamais une autre position pour α que la deuxiegraveme lalternative est donc simple soit

α suit A soit il ne fait pas partie du traiteacute ou du moins pas totalement

Cette seconde branche de lalternative laisse en effet ouvertes plusieurs possibiliteacutes ou

bien le livre est une introduction agrave la philosophie theacuteorique en geacuteneacuteral et nest donc pas eacutetranger

agrave la Meacutetaphysique ou bien il est une introduction agrave la seule Physique thegravese supporteacutee par la

derniegravere phrase du livre laquo Crsquoest pourquoi il faut dabord examiner ce qursquoest la nature ainsi en

effet on verra aussi clairement de quoi traite la physique raquo qui semble ouvrir agrave la physique en

dressant un programme que le livre B ne remplira pas417 Le contenu mecircme du livre favorise

lhypothegravese de proleacutegomegravenes agrave toute philosophie theacuteorique ndash le thegraveme de la faciliteacute ou non de la

recherche de la veacuteriteacute par exemple Cela explique la circonspection dAlexandre qui dans cette

hypothegravese soutient seulement que laquo ce qui est dit dans ce livre nrsquoest agrave mon avis pas non plus

totalement eacutetranger au preacutesent traiteacute raquo418 Paradoxalement au premier abord la mention

aristoteacutelicienne du terme de laquo φύσις raquo (celle de 993b 2 et non de 995a 18) est pour Alexandre un

argument en faveur de lhypothegravese de proleacutegomegravenes agrave toute philosophie theacuteorique ndash et non

415 Voir les passages citeacutes par S Fazzo [2008b] p 116-117 S Fazzo entreprend cependant dans cet articlede discuter la datation de Nicolas et du De philosophia Aristotelis quelle propose de rejeter auxalentours du IVegraveme s

416 Le terme est de D Gutas [2010] p 17

417 Pour toute cette lecture voir Met α 3 995a 17-19 laquo διὸ σκεπτέον πρῶτον τί ἐστιν ἡ φύσις οὕτω γὰρκαὶ περὶ τίνων ἡ φυσικὴ δῆλον ἔσται raquo commenteacute ad loc(169 20 sq) mais annonceacute degraves le deacutebut en137 15 sq

418 In Met 138 6-7 laquo οὐ μὴν οὐδὲ τὰ ἐν τούτῳ λεγόμενα ἀλλότρια πάντῃ τῆς προκειμένηςπραγματείας εἶναί μοι δοκεῖ raquo Pour cette hypothegravese voir aussi 140 1 sq et 169 22

123

La meacutetaphysique comme science une enjeux

seulement agrave la physique Cest sans doute que pour lui laquo φύσις raquo peut ici prendre un sens large

non pas la nature en particulier mais la reacutealiteacute en geacuteneacuteral ce qui est de mecircme que le terme peut

semployer pour dire ces ecirctres que sont la substance ou pour les platoniciens les Ideacutees419

Lhypothegravese selon laquelle le livre est agrave la bonne place reccediloit moins darguments explicites

de la part dAlexandre ndash sans quon puisse en conclure de sa part un rejet de cette ideacutee Le trait

commun avec la preacuteceacutedente fil rouge de la reacuteflexion dAlexandre est que le livre α ne ressemble

pas agrave un veacuteritable livre mais plutocirct agrave une partie (laquo μέρος βιβλίου raquo)420 en particulier parce que

lExeacutegegravete a sous les yeux deux leccedilons pour la toute premiegravere phrase avec et sans laquo ὅτι raquo Voilagrave

sans doute pourquoi dans le proegraveme de Δ par exemple Alexandre deacutesigne B comme le

deuxiegraveme livre et Γ comme le troisiegraveme421 Dans ce cas α pourrait ecirctre une sorte dappendice agrave A

et sa suite logique (laquo ἀκόλουθον raquo422) au motif que α discute lui aussi des difficulteacutes preacutealables agrave

propos des causes comme annonceacute agrave la fin de A423 Cet argument est implicitement preacutesent dans

B agrave au moins deux reprises Alexandre se reacutefegravere agrave α agrave propos de la reacutegression agrave linfini ou non

des principes424

La discussion sera reprise agrave la fin du livre reacuteduite aux deux hypothegraveses 1) soit le livre

nappartient pas agrave la Meacutetaphysique parce quil est un prologue agrave toute philosophie theacuteorique

Lideacutee dune introduction agrave la physique a donc eacuteteacute abandonneacutee alors quAlexandre est en train de

commenter 995a 17-19 ougrave apparaicirct pourtant laquo ἡ φυσική raquo La justification nous lavons deacutejagrave lue

est que dans lordre de notre connaissance la physique est premiegravere 2) La seconde hypothegravese

consiste agrave enteacuteriner la place de α dans le traiteacute en justifiant ndash assez acrobatiquement ndash la

derniegravere phrase du livre par la volonteacute dAristote de distinguer physique et meacutetaphysique et

donc dindiquer la neacutecessiteacute de lire en premier la Physique avant la Meacutetaphysique425 Lorsque

419 Cf W E Dooley [1992] p 13 n 14

420 In Met 137 2 sq et 138 25 sq

421 In Met 344 22-25 Voir aussi 184 16 ougrave comme le note WE Dooley ([1992] p 10 n7) laquo ἐν τῷ πρὸτούτου τῷ μείζονι raquo deacutesigne bien A La question est toutefois de savoir si laquo πρὸ τούτου raquo signifieneacutecessairement laquo le livre immeacutediatement anteacuterieur raquo car mecircme si on place α entre A et B A reste bienlaquo πρὸ τούτου raquo Notons toutefois que selon laltera recensio de Γ le livre est compteacute comme eacutetant lequatriegraveme (cf 238 1) titre quil partage avec Δ en 344 1

422 In Met 143 23

423 Voir Met A 10 993a 25-27 (laquo ὅσα δὲ περὶ τῶν αὐτῶν τούτων ἀπορήσειεν ἄν τις ἐπανέλθωμενπάλιν τάχα γὰρ ἂν ἐξ αὐτῶν εὐπορήσαιμέν τι πρὸς τὰς ὕστερον ἀπορίας) Et le commentairedAlexandre en 136 12-17 et la reprise de largument en 137 7 sq

424 In Met 174 18-20 et 221 34

425 In Met 169 26 ndash 170 4 laquo εἰ δέ τις ἀκούοι τοῦ λόγου οὕτως εἰρημένου πρὸς διάκρισιν τῶν τεφυσικῶν λόγων καὶ τῶν κατὰ τήνδε τὴν πραγματείαν (ὁ γὰρ ἐπεσκεμμένος πρῶτον τί ἐστι φύσις

124

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Alexandre donne plusieurs interpreacutetations sa preacutefeacuterence semble souvent aller vers la derniegravere

quil preacutesente et il est tentant ici den tirer la mecircme conclusion Une raison suppleacutementaire de

laccepter est la suivante on pourrait tout de mecircme attendre si Alexandre eacutetait profondeacutement

convaincu de lexteacuterioriteacute du livre α au traiteacute quil lui fasse un sort plus cateacutegorique et deacutefinitif

En ce sens quAlexandre sy reacutefegravere dans les livres suivants (comme un livre complet ou non peu

importe) relegraveve soit de la faiblesse (laquo malgreacute mon argumentation jaccepte la position et

linteacutegration du livre dans le traiteacute raquo) soit signale quAlexandre considegravere non sans reacuteserves et

apregraves atermoiements que lon peut agrave raison conserver le livre agrave sa place

Trois conclusions doivent ecirctre tireacutees de ce premier tour dhorizon de la lecture

alexandrinienne du traiteacute ndash trois conclusions qui sont particuliegraverement mises en lumiegravere par sa

lecture de α

Agrave chaque fois en effet les arguments dAlexandre 1) dessinent une position assez

conservatrice426 agrave la diffeacuterence de laquo certaines raquo pratiques anteacuterieures moins preacutecautionneuses ou

plus interventionnistes 2) reposent sur des eacuteleacutements textuels et sur des preuves internes ndash et non

sur de quelconques informations extrinsegraveques enfin 3) concourent tous agrave eacutetablir luniteacute du traiteacute

Mises ensemble ces trois conclusions permettent den tirer une plus geacuteneacuterale loption

unitarienne dAlexandre nest pas la conseacutequence dune tradition ou la force dune habitude elle

est le fruit dune interpreacutetation consciente

c) La marche du traiteacute

Cela eacutetabli nous sommes deacutesormais mieux en mesure de dresser dans linterpreacutetation

dAlexandre le plan des cinq premiers livres du traiteacute Deux types de passages se reacutevegravelent

fructueux de ce point de vue les deacutebuts de traiteacute (tous et non pas seulement les proegravemes agrave α Γ et

Δ) mais aussi les nombreux passages ougrave Alexandre reacutesume la progression du propos dAristote

καὶ εἰδὼς περὶ τίνων ἡ φυσική οἶδεν οὗτος ὅτι οἵδε οἱ λόγοι οὐ φυσικοὶ ἀλλ ἀκριβέστεροί τε καὶπερὶ ἀύλων) οὐχ ὅτι δὲ χρὴ νῦν ἐπισκέπτεσθαι τί ἐστι φύσις λέγοι ἄν ἀλλ ὅτι πρὸ τῆσδε τῆςπραγματείας δεῖ περὶ τῶν φυσικῶν πεπραγματεῦσθαι αὕτη γὰρ ἡ τάξις τῶν πραγματειῶν καὶ ὁἐν τῇ περὶ ἐκείνων θεωρίᾳ γεγυμνασμένος οὕτως ἂν καὶ τοῖς εἰς τήνδε συντείνουσιπαρακολουθεῖν δύναται raquo

426 Cf P Moraux [1986] p 144

125

La meacutetaphysique comme science une enjeux

en employant meacutecaniquement des structures telles que laquo εἰπὼν ἑξῆς ἐδήλωσε raquo (ou

laquo προστίθησιν raquo laquo ἔδειξε raquo) ou simplement laquo λέγει ἑξῆς raquo

Les livres A et α forment donc une introduction au traiteacute tandis que B en est le veacuteritable

commencement

Ἔστι δὲ αὐτῷ τῆς προκειμένηςπραγματείας ἐντεῦθεν ἡ ἀρχή περὶ γὰρ τῶνἀναγκαίως συντεινόντων εἰς τὰ προκείμεναἐνταῦθα λέγειν ἄρχεται [17220] ὅσα δὲ ἐντοῖς Α εἴρηται προλεγόμενα ἂν εἴη αὐτῆςκαὶ εἰς τὴν προκατάστασιν συντελοῦνταΔιό τισιν ἔδοξε τῆς Μετὰ τὰ φυσικὰπραγματείας τοῦτο εἶναι τὸ πρῶτον

Pour Aristote cest ici que se trouve le deacutebut dupreacutesent traiteacute car il commence ici agrave parler de chosesqui ont neacutecessairement trait427 aux preacutesentesquestions Tout ce qui a eacuteteacute dit au livre A constitueraitdonc des proleacutegomegravenes agrave ce traiteacute et contribuerait agravelintroduire Cest pourquoi certains ont cru que lelivre B eacutetait le premier livre du traiteacute Meacutetaphysique

(172 18-22)

Ces proleacutegomegravenes ont dabord en charge lexamen doxographique des preacuteconceptions

communes (laquo κοιναὶ προλήψεις raquo) sur le sage et la sagesse428 Ces preacute-conceptions ont

naturellement leur place dans des pro-leacutegomegravenes et par voie de conseacutequence au vu de lobjet de

ces preacuteconceptions ces proleacutegomegravenes appartiennent agrave juste titre au traiteacute Cet examen est preacuteceacutedeacute

dune courte introduction (A 1) ougrave selon Alexandre Aristote deacutecrit le deacuteveloppement graduel

des puissances de lacircme afin daboutir au plus haut degreacute du savoir qui fait lobjet du traiteacute la

sagesse429 Le recours aux preacuteconceptions permet alors de speacutecifier lobjet du sage les principes

et les causes et plus preacuteciseacutement ceux qui sont premiers430 Ici au fond dapregraves Alexandre

Aristote suivrait la mecircme meacutethode que dans la Physique ougrave il a eacutegalement recours aux notions

communes (laquo κοιναὶ ἔννοιαι raquo 9 23431) La saturation du vocabulaire est eacutevidente et Alexandre ne

semble eacuteprouver aucune difficulteacute agrave traduire en vocabulaire stoiumlcien les laquo ὑπολήψεις raquo dAristote

(982a 6) mais comme on la dit il est bien possible quen ces matiegraveres lExeacutegegravete aristoteacutelise les

concepts stoiumlciens plus quil ne stoiumlcise Aristote

427 Ce terme est souvent employeacute par Alexandre et en particulier dans cet usage exeacutegeacutetique cf 170 3 etc

428 Cf In Met 184 14-19 laquo Εἰπὼν τίνα τούτων φατέον τὴν ζητουμένην ὅτι πάσας ἐνδέχεται λέγεινδείκνυσι χρώμενος τοῖς ἐν τῷ Α περὶ τῆς σοφίας εἰρημένοις Εἶπε γὰρ ἐν τῷ πρὸ τούτου τῷ μείζονιτίνες κοιναὶ περὶ τοῦ σοφοῦ προλήψεις ἐν οἷς ἦν τὸ δεῖν ἀρχικωτάτην καὶ ἀρχιτεκτονικωτάτηναὐτὴν εἶναι ἀλλὰ καὶ ἀκριβεστάτην καὶ μάλιστα εἰδυῖαν ἀλλὰ καὶ τῶν χαλεπῶν γνωστικήνἀλλὰ καὶ πάντα εἰδυῖαν ὡς ἐνδέχεται ἀλλὰ καὶ διδασκαλικήν raquo

429 Cf la phrase tregraves nette de 3 6-7 laquo τείνει δ αὐτῷ ταῦτα πάντα εἰς τὸν περὶ σοφίας λόγον καὶ τὸδεῖξαι τίς ἐστιν ὁ σοφός raquo

430 Voir le commentaire agrave 982a 4 en 8 20 sq

431 La suite dit en effet laquo οὕτως καὶ ἐν τῇ Φυσικῇ ἀκροάσει πεποίηκε περὶ τόπου ζητῶν ὁμοίως δὲ καὶπερὶ χρόνου σχεδὸν δὲ καὶ περὶ τῶν ἄλλων ἁπάντων προβλημάτων τῇ ὁδῷ ταύτῃ κέχρηται raquo (923-25)

126

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Le livre A aboutit bien agrave ce que lon peut consideacuterer comme une deacutefinition de la sagesse

(laquo la science qui eacutetudie theacuteoriquement les premiers principes et les premiegraveres causes raquo432) et il est

coheacuterent quAristote enchaicircne avec la division des causes433 qui va loccuper jusquagrave la fin du

livre Si donc lon accepte la place de α le livre continue logiquement le preacuteceacutedent et ce pour

deux raisons La premiegravere est que α semble fonder en raison lexamen doxographique meneacute

preacuteceacutedemment quand Aristote affirme que

Il est juste decirctre reconnaissant non seulement envers ceux avec lesquels on peut avoir encommun des opinions mais aussi envers ceux qui forment des opinions plussuperficielles434

Alexandre commente

Comment en effet ecirctre reconnaissant envers eux ndash comme il se doit ndash sans avoir dabordenquecircteacute sur leurs opinions 435

Cette enquecircte est en effet agrave mecircme de nous procurer une familiariteacute436 avec de telles

opinions (laquo ἡ γὰρ τῶν καταβεβλημένων δοξῶν εὐπορία raquo 143 20-21) qui savegravere neacutecessaire agrave la

deacutecouverte de la veacuteriteacute Et cest preacuteciseacutement agrave cette occasion quAlexandre insiste sur la continuiteacute

entre les deux livres

La seconde raison tient agrave lannonce faite agrave la fin du premier livre des difficulteacutes quil

faudra soulever sur les causes Or on la vu dans ses reacutefeacuterences ou ses renvois Alexandre reacutesume

tregraves souvent α agrave une seule interrogation une aporie avant lheure celle de savoir laquo si la cause va agrave

linfini en seacuterie verticale ou en espegraveces ou bien si elle sarrecircte et est deacutelimiteacutee raquo437

Se pose degraves lors agrave Alexandre la question de la distinction entre lapproche des causes en

432 In Met 15 6-8 laquo Ἐφ οἷς δειχθεῖσι συγκεφαλαιοῦται τὰ εἰρημένα δεικνὺς ὅτι ἐξ ἁπάντων τῶν τοῖςσοφοῖς ἑπομένων δέδεικται σοφία οὖσα ἡ τῶν πρώτων ἀρχῶν τε καὶ αἰτίων θεωρητική raquo EtAlexandre dinsister juste apregraves en 15 11-12 laquo ἐξ ἁπάντων οὖν τῶν εἰρημένων γίγνεται ἡ σοφία ἡτῶν πρώτων ἀρχῶν τε καὶ αἰτίων θεωρητική raquo

433 In Met 19 17-18 laquo εὐλόγως πρῶτον τὴν τῶν αἰτίων ποιεῖται διαίρεσιν καθὰ καὶ ἐν τῇ Φυσικῇἀκροάσει εἰς τέσσαρα αἴτια διαιρῶν raquo

434 Met α 1 993b 11-13 laquo οὐ μόνον δὲ χάριν ἔχειν δίκαιον τούτοις ὧν ἄν τις κοινώσαιτο ταῖς δόξαιςἀλλὰ καὶ τοῖς ἐπιπολαιότερον ἀποφηναμένοις raquo

435 In Met 143 21-23 laquo πῶς γὰρ οἷόν τε χάριν ἔχειν τούτοις ὡς ἀξιοῖ μὴ πρῶτον αὐτῶν τὰς δόξαςἱστορηκότας raquo

436 Lemploi dlaquo εὐπορία raquo dans ce contexte est sans doute non technique

437 Voir par exemple dans le commentaire agrave B en 174 18-20 laquo ἐν δὲ τῷ ἐλάττονι ζητήσας εἰ ἐπ ἄπειρόνἐστι τὸ αἴτιον ἢ κατ εὐθυωρίαν ἢ κατεἶδος ἢ ἵσταται καὶ ἔστι πεπερασμένον raquo et en 213 13-15 laquo ἀλλὰ μὴν οὐδὲ ἐπἄπειρον οἷόν τε ἄλλο ἄλλου αἴτιον εἶναι καὶ ἄλλο ἄλλῳ ὑποκεῖσθαι κατεὐθυωρίαν ὡς ἔδειξεν ἐν τῷ ἐλάττονι τῶν Α ὄντι πρὸ τούτου raquo De mecircme dans le commentaire agrave Γen 309 19-20 laquo εἰ ἐπ ἄπειρον εἴη ἡ γένεσις ἄναρχος οὖσα ὡς καὶ ἐν τῷ Α τῷ ἐλάττονι ἐδείχθη raquo

127

La meacutetaphysique comme science une enjeux

A laporie sur leur reacutegression agrave linfini en α et les authentiques apories de B Lenjeu est clair il

sagit pour lExeacutegegravete de rendre raison de la progression du traiteacute en attribuant agrave chaque livre la

tacircche qui lui revient Cest sans doute ce problegraveme qui rend raison du commentaire tregraves sinueux agrave

995b 4 laquo Une premiegravere difficulteacute concerne ce que nous avons exploreacute dans notre preacuteambule raquo

Alexandre y deacuteploie son commentaire avec un scrupule qui paraicirct presque maniaque surtout

dans un cas ougrave lon peine agrave voir ce qui justifie cet effort La phrase dAristote ne devient en fait

troublante que si lon rappelle dune part comme lExeacutegegravete quAristote na jamais deacuteveloppeacute ni

en A ni en α la premiegravere aporie que cette proposition introduit Si dautre part la proposition

engendre son embarras cest peut-ecirctre du fait du verbe laquo διηπορήσαμεν raquo qui pris au sens strict

ne relegraveverait pour Alexandre que de la meacutethode dialectique mise en œuvre dans B438

La solution consiste agrave comprendre que la reacutefeacuterence dAristote ne vaut que pour le sujet ou

la matiegravere de cette premiegravere aporie agrave savoir les causes et non pour laporie elle-mecircme

Οὐ τὴν ἀπορίαν ἣν τίθησι φησὶνἠπορῆσθαι ἐν τοῖς πεφροιμιασμένοις ἔστιγὰρ ἡ ἀπορία ἡ πρώτη ὡς λέγει ὀφείλουσαἀπορηθῆναι περὶ τοῦ πότερον μιᾶςἐπιστήμης θεωρῆσαι τὰς πάντων αἰτίας ἢπλειόνων ὡς [17410] ἄλλην ἐπιστήμηνἄλλων ἀρχῶν καὶ αἰτίων εἶναι θεωρητικήνταύτην δὲ τὴν ἀπορίαν οὐ δοκεῖ κεκινηκέναιἐν τοῖς πρὸ τούτου βιβλίοις ἐν γὰρ τῷπρώτῳ Περὶ ψυχῆς δοκεῖ αὐτῆςμεμνημονευκέναι διὸ εἴη ἂν τὸ εἰρημένονπερὶ ὧν ἠπορήσαμεν ἐν τοῖςπεφροιμιασμένοις ἡμῖν πρώτη ἔστινἀπορία ἣν καὶ πρώτην τίθησιν ἠπόρησε γὰρἐν ἐκείνοις περὶ αἰτίων περὶ [17415] δὲ τῶναἰτίων δὴ πρώτην φησὶν ἀπορίαν εἶναι ἧςμνημονεύει διηπόρησε δὲ περὶ αἰτίων ἐν μὲντῷ μείζονι Α ζητῶν πόσα τὰ εἴδη τῶν αἰτίωνκαὶ τὰς τῶν ἄλλων δόξας ἐκθέμενος περὶαἰτίων καὶ πρὸς αὐτὰς εἰπών ἐπιστώσατοεἶναι τέσσαρα αἰτίων εἴδη ἐν δὲ τῷ ἐλάττονιζητήσας εἰ ἐπ ἄπειρόν ἐστι τὸ αἴτιον ἢ κατεὐθυωρίαν ἢ κατ εἶδος ἢ ἵσταται καὶ ἔστι[17420] πεπερασμένον πρώτη δὲ ἀπορία ἡπερὶ τούτων εἴη ἂν ἡ νῦν λεγομένη

Ce nest pas la difficulteacute quil est en train de poserdont il affirme quelle a eacuteteacute souleveacutee dans lepreacuteambule En effet la difficulteacute la laquo premiegravere raquocomme il dit qui doit ecirctre souleveacutee concerne laquestion de savoir sil appartient agrave une science uniquedeacutetudier les causes de toutes choses ou agrave plusieursau sens ougrave des sciences diffeacuterentes eacutetudieraient desprincipes et des causes diffeacuterents Or cette difficulteacutene semble pas avoir eacuteteacute souleveacutee dans les livrespreacuteceacutedant celui-ci (cest en fait dans le premier livredu De lacircme quil semble lavoir eacutevoqueacutee439) Cestpourquoi ce quil veut dire cest sans doute quelaquo concernant ce que nous avons exploreacute dans notrepreacuteambule raquo il y a une laquo premiegravere difficulteacute raquo quilpose justement en premier car dans ces livres il asouleveacute des difficulteacutes agrave propos des causesConcernant les causes donc il y a affirme-t-il unepremiegravere difficulteacute quil est en train deacutevoquer Or il aexploreacute des difficulteacutes concernant les causes dunepart au livre A en cherchant combien il y a despegravecesde causes et ltougravegt apregraves avoir exposeacute les opinionsdautres ltpenseursgt sur les causes et les avoircritiqueacutees il a confirmeacute quil y a quatre espegraveces decauses Dans le livre α dautre part il a chercheacute si lacause va agrave linfini en seacuterie verticale ou en espegraveces ou

438 Il ne semble pas y avoir de preuve textuelle tangible dun embarras dAlexandre agrave cause de ce verbemais on peut tout de mecircme en faire lhypothegravese sur la base de sa pratique terminologique la pluscourante celle qui tend agrave constituer un lexique stable et relativement univoque Pour un traitementcontemporain de laquo διηπορήσαμεν raquo voir par exemple M Crubellier [2009] p 47 sq

439 Peut-ecirctre DA I 1 402a 11 sq Pour limportance de ce passage chez Alexandre cf par exemple ladifficile Quaestio I 11

128

La meacutetaphysique comme science une enjeux

bien si elle sarrecircte et est deacutelimiteacutee Or la laquo difficulteacute raquoqui concerne ces questions et dont il parlemaintenant sera la premiegravere

(174 7-20)

Alexandre deacutelivre Aristote du soupccedilon de reacutepeacutetition ndash et donc en partie dincoheacuterence ndash

en insistant sur la continuiteacute des livres et le traitement ordonneacute des questions avant de poser

laporie au sujet de la science des causes il fallait confirmer leur nombre Il latteste ensuite

Et il aurait donc raison de parler de laquo ce que nous avons exploreacute dans notre preacuteambule raquocar au livre A il a chercheacute sil y a quatre espegraveces de causes et cest agrave propos de ces quatrecauses quil va maintenant chercher si leur connaissance appartient agrave une uniquescience (174 30-31)

Les livres preacuteceacutedents ont poseacute des jalons indispensables agrave cette eacutetape dialectique De fait

Alexandre nest guegravere avare en B de renvois agrave A ou α aussi bien agrave propos des causes440 que de la

reacutefutation de Platon441 ou de la sagesse442

Mais la diffeacuterence entre A α et B tient aussi tregraves certainement agrave leur faccedilon daborder ces

questions La gain veacuteritable de B ce qui en fait laquo le deacutebut du preacutesent traiteacute raquo (laquo τῆς προκειμένης

πραγματείας ἡ ἀρχή raquo 172 18) et peut-ecirctre mecircme le commencement de la philosophie

premiegravere est cette meacutethode aporeacutetique et dialectique Cest de ce point de vue que la

doxographie de A est susceptible decirctre deacutevalueacutee au rang de simple propeacutedeutique et ne peut

acceacuteder agrave celui de partie inteacutegrante du cheminement scientifique lui-mecircme Il est significatif

quAlexandre affirme que le livre B est le vrai deacutebut de la Meacutetaphysique ce qui nen fait pas pour

autant le premier livre juste apregraves avoir deacutecrit limportance du moment aporeacutetique pour la

recherche scientifique (le deacutebut du commentaire agrave B est en effet truffeacute de formes de laquo ζητέω raquo)

Comme cest parfois le cas Alexandre soffre le luxe de corriger le texte dAristote443 ndash sans que

lon sache si cest Aristote lui-mecircme quil cherche agrave ameacuteliorer ou les manuscrits quil a sous les

yeux444 ndash et dit

440 Ιn Met 179 11 sq

441 Ιn Met 179 33 sq 197 22 sq 201 19 sq

442 Ιn Met 184 16 sq 187 8 sq

443 Pour meacutemoire le texte dAristote est Met B 1 995a 27-31 laquo ἔστι δὲ τοῖς εὐπορῆσαι βουλομένοιςπροὔργου τὸ διαπορῆσαι καλῶς ἡ γὰρ ὕστερον εὐπορία λύσις τῶν πρότερον ἀπορουμένων ἐστίλύειν δ οὐκ ἔστιν ἀγνοοῦντας τὸν δεσμόν ἀλλ ἡ τῆς διανοίας ἀπορία δηλοῖ τοῦτο περὶ τοῦπράγματος raquo

444 Rappelons quAlexandre a au moins deux manuscrits sous les yeux cf par exemple 46 23 sq

129

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Εἴη δὲ ἂν καταλληλότερον εἰ ἀντὶ τοῦltἔστι δέgt εἴη γεγραμμένον ltἔστι γάρgt ἡ γὰρὕστερον εὐπορία λύσις τῶν [17215]προειρημένων ἀπόρων ἐστίν Ἴσον δέ ἐστιτοῦτο τῷ ἡ γὰρ λύσις τῶν προηπορημένωναἰτία τῆς ὕστερον γιγνομένης εὐπορίας ἢοὕτως ἡ γὰρ ὕστερον εὐπορία γιγνομένη ἐκτῆς λύσεως τῶν πρώτων ἠπορημένωνγίγνεται

Ce serait plus coheacuterent si agrave la place de laquo mais ilest raquo (995a 27) eacutetait eacutecrit laquo en effet il est raquo445 car lafuture sortie de la difficulteacute cest la reacutesolution desdifficulteacutes quon a anteacuterieurement eacutevoqueacutees Or celaeacutequivaut agrave dire en effet la reacutesolution des difficulteacutesanteacuterieures446 est la cause de la sortie ulteacuterieure de ladifficulteacute Ou encore la sortie ulteacuterieure de ladifficulteacute provient de la reacutesolution de ce qui au deacutebutmettait en difficulteacute

(172 13-17)

Linsistance sur la relation causale entre moment aporeacutetique et moment euporeacutetique

reacuteversible en relation de provenance est nette Lagrave serait bien le commencement du chemin vers la

veacuteriteacute comme leacutetablit ensuite Alexandre lorsquil parle de lobligation de laquo commencer par ecirctre

en difficulteacute raquo (προαπορέω ou διαπορεῖν πρῶτον)

Διὰ δὲ τῶν προειρημένων περὶ τοῦ δεῖνδιαπορεῖν πρῶτον εἴη ἂν αὐτῷ δεικνύμενονἅμα καὶ τὸ χρήσιμον τῆς διαλεκτικῆς πρὸςφιλοσοφίαν καὶ τὴν τῆς ἀληθείας εὕρεσιντῆς γὰρ διαλεκτικῆς τὸ διαπορεῖν καὶἐπιχειρεῖν εἰς ἑκάτερα ἀληθὲς ἄρα τὸ ἐντοῖς Τοπικοῖς εἰρημένον τὸ χρήσιμον εἶναιτὴν διαλεκτικὴν πρὸς τὰς κατὰ φιλοσοφίανζητήσεις

En outre par ce qui a eacuteteacute dit sur lobligation decommencer par explorer les difficulteacutes Aristote apeut-ecirctre simultaneacutement deacutemontreacute lutiliteacute de ladialectique pour la philosophie et la deacutecouverte de laveacuteriteacute Cest en effet agrave la dialectique quil revientdexplorer les difficulteacutes et dargumenter447 dans lesdeux ltdirectionsgt Ce qui a eacuteteacute dit dans les Topiquessur lutiliteacute de la dialectique pour les recherchesphilosophiques est donc vrai448

(173 27 ndash 174 4)

Ces passages deacutevoilent donc tregraves probablement la strateacutegie de lExeacutegegravete par rapport agrave la

place de B dans le traiteacute et au rocircle de la dialectique dans la meacutetaphysique sur lequel nous

reviendrons Il conviendra en effet de nous demander plus preacuteciseacutement si entre la doxographie

du livre A et la dialectique de B il faut distinguer des degreacutes dans les preacutealables ou si comme il

semble plutocirct nous sommes deacutejagrave de plain pied dans la philosophie premiegravere ndash ce qui implique

davoir avanceacute dans une question non plus exeacutegeacutetique ou bibliographique mais bien

philosophique et speacuteculative sur sa conception de la philosophie premiegravere

Cet ensemble de remarques et la constance de linterpreacutetation dAlexandre vont trouver

445 Cf A Laks [2009] p 39 n 43 qui indique quil nest pas rare quAlexandre preacutefegravere gar agrave de (In An Pr66 29-67 In Met 54 11-13 etc) et fait eacutetat de problegravemes paleacuteographiques avec ces deux particules

446 Pour ce terme cf aussi 173 8

447 Terme employeacute speacutecifiquement par Alexandre pour deacutecrire largumentation dialectique cf la notedA Madigan [1992] ad loc et son index

448 Cf In Top 28 23 sq qui commente les Topiques I 2 101a 26 sq

130

La meacutetaphysique comme science une enjeux

deacuteclatantes confirmations dans le proegraveme agrave Γ Comme la bien noteacute M Bonelli449 Alexandre

affirme ici le caractegravere central du livre Γ

Προθέμενος ἐν τῇ Μετὰ τὰ Φυσικὰπραγματείᾳ ἣν καὶ σοφίαν καὶ πρώτηνφιλοσοφίαν ἔστι δὲ ὅτε καὶ θεολογικὴν ἔθοςαὐτῷ καλεῖν περὶ [237 5] τοῦ ὄντος ᾗ ὂνθεωρῆσαι

καὶ δείξας ὅτι ἡ προκειμένη πραγματείαμήτε τῶν περὶ τὴν τῶν ἀναγκαίων γνῶσινκαταγινομένων ἐστὶ τεχνῶν ἢ ἐπιστημῶνμήτε τῶν περὶ τὰ χρήσιμα ἀλλ ἔστιν αὐτῆςχάριν τῆς γνώσεώς τε καὶ ἐπιστήμηςμετιοῦσα dagger αὐτὰ ἐπ αὐτὰ μέτεισι δείξας δὲαὐτὴν θεωρητικὴν οὖσαν τῶν πρώτωνἀρχῶν τε καὶ αἰτίων (ταῦτα γὰρ μάλιστα [10]ὄντα) πρὸ τοῦ ζητεῖν τίνες αἱ πρῶται ἀρχαίκινήσας καθόλου τὸν περὶ τῶν αἰτίων λόγονκαὶ τὰς δόξας τῶν πρὸ αὐτοῦ τὰς περὶ τῶνἀρχῶν ἐκθέμενός τε καὶ ἱστορήσας καὶἀντειπὼν πρὸς αὐτάς

δείξας δὲ ὅτι εἰσί τινες ἀρχαὶ πρῶται καὶοὐκ ἐπ ἄπειρον ἡ τῶν ἀρχῶν ἄνοδος

καὶ ἐπὶ τούτοις ὡς χρήσιμον καὶἀναγκαῖον πρὸς τὴν εὕρεσιν τῶν τῇ σοφίᾳ[15] προκειμένων ἀπορήσας τινὰς ἀπορίαςπερί τε τοῦ ὄντος καὶ τῶν ἀρχῶν καὶ [238 1]τῶν τούτοις παρακειμένων

μετὰ τὰς ἀπορίας ἄρχεται τοῦπροκειμένου τοῦ Γ βιβλίου λοιπὸν ἐν τούτῳλέγων τε καὶ κατασκευάζων τὰ αὐτῷδοκοῦντα καὶ λύων τὰ ἠπορημένα

Puisque Aristote sest proposeacute dans le traiteacute deMeacutetaphysique quil a pour habitude dappeler sagesse et philosophie premiegravere et parfois aussi theacuteologiquedeacutetudier leacutetant en tant queacutetant

1) il a dabord montreacute que leacutetude en questionnappartient ni aux techniques ni aux sciences ayanttrait agrave la connaissance du neacutecessaire ni agrave celles ayanttrait agrave lutile mais que cest en vue de la connaissanceet de la science elle-mecircme quelle recherche celamecircme quelle recherche450 il a ensuite montreacute quelleeacutetudie les principes et les causes premiers (ceux-ci eneffet sont au plus haut point) et avant de rechercherquels sont ces principes premiers il a introduit demaniegravere geacuteneacuterale agrave la discussion sur les causes enexposant et en rapportant les opinions de sesdevanciers sur les principes puis en les reacutefutant

2) il a ensuite montreacute quil existe des principespremiers et que la remonteacutee451 aux principes ne va pasagrave linfini

3) et lagrave-dessus dans lideacutee que cest chose utile etneacutecessaire agrave la deacutecouverte des objets de la sagesse il asouleveacute certaines difficulteacutes agrave propos de leacutetant desprincipes et de ce qui sy rattache

apregraves ces difficulteacutes il entame le preacutesent livre Γdans lequel deacutesormais il eacutenonce et eacutetablit ses propresopinions et ougrave il reacutesout ce qui faisait difficulteacute

(237 3 ndash 238 3)

La mise en paragraphes du passage rend deacutejagrave assez eacutevident le plan du traiteacute qui y est

deacuteveloppeacute Ce plan est au preacutealable attacheacute agrave un objet qui sera effectivement deacuteployeacute au livre Γ

mecircme si lon ne donne pas au premier participe laquo προθέμενος raquo un sens causal il apparaicirct au

moins quau niveau du sens les participes suivants en sont deacutependants Or la suite du texte qui

deacuteroule le plan de Γ le montre leacutetude de leacutetant en tant queacutetant est bien lobjet principal du

livre laquo Aristote montre dans le livre que voici ce sur quoi porte la sagesse quil nomme aussi

449 M Bonelli [2001] p 35-38 paragraphe intituleacute laquo La centralitagrave del commentario al libro Gamma dellaMetafisica raquo

450 Avec Bonitz nous lisons laquo μετιοῦσα αὐτὰ ἅ μέτεισι raquo

451 Le terme nest pas aristoteacutelicien On le lit trois fois chez Alcinoos dans des expressions du type laquo laremonteacutee depuis les sensibles jusquaux intelligibles premiers raquo (Didaskalikos V 4 l3)

131

La meacutetaphysique comme science une enjeux

bien philosophie que philosophie premiegravere En premier lieu il eacutetablit quelle porte sur leacutetant en

geacuteneacuteral raquo452 Or Alexandre affirme sans deacutetour le caractegravere selon lui theacutetique de Γ dans la

derniegravere phrase du passage citeacute Leacutetude de leacutetant en tant queacutetant eacutechoit donc agrave lensemble du

traiteacute et Γ ne peut en ecirctre que le livre central Alexandre assure en effet la transition des

preacuteceacutedents livres agrave Γ en annonccedilant degraves le livre A leacutetude de leacutetant en tant queacutetant (qui ne se

trouve pas chez Aristote) et en reprenant le motif dune recherche des premiers principes et des

premiegraveres causes (marque de A) agrave la faveur de Γ 1 La conclusion quen tire immeacutediatement et

implicitement Alexandre consiste en lrsquoidentiteacute de la sagesse et de la science de leacutetant en tant

queacutetant453 Lenquecircte de Γ est donc elle aussi pleinement une enquecircte causale454

Linterpreacutetation mecircme de lobjet des livres preacuteceacutedents illustre en effet cette cristallisation

autour de Γ lu comme laquo le raquo livre central de leacutetant en tant queacutetant Comme il eacutetait preacutevisible

Alexandre reacutesume en effet A agrave ses deux moments deacutejagrave citeacutes le premier A 1-2 ayant preacutesenteacute ces

preacuteconceptions sur la sagesse a aussi contribueacute agrave deacutelimiter la sagesse par rapport agrave ses autres et

fixeacute son objet tandis que le second A 3-10 est bien une laquo introduction geacuteneacuterale raquo Le verbe

laquo introduire raquo nest pas tel quel dans le texte mais il est difficile de reacutesister agrave la tentation de

traduire ainsi le groupe laquo κινήσας καθόλου raquo qui se rattache sans couture agrave ce que nous avons

vu du caractegravere preacuteparatoire de la doxographie de A Dans cette sous-partie Alexandre a

distingueacute deux tacircches ndash qui ont en reacutealiteacute eacuteteacute meneacutees de front exposition des opinions

preacuteceacutedentes (laquo ἐκθέμενός raquo et laquo ἱστορήσας raquo sont fortement coordonneacutes par laquo τε καὶ raquo) puis

reacutefutation (laquo ἀντειπὼν πρὸς αὐτάς raquo neacutetant lieacute au reste que par un seul laquo καὶ raquo) Alexandre

lavait deacutejagrave indiqueacute en B avec la formule laquo καὶ τὰς τῶν ἄλλων δόξας ἐκθέμενος περὶ αἰτίων καὶ

πρὸς αὐτὰς εἰπών raquo (174 16-17) Et comme dans ce passage le livre α est reacuteduit agrave laporie sur la

remonteacutee des causes ndash fait qui nest finalement pas sans indiquer la relative faiblesse de la

position dAlexandre et la difficulteacute de tout lecteur de la Meacutetaphysique agrave justifier la position du

livre agrave cet endroit Le livre B retrouve ici aussi sa position solide de preacutelude dialectique et

Alexandre emploie comme dans B lui-mecircme ou dautres commentaires lexpression figeacutee quasi

452 In Met 238 3-5 laquo δείκνυσι δὲ ἐν τῷδε τῷ βιβλίῳ περὶ τίνα ἐστὶν ἡ σοφία ἣν καὶ φιλοσοφίανὀνομάζει καὶ πρώτην φιλοσοφίαν Καὶ πρῶτον μὲν συνίστησιν ὅτι περὶ τὸ ὂν καθόλου raquo

453 Voir In Met 239 11-15

454 Nous soulignons cette interpreacutetation alexandrinienne car elle a eacuteteacute discuteacutee par W Leszl selon qui lonpourrait soutenir que Γ nest pas inteacutegralement voire pas du tout deacutevolu agrave une enquecircte causale et ceen deacutepit de lannonce faite agrave la fin de Γ 1 (cf W Leszl [2010] p 208 sq)

132

La meacutetaphysique comme science une enjeux

lexicaliseacutee dune phase laquo utile et neacutecessaire agrave la deacutecouverte raquo La deacutecouverte eacutetait auparavant

celle de la veacuteriteacute ou des objets de la recherche455 elle est ici celle des objets de la sagesse ou plus

litteacuteralement de ce que la sagesse se propose de traiter Si donc A eacutetait preacuteparatoire B comme

lest la dialectique en geacuteneacuteral selon Alexandre est positivement exploratoire ou heuristique B

pose ainsi les apories que Γ va reacutesoudre

Le livre Γ est quant agrave lui placeacute tout entier sous le signe de lobjet de la science rechercheacutee

B Cassin et M Narcy ont distingueacute deux faccedilons daborder ce livre celle du laquo penseur raquo qui dans

Γ met en avant la science de leacutetant en tant queacutetant (et donc les premiers chapitres du livre) et la

lecture du laquo logicien raquo qui insiste davantage sur le principe de non-contradiction et la poleacutemique

contre les sophistes456 Placer Alexandre dans le premier groupe ne fait aucune difficulteacute

Alexandre conccediloit en effet le lien entre les deux questions comme une relation deacuteductive en

interpreacutetant la primauteacute de la premiegravere question (la question ontologique) comme une primauteacute

tant logique que chronologique Une fois quon a montreacute quune science de leacutetant en tant queacutetant

est possible il faut en effet sattacher agrave eacutetudier les autres objets de cette science qui soccupe

eacutegalement des axiomes communs agrave toutes les sciences ndash au premier chef desquels le principe de

non-contradiction Dit autrement parce que la science rechercheacutee porte sur leacutetant en tant

queacutetant elle en eacutetudie aussi neacutecessairement les proprieacuteteacutes donc les axiomes donc le principe de

non-contradiction Cest ce que dit la suite du proegraveme

Ἀλλ εἰ περὶ πάντα τὰ ὄντα καὶ περὶπάντα τὰ [15] καθ αὑτά τε καὶ κοινῶς τῷὄντι ᾗ ὂν ὑπάρχονταmiddot τοιαῦτα δὲ καὶ τὰἀξιώματα Ἐφ οἷς δείκνυσιν ὅτι κοινότατονκαὶ γνωριμώτατον τῶν ἀξιωμάτων ἐστὶ τὸ

Mais si elle porte sur tous les eacutetants alors elleporte aussi sur tout ce qui appartient par soi etcommuneacutement agrave leacutetant en tant queacutetant or tels aussisont les axiomes A propos de ceux-ci il montre quelaxiome le plus commun et le plus connu est

455 Cette expression reacutepond certainement agrave labondance de ζητέω quon a souligneacutee plus haut Voir dansle seul commentaire agrave B 171 11-12 laquo φησὶ δὲ ἀναγκαῖον εἶναι πρὸς τὴν εὕρεσιν τῆς τε ἐπιστήμηςαὐτῆς καὶ τῶν κατὰ τὴν ἐπιστήμην ταύτην ζητουμένων raquo 172 11 laquo πρὸς τὴν τῶν ζητουμένωνεὕρεσιν raquo 174 1 laquo πρὸς φιλοσοφίαν καὶ τὴν τῆς ἀληθείας εὕρεσιν raquo Dans le Commentaire auxPremiers Analytiques 2 33-36 εἰ δὲ μὴ πᾶσαν λέγοιεν τὴν λογικὴν πραγματείαν πρὸς τὴν εὕρεσίντε καὶ σύστασιν τῶν κατὰ φιλοσοφίαν ζητουμένων τὴν ἀναφορὰν ἔχειν ἢ τῶν κατ ἄλληνἐπιστήμην ἢ τέχνην τινὰ θεωρουμένων τε καὶ ζητουμένων raquo 3 10-11 laquo ἔτι εἰ σπουδάζοιτο ὡςγυμνάσιον τῆς διανοίας πρὸς τὴν εὕρεσιν τῶν ἐν τοῖς μέρεσι τῆς φιλοσοφίας ζητουμένων raquo Cestaussi la premiegravere phrase du Commentaire aux Topiques laquo Τὴν μὲν πρόθεσιν τὴν κατὰ τὴν τοπικὴνπραγματείαν καὶ πρὸς πόσα τε καὶ τίνα χρήσιμός ἐστι τῷ φιλοσοφοῦντι ἥδε ἡ μέθοδος καὶ τί τὸτέλος αὐτῆς αὐτὸς λέγει τὸ μὲν ἀρχόμενος εὐθύς τὸ δὲ ὀλίγον προελθών δι ὧν γνώριμονποιεῖται ὅτι καὶ τοῖς προηγουμένως φιλοσοφοῦσιν ἀξία σπουδῆς ἡ διαλεκτική πρὸς τὴν εὕρεσιντῆς ἀληθείας αὐτοῖς συντελοῦσα ὃ τέλος ἐστὶ τῆς φιλοσόφου θεωρίας raquo puis en 27 2-4 laquo δείκνυσιν ὅτι καὶ πρὸς φιλοσοφίαν καὶ τὴν εὕρεσιν τῶν ἀληθῶν χρήσιμος ἡ διαλεκτικὴ καὶ οὐκἔξω φιλοσοφίας ἡ προκειμένη πραγματεία raquo Voir aussi 27 25 28 23 29 10-1 etc

456 B Cassin M Narcy [1989] p 13-14

133

La meacutetaphysique comme science une enjeux

μὴ δύνασθαι συνυπάρχειν τὴν ἀντίφασιν limpossibiliteacute de la coexistence de deuxcontradictoires457

(238 14-17)

La position quAlexandre assigne agrave Δ se comprend alors delle-mecircme Comme nous

lavons vu lExeacutegegravete conccediloit les termes du Livre des deacutefinitions comme des outils plurivoques et

communs agrave toutes les sciences particuliegraveres Alexandre est donc agrave cent lieues de laffirmation de

WD Ross laquo It (Δ) is a useful preliminary to the Metaphysics but it is not preliminary to it in

particular raquo458 ou du lapidaire laquo intruder raquo de M Burnyeat459 Ross poursuivait sa deacuteclaration en

arguant que certaines des notions du livre nont pas leur place dans la Meacutetaphysique par exemple

le laquo tronqueacute raquo ou le laquo faux raquo Largument porte sans doute pour le tronqueacute dont lanalyse

aristoteacutelicienne principalement neacutegative sefforce de restreindre lapplication Alexandre en est

dailleurs conscient et semble exprimer son malaise en soulignant agrave la fin de son commentaire

qulaquo Aristote ne produit pas de distinction de la pluraliteacute des sens du tronqueacute mais une

information et un enseignement ltagrave son sujetgt raquo460 Sappliquant uniquement agrave certaines quantiteacutes

doueacutees de position on pourrait donc douter que le tronqueacute relegraveve de ces notions transversales

aux sciences particuliegraveres Quant au laquo faux raquo cependant eacutetant donneacute que le vrai est un sens de

leacutetant et que la science de quelque chose doit aussi eacutetudier son opposeacute il eacutetait preacutevisible que

dans la perspective alexandrinienne il eacutechucirct agrave la philosophie premiegravere den exposer la

plurivociteacute

Rares sont les interpregravetes contemporains agrave aller aussi loin quAlexandre dans laffirmation

de la continuiteacute entre Γ et Δ461 Cest en effet clairement cela quavait en tecircte Alexandre dans son

proegraveme au livre Γ Alexandre va toutefois plus loin en mettant sur le mecircme plan les axiomes

laquo proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant raquo et les plurivoques de Δ proprieacuteteacutes communes de leacutetant

en geacuteneacuteral462

457 Ou peut-ecirctre plus juste la co-reacutefeacuterence de deux propositions contradictoires ltagrave une mecircme chosegt

458 WD Ross [1924] p XXV

459 M Burnyeat [2001] p 127

460 In Met 428 8-10 laquo σημειωτέον ὅτι μὴ διαίρεσιν τοῦ κολοβοῦ πολλαχῶς λεγομένου πεποίηταιἀλλὰ μήνυσίν τε καὶ διδασκαλίαν raquo

461 Sauf peut-ecirctre S Menn qui retrouve un argument alexandrinien laquo so Γ 2 1004a16-31 calls for a study ofthe many senses of one and many and same and other and contrary and so on as well as of being ndashthat is it calls for Metaphysics Δ which deals with these terms as well as with arkhai cause and otherterms whose senses must be distinguished for the investigation of the arkhai to be carried out successfully raquoS Menn [agrave paraicirctre]

462 In Met 344 5-7 laquo δέδειχε μὲν γὰρ ὅτι τοῦ πρώτου φιλοσόφου περὶ τοῦ ὄντος καθόλου πραγματεία

134

La meacutetaphysique comme science une enjeux

Cette conception du livre Δ confirme sans aucun doute le caractegravere central du livre Γ (et

mecircme serait-on tenteacute de dire de Γ 1-2) Toutefois nuanccedilons pour finir la remarque de M Bonelli

Il faut ici se preacutemunir contre les effets de perspective dus au fait que nous ne posseacutedons que les

cinq premiers commentaires Le caractegravere central de Γ ne peut en toute rigueur saffirmer que de

ce premier moment ou morceau (chunk)463 de la Meacutetaphysique On peut sattendre agrave ce que les

morceaux Z-H-Θ ou Λ ne soient pas lus par Alexandre que comme des appendices agrave Γ Cette

position de Γ dans ce premier moment constitue agrave tout le moins une indication forte pour la

conception alexandrinienne de lobjet de la meacutetaphysique Cependant dans lun des rares

passages ougrave Alexandre esquisse un plan de la suite du traiteacute agrave la fin de son commentaire agrave Δ 7 ce

sont bien les divers sens de leacutetant qui servent agrave structurer les traiteacutes suivants E aurait en effet

pour objet (sans que cela soit exclusif pour lExeacutegegravete) leacutetant par accident Z et H leacutetant par soi et

Θ leacutetant selon lacte et la puissance464

d) Conclusion limpeacuteratif duniteacute

Il devient deacutesormais urgent de passer du premier au second sens de πραγματεία Si donc

Alexandre se livre agrave une lecture unitaire du traiteacute on a avec ce qui preacutecegravede toutes les raisons de

penser quil en va de mecircme pour la science De fait jamais lExeacutegegravete ne preacutesente le traiteacute comme

exposant plusieurs sciences Le singulier prime absolument La pluraliteacute des intituleacutes on la vu

renvoie agrave une mecircme science quoique diversement deacutecrite

Ce fait savegravere en toutes lettres dans le commentaire agrave Γ par exemple qui reacutepegravete

inlassablement quAristote preacutesente une laquo science une raquo (laquo μία ἐπιστήμη raquo) voire une laquo science

une par le genre raquo (laquo μία τῷ γένει ἐπιστήμη raquo)465 En nous faisant comme lanalyste du discours

alexandrinien nous avons indiqueacute dans lintroduction comment cela reacuteveacutelait a minima la

καὶ τῶν τούτῳ κοινῶς ὑπαρχόντων κοινὰ δὲ τοῦ ὄντος εἰσίν οἷς ἐπιστῆμαι πᾶσαι χρῶνται raquo

463 Lexpression est de M Burnyeat [2001]

464 In Met 372 34-37 laquo Ποιήσεται δὲ τὸν λόγον περὶ μὲν τοῦ κατὰ συμβεβηκὸς ὄντος καὶ περὶ τοῦ ὡςἀληθοῦς ἐν τῷ μετὰ τοῦτο περὶ δὲ τοῦ καθ αὑτὸ ὄντος ἐν τῷ Ζ καὶ Η περὶ δὲ τοῦ δυνάμει τε καὶἐντελεχείᾳ ἐν τῷ Θ raquo

465 Sans doute sagit-il lagrave dune reacuteminiscence par exemple de AnPo I 28 87a 38-39 Voir In Met 238 19-20 241 1 sq 243 20-28 243 33 (en reacutefeacuterence agrave 1003b 12) 244 5-11 244 18-25 245 2 sq 245 22sq 245 36 246 28 249 26 251 5 252 9-10 255 23-25 261 21-26 262 25-26 263 2-3 263 12-18 265 6

135

La meacutetaphysique comme science une enjeux

conscience chez lExeacutegegravete du problegraveme que pose lunification de la meacutetaphysique

Or on peut imaginer deux maniegraveres pour un interpregravete dAristote dunifier cette

apparente dispariteacute des noms de la science et des objets que ces noms recouvrent soit identifier

ces objets les uns aux autres en montrant par exemple que leacutetant en tant queacutetant nest autre que

leacutetant au sens absolu lequel nest autre que le principe divin le premier moteur soit unifier les

diverses tacircches de la science en montrant par exemple queacutetudier leacutetant en tant queacutetant

implique aussi neacutecessairement ndash en demeurant agrave linteacuterieur dune mecircme science ndash deacutetudier la

substance et le Premier moteur Voyons ce quil en est chez Alexandre

136

Chapitre II

CHAPITRE II

LA MEacuteTAPHYSIQUE COMME SCIENCE UNIVERSELLE ET PREMIEgraveRE

21 La science du premier une theacuteologisation de la meacutetaphysique

211 Limpossible reacuteduction

La question de lobjet de la meacutetaphysique selon Alexandre reste un terrain encore peu

laboureacute et par comparaison avec le champ aristoteacutelicien le lopin alexandrinien fait figure de

friche La rareteacute cependant nempecircche pas le deacutesaccord ndash au contraire peut-ecirctre Ainsi au XXegraveme

siegravecle lune des premiegraveres reacuteponses agrave cette question celle par rapport agrave laquelle toutes les autres

ont ducirc se positionner est due agrave P Merlan Dapregraves Merlan lidentification des intituleacutes de la

science chez Alexandre reacutevegravele une identification des objets cette identification seffectue au

profit du dieu de la substance premiegravere deacutefinie comme cause premiegravere agrave laquelle se ramegravene lὄν

ᾗ ὄν1 Alexandre engagerait ainsi une theacuteologisation de la meacutetaphysique que poursuivront les

commentateurs neacuteoplatoniciens2

1 P Merlan [1957] p 91

2 Sur le fait quil soit courant chez les neacuteoplatoniciens de classer la Meacutetaphysique dans les laquo eacutecritstheacuteologiques raquo (dapregraves la classification des sciences de Met E 1) voir le tableau synoptique de

137

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Commenccedilant par la fin du traiteacute Merlan se fonde tout dabord sur un fragment du

commentaire dAlexandre agrave Λ rapporteacute par Averroegraves Dapregraves le Cordouan Alexandre deacutefinirait

lobjet du livre comme laquo les principes de leacutetant en tant queacutetant cest-agrave-dire ceux de la substance

premiegravere raquo Or le livre Λ ayant pour objet le premier moteur divin cest bien quAlexandre

identifie lὄν ᾗ ὄν au premier moteur Cette thegravese unitaire est selon Merlan confirmeacutee par le

Commentaire conserveacute En effet en commentant α Alexandre eacutetablit aussi que les principes sur

lesquels enquecircte la sagesse sont au plus haut point et de ce fait sont vrais au plus haut point et

causes de lecirctre et de la veacuteriteacute de toutes les autres choses3 La thegravese se trouve dailleurs reacutepeacuteteacutee

dans le proegraveme agrave Γ quand Alexandre reacutesume lacquis du livre A4 Dailleurs souligne Merlan

dans le proegraveme du commentaire agrave Γ Alexandre se reacutefegravere agrave A qui preacutesente la philosophie

premiegravere comme la science du divin mais ne parle jamais deacutetant en tant queacutetant On doit donc

en infeacuterer une identification de lὄν ᾗ ὄν au premier moteur5 Lobjet de la philosophie premiegravere

se reacuteduit agrave cette substance comprise comme cause de lecirctre des autres eacutetants6 laquelle dapregraves

Merlan ne saurait ecirctre autre chose que la cause premiegravere le premier moteur Cette substance

premiegravere et divine est le sens premier de lecirctre par rapport auquel et agrave partir duquel tous les

autres eacutetants sont La science qui leacutetudie est donc agrave la fois premiegravere et universelle mais quand

Alexandre parle de καθόλου il ne peut pas vouloir dire que cette science porte sur la totaliteacute de

leacutetant καθόλου signifierait ici que la substance premiegravere accomplit partout son pouvoir causal

quelle est laquo uumlberall ursaumlchlich anwesend raquo7 En tant que science la plus haute la meacutetaphysique

classification des ouvrages dAristote par I Hadot ([1990] p 65) qui mentionne Philopon SimpliciusOlympiodore et David

3 In Met 138 19-23 laquo μάλιστα γὰρ ἔστι τὰ πρῶτα αἴτια καὶ αἱ ἀρχαί τὰ δὲ μάλιστα ὄντα καὶ ἀληθῆμάλιστα καὶ τοῖς ἄλλοις αἴτια τοῦ τε εἶναι καὶ τῆς ἐν αὐτοῖς ἀληθείας ταῦτα δείκνυσι δὲ ἐν αὐτῷκαθόλου τε καὶ κοινῶς καὶ ὅτι εἰσὶν ἀρχαὶ καὶ αἰτίαι τῶν ὄντων ἀνελὼν τὸ ἐπ ἄπειρον τὴνπρόοδον τῶν αἰτίων εἶναι raquo Pour un commentaire deacutetailleacute de ce passage cf nfra sect 213a

4 In Met 273 9-10

5 P Merlan [1957] p 91 laquo Indem er den Inhalt der Bucher A und B referiert sagt Alexander hier (p 237 3-5Hayduck vgl die Alternativrezension p I71 ad 5 Hayduck) daB Aristoteles sich in denselben vorgenommenhabe von der Ersten Philosophie dh vom ὄν ᾗ ὄν zu sprechen Nun ist ja weder in A noch in B vom ὄν ᾗ ὄν dieRede in A ist Erste Philosophie klarerweise die Wissenschaft vom Goumlttlichen raquo

6 Cf par exemple 244 19-20 246 10-12 occurrences citeacutees par P Merlan Nous revenons ci-dessous auchapitre III sur cette expression lancinante non seulement dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique maisdans toute lœuvre dAlexandre

7 P Merlan [1957] p 91 Merlan se fonde sur deux passages lun concernant les sens de lecirctre (244 19-20)et le second qui renvoie explicitement agrave Met E 1 en In Met 246 10-13 laquo ἅμα τέ ἐστι πρώτη καὶκαθόλου ἐν γὰρ τοῖς ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγομένοις τὸ πρῶτον καὶ καθόλου τῷ καὶ τοῖςἄλλοις αὐτὸ εἶναι αἴτιον τοῦ εἶναι ὡς καὶ αὐτὸς ἐν τῷ Ε τῆσδε τῆς πραγματείας ἐρεῖ raquo Ces deuxpassages sont effectivement cruciaux on y revient ci-dessous sect 242

138

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

portera donc neacutecessairement sur le premier des ecirctres8 et quels que soient ses autres noms se

dissout dans la theacuteologie

La position de P Merlan a susciteacute des reacutefutations cinglantes de la part de C Genequand

puis P Donini9 Une premiegravere remarque de meacutethode simpose Merlan se cantonne agrave des

passages limiteacutes et de statuts tregraves divers dans des deacutecoupages trop restreints voueacutes agrave produire

des effets de perspective Laspect paraphrastique du commentaire dAlexandre et ce qui relegraveve

davantage de linterpreacutetation ne sont jamais distingueacutes ndash et pour cause puisque selon Merlan

linterpreacutetation dAlexandre est fondamentalement correcte elle reacutevegravele ce que pense le Stagirite

Premier contre-argument le texte du commentaire agrave Λ sur lequel Merlan fonde une

bonne partie de son argument est non seulement un teacutemoignage mais un teacutemoignage sujet agrave

caution10 Il ne sagit mecircme pas de souligner que dans le commentaire agrave Λ il arrive

manifestement agrave Averroegraves de reformuler Alexandre dans ses propres termes avec ses propres

concepts si le texte est ici sujet agrave caution cest au niveau mecircme de son eacutetablissement

Assureacutement le passage est deacuteriveacute des premiegraveres phrases du livre dAristote lues de faccedilon forceacutee

puisque la substance que mentionne Aristote ne peut pas ne pas ecirctre autre chose que la premiegravere

cateacutegorie eacutetant donneacutee leacutevocation suivante de la quantiteacute et la qualiteacute11 Or le commentaire

dAverroegraves ne fait aucun doute sur lidentiteacute divine de cette premiegravere substance Selon le

Cordouan ndash et peut-ecirctre donc Alexandre ndash Aristote ayant deacutejagrave eacutetudieacute les principes de la

substance sensibles aux livres centraux il prend ici en vue les principes de la substance

eacuteternelle12 Mais le texte sur lequel se fonde Merlan est celui eacutediteacute par Freudenthal qui pousse

lidentification entre les deux sortes de principes Freudenthal traduit en effet la phrase arabe

par

In diesem Buche aber spricht er uumlber die Principien dessen was ist insofern es ist das sind die

8 P Merlan [1957] p 91

9 C Genequand [1979] P Donini [2003] et [2005]

10 C Genequand [1979] p 49 Merlan cite dailleurs de travers en disant laquo houmlchste Substanz raquo au lieu delaquo erste Substanz raquo et deacuteveloppe une eacutetrange theacuteorie agrave partir de cela mais comme le note C Genequand([1979 p 49 n 5) cette laquo misquotation [] naffecte pas le fond du problegraveme raquo malgreacute lauto-correctionde Merlan dans [1963] p 37 n 1

11 Met Λ 1 1069a 18-21 laquo Περὶ τῆς οὐσίας ἡ θεωρία τῶν γὰρ οὐσιῶν αἱ ἀρχαὶ καὶ τὰ αἴτιαζητοῦνται Καὶ γὰρ εἰ ὡς ὅλον τι τὸ πᾶν ἡ οὐσία πρῶτον μέρος καὶ εἰ τῷ ἐφεξῆς κἂν οὕτωςπρῶτον ἡ οὐσία εἶτα τὸ ποιόν εἶτα τὸ ποσόν raquo Sur ce texte cf W D Ross [1924] t II p 349

12 C Genequand [1986] p 65 (= 1407 Bouyges)

139

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Prinzipien der ersten Substanz ltund uumlber die erste Substanzgt13 deren Existenz houmlchste Wahrheitist

Freudenthal se fonde sur le manuscrit B et de lheacutebreu pour conserver laquo wa-hiya raquo14 qui

pousse agrave lidentification entre principes de leacutetant en tant queacutetant et principes de la substance

premiegravere C Genequand a au contraire proposeacute de conserver la leccedilon donneacutee par Bouyges agrave

savoir laquo wa-fī raquo qui a un support textuel leacutegegraverement plus fort et lon obtiendrait alors

But in this book he talks about the principles of being qua being and the principles of the firstsubstance which is absolutely real (haqīqa)15

Ainsi compris dans son contexte Alexandre aurait donc distingueacute laquo certains livres raquo

traitant de leacutetant en tant queacutetant et celui-ci traitant non seulement des principes de leacutetant en

tant queacutetant mais aussi des principes de la substance premiegravere ce qui suppose une distinction

entre les deux objets La suite du texte (Bouyges 1394) octroie certes agrave leacutetude de cette substance la

position dobjet final de lenquecircte ou du traiteacute (πραγματεῖα16) mais nimplique pas la reacuteduction

de la totaliteacute de lenquecircte agrave cet objet De ce point de vue le teacutemoignage dAverroegraves pose plus de

questions quil napporte de reacuteponses il faut donc comprendre en quel sens pour lExeacutegegravete sont

coordonneacutees les enquecirctes ontologique ousiologique et theacuteologique17 Degraves lors objecter agrave P

Merlan comme le fait C Genequand que ce passage ne donne que lobjet du livre Λ et non celui

de la Meacutetaphysique en son entier est peu heureux De fait si lon se fie aux citations dAverroegraves le

livre Λ a pour Alexandre une place speacuteciale dans leacutedifice Si la Meacutetaphysique eacutetait une catheacutedrale

le livre Λ pour Alexandre en serait la flegraveche ou lapex et cest agrave bon doit selon lExeacutegegravete quon le

considegravere comme le dernier livre M et N nayant quune fonction critique ils sont tenus pour

quantiteacute neacutegligeable18 Le livre Λ imprime donc une certaine orientation agrave la Meacutetaphysique telle

13 Proposition absente de lheacutebreu comme de larabe rajouteacutee par Freudenthal (cf J Freudenthal [1885]p 68 n 4)

14 J Freudenthal [1885] p 68 et en particulier la note 4

15 C Genequand [1986] p 59 et deacutejagrave [1979] p 49 n 4 La correction ne legraveve pas toutes les difficulteacutesneacuteanmoins car si la premiegravere substance qui est absolument reacuteelle ou vraie deacutesigne bien le premiermoteur alors que peuvent bien ecirctre ses principes sans quon retombe dans une reacutegression agrave linfini Onreacutetorquera que lexpression nest peut-ecirctre pas dAlexandre lui-mecircme mais une reformulationdAverroegraves Cependant le passage commence et se termine par ce qui se preacutesente comme des citationsla charge de la preuve revient donc agrave celui qui entend contester leur authenticiteacute

16 C Genequand [1986] p 59 n 5 sur larabe laquo şanaca raquo

17 Comme dit preacuteceacutedemment on nemploie ces termes malgreacute leur caractegravere jargonnant que parcommoditeacute pour eacuteviter eacutetude de leacutetant en tant queacutetant eacutetude de la substance et eacutetude du divin

18 C Genequand [1986] p 59 (= 1394 Bouyges) et agrave nouveau p 65 (= 1407 Bouyges)

140

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

quAlexandre la comprend mais il ne concentre clairement pas agrave lui seul le tout de la

meacutetaphysique Bref eacutetant donneacute lincertitude de son eacutetablissement et son caractegravere secondaire un

tel texte peut eacuteventuellement valoir comme confirmation voire comme indice mais jamais

comme preuve Sa compreacutehension qui requiert neacutecessairement une confrontation avec le reste du

Commentaire authentique doit ecirctre prorogeacutee

Bien plus deacutecisive contre la position de Merlan est lobjection suivante si cette thegravese eacutetait

vraie encore faudrait-il pouvoir alors rendre compte de tous les passages ougrave Alexandre assigne

explicitement agrave la meacutetaphysique leacutetude de tout leacutetant ou de leacutetant en totaliteacute19 Dans son proegraveme

agrave Γ Alexandre insiste sans discussion possible sur le fait que la philosophie premiegravere est laquo περὶ

παντὸς τοῦ ὄντος raquo (238 13) ou laquo περὶ πάντα τὰ ὄντα raquo (238 14) que lon retrouve dans le

proegraveme agrave Δ laquo περὶ τοῦ ὄντος καθόλου raquo (344 6)20 Alexandre souligne le caractegravere laquo καθόλου raquo

de la science elle-mecircme par exemple en 244 27-28 261 5 ou plus nettement encore en 264 23-

25 ougrave Alexandre affirme quil appartient au philosophe (sous-entendu premier) deacutetudier

universellement tous les ecirctres et donc toutes les causes21 En outre dans lun des rares passages

ougrave Alexandre esquisse un plan de la suite des traiteacutes cest bien leacutetude des sens de leacutetant qui

forme le fil directeur des divers livres22 Lexpression de laquo καθόλου φιλοσοφία raquo23 lappariement

de καθόλου avec κοινὴ et le lien entre περὶ παντὸς τοῦ ὄντος et καθόλου ne laissent enfin

aucune chance agrave la lecture de cet adverbe par P Merlan Certes il est logiquement possible dans

le cadre dune interpreacutetation theacuteologisante de la meacutetaphysique de rendre malgreacute tout compte de

son ambition universelle ce qui eacutebranle voire ruine la lecture de P Merlan est que jamais il ne

prend en compte ces passages et la reacutecurrence des thegraveses qui doit pourtant sonner comme lindice

dune position assumeacutee par lExeacutegegravete

En outre pour reprendre le mot de P Donini24 il faut une lecture bien laquo meacutecanique raquo pour

infeacuterer agrave partir des deacutebuts des commentaires agrave B et Γ quAlexandre identifie laquo eacutetant en tant

queacutetant raquo et laquo premier dieu raquo De fait ce nest pas parce quune mecircme science eacutetudie x et y que x

et y sont neacutecessairement identiques Cela se laisse confirmer par un fait assez troublant lorsque

19 Cf aussi C Genequand [1979] p 51

20 Voir deacutejagrave en 238 5 laquo καὶ πρῶτον μὲν συνίστησιν ὅτι περὶ τὸ ὂν καθόλου [scil πρώτη φιλοσοφία] raquo

21 In Met 264 23-25 laquo ἐκ δὲ τούτων δῆλον ὅτι εἰ περὶ πάντων τῶν ὄντων τοῦ φιλοσόφου θεωρεῖν καὶὁ περὶ τῶν αἰτίων πάντων καθόλου λόγος οἰκεῖος τῷ φιλοσόφῳ raquo

22 In Met 372 34-37

23 En 244 26-32 ou 258 23-24 Cf ci-dessous sect 221

24 P Donini [2003] p 19 et [2005] p 84 la version franccedilaise rajoutant mecircme laquo naiumlvement meacutecanique raquo

141

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Alexandre eacutenonce les objets de la meacutetaphysique le laquo premier dieu raquo ou la laquo cause premiegravere raquo ont

toujours un statut second meacutediat Alexandre deacuteveloppe lideacutee que la cause premiegravere fait lobjet

de la meacutetaphysique agrave partir dautres objets qui sont dembleacutee donneacutes poseacutes Le pheacutenomegravene est

dimportance comme on le verra car il exemplifie la faccedilon dont Alexandre organise

deacuteductivement les diffeacuterents objets possibles de la meacutetaphysique afin den structurer le champ de

recherche Cest en effet dit Alexandre parce que la meacutetaphysique a pour objet les principes et

les causes premiers quelle eacutetudie le dieu25 Dans son commentaire agrave A lExeacutegegravete ne pose comme

objet de la sagesse les choses ou les ecirctres divins quau terme dun syllogisme scolaire qui se

conclut par le fait que le divin soit objet de la meacutetaphysique la sagesse porte sur les principes

premiers et les causes premiegraveres or le dieu est premier principe et cause de tout le reste donc la

sagesse est connaissance des choses qui ont trait au dieu En outre le dieu dans le texte

aristoteacutelicien nest pas donneacute comme la seule cause premiegravere mais lune dentre elles26 et

Alexandre semble respecter la nuance en nemployant aucun article deacutefini (18 9-10 laquo ὁ δὲ θεὸς

ἀρχὴ πρώτη καὶ αἰτία τῶν ἄλλων raquo)

De mecircme au seuil du commentaire agrave B cest parce que la meacutetaphysique a pour objet les

laquo πρῶτα καὶ τιμιώτατα raquo quelle a pour objet le laquo premier dieu et intellect raquo et encore Alexandre

se sent-il obligeacute de preacuteciser en justifiant ainsi la place du dieu dans la meacutetaphysique cest parce

que (γάρ) la meacutetaphysique porte sur la cause comme forme substantielle totalement seacutepareacutee de la

matiegravere27 La meacutetaphysique se donne donc dabord comme une enquecircte sur les premiers comme

protologie geacuteneacuterale avant decirctre preacuteciseacutee en theacuteologie par lajout du καί adverbial et lexpression

laquo διὰ τὸ αὐτὸ δὲ τοῦτο raquo Sauf erreur ce sont lagrave les seuls passages du Commentaire conserveacute agrave

assigner explicitement et sans doute possible le dieu comme objet agrave la meacutetaphysique

Tout cela tend donc agrave confirmer la remarque geacuteneacuterale (et malheureusement peu eacutetayeacutee)

25 Pour le passage qui suit cf In Met 18 5-10 laquo ἡ γὰρ θειοτάτη κατὰ τοῦτο μάλιστα τιμιωτάτη ἡ δὲτοιαύτη θειοτάτη κατά τε τὸ μάλιστα ὁμοίαν τῇ τῶν θείων ἐνεργείᾳ εἶναι (ἐνεργεῖν μὲν γὰρεὔλογον τὸ θεῖον οὐκ ἄλλη δέ τις ἐνέργεια θεῶν ἀξία παρὰ τὴν τοιαύτην) ἀλλὰ καὶ διὰ τὸ τῶνθείων γνῶσιν εἶναι εἴγε τῶν πρώτων αἰτίων γνῶσίς ἐστι καὶ τῶν ἀρχῶν ὁ δὲ θεὸς ἀρχὴ πρώτηκαὶ αἰτία τῶν ἄλλων raquo

26 Aristote Meacutet A 2 983a 8-9 laquo ὅ τε γὰρ θεὸς δοκεῖ τῶν αἰτίων πᾶσιν εἶναι καὶ ἀρχή τις raquo Sur cepassage voir E Berti [2006] [2008a] p 426-427

27 In Met 171 5-11 Pour meacutemoire le texte est laquo Ἡ μὲν ἐπιζητουμένη ἐπιστήμη καὶ προκειμένη νῦναὐτή ἐστιν ἡ σοφία τε καὶ ἡ θεολογική ἣν καὶ Μετὰ τὰ φυσικὰ ἐπιγράφει τῷ τῇ τάξει μετ ἐκείνηνεἶναι πρὸς ἡμᾶς λέγει δὲ αὐτὴν καὶ πρώτην σοφίαν ὅτι τῶν πρώτων καὶ τιμιωτάτων ἐστὶθεωρητική διὰ τὸ αὐτὸ δὲ τοῦτο καὶ θεολογική περὶ γὰρ τοῦ αἰτίου καὶ εἴδους ὃ πάντῃ ἄυλόςἐστιν οὐσία κατ αὐτόν ἣν καὶ πρῶτον θεὸν καὶ νοῦν καλεῖ ὁ λόγος ἐν τούτοις προηγουμένωςαὐτῷ γίνεται raquo

142

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

de J-F Courtine laquo aucun des commentateurs anciens ndash et surtout pas Alexandre ndash nassimile

purement et simplement comme le suggegraverent pourtant J Owens et P Merlan lἐπιστήμη τοῦ ὄντος

ᾗ ὄν et la recherche theacuteologique de lοὐσία πρώτη raquo28 Il convient cependant de rester plus

mesureacute dans le cas des commentateurs neacuteoplatoniciens29 Mais la chose est du moins peu

discutable pour Alexandre et malgreacute les liens explicites entre les divers Commentaires agrave la

Meacutetaphysique les diffeacuterences sont agrave cet eacutegard patentes

212 La viseacutee du premier

Pour ecirctre unilateacuterale la lecture de Merlan nen est cependant pas inteacutegralement fausse et

il convient de nuancer la leveacutee de boucliers quelle a susciteacutee Linterpreacutetation de P Merlan se

laisse partiellement comprendre agrave condition de reacutegresser dune interpreacutetation theacuteologique de la

meacutetaphysique agrave sa condition le caractegravere protologique de cette science Or Alexandre enteacuterine et

accentue cette viseacutee du premier et ce statut de science premiegravere qui marque la sagesse deacutecrite

dans la Meacutetaphysique Telle est sans doute la deacutetermination embleacutematique de la science deacutecrite

dans les premiers livres du traiteacute La laquo sagesse raquo peut ecirctre agrave la fois dite science premiegravere et science

du premier Science du premier tel est son contenu puisque dapregraves la doxographie du livre A 1-

2 elle ne peut quecirctre science des causes et des principes premiers ndash cest lagrave le gain speacutecifique de

largumentation de A 2 Posseacuteder le savoir scientifique cest connaicirctre la cause or si la science

quon recherche est la plus estimable des sciences celle qui est laquo le plus sagesse raquo alors il faut

quelle soit la connaissance des causes premiegraveres La sagesse est donc autant science premiegravere que

science du premier et les deux deacuteterminations renvoient lune agrave lautre parce quelle est la

28 J-F Courtine [2005] p 125 (nous soulignons)

29 Ascleacutepius par exemple est beaucoup plus disert sur la nature theacuteologique de la meacutetaphysique Chezlui la cause premiegravere nest pas un objet deacuteduit elle est poseacutee dembleacutee au mecircme titre que les principeset les causes premiers par exemple Il est comme eacutevident pour Ascleacutepius que dans la MeacutetaphysiqueAristote laquo theacuteologise raquo laquo θεολογεῖ γὰρ ἐν αὐτῇ Ἀριστοτέλης raquo et cest pourquoi tel est le σκοπός decette eacutetude Tels sont les premiers mots du Commentaire dAscleacutepius cf In Met 1 6-8 laquo Δεῖ ἡμᾶςἀρχομένους τῆς παρούσης πραγματείας εἰπεῖν τὸν σκοπόν τὴν τάξιν τὴν αἰτίαν τῆς ἐπιγραφῆςσκοπὸς μὲν οὖν ἐστι τῆς παρούσης πραγματείας τὸ θεολογῆσαι θεολογεῖ γὰρ ἐν αὐτῇἈριστοτέλης raquo Si Ascleacutepius enteacuterine leacutetant en tant queacutetant ou leacutetant conccedilu universellement commeobjet du traiteacute cest immeacutediatement en rajoutant laquo il se propose en effet de theacuteologiser dans le preacutesentouvrage raquo Ascleacutepius In Met 2 14-15 laquo καθόλου περὶ πάντων τῶν ὄντων θεολογῆσαι γὰρ αὐτῷπρόκειται ἐν τῷ παρόντι συγγράμματι raquo formule qui ne se lit assureacutement pas chez Alexandre

143

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

science la plus haute elle doit ecirctre science du premier parce quelle est science du premier elle

est donc la plus estimable comme en teacutemoigne encore E 1 1026a 21-22

En eacutetablissant cette thegravese aux chapitres A 1 et 2 Aristote emploie de faccedilon remarquable

laquo sagesse raquo avec des comparatifs instituant ainsi un continuum entre les diffeacuterentes formes de

savoir Le passage de la perception agrave la meacutemoire puis agrave lexpeacuterience agrave la technique aux sciences

productrices et enfin aux sciences theacuteoriques est progressif ce qui leacutegitime quon examine ainsi

les diffeacuterentes formes de savoir en se demandant laquelle est laquo le plus sagesse raquo30 Il est peut-ecirctre

abusif de voir dans ce laquo μᾶλλον raquo un laquo principe raquo systeacutematique comme le propose M-H

Gauthier-Muzellec31 mais le projet agrave lorigine de leacutetablissement dune sagesse est sans aucun

doute sous-tendu par quelque chose comme laquo une mecircme logique hieacuterarchique une theacuteorie du

plus haut degreacute raquo32 La sagesse se fait lheacuteritiegravere de la dialectique platonicienne que lon

compare avec le jeu des comparatifs et des superlatifs quand Platon deacutecrit la dialectique dans le

Philegravebe (55c ndash 59d)33 Alexandre dailleurs a clairement noteacute cette gradation opeacutereacutee par le livre A et

la syntheacutetise dans son commentaire agrave 981b 27 en affirmant que laquo lrsquoexpeacuterience est plus sage que la

sensation raquo laquo lrsquoart est plus sage que lrsquoexpeacuterience raquo afin dillustrer le fait que laquo on attribue

toujours le nom de sagesse plutocirct [μᾶλλον] agrave ceux qui ont plus [μᾶλλον] de savoir raquo34 La

sagesse comme connaissance des principes et des causes premiers est donc en fait laquo sagesse au

plus haut point raquo35

La question pour tout lecteur des premiers livres de la Meacutetaphysique est de savoir quels

30 Par exemple Met A 1 981b 29 ndash 982a 1 laquo ὥστε καθάπερ εἴρηται πρότερον ὁ μὲν ἔμπειρος τῶνὁποιανοῦν ἐχόντων αἴσθησιν εἶναι δοκεῖ σοφώτερος ὁ δὲ τεχνίτης τῶν ἐμπείρων χειροτέχνου δὲἀρχιτέκτων αἱ δὲ θεωρητικαὶ τῶν ποιητικῶν μᾶλλον raquo Il faut sous-entendre σοφία apregraves leμᾶλλον voir A Jaulin et M-P Duminil [2008] p 75 Cf aussi A 2 982a 14-16 ougrave la chose est sansambiguiumlteacute laquo καὶ τῶν ἐπιστημῶν δὲ τὴν αὑτῆς ἕνεκεν καὶ τοῦ εἰδέναι χάριν αἱρετὴν οὖσαν μᾶλλονεἶναι σοφίαν ἢ τὴν τῶν ἀποβαινόντων ἕνεκεν raquo

31 M-H Gauthier-Muzellec [2008]

32 M-H Gauthier-Muzellec [2008] p 183

33 W Jaeger avait employeacute cette apparente parenteacute comme argument pour deacutemontrer la proximiteacute entrele livre A et les fragments qui nous restent du Protreptique [1948] tr fr [1997] p 68-74 cf eacutegalementdans ce sens W Leszl [1975] p 107-109 On revient ci-dessous sur la proximiteacute avec la dialectique cf sect234

34 In Met 8 10-14 laquo ὃ ἐδείξαμεν δείξαντες αὐτοὺς ἀεὶ μᾶλλον τὸ τῆς σοφίας κατηγοροῦντας ὄνομακατὰ τῶν εἰδότων μᾶλλον σοφωτέρα γὰρ τῆς μὲν αἰσθήσεως ἡ ἐμπειρία διὰ τὸ ἤδη λογική τιςεἶναι γνῶσις (λογικὴ γὰρ ἡ τοῦ καθόλου περίληψις) ἡ δὲ τέχνη τῆς ἐμπειρίας ὅτι αὕτη ἤδη καὶτῆς αἰτίας ἐστὶ γνωστική raquo

35 In Met 6 2-4 laquo συνιστὰς καὶ δεικνὺς ὅτι μάλιστα τῆς σοφίας ἐστὶν ἴδιον τὸ τὰς αἰτίας γιγνώσκεινπερὶ ἧς ἡ προκειμένη πραγματεία καὶ μάλιστα σοφία ἡ τῶν πρώτων γνῶσις αἰτίων raquo

144

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

sont ces principes premiers et de quoi ils sont principes De ce point de vue le livre A en

particulier reste assez ouvert si ce nest eacutevasif et la deacutetermination de la sagesse comme

archeacuteologie pourrait bien navoir quune valeur preacutealable36 Cela paraicirct confirmeacute par le livre B et

la premiegravere aporie en preacutesentant celle-ci en effet Aristote se reacutefegravere tregraves probablement au livre

A37 mais se sert de cette reacutefeacuterence pour interroger la nature de la sagesse en posant la question de

savoir si agrave chaque cause correspond une laquo sagesse raquo et quelle serait degraves lors la sagesse la plus

sagesse la plus architectonique38

Surtout un signe de la valeur preacutealable ou du caractegravere accueillant de la description de la

sagesse en A est la faccedilon dont louverture de ce champ rend possible la discussion des thegraveses des

physiologues autant que des positions platoniciennes Cest sans doute pourquoi une fois deacutefinie

(au moins nominalement39) en A 1 et 2 la sagesse nest plus theacutematiseacutee dans les livres suivants

comme si suffisait linstitution de ce terrain daffrontement comme si importait plus

linterrogation sur les causes que la reacuteflexion eacutepisteacutemologique sur le statut de la discussion elle-

mecircme Dans les chapitres suivants lune des seules mentions de la sagesse sert ainsi agrave qualifier

les physiologues de laquo sages raquo en vue de dresser un premier bilan de la discussion de leurs

thegraveses40 ce qui souligne encore son aspect peu discriminant ndash agrave la maniegravere dont dans le Pheacutedon

(95e sq) lenquecircte sur les causes de la geacuteneacuteration et de la corruption rend possible aussi bien

lautobiographie intellectuelle de Socrate (ie sa discussion des thegraveses laquo preacutesocratiques raquo) que la

seconde navigation et lhypothegravese de Formes41

36 Voir M Crubellier et P Pellegrin [2002] p 327

37 Met B 2 996b 8 laquo ἐκ μὲν οὖν τῶν πάλαι διωρισμένων raquo

38 Met B 2 996b 1-10 Voir agrave ce sujet S Roux [2004] p 145-146

39 Il faut toutefois chez Aristote se meacutefier de ce qui ne paraicirct que nominal telle est bien lune desmaniegraveres de deacutefinir selon AnPo II 10 93b 9 sq Pour les dangers dun emploi de la notion delaquo deacutefinition nominale raquo chez le Stagirite cf J Barnes [1994] p 223

40 Met A 5 987a 2-3 laquo ἐκ μὲν οὖν τῶν εἰρημένων καὶ παρὰ τῶν συνηδρευκότων ἤδη τῷ λόγῳ σοφῶνταῦτα παρειλήφαμεν raquo Hormis celle-ci apregraves A 2 on ne trouvera plus quune seule autre mention(mais cruciale) de la sagesse en A 9 992a 24-25 laquo ὅλως δὲ ζητούσης τῆς σοφίας περὶ τῶν φανερῶντὸ αἴτιον raquo

41 Une question est de savoir si malgreacute tout chez Aristote et agrave linstar de ce qui se produit dans le Pheacutedonlinterrogation eacutepisteacutemologique ne se poursuit pas en sous-main dans la critique des physiologues aumotif que mecircme si lon peut leur accorder le titre de laquo sages raquo ils nen sont pas pour autant toujours delaquo bons sages raquo incapables quils seraient de respecter les reacutequisits eacutepisteacutemologiques de leur propreenquecircte Il y aurait ainsi un inteacuterecirct agrave comparer les motifs des reacutefutations ou des critiques enversAnaxagore dans le Pheacutedon et dans Meacutetaphysique A Agrave ce titre il faudrait peut-ecirctre nuancer laffirmationde W Leszl selon qui laquo Il resto del libro I non concerne direttamente la questione delle cause come oggetto dellasapienza raquo (W Leszl [2010] p 190)

145

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Cest peut-ecirctre cette ouverture qui rend raison de ce que la recherche de causes et de

principes premiers se retrouve au-delagrave des livres A et B par exemple en Γ E et Λ Comme le

soutient M Crubellier

La deacutefinition de la meacutetaphysique comme doctrine des principes par exemple est peut-ecirctresimplement fonctionnelle cest-agrave-dire quelle reacutesumerait simplement lideacutee dunephilosophie premiegravere A ce titre elle serait compatible aussi bien avec les conceptions quien font la science dune reacutealiteacute absolue (la theacuteologie) quavec celles qui en font une eacutetude dela reacutealiteacute dans ses structures les plus geacuteneacuterales cest-agrave-dire une science de leacutetant en tantque tel ou une science de la substance 42

Cela nempecircche pas ndash au contraire ndash que cette enquecircte puisse avoir des formes distinctes

quil y ait des nuances entre une recherche des principes premiers et des causes premiegraveres et celle

des principes et des eacuteleacutements par exemple43

La meacutethode dAlexandre et le type de commentaire quil met en œuvre vont lengager agrave

reacuteduire cette ductiliteacute agrave preacuteciser la nature de ces principes et agrave lisser les nuances Pour ce faire

degraves le commentaire agrave A lAphrodisien complegravete les principes queacutetudie la sagesse sont les

principes et les causes de leacutetant (ou des eacutetants) et mecircme les principes de leacutetant en tant queacutetant

Agrave elle seule la simple addition de ce compleacutement deacutegage deacutejagrave une piste vers lunification du

traiteacute comme lavait deacutejagrave noteacute P Donini44 P Donini ne distingue pas entre les expressions

laquo ἀρχαί τοῦ ὄντος raquo et laquo ἀρχαί τοῦ ὄντος ᾗ ὄν raquo et en effet il ne semble pas quAlexandre fasse

une grande diffeacuterence45 si ce nest peut-ecirctre quil emploie plutocirct le redoublement laquo τοῦ ὄντος ᾗ

ὄν raquo quand il est question de luniversaliteacute de la science (ce qui nest certes pas rien) Au point de

vue des effets cependant il faut diffeacuterencier si lexpression simple peut sautoriser de certains

passages dialectiques de A (et encore Aristote ne sen sert apparemment jamais pour deacutesigner ses

42 M Crubellier P Pellegrin [2002] p 329

43 Pour une distinction entre une approche causale et une approche laquo elementaristico raquo cf W Leszl [2010]p 233 sq

44 P Donini [2005] p 83 laquo Alexandre traduit immeacutediatement et sans problegraveme la science des principes etdes premiegraveres causes dont parle Aristote en A en sciences des principes de lecirctre ce qui est faire lepas neacutecessaire et suffisant pour unifier en principe tous les objets possibles et apparemmentdisparates que les livres de la Meacutetaphysique deacutesignent comme le contenu de la discipline philosophiquequils sont en train de constituer raquo

45 Voir par exemple loccurrence des deux expressions en In Met 134 11-12 (laquo ἀλλ εἰσὶν αἱ ζητούμεναιὑπ αὐτοῦ τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ἀρχαὶ κοιναὶ πάντων ἀρχαὶ αὗται) ougrave κοιναὶ πάντων ἀρχαὶ semblestrictement synonyme du πάντων τῶν ὄντων κοιναί agrave la ligne preacuteceacutedente Nous reviendrons sur cepassage complexe ndash on pourrait nous opposer quAlexandre emploie laquo πάντων τῶν ὄντων κοιναί raquojustement dans une proposition neacutegative mais en reacutealiteacute ce que selon Alexandre Aristote se refuseraitagrave faire cest de poser des principes communs de toutes choses laquo ὡς ἡγοῦντο οἱ εἰς τὸ ἓν πάνταπειρώμενοι διὰ τῶν κοινῶν ἀνάγειν ὁμοιοτήτων raquo (l 9-10)

146

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

propres principes) lexpression redoubleacutee est propre agrave agrave Γ 1 et E46 dougrave leffet dunification du

corpus Dans le commentaire agrave A Alexandre emploie lexpression simple pour deacutesigner non

seulement lobjet de la philosophie premiegravere mais aussi lobjet des recherches des physiologues

dun cocircteacute et de celles des pythagoriciens et de Platon de lautre47 Dans le cas des physiologues il

lui arrive certes de limiter ces recherches aux principes des eacutetants laquo naturels raquo ou laquo en devenir raquo

mais en un passage dA 8 agrave propos de ceux qui posaient comme principe des eacutetants laquo une seule

nature comme matiegravere raquo lExeacutegegravete emploie lexpression de faccedilon absolue48 Deacutejagrave une expression

dAristote en A 5 lautorisait agrave se servir de lexpression telle quelle agrave propos des Pythagoriciens

qui faisaient des principes matheacutematiques les laquo principes des eacutetants raquo49 Alexandre explicite de la

mecircme faccedilon lobjet du deacutebat avec Platon Aristote dit en A 6 laquo telles sont donc les explications de

Platon sur ce que nous recherchons raquo et Alexandre dajouter laquo Font lobjet de nos recherches les

principes et les causes des eacutetants raquo50

Pour deacutesigner lobjet de la sagesse ou de la philosophie premiegravere lexpression est

freacutequente degraves le deacutebut du Commentaire

46 Met Γ 1 1003a 31-32 laquo διὸ καὶ ἡμῖν τοῦ ὄντος ᾗ ὂν τὰς πρώτας αἰτίας ληπτέον raquo Met E 1 1025b3-4 laquo Αἱ ἀρχαὶ καὶ τὰ αἴτια ζητεῖται τῶν ὄντων δῆλον δὲ ὅτι ᾗ ὄντα raquo Cf aussi E 4 1028a 2-4 laquo διὸταῦτα μὲν ἀφείσθω σκεπτέον δὲ τοῦ ὄντος αὐτοῦ τὰ αἴτια καὶ τὰς ἀρχὰς ᾗ ὄν raquoIl ne semble pasque la variation entre αἰτίας dun cocircteacute et ἀρχαὶ καὶ αἴτια soit significative

47 Sur cette reacutepartition des adversaires voir Aristote en A 8 989b 21 sq et le commentaire dAlexandread loc 70 10 sq

48 Cest le deacutebut de A 8 quAlexandre commente en disant que laquo πρῶτον μὲν ὅτι βουλόμενοι τῶν ὄντωνἀρχὰς ἐκθέσθαι πάντων οἱ δὲ τῶν σωμάτων μόνον ἀποδιδόασιν ὄντων τινῶν καὶ ἀσωμάτων raquo(64 21-23) Voir deacutejagrave agrave propos de Thalegraves en 24 13-14 laquo Ὃ βούλεται μὲν συνάγειν ἔστιν ὅτι οἱ τὸντῶν θεῶν ὅρκον ὕδωρ ὑποθέμενοι παραπλησίως Θαλῇ ἀρχὴν τῶν ὄντων τὸ ὕδωρ ὑποτίθενται raquoCf aussi 40 14 41 20 42 10 53 20-21 etc

49 In Met 37 12-13 laquo τούτους δέ φησιν ἐντραφέντας τοῖς μαθήμασι τὰς τῶν μαθημάτων ἀρχὰς τῶνὄντων ἀρχὰς θέσθαι raquo qui renvoie agrave A 5 985b 24-26 laquo καὶ ἐντραφέντες ἐν αὐτοῖς τὰς τούτωνἀρχὰς τῶν ὄντων ἀρχὰς ᾠήθησαν εἶναι πάντων raquo

50 Meacutet A 6 988a 7-8 laquo Πλάτων μὲν οὖν περὶ τῶν ζητουμένων οὕτω διώρισεν raquo (tr A Jaulin ndash MPDuminil leacutegegraverement modifieacutee) In Met 58 25-26 laquo Ὑφ ἡμῶν δὲ ζητοῦνται αἱ ἀρχαὶ καὶ τὰ αἴτια τῶνὄντων Περὶ μὲν οὖν τῶν ἀρχῶν ταῦτα εἴρηται Πλάτωνι raquo Sur Platon voir encore le commentaire agraveA 9 en 129 17- 130 10 ougrave Alexandre sautorise probablement lexpression aristoteacutelicienne laquo eacuteleacutementsde tous les eacutetants raquo

147

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Χρὴ οὖν ἐκ τῆσδε τῆς πραγματείαςἀπαιτεῖν τὴν γνῶσιν τῶν πρώτων ἀρχῶν καὶαἰτίων αὗται δ ἂν [910] εἶεν τοῦ ὄντος οἷονἀρχαί δι ἃς τῶν ὄντων ἕκαστόν ἐστιν ὧν τὸεἶναι κατηγοροῦμεν τοιαῦται δὲ αἱ πρῶταικαὶ κυριώταται οὐσίαι αὗται μὲν γὰρ τῶνοὐσιῶν ἀρχαί αἱ δὲ οὐσίαι τῶν ἄλλωνἁπάντων ὡς δείξει Τήν τε οὖν τούτωνγνῶσιν ἀπαιτεῖν χρὴ ἐκ τῆσδε τῆςπραγματείας καὶ ἔτι ὅσα εἰς τὴν τούτωνγνῶσιν συντελεῖ εἰς ἃ καὶ ὁ πλεῖστος αὐτῷλόγος [915] ἀναλίσκεται οὐ γὰρ οἷόν τε ἦνἐκείνων γνῶσιν ἄλλως λαβεῖν μὴπροκαταστήσαντα καὶ προεκκαθάραντα τὰἐμποδών

Il faut donc attendre de cette eacutetude laconnaissance des premiers principes et des premiegraverescauses Ceux-ci seront des sortes de principes deleacutetant agrave cause51 desquels chaque eacutetant auquel nousattribuons lecirctre est Or telles sont les substancespremiegraveres et les plus eacuteminentes Elles-mecircmes en effetsont principes des substances qui sont principes detout le reste comme il le montrera Degraves lors cest laconnaissance de cela quil faut attendre de cette eacutetudeet en outre de tout ce qui contribue agrave leurconnaissance agrave quoi il voue la majeure partie de sondiscours Il neacutetait en effet pas possible de prendreconnaissance de cela autrement quen commenccedilantpar exposer et lever ces obstacles

(9 8-16)

Ce passage met fin au commentaire de A 2 982a 4 et concentre une bonne part de la

compreacutehension alexandrinienne de la meacutetaphysique certains de ses enjeux seacuteclaireront donc par

la suite52 Alexandre y deacuteveloppe la premiegravere phrase de A 2 (laquo or puisque nous recherchons cette

science voici ce quil faudra examiner raquo) en expliquant en quoi sinterroger sur cette science

implique une recherche sur les objets eux-mecircmes de cette science LExeacutegegravete reprend alors les

acquis du chapitre preacuteceacutedent53 Si leacutetude des opinions sur la sagesse permet dasseoir lideacutee que

celle-ci est connaissance des causes et des principes encore faut-il savoir lesquels ce qui nest pas

eacutevident54 Alexandre voit ainsi dans cette proposition agrave la fois lannonce de A 2 (sur le fait quil

sagisse des principes premiers) et du reste du livre A agrave partir de A 3 agrave travers la neacutecessiteacute de

distinguer quatre sens de la cause55

Pris dans ce mouvement dannonce et deacutelargissement lExeacutegegravete conclut son commentaire

51 Lexpression est peut-ecirctre peu heureuse en franccedilais mais pour des raisons qui seacuteclaireront au chapitreIII lideacutee importante est en effet la causaliteacute Sur le fait que laquo δι ὅ raquo signifie strictement la cause pourAlexandre (agrave la suite dAristote) cf par exemple In Met 247 11-15 et deacutejagrave In Met 24 29-25 1

52 Pour lexpression de causes (ou principes) de lecirctre cf ci-dessous chapitre III particuliegraverementsect 312b et 323

53 In Met 8 27-28 laquo φθάνει μὲν οὖν εἰρηκέναι ὅτι τὴν ὀνομαζομένην σοφίαν περὶ τὰ πρῶτα αἴτιακαὶ τὰς ἀρχὰς ὑπολαμβάνουσι πάντες raquo

54 Il est probable que comme le proposent Brandis et Bonitz il faille corriger le εὔδηλον de 9 1 en οὐδῆλον dans la phrase 9 1-3 laquo ἐπεὶ δὲ τίνες αἱ πρῶται ἀρχαὶ καὶ τὰ πρῶτα αἴτια εὔδηλον λαβὼν τὸπερὶ ἀρχὰς καὶ αἰτίας τὴν σοφίαν εἶναι ὡς ὁμολογούμενον τὸ περὶ ποίας ζητήσει καὶ ὅτι περὶ τὰςπρώτας δείξει raquo

55 In Met 9 4-8 laquo διὸ ἀναγκαίως καὶ τῆς τῶν αἰτίων διαιρέσεως μνημονεύει ὅτι τετραχῶς τὰ αἴτιαλέγεται καὶ τὴν ἱστορίαν τῶν πρὸ αὐτοῦ τι περὶ αἰτιῶν εἰρηκότων παρατίθεται εὐλόγως ἵν εἰ μὲνὀρθῶς εὑρεθῇ τι τῶν εἰρημένων ὑπ ἐκείνων ἀκολουθοίημεν αὐτῷ εἰ δὲ μή πλέον τι ζητοίημεναὐτοί raquo

148

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

par cette remarque geacuteneacuterale qui vient qualifier la laquo recherche raquo mentionneacutee par Aristote La

valeur agrave accorder au laquo οἷον raquo dans la proposition laquo αὗται δ ἂν εἶεν τοῦ ὄντος οἷον ἀρχαί raquo (9 9-

10) nest toutefois pas claire La distinction entre principes de la deacutemonstration et principes des

eacutetants sur laquelle nous allons revenir nest sans doute pas la bonne clef puisque laquo οἷον raquo

semble plutocirct porter sur laquo ἀρχαί raquo voire sur lexpression complegravete On pourrait plutocirct lire ce

laquo οἷον raquo comme un marqueur dimpreacutecision ducirc agrave ce quon se situe dans une anticipation De

mecircme les laquo obstacles raquo quannonce Alexandre peuvent tregraves bien renvoyer aux difficulteacutes sur la

conception des causes quAristote va affronter au livre A mais aussi les apories proprement dites

du livre B eu eacutegard agrave la construction des verbes laquo προκαταστήσαντα καὶ προεκκαθάραντα raquo

qui ne sont pas sans rappeler ceux par lesquels Alexandre deacutecrit la deacutemarche dialectique du Livre

des difficulteacutes56 Cest en tout cas une bonne partie du traiteacute qui se trouve ainsi anticipeacutee

Comme on la dit cette unification deviendra plus nette quand Alexandre deacuteveloppera

cette expression en laquo principes de leacutetant en tant queacutetant raquo par exemple une page plus loin laquo or

est universelle au plus haut point la science qui porte sur les eacutetants en tant queacutetants car leacutetant

est commun agrave toutes les choses qui sont dans lexistence raquo57 Ou de mecircme agrave la fin de son

commentaire agrave A 9 dans les commentaires agrave α ougrave les principes qui font lobjet de la sagesse sont

dits causes de lecirctre des autres choses ou encore agrave Γ58 Le projet dune recherche des premiers

principes et des premiegraveres causes traverse tout le traiteacute et reacutegente ainsi lensemble de la

meacutetaphysique Les passages qui impriment une telle orientation agrave la meacutetaphysique ne sont pas

seulement ou pas tous leffet du commentaire dans sa dimension paraphrastique Alexandre

maintient cette orientation en dehors des commentaires aux seuls passages qui leacutetablissent ndash

ainsi nettement dans le commentaire agrave Γ et non pas seulement agrave propos de loccurrence en Γ 1

de laquo premiegraveres causes de leacutetant en tant queacutetant raquo (1003a 31) mais aussi dans tout le reste du

livre59 Enfin on la vu Averroegraves fait remonter agrave Alexandre lideacutee que le livre Λ accomplit aussi la

recherche des laquo principes de leacutetant en tant queacutetant raquo expression absente du texte aristoteacutelicien

56 Voir In Met 172 16 et 173 7-8 laquo καὶ διὰ τὸ δεῖν οὖν γνωρίζειν τὸν δεσμόν εἰ μέλλει τις λύσειναὐτόν ἀναγκαῖόν φησιν εἶναι προαπορεῖν raquo ou encore lemploi de πρό-ἐπέρχομαι en 173 27 (laquo εἰπάντα τις τὰ ἀπορεῖσθαι δυνάμενα καὶ λέγεσθαι πρὸς τὴν κατασκευὴν αὐτῶν καὶ θέσινπροεπέλθοι τε καὶ λύσαι)

57 In Met 11 7-8 laquo Μάλιστα δὲ καθόλου ἐστὶν ἐπιστήμη ἡ περὶ τῶν ὄντων ᾗ ὄντα κοινὸν γὰρ τὸ ὂνπᾶσι τοῖς ἐν ὑπάρξει raquo

58 En particulier In Met 134 7-10 138 19-21 239 15 240 23-25 Cf aussi 240 33-34 244 21-23 24433-34

59 Cf de faccedilon paradigmatique In Met 246 9 sq

149

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

qui parle seulement de laquo principes et causes des substances raquo (laquo τῶν γὰρ οὐσιῶν αἱ ἀρχαὶ καὶ τὰ

αἴτια raquo 1069a 18-19) Cette opeacuteration exeacutegeacutetique dunification paraicirct loin decirctre totalement

infondeacutee Pour deacutejouer la multipliciteacute des objets de la meacutetaphysique employer la deacutetermination

protologique (ou archeacuteologique) est sans doute une voie plutocirct efficace une voie qui en tout cas

se justifie en partie par le texte lui-mecircme Alexandre non seulement ratifie le caractegravere deacutejagrave

transversal de cette deacutetermination chez Aristote mais la deacuteveloppe aussi en la reliant

immeacutediatement au projet dune science de leacutetant et mecircme de leacutetant en tant queacutetant

213 Les principes premiers statut et identiteacute

a) Le principe de causaliteacute du maximum

Linsistance alexandrinienne sur la recherche des principes premiers et des causes

premiegraveres ne sert toutefois pas seulement agrave unifier formellement le traiteacute et la science Il serait du

reste assez artificiel mecircme pour unifier le traiteacute den rythmer le parcours par linsistance sur

cette dimension de la sagesse De surcroicirct le projet dune recherche des principes premiers nest

pas que fonctionnel pour lExeacutegegravete et celui-ci travaille aussi bien la notion mecircme de laquo principes

premiers raquo Le fait de les cibler comme principes de leacutetant ou causes de lecirctre deacutejagrave reacuteduit cette

ouverture fonctionnelle de la recherche archeacuteologique En outre Alexandre deacutetermine ces

principes premiers comme agrave la fois principes decirctre et de connaissance parce que

neacutecessairement eux-mecircmes sont agrave la fois les plus connaissables et les plus laquo eacutetants raquo60 comme le

confirme par exemple le proegraveme agrave Γ laquo elle [la sagesse ou philosophie premiegravere] eacutetudie les

principes premiers et les causes premiegraveres ceux-ci en effet sont [ou sont des eacutetants61] au plus

haut point raquo62 En tant que principes de connaissance ils sont eacutegalement les laquo plus vrais raquo comme

60 Pour les affirmations reacutecurrentes sur le fait que les principes premiers sont principes decirctre et deconnaissance parce quils sont les plus eacutetants et les plus connaissables cf aussi dans un contexte certesdialectique In Met 216 17

61 Ce qui pour Alexandre veut dire la mecircme chose cf In AnPr 15 15-22

62 In Met 237 8-10 laquo δείξας δὲ αὐτὴν θεωρητικὴν οὖσαν τῶν πρώτων ἀρχῶν τε καὶ αἰτίων (ταῦταγὰρ μάλιστα ὄντα) raquo

150

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

lannonce le proegraveme agrave α ce qui trouvera sa justification dans la suite du livre63

Le commentaire au livre α est en effet le lieu deacutelaboration dun axiome qui selon nous

innerve lensemble de la meacutetaphysique alexandrinienne et quon nommera pour plus de faciliteacute

laquo principe de causaliteacute du maximum raquo La raison de son apparition dans le commentaire agrave α est

exeacutegeacutetique le principe alexandrinien de causaliteacute du maximum se donne agrave lire comme une

interpreacutetation dα 1 993b 23-31 On tentera cependant de montrer par la suite que ce principe

travaille largement le corpus alexandrinien au-delagrave de son contexte dorigine Une telle extension

se laisse deacutejagrave deviner dans le commentaire quen donne ad locum lAphrodisien

Le texte dAristote que commente Alexandre est le suivant

Οὐκ ἴσμεν δὲ τὸ ἀληθὲς ἄνευ τῆς αἰτίαςἕκαστον δὲ μάλιστα αὐτὸ τῶν ἄλλων καθ ὃκαὶ τοῖς ἄλλοις ὑπάρχει τὸ συνώνυμον (οἷοντὸ πῦρ θερμότατον καὶ γὰρ τοῖς ἄλλοις τὸαἴτιον τοῦτο τῆς θερμότητος) ὥστε καὶἀληθέστατον τὸ τοῖς ὑστέροις αἴτιον τοῦἀληθέσιν εἶναι Διὸ τὰς τῶν ἀεὶ ὄντων ἀρχὰςἀναγκαῖον ἀεὶ εἶναι ἀληθεστάτας (οὐ γάρποτε ἀληθεῖς οὐδ ἐκείναις αἴτιόν τί ἐστι τοῦεἶναι ἀλλ ἐκεῖναι τοῖς ἄλλοις) ὥσθ ἕκαστονὡς ἔχει τοῦ εἶναι οὕτω καὶ τῆς ἀληθείας

Nous ne connaissons pas le vrai sans la cause etchaque chose en vertu de laquelle la proprieacuteteacute demecircme nom appartient aussi aux autres possegravede cetteproprieacuteteacute au plus haut point entre lttoutesgt les autres(par exemple le feu est la chose la plus chaude et defait il est la cause de la chaleur des autres choses)Par conseacutequent est le plus vrai64 ce qui est cause delecirctre vrai de ce qui vient apregraves lui Cest pourquoi lesprincipes des choses qui sont toujours sontneacutecessairement toujours les plus vrais (car ils ne sontpas vrais quelquefois et nont pas non plus une causede leur ecirctre [vrais] mais eux le sont pour les autres)de sorte que pour chaque chose de mecircme quelle secomporte du point de vue de lecirctre de mecircme elle secomporte du point de vue de la veacuteriteacute

(Met α 1 993b 23-31)

Ce passage se lit agrave la fin du chapitre consacreacute agrave leacutetude de la veacuteriteacute (laquo Ἡ περὶ τῆς

ἀληθείας θεωρία raquo 993a 30) Le deacutebut du chapitre se constitue de trois moments qui analysent

ou exemplifient la faciliteacute et la difficulteacute de cette recherche65 La quatriegraveme moment du chapitre

identifie cette eacutetude avec la philosophie en la distinguant en un premier temps de la science

pratique ndash ce quAlexandre interpregravete en introduisant le vocabulaire du τέλος et du σκοπός

promis agrave une fortune certaine dans les commentaires neacuteoplatoniciens (In Met 145 15-26) Le

passage ci-dessus explicite en outre la distinction entre sciences theacuteorique et pratique en

63 Cf In Met 138 19-21

64 Jaeger propose la correction du superlatif en comparatif sur la foi dAlexandre alors que les manuscritsdonnent tous le superlatif Il faudrait pour le coup ecirctre plus meacutefiant agrave leacutegard dAlexandre cest peut-ecirctre lagrave un effet de son commentaire que de passer du superlatif (qui peut supposer une distinctionentre le maximum et tout le reste) au comparatif (qui instaure une uniteacute entre des eacuteleacutements quon peutdistinguer par degreacutes)

65 Pour une eacutetude densemble du chapitre de sa progression et de ses enjeux voir E Berti [1983]

151

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

soutenant que la science pratique ne vise que la cause laquo relative au cas preacutesent raquo66 Lobjectif est

deacutetablir que la philosophie comme science de la veacuteriteacute doit avoir plus preacuteciseacutement pour objet ce

qui est vrai au plus haut point agrave savoir les principes premiers Le principe (ou comme dit E

Berti cette laquo loi geacuteneacuterale raquo67) qui va retenir Alexandre sert de cheville agrave ce raisonnement

La traduction du principe pose toutefois difficulteacute Les traducteurs ne sont pas unanimes

et leur deacutesaccord provient peut-ecirctre de la lecture quen fait Alexandre J Tricot et G Reale68 par

exemple traduisent en effet de la faccedilon suivante le passage crucial

laquo Ἕκαστον δὲ μάλιστα αὐτὸ τῶν ἄλλων καθ ὃ καὶ τοῖς ἄλλοις ὑπάρχει τὸσυνώνυμον raquoJ Tricot laquo et la chose qui parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujourscelle dont les autres choses tiennent en commun cette nature raquoG Reale laquo Ma ogni cose che possiede in grado supremo la natura che le egrave propriaconstituisce la causa in virtugrave della quale anche alle altre conviene quella stessa natura raquo

A linverse par exemple WD Ross E Berti et A Jaulin et M-P Duminil69 traduisent la

proposition de telle sorte que le raisonnement aille non pas de leacuteminence agrave la causaliteacute mais de

la causaliteacute agrave leacuteminence

WD Ross laquo and a thing has a quality in a higher degree than other things if in virtue of itthe similar quality belongs to the other things as well raquoE Berti laquo chaque chose selon laquelle un caractegravere ayant le mecircme nom quelle appartientaussi agrave dautres choses a ce caractegravere plus que toutes les autres raquo70A Jaulin M-P Duminil laquo Et chaque chose par laquelle la proprieacuteteacute de mecircme deacutefinitionappartient aussi aux autres choses est cause au plus haut point entre toutes les autres raquo

La reconstruction de largumentation nous semble exiger de conserver cette seconde

traduction En effet Aristote procegravede en posant une regravegle celle de leacuteminence de la cause (pour

une proprieacuteteacute x donneacutee la cause de la proprieacuteteacute x est elle-mecircme x au plus haut point) La regravegle est

66 La proposition de 993b 21-23 est sujette agrave caution Ross imprime laquo καὶ γὰρ ἂν τὸ πῶς ἔχει σκοπῶσινοὐ τὸ ἀΐδιον ἀλλ ὃ πρός τι καὶ νῦν θεωροῦσιν οἱ πρακτικοί raquo en suivant Ab Jaeger choisit laquo καὶ γὰρἂν τὸ πῶς ἔχει σκοπῶσιν οὐ τὸ αἴτιον καθ αὑτὸ ἀλλὰ πρός τι raquo avec E Alexandre teacutemoigne deacutejagravedes deux leccedilons mecircme si la premiegravere semble avoir sa preacutefeacuterence cf In Met 145 21 sq (laquo γράφεται δὲἔν τισιν ἀντιγράφοις ltοὐ τὸ αἴτιον καθ αὑτὸ ἀλλὰ πρός τι καὶ νῦν θεωροῦσινgt οὗ γεγραμμένουεἴη ἂν λέγων ὅτι raquo)

67 E Berti [1983] [2008a] p 253

68 Respectivement J Tricot [1953] (leditio minor de 1933 traduit de maniegravere similaire laquo De plus la chosequi possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les autres choses tiennent en communcette nature raquo) G Reale [2004]

69 Respectivement WD Ross [1928] E Berti [1983] A Jaulin M-P Duminil [2008] La traduction deWD Ross revue par J Barnes [1984] donne la mecircme phrase en supprimant seulement laquo as well raquo agrave lafin

70 E Berti [1983] [2008a] p 253

152

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

illustreacutee par le cas du feu qui est chaud au plus haut point en tant que cause Elle est ensuite

appliqueacutee aux choses vraies la cause de la veacuteriteacute est vraie au plus haut point Une preacutemisse est

neacutecessairement sous-entendue or ce qui est toujours vrai est plus vrai que ce qui lest parfois

Conclusion du raisonnement donc les causes de ce qui est toujours vrai sont les plus vraies de

toutes Les principes des choses qui sont toujours conjuguent donc deux proprieacuteteacutes qui leur

permettent decirctre les plus vrais de toutes choses ils sont principes et ils sont toujours

Rien ne contraint degraves lors agrave la lecture gradualiste de la derniegravere proposition du chapitre

La plupart des traducteurs en effet agrave la suite dAlexandre traduisent laquo ὥσθἕκαστον ὡς ἔχει τοῦ

εἶναι οὕτω καὶ τῆς ἀληθείας raquo par laquo de sorte que pour chaque chose autant elle a decirctre autant

elle a de veacuteriteacute raquo71 Toutefois comme le montre A Stevens72 plusieurs raisons grammaticales et

lexicales sopposent agrave une telle traduction la tournure laquo ὡς οὕτω raquo na pas neacutecessairement de

sens quantitatif le Bailly et le Liddell-Scott attestent de la tournure classique ἔχω avec ὡς οὕτως

ou un adverbe et le geacutenitif comme signifiant laquo se comporter relativement agrave raquo ou laquo cest le cas

pour raquo Sil est impossible de construire la phrase comme si laquo τοῦ εἶναι raquo eacutetait agrave laccusatif cest

sans doute linterpreacutetation du geacutenitif comme partitif qui justifie ces traductions mais au vu de

ce qui preacutecegravede ce nest ni eacutevident ni neacutecessaire WD Ross fait figure de notable exception parmi

les traducteurs que nous avons consulteacutes en traduisant en ce sens laquo so that as each thing is in

respect of being so is it in respect of truth raquo73 Ce quest une chose sa position par rapport agrave dautres

(son anteacuterioriteacute son statut de cause ou inversement deffet sa posteacuterioriteacute) implique un statut

deacutetermineacute quant agrave la veacuteriteacute un principe par exemple est plus certain que sa conclusion Lu

ainsi le passage du chapitre α 1 demeure coheacuterent avec lautre texte source du principe du

maximum de la cause ie Seconds Analytiques I 2 72a 25-32 Dans ce passage Aristote ne dit pas

que les preacutemisses sont plus vraies que les conclusions parce quelle auraient plus decirctre mais

parce quelles leur sont logiquement anteacuterieures Les preacutemisses en effet sont mieux connues par

nature (et non pour nous) parce quelles sont plus universelles Les anteacuteceacutedents et les conseacutequents

ne diffegraverent manifestement pas par une quantiteacute decirctre74

71 A Jaulin laquo si bien que chaque chose a autant de veacuteriteacute que decirctre raquo J Tricot laquo Ainsi autant une chosea decirctre autant elle a de veacuteriteacute raquo G Reale laquo Siccheacute ogni cose possiede tanto di verita quanto possiededi essere raquo E Berti laquo autant une chose a decirctre autant elle a de veacuteriteacute raquo

72 Nous remercions Annick Stevens pour nous avoir communiqueacute ces arguments et la note affeacuterente de satraduction agrave paraicirctre de la Meacutetaphysique

73 WD Ross [1928] La version revue par J Barnes (J Barnes [1984] t II p 1570) conserve la mecircmetraduction

74 Cf Aristote AnPo I 2 72a 25-32 laquo Ἐπεὶ δὲ δεῖ πιστεύειν τε καὶ εἰδέναι τὸ πρᾶγμα τῷ τοιοῦτον

153

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Dans son commentaire Alexandre en revanche propose une interpreacutetation nettement

gradualiste de la derniegravere proposition du chapitre et exploite au maximum les tendances

platonisantes du texte aristoteacutelicien

Εἰπὼν ὅτι μὴ οἷόν τε τὴν ἀλήθειαν τὴνἐν τοῖς ἔχουσιν αἰτίας γνῶναι χωρὶς τῆςγνώσεως τῶν αἰτιῶν αὐτῶν καὶ διὰ τούτουδείξας ἀναγκαίαν [1475] τῇ θεωρητικῇφιλοσοφίᾳ τὴν τῶν αἰτίων γνῶσιν νῦν ὅτιἀναγκαία δείκνυσι πάλιν διὰ τοῦ δεῖν μὲντὸν περὶ τῆς ἀληθείας φιλοσοφοῦντα τὰμάλιστα ἀληθῆ γνωρίζειν μάλιστα δὲἀληθῆ τὰ ἀίδια αἴτια ταῦτα γὰρ καὶ τῆς τῶνδι αὐτὴν ὄντων ἀληθείας αἴτιαἈληθέστατον μὲν γὰρ ὃ καὶ τοῖς ἄλλοιςαἴτιον τοῦ ἀληθέσιν εἶναι αἱ δὲ ἀρχαὶ αἴτιατῆς ἐν τοῖς δι αὐτὰς [14710] οὖσιν ἀληθείαςἝκαστον γὰρ τῶν ὄντων ἐφ ὅσον τοῦ εἶναιμετέχει ἐπὶ τοσοῦτον καὶ τῆς ἀληθείας τὸγοῦν ψεῦδος μὴ ὄν Διὸ τὰ ἀίδια μάλισταὄντα καὶ μάλιστα ἡ ἐκείνων γνῶσιςἀλήθεια εἴ γε ἐπιστήμη

Apregraves avoir dit quil est impossible de connaicirctrela veacuteriteacute dans ce qui a des causes sans connaicirctre lescauses elles-mecircmes et par lagrave ayant montreacute laneacutecessiteacute pour la philosophie theacuteorique de connaicirctreles causes agrave preacutesent il montre agrave nouveau que cestune neacutecessiteacute agrave travers le fait que celui qui philosophesur la veacuteriteacute doit connaicirctre ce qui est vrai au plus hautpoint et que sont vraies au plus haut point les causeseacuteternelles car celles-ci sont eacutegalement causes de laveacuteriteacute des eacutetants qui sont par elles Dune part eneffet le plus vrai cest ce qui est cause pour le restede leur ecirctre vrai dautre part les principes sontcauses de la veacuteriteacute dans les eacutetants qui sont par euxPour chaque eacutetant en fait autant il participe de lecirctreautant il participe aussi de la veacuteriteacute75 ndash en tout cas76 lefaux est non eacutetant Partant les choses eacuteternelles sontdes eacutetants77 au plus haut point et leur connaissanceest vraie au plus haut point si du moins cest unescience

ἔχειν συλλογισμὸν ὃν καλοῦμεν ἀπόδειξιν ἔστι δ οὗτος τῷ ταδὶ εἶναι ἐξ ὧν ὁ συλλογισμόςἀνάγκη μὴ μόνον προγινώσκειν τὰ πρῶτα ἢ πάντα ἢ ἔνια ἀλλὰ καὶ μᾶλλον αἰεὶ γὰρ δι ὃὑπάρχει ἕκαστον ἐκείνῳ μᾶλλον ὑπάρχει οἷον δι ὃ φιλοῦμεν ἐκεῖνο φίλον μᾶλλον raquo laquo Maispuisquil faut agrave la fois ecirctre convaincu de la chose et la connaicirctre par le fait de posseacuteder un syllogismedu genre que nous appelons deacutemonstration ndash et que ce syllogisme est tel du fait que ce sont ces chosesdont il procegravede ndash il est neacutecessaire non seulement de connaicirctre agrave lavance les preacutemisses premiegraverestoutes ou certains dentre elles mais aussi de les connaicirctre mieux que les conclusions Toujours eneffet ce agrave cause de quoi une chose appartient agrave un sujet appartient plus au sujet que celle-ci parexemple ce agrave cause de quoi nous aimons cela est plus aimeacute que lobjet aimeacute raquo (tr P Pellegrin [2005]p 71)

75 Ou chaque eacutetant participe de la veacuteriteacute agrave la mesure ougrave il participe de lecirctre

76 Les traductions anglaise et italienne traduisent laquo for raquo et laquo giacche raquo M Rashed garde un laquo en tout cas raquo([2007b] p 312) qui nous semble preacutefeacuterable eu eacutegard agrave la marche argumentative du passage

77 Il faudrait presque traduire par laquo eacutetants raquo tout court ce qui est certes ineacuteleacutegant mais est exigeacute par lacoheacuterence du passage qui veut quon entende ici des proprieacuteteacutes (en un sens large de cet terme) commela chaleur

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Εἰ δὲ τὰ ἀίδια μάλιστα ὄντα ἔτι μᾶλλονὄντα τὰ τούτοις αἴτια τοῦ εἶναι ἀεί διὰ γὰρτὸ εἶναι αἴτια τούτοις ἐκεῖνα τούτων μᾶλλονὄντα καὶ μάλιστα ὄντα [14715] Οὗ τὴναἰτίαν παρέθετο εἰπὼν ltἕκαστον δὲ μάλιστααὐτὸ τῶν ἄλλων καθ ὃ καὶ τοῖς ἄλλοιςὑπάρχει τὸ συνώνυμονgt δι ὃ γάρ τισινὑπάρχει τὸ τοῖσδέ τισιν εἶναι καὶσυνωνύμοις κατὰ τοῦτο ἀλλήλοις οἷονθερμοῖς ἐκεῖνο μάλιστα θερμόν Δεῖ γὰρ μὴμόνον ἀλλήλοις αὐτὰ εἶναι συνώνυμα ἀλλὰκαὶ τὸ αἴτιον αὐτοῖς τοῦ εἶναι τοιούτοιςσυνώνυμον αὐτοῖς [14720] εἶναι τότε γὰρἔσται μάλιστα τοιοῦτον αὐτό ὅταν ᾖ πρῶτοντοιοῦτον οἷον μάλιστα θερμὸν ἔσται τὸ τοῖςθερμοῖς αἴτιον τοῦ εἶναι θερμοῖς πρῶτονθερμὸν ὂν αὐτό Οὕτως αἴτιον τὸ πῦρ τοῖςθερμοῖς τοῦ εἶναι θερμοῖς τοῦτο γὰρἐδήλωσε διὰ τοῦ εἰπεῖν ltκαθ ὃ καὶ τοῖςἄλλοιςgt ἐπεὶ δύναται αἴτιόν τισιν εἶναι τοῦτοῖσδε εἶναι μὴ ὂν αὐτὸ τοιοῦτον οἷον ἡτρῖψις [14725] αἰτία θερμότητός τισιν ἀλλοὐ μάλιστα θερμὴ οὖσα αἰτία τῆςθερμότητος ἐκείνοις Τὸ δὲ πῦρ ἐπεὶ τοῖςθερμοῖς αἴτιον τῆς θερμότητος θερμὸν ὂνκαὶ αὐτό διὰ τοῦτο μάλιστα καὶ αὐτὸθερμόν

Mais si les choses eacuteternelles sont des eacutetants auplus haut point les causes du fait quelles sonttoujours sont encore davantage des eacutetants du faitquelles sont leurs causes elles sont plus eacutetants queltles choses eacuteternellesgt et eacutetants au plus haut pointAristote en a preacutesenteacute78 la raison en disant laquo etchaque chose en vertu de laquelle la proprieacuteteacute de mecircmenom appartient aussi aux autres possegravede cette proprieacuteteacute auplus haut point entre [toutes] les autres raquo car ce agrave causede79 quoi il appartient agrave certaines choses davoir uneproprieacuteteacute deacutetermineacutee et dapregraves cela de posseacuteder lesunes et les autres le mecircme nom80 comme parexemple les choses chaudes cela81 est chaud au plushaut point Il faut en effet non seulement que les uneset les autres aient le mecircme nom mais en outre que lacause du fait quelles sont de telle nature ait le mecircmenom quelles en effet ltcette causegt elle-mecircme serade cette nature au plus haut point chaque fois quelleest la premiegravere de cette nature82 Par exemple serachaude au plus haut point la cause de lecirctre chaud deschoses chaudes eacutetant elle-mecircme la premiegravere chosechaude Cest de cette maniegravere que le feu est cause delecirctre chaud des choses chaudes Aristote a eacuteclairci cepoint en disant laquo ce dapregraves quoi aussi les autres raquopuisque la cause du fait que certaines choses ont uneproprieacuteteacute deacutetermineacutee peut ne pas ecirctre de mecircmenature Par exemple la friction est cause de chaleurpour certaines choses mais ce nest pas en eacutetantchaude au plus haut point quelle est cause de leurchaleur En revanche le feu puisquil est cause de lachaleur des choses chaudes en eacutetant lui-mecircme chaudest pour cette raison lui-mecircme chaud au plus hautpoint

78 Ou laquo en preacutesente raquo lemploi par Alexandre de laoriste quand il se reacutefegravere au texte dAristotecorrespond mieux agrave un preacutesent en franccedilais

79 Noter quon passe de καθ ὃ agrave δι ὃ

80 La question est de savoir si Alexandre entend laquo συνωνύμοις raquo en un sens technique ou de faccedilonlitteacuterale Cest ainsi que le comprend WE Dooley qui va jusquagrave traduire laquo in virtue of wich they have thesame name and the same nature (συνωνύμοις) raquo et qui dans la suite du texte ne conserve que laquo the samenature raquo La traduction italienne se limite agrave laquo lo stesso nome raquo qui nous semble plus prudent etphilosophiquement plus fondeacute

81 Agrave savoir cette cause

82 Ou laquo en effet chaque fois quil y a un terme premier de cette nature il sera alors lui-mecircme de cettenature au plus haut point raquo WE Dooley note que mecircme si le sujet grammatical de cette propositionpeut ecirctre lαἴτιον preacuteceacutedent cela ne peut ecirctre logiquement le cas car alors le raisonnement seraittautologique WE Dooley propose donc de consideacuterer que le sujet de laquo ἔσται raquo est le laquo πρῶτον raquo de lasubordonneacutee suivante Toutefois le raisonnement nest pas tautologique si lon savise quil porte enreacutealiteacute autant sur la communauteacute de proprieacuteteacute entre la cause et ses effets (le feu agrave linverse de lafriction est lui-mecircme chaud) que sur son double statut de cause de premier et de maximum Cequillustre preacuteciseacutement lexemple suivant

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Καὶ τὰ τῶν ὄντων δὴ μάλιστα αἴτια ὄντακαὶ αὐτά ὄντα μᾶλλον ἐκείνων τῷ αἴτιααὐτῶν εἶναι [1481] καὶ ἀληθῆ ἔτι μᾶλλονἦν γὰρ κείμενον τὸ ᾗ ἕκαστον τοῦ ὄντοςμετέχει οὕτω καὶ τῆς ἀληθείας ἔχειν Καθὅσον μὲν οὖν ἀίδια καὶ τὰ ἀεὶ ὄντα λέγω καὶτὰ τούτων αἴτια κατὰ τοσοῦτον συνωνύμωςἀλλήλοις τε καὶ τοῖς αἰτίοις αὐτῶν ἀληθῆκαθ ὅσον δὲ αἴτιά τισι τοῦ εἶναι μάλιστατοιαῦτα [1485] κατὰ τοσοῦτον μᾶλλον ἐντοῖς ἀιδίοις ἀληθῆ τὰ αἴτια αὐτῶν ὥστεμάλιστα ἂν εἴη περὶ ἀληθείας ἡ περὶ τῶντοιούτων αἰτίων γνῶσις Καὶ γὰρ εἰ τὰ ἀεὶὄντα περὶ ἃ ἡ θεωρία ἀεὶ ἀληθῆ τῷ ἀεὶεἶναι ἀλλ οὖν καὶ ἐν τούτοις μάλιστα τὰαἴτια τῶν αἰτιατῶν ἀληθῆ τὰ μὲν γὰρπρῶτα τὰ δὲ ὕστερα οὐ τῷ χρόνῳ (ἀμφότεραγὰρ ἀίδια) ἀλλὰ τῇ φύσει φύσει [14810] γὰρπρῶτον τὸ αἴτιον τῶν οἷς ἐστιν αἴτιον

Donc les choses qui sont au plus haut pointcauses des eacutetants qui sont elles aussi des eacutetants sontplus des eacutetants que celles-ci83 (parce quelles sontleurs causes) et encore plus vraies On a poseacute en effetquautant chaque chose participe de leacutetant autantelle participe aussi de la veacuteriteacute Degraves lors dans lamesure ougrave jappelle eacuteternels agrave la fois les eacutetants quisont toujours et leurs causes ainsi ces lteacutetants qui sonttoujoursgt reccediloivent-ils les uns par rapport aux autreset par rapport agrave leurs causes le mecircme nom delaquo vrais raquo84 Mais dans la mesure ougrave les causes de lecirctrede certaines choses sont lteacutetantsgt85 au plus haut pointainsi dans les choses eacuteternelles les causes de lecirctresont-elles plus vraies Par conseacutequent la connaissancede telles causes sera connaissance au plus haut pointde la veacuteriteacute De fait si les eacutetants qui sont toujours surlesquels porte leacutetude sont toujours vrais du faitquils sont toujours alors dans ceux-ci les causessont certainement bien plus vraies que les chosesquelles causent Les unes en effet sont anteacuterieures lesautres posteacuterieures non dans le temps (toutes sonteacuteternelles) mais par nature car la cause est par natureanteacuterieure agrave ce dont elle est la cause86

(147 3 ndash 148 10)

Ce passage preacutesente deux gestes remarquables En premier lieu Alexandre considegravere le

principe aristoteacutelicien comme pouvant se lire dans les deux sens Alexandre soutient en effet

aussi bien (en notant c le fait decirctre cause et m le fait de posseacuteder une certaine proprieacuteteacute au plus

haut point)

147 7-8 laquo Dune part en effet le plus vrai (m) cest ce qui est cause pour le reste de leurecirctre vrai (c) raquo147 12-14 Mais si les choses eacuteternelles sont eacutetants au plus haut point (m) les causes dufait quelles sont toujours sont encore davantage eacutetants du fait quelles sont leurs causes(c) elles sont plus eacutetants que ltles choses eacuteternellesgt et eacutetants au plus haut point (m) raquo

Le principe du maximum de la causaliteacute est eacutegalement un principe de causaliteacute du

maximum et au fond peu importe comment on le formule Ce qui donne en toutes lettres dans

83 Les choses eacuteternelles

84 Ou laquo ainsi ceux-lagrave sont-ils vrais de maniegravere synonymique les uns par rapport aux autres et par rapportagrave leurs causes raquo (M Rashed [2007b] p 315 n 859)

85 WE Dooley glose (agrave raison selon nous cf le commentaire de ce passage) laquo beings raquo M Rashedconserve laquo telles raquo Sur ce passage cf aussi Θ 8 1050 b 6 sq

86 Agrave comparer aussi avec Jamblique Protreptique 57 12-19 laquo Οὐ γὰρ μόνον τὸ μᾶλλον λέγομεν καθὑπεροχὴν ὧν ἂν εἷς ᾖ λόγος ἀλλὰ καὶ κατὰ τὸ πρότερον εἶναι τὸ δ ὕστερον οἷον τὴν ὑγίειαν τῶνὑγιεινῶν μᾶλλον ἀγαθὸν εἶναί φαμεν καὶ τὸ καθ αὑτὸ τὴν φύσιν αἱρετὸν τοῦ ποιητικοῦ raquo

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

un ensemble de choses ayant une proprieacuteteacute x ce qui est x au plus haut point est neacutecessairement

cause de lecirctre x des autres choses mais reacuteciproquement il est aussi vrai de soutenir que dans

cet ensemble ce qui est cause de lecirctre x des autres choses est neacutecessairement lui-mecircme x au plus

haut point Tout se passe donc comme sil sagissait ici dune eacutequivalence logique au sens

rigoureux limplication eacutetant aussi vraie que sa reacuteciproque On verra plus loin la mecircme

conclusion sur la double lecture du principe fondeacutee par un passage du De anima 88 24 ndash 89 887

Le principe tel quil est appliqueacute par Alexandre est donc plus deacutetermineacute que laxiome meacutedieacuteval

consistant seulement agrave infeacuterer que la cause est supeacuterieure ou eacutegale agrave son effet88 et a davantage agrave

voir avec la formulation rigoureuse laquo propter quod alia id maximum tale raquo si et seulement si lon

accepte aussi de lire cette derniegravere agrave rebours89

Dautre part Alexandre lit clairement le principe aristoteacutelicien en un sens quantitatif

comme lindique la formulation du principe degraves le premier moment du commentaire laquo Ἕκαστον

γὰρ τῶν ὄντων ἐφ ὅσον τοῦ εἶναι μετέχει ἐπὶ τοσοῦτον καὶ τῆς ἀληθείας raquo (147 10-11) et

comme le confirme la paraphrase quAlexandre propose de 993b 30-31

ltὥστε ἕκαστον ὡς ἔχει τοῦ εἶναι οὕτω καὶ τῆς ἀληθείαςgt ἴσον λέγων τῷ ὡς γὰρἕκαστον ἔχει τε καὶ μετέχει τοῦ εἶναι οὕτω καὶ τῆς ἀληθείας (149 7-9)

Via lemploi du verbe laquo participer raquo Alexandre reacutesout donc la question du geacutenitif du texte

aristoteacutelicien ce qui suffit agrave obtenir ce sens quantitatif la proposition exprimant degraves lors quagrave un

degreacute decirctre correspond un degreacute de veacuteriteacute Alexandre deacuteploie en effet ici ce que M Rashed

appelle un laquo gradualisme de lecirctre et de la veacuteriteacute raquo ou si lon preacutefegravere agrave une ontologie scalaire90

puisque cest du degreacute decirctre que deacutepend le degreacute de veacuteriteacute Alexandre le dit clairement agrave la fin

du commentaire de ce lemme laquo ἐπεὶ τῷ ὄντι ἕπεται τὸ ἀληθές τῷ μάλιστα ὄντι ἕποιτο ἂν τὸ

μάλιστα ἀληθές raquo (147 17-19) On trouve probablement ici lune des racines de la theacuteorie

meacutedieacutevale des transcendantaux

Cest ce que montre eacutegalement la progression mecircme du commentaire dans le premier

moment lExeacutegegravete affirme la thegravese en syntheacutetisant largument qui sera ensuite deacuteployeacute agrave savoir

la correacutelation entre causaliteacute et maximum dune part entre ecirctre et veacuteriteacute dautre part et enfin

entre ecirctre et eacuteterniteacute Par un passage a fortiori le second moment va pouvoir ressaisir ces trois

87 Cf ci-dessous sect 331

88 Contrairement agrave ce que dit AC Lloyd [1976]

89 Cf aussi M Rashed [2007b] p 312

90 M Rashed [2007b] p 309 sq

157

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

correacutelations agrave un niveau supeacuterieur celui des causes des choses eacuteternelles puisquelles sont

causes et eacuteternelles leur degreacute decirctre et correacutelativement leur degreacute de veacuteriteacute sont donc

supeacuterieurs agrave ce quelles causent Mais pour ecirctre valide ce raisonnement doit eacutetablir lidentiteacute de

nom et le partage de la proprieacuteteacute entre les causes et ce quelles causent Cest ce quindique la

distinction finale entre le feu et la friction Le principe de causaliteacute du maximum ne vaut que

dans le cas ougrave la cause instancie elle-mecircme la proprieacuteteacute x dont elle cause loccurrence ndash sans quoi

elle ne pourrait ecirctre dite laquo x au plus haut point raquo Cela suppose non pas tant une synonymie au

sens fort du rapport genre ndash espegravece (des choses chaudes peuvent ecirctre naturelles ou artificielles

par exemple et comme on le verra Alexandre envisage couramment une application du principe

de causaliteacute du maximum agrave des choses dites ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν91) mais seulement une

communauteacute de nom La causaliteacute ici en jeu sinscrit donc plus geacuteneacuteralement dans ce que certains

interpregravetes ont nommeacute laquo Transmission Model of Causality raquo92 La distinction entre le feu et la friction

na pas dautre objectif que deacutetablir cette condition de lapplicabiliteacute du principe elle ne vaut

absolument pas comme une critique du principe contrairement agrave ce que croit P Moraux93 La

suite du commentaire agrave partir de 147 27 assure ainsi cette laquo synonymie raquo dans la veacuteriteacute pour les

choses eacuteternelles et leurs causes et autorise alors la conclusion selon laquelle la connaissance de

la veacuteriteacute doit ecirctre connaissance des causes eacuteternelles Que telle soit la thegravese du passage est

indiqueacute par le fait que la proposition laquo μάλιστα ἂν εἴη περὶ ἀληθείας ἡ περὶ τῶν τοιούτων

αἰτίων γνῶσις raquo (148 5-6) se donne comme la conseacutequence de ce qui preacutecegravede (laquo ὥστε raquo 148 5) et

se trouve justifieacutee par un argument suppleacutementaire (introduit par une seacuterie de laquo γὰρ raquo agrave partir

de 148 6)

Degraves le premier moment du texte la correacutelation entre ecirctre et veacuteriteacute nest pas argumenteacutee

pour elle-mecircme Ou du moins lest-elle seulement via sa neacutegation agrave savoir que le faux est un non-

91 Cf ci-dessous sect 312 et 331 contrairement agrave ce que dit Lloyd (AC Lloyd [1976] p 150-151) Il fautmecircme aller plus loin pour Alexandre le principe de causaliteacute du maximum ne peut fonctionner quedans les ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν si lon se fie agrave la distinction que lExeacutegegravete dresse entre ceux-ci et lessynonymes Les synonymes en effet pour Alexandre sont caracteacuteriseacutes par une eacutegaliteacute dans lapreacutedication quand le propre des ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν est lineacutegaliteacute qui rend preacuteciseacutement possible lastructure de la causaliteacute du maximum Cf par exemple In Met 243 29 ndash 244 8 et infra sect 312

92 AC Lloyd [1976] et surtout A Mourelatos [1984] pour leacutetude du modegravele chez Aristote Preacutecisons ilest eacutevident que le principe de causaliteacute du maximum sinscrit dans ce laquo TMC raquo mais que tout TMCnimplique pas forceacutement daccepter sa version forte de causaliteacute du maximum

93 P Moraux [1942] p 90 laquo Alexandre deacutenonce [dans le commentaire agrave Met α] comme non aristoteacutelicienle principe sur lequel il base sa propre argumentation dans le De anima raquo

158

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

eacutetant ce qui indique que cette correacutelation signifie quelque chose sur la nature mecircme de la veacuteriteacute94

On aura tocirct fait didentifier celle-ci avec une conception laquo ontologique raquo du vrai comme le dit

rapidement le traducteur anglais en note95 Il convient de reacutefeacuterer cette doctrine agrave son origine

platonicienne ndash que lon songe agrave la laquo plaine de la veacuteriteacute raquo du Phegravedre ndash doctrine dune veacuteriteacute

comme deacutevoilement ndash pour le coup les meacuteditations heideggeriennes sur lἀ-λήθεια ne seraient

pas hors de propos ndash ou comme le dit M Rashed agrave la suite dI Duumlring dune ἀλήθεια-φύσις96

De fait comme on sait la conception aristoteacutelicienne de la veacuteriteacute au livre α converge avec celle du

Protreptique et Alexandre reprend en toutes lettres cette caracteacuterisation du vrai et de la

destination de lhomme comme deacutevoilement des eacutetants lorsquil constitue le corpus analytique en

Organon97 Il faudrait toutefois se garder de charger cette conception de la veacuteriteacute daccents trop

anteacutepreacutedicatifs si la veacuteriteacute est manifestation des eacutetants cette manifestation na lieu que dans un

type deacutetermineacute de connaissance agrave savoir la science deacutefinie comme connaissance de la cause ndash

dougrave la preacutecision reacutepeacuteteacutee laquo si du moins cest une science raquo98 Comme le dit eacutegalement E Berti (sur

une suggestion de M Mignucci) mecircme pour Aristote en Met α laquo la veacuteriteacute doit ecirctre exprimeacutee

par des eacutenonceacutes et par conseacutequent les eacutenonceacutes sont plus ou moins vrais selon leur conformiteacute agrave

la veacuteriteacute de lecirctre raquo99 Alexandre le preacutecise en outre in extremis sans doute pour eacuteviter une trop

grande discordance avec les doctrines de Δ 29 et E 4 laquo καθ ἕκαστον ἡ τοῦ ὄντος ὡς ἔχει

γνῶσις ἀλήθεια οὐ κατ αὐτά (οὐ γὰρ ἐν τοῖς πράγμασιν ἡ ἀλήθεια) ἀλλὰ καθ ὅσον ἡ τοῦ

ὄντος ὡς ἔχει γνῶσις ἀλήθεια raquo (148 14-16)100 La veacuteriteacute est donc laquo connaissance de leacutetant

94 Cf M Rashed [2007b] p 312-313

95 WE Dooley [1992] p 25 n 49 Cf aussi E Berti [1983] [2008a] p 252 mais Berti met ladjectif entreguillemets

96 I Duumlring [1960] M Rashed [2000]

97 Alexandre In AnPr 5 13-20 M Rashed [2000]

98 In Met 147 12 148 17 Voir aussi WE Dooley [1992] p 22-23 n 39

99 E Berti [1983] [2008a] p 252 n 44

100 Cf In Met 148 10-19 laquo Οὐδὲν δὲ ἄτοπον λέγειν ἀληθὲς ἀληθοῦς διαφέρειν εἴ γε τὸ μὲν ἀληθὲςτοῦ εἶναι ἤρτηται διαφέρον δὲ τὸ εἶναι τοῖς γνωστοῖς τὰ μὲν γὰρ αὐτῶν ἐστιν ἐπιστητὰ τὰ δὲδοξαστά Τὴν γὰρ ὕλην ὡς προελθὼν ἐρεῖ [κινουμένων εἶναι] ἀνάγκη Οὐ γὰρ ἐπιστητὰ τὰ ὄνταπάντα ἀληθῆ δὲ τὰ ὄντα ἀλλὰ καθ ἕκαστον ἡ τοῦ ὄντος ὡς [14815] ἔχει γνῶσις ἀλήθεια οὐ καταὐτά (οὐ γὰρ ἐν τοῖς πράγμασιν ἡ ἀλήθεια) ἀλλὰ καθ ὅσον ἡ τοῦ ὄντος ὡς ἔχει γνῶσις ἀλήθειαεἰ δὲ τοῦτο καὶ ἡ τοῦ μάλιστα ὡς ἔχει γνῶσις μάλιστα ἀλήθεια εἴ γε καὶ ἐπιστήμη Ὥστἐπεὶ τῷὄντι ἕπεται τὸ ἀληθές τῷ μάλιστα ὄντι ἕποιτο ἂν τὸ μάλιστα ἀληθές raquo Tr M Rashed ([2007b] p315-316) laquo Il nrsquoy a rien drsquoabsurde agrave dire qursquoune chose vraie diffegravere drsquoune chose vraie si du moins levrai est suspendu agrave lrsquoecirctre et que lrsquoecirctre est diffeacuterent pour les choses connues Certaines parmi elles sonten effet objets de science drsquoautres objets drsquoopinion La matiegravere en effet comme il le dira en avanccedilant ilest neacutecessaire de la penser par un mucirc Ne sont pas objets de science tous les eacutetants mais les eacutetants sontvrais Toutefois pour chacun la connaissance de lrsquoeacutetant comme il est est veacuteriteacute non en fonction drsquoeux

159

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

comme il est raquo et cest pourquoi dans le raisonnement alexandrinien agrave partir de 147 12 cest le

fait decirctre un eacutetant qui prend le pas sur la veacuteriteacute

M Rashed a montreacute combien cette page du Commentaire ne pouvait ecirctre tenue pour laquo une

page parmi drsquoautres drsquoAlexandre qursquoil serait indu drsquoeacuteriger en cleacute de sa conception du monde raquo101

agrave propos de la correacutelation entre ecirctre et veacuteriteacute On montrera pour notre part dans toute la suite du

preacutesent travail quil en va de mecircme agrave propos du principe de causaliteacute du maximum Agrave tout le

moins pour ce passage preacuteciseacutement lidentiteacute de la science de la veacuteriteacute reacutesulte-t-elle clairement

de la combinaison de ce principe et de la thegravese de degreacutes de lecirctre agrave partir desquels Alexandre

infegravere des degreacutes de veacuteriteacute Les principes sur lesquels va enquecircter la meacutetaphysique se donnent

ainsi comme eacuteternels davantage eacutetants et vrais Gracircce au principe de causaliteacute du maximum et

au fait que la science viseacutee doit ecirctre agrave la fois science premiegravere et (comme toute science) science de

la cause le raisonnement alexandrinien retrouve ici la progression du chapitre A 2 qui

deacuteterminait la sagesse selon une laquo logique hieacuterarchique une theacuteorie du plus haut degreacute raquo102

Reste agrave savoir quels sont preacuteciseacutement ces principes

b) Quels principes premiers

Selon le commentaire au livre α la sagesse a pour objet des principes premiers

laquo totalement seacutepareacutes de la sensation et qui sont par leur propre nature raquo103 Le commentaire du

(la veacuteriteacute nrsquoest pas en effet dans les choses) mais pour autant que la connaissance de lrsquoeacutetant comme ilest est veacuteriteacute Mais srsquoil en va ainsi la connaissance du maximalement eacutetant comme il est estmaximalement veacuteriteacute si du moins elle est aussi science En sorte que puisque le vrai suit lrsquoecirctre lemaximalement vrai suivra le maximalement ecirctre raquo Le passage sur la matiegravere et le mucirc est sujet agravecaution le texte auquel fait ici reacutefeacuterence Alexandre (994b 25-26) est en reacutealiteacute corrompu et le lemmeciteacute en 164 15 ne correspond pas exactement agrave ce que commente Alexandre par la suite Via laparaphrase dAlexandre M Rashed en deacuteduit laquo Il paraicirct donc probable que le texte de basedrsquoAlexandre eacutetait ἀλλὰ καὶ τὴν ὕλην κινουμένῳ νοεῖν ἀνάγκη Cela est corroboreacute par la citationfautive en 14813 (τὴν γὰρ ὕλην ὡς προελθὼν ἐρεῖ κινουμένων εἶναι ἀνάγκη) qui srsquoexplique tregravesfacilement comme une corruption meacutecanique par double meacutecoupure haplographie (lettres circulairesOE lues E) et deacutedoublement (A lu AIA) dans un exemplaire en scriptio continua onciale ΚΙΝΟΥΜΕΝΩΝΟΕΙΝΑΝΑΓΚΗ eacutetant lu ΚΙΝΟΥΜΕΝΩΝΕΙΝΑΙΑΝΑΓΚΗ raquo (M Rashed ([2007b] p315-316 et n 861)

101 M Rashed [2007b] p 317

102 M-H Gauthier-Muzellec [2008] p 183

103 In Met 144 18 ndash 145 3 laquo λέγων ltθεωρητικῆς μὲν γὰρ τέλος ἀλήθειαgt καὶ ταύτης ἔτι μᾶλλον τὴνπερὶ τῶν πρώτων ἀρχῶν τε καὶ αἰτίων τῶν παντάπασιν αἰσθήσεως κεχωρισμένων καὶ τῇ αὐτῶνφύσει ὄντων ἣν καὶ σοφίαν καλεῖ raquo en corrigeant le dernier αὐτῶν en αὑτῶν

160

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

livre se referme en affirmant semblablement que laquo le discours sur les principes premiers a pour

objet des choses immateacuterielles et non celles auxquelles nous sommes accoutumeacutes raquo104 et ce afin

dexpliquer la diffeacuterence entre la physique et la meacutetaphysique On reacutetorquera que cest lagrave un effet

du livre α et de son supposeacute platonisme mais de telles affirmations sont reacutecurrentes dans

lensemble du commentaire conserveacute Alexandre justifie ainsi linteacuterecirct supeacuterieur de leacutetude des

doctrines pythagoricienne et platonicienne par rapport agrave celle des physiologues leurs theacuteories

sont plus proches de lobjet du preacutesent traiteacute laquo puisque notre enquecircte ne porte pas sur ces sortes

de causes qui sont ltcausesgt des choses naturelles ou de celles en mouvement mais sur des

ltcausesgt intelligibles et incorporelles raquo105

De mecircme dans son commentaire agrave la troisiegraveme aporie du livre B Alexandre sarrecircte sur

lhypothegravese dune pluraliteacute de sciences de la substance en ajoutant laquo on estime que leacutetude de la

substance est toute la philosophie ndash non pas que toute la philosophie porte sur toute la substance

mais lune porte sur la substance sensible et naturelle quand lautre porte sur la substance

intelligible raquo106 Alexandre inaugure tout au moins par ces affirmations une conception de la

meacutetaphysique comme trans-physique (Kant) en deacutefaisant par une franche seacuteparation la parenteacute

qui unit chez Aristote les philosophies premiegravere et seconde Pour ce qui nous occupe maintenant

on se rappellera enfin que cest agrave ce titre que laquo le premier dieu raquo entre dans le champ de la

meacutetaphysique ie comme forme et substance totalement immateacuterielle

Mais preacuteciseacutement peut-on reacutesister agrave lideacutee quAlexandre dans son entente des principes

premiers et des causes premiegraveres naurait en vue que le(s) moteur(s) immobile(s) Les proprieacuteteacutes

des principes premiers que nous venons deacutenumeacuterer valent-elles pour toutes les sortes de

principes premiers queacutevoque lAphrodisien au cours de son commentaire Si oui cela ne

contraint-il pas agrave la reacuteduction de la protologie alexandrinienne agrave une theacuteologie ruinant ainsi les

arguments que nous avons opposeacutes agrave P Merlan

En effet comme nous lavons vu avec le commentaire agrave A 2 et comme lexplicitent W

Leszl et P Donini107 sont principes de leacutetant en tant queacutetant les substances premiegraveres au sens de

104 In Met 169 8-9 laquo περὶ ἀύλων γὰρ ὁ περὶ τῶν πρώτων ἀρχῶν λόγος καὶ οὐ συνήθων raquo cf aussiplus bas 169 27-30

105 In Met 71 7-9 laquo ἐπεὶ ἡ ζήτησις ἡμῖν περὶ τοιούτων αἰτίων ἃ οὐδὲ τῶν φύσει οὐδὲ τῶν ἐν κινήσειἐστίν ἀλλὰ περὶ νοητῶν τε καὶ ἀσωμάτων raquo

106 In Met 193 9-12 laquo τοῦτο δὲ προσέθηκεν ἐπεὶ δοκεῖ ἡ περὶ τὴν οὐσίαν πραγματεία ἅπασαφιλοσοφία εἶναι οὐ μὴν πᾶσα πάσης τῆς οὐσίας ἐστίν ἀλλὰ κατὰ μὲν ἄλλο μέρος αὐτῆς τῆςαἰσθητῆς τε καὶ φυσικῆς κατ ἄλλο δὲ τῆς νοητῆς raquo

107 P Donini [2005] p 83 laquo lobjet propre du traiteacute dAristote consiste en les causes et les principes

161

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

substances intelligibles non sensibles qui existent par elles-mecircmes ingeacuteneacutereacutees et incorruptibles

immobiles et incorporelles108 Il y a peu de doutes pour que la science qui les eacutetudie soit autre que

la theacuteologie Mais la sagesse naurait-elle pas en vue plusieurs sortes de principes premiers

Une premiegravere reacuteponse agrave cette derniegravere question est positive la sagesse vise agrave la fois les

principes premiers de leacutetant et les principes premiers de la deacutemonstration autrement dit les

laquo axiomes raquo109 Alexandre reprend agrave plusieurs reprises cette distinction en lexprimant parfois

sous la forme dune dichotomie entre principes de la substance (plutocirct que de leacutetant) et principes

de la deacutemonstration110 Cependant les axiomes ne forment pas lobjet principal de la sagesse et

sils entrent dans le champ de celle-ci cest de faccedilon secondaire ou deacuteriveacutee En effet Alexandre

profite de Γ 3 pour faire des axiomes des proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant (laquo τῶν τῷ ὄντι ᾗ ὂν

ὑπαρχόντων raquo en 266 2 par exemple) lagrave ougrave Aristote se cantonne agrave lemploi du geacutenitif (par

exemple en 1005a 24111) Chez lExeacutegegravete ces proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant constituent

mecircme la classe commune dans laquelle placer les axiomes aux cocircteacutes des plurivoques de Δ ou des

contraires Par lagrave Alexandre reconnaicirct la porteacutee ontologique de leacutetude des axiomes et a fortiori du

premier dentre eux celui de non-contradiction La discussion de celui-ci dans la deuxiegraveme partie

de Γ nest donc pas quaffaire de logique au mauvais sens du terme mais trouve de plein droit sa

place dans la Meacutetaphysique entre la position dune science de leacutetant en tant queacutetant (Γ 1-2) et le

deacuteveloppement des termes plurivoques communs aux sciences particuliegraveres (Δ)

Il demeure cependant que cette place nest quune conseacutequence de lobjet premier de cette

premiers de lecirctre mais il faut entendre par lagrave les substances premiegraveres cest-agrave-dire les substancesintelligibles immateacuterielles et divines les moteurs des cieux raquo W Leszl [1975] p 190-191 laquo Thetraditional view concerning the principles of being qua being is that they coincide with the unmoved movers iewith the primary type of substance (and less ultimately with substance in general) [] In a survey we could goback as far as Alexander who claims that the principles of being qua being and those of substance are the same inview of the fact that substance itself is the principle of anything else ie of all that is found in the other categories(see In Metaph 244 21-24) Evidently he regards these principles as identical with things eternal andunchangeable and divine (246 1-2) raquo

108 Cf In Met 246 3-4 250 30-33 et 266 3-10 pour la science qui les eacutetudie Nous revenons sur ces textesau sect 24 Pour ces proprieacuteteacutes des substances premiegraveres voir 251 34-36 et 376 2-4 Cf aussi In AnPr 45-7 laquo εἴ γε αἱ ἀσώματοί τε καὶ νοηταὶ οὐσίαι πρῶταί τε καὶ τιμιώτεραι τῶν αἰσθητῶν ὧν ὁφιλόσοφος θεωρητικός raquo et la Quaestio I25 39 19-24 etc Par exemple 40 8-9 laquo ἡ πρώτη τε καὶἀσώματος καὶ ἀκίνητος καὶ ἀίδιος οὐσία raquo

109 Pour la deacutefinition courante des axiomes comme principes des deacutemonstrations cf In Met 13 sq 1755 sq 179 19 sq 187 17 188 15 sq 191 3-4 264 35 sq 266 19 sq

110 Cest un effet du commentaire agrave la deuxiegraveme aporie cf 175 3 sq (preacutesentation de laporie) 190 22 sq(exploration de laporie) et en 264 30 sq (reacutesolution de laporie)

111 Aristote emploie certes le verbe en 1005a 22 mais de lagrave agrave faire des axiomes des laquo proprieacuteteacutes raquo il y a unpas quAlexandre franchit sans doute agrave cause de la proximiteacute avec la fin de Γ 2

162

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

science Certes dans au moins un passage du Commentaire il est difficile de dire si ce sont les

principes de leacutetant ou les axiomes qui sont principes premiers connaissables au plus haut point

et condition de toute connaissance112 Mais on voit mal comment les axiomes pourraient

supporter toutes les proprieacuteteacutes des principes premiers que nous venons deacutevoquer Et dans les

autres passages ougrave Alexandre souligne la maximale connaissabiliteacute ou veacuteraciteacute des principes

premiers il ne peut clairement pas sagir des axiomes113 puisque on la vu de tels principes sont

deacutecrits comme des eacutetants La philosophie premiegravere a donc bien affaire agrave ces deux sortes de

principes mais dans lensemble de ses objets ceux-ci ne se placent pas au mecircme niveau la

balance penchant nettement du cocircteacute des principes de leacutetant

Il faut donc reposer et preacuteciser la question tous les principes premiers de leacutetant sont-ils

immateacuteriels eacuteternels et seacutepareacutes intelligibles

Il est assez clair dans lensemble du Commentaire quAlexandre relie principes de leacutetant

et principes de la substance Dans son deacuteveloppement de la deuxiegraveme aporie en effet il emploie

lexpression de laquo περὶ τῶν τῆς οὐσίας καὶ τοῦ ὄντος ἀρχῶν raquo comme un seul groupe par

opposition aux axiomes (187 20-21) Selon une antienne du Commentaire la cause de lecirctre des

autres eacutetants agrave savoir des accidents ce sont les substances114 Comme on verra plus loin et comme

le dit explicitement Alexandre115 les principes de la substance seront donc aussi ceux de leacutetant

Or dautres candidats que les substances premiegraveres eacuteternelles peuvent preacutetendre au titre de

principes de la substance La thegravese est formuleacutee dans le dernier commentaire agrave α 1

993b28 ltΔιὸ τὰς τῶν ἀεὶ ὄντων ἀρχὰςἀναγκαῖον ἀεὶ εἶναι ἀληθεστάταςgt

Τουτέστι τὴν γνῶσιν αὐτῶν εἶναι ἀεὶἀληθεστάτην εἰ γὰρ τὸ ὂν ἀληθές τὸ ἀεὶ ὂνἀληθὲς ἀεί Ὃ δὴ τοῦ ἀεὶ ἀληθοῦς ἐστινἀληθέστερον ἀεὶ ἀληθέστατον ἂν εἴηΤοιαῦτα δὲ τὰ αἴτια τῶν ὄντων ἀεί οἷονκόσμου [14825] τοῦδε καὶ τῶν ἄστρων ἢ τῶντεσσάρων σωμάτων ὧν κατ εἶδος ἡἀιδιότης καὶ τῶν ἐπὶ τοῖς καθ ἕκαστά τε καὶ

laquo Cest pourquoi les principes des eacutetants qui sonttoujours sont neacutecessairement toujours les plus vrais raquo

Cest-agrave-dire que la connaissance de ces principesest toujours la plus vraie car si leacutetant est vrai ce quiest toujours est toujours vrai Donc ce qui est plusvrai que ce qui est toujours vrai sera toujours le plusvrai Or telles sont les causes des eacutetants qui sonttoujours par exemple ltles causesgt de cet univers etdes astres ou des quatre corps dont leacuteterniteacute estspeacutecifique116 et de ce qui est eacuteternel dans le cas des

112 Voir In Met 13 24 sq le passage est en effet ambigu car on peut se demander sil sagit des principesde leacutetant ou de la deacutemonstration la distinction eacutetant mentionneacutee juste avant en 13 2-3

113 Cf par exemple le proegraveme au commentaire de α ou les pages 147-148 citeacutees ci-dessus

114 Voir entre autres exemples 205 1-2

115 In Met 244 21-24 laquo τῶν οὐσιῶν ἄρα τὰς ἀρχὰς καὶ τὰς αἰτίας ζητητέον τῷ φιλοσόφῳ ᾧ ἡπραγματεία περὶ τὸ ὂν ᾗ ὄν αἱ γὰρ ταύτης ἀρχαὶ καὶ τοῦ ὄντος ἂν παντὸς εἶεν εἴ γε τοῖς ἄλλοις ἡοὐσία ἀρχή τε καὶ αἰτία τοῦ εἶναι raquo

116 Cf la note 56 de W E Dooley ([1992] p 26) qui renvoie avec raison agrave la Quaestio III 5 (en particulier 88

163

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ἐν γενέσει ἀιδίων καὶ γὰρ αὐτὰ ἀίδια particuliers en devenir car cela aussi est eacuteternel (148 20-27)

Leacutetude des principes premiers eacuteternels ne confine donc pas seulement agrave la theacuteologie des

moteurs immobiles (agrave la laquo meacutetaphysique raquo au sens de supra-physique) elle vaut aussi pour ce

qui est meacuteta-physique comme on parle dun meacuteta-discours La sagesse vise les constituants

ultimes du reacuteel soustraits du fait de leur eacuteterniteacute agrave leacutetude physique et qui dans la suite du

commentaire sont tous qualifieacutes sans distinction de laquo αἴτιον τοῦ εἶναι raquo On le verra plus loin

Alexandre a ceci de propre quil eacutetend explicitement lhyleacutemorphisme au cas des eacuteleacutements Il faut

donc compter au rang des principes viseacutes par la sagesse ces principes des substances que sont

leur matiegravere et leur forme Rien deacutetonnant donc agrave ce quen commentant la preacutesentation de la

sixiegraveme aporie de B Alexandre donne agrave nouveau comme exemples de constituants agrave pouvoir

preacutetendre au titre de principes laquo matiegravere et forme ou les quatre eacuteleacutements raquo117

De ce point de vue le commentaire agrave α 2 meacuterite une attention particuliegravere car certains

interpregravetes contemporains et notamment E Berti118 sen servent pour pluraliser les sens des

laquo principes premiers et causes premiegraveres raquo du deacutebut de la Meacutetaphysique et faire obstacle agrave leur

reacuteduction theacuteologique On sen souvient dans ce chapitre Aristote entreprend une deacutemonstration

de limpossibiliteacute dune reacutegression agrave linfini dans lordre des diffeacuterentes causes Alexandre le suit

pas agrave pas et distingue au moins deux moments principaux dans le chapitre119 une deacutemonstration

geacuteneacuterale (du deacutebut jusquagrave 994b 6) puis la deacutemonstration meneacutee pour chaque sorte de causes

LExeacutegegravete peut ainsi parler dune cause premiegravere mateacuterielle cest-agrave-dire un premier

substrat eacuteternel ingeacuteneacutereacute et impeacuterissable120 Ce premier substrat deacutesigne certainement la matiegravere

13 sq) Mais voir le traitement deacuteveloppeacute de la question dans M Rashed [2007b] p 237-250

117 In Met 177 28-29 laquo ὡς οὐσία δοκεῖ εἰς ὕλην τε καὶ εἶδος ἢ τὰ τέσσαρα στοιχεῖα ἢ ἃ ἄν τιςὑποθῆται τοιαῦτα raquo

118 E Berti [2006] [2008a] p 427 laquo agrave cocircteacute des causes premiegraveres motrices il y a selon Aristote lespremiegraveres causes mateacuterielles cest-agrave-dire les eacuteleacutements les premiegraveres causes formelles cest-agrave-dire lesformes substantielles et les acircmes et les premiegraveres causes finales cest-agrave-dire les enteacuteleacutechies de chaquesubstance qui font eacutegalement lobjet de la philosophie premiegravere et qui nont rien agrave voir avec les reacutealiteacutesseacutepareacutees et immobiles raquo Cf eacutegalement [1983] [2008] p 257

119 In Met 158 4-6 laquo Δείξας κοινῶς πρῶτον μὲν ὅτι μὴ ἐπὶ τὸ ἄνω οἷόν τε ἄπειρα τὰ αἴτια εἶναιδεύτερον δὲ ὅτι μηδὲ ἐπὶ τὸ κάτω νῦν καὶ περὶ ἑκάστου τῶν αἰτίων ἰδίᾳ δείκνυσιν ὅτι μὴἐπἄπειρόν τι αὐτῶν εἶναι οἷόν τε raquo

120 In Met 158 8-11 laquo συγχρῆται δὲ εἰς τὴν δεῖξιν τοῦ μὴ εἶναι εἰς τὸ ἄνω ἐπ ἄπειρον προϊόντα τὰαἴτια τῷ τὸ πρῶτον ὑποκείμενον ἀίδιον εἶναι εἰ γὰρ ἐγένετο ἦν ἄν τι πρῶτον αὐτοῦ ἐξ οὗὑποκειμένου ἐγίγνετο οὕτως δὲ οὐκέτ ἂν πρῶτον ἦν ἐπεὶ δὲ μὴ τοῦτο ἀίδιον καὶ ἀγένητονγίγνεται τὸ πρῶτον ὑποκείμενον raquo Pour le caractegravere impeacuterissable cf 158 18 laquo καθ αὑτὴν δὲ

164

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

premiegravere lexpression surgissant finalement en 159 2-3 (laquo ἐκ τῆς ὕλης τῆς πρώτης raquo) La

deacutemonstration de limpossibiliteacute dune reacutegression agrave linfini dabord et surtout meneacutee pour la

cause mateacuterielle contraint agrave poser un principe qui pourrait de prime abord assez bien concourir

pour le titre de principe premier queacutetudie la sagesse Neacutetait toutefois que la matiegravere pour

lExeacutegegravete nest pas un objet de connaissance et selon lexpression platonicienne qui a sa faveur

ne peut guegravere faire lobjet que dun laquo raisonnement bacirctard raquo121 Or Alexandre rappelle

preacuteciseacutement cette thegravese quelques pages plus loin gracircce en outre au renfort de la Physique selon

laquelle la matiegravere ne peut ecirctre connue que par analogie (191a 8) Il est peu probable que dans le

systegraveme alexandrinien la matiegravere premiegravere occupe le rang dobjet de la philosophie premiegravere

quoiquelle puisse compter au nombre des principes de la substance122 Le commentaire agrave B sen

fait leacutecho lorsque Alexandre commente la premiegravere aporie LExeacutegegravete note quAristote envisage

seulement les trois cas dune sagesse portant sur les causes finale formelle et motrice La raison

en est que la sagesse est connaissance au sens strict ou de faccedilon eacuteminente et que la connaissance

de ces trois causes est plus (ou plutocirct) science que la connaissance de la matiegravere123

Apregraves le cas de la cause mateacuterielle le commentaire agrave α 2 envisage celui dune cause finale

premiegravere qui est quant agrave elle identifieacutee au bien gracircce au deacutebut de lEacutethique agrave Nicomaque Cette

thegravese semble poser moins de difficulteacutes agrave Alexandre apregraves tout lidentification de la cause finale

au bien ou simplement de la laquo cause premiegravere raquo au bien suprecircme que laquo toutes choses deacutesirent raquo

(laquo τὸ κυριώτατον ἀγαθόν οὗ πάντα ἐφίεται raquo 160 12) a deacutejagrave eacuteteacute meneacutee dans le commentaire

au livre preacuteceacutedent124 Mais il est difficile de savoir si dans le commentaire agrave α 2 la cause finale

premiegravere deacutesigne (pour le dire sans preacutecaution) le premier moteur immobile ou bien si

ἄφθαρτος raquo

121 Cf In Met 164 20-21 et Quaestio I 1 4 10-11 M Rashed ([2007b] n 523 p 185) cite eacutegalement la scolie20 (Simplicius In Phys 542 19-22) et commente laquo nous avons lagrave visiblement lrsquoun des tregraves rarespassages de Platon dont Alexandre lui-mecircme aimait agrave se reacuteclamer raquo

122 Cest lune des conseacutequences de son essentialisme cf infra sect 32 et 33

123 In Met 187 8-13 laquo μνημονεύσας δὲ τῶν τριῶν αἰτίων καὶ δείξας κατὰ τί δύναται ἡ ἑκάστουτούτων γνωστικὴ ἐπιστήμη σοφία εἶναι ἡ ζητουμένη νῦν οὐκέτι τῆς κατὰ τὴν ὕλην αἰτίαςἐμνημόνευσεν ὡς τῆς ἐκείνων τῶν αἰτίων γνώσεως κυριωτέρας καὶ μᾶλλον ἐπιστήμης οὔσης τῆςὑλικῆς κυριώτερα γὰρ ἐκεῖνα καὶ μᾶλλον αἴτια ἡ γὰρ ὕλη ἐν τοῖς ἐξ αὐτῆς γινομένοις τὸν τοῦ οὗοὐκ ἄνευ λόγον ἔχειν δοκεῖ raquo Cf M Bonelli [2009b] et ci-dessous sect 323c Dans le commentaire agrave αAlexandre lui-mecircme note que le texte dAristote noffre pas de preuve distincte pour la causemateacuterielle laquo οὐκέτι δὲ ὅτι μηδὲ τὰ ποιητικὰ αἴτια ἄπειρα ἰδίᾳ ἔδειξεν ὡς φανερά εἰ γὰρ μηδὲ τὰγιγνόμενα ἄπειρα κατὰ τὸ εἶδος ἀλλ ἀνακάμπτει δῆλον ὡς πολὺ μᾶλλον οὐκ ἂν εἴη αὐτὰ τὰποιητικὰ αἴτια ἄπειρα raquo (165 25-27)

124 In Met 14 15 et 15 3 sq

165

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Alexandre maintient une pluraliteacute chaque chose ayant sa propre fin et son propre bien125 Le

commentaire alexandrinien esquisserait ainsi lideacutee que tout processus de geacuteneacuteration implique

une cause finale qui est premiegravere au sens ougrave elle arrecircte la remonteacutee de la seacuterie des causes Une

telle cause finale premiegravere deacutesignerait par exemple le point culminant de leffort dexplication

dun pheacutenomegravene ce en deccedilagrave de quoi il nest pas besoin de remonter pour rendre raison du

pheacutenomegravene mais qui ne deacutesigne donc pas neacutecessairement le premier moteur immobile de Λ

Pour toute chose le bien propre serait de tendre (ἔφεσις ἐφίημι) vers sa fin cest-agrave-dire vers la

perfection (τελειότης) de sa forme Ainsi comprise leacutetude de la cause finale ne confine pas agrave la

theacuteologisation de la recherche des principes premiers et des causes premiegraveres126 La question est

peut-ecirctre volontairement laisseacutee dans lindeacutecision par lExeacutegegravete voire repreacutesente une ambiguiumlteacute

de fond de sa position sur le statut de cause finale du Premier moteur Il faudra donc y revenir

plus bas en affrontant preacuteciseacutement cette question127

Plus fructueux pour la question qui nous occupe est le cas des formes des composeacutes les

formes substantielles Alexandre commente alors la proposition de 994b 16-18 laquo Mais on ne peut

pas non plus ramener la quidditeacute agrave une autre deacutefinition plus eacutetendue dans sa formule raquo128 Le

passage est difficile mais il est clair quAlexandre ny envisage jamais autre chose comme cause

formelle premiegravere que la quidditeacute des substances Le paragraphe soriente vers la question de la

formulation des deacutefinitions et de leur adeacutequation agrave la quidditeacute de la chose deacutefinie on nen saura

donc guegravere plus sur la forme comme cause premiegravere de la substance celle dapregraves la formule

reacutepeacuteteacutee selon laquelle chaque substance a lecirctre129

Alexandre conccediloit donc lagrave une voie importante pour la recherche des causes de leacutetant en

tant queacutetant et des causes des substances Or cette voie contrarie la reacuteduction de la protologie agrave la

125 Conformeacutement agrave la leccedilon de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque sur les sens du bien

126 Une telle lecture peut revendiquer agrave son creacutedit la reacutepeacutetition dans le texte dAlexandre des expressionsdu genre laquo ἐν τοῖς γιγνομένοις φύσει raquo (160 4 ou 7-8) Mais dans ce cas la mention du laquo κυριώτατονἀγαθόν οὗ πάντα ἐφίεται raquo (160 12) serait assez deacutevalueacutee et presque eacutetrange

127 Cf infra sect 333 et dembleacutee M Rashed [2011a] p 159-161 pour les deux interpreacutetations laquo faible raquo etlaquo forte raquo de la cosmologie alexandrinienne

128 Traduction Tricot modifieacutee de laquo ἀλλὰ μὴν οὐδὲ τὸ τί ἦν εἶναι ἐνδέχεται ἀνάγεσθαι εἰς ἄλλονὁρισμὸν πλεονάζοντα τῷ λόγῳ raquo Nous suivons la remarque de WE Dooley ([1992] n131 p 48)selon laquelle Alexandre comprend ici λόγος en un sens assez technique de formule verbale exprimantla deacutefinition dougrave mon deacutecalque de laquo formula raquo en laquo formule raquo qui semble se reacutepandre dans les travauxfrancophones sans doute par anglicisme

129 Par exemple 20 5-6 laquo Λέγει μὲν τὴν κατὰ τὸ εἶδος οὐσίαν εἰκότως δὲ εἶπεν οὐσίαν ἑκάστου τὸεἶδος κατὰ γὰρ τὸ εἶδος ἑκάστῳ τὸ εἶναι τοῦτο ὅ ἐστιν raquo Cf ci-dessous sect 32

166

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

theacuteologie Et de fait lorsque dans la preacutesentation de la premiegravere aporie Alexandre envisage une

sagesse portant sur les causes finale formelle puis motrice agrave aucun moment il nest question

dune quelconque cause premiegravere divine Agrave propos de la cause formelle dans son introduction

liminaire au commentaire de 996b 13 sq lExeacutegegravete va jusquagrave dire laquo Dans la mesure affirme

Aristote ougrave la sagesse agrave son tour a eacuteteacute dite capable de connaicirctre les premiegraveres causes et les objets

de science les plus hauts dapregraves cela on estimera ensuite que la connaissance de la forme et de

cette sorte de cause est une sagesse raquo130 parce que la forme est au plus haut point connaissable

(laquo μάλιστα γνωστόν raquo 184 34) Or par anticipation il faut annoncer que selon Alexandre la

premiegravere aporie est reacutesolue en Γ dans lideacutee que toutes les causes font lobjet de la philosophie

premiegravere131

Degraves lors le diagnostic se doit decirctre nuanceacute oui Alexandre assume ostensiblement la

preacutetention de la meacutetaphysique agrave ecirctre science premiegravere et du premier Cette ambition est

logiquement anteacuterieure et textuellement plus constante que la viseacutee theacuteologique Mecircme si la

theacuteologie constitue un prolongement attendu et sans doute fondamental de la protologie cette

derniegravere ne saurait sy reacuteduire Dans le passage citeacute du commentaire agrave A 2 comme ailleurs les

substances premiegraveres et les plus eacuteminentes eacutechoient agrave la meacutetaphysique agrave partir dun objet donneacute

premier ie les principes et les causes premiers Si lordre des mots et des concepts quils

deacutesignent a un sens il est frappant que laspect theacuteologique soit second non pas au sens de

subalterne mais bien deacuteduit ou infeacutereacute Lenquecircte theacuteologique est au programme de la recherche

des premiers principes et des causes premiegraveres mais elle nen est pas le tout Celle-ci affiche aussi

au programme de la meacutetaphysique une eacutetude ousiologique qui vise surtout la forme et marque

comme on le verra lessentialisme dAlexandre

Cependant il faut degraves lors comprendre comment cette ambition protologique de lenquecircte

meacutetaphysique est compatible avec les passages que nous avons citeacutes contre linterpreacutetation de P

Merlan et qui assignent agrave la meacutetaphysique une viseacutee universelle Alexandre a-t-il lui-mecircme

conscience dun eacuteventuel problegraveme Cette universaliteacute est-elle selon la distinction forgeacutee par

130 Alexandre eacutelimine ainsi leacuteventuelle ambiguiumlteacute du texte dAristote qui comportait seulement οὐσία CfIn Met 184 30-32 laquo Καθ ὅσον φησί πάλιν ἡ σοφία ἐρρήθη τῶν πρώτων αἰτίων εἶναι γνωστικὴκαὶ τῶν μάλιστα ἐπιστητῶν κατὰ τοῦτο πάλιν δόξει ἡ τοῦ εἴδους καὶ τῆς τοιαύτης αἰτίας γνῶσιςσοφία εἶναι raquo

131 In Met 264 23-27

167

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

W Leszl intrinsegraveque ou deacuteriveacutee (consequential)132 Autrement dit la viseacutee universelle de la

meacutetaphysique est-elle inteacutegralement remplie comme par surcroicirct par la seule recherche des

premiers principes Le principe de causaliteacute du maximum pourrait en effet laisser entendre que

le principe exemplifiant au maximum la proprieacuteteacute (au sens large) quil cause une eacutetude de ce

principe pourrait revendiquer une forme duniversaliteacute indirecte Il sagit donc de savoir si

Alexandre maintient la validiteacute dune enquecircte sur leacutetant en tant queacutetant

132 W Leszl [1975] p 176 sq

168

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

22 Une science universelle

221 Lambition totalisante

Que la meacutetaphysique dans sa version alexandrinienne revendique une ambition

universaliste nous lavons eacutevoqueacute contre la reacuteduction theacuteologique proposeacutee par P Merlan La

chose est nette dans le commentaire agrave Γ ou dans le proegraveme agrave Δ au point quAlexandre nheacutesite

pas agrave parler de laquo philosophie universelle raquo pour deacutesigner la science rechercheacutee Cette expression

ne se lit pas telle quelle chez le Stagirite133 quoique Alexandre la deacuterive probablement de Γ 3

(1005a 35) ougrave il revient agrave celui qui laquo eacutetudie universellement raquo dexaminer les axiomes agrave savoir le

sage134 et surtout K 3 (1060b 31-32) qui mentionne degraves le deacutepart et sans complexe la science du

philosophe agrave qui il incombe deacutetudier laquo universellement raquo leacutetant en tant queacutetant (alors quen Γ

lidentification de cette science avec la philosophie est conquise elle est argumenteacutee et nest pas

donneacutee immeacutediatement) Alexandre quant agrave lui emploie souvent lexpression comme un

syntagme figeacute bien avant le commentaire agrave Γ 3 Aussi est-ce la laquo philosophie universelle raquo qui a

pour objet leacutetant en tant queacutetant (244 26-32) ou inversement la science de leacutetant est-elle la

philosophie commune et universelle (laquo καθόλου τε καὶ κοινὴ φιλοσοφία raquo 258 23-24) Cette

philosophie universelle est la mecircme que la laquo philosophie commune et geacuteneacuterique raquo qui a pour

objet de science laquo la nature commune de leacutetant raquo135

Mais outre ces usages lexicaliseacutes cest ainsi quAlexandre qualifie reacuteguliegraverement leacutetude

conduite par le philosophe Par exemple le philosophe traite universellement de tous les contraires

133 On revient sur les raisons de cette absence ci-dessous sect 234

134 Sans doute renforceacute par E 1 (1026a 24 et 30-31)

135 In Met 245 29-30 laquo ἔστι δὲ τὸ γένος καὶ ἡ τοῦ ὄντος κοινὴ φύσις ἐπιστητὴ τῇ κοινῇ τε καὶ γενικῇφιλοσοφίᾳ raquo

169

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

(261 5)136 Ou encore agrave la fin du commentaire agrave Γ 2 ougrave Alexandre clocirct le parcours du champ

deacutetude du meacutetaphysicien par une analogie entre son eacutetude de leacutetant et son eacutetude des causes afin

de reacutesoudre la premiegravere aporie de B laquo sil appartient au philosophe deacutetudier theacuteoriquement tous

les eacutetants ltalorsgt le discours universel sur toutes les causes est eacutegalement propre au

philosophe raquo137 Cest aussi cette universaliteacute qui garantit luniteacute de la meacutetaphysique138 On lit

enfin dans le proegraveme agrave Δ lexpression laquo ἡ περὶ τοῦ ὄντος καθόλου πραγματεία raquo explicitement

eacutequivalente agrave leacutetude de leacutetant en tant queacutetant139

La question de savoir en quel sens chez Aristote la science de leacutetant en tant queacutetant est

universelle est eacutepineuse Agrave lEacutethique agrave Eudegraveme I 8 1217b 25-35 qui nie toute possibiliteacute dune

science de leacutetant parce que ce dernier ne constitue pas un universel semble reacutepondre en

Meacutetaphysique Γ le redoublement de lexpression laquo eacutetant en tant queacutetant raquo140 Aristote cherche sans

doute agrave se preacutemunir de luniversaliteacute encyclopeacutedique distributive de la sophistique autant que

de luniversaliteacute de la dialectique platonicienne141 Quoi quil en soit il suffit pour notre propos

de souligner que lExeacutegegravete quant agrave lui ne sembarrasse pas de telles nuances Si Aristote est

circonspect quand il eacutevoque lobjet de la science rechercheacutee son Exeacutegegravete quant agrave lui traduit

reacuteguliegraverement la viseacutee de laquo leacutetant en tant queacutetant raquo par des expressions telles que laquo περὶ τὸ ὂν

καθόλου raquo ou laquo περὶ πάντων τῶν ὄντων raquo142 Alexandre nheacutesite donc pas agrave transcrire

136 Peut-ecirctre faut-il eacutegalement donner un sens fort agrave ladverbe en 257 19-21 laquo Ὅτι τοῦ φιλοσόφου ἥ τεπερὶ τῆς οὐσίας θεωρία καὶ περὶ τῶν τῇ οὐσίᾳ συμβεβηκότων ὁμοίως δὲ καὶ περὶ ταὐτοῦ καὶἑτέρου καὶ ὅσα καθόλου περὶ ἐναντίων ζητεῖται raquo Cf deacutejagrave 245 36

137 In Met 264 23-27 laquo ἐκ δὲ τούτων δῆλον ὅτι εἰ περὶ πάντων τῶν ὄντων τοῦ φιλοσόφου θεωρεῖν καὶὁ περὶ τῶν αἰτίων πάντων καθόλου λόγος οἰκεῖος τῷ φιλοσόφῳ καὶ οὐ πλειόνων ἐπιστημῶν ἐστιτὰ αἴτια θεωρῆσαι καὶ γὰρ ταῦτα ἢ ἐναντία ἢ ἐξ ἐναντίων Ἦν δὲ ἐν τῷ Β πρῶτον τοῦτο τῶνἀπορηθέντων raquo

138 In Met 245 35-37

139 In Met 344 5-7

140 Nous remercions A Jaulin pour cette suggestion

141 Cf ci-dessous sect 234b Certes quand en Γ 2 il compare le philosophe au dialecticien et au sophisteAristote affirme indirectement quil appartient au philosophe deacutetudier laquo toutes choses raquo (laquo περὶἁπάντων raquo 1004b 20 agrave propos du dialecticien) et il en donne la raison laquo leacutetant est commun agrave tout raquo(Met Γ 2 1004b 17-22) Cependant une comparaison implique preacuteciseacutement similitudes et diffeacuterenceset reacuteduire luniversaliteacute de la science de leacutetant en tant queacutetant agrave celles de la sophistique et ladialectique serait aller vite en besogne

142 Voir simplement 238 5 laquo καὶ πρῶτον μὲν συνίστησιν ὅτι περὶ τὸ ὂν καθόλου raquo [sous-entendu πρώτην φιλοσοφίαν] Ou 244 32-34 laquo εἰπὼν δὲ ὅτι τοῦ φιλοσόφου ἐστὶ τὸ τῶν οὐσιῶν εἰδέναι τὰςἀρχὰς καὶ τὰς αἰτίας ὅτι μὴ μόνον περὶ τῆς οὐσίας αὐτῷ ἡ πραγματεία ἀλλὰ καὶ καθόλου περὶπαντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὄν raquo etc Pour lemploi du pluriel voir 257 11 laquo δείξας ὅτι τοῦ φιλοσόφου τὸπερὶ πάντων τῶν ὄντων γνῶσιν ἔχειν raquo 261 20 sq 264 24 sq etc

170

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

luniversaliteacute de la science attesteacutee par Aristote en Γ 1 en terme de totaliteacute Eacutetudier leacutetant en tant

queacutetant cest viser universellement tous les eacutetants cest-agrave-dire eacutetudier les eacutetants en totaliteacute143

Cette viseacutee universelle saffirme degraves les premiers livres courant ainsi sur lensemble du

Commentaire conserveacute Alexandre pouvait sans doute trouver un point dappui dans la premiegravere

des opinions du livre A sur la sagesse selon laquelle laquo le sage sait toutes choses autant quil est

possible sans avoir une science de chaque chose en particulier raquo144 Dans le commentaire assez

paraphrastique agrave cette proposition Alexandre distingue le sage des hommes de meacutetier et des

savants (laquo τεχνίτας καὶ ἐπιστήμονας raquo 9 33) qui ne savent laquo toutes choses raquo que dans un

domaine circonscrit Selon cette opinion le sage en revanche sait toutes choses de faccedilon

commune et universelle et il en a une appreacutehension englobante (laquo περὶ πάντων δύνασθαι

διαλαμβάνειν περιληπτικῶς raquo 9 31) Alexandre peut degraves lors interpreacuteter la clause laquo autant quil

est possible raquo de faccedilon purement interne145 en expliquant que cela renvoie agrave lopposition entre

science universelle de toutes choses et science de chaque chose en particulier La reacutefeacuterence

poleacutemique agrave la dialectique platonicienne est donc biffeacutee au profit dune reacutefeacuterence agrave une

universaliteacute distributive (celle peut-ecirctre de la sophistique) ce qui rend possible la reprise

alexandrinienne des expressions de la totaliteacute lagrave ougrave le Philosophe preacutefeacuterait parler duniversaliteacute

Cette theacutematique est reprise deux pages plus loin dans le commentaire agrave 982a 21-22 ougrave

Aristote dit laquo τούτων δὲ τὸ μὲν πάντα ἐπίστασθαι τῷ μάλιστα ἔχοντι τὴν καθόλου ἐπιστήμην

ἀναγκαῖον ὑπάρχειν raquo Tel est du moins le texte eacutediteacute par WD Ross et W Jaeger Ross signale en

apparat que laquo πάντα raquo est la leccedilon de la premiegravere main du Parisinus gr 1853 de la traduction de

Guillaume de Moerbeke et dune citation dAscleacutepius146 mais quil est absent dAlexandre et

comme de juste de la correction E2 puisque ce scribe se reacutefegravere souvent agrave Alexandre quil avait

143 Dans le commentaire dAlexandre cest presque toujours la science leacutetude la philosophie qui sontaffecteacutees duniversaliteacute Certains passages sont neacuteanmoins plus ambigus Commentant Γ 3 Alexandreparle en effet de leacutetant comme laquo τὸ κοινότατον καὶ γενικώτατον raquo (268 29) une appellation couranteagrave leacutepoque alexandrinienne Il demeure que mecircme dans ce passage (268 28-31) luniversaliteacute est bien untrait de la recherche elle-mecircme

144 Met A 2 982a 8-10 laquo ὑπολαμβάνομεν δὴ πρῶτον μὲν ἐπίστασθαι πάντα τὸν σοφὸν ὡς ἐνδέχεταιμὴ καθ ἕκαστον ἔχοντα ἐπιστήμην αὐτῶν raquo

145 Voir dans le mecircme esprit et en reacutefeacuterence agrave Alexandre P Aubenque [1962] p 214 qui comme Tricotintroduit en outre la distinction en acte ndash en puissance sans doute hors de propos ici au vu ducontexte doxographique Y lire une reacutefeacuterence poleacutemique est au contraire coheacuterent avec ce contexte etsonne comme une lointaine anticipation de la fin du livre A

146 Ascleacutepius cite en effet exactement cette leccedilon (In Met 16 21-22)

171

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

manifestement sous les yeux147 Lautre branche celle de Laurentianus (Ab) donne quant agrave elle

laquo ἅπαντα raquo

Alexandre lui-mecircme souligne labsence de laquo πάντα raquo dans son propre texte et reacutetablit la

lacune148 On ne peut donc pas eacutecarter la possibiliteacute que la version dAscleacutepius comme les leccedilons

des manuscrits ulteacuterieurs remontent agrave la correction alexandrinienne neacutecessaire agrave la plus

eacuteleacutementaire clarteacute Neacuteanmoins chez lExeacutegegravete la divergence est plus importante que ce que note

Ross Bonitz et Hayduck en effet eacuteditent le lemme suivant laquo Τούτων δὲ τὸ μὲν ἐπίστασθαι τῷ

μάλιστα ἔχοντι τὴν κατὰ πάντων ἐπιστήμην raquo (11 3-4) Il y a donc outre la disparition du

πάντα la leccedilon laquo κατὰ πάντων raquo en lieu et place du laquo καθόλου raquo

Certes si jamais Aristote ne parle dune science κατὰ πάντων il lui est en revanche

ordinaire de parler dune science ou dune connaissance laquo κατὰ μέρος raquo par opposition agrave

laquo καθόλου raquo (qui est eacutetymologiquement construit agrave partir de κατά)149 Certes aussi laquo κατὰ

πάντων raquo se lit chez Aristote pour signifier luniversaliteacute Cependant jamais Aristote ne lemploie

dans le cas de la science Lexpression deacutesigne luniversaliteacute distributive ie ce qui vaut dans tous

les cas ou se dit de tous les eacuteleacutements dun ensemble150 Or preacuteciseacutement en A 2 le Stagirite ne peut

maintenir lideacutee dune science de chaque chose et les raisons en sont assez transparentes la

deacutemarche doxographique implique de mettre au jour et de reacutecupeacuterer dans les opinions leur fond

de veacuteriteacute Mais cette part de veacuteriteacute nest sucircrement pas lideacutee dune science laquo κατὰ πάντων raquo et la

proposition dAristote en 982a 21-22 se construit justement comme une reprise qui reformule en

passant (en suivant la leccedilon majoritaire) du laquo πάντα ἐπίστασθαι raquo agrave laquo τὴν καθόλου

ἐπιστήμην raquo Cest pourquoi dans la mecircme phrase Aristote modalise le fait de connaicirctre laquo tous

les substrats raquo par un laquo πως raquo (982a 23) qui disparaicirct dans le commentaire alexandrinien

Alexandre en effet considegravere manifestement laquo καθόλου raquo et laquo κατὰ πάντων raquo comme

eacutequivalents puisque dans la proposition compleacuteteacutee du corps du commentaire il emploie lun

pour lautre Pour lExeacutegegravete il nest pas ici question dune science des principes premiers dont

luniversaliteacute serait indirecte comme par ricochet ou pour reprendre le vocabulaire de W Leszl

147 WD Ross [1924] p CLVI n 1 M Hecquet-Devienne [2005] p 131 et 137

148 In Met 11 5-6 laquo Ἐλλείπει τῷ ἐπίστασθαι τὸ τὰ ltπάνταgt τὸ γὰρ πάντα ἐπίστασθαι τῷ μάλισταἔχοντι τὴν καθόλου ἐπιστήμην ὑπάρχει raquo

149 Voir par exemple le deacutebut de K 3 1060b 31-32 laquo Ἐπεὶ δ ἐστὶν ἡ τοῦ φιλοσόφου ἐπιστήμη τοῦ ὄντοςᾗ ὂν καθόλου καὶ οὐ κατὰ μέρος raquo Cf aussi AnPr II 21 66b 31-33 67a 23 sq AnPo I 24 86a 7 pour les sciences partielles voir aussi EN VI 11 1143a 1

150 On trouve un texte donnant les deux expressions coordonneacutees en B 3 999a 20-21 ougrave justementluniversaliteacute doit sentendre en ce sens de la totaliteacute distributive

172

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

laquo par conseacutequence raquo (laquo consequential raquo) au sens ougrave son universaliteacute tiendrait agrave ce que les principes

sont principes du tout151 Au contraire luniversaliteacute qui se fait jour ici est celle premiegravere et

intrinsegraveque de la science laquo des eacutetants en tant queacutetants raquo Alexandre deacuteclare en effet laquo est

universelle au plus haut point la science qui porte sur les eacutetants en tant queacutetants car leacutetant est

commun agrave tout ce qui est dans lexistence raquo152 Luniversaliteacute de la science reacutepond sans meacutediation

agrave la communauteacute de son objet et le degreacute maximal de cette universaliteacute suit directement sa

distribution laquo agrave toute chose raquo

Par lagrave-mecircme ndash et le gain nest certainement pas mince ndash Alexandre se donne les moyens

de tracer une nouvelle ligne de force entre les diffeacuterents livres du livre A vers Γ Mais par lagrave

aussi Alexandre tend agrave sous-eacutevaluer voire outrepasser les discregravetes limites traceacutees par Aristote

en A 2 agrave lencontre de la dialectique platonicienne agrave savoir la clause de possibiliteacute (laquo le sage sait

toutes choses autant quil est possible raquo) et la transcription par Aristote de la totaliteacute en

universaliteacute

Cette thegravese savegravere encore si lon compare avec le passage immeacutediatement preacuteceacutedent dans

le commentaire En effet comme cela lui arrive parfois ndash bien que jamais de faccedilon anodine ndash

Alexandre commente deux fois dans deux commentaires distincts (agrave 982a 6 et 982a 21) la reprise

de cette premiegravere opinion sur le sage Le commentaire agrave 982a 6 a en effet passeacute en revue les cinq

ou six opinions sur le sage153 et finit par une remarque de meacutethode en sappuyant sur ces

preacuteconceptions le Stagirite va ensuite laquo reconduire chaque figure du sage agrave celui qui connaicirct les

causes premiegraveres et universelles raquo154 Et Alexandre enchaicircne alors agrave titre dillustration immeacutediate

avec la premiegravere opinion

Καθόλου τε γὰρ μάλιστα καὶ κοινῶςπερὶ πάντων οὗτος ἐπίσταται ὁ τὰς πρώταςἀρχὰς εἰδώς ὡς γὰρ ὁ τάς τινων ἀρχὰς εἰδὼςκαθολικήν τινα γνῶσιν ἐκείνων [111] ἔχειοὕτως καὶ ὁ τὰς πάντων εἰδὼς ἀρχὰςκαθολικὴν ἄν τινα γνῶσιν ἁπάντων ἔχοι

Celui en effet qui a la science de toutes choses defaccedilon agrave la fois universelle au plus haut point etcommune cest celui qui connaicirct les premiersprincipes car de mecircme que celui qui connaicirct lesprincipes de certaines choses possegravede une certaineconnaissance universelle de ces choses de mecircme

151 Cf W Leszl [1975] p 176 sq

152 In Met 11 7-8 laquo μάλιστα δὲ καθόλου ἐστὶν ἐπιστήμη ἡ περὶ τῶν ὄντων ᾗ ὄντα κοινὸν γὰρ τὸ ὂνπᾶσι τοῖς ἐν ὑπάρξει raquo avec sans doute une reacutefeacuterence agrave Γ 2 1004b 20 Cf aussi 265 25

153 Alexandre en compte six parce quil distingue en 982a 12-13 entre laquo τὸν ἀκριβέστερον raquo et laquo τὸνδιδασκαλικώτερον τῶν αἰτιῶν raquo

154 Le passage complet est en In Met 10 19-23 laquo ταῦτα δὴ λαβὼν ὡς κατὰ τὰς κοινὰς ὑπολήψειςδοξαζόμενα περὶ τοὺς σοφούς κατὰ ταῦτα πειρᾶται ἕκαστον αὐτῶν προσάγειν τῷ τὰς πρώτας καὶτὰς καθόλου αἰτίας εἰδότι δεικνὺς διὰ τούτων ὃ φθάσας εἶπον τὸ ὅτι τὴν ὀνομαζομένην σοφίανπερὶ τὰ πρῶτα αἴτια καὶ τὰς ἀρχὰς ὑπολαμβάνουσι πάντες raquo

173

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

celui qui connaicirct les principes de toutes chosesposseacutedera une certaine connaissance universelle detoutes choses sans exception

(10 23 ndash 11 2)

Alexandre part de lideacutee que connaicirctre les principes dun genre donneacute de choses cest

connaicirctre ces choses Le preacutesupposeacute est la thegravese de la connaissance causale (connaicirctre x cest

connaicirctre la cause de x) et limpeacuteratif duniversaliteacute de toute connaissance scientifique ndash quoique

le texte dise seulement laquo γνῶσις raquo La connaissance ici deacutecrite est dabord archeacuteologique quecircte

du premier et ne devient universelle que comme par surcroicirct Largument procegravede alors a fortiori

ce qui vaut pour la connaissance des principes dun type de choses vaut pour la connaissance des

principes de toutes choses et laspect a fortiori se signale par lemploi dἁπάντων

La meacutetaphysique est donc une science universelle mais reste agrave savoir si cette universaliteacute

est intrinsegraveque ou par conseacutequence indirecte155 Agrave tout le moins pour nous avancer dans cette

question peut-on dembleacutee souligner contrairement agrave ce que soutenait P Merlan quAlexandre

ne reacuteduit pas luniversaliteacute agrave une forme de primauteacute ou agrave une autre maniegravere de dire le premier

Alexandre distingue explicitement le fait decirctre premier et universel

Le passage le plus indiscutable agrave cet eacutegard se lit dans la suite du commentaire agrave A 2

lorsque Alexandre reprend avec Aristote la troisiegraveme opinion sur le sage le reacutequisit dexactitude

(laquo ἀκριβεια raquo) Apregraves avoir indiqueacute la quecircte duniversaliteacute de la sagesse et ainsi fondeacute en raison la

premiegravere et la deuxiegraveme opinion le Stagirite affirme alors la dimension protologique de la

sagesse qui navait pas eacuteteacute mentionneacutee dans la premiegravere revue des opinions et la donne comme

une conseacutequence de lexactitude laquo Les sciences les plus exactes sont celles qui portent au plus

haut point sur des choses premiegraveres raquo (982a 25-26) Mais au moment de commenter ce passage il

semble quAlexandre se ravise et se penche sur le lien implicite entre la troisiegraveme et la deuxiegraveme

opinion celle sur la difficulteacute de la sagesse Le commentaire est en effet beaucoup moins litteacuteral

quagrave son habitude et plein dimplicites

Οὐχ ὑποληπτέον τοῦτο μάχεσθαι τῷ ἐντῷ προοιμίῳ τῆς Φυσικῆς εἰρημένῳ ἔνθαλέγων ὅθεν δεῖ ἄρχεσθαι ἀπὸ τῶν ἡμῖνγνωρίμων λέγει ldquoτὸ γὰρ ὅλον κατὰ τὴν

Il ne faut pas penser que cela contredit ce qui aeacuteteacute dit au deacutebut de la Physique ougrave en disant dougrave ilfaut commencer agrave savoir des choses connaissablespour nous il dit en effet le tout est plus

155 On trouve eacutegalement une distinction entre deux formes duniversaliteacute dans le commentaire du Ps-Alexandre agrave E (In Met 447 22-32 et en particulier l 28-29 laquo εἰ δὴ καθόλου ἐστὶν ὡς πρὸς τὰς ἄλλαςτὰ δὲ καθόλου καὶ τιμιώτερα αἱρετώτερα τῶν μὴ τοιούτων αἱρετωτέρα ἄρα αὕτη τῶν ἄλλων raquo) Ladistinction nest pas exactement celle que nous deacutecrivons mais est loin decirctre incompatible

174

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

αἴσθησιν γνωριμώτερον τὸ δὲ καθόλου ὅλοντί [1210] ἐστινrdquo Οὔτε γὰρ τὸ πρῶτον καὶ τὸκαθόλου ταὐτόν τὸ γοῦν πρῶτον αἴτιον τὸκινητικόν περὶ οὗ νῦν αὐτῷ λέγεινπρόκειται πρὸ ἁπάντων μέν ἐστιν οὐ μὴνοὕτως καθόλου ὡς τὰ γένη Ἀλλ οὐδὲ τὸ ὡςγένος λεγόμενον καθόλου ἐκεῖ πρὸς τὴναἴσθησιν πρῶτον εἶπεν ἀλλὰ τὸ κοινότερονκαὶ πλείοσι συμβεβηκός ὡς ἐδήλωσε διὰτῶν παραδειγμάτων

connaissable selon la sensation et luniversel est uncertain tout En effet premier et universel ne sontpas la mecircme chose Certes la cause premiegravere la causemotrice dont il se propose ici de traiter preacutecegravedetoutes les choses sans exception mais nestassureacutement pas universelle au sens ougrave le sont lesgenres Mais il na pas dit non plus dans ce texte-lagraveque luniversel au sens du genre est premier pour lasensation mais quest premier pour la sensation cequi est plus commun et qui est un accident de plus dechoses comme il la fait voir par ses exemples

(12 7-14)

Aristote vient dexpliquer la difficulteacute de lobjet de la sagesse par son universaliteacute reliant

ainsi premiegravere et deuxiegraveme opinion ndash en fondant en raison la deacutemarche dialectique relie ce qui

nest queacutepars dans lopinion Or cette difficulteacute de connaicirctre luniversel est elle-mecircme justifieacutee

par leacuteloignement de la sensation Agrave ce moment du texte le sage a donc pour tacircche la

connaissance de luniversel de ce qui est eacuteloigneacute de la sensation et rajoute lexplication de la

troisiegraveme opinion de ce qui est premier ce qui justifie le reacutequisit dexactitude Or dapregraves

Alexandre le lecteur risque de percevoir (horresco referens) une contradiction avec le deacutebut de la

Physique La citation en effet est extraite du passage ougrave en Physique I Aristote explicite le

laquo chemin naturel raquo la meacutethode qui sera emprunteacutee par le traiteacute et qui consiste agrave aller du plus

connu pour nous au plus connu par nature Le Stagirite le justifie et le reformule alors en un

vocabulaire qui a deacuteconcerteacute tous les commentateurs depuis lAntiquiteacute le plus connu pour nous

est le plus proche de la sensation cest le laquo confus raquo luniversel compris comme des totaliteacutes quil

faut diviser en leurs principes et eacuteleacutements et ce sont ces derniers qui sont plus connus en soi

Contrairement agrave la doctrine standard Aristote deacuteclare donc quil faut aller de luniversel au

particulier Or le texte de la Meacutetaphysique est quant agrave lui plus proche de cette doctrine standard en

soutenant que la sagesse vise le plus universel le plus eacuteloigneacute de la sensation qui est aussi au

plus haut point premier Alexandre entreprend alors dexpliquer de quel universel et de quel

premier il est ici question ce nest pas luniversel confus premier dans lordre de la connaissance

pour nous que la fin du commentaire appelle laquo le plus commun et qui est un accident de plus de

choses raquo sans doute par anticipation du commentaire suivant selon lequel laquo ce qui en effet a

moins daccidents cela est plus difficile agrave connaicirctre et requiert davantage dexactitude raquo (12 16-

17)

Dans le chemin de la connaissance la meacutetaphysique se trouve donc au plus loin ndash comme

175

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

nous lavons deacutejagrave vu156 ndash et pour illustrer ces laquo choses premiegraveres raquo Alexandre prend le plus

premier le premier moteur157 qui lui permet de preacuteciser sa distinction entre premier et universel

Il serait assez naturel de comprendre la distinction comme signifiant la sagesse porte au plus

haut point sur luniversel (premiegravere et deuxiegraveme opinion) et le premier (troisiegraveme opinion) mais

non au sens de luniversel qui est premier dans la sensation celui dont il est question dans la

Physique Aristote ne se contredit donc pas la sagesse porte en fait sur luniversel qui est le plus

eacuteloigneacute des sensations et qui est premier dans lordre de la connaissance en soi La distinction

centrale eacutenonceacutee dans le texte naurait donc quune valeur occasionnelle et pourrait impliquer

une forme duniversaliteacute dans le cas du premier moteur Mais la proposition a neacutecessairement un

sens plus geacuteneacuteral puisque dans la phrase qui suit le premier moteur offre un cas de premier qui

nest universel ni au sens de la totaliteacute confuse ni au sens du genre Le premier moteur nest pas

un Universel substantiveacute nest pas une Ideacutee La meacutetaphysique est une science universelle mais

cest aussi une science dun Premier qui nest universel eu aucun des sens du terme Comment

sarticulent universaliteacute et primauteacute Le livre Γ se collettera avec cette question mais signalons

dembleacutee que le problegraveme est poseacute agrave quelques pages dintervalle Alexandre caracteacuterise donc la

sagesse comme science des principes premiers et donc universelle parce quils sont principes de

toutes choses mais aussi comme science universelle parce que science de tous les eacutetants en tant

queacutetants et enfin science dun premier qui nest pas un universel Le balancement entre

primauteacute et universaliteacute se trouve certes deacutejagrave dans le texte dAristote mais Alexandre le

cristallise dA jusquen Γ158 parce quil conccediloit systeacutematiquement la reprise des opinions en A 2

comme autant danticipations sur le traiteacute et la science quil expose

222 Eacutetudier leacutetant laquo en tant queacutetant raquo et ses proprieacuteteacutes

Si donc la meacutetaphysique a pour Alexandre une viseacutee universelle en ce quelle eacutetudie tous

les eacutetants cette thegravese engage neacutecessairement avec elle une certaine compreacutehension de ce que veut

dire eacutetudier llaquo eacutetant en tant queacutetant raquo

156 Cf ci-dessus sect 122b

157 Lexpression est agrave comparer avec In AnPr 357 32 ndash 358 1 (laquo τοῦ πρώτου αἰτίου κινοῦντος raquo)

158 Ce balancement va dailleurs se poursuivre ainsi en B dans le commentaire agrave la deuxiegraveme aporie Voir190 19 sq et en particulier l 25-29

176

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Chez Alexandre lexpression apparaicirct degraves le commentaire au livre A par exemple en 11

5 sq lorsque lAphrodisien explicite lopinion selon laquelle la sagesse est connaissance de toutes

choses en la reliant agrave luniversaliteacute maximale de la science des eacutetants en tant queacutetants Chez

Aristote en revanche laquo τὸ ὂν ᾗ ὄν raquo repreacutesente la perceacutee conceptuelle propre agrave Γ 1-3 ougrave

lexpression apparaicirct au singulier et parfois au pluriel159 La perceacutee est reprise par E 1 au

singulier et au pluriel (1025b 3-4) Comme en Γ eacutetudier leacutetant en tant queacutetant nest pas eacutetudier

un certain eacutetant (laquo ὄν τι raquo) ici expliciteacute en laquo un certain genre raquo (laquo γένος τι raquo) Leacutetude de leacutetant en

tant queacutetant y est rapprocheacutee de leacutetude de leacutetant laquo pris absolument raquo (laquo περὶ ὄντος ἁπλῶς raquo

1025b 9) Par la suite seuls K 3 et 7 reprennent la tournure

Dans le Commentaire dAlexandre le syntagme se construit toujours de deux faccedilons

principales dune part pour deacutesigner ce queacutetudie une certaine science (θεωρεῖν θεωρητική) et

ce agrave propos de quoi elle est (περί suivi indiffeacuteremment du geacutenitif et de laccusatif)160 dautre part

pour eacutevoquer des choses qui appartiennent agrave leacutetant en tant queacutetant (soit au geacutenitif soit avec

ὑπάρχειν) qui en sont les causes et les principes les proprieacuteteacutes les affections ou encore les

axiomes161 Les emplois alexandriniens miment ici strictement ndash ou presque162 ndash leur modegravele

aristoteacutelicien les deux cateacutegories demplois citeacutes ci-dessus se lisent aussi bien en Γ E et K163 De

ce point de vue sauf erreur de notre part il ny a dailleurs aucune diffeacuterence entre les trois

159 Pour meacutemoire lexpression se lit au pluriel en Met Γ 2 1003b 15-16 En Γ 1 1003a 30-31 les mss E et Jdonnent la tournure laquo τοῦ ὄντος εἶναι μὴ κατὰ συμβεβηκὸς ἀλλ ᾗ ὄντα raquo Ab corrige en ᾗ ὄν BCassin et M Narcy et A Jaulin et M-P Duminil retiennent cette lectio difficilior qui suppose tout demecircme une torsion grammaticale difficilement supportable mecircme chez un Aristote M Hecquet-Devienne avance lhypothegravese tout agrave fait creacutedible dune erreur de copiste due agrave un saut de ligne et aulaquo τὰς raquo qui se trouve apregraves laquo τοῦ ὄντος ᾗ ὂν raquo en 1003a 31 (M Hecquet-Devienne [2008] p 105 n 2)Alexandre ne fait aucune mention dune telle tournure conjuguant singulier et pluriel

160 Cf In Met 11 7 177 12 237 5 238 20 239 6-10 239 16 239 31 etc

161 Cf In Met pour les principes et causes 134 8 sq 239 15 239 30 240 21 etc Pour les proprieacuteteacutes(ὑπάρχοντα) 238 15 238 23 sq etc Pour les affections (πάθη) cf 264 8-22 Pour les axiomes quiappartiennent agrave leacutetant en tant queacutetant cf entre autres 265 12

162 Alexandre ne parle jamais deacuteleacutements de leacutetant en tant queacutetant et preacutefegravere nettement lexpression tregravesreacutecurrente de laquo principes et causes (parfois preacuteciseacutes en laquo premiers raquo) de leacutetant en tant queacutetant raquo auprofit bien sucircr dune lecture unitarienne du traiteacute qui reacuteunit les objets des livres A et Γ Dans sa lecturede Γ 1 Alexandre reacuteserve laquo στοιχεῖα raquo aux devanciers dAristote et les traduit en laquo τὰς τοῦ ὄντοςπρώτας ἀρχὰς καὶ τὰ αἴτια raquo pour deacutesigner lobjet de la preacutesente enquecircte Voir In Met 240 25-31 ougraveAlexandre termine en soulignant lobscuriteacute du propos aristoteacutelicien

163 Cf pour leacutetant en tant queacutetant comme objet de science Met 1003a 21 1003a 24 1003b 16 1005b 101025b 9-10 1061b 30 etc Pour les eacuteleacutements 1003a 30 pour les causes 1003a 31 1028a 3-4 pour lesaffections 1004b 5-6 pour ce qui est propre (ἴδια) agrave leacutetant en tant queacutetant 1004b 15-16 pour sesproprieacuteteacutes (ὑπάρχοντα) 1005a 14 1026a 32 pour les axiomes qui appartiennent agrave leacutetant en tantqueacutetant 1005a 24 etc

177

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

livres tous les usages de Γ se retrouvent en E et en K

Autant dire que pour Aristote et Alexandre agrave sa suite leacutetant en tant queacutetant nest jamais

sujet grammatical dune action Agrave la maniegravere de la ligne laquo en tant que matheacutematique raquo de la

Physique II 2 leacutetant en tant queacutetant nest pas une entiteacute mais un objet ndash un objet formel et non un

objet mateacuteriel164 ndash bref le correacutelat dun θεωρεῖν ce quexplicite preacuteciseacutement la nature adverbiale

de la locution laquo ᾗ ὄν raquo165 laquo En tant queacutetant raquo est le compleacutement de laquo eacutetudier raquo il nest pas le

redoublement ou le surencheacuterissement166 de la nature dune entiteacute particuliegravere qui indiquerait

son excellence En reacutegime aristoteacutelicien un eacutetant en tant queacutetant nexiste pas Ce serait alors en

reacutefeacuterence agrave cette premiegravere construction que devraient sentendre les occurrences du second ordre

Les laquo proprieacuteteacutes raquo de leacutetant en tant queacutetant par exemple ne seraient alors pas similaires aux

proprieacuteteacutes dune entiteacute (la grandeur dune statue lagrave devant moi ou la blancheur de la neige)

elles signifieraient effectivement ce qui caracteacuterise leacutetant (et nen sont donc pas moins laquo reacuteelles raquo

si lon veut que les proprieacuteteacutes de premier ordre) mais pris comme objet dune eacutetude qui leacutetudie

sous une certaine perspective QuAlexandre entende encore le caractegravere adverbial de la locution

laquo ᾗ ὄν raquo se perccediloit bien quil ne la deacutefinisse jamais ex professo dans la faccedilon dont il la paraphrase

De fait pour lExeacutegegravete eacutetudier leacutetant en tant queacutetant cest leacutetudier laquo καθὸ ὄν ἐστι raquo (244 7)167

Analyseacutee en ce sens et employeacutee comme on la deacutecrite plus haut lexpression ne peut ecirctre

consideacutereacutee comme un groupe nominal ni comme deacutesignant une entiteacute capable de faire ou de ne

pas faire decirctre sujette agrave des preacutedications

De la conception alexandrinienne se seacuteparent ses avatars neacuteoplatoniciens Syrianus et

164 Pour une distinction similaire entre laquo intensional objects raquo et laquo extensional objects raquo cf CH Kahn[1985] p 313-314

165 Sur cette nature adverbiale voir W Leszl [1970] p 145 sq P Destreacutee [1992] p 432 J Barnes [1995] p70 et M Crubellier [2005] p 60 Pour une compreacutehension similaire voir A Mansion [1956] p 156-157 U Dhondt [1961] p 7 L Routila [1969] p 117 W Leszl [1975] p 151 A Stevens [2000] p 221Mansion injecte alors la notion dabstraction mais comme le dit fort justement W Leszl on peut tregravesbien accepter la construction de la locution proposeacutee par Mansion laquo sans adopter une formedabstractionnisme raquo (p 152) ndash sauf agrave entendre laquo abstraction raquo au sens de S Breton ([1982] p 67) laquo Entant que connote un mouvement de seacuteparation en ce sens une abstraction qui nous fait perdre unimmeacutediat pour retrouver lecirctre de ce qui est Il nous oblige agrave lasceacutetisme dun Epochegrave qui suspend noshabitudes de preacutecipitation pour nous mettre en marche ny eacutetant pas de plain pied vers ce qui nousest donneacute raquo

166 P Destreacutee [1992] p 429

167 Expression quil est difficile de traduire sans reacutepeacuteter le laquo en tant que raquo puisque laquo dans la mesure raquolaisserait entendre une quantification ici hors de propos Agrave noter mais sans que lon puisse en tirer degrandes conclusions quon lit un laquo καθ ὅσον ὄντα raquo chez Aristote () en K 3 1060b 31 pour deacutesignerlobjet de la science premiegravere et qui semble manifestement gloser le laquo ᾗ ὄντα raquo de la ligne preacuteceacutedente

178

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Ascleacutepius ont en effet en commun de proposer une laquo sorte de deacutefinition neacutegative raquo168 de lὂν ᾗ ὄν

qui nest rien dautre quun eacutetant pur eacutetant par soi (laquo ὃ μόνως ὄν ἐστιν αὐτοὸν ὑπάρχον raquo

Syrianus In Met 55 9) plus veacuteneacuterable que toute autre chose Certes Syrianus semble parfois

opeacuterer une distinction entre leacutetant par soi et les eacutetants en tant queacutetants169 mais les deux

deacutesignent bien des entiteacutes les seconds proceacutedant du premier que Syrianus finit par identifier au

Bien de la Reacutepublique170 Mecircme si Ascleacutepius reprend dAlexandre lexplicitation du laquo ᾗ ὄν raquo en

laquo καθὸ ὄν raquo la substantivation ne fait plus aucun doute leacutetant en tant queacutetant est explicitement

leacutetant suprecircme (laquo μάλιστα raquo) ou eacuteminent (laquo κυρίως raquo)171 identique au Bien et doteacute dune

laquo puissance productrice raquo (laquo ἔχον γόνιμον δύναμιν raquo 225 16) dont tout le reste procegravede Cet

eacutetant eacuteminent laquo en soi et par soi raquo (225 23) possegravede lexistence dans leacutetant lui-mecircme et ce qui ne

participe pas de lui nest pas un eacutetant172 Il est donc la substance la plus premiegravere173 cest-agrave-dire

encore comme il est clair depuis le deacutebut du Commentaire dAscleacutepius le divin et lintelligible174

Chez Alexandre seul un passage soriente vers une telle cristallisation de lexpression et

vers la substantivation de leacutetant en tant queacutetant agrave savoir en 239 25 dans le commentaire agrave Γ 1

ougrave laquo ᾗ ὄν raquo est expliciteacute en laquo καθὸ ὄν raquo

Ἡ δὲ μὴ περὶ ὄν τι καταγινομένη μηδὲπερὶ μέρος τοῦ ὄντος ἀλλ ἁπλῶς περὶ τὸ ὂνκαθὸ ὄν ἐστι δι ὃ καὶ τά τινα ὄντα ὄντα καὶτοῦτο ὑποκείμενον [23925] ἔχουσα ἄλλη ἂν

Or cette science qui ne soccupe ni dun eacutetantdeacutetermineacute175 ni dune partie de leacutetant maissimplement de leacutetant en tant quil est eacutetant par quoiaussi les eacutetants deacutetermineacutes sont eacutetants ayant cela

168 C Luna [2001] p 170

169 Syrianus In Met 45 29-30

170 Syrianus In Met 55 12-27 Sur ce texte voir J-F Courtine [2005] p 133-135 et A Longo [2005] p 228

171 Sur lidentiteacute entre μάλιστα ὄν et ὂν ᾗ ὂν voir deacutejagrave Syrianus In Met 55 3-6 Sur leacutetant κυρίως voirAscleacutepius In Met 225 16 et 22

172 Ascleacutepius In Met 225 34 ndash 226 1 laquo τὸ μέντοι κυρίως ὂν ἐν αὐτῷ τῷ ὄντι τὴν ὕπαρξιν ἔχει καὶ τὰμὴ μετέχοντα αὐτοῦ οὐκ ἔστιν ὄντα raquo

173 Voir par exemple Ascleacutepius In Met 226 6-8 laquo φανερὸν δὲ ὅτι ἐκ τοῦ κυρίως καὶ ἁπλῶς ὄντοςτουτέστι τῆς πρωτίστης οὐσίας προῆλθε τὸ ὂν ἐπὶ ταῦτα διὰ τὴν γόνιμον αὐτοῦ δύναμιν raquo

174 Ascleacutepius In Met 3 10

175 La traduction de laquo ὄν τι raquo par laquo eacutetant deacutetermineacute raquo (litteacuteralement laquo un certain eacutetant raquo mais l expressiondevient difficilement manipulable quand on passe au pluriel) est une traduction par deacutefaut quipourrait malheureusement laisser entendre que leacutetant en tant queacutetant par opposition seraitlaquo indeacutetermineacute raquo ce qui nest en soi pas exact (il y a des proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant) Il est clairchez Aristote comme Alexandre que lexpression est synonyme dune laquo partie de leacutetant raquo unelaquo reacutegion raquo pourrait-on dire aujourdhui cest-agrave-dire une certaine classe deacutetants qui peuvent ecirctreregroupeacutes en genre ou espegravece (celle des nombres par exemple) Leacutetant en tant queacutetant comme objetformel deacutesigne lensemble des eacutetants pris agrave part ou en-deccedilagrave de ces diverses classes et le laquo τι raquo nest paslindeacutefini laquo nimporte quel eacutetant raquo mais bien laquo un certain type deacutetant raquo

179

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ἐκείνων εἴη pour sujet elle sera diffeacuterente des preacuteceacutedentes (239 22-25)

Lexpression laquo δι ὃ καὶ τά τινα ὄντα ὄντα raquo dont nous traiterons en deacutetail plus bas est

dans tout le reste du corpus reacuteserveacutee agrave la substance ou agrave la forme comprises comme cause de

lecirctre (laquo cause de lecirctre raquo eacutetant eacutequivalent agrave laquo par quoi les eacutetants sont des eacutetants raquo176) On comprend

donc pourquoi ce texte a pu ecirctre employeacute pour justifier son eacutequation entre eacutetant en tant queacutetant

substance premiegravere et premier moteur177 Bien plutocirct et eu eacutegard agrave ce que nous avons eacutetabli ci-

dessus le passage manifeste une ambiguiumlteacute voire comme le pointe P Destreacutee avec rigueur178 une

contradiction en deacuteterminant leacutetant dont on soccupe laquo en tant quil est eacutetant raquo tout en le

qualifiant de cause de lecirctre des eacutetants Dans le premier cas leacutetant est un objet formel le correacutelat

dun θεωρεῖν dans le second il tend vers lentiteacute lobjet mateacuteriel agrave mecircme dassumer le statut de

cause Ce texte est certes un hapax et nautorise donc pas agrave lui seul comme le fait ensuite

P Destreacutee agrave tirer Alexandre du cocircteacute des neacuteoplatoniciens Mais il demeure eacutetrange eu eacutegard au

reste de la doctrine alexandrinienne ndash lon aurait plutocirct attendu quelque chose comme laquo περὶ τὸ

ὂν καθὸ ὄν ἐστι τε καὶ τοῦτο δι ὃ [= ἠ οὐσία] τά τινα ὄντα ὄντα raquo

Pour lever cette contradiction sans transformer le texte M Bonelli propose de le

construire diffeacuteremment en prenant pour anteacuteceacutedent du laquo δι ὃ raquo le seul laquo τὸ ὂν raquo et non pas laquo τὸ

ὂν καθὸ ὄν ἐστι raquo laquo Τὸ ὂν raquo serait alors un singulier valant pour laquo τὰ ὄντα raquo (ce qui est certes le

cas chez Alexandre) et laquo δι ὃ καὶ τά τινα ὄντα ὄντα raquo deacutesignerait la simple appartenance de tous

les eacutetants agrave ce pseudo-genre agrave cette laquo nature raquo quest leacutetant179 Cette solution toutefois implique

une parataxe dont Alexandre est peu coutumier et sous-eacutevalue la valeur formulaire de la seconde

relative et le sens causal de laquo δι ὃ raquo pour deacutesigner la substance comme cause de lecirctre ou de

lappellation laquo eacutetant raquo des autres eacutetants180 Soit donc on admet ici quAlexandre va trop vite en

besogne et se contredit soit on suppose quil faut prendre lexpression comme une version

extrecircmement ramasseacutee de la thegravese exposeacutee ailleurs en se reacutesolvant agrave la parataxe

176 Voir ci-dessous sect 312b et dembleacutee leacutequivalence agrave la page 244 entre laquo δι ὃ καὶ τὰ ἄλλα ὄντα raquo (l19-20) laquo διὰ ταύτην ltla substancegt ὄντα κἀκεῖνα raquo (l 21) et laquo ἀρχή τε καὶ αἰτία τοῦ εἶναι raquo (l 24)

177 P Merlan [1957] p 90-92

178 P Destreacutee [1992] p 430 laquo Ce commentaire est profondeacutement ambigu vise-t-on la mecircme choselorsque lon parle dun eacutetant dans la mesure ougrave il est eacutetant et lorsque lon parle dun eacutetant par lequelles eacutetants existent raquo

179 M Bonelli [2001] p 87 qui met laquo genere raquo entre guillemets

180 Comparer ce passage avec avec In Met 244 19-20 et 250 25-26 laquo ἡ περὶ αὐτὰ ἐπιστήμη κυρίως τοῦπρώτου ἐξ οὗ τὰ ἄλλα ἤρτηται καὶ δι ὃ καὶ τὰ ἄλλα ὄντα λέγεται raquo

180

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Une troisiegraveme solution est possible car le texte ici eacutediteacute par Hayduck est douteux ndash en

deacutepit dun apparat critique bien discret Certes la paraphrase dAscleacutepius bien quelle soit un

peu diffeacuterente en seacuteparant les deux relatives par laquo ἡ πρώτη ἐστὶ φιλοσοφία raquo donne un sens

similaire181 Mais dans lapparat au texte correspondant chez Ascleacutepius (et non dans son eacutedition

dAlexandre ) Hayduck indique pour le texte dAlexandre une leccedilon concurrente dans le

manuscrit L (=Ab pour les eacutediteurs dAristote) laquo διὸ καὶ οὐ τά τινα ὄντα ὄντα ὑποκείμενον raquo

Bonitz182 cite en outre en apparat la traduction latine de Sepuacutelveda qui va dans le sens de la leccedilon

du manuscrit L avec la neacutegation οὐ sans toutefois la reacutepeacutetition du ὄντα183 Enfin le texte traduit

par Sepuacutelveda que nous avons eacutegalement pu veacuterifier inteacutegralement donne

Haec autem non ens aliquod nec partem entis sed ens qua est ens simpliciter consideratquoniam si versaretur in particularibus entibus non esset ab illis diversa

Bref le passage meacuterite une veacuterification directe des manuscrits Celle de Laurentianus

donne le texte suivant184

ἡ δὲ μὴ περὶ ὄν τί καταγινομένη μὴδε περὶ μέρος τοῦ ὄντος ἀλλ ἁπλῶς περὶ τὸ ὂνκαθὸ ὄν ἐστι διὸ καὶ οὐ τὰ τινὰ ὄντα ὄντα ὑποκείμενον ἔχουσα ἄλλη ἐκείνων εἴη

Le dernier membre de phrase est celui qui pose le plus problegraveme mais la veacuterification

offre deux issues Soit on conserve la reacutepeacutetition du laquo ὄντα raquo en consideacuterant quon a un groupe

nominal avec participe substantiveacute (la copule) dont le preacutedicat est laquo τινὰ ὄντα raquo Alexandre

parlerait de ltchosesgt qui sont (laquo ὄντα raquo) des laquo τινὰ ὄντα raquo Le rendu est un peu rude et sauf

erreur sans parallegravele exact dans le corpus Il est peut-ecirctre plus simple de voir dans cette reacutepeacutetition

une dittographie La ponctuation de surcroicirct avec ses deux points en haut est peu satisfaisante

Lusage dAlexandre est toutefois demployer laquo διὸ καὶ raquo pour indiquer une ponctuation forte on

peut donc conserver le premier point en haut Enfin la construction de la premiegravere proposition

(laquo ἡ δὲ μὴ περὶ ὄν τί καταγινομένη καθὸ ὄν ἐστι raquo) nest pas des plus aiseacutees une fois quon la

181 Ascleacutepius In Met 225 1-4 laquo ἡ δὲ μὴ περὶ ὄν τι καταγινομένη μήτε περὶ μέρος τοῦ ὄντος ἀλλὰἁπλῶς περὶ τὸ ὄν καθὸ ὄν ἐστιν ἡ πρώτη ἐστὶ φιλοσοφία δι ὃ καὶ τὰ ὄντα καὶ τοῦτοὑποκείμενον ἔχουσα ἄλλη ἂν ἐκείνων εἴη raquo

182 Les reacutefeacuterences de la phrase dans leacutedition de Bonitz sont 195 2-4 Comme dailleurs Hayduck le faitdans lapparat agrave Ascleacutepius en donnant la leccedilon de la vulgate dAlexandre Bonitz na pas fait imprimerlaquo δι ὃ raquo mais bien laquo διὸ raquo (alors que partout ailleurs il les distingue)

183 Bonitz indique que la reacutepeacutetition de ὄντα est la leccedilon quil a tireacutee de A mais celle-ci est confirmeacutee parnotre relecture de L

184 La veacuterification de Laurentianus gr 8712 f100r a eacuteteacute effectueacutee par les soins de M Hecquet-Devienne quenous remercions ici chaleureusement

181

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

seacutepare de sa suite Tous ces eacuteleacutements rendent compreacutehensibles les corrections de Bonitz et de

Hayduck Nous proposons la construction suivante La proposition laquo ἡ δὲ μὴ περὶ ὄν τί

καταγινομένη μὴδε περὶ μέρος τοῦ ὄντος ἀλλ ἁπλῶς περὶ τὸ ὂν καθὸ ὄν ἐστι raquo a pour verbe

principal le dernier laquo ἐστι raquo185 Quant agrave son sens elle se charge de rappeler laffirmation initiale

du chapitre Γ 1 en opposant le fait davoir une reacutegion deacutetermineacutee de leacutetant au fait davoir pour

objet leacutetant en tant queacutetant La deuxiegraveme proposition laquo διὸ καὶ οὐ τὰ τινὰ ὄντα ὑποκείμενον

ἔχουσα ἄλλη ἐκείνων εἴη raquo enteacuterine cette distinction en expliquant que puisque cette science na

pas pour sujet des eacutetants deacutetermineacutes (une reacutegion de leacutetant) elle marque sa diffeacuterence davec les

autres sciences Cette proposition vient ainsi comme un laquo CQFD raquo conclure largumentation de

la thegravese eacutenonceacutee quelques lignes plus haut en 239 16 Lensemble du passage donnerait ainsi

Ὅτι μὲν οὖν ἡ περὶ τὸ ὂν ᾗ ὂν ἐπιστήμηἄλλη τῶν λοιπῶν ἐπιστημῶν δῆλον ἐκ τοῦἑκάστην περὶ τὶ ὂν καὶ μέρος τοῦ ὄντοςπραγματεύεσθαιmiddot ἡ μὲν γὰρ ἀριθμητικὴ περὶἀριθμούς οἵτινες τὶ ὄν εἰσιν ἡ δὲ γεωμετρίαπερὶ γραμμὰς καὶ ἐπίπεδα καὶ στερεά ἃ καὶαὐτά τινα ὄντα Tὸν αὐτὸν [23920] δὲ τρόπονκαὶ τῶν ἄλλων ἑκάστη περὶ μέρος τι τοῦὄντος καταγίνεται καὶ τὰ τούτῳ ὑπάρχοντακαθ αὑτὰ θεωρεῖ (τὰ γὰρ συμβεβηκότατοῦτο σημαίνει νῦν) τοῦτο γὰρ τῆς περὶἕκαστον ἐπιστήμης ἴδιον Ἡ δὲ μὴ περὶ ὄν τίκαταγινομένη μὴδε περὶ μέρος τοῦ ὄντοςἀλλ ἁπλῶς περὶ τὸ ὂν καθὸ ὄν ἐστι διὸ καὶοὐ τὰ τινὰ ὄντα ὑποκείμενον ἔχουσα ἄλληἐκείνων εἴη

Que donc la science de leacutetant en tant queacutetantdiffegravere du reste des sciences cela est manifeste du faitque chacune ltde ces derniegraveresgt a affaire agrave un eacutetantdeacutetermineacute186 cest-agrave-dire agrave une partie de leacutetantLarithmeacutetique par exemple porte sur les nombresqui sont bien des eacutetants deacutetermineacutes la geacuteomeacutetrieporte sur les lignes les plans et les solides qui sonteux aussi des eacutetants deacutetermineacutes De la mecircme maniegraverechacune des autres ltsciencesgt soccupe aussi dunepartie deacutetermineacutee de leacutetant et examine ses proprieacuteteacutespar soi (ce qui en effet signifie ici ses accidents187)car cest le propre de la science de chaque ltsortedeacutetantgt En revanche la ltsciencegt qui ne soccupe nidun eacutetant deacutetermineacute ni dune partie de leacutetant portesimplement sur leacutetant en tant queacutetant cestpourquoi nayant pas pour sujet les eacutetantsdeacutetermineacutes elle sera diffeacuterente des autres

(239 16-25)

Alexandre commente ici en effet 1003a 22-26 qui distingue la science de leacutetant en tant

queacutetant et les sciences reacutegionales qui traitent dune partie de leacutetant La fin du passage (notre

185 Ce verbe nappartient donc plus agrave la relative laquo καθὸ ὄν raquo (qui se lit souvent chez Alexandre sans verbeexprimeacute sur le modegravele de laquo ᾗ ὄν raquo Cette construction implique que le ἀλλά ne coordonne pas deuxpropositions de mecircme niveau grammatical mais vienne seulement renforcer lopposition entre laquo μὴπερὶ ὄν τί μὴδε περὶ μέρος τοῦ ὄντος raquo et laquo περὶ τὸ ὂν καθὸ ὄν raquo

186 Ou laquo de quelque chose qui est raquo si lon souhaite rendre lordre des mots περὶ τὶ ὂν et non pas commeapregraves περὶ ὂν τὶ (239 23) Cependant la marche geacuteneacuterale du raisonnement dans le passage sembleindiquer quAlexandre ne distingue pas reacuteellement entre ὄν τι et τι ὂν le reste du corpus ne permet pasnon plus dasseoir une telle distinction

187 Pour une critique de cette lecture cf B Cassin M Narcy [1998] p 161

182

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

texte) proposerait alors une sorte dargument par labsurde assez formel188 venant justifier

laffirmation aristoteacutelicienne si la science en question soccupait dun certain eacutetant au sens dune

partie de leacutetant elle ne pourrait plus ecirctre laquo autre raquo diffeacuterente des sciences reacutegionales

quAlexandre a illustreacutees plus haut par les exemples des matheacutematiques et de la geacuteomeacutetrie

Libeacutereacute de cette contradiction ce passage confirme notre interpreacutetation geacuteneacuterale pour

Alexandre laquo en tant queacutetant raquo deacutesigne la perspective prise sur leacutetant propre agrave la philosophie

premiegravere ou la sagesse189 Celle-ci a donc en partie les mecircmes objets que la geacuteomeacutetrie par

exemple les lignes les plans et les solides qui sont eux aussi un certain type deacutetants190 Mais

chaque science reacutegionale theacuteorise un type deacutetants en les rassemblant selon une classe et en les

eacutetudiant du point de vue de leur appartenance agrave cette classe

Καὶ περὶ τοῦ ὄντος δὲ μιᾶς ἐπιστήμηςθεωρῆσαι καθὸ ὄν ἐστιν οὐ γὰρ καθὸμουσικὰ ἢ ἰατρικά ἀλλὰ καθὸ ὄντα καὶ τῆςτοῦ ὄντος κεκοινώνηκε φύσεως

Or pour leacutetant aussi il appartient agrave une uniquescience de leacutetudier en tant quil est un eacutetant Ce nesten effet pas en tant que musicales ou meacutedicalesltquelle eacutetudie ces chosesgt mais en tant queacutetantscest-agrave-dire lten tantgt quelle en viennent agrave partager lanature de leacutetant191

(244 6-8)

Cela permet de fonder la remarque que nous avons faite plus haut sur les proprieacuteteacutes de

leacutetant en tant queacutetant celles-ci ne sont donc pas agrave entendre chez Alexandre comme des

proprieacuteteacutes dun objet mateacuteriel au premier degreacute mais comme des proprieacuteteacutes dun objet formel

Ainsi en va-t-il du laquo mecircme raquo et du laquo contraire raquo et plus geacuteneacuteralement des laquo affections raquo de lun et

de leacutetant dont Aristote parle en Γ 2 1004b 5-8 en disant quil appartient agrave la science en question

de les eacutetudier ainsi que leurs accidents parce que ces affections appartiennent agrave lun en tant

quun et leacutetant en tant queacutetant laquo et non en tant que nombres lignes ou feu raquo (1004b 6)

Pour lExeacutegegravete192 si lidentiteacute lalteacuteriteacute la ressemblance etc eacutetaient des proprieacuteteacutes par soi

des nombres des lignes ou du feu (cest-agrave-dire des laquo parties de leacutetant raquo selon la terminologie de

Γ 1) alors elles seraient des proprieacuteteacutes seulement accidentelles de leacutetant pris en tant queacutetant

188 Mais Alexandre est tregraves coutumier du fait

189 Ces noms sont donneacutes juste apregraves en 239 35-36 par exemple

190 In Met 239 18-19 laquo ἡ δὲ γεωμετρία περὶ γραμμὰς καὶ ἐπίπεδα καὶ στερεά ἃ καὶ αὐτά τινα ὄντα raquo

191 Autre traduction possible (choisie par A Madigan dans la traduction anglaise et M Casu pourlitalienne) laquo Ce nest en effet pas en tant que musicales ou meacutedicales mais en tant queacutetants que ceschoses en viennent aussi agrave partager la nature de leacutetant raquo M Bonelli traduit de la mecircme faccedilon que ceque nous proposons ([2001] p 95) Nous revenons sur ce texte au sect 31

192 In Met 258 14-24

183

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

parce quelles ne seraient pas communes agrave tous les eacutetants Autrement dit elles ne pourraient pas

transgresser lincommunicabiliteacute des genres En deacuteveloppant la situation imagineacutee par

Alexandre si lune de ces proprieacuteteacutes mettons lidentiteacute eacutetait une proprieacuteteacute par soi des lignes

alors seules les lignes pourraient ecirctre dites laquo identiques raquo les unes aux autres ndash le laquo par soi raquo

impliquant ici une stricte coextensiviteacute entre la proprieacuteteacute et la classe des choses qui en sont les

porteuses193 Cest via ce raisonnement quAlexandre explicite ensuite le caractegravere laquo universel et

geacuteneacuteral raquo de la philosophie (laquo ἡ καθόλου τε καὶ κοινὴ φιλοσοφία raquo 258 23-24) par opposition

au physicien ou au geacuteomegravetre ce qui confirme que lobjet propre agrave la philosophie universelle soit

bien le laquo en tant queacutetant raquo Alexandre deacutefinit alors neacutegativement les proprieacuteteacutes par soi de leacutetant

en tant queacutetant comme ce qui nappartient essentiellement agrave laquo aucun eacutetant deacutetermineacute raquo (laquo μηδενὶ

ἀφωρισμένως τῶν ὄντων raquo 258 20) On laura compris bien sucircr ces proprieacuteteacutes appartiennent

aux divers eacutetants donc aussi au feu aux nombres ou aux lignes mais elles ne leur appartiennent

essentiellement que sous leur perspective deacutetants la neacutegation dans la proposition de 258 20 porte

sur la deacuteterminiteacute des eacutetants non pas sur les eacutetants eux-mecircmes pris comme eacutetants194 Ce nest

donc pas parce que lexpression laquo eacutetant en tant queacutetant raquo est employeacutee absolument sous

lapparence dun groupe nominal quelle deacutesigne une entiteacute un objet mateacuteriel il faut toujours

sous-entendre le verbe laquo θεωρεῖν raquo ou un eacutequivalent

Agrave notre connaissance le syntagme laquo ὂν ᾗ ὄν raquo reste agrave leacutepoque la marque stricte de

laristoteacutelisme agrave tout le moins dAlexandre Aucun autre auteur de leacutepoque post-helleacutenistique

quil soit dans une des quatre eacutecoles ou en dehors nemploie le syntagme195 Ce nest quavec

Plotin que lexpression reparaicirct ndash au sein des traiteacutes 42 et 43196 sur les genres de leacutetant Tant sen

faut cependant que linteacuterecirct alexandrinien pour la question de lecirctre soit totalement deacutetacheacute de

193 Sur la difficulteacute de savoir si Alexandre distingue entre καθ αὑτὰ et καθ αὑτὸ et sil prend cesexpressions comme des adverbes ou non cf M Bonelli [2001] p 133-142 qui montre finalementquaucune distinction stricte ne peut ecirctre adopteacutee entre les deux tournures comme il en va deacutejagraveprobablement chez Aristote

194 Cf une explication similaire en In Met 259 19-22 laquo ὡς οὖν τούτων ἑκάστῳ ἔστι τινὰ οἰκείωςὑπάρχοντα οὕτως ἔστι τινὰ οἰκεῖα καὶ τοῦ ὄντος ᾗ ὄν οὐκ ἀφωρισμένου τινὸς γένους τῶν ὑπὸ τὸὄν ἀλλ ἐν πᾶσιν ὡρισμένα ὄντα τοῖς οὖσι περὶ ὧν ὁ θεωρητικὸς φιλόσοφος raquo

195 Une exception notable est un hapax de Philon dAlexandrie qui deacutetermine lecirctre du Dieu laquo en tant quilest eacutetant raquo et non de faccedilon relative Cf De mutatione nominum 27 1-4 laquo ἀλλὰ γὰρ οὐδ ἐκεῖνοπροσῆκεν ἀγνοεῖν ὅτι τὸ ldquoἐγώ εἰμι θεὸς σὸςrdquo (Gen 17 1) 273 λέγεται καταχρηστικῶς οὐ κυρίωςτὸ γὰρ ὄν ᾗ ὄν ἐστιν οὐχὶ τῶν πρός τι raquo

196 Plotin Enneacuteade VI 1 (42) 10 12 VI 2 (43) 17 21 Voir toutefois aussi chez Sextus AM IX 273 3-4 2754

184

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

toute preacuteoccupation contemporaine comme on a deacutejagrave essayeacute de le montrer et comme on va y

revenir Si leacutetant en tant queacutetant demeure la chasse gardeacutee de lExeacutegegravete cest dans son approche

du verbe laquo ecirctre raquo quon va voir se reacuteveacuteler certains enjeux agonistiques qui gregravevent la question

ontologique

223 Eacutetudier les modes decirctre des eacutetants ὕπαρξις

Alexandre a ceci de remarquable quil explicite freacutequemment les termes ὄν ou εἶναι par

celui de laquo ὕπαρξις raquo

laquo Κοινὸν γὰρ τὸ ὂν πᾶσι τοῖς ἐν ὑπάρξει raquo (In Met 11 8)

laquo Διὰ μὲν τοῦ ὂν εἰπεῖν τι τὴν ὕπαρξιν σημαίνοντες αὐτοῦ raquo (In Met 247 19)

laquo Τὴν γὰρ οἰκείαν ὕπαρξιν ἑκάστου σημαίνει τὸ ὂν ὁμώνυμον [hellip] τὸ μὲν γὰρ τῇ οὐσίᾳσυντασσόμενον εἶναι τὴν οὐσιώδη ὕπαρξιν σημαίνει raquo (In Met 371 22-25)

laquo Φησὶ δέ ἐπεὶ τὸ εἶναι πλεοναχῶς (δεκαχῶς γάρ) τὸ κατὰ τὸ εἶναι πρῶτον καὶ κατὰτὴν ὕπαρξίν φησιν εἶναι τὸ πᾶσιν ὑποκείμενον τοῖς ἄλλοις τοιοῦτον δὲ τὴν οὐσίανεἶναι raquo (In Met 387 8-10)

laquo Πᾶν γὰρ τὸ ἐν ὑπάρξει ὂν καὶ ὂν καὶ ἕν ἐστιν raquo (In Top 301 19)

Or si les emplois de ὕπαρξις ont eacuteteacute deacutejagrave bien eacutetudieacutes chez les neacuteoplatoniciens ou

ὑπάρχειν chez les stoiumlciens197 lusage alexandrinien de ce champ lexical reste encore trop peu

exploreacute agrave lexception notable de M Bonelli198 alors que comme en teacutemoignent les passages citeacutes

il meacuterite une attention soutenue Quoi quil en soit pour le moment des diffeacuterences entre ces

textes un fait semble en effet acquis laquo ecirctre raquo ou laquo eacutetant raquo peuvent ecirctre exprimeacutes par ὕπαρξις

pour deacutesigner comme on va le voir le fait decirctre Le terme se laisse ici presque naturellement

traduire par laquo existence raquo et tel est bien son premier sens attesteacute tant dans le Bailly que le Liddle-

Scott On pourrait sarrecircter ici et consideacuterer le problegraveme comme reacutegleacute Or encore faut-il

comprendre ce que lon peut entendre par laquo existence raquo un coup dœil jeteacute agrave lhistoire du terme

suffit agrave montrer quon ne peut pas faire comme si sa signification eacutetait eacutevidente ou tellement

197 Voir entre autres P Hadot [1969] V Goldschmidt [1972] F Romano DP Taormina [1994]

198 M Bonelli [2001] p 89-95

185

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

commune quelle nexigerait pas deffort de deacutefinition199 Traduire ὕπαρξις par laquo existence raquo nest

pas reacutesoudre le problegraveme mais le poser

La thegravese alexandrinienne selon laquelle ὕπαρξις nous livrerait la signification de laquo ecirctre raquo

deacuteconcerte en effet dabord en ce que pour donner la signification dun verbe lExeacutegegravete emploie

un nom lagrave ougrave il lui eucirct eacuteteacute possible dutiliser ὑπάρχειν La chose est en fait probablement lieacutee agrave la

tendance du grec tardif agrave substantiver et agrave produire en ce qui concerne le vocabulaire

philosophique en particulier des noms en -σις

Mais le simple fait quecirctre puisse laquo signifier raquo et signifier un sens fait difficulteacute certains

passages dans Aristote par exemple Γ 2 semblent au contraire vider lecirctre de tout sens lexical

En soutenant dans un passage de Γ 2 que dire laquo homme raquo ou laquo un homme qui est raquo (un ecirctre

humain) nest quun redoublement Aristote ne considegravere-t-il pas que ladjonction de laquo eacutetant raquo agrave

un nom napporte aucune information sur le nom ni sur ce quil deacutesigne comme si luniverselle

extension de lecirctre eacutetait telle quelle compromettrait leacutepaisseur de son intension Par suite le

terme laquo eacutetant raquo pourrait bien passer pour un laquo attribut vide raquo200 Telle semble ecirctre eacutegalement selon

P Aubenque la tendance du chapitre 3 du De interpretatione ougrave laquo ecirctre raquo est compris comme

copule laquo ecirctre raquo sursignifie mais contrairement aux autres verbes il ne fait que cela et ne signifie

rien par lui-mecircme Deacutepourvu toute profondeur seacutemantique il se reacuteduit agrave un rocircle purement

coheacutesif ou copulatif dit autrement deacutenueacute de tout sens lexical laquo ecirctre raquo naurait quune fonction

syntaxique

Pourtant on pressent deacutejagrave les limites dune telle analyse eu eacutegard au projet mecircme dune

science de leacutetant en tant queacutetant Cest bien quecirctre signifie mais dapregraves Γ 2 et Δ 7 il laquo se dit en

plusieurs sens raquo Cette plurivociteacute ninterdit-elle pas agrave son tour de promouvoir une notion

unitaire comme celle de ὕπαρξις On va preacuteciseacutement montrer quAlexandre reporte cette

plurivociteacute sur ὕπαρξις201 le terme lui servant alors agrave expliciter la polyseacutemie de lecirctre et agrave

expliciter que cette polyseacutemie est une polyseacutemie de modes decirctre de faccedilons dexister Alexandre

est loin de lideacutee selon laquelle il y aurait malgreacute tout un sens lexical implicite du verbe ecirctre

Cette thegravese a eacuteteacute proposeacutee par P Aubenque ndash sans doute dans le sillage heideggerien ndash en

employant justement le verbe ὑπάρχειν pour deacutelivrer cette signification lexicale du verbe

laquo ecirctre raquo Heidegger soutient ainsi que laquo le terme le plus eacutetendu pour εἶναι en tant quecirctre-preacutesent

199 Sauf agrave ecirctre un carteacutesien convaincu

200 P Aubenque [1962] p 232 et [1985] [2009a] p 354-355

201 In Met 371 22-23 cf ci-dessous

186

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

lequel en mecircme temps en eacutelucide linterpreacutetation grecque est ὑπάρχειν raquo au sens de laquo dominer

du fait de se trouver lagrave au preacutealable le preacute-dominer au sens grec en tant que ecirctre-preacutesent agrave

partir de soi-mecircme raquo202 P Aubenque assoit cette interpreacutetation agrave partir dune lecture au

demeurant discutable203 du De interpretatione 3 lecture selon laquelle tous les verbes sursignifient

non seulement le temps et la liaison avec le sujet mais en outre lexistence le fait que ce soit le cas

(ὑπάρχει)204 Selon P Aubenque cela vaut a fortiori pour le verbe laquo ecirctre raquo laquo Le verbe ecirctre dans la

mesure mecircme ougrave il paraicirct ne pas avoir de sens propre devient ainsi vicariant pour tous les autres

verbes raquo et de ce fait assume laquo de faccedilon eacuteminente et pure les trois sursignifications qui dans les

autres verbes se surajoutent agrave une signification lexicale particuliegravere raquo205

Lemploi alexandrinien du nom ὕπαρξις est peut-ecirctre agrave lorigine dune telle thegravese mais il

ne se fait jamais au profit dune unification des sens de leacutetant ndash au contraire Degraves lors la difficulteacute

poseacutee par les affirmations alexandriniennes est davantage lexicale et conceptuelle il sagit de

comprendre ce que signifie ὕπαρξις Assisterait-on agrave leacutemergence dun concept dexistence en

terrain aristoteacutelicien

Lexistence comme simple fait decirctre distinct de lessence lexistence comme laquo la nue

202 M Heidegger [1961] trfr [1971] p 382 cf aussi p 379

203 Aristote au deacutebut du De int 3 affirme que le laquo verbe raquo (ou le rhegraveme si lon veut souligner la diffeacuterencedavec notre conception grammaticale courante du verbe) sursignifie le laquo νῦν ὑπάρχειν raquo (16b 9) Soiton comprend ce passage comme signifiant que tout verbe sursignifie laquo que cest un attributmaintenant raquo (cest le sens de la traduction de C Dalimier [2007] p 265) avec un sens purementattributif de ὑπάρχειν P Aubenque propose au contraire dentendre ὑπάρχειν au sens absolu etavance trois arguments 1) cest un des sens du verbe 2) dans la phrase il est employeacute sanscompleacutement 3) on trouve deacutejagrave le sens existentiel de laquo ecirctre raquo en 16a 18 Aubenque en deacuteduit donc laquo Lasursignification temporelle du verbe inclut donc la fonction copulative mais aussi la fonctionexistentielle exprimeacutee par lautre sens du verbe hyparchein raquo (P Aubenque [1991] [2009a] p 109) Cestaller vite en besogne aucun des arguments de P Aubenque nest agrave lui seul contraignant Surtoutlinterpreacutetation de P Aubenque repose sur le fait que lexemple de sursignification temporelle pris parAristote est le preacutesent ndash mais cela ne fonctionnerait pas avec un exemple de futur Enfin laffirmationdAristote agrave cet endroit repose sur la distinction immeacutediatement preacuteceacutedente Le verbe sursignifie agrave lafois le temps et laquo quune chose est dite dune autre raquo ce que recueille et reacutesume le laquo νῦν ὑπάρχειν raquo quand je dis laquo je marche raquo je sursignifie laquo maintenant raquo et laquo que quelque chose marrive raquo agrave savoir queje suis en train de marcher Ce passage ne peut soutenir la thegravese selon laquelle tout verbe aurait unesursignification laquo theacutetique (au sens de la position dexistence) raquo comme le dit Aubenque

204 Pour cette traduction cf P Aubenque [1991] [2009a] p 109

205 P Aubenque [1991] [2009a] p 109 et 111

187

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

entiteacute le simple et nu ecirctre des choses raquo206 ne semble en effet pas appartenir aux laquo ontologegravemes raquo207

du Stagirite On reacutetorquera que la matrice de la distinction meacutetaphysique entre lessence et

lexistence peut ecirctre trouveacutee dans la distinction grammaticale entre le verbe laquo ecirctre raquo comme

copule et le verbe laquo ecirctre raquo pris au sens absolu Or une telle distinction se lit assez aiseacutement dans

les Reacutefutations sophistiques 5 167a 4 laquo ce nest pas la mecircme chose decirctre quelque chose et decirctre

absolument (εἶναι ἁπλῶς) raquo208 De mecircme les Seconds Analytiques II 1 neacutelaborent-ils pas une

ceacutelegravebre diffeacuterence entre les questions laquo εἰ ἔστιν raquo et laquo τί ἐστιν raquo209 Agrave lencontre de cette thegravese qui

a pour elle la plausibiliteacute du bon sens on pourrait dabord sinterroger sur le preacutesupposeacute selon

lequel les concepts meacutetaphysiques naicirctraient de distinctions grammaticales cette proposition

pouvant parfaitement sinverser210 De surcroicirct dautres lieux du corpus semblent mecircme

parfaitement confondre ces deux sens du verbe laquo ecirctre raquo211 Plus dirimante est lobservation

suivante aussi cruciale que puisse paraicirctre cette distinction elle nest de toute faccedilon jamais

mentionneacutee comme lun des sens de lecirctre et nest jamais theacutematiseacutee comme telle dans la

Meacutetaphysique212 Ainsi comme le disent M Crubellier et P Pellegrin laquo tout se passe comme si

Aristote ne consideacuterait pas lusage existentiel [du verbe ecirctre] en tant que tel comme capital pour

la philosophie premiegravere raquo213

206 Selon lexpression de Scipion Dupleix La meacutetaphysique ou science surnaturelle laquo Il est donc certain quily a notable diffeacuterence entre lexistence et lessence des choses Mais pour le mieux entendre il fautobserver quen notre langue franccedilaise nous navons point de terme qui reacuteponde eacutenergiquement au latinexistentia qui signifie raquo (cf J-F Courtine [2003b] p 37 n 25)

207 Ce terme est forgeacute par F Nef (cf F Nef [2009])

208 Cf aussi SE 25 180a 35 sq et De int 11 21 a 33 Pour une discussion du sens de cette alternative voir lanote suggestive de GEL Owen [1957] p 165 n 3

209 Lon peut sinterroger pour savoir si la reacuteponse agrave la question laquo est-ce que cest raquo est vraiment unereacuteponse par instanciation du type exist x F(x) Cf les arguments que donne TV Upton contrelinterpreacutetation courante (celle de Owens en particulier) dans TV Upton [1991] TV Upton montrecomment dans la pratique aristoteacutelicienne les deux questions sont absolument inseacuteparables (etdoivent lecirctre) et comment le texte des AnPo II 1 appelle non pas une reacuteponse en termedinstanciation mais fait toujours reacutefeacuterence agrave un complexe sujet-preacutedicat en vue de lenquecircte sur lescauses du sujet en question Upton va jusquagrave interpreacuteter le passage comme signifiant quagrave unequestion laquo est-ce que cest raquo les seules reacuteponses possibles sont de type preacutedicatif (que la preacutedicationsoit essentielle ou accidentelle) Ceci rend en outre raison de Met E 1 1025b 16 sq

210 Il serait dailleurs inteacuteressant de connaicirctre leacutepoque dapparition dans les grammaires de la distinctionentre fonctions (ou sens) copulative et existentielle du verbe laquo ecirctre raquo

211 JJ Hintikka [1986] par exemple p 83 sur le texte des SE 5 166b 28-36

212 Hormis en un passage en E 1 1025b 16-18 Mais cest agrave titre de rappel de la theacuteorie geacuteneacuterale de la science(et cest dailleurs lun des arguments de Martineau en faveur de linauthenticiteacute dE1)

213 M Crubellier P Pellegrin [2002] p 343

188

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

On peut eacutemettre lhypothegravese214 selon laquelle cette absence de theacutematisation de lusage

existentiel constitue une thegravese dAristote Cest peut-ecirctre que cela na aucun sens pour le

Philosophe de concevoir un pur fait decirctre sans aucune deacutetermination distinct de lessence Plus

preacuteciseacutement il arrive assureacutement agrave Aristote de poser la question de savoir laquo si cest raquo en

particulier dans la Physique215 mais le pur fait decirctre ne paraicirct agrave tout le moins pas pertinent pour

une science de leacutetant en tant queacutetant Ecirctre pour Platon216 et Aristote cest toujours ecirctre quelque

chose ndash et reacuteciproquement un laquo quelque chose raquo est forceacutement un eacutetant comme sen avise

Alexandre contre les stoiumlciens Par suite lorsque dans la Meacutetaphysique Aristote enquecircte sur lὂν

ἁπλῶς ce que veut dire simplement ecirctre ou leacutetant au sens absolu cest bien de lοὐσία quil est

question laquo τὸ πρώτως ὂν καὶ οὐ τὶ ὂν ἀλλ ὂν ἁπλῶς ἡ οὐσία ἂν εἴη raquo dit Aristote en Z 1217 Or

le propre de la notion dοὐσία est preacuteciseacutement de conjoindre pour le dire vite essence et

existence lecirctre et lecirctre deacutetermineacute la reacutealiteacute dans tous ses sens218 Par suite aussi il ny a pas

selon Aristote dessence des non-eacutetants comme le bouc-cerf que lon ne peut deacutefinir et un

homme mort nest pas un homme219

En un mot il ny a pas dessence qui ne soit pas il ny a pas non plus dessence pour ce

qui nest pas Degraves lors on peut comprendre que pour Aristote deacuteterminer ce quest une chose

214 Cette hypothegravese requerrait des deacuteveloppements plus approfondis que ce que nous donnons ici agrave titredesquisse Sur la question dun concept aristoteacutelicien dexistence voir entre autres RM Dancy [1986]J Hintikka [1986] GB Matthews [1995] Sur la question de la validiteacute en grec classique dunedistinction entre usage copulatif et existentiel de εἶναι voir CH Kahn [1986] et les articles rassembleacutesdans CH Kahn [2009] (on rappellera que la laquo regravegle de Herman raquo qui fait la distinction entre les deuxusages par laccentuation est extrecircmement tardive cf CH Kahn [1973] p 420-434) Hintikka eacutetend lathegravese agrave lensemble de la distinction fregeo-russellienne (comprenant en outre lidentiteacute et la veacuteriteacute) maisdiscute laspect elliptique de cette thegravese (selon laquelle mecircme les emplois absolus du verbe laquo ecirctre raquo sonten reacutealiteacute preacutedicatifs (voir par exemple p 86 sq) Pour une approche originale cf I Olivo-Poindron[2003] qui enquecircte sur les origines aristoteacuteliciennes de la notion dexistence agrave travers une meacuteditationsur lοὐσῖα et lεἶναι ἁπλῶς et deacuteveloppe lideacutee que sil y a une notion aristoteacutelicienne de lexistenceelle doit ecirctre chercheacutee dans le concept dἐνέργεια et son extension analogique au livre H de laMeacutetaphysique

215 Pour le lieu le vide ou le temps par exemple voir Phys IV 1 208a 28 IV 6 213a 13 IV 10 217b 31 sq

216 Cf S Delcominette [2006] p 529 montre comment la thegravese selon laquelle chez Platon le verbe ecirctre esttoujours deacutetermineacute permet de reacutesoudre les questions sur un usage existentiel ou preacutedicatif de laquo ecirctre raquodans le corpus platonicien Cf en particulier la n 6 Le texte crucial est bien sucircr le Sophiste Sur lesvaleurs copulatives et existentielles de laquo ecirctre raquo chez Platon cf M Dixsaut [1985] p 326 (laquo Platon neconfond pas plus les deux sens du terme son sens dexistence et son sens de copule quil ne lesdistingue raquo) Sur leacutetant et le quelque chose dans le Sophiste cf aussi P Aubenque [1991]

217 Met Z 1 1028a 30-31

218 Sur cette traduction cf F Wolff [2005] p 145

219 Cf par exemple De int 21a 21-23 (et sur ce texte et ses implications cf GEL Owen [1965] p 78)

189

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

cest deacuteterminer comment elle est (existe) comme chose deacutetermineacutee il y a identiteacute entre le ce que

cest dune chose et son mode decirctre220 Contrairement agrave ce que soutenait naguegravere E Gilson

Aristote na pas laquo manqueacute raquo la distinction entre essence et existence bien plutocirct il interroge lecirctre

en-deccedilagrave de cette distinction221 Lexistence nest pas un philosophegraveme de la science de leacutetant en

tant queacutetant ou si lon preacutefegravere lexistence nest pas un laquo ontologegraveme raquo aristoteacutelicien En ce sens

de profonds motifs sopposent agrave la possibiliteacute dun concept ontologique dexistence chez Aristote

si lon entend par lagrave un concept explicite et textuellement theacutematiseacute du pur ecirctre indeacutetermineacute

logiquement et ou reacuteellement distinct de celui dessence

Si donc Alexandre avait favoriseacute leacutemergence dun concept dexistence dans son

interpreacutetation dAristote ce sera ou bien au prix de certains deacuteplacements ou bien au prix dune

compreacutehension pointue et nuanceacutee de ce que veut dire ὕπαρξις Nous allons tenter de montrer

que ces deux voies ne sont pas incompatibles et sont effectivement emprunteacutees par lExeacutegegravete Au

vu de lhistoire ulteacuterieure de lexistence en meacutetaphysique cette question meacuterite quon sy arrecircte

Avant denvisager comment Alexandre fait intervenir ὕπαρξις dans son exeacutegegravese dAristote il

convient donc tout dabord de tenter de cerner plus avant le terme de mesurer sa polyseacutemie pour

deacutecider en quel sens Alexandre lemploie

a) ὕπαρξις avant et chez Alexandre ndash les raisons dune promotion

Dans un article remarquable John Glucker a suffisamment brosseacute lhistoire de ὑπάρχω et

ὕπαρξις pour que lon puisse se limiter ici agrave quelques rappels222 Si ὑπάρχω se lit une fois chez

Homegravere cest surtout un terme de prose classique qui prend principalement deux groupes de

sens premiegraverement commencer et donc ecirctre deacutejagrave lagrave dougrave ecirctre preacutesent exister223 et

deuxiegravemement ecirctre disponible pour ecirctre posseacutedeacute appartenir et le verbe vaut alors pour des

220 Cf les analyses dA Stevens [2000] p 176 laquo Dapregraves ces textes [ie tireacutes de De int 9] la liaison entrelessence et lexistence vient du fait que deacuteterminer la nature ou lessence dune chose cest deacuteterminerson mode dexistence et le type deacutetant quelle constitue raquo On pense eacutegalement agrave Met H 2 1042b 25 sq

221 E Martineau [1997] p 453

222 J Glucker [1994] Le seul reproche que lon pourrait eacutemettre est labsence totale de reacutefeacuterence agraveAlexandre alors quAlexandre est justement lun des initiateurs du statut philosophique de ὕπαρξις

223 Le sens existentiel admet eacutegalement une construction copulative comme auxiliaire J Gluckerdistingue ici le sens temporel qui insiste sur la prioriteacute et le sens existentiel mais note lui-mecircme queces sens sont tregraves proches

190

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

proprieacuteteacutes mateacuterielles tant quabstraites Le verbe nest donc pas radicalement eacutequivoque et lon

discerne aiseacutement les liens entre les diverses significations une preacutesence est ce qui me preacutecegravede

qui commence et mattend soffre ainsi agrave mon action en restant disponible sous la main

Ὑπάρχω bottelle donc lavoir et lecirctre par le nœud du laquo deacutejagrave-lagrave raquo et de lanteacuterioriteacute Cette

anteacuterioriteacute peut ecirctre celle dun premier qui commence et qui commande mais ce peut ecirctre aussi

ce qui reacutesulte dun fonds litteacuteralement primordial De mecircme ce que je possegravede attend peut-ecirctre

son usage actuel mais dune certaine faccedilon ceacutetait de fait deacutejagrave preacutesent

Or cette uniteacute des sens du verbe paraicirct cruciale pour saisir son usage philosophique Chez

Aristote le premier sens reste comme chez Platon agrave leacutetat de vocabulaire non-technique224 Plus

nouveau est chez le Stagirite le second sens dappartenance techniquement travailleacute pour

formuler la proposition preacutedicative en langage rigoureux (Aristote lexprimant rarement sous la

forme laquo S est P raquo sauf pour citer des expressions courantes ou fautives) Degraves lors ὑπάρχω se

prend en autant de sens que le verbe ecirctre autant quil y a de cateacutegories225 Sous forme participiale

le terme deacutesigne logiquement les laquo proprieacuteteacutes raquo par soi ou par accident Mais lon peut se

demander si ce sens technique nest pas eacutegalement lesteacute du sens existentiel lappartenance dun

preacutedicat au sujet signifierait aussi quil est reacuteellement dans le sujet que cest le cas mais

probablement sans une option ontologique tregraves forte226 Enfin Aristote ne se prive pas

demployer voire dinventer des composeacutes ἐνυπάρχω par exemple ou προϋπάρχειν227

De son cocircteacute le substantif ὕπαρξις plus tardif a le sens courant de laquo possession raquo

laquo richesse raquo en revanche tous les autres emplois sont des emplois techniques en grammaire228

par exemple ou en matheacutematiques229 Avant Alexandre le terme au sens de lexistence

apparaicirctrait pour la premiegravere fois non pas chez Philon dAlexandrie comme le soutient J

Glucker mais chez Philodegraveme230 agrave propos de lexistence des dieux Mais cest bien agrave propos de la

224 On le trouve par exemple en Met Θ 2 1046b 10

225 Cf An Pr I 36 48b 2-4 et An Pr I 37 49a 6-9

226 Cest pourquoi la proposition de J Glucker de le traduire par laquo to exist for raquo est sans doute encore tropdeacutetermineacutee

227 Que ne mentionne pas Glucker sans doute parce que la preacuteposition ne fait quexpliciter lun des sensdu verbe mais dont linteacuterecirct philosophique nest pas des moindres Ce composeacute apparaicirct danscertaines propositions cruciales du corpus aristoteacutelicien ougrave on le traduit couramment par laquo preacuteexister raquomecircme quand cela nest pas sans poser problegraveme au niveau du sens par exemple agrave propos de la matiegravereen Z 7 1032b 30-32 passage inteacuteressant qui mecircle προϋπάρχοι ὑπάρξει et ἐνυπάρχει

228 Cf par exemple Apollonius Dyscole Des conjonctions 221 17

229 Chez Diophante par exemple Arithmeticorum libri sex 2 16 et 12 19

230 De Dis 3 col 10 35 Diels De pietate col 22 628 Selon MF Burnyeat [2003] p 14 n 49 le sens

191

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

mecircme question que le terme reparaicirctra chez Philon231 qui distingue agrave plusieurs reprises entre

lοὐσία et la ὕπαρξις de Dieu cest-agrave-dire entre ce que Dieu est et le fait quil soit Selon Philon

en effet lessence de Dieu reste inaccessible agrave lhomme qui peut seulement saisir les puissances

divines qui reacutevegravelent son laquo existence raquo car laquo le fait quIl est peut ecirctre saisi sous le nom dexistence raquo

(τὸ δ ὅτι ἔστιν ὑπάρξεως ὄνοματι καταληπτὸν ὄν)232

Ὕπαρξις renvoie donc clairement agrave une question de fait par opposition agrave la question de

lessence on le lit chez Plutarque dans un contexte logique233 ou tregraves clairement chez Galien

dans lInstitution logique qui oppose les preacutemisses portant sur llaquo existence simple raquo (celle de la

Providence et de lhippocentaure) par diffeacuterence des preacutemisses portant sur lessence234 Agrave chaque

fois il sagit donc de sassurer de la reacutealiteacute dun fait difficile agrave eacutetablir en particulier parce quil

eacutechappe agrave la perception le destin la providence les dieux bref des reacutealiteacutes proprement meacuteta-

physiques (ou agrave tout le moins sur le statut meacutetaphysique desquelles on sinterroge)235 On

retrouve dailleurs exactement ce sens chez Alexandre par exemple au deacutebut de la Mantissa

Περὶ ψυχῆς τί τέ ἐστι καὶ τίς αὐτῆς ἡοὐσία καὶ τίνα αὐτῇ τὰ συμβεβηκότα οὐπρόχειρον οὐδὲ ἐκ τοῦ ῥᾴστου καταμαθεῖνἀλλ ἔστιν τῶν χαλεπωτάτων ἡ περὶ τούτωνθεωρία καίτοι τό γε εἶναι τὴν ψυχὴνγνωριμώτατον καὶ φανερώτατον Ἀλλ ἔστινπολλὰ τῶν ὄντων ἃ τὴν μὲν ὕπαρξιν ἔχειγνωριμωτάτην ἀγνωστοτάτην δὲ τὴνοὐσίαν ὥσπερ ἥ τε κίνησις καὶ ὁ τόπος ἔτιδὲ μᾶλλον ὁ χρόνος ἑκάστου γὰρ τούτων τὸμὲν εἶναι γνώριμον καὶ ἀναμφίλεκτον τίς δέποτέ ἐστιν αὐτῶν ἡ οὐσία τῶνχαλεπωτάτων ὁραθῆναι

Agrave propos de lacircme ce quelle est quelle est sonessence et quels sont ses accidents cela nest ni agrave laporteacutee de tous ni tregraves facile agrave deacutecouvrir au contraireleacutetude de ces choses appartient aux plus ardues bienque le fait que lacircme est soit tregraves connu et tregraves eacutevidentMais parmi les eacutetants nombreux sont ceux dontlexistence est bien connue mais dont lessence estinconnue comme le mouvement et le lieu et plusencore le temps De chacune de ces choses en effetlecirctre est connu et indubitable mais [quant agrave savoir]quelle peut bien ecirctre leur essence cela fait partie deschoses les plus difficiles agrave voir

(Mantissa 101 3-10)

dappartenance est attesteacute avant mais Burnyeat nen cite pas les occurrences

231 De opificio mundi 170 laquo Πρῶτον μὲν ὅτι ἔστι τὸ θεῖον καὶ ὑπάρχει διὰ τοὺς ἀθέους ὧν οἱ μὲνἐνεδοίασαν ἐπαμφοτερίσαντες περὶ τῆς ὑπάρξεως αὐτοῦ οἱ δὲ τολμηρότεροι καὶ κατεθρασύναντοφάμενοι μηδ ὅλως εἶναι raquo

232 De praemiis 40 Sur ce passage (et la lecture ὄνοματι) cf MF Burnyeat [2003] p 15 n 54

233 Plutarque Sur lE de Delphes 386f 3 387c 6

234 Galien Institutio logica II 1 laquo ltΤῶν δὲ προτάσεωνgt ἔνιαι μὲν ὑπὲρ ἁπλῆς ὑπάρξεως ἀποφαίνονταικαθάπερ ὁπόταν εἴπῃς lsquoπρόνοια ἔστιν ἱπποκένταυρος οὐκ ἔστινrsquo [αἴνιγμα] ἢ ltπερὶ τῆς οὐσίαςκαθάπερgt αἱ τοιαίδε lsquoὁ ἀὴρ σῶμά ἐστιν ὁ ἀὴρ οὐκ ἔστι σῶμαrsquo ὑπὲρ δὲ τοῦ μεγέθους lsquoὁ ἥλιοςltποδιαῖός ἐστιν ὁ ἥλιοςgt οὐκ ἔστι ποδιαῖοςrsquo ἔνιαι δὲ ὑπὲρ τῆς ποιότητος lsquoὁ ἥλιος ltφύσει θερμόςἐστιν ὁ ἥλιοςgt οὐκ ἔστι φύσει θερμόςrsquo ἔνιαι δὲ ὑπὲρ τοῦ ltπρόςgt τι lsquoμείζων ἐστὶν ὁ ἥλιος τῆςσελήνης raquo

235 Galien Institutio logica XIV 1

192

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Comme chez Galien et Philon le terme fonctionne par diffeacuterence davec lessence ndash mais il

faut noter que la relation entre essence et existence est ici inverseacutee par rapport agrave Galien Dune

faccedilon peut-ecirctre plus aristoteacutelicienne Alexandre preacutesente un fait connu eacutetabli et cest sur lessence

que va se concentrer la recherche philosophique Ce prologue adopte cependant un ton assez

rheacutetorique et nest donc pas encore suffisant pour eacutetablir leacutemergence de ὕπαρξις comme concept

philosophique

Mais Alexandre emploie eacutegalement le terme dans des textes techniques par exemple

limportante Quaestio I 8 selon laquelle laquo La forme nest pas dans la matiegravere comme en un

substrat raquo ougrave ὕπαρξις deacutesigne ce que la forme rend possible pour la matiegravere236 Le forme en effet

y est dite contribuer agrave lexistence de la matiegravere (laquo ἐν δὲ τῇ ὕλῃ ᾗ συντελεῖ πρὸς ὕπαρξιν raquo 18 7)

parce quelle contribue agrave la subsistance du substrat (laquo συντελεῖ πρὸς τὸ εἶναι ἐν ὑποστάσει raquo 18

6)237 Le terme y est redoubleacute par le participe ὑπάρχον pour deacutesigner le mode decirctre du

particulier en acte La Quaestio I 17 reacutepegravete dans un sens similaire que la matiegravere premiegravere ne

saurait exister sans une forme mais accorde de faccedilon plus eacutequitable que laquo chacune des deux a

besoin de lautre pour ecirctre en acte et dans lexistence raquo238 Lexistence reacutecupegravere donc ici au moins

linguistiquement des concepts typiquement aristoteacuteliciens ce qui existe cest le particulier le

composeacute en acte

Dans le corpus alexandrinien le terme prend aussi un sens plus large qui deacutecoule du

preacuteceacutedent pour deacutesigner le donneacute positif la reacutealiteacute comme ce qui est indeacutependant de ma

perception et de ma penseacutee et qui en fait lobjet contre les sophistes239 Dans le commentaire agrave

Meacutetaphysique Γ 5-6 Alexandre emploie ὕπαρξις pour dire la preacuteexistence des substrats de la

sensation la reacutealiteacute qui se trouve en deccedilagrave de lapparaicirctre240 Que ὕπαρξις fonctionne par

236 Quaestio I 8 18 4-9

237 Sur cette thegravese cf ci-dessous sect 322 et 323

238 Quaestio I 17 30 4-6 laquo οὔτε γὰρ τὴν ὕλην χωρὶς εἴδους οἷόν τε ἐν ὑποστάσει εἶναι οὔτε τὸ εἶδοςἄνευ τῆς ὕλης ἑκάτερον γὰρ αὐτῶν τοῦ ἑτέρου δεῖται πρὸς τὸ εἶναι ἐνεργείᾳ τε καὶ ἐν ὑπάρξει raquo

239 Cf par exemple In Met 326 5-9 laquo Καὶ ἔτι ὁ λέγων εἰ ἐν τῷ δοξάζεσθαι ἑκάστῳ τῶν ὄντων ἐστὶ τὸεἶναι μὴ ὄντος γε τοῦ δοξάσαντος οὐδὲν ἔσται ὥστε ἀναιρεθέντος ζῴου οὐδὲν ἄλλο εἴη καὶσυμφθείροιτο ἂν τῷ δοξάζοντι φθειρομένῳ ἡ ὕπαρξις τῶνδε ὧν ἐδόξαζεν ὡς εἴπομεν ἤδη raquo laquo Enoutre il y a largument selon lequel si cest dans le fait decirctre objet dopinion que reacuteside son ecirctre pourchaque eacutetant alors sil ny a personne pour avoir une opinion rien nexistera Degraves lors en supprimantlanimal rien dautre nexistera et avec la destruction du sujet opinant sera eacutegalement supprimeacuteelexistence de tout ce sur quoi il a eu une opinion comme nous lavons deacutejagrave dit raquo

240 Cf par exemple In Met 316 9 et 25 et In Met 323 7-10 laquo Ῥᾴδιον δέ ὅτι μὴ ἔστιν ἐν τῷ φαίνεσθαιτοῖς οὖσι τὸ εἶναι καταμαθεῖν καὶ ἐκ τοῦ τὰ μὲν πρός τι ἅμα εἶναι τῇ φύσει μὴ συναναιρεῖσθαι δὲτῷ δοξάζοντι τὴν τῶν δοξαζομένων οὐσίαν τε καὶ ὕπαρξιν raquo laquo Mais il est eacutegalement facile de

193

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

opposition au simple apparaicirctre est confirmeacute par dautres passages qui la rangent du cocircteacute du

πρᾶγμα241 Mais ὕπαρξις se rapproche eacutegalement du sens cateacutegorial de lοὐσία et sert agrave dire la

primauteacute de lοὐσία dans lordre des ecirctres ou le mode decirctre quasi-substantiel des artefacts242

Agrave chaque fois donc ὕπαρξις a agrave avoir avec οὐσία soit pour sen distinguer (quand οὐσία

signifie lessence sur le modegravele de la distinction entre εἰ ἔστιν et τί ἐστιν) soit pour se

rapprocher de son sens large (ce qui est la reacutealiteacute) ou de son sens de premiegravere cateacutegorie Le terme

paraicirct donc avoir un statut notionnel dans le vocabulaire alexandrinien bien quil ne soit pas

theacutematiseacute comme tel Malgreacute la diversiteacute de ses usages il renvoie communeacutement agrave llaquo existence raquo

certes mais entendue comme laquo le fait que ce soit le cas raquo la factualiteacute par exemple le factum

brutum243 du particulier sensible dont lexistence simpose agrave moi ou encore lactualiteacute dun eacutetat de

fait (un complexe substance-accident)244 La liaison avec lοὐσία comprise comme substance

seacuteclaire alors dire quune chose laquo existe raquo ou est laquo dans lexistence raquo cest dire soit quelle

compose une substance soit quelle est une substance (pour laquelle on peut sinterroger sur ce

quelle est ou si elle est) ou encore quelle est le preacutedicat dune substance agrave laquelle elle

appartient Il ny a donc pas radicale eacutequivociteacute entre le sens dit laquo existentiel raquo ou factuel et le

sens dappartenance que le terme a surtout dans le Commentaire aux Premiers Analytiques Si lon

prend le terme dappartenance au sens reacutealiste comme on a pu le faire deacutejagrave chez Aristote alors

comprendre que lecirctre des eacutetants ne consiste pas dans leur apparaicirctre agrave partir du fait que tandis que lesrelatifs sont par nature simultaneacutes la substance et lexistence des objets de croyance ne sont passupprimeacutees avec celui qui y croit raquo

241 Cf par exemple In Met 431 20 ndash 432 5 et surtout In Meteor 131 23 Cf aussi In De sensu 63 20

242 Cf In Met 359 33 ndash 360 1 laquo Διὸ καὶ τὸ κατὰ τέχνην γινόμενον εἶδος οὐσίαν ὂν τῶν ἔργων τῶντεχνητῶν οὕτω καλοῦσιν ἕκαστον γὰρ καὶ τούτων οἰκείαν τινὰ οὐσίαν καὶ ὕπαρξιν ἔχει ἣ καὶαὐτὴ φύσις καλεῖται εἶδος ὂν αὐτῶν διὸ καὶ λέγεται οἰκείαν ἔχειν οὐσίαν raquo laquo Cest pourquoi onappelle laquo nature raquo la forme qui advient par la technique parce quelle est la substance des objetstechniques Chacun de ces objets en effet possegravede aussi une certaine substance propre et uneexistence quon appelle aussi laquo nature raquo parce quelle est la forme de ces objets ndash et cest pourquoi ilssont dits avoir une substance propre raquo Cf aussi In Met 387 8-12 laquo Φησὶ δέ ἐπεὶ τὸ εἶναι πλεοναχῶς(δεκαχῶς γάρ) τὸ κατὰ τὸ εἶναι πρῶτον καὶ κατὰ τὴν ὕπαρξίν φησιν εἶναι τὸ πᾶσιν ὑποκείμενοντοῖς ἄλλοις τοιοῦτον δὲ τὴν οὐσίαν εἶναι καθὸ γὰρ συναναιρεῖ μὲν μὴ συναναιρεῖται δέ πρώτητῶν ἄλλων Ἀλλὰ καὶ καθὸ ὑπόκειται καὶ καθὸ τἆλλα ἔστι τῷ ἐν ταύτῃ ὑποκειμένῃ εἶναι μάλιστακαὶ πρῶτον ὄν raquo laquo laquo[Aristote] dit en outre que puisque lecirctre [se dit] en plusieurs sens (agrave savoir endix sens) ce qui est premier selon lecirctre et selon lexistence est selon lui substrat pour toutes les autreschoses ndash et telle est la substance car dans la mesure ougrave [si] on supprime [tout le reste] elle nest passupprimeacutee elle est la premiegravere de tout le reste Mais cest agrave la fois dans la mesure ougrave elle est sous-jacente et ougrave les autres choses sont parce quelles reacutesident en ce substrat quelle est un eacutetant suprecircme etpremier raquo Voir aussi In Met 399 12-19

243 Nietzsche Geacuteneacutealogie de la morale III sect 24

244 Pour une occurrence temporelle de ὕπαρξις cf In Met 385 29

194

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

cela voudrait dire que 1) construit avec double reacutegime datifgeacutenitif ὕπαρξις signifie loccurrence

de x en y et 2) sans compleacutement ὕπαρξις deacutesigne loccurrence ndash au sens anglo-saxon ndash dune

chose

Or si avant Alexandre le terme est assez peu employeacute245 il prend toutefois une veacuteritable

ampleur dans le deacutebat philosophique de son eacutepoque ndash chez Sextus246 ou Galien par exemple ndash et

il est donc leacutegitime de sinterroger sur les raisons dune telle promotion en se demandant si ses

emplois par diffeacuterents auteurs favorisent leacutemergence dun sens unique Dans une note agrave son

article sur les traductions latines dοὐσία247 J-F Courtine eacutevoque ainsi lideacutee selon laquelle la

traduction dοὐσία par substantia est lieacutee agrave la traduction au sein du grec dοὐσία en ὕπαρξις

Comme on la deacutejagrave eacutevoqueacute248 pour J-F Courtine en effet agrave la peacuteriode post-helleacutenistique la

laquo preacutesence raquo devient penseacutee en termes de laquo fait raquo quil faut eacutetablir et sur lequel on peut construire

le discours (quil soit judiciaire physique etc) Cette thegravese demande agrave ecirctre nuanceacutee et ne peut ecirctre

geacuteneacuteraliseacutee agrave lensemble du vocabulaire ontologique mais en lespegravece les occurrences de

ὕπαρξις que nous avons trouveacutees chez Philon Galien ou Alexandre vont dans ce sens Il est donc

naturel de ce point de vue que le vocable laquo ὕπαρξις raquo soit reacuteguliegraverement employeacute dans les

questions sur lecirctre et le mode decirctre de ces choses dont nous savons quelles sont mais qui

nexistent pas agrave la maniegravere des corps sensibles telles les ideacutees les cateacutegories le temps lacircme les

universaux mais aussi (voire surtout) les objets matheacutematiques249 ndash comme en teacutemoigne

Alexandre lui-mecircme250 reacutecupeacuterant un terme sans doute diffuseacute par le Portique

Si ὕπαρξις ne se lit que dans des teacutemoignages plus tardifs le verbe ὑπάρχω quant agrave lui

est clairement attesteacute degraves les premiers stoiumlciens Le verbe intervient en effet agrave la fois dans la

deacutefinition par Zeacutenon de la φαντασία καταληπτικὴ dans la deacutefinition de la veacuteriteacute ou dans les

questions du mode decirctre des incorporels et en particulier celui des exprimables251 Sans quil soit

ici neacutecessaire de trancher la poleacutemique sur la signification du verbe en lien avec un passage de

245 On le lit certes dix-huit fois chez Philon mais cest dans une œuvre pour le moins prolifique

246 Par exemple PH II 14 M VIII 453

247 J-F Courtine [1980] [2003a] p 74 n 1

248 Cf ci-dessus sect 113a

249 Cf DP Taormina [1994]

250 Sur lexistence du vide et du non-eacutetant etc Cf In Met 35 24 ndash 36 3 Mantissa 172 12 Quaestio 10611 etc

251 Voire respectivement Sextus Empiricus M VII 248 (dans cette deacutefinition Ciceacuteron traduit ὑπάρχονpar id quod est) M VIII 10 DL VII 63 (= SVF II 181) et Sextus M VIII 70

195

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Plutarque sur le temps252 agrave tout le moins peut-on repeacuterer ceci de clair dans la deacutefinition de la

veacuteriteacute ou de la φαντασία καταληπτικὴ le terme ὑπάρχον fait toujours signe vers ce qui est

reacuteellement actuellement avec lideacutee dun laquo eacutetat de choses raquo (plus que dune entiteacute exteacuterieure) Le

terme peut en outre deacutesigner agrave la fois ce qui est doteacute de ce mode decirctre que ce qui est fondeacute dans

un tel mode decirctre De mecircme dans les passages de Sextus contenant ὕπαρξις et visant les

stoiumlciens on trouve ce sens de la reacutealiteacute extra-mentale dun eacutetat de choses Mais si ὑπάρχον

deacutesigne effectivement le mode decirctre des corps il peut aussi renvoyer agrave lecirctre des incorporels au

sens ougrave ils sont actuellement instancieacutes dans quelque chose253 Il en va ici comme il en va pour

ὑπόστασις le champ lexical de lὑπάρχειν demeure suffisamment labile pour sadapter agrave des

contextes et des niveaux ontologiques diffeacuterents Les auteurs de la peacuteriode post-helleacutenistique et

de lAntiquiteacute tardive y trouvent un moyen dexprimer leur propre conception du laquo reacuteel raquo de ce

qui nous est donneacute factuellement indeacutependamment du bon-vouloir du sujet ndash que lon deacutesigne

par lagrave les corps les Ideacutees ou le composeacute hyleacutemorphique

Reacutecapitulons cette bregraveve esquisse de lhistoire de ὕπαρξις reacutevegravele une option ontologique

plus forte que celle que ne laissait preacutesager lemploi classique du verbe correspondant Le

substantif naicirct clairement dans des circonstances ougrave il sagit de sinterroger sur ou de prouver le

fait quune chose (Dieu le vide etc) est Si les emplois dans les diffeacuterentes eacutecoles reacutevegravelent des

conceptualisations distinctes lideacutee demeure dun fondement actuel extra-mental

Propre agrave Alexandre serait bien plutocirct le geste consistant agrave reacuteinteacutegrer ce terme dans une

science de leacutetant en tant queacutetant en reacuteaffirmant contre le divorce stoiumlcien entre leacutetant et le

quelque chose254 que nexiste que ce qui est cest-agrave-dire qui est quelque chose Deux

conseacutequences deacutecoulent de cette thegravese

Quoique donc le terme ne soit pas dorigine alexandrinienne son statut dinstrument

ontologique est bien un acquis de lExeacutegegravete Il est difficile de penser que la thegravese porphyrienne de

lexistence comme laquo ecirctre raquo indeacutetermineacute donc dun lien fort entre ὕπαρξις et εἶναι na pas lune de

ses racines chez Alexandre ne serait-ce quen en faisant loutil de deacuteveloppements

ontologiques255 Sauf erreur aucun autre auteur passeacute ou contemporain navait jusquagrave

252 Plutarque De Comm Not 41 1081f Cf P Hadot [1969] et V Goldschmidt [1972]

253 Cf D Sedley [2005b] p 86 Sur les exprimables voir aussi AA Long [1971] et sur lexistence et lasubsistance V Caston [1999] p 152 sq

254 Cf le texte anti-stoiumlcien deacutejagrave citeacute de In Top 301 19 laquo πᾶν γὰρ τὸ ἐν ὑπάρξει ὂν καὶ ὂν καὶ ἕν ἐστιν raquo

255 On revient sur cette question ci-dessous sect 224

196

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Alexandre inteacutegreacute ὕπαρξις agrave une science ni mecircme agrave une reacuteflexion geacuteneacuterale sur lecirctre et leacutetant

Seulement dans tous les exemples que nous venons de voir et agrave la diffeacuterence de

Porphyre Victorinus ou Damascius lExeacutegegravete emploie ὕπαρξις pour deacutesigner la factualiteacute dune

substance deacutetermineacutee ou celle dune deacutetermination de la substance qui tient son ecirctre delle Si

Alexandre ne seacutepare pas ecirctre et substance et encore moins existence et essence il ouvre malgreacute

tout la voie agrave une penseacutee de lexistence comme nue entiteacute en eacutetant deacutesormais en mesure

dexprimer et mecircme de theacutematiser ce qui dans la chose correspond au fait quelle soit Cest lagrave

ce que confirment les commentaires agrave Γ 2 agrave propos de lidentiteacute de leacutetant et de lun et Δ 7 agrave

propos du sens laquo par soi raquo de lecirctre

b) Le commentaire agrave Γ 2 leacutetant et lun

La question de lidentiteacute entre eacutetant et un nest pas pour Alexandre quune question

dexeacutegegravese locale mais constitue un point litteacuteralement crucial Elle figure en effet un carrefour du

chapitre Γ 2 et reacutepond plus geacuteneacuteralement agrave limpeacuteratif de coordination des divers objets de la

meacutetaphysique que semble secirctre fixeacute lExeacutegegravete ndash et dont teacutemoignent amplement les proegravemes aux

commentaires de Γ et Δ Le plan du commentaire agrave Γ 1-3256 montre en effet combien cest agrave partir

de cette thegravese quAlexandre comprend tout le reste du chapitre Γ 2 Le commentaire agrave 1003b 33

eacutetablit ainsi que non seulement les espegraveces de leacutetant sont au mecircme nombre que les espegraveces de

lun mais en outre que les espegraveces de lun sont les espegraveces de leacutetant en tant queacutetant et font donc

lobjet de la philosophie257 Agrave partir de lagrave peuvent sinteacutegrer agrave ce champ tous les opposeacutes et les

contraires agrave lun ce qui justifie finalement luniversaliteacute de la meacutetaphysique258 qui est reacutepeacuteteacutee en

conclusion du commentaire au chapitre259 Alexandre a donc probablement entrevu que lidentiteacute

entre eacutetant et un est plus quune theacutematique ou un champ de recherche parmi dautres pour la

science de leacutetant en tant queacutetant et constitue une question structurante pour lobjet et la

possibiliteacute mecircme de cette science260 Or cest agrave loccasion du commentaire de cette thegravese

256 Donneacute ci-dessous sect 241

257 In Met 249 33 sq

258 In Met 261 19 sq

259 In Met 264 24 sq

260 L Couloubaritsis souligne aussi la circulariteacute par exemple qui se manifeste dans lemploi des notionsdrsquoidentiteacute et de diffeacuterence agrave propos de leacutetant et de lun cf L Couloubaritsis [1983] p 66

197

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

quAlexandre explicite le sens de leacutetant par ὕπαρξις Rappelons le texte dAristote commenteacute par

Alexandre261

Εἰ δὴ τὸ ὂν καὶ τὸ ἓν ταὐτὸν καὶ μίαφύσις τῷ ἀκολουθεῖν ἀλλήλοις ὥσπερ ἀρχὴκαὶ αἴτιον ἀλλ οὐχ ὡς ἑνὶ λόγῳ δηλούμενα(διαφέρει δὲ οὐθὲν οὐδ ἂν ὁμοίωςὑπολάβωμεν ἀλλὰ καὶ πρὸ ἔργου μᾶλλον)ταὐτὸ γὰρ εἷς ἄνθρωπος [καὶ ἄνθρωπος]262καὶ ὢν ἄνθρωπος καὶ οὐχ ἕτερόν τι δηλοῖκατὰ τὴν λέξιν ἐπαναδιπλούμενον τὸ ἔστινἄνθρωπος ἄνθρωπος καὶ τὸ ἔστινἄνθρωπος263

Si donc leacutetant et lun sont identiques et une seulenature en ce quils se suivent lun lautre comme lefont principe et cause mais non parce quils sontdeacutesigneacutes par une unique notion (dailleurs cela nechangerait rien que nous les concevions de cettemaniegravere et ce serait mecircme plus pratique) car il y aidentiteacute entre laquo un humain raquo laquo humain raquo et laquo ecirctrehumain raquo et le redoublement dans lexpression laquo l264

humain est humain raquo et laquo lhumain est raquo nindiquerien de diffeacuterent

(Met Γ 2 1003b 22-29)

Avant ce texte Aristote a entrepris de deacuteterminer les objets de la science de leacutetant en tant

queacutetant Apregraves avoir souligneacute que leacutetude du philosophe portera sur lοὐσία eacutetant donneacute sa

primauteacute265 Aristote deacuteveloppe lideacutee que parce que laquo eacutetant raquo et laquo un raquo sont des preacutedicats qui

simpliquent toujours mutuellement alors la science qui eacutetudie leacutetant en tant queacutetant eacutetudiera

aussi lun Le passage citeacute est le cœur de largument selon lequel leacutetant et lun sont identiques

laquo la mecircme chose et une seule nature raquo Largument dAristote est pour le dire vite

indissociablement linguistique et ontologique266 et doit tregraves probablement ecirctre compris dans son

rapport agrave la theacuteorie acadeacutemicienne de lunivociteacute de lIdeacutee de lUn et au danger du monisme

parmeacutenidien quexplicitait davantage la onziegraveme aporie de B267 Mais afin de mettre en lumiegravere

linterpreacutetation alexandrinienne il importe de noter que lidentiteacute professeacutee entre leacutetant et lun est

ici exigeacutee pour les besoins de largumentation qui autorisent dans ce contexte agrave minimiser la

diffeacuterence qui demeure entre les deux notions268 On ne saurait tenir pour rien cette diffeacuterence

entre eacutetant et un quAristote maintient sans doute par manœuvre anti-acadeacutemicienne La nuance

se lit encore au livre I laquo lun signifie en quelque sorte (πως) la mecircme chose que leacutetant raquo269 et

comme le preacutecise ici Aristote lun et leacutetant diffegraverent par leur λόγος Il convient donc de rendre

compte de cette identiteacute entre leacutetant et lun tout en expliquant leur diffeacuterence par leur λόγος

Cest agrave reacutesoudre ce problegraveme que sattache Alexandre dans son commentaire

261 Nous essayons donc ici de donner le texte lu par Alexandre dans la mesure du possible eu eacutegard auxheacutesitations parallegraveles du texte aristoteacutelicien et de celui dAlexandre ndash les manuscrits A et L (Ab) donnantaussi pour le Commentaire des leccedilons distinctes Sur le texte dAristote outre les apparats critiques deRoss et Jaeger voir en particulier B Cassin M Narcy [1998] p 164-165 M Hecquet-Devienne [2008]p 108

262 Cf la citation en 247 33-34

198

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Pour comprendre tout dabord lidentiteacute de lun et de leacutetant Alexandre use de lanalogie

avec principe et cause quil interpregravete en un sens strict pour lExeacutegegravete lanalogie ne porte pas

seulement sur le fait positif quils laquo se suivent lun lautre raquo mais aussi sur leur diffeacuterence Or

selon lui principe et cause sont identiques au sens ougrave il se disent des mecircmes choses ce qui est

principe est aussi neacutecessairement cause et reacuteciproquement

Λέγει δὲ τὸ ἓν τῷ ὄντι οὕτω ταὐτὸν εἶναιὡς ἔστι ταὐτὰ ἀρχή τε καὶ αἴτιον Ὡς γὰρταῦτα ἀμφότερα μὲν [24710] ἀκολουθεῖ τεἀλλήλοις καὶ κατὰ τοῦ αὐτοῦ κατηγορεῖται(ὃ γὰρ ἀρχή τοῦτο καὶ αἴτιον καὶ ὃ αἴτιοντοῦτο καὶ ἀρχή) ἄλλος μέντοι λόγος αὐτοῦκαὶ ἄλλη ἐπιβολὴ τῆς διανοίας καθὸ ἀρχὴλέγεται καὶ ἄλλος καθὸ αἴτιον (ἡ μὲν γὰρἀρχὴ καθὸ πρῶτόν ἐστι τοῦ οὗ ἐστιν ἀρχήκαὶ καθὸ ἐξ αὐτοῦ τὰ ὧν ἐστιν ἀρχή τὸ δὲαἴτιον καθό ἐστι δι αὐτὸ τὸ οὗ αἴτιον ἄλλο[24715] δὲ τὸ ἐξ οὗ ἐστι καὶ ἄλλο τὸ δι ὅ)οὕτω δή φησιν ἔχειν πρὸς ἄλληλα τό τε ὂνκαὶ τὸ ἕν

ltAristotegt dit en outre que lun est identique agraveleacutetant comme le sont le principe et la cause De mecircmeen effet que ces deux derniers se suivent lun lautre etse preacutediquent dune mecircme chose (car ce qui estprincipe est aussi cause et ce qui est cause est aussiprincipe) et que toutefois leur notion diffegravere cest-agrave-dire quautre est lintention de la penseacutee quand on ditlaquo principe raquo et autre quand on dit laquo cause raquo (en effet lton parle degt principe quand il est le premier de cedont il est principe et quand cest agrave partir de lui quesont les choses dont il est principe et lton parle degtcause quand cest par elle quest ce dont elle est causeOr cest une chose dlaquo ecirctre agrave partir de raquo une autred laquo ecirctre par raquo) de mecircme affirme-t-il lun et leacutetant secomportent-ils lun vis-agrave-vis de lautre

(In Met 247 8-16)

Par-delagrave le caractegravere discutable de cette affirmation270 linterpreacutetation dAlexandre tient

263 Que nous deacuterivons agrave partir de 247 4 ndash 248 1 laquo τὸ ἔστιν ἄνθρωπος ἄνθρωπος οὐχ ἕτερόν τι σημαίνειτοῦ ἔστιν ἄνθρωπος ἁπλοῦ raquo Mais on peut se demander si Alexandre na pas une autre version sousles yeux car dans la suite du commentaire (248 5-8) il parle de laquo redoublement raquo (ἐπαναδίπλωσις)entre laquo ὤν ἐστιν ἄνθρωπος raquo et laquo ἕν ἐστιν ἄνθρωπος raquo (ou laquo εἷς ἐστιν ἄνθρωπος raquo 248 11) Lareacutepeacutetition de laquo ἔστιν ἄνθρωπος ἄνθρωπος raquo est confirmeacutee en 248 12 (alors quelle est absente de nosmanuscrits dAristote) Contrairement agrave nos manuscrits dAristote qui tous (mais sous des formesdiffeacuterentes) reacuteintroduisent ici laquo εἷς raquo Alexandre est contraint agrave davantage dacrobaties hermeacuteneutiquespour expliquer le lien de cet exemple de redoublement avec la thegravese de lidentiteacute de lun et de leacutetantCest peut-ecirctre alors cela et non la diversiteacute des leccedilons quil a sous les yeux qui expliquent sa doubleinterpreacutetation

264 Il ny pas darticle dans le texte grec mais si lon traduisait par laquo un homme raquo la traduction en diraitplus que le texte-source

265 Si lon accepte le deacuteplacement du passage 1003b 19-22 apregraves 1004a 2

266 Pour les passages parallegraveles cf Met I 2 1054a 13-19 H 6 1045a 36 ndash b 7 et les commentaires quendonne A Stevens [2000] p 172

267 Met B 1 996a 4-9 et B 4 1001a 4-8 Cf larticle classique de E Berti [1979]

268 Cf L Couloubaritsis [1983] p 86

269 Meacutet I 2 1054a 13 La question est de savoir quel sens a ici laquo signifier raquo est-ce le sens preacute-aristoteacuteliciendindiquer renvoyer agrave ou le sens quinstitue Aristote de signifier comme laquo avoir un sens raquo (sans quecela deacutenote neacutecessairement un eacutetat du monde)

270 Alexandre peut justifier la thegravese selon laquelle toute cause est aussi principe gracircce agrave Δ 1 1013a 17 Maison peut sinterroger sur la reacuteciproque il nest pas certain quAristote admette que tout principe soit

199

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

comme de juste agrave son effort deacutejagrave eacutevoqueacute de systeacutematisation et de stabilisation du lexique Une

fois souligneacutee lidentiteacute entre principe et cause reste encore agrave eacutetablir leur diffeacuterence Lisant

lanalogie en un sens fort Alexandre se sert deacutejagrave de la diffeacuterence quAristote va eacutenoncer entre un

et eacutetant pour distinguer principe et cause Ils diffegraverent par le λόγος ce quAlexandre interpregravete

comme signifiant laquo ἐπιβολὴ τῆς διανοίας raquo un projet de penseacutee la faccedilon dont la penseacutee

discursive sapplique ou pour reprendre un terme meacutedieacuteval271 lintention de la penseacutee Cet

emploi par Alexandre de διανοία se fait probablement par opposition agrave la λέξις du texte

aristoteacutelicien de 1003b 27272 La penseacutee lorsquelle preacutedique de quelque chose son caractegravere de

laquo principe raquo vise la primauteacute du principe pour signifier la relation de provenance entre le

principe et son objet On parlera en revanche de cause pour signifier que leffet est ou est ce quil

est par sa cause et la reacutepeacutetition eacutetant ineacutevitable en franccedilais agrave cause de sa cause273 Bref pour

conjuguer identiteacute et diffeacuterence du principe et de la cause Alexandre utilise ce que nous

pourrions appeler une distinction entre extension et compreacutehension Principe et cause deacutesignent

des choses laquo heacuteteacuteronymes raquo cest-agrave-dire selon la deacutefinition quen donne Alexandre des choses

qui ont des noms diffeacuterents chaque nom renvoyant agrave une essence ou une intention diffeacuterente

mais ayant strictement la mecircme extension comme laquo lindivisible et le plus petit la semence et la

graine la monteacutee et la descente raquo274

Degraves lors quAlexandre a insisteacute sur lanalogie entre principe et cause dune part et eacutetant et

un dautre part il peut appliquer le mecircme scheacutema explicatif agrave leacutetant et lun Notre passage

commence donc par eacutetablir lidentiteacute en extension de lun et de leacutetant

cause Il faudrait ici comparer les extensions du principe et de la cause en Δ 1 et 2 Cf aussi Λ 4 1070b23-24 la causaliteacute se divise entre principes et eacuteleacutements Cf A Stevens [2000] p 36-41

271 Cf par exemple Guillaume dAuvergne De Trinitate Prol 2 sur les laquo intentions raquo exprimeacutees par leverbe ecirctre

272 Et lon pourrait sinterroger sur le caractegravere eacuteventuellement stoiumlcien dune telle compreacutehension ducouple (certes dorigine aristoteacutelicienne) λέξις-διανοία

273 Sur cette distinction cf aussi In Met 24 29-25 1 Sur le principe comme ὅθεν chez Aristote cf Δ 11013a 17-19 Sur la cause comme διότι cf les An Po 78a 22 90a 6-7 90a 32-35 etc

274 Le terme napparaicirct pas chez Aristote Pour Alexandre cf In Met 247 22-24 378 13-14 et 379 20-22 laquo δύναται διαφέροντα λέγειν καὶ ὅσα κατὰ τὸ ὑποκείμενον ὄντα ταὐτά κατὰ τὴν οὐσίαν καὶ τὸνὁρισμὸν ἔχει τὴν ἑτερότητα ὡς ἔχει τὰ ἑτερώνυμα raquo Cf aussi In Top 398 2 405 6 475 16

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Καθ ὧν μὲν γὰρ θάτερον πάντως καὶθάτερον διὸ καὶ ἀμφότερα τῶν πολλαχῶςλεγομένων ἐστὶ τῶν ὡς εἴρηκε πρὸς ἓν καὶπρὸς μίαν φύσιν λεγομένων κατὰ διάφορονδὲ ἐπίνοιαν τό τε ὂν καὶ τὸ ἓν κατηγοροῦμενδιὰ μὲν τοῦ ὂν εἰπεῖν τι τὴν ὕπαρξινσημαίνοντες αὐτοῦ [24720] διὰ δὲ τοῦ ἓν τὸνἀπὸ τῶν ἄλλων χωρισμὸν καὶ τὸν ἀπὸ τοῦπλήθους ἅμα δὲ ὄν τί ἐστι καὶ διαφέρον τῶνἄλλων καὶ ἔστιν ἓν καὶ οὐ πλῆθος

Les choses en effet auxquelles lton attribuegt lepremier275 lton leur attribuegt aussi totalement lesecond Cest pourquoi comme il la dit tous deuxappartiennent aux choses qui parmi celles qui sedisent en de multiples sens se disent relativement agraveune uniteacute cest-agrave-dire relativement agrave une uniquenature Mais cest en vertu dune intention diffeacuterenteque nous attribuons leacutetant et lun en disant dequelque chose quil est un eacutetant nous signifions sonexistence et en disant quil est un nous signifions saseacuteparation davec toute autre chose et davec lemultiple Mais tout agrave la fois276 ltcette chosegt est uneacutetant diffegravere des autres choses est une et nest pasmultiple

(In Met 247 16-21)

Une fois rappeleacutee lidentiteacute en extension Alexandre en deacuteduit queacutetant et un sont tous

deux plurivoques puisque luniverselle extension de leacutetant a pour contrepartie quil ne peut ecirctre

dit en un seul sens Mais comme le rappelle Alexandre bien que plurivoque leacutetant nest pas

pour autant un homonyme ndash et ainsi en ira-t-il pour lun Il est dailleurs eacutetonnant quAlexandre

renforce cette thegravese par un laquo ὡς εἴρηκε raquo ce quAristote laquo a dit raquo est que leacutetant relegraveve des laquo πρὸς

ἓν καὶ πρὸς μίαν φύσιν λεγομένων raquo au deacutebut du chapitre mais on serait bien en peine de

trouver un passage anteacuterieur dans le chapitre eacutenonccedilant en toute lettre la plurivociteacute de lun

Laffirmation indique combien la meacutecanique de la convertibiliteacute est en marche luni-reacutefeacuterentialiteacute

de lun deacutecoule neacutecessairement de son identiteacute avec leacutetant une fois que cette identiteacute est

comprise comme identiteacute en extension

Reste donc agrave expliquer la diffeacuterence entre leacutetant et lun Certes dans lensemble de son

commentaire Alexandre inaugure sans doute une lecture qui force la convertibiliteacute entre eacutetant et

un Neacuteanmoins comme on le voit dans ce passage lExeacutegegravete maintient une diffeacuterence laquo logique raquo

entre eux interpreacuteteacutee en terme dintention de penseacutee ou de signification cest ce que dit le terme

laquo ἐπίνοια raquo qui est agrave lire comme la contraction de lexpression preacuteceacutedente d laquo ἐπιβολὴ τῆς

διανοίας raquo Tout le dispositif hermeacuteneutique est donc precirct lanalogie avec principe et cause la

deacutefinition du logos en terme dintention de penseacutee et la distinction entre identiteacute en extension et

diffeacuterence en compreacutehension Cest cet ensemble qui explique la proposition centrale

Cest en vertu dune intention diffeacuterente que nous attribuons leacutetant et lun en disant de

275 Lun ou leacutetant

276 Et non pas laquo en mecircme temps raquo ou laquo simultaneacutement raquo car il nest pas question ici de pheacutenomegravenes seproduisant au mecircme instant

201

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

quelque chose quil est un eacutetant nous signifions son existence et en disant quil est unnous signifions sa seacuteparation davec toute autre chose et davec le multiple

En premier lieu il convient ici de nuancer lideacutee dune stricte synonymie (au sens

moderne) entre laquo eacutetant raquo et laquo existence raquo dune part et laquo un raquo et laquo seacuteparation raquo dautre part

Leacutequivalence entre les termes est davantage fonctionnelle Alexandre propose manifestement

quelque chose comme des termes voisins de laquo eacutetant raquo ou laquo un raquo afin de mieux distinguer

lintention avec laquelle nous employons ces preacutedicats En ce sens laquo σημαίνω raquo na pas ici le sens

fort dune deacutefinition mais dit lintention avec laquelle nous preacutediquons laquo eacutetant raquo ou laquo un raquo277

Il y a dans tous les eacutetants une double dimension le fait decirctre et luniteacute qui leur

appartient en tant queacutetants parce que leacutetant et lun se suivent et quils relegravevent donc de la mecircme

science cest dailleurs ainsi quAlexandre comprend la clause aristoteacutelicienne selon laquelle

consideacuterer leacutetant et lun comme laquo ἑνὶ λόγῳ δηλούμενα raquo serait mecircme plus pratique

L Couloubaritsis a montreacute combien cette parenthegravese reacutevegravele paradoxalement que la diffeacuterence

entre leacutetant et lun constitue un obstacle pour la science de leacutetant en tant queacutetant et que

laffirmation de leur identiteacute relegraveve donc au fond davantage de laquo lhypothegravese de travail raquo278

Alexandre comprend au contraire la clause agrave travers le prisme de la distinction entre

heacuteteacuteronymes et polyonymes laquo lesquels ont plusieurs noms mais dont chaque nom a la mecircme

deacutefinition raquo (ὧν πλείω μὲν ὀνόματα καθ ἕκαστον δὲ τῶν ὀνομάτων ὁ αὐτὸς λόγος 247 27-

28) Dans ce dernier cas leacutetude de leacutetant et lun laquo relegraveverait encore davantage de la mecircme

science sils diffeacuteraient seulement par le nom raquo (ἔτι γὰρ μᾶλλον τῆς αὐτῆς ἐπιστήμης ἔσται ὁ

περὶ ἑκατέρου αὐτῶν λόγος εἰ μόνον κατὰ τὸ ὄνομα διαφέροιεν 247 31-32) Le controcircle de

leur diffeacuterence est donc dans le dispositif alexandrinien absolument neacutecessaire pour maintenir

luniteacute de la meacutetaphysique et la structure de son champ

Quoique leur diffeacuterence reacuteside plus que dans le seul nom elle tient au fond simplement agrave

deux maniegraveres distinctes de deacutecrire la mecircme laquo nature sous-jacente raquo (laquo κατὰ τὴν ὑποκειμένην

φύσιν raquo 247 26-27) Lexistence et la seacuteparation nindiquent pas un attribut particulier de la chose

qui la distingue dune autre et eacuteventuellement la rapproche dune autre Ils disent ce qui fait

dune chose une chose Si Alexandre inaugure donc la compreacutehension de ce passage de Γ 2 en

termes de rapport entre essence et existence cest donc de faccedilon lointaine Cette ideacutee reste sans

277 Les deux termes sont en effet ici comme plus loin envisageacutes comme des preacutedicats (cf par exemple InMet 248 26)

278 Cf L Couloubaritsis [1983] p 86

202

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

aucun doute agrave leacutetat de piste dans le commentaire dAlexandre agrave Γ 2 et se voit davantage fondeacutee

par celui agrave Δ 7

c) Meacutetaphysique Δ 7 et son commentaire par Alexandre

Καθ αὑτὰ δὲ εἶναι λέγεται ὅσαπερσημαίνει τὰ σχήματα τῆς κατηγορίαςὁσαχῶς γὰρ λέγεται τοσαυταχῶς τὸ εἶναισημαίνει Ἐπεὶ οὖν τῶν κατηγορουμένων τὰμὲν τί ἐστι σημαίνει τὰ δὲ ποιόν τὰ δὲποσόν τὰ δὲ πρός τι τὰ δὲ ποιεῖν ἢ πάσχειντὰ δὲ πού τὰ δὲ ποτέ ἑκάστῳ τούτων τὸεἶναι ταὐτὸ σημαίνει οὐθὲν γὰρ διαφέρει τὸldquoἄνθρωπος ὑγιαίνων ἐστὶνrdquo ἢ τὸ ldquoἄνθρωποςὑγιαίνειrdquo οὐδὲ τὸ ldquoἄνθρωπος βαδίζωνἐστὶνrdquo ἢ ldquoτέμνωνrdquo τοῦ ldquoἄνθρωπος βαδίζειrdquo ἢldquoτέμνειrdquo ὁμοίως δὲ καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων

Ecirctre par soi se dit en autant de sens que signifientles figures de la preacutedication car en autant de senselles se disent en autant de sens lecirctre signifie Doncpuisque parmi les preacutedicats certains signifient le ceque cest dautres la qualiteacute dautres la quantiteacutedautres la relation dautre le faire ou le subirdautres le lieu dautres le temps laquo ecirctre raquo signifie lamecircme chose que chacun de ces [preacutedicats] car il nya aucune diffeacuterence entre laquo un homme est bienportant raquo et laquo un homme se porte bien raquo ni entre laquo unhomme est en train de marcher raquo ou laquo en train decouper raquo et laquo un homme marche raquo ou laquo coupe raquo etcaetera

(Met Δ 7 1017a 22-31)

Dans ce chapitre ceacutelegravebre du Livre des deacutefinitions Aristote preacutesente la plurivociteacute de leacutetant

non plus sous sa seule figure cateacutegoriale mais de faccedilon quadruple comme ecirctre par accident ecirctre

par soi ecirctre comme vrai et ecirctre en acte et en puissance Aristote ouvre la partie avec les sens par

accident et par soi ainsi quil la fait pour lun au chapitre preacuteceacutedent Malgreacute lapparente distance

de leurs probleacutematiques respectives certains liens peuvent ecirctre tisseacutes entre Δ 7 et Γ 2 qui

expliquent quon retrouve une thegravese similaire dans les commentaires dAlexandre Dans ces deux

passages en effet Aristote se livre agrave une reacuteflexion sur le langage et particuliegraverement sur le sens

de laquo ecirctre raquo dans les propositions du langage ordinaire279 Mais tandis que Γ 2 prend en

consideacuteration un simple nom (laquo homme raquo) Δ 7 opegravere sur une proposition complegravete Dans un cas

loccurrence mecircme du nom implique neacutecessairement la preacutedication de lecirctre parler dun homme

cest dire quil est un eacutetant ou encore dire de quelque chose que cest un homme implique

neacutecessairement quon lui attribue le fait decirctre un eacutetant En Δ il sagit en revanche avec les

exemples de montrer quune proposition quelconque du type laquo Sujet ndash verbe raquo peut se reacuteduire agrave

la forme laquo S est P raquo Appliquer un verbe agrave un sujet eacutequivaut agrave lui attribuer un preacutedicat Mecircme

dans une proposition du langage ordinaire qui nemploie pas le verbe ecirctre lecirctre est quoi quon

279 Pour une reacuteflexion similaire cf aussi De int 12 21b 9

203

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

dise toujours deacutejagrave lagrave280 et ce fait structurel savegravere deacutejagrave au simple niveau nominal

Le problegraveme principal que pose notre extrait est de comprendre ce que veut dire ici laquo ecirctre

par soi raquo laquo ecirctre raquo deacutesigne-t-il ici la copule ou doit-il sentendre au sens dit existentiel281 et laquo par

soi raquo est-il agrave comprendre comme renvoyant agrave la preacutedication essentielle ou bien au sens absolu

celui que dit lοὐσία en Z 1 1028a 29-31 par exemple et qui est deacutefini en Δ 18282 Bref ce qui laquo est

par soi raquo deacutesigne-t-il ici des preacutedicats et la liaison entre sujet et preacutedicat ou bien deacutesigne-t-il les

sujets des eacutetants qui sont pleinement dont lecirctre ne serait pas deacuteriveacute par opposition aux

accidents

La premiegravere lecture (WD Ross P Aubenque283) se justifie par la reacutefeacuterence faite aux

cateacutegories aux laquo figures de la preacutedication raquo284 Or il serait absurde de soutenir quune qualiteacute ou

une relation puissent ecirctre par soi au sens absolu ndash cela seul est reacuteserveacute agrave la premiegravere cateacutegorie la

substance285 Le passage signifierait donc que les genres des preacutedicats essentiels (essentiellement

attribueacutes agrave un sujet) sont au mecircme nombre que les cateacutegories De fait il est possible deffectuer

une preacutedication essentielle dune qualiteacute dune quantiteacute etc Tout deacutepend du sujet auquel on

attribue le preacutedicat appartenant agrave lun des genres ndash pour certaines choses la couleur appartient

intrinsegravequement agrave leur essence (la blancheur de la neige) pour dautre cest la position (celle du

seuil par exemple) etc Dans cette lecture la symeacutetrie avec le passage preacuteceacutedent sur lecirctre par

accident ndash qui donne manifestement des exemples de preacutedication accidentelle ndash est respecteacutee Ecirctre

par soi ou ecirctre par accident deacutesignent donc des classes de liaisons entre un sujet et un preacutedicat286

La seconde lecture est deacutefendue par exemple par A Baumlck287 selon qui il ne peut ecirctre

question ici de preacutedication essentielle ecirctre par soi concerne le sujet de la proposition attributive

Largument principal consiste agrave noter quAristote se sert dexemples de preacutedications accidentelles

(laquo un homme marche raquo laquo un homme coupe raquo etc) Pour que ces exemples soient senseacutes par

280 Cf aussi Met I 2 1054a 13-19

281 Nous reacutepeacutetons pour autant que cette distinction ait un sens chez Aristote Si nous reprenons cettedistinction cest parce quelle sert de fil conducteur dans les diverses interpreacutetations proposeacutees de cepassage (cf les notes suivantes)

282 Cf le sens de laquo ce qui na pas dautre cause raquo en Met Δ 18 1022a 32-36

283 WD Ross [1924] I p306-307 P Aubenque [1962] p 142 n 1

284 Pour cette expression en nous limitant agrave la Meacutetaphysique voir entre autres Met Δ 6 1016b 34 Δ 281024b 13 (preacuteciseacutees en laquo τοῦ ὄντος raquo) E 2 1026a 36 Θ 10 1051a 35 I 3 1054b 29 Cf WD Ross [1924]I p LXXXIV-LXXXV

285 Largument eacutetait deacutejagrave avanceacute par Thomas dAquin (In Met Δ Lect 9 sect 885 Cathala-Spiazzi)

286 Cf A Stevens [2000] p 212 (qui critique cette lecture)

287 A Baumlck [2000] p 70 sq

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

rapport agrave lobjectif du paragraphe et quon ne tombe pas dans la contradiction pointeacutee par

Thomas dAquin288 il faut donc exclure quAristote eacutetudie ici la preacutedication essentielle De ce

point de vue la manœuvre de Ross consistant agrave reacuteduire limportance des exemples (lesquels

rendent le propos dAristote laquo unnecessarily obscure raquo289) est purement dilatoire et affaiblit la

coheacuterence du passage De surcroicirct agrave plusieurs reprises dans le chapitre cest bien de lecirctre au

sens absolu quil est question Degraves le paragraphe sur laccident par exemple Aristote dit que laquo de

cette faccedilon on dit aussi que le non-blanc est parce que ce agrave quoi il survient cela est raquo (1017a 18-

19) Comme le reacutesume clairement A Stevens laquo Autrement dit le verbe ecirctre ne signifie plus

seulement la copule mais devient lui-mecircme le preacutedicat attribueacute au sujet raquo290

La distinction entre laquo par accident raquo et par soi raquo signifie que certaines choses nont un ecirctre

que deacuteriveacute et que dautres lont par elles-mecircmes Mais cette derniegravere interpreacutetation repose le

problegraveme que reacutesolvait la premiegravere dans ce cas pourquoi Aristote dit-il que les choses par soi

peuvent appartenir agrave toutes les cateacutegories Cest donc que laquo par soi raquo ne peut signifier ici

lindeacutependance ontologique propre agrave la seule substance Il faut en deacutegager une nouvelle entente

et cest ici que peut intervenir la proposition alexandrinienne291

288 Thomas dAquin In Met Δ Lect 9 sect 885 Cathala-Spiazzi Cf G Reale [2004] p 911 Le commentairede Thomas meacuteriterait une attention soutenue parce quil tente de concilier les deux interpreacutetationsesquisseacutees ci-dessus Cf aussi E Berti [1979] [2008a] p 175 n 48

289 WD Ross [1924] I p307 Pour une critique de la solution proposeacutee par Ross cf aussi G Reale [2004]p 913

290 A Stevens [2000] p 212-213

291 Cf A Baumlck [2000] p 72 laquo Aristotle then says that to be per se is said in as many ways as there are categoriesThat is S is signifies that S really exists and since Aristotle recognizes ten ultimate sorts of beings or realexistents for S to really exists requires that S be a substance or a quale or a quantum etc raquo

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Εἰπὼν δὲ περὶ τοῦ κατὰ συμβεβηκὸςὄντος ἑξῆς περὶ τοῦ καθ αὑτὸ λέγει Φησὶ δὲτοσαυταχῶς τὸ καθ αὑτὸ ὂν λέγεσθαι ὅσασχήματα καὶ γένη κατηγοριῶν Σχήματα δὲκατηγοριῶν τὰς [37120] δέκα κατηγορίαςλέγει δεκαχῶς οὖν φησι τὸ καθ αὑτὸ ὂνλέγεσθαι Καὶ αἴτιον τούτου ἀποδίδωσινἐπεὶ γὰρ ἑκάστῳ τῶν ὄντων τὸ εἶναισυντασσόμενον ταὐτὸν ᾧ συντάσσεταισημαίνει τὴν γὰρ οἰκείαν ὕπαρξιν ἑκάστουσημαίνει τὸ ὂν ὁμώνυμον εἰ δὲ δέκα αἱ κατὰτὰ ἀνωτάτω γένη διαφοραί δεκαχῶς καὶ τὸὄν τε καὶ τὸ εἶναι ῥηθήσεται Τὸ μὲν γὰρ τῇοὐσίᾳ [37125] συντασσόμενον εἶναι τὴνοὐσιώδη ὕπαρξιν σημαίνει τὸ δὲ τῷ ποσῷτὴν ὡς ποσοῦ καὶ τῷ ποιῷ τὴν ὡς ποιοῦ καὶἐπὶ τῶν ἄλλων γενῶν ὁμοίως

Apregraves avoir parleacute de leacutetant par accident Aristotediscute ensuite de leacutetant par soi Il affirme alors queleacutetant par soi se dit en autant de sens que les figureset les genres des cateacutegories Par laquo figures descateacutegories raquo il entend les dix cateacutegories Doncaffirme-t-il leacutetant par soi se dit en dix sens Et il endonne la raison cest parce que laquo ecirctre raquo quand il estcombineacute292 avec chaque eacutetant signifie la mecircme choseque ce agrave quoi il est combineacute Cest en effet lexistencepropre de chaque chose que signifie leacutetant qui esthomonyme293 Or294 sil y a dix diffeacuterences295 selon lesgenres suprecircmes leacutetant et lecirctre se diront aussi en dixsens Dabord en effet laquo ecirctre raquo combineacute avec lasubstance signifie lexistence substantielle ensuiteavec la quantiteacute il signifie ltlexistencegt comme celledune quantiteacute avec la qualiteacute ltlexistencegt commecelle dune qualiteacute et de mecircme pour les autres genres

292 Le verbe συντάσσω se lit souvent chez Alexandre au sens de laquo ranger avec raquo laquo classifier avec raquo ndashlitteacuteralement co-ordonner (In Top54 31 62 8 Quaestio 112 11 etc) Il peut aussi signifier le fait decomposer un livre (avec un jeu sur lordonnance meacutedicale In Met 242 2-3) et σύνταξις deacutesigne lalaquo composition raquo dun livre ndash par exemple celle du traiteacute de la Meacutetaphysique In met 137 13 345 16Pour ce passage WE Dooley pense ici agrave une meacutetaphore militaire le verbe peut effectivement avoir cesens (commander agrave une armeacutee la ranger en ordre de bataille) et Dooley propose donc laquo to be aligned raquoMais le verbe na jamais ce sens chez Alexandre et lideacutee nest pas que lecirctre et leacutetant sont mis sur lamecircme ligne rangeacutes au mecircme niveau mais quils sont composeacutes dans une proposition Lorsque lontraduit laquo συντασσόμενον raquo il faut donc penser par anticipation agrave la citation finale du De interpretationequi eacutevoque la σύνθεσις et emploie le verbe σύγκειμαι

293 La traduction par une tournure causale est peut-ecirctre trop deacutetermineacutee par rapport au grec Mais tel estbien le sens leacutetant ne signifie pas lexistence en soi mais parce quil est plurivoque ou laquo homonyme raquocomme le dit ici Alexandre dans un langage plus relacirccheacute (quil attribue ailleurs agrave Aristote lui-mecircme cfIn Met 241 21-24) cette existence se pluralise en fonction des sens de laquo ecirctre raquo selon les cateacutegories

294 Il faut peut-ecirctre lire εἰ δὴ selon Bonitz en apparat critique parce que Sepuacutelveda traduit laquo si ergo raquoHayduck garde la leccedilon des mss

295 Pour les cateacutegories comme laquo diffeacuterences raquo cf Top VI 8 146b 20-35

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Ὥστε καὶ ὅταν ἐν τῇ οὐσίᾳ τινὸς τούτωντι κατηγορῆται ὡς γένος ἢ ὡς διαφορὰ ἢ ὡςὁρισμός τινος ὂν αὐτῶν τὸ ἔστι τὸ τοῖς οὕτωκατηγορουμένοις συντασσόμενον εἴη ἂνκαθ αὑτὸ κατηγορούμενον

Δεικτικὸν δὲ [37130] τοῦ τὸ ἔστιν ᾧ ἂνσυντάσσηται ἐκείνην σημαίνειν τὴν φύσινπαρέθετο τὸ μηδὲν σημαίνειν ἄλλο τὸἄνθρωπος ὑγιαίνων ἐστὶν ἢ τὸ ἄνθρωποςὑγιαίνει τουτέστι τὸ ἔστιν ὃ ἐπὶ τῇ ὑγείᾳσυντέτακται μηδὲν ἄλλο ἢ τὴν τῆς ὑγείαςὕπαρξιν σημαίνει ὁμοίως καὶ ἐπὶ τοῦβαδίζων τὴν τῆς βαδίσεως καὶ ἐπὶ τοῦτέμνων τὴν τῆς τομῆς καὶ ἐπὶ πάντωνὁμοίως Ὡς γὰρ εἶπεν ἐν τῷ [37135] Περὶἑρμηνείας αὐτὸ μὲν οὐδέν ἐστιπροσσημαίνει δὲ σύνθεσίν τινα ἣν ἄνευ τῶνσυγκειμένων οὐχ οἷόν τε εἶναι

Degraves lors aussi quand dans la ltcateacutegorie de lagtsubstance lun de ces ltgenresgt est attribueacute agrave quelquechose parce quil est son genre sa diffeacuterence ou sadeacutefinition le laquo est raquo combineacute avec ce type depreacutedicats296 sera297 attribueacute par soi

Pour deacutemontrer en outre que laquo est raquo avec quoiquil puisse ecirctre combineacute signifie cette natureAristote a ajouteacute que laquo un homme est bien portant raquone signifie rien dautre que laquo un homme se portebien raquo cest-agrave-dire que le laquo est raquo combineacute avec la santeacutene signifie rien dautre que lexistence de la santeacute Demecircme aussi pour laquo marchant raquo et ltlexistencegt de lamarche laquo coupant raquo et ltlexistencegt de la coupe etautres cas similaires Car comme il la dit dans leTraiteacute de linterpreacutetation laquo en soi ltecirctregt nest rienmais sursignifie une composition laquelle ne peutecirctre sans ses composants raquo298

(In Met 371 17-36)

Apregraves avoir souligneacute que pour parler de leacutetant (ὄν) Aristote emploie des exemples avec

laquo ἔστιν raquo parce que ce dernier a eacuteteacute laquo formeacute raquo agrave partir du premier (370 9) Alexandre commente le

sens de lecirctre par accident comme deacutesignant la preacutedication accidentelle celle par laquelle des

accidents sont attribueacutes agrave leacutetant substantiel et sont ne sont pas proprement ou eacuteminemment

quelque chose (laquo μὴ κυρίως τί ἐστι raquo 370 22) Le sens de lecirctre par accident combine donc agrave la fois

la division entre la substance et ses accidents299 et la notion de preacutedication accidentelle Lecirctre

musical de lhomme est un accident parce quil ne deacutecoule pas de lοὐσία de lhomme (laquo ἐκ τῆς

οὐσίας raquo 371 5) qui elle est au sens plein300

En revanche lorsquil aborde lecirctre par soi Alexandre ne comprend pas lexpression

comme deacutesignant un ecirctre qui existerait par lui-mecircme mais comme lun des sens que peut

prendre le verbe ecirctre dans une preacutedication une des significations possibles du verbe ecirctre Le sens

de la copule dit en effet Alexandre varie en fonction de leacutetant qui lui est coordonneacute La question

est de savoir ce quAlexandre entend ici par laquo eacutetant raquo La combinaison de leacutetant avec le verbe ecirctre

296 Litteacuteralement laquo les items ainsi preacutediqueacutes raquo ou laquo ainsi attribueacutes raquo

297 Cas laquo troublant raquo dit J Bertrand dans sa Grammaire grecque dune subordonneacutee au subjonctif avec ἂνet dune principale avec verbe agrave loptatif Pour J Bertrand loptatif atteacutenue les effets du futurs attendu

298 De int 3 16b 24 Le texte qui nous a eacuteteacute transmis est laquo αὐτὸ μὲν γὰρ οὐδέν ἐστιν προσσημαίνει δὲσύνθεσίν τινα ἣν ἄνευ τῶν συγκειμένων οὐκ ἔστι νοῆσαι raquo

299 Sur cette division et ses origines cf ci-dessous sect 323

300 Cf en particulier la phrase de 371 4-5 laquo καὶ ἔστιν οὕτως ὂν ὡς ὄντι συμβεβηκός κυρίως ἂν καὶαὐτὸ ὄν εἰ ἦν ἐκ τῆς οὐσίας αὐτοῦ raquo

207

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

concerne-t-elle le sujet de la preacutedication ou les preacutedicats La reacuteponse nous est fournie par les

exemples il sagit neacutecessairement des preacutedicats Ecirctre signifie par soi quand son sens se reacutesout

dans celui du preacutedicat sy assimile Plus preacuteciseacutement laquo ecirctre raquo signifie lappartenance actuelle de

lattribut au sujet de la preacutedication ndash et donc signifie que la proposition preacutedicative en son entier

renvoie agrave un eacutetat de chose Alexandre reacutesoudrait ainsi la question de savoir pourquoi pour

illustrer lecirctre par soi Aristote donne des exemples de preacutedications accidentelles La reacuteponse est

que laquo ecirctre raquo signifie laquo par soi raquo a son sens essentiel quand dans nimporte quelle preacutedication

(essentielle ou non301) le preacutedicat appartient de fait agrave son sujet et deacutesigne comme le dit bien

E Berti qui se situe ici dans la ligneacutee alexandrinienne laquo des faccedilons effectives decirctre raquo302

Dans la question de savoir si les cateacutegories aristoteacuteliciennes deacutesignent des genres

suprecircmes de lecirctre ou des figures de la preacutedication Alexandre tente ainsi manifestement de tenir

la crecircte La preacutedication exprime non seulement une appartenance mais aussi ce quAlexandre

appelle ensuite une laquo nature raquo (371 30) cest-agrave-dire des modes decirctre que deacutesignent preacuteciseacutement

les diffeacuterentes cateacutegories On retrouve de ce point de vue le lien entre les deux sens de ὕπαρξις

le fait et lappartenance Comme Thomas lexplicite laquo Unde oportet quod ens contrahatur ad diversa

genera secundum diversum modum praedicandi qui consequitur diversum modum essendi raquo (In Met Δ

Lect 9 sect 890 Cathala-Spiazzi)

Pourtant on reacutetorquera quil y a bien un passage ougrave laquo ecirctre par soi raquo semble chez

Alexandre se reacutefeacuterer agrave la preacutedication essentielle

Degraves lors aussi quand dans la ltcateacutegorie de lagt substance lun de ces ltgenresgt est attribueacuteagrave quelque chose parce quil est son genre sa diffeacuterence ou sa deacutefinition303 le laquo est raquocombineacute avec ce type de preacutedicats sera attribueacute par soi (371 27-29)

Dans une conversion peut-ecirctre discutable304 lexpression laquo ἐν τῇ οὐσίᾳ raquo explicite ici le

301 Le laquo ᾧ ἂν συντάσσηται raquo de 371 30 va dans ce sens Nous remercions Annick Stevens pour cettesuggestion et le temps passeacute agrave tenter de retrouver le sens de ce passage

302 E Berti [1979] [2008a] p 175 n 48 laquo Les exemples decirctres par soi adopteacutes par Aristote (homme estbien portant homme est marchant homme est coupant) nexpriment en effet pas des connexionsessentielles mais simplement des faccedilons effectives decirctre raquo

303 Sur labsence du propre qui eacutetonne le traducteur anglais W Dooley cf A Stevens [2000] p 197 il fautdistinguer entre les preacutedications dans lessence (avec les preacutedicables deacutefinition genre diffeacuterence) et lespreacutedications accidentelles (propres et accidents) Cf aussi An Pr I 27 43b 1-11 La preacutedicationessentielle implique que sujet et preacutedicat appartiennent agrave la mecircme cateacutegorie ce qui nest pas le casdans les preacutedications du propre et de laccident Cf aussi Top I 8

304 Selon A Stevens pour la premiegravere cateacutegorie Aristote parle plutocirct de τί ἐστι quand il est question despreacutedicats (cf Top I 9 130b 20-39 mais aussi 120b 21-29 178a 4-8) et plutocirct dοὐσία quand il estquestion de la liste des eacutetants (cf Top 103b 28 31 120b 38 121a 7)

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

laquo ἐπεὶ οὖν τῶν κατηγορουμένων τὰ μὲν τί ἐστι σημαίνει raquo du texte aristoteacutelicien (1017 a 24-

25) Alexandre emploie couramment cette expression quil deacuteveloppe parfois par laquo ecirctre preacutediqueacute

par soi raquo305 Mais dans ces cas de preacutedications essentielles ce agrave quoi sinteacuteresse Alexandre cest

bien le sens du verbe laquo ecirctre raquo et son attribution au sujet Toute preacutedication se fait avec comme en

ombre la preacutedication de laquo ἔστι raquo au sujet La preacutedication essentielle exemplifie au mieux

comment la preacutedication explicite implique neacutecessairement lattribution implicite dun certain

mode decirctre

On peut deacutesormais davantage eacuteclaircir la reacutefeacuterence faite au De interpretatione agrave la fin de

notre extrait

Car comme il la dit dans le Traiteacute de linterpreacutetation en soi ltecirctregt nest rien maissursignifie une composition laquelle ne peut ecirctre sans ses composants

En premiegravere approche en effet le passage paraicirct doublement contradictoire avec

linterpreacutetation geacuteneacuterale dAlexandre Dune part dans le reste du commentaire Alexandre

semble affirmer qulaquo ecirctre raquo signifie quelque chose alors que la citation soutient qu laquo ecirctre raquo ne

signifie rien Dautre part dans la citation le verbe laquo ecirctre raquo semble reacuteduit agrave la fonction copulative

et non pas doteacute dune signification lexicale dexistence

Ce double paradoxe nest en fait quapparent et peut ecirctre leveacute gracircce agrave linterpreacutetation

quAlexandre donne de cette fin du chapitre 3 du De interpretatione dont Ammonius teacutemoigne

305 Ainsi en 285 25 sq sur Γ 4 agrave propos des sophistes qui laquo suppriment la substance raquo et affirment quelaquo tout est accident raquo Alexandre dit que laquo οὐδὲν γὰρ ἔσται τῶν κατηγορουμένων τινὸς ὡς γένος καὶἐν τῷ ltὅπερgt τουτέστιν ἐν τῇ οὐσίᾳ κατηγορούμενον οὐδὲ ὅλως ὡς οὐσία καὶ εἶδος καὶ ὡςὁρισμὸς καὶ τί ἦν εἶναι raquo Sur cette expression cf aussi In Met 224 27 225 18 256 8 285 11 et 17Cf encore In Top 38 2 sq Voir enfin les occurrences dans la difficile Quaestio I 11 Peut-ecirctreleacutequivalence se fait-elle en reacutefeacuterence agrave Z 4

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Εἰ δέ τις μὴ προσίοιτο ταύτην τοῦπροσσημαίνειν τὴν ἐξήγησιν πειθέσθω τῷἈλεξάνδρῳ λέγοντι διὰ τοῦ ltαὐτὸ μὲν γὰροὐδέν ἐστιgt καὶ τῶν ἐφεξῆς περὶ τοῦ ltἔστιgtδιαλέγεσθαι πάλιν τὴν Ἀριστοτέλην μετὰ τὸεἰπεῖν διὰ μέσου περὶ τοῦ ὄντος ὡς οὐδὲτούτου ὅταν καθ αὑτὸ λέγηται δυναμένουσημαίνειν τι ἀληθὲς ἢ ψεῦδος καὶ λέγειν ὅτιτοῦτο τὸ ἔστιν ἢ καὶ τὸ οὐκ ἔστιν (ὁ αὐτὸςγὰρ περὶ ἑκατέρου λόγος) αὐτὸ καθ αὑτὸλεγόμενον ἀληθὲς μέν τι σημαίνειν ἢψεῦδος οὐ πέφυκεν ὄνομα δέ τι ὄν ὥσπερκαὶ τὰ ἄλλα ῥήματα δύναμιν ἔχειπροηγουμένως μὲν σημαντικὴν τῆς τοῦὄντος μεθέξεως ἢ στερήσεως κατὰ δεύτερονδὲ λόγον καὶ κατηγορουμένου τινὸς πρὸςὑποκείμενον συμπλοκῆς οἷς προστιθέμενοντέλειόν τε ποιεῖ τὸν λόγον καὶ σημαντικὸν ἢἀληθείας ἢ ψεύδους καὶ γὰρ ἂν ἀμέσωςκατηγορῆται τοῦ ὑποκειμένου καὶ τότεδυνάμει τὸ μὲν ἔστι συμπλοκὴν αὐτοῦ πρὸςτὸ ὂν σημαίνει οἷον lsquoΣωκράτης ὄν ἐστιrsquo τὸδὲ οὐκ ἔστι διαίρεσιν ἢ καὶ ἀμφότερασύνθεσιν ὅπερ γὰρ εἴρηται ἐν τοῖς Περὶψυχῆς lsquoκαὶ ὁ μὴ εἶναί τι λευκὸν φάσκων τὸμὴ εἶναι λευκὸν συνέθηκε τῷ ὑποκειμένῳrsquo

Mais si lon nadmet pas cette interpreacutetation dulaquo sursignifier raquo que lon se fie agrave Alexandre selon quipar laquo lui-mecircme nest rien raquo et ce qui suit Aristoteapregraves avoir parleacute au milieu306 de eacutetant discute agravenouveau de est en disant que celui-ci quand il estdit par lui-mecircme ne peut pas non plus signifier quequelque chose est vrai ou faux et que le est et lenest pas (car le discours est le mecircme pour chacundes deux) dit eux-mecircmes en eux-mecircmes ne peuventpar nature signifier que quelque chose est vrai oufaux eacutetant des noms comme les autres verbes ils ontau premier chef la valeur seacutemantique307 departicipation agrave leacutetant ou de privation de leacutetant etdeuxiegravemement la liaison dun certain preacutedicat agrave unsujet308 auxquels309 ils sajoutent pour produire un uneacutenonceacute acheveacute et capable de signifier la veacuteriteacute ou lafausseteacute De fait sils sont preacutediqueacutes directement dusujet alors lagrave aussi est signifie par son sens310 laliaison du sujet agrave leacutetant ndash par exemple Socrate est uneacutetant ndash tandis que nest pas signifie la dissociationndash quoique les deux signifient une combinaison Cesten effet preacuteciseacutement ce qui est dit dans le Traiteacute delacircme laquo mecircme celui qui affirme que quelque chosenest pas blanc a assembleacute ne pas ecirctre blanc avec lesujet

(Ammonius In De int 57 18-33)

Lune des difficulteacutes poseacutees par la proposition aristoteacutelicienne laquo αὐτὸ μὲν γὰρ οὐδέν

ἐστι raquo311 reacuteside dans le αὐτὸ sagit-il de dire que le verbe laquo ecirctre raquo na jamais aucun sens en lui-

mecircme (cest-agrave-dire consideacutereacute pour lui-mecircme au sein dune proposition) Linterpreacutetation

dAlexandre est tout autre312 LAphrodisien lit la proposition comme signifiant le verbe laquo ecirctre raquo

306 Cest-agrave-dire laquo entre parenthegraveses raquo ou laquo entre-temps raquo ( F Ildefonse J Lallot [1992] p 64)

307 Nous empruntons cette heureuse traduction agrave F Ildefonse J Lallot [1992] p 64

308 On suit ici la traduction que donne plus reacutecemment J Lallot seul ([2003] p 18 n 16) laquo mais ensecond lieu ils signifient la combinaison drsquoun preacutedicat avec un sujet auxquels ils srsquoajoutent pour formerun eacutenonceacute complet signifiant veacuteriteacute ou fausseteacute raquo et non la version preacuteceacutedente en collaboration avecF Ildefonse laquo et en second il a aussi valeur de preacutedicat dans une combinaison avec un sujet raquo(F Ildefonse J Lallot [1992] p 64) qui bien que proposant un sens diffeacuterent mais coheacuterent avec ce quisuit nous paraicirct grammaticalement moins correcte

309 Agrave savoir agrave ces sujet et preacutedicat est et nest pas sajoutent

310 Ou laquo en puissance raquo (J Lallot [2003] p 18 n 16 traduit laquo potentiellement raquo mais il nous paraicirct plusprobable que le laquo δυνάμει raquo de 57 30 ait le mecircme sens que laquo δύναμιν raquo de 57 26)

311 Sur les problegravemes textuels et les diffeacuterentes leccedilons de De int 3 16b 20-25 cf S Husson [2009]

312 Il faudrait travailler plus en profondeur la sillage qui lie ensemble les commentaires agrave ce sujetdAlexandre dAmmonius et de Boegravece On doit rappeler limportance capitale du commentaire deBoegravece pour la constitution de la notion meacutedieacutevale de copule Sur ce passage chez Boegravece cf J Lallot[2003] p 22 et surtout I Rosier-Catach [2009]

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

quand il est pris en dehors de toute composition (comme si lon disait laquo est raquo) na aucun statut

propositionnel et nest pas susceptible de veacuteriteacute ou de fausseteacute Une telle interpreacutetation convient

dailleurs beaucoup mieux avec le contexte du chapitre313

Le propre de lanalyse dAlexandre est de distinguer deux niveaux dans cette laquo valeur

seacutemantique raquo quil est tentant de lire comme la distinction entre signification existentielle du

verbe ecirctre pris absolument et fonction copulative qui rend possible les propositions et les ouvre agrave

la veacuteriteacute ou la fausseteacute314 La seconde valeur se maintient dailleurs dans la premiegravere puisque

lemploi absolu du verbe laquo ecirctre raquo peut se reacutesoudre en une preacutedication comme en teacutemoigne aussi

le deacutebat engageacute avec le Περὶ λέξεως dEudegraveme dans le Commentaire aux Premiers Analytiques

Alexandre y affirme en effet que dans les propositions ougrave ecirctre est employeacute absolument le verbe

est en quelque sorte le preacutedicat315 car conformeacutement aussi au deacutebut du commentaire agrave Δ 7

laquo est raquo est deacuteriveacute de laquo eacutetant raquo LrsquoExeacutegegravete a ici retenu la leccedilon aristoteacutelicienne adresseacutee au

Lycophron de Physique I 2 185b 28 sq en renforccedilant le regravegle du modegravele preacutedicatif pour toute

proposition

Mais si Alexandre ne parle ici pour le premier niveau que dune laquo participation raquo ou

laquo privation de leacutetant raquo il faut parier sur la coheacuterence (que rien ne vient deacutementir) et lier ensemble

le commentaire agrave Δ 7 et celui au De int 3 pour comprendre que laquo eacutetant raquo attribueacute agrave un sujet ou

laquo ecirctre raquo employeacute absolument signifient le fait decirctre lexistence comme factualiteacute Toutefois cette

signification existentielle est impensable sans la combinaison du verbe laquo ecirctre raquo avec au

minimum un sujet (laquo Socrate est raquo qui signifie en reacutealiteacute laquo Socrate est eacutetant raquo) et au maximum un

sujet et un autre preacutedicat

Ici se reacutesolvent les derniegraveres difficulteacutes qui apparaissaient pour saisir la coheacuterence de la

citation du De interpretatione avec le reste de linterpreacutetation de Δ 7 La citation intervient en effet

comme justification des exemples de transformation des eacutenonceacutes laquo lhomme marche raquo en

laquo lhomme est marchant raquo ougrave laquo ecirctre raquo affirme Alexandre signifie lexistence de la marche pour

un sujet Autant dire que lexistence nest jamais la nue entiteacute de quelque chose seacuteparable de

celle-ci Il faut bien un sujet au verbe ecirctre pour que quelque chose soit dit exister et le sens mecircme

de lexistence varie en fonction de ce qui est dit ecirctre autant que de ce que le sujet est La notion

mecircme de factualiteacute qui exprime au plus pregraves ce quAlexandre deacutesigne par ὕπαρξις implique ceci

313 M Burnyeat en donne dailleurs une version approchante (cf M Burnyeat [2003] p 14)

314 Cest le pas que saute J Lallot [2003] p 18 n 16

315 In AnPr 15 15-22

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

quagrave la diffeacuterence du concept avicennien dexistence la factualiteacute ne peut pas ecirctre penseacutee comme

une position neutre dune essence preacuteexistante mais quelle enveloppe ce qui est et le fait quil

soit deacutetermineacute comme un donneacute positif316 Toutes les propositions peuvent se reacutesoudre en des

propositions preacutedicatives lesquelles peuvent toutes se reacutesoudre dans les diverses figures de

lattribution qui disent toutes un certain mode decirctre lhomme qui laquo est marchant raquo a un attribut

dont le mode decirctre est laction celui qui est blanc un attribut dont le mode decirctre est qualiteacute et

ainsi de suite

Si ce qui preacutecegravede est juste Alexandre proceacutederait alors agrave une reformulation de la thegravese

aristoteacutelicienne dont nous parlions plus haut lexistence nest pas pensable en dehors de

lessence qui existe ndash mais avec cette diffeacuterence majeure quAlexandre introduit le mot pour le

dire Sans opposer le fait et lessence lExeacutegegravete peut du moins dire leur uniteacute en les distinguant

parce quil peut deacutesormais parler de lexistence au sens du fait que quelque chose soit Cette

promotion dun concept dexistence entendue comme la factualiteacute dune essence est donc tout agrave

la fois un instrument exeacutegeacutetique et une interpreacutetation deacutetermineacutee coheacuterente avec son contexte

de lecirctre

Lideacutee selon laquelle Alexandre ne pense pas la seacuteparation entre lexistence dune chose et

son essence trouvera enfin confirmation dans sa theacuteorie des universaux telle quelle se deacuteveloppe

dans les Quaestiones ou le commentaire aux Topiques La question ayant eacuteteacute amplement traiteacutee on

pourra se cantonner agrave quelques brefs rappels Certains auteurs ont cru lire chez Alexandre les

preacutemices des theacuteories meacutedieacutevales du sujet unique et de lindiffeacuterence de lessence ndash cest-agrave-dire les

preacutemices de la doctrine avicennienne selon laquelle lexistence nest quun accident de lessence317

Cependant au vu des textes il est clair que pour Alexandre toute essence est neacutecessairement

essence drsquoau moins un particulier318 lrsquoessence nrsquoest pas indiffeacuterente agrave la particulariteacute quoiquelle

316 Au sens du reacutealisme du fait contre lequel Merleau-Ponty lutte depuis la Pheacutenomeacutenologie de la perception jusque dans Le Visible et linvisible (cf R Barbaras [1991] p 117-122)

317 Cf sur toutes ces questions cf A de Libera [1999a] et particuliegraverement p 149

318 Cf le texte sur-commenteacute de In Top 355 18-24 traduit par A de Libera [1999a] p 143 laquo Ce agrave quoi ileacutechoit agrave titre drsquoaccident drsquoecirctre un genre est aneacuteanti purement et simplement si toutes les choses qui serangent sous [lui] sont aneacuteanties [En revanche] cela est aneacuteanti en tant que genre si une seule deschoses qui se rangent sous [lui] qursquoelle soit une en nombre ou en espegravece subsiste Car lrsquoanimal est ungenre non parce que crsquoest un ecirctre animeacute doteacute de sensation mais parce qursquoune telle nature existe enplusieurs choses qui diffegraverent speacutecifiquement les unes des autres Si toutes [ces espegraveces] eacutetaientsupprimeacutees en dehors drsquoune seule qui subsisterait ecirctre animeacute doteacute de sensation agrave savoir animal ne seraitplus un genre raquo (laquo ἁπλῶς μὲν οὖν συμφθείρεται τοῦτο ᾧ συμβέβηκεν εἶναι γένει πάντων τῶνὑπαὐτὸ φθαρέντων ὡς δὲ γένος φθείρεται εἰ ἕν τι μόνον ἢ κατ ἀριθμὸν ἢ κατὰ εἶδος τῶνὑπαὐτὸ σώζοιτο τὸ γὰρ ζῷον γένος ἐστίν οὐχ ὅτι ἐστὶν οὐσία ἔμψυχος αἰσθητική ἀλλ ὅτι ἡ

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

le soit peut-ecirctre agrave la pluraliteacute de ses instanciations et ce ultimement parce que la forme ne saurait

en toute rigueur laquo exister raquo sans la matiegravere Pour lExeacutegegravete il nexiste pas drsquoessence sans au moins

une instanciation et donc en langage neacuteoplatonicien drsquouniversel ante rem Agrave la thegravese selon

laquelle rien nexiste qui nait une essence ou ne soit quelque chose dune substance reacutepond

lanathegraveme anti-platonicien bien connu il ne peut y avoir dessence geacuteneacuterale existant par elle-

mecircme ou dit autrement il ny a pas de factualiteacute de lessence hors de la substance

On pourrait alors ecirctre en mesure de rendre raison de labsence quasi totale de ὕπαρξις

chez Plotin Pour lexpliquer C Rutten319 eacutemet agrave partir de la reacutefeacuterence alexandrinienne

lhypothegravese selon laquelle ce terme serait devenu agrave leacutepoque de Plotin comme un signe exteacuterieur

daristoteacutelisme Certes on la vu Alexandre heacuterite lui-mecircme du terme La prudence quand il

sagit dinterpreacuteter une absence est de mise mais il serait bien possible que ὕπαρξις soit devenue

comme le fanal de laristoteacutelisme suite agrave sa reprise alexandrinienne

224 Conclusions ndash existence et non-eacutetant comme objets de la meacutetaphysique

La conception alexandrinienne de ὕπαρξις ndash laquo existence raquo si lon veut maintenir le fil qui

relie le vocable agrave son histoire ulteacuterieure ou laquo factualiteacute raquo qui est plus proche de ce quAlexandre

semble y entendre ndash ne contrevient pas agrave la pluraliteacute des sens de lecirctre Chaque cateacutegorie emporte

avec elle une ὕπαρξις propre un certain mode decirctre Chaque cateacutegorie est un sens de lexistence

la modaliteacute decirctre dune classe de deacutetermination La promotion du concept ne doit donc pas

sentendre comme celle dun certain sens de leacutetant au deacutetriment des autres mais comme

linterpreacutetation alexandrinienne de cette plurivociteacute de leacutetant

Peut-on pour autant en deacuteduire que lobjet de la meacutetaphysique alexandrinienne est leacutetant

en tant queacutetant compris comme laquo lexistant en tant quexistant raquo320 Alexandre ne propose jamais

une telle substitution alors quil en avait manifestement les moyens linguistiques Au surplus

lobjet de la science de leacutetant en tant queacutetant est plus large que le seul existant Lexplicitation de

τοιαύτη φύσις ἐν πλείοσίν ἐστι κατ εἶδος ἀλλήλων διαφέρουσιν ὧν ἀναιρουμένων ἑνὸς δὲ μόνουσωζομένου οὐκέτ ἂν εἴη γένος ἡ οὐσία ἔμψυχος αἰσθητική τοῦτ ἔστι τὸ ζῷον raquo) Cf aussi RWSharples [1992] p 52-53 note 140 et M Rashed [2007b] p 254-257

319 Cf C Rutten [1994]

320 Comme la proposeacute M Bonelli [2001] p 94 et 98

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

leacutetant par lexistence nest proposeacutee en Δ 7 que pour leacutetant par soi et non pas pour laccident Or

ce dernier mecircme sil sapproche du non-eacutetant incombe aussi agrave la meacutetaphysique321

On reacutetorquera quil y a un paradoxe bien grossier agrave tenir pour non-eacutetant un sens de

leacutetant laccidentaliteacute Le paradoxe nest toutefois quapparent sil est vrai que selon le

commentaire agrave Γ 2 laquo mecircme les neacutegations sont des eacutetants raquo parce quelle sont quelque chose de la

substance au sens ougrave elles entretiennent une certaine relation (σχέσις) agrave celle-ci322 Nous pouvons

donc dit Alexandre leur attribuer lecirctre et telle est bien la laquo force de la substance relativement agrave

lecirctre et agrave leacutetant raquo (τὴν τῆς οὐσίας ἰσχὺν πρὸς τὸ εἶναί τε καὶ τὸ ὄν 243 10) Mais alors que le

texte de Γ 2 soutient que laquo nous affirmons que le non-eacutetant est non-eacutetant raquo (τὸ μὴ ὂν εἶναι μὴ ὄν

φαμεν 1003b 10) en employant ce que nous appellerions le sens didentiteacute du verbe laquo ecirctre raquo

Alexandre dit quant agrave lui que nous lui attribuons simplement le fait decirctre (laquo τὸ εἶναι

κατηγοροῦντες raquo 243 16) et lexplicite

Οὕτω καὶ τὸ μὴ ὂν εἶναι μὴ ὄν φαμεν τοῦ μὴ ὄντος ὅ ἐστι τοῦ ὄντος ἀπόφασις τὸεἶναι κατηγοροῦντες ὅτι τοῦ ὄντος τί ἐστιν οὐ μὴν ἁπλῶς εἶναι αὐτὸ λέγοντες ἀλλὰτὸ ὅλον τοῦτο μὴ ὂν εἶναι (243 15-17)

La proposition dans sa derniegravere partie pose des problegravemes de construction et donc de

traduction A Madigan propose de prendre laquo τὸ ὅλον τοῦτο raquo comme sujet et laquo μὴ ὂν raquo comme

preacutedicat

So too we say that even non-being is [Madigan souligne] non-being predicating being of non-being which is the negation of being because it is something that belongs to being ndash not in thesense that it simply is but rather that this whole [en note the object together with its negativeattribute of not being such-and-such] is non-being323

Outre que la post-position du deacutemonstratif est agrave notre connaissance rare sinon

inexistante chez Alexandre il nest pas certain que le sens ainsi obtenu soit satisfaisant Il nous

semble en fait que lopposition dans le passage se joue davantage entre laquo αὐτὸ raquo dune part et

321 Lune des thegraveses ontologiques sous-jacentes agrave leacutethique alexandrinienne dans la Mantissa (quel quensoit son auteur cf RW Sharples [1975] p 52 S Bobzien [1998] p 169 D Lefebvre [2006] p 104 n 1)consiste preacuteciseacutement agrave accentuer le rapprochement de leacutetant par accident avec un non-eacutetant opeacutereacute parAristote en E 2 1026b 21 et mecircme agrave identifier eacutetant par accident et non-eacutetant Le chapitre XXII de laMantissa deacutecrit en effet le laquo meacutelange raquo du non-eacutetant agrave leacutetant du monde sublunaire tel quil fonde le faitde laccident et permet de sauver la liberteacute (cf Mantissa 169 33 sq) Pour des raisons qui serontexpliciteacutees plus loin et tiennent agrave la concentration de lecirctre dans la substance (cf infra sect 321a) cettethegravese nous paraicirct sinon authentique du moins tregraves proche de la penseacutee alexandrinienne

322 In Met 243 10-13

323 A Madigan [1993] p 17 et note 54 p 147 La traductrice italienne (M Casu in G Movia [2007] p 579)suit eacutegalement cette construction

214

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

laquo τὸ ὅλον τοῦτο μὴ ὂν raquo dautre part Pour paraphraser Alexandre nous ne disons pas que le

non-eacutetant est en lui-mecircme absolument car son ecirctre est deacuteriveacute Son ecirctre tient agrave ce quil est

laquo quelque chose de la substance raquo agrave savoir une laquo neacutegation raquo qui a donc une certaine relation agrave

elle en vertu de laquelle on peut le dire ecirctre ou lappeler eacutetant ndash comme lexplicite le passage

immeacutediatement preacuteceacutedent Ce qui est donc cest en fait le complexe formeacute par la substance et la

neacutegation laquo τὸ ὅλον raquo Dans la traduction proposeacutee par A Madigan le raisonnement dAlexandre

confine presque agrave labsurditeacute en soutenant que la substance et la neacutegation forment un non-eacutetant

alors quAlexandre est preacuteciseacutement en train de justifier linteacutegration des neacutegations de la substance

et de ses proprieacuteteacutes au champ de la science de leacutetant en tant queacutetant au motif quelles sont aussi

appeleacutees laquo eacutetants raquo (243 10-13) Pour sauver la compreacutehension de Madigan il faut supposer que

la preacutedication de lecirctre et donc lappellation de laquo eacutetant raquo pour les neacutegations est implicite agrave leur

preacutedication mecircme de non-eacutetant

Il nous semble que le raisonnement dAlexandre est agrave la fois plus simple mais aussi plus

radical qui traduit lidentiteacute chez Aristote en laquo ecirctre raquo existentiel tout en refusant cependant ndash

mais le point est eacutevident ndash que lexistence du non-eacutetant soit assimileacutee agrave lexistence laquo absolue raquo ou

laquo simple raquo celle de la substance En effet il est grammaticalement possible de consideacuterer que le

sujet de εἶναι est laquo τὸ ὅλον τοῦτο μὴ ὂν raquo324 ce qui donnerait dans une traduction litteacuterale dont

on nous pardonnera la laideur

Οὕτω καὶ τὸ μὴ ὂν εἶναι μὴ ὄν φαμεντοῦ μὴ ὄντος ὅ ἐστι τοῦ ὄντος ἀπόφασις τὸεἶναι κατηγοροῦντες ὅτι τοῦ ὄντος τί ἐστινοὐ μὴν ἁπλῶς εἶναι αὐτὸ λέγοντες ἀλλὰ τὸὅλον τοῦτο μὴ ὂν εἶναι

De la mecircme faccedilon laquo nous affirmons que le non-eacutetant est non-eacutetant raquo du non-eacutetant qui est laneacutegation de leacutetant nous preacutediquons lecirctre parce quilest quelque chose de leacutetant325 non pas que nous ledisions ecirctre au sens absolu mais parce que lensemblece non-eacutetant est

(In Met 243 15-17)

Il y aurait bien ainsi une factualiteacute mecircme du non-eacutetant326 ndash comme si Alexandre avait ici

en tecircte une certaine interpreacutetation de Physique I 3 Cest donc agrave un double titre que le non-eacutetant

tombe dans le champ de la science de leacutetant en tant queacutetant parce quil revient agrave la mecircme

science deacutetudier un objet et sa neacutegation ou son absence (ἀπουσία)327 mais aussi positivement

324 La possibiliteacute de prendre τὸ ὅλον au sens adverbial est eacutegalement tentante mais sauf erreur leCommentaire agrave la Meacutetaphysique nemploie jamais cette tournure

325 La proposition renvoie agrave lideacutee eacutenonceacutee preacuteceacutedemment laquo ὄντος γάρ τινος ἡ ἀπόφασις raquo (243 14)

326 On songe au laquo Jai tout de suite vu quil neacutetait pas lagrave raquo de Sartre dans LEcirctre et le neacuteant ([1943] p 43)

327 Sur le non-eacutetant comme objet de lontologie cf le commentaire agrave 1004a 10-11 sq In Met 252 18 ndash 254

215

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

parce quen un sens faible lui aussi est Lontologie a aussi pour objet des choses qui ne sont que

sur un mode extrecircmement deacutegradeacute purement deacuteriveacute mais qui ne sont pas du non-eacutetant

absolu328

Assiste-t-on toutefois agrave leacutemergence dun concept dexistence en terrain aristoteacutelicien

Encore faut-il sentendre ici sur ce quest laquo un concept dexistence raquo Or bien posteacuterieur au

classique existere329 le concept latin dexistentia apparaicirct un peu plus dun siegravecle apregraves Alexandre

dans la correspondance entre Candide lArrien et Marius Victorinus330 Chez Victorinus

lexistentia est explicitement une traduction de ὕπαρξις ndash ce qui permet deacutelever lenquecircte sur

ὕπαρξις au rang de preacutehistoire de lexistence Mais lexistentia apparaicirct pour dire quelque chose

de plus que ὕπαρξις en deacutesignant la venue agrave lecirctre comme laquo sortie de raquo en particulier dans le cas

du Fils et du Pegravere V Carraud a en effet montreacute combien la naissance de lexistence penseacutee dans

sa double dimension comme ex- et -sistere est inseacuteparable dune probleacutematique dabord

christologique331 Si lon reacuteduit lexistence agrave cette dimension en insistant sur le preacutefixe on aura

alors beau jeu de soutenir quil ne peut y avoir de concept dexistence dans la philosophie

grecque paiumlenne332

Neacuteanmoins dans le texte victorinien lexistence deacutesigne aussi le caractegravere substratif de la

substance333 le sujet du composeacute et son ecirctre indeacutetermineacute Telle nest pas lavanceacutee de Victorinus ndash

qui naurait pas eu besoin pour dire cela de forger existentia Ce sens nest toutefois pas

15 et particuliegraverement 252 29-30 laquo ἧς γὰρ τὸ τόδε τι θεωρῆσαι ταύτης καὶ τὴν ἀπουσίαν τὴνἐκείνου raquo Sur le non-eacutetant comme objet de la meacutetaphysique chez Aristote voire en particulier E Berti[1990]

328 Et ce parce que lontologie ne se reacuteduit pas lousiologie cf ci-dessous sect 24

329 Cf E Gilson [1972] p 344-349 le poids du verbe en latin classique porte sur le laquo ex raquo et signifie doncsortir dougrave laquo se montrer raquo laquo paraicirctre raquo (cf Ciceacuteron laquo Existunt in animis varietates raquo De officiis I 107)laquo existunt raquo signifiant dabord laquo on rencontre raquo laquo il apparaicirct que raquo et non pas laquo il existe raquo mecircme sicomme le souligne Gilson (p 344) le lien se pressent facilement) Le sens de existo comme ecirctre au sensabsolu se fait selon Gilson au IVegraveme siegravecle dans les traductions de Platon par Calcidius

330 Sur une occurrence anteacuterieure chez Calcidius dans sa traduction du Timeacutee en 25d cf V Carraud[2003] p 7-8 V Carraud note eacutegalement la possibiliteacute dune apparition plus ancienne agrave partir duteacutemoignage de Victorinus lui-mecircme p 8 agrave propos de Adversus Arium I 30 18-21 Mais cest peut-ecirctrelagrave une reacutefeacuterence davantage agrave lemploi contemporain de ὕπαρξις plutocirct que la mention dune histoireanteacuterieure de laquo existentia raquo

331 Telle est la thegravese soutenue dans V Carraud [2003]

332 CH Kahn [1982] p 7

333 Adversus Arium I 30 18-25 Cf P Hadot [1968] I p 269-270 n 8 Il nous semble cependant difficile dedire avec P Hadot que cet ecirctre pur nest pas laquo sujet raquo au vu des meacutetaphores et du vocabulaireemployeacute il y a quelque chose de laquo fondamental raquo dans lexistence ainsi deacutefinie mais sans doute Hadotveut-il dire par lagrave que cet existence nest pas sujet dune preacutedication Voir aussi P Hadot [1972]

216

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ininteacuteressant en ce quil est sans doute lune des lignes de force les plus constantes de lhistoire du

concept dexistence celle-ci acqueacuterant plus tard une consistance conceptuelle en se distinguant de

lessence Scipion Dupleix par exemple a encore en vue ce sens quand dans le franccedilais du

XVIIegraveme il deacutefinit lexistence comme laquo la nue entiteacute le simple et nu ecirctre des choses raquo qui nest pas

sans rappeler llaquo ecirctre pur sans addition raquo de Victorinus334 Manifestement si lon veut chercher de

lexistence en dehors de toute penseacutee creacuteationniste cest cette direction qui doit ecirctre prise

Damascius par exemple comme la montreacute P Hadot parle de lexistence ce sens et distingue

aussi ὕπαρξις et ὀυσία en travaillant agrave partir de leacutetymologie mecircme du vocable ὕπαρξις comme

deacutesignant laquo le premier principe de chaque hypostase raquo qui est comme une laquo assise ou un

fondement raquo et qui deacutesigne lUn avant sa composition avec la substance335 Or cette thegravese de

Victorinus et Damascius trouve ultimement sa source chez Porphyre Le terme ὕπαρξις se lit

certes assez rarement sous le calame de Porphyre mais la distinction entre ὕπαρξις et ὀυσία

entre lecirctre indeacutetermineacute et la deacutetermination est un acquis du Commentaire au Parmeacutenide336 Or la

connaissance que Porphyre a dAlexandre est hors de doute eacutetant donneacute son teacutemoignage sur

lenseignement de Plotin La quecircte dune source alexandrinienne du concept dexistence agrave travers

celui de ὕπαρξις nest pas sans fondement historique

La perceacutee conceptuelle meneacutee par Alexandre et repreacutesenteacutee par lexplicitation de leacutetant

dans lexistence figure lun des gestes exeacutegeacutetiques marquants du Commentaire alexandrinien et

repreacutesente le point de deacutepart dune tradition qui saccomplira au Moyen Acircge dans les emplois de

lexistence pour dire leacutetant dans les passages de Γ 2 et Δ 7 La nuance est toutefois de mise si

Aristote interroge lecirctre en-deccedilagrave des distinctions grammatico-philosophiques posteacuterieures fregeo-

russelliennes et si Alexandre entend par ὕπαρξις non pas lexistence nue mais plutocirct laquo le fait

que ce soit le cas raquo on aurait de bonnes raisons de penser que lontologie alexandrinienne

maintient effectivement lambiguiumlteacute positive du verbe laquo ecirctre raquo quinterroge Aristote qui unit tout

agrave la fois la copule et lexistence lidentiteacute et la veacuteriteacute

Il demeure que la science de leacutetant ainsi comprise mecircme avec cette accentuation en

334 Voir J-F Courtine dans B Cassin [2004] p 404 art laquo essence raquo

335 Cf Damascius De principiis 312 15-18 laquo ἡ ὕπαρξις ὡς δηλοῖ τὸ ὄνομα τὴν πρώτην ἀρχὴν δηλοῖτῆς ὑποστάσεως ἑκάστης οἷόν τινα θεμέλιον ἢ οἷον ἔδαφος προϋποτιθέμενον τῆς ὅλης καὶ τῆςπάσης ἐποικοδομήσεως raquo et P Hadot [1968] I p 268

336 P Hadot [1968] I p 269 et [1973] p 108 (= [1999] p 80) Hadot preacutecise que cette distinction nest pasencore celle de lexistence et de lessence Il nous semble cependant leacutegitime de consideacuterer quon tient lagravelune de ses matrices

217

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

faveur de lexistence maintient la polyseacutemie de son objet et se donne effectivement agrave lire comme

une science universelle Dans les tacircches de cette science figure donc leacutetude des modes decirctre des

eacutetants Et on insiste sur le pluriel la meacutetaphysique alexandrinienne ainsi comprise ne peut se

reacuteduire agrave leacutetude de lun de ces modes decirctre La theacuteologisation de la meacutetaphysique

alexandrinienne est donc une thegravese deacutefinitivement intenable Science du premier il lui incombe

aussi simultaneacutement decirctre science universelle ou en termes anachroniques meacutetaphysique

geacuteneacuterale Il va donc falloir comprendre si et comment pour lExeacutegegravete sarticulent ces deux

dimensions Luniteacute de la meacutetaphysique peut-elle reacutesister agrave un programme traverseacute dune telle

tension Avant de voir comment cette tension se reacutesout au niveau des objets de la science

rechercheacutee on va tenter de montrer comment chez lAphrodisien cette double caracteacuterisation

joue agrave plein au niveau du statut eacutepisteacutemologique de la science La meacutetaphysique est universelle et

premiegravere parce quelle est la science la plus haute et fondatrice des autres sciences

218

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

23 La premiegravere des sciences lambition fondationnelle

Parce quelle est science premiegravere et universelle lExeacutegegravete octroie aussi agrave la meacutetaphysique

la fonction de fonder les autres sciences Le fait nest pas difficile agrave eacutetablir Alexandre le dit

explicitement

Aristote a donc raison daffirmer que le savoir deacutepend de la connaissance des premiegraverescauses ayant eacutetabli par lagrave que le fait pour les autres sciences decirctre des sciences leur vientde la sagesse qui eacutetudie les premiegraveres causes337

La proposition est forte puisque la tournure laquo εἶναι raquo avec le datif sert couramment chez

Aristote et Alexandre agrave dire lessence Il ne sagit pas simplement du statut de science (laquo status raquo)

comme le traduit WE Dooley comme si un savoir preacuteexistant pouvait acceacuteder au rang de

science il sagit de faccedilon plus brute de leur ecirctre-science de leur scientificiteacute comme on parle de

la laquo caballeacuteiteacute raquo du cheval En cela cette proposition est dautant plus extravagante en reacutegime

aristoteacutelicien et donc aussi deacutecisive

On le verra plus en deacutetail agrave la fin de notre parcours mais rappelons dembleacutee combien les

Seconds Analytiques sopposent reacutesolument agrave lideacutee dune science fondatrice des autres sciences

Contre la conception platonicienne de savoirs placeacutes sous leacutegide totalisante de la dialectique les

sciences aristoteacuteliciennes conquiegraverent leur autonomie De fait une deacutemonstration ne vaut que

dans un certain genre chaque science a ses propres principes la valeur scientifique des axiomes

communs est limiteacutee ou tout du moins ils ne peuvent ecirctre eacutetudieacutes par une science au sens des

Seconds Analytiques338

Or le contexte de la phrase dAlexandre ne fournit que peu deacuteclairage agrave un eacutecart aussi

lourd de conseacutequences et mecircme ne len fait que davantage ressortir LAphrodisien est en train de

337 In Met 19 33 ndash 20 3 laquo Εἰκότως οὖν τῆς τῶν πρώτων αἰτίων γνώσεως ἠρτῆσθαί φησι τὸ εἰδέναισυνιστὰς διὰ τούτου καὶ ταῖς ἄλλαις ἐπιστήμαις τὸ εἶναι ἐπιστήμαις παρὰ τῆς σοφίας τῆς τῶνπρώτων αἰτίων θεωρητικῆς παραγίνεσθαι raquo

338 Cf ci-dessous sect 234

219

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

commenter la premiegravere phrase dA 3 laquo puisque manifestement il faut acqueacuterir la science des

causes principielles (nous affirmons en effet connaicirctre chaque chose lorsque nous pensons

acqueacuterir la connaissance de sa cause premiegravere) raquo (983a 24-26) Comme bon nombre de

commentateurs apregraves lui Alexandre traduit immeacutediatement laquo τῶν ἐξ ἀρχῆς αἰτίων raquo en laquo τῶν

πρώτων raquo Se reacutefeacuterant alors explicitement agrave la Physique et aux Seconds Analytiques339 il rend raison

de la proposition aristoteacutelicienne gracircce agrave un modus ponens mais cette deacutemonstration ne prend

place que dans le cadre dune science ou de la connaissance dune chose de celles de ses causes

prochaines et de ses causes premiegraveres Le saut se produit en ce quAlexandre passe brusquement

agrave une pluraliteacute de sciences Pour le comprendre il est neacutecessaire de sous-entendre que de la

preacuteeacuteminence de la connaissance des causes premiegraveres sur celle des causes prochaines pour

acqueacuterir la science dune chose Alexandre induit par analogie ou par extension la preacuteeacuteminence

de la science des causes premiegraveres sur les autres sciences La deacutependance (laquo ἤρτηται raquo 19 26)

observeacutee entre la science dune chose et la connaissance de ses premiegraveres causes sapplique alors

au rapport entre la science geacuteneacuterale des premiegraveres causes et les autres sciences Alexandre signale

mecircme la chose en renforccedilant laquo παραγίγνομαι raquo par la reacutepeacutetition de la preacuteposition laquo παρά raquo

Sauf erreur aucun autre passage du corpus alexandrinien nest aussi net Toutefois

plusieurs eacuteleacutements convergent quant agrave eux mieux attesteacutes qui confirment lhypothegravese que la

deacuteclaration du commentaire agrave A 3 nest pas accidentelle

231 Une science architectonique

Il y a premiegraverement le commentaire quAlexandre offre agrave la position laquo maicirctresse raquo de la

sagesse dans les opinions dA 2 Aristote y reacutecupeacuterait en effet lideacutee que la sagesse a agrave

commander science des hommes libres il eacutetait en effet logique que la sagesse ne pucirct laquo recevoir

des ordres raquo (982a 17-18) Mais surtout elle est connaissance du principe ndash le jeu entre laquo ἀρχή raquo

laquo ἀρχικωτέραν raquo (a 16-17) et laquo ἀρχικωτάτη raquo (b 4) est transparent ndash et singuliegraverement

connaissance de la fin cest-agrave-dire du bien Sa maicirctrise ou son commandement ne lui viennent

donc pas en premier lieu dune fonction quelle aurait par rapport aux autres sciences mais de

son objet-mecircme de la supreacutematie de la cause finale Or cest cela qui inteacuteresse Aristote en A non

339 Sans doute respectivement Phys I 1 (184a 10 sq) et AnPo I 2 (cf WE Dooley [1989] p 37)

220

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

pas sa position dans un systegraveme des sciences La thegravese pose assureacutement des problegravemes de fond

elle est comme le dit sobrement Ross laquo difficile raquo340 notamment quand on la confronte avec les

Eacutethiques De son cocircteacute lEacutethique agrave Nicomaque parle dune science non pas seulement souveraine

mais laquo architectonique raquo341 qui commande agrave la maniegravere dun architecte dirigeant ses ouvriers

parce quil sait la fin de louvrage Par extension ladjectif deacutesigne aussi le supeacuterieur hieacuterarchique

qui preacuteside et donne des ordres par exemple le meacutedecin chef deacutecole342 cest donc laspect

agissant de la souveraineteacute qui est mis en avant343 Certes la meacutetaphore de larchitecte se lit aussi

en A 1 comme Alexandre sempresse de sen aviser344 mais cest toujours dans le registre strict de

lanalogie avec lart par exemple pour illustrer le rapport entre sciences productrices et

theacuteoriques En reacutealiteacute jamais Aristote ne qualifie litteacuteralement la sagesse darchitectonique

On reacutetorquera quentre souveraineteacute ou principat (laquo ἀρχικωτέραν raquo laquo ἀρχικωτάτη raquo) et

laquo architectonique raquo la diffeacuterence est minime quil est malaiseacute de concevoir une supreacutematie sans

commandement effectif des subordonneacutes ndash donc pour une science le commandement des

sciences infeacuterieures345 ndash et que la fin dA 2 suppose bien au moins une science laquo au service raquo de la

sagesse346 Mais ailleurs Aristote a la finesse de distinguer entre laquo commander raquo (ἄρχων) et

laquo donner des ordres raquo (ἐπιτακτικῶς) dans un contexte ougrave il est question de cause finale Cette

distinction nest pas quelconque sil est vrai quelle empecircche de concevoir le premier moteur

comme un Dieu leacutegislateur347 Cette direction est probablement celle quil faudrait explorer En

tout eacutetat de cause il reste simplement quen A 2 Aristote ne dit pas que la sagesse serait

architectonique au sens ougrave elle serait condition de la scientificiteacute des autres sciences ndash le cas

eacutecheacuteant cela constituerait agrave leacutevidence un bouleversement important par rapport agrave ses thegraveses

340 WD Ross [1924] t 1 p 121-122

341 Cf EE I 6 1217a 6-7 EN I 1 1094a 14 sq VI 8 1141b 23 sq VII 12 1152b 2 Sur les artsarchitectoniques cf aussi Met Δ 1 1013a 14 et Phys II 2 194b 2 sq

342 Pol III 11 1282a 3 Voir aussi les occurrences inteacuteressantes de VII 3 1325b 23 agrave comparer avec 1260a18

343 Chez Platon ladjectif napparaicirct quune seule fois mais dans une occurrence inteacuteressante dans lePolitique 261c 9 par distinction de lart royal

344 Voir Met A 1 981a 30 et 982a 1 Pour Alexandre cf In Met 14 6

345 On lobjectera dautant plus quAristote lui-mecircme sexprime en termes de sciences subordonneacutees etsupeacuterieures dans les Seconds Analytiques (par exemple AnPo I 13) mais il nest pas sucircr que ce soit aumecircme sens

346 Cf 982b 5 laquo τῆς ὑπηρετούσης raquo

347 EE VIII 3 1249b 13-15 laquo οὐ γὰρ ἐπιτακτικῶς ἄρχων ὁ θεός ἀλλ οὗ ἕνεκα ἡ φρόνησις ἐπιτάττει raquoCe sont les mecircmes termes quen A 2 Agrave linverse sur lassociation constante des deux chez Alexandrevoir par exemple In Met 346 21 sq

221

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

anti-dialectiques

QuAristote ne le dise pas quil soit possible dinterpreacuteter cette souveraineteacute sans fonction

de fondation eacutepisteacutemique cela concourt agrave caracteacuteriser encore davantage la position

alexandrinienne De fait Alexandre rabat cette souveraineteacute sur une fonction architectonique

entendue comme fonction de fondation ndash et cette thegravese nest pas isoleacutee Cest dabord manifeste

dans la substitution de llaquo architectonique raquo au registre de la souveraineteacute et du laquo plus apte agrave

commander raquo lors du commentaire de la fin dA 2 lagrave ougrave justement Aristote ne dit plus

laquo architectonique raquo ni mecircme laquo donner des ordres raquo Alexandre se reacutefegravere alors en toutes lettres agrave

lexemple des architectes dA 1 puis agrave lEacutethique agrave Nicomaque afin dasseoir lusage du terme Mais

linterpreacutetation peut encore se comprendre par rapport agrave la supreacutematie du savoir de la cause

finale et nimplique pas encore de rapport de fondation elle fait seulement un pas dans cette

direction

Le fait est plus clair dans la reprise des opinions sur la sagesse en B 2 dans lexamen de la

premiegravere aporie Aristote y renvoie aux laquo distinctions anteacuterieures pour savoir quelle science il

faut appeler sagesse raquo cest-agrave-dire agrave A 2 Mais le Philosophe sen tient lagrave encore agrave qualifier la

sagesse dapte agrave commander et agrave diriger (laquo ἀρχικωτάτη καὶ ἡγεμονικωτάτη raquo en 996b 10 ougrave lon

retrouve dailleurs la logique du maximum propre agrave A 2348) Seulement du fait du rappel dA 2 agrave

cause peut-ecirctre aussi de lexemple preacuteceacutedent du laquo constructeur de maison raquo surtout enfin agrave

cause de lideacutee que laquo les autres sciences nont pas le droit de la contredire raquo Alexandre sautorise

agrave reacuteintroduire la fonction dlaquo architectonique raquo Celle-ci est explicitement deacutefinie par le fait decirctre

maicirctresse des autres sciences (laquo δέσποινα τῶν ἄλλων ἐπιστημῶν raquo 184 22-23) et de leur donner

des ordres (laquo ἐπιτάσσουσιν raquo 184 24) Lintervention dAlexandre est notable et Syrianus

dailleurs ne sy trompera pas qui reprendra agrave lAphrodisien la transformation dlaquo ἀρχικωτάτη raquo

en laquo ἀρχιτεκτονικωτάτην raquo349 Avec Alexandre la philosophie premiegravere devient ainsi cette

science qui fin de toute connaissance assume agrave plein lambition architectonique de la

philosophie en geacuteneacuteral350

348 Cf W Leszl [1975] p 101 sq M-H Gautier-Muzellec [2008]

349 Syrianus In Met 15 23-24 Le parallegravele est eacutetudieacute par C Luna [2001] p 78-79

350 Alexandre semble en effet impliquer cet argument quand au deacutebut du Commentaire aux PremiersAnalytiques il discute le statut de la logique (partie ou instrument ) en tenant le raisonnement suivant si la logique est une partie de la philosophie attendu que dautres sciences sen servent alors les autressciences domineront la philosophie puisque la science ou la technique qui se sert dune partie duneautre science ou technique lui est supeacuterieure (ce qui est fin est supeacuterieur agrave ce qui est instrument) enreacutefeacuterence agrave EN 1094a 6-16 Ces autres sciences seront alors plus parfaites que la philosophie (In AnPr

222

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

232 Une science modegravele

Une deuxiegraveme seacuterie de textes promeut lideacutee dune science fondatrice agrave savoir tous ceux

qui leacuterigent en science modegravele La meacutetaphysique est agrave la fois une science agrave part ndash parce

quarchitectonique ndash et la science par excellence Agrave ce titre Alexandre nheacutesite pas agrave employer des

arguments a fortiori du type si cela vaut pour les autres sciences alors cela vaut pour celle-ci

Ainsi en va-t-il exemplairement dans le commentaire au deacutebut de B351 Certes le livre A et sa

logique du maximum avaient deacutejagrave traceacute la voie en en faisant selon les opinions en la matiegravere la

science la plus exacte la plus apte agrave instruire etc et Alexandre ne sest pas priveacute de le souligner

agrave grand renfort de comparatifs ou de superlatifs de κυρίως et de μάλιστα Mais cette position

eacuteminente est maintenue sur lensemble du Commentaire conserveacute La science premiegravere est ainsi

celle qui exemplifie au mieux ce quest une science en geacuteneacuteral352

Comme M Bonelli la amplement montreacute Alexandre efforce drsquoinstituer la meacutetaphysique

selon le modegravele de la science deacutemonstrative des Seconds Analytiques Cest le cas degraves le livre A

alors quAristote peut sen tenir agrave une distinction entre science et technique Alexandre y ajoute la

deacutetermination de science deacutemonstrative en se reacutefeacuterant explicitement aux thegraveses de lOrganon et agrave la

deacutefinition de la science en Eacutethique agrave Nicomaque VI353 Jamais au livre A Aristote ne se prononce sur

le caractegravere deacutemonstratif de la science Seul K parlera dune laquo sagesse deacutemonstrative raquo (1059a 32-

33)354 Chez Alexandre au contraire limportation des thegraveses des Analytiques contamine tout le

commentaire le haut degreacute dexactitude de la sagesse se trouve par exemple fondeacute par les thegraveses

2 28 sq) Largument est donneacute comme deacutebut dune deacutemonstration par labsurde quil nest danslesprit dAlexandre mecircme pas besoin dexpliciter Cela implique que pour lExeacutegegravete il est eacutevident (etce passage est confirmeacute par le commentaire agrave A 2) que cest la laquo philosophie raquo qui est architectoniquedes autres sciences et cest pourquoi la logique ne peut en ecirctre une partie On notera au passage laspectretors de largument dAlexandre qui mecircme dans son rendu de la conception de la logique commepartie utilise de toute faccedilon le vocabulaire de linstrument et de lusage

351 In Met 172 2 laquo εἰ δὲ πρὸς πᾶσαν [sc ἐπιστήμην] καὶ τὴν προκειμένην raquo

352 On pourrait ici nous reprocher un raisonnement circulaire chercher agrave deacutemontrer la fonction defondation eacutepisteacutemique de la meacutetaphysique en nous appuyant sur son statut de science modegravele tout enexpliquant ce statut par la fonction fondationnelle (la science fondatrice de la scientificiteacute des autressciences ne pouvait pas ne pas preacutesenter elle-mecircme la scientificiteacute agrave leacutetat le plus pur) cest tomber dansle paralogisme du diallegravele Toutefois nous navons pas annonceacute vouloir preacutesenter des preuves ducaractegravere fondationnel de la meacutetaphysique selon Alexandre mais des eacuteleacutements laquo convergents raquo Lacirculariteacute est une conseacutequence de cette convergence et relegraveve des neacutecessaires pis-allers delinterpreacutetation lorsquelle est libeacutereacutee du mirage de la veacuteriteacute apodictique

353 Voir les citations faites lors du commentaire agrave 981b 25 (In Met 7 10 sq)

354 M Bonelli [2001] p 43 n 12

223

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

du chapitre I 27 des Seconds Analytiques qui deacutecrivent lexactitude dune science comme croissant

agrave proportion inverse du nombre de ses principes355

Degraves lors que la sagesse est deacutefinie comme science des premiers principes et des premiegraveres

causes limportation des Seconds Analytiques devient pour le moins probleacutematique comme

lindique le commentaire embarrasseacute et apparemment sans solution agrave 982a 26 Alexandre y tente

par la distinction entre axiomes et principes de leacutetant de sauver lideacutee que la sagesse est

deacutemonstrative La reacuteflexion dAlexandre part de lideacutee que les principes de leacutetant agrave linverse des

axiomes sont deacutemontrables il y a donc des choses premiegraveres (des preacutemisses mais le terme nest

pas dans le texte) anteacuterieures agrave leacutetablissement des principes de leacutetant puisque laquo les axiomes

servent aussi de principes agrave leur deacutemonstration raquo356 Mais dans ce cas quest-ce qui empecircche la

reacutegression agrave linfini cest-agrave-dire quil y ait des causes agrave ces choses premiegraveres principes des

principes de leacutetant Il faudrait alors supposer dit Alexandre que laquo toute deacutemonstration ne se

fait pas par la cause raquo Au milieu de ce deacuteveloppement tortueux lExeacutegegravete est precirct pour les

besoins de la cause agrave admettre la deacutemontrabiliteacute des principes de leacutetant ou agrave disjoindre

deacutemonstration et causaliteacute ndash cependant il ne semble jamais lui venir agrave lideacutee que la sagesse ne soit

pas deacutemonstrative quelle soit (si lon tient agrave limportation des Analytiques) deacutefinitionnelle par

exemple357

Le commentaire agrave B quant agrave lui deacuteploie ce reacutequisit au cœur mecircme des apories en tout

cas dans les quatre premiegraveres agrave la faveur de pistes poseacutees par le Stagirite Mais si chez Aristote le

modegravele deacutemonstratif fait partie inteacutegrante de la deacutemarche aporeacutetique (il est une structure qui

litteacuteralement fait problegraveme) chez Alexandre comme la montreacute M Bonelli358 il sannonce comme

partie de la solution En effet coutumier des anticipations qui tressent la trame de la

Meacutetaphysique et assurent sa coheacutesion Alexandre annonce les voies dlaquo euporie raquo des difficulteacutes

preacutesenteacutees en B Voire selon M Bonelli il laquo les reacutesout au moins en partie deacutejagrave dans le

commentaire au livre B raquo359 Un exemple typique en est fourni par la quatriegraveme aporie qui se

demande si la science des substances porte aussi sur leurs accidents par soi (laquo συμβεβηκότα καθ

355 Aristote AnPo I 27 87a 34-35 Alexandre In Met 11 15 sq et 12 21 sq

356 In Met 13 4-6 laquoἈρχαὶ γὰρ καὶ τῆς τούτων δείξεως τὰ ἀξιώματα Ἀλλ ἐπεὶ πᾶσα ἀπόδειξις ἐκπρώτων εἴη ἄν τινα καὶ τούτων πρῶτα raquo

357 On esquisse la possibiliteacute dune solution agrave cette question dune connaissance scientifique des premiersprincipes de leacutetant ci-dessous sect 333 Pour les axiomes voir 233

358 M Bonelli [2001] p 39 sq

359 M Bonelli [2001] p 44

224

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

αὑτά raquo) et des preacutedicats comme laquo mecircme raquo laquo autre raquo laquo semblable raquo etc Degraves son commentaire agrave la

preacutesentation de laporie en B 1 Alexandre introduit la theacuteorie des proprieacuteteacutes par soi (laquo καθ αὑτὸ

ὑπάρχοντα raquo) des Seconds Analytiques et distingue donc entre des proprieacuteteacutes par soi laquo au sens

propre raquo qui sont inclues dans les deacutefinitions et celles qui sont laquo inseacuteparables propres agrave la chose

et peu sen faut essentielles raquo quon trouve dans les seules laquo descriptions raquo (ὑπογραφή)360 Cette

distinction constitue clairement une reformulation des Seconds Analytiques I 4 et de lideacutee en I 22

que la deacutemonstration travaille avec les deux types de proprieacuteteacutes par soi (84a 11-17)361 Certes la

deacutefinition du second type donneacute par Alexandre ne correspond pas exactement agrave celle dAristote

mais les exemples qui suivent dans le commentaire agrave 995b 18 montrent que lAphrodisien

identifie les deux et cest dans cette seconde cateacutegorie quil range le mecircme lautre etc

Degraves la preacutesentation de laporie la faccedilon dont Alexandre anticipe sa reacutesolution est hors de

doute la philosophie premiegravere est de plein droit une science deacutemonstrative parce quelle use de

ces proprieacuteteacutes par soi dans les deux sens En effet laquo il nest mecircme pas possible dacqueacuterir la

science de quelque chose autrement quen connaissant ce type de proprieacuteteacutes raquo agrave savoir celles au

premier sens362 et pour le second type laquo il lui est aussi neacutecessaire de sen servir dans ses

deacutemonstrations car elles sont des instruments communs agrave ceux qui font des deacutemonstrations raquo363

Mais le philosophe premier est en outre celui qui les eacutetudie parce que agrave titre dinstruments

communs agrave toutes les sciences aucune science partielle ne peut les prendre pour objets deacutetude

et parce que loin de relever dune quelconque laquo logique raquo elles sont des notions qui

laquo appartiennent en commun agrave leacutetant raquo lequel en tant queacutetant fait lobjet de la philosophie

premiegravere364

Preacuteciseacutement dans le deacuteveloppement de cette quatriegraveme aporie Alexandre va en outre

injecter dans la philosophie premiegravere la distinction entre les tacircches deacutefinitoire et deacutemonstrative

de la science Alors que le deacuteveloppement dAristote en B 2 est purement interrogatif ndash et se

360 Sur ce texte voir M Rashed [2007b] p 309 et sur la distinction des deux sens de laquo par soi raquo cf tout le sect1 du chap VIII Sur lὑπογραφή cf M Bonelli [2001] p 65-66 et M Rashed ibid Sur la familiariteacutedAlexandre avec la distinction entre les deux laquo par soi raquo cf entre autres Quaest I 26 42 25 ndash 43 2

361 Sur tout ceci cf M Bonelli [2001] p 66 sq

362 In Met 176 22-24 laquo περὶ μὲν τούτων ἀναγκαῖος ὁ λόγος αὐτῷ [sc ὁ σοφὸς] οὐδὲ γὰρ ἄλλως οἷόντε περί τινων ἐπιστήμην λαβεῖν χωρὶς τοῦ γιγνώσκειν τὰ οὕτως ὑπάρχοντα raquo

363 In Met 177 6-8 laquo ἀλλὰ καὶ τοῖς ἄλλοις οἷς κατέλεξε πᾶσιν ἐν ταῖς ἀποδείξεσιν ἀναγκαῖον αὐτῷπροσχρῆσθαι κοινὰ γὰρ ταῦτα ὄργανα τοῖς ἀποδεικνύουσι raquo Sur lusage des axiomes par laphilosophie premiegravere cf M Bonelli [2001] p 152-157 et 250-251

364 In Met 177 4-14

225

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

termine par la qualification laquo de la plus haute difficulteacute raquo (997a 33-34) ndash chez Alexandre la

solution est expliciteacutee La sagesse ici deacutefinie comme science de la substance puis plus

preacuteciseacutement de la substance premiegravere (195 26 sq) heacuterite des deux tacircches Du point de vue

dAlexandre la principale difficulteacute agrave reacutesoudre est dexpliquer que ce nest pas parce quune

mecircme science agrave la fois deacutefinit (ce quest une substance) et deacutemontre (ses accidents par soi) que

pour autant il y a confusion entre les deux activiteacutes et quon tomberait dans lerreur de vouloir

deacutemontrer une essence365 Alexandre le dit simplement laquo en effet deacutefinir et deacutemontrer ne

sidentifient pas lun agrave lautre sil [ou laquo sous preacutetexte quil raquo] appartient agrave une seule personne ltde

les eacutetudiergt tous les deux raquo366 De toute faccedilon si les deux tacircches nappartenaient pas agrave la mecircme

science on ne verrait pas qui pourrait bien soccuper de la deacutemonstration des accidents par soi de

la substance Et de fait le geacuteomegravetre ndash et lExeacutegegravete prend bien soin de souligner lanalogie

Aristote fait comme si le geacuteomegravetre avait affaire agrave des substances367 ndash le geacuteomegravetre donc agrave la fois

deacutefinit ce quest une ligne (laquo longueur priveacutee de largeur raquo) et deacutemontre ses accidents essentiels

(par exemple decirctre droite ou courbe) Pour autant le geacuteomegravetre nentreprend pas de deacutemontrer sa

deacutefinition De mecircme pour le physicien qui eacutetudie effectivement des substances celle qui sont

naturelles et de mecircme aussi (laquo ὁμοίως δή raquo 195 25) pour la science des substances premiegraveres si

du moins celles-ci ont des accidents368 La sagesse est une science comme les autres et cest la

reacutefeacuterence aux autres sciences qui permet dasseoir son contenu qui chez Aristote restait en

suspens

Le texte reacutecupegravere donc explicitement la distinction entre fonctions deacutefinitionnelle

(laquo ὁριστική raquo) et deacutemonstrative (laquo ἀποδεικτική raquo) de la science introduite dans laporie

preacuteceacutedente369 et lapplique au cas de la science des substances premiegraveres Toutefois comme le dit

M Bonelli attendu quAlexandre a attribueacute agrave la science de leacutetant en tant queacutetant leacutetude des

proprieacuteteacutes essentielles et communes (les preacutedicats dialectiques) on peut se douter que la

reacutesolution de la quatriegraveme aporie donne eacutegalement des indications valant pour la laquo philosophie

universelle raquo370 Et de fait cet ensemble de caracteacuteristiques de la sagesse se trouve recueilli dans

365 La chose sexplique par les impeacuteratifs du commentaire cf 997a 30 sq

366 In Met 194 33-35 laquo οὐ γὰρ γίνεται ταὐτὸν θάτερον θατέρῳ τὸ ὁρίσασθαι τῷ ἀποδεῖξαι εἰ ἄμφωἑνὸς εἴη raquo

367 Cf le laquo εἴ γε ταῦτα οὐσίας λέγει raquo de 195 5-6

368 In Met 195 19-27

369 In Met 193 26 sq

370 M Bonelli [2001] p 73-74

226

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

le commentaire agrave Γ La science anonyme du deacutebut du laquo livre du philosophe raquo est une science

deacutemonstrative Alexandre commente en effet la fameuse ouverture laquo ἔστιν ἐπιστήμη τις ἣ

θεωρεῖ τὸ ὂν ᾗ ὂν καὶ τὰ τούτῳ ὑπάρχοντα καθ αὑτό raquo en disant

Λαμβάνει πρῶτον μὲν τὸ εἶναί τιναἐπιστήμην περὶ τὸ ὂν ᾗ ὄν τουτέστι τοῦὄντος ᾗ ὂν θεωρητικήν τε καὶ ἀποδεικτικὴντῶν τούτῳ καθαὑτὰ ὑπαρχόντων Πᾶσα γὰρἡ οὑτινοσοῦν ἐπιστήμη τῶν ἐκείνῳ καθαὑτὰὑπαρχόντων ἐστὶν ἀποδεικτική

ltAristotegt pose tout dabord quil y a une sciencequi porte sur leacutetant en tant queacutetant cest-agrave-dire quieacutetudie371 leacutetant en tant queacutetant et deacutemontre sesproprieacuteteacutes par soi Toute science en effet quel quesoit son objet deacutemontre les proprieacuteteacutes par soi de cetobjet

(239 6-9)

La distinction entre partie deacutefinitionnelle ndash ici conserveacutee dans le laquo θεωρητικήν raquo plus

fidegravele au texte dAristote ndash et partie deacutemonstrative portant sur les proprieacuteteacutes par soi de lobjet

sera maintenue au cours du livre en particulier lorsquAlexandre entreprendra de montrer

comment Aristote y reacutesout la quatriegraveme aporie de B

Δι ὧν δὲ εἴρηκέ τε καὶ κατεσκεύασελέλυκεν ἀπορίας τῶν ἐν τῷ Β βιβλίῳῥηθεισῶν τήν τε εἰ τῆς αὐτῆς ἐπιστήμης ἐστὶπερὶ τῶν [24615] οὐσιῶν πασῶν τὴν θεωρίανποιεῖσθαι ἢ ἄλλη ἄλλης οὐσίας ἐστὶνἐπιστήμη ἔτι καὶ τὴν εἰ τῆς αὐτῆς ἐστι περίτε τῆς οὐσίας θεωρεῖν καὶ τῶνσυμβεβηκότων αὐτῇ

Gracircce agrave ce quil a dit et eacutetabli Aristote a reacutesoludes difficulteacutes parmi celles eacutevoqueacutees au livre B ltladifficulteacute de savoirgt sil appartient agrave la mecircme sciencede faire leacutetude de toutes les substances ou si pourchaque substance il y a une science diffeacuterente celleen outre de savoir si cest agrave la mecircme science quilappartient deacutetudier agrave la fois la substance et sesaccidents

Ἀλλ εἰ δέδεικται ὅτι τῆς αὐτῆς τῷ γένειπερί τε πασῶν τῶν οὐσιῶν καὶ ἔτι περὶ τῶνὑπαρχόντων αὐταῖς οὐ διὰ τοῦτο ἔσται καὶτοῦ τί ἐστιν ἀπόδειξις οὐδὲν γὰρ κωλύειὑπὸ τὴν αὐτὴν τῷ γένει ἐπιστήμην [24620]εἶναι καὶ τὴν ὁριστικήν ἥτις τοῦ τί ἐστιθεωρητική καὶ τὴν ἀποδεικτικήν ἣ τῶν καθαὑτὰ ὑπαρχόντων ἑκάστῳ γένει ἐστὶνἀποδεικτική Καὶ τὸ ἐφεξῆς δὲ τούτῳἀπορηθὲν ἑξῆς λύει πρὸς δὲ τούτοις περὶταὐτοῦ καὶ ἑτέρου καὶ ὁμοίου καὶ ἀνομοίουκαὶ περὶ ἐναντιότητος δείκνυσι γὰρ ὅτι καὶἡ περὶ τούτων θεωρία οἰκεία τῇ περὶ τοῦὄντος

Mais sil a eacuteteacute montreacute que cest agrave une scienceidentique en genre deacutetudier toutes les substances eten outre leurs proprieacuteteacutes il ny aura pour autant pasdeacutemonstration de lessence Rien en effet nempecirccheque sous une science identique en genre il y ait agrave lafois la science deacutefinitionnelle qui eacutetudie lessence et ladeacutemonstrative qui deacutemontre les proprieacuteteacutes par soi dechaque genre Puis il reacutesout aussi le point qui faisaitensuite difficulteacute celui ltqui portegt en outre sur lemecircme et lautre le semblable et le dissemblable et lacontrarieacuteteacute il montre en effet que leacutetude de ceschoses est propre agrave celle de leacutetant

(246 13-24)

Il ne nous est pas ici neacutecessaire dexpliquer en deacutetail comment Aristote a bien pu en Γ

371 La traduction est peut-ecirctre un peu sous-deacutetermineacutee par rapport agrave lexpression grecque laquo θεωρητικήν raquomais dune part Alexandre semble employer ce genre de terme sans en faire grand cas (ainsi justeapregraves laquo ἀποδεικτική raquo) et dautre part la notion de capaciteacute dans les adjectifs en -ικος semble secirctrepassablement amenuiseacutee dans la langue dAlexandre

227

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

laquo dire et eacutetablir raquo la solution aux troisiegraveme et quatriegraveme apories372 un simple survol du passage

permet de confirmer que la double fonction deacutefinitionnelle et deacutemonstrative vaut aussi pour la

philosophie universelle Lagrave mecircme ougrave en Γ le vocabulaire de la deacutemonstration est presque

totalement absent373 Alexandre le suppleacutee comme si lExeacutegegravete se refusait agrave envisager pour la

meacutetaphysique une autre maniegravere decirctre une science Or il est tout agrave fait possible que pour le

Stagirite la reacutesolution des apories de B ne soit possible quau profit dun statut dexception

eacutepisteacutemique de la science de leacutetant en tant queacutetant374 Jamais par exemple le Stagirite ne prend-

il la peine de sexpliquer sur le statut deacutemontrable ou non des proprieacuteteacutes par soi de leacutetant en

tant queacutetant

Agrave linverse le maintien par Alexandre du modegravele des Analytiques se fait au profit non

seulement de la coheacuterence du traiteacute en lui-mecircme (la suite logique des livres entre eux) et avec le

reste de lœuvre aristoteacutelicienne mais aussi du statut eacutepisteacutemique de la science rechercheacutee La

comprendre comme une certaine science dapregraves le statut et le fonctionnement connus de

nimporte quel familier des Seconds Analytiques est une option exeacutegeacutetique forte Celle-ci preacutesente

des attraits hermeacuteneutiques indeacuteniables ndash mecircme les lecteurs dAristote qui soutiennent une

exceptionnaliteacute eacutepisteacutemique de la meacutetaphysique le font avec extrecircme prudence car peu sen faut

alors quon frocircle lincoheacuterence Il serait donc erroneacute de croire quAlexandre nagit ainsi que par

rigiditeacute et platitude terminologiques incapable de percevoir la souplesse du Stagirite cest-agrave-dire

sa capaciteacute agrave plier le λόγος au poids du reacuteel et du problegraveme agrave reacutesoudre Chez lExeacutegegravete le motif

du statut eacutepisteacutemique octroyeacute agrave la meacutetaphysique est plus profond qui provient du rang de

science modegravele quon a tenteacute dillustrer

233 La science des axiomes

Outre ses statuts de science architectonique et de science modegravele ndash deacutefinitionnelle et

deacutemonstrative ndash un troisiegraveme eacuteleacutement est agrave mettre au compte du rocircle fondationnel de la

meacutetaphysique agrave savoir sa capaciteacute agrave traiter des axiomes On entend par axiomes au premier chef

372 Cf ci-dessous 242

373 Le cas de la laquo deacutemonstration par reacutefutation raquo de Γ 4 1006a 11-12 est eacutevidemment un cas particulier

374 Sur cette exceptionnaliteacute cf entre autres P Aubenque [1962] et agrave sa suite J-F Courtine [2005] p 119Cf surtout M Crubellier [2005] qui affirme le laquo statut deacuterogatoire de la meacutetaphysique raquo (p 78)

228

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

le principe de non-contradiction mais aussi par exemple celui du tiers exclu375 En tant que

principes communs les sciences ordinaires en usent sans jamais pouvoir les eacutetudier pour eux-

mecircmes ni les eacutetablir ni mecircme simplement laquo en parler raquo376 Dans la meacutetaphysique au contraire

on la vu les axiomes constituent agrave la fois des instruments et des objets deacutetude Cette thegravese entre

cependant en directe contradiction avec le point preacuteceacutedent comment une science deacutemonstrative

peut-elle avoir agrave eacutetablir la veacuteraciteacute des axiomes Traiter cette question cest aussi se donner les

moyens de comprendre comment concregravetement la meacutetaphysique fonde les autres sciences et

garantit leur scientificiteacute

Aristote demandait en effet dans la deuxiegraveme aporie de B sil appartient agrave la mecircme

science de consideacuterer les principes de la substance et ceux de la deacutemonstration La reacuteponse

dAlexandre au cours du commentaire agrave Γ est sans appel

Πάντες οὖν διὰ τοῦτο αὐτοῖς χρῶνται Tous donc pour cette raison utilisent ltles

375 Alexandre donne aussi couramment comme exemples laquo des termes eacutegaux agrave une mecircme chose sontaussi eacutegaux entre eux raquo laquo si agrave partir de choses eacutegales des choses eacutegales sont retrancheacutees les restes sonteacutegaux raquo laquo tout deacutesir est deacutesir dun bien ou dun bien apparent raquo (cf par exemple In Met 175 9-13) Onlaisse ici de cocircteacute le problegraveme que posent ces exemples agrave savoir quil est difficile de comprendre en quoices axiomes (le dernier ne se lisant nulle part tel quel chez Aristote) peuvent reacuteellement passer pourdes principes communs Ce problegraveme est dailleurs deacutejagrave preacutesent chez Aristote (cf par exemple MMignucci [1975] p 135 et [2003] p 95) Une hypothegravese cependant pourrait ecirctre la suivante Aristoteaccepte par exemple de parler de la regravegle sur la soustraction des quantiteacutes eacutegales comme dun principecommun parce quil est impossible de restreindre ce principe agrave une seule science il ne peut doncconstituer un principe propre interne agrave une unique science Le mecircme argument vaudrait pour ledernier exemple proprement alexandrinien plusieurs sciences pourraient se servir dune telle regraveglepar exemple la science pratique mais aussi la physique de lacircme (cf la fin du De anima et le De motu)En ce sens seuls le principe de non-contradiction et son corollaire le tiers exclu seraient des principescommuns au sens le plus fort du terme agrave savoir laquo partageacutes par toutes les sciences raquo Les autresexemples seraient communs en un sens qui est sinon plus faible du moins neacutegatif agrave savoir ce quinappartient pas en propre agrave un individu ndash ce qui nimplique pas que ce commun au second sens soitpartageacute par tous les membres de la mecircme classe laquo Commun raquo signifie alors quelque chose comme laquo qui appartient agrave plus dun raquo (un terrain peut ecirctre commun parce que non soumis agrave la proprieacuteteacutepriveacutee sans pour autant ecirctre la proprieacuteteacute de tous) Le principe de non-contradiction serait donc laquo leplus ferme de tous raquo (Γ 3) parce que outre son statut de principe des autres axiomes il est aussi le plusuniversel le plus transversal ndash comme le dit Alexandre laquo καὶ κοινότατόν γε τὸ τῆς ἀντιφάσεωςἁπάντων τῶν ἀξιωμάτων ἀληθὲς γὰρ ἐπὶ πάντων raquo (175 13-14) Cf agrave ce sujet M Bonelli [2001] p248 sq qui propose lideacutee seacuteduisante selon laquelle Alexandre soutiendrait une hieacuterarchie de tous lesprincipes en fonction de leur universaliteacute (cf aussi p 251) Agrave tout le moins est-il plus certain que pourAlexandre ndash dans la ligne dAristote sur ce point ndash le principe de non-contradiction a un statut speacutecialNombreux sont les textes agrave aller dans ce sens qui font la part belle aux superlatifs et aux comparatifsentre le principe de non-contradiction et les autres axiomes Cependant il semble difficile de tirer deces textes autre chose quune deacutenivellation entre le principe de non-contradiction et les autres axiomeset daller jusquagrave y deacuteceler une hieacuterarchie deacuteveloppeacutee

376 Sur lopposition entre parler des axiomes et les utiliser cf entre autres In Met 187 31-32 laquo οὔτε γὰργεωμετρία περὶ αὐτῶν οὔτε μουσικὴ λέγει καίτοι χρώμεναι αὐτοῖς raquo

229

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ὅτι καθὸ ὄντα ἐστὶ περὶ ἃ πραγμα-[26525]τεύονται κατὰ τοῦτο αὐτοῖς ὑπάρχειπᾶσι γὰρ αὐτοῖς τὸ ὂν κοινόν Καὶ οὐδεμίατῶν κατὰ μέρος ἐπιστημῶν ἐπιχειρεῖ περὶαὐτῶν λέγειν ὅτι ἀληθῆ ἢ οὐκ ἀληθῆ οὔτεγὰρ γεωμέτρης καίτοι χρώμενος αὐτοῖςοὔτε ἀριθμητικὸς οὔτε τῶν ἄλλων τις ἰατρὸςἢ ἀστρολόγος ἢ μουσικός ltἀλλὰ τῶνφυσικῶν ἔνιοιgt Καὶ διὰ τούτου συνίστησι τὸεἶναι ταῦτα τῷ ὄντι ᾗ ὂν [26530] ὑπάρχονταΤῶν μὲν γὰρ περί τινος μέρους τοῦ ὄντοςλεγόντων οὐδεὶς περὶ αὐτῶν ἐγχειρεῖ λέγειν

axiomesgt parce que cest dans la mesure ougrave ce dontils traitent ce sont des eacutetants que ltles axiomesgt leurappartiennent car leacutetant leur est commun agrave tous Etaucune science partielle nentreprend agrave propos desaxiomes de dire sils sont vrais ou non ni legeacuteomegravetre quoiquil utilise ces ltaxiomesgt nilarithmeacuteticien ni aucun autre ndash meacutedecin astronomeou musicien ndash laquo mais certains physiciens raquo [lontentrepris] Et par lagrave Aristote confirme que lesltaxiomesgt sont des proprieacuteteacutes de leacutetant en tantqueacutetant En effet parmi ceux qui tiennent desdiscours sur une partie de leacutetant personne nesengage agrave discuter des ltaxiomesgt

(265 24-31)

On la vu Alexandre leste les axiomes et a fortiori celui de non-contradiction dune

puissante charge ontologique La deuxiegraveme partie de Γ nest pas un appendice logique agrave une

premiegravere partie ontologique mais la continuation des deacuteveloppements sur lun et donc le mecircme

lautre etc ces derniers ayant le statut de proprieacuteteacutes par soi de leacutetant en tant queacutetant Cette

charge ontologique repreacutesente une interpreacutetation sinon valide du moins parfaitement deacutefendable

et coheacuterente377 Leacutecart se creuse dans le fait que chez Alexandre les axiomes se placent sous la

cateacutegories des proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant aux cocircteacutes des plurivoques de Δ ou des

contraires alors quAristote semble cest peu de le dire moins affaireacute agrave les classer

LExeacutegegravete ne contrevient pas agrave lindeacutemontrabiliteacute des principes de la deacutemonstration et la

rappelle mecircme au seuil du commentaire agrave Γ 3 les axiomes sont ces laquo principes communs et

indeacutemontrables raquo (264 35-36) Comment une science deacutemonstrative peut-elle les prendre pour

objet M Bonelli a proposeacute de desserrer leacutetau de la contradiction en soutenant que pour

Alexandre les axiomes ne sont pas indeacutemontrables au sens de laquo ne peuvent pas faire lobjet dune

deacutemonstration raquo mais de laquo nont pas besoin decirctre deacutemontreacutes raquo ce qui sous-entend quils le

pourraient malgreacute tout378 Effectivement en un passage379 lAphrodisien glose ainsi ladjectif

laquo ἀποδεικτικός raquo Mais une telle geacuteneacuteralisation est discutable trop de textes dAlexandre ne

377 Pour des interpreacutetations modernes en ce sens voir par exemple F Wolff [2000] p 73-102 ouM Crubellier [2008] et [2009] p 71

378 M Bonelli [2001] p 241-242

379 In Met 271 11-13 laquo τῶν δὲ ἀξιωμάτων πάντων ταύτην εἶπεν ἀρχὴν εἶναι οὐκ ἀποδεικτικήν (οὐδὲγὰρ δεῖται ἀποδείξεως τὰ ἀξιώματα οὐ γὰρ ἂν ἔτι ἀξιώματα εἶεν οὐδὲ ἀρχαί) raquo M Bonelli [2001]p 242 n 20 traduit ainsi la parenthegravese laquo infatti gli assiomi non hanno bisogno di dimostrazione altrimentinon sarebbero piugrave assiomi neacute principi raquo Mais cela nous paraicirct malgreacute tout difficile Voir en ce sens et entreautres pour un autre type de principe la Quaestio I 1 4 4-5 laquo οὐ γὰρ οἷόν τε τῆς πρώτης ἀρχῆςἀπόδειξιν εἶναι raquo

230

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

feraient plus du tout sens si lon deacutefinissait ainsi laquo ἀποδεικτικός raquo Par exemple dans son

commentaire agrave A 9 Alexandre preacutesente la connaissance des axiomes comme inaccessible par la

deacutemonstration et comme laquo immeacutediate raquo380 et en Γ 4 il affirme clairement quil est impossible de le

deacutemontrer (laquo οὐχ οἷόν τε δὲ πρῶτόν τι καὶ γνωριμώτερον τούτου λαβεῖν ὡς προείρηται ὥστε

οὐδὲ ἀποδεῖξαι αὐτὸ οἷόν τε raquo 273 6-8) Le principe de non-contradiction est donc

indeacutemontrable dans tous les sens du terme assureacutement aussi dans le second sens distingueacute par

M Bonelli puisque cet axiome est laquo le plus familier raquo mais il demeure surtout indeacutemontrable au

premier sens

Il sagit degraves lors de comprendre en quel sens en Γ 3 Aristote peut affirmer que

laquo lexamen raquo des axiomes appartient au philosophe (laquo σκέψις raquo 1005a 22) et qulaquo il appartient

donc au philosophe cest-agrave-dire agrave celui qui eacutetudie la substance tout entiegravere en tant que constitueacutee

ltcomme tellegt381 dexaminer aussi les principes deacuteductifs raquo (1005b 6-8) Alexandre deacuteveloppe

deux fois cette ideacutee

Λέγει δὲ τὸν πρῶτον φιλόσοφον περὶτῶν ἀξιωμάτων ἐρεῖν οὐχ ὡς ἀποδείξοντά[26620] τι αὐτῶν (ἀναπόδεικτοι γὰρ αἱ ἀρχαὶτῶν ἀποδείξεων ὡς λέγει) ἀλλὰ τίς ἡ φύσιςαὐτῶν καὶ πῶς ἡμῖν ἐγγίγνεται καὶ πῶςαὐτοῖς χρηστέον καὶ ὅσα ἄλλα περὶ αὐτῶνἐν τοῖς Περὶ ἀποδείξεως πραγματεύεταιὥσπερ γὰρ ὁ περὶ τῶν ἀξιωμάτων λόγος τοῦφιλοσόφου οὕτω καὶ ὁ περὶ ἀποδείξεως οὐπερὶ τῆς τοῦδε ἢ τοῦδε ἀλλὰ καθόλου τί τέἐστιν ἀπόδειξις καὶ πῶς [26625] γίνεταιΟὐδὲ γὰρ ἡ ἀπόδειξις ἑνί τινι γένει τῶν ὑπὸτὰς ἐπιστήμας ὑπάρχει ἀλλ ἔστι καθἑκάστην ἐπιστήμην ἀπόδειξις παρὰ τὰοἰκεῖα τῆς ἐπιστήμης καὶ χρῆται ἕκαστος ἐξ

Aristote dit que le philosophe premier parlerades axiomes non pas dans lintention den deacutemontrerun (car les principes des deacutemonstrations sontindeacutemontrables comme il le dit) mais ltde diregtquelle est leur nature comment ils viennent en nouscomment nous devons les utiliser et toutes ces autreschoses dont il soccupe dans le De la deacutemonstration382De mecircme en effet que la discussion des axiomesincombe au philosophe de mecircme aussi celle sur ladeacutemonstration ndash non pas sur la deacutemonstration de ceciou de cela mais sur en geacuteneacuteral ce quest unedeacutemonstration et comment elle se produit Car ladeacutemonstration nappartient pas non plus agrave lun desgenres qui sont sous les sciences mais il y a danschaque science une deacutemonstration pour383 les objets

380 Cf In Met 130 13 -16 laquo Kαὶ ἔστι τινὰ καὶ ἐν ταῖς δι ἀποδείξεως διδασκαλίαις γνωριζόμενα ὑπὸτοῦ μανθάνοντος ἄλλα ὄντα τῶν ἀποδεικνυμένων τοιαῦτα γὰρ τὰ ἀξιώματα φυσικαί τινεςοὖσαι ἔννοιαι καὶ προτάσεις ἄμεσοι raquo Cf aussi le commentaire agrave B 2 996b 35 sq (In Met 188 9 sq)et (traduit ci-dessous) 266 19 sq Voir enfin 272 20 sq et 274 32 sq M Mignucci ([2003] p 95)paraphrase ainsi la position alexandrinienne laquo I principi sono indimostrabili e sarebbe unimperdonabilemancanza di conoscenza della logica pretendere che tutto debba essere provato raquo en citant en note 266 18-20 et266 32 ndash 267 6

381 La traduction sinspire de celle de M Crubellier ([2005] p 69) mais la formule est vraiment difficileAinsi W Leszl propose-t-il de construire laquo ᾗ πέφυκεν raquo avec laquo τοῦ φιλοσόφου raquo et milite contre Rosset avec Bonitz (Index aristotelicus 833a 30 sq) pour une traduction du type laquo conformeacutement agrave sanature raquo Cf W Leszl [2008] p 248 n 17

382 Agrave savoir les Seconds Analytiques voir par exemple In AnPr 6 32-33 et 7 33 ndash 8 2 M Bonelli ([2001]p 272 n 101) renvoie eacutegalement agrave Galien

383 Lusage de παρά est un peu eacutetonnant dans ce contexte nous navons trouveacute aucun emploi parallegravele

231

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ὑποθέσεως παρὰ φιλοσοφίας τὸ πῶςἀποδεικνύναι χρὴ λαμβάνων

propres de la science et chaque ltscientifiquegt sensert sur la base dune hypothegravese recevant de laphilosophie la faccedilon dont il faut deacutemontrer raquo

(266 18-28)

Ce quil reprend ensuite en disant

Ὅτι περὶ τὰ ἀξιώματα λέγων εἶναι τὸνπρῶτον φιλόσοφον οὐχ ὡς ἀποδεικνύντααὐτὸν λέγει ἀλλ ὡς δεικνύντα ὅτι ἀρχαὶἀποδείξεως αἱ δὲ ἀρχαὶ ἀναπόδεικτοι δηλοῖδι ὧν ἄρτι λέγει πρὸς τοὺς οἰομένουςπάντων [26635] ἀπόδειξιν εἶναι καὶ μηδὲνἀποδέχεσθαι ἀξιοῦντας ἀληθὲς εἶναι ἄνευ[2671] ἀποδείξεως λεγόμενον περὶ ὧνεἴρηκε καὶ ἐν τοῖς Ὑστέροις ἀναλυτικοῖςτούτους γάρ φησι δι ἀπαιδευσίαν τῶνἀναλυτικῶν ταῦτα λέγειν Δέδεικται γὰρ ἐνἐκείνοις ὅτι δεῖ ἀρχὴν ἀποδείξεως εἶναι καὶταύτην ἀναπόδεικτον Οὐδὲ γὰρ ἂν ὅλωςἀπόδειξις εἴη εἰ περὶ πάντων ζητοίη τιςΠᾶσα γὰρ [2675] διδασκαλία ὡς ἐν ἐκείνοιςεἴρηται καὶ πᾶσα μάθησις διανοητικὴ ἐκπροϋπαρχούσης γίνεται γνώσεως καὶ ἔστιταῦτα τὰ ἀξιώματα καλούμενα

En disant que le philosophe premier a affaire auxaxiomes il veut dire non pas quil les deacutemontre maisquil montre quils sont principes de ladeacutemonstration alors que les principes sontindeacutemontrables384 et il le fait voir par ce quil ditmaintenant contre ceux qui croient quil y a unedeacutemonstration de toutes choses et estiment quon nedoit rien accepter comme veacuteridique sansdeacutemonstration ce dont il a aussi parleacute dans lesSeconds Analytiques ndash car ceux-lagrave affirme-t-il tiennentce langage par manque de formation aux AnalytiquesIl a montreacute en effet dans les Seconds Analytiques quil ya neacutecessairement un principe de la deacutemonstration etque celui-ci est indeacutemontrable Il ny aurait en faitaucune deacutemonstration si lon recherchait unedeacutemonstration de toutes choses Car laquo toutenseignement comme il la dit dans ces livres et toutapprentissage qui ont lieu par un raisonnementprocegravedent dune connaissance preacuteexistante raquo385 et ceschoses sont ce quon appelle axiomes

(266 32 ndash 267 6)

Le premier texte est la fin du commentaire agrave la premiegravere phrase de Γ 3 (1005a 19-21) mais

Alexandre y commente en reacutealiteacute toute la premiegravere partie du chapitre Le second se situe au

deacutebut du commentaire agrave 1005b 2-4 dougrave la reacutefeacuterence agrave ceux qui ignorent les Analytiques On se

rappelle que la probleacutematique du chapitre chez Aristote est tregraves semblable sinon identique agrave la

deuxiegraveme aporie comme Alexandre sen est aviseacute degraves le deacutebut de son commentaire ie la

question appartient-il agrave la mecircme science de traiter de la substance et des axiomes On le sait

aussi la reacuteponse dAristote est ici positive et le deacutebut du chapitre (1005a 21-b 8) entreprend

Le manuscrit L donne dailleurs laquo περί raquo qui convient mieux Les diverses traductions du passagedonnent M Mignucci ([2003] p 96) laquo piuttosto la dimostrazione egrave di ciascuna scienza secondo le coseappropiate alla scienza raquo M Bonelli ([2001] p 271 n 100) laquo ma per ogni scienza vi egrave una dimostrazionepresso le cose proprie della scienza raquo A Madigan ([1993] p 46) laquo on the contrary in each science there is ademonstration corresponding to the proper objects of the science raquo M Casu ([2007] p 629) laquo piuttosto inciascuna scienza la dimostrazione egrave applicata agli oggetti propri della scienza raquo

384 Ou laquo il montre quil sont principes de la deacutemonstration mais quils sont indeacutemontrables Il le faitvoir raquo (cest loption choisie par A Madigan)

385 Aristote AnPo I 1 71a 1-2 traduction P Pellegrin

232

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

dargumenter cette position en liant leacutetude des axiomes agrave leacutetude de la substance laquo ᾗ πέφυκεν raquo

et de leacutetant en tant queacutetant386 En Γ le Stagirite ne rappelle jamais expresseacutement les arguments

preacutesenteacutes contre cette reacuteponse agrave laporie en B et son argumentation y est plus pro que contra

Alexandre en revanche affronte le problegraveme de la connaissance des axiomes cest-agrave-dire celui de

leur deacutemontrabiliteacute la difficulteacute seacutetant chez lui figeacutee en un veacuteritable nœud eacutetant donneacute la

meacutethode prescrite agrave la philosophie premiegravere

La thegravese qui saffirme agrave travers les deux textes consiste donc agrave soutenir que le philosophe

premier tient sur les axiomes un discours quon peut qualifier de deacutefinitionnel et de descriptif Il

doit dire laquo quelle est leur nature comment ils viennent en nous comment nous devons les

utiliser raquo proposition ramasseacutee dans le second extrait en un simple laquo il montre quils sont

principes de la deacutemonstration raquo cest-agrave-dire quil dit ce quils sont On songe ici aux Seconds

Analytiques I 3 peut-ecirctre I 11 et surtout II 19 le texte est agrave mecircme de soutenir lhypothegravese selon

laquelle Alexandre a sans doute en tecircte les recoupements entre ce dernier chapitre des

Analytiques et le premier de la Meacutetaphysique Mais le champ deacutetude seacutetend en reacutealiteacute agrave lensemble

du traiteacute De la deacutemonstration puisque le philosophe premier doit aussi connaicirctre laquo ce quest en

geacuteneacuteral une deacutemonstration raquo (266 24) dans une tournure qui rappelle trop lessence pour ne pas

ecirctre preacutemeacutediteacutee par lAphrodisien

Le pas le plus deacutecisif consiste ainsi agrave retourner positivement la proposition dAristote sur

laquo lignorance des Analytiques raquo Alexandre transforme en effet la double neacutegation de la critique

aristoteacutelicienne contre ceux qui ne connaissent pas les Analytiques en laffirmation en faveur de

lappartenance des Seconds Analytiques agrave la philosophie premiegravere Or que le philosophe premier

386 Il nous semble en effet agrave la diffeacuterence de la preacutesentation proposeacutee par A Jaulin et M-P Duminil([2008] p 152-153) que ces lignes forment un tout une premiegravere argumentation apregraves le rappelliminaire de la question Celle-ci reccediloit une reacuteponse explicite dans une phrase qui vient nettementconclure ce qui preacutecegravede laquo ὅτι μὲν οὖν τοῦ φιλοσόφου καὶ τοῦ περὶ πάσης τῆς οὐσίας θεωροῦντος ᾗπέφυκεν καὶ περὶ τῶν συλλογιστικῶν ἀρχῶν ἐστὶν ἐπισκέψασθαι δῆλον raquo (1005b 5-8) Dailleurs siRoss imprime ici un tiret avant la phrase et un simple point en haut apregraves son commentaire pose uneclaire division en b 8 (cf [1924] p 263) Il ne nous paraicirct en tout cas pas possible de couper comme lefont A Jaulin et M-P Duminil en 1005b 11 (apregraves laquo ἔστι δ οὗτος ὁ φιλόσοφος raquo) car il est tregravesprobable que le laquo βεβαιοτάτας raquo de 1005b 11 soit eacutetroitement lieacute au laquo βεβαιοτάτη raquo qui suit Voir agrave cesujet M Crubellier [2008] p 388 Alexandre quant agrave lui propose de deacuteplacer la phrase de b 2-5 apregravesle laquo δῆλον raquo de b 8 ce qui revient agrave intervertir la position de lun des arguments et de sa conclusionMais la phrase valant conclusion pour lensemble de ce qui preacutecegravede on doit plutocirct conserver lordre dutexte en leacutetat En fait ce faisant Alexandre propose de consideacuterer b 2-5 comme relevant de ladeuxiegraveme argumentation principale du chapitre en faveur dune reacuteponse positive agrave laporie Alexandreconnecte ainsi la question de la veacuteriteacute et lignorance des Analytiques avec laquo la connaissance de chaquegenre raquo et la qualification du laquo principe le plus sucircr raquo (In Met 267 14-21) Voir contre ce deacuteplacementles arguments de M Crubellier [2008] p 383 n 10

233

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

sen prenne agrave ceux qui ignorent les Analytiques nimplique certainement pas que la connaissance

de ces derniers relegraveve de la philosophie premiegravere La thegravese alexandrinienne commet un saut

logique

Mais la question est de savoir sil faut prendre le passage au pied de la lettre quand

jamais Aristote naffirme une telle chose quand jamais les Analytiques ne sont preacutesents dans les

listes aristoteacuteliciennes des diverses sciences387 quand le deacutebut du Commentaire aux Premiers

Analytiques dAlexandre lui-mecircme reprend parfaitement la position peacuteripateacuteticienne

traditionnelle qui conccediloit les Analytiques et la logique en geacuteneacuteral non comme une partie de la

philosophie (position stoiumlcienne et stoiumlcisante) mais comme un instrument (lorganon) des

diverses sciences388 Linterpreacutetation dAlexandre est dautant plus choquante que la proposition

dAristote en Γ 3 aurait eacuteteacute tout agrave fait compatible avec une conception simplement instrumentale

des Analytiques Ici se situerait alors lune des manifestations les plus eacuteclatantes de la conception

fondationnelle de la meacutetaphysique comme principe de la scientificiteacute des autres sciences

Or tout concourt agrave ce que agrave la suite de M Bonelli389 on doive ici prendre au seacuterieux une

telle affirmation Tout dabord la thegravese est reacutepeacuteteacutee deux fois dans le commentaire agrave Γ En outre

comme le fait remarquer M Bonelli elle se lisait deacutejagrave agrave la fin du commentaire au deacuteveloppement

de la deuxiegraveme aporie en B 2 quoique sous une forme prudente laquo par ces consideacuterations il

serait aussi eacutetabli que leacutetude de la deacutemonstration est en un sens une partie de la philosophie raquo390

Du reste la position est coheacuterente avec ce que de notre cocircteacute nous avons deacutejagrave releveacute quant

au rocircle fondationnel de la meacutetaphysique selon Alexandre elle en figure comme la pointe ultime

La reacuteduction instrumentale de la logique agrave lœuvre dans le Commentaire aux Premiers Analytiques

nest pas incompatible avec lideacutee que la logique est aussi lœuvre du seul philosophe ndash cest mecircme

la proposition inaugurale du Commentaire391 On serait alors fondeacute agrave preacuteciser quelle est mecircme

lœuvre du philosophe premier Enfin la position est eacutegalement coheacuterente avec ce qui suit sur

leacutetablissement du principe de non-contradiction

387 Cf aussi M Mignucci [2003] p 96

388 In AnPr 1 7 ndash 3 29

389 M Bonelli [2001] p 270-276

390 In Met 191 11-12 laquo εἴη δ ἄν πως διὰ τούτων καὶ τὸ μέρος φιλοσοφίας εἶναι τὴν ἀποδεικτικὴνπραγματείαν τιθέμενον raquo M Bonelli [2001] p 275

391 Cf In AnPr 1 3-6 laquo Ἡ λογική τε καὶ συλλογιστικὴ πραγματεία ἡ νῦν ἡμῖν προκειμένη ὑφἣν ἥ τεἀποδεικτικὴ καὶ ἡ διαλεκτική τε καὶ πειραστικὴ ἔτι τε καὶ ἡ σοφιστικὴ μέθοδος ἔστι μὲν ἔργονφιλοσοφίας χρῶνται δὲ αὐτῇ καὶ ἄλλαι τινὲς ἐπιστῆμαι καὶ τέχναι ἀλλὰ παρὰ φιλοσοφίαςλαβοῦσαι raquo Cf agrave ce sujet P Hadot [1979]

234

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Alexandre va en effet renforcer cette thegravese agrave loccasion de la laquo deacutemonstration par

reacutefutation raquo (qui nest donc pas une veacuteritable deacutemonstration) du principe laquo le plus sucircr de tous raquo

Comme la montreacute M Mignucci dans un article extrecircmement eacuteclairant lExeacutegegravete deacuteveloppe une

interpreacutetation forte de laffirmation dAristote selon laquelle cette laquo opinion derniegravere raquo le principe

de non-contradiction est aussi laquo le principe de tous les autres axiomes raquo (1005b 32-34) Le texte

dAristote doit probablement ecirctre pris avec une extrecircme prudence sil est vrai que lopposition

dAristote agrave la dialectique platonicienne interdit dy lire lideacutee que les principes des diverses

sciences sont prouveacutes par la philosophie premiegravere392 Cest pourquoi Mignucci propose de le lire

en lien avec le texte dAnPo I 11 comme signifiant que le principe de non-contradiction est une

condition neacutecessaire mais non suffisante agrave la veacuteriteacute des principes des diverses sciences Or dans

son commentaire au passage393 Alexandre explique que la neacutegation des axiomes implique

neacutecessairement une contradiction ce qui revient agrave admettre une deacuterivabiliteacute de tous les axiomes agrave

partir du principe de non-contradiction394 Cet argument est donneacute en faveur de la thegravese selon

laquelle nous employons souvent le principe afin de confirmer les axiomes et notre conviction en

eux (laquo πολλάκις εἰς σύστασιν αὐτῶν καὶ πίστιν τούτῳ προσχρώμεθα raquo 271 13-14)

Si Alexandre reste malheureusement assez silencieux sur la valeur eacutepisteacutemologique de

cette reacutefutation comme le remarque agrave raison Mignucci395 on peut malgreacute tout se risquer agrave

quelques hypothegraveses en particulier gracircce au paralleacutelisme quAlexandre opegravere entre la

confirmation par labsurde des divers axiomes et largumentation reacutefutative en faveur du principe

de non-contradiction396 Conccediloit-il toute cette entreprise comme dialectique en se rapprochant

ainsi de nombre de lectures modernes397

Puisque les sciences partielles sont incapables dlaquo entreprendre agrave propos des axiomes de

392 M Mignucci [2003] p 97

393 Voir en particulier 271 7-21

394 Cf 271 14-21 laquo Συνιστάντες γὰρ ὅτι τὰ τῷ αὐτῷ ὅμοια καὶ ἀλλήλοις ἐστὶν ὅμοια λαμβάνομεν εἰγὰρ μὴ τοῦτο οὐχ ὅμοια ἀλλήλοις ἔσται εἰ δὲ μὴ ἀλλήλοις ὅμοια οὐδ ἂν ἑνί τινι τῷ αὐτῷ ὅμοιαεἴη ἀλλὰ παραλλάσσοι ἂν αὐτοῦ καθὸ καὶ ἀλλήλων ἔκειτο δὲ ὅμοια εἶναι τὰ αὐτὰ ἄρα ἅμα τῷαὐτῷ ὅμοιά τε καὶ οὐχ ὅμοια ἐφὃ ὡς εἰς ἀδύνατον φανερὸν ἀγαγόντες τὸν λόγον ἡγούμεθαβεβοηθηκέναι εἰς σύστασιν τῷ ἀξιώματι τῷ λέγοντι τὰ τῷ αὐτῷ ὅμοια καὶ ἀλλήλοις εἶναι ὅμοια raquoCf M Mignucci [2003] p 98 qui explique comment Φ deacutesignant un axiome et PNC le principe denon-contradiction linfeacuterence not Φ ⊢ not PNC est logiquement eacutequivalente agrave Φ ⊢ PNC qui est contraire agravela charge anti-dialectique de la penseacutee aristoteacutelicienne Cf aussi M Bonelli [2001] p 269

395 M Mignucci [2003] p 101

396 M Bonelli [2001] p 263 et M Mignucci [2003] p 100

397 Voir agrave titre dexemple A Code [1986] discuteacute par R Bolton [1990]

235

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

dire sils sont vrais ou non raquo (265 26-27) on pourrait en infeacuterer que la meacutetaphysique elle le peut

Or le verbe laquo ἐπιχειρεῖ raquo qui signifie en geacuteneacuteral laquo mettre la main sur raquo laquo entreprendre raquo peut

avoir chez Alexandre (et deacutejagrave chez Aristote) un sens plus preacutecis argumenter tenter damener agrave

une conclusion398 il dit alors une argumentation proprement dialectique399 Mais lemploi

dἐπιχειρεῖ en 265 26 est en reacutealiteacute non technique Alexandre emploie laquo ἐπιχειρεῖ raquo en eacutecho avec

le laquo ἐγχειροῦσι raquo de 1005b 2 dans le texte dAristote Le verbe est en outre construit avec une

infinitive et ceci incite donc agrave le prendre en un sens faible ou plus geacuteneacuteral Le plus important est

alors linfinitive qui suit ce verbe le philosophe premier a agrave laquo entreprendre raquo de laquo dire sils ltles

axiomesgt sont vrais ou non raquo Or dans le scheacutema alexandrinien ce nest pas agrave la dialectique de se

prononcer sur la veacuteriteacute ndash la dialectique peut fournir une aide ou un soutien elle est mecircme tregraves

laquo utile raquo400 mais la recherche de la veacuteriteacute incombe uniquement agrave la philosophie et agrave la science401 Si

ce que la philosophie premiegravere doit confirmer cest la veacuteriteacute ndash connue dabord immeacutediatement ndash

des axiomes il semble alors difficile de comprendre leacutetablissement de celle-ci comme une

entreprise dialectique

Cette entreprise nest bien sucircr pas deacutemonstrative ndash Alexandre ne confond pas

laquo deacutemonstration absolue raquo et laquo deacutemonstration par reacutefutation raquo (cf 273 5 sq) ce qui serait une

voie peut-ecirctre efficace mais bien grossiegravere pour faire entrer leacutetablissement du principe de non-

398 Cf en ce sens In Met 14 18-19 (laquo ἐπιχείρησις raquo) 139 7 etc

399 Dans le Commentaire aux Topiques le verbe deacutesigne celui qui emploie une ἐπιχείρησις cest-agrave-direconformeacutement agrave son emploi aristoteacutelicien (quoique plus rare) largument dialectique qui vise agrave reacutefuterlopposant plutocirct que deacutetablir la veacuteriteacute Cf WE Dooley [1992] p 56 n 151 et surtout Aristote Top I2 101a 30 etc et Alexandre In Top 2 20 sq 76 10 133 29 547 8-14 Le terme a donc un sens prochede la notion dlaquo attaque raquo dialectique ndash comme le traduit J Brunschwig chez Aristote (par exemple TopII 2 110a 11) Dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique il sert ainsi agrave deacutesigner le travail de la dialectique(In Met 174 2 sq 260 21 sq (anticipeacute dans le proegraveme en 236 26) 166 20 176 35 181 2 etc) Eacutetantdonneacute le statut dialectique quAlexandre octroie agrave la deacutemarche aporeacutetique le terme est freacutequent pourdeacutesigner ce que fait Aristote en B ndash ainsi quand il laquo argumente raquo au profit dune position puis de soncontraire

400 Conformeacutement aux Topiques I 2 101a 34 ndash 101b 2

401 Voir In Met 174 1 176 35 sq pour lopposition entre le sage qui vise la veacuteriteacute et le dialecticien (demecircme 177 20 sq) Dans le commentaire agrave Γ lopposition est plus fine philosophie et dialectique sonttoutes deux syllogistiques et ont le mecircme champ deacutetude mais la premiegravere deacutemontre les veacuteriteacutes tandisque la dialectique met agrave leacutepreuve et laquo syllogise raquo agrave propos des veacuteriteacutes et des opinions admises (260 3-5 laquo ἀλλ ἡ μὲν τὴν δύναμιν συλλογιστικὴν ἀποδεικτικὴν ἔχει τῶν ἀληθῶν ἡ δὲ διαλεκτικὴπειραστικὴ περὶ τῶν ἀληθῶν καὶ τοῦ ἐνδόξου συλλογιστική raquo) Sur lassociation deacutemonstration veacuteriteacute par opposition agrave la dialectique voir aussi In AnPr 8 23 sq In Top 1 7 sq Le Commentaire auxTopiques ne sembarrasse dailleurs pas des subtiliteacutes du commentaire agrave Γ laquo ὥστε οὐκ ἐν τῷ διἀληθῶν συλλογίζεσθαι ἡ διαλεκτικὴ τὸ εἶναι ἂν ἔχοι ἀλλ ἐν τῷ δι ἐνδόξων raquo (3 21-23 confirmeacutepar 6 12 sq 16 27 sq etc)

236

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

contradiction dans la philosophie premiegravere conccedilue comme science deacutemonstrative Cependant

puisque la philosophie premiegravere est une science au sens plein elle nest pas seulement

deacutemonstrative mais aussi laquo horistique raquo deacutefinitionnelle ou deacutefinissante Leacutetablissement du

principe et la connaissance des Analytiques en geacuteneacuteral pourraient bien se produire de ce cocircteacute-lagrave

on se rappelle en effet quil sagit selon Alexandre de savoir laquo ce quest la deacutemonstration raquo (266

24) de montrer comment les axiomes sont ce quils sont agrave savoir des principes de la

deacutemonstration

Finalement et de faccedilon peut-ecirctre sophistique lExeacutegegravete peut retourner largument selon

lequel la meacutetaphysique eacutetant une science deacutemonstrative au sens fort elle ne pourrait eacutetudier les

axiomes Cest preacuteciseacutement dit Alexandre parce que le philosophe premier se doit decirctre un expert

en deacutemonstration (dailleurs de lui les autres sciences pourront apprendre agrave bien deacutemontrer402)

quil doit aussi travailler ce qui fonde les deacutemonstrations Largument tombera agrave pic pour des

platoniciens comme en teacutemoigne sa reprise pure et simple par Syrianus403

Selon M Bonelli le fait que la meacutetaphysique traite ainsi des axiomes permet de

rapprocher sa version alexandrinienne de lideacutee platonicienne dune laquo super-science raquo agrave laquelle

sont subordonneacutees les autres404 Le seul fait que les axiomes tombent dans le champ de la

philosophie premiegravere ne suffit pas agrave deacutemontrer la thegravese puisque dans ce cas il faudrait peut-ecirctre

tirer la mecircme conclusion du cocircteacute dAristote Comme le dit M Mignucci laquo Alessandro non diventa

un partigiano della subordinazione delle scienze alla filosofia ma certamente fa un passo in quella

direzione raquo405 De fait affirmer la deacuterivation des divers axiomes agrave partir du principe de non-

contradiction nest pas encore totalement reacuteduire lautonomie des sciences reacutegionales ndash mais cest

lui porter un coup non neacutegligeable

Comme nous avons essayeacute de le montrer cest la correacutelation de trois eacuteleacutements qui affermit

cette conclusion chacun renforccedilant les deux autres La meacutetaphysique alexandrinienne peut ecirctre

qualifieacutee de science fondatrice parce quelle se vise explicitement et de faccedilon reacutepeacuteteacutee comme

402 In Met 261 2-6 laquo ὃ ποιήσει ἕκαστος αὐτῶν ltsc les diverses sciences partiellesgt λαβὼν παρὰ τοῦἀποδεικτικοῦ τε καὶ φιλοσόφου τό τε πῶς ἐκ τῶν ὑπαρχόντων τῷ ἀποδεικνυμένῳ χρὴ τὰςἀποδεικτικὰς λαμβάνειν προτάσεις καὶ πῶς ταύτας ἀλλήλαις συμπλέκειν καὶ τὰ ἄλλα ὅσα ἐντοῖς Περὶ ἀποδείξεως λέγεται τὰ δὲ ἀξιώματα κοιναὶ πάσης ἀποδείξεως ἀρχαί raquo

403 Cf Syrianus In Met 55 33 ndash 56 4 et M Bonelli [2009a] p 426-427 Sur le principe de non-contradiction chez Syrianus voir aussi leacutetude suggestive dA Longo [2005] Le passage citeacute est eacutetudieacuteaux p 246-281

404 M Bonelli [2001] p 239

405 M Mignucci [2003] p 99

237

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

architectonique parce quelle figure la science modegravele et quenfin agrave ce titre elle se sert des axiomes

autant quelle en eacutetablit la veacuteraciteacute ndash a fortiori pour le premier dentre eux principe de tous les

autres ndash et donc plus geacuteneacuteralement montre aux autres sciences comment il faut deacutemontrer La

meacutetaphysique garantit en derniegravere instance la veacuteriteacute des sciences partielles et norme leurs

proceacutedures eacutepisteacutemiques en en figurant lideacuteal La proposition dAlexandre selon laquelle laquo le fait

pour les autres sciences decirctre des sciences leur vient de la sagesse qui eacutetudie les premiegraveres

causes raquo406 neacutetait donc pas un accident

234 Conclusions dialectique et meacutetaphysique

La meacutetaphysique alexandrinienne se preacutesente comme une science agrave la fois universelle et

fondatrice des autres sciences Par lagrave elle accentue ce qui dans le texte aristoteacutelicien demeure agrave

titre dheacuteritage de la dialectique platonicienne tout en outrepassant les critiques dAristote contre

cette derniegravere Il importe alors pour conclure et mesurer leacutecart entre les auteurs de situer

succinctement Alexandre dans cette histoire

a) Aristote et la dialectique platonicienne lheacuteritage

Aristote entretient avec la dialectique de Platon des rapports aussi complexes que

conflictuels et il nest pas question ici de tenter den prendre lentiegravere mesure La seule dialectique

platonicienne remplirait largement un programme de recherches407 Restreindre le propos aux

relations de la philosophie premiegravere agrave la dialectique ne serait pas dun plus grand secours

quoique le sujet ait deacutejagrave eacuteteacute partiellement baliseacute408 Bornons-nous donc agrave quelques indications

406 In Met 20 1-3

407 Dailleurs la seule nature de la dialectique platonicienne suffirait agrave nourrir une ambitieuse recherchecomme le disait deacutejagrave J Brunschwig dans une situation semblable laquo on ne saurait deacutefinir en peu demots le contenu de la notion de dialectique chez Platon raquo (J Brunschwig [1967] p IX-X) La difficulteacuteprovient dailleurs peut-ecirctre de Platon lui-mecircme comme le soutient S Rosen laquo Malgreacute une bonnedose de ce quon pourrait appeler de la reacuteclame vantant les meacuterites dune science dialectique cest-agrave-dire dune science des Ideacutees Platon ne nous montre jamais sur des cas preacutecis comment fonctionne unescience de ce type raquo (S Rosen [2008] p 60)

408 Voir en particulier JDG Evans [1977] E de Strycker [1979] TA Szelzaacutek [1994] et W Leszl [2008]

238

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

syntheacutetiques en retenant ce qui nous permettra de caracteacuteriser la philosophie alexandrinienne

La philosophie premiegravere dAristote se fait agrave la fois lheacuteritiegravere et la matricide de la

dialectique platonicienne Heacuteritiegravere cela se perccediloit dabord dans le projet mecircme de cette science

Le livre A deacutecrit ainsi la sagesse comme la plus haute des sciences et la science des hommes

libres agrave linstar du Sophiste (253c) ou deacutejagrave du Theacuteeacutetegravete (175e) On objectera que cest lagrave chose

attendue en raison du caractegravere doxographique de la deacutemarche toutefois la filiation semble se

poursuivre au-delagrave et en particulier en Γ 1 et E 1 Lideacutee dune science laquo premiegravere raquo distincte des

sciences particuliegraveres parce que selon E 1 elle nest pas limiteacutee agrave un genre et ne se contente pas

de poser des laquo hypothegraveses raquo fait neacutecessairement eacutecho agrave Reacutepublique VII409 Chez Platon ou Aristote

la science qui eacutetudie le principe anhypotheacutetique est la laquo philosophie raquo la dialectique

platonicienne et la science rechercheacutee par Aristote ont en commun linterrogation sur la nature de

la philosophie par opposition agrave la sophistique410

Lheacuteritage se pressent eacutegalement agrave un second niveau celui du contenu mecircme de la

science de ses objets Il est bien difficile de reacutesister agrave la reacuteminiscence des grands genres du

Sophiste quand Aristote eacutevoque certaines notions qui font lobjet de la science de leacutetant en tant

queacutetant La dialectique platonicienne la dialectique aristoteacutelicienne et la philosophie premiegravere

entrent ici en contact et en concurrence De fait on se rappelle que dans le Sophiste en particulier

il eacutechoit agrave la dialectique deacutetudier le mecircme lautre le mouvement le repos et leur laquo chef de file raquo

leacutetant (Sophiste 243d) La dialectique aristoteacutelicienne de son cocircteacute a elle aussi affaire au mecircme et

agrave lautre ndash et par lagrave au semblable au dissemblable agrave la contrarieacuteteacute etc ndash selon B 1 995b 20-25

par exemple La mention dans ce contexte dun travail agrave partir des seules opinions admises (laquo ἐκ

τῶν ἐνδόξων μόνων raquo 995b 25) vaut en effet au moins pour la discipline des Topiques si ce nest

409 Cf la comparaison meneacutee par M Narcy [2000] p 72-73 Cf deacutejagrave E de Strycker [1979] p 50 Cestcertes lagrave un des eacuteleacutements quemploie E Martineau pour disqualifier lauthenticiteacute du chapitre au motifque son auteur ferait un laquo usage [] lourdement technique raquo de la reacutefeacuterence agrave la Reacutepublique (cf EMartineau [1997] p 449) Agrave ce compte il faudrait refuser lauthenticiteacute de Γ car si nulle part nest faitmention de sciences proceacutedant par hypothegraveses y reacutepond tout de mecircme la qualification dlaquo anhypotheacutetique raquo pour le principe de non-contradiction (1005b 14 cf aussi le fait quil ne soit laquo pasune hypothegravese raquo en 1005b 16) Or on sait que ladjectif est un neacuteologisme platonicienparfaitement laquo technique raquo qui ne se lit quen deux occurrences dans la Reacutepublique en 510b 7 et 511b 6(cf M Narcy [2000] p 74)

410 M Narcy [2000] p 77 Pour lidentiteacute entre dialectique et philosophie chez Platon cf Sophiste 253 b-ePar lagrave aussi peut-ecirctre ndash mais cela nous megravenerait trop loin ndash toutes deux ont pour ambition de fonder lelogos en sa possibiliteacute contre ses perversions sophistiques cf P Aubenque [1962] p 98 sq E deStrycker [1979] p 53 et 57 sq qui le relie aussi agrave laffrontement de la doctrine des Eacuteleacuteates B CassinM Narcy [1989] p 27 sq M Crubellier [2005] p 65 W Leszl [2008] p 224

239

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

pour toute forme de dialectique donc aussi pour celle de Platon411 Or ce sont ces preacutedicats

queacutetudie agrave lavenant ndash mais de faccedilon scientifique ndash la science de leacutetant en tant queacutetant du livre Γ

ainsi que latteste la fin de Γ 2412 Leur extension est en effet si large413 quelle excegravede

neacutecessairement lobjet des sciences partielles Leur eacutetude degraves lors ne semble pouvoir revenir agrave

aucune autre science que celle de leacutetant en tant queacutetant Telle eacutetait dailleurs linterrogation poseacutee

par la quatriegraveme aporie de B Ces preacutedicats y intervenaient agrave titre de proprieacuteteacutes essentielles de la

substance et la question eacutetait de savoir si ces proprieacuteteacutes font lobjet de la science rechercheacutee Cest

agrave cette aporie que reacutepond preacuteciseacutement ndash et de faccedilon affirmative ndash le chapitre Γ 2 Si donc Aristote

eacutetend la liste de ces laquo preacutedicats dialectiques raquo il nen reste pas moins que lagrave aussi la Meacutetaphysique

se signale par sa reacutecupeacuteration deacuteleacutements qui ont indiscutablement trait agrave la dialectique

platonicienne414

b) Le parricide415

Comme il se doit cependant la reacutepeacutetition aristoteacutelicienne de ces marqueurs platoniciens

ne se fait pas sans subversion ndash la distance entre lanhypotheacutetique platonicien et celui du Stagirite

par exemple nest pas mince Mais il y a plus sur au moins trois points lopposition dAristote agrave

son maicirctre semble frontale et inflexible

Le premier est bien connu et ne nous concerne pas directement cest le refus par Aristote

de toute preacutetention scientifique agrave la dialectique416

411 Cf W Leszl [2008] p 224-225

412 En particulier 1005a 13-18

413 Cf Sophiste 254c ndash 255c et M Crubellier [2005] p 64-65 laquo le mecircme et lautre dans le Sophiste dePlaton preacutesentent la particulariteacute remarquable de permettre de deacutecrire toutes les relations entre lesgenres donneacutes (leacutetant le mouvement et le repos) mais aussi les rapports entre eux-mecircmes et cesautres genres de sorte quils complegravetent et achegravevent le cadre de lanalyse dialectique raquo

414 Lexpression de laquo preacutedicats dialectiques raquo nest bien sucircr pas dAristote mais de M Crubellier ([2005] p65) Sur cette question voir aussi W Leszl [2008] en particulier p 222-223 ougrave Leszl parle dunlaquo overlapping between the notions which are mentioned by Aristotle in the passages now considered [B 1 et Γ 2]and the notions which are regarded by Plato in the Sophist and also in the Parmenides to be object ofdialectic raquo

415 Sur cette reprise du thegraveme du parricide cf par exemple M Dixsaut [2004]

416 Ce point nest pas sans poser problegraveme et la litteacuterature agrave ce sujet est assez pleacutethorique Voir entre autresJ Brunschwig [1967] [2000] JDG Evans [1977] T Irwin [1988] R Bolton [1990] P Aubenque[1990] E Berti [1996] [1997] [2001] etc

240

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Le second point porte sur lextension du champ dinvestigation de la dialectique et de la

philosophie premiegravere Chez Platon celui-ci entre en rivaliteacute directe avec la fausse universaliteacute de

la sophistique Le sophiste comme en teacutemoigne le dialogue eacuteponyme est celui qui croit pouvoir

et savoir parler de tout (laquo περὶ πάντων raquo en 232e 3 et laquo πάντα raquo en 233a 3) au sens ougrave lon dit en

franccedilais laquo de tout et nimporte quoi raquo mais ce ne sont lagrave que faux-semblants et apparences de

savoir417 Aristote sera dailleurs encore clairement dans cette ligne quand il deacutecrira la sophistique

en Γ comme laquo une sagesse seulement en apparence raquo418 Chez Platon la critique se concentre en

effet dabord dans lapparence de savoir et non dans son extension comme telle Ou plutocirct si lon

preacutefegravere Platon ne critique dabord la preacutetention agrave luniversaliteacute quagrave titre de conseacutequence de

lapparence de savoir le peacutecheacute originel et irreacutemissible du sophiste cest loxymore dune

laquo science opinative raquo419

Quant agrave son champ de (preacutetendue) compeacutetence lerreur sophistique reacuteside dans une

compreacutehension distributive du πάντα et cest ce qui va permettre agrave lrsquoEacutetranger dans la suite du

Sophiste (234b sq) de rapprocher sophistique et art dimitation420 La deacutevaluation de la

sophistique ne se fait donc pas tant sur lextension-mecircme de son objet que sur la perspective prise

sur cet objet (toutes choses) qui selon Platon lui interdit dacceacuteder au rang de science De ce

point de vue tout change chez Aristote pour qui la notion mecircme dune science de toutes choses

(sans speacutecification) forme un oxymore il suffit donc pour la deacutebouter deacutetablir cette preacutetention

417 Loin decirctre des laquo savants universels raquo (ainsi Robin traduit-il lexpression de lrsquoEacutetranger en 233c 6 laquo Πάντα ἄρα σοφοὶ τοῖς μαθηταῖς φαίνονται raquo) ils nont quune laquo science de toutes choses paropinion raquo (laquo Δοξαστικὴν ἄρα τινὰ περὶ πάντων ἐπιστήμην raquo 233c 10)

418 Cf Met Γ 2 1004b 18-20 laquo ἡ γὰρ σοφιστικὴ φαινομένη μόνον σοφία ἐστί καὶ οἱ διαλεκτικοὶδιαλέγονται περὶ ἁπάντων raquo Le reste du passage de Γ nest pas eacuteloigneacute de la critique platoniciennede la sophistique lorsquil eacutevoque laquo le choix de vie raquo du sophiste (1004b 24-25 laquo τῆς δὲ τοῦ βίου τῇπροαιρέσει raquo) On pourrait seacutetonner de ce que le Stagirite nemploie pas ici son argument massuecontre lideacutee dune science universelle Cest peut-ecirctre parce que la science de leacutetant en tant queacutetant estce qui sen rapproche le plus et que laquo la dialectique et la sophistique tournent autour du mecircme genreque la philosophie raquo (1004b 23-22 tr A Jaulin ndash M-P Duminil) Sur la critique des sophistes et lideacuteedune science universelle en ce sens cf aussi SE I 11

419 Plus preacuteciseacutement la sophistique est le regravegne de lopinion et ce agrave deux titres parce que le sophiste faitpasser des opinions pour du savoir (au niveau mecircme du discours) et parce que sil le fait cest (auniveau pragmatique et conatif) pour des raisons eacuteconomiques pour susciter de nouvelles opinions quileur font laquo une reacuteputation plus grande dintelligence raquo cf Sophiste 233b 4-5 laquo φαινόμενοί τε εἰ μηδὲναὖ μᾶλλον ἐδόκουν διὰ τὴν ἀμφισβήτησιν εἶναι φρόνιμοι raquo tr L Robin

420 Ce ceacutelegravebre passage est preacuteceacutedeacute dune interrogation de Theacuteeacutetegravete sur lideacutee proposeacutee par lrsquoEacutetranger dunart de faire toutes choses laquo En quel sens as-tu dit toutes raquo (233e 1 laquo Πῶς πάντα εἶπες raquo) EtlrsquoEacutetranger de lexpliciter via une eacutenumeacuteration laquo toi et moi et en plus de nous le reste des animaux etdes plantes raquo (233e 5-6 laquo Λέγω τοίνυν σὲ καὶ ἐμὲ τῶν πάντων καὶ πρὸς ἡμῖν τἆλλα ζῷα καὶδένδρα raquo)

241

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

absurde sans besoin de sonder la valeur de veacuteriteacute de ce qui y est dit Platon doit en revanche

examiner le fonds du discours sophistique pour montrer que contrairement aux apparences il ne

sagit que de laquo science opinative raquo Certes par opposition agrave la sophistique si la dialectique est

science universelle ce nest pas en ce sens distributif421 Comme limpliquent les difficiles pages

253-254 du Sophiste le dialecticien a affaire agrave une totaliteacute mais non agrave une totaliteacute indiffeacuterencieacutee

Ce refus de la totaliteacute indiffeacuterencieacutee et distributive se perccediloit jusque dans la meacutethode prescrite par

lrsquoEacutetranger dans la suite du dialogue il ne convient pas de traiter sans distinction de la totaliteacute

des Formes (laquo περὶ πάντων τῶν εἰδῶν raquo) car cette multipliciteacute nous troublerait (laquo ἵνα μὴ

ταραττώμεθα ἐν πολλοῖς raquo 254 c) Cest pourquoi il faudra partir des genres les plus

importants ceux qui ouvrent laccegraves agrave tous les autres et organisent leur multipliciteacute en une

pluraliteacute et ce au niveau mecircme du discours qui les prend pour thegravemes La dialectique est savoir

de larticulation ici celle des genres entre eux le savoir dune multipliciteacute organiseacutee422

Faut-il degraves lors tracer un lien entre la dialectique comme savoir du laquo principe du tout raquo de

la Reacutepublique (VI 511b 7) et la dialectique comme savoir des grands genres dans le Sophiste

Aristote en tout cas paraicirct consideacuterer la tentative platonicienne comme tombant dans lerreur

dune science de toutes choses La fin de Meacutetaphysique A 9 (992b 18 ndash 993a 10) est agrave cet eacutegard sans

appel Apregraves avoir reacutefuteacute la notion dIdeacutees comme instruments eacutepisteacutemologiques le chapitre

preacutesente une derniegravere argumentation laquo geacuteneacuterale raquo (laquo ὅλως raquo 992b 18) une charge presque

sceptique423 contre une connaissance des Ideacutees ndash comme si le Philosophe disait mecircme sans avoir

des Ideacutees une conception stricte on tombera toujours ineacutevitablement dans les arguments qui

suivent contre une science des Ideacutees Ou encore plus rigoureusement mecircme sil y avait des

eacuteleacutements de tous les eacutetants ils resteraient inconnus et inconnaissables En effet le passage ne

parle jamais dεἴδη mais d laquo eacuteleacutements raquo la reacutefeacuterence est cependant transparente eu eacutegard au

contexte et sil est vrai que Platon est le premier agrave employer ce terme en un sens technique424 Degraves

lors dans sa critique Aristote ne vise pas ici une science de toutes choses en un sens pauvre

sophistique celui de la totaliteacute distributive du laquo tout et nimporte quoi raquo de leacutenumeacuteration

421 Voir tout de mecircme RepVII 534b laquo ῏Η καὶ διαλεκτικὸν καλεῖς τὸν λόγον ἑκάστου λαμβάνοντα τῆςοὐσίας raquo

422 Cf M Dixsaut [2001] p 333-334

423 Le passage commence par souligner que son objet consiste dans la deacutecouverte des eacuteleacutements de touteacutetant (εὑρεῖν 992b 19) et se clocirct par un argument (993a 1-7) qui pourrait presque passer pour le tropesceptique de la diversiteacute des opinions

424 Cf M Crubellier [1999] p 45-54

242

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

comme il le fait plutocirct dans les Reacutefutations sophistiques en I 9 ou 11 Il entreprend au contraire de

reacutefuter une science des eacuteleacutements de tous les eacutetants

Aristote y deacuteploie son argumentation agrave deux niveaux une science des eacuteleacutements des

eacutetants est fondamentalement dans lerreur quant agrave son objet mais elle est mecircme et surtout

impossible comme science Ces deux niveaux sont lieacutes ce que pointe Aristote agrave chaque fois cest

la preacutetention agrave luniversaliteacute ou agrave la totaliteacute425 Le texte est beaucoup plus concis sur le premier

niveau en eacutevoquant la neacutecessiteacute de distinguer des types deacutetants et concentre son attention sur le

niveau eacutepisteacutemologique Via une deacutemonstration par labsurde le Stagirite montre en effet que

lideacutee dune science universelle contrevient au principe selon lequel toute science part de

connaissances anteacuterieures La constitution mecircme dune science implique une exteacuterioriteacute qui la

deacutelimite426

Bref deacutepourvue dexteacuterioriteacute et donc de limites inneacutee et donc latente une science de

toutes choses ne meacuteriterait simplement pas de quelque faccedilon que ce soit le nom de science On

pouvait sy attendre le refus par Aristote de la dialectique platonicienne ne transcrit pas le

simple deacutesir doriginaliteacute dun disciple seacuteditieux cest un motif de fond un point de convergence

de plusieurs thegraveses cruciales de son eacutepisteacutemologie

425 Nous ne distinguons pas ici entre les deux eacutetant donneacute les formules du texte

426 Toutefois le Philosophe ne se contente pas de deacutenoncer comme formellement la transgression duneregravegle Il pointe la contradiction interne dune science qui ne saurait ecirctre apprise Cest pourquoi le texteenchaicircne immeacutediatement avec la question de linneacuteiteacute de cette science (laquo σύμφυτος raquo 993a 1 sq) Toutescience en tant que disposition de lacircme suppose une double situation de celui qui lapprend sonignorance de la matiegravere agrave apprendre et ses connaissances anteacuterieures qui ne relegravevent pas de cettederniegravere Savoir et donc apprendre impliquent un tel mixte de connaissance et dignorance De cepoint de vue le passage se situe au plus pregraves du paradoxe du Meacutenon et dans les parages du dernierchapitre des Seconds Analytiques Comme pour son maicirctre il ny a pas pour Aristote de point zeacutero delapprentissage ndash le deacutebut du livre A lavait deacutejagrave deacutecrit Nous sommes toujours deacutejagrave en train de savoir laconnaissance est une maniegravere decirctre Mais de Platon agrave Aristote ce qui change cest le mode et le lieude cette anteacuterioriteacute de la connaissance La diffeacuterence se creuse du passeacute mythique et de lodysseacutee de lareacuteminiscence agrave lanteacuterioriteacute de la sensation puisque vivre pour les animaux cest sentir Or cechangement de conception complique lideacutee mecircme dune science synoptique Sans conteste pourAristote le procegraves de la connaissance a toujours deacutejagrave commenceacute en lhomme mais les sciences seconstruisent de faccedilon lineacuteaire et non circulaire La totaliteacute nest pas donneacutee dembleacutee comme pourPlaton lequel sassurait ainsi de la possibiliteacute de la science en posant son effectiviteacute anteacuterieure ChezAristote la science se conquiert elle ne peut donc ecirctre inneacutee ni a priori totale Le Stagirite peut ainsipour finir se payer le luxe de retourner contre Platon lune de ses propres thegraveses savoir cest savoirque lon sait (la thegravese se lit par exemple dans lautobiographie intellectuelle du Pheacutedon et sadeacutenonciation des physiques anteacuterieures) Mais en ce cas la plus haute des sciences ne peut resterlatente dans une acircme

243

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Cependant la critique aristoteacutelicienne agrave lendroit de la dialectique comme science

universelle vise aussi un autre aspect de la thegravese platonicienne celui selon lequel la dialectique

est science universelle parce quelle absorbe et concentre la totaliteacute du savoir427 Lrsquointerpreacutetation

drsquoAristote se discute sans doute mais elle nest en tout cas pas sans fondement dans le corpus

platonicien La derniegravere pomme de discorde entre la dialectique platonicienne et la philosophie

premiegravere consiste pour le dire vite en lideacutee dune science de la science dune science suprecircme

qui prise dans un mouvement reacuteflexif fonde toutes les autres

Sil aime savoir le philosophe platonicien ne peut se contenter dune seule espegravece de

savoir et aime neacutecessairement la sagesse dans son ensemble428 On comprend que le programme

deacuteducation de la Reacutepublique se couronne par laffirmation de la capaciteacute laquo synoptique raquo du

dialecticien429 Le critegravere pour distinguer le laquo naturel dialectique raquo (laquo διαλεκτικῆς φύσεως raquo 537c

6) reacuteside en effet dans la capaciteacute agrave voir la laquo parenteacute raquo agrave la fois des savoirs entre eux puis des

savoirs avec la nature de leacutetant Il sagit donc toujours d laquo articuler raquo (ici laquo συνακτέον raquo 537c 2)

mais lrsquoarticulation sapplique en premier lieu aux apprentissages aux savoirs eux-mecircmes et non

ici aux Formes ou aux Genres430

La dialectique de Platon nest pas une eacutepisteacutemologie au sens moderne elle nest pas

destineacutee agrave reacutegler a posteriori des questions de proceacutedures internes agrave telle discipline scientifique

Elle est bien plutocirct lorigine et la mesure de scientificiteacute de toutes les autres sciences et cest

pourquoi en elle le savoir et la meacutethode se confondent431 Dans la Reacutepublique la dialectique est

tout agrave la fois la science la plus haute une laquo pierre de faicircte raquo et en un sens la seule veacuteritable

science432 La dialectique est supeacuterieure au point ougrave elle sexcepte du reacutegime des autres sciences

427 Cf P Aubenque [1962] p 211 sq

428 Reacutepublique V 475b et W Leszl [2008] p 218-219

429 Reacutepublique VII 537c 2 et surtout c 7 laquo ὁ μὲν γὰρ συνοπτικὸς διαλεκτικός ὁ δὲ μὴ οὔ raquo

430 Certes cette capaciteacute agrave prendre le point de vue de surplomb (comme dirait Merleau-Ponty) se litdabord dans le Phegravedre (265d et 273e) ou le Timeacutee (83c) mais agrave propos de luniteacute ou de lunification quepermet la Forme Assureacutement aussi Platon ne scinde jamais lordre du connaicirctre et de lecirctre si ladialectique est science universelle parce que science de toutes les sciences elle lest aussi en quelquemaniegravere du fait de son objet Il nen demeure pas moins quau cœur de la compeacutetence synoptique lonpeut distinguer ces deux aspects (la dialectique comme science de tout de ce qui est dune part etdautre part en tant quelle concentre le savoir en totaliteacute) et ce parce que ces deux dimensionsrenvoient agrave deux critiques diffeacuterentes chez Aristote

431 Comme leacutecrit M Dixsaut elle est laquo la science la plus haute ne faisant quun avec le chemin quelle sefraie raquo cf M Dixsaut [2001] p 9 Pour la dialectique comme mesure de scientificiteacute voir par exemplePhilegravebe 57e-59d

432 Appeleacutee dabord laquo νόησις raquo (511e) la dialectique finira en effet par ecirctre la seule agrave meacuteriter le nomd laquo ἐπιστήμη raquo les autres laquo techniques raquo eacutetant degraves lors laffaire de la laquo διάνοια raquo (533 d-e) Voir Reacutep

244

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

en brisant lapparente continuiteacute qui la reliait par exemple aux matheacutematiques et en se

reacuteservant le nom qui valait auparavant pour les autres Si elle le peut cest parce quelle conquiert

le fondement du reste des sciences elle est la capaciteacute agrave rendre raison du principe quand les

matheacutematiques se contentent de laquo poser raquo Finalement elle est la seule agrave pouvoir atteindre le

Bien Or cest parce quelle est connaissance du Principe433 que la dialectique peut revendiquer

une forme de fondation par rapport aux autres arts Reacuteflexive elle est donc deacutejagrave dans la

Reacutepublique le savoir qui permet de deacutecouvrir laquo la communauteacute et la parenteacute ltquontgt entre elles raquo

les diffeacuterentes sciences434 Cest agrave la fois par la dialectique et par rapport agrave elle que les autres

sciences sont jugeacutees et cest elle-mecircme qui sinstitue science suprecircme Toutes les sciences

preacutesupposent cette science universelle la dialectique qui constitue leur condition de possibiliteacute

parce quelle en trace les cadres conceptuels et quelle est la science agrave leacutetat le plus pur la science

la plus scientifique435 Cest pourquoi la dialectique manifeste cette reacuteflexiviteacute agrave la fois juge et

partie parce quen elle et par elle est atteint le sommet de la hieacuterarchie par deacutefinition rien

dextrinsegraveque ou de supeacuterieur ne peut plus servir de critegravere ou de fondement436 La reacuteflexiviteacute est

VII 534e 2 ndash 535a 1 laquo Ἆρ οὖν δοκεῖ σοι ἔφην ἐγώ ὥσπερ θριγκὸς τοῖς μαθήμασιν ἡ διαλεκτικὴἡμῖν ἐπάνω κεῖσθαι καὶ οὐκέτ ἄλλο τούτου μάθημα ἀνωτέρω ὀρθῶς ἂν ἐπιτίθεσθαι ἀλλ ἔχεινἤδη τέλος τὰ τῶν μαθημάτων raquo Reacutep VII 533a 8 et c 7 M Dixsaut [2001] p 60 Comme lesmatheacutematiques la dialectique ne concerne plus la dimension de la geacuteneacuteration et de la corruption maiscelle de lecirctre Cependant elle a ceci de propre ndash outre quelle nemploie aucun laquo diagramme raquo ndash decirctreanhypotheacutetique Dans la partie supeacuterieure de la Ligne (510b) lrsquointellect a la laquo puissance raquo de monter delhypothegravese jusquau laquo principe du tout raquo puis descendre du principe vers sa conclusion gracircce auxseules Formes (511b)

433 Cest un problegraveme connu ndash que nous laissons de cocircteacute ndash de savoir si le Bien doit ecirctre identifieacute avecllaquo anhypotheacutetique raquo Une telle identification remonte agrave Proclus

434 Reacutep VII 531c 9 ndash d 4 laquo Οἶμαι δέ γε ἦν δ ἐγώ καὶ ἡ τούτων πάντων ὧν διεληλύθαμεν μέθοδος ἐὰνμὲν ἐπὶ τὴν ἀλλήλων κοινωνίαν ἀφίκηται καὶ συγγένειαν καὶ συλλογισθῇ ταῦτα ᾗ ἐστὶνἀλλήλοις οἰκεῖα φέρειν τι αὐτῶν εἰς ἃ βουλόμεθα τὴν πραγματείαν καὶ οὐκ ἀνόνητα πονεῖσθαιεἰ δὲ μή ἀνόνητα raquo On pourrait prolonger cette thegravese via la reacutefeacuterence au Philegravebe ougrave plutocirct que lameacutethode hypotheacutetique la dialectique est la meacutethode des divisions et des rassemblements Elleconserve pourtant cette position de science la plus haute de toutes mais aussi simultaneacutement descience par excellence ndash au point de meacuteriter agrave elle seule les noms dintelligence et de sagesse (59 c-d) Seretrouve donc lambiguiumlteacute de la Reacutepublique dune dialectique agrave la fois situeacutee dans un continuumsommet dune progression reacuteguliegravere mais aussi seacutepareacutee du reste des savoirs (comme lindiquent lesruptures textuelles dans les introductions de la dialectique dans la Reacutepublique autant que dans lePhilegravebe)

435 Les pages 55-59 du Philegravebe montrent quil y a des sciences plus scientifiques que dautres parce quil y ades sciences plus pures et donc meilleures (au sens du Bien) que dautres Le genre de la science admetcomme on la vu agrave la fois une continuiteacute qui rend possible la diffeacuterence de degreacute et une rupture entrela dialectique et le reste des savoirs Sur ceci voir S Delcomminette [2006] p 511-512 et p 533-534

436 Et lon peut penser quici se dessine lun des moments clefs pour comprendre le caractegravere reacuteflexif etautoreacutefeacuterenceacute de toute meacutetaphysique en tout cas de tout savoir qui se preacutetend premier

245

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

une contrepartie de la primauteacute

De Platon agrave Aristote ce qui change nest ainsi pas seulement la nature de la science

premiegravere mais le paysage geacuteneacuteral des disciplines particuliegraveres Ces derniegraveres sont pour le

Stagirite en tregraves grande partie autonomes et autosuffisantes437 Aristote libegravere les sciences

reacutegionales de leur tutelle dialectique La thegravese est nette dans les Seconds Analytiques en particulier

au livre I dans les chapitres 9 11 et 32 Aristote seacutelegraveve expresseacutement en I 9 contre la possibiliteacute

dune science laquo eacuteminente de toutes choses raquo (laquo κυρία πάντων raquo 76a 18) en deacutemontrant que les

principes de chaque science doivent leur ecirctre approprieacutes puisquune deacutemonstration ne vaut que

dans un certain genre (76a 22)438 Le chapitre 11 limite de mecircme lusage des axiomes insistant sur

la seacuteparation des diverses sciences et lincommunicabiliteacute des genres439 Et sans entrer dans le

deacutetail du chapitre I 32 ndash laquo le chemin du doute et du deacutesespoir raquo pour les interpregravetes440 ndash on peut

cependant souligner comment dans la partie laquo scientifique raquo du chapitre Aristote refuse que ces

axiomes puissent servir de fonds commun agrave toutes les deacutemonstrations de toutes les sciences441 Le

texte distingue entre dune part les genres de choses queacutetudie une science et laquo avec raquo lesquels

elle peut deacutemontrer et dautre part les axiomes reacuteduits ici agrave un rocircle purement instrumental Une

science des axiomes communs serait donc agrave la fois pour partie vide et pour partie aveugle agrave

lopposeacute une bonne deacutemonstration limitera son office agrave la cateacutegorie deacutetants quelle eacutetudie en

usant de ses principes propres autant que des axiomes mais sans outrepasser son domaine en

usant de principes attacheacutes agrave une autre cateacutegorie

437 Ceacutetait dailleurs lune des remarques que formulait W Leszl apregraves lexposeacute de E de Strycker sur lesujet cf E de Strycker [1979] p 65

438 Sur ce passage difficile cf M Mignucci [1975] p 178-184 Le lien entre ce passage et le chapitre I 32fait question (cf J Barnes [1993] p 136)

439 Le chapitre sinscrit ainsi dans la suite directe de la charge anti-platonicienne deacutejagrave preacutesente en I 10comme la souligneacute J Barnes contre les tentatives de deacuteplacement ou de suppression du premierparagraphe (77a 5-9) J Barnes [1993] p 144 cf aussi P Pellegrin [2005] p 361

440 P Pellegrin [2005] p 392

441 An Po I 32 88b 1-3 laquo τὰ γὰρ γένη τῶν ὄντων ἕτερα καὶ τὰ μὲν τοῖς ποσοῖς τὰ δὲ τοῖς ποιοῖςὑπάρχει μόνοις μεθ ὧν δείκνυται διὰ τῶν κοινῶν raquo laquo les genres des eacutetants en effet sont diffeacuterentset certaines choses appartiennent seulement agrave des quantiteacutes dautres agrave des qualiteacutes et cest en accordavec ces genres et agrave travers les principes communs que lon prouve raquo tr fr P Pellegrin

246

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

c) Meacutetaphysique et dialectique

Le refus dune science de toutes choses et limpossibiliteacute dune science principe de la

scientificiteacute des autres savoirs forment certainement deux contraintes majeures pour la

philosophie premiegravere aristoteacutelicienne Les gegravenes communs avec la dialectique (lideacutee dune

science premiegravere) contrecarrent le geste parricide442 Aristote se tient donc sur une crecircte dont on

peut se demander si elle a toujours eacuteteacute perccedilue par Alexandre Ou plutocirct si cette tension ne devait

pas ecirctre reacuteduite pour constituer la meacutetaphysique en une science une

Le fantocircme de la dialectique reprend consistance dans la meacutetaphysique selon Alexandre

442 On aura tout loisir de deacutenouer cette contradiction en invoquant la chronologie ndash ainsi Owen parexemple qui sen sert pour renvoyer les Reacutefutations sophistiques et les Topiques agrave la jeunesse dAristotepar opposition agrave la Meacutetaphysique cf GEL Owen [1960] et JDG Evans [1977] p 42 sq Evans tente dedeacutejouer lapparente contradiction en distinguant trois faccedilons decirctre science universelle ou science detoutes choses 1) ecirctre science de quelque chose agrave propos de toutes choses dun aspect commun agrave tout 2) ecirctre science de tous les aspects dune reacutealiteacute 3) ecirctre science de tous les aspects de toute reacutealiteacute PourEvans ce qui est rejeteacute dans lOrganon (par exemple en SE 9 170a 2) et lEacutethique agrave Eudegraveme (par exempleen 1217b 35) est cette troisiegraveme et derniegravere entente La premiegravere repreacutesente loption deacuteveloppeacutee par lascience de leacutetant en tant queacutetant et la deuxiegraveme celle de toutes les sciences partielles ndash la physiqueeacutetudiant tous les aspects des eacutetants naturels etc Evans eacutetaie son scheacutema en soutenant quAristotedispose des outils conceptuels suffisants pour diffeacuterencier ces trois maniegraveres de comprendre laquo sciencesde toutes choses raquo via la distinction sujet ndash preacutedicat agrave partir de Met Z 1 1028a 30-31 et An Po I 4 73b5-8 (JDG Evans [1977] p 47) Cet argument pose de nombreux problegravemes dune part quant agrave lascience de leacutetant en tant queacutetant (en quel sens leacutetant en tant queacutetant deacutesigne-t-il un preacutedicatuniversel ) autant que dautre part du point de vue des sciences reacutegionales En outre cetteinterpreacutetation relegraveve de la construction hermeacuteneutique ndash Evans ne cite aucun passage dAristotelaissant apercevoir une telle distinction ndash dune construction qui est certes inteacuteressante et opeacuteratoiremais qui comme telle reste bien hypotheacutetique Agrave linverse on notera que lentente purementlaquo distributive raquo de laquo science de toutes choses raquo que nous avons deacutegageacutee chez Platon et Aristote estquant agrave elle beaucoup plus fondeacutee dans le texte Certes Evans rend ainsi possible le deacutenouement de lacontradiction souligneacutee par Owen (JDG Evans [1977] p 48) Mais nest-ce pas lisser le texte au pointde lui faire perdre sa dynamique probleacutematique La Meacutetaphysique elle aussi met en scegravene ce refusdune certaine science universelle agrave la fin dA 9 jusque dans Γ agrave propos de la destitution de la physiquecomme science totale Or cette preacutesence en A B et Γ du repoussoir dune science universelle comprisede maniegravere platonicienne semble au contraire favoriser lideacutee que pour Aristote il y a bien quelquechose de la science de toutes choses quil doit reacutefuter et dont il doit se preacutemunir qui insiste alors que ladistinction dEvans regravegle et donc eacutevacue le problegraveme Loin de larrecircter cette contradiction mettrait entension la penseacutee aristoteacutelicienne dans la mesure ougrave elle forme lune des racines du projet dune eacutetudede leacutetant en tant queacutetant Cette seconde maniegravere de voir se rapproche de celle dAubenque Mais cedernier pousse la contradiction au point de poser limpossibiliteacute en fait dune quelconque meacutetaphysiqueOn peut se demander si une telle radicalisation est reacuteellement eacuteclairante et opeacuteratoire pour la lecturedAristote (Sur par exemple lopposition entre le fait et le droit chez Aristote selon P Aubenque cf[1962] p 206 sq) Lideacutee de tension pourrait bien ecirctre ici plus fertile dun point de vue hermeacuteneutiqueEntre la probleacutematiciteacute exacerbeacutee dAubenque qui conduit agrave limpossibiliteacute et agrave llaquo eacutechec raquo de la sciencede leacutetant en tant queacutetant et la distinction dEvans qui eacutevacue toute difficulteacute il y a lieu pour unelecture probleacutematique qui conccediloit le texte comme en tension mais aussi comme effort de reacutesolution

247

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Ce dernier affirme plus directement quAristote luniversaliteacute de la philosophie premiegravere sans

doute parce que la discussion avec le platonisme na pas du tout pour lui le mecircme sens historique

que pour le Stagirite LAphrodisien assigne de surcroicirct agrave la meacutetaphysique une fonction de

fondation de la scientificiteacute pour les autres savoirs La meacutetaphysique selon Alexandre preacutesente

degraves lors lambiguiumlteacute inheacuterente agrave tout projet dune science premiegravere telle quelle se manifeste

dabord dans la dialectique platonicienne Cette science est agrave la fois semblable aux autres sciences

et plus haute quelles agrave la fois lincarnation suprecircme du reacutegime eacutepisteacutemique ordinaire et son

exception parce quelle linstitue agrave la fois son maximum et son principe La raison dune telle

ambiguiumlteacute est agrave chercher dans le lien entre reacuteflexiviteacute et primauteacute quon a deacuteceleacute chez Platon443

Cette double position de la meacutetaphysique fera eacutepoque origine dune tradition durable dans

lhistoire de la philosophie Que la meacutetaphysique alexandrinienne soit travailleacutee par cette

ambiguiumlteacute sera particuliegraverement opportun pour les tentatives de conciliation du platonisme et de

laristoteacutelisme444

Mais et la nuance nest pas leacutegegravere cette conception sactualise chez lExeacutegegravete agrave la faveur

de potentialiteacutes du texte aristoteacutelicien Simplicius naurait en tout cas pas totalement tort

daffirmer dans son Commentaire agrave la Physique quil arrive agrave Alexandre de laquo parler comme un

platonicien raquo quand il soutient que laquo puisque les premiers principes eacutegalement certains sont

propres agrave certaines cateacutegories de choses comme les deacutefinitions et les axiomes de la geacuteomeacutetrie

tandis que drsquoautres sont communs agrave toutes Alexandre dit que celui qui veut devenir savant doit

connaicirctre ces principes communs parlant lagrave comme un platonicien raquo445

Parce que donc elle se rapproche de la dialectique platonicienne ou plus preacuteciseacutement

parce quelle transgresse certaines des limites traceacutees par Aristote agrave lencontre de celle-ci la

meacutetaphysique alexandrinienne se heurte agrave la concurrence exacerbeacutee dambitions diverses

preacutesentes agrave lorigine dans le texte dAristote Dit autrement leffort dunification et la proximiteacute

accrue avec la mathesis prima et universalis de Platon aggrave la divergence apparemment deacutejagrave

443 Toute laquo science premiegravere raquo quelle quelle soit est condamneacutee agrave la reacuteflexiviteacute puisque son institution nepeut ecirctre quune auto-institution

444 M Bonelli [2001] p 44 cite agrave titre dexemples Syrianus In Met 55 33 ndash 56 4 Ascleacutepius In Met 74 5-10 (qui parle dune laquo τέχνη τεχνῶν καὶ ἐπιστήμη ἐπιστημῶν ἥτις καὶ πάντα 748 ἁπλῶς τὰ ὄνταοἶδεν ᾗ ὄντα ἐστί καὶ τὰ ἐσόμενα καὶ τὰ μέλλοντα καὶ τὰ καθόλου καὶ τὰ καθ ἕκαστα raquo 224 15-17 246 8 Cf aussi DJ OMeara [1986]

445 Simplicius In Phys 12 5-8 (traduction M Rashed [2007b] p 194 n 553) laquo ἐπειδὴ δὲ καὶ πρῶταιἀρχαὶ αἱ μέν εἰσιν ἑκάστων οἰκεῖαι ὡς γεωμετρίας οἵ τε ὅροι καὶ τὰ ἀξιώματα αἱ δὲ κοιναὶπάντων ὁ Ἀλέξανδρος τὰς κοινὰς ταύτας φησὶ δεῖν γινώσκειν τὸν μέλλοντα ἐπιστήμονα ἔσεσθαιΠλατωνικῶς τοῦτο φθεγγόμενος raquo

248

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

preacutesente chez Aristote la meacutetaphysique devient agrave la fois science du premier science de

luniversel si ce nest de toutes choses et mecircme finalement science fondatrice Il sagit degraves lors de

savoir si lune de ces ambitions prend le pas sur les autres ou plus preacuteciseacutement comment se

conjuguent et sarticulent la primauteacute et luniversaliteacute de lobjet de la meacutetaphysique Agrave cette fin il

nest plus temps de diffeacuterer leacutetude du commentaire agrave Meacutetaphysique Γ ougrave lAphrodisien sessaie agrave

quelques scheacutemas architectoniques dorganisation des sciences theacuteoriques

249

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

24 Lunification lobjet de la meacutetaphysique dans le commentaire agrave Γ

Cest effectivement dans le commentaire agrave Γ quAlexandre se montre le plus disert autant

sur la position de la meacutetaphysique par rapport aux autres sciences ndash on vient de le voir avec la

question des axiomes ndash que sur son objet Les commentaires aux livres preacuteceacutedents ne sen

tiennent pourtant pas agrave heacutesiter entre divers objets de la meacutetaphysique (premiers principes eacutetant

en tant queacutetant substance premier moteur) et ne sont pas exempts desquisses de solution en

tout cas de tentatives dunification des objets ce qui manifeste deacutejagrave la conscience dun problegraveme

Un passage symptomatique agrave cet eacutegard se situe agrave la toute fin du commentaire agrave A 9 On a

vu comment chez Aristote ce chapitre crucial orchestre le rejet dune science universelle et inneacutee

des laquo eacuteleacutements de tous les eacutetants raquo laquo sans faire de distinction raquo446 Or Alexandre deacuteveloppe par

exemple largument dAristote sur la diversiteacute des eacutetants en un syllogisme scolaire qui se conclut

par limpossibiliteacute de deacutecouvrir des principes communs (laquo κοιναὶ ἀρχαί raquo 128 12-14) aux eacutetants

Alexandre degraves le deacutebut du commentaire traduit donc sans peine les laquo eacuteleacutements raquo du texte en

laquo principes raquo Largumentation dAristote ainsi comprise pose degraves lors dineacuteluctables problegravemes

par rapport agrave la conception de la sagesse comme science des premiers principes et des premiegraveres

causes De surcroicirct en ayant pousseacute luniversaliteacute de la sagesse vers la totaliteacute447 Alexandre

sexpose agrave ces arguments il ne suffit pas de rejeter linneacuteiteacute de la sagesse pour sortir indemne de

la fin dA 9 Comment degraves lors maintenir lideacutee dune science des principes de toutes choses tout

en commentant ce texte Le commentaire alexandrinien souffrirait en ce cas du deacutefaut de

coheacuterence quon lui a parfois reprocheacute enferreacute dans la plate lineacuteariteacute de la paraphrase Or il nen

est rien et Alexandre semble tout agrave fait conscient du frottement entre la thegravese dune science des

446 Pour meacutemoire rappelons les expressions aristoteacuteliciennes MetA 9 992b 18-20 laquo ὅλως τε τὸ τῶνὄντων ζητεῖν στοιχεῖα μὴ διελόντας πολλαχῶς λεγομένων ἀδύνατον εὑρεῖν ἄλλως τε καὶ τοῦτοντὸν τρόπον ζητοῦντας ἐξ οἵων ἐστὶ στοιχείων raquo et plus loin b 22-24 laquo ὥστε τὸ τῶν ὄντων ἁπάντωντὰ στοιχεῖα ἢ ζητεῖν ἢ οἴεσθαι ἔχειν οὐκ ἀληθές πῶς δ ἄν τις καὶ μάθοι τὰ τῶν πάντωνστοιχεῖα raquo

447 Voir ci-dessus sect 221

250

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

principes de tous les eacutetants et la critique dune science inneacutee des laquo eacuteleacutements de toutes choses raquo

Comment donc Aristote a-t-il pu ndash selon Alexandre ndash deacutefinir la sagesse comme la science des

principes de tous les eacutetants et rejeter ici sa possibiliteacute Cest cette question que pose la toute fin

du commentaire agrave A 9

Οὐ μαχόμενος δὲ αὑτῷ λέγοι ἂν ζητῶνμὲν τὰς τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ἀρχάς τε καὶ αἰτίαςδεικνὺς δὲ διὰ τούτων ὅτι ἄγνωστοί εἰσινΔείξει γὰρ ὅτι μηδέ εἰσι πάντων τῶν ὄντωνκοιναί τινες ἀρχαί ὡς ἡγοῦντο [13410] οἱ εἰςτὸ ἓν πάντα πειρώμενοι διὰ τῶν κοινῶνἀνάγειν ὁμοιοτήτων Ἀλλεἰσὶν αἱζητούμεναι ὑπ αὐτοῦ τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ἀρχαὶκοιναὶ πάντων ἀρχαὶ αὗται ἀλλαἱ τῆςοὐσίας οὐκ οὖσαι ὁμοίως καὶ τῶν ἄλλων τῶνπαρὰ τὴν οὐσίαν ὄντων ἀρχαί γίγνονταίπως κἀκείνων ἀρχαὶ τῷ καὶ τῶν ἄλλων τῶνὄντων ἕκαστον παρὰ τῆς οὐσίας τὸ εἶναιἔχειν

Aristote ne se contredit peut-ecirctre pas enrecherchant les principes et des causes de leacutetant entant queacutetant tout en montrant par cela448 quils sontinconnaissables Il va en effet montrer quen aucuncas il ny a de principes communs de tous les eacutetantsau sens ougrave ltlesgt concevaient ceux qui tentaient deramener toutes choses agrave lUn par leurs communesressemblances Les principes de leacutetant en tantqueacutetant quil recherche sont ces principes communsde toutes choses mais les principes de la substancequi ne sont pas principes de la mecircme faccedilon que ceuxdes autres eacutetants en dehors de la substancedeviennent aussi en quelque maniegravere les principes deces eacutetants du fait que chacun des autres eacutetants tientson ecirctre de la substance

(134 7-14)

La contradiction apparente quAlexandre cherche ici agrave lever reflegravete sa propre conception

de la sagesse et leffort exeacutegeacutetique quelle suscite La solution proposeacutee est dautant plus eacuteleacutegante

quelle se fonde ouvertement sur lun des arguments du texte celui selon lequel si on peut

deacutecouvrir les eacuteleacutements de quelque chose ce ne peut pas ecirctre pour laquo le faire le subir ou le droit raquo

mais laquo seulement pour les substances raquo (992b 21-22) Dans son commentaire Alexandre avait

compleacuteteacute cette proposition plutocirct laconique les eacuteleacutements en question sont ici la matiegravere et la

forme correspondant chez les platoniciens agrave la Dyade indeacutefinie et lUniteacute agrave partir desquelles

ceux-ci tentaient de faire deacuteriver toutes choses Or reacutetorque Alexandre le faire et le subir nont

aucune matiegravere ou plutocirct sils en ont une cest seulement par accident parce quils appartiennent

agrave une substance qui a par elle-mecircme une certaine matiegravere Ayant implicitement injecteacute la

distinction des cateacutegories degraves le deacutebut du texte lorsque Aristote parle du fait que les diffeacuterents

eacutetants se disent de multiples faccedilons Alexandre retrouve ici le schegraveme cateacutegorial avec dautant

plus de faciliteacute Il peut donc conclure le commentaire agrave 992b 18 sq en disant quil ny a en fait de

tels principes (matiegravere et forme) que pour les substances Les autres eacutetants degraves lors nont de tels

principes que parce que la substance est laquo la seule agrave ecirctre substrat des eacutetants raquo lesquels laquo sont dans

448 Ce qui vient decirctre dit

251

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

la substance ou quelque chose de la substance raquo449 Cest ce que recueille la fin de notre texte dans

lideacutee que laquo chacun des autres eacutetants tient son ecirctre de la substance raquo De ce point de vue cest en

deacutefinitive agrave Γ que renvoie ici Alexandre et agrave ses analyses sur la substance comme laquo cause de

lecirctre raquo450

Mais la reacuteponse dAristote agrave cette difficulteacute cette exigence de laquo distinction raquo dans la

recherche des principes des eacutetants pourrait tout aussi bien se trouver en Λ 4 et 5 et il nest pas

impossible quAlexandre ait songeacute agrave ce rapprochement Or Aristote y propose deux voies dune

part lusage analogique des principes (les principes sont les mecircmes pour tous les eacutetants mais

seulement par analogie) et dautre part une voie par la causaliteacute de la substance Le chapitre 4

semploie en effet agrave montrer que les causes et les principes des eacutetants sont en un sens les mecircmes

en un autre diffeacuterents ce que reacutesume le concept danalogie (1070b 17)451 et la proximiteacute avec les

objections dA 9 agrave lendroit de la dialectique nest pas que terminologique Toutefois mecircme si

Alexandre est conscient de ce possible rapprochement il se concentre nettement sur la voie de la

reacuteduction agrave la substance Pour sortir de laporie construite agrave partir de la rencontre entre deux

thegraveses soutenues selon Alexandre par Aristote (il est agrave la recherche laquo des principes et des causes

de leacutetant en tant queacutetant raquo mais ceux-ci laquo sont inconnaissables raquo 134 7-8) Alexandre circonscrit

linconnaissabiliteacute aux laquo principes communs de toutes choses raquo Il produit alors la diffeacuterence entre

les principes de la substance et ceux des autres eacutetants LExeacutegegravete joue donc surtout sur la

transitiviteacute des principes de la substance la substance est cause de lecirctre des autres eacutetants donc

les principes de la substance sont principes du principe de lecirctre des autres eacutetants et donc laquo aussi

en quelque maniegravere les principes de ces eacutetants raquo Il sagit bien lagrave de la transitiviteacute deacutecrite par

Aristote en Λ 5 1071a 34-35 (laquo καὶ ὡδὶ τὰ τῶν οὐσιῶν αἴτια ὡς αἴτια πάντων raquo) mais sans

mention explicite ni bruyamment orchestreacutee de lidentiteacute seulement analogique des principes

Peut-ecirctre faut-il toutefois y entendre un eacutecho dans laffirmation que les principes de la substance

laquo ne sont pas principes de la mecircme faccedilon que ceux des autres eacutetants en dehors de la substance raquo

(134 12-13 qui pourrait se reacutefeacuterer agrave Λ 5 1071a 29 sq) Mais ce qui inteacuteresse surtout Alexandre est

bien ce schegraveme de la transitiviteacute causale ou principielle qui traverse le corpus on en a deacutejagrave vu un

449 In Met 128 12 ndash 129 9 et plus preacuteciseacutement 129 7-8 laquo μόνη γὰρ αὕτη τῶν ὄντων ὑποκείμενον τὰ δἄλλα ἐν ταύτῃ καὶ ταύτης τι raquo

450 Voir infra sect 312

451 Sur lanalogie des principes cf M Crubellier [1997] sur Λ 4 voir M Crubellier [2000] sur Λ 5 DCharles [2000] sur lensemble G Aubry [2006] p 155 sq

252

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

exemple dans le commentaire agrave A 2452

Sesquisse alors une interpreacutetation possible de luniversaliteacute de la sagesse problegraveme

central de la meacutetaphysique alexandrinienne qui ne sexacerbe que parce quAlexandre a

outrepasseacute certaines des limites traceacutees par Aristote agrave lencontre de la dialectique La sagesse

naurait quune universaliteacute par conseacutequence ou indirecte453 Elle se sauverait de la difficulteacute

exposeacutee par le commentaire agrave A 9 en se focalisant sur la substance et ses principes Ce serait parce

que les principes de la substance sont laquo aussi en quelque maniegravere les principes de ces eacutetants raquo

cest-agrave-dire litteacuteralement de tout le reste de ce qui est quune science de la substance (et donc de

ses principes et de ses causes) serait indirectement universelle Mais pour ecirctre avaliseacutee une telle

solution devra affronter une autre difficulteacute celle quexpose la troisiegraveme aporie (y a-t-il une seule

science pour eacutetudier toutes les substances ) et que selon Alexandre Γ va reacutesoudre La voie

dessineacutee en A 9 se maintient-elle dans le commentaire agrave Γ Est-ce agrave dire que leacutetude universelle

des eacutetants en tant queacutetants se laisse inteacutegralement absorber par lousiologie

241 Plan et objet de Γ

Le livre Γ on la vu454 se preacutesente en effet dans la lecture alexandrinienne du traiteacute

comme une acmeacute le moment ougrave Aristote recueille les opinions preacuteceacutedemment discuteacutees reacutesout

les difficulteacutes et expose ses propres thegraveses Cest aussi le livre de lunification des objets de la

meacutetaphysique comme en teacutemoigne le proegraveme du commentaire

452 In Met 9 8-16 cf ci-dessus sect 212

453 W Leszl [1975] p 176 sq

454 Cf ci-dessus sect 123c

253

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Δείκνυσι δὲ ἐν τῷδε τῷ βιβλίῳ περὶ τίναἐστὶν ἡ σοφία ἣν καὶ φιλοσοφίαν ὀνομάζεικαὶ πρώτην φιλοσοφίαν [2385] Καὶ πρῶτονμὲν συνίστησιν ὅτι περὶ τὸ ὂν καθόλου καὶἐπεὶ τῷ ὄντι τὸ ἓν κατὰ τὸ ὑποκείμενον τὸαὐτό ὅτι καὶ περὶ τοῦτο Ἀλλὰ καὶ περὶ τῶνὑπὸ τὸ ἕν ὧν ἐστι τὸ ταὐτὸν τὸ ἴσον τὸὅμοιον Ἀλλὰ καὶ περὶ τῶν ἀντικειμένων τῷἑνί ταῦτα δέ ἐστι τὰ πολλάmiddot τῆς γὰρ αὐτῆς ἡγνῶσις τῶν ἀντικειμένων Καὶ περὶ τῶν τοῖςεἰρημένοις ἄρα ἀντικειμένων ἀλλὰ [23810]καὶ περὶ πάντων τῶν ἐναντίωνmiddot πάντα γὰρτὰ ἐναντία ὑπὸ τὴν ἑτερότητα ἡ δὲ ἑτερότηςὑπὸ τὰ πολλά τὰ δὲ πολλὰ καὶ ἓνἀντικείμενα Εἰ δὲ περὶ πάντων τῶνἐναντίων τε καὶ ἀντικειμένων δῆλον καὶ ἐκτούτου ὅτι καὶ περὶ παντὸς τοῦ ὄντοςmiddot πάνταγὰρ τὰ ὄντα ἐν τούτοιςmiddot ἢ γὰρ ἐναντία ἢ ἐξἐναντίων Ἀλλ εἰ περὶ πάντα τὰ ὄντα καὶπερὶ πάντα τὰ [23815] καθ αὑτά τε καὶκοινῶς τῷ ὄντι ᾗ ὂν ὑπάρχονταmiddot τοιαῦτα δὲκαὶ τὰ ἀξιώματα Ἐφ οἷς δείκνυσιν ὅτικοινότατον καὶ γνωριμώτατον τῶνἀξιωμάτων ἐστὶ τὸ μὴ δύνασθαισυνυπάρχειν τὴν ἀντίφασιν

Aristote montre dans le livre que voici ce sur quoiporte la sagesse quil nomme aussi bien philosophieque philosophie premiegravere455 En premier lieu il eacutetablitquelle porte sur leacutetant en geacuteneacuteral et puisque lun estidentique agrave leacutetant au point de vue de leur sujet456quelle porte eacutegalement sur lun Mais aussi quelleporte sur les choses qui sont sous lun parmilesquelles sont le mecircme leacutegal le semblable Maisaussi quelle porte sur ce qui soppose agrave lun cest-agrave-dire sur le multiple car cest agrave la mecircme ltscience457gtquappartient la connaissance des opposeacutes Elle portedonc aussi sur les opposeacutes de ce quon a dit458 et deplus sur tous les contraires car tous les contrairessont sous lalteacuteriteacute et lalteacuteriteacute est sous le multiple orle multiple et lun sont opposeacutes Or si elle porte surtous les contraires et les opposeacutes il est manifeste agravepartir de cela aussi quelle porte aussi sur leacutetant entotaliteacute car tous les eacutetants sont compris dans ltlescontrairesgt ou bien en effet ils sont des contrairesou bien ils en sont composeacutes Mais si elle porte surtous les eacutetants alors elle porte aussi sur tout ce quiappartient par soi et communeacutement agrave leacutetant en tantqueacutetant or tels aussi sont les axiomes A propos deceux-ci il montre que laxiome le plus commun et leplus connu est limpossibiliteacute de la coexistence dedeux contradictoires

(238 3-17)

Dans le plan du proegraveme ce passage se situe apregraves le rappel des livres anteacuterieurs (237 3 ndash

238 3) et avant lannonce du plan du livre formant ainsi un ensemble de facture probablement

traditionnelle et scolaire Notre passage se donne donc pour objectif de preacutesenter de faccedilon

syntheacutetique lobjet et la thegravese du livre tout entier tourneacute vers lobjet de la philosophie premiegravere

comme en teacutemoigne la reacutepeacutetition de la tournure περί suivi indiffeacuteremment de laccusatif ou du

geacutenitif En fait dobjet Alexandre offre une multipliciteacute de champs de recherche au philosophe

premier Mais tregraves clairement son souci principal se porte sur la coordination de ces diffeacuterents

455 On pourrait peut-ecirctre aussi confeacuterer au premier καὶ une valeur adverbiale et donner au second unevaleur epexeacutegeacutetique ce qui donnerait laquo quil nomme aussi philosophie et plus preacuteciseacutement philosophiepremiegravere raquo Mais il semble plus naturel de lire la polysyndegravete classique καὶ καὶ

456 Ou laquo par le sujet raquo ie eacutetant et un sont neacutecessairement preacutediqueacutes des mecircmes sujets La traduction laquo parrapport raquo est ici trop vague pour traduire le κατὰ On peut comprendre la preacuteposition commesignifiant que nous attribuons (κατηγοροῦμεν) lun et leacutetant au mecircme substrat et quils ont donc lamecircme extension bien que leur compreacutehension soit diffeacuterente Cf 247 16 sq

457 La version alternative suppleacutee le terme de laquo science raquo

458 La version alternative rappelle les opposeacutes alteacuteriteacute ineacutegaliteacute dissemblance

254

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

objets dougrave la reacutepeacutetition du laquo ἀλλὰ καὶ raquo qui en grec tardif signifie souvent laddition et ne suit

pas neacutecessairement un laquo οὐ μόνον raquo Seulement lExeacutegegravete ne se contente pas daccumuler les

objets mais travaille en outre agrave les relier logiquement et les deacuteduire les uns des autres Le reacutesultat

est une seacutequence ordonneacutee ougrave lattribution dun objet deacutetude au philosophe premier entraicircne un

autre objet ou confirme une preacuteceacutedente attribution

Ainsi la philosophie premiegravere a-t-elle explicitement pour objet leacutetant en geacuteneacuteral et donc

aussi lun laquo puisque lun est identique agrave leacutetant κατὰ τὸ ὑποκείμενον raquo Mais quelle ait leacutetant en

geacuteneacuteral pour objet est eacutegalement confirmeacute par le fait quelle eacutetudie laquo tous les contraires et les

opposeacutes raquo et que laquo tous les eacutetants sont compris dans ltles contrairesgt raquo De leacutetude de leacutetant en

geacuteneacuteral Alexandre a deacuteduit leacutetude de lun donc celle de son opposeacute le multiple donc de

lalteacuteriteacute donc des contraires donc de leacutetant en totaliteacute Et cest bouclant cette boucle

quAlexandre peut enfin introduire tout le reste du livre avec leacutetude du principe de non

contradiction

Le plan mecircme du livre Γ est ainsi identique au programme de recherches du philosophe

premier et lon retrouve ici sous-jacente mais jouant agrave plein lambiguiumlteacute que nous avons releveacutee

dans le terme laquo πραγματεία raquo459 le traiteacute disant leacutetude et neacutetant pas simplement preacuteparatoire

puisquil accomplit pour partie lœuvre du philosophe premier ndash ne serait-ce par exemple que

pour le principe de non contradiction On comprend degraves lors pourquoi dans le proegraveme le

passage deacutevolu au sommaire de Γ est assez proche de celui qui expose les objets de la

philosophie premiegravere

Dans ce sommaire Alexandre distingue en Γ plusieurs moments principaux Γ 1 laquo pose raquo

que la sagesse traite de leacutetant le chapitre 2 part de la plurivociteacute de leacutetant et en deacutegageant

luniteacute de cette plurivociteacute montre aussi comment la science qui leacutetudie est une Par lagrave mecircme

cette science est aussi la premiegravere et laquo la plus eacuteminente raquo ou la science laquo au sens le plus propre raquo

(laquo κυριωτάτη raquo 238 20) Il faut donc la distinguer de ses rivales en terme dobjet la dialectique et

la sophistique Alexandre tient apparemment pour crucial le passage de Γ 2 1004b 17-26 celui-ci

est mis en exergue dans le proegraveme agrave Γ comme dans celui agrave Δ460 De cette confrontation est issue

lideacutee que le philosophe doit eacutetudier les laquo proprieacuteteacutes communes de leacutetant en tant queacutetant raquo (fin

de Γ 2) Cela entraicircne la neacutecessiteacute de laquo montrer limpossibiliteacute pour deux contradictoires decirctre agrave

la fois vraies ou agrave la fois fausses raquo (238 28 pour Γ 3 sq) et requiert la reacutefutation dHeacuteraclite et

459 Cf ci-dessus sect 121

460 Voir In Met 344 14 sq

255

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Protagoras (Γ 3-8)

Au cours du commentaire ce plan va bien sucircr saffiner Pour plus de commoditeacute et eacuteviter

de trop lourdes recontextualisations des textes architectoniques quil va nous falloir analyser

nous proposons ci-dessous un plan syntheacutetique de Γ selon Alexandre Eu eacutegard agrave la conception

du plan du livre eacutevoqueacutee ci-dessus nous nous limitons agrave Γ 1-3 Ce plan tente de refleacuteter le plus

fidegravelement possible la lecture alexandrinienne du texte dAristote il a eacuteteacute rendu possible par les

freacutequentes transitions ougrave lAphrodisien articule la progression du propos en employant

meacutecaniquement des structures du type δείξας ou εἰπὼν ἑξῆς ἐδήλωσε etc Quant aux

reacutefeacuterences agrave Aristote nous nous sommes surtout aideacute des lemmes ou des citations explicites (sauf

lorsque la paraphrase eacutetait trop eacutevidente) afin de mettre en valeur les passages litteacuteralement

pointeacutes par Alexandre

Ar Al Γ 1

03a 21 2395 Objet existence dune science au sens plein de leacutetant en tant queacutetant

23916 bull Elle soppose aux sciences partielles

23925 bull Elle est identique agrave la science des principes premiers ie la Sagesse

23933 Argument les principes premiers sont par soi principes de leacutetant entant queacutetant = des eacutetants en geacuteneacuteral

240 3240 7240 21

bull Ces principes sont premiers et donc communs bull Distinction causes par soi par accident bull La laquo nature raquo dont les principes sont principes est leacutetant en

tant queacutetant

Γ 2

03a 33 2411 Objet possibiliteacute dune science une de leacutetant en tant queacutetant

03b 8 et 9

241 10241 15241 27242 6242 10

242 25

bull Argument leacutetant comme ἀφ ἑνός τινος ἢ πρὸς ἓν λεγόμενον Distinction synonymes homonymes Les ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγόμενα Le sain et le meacutedical Leacutetant comme ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγόμενον Distinction entre la substance et les autres genres accidents de la

substance Les accidents de la substance dans le texte (relatifs neacutegations etc)

bull Conseacutequences Uniteacute quasi-geacuteneacuterique de la science de leacutetant en tant

256

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

03b 1103b 1603b 19

243 17244 10244 32

queacutetant Uniteacute de la science de leacutetant La science de leacutetant est science du premier ie de la substance La science de la substance est universelle la science de la substance est

aussi science de leacutetant en tant queacutetant

04a 2

04a 5

250 21

251 28

(En suivant lordre argumentatif proposeacute par Alexandre et linsertion ici du commentaire agrave1004a 2-9 en 250 21 ndash 251 38 )

Conseacutequence le paralleacutelisme entre les espegraveces de la science de lasubstance et lordre des substances elles-mecircmes Dougrave lexistence dephilosophies premiegravere seconde troisiegraveme Analogie avec lesmatheacutematiques

03b 21245 21245 33246 6246 13

bull Les espegraveces de leacutetant et les espegraveces de la science de leacutetant Analogie objet science de leacutetant Uniteacute primauteacute et universaliteacute de la science de leacutetant

Reacutesolution des troisiegraveme et quatriegraveme apories de B 461

03b 22

03b 2403b 26

03b 2903b 32

246 28

247 8

247 16247 32

249 3

Nombre et nature des espegraveces de leacutetant [le plan de cette section estdonneacute inteacutegralement en 246 28 ndash 247 8 et avait deacutejagrave eacuteteacute esquisseacute dans leproegraveme]

Neacutecessiteacute den passer par lun et ses espegraveces bull Argument convertibiliteacute de leacutetant et de lun

Analogie avec laquo principe raquo et laquo cause raquo bull Polyonymie ou heacuteteacuteronymie de leacutetant et de lun bull Eacutequivalence entre laquo un humain raquo laquo ecirctre humain raquo

et laquo humain raquo ces expressions signifient lasubstance Laddition de laquo naicirct raquo ou laquo secorrompt raquo ne change rien

bull Nouvelle deacutemonstration de la convertibiliteacute deleacutetant et de lun la substance comme ce qui esteacuteminemment et comme eacuteminemment une

03b 33

03b 35

249 20

249 33

Conseacutequence les espegraveces462 de leacutetant sont au mecircme nombre queles espegraveces de lun Plus les espegraveces de lun sont les espegraveces de leacutetant en tant queacutetantElles font donc lobjet de la philosophie Reacutesolution de la quatriegraveme aporie de B

03b 3604a 9

250 5 +252 2

bull Le philosophe en eacutetudiera aussi les opposeacutes Science de leacutetant = sciencede lun = science des espegraveces de leacutetant et de lun = science de leurs opposeacutes

461 Sur la maniegravere dont les apories de B seraient reacutesolues par Γ et peut-ecirctre certains livres suivants cfaussi D Ross [1924] p XXIII-XXIV

462 Pour la justification de ces guillemets voir In Met 249 28 sq laquo κοινότερον δὲ εἴδη λέγει τοῦ ὄντοςκαὶ τοῦ ἑνός οὔτε γὰρ τὸ ὂν καὶ ἓν κυρίως γένος οὔτε τὰ ὑπ αὐτὰ εἴδη raquo

257

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

04a 10

04a 12

252 18252 30253 1

Argument privation et neacutegation de x comme objets de la science de x Preacutecisions463 sur lun et le multiple Distinction privation neacutegation

04a 1604a 18

253 27253 34

Nature des opposeacutes et des contraires de lun Reacuteductibiliteacute de tous les opposeacutes agrave lun et au multiple cest donc

la mecircme personne qui les eacutetudie

04a 22 2555 Leur plurivociteacute ne les empecircche pas de faire lobjet dune science uneie la philosophie Deacutemonstration en deux temps

04a 24

04a 2804a 30

255 19

256 5257 7

Objets dune science une bull Argument uni-reacutefeacuterentialiteacute en geacuteneacuteral et uni-reacutefeacuterentialiteacute

des opposeacutes agrave lun Le ἕν du πρὸς ἕν la substance Conclusion cest la mecircme science qui les eacutetudie

04b 1

04b 5

257 19

258 1

Objets de la philosophie bull Argument comme la substance et ses accidents ils ne peuvent

faire lobjet dune autre science bull Argument les opposeacutes de lun sont des attributs essentiels de

leacutetant et de lun ils font donc eux aussi lobjet de lalaquo philosophie universelle et geacuteneacuterale raquo

04b 8

04b 10

04b 17

04b 27

258 26

259 2

259 24

260 32

(Geacuteneacuteralisation non plus seulement les opposeacutes mais toutes les espegraveces464) bull Les espegraveces et les opposeacutes de lun et de leacutetant sont objets de la

philosophie mais pas seulement Distinction philosophes sophistes qui parlent eux aussi

des opposeacutes et des contraires Ce sont des attributs de leacutetant en tant queacutetant donc objet

du philosophe Distinction entre le philosophe le sophiste et le

dialecticien

bull Argument(s) additionnel(s)465 la seacuterie des contraires

04b 29

04b 30

26119

261 30262 3

bull Conclusion le philosophe eacutetudie les contraires et donc la philosophieeacutetudie universellement tous les eacutetants466 Deux interpreacutetations possibles Argument suppleacutementaire dialectique reacutefeacuterence agrave ceux qui faisaient des

463 Le passage qui preacutecegravede est en effet qualifieacute de κοινῶς (252) 30

464 Cf la reacutefeacuterence aux laquo choses mentionneacutees raquo en 258 14 et en 259 3-2 qui vaut aussi pour lecommentaire preacuteceacutedent dans lequel Alexandre a introduit la distinction avec le sophiste Ces chosesmentionneacutees sont en effet sans doute le mecircme et lautre le semblable et le dissemblable etc donc nonseulement les opposeacutes et les contraires (cf 258 30) mais aussi les espegraveces positives de lun Cf laconfirmation en 259 25

465 Ce sont peut-ecirctre deux arguments cf 261 9

466 Conclusion de largumentation sur les contraires qui avait eacuteteacute annonceacutee dans le proegraveme cf 238 11-14Le fait quil sagit agrave la fois de la conclusion du passage sur les contraires et dune conseacutequence pargeacuteneacuteralisation est expliqueacute par Alexandre en 261 26 sq

258

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

contraires les principes

05a 2

05a 5

05a 10

05a 11

262 22

263 1

263 19

263 35

Reacutepeacutetition de la thegravese qui en deacutecoule la philosophie eacutetudie les contrairescomme eacuteleacutements de leacutetant et de la substance et donc tous les eacutetants defaccedilon universelle

bull Argument Plurivociteacute des contraires mais reacutefeacuterence agrave lasubstance

bull Distinction dans les plurivoques entre luni-reacutefeacuterentialiteacute et laseacuterie de conseacutecution

bull Or seul le philosophe traite des πρὸς ἕν et des ἐφεξῆς non lessciences partielles

05a 15 264 18 bull Derniegravere extension du champ de la philosophie premiegravere anteacuterieur posteacuterieur genre espegravece tout partie

264 23 bull Tout leacutetant est objet de la philosophie donc toutes les causesen geacuteneacuteral

Reacutesolution de la premiegravere aporie

Γ 3

05a 19 264 31 Objet reacutesolution de la deuxiegraveme aporie de B

05a 24

05a 2505a 2905a 3105b 1

265 6

265 24265 26265 28266 5266 18

bull Argument geacuteneacuteral le philosophe traite de la substance et de leacutetant en tantqueacutetant et donc des axiomes Les axiomes sont des proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant

bull Cest pourquoi toutes les sciences partielles sen servent Mais aucune ne peut les eacutetudier

bull Confirmation lerreur de certains physiciensbull En quel sens la vraie philosophie premiegravere est premiegravere

Cest bien la philosophie premiegravere qui traite des axiomes CQFD

05b 5 26724 Le philosophe eacutetudie la substance donc les axiomes

05b 2 266 31(En tenant compte du deacuteplacement proposeacute en 267 15)

Contre ceux qui ignorent les analytiques et croient quon peut toutdeacutemontrer

05b 8

05b 11

268 9

268 11268 25

bull Transition et preacutecision Le philosophe doit connaicirctre le premier axiome Argument la connaissance du premier

bull dans la science en geacuteneacuteralbull par rapport agrave la nature de la philosophie

05b 11

05b 1905b 23

268 33

269 19269 32

bull Nature du premier axiome Le plus certain le plus connu et lanhypotheacutetique Agrave savoir le principe de non contradiction

bull qui est conforme agrave la description du premier axiome donneacutee

259

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

05b 30270 3271 1

ci-dessusbull car il est impossible de ne pas y croirebull et cest pourquoi il est le plus certain

05b 33 27111 bull Le principe de tous les axiomes

242 Trois passages architectoniques

Rappelons le problegraveme esquisseacute ci-dessus la question est de savoir si Alexandre conccediloit

plusieurs sciences dans la Meacutetaphysique (en faisant par exemple coexister une ontologie et une

theacuteologie) ou sil reacuteduit agrave luniteacute la diversiteacute quon a observeacutee On a en effet vu comment

Alexandre semble osciller entre deux sortes duniversaliteacute pour la meacutetaphysique intrinsegraveque ou

par conseacutequence et par lagrave entre deux grands genres dambitions celle dune philosophie

universelle science de tous les eacutetants en tant quils sont et celle dune science dun genre

particulier deacutetants (le premier) dont leacutetude permet indirectement de savoir ce quil en est de

toutes choses Cette derniegravere cateacutegorie deacutesigne tantocirct la science des principes premiers et des

causes premiegraveres tantocirct la science de la substance en geacuteneacuteral tantocirct plus preacuteciseacutement celle des

substances premiegraveres comprises comme les moteurs ceacutelestes et le premier dentre eux Il arrive

aussi agrave Alexandre ndash et cela se trouvera confirmeacute par les passages ci-dessous du commentaire agrave Γ ndash

de reacuteduire cette multipliciteacute agrave la dichotomie entre ontologie et theacuteologie467 Or quoi quil en soit

multipliciteacute ou dichotomie celle-ci sachoppe directement agrave la lecture unitarienne du traiteacute Au

demeurant jamais Alexandre ne parle de deux sciences (ou davantage) proposeacutees agrave leacutetude par le

traiteacute et cest toujours le singulier qui preacutevaut lorsquil est question de la science ou de

leacutetude proposeacutees468

Or en trois passages lExeacutegegravete affronte cette difficulteacute aux pages 245-246 250-251 et 265-

266 du Commentaire agrave Meacutetaphysique Γ Ce quy dit Alexandre na pas toujours paru

particuliegraverement clair agrave ses lecteurs et a tout du moins susciteacute leur deacutesaccord Pour en sonder la

coheacuterence il vaut donc la peine de consideacuterer ensemble les trois textes puis de rappeler les

467 On en a vu un exemple frappant avec In AnPr 357 32 ndash 358 4

468 Pour les expressions laquo προκειμένη πραγματεία raquo ou laquo προκειμένη ἐπιστήμη raquo cf In Met 8 20 159 171 5 175 17 237 5 etc

260

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

positions principales des commentateurs agrave ce sujet

a) Les textes

Le premier passage se situe dans le commentaire de Γ 2 1003b 21 qui entame le moment

du chapitre ougrave selon Alexandre Aristote va deacuteployer les espegraveces de lun et donc de leacutetant qui

font lobjet de la philosophie premiegravere Le passage suit la deacutemonstration de luniciteacute de la science

de leacutetant en tant queacutetant qui occupe toute la premiegravere partie du chapitre Deacutesormais lobjectif

on sen souvient est de souligner lextension de la science rechercheacutee pour confirmer sa porteacutee

universelle Le passage auquel sattaque ici Alexandre est en outre reacuteputeacute pour sa difficulteacute et il

convient de lexpliciter pour mieux appreacutecier la position de lExeacutegegravete On se demande dabord

comment il est possible de parler ici de genre et despegravece alors que leacutetant ne se dit pas de faccedilon

synonymique et quil nest donc pas un genre Mais mecircme si lon arrive agrave justifier cela la nature

des laquo espegraveces de leacutetant raquo et des laquo espegraveces des espegraveces raquo nest pas claire ndash sont-ce les mecircmes quen

1003b 34 ou y a-t-il dun cocircteacute les genres des substances puis les cateacutegories de lautre cocircteacute Enfin

si lon comprend que les espegraveces de leacutetant doivent ecirctre eacutetudieacutees par les espegraveces de la science de

leacutetant comme le fait Alexandre comment cela peut-il ecirctre compatible avec la premiegravere partie de

la phrase soutenant neacutecessairement quil laquo appartient agrave une science une par le genre deacutetudier

toutes (ὅσα) les espegraveces de leacutetant raquo 469

Preacutecisons immeacutediatement que le lemme dAristote a eacuteteacute ici traduit en fonction de la

compreacutehension quen montre ensuite Alexandre dans son commentaire En effet pour Alexandre

Aristote deacuteveloppe une analogie entre lorganisation de la science dun objet et la structure de cet

objet mecircme Cest ce quimplique la diffeacuterence pourtant leacutegegravere entre le texte dAristote que lit

Alexandre et le nocirctre Alexandre lit laquo τὰ δὲ εἴδη τῶν εἰδῶν raquo en 1003b 22 quand nous avons laquo τά

τε εἴδη τῶν εἰδῶν raquo Si le texte de Ab (L chez les eacutediteurs dAlexandre) arrecircte le lemme avant cette

expression on la trouve bien avec δὲ dans le Parisinus gr 1876 (A) et on la lit plus loin telle

quelle en 245 25 et 251 4-5 autant en Ab quen A470 il ny a donc pas de doute que ce soit le texte

469 Pour un aperccedilu des difficulteacutes on peut citer sans preacutetendre agrave lexhaustiviteacute WD Ross [1924] p 257 J Tricot [1952] p 182 P Aubenque [1962] p 181 V Deacutecarie [1972] p 103 W Leszl [1975] p 261 AJaulin [1999] p 20 et 84 A Stevens [2000] p 226-227 et [2008] p 276-277 L-A Dorion [2008] p 334etc

470 M Hecquet-Devienne [2008] p 46 ndash lapparat de Hayduck est moins complet Cf aussi M Bonelli

261

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

dAlexandre Quelle est la diffeacuterence avec notre texte Dans notre cas la traduction agrave notre sens

la plus naturelle serait quelque chose comme471 laquo cest agrave une science une par le genre quil

appartient deacutetudier toutes les espegraveces de leacutetant et les espegraveces des [on comprend alors de ses]

espegraveces raquo Les laquo espegraveces raquo ici ne concernent que leacutetant lobjet de la science geacuteneacuteriquement une

En revanche pour Alexandre dans lexpression laquo τὰ δὲ εἴδη τῶν εἰδῶν raquo les unes sont celles de

laquo leacutetant raquo et les autres celles de laquo la science une par le genre raquo Dougrave lanalogie eacutelaboreacutee par

lAphrodisien entre la structure du genre-objet de science et la structure de la science geacuteneacuterique

faisant correspondre agrave chaque espegravece du genre-objet une espegravece de la science Dougrave aussi la thegravese

selon laquelle la science universelle de leacutetant a pour espegravece premiegravere la science de la substance

premiegravere

Texte 1

1003b 21 Διὸ καὶ τοῦ ὄντος472 ὅσα εἴδηθεωρῆσαι μιᾶς ἐστιν ἐπιστήμης τῷ γένει τὰδὲ εἴδη τῶν εἰδῶν

Δείξας ὅτι μιᾶς ἐστιν ἐπιστήμης ἡ περὶπαντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὂν θεωρία ἥτις ἐστὶσοφία τε καὶ φιλοσοφία (εἴρηται δὲ ὅτι μιᾶςἐστι τῷ γένει τουτέστι μιᾶς κατὰ τὸ γένοςἐπιστήμης ὅσα εἴδη καὶ ὅσαι διαφοραὶ τοῦ[24525] ὄντος ᾗ ὂν θεωρῆσαι) ἐπήνεγκε τὸldquoτὰ δὲ εἴδη τῶν εἰδῶνrdquo

Ὡς γὰρ ἔχει τὸ γένος τὸ ἐπιστητὸν πρὸςτὰ ὑπ αὐτὸ εἴδη οὕτω καὶ τὸ γένος τῆςτούτου ἐπιστήμης πρὸς τὰ εἴδη τὰ αὐτῆς καὶἐναλλὰξ ἄρα ὡς τὸ γένος τὸ ἐπιστητὸν πρὸςτὸ γένος τῆς οἰκείας ἐπιστήμης οὕτω καὶ τὰ

1003b 21 laquo Cest pourquoi il appartient agrave une scienceune par le genre deacutetudier toutes les espegraveces de leacutetant etaux espegraveces ltde la science deacutetudiergt les espegraveces ltdeleacutetantgt raquo

Apregraves avoir montreacute que leacutetude de tout eacutetant entant queacutetant appartient agrave une science une laquelle estsagesse et philosophie (on a dit quil appartient agrave unescience une par le genre cest-agrave-dire une science uneselon le genre deacutetudier toutes les espegraveces et toutesles diffeacuterences de leacutetant en tant queacutetant) Aristote aajouteacute laquo et aux espegraveces ltde la science deacutetudiergt lesespegraveces ltde leacutetantgt raquo473

En effet le genre de la science qui eacutetudie ltungenregt entretient avec les espegraveces de cette science lemecircme rapport474 que celui que le genre qui est objetde science a avec les espegraveces qui sont sous lui et parconseacutequent en permutant les termes475 le genre qui

[2001] p 203

471 Mais la chose est discuteacutee cf L-A Dorion [2008] et A Stevens [2008]

472 Ross et Jaeger donnent laquo διὸ καὶ τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ὅσαraquo Conformeacutement au lemme dAlexandre et auxmanuscrits E et J B Cassin et M Narcy et M Hecquet-Devienne suppriment laddition de laquo ᾗ ὂν raquomarginale dans J mais qui est la leccedilon de Ab Comme le note Jaeger laddition peut toutefois sautoriserde la paraphrase qui suit

473 Tous nos manuscrits comportent τε et non δὲ Nous traduisons lexpression telle quAlexandrelentend Pour une critique de cette lecture cf par exemple A Mansion [1985] p 53-109

474 Nous empruntons cette eacuteleacutegante maniegravere de traduire lanalogie avec laquo ἔχει raquo agrave la traduction deP Donini [2005] p 88 Cependant il faut eacutegalement inverser lordre de la phrase (ce que ne fait pasDonini) puisquen grec laquo ὡς γὰρ ἔχει raquo introduit le comparant et laquo οὕτω καὶ raquo le compareacute laccent delanalogie si lon veut porte ici sur la deuxiegraveme partie de la phrase grecque (laquo τὸ γένος τῆς τούτουἐπιστήμης πρὸς τὰ εἴδη raquo) dougrave notre inversion

262

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

εἴδη τοῦ ἐπιστητοῦ πρὸς τὰ εἴδη τῆςἐπιστήμης ἔστι δὲ τὸ γένος καὶ ἡ [24530] τοῦὄντος κοινὴ φύσις ἐπιστητὴ τῇ κοινῇ τε καὶγενικῇ φιλοσοφίᾳ καὶ τὰ μέρη ἄρα τοῦὄντος ἐπιστητὰ τοῖς τῆς φιλοσοφίας μέρεσινὥστε ἑκάστου τῶν τοῦ ὄντος εἰδῶν ἐπιστήμηἂν εἴη ἑκάστη τούτων ὅσαι ὑπὸ φιλοσοφίανὡς γενικήν τινα ἐπιστήμην τεταγμέναι εἰσὶνἐπιστῆμαι

est objet de science a aussi avec le genre de la sciencequi lui est propre le mecircme rapport que les espegraveces delobjet avec les espegraveces de la science Or le genre cest-agrave-dire la nature commune de leacutetant est objet descience pour la philosophie commune et geacuteneacuterique donc les parties de leacutetant sont objets de science pourles parties de la philosophie De la sorte sera sciencede chaque espegravece de leacutetant chacune de celles-ci476 ndashcest-agrave-dire toutes les sciences qui sont rangeacutees sous laphilosophie comme sous une science geacuteneacuterique477

Διὰ δὲ τῶν νῦν εἰρημένων δέδεικται ὅτιτῆς πρώτης φιλοσοφίας ἡ εἰς τὰ γένη τοῦ[24535] ὄντος διαίρεσις ὃ πεποίηκεν αὐτὸςἐν ταῖς Κατηγορίαις ἅμα δὲ καὶ ἐνεδείξατοἡμῖν διὰ τούτων καὶ πῶς ἐστι μία ἐπιστήμη ἡφιλοσοφία τῷ γὰρ καθόλου εἴδη δὲ αὐτῆςὅσα τὰ τοῦ ὄντος εἴδη γὰρ αὐτῆς ἥ τε πρώτη[2461] φιλοσοφία ἥτις καὶ κυρίως σοφίακαλεῖται οὖσα ἐπιστήμη τῶν ἀιδίων τε καὶἀκινήτων καὶ θείων Ἡ μὲν γὰρ σοφία ἐστὶνἡ καθόλου τε καὶ πρώτη εἴ γε αὐτή ἐστιν ἡπερὶ τὸ ὂν ᾗ ὂν ἀλλ οὐ τὶ ὄν ἔστι δὲ ὑπὸταύτην ἡ μέν τις πρώτη φιλοσοφία ἡ περὶτὰς πρώτας οὐσίας ἡ δὲ φυσικὴ οὖσα [2465]περὶ τὰ φυσικά ἐν οἷς ἤδη κίνησις καὶμεταβολή ἡ δέ τίς ἐστι τῶν πρακτῶνθεωρητική τοιαῦτα γὰρ καὶ τῶν ὄντων τινά

Gracircce agrave ce qui vient decirctre dit on a montreacutequappartient agrave la philosophie premiegravere la division deleacutetant en genres ce quAristote lui-mecircme a effectueacutedans les Cateacutegories Mais simultaneacutement il nous aaussi indiqueacute par ces mots en quel sens laphilosophie est une science une parce quelle estuniverselle Ses espegraveces sont au mecircme nombre quecelles de leacutetant En effet ses espegraveces sont laphilosophie premiegravere qui est aussi appeleacutee sagesse enun sens eacuteminent parce quelle est la science des choseseacuteternelles immobiles et divines Dune part en effet ily a la sagesse qui est universelle et premiegravere vuquelle porte sur leacutetant en tant queacutetant et non sur untype deacutetant et dautre part il y a sous elle 1) unecertaine478 philosophie premiegravere qui porte sur lessubstances premiegraveres 2) une ltphilosophiegt naturellequi porte sur les ecirctres naturels degraves lors que reacutesidenten eux mouvement et changement 3) et il y a enfinune certaine ltphilosophiegt qui eacutetudie les objetsdaction ndash tels sont aussi en effet certains eacutetants

Ὅτι δὲ μία τῷ γένει ἡ περὶ τὸ ὂν ᾗ ὂνπραγματευομένη φιλοσοφία ἐδήλωσε καὶ ἐξὧν εὐθὺς ἀρχόμενος τοῦ βιβλίου εἶπενldquoαὕτη δέ ἐστιν οὐδεμιᾷ τῶν ἐν μέρειλεγομένων ἡ αὐτήrdquo ἡ περὶ τὰς ἀρχὰς καὶ τὰπρῶτα αἴτια καὶ τὴν οὐσίαν [24610]πραγματευομένη ἅμα τέ ἐστι πρώτη καὶ

Et que soit une par le genre la philosophie quisoccupe de leacutetant en tant queacutetant Aristote la aussiexpliqueacute agrave partir de ce quil a dit degraves le deacutebut dulivre laquo elle nest identique agrave aucune des sciencesdites partielles raquo agrave savoir celle qui soccupe desprincipes des causes premiegraveres et de la substanceElle est agrave la fois premiegravere et universelle car dans ce

475 Cf M Bonelli [2001] p 207 et P Donini [2005] p 88 n 25 sur le sens de ce terme en geacuteomeacutetrie

476 Les parties de la philosophie

477 Ou laquo sous une science en quelque sorte geacuteneacuterique raquo Il est en effet tentant comme le fait A Madigande prendre le τινα comme alienans puisquAlexandre est conscient de la difficulteacute ndash quoiquil force lepassage ndash ainsi que le montrent 249 28-33 confirmeacute en 250 8 255 21

478 Ou une philosophie laquo en quelque sorte premiegravere raquo puisque lagrave aussi il est tentant de confeacuterer agrave lindeacutefinisa valeur alienans Alexandre modalisant la primauteacute puisquil est en train de distinguer deuxphilosophies premiegraveres Sur le fait que ce nest pas lagrave un emploi rare de lindeacutefini chez Alexandre voiraussi outre les reacutefeacuterences donneacutees dans la note ci-dessus limportant passage du De anima 88 23(confirmeacute par le De intellectu 106 19) sur lexpression laquo ὑλικός τις νοῦς raquo On pourrait eacutegalement seposer la question pour la philosophie pratique qui est mentionneacutee quelques lignes plus bas laphysique quant agrave elle nest pas introduite avec lindeacutefini lexpression laquo ἡ δέ τίς ἐστι τῶν πρακτῶνθεωρητική raquo nest pas seulement leffet dun paralleacutelisme

263

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

καθόλου ἐν γὰρ τοῖς ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓνλεγομένοις τὸ πρῶτον καὶ καθόλου τῷ καὶτοῖς ἄλλοις αὐτὸ εἶναι αἴτιον τοῦ εἶναι ὡςκαὶ αὐτὸς ἐν τῷ Ε τῆσδε τῆς πραγματείαςἐρεῖ

Δι ὧν δὲ εἴρηκέ τε καὶ κατεσκεύασελέλυκεν ἀπορίας τῶν ἐν τῷ Β βιβλίῳῥηθεισῶν τήν τε εἰ τῆς αὐτῆς ἐπιστήμης ἐστὶπερὶ τῶν [24615] οὐσιῶν πασῶν τὴν θεωρίανποιεῖσθαι ἢ ἄλλη ἄλλης οὐσίας ἐστὶνἐπιστήμη ἔτι καὶ τὴν εἰ τῆς αὐτῆς ἐστι περίτε τῆς οὐσίας θεωρεῖν καὶ τῶνσυμβεβηκότων αὐτῇ

qui se dit agrave partir dune uniteacute et relativement agrave uneuniteacute le premier est aussi universel du fait que pourles autres choses il est lui-mecircme cause de leur ecirctrecomme le dira aussi Aristote au livre E de ce traiteacute

Gracircce agrave ce quil a dit et eacutetabli Aristote a reacutesoludes difficulteacutes parmi celles eacutevoqueacutees au livre B ltladifficulteacute de savoirgt sil appartient agrave la mecircme sciencede faire leacutetude de toutes les substances ou si pourchaque substance il y a une science diffeacuterente celleen outre de savoir si cest agrave la mecircme science quilappartient deacutetudier agrave la fois la substance et sesaccidents

(245 20 ndash 246 17)

Le second texte se situe peut-ecirctre logiquement avant le preacuteceacutedent si lon suit lordre du

texte remanieacute par Alexandre Pour plus de commoditeacute on y reviendra ci-dessous

Texte 2

1004a 2 Καὶ τοσαῦτα μέρη φιλοσοφίαςἐστὶν ὅσαι περ αἱ οὐσίαι

Ἐπεὶ τοῦ ὄντος τὸ μὲν ἦν κυρίως καὶ καθαὑτὸ ὄν τὸ δὲ κατὰ συμβεβηκός κυρίως μὲνκαὶ καθ αὑτὸ ὂν ἡ οὐσία κατὰ συμβεβηκὸςδὲ τά τε τῇ οὐσίᾳ ὑπάρχοντα καὶ τὰ ὅλως ἐπὶταύτην ἔχοντα τὴν ἀναφοράν [25025]πανταχοῦ δέ ὡς ἔφαμεν οἷς ἡ τάξις αὕτη ἡπερὶ αὐτὰ ἐπιστήμη κυρίως τοῦ πρώτου ἐξοὗ τὰ ἄλλα ἤρτηται καὶ δι ὃ καὶ τὰ ἄλλαὄντα λέγεται ἡ δὲ φιλοσοφία ἐπιστήμηπερὶ οὐσίαν αὕτη γὰρ κυρίως ὄν καὶ ἐπεὶπλείους αἱ οὐσίαι ἔσται καὶ τῆς ἐπιστήμηςτῆς περὶ τὴν οὐσίαν (αὕτη δὲ ἦν ἡφιλοσοφία) μιᾶς οὔσης τῷ γένει τοσαῦταμέρη τε καὶ εἴδη ὅσαι [25030] καὶ οὐσίαι Καὶὡς τῶν οὐσιῶν αἱ μὲν πρῶται αἱ δὲ δεύτεραιοὕτως ἡ φιλοσοφία ἡ μέν τις ἔσται πρώτη ἡδέ τις δευτέρα καὶ μετ ἐκείνην ὡς ἡ τάξις ἡ

1004a 2 laquo Et il y a autant de parties de la philosophiequil y a preacuteciseacutement de substances raquo

Puisque parmi leacutetant il y a comme on la vu479dun cocircteacute ce qui est eacutetant de faccedilon eacuteminente et par soiet de lautre cocircteacute ltce qui lestgt par accident etpuisquest eacutetant de faccedilon eacuteminente et par soi lasubstance et ltsont eacutetantsgt par accident les proprieacuteteacutesde la substance et en geacuteneacuteral ce qui a rapport avecelle et que comme nous lavons dit pour les chosesougrave reacuteside cet ordre dans tous les cas la science de ceschoses est eacuteminemment science du premier dont lereste deacutepend et agrave cause duquel le reste est appeleacuteeacutetant ltalors puisque la philosophie porte surleacutetantgt la philosophie ltsera eacuteminemmentgt science dela substance480 car celle-ci est eacuteminemment un eacutetantEt puisquil y a plusieurs substances alors la sciencequi porte sur la substance (comme on a vu cest laphilosophie) ltcette sciencegt qui est une par le genreaura autant de parties et481 despegraveces quil y a de

479 En glosant limparfait cf la note 108 de A Madigan ad loc Pour la reacutefeacuterence cf In Met 242 10 sq

480 Hayduck propose de combler la lacune signaleacutee par Bonitz gracircce au texte dAscleacutepius qui de fait suitpas agrave pas celui dAlexandre Cf In Met 237 16-22 laquo Ἐπεὶ τοῦ ὄντος τὸ μὲν κυρίως ἐστὶν ὂν καὶ καθαὑτό τὸ δὲ κατὰ συμβεβηκός κυρίως μὲν καὶ καθ αὑτὸ ἡ οὐσία κατὰ συμβεβηκὸς δὲ τὰ τῇ οὐσίᾳὑπάρχοντα καὶ τὰ ὅλως ἐπὶ ταύτην ἔχοντα τὴν ἀναφοράν πανταχοῦ δὲ ἀναγκαῖον εἶναί τιναπρώτην φιλοσοφίαν ἐν οἷς οὖν ἡ τάξις αὕτη κυρίως ἐστὶν ἐπιστήμη τοῦ πρώτου καὶ ἐξ οὗ τὰ ἄλλαἤρτηται καὶ δι ὃ λέγονται ἡ δὲ φιλοσοφία περὶ τὸ ὄν εἴη ἂν κυρίως ἡ φιλοσοφία ἐπιστήμη περὶοὐσίαν αὕτη γὰρ κυρίως ὄν raquo

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ἐν αὐταῖς substances Et de mecircme que parmi les substances lesunes sont premiegraveres et les autres secondes il y aurade mecircme une philosophie premiegravere et une autreseconde et posteacuterieure agrave la premiegravere selon lordredans les substances

Καὶ εἴη ἂν ἀκόλουθος ἡ λέξις αὕτη τῇπρὸ ὀλίγου εἰρημένῃ τῇ ldquoεἰ οὖν τοῦτ ἐστὶν ἡοὐσία τῶν οὐσιῶν ἂν δέοι τὰς [2511] ἀρχὰςκαὶ τὰς αἰτίας ἔχειν τὸν φιλόσοφονrdquo ταύτῃγὰρ ἀκολουθεῖ τὸ ldquoκαὶ τοσαῦτα μέρηφιλοσοφίας ὅσαι περ αἱ οὐσίαιrdquo διὸ καὶ ἦνἂν σαφέστερα τὰ λεγόμενα εἰ ἦν ἡ λέξιςαὕτη κειμένη πρὸ τῆς ldquoεἰ δὴ τὸ ὂν καὶ τὸ ἓνταὐτόνrdquo συνάπτουσα τῇ ldquoδιὸ καὶ τοῦ ὄντοςτὰ εἴδη θεωρῆσαι [2515] μιᾶς ἐστινἐπιστήμης τῷ γένει τὰ δὲ εἴδη τῶν εἰδῶνrdquoἀκόλουθον γὰρ τούτῳ τὸ ldquoκαὶ τοσαῦτα μέρηφιλοσοφίας ἐστὶν ὅσαι περ αἱ οὐσίαιrdquo

Cette proposition fait peut-ecirctre suite agrave celle ditepeu avant laquo Donc si cela cest la substance ce sontdes substances que le philosophe devra posseacuteder lesprincipes et les causes raquo (1003b 17-19) car de celasensuit que laquo ltil y agt autant de de parties de laphilosophie quil y a preacuteciseacutement de substances raquo(1004a 2-9) Cest pourquoi ses paroles seraient plusclaires si cette proposition eacutetait placeacutee avant laquo si donclun et leacutetant sont une mecircme chose raquo (1003b 22-23) etrattacheacutee agrave laquo cest pourquoi il appartient agrave une scienceune par le genre deacutetudier toutes les espegraveces deleacutetant et aux espegraveces ltde la science deacutetudiergt lesespegraveces ltde leacutetantgt raquo (1003b 21-22) car de cela suitque laquo et il y a autant de parties de la philosophie quily a preacuteciseacutement de substances raquo (1004a 2-3)

Ἦν δὲ ἐν τοῖς ἠπορημένοις καὶ τοῦτο ὡςπροεῖπον ἤδη πότερον μία περὶ πάσαςοὐσίας εἴη ἢ πλείονές εἰσι κἂν εἰ πλείονεςπότερον συγγενεῖς Δέδειχε γὰρ ὅτιπλείονες ἀλλ ὡς ὑπὸ μίαν πᾶσαι τῷ γένειτὴν φιλοσοφίαν [25110] τὸ δὲ ltὑπάρχει γὰρεὐθὺς γένη ἔχοντα τὸ ὂν καὶ τὸ ἓνgt ἴσον ἐστὶτῷ ἔστι γὰρ καὶ τοῦ ἑνὸς καὶ τοῦ ὄντος γένητινά τουτέστι κατὰ γενῶν τινων τό τε ἓν καὶτὸ ὂν κατηγορεῖται Ὂν δὲ τὸ κυρίως ὂνλαμβάνει ὁμοίως καὶ ἕν τοῦτο δέ ἐστιν ἡοὐσία

Cela se trouvait aussi dans Les Difficulteacutes commeje lai deacutejagrave dit avant482 ltla difficulteacute de savoirgt si cestune unique ltsciencegt qui porte sur toutes lessubstances ou si elles sont plusieurs et si elles sontplusieurs si elles sont de mecircme genre En effetAristote a montreacute quelles sont plusieurs mais danslideacutee quelles sont toutes sous la philosophie qui estune par le genre La ltphrasegt laquo en effet leacutetant et lunse trouvent avoir immeacutediatement des genres raquoeacutequivaut agrave ltdiregt quen effet il y a des genres de lunet de leacutetant cest-agrave-dire que lun et leacutetant sattribuentagrave certains genres et il prend laquo eacutetant raquo en son senseacuteminent (et de mecircme pour lun) cest-agrave-dire au sensde substance

481 En geacuteneacuteral quand Alexandre eacutecrit laquo τε καὶ raquo cest pour coordonner mais il est probable que latournure soit ici expleacutetive

482 In Met 246 14 sq

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Εἶναι οὖν φησι ταῖς οὐσίαις γένη τινὰκαὶ διαφοράς αἷς οὐσίαις γένεσιν οὔσαιςκαὶ ἄλλου γένους τινὸς εἴδε-[25115]σινἑκάστῃ ὑπάρχει καθ αὑτὸ καὶ τὸ ὂν καὶ τὸἕν τοῖς μὲν γὰρ συμβεβηκόσιν οὐ καθ αὑτὸοὔτε τὸ ὂν οὔτε τὸ ἓν ὑπάρχει ταῖς δὲοὐσίαις Ὥστε εἰ ὁ μὲν φιλόσοφος περὶ τὸκυρίως ὂν καὶ κυρίως ἓν πραγματεύεταιπλείω δέ ἐστι τὰ οἷς τὸ κυρίως ἕν τε καὶ ὂνὑπάρχει διαφέροντα τῷ γένει πλείω οὖν καὶμέρη ἔσται φιλοσοφίας κατὰ γὰρ τὰς τῶνοὐσιῶν διαφορὰς [25120] διάφορός τις ἔσταικαὶ φιλοσοφία τῷ ἑκάστην αὐτῶν περί τι ἓνγένος ἀφωρισμένον πραγματεύεσθαι

Il dit donc que pour les substances il y a desgenres et des diffeacuterences et quagrave chacune de cessubstances qui sont genres et483 espegraveces dun autregenre lun et leacutetant appartiennent par soi En effet nilun ni leacutetant nappartiennent par soi aux accidentsmais ltils appartiennent par soigt aux substances Degraveslors si le philosophe traite de leacutetant au sens eacuteminentet de lun au sens eacuteminent mais quil y a plusieursltclasses de chosesgt diffeacuterant par le genre auxquelleslun et leacutetant au sens eacuteminent appartiennent alors il yaura aussi plusieurs parties dans la philosophie Eneffet en fonction des diffeacuterences entre les substancesil y aura aussi une philosophie diffeacuterente du fait quechacune des ltparties de la philosophiegt traite duncertain genre deacutetermineacute

Γράφεται καὶ ldquoγένη ἔχονrdquo εἰ δὲ τοῦτοοὐκ ἂν εἴη ἓν γένος λέγων τὴν οὐσίαν ἀλλὰκαὶ αὐτὴν ἔχειν τὸ πρότερον καὶ ὕστερον Ἢltγένηgt λέγει ἀντὶ τοῦ φύσεις διαφερούσαςἀλλήλων εἰσὶ γὰρ τῶν οὐσιῶν διαφοραί

Il y a aussi la leccedilon laquo qui a des genres raquo Dans cecas il ne serait pas en train de dire que la substanceest un genre unique mais quelle admet de lanteacuterieuret du posteacuterieur Ou alors il dit laquo genre raquo agrave la place delaquo natures diffeacuterant les unes des autres raquo car il y a desdiffeacuterences entre les substances

Εἰπὼν δὲ ἔσεσθαι τὴν μὲν πρώτηνφιλοσοφίαν τὴν [25125] δὲ δευτέραν κατὰτὴν τῶν οὐσιῶν τάξιν πρὸς ἀλλήλας περὶ ἃςκαταγίνονται οὕτως φησὶν εἶναι τὸνφιλόσοφον ὡς τὸν μαθηματικόν Ὡς γὰρμιᾶς οὔσης τῷ γένει τῆς μαθηματικῆς κατὰτὰς διαφορὰς καὶ τάξεις τῶν περὶ ἅ ἐστιν ἡμαθηματική τάξις τίς ἐστι καὶ διαφορὰ καὶτῶν τῆς μαθηματικῆς μερῶν (τῷ γὰρ εἶναιτὰ μέν τινα πρῶτα ἐν τοῖς μαθήμασι τὰ δὲ[25130] δεύτερα καὶ τῆς μαθηματικῆς ἡ μέντίς ἐστι πρώτη ἡ δὲ δευτέρα ἡ δὲ τρίτηπρώτη μέν ἂν οὕτω τύχῃ ἡ περὶ τὰ ἐπίπεδακαταγινομένη καὶ μετὰ ταῦτα ἡ περὶ τὰστερεά εἶτα ἥ τε ἀστρολογική οὖσα ἡ εἰςστερεὰ κινούμενα καὶ μετὰ ταῦτα ἡμηχανική ἤδη περὶ γιγνόμενά τε καὶφθειρόμενα πραγματευομένη)

οὕτω καὶ περὶ τῶν οὐσιῶν πρῶται μὲν αἱἀγέ-[25135]νητοί τε καὶ ἄφθαρτοι ἀσώματοίτε καὶ ἀκίνητοι περὶ ἃς ἂν εἴη ἡ πρώτηφιλοσοφία ἡ δὲ περὶ τὰς ἀιδίους μὲν ἐνκινήσει δὲ δευτέρα τρίτη δὲ ἡ περὶ τὰς

Apregraves avoir dit quil y aura la philosophiepremiegravere et la philosophie seconde dapregraves lordre dessubstances entre elles dont soccupent ltles diversesphilosophiesgt il dit que le philosophe est comme lematheacutematicien En effet la matheacutematique eacutetant unepar le genre il y a aussi en fonction des diffeacuterences etde lordre484 de ce sur quoi porte la matheacutematique unordre et une diffeacuterence entre les parties de lamatheacutematique (parce que dans les objetsmatheacutematiques les uns sont premiers les autresseconds et que dans la matheacutematique il y a unematheacutematique premiegravere une seconde et unetroisiegraveme La premiegravere si cest bien le cas soccupedes surfaces ensuite il y a celle qui soccupe dessolides485 ensuite lastronomie qui soccupe dessolides en mouvement et enfin la meacutecanique quitraite deacutejagrave des choses qui sont geacuteneacutereacutees etcorruptibles)

Il en va de mecircme pour les substances sontpremiegraveres les ltsubstancesgt ingeacuteneacutereacutees etincorruptibles incorporelles et immobiles et cest surelles que portera la philosophie premiegravere Celle quiporte sur les substances eacuteternelles mais en

483 Les traductions italienne et anglaise comprennent un laquo καὶ raquo expleacutetif ndash mais il ne nous semble pas quelaquo genre raquo implique neacutecessairement decirctre espegravece dun genre supeacuterieur

484 Litteacuteralement les ordres

485 Pour cette eacutetrange doctrine voir Reacutepublique VII (par exemple 528 a sq) sur la steacutereacuteomeacutetrieintermeacutediaire entre la geacuteomeacutetrie et lastronomie Mais cela ne rend pas raison de la place accordeacutee agrave lameacutecanique qui demeure assez eacutetonnante

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

οὐσίας τὰς ἐν γενέσει καὶ φθορᾷ ἐπειδὴ καὶαὗται τῶν οὐσιῶν τελευταῖαι

mouvement est la ltphilosophiegt seconde et latroisiegraveme est celle qui porte sur les substances prisesdans la geacuteneacuteration et la corruption puisquelles sontaussi les substances ultimes

(250 21 ndash 251 38)

Comme lindique le second paragraphe du texte ci-dessus Alexandre propose donc de

placer le passage de 1004a 2-9486 soit entre 1003b 17-19 et 1003b 21-22 soit entre 1003b 21-22 et 22-

23 Dans le premier cas le texte dAristote donne

Donc si cela cest la substance ce sont des substances que le philosophe devra posseacuteder lesprincipes et les causes [03b 17-19] Et il y a autant de parties de la philosophie quil y a preacuteciseacutement de substances de sorteque neacutecessairement [04a 2-9]

Alexandre ne le dit pas explicitement mais on peut supposer que le texte se poursuivrait

alors avec les lignes 1003b 19-21 laquo de tout genre un il y a une sensation une et une science

une raquo

Dans le second cas on obtiendrait

Cest pourquoi il appartient agrave une science une par le genre deacutetudier toutes les espegraveces deleacutetant et aux espegraveces ltde la science deacutetudiergt les espegraveces ltde leacutetantgt [03b 21-22] Et il y a autant de parties de la philosophie quil y a preacuteciseacutement de substances de sorteque neacutecessairement [04a 2-9] Si donc lun et leacutetant sont une mecircme chose [03b 21-23] raquo

Le commentaire dAlexandre en effet ne brille pas par sa clarteacute Alexandre deacuteclare

dabord que cette proposition laquo fait suite raquo agrave celle de 1003b 17-19 mais soutient deux lignes plus

loin quelle laquo se rattache raquo agrave 1003b 21-22 et se place laquo avant raquo 1003b 22-23 Degraves lors soit on sen

tient agrave un constat dincoheacuterence de lExeacutegegravete (comme le fait L-A Dorion487) soit on essaie de

forcer la coheacuterence en posant que lune des deux formules laquo fait suite raquo (laquo εἴη ἂν ἀκόλουθος raquo

486 Contre Jaeger Madigan ([1993] note 115 ad loc) soutient que le deacuteplacement opeacutereacute par Alexandre neconcerne que 1004a 2-3 ndash sans doute parce quAlexandre dans le commentaire ci-dessous ne citeexplicitement que cette proposition Neacuteanmoins ce ne serait pas la premiegravere fois quAlexandre cite ledeacutebut dune proposition valant par meacutetonymie pour tout lensemble Surtout si le deacuteplacement nevalait que pour 1004a 2-3 on ne comprendrait absolument plus pourquoi Alexandre dit ensuite agravepropos de 1004a 9-10 laquo Or puisquil appartient agrave une seule science deacutetudier les opposeacutes et quagrave lunsoppose le multiple toute cette proposition peut se rattacher agrave consideacuterons que cela a eacuteteacute eacutetudieacutedans notre Choix des contraires raquo (In Met 252 3-4 laquo ldquoἘπεὶ δὲ μιᾶς τὰ ἀντικείμενα θεωρῆσαι τῷ δἑνὶ ἀντίκειται τὸ πλῆθοςrdquo Εἴη ἂν αὕτη ἡ λέξις πᾶσα συνάπτουσα τῇ ldquoτεθεωρήσθω δὲ τοῦτο ἡμῖνἐν τῇ Ἐκλογῇ τῶν ἐναντίωνrdquo raquo) cette derniegravere proposition eacutetant justement celle de 1004a 1-2 Cfaussi L-A Dorion [2008] p 324 n 5

487 L-A Dorion [2008] p 324

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

250 32) ou laquo rattacheacutee raquo (laquo συνάπτουσα raquo 251 4) ne signifie pas que le passage agrave deacuteplacer doive

ecirctre immeacutediatement apregraves ou avant Toutefois il est dans lhabitude de lExeacutegegravete de prendre ces

termes en un sens strict Une derniegravere possibiliteacute en faveur du second deacuteplacement consiste agrave

consideacuterer que aux lignes 250 33 sq la citation par Alexandre de 1003b 17-19 vaut eacutegalement

jusquagrave 1003b 22 (de la mecircme faccedilon que sa citation de 1004b 2 couvre en fait 1004a 2-9) Au creacutedit

de cette lecture compte le fait que dans le commentaire agrave 1003b 19-21 Alexandre opegravere la

transition avec 1003b 17-19 donc sans coupure488 Mais largument nest que peu contraignant et

nautorise quune conclusion leacutegegraverement au-dessus du possible

Quant au sens la diffeacuterence entre le deacuteplacement de 1004a 2-9 apregraves 1003b 19 ou b 22

reacuteside en ceci que dans le premier cas ndash le plus courant chez les interpregravetes partisans du

deacuteplacement489 ndash on peut lier lideacutee que la philosophie premiegravere est science du premier ie de la

substance et la proposition suivante comme sa conseacutequence directe les parties de la philosophie

suivront donc lordre des diffeacuterentes substances Dans le second cas490 qui revient agrave placer notre

texte 2 (le commentaire agrave 1004a 2) juste apregraves le texte 1 (le commentaire agrave 1003b 21) Alexandre lit

un enchaicircnement de passages architectoniques sur les espegraveces de la science de leacutetant et cela a en

outre lavantage de ne pas isoler les lignes 1003b 16 agrave 19491 Une telle jonction est possible parce

que pour lExeacutegegravete dans la proposition laquo il appartient agrave une science une par le genre deacutetudier

toutes les espegraveces de leacutetant et aux espegraveces ltde la science deacutetudiergt les espegraveces ltde leacutetantgt raquo les

espegraveces de leacutetant correspondent agrave des espegraveces de substances492 ndash quoiquAlexandre dailleurs ait

peut-ecirctre aperccedilu lautre interpreacutetation quand il parle dans le texte 1 de laquo la division de leacutetant en

genres ce quAristote lui-mecircme a effectueacute dans les Cateacutegories raquo (245 34-35)

En reacutealiteacute la coheacuterence avec laquelle lAphrodisien interpregravete ces divers passages ndash en

faisant coiumlncider dans les deux commentaires agrave 1003b 21 et 1004a 2 les divisions de la

philosophie avec la distinction des substances ndash cette coheacuterence lautorise agrave accepter les deux

deacuteplacements Au surplus le gain commun agrave ces deux deacuteplacements quel que soit celui choisi

consiste agrave pouvoir lire dun seul bloc toute la question des opposeacutes et des contraires (de 1004a 2 agrave

a 9 en passant par dessus le passage deacuteplaceacute) La question de savoir si 1004a 2-9 doit ecirctre placeacute

488 In Met 244 32 sq

489 Voir toutes les reacutefeacuterences dans L-A Dorion [2008] p 324 n 7

490 Choisi par exemple par A Stevens [2000] p 228 n 1 et deacutejagrave Christ [1895] p 62

491 A Stevens [2000] p 228 n 1

492 Voir pour une interpreacutetation diffeacuterente (les espegraveces de leacutetant sont les cateacutegories) par exemple PAubenque [1962] p 181 ou W Leszl [1975] p 261

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

en 1003b 19 ou en 1003b 22 est donc peut-ecirctre moins cruciale pour Alexandre

Le dernier passage se situe dans le long commentaire au deacutebut de Γ 3 1005a 19 dont nous

avons deacutejagrave parleacute493 Rappelons briegravevement quy est proposeacutee la reacutesolution de la deuxiegraveme aporie

la question de savoir sil incombe au philosophe qui eacutetudie la substance de prendre aussi les

principes de la deacutemonstration pour objet Le deacuteveloppement sur la philosophie premiegravere est

appeleacute par la reacutefeacuterence dAristote aux physiciens qui preacutetendaient tenir un discours sur la totaliteacute

de leacutetant et se permettaient donc de parler des axiomes ndash laquo non sans raison raquo ajoute Aristote

(1005a 32) puisque lui-mecircme entend associer luniversaliteacute de la science et leacutetude des principes

de la deacutemonstration Cest pourquoi le Philosophe qualifie la physique de laquo sagesse raquo qui vaut

sans doute ici pour laquo philosophie raquo mais laquo pas la premiegravere raquo (1005b 1-2) Alexandre propose donc

un scheacutema reacutecapitulatif des diverses espegraveces de philosophie et de leur ordre respectif Par lagrave

aussi il preacutecise la nature de la philosophie premiegravere

Texte 3

Τῶν μὲν γὰρ περί τινος μέρους τοῦ ὄντοςλεγόντων οὐδεὶς περὶ αὐτῶν ἐγχειρεῖ λέγειντῶν δὲ φυσικῶν τινες οἳ ᾤοντο πάντα τὰὄντα ἐν τοῖς φυσικοῖς εἶναι καὶ μηδὲντούτων ἔξω καὶ περὶ τούτων ἐνεχείρουνλέγειν ὡς τῷ ὄντι ᾗ ὂν ὑπαρχόντων Τῶνγὰρ φυσικῶν τινες ἐπεχείρησαν περὶ αὐτῶνλέγειν ὅτι καὶ περὶ παντὸς τοῦ ὄντος ᾤοντολέ-[26535]γειν αὐτοί οὐδὲν γὰρ ἔξω τῶνφυσικῶν ᾤοντο εἶναι Καθ ὅσον μὲν οὖνοἰκεῖον ὑπελάμβανον εἶναι τὸν περὶ τούτωνλόγον τῷ περὶ παντὸς καθόλου τοῦ ὄντοςθεωροῦντι δεόντως ἐποίουν διημάρτανονδὲ τῷ μηδὲν ἄλλο ἔξω τῶν φυσικῶνὑπολαμβάνειν εἶναι περὶ ὧνἐπραγματεύοντο ἐπὶ πλέον γὰρ τῶνφυσικῶν τὸ ὄν καὶ ἔστι τινὰ ὄντα καὶ παρὰτὰ φυσικά ἡ γὰρ ἀσώ-[26540]ματός τε καὶἀκίνητος οὐσία οὐ φυσική ldquoἓν γάρ τι γένοςτοῦ ὄντος [2661] ἡ φύσιςrdquo ἀρχὴ καὶ αἰτίακινήσεως οὖσα καθ αὑτὴν τοῖς ἐν οἷς ἐστινΔιὸ οὐ τοῦ φυσικοῦ ἡ περὶ τῶν τῷ ὄντι ᾗ ὂνὑπαρχόντων θεωρία ἀλλὰ τοῦ φιλοσόφουὅς ἐστιν ἀνωτέρω ἔτι τοῦ φυσικοῦ περὶπαντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὂν τὴν θεωρίαν

En effet parmi ceux qui tiennent des discours surune partie de leacutetant personne ne sengage agrave discuterdes ltaxiomesgt Toutefois certains physiciens quicroyaient que tous les eacutetants se trouvaient dans leschoses naturelles et quil ny avait rien en dehors decelles-ci entreprirent aussi de discuter de ceux-cidans lideacutee quils appartiennent agrave leacutetant en tantqueacutetant En effet certains physiciens entreprirent dediscuter de ceux-ci parce queux-mecircmes pensaientparler de tout leacutetant car ils croyaient quil ny avaitrien en dehors des choses naturelles Dans la mesuredonc ougrave ils supposaient que le discours sur ceux-cieacutetait ltla tacircchegt propre de celui qui eacutetudie tout leacutetanten geacuteneacuteral ils agirent en conseacutequence mais en setrompant totalement dans leur supposition quil nyavait rien dautre en dehors des choses naturellesdont ils traitaient En effet leacutetant a plus dextensionque les choses naturelles et il y a encore certainseacutetants en plus des choses naturelles la substanceincorporelle et immobile nest pas naturelle laquo Car lanature nest quun genre de leacutetant raquo elle qui est parsoi principe et cause du mouvement pour ce dansquoi elle reacuteside Aussi nest-ce pas au physicienquincombe leacutetude des proprieacuteteacutes de leacutetant en tantqueacutetant mais au philosophe qui est encore au-dessus

493 Cf ci-dessus sect 233

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La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ποιούμενος καὶ μάλιστα καὶ πρώτως περὶτοῦ μάλιστα [2665] καὶ πρώτου τῶν ὄντων ὃοὐσία μέν ἐστιν οὐ μὴν φυσική

du physicien parce quil procegravede agrave leacutetude de toutleacutetant en tant queacutetant et surtout et au premier chefltagrave leacutetudegt de ce qui est eacutetant surtout et au premierchef qui est certes une substance mais pas unesubstance naturelle

Ἔστι μὲν γὰρ καὶ ἡ φυσικὴ σοφία τις καὶφιλοσοφία ἀλλ οὐχ ἡ πρώτη Πρώτη δ ἂνεἴη ἥ τε περὶ τῶν πρώτων οὐσιῶν θεωροῦσακαὶ ἡ καθόλου περὶ πάσης οὐσίας καὶ τῶν τῷαὐτῆς τι εἶναι ὄντων καὶ αὐτῶν Ἀμφοτέρωςδὲ ἡ αὐτὴ γίνεται πρώτη ἥ τε γὰρ περὶ τῶνπρώτων οὐσιῶν θεωροῦσα καὶ [26610] περὶτῶν ἄλλων πάντων θεωρεῖ οἷς ἐκ τούτωνἤρτηται τὸ εἶναι ἥ τε κοινῶς περὶ τοῦ ὄντοςᾗ ὂν θεωροῦσα ἐπεὶ τὸ ὂν τῶν ἀφ ἑνός τεκαὶ πρὸς ἓν λεγομένων μάλιστα ἂν περὶταύτης τῆς φύσεως θεωροίη πρὸς ἣν καὶ τὰἄλλα περὶ ὧν ποιεῖται τὸν λόγονἀναφέρεται καὶ ἀφ οὗ τὸ εἶναι ἔχει

En effet la physique est aussi une certainesagesse et une philosophie mais pas la premiegravere Enrevanche sera premiegravere celle qui eacutetudie lessubstances premiegraveres et celle qui lteacutetudiegtuniversellement toute substance et toutes ces chosesqui sont elles aussi des eacutetants parce quelles sontquelque chose de la substance Or la mecircmeltphilosophiegt devient premiegravere de deux faccedilons 1)celle qui eacutetudie les substances premiegraveres eacutetudie aussitoutes les choses dont lecirctre deacutepend des substancespremiegraveres et 2) celle qui eacutetudie en geacuteneacuteral leacutetant entant queacutetant puisque leacutetant appartient agrave ce qui se ditagrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacuteeacutetudiera surtout cette nature agrave laquelle se reacutefegraverenttoutes les autres choses sur lesquelles cettephilosophie produit un discours et agrave partir delaquelle elles ont lecirctre494

Ὅτι δὲ ἣν ἐν τῷ πρώτῳ σοφίαν ἔλεγεταύτην νῦν φιλοσοφίαν [26615] κοινήν τεκαὶ πρώτην λέγει δῆλον καὶ ἐκ τοῦ εἰπεῖνldquoἔστι δὲ σοφία τις καὶ ἡ φυσική ἀλλ οὐπρώτηrdquo ἦν γὰρ τῆς πρώτης σοφίας ἡ περὶτούτων θεωρία λέγει δὲ νῦν ταύτην εἶναιτὴν φιλοσοφίαν τὴν αὐτήν τε φιλοσοφίανλέγει πρώτην καὶ σοφίαν τὴν πρώτην τε καὶκυριωτάτην

Or que celle quil appelait laquo sagesse raquo dans lepremier livre soit celle quil appelle maintenantphilosophie geacuteneacuterale et ltphilosophiegt premiegravere cestclair du fait quil dit laquo la physique aussi est unesagesse mais non la premiegravere raquo car cest agrave la sagessepremiegravere quincombait leacutetude de ces choses mais ildit maintenant que cest agrave cette philosophie et cest lamecircme quil appelle philosophie premiegravere et sagessecelle qui est premiegravere et la plus eacuteminente

(265 30 ndash 266 18)

b) Eacutetat des lieux problegravemes et interpreacutetations

La confrontation de ces trois textes fait de prime abord ressortir leurs divergences On

propose ci-dessous de souligner ce qui constitue selon nous le nœud principal deacutelaguer le

terrain en reacuteduisant certaines difficulteacutes plus secondaires de preacutesenter enfin les interpreacutetations

principales agrave la difficulteacute centrale

Le premier texte semble en effet distinguer deux sagesses495 La premiegravere eacutetudie leacutetant en

494 On revient ci-dessous sur les choix de traduction ici agrave lœuvre

495 Pour meacutemoire le passage en question est laquo Mais simultaneacutement il nous a aussi indiqueacute par ces mots

270

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

tant queacutetant elle est semble-t-il geacuteneacuterique et a trois espegraveces Parmi ces espegraveces se trouve si lon

ose dire une seconde philosophie premiegravere qui portant sur les substances premiegraveres peut ecirctre

identifieacutee avec la theacuteologie Agrave sa suite viennent la physique et la philosophie pratique qui est ici

classeacutee au mecircme rang que les sciences de la substance ndash thegravese qui pour le moins nest pas des

plus classiques en reacutegime aristoteacutelicien Scheacutematiseacute le texte semble donc soutenir la chose

suivante496

Scheacutema 1

Le second texte quant agrave lui se cantonne agrave une distinction entre les sciences des substances

cest-agrave-dire les laquo philosophies raquo497 La science de leacutetant en tant queacutetant est donc ici absente Par

analogie avec la matheacutematique il y aura dit Alexandre une philosophie premiegravere identifiable

avec la theacuteologie des moteurs immobiles une philosophie seconde cette fois-ci identifiable avec

en quel sens la philosophie est une science une parce quelle est universelle Ses espegraveces sont au mecircmenombre que celles de leacutetant En effet ses espegraveces sont la philosophie premiegravere qui est aussi appeleacuteesagesse en un sens eacuteminent parce quelle est la science des choses eacuteternelles immobiles et divinesDune part en effet il y a la sagesse qui est universelle et premiegravere vu quelle porte sur leacutetant en tantqueacutetant et non sur un type deacutetant et dautre part il y a sous elle 1) une certaine philosophiepremiegravere qui porte sur les substances premiegraveres 2) une ltphilosophiegt naturelle qui porte sur les ecirctresnaturels degraves lors que reacutesident en eux mouvement et changement 3) et il y a enfin une certaineltphilosophiegt qui eacutetudie les objets daction ndash tels sont aussi en effet certains eacutetants raquo (In Met 245 36 ndash246 6)

496 On se reportera ici aux scheacutematisations proposeacutees par M Bonelli [2001] p 212 Annonccedilons dembleacuteeque ces scheacutematisations posent selon nous un problegraveme de fond sur lequel on revient ci-dessous

497 Le passage le plus significatif est In Met 251 34-38 laquo Il en va de mecircme pour les substances sontpremiegraveres les ltsubstancesgt ingeacuteneacutereacutees et incorruptibles incorporelles et immobiles et cest sur ellesque portera la philosophie premiegravere Celle qui porte sur les substances eacuteternelles mais en mouvementest la ltphilosophiegt seconde et la troisiegraveme est celle qui porte sur les substances prises dans lageacuteneacuteration et la corruption puisquelles sont aussi les substances ultimes raquo

271

Philosophie premiegravere et universelle (eacutetant en tant queacutetant)

Philosophie premiegravere Sagesse eacuteminente(Substances premiegraveres divines)

Physique Philosophie pratique

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

lastronomie (leacutetude des substances eacuteternelles mais mobiles) et une derniegravere philosophie qui

deacutesigne neacutecessairement la physique sublunaire (leacutetude des substances geacuteneacuterables et

corruptibles) Du second rang qui lui est normalement attribueacute chez Aristote voici que la

physique paraicirct deacuteclasseacutee agrave celui de philosophie troisiegraveme ndash lExeacutegegravete se gardant bien dailleurs

de forger une expression aussi absente du corpus Pourtant en 250 30-32 Alexandre avait bien

mentionneacute une philosophie seconde dont on sattend agrave ce quelle soit la physique selon la thegravese

standard498

Toutefois les textes posant suffisamment de reacuteels problegravemes on peut dembleacutee aplanir

cette difficulteacute Cette distinction de trois niveaux de substantialiteacute nest pas deacutepourvue de racines

dans le corpus on songe au livre Λ en particulier Λ 1 1069a 30-b 2 et Λ 6 1071b 3-5 Si tels sont

bien les textes quAlexandre a agrave lesprit alors la difficulteacute est en partie reacutesolue puisque Λ 6

qualifie les deux derniegraveres espegraveces de substances de laquo naturelles raquo La distinction des parties de la

philosophie en fonction des substances est degraves lors agrave deux branches plutocirct quagrave trois499 Agrave de

simples fins de clarteacute on peut proposer le scheacutema (2) suivant quoiquil soit comme on va le voir

partiellement inexact

Scheacutema 2

Enfin le troisiegraveme texte eacutevoque quant agrave lui deux philosophies premiegraveres ou plutocirct une

498 In Met 250 30-32 laquo Et de mecircme que parmi les substances les unes sont premiegraveres et les autressecondes il y aura de mecircme une philosophie premiegravere et une autre seconde et posteacuterieure agrave lapremiegravere selon lordre dans les substances raquo

499 Contrairement agrave ce que soutient par exemple M Bonelli dans le scheacutema ndeg3 (M Bonelli [2001] p 223)Sur ce texte cf aussi M Rashed [2007b] p 319-320 On trouvera confirmation de ce quAlexandrereprend ce trio dans le Commentaire dAverroegraves agrave Λ (cf Bouyges 1402 sq)

272

Science de la substance Philosophie

Science de la substance premiegravere immobile Philosophie premiegravere

Science de la substance seconde philosophie seconde physique

Substances eacuteternelles mais mobiles

Substances mobiles en devenir

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

philosophie qui laquo devient premiegravere de deux faccedilons raquo en eacutetudiant leacutetant en tant queacutetant et en

eacutetudiant les substances premiegraveres Avant den venir en deacutetail agrave ce texte difficile une premiegravere

remarque simpose bien avant Natorp donc la probleacutematique alexandrinienne de la

meacutetaphysique est dembleacutee centreacutee sur la distinction entre universaliteacute et primauteacute Elle est

structureacutee par E 1 comme en teacutemoigne sa reacutefeacuterence explicite degraves notre premier texte500

Leacutecart apparent des thegraveses a naturellement susciteacute le deacutesaccord exeacutegeacutetique Selon

C Genequand la penseacutee dAlexandre est une eacutebauche de la distinction entre metaphysica generalis

et metaphysica specialis501 Dans un article dirigeacute contre la lecture de P Merlan et sa theacuteologisation

de la meacutetaphysique alexandrinienne (et aristoteacutelicienne502) C Genequand insistait agrave raison sur

tous les passages ougrave Alexandre affirme luniversaliteacute de la meacutetaphysique et de son objet Le point

crucial de larticle survient lorsque est abordeacute notre troisiegraveme texte dont Genequand traduit ainsi

le passage central

La meacutetaphysique est premiegravere de deux maniegraveres dune part parce quelle traite dessubstances premiegraveres et de toutes les autres ltsubstancesgt dont lecirctre deacutepend de celles-lagrave etdautre part parce quelle traite dune maniegravere geacuteneacuterale de lecirctre en tant quecirctre et puisquelecirctre fait partie des ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγομένων la meacutetaphysique traitera surtoutde cette nature agrave laquelle se rapportent les autres choses dont on discute et dont ellestiennent leur ecirctre (266 8-14)

Et Genequand contre Merlan503 dexpliciter que la laquo nature raquo en question ne peut pas

deacutesigner le premier moteur mais bien la substance en renvoyant agrave 266 7-8 et 250 22-26 Dans ce

texte Genequand souligne en effet la laquo dualiteacute raquo504 de la meacutetaphysique qui est selon lui tout agrave fait

coheacuterente avec les pages 245-246 (notre premier texte et notre premier scheacutema) selon lesquelles il

500 In Met 246 10-13

501 C Genequand [1979]

502 Il est symptomatique que tous ces interpregravetes dAlexandre reacutefegraverent leur lecture agrave leur compreacutehensiondAristote et tentent de montrer comment linterpreacutetation dAlexandre reacutepegravete voire garantit leurpropre compreacutehension de la structure de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne On assiste ainsi agravelintrusion dans la question de lobjet de la meacutetaphysique chez Alexandre deacuteleacutements aristoteacuteliciens(des textes qui ne sont pas eacutevoqueacutes par Alexandre ou des maniegraveres de comprendre Aristote qui nesont pas chez Alexandre) afin de fonder leur interpreacutetation de la lecture dAristote par Alexandre ndashsans que soit suffisamment eacutevoqueacutee la possibiliteacute dune divergence entre le Philosophe et lExeacutegegravetelaquelle fournirait peut-ecirctre le point de deacutepart dune compreacutehension plus pointue de la thegravesealexandrinienne Agrave ce titre cest assez logiquement que le conflit des interpreacutetations autour de lameacutetaphysique alexandrinienne reacutepegravete et mime le conflit des interpreacutetations autour dAristote ndashquoique de faccedilon bien moins florissante et bigarreacutee

503 P Merlan [1957] p 92 et C Genequand [1979] p 53-54

504 C Genequand [1979] p 54

273

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

faut distinguer entre une philosophie premiegravere geacuteneacuterale qui porte sur leacutetant en tant queacutetant et

sa premiegravere espegravece qui traite des choses laquo eacuteternelles immobiles et divines raquo (246 1-2)

Genequand en conclut laquo on y rencontre agrave leacutetat deacutebauche et sans doute pour la premiegravere fois la

distinction meacutedieacutevale entre metaphysica generalis et metaphysica specialis raquo505 Telle est finalement

selon lui la raison de la disparition de la fin du Commentaire dAlexandre parce que Plotin et

Porphyre sont passeacutes par lagrave une conception de la meacutetaphysique qui limite leacutetude du divin agrave une

science subordonneacutee ne pouvait rencontrer daudience chez les neacuteoplatoniciens et leurs

successeurs506 Cette derniegravere thegravese requiert toutefois decirctre immeacutediatement nuanceacutee puisque 1)

elle est assez peu compatible avec la premiegravere thegravese selon laquelle LExeacutegegravete aurait donneacute

naissance agrave la distinction meacutetaphysique geacuteneacuterale meacutetaphysique speacuteciale et 2) que dans ce cas

la perte du commentaire agrave Λ deviendrait difficilement compreacutehensible

Dans leacutetude la plus deacutetailleacutee sur ces questions M Bonelli reprend et complexifie la thegravese

de Genequands507 Selon M Bonelli Alexandre eacutelabore plusieurs modegraveles concurrents et

partiellement incoheacuterents entre eux de hieacuterarchisation des sciences theacuteoreacutetiques Guideacute par le

principe dune explication litteacuterale508 lExeacutegegravete reproduirait ici laquo loscillation raquo propre agrave la penseacutee

aristoteacutelicienne509 entre une science des principes et des causes premiegraveres une science de leacutetant

en tant queacutetant une science des substances et une theacuteologie M Bonelli distingue ainsi chez

Alexandre pas moins de cinq scheacutemas dorganisation des sciences et range ces cinq scheacutemas

laquo parfois inconciliables raquo510 en deux groupes selon quils concernent leacutetant ou lun Les trois

premiers concernent les trois textes ci-dessus Preacutesentons dembleacutee succinctement leur contenu

le scheacutema 1 sautorise de notre texte 1 (voir ci-dessus) Le deuxiegraveme scheacutema se preacutesente comme

un raffinement du preacuteceacutedent suite aux lignes 246 6-13 de notre texte 1511 Il expose agrave son comble

505 C Genequand [1979] p 55

506 C Genequand [1979] p 56-57

507 Pour la reprise de la thegravese de C Genequand cf M Bonelli [2001] p 201 p 215 et n 31

508 M Bonelli [2001] p 233

509 M Bonelli [2001] p 232-233

510 M Bonelli [2001] p 201

511 In Met 246 6-13 laquo Et que soit une par le genre la philosophie qui soccupe de leacutetant en tant queacutetantAristote la aussi expliqueacute agrave partir de ce quil a dit degraves le deacutebut du livre elle nest identique agrave aucunedes sciences dites partielles agrave savoir celle qui soccupe des principes des causes premiegraveres et de lasubstance Elle est agrave la fois premiegravere et universelle car dans ce qui se dit agrave partir dune uniteacute etrelativement agrave une uniteacute le premier est aussi universel du fait que pour les autres choses il est lui-mecircme cause de leur ecirctre comme le dira aussi Aristote au livre E de ce traiteacute raquo Le deuxiegraveme scheacutema deM Bonelli [2001] se trouve p 213

274

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

le problegraveme que suscite le texte

On revient en deacutetail ci-dessous sur la question quillustre ce scheacutema

Le troisiegraveme scheacutema proposeacute par M Bonelli part de notre texte 2 et preacutesente

verticalement les trois sciences de la substance science de la substance premiegravere incorporelle et

immobile science des substances eacuteternelles mais mobiles (astronomie) science des substances

mobiles et en devenir (physique)512 On a tenteacute de montrer ci-dessus que rattacheacutee aux passages

de Λ quelle anticipe tels que selon Averroegraves Alexandre les a commenteacutes la distinction des trois

degreacutes de la substance nest pas incompatible avec une division bifide de la philosophie

M Bonelli deacutegage en outre un second groupe de scheacutemas (figures 4 et 5) relativement

similaires Ces deux scheacutemas preacutesentent en fait la distinction des parties de la philosophie agrave partir

des espegraveces non plus de leacutetant mais de lun M Bonelli construit en effet ces deux scheacutemas513 agrave

partir des pages 246 28-35 (la suite de notre premier texte) et 249 17-28 selon lesquels la science

de leacutetant eacutetudie aussi lun Les espegraveces de la science de leacutetant seront donc les espegraveces de la

science de lun514 La science de leacutetant en tant queacutetant et de lun en tant quun doit donc eacutetudier la

substance et lidentiteacute la qualiteacute et la ressemblance la quantiteacute et leacutegaliteacute et ainsi de suite515

Mais la mecircme science doit aussi eacutetudier les opposeacutes agrave son objet Il faut donc rajouter les opposeacutes

de ces espegraveces ndash et cest lobjet du dernier scheacutema qui additionne au scheacutema preacuteceacutedent lalteacuteriteacute la

dissemblance et lineacutegaliteacute516 Le travail du philosophe est ici d laquo eacutetudier ce quest chacun

deux raquo517 conformeacutement aux indications donneacutees pour la quatriegraveme aporie du livre B Bref sous

512 M Bonelli [2001] p 223

513 M Bonelli [2001] p 224-228

514 Cf Aristote Met Γ 2 1003b 32 sq

515 Quoique sauf erreur de notre part on ne trouve pas dautres exemples dans le texte Cf In Met 251 5-17

516 Cf In Met 250 10 sq

517 In Met 250 3-5 laquo διὰ δὲ τούτων δείκνυσιν ὅτι τοῦ φιλοσόφου ἴδιόν ἐστι τοῦ τῆς οὐσίας θεωρητικοῦ

275

Filos generale Prima = teologia

Filos prima= teologia

Fisica Pratica

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

une science geacuteneacuterique agrave laquelle incombe la division des ses propres espegraveces se placeraient

suivant lordre des cateacutegories une eacutetude de la substance lidentiteacute et la diffeacuterence une eacutetude de

la qualiteacute la ressemblance et la dissemblance une eacutetude de la quantiteacute leacutegal et lineacutegal

Afin de ne pas inutilement multiplier les problegravemes et aggraver leacuteclatement du texte

alexandrinien il faut dire degraves maintenant que ces scheacutemas dorganisation agrave partir des espegraveces de

lun totalement compatibles entre eux sont en outre compatibles avec les preacuteceacutedents Il est clair

que les espegraveces ici distingueacutees diffegraverent des espegraveces de substances et des espegraveces correspondantes

de philosophie et ce pour une raison simple dans le cas de leacutetant et de la substance les espegraveces

distinguent des sciences alors que leacutetude des espegraveces de lun correspond aux proprieacuteteacutes par soi

de leacutetant en tant queacutetant aux preacutedicats dialectiques que sont le mecircme lautre le semblable etc

Or leacutetude de ces preacutedicats incombe agrave la seule philosophie premiegravere conformeacutement agrave la

reacutesolution proposeacutee de la quatriegraveme aporie

Ὥστε ὁ φιλόσοφος ᾗ φιλόσοφος καὶ περὶἑνὸς καὶ πλήθους διαλήψεται καὶ τῶν ὑπὸταῦτα καὶ περὶ μὲν τοῦ ἑνὸς καὶ τῶν ὑπὸτοῦτο ἅ ἐστι τὸ ταὐτόν τὸ ἴσον τὸ ὅμοιονκαὶ ὅσα τοιαῦτα ὅτι τὸ ἓν τῷ ὄντι [2475]ὁμοίως τε καὶ κατὰ τῶν αὐτῶν λέγεται περὶδὲ τοῦ ὄντος τούτου τὸ θεωρεῖν περὶ δὲ τοῦπλήθους καὶ τῶν ὑπὸ τοῦτο ὅτι τῆς αὐτῆςἐπιστήμης ἡ τῶν ἐναντίων γνῶσις ἐναντίονδὲ τὸ μὲν πλῆθος τῷ ἑνί τὰ δὲ ὑπὸ τὸπλῆθος εἴδη τοῖς τοῦ ἑνὸς εἴδεσι

De la sorte le philosophe en tant que philosophediscutera agrave la fois de lun et du multiple et de ce quise range sous eux agrave savoir qu[il discutera] de lun etde ce qui est sous lui cest-agrave-dire lidentique leacutegal lesemblable et caetera parce que lun se dit de la mecircmemaniegravere et des mecircmes choses que leacutetant leacutetude duphilosophe portera aussi sur leacutetant Et elle porteraaussi sur le multiple et ce qui est sous lui parce quela connaissance des contraires relegraveve de la mecircmescience que le multiple est contraire agrave lun et lesespegraveces qui sont sous le multiple contraires agrave cellesde lun

(247 2-8)

Alexandre reacutepeacutetera cette thegravese plus loin en la liant explicitement agrave la quatriegraveme aporie

cest agrave la philosophie laquo qui est une en genre raquo de traiter leacutetant en tant queacutetant donc aussi lun en

tant quun donc aussi les espegraveces de lun donc aussi leurs contraires (249 25-28) Ces tacircches sont

internes agrave la science de leacutetant en tant queacutetant et ne posent pas le problegraveme de sa deacutelimitation par

rapport aux autres sciences ni celui de sa coordination entre philosophie universelle et science

des substances premiegraveres Ces thegraveses nentrent donc pas en concurrence avec les trois textes que

nous avons citeacutes plus haut et ne peuvent en tout cas pas ecirctre mises sur le mecircme plan

La derniegravere eacutetude est celle de P Donini qui reprend et critique la thegravese selon laquelle la

meacutetaphysique dAlexandre eacutebauche la distinction entre metaphysica generalis et metaphysica speciali

τὸ καὶ τί ἐστιν ἕκαστον τούτων θεωρῆσαι ὃ καὶ αὐτῷ ἐζητεῖτό τε καὶ ἠπορεῖτο ἐν τῷ πρὸ τούτου raquo

276

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

De fait contre cette lecture il faut en premier lieu dire que les lignes 266 8-9 ne peuvent signifier

que la meacutetaphysique laquo est premiegravere de deux faccedilons raquo518 Bien plutocirct il faut traduire comme le

propose P Donini laquo la mecircme ltphilosophiegt devient premiegravere de deux faccedilons raquo C Genequand

traduit comme si laquo ἡ αὐτὴ raquo navait quune valeur de rappel alors que la fonction de rappel ne

vaut pas au nominatif preacuteceacutedeacute de larticle Le texte devient en outre plus coheacuterent avec cette

lecture agrave condition contre ses traductions anglaise et italienne de ne pas traduire de faccedilon

expleacutetive le καὶ de la phrase preacuteceacutedente en 266 6-8 (laquo En revanche sera premiegravere celle qui eacutetudie

les substances premiegraveres et universellement toute la substance et toutes ces choses qui sont elles

aussi des eacutetants raquo) Donini pointe agrave raison la reacutepeacutetition de larticle (laquo πρώτη δ ἂν εἴη ἥ τε

περὶκαὶ ἡ καθόλου περὶ raquo) et commente laquo jusquagrave ce point Alexandre raisonne comme si les

deux objets pouvaient encore correspondre agrave deux sciences distinctes raquo519 ce qui explique et rend

possible lidentification agrave la ligne suivante

Pour P Donini en effet contre les deux autres textes ce dernier reacutepegravete la thegravese standard

de lExeacutegegravete agrave savoir laquo une interpreacutetation strictement unitaire de lobjet de la meacutetaphysique

aristoteacutelicienne raquo En outre selon lui les passages sur lesquels sappuie C Genequand noffrent

en fait quune laquo lointaine ressemblance raquo avec la distinction entre metaphysica generalis et

metaphysica specialis et seraient compatibles avec la thegravese unitarienne520 Mais au cours de son

article face aux textes P Donini semble nuancer sa thegravese luniteacute nimplique pas lidentiteacute et la

position dAlexandre tend bien plutocirct agrave une hieacuterarchisation entre enquecircte sur leacutetant en tant

queacutetant et les cateacutegories dune part et lenquecircte sur la cause premiegravere dautre part (la philosophie

premiegravere au sens strict) Finalement le commentateur reconnaicirct ne pas avoir reacuteussi laquo agrave mettre

vraiment tout en ordre raquo521 nos deux premiers textes figureraient comme des atermoiements

non deacutenueacutes dinteacuterecirct historique avant la reacutesolution sauvegardant luniteacute de la meacutetaphysique aux

pages 265-266

De fait tous les problegravemes mecircme en comptant ces textes au rang de fausses-routes ou

dincidents de parcours ne sont pas reacutesolus ne serait-ce que dans lintroduction de la science

518 Pour meacutemoire le texte grec est laquo Πρώτη δ ἂν εἴη ἥ τε περὶ τῶν πρώτων οὐσιῶν θεωροῦσα καὶ ἡκαθόλου περὶ πάσης οὐσίας καὶ τῶν τῷ αὐτῆς τι εἶναι ὄντων καὶ αὐτῶν Ἀμφοτέρως δὲ ἡ αὐτὴγίνεται πρώτη ἥ τε γὰρ περὶ τῶν πρώτων οὐσιῶν θεωροῦσα καὶ περὶ τῶν ἄλλων πάντων θεωρεῖοἷς ἐκ τούτων ἤρτηται τὸ εἶναι ἥ τε κοινῶς περὶ τοῦ ὄντος ᾗ ὂν θεωροῦσα raquo (In Met 266 6-11)

519 P Donini [2005] p 85 n 13 On ajoutera quil est quand mecircme plus naturel de traduire le τε καὶ parune coordination

520 P Donini [2005] p 82 et deacutejagrave [2003] p 16

521 P Donini [2005] p 96

277

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

pratique dans le scheacutema des philosophies ou plus crucial dans la distinction dans les deux

premiers textes de deux niveaux de primauteacute Mais P Donini a le meacuterite de rendre au texte

alexandrinien la progressiviteacute propre au commentaire Bien que P Donini ne deacuteveloppe pas ce

point on peut lajouter au creacutedit de sa lecture le texte alexandrinien nest pas une suite de

fragments ou un ensemble dont tous les moments seraient eacutequivalents La maniegravere mecircme dont

Alexandre comprend le traiteacute dAristote comme la justement deacutecrit M Bonelli implique

lattribution agrave chaque livre agrave chaque chapitre de fonctions diffeacuterentes reacutepondant agrave une intention

densemble Or ce pheacutenomegravene entraicircne avec lui une dramatisation une diffeacuterenciation dans la

valeur de ces moments Il nest donc pas absurde de consideacuterer que notre troisiegraveme texte reacutepond

bien plus agrave la thegravese la plus constante de lExeacutegegravete sur luniteacute de la meacutetaphysique et de lui donner

pour cette raison davantage de poids

c) La solution geacuteneacuterale la structure uni-reacutefeacuterentielle des sciences

Sans preacutetendre pouvoir reacutesoudre toutes ces difficulteacutes il nous semble cependant possible

de montrer comment les deux premiers textes preacuteparent en reacutealiteacute le dernier ou tout du moins

sont fondamentalement sur la mecircme ligne agrave savoir la ligne unitaire larticulation des tacircches (et

non lidentification des objets) en une mecircme science Le problegraveme est simple Alexandre semble

parfois seacuteparer une eacutetude universelle et une eacutetude de la substance premiegravere parfois il les

rassemble dans la mecircme science Pour comprendre cela il faut repartir du texte 1 Plusieurs

solutions ont eacuteteacute proposeacutees pour faire retrouver davantage de coheacuterence agrave ce texte assez tortureacute

qui meacuteritent un examen deacutetailleacute

Le premier texte le commentaire agrave 1003b 21-22 a en effet lair au premier abord de

naviguer sans but dune thegravese agrave lautre et pose principalement trois questions522 1) pourquoi les

espegraveces de la science de leacutetant en tant queacutetant sont-elles les diverses sciences de la substance

alors quon pourrait sattendre agrave une classification des sciences selon les cateacutegories (substance

qualiteacute quantiteacute etc) et quAlexandre lui-mecircme cite les Cateacutegories523 2) Ougrave est la meacutetaphysique

522 Nous syntheacutetisons les difficulteacutes rencontreacutees par M Bonelli [2001] p 209-217 et P Donini [2003] p 24-25 et [2005] p 87-96

523 Sur cette compreacutehension des Cateacutegories voir aussi M Rashed [2007b] p 39 n 119 et surtout [2011b]qui montre quAlexandre ne pensait probablement pas les Cateacutegories comme un ouvrage logique maisbien plutocirct ontologique Voir aussi deacutejagrave In Met 242 17 Sur limportance des Cateacutegories agrave leacutepoque

278

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

dans tout cela au niveau geacuteneacuterique ou au niveau de la premiegravere espegravece 3) Quelle consistance

eacutepisteacutemique peut bien avoir la science geacuteneacuterique Est-elle vraiment une science ou seulement

une classification Quel est son rocircle

Une question subsidiaire est de savoir ce que vient faire ici leacutethique comme troisiegraveme

espegravece de la science de leacutetant en tant queacutetant Agrave quoi lon peut reacutepondre dembleacutee (mais non de

faccedilon totalement satisfaisante) quAlexandre reprend en fait la division stoiumlcienne des sciences

apregraves la physique vient leacutethique et la meacutetaphysique remplace sans reste la logique car cest elle

qui est architectonique et non cette derniegravere La meacutetaphysique trouve sa place de science en

eacutevacuant la logique au rang dinstrument voire en linteacutegrant au moins partiellement524 ce qui ne

laisse plus que la physique et leacutethique Quant aux matheacutematiques leur absence sauf agrave titre

danalogon de la philosophie marque dailleurs nos trois textes et sexplique par les reacuteticences

dAlexandre agrave accepter les objets matheacutematiques au rang deacutetants525 Il demeure eacutetonnant que

cette prudence nait pas aussi affecteacute les objets daction compter la science des laquo objets daction raquo

au rang de ces sciences de leacutetant au motif que laquo tels sont aussi en effet certains eacutetants raquo (246 6)

nest pas sans provoquer la confusion526 puisque jamais Aristote ne propose une tel scheacutema des

sciences

Donini propose de reconstruire la position suivante selon Alexandre la philosophie

universelle (la science de leacutetant en tant queacutetant) tiendrait le rang de science geacuteneacuterique et naurait

dautre tacircche que la distinction des espegraveces ou des genres de leacutetant527 cest-agrave-dire la division des

cateacutegories promouvant ainsi le traiteacute homonyme au rang de traiteacute meacutetaphysique (ou preacute-

dAlexandre et mecircme degraves le Ier s av J-C cf HB Gottschalk [1987] et RW Sharples [2008b]

524 Selon quon adopte la position standard du Commentaire aux Analytiques ou la position plus heacuteteacuterodoxede certains passages du Commentaire agrave la Meacutetaphysique

525 Voir agrave titre dexemple le passage dIn Met 169 1 sq qui admet bien les objets de la physique au rangdὄντα mais ne le fait jamais pour les objets immateacuteriels et abstraits des matheacutematiques

526 Donini par exemple affirme quune telle interpreacutetation laquo entraicircne le raisonnement dAlexandre agrave unedistance absolument intoleacuterable de toute interpreacutetation plausible des passages de Γ raquo ([2005] p 93)avant davancer que cette position est lieacutee agrave limportance prise par la doctrine des cateacutegories (mais agravequelle cateacutegorie se rattacherait la science des πρακτά Comment ce quil y a laquo agrave faire raquo pourrait-il ecirctreun eacutetant ) et qulaquo avec cette distribution si articuleacutee des sciences de lecirctre il est possible mecircme dedeacutepasser la lettre du texte dAristote tout en interpreacutetant de faccedilon entiegraverement correcte la penseacutee dumaicirctre raquo (p 97) M Bonelli ([2001] p 211) propose dy voir un eacutecho avec 257 2-4 (laquo τὰ μὲν οὖν τῷἔχεσθαι ὑπ ἐκείνου οὕτως ῥηθήσεται τὰ δὲ τῷ ἐνέργειαί τινες εἶναι αὐτοῦ τῶν γὰρ τῆς οὐσίαςἐνεργειῶν ἑκάστη ὄν τε καὶ ἕν ὅτι ἔστιν αὐτὰς ἡ οὐσία ποιοῦσα raquo) Mais il est tout de mecircmedifficile de lire dans ce texte autre chose que le sens ontologique de lacte

527 Sur le flottement du vocabulaire cf 245 16-17 sur lidentiteacute des laquo genres de leacutetant raquo avec lescateacutegories cf 242 12 sur ce passage et cette interpreacutetation cf P Donini [2005] par exemple p 89

279

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

meacutetaphysique) Sous cette science geacuteneacuterique se diviseraient des espegraveces de sciences en fonction

des diffeacuterentes cateacutegories La philosophie premiegravere du texte celle qui a pour objet les substances

premiegraveres constituerait degraves lors une espegravece de la science des substances donc une sous-sous-

espegravece de la science geacuteneacuterique Le raisonnement dAlexandre ainsi interpreacuteteacute entraicircne

neacutecessairement la position de deux philosophies premiegraveres consacreacutee dans la phrase laquo Dune

part en effet il y a la sagesse qui est universelle et premiegravere vu quelle porte sur leacutetant en tant

queacutetant et non sur un type deacutetant et dautre part il y a sous elle une philosophie premiegravere qui

porte sur les substances premiegraveres raquo (246 2-4) Donini distingue alors deux sens de laquo premier raquo

selon quil deacutesigne la science du premier (les substances premiegraveres) ou la science la plus

englobante (la philosophie universelle) et en conclut finalement agrave la contradiction frontale avec

linterpreacutetation unitaire528

Pour dissiper la confusion M Bonelli a proposeacute de proceacuteder agrave latheacutetegravese de 245 37 ndash 246

2 agrave savoir la phrase laquo En effet ses espegraveces sont la philosophie premiegravere qui est aussi appeleacutee

sagesse en un sens eacuteminent parce quelle est la science des choses eacuteternelles immobiles et

divines raquo On en comprend aiseacutement la raison le texte est bien moins lineacuteaire quagrave laccoutumeacutee

Alexandre deacutecrit la science geacuteneacuteriquehellip

Gracircce agrave ce qui vient decirctre dit on a montreacute quappartient agrave la philosophie premiegravere ladivision de leacutetant en genres ce quAristote lui-mecircme a effectueacute dans les Cateacutegories Maissimultaneacutement il nous a aussi indiqueacute par ces mots en quel sens la philosophie est unescience une parce quelle est universelle

hellip puis sa premiegravere espegravece (245 37) alors quil emploie un pluriel pour annoncer laquo les

espegraveces raquo de la science geacuteneacuterique

Ses espegraveces sont au mecircme nombre que celles de leacutetant En effet ses espegraveces sont laphilosophie premiegravere qui est aussi appeleacutee sagesse en un sens eacuteminent parce quelle est lascience des choses eacuteternelles immobiles et divines

Il caracteacuterise ensuite agrave nouveau la science geacuteneacuterique en lui donnant le mecircme nom ndash

laquo sagesse raquo ndash que celui quil vient dattribuer agrave sa premiegravere espegravece (246 2-3)

Dune part en effet il y a la sagesse qui est universelle et premiegravere vu quelle porte surleacutetant en tant queacutetant et non sur un type deacutetant

Et enfin eacutenumegravere lensemble de ses espegraveces (246 3-6)

et dautre part il y a sous elle 1) une certaine philosophie premiegravere qui porte sur les

528 P Donini [2005] p 91

280

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

substances premiegraveres 2) une ltphilosophiegt naturelle qui porte sur les ecirctres naturels degraveslors que reacutesident en eux mouvement et changement 3) etc

Le texte opegravere donc une sorte de boucle (science geacuteneacuterique premiegravere espegravece science

geacuteneacuterique premiegravere deuxiegraveme et troisiegraveme espegraveces) et il est tentant den supprimer la premiegravere

courbe pour niveler lensemble Toutefois comme le montre P Donini on doit conserver cette

phrase qui rend raison de linsistance en 246 2-3 sur luniversaliteacute et la primauteacute de la sagesse et

qui neacutecessite de toutes faccedilons une distinction avec une autre forme de laquo sagesse raquo quil effectue

en 246 3 sq Bref sans la phrase incrimineacutee la suite serait moins claire529

Mais la difficulteacute saggrave dans la suite du texte qui voit reparaicirctre la thegravese unitaire

pourtant contredite au paragraphe preacuteceacutedent Rappelons la phrase coupable

Et que soit une par le genre la philosophie qui soccupe de leacutetant en tant queacutetant Aristotela aussi expliqueacute agrave partir de ce quil a dit degraves le deacutebut du livre laquo elle nest identique agraveaucune des sciences dites partielles raquo agrave savoir celle qui soccupe des principes des causespremiegraveres et de la substance Elle est agrave la fois premiegravere et universelle

Cest cette phrase qui fait dire agrave M Bonelli que deacutesormais pour Alexandre la

philosophie premiegravere universelle et geacuteneacuterique est la theacuteologie le texte semble en effet dire que

la science de leacutetant en tant queacutetant est la science des principes et causes premiers laquelle est la

theacuteologie Dans ce cadre en effet si lon reprend le texte dans son ensemble la science geacuteneacuterique

qui est la theacuteologie aura la theacuteologie pour premiegravere espegravece530

Cependant Donini propose de modifier leacutegegraverement la ponctuation dans le paragraphe

suivant pour atteacutenuer la contradiction La phrase eacutediteacutee par Hayduck en 246 5-10 est

Ὅτι δὲ μία τῷ γένει ἡ περὶ τὸ ὂν ᾗ ὂν πραγματευομένη φιλοσοφία ἐδήλωσε καὶ ἐξ ὧνεὐθὺς ἀρχόμενος τοῦ βιβλίου εἶπεν ldquoαὕτη δέ ἐστιν οὐδεμιᾷ τῶν ἐν μέρει λεγομένων ἡαὐτήrdquo ἡ περὶ τὰς ἀρχὰς καὶ τὰ πρῶτα αἴτια καὶ τὴν οὐσίαν πραγματευομένη Ἅμα τέἐστι πρώτη καὶ καθόλου

Modifieacutee par Donini531

Ὅτι δὲ μία τῷ γένει ἡ περὶ τὸ ὂν ᾗ ὂν πραγματευομένη φιλοσοφία ἐδήλωσε καὶ ἐξ ὧνεὐθὺς ἀρχόμενος τοῦ βιβλίου εἶπεν ldquoαὕτη δέ ἐστιν οὐδεμιᾷ τῶν ἐν μέρει λεγομένων ἡαὐτήrdquo Ἡ περὶ τὰς ἀρχὰς καὶ τὰ πρῶτα αἴτια καὶ τὴν οὐσίαν πραγματευομένη ἅμα τέἐστι πρώτη καὶ καθόλου

529 P Donini [2005] p 90 n 31

530 M Bonelli [2001] p 215

531 P Donini [2003] p 30-35 [2005] p 94

281

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Ce qui pourrait se traduire par

Et que soit une par le genre la philosophie qui soccupe de leacutetant en tant queacutetant Aristotela aussi expliqueacute agrave partir de ce quil a dit degraves le deacutebut du livre laquo elle nest identique agraveaucune des sciences dites partielles raquo La ltsciencegt qui soccupe des principes des causespremiegraveres et de la substance est agrave la fois premiegravere et universelle

Le propos deviendrait degraves lors coheacuterent avec la distinction deacutejagrave vue en 245 22 sq Apregraves

avoir alors distingueacute deux types de primauteacute Alexandre distinguerait laquo deux niveaux diffeacuterents

duniversaliteacute raquo532 Et lon comprendrait aussi pourquoi Alexandre enchaicircnerait avec le principe

de luni-reacutefeacuterentialiteacute (laquo dans ce qui se dit agrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacute raquo)

pour pouvoir preacuteciser que la seconde science premiegravere et universelle dabord preacutesenteacutee comme

une science de la substance en geacuteneacuteral est en reacutealiteacute science de la substance premiegravere comme elle

leacutetait au paragraphe preacuteceacutedent Cette science laquo universelle de second niveau raquo formerait la

veacuteritable meacutetaphysique alexandrinienne ndash la philosophie universelle de premier niveau (laquo la plus

premiegravere raquo selon le vocabulaire que Donini reprend sans le citer agrave Ascleacutepius533) nayant rien de

plus agrave faire que de diviser les cateacutegories534 Toutes les contradictions avec la thegravese unitaire ne

seraient certes pas effaceacutees ndash une certaine dualiteacute demeure ndash et le rocircle des pages 265-266 serait

alors de retrouver le droit chemin en reacute-affirmant luniteacute complegravete de la meacutetaphysique

Cette modification de la ponctuation toutefois ne nous semble ni souhaitable ni

neacutecessaire Elle implique dune part une asyndegravete des plus rares chez lExeacutegegravete535 Dautre part

elle rompt la marche du raisonnement pourquoi brusquement apregraves avoir eacutenumeacutereacute ses espegraveces

Alexandre affirmerait-il luniteacute geacuteneacuterique de la science de leacutetant La correction accentue aussi la

brusquerie du passage de la science geacuteneacuterale agrave la science premiegravere sans ordre logique clair

En outre contrairement agrave ce que dit Donini lobjet de la proposition de 246 7-10 (laquo Et que

soit une par le genre la philosophie qui soccupe de leacutetant en tant queacutetant raquo) nest pas de

justifier luniversaliteacute de cette science mais bien le fait quelle soit une Luniversaliteacute nen est que

le moyen ou la raison au mecircme sens ougrave quelques lignes plus haut en 245 35-37 Alexandre a

532 P Donini [2005] p 94

533 Ascleacutepius In Met 238 4-6

534 P Donini [2005] p 95-96

535 P Donini reacutepond agrave cette objection dont il admet donc au moins une partie du bien-fondeacute dans laversion italienne de larticle ([2003] n 60 p 35-36) Trouver un cas dasyndegravete chez Alexandre nest pasdeacutemontrer sa freacutequence seulement que lobjection de lasyndegravete nest pas dirimante si elle est preacutesenteacuteeseule On rappellera en outre que les particules sont justement ce dont se servaient les copistes pourponctuer le texte quand il eacutetait en scriptio continua

282

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

dit laquo mais simultaneacutement il nous a aussi indiqueacute par ces mots en quel sens la philosophie est

une science une parce quelle est universelle raquo

Enfin cette modification rend incompreacutehensible entre autres textes le proegraveme agrave Δ par

exemple qui fait de la philosophie premiegravere une science universelle de leacutetant en tant queacutetant et

lobjet principal du traiteacute ndash et non dune philosophie premiegravere de second niveau science des

principes et des causes de la substance premiegravere Dailleurs on la deacutejagrave vu cette philosophie

universelle ne peut avoir comme seule tacircche la division des cateacutegories LExeacutegegravete affirme trop

souvent quelle soccupe eacutegalement des attributs essentiels de leacutetant en tant queacutetant de lun et de

ses espegraveces des preacutedicats dialectiques et des axiomes On est loin de la science minimale de

Donini ou de la simple cateacutegorie geacuteneacuterale deacutecrite par Bonelli536

Il faut donc garder le texte en leacutetat et chercher une autre explication En premier lieu il

est crucial de garder agrave lesprit que le vocabulaire de genre et despegravece doit ici ecirctre pris avec

preacutecaution comme Alexandre lui-mecircme nous le conseille agrave plusieurs reprises dans le commentaire

agrave Γ Mecircme si dans notre premier texte on ninterpregravete pas comme alienans le τινα de 245 32-33

(dans la proposition laquo ὅσαι ὑπὸ φιλοσοφίαν ὡς γενικήν τινα ἐπιστήμην τεταγμέναι εἰσὶν

ἐπιστῆμαι raquo) Alexandre le dit trop souvent ailleurs ainsi en toutes lettres en 249 28-33 pour

leacutetant lun et leurs pseudo-espegraveces Il devient degraves lors extrecircmement difficile de ne pas consideacuterer

aussi comme alienans lindeacutefini dans la formule quelques lignes plus loin laquo ὡς ὑπὸ γένος τι raquo

(250 8) Et Alexandre le reacutepegravete agrave nouveau dans son commentaire agrave 1004a 22 en 255 21 Aristote

emploie laquo genre raquo en un sens lacircche (laquo κοινότερον raquo)537 Ce sens avait deacutejagrave eacuteteacute deacutefini en 245 3 sq

un genre au sens lacircche ce sont laquo toutes les choses qui en viennent agrave avoir quelque chose en

commun les unes avec les autres (κεκοινώνηκεν ἀλλήλοις) en fonction dune certaine nature raquo

(245 4) deacutefinition qui peut bien sappliquer aux plurivoques

Pourquoi cette prudence de vocabulaire Eacutevidemment parce que lanalogie de structure

entre leacutetant et les sciences de leacutetant (cest-agrave-dire aussi bien les sciences tout court) interdit de

penser les espegraveces des sciences comme de veacuteritables espegraveces sous un genre commun Si ceacutetait le

cas si les sciences de leacutetant avaient entre elles un rapport genre-espegravece au sens strict cela

536 Agrave titre de simple exemple voir 249 20 sq ougrave apregraves avoir rappeleacute que les espegraveces de la science deleacutetant sont aussi celles de lun Alexandre dit laquo εὐλόγως ἐπήνεγκε τὸ ὅσα τοῦ ἑνὸς εἴδη τοσαῦτα καὶτοῦ ὄντος εἶναι περὶ ὧν εἰδῶν τὸ τί ἐστιν ἕκαστον αὐτῶν κατὰ τὸ γένος τῆς αὐτῆς ἐπιστήμηςθεωρῆσαι raquo (l 22-24) la science qui constitue le genre de ces espegraveces nest donc pas quune coquillevide

537 Cf aussi 245 3

283

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

impliquerait que leacutetant ait avec ses laquo espegraveces raquo un rapport de synonymie Or selon Alexandre

leacutetant nest pas un synonyme mais un plurivoque ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν Mecircme si lon peut

penser quAlexandre rapproche autant que possible les plurivoques des synonymes que la

diffeacuterence quil maintient entre eux est bien mince il reste quil ne les confond pas538 Les sciences

qui leacutetudient ne peuvent donc pas avoir entre elles un rapport de synonymie savoir un rapport

genre-espegravece au sens strict Non seulement cest la logique mecircme du texte mais en outre

Alexandre le dit en toutes lettres

dans ce qui se dit agrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacute le premier est aussiuniversel du fait que pour les autres choses il est lui-mecircme cause de leur ecirctre comme ledira aussi Aristote au livre E de ce traiteacute (246 10-13)539

Bref les diverses sciences ont entre elles ce mecircme rapport duni-reacutefeacuterentialiteacute et de

provenance non un rapport synonymique de genre-espegravece Ceci explique la prudence avec

laquelle nous avons proposeacute les scheacutemas 1 et 2 au paragraphe preacuteceacutedent ces scheacutemas pour des

raisons de clarteacute se preacutesentent comme des relations genre-espegravece et cest preacuteciseacutement de cette

erreur quil faut se preacutemunir ndash la chose neacutetant pas aiseacutee car Alexandre precircte le flanc agrave cette erreur

de lecture en ne reacutepeacutetant pas clairement dans notre texte 1 que le vocabulaire du genre et de

lespegravece est ici agrave prendre laquo κοινότερον raquo

Cette mise au point a des conseacutequences sur le sens du texte et sa coheacuterence avec la suite

Comme lexplique Alexandre dans son commentaire au deacutebut de Γ 2 il peut y avoir une laquo science

une raquo de leacutetant comme il y a une science une de la santeacute qui est la meacutedecine (243 24 sq) Mais

imaginons agrave partir de cette thegravese dAlexandre dautres sciences des choses saines autres que la

science par excellence de la santeacute agrave savoir la meacutedecine Mecircme si par exemple il y avait une

science des reacutegimes (disons la dieacuteteacutetique) ou bien une science des meacutedicaments (la

pharmacologie)540 il resterait neacuteanmoins nous semble-t-il que ces sciences ne seraient pas des

espegraveces de la meacutedecine au sens strict La pharmacologie nest aujourdhui dailleurs pas une

speacutecialisation meacutedicale et le dieacuteteacuteticien nappartient pas comme tel agrave lordre des meacutedecins ndash

mecircme sils ont tous agrave voir avec le meacutedical (on parle aussi de professions parameacutedicales)

Mais la science du sain est dabord et au premier chef la science de la santeacute La structure

538 Cf ci-dessous sect 311

539 Sur les ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν cf ci-dessous sect 31

540 Pour ces exemples (sans les reacutefeacuterences agrave la dieacuteteacutetique et la pharmacologie) cf 241 28 ndash 242 3 et 244 4-5 Hormis ces exemples le raisonnement nest bien sucircr pas dAlexandre

284

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

uni-reacutefeacuterentielle implique un chevauchement541 entre le niveau geacuteneacuterique et la premiegravere pseudo-

espegravece parce que le santeacute est le sain de faccedilon eacuteminente la raison decirctre de toutes les autres choses

saines comme le meacutedecin en quelque faccedilon rend raison du pharmacien et du dieacuteteacuteticien Preuve

en est que la laquo meacutedecine raquo est science des choses saines en geacuteneacuteral542 mais aussi laquo eacuteminemment et

au plus haut point science de la santeacute raquo (laquo ἡ γοῦν ἰατρική πάντων οὖσα τῶν ὑγιεινῶν

ἐπιστήμη κυρίως καὶ μάλιστα τῆς ὑγιείας ἐστί πρὸς ἣν τὰ ἄλλα λέγεται raquo 244 15-16) De

mecircme aussi la science de leacutetant en tant queacutetant est-elle au premier chef science de la substance

et celle-ci au premier chef science de la substance premiegravere eacuteternelle et divine543 Cest bien cela

qui explique la reacutefeacuterence aux ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν dans le passage citeacute ci-dessus (246 10-13)

Cest aussi ce qui explique la structure en boucle du paragraphe 245 33 ndash 242 6 comme

dans le texte 3 en 266 5-14 Alexandre part ici aussi dune dualiteacute pour en montrer luniteacute et la

reprise ou lapparente circulariteacute de 246 2-4 (laquo Dune part en effet il y a la sagesse qui est

universelle et premiegravere vu quelle porte sur leacutetant en tant queacutetant et non sur un type deacutetant et

dautre part il y a sous elle raquo) Cette reprise nest lagrave que pour mieux preacuteparer lunification qui se

lit au paragraphe suivant Il revient agrave la mecircme science deacutetudier universellement leacutetant en tant

queacutetant les principes et les causes premiegraveres et la substance ndash et a fortiori la substance divine

Loin des atermoiements quon a pu y deacuteceler ces passages sont coheacuterents avec le reste de

linterpreacutetation unitaire quoique peut-ecirctre de faccedilon contourneacutee voire en indiquant comme en

filigrane les autres interpreacutetations possibles qui auraient tenteacute Alexandre

Contrairement agrave ce que laisse croire la reacutefeacuterence dAlexandre agrave E 1 la meacutetaphysique

alexandrinienne nest pas laquo universelle parce que premiegravere raquo ou laquo universelle au sens ougrave elle est

premiegravere raquo544 ndash autant de maniegraveres de modaliser luniversaliteacute La meacutetaphysique alexandrinienne

est laquo en mecircme temps universelle et premiegravere raquo (246 10) ne renonccedilant ainsi agrave aucune des

ambitions que son voisinage avec la dialectique platonicienne avait attiseacutees La fonction de

fondation de la meacutetaphysique trouve ici aussi son motif sous-jacent si le modegravele des ἀφ ἑνός τε

καὶ πρὸς ἓν se voit appliqueacute aux sciences et si laquo dans ce qui se dit agrave partir dune uniteacute et

relativement agrave une uniteacute le premier est aussi universel du fait que pour les autres choses il est

541 Au moins jusquagrave un certain point ndash cf ci-dessous sect 312 et 313

542 Cf In Met 243 22 et 244 6

543 P Donini voit bien que ce principe sapplique dans lidentification de la science de la substance agrave cellede la substance premiegravere Mais ce raisonnement vaut aussi et dabord entre la science de leacutetant en tantqueacutetant et celle de la substance

544 Aristote Met E 1 1026a 30-31 laquo καὶ καθόλου οὕτως ὅτι πρώτη raquo

285

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

lui-mecircme cause de leur ecirctre raquo alors il est logique que la premiegravere science fonde la scientificiteacute des

autres sciences Degraves lors enfin si Alexandre se trouve agrave lorigine du concept de metaphysica

generalis cest de faccedilon extrecircmement lointaine lExeacutegegravete sefforce encore de penser luniteacute ou

larticulation de ce que les concepts de metaphysica generalis et specialis vont preacuteciseacutement

disjoindre

d) Ontologie ousiologie et theacuteologie

Pour finir de fonder totalement cette interpreacutetation il faut justifier ce qui nest pas

totalement explicite dans notre premier texte agrave savoir que la meacutetaphysique inclut en reacutealiteacute trois

moments ou trois programmes principaux qui progressent entre eux via une certaine lecture de la

relation πρὸς ἕν comme faisant le lien entre le niveau pseudo-geacuteneacuterique et la premiegravere pseudo-

espegravece Agrave savoir donc que la meacutetaphysique recouvre science universelle de leacutetant en tant

queacutetant eacutetude de la substance et de ses principes eacutetude de la substance premiegravere et divine Une

preacutecision dembleacutee nous disons bien laquo programmes principaux raquo la meacutetaphysique a aussi agrave

eacutetudier lun les preacutedicats dialectiques (mecircme autre diffeacuterent etc) les axiomes ou la forme

substantielle Mais lun les proprieacuteteacutes par soi de lun les axiomes relegravevent explicitement de

leacutetude universelle de leacutetant en tant queacutetant la forme substantielle par exemple relegraveve de

leacutetude de la substance

On pourrait ainsi nous reprocher de tirer trop de choses du texte 1 qui renvoie agrave une

dualiteacute et ne semble pas faire eacutetat de trois programmes principaux de la meacutetaphysique Pour

reacutepondre agrave cette objection on notera dabord que le texte 2 preacutesente quant agrave lui ces trois

programmes Quon se remeacutemore la progression de son premier moment

hellip dans tous les cas la science de ces choses est eacuteminemment science du premier dont lereste deacutepend et agrave cause duquel le reste est appeleacute eacutetant ltalors puisque la philosophieporte sur leacutetantgt la philosophie ltsera eacuteminemmentgt science de la substance car celle-ciest eacuteminemment un eacutetant Et puisquil y a plusieurs substances alors la science qui portesur la substance (comme on a vu cest la philosophie) ltcette sciencegt qui est une par legenre aura autant de parties et despegraveces quil y a de substances Et de mecircme que parmiles substances les unes sont premiegraveres et les autres secondes il y aura de mecircme unephilosophie premiegravere et une autre seconde et posteacuterieure agrave la premiegravere selon lordre dansles substances (250 25-32)

Les trois programmes sont bien science de leacutetant en tant queacutetant science de la

286

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

substance et science de la substance premiegravere La chose est confirmeacutee par notre texte 3 ougrave

Alexandre reprend ces trois eacutetapes dans un ordre inverseacute qui va vers luniversaliteacute la plus

grande

En revanche sera premiegravere celle qui eacutetudie les substances premiegraveres et celle qui lteacutetudiegtuniversellement toute substance et toutes ces choses qui sont elles aussi des eacutetants parcequelles sont quelque chose de la substance (266 6-8)

On pourrait toutefois modifier et renforcer lobjection si la meacutetaphysique est laquo agrave la fois

universelle et premiegravere raquo encore faut-il savoir de quelle universaliteacute lon parle Une interpreacutetation

possible serait de comprendre que pour Alexandre le projet dune science geacuteneacuterale de leacutetant est

accompli inteacutegralement par leacutetude de la substance laquelle ne pourrait ecirctre accomplie quune

fois reacuteduite agrave leacutetude de la substance premiegravere La mention alexandrinienne dune science de la

substance geacuteneacuteriquement une ne vaudrait que comme nom commun aux diverses sciences des

substances (philosophies premiegravere et seconde) une classe deacutepourvue de toute consistance

eacutepisteacutemique Loin decirctre une science autonome cette eacutetude de la substance ne serait quune

cateacutegorie geacuteneacuterale

En clair ce serait la theacuteologie qui ressaisirait in fine lensemble des programmes deacutevolus agrave

la meacutetaphysique le projet dune science de leacutetant en tant queacutetant neacutecessiterait le projet dune

science de la substance laquelle agrave son tour ne se verrait concregravetement effectueacutee dans la

theacuteologie Luniversaliteacute de la philosophie premiegravere ne serait donc quindirecte par conseacutequence

Le niveau geacuteneacuterique est-il donc agrave chaque fois inteacutegralement absorbeacute par sa premiegravere pseudo-

espegravece et jusquougrave va lidentification entre les deux niveaux lidentiteacute ou larticulation

Lenjeu est donc aussi de savoir comment Alexandre reacutesout la troisiegraveme aporie de B sur

luniteacute de leacutetude de la substance Selon P Donini la reacutesolution de la deuxiegraveme aporie de B (sur

leacutetude des principes de la substance et de ceux de la deacutemonstration) se ferait indeacuteniablement au

profit dune solution unitaire (texte 3) En revanche les pages 246 et 251 proposeraient des

solutions non unitaires aux troisiegraveme (y a-t-il une science pour toutes les substances ) et

quatriegraveme apories (la science des substances eacutetudie-t-elle aussi leurs proprieacuteteacutes essentielles

etc )545

En plusieurs passages lon retrouve en effet luniversaliteacute par conseacutequence que nous

avions vue agrave lœuvre en particulier dans le commentaire agrave A Alexandre semble construire des

545 P Donini [2003] p 41 (partie absente de la version franccedilaise de larticle)

287

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

raisonnements du type cest en connaissant la substance que le philosophe premier connaicirctra

tous les eacutetants puisquils deacuterivent delle et quelle est la cause de leur ecirctre546 Cependant la

deacutependance ontique des accidents (agrave savoir tous les autres eacutetants) agrave la substance implique

neacutecessairement la reacuteduction du champ deacutetude du sage Les textes dAlexandre (par exemple In

Met 9 8-16 ou 134 7-14) qui semblent tirer luniversaliteacute de la meacutetaphysique vers une

universaliteacute indirecte ou par conseacutequence reposent tous sur la thegravese de la transitiviteacute causale des

principes de la substance (les principes de la substance sont en un sens principes de tous les

eacutetants parce que la substance est cause de lecirctre du reste des eacutetants) Or ce schegraveme est

parfaitement compatible avec une universaliteacute intrinsegraveque dessinant plutocirct que la voie dune

reacuteduction (celle de lontologie geacuteneacuterale agrave lousiologie) un programme de recherches coordonnant

ontologie ousiologie et theacuteologie

Lenquecircte sur la substance ne deacutelivre en effet pas le philosophe de la neacutecessiteacute de

conduire une enquecircte sur leacutetant en tant queacutetant et ses proprieacuteteacutes essentielles Alexandre le dit au

moins une fois

Apregraves avoir dit que cest au philosophe quil incombe de connaicirctre les principes et lescauses des substances il montre que son eacutetude porte non seulement sur la substance maisaussi de faccedilon universelle sur la totaliteacute de leacutetant en tant queacutetant547

La proposition pourrait encore paraicirctre ambigueuml si elle eacutetait lue comme indiquant la voie

dune universaliteacute par conseacutequence Mais cest parce quelle traite de tous les eacutetants ou

universellement de leacutetant en tant queacutetant que cette science eacutetudie eacutegalement les preacutedicats

dialectiques et tous les contraires (et reacuteciproquement comme on la vu dans le proegraveme) sans quil

soit alors fait mention de la substance548 Et que la science de leacutetant en tant queacutetant soit

universelle et commune implique quelle eacutetudie agrave la fois (τε καὶ) la substance et laquo ce qui a lecirctre

546 Cf 244 20 sq En 245 12-16 le passage est plus ambigu laquo ἐπεὶ τοίνυν καὶ τὸ ὂν μιᾶς φύσεωςκεκοινώνηκε καθὸ ὄν (τοιοῦτον γὰρ ἐδείχθη) οὗ τὸ θεωρεῖν περὶ τῆς οὐσίας τούτου καὶ περὶπαντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ἔσται τὸ θεωρεῖν ὥστε εἰ ἡ σοφία περὶ τὴν οὐσίαν τε καὶ τὰς τῆς οὐσίαςἀρχάς καὶ περὶ πάντα τὰ ὄντα καὶ τὰς πάντων ἀρχὰς ἂν εἴη raquo avec le jeu des καὶ qui laisse assezouverte linterpreacutetation soit le sage devra laquo aussi raquo cest-agrave-dire en outre connaicirctre leacutetant en tantqueacutetant donc lontologie ne se reacuteduit pas agrave lousiologie soit en ayant pour objet premier la substanceet ses principes le sage connaicirctre aussi par lagrave-mecircme sans effort suppleacutementaire si lon peut dire parconseacutequence leacutetant en tant queacutetant

547 In Met 244 32-34 laquo εἰπὼν δὲ ὅτι τοῦ φιλοσόφου ἐστὶ τὸ τῶν οὐσιῶν εἰδέναι τὰς ἀρχὰς καὶ τὰςαἰτίας ὅτι μὴ μόνον περὶ τῆς οὐσίας αὐτῷ ἡ πραγματεία ἀλλὰ καὶ καθόλου περὶ παντὸς τοῦ ὄντοςᾗ ὄν raquo

548 Cf aussi 252 1-16

288

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

agrave partir de la substance raquo549 Tous ces passages tissent une voie nette

Cest ce que montrent eacutegalement les passages preacuteceacutedant notre texte 1 dans le

commentaire agrave 1003b 16-17 Alexandre vient deacutetablir que dans le cas des choses dites ἀφ ἑνός τε

καὶ πρὸς ἕν la science qui les eacutetudie est laquo eacuteminemment et au plus haut point raquo (κυρίως καὶ

μάλιστά 244 13) science du premier Lontologie se transforme donc pour les besoins de la

cause en ousiologie en science des laquo principes et des causes des substances raquo dans des formules

et pour des raisons identiques agrave celles que nous avons lues agrave la fin du commentaire agrave A 9550

Pourtant comme le souligne P Donini551 une ligne plus loin Alexandre reacuteaffirme la

nature laquo universelle raquo de la philosophie qui enquecircte sur leacutetant en tant queacutetant et neacutetudie pas un

eacutetant en particulier contrairement aux sciences partielles et conformeacutement agrave Γ 1 (244 21-28) P

Donini tente de rendre raison de ce revirement en renvoyant agrave la mention du laquo philosophe raquo dans

le texte dAristote (1003b 19) et non du sage ou du philosophe premier Toutefois comme nous

lavons montreacute plus haut pour Alexandre la laquo philosophie premiegravere raquo peut tout agrave fait deacutesigner la

philosophie universelle la science de leacutetant en tant queacutetant lexplication ne tient donc pas Il y a

degraves lors deux possibiliteacutes ou bien le texte dAlexandre teacutemoigne dune tension et dune

heacutesitation entre deux conceptions de la philosophie premiegravere (comme ontologie et comme

ousiologie) ou bien plus charitable il ny a pas pour lAphrodisien de reacuteelle diffeacuterence de nature

entre les deux et lousiologie vient compleacuteter et parachever lenquecircte universelle sur leacutetant mais

non pas la reacuteduire Cest en tout cas au mecircme laquo philosophe raquo quil revient deffectuer ces

enquecirctes Contre Donini cette seconde lecture a notre preacutefeacuterence ainsi interpreacuteteacute en effet le

passage reacuteaffirme au contraire la mecircme ligne ie luniteacute de la meacutetaphysique Le passage suivant

(244 31 ndash 245 19) qui commente 1003b 19-21 ne procegravede alors pas agrave un laquo retour raquo agrave la perspective

549 In Met 257 6-9 laquo ἐπιφέρει τὸ τῆς αὐτῆς εἶναι περί τε τούτων ἃ ἀπὸ τῆς οὐσίας τὸ εἶναι ἔχει καὶπερὶ τῆς οὐσίας ἔχειν ἐπιστήμην raquo Comme le note A Madigan ([1993] n 169) laquo αὐτῆς raquo anticipeprobablement sur la laquo πραγματεία τῷ φιλοσόφῳ raquo qui suit immeacutediatement Cette philosophie estneacutecessairement la science de leacutetant en tant queacutetant cf 257 11 (laquo περὶ πάντων τῶν ὄντων raquo) et dans lecommentaire suivant en 257 22-25 laquo οὐδὲ γὰρ γεωμέτρου οὔτε μουσικοῦ οὔτ ἄλλου τινὸςἐπιστήμην ἔχοντός τινα ἄλλην παρὰ τὴν τοῦ ὄντος ᾗ ὄν τὸ διαλαβεῖν καὶ ἰδεῖν πότερον ταὐτόνἐστιν ἡ οὐσία ἁπλῶς λαμβανομένη καὶ μετά τινος συμβεβηκότος ἢ ἕτερον raquo

550 Comparer avec In Met 244 20-23 laquo τὴν δὲ οὐσίαν τοιοῦτον λέγουσιν ἐκ ταύτης γὰρ ἤρτηται τὸ εἶναι τῶνἄλλων καὶ διὰ ταύτην ὄντα κἀκεῖνα τῶν οὐσιῶν ἄρα τὰς ἀρχὰς καὶ τὰς αἰτίας ζητητέον τῷ φιλοσόφῳᾧ ἡ πραγματεία περὶ τὸ ὂν ᾗ ὄν raquo avec 134 10-14 laquo Ἀλλεἰσὶν αἱ ζητούμεναι ὑπ αὐτοῦ τοῦ ὄντος ᾗ ὂνἀρχαὶ κοιναὶ πάντων ἀρχαὶ αὗται ἀλλαἱ τῆς οὐσίας οὐκ οὖσαι ὁμοίως καὶ τῶν ἄλλων τῶν παρὰ τὴνοὐσίαν ὄντων ἀρχαί γίγνονταί πως κἀκείνων ἀρχαὶ τῷ καὶ τῶν ἄλλων τῶν ὄντων ἕκαστον παρὰ τῆςοὐσίας τὸ εἶναι ἔχειν raquo

551 P Donini [2003] p 21-22 ndash ce passage est absent de la version franccedilaise de larticle

289

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

unitaire comme le dit Donini552 mais agrave sa prolongation quand il affirme

Ἐπεὶ τοίνυν καὶ τὸ ὂν μιᾶς φύσεωςκεκοινώνηκε καθὸ ὄν (τοιοῦτον γὰρἐδείχθη) οὗ τὸ θεωρεῖν περὶ τῆς οὐσίαςτούτου καὶ περὶ παντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὂν ἔσταιτὸ θεωρεῖν Ὥστε εἰ ἡ σοφία περὶ τὴν οὐσίαντε καὶ [24515] τὰς τῆς οὐσίας ἀρχάς καὶ περὶπάντα τὰ ὄντα καὶ τὰς πάντων ἀρχὰς ἂν εἴηἯς δὲ περὶ πᾶν τὸ ὂν ἡ πραγματεία ταύτηςκαὶ τὸ εἰδέναι πόσα εἴδη τοῦ ὄντος τουτέστιπόσα γένη τοῦ γὰρ εἰδότος τινὰ τὸ καὶ τὴνδιαφορὰν αὐτῶν εἰδέναι τὴν πρὸς ἄλληλα ὁγὰρ τὰ μὴ ταὐτὰ τὰ αὐτὰ ἀλλήλοιςἡγούμενος οὐδ ἂν τὴν ἀρχὴν εἰδείη τιαὐτῶν

Degraves lors puisque leacutetant dans la mesure ougrave il esten vient agrave partager une nature une (on a effet montreacutequil est ainsi553) celui agrave qui il appartient deacutetudier lasubstance il lui reviendra aussi deacutetudier tout leacutetanten tant queacutetant Ainsi si cest la sagesse qui soccupede la substance et des principes de la substance ellesoccupera aussi de tous les eacutetants et de leursprincipes agrave tous Mais la science agrave qui il appartient detraiter de leacutetant en totaliteacute il lui appartient aussi deconnaicirctre le nombre des espegraveces de leacutetant cest-agrave-direle nombre de ses genres car celui qui connaicirctcertaines choses il lui appartient aussi de connaicirctreles diffeacuterences de ces choses entre elles Celui en effetqui jugerait identiques des choses qui ne le sont pasne connaicirctrait absolument aucune de ces choses

(245 12-19)

Contrairement agrave ce que sous-entend Donini ce passage ne permet pas dinfeacuterer que la

reacutesolution du problegraveme dune science de leacutetant en tant queacutetant implique sa dissolution dans

lousiologie Aux yeux dAlexandre il ny a pas plus de contradiction ici que dans le commentaire

preacuteceacutedent agrave 1003b 16 Certes comme le dit Donini554 la deuxiegraveme partie du passage (245 16-19)

preacutepare certainement le commentaire suivant agrave 1003b 21-22 (ie notre texte 1) Mais la reacutepeacutetition

de la mecircme dualiteacute que dans le commentaire preacuteceacutedent et son deacuteveloppement dans le suivant

sont bien ecirctre les indices de la thegravese unitaire dAlexandre plutocirct que la marque de ses heacutesitations

Un test simple peut ecirctre fait si toutes les proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant saveacuteraient

selon Alexandre reacuteductibles aux proprieacuteteacutes de la substance la dissolution de la science de leacutetant

en tant queacutetant dans lenquecircte sur la substance semblerait ineacutevitable W Leszl a qualifieacute cette

position de laquo deacuteductionniste raquo555 Alexandre dans son commentaire agrave 1004a 22 a dabord lair de

ceacuteder agrave cette position en disant que le mecircme le semblable et leacutegal se reacutefegraverent agrave une uniteacute

(laquo πάντα γὰρ ταῦτα πρὸς ἕν τι τὴν ἀναφορὰν ἔχει raquo 255 25) agrave savoir la substance qui est

eacuteminemment une Mais la suite du commentaire permet de preacuteciser que leacutetude des preacutedicats

dialectiques et de leurs contraires ne se restreint pas agrave ceux de la substance parce que cette eacutetude

552 P Donini [2003] p 23

553 Sans doute dans les commentaires agrave 1003b 5-15 Voir Donini [2003] p 24 et la n 36 sur la traduction deτοιοῦτον

554 P Donini [2003] p 24

555 W Leszl [1975] p 181

290

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

implique eacutegalement deacutetudier la relation des autres eacutetants agrave la substance Par exemple dit

Alexandre en prenant pour objet ce qui est dit laquo mecircme que raquo (ou laquo identique agrave raquo si lon preacutefegravere) il

faut se reacutefeacuterer agrave ce qui est dit laquo mecircme raquo au sens propre ou eacuteminemment et montrer comment

lidentiteacute des autres choses que la substance se reacutefegravere agrave lidentiteacute substantielle556 Aussi forte que

soit la reacutefeacuterence agrave la substance elle nest manifestement pas exclusive Alexandre le reacutepegravete agrave au

moins deux reprises et compare ce qui se passe pour ces preacutedicats avec ce qui se passe pour

leacutetant il sagit de montrer comment tous les eacutetants autres que la substance sont des eacutetants en

vertu de la substance et plus geacuteneacuteralement comment de tels preacutedicats sappliquent dans les cas

secondaires agrave partir du premier dentre eux557 Leacutetude des eacutetants non-substantiels est clairement

orienteacutee vers celle de la substance mais non pas subrogeacutee par elle

On comprend alors pourquoi Alexandre peut preacutesenter deux interpreacutetations

concurrentes mais selon lui compatibles agrave la proposition de 1004b 29-30

Presque tous saccordent agrave penser que les eacutetants et la substance sont composeacutes decontraires

Pour paraphraser la premiegravere interpreacutetation le philosophe eacutetudie la substance donc ses

principes et ses eacuteleacutements parmi lesquels figurent les contraires558 donc il eacutetudie les contraires Et

Alexandre enchaicircne si les eacutetants sont composeacutes de contraires et que ceux-ci sont reacuteductibles agrave

lun et au multiple alors celui qui eacutetudie lun et le multiple eacutetudiera aussi les contraires et si le

philosophe eacutetudie les contraires il eacutetudie leacutetant puisque les contraires en sont les principes et

queacutetudier ces principes cest eacutetudier ce dont ils sont principes

La seconde interpreacutetation part quant agrave elle non pas des contraires mais de la science de

leacutetant en tant queacutetant qui doit donc aussi eacutetudier les eacuteleacutements de leacutetant parmi lesquels les

contraires559 Les raisonnements ont ceci de remarquable quAlexandre peut passer de la

556 In Met 255 35 ndash 256 4 laquo ὥστε ἐπεὶ καὶ ταῦτα τῷ ὄντι ὁμοίως τῶν πλεοναχῶς λεγομένων ὡςἀφἑνὸς καὶ πρὸς ἕν χρὴ διαιρουμένους καὶ λαμβάνοντας καθ ἕκαστον αὐτῶν τὸ κυρίως τοιοῦτοντἆλλα δεικνύναι κατὰ τί ἀπ ἐκείνου καὶ ταῦτα οὕτω λέγεται οἷον καθ ὅσων τὸ ταὐτὸνκατηγορεῖται λαβόντας πρὸς τὸ κυρίως ταὐτόν τουτέστι τὸ ἐν οὐσίᾳ τὴν τῶν ἄλλων ἀναφορὰνποιεῖσθαι δεικνύντας τῷ τί ἐκείνου εἶναι καὶ τούτων ἕκαστον ταὐτὸν λέγεται πάλιν τὸ ἕτερονεἶτα τὸ ὅμοιον καὶ τὸ ἀνόμοιον καὶ τὰ ἄλλα οὕτως raquo

557 In Met 256 15-18 laquo ὡς γὰρ περὶ τοῦ ὄντος λέγοντες λαβόντες τὸ κυρίως εἶναι τὴν οὐσίαν ἓνἕκαστον τῶν ἄλλων ὧν τὸ ὂν κατηγορεῖται δείκνυμεν ὂν ἢ τῷ πάθος εἶναι τῆς οὐσίας ἢ τῷγένεσιν ἢ τῷ ἐνέργειαν ἢ τῷ ἄλλο τι οὕτω φησὶ δεῖν καὶ ἐπὶ τούτων ποιεῖν raquo et de faccedilon reacutesumeacutee etplus geacuteneacuterale en 256 20-23

558 Cf aussi agrave ce sujet la Quaestio I 16

559 In Met 261 30 ndash 262 3

291

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

substance agrave leacutetant sans agrave-coup et le pheacutenomegravene samplifie dans les lignes suivantes agrave la faveur

du couple laquo τὰ δ ὄντα καὶ τὴν οὐσίαν raquo en 1004b 29-30

La science de leacutetant en tant queacutetant eacutetudie donc aussi bien les eacuteleacutements de la substance

que ceux des eacutetants en geacuteneacuteral560 et ce nest pas parce que son eacutetude porte eacuteminemment sur le

premier eacutetant quelle sy reacuteduit Il en va de mecircme pour la progression dune enquecircte sur la

substance vers une enquecircte sur la substance premiegravere Leacutetude de la substance nest pas quune

cateacutegorie geacuteneacuterale qui ne laisserait au philosophe premier comme tacircche effective que leacutetude de

la substance premiegravere Lenquecircte sur la substance constitue une eacutetude agrave part entiegravere Certes en

251 7-9 Alexandre disait

Cela se trouvait aussi dans Les Difficulteacutes comme je lai deacutejagrave dit avant ltla difficulteacute desavoirgt si cest une unique ltsciencegt qui porte sur toutes les substances ou si elles sontplusieurs et si elles sont plusieurs si elles sont de mecircme genre En effet Aristote a montreacutequelles sont plusieurs mais dans lideacutee quelles sont toutes sous la philosophie qui est unepar le genre

Toutefois le texte neacuteclate pas la science de la substance en plusieurs genres distincts

puisque la pluraliteacute des sortes de substances nempecircche pas luniteacute de leur eacutetude Alexandre sait

quil ny a pas une seule nature (il ne dit pas ici laquo genre raquo) de la substance ndash comme il le reacutepeacutetera

par exemple en 267 29-32

Les unes sont incorporelles les autres corporelles et les unes immobiles les autresmobiles et les unes ingeacuteneacutereacutees les autres dans la geacuteneacuteration et les unes animeacutees les autressans acircmes

Mais cela nempecircche pas que la philosophie premiegravere ait agrave enquecircter sur la substance en

geacuteneacuteral et ses principes Alexandre laffirme trop souvent pour que agrave chaque fois il faille sous-

entendre quen fait il ne sagirait que de la substance premiegravere eacuteternelle et divine LExeacutegegravete

malgreacute quen ait P Donini la dit bien avant notre texte 3 par exemple en 246 9-10 et deacutejagrave en 245

14-15 dans le commentaire agrave 1003b 19

Ainsi si cest la sagesse qui soccupe de la substance et des principes de la substance ellesoccupera aussi de tous les eacutetants et de tous leurs principes

Cest en outre ce qui fait la diffeacuterence entre le philosophe et le sophiste ce dernier ne

parle pas de la substance alors que le discours agrave son sujet est la tacircche laquo la plus propre au

560 In Met 262 24-26 (et la suite) laquo λαβὼν δὲ ὅτι καὶ τῶν ὄντων καὶ τῆς οὐσίας στοιχεῖα τὰ ἐναντίαδῆλόν φησι καὶ ἐκ τούτων εἶναι ὅτι μιᾶς ἐστιν ἐπιστήμης ἡ περὶ τοῦ ὄντος ᾗ ὂν θεωρία raquo

292

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

philosophe raquo561 Alexandre parle-t-il ici de tout philosophe y compris le physicien Ce serait faire

fi de lacquis du commentaire preacuteceacutedent agrave 1004b 1 le philosophe (lagrave encore sans speacutecification

mais neacutecessairement le premier) eacutetudie la substance et ses accidents et le mecircme lautre etc car

cette eacutetude nincombe agrave aucune autre science ni la geacuteomeacutetrie ni la musique ni la physique mais

seulement agrave celle qui eacutetudie universellement leacutetant en tant queacutetant562 Or dans le commentaire agrave

1004b 8 le laquo philosophe raquo est aussi deacutesigneacute comme celui qui eacutetudie la substance et ses attributs et

par lagrave laquo les contraires et les opposeacutes les choses dites en plusieurs sens les accidents etc raquo (258

29-28) dont parlent aussi les sophistes mais sans leur reacutefeacuterence neacutecessaire agrave la substance

Enfin Alexandre le reacutepeacutetera en toutes lettres justement dans le commentaire agrave Γ 3 1005b

5-7 quand il commente la difficile formule que nous avons deacutejagrave lue selon laquelle le philosophe

eacutetudie toute la substance laquo ᾗ πέφυκεν raquo Le commentaire propose en reacutealiteacute deux interpreacutetations

possibles soit le philosophie premier563 eacutetudie la substance laquo universellement ndash et non pas cette

substance-ci ou cette substance-lagrave raquo cest-agrave-dire aussi quil eacutetudie laquo universellement quelle est la

nature de la substance raquo564 soit il eacutetudie la nature de chaque espegravece de substance La premiegravere

interpreacutetation vient donc conforter lideacutee quil y a dans la meacutetaphysique une eacutetude geacuteneacuterale de la

substantialiteacute tandis que la seconde se fonde sur la diffeacuterence de nature des substances

conformeacutement au commentaire de la troisiegraveme aporie de B565 Alexandre prescrirait alors au

philosophe un programme deacutetude qui pourrait se deacutecliner en une eacutetude de la substantialiteacute des

substances secondes mobiles (eacutetude qui nest pas la physique mais qui a pour objet les principes

561 In Met 258 26-27 laquo Λέγει δὲ περὶ τῶν σοφιστῶν οἳ ὑποδυόμενοι τὸ φιλοσόφου ὄνομα περὶ τῆςοὐσίας περὶ ἧς οἰκειότατος καὶ προηγούμενος ὁ λόγος τῷ φιλοσόφῳ raquo

562 In Met 257 19 ndash 258 24

563 On a vu ci-dessus comment le laquo philosophe raquo pouvait chez Alexandre deacutesigner strictement laquo lephilosophe premier raquo Il est ici clair que cest le meacutetaphysicien qui est concerneacute puisquil lui incomberaaussi dans la suite du commentaire agrave 1005b 5-7 deacutetudier les principes du syllogisme lesquels nepeuvent faire lobjet daucune science reacutegionale

564 In Met 267 24-29 juste avant quAlexandre ne rappelle cependant quil y a diffeacuterentes sortes desubstances raquo Ἤτοι ltπερὶ πάσης οὐσίαςgt εἶπεν ἀντὶ τοῦ περὶ παντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὄν ἢ καὶ ltπερὶπάσης οὐσίαςgt ὅτι καὶ ἡ περὶ τοῦ ὄντος ἐπιστήμη περὶ οὐσίας ἐστὶ μάλιστα κυριώτατον γὰρ τοῦτοἐν τοῖς οὖσιν ὡς ἐρρέθη καὶ πρὸς τοῦτο τἆλλα τὸ δὲ περὶ ltπάσηςgt οὐσίας ἴσον ἐστὶ τῷ καθόλουπερὶ οὐσίας ἀλλ οὐ τῆσδε ἢ τῆσδε τὸ δὲ ltᾗ πέφυκεgt σημαίνοι ἂν ἤτοι θεωροῦντος τίς καθόλουφύσις οὐσίας ἢ τίς ἡ φύσις ἑκάστης οὐσίας raquo

565 Voir In Met 191 15 ndash 194 7

293

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

de la substance naturelle566) et une eacutetude de la substance premiegravere eacuteternelle et divine567

Toutefois si lon table sur la coheacuterence de ce passage avec notre troisiegraveme texte selon

lequel la philosophie premiegravere eacutetudie laquo καθόλου περὶ πάσης οὐσίας raquo alors il faut en conclure

que cest la premiegravere interpreacutetation de ce passage de Γ 3 qui a la faveur dAlexandre Cela

rendrait raison des nombreux passages ougrave lExeacutegegravete attribue effectivement agrave la meacutetaphysique

deacutetudier laquo la substance raquo (sans preacuteciser) et laquo les principes et les causes de la substance raquo568 Ceci

est coheacuterent avec le fait quailleurs (nos textes 1 et 2) Alexandre ne mentionne une heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute

des substances et une reacutesolution non unitaire de la troisiegraveme aporie que pour fonder la

distinction entre philosophies premiegravere et seconde la physique a en propre deacutetudier les

substances mobiles en tant que mobiles tandis que les substances premiegraveres ne peuvent queacutechoir

agrave la philosophie premiegravere

Mais cette thegravese ninterdit pas que justement parce quelle peut aussi enquecircter sur les

substances premiegraveres la philosophie premiegravere (contrairement agrave la physique des anciens) soit en

mesure de conduire une eacutetude sur lensemble du champ de la substantialiteacute sur la transversaliteacute

analogique des principes des substances569 Sans cela on est exposeacute agrave reacuteduire les passages citeacutes

sur une eacutetude laquo καθόλου raquo de la substance agrave des erreurs de parcours Mais il faut alors distinguer

entre le refus dune science geacuteneacuterale des substances qui reacuteduirait la physique agrave necirctre quune

566 Cette interpreacutetation pourrait sautoriser du ceacutelegravebre passage de Met Z 15 1037a 14-16 qui esquisse uneeacutetude de la substance sensible scindeacutee entre la philosophie premiegravere et laquo dune certaine maniegravere raquo aussila philosophie seconde (laquo ἐπεὶ τρόπον τινὰ τῆς φυσικῆς καὶ δευτέρας φιλοσοφίας ἔργον ἡ περὶ τὰςαἰσθητὰς οὐσίας θεωρία raquo) quoique que nous nen disposions pas de traces En revanche leteacutemoignage dAverroegraves sur le commentaire dAlexandre agrave Λ 1 1069a 36 ndash 1069b 2 va bien dans ce sensAverroegraves critique lopinion dAlexandre selon laquelle la physique recevrait ses principes de laphilosophie premiegravere (Freudenthal Fr 6 et 7 Bouyges p 1429-1430)

567 On pourrait davantage fonder cette interpreacutetation si lon posseacutedait par exemple le commentairedAlexandre agrave Z 2

568 Outre les passages citeacutes ci-dessus voir aussi 244 17-23 laquo καὶ περὶ τοῦ ὄντος δὴ παντός ἐπεὶ τῆςαὐτῆς ἐστι φύσεως τὸ ὄν μία μὲν ἐπιστήμη αὕτη δὲ μάλιστα ἐπὶ τοῦ πρώτου καὶ κυρίως ὄντοςἔσται δι ὃ καὶ τὰ ἄλλα ὄντα τὴν δὲ οὐσίαν τοιοῦτον λέγουσιν ἐκ ταύτης γὰρ ἤρτηται τὸ εἶναι τῶνἄλλων καὶ διὰ ταύτην ὄντα κἀκεῖνα τῶν οὐσιῶν ἄρα τὰς ἀρχὰς καὶ τὰς αἰτίας ζητητέον τῷφιλοσόφῳ ᾧ ἡ πραγματεία περὶ τὸ ὂν ᾗ ὄν raquo Et peu apregraves 244 32-24 laquo εἰπὼν δὲ ὅτι τοῦφιλοσόφου ἐστὶ τὸ τῶν οὐσιῶν εἰδέναι τὰς ἀρχὰς καὶ τὰς αἰτίας ὅτι μὴ μόνον περὶ τῆς οὐσίαςαὐτῷ ἡ πραγματεία ἀλλὰ καὶ καθόλου περὶ παντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὄν raquo La substance est certesabsente des objets deacutevolus agrave la sagesse dans le proegraveme mais celui-ci tente clairement deacutetendre aumaximum lextension de lobjet du philosophe premier pour justifier son eacutetude de leacutetant en totaliteacute

569 La phrase de 266 7-8 quon a deacutejagrave citeacutee part de fait des substances premiegraveres pour en infeacutererluniversaliteacute de la philosophie premiegravere comme eacutetude de la substance en geacuteneacuteral et in fine de touteacutetant (laquo πρώτη δ ἂν εἴη ἥ τε περὶ τῶν πρώτων οὐσιῶν θεωροῦσα καὶ ἡ καθόλου περὶ πάσης οὐσίαςκαὶ τῶν τῷ αὐτῆς τι εἶναι ὄντων καὶ αὐτῶν raquo)

294

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

province de la meacutetaphysique (ce qui est impossible) et ladheacutesion agrave une eacutetude universelle de la

substance qui ne peut eacutechoir quagrave la philosophie premiegravere et qui nempecircche pas que la physique

constitue une science autonome Ceci est confirmeacute par le teacutemoignage dAverroegraves sur le

commentaire dAlexandre agrave Λ 1 1069a 36 ndash 1069b 2570 Averroegraves y preacutesente deux thegraveses

dAlexandre les substances mobiles (eacuteternelles ou corruptibles) font lobjet de la physique mais

il revient agrave la philosophie premiegravere deacutetudier agrave la fois la substance eacuteternelle et les principes de la

substance naturelle La position dune physique nempecircche pas que ses principes (on songe agrave la

forme substantielle) fassent lobjet de la meacutetaphysique571

De ce point de vue les deux interpreacutetations proposeacutees pour ce passage de Γ 3 ne sont pas

si incompatibles que cela la seconde interpreacutetation maintient une ambition duniversaliteacute dans

lemploi de laquo ἑκάστης raquo (267 29) dans laquo τίς ἡ φύσις ἑκάστης οὐσίας raquo (sous-entendu

laquo θεωροῦντος raquo) Alexandre prescrit donc bien agrave la meacutetaphysique une enquecircte sur la substance

en geacuteneacuteral qui ne se reacuteduit pas agrave une enquecircte sur les substances premiegraveres et divines mais eacutetudie

aussi les substances les plus communes De mecircme que lenquecircte sur la substance nempecircche pas

que le philosophe premier doive conduire une enquecircte sur leacutetant en tant queacutetant de mecircme

leacutetude de la substance premiegravere ne reprend pas inteacutegralement le projet dune enquecircte geacuteneacuterale

sur la substance (sinon Alexandre ne dirait mecircme pas que le philosophe enquecircte sur laquo les

substances premiegraveres et universellement toute la substance raquo 266 7-8)

Si donc lon imagine comme le fait P Donini un scheacutema dans lequel sous la philosophie

laquo geacuteneacuterique raquo et universelle (la science de leacutetant en tant queacutetant) figure une premiegravere espegravece

(leacutetude de la substance) en fonction de la division des cateacutegories puis sous cette premiegravere

espegravece une sous-espegravece leacutetude de la substance premiegravere en fonction de lordre des substances

alors la thegravese unitarienne nous contraint agrave rassembler le niveau geacuteneacuterique et les premiers niveaux

speacutecifique et sous-speacutecifique laquo La mecircme ltphilosophiegt devient premiegravere de deux faccedilons raquo (266

8-9) Elle est dabord premiegravere du fait de son objet les substances premiegraveres (qui sont tregraves

probablement les mecircmes que celles dont parle le deuxiegraveme texte incorporelles immobiles

570 Freudenthal Fr 6 et 7 Bouyges p 1429-1430 On revient sur le plan de la Meacutetaphysique donneacute parAverroegraves dans la conclusion ci-dessous

571 La position est certes discutable au motif de lautonomie des sciences et du fait quen reacutegimearistoteacutelicien la science de x est science des principes de x ndash le Cordouan ne se prive pas de critiquerAlexandre sur ce point (cf Bouyges p 1429)

295

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

etc572) Alexandre deacuteveloppe en outre cette primauteacute via luniversaliteacute par conseacutequence (laquo celle

qui eacutetudie les substances premiegraveres eacutetudie aussi tout ce dont lecirctre deacutepend des substances

premiegraveres raquo) Mais elle est aussi premiegravere parce que eacutetudiant laquo en geacuteneacuteral leacutetant en tant

queacutetant raquo elle doit eacutetudier le premier eacutetant la substance Dans notre texte 3 lExeacutegegravete suit un

ordre qui fait le va-et-vient entre les trois niveaux distingueacutes par P Donini (geacuteneacuterique premiegravere

espegravece premiegravere sous-espegravece) sans doute preacuteciseacutement parce que lenjeu est lunification ndash non

pas lidentiteacute sans meacutediation mais larticulation ndash de ces trois niveaux en tant quils sentre-

reacutepondent Toutefois telle eacutetait bien la thegravese dAlexandre degraves le deacutepart quoique peut-ecirctre son

eacutetablissement ne soit pas alleacute sans obscuriteacutes

243 Conclusions une structure laquo katholou-protologique raquo

Agrave notre sens la meacutetaphysique alexandrinienne est tout ce quen dit lExeacutegegravete science de

leacutetant en tant queacutetant cest-agrave-dire science universelle de leacutetant en totaliteacute science de la

substance donc573 de ses principes et ses causes science de la substance premiegravere eacuteternelle et

immobile En deacutepit de cette diversiteacute elle ne perd pas son uniteacute mais cette derniegravere est

complexe articuleacutee meacutedieacutee Gracircce agrave la structure du ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν luniteacute est agrave chaque

fois assureacutee par le mecircme principe de reconduction au premier agrave leacuteleacutement eacuteminent de lensemble

souvent baliseacutee dans le texte par les laquo μάλιστα καὶ πρώτως raquo ou laquo κυρίως raquo574

Leacutetude de leacutetant en tant queacutetant requiert comme son accomplissement celle du premier

eacutetant la substance leacutetude de la substance (de la substance en geacuteneacuteral ou des substances les plus

communes)575 requiert celle de la substance premiegravere Mais ce mouvement ne supprime pas la

neacutecessiteacute du moment geacuteneacuteral qui le preacutecegravede logiquement On pourra donc avec J-F Courtine

employer la meacutetaphore selon laquelle lontologie culmine dans ou avec la theacuteologie mais non pas

dire quil y aurait un mouvement de laquo reacuteduction ou ltdegt reconduction reacutesolue aussi immeacutediate

572 Cf P Donini [2005]

573 Il est tregraves probable que pour Alexandre connaicirctre les principes et les causes de x cest connaicirctre x etreacuteciproquement Voir In Met 10 23 ndash 11 2 et 261 37-38 Pour une discussion de cette question voir parexemple W Leszl [2010] p 214

574 Sur cet adverbe voir les remarques de W Leszl [1975] p 185-186

575 Selon lambiguiumlteacute que nous avons preacuteceacutedemment eacutenonceacutee agrave propos du commentaire agrave Γ 3 1005b 5-7

296

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

que possible de tout eacutetant jusquagrave un point sublime qui absorbe en lui tout le reste raquo576 selon ce

que nous avons vu il faut en reacutealiteacute distinguer reconduction et reacuteduction Si lon nopegravere pas une

telle distinction on sera alors neacutecessairement tenteacute de voir dans les textes dAlexandre laquo un

certain flottement raquo577 parce que agrave la diffeacuterence dAscleacutepius et Syrianus Alexandre ne va pas

aussi loin dans la theacuteologisation de la meacutetaphysique Nous avons au contraire essayeacute de montrer

comment malgreacute certaines heacutesitations lAphrodisien travaille agrave rassembler tous les aspects de la

science rechercheacutee par Aristote en maintenant le projet dune science universelle de leacutetant en

tant queacutetant

Ainsi deacutecrite la meacutetaphysique deacuteploie la double dimension leacutegueacutee par la dialectique

platonicienne agrave Aristote Elle remplit en outre fermement les enjeux que nous avons tenteacute de

deacutecrire dans la premiegravere partie Alexandre offre agrave la meacutetaphysique une place et une fonction dans

le scheacutema classique des sciences de son eacutepoque elle y trocircne eacutecarte la logique au rang

dinstrument voire selon les textes se linfeacuteode en linteacutegrant partiellement fonde la scientificiteacute

des autres savoirs et prend pour objet ce quaucune science partielle ne peut eacutetudier leacutetant en

tant queacutetant la substance la substance immobile et divine ou encore les axiomes et lun Enfin

par lagrave-mecircme Alexandre-commentateur garantit au traiteacute dAristote une uniteacute forte

On aura en effet compris que les trois niveaux distingueacutes ci-dessous correspondent selon

nous agrave la compreacutehension alexandrinienne du programme de la Meacutetaphysique La meacutetaphysique

comme science articuleacutee progresse comme progresse la Meacutetaphysique Apregraves les livres

introductifs qui en deacutemontrent la neacutecessiteacute et posent les difficulteacutes quelle doit reacutesoudre la

science tout en fondant ainsi sa propre possibiliteacute entre de plain pied dans son moment le plus

universel sur leacutetant en tant queacutetant ses proprieacuteteacutes essentielles le principe de non contradiction

et les divers plurivoques (Γ-Δ) La neacutecessiteacute de poursuivre par une enquecircte sur la substance en

geacuteneacuteral a eacuteteacute justifieacutee en Γ elle est remplie au moins en partie par les livres centraux

Pour la suite Averroegraves nous offre en effet un plan du traiteacute quil dit avoir puiseacute chez

Alexandre578 ndash quoiquil soit probable comme le dit C Genequand que le Commentateur y ait

576 J-F Courtine [2005] p 132-133 Ce mouvement de reacuteduction sera celui de lune des figures meacutedieacutevalesde la meacutetaphysique (cf O Boulnois [2001] p 390-393) celle du Guide de leacutetudiant selon lequel il fautreconduire au sens de reacuteduire leacutetant en tant queacutetant agrave leacutetant premier (laquo reduci habet raquo O Boulnois[2001] p 392)

577 J-F Courtine [2005] p 130

578 Cf Bouyges 1395 ndash 1405 (C Genequand [1986] p 60-65)

297

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

ajouteacute des remarques de son fait579 Si lon sen tient aux grandes structures on aboutit aux

reacutesultats suivants Le livre Z (nommeacute geacuteneacuteralement Zāy) tel que deacutecrit par Averroegraves se donnerait

pour objectif leacutetude du laquo principe de leacutetant raquo agrave savoir la substance et donc celle de ses propres

principes ndash pour la substance prise dans le devenir il sagit de la forme et de la matiegravere (on

reconnaicirct ici le moment laquo physique raquo de Z) La conclusion de Z est que la forme est substance et

non les accidents ou les universaux Le livre H poursuit sur cette lanceacutee en eacutetudiant la part

respective de la forme et de la matiegravere dans le composeacute Averroegraves marque cependant une

diffeacuterence entre Z et H dune part et Θ de lautre ce dernier eacutelargirait le propos jusquici limiteacute

agrave la substance sensible580 en senqueacuterant des proprieacuteteacutes geacuteneacuterales de leacutetant en tant queacutetant agrave

savoir la puissance et lacte agrave quoi fait suite leacutetude de lun et du multiple autres proprieacuteteacutes de

leacutetant en tant queacutetant en I Le livre K (ici nommeacute Yā) enquecircte sur le mouvement et linfini mais

dun autre point de vue que celui du physicien Il sert aussi de reacutesumeacute des aporie de B et des

solutions qui y ont eacuteteacute apporteacutees dans les livres preacuteceacutedents581 Le livre Λ enfin poursuit leacutetude

de la substance sensible en reprenant les acquis de Z et H (cette fois-ci Wāw et Zāy) mais en se

proposant leacutetude de toutes les substances il en vient aux principes de la substance premiegravere

Aristote aurait ainsi laquo acheveacute raquo son enquecircte sur les laquo principes de tout eacutetant raquo En effet les deux

livres M et N napportent pas reacuteellement de nouveaux enseignements et nont de valeur que

reacutefutative Le livre Λ est le veacuteritable achegravevement de la Meacutetaphysique comme laurait dit Alexandre

selon le teacutemoignage dAverroegraves582 auquel nous avons donc maintenant toutes les raisons

daccorder creacutedit Lorientation theacuteologique de la meacutetaphysique ne veut donc pas dire sa

theacuteologisation et ceci rend raison du caractegravere meacutediat ou deacuteduit de lobjet theacuteologique que nous

avions souligneacute583

579 C Genequand [1986] p 8 On peut comparer avec lesquisse deacutejagrave citeacutee de la fin du commentaire agrave Δ 7(In Met 372 34-37)

580 Ceci serait coheacuterent avec lideacutee que nous avons proposeacutee preacuteceacutedemment selon laquelle lameacutetaphysique aurait dabord agrave eacutetudier des principes des substances les plus communes (les sensibles)avant de senqueacuterir de la substance divine et eacuteternelle Il ny aurait pas ainsi de moment universel deleacutetude de la substance dans la Meacutetaphysique ndash et les passages ougrave Alexandre mentionne cette eacutetude καθόλου seraient des incidents de parcours On notera cependant que du moins pour ce quenteacutemoigne le bref reacutesumeacute donneacute par Averroegraves les thegraveses eacutelaboreacutees sur la substance en Z ne sont pasdeacutementies dans leacutetude de la substance divine et surtout que leacutetude geacuteneacuterale sur la substance estdeacuteporteacutee depuis les livres centraux jusquau cœur de Λ

581 Sur les problegravemes du livre K dans ce passage cf C Genequand [1986] p 9

582 Bouyges 1394 (Genequand [1986] p 59)

583 Cf ci-dessus sect 21

298

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

Si donc la description de lobjet de la meacutetaphysique alexandrinienne que nous avons

proposeacutee comporte une part darbitraire et par deacutefaut de sources tient neacutecessairement de la

reconstruction celle-ci se voit neacuteanmoins renforceacutee par le teacutemoignage du Commentator

La meacutetaphysique ainsi deacutecrite pourrait se laisser adeacutequatement saisir dans la grille de la

structure katholou-protologique qua formuleacutee R Brague Cette grille de lecture se donne comme

plus geacuteneacuterale et logiquement anteacuterieure agrave la constitution onto-theacuteologique de la meacutetaphysique

Elle consiste agrave partir dune geacuteneacuteraliteacute laquo pour aboutir agrave une concentration sur une reacutealiteacute suprecircme

(premiegravere) mais telle quelle permet de recouvrer la geacuteneacuteraliteacute qui avait dabord eacuteteacute quitteacutee raquo584

R Brague prend soin de preacuteciser que cette nouvelle geacuteneacuteraliteacute laquo nest pourtant jamais reacutecupeacutereacutee

au mecircme niveau raquo Il est possible dinjecter ici la distinction entre deux universaliteacutes quagrave la suite

de W Leszl nous avons nommeacutees universaliteacute par conseacutequence et universaliteacute intrinsegraveque et

dont nous avons vu le jeu dans le Commentaire dAlexandre585 Que la structure katholou-

protologique soit proprement aristoteacutelicienne ou bien un heacuteritage platonicien (lun dailleurs

nempecircchant pas lautre) elle sest en tout cas deacuteployeacutee chez lAphrodisien agrave la faveur dune

proximiteacute accrue avec la dialectique Elle reacutevegravele en outre une interpreacutetation de la Meacutetaphysique en

grande partie fondeacutee sur la fin de E 1586 comme lillustre la coagulation des objets de la

meacutetaphysique autour de leacutetant en tant queacutetant de la substance en geacuteneacuteral et de la premiegravere

dentre elles (les autres objets lun et les axiomes par exemple neacutetant jamais au centre des textes

architectoniques que nous avons lus)

Si la meacutetaphysique alexandrinienne nous paraicirct effectivement structureacutee de faccedilon

katholou-protologique il est en revanche encore trop tocirct pour affirmer avec R Bodeacuteuumls que

lonto-theacuteologie est moins le fait dAristote que de ses commentateurs587 Encore faudrait-il

584 R Brague [1988] p 514 Sur cette structure cf aussi B Mabille [2004] en particulier p 319 sq avec ladiscussion de la lecture de Plotin par J-M Narbonne (en particulier J-M Narbonne [2001])

585 R Brague neacuteanmoins deacutecrit ces deux sortes de laquo geacuteneacuteraliteacutes raquo de faccedilon plus deacutetermineacutee puisque aufond elles deacutesignent selon lui la preacutesence en geacuteneacuteral et le plus preacutesent lecirctre et leacutetant (cf R Brague[1988] p 514) Mais on pourrait aussi faire un usage plus lacircche de cette structure et peut-ecirctre plusrespectueux des textes

586 Sur la reprise deacuteleacutements platoniciens dans ce chapitre voir par exemple M Narcy [2000] p 72-73

587 R Bodeacuteuumls [1992] p 73 laquo Les liens rigoureux entre meacutetaphysique et theacuteologie qui ont produit lonto-theacuteologie sont historiquement datables en Occident dune eacutepoque qui nest pas exactement la sienne[celle dAristote] et on ne peut lui imputer lentiegravere responsabiliteacute de liens quil ne songeait pasvraiment agrave nouer raquo Cf aussi E Berti [2005a] p 55 Pour ecirctre exact E Berti considegravere plutocirct que ce sontles laquo interpregravetes meacutedieacutevaux (et peut-ecirctre deacutejagrave les commentateurs neacuteoplatoniciens) raquo qui ont laquo fait de lameacutetaphysique dAristote une theacuteologie raquo et que ce sont les laquo interpregravetes modernes et contemporains raquoqui en ont fait une onto-theacuteologie

299

La meacutetaphysique comme science universelle et premiegravere

comprendre si et comment le divin est chez Alexandre un eacutetant maximal en sorte quil dise

quelque chose de lensemble des autres eacutetants voire quil les fonde Selon la thegravese la plus

courante chez lExeacutegegravete cest bien plutocirct la substance qui est cet eacutetant premier par lesquels les

autres eacutetants ont lecirctre qui est la laquo cause de leur ecirctre raquo Avant donc de nous inteacuteresser au statut

du divin dans le systegraveme alexandrinien il convient tout dabord den revenir agrave leacutetant en tant

queacutetant et agrave la substance et par lagrave agrave la relation ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν La question est de

savoir par quels moyens cette unification articuleacutee (et non immeacutediate) de la meacutetaphysique est

rendue possible au niveau de ses objets

300

Chapitre III

CHAPITRE III

LES OBJETS DE LA MEacuteTAPHYSIQUE

leacutetant en tant queacutetant la substance la cause premiegravere

Agrave ce stade du travail notre hypothegravese est que la meacutetaphysique alexandrinienne se

cristallise autour de trois objets leacutetant en tant queacutetant la substance et le divin auxquels se

rattachent secondairement les autres ndash lun et les axiomes par exemple sont assigneacutes agrave la

province de lontologie Pour deacutemontrer que la meacutetaphysique alexandrinienne ne sacrifie pas son

uniteacute dans ces trois moments de leacutetude (lontologie lousiologie et la theacuteologie) il convient degraves

lors deacutetudier comment au niveau des objets se produit la neacutecessiteacute quils relegravevent dune unique

science

Lune des conceptions de la meacutetaphysique comme science une que deacutecrit P Aubenque

conception selon lui erroneacutee se rapproche de celle que nous pensons pouvoir assigner agrave

Alexandre

La science de lecirctre serait science de lessence [ie de lοὐσία] ou mieux encore science desprincipes de lessence qui est elle-mecircme principe cest-agrave-dire science des premiersprincipes et par lagrave seulement meacutediatement universelle universelle parce que premiegravere1

Dans ce modegravele la meacutetaphysique sassure ainsi de son uniteacute via un enchacircssement de

causes la substance serait alors cause de lecirctre des autres eacutetants comme la substance premiegravere

divine serait cause des autres substances Comme le note Aubenque cette theacuteorie nest en effet

valide qulaquo agrave une condition que le premier soit principe cest-agrave-dire quil rende raison de ce qui

1 P Aubenque [1962] p 246

301

Les objets de la meacutetaphysique

vient apregraves lui raquo2

Ce modegravele ne sapplique certes pas inteacutegralement agrave Alexandre ndash qui est peut-ecirctre parmi

dautres viseacute par ces lignes3 Comme on la vu en effet Alexandre ne renonce pas agrave luniversaliteacute

intrinsegraveque de la meacutetaphysique parce que la reconduction au premier (au premier sens de leacutetant

la substance puis agrave la substance premiegravere) nest pas une reacuteduction du moment preacuteceacutedent il

incombe par exemple au philosophe premier deacutetudier les proprieacuteteacutes de leacutetant en tant queacutetant

Autrement dit lontologie repreacutesente un passage obligeacute un moment infrangible de la

meacutetaphysique Mais la progression geacuteneacuterale deacutecrite par P Aubenque sapplique adeacutequatement agrave

Alexandre dautant que lhypothegravese dune unification de la meacutetaphysique par la causaliteacute (la

substance comme cause de lecirctre la substance premiegravere comme cause des substances) semble

pouvoir saccorder avec ce que nous avons preacuteceacutedemment cru pouvoir deacuteceler chez lExeacutegegravete

Le principe geacuteneacuteral de la solution quAlexandre nous semble avoir retenue consiste en

effet agrave octroyer agrave chaque niveau supeacuterieur qui est aussi un niveau plus speacutecial (la substance par

rapport agrave leacutetant en tant queacutetant la ndash ou les ndash substance(s) divine(s) de premier rang4 par

rapport agrave toutes les autres) un double statut de maximum et de cause par rapport au niveau

infeacuterieur Ce serait ainsi lapplication du principe de causaliteacute du maximum qui exigerait agrave

chaque fois que lanalyse franchisse un pas suppleacutementaire pour mieux accomplir le niveau

preacuteceacutedent lousiologie accomplirait lontologie comme la theacuteologie accomplirait lousiologie

Il nous eacutechoit donc agrave preacutesent de veacuterifier cette hypothegravese au niveau mecircme des objets et

pour ce faire dune part mesurer en quel sens la substance peut ecirctre principe des autres sens de

leacutetant pour Alexandre et dautre part deacuteterminer si le divin saffirme chez lExeacutegegravete comme agrave la

fois principe de tout le reste et maximum de ce qui est

2 P Aubenque [1962] p 246

3 P Aubenque dit seulement laquo les commentateurs raquo quelques lignes apregraves

4 In Met 376 2-3 laquo ἐν τῇ πρώτῃ μοίρᾳ τῆς οὐσίας raquo

302

Les objets de la meacutetaphysique

31 Luniteacute de leacutetant en tant queacutetant5

Le problegraveme aristoteacutelicien de luniteacute de la science de leacutetant en tant queacutetant se laisse

adeacutequatement formuler dans un deacutesormais classique trilemme eacutetabli par P Aubenque6 Ce qui en

effet selon lui gregraveve la possibiliteacute mecircme dune science de leacutetant en tant queacutetant est la collision

de trois propositions impossibles agrave soutenir simultaneacutement

1) Il y a une science qui eacutetudie leacutetant en tant queacutetant

2) Une science une porte sur un genre un

3) Leacutetant nest pas un genre il se dit en plusieurs sens

Ces trois propositions sont expliciteacutees agrave divers endroits du corpus mais se concentrent

surtout en Meacutetaphysique Γ 2 Le chapitre devient de ce fait le lieu par excellence de

questionnement de luniteacute de cette science dont lexistence est affirmeacutee en Γ 1 Le Commentaire

dAlexandre agrave Meacutetaphysique Γ deacutenote une conscience du problegraveme ainsi formuleacute et rappelle tour

agrave tour ces trois propositions

La premiegravere proposition est la donneacutee textuelle de Γ 1 annonceacutee dans le proegraveme (In Met

238 5 sq) et enteacuterineacutee dans le commentaire ad loc (In Met 239 5 sq) Pour desserrer la

contradiction l laquo Exeacutegegravete par excellence raquo ne peut donc eacutevidemment la rejeter

La deuxiegraveme preacutemisse saffirme dans lanalyse de la meacutetaphysique comme science par

excellence que nous avons eacutetudieacutee plus haut7 Contrairement agrave certaines tentatives

contemporaines lExeacutegegravete nassouplit pas non plus ce second reacutequisit Non seulement la

meacutetaphysique se conforme au modegravele de scientificiteacute issu des Analytiques (le commentaire agrave Γ 1

commence immeacutediatement par interpreacuteter la science de leacutetant en tant queacutetant agrave laune de laquo toute

5 Conformeacutement agrave ce qui preacutecegravede on entend donc dans ce titre la question de luniteacute du champ deacutetudede la science qui eacutetudie leacutetant en tant queacutetant de son objet et non luniteacute dune entiteacute quelconque

6 P Aubenque [1962] p 222 cf aussi M Crubellier [2005] p 60

7 Cf ci-dessus sect 232

303

Les objets de la meacutetaphysique

science raquo en rappelant une thegravese des Seconds Analytiques8) mais elle en est mecircme la plus illustre

repreacutesentante la condition de possibiliteacute de toute scientificiteacute Si elle est laquo autre raquo que toutes les

autres sciences par lextension de son objet9 deacutemonstration et deacutefinition demeurent ses voies de

recherche Agrave la fois science la plus haute et fondement de la scientificiteacute des autres sciences en

tant que science deacutemonstrative elle se doit donc de porter sur un genre

Or leacutetant parce quil se dit en plusieurs sens nest pas un genre la proposition

inaugurale de Γ 2 (laquo Τὸ δὲ ὂν λέγεται μὲν πολλαχῶς raquo 1003a 33) semble contredire celle de

Γ 1 Mais comme on sait Aristote poursuit laquo ἀλλὰ πρὸς ἓν καὶ μίαν τινὰ φύσιν καὶ οὐχ

ὁμωνύμως raquo (1003a 33-34) Chez nombre de lecteurs dAristote le recours en Γ 2 agrave luniteacute

reacutefeacuterentielle (πρὸς ἕν) a pu passer pour un moyen de reacutesoudre ce trilemme De fait pour

paraphraser le Philosophe en 1003b 12-14 il y a une science une non seulement de ce qui se dit

selon une uniteacute (laquo καθἕν raquo cest-agrave-dire pour ce qui est univoque forme un genre pour les choses

synonymes) mais aussi dans le cas de ce qui se dit laquo relativement agrave une unique nature (laquo τῶν

πρὸς μίαν λεγομένων φύσιν raquo) Sauf agrave vouloir aller contre leacutevidence10 cette thegravese trace les

contours dun domaine posseacutedant effectivement une certaine uniteacute de sens qui quoique

diffeacuterente de luniteacute geacuteneacuterique11 rend eacutegalement possible luniteacute dune science sans dailleurs que

le texte hieacuterarchise en quelque maniegravere ces deux possibiliteacutes

Eacutetant donneacute le maintien sinon le durcissement par lExeacutegegravete des deux premiegraveres

preacutemisses du trilemme deacutecrire leacutedification alexandrinienne de la meacutetaphysique comme science

implique degraves lors de precircter une attention toute particuliegravere agrave sa theacuteorie de luniteacute reacutefeacuterentielle

comprise comme la relation qui permettrait de reacutesoudre le trilemme

Le problegraveme cependant est de mesurer jusquagrave quel point Alexandre demeure fidegravele agrave la

proposition inaugurale du chapitre leacutetant se dit en plusieurs sens ndash qui deacutecoule de la neacutegation

il ne forme pas un genre Pour P Aubenque et dautres agrave sa suite12 Alexandre na pu rendre

possible la science de leacutetant en tant queacutetant comme une science une autrement quen

rapprochant la classe des choses dites πρὸς ἕν de celle des synonymes au point de les confondre

8 La deuxiegraveme phrase du commentaire agrave Γ 1 est en effet laquo πᾶσα γὰρ ἡ οὑτινοσοῦν ἐπιστήμη τῶνἐκείνῳ καθαὑτὰ ὑπαρχόντων ἐστὶν ἀποδεικτική raquo (In Met 239 9-8)

9 In Met 239 25 laquo Ἄλλη ἂν ἐκείνων εἴη raquo

10 Comme semble parfois le faire P Aubenque [1962] p 242 sq 246-250

11 Car ce qui se dit relativement agrave une uniteacute ne se dit καθ ἕν que dune laquo certaine maniegravere raquo (1003b 14)

12 P Aubenque [1962] p 200-201 auquel se reacutefegravere W Leszl [1970] p 159 J-F Courtine [2005] p 202 laquo Alexandre cherche agrave rapprocher autant que possible lhomonymie par reacutefeacuterence de la preacutedicationsynonymique καθ ἕν raquo

304

Les objets de la meacutetaphysique

en ouvrant ainsi la voie agrave une platonisation dAristote P Aubenque pour ce faire sappuie sur le

commentaire dAlexandre au passage citeacute de 1003b 12-14

1003b 12 Οὐ γὰρ μόνον τῶν καθἓνλεγομένων ἐπιστήμης ἐστὶ θεωρῆσαι μιᾶς

Καθ ἓν μὲν λεγόμενα λέγει τὰσυνώνυμα καὶ ὑφ ἕν τι κοινὸν τεταγμέναγένος Οὐ μόνον δέ φησί τῶν οὕτωςἐχόντων πρὸς ἄλληλα μία ἐπιστήμη ἀλλὰκαὶ τῶν ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν Τρόπον δέ τινακαὶ [2441] ταῦτα πρὸς μίαν φύσιν τὴνἀναφορὰν ἔχοντα καθ ἓν λέγεται καθ ὅσονἐν πᾶσί πως αὐτοῖς ὁρᾶται ἡ φύσις αὕτη ἀφἧς καὶ δι ἣν οὕτως καλεῖται εἰ καὶ μὴὁμοίως καὶ ἐπίσης αὐτῆς πάντα μετέχει Καὶγὰρ ἐν τῷ φυλακτικῷ τῆς ὑγιείας καὶ ἐν τῷποιητικῷ καὶ ἐν τῷ δεκτικῷ ὑγίειά [2445]ἐστιν ἡ θεωρουμένη διὸ καὶ ἔστι πως αὐτῶνεἷς λόγος καὶ μιᾶς ἐπιστήμης ἡ πάντωντούτων θεωρία τῆς γὰρ ἰατρικῆς Καὶ περὶτοῦ ὄντος δὲ μιᾶς ἐπιστήμης θεωρῆσαι καθὸὄν ἐστιν οὐ γὰρ καθὸ μουσικὰ ἢ ἰατρικάἀλλὰ καθὸ ὄντα καὶ τῆς τοῦ ὄντοςκεκοινώνηκε φύσεως

laquo Car non seulement eacutetudier ce qui se dit dans uneuniteacute appartient agrave une unique science raquo

Par laquo ce qui se dit dans une uniteacute raquo Aristote veutdire les synonymes cest-agrave-dire ce qui se range sousun unique genre commun Or affirme-t-il est unenon seulement la science des choses qui ont un telrapport entre elles mais aussi celle des choses quisont agrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacuteDune certaine faccedilon celles-ci se reacutefeacuterant agrave une natureunique elles aussi se disent dans une uniteacute dans lamesure ougrave cette nature agrave partir de laquelle et agrave causede laquelle on les appelle ainsi se laisse voir dequelque maniegravere en elles toutes mecircme si toutes neparticipent de cette nature ni de la mecircme faccedilon ni agraveeacutegaliteacute De fait la santeacute qui est objet deacutetude se trouveagrave la fois dans ce qui conserve la santeacute dans ce qui laproduit et dans ce qui la reccediloit Cest pourquoi ausside ces choses il y a en quelque maniegravere un uniquediscours et que leacutetude de toutes ces choses appartientagrave une unique science la meacutedecine Or pour leacutetantaussi il appartient agrave une unique science de leacutetudieren tant quil est un eacutetant Ce nest en effet pas en tantque musicales ou meacutedicales ltquelle eacutetudie ceschosesgt mais en tant queacutetants cest-agrave-dire lten tantgtquelle en viennent agrave partager la nature de leacutetant

(243 29 ndash 244 8)

Ce texte riche meacuterite damples commentaires Cependant notons dembleacutee combien cest

aller vite en besogne que de reprocher agrave Alexandre de soutenir laquo dune certaine faccedilon celles-ci

ltles ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν λεγόμεναgt se reacutefeacuterant agrave une nature unique elles aussi se disent dans

une uniteacute (καθ ἕν) raquo Pour le coup lExeacutegegravete reprend ici presque litteacuteralement laffirmation

dAristote laquo de fait celles-ci se disent dune certaine maniegravere dans une uniteacute raquo (καὶ γὰρ ταῦτα

τρόπον τινὰ λέγονται καθ ἕν 1003b 14-15) proposition qui mecircme lorsque lon soutient que

lecirctre selon Aristote est fondamentalement homonyme ne peut ecirctre totalement minoreacutee Qui plus

est contrairement agrave certains interpregravetes contemporains deacutecideacutes agrave rapprocher la plurivociteacute de

leacutetant dune forme de synonymie Alexandre enteacuterine et tente de rendre raison du laquo τρόπον

τινὰ raquo du texte aristoteacutelicien13 signe quil nassimile pas simplement lune et lautre En outre

lemploi du verbe laquo participer raquo nautorise pas pour autant agrave taxer lanalyse alexandrinienne de

13 Sur ces interpregravetes (Owens par exemple) et les diverses faccedilons de comprendre cette affirmation cfentre autres W Leszl [1975] p 181

305

Les objets de la meacutetaphysique

platonisante14 Aristote lui-mecircme emploie dans ce cas μετέχω par exemple dans le passage

crucial pour Alexandre des Topiques IV 1 (sur le genre) ougrave le verbe est litteacuteralement deacutefini par

laquo admettre la deacutefinition du terme auquel on a part raquo15 ndash sens faible qui convient tregraves bien ici

Enfin laisser entendre comme le fait P Aubenque que la glose de laquo ὂν ᾗ ὂν raquo par laquo ὂν καθὸ ὂν raquo

(ou laquo καθὸ ὄντα raquo agrave la fin de notre passage)16 rapproche leacutetant dun καθ ἕν cest jouer sur une

simple homophonie et une eacutetymologie commune toutes deux peu convaincantes Cest faire fi de

lesprit dun texte qui par-delagrave les similariteacutes de lettre semploie justement comme on la vu agrave ne

pas substantialiser leacutetant en tant queacutetant

P Aubenque en conclut

Lecirctre en tant quecirctre nest plus cet au-delagrave insaisissable cette impossible uniteacute de sespropres significations quil nous paraissait ecirctre chez Aristote mais il devient dune part lefondement des significations ndash rocircle qui chez Aristote eacutetait deacutevolu agrave lessence et dautrepart ce fondement est preacutesenteacute comme le ἕν dun καθ ἕν luniteacute essentielle dun dire quise contente dattribuer un nombre indeacutefini de fois lecirctre agrave ce qui est (bien quAlexandrenaille pas jusquau bout de son interpreacutetation en faisant de lecirctre un genre) ndash et non pluscomme le ἕν dun πρὸς ἕν luniteacute probleacutematique dune pluraliteacute irreacuteductible designifications17

Cette conclusion nous semble au mieux sous-argumenteacutee au pire infondeacutee encore eucirct-il

fallu fournir une base textuelle agrave une telle substitution de lecirctre en tant quecirctre agrave laquo lessence raquo

comme laquo fondement des significations raquo laquelle est selon nous introuvable dans le corpus

alexandrinien La thegravese dun rapprochement avec la synonymie meacuterite en revanche un examen

approfondi P Aubenque pointe agrave raison certains parallegraveles entre la caracteacuterisation

alexandrinienne des synonymes et celle des πρὸς ἕν mais cette interpreacutetation exige decirctre plus

systeacutematiquement mise agrave leacutepreuve des textes

De fait lideacutee quAlexandre aurait pour reprendre lexpression de W Leszl une

laquo conception synonymique de luniteacute focale de signification raquo ne laisse pas deacutetonner Alexandre

14 P Aubenque [1962] p 200 et J-F Courtine [2005] p 203

15 Top IV 1 121a 11-12 Voir aussi M Bonelli [2001] p 116 Leacutecole neacuteoplatonicienne deacuteveloppera unedeacutefinition similaire de laquo participer raquo admettant deux sens celui fort et ontologique dont selon nous ilnest pas question ici et le second plus faible deacutesignant le fait davoir part agrave laquo former un tout avec raquo etdonc lagrave aussi admettre la mecircme deacutefinition ou la mecircme appellation celle du tout (cf Porphyre Isag 195 et P Hadot [1973] p 104) Pour un emploi faible du verbe cf aussi entre autres exemples AlexandreDA 93 20 In De sens 105 5 In Met 148 1 Si agrave chaque fois on injecte dans ces passages de laparticipation platonicienne cest toute la coheacuterence de lExeacutegegravete qui tombe dans la contradiction la plusgrossiegravere

16 Sur cette glose cf ci-dessus sect 222

17 P Aubenque [1962] p 201

306

Les objets de la meacutetaphysique

lui-mecircme ne rappelle-t-il pas reacuteguliegraverement la non-geacuteneacutericiteacute de leacutetant Leacutetant dit lExeacutegegravete

laquo nest pas le genre des choses auxquelles il est attribueacute (car parler ainsi comporte certaines

difficulteacutes comme il le montre en plusieurs endroits) raquo18 Et si Aristote peut parfois se laisser aller

agrave parler de laquo genre raquo en Γ 2 par exemple en 1003b 19 cest preacutecise Alexandre laquo en un sens tregraves

commun agrave la place de une unique nature raquo19 Agrave plusieurs reprises Alexandre va ainsi jusquagrave

corriger Aristote lorsque celui-ci emploie le vocabulaire du genre et de lespegravece

La thegravese de la non-geacuteneacutericiteacute de leacutetant est en outre une thegravese constante de lExeacutegegravete

deacuteveloppeacutee dans dautres lieux ndash outre eacutevidemment le commentaire agrave Meacutetaphysique B par

exemple dans son Commentaire aux Topiques en un passage crucial quon a deacutejagrave commenteacute dirigeacute

contre la theacuteorie stoiumlcienne du laquo quelque chose raquo qui indique combien cette thegravese correspond

aussi pour Alexandre agrave une actualiteacute poleacutemique

Enfin bien que placcedilant comme on va le voir les choses dites πρὸς ἕν dans une position

intermeacutediaire entre les homonymes et les synonymes jamais Alexandre nest alleacute jusquagrave tenir

comme Syrianus que les πρὸς ἕν se rapprocheraient cependant davantage des synonymes20 Or

agrave eacutevaluer la position alexandrinienne agrave laune du geste quon lit chez Syrianus ou Ascleacutepius on

trouvera toujours que ceux-ci offrent une laquo formulation plus rigoureuse raquo21 Mais cest lagrave se livrer

agrave une lecture teacuteleacuteologique et tenir pour rien la diffeacuterence de rapport agrave Platon et Aristote qui

seacutepare Alexandre des neacuteoplatoniciens Au contraire linteacuterecirct du commentaire alexandrinien

pourrait justement consister dans son effort pour tenir la crecircte entre la non-geacuteneacutericiteacute de leacutetant et

lexigence duniteacute de lobjet de la meacutetaphysique Assureacutement la question demeure ensuite de

savoir si (ou jusquagrave quel point) par-delagrave les seules deacuteclarations explicites du texte dans sa

conception mecircme de la relation πρὸς ἕν Alexandre reacuteussit agrave maintenir cette plurivociteacute de

leacutetant

18 In Met 241 5-7 laquo δείξει τὸ ὂν μήτε γένος ὂν τῶν καθ ὧν κατηγορεῖται (ἔχει γάρ τινας ἀπορίας τὸοὕτω λέγειν ὡς δείκνυσιν ἐν πολλοῖς) raquo

19 In Met 245 3-4 laquo ltγένουςgt μὲν κοινότερον λαμβάνων ἀντὶ τοῦ φύσεως μιᾶς γένη γὰρ κοινότερονπάντα ὅσα κατά τινα μίαν φύσιν κεκοινώνηκεν ἀλλήλοις raquo La mecircme substitution est opeacutereacutee un peuplus loin quand Aristote parle lui-mecircme de laquo genre raquo en 1003b 21 sq Alexandre explicite avec un καὶexpleacutetif laquo τὸ γένος καὶ ἡ τοῦ ὄντος κοινὴ φύσις raquo (245 29-30) De mecircme si en 1003b 33-34 Aristoteparle d laquo espegraveces raquo de lun et de leacutetant cest aussi en un sens lacircche (laquo κοινότερον δὲ εἴδη λέγει τοῦὄντος καὶ τοῦ ἑνός raquo 248 28-29) Cf aussi 255 21 sq Voir aussi M Bonelli [2001] p 122 et 124

20 Syrianus In Met 57 19-20 Cf P Aubenque [1962] p 201

21 J-F Courtine [2005] p 205 agrave propos du passage deacutejagrave vu dAscleacutepius In Met 225 34 ndash 226 3

307

Les objets de la meacutetaphysique

311 Homonymie synonymie et plurivociteacute ndash trois gestes exeacutegeacutetiques dAlexandre

Linterpreacutetation alexandrinienne de ce quon appellera ici indiffeacuteremment uniteacute

reacutefeacuterentielle ou relation πρὸς ἕν se laisse deacutecrire en trois gestes exeacutegeacutetiques trois interventions

deacutecisives dans le commentaire du texte aristoteacutelicien qui commandent la compreacutehension de

lensemble du chapitre Γ 2

a) Relation et deacutependance

Le premier geste dAlexandre bien connu consiste agrave coupler la relation πρὸς ἕν avec

lexpression laquo ἀφ ἑνός raquo qui dit luniteacute de provenance Les deux syntagmes de construction

parallegravele sont agrave maintes reprises fortement coordonneacutes dans le corpus alexandrinien (τε καὶ)22 M

Bonelli a toutefois pointeacute trois passages dans le Commentaire agrave Γ ougrave une distinction entre les deux

semble seacutelaborer comme ce sera ulteacuterieurement le cas chez les neacuteoplatoniciens23

Dans le premier passage24 cependant en 241 18-21 la distinction pourrait bien necirctre que

fonctionnelle Elle nest en tout cas pas du tout incompatible avec la coordination comme si les

choses ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν eacutetaient des heacuteteacuteronymes au sens alexandrinien chaque

expression ayant strictement la mecircme reacutefeacuterence mais deacutecrivant la mecircme reacutealiteacute de deux maniegraveres

diffeacuterentes Rien nindique que le laquo ἢ raquo dans lexpression laquo ἀφ οὗ ὄντα ἢ πρὸς ὃ λόγον ἔχοντά

τινα raquo soit exclusif ndash le reste du corpus pesant au contraire pour une disjonction non exclusive

Le deuxiegraveme passage en 255 13-17 intervient incidemment dans le commentaire agrave 1004a

30-31 et affirme que tous les plurivoques ne sont pas eacuteclateacutes entre diffeacuterentes sciences mais

seulement ceux-lagrave qui ne sont ni ἀφ ἑνός (expliciteacute par le verbe ἀρτάω) ni πρὸς ἕν (expliciteacute par

le verbe ἀναφέρω)25 Alexandre classe alors lexemple du meacutedical dans les ἀφ ἑνός et le sain

dans les πρὸς ἕν Cette distinction ne remet pas en cause lideacutee que les eacutetants puissent ecirctre quant

agrave eux adeacutequatement deacutecrits par la conjonction des deux expressions ndash ainsi que laccomplit le

22 Voir aussi hors du seul Commentaire agrave la Meacutetaphysique Probl 128 15 In Top 301 33

23 M Bonelli [2001] p 105 sq (Cf aussi C Luna dans I Hadot [1990] p 84-86)

24 Nous revenons sur ce texte immeacutediatement apregraves

25 In Met 255 13-17 laquo οὐ γὰρ πάντα τὰ πολλαχῶς λεγόμενα ὑπὸ ἑτέρας καὶ διαφόρους ἐπιστήμαςτέτακται ἀλλὰ ταῦτα μόνα τῶν πολλαχῶς λεγομένων ὅσων μήτε ἀφ ἑνός τινος ἠρτημένοι εἰσὶνοἱ λόγοι μήτε ἐπί τι ἓν ἀναφέρονται ἀφ ἑνὸς μέν ὡς ἐπὶ τῶν ἰατρικῶν ἐδείχθη (ἀπὸ γὰρ τῆς τοῦἰατρικοῦ χρήσεως τὰ ἰατρικά) πρὸς ἓν δὲ τὰ ὑγιεινά raquo

308

Les objets de la meacutetaphysique

reste du texte ndash mais elle est sans doute ce qui sapproche le plus dune distinction entre les deux

types de relation

Enfin le dernier passage pointeacute par M Bonelli en 263 34-3526 prend place dans le

commentaire au terme de Γ 2 et travaille la distinction quAristote semble eacutelaborer agrave cet endroit

entre les πρὸς ἕν et les conseacutecutifs (laquo τὰ μὲν πρὸς ἓν τὰ δὲ τῷ ἐφεξῆς raquo 1005a 10-11) Le passage

embarrasse apparemment Alexandre (et pour cause ) qui va dabord produire une distinction

entre reacutefeacuterence agrave une uniteacute et conseacutecution comprises comme deux sortes de plurivociteacute27 Mais il

reste que la mention aristoteacutelicienne des conseacutecutifs ne cadre pas avec linterpreacutetation geacuteneacuterale

du passage que propose Alexandre et le couplage entre ἀφ ἑνός et πρὸς ἕν LExeacutegegravete se

demande donc sur un ton prudent si Aristote nidentifie pas ici ἐφεξῆς et ἀφ ἑνός car dit

Alexandre cest ainsi quAristote a jusque lagrave diviseacute le domaine des plurivoques qui ne sont pas

strictement homonymes ndash un comble puisque comme on le sait lexpression ἀφ ἑνός napparaicirct

jamais en Γ 228 Degraves la ligne suivante Alexandre rassemble dailleurs les trois sortes de relations

(laquo τῶν ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἓν λεγομένων [] καὶ τῶν ἐχόντων τὸ πρότερον καὶ ὕστερον (ταῦτα

γάρ ἐστι τὰ ἐφεξῆς) raquo 263 36-37) comme objets de la philosophie premiegravere thegravese sans

eacutequivalent dans le reste du corpus ndash qui se contente des deux premiegraveres ndash et qui sexplique sans

doute uniquement par la fideacuteliteacute exeacutegeacutetique et la neacutecessiteacute dexpliquer le passage en question Lagrave

encore la distinction est faible voire avanceacutee du bout des legravevres et natteint pas la clarteacute du

deuxiegraveme passage citeacute destineacute cependant agrave demeurer agrave leacutetat de hapax chez lExeacutegegravete

Cependant si lassociation entre ἀφ ἑνός et πρὸς ἕν ne se lit nulle part explicitement en

Γ 2 la question est donc de savoir dougrave Alexandre la tire pourquoi il intervient aussi visiblement

sur le texte Pour expliquer cette association on se reacutefegravere tregraves freacutequemment au passage connu de

lrsquoEacutethique agrave Nicomaque I 4 sur le Bien On se rappelle en effet que les Eacutethiques commencent par

mettre hors jeu lIdeacutee platonicienne du Bien et donc un genre des choses bonnes ndash opeacuteration

quAristote effectue tout en lattribuant agrave un autre discours que le discours eacutethique29 Mais cette

destruction amegravene dembleacutee avec elle la question de savoir ce qui degraves lors justifie lappellation

26 In Met 263 34-35 laquo δύναται τὸ ltτὰ δὲ τῷ ἐφεξῆςgt δηλωτικὸν εἶναι τοῦ ἀφ ἑνός διεῖλε γὰρ τὰοὕτω λεγόμενα πολλαχῶς εἴς τε τὰ ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν raquo Sur ce texte cf A Stevens [2000] p 82-83

27 Nous revenons eacutegalement ci-dessous sur ce texte (263 25-33)

28 Si Alexandre avait voulu parler dautres textes il aurait preacuteciseacute par quelque chose comme un laquo ἐνἄλλοις raquo

29 EN I 4 1096b 25-26

309

Les objets de la meacutetaphysique

de laquo bien raquo pour tous les divers biens Cest agrave cette occasion quAristote exclut une homonymie

laquo par hasard raquo (ἀπὸ τύχης 1096b 26-27) accidentelle une pure eacutequivociteacute Il eacutevoque alors trois

autres modes duniteacute luniteacute de provenance (ἀφ ἑνὸς) cest-agrave-dire la deacuterivation des divers biens

agrave partir dun bien premier la relation agrave une uniteacute (πρὸς ἕν) cest-agrave-dire la convergence ou la

contribution de tous les biens vers le bien premier et enfin lanalogie (κατ ἀναλογίαν)

expliciteacutee par les exemples de la vue pour le corps et de lintellect pour lacircme30 Or ces trois modes

dunification sont bien preacutesenteacutes comme trois options concurrentes trois alternatives distingueacutees

par la conjonction ἢ laquo ou bien raquo Et mecircme si lanalogie introduite par lexpression laquo ou plutocirct raquo (ἢ

μᾶλλον) semble leacutegegraverement dissocieacutee des deux options preacuteceacutedentes rien nindique quon

pourrait coordonner les deux premiers modes duniteacute31

Reacutefeacuterer la coordination entre ἀφ ἑνός et πρὸς ἕν agrave ce passage de lEacutethique agrave Nicomaque32

revient donc agrave attribuer agrave Alexandre une lecture assez brutale Si Alexandre se contentait

dimporter meacutecaniquement ce passage en Γ pourquoi secirctre arrecircteacute aux deux premiegraveres options

Et les quelques autres emplois aristoteacuteliciens dἀπό quAlexandre pourrait revendiquer agrave son

creacutedit neffectuent pas la coordination explicite avec le πρὸς ἕν ou restent trop teacutenus en

noctroyant pas de statut conceptuel deacutetermineacute agrave lemploi de la preacuteposition33 Degraves lors

limportation du ἀφ ἑνός en Γ ne reacutepond peut-ecirctre pas tant agrave un souci exeacutegeacutetique de

systeacutematisation des textes quagrave des raisons plus profondeacutement doctrinales quil va nous falloir

eacutelucider Mais cela requiert dentrer plus avant dans sa theacuteorie des choses dites ἀφ ἑνός et πρὸς

ἕν

30 EN I 4 1096b 26-29 laquo οὐ γὰρ ἔοικε τοῖς γε ἀπὸ τύχης ὁμωνύμοις ἀλλ ἆρά γε τῷ ἀφ ἑνὸς εἶναι ἢπρὸς ἓν ἅπαντα συντελεῖν ἢ μᾶλλον κατ ἀναλογίαν ὡς γὰρ ἐν σώματι ὄψις ἐν ψυχῇ νοῦς καὶἄλλο δὴ ἐν ἄλλῳ raquo

31 A Stevens [2000] p 146 est plus nuanceacutee ἀφ ἑνός et πρὸς ἕν laquo sont articuleacutes par une disjonctionqui nest pas neacutecessairement exclusive mais qui rend en tout cas non neacutecessaire la correacutelation des deuxen une seule forme duniteacute raquo Voir aussi la note de Tricot ad loc Nous ne deacuteveloppons pas ici lareacutefeacuterence eudeacutemienne puisque le texte est singuliegraverement absent de lensemble du corpusalexandrinien contrairement agrave lEacutethique agrave Nicomaque qui est tregraves reacuteguliegraverement citeacutee dont Alexandrereprend le vocabulaire etc

32 M Bonelli [2001] p 99-100 et 110

33 Voir par exemple EE VII 2 1236b 21 sur lamitieacute et le commentaire quen donne A Stevens [2000] p119 Cf aussi Met Δ 12 sur la puissance qui fait eacutetat dune uniteacute laquo πρὸς τὴν πρώτην raquo (1019b 35 ndash1020a 1 voir aussi Θ 1 1046a 9-10 laquo πρὸς τὸ αὐτὸ εἶδος [] πρὸς πρώτην μίαν λέγονται raquo) et lecommentaire dAlexandre en 395 24 (laquo ἀπ ἐκείνης raquo) Le chapitre K 3 parle bien dun sens du meacutedicallaquo τῷ τὸ μὲν ἀπὸ τῆς ἰατρικῆς ἐπιστήμης εἶναι raquo (1061a 4-5) mais cela ne concerne pas tous les sensdu laquo meacutedical raquo

310

Les objets de la meacutetaphysique

b) Entre homonymes et synonymes

Le second geste exeacutegeacutetique dAlexandre consiste en effet agrave octroyer agrave la classe des choses

dites ἀφ ἑνός et πρὸς ἕν un statut intermeacutediaire entre synonymes et homonymes au sens strict

(ou par hasard) Alexandre leacutenonce degraves son commentaire agrave la premiegravere proposition de Γ 2

[24110] Διαφέρει δὲ τὰ οὕτω λεγόμεναἐκείνων ἑκατέρου ὅτι τὰ μὲν συνώνυμα καὶὑπό τι κοινὸν γένος καὶ ἰσοτίμως καὶ ὁμοίωςπάντα τῆς ὑπὸ τοῦ κατηγορουμένου γένουςαὐτῶν δηλουμένης οὐσίας κοινωνεῖ τε καὶμετέχει τὰ δέ γε ὁμώνυμα οὐδενὸς κοινωνεῖἀλλήλοις ἄλλου κατὰ τὸ κοινῶςκατηγορούμενον αὐτῶν ὄνομα ἢ τοῦὀνόματος μόνου εἴ γε ὁμώνυμά ἐστιν ὧν[15] ὄνομα μόνον κοινόν ὁ δὲ κατὰ τοὔνομαλόγος τῆς οὐσίας ἕτεροςmiddot

τὰ δὲ ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγόμεναοὔτε τὴν τῶν συνωνύμων ἰσοτιμίαν πρὸς τὸκατηγορούμενον σώζει πρὸς ἄλληλα οὔτεπάλιν ἔχει τὴν τῶν ὁμωνύμων ἄκρατόν τεκαὶ ἄμικτον ἑτερότητα ἀλλ ἔστι τις αὐτοῖςκοινωνία κατὰ τὸ εἶναι ταῦτα ἃ λέγεται τῷεἶναί τινα φύσιν ἐκείνου τοῦ πράγματος καὶ

Les choses qui se disent ainsi diffegraverent dechacune des deux preacuteceacutedentes parce que les chosessynonymes agrave savoir celles qui sont sous un certaingenre commun cest avec un droit eacutegal et de faccedilonsimilaire que toutes34 partagent et participent agravelessence manifesteacutee par le genre qui leur est attribueacute et que en revanche les choses homonymes nepartagent entre elles par rapport au nom qui leur estattribueacute en commun rien dautre que ce seul nom silest vrai que sont homonymes laquo ce dont le nom seulest commun mais dont leacutenonceacute de lessencecorrespondant au nom est diffeacuterent raquo35

Or les choses dites agrave partir dune uniteacute etrelativement agrave une uniteacute ne conservent entre elles nileacutegale condition par rapport agrave ce qui leur est attribueacutepropre aux synonymes ni nont inversementlalteacuteriteacute pure et sans meacutelange propre auxhomonymes bien plutocirct elles partagent une certainecommunauteacute dans le fait decirctre ce quelles sont dites

34 Le passage pose un problegraveme grammatical au niveau des valeurs agrave accorder aux diffeacuterents καὶ et laplace un peu eacutetrange du πάντα La marche du raisonnement et lopposition qui va suivre avec les ἀφἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγόμενα nous semblent impliquer quἰσοτίμως et ὁμοίως portent sur les verbesconjugueacutes (κοινωνεῖ τε καὶ μετέχει) et non sur le groupe preacuteceacutedent ὑπό τι κοινὸν γένος mais cela nechange peut-ecirctre pas fondamentalement le sens eu eacutegard agrave leacutequivalence entre laquo ecirctre sous un genrecommun raquo et laquo partager et participer agrave lessence raquo

35 Cat 1 1a 1-2 Alexandre propose donc ici un texte plus riche que celui que lisaient Andronicos etBoeacutethos Cf Simplicius In Cat 29 28 sq

311

Les objets de la meacutetaphysique

[20] ταύτην ἐν τούτοις πως ἐνορᾶσθαι πᾶσινἀφ οὗ ὄντα ἢ πρὸς ὃ λόγον ἔχοντά τινα διὰτοῦτο καὶ τοῦ ὀνόματος κεκοινώνηκεναὐτοῦ

Tὴν δὲ τοιαύτην φύσιν ἐν ἄλλοις μὲνὑπὸ τὰ ὁμώνυμα κοινότερον ἐτίθειmiddot ἐνταῦθαδὲ ἐπιμελεστέραν ποιούμενος τὴν διαίρεσινδιαφέρειν τε αὐτήν φησι τῶν ὁμωνύμων καὶτίνι διαφέρει λέγει Οὐ γὰρ μόνον ὀνόματοςκεκοινώνηκε [25] τὰ τοιαῦτα καὶ οὕτωςἔχοντα πρὸς ἄλληλα ὡς τὰ κυρίωςὁμώνυμα λεγόμενα ἅ ἐστι τὰ ἀπὸ τύχηςἀλλὰ καὶ αἰτίαν τινὰ ἔχει τοῦ ὁμοίωςἀλλήλοις ὠνομάσθαι Κατὰ κοινὴν γάρ τιναφύσιν τοιαῦτά φησιν εἶναι τά τε ὑγιεινὰ καὶτὰ ἰατρικά

parce quil y a une certaine nature de cet objet qui enquelque faccedilon se laisse voir en toutes et comme ellesen proviennent ou quelles entretiennent un certainrapport agrave cela36 pour cette raison elles en viennentaussi agrave partager le mecircme nom

Cette sorte de nature Aristote la placcedilait ailleursplus communeacutement sous les homonymes Mais enproduisant ici une distinction plus soigneacutee il affirmequelle diffegravere des homonymes et dit par quoi elle estdiffeacuterente De telles choses en effet qui ont un telrapport entre elles37 nen viennent pas agrave partager leseul nom comme celles quon dit homonymes ausens propre qui sont les homonymes par hasard mais il y a une certaine cause au fait quon les nommede la mecircme maniegravere Aristote affirme en effet quecest en vertu dune nature commune que les chosessaines et les choses meacutedicales sont telles

( In Met 241 10-28)

Ce nest certes pas la premiegravere fois que dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Alexandre

aborde les notions dhomonymie de synonymie et de plurivociteacute38 Aristote les a en effet

mentionneacutees (en tout cas lhomonymie) degraves lintroduction de la thegravese platonicienne en A 6 ndash fait

qui milite en faveur dune origine platonicienne ou acadeacutemicienne pour ces notions39 Le

commentaire agrave A 6 donne ainsi agrave voir un Exeacutegegravete embarrasseacute aux prises avec le vocabulaire de la

synonymie et de lhomonymie dont il ne parvient plus clairement agrave savoir comment lappliquer

aux Ideacutees platoniciennes et agrave ce qui en participe40 Mais cest surtout le commentaire agrave A 9 qui a

eacuteteacute lun des lieux de deacuteploiement de ces notions dans la critique des Ideacutees Dans ces passages la

36 Ou laquo ont une certaine deacutefinition relativement agrave cela raquo Rien dans le texte ne permet de lire dans ceλόγον une avanceacutee vers la doctrine de lanalogie une logicisation voire une matheacutematisation durapport des eacutetants non-substantiels agrave la substance contrairement agrave ce que soutient P Aubenque ([1962]p 200)

37 Litteacuteralement qui se comportent ainsi les unes par rapport aux autres

38 Notons en passant que les reacuteflexions dAlexandre sur la plurivociteacute ne prennent sans doute pas leuressor agrave part de toute reacutefeacuterence contemporaine Galien aurait en effet eacutecrit deux traiteacutes (aujourdrsquohuiperdu) sur les plurivoques cf RB Eldow [1977] p 31

39 Cf J Barnes [1971] sur le traitement de lhomonymie et de la synonymie par Speusippe et ses tracesdans Aristote et JK Ward [2008] p 31 sq qui montre comment la notion dhomonymie est au cœur dela discussion de la thegravese platonicienne au livre A et comment Aristote joue sur le double sens du termele sens platonicien (lhomonymie deacutesignant la relation entre les Formes et les particuliers quand Platoninsiste sur leur diffeacuterence de statut meacutetaphysique tandis que leacuteponymie insiste davantage sur leurressemblance) et le sien (leacutequivociteacute) Mecircme si nous ne nous accordons pas toujours sur la descriptionpar Ward de lhomonymie aristoteacutelicienne lideacutee que cette notion apparaicirct chez Aristote agrave la faveurdun deacutebat avec leacuteponymie nous paraicirct hors de doute (cf sa conclusion p 42)

40 Cf le passage discuteacute de 987b 9-10 et son commentaire In Met 50 19 ndash 51 25

312

Les objets de la meacutetaphysique

plurivociteacute de lUn par exemple est pousseacutee du cocircteacute de lhomonymie (au sens aristoteacutelicien)41 et

deacutesigne alors pour Alexandre une certaine communauteacute de preacutedicat mais telle quelle exclut la

geacuteneacutericiteacute la laquo ressemblance essentielle raquo et interdit par lagrave-mecircme de reacuteduire la communauteacute dans

lattribution dun preacutedicat (en loccurrence leacutetant et lun) agrave la communauteacute dune Ideacutee42 Comme

cest le cas dans dautres textes43 la plurivociteacute est donc encore ici penseacutee agrave partir de ce qui se

reacuteveacutelera ensuite comme lune de ses espegraveces lhomonymie

Seul le proegraveme agrave Γ et le commentaire agrave Γ 2 opegraverent implicitement puis explicitement une

distinction entre plurivociteacute et homonymie en introduisant une seconde espegravece de plurivoques

non homonymes les ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἓν λεγόμενα ndash dougrave la neacutecessiteacute pour Alexandre de

preacuteciser que la plurivociteacute des ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἓν λεγόμενα nest pas homonymique44 Juste

avant le commentaire agrave la premiegravere proposition de Γ 2 Alexandre a en outre de faccedilon assez

scolaire rassembleacute homonymie synonymie et plurivociteacute dans une mecircme classe ce qui se range

sous un terme commun45 Notre passage pose alors la thegravese qui se perccediloit degraves la preacutesentation

41 Cf In Met 116 18-23

42 In Met 126 30 sq toujours dans le cadre du commentaire agrave A 9 (et en particulier ici la phrase de 992b12-13) interpreacuteteacutee comme signifiant quil y a certains termes universels qui ne sont pas des genrescest-agrave-dire que la communauteacute et luniversaliteacute ne se reacuteduisent pas agrave celle des Ideacutees Alexandre affirmealors (126 31-37) laquo συμβαίνει γὰρ ἔνια τῶν κοινῶς κατά τινων κατηγορουμένων μὴ δύνασθαιγένη εἶναι τούτων ὧν κοινῶς κατηγορεῖται τοιαῦτα γὰρ τὰ πολλαχῶς λεγόμενα [] εἰ δὲ μή ἐστιγένος τὸ ἕν ἀλλὰ τῶν πολλαχῶς λεγομένων δῆλον ὡς οὐδὲ ὁμοιότης ἂν τοῖς οὖσιν οὐσιώδηςκατὰ τοῦτο εἴηraquo laquo Il arrive en effet que quelques uns des termes qui sont preacutediqueacutes en commun decertaines choses ne puissent ecirctre les genres de ce dont ils sont preacutediqueacutes en commun telles sont leschoses dites en plusieurs sens [hellip] Si lun nest pas un genre mais appartient aux choses dites enplusieurs sens alors agrave leacutevidence il ny aura aucune ressemblance essentielle pour les eacutetants enfonction de ltlungt raquo Un terme plurivoque est donc bien un terme laquo preacutediqueacute en commun de certaineschoses raquo comme le rappellera le commentaire agrave Γ 2 sans pour autant signifier le genre de ce dont il estpreacutediqueacute en commun Voir aussi le commentaire deacutejagrave citeacute agrave la fin dA 9 (992b 18 sq) In Met 128 11 sq

43 Cf In Top 97 21 sq 108 15 sq 114 4 sq etc

44 Cf In Met 238 18 sq et clairement In Met 242 8-10 laquo οὐ γὰρ μόνα τὰ ὁμώνυμα τῶν πολλαχῶςλεγομένων ἐστίν ἀλλὰ καὶ τὰ ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν ὡς ἔχει τά τε προειρημένα καὶ τὸ ὄν raquo laquo Leshomonymes en effet ne sont pas les seules choses agrave ecirctre dites en plusieurs sens mais cest aussi le casdes choses dites agrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacute comme le sont agrave la fois les chosespreacuteceacutedemment mentionneacutees [le sain et le meacutedical] et leacutetant raquo Va dans ce sens aussi la construction dela proposition de 247 16-18 laquo διὸ καὶ ἀμφότερα τῶν πολλαχῶς λεγομένων ἐστὶ τῶν ὡς εἴρηκεπρὸς ἓν καὶ πρὸς μίαν φύσιν λεγομένων raquo laquo cest pourquoi comme il la dit tous deuxappartiennent aux choses qui parmi celles qui se disent en de multiples sens se disent relativement agraveune uniteacute cest-agrave-dire relativement agrave une unique nature raquo Grammaticalement deux groupes successifsau geacutenitif expriment souvent un cas particulier au sein dun groupe plus large Cf aussi In Met 36013-16 Le passage du proegraveme du commentaire agrave Δ est plus ambigu la double neacutegation nimpliquantpas neacutecessairement une distinction (345 8-11) Sur cette question voir A Stevens [2000] p 68

45 In Met 241 3-5 laquo διαίρεσιν δὲ ποιεῖται τῶν ὑπό τι κοινὸν τεταγμένων ὡς ἔχει τά τε ὁμώνυμα καὶτὰ συνώνυμα καὶ τὰ ἀφ ἑνός τινος ἢ πρὸς ἓν λεγόμενα raquo laquo Aristote fait en outre une distinction

313

Les objets de la meacutetaphysique

immeacutediatement preacuteceacutedente ougrave par une double neacutegation Alexandre annonce lobjet second du

chapitre montrer que leacutetant nest ni un genre ni un pur homonyme (2415-8) mais un

intermeacutediaire (laquo μεταξὺ raquo) afin deacutetablir quil est susceptible decirctre eacutetudieacute par une science une ndash

ce qui constitue pour lui lobjet premier du chapitre46 La deacutemonstration de la thegravese a la forme

dun tregraves classique syllogisme de premiegravere figure qui classe leacutetant sous les ἀφ ἑνός et les πρὸς

ἕν et deacuteveloppe la position intermeacutediaire de ces derniers

Dans son commentaire Alexandre eacutevoque ainsi dautres textes ougrave Aristote aurait plutocirct

poseacute leacutetant dans la classe des homonymes Sauf erreur jamais Aristote ne se livre agrave une

affirmation aussi explicite La proposition dAlexandre trouve peut-ecirctre sa source soit dans

certains textes comme le propose le traducteur anglais en note qui semblent identifier

plurivociteacute et homonymie47 soit plus probablement agrave notre sens dans des textes qui posent

lhomonymie du Bien et semblent preacutesupposer une homonymie de leacutetant agrave tout le moins

expriment lhomonymie du Bien dans la diversiteacute des cateacutegories48 En revanche cest bien agrave

Alexandre quil arrive de proclamer en toutes lettres lhomonymie de leacutetant par exemple dans

son commentaire agrave Δ 749

Le paradoxe est alors quen comprenant la clause laquo de faccedilon non homonyme raquo dans la

premiegravere phrase du chapitre comme deacutesignant les homonymes au sens strict ceux qui sont par

hasard Alexandre aurait tregraves bien pu maintenir une coheacuterence entre les textes ndash du moins entre

les textes tels quil les lit Il aurait en effet tregraves bien pu soutenir comme certains interpregravetes

contemporains50 que leacutetant reste en quelque faccedilon homonyme mais en un sens plus large dans un

parmi les choses quon range sous un terme commun comme le sont les homonymes les synonymes etce qui se dit agrave partir dune certaine uniteacute ou relativement agrave une uniteacute raquo Le passage montreincidemment comment dans le commentaire agrave Γ la plurivociteacute est centreacutee sur les ἀφ ἑνός et les πρὸςἕν et leur est eacutequivalente Sur le scheacutema ici proposeacute cf M Bonelli [2001] p 103

46 Cf degraves le deacutebut du commentaire agrave Γ 2 laquo ἐφεξῆς δείκνυσι πῶς οἷόν τε εἶναι περὶ τὸ ὂν ἐπιστήμηνμίαν raquo (240 34 ndash 241 1)

47 A Madigan [1993] n 38 p 146 (le texte le moins sujet agrave caution auquel renvoie A Madigan est plutocirctTop VI 2 139b 19-31) Cf Top I 15 106b 33 sq pour le sain Les partisans dune identiteacute entreplurivoques et homonymes (P Aubenque W Leszl E Berti etc) ne sont pas sans arguments mais cfla discussion meneacutee par A Stevens [2001] p 65-76

48 Cf P Aubenque [1962] p 176 qui renvoie entre autres agrave EN I 4 EE I 8 Top I 15 et en particulier107 a 11-12 laquo ὥστε ὁμώνυμον τὸ ἀγαθόν raquo Alexandre dans son commentaire relie explicitementlhomonymie du Bien agrave la pluraliteacute des dix cateacutegories (In Top 106 14-16 laquo ἐπεὶ οὖν τὰ δέκα γένηκατὰ τοῦ ἀγαθοῦ κατηγορεῖται δῆλον ltὅτι ὁμώνυμον τὸ ἀγαθόνgt raquo Sur lhomonymie du Bien cfaussi In Top 105 25 120 16

49 Voir aussi In Met 44 18

50 Cest lagrave la thegravese geacuteneacuterale de P Aubenque par exemple ou W Leszl (P Aubenque [1962] W Leszl

314

Les objets de la meacutetaphysique

degreacute moindre que les homonymes par hasard Au demeurant certains textes dAristote

semblent bien admettre des degreacutes dans lhomonymie51

Autant dire que la position intermeacutediaire des πρὸς ἕν52 reacutepond ici aussi agrave une exigence

autant doctrinale quexeacutegeacutetique sinon davantage mecircme si elle nest effectivement pas sans

attache dans le corpus en particulier en Meacutetaphysique Z quAlexandre a tregraves probablement agrave

lesprit pendant tout son commentaire agrave ce deacutebut de Γ53 En reacutealiteacute cette thegravese dAlexandre

reacutepond agrave une strateacutegie agrave partir de lagrave Alexandre va en effet pouvoir deacutefinir les πρὸς ἕν dans un

jeu de double opposition avec les synonymes et les homonymes

Pour ce faire Alexandre reprend les deacutefinitions des homonymes et synonymes quil lit

dans les Cateacutegories On sen souvient sont synonymes les choses qui possegravedent agrave la fois un nom

en commun et la deacutefinition correspondante du nom ndash laquo animal raquo peut sappliquer agrave lhomme et au

bœuf tout en conservant la mecircme deacutefinition Alexandre reprend cette deacutefinition dune part en la

reacuteduisant agrave la relation genre-espegravece ce qui est correct dautre part en insistant sur leacutequivalence

du preacutedicat attribueacute de faccedilon synonymique

Cest avec un droit eacutegal et de faccedilon similaire que toutes partagent et participent agrave lessencemanifesteacutee par le genre qui leur est attribueacute (241 10-12)

Pour reacutesumer et eu eacutegard agrave la deacutefinition quil reprend du verbe laquo participer raquo agrave partir des

Topiques lideacutee dAlexandre est que dans le cas de la preacutedication synonymique le preacutedicat est

attribueacute aux choses synonymes en conservant non seulement le mecircme sens la mecircme deacutefinition

mais en outre sans diffeacuterence de degreacute ou de valeur54 Un homme nest pas plus ou laquo mieux raquo

animal quun bœuf55

[1970])

51 Pour lideacutee de degreacute dans les homonymes voir Phys VII 4 249a 22-25 (qui integravegre dans leshomonymes mecircme des cas de ressemblance ou danalogie quon ne considegravere pas comme deshomonymes laquo alors quils en sont raquo) et A Stevens [2000] p 100 Voir aussi lideacutee dune homonymie quinest pas totale agrave propos de lamitieacute en EE VII 2 1236a 16-17 laquo ἀνάγκη ἄρα τρία φιλίας εἴδη εἶναικαὶ μήτε καθ ἓν ἁπάσας μηδ ὡς εἴδη ἑνὸς γένους μήτε πάμπαν λέγεσθαι ὁμωνύμως raquo

52 Cette expression vaut on laura compris comme abreacuteviation de laquo les choses dites agrave partir dune uniteacute etrelativement agrave une uniteacute raquo

53 Cf en particulier Met Z 4 1030a 32 sq qui toutefois ne parle pas de synonymes mais dunepreacutedication ὡσαύτως et duniteacute καθ ἕν Au demeurant cette conception des πρὸς ἕν commeintermeacutediaires ndash qui nest jamais mentionneacutee par Aristote ndash pose problegraveme Cf par exemple JK Ward[2008] p 106 sq

54 Deacuteriveacute peut-ecirctre de Z 4 et du laquo ὡσαύτως raquo en 1030a 35 Sur les problegravemes quengendre cette ideacutee cf ci-apregraves

55 Sur le modegravele de Cat 5 2b 27-28

315

Les objets de la meacutetaphysique

Pour les homonymes en revanche leacuteleacutement commun nest pas lessence du terme

attribueacute mais le seul nom Lemploi homonymique dun terme est donc deacutetacheacute de toute

reacutefeacuterentialiteacute et la communauteacute des choses ainsi deacutesigneacutees est purement linguistique Les

formulations dAlexandre montrent bien que contrairement agrave certaines meacutesinterpreacutetations

ulteacuterieures et agrave la diffeacuterence du concept moderne dhomonymie il est clair pour lui que laquo le

nom raquo en question est un terme quon preacutedique des reacutealiteacutes homonymes56 laquo Animal raquo peut en

effet ecirctre homonyme sil est appliqueacute agrave la peinture et agrave lhomme Lorsque donc Alexandre reacutesume

la deacutefinition de lhomonymie en parlant dune communauteacute seulement nominale (laquo κατὰ

τοὔνομα μόνον [] κοινωνία raquo par exemple en 243 2757) il faut neacutecessairement sous-entendre la

suite cette communauteacute est purement nominale parce quelle nest pas nominale et

deacutefinitionnelle ou essentielle

Agrave partir de lagrave la caracteacuterisation alexandrinienne des ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν senchaicircne

comme naturellement Contre les homonymes on retient que les ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν ont plus

en commun que le seul nom ils nont pas dit Alexandre cette laquo alteacuteriteacute pure et sans meacutelange raquo

des homonymes ndash expression leacutegegraverement grandiloquente qui ne rend pas justice au fait que

lanimal peint et lanimal vivant ont tout de mecircme un peu plus en commun que le seul nom mais

qui senracine dans le point de vue de laquo leacutenonceacute de lessence raquo propre aux concepts

dhomonymie et de synonymie

Contre les synonymes en revanche on retient lideacutee quil ny a pas dans les preacutedications

πρὸς ἕν deacutegaliteacute dans la preacutedication Autrement dit une chose peut ecirctre plus ou moins saine

plus ou moins meacutedicale ndash et de mecircme plus ou moins laquo eacutetant raquo Cette derniegravere ideacutee et plus

geacuteneacuteralement sa preacutemisse pour diverses raisons quon va voir posent problegraveme Dembleacutee on

rappellera deux textes qui semblent aller agrave son encontre Le chapitre VII 4 de la Physique tout

dabord affirme que les choses qui ne sont pas synonymes ne sont pas comparables58 le chapitre

I 15 des Topiques deacuteclare de mecircme que les homonymes sont incomparables parce que deacutepourvus

56 Cf 241 13-14 laquo κατὰ τὸ κοινῶς κατηγορούμενον αὐτῶν ὄνομα raquo Pour la critique de cesmeacutesinterpreacutetations cf B Cassin M Narcy [1998] p 198 Contrairement toutefois agrave ce que soutient BCassin en un premier temps lenjeu nest pas de savoir si ὄνομα est preacuteceacutedeacute ou non de larticle silsagit du nom ou dun nom mais de comprendre que laquo le nom raquo en question est comme elle se ravisequelques lignes plus loin laquo le nom en commun et non lun des termes speacutecifiques raquo Preuve en estquAlexandre maintient larticle sans tomber dans lerreur deacutenonceacutee par Cassin qui est probablementdue agrave nos deacutefinitions modernes de lhomonymie ndash dont Alexandre est par deacutefinition preacuteserveacute

57 Cf aussi In Met 241 14 241 24

58 Phys VII 4 laquo ἀλλ ὅσα μὴ συνώνυμα πάντ ἀσύμβλητα raquo 248 b 6-7 le texte pose des problegravemesdeacutetablissement cf la note de P Pellegrin ad loc et A Stevens [2000] p 98 n 1

316

Les objets de la meacutetaphysique

de commune mesure et quil ne peut y avoir de diffeacuterence de degreacutes quentre des synonymes59 Le

commentaire dAlexandre agrave ce chapitre preacutecise alors deux cas soit des choses sont synonymes

sans admettre de plus et de moins et elles sont comparables au sens ougrave elles sont laquo similaires raquo ndash

ainsi les cercles60 ou les hommes Socrate est autant homme que Coriscos parce que en tant que

synonymes cest-agrave-dire en tant quils laquo participent du commun raquo ils sont laquo comparables en vertu

de leur ressemblance raquo61 Mais sont aussi synonymes ou comme le glose le texte laquo participent du

mecircme raquo des choses qui admettent des degreacutes Ces derniegraveres peuvent degraves lors ecirctre compareacutees au

regard du preacutedicat qui leur est attribueacute synonymiquement ndash par exemple la clarteacute pour les

diverses couleurs62 contrairement agrave la clarteacute dune voix par rapport agrave la clarteacute du jour

Notre passage du commentaire agrave Γ preacutesente donc un infleacutechissement ou une

simplification par rapport agrave cette theacuteorie puisque Alexandre reacuteserve lineacutegaliteacute dans la

preacutedication aux ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν (qui ne sont donc pas par deacutefinition synonymes) et

cantonne les synonymes au cas de leacutegaliteacute dans la preacutedication et la ressemblance ndash comme si

laquo clair raquo neacutetait plus synonyme pour les couleurs ou comme si la clarteacute ne pouvait sattribuer

synonymiquement aux couleurs quagrave la condition quelles soient toutes claires agrave eacutegaliteacute de mecircme

quil ny a pas de cercle qui soit davantage laquo cercle raquo quun autre Cet infleacutechissement nous semble

central et causeacute par la description quAlexandre donne des ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν il tient au

meacutecanisme qui leacutegitime la preacutedication ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν selon Alexandre et qui implique

neacutecessairement une ineacutegaliteacute entre un premier terme et les autres

Pour anticiper et rappeler briegravevement en effet chez Aristote comme chez Alexandre agrave la

diffeacuterence des synonymes la relation πρὸς ἕν exige dinteacutegrer un troisiegraveme terme en plus de

ladjectif agrave attribuer (laquo sain raquo laquo meacutedical raquo) et de ce qui peut le recevoir (une promenade un bon

teint dans le cas du sain dans le cas du meacutedical le scalpel ou un livre de meacutedecine etc) Le

troisiegraveme terme appartient agrave ce dernier ensemble des choses qui peuvent recevoir le preacutedicat

59 Top I 15 107b 13-18

60 Peut-ecirctre est-ce une reacuteminiscence de Cat 8 11a 5-13 Voir aussi Pol I 13 1259b 36-38

61 La phrase complegravete est laquo ὁμοίως καὶ οἱ ἄνθρωποι καὶ ὅλως ἐν οἷς μή ἐστι τὸ μᾶλλόν τε καὶ ἧττονταῦτα ὁμοίως τοῦ κοινοῦ μετέχει καὶ κατὰ τὸ ὅμοιόν ἐστι συμβλητά raquo(In Top 111 12-14) On noteraquAlexandre choisit ici des exemples plus simples ou du moins plus frappants de synonymie non paslattribution synonymique de lanimal au bœuf et agrave lhomme qui suppose la connaissance du genrecommun aux deux espegraveces mais la ressemblance entre deux hommes ndash qui quoique constituantassureacutement un exemple correct de synonymie aristoteacutelicienne sonne beaucoup plus proche deleacuteponymie platonicienne

62 In Top 111 7-20

317

Les objets de la meacutetaphysique

mais sen distingue en ce quil le reccediloit de faccedilon premiegravere (pour le dire encore de faccedilon neutre) Le

πρὸς ἕν deacutesigne alors la relation des autres termes disons secondaires63 agrave ce terme premier telle

que la preacutedication ne seffectue plus de faccedilon homonymique mais toujours ndash cest en tout cas la

position dAlexandre ndash avec une certaine conservation du sens premier64 Pour caracteacuteriser les

πρὸς ἕν Alexandre retient en effet des synonymes lideacutee dune laquo nature de lobjet raquo qui se

manifeste dans les preacutedications du terme Lexpression donneacutee dans la deacutefinition des synonymes

selon laquelle toutes (les choses synonymes) laquo partagent et participent agrave lessence manifesteacutee par

le genre qui leur est attribueacute raquo devient pour les πρὸς ἕν

Il y a une certaine nature de cet objet (ἐκείνου τοῦ πράγματος) qui en quelque faccedilon selaisse voir en toutes et comme elles en proviennent ou quelles entretiennent un certainrapport agrave cela pour cette raison elles en viennent aussi agrave partager le mecircme nom (241 19-21)

Une question est de savoir quel est ici cet objet ce laquo πρᾶγμα raquo Lemploi du deacutemonstratif

(laquo ἐκείνου τοῦ πράγματος raquo) et le fait que le terme constitue lanteacuteceacutedent des relatifs laquo ἀφ οὗ raquo et

laquo πρὸς ὃ raquo impliquent que la nature de lobjet en question soit celle du ἕν du ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς

ἕν luniteacute dont proviennent et agrave laquelle se reacutefegraverent les autres choses ndash la santeacute pour les choses

saines la meacutedecine pour les choses meacutedicales la substance pour les eacutetants65 La preacutedication de

laquo sain raquo est degraves lors possible et valide parce que la nature de ce qui est sain au sens propre est

visible laquo se laisse voir raquo dans chacune des choses saines Cela nous conduit au troisiegraveme geste

exeacutegeacutetique dAlexandre

c) Limpeacuteratif de fondation

Lobjectif du commentaire au deacutebut de Γ 2 est en effet clair il sagit pour Alexandre de

63 Met Z 4 1030a 22 dit laquo ἑπομένως raquo

64 Sur les diffeacuterentes maniegraveres de comprendre la theacuteorie aristoteacutelicienne du πρὸς ἕν voir W Leszl [1970]p 120 sq et cf ci-dessous Soulignons en passant quici se produit la diffeacuterence entre le cas du sain etcelui de leacutetant Lattribution de laquo eacutetant raquo aux diverses choses qui sont des eacutetants relativement agrave lasubstance nest pas une attribution parmi dautres Le sens de laquo eacutetant raquo pour une qualiteacute cest lecirctre dela qualiteacute Parler comme on le fera plus bas de deacutependance deacutefinitionnelle agrave la substance agrave propos deluniteacute πρὸς ἕν nest pas seulement dire que le sens de laquo eacutetant raquo propre agrave la qualiteacute deacutepend ou renvoieau sens de laquo ecirctre raquo propre agrave la substance mais cest aussi dire que ce quest cette qualiteacute (ce que cestdecirctre pour elle) deacutepend de la substance

65 Cf les formules en In Met 244 1 sq

318

Les objets de la meacutetaphysique

fonder lordre du discours sur les plurivoques ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν dans lordre des choses afin

den controcircler la possible dispersion Ce reacutequisit de fondation fait partie de ce quAlexandre

retient des synonymes De fait lexpression d laquo essence manifesteacutee par le genre raquo (pour les

synonymes en 241 11-12) ou dune laquo nature de lobjet raquo qui se manifeste dans les choses (pour les

πρὸς ἕν en 241 19-20) revient couramment sous le calame dAlexandre quand il est question des

synonymes et des homonymes pour les homonymes laquo rien de propre nest manifesteacute par le nom

qui leur est commun raquo (μηδὲν ὑπὸ κοινοῦ ὀνόματος ἴδιον δηλοῦσθαι 243 25-26) les πρὸς ἕν

sont doteacutes dune laquo nature raquo qui laquo se laisse voir en quelque maniegravere en tous raquo (ἐν πᾶσί πως αὐτοῖς

ὁρᾶται ἡ φύσις αὕτη 244 2) les choses synonymes laquo manifestent une unique nature

deacutetermineacutee raquo (μίαν τινὰ δηλοῦν φύσιν 82 12-13) il ny a donc plus dhomonymie si la formule

qui deacutesigne les choses en question saccorde agrave elles parce quelle manifeste une essence et une

nature uniques et deacutetermineacutees de lobjet (laquo εἰ μὲν οὐσίαν τινὰ μίαν καὶ φύσιν πράγματος

δηλῶν ὁ λόγος οὗτος ἅπασιν ἐφαρμόζοι οὐκέτ ἂν ὁμώνυμα εἴη raquo In Top 473 18-20) 66

Outre un eacutecho agrave un passage de Γ67 ces expressions renvoient peut-ecirctre agrave la position de

lExeacutegegravete sur lobjet des Cateacutegories et la question classique de savoir si louvrage parle de noms ou

de choses Alexandre dapregraves Simplicius fait en effet partie de ceux qui considegraverent louvrage

comme traitant dexpressions simples premiegraveres et geacuteneacuteriques en tant quelles sont capables de

signifier les eacutetants donc traitant aussi des choses qui sont signifieacutees par ces expressions68 On

retrouve de fait dans le Commentaire aux Cateacutegories de Simplicius des formules similaires agrave celles

quemploie Alexandre quand il deacutefinit les synonymes ou les πρὸς ἕν Mais comme on voit cest

plus geacuteneacuteralement une theacuteorie de la signification qui est ici en jeu Le verbe laquo δηλόω raquo prend en

effet deux sens dans nos passages soit il deacutesigne le fait que les synonymes laquo manifestent raquo un

caractegravere commun une ressemblance dont parle le Commentaire aux Topiques qui laquo se laisse voir raquo

en eux du fait de leur communauteacute essentielle et non pas seulement linguistique soit dans un

66 Voir aussi la Quaestio I 11 23 6-7 laquo τὸ δὲ ζῷον τὸ κοινῶς κατ αὐτῶν ltsc le cheval le chien lhumainet le dieugt κατηγορούμενον ἤτοι οὐδεμίαν οἰκείαν σημαίνει φύσιν ἀλλ ἔσται ὁμώνυμον raquo

67 Met Γ 2 1003b 22-25 laquo εἰ δὴ τὸ ὂν καὶ τὸ ἓν ταὐτὸν καὶ μία φύσις τῷ ἀκολουθεῖν ἀλλήλοις ὥσπερἀρχὴ καὶ αἴτιον ἀλλ οὐχ ὡς ἑνὶ λόγῳ δηλούμενα raquo Le passage constitue peut-ecirctre plus quunsimple eacutecho eacutetant donneacute linterpreacutetation quAlexandre donne de lidentiteacute et la diffeacuterence entre eacutetant etun dont nous avons traiteacute ci-dessus (sect 223 leacutetant et lun sont identiques en extension (ils se disentexactement des mecircmes sujets) mais distincts en intension (ils ne se preacutediquent pas avec la mecircmeintention de penseacutee)

68 Simplicius In Cat 13 13-15 laquo περὶ τῶν ἁπλῶν καὶ πρώτων καὶ γενικῶν φωνῶν καθὸ σημαντικαὶτῶν ὄντων εἰσίν συνδιδάσκεται δὲ πάντως καὶ τὰ σημαινόμενα ὑπ αὐτῶν πράγματα καὶ τὰνοήματα καθὸ σημαίνεται τὰ πράγματα ὑπὸ τῶν φωνῶν raquo

319

Les objets de la meacutetaphysique

sens probablement technique69 il exprime la capaciteacute du mot agrave laquo manifester raquo lessence commune

et deacutesigne donc la reacutefeacuterentialiteacute la signification comme relation entre le mot et la chose plus

preacuteciseacutement entre le mot la chose et son essence ou sa nature Ainsi employeacute dans le cadre de

choses synonymes par exemple un mot signifie-t-il parce quil renvoie agrave la mecircme essence (ou la

mecircme nature) deacutetermineacutee Le traitement alexandrinien des synonymes et des homonymes dans

son commentaire agrave Γ 2 est marqueacute par une conception de la signification comme reacutefeacuterentialiteacute

meacutediate laquelle ne se lit pas encore chez Aristote agrave ce moment du livre Γ70

Bref comme le reacutesume Alexandre agrave la page 243 dans le cas des synonymes la

communauteacute du nom laquo deacutepend raquo de la communauteacute des objets laquo ἤρτηται ἡ κατὰ τοῦτο

κοινωνία ltsc ἡ κατὰ τοὔνομα κοινωνίαgt τῆς τῶν πραγμάτων κοινωνίας raquo (243 27-28) et de

cela il y a une science une Or le dernier paragraphe de notre texte du premier commentaire agrave Γ 2

recueille cette exigence pour les πρὸς ἕν quand il deacuteclare

De telles choses en effet qui ont un tel rapport entre elles nen viennent pas agrave partager leseul nom comme celles quon dit homonymes au sens propre qui sont les homonymes parhasard mais il y a une certaine cause au fait quon les nomme de la mecircme maniegravere (24124-27)

Cette thegravese alexandrinienne est le produit des trois gestes exeacutegeacutetiques que lon vient de

deacutecrire Elle enteacuterine la coordination des πρὸς ἕν avec les ἀφ ἑνός qui couple les relations de

reacutefeacuterence et de deacutependance Elle place les choses dites ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν dans une position

intermeacutediaire entre homonymes et synonymes qui permet deacutecarter leacutecueil dune preacutedication ne

reposant sur rien dautre que des conventions linguistiques et induit lideacutee dune preacutedication avec

conservation du sens premier au moins dans une certaine mesure (qui reste agrave eacutelucider)

Correacutelativement enfin elle fait eacutemerger lideacutee que la preacutedication dans le cas des ἀφ ἑνὸς καὶ

πρὸς ἕν est fondeacutee dans une deacutependance ou une relation qui nest pas que linguistique mais

bien ontique La theacuteorie de la signification meacutediate dont on vient de parler exige en effet que les

termes qui sont dits ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἕν (la promenade saine le meacutedicament sain pour la santeacute

par exemple) manifestent ou se reacutefegraverent agrave un certain eacutetat de choses Les choses saines meacutedicales

ou les eacutetants sont donc non seulement dits laquo agrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacute raquo

69 Voir par exemple Quaestio I 37 23 qui parle de laquo λόγου δηλώσοντος raquo

70 Cette conception est en effet selon les travaux de B Cassin lacquis propre de la theacuteorie de lasignification deacuteployeacutee par Aristote dans la suite du livre Γ particuliegraverement au chapitre 4 Cf parexemple B Cassin [1991] p 315 Aristote deacutefait laquo limplication [] entre legein et einai raquo signifier nestplus deacutesigner le laquo reacuteel raquo mais se reacutefeacuterer agrave un sens un Cf aussi B Cassin M Narcy [1998] p 34-35 parexemple

320

Les objets de la meacutetaphysique

mais doivent avant tout ecirctre laquo agrave partir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacute raquo71 Le meacutedicament

peut ecirctre leacutegitimement appeleacute laquo sain raquo (ie laquo sain raquo peut ecirctre agrave bon droit preacutediqueacute du

meacutedicament) si cette appellation se fait en reacutefeacuterence agrave la santeacute parce que ce meacutedicament est dans

les faits au niveau des πραγμάτα connecteacute agrave la santeacute Comme Alexandre lillustre

immeacutediatement apregraves notre passage laquo les choses saines sont appeleacutees ainsi parce quelles

entretiennent une certaine relation avec la santeacute raquo (τὰ μὲν γὰρ ὑγιεινὰ τῷ πρὸς ὑγίειαν ἔχειν

πως οὕτως ὠνόμασται 241 28-29)

Reste entre autres agrave savoir en quel sens il faut comprendre cette laquo certaine cause raquo ou

laquo cause deacutetermineacutee raquo qui selon notre passage (en 241 26) fonde la preacutedication Deacutesigne-t-elle

simplement un eacutetat de fait reacuteel correspondant agrave la preacutedication ndash αἰτία signifiant alors quelque

chose comme laquo raison raquo Dans ce cas la proposition pourrait ecirctre paraphraseacutee ainsi il y a un

certain eacutetat de fait qui est la raison justifiant la preacutedication Mais peut-ecirctre faut-il donner agrave αἰτία

un sens plus deacutetermineacute celui dune entiteacute capable dexercer une causaliteacute La phrase signifie

alors il existe dans le monde quelque chose qui cause la similariteacute dans la preacutedication de ces ἀφ

ἑνός et πρὸς ἕν Comme on va le voir cest cette seconde solution qui dans le cas des eacutetants et de

la substance nous paraicirct la bonne Agrave la maniegravere de ce quont entrepris certains interpregravetes

contemporains72 et pour syntheacutetiser les trois eacuteleacutements quon a rappeleacute il incombe donc agrave

Alexandre dexpliciter du cocircteacute des choses mecircmes la nature de cette deacutependance qui fonde la

possibiliteacute dappeler laquo eacutetants raquo les eacutetants

71 La disparition du laquo λεγόμενα raquo quon observe parfois dans lemploi alexandrinien de lexpression ἀφἑνὸς καὶ πρὸς ἕν ne nous semble ainsi pas accidentelle ou seulement la contraction dune expressionsous-entendant neacutecessairement laquo λεγόμενα raquo (voir par exemple 243 18 243 33) Voir surtoutlemploi des preacutepositions dans les exemples du sain et du meacutedical (In Met 241 28 sq) conformeacutementagrave ce que fait aussi Aristote (cf ci-apregraves)

72 C Shields [1999] et de faccedilon plus nuanceacutee JK Ward [2008] Shields ne se reacutefegravere pas explicitement agraveAlexandre mais agrave la thegravese de Cajetan dune analogie de lecirctre Lauteur se propose didentifier lacausaliteacute de la substance comme le fondement de luniteacute πρὸς ἕν et qualifie la substance de laquo sorte decause de lexistence raquo (cf p 124-125) La thegravese de Shields est le produit dune meacutethode qui sonde lapenseacutee aristoteacutelicienne agrave la fois dans sa coheacuterence interne au niveau textuel mais aussi par rapport aulaquo reacuteel raquo dans sa viseacutee de veacuteriteacute Toutefois la mise en œuvre de cette meacutethode finit par faire perdre letexte de vue au profit dune pure et simple reconstruction dAristote Shields soutient dans son dernierchapitre que lecirctre pour Aristote ne doit ecirctre ni homonyme ni mecircme plurivoque mais synonyme parceque telle est selon Shields la thegravese la plus conforme au reacuteel La lecture de Ward quoique plus attentiveaux textes est au moins en partie deacutependante de celle de Shields et se fonde sur la mecircme theacuteorielaquo reacutealiste raquo de la signification que celle que nous avons cru pouvoir deacuteceler dans le commentairedAlexandre (cf JK Ward [2008] p 13)

321

Les objets de la meacutetaphysique

312 La prioriteacute de la substance

a) Un maximum

Comprise comme nous venons de le proposer lentreprise dAlexandre implique

doutrepasser le seul texte aristoteacutelicien de Γ 2 Dans le passage sur le πρὸς ἕν au deacutebut de Γ 2

Aristote ne se propose manifestement pas de fonder un fait linguistique dans une causaliteacute

ontique Comme certains interpregravetes contemporains lont remarqueacute73 le deacutebut de Γ 2 offre bien

plutocirct une esquisse la bregraveve analyse dun donneacute ndash cette briegraveveteacute adjointe agrave limportance de la

question traiteacutee expliquant le deacutechaicircnement des commentaires Apregraves en effet avoir poseacute la

plurivociteacute de leacutetant et la relation πρὸς ἕν (1003a 33-34) Aristote produit immeacutediatement une

analogie avec le sain et le meacutedical comme lindique ensuite le laquo οὕτω δὲ καὶ raquo de 1003b 5

Lanalogie a pour but de preacuteciser le sens du πρὸς ἕν dougrave la reacutepeacutetition de la preacuteposition par

exemple laquo πρὸς ὑγίειαν raquo (1003a 35) laquo πρὸς ἰατρικήν raquo (b 1) Si cette relation explique le fait que

telle chose soit dite laquo saine raquo ou laquo meacutedicale raquo ndash elle est preacutesenteacutee via la tournure τῷ + infinitif ndash

elle ne preacutejuge absolument du statut causal ou non accordeacute au sens de reacutefeacuterence (et a fortiori du

type de cause en question)

La description est alors reprise au niveau de leacutetant (b 5-6) Llaquo uniteacute raquo agrave laquelle se

reacutefegraverent les eacutetants nest expliciteacutee comme deacutesignant la substance quagrave travers la liste qui suit (b 6-

10) dans laquelle les eacutetants se trouvent deacutesigneacutes comme des substances quelque chose de la

substance (au geacutenitif) vers la substance ou en relation avec elle (reacutepeacutetition de la preacuteposition

πρός) La liste se clocirct par le cas particulier des laquo neacutegations raquo dans lequel cette relation savegravere

mecircme indirecte puisquune neacutegation peut ecirctre appeleacutee laquo eacutetant raquo non pas seulement quand elle

est neacutegation dune substance (geacutenitif) mais aussi quand elle est neacutegation de quelque chose de

relatif agrave la substance (1003b 9-10) Ainsi comme pour le sain et le meacutedical les divers eacutetants non-

substantiels74 sont exprimeacutes par un eacutenonceacute agrave chaque fois formuleacute en rapport avec la substance

73 P Aubenque [1962] p 192 sq M Crubellier [2005] p 67

74 On parlera ici plus aiseacutement deacutetants non-substantiels que de laquo cateacutegories secondaires raquo oulaquo obliques raquo comme cest parfois le cas Si le texte aristoteacutelicien de Z fait clairement la diffeacuterence entredes cateacutegories la liste de Γ 2 est connue pour la difficulteacute quelle pose agrave ce sujet celle de savoir si cetteliste correspond agrave la liste des cateacutegories ou si (ce qui est notre avis) elle est plus large Pourlinterpreacutetation dAlexandre cf In Met 242 10-15 (le texte est citeacute ci-dessous en 313)

322

Les objets de la meacutetaphysique

Cette reacutefeacuterence agrave la substance est poseacutee comme un donneacute ou une thegravese plausible sans quil

semble neacutecessaire den rendre raison comme sil suffisait deacutetablir ici quil y a quelque chose par

rapport agrave quoi les eacutetants sont dits dans une situation comparable agrave celle des choses dites saines

par rapport agrave la santeacute Ce passage demeure ainsi relativement descriptif il met en eacutevidence la

relation qui rend raison de lappellation en la confortant par une analogie sans que les divers

modes de la relation (ecirctre vers ecirctre quelque chose de) ne soient pour eux-mecircmes argumenteacutes ni

expliciteacutes ce nest quune fois cela eacutetabli que le texte redevient nettement argumentatif et tire la

conclusion quil doit y avoir une science une de leacutetant75

Aristote est donc pour le moins elliptique et le fonctionnement du πρὸς ἕν exige

commentaire Sil souhaite comprendre la nature exacte de cette reacutefeacuterence linterpregravete est

naturellement tenteacute de deacuteterminer le type de prioriteacute propre au premier sens Aristote qualifie en

effet la substance (ou du moins peut-on len deacuteduire) de laquo premiegravere raquo en 1003b 16 et en 1004a 25

sq ndash malheureusement lagrave non plus il ne dit pas en quel sens elle lest Il est clair toutefois que les

diverses interpreacutetations du πρὸς ἕν reposent au moins en partie sur la faccedilon dont on comprend la

prioriteacute ou la primauteacute de cet ἕν Pour Owen par exemple la prioriteacute proprement conquise par Γ

est celle laquo λόγῳ raquo en sorte que le laquo focal meaning raquo deacutesigne la possibiliteacute de laquo traduire raquo les

eacutenonceacutes sur lecirctre des eacutetants non-substantiels en eacutenonceacutes sur une substance de mecircme que tout

eacutenonceacute sur le caractegravere laquo sain raquo dun meacutedicament par exemple serait reacuteductible agrave un eacutenonceacute sur

la santeacute76

Quil y ait deacutependance deacutefinitionnelle77 des eacutetants non-substantiels agrave la substance cest-agrave-

75 Avec la particule οὖν en 1003b 11 La proposition preacuteceacutedente est certes introduite par διὸ (laquo καὶ τὸ μὴὂν εἶναι μὴ ὄν φαμεν raquo) mais semble davantage faire figure dincise dans le catalogue

76 Cf GEL Owen [1960] particuliegraverement p 180 Si la notion de focal meaning est entreacutee dans les mœurscontemporaines des aristoteacutelisants si ce nest des philosophes en geacuteneacuteral cela ne doit pas faire oublierquelle est porteuse de deux thegraveses extrecircmement fortes et tout aussi discutables (au meilleur sens duterme) la thegravese de la traduction quon vient desquisser et celle de la plurivociteacute πρὸς ἕν comprisecomme une extension de la synonymie Les critiques contemporaines adresseacutees agrave Owen (pour nouslimiter agrave deux exemples tregraves diffeacuterents W Leszl [1970] ou C Shields [1999]) portent geacuteneacuteralement surlensemble formeacute par ces deux thegraveses Pour un eacutetat des lieux des deacutebats contemporains autour de lathegravese dOwen (et une critique de celle-ci) cf aussi par exemple H Sefrin-Weis [2009] La substitutiondu vocable laquo focal meaning raquo par laquo core-dependent raquo chez Shields est agrave cet eacutegard significative Les critiquesles plus solides restent selon nous celles de Leszl [1970] cf aussi W Leszl [1975] p 228 sq

77 Lexpression ndash qui nest pas si loin du ἀφ ἑνός alexandrinien ndash est courante dans la litteacuterature sur lesujet cf par exemple FA Lewis [2004] p 7 Cf aussi les remarques agrave ce sujet de D Devereux [2008]p 288 sq qui qualifie cette conception (lideacutee que les eacutetants non-substantiels preacutesenteacutes dans Γ sontrelatifs agrave la substance dun point de vue seacutemantique par cette laquo deacutependance deacutefinitionnelle raquo) commela laquo standard view raquo (p 288) Lenjeu est de savoir 1) jusquougrave seacutetend cette deacutependance et 2) ce que veutdire ici laquo deacutependance raquo si elle implique un rapport de causaliteacute et si oui en quel sens Sur la distinction

323

Les objets de la meacutetaphysique

dire que ce que signifie ecirctre pour les eacutetants non-substantiels doive ecirctre reacutefeacutereacute agrave la substance cela

est eacutetabli en Γ 2 La substance est donc agrave cet eacutegard premiegravere ce que le livre Z explicite et

complegravete en ajoutant agrave la prioriteacute laquo λόγῳ raquo les prioriteacutes dans la connaissance et le temps78

Alexandre emploie certainement ce sens logique de la prioriteacute quand il deacutecrit la reacutefeacuterence

neacutecessaire des sens secondaires au premier79 Mais dune part pour fonder la relation seacutemantique

des divers eacutetants agrave la substance qui permet quils soient eacutetudieacutes par une seule et mecircme science

Alexandre ne reacuteduit pas la prioriteacute de la substance agrave une prioriteacute seulement deacutefinitionnelle Car

mecircme si lExeacutegegravete nemploie jamais explicitement le vocabulaire des diffeacuterents sens de la prioriteacute

dans son commentaire agrave Γ la faccedilon dont il deacutecrit le rapport des eacutetants non-substantiels agrave la

substance implique davantage que la prioriteacute λόγῳ et soriente vers une deacutependance naturelle ou

existentielle prise au sens le plus fort Mais puisque Aristote lui-mecircme deacutecrit des cas de non-

correacutelation entre ces deux prioriteacutes cela demande donc agrave ecirctre eacutetabli Dautre part lenjeu est de

savoir si cette deacutependance deacutefinitionnelle entraicircne que lecirctre des eacutetants non-substantiels soit

reacuteductible agrave celui de simples modaliteacutes de la substance Dit autrement pour savoir si Alexandre

soutient une conception du πρὸς ἕν qui tend vers la synonymie il faut deacuteterminer si selon lui la

reacutefeacuterence des sens secondaires agrave ce sens premier quest la substance implique pour reprendre les

termes de Owen une traductibiliteacute inteacutegrale des eacutenonceacutes sur ce quest ecirctre pour les eacutetants non-

substantiels en eacutenonceacutes mentionnant la substance En ce cas quelle autonomie de sens peuvent

encore conserver les diverses maniegraveres decirctre attribueacutees aux eacutetants non-substantiels Dans quelle

de la prioriteacute logique (ou deacutefinitionnelle) et de la prioriteacute naturelle (ou substantielle) cf Δ 11 1018b34-37 et M 2 1077b 1 sq Sur le fait que la coheacuterence de Γ 2 implique une correacutelation forte entredeacutependance deacutefinitionnelle et deacutependance naturelle cf MT Ferejohn [1980] p 122-123

78 Cf Z 1 1028a 34-36 et la confirmation en Z 4 1030a 17 ndash b 7 et surtout Z 5 1031 a 1-4 et lexpressiondlaquo ἐκ προσθέσεως raquo Voir en outre la reprise de lideacutee au deacutebut de Θ 1 1045b 31-32 mais aussi peut-ecirctre laffirmation de EE VII 2 1236a 20-21 agrave condition de corriger le texte laquo πρῶτον δ οὗ λόγος ἐνἡμῖν ὑπάρχει raquo en laquo ἐν πᾶσιν ὑπάρχει raquo (voir la note de V Deacutecarie ad loc)

79 Voir par exemple In Met 255 17-19 laquo ἐπὶ γὰρ τὸν τῆς ὑγιείας λόγον πάντων τῶν ὑγιεινῶν ἡἀναφορά διὸ καὶ ἔστι μιᾶς ἐπιστήμης ἡ γνῶσις αὐτῶν raquo (laquo cest en effet agrave leacutenonceacute de la santeacute que sefait la reacutefeacuterence de toutes les choses saines raison pour laquelle la connaissance des choses saines estune science une raquo) cf aussi 255 35 ndash 256 3 On pourrait enfin lire en ce sens ie comme deacutecrivant unedeacutependance dabord deacutefinitionnelle le laquo προσκατηγορούμενον raquo de 256 7 quoique le texte soit icisuspect (laquo τὸ δὲ ltοὕτως ἀποδοτέον πρὸς τὸ πρῶτον ἐν ἑκάστῃ κατηγορίᾳ πῶς πρὸς ἐκεῖνολέγεταιgt [1004a 28-30 ] εἶπεν ἀντὶ τοῦ πῶς ἕκαστον τῶν καθ ἑκάστην κατηγορίαν οὕτωςλεγομένων προσκατηγορούμενον πρὸς τὸ πρῶτον καὶ κυρίως τοιοῦτον λεγόμενον ἔχει ὅ ἐστι τὸἐν τῇ οὐσίᾳ καὶ πῶς ἀπ ἐκείνου λέγεται raquo 256 4-9) Pour le texte dAlexandre Bonitz indique ici unlaquo corruptum videtur raquo On peut proposer la traduction suivante laquo Il dit cela [1004a 28-30] agrave la place de ltil faut diregt comment chaque chose qui se dit ainsi dans chaque cateacutegorie se preacutedique en outrerelativement au terme premier et qui est dit tel [ou x] de faccedilon eacuteminente qui est dans la ltcateacutegorie delagt substance et comment chaque chose se dit agrave partir de lui raquo

324

Les objets de la meacutetaphysique

mesure la prioriteacute de la substance se distinguerait-elle alors dune prioriteacute geacuteneacuterique80

Ce qui montre au premier chef quAlexandre ne se limite pas ici conformeacutement aux

reacutequisits deacutefinis preacuteceacutedemment agrave une prioriteacute deacutefinitionnelle est la faccedilon dont pour lui la prioriteacute

de la substance est celle dun maximum La substance est non seulement dite laquo eacutetant raquo au sens

propre ou eacuteminemment mais elle est eacutetant au plus haut point Ce sont lagrave les deux adverbes qui

reviennent freacutequemment chez lExeacutegegravete laquo κυρίως καὶ μάλιστα raquo ndash dont il nest pas toujours

facile de savoir sil sagit lagrave ou non dun hendiadyn sil faut traduire par laquo eacuteminemment et au plus

haut point raquo ou plutocirct laquo au sens propre et au plus haut point raquo (distinguant une prioriteacute

deacutefinitionnelle et une prioriteacute naturelle)81 Agrave tout le moins est-il clair que pour lExeacutegegravete ces

adverbes viennent qualifier une certaine maniegravere decirctre premier82

Par analogie le point est en effet eacutetabli sans ambiguiumlteacute pour la meacutedecine ou plus

exactement le meacutedecin

[24135] Ὁμοίως καὶ τὸ ἰατρικὸν τὸ μὲνλέγεται οὕτως τῷ ἔχειν ἰατρικήν ὡς ὁἰατρικός ὃ καὶ κυρίως καὶ μάλιστα ἰατρικόντὸ δὲ τῷ εὐφυὲς εἶναι πρὸς τὸ ἀναλαβεῖνἰατρικήν τὸ δὲ ὡς ἔργον καὶ ἀποτέλεσμαἰατρικῆς ὡς [2421] λέγομεν ἰατρικῶςτετμῆσθαί τι τὸ δὲ ὡς ὄργανον πρὸςἰατρικὴν συντελοῦν ἢ φάρμακον Λέγεται δὲκαὶ βιβλίον ἰατρικὸν τὸ περὶ ἰατρικῆςσυντεταγμένον

De mecircme pour laquo meacutedical raquo quon dit ainsidabord parce quil possegravede la meacutedecine comme lemeacutedecin qui est eacuteminemment et au plus hautpoint meacutedical ensuite parce quil est naturellementdoueacute pour apprendre la meacutedecine ou encore parcequil est lacte et lachegravevement de la meacutedecine ndashcomme on dit de quelque chose quil a eacuteteacute deacutecoupeacute demaniegravere meacutedicale83 ndash ou encore comme un instrumentqui contribue agrave la meacutedecine ou un meacutedicament Ondit aussi laquo meacutedical raquo un livre qui a eacuteteacute composeacute84 agravepropos de la meacutedecine

(241 35 ndash 242 3)

Il ne faut pas se laisser ici abuser par le report du premier sens de la meacutedecine vers le

meacutedecin la science meacutedicale est de fait une disposition de lacircme du meacutedecin Lanalogie avec

leacutetant et le sain est toujours la suivante

80 Pour reprendre les termes de la critique de E Berti adresseacutee fort justement agrave la thegravese de Owen (cf EBerti [2001] [2008a] p 358-359) Cf GEL Owen [1960] p 169 n 16 laquo all the senses of on must bedefined in terms of ousia raquo

81 Pour un bon exemple de couplage de ces deux adverbes voir le texte fort de 183 11-13 laquo τοιοῦτονγὰρ καὶ τὸ τῆς σοφίας τέλος ἡ γὰρ τοῦ κυριωτάτου τε καὶ ἀρίστου τῶν ὄντων καὶ μάλιστα ὄντοςγνῶσις μέγιστον οὖσα ἀγαθὸν ἐκείνῃ τέλος raquo

82 Voir entre autres In Met 244 19 ou 266 4-5

83 En bon franccedilais de maniegravere chirurgicale

84 Il y a peut-ecirctre jeu de mots avec laquo τὰ συντεταγμένα raquo qui deacutesigne speacutecifiquement lordonnancemeacutedicale ndash mais le verbe est courant pour deacutesigner la composition dun livre

325

Les objets de la meacutetaphysique

Meacutedical Meacutedecine Meacutedecin Autres choses meacutedicales (scalpel ouvrage demeacutedecine etc)

Sain Santeacute Autres choses saines (reacutegimes promenademeacutedicament bon teint etc)

Eacutetant Substance Eacutetants non-substantiels (accidents de la substancechemins vers la substance etc)85

Il ny a donc aucune raison de penser que la meacutedecine est analogue agrave leacutetant et le meacutedecin

agrave la substance cest la meacutedecine ndash en tant quelle est neacutecessairement posseacutedeacutee par un meacutedecin ndash

qui est bien le sens premier du meacutedical86

Alexandre naffirme en revanche jamais aussi explicitement que la santeacute est saine au plus

haut point ndash ce qui pour le coup sonnerait peut-ecirctre par trop platonicien Juste avant notre

passage il eacutetablit dabord prudemment la deacutependance des choses saines agrave la santeacute de faccedilon

neacutegative laquo ce qui ne contribue en rien agrave la santeacute si on lappelait sain le serait dit de maniegravere

homonymique par rapport agrave tout le reste des choses saines raquo (241 33-34) La santeacute est ainsi la

reacutefeacuterence de toutes les choses saines et agrave ce titre elle fait laquo eacuteminemment et au plus haut point raquo

lobjet de la meacutedecine87

Quant agrave la substance on peut dabord songer agrave une prioriteacute seulement deacutefinitionnelle

celle dun sens propre agrave cause de lambiguiumlteacute de κυριῶς ainsi en 242 10-11 laquo ὂν γὰρ λέγεται

κυρίως μὲν ἡ οὐσία raquo Mais cela devient beaucoup plus intenable lorsque une page plus loin

Alexandre proclame la laquo force de la substance relativement agrave lecirctre et agrave leacutetant raquo88 qui permet que

mecircme ses neacutegations soient tenues pour des eacutetants Ainsi selon un raisonnement deacutejagrave analyseacute au

chapitre preacuteceacutedent la science de leacutetant en tant queacutetant est-elle surtout (μάλιστα) science de la

substance parce que celle-ci est la plus eacuteminente parmi les eacutetants laquo κυριώτατον γὰρ τοῦτο ἐν

τοῖς οὖσιν ὡς ἐρρέθη καὶ πρὸς τοῦτο τἆλλα raquo (267 26-27) Multiplier les exemples serait

redondant pour Alexandre la substance est bien le premier eacutetant ce qui est au plus haut point89

85 Pour les exemples du sain cf In Met 241 29-33 pour les exemples du meacutedical cf le texte citeacute ci-dessus pour les types deacutetants voir 242 10 sq

86 Contrairement agrave ce que soutient M Bonelli [2001] p 109

87 In Met 24415-16 (laquo ἡ γοῦν ἰστρική πάντων οὖσα τῶν ὑγιεινῶν ἐπιστήμη κυρίως καὶ μάλιστα τῆςὑγιείας ἐστί πρὸς ἣν τὰ ἄλλα λέγεται raquo) Pour la laquo reacutefeacuterence raquo cf entre autres le passage deacutejagrave citeacute de255 17-19

88 In Met 243 9-10 laquo Ἐνδείκνυται δὲ τὴν τῆς οὐσίας ἰσχὺν πρὸς τὸ εἶναί τε καὶ τὸ ὄν raquo

89 Voir aussi In Met 244 19-20 (laquo τοῦ πρώτου καὶ κυρίως ὄντος ἔσται δι ὃ καὶ τὰ ἄλλα ὄντα raquo) 255 27(laquo τὸ πρῶτον τῶν ὄντων τοῦτο δέ ἐστιν ἡ οὐσία raquo) 387 11-12 (laquo ἀλλὰ καὶ καθὸ ὑπόκειται καὶ καθὸτἆλλα ἔστι τῷ ἐν ταύτῃ ὑποκειμένῃ εἶναι μάλιστα καὶ πρῶτον ὄν raquo)

326

Les objets de la meacutetaphysique

Il arrive certes agrave Aristote de qualifier dans certains cas de plurivociteacute le sens premier de

laquo κυριῶς raquo voire ailleurs de correacuteler les adverbes μάλιστα et κυριῶς mais jamais ne dit-il que

le sens premier (de lamitieacute de la puissance etc) est tel au plus haut point ndash sauf peut-ecirctre en un

passage du Protreptique90 Pour Alexandre au contraire la substance est non seulement par soi

mais mecircme par soi un eacutetant ce quest preacuteciseacutement un eacutetant91 ndash autant dexpressions que lExeacutegegravete

emploie dailleurs aussi agrave la lettre quand il parle de leacutetant selon Platon ou des Ideacutees92 Cela agrave soi

seul nimplique pas une lecture platonisante de la doctrine aristoteacutelicienne de la substance mais

plutocirct une certaine maniegravere dinterpreacuteter la critique de lIdeacutee platonicienne La doctrine de la

substance serait ainsi conccedilue comme reacuteussissant lagrave ougrave eacutechouait la theacuteorie platonicienne la

substance elle-mecircme venant prendre en charge ce que ne parvenaient pas agrave faire les Ideacutees

Surtout la thegravese selon laquelle la substance est un eacutetant au plus haut point nest rien

dautre au fond que lapplication directe de la diffeacuterence que fait Alexandre entre synonymes et

πρὸς ἕν Labsence d laquo isotimie raquo lineacutegaliteacute de condition quAlexandre avait annonceacutee comme

caracteacuteristique des πρὸς ἕν trouve donc son expression dans une diffeacuterence de degreacutes Ici aussi

comme on la vu dans sa theacuteorie des principes et singuliegraverement dans le commentaire agrave α 1

Alexandre ouvre la voie agrave ce que M Rashed appelle un laquo gradualisme de lecirctre raquo ou si lon

preacutefegravere agrave une ontologie scalaire93 ndash mecircme si son laquo eacutechelle raquo ne compte ici que deux barreaux la

substance et les eacutetants non substantiels Le laquo gradualisme raquo que M Rashed discerne entre les

diffeacuterentes substances et les diffeacuterentes formes vaut donc deacutejagrave selon nous au niveau

preacutedicamental pour dire la prioriteacute de la substance telle quelle rend possible une preacutedication

90 Pour la correacutelation de μάλιστα et κυριῶς cf par exemple GC I 4 320a 2 Le deacutebut de Θ 1 qualifie bienun sens de la puissance agrave savoir la puissance selon le mouvement de laquo μάλιστα κυρίως raquo (1045b 36)mais nest-ce pas plutocirct comme le traduisent adeacutequatement A Jaulin et M-P Duminil parce que telest le laquo sens le plus propre raquo dans la mesure ougrave laquo puissance raquo est dabord une notion doriginephysique ou comme le dit G Aubry laquo kineacutetique raquo (G Aubry [2006] p 113) et qui sera ensuite deacutepasseacutedans le livre Θ Pour lrsquoideacutee que le sens premier est κυριῶς cf EEVII 2 1236a 20 et EN VIII 5 1157a31 Enfin le Protreptique accorde quant agrave lui explicitement une supeacuterioriteacute de la santeacute sur les chosessaines (Jamblique Protreptique 42 23-29)

91 In Met 249 13 laquo ἡ οὐσία ὅπερ ὄν ἐστι καὶ κυρίως ὄν raquo Voir aussi 250 22 sq (l 23 laquo κυρίως μὲν καὶκαθ αὑτὸ ὂν ἡ οὐσία raquo)

92 LIdeacutee deacutegal par exemple est de fait leacutegal laquo κυρίως raquo et plus geacuteneacuteralement les Ideacutees sont ce quellessont laquo κυρίως raquo (83 14 et 21 Sur ce texte voir entre autres GEL Owen [1957] et L Gazziero [2008]Notons en passant que jamais en A Aristote nemploie ladverbe pour qualifier les Ideacutees) Les Ideacuteesdoivent aussi ecirctre de mecircme nature au plus haut point laquo μάλιστα raquo (89 24)

93 On se rappelle que pour Alexandre les principes premiers sont eacutetants au plus haut point (la thegravese estreacutepeacuteteacutee dans le proegraveme du commentaire agrave Γ en 237 5 sq) et que tels sont les objet de la sagesse (183 10sq) Pour le commentaire agrave α 1 cf ci-dessus sect 213 Sur le gradualisme de lecirctre et de la veacuteriteacute cf MRashed [2007b] p 309 sq

327

Les objets de la meacutetaphysique

leacutegitime de laquo eacutetant raquo ni homonymique ni du moins selon Alexandre synonymique preacuteciseacutement

du fait de cette ineacutegaliteacute

Agrave cela sajoute que pour lExeacutegegravete cette eacutechelle de leacutetant est aussi une eacutechelle de luniteacute

En vertu de la convertibiliteacute entre eacutetant et un la substance est en effet aussi eacuteminemment et par

soi laquo une raquo94 Degraves lors laquo πρὸς ἕν raquo et laquo ἀφ ἑνός raquo signifient dans le cas des eacutetants non pas

seulement le fait decirctre relatif ou de provenir dune uniteacute parmi dautres mais de luniteacute au sens

propre luniteacute substantielle

Leacutecart avec Aristote et le texte de Γ 2 est alors net Et mecircme si lon soutient quAlexandre

lit Γ 2 en ayant le livre Z en tecircte95 ougrave le privilegravege de la substance est davantage eacutetayeacute il reste

quen Z la substance est uniquement deacutetermineacutee comme le laquo premier eacutetant raquo celui que

laquo suivent raquo les eacutetants non substantiels96 non comme eacutetant au plus haut point On a de toute faccedilon

de nombreuses raisons de penser que lontologie aristoteacutelicienne nest pas une ontologie scalaire

ne serait-ce que parce que comme on la vu pour Aristote il ny a de comparaison possible

quentre des synonymes quil ne peut donc pas y avoir de plus et de moins entre les eacutetants97

Seuls peut-ecirctre Meacutetaphysique α et les fragments du Protreptique pourraient admettre une lecture

gradualiste98 La conception de degreacutes dans leacutetant tend agrave affadir la thegravese de sa plurivociteacute agrave en

donner en tout cas une version ordonneacutee et si ce nest homogegravene du moins unifieacutee

Mais il y a plus Alexandre ne se contente pas deacutetablir cette prioriteacute de la substance

comme maximum decirctre et duniteacute pour fonder luniteacute reacutefeacuterentielle des autres eacutetants Si la

substance est le premier eacutetant leacutetant au sens propre ou eacuteminent cest aussi parce que

simultaneacutement elle est cause de lecirctre des autres eacutetants

94 Cf par exemple In Met 249 5 sq et 13-14 laquo ὥσπερ ἡ οὐσία ὅπερ ὄν ἐστι καὶ κυρίως ὄν οὕτω καὶὅπερ ἓν καὶ κυρίως ἕν ἀλλ οὐ κατὰ συμβεβηκός raquo

95 M Bonelli [2001] p 119 sq

96 Respectivement en Z 1 1028a 14 et Z 4 1030a 22

97 Pour ces arguments ndash et dautres ndash cf W Leszl [1970] p 75 sq et 280 sq On peut tout agrave fait expliquercertains passages de Z par exemple qui ont lair gradualistes sans recourir agrave une ontologie scalaire Ilnous paraicirct mecircme quinjecter des degreacutes de lecirctre ou de la substance dans les passages ougrave Aristote parlede ce qui est laquo plutocirct substance raquo ou laquo plutocirct eacutetant raquo (1028a 26 1029a 6 1029a 29-30 1040b 22-24 etc)relegraveverait du faux-sens Cf aussi B 5 1002a 4-8 et 15-18 Sur ces questions voir agrave nouveau W Leszl[1970] 354-355

98 Cf R Brague [1988] p 407 n 24 Pour limportance de Meacutetaphysique α et du Protreptique pourAlexandre cf M Rashed [2000] et [2007b] p 309 sq et ci-dessus sect 213

328

Les objets de la meacutetaphysique

b) Une cause

On sen souvient selon Alexandre la preacutedication de laquo eacutetant raquo est fondeacutee en ce que la

nature de la substance se donne agrave laquo voir raquo dans les diffeacuterents eacutetants99 Agrave la question de savoir en

quelle faccedilon la substance se manifeste dans les eacutetants la reacuteponse est quelle le fait agrave titre de cause

La deacutependance des eacutetants agrave la substance est comprise comme une deacutependance causale Ici aussi

se creuse leacutecart entre le Philosophe et son Exeacutegegravete Alexandre va introduire dans son

commentaire agrave Γ le vocabulaire de la causaliteacute (laquo αἰτία raquo ou laquo δι ὅ raquo) un vocabulaire absent du

texte aristoteacutelicien Aristote y qualifie la substance de laquo principe raquo100 sans jamais speacutecifier outre

mesure On la dit la nature de la prioriteacute de la substance la faccedilon dont elle est principe des

autres significations est agrave peu de choses pregraves laisseacutee dans lombre en Γ elle nest en tout cas pas

expliciteacutee dans les termes de Z (prioriteacute deacutefinitionnelle dans la connaissance et dans le temps) Si

lon peut accorder agrave Owen quen Γ laccent est davantage mis sur la deacutependance deacutefinitionnelle

caracteacuterisant la substance comme laquo focal meaning raquo la chose demeure de toute faccedilon moins

explicite quen Z 1 1028a 34-36 ou Θ 1 1045b 31 par exemple De surcroicirct peut-ecirctre en Z 1

Aristote est-il au plus pregraves deacutetablir en outre une deacutependance decirctre entre la substance et les

eacutetants non substantiels en disant que cest laquo par la substance raquo (laquo διὰ ταύτην raquo) que laquo sont raquo les

autres eacutetants101 Mais admettre une deacutependance decirctre entre la substance et les autres eacutetants ou

deacutesigner la substance comme condition sine qua non des autres eacutetants nest mecircme pas encore la

tenir pour une cause ndash ce quAristote ne fera quau bout du chemin de Z en Z 17 et en H et

encore est-ce en un sens tregraves deacutetermineacute102 En outre que la substance soit principe pour les autres

eacutetants nest pas exactement dire que lecirctre des autres eacutetants serait en quelque faccedilon reacuteductible agrave

voire deacuteductible de lecirctre de ce principe lui-mecircme

Pour Alexandre au contraire la causaliteacute de la substance est un acquis un donneacute et lideacutee

que la substance est cause de lecirctre des autres eacutetants est sans doute lune des thegraveses les plus

99 Pour meacutemoire In Met 243 33 ndash 244 3 laquo τρόπον δέ τινα καὶ ταῦτα πρὸς μίαν φύσιν τὴν ἀναφορὰνἔχοντα καθ ἓν λέγεται καθ ὅσον ἐν πᾶσί πως αὐτοῖς ὁρᾶται ἡ φύσις αὕτη ἀφ ἧς καὶ δι ἣν οὕτωςκαλεῖται εἰ καὶ μὴ ὁμοίως καὶ ἐπίσης αὐτῆς πάντα μετέχει raquo Pour ecirctre exact ce qui se laisse voirnest pas laquo la nature de la substance au sens de lessence de la substance mais plutocirct laquo cette naturequest la substance raquo φύσις eacutetant sans doute employeacutee ici au sens tregraves large de laquo reacutealiteacute raquo

100 Met Γ 2 1003b 6 laquo πρὸς μίαν ἀρχήν raquo

101 Met Z 1 1028a 29-30 Sur le saut de largumentation agrave lœuvre agrave cet endroit de Z 1 cf JK Ward [2010]p 114 Voir aussi parmi dautres textes GC I 3 317b 4-11

102 Voir aussi Met Λ 5 1071a 1-2

329

Les objets de la meacutetaphysique

constantes de lExeacutegegravete On en a ainsi une esquisse dans une preacutemisse de la reacutefutation des Ideacutees

en 89 12 sq Ce passage tend dailleurs agrave conforter lhypothegravese selon laquelle pour Alexandre la

theacuteorie aristoteacutelicienne de la substance est la pars construens de la destruction des Ideacutees La

substance est ce qui fait que les autres eacutetants sont ou sont ce quils sont103 sans tomber dans la

meacutetaphore du modegravele ni la position dentiteacutes universelles seacutepareacutees En commentant A 9 et la

question de savoir si les platoniciens peuvent de faccedilon coheacuterente poser ou non lexistence

dIdeacutees dautres choses que des substances Alexandre suit en un premier temps au plus pregraves

Aristote Les platoniciens sont deacutecrits comme deacutechireacutes entre deux injonctions contradictoires

leur tendance dune part agrave poser des Ideacutees dautres choses que des substances puisquil y a des

formes de tout ce qui peut ecirctre objet de science (990b 11-13) et que les sciences ne portent pas que

sur les substances (b 26-27) dautre part une conception de la participation comme ce qui na pas

lieu par accident mais par soi et ougrave le participeacute laquo ne se disant pas dun substrat raquo (b 31) il doit

ecirctre substantiel

Agrave partir de 89 9 toutefois Alexandre introduit dans son commentaire un deacuteveloppement

qui nest plus une simple paraphrase104 Il y fait en somme le raisonnement suivant les Ideacutees

doivent ecirctre causes de lecirctre des choses qui sont relativement agrave elles (laquo αἰτίαι τοῖς πρὸς αὐτὰς

οὖσι τοῦ εἶναι raquo 89 9) et cette causaliteacute sexerce par la participation de ces deux preacutemisses il

sensuit que les Ideacutees doivent ecirctre par soi causes pour les choses qui sont relativement agrave elles et agrave

cause delles (laquo αἴτια τοῖς πρὸς αὐτὰς καὶ δι αὐτὰς οὖσιν raquo 89 11) Si cette causaliteacute sexerccedilait

par accident les Ideacutees ne pourraient en effet fournir lecirctre agrave ces choses (laquo τὸ εἶναι ἂν τοῖς πρὸς

αὐτὰς οὖσι παρέχοιεν raquo 89 14-15) Largument dAlexandre est donc diffeacuterent de celui

dAristote et va agrave tout le moins au-delagrave du seul texte lExeacutegegravete se sert de la proprieacuteteacute pour les

Ideacutees decirctre laquo causes de lecirctre raquo pour asseoir quelles sont substances et que degraves lors ce qui en

participe ne peut ecirctre que substantiel (89 18-20) On note en outre lemploi singulier de la

preacuteposition πρός quAristote nutilise pas en ce contexte Chez Alexandre elle signifie la relation

des choses sensibles aux Ideacutees et se trouve donc donneacutee comme la reacuteversion de la relation de

causaliteacute des Ideacutees agrave leacutegard de ce qui en participe

Plus geacuteneacuteralement la thegravese selon laquelle les Ideacutees ont agrave assumer le rocircle de laquo causes de

103 Nous laissons encore ici dans lombre la nature exacte de la causaliteacute exerceacutee par la substance celle-cineacutetant quimplicite dans le commentaire agrave A

104 WE Dooley [1989] p 126 n 275 note bien quAlexandre nest plus dans la simple paraphraseSeulement pour Dooley Alexandre se contente en fait lagrave de laquo deacutevelopper les implications du texte raquo ilnous semble quAlexandre en fait davantage

330

Les objets de la meacutetaphysique

lecirctre raquo pour le reste est freacutequente dans le commentaire alexandrinien agrave A 9105 bien plus freacutequente

que dans le texte dAristote Le Stagirite rappelle une seule fois laffirmation du Pheacutedon qui veut

que les Ideacutees soient laquo causes de lecirctre et du devenir raquo Or pour la critique aristoteacutelicienne cest la

conjonction de lecirctre et du devenir qui est cruciale106 Mais si la substance aristoteacutelicienne pour

Alexandre peut ecirctre leacutegitimement consideacutereacutee comme laquo cause de lecirctre raquo cest bien parce que le

concept de substance est en mesure dassumer une tacircche theacuteorique deacutecrivant adeacutequatement le

reacuteel que les Ideacutees ne parviennent agrave exercer La substance est ainsi cause de lecirctre des autres eacutetants

sans pour autant supprimer le fait de laccidentaliteacute et la multipliciteacute du monde La thegravese

platonicienne en effet par lideacutee de participation agrave leacutetant en soi et lun en soi tend agrave reacuteduire

toutes choses agrave luniteacute alors que mecircme dans le cadre platonicien laquo bien que ltces chosesgt

viennent agrave ecirctre relativement agrave une certaine uniteacute elles sont et demeurent pourtant multiples raquo107

Et cest cette contradiction que la theacuteorie aristoteacutelicienne de la substance et la doctrine attenante

du πρὸς ἕν permettent deacuteviter

Cette fonction de laquo cause de lecirctre raquo est en effet explicitement attribueacutee agrave la substance dans

le cadre de sa fonction duniteacute de reacutefeacuterence dans le commentaire de 1003b 16-17 lagrave ougrave Aristote

dit

Or dans tous les cas la science est proprement science du premier dont deacutepend tout lereste et par quoi il se dit

Cette affirmation est bien sucircr cruciale pour linterpreacutetation dAlexandre Mais la

proposition aristoteacutelicienne contrairement peut-ecirctre aux apparences nimplique pas

neacutecessairement de poser la substance comme cause de lecirctre En effet on peut tregraves bien comme le

propose P Aubenque108 consideacuterer quon a lagrave leacutenonceacute dun principe geacuteneacuteral (laquo dans tous les cas la

science est proprement science du premier raquo) valant dans deux cas distincts comme en teacutemoigne

105 Voir par exemple In Met 77 23 94 5 96 26-27 (ougrave il est question pour les Ideacutees de laquo contribuer raquoσυντελεῖν agrave lecirctre des autres choses) 97 2 etc Cf aussi le rappel dans le commentaire agrave Δ 8 In Met374 36 (laquo αἱ γὰρ ἰδέαι ἀριθμοὶ οὖσαι τοῦ εἶναι τοῖς ἄλλοις αἴτιαι raquo)

106 En A 9 991b 4 se reacutefeacuterant sans doute au Pheacutedon 97b 5-6 ougrave Socrate apregraves avoir annonceacute une enquecirctesur les causes de la geacuteneacuteration et la corruption ajoute la question de savoir laquo pourquoi une chose est raquoPour cette critique aristoteacutelicienne voir le passage parallegravele de M 5 1080a 3 et GC II 9 335b 15-16

107 In Met 125 11-13 la phrase complegravete eacutetant laquo ὥστε οὐ τὰ πολλὰ καὶ τὰ πάντα ἓν γίγνεται κἂνσυγχωρήσῃ τις αὐτοῖς πάντα ἃ λαμβάνουσιν ἀλλὰ πρὸς ἕν τι γεγονότα πολλὰ μέντοι ὄντα καὶμένοντα raquo qui commente Met A 9 992b 10-11 Preacutecisons que pour Alexandre cette critique se faitbien dun point de vue platonicien comme le preacutecise le deacutebut de cette phrase et entend pointer unecontradiction interne Pour la pluraliteacute des choses en dehors des Ideacutees cf entre autres Rep VI 507b

108 P Aubenque [1985a] [2009a] p 297

331

Les objets de la meacutetaphysique

la polysyndegravete avec la reacutepeacutetition du καὶ Si la polysyndegravete doit ecirctre lue comme unifiant ces deux

laquo cas raquo rien nempecircche pour autant dentendre la laquo deacutependance raquo mentionneacutee dans la premiegravere

relative agrave la lumiegravere de la seconde et deacutesignant donc une deacutependance dabord seacutemantique Tenir

cette deacutependance pour une forme de causaliteacute est un geste dinterpregravete ndash qui nest du reste guegravere

neacutecessaire pour rendre raison de la progression argumentative du passage ndash et Alexandre lui

saute allegravegrement ce pas

1003b16 Πανταχοῦ δὲ κυρίως τοῦπρώτου ἡ ἐπιστήμη

[24410] Λαβὼν ὅτι τῶν πολλαχῶςλεγομένων ὡς ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓνἐπιστήμη μία ἑξῆς δείκνυσιν ὅτι ἐν τοῖςοὕτως ἔχουσιν ἐν οἷς τὸ μὲν πρῶτόν τί ἐστικαὶ κυρίως λεγόμενον τὰ δὲ ἀπ ἐκείνου ὡςἔχει ἐν τοῖς ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἓν λεγομένοιςτοῦ πρώτου κυρίως καὶ μάλιστά ἐστιν ἡ περὶἐκείνην τὴν φύσιν καταγινομένη ἐπιστήμηπρὸς ἣν καὶ τὰ ἄλλα συντελεῖ [24415]

laquo Or dans tous les cas la science est eacuteminemmentscience du premier raquo

Apregraves avoir poseacute que des choses dites enplusieurs sens comme celles agrave partir dune uniteacute etrelativement agrave une uniteacute il y a une unique science ilmontre ensuite que dans les choses qui se comportentainsi dans lesquelles il y a dune part quelque chosequi est premier et est dit eacuteminemment et dautre partce qui en provient (comme il en va dans ce qui se dit agravepartir dune uniteacute et relativement agrave une uniteacute) lascience qui porte sur cette nature agrave laquellecontribuent les autres choses est eacuteminemment et auplus haut point science du premier

Ἡ γοῦν ἰστρική πάντων οὖσα τῶνὑγιεινῶν ἐπιστήμη κυρίως καὶ μάλιστα τῆςὑγιείας ἐστί πρὸς ἣν τὰ ἄλλα λέγεταιὁμοίως καὶ ἡ περὶ ἀγαθῶν κυρίως καὶμάλιστά ἐστι περὶ τοῦ τελειοτάτου τῶνἀγαθῶν

Par exemple la meacutedecine qui est science detoutes les choses saines est eacuteminemment et au plushaut point science de la santeacute relativement agrave laquelletoutes les autres choses ltsainesgt sont dites ltsainesgtDe la mecircme maniegravere la science des biens porteeacuteminemment et au plus haut point sur le plus parfaitdes biens

Καὶ περὶ τοῦ ὄντος δὴ παντός ἐπεὶ τῆςαὐτῆς ἐστι φύσεως τὸ ὄν μία μὲν ἐπιστήμηαὕτη δὲ μάλιστα ἐπὶ τοῦ πρώτου καὶ κυρίωςὄντος ἔσται δι ὃ [24420] καὶ τὰ ἄλλα ὄνταTὴν δὲ οὐσίαν τοιοῦτον λέγουσιν ἐκ ταύτηςγὰρ ἤρτηται τὸ εἶναι τῶν ἄλλων καὶ διὰταύτην ὄντα κἀκεῖνα Τῶν οὐσιῶν ἄρα τὰςἀρχὰς καὶ τὰς αἰτίας ζητητέον τῷ φιλοσόφῳᾧ ἡ πραγματεία περὶ τὸ ὂν ᾗ ὄν αἱ γὰρταύτης ἀρχαὶ καὶ τοῦ ὄντος ἂν παντὸς εἶενεἴ γε τοῖς ἄλλοις ἡ οὐσία ἀρχή τε καὶ αἰτίατοῦ εἶναι

Donc aussi pour leacutetant dans sa totaliteacute puisqueleacutetant est de mecircme nature il y a une unique sciencemais celle-ci portera principalement sur leacutetantpremier et eacuteminent par lequel109 tous les autres eacutetantsaussi sont lteacutetantsgt Un tel eacutetant on dit que cest lasubstance De celle-ci en effet deacutepend lecirctre des autreseacutetants et par elle ceux-ci sont eacutetants110 Ce sont doncles principes et les causes des substances que doitchercher le philosophe lui dont leacutetude porte surleacutetant en tant queacutetant Les principes de la substanceen effet seraient aussi les principes de tout eacutetant silest vrai que la substance est agrave la fois principe et causede lecirctre pour le reste des eacutetants

(244 9-24)

109 Ou ndash mais cest plus lourd ndash laquo agrave cause duquel raquo De mecircme pour loccurrence suivante agrave propos de lasubstance Sur leacutequivalence systeacutematique de laquo δι ὃ raquo avec la cause chez Alexandre voir aussi In Met247 13-15

110 Pour meacutemoire leacutequivalence de laquo ecirctre raquo employeacute absolument avec laquo ecirctre un eacutetant raquo est eacutetablie en In AnPr 15 15-22

332

Les objets de la meacutetaphysique

Le texte concentre un certain nombre des gestes exeacutegeacutetiques deacutejagrave observeacutes chez

Alexandre au sujet non seulement des plurivoques mais aussi de la science de leacutetant en tant

queacutetant et la place quy occupe la substance nous ny revenons pas Le premier moment du texte

(deacutelimiteacute ci-dessus par le premier paragraphe) reacutecupegravere les analyses preacuteceacutedentes sur les ἀφ ἑνός

τε καὶ πρὸς ἕν et les applique au cas des sciences qui les eacutetudie la science de ces choses est

laquo eacuteminemment et au plus haut point raquo science du premier sens ndash ce qui ne signifie pas quelle soit

exclusivement science de celui-ci La suite deacutecline cette thegravese par deux modegraveles qui rendent

visibles les efforts dAlexandre pour aplanir le texte dAristote quoique dune maniegravere assez

ingeacutenieuse Le premier cas explicite ainsi le lien entre les deux exemples aristoteacuteliciens du sain et

du meacutedical pour mieux mettre au jour la communauteacute de structure entre lobjet de la science (le

sain et la santeacute) et la science (la meacutedecine) Le cas du Bien absent du texte dAristote est

eacutegalement inteacuteressant Alexandre le classe ici explicitement dans les ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν ce

qui justifie a posteriori sa reprise deacuteleacutements de lanalyse anti-platonicienne du deacutebut de lrsquoEacutethique agrave

Nicomaque dans le traitement des ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν Il est en outre probable quAlexandre

lintroduise au titre dobjet de la sagesse et donc par anticipation de leacutetant puisque celle-ci porte

sur le Bien qui est non pas objet daction mais de contemplation laquo le plus eacuteminent et le meilleur

des eacutetants raquo laquo ce qui est au plus haut point raquo111 La position du Bien dans les ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς

ἕν est lun des multiples aspects de lunification alexandrinienne de la Meacutetaphysique

Par analogie et gracircce agrave cette meacutediation que constitue le cas du bien112 la mecircme analyse se

voit degraves lors appliqueacutee agrave leacutetant la science de leacutetant en tant queacutetant porte sur luniteacute agrave laquelle se

reacutefegraverent les eacutetants la substance Mais ce qui est neuf par rapport aux exemples preacuteceacutedents113 est

lunification des relations de provenance et de reacutefeacuterence (ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν) dans la

deacutependance causale La substance est cause de lecirctre des autres eacutetants et cest en vertu de cette

causaliteacute quils sont des eacutetants et sont donc appeleacutes laquo eacutetants raquo La difficulteacute est bien sucircr de savoir

ce que veut dire ici laquo cause de lecirctre raquo une question eacutepineuse dans les deacutetails de laquelle on

peacuteneacutetrera plus avant degraves la prochaine partie

111 Cf In Met 183 11-13 laquo τοιοῦτον γὰρ καὶ τὸ τῆς σοφίας τέλος ἡ γὰρ τοῦ κυριωτάτου τε καὶἀρίστου τῶν ὄντων καὶ μάλιστα ὄντος γνῶσις μέγιστον οὖσα ἀγαθὸν ἐκείνῃ τέλος raquo

112 On en perccediloit un usage similaire (du cas du Bien comme laquo plaque tournante raquo du raisonnement) dansle passage eacutetudieacute ci-apregraves du De anima 88 24- 89 8 ougrave le bien est lexemple dapplication de principede causaliteacute du maximum qui permet quon applique ensuite le principe au cas des intelligibles et delintellect agent

113 Alors que dans dautre texte (cf note preacuteceacutedente) Alexandre nrsquoheacutesite pas agrave poser le bien suprecircmecomme cause de la bonteacute des autres biens

333

Les objets de la meacutetaphysique

Dembleacutee cependant en vertu du commentaire au dernier sens de la prioriteacute en Δ 11 on

est fondeacute agrave comprendre cette cause de lecirctre agrave laune dune deacutependance existentielle Alexandre

dit en effet dans son commentaire agrave Δ 11 que la substance est premiegravere par rapport agrave ses

accidents au sens ougrave la destruction de la substance entraicircne celle des accidents mais que la

destruction des accidents nentraicircne pas celle de la substance114 Cette anteacuterioriteacute est une prioriteacute

laquo selon lecirctre et lexistence raquo (κατὰ τὸ εἶναι [hellip] καὶ κατὰ τὴν ὕπαρξίν 387 8-9) et Alexandre la

rattache agrave la fonction substrative de la substance en vertu de laquelle elle est llaquo eacutetant au plus

haut point et premier raquo (μάλιστα καὶ πρῶτον ὄν 387 12)

Lanteacuterioriteacute de la substance qui se fait jour dans le traitement alexandrinien des πρὸς ἕν

est donc le sens de laquo premier raquo quAristote qualifie lui-mecircme de platonicien la prioriteacute naturelle

ou substantielle J Cleary note en effet que dans tout le traitement aristoteacutelicien de la prioriteacute

dans lensemble du corpus cest le seul sens qui se trouve rattacheacute agrave une figure historique ndash

quoique lon puisse avoir du mal agrave trouver une reacutefeacuterence agrave cette laquo division raquo dans les dialogues115

Ce critegravere de lanteacuterioriteacute que reprend Alexandre et qui nest pas sans rappeler eacutegalement les

Cateacutegories 12 et 13116 doit ainsi ecirctre lu dans la continuiteacute de son gradualisme ndash comme en

teacutemoigne aussi le commentaire agrave B 5 sur le corps qui est moins substance que la surface parce

que lun implique lautre mais non linverse117

La diffeacuterence flagrante entre Aristote et Alexandre est quAlexandre tire de cette prioriteacute

de la substance un double statut de cause et de maximum decirctre ce que fait par exemple dans le

commentaire agrave Δ 11 la proposition de 387 11-12 laquo ἀλλὰ καὶ καθὸ ὑπόκειται καὶ καθὸ τἆλλα

ἔστι τῷ ἐν ταύτῃ ὑποκειμένῃ εἶναι μάλιστα καὶ πρῶτον ὄν raquo Si lExeacutegegravete est coheacuterent ndash et rien

nindique le contraire ndash il faut entendre le laquo καθὸ τἆλλα ἔστι raquo en eacutecho avec la deacutetermination de

la substance comme cause de lecirctre Cest de cette deacutetermination quAlexandre tire lideacutee quelle

est eacutetant au plus haut point et premier selon le principe sous-jacent que nous nommons

laquo principe de causaliteacute du maximum raquo dapregraves lequel dans un ensemble deacuteleacutements doteacutes du

mecircme preacutedicat x leacuteleacutement qui est x au plus haut point est alors neacutecessairement la cause de lecirctre-

x des eacuteleacutements restants et reacuteciproquement

114 Pour largument de suppression cf ci-dessous sect 321

115 JJ Cleary [1988] p 44-45 et WD Ross [1924] I p 317 Cleary renvoie au Sophiste et au Politique

116 Cf par exemple sur lanteacuterioriteacute des genres Cat 13 15a 4-6

117 Cleary se livre dailleurs agrave une lecture gradualiste de ce passage cf JJ Cleary [1988] n 56 p 111 PourAlexandre cf In Met 228 30 sq

334

Les objets de la meacutetaphysique

Ce passage ne fait selon nous que concentrer ce qui se trouve implicite dans le reste du

corpus mais qui est trop freacutequent pour ne pas ecirctre significatif agrave savoir la correacutelation pour la

substance de son statut de cause avec celui de maximum decirctre ou deacutetant premier et au plus

haut point Le principe de causaliteacute du maximum est la structure cacheacutee qui guide la

compreacutehension alexandrinienne de la relation ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν Gracircce agrave lui lobjectif que

seacutetait fixeacute lExeacutegegravete est rempli la relation seacutemantique des divers eacutetants agrave la substance et la

possibiliteacute de tous les nommer laquo eacutetants raquo est fondeacutee en reacutealiteacute Les eacutetants non substantiels nont

lecirctre quen vertu de la substance comprise comme eacutetant maximal et capable dexercer la fonction

de laquo cause de lecirctre raquo pour tout le reste Luniteacute des divers eacutetants est donc maintenue les eacutetants

non substantiels laquo partagent une certaine communauteacute dans le fait decirctre ce quils sont dits parce

quil y a une certaine nature de cet objet ltla substancegt qui en quelque faccedilon se laisse voir en

tous raquo (241 18-20)

c) Premier et universel derechef

La proposition de Derrida selon laquelle dans lhistoire de la philosophie la polyseacutemie

nest jamais penseacutee que dans lhorizon laquo dune lecture inteacutegrale raquo celui laquo dune parousie finale du

sens enfin deacutechiffreacute reacuteveacuteleacute devenu preacutesent dans la richesse rassembleacutee de ses

deacuteterminations raquo118 si elle ne nous paraicirct pas pouvoir deacutecrire la situation aristoteacutelicienne (voire

induire un contre-sens sur Γ 2 qui a bien davantage agrave voir avec la laquo disseacutemination raquo) cette

proposition donc pourrait commencer agrave valoir pour son interpreacutetation alexandrinienne Pour ce

faire il faudrait eacutetablir si pour Alexandre la substance suffirait agrave signifier inteacutegralement leacutetant

La polyseacutemie alexandrinienne nest-elle quun tribut accordeacute de mauvaise gracircce agrave la

disseacutemination aristoteacutelicienne Et en ce cas dans quelle mesure le πρὸς ἕν nest-il pas quune

version leacutegegraverement retravailleacutee ie rendue immanente de leacuteponymie platonicienne 119 Lecirctre des

118 J Derrida [1972a] p 389 et [1972b] p 368 et 392

119 JK Ward ([2008] p 39 sq) montre la similariteacute entre la notion platonicienne et le πρὸς ἕν aristoteacutelicienWard en insistant sur ces similariteacutes tend dailleurs agrave donner du πρὸς ἕν aristoteacutelicien une versionsinguliegraverement proche de celle dAlexandre ndash et doit se reprendre quelques pages apregraves (p 40) ensoulignant aussi ce qui seacutepare eacuteponymie et uni-reacutefeacuterentialiteacute agrave savoir que les diffeacuterentes entiteacutesauxquelles sappliquent les preacutedicats (sain eacutetant) sont laquo de mecircme statut meacutetaphysique raquo Mais ladiffeacuterence est eacutevidemment plus forte et Ward le note ensuite au risque dune contradiction avec lespages preacuteceacutedentes la deacutependance entre les Formes et les particuliers na finalement rien agrave voir avec larelation entre le sens premier et les sens secondaires (p 41)

335

Les objets de la meacutetaphysique

eacutetants non substantiels ne serait alors rien dautre que leffet de la causaliteacute ontique de la

substance un reflet de sa nature deacutetant eacuteminent et la laquo nature raquo de la substance dont il est

question figurerait agrave peu de chose pregraves un genre

Tel serait lultime accomplissement de la coordination du πρὸς ἕν avec lἀφ ἑνός La

relation ἀφ ἑνός inverse en effet le point de vue du πρὸς ἕν en accentuant la position eacuteminente

de luniteacute en question et la deacutependance des autres choses Agrave ce titre la deacutetermination de la

substance comme cause de lecirctre nest rien dautre que lexpression dynamique de la relation ἀφ

ἑνός comme Alexandre lillustre lui-mecircme en disant que cest laquo agrave partir raquo de la substance que les

autres eacutetants possegravedent lecirctre (laquo ἀπὸ τῆς οὐσίας τὸ εἶναι ἔχει raquo 257 8) On pourrait ainsi

concevoir par exemple que le πρὸς ἕν ne deacutesigne plus que la reacutefeacuterence (lanaphore) seacutemantique

des eacutetants non-substantiels agrave la substance la relation de deacutependance lἀφ ἑνός signifiant au

contraire leur relation reacuteelle la causaliteacute de la substance120

De faccedilon plus geacuteneacuterale la substance est-elle pour autant essentiellement un eacutetant au point

davoir lecirctre pour essence de ne plus figurer un sens de leacutetant parmi dautres fucirct-il le premier

mais suffisant agrave dire la totaliteacute ce que cest que decirctre La substance premiegravere selon lecirctre et

premiegravere selon leacutenonceacute serait premiegravere dans la connaissance mais au sens ougrave la connaissance du

reste se laisserait deacuteduire de la connaissance du premier Telle est la thegravese qui selon W Leszl ou

E Berti par exemple se trouve au fond des conceptions synonymiques du πρὸς ἕν des

tentatives pour reacuteduire la plurivociteacute de leacutetant121 Or nous avons deacutejagrave croiseacute un passage qui

semble aller dans ce sens en identifiant premier et universel

Ὅτι δὲ μία τῷ γένει ἡ περὶ τὸ ὂν ᾗ ὂνπραγματευομένη φιλοσοφία ἐδήλωσε καὶ ἐξὧν εὐθὺς ἀρχόμενος τοῦ βιβλίου εἶπενldquoαὕτη δέ ἐστιν οὐδεμιᾷ τῶν ἐν μέρειλεγομένων ἡ αὐτήrdquo ἡ περὶ τὰς ἀρχὰς καὶ τὰπρῶτα αἴτια καὶ τὴν οὐσίαν [24610]πραγματευομένη ἅμα τέ ἐστι πρώτη καὶκαθόλου ἐν γὰρ τοῖς ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓνλεγομένοις τὸ πρῶτον καὶ καθόλου τῷ καὶτοῖς ἄλλοις αὐτὸ εἶναι αἴτιον τοῦ εἶναι ὡςκαὶ αὐτὸς ἐν τῷ Ε τῆσδε τῆς πραγματείαςἐρεῖ

Et que soit une par le genre la philosophie quisoccupe de leacutetant en tant queacutetant Aristote la aussiexpliqueacute agrave partir de ce quil a dit degraves le deacutebut dulivre laquo elle nest identique agrave aucune des sciencesdites partielles raquo elle qui soccupe des principes descauses premiegraveres et de la substance Elle est agrave la foispremiegravere et universelle car dans ce qui se dit agrave partirdune uniteacute et relativement agrave une uniteacute le premier estaussi universel du fait que pour les autres choses ilest lui-mecircme cause de leur ecirctre comme le dira aussiAristote lui-mecircme au livre E de ce traiteacute

(246 6-13)

120 Cf A Stevens [2000] p 79

121 Cf entre autres W Leszl [1970] et E Berti [1979] et [2001] Lexpression de laquo conception synonymique raquonest pas chez E Berti mais cest bien cela quil vise quand il eacutetudie la thegravese dOwen par exemple Voiraussi P Aubenque [1962] p 194 sq

336

Les objets de la meacutetaphysique

Si ce passage commentant 1003b 21-22 ne concerne que la structure uni-reacutefeacuterentielle de

la science de leacutetant en tant queacutetant il preacutetend toutefois eacutenoncer une regravegle geacuteneacuterale pour les laquo ἀφ

ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν raquo agrave savoir la conjonction du premier et de luniversel Luniteacute agrave laquelle se

reacutefegravere et dont proviennent les autres choses dit aussi universellement ce qui vaut pour le reste agrave

titre de laquo cause de lecirctre raquo Appliqueacute au cas preacutedicamental de la substance par rapport aux eacutetants

non-substantiels il faudrait alors le lire en conjonction avec les passages ougrave Alexandre dit que la

substance est laquo par soi raquo eacutetant et une122 La substance alexandrinienne ne serait degraves lors plus tregraves

loin de l laquo αὐτοὸν καὶ αὐτοέν raquo des platoniciens ou dans une version meacutedieacutevale de lesse ipsum

subsistens de Thomas dont E Berti a bien montreacute ce quil perdait de la thegravese aristoteacutelicienne de la

plurivociteacute de leacutetant et ce quil meacutecomprenait de la onziegraveme aporie de B123 Toutefois il nest pas

certain que la thegravese alexandrinienne selon laquelle la substance est par soi un eacutetant tombe dans

le travers deacutenonceacute par Ε Berti si la substance est par soi tout ce quelle est nest-il pas logique

quelle soit eacutegalement par soi un eacutetant De lagrave agrave affirmer quelle est lecirctre par soi et geacuteneacuterique des

platoniciens deacutenonceacute par Aristote il y a tout de mecircme un pas et il reste agrave savoir si Alexandre le

franchit

313 La relativiteacute des eacutetants non-substantiels

La position dAlexandre telle quelle eacutemerge des passages quon vient de citer pourrait

en effet tomber sous les coups adresseacutes par Leszl aux tenants de laquo la conception synonymique du

πρὸς ἕν raquo Parmi les objections de Leszl lune des plus dirimantes consiste agrave mettre au jour agrave titre

de preacutesupposeacute dune telle conception la reacuteductibiliteacute de lecirctre de telle qualiteacute (par exemple) agrave

lecirctre de la substance posseacutedant cette qualiteacute ndash cest lagrave la thegravese de la laquo traduction raquo chez Owen124

122 In Met 250 22 sq

123 Cf E Berti [1979] et [2001] [2008a] particuliegraverement p 364 sq Berti considegravere quil y a un refus defond pour Aristote dune laquo substance dont lessence serait decirctre raquo Sur cette ideacutee cf aussi P Aubenque[1962] p 196-197 qui renvoie agrave AnPo II 7 92b 14

124 W Leszl [1970] p 245 Heidegger aussi se meut encore dans cette conception quand il dit encommentant le deacutebut de Θ 1 laquo par exemple le ποιόν lecirctre-tel il nexiste pas seul en lui-mecircme on nela preacuteciseacutement pas saisi dans sa signification la plus propre lorsquon ne saisit pas en mecircme temps lecirctre-tel de quelque chose Ce rapport ndash laquode quelque chose raquo ndash est constitutif des cateacutegories Celles-cine sont donc pas occasionnellement et apregraves-coup rapporteacutees agrave la premiegravere cateacutegorie par le biais deleacutenonceacute comme si agrave part ccedila elles pouvaient encore signifier quelque chose en elle-mecircme raquo (GA 33 p 8 tr frp 17) Notons cependant au creacutedit de Heidegger que cette interpreacutetation nest avanceacutee quau titre de

337

Les objets de la meacutetaphysique

Or outre que cette interpreacutetation attente par trop clairement agrave lideacutee mecircme dune plurivociteacute de

leacutetant Aristote dit linverse en toutes lettres quand il reacutefute le monisme parmeacutenidien au premier

livre de la Physique125 La deacutependance des eacutetants non-substantiels envers la substance ne peut

preacuteciseacutement pas signifier chez Aristote leur reacuteduction au statut de simples modaliteacutes de la

substance deacutepourvues decirctre propre126 Ce que veut dire laquo eacutetant raquo attribueacute aux eacutetants non-

substantiels ne peut ecirctre inteacutegralement reacuteductible agrave ce quil signifie pour une substance de mecircme

que le sens de laquo sain raquo pour un meacutedicament nest pas uniquement compreacutehensible dans le sens

qua laquo sain raquo pour la santeacute Il nest mecircme pas besoin daller jusquagrave soutenir agrave partir de lagrave une

laquo homonymie raquo de leacutetant ndash thegravese qui se heurtera toujours au deacutebut de Γ 2 ndash car le contre-

argument preacuteceacutedent nimplique aucune autre contrepartie que la seule affirmation dune non-

synonymie de leacutetant

Cela entraicircne que dun point de vue aristoteacutelicien si lattribution de laquo eacutetant raquo aux eacutetants

non-substantiels deacutepend de la substance si donc leacutenonceacute de la substance laquo est preacutesent raquo127 dans

leacutenonceacute de lecirctre des eacutetants non-substantiels il est toutefois impossible que ce soit agrave la maniegravere

dune laquo partie de la deacutefinition raquo Formuleacute en des termes plus proches de lexeacutegegravese dAlexandre ndash

qui ici passe tregraves rapidement sur ces questions de deacutefinitions et insiste bien plus sur la causaliteacute

ontique de la substance ndash il faudrait rendre raison de la deacutependance des eacutetants non-substantiels agrave

la substance sans pour autant leur deacutenier tout sens propre decirctre

Or ce deacuteni pourrait bien avoir eacuteteacute une tentation dAlexandre en particulier quand il veut

justifier la neacutecessiteacute pour le philosophe deacutetudier la substance en octroyant agrave une telle eacutetude une

universaliteacute par conseacutequence128 Cette tentation fait fonds sur une distinction forte qui parcourt

tout le commentaire entre la substance et les eacutetants non-substantiels conccedilus comme des relatifs agrave

la substance Cette thegravese recueille lheacuteritage dAndronicos mais son origine remonte sans doute agrave

lancienne Acadeacutemie129 voire au Sophiste (255c) Chez Andronicos la thegravese intervient dans la

laquo premier deacutegrossissement raquo Rien cependant ne semble linfirmer dans la suite du cours

125 Phys I 3 186a 30-31

126 W Leszl [1970] p 247 Cf aussi P Aubenque [1962] p 193 et 247

127 Aristote emploie simplement laquo ἐνυπάρχειν raquo en Z 1 1028a 35-36 et le deacutebut de Θ 1 dit que les eacutenonceacutesdes cateacutegories secondaires contiendront (laquo ἕξει raquo 1045b 31) celui de la substance Les deux verbes tregraveslarges autorisent donc un eacuteventail dinterpreacutetations

128 Cette tentation rejoindrait la tentation eacutevoqueacutee au chapitre preacuteceacutedent de ne confeacuterer agrave la philosophiepremiegravere quune universaliteacute par conseacutequence On a vu en effet que certains passages du Commentaireneacutetaient pas eacuteloigneacutes de cette voie mecircme si lExeacutegegravete se reprenait ensuite

129 Dapregraves le teacutemoignage des Divisiones aristotelae cf aussi EN I 4 1096a 17-23 Agrave ce sujet voir GELOwens [1960] p 171 et W Leszl [1970] p 348 Pour lorigine acadeacutemicienne nous disposons eacutegalement

338

Les objets de la meacutetaphysique

question dun ordre des cateacutegories agrave la faveur du renouveau du traiteacute aristoteacutelicien au deacutebut de

legravere post-helleacutenistique aux alentours du 1er s av J-C Les cateacutegories peuvent en effet selon

Andronicos se diviser en deux groupes celle qui est par soi la substance et toutes les autres

qui en tant queacutetants sont relatives agrave la substance

Si la position dAndronicos dapregraves les teacutemoignages na pas toujours paru tregraves claire cest

dune part parce que le scolarque pouvait agrave la fois parler de laquo πρός τι raquo en un sens large pour

deacutesigner les cateacutegories secondaires et en un sens restreint comme lune de ces cateacutegories130 et

dautre part parce que malgreacute cette division des cateacutegories en deux classes il est aussi tenu pour

avoir laquo preacuteserveacute le nombre des dix cateacutegories raquo131 Cette derniegravere difficulteacute est cependant

purement apparente rien nempecircche de superposer agrave la division en dix cateacutegories celle de ces

dix en deux groupes et comme on va le voir cest ce que fait Alexandre Quoi quil en soit

lorsquil se fait le teacutemoin de cette thegravese Simplicius la considegravere comme laquo similaire raquo agrave celle qui

divise les cateacutegories en substance et laquo accidents de la substance raquo Lopposition entre par soi et

relatif dans le Sophiste eacutetait dailleurs eacutegalement lue agrave travers le prisme de la distinction entre par

soi et par accident132

Cest en ces termes quon la lit chez Alexandre

Ὄν γὰρ λέγεται κυρίως μὲν ἡ οὐσίαλέγεται δέ γε ὄντα καὶ τὰ τῇ οὐσίᾳσυμβεβηκότα ἅ ἐστι τὰ ἐννέα γένη Οὐ μὴναὐτὸς οὕτως χρῆται νῦν τοῖς παραδείγμασινἑκάστου γένους ἓν τιθείς ἀλλὰ δι αὐτῶνἐξαρίθμησίν τινα τῶν ὑπαρχόντων τῇ οὐσίᾳκαὶ δι αὐτὴν ὄντων καὶ αὐτῶν λεγομένωνποιεῖται ὧν πολλὰ [24215] καὶ ὑφ ἓν γένοςκαὶ τὴν αὐτήν ἐστι κατηγορίαν Καὶ εἴη ἂν

En effet ce qui est dit eacuteminemment eacutetant cest lasubstance mais sont aussi dits eacutetants les accidents dela substance que sont les neuf genres CependantAristote lui-mecircme nutilise pas ici dexemples aupoint den donner un de chaque genre mais par leurbiais il fait une sorte deacutenumeacuteration des proprieacuteteacutes dela substance agrave savoir des choses qui sont elles aussidites eacutetants agrave cause de la substance parmi lesquellesplusieurs sont sous un seul genre cest-agrave-dire sous la

du teacutemoignage de Simplicius In Cat 63 21-24 (laquo οἱ γὰρ περὶ Ξενοκράτη καὶ Ἀνδρόνικον πάντα τῷκαθ αὑτὸ καὶ τῷ πρός τι περιλαμβάνειν δοκοῦσιν ὥστε περιττὸν εἶναι κατ αὐτοὺς τὸ τοσοῦτοντῶν γενῶν πλῆθος ἄλλοι δὲ εἰς οὐσίαν καὶ συμβεβηκὸς διατέμνουσιν raquo)

130 Voir le bref reacutesumeacute des deacutebats dans RW Sharples [2010] p 62 et lexcellent article de T Reinhardt[2007] Sur la transmission de cette division jusque dans le De divisione de Boegravece cf M Griffin [2009] p140-143 Voir plus geacuteneacuteralement P Moraux [1973] p 103-104

131 Simplicius In Cat 342 24-25

132 Cf Simplicius In Phys 99 25-31 et M Griffin [2009] p 142 et 147

339

Les objets de la meacutetaphysique

τῇ πρώτῃ διαιρέσει τῶν ἐν Κατηγορίαις τοῦὄντος γεγονυιῶν μᾶλλον χρώμενος καθ ἣνδιαιρεῖ τὰ ὄντα εἰς οὐσίαν καὶ συμβεβηκότα

mecircme cateacutegorie Peut-ecirctre utilise-t-il davantage lapremiegravere des divisions de leacutetant quil a faites dans lesCateacutegories dapregraves laquelle il divise les eacutetants ensubstance et accidents

(242 10-17)

On cherchera en vain une telle laquo premiegravere division raquo dans les Cateacutegories133 ndash quoiquelle y

trouve eacutevidemment ses sources ndash Alexandre faisant ici reacutefeacuterence agrave un donneacute exeacutegeacutetique tellement

eacutetabli quil se mecircle au texte-source Mais cette bipartition entraicircne avec elle lapparence dune

contradiction puisque les cateacutegories secondaires se trouvent classeacutees sous une cateacutegorie

particuliegravere134 tension dont on peut penser quAlexandre la reccediloit du double emploi de

lexpression laquo πρός τι raquo par Andronicos mais qui prend un relief particulier quand on est

preacuteciseacutement en train de travailler la relation laquo πρὸς ἕν raquo des eacutetants agrave la substance La reacuteduction

des eacutetants non-substantiels agrave des relatifs agrave la substance est en effet manifestement pour lExeacutegegravete

un corollaire direct de la theacuteorie de luniteacute reacutefeacuterentielle135

Or Alexandre ne semble pas totalement inconscient dune telle difficulteacute quand

commentant la liste des eacutetants relatifs agrave la substance de Γ 2 il en vient agrave lexpression par laquelle

Aristote semble deacutesigner les relatifs Alexandre reacutetablit en effet in extremis cette interpreacutetation

standard mais les termes quil emploie deacutenotent une heacutesitation et montrent quil a entrevu la

possibiliteacute dinterpreacuteter cette affirmation dAristote comme valant pour tous les eacutetants non-

substantiels Avant den venir aux neacutegations la liste dAristote eacutevoque laquo ce qui se dit relativement

agrave la substance raquo (1003b 9) ce quAlexandre commente en deux temps

Εἰπὼν δὲ ποιητικὰ καὶ γεννητικὰ οὐσίας[24230] ἐπήνεγκεν ἢ τῶν πρὸς τὴν οὐσίανλεγομένων τουτέστιν τῶν τῇ οὐσίᾳσυμβεβηκότων ἃ λέγεται ὄντα τῷ πρὸςοὐσίαν πως ἔχειν

Apregraves avoir citeacute ce qui peut produire etengendrer une substance Aristote a ajouteacute laquo ou de cequi se dit relativement agrave la substance raquo agrave savoir lesaccidents de la substance qui sont dits eacutetants parcequils sont disposeacutes relativement agrave la substance

(242 29-31)

133 Cf la tentative avorteacutee dA Madigan [1993] n 44 p 146

134 Cf aussi P Aubenque [1962] p 195 sur la laquo peacutetition de principe raquo quil y aurait agrave deacutefinir le statut descateacutegories de lecirctre par lune de ces cateacutegories Aubenque reacutepond de faccedilon ingeacutenieuse laquo en reacutealiteacuteforce est de reconnaicirctre que les cateacutegories sentre-signifient constamment que toute cateacutegorie soitrelative agrave lessence et appartienne par lagrave agrave la cateacutegorie des relatifs cela nest pas plus eacutetonnant que deconstater que toute cateacutegorie a une essence et appartient par lagrave agrave la cateacutegorie de lessence raquo On netrouvera pas de theacuteorie de lentre-signification des cateacutegories chez Andronicos et Alexandre

135 En plusieurs passages Alexandre traite clairement lexpression laquo πρὸς ἕν raquo comme eacutequivalent agrave laquo πρὸςἕν τι raquo quil emploie ailleurs pour le relatif cf In Met 255 25 263 12 etc

340

Les objets de la meacutetaphysique

Sensuivent alors par une sorte de retour en arriegravere quelques exemples de ce qui peut

laquo produire et engendrer une substance raquo dans une interpreacutetation au demeurant assez contourneacutee

puisque les exemples que cite Alexandre ne sont manifestement pas des substance (les couleurs

les affections et les sciences) et quon en revient pour finir au cas de la santeacute qui peut ecirctre

produite par laquo lexercice et les efforts une bonne constitution raquo136 Puis Alexandre reprend

Ἔτι τὰ πρὸς τὴν οὐσίαν ὄντα τε καὶλεγόμενα οἷα τὰ πρός τιmiddot τὰ γὰρ πρός τι ἐνοὐσιῶν σχέσει

En outre ltil y agt ce qui est et est dit relativementagrave la substance tels que les relatifs137 car les relatifsreacutesident dans un rapport entre substances

(242 34-35)

LExeacutegegravete propose donc apregraves une interpreacutetation large des relatifs agrave la substance comme

deacutesignant toutes les cateacutegories secondaires dentendre lexpression dAristote en un sens

restreint mais cette interpreacutetation ne contredisait pas la preacuteceacutedente De fait la cateacutegorie des

relatifs constitue parmi les autres cateacutegories un cas de ce qui dans son ecirctre est relatif agrave la

substance Lambiguiumlteacute se dissipe dailleurs ensuite Dans les lignes qui suivent immeacutediatement138

Alexandre reprend linterpreacutetation et la reacutefeacuterence aux Cateacutegories donneacutees en 242 10-17 mais cette

fois-ci agrave la premiegravere personne du pluriel La redondance est telle que Bonitz et Hayduck en

proposent latheacutetegravese Toutefois il nest pas impossible quAlexandre se soit ici rendu compte de

lambiguiumlteacute de sa derniegravere interpreacutetation des relatifs (toutes les cateacutegories secondaires

seulement lune dentre elles) Mecircme si lon supprime ce passage il y aura de toute faccedilon encore

reacutepeacutetition agrave quelques mots pregraves mais qui suffisent agrave faire la diffeacuterence De fait apregraves le passage

dont on a proposeacute latheacutetegravese Alexandre reprend

Καὶ μὴν αὐτῶν δύναται ὡς κατ ἰδίανεἰρημένου τις ἀκοῦσαι Ἢ τῶν πρὸς τὴνοὐσίαν τὰ πρός τι λέγειmiddot τὰ γὰρ πρός τι ἐνοὐσιῶν σχέσει

Agrave vrai dire on peut aussi entendre ces mots139

comme si Aristote les avait dit en un sens speacutecifiqueOu alors il dit que les relatifs comptent parmi leschoses relatives agrave la substance car les relatifs reacutesident

136 Sur ce passage et la question du texte cf M Bonelli [2001] p 111 n 114

137 Hayduck suit Bonitz pour corriger le laquo ποιὰ raquo du manuscrit A en laquo οἷα raquo qui se sert de la traduction deSepuacutelveda (laquo qualia raquo)

138 In Met 242 35 ndash 243 5 laquo Τοῖς δὲ παραδείγμασιν οὐχ οὕτως νῦν κεχρήμεθα ὡς ἐξ ἑκάστου γένουςἓν παραθέσθαι ἀλλὰ δι αὐτῶν ἐξαρίθμησίν τινα τῶν ὑπαρχόντων τῇ οὐσίᾳ καὶ δι αὐτὴν ὄντωνκαὶ αὐτῶν λεγομένων πεποιήμεθα ὧν πολλὰ καὶ ὑφ ἓν γένος καὶ τὴν αὐτήν ἐστι κατηγορίανὥστε τῇ πρώτῃ διαιρέσει τῶν ἐν Κατηγορίαις τοῦ ὄντος γεγονυιῶν μᾶλλον εἴημεν κεχρημένοικαθ ἣν διῃρεῖτο τὰ ὄντα εἰς οὐσίαν καὶ συμβεβηκότα raquo

139 Grammaticalement laquo αὐτῶν raquo peut aussi sentendre comme renvoyant aux laquo accidents raquo qui preacutecegravedentimmeacutediatement mais cela nous semble moins probable puisque Alexandre est clairement en train depreacuteciser le sens que lon peut donner agrave 1003b 9 Notre traduction laquo ces mots raquo glose le pronom derappel par un deacutemonstratif afin de clarifier

341

Les objets de la meacutetaphysique

dans un rapport entre substances140 (243 5-7)

LExeacutegegravete est donc bien conscient de la double possibiliteacute dinterpreacuteter la mention

aristoteacutelicienne de laquo ce qui se dit relativement agrave la substance raquo en un sens large et en un sens

restreint et il laisse ouverte cette double possibiliteacute Ce fait implique alors que la reacuteduction des

eacutetants non-substantiels agrave des relatifs agrave la substance deacutetermine une certaine maniegravere de

comprendre leur statut ontique Il est de fait difficile de croire que les doctrines andronicienne et

alexandrinienne des relatifs soient totalement sans effet sur leur conception des eacutetants comme

relatifs agrave la substance Dit autrement mecircme si Andronicos peut-ecirctre et Alexandre plus

sucircrement distinguent un sens large et un sens laquo speacutecifique raquo du πρός τι il reste que la

nomenclature cateacutegoriale par soi relatif ou par soi par accident ne peut que jouer directement

sur la faccedilon dont sont conccedilus les eacutetants non-substantiels

Or Andronicos et Alexandre ont en commun de reacuteputer le relatif pour presque rien en

tout cas la plus infirme des cateacutegories141 Andronicos est en effet connu pour assigner au relatif

laquo la derniegravere place raquo parmi les cateacutegories parce quil est deacutepourvu de matiegravere agrave la diffeacuterence des

neuf autres cateacutegories un simple laquo surgeon [] tisseacute dans ce qui possegravede sa propre racine raquo142 La

phrase reacuteemploie le terme de laquo παραφυάς raquo du passage ceacutelegravebre de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (1096a

22) et qui a ducirc devenir degraves leacutepoque dAndronicos comme un megraveme143 dans la question des

relatifs144 Lintroduction dans ce contexte du terme de laquo σχέσις raquo pour expliciter ce que sont les

relatifs pas plus que lexpression laquo πρός τί πως ἔχειν raquo ne sont neacutecessairement des dettes

contracteacutees agrave leacutegard des stoiumlciens La deacutefinition des relatifs par Andronicos comme ce dont lecirctre

seacutepuise dans sa laquo relation raquo et sa laquo disposition relative agrave autre chose raquo peut se lire comme une

certaine interpreacutetation des Cateacutegories 8a 31-32145

140 La thegravese qui reacuteduit les relatifs agrave ce qui se produit seulement entre deux substances est tout de mecircmeeacutetrange par rapport agrave ce quen dit Met Δ 15 Nous remercions Annick Stevens de nous avoir permis deconsulter son commentaire agrave paraicirctre sur ce chapitre

141 Dans la ligneacutee par exemple de Met N 1 1088a 22-25 et 29-34

142 Elias In Cat 201 18-27 Sur la doctrine andronicienne des relatifs voir les textes dans RW Sharples[2010] p 58 sq cf aussi P Moraux [1973] et M Griffin [2009]

143 Au sens contemporain dun eacuteleacutement culturel (ici un certain vocable) se diffusant par imitation au seindun champ donneacute selon un modegravele couplant le darwinisme eacutetendu et celui de la reacuteplicationgeacuteneacutetique

144 Voir par exemple la mention de la critique dEudore dans Simplicius In Cat 174 14-18

145 Sur la possibiliteacute dune origine acadeacutemicienne de lexpression laquo πρός τι πως ἔχειν raquo reprise parAristote dans les Cat mais aussi par les stoiumlciens cf D Sedley [2002] Comme le note aussi M Griffin

342

Les objets de la meacutetaphysique

Alexandre reprend manifestement une thegravese de ce genre quand il deacutefinit en plusieurs

lieux les relatifs comme des laquo surgeons raquo laquo ce dont lecirctre est identique au fait decirctre disposeacute

relativement agrave quelque chose raquo et ce qui a une laquo relation agrave une nature preacuteexistante laquelle est

anteacuterieure agrave la relation qui lui eacutechoit accidentellement raquo146 Or ces caracteacuterisations semblent bien

pouvoir sappliquer agrave la prioriteacute de la substance et lasymeacutetrie du πρὸς ἕν telle quon la vue se

dessiner dans le commentaire agrave Meacutetaphysique Γ La mecircme expression de laquo τῷ πρὸς οὐσίαν πως

ἔχειν raquo se lisait ainsi deacutejagrave dans linterpreacutetation laquo large raquo de la mention par Aristote des relatifs en

Γ 2 Mais agrave travers cette expression de laquo πρὸς οὐσίαν πως ἔχειν raquo si la conception des eacutetants

non-substantiels comme relatifs cocirctoie voire repose sur la doctrine sur les relatifs comme

cateacutegorie singuliegravere alors force est de reconnaicirctre que pour Alexandre ce que cest decirctre pour

les eacutetants non-substantiels se reacutesorbe dans leur relation agrave la substance Ceux-ci deacutechoiraient

effectivement au rang de simples modaliteacutes de la substance surgeons qui ne valent plus comme

des sens de leacutetant agrave part entiegravere surgeons qui doivent ecirctre compris comme des parasites147

Linterpreacutetation des eacutetants non-substantiels seffectue ainsi par le bas si lon peut dire la prioriteacute

de la substance est telle quelle fait refluer les autres cateacutegories vers la plus subalterne dentre

elles La conception synonymique du πρὸς ἕν est donc une tendance de fond du commentaire

alexandrinien

Cette interpreacutetation peut enfin sautoriser de la maniegravere dont Alexandre deacutecrit et glose la

relation des eacutetants non-substantiels agrave la substance La relation πρὸς ἕν en effet nest pas

seulement deacutecrite par le terme aristoteacutelicien de laquo reacutefeacuterence raquo (ἀναφορά)148 mais eacutegalement par le

verbe laquo συντελεῖν raquo Ainsi ce qui ne laquo contribue raquo en rien agrave la santeacute ne pourrait-il ecirctre appeleacute

laquo sain raquo que de faccedilon homonyme149 et dit Alexandre en un passage deacutejagrave vu qui introduit agrave

leacutetude de la substance la science est eacuteminemment science du premier laquo auquel le reste

Andronicos pourrait donc refleacuteter davantage une doctrine de lancienne Acadeacutemie quune vuestoiumlcienne (M Griffin [2009] p 146)

146 Quaest I 8 19 2 laquo πρός τί ἐστιν οἷς τὸ εἶναι ταὐτόν ἐστι τῷ πρός τί πως ἔχειν raquo Sur les relatifs voiraussi les Quaest I 7 et II 9 54 24 In Met 86 8-10 laquo σχέσιν γὰρ προϋποκειμένης φύσεως τὸ πρός τισημαίνει ἥτις πρώτη τῆς συμβεβηκυίας σχέσεως αὐτῇ raquo Sur la reprise de laquo παραφυάς raquo cf In Met83 33 86 10

147 Sur lopposition entre παραφυάς et παρασπάς le Bailly et le LSJ renvoient agrave Theacuteophraste De causisplantarum II24

148 Pour Alexandre cf par exemple In Met 244 1 250 24 255 18 etc Pour son origine aristoteacuteliciennecf Met Γ 2 1004a 25-26 Θ 1 1045b 28 et peut-ecirctre aussi EE VIII 3 1249a 21

149 In Met 241 33-34 laquo ὥστε τό γε μηδὲν εἰς ὑγίειαν συντελοῦν εἰ ὑγιεινὸν λέγοιτο ὁμωνύμως ἂν εἴητοῦτο τοῖς ἄλλοις ὑγιεινοῖς λεγόμενον raquo

343

Les objets de la meacutetaphysique

contribue raquo150 Dans le Commentaire agrave la Meacutetaphysique un passage crucial applique cette

laquo contribution raquo au cas des πρὸς ἕν

Διαφέρει δὲ τὰ ἐφεξῆς τῶν πρὸς ἕνἀμφότερα τῶν πολλαχῶς λεγομένων ὄνταὅτι τὰ μὲν πρὸς ἓν τῷ ἐκείνου τι εἶναι τοῦἑνὸς οὕτω λέγεται τάξιν τινὰ ἔχοντα πρὸςἄλληλα ὡς ἐδείχθη τὰ ὑγιεινὰ τὰ ἰατρικὰ τὰὄντα τὰ δὲ τῷ ἐφεξῆς κατὰ τοῦτό ἐστι τῶνπολλαχῶς λεγομένων μόνον ὅτι τὸ μὲνπρῶτόν ἐστιν αὐτῶν τὸ δὲ [26330] δεύτερονοὐ γὰρ τῷ τῇ δυάδι ὑπάρχειν ἢ συντελεῖν τιεἰς δυάδα τὰ τρία καὶ τέσσαρα καὶ οἱ ἐφεξῆςεἰσιν ἀριθμοί τοὐναντίον γὰρ τὸ οὕτωςπρῶτον τοῖς μετ αὐτὸ συντελεῖ Διὸ ἐπὶ μὲντῶν οὕτω πολλαχῶς λεγομένων τὰ ὕστερατελειότερα ἐπὶ δὲ τῶν πρὸς ἓν τὸ ἓν πρὸς ὃτὰ ἄλλα ἀναφέρεται

Les choses par conseacutecution diffegraverent de cellesrelatives agrave une uniteacute bien que les deux appartiennentagrave ce qui se dit en plusieurs sens en ce que cellesrelatives agrave une uniteacute sont appeleacutees ainsi du faitquelles sont quelque chose de cette uniteacute et quellesont un certain ordre entre elles comme on la montreacutepour les choses saines les meacutedicales et les eacutetants Enrevanche les choses par conseacutecution appartiennent agravece qui se dit en plusieurs sens seulement en ceci quily a parmi elles dune part un premier et dautre partun deuxiegraveme Ce nest en effet pas parce quilsappartiennent ou contribuent en quelque chose au 2que le 3 le 4 et les suivants sont des nombres car cestau contraire ce qui est premier en ce sens quicontribue agrave ce qui vient apregraves lui Cest pourquoidans le cas des choses qui se disent de cette faccedilon enplusieurs sens les posteacuterieures sont plus parfaitesalors que dans celui des choses relatives agrave une uniteacutecest luniteacute agrave quoi les autres se reacutefegraverent ltqui est plusparfaitegt

(263 25-33)

Ce passage prend place dans le long commentaire agrave 1005a 2-3 et porte plus

particuliegraverement sur la suite en 1005a 9-11 ougrave (selon Alexandre) Aristote explique que leacutetant et

lun ne sont ni des universaux ni seacutepareacutes mais appartiennent aux choses relatives agrave une uniteacute et

agrave celles par conseacutecution151 Alexandre se demande degraves lors si Aristote inclut ici leacutetant et lun dans

les conseacutecutifs et sattache agrave distinguer luniteacute par conseacutecution de luniteacute πρὸς ἕν LExeacutegegravete

produit une distinction terme agrave terme de ces deux modes duniteacute commenccedilant neacuteanmoins par

une premiegravere description assez large des πρὸς ἕν sont πρὸς ἕν les termes qui laquo sont quelque

chose de cet un raquo On ne voit pas encore en quoi lappartenance suffirait agrave distinguer conseacutecutifs

et πρὸς ἕν En outre dans le cas des conseacutecutifs leur inscription dans les plurivoques se justifie

uniquement (laquo μόνον raquo) par la conseacutecution elle-mecircme lagrave encore on ne voit pas tregraves bien en quoi

cela se distinguerait de l laquo ordre raquo propre aux πρὸς ἕν Cest dans la suite que lopposition

devient plus fructueuse

Dans le cas des conseacutecutifs en effet il y a une contribution des anteacuterieurs aux posteacuterieurs

150 In Met 244 14 Voir aussi lemploi du verbe dans le DA 89 3-4 sur lequel nous revenons ci-dessoussect 331b

151 Cf ci-dessus 311

344

Les objets de la meacutetaphysique

La laquo contribution raquo deacutesigne ici le fait quun terme anteacuterieur soit condition de possibiliteacute du

suivant Il me faut avoir ou connaicirctre 2 pour obtenir 3 Cest mecircme lapplication de laquo nombre raquo au

terme posteacuterieur qui est conditionneacutee par la contribution du terme anteacuterieur Les conseacutecutifs sont

donc ordonneacutes selon un degreacute croissant de perfection En revanche comme limplique la fin du

texte dans les πρὸς ἕν par exemple les eacutetants ce nest pas la substance qui contribue agrave ce qui

vient apregraves elle La relation nest pas ici descendante (de la substance agrave ses accidents) comme

lindique lexpression ἀφ ἑνός elle est aussi si lon peut dire effectivement ascendante Cela

entraicircne en premier lieu limpossibiliteacute de reacuteduire le πρὸς ἕν agrave une relation seulement

seacutemantique par distinction de la deacutependance ontique de lἀφ ἑνός

Que peut donc signifier dans tous ces passages lideacutee de contribution La chose nest pas

immeacutediatement intelligible Mais dans la Quaestio I 8 sans doute sur fond de discussion avec

Boeacutethos de Sidon Alexandre distingue deux maniegraveres de contribuer (τὸ συντελεῖν) agrave la

substance agrave la faccedilon dont la forme comme partie de la substance contribue agrave lecirctre de celle-ci152 agrave

la faccedilon dont ses accidents contribuent agrave la substance153 Alexandre donne comme exemple la

configuration (σχῆμα) et la couleur pour un corps (17 14) Lideacutee de contribution en ce cas (et

non dans celui de lacircme pour lhomme par exemple) semble ecirctre celle dun enrichissement de la

substance dun ajout de deacuteterminations au sujet Lemploi par Alexandre de cette notion

polyseacutemique de contribution qui revient dans le commentaire agrave Γ confirme ainsi le statut

accidentel des cateacutegories secondaires Sans doute cette notion a-t-elle servi aux commentateurs

posteacuterieurs agrave Alexandre pour comprendre ici lideacutee dune causaliteacute finale de la substance154 Au

demeurant en ce qui concerne Alexandre alors que la contribution des eacutetants non-substantiels agrave

la substance pouvait de prime abord apparaicirctre comme contrebalanccedilant la prioriteacute envahissante

de la substance en reacutealiteacute cette contribution ne fait que confirmer la deacutevaluation des eacutetants non-

substantiels

Le lecteur dAlexandre pourrait alors ecirctre tenteacute de comprendre la prioriteacute de la substance

152 Voir un usage similaire du verbe chez Plotin en VI 3 [44] 5 7 sq et le commentaire quen donne RChiaradonna [2008a] p 381-382

153 Quaestio I 8 17 8-22 Sur ce texte et la discussion avec Boeacutethos cf M Rashed [2007b] p 25 n 82 et p45-46

154 C Luna dans I Hadot [1990] p 85 agrave propos dAmmonius puis Philopon et Olympiodore PourAmmonius cf In Cat 21 16 sq Pour Olympiodore In Cat 34 20 sq Cf aussi J-F Courtine [2005] p236-237

345

Les objets de la meacutetaphysique

comme une prioriteacute eacutepisteacutemologique au sens preacutecis ougrave la connaissance de la substance

deacutelivrerait (de) la connaissance des autres sens de leacutetant155 Le projet dune ontologie geacuteneacuterale ne

devrait-il pas se reacutesorber dans lousiologie Il reste quAlexandre a selon nous reacutesisteacute agrave ces

conseacutequences les plus extrecircmes de la thegravese de la relativiteacute des eacutetants non-substantiels ndash agrave savoir

quil nest pas alleacute jusquagrave lideacutee dune geacuteneacutericiteacute de leacutetant ou de son univociteacute Un argument

tempegravere en effet la conclusion eacutetablie ci-dessus

Si lExeacutegegravete consideacuterait que ce que veut dire laquo ecirctre raquo attribueacute aux eacutetants non-substantiels

se reacutesorbe inteacutegralement dans leur relation agrave la substance cela deacutebouterait en effet de toute

preacutetention et de tout inteacuterecirct le projet dune eacutetude universelle des eacutetants en tant queacutetants Plus

exactement une telle eacutetude pourrait ecirctre inteacutegralement prise en charge par leacutetude de la

substance puisque cest la laquo nature raquo de celle-ci qui se manifeste dans les divers eacutetants et signifie

par soi leacutetant Or nous avons plus haut tenteacute de montrer que ce neacutetait pas le cas Alexandre

maintient trop freacutequemment la neacutecessiteacute et la valeur dune science laquo universelle raquo de laquo tous les

eacutetants raquo qui ne se contente pas uniquement dune eacutetude de la substance156 Ce moment universel

de la meacutetaphysique nest pas pour reprendre une meacutetaphore platonicienne quun preacutelude

propeacutedeutique au chant de leacutetude centrale de la substance Cest une premiegravere eacutetape agrave part

entiegravere de la meacutetaphysique Que lontologie soit accomplie par lousiologie ne signifie pas que

cette derniegravere la reacuteduise agrave rien Et de fait le moment ontologique comprend par exemple leacutetude

de la relation entre la substance et les eacutetants non-substantiels leacutetude des preacutedicats dialectiques

non pas seulement dans leur sens premier (substantiel) mais aussi les sens dans lesquels ils

sappliquent laquo dans les autres cas raquo157 La deacuteductibiliteacute des autres cateacutegories agrave partir de la

premiegravere dentre elles ne peut donc ecirctre totale la deacuterivabiliteacute de leacutenonceacute des cateacutegories

secondaires agrave partir de leacutenonceacute de la substance est certes un gage duniteacute de la science qui les

eacutetudie158 parce quelle structure un champ theacuteorique mais non parce quelle la soustrairait agrave la

155 Sur cette question chez Aristote voir P Aubenque [1962] p 194-195 Lideacutee authentiquementaristoteacutelicienne dune prioriteacute eacutepisteacutemologique nimplique en effet pas que la substance soit principesuffisant de la connaissance de leacutetant en tant queacutetant Notons toutefois que certaines interpreacutetationscontemporaines montrent que la thegravese de la reacuteduction de la science de leacutetant en tant queacutetant agrave uneeacutetude de la substance (impliquant dans cette lecture labsence dune science universelle des eacutetants entant queacutetants) peut parfaitement ecirctre soutenue sans tomber dans la geacuteneacutericiteacute de leacutetant en tantqueacutetant Cf par exemple la direction suivie par A Jaulin depuis A Jaulin [1999]

156 On rappellera uniquement ici le passage de 244 33-34 laquo ὅτι μὴ μόνον περὶ τῆς οὐσίας αὐτῷ ἡπραγματεία ἀλλὰ καὶ καθόλου περὶ παντὸς τοῦ ὄντος ᾗ ὄν raquo cf ci-dessus sect 242d

157 Cf les passages de 256 15-18 et 20-24

158 Sur le modegravele de In Met 255 17-198 laquo ἐπὶ γὰρ τὸν τῆς ὑγιείας λόγον πάντων τῶν ὑγιεινῶν ἡ

346

Les objets de la meacutetaphysique

neacutecessiteacute deacutetudier ces cateacutegories obliques

Si donc lunification de la plurivociteacute des eacutetants au profit dune diversiteacute ordonneacutee agrave une

cause est une tendance de fond de linterpreacutetation alexandrinienne jamais lExeacutegegravete ne va jusquagrave

reacuteduire leacutetant en tant queacutetant agrave un genre et les divers eacutetants agrave des synonymes Certes en vertu

du principe de causaliteacute du maximum les divers eacutetants en tant queacutetants constituent comme des

effets de la substance159 de ce point de vue ils peuvent bien passer pour de simples surgeons

des relatifs agrave la substance Paradoxalement cest toutefois parce que la substance concentre en elle

lessentiel de lecirctre160 parce quelle est eacuteminemment que leacutetant en tant queacutetant ne forme pas un

genre Lineacutegaliteacute de condition entre les eacutetants est le dernier rempart contre la synonymie mais ce

rempart est deacuteployeacute agrave plein profondeacutement ancreacute dans linterpreacutetation dAlexandre Limiter la

diffeacuterence entre synonymes et plurivoques ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν agrave ce seul critegravere deacutegaliteacute peut

bien paraicirctre faible mais on ne peut pas taxer Alexandre de le tenir pour rien

La lecture des diffeacuterents commentaires autant antiques que contemporains de la

premiegravere phrase de Γ 2 laisse maintes fois limpression que les deux propositions inaugurales

(laquo leacutetant se dit en plusieurs sens raquo laquo mais relativement agrave une uniteacute et une unique nature raquo) sont

dans une telle tension quelles travaillent en fonction inverse lune de lautre Les commentaires

qui insistent sur luniteacute reacutefeacuterentielle sexposent au risque de neacutegliger la plurivociteacute de leacutetant et

inversement La difficulteacute consiste alors agrave tenir ensemble les deux propositions et agrave comprendre

ce qui fait leur eacutequilibre dans le texte aristoteacutelicien Il est clair quAlexandre penche plutocirct du cocircteacute

de ceux qui exploitent au maximum la relation πρὸς ἕν parce quil se donne pour projet contre

une partie de son contexte historique de reacuteactiver la science de leacutetant en tant queacutetant la

meacutetaphysique comme science une et suprecircme La position dAlexandre aussi discutable quelle

puisse paraicirctre lui permet agrave tout le moins et tout agrave la fois de fonder la neacutecessiteacute dune science

universelle des eacutetants en tant queacutetants dunifier ce champ deacutetude et de justifier lexigence pour

laccomplir de proceacuteder agrave une eacutetude de la substance pour elle-mecircme

ἀναφορά διὸ καὶ ἔστι μιᾶς ἐπιστήμης ἡ γνῶσις αὐτῶν raquo

159 Unification qui ouvre sans doute agrave la theacuteorie de lanalogie de lecirctre cf J-F Courtine [2005] etparticuliegraverement p 199 sq

160 Ce qui rappelons-le est lune des chevilles ouvriegraveres des interpreacutetations laquo synonymiques du πρὸς ἕν raquo(W Leszl) au sens ougrave ces interpreacutetations concentrent lecirctre dans la substance en tendant agrave deacutenier touteautonomie decirctre aux autres cateacutegories agrave sous-eacutevaluer le fait quelles constituent des sens de leacutetant agravepart entiegravere

347

Les objets de la meacutetaphysique

32 Οὐσία et εἶδος dune cause de lecirctre agrave lautre

321 La substance comme sujet dinheacuterence

Luniteacute de leacutetant en tant queacutetant comme premier objet de lenquecircte meacutetaphysique est

donc assureacutee par une ineacutegaliteacute centrale entre la substance et les autres sens de leacutetant Par cette

position litteacuteralement principale de lοὐσία comme cause de lecirctre des autres eacutetants lenquecircte

universelle sur leacutetant en tant queacutetant appelle donc delle-mecircme pour saccomplir une enquecircte

sur la substance Encore faut-il comprendre en quel sens la substance assume cette causaliteacute

Convient-il par exemple comme lont tenteacute certains auteurs contemporains didentifier cette

causaliteacute parmi lune des quatre causes poseacutees par le Stagirite et enteacuterineacutees par son Exeacutegegravete 161

Deux passages permettent de preacuteciser cette causaliteacute Le premier quon a deacutejagrave briegravevement citeacute se

situe dans le commentaire agrave Δ 11 larticle du Livre des deacutefinitions qui porte preacuteciseacutement sur

lanteacuterieur et le posteacuterieur Alexandre commente ainsi le sens de la prioriteacute (ou lanteacuterioriteacute)

quAristote rattache au nom de Platon

Λέγεσθαι γάρ φησι καὶ φύσει τε καὶοὐσίᾳ πρῶτα ὡς τὰ συναναιροῦντα μὲν μὴσυναναιρούμενα δέ ᾧ φησι σημαινομένῳπρώτῳ Πλάτωνα χρήσασθαι οὕτω πρώτηκαὶ ἡ γραμμὴ τῆς ἐπιφανείας ἐστίν Φησὶ δέἐπεὶ τὸ εἶναι πλεοναχῶς (δεκαχῶς γάρ) τὸκατὰ τὸ εἶναι πρῶτον καὶ κατὰ τὴν ὕπαρξίν

En effet il affirme aussi que lanteacuterieur se ditselon la nature et la substance162 comme ces chosesqui suppriment ce qui est avec elle mais ne sont passupprimeacutees avec ltle restegt163 signification dont ilaffirme que Platon fut le premier agrave lemployer Cesten ce sens aussi que la ligne est anteacuterieure agrave lasurface Il affirme en outre que puisque lecirctre se dit

161 Pour une preacutesentation scolaire et figeacutee de la quadruple causaliteacute chez Alexandre cf De fato 166 22-27et la mise au point dans V Carraud [2002] p 50-51 Pour une tentative de cerner la causaliteacute de lasubstance chez Aristote parmi lune des quatre causes cf C Shields [1999]

162 Une traduction dοὐσία par laquo essence raquo nous paraicirctrait relever ici du contresens sur linterpreacutetationdAlexandre

163 Nous nous contentons ici dune traduction litteacuterale cf ci-dessous

348

Les objets de la meacutetaphysique

φησιν εἶναι τὸ πᾶσιν ὑποκείμενον τοῖςἄλλοις [38710] τοιοῦτον δὲ τὴν οὐσίαν εἶναικαθὸ γὰρ συναναιρεῖ μὲν μὴ συναναιρεῖταιδέ πρώτη τῶν ἄλλων Ἀλλὰ καὶ καθὸὑπόκειται καὶ καθὸ τἆλλα ἔστι τῷ ἐν ταύτῃὑποκειμένῃ εἶναι μάλιστα καὶ πρῶτον ὄν

en plusieurs sens (agrave savoir en dix sens) lanteacuterieurselon lecirctre et lexistence affirme-t-il est ce qui estsubstrat de tout le reste ndash et telle est la substanceDans la mesure en effet ougrave elle supprime ce qui estavec elle mais nest pas supprimeacutee avec ltle restegt elleest anteacuterieure agrave tout le reste Mais en outre dans lamesure ougrave elle est substrat164 et ougrave le reste existe dufait decirctre dans ce substrat165 elle est eacutetant au plushaut point et premier

(In Met 387 5-12)

Largument central du passage consiste en ce quil est convenu dappeler un argument de

suppression La racine de συναναιρέω le verbe ἀναιρέω est freacutequemment employeacutee par

Alexandre pour deacutesigner ce dont une theacuteorie nest plus agrave mecircme de rendre compte ce que ses

concepts conduisent agrave eacutevacuer166 Le composeacute συναναιρέω est ici employeacute pour deacutesigner une

opeacuteration autant physique que logique et si lon glose le preacutefixe συν- la formule laquo τὰ

συναναιροῦντα μὲν μὴ συναναιρούμενα δέ raquo donnerait agrave peu pregraves les choses qui si on les

supprime (en penseacutee comme en reacutealiteacute) suppriment ce qui est avec elle mais ne sont pas

supprimeacutees si lon supprime le reste167 Le verbe glose largument dAristote agrave propos de ce qui

peut laquo ecirctre sans raquo (εἶναι ἄνευ)168 Chez Alexandre un tel proceacutedeacute est courant On le retrouve par

exemple dans la ceacutelegravebre Quaestio I 11 pour deacutemontrer lanteacuterioriteacute du commun et la posteacuterioriteacute

du genre comme universel ndash et largument est promis agrave une fortune certaine169 La regravegle est donc

164 Ou si lon nest pas allergique agrave lemphase dans la mesure ougrave elle sous-gicirct

165 Le feacuteminin sexplique eacutevidemment par la preacutesence dοὐσία il faudrait presque entendre quelque chosecomme laquo le reste existe du fait decirctre en ltelle qui est leurgt substrat raquo Nous ne faisons pas ici comme ci-apregraves de diffeacuterence stricte entre laquo substrat raquo et laquo sujet raquo tous deux traduisant ὑποκείμενον seulementlhabitude dans les Cateacutegories par exemple est de traduire laquo ἐν ὑποκειμένῳ raquo par laquo dans un sujet raquo

166 Ainsi dans un exemple paradigmatique la liberteacute chez les stoiumlciens selon le De fato 181 13

167 Ainsi glose WE Dooley ([1993] p 63)

168 Mais voir aussi Met K 1 1059b 38 ndash 1060a 2 ougrave lauteur eacutetablit lanteacuterioriteacute et le caractegravere principiel desgenres par le fait que leur suppression entraicircne celle des espegraveces Le verbe employeacute est eacutegalementlaquo συναναιρέω raquo Le reacutesumeacute de K diffegravere ici de B 3 qui nemploie pas en tout cas pas aussi nettementlargument de suppression Pour dautres lieux plus fiables de largument de suppression cf Cat 7 7b28 et de mecircme pour la sensation en b 37 sq Top IV 2 123a 15 VI 4 141b 28 La preacutesence du termedans le Divisiones Aristotelae pourrait appuyer lideacutee quon a affaire agrave un proceacutedeacute ayant cours danslAcadeacutemie On le lit eacutegalement dans le commentaire dAlexandre In Met 55 20 sq dans un passageque Ross considegravere comme repris du De bono (voir les deacutetails donneacutes par WE Dooley [1989] ad loc)Pour un emploi dun argument similaire mais sans le verbe cf Aristote DA II 3 415a 1 sq

169 Sur la fortune ulteacuterieure de largument par exemple chez Porphyre ou Simplicius cf A de Libera[1999a] p 57-66 et 134 sq M Rashed [2007b] p 192 n 546 La Refutation de Xeacutenocrate emploieeacutegalement largument dans un cadre meacutereacuteologique Lemploi courant de largument pourrait ainsiremonter agrave Andronicos cf M Rashed [2004] p 31 n 51

349

Les objets de la meacutetaphysique

la suivante qui repose sur une asymeacutetrie permettant deacutetablir la prioriteacute x est anteacuterieur agrave y si la

suppression de x entraicircne celle de y mais que celle de y nentraicircne pas celle de x Toutefois tandis

que dans le cas du genre et de lespegravece une question est de savoir si largument de suppression

renvoie agrave une proceacutedure theacuteorique et une anteacuterioriteacute purement logique ou sil renvoie eacutegalement

au fondement physique de cette anteacuterioriteacute170 dans le cas preacutesent il faut sans heacutesiter opter pour

les deux La substance est anteacuterieure agrave ses accidents parce que lecirctre de ces derniers est par fiction

logique impensable sans la substance mais il y a davantage si lon deacutetruit ce cheval blanc au

loin la blancheur de ce cheval-ci nexiste plus alors que la suppression de cette blancheur (si par

meacutegarde je laisse tomber un pot de peinture sur mon cheval) ne supprime pas lexistence du

cheval171

Largument permet donc deacutetablir non seulement une anteacuterioriteacute logique (x est

impensable sans y) mais mecircme une anteacuterioriteacute dans lexistence au sens ougrave Alexandre lemploie

aussi par exemple pour montrer que si lon deacutetruit celui qui a une opinion son objet dopinion

nen continuera pas moins d laquo exister raquo et quil lui est agrave la fois relatif et anteacuterieur172 Cette maniegravere

de comprendre la qualification dune prioriteacute laquo φύσει τε καὶ οὐσίᾳ raquo se laisse voir dans

lintroduction nette par Alexandre du vocabulaire de lexistence et de la subjectiteacute Sans la

substance les accidents (laquo tout le reste raquo de leacutetant donc) ne seraient pas un monde daccidents

sans sujets serait parfaitement volatile aussi fumeux que le discours dun sophiste173 De ce point

170 La question est ingeacutenieusement poseacutee en ces termes par M Rashed [2004] p 40-41 qui deacutemontre quedans le cas de lanteacuterioriteacute du genre il faut plutocirct opter pour la premiegravere compreacutehension de largumentde suppression Dit autrement dans ce cas laquo la suppression possible de E sans celle de G indique queG est anteacuterieur agrave E sans qursquoon sache encore preacuteciseacutement ce que cette relation signifie au planontologique raquo (alors que dans le second cas ougrave largument de suppression indique le fondement delanteacuterioriteacute laquo la relation constitue la signification mecircme analytique de lrsquoanteacuterioriteacute qui se reacutesumeraitdegraves lors agrave un fait de syntaxe raquo p 41)

171 Pour un autre emploi de largument de suppression visant agrave eacutetablir une substantialiteacute cf le passageinteacuteressant du commentaire agrave B 5 ougrave Alexandre emploie largument de suppression logique poureacutetablir ndash agrave tort comme il sera deacutemontreacute ensuite ndash que les points lignes et surfaces sont davantagesubstances De fait un corps ne peut ecirctre penseacute agrave part de la surface une surface agrave part de la ligne laligne agrave part du point Cela selon lExeacutegegravete deacutemontre que les points lignes et surfaces sont doncdavantage eacutetants et substances que le corps (laquo μᾶλλον ὄντα καὶ μᾶλλον οὐσίαι raquo) gracircce agrave largumentlaquo topique raquo du plus et du moins (In Met 229 19 laquo τῷ ἀπὸ τοῦ μᾶλλον καὶ ἧττον χρησάμενοςτόπῳ raquo Pour une lecture contemporaine eacutegalement gradualiste de ce passage cf JJ Cleary [1988] n56 p 111) Cf aussi infra

172 Voir en effet les formulations tregraves similaires en In Met 323 9-10 (laquo μὴ συναναιρεῖσθαι δὲ τῷδοξάζοντι τὴν τῶν δοξαζομένων οὐσίαν τε καὶ ὕπαρξιν raquo) qui confirme aussi en passant le lienavec les passages citeacutes des Cateacutegories

173 Pour lideacutee que lontologie des Sophistes en est une des accidents ndash ce qui en fin de compte raye lideacuteemecircme dune ontologie cf P Aubenque [1962] p 134 sq

350

Les objets de la meacutetaphysique

de vue la traduction dοὐσία en substantia qui se reacutepand agrave leacutepoque dAlexandre est

parfaitement fondeacutee en raison par lExeacutegegravete174 et sautorise de la suite du texte dAristote175 Mais

Alexandre va plus loin que la seule deacutependance dune part il traduit la deacutependance en causaliteacute

dautre part il hisse la substance au rang deacutetant premier et au plus haut point La convergence du

commentaire vers cette thegravese dont on a deacutejagrave pointeacute linfluence et la constance dans le corpus

indique que cette compreacutehension de la prioriteacute laquo φύσει τε καὶ οὐσίᾳ raquo de la substance est loin

decirctre marginale pour lExeacutegegravete176

De fait dans son commentaire agrave B 5 qui invite agrave sinterroger sur la substantialiteacute des

entiteacutes geacuteomeacutetriques lExeacutegegravete convertit sans reste le fait de ne pouvoir laquo ecirctre sans raquo (le corps dit

seulement Aristote ne peut ecirctre sans la surface et ainsi de suite177) en un argument de

suppression uniquement logique178 Largument fonctionne ici de faccedilon fallacieuse qui fait des

entiteacutes geacuteomeacutetriques des substances au plus haut degreacute La thegravese est clairement en contradiction

avec une donneacutee deacutecrite comme eacutevidente expliciteacutee au deacutebut du chapitre et rappeleacutee dans la

partie reacutefutative du commentaire ce sont les corps qui comme sujets sont plus substances que

les affections du corps qui sont laquo dites dun sujet raquo Si largument de suppression marche agrave

linverse de ce qui se produisait dans le commentaire agrave Δ 11 une thegravese court entre les deux

commentaires qui se trouve confirmeacutee agrave la faveur dun rappel des Cateacutegories ecirctre substance cest

ecirctre sujet et par lagrave ecirctre doteacute de reacutealiteacute (laquo ὑπόστασις raquo) cest-agrave-dire de capaciteacute agrave ecirctre seacutepareacute au

sens de lindeacutependance propre agrave ce qui nest ni dans un sujet ni dit dun sujet179 Dans le corpus

174 Cf J-F Courtine [1980]

175 Met Δ 11 1019a 4-6 laquo ἐπεὶ δὲ τὸ εἶναι πολλαχῶς πρῶτον μὲν τὸ ὑποκείμενον πρότερον διὸ ἡοὐσία πρότερον raquo Linterpreacutetation dAlexandre suppose de couper la parenthegravese que lon faithabituellement commencer au laquo ἐπεὶ raquo et de scinder la phrase avec une ponctuation forte apregraveslaquo πρότερον raquo Le laquo ἔπειτα raquo de 1019a 6 est en effet interpreacuteteacute par Alexandre comme initiant unnouveau sens laquo κατ ἄλλο πάλιν σημαινόμενον raquo (In Met 387 12-13)

176 Cf ci-dessus sect 312 pour lideacutee que le texte laisse ici entrevoir lapplication du principe de causaliteacute dumaximum agrave la substance Pour un sens non adversatif du laquo ἀλλὰ καὶ raquo cf par exemple son emploi enDA 89 2 et notre commentaire ci-dessous sect 331b

177 Met B 5 1002a 6-8

178 Cest ce quindique le verbe laquo συναναιρέω raquo en 229 18 et quexpliciteront les lignes 230 1 sq surlimpossibiliteacute de concevoir (laquo νοηθῆναι raquo) le corps sans la surface etc Voir la formulation claire delargument en terme de deacutefinitions en 229 20 sq

179 Cf In Met 229 8-10 qui attribue aux cateacutegories non-substantielles (quAlexandre nombre ici agrave dixpeut-ecirctre par meacutegarde comme le suggegravere le traducteur anglais cf A Madigan [1992] p 184 n 426) lefait decirctre dites dun sujet conformeacutement agrave 1001b 31-32 et mecircme decirctre laquo dans un sujet raquo donc de nepouvoir ecirctre laquo par soi sujet raquo et donc de ne pas ecirctre substances Et pour labsence dhypostase dessurfaces lignes et points qui nexistent quἐπινοίᾳ cf In Met 230 34 ndash 231 1 laquo οὐ γὰρ δὴ τῇὑποστάσει καὶ τῷ χωρίζεσθαι δύνασθαι raquo

351

Les objets de la meacutetaphysique

alexandrinien dailleurs le critegravere de la seacuteparation est toujours interpreacuteteacute agrave laune de la

subsistance des Cateacutegories au fait decirctre sujet Ecirctre substance cest ecirctre seacutepareacute cest-agrave-dire

subsister (ὑπόστασις ὑφίστημι) par soi et ecirctre sujet180

Un dernier passage deacutejagrave vu dans le commentaire agrave A 9 vient corroborer cette donneacutee la

toute fin du commentaire agrave A 9 on sen souvient deacutecrit une universaliteacute indirecte de la

meacutetaphysique celle-ci eacutetant science de toutes choses seulement dans la mesure ougrave elle est science

des principes de la substance laquelle est cause de lecirctre du reste des eacutetants La mineure du

raisonnement est en effet expliciteacutee cest que laquo chacun des autres eacutetants tient son ecirctre de la

substance raquo181 Mais le sens en lequel comprendre cette preacutemisse a eacuteteacute donneacute au deacutebut du

commentaire du lemme matiegravere et forme ne sont principes que des substances les autres eacutetants

degraves lors nont de tels principes quindirectement parce que la substance est laquo la seule agrave ecirctre

substrat des eacutetants raquo tandis que ceux-ci laquo sont dans la substance ou quelque chose de la

substance raquo182 Le statut de la substance comme cause de lecirctre lui vient donc de sa fonction

substrative

Peu sen faut degraves lors quon soit tenteacute daffilier lExeacutegegravete agrave la ligneacutee des commentateurs

aristoteacuteliciens laquo Cateacutegories-centristes raquo183 qui promeuvent au rang le plus haut de la substantialiteacute

la substance premiegravere des Cateacutegories insistent sur sa fonction de sujet et font deacutechoir la forme au

rang de qualiteacute du composeacute Si comme nous avons tenteacute de leacutetablir linterpreacutetation

alexandrinienne du πρὸς ἕν et des rapports entre la substance et les autres cateacutegories est

profondeacutement marqueacutee par le statut de la substance comme maximum et cause de lecirctre et si

cette causaliteacute tient agrave sa fonction substrative laquelle rend raison de la reacuteduction dans la ligneacutee

dAndronicos de tous les eacutetants non-substantiels agrave de simples accidents ou relatifs agrave la substance

alors on a deacutejagrave de bonnes raisons dinteacutegrer Alexandre agrave une telle tradition du Peripatos Et

comme on va le voir dautres raisons tout aussi puissantes sy adjoignent

180 Outre le passage citeacute voir aussi entre autres exemples In Met 68 21-22 224 31 288 3-7 In An Pr4 17 et surtout DA 6 1 sq Voir ci-dessous pour lanalyse de ce dernier passage Le rapprochemententre la subjectiteacute des Cateacutegories et le critegravere de seacuteparation se fait peut-ecirctre agrave la faveur de la preacutecisiondes Cat 2 1a 25

181 In Met 134 13-14 laquo τῷ καὶ τῶν ἄλλων τῶν ὄντων ἕκαστον παρὰ τῆς οὐσίας τὸ εἶναι ἔχειν raquo Sur cepassage cf ci-dessus sect 24

182 In Met 128 12 ndash 129 9 et plus preacuteciseacutement 129 7-8 laquo μόνη γὰρ αὕτη τῶν ὄντων ὑποκείμενον τὰ δἄλλα ἐν ταύτῃ καὶ ταύτης τι raquo

183 Lexpression est de M Rashed par exemple [2007b] p 42

352

Les objets de la meacutetaphysique

Rappelons tout dabord briegravevement lenjeu dune telle question Une tension qui au vu

de nos sources travaille laristoteacutelisme degraves son origine consiste en lapparente dissension qui

seacuteparerait dune part la theacuteorie de la substance dans les Cateacutegories et dautre part celle des livres

centraux de la Meacutetaphysique les Substanzbuumlcher Ζ-Η-Θ184 Dans le premier traiteacute du moins selon

sa compreacutehension courante est substance au sens propre premier et au plus haut point la

substance individuelle Selon le double critegravere neacutegatif eacutelaboreacute au chapitre 2 et appliqueacute au

chapitre 5 la substance laquo ne se dit pas dun certain sujet et nest pas dans un certain sujet raquo185

Cest laquo un certain homme raquo ou laquo un certain cheval raquo qui sont des substances au sens premier non

pas lhomme et lanimal qui sont certes des substances mais laquo secondes raquo Le livre Z quant agrave lui

en se demandant ce qui est substance et ce quest la substance preacutesente dabord quatre candidats

au titre de substance (Z 3 1028b 34 sq) ie la quidditeacute (ou lessentiel de lessence τὸ τί ἦν εἶναι)

luniversel le genre et le substrat ou sujet (τὸ ὑποκείμενον)186 Le double critegravere des Cateacutegories

pourrait bien alors se retrouver au deacutebut du chapitre 3 quand Aristote deacutefinit le substrat comme

laquo ce dont le reste est dit alors que que lui-mecircme ne lest plus drsquoautre chose raquo187 et en infegravere

qulaquo on estime en effet quest surtout substance le sujet premier raquo (1029a 1-2) Une question

classique est de savoir si au cours du chapitre Aristote maintient ou abandonne cette

deacutetermination subjective de la substance et si les critegraveres proposeacutes agrave partir de 1029a 27 en sont

des nouveaux Le Stagirite deacuteclare laquo de fait on estime que le seacutepareacute (τὸ χωριστὸν) et le ceci (τὸ

τόδε τι)188 appartiennent surtout agrave la substance raquo (1029a 27-28) apregraves avoir semble-t-il deacutecrit la

conseacutequence absurde qui sensuit si lon retient comme seul critegravere de substantialiteacute le fait decirctre

184 Une preacutesentation claire et sans esquive de ladite dissension peut se lire dans M Frede G Patzig [1988]p 35-36

185 Cat 5 2a 12-13 laquo μήτε καθ ὑποκειμένου τινὸς λέγεται μήτε ἐν ὑποκειμένῳ τινί ἐστιν raquo Sur lapossibiliteacute voire la neacutecessiteacute grammaticale de traduire dans la premiegravere phrase du chapitre (2a 11-12 laquo Οὐσία δέ ἐστιν ἡ κυριώτατά τε καὶ πρώτως καὶ μάλιστα λεγομένη raquo) non pas par laquo est ditsubstance au sens strict premier et au plus haut point raquo mais en prenant le groupe laquo ἡ κυριώτατά λεγομένη raquo comme attribut et donc en traduisant par laquo la substance est ce qui se dit au sens strictpremier et au plus haut point raquo cf M Crubellier P Pellegrin [2007] p 220 n 1

186 La question du choix entre laquo sujet raquo ou laquo substrat raquo ne nous semble pas deacutecisive Laccent pourrait iciecirctre davantage porteacute sur le laquo sujet raquo ndash en geacuteneacuteral reacuteserveacute agrave lemploi logique de ὑποκείμενον commesujet ultime de la preacutedication ndash et non le laquo substrat raquo qui insiste plutocirct sur ce qui demeurephysiquement dans le changement Si la question de traduction ne nous paraicirct pas cruciale et releverdavantage de questions de convention luniteacute conceptuelle de ces deux sens de ὑποκείμενον demandeau contraire assureacutement reacuteflexion (cf la distinction de Z 13 1038b 5-6)

187 Met Z 3 1028b 36-37 laquo καθ οὗ τὰ ἄλλα λέγεται ἐκεῖνο δὲ αὐτὸ μηκέτι κατ ἄλλου raquo

188 Ou laquo le ceci deacutetermineacute raquo ou encore laquo lindividualiteacute raquo selon une proposition de F Wolff ([2005] parexemple p 165)

353

Les objets de la meacutetaphysique

sujet Quil y ait alors addition de nouveaux critegraveres ou reacutevision du critegravere de subjectiteacute le reacutesultat

est le mecircme qui fait lobjet de lensemble du livre Z jusquagrave son nouveau deacutepart en Z 17 cest la

forme de lindividu189 comprise comme sa quidditeacute qui est substance premiegravere plus substance

que la matiegravere et le composeacute Le genre et luniversel seront en outre deacutebouteacutes de toute preacutetention

agrave la substantialiteacute (Z 13-16) semblant ainsi reacuteduire agrave rien la notion de substances secondes

Selon une preacutesentation courante190 il y aurait donc double dissension sur lidentiteacute de la

substance premiegravere et le statut deacuteventuelles substances secondes Que lon considegravere cette double

dissension comme reacuteelle ou seulement apparente parce que soluble (ce qui du reste indiquerait

bien quil y avait au moins en partie problegraveme) elle demeure une donneacutee de laristoteacutelisme

historique191 Or dans ce deacutebat qui distingue les laquo aristoteacutelismes possibles raquo192 les lectures

anciennes teacutemoignent de cette tension193 La position reacutegnante semble secirctre arrimeacutee aux reacutesultats

eacutelaboreacutes par les Cateacutegories agrave la faveur de la vogue deacutejagrave mentionneacutee du traiteacute194 Le cas le plus

clair est celui de Boeacutethos de Sidon eacutelegraveve dAndronicos de Rhodes et professeur daristoteacutelisme

aupregraves de Strabon qui a veacutecu aux alentours de la deuxiegraveme moitieacute du Ier s av J-C et de la

premiegravere moitieacute du Ier s ap J-C195 Dans son Commentaire aux Cateacutegories Simplicius preacutesente la

189 Sur la question de savoir si cette forme est non seulement laquo de lindividu raquo mais mecircme laquo individuelle raquocf M Frede [1985] M Frede G Patzig [1988] M Zingano [2005] etc

190 Cf par exemple la preacutesentation du problegraveme dans R Boeacuteduumls [2005] qui considegravere toutefois cettedissension comme purement apparente reposant sur une laquo singuliegravere meacuteprise raquo (p 341) on yreviendra agrave la fin de cette partie Voir aussi la note suivante

191 Cf M Burnyeat [2001] p 40 selon qui admettre cette dissension revient agrave laquo succumbing toequivocation raquo agrave savoir leacutequivoque de ladjectif laquo premier raquo Voir aussi les analyses peacuteneacutetrantes deF Wolff [2005] en particulier agrave propos des critegraveres de substantialiteacute (et la question de savoir si le critegraverede subjectiteacute est ou non maintenu) agrave linverse entre autres de R Boehm [1965] P Aubenque [2000] ouA Jaulin [1999] en particulier p 91 sq Cf aussi M-L Gill [1989] en particulier p 3 13-16 31-37 Pourune tentative de distinction entre laquo substance premiegravere raquo et laquo substance au plus haut point raquo dans lelivre Z cf aussi G Aubry [2006] et en particulier p 77 sq Voir les eacuteleacutements dans M Frede G Patzig[1988]

192 M Rashed en trace une cartographie dans M Rashed [2007b] p 4-6 Voir aussi H Granger [1996] p 8sq qui selon une habitude anglo-saxonne deacutenomme les deux positions attributivisme etsubstantialisme On y revient ci-dessous

193 Sur la conscience de la tension entre les Cateacutegories et les livres centraux de la Meacutetaphysique degravesAndronicos et Boeacutethos cf R Chiaradonna [1999] p 32 laquo la presenza nel corpus aristotelico di dueconcezioni concorrenti della sostanza egrave rilevata sin dai primi commentatori raquo

194 Lordre logique de cette phrase peut en leacutetat actuel des recherches sur cette vogue des Cateacutegories ecirctrerenverseacute cest peut-ecirctre linteacuterecirct de certains aristoteacuteliciens ndash au premier chef desquels Andronicos nonle moindre ndash pour les reacutesultats obtenus par les Cateacutegories qui a entraicircneacute ce statut de best-seller deleacutepoque post-helleacutenistique

195 Sur Boeacutethos voir P Moraux [1973] p 143-179 HB Gottschalk [1987] p 1107-1110 1116-1119 J-PSchneider [1994] p 126-130 Sur le fait que Boeacutethos ait eacuteteacute leacutelegraveve dAndronicos cf Jean Philopon In

354

Les objets de la meacutetaphysique

thegravese centrale de Boeacutethos comme la reacuteponse agrave une objection connue reprise par Nicostrate puis

Plotin sur luniteacute de la cateacutegorie de la substance les Cateacutegories traitent-elles de la substance

sensible autant quintelligible Comment la substance peut-elle constituer un genre

un 196 Boeacutethos reformule alors cette question sous un aspect similaire au questionnaire de

Meacutetaphysique Z en se demandant lequel de la matiegravere du composeacute et de la forme est

veacuteritablement substance Le Sidonien pointe en effet une contradiction entre certains passages (le

texte reste vague laquo ἐν ἄλλοις raquo) ougrave Aristote aurait indiqueacute trois faccedilons possibles decirctre

substance ou trois sens possibles du terme de substance et le preacutesent passage des Cateacutegories 5 qui

pose la substance comme une cateacutegorie une

La reacuteponse de Boeacutethos est alors double et sans appel dune part les Cateacutegories ne traitent

que de la substance sensible Dautre part mecircme pour celle-ci une laquo aporie raquo le problegraveme de

luniteacute se pose Or les critegraveres des Cateacutegories inclinent agrave ne tenir pour veacuteritables substances que la

matiegravere et le composeacute qui sont substances en fonction du mecircme λόγος de la substance premiegravere

et ne brisent pas donc pas luniteacute de la cateacutegorie En revanche la forme laquo sera hors de la substance

et tombera sous une autre cateacutegorie la qualiteacute ou la quantiteacute ou une autre raquo197 La cateacutegorie de la

qualiteacute est la plus tentante Boeacutethos ayant probablement en tecircte le passage des Cateacutegories 5 selon

lequel les substances secondes indiquent une certaine qualiteacute quoique non au sens strict (3b 15-

18)198 Nous navons toutefois comme lindique M Rashed aucun teacutemoignage positif en faveur

dune identification par Boeacutethos de la forme du livre Z avec les substances secondes des

Cateacutegories199 dautant que certains teacutemoignages noctroient mecircme plus aux universaux le statut de

substances selon une thegravese quon taxe souvent de nominaliste200 La position de Boeacutethos donc

conserve aussi une dimension exeacutegeacutetique et se fonde en outre tregraves probablement sur une

Cat 5 16-19 ndash mais la thegravese nest pas unanimement accepteacutee voir ce quen dit M Griffin [2009] p 210

196 Ce qui pourrait laisser entendre si lon se fie agrave la preacutesentation de Simplicius que lobjection remonte agraveun auteur contemporain de Boeacutethos peut-ecirctre Lucius Voir Simplicius In Cat 76 13 sq et M Griffin[2009] p 249 sq Le chapitre 2 du Traiteacute 42 de Plotin sur cette question est mis en contexte et eacutetudieacute inextenso par R Chiaradonna [2002] en particulier p 56 sq

197 Simplicius In Cat 78 18-20 laquo τὸ δὲ εἶδος τῆς μὲν οὐσίας ἐκτὸς ἔσται ὑπ ἄλλην δὲ πεσεῖταικατηγορίαν ἤτοι τὴν ποιότητα ἢ ποσότητα ἢ ἄλλην τινά raquo Voir plus geacuteneacuteralement le passage de 784-20 Sur ce passage cf R Chiaradonna [1999] p 25ndash29 et [2008] p 382-383

198 Cf par exemple RW Sharples [2010] p 86

199 M Rashed [2007b] p 23 n 78

200 R Chiaradonna [2008a] p 383 Pour lappellation de laquo nominaliste raquo voir deacutejagrave P Moraux [1942] parexemple p 49 Sur la doctrine boeacutethienne des universaux voir aussi M Griffin [2009] p 227 sq etlanalyse du texte de Dexippe In Cat 45 3-30

355

Les objets de la meacutetaphysique

seacutelection de certains lieux deacutetermineacutes ou certaines difficulteacutes du corpus aristoteacutelicien Il arrive agrave

Aristote lui-mecircme de parler de la forme en terme de qualiteacute201 voire de la traiter comme un

laquo preacutedicat raquo de la matiegravere202

Or certains passages du corpus alexandrinien poussent agrave affilier lExeacutegegravete agrave une telle

conception de la substantialiteacute non seulement parce que la deacutetermination subjective de la

substance sous-tend sa compreacutehension de la substance comme cause de lecirctre mais aussi parce

quelle est correacuteleacutee agrave une reacuteduction de la forme agrave une laquo qualiteacute raquo du composeacute

322 La forme qualiteacute ou substance

a) Le cas de lacircme

Une telle reacuteduction nest pas sans lien avec le problegraveme agrave lagenda philosophique de la

peacuteriode post-helleacutenistique la question de lincorporeacuteiteacute des qualiteacutes Le pheacutenomegravene sobserve en

particulier dans le Traiteacute de lacircme dAlexandre Ces textes ayant deacutejagrave eacuteteacute bien travailleacutes203

201 Met Δ 14 donne comme premier sens de la qualiteacute la diffeacuterence essentielle (laquo ἡ διαφορὰ τῆς οὐσίας raquo) mais il est inteacuteressant de noter dembleacutee pour ce qui suit quAlexandre sefforce dans son commentairede distinguer la diffeacuterence speacutecifique dune qualiteacute standard (une affection qualitative du composeacute) enfaisant appel aux Cateacutegories (en loccurrence agrave travers une citation de Cat 5 3b 20) La caracteacuterisation dela diffeacuterence comme qualiteacute substantielle se retrouve eacutegalement dans la seconde version de la secondeQuaestio laquo De la diffeacuterence raquo conserveacutee seulement en arabe (et traduite dans ses deux versions par MRashed [2007b] p 56-58 le paragraphe qui nous inteacuteresse le sect 7 dans la version de Damas se lit p 60et est commenteacute par M Rashed p 70) Pour les autres passages dAristote pouvant avoir servi desource agrave la thegravese boeacutethienne de la forme comme qualiteacute on songe aussi aux cas de geacuteneacuterations non-substantielles (le laquo replacement model raquo de ML Gill) ougrave une forme peut tregraves bien deacutesigner une qualiteacutepar exemple en Phys I

202 Cf les textes rassembleacutes et lindispensable mise au point par J Brunschwig [1979] qui se fonde enparticulier sur lideacutee dune souplesse du lexique aristoteacutelicien comme en teacutemoigne limportanteproposition finale qui demeure une source dinspiration selon laquelle il faut lire Aristote avecpreacutesente agrave lesprit la regravegle laquo reconnaicirctre aux mots le sens tout le sens rien que le sens que la fonctionquils remplissent dans les eacutenonceacutes contraint de leur reconnaicirctre raquo (p 158) Une telle approche se situesans doute aux antipodes dune certaine fixation peacutedagogique et scolastique du vocabulaire chezAlexandre

203 Voir en particulier I Kupreeva [2003] et V Cordonier [2008]

356

Les objets de la meacutetaphysique

rappelons-en quelques eacuteleacutements saillants Contre le corporalisme stoiumlcien et la seacuteparation meacutedio-

platonicienne de lincorporel Alexandre trouve un terrain de choix pour penser limmanence de

la forme incorporelle dans le composeacute hyleacutemorphique Pour ce faire lExeacutegegravete se sert davantage

du stoiumlcisme comme repoussoir en menant leur position jusque dans leurs conseacutequences

extrecircmes

Ἀλλ οὐδὲ κατὰ τοὺς λέγοντας πᾶν σῶμαἢ ὕλην ἢ ἐξ ὕλης εἶναι (ὡς τοῖς ἀπὸ τῆς Στοᾶςδοκεῖ) εἴη ἂν τὸ εἶδος σῶμα Οὔτε γὰρ ὕλη τὸεἶδος (ἡ μὲν γὰρ ἄποιος τὸ δὲ ποιότης τις)οὔτε ἐξ ὕλης εἰ γὰρ εἴη τὸ εἶδος ἐξ ὕλης καὶεἴδους πρῶτον μὲν ἔσται ταὐτὸν τὸ ἕτερον τῷσυναμφοτέρῳ ἔπειτα εἰς ἄπειρονπροελεύσεται [20] εἴ γε τὸ μὲν εἶδος ἐξ ὕληςτε καὶ εἴδους πάλιν δὲ ἐκεῖνο τὸ εἶδος ὕλης τεκαὶ εἴδους δεήσεται

Mais mecircme dapregraves ceux qui soutiennent quetout corps est une matiegravere ou est composeacute de matiegravere(comme il semble agrave ceux du Portique) la forme nepourrait pas non plus ecirctre un corps En effet la formenest pas une matiegravere (car celle-ci est sans qualiteacutequand la forme est elle une certaine qualiteacute) ni nestcomposeacutee de matiegravere Si en effet la forme estcomposeacutee de matiegravere et de forme tout dabord lundes deux ltcomposantsgt sera identique au composeacutedes deux ensuite on proceacutedera ainsi agrave linfini si dumoins la forme est composeacutee de matiegravere et de formeet que cette forme agrave son tour devra ecirctre composeacutee dematiegravere et de forme

(De anima 17 15-21)

Le passage prend place dans la section du De anima qui enteacuterine les conseacutequences de la

deacutefinition geacuteneacuterale204 de lacircme comme forme perfection (τελειότης) et finalement laquo enteacuteleacutechie

premiegravere dun corps naturel organiseacute raquo205 La premiegravere de ces conseacutequences est linseacuteparabiliteacute de

lacircme et du corps au motif que toute forme (ici il nest pas question deacuteventuelles formes seacutepareacutees

et immateacuterielles) laquo appartient agrave autre chose raquo lacircme ne peut donc laquo subsister raquo (ὑφεστάναι 17

15) par soi ce qui semble lui retirer une bonne part de substantialiteacute Cette thegravese est coheacuterente

avec la reacuteduction de la forme agrave une qualiteacute qui seacutetablit dans la deuxiegraveme conseacutequence de la

theacuteorie de lacircme et constitue lobjet du texte ci-dessus

Cette deuxiegraveme conseacutequence est lincorporeacuteiteacute de lacircme Alexandre soppose frontalement

au Portique via une strateacutegie argumentative qui consiste agrave reacuteduire le corporalisme stoiumlcien agrave un

mateacuterialisme Il faut en effet rappeler quaucun autre teacutemoignage ne fait dire aux stoiumlciens que

tous les corps sont laquo une matiegravere raquo206 En premier lieu pour un stoiumlcien il y a un corps qui est

distinct de toute matiegravere cest le feu divin qui anime la matiegravere premiegravere qui lui est immanent

mais sans se confondre avec elle Le seul fait quil y ait deux principes corporels au Monde

204 Geacuteneacuterale mais non pas geacuteneacuterique les diffeacuterentes acircmes ne sont pas des espegraveces cf DA 16 18 sq

205 DA 16 1 sq Sur le concept de laquo perfection raquo cf ci-dessous 331a et M Rashed [2011a] en particulierp 135 sq

206 Sauf un texte de Plotin dans le Traiteacute 42 (cf V Cordonier [2008] p 358)

357

Les objets de la meacutetaphysique

devrait deacutejagrave eacuteveiller quelques doutes sur un preacutetendu monisme mateacuterialiste stoiumlcien207 Surtout

comme on la vu208 le corporalisme stoiumlcien ninvoque pas la mateacuterialiteacute comme critegravere de

corporeacuteiteacute toutes les deacutefinitions du corps donnent la tridimensionnaliteacute la capaciteacute dagir ou de

pacirctir ndash eacuteventuellement la reacutesistance La matiegravere au sens strict deacutesigne un principe qui est un

corps parce quelle est capable de pacirctir ce qui en fait agrave linstar du dieu un corps dun genre

particulier Bref quoique tout corps soit fait de matiegravere luniteacute ontologique minimale des

stoiumlciens ce sont bien les corps et non pas la matiegravere qui nest quun aspect ou une fonction des

corps

La reconstruction alexandrinienne vise agrave miner la thegravese stoiumlcienne de linteacuterieur en

faisant refluer le corps stoiumlcien vers la pure matiegravere Alexandre meacutenage lespace pour la forme

incorporelle Il lui est donc neacutecessaire de plaquer lhyleacutemorphisme sur lentente stoiumlcienne du

corps ndash ce quAlexandre ne sera dailleurs pas le dernier agrave faire209 mais il faut voir que cette

interpreacutetation du stoiumlcisme prend consistance dans une entreprise de reacutefutation Cest dans ce

contexte que lon peut comprendre le premier argument preacutesenteacute dans ce passage en assimilant

le corps agrave la matiegravere il devient impossible de concevoir les qualiteacutes comme corporelles puisque

par deacutefinition elles se distinguent de la matiegravere laquo inqualifieacutee raquo210

Largument suivant se concentre non plus sur lidentiteacute entre forme et matiegravere mais sur

la composition mateacuterielle de la forme I Kupreeva interpregravete agrave raison cet argument comme une

laquo aporeacutetique reacuteduction agrave labsurde raquo211 ou bien la partie est eacutegale au tout ou bien une reacutegression

agrave linfini Cest en ce sens quAlexandre envisage par hypothegravese une composition hyleacutemorphique

de la forme elle-mecircme La forme ne peut donc ecirctre corporelle si laquo corporel raquo signifie laquo fait de

matiegravere raquo Il convient ici de souligner combien la diffeacuterence entre les conceptions stoiumlcienne et

peacuteripateacuteticienne se manifeste dans la strateacutegie argumentative dAlexandre Largumentation

dAlexandre peut ne pas sembler contraignante parce quici sopposent en reacutealiteacute deux theacuteories

de la causaliteacute et si lon peut dire en allant vite deux faccedilons daborder lontologie Alexandre

sefforce dinteacutegrer les concepts stoiumlciens dans un discours peacuteripateacuteticien Or le corps cest-agrave-dire

la reacutealiteacute ontologique centrale la laquo substance premiegravere raquo des stoiumlciens nest pas deacutefini par sa

207 Cf B Besnier [2003] J-B Gourinat [2005]

208 Ci-dessus sect 113

209 Cf Porphyre selon Simplicius In Cat 48 11-16 voir I Kupreeva [2003] p 297

210 Sur la matiegravere inqualifieacutee cf aussi Alexandre DA 18 4 Plutarque De Comm Not 50 V Cordonier[2008] p 361-362

211 I Kupreeva [2003] p 317

358

Les objets de la meacutetaphysique

nature ses composants ni nest justement conccedilu dun point de vue substantiel Le corps est

caracteacuteriseacute par ses fonctions laction et la passion Le dieu et la matiegravere ne sont pas dabord des

corps parce quils produisent les corps mais parce quils remplissent ces critegraveres Les critiques

platonicienne et peacuteripateacuteticienne reacuteintroduisent le point de vue substantiel lagrave ougrave la penseacutee

stoiumlcienne se deacutefinit davantage en terme de processus et deacuteveacutenements212

Toutefois si lextrait peut laisser croire en un premier temps quAlexandre se situe sur le

mecircme terrain que les platoniciens (par son vocabulaire voire par une partie des thegraveses avanceacutees)

son argumentation ne peut eacutevidemment pas se limiter agrave la deacutemonstration de lincorporeacuteiteacute de la

forme Daccord avec les platoniciens pour dire quil faut de lincorporel pour obtenir un corps

Alexandre sen seacutepare ensuite quand il montre que cela nimplique pas une seacuteparation ni une

action exteacuterieure de la forme non seulement comme le dit Aristote lacircme nest pas comme un

laquo marin raquo (πλωτὴρ) mais en outre elle nest pas non plus comme un pilote (κυβερνήτης) ndash le

terme promis agrave la fortune que lon sait est dAlexandre213 Selon le De anima comme le

Commentaire au De sensu il convient de refuser laction et la passion tout autant aux seuls corps

(ce qui contredit une thegravese dAristote en personne 214) quaux incorporels il ny a action et

passion des corps quen vertu de lincorporel en eux215 Mais pas plus que la matiegravere ne peut ecirctre

sans la forme cette forme elle-mecircme ne peut laquo exister raquo sans une matiegravere et agrave ce titre elle peut

ecirctre deacutecrite comme une sorte de qualiteacute survenant au composeacute216

Or non seulement cette thegravese nest pas isoleacutee dans le corpus217 mais elle savegravere coheacuterente

avec la tradition peacuteripateacuteticienne autant que la description par Alexandre de lacircme comme

forme Apregraves les travaux de ces derniegraveres anneacutees la thegravese de P Moraux selon laquelle Alexandre

212 P Aubenque lance une indication en ce sens agrave partir de la grammaire stoiumlcienne voir P Aubenque[1991] [2009a] p 112

213 Cf DA agrave partir de 18 10 ougrave Alexandre aborde la maniegravere dont forme et matiegravere peuvent ecirctrequalifieacutees de laquo parties raquo et surtout 20 26 sq Sur la theacutematique alexandrinienne du pilote dans lenavire voir leacutetude de A Schniewind [2008] en particulier p 277-280 qui montre les enjeux de lasubstitution de κυβερνήτης agrave πλωτὴρ Le terme apparaicirct dans le DA dAlexandre en 14 4 15 9-27 20 28 ndash 21 10

214 Aristote De caelo I 7 275b 5-6 Sur tout cela voir les analyses de V Cordonier [2008] p 369-370

215 In De sens 73 18-21 laquo Μάθοι δ ἄν τις ἐκ τούτων τὴν Ἀριστοτέλους δόξαν περὶ τῶν ποιούντων τεκαὶ πασχόντων Οὔτε γὰρ τὰ σώματα αὐτῷ δοκεῖ ποιεῖν τε καὶ πάσχειν ὡς ἀρέσκει τοῖς ἀπὸΣτοᾶς οὔτε πάλιν τὰ ἀσώματα ὡς ἐδόκει τοῖς περὶ Πλάτωνα ἀλλὰ κατὰ τὰς ἐν αὐτοῖςἐναντιώσεις οὔσας ἀσωμάτους raquo DA 7 13-14 laquo διὸ καὶ εὐλόγως λέγεται τὸ κατὰ τὰ ἀσώματαποιεῖν τε καὶ πάσχειν τὰ σώματα raquo

216 Cf DA 4 20 sq

217 Voir outre la suite du DA (18 5 sq) Quaestio I 6 13 21 et les textes citeacutes ci-dessous

359

Les objets de la meacutetaphysique

se livrerait dans son De anima agrave une lecture mateacuterialiste de la psychologie aristoteacutelicienne nest

plus soutenable sous quelque deacutefinition de laquo mateacuterialisme raquo que ce soit Quon entende par lagrave un

mateacuterialisme reacuteductionniste ou seulement confineacute agrave la thegravese dune continuiteacute laquo entre vivant et

non-vivant raquo218 cela ne convient pas agrave Alexandre LAphrodisien maintient la diffeacuterence de nature

entre forme et matiegravere lacircme est incorporelle distincte du meacutelange des eacuteleacutements ndash comme le

montre aussi un passage rarement citeacute219 car eacuteloigneacute des cruces commentatorum

Οἱ μὲν οὖν ἀρχαῖοι τὴν [9125] ψυχὴνπάντα ἔλεγον εἶναι τὰ πράγματα τῷ ποιεῖναὐτὴν ἐκ τῶν ἀρχῶν ἐξ ὧν καὶ τὰ ὄνταπάντα αὐτοῖς ἦν τὰ δὲ νῦν εἰρημένα περὶψυχῆς [921] ἔδειξεν οὐχ οὕτως αὐτὴν οὖσαντὴν αὐτήν τῷ ἐκ τῶν αὐτῶν αὐτοῖς ἀρχῶνγεγονέναι Οὕτως μὲν γὰρ οὐχ ἡ ψυχὴ μόνηπᾶσιν τοῖς οὖσιν ἡ αὐτή ἀλλὰ καὶ εἴ τι ἄλλοσύνθετον ὂν ἐκ πασῶν τῶν ἀρχῶνσυνέστηκεν Ἔτι τε ἀναγκαῖον οὕτωςμέγεθός τι αὐτὴν εἶναι καὶ σῶμα πρὸς δὲτούτοις μηδὲ [925] δύνασθαί τινι τῶν ὄντωνοὕτως αὐτὴν εἶναι τὴν αὐτήν εἴ γε ἐν τῇποιᾷ μὲν συνθέσει τε καὶ μίξει τῶν ἀρχῶν ἡἑκάστου τῶν πραγμάτων οὐσία ἐπεὶ τῷ γεἐκ τῶν αὐτῶν ἀρχῶν εἶναι πάντα ἂν ἦνταὐτὰ ἀλλήλοις μηδενὸς δὲ τῶν ἑτέρων τῆςψυχῆς δύνασθαι εἶναι τὴν κρᾶσιν τε καὶμῖξιν ἐν τῇ ψυχῇ Ἦν γὰρ ἂν ἐκεῖνο ἀλλ οὐψυχή

Ainsi les Anciens disaient-ils que lacircme est toutesles choses parce quils la produisaient agrave partir desprincipes dont selon eux touts les eacutetants proviennentaussi mais ce quon vient de dire sur lacircme a montreacutequelle nest pas identique aux choses au sens ougrave elleest issue des mecircmes principes quelles De cettemaniegravere en effet non seulement lacircme seraitidentique agrave tous les eacutetants mais ce serait aussi le casde nimporte quel autre composeacute qui serait constitueacutede tous les principes Par ailleurs il faudrait alorsquelle soit une certaine grandeur220 et un corps Enoutre il ne serait plus possible pour lacircme decirctre ainsiidentique agrave lun des eacutetants sil est vrai que lasubstance de chaque chose consiste dans unecomposition qualifieacutee et dans le meacutelange desprincipes puisque du fait que les choses proviennentdes mecircmes principes elles seraient toutes identiquesles unes aux autres Et221 il ne pourrait y avoir enlacircme de mixture ou de meacutelange avec rien qui soitdiffeacuterent de lacircme car elle serait cette chose et nonpas une acircme

Ἀλλ ἔστιν ἡ ψυχὴ τοῖς [9210] οὖσινοὕτως ἡ αὐτὴ τῷ δύναμις εἶναι τῶν εἰδῶναὐτῶν ληπτικὴ κατά τε τὸ νοεῖν καὶ τὸ

Mais lacircme est identique aux eacutetants au sens ougraveelle est une puissance propre agrave recevoir leurs formespar le fait de penser et de sentir Cest en cela en effet

218 P Moraux [1942] p 32-33

219 Seul agrave notre connaissance P Thillet lui accorde lattention quil meacuterite cf P Thillet [1981] enparticulier p 12-13 On peut toutefois se montrer plus reacuteserveacute agrave lendroit de certaines analyses delarticle ndash par exemple p 10 sur le sens de ladjectif laquo premier raquo dans lexpression laquo enteacuteleacutechie premiegraveredun corps naturel organiseacute raquo ou p 21 sq sur lintellect agent comme donateur de formes

220 Or ce nrsquoest pas le cas cf Aristote DA I 3 407 a 2-3

221 La ponctuation du texte grec est de notre fait Nous interpreacutetons en effet le δέ de la l8 commelrsquointroduction drsquoune deuxiegraveme conseacutequence absurde de la thegravese des laquo Anciens raquo dont la conclusion aeacuteteacute eacutenonceacutee l 4-5 Bruns met entre parenthegraveses la proposition geacuteneacuterale des lignes 5-6 (laquo εἴ γε τῇ ποιᾷ[] τῶν πραγμάτων οὐσια raquo) P Accattino et P Donini mettent entre parenthegraveses la propositionsuivante l 7 (laquo ἐπει τῷ γε [] ἦν ταὐτα ἀλλήλοις raquo) en soulignant la deacutependance du δύνασθαι (l8) agravelrsquo ἀναγκαῖον de la l4 Mais ces diverses parenthegraveses ne nous semblent pas indispensables degraves lors quelrsquoon voit qursquoAlexandre eacutenonce drsquoabord la conclusion de la reacutefutation puis une preacutemisse geacuteneacuterale puisdeux conseacutequences absurdes la premiegravere l 7 et la seconde l 7-9 expliciteacutee par le laquo ἦν γὰρ raquo de la l9R Dufour et M Bergeron traduisent ce δέ (l 8) par un laquo mais raquo ndash mais crsquoest ambigu puisque ce δέ nrsquoaprobablement pas ici son sens adversatif

360

Les objets de la meacutetaphysique

αἰσθάνεσθαι Ἐν τούτῳ γὰρ τῇ τοιαύτῃ ψυχῇτὸ εἶναι

que reacuteside lessence dune telle acircme (De anima 91 24 ndash 92 11)

En commentant le slogan aristoteacutelicien laquo lacircme est en un sens tous les eacutetants raquo222

Alexandre revient donc sur lessence immateacuterielle de lacircme en rappelant le refus de la thegravese de la

connaissance du semblable par le semblable et de lacircme comme composition eacuteleacutementaire en De

anima I 2 et 5 Malgreacute quen ait P Moraux les arguments accumuleacutes dans cette section viennent

tout de mecircme singuliegraverement limiter les affirmations selon lesquelles laquo chez Alexandre

dAphrodise les tendances mateacuterialistes introduites par le troisiegraveme chef du Lyceacutee apparaissent

dans toute leur puissance raquo ou plus loin laquo toutes les deacuteviations quil [Alexandre] impose agrave la

doctrine aristoteacutelicienne visent agrave pousser cette doctrine dans le sens du mateacuterialisme raquo223

P Moraux se fondait entre autres sur la doctrine alexandrinienne de lacircme comme

deacuteriveacutee deacuteleacutements corporels et laffirmation correacutelative qulaquo aucune activiteacute de lacircme ne peut se

produire sans un mouvement du corps raquo224 ndash ce quAlexandre montre pour toutes les activiteacutes

psychiques (dans lordre nutrition croissance geacuteneacuteration sensation imagination et penseacutee

pour laquelle Alexandre reprend largumentation dAristote en I 1 403 a 7-10) Certes le doute

souleveacute par Aristote225 a ici complegravetement disparu Pour autant cela ne suffit pas agrave justifier une

quelconque interpreacutetation reacuteductionniste de la doctrine de lExeacutegegravete Non seulement Alexandre

souligne nettement la diffeacuterence entre matiegravere et forme corporel et incorporel mais il prend

mecircme soin de distinguer ndash peut-ecirctre contre Galien ndash lacircme comme puissance et forme de la

proportion dune part et le meacutelange le tempeacuterament corporel lui-mecircme dautre part226

La thegravese alexandrinienne de l laquo eacutepigeacutenegravese raquo de lacircme227 ne doit donc pas ecirctre comprise au

sens ougrave il y aurait proprement laquo geacuteneacuteration raquo de la forme agrave partir dun certain meacutelange

eacuteleacutementaire Comme la souligneacute P Accattino il arrive agrave Aristote lui-mecircme demployer

222 Aristote DA III 8 431b 21

223 P Moraux [1942] respectivement p 167 et 168 P Moraux reacuteagit au passage citeacute (91 24 ndash 92 11) et agravelarticle de P Thillet dans P Moraux [1984] p 783 n 399 au motif que laquo Alexanders Ausfuumlhrungen inDe an 91 24 ndash 92 11 auf die Thillet 12-13 groszliges Gewicht legt besagen lediglich daszlig die Seele keineswegs mitden koumlrperlichen Elementen identifiziert werden kann raquo

224 Alexandre DA 12 9-10 Cf P Accattino P Donini [1996] p XV

225 En DA I 1 403 a 5 sq

226 Alexandre DA 25 2-9 26 20-27 sur cela et plus geacuteneacuteralement le rapport agrave Galien voir V Cordonier[2007]

227 Alexandre DA 25 2-3 laquo ἡ γὰρ δύναμις καὶ τὸ εἶδος τὸ ἐπιγινόμενον τῇ κατὰ τὸν τοιόνδε λόγονκράσει τῶν σωμάτων ψυχή raquo cf aussi 26 22

361

Les objets de la meacutetaphysique

laquo γίγνεσθαι raquo en un sens tregraves large en parlant de la forme ou de la quidditeacute228 De surcroicirct

soutenir que laquo la geacuteneacuteration de lacircme provient [ἐκ] dun meacutelange qualifieacute et dune mixture des

corps premiers raquo nest pas encore dire quun certain eacutetat corporel (plus que mateacuteriel dailleurs)

produit lacircme ndash sauf agrave confondre causaliteacutes mateacuterielle et productrice ou agrave consideacuterer quAlexandre

le fait et accepte inteacutegralement la theacuteorie stoiumlcienne de la causaliteacute ce qui commence agrave faire

beaucoup229

LAphrodisien corregravele assureacutement le degreacute de complexiteacute dune matiegravere et celui dune

forme Il conccediloit donc lacircme comme une forme complexe laquo plus diversifieacutee et plus acheveacutee raquo agrave

laquelle laquo contribuent raquo les formes infeacuterieures lacircme devenant alors comme laquo une forme des

formes et une perfection des perfections raquo au motif leacutegitime quelle est la forme dun corps

complexe et non simple Mais en cela Alexandre ne fait rien dautre au fond que se montrer

conscient de caractegravere fonctionnel du couple forme ndash matiegravere Leacutetat infeacuterieur nest une matiegravere

quau regard de la forme de lacircme et Alexandre travaille agrave montrer dans les pages 7-9 comment

ce qui apparaicirct comme matiegravere est en fait composeacute230 Il ny a au demeurant rien de

laquo mateacuterialiste raquo agrave soutenir quune certaine forme ne peut ecirctre lieacutee quagrave une certaine matiegravere

dapregraves la regravegle qui exclut laquo nimporte quelle forme dans nimporte quelle matiegravere raquo231 Enfin

Alexandre ne preacutesente en rien une description de cette geacuteneacuteration agrave partir de la seule matiegravere

comme si celle-ci produisait elle-mecircme sa propre information et lExeacutegegravete nabandonne pas lideacutee

dune geacuteneacuteration du vivant preacutesideacutee par une forme232 Il faut en reacutealiteacute distinguer comme le

propose P Accattino entre le processus dynamique de la geacuteneacuteration du vivant et le cadre statique

de la bipartition corps simples ndash composeacutes233 Ou plutocirct parce que les descriptions

228 P Accattino [1995] p 198-200 Sur le fait quAlexandre soutienne le caractegravere inengendreacute des formesvoir Simplicius In Phys 234 11-28 In De caelo 578 32 sq et M Rashed [2007b] p 237 sq Voir aussiP Accattino P Donini [1996] p 114-116 et le reacutesumeacute tregraves clair dans P Accattino [2009] p 59-60

229 DA 24 3-4 (laquo ἡ γὰρ γένεσις αὐτῆς ἐκ τῆς ποιᾶς μίξεώς τε καὶ κράσεως τῶν πρώτων σωμάτων ὡςἐδείχθη raquo) R Dufour et M Bergeron ont utilement listeacute les passages controverseacutes (M Bergeron RDufour [2008] p 27) Voir aussi entre autres Mantissa 104 28-29 laquo καὶ ἔστι τὸ σῶμα καὶ ἡ τούτουκρᾶσις αἰτία τῇ ψυχῇ τῆς ἐξ ἀρχῆς γενέσεως raquo

230 DA 8 8-14 Sur la difficulteacute poseacutee par la thegravese selon laquelle la forme des composeacutes survient agrave partir dela forme des corps simples le fait quune telle thegravese est absente du corpus aristoteacutelicien cf P Accattino[1995] p 192 sur limportance du passage de DA 8 8-14 qui bien lu vient deacutementir toutmateacuterialisme cf p 200

231 Alexandre DA 10 26 (voir aussi Mantissa sect 1 103 26) peut-ecirctre agrave partir dAristote DA II 4 414a 19sq Cf RW Sharples [1994] p 165 R Dufour M Bergeron [2008] p 33

232 Voir DA 36 19 ndash 37 3 et M Bergeron R Dufour [2008] p 31 Sur le rocircle de la semence voir aussi Demix 226 5-6

233 P Accattino [1995] p 201

362

Les objets de la meacutetaphysique

alexandriniennes de cette section du De anima nous paraissent bien peu laquo statiques raquo il faut

distinguer entre deux focales de lanalyse celle laquo chimique raquo si lon veut234 en tout cas interne agrave

la matiegravere du corps vivant deacutecrivant leacutetagement hyleacutemorphique du monde dans ses premiers

degreacutes et celle macroscopique eacutelargissant le point de vue au niveau inter-substantiel agrave celui de

la transmission de la forme via la semence du pegravere et de lidentiteacute speacutecifique de la forme

Toutefois si une telle description de lacircme nest en rien mateacuterialiste au sens reacuteductionniste

et vise probablement agrave se deacutefaire aussi dun dualisme trop strict elle pourrait bien se laisser

adeacutequatement lire agrave travers la grille de leacutemergentisme En philosophie contemporaine

leacutemergentisme est couramment tenu pour une sorte de version revue et corrigeacutee de

leacutepipheacutenomeacutenalisme Dans le laquo mind-body problem raquo leacutepipheacutenomeacutenalisme est cette position qui

consiste agrave concevoir les eacutetats mentaux agrave la fois comme des effets deacutetats physiques et comme eux-

mecircmes deacutepourvus de tout pouvoir causal Cela revient plus geacuteneacuteralement agrave accepter la reacutealiteacute

des eacutetats mentaux leur distinction davec les eacutetats ceacutereacutebraux agrave maintenir donc un certain

dualisme (quoique non-substantiel235) tout en posant une franche asymeacutetrie entre le corps et

lesprit Les eacutetats mentaux sont bien alors des laquo eacutepipheacutenomegravenes raquo dans tous les sens du terme agrave

la fois des symptocircmes et des pheacutenomegravenes secondaires produits survenant sur autre chose

queux-mecircmes Une correction de cette theacuteorie est leacutemergentisme qui accepte la survenance de la

position eacutepipheacutenomeacutenaliste tout en lamendant sur la question de la causaliteacute pour deacutefendre une

causaliteacute dans les deux sens au moins partielle en ce qui concerne les eacutetats mentaux

V Caston a proposeacute demployer cette grille de lecture pour les doctrines anciennes de

lacircme et du corps236 La theacuteorie de lacircme-harmonie discuteacutee par Socrate dans le Pheacutedon et Aristote

au livre I du De anima semble en effet adeacutequatement souscrire agrave une telle qualification la

meacutetaphore de la meacutelodie eacutetant dailleurs reacuteguliegraverement employeacutee par les eacutepipheacutenomeacutenalistes

contemporains237 Mais au livre I du De anima tout en refusant linefficaciteacute du mental de la thegravese

eacutepipheacutenomeacutenaliste et agrave la diffeacuterence de la critique platonicienne Aristote ne remet pas en cause

une forme de survenance du mental sur le physique ndash sauf peut-ecirctre dans le cas probleacutematique de

234 En employant anachroniquement ce terme pour deacutesigner la physique eacuteleacutementaire et les questions dumeacutelange

235 Un eacutepipheacutenomeacutenaliste classique naccepterait par deacutefinition pas de parler dune subsistance autonomedes eacutetats mentaux voire dune immortaliteacute de lacircme

236 V Caston [1997] comme le note I Kupreeva ([2010] p 215 n 12) cette lecture nest pas discuteacutee parM Rashed dans M Rashed [2007b]

237 Respectivement Platon Pheacutedon 85e-86e et 92a-95a Aristote DA I 4 V Caston [1997] p 323-332

363

Les objets de la meacutetaphysique

lintellect238

Cette lecture de la thegravese aristoteacutelicienne demanderait plus ample discussion239 mais de

telles distinctions conceptuelles se montrent opeacuteratoires en ce qui concerne Alexandre LExeacutegegravete

en effet tout en eacuteconduisant la thegravese de lacircme-harmonie pourrait sen rapprocher agrave certains

eacutegards Comme y insiste V Caston il faut cependant ecirctre nuanceacute240 Alexandre cherche agrave

maintenir une causaliteacute de lacircme tout en insistant sur la survenance psycho-physique et sinscrit

donc dans les parages les plus immeacutediats dAristote De fait on la vu Alexandre deacuteveloppe de

fond en comble lideacutee qulaquo aucune activiteacute de lacircme ne peut se produire sans un mouvement du

corps raquo241 lacircme est dite explicitement laquo survenir raquo (laquo ἐπιγίγνομαι raquo ou laquo γεννωμένη ἐπὶ raquo) sur le

meacutelange corporel dans un sens tregraves proche de la covariation contemporaine entre eacutetats mentaux

et eacutetats physiques sans perdre son statut de cause242 Tout concourt donc agrave pouvoir caracteacuteriser

adeacutequatement lExeacutegegravete comme eacutemergentiste dun eacutemergentisme toutefois plus proche de

leacutepipheacutenomeacutenalisme que celui dAristote parce que plus systeacutematique sur la relation de

survenance et leacutetat de linfrastructure corporelle243

Une telle interpreacutetation saccorderait degraves lors avec la conception plus geacuteneacuterale de la forme

comme qualiteacute Pour le dire dune formule leacutemergentisme en philosophie de lesprit saccorde en

effet avec un attributivisme en ontologie244 Alexandre se placerait ainsi dans une filiation critique

avec leacutepipheacutenomeacutenaliste dun Diceacutearque qui concevait lacircme comme une laquo qualiteacute raquo245 Tout en

acceptant cette derniegravere position et sans deacuteroger agrave la prioriteacute substantielle du composeacute (laquo ce nest

238 Pour le maintien de la survenance cf le texte important du DA I 1 403a 3-19

239 Voir par exemple le deacutebat entre D Charles et V Caston en particulier dans D Charles [2009] etV Caston [2009]

240 V Caston [1997] p 347 Une telle thegravese a eacuteteacute avanceacutee par P Donini [1971] (quoique V Caston nen fassepas mention) pour qui Alexandre naurait pas compris une partie de la critique aristoteacutelicienne delacircme-harmonie

241 Alexandre DA 12 9-22

242 V Caston [1997] p 348-349 et Mantissa sect 1 104 27-34 Pour les occurrences de laquo γεννωμένη hellip ἐπὶ raquocf DA 24 22-23 26 26-27 29-30 Pour laquo ἐπιγίγνομαι raquo cf 25 2-3 26 22 Lacircme comme cause DA24 4-13

243 V Caston [1997] p 3583 laquo What we find in both Alexander and Galen then is a thoroughgoing emergentismThey offer a clear notion of mental powers that do not belong to the elements but arise only at certain levels ofcomplexity raquo

244 Pour reprendre les cateacutegories deacutecrites par H Granger [1996] ndash qui emploie justement lattributivismeen philosophie de lesprit (voir la deacutefinition de lattributivisme en contexte psychologique p 11 enreacutefeacuterence aux travaux de J Barnes en particulier [1971-1972])

245 Cf Diceacutearque fr 8 Wehrli (P Moraux [1973] p 243ndash246 V Caston [1997] p 339 sq M Rashed[2007b] p 19)

364

Les objets de la meacutetaphysique

pas lacircme elle-mecircme qui se promegravene ou sadonne agrave la lutte mais lhomme qui la possegravede raquo246)

Alexandre la corrigerait cependant en consideacuterant lacircme comme une proprieacuteteacute certes mais une

proprieacuteteacute doueacutee dun pouvoir causal Il en irait de mecircme chez Andronicos Selon ce dernier en

effet lacircme nest pas substance parce quelle nest pas substrat Pour Andronicos seul le corps est

veacuteritablement substrat et lacircme nest que la puissance conseacutecutive aux meacutelanges des eacuteleacutements

corporels247 Or comme on la vu Andronicos est lauteur de la division des cateacutegories en par soi

dune part et par accident ou relatifs de lautre La classe laquo par soi raquo contenant uniquement la

substance et lacircme neacutetant pas pour Andronicos une substance elle se trouve ainsi releacutegueacutee du

cocircteacute des laquo relatifs raquo agrave la substance248 La psychologie alexandrinienne exemplifierait donc la

position ontologique laquo Cateacutegories-centriste raquo

b) La Forme substance car partie de la substance

On nous reacutetorquera cependant quAlexandre accepte bien de parler en plusieurs endroits

de la forme comme substance Du reste il distingue son inheacuterence agrave la matiegravere de celle des

accidents dans pas moins de trois Quaestiones (I 8 17 26) deacuteveloppant lideacutee que laquo la forme nest

pas dans la matiegravere comme en un sujet raquo Dembleacutee cependant cest bien le maintien du critegravere

de subjectiteacute issu des Cateacutegories qui rend raison de cette question quoi quil en soit pour linstant

du deacutetail des arguments il est net que ce problegraveme ne peut eacutemerger que parce quAlexandre

conserve au moins jusquagrave un certain point la thegravese selon laquelle une substance nest ni dans un

sujet ni dite dun sujet et quil arrive pourtant agrave Aristote lui-mecircme de dire que la forme est dans la

matiegravere249 La question prend en effet sa source exeacutegeacutetique dans la double caracteacuterisation de lin

246 Mantissa 104 36-37 laquo ὡς γὰρ οὐ βαδίζει ἡ ψυχὴ αὐτὴ οὐδὲ παλαίει ἀλλ ὁ ἔχων αὐτὴνἄνθρωπος raquo sur cette proposition voir M Rashed [2007b] p 42

247 Galien Quod animi mores 4 44 12-20 Muumlller (RW Sharples [2010] texte 24P p 239) Galien preacutesente la position dAndronicos sous deux formes (lacircme est le meacutelange lui-mecircme ou la puissance conseacutecutive aumeacutelange) mais sa critique se focalisant sur la derniegravere deacutefinition on peut penser que cest celle-lagrave qui est la plus fidegravele agrave la position andronicienne

248 M Rashed [2007b] p 21-22

249 Si lon deacutecrit autrement la substantialiteacute si lon y ajoute par exemple le couple de lecirctre en acte et delecirctre en puissance le problegraveme dune inheacuterence de la forme dans la matiegravere disparaicirct ou du moins nese pose plus dans les mecircmes termes Tel est lenjeu du livre H Pour un cas de laquo forme dans la matiegravere raquochez Aristote cf De caelo I 9 278b 1-3

365

Les objets de la meacutetaphysique

subjecto des Cateacutegories comme ce qui nest ni une partie250 ni ne peut ecirctre seacutepareacute de ce en quoi il est

(1a 24-25) Si la forme souscrit au second critegravere on comprend linsistance dAlexandre sur son

statut de partie et son refus dune inheacuterence accidentelle elle nest pas laquo une deacutetermination

parmi dautres raquo251 Mais si la forme est substance cest alors agrave lombre dune substance premiegravere

eacutevidemment conccedilue agrave partir des Cateacutegories

Mecircme le deacutetail de largumentation semble reacuteaffirmer le primat des Cateacutegories Ainsi en va-

t-il des passages ougrave lExeacutegegravete fait appel agrave un argument agrave lapparence scolaire selon lequel laquo les

parties de la substance sont des substances raquo252 Ainsi dans la Mantissa

Πῶς οὖν τὰ μὲν μέρη τῆς οὐσίας [1225]οὐσίαν λέγομεν καὶ διὰ τοῦτο τὸ εἶδος καὶτὴν ὕλην οὐσίαν φαμέν τὰ δὲ μέρη τοῦσώματος οὐκέτι σώματα εἴ γε καὶ ταῦταμέρη σώματος τὸ εἶδος καὶ ἡ ὕλη ἢ οὐκ ἔστιτὸ εἶδος καὶ ἡ ὕλη ὡς σώματος μέρηΣώματος μὲν γὰρ μέρη τὰ συμπληρωτικὰτοῦ σώματος ταῦτα δὲ οὐ συμπληροῖ τὸσῶμα Ὡς δὲ οὐσίας ἐστὶ μέρη

En quel sens donc disons-nous que les partiesdune substance sont substances et que pour celanous affirmons que la forme et la matiegravere sontsubstances mais non pas que les partie du corps sontdes corps sil est vrai que celles-ci aussi sont desparties du corps (ie la forme et la matiegravere) Ou alorsla forme et la matiegravere ne sont pas des parties en tantque ltparties dungt corps253 Sont en effet parties duncorps ce qui complegravete254 le corps alors que forme etmatiegraveres ne complegravetent pas le corps Cest quellessont des parties en tant que ltpartiesgt dunesubstance

(Mantissa sect 5 122 4-9)

Le texte ndash quon ne pourra soupccedilonner dinauthenticiteacute puisque largument se retrouve

presque agrave lidentique au De anima 18 8-27 ndash sinscrit dans un long catalogue darguments sorte

de boicircte agrave outils ou darsenal visant agrave deacutemontrer que lacircme nest pas dans le corps comme en un

sujet Largument preacutesenteacute ci-dessus apparaicirct au moment du texte sattachant agrave montrer que lacircme

nest pas un corps et (pourtant est-on tenteacute dajouter) est substance Le De anima explicite plus

avant lorigine de largument selon lequel lacircme eacutetant partie dun corps elle doit elle-mecircme ecirctre

corporelle il est le fait de ceux laquo ἀπὸ τῆς Στοᾶς raquo (17 16) qui dressent un parallegravele entre les

250 Comme le rappellent R Bodeacuteuumls ([2002] p 12 n 8) et M Rashed ([2007b] p 43) on comprendcouramment dans ces parties les organes du vivant par exemple

251 M Rashed [2007b] p 46 (agrave propos de la Quaestio I 8)

252 Principalement DA 6 3 sq Mantissa sect 5 122 4 sq On peut y ajouter comme on va le voir lesQuestiones I 8 I 17 I 26 Lorigine de cet argument pourrait ecirctre lideacutee aristoteacutelicienne courante que lesparties des substances naturelles ndash par exemple les organes des vivants ndash sont elles aussi des substances(De caelo III 1 298a 29-32 Met Δ 8 1017b 10-12 Z 2 1028b 9-13 H 1 1042a 9-11) Mais Alexandredistingue justement parties du vivant et parties comme forme et matiegravere Sur cet argument et saposteacuteriteacute voir K Wurm [1973] p 185 n 28 R Chiaradonna [1999] M Rashed [2007b] p 42 sq

253 Nous nous rangeons ici agrave la lecture de RW Sharples cf RW Sharples [2004] p 71-72

254 Il faut bien sucircr entendre lideacutee de laquo partie compleacutetive raquo

366

Les objets de la meacutetaphysique

parties des surfaces des lignes et du temps qui sont respectivement elles-mecircmes surfaces lignes

et temps (18 11-13) Contre cela on doit montrer que le terme de laquo partie raquo nimplique pas

neacutecessairement lidentiteacute de nature avec le tout quil faut donc pluraliser la notion de laquo parties raquo

du corps Forme et matiegravere ne sont pas des parties comme le sont les membres

Si la forme est une qualiteacute elle nest donc cependant pas assimilable agrave nimporte quelle

qualiteacute ou agrave nimporte quel proprieacuteteacute accidentelle255 Mais comme on le saisit sans peine le fait

quAlexandre considegravere ici la forme comme substance ne constitue pas une objection dirimante agrave

ce qui a eacuteteacute preacuteceacutedemment eacutetabli Dabord il est tout agrave fait possible que Boeacutethos ait formuleacute une

telle distinction et nait pas non plus assimileacute la forme-qualiteacute agrave nimporte quelle qualiteacute256 Que la

forme ne soit pas comme nimporte quelle qualiteacute ne fait pas pour autant sortir de

lattributivisme Dans un tel argument le composeacute demeure substance premiegravere et ses parties

naccegravedent agrave la substantialiteacute que de faccedilon deacuteriveacutee Seul le composeacute est laquo seacutepareacute raquo au sens ougrave il

est sujet et donc pleinement substance La forme laquo contribue raquo certes agrave lecirctre du composeacute mais

cest toujours agrave ce titre de laquo partie raquo quelle est substance257 On a vu en outre comment la

contribution agrave la substance est associeacutee par Alexandre au fait des cateacutegories secondaires258 En

tant que parties forme et matiegravere diffegraverent des membres du corps ou des parties de la statue

elles ne sont pas atteintes par division et la figure de la statue en particulier ne contribue pas

laquo εἰς τὸ ποσὸν raquo agrave la statue mais laquo ὡς εἰς τὸ ποιόν raquo (DA 18 22)

Qui plus est lasymeacutetrie entre forme et matiegravere saveacuterait deacutejagrave en toutes lettres dans les

premiegraveres pages du De anima ougrave Alexandre preacutesente de faccedilon geacuteneacuterale les instruments

conceptuels qui vont innerver le reste du traiteacute forme et matiegravere corps simples et corps

composeacutes LExeacutegegravete distingue dabord le substrat des corps simples et celui des composeacutes pour

montrer que la matiegravere des corps composeacutes est elle-mecircme composeacutee cest un laquo corps naturel fait

de matiegravere et de forme raquo (3 24) agrave la diffeacuterence des corps simples dont la matiegravere nest pas un

corps mais une entiteacute priveacutee de forme qui est donc matiegravere laquo ἁπλῶς raquo (4 5 et 7) Alexandre

255 Sur la question des qualiteacutes substantielles voir J Ellis [1994] R Chiaradonna [2002] p 71 n 41 MRashed [2007b] p 307-308

256 M Rashed en fait lhypothegravese agrave partir de sa lecture de Simplicius In Phys 211 3-23 cf M Rashed[2007b] p 199-202 et particuliegraverement p 201 pour lideacutee que laquo si la forme est bien qualitative pour lui[Boeacutethos] elle ne saurait pourtant se confondre avec nimporte quelle qualification raquo

257 Par exemple Quaestio I 8 17 15 sq

258 Cf ci-dessus sect 313 Sur cette notion de laquo partie compleacutetive raquo (deacutejagrave attribueacutee par Simplicius agrave Lucius InCat 48 1 sq) voir R Chiaradonna [2002] p 69 sq et M Rashed [2007b] p 147 sq On y reviendra ci-dessous

367

Les objets de la meacutetaphysique

deacuteveloppe alors linseacuteparabiliteacute de cette matiegravere son incapaciteacute agrave subsister par elle-mecircme parce

quen reacutealiteacute toujours unie avec une forme (laquo car il est impossible de prendre une certaine cire qui

soit deacutepourvue de figure raquo 4 12) Cest alors quAlexandre applique la mecircme ideacutee agrave la forme elle

non plus ne peut pas subsister seule Et mecircme poursuit lExeacutegegravete laquo au contraire cela vaut encore

plus pour la forme que pour la matiegravere raquo (4 21-22 laquo καὶ μᾶλλόν γε τὸ εἶδος τοῦτο τῆς ὕλης

πέπονθεν raquo) La raison en est quune certaine matiegravere la matiegravere prochaine (celle par exemple

des artefacts) est agrave mecircme de subsister par elle-mecircme puisquil sagit en fait dun corps qui nest

matiegravere que pour une forme supeacuterieure alors que la forme des composeacutes sous quelque espegravece

que ce soit ne peut jamais subsister par elle-mecircme Alexandre semble cependant se reprendre

quelques lignes apregraves la forme des corps naturels est toutefois substance Mais le critegravere paraicirct

bien faible ou si lon nous passe lexpression artificiel la nature eacutetant substance et la forme

eacutetant nature elle sera substance (5 3-4) Argument au fond aussi artificiel que celui qui est adopteacute

une page plus loin les parties dune substance sont substances (6 2) Cest dire combien la

diffeacuterence avec Boeacutethos semble alors mince Alexandre ne remettant pas fondamentalement en

cause le paradigme de son preacutedeacutecesseur

Si donc la psychologie alexandrinienne ne professe aucun mateacuterialisme elle se laisse

cependant lire comme un eacutemergentisme Mecircme en admettant une eacuteleacutevation de la forme au rang

de substance cet eacutemergentisme continue de se mouvoir dans ce que M Rashed nomme

diversement preacutedicativisme ou conceptualisme abstrait quon nomme aussi couramment

attributivisme ndash maniegraveres de deacutesigner une theacuteorie qui conccediloit comme substance par excellence le

composeacute hyleacutemorphique individuel et ramegravene la forme au rang de preacutedicat qualitatif du

composeacute Une telle lecture de lousiologie alexandrinienne a dailleurs eacuteteacute soutenue avec une

certaine coheacuterence259 Toutefois agrave ce compte on aura du mal agrave rendre raison dune autre ligne de

force dans la penseacutee de lExeacutegegravete dont voici trois signes

En premier lieu lune des antiennes de lensemble du corpus alexandrinien consiste en

lassertion selon laquelle cest par leur forme que les choses ont lecirctre ou quelles sont ce quelles

sont que la forme est cause de lecirctre (laquo αἰτία τοῦ εἶναι raquo)260 Le paralleacutelisme avec cet autre slogan

259 K Wurm [1973] p 181-193 (discuteacute par M Rashed [2007b] p 36 sq) Pour la notion de preacutedicativismeet les divers conceptualismes cf M Rashed [2007b] p 4 sq et speacutecifiquement p 5 n 17

260 Entre autres passages In Met 96 26 185 15 214 26 359 34 375 9 sq In Meteor 224 20-21 DA91 17-18 Mantissa 120 4 etc

368

Les objets de la meacutetaphysique

deacutejagrave convoqueacute qui fait de la substance premiegravere des Cateacutegories la cause de lecirctre du reste des

eacutetants est indiscutable Assureacutement ce nest pas parce que οὐσία et εἶδος partagent litteacuteralement

cette deacutenomination de laquo cause de lecirctre raquo que la forme doit ipso facto ecirctre tenue pour substance par

excellence ni que forme et substance sont causes au mecircme sens Si le statut de laquo cause de lecirctre raquo

pour lοὐσία se laisse aiseacutement concevoir ndash sans substance pas daccidents de la substance cest-

agrave-dire aucun autre eacutetant la substance eacutetant ce qui soutient les autres eacutetants dans lecirctre et

lexistence (ὕπαρξις) ndash il faut encore comprendre en quel sens la forme est dite laquo cause de lecirctre raquo

Neacuteanmoins un tel geste revient deacutejagrave agrave faire revenir lexpression de laquo cause de lecirctre raquo dans le

giron de son contexte originel agrave savoir Z 17 (et dans la mecircme ligne H 2 1043a 3-4) ce qui deacutenote

une lecture du corpus aristoteacutelicien qui nest plus exactement Cateacutegories-centriste On se rappelle

en effet quau terme du voyage du livre Z Aristote eacutelit la forme comprise comme quidditeacute au

rang de substance premiegravere261 Elle est premiegravere cause de lecirctre laquo οὐσία δὲ ἑκάστου μὲν τοῦτο

(τοῦτο γὰρ αἴτιον πρῶτον τοῦ εἶναι) raquo (1041b 27-28)262 Le De anima dAristote emploie dailleurs

eacutegalement lexpression pour dire la causaliteacute de lacircme cause de la vie et donc de lecirctre des ecirctres

vivants (414b 12 sq)263

QuAlexandre reacutepegravete inlassablement que la forme est cause de lecirctre vient sans conteste

heurter la thegravese dune homogeacuteneacuteiteacute doctrinale avec ses preacutedeacutecesseurs mecircme dans la version

remanieacutee dune forme substance au motif quelle est laquo partie de la substance raquo Il se pourrait bien

comme on va le voir quagrave partir de la substance composeacutee cause de lecirctre de ses accidents

Alexandre opegravere une remonteacutee vers la cause de cette cause LAphrodisien renverserait alors le

261 Cf deacutejagrave entre autres Z 7 1032b 1-2

262 Sur cette proposition et son lien avec Z 1 voir M Burnyeat [2001] p 60-61 Sur le fait que Z 17accomplisse le programme du deacutebut de Z voir par exemple R Boehm [1965] p 187 sq F Wolff[2005] Pour lideacutee que Z 17 montre au contraire linsuffisance de la forme et la neacutecessiteacute du nouveaudeacutepart voir I Olivo-Poindron [2003] p 85 G Aubry [2006] p 82-83 Voir aussi sur la forme commecause pour la matiegravere du fait quelle est ceci ce qui annonce les analyses de H et Θ laquo ὥστε τὸ αἴτιονζητεῖται τῆς ὕλης (τοῦτο δ ἐστὶ τὸ εἶδος) ᾧ τί ἐστιν τοῦτο δ ἡ οὐσία raquo (1041b 7-9) Comme on saitcette proposition a eacuteteacute suspecteacutee par Christ et se trouve mise entre crochets par Jaeger La raison en estsans doute la rupture grammaticale entre le relatif ᾧ et son anteacuteceacutedent (dougrave les parenthegraveses de Ross) etparce que lincise serait redondante avec laquo τοῦτο δ ἡ οὐσία raquo M Burnyeat aideacute dA Laks ([2001] p60 n 124) propose une seconde solution qui construit τὸ εἶδος comme lanteacuteceacutedent de ᾧ On ajouteraque le Ps-Alexandre semble bien avoir lu un texte similaire quand il paraphrase laquo τοῦτο δὲ τὸ αἴτιόνἐστι τὸ εἶδος ᾧ τι ἔστι τουτέστιν ἐν ᾧ ἡ ὕλη ἐστίν τοῦτο δὲ τὸ εἶδός ἐστιν ἡ οὐσία raquo (In Met 542 2-3)

263 Thegravese reprise par Alexandre dans la bregraveve Quaestio II 10 (laquo Que lacircme nest pas automotrice raquo) cf 55 5-6 Mais la Quaestio reprend ensuite le couplet sur la forme inseacuteparable de la matiegravere son incapaciteacute agraveecirctre καθ αὑτὸ etc

369

Les objets de la meacutetaphysique

point de vue sur une forme qui nest substance que par extension de la substantialiteacute de la

substance premiegravere des Cateacutegories vers la conception dune forme comme cause de la

substantialiteacute de cette substance composeacutee et donc davantage substance Tel serait le sens dun

eideacutetisme ou dun laquo essentialisme raquo dAlexandre264

Deuxiegraveme signe de ce changement de perspective la reacuteduction de la forme agrave une qualiteacute

(ou du moins le fait quelle ne soit alors pas substance) est explicitement circonscrite par

Alexandre au cas des artefacts Laffirmation est constante agrave travers lensemble du corpus ndash M

Rashed en parle comme une laquo thegravese fondamentale raquo265 Entre autres lieux dans la Quaestio I 21

Ἢ εἰ ἡ τοιαύτη ἐνέργειά [355] τε καὶἐντελέχεια εἶδος τῶν δὲ εἰδῶν τὰ μὲνφυσικά τὰ δὲ τεχνικά καὶ ἔστι τὰ μὲνφυσικὰ εἴδη οὐσίαι τὰ δὲ τεχνικὰ ποιότητεςεἴη ἂν καὶ τῶν ἐνεργειῶν αὕτη διαφορά

Ou bien si un tel acte et une telle enteacuteleacutechie266 sontune forme et que parmi les formes les unes sontnaturelles les autres artificielles que les formesnaturelles sont substances tandis que les artificiellessont des qualiteacutes cette diffeacuterence peut sappliqueraussi aux actes

(Quaestio I 21 35 4-7)

Plus geacuteneacuteralement laquo la forme engendreacutee dapregraves lart nest pas une substance raquo (De anima

5 1-2) Agrave la diffeacuterence de la forme naturelle la forme artificielle est dans la matiegravere comme en un

sujet parce que son sujet est deacutejagrave un τόδε τι posseacutedant lui-mecircme une forme une forme naturelle

(Mantissa sect 5 120 4 sq) Ces passages sur la non-substantialiteacute ou la substantialiteacute faible des

formes des artefacts267 ont donc ceci dinteacuteressant que par opposition ils barrent la route agrave une

conception faible de la substantialiteacute de la forme des substances naturelles (substantialiteacute deacuteriveacutee

ou substantialiteacute dune qualiteacute substantielle) Lopposition entre substances naturelles et artefacts

fonctionne comme un reacuteveacutelateur ndash agrave la maniegravere de ce quon vient de voir dans la Mantissa ndash qui

permet agrave Alexandre de sortir de lattributivisme dans le cas des substances naturelles Autrement

264 Que nous appelions avant la lecture de M Rashed laquo eideacutetique raquo ou laquo eideacutetisme raquo empruntant le termeagrave la tradition pheacutenomeacutenologique P Rodrigo par exemple emploie ce terme en contexte aristoteacuteliciendans P Rodrigo [1995] Pour un excellent reacutesumeacute de ce que signifie pour Merleau-Ponty unelaquo approche eideacutetique de lEcirctre raquo qui est llaquo intellectualisme raquo voir les travaux de R Barbaras parexemple la description syntheacutetique dans R Barbaras [1998] p 46-47 et de faccedilon plus deacuteveloppeacuteedans R Barbaras [1991] p 21 sq

265 M Rashed [2007b] p 179 n 509

266 En reacutefeacuterence sans doute agrave la distinction preacuteceacutedente entre acte incomplet et acte complet (laquo ἡ μὲν οὖνἀτελὴς ἐνέργεια πάθος οὖσα εἴη ἂν ποιότης ἡ δὲ τέλειος ἐνέργεια τί ἂν εἴη καὶ ὑπὸ κατηγορίαντίνα raquo Quaestio I 21 35 3-4)

267 Voir aussi sur la diffeacuterence entre formes naturelle et artificielle In Met 215 18-29 sur le fait que laforme artificielle nest pas substance Mantissa sect 1 103 29 voir aussi In Met 359 30 sq qui se conclutsur le fait que les artefacts ont seulement laquo une sorte de substance approprieacutee et dexistence raquo (laquo οἰκείαντινὰ οὐσίαν καὶ ὕπαρξιν raquo)

370

Les objets de la meacutetaphysique

dit lopposition contraint lExeacutegegravete agrave deacuteployer une argumentation qui pour les substances

naturelles se joue alors agrave un niveau diffeacuterent de celui par exemple du simple argument des

parties de la substance

Dernier signe syntheacutetisant les deux preacuteceacutedents le De anima dAlexandre teacutemoigne de ce

revirement dans un passage frappant qui circonscrit lattributivisme au cas des artefacts et

inverse son point de vue pour le cas des substances naturelles

Σῶμα μὲν οὖν οὐδέτερόν ἐστιν ἐξ ὧνπρώτων τὸ ἁπλοῦν ἐστι σῶμα Οὔτε γὰρ ἡὕλη σῶμα πᾶν [520] μὲν γὰρ σῶμα ἁπτόντε καὶ μετ ἐναντιώσεώς τινος ἡ δὲ ὕληπάσης ἁπτῆς ποιότητος καὶ ἐναντιώσεωςἐκτός ἐστιν καὶ τὸ μὲν σῶμα ὑφεστός ἡ δὲὕλη εἴδους δεῖται πρὸς τὸ εἶναι Διὰ τοῦτο δὲοὐδὲ τὸ εἶδος σῶμα [61] ὅτι μηδὲ τοῦτο οἷόντε καθ αὑτὸ εἶναι τῆς ὕλης ἀχώριστον ὄνὡς δέδεικται

Οὐσία μέντοι ἑκάτερον αὐτῶν Ὡς γὰρ ἡὕλη οὕτως δὲ καὶ τὸ φυσικὸν εἶδος οὐσίαΟὐσίαι γὰρ τὰ μέρη τῆς οὐσίας μᾶλλον δέδιότι ἑκάτερον ἐκείνων οὐσία καὶ τὸ ἐξἀμφοῖν οὐσία καὶ μία τις φύσις οὐχ [65] ὡςτὰ κατὰ τέχνην γινόμενα ἃ κατὰ τὸὑποκείμενόν τε καὶ τὴν ὕλην εἰσὶν οὐσίαικατὰ δὲ τὰ εἴδη ποιότητες

Ni lun ni lautre des termes premiers dont reacutesultele corps simple ne sont corps La matiegravere en effet nestpas un corps car tout corps est tangible et possegravedequelque contrarieacuteteacute268 alors que la matiegravere esteacutetrangegravere agrave toute qualiteacute tangible et toute contrarieacuteteacuteet que si le corps est subsistant la matiegravere elle abesoin dune forme pour ecirctre Pour cette raison laforme non plus nest pas un corps parce quelle nepeut ecirctre par soi eacutetant inseacuteparable de la matiegraverecomme on la montreacute

Pourtant chacune des deux est substance Demecircme en effet que lest la matiegravere de mecircme aussi laforme naturelle est substance car les parties de lasubstance sont substances ndash ou plutocirct parce quechacune delles est substance ce qui reacutesulte des deuxest aussi substance et une certaine nature unique nonpas agrave la maniegravere des objets engendreacutes par lart quisont substances en vertu de leur substrat et de leurmatiegravere mais qui sont qualiteacutes en vertu de leursformes

(DA 5 18 ndash 6 6)

Passage relativement scolaire dans son ensemble au ton poleacutemique aiseacutement identifiable

deacutevolu agrave la deacutemonstration de lincorporeacuteiteacute des deux principes de tout corps sensible contre le

corporalisme stoiumlcien il nest guegravere neacutecessaire de rappeler tous les eacuteleacutements eacutevoqueacutes ci-dessus

qui sy concentrent Mais le passage donne eacutegalement agrave lire un renversement qui va non plus du

composeacute agrave ses composants (forme et matiegravere) mais des composants vers le composeacute Le

revirement satteste mecircme en toutes lettres avec le laquo μᾶλλον δέ raquo de la ligne 6 3 cest laquo parce

que raquo (διότι) forme et matiegravere sont substances que ce qui reacutesulte des deux est lui-mecircme

substance269 Artefacts et eacutetants naturels ont en commun davoir une matiegravere qui est substrat et

268 Ni P Accattino et P Donini ni M Bergeron et R Dufour ne donnent en note la reacutefeacuterence probable ici agraveGC II 2 329b 7-11 Sur ce sujet cf les indications de S Fazzo [2002a] qui propose une reconstructiondu commentaire dAlexandre agrave GC II 2

269 M Rashed lexplique nettement laquo Ce texte nous deacutelivre par lagrave-mecircme un indice preacutecieux surlrsquointerpreacutetation qursquoAlexandre donnait drsquoun principe qui apparaicirct trop souvent de maniegravere figeacutee dans

371

Les objets de la meacutetaphysique

substance en ce sens mais agrave la diffeacuterence des eacutetants naturels la forme des artefacts nest quune

qualiteacute Lopposition reacuteiteacutereacutee avec les artefacts suppose neacutecessairement que la substantialiteacute des

eacutetants naturels leur vient aussi quant agrave eux du statut substantiel de leur forme La maniegravere dont

la forme est principe de substantialiteacute de leacutetant naturel nest pas encore preacuteciseacutee quoiquon en ait

peut-ecirctre un indice avec la mention de laquo μία τις φύσις raquo Ce passage du De anima condense en

reacutealiteacute ce qui se confirme dans le reste du corpus

323 Lessentialisme dAlexandre

La disparition du commentaire alexandrinien aux Substanzbuumlcher de la Meacutetaphysique

demeure un motif de deacutesolation pour lhistorien Cependant la question du statut de la forme est

dune telle actualiteacute pour lExeacutegegravete que dautres textes viennent donner quelques assises agrave une

tentative de reconstruction de la doctrine alexandrinienne agrave ce sujet Telle est lambition

poursuivie ndash et accomplie ndash par les travaux de M Rashed270 Pour ce dernier lessentialisme

dAlexandre traverse les textes de lExeacutegegravete et les domaines de la logique la physique et la

cosmologie Il constitue lavanceacutee majeure de ce quon a pu nommer laquo neacuteo-aristoteacutelisme raquo On

rappellera ici quelques uns des arguments les plus convaincants de linterpreacutetation en ciblant

davantage ce qui inteacuteresse notre propos agrave savoir la meacutetaphysique de lExeacutegegravete Il est toutefois

arriveacute agrave M Rashed de soutenir que cet essentialisme conduisait lExeacutegegravete agrave deacutebouter de ses

preacutetentions le projet dune science de leacutetant en tant queacutetant agrave transformer la Meacutetaphysique en

laquo cosmologie de lεἶδος raquo271 Ces propositions qui ne nous sont pas immeacutediatement claires nous

paraissent en tout cas prises agrave la lettre partiellement inexactes On espegravere pouvoir montrer que

si tregraves certainement la meacutetaphysique alexandrinienne a agrave voir avec un laquo systegraveme du monde raquo

une laquo cosmologie de lεἶδος raquo elle ne laquo rompt raquo pourtant pas laquo les amarres avec le projet dune

science de lecirctre en tant quecirctre raquo Au contraire la doctrine alexandrinienne de lεἶδος preacutetend

son œuvre Ce nrsquoest pas une eacuteventuelle substantialiteacute primordiale de la substance premiegravere de Cat 5qui se transmet agrave la forme et agrave la matiegravere mais lrsquoinverse raquo (M Rashed [2007b] p 50) Sur ce passagevoir aussi R Chiaradonna [2008a] p 386-387

270 Et singuliegraverement M Rashed [2007b] On en lira une preacutesentation syntheacutetique et parfois critique dansI Kupreeva [2010] M Rashed reacutesume lui-mecircme ses thegraveses de faccedilon succincte et limpide dans MRashed [2011c]

271 Ces propositions se lisent par exemple dans M Rashed [2007b] p 327 et [2008] p 283

372

Les objets de la meacutetaphysique

accomplir le projet dontologie geacuteneacuterale Lenquecircte sur la forme nest que la suite logique de la

thegravese de la prioriteacute cateacutegoriale de la substance telle quon a tenteacute de la deacutecrire plus haut

Que faut-il tout dabord entendre par laquo essentialisme raquo

Jappelle en effet laquo essentialiste raquo une ligne doctrinale selon laquelle mdash 1) leidos est le lieuunique de lecirctre et de luniteacute ie de la reacutealiteacute mdash 2) lindividu ne lui ajoute rien quiveacuteritablement soit mdash 3) le genre est pour autant qursquoil est un constituant de leidos mdash 4)lanalogie nest quun mode de lexamen mdash 5) la deacutefinition speacutecifique coiumlncide avec ladeacutefinition hyleacutemorphique272

On se concentrera ici sur la premiegravere thegravese les quatre autres en figurant des corollaires ou

des conseacutequences Au point de vue du corpus lessentialisme conduit agrave un certain deacutesinteacuterecirct de

lExeacutegegravete pour la biologie des espegraveces au profit de la systeacutematisation et de la fondation logique et

ontologique de lhyleacutemorphisme273 Cette fondation peut ecirctre deacuteclineacutee sous deux aspects

extensifs et intensifs

a) Extension de lhyleacutemorphisme ndash 1

On a vu comment les onze premiegraveres pages du De anima dAlexandre sur la constitution

chimique du corps vivant (en particulier les pages 7 14 ndash 9 11) avaient susciteacute des interpreacutetations

mateacuterialistes incompatibles avec le reste du corpus il fallait donc comprendre autrement

leacutepigeacutenegravese de lacircme son eacutemergence agrave partir dune certaine constitution du corps vivant comme

corps complexe Mais il y a plus en reacutealiteacute une attention plus soutenue agrave la lettre du texte et sa

strateacutegie conduit agrave une conclusion inverse de celle du mateacuterialisme reacuteductionniste voire de

leacutepipheacutenomeacutenalisme agrave savoir la preacutegnance de la forme degraves les niveaux les plus frustes du

sensible

Comme cela a deacutejagrave eacuteteacute souligneacute selon le teacutemoignage de Simplicius agrave la deacutefinition

aristoteacutelicienne du corps dans le De caelo par la tridimensionnaliteacute Alexandre rajoute le critegravere de

subsistance le corps est laquo συνεστὼς raquo ou laquo ὑφεστός raquo Il peut subsister par soi (laquo καθαὑτὸ

ὑφίστασθαι raquo)274 Dans cet ordre dideacutees et dans la veine de Galien la diffeacuterence entre corps

272 M Rashed [2007b] p 31

273 Deacutejagrave noteacute en partie par P Donini [1971] p 81-82 et surtout RW Sharples [1985] p 121-123 (citeacute parM Rashed [2007b] p 30 n 95)

274 Cf Simplicius In De caelo 8 4-6 (laquo ὁ μέντοι Ἀλέξανδρος καὶ σημεῖον τοῦ ἐκ παραλλήλου ταῦτακεῖσθαι προστίθησι τὸ μὴ εἶναι ἄλλο τι φύσει συνεστὼς μέγεθος παρὰ τὸ σῶμα raquo) commentant De

373

Les objets de la meacutetaphysique

simples et composeacutes samenuise les deux sortes de corps pouvant sanalyser selon le mecircme

schegraveme hyleacutemorphique275 Alexandre teacutemoigne en toutes lettres de cette continuiteacute dans le De

anima la laquo diffeacuterence raquo entre corps simples et corps composeacutes ne consiste en rien dautre quen ce

que les seconds sont composeacutes des premiers leur matiegravere laquo est elle aussi un corps naturel fait

dune matiegravere et dune forme (car tout corps naturel est composeacute de matiegravere et forme) raquo276 La

critique du corporalisme stoiumlcien reacuteduit agrave un mateacuterialisme permet ainsi la mise en œuvre de

principes incorporels ndash et au premier chef la forme ndash pour rendre raison de la subsistance des

corps degraves les premiers degreacutes277

Cest en effet en rappelant que les corps sont ce quils sont en vertu de leur forme (laquo κατὰ

τὸ εἶδός ἐστι τοῦτο ὅ ἐστι raquo DA 6-22-23) quAlexandre entreprend lanalyse hyleacutemorphique des

corps simples Sans leur forme en effet les corps simples seraient identiques car laquo la matiegravere et le

substrat sont identiques en eux tous raquo (laquo ἡ ὕλη καὶ τὸ ὑποκείμενον ταὐτὸν ἐν πᾶσιν αὐτοῖς raquo 6

28) condition indispensable pour quils puissent se transformer les uns en les autres278 La forme

est ainsi principe de ce quils sont en tant que corps simples particuliers du fait quils se

distinguent les uns des autres mais aussi principe de leur corporeacuteiteacute elle-mecircme puisque tout

corps est capable daction et de passion et que la forme est ce qui leur permet dagir et de pacirctir

Alexandre laffirme par exemple en DA 7 9-13 les corps reccediloivent de leur forme la capaciteacute

dagir et de pacirctir et les diffeacuterences entre les corps agrave cet eacutegard sont dues agrave leur forme Cest

pourquoi plus geacuteneacuteralement chaque corps doit agrave sa forme decirctre ce quil est et de diffeacuterer des

autres corps279

Lapparente stoiumlcisation dans la deacutefinition du corps nest que la face cacheacutee dune

caelo I 1 Voir agrave ce sujet V Cordonier [2008] dont nous suivons ici les analyses Sur le critegravere desubsistance pour les corps chez Alexandre voir De mix 228 10-22 la deacutefinition traverse tout lInMeteor Lexpression καθ αὑτὸ ὑφίστασθαι se lit par exemple en DA 19 7 (laquo σῶμα τόδε τι ὂν καὶκαθ αὑτὸ ὑφίστασθαι δυνάμενον raquo) Cf aussi DA 5 7-9 5 21 etc

275 Cf V Cordonier [2007]

276 DA 3 23-25 laquo καὶ αὐτὸ φυσικὸν σῶμα ἐξ ὕλης τε καὶ εἴδους ἐστίν (πᾶν γὰρ φυσικὸν σῶμα ἐκτούτων σύνθετον raquo

277 Le deacuteveloppement alexandrinien dans le De anima sautorise aussi comme deacuteveloppement exeacutegeacutetiquedAristote DA II 11 423b 27-30

278 Cf DA 5 8-9 laquo δι ἣν φύσιν [agrave savoir le substrat capable de recevoir telle ou telle proprieacuteteacutes] αἱ τῶνἁπλῶν σωμάτων εἰς ἄλληλα γίνονται μεταβολαί raquo

279 DA 7 9-13 laquo Οὐ μόνον δὲ παρὰ τοῦ εἴδους τό τε εἶναι ἑκάστῳ καὶ αἱ πρὸς τὰ ἄλλα τὰ ὄνταδιαφοραί ἀλλὰ καὶ αἱ κατὰ τὸ ποιεῖν τε καὶ πάσχειν διαφοραὶ τοῖς σώμασι γίνονται κατὰ τὰ εἴδηποιοῦντα γὰρ καὶ πάσχοντα καθὸ σώματα τὸ τόδε τι ποιεῖν καὶ τόδε τι πάσχειν παρὰ τοῦ εἴδουςἔχει κατὰ γὰρ τὴν κατ εἴδη διαφορὰν καὶ τούτων ἑκάτερον raquo Ce texte est traduit et commenteacute parV Cordonier [2008] p 368

374

Les objets de la meacutetaphysique

entreprise de subversion qui mine le corporalisme stoiumlcien de linteacuterieur pour mieux faire valoir

lhyleacutemorphisme280 Lasymeacutetrie quon avait noteacutee au deacutebut du De anima entre forme et matiegravere

quant agrave la capaciteacute dexister agrave leacutetat seacutepareacute se reacutevegravele ainsi inverseacutee dans la suite des analyses du

traiteacute On comprend par lagrave a posteriori ce que cette thegravese dun anti-platonisme scolaire nous

apprend sur lhyleacutemorphisme militant de lExeacutegegravete De fait la forme eacutetait dite ne pouvoir

subsister par elle-mecircme encore moins que la matiegravere (DA 4 21-22) par un recours au cas de la

matiegravere prochaine en reacutealiteacute composeacutee Mais si la subsistance de cette matiegravere prochaine est

assureacutee par sa propre forme il devient alors difficile de consideacuterer ce passage comme une simple

reacutepeacutetition du geste Cateacutegories-centriste de Boeacutethos

En alliant les donneacutees du De generatione et corruptione et du De caelo Alexandre deacutecrit donc

les corps simples dapregraves leur forme ou laquo nature raquo281 Ainsi le feu a-t-il pour forme les laquo qualiteacutes raquo

de chaleur et de seacutecheresse desquelles eacutemerge la leacutegegravereteacute (laquo ἐκ τούτων τε καὶ ἐπὶ τούτοις

γεννωμένη raquo 5 5-6) La chimie du De generatione vient soutenir la cineacutetique du De caelo la forme

du feu est agrave la fois un ensemble de deux pocircles dans les quatre contraires tangibles et une certaine

laquo puissance raquo de mouvement Mais on se situe lagrave agrave loreacutee dune innovation alexandrinienne ie le

concept de perfection (laquo τελειότης raquo) qui deacutesigne leacutetat acheveacute de la forme sa pleine actualisation

lorsquelle a accompli sa puissance par exemple le feu qui accomplit sa leacutegegravereteacute en rejoignant son

lieu naturel282 Alexandre nomme bien cet ensemble de trois qualiteacutes laquo forme raquo ce quAristote ne

fait jamais aussi nettement283 Quel est lenjeu de cette homogeacuteneacuteisation du sensible sous leacutegide

de lhyleacutemorphisme Cest quoutre les possibiliteacutes poleacutemiques anti-stoiumlcienne et anti-

platonicienne quun tel geste offre agrave Alexandre ce grand mouvement continu deacutetagement des

formes vient fonder par avance les affirmations qui seront ensuite faites sur lacircme De mecircme par

exemple que la leacutegegravereteacute est puissance et principe de mouvement sans ecirctre elle-mecircme mue ainsi

280 Cf aussi V Cordonier [2008] p 368 On ne peut donc reacuteduire lhyleacutemorphisme alexandrinien agrave uncorporalisme au sens ougrave pour lExeacutegegravete seuls les corps seraient veacuteritablement eacutetants la forme et lamatiegravere neacutetant que des abstractions contre K Wurm [1973] V Cordonier [2008] p 370

281 Sur lidentification entre εἶδος et φύσις dans ces pages du DA cf P Accattino [1995] p 185

282 La centraliteacute du concept de τελειότης a eacuteteacute reacutecemment souligneacutee par M Rashed [2011a] Le conceptdeacutesigne laquo une formaliteacute supeacuterieure raquo (p 142) vers laquelle tendent les eacutetants Il resterait agrave montrer danscette veine comment le De anima est charpenteacute par ce concept et plus particuliegraverement que lespassages sur le mouvement des corps simples rejoignent nettement les deacuteveloppements agrave ce sujet duCommentaire agrave la Physique ndash voir surtout les scholies 590 591 et 594 dans M Rashed [2011a] p 523-530

283 Comme le note P Accattino [1995] p 186-187 Aristote parle seulement des contrarieacuteteacutes tangiblescomme produisant des laquo formes et des principes raquo des corps tangibles (GC II 2 329b 8 laquo εἴδη καὶἀρχὰς raquo) Le terme de laquo principe raquo se retrouve en PA II 2 648b 9-10 et Meteor I 2 339a 13-14

375

Les objets de la meacutetaphysique

en va-t-il pour lacircme284 Le concept dεἶδος structure ainsi plus geacuteneacuteralement lensemble de la

psychologie de lExeacutegegravete beaucoup plus que celui dacte par exemple LrsquoExeacutegegravete nabandonne

bien sucircr pas le couple de lacte et de la puissance qui comme on sait trouve un de ses hauts-

lieux deacutelaboration dans le De anima dAristote mais celui-ci se trouve infeacuteodeacute au couple forme-

matiegravere lequel sert de cheville ouvriegravere dans la totaliteacute de la deacutemonstration des proprieacuteteacutes de

lrsquoacircme285 On pourrait ainsi montrer comment par exemple le concept de τελειότης reprend agrave son

compte la doctrine des degreacutes de lacte et de la puissance eacutelaboreacutee en De anima II 5 mais en

pensant ces degreacutes comme deux eacutetats de la forme Or lideacutee de perfection traverse non seulement

lanalyse du mouvement des corps simples mais elle constitue linterpreacutetation alexandrinienne

de la deacutefinition de lacircme comme laquo enteacuteleacutechie premiegravere raquo devenue laquo perfection premiegravere raquo286

La systeacutematisation du couple matiegravere ndash forme lextension du champ dapplication de

lanalyse hyleacutemorphique des eacutetants cela est plus quun indice de ce qui seacutepare Alexandre de ses

preacutedeacutecesseurs peacuteripateacuteticiens Cest deacutejagrave un premier motif de rupture On montrera plus loin

comment cette extension atteint eacutegalement les niveaux les plus eacuteleveacutes de leacutechelle des eacutetants287

b) Forme et diffeacuterence la deacutefinition de lhomme

Lessentialisme comme position philosophique signifie la correacutelation entre ecirctre et

284 P Accattino [1995] p 188-189 Comparer DA 5 12-18 et 21 24 sq Nous laissons de cocircteacute ce quedeacuteveloppe ensuite Accattino la question de savoir si la seule leacutegegravereteacute est forme du feu ou aussi le secet le chaud le texte deacutejagrave citeacute appelle forme du feu la conjonction du chaud et du sec qui produisent laleacutegegravereteacute Cf note suivante

285 Comme la noteacute V Cordonier [2007] cf par exemple DA 15 28 17 11 20 26 etc En reprenant le planproposeacute par M Bergeron et R Dufour en tecircte de leur traduction on pourrait en effet montrer quetoutes les proprieacuteteacutes de lacircme donneacutees par Alexandre comme deacutecoulant de la deacutefinition canonique delacircme comme enteacuteleacutechie premiegravere dun corps organiseacute sont en fait tireacutees de son statut de forme et de ladescription de la forme qui a eacuteteacute preacutepareacutee au deacutebut du traiteacute Ainsi lacircme est incorporelle (17 15- 1920) inseacuteparable du corps (elle nest pas comme le pilote du navire 20 26 ndash 21 21) elle se corromptavec le corps (21 22-24 donneacute explicitement comme conseacutequence du fait que lacircme est laquo forme ducorps raquo) elle meut sans ecirctre mue (21 24 ndash 24 11) etc

286 Le concept de laquo perfection premiegravere raquo est deacutefinie agrave propos des corps simples en DA 9 19 sq on laretrouve agrave propos de la deacutefinition de lacircme en 11 1 (voir aussi le texte eacutetonnant de 16 5-6 laquo ἔθος δὲἈριστοτέλει τὴν τελειότητα καὶ ἐντελέχειαν λέγειν raquo alors que sauf erreur le texte du DA dAristotene parle pas de τελειότης La τελειότης se retrouve ensuite dans la deacutefinition de lacircme en 16 8 sq quideacutetaille les deux sens de τελειότης) Cela confirmerait une hypothegravese que nous avions preacuteceacutedemmentproposeacutee dans vraiment pouvoir la deacutemontrer (G Guyomarch [2008] p 330)

287 Ci-dessous sect 331

376

Les objets de la meacutetaphysique

connaicirctre ladeacutequation pleine et entiegravere voire lidentiteacute de notre connaissance agrave son objet ndash une

thegravese qui trouve bien sucircr ses origines chez Aristote lui-mecircme288 Nos deacutefinitions des eacutetants ne sont

degraves lors pas des constructions arbitraires elles disent ce qui est tel quil est M Rashed a ainsi

retraceacute comment cette position prend corps au premier chef dans leffort geacuteneacuteral de lExeacutegegravete

pour rapprocher et coordonner la constitution logique de lespegravece intensive et de la diffeacuterence

speacutecifique avec la forme du composeacute hyleacutemorphique ou pour le dire autrement la relation

diffeacuterence-genre avec la relation forme-matiegravere

Un tel geste nest pas sans preacuteceacutedent le rapprochement de la diffeacuterence avec la forme se

lit peut-ecirctre deacutejagrave chez Boeacutethos Mais cest chez le Sidonien dans une perspective bien diffeacuterente

de celle dAlexandre puisque Boeacutethos se reacutefegravere preacuteciseacutement agrave la diffeacuterence comprise comme

laquo qualiteacute raquo du genre289 Chez Alexandre au contraire le rapprochement entre forme et diffeacuterence

seffectue bien plutocirct au profit dune version qui substantialise la forme et pose sa preacuteeacuteminence

dans le composeacute dans une lecture qui promeut Z 12 au rang de texte central Aristote y correacutelait

en effet uniteacute de la deacutefinition et uniteacute de la substance dune part290 et dautre part la laquo derniegravere

diffeacuterence raquo qui integravegre toutes les divisions qui megravenent agrave elle cest-agrave-dire la forme cest-agrave-dire la

substance (1038a 25-26)

Comme en atteste sans doute possible la Quaestio I 15 Alexandre comprend en effet la

diffeacuterence comme lexpression de la forme comme laquo indicative raquo de la forme laquo selon laquelle

lecirctre appartient agrave ce qui est raquo Degraves lors dans le cas des substances naturelles la diffeacuterence ne peut

ecirctre une qualiteacute elle est laquo indicative dune certaine substance raquo291 Cette thegravese constitue aussi

lenjeu dune Quaestio conserveacutee seulement en arabe intituleacutee laquo De la diffeacuterence II raquo par M

Rashed Alexandre sy interroge sur la cateacutegorie dont relegraveve la diffeacuterence si elle appartient au

288 Cf par exemple Aristote DA III 7 431a 1

289 Selon Aristote Top VI 6 144a 21-22 cf aussi Met Δ 28 1024b 8-9 (et on rappellera Cat 5 3a 22 sq ladiffeacuterence nest pas dans un sujet mais elle se dit dun sujet) Sur Boeacutethos cf Simplicius In Cat 97 23-34 et M Rashed [2007b] p 24 n 79

290 Voir le reacutesumeacute de M Crubellier P Pellegrin [2002] p 371 Pour limportance de Z 12 dans la penseacuteealexandrinienne cf M Rashed [2007b] p 84

291 Quaestio I 15 27 12-18 laquo ἔτι δὲ οὐ πᾶσα διαφορὰ ποιότης εἰ γὰρ ἡ διαφορά ἐστι καθ ἣνἀντιδιαιρεῖται ἀλλήλοις ltτὰgt ἐκ τοῦ αὐτοῦ γένους εἴδη εἴη ἂν τοῦ εἴδους ἑκάστου ἡ διαφορὰ οὗἐστι διαφορά καθ ὃ τὸ εἶναί ἐστιν αὐτῷ τούτῳ ὅ ἐστι δηλωτική ἀλλὰ μὴν πάντων τῶνσυνεστώτων φύσει ltοἷςgt οὐχ ἡ ὕλη μόνον οὐσία ἀλλὰ καὶ τὸ εἶδος ἐν τούτοις ἡ διαφορὰδηλωτικὴ εἴη ἂν οὐσίας τινὸς ἀλλοὐ ποιότητος raquo Voir la confirmation de cette thegravese dansSimplicius In Cat 99 19-31 (cf S Fazzo [2002a] p 130-131)

377

Les objets de la meacutetaphysique

genre quelle speacutecifie ou agrave un autre292 La Quaestio propose agrave ce titre une solution nuanceacutee qui

distingue la diffeacuterence selon quelle est prise en soi sans matiegravere et selon quelle est prise avec le

genre quelle diffeacuterencie Sous la premiegravere perspective la diffeacuterence est laquo une substance agrave la

maniegravere de la forme raquo ou plus loin laquo forme sans matiegravere produisant lune des choses qui sont

sous le genre raquo293 En revanche laquo rationnel raquo pris avec un genre (laquo animal raquo) indique de facto une

espegravece En ce cas la diffeacuterence relegraveve du genre quelle diffeacuterencie et se preacutedique

synonymiquement des espegraveces et des individus alors que quand laquo bipegravede raquo par exemple est pris

en soi il na pas le mecircme sens pour lautruche ou lhomme294

Tout en relativisant le critegravere de subjectiteacute issu des Cateacutegories295 la Quaestio propose donc

nettement un rapprochement entre diffeacuterence (deacutefinie comme ce qui compose un genre la

composition mecircme du genre) et forme hyleacutemorphique De toutes deux il est dit quelles sont

substances ndash mecircme si les deux versions de la Quaestio diffegraverent par leur argumentation sur ce

point Comme le reacutesume M Rashed cette thegravese tend par lagrave mecircme agrave laquo une assimilation de leacutetant

au deacutefinissable raquo geste essentialiste sil en est

Il faut toutefois se garder dune lecture trop meacutecanique la tendance au rapprochement

ne veut pas dire identification On ne peut pas reacuteduire le genre agrave un ensemble de traits mateacuteriels

communs agrave des espegraveces diffeacuterencieacutees par certaines formes ndash comme si laquo animal raquo ne renvoyait

quagrave une substructure mateacuterielle commune agrave lautruche et lhomme Alexandre est ainsi tregraves clair

292 LExeacutegegravete refuse expressis verbis cette solution cf laquo De la diffeacuterence II raquo sect 5 (eacutetablissement du texte ettraduction M Rashed [2007b] p 58) laquo si les diffeacuterences qui produisent des espegraveces eacutetaient sous legenre lui-mecircme de ces espegraveces il faudrait que les diffeacuterences qui divisent le vivant soient eacutegalementsous le vivant et puisque ce qui est sous le vivant est vivant la diffeacuterence deviendrait une substancecomposeacutee et une espegravece du vivant puisque la chose dont se preacutedique le vivant de maniegraveresynonymique si elle est commune crsquoest une espegravece du vivant tandis que si elle nrsquoest pas communecrsquoest un individu parmi les individus appartenant agrave ses espegraveces raquo Voir aussi In Met 206 17-19

293 Respectivement laquo De la diffeacuterence II raquo sect 6 et sect 7 (M Rashed [2007b] p 59 et 60)

294 Les origines exeacutegeacutetiques de cette question sont Cat5 3b 1-2 et Top IV 2 122b 20-24 (M Rashed [2007b]p 68-69) La thegravese dAlexandre dans cette Quaestio se confirme par dautres passages outre laquo De ladiffeacuterence I raquo voir aussi In Top 47 14-23 et 365 4-21 La solution est toutefois plus complexe commeen teacutemoigne la suite de laquo De la diffeacuterence II raquo qui distingue entre les diffeacuterences des genres premiers(les cateacutegories) qui sont immeacutediatement des espegraveces et celles des autres genres qui doivent ecirctre prisavec une certaine matiegravere Ainsi laquo rationnel raquo nest pas en soi une espegravece il faut dit Alexandre leprendre avec un certaine matiegravere pour quil deacutesigne une espegravece Alexandre dit en effet laquo si [rationnel]est composeacute avec vivant il signifie le rationnel ayant une matiegravere ndash puisque le vivant qui a cet attributsignifie de la maniegravere la plus geacuteneacuterale une nature composeacutee Si donc rationnel est pris de la sorte ilsagit drsquoune espegravece En revanche pour les genres de ce type la diffeacuterence nrsquoest pas en eux comme uneespegravece du genre qursquoelles divisent quand elle est prise isoleacutement et indeacutependamment du genre raquo (sect 8 M Rashed [2007b] p 61-62)

295 Cf laquo De la diffeacuterence II raquo sect 12 et 12 M Rashed [2007b] p 64 et 74-75

378

Les objets de la meacutetaphysique

sur le fait que laquo la matiegravere nest pas un genre raquo titre de la Quaestio II 28296 Dans cette Quaestio

lAphrodisien apregraves avoir montreacute la parenteacute entre genre et matiegravere (le fait quils soient

laquo communs raquo anteacuterieurs agrave ce qui leur est subordonneacute quils se diffeacuterencient selon une certaine

combinaison avec un certain εἶδος) souligne en effet lasymeacutetrie qui les seacutepare La Quaestio ne

brille pas forceacutement par sa coheacuterence en rassemblant des caracteacuterisations de la matiegravere et du

genre ou des raisons de les distinguer qui napparaissent pas toujours compatibles entre elles

Mais lune des distinctions les plus claires entre matiegravere et genre outre les caractegraveres physique de

la premiegravere et logique du second consiste en ceci que le genre a laquo quelque chose de formel raquo au

sens peut-on supposer ougrave il est principe de deacutetermination On en trouvera confirmation dans le

commentaire agrave Meacutetaphysique Δ 24 sur la provenance (laquo ἔκ τινος raquo) qui distingue matiegraveres

sensible et intelligible et deacutesigne les parties de la deacutefinition comme parties de la forme297

Linheacuterence de la forme dans la matiegravere nest donc pas exactement similaire au rapport genre ndash

espegravece298

Cest agrave partir de ce rapprochement tendanciel et typiquement essentialiste entre forme et

diffeacuterence que lon peut rendre raison de la cristallisation chez Alexandre de la deacutefinition de

lhomme comme animal mortel rationnel Pour Alexandre il est clair que supprimer la rationaliteacute

(τὸ εἶναι λογικῷ) laquo cest supprimer lhomme raquo299 Dans la Mantissa seul lhomme laquo parmi les

choses ici-bas a reccedilu en partage la plus parfaite des puissances de lacircme agrave savoir lintellect et lui

seul possegravede une acircme rationnelle raquo300 Quil sagisse bien lagrave dune deacutefinition par genre et

diffeacuterence est clair par exemple dans le Commentaire aux Topiques cest au cœur dune preacutecision

sur la constitution dune deacutefinition le fait quelle ne se reacuteduit pas agrave leacutenonceacute du propre que

lExeacutegegravete affirme que les laquo les deacutefinitions au sens strict raquo sont les formules qui laquo contiennent ce en

296 Sur ce texte cf la traduction et les notes de RW Sharples [1994] les indications de S Fazzo [2002a] p63-65 et la traduction et le commentaire de M Rashed [2007b] p 94-104

297 Quaestio II 28 78 32-33 laquo ἔχον γάρ τι τοῦ εἴδους ἐν τῷ τοῦ οἰκείου λόγῳ raquo M Rashed [2007b] p 99Cf aussi RW Sharples note ad loc [1994] p127 n 180-181 laquo the genera of comound beings are definedin a way that involves reference to both matter and form raquo Voir aussi la distinction en In Met 422 21 ndash 4238 et M Rashed [2007b] p 100-102

298 Mais les textes dAlexandre ne preacutecisent guegravere cette diffeacuterence Dans plusieurs textes Alexandresemble dailleurs admettre une anteacuterioriteacute du genre sur lespegravece mais cest lagrave encore en reacutealiteacute auprofit dune thegravese essentialiste qui comprend le genre de faccedilon intensive et ordonne les deacuteterminationsde la substance composeacutee sur cette question voir RW Sharples [2005] M Rashed [2004] et [2007b] p89-94 Les principaux textes dAlexandre en jeu sont la Quaestio I 11 et lEacutepicirctre en reacuteponse agrave Xeacutenocrate

299 De Fato 184 15-20

300 Mantissa 172 19-21 laquo μόνον γὰρ κεκοινώνηκεν τοῦτο τῶν τῇδε τῆς τελειοτάτης τῶν ψυχικῶνδυνάμεων αὕτη δέ ἐστι νοῦς καὶ μόνον ψυχὴν λογικὴν ἔχει raquo

379

Les objets de la meacutetaphysique

fonction eacuteminente de quoi le deacutefini possegravede lecirctre comme lhomme ltpossegravede lecirctregt en fonction

du rationnel raquo301 Alexandre en propose eacutegalement une version longue qui ajoute un propre

lhomme est un animal mortel rationnel capable de recevoir lintellect et la science302

Or comme il est connu la deacutefinition napparaicirct jamais telle quelle chez Aristote303

Assureacutement les hommes ou la plupart dentre eux sont des animaux qui ont en partage le λόγος

et disposent dun intellect Mais labsence lexicale de la formule deacutefinitionnelle dans le corpus

aristoteacutelicien le dispute agrave labondance des deacutefinitions laquo mannequins raquo304 qui font de lhomme un

animal terrestre bipegravede sans plume ou vivipare bipegravede305 Le fameux texte des Politiques I 2 1253a

1-18 ne parle pas de deacutefinition ni ne formule quoi que ce soit dans les termes du genre et de la

diffeacuterence306 De mecircme quand Aristote eacutevoque la possession humaine du λόγος dans la Politique

ou les Eacutethiques par exemple il a systeacutematiquement recours au preacutedicable du laquo propre raquo et non la

diffeacuterence307 Degraves lors soit ce terme prend son sens technique et Aristote nemploie

volontairement pas laquo diffeacuterence raquo ce nest donc pas une deacutefinition soit ce terme prend un sens

large mais cela confirme aussi le statut non deacutefinitionnel de ces passages Assureacutement les raisons

textuelles inclinant agrave jeter le doute sur lattribution agrave Aristote de la formule deacutefinitionnelle

laquo lhomme est un animal rationnel raquo ne sont pas suffisantes pour interdire de reconnaicirctre comme

le dit F Wolff que cette formule laquo trouve indiscutablement son origine dans la philosophie

301 In Top 46 10-11 laquo κυρίως δ ἂν εἶεν ὅροι οἱ ἔχοντες πρὸς τούτῳ καὶ καθ ὃ μάλιστά ἐστι τῷ ὁριστῷτὸ εἶναι ὡς τῷ ἀνθρώπῳ κατὰ τὸ λογικόν raquo Cf M Rashed [2007b] p 154 On y revient ci-dessous

302 Pour lajout de laquo mortel raquo aux cocircteacutes de laquo rationnel raquo comme diffeacuterence speacutecifique voir par exemple InMet 51 23-25 161 4 162 13-15 205 18 414 9-10 etc Sur la rationaliteacute cf aussi In AnPr 73 10 sqSur le rire et la rationaliteacute In AnPr 295 32 sq et 298 9 sq Sur laquo capable de science raquo cf In Top 43 27sq le dieu nen est pas capable cest un laquo propre raquo de lhomme En In Top 307 28 lajouteacute de laquo podeacute raquo(πεζός) suffit agrave distinguer lhomme comme animal rationnel du dieu (le dieu na pas de pied ou nestpas terrestre donc) En 319 20 sq et 353 24 sq cest au contraire lajout de mortel raquo ou laquo immortel raquoqui distingue lhomme du dieu les deux espegraveces eacutetant des animaux rationnels (cf aussi 422 18 sq) Laformule complegravete se lit enfin en In Top 478 23-24 laquo ἄνθρωπός ἐστι ζῷον λογικὸν θνητὸν νοῦ καὶἐπιστήμης δεκτικόν raquo (cf aussi 495 5) Sur laquo νοῦ καὶ ἐπιστήμης δεκτικόν raquo comme un propre ndashconformeacutement agrave Aristote Top V 2 130b 8 V 3 132a 19-20 etc ndash voir In Top 387 24 aux cocircteacutes du rireou 373 2 etc Que le fait d laquo ecirctre capable de science raquo soit deacuteductible de la rationaliteacute cf In Met 38220-22

303 On trouvera le dossier complet dans C Beacutegorre-Bret [2004] Voir aussi F Wolff [2010] p 26-52

304 J Brunschwig [1967] p XII

305 Entre autres PA I 3 643a 3 HA V 1 539a 14 lensemble de Met Z 12 etc

306 Pour une analyse de ce texte par rapport agrave la deacutefinition de lhomme voir par exemple F Wolff [2010] p33-36

307 Pol I 2 1253a 16 EE II 1 1219b 38 sq EN I 6 1096b 34 (laquo ζητεῖται δὲ τὸ ἴδιον raquo)

380

Les objets de la meacutetaphysique

dAristote raquo308 Soutenir que la tradition est une longue suite derrements qui se serait

miseacuterablement obstineacutee agrave imputer agrave Aristote une formule erroneacutee serait contradictoire avec le

projet mecircme du preacutesent travail Il nempecircche que la mise en doute de cette attribution peut aussi

revendiquer agrave son creacutedit des raisons proprement doctrinales Sans les deacutevelopper inteacutegralement

ici ndash cela a deacutejagrave eacuteteacute fait309 ndash tenons pour acquis que ces raisons manifestent les tensions et les

verrous que linterpregravete doit reacutesoudre pour lire une telle deacutefinition de lhomme chez le

Philosophe La deacutefinition de lhomme par la possession du λόγος entraicircne en effet avec elle des

problegravemes dextension (par rapport au statut probleacutematique des esclaves310 aux barbares agrave

certains animaux reconnus comme intelligents) et donc reacuteciproquement dintension si le λόγος

doit recouvrir de faccedilon assez stricte un type deacutetermineacute dopeacuterations cognitives (la capaciteacute agrave

discuter du juste et de linjuste agrave faire des choix reacutefleacutechis etc) alors de nombreux ecirctres qui

paraissent humains ne le sont plus tandis que si lon admet ndash ce qui est tregraves plausible eu eacutegard au

reacutegime aristoteacutelicien de la terminologie ndash une polyseacutemie ou une souplesse aristoteacutelicienne en la

matiegravere lon risque alors de peacutecher par excegraves311 Puisque la diffeacuterence na pas agrave ecirctre laquo propre raquo ie

co-extensive agrave ce quelle deacutefinit il faudrait alors ajouter une autre diffeacuterence agrave la seule rationaliteacute

(ou mecircme agrave la possession de lintellect) pour distinguer lespegravece humaine dans le genre animal

Ce quaucun texte aristoteacutelicien ne fait expresseacutement

Sans doute ce fait est-il agrave classer avec labsence plus geacuteneacuterale de deacutefinitions dautres

substances naturelles dans le corpus comme si lagrave neacutetait pas lagrave lenjeu principal pour le Stagirite312

Plus speacutecifiquement pour lHomme il faudrait eacutegalement chercher du cocircteacute du rapport que celui-

ci entretient avec sa propre essence ndash si cest la rationaliteacute Lhomme est une substance naturelle

animeacutee comme nimporte quel autre animal et rien ne soppose agrave ce quil puisse ecirctre deacutefini mais

308 F Wolff [2010] p 26

309 Cf agrave nouveau lensemble du travail de C Beacutegorre-Bret [2004] convaincant mais peut-ecirctre aussiexcessif preacuteciseacutement agrave cet eacutegard

310 Les esclaves sont des hommes pour Aristote (ce nest pas parce quAristote compare les esclaves agrave desanimaux quils en sont cf C Beacutegorre-Bret [2004] p 345) Sur lhumaniteacute des esclaves cf EN VIII 141161b 6 Pol I 4 1254a 13 sq I 13 1259b 26-27 etc Les esclaves sont priveacutes de διανοία de λόγοςactif et sont seulement doteacutes dun λόγος passif capable dobeacuteir cf Pol I 2 et I 5 Comment admettreles esclaves dans lHumaniteacute tout en leur refusant la moitieacute ce qui fait lHomme

311 Aristote qualifie certains animaux d laquo intelligents raquo (φρόνιμος par exemple MetA 1 980b 21 sq) et ilssont mecircme capables dapprendre et denseigner (HA IX 1 608b 17-21 De sensu 437a 1-17) Sur lesgrues qui ont une forme dintelligence cf HA VIII 12 La diffeacuterence entre lhomme et lanimal ne passepas pour Aristote entre lintelligence et linstinct cf J-L Labarriegravere [2001]

312 Comme le reacutesume F Wolff laquo limportant semble moins de connaicirctre ce quest lessence de lhomme oude pouvoir la dire que de savoir ou de poser quil en a une neacutecessairement raquo cf F Wolff [2000] p 104

381

Les objets de la meacutetaphysique

quAristote eacutelabore une eacutethique explicitement centreacutee sur lhomme et les laquo affaires humaines raquo

indique pour celui-ci un rapport complexe voire meacutediatiseacute avec sa propre nature313 On perccediloit

deacutejagrave comment eu eacutegard agrave ce quon a eacutevoqueacute preacuteceacutedemment le concept alexandrinien de

laquo perfection raquo comme eacutetat acheveacute et supeacuterieur de la forme va pouvoir se couler dans une telle

ambivalence314

Quoiquelle ne soit pas infondeacutee la deacutefinition de lhomme comme laquo animal mortel

rationnel raquo est donc neacutecessairement une construction dinterpregravete Il revient agrave Alexandre davoir

consacreacute cette formule comme deacutefinition canonique en terrain aristoteacutelicien315 Cette derniegravere

preacutecision est neacutecessaire on a pu soutenir non sans raison quune telle deacutefinition eacutetait en reacutealiteacute

stoiumlcienne316 Pour autant que nous le sachions le texte le plus ancien qui emploie la formule se lit

chez Ciceacuteron317 mais il nen revendique pas lui-mecircme la paterniteacute lexpression eacutetant devenue un

veacuteritable locus communis au sens le plus plein une expression courante dans la koinegrave

philosophique Les occurrences d laquo animal mortel rationnel raquo se multiplient de faccedilon massive agrave

partir des IIegraveme et IIIegravemes ap J-C chez Eacutepictegravete Marc Auregravele Alcinoos Sextus Empiricus etc Or

les stoiumlciens constituent de bons candidats au titre sinon dinventeurs du moins de propagateurs

de la formule Celle-ci sadapte au mouvement stoiumlcien agrave deux eacutegards en intension le λόγος

stoiumlcien deacutesigne clairement une instance psychique unifieacutee318 en extension cette faculteacute est

explicitement refuseacutee aux autres animaux que lhomme et le dieu319 la raison suffit donc agrave deacutefinir

lhomme degraves lors quelle est coupleacutee avec le fait decirctre mortel en vertu de la theacuteorie stoiumlcienne de

313 Octroyer agrave lhomme le λόγος pour laquo fonction propre raquo cela dit tout agrave la fois ce qui est et ce qui doitecirctre Cest aussi dire que lhomme est lecirctre qui peut manquer le plein accomplissement de sonhumaniteacute cf G Aubry [2002]

314 Cf ci-dessous sect 331a

315 On trouve toutefois un preacuteceacutedent avec Aspasius mais de faccedilon moins systeacutematique et pluscontextuelle il sagit du commentaire agrave EN I 6 ndash voir par exemple In EN 18 9-29

316 Voir T Beacutenatouiumll [2006] p 71-77 et en particulier les passages sur les laquo usages de la raison raquo Surlaquo animal rationale raquo comme laquo deacutecalque de la deacutefinition stoiumlcienne raquo cf p 73

317 Ciceacuteron Premiegraveres Acadeacutemiques II VII laquo si homo est animal est mortale rationis particeps raquo Ciceacuteron neposseacutedait pas encore ladjectif laquo rationalis raquo qui apparaicirct chez Seacutenegraveque cf T Beacutenatouiumll [2006] p 74 Surlhistoire geacuteneacuterale de lexpression voir GM DeDurand [1973] pour la deacutefinition comme lieu commundont personne ne revendique la paterniteacute cf p 341 Sur le passage de Ciceacuteron p 337-338

318 La partie logique de lacircme heacutegeacutemonique est siegravege et sujet de tous les eacutetats mentaux (en tout cas chezChrysippe) Elle est responsable de lanalyse des donneacutees des sens de la capaciteacute agrave forger desraisonnements et de la prise de deacutecision et sa seule preacutesence suffit agrave modifier les autres faculteacutes delacircme lapparition de la raison chez lhomme par exemple produit lapparition de lassentiment oudes impressions rationnelles

319 Lhomme se trouve donc comme le deacutecrit Eacutepictegravete avoir en commun son corps avec les animaux et saraison avec les dieux (Entretien I III 3)

382

Les objets de la meacutetaphysique

la deacutefinition comme laquo repreacutesentation du propre raquo (ἰδίου ἀπόδοσις)

Or la deacutefinition de lhomme comme animal mortel rationnel chez Alexandre trouve ici un

double ancrage agrave la fois dans la discussion avec cette derniegravere theacuteorie de la deacutefinition et dans la

reacuteflexion alexandrinienne sur la diffeacuterence speacutecifique Tout en reprenant la formule stoiumlcienne

pour mieux la reacutefuter Alexandre lui fait donc aussi retrouver son origine aristoteacutelicienne Mais

eacutetant donneacute les laquo verrous raquo deacutejagrave signaleacutes les difficulteacutes agrave consideacuterer immeacutediatement lhomme

comme un animal rationnel en terrain aristoteacutelicien Alexandre doit proceacuteder agrave certains

ajustements En premier lieu lExeacutegegravete corregravele rationaliteacute et possession de lintellect320 ndash et il lui lui

arrive tout simplement de reacuteintroduire dans la formule la possession du νοῦς Alors que ladjectif

λογικός sest agrave leacutepoque deacuteveloppeacute bien au-delagrave des seuls textes stoiumlciens le vocabulaire de

lintellect est en effet relativement absent des textes stoiumlciens et demeure un marqueur conceptuel

platonico-peacuteripateacuteticien321 Alexandre peut ainsi asseoir la deacutefinition de lhomme par sa

rationaliteacute en conjuguant deux seacuteries de textes dAristote ceux sur le λόγος et ceux sur le νοῦς

avec sans doute agrave lesprit les formules frappantes dAristote selon qui laquo lrsquointellect est par

excellence lrsquohomme raquo322 De telles propositions ont certes chez le Philosophe autant valeur

prescriptive que descriptive mais comme on le verra plus loin la noeacutetique alexandrinienne

travaille justement ces diffeacuterents eacutetats de lintellect celui qui en puissance deacutefinit lhumaniteacute de

tout homme et celui qui laquo acheveacute raquo pleinement en acte couronne son excellence323 Cest

dailleurs lagrave ce qui distingue le propre de la diffeacuterence dit aussi Alexandre on ne peut tenir le

rire pour la diffeacuterence speacutecifique de lhomme parce quon aura du mal agrave imaginer que lhomme

acheveacute est celui qui comme le traduit M Rashed laquo rit sans entrave et pleinement raquo (τέλειος

ἄνθρωπος εἴη ἂν ὁ ἀνεμποδίστως τε καὶ εὖ γελῶν In Top 46 4-5)324

Tout est donc reacuteuni pour quon soit en droit de dire que la formule laquo animal mortel

rationnel raquo est aristoteacutelicienne si par laquo aristoteacutelicien raquo on entend laristoteacutelisme dAlexandre

320 Par exemple en DA 80 16-24 qui ouvre agrave leacutetude de lintellect

321 Cf T Beacutenatouiumll [2006] p 74 De la part dAlexandre le maintien de lintellection dans la rationaliteacuteimplique par rapport aux stoiumlciens un changement dans ce que recouvre la notion de laquo rationnel raquo etpermet par exemple linsistance sur la connaissance intellective comme saisie des formes ce qui estbien sucircr absent chez les stoiumlciens

322 Pour lideacutee que le De anima soit un de ces textes dont parle F Wolff et quil faut ranger parmi ceuxphysiques qui insistent sur la continuiteacute du vivant par opposition aux textes eacutethiques qui pointentplutocirct la diffeacuterence entre lhomme et les autres animaux cf F Wolff [2000] p 136-137

323 Cf ci-dessous sect 331a

324 Cf M Rashed [2007b] p 153

383

Les objets de la meacutetaphysique

Alexandre refonde de linteacuterieur cette deacutefinition de lhomme agrave la fois au niveau de son sens de

son contenu mais aussi de sa structure et par lagrave il en fait la piegravece maicirctresse de sa meacutecanique anti-

stoiumlcienne La deacutefinition sert en effet de modegravele dans la reacutefutation de la theacuteorie stoiumlcienne de la

deacutefinition qui confond diffeacuterence speacutecifique et propre agrave cause preacuteciseacutement de la disparition de la

notion de forme ou de quidditeacute ce que prouvent plusieurs passages du Commentaire aux

Topiques325 Cela explique linsistance dAlexandre sur la fonction causale de la rationaliteacute pour

lhomme cest en effet gracircce agrave elle que nous sommes des ecirctres politiques ou

laquo communautaires raquo capables de deacutelibeacuterer ou que nous sommes libres326 La rationaliteacute forme le

foyer commun qui ordonne les diffeacuterentes descriptions de lhomme Mais cest aussi la possession

de la rationaliteacute qui rend raison agrave titre de cause finale de la configuration de notre corps et sa

composition chimique Cest selon M Rashed pour cette raison quAlexandre a preacutefeacutereacute consacrer

la rationaliteacute comme diffeacuterence speacutecifique de lhomme plutocirct que la bipeacutedie La rationaliteacute

preacutesuppose en effet toute une infrastructure mateacuterielle et formelle dont elle est le

couronnement327 Elle inclut donc aussi la bipeacutedie qui selon certaines indications dAristote lui-

mecircme vaut comme une conseacutequence de certaines proprieacuteteacutes essentielles de lhumaniteacute328 Cest

325 Ainsi In Top 42 25 ndash 438 (SVF II 228) laquo Καὶ ἔστιν ἴσον τὸ εἰρημένον τῷ lsquoλόγος ὁ τῆς τοῦπράγματος οὐσίας δηλωτικὸς καὶ καθ ὅ ἐστιν αὐτῷ τὸ εἶναιrsquo Οἱ δὲ λέγοντες ὅρον εἶναι λόγονκατὰ ἀνάλυσιν ἀπαρτιζόντως ἐκφερόμενον ἀνάλυσιν μὲν λέγοντες τὴν ἐξάπλωσιν τοῦ ὁριστοῦκαὶ κεφαλαιωδῶς ἀπαρτιζόντως δὲ τὸ μήτε ὑπερβάλλειν μήτε ἐνδεῖν οὐδὲν ἂν λέγοιεν τὸν ὅρονδιαφέρειν τῆς τοῦ ἰδίου ἀποδόσεως Λόγος γὰρ καὶ τὸ lsquoζῷον γελαστικόνrsquo καὶ ἀπερίττως τε καὶἀνελλιπῶς σημαίνει τὸν ἄνθρωπον οὔτε γὰρ ἐπὶ πλέον οὔτε ἐπ ἔλαττόν ἐστι τοῦ ἀνθρώπουἈλλὰ πλεῖστον ὁρισμοῦ ὁ διὰ τοῦ ἰδίου λόγος ἀποδιδόμενος διαφέρει ὅτι μὴ σημαίνει ἐν τίνι ἐστὶτὸ εἶναι τῷ ἀνθρώπῳ Ὅτι γὰρ μὴ ἐν τῷ γελαστικῷ τῷ ἀνθρώπῳ τὸ εἶναι δῆλον ἐκ τοῦ τὰς καθ ὅἐστιν ἕκαστον ἐνεργείας ταύτας τελειοῦν αὐτό οὐκ ἔστι δὲ τελειότης ἀνθρώπου τὸ γελᾶν raquo laquo Etcette expression est eacutequivalente agrave laquo formule qui manifeste lessence de la chose et dapregraves laquelle lachose a lecirctre raquo Mais ceux qui disent que la deacutefinition est une formule analytique exprimeacutee de faccedilonadeacutequate (voulant dire par laquo analytique raquo lexposition du deacutefini de faccedilon sommaire et par laquo de faccedilonadeacutequate raquo le fait quelle noutrepasse ni ne manque ltle deacutefinigt) diraient que la deacutefinition ne diffegravere enrien de la repreacutesentation du propre En effet laquo animal capable de rire raquo est aussi une formule etsignifie lhomme de faccedilon exhaustive et complegravete car son extension nest ni plus grande ni plus petiteque celle de lhomme Mais la formule quon donne au moyen du propre est tregraves diffeacuterente dunedeacutefinition parce quelle ne signifie pas en quoi reacuteside lecirctre essentiel de lhomme En effet que lecirctreessentiel de lhomme ne reacuteside pas dans sa capaciteacute agrave rire cest manifeste agrave partir du fait que chaquechose est acheveacutee par les activiteacutes conformes agrave ce quelle est et que le rire nest pas un achegravevement delhomme raquo Voir aussi In Top 46 6-14 (traduit et commenteacute par M Rashed [2007b] p 154

326 Cf respectivement Mantissa sect 19 157 9 sq sect 23 172 19 ndash 173 10 Quaestio III 13 107 7 sq Problegravemeseacutethiques 24 De fato 184 5 sq etc

327 Voir De providentia 87 5 ndash 91 4 (Ruland) M Rashed [2007b] p 154-155 agrave propos de In Top 46 6-14Cf aussi p 156-158

328 Cf C Beacutegorre-Bret [2004] p 242 sq La station droite par exemple est la cause finale de la bipeacutedie cfDe incessu animalium 11 710b 5 sq Voir aussi les liens entre bipeacutedie possession de fesses permettant le

384

Les objets de la meacutetaphysique

dire combien la description ascendante de la constitution du corps animeacute dans le De anima

nexclut pas une position substantialiste et vient au contraire la soutenir

c) Causaliteacute de la forme et inheacuterence hyleacutemorphique

Le fait que la forme soit laquo cause de lecirctre raquo commence donc agrave seacuteclairer celle-ci est ce qui

fait du composeacute ce quil est son essence et la fin qui rend raison de sa structure mateacuterielle ce quil

est degraves sa geacuteneacuteration mais aussi sa laquo perfection raquo cette formaliteacute supeacuterieure vers laquelle il tend

Mais Alexandre preacutecise encore le forme fonde la substantialiteacute de la substance composeacutee

au sens des Cateacutegories Dans le paragraphe deacutejagrave citeacute de la Mantissa qui deacutemontre que la forme

nest pas dans la matiegravere comme en un sujet Alexandre deacuteclare en effet que la substance est

sujette au sens des Cateacutegories parce quelle est un τόδε τι Or le composeacute ne saurait ecirctre agrave part de

sa forme un τόδε τι329 cest-agrave-dire un composeacute particulier330 Et agrave la fin du paragraphe la thegravese

est reacutepeacuteteacutee le composeacute est substance non seulement parce quil est sujet mais aussi parce quil

est τόδε τι331 Or il faut aller au-delagrave de lapparent ireacutenisme dune telle thegravese qui semble conjuguer

en un mecircme ensemble les Cateacutegories et Meacutetaphysique Z Alexandre infeacuteode explicitement le fait

decirctre sujet au fait decirctre τόδε τι et remonte de celui-ci jusquagrave sa cause agrave savoir lεἶδος On passe

donc de la substantialiteacute agrave la subjectiteacute de celle-ci au τόδε τι de celui-ci agrave lεἶδος Cest pourquoi

la phrase immeacutediatement suivante peut effectuer le parcours inverse parce quelle fait du

repos neacutecessaire agrave la suite de la fatigue engendreacutee par la station droite possession dun visage etdiviniteacute de lhomme (cf PA IV 10)

329 Mantissa sect 5 119 32 ndash 120 1 laquo οὐ γὰρ οἷόν τε τὸ εἶδος ἐν ὕλῃ ὡς ἐν ὑποκειμένῳ εἶναι εἴ γε τὸ ἐνὑποκειμένῳ ἐστίν ὃ ἔν τινι μὴ ὡς μέρος ὂν ἀδύνατον χωρὶς εἶναι τοῦ ἐν ᾧ ἐστιν (δεῖ γὰρ τὸὑποκείμενον τῷ ἐν ὑποκειμένῳ ὄντι τόδε τι εἶναι) οὐδὲν δὲ πρὸς τὸ εἶναι ἐνεργείᾳ τόδε τι καὶ τοῦἐν ᾧ λέγεται εἶναι χωρὶς εἴδους raquo

330 Pour la deacutefinition du τόδε τι cf DA 87 7 sq Mantissa sect 1 101 18-20 laquo σύνθετον μὲν οὖν οὐσίανλέγομεν εἶναι ταύτην ἧς τόδε τι κατηγορῆσαι δυνάμεθα τὴν αἰσθητήν τε καὶ ἐνεργείᾳ οὖσαν καὶπᾶσιν τοῖς ἄλλοις γένεσιν τοῦ ὄντος ὑποκειμένην raquo

331 Comme lindique RW Sharples ad loc ([2004] p 72 n 225) dans la proposition de 122 11-12 laquo ὅτι δὲὡς οὐσίας ἐστὶ μέρη δῆλον ἐκ τοῦ τὴν οὐσίαν τὴν συναμφότερον καὶ καθὸ ὑπόκειται οὐσίανλέγεσθαι καὶ καθὸ τόδε τί ἐστι τὸ εἶδος raquo laquo τὸ εἶδος raquo est peut-ecirctre une interpolation (ce quesuggeacuterait deacutejagrave Bruns Il nous semble en effet que par parallegravele avec le passage citeacute en note ci-dessuscest bien le composeacute qui est dit τόδε τι et que la forme en est la cause ndash mais Alexandre naffirme pasque la forme soit elle-mecircme un τόδε τι Pour les deux sens de laquo sujet raquo selon Aristote cf Met Z 131038b 5-6 Mais lagrave ougrave Aristote maintient deux maniegraveres decirctre sujet Alexandre lui reacuteduit ici lasubjectiteacute agrave celle du sujet des diverses proprieacuteteacutes

385

Les objets de la meacutetaphysique

composeacute un τόδε τι la forme est cause de la subjectiteacute de la substance composeacutee laquo εἴη ἂν πρὸς

τὸ ὑποκείμενον εἶναι ἡ οὐσία βοηθουμένη ὑπὸ τοῦ εἴδους raquo (122 13-14) Le geste se confirme

en dautres passages332

Cela doit ecirctre compris dans lorbe de la fonction de compleacutetion remplie par la forme ndash

qua mise en lumiegravere M Rashed et dont il est utile de rappeler ici briegravevement quelques eacuteleacutements

Que pour Alexandre la forme laquo preacuteserve raquo lindividu doit ecirctre compris agrave partir de lindication

dAristote en Top VI 6 145a 3-12 Aristote y dit en effet que la diffeacuterence contrairement agrave une

affection laquo preacuteserve raquo (σῴζειν 145a 5) ce dont elle est la diffeacuterence Dans le commentaire

dAlexandre333 cest bien la rationaliteacute ndash et non la bipeacutedie comme chez Aristote ndash qui est dite

preacuteserver la substance (σωστικὴ 455 11) Cette fonction de preacuteservation ou de sauvegarde

renforce lideacutee que la forme permet agrave la substance de devenir elle-mecircme334 Comme le dit par

exemple la Quaestio I 8 la forme ne laquo contribue raquo pas au composeacute au sens ougrave le font les accidents

selon une terminologie deacutejagrave vue335 La forme laquo contribue raquo au composeacute parce que son absence

entraicircne la destruction du composeacute lempecircche de preacuteserver sa propre nature dans le changement

(laquo σῶζον τὴν οἰκείαν φύσιν raquo 18 14)336 Lacircme contribue ainsi agrave lhomme parce quelle contribue

agrave son ecirctre dhomme (laquo πρὸς τὸ εἶναι ἀνθρώπῳ raquo 18 22) contrairement agrave tel ou tel accident

Cette fonction de la forme eacutevidemment centrale dans lessentialisme dAlexandre a deux

corollaires au double sens de conseacutequence et justification suppleacutementaire de la thegravese La forme

en effet ne peut plus ecirctre une partie du composeacute au sens dun morceau ou comme le dit M

Rashed au sens de ce qui laquo appartient raquo au tout La forme est une partie au sens de ce qui fonde

laquo prend part agrave la constitution du tout raquo337

332 Entre autres Mantissa sect 1 102 4 sq toute chose est un laquo ceci raquo en vertu de sa forme Cf de mecircme InMet 204 3 376 11-12 (laquo ὃ γὰρ αἴτιον τοῦ τόδε τι εἶναι τῷ χωριστῷ τοῦτο ἡ κατὰ τὸ εἶδος οὐσία raquo) Quaestio II 10 55 6 etc

333 Si cest lui ndash M Rashed note agrave la suite de Wallies les doutes agrave ce sujet cf M Rashed [2007b] p 53 n164 Pour le commentaire de ce passage cf M Rashed [2007b] p 160-161

334 On songe ici agrave lemploi du verbe par Aristote en DA II 5 417b 2-5

335 Cf ci-dessus sect 313 Voir Quaestio I 8 17 17-22 Sur ce texte cf S Fazzo [2002a] p 90-94 99-101 MRashed [2007b] p 46-47

336 Lexpression est donneacutee pour le cas des accidents qui sont dans le composeacute comme en un substratparce quils peuvent subir le changement cependant que le composeacute laquo conserve sa propre nature raquomais lexpression peut seacutetendre par opposition agrave la forme qui est eacutevoqueacutee juste apregraves via un argumentde suppression cf Quaestio I 8 18 10-24

337 M Rashed [2007b] p 147 et p 164 [La forme comme partie] laquo nrsquoest pas seulement une composantemoriologique mais elle est eacutegalement compleacutetive ce caractegravere laquo compleacutetif raquo nrsquoest pas un asylumignorantiae commode mais implique une fonction de preacuteservation de la substance La forme est moinsune laquo partie raquo de la substance qursquoun principe de production et de preacuteservation de cette derniegravere En

386

Les objets de la meacutetaphysique

Linheacuterence de la forme agrave la matiegravere ne souscrit donc pas aux critegraveres des Cateacutegories Cest

cela qui explique leffort reacutepeacuteteacute dAlexandre pour deacuteterminer cette inheacuterence autrement que

comme inheacuterence subjective Dougrave aussi sa meacuteditation particuliegraverement riche de lecirctre-dans au

sein de ses commentaires perdus agrave Physique II et IV mais aussi dans la Mantissa Alexandre y

deacuteveloppe en effet agrave chaque fois une remarque laquo digne decirctre signaleacutee raquo (laquo σημειωτέον raquo) selon

laquelle la forme est dans la matiegravere au sens preacutecis ougrave elle neacutecessite elle laquo a besoin raquo dun certain

substrat338 La Quaestio II 10 le dit encore la forme ne peut ecirctre par soi ni seacutepareacutee de la matiegravere

parce quelle laquo a besoin de la matiegravere pour son ecirctre eacutetant quelque chose de celle-ci raquo (laquo ὕλης

δεῖται πρὸς τὸ εἶναι ταύτης τι ὄν raquo 55 11-12) LExeacutegegravete accomplit ainsi le tour de force

danalyser linheacuterence hyleacutemorphique dans un sens qui ne contredit pas la substantialiteacute de la

forme tout en barrant la route agrave une tendance platonisante intrinsegraveque agrave cette thegravese339 Car si lon

se rappelle comment lacircme rationnelle est cause finale de toute la structure mateacuterielle du corps

organique (la bipeacutedie une certaine chaleur du sang etc) alors le laquo besoin de matiegravere raquo ne signifie

pas seulement lincapaciteacute de la forme agrave ecirctre seacutepareacutee Le laquo τινός raquo par exemple dans la

proposition laquo δεῖται πρὸς τὸ εἶναι ὑποκειμένου τινός raquo doit ecirctre pris en un sens deacuteterminatif

Pour les artefacts la forme est la qualiteacute dun substrat qui est en reacutealiteacute un corps deacutejagrave informeacute

pour les substances naturelles lanalyse alexandrinienne fait passer la forme en premier Cest elle

qui deacutetermine la matiegravere quelle informe matiegravere reacuteguliegraverement conccedilue par Alexandre comme

une pure reacuteceptiviteacute340

Le second corollaire qui serait plutocirct agrave deacutevelopper dans un travail sur la physique de

lExeacutegegravete consiste en la limitation de la notion de cause mateacuterielle Plusieurs passages en effet

derniegravere instance cela explique que la forme soit la substance raquo Sur cet aspect compleacutetif cf SimpliciusIn Cat 98 22-35 et M Rashed [2007b] p 141-143

338 Les quatre textes le prouvant sont (M Rashed [2007b] p 174-175) Mantissa sect 5 121 4-7 laquo λέγων δὲτὸ μὲν σῶμα μὴ εἶναι τοιοῦτον τὴν δὲ ψυχήν ἢ δύναται καθ ὑποκειμένου οὐ τὸ ἐν ὑποκειμένῳλέγειν νῦν ἀλλ ὃ δεῖται πρὸς τὸ εἶναι ὑποκειμένου τινός οὕτως δὲ ἔχει καὶ τὸ εἶδος τὸ ἐν τῇὕλῃ raquo Simplicius In Phys 270 26-34 In De caelo 279 5-9 et le Suppl gr 643 fol 61V que lonretrouve inteacutegralement dans M Rashed [2011a] scolie [29] (cf aussi Simplicius In Phys 552 18-24)Ces textes constituent pour M Rashed une piegravece maicirctresse de son interpreacutetation dAlexandre (et lunedes plus convaincantes) comme en teacutemoigne sa reacutefeacuterence dans la conclusion p 326

339 Voir aussi les analyses de V Cordonier [2008] p 365-366 qui montre comment linseacuteparabiliteacute de laforme pour Alexandre laquo ne signifie aucune deacutependance ontologique de la premiegravere [la forme] parrapport agrave la seconde [la matiegravere] elle ne soppose pas agrave une hieacuterarchie des principes et nempecircchenullement la preacuteeacuteminence de leidos sur la matiegravere Bref le fait que leidos ait besoin de matiegravere pourexister nimplique pas qursquoil en soit tributaire pour ecirctre ce qursquoil est raquo

340 Voir les analyses dE Gannageacute [2002]

387

Les objets de la meacutetaphysique

convergent vers lideacutee que la matiegravere nest pas cause de proprieacuteteacutes du composeacute mais simplement

son constituant interne et la condition laquo sans laquelle raquo il ny aurait pas de composeacute capable de

devenir341 Agrave partir de lagrave se comprend la thegravese deacutejagrave vue selon laquelle la matiegravere est laquo moins

cause raquo que les autres causes et que la connaissance des trois autres causes est plus (ou laquo plutocirct raquo)

science que la connaissance de la matiegravere laquelle comme le dit souvent Alexandre ne peut ecirctre

connue que par un raisonnement bacirctard et par analogie342 On comprend lenjeu eu eacutegard agrave ce

qui preacutecegravede la forme aspire en elle le centre de graviteacute du composeacute laissant peu despace agrave la

matiegravere Toutefois cette derniegravere ne peut totalement disparaicirctre sous peine de confusion avec le

platonisme Cest agrave frayer une telle voie que sefforce sans doute Alexandre quand il meacutenage agrave la

matiegravere la place de condition sine qua non343 mais aussi dans sa critique de la matiegravere premiegravere

chez Boeacutethos QuAlexandre deacutecrive la matiegravere comme sans forme et sans qualiteacute (ἄμορφός

ἀνείδεος ἀσχημάτιστος ἄποιος) ndash ce quon ne lit pas chez Aristote ndash est tregraves probablement un

donneacute scolaire344 Mais cette conception de la matiegravere prend un nouveau sens au sein dun

systegraveme essentialiste qui rapproche au maximum possible la matiegravere du non-eacutetant sans franchir

totalement le pas quon lira par exemple chez Plotin345

341 Sur cette question cf S Fazzo [2002a] p 115-125 et 136-137 M Rashed [2007b] p 182-214 M Bonelli[2009b]

342 In Met 187 8-13 et ci-dessus sect 213b M Bonelli [2009b] renvoie eacutegalement agrave In Met 178 14-15 laquo οὐδὲ γὰρ ἔλαττον ἀλλὰ καὶ μᾶλλον ἂν φανεῖεν αἴτια τὰ ἄλλα τῆς ὕλης raquo

343 Cf ci-dessus In Met 187 12-13 laquo ἡ γὰρ ὕλη ἐν τοῖς ἐξ αὐτῆς γινομένοις τὸν τοῦ οὗ οὐκ ἄνευ λόγονἔχειν δοκεῖ raquo et M Bonelli [2009b]

344 Cf I Kupreeva [2010] p 227-228 et en particulier n 52 qui renvoie agrave la tradition stoiumlcienne SVF I 85493 II 300 301 318 320 326 380 etc Chez Alexandre DA 4 1-2 17 17 18 2-4 De mix 226 15Mantissa 104 19 113 33 115 12 124 7 Quaestiones 37 4-22 52 20 ndash 53 26 60 27 et cf aussi pour ladoxographie de la tradition aristoteacutelicienne [Arius Didyme] Phys Fragm 2 3 Sur la discussion parAlexandre de la matiegravere premiegravere chez Boeacutethos cf M Rashed [2007b] p 201-205 en particulier sur laQuaestio II 7 I Kupreeva propose une inteacuteressante correction de linterpreacutetation de M Rashed agrave proposde Boeacutethos (cf I Kupreeva [2010] p 228) laquo It is not clear that Boethus himself attributed separate existenceto the Peripatetic prime matter Even the Stoics who treated their ousia (a counterpart of prime matter) ascorporeal did not think of its existence as separate from either a qualified composite or the active principle It ismore likely that separate existence of the prime matter is derived by Alexander as an implausible consequence ofBoethusrsquo failure to draw a distinction between the prime matter and the antecedent matter raquo

345 Sur matiegravere non-eacutetant et privation chez Alexandre et Plotin cf L Lavaud [2008b] et plus geacuteneacuteralementL Lavaud [2008a] sur la matiegravere chez Plotin p 17-77 Sur le lien entre non-eacutetant accident et matiegraverechez Alexandre cf D Lefebvre [2006]

388

Les objets de la meacutetaphysique

323 Conclusions impeacuteratifs contextuels et coheacuterence interne

Si le dernier mot dAlexandre au sujet de la forme et de la substance consiste en une

position essentialiste il reste encore agrave comprendre les passages et les thegraveses exposeacutes

preacuteceacutedemment qui semblaient lattirer dans lorbe de lattributivisme Alexandre nabandonne

manifestement pas la compreacutehension de la substance comme substance premiegravere des Cateacutegories

il lui arrive de parler de la forme comme dune qualiteacute et non pas seulement dans le cas des

artefacts il lui arrive aussi dinfeacuteoder la substantialiteacute de la forme comprise comme laquo partie raquo agrave

celle du composeacute Quoiquelles semblent peu compatibles avec lessentialisme deacutecrit ci-dessus il

sagit bien lagrave de donneacutees textuelles

Degraves lors soit lon considegravere ce qui est peu charitable que lExeacutegegravete nest pas

inteacutegralement coheacuterent quil se meut encore dans la tradition qui le preacutecegravede tout en perccedilant une

nouvelle voie Soit pour preacuteserver la coheacuterence de lExeacutegegravete lon distingue le statut des textes

Telle est la position de M Rashed selon qui les passages attributivistes dans le corpus sont

seulement dus agrave une viseacutee peacutedagogique ou agrave un contexte poleacutemique anti-stoiumlcien ndash bref agrave leur

origine scolaire Contre les stoiumlciens et selon un geste rebattu il importe agrave Alexandre de

deacutemontrer lincorporeacuteiteacute de la forme Or cela peut ecirctre meneacute avec une entente faible de sa

substantialiteacute en employant le vocabulaire traditionnel de la qualiteacute Il faudrait donc distinguer

cette tacircche scolaire dune part de la discussion avec Boeacutethos dautre part Celle-ci en effet

exigerait dAlexandre un effort dautant plus important par rapport agrave ce contexte agonistique

quil nest pas dans son inteacuterecirct de laisser paraicirctre des dissensions internes au Peripatos On

comprendrait pourquoi Alexandre ne sen prend jamais expressis verbis agrave Boeacutethos tout en

travaillant continucircment agrave reacutefuter sa lecture M Rashed soutient ainsi que

Autant en effet la reacutefutation des Platoniciens ou des Stoiumlciens mettait en jeu des argumentsparfaitement rodeacutes voire eacuteculeacutes autant celle dAndronicos et de Boeacutethos demandait undoigteacute peu commun il fallait expliquer pour quelle raison leur ligne exeacutegeacutetique eacutetaiterroneacutee sans ecirctre ameneacute agrave professer la fausseteacute de la moitieacute de laristoteacutelisme dAristote ouagrave scinder la doctrine en deux laquo veacuteriteacutes raquo partielles ouvrant ainsi une bregraveche fatale auxattaques des eacutecoles rivales platonicienne en particulier346

Mais un tel parti-pris quoique moins oneacutereux dun point de vue hermeacuteneutique que le

premier nous paraicirct cependant contestable Dans ce cas en effet on est conduit agrave sous-eacutevaluer

certains textes dallure scolaire ndash par exemple le paragraphe 5 de la Mantissa la totaliteacute du De

346 M Rashed [2007b] p 6 Cf aussi le reacutesumeacute efficace dans M Rashed [2011c] p 1017-1018

389

Les objets de la meacutetaphysique

anima certaines Quaestiones347 Or que le De anima par exemple soit un texte laquo scolaire raquo (mais au

fond quel texte dAlexandre ne lest pas ) quil soit agrave tout le moins destineacute agrave un public qui nest

ni totalement ignorant ni grand speacutecialiste dAristote348 cela nempecircche quau cœur mecircme de

cette œuvre Alexandre glisse des indications cruciales pour la coheacuterence globale de son systegraveme

On en a donneacute un exemple frappant avec le retournement de la page 6 2-6 qui va du composeacute agrave

la forme puis de la substantialiteacute de la forme agrave celle du composeacute ndash exemple auquel M Rashed est

lui-mecircme sensible On en donnera dautres dans la prochaine partie sur lintellect Se couper de

tels textes ndash ce que dailleurs M Rashed ne peut faire et ne fait pas ndash est cher payer pour sauver

la coheacuterence de lExeacutegegravete sans compter le coucirct encouru par la tendance concomitante agrave extraire

Alexandre de son contexte historique349 Si enfin on conserve comme significatifs ces textes

apparemment scolaires encore faudra-t-il parvenir agrave seacuteparer les passages contre Boeacutethos des

passages anti-stoiumlciens ce qui est loin decirctre toujours aiseacute350 Il nous semble au contraire que dans

la strateacutegie philosophique globale dAlexandre pour des raisons de liens doctrinaux la

discussion de lattributivime de Boeacutethos se mecircle souvent agrave celle du corporalisme stoiumlcien

Une autre voie pour sauver la coheacuterence de lExeacutegegravete est possible qui consiste agrave souligner

de nouveau leffort typique de systeacutematisation dunification et dorganisation des diffeacuterentes

parties du corpus aristoteacutelicien LAphrodisien ne neacuteglige pas les Cateacutegories mecircme si M Rashed a

indeacuteniablement raison sur ce point elles ne forment plus pour lui le noyau dur de son

aristoteacutelisme lequel se deacuteplace vers Meacutetaphysique Z et lhyleacutemorphisme du De anima Alexandre

maintient toutefois ensemble la deacutetermination subjective de la substance premiegravere issue des

Cateacutegories et la thegravese de la forme comme substance premiegravere sans doute gracircce agrave la reprise du

347 Agrave propos du De anima traiteacute laquo simplifieacute raquo laquo pour les non-speacutecialistes raquo laquo Il serait par conseacutequent fortpeacuterilleux de se fonder sur des expressions dualistes ou privileacutegiant le composeacute sur la forme pour enreconstituer quoi que ce soit des thegraveses personnelles drsquoAlexandre raquo cf M Rashed [2007b] p 37 Orcomme la excellemment noteacute I Kupreeva sous-estimer le De anima empecircche de comprendrepleinement lhyleacutemorphisme alexandrinien Cf I Kupreeva [2010] p 233 Plus geacuteneacuteralement cf aussiM Rashed [2007b] p 40 laquo K Wurm demeurait dans son approche drsquoAlexandre influenceacute par lesthegraveses de P Moraux elles-mecircmes reprises entretemps avec approbation par Ph Merlan Reacuteveacutelateur estcependant le fait que jamais ces auteurs ne srsquointerrogent veacuteritablement sur le statut du texte dont ilstirent les deacuteveloppements drsquoAlexandre les plus proches de lrsquoexeacutegegravese du premier Peacuteripatos raquo

348 En tout cas pas le mecircme public que celui des Commentaires Cf P Accattino P Donini [1996] p XI

349 Pour cette atteacutenuation des effets de contexte la chose est tregraves consciemment meneacutee par M Rashed quicontre I Kupreeva considegravere qulaquo il ne faut pas surestimer lrsquoimportance de ces effets poleacutemiques [ieles poleacutemiques anti-stoiumlciennes] Crsquoest le combat interne agrave lrsquoeacutecole peacuteripateacuteticienne contre Boeacutethos quidemeure deacutecisif raquo (M Rashed [2007b] p 140 n 116) Voir aussi p 326-327 laquo en parlant de Boeacutethos etde Platon je nai jamais entendu faire reacutefeacuterence agrave cette dimension culturelle de lrsquoactiviteacute drsquoAlexandre raquo

350 On en a donneacute un exemple ci-dessus sur la Quaestio I 3

390

Les objets de la meacutetaphysique

critegravere de subjectiteacute en Z 3 1028b 36-37 Seulement ce qui sauve Alexandre de lapparente

incoheacuterence est quil naccepte pas agrave un mecircme niveau la description de la substance issue des

Cateacutegories et celle issue de Meacutetaphysique Z LrsquoExeacutegegravete subordonne la premiegravere agrave la seconde

Que le composeacute soit sujet que ce soit lagrave ce qui marque sa substantialiteacute est une donneacutee

immeacutediate de laristoteacutelisme De ce premier point de vue la forme peut se laisser deacutecrire comme

qualiteacute mais ce nest lagrave quun moment de la thegravese geacuteneacuterale On en a un exemple dans le passage

citeacute du De anima 6 2-6 largument des parties de la substance qui ne considegravere la forme comme

substance que dun point de vue deacuteriveacute par rapport au composeacute sert tout de mecircme dindicateur

pour poser la substantialiteacute de la forme Il nest pas deacutefinitif ndash agrave preuve le texte ne sarrecircte pas lagrave

LExeacutegegravete considegravere en effet quon doit aller plus loin et cest sans doute ce agrave quoi selon

lui sappliquent les livres centraux de la Meacutetaphysique on peut remonter agrave la cause de cette

subjectiteacute Comme on la vu dans la Mantissa le composeacute est sujet agrave titre de τόδε τι Or cela lui est

confeacutereacute par sa forme telle est la laquo contribution raquo de la forme au tout du composeacute Lanalyse

parvenue agrave ce point peut alors eacutelever la forme au rang de substance premiegravere La fin du

paragraphe 5 de la Mantissa deacuteplie ce qui se trouve resserreacute dans la formule frappante du De

anima 6 2-4351 Le retournement (laquo μᾶλλον δέ raquo) qui sopegravere dans ce dernier passage dessine le

mouvement qui va des Cateacutegories agrave Meacutetaphysique Z De la substance agrave la forme on passe bien

dune cause de lecirctre agrave lautre Le composeacute substantiel est cause de lecirctre de ses accidents qui sans

lui ne sauraient se maintenir dans lexistence la forme quant agrave elle est cause de lecirctre du

composeacute parce quelle est ce en vertu de quoi il est tel ou tel composeacute mais aussi ce en vertu de

quoi il est substance cest-agrave-dire en ce cas sujet de ses accidents Si agrave notre connaissance aucun

texte alexandrinien ne vient corroborer ici une application du principe de causaliteacute du maximum

il reste que la forme constitue effectivement pour Alexandre une cause eacuteminente et un maximum

decirctre et dintelligibiliteacute352

351 Pour meacutemoire laquo Οὐσία μέντοι ἑκάτερον αὐτῶν Ὡς γὰρ ἡ ὕλη οὕτως δὲ καὶ τὸ φυσικὸν εἶδοςοὐσία Οὐσίαι γὰρ τὰ μέρη τῆς οὐσίας μᾶλλον δέ διότι ἑκάτερον ἐκείνων οὐσία καὶ τὸ ἐξ ἀμφοῖνοὐσία καὶ μία τις φύσις raquo laquo Pourtant chacune des deux est substance De mecircme en effet que lest lamatiegravere de mecircme aussi la forme naturelle est substance car les parties de la substance sont substancesndash ou plutocirct parce que chacune delles est substance ce qui reacutesulte des deux est aussi substance et unecertaine nature unique raquo

352 Cf par exemple Quaestio I 1 4 7sq (mais cest au sein dune discussion sur la cause premiegravere lesrenseignements doivent donc ecirctre pris avec prudence) Cf aussi Quaestio I 15 39 14 sq (mecircmeremarque que preacuteceacutedemment mais ici il est explicitement question des formes donneacutees dans lamatiegravere) DA 88 25 sq In Met 96 23-24 (laquo οὐσία γὰρ κυρίως ἑκάστου τὸ εἶδος καθ ὅ ἐστιν αὐτῷτὸ εἶναι κατὰ τοῦτο δὲ καὶ γνωστὸν ἕκαστον raquo)

391

Les objets de la meacutetaphysique

Cette interpreacutetation se voit confirmeacutee par le commentaire dAlexandre agrave Δ 8353 Celui-ci

peut paraicirctre deacutecevant agrave certains eacutegards parce quassez paraphrastique Il offre neacuteanmoins trois

renseignements cruciaux En premier lieu comme la noteacute M Rashed cest le seul passage du

corpus ougrave Alexandre propose une distinction des sens de laquo εἶδος raquo Dans son commentaire agrave

1017b 21-22354 Alexandre distingue en effet dune part la substance comme forme dans la matiegravere

(laquo ἐνύλου εἴδους raquo 375 3) des eacutetants naturels et dautre part la substance comme quidditeacute des

cateacutegories secondaires (qualiteacute quantiteacute etc) puisqulaquo il ny a pas de quidditeacutes que dans le cas

des substances raquo355 Or seule la premiegravere au titre de cause de lecirctre est substance au sens strict

(laquo κυρίως raquo) On en deacuteduit donc que les autres quidditeacutes le sont en un sens second La preacutecision

lourdement souligneacutee sur les eacutetants laquo naturellement constitueacutes raquo permet par opposition

dinteacutegrer aussi dans ces cas secondaires les eacutetants artificiels dont on a vu que pour Alexandre

leur forme eacutetait une qualiteacute

Cest agrave ce moment que surgit la distinction entre deux sens de εἶδος M Rashed note

quelle arrive assez abruptement sans connecteur logique fort En reacutealiteacute lExeacutegegravete emploie

comme il est courant dans son Commentaire un laquo καὶ raquo adverbial qui propose une autre

interpreacutetation ou comme cest le cas ici une preacutecision suppleacutementaire

Δύναταί τις καὶ τοῦ [37510] εἴδους ὡςπλεοναχῶς λεγομένου ἀκούειν καὶ ἑνὸς μὲνὄντος ὡς αἰτίου τοῦ εἶναι τῷ ἐν ᾧ ἐστιν ὡς ἡψυχή περὶ οὗ εἶπε πρώτου ἄλλου δὲ ὡςαὐτοῦ εἶναι οὗ ἦν αἰτία ἡ ψυχὴ [ἡαἰσθητική]356 ὃ οὐκ ἔστι ταὐτὸν τῇ ψυχῇἐκείνη μέντοι αἰτία τούτου

On peut aussi entendre laquo forme raquo comme sedisant en plusieurs sens en un premier sens commela cause de lecirctre pour ce dans quoi elle est (parexemple lacircme) sens dont il a parleacute en premier maisen un autre sens elle est lecirctre mecircme dont lacircme est lacause qui nest pas identique agrave lacircme bien que celle-cien soit la cause

(375 9-13)

La distinction est inteacuteressante en ce quelle explicite une ambiguiumlteacute qui selon R Brague

353 Sur ce texte voir plus geacuteneacuteralement leacutetude de G Abbate [2009]

354 Aristote Met Δ 8 1017b 21-22 laquo ἔτι τὸ τί ἦν εἶναι οὗ ὁ λόγος ὁρισμός καὶ τοῦτο οὐσία λέγεταιἑκάστου raquo laquo en outre ltest substancegt la quidditeacute dont leacutenonceacute est une deacutefinition et cela est appeleacutesubstance de chaque chose raquo

355 In Met 375 7 laquo οὐ γὰρ μόνον τὸ τί ἦν εἶναι ἐπὶ τῶν οὐσιῶν raquo La reacutefeacuterence sous-jacente est sansdoute ici Met Z 4 1030a 17 sq

356 M Rashed propose latheacutetegravese de cet eacutetrange qualificatif Le passage nest pas commenteacute par Ascleacutepiusqui ne peut donc pas servir de teacutemoin du manuscrit Sepuacutelveda teacutemoigne aussi dune laquo sensualisanima raquo Mais ce qualificatif ne fait sens ni par rapport agrave ce qui preacutecegravede ni par rapport agrave ce qui suitComme le dit M Rashed laquo une fois que lon supprime le terme perceptive introduit sans doute parun hyleacutemorphiste zeacuteleacute qui ne saisissant pas pourquoi ce dont lacircme est cause nest pas identique agravelacircme aurait ainsi tenteacute dintroduire une diffeacuterence au sein de lacircme on comprend peut-ecirctre ladistinction dAlexandre raquo (M Rashed [2007b] p 233)

392

Les objets de la meacutetaphysique

gregraveve eacutegalement la deacutefinition aristoteacutelicienne de lacircme dans le De anima II 1-4 Ces chapitres en

effet donnent agrave voir tour agrave tour lacircme comme la cause de la vie des ecirctres vivants (et donc cause de

lecirctre) et lacircme comme la vie elle-mecircme des vivants357 Il est eacutegalement notable que pour

Alexandre ce qui est substance au sens strict et ce qui est donc forme au sens strict cest le

premier sens la forme donneacutee dans la matiegravere des eacutetants naturels donc en loccurrence lacircme

comme cause de la vie LExeacutegegravete opegravere en fait ici un lien entre le deuxiegraveme sens dοὐσία eacutenonceacute

par le chapitre (la laquo cause de lecirctre laquo ἄλλον δὲ τρόπον ὃ ἂν ᾖ αἴτιον τοῦ εἶναι raquo 1017b 14-15)

qui a eacuteteacute immeacutediatement identifieacute avec la forme substantielle des corps naturels et le quatriegraveme

sens qui renvoie agrave la quidditeacute et la deacutefinition358 Cest bien la fonction causale de la forme qui

assure ici luniteacute au deacuteveloppement comme la suite va le confirmer

Le deuxiegraveme point dinteacuterecirct de ce commentaire reacuteside en effet dans lexplication de la fin

du chapitre lagrave ougrave Aristote regroupe les sens dοὐσία en deux principaux laquo le sujet ultime qui ne

se dit plus agrave propos dautre chose raquo et laquo ce qui eacutetant un ceci peut aussi ecirctre seacutepareacute et telles sont

la figure et la forme de chaque chose raquo359 Alexandre va en reacutealiteacute hieacuterarchiser les deux types de

critegraveres Le premier qui est commun aux Cateacutegories et Meacutetaphysique Z est dans lesprit de

lExeacutegegravete le plus large Il permet de consideacuterer comme substances la substance individuelle agrave

titre de laquo sujet ultime raquo mais aussi la laquo forme premiegravere raquo et la matiegravere car cette derniegravere ne se

preacutedique de rien dautre (laquo κατ οὐδενὸς γὰρ ἡ ὕλη raquo 375 24) Le second critegravere paraicirct en

revanche plus restrictif et nadmet comme substances que lacircme et plus geacuteneacuteralement les formes

naturelles (laquo τὰ φυσικὰ εἴδη raquo 375 27) ou ce qui sen rapproche les constituants qui deacutelimitent

(comme les limites des corps) et la μορφή Alexandre y inclut eacutegalement le quatriegraveme sens

eacutenumeacutereacute par le chapitre la quidditeacute360 Alors que pour le premier sens Alexandre propose trois

candidats tregraves distincts les sens rassembleacutes sous la seconde rubrique convergent vers un mecircme

foyer quon a vu sesquisser plus haut est substance la forme naturelle donneacutee dans la matiegravere et

cause de lecirctre du composeacute

357 R Brague [1988] p 336-342

358 Pour la deacutelimitation nette de ces diffeacuterents sens selon Alexandre voir le deacutecoupage opeacutereacute par WEDooley [1993] p 46-49 Pour le deuxiegraveme sens cf 373 22-25 laquo εἴη δ ἂν λέγων τὰ τῶν φύσεισυνεστώτων εἴδη ταῦτα δέ ἐστι τὰ φυσικὰ καὶ ἔνυλα εἴδη ὁποῖόν ἐστιν ἐν τοῖς ζῴοις ἡ ψυχή διὰγὰρ ταύτην ζῷα καὶ ἐπὶ τῶν φυσικῶν δὲ σωμάτων τὸ εἶδος ἑκάστῳ αἴτιον τοῦ εἶναι ὅ ἐστιν raquo

359 Aristote Met Δ 8 1017b 23-26

360 In Met 375 26-29 laquo ὑφ ὃ πάλιν σημαινόμενον ἥ τε ὡς ψυχὴ οὐσία ὑπάγοιτ ἄν ὡς ἐλέγομεν τὰφυσικὰ εἴδη καὶ ἡ κατὰ τὰ ἐνυπάρχοντά τε καὶ ὁρίζοντα ὡς ἡ κατὰ τὰ τῶν σωμάτων πέρατακατὰ ταῦτα γὰρ ἡ τῶν σωμάτων μορφή ἥ τε κατὰ τὰ σχήματα καὶ ἡ κατὰ τὸ τί ἦν εἶναι raquo

393

Les objets de la meacutetaphysique

Une telle compreacutehension pose alors agrave lExeacutegegravete la difficulteacute de savoir ce que veut dire ici

laquo χωριστὸν raquo sil sattribue agrave la forme LExeacutegegravete explicite il sagit soit de la seacuteparabiliteacute logique

de la forme (laquo ἐπινοίᾳ raquo 375 30) soit sa corruptibiliteacute (laquo χωριζόμενόν τε καὶ φθειρόμενον raquo

375 34-33) Sensuit un deacuteveloppement sur les formes incorruptibles sur lequel nous reviendrons

plus loin et qui teacutemoigne de lextension de lhyleacutemorphisme jusquau supralunaire

Plus inteacuteressant pour notre propos est la reprise agrave la fin du commentaire de la question

du sens de laquo χωριστὸν raquo

Δύναται καὶ ltὃ ἂν τόδε τι ὂν καὶχωριστὸνgt εἰρηκέναι ἐπὶ τῶν εἰδῶν τῶν ἐν τῇοὐσίᾳ λέγων ἀντὶ τοῦ ἐν χωριστῷ μόνονγὰρ τῶν ὄντων χωριστὸν καὶ καθ αὑτὸ ὂν ἡοὐσία ὡς λέγειν αὐτὸν μὴ περὶ παντὸςσημαινομένου τῆς οὐσίας ἀλλὰ τῆς κυρίωςἥτις εἴη ἂν ἐν τοῖς δυσὶ τοῖς προειρημένοις[37610] τῷ τε ἐσχάτῳ ὑποκειμένῳ ὅ ἐστιν ἡὕλη καὶ τῷ ἐν ταύτῃ εἴδει τοιοῦτον γὰρ τὸ ὃἂν τόδε τι ὂν καὶ χωριστὸν ᾖ ὃ γὰρ αἴτιοντοῦ τόδε τι εἶναι τῷ χωριστῷ τοῦτο ἡ κατὰτὸ εἶδος οὐσία

Il est aussi possible quAristote ait parleacute de laquo cequi eacutetant un ceci est aussi seacutepareacute raquo pour le cas desformes dans la substance en disant laquo seacutepareacute raquo agrave laplace de laquo dans le seacutepareacute raquo car seule parmi les eacutetantsla substance est seacutepareacutee et par soi en sorte quil neparle pas lticigt de chaque signification delaquo substance raquo mais de la substance au sens strict quise trouve peut-ecirctre dans le deux sens preacuteceacutedemmentmentionneacutes le sujet ultime cest-agrave-dire la matiegravere etla forme qui se trouve en celle-ci Tel est en effet cequi laquo eacutetant un ceci peut aussi ecirctre seacutepareacute raquo car ce quiest cause du fait decirctre un ceci pour le seacutepareacute celacest la substance formelle

(376 5-12)

La seacuteparation est ici envisageacutee comme lindeacutependance du composeacute lideacutee dune forme

seacutepareacutee eacutetant trop contradictoire avec le fait que pour Alexandre la toute fin du chapitre ne peut

parler que de lἔνυλον εἶδος361 Puis lExeacutegegravete reacutedige une sorte de bilan les deux derniers sens

mentionneacutes par Aristote deacutesignent la substance laquo κυρίως raquo Cependant contrairement aux

apparences les deux sens ne sont pas au au mecircme niveau Le premier le laquo sujet ultime raquo est ici

reacuteduit agrave la matiegravere (comme en Z 3) Le composeacute a disparu comme tel il napparaicirct plus que

comme effet du sens qui est manifestement le plus important pour Alexandre On la compris il

sagit de la forme entendue comme la cause de lecirctre du composeacute comme la cause du fait que en

tant que ceci il est sujet selon le premier sens de ὑποκείμενον distingueacute en Z 13

On retrouve donc notre thegravese de la fin du paragraphe 5 de la Mantissa La forme est la

substance par laquelle il y a une substance premiegravere au sens des Cateacutegories362 Se comprend degraves

lors linsistance tout au long du commentaire du chapitre sur la fonction causale de la forme qui

361 LExeacutegegravete la dit preacuteceacutedemment en 375 34-35 laquo τοιοῦτον γὰρ τὸ ἔνυλον εἶδος πᾶν οὗ μνημονεύειδιὰ τοῦ δευτέρου σημαινομένου τῆς οὐσίας raquo

362 Dans le commentaire agrave Δ 8 Alexandre a dailleurs eacutevoqueacute les Cateacutegories quelques lignes plus haut agravepropos de labsence dans le chapitre des substances secondes cf In Met 376 4-5

394

Les objets de la meacutetaphysique

vient arrecircter la recherche de la substantialiteacute et rend raison des autres sens deacuteriveacutes de

laquo substance raquo Les reacutefeacuterences aux Cateacutegories et agrave Meacutetaphysique Z sintegravegrent ainsi dans un ensemble

coheacuterent Cela assoit par conseacutequent notre interpreacutetation selon laquelle il y a au fond continuiteacute

pour Alexandre entre les deux traitements de la substance

Rectifions toutefois une telle interpreacutetation nest pas non plus fondamentalement

eacuteloigneacutee de ce que soutient ici ou lagrave M Rashed Selon ce dernier par exemple les Cateacutegories lues

par Alexandre deacutecriraient l laquo ecirctre-au-monde des individus raquo selon des laquo critegraveres subjectifs (pour

nous) mais non objectifs (en soi) de la substantialiteacute raquo363 Mais nest-ce pas dire degraves lors

quAlexandre procegravede moins agrave un rejet de lattributivisme de Boeacutethos quagrave son inteacutegration dans

un reacuteseau argumentatif plus pousseacute Il faudrait ainsi comprendre les passages alexandriniens

qui font de la forme une qualiteacute sur le modegravele de ce que selon M Rashed Alexandre fait pour la

diffeacuterence On a vu en effet preacuteceacutedemment que la Quaestio laquo De la diffeacuterence II raquo opeacuterait une

distinction modale entre la diffeacuterence selon quelle est prise avec son genre ou en soi sans

matiegravere Cette distinction modale M Rashed la retrouveacutee dans certains teacutemoignages sur la

chimie alexandrinienne agrave propos des qualiteacutes eacuteleacutementaires364 Selon lAphrodisien en effet ces

derniegraveres quand elles constituent une substance eacuteleacutementaire sont elles-mecircmes substantielles

Elles en sont la forme puisque comme on la vu Alexandre applique le schegraveme hyleacutemorphique

au cas des eacuteleacutements Mais il arrive agrave Alexandre de les traiter litteacuteralement comme des qualiteacutes et

cela correspond au point de vue sous lequel le chaud le froid le sec et lhumide sont conccedilus en

eux-mecircmes selon leur nature et non leur fonction de mecircme que la diffeacuterence prise en soi peut

ecirctre conceptualiseacutee comme une qualiteacute365 Dougrave la conclusion de M Rashed

Il faut conclure qursquoAlexandre pouvait sans gecircne deacutesigner la diffeacuterence soit comme formesoit comme qualiteacute Plus exactement il postulait sans doute que des entiteacutesstructurellement qualitatives sont fonctionnellement substantielles Ainsi que lrsquoa bienreconstitueacute Averroegraves la laquo chaleur raquo dans sa notion indiffeacuterencieacutee est pour Alexandre unequaliteacute comme lrsquoatteste son mode drsquoinheacuterence agrave certaines substances mais dans le cas

363 M Rashed [2007b] p 42 et la thegravese laquo Si cependant [Alexandre] semble parfois sen rapprocher [delattributivisme] pour des raisons qui ne seraient pas simplement didactiques ou poleacutemiques ce nrsquoestpas tant par fideacuteliteacute ou inertie inconsciente que parce qursquoelle-mecircme se rapproche drsquoun aspect delrsquoontologie drsquoAristote raquo

364 Voir pour ce qui suit M Rashed [2007b] p 128-143 Les textes centraux sont Elias In Cat 179 34 ndash 1803 agrave mettre en regard avec une scolie marginale dAmmonius (eacutediteacutee par M Rashed p 131) AverroegravesGrand Commentaire agrave la Physique 215e ndash 216a Theacutemistius In Phys 170 8-19 Voir aussi la tregravesimportante scholie [247] (M Rashed [2011a] p 313) laquo la diffeacuterence quand elle est dite en soi est unequaliteacute tandis que quand elle est coordonneacutee au genre substantiel elle devient une forme raquo

365 Pour les passages qui font de la diffeacuterence une qualiteacute voir par exemple In Top 47 14-23 113 22-27 421 15-18 444 4-7 451 15-18

395

Les objets de la meacutetaphysique

preacutecis du feu cette qualiteacute fait fonctionnellement partie de la forme substantielle366

Cette modalisation de la diffeacuterence deacutemontre leffort inteacutegrateur de lExeacutegegravete ndash et une

certaine subtiliteacute On pourrait ainsi avancer sur le mecircme modegravele que pour Alexandre

lattributivisme est un point de vue temporaire et partiel sur les eacutetants suffisant pour meacutenager

une place pour la forme incorporelle mais seulement provisoire en ce qui concerne la structure

profonde des individus qui se manifestent comme substances Une telle interpreacutetation ne requiert

absolument pas de deacuteniveler le corpus alexandrinien en reacuteputant certaines parties comme

seulement conjoncturelles Les diffeacuterents moments du raisonnement geacuteneacuteral srsquoharmonisent dans

un tout coheacuterent degraves lors quon fait droit agrave sa progressiviteacute

Linterpreacutetation dAlexandre pourrait ainsi se comprendre agrave la maniegravere de ce qua

proposeacute par exemple R Bodeacuteuumls367 Selon ce dernier la divergence entre les Cateacutegories et les livres

centraux de la Meacutetaphysique nest quapparente des ponts se tissent entre les deux textes par

exemple dans le rappel deacutejagrave mentionneacute du critegravere de subjectiteacute logique en Z 3 1028b 36-37 La

diffeacuterence entre les Cateacutegories et les livres centraux reacuteside en ceci que les livres centraux

reprennent poursuivent et approfondissent lenquecircte initieacutee par le traiteacute logique sur la substance

Dans les Cateacutegories la substance est le reacutesultat ultime auquel aboutit la division en genres et

espegraveces le sujet dimputation Mais ce sujet laquo est encore analysable raquo en matiegravere forme et

composeacute ce que selon Bodeacuteuumls preacutesupposaient deacutejagrave les Cateacutegories agrave linstar semble-t-il

dAlexandre368 Certes tandis que lExeacutegegravete reconnaicirct la matiegravere et les formes dans les laquo parties raquo

de la substance que mentionnent les Cateacutegories (par exemple en Cat 2 1a 24-25) Bodeacuteuumls quant agrave

lui selon une interpreacutetation courante et tregraves plausible y lit un renvoi aux diffeacuterents organes

parties du corps Mais il retrouve une eacutevocation de lhyleacutemorphisme dans la mention de lacircme et

du corps en Cat 2 1a 21-28

Les deux interpregravetes chacun agrave leur maniegravere trament donc un lien entre les Cateacutegories et

Meacutetaphysique Z via lhyleacutemorphisme Et si la Meacutetaphysique nappelle pas substances premiegraveres les

composeacutes elle reconnaicirct cependant agrave deux reprises cruciales en Z 2 et H 1 que les corps les

animaux et leurs parties sont laquo manifestement raquo des substances sur lesquelles en premier lieu

366 M Rashed [2007b] p 139

367 R Bodeacuteuumls [2005]

368 R Bodeacuteuumls [2005] p 133-135 Les trois sens sont bien sucircr une reacutefeacuterence agrave Met Z 3 1029a 1-3 Pour leslaquo parties raquo qui sont aussi substances cf 3a 29-32 8a 18-19 8a 26-27 8b 15-21 Sur ce point voir aussiM Rashed [2007b] p 43

396

Les objets de la meacutetaphysique

tout le monde laquo saccorde raquo369 Les Cateacutegories comprises en ce sens deacutecrivent donc des faits les

laquo pheacutenomegravenes qui paraissent ecirctre substances raquo tandis que la Meacutetaphysique laquo sur la base des

mecircmes pheacutenomegravenes des mecircmes faits sinterroge en plus sur leur pourquoi et tente ainsi une

explication scientifique de la substance raquo370

Une telle interpreacutetation permet de surcroicirct de comprendre le rocircle quAlexandre confegravere

aux Cateacutegories agrave la page 245 du Commentaire agrave la Meacutetaphysique Selon ce passage laquo appartient agrave la

philosophie premiegravere la division de leacutetant en genres quAristote lui-mecircme a effectueacutee dans les

Cateacutegories raquo371 Les Cateacutegories posent ce qui sera fondeacute dans le travail authentiquement scientifique

du philosophe premier et il en irait de mecircme pour le traitement de la substance Pour Alexandre

non seulement la Meacutetaphysique eacutetablit la fonction causale des substances premiegraveres (au sens des

Cateacutegories mais aussi au sens laquo platonicien raquo de Δ 11) par rapport agrave leurs attributs mais elle

remonte en outre la seacuterie des causes selon un schegraveme typique de lExeacutegegravete Les livres centraux

assument ainsi le projet dune enquecircte sur les principes de la substance qui sont en un sens

principes de tous les eacutetants puisque la substance composeacutee est la cause de leur ecirctre372 et eacutetablit

principalement la forme au rang de substance par excellence et de cause de la substantialiteacute des

substances composeacutees

De leacutetant en tant queacutetant agrave la substance de la substance composeacutee agrave sa forme le chemin

se fait donc gracircce au concept de cause et mecircme plus preacuteciseacutement de laquo cause de lecirctre raquo quoique

ce ne soit pas au mecircme sens Luniteacute articuleacutee et la progression de la Meacutetaphysique sont assureacutees et

coheacuterentes cest la mecircme science poursuivant le mecircme objectif qui doit enquecircter sur leacutetant en

tant queacutetant la substance et la forme Il reste donc agrave voir comment lenquecircte theacuteologique vient

couronner cet ensemble ou en dautres termes comment leacutetude de la forme substantielle exige

de remonter agrave la substance premiegravere qui est aussi forme premiegravere

369 Cf Met Z 2 1028b 8-10 (laquo Δοκεῖ δ ἡ οὐσία ὑπάρχειν φανερώτατα μὲν τοῖς σώμασιν raquo) et H 11042a 6-11 (laquo οὐσίαι δὲ αἱ μὲν ὁμολογούμεναί εἰσιν ὑπὸ πάντων raquo) R Bodeacuteuumls [2005] p 135-136

370 R Bodeacuteuumls [2005] p 138

371 In Met 245 34-35 laquo τῆς πρώτης φιλοσοφίας ἡ εἰς τὰ γένη τοῦ ὄντος διαίρεσις ὃ πεποίηκεν αὐτὸςἐν ταῖς Κατηγορίαις raquo Cf ci-dessus sect 242a texte 1

372 Par exemple en In Met 137 7-14

397

Les objets de la meacutetaphysique

33 La fin de lenquecircte la theacuteologie

Parvenus agrave la derniegravere eacutetape de lenquecircte meacutetaphysique il sera ici question de

larticulation interne de la science via son faicircte de la maniegravere dont ce dernier programme deacutetude

ndash la theacuteologie373 ndash vient parachever et clore les programmes preacuteceacutedents Il ne sagit plus de savoir

comment les enquecirctes sur leacutetant en tant queacutetant et la substance maintiennent leur leacutegitimiteacute tout

en relevant de la mecircme science On a tenteacute de montrer ci-dessus que la meacutetaphysique ne se reacutesout

pas dans lousiologie ni a fortiori dans la theacuteologie mais que leacutetude de leacutetant en tant queacutetant

conduit agrave leacutetude de la substance enquecirctes relevant toutes deux de la mecircme science Cest de fait

lontologie qui reacutevegravele que la substance est cause de lecirctre des autres eacutetants de mecircme que

lousiologie deacutemontre que la forme est cause de lecirctre des substances Conformeacutement aux

commentaires des livres A α et Γ on attend alors de la theacuteologie ndash cest-agrave-dire de la science des

substances premiegraveres incorruptibles et eacuteternelles qui sont au plus haut point et dont tout le reste

deacutepend374 ndash quelle offre un point darrecirct agrave la reacutegression des causes Comment cet arrecirct se justifie-

t-il et sopegravere-t-il dans la recherche Tel sera notre angle pour aborder les hauteurs agrave la fois

vastes et escarpeacutees de la theacuteologie La theacuteologie alexandrinienne se trouve agrave la croiseacutee de

questions qui exigeraient un deacuteveloppement dune envergure telle quon ne pourra en tracer ici

que les lineacuteaments Deux raisons principales expliquent lampleur de ce champ deacutetude

Dune part une eacutetude exhaustive de la theacuteologie dAlexandre demanderait un important

travail de contextualisation La theacuteologie qui agrave elle seule forme deacutejagrave un champ florissant agrave

leacutepoque post-helleacutenistique entrelace noeacutetique et cosmologie deux autres domaines tregraves

373 Comme on sait le nom laquo theacuteologie raquo est rarement employeacute par lExeacutegegravete cf ci-dessus sect 122b Onparlera ici de theacuteologie au sens de la laquo science theacuteologique raquo qui porte sur les substances premiegraveres etqui constitue lun des programmes de la meacutetaphysique Sur la theacuteologie comme science du divin etleacutecart dAlexandre dans son interpreacutetation dA 2 983a 2-10 cf In Met 18 9 et RW Sharples [2002a]p 32

374 Cf par exemple In Met 266 4-5 laquo περὶ τοῦ μάλιστα καὶ πρώτου τῶν ὄντων raquo 266 9-10 laquo ἥ τε γὰρπερὶ τῶν πρώτων οὐσιῶν θεωροῦσα καὶ περὶ τῶν ἄλλων πάντων θεωρεῖ οἷς ἐκ τούτων ἤρτηται τὸεἶναι raquo

398

Les objets de la meacutetaphysique

travailleacutes par les auteurs (et le second tout particuliegraverement) dans toutes les eacutecoles et en dehors

delles Le De mundo quAlexandre tient sans doute pour authentique est par exemple lun des

ouvrages aristoteacuteliciens les plus diffuseacutes375 Il faudrait aussi tenir compte des avanceacutees de la

cosmologie post-helleacutenistique (la remise en question du modegravele homocentrique par le modegravele

eacutepicyclique) qui viennent eacutebranler lautoriteacute dAristote et placer les peacuteripateacuteticiens dans une

position inconfortable ndash et donc palpitante376

Dautre part les textes dAlexandre agrave ce sujet meacuteriteraient agrave la fois une analyse interne et

une comparaison systeacutematique Le De principiis en particulier attend encore une eacutedition

complegravete et une traduction qui propose une interpreacutetation de larticulation du traiteacute377 De mecircme

pour les teacutemoignages quAverroegraves donne du commentaire alexandrinien agrave Λ Mais il faudrait de

surcroicirct repeacuterer de maniegravere systeacutematique les convergences et les divergences entre ces textes en y

ajoutant notamment certaines Quaestiones le De anima les teacutemoignages de Simplicius etc Ainsi

disperseacutees les positions dAlexandre ne semblent pas toujours extrecircmement stabiliseacutees

Cependant puisque cest luniteacute de la meacutetaphysique alexandrinienne qui fait notre objet

il sagit de consideacuterer la theacuteologie non pas comme telle mais en tant que partie ou programme

de la meacutetaphysique Nous sommes degraves lors fondeacutes agrave conduire plus syntheacutetiquement

linvestigation en ciblant notre propos sur la maniegravere dont la theacuteologie achegraveve la meacutetaphysique

375 Il est par exemple reproduit dans Stobeacutee paraphraseacute en latin par Apuleacutee etc Cf HB Gottschalk[1987] p 1132-1139

376 Voir agrave ce sujet RW Sharples [2002a] lensemble du volume (D Frede A Laks [2002]) fournit depreacutecieuses indications sur ce contexte Voir aussi les textes rassembleacutes dans RW Sharples [2010] enparticulier p 180-195 sur lrsquoastronomie et les contribution de Sosigegravene et Adraste dAphrodise et p 196-210 agrave propos de la providence Cf R Sorabji [2007]

377 Le De principiis (ou Mabādi al-kull) a eacuteteacute dabord eacutediteacute par A Badawi en 1947 et traduit dans A Badawi[1987] p 135-153 Badawi sest fondeacute sur une version incomplegravete du texte dans le manuscrit de Damasqui comporte en outre parfois des absurditeacutes (un corps spheacuterique laquo peacuterissable raquo par exemple)C Genequand a proposeacute une eacutedition comblant ces lacunes (C Genequand [2001]) qui repreacutesentemalgreacute tout un progregraves indeacuteniable par rapport agrave celle de Badawi Toutefois la traduction ne se fondeque sur une tradition celle que Genequand appelle laquo Texte A raquo en laissant complegravetement de cocircteacute leTexte B (eacutediteacute mais non traduit) et sans proposer une comparaison de ces deux versions ni entre ellesni avec le texte syriaque quon suppose plus proche de loriginal En outre le texte traduit parGenequand est tregraves peu articuleacute et ne met pas en valeur les eacutetapes du raisonnement alexandrinienEnfin on regrettera la tentative de populariser le titre laquo On the cosmos raquo titre qui fait perdre laccentporteacute sur les principes S Fazzo suppose que loriginal grec devait comporter laquo Περὶ ἀρχῶν raquo nouspourrions ajouter que cela inscrivait le traiteacute alexandrinien dans la ligne de ladite laquo Meacutetaphysique raquo deTheacuteophraste (pour le titre de lopuscule de Theacuteophraste cf D Gutas [2010] p 9 sq) Ces critiques surleacutedition de Genequand (qui demeure un outil indispensable pour lalexandrinien non arabisant) onteacuteteacute souligneacutees par R Brague [2002] J McGinnis [2004] S Fazzo [2008a] p 612-613 Dans ce qui suitles reacutefeacuterences au De principiis se feront toutefois par commoditeacute en fonction des uniteacutes (sect) deacutecoupeacuteespar C Genequand [2001]

399

Les objets de la meacutetaphysique

Afin de comprendre comment leacutetude sur la substance premiegravere exige un traitement speacutecifique

qui accomplit le projet initial dune enquecircte universelle sur leacutetant en tant queacutetant il faudra degraves

lors reacutepondre agrave deux questions lune sur la nature et le nombre de la (ou des) substance(s)

premiegravere(s) lautre sur la relation entre la substance premiegravere et le reste des substances Cette

double enquecircte doit prendre en compte les aspects agrave la fois noeacutetiques et cosmologiques de la

conception alexandrinienne du laquo dieu raquo La theacuteologie nous donnera ainsi agrave lire une derniegravere

confirmation ndash mais non la moindre ndash de lusage transversal du principe de causaliteacute du

maximum Elle offrira en outre une ultime justification de luniteacute de la meacutetaphysique La

theacuteologie repreacutesente un point maximal dunification analogue dans lordre du savoir agrave ce que le

premier moteur reacutealise dans lordre de lecirctre luniteacute et la fondation du monde en un

laquo systegraveme raquo378

331 Extension de lhyleacutemorphisme ndash 2 la noeacutetique

a) Concepts fondamentaux de la noeacutetique alexandrinienne

Apregraves avoir montreacute quAlexandre polarise le sensible degraves ses niveaux les plus

eacuteleacutementaires par le schegraveme hyleacutemorphique il convient de souligner combien cette extension se

poursuit jusquaux niveaux les plus eacuteleveacutes de leacutechelle de leacutetant Que le premier moteur soit une

forme est une thegravese massive de lExeacutegegravete379 Cette thegravese saffirme au premier chef dans sa

noeacutetique Elle est commandeacutee par lensemble des concepts que lAphrodisien met en jeu pour

construire lideacutee dintellect agent divin rappelons-en donc scheacutematiquement les eacutetapes

principales

Lhomme est un animal mortel rationnel Sa forme qui est sa diffeacuterence speacutecifique est son

378 Nous empruntons lexpression de laquo systegraveme du monde raquo agrave M Rashed [2007b] p 319 qui parle aussidlaquo ontologie close raquo

379 On complegravete ici les indications seulement esquisseacutees dans G Guyomarch [2008]

400

Les objets de la meacutetaphysique

acircme rationnelle380 cest-agrave-dire son intellect dans son double usage pratique et theacuteoreacutetique381 Or agrave

titre de fondement de la diffeacuterence speacutecifique lintellect doit ecirctre agrave la fois inneacute et acquis inneacute ou

naturel382 parce quil ny a geacuteneacuteralement pas dhomme sans intellect acquis parce que lhomme

est libre quil peut manquer sa propre nature et que manifestement tous les hommes

nactualisent pas leur faculteacute de penser au mecircme degreacute383 Dans la section noeacutetique de son De

anima lobjectif dAlexandre est de concevoir une naturaliteacute de notre faculteacute de penser sans

rendre sa reacutealisation meacutecanique agrave la maniegravere stoiumlcienne384

Comme il est connu la solution dAlexandre consiste agrave distinguer diffeacuterents degreacutes de

lintellect Lintellect en puissance et mateacuteriel est inneacute et preacutesent chez tous les hommes ndash sauf chez

les infirmes385 Il est donc bien laquo naturel raquo au sens du laquo ὡς ἐπί τὸ πολύ raquo Il est comparable agrave la

matiegravere car nest rien dautre que notre laquo aptitude agrave accueillir les formes raquo386 Il est la simple

possibiliteacute de la rationaliteacute387 labsence de forme en nous qui rend possible lintellection de toute

forme non pas comme une tablette vierge mais comme lecirctre-vierge de la tablette388 Il est de ce

fait impassible ndash il ny a pas dintellect laquo παθητικὸς raquo chez Alexandre389 Le second degreacute de

380 DA 80 20-24 laquo ἔστιν δὲ παρὰ ταύτας τε καὶ ἐπὶ ταύταις δύναμίς τις ψυχῆς καὶ ἡ λογική [] ἣνἄνθρωπος ἐξαίρετον ἔχων παρὰ τἆλλα ζῷα τιμιώτερόν τέ ἐστι ζῷον καὶ τελειότερον καθ ἣνδύναμιν καὶ λογικὸς καλεῖται raquo

381 DA 80 24 ndash 81 13

382 Cf DA 81 26-27 justifiant la qualification de laquo naturel raquo pour lintellect mateacuteriel par laffirmation quilse trouve en tous ou presque

383 DA 81 27-28 (sur les laquo plus doueacutes raquo et les laquo moins doueacutes raquo) et 82 9 sq Cf Aristote EN III 7 1114 b 6 sqpour cette ideacutee que certains sont εὐφυὴς ou dεὐφυΐα Laristocratisme eacutethique est ainsi transposeacute auniveau intellectuel Tout ce traitement de lintellect est dailleurs traverseacute par une analogie plus oumoins explicite avec lacquisition de la vertu dans une tradition exeacutegeacutetique dont teacutemoigne la parenteacutelexicale avec le commentaire dAspasius agrave lEN Comparer Aspasius In EthNic 38 10-22 De fatosect XXVII et ces passages du DA

384 Pour les stoiumlciens la partie rationnelle se deacuteveloppe naturellement en lhomme et sajoutenaturellement agrave limpulsion dont elle est comme lartisan Cf par exemple LS 57A La fin du Deintellectu dAlexandre nous porte dailleurs agrave croire que lopinion courante chez certains peacuteripateacuteticienseacutetait assez proche de la doctrine stoiumlcienne (De intellectu 113 16-18) Alexandre dit en effet quil lui estneacutecessaire de sopposer agrave lopinion selon laquelle laquo le fait de penser ne deacutependrait pas de nous ni neserait notre œuvre propre raquo mais quil surviendrait en nous degraves notre naissance

385 DA 81 26-27 82 12 On peut se demander si laffirmation de la quasi universaliteacute de lintellect mateacuterielne vient pas dune analogie entre genre et matiegravere et la reacutefeacuterence agrave DA II 5 417a 25 sq

386 DA 84 24-25 laquo ἐπιτηδειότης τις [] πρὸς τὴν τῶν εἰδῶν ὑποδοχὴν raquo

387 En vertu de leacutequation selon laquelle ecirctre rationnel cest posseacuteder lintellect

388 Cf DA 84 24 ndash 85 1

389 Le terme ne se trouve jamais appliqueacute agrave lintellect dans le DA Dans le De intellectu il apparaicirctneacutegativement en 111 2-3 laquo οὐ γὰρ παθητικὸς ὁ νοῦς τῇ αὑτοῦ φύσει ὡς ὑπὸ ἄλλου γίνεσθαι καὶπάσχειν καθάπερ ἡ αἴσθησις raquo laquo en effet par sa nature lintellect nest pas passif au sens ougrave il

401

Les objets de la meacutetaphysique

lintellect est celui qui laquo survient en plus raquo et est en ce sens seacutepareacute (ou seacuteparable) de notre acircme390

Cest lintellect laquo ὡς ἕξις raquo laquo comme disposition acquise raquo laquo comme compeacutetence raquo ou laquo en

habitus raquo Seuls le possegravedent les laquo zeacuteleacutes raquo391 les hommes eacuteduqueacutes qui ont fait leffort dactualiser

leur capaciteacute agrave penser Ce niveau dintellect affirme Alexandre est lintellect commun (laquo κοινὸς

νοῦς raquo) parce que le plus reacutepandu chez les hommes392 Lintellect en acte enfin est lintellect laquo ὡς

ἕξις raquo en tant quil pense effectivement une forme agrave part de la matiegravere

Il est inutile dentrer ici dans la difficile question de savoir comment se produit

exactement le passage de lintellect mateacuteriel agrave lintellect comme disposition acquise et ce qui

accomplit ce passage393 Contentons-nous de rappeler quagrave travers une double reacutefeacuterence agrave

Meacutetaphysique A 1 et Seconds Analytiques II 19 Alexandre deacutecrit lactualisation de lintellect

mateacuteriel selon le mouvement de linduction Cest par la sensation la meacutemoire et lexpeacuterience que

changerait et serait affecteacute sous leffet dautre chose comme lest la sensation raquo Cf aussi 111 14

390 En effet en 81 13-20 agrave propos de lintellect lExeacutegegravete deacutecrit clairement ce qui est inneacute comme eacutetantlaquo inseacuteparable de celui qui le possegravede raquo [ἀχώριστα τοῦ ἔχοντος] par opposition agrave ce qui laquo survient enplus raquo [προσγίνεται] Lenjeu exeacutegeacutetique est probablement de rendre raison des formulations connuesqui dans le De anima dAristote semblent tirer la noeacutetique en sens contradictoires lintellect estqualifieacute de seacutepareacute mais semble aussi en III 4 appartenir agrave lacircme (laquo ὁ ἄρα καλούμενος τῆς ψυχῆςνοῦς raquo 429a 22) chapitre qui souvre dailleurs en annonccedilant leacutetude dune partie de lacircme (laquo Περὶ δὲτοῦ μορίου τοῦ τῆς ψυχῆς ᾧ γινώσκει τε ἡ ψυχὴ καὶ φρονεῖ raquo) Reacuteponse dAlexandre lintellectmateacuteriel est inseacuteparable de lacircme non pas son actualisation en intellect comme ἕξις

391 DA 82 10-11 laquo διὸ τοῦτον τὸν νοῦν λέγομεν οὐ πάντας ἔχειν ἔτι ἀλλὰ μόνου τοῦ σπουδαίου τὸνοῦν ἔχειν κατηγοροῦμεν raquo laquo Cest pour cela que nous disons que tous nont pas encore cet intellectmais que nous attribuons le fait de posseacuteder lintellect seulement agrave lhomme zeacuteleacute raquo

392 Le passage semble reacutefeacuterer agrave une tradition (cf laquo καλούμενος raquo en 82 14-15 laquo οὗτός ἐστι κυριώτερον ὁκοινὸς νοῦς καλούμενος ἡ δὲ ἐπὶ πλέον ἐξεργασία κατ αὐτὸν γίνεται τὸν εἰρημένον τρόπον raquo laquo Celui-lagrave est plus proprement appeleacute intellect commun son deacuteveloppement se produisant pour laplus grande part de la faccedilon que nous avons dite raquo) Une question est de savoir qui donc parle ainsidintellect commun M Bergeron et R Dufour font lhypothegravese quil sagit dAristote lui-mecircme parceque Theacutemistius lui-mecircme en parle (M Bergeron R Dufour [2008] p 337) Toutefois comme le notenteux-mecircmes M Bergeron et R Dufour lexpression se laisse tout de mecircme difficilement deacuteriver ducorpus mecircme du DA I 4 408b 28-29 En revanche on trouve exactement cette expression chez Eacutepictegravete(Entretiens III 6 8 laquo κοινὸς νοῦς καλεῖται raquo) Le stoiumlcien compare cet intellect commun agrave louiumle etdistingue entre louiumle commune qui perccediloit les sons et celle qui perccediloit les paroles et nest pluscommune mais laquo apprise raquo laquo technique raquo (laquo οὐκέτι κοινή ἀλλὰ τεχνική raquo) Quant agrave lintellect Eacutepictegraveterajoute il y a des choses que tous les hommes voient sils nont pas lesprit totalement tordu ndash on songeaux laquo infirmes raquo dAlexandre Le texte se reacutefegravere en outre agrave la formation laquo naturelle raquo inductive desnotions communes et des preacuteconceptions doctrine courante dans le stoiumlcisme Cela conviendrait aussiau contexte dAlexandre qui mentionne que la formation de cet intellect commun est due agrave lalaquo connaissance par synthegravese raquo (laquo κατὰ σύνθεσιν γνῶσίν τινων raquo 82 13) Contrairement agrave ce quesoutiennent M Bergeron et R Dufour qui renvoient agrave Aristote DA III 6 430a 27 sq il ne peut sagir enfait ici que de linduction (voir la reprise du mot laquo σύνθεσιν raquo en 83 12)

393 Question qui agite les interpregravetes depuis P Moraux [1942] jusque BC Bazan [1973] P Accattino et PDonini [1996] ou M Tuominen [2010]

402

Les objets de la meacutetaphysique

la saisie de luniversel cest-agrave-dire labstraction de la forme devient possible394 La difficulteacute est

que certains passages du De anima semblent octroyer agrave lintellect mateacuteriel la capaciteacute de saisir les

formes agrave part de la matiegravere afin de construire cette reacuteserve de concepts que constitue lintellect

comme disposition acquise alors que lintellect mateacuteriel a eacuteteacute caracteacuteriseacute comme une possibiliteacute

de recevoir395 La difficulteacute vient donc de ce quil semble impossible que lintellect mateacuteriel soit en

acte de quelque maniegravere Cest ici la raison mecircme de cette difficulteacute qui nous inteacuteresse plus que la

difficulteacute elle-mecircme

De fait celle-ci provient de ce que pour forger sa distinction entre les intellects mateacuteriel

comme disposition acquise et en acte Alexandre reprend la theacuteorie des trois degreacutes de la

puissance et de lacte La chose a deacutejagrave eacuteteacute remarqueacutee et mise au compte des systeacutematisations

conceptuelles freacutequentes chez lExeacutegegravete Lintellect mateacuteriel se situe ainsi au premier degreacute dans

la Dreistufenlehre la puissance en son premier sens qui dans lanalogie eacutelaboreacutee par le Stagirite II

5 417 a 21-b 2 correspond agrave lignorance Lintellect comme ἕξις est le second sens de la puissance

qui est aussi acte au sens premier Alexandre reprend lanalogie aristoteacutelicienne

Ὅταν γὰρ ἐν ἕξει γένηται διὰ τὰςσυνεχεῖς ἐνεργείας τοιαύτῃ ὡς δι αὑτοῦλοιπὸν ἐνεργεῖν δύνασθαι τότε ὁ ὡς ἕξις[861] καλούμενος νοῦς γίνεται ἀνάλογονὢν τῷ ἐπιστήμονι ὃς τοῦ τε κατὰ δύναμιν

En effet chaque fois que lintellect accegravede agrave unetelle disposition par des activiteacutes continues au pointquil peut ensuite de lui-mecircme396 sactualiser alors ildevient ce quon appelle laquo intellect commedisposition raquo Il est analogue au savant qui tient le

394 Cela est deacutecrit en DA 83 2-13 et 85 21-25 Pour lidentiteacute de la saisie de luniversel et de la saisie de laforme agrave part de sa matiegravere cf 85 14-16 laquo ὅ τε γὰρ τὸ εἶδός τινος χωρὶς τῆς ὕλης λαβὼν ἔχει τὸκοινόν τε καὶ καθόλου (ὁ γὰρ τὸ εἶδος τοῦ ἀνθρώπου λαβὼν χωρὶς τῶν ὑλικῶν περιστάσεων ἔχειτὸν κοινὸν ἄνθρωπον raquo laquo En effet celui qui saisit la forme agrave part de sa matiegravere obtient lecommun et luniversel (car celui qui saisit la forme de lhomme agrave part de ses circonstancesmateacuterielles obtient lhomme commun raquo

395 Voir en particulier DA 85 10 ndash 86 6 Dans ce texte en effet il semble que ce soit lintellect qui soit ditrecevoir ou saisir (λαμβάνειν) les formes ce qui revient agrave les seacuteparer de sa matiegravere (cf aussi DA 8419-21) Degraves lors il semblerait que lintellect mateacuteriel soit responsable dune premiegravere saisie (cflaquo λαμβάνοντος raquo 85 22 voir aussi 85 29 et 86 16) de la forme ou de luniversel De cette opeacuterationnaicirctrait lintellect en habitus Or lintellect mateacuteriel a eacuteteacute explicitement conccedilu comme une purelaquo aptitude raquo reacuteceptive non pas mecircme une tablette vierge mais le caractegravere vierge de cette tabletteComme le dit P Moraux cest comme si dans lanalogie entre la tablette vierge et lintellect mateacuteriel latablette elle-mecircme se couvrait deacutecriture (P Moraux [1942] p 75) P Moraux va ainsi qualifier cettethegravese de laquo la plus grave heacutereacutesie qui puisse sortir de la bouche dun aristoteacutelicien raquo (P Moraux [1942] p173) Cette difficulteacute ne nous paraicirct pas insoluble il faut toutefois se garder de la simplifier en lareacuteduisant agrave la question dune passiviteacute ou activiteacute de lintellect mateacuteriel ndash comme on sait laquo λαμβάνειν raquopeut ecirctre traduit selon les deux sens La difficulteacute ne tient pas tant agrave la nature active ou passive de cettesaisie mais agrave ce quune telle saisie suppose que lintellect mateacuteriel soit quelque chose de plus quunepure puissance au premier sens du terme (selon les distinctions du DA II 5 dAristote)

396 On corrige le laquo διἀυτοῦ raquo de Bruns en laquo διαὑτοῦ raquo comme le font les traducteurs italiens et franccedilaisCf le laquo ἑαυτοῦ raquo du Ps-Alexandre In Met 697 24-25

403

Les objets de la meacutetaphysique

ἐπιστήμονος λεγομένου καὶ τοῦ κατἐπιστήμην ἐνεργοῦντός ἐστι μεταξύ ὅσονἀπολείπεσθαι δοκεῖ τοῦ κατὰ τὴν ἐπιστήμηνἐνεργοῦντος τοσοῦτον πλεονεκτεῖ τὸν κατὰδύναμιν ἐπιστήμονα ἐνεργοῦσα δὲ ἥδε[865] ἡ ἕξις ὁ κατ ἐνέργειαν γίνεται νοῦς ὁγὰρ κατὰ ἕξιν νοῦς ἀποκείμενά πώς ἐστινἀθρόα καὶ ἠρεμοῦντα τὰ νοήματα

milieu entre celui quon dit savant laquo en puissance raquo etle savant en acte397 et il semble autant deacutepasseacute par lesavant en acte quil ne lemporte398 sur le savant enpuissance Et lorsquelle passe agrave lacte cettedisposition devient lintellect en acte car lintellect entant que disposition est en un sens les penseacuteesrassembleacutees mises en reacuteserve399 et au repos

(De anima 85 25 ndash 86 2)

Ce qui a eacuteteacute moins souligneacute est la reformulation de cette doctrine de la puissance et de

lacte dans le schegraveme hyleacutemorphique400 Par exemple

Ὁ δὲ ἐπίκτητός τε καὶ ὕστερονἐγγινόμενος καὶ εἶδος καὶ ἕξις ὢν καὶτελειότης τοῦ φυσικοῦ οὐκέτ ἐν πᾶσινἀλλἐν τοῖς ἀσκήσασίν τε καὶ μαθοῦσιν ὃντρόπον καὶ ἐπὶ τῶν ἐπιστημῶν ἔχει

En revanche le second intellect est acquis etsurvient ulteacuterieurement401 et comme il est une formeune disposition et une perfection de lintellect naturelon ne le trouve plus en tous mais en ceux qui sy sontexerceacutes et ont appris agrave la faccedilon dont il en va aussipour les sciences

(82 1-3)

Καὶ τοιοῦτος μὲν ὁ ὑλικὸς νοῦς ὁ δὲ ὡςἕξις λεγόμενος εἶδός ἐστι καὶ δύναμις καὶτελειότης τούτου

Et tel est lintellect mateacuteriel quant agrave celui quondit laquo comme une disposition raquo il est une forme unepuissance402 et une perfection du premier

(85 10-11)

Le caractegravere fonctionnel du schegraveme hyleacutemorphique joue ici agrave plein lintellect en habitus

est donneacute comme la laquo forme raquo de lintellect mateacuteriel Le fait geacuteneacuteral se perccediloit degraves la description

de lintellect mateacuteriel non pas tant en terme de puissance quagrave travers des concepts qui servent

ailleurs agrave lExeacutegegravete pour expliciter la nature de la matiegravere403 Lintellect comme laquo ἕξις raquo dit alors la

397 Litteacuteralement laquo celui qui sactualise selon son savoir raquo

398 Correction du laquo πλεονεκτῶν raquo de Bruns en laquo πλεονεκτεῖ raquo cf Ps-Alexandre In Met 697 l37

399 Cf par exemple Plutarque Des Comm Not 1085a 9-b 1 laquo τὰς ἐννοίας ltἐνgt αποκειμένας τινὰςὁριζόμενοι νοήσεις μνήμας δὲ μονίμους καὶ σχετικὰς τυπώσεις raquo

400 Cette hypothegravese a eacuteteacute eacutegalement deacuteveloppeacutee lors dun colloque agrave Paris sur la meacutetaphysique delExeacutegegravete en juin 2012 par C Cerami que nous remercions pour les discussions agrave ce sujet

401 Bruns propose agrave partir de la version heacutebraiumlque laquo der in uns der Genossenschaft der Menschen entsteht raquo On peut en effet supposer que quelque chose se soit perdu entre le ἐγ- et le ndashγινόμενος

402 Latheacutetegravese de laquo δύναμις raquo par Freudenthal et Bruns est probablement inutile Il faut entendre iciδύναμις au sens second Pour ce double sens chez Alexandre cf DA 16 8 86 1-20 90 16 Cf aussi lepassage parallegravele dans le Ps-Alexandre In Met 697 18-39

403 Comparer par exemple DA 81 13-14 (laquo γίνεται δὲ ὁ ἄνθρωπος οὐκ εὐθὺς ἔχων τήνδε τὴν ἕξιν ἀλλἔχων μὲν δύναμιν καὶ ἐπιτηδειότητα τοῦ δέξασθαι αὐτήν raquo) et sur la matiegravere la Quaestio I 10 2033 Voir aussi les fragments arabes du commentaire au De generatione et corruptione (E Gannageacute [2005])et la discussion meneacutee aussi par E Gannageacute [2002] Que lintellect mateacuteriel ne soit pas laquo mateacuteriel raquo ausens strict est eacutevident agrave partir de DA 84 26-27 et surtout du De intellectu 106 20-23 laquo ὑλικὸν δὲ λέγω

404

Les objets de la meacutetaphysique

forme qui laquo survient raquo dans cette matiegravere et preacutesente un premier perfectionnement de lhomme

cette perfection la plus courante de lhomme commun qui nest ni sage ni handicapeacute Le concept

de laquo τελειότης raquo retranscrit lideacutee dactualisation dans lorbe hyleacutemorphique comme si Alexandre

se faisait fort de ne pas employer laquo enteacuteleacutechie raquo404 Contrairement agrave ce que dit M Rashed

laquo τελειότης raquo nintervient donc pas laquo toujours raquo pour deacutesigner le second degreacute de la forme ie la

forme pleinement reacutealiseacutee telle quelle correspond au dernier degreacute de lenteacuteleacutechie405 mecircme si

Alexandre emploie aussi le terme agrave ce niveau Ainsi dans la Quaestio III 2 par exemple sur la

Dreistufenlehre aristoteacutelicienne Alexandre reprend-il lideacutee que ce passage de lacte 1 agrave lacte 2 est

un laquo progregraves vers soi-mecircme raquo et commente en disant que lintellect en acte est lui aussi une

laquo perfection raquo de lintellect en habitus406 De ce point de vue lhomme na donc pas laquo trois

intellects raquo Lintellect en acte est lintellect en habitus reacutealiseacute parvenu au terme de sa perfection

La doctrine des trois degreacutes (ou eacutetats) de lintellect exemplifie ainsi la distinction

alexandrinienne pointeacutee par M Rashed entre deux eacutetat de la forme ndash sauf que la noeacutetique prend

eacutegalement en compte un analogue de la matiegravere Il faut pour Alexandre diffeacuterencier la forme

seulement laquo posseacutedeacutee raquo par le composeacute de la forme pleinement actualiseacutee Pour reprendre un

exemple alexandrinien tel est ce qui seacutepare lhomme sans vertu (qui est tout de mecircme un

homme) de lhomme vertueux qui a atteint la perfection et le sommet de sa nature407 Cette

distinction entre deux eacutetats de la forme a dailleurs eacuteteacute preacutepareacutee depuis le deacutebut du De anima

avec par exemple pour les corps simples leacutecart instaureacute entre la forme comme puissance (la

puissance qua la terre daller vers le bas par exemple) et la perfection de cette puissance qui est

proprement ἐνέργεια Le premier degreacute est lui aussi une perfection mais une perfection de la

matiegravere de mecircme que lintellect en habitus est une laquo perfection raquo de lintellect mateacuteriel Cette

premiegravere perfection qui dit lenteacuteleacutechie premiegravere est anteacuterieure dans le temps agrave la seconde

οὐ τῷ ὑποκείμενόν τινα εἶναι ὥσπερ τὴν ὕλην (ὕλην γὰρ λέγω ὑποκείμενόν τι δυνάμενον εἴδουςτινὸς παρουσίᾳ τόδε τι γενέσθαι) ἀλλ ἐπεὶ τῇ ὕλῃ τὸ εἶναι ὕλῃ ἐν τῷ δύνασθαι πάντα ἐν ᾧ τὸδύνασθαι καὶ αὐτὸ τὸ δυνάμει καθόσον ἐστὶ τοιοῦτον ὑλικόν raquo laquo Toutefois je lappelle mateacuterielnon parce quil serait une sorte de substrat comme la matiegravere (jappelle en effet matiegravere cette sorte desubstrat capable de devenir un ceci par la preacutesence dune forme deacutetermineacutee) mais puisque lecirctre de lamatiegravere consiste agrave pouvoir ecirctre toutes choses alors ce dans quoi reacuteside cette puissance et cela mecircme quiest en puissance pour autant quil est tel est mateacuteriel raquo

404 Dans toute la section noeacutetique du DA Alexandre nemploie ἐντελέχεια quune seule fois en 81 26 Agravelinverse le DA dAristote nemploie jamais τελειότης

405 M Rashed [2011a] p 147

406 Quaestio III 2 81 23-25

407 De fato 197 30 ndash 198 3 Cf M Rashed [2011a] en particulier p 147 n 293

405

Les objets de la meacutetaphysique

laquelle se donne degraves lors comme une perfection de perfection Lanalyse sexemplifie aussi dans

le cas de lacircme408 La noeacutetique au fond ne fait quheacuteriter de ce travail sur les deux eacutetats de la

forme

Mais au niveau de lintellect en acte le schegraveme hyleacutemorphique sapplique dautant mieux

quen vertu du principe de lidentiteacute entre le pensant et le penseacute lintellect en acte est en reacutealiteacute

une forme intelligible en acte en tant quelle est penseacutee Les textes sont indiscutables agrave ce sujet

lintellect en acte nest laquo rien dautre que la forme penseacutee raquo409 Ou encore

Ὃ γὰρ δύναται νοεῖν τοῦτο αὐτὸ αὐτὸςνοῶν γίνεται καὶ ἔστιν ὅταν νοῇπροηγουμένως μὲν καὶ καθ αὑτὸν νοῶν τὸνοητὸν εἶδος κατὰ συμβεβηκὸς δὲ ἑαυτὸν τῷσυμβεβηκέναι αὐτῷ ὅταν νοῇ γίνεσθαιἐκεῖνο ὃ νοεῖ πρὸ μὲν οὖν τοῦ κατἐνέργειαν τὸν νοῦν νοεῖν πρὸς ἄλληλά ἐστιτὸ νοοῦν τε καὶ τὸ νοούμενον καὶἀντικείμενα [8625] ἀλλήλοις ὡς τὰ πρός τιὅταν δὲ ἐνεργῶσιν ἓν γινόμενα παύεται τῆςἀντιθέσεως οὐδὲ γὰρ ἐφαρμόζειν αὐτοῖςοἷόν τέ ἐστι τὸν τοῦ πρός τι λόγον Διὸ ὁ κατἐνέργειαν νοῦς ὁ αὐτὸς γινόμενος τῷ νοητῷεὐλόγως αὑτὸν λέγεται νοεῖν

De fait cela quil peut penser il le devient lui-mecircme en le pensant et chaque fois quil pense cestabsolument et par soi quil est en la pensant la formepenseacutee mais par accident lui-mecircme parce quil luieacutechoit quand il pense de devenir ce quil pense410Donc avant que lintellect ne pense en acte ce quipense et ce qui est penseacute sont relatifs lun agrave lautre etopposeacutes comme les termes dune relation411 maisquand ils sactualisent devenus une seule chose ilscessent de sopposer En fait il nest mecircme pluspossible de leur appliquer la deacutefinition du relatifCest pourquoi on dit avec raison que lintellect enacte devenu identique au penseacute se pense lui-mecircme

(86 20-28)

Cest uniquement dans ce contexte que lon peut comprendre la deacutetermination par

Alexandre de lintellect agent comme forme dun type particulier Cette deacutetermination de

lintellect agent se donne en effet comme laboutissement de deux mouvements dune part

408 Pour la transcription de lenteacuteleacutechie premiegravere en laquo perfection raquo dans le cas de la deacutefinition de lacircme cfen particulier DA 16 5-7 laquo ἔθος δὲ Ἀριστοτέλει τὴν τελειότητα καὶ ἐντελέχειαν λέγειν ὡς τοῦ ἐντῷ τέλει εἶναι τὸ πρᾶγμα οὗ ἐστιν οὖσαν αἰτίαν raquo Pour les corps simples cf DA 9 14-26 Nousremercions C Cerami davoir attireacute notre attention sur ce passage passionnant

409 DA 86 14-15 laquo καὶ ἐπεί ἐστιν ὁ κατ ἐνέργειαν νοῦς οὐδὲν ἄλλο ἢ τὸ εἶδος τὸ νοούμενον raquo

410 V Caston (dans R Sorabji [2005] p 136) traduit aussi 86 14-23 Le deacutesaccord entre dune part lestraductions Accattino-Donini et Caston dune part et la traduction Bergeron-Dufour dautre partrepose sur la ponctuation et le sens agrave donner au verbe laquo συμβεβηκέναιrdquo les premiers lui donnent lesens impersonnel d laquo eacutechoir par accident raquo (en anglais laquo it belongs to it incidentallyhellip raquo en italien laquo gliaccade dihellip raquo) En revanche M Bergeron et R Dufour traduisent laquo τῷ συμβεβηκέναι αὐτῷ ὅταν νοῇ raquopar laquo parce quil coiumlncide avec la forme intelligible lorsquil pense raquo ce qui est bien sucircr conforme ausens geacuteneacuteral du passage Μais cela requiert de comprendre les lignes 21-23 (de laquo προηγουμένος raquo agravelaquo νοῇ raquo) comme une longue incise et de faire deacutependre le laquo γίνεσθαι raquo l 23 du laquo ἔστιν raquo l 21 Cettesolution est tout de mecircme peu naturelle ndash dautant que (mais cet argument nest pas inteacutegralementcontraignant seulement probable) laquo συμβεβηκέναι raquo se trouvant agrave cocircteacute de laquo συμβεβηκὸς raquo onpourrait attendre des deux termes quils soient agrave comprendre dans un sens voisin

411 Cf Aristote Met ∆ 15 1020 b 31 1021 a 9 sq

406

Les objets de la meacutetaphysique

leacutelaboration des eacutetats de lintellect en termes de matiegravere de perfection et de forme et dautre

part une typologie des formes On reviendra plus loin sur cette seconde preacutemisse Poursuivons

notre description du premier moment

Agrave cet instant du raisonnement alexandrinien la description de lintellection humaine

semble en effet exhaustive Elle procegravede depuis sa simple possibiliteacute jusquagrave lintellection effective

dune forme quelconque Cette gradation correspond agrave la maturation de lecirctre humain qui

acquiert la connaissance au cours de sa vie agrave la fois par lapprentissage (81 25) et par linduction

(85 20-25) Parvenu agrave ce point on pourrait leacutegitimement sattendre agrave ce que la reacuteflexion

dAlexandre sinterrompe nous obtenons en effet une theacuteorie qui semble adeacutequatement deacutecrire

les processus de la penseacutee humaine Cen est agrave tout le moins une description intuitive coheacuterente

avec un empirisme commun Toutefois Alexandre ne sarrecircte pas en chemin et ajoute un dernier

intellect lintellect agent Il est donc leacutegitime de se demander agrave quelle exigence reacutepond

lintroduction de ce troisiegraveme intellect Nest-il pas comme le demandait deacutejagrave P Moraux quune

laquo addition inutile raquo412

b) Le principe de causaliteacute du maximum en noeacutetique

Voici le texte central agrave cet eacutegard

Ἐπεὶ δὲ ἐν πᾶσιν τοῖς γινομένοις τε καὶσυνεστῶσιν κατὰ φύσιν ἐν οἷς ὕλη τίς ἐστιντὸ μέν τι ὕλη ἐστὶν ἐν ἐκείνῳ τῷλαμβανομένῳ γένει (τοῦτο δέ ἐστιν ὃ πάνταδυνάμει ἐστὶ τὰ ἐν ἐκείνῳ τῷ γένει) τὸ δέ τι[8820] ποιητικὸν τοῦ ἐν τῇ ὕλῃ γίνεσθαιταῦτα ὧν ἐστι δεκτική (ὥσπερ καὶ ἐπὶ τῶνκατὰ τέχνην γινομένων ἔχον ὁρῶμεν ἡ γὰρτέχνη τοῦ τὸ εἶδος ἐν τῇ ὕλῃ γίνεσθαι τὴναἰτίαν ἔχει) ἀναγκαῖον δοκεῖ καὶ ἐπὶ τοῦ νοῦταύτας εἶναι τὰς διαφοράς Καὶ ἐπεί ἐστινὑλικός τις νοῦς εἶναί τινα δεῖ καὶ ποιητικὸννοῦν ὃς αἴτιος τῆς ἕξεως τῆς τοῦ ὑλικοῦ νοῦγίνεται

Puisque parmi toutes les choses en devenir etconstitueacutees selon la nature dans lesquelles se trouveune certaine matiegravere il y a dune part quelque chosequi est matiegravere dans le genre consideacutereacute (cest-agrave-dire cequi est en puissance toutes les choses qui sont dansce genre) et dautre part quelque chose qui est agentdu fait quadvient dans la matiegravere ce quelle estcapable de recevoir (ainsi comme nous le voyons enva-t-il pour ce qui existe par lart car lart est cause deladvenue de la forme dans la matiegravere) alors il sembleneacutecessaire que ces diffeacuterences sappliquent aussi aucas de lintellect Et puisquil existe un certain intellectmateacuteriel413 il doit aussi y avoir un intellect agent quidevienne cause de la disposition de lintellectmateacuteriel

412 P Moraux [1942] p 87

413 On peut se demander si le τις sapplique agrave νοῦς ou agrave ὐλικός mais lambiguiumlteacute peut ecirctre maintenue aveclaquo un certain intellect mateacuteriel raquo

407

Les objets de la meacutetaphysique

Εἴη δ ἂν [8825] οὗτος τὸ κυρίως τε καὶμάλιστα νοητὸν εἶδος τοιοῦτον δὲ τὸ χωρὶςὕλης Ἐν πᾶσιν γὰρ τὸ μάλιστα καὶ κυρίως τιὂν καὶ τοῖς ἄλλοις αἴτιον τοῦ εἶναι [891]τοιούτοις Τό τε γὰρ μάλιστα ὁρατόντοιοῦτον δὲ τὸ φῶς καὶ τοῖς ἄλλοις τοῖςὁρατοῖς αἴτιον τοῦ εἶναι ὁρατοῖς ἀλλὰ καὶ τὸμάλιστα καὶ πρώτως ἀγαθὸν καὶ τοῖς ἄλλοιςἀγαθοῖς αἴτιον τοῦ εἶναι τοιούτοις τὰ γὰρἄλλα ἀγαθὰ τῇ πρὸς τοῦτο συντελείᾳκρίνεται Καὶ τὸ μάλιστα δὴ καὶ τῇ αὑτοῦ[895] φύσει νοητὸν εὐλόγως αἴτιον καὶ τῆςτῶν ἄλλων νοήσεως

Τοιοῦτον δὲ ὂν εἴη ἂν ὁ ποιητικὸς νοῦςΕἰ γὰρ μὴ ἦν τι νοητὸν φύσει οὐδ ἂν τῶνἄλλων τι νοητὸν ἐγίνετο ὡς προείρηται Ἐνγὰρ πᾶσιν ἐν οἷς τὸ μὲν κυρίως τί ἐστιν τὸ δὲδευτέρως τὸ δευτέρως παρὰ τοῦ κυρίως τὸεἶναι ἔχει

Ἔτι εἰ ὁ τοιοῦτος νοῦς τὸ πρῶτον αἴτιονὃ αἰτία καὶ ἀρχὴ τοῦ εἶναι πᾶσι [8910] τοῖςἄλλοις εἴη ἂν καὶ ταύτῃ ποιητικός ᾗ αὐτὸςαἴτιος τοῦ εἶναι πᾶσι τοῖς νοουμένοις Καὶἔστιν ὁ τοιοῦτος νοῦς χωριστός τε καὶἀπαθὴς καὶ ἀμιγὴς ἄλλῳ ἃ πάντα αὐτῷ διὰτὸ χωρὶς ὕλης εἶναι ὑπάρχει

Celui-ci serait par excellence la forme intelligibleau plus haut degreacute or telle est la forme qui est agravepart414 de la matiegravere Pour toute chose en effet cest cequi est par excellence et au plus haut point x qui estaussi cause pour toutes les autres du fait quellessont x Ainsi ce qui est au plus haut point visible ndashtelle est la lumiegravere ndash est cause de la visibiliteacute de toutesles autres choses visibles Mais en outre le biensuprecircme et premier est cause pour tous les autresbiens du fait quils sont tels En effet les autres bienssont distingueacutes en fonction de leur contribution agravecelui-lagrave Et donc ce qui est intelligible au plus hautpoint et par sa nature propre est aussi en bonnelogique cause de lintellection des autres choses

Lintellect agent sera de cette sorte Si en effet ilnexistait pas un intelligible par nature alors riendautre ne deviendrait intelligible comme on la ditauparavant car dans tous les cas ougrave il y a dune partquelque chose qui est eacuteminemment x415 et une autrequi lest en second lieu celle qui lest en second lieutient son ecirctre de celle qui lest eacuteminemment

En outre si un tel intellect est la cause premiegraverequi est cause et principe de lecirctre-tel pour toutes lesautres choses il sera alors aussi agent au sens ougrave ilsera cause de lecirctre de toutes les choses penseacutees Et untel intellect est seacutepareacute impassible sans meacutelange avecquoi que ce soit dautre ndash toutes choses qui sontsiennes du fait quil est agrave part de la matiegravere

(88 17 ndash 89 12)

Notre extrait est rythmeacute par trois moments distincts

Dans le premier Alexandre se livre agrave une paraphrase en regravegle du De anima III 5 430a 10-

15 Dun point de vue argumentatif lExeacutegegravete se sert de lanalogie aristoteacutelicienne pour introduire

la neacutecessiteacute de lexistence dun intellect agent agrave partir dun principe geacuteneacuteral de la distinction entre

devenir et produire principe reacuteceptif et principe producteur

Dans le deuxiegraveme moment Alexandre identifie lintellect agent avec un autre ecirctre dont

lexistence a deacutejagrave eacuteteacute deacuteveloppeacutee agrave la section immeacutediatement preacuteceacutedente une forme par soi

immateacuterielle intelligible par sa propre nature Cest ce passage qui nous retiendra le plus

414 Ou laquo seacutepareacutee de raquo pour traduire ici la preacuteposition χωρὶς Dans lensemble du DA sur lintellectAlexandre est clairement conscient du lien eacutetymologique entre χωρὶς et χωριστός Par ailleurs dans lasuite du texte Alexandre justifie la seacuteparation de lintellect agent par sa seacuteparation davec la matiegravere laquo Καὶ ἔστιν ὁ τοιοῦτος νοῦς χωριστός τε καὶ ἀπαθὴς καὶ ἀμιγὴς ἄλλῳ ἃ πάντα αὐτῷ διὰ τὸ χωρὶςὕλης εἶναι ὑπάρχει raquo

415 Peut-ecirctre ltκαὶ πρώτωςgt dapregraves la version heacutebraiumlque (reposant sur un effet de double traduction delarabe )

408

Les objets de la meacutetaphysique

Enfin la nature de lintellect agent ayant eacuteteacute preacuteciseacutee Alexandre se livre agrave linterpreacutetation

qui fera sa renommeacutee lintellect agent est la laquo cause premiegravere raquo cest-agrave-dire dans le langage de

lExeacutegegravete le premier moteur Alexandre sappuie sans doute ici sur le fait que chez Aristote les

proprieacuteteacutes de lintellect dans DA III 5 sont souvent (voire toutes) identiques agrave celles du premier

moteur de Meacutetaphysique Λ416

Passons donc assez rapidement sur ce premier moment de paraphrase Pour en saisir les

traits saillants on peut figurer lensemble en un tableau

Aristote Alexandre

Ἐπεὶ δὥσπερ ἐν ἁπάσῃ τῇ φύσει ἐστί Ἐπεὶ δὲ ἐν πᾶσιν τοῖς γινομένοις τε καὶ συνεστῶσινκατὰ φύσιν

ἐν οἷς ὕλη τίς ἐστιν

ndash τι τὸ μὲν ὕλη ἐκάστῳ γένει (τοῦτο δὲ ὅ πάντα δυνάμει ἐκεῖνα)

ndash τὸ μέν ἐστὶν ἐν ἐκείνῳ τῷ λαμβανομένῷ γένει (τοῦτο δέ ἐστιν ὅ πάντα δυνάμει ἐστὶ τὰἐν ἐκείνῳ τῷ γένει)

ndash ἕτερον δὲ τὸ αἴτιον καὶ ποιητικόν ὅτῳποιεῖν πάντα

οἶον ἡ τέχνη πρὸς τὴν ὕληνπέπονθεν

ndash τὸ δέ τι ποιητικὸν τοῦ ἐν τῇ ὕλῃ γίνεσθαιταῦτα ὧν ἐστι δεκτική

(ὥσπερ καὶ ἐπὶ τῶν κατὰ τέχνην γινομένωνἔχον ὁρῶμεν ἡ γὰρ τέχνη τοῦ τὸ εἶδος ἐν τῇὕλῃ γίνεσθαι τὴν αἰτίαν ἔχει)

ἐν τῇ ψυχῇ ὑπάρχειν ταύτας διαφοράς ἀναγχαῖον δοκεῖ καὶ ἐπὶ τοῦ νοῦ ταύτας εἶναι τὰςδιαφοράς

ndash ἔστιν ὁ μὲν τοιοῦτος νοῦς τῷ πάνταγίνεσθαι

ndash Καὶ ἐπεί ἐστιν ὑλικός τις νοῦς

ndash ὁ δὲ τῷ πάντα ποιεῖνὡς ἕξις τις οἷον τὸ φῶς

ndash εἶναι τινα δεῖ καὶ ποιητικὸν νοῦν ὃς αἴτιος τῆς ἕξεως τῆς τοῦ ὑλικοῦ νοῦ

γίνεται

La paraphrase dAlexandre commence par expliciter et augmenter le texte source Puis la

version alexandrinienne connaicirct une diminution relative parce que lAphrodisien va en

deacutevelopper les eacuteleacutements dans le moment suivant en reprenant les acquis anteacuterieurs Malgreacute la

difficulteacute du texte certaines des gloses dAlexandre sont peu sujettes agrave discussion quand elles

sont par exemple des explicitations grammaticales (ainsi laquo οῦτο δέ ἐστιν ὅ πάντα δυνάμει ἐστὶ

τὰ ἐν ἐκείνῳ τῷ γένει raquo) ou des sortes de notes de bas de page qui rappellent au lecteur les

416 Voir le catalogue auquel se livre V Caston [1999] p 211-212 qui pointe les similariteacutes entre lesintellects des deux textes lintellect est χωριστὸς (430 a 17) ou seacutepareacute des sensibles (1073 a 4) ἀπαθής(430 a 18 1073a 11) τῇ οὐσίᾳ ὤν ἐνέργεια (430 a 18) ou ἐνέργεια οὖσα (1072 a 25-26) τιμιώτερον(430 a 18) ou τιμιώτατον (1074 b 26) ἀθάνατον καὶ ἀΐδιον (430a 23) ou ἀΐδιον (1072 a 25 1073 a 4)etc Le paralleacutelisme nest toutefois quun indice sil est vrai que la communauteacute de proprieacuteteacutesnimplique pas neacutecessairement lrsquoidentiteacute des porteurs de ces proprieacuteteacutes

409

Les objets de la meacutetaphysique

thegraveses auxquelles Aristote fait allusion ndash ainsi pour lart417

Quant aux distorsions on notera la disparition du terme opeacuterateur de lanalogie

laquo ὥσπερ raquo La structure de lintellect nest pas comme celle de la nature mais elle y souscrit Est-

ce toutefois si significatif Ross et Tricot biffent eux aussi le laquo comme raquo Chez Ross cest

clairement au profit dune thegravese unitaire sur lintellect lintellect est dans la nature Il ne sagit

donc pas dune analogie mais de lapplication dun principe geacuteneacuteral agrave un cas particulier Faut-il

pour autant taxer Alexandre dincoheacuterence lui qui soutient au contraire la seacuteparation de

lintellect agent On peut reacutepondre que le principe eacutenonceacute ici par Aristote vaut eacutegalement selon

Alexandre entre le supralunaire et le sublunaire parce que dans le supralunaire aussi reacutesident

des formes LAphrodisien transpose donc entre sublunaire et supralunaire un principe dabord

visible dans le sublunaire

La seconde distorsion plus importante consiste en ce que la diffeacuterence entre matiegravere et

agent ne concerne plus lacircme mais lintellect Par lagrave agrave leacutevidence plus rien nempecircche de

consideacuterer quil y a deux intellects distincts dont lun peut ecirctre seacutepareacute de lautre Neacuteanmoins

quAristote limite ici la distinction et lanalogie au cas de lacircme implique-t-il automatiquement

que lintellect agent ne soit pas seacutepareacute de lacircme V Caston parle agrave propos de cet argument dun

laquo pur bluff raquo418 et rappelle la richesse de la notion aristoteacutelicienne de llaquo ecirctre-dans raquo419 Mais le sens

locatif eacutetant plus immeacutediat Alexandre se laisse davantage de latitude en transformant laquo dans

lacircme raquo en laquo dans lintellect raquo

Enfin lExeacutegegravete interpregravete de faccedilon assez attendue (mais discutable) la mention dun

laquo τοιοῦτος νοῦς raquo comme signifiant laquo ὑλικός τις νοῦς raquo dont Alexandre a deacutejagrave montreacute quil

pouvait laquo devenir toutes choses raquo420

Le terrain est ainsi preacutepareacute et nattend plus que linvention de lintellect agent Le passage

suivant central pour la penseacutee alexandrinienne agrave bien des eacutegards doit ecirctre commenteacute avec soin

La reacutepeacutetition en son sein du principe de causaliteacute du maximum doit nous alerter et poser la

417 Cf par exemple Aristote Met Z 8 1033 a 24-31

418 V Caston [1999] p 206

419 Phys IV 3 210a 14-24 V Caston [1999] p 206 sq Pour la validiteacute de lanalogie laquo dans lacircme raquo doitavoir le mecircme sens que laquo dans la nature raquo pour Caston ces expressions servent en effet agrave limiterlextension du principe qui suit aux pheacutenomegravenes naturels dune part psychologiques dautre partlaquo Dans raquo aurait ici un sens similaire agrave laquo dans un genre raquo (Phys 210a 18) ie au sens de laquo ce qui vautpour les espegraveces naturelles psychologiques raquo Cela nimpliquerait donc pas que laffirmationdAristote se limite agrave lacircme individuelle La preacuteposition naurait pas son sens locatif

420 DA 84 14-24 Pour une autre interpreacutetation de ce passage voir par exemple LP Gerson [2004b] p 362

410

Les objets de la meacutetaphysique

question de la coheacuterence de la progression argumentative Largumentation de lExeacutegegravete se laisse

reconstruire dans son ordre logique et non textuel de la faccedilon suivante

Premier paragraphe (dans notre division)

ndash Position dun principe geacuteneacuteral distinction entre un principe agent cause dinformation

et la reacuteceptiviteacute du principe mateacuteriel Appliquons cette distinction agrave lintellect

ndash Or il existe un certain intellect mateacuteriel

ndash Donc (conclusion du premier paragraphe) il doit exister un intellect agent qui comme

lart soit cause dinformation et dactualisation Ici la deacutetermination importante est la

causaliteacute

Le deuxiegraveme paragraphe enchaicircne alors avec la conclusion preacuteceacutedente

[2] Celui-ci serait par excellence la forme intelligible au plus haut degreacute or telle est laforme qui est agrave part de la matiegravere [1] Pour toute chose en effet cest ce qui est parexcellence et au plus haut point x qui est aussi cause pour toutes les autres du faitquelles sont x [1a] Ainsi ce qui est au plus haut point visible ndash telle est la lumiegravere ndash estcause de la visibiliteacute de toutes les autres choses visibles [1b] Mais en outre le biensuprecircme et premier est cause pour tous les autres biens du fait quils sont tels En effet lesautres biens sont distingueacutes en fonction de leur contribution agrave celui-lagrave [3] Et donc ce quiest intelligible au plus haut point et par sa nature propre est aussi en bonne logique causede lintellection des autres choses

[1] Or principe de causaliteacute du maximum (laquo Ἐν πᾶσιν γὰρ τὸ μάλιστα καὶ κυρίως τι ὂν

καὶ τοῖς ἄλλοις αἴτιον τοῦ εἶναι τοιούτοις raquo) auquel sajoutent les analogies [1a] et [1b] avec la

lumiegravere et le bien)

Sensuivent deux conclusions La premiegravere est donneacutee avant leacutenonceacute du principe dougrave le

laquo γὰρ raquo qui introduit le principe de causaliteacute du maximum et signale quon a affaire avec le

principe agrave une preacutemisse justifiant cette premiegravere conclusion Lautre conclusion est donneacutee apregraves

(introduite par laquo δὴ raquo) qui explicite le raisonnement par analogie avec la lumiegravere et le bien Ces

conclusions sont

[2] Donc puisquil est cause lintellect agent est forme intelligible au plus haut point

[3] Donc puisque cette forme est eacuteminemment intelligible elle est cause (en loccurrence

de lintellection ndash on y reviendra)

Il ny a ainsi pas tant circulariteacute du raisonnement comme on peut le croire au premier

abord mais va-et-vient constant entre deux deacuteterminations de lintellect agent son intelligibiliteacute

maximale et le fait quil soit cause La premiegravere partie du raisonnement (jusquaux analogies en

411

Les objets de la meacutetaphysique

89 4) induit agrave partir de lexistence dun intellect reacuteceptif et causeacute421 lexistence dun intellect cause

et producteur et elle deacuteduit une intelligibiliteacute maximale agrave partir de cette causaliteacute

La troisiegraveme partie du raisonnement (agrave la suite de la conclusion [3] en 89 5) vise agrave

preacuteciser la causaliteacute de lintellect agrave la deacuteterminer comme laquo agente raquo venant ainsi expliciter la

caracteacuterisation geacuteneacuterale qui avait eacuteteacute donneacutee en 88 24 (lintellect agent comme cause de la

disposition acquise de lintellect mateacuteriel)

[6] Eacutetant tel ce sera lintellect agent [5] Si en effet il nexistait pas un intelligible par naturealors rien dautre ne deviendrait intelligible comme on la dit auparavant car [4] dans tousles cas ougrave il y a dune part quelque chose qui est eacuteminemment x et une autre qui lest ensecond lieu celle qui lest en second lieu tient son ecirctre de celle qui lest eacuteminemment

Remis dans son ordre logique le raisonnement se poursuit en effet ainsi

[3] cette forme eacuteminemment intelligible est cause

[4] Or principe de causaliteacute du maximum (qui est cette fois-ci lu du maximum vers la

causaliteacute)

[5] Donc laquo sil nexistait pas un intelligible par nature alors rien dautre ne deviendrait

intelligible raquo (raisonnement par modus ponens qui applique le principe de causaliteacute du maximum agrave

lintelligibiliteacute)

[6] Donc cette forme intelligible qui est aussi une cause est intellect agent Cette

conclusion sera expliciteacutee dans le moment suivant qui pose sans la justifier pour elle-mecircme

lidentiteacute de cet intellect agent avec la laquo cause premiegravere raquo

Cette analyse appelle plusieurs remarques Tout dabord le va-et-vient entre causaliteacute et

intelligibiliteacute est ducirc agrave ce quAlexandre lit le principe de causaliteacute du maximum dans les deux

sens ce qui est eacuteminemment x est cause de lecirctre x des autres choses x ce qui est cause de lecirctre x

des choses x est eacuteminemment x Cette pratique semble familiegravere agrave Alexandre il a en effet deacutejagrave

appliqueacute une lecture similaire au principe aristoteacutelicien selon lequel penser cest ecirctre identique agrave

ce que lon pense Ce qui inteacuteresse le plus Alexandre dans cette thegravese cest sa reacuteciproque ndash qui ne

se lit pas chez Aristote En 88 1-2 en effet lExeacutegegravete retourne la proposition laquo Or le penseacute en acte

est identique agrave lintellect en acte sil est vrai que ce qui est penseacute est identique agrave ce qui pense raquo La

relation didentiteacute semble autoriser un tel retournement422 ndash peu importe dira-t-on de formuler

421 On peut penser ici agrave lideacutee quon lit chez Aristote en Z 17 selon laquelle la forme est cause pour lamatiegravere du fait quelle est un ceci (cf 1041B 7-9 et ci-dessus sect 322b)

422 P Accattino P Donini [1996] p 285

412

Les objets de la meacutetaphysique

que a = b ou que b = a Mais cest dans ce genre de retournements que simmisce loriginaliteacute de

lExeacutegegravete Car ce retournement lui permet de poser que certaines formes sont des intellects423 Il en

va de mecircme ici ougrave Alexandre par le renversement logique du principe de causaliteacute du

maximum affermit la double nature de lintellect agent comme forme eacuteminemment intelligible et

comme cause

En outre on peut deacutesormais eacuteclaircir ce qui est preacutesenteacute par les interpregravetes comme lune

des difficulteacutes majeures du passage agrave savoir le fait que dans la premiegravere partie du raisonnement

lagrave ougrave lon eucirct attendu que lintellect agent fucirct deacutecrit comme laquo cause de lintelligibiliteacute raquo Alexandre

a indiqueacute laquo cause de lintellection raquo Ainsi M Bergeron et R Dufour soulignent laquo les deux

derniegraveres eacutetapes du raisonnement sont assez obscures on sattendait agrave ce que lintelligible par

excellence soit cause de lintelligibiliteacute alors quil est cause de lintellection raquo424 Cette difficulteacute

sinscrirait dans le problegraveme plus geacuteneacuteral de comprendre comment lintellect agent peut ecirctre agrave la

fois comme le soutient notre extrait laquo cause de la disposition acquise de lintellect mateacuteriel raquo (88

23-24) laquo cause de lintellection raquo (89 5) laquo cause de lintelligibiliteacute raquo (89 6-7) et laquo cause de lecirctre de

toutes choses raquo (89 9-10)425 Or il nous semble que ces expressions deacutenotent toutes la mecircme

causaliteacute signifient la mecircme reacutealiteacute Les diffeacuterences lexicales quant agrave elles tiennent au contexte et

agrave la position dans lordre argumentatif du passage

Il convient en premier lieu de ne pas se laisser tromper par lexpression laquo cause de lecirctre raquo

Certains interpregravetes entendent le verbe au sens absolu et tendent mecircme agrave y comprendre

lexistence qui ouvrirait agrave la thegravese avicennienne du dator formarum426 Or le verbe laquo ecirctre raquo est ici agrave

la fois preacutedicatif et absolu Il est preacutedicatif parce que le contexte commande dentendre laquo cause de

lecirctre [intelligible] raquo sans quoi les analogies avec la lumiegravere (comme cause de visibiliteacute) et le bien

(comme cause laquo cause de lecirctre tel raquo des autres biens) nauraient plus aucun sens Il est absolu si

lon veut parce quecirctre cest ecirctre intelligible Comme on la vu dans le commentaire agrave

Meacutetaphysique α 1 autant une chose a decirctre autant elle a de veacuteriteacute Le De anima souligne deacutejagrave

lidentiteacute extensive entre ecirctre et intelligibiliteacute laquo Mais en veacuteriteacute tous les eacutetants sont penseacutes par

423 Cf DA 88 14-15 et ci-dessous

424 R Dufour M Bergeron [2008] p 348

425 Voir le reacutesumeacute des difficulteacutes et des solutions donneacute par R Dufour et M Bergeron p 50-55 Voir aussisur ces questions entre autres P Moraux [1942] p 92 sq RW Sharples [1987] p 1207-1208 PAccattino P Donini [1996] p 288-293

426 P Moraux [1942] p 92 sq selon qui lintellect agent est similaire au dator formarum avicennien il estprincipe dintelligibiliteacute potentielle des composeacutes et nest donc quindirectement cause de lintellection

413

Les objets de la meacutetaphysique

lintellect sil est vrai que parmi les eacutetants les uns sont intelligibles les autres sensibles raquo (84 18-

19) Il faut sans doute sous-entendre or tous les composeacutes sensibles peuvent ecirctre penseacutes par

lintellect Cest la raison pour laquelle lacircme est en un sens tous les eacutetants si tous ne peuvent ecirctre

sentis agrave tout le moins tous peuvent ecirctre intelligeacutes laquo Cause de lecirctre raquo ou laquo cause de

lintelligibiliteacute raquo disent donc dans notre contexte la mecircme chose

De plus si lon doit prendre au seacuterieux lanalogie avec la lumiegravere lintellect agent ne

produit pas lintelligibiliteacute en puissance ndash de mecircme que la lumiegravere ne produit pas la visibiliteacute en

puissance mais rend possible la vision Comme le dit clairement la page 44 du De anima la

lumiegravere laquo est agrave la fois visible au plus haut point et devient cause pour les autres visibles du fait

quil sont vus raquo427 parce quelle actualise leur visibiliteacute en actualisant le diaphane et en

permettant ainsi la mise en relation du voyant et du vu En ce sens dit Alexandre laquo visible raquo

(comme laquo audible raquo ou laquo tangible raquo) nest pas le nom dun substrat mais celui dune relation

(σχέσις)428 Lintellect agent doit ecirctre quelque chose comme la condition de possibiliteacute de la

relation entre lintellect et lintelligible

De mecircme donc lintellect agent est cause de lintelligibiliteacute en acte parce quaussi bien il

est responsable de lactualisation de notre intellect mateacuteriel Le raisonnement dAlexandre en

bonne logique aurait peut-ecirctre exigeacute que la conclusion en fucirct laquo lintellect est cause de

lintelligibiliteacute raquo Alexandre peut toutefois remplacer cette conclusion par laquo cause de

lintellection raquo parce que pour les formes donneacutees dans une matiegravere du moins il ny a pas

dintelligibiliteacute en acte en dehors dune intellection par notre intellect Dailleurs mecircme

lintelligibiliteacute de lintellect agent qui lui est donneacutee sans recevoir le laquo secours raquo dun autre

intellect429 est actuelle dans le fait quil se pense lui-mecircme Ce nest sans doute pas un hasard si

dans ces pages Alexandre prend la peine de souligner que lintellection est une relation

particuliegravere (laquo πρὸς raquo) mecircme si cette relation finit par se supprimer pour se muer en une

identification430 Lactualisation de lintellection et celle de lintelligible deacutesignent bien une seule et

427 DA 44 13-15 laquo τὸ μὲν οὖν φῶς ὃ μάλιστά τέ ἐστιν ὁρατὸν καὶ τοῖς ἄλλοις τοῖς ὁρατοῖς αἴτιον τοῦὁρᾶσθαι γίνεται τί ποτέ ἐστιν εἴρηται ὅτι γὰρ ἐνέργεια τοῦ ἀορίστου διαφανοῦς ᾗ διαφανές raquo Surle rapprochement voire lidentification chez Alexandre entre lumiegravere et source de la lumiegravere cf FMSchroeder [1981] p 218-219 et deacutejagrave P Moraux [1942] p 89-90

428 DA 56 8-10 laquo οὐ γάρ ἐστι τὸ ἁπτὸν ὄνομα τοῦ ὑποκειμένου ἀλλὰ τῆς σχέσεως ὡς τὸ ὁρατόν ὡςτὸ ἀκουστόνraquo

429 DA 87 25-28

430 DA 86 23-26 laquo πρὸ μὲν οὖν τοῦ κατ ἐνέργειαν τὸν νοῦν νοεῖν πρὸς ἄλληλά ἐστι τὸ νοοῦν τε καὶτὸ νοούμενον καὶ ἀντικείμενα ἀλλήλοις ὡς τὰ πρός τι ὅταν δὲ ἐνεργῶσιν ἓν γινόμενα παύεται

414

Les objets de la meacutetaphysique

mecircme reacutealiteacute Si Alexandre utilise lexpression laquo cause de lintellection raquo plutocirct que laquo cause de

lintelligibiliteacute raquo cest afin de redonner au problegraveme une formulation preacuteciseacutement noeacutetique et non

geacuteneacuteralement ontologique Rendu agrave son mouvement argumentatif le texte est moins incoheacuterent

quil ny paraicirct de prime abord

Ainsi de mecircme que la lumiegravere est agrave la fois une chose visible et lune des conditions de la

visibiliteacute431 de mecircme lintellect agent est pensable et condition de la penseacutee Agrave ce titre il est agrave la

fois le preacutealable et lacmeacute de notre intellection Cette double position devient claire degraves lors que

lon aperccediloit le rocircle structurant du principe de causaliteacute du maximum agrave lœuvre dans le texte

Que la lumiegravere soit visible et lintellect agent intelligible nest quune conseacutequence du principe

de causaliteacute du maximum sur lequel repose toute la deacutemonstration et qui implique une identiteacute

de proprieacuteteacute entre la cause maximale et ses effets

Tout cela implique-t-il degraves lors une platonisation dAristote Le texte preacutesente trois points

dachoppement Il rapproche dune part la lumiegravere et le bien (ce dernier eacutetant absent du DA III 5)

lien qui rappelle Reacutepublique VI Le principe de la causaliteacute du maximum semble rappeler la

causaliteacute platonicienne du soleil et constituera a fortiori un principe typiquement

neacuteoplatonicien432 Enfin ce principe tel quil est eacutenonceacute dans Meacutetaphysique α 1 semble ne valoir

que pour les classes decirctres synonymes ndash dont les biens ne relegravevent pas433 Pour le dire vite deux

lignes interpreacutetatives sopposent sur cette question soit que lon considegravere quAlexandre ouvre ici

la voie agrave Plotin en reprenant lheacuteritage platonicien434 soit que lon considegravere quAlexandre est

parfaitement orthodoxe voire dit la mecircme chose quAristote Accomplissant son travail de

commentateur Alexandre opeacutererait la synthegravese de Meacutetaphysique Λ 9 sur lintellect Λ 10 sur le

Bien et du De anima III 5 pour la lumiegravere435 Or ces deux lignes interpreacutetatives conduisent toutes

deux agrave des impasses en sous-eacutevaluant ce que lautre souligne Agrave reacuteduire ces textes agrave leur origine

aristoteacutelicienne on en oublie de mesurer leacutecart qui se creuse entre le Philosophe et son Exeacutegegravete

τῆς ἀντιθέσεως raquo laquo Donc avant que lintellect ne pense en acte ce qui pense et ce qui est penseacute sontrelatifs lun agrave lautre et opposeacutes comme les termes dune relation mais quand ils sactualisent devenusune seule chose ils cessent de sopposer En fait il nest mecircme plus possible de leur appliquer ladeacutefinition du relatif raquo

431 DA 43 13-14 et 46 1-4 Pour les distorsions imprimeacutees ici agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la lumiegraverevoir FM Schroeder [1981]

432 Cf Proclus Eacuteleacutements de theacuteologie propositions 7 et 97 et AC Lloyd [1976]

433 Cf AC Lloyd [1976] p 146-156 particuliegraverement p 151 et deacutejagrave P Moraux [1942] p 90-91

434 P Merlan [1969] p 39

435 RW Sharples [1987] p 1206 H Blumenthal [1996] p 18 P Accattino P Donini [1996] p 290-292 M Bergeron R Dufour [2008] p 348-351

415

Les objets de la meacutetaphysique

et lon refuse aux thegraveses alexandriniennes lautonomie dune interpreacutetation constructive436 Agrave trop

lire ces textes comme preacute-plotiniens on en oublie de consideacuterer que les eacutecarts qui seacuteparent ici

Alexandre dAristote sont moins leffet dune lecture de Platon que les conseacutequences dune

certaine interpreacutetation dAristote

On y reviendra ci-dessous437 Mais disons dembleacutee que rien nindique que le Bien soit ici

conccedilu comme synonyme alors que partout ailleurs Alexandre le tient explicitement pour un

laquo ἀφ ἑνὸς καὶ πρὸς ἓν λεγόμενον raquo438 Si Alexandre se reacutefegravere ici au bien cest peut-ecirctre

preacuteciseacutement pour souligner luniversaliteacute du principe de causaliteacute du maximum ndash dougrave le laquo ἀλλὰ

καὶ raquo qui lintroduit ndash puisque celui-ci sapplique aussi agrave des choses dans lesquelles la proprieacuteteacute

nest pas preacutesente de la mecircme faccedilon dans les eacuteleacutements de lensemble Alexandre souligne

dailleurs cette diversiteacute via la notion de συντελεία laquo τὰ γὰρ ἄλλα ἀγαθὰ τῇ πρὸς τοῦτο

συντελείᾳ κρίνεται raquo (89 3-4) Tous les biens ne sont pas bons au mecircme niveau cela deacutepend de

leur contribution ou de leur association en vue du Bien suprecircme

Or cette proposition est parfaitement coheacuterente avec ce quAlexandre dit par ailleurs des

plurivoques Les uni-reacutefeacuterentiels ne partagent pas en effet laquo leacutegale condition dans ce qui leur est

attribueacute propre aux synonymes raquo439 Dans le cas de leacutetant la causaliteacute de la substance fonde la

leacutegitimiteacute de lattribution de laquo eacutetant raquo aux autres eacutetants Telle est la laquo force raquo de la substance440 il

suffit agrave une chose de sy reacutefeacuterer mecircme sur le mode de la neacutegation pour pouvoir ecirctre

leacutegitimement nommeacutee laquo eacutetant raquo Mais les accidents de la substance cest-agrave-dire tout ce qui relegraveve

des cateacutegories secondaires441 sont des eacutetants non seulement parce quils se reacutefegraverent agrave la

substance mais aussi parce quils en deacutependent causalement La substance est cause de lecirctre

436 On entend ici par interpreacutetation constructive (on pourrait dire aussi laquo systeacutematique raquo) uneinterpreacutetation qui comme on en lit aujourdhui parfois dans le monde anglo-saxon tente dereconstruire la penseacutee de lauteur interpreacuteteacute en maximisant sa coheacuterence agrave la fois interne et par rapportaux pheacutenomegravenes (on a eacutevoqueacute un exemple de ce genre dinterpreacutetations avec celle de lhomonymielaquo core-dependent raquo par C Shields [2003]) Par opposition on pourrait la distinguer dune interpreacutetationstrictement laquo textuelle raquo qui sen tient agrave lexplicite Ces deux types sont des modegraveles qui dans lapratique se trouvent bien souvent mecircleacutes

437 Cf infra notre conclusion geacuteneacuterale

438 Entre autres In Met 242 5 implicitement en 244 17 Dans le commentaire aux Topiques Alexandre leclasse parmi les homonymes (mais comme on sait lExeacutegegravete diagnostique chez Aristote un usage largeet un usage preacutecis de la classe des homonymes) cf In Top 105 25 106 15 120 16 325 28 326 27

439 In Met 241 15-17 laquo τὰ δὲ ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἓν λεγόμενα οὔτε τὴν τῶν συνωνύμων ἰσοτιμίανπρὸς τὸ κατηγορούμενον σώζει πρὸς ἄλληλα raquo

440 Cf In Met 243 10 laquo Ἐνδείκνυται δὲ τὴν τῆς οὐσίας ἰσχὺν πρὸς τὸ εἶναί τε καὶ τὸ ὄνmiddot raquo

441 Cf In Met 242 15 242 30-31 243 3-5

416

Les objets de la meacutetaphysique

pour tout le reste des eacutetants442 La substance est eacuteminemment laquo eacutetante raquo et les autres eacutetants ont en

commun cette nature laquo qui se laisse voir en eux raquo et agrave laquelle ils contribuent [συντελεῖν]443 de

faccedilon diffeacuterente

Tout cela pointe lhomologie structurelle dans lapplication du principe de causaliteacute du

maximum au cas preacutedicamental (la relation des eacutetants non-substantiels agrave la substance) au cas de

la relation des biens secondaires agrave un bien premier et au cas de lintellect agent et des autres

intelligibles On note en outre quen un passage de son commentaire agrave Λ 4 dapregraves Averroegraves

Alexandre refuse explicitement que le premier moteur de toutes choses soit synonyme avec tous

les autres moteurs Parce quil est commun agrave toutes choses dit Averroegraves citant Alexandre il ne

peut ecirctre synonyme444

Agrave chaque fois la structure est celle dun eacuteleacutement eacuteminent posseacutedant une proprieacuteteacute au

maximum et cause de la preacutesence de cette proprieacuteteacute dans les autres eacuteleacutements de lensemble Le

bien joue ici le rocircle de meacutediateur a fortiori si lon relie ce passage du De anima agrave ceux du

Commentaire agrave la Meacutetaphysique selon lesquels la laquo cause premiegravere raquo est le bien suprecircme que

laquo toutes choses deacutesirent raquo (laquo τὸ κυριώτατον ἀγαθόν οὗ πάντα ἐφίεται raquo In Met 160 12)445 ie

le Bien qui est non pas objet daction mais de contemplation laquo le plus eacuteminent et le meilleur des

eacutetants raquo laquo ce qui est au plus haut point raquo446 Il est difficile de ne pas songer ici au texte fameux de

lEacutethique agrave Nicomaque qui explicite le premier sens du bien comme laquo ὁ θεὸς καὶ ὁ νοῦς raquo447 La

source exeacutegeacutetique la plus immeacutediate pour cette laquo συντελεία raquo des biens secondaires au bien

premier doit probablement ecirctre chercheacutee dans lEacutethique agrave Nicomaque448 et non pas tant

Meacutetaphysique Λ 10 1075a 11-22 comme lont proposeacute certains interpregravetes449 Toutefois lintuition

442 Cf par exemple 244 23-24 laquo αἱ γὰρ ταύτης ἀρχαὶ καὶ τοῦ ὄντος ἂν παντὸς εἶεν εἴ γε τοῖς ἄλλοις ἡοὐσία ἀρχή τε καὶ αἰτία τοῦ εἶναι raquo

443 In Met 241 33-34 avec le mecircme emploi du verbe laquo συντελεῖν raquo et 263 30 (qui parle de contributiondans le cas des conseacutecutifs mais quon peut appliquer par opposition agrave la relation des eacutetants non-substantiels agrave la substance comme on la vu preacuteceacutedemment)

444 Cf Averroegraves p 1529-1530 Bouyges = Fr 20a et 20b Freudenthal

445 Cf deacutejagrave In Met 14 15 et 15 3 sq

446 Cf In Met 183 11-13 laquo τοιοῦτον γὰρ καὶ τὸ τῆς σοφίας τέλος ἡ γὰρ τοῦ κυριωτάτου τε καὶἀρίστου τῶν ὄντων καὶ μάλιστα ὄντος γνῶσις μέγιστον οὖσα ἀγαθὸν ἐκείνῃ τέλος raquo

447 EN I 4 1096a 24-25 Sur ce passage cf A Stevens [2000] p 144-148 Alexandre se reacutefegravere dailleurs agravelEN en 160 10-11 (dans le commentaire agrave α 2 994b 6) juste avant deacutevoquer le laquo κυριώτατον ἀγαθόνοὗ πάντα ἐφίεται raquo

448 EN I 4 1096b 28

449 M Bergeron R Dufour [2008] p 350

417

Les objets de la meacutetaphysique

de fond derriegravere ce rapprochement bien que deacutepourvue de confirmation directe par les textes

nous paraicirct conforme agrave lesprit alexandrinien

Alexandre serait degraves lors le premier interpregravete de la Meacutetaphysique agrave mettre en œuvre ndash

sans pour autant lexpliciter telle quelle ndash la thegravese dun paralleacutelisme entre la relation si lon peut

dire horizontale des eacutetants non-substantiels agrave la substance et la relation verticale des diverses

substances agrave la substance divine450 Peut-ecirctre agrave la faveur de lemploi du verbe laquo ἀρτάω raquo par

Aristote en Γ 2 et Λ 7 lExeacutegegravete produit une analogie entre la laquo deacutependance raquo agrave la substance et la

laquo deacutependance raquo agrave la substance premiegravere451 Or cette analogie nest possible que gracircce agrave lextension

de lhyleacutemorphisme et la conception correacutelative de la cause premiegravere comme forme sans matiegravere

intelligible au plus haut point Concevoir ainsi la cause premiegravere permet en effet comme on va le

voir de la penser comme un eacutetat ideacuteal des formes des composeacutes parce que libeacutereacutee des entraves

de la matiegravere se pensant elle-mecircme sans le secours daucun autre intellect La thegravese de lanalogie

entre le niveau horizontal et le niveau vertical participe certainement de lunification de

lontologie lousiologie et la theacuteologie qui deacutevoilent une structure commune du monde Il est

toutefois ici question danalogie et non didentiteacute puisque comme on sait Alexandre nidentifie

pas eacutetant en tant queacutetant substance et cause premiegravere agrave tout le moins cette thegravese tend-elle les

bras aux unifications neacuteoplatoniciennes

Une telle thegravese demande encore confirmation Dune part on pourrait nous objecter que

la thegravese de la cause premiegravere comme forme pure ne provient que du contexte noeacutetique auquel on

sest pour linstant limiteacute Lapplication du principe de causaliteacute du maximum contraignant agrave

deacutefinir la cause premiegravere comme une forme ne fonctionnerait que dans le cadre dune reacuteflexion

sur lintelligibiliteacute des composeacutes hyleacutemorphiques Il convient alors deacutetendre nos investigations

aux autres textes alexandriniens sur la cause premiegravere En outre tout ce qui a eacuteteacute dit ne reacutesout pas

encore la question de savoir en quel sens lintellect agent peut ecirctre qualifieacute de laquo cause de lecirctre raquo

intelligible des intelligibles La nature exacte de la causaliteacute de la cause premiegravere demande encore

agrave ecirctre eacutelucideacutee

450 On lit une interpreacutetation similaire dans G Patzig [1960] p 192 Pour les preacutemisses dune telleinterpreacutetation dans le commentarisme neacuteoplatonicien cf J-F Courtine [2005] p 197 sq

451 On se rappelle quAristote emploie laquo ἤρτηται raquo aussi bien en Γ 2 1003b 16-17 (laquo πανταχοῦ δὲ κυρίωςτοῦ πρώτου ἡ ἐπιστήμη καὶ ἐξ οὗ τὰ ἄλλα ἤρτηται καὶ δι ὃ λέγονται raquo) quen Λ 7 1072b 13-14 (laquo ἐκτοιαύτης ἄρα ἀρχῆς ἤρτηται ὁ οὐρανὸς καὶ ἡ φύσις raquo) Sur ce double emploi cf P Aubenque[1985a] [2009a] p 297-298 Sur cet laquo amalgame raquo (entre ordre vertical ou transcendantal et ordrehorizontal ou preacutedicamental) cf aussi M Zingano [1997] p 355-356 pour qui cet amalgame est aumoins en partie preacutepareacute par Aristote

418

Les objets de la meacutetaphysique

332 Lordre du monde452

a) Dramatis personae

Si pour les besoins de la preacutesentation nous nous sommes dabord focaliseacutes sur la

dimension noeacutetique de la cause premiegravere selon Alexandre il convient toutefois de ne pas ceacuteder agrave

leffet de perspective ainsi induit Dans la conception alexandrinienne les dimensions noeacutetique et

cosmologique sont inseacuteparables Cela ressort des deux textes qui abordent la reacutealiteacute

cosmologique de la cause premiegravere le De principiis et la Quaestio I 1

Avant toute chose ces deux textes ont linteacuterecirct de confirmer la thegravese selon laquelle

lintellect agent du De anima est le premier moteur immobile le dieu de Λ 7453 Lexpression

laquo cause premiegravere raquo a pu tromper certains lecteurs mais il est indiscutable que telle est

lappellation alexandrinienne du premier moteur D Papadis ainsi tenteacute de soutenir que la

noeacutetique alexandrinienne eacutetait parfaitement fidegravele agrave lindeacutecision aristoteacutelicienne La question de

lidentiteacute de lintellect agent avec lintellect divin demeurerait encore ouverte non trancheacutee par

lExeacutegegravete Certes agrave aucun moment Alexandre ne parle de Premier moteur immobile ni ne dit

que lintellect agent est le laquo θεός raquo Alexandre emploie en outre il est vrai ladjectif laquo divin raquo en

un sens aussi large que ce que fait Aristote454 Dautre part lexpression de laquo premiegravere cause raquo ne

se trouve quune fois chez le Stagirite pour qualifier non pas le premier moteur immobile mais la

premiegravere cause au sens de premier moyen455 Lexpression chez Alexandre ne constituerait donc

rien dautre que la glose du caractegravere agent de lintellect456

Cest oublier cependant que dans lensemble du corpus les expressions laquo πρῶτον

αἴτιον raquo ou laquo πρώτη αἰτία raquo deacutesignent indeacuteniablement le premier moteur immobile Ainsi en va-

452 Pour cette expression cf Quaestio II 19 dont les premiegraveres lignes (63 10 sq) sont laquo Εἰ ὁ κόσμος ἀίδιοςτῇ ἑαυτοῦ φύσει τὸ δὲ κόσμῳ εἶναί ἐστι τὸ ἐν τοιᾷδε τάξει εἶναί τινι εἴη ἂν καὶ τὴν τάξιν παρὰ τῆςἑαυτοῦ φύσεως ἔχων raquo Lexpression est courante chez les stoiumlciens et est parfois aussi construitecomme un hendyadin (τάξιν δὲ καὶ κόσμον τάξει καὶ κοσμίως) par exemple chez Musonius ouEacutepictegravete

453 On rappellera la parcimonie dAristote dans lemploi de laquo θεός raquo agrave propos du premier moteurimmobile ndash mais le terme apparaicirct bien en 1072b 25 et 30

454 D Papadis [1991] p 149

455 Cf Aristote EN II 5 1112b 19 D Papadis [1991] p 142

456 D Papadis [1991] p 144

419

Les objets de la meacutetaphysique

t-il dans la Quaestio I 1 comme dans le De principiis457 Ce vocable se lit deacutejagrave dans le De mundo458

Du reste lidentiteacute entre intellect agent et premier moteur le fait quil soit le dieu et une forme

sans matiegravere tout cela deacutecoule neacutecessairement des argumentations alexandriniennes

La thegravese est en effet doublement confirmeacutee par la Quaestio I 1 et le De principiis Comme la

montreacute S Fazzo ces textes exemplifient la thegravese selon laquelle tout eacutecrit alexandrinien deacuterive

dune maniegravere ou dune autre dAristote459 En loccurrence les progressions argumentatives de

ces deux textes peuvent sexpliquer par le(s) passage(s) dAristote quils commentent La Quaestio

I 1 en effet se constitue de deux moments principaux Le premier qui se fonde sur Λ 6 (jusque

1071b 22) et Λ 7 (jusque 1072a 27) Alexandre y accumule une suite dargument pour laquo eacutetablir la

cause premiegravere raquo (laquo συστήσαι τὸ πρῶτον αἴτιον raquo 2 19) Ainsi le fait-il dabord par modus tollens

en deacutemontrant limpossibiliteacute que tout soit corruptible afin de justifier que puisque le

mouvement est eacuteternel il doit y avoir un premier mouvement non engendreacute (2 20-29) puis quil

doit y avoir un premier mucirc continucircment et non une suite ininterrompue de mouvements se

transmettant de proche en proche (3 1-7) Agrave cet endroit intervient la preacutemisse selon laquelle seul

le deacuteplacement circulaire peut ecirctre un mouvement eacuteternel et continu le corps ainsi mucirc doit ecirctre

le meilleur des corps il est donc animeacute (3 7-14) Degraves lors pour pouvoir ecirctre mucirc comme tout ecirctre

animeacute il doit lecirctre par une impulsion et un deacutesir (laquo καθ ὁρμὴν καὶ κατ ἔφεσίν τινος raquo 3 17)

Son moteur doit donc ecirctre en acte et continucircment en acte pour eacuteviter la reacutegression agrave linfini (3 14

ndash 4 1) La thegravese centrale sur laquelle on reviendra tireacutee dune certaine lecture de Λ 7 1072a 26-27

surgit alors le corps divin est mucirc parce quil contemple son moteur immobile le deacutesire et tend agrave

limiter (laquo τῷ νοεῖν τοῦτο460 καὶ ἔφεσιν καὶ ὄρεξιν ἔχειν τῆς ὁμοιώσεως αὐτοῦ raquo 4 1-3)461 Suit

une preacutecision meacutethodologique qui nous retiendra eacutegalement plus loin et signe la fin du premier

457 Cf Quaestio I 1 2 19 De principiis sect 3 (A Badawi [1987] p 135) Voir aussi In Met 12 10-11 (laquo τὸ γοῦνπρῶτον αἴτιον τὸ κινητικόν raquo) 15 3-5 (sur le premier bien comme cause premiegravere) 18 5-11 (ougraveAlexandre parle du laquo θεὸς raquo comme laquo ἀρχὴ πρώτη καὶ αἰτία τῶν ἄλλων raquo)

458 En 398 b 36 et 399 a 26 Contrairement agrave ce que soutient C Genequand ([2001] p 145) lexpression nestpas si rare en grec On la lit par exemple dans Stobeacutee (Aetius 310 12) ou Marc Auregravele (Penseacutees IX 1 2)

459 S Fazzo [2008a] p 615 n 23 On a eacutemis ci-dessus quelques reacuteserves sur cette thegravese et eacutevoqueacute laneacutecessiteacute de distinguer entre hypertexte et meacutetatexte sect 111b

460 Sur la correction du τὸ αὐτὸ des mss en τοῦτο cf lapparat de Bruns suivi par RW Sharples [1992] p120 et M Rashed [2007b] p 292 n 790 qui explique laquo Les neutres de la phrase qui reprennent lefeacuteminin οὐσία de la phrase preacuteceacutedente srsquoexpliquent sans doute par la reacuteticence drsquoAlexandre agravefeacuteminiser le premier principe dieu raquo

461 Pour les reacutefeacuterences agrave Λ 6 et 7 voir S Fazzo [2008a] p 619-623 Sur cette Quaestio I 1 voir aussi latraduction de M Rashed [2007b] p 291-293

420

Les objets de la meacutetaphysique

moment

Le second moment reprend plus ou moins Λ 7 (1072a 27 sq) mais comme le note agrave

raison S Fazzo de faccedilon bien moins servile que dans le premier moment462 Cest donc aussi la

partie qui nous inteacuteresse le plus Alexandre y entreprend de deacutemontrer trois caracteacuteristiques du

moteur immobile quil est le premier intelligible au plus haut point quil est le premier

deacutesirable et laquo surtout raquo (laquo μάλιστα raquo) la laquo forme motrice du mouvement circulaire raquo (laquo τὸ

κινητικὸν τῆς κύκλῳ κινήσεως εἶδος raquo 4 8) Agrave vrai dire leacuteleacutement inteacuteressant est que dans la

discussion qui suit jamais Alexandre ne justifie que la cause premiegravere soit une forme Bien au

contraire mecircme le fait quelle soit une forme sert agrave fonder ses autres caracteacuteristiques Ainsi pour

lintelligibiliteacute

Κυρίως νοητὸν τὸ εἶδος Ἡ γὰρ ὕληοὐδὲν οὖσα [410] τῶν ὄντων ἐνεργείᾳ κατἀναλογίαν ἐστὶν νοητή καὶ ὡς ὁ Πλάτωνφησὶ νόθῳ λογισμῷ τὸ δὲ εἶδος νοητὸνἐνεργείᾳ τι ὄν καὶ τῶν εἰδῶν μᾶλλον νοητὸντὸ ἐν οὐσίᾳ ἢ τὸ ἐν ἄλλῳ τινί ὅτι καὶμᾶλλον ὄν463 καὶ τῶν ἐν τῇ οὐσίᾳ τὸ μάλισταἁπλοῦν καὶ ἀεὶ ὂν ἐνεργείᾳ μάλιστα γὰρνοητὸν τοῦτο τῷ τε μάλιστα εἶναι ἀεὶ ὂνἐνεργείᾳ καὶ τῷ τῇ ἑαυτοῦ φύσει τὸ ἁπλοῦν[415] νοητόν Καὶ γὰρ τὰ ἐν τοῖς συνθέτοιςτότε νοητά ὅταν ὁ νοῦς αὐτὰ χωρίσῃ τῶν ἐνοἷς ἐστι καὶ ὥσπερ ἁπλᾶ αὐτὰ θεωρῇΤοιαύτη δὲ ἡ κινητικὴ τοῦ παντὸς οὐσία μάλιστα αὕτη νοητή

La forme est eacuteminemment intelligible car lamatiegravere qui nest aucun des eacutetants en acte nestintelligible que par analogie et comme laffirmePlaton par un laquo raisonnement bacirctard raquo464 tandis quela forme est quelque chose en acte Et parmi lesformes celle dans la substance est plus intelligibleque celle dans autre chose parce quelle est aussidavantage un eacutetant et parmi les formes dans lasubstance ltest plus intelligiblegt celle qui est simpleau plus haut point et qui est toujours en acte En effetelle est intelligible au plus haut point du fait quelleest au plus haut point eacutetant toujours en acte et que lesimple est intelligible du fait de sa propre nature Defait ltles formesgt qui reacutesident dans les composeacutes nesont intelligibles que lorsque lintellect les seacutepare dece dans quoi elles reacutesident et quil les contemplecomme si elles eacutetaient simples Telle est la substancequi meut le tout elle-mecircme est intelligible au plushaut point

(Quaestio I 1 4 9-17)

Outre le caractegravere injustifieacute de la nature formelle de la cause premiegravere ce texte appelle

trois autres remarques En premier lieu lextrait montre comment Alexandre lisait le passage

connu de Λ 7 1072a 25-26 Ross et Jaeger impriment ainsi la participiale laquo ἀΐδιον καὶ οὐσία καὶ

ἐνέργεια οὖσα raquo Pour autant que lon puisse tirer quoi que ce soit de substantiel dun maigre

462 S Fazzo [2008a] p 618 et 623

463 M Rashed suppose une haplographie ([2007b] p 293 n 791) RW Sharples [1992] p 120 avec le Ps-Alexandre

464 Platon Timeacutee 52b ndash passage quAlexandre affectionne particuliegraverement

421

Les objets de la meacutetaphysique

iota souscrit la proposition dit que le premier moteur nest pas laquo en acte raquo mais laquo acte raquo465

Alexandre quant agrave lui a tregraves probablement interpreacuteteacute le texte quil avait sous les yeux dans le

sens dun datif466 La cause premiegravere nest pas laquo acte raquo elle est un eacutetant laquo en acte raquo parmi dautres

le sommet dune seacuterie

La chose pourrait paraicirctre minime si elle ne sinscrivait dans le mouvement geacuteneacuteral du

raisonnement Alexandre ne fait pas encore ici explicitement usage du principe de causaliteacute du

maximum mais de sa moitieacute si lon peut dire ie la logique du μᾶλλον et du μάλιστα Cette

tendance est certes deacutejagrave chez Aristote elle preacuteside en Λ 7 agrave largument de la συστοίχια (1072a 26

ndash b 4) Elle se retrouve dans la description de la διαγωγὴ de lintellect divin comme eacutetant la

meilleure la plus agreacuteable et dans la description de son intellection comme la plus haute parce

que portant sur ce quil y a de plus haut (1072b 14-19)467

Chez Alexandre que ce soit dans la Quaestio I 1 ou dans le De principiis cette logique de

lintensification connaicirct une veacuteritable explosion468 Elle est eacutevidemment faciliteacutee par

lhomogeacuteneacuteisation de la seacuterie des formes que suppose largument alexandrinien Parce que la

cause premiegravere est elle-mecircme une forme elle se laisse comparer aux autres formes celles qui

inhegraverent agrave des composeacutes et ne sont intelligibles en acte et laquo seacutepareacutees raquo que par la penseacutee De cette

logique deacutecoulent dans largumentation les proprieacuteteacutes de la cause premiegravere comme simple au

plus haut point et toujours en acte (gracircce en outre agrave lexploitation de lopposition de la substance

aux autres cateacutegories) Coupleacutee avec la deacutetermination de la cause premiegravere comme forme cette

logique du maximum conduit aussi agrave sa qualification de laquo deacutesirable au plus haut point raquo

(laquo μάλιστα ὀρεκτή raquo 4 17-18) et de laquo belle au plus haut point raquo (4 18-19) Cest alors que resurgit

plus clairement le principe de causaliteacute du maximum qui conclut la Quaestio

Ἐν τῷ εἴδει τὸ καλὸν μᾶλλον ἢ ἐν τῇ Le beau est plus dans la forme que dans la

465 Voir aussi Λ 6 1071b 20 et Λ 7 1072 b 27-28 Pour les interpreacutetations de ce nominatif voir entre autresG Aubry [2006] p 19 (qui renvoie agrave tous les passages ougrave Aristote associe lecirctre du premier moteur agravelacte) et p 166 A Laks [2007] (version remanieacutee et compleacuteteacutee de A Laks [2000]) p 112 pour le lienavec DA III 5 430a 17 Voir aussi plus geacuteneacuteralement les p 93-98 pour linterpreacutetation de 1072a 23-26

466 Agrave propos de Quaestio I 1 3 25-26 (laquo ἔσται τις ἀίδιος οὐσία ἁπλῆ καὶ ἀκίνητος ἐνεργείᾳ ltαἰτίαgt raquoladdition de αἰτία par Bruns qui se justifie par le passage parallegravele du Ps-Alexandre est accepteacutee parRW Sharples) cf S Fazzo [2008a] p 622 n 42 laquo le manuscrit le plus ancien J (Vind gr 100) aἐνεργεια sans accent Cest le signe que lonciale devait ecirctre interpreacuteteacutee Les autres copistes ontinterpreacuteteacute le nom au nominatif alors quAlexandre autour de lan 200 ap J-C semble pour sa partlrsquoavoir lu ou interpreacuteteacute au datif raquo La thegravese se veacuterifie dans le De principiis par exemple

467 Pour cette logique de llaquo intensification raquo (et les problegravemes quelle pose) cf A Laks [2007] p 115-117

468 Voir De principiis sect 7-8 19 24 26-27 99-100 104-15 enfin et surtout voir le sect 126 qui relie cettelogique de lintensification aux notions communes sur le dieu

422

Les objets de la meacutetaphysique

ὕλῃ καὶ ἐν εἴδει τῷ ἐν οὐσίᾳ μᾶλλον ἢ ἔντινι ἄλλῳ τῶν γενῶν Διὰ γὰρ τοῦτο καὶ τὰἄλλα ἔστιν Καὶ τῶν ἐν οὐσίᾳ τὸ μάλιστα ὂνκαὶ ἁπλοῦν [425] καὶ ἄμοιρον τοῦ δυνάμεικαλὸν μάλιστα Τοιαύτη δὲ οὖσα δέδεικται ἡπροειρημένη φύσις κυρίως καὶ πρώτως αὕτηὀρεκτή τε καὶ νοητή

matiegravere et plus dans la forme qui est dans lasubstance que dans un autre genre Cest en effet agravecause delle que sont aussi les autres choses Et parmice qui est dans la substance ce qui est au plus hautpoint ce qui est simple et exempt de puissance469 estbeau au plus haut point Telle est comme on lamontreacute la nature preacuteceacutedemment mentionneacutee eacuteminemment et au premier chef agrave la fois deacutesirable etintelligible

(4 22-26)

Il est ici leacutegitime de lire une application du principe de causaliteacute du maximum parce que

le texte opegravere larticulation explicite (qui eacutetait jusqualors implicite) entre le statut de cause et le

statut de maximum pour la forme sans matiegravere Alexandre justifie (laquo γὰρ raquo 4 23) la gradation en

beauteacute qui va de la forme agrave la forme dans la cateacutegorie de la substance par la causaliteacute de cette

forme

La Quaestio enfin appelle une derniegravere remarque elle prouve en effet que la

deacutetermination de la cause premiegravere comme forme sans matiegravere ne provenait pas seulement du

contexte noeacutetique du De anima Plus son ecirctre formel est une donneacutee du raisonnement qui nest

deacuteriveacutee de rien dautre sans doute parce quelle nest pas une proprieacuteteacute ou un mode decirctre de la

cause premiegravere comme sa simpliciteacute son actualiteacute sa beauteacute et son caractegravere deacutesirable La forme

dit lrsquoecirctre mecircme de la cause premiegravere En ce sens aussi son incorporeacuteiteacute est litteacuteralement

primordiale si la cause premiegravere est forme et intelligible au plus haut point elle ne peut quecirctre

sans matiegravere Trop eacutevidente lincorporeacuteiteacute nest dailleurs mecircme pas mentionneacutee ici mais la

Quaestio I 25 et le De anima suffisent agrave confirmer sa position de proprieacuteteacute primordiale470 Noeacutetique

et cosmologie sarticulent donc sans difficulteacute dans la theacuteologie alexandrinienne Ceacutetait deacutejagrave vrai

dAristote puisquon a maintes fois souligneacute les liens entre le De anima et Meacutetaphysique Λ ccedila lest

dautant plus chez Alexandre que le premier moteur est lintellect agent

Degraves lors les doutes de C Genequand agrave propos de la preacutesence du passage proprement

noeacutetique dans le De principiis (sect 99-120) sont au moins partiellement infondeacutes C Genequand

considegravere en effet quagrave rompre ainsi lordre de largumentation ce passage est une

469 Ou comme le propose M Rashed [2007b] p 293 ce qui est laquo exempt de len-puissance raquo Sur cettetraduction voir aussi G Aubry [2006]

470 DA 87 25 sq Quaestio I 25 39 9 sq Voir aussi la deacutemonstration de lincorporeacuteiteacute dans le Deprincipiis sect 109-112

423

Les objets de la meacutetaphysique

interpolation471 Mais cest simplement que ces paragraphes pour des raisons de logique interne agrave

largumentation integravegrent une discussion sur le statut noeacutetique du premier moteur tireacutee de Λ 9

(sect 113-119) agrave un deacuteveloppement geacuteneacuteral sur la causaliteacute du premier moteur comme eacuteromegravene

intelligible (sect 97-112 120-126)472 Ce long passage deacutecoule donc de ce qui preacutecegravede puisque les

paragraphes 95-96 ont clos la discussion sur luniteacute ou la pluraliteacute des moteurs immobiles en

soulignant la difficulteacute de cette question eu eacutegard agrave limmateacuterialiteacute du ou des moteur(s) et en

revenant agrave la faccedilon dont les sphegraveres ceacutelestes sont mues Agrave lautre bout du deacuteveloppement

noeacutetique enfin les paragraphes 126 et suivants enteacuterinent le fait que le premier moteur meuve

comme objet de deacutesir et dimitation et deacutecrivent les conseacutequences du mouvement quil met en

branle

Non seulement la thegravese de la cause premiegravere comme forme nest pas deacutementie par les

textes plus directement theacuteologiques dAlexandre mais elle sy trouve mecircme renforceacutee Ici se

situe la fine pointe de lextension alexandrinienne de lhyleacutemorphisme ndash et leacutecart avec Aristote Il

faut en effet rappeler que jamais le Philosophe ne qualifie explicitement le premier moteur de

forme et semble mecircme reacuteticent agrave employer ce vocabulaire en Λ473 Un passage en Λ 8 parle certes

de la laquo premiegravere quidditeacute raquo qui est sans matiegravere et enteacuteleacutechie et en tire dans la proposition

immeacutediatement suivante une conclusion sur le premier moteur immobile474 Le passage est

toutefois bien peu clair et requiert une extrecircme prudence475 Que ce passage ait ou non servi agrave

471 C Genequand [2001] p 16-17 C Genequand avance aussi agrave partir de larabe des arguments textuelsque nous ne sommes pas en mesure deacutevaluer

472 Sur la division de ce passage en fonction de ses textes-sources cf S Fazzo [2008a] p 616

473 Cf EE Ryan [1970] G Aubry [2006] p 19-20 On a repris ces eacuteleacutements dans G Guyomarch [2008]p 326 sq De Λ 6 agrave 9 laquo εἶδος raquo napparaicirct que trois fois deux fois pour dire les Ideacutees platoniciennes etune fois au datif pour exprimer luniciteacute speacutecifique du ciel (1071 b 15 1071b17 1074 a 32) Commenous la suggeacutereacute M Crubellier on pourrait ajouter quen Λ 4 Aristote propose un scheacutema dans lequelle moteur est un facteur distinct de la forme et que la fin du chapitre eacutetend explicitement ce scheacutema aulaquo premier de tous les moteurs raquo qui laquo meut toutes choses raquo cf Λ 4 1070b 34-35 et sur les deuxinterpreacutetations possibles de cette proposition M Crubellier [2000] p 158 M Crubellier y discutelinterpreacutetation dAverroegraves (p 1529-1530 Bouyges) selon qui la forme du premier moteur est en un senstoutes les formes Or Averroegraves se reacutefegravere juste apregraves agrave Alexandre (Fr 20a et 20b Freudenthal) et lon peutdegraves lors se demander si linterpreacutetation du moteur comme forme de toutes les formes nest pas deacutejagravedAlexandre

474 MetΛ 8 1074a 35-37 laquo τὸ δὲ τί ἦν εἶναι οὐκ ἔχει ὕλην τὸ πρῶτον ἐντελέχεια γάρ ἓν ἄρα καὶ λόγῳκαὶ ἀριθμῷ τὸ πρῶτον κινοῦν ἀκίνητον ὄν raquo

475 Le raisonnement se construit ainsi tout ce qui est multiple a une matiegravere or la premiegravere quidditeacute estsans matiegravere donc le premier moteur et le premier mucirc sont numeacuteriquement un Rien logiquementnimplique que la premiegravere quidditeacute deacutesigne le premier moteur elle peut aussi tout agrave fait deacutesigner lepremier mucirc Pour les anomalies de ce passage et son apparente contradiction avec la section 1073b 3 ndash1074a 14 cf GER Lloyd [2000] p 266-267 et F Baghdassarian [2011] p 407-408 et p 442 sq (laquo une

424

Les objets de la meacutetaphysique

Alexandre ou que la thegravese de la cause premiegravere comme forme soit la continuation dune tradition

anteacuterieure il reste quelle fait systegraveme dans la penseacutee de lExeacutegegravete476

Lunivers alexandrinien compte donc trois types de formes qui correspondent aux trois

sortes de substances mentionneacutees dans le commentaire agrave Γ Alexandre y reprenait la distinction

entre substances mobiles et corruptibles mobiles mais incorruptibles immobiles et eacuteternelles477

Au plus bas de leacutechelle reacutesident donc ces formes donneacutees dans une matiegravere qui ne sont

seacuteparables et intelligibles en acte que par la penseacutee Le deuxiegraveme niveau correspond aux acircmes

des sphegraveres ceacutelestes Il ny a plus pour Alexandre que huit sphegraveres celle des fixes celles des cinq

planegravetes celles enfin du soleil et de la lune478 Leur matiegravere pour autant quelle meacuterite ce nom

neacutetant que locale ces substances sont effectivement incorruptibles479 Immobiles en elles-mecircmes

leurs acircmes sont cependant mues par accident480 Or Alexandre distingue les acircmes des sphegraveres

ceacutelestes de leur(s) moteur(s) Chaque sphegravere est animeacutee et son acircme est diffeacuterente du moteur

contraction finale raquo) Certains auteurs ont en effet eacuteteacute tenteacutes de consideacuterer ce passage final comme uneaddition ulteacuterieure (par exemple W Jaeger [1948] tr fr [1997] p 367 B Dumoulin [1986] p 337) Ilnest pas certains que ces arguments soient les plus convaincants mais ils montrent agrave tout le moinscombien il est hasardeux de tirer de ce passage des conclusions deacutefinitives quant agrave lecirctre du premiermoteur

476 La thegravese de la cause premiegravere comme forme se lit aussi en In Met 171 9 sq Quaestio I 25 39 10-15 De intellectu 108 2 Un passage du commentaire agrave la Physique semble remettre en cause cetteconclusion (M Rashed [2011a] scolie 818 p 639 cf Simplicius In Phys 1354 25-34) qui affirme quele premier moteur nest pas une forme En fait le passage vise plus exactement linheacuterence du premiermoteur et refuse que celle-ci soit assimilable agrave linheacuterence dune forme Sur ce texte cf M Rashed[2007b] p 314 Quant agrave savoir si la thegravese de la cause premiegravere comme forme est simplement unheacuteritage cf tout de mecircme Ps-Plutarque (Aetius) Placita philosopharum 381e-f laquo Ἀριστοτέλης τὸν μὲνἀνωτάτω θεὸν εἶδος χωριστὸν ἐπιβεβηκότα τῇ σφαίρᾳ τοῦ παντός ἥτις ἐστὶν αἰθέριον σῶμα τὸπέμπτον ὑπ αὐτοῦ καλούμενον raquo

477 In Met 251 23-38 (texte 2 ci-dessus au sect 242a) Cf M Rashed [2007b] p 319-322

478 Quaestio I 25 40 23-27 laquo πλειόνων δὲ σφαιρῶν οὐσῶν τῶν τοῦ θείου σώματος ἡ μὲν πρώτη τε καὶἐξωτάτω ἁπλῆν τε καὶ μίαν κινεῖται κίνησιν ἐκείνης ἐφέσει τῆς οὐσίας αἱ δὲ μετὰ ταῦτα ἑπτὰκινοῦνται μὲν καὶ τούτων ἑκάστη ἐφέσει τε καὶ ὀρέξει τῆς οὐσίας ὁποίας καὶ ἡ πρὸ αὐτῶν raquo Sur lelien de cette reacuteduction du nombre de sphegraveres par rapport aux 55 47 ou 49 dAristote cf RW Sharples[1982a] p 209 n 91 et [1992] p 85 n 261 Sharples renvoie aux modifications de lastronomie avantAlexandre cf par exemple Theacuteon de Smyrne De utilitate mathematicae 180 22 sq agrave propos dAdrastedAphrodise Voir aussi In Met 40 28 sq

479 Cf Quaestiones I 10 et I 15 De mixione 229 6-9 IM Bodnar [1997] p 190 n 3 M Rashed [2007b] p321

480 Selon le teacutemoignage de Simplicius In Phys 1261 30-33 laquo καὶ ὁ μὲν Ἀλέξανδρος τὰς ἐν ταῖςπλανωμέναις σφαίραις ψυχὰς κατὰ συμβεβηκὸς κινεῖσθαί φησιν οὐχ ὑφ ἑαυτῶν μέντοι ἀλλ ὑπὸτῆς τὰ σώματα αὐτῶν κινούσης διότι ἐν τούτοις εἰσὶ κινουμένοις οὐκ ἐπὶ τὰ αὐτά ἐφ ἃ κινεῖταιὑπὸ τῶν ἐν αὐτοῖς ἀκινήτων raquo Sur ce passage voir RW Sharples [1982a] p 209

425

Les objets de la meacutetaphysique

quelle deacutesire481 Enfin lultime sorte de forme est ce moteur la cause premiegravere forme de toutes

les formes482 Cette description requiert une explication

Le problegraveme reacuteside en effet dans le nombre de moteurs immobiles cest-agrave-dire le nombre

de formes pures quAlexandre accepte faut-il accorder agrave chaque sphegravere son propre moteur le

premier moteur deacutesignant alors celui de la sphegravere des fixes ou bien ny en a-t-il quun que

toutes les sphegraveres deacutesirent chacune agrave leur faccedilon La question reacutepegravete une difficulteacute chez Aristote

lui-mecircme et lon peut attendre de son Exeacutegegravete quil lait traiteacutee Or les choses ne sont pas aussi

simples dautant que chez les lecteurs dAlexandre la question se deacuteporte immeacutediatement vers

celle de son supposeacute platonisme ndash diagnostic quil vaut mieux suspendre pour traiter la

question483

Tout dabord lorsque le De anima opegravere une typologie des formes le nombre des formes

seacutepareacutees oscille sans cesse entre luniteacute et la pluraliteacute Le passage (87 6 ndash 88 16) va permettre agrave

Alexandre de poser lexistence de lintellect agent484 LAphrodisien y repart de la diffeacuterence entre

sensation et intellection quil distingue agrave la fois par leurs objets et par la maniegravere dont toutes

deux les discernent La sensation reccediloit la forme dans la matiegravere et porte donc sur lindividu elle

discerne le composeacute Lintellect discerne la forme du composeacute sans sa matiegravere ni en tant que

matiegravere Ici intellect et sensation portent donc sur les mecircmes formes les formes laquo mateacuterielles raquo ou

laquo donneacutees dans une matiegravere raquo (τὰ ἔνυλα εἴδη) mais laquo cest en un sens que la sensation les

discerne et lintellect en un autre raquo485

Mais Alexandre pose un second type de formes des laquo formes par soi seacutepareacutees de la

481 Quaestio I 1 4 1 sq Quaestio I 25 40 8-10 Voir RW Sharples [1982a] p 208 Sur le contexteexeacutegeacutetique dune telle position dAlexandre cf Simplicius In De caelo 381 5 sq RW Sharples [2002a]p 4 sq Voir aussi pour le De principiis par exemple sect 96 et C Genequand [2001] p 9-10 Surlapparente remise en question de cette thegravese par Simplicius (In Phys 1261 33-37) cf RW Sharples[1982a] p 208 et [2002a] p 18-19

482 Si lon accepte notre hypothegravese selon laquelle la proposition dAverroegraves (p 1529 Bouyges) qui veut quela forme du premier moteur est en un sens toutes les formes reprendrait deacutejagrave une thegravesealexandrinienne Cette thegravese du Cordouan se situe en effet juste avant une citation dAlexandre (Fr 20aFreudenthal) Pour meacutemoire on trouve lexpression laquo forme des formes raquo pour lintellect chez AristoteDA III 8 432a 2 mais Aristote ne veut sans doute pas y dire que lintellect est une forme suprecircme

483 P Merlan [1963] par exemple p 17 laquo we see that Alexander unhesitatingly assumes the existence ofimmanent eidegrave roughly corresponding to Aristotles forms ie Platonic ideas made immanent but also ofimmaterial transcendent intelligibles raquo Alexandre serait donc fidegravele agrave la distinction dAlcinoos entreintelligibles premiers et seconds (Didaskalikos 155 39-41)

484 RW Sharples [1987] p 1211

485 DA 87 5-6

426

Les objets de la meacutetaphysique

matiegravere et de tout substrat raquo486 (87 26) Pour ces formes il ny a pas de distinction entre lὕπαρξις

et lεἶναι τῇ ἐπινοίᾳ il ny a pas de diffeacuterence entre ce quelles sont en elles-mecircmes (laquo par leur

subsistance propre raquo487) et ce quelles sont par la penseacutee Pour elles laquo le ceci est identique agrave

lessence raquo488 Lunification des modes dexistence va de pair avec celle des faculteacutes qui les

saisissent laquo seul lintellect est capable de les contempler raquo489 Mais cette contemplation nest pas

actualisation de lintelligibiliteacute comme il en va pour les formes des composeacutes sensibles parce

que preacuteciseacutement lexistence de ces formes incorporelles ne compose pas avec la matiegravere et que

ces formes sont degraves lors intelligibles en acte laquo sans le secours de ce qui les pense raquo elles sont des

intellects490

Or si Alexandre emploie un pluriel en 87 26 il revient au singulier en 88 2 Cest

pourquoi RW Sharples ne lit dans ce pluriel quune geacuteneacuteralisation transitoire491 et lon peut

porter au creacutedit de sa lecture le fait que ce pluriel se trouve au sein dune proposition

hypotheacutetique Cependant le pluriel se retrouve clairement reacutepeacuteteacute en 88 6-9 mais sera finalement

reacuteduit agrave luniteacute lorsquil sera question de lintellect agent

Le texte est donc peu stable et cette mecircme instabiliteacute traverse le Commentaire agrave la

Meacutetaphysique le deacutebut du commentaire agrave B neacutevoque quune laquo cause raquo forme absolument sans

matiegravere qui est le dieu et lintellect492 Quelques pages plus loin dans le commentaire agrave la

preacutesentation de la huitiegraveme aporie Alexandre annonce lenquecircte de Meacutetaphysique Λ 8 et laisse agrave

deux reprises ouverte la possibiliteacute que ces formes sans matiegravere soient plusieurs en nombre493

Enfin dans le commentaire agrave Δ 8 Alexandre mentionne au pluriel les moteurs des sphegraveres

ceacutelestes en les opposant aux formes des composeacutes sublunaires et en les deacutecrivant comme des

486 DA 87 25-27 laquo εἰ δέ τινά ἐστιν εἴδη ὡς τὰ καθ αὑτά χωρὶς ὕλης τε καὶ ὑποκειμένου τινός ταῦτακυρίως ἐστὶ νοητά raquo

487 DA 88 7 laquo κατὰ τὴν οἰκείαν ὑπόστασιν raquo

488 DA 87 20

489 DA 87 21-22

490 DA 87 28 ndash 88 1

491 RW Sharples [1987] p 1211 laquo the references to pure forms in this passage are generally in the plural butboth these and the exceptions in the singular seem to be abstract generalizations raquo

492 In Met 171 9-11 laquo περὶ γὰρ τοῦ αἰτίου καὶ εἴδους ὃ πάντῃ ἄυλός ἐστιν οὐσία κατ αὐτόν ἣν καὶπρῶτον θεὸν καὶ νοῦν καλεῖ ὁ λόγος ἐν τούτοις προηγουμένως αὐτῷ γίνεται raquo

493 In Met 178 19-21 (laquo καὶ εἰ ἔστι τι αἴτιον χωριστὸν καὶ ἄυλον πότερον ἓν τοῦτο κατ ἀριθμόν ἐστινἢ πλείω περὶ ὧν αὐτὸς ἐν τῷ Λ τῆσδε τῆς πραγματείας λέγει raquo) et 179 1-2 (laquo καὶ εἰ ἔστιν ὅλωςἄυλά τινα εἴδη ὁπόσα ταῦτά ἐστι περὶ ὧν ὡς προεῖπον ποιήσεται λόγον ἐν τῇ περὶ τῶνἀνελιττουσῶν θεωρίᾳ raquo)

427

Les objets de la meacutetaphysique

substances au sens des Cateacutegories Ces formes reacutealisent lunification de lensemble des critegraveres de

la substantialiteacute ce sont non seulement des formes mais encore des formes autonomes

subsistant par elles-mecircmes

Ἐπιζητήσαι τις ἂν πρὸς τοῦτο περὶ τῶνεἰδῶν τῶν ἐν τοῖς θείοις [3761] σώμασιν ταῦτα γὰρ οὔτε ἔνυλα οὔτε φθαρτὰ καὶχωριστὰ τῇ ἐπινοίᾳ τοῦ ὑποκειμένου αὐτοῖςσώματος Τὰ μὲν γὰρ κινητικὰ αὐτῶν εἴδηεἴη ἂν ἐν τῇ πρώτῃ μοίρᾳ τῆς οὐσίας ἄτομοιγὰρ καὶ αὗται οὐσίαι καὶ ἔσχατοι καὶ ἐνμηδενὶ οὖσαι

On peut enquecircter en outre sur les formes dans ledomaine des corps divins Celles-ci en effet ne sontni dans une matiegravere ni corruptibles ni seacuteparables parla penseacutee du corps qui serait leur substrat Dune parten effet les formes qui les meuvent seraient dessubstances de premier ordre car elles aussi sontindivisibles ultimes et ne reacutesident dans rien

(In Met 375 37 ndash 376 3)

Si ce texte identifiait lacircme des sphegraveres avec leurs moteurs il irait contre la thegravese standard

de lExeacutegegravete Mais les formes en question correspondent bien aux moteurs immobiles des sphegraveres

ceacutelestes et non agrave leur acircme comme lindique le laquo κινητικὰ raquo494 La mention laquo ἐν τοῖς θείοις

σώμασιν raquo ne doit pas eacutegarer elle ne signifie pas que les moteurs inhegraverent aux sphegraveres au sens

de linheacuterence hyleacutemorphique495 Ces formes sont bien les substances premiegraveres du commentaire

agrave Meacutetaphysique Γ distinctes des substances au second sens les sphegraveres elles-mecircmes ou leur acircme

La question de la pluraliteacute ou de luniteacute des moteurs immobiles meacuteriterait decirctre

poursuivie mais une remarque de simple logique simpose Dun point de vue linguistique

lemploi par Alexandre dun singulier est aiseacutement compatible avec la thegravese dune pluraliteacute de

formes sans matiegraveres Soutenir que la theacuteologie a pour objet une forme (parce quelle est premiegravere

et eacuteminente) ne contredit pas la conception dune pluraliteacute des moteurs ceacutelestes ndash et peut

saccompagner en sous-main par exemple dune hieacuterarchie de ces moteurs En revanche

lemploi du pluriel dans les textes ne saccorde que difficilement avec une doctrine de luniciteacute du

premier moteur Or ce pluriel est reacutecurrent Toutefois comme on va le voir plus loin dans le feu

de laction argumentative lorsquAlexandre eacutelabore la complexe meacutecanique ceacuteleste du

mouvement des sphegraveres il ne preacutesuppose jamais quun seul moteur immobile496

Lheacutesitation de lExeacutegegravete si comme nous tendons agrave le penser il y en a une porte au fond

494 Alexandre ne distingue pas entre κινητικόν qui deacutesignerait un moteur mucirc et κινοῦν un mouvantimmobile (agrave la faccedilon de L Couloubaritsis [1997] p 75 n 71) Cf par exemple In Met 12 11 Quaestio I1 4 8

495 Cf le teacutemoignage clair de Philopon qui cite le commentaire dAlexandre au DA II 3 415a 11 (In DA261 10-15) et le passage citeacute ci-dessus du commentaire perdu agrave la Physique (M Rashed [2011a] scolie818 p 639 cf Simplicius In Phys 1354 25-34)

496 Cf en ce sens IM Bodnar [1997] p 192 n 8

428

Les objets de la meacutetaphysique

sur la difficulteacute de savoir comment des formes sans matiegravere pourraient ecirctre numeacuteriquement

multiples et distinctes les unes des autres Cest lun des problegravemes que pose la section finale de

Λ 8 problegraveme repris par Theacuteophraste497 et Alexandre dans son De principiis Mecircme en reacuteduisant le

nombre de sphegraveres agrave huit on neacutelimine en effet pas la question de la multipliciteacute numeacuterique de

leurs moteurs puisquils sont absolument sans matiegravere Le De principiis affirme ainsi quils ne

peuvent ecirctre ni speacutecifiquement identiques (sinon leur distinction exigerait une matiegravere) ni

speacutecifiquement multiples (sinon il faudrait une diffeacuterence speacutecifique donc une composition qui

contredirait leur simpliciteacute)498

La solution de laporie consiste agrave soutenir une multipliciteacute en ordre selon lanteacuterieur et le

posteacuterieur Cette solution est dabord critiqueacutee parce quelle semble supposer une forme de

contrarieacuteteacute qui est inacceptable dans le supralunaire499 Au comble dune ontologie scalaire

lAphrodisien comprend en effet ici lordre selon lanteacuterieur et le posteacuterieur en termes

daugmentation et de diminution ce qui suppose que les choses ainsi ordonneacutees participent de

lun des contraires au sens ougrave quelque chose de moins chaud le serait par participation du froid

Mais lobjection est ensuite retourneacutee un ordre selon lanteacuterieur et le posteacuterieur nimplique pas

neacutecessairement de contrarieacuteteacute Alexandre renvoie ici au fameux sens de lanteacuterioriteacute qui semble

jouer un rocircle crucial dans sa meacutetaphysique lanteacuterioriteacute substantielle500 Il explique alors

pourquoi une diffeacuterence en anteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute nimplique pas de contrarieacuteteacute via lexemple

de la chaleur une chose peut ecirctre moins chaude quune autre sans pour autant ecirctre meacutelangeacutee agrave

du froid (sect 93) Il est donc leacutegitime de parler dune hieacuterarchie des moteurs ceacutelestes selon

Alexandre cest-agrave-dire une pluraliteacute de formes quon peut bien qualifier de laquo pures raquo501 ordonneacutee

497 Theacuteophraste De principiis (laquo Meacutetaphysique raquo) 5a 14 sq

498 Voir respectivement De principiis sect 86 et 87 Cf C Genequand [2001] p 10-11 et deacutejagrave RW Sharples[1982a] p 209

499 De principiis sect 88

500 De principiis sect 92 en reacutefeacuterence sans doute agrave Met Λ 8 1073b 1-3 comme le note C Genequand [2001]p 11 Mais contrairement agrave ce que dit C Genequand (note ad loc p 160) Aristote parle bien dans laMeacutetaphysique dune anteacuterioriteacute selon la substance agrave savoir en Δ 11 Passons sur la confusion danslaquelle tombe ensuite (p 11-12) C Genequand entre προς ἕν et ἐφεξῆς Sur les substances divinescomme laquo plus nobles raquo (laquo τιμιώτεραι raquo) cf In AnPr 4 5-7 Lanteacuterioriteacute substantielle du premiermoteur est aussi affirmeacutee dans le De principiis sect 62 qui justifie que le premier moteur soit une substanceparce quil est impossible que ce qui est anteacuterieur agrave la substance ne soit pas une substance

501 Le terme nest pas chez Alexandre mais si lon entend par lagrave comme il est courant une formeimmateacuterielle et seacutepareacutee alors cela sapplique parfaitement agrave ce quil en dit Sur cette expression cf EERyan [1973]

429

Les objets de la meacutetaphysique

selon leur noblesse et leur degreacute decirctre502

b) Agrave quoi bon un dieu

Les personnages eacutetant poseacutes il faut maintenant esquisser comment se joue la piegravece

Au sommet de lordre du monde ou plus exactement agrave sa circonfeacuterence503 reacuteside le

premier moteur immobile forme pure qui se pense elle-mecircme intellect eacuteternellement en acte

voire laquo acte pur raquo ndash lexpression trouve peut-ecirctre sa premiegravere occurrence chez Alexandre504 Le

premier moteur conformeacutement agrave la double critique du platonisme et du stoiumlcisme preacutesenteacutee dans

le commentaire agrave la huitiegraveme aporie de B nest ni purement seacutepareacute ni immanent505 La thegravese

permet en outre agrave lExeacutegegravete dassigner un laquo lieu raquo agrave un ecirctre qui nest pas corporel Le premier

moteur est une laquo substance par soi qui emplit la totaliteacute de la surface exteacuterieure raquo du ciel506

Une question est de savoir si sa penseacutee seacutetend eacutegalement agrave ce qui deacutecoule de lui ce quil

met en mouvement Le De anima naborde pas cette question et reste malgreacute tout focaliseacute sur

lintellection humaine De mecircme la penseacutee de soi nest octroyeacutee quagrave lintellect humain quand il

est en acte et seulement de faccedilon accidentelle elle ny est pas explicitement accordeacutee agrave la cause

premiegravere507 En revanche le De principiis argumente clairement en faveur dune intellection du

premier moteur restreinte agrave lui-mecircme508 La thegravese est confirmeacutee par une citation dAverroegraves le De

502 Cela deacutecoule de lexemple du chaud mais aussi et surtout du commentaire agrave Meacutetaphysique α cf InMet 147 3 ndash 148 10 (citeacute ci-dessus sect 213a) Quil y ait un ordre dans le ciel voire une hieacuterarchieselon les peacuteripateacuteticiens est mentionneacute par Atticus Fr 3 sect 9 (laquo εἰ καὶ τὰ κατ οὐρανὸν ἐν τάξει τινὶ καὶκόσμῳ διοικεῖται raquo)

503 Cf par exemple Simplicius In Phys 1354 26 sq

504 Voir lexpression en arabe du moins dans le De principiis sect 64 R Brague fait lhypothegravese quil sagiraitde la premiegravere occurrence dans R Brague [2002] p 202

505 Cf ci-dessus sect 113b laquo Seacutepareacute raquo doit sentendre ici au sens du χωρισμός reprocheacute agrave Platon non ausens de lindeacutependance dexistence que possegravede le premier moteur immobile

506 Commentaire perdu agrave la Physique scolie 821 (M Rashed [2011a] p 640-641)

507 Pour la penseacutee de soi par accident cf DA 86 15 sq Sauf erreur lexpression laquo νόησις νοήσεως raquonapparaicirct agrave aucun moment du corpus grec dAlexandre

508 De principiis sect 107 112-116 Logiquement la chose devrait sappliquer aux autres moteurs immobilesmais ces passages neacutevoquent le premier moteur quau singulier La thegravese selon laquelle les moteursimmobiles devraient se penser les uns les autres a eacuteteacute avanceacutee par P Donini [1974] p 32-34Contrairement agrave ce que soutient RW Sharples [2002b] p 8 n 31 le paragraphe 114 ne soutient pasvraiment que le premier moteur pense autre chose que lui-mecircme agrave la suite du sect 114 lhypothegravese selonlaquelle il pourrait le faire est contredite par limpossibiliteacute quil pense quelque chose de moins nobleque lui

430

Les objets de la meacutetaphysique

intellectu et la Quaestio I 25 dans une argumentation tregraves semblable agrave celle du De principiis509

Un passage du De principiis cependant laisse ouverte la possibiliteacute quil faille aussi au

premier moteur penser ce qui reacutesulte du mouvement du corps divin quil meut (sect 120) Le De

providentia propose la mecircme thegravese (65 13 sq Ruland) en arguant que lopinion selon laquelle le

dieu ne connaicirctrait pas ce qui advient gracircce agrave lui est absurde510 parce queacutetant le plus sage des

ecirctres il doit aussi connaicirctre ce qui eacutemane de lui Mais le corpus ne semble pas agrave notre

connaissance contenir de deacuteveloppement explicitant lapparente contradiction avec les passages

qui soutiennent une intellection divine limiteacutee agrave elle-mecircme511

Apregraves la cause premiegravere vient le premier mucirc Le mouvement de la sphegravere des fixes est

simple continu eacuteternel et circulaire Il est seulement causeacute par le deacutesir dimiter le premier moteur

immobile512 Les sphegraveres des planegravetes du soleil et de la lune quant agrave elles sont mues de deux

mouvements513 Elles le sont dune part par un mouvement autonome douest en est causeacute par le

mecircme deacutesir dimiter le moteur immobile514 Elles sont mues en outre par un mouvement diurne

509 Pour le teacutemoignage dAverroegraves cf p 1623 Bouyges (C Genequand [1986] p 161) = Fr 32 FreudenthalCf agrave ce sujet S Pines [1987] p 179 De intellectu 109 23-25 laquo καὶ ὁ πρῶτος δὲ νοῦς καὶ ἐνεργείᾳνοῦς αὑτὸν νοεῖ παραπλησίως καὶ διὰ τὴν αὐτὴν αἰτίαν Ἀλλἐκεῖνος πλέον τι παρὰ τοῦτονἔχει Οὐδὲν γὰρ ἄλλο ἢ αὑτὸν νοεῖ raquo laquo Quant au premier intellect cest-agrave-dire lintellect en acteil se pense aussi lui-mecircme presque de la mecircme maniegravere et pour la mecircme raison Mais celui-cipossegravede quelque chose de plus que le preacuteceacutedent [ie lintellect humain] il ne pense rien dautreque lui-mecircme raquo Le passage de la Quaestio I 25 est le suivant (39 11-14) laquo νοῦν δὲ τὸν κατἐνέργειαν ἀεὶ γὰρ νοοῦντα καὶ νοοῦντα τὸ τῶν ὄντων ἄριστον τοῦτο δ ἐστὶν αὐτός αὑτὸν δὴ ἀεὶνοεῖ ὁ νοῦς οὗτος τὸ γὰρ μάλιστα νοητὸν ὁ μάλιστα νοῦς νοεῖ μάλιστα δὲ νοητὸν τὸ χωρὶς ὕληςεἶδος raquo et quelques lignes plus loin (39 19-20) laquo ἀλλὰ μὴν ἡ τοιαύτη οὐσία ὁ προειρημένος νοῦςἐστιν διὸ ἑαυτὸν νοεῖ raquo

510 S Fazzo M Zonta [1999] p 143 P Thillet ([2003] p 115) donne une traduction en tout pointsimilaire laquo En outre la thegravese selon laquelle Dieu ne connaicirctrait pas les choses qui viennent agrave lecirctre parlui est tout agrave fait absurde raquo Sur la possibiliteacute que cette thegravese se lise aussi dans la Quaestio II 21 cf RWSharples [2002b] p 8 et n 32

511 Pour un contraste sur cette question avec Theacutemistius cf S Pines [1987]

512 Voir entre autres De principiis sect 7-12

513 La description qui suit est tireacutee de la Quaestio I 25 dans la lecture deacutefendue par IM Bodnar [1997] quientreprend de reacutesoudre sans transformation excessive du texte les problegravemes souleveacutes par RWSharples [1982a] p 209-210 agrave propos du passage de 40 23 -30 Voir aussi pour une descriptionsimilaire le teacutemoignage de Simplicius In De caelo 472 8 sq

514 La difficulteacute reste entiegravere de savoir sil sagit de leur propre moteur immobile ou du premier dentreeux (mais dans ce cas agrave quoi serviraient les autres moteurs ) Le problegraveme repose entre autres sur lalecture de la Quaestio I 25 40 25-27 laquo αἱ δὲ μετὰ ταῦτα ἑπτὰ κινοῦνται μὲν καὶ τούτων ἑκάστηἐφέσει τε καὶ ὀρέξει τῆς οὐσίας ὁποίας καὶ ἡ πρὸ αὐτῶν raquo Dans laquo ἐφέσει τε καὶ ὀρέξει τῆςοὐσίας raquo le laquo τῆς raquo est une correction de Bruns contre un laquo τινὸς οὐσίας raquo donneacute par tous lesmanuscrits qui convient mieux agrave lὁποίας qui suit (RW Sharples [1982a] p 209 n 92 IM Bodnar[1997] p 192 n 8) Sur ce deacutesir de lacircme des sphegraveres pour le premier moteur cf le commentaire agraveMeacutetaphysique Λ Fr 21 Freudenthal (Averroegraves p 1534-1535 Bouyges) Cf aussi Simplicius In Phys 1354

431

Les objets de la meacutetaphysique

opposeacute au preacuteceacutedent causeacute par le mouvement de la premiegravere sphegravere En un sens donc tous les

mouvements reacutesultent du premier moteur515 Celui-ci meut comme cause finale objet ultime vers

lequel tend la volonteacute rationnelle des sphegraveres ceacutelestes (βουλητόν βούλησις)516 Cette volonteacute est

libre mais parce quelle est ferme et rationnelle elle explique la reacutegulariteacute du mouvement de la

premiegravere sphegravere517

Que le moteur immobile soit laquo aimeacute raquo par lensemble des sphegraveres signifie que celles-ci

veulent sy assimiler non pas quelles veulent lacqueacuterir518 En ce sens selon Alexandre le

mouvement de la sphegravere des fixes laquo imite raquo le repos du premier moteur immobile Plus

geacuteneacuteralement cest cette quecircte dassimilation qui rend raison de la tendance (ἔφεσις) inheacuterente agrave

toute substance ndash et non pas uniquement aux substances animeacutees ndash agrave actualiser sa forme agrave se

perfectionner et ainsi agrave deacutesirer une immortaliteacute restaureacutee (laquo ἐφέσει ἀθανασίας ἐπισκευαστῆς

τινος raquo DA 36 7)519 Les substances sont ainsi polariseacutees par le deacutesir du bien suprecircme520

Cette conception alexandrinienne des rapports entre les sphegraveres et leur moteur est

29-34

515 Cest ce qui explique sans doute le passage de Simplicius In Phys 1357 6 sq ougrave il est dit que selonAlexandre mecircme le mouvement diurne est causeacute par le moteur de la premiegravere sphegravere Cf RWSharples [1982a] p 2010 et IM Bodnar [1997] p 199 n 25 Voir de mecircme De principiis sect 55

516 Simplicius In Phys 941 21 ndash 942 2 M Rashed [2007b] p 297-298 Certains teacutemoignages semblentoctroyer au premier moteur une causaliteacute efficiente par exemple Simplicius In Phys 258 14-15 etCommentaire perdu agrave la physique scolie 826 Voir agrave ce sujet RW Sharples [2002a] p 19 n 94 M Rashed[2007b] p 198 M Rashed [2011a] p 127 n 234 Ces passages ne sont pas dirimants

517 Cf au sujet de lemploi en ce contexte de βούλησις les reacuteflexions de M Rashed [2011a] p 130-133Voir aussi le fragment 30 de Freudenthal (Averroegraves 1605 Bouyges) traduit dans C Genequand [1986]p 154 et M Rashed [2011a] p 130

518 Cf Quaestio I 25 40 17-18 (laquo ἡ δ ἔφεσις αὐτῷ οὐ τοῦ λαβεῖν αὐτό raquo) et 40 21-23 laquo ἔτι τε ὁμοίωσίςἐστι τῷ τελείῳ καὶ ἡ καθόλου ἣν δύναται ἕκαστον τῶν ὁμοιοῦltσθαι ἐφιεgtμένων αὐτῷltτελειοῦσθαιgt τελειότης τελειότης δὲ τοῦ κυκλοφορητικοῦ σώματος ἡ τοιαύτη περιφορά raquo Ladistinction entre la fin vers laquelle on tend et la cause finale au sens de ce dont on cherche agrave semparertrouve son origine dans une certaine lecture de Met Λ 7 1072b 2-3 texte extrecircmement disputeacutequAlexandre a sans doute lu comme laquo ἔστι γὰρ τινὶ τὸ οὗ ἕνεκα καὶ τινός ὧν τὸ μὲν ἔστι τὸ δ οὐκἔστι raquo (reconstruit avec prudence par M Rashed [2011a] p 127-130 agrave la diffeacuterence de E Berti parexemple dans E Berti [2000] p 230) Alexandre y a en effet lu une distinction entre la fin dont lecirctre estindeacutependant de celui qui tend vers elle et la fin comme le beacuteneacuteficiaire qui est transformeacute parlacquisition de la fin Sur ce texte voir entre autres S Fazzo [2002b] et en particulier p 370-375 pourune autre reconstitution du texte lu par Alexandre Voir aussi A Laks [2007] p 107 F Baghdassarian[2011] p 296 sq Le passage est souvent lu en lien avec DA II 4 415b 2-3 mais le lien entre les deuxtextes nest pas non plus exempt de toute difficulteacute Cf aussi GA II 6 742a 20 sq

519 Pour le fait que mecircme les substances inanimeacutees peuvent ecirctre creacutediteacutees dune laquo ἔφεσις raquo cf la QuaestioII 23 et M Rashed [2011a] p 143 Le terme laquo ἔφεσις raquo se lit deacutejagrave chez Theacuteophrase

520 Pour lidentification de la laquo cause premiegravere raquo au bien suprecircme que laquo toutes choses deacutesirent raquo cf In Met14 15 15 3 sq 160 12 (laquo τὸ κυριώτατον ἀγαθόν οὗ πάντα ἐφίεται raquo)

432

Les objets de la meacutetaphysique

devenue agrave des degreacutes divers lopinio communis de la theacuteologie aristoteacutelicienne521 Agrave ce titre aussi

elle a subi toutefois une cinglante critique de la part dE Berti Rappelons-en briegravevement lenjeu

Que le mouvement circulaire soit dune certaine maniegravere un repos est attesteacute dans Aristote lui-

mecircme en Phys VIII 9 265b 1-2 Mais jamais Aristote ne se sert du concept dimitation en Λ

Alexandre eacutetend en fait agrave lensemble du monde une relation qui ne se lit chez Aristote que pour

dire meacutetaphoriquement la relation de la nature au ciel522 ndash et non pas pas du ciel envers le

premier moteur De surcroicirct lusage des thegraveses sur la motriciteacute animale et le moteur immobile du

deacutesirable523 ne saurait que difficilement sappliquer agrave la relation au premier moteur lequel nest

pas un laquo bien pratique raquo Enfin que le premier moteur meuve laquo comme eacuteromegravene raquo ne vaut que

par meacutetaphore une meacutetaphore qui au demeurant nautorise mecircme pas de penser lideacutee

dassimilation524

La thegravese de lExeacutegegravete repreacutesente assureacutement lun des plus eacuteclatants exemples de la

meacutethode dimport-export quon a eacutevoqueacutee plus haut525 qui eacutegalisant le corpus en vient agrave effacer

les speacutecificiteacutes de ses probleacutematiques locales Or il est difficile de ne pas penser quAlexandre a eu

connaissance des critiques que Theacuteophraste avait lanceacute contre cette interpreacutetation Theacuteophraste a

en effet montreacute dune part quune telle incursion de la notion de laquo μίμησις raquo relevait du

platonisme dautre part que la notion dimitation ne peut que mal convenir agrave la relation entre un

ecirctre immobile et un mouvement fucirct-il circulaire526 Laccusation de platonisme nest de fait pas

deacutenueacutee de raison non seulement agrave cause de leacutelaboration platonicienne de la relation mimeacutetique

qui lie ecirctre et devenir corruptible et incorruptible mais aussi en raison de son emploi dans le

Timeacutee par exemple un ouvrage quindiscutablement Alexandre connaicirct Le geste alexandrinien

ne peut pas ecirctre purement innocent de ces critiques Pire il semble mecircme precircter le flanc agrave cette

critique dans le De principiis un traiteacute avare en noms propres qui reprend Meacutetaphysique Λ 6-10

521 E Berti deacutecline son influence dans E Berti [2000] p 237 sq Pour la transmission arabe des thegravesesalexandriniennes sur la cause premiegravere voir leacutetude passionnante de G Endress [2002]

522 GC II 10 337a 3-7 Meteor I 9 346b 35-36 Met Θ 8 1050b 28

523 DA III 9-10 et DMA 6

524 Ces critiques se lisent dans les nombreux articles dE Berti agrave ce sujet Voir E Berti [1998] [2002] [2007] Ces articles sont repris dans E Berti [2008a] E Berti reprend eacutegalement des arguments dAStevens exposeacutes par exemple dans A Stevens [2011] Sur les problegravemes que pose plus geacuteneacuteralementlideacutee du premier moteur comme cause finale cf la synthegravese eacuteclairante de F Baghdassarian [2011] p328-358

525 Cf ci-dessus sect 121

526 Voir Theacuteophraste De principiis (laquo Meacutetaphysique raquo) 5a 23-b 10 7b 23 sq 11a 27 sq

433

Les objets de la meacutetaphysique

en lexpurgeant de ses passages proprement doxographiques527 Alexandre se pique de citer

Platon et sa deacutefinition du dieu comme Un parce quil se pense lui-mecircme528

Il est toujours loisible de trouver pour laquo deacutefendre raquo Alexandre tous les lieux du corpus

dont lExeacutegegravete a tireacute cette doctrine ndash cest une regravegle rien dans Alexandre nest jamais tout agrave fait

sans raison textuelle529 En tant quinterpreacutetation la doctrine alexandrinienne demeure

seacuteduisante preacuteciseacutement par sa capaciteacute agrave syntheacutetiser les textes en proposant un modegravele

coheacuterent530 Mais surtout ndash cest lagrave agrave notre sens lenjeu principal pour qui veut lire Alexandre ndash

cette doctrine fait sens avec une interpreacutetation geacuteneacuterale de lontologie aristoteacutelicienne Le concept

dimitation trouve sa place dans un modegravele du monde finaliseacute et inteacutegralement gouverneacute par

lhyleacutemorphisme dont le dieu est une forme pure agrave la fois cause et maximum de lecirctre

Limitation deacutecrit la tendance de toute forme supra- ou sublunaire agrave viser sa propre perfection

Autrement dit non seulement leacutecart avec Aristote nest pas indeacutefendable en tant

quinterpreacutetation constructive de la penseacutee aristoteacutelicienne mais surtout il est partie prenante de

laristoteacutelisme que bacirctit Alexandre

Ainsi compris le premier moteur ne penche-t-il pas toutefois vers le paradigme

platonicien Il est en tout cas certain que la cause premiegravere nest pas un universel substantiveacute et

seacutepareacute Mais maximum dintelligibiliteacute et decirctre dont la seule preacutesence suffit agrave produire lordre

du monde531 elle exemplifie agrave plein le principe de causaliteacute du maximum La critique

theacuteophrasteacuteenne qui demande comment un ecirctre immobile pourrait bien ecirctre imiteacute par des ecirctres

mobiles ne semble pas gecircner outre mesure Alexandre Limmobiliteacute srsquoaccommode de la notion

dimitation preacuteciseacutement parce que lontologie scalaire agrave lrsquoœuvre dans le principe de causaliteacute du

maximum implique une deacutenivellation entre la cause qui est maximalement x dune part et le

reste des choses qui sont x dautre part Or ici le laquo x raquo en question nest pas la mobiliteacute ou

limmobiliteacute (qui vient au contraire creuser leacutecart entre la cause maximale et le reste) mais lecirctre

ou lintelligibiliteacute Limmobiliteacute est lagrave pour garantir limpossibiliteacute de la reacutegression agrave linfini et le

527 Cf S Fazzo [2008a] p 616

528 De principiis sect 121 C Genequand note quil est difficile de trouver exactement la source platoniciennedAlexandre (C Genequand [2001] p 163) mais la thegravese est courante dans les cercles meacutedio-platoniciens

529 Voir la reconstruction par M Rashed du commentaire agrave Phys I 9 et la justification de la notiondassimilation dans M Rashed [2011a] p 136-139

530 La thegravese de la causaliteacute finale du premier moteur compte encore de seacuterieux deacutefenseurs cf A Laks[2000] et [2007] J-B Gourinat [2004] etc

531 Cf Fr 30 Freudenthal et RW Sharples [2002a] p 6

434

Les objets de la meacutetaphysique

maximum de perfection possible532 Comme cause finale et via laction des sphegraveres ceacutelestes et de la

laquo puissance divine raquo le premier moteur produit non seulement lordre du monde mais aussi sa

permanence533

Alexandre est en effet connu pour sa theacuteorie de la providence534 Seacutecartant de la thegravese

courante agrave leacutepoque qui limite lexercice de la providence au supralunaire et sans doute en lien

avec les critiques dAtticus535 lExeacutegegravete affirme que la providence divine sexerce aussi dans le

sublunaire quoiquelle naille pas jusquau niveau de lindividu et de laccident536 La providence

garantit en effet leacuteterniteacute speacutecifique des formes et la succession des geacuteneacuterations537 Mais

Alexandre theacuteorise en outre les effets de cette laquo puissance divine raquo qui instituant une continuiteacute

entre les lieux sublunaire et supralunaire538 intervient jusque dans lapparition de lacircme en

produisant les conditions de son eacutemergence539 En ce sens Alexandre peut affirmer que le moteur

eacuteternel est laquo cause de lecirctre raquo (laquo αἴτιον τοῦ εἶναι raquo) de tous les automoteurs sublunaires540 Par

effet de laquo transmission raquo la nature est comme un montreur de marionnettes qui tire les fils des

pantins sublunaires541

532 Voir la deacutemonstration de limmobiliteacute du premier moteur dans le De principiis sect 29-44

533 La source de cette thegravese doit ecirctre chercheacutee dans GC II 10

534 Sur le texte du De providentia et son authenticiteacute cf HJ Ruland [1976] p 144 sq S Fazzo M Zonta[1999] p 87 sq 167 sq P Thillet [2003] p 64 sq C Riedweg [2011] (qui agrave la suite de P Thilletreprend en compte les fragments grecs du traiteacute les eacutedite et les traduit)

535 Atticus Fr 3 7-10 RW Sharples [2002a] p 13 sq Pour une mise en contexte cf aussi S Fazzo MZonta [1999] p 18-35

536 Cf De providentia 63 2 Quaestio I 25 41 8 sq Quaestio II 19 63 15 sq Quaestio II 21 65 25 sq RWSharples [2002a] p 30

537 Sur les diffeacuterentes interpreacutetations de laction de la providence cf RW Sharples [2002a] p 34-35 Sur lacompreacutehension alexandrinienne de leacuteterniteacute speacutecifique des formes cf M Rashed [2007b] p 237-246

538 Sur cette distinction chez Alexandre cf M Rashed [2011a] p 74 sq

539 On peut lire cette theacuteorie comme linsistance sur le rocircle du soleil dans la thegravese aristoteacutelicienne selonlaquelle cest un homme qui engendre lhomme et aussi le soleil Cf M Rashed [2007b] p 284-285 Pourla notion de puissance divine cf In Met 104 8 In Meteor 7 11 De providentia 77 12 Quaestio II 3 4730 sq et 49 29 Mantissa 172 17 Cf P Donini [1996] S Fazzo [2002a] p 201-207 RW Sharples[2002b] p 12 n 53 Lexpression se lit deacutejagrave dans le De mundo 6 397b 19 398b 8 Sur le caractegraveremeacutecanique de cette action cf RW Sharples [2002b] p 11 sq et M Rashed [2007b] p 278-285

540 Commentaire perdu agrave la physique scolie 662 (M Rashed [2011a] p 567-568 commenteacute dans M Rashed[2007b] p 277-278) Comme le note M Rashed (p 277) eacutetant donneacute le contexte laquo moteur eacuteternel raquorenvoie sans doute ici au premier mucirc

541 Sur ce texte tregraves commenteacute dAlexandre citeacute par Simplicius In Phys 311 29-37 et lanalogie deslaquo νευροσπαστούμενα raquo cf I Kupreeva [2003] p 328-330 P Accattino [2003] p 176-178 M Rashed[2007b] p 279 sq Sur le concept de διαδοχή voir Simplicius In Phys 311 18-19 et la Quaestio I 1 3 1-9 M Rashed [2007b] p 278-285

435

Les objets de la meacutetaphysique

Le divin cest-agrave-dire en derniegravere analyse le premier moteur542 cause ainsi la

laquo permanence raquo du monde comme laffirment deux passages du De principiis et le De

providentia543 Le premier passage du De principiis deacutecrit en effet leffet de la puissance divine

comme ce qui assure lunification du monde544 Le second passage plus nettement deacutecrit

comment la laquo substance premiegravere raquo meut agrave titre de cause finale Toutes les substances dit alors

Alexandre visent cette substance premiegravere agrave la mesure de leurs moyens selon ce qui est propre agrave

chacune et cest ce qui explique le fait quelles se maintiennent dans la dureacutee Les termes arabes

sont ici laquo baqā᾽ raquo et laquo thabāt raquo qui traduisent tregraves probablement le grec laquo διαμονή raquo quon lit dans

un fragment grec du De providentia et la Quaestio I 25545 La version arabe du De principiis de

Theacuteophraste traduit dailleurs le verbe laquo διαμένω raquo par laquo baqā un raquo dans un passage selon lequel

laquo le divin est le principe de toutes choses par lequel toutes choses agrave la fois sont et demeurent raquo546

Comme le dit M Rashed en remplaccedilant lanalogie des automates du De generatione

animalium par celle du montreur de marionnettes laquo Alexandre coupe court agrave une interpreacutetation

de GA qui se passerait du Premier Moteur raquo547 Au niveau purement pheacutenomeacutenal lunivers

aristoteacutelicien est peut-ecirctre indiscernable dun univers eacutepicurien agrave tout le moins dun univers

eacutepicurien au mieux de sa forme en terme de reacutegulariteacutes des enchaicircnements de causes et

deffets548 Du point de vue aristoteacutelicien les pheacutenomegravenes naturels se laissent ainsi inteacutegralement

et adeacutequatement expliquer par leurs propres causes sans recourir agrave un premier moteur immobile

divin La santeacute recouvreacutee par son patient sexplique inteacutegralement par son premier moteur la

542 Laction de la providence est indirectement causeacutee par le premier moteur immobile cf De providentia93 8 ndash 95 16 Ruland (P Thillet [2003] p 124-125 M Rashed [2007b] p 283-284) Alexandre ycommente le laquo τἆλλα raquo de Met Λ 7 1072b 3-4 laquo κινεῖ δὴ ὡς ἐρώμενον κινούμενα δὲ τἆλλα κινεῖ raquo

543 Cf De principiis sect 128 et 130

544 Le traducteur arabe du De principiis rend le terme grec quil avait sous les yeux par deux mots ᾿ittihādet ᾿intiżām qui disent la reacuteunion et lunification Nous remercions chaleureusement M Crubellier pources veacuterifications

545 Le fragment se lit dans Cyrille Contra Julianum III 625c Fr 3 Grant cf P Thillet [2003] p 105 et CRiedweg [2011] p 294 Le passage tregraves proche de la Quaestio I 25 41 12 sq est le suivant laquo ἐπειδὴ τῆςτούτου χάριν τεταγμένης μεταβολῆς καὶ ἀιδίου κατ εἶδος διαμονῆς κεῖνται κινεῖσθαι τοῦκυκλοφορητικοῦ σώματος αἱ μετὰ τὴν πρώτην τε καὶ ἀπλανῆ καλουμένην ἑπτὰ σφαῖραι τὴνκίνησιν τὴν δευτέραν raquo

546 Theacuteophraste De principiis (laquo Meacutetaphysique raquo) 4b 15-16 laquo θεία γὰρ ἡ πάντων ἀρχή δι ἧς ἅπαντα καὶἔστιν καὶ διαμένει raquo En ce qui concerne cette relative A Laks et G Most penchent pour une tournureproverbiale (A Laks G Most [1993] p 31 n 18)

547 M Rashed [2011a] p 151 agrave propos de GA II 1 734b 4-19 et II 6 741b 7-9 Sur la preacutesence de lanalogiedu montreur de marionnettes dans le De mundo 398b 1-27 cf aussi p 152

548 En mettant de cocircteacute le vide et le hasard incompressibles propres agrave lunivers eacutepicurien

436

Les objets de la meacutetaphysique

science meacutedicale du meacutedecin Agrave quoi bon un premier moteur immobile alors Pour le dire en

peu de mots le premier moteur dAristote est lagrave pour nous assurer que laquo nihil sub sole novum raquo il

garantit quil en sera toujours continuellement ainsi549

Alexandre sefforce au contraire de penser une puissance divine qui innerve la totaliteacute du

monde Sans doute sagit-il pour lui de reacutepondre agrave un anathegraveme lanceacute par Atticus Ce dernier

deacutecrit preacuteciseacutement le monde aristoteacutelicien comme indiscernable dun monde eacutepicurien au sens

ougrave il est gouverneacute par des dieux deacutesinteacuteresseacutes du sort des humains550 Aristote qui aurait eacuteloigneacute

les dieux ne sen remettant quagrave sa vue laquo pour controcircler sa croyance raquo et frocirclant alors latheacuteisme

se reacutevegravele finalement pire encore qursquoEacutepicure551 Atticus sexclame552 nous cherchons une

providence qui fasse une diffeacuterence pour nous Alexandre lui reacutepond mais ndash cest lagrave son tour de

force ndash sans pour autant penser une providence qui implique une rationaliteacute au sens de la

deacutelibeacuteration ni une providence qui deacutechoirait jusquagrave lindividuel553 Mecircme en limitant ainsi

laction divine sur le monde Alexandre construit bien une theacuteorie de la providence qui fait une

diffeacuterence pour nous humains Cest en effet elle qui est in fine responsable de lapparition de la

rationaliteacute humaine554 La theacuteologie a donc agrave voir avec la faccedilon dont lhomme lui-mecircme peut

549 Par exemple dans le retour cyclique des saisons cf GC II 10 (qui a ducirc constituer une sourcedinspiration forte pour Alexandre) Nous reacutesumons ici de faccedilon drastique une expeacuterience de penseacutee etlhypothegravese attenante qui nous ont eacuteteacute suggeacutereacutees par M Crubellier Pour ce dernier le premier moteurest donc en un sens inutile pour les pheacutenomegravenes naturels en un autre indispensable (en tant quilconstitue lactualiteacute du monde) M Crubellier renvoie en outre agrave Phys VIII 6 258b 26 sq Soit dit enpassant les fragments du commentaire dAlexandre agrave ces lignes sont peu instructifs mais cest encommentant les lignes immeacutediatement suivantes (259a 5 sq) quAlexandre transforme le laquo αἴτιακινήσεως raquo de 259a 6 en laquo αἴτια τοῦ εἶναι raquo ce qui signe pour lui lintervention tregraves active dusupralunaire dans le sublunaire

550 Atticus Fr 3 sect 7-8 laquo Τί οὖν φήσαι τις ἄν ἐν ταὐτῷ τάττεις Ἀριστοτέλην καὶ Ἐπίκουρον πάνυ μὲνοὖν ὥς γε πρὸς τὸ προκείμενον Τί γὰρ διαφέρει πρὸς ἡμᾶς ἢ τοῦ κόσμου τὸ θεῖον ἐξοικίσασθαικαὶ μηδεμίαν ἡμῖν πρὸς αὐτὸ κοινωνίαν ἀπολιπεῖν ἢ ἐν κόσμῳ τοὺς θεοὺς καθείρξαντα τῶν ἐπὶγῆς πραγμάτων ἀποστῆσαι κατ ἴσον γὰρ παρ ἀμφοτέροις τὸ ἐκ θεῶν ἀμελὲς εἰς τοὺςἀνθρώπους καὶ ἴση τοῖς ἀδικοῦσιν ἡ ἀπὸ τῶν θεῶν ἄδεια raquo laquo Eh quoi dira-t-on tu mets sur lemecircme pied Aristote et Eacutepicure Absolument au moins sur ce point [8] Quelle diffeacuterence en effet y a-t-il pour nous entre expulser le divin du monde sans nous laisser aucune relation avec lui ou bienapregraves avoir enfermeacute les dieux dans le monde les couper des affaires terrestres Chez lun et lautremecircme insouciance des dieux agrave leacutegard des hommes mecircme absence de crainte chez les malfaiteurs agraveleacutegard des dieux raquo (traduction Des Places)

551 Atticus Fr 3 sect 13-14 Des Places

552 Atticus Fr 3 sect 10 laquo Πρόνοιαν γὰρ ζητοῦμεν ἡμῖν διαφέρουσαν raquo

553 Pour la distinction des trois types de providence dans le meacutedio-platonisme (celle qui ne concerne quele ciel celle qui garantit la preacuteservation des espegraveces sublunaires et celle qui preacuteside aux destineacuteesindividuelles) cf RW Sharples [2002a] p 35

554 Quaestio II 3 48 18-22 Cf RW Sharples [2002a] p 29 et la probabiliteacute dune reacutefeacuterence au De providentia(cf S Fazzo [1988] p 646 n 23 qui rappelle que le traiteacute relie diffeacuterenciation des genres dacircmes et

437

Les objets de la meacutetaphysique

atteindre la perfection de sa forme Ce que nous apprend finalement la meacutetaphysique cest quil

est agrave la fois de notre nature et de notre devoir de faire de la meacutetaphysique

333 Meacutetaphysique et fin de lhomme

On vient de le voir la theacuteologie comme ultime partie de la meacutetaphysique a pour objet les

substances premiegraveres et la cause premiegravere principes au-delagrave desquels il nest plus possible de

remonter Ce sommet a pour contrepartie de pousser la meacutetaphysique agrave la limite de ses forces

deacutemonstratives Alexandre le souligne dans la Quaestio I 1 la preuve (laquo δεῖξις raquo) de lexistence et

de la nature de la cause premiegravere se fait laquo κατὰ ἀνάλυσιν raquo en vertu de lindeacutemontrabiliteacute du

premier principe Il faut entendre par lagrave que le critegravere du raisonnement est laccord avec les

laquo choses derniegraveres et manifestes raquo555 Le De principiis introduit en son deacutebut le mecircme thegraveme de la

laquo symphonie raquo entre les principes poseacutes par la doctrine et les pheacutenomegravenes (sect 2556) et conclut sur la

supeacuterioriteacute de la theacuteorie aristoteacutelicienne eu eacutegard agrave ce critegravere (sect 145) Alexandre affronte ainsi

laporie ndash dorigine eacutevidemment aristoteacutelicienne ndash pointeacutee par Theacuteophraste sur la connaissance du

premier principe voire aussi les critiques sceptiques adresseacutees par Galien agrave lencontre de la

theacuteologie aristoteacutelicienne557 La reacuteponse de lExeacutegegravete est agrave chercher dans la distinction entre le

plus connaissable pour nous et le plus connaissable en soi558

Bien que pousseacutee aux limites de la deacutemonstration il reste que la connaissance des

principes premiers ne sort jamais du champ de la premiegravere des sciences Alexandre le dit agrave

plusieurs reprises par exemple en commentant les opinions sur le sage en A 2 (982a 21 sq) la

action des ecirctres divins)

555 Quaestio I 1 4 4-7 laquo ἡ δεῖξις κατὰ ἀνάλυσιν οὐ γὰρ οἷόν τε τῆς πρώτης ἀρχῆς ἀπόδειξιν εἶναιἀλλὰ δεῖ ἀπὸ τῶν ὑστέρων τε καὶ φανερῶν ἀρξαμένους κατὰ τὴν πρὸς ταῦτα συμφωνίανἀναλύσει χρωμένους συστῆσαι τὴν ἐκείνου φύσιν raquo Alexandre ne procegravede pas que par analysecomme lindique M Rashed agrave propos de la seconde partie de la Quaestio qui semble quant agrave elleprogresser agrave partir de la notion elle-mecircme cf M Rashed [2007b] p 275 n 739

556 Pour une critique de la traduction de ce passage cf S Fazzo [2008a] p 614 et n 17 C Genequand[2001] note la similariteacute terminologique entre la Quaestio et le De principiis p 144 n 2

557 Lhypothegravese de discussion avec Galien est proposeacutee par M Rashed [2007b] p 275-276 et discuteacutee parS Fazzo [2008a] p 622 n 43

558 Cf entre autres Phys I 1 184a 19-21 On se rappelle que cette distinction qui est probablement agravelarriegravere-fond de la Quaestio I 1 est agrave lœuvre dans le deacutebut du commentaire agrave B quand il estpreacuteciseacutement question de laquo meacutetaphysique raquo et laquo theacuteologique raquo (171 5 sq) Voir aussi In Met 138 13 sq

438

Les objets de la meacutetaphysique

connaissance de ce qui est au plus haut point ie les principes premiers est la laquo science la plus

exacte raquo559 LExeacutegegravete ne deacutevie jamais de lideacutee que la sagesse agrave laquelle incombe la connaissance

des premiers principes de leacutetant est une science Cette deacutetermination lui pose assureacutement

problegraveme eu eacutegard agrave son deacutesir de calquer cette science sur le modegravele de la science deacutemonstrative

On a un exemple frappant de son embarras agrave nouveau dans le commentaire agrave A 2 (In Met 13 1-

9) dans un passage qui ne deacutegage aucune solution claire560

Une hypothegravese est quAlexandre comprend en fait la sagesse comme une discipline agrave la

fois deacutemonstrative (scientifique au sens strict) et noeacutetique Elle est donc en mesure de deacutemontrer

scientifiquement ce qui deacutepend des principes indeacutemontrables mais aussi de penser ces principes

pour eux-mecircmes La thegravese se soutient de passages ceacutelegravebres de lEacutethique agrave Nicomaque que lExeacutegegravete

cite au moins trois fois dans le corpus561 Parce quelle est premiegravere la sagesse ne peut recevoir ses

principes daucune autre science quelle-mecircme Cette primauteacute fait comme on la vu quelle doit

agrave la fois ecirctre la plus scientifique des sciences principe de scientificiteacute des autres sciences tout en

ayant agrave inteacutegrer dans son champ deacutetude des objets qui ne sont pas deacutemontrables mais qui ne

peuvent que lui incomber

La question est alors de savoir si de ce fait la meacutetaphysique integravegre aussi une activiteacute non

discursive autrement dit sil y a pour Alexandre un eacutequivalent peacuteripateacuteticien de leacutepoptique La

mention de laquo lanalyse raquo dans la Quaestio I 1 deacutetermine-t-elle une proceacutedure discursive propre agrave

convaincre dune connaissance deacutejagrave acquise (par une intuition intellectuelle par exemple) ou la

559 In Met 11 13-15 laquo ἀλλὰ καὶ ἀκριβεστάτη τῶν ἐπιστημῶν ἡ τῶν μάλιστα πρώτων γνῶσις καὶ γὰρτῶν ἄλλων ἐπιστημῶν ἀκριβέστεραι αἱ ἐκ τῶν πρώτων εἰσίν εἴγε αἱ ἐξ ἐλαττόνων ἀκριβέστεραι raquo

560 Cf ci-dessus 232 Certains passages refusent simplement de parler de la connaissance des principescomme dune science au sens strict (une science deacutemonstrative) voir par exemple In Met 146 20 sqMais lExeacutegegravete se reprend immeacutediatement la connaissance des principes premiers est agrave tout le moinsla plus vraie

561 Une telle hypothegravese peut se reacuteclamer de plusieurs textes le Problegraveme eacutethique 25 (en particulier 151 5-10 laquo καὶ ἐπεὶ ἡ ἀπόδειξις διά τινων πρώτων τοῦ δεικνυμένου καὶ οἰκείων καὶ ἀληθῶν καὶ οὐκἐπἄπειρον ἐν αὐτοῖς τὸ πρῶτον ἀλλ ἔστιν τι καὶ κυρίως ἐν αὐτοῖς πρῶτον ἡ τοῦ οὕτως πρώτουγνῶσίς τε καὶ εὕρεσις νοῦς καλεῖται σοφία δὲ ἡ ἄμφω ἔχουσα τήν τε τῶν ἀρχῶν εὕρεσιν καὶ τὴνδιὰ τῶν ἀρχῶν τῶν μετ αὐτὰς εὕρεσίν τε καὶ δεῖξιν raquo qui se reacutefegravere agrave EN VI 7 1141a 17-20) Voir aussiDA 66 16-19 laquo ἐπιστήμη δὲ συλλογισμὸς ἀποδεικτικὸς ἢ γνῶσις τῆς τοῦ ἐπιστητοῦ αἰτίας ὅτιἐκείνου ἐστὶ καὶ ἀδύνατον αὐτὸ ἄλλως ἔχειν νοῦς δὲ δύναμις τῶν ἀύλων εἰδῶν ληπτική ἢδύναμις ᾗ ἀληθεύομεν περὶ τὰς ἀναποδείκτους ἀρχάς raquo Voir enfin et surtout la reprise de la mecircmethegravese (issue agrave nouveau de EN VI) en In Met 7 24-25 Apregraves y avoir rappeleacute la deacutefinition de la sciencecomme capaciteacute agrave deacutemontrer et de lintellect comme capaciteacute agrave connaicirctre laquo les principes indeacutemontrablesdes choses deacutemontrables raquo (laquo τὰς τῶν ἀποδεικτῶν ἀρχὰς τὰς ἀναποδείκτους raquo 7 24-25) Alexandredeacutefinit la sagesse comme laquo νοῦν καὶ ἐπιστήμην τῶν τιμιωτάτων τῇ φύσει raquo (7 25-26) Voir enfinlallusion en 144 14-15

439

Les objets de la meacutetaphysique

maniegravere mecircme dacqueacuterir cette connaissance Il faudrait ainsi distinguer ici la capaciteacute de notre

acircme agrave saisir les premiers principes agrave savoir lintellect des proceacutedures discursives par lesquelles

nous pouvons convaincre autrui de la veacuteraciteacute dune doctrine agrave leur sujet ou prouver la

supeacuterioriteacute de cette doctrine sur les autres La chose nest pas impossible562 Mais quand

Alexandre eacutevoque lanalyse et le critegravere de conformiteacute avec les pheacutenomegravenes il fait eacutetat dune

meacutethode propre agrave eacutetablir ce quest la cause premiegravere (laquo συστῆσαι τὴν ἐκείνου φύσιν raquo 4 7)

conformeacutement agrave ce qui apparaicirct563

Il reste toutefois que le passage du De anima agrave propos de la saisie par notre intellect de

lintellect agent et notre laquo assimilation raquo laisse ouverte la possibiliteacute dune lecture intuitionniste

Cet intuitionnisme nimplique pas neacutecessairement une mystique de la fusion avec le dieu

Alexandre comme le dit RW Sharples nest pas tant un mystique quun laquo provider of ideas that

others could use for mystical purposes raquo564 Le De anima deacutecrit en effet lintellect agent comme cette

penseacutee565 incorruptible qui pendant le moment de son intellection deacutelivre agrave notre intellect un

morceau deacuteterniteacute cest-agrave-dire datemporaliteacute566 Lintellect agent est ainsi cause de notre

intellection au sens de la cause finale il en est lobjet ultime mais aussi la condition de possibiliteacute

parce que sans cette forme ultime il ne saurait y avoir dintelligibiliteacute dans le monde Le reacuteel est

rationnel parce que son membre le plus eacuteminent est une forme intellective en son eacutetat maximal

vers laquelle toutes choses tendent pour reacutealiser la perfection de leur forme

Connaissance par lintellect dun intellect la theacuteologie est agrave mecircme de rendre raison de sa

propre neacutecessiteacute Le De providentia se conclut sur cette ideacutee qui vient justifier par la pratique la

562 Voir en particulier les formulations de la fin du De principiis sect 145 sq

563 La question reacutepegravete une difficulteacute inheacuterente agrave laristoteacutelisme et la lecture dAnPo II 19 justementJ Barnes ([1993] p 269) a ainsi proposeacute de distinguer dans ce chapitre deux questions laquo commentapprenons-nous agrave connaicirctre les principes raquo (reacuteponse par linduction) et laquo par quel eacutetat mental lesconnaissons-nous raquo (reacuteponse le νοῦς) Une telle interpreacutetation pose toutefois problegraveme Comme lenotent M Crubellier et P Pellegrin ([2002] p 91) les deux questions sont inseacuteparables chez Aristote ndashet ce dautant plus que la science est en elle-mecircme une disposition du sujet connaissant Senqueacuterir dela science de ses maniegraveres de proceacuteder cest donc aussi toucher agrave ce quun moderne appellerait desquestions psychologiques Il ny a pas chez Aristote de distinction forte entre le contexte empirique(psychologique) de la deacutecouverte scientifique et la logique de la recherche scientifique

564 RW Sharples [2002b] p 3

565 Voir entre autres DA 90 11 et 23

566 Sur le caractegravere transitoire de cet accegraves agrave leacuteterniteacute cf 88 10 et 90 15 Cette thegravese se nourrit de passagesbien connus dAristote dont il nest pas certain cependant quil faille les prendre en un senslaquo mystique raquo cf linterpreacutetation geacuteneacuterale de M Crubellier et P Pellegrin [2002] sur leacuteterniteacute de lapenseacutee comme thegravese eacutepisteacutemologique p 212 et p 244

440

Les objets de la meacutetaphysique

theacuteorie eacutelaboreacutee dans le traiteacute567 Lintellect est ce qui nous permet de suppleacuteer agrave nos deacutefauts en

connaissant ce quil y a de plus haut dans lecirctre le divin Le texte reprend alors le lieu commun

dun homme deacutemuni par son corps infeacuterieur en cela aux autres animaux mais supeacuterieur par son

intellect568 Le lieu commun se voit cependant reacuteinvesti notre faiblesse est notre ecirctre en puissance

et notre laquo perfection raquo se reacutealise dans lintellection de ce quil y a de plus haut La theacuteologie a ainsi

une dimension performative elle dit comme science ce quelle reacutealise dans le mecircme temps

comme eacutetat de lacircme

Or si les analyses conduites dans lensemble du preacutesent travail sont correctes alors cette

conclusion sur la theacuteologie peut ecirctre eacutetendue agrave lensemble de la meacutetaphysique Nous avons en

effet tenteacute de montrer que la theacuteologie formait la fine pointe de la meacutetaphysique alexandrinienne

laccomplissement de lenquecircte universelle sur leacutetant en tant queacutetant qui conduit agrave une enquecircte

sur la substance et finalement agrave une eacutetude de la substance premiegravere cause de toutes choses La

Meacutetaphysique souvrait sur luniverselle tendance des hommes agrave connaicirctre Pour lExeacutegegravete la

proposition aristoteacutelicienne indique la voie du perfectionnement de lhomme569 cest-agrave-dire ce par

quoi chacun progressant vers lui-mecircme atteint agrave la fois son bien dans lequel il obtient laquo son ecirctre

et sa preacuteservation raquo570 Comme on sy attend la science que propose le traiteacute accomplit selon

Alexandre cette tendance Pour ecirctre pleinement un homme et peut-ecirctre davantage571 il suffit de

faire de la meacutetaphysique

567 laquo Pratique raquo nest pas pris ici au sens de theacuteorie de laction mais de ce qui dans la notion de viecontemplative met davantage en lumiegravere sa dimension existentielle (Pour cette fin du De providentiacf p 99 sq Ruland Le passage est confirmeacute par les fragments grecs du traiteacute (cf Fr 4 6 et 7 Grant)

568 De providentia 99 Ruland On aura reconnu le mythe de Promeacutetheacutee Ces passages consonent avec destheacutematiques du Protreptique dont on sait limportance pour Alexandre

569 Cf In Met 1 4 sq et la profusion de laquo τελειότης raquo

570 In Met 1 6-7 laquo πᾶσα δὲ τελειότης ἑκάστου τὸ ἑκάστου ἀγαθόν ἐστιν ἐν δὲ τῷ ἀγαθῷ ἕκαστονἔχει τὸ εἶναί τε καὶ σώζεσθαι raquo laquo ltparce quegt le bien de chaque chose est dans tous les cas laperfection de chaque chose et que cest dans son bien que chaque chose obtient son ecirctre et sapreacuteservation raquo Il est difficile de ne pas songer ici agrave un emploi de σῴζω en consonance avec DA II 5417b 2 sq et lideacutee dun progregraves vers soi-mecircme (b 6-7 laquo εἰς αὑτὸ γὰρ ἡ ἐπίδοσις καὶ εἰςἐντελέχειαν raquo)

571 DA 91 5-6 laquo διὸ οἷς μέλει τοῦ ἔχειν τι θεῖον ἐν αὑτοῖς τούτοις προνοητέον τοῦ δύνασθαι νοεῖν τικαὶ τοιοῦτον raquo laquo cest pourquoi ceux qui se soucient davoir en eux quelque chose de divin doiventveiller agrave parvenir agrave penser quelque chose qui est aussi de cette nature raquo agrave savoir le laquo νοούμενοςἄφθαρτος raquo (90 23)

441

Conclusions

CONCLUSIONS

QuAlexandre philosophe et exeacutegegravete se propose et sefforce effectivement de constituer la

meacutetaphysique en une science une est certain Quil y soit parvenu est une autre affaire

Agrave tout le moins avons-nous cru pouvoir repeacuterer une thegravese alexandrinienne sur luniteacute de

la meacutetaphysique Celle-ci est une science agrave la fois universelle et premiegravere1 agrave la fois science modegravele

et fondatrice des autres sciences Elle reacutealise agrave leur degreacute maximal les impeacuteratifs de scientificiteacute

qui incombent aux autres Mais elle paie aussi le tribut de sa primauteacute et de sa reacuteflexiviteacute en

atteignant les limites du modegravele des Analytiques normalement preacutevu pour des sciences

reacutegionales Autre deacuterogation ses objets sont pluriels et lui incombent parce quils ne peuvent ecirctre

traiteacutes par aucune autre science ndash les axiomes ou les plurivoques dont elle fait le catalogue en Δ

par exemple Mais la meacutetaphysique neacutegare pas son uniteacute dans cette pluraliteacute Luniteacute de cette

diversiteacute provient dune part de luniteacute du projet lequel impose au meacutetaphysicien den passer

par plusieurs stades principaux Elle provient dautre part de larticulation de ces stades ou

programmes Nous avons tenteacute de montrer que la meacutetaphysique coagulait ses divers objets en

trois programmes principaux leacutetant en tant queacutetant la substance la cause premiegravere Ces trois

programmes sont distincts mais coordonneacutes et suffisamment proches pour ne pas pouvoir ecirctre

eacutetudieacutes par une autre science ni eacuteclateacutes entre diverses sciences

Science des principes premiers et des causes premiegraveres de leacutetant en tant queacutetant telle est

son ambition initiale2 Agrave aucun moment la meacutetaphysique alexandrinienne nabandonne le projet

dune enquecircte universelle sur leacutetant en totaliteacute La reacutealisation de ce projet et la structure mecircme

du champ eacutepisteacutemologique de leacutetant en tant queacutetant astreignent le meacutetaphysicien agrave proceacuteder agrave

une eacutetude du premier eacutetant la substance Sans abroger la neacutecessiteacute dune eacutetude des autres sens de

1 Selon la thegravese dIn Met 246 10

2 Par exemple In Met 9 9-12 134 7-8 etc

442

Conclusions

leacutetant il demeure que dans le traitement alexandrinien de luniteacute ἀφ ἑνός τε καὶ πρὸς ἕν la

substance aspire en elle lessentiel de lecirctre Elle est non seulement leacutetant premier mais aussi

leacutetant au plus haut point dans lordre cateacutegorial la cause de lecirctre de tout le reste Parce que la

substance se reacutevegravele premiegravere en un sens presque ordinal et non pas seulement de digniteacute

lExeacutegegravete pose les fondements dune ontologie scalaire qui justifie la neacutecessiteacute deacutetudier la

substance pour elle-mecircme Ce moment ousiologique de la meacutetaphysique reacutevegravele alors que le cœur

du reacuteel est constitueacute par la forme substance au plus haut point cause dintelligibiliteacute et decirctre de

tout ce qui est Tel est leideacutetisme ou lessentialisme dAlexandre Le projet dune enquecircte sur les

principes et les causes de leacutetant en tant queacutetant et donc les principes et les causes de la

substance demande enfin deacutetudier la substance la plus haute la substance premiegravere dans lordre

du monde agrave savoir la cause premiegravere3 Comme on pouvait sy attendre celle-ci se deacutetermine

aussi comme une forme mais en son eacutetat le plus pur comme une forme sans matiegravere autonome

qui nest forme de rien dautre quelle-mecircme Immobile elle est cause du mouvement de

lensemble du supralunaire et du sublunaire Elle est en effet la fin que toute substance deacutesire

parce que toute substance tend vers la perfection de sa propre forme Fondement de luniteacute du

monde elle lest aussi de la meacutetaphysique en tant quelle constitue son objet ultime La

meacutetaphysique est une science ordonneacutee et progressive mais cette progressiviteacute interne na rien de

tregraves deacutetonnant chez un auteur qui justifie le titre laquo meacutetaphysique raquo par rapport agrave la physique en

recourant agrave lideacutee dordre dans la connaissance4

Cette interpreacutetation de la meacutetaphysique alexandrinienne satteste selon nous en de

nombreux endroits du corpus Assureacutement leacutetablissement de cette thegravese ne va pas sans tensions

ni heacutesitations de la part de lExeacutegegravete Parce quil commente il subit en partie ndash mais en partie

seulement ndash les vicissitudes des textes quil affronte La description proposeacutee ci-dessus repreacutesente

en quelque sorte une version lisseacutee de la meacutetaphysique alexandrinienne Il nous semble toutefois

que cette description permet de rendre raison dun nombre important de textes diffeacuterents de la

reacutecurrence de certaines thegraveses et de leur posteacuteriteacute

La meacutetaphysique comme science constitueacutee et autonome deacutelimiteacutee et praticable est une

3 Cet enchaicircnement des causes se lit on se le rappelle sous des versions plus ou moins reacutesumeacutees en InMet 9 9-12 134 7-14 On le lit aussi dans un teacutemoignage Averroegraves Fr 21 Freudenthal (Avrroegraves p1534 Boutges)

4 La chose a dailleurs un anteacuteceacutedent illustre avec le programme de la physique deacutecrit en Meteor I 1338a20 sq et son interpreacutetation en terme dordre par Alexandre (laquo ἅμα δὲ καὶ τὴν τάξιν ἡμῖνὑπογράφει πάσης τῆς φυσικῆς θεωρίας raquo In Meteor 1 6-7)

443

Conclusions

virtualiteacute du texte aristoteacutelicien que fait donc eacutemerger Alexandre Laccentuation de la

probleacutematiciteacute aristoteacutelicienne par P Aubenque a parfois entraicircneacute la sous-eacutevaluation des efforts

du Philosophe lui-mecircme pour proposer des voies de reacutesolution Il demeure neacuteanmoins vrai quen

comparaison de ses successeurs le texte dAristote garde effectivement un caractegravere ouvert sinon

inchoatif Mais refuser la thegravese dun dogmatisme du Philosophe nimplique pas pour autant de

diagnostiquer un inachegravevement essentiel Agrave tout le moins peut-on se rendre attentif agrave la plasticiteacute

des concepts aristoteacuteliciens agrave leur caractegravere souvent fonctionnel aux effets de reprise des

problegravemes Autant dire si lon affectionne les paradoxes quil ny a pas laquo une meacutetaphysique

aristoteacutelicienne raquo Le texte dAristote preacutesente une pluraliteacute de voies qui sefforcent de reacutepondre

ensemble agrave une seacuterie de problegravemes5 La Meacutetaphysique est ainsi agrave limage mais dans une version

immense et deacuteployeacutee du chapitre III 5 du De anima La profusion des commentaires est agrave la

mesure inverse de la briegraveveteacute deacutecourageante du chapitre Lintelligibiliteacute mecircme du texte requiert

le travail de ce disciple aristoteacutelicien dont F Wolff a montreacute quil prenait neacutecessairement la figure

de linterpregravete6 Pour la Meacutetaphysique il appartient au lecteur de sonder voire de construire la

coheacuterence et lenchaicircnement de ces programmes

Cest ce agrave quoi se livre le premier de ces lecteurs Alexandre qui propose une conception

possible de luniteacute de la meacutetaphysique Pour sactualiser cette virtualiteacute a requis une certaine

cristallisation des positions aristoteacuteliciennes cest-agrave-dire aussi parfois un durcissement

Lintervention la plus nette de lExeacutegegravete a consisteacute agrave systeacutematiser les relations causales sous la

forme en particulier du principe de causaliteacute du maximum qui implique et permet de passer de

leacutetant en tant queacutetant au premier eacutetant la substance et des substances agrave la premiegravere dentre

elles la substance divine ou bien pour cette derniegravere eacutetape des formes intelligibles donneacutees

dans la matiegravere agrave la forme sans matiegravere quest lintellect agent Cet enchaicircnement de causaliteacutes se

lit explicitement en de nombreux endroits du corpus Pour rappeler et formuler en un tableau ce

quon a expliqueacute ci-dessus

Proprieacuteteacute Premier terme Autres termes

Ecirctre (ecirctre un eacutetant)Substance

eacutetant premier et maximalLes accidents de la substance7

autres eacutetants

IntelligibiliteacuteIntellect agent = Forme sans

matiegravereIntelligibles

5 La coheacuterence de la Meacutetaphysique nest pas que probleacutematique elle reacuteside aussi dans cet effort theacutetique

6 F Wolff [2000] en particulier p 207 et 299-307

7 Cf In Met 242 15 242 30-31 243 3-5

444

Conclusions

On pourrait y ajouter les exemples favoris dAlexandre le feu est chaud au maximum et

cause de la chaleur des choses chaudes la lumiegravere est visible au maximum et cause de la visibiliteacute

des choses visibles Et plus crucial le bien premier est cause de la bonteacute des autres biens8 La

systeacutematisation du principe de causaliteacute du maximum fait elle-mecircme systegraveme avec tout un

ensemble de thegraveses agrave savoir la position essentialiste qui conccediloit la forme comme le cœur de tout

ecirctre la contamination de la meacutetaphysique par certains traits de la dialectique platonicienne qui

lui permet de tenir son rang de philosophie laquo agrave la fois raquo premiegravere et universelle Une question

finale pourrait donc ecirctre y a-t-il platonisation de la meacutetaphysique par Alexandre

La reacuteponse agrave cette question est agrave notre sens positive mais agrave limportante condition dy lire

un platonisme qui se trouve dans Aristote Alexandre nest pas un preacutecurseur ou un heacuteritier des

projets de lecture laquo symphonique raquo de Platon et Aristote Si lon nous passe le paradoxe le

platonisme dAlexandre nest pas celui de Platon Le platonisme dAlexandre est celui quil trouve

chez Aristote agrave savoir un ensemble de thegraveses qui sont preacutesentes chez le Stagirite si ce nest

positivement du moins neacutegativement Alexandre lit Platon dans ce quen dit le Stagirite et il

savegravere que certains lieux ou certaines thegraveses les plus laquo platonisants raquo du corpus sont aussi les plus

cardinaux pour lExeacutegegravete Ce platonisme est la reprise dun heacuteritage qui se lit dans le corpus

aristoteacutelicien il est une virtualiteacute dAristote en deux sens 1 il repose sur des eacuteleacutements textuels

platoniciens qui se lisent chez Aristote (soit repris soit critiqueacutes) Alexandre nimporte que tregraves

peu deacuteleacutements textuels platoniciens de reacutefeacuterences platoniciennes9 et cela suffit agrave le distinguer

des commentateurs ulteacuterieurs 2 Il sagit dun platonisme qui repreacutesente une version exacerbeacutee

de ce quil y a de platonicien en Aristote Lexploitation de la parenteacute entre dialectique et

philosophie premiegravere en est un exemple De mecircme la compreacutehension du πρὸς ἕν agrave partir du

principe de causaliteacute du maximum nest pas sans lien avec leacuteponymie platonicienne celle que

discute Aristote

M Rashed fait ainsi eacutetat chez Alexandre de laquo sa propension non entiegraverement controcircleacutee agrave

srsquoen remettre agrave des schegravemes verticaux et gradualistes de lrsquoefficience raquo10 Le principe de causaliteacute

8 Sur les biens comme plurivoques relatifs un terme unique cf In Met 242 5 et ci-dessous T5 In Met244 16-17

9 Sauf peut-ecirctre lideacutee que la matiegravere est connue par un laquo raisonnement bacirctard raquo Sur les indices dunelecture de Platon par Alexandre cf RW Sharples [1990] p 90-92

10 Le passage dit laquo Mentionnons [] sa propension non entiegraverement controcircleacutee agrave srsquoen remettre agrave desschegravemes verticaux et gradualistes de lrsquoefficience qui srsquoils ne sont pas absents du corpus aristoteacutelicien

445

Conclusions

du maximum peut se classer dans ces laquo schegravemes verticaux raquo Un tel principe se lit effectivement

chez Aristote mais celui-ci ne lapplique jamais au cas de la substance ou du premier moteur

immobile Que ce principe puisse ou non se revendiquer de Platon fait problegraveme11 de mecircme que

fait problegraveme son application chez Plotin

On lit en effet chez ce dernier la thegravese selon laquelle le premier principe selon une belle

formule de J-L Chreacutetien laquo donne ce quil na pas raquo12 quil est principe dans la mesure mecircme ougrave il

ne possegravede pas ce quil cause dans ses principieacutes Toutefois certains passages des Enneacuteades

semblent eacutegalement soutenir quun principe possegravede au plus haut degreacute la proprieacuteteacute dont il cause

la preacutesence ndash ce qui correspond exactement agrave ce que nous avons appeleacute principe de causaliteacute du

maximum (ou du maximum de la causaliteacute puisquon a montreacute quAlexandre le lisait dans les

deux sens) et qui a aussi eacuteteacute nommeacute laquo causaliteacute par eacuteminence raquo13 La question de savoir si chez

Plotin le principe de causaliteacute du maximum vaut de tous les principes ou bien de tous sauf du

premier dentre eux ne nous occupe pas ici directement14 Agrave tout le moins peut-on tirer de cela

que hormis la difficulteacute de son application au premier principe cette structure est effectivement

reprise par les neacuteoplatoniciens Elle se trouvera ainsi formaliseacutee par Proclus15 et par ce biais

transmise au Moyen Acircge Il nest pas extravagant de formuler lhypothegravese quAlexandre a ouvert

cette voie en extrayant le principe de ses deux passages aristoteacuteliciens dorigine pour lui

permettre de structurer sa meacutetaphysique Et pour nous avancer cette extraction a probablement

agrave voir avec le fait que lun de ces passages relegraveve de ceux qui dans le corpus aristoteacutelicien

sont au nombre des eacuteleacutements qui historiquement le rattachent le plus eacutetroitement au platonisme raquo MRashed [2007b] p 324

11 En Reacutepublique VI le Bien nest pas cause de la bonteacute des autres choses mais de leur connaissabiliteacute deleur ecirctre et de leur essence laquo Καὶ τοῖς γιγνωσκομένοις τοίνυν μὴ μόνον τὸ γιγνώσκεσθαι φάναιὑπὸ τοῦ ἀγαθοῦ παρεῖναι ἀλλὰ καὶ τὸ εἶναί τε καὶ τὴν οὐσίαν ὑπ ἐκείνου αὐτοῖς προσεῖναι οὐκοὐσίας ὄντος τοῦ ἀγαθοῦ ἀλλ ἔτι ἐπέκεινα τῆς οὐσίας πρεσβείᾳ καὶ δυνάμει ὑπερέχοντος raquo laquo Ehbien donc pour les choses connaissables ce nest pas seulement la connaissabiliteacute quelles reccediloiventmanifestement du Bien mais aussi agrave la fois lecirctre et lessence qui par lui sattachent agrave eux alors que leBien nest pas une essence mais quil est mecircme au-delagrave de lessence lemportant en digniteacute et enpuissance raquo (509b 6-10) Si lon veut trouver une causaliteacute du maximum il faudrait alors songer agravelexplication laquo sucircre mais naiumlve raquo dans la laquo seconde navigation raquo du Pheacutedon mais sauf erreur jamaisSocrate ny dit que le Beau en soi est beau au plus haut point On pourrait renvanche tirer un telprincipe du Didaskalikos dAlicinoos agrave propos de la fameuse voie deacuteminence cf Alcinoos Did 165 26sq

12 J-L Chreacutetien [1980]

13 Par exemple en III 6 [26] cf C DAncona [2009] p 362 Pour lexpression de causaliteacute par eacuteminence cfL Lavaud [2008a] p 209 sq en reacutefeacuterence agrave la via eminentiae quon lit par exemple chez Alcinoos

14 Voir agrave nouveau C DAncona [2009] et L Lavaud [2008a] p 205-207 et 209 sq

15 Eacuteleacutements de theacuteologie propositions 7 et 97 et AC Lloyd [1976] p 152 sq

446

Conclusions

supportent le mieux une lecture gradualiste16 tandis que lautre donne comme exemple lamant

et laimeacute17 qui a pu consoner pour Alexandre avec lanalyse de la cause premiegravere comme premier

deacutesirable

Linterpreacutetation dAristote a certes requis pour Alexandre une forme de cristallisation de

la penseacutee dAristote mais cette cristallisation na donc dune part rien agrave voir avec les

laquo deacutevitalisations raquo que deacuteplorait Heidegger dans la tradition aristoteacutelicienne Linterpreacutetation

alexandrinienne produit du sens et de lhistoire Elle a dautre part pour agent une certaine

forme de platonisme Cette platonisation de la meacutetaphysique par Alexandre relegraveve non pas tant

dun contresens mais de lun de ces laquo hypersens raquo que mentionne briegravevement M Rashed dans

une publication reacutecente et qui consiste agrave laquo accentuer certaines theacutematiques preacutesentes en puissance

chez Aristote raquo18 Lideacutee magistralement exprimeacutee par lEacutecole dAthegravenes selon laquelle lhistoire de

la philosophie est lhistoire du dialogue entre Platon et Aristote peut ainsi sappliquer agrave lhistoire

des origines de la meacutetaphysique Celle-ci reacutesulte dans un contexte conceptuel domineacute par les

stoiumlciens de la renaissance dun aristoteacutelisme qui sous plusieurs aspects et jusquagrave un certain

point flirte avec le platonisme comme son allieacute objectif La conservation dune partie du

Commentaire alexandrinien nest ainsi pas sans lien avec une reprise neacuteoplatonicienne qui se

comprend degraves lors dautant plus aiseacutement19

Pour situer la thegravese interpreacutetative dAlexandre dans le champ contemporain on affirmera

que lExeacutegegravete assume une position unitarienne forte Mais il ne sagit pas seulement dune uniteacute

theacuteorique de la science par opposition agrave labsence duniteacute textuelle du traiteacute LExeacutegegravete sefforce

aussi de rendre inteacutegralement raison de la forme du traiteacute tel quil lui est parvenu ndash cest-agrave-dire

pour autant quon puisse en juger dans un eacutetat similaire agrave celui que nous posseacutedons ndash et ce avec

une meacutethode de lecture interne qui nest pas si eacuteloigneacutee de la situation du lecteur contemporain

priveacute de renseignements preacutecis sur la formation du traiteacute La Meacutetaphysique est un traiteacute un la

meacutetaphysique est une science une La position de lAphrodisien est en outre totalisante et

16 Quoiquon ait tenteacute de montrer ci-dessus (sect 213a) que telle neacutetait pas la lecture la plus respectueusede la lettre du texte dα 1 993b 23-31 il reste que linterpreacutetation gradualiste si elle nous paraicirctdiscutable est bien compreacutehensible

17 Aristote AnPo I 2 72a 30 laquo δι ὃ φιλοῦμεν ἐκεῖνο φίλον μᾶλλον raquo

18 M Rashed [2011b] p VI

19 Toutefois on peut se demander sil na pas fallu attendre Syrianus et Ascleacutepius pour que linstitutionalexandrinienne de la meacutetaphysique comme science une gagne une posteacuteriteacute Il faudrait eacutetudier le rocirclede la lecture dAlexandre chez Porphyre et son lien ou non avec la classification porphyrienne desEnneacuteades en eacutethique ndash physique ndash theacuteologie

447

Conclusions

inteacutegratrice la meacutetaphysique est tout ce quen dit Aristote elle eacutetudie tous les objets que lui fixe

le traiteacute Alexandre se distingue donc des interpregravetes contemporains pour lesquels par exemple

ontologie et theacuteologie forment deux sciences distinctes20 Mais Alexandre se distingue aussi de

ceux qui forcent luniteacute en identifiant laquo eacutetant en tant queacutetant raquo et premier moteur divin21 La thegravese

alexandrinienne est on la vu celle dune articulation entre les eacutetudes de leacutetant en geacuteneacuteral de la

substance et du divin Alexandre est alors agrave classer avec ceux pour qui il ny a laquo aucun obstacle

insurmontable dans la remonteacutee depuis la dispersion cateacutegoriale de lecirctre envisageacutee par

lontologie jusquagrave la cateacutegorie premiegravere ie la substance fondement des autres cateacutegories

(ousiologie) pour parvenir enfin agrave la substance suprecircme Dieu principe de toutes les substances

sensibles comme aussi de maniegravere meacutediate de toutes les autres cateacutegories de lecirctre raquo22

La meacutetaphysique telle que construite par Alexandre deacuteploie alors une certaine forme

donto-theacuteologie23 Elle le fait mecircme de maniegravere assez rigoureuse si lon entend par onto-theacuteologie

la figure dune meacutetaphysique qui pour mieux reacutealiser lambition universaliste deacutetudier tout

leacutetant promeut un eacutetant eacuteminent et exemplaire mais ce (et cest important) sans pour autant

abandonner lambition universaliste Contre les simplifications de ladite constitution il est

indispensable de rappeler que celle-ci ne signifie pas une reacuteduction de la meacutetaphysique agrave la

theacuteologie24 Pour Heidegger lonto-theacuteologie signifie larticulation entre deux formes de totaliteacute

celle de leacutetant en tant queacutetant laquo dans ses traits les plus geacuteneacuteraux raquo et celle qui se reacutesume ou se

concentre dans leacutetant le plus haut25 La laquo dimorphie raquo26 de la meacutetaphysique signifie que celle-ci

est agrave la fois ontologie et theacuteologie (et non pas seulement theacuteologie) parce que comme leacutecrit

Heidegger elle vise laquo leacutetant comme tel et dans son tout raquo (les italiques sont de Heidegger)27 En ce

qui concerne en tout cas les textes de 1927 jusque 1957 cest le projet ontologique qui prime dans

la laquo constitution raquo et cest la reacutealisation de ce premier projet qui commande le passage agrave lenquecircte

20 Par exemple A Stevens [2000] p 234

21 Par exemple P Merlan [1957]

22 J-M Narbonne [1992] p 111

23 La citation preacuteceacutedente sert preacuteciseacutement agrave J-M Narbonne pour deacutecrire la position onto-theacuteologique

24 En ce sens certains des arguments avanceacutes par E Berti contre une constitution onto-theacuteologique de lameacutetaphysique chez Aristote (thegravese avec laquelle au demeurant nous sommes pleinement daccord)tombent agrave cocircteacute Cf par exemple E Berti [1996]

25 Voir par exemple laquo Quest-ce que la meacutetaphysique raquo tr fr dans Questions I et II [1968] p 40

26 Quon lit par exemple dans sa formule classique dans le Kantbuch de 1929 (p 7 de leacutedition allemande)

27 laquo La constitution onto-theacuteo-logique de la meacutetaphysique raquo tr fr dans Questions I et II [1968] p 289 Surce passage lrsquoitalique et la question du trait dunion (ou non) entre theacuteo et logique cf B Mabille [2004] p118-119

448

Conclusions

theacuteologique sur le laquo fond raquo de leacutetant son principe

Ainsi chez Alexandre lontologie saccomplit-elle sans se renier en ousiologie laquelle

saccomplit en theacuteologie Ce mouvement suppose leacutelection dune maniegravere decirctre eacuteminente et

premiegravere celle de la substance comprise comme forme dont on a vu comment Alexandre la

systeacutematise dans toute leacutechelle de lecirctre et qui vient se reacutealiser au plus haut point dans lintellect

agent En pensant la cause premiegravere comme une substance anteacuterieure agrave toutes les substances28

forme sans matiegravere purement en acte qui est donc au plus haut point Alexandre rend possible

une unification onto-theacuteologique Et de fait certaines des formules quemploie Heidegger au

meacutepris avoueacute des laquo interpreacutetations historico-philologiques raquo pour deacutecrire la constitution onto-

theacuteologique degraves Aristote (en citant le De mundo) sappliquent beaucoup mieux agrave Alexandre29

Mais parce quelle ne reacutesout pas leacutetant en un concept unique la constitution onto-

theacuteologique de la meacutetaphysique alexandrinienne reste relative Il a eacuteteacute en effet souligneacute combien

pour pouvoir ecirctre deacuteceleacutee dans les textes la constitution onto-theacuteologique de la meacutetaphysique ne

peut fonctionner que soutenue par la thegravese dune univociteacute de leacutetant Pour que lenquecircte sur

leacutetant en tant queacutetant puisse inteacutegralement saccomplir dans lenquecircte sur le premier eacutetant il

faut que ce laquo fond raquo soit dune part esse ipsum et dautre part eacutetant au mecircme sens que le reste des

eacutetants En ce sens tant que regravegne la polyseacutemie aristoteacutelicienne il ne peut y avoir de veacuteritable

onto-theacuteologie30 Or chez Alexandre la polyseacutemie de leacutetant si elle se trouve controcircleacutee nest pas

totalement eacutevacueacutee Comme on la vu linterpreacutetation alexandrinienne de la relation πρὸς ἕν ne

va pas jusquagrave faire de leacutetant un genre

Nous nous trouvons ainsi dans la situation paradoxale de croire profondeacutement agrave la

pluraliteacute des figures de la meacutetaphysique tout en devant reconnaicirctre devant les textes que la

premiegravere meacutetaphysique constitueacutee celle dAlexandre dAphrodise se rapproche en fait de cette

constitution onto-theacuteologique de la meacutetaphysique Mais deacutecouvrir une esquisse de la constitution

onto-theacuteologique chez Alexandre va paradoxalement dans le sens de sa relativisation de son

historicisation comme par un effet de retour nous sommes autoriseacutes agrave poser que cette

constitution onto-theacuteologique ne se lit pas chez Aristote parce quelle implique une seacuterie

dopeacuterations porteacutees sur la Meacutetaphysique qui sont le fait dAlexandre Ces opeacuterations consistent au

28 De principiis sect 62

29 Voir les passages p 17-19 du tome 26 de la Gesamtausgabe (Metaphysische Anfangsgruumlnde der Logik imAusgang von Leibniz) citeacutes et commenteacutes par J-F Courtine [1999] p 149-150

30 J-L Marion [1999] et [2001] p 175 O Boulnois [1995] et [1999] J-F Courtine [1999] p 153 pour lathegravese de lesse ipsum et [2005]

449

Conclusions

premier chef en une unification geacuteneacuteraliseacutee du corpus lapplication dune certaine

compreacutehension du πρὸς ἕν aussi bien au niveau preacutedicamental que transcendantal la

deacutetermination de la substance comme cause de lecirctre la deacutetermination du premier moteur

comme cause de lecirctre parce que forme pure

Lintituleacute de ce travail insistant sur la pluraliteacute des laquo origines raquo de la meacutetaphysique on

nentend donc pas verser la thegravese ainsi obtenue au creacutedit du slogan selon lequel la totaliteacute de la

meacutetaphysique se reacutesoudrait en une unique essence Alexandre propose une figure possible de la

meacutetaphysique laquelle se pluralisera irreacutemeacutediablement juste apregraves lui degraves Plotin et au Moyen

Acircge31 Certes dans cette histoire Alexandre joue un rocircle de maillon clef parce quil deacutetermine un

complexe de concepts et dambitions qui joueront agrave plein dans les traiteacutes ulteacuterieurs de

meacutetaphysique Mais cette figure en est une parmi dautres telle quelle interdit lunification du

mouvement historique de la meacutetaphysique en une seule laquo constitution raquo Lideacutee que le propre de

la meacutetaphysique est de se deacutepasser continuellement elle-mecircme (selon la fonction laquo meacuteta raquo32) est

sans doute une faciliteacute rheacutetorique parce que elle nest pas discriminante ni reacuteserveacutee agrave la

meacutetaphysique Mais elle savegravere agrave tout le moins dans le cas de la meacutetaphysique en son histoire

Autant dire clairement pour terminer que la justification de lenquecircte historique sur les

origines de la meacutetaphysique nest donc pas agrave chercher dans une quelconque croyance en

leacutepuisement des possibiliteacutes du meacutetaphysique en lhomme Comme si parodiant la proposition

marxienne jusquici les philosophes avaient fait de la meacutetaphysique et transformeacute celle-ci et quil

ne nous restait plus quagrave linterpreacuteter Lesprit de ce travail nest pas celui du fossoyeur pleurant la

meacutetaphysique perdue ni celui du passeacuteiste se reacutefugiant dans lhistoire et reacuteclamant vainement le

retour agrave la tradition ni enfin celui du deacuteconstructeur occupeacute agrave laquo faire passer raquo la meacutetaphysique

Seuls la mode ou un esprit chagrin peuvent laisser croire que la meacutetaphysique est morte33

ou du moins quelle a laquo eacutepuiseacute ses possibiliteacutes raquo quelle nest pas la laquo penseacutee agrave venir raquo34 La mode

pousse agrave leacutecholalie dont on sait les effets pervers pour le sens ndash un signifiant reacutepeacuteteacute agrave lenvi finit

par necirctre plus quun bruit Personne de seacuterieux ne peut preacutetendre eacuteteintes les interrogations sur

31 Sur Plotin voir L Lavaud [2008a] Pour le Moyen Acircge voir entre autres O Boulnois [1995] et [2001] J-F Courtine [2005] A de Libera [2005a]

32 Par exemple J Greisch [1996]

33 Thegravese qui agrave strictement parler ne se lit pas chez Heidegger lui-mecircme qui pense au contraire que lameacutetaphysique sest pleinement accomplie au XXegraveme s et nen finit pas de finir Voir agrave ce sujet la mise aupoint tregraves claire de J-L Marion [2005]

34 Selon cette fois deux expression effectivement heideggeriennes lune dans le Nietzsche II p 179lautre agrave la fin de la Lettre sur lhumanisme deacuteployeacutee par F Dastur dans F Dastur [2011]

450

Conclusions

ce qui fait que les choses sont quelles sont ce quelles sont pourquoi et en quel(s) sens elles sont

Que lon qualifie ou non ce style dinterrogations de laquo meacutetaphysique raquo en un sens large il nen

demeure pas moins quelles sont les heacuteritiegraveres dune figure de penseacutee qui sappelle la

meacutetaphysique en un sens strict historique et textuel Ceux qui sinterrogent encore aujourdhui

sur le sens de laquo ecirctre raquo sur les modes de donation de tout pheacutenomegravene ie de toute chose en tant

quelle apparaicirct jusquagrave mecircme poser un laquo archi-pheacutenomegravene raquo absolu ceux qui sinterrogent sur

les conditions du sens de notre expeacuterience ou sur la structure du reacuteel ceux-lagrave bon ou mal greacute

font de la meacutetaphysique Deacutecider de lappeler laquo philosophie premiegravere raquo35 ne trompe personne

Ce travail est ainsi neacute de la conviction que pour redonner sens agrave la meacutetaphysique il est

encore possible et neacutecessaire de questionner et creacuteer des concepts pour penser ce que cest que

decirctre ce quest la reacutealiteacute ce quest une chose ou ses principes Mais cet effort peut se nourrir dun

retour agrave lhistoire du terme du livre et de la discipline qui se sont ainsi intituleacutes par apregraves

laquo Meacutetaphysique raquo retrouverait alors lun de ses traits caracteacuteristiques agrave savoir quelle sest forgeacutee

dans et par le dialogue diachronique quont entretenu les meacutetaphysiciens dans les reprises

successives de son projet La meacutetaphysique est une discipline qui maintient un lien organique

avec sa propre histoire parce que sinterroger sur le sens le contenu et la validiteacute du projet

meacutetaphysique cest deacutejagrave faire de la meacutetaphysique Dit autrement la meacuteta-meacutetaphysique est de la

meacutetaphysique (alors que la meacuteta-matheacutematique se distingue de la matheacutematique ordinaire) et ce

parce que la meacutetaphysique repreacutesente lambition dun savoir fondamental premier et donc

reacuteflexif36

Au terme de ce travail sur ses origines on veut affirmer combien le monde contemporain

neacutechappe pas au besoin de meacutetaphysique Agrave une egravere de privation du monde de perte de

lhistoriciteacute du regravegne non pas tant de la technique en geacuteneacuteral que dune certaine organisation

eacuteconomique de la technique37 linterrogation sur ce qui distingue un objet une chose et un eacutetant

est loin de perdre sa validiteacute et sa neacutecessiteacute Lhistoire de la meacutetaphysique nous paraicirct aujourdhui

agrave mecircme de libeacuterer des possibiliteacutes pour la penseacutee pour une meacutetaphysique instruite de ses

35 Par exemple J-L Marion revendiquant la fin de la meacutetaphysique tout en promouvant une philosophiepremiegravere (cf J-L Marion [2001] p 3 sq qui assume que laquo la philosophie ne reste conforme agrave sa propreessence quen preacutetendant par essence au rang de philosophie premiegravere raquo)

36 Agrave la diffeacuterence de ce que soutient P Aubenque [2009b] p 6 sq il nous semble possible de penser lerapport speacutecifique que la meacutetaphysique entretient avec sa propre histoire sans rabattre son objet (lunde ses objets) lecirctre sur lhistoire elle-mecircme ndash selon le geste heideggerien dans M Heidegger [1961] p489 tr fr [1971] p 398 pour qui laquo lhistoire de lecirctre est lrsquoecirctre lui-mecircme raquo

37 Cf F Fischbach [2011] (mais ce sont lagrave aussi des thegraveses bien connues de Marx)

451

Conclusions

origines de ses revirements ou deacuteconstructions une meacutetaphysique en un sens large Leacutepoque

nest plus agrave la fin de la meacutetaphysique

452

Annexes

ANNEXES

BIBLIOGRAPHIE SEacuteLECTIVE

Cette bibliographie rassemble les œuvres et eacutetudes qui sont citeacutees dans ce travail ou qui furentconsulteacutees pour sa preacuteparation

I Eacuteditions et traductions des textes citeacutes

I1 Alexandre dAphrodise

ndash Commentaria in Aristotelem graeca (CAG) In Aristotelis Metaphysica commentaria M Hayduck (ed) CAG I Berlin 1891In librum de sensu commentaria P Wendland (ed) CAG II 1 Berlin 1901 In Aristotelis Topicorum libros octo commentaria M Wallies (ed) CAG II 2 Berlin 1891Praeter Commentaria scripta minora De Anima liber cum Mantissa I Bruns (ed) in SupplementumAristotelicum II 1 Berlin 1887 Praeter Commentaria scripta minora Quaestiones De Fato De Mixtione I Bruns (ed) in SupplementumAristotelicum II 2 Berlin 1892

ndash Autres eacuteditions Bonitz H (ed) 1847 Alexandri Aphrodisiensis Commentarius in libros metaphysicos aristotelis

Berolini

FREUDENTHAL J 1884 Die durch Averroes erhaltenen Fragmente Alexanders zur Metaphysik desAristoteles Berlin

RASHED M 2011a Alexandre drsquoAphrodise Commentaire perdu agrave la Physique drsquoAristote (Livres IV-VIII) Les scholies byantines Berlin W De Gruyter

453

Annexes

VITELLI G 1902 laquo Due frammenti di Alessandro di Afrodisia raquo in M von Schwind[ed] Festschrift Theodor Gomperz dargebracht zum siebzigsten Geburtstage am29 Maumlrz 1902 Vienne A Houmllder p 90-93

ndash Traductions a) Commentaire agrave la MeacutetaphysiqueDOOLEY WE 1989 Alexander of Aphrodisias On Aristotles Metaphysics 1 London New-York

Duckworth Cornell University Press

ndash 1993 Alexander of Aphrodisias On Aristotles Metaphysics 5 London New-York Duckworth Cornell University Press

DOOLEY WEMADIGAN A

1992 Alexander of Aphrodisias On Aristotles Metaphysics 2-3 London New-York Duckworth Cornell University Press

MADIGAN A 1993 Alexander of Aphrodisias On Aristotles Metaphysics 4 London New-York Duckworth Cornell University Press

MOVIA G (ED) 2007 Alessandro di Afrodisia Commentario alla Metafisica di Aristotele Milan Bompiani (Traduction des Livres A et B P Lai Livre α MC Pogliani Γet Θ M Casu Δ A Borgia E N Cauli Z et I S Loche H E Carta K P Serra Λ R Salis M et N E Cattanei)

SEPUacuteLVEDA (DE) JG 1527 Alexandri Aphrodisiei Commentaria In duodecim Aristotelis libros de primaPhilosophia Rome 1527 Paris 1536 Venise 1544 1551 1561

b) Commentaire aux Premiers AnalytiquesBARNES J BOBZIEN SFLANNERY K IERODIAKONOU K

1991 Alexander of Aphrodisias On Aristotle Prior Analytics 11-7 London New-York Duckworth Cornell University Press

MUELLER I 2006a Alexander of Aphrodisias On Aristotle Prior Analytics 123-31 London New-York Duckworth Cornell University Press

ndash 2006b Alexander of Aphrodisias On Aristotle Prior Analytics 132-46 London New-York Duckworth Cornell University Press

MUELLER IGOULD J

1999a Alexander of Aphrodisias On Aristotle Prior Analytics 18-13 London New-York Duckworth Cornell University Press

ndash Alexander of Aphrodisias On Aristotle Prior Analytics 114-22 London New-York Duckworth Cornell University Press

c) Commentaire aux TopiquesVAN OPHUIJSEN JM 2000 Alexander of Aphrodisias On Aristotle Topics 1 London New-York

Duckworth Cornell University Press

d) Autres commentairesGANNAGE E 2005 Alexander of Aphrodisias On Aristotle On Coming-to-Be and Perishing 22-5

London New-York Duckworth Cornell University Press

LEWIS E 1993 Alexander of Aphrodisias On Aristotle Meteorology 4 London New-York Duckworth Cornell University Press

TOWEY A 2000 Alexander of Aphrodisias On Aristotle On Sense Perception London New-York Duckworth Cornell University Press

e) De anima

454

Annexes

ACCATTINO PDONINI P

1996 Alessandro di Afrodisia Lrsquoanima Rome Bari Biblioteca universale Laterza

BERGERON MDUFOUR R

2008 Alexandre dAphrodise De lacircme Paris Vrin

e) MantissaACCATTINO P 2001 Alessandro di Afrodisia De Intellectu Introduzione traduzione e commento di

Paolo Accottino Turin Theacutelegraveme

SHARPLES RW 2004 Alexander of Aphrodisias Supplement to On the soul New-York CornellUniversity Press

SHARPLES RW 2008a Alexander of Aphrodisias De Anima libri mantissa introduction andcommentary Berlin W de Gruyter

f) Quaestiones ndash ProblemataSHARPLES RW 1990 Alexander of Aphrodisias Ethical problems London New-York Duckworth

Cornell University Press

ndash 1992 Alexander of Aphrodisias Quaestiones 11 ndash 215 London New-York Duckworth Cornell University Press

ndash 1994 Alexander of Aphrodisias Quaestiones 216 ndash 3 15 London New-York Duckworth Cornell University Press

g) De fatoSHARPLES RW 1983 Alexander of Aphrodisias On fate London Duckworth

THILLET P 1984 Alexandre dAphrodise Traiteacute du destin Paris Belles Lettres

h) De providentiaFAZZO SZONTA M

1999 Alessandro di Afrodisia La provvidenza Questioni sulla provvidenza Milan Biblioteca Universale Rizzoli

RIEDWEG C 2011 laquo Alexander of Aphrodisias De prouidentia Greek Fragments and ArabicVersions raquo in D Obbink R Rutherford (ed) Culture in pieces essays onancient texts in honour of Peter Parsons Oxford Oxford University Pressp 277-301

THILLET P 2001 Alexandre dAphrodise Traiteacute de la providence Lagrasse Verdier

i) De principiisBADAWI A 1968 La transmission de la philosophie grecque au monde arabe Paris Vrin

GENEQUAND C 2001 Alexander of Aphrodisias On the cosmos Leiden Brill

I2 Aristote

ndash Œuvres complegravetes O Gigon (ed) Aristotelis Opera graece ex rec I Bekkeri Berlin 1831 vol I-II et IV-V Berlin W deGruyter 1960-1961J Barnes (ed) The complete works of Aristotle The Revised Oxford Translation 2 vol Princeton Bollingen Series 1984

455

Annexes

E Flashar (ed) Aristoteles Werke in deutscher Uumlbersetzung Berlin Akademie-Verlag 20 vol 1956-

ndash Eacuteditions et traductions

a) MeacutetaphysiqueANNAS J 1976 Aristotlersquos Metaphysics Books M and N Oxford Clarendon Press

BOSTOCK 1994 Aristotle Metaphysics books Z and H translated with a commentary Oxford Clarendon Press

CASSIN BNARCY M

1998 La Deacutecision du sens le livre Gamma de la Meacutetaphysique drsquoAristote Paris Vrin

CHRIST W 1903 Metaphysica Leipzig Teubner

DUMINIL M-PJAULIN A

2008 Meacutetaphysique Paris GF Flammarion

HECQUET-DEVIENNE M A (ED)

2008 Aristote Meacutetaphysique Gamma Eacutedition traduction eacutetudes Louvain Peeters

JAEGER W 1957 Metaphysica Oxford Oxford Classical Texts

KIRWAN C 1993 Metaphysics Books Gamma Delta and Epsilon Oxford Clarendon Press

REALE G 2004(reacuteeacuted)

Introduzione traduzione e commentario della metafisica di Aristotele Milano Bompiani

ROSS WD 1924 Aristotlersquos Metaphysics a Revised Text with Introduction and CommentaryOxford Clarendon Press

ndash 1928sup2 Metaphysica in The Works of Aristotle Translated into English vol 8Oxford Clarendon Press

SCHWEGLER A 1960 Die Metaphysik des Aristoteles III Frankfort Minerva (premiegravere eacutedition1847-1848)

TRICOT J 1933 Meacutetaphysique tomes 1 et 2 (laquo editio minor raquo) Paris Vrin

ndash 1952 Meacutetaphysique tomes 1 et 2 (laquo editio major raquo) Paris Vrin

b) De animaBODEacuteUumlS R 1993 De lacircme Paris GF Flammarion

JANNONE ABARBOTIN E

1966 De lacircme Paris Belles Lettres

ROSS WD 1961 De Anima Oxford Oxford Classical Texts

THILLET P 2005 De lacircme Paris Gallimard

TRICOT 1934 De lacircme Paris Vrin

c) Categoriae ndash De interpretationeBODEacuteUumlS R 2001 Les Cateacutegories Paris Belles Lettres

COOK HP 1938 Categories The Loeb Classical Library Cambridge Harvard UniversityPress

ILDFEONSE FLALLOT J

2002 Cateacutegories Paris Seul

CRUBELLIER MDALIMIER CPELLEGRIN P

2007 Cateacutegories Sur lrsquointerpreacutetation Introduction traduction et notes Paris GF

MINIO-PALUELLO L 1949 Categoriae et De Interpretatione Oxford Oxford Classical Texts

456

Annexes

RODIER G 1900 Traiteacute de lrsquoacircme 2 vol Paris Ernest Leroux Eacutediteur

TRICOT J 1957 Cateacutegories De lrsquointerpreacutetation Paris Vrin

d) De caeloDALIMIER CPELLEGRIN P

2004 Traiteacute du Ciel Paris GF Flammarion

MORAUX P 1965 Du Ciel Paris Belles Lettres

STOCKS JL 1930 On the Heavens in The Works of Aristotle translated into English vol 2Oxford Clarendon Press

TRICOT J 1949 Traiteacute du ciel suivi du traiteacute pseudo-aristoteacutelicien Du monde Paris Vrin

e) De generatione animaliumPLATT A 1911 De generatione animalium in The Works of Aristotle translated into English

vol 5 Oxford Clarendon Press

f) De generatione et corruptioneJOACHIM HH 1922 Aristotle On Coming-to-Be and Passing-away Oxford Clarendon Press

RASHED M 2005 De la Geacuteneacuteration et de la corruption Paris Belles Lettres

TRICOT J 1933 De la Geacuteneacuteration et de la corruption Paris Vrin

g) Ethica Eudemia ndash Ethica NicomacheaBLOCH OLEANDRI A

2011 Eacutethique agrave Eudegraveme Paris Encre Marine

BODEacuteUumlS R 2004 Eacutethique agrave Nicomaque Paris GF-Flammarion

BYWATER I 1894 Aristotelis Ethica Nicomachea Oxford Oxford Classical Texts

DEacuteCARIE V 1978 Eacutethique agrave Eudegraveme Paris Vrin

GAUTHIER R-AJOLIF J-Y

1970 LEacutethique agrave Nicomaque 4 vol Louvain Peeters

TRICOT J 1959 Eacutethique agrave Nicomaque Paris Vrin

WALZER R RMingay J M

1991 Ethica Eudemia Oxford Oxford Classical Text

h) MeteorologicaGROISARD J 2008 Meacuteteacuteorologiques Paris GF

LOUIS P 1982 Meacuteteacuteorologiques 2 vol Paris Belles Lettres

TRICOT J 1941 Les Meacuteteacuteorologiques Paris Vrin

i) De motu animaliumFORSTER ES 1937 Movement of Animals Progression of Animals The Loeb Classical Library

Cambridge Harvard University Press

LOUIS P 1973 Traiteacute du mouvement des animaux Paris Belles Lettres

NUASSBAUM M 1978 De Motu animalium Princeton Princeton University Press

j) Parva NaturaliaHETT WS 1936 Parva naturalia The Loeb Classical Library Cambridge Harvard

University Press

457

Annexes

MOREL P-M 2000 Petits traiteacutes drsquohistoire naturelle Paris GF

ROSS WD 1955 Parva naturalia Oxford Clarendon Press

k) PhysicaGRAHAM D 1999 Aristotle Physics Book VIII Translated with a Commentary Oxford Clarendon

Press

PELLEGRIN P 2002 Physique Paris GF

ROSS WD 1960 Physica Oxford Oxford Classical Texts

ROSS WD 1966 Aristotlersquos Physics a Revised Text with Introduction and Commentary Oxford Clarendon Press

STEVENS A 1999 La physique Paris Vrin

l) Priora ndash posteriora analyticaBARNES J 1975

1993sup2Aristotles Posterior Analytics Oxford Clarendon Press

PELLEGRIN P 2005 Seconds Analytiques Paris GF

ROSS WD 1949 Prior and Posterior analytics Oxford Clarendon Press

TRICOT J 19471992

Organon III Les Premiers analytiques Paris Vrin

TRICOT J 1995(reacuteeacuted)

Organon IV Les Seconds analytiques Paris Vrin

m) Topica ndash Sophistici elenchiBRUNSCHWIG J 1967

2007Topiques 2 vol Paris Belles Lettres

DORION L-A 1995 Reacutefutations sophistiques Paris Laval Vrin Presses de lUniversiteacute de Laval

ROSS WD 1958 Topica et Sophistici Elenchi Oxford Oxford Classical Texts

TRICOT J 1966 Reacutefutations sophistiques Paris Vrin

I3 Autres auteurs anciens et meacutedieacutevaux

Sourcebooks AA LONG DN SEDLEY The Hellenistic philosophers 2 vol Cambridge CambridgeUniversity Press tr fr J Brunschwig P Pellegrin Les Philosophes helleacutenistiques 3 volParis GF 2001RW SHARPLES Peripatetic Philosophy 200 BC to AD 200 An Introduction and Collection ofSources in Translation Cambridge Cambridge University Press 2010 R SORABJI (ED) The philosophy of the commentators 200-600 AD 3 vol London New-York Duckworth Cornell University Press 2005

ALCINOOS Enseignement des doctrines de Platon texte introduit eacutetabli et commenteacute par JWhittaker traduit par P louis Paris Belles Lettres 1990

AMMONIUS In De interpretatione A Busse (ed) CAG IV5 Berlin 1897

458

Annexes

laquo Ammonius Commentaire du Peri hermeneias Preacuteambule et chapitres I agrave V raquo FIldefonse J Lallot (ed) Archives dhistoire et deacutepisteacutemologie des sciences du langage 2e

seacuterie ndeg 7 1992 p 1-91

ASCLEacutePIUS In Aristotelis metaphysicorum libros A-Z M Hayduck (ed) CAG VI 2 Berlin 1888

ASPASIUS In Ethica Nicomachea G Heylbut (ed) CAG XIX 1-2 Berlin 1889

ATTICUS Fragments E des Places (ed) Paris Belles Lettres 1977

AVERROEgraveS Tafsicircr macirc balsquod at-Tabicirclsquoat Grand commentaire sur la Meacutetaphysique M Bouygues (ed) 3vol Beyrouth Dacircr el-Machreq 1938-1948

ndash Ibn Rushds metaphysics A translation with introduction of Ibn Rushds commentary onAristotle Metaphysics Book lām C Genequand (ed) Leiden Brill 1986

ndash Averroegraves Lrsquointelligence et la penseacutee Grand commentaire du De anima IIITraductionintroduction bibliographie chronologie notes et index A de Libera Paris Flammarion 1998

GALIEN Galen on Language and Ambiguity An English Translation of Galens De Captionibus(On Fallacies) with Introduction Text and Commentary R Eldow Leiden Brill 1977

ndash Traiteacutes philosophiques et logiques traductions ineacutedites par P Pellegrin C Dalimier etJ-P Levet Preacutesentation par P Pellegrin Paris GF 1998

NUMENIUS Fragments E des Places (ed) Paris Belles Lettres 1973

PHILOPON In De Anima M Hayduck (ed) CAG XV Berlin 1887

PLATON Œuvres complegravetes Paris Belles Lettres t I-XII 1920-1983Œuvres complegravetes par L Robin avec la collaboration de J Moreau 2 vol Paris Gallimard 1969sup2Œuvres complegravetes sous la direction de L Brisson Paris Flammarion 2008

PORPHYRE Isagoge et in Aristotelis categorias A Busse (ed) CAG IV 1 Berlin 1887

Isagogecirc A de Libera A-Ph Segonds (ed) Paris Vrin 1998

ndash Introduction J Barnes (ed) Oxford Oxford University Press 2003

SIMPLICIUS In Aristotelis physicorum libros quatuor priores [-posteriores] H Diels (ed) CAG IX etX Berlin 1882-1885

ndash In Aristotelis De caelo IL Heiberg (ed) CAG VII Berlin 1894

ndash In Aristotelis Catgeorias C Kalbfleisch (ed) CAG VIII Berlin1907

ndash Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories I Hadot (ed) Fascicules I et III Leiden Brill 1990

ndash Commentaire sur les ldquoCateacutegoriesrdquo dAristote Chapitres 2-4 I Hadot (ed) P Hoffmann(tr) Paris Belles Lettres 2001

SYRIANUS In Metaphysica G Kroll (ed) CAG VI 1 Berlin 1902

ndash On Aristotle Metaphysics 3-4 D OrsquoMeara J Dillon London New-York DuckworthCornell University Press 2008

THEacuteOPHRASTE Sources for his life writings thought and influence 2 vol WW Fortenbaugh et al(ed) Leiden Brill 1992

ndash Meacutetaphysique A Laks G Most (ed) Paris Belles Lettres 2001

ndash On First Principles (known as his Metaphysics) D Gutas (ed) Leiden Brill

THOMAS DAQUIN In duodecim libros metaphysicorum aristotelis expositio eacutediteacute par M R Cathala et P- FrRaymundi M Spiazzi Turin Rome Marietti 1950

459

Annexes

II Eacutetudes critiques

II1 Alexandre

ABBATE G 2009 laquo Acerca de la primaciacutea del ХΩΡΙΣΤOacuteΝ en la sustancia aristoteacutelica Elcomentario de Alejandro de Afrodisia a Metafiacutesica V 8 1017b 23-26 raquoEstudios de Filosofiacutea 40 p 29-52

ACCATTINO P 1988 laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzioneanimale raquo Atti della Accademia delle Scienze di Torino 72 p 79-94

ndash 1995 laquo Generazione dellrsquoanima in Alessandro di Afrodisia De anima 210-1113 raquo Phronesis 40 2 p 182-201

ndash 2003 laquo Processi naturali e comparsa delleidos in Alessandro di Afrodisia raquo inG Movia [2003] p 167-186

ndash 2009 laquo Alejandro de Afrodisia inteacuterprete del De Anima de Aristoacuteteles raquo Estudiosde Filosofiacutea 40 p 53-78

ACCATTINO PDONINI P

1994 laquo Alessandro di Afrodisia De an 90 23 sq a proposito del νοῦς θύραθενraquoHermes 122 p 373-375

BARNES J 1992 laquo Metacommentary raquo Oxford Studies in Ancient Philosophy X p 267-281

BAZAacuteN BC 1973 laquo Lauthenticiteacute du De intellectu attribueacute agrave Alexandre dAphrodise raquo Revuephilosophique de Louvain ndeg71 p 468-487

BERTI E 2000 laquo Il movimento del cielo in Alessandri di Afrodisia raquo in A Brancacci (ed)La filosofia in etagrave imperiale Napoli Bibliopolis p 225-243

BOBZIEN S 1998 laquo The Inadvertent Conception and Late Birth of the FreendashWill Problem raquoPhronesis 43 2 p 133ndash175

BODNAacuteR IM 1997 laquo Alexander of Aphrodisias on Celestial Motions raquo Phronesis 42 2 p 190-205

BONELLI M 2001 Alessandro di Afrodisia e la metafisica come scienza dimostrativaNapoli Bibliopolis

ndash 2009a laquo Dialectique et philosophie premiegravere Syrianus et AlexandredAphrodise raquo in A Longo (ed) Syrianus et la Meacutetaphysique de lrsquoAntiquiteacuteTardive Napoli Bibliopolis p 423-438

ndash 2009b laquo Alexandre drsquoAphrodise et la cause mateacuterielle raquo Journal of AncientPhilosophy Vol III Issue 2

BOTTER B 2009 laquo El aristotelismo de Alejandro de Afrodisia en la cultura del comentario raquoEstudios de Filosofiacutea 40 p 109-134

BRAGUE R 2002 laquo Alexander of Aphrodisias on the Cosmos by Charles Genequand raquo StudiaIslamica 94 p 201-202

CASTON V 1997 laquo Epiphenomenalisms Ancient and Modern raquo The Philosophical Review 1063 p 309-363

CATTANEI E 2003 laquo Gli entici matematici per astrazione secondo Alessandro di Afrodisia elo Pseudo-Alessandro raquo in G Movia [2003] p 255-276

CHIANOTIS A 2004 laquo New inscriptions from Aphrodisias (1995-2001) raquo American Journal ofArcheology 108 3 p 377-416

460

Annexes

CHIARADONNA R 2008a laquo Hyleacutemorphisme et causaliteacute des intelligibles Plotin et AlexandredAphrodise raquo Les eacutetudes philosophiques 86 3 p 379-398

CHIARADONNA RRASHED M

2010 laquo Before and after the commentators an exercise in periodization raquo OxfordStudies in Ancient Philosophy 38 p 251-297

CORDONIER V 2007 laquo Matiegravere qualiteacutes meacutelange La physique eacuteleacutementaire drsquoAristote chezGalien et Alexandre drsquoAphrodise raquo Quaestio Annuario di storia dellametafisica 7 p 79-103

ndash 2008 laquo Corps Matiegravere Contact La coheacuterence du sensible selon AlexandredAphrodise raquo Les eacutetudes philosophiques 86 3 p 353-378

COROLEU A 1996 laquo The Fortuna of Juan Gineacutes de Sepuacutelvedas Translations of Aristotle and ofAlexander of Aphrodisias raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes59 p 325-332

CRANZ FE 1958 laquo The Prefaces to the Greek Editions and Latin Translations of Alexander ofAphrodisias 1450 to 1575 raquo Proceedings of the American Philosophical Society102 5 p510-546

DANCONA CSERRA G (ED)

2002 Aristotele e Alessandro di Afrodisia nella tradizione araba Padoue Il Poligrafo

DONINI P 1971 laquo Lanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Attidella Accademia delle scienze di Torino 105 p 61-107

ndash 1995 laquo Alessandro di Afrodisia e i metodi dell esegesi filosofica raquo inC Moreschini Esegesi parafrasi e compilazione in etagrave tardoantica Napoli Bibliopolis p107-129

ndash 1996 laquo Theia Dynamis in Alessandro di Afrodisia raquo in F Romano RL Cardullo(ed) Dunamis nel neoplatonismo Firenze 1996 p 11-29

ndash 2003 laquo Unitagrave e oggetto della metafisica secondo Alessandro di Afrodisia raquo in GMovia [2003] p 15-52

ndash 2005 laquo Lobjet de la meacutetaphysique selon Alexandre dAphrodise raquo in M NarcyA Tordesillas [2005] p 81-98

ndash 2010 Commentary and Tradition Aristotelianism Platonism and Post-HellenisticPhilosophy M Bonazzi (ed) Berlin W De Gruyter

ELLIS J 1994 laquo Alexanders Defense of Aristotles raquo Phronesis 39 1 p 69-89

ENDRESS G 2002 laquo Alexander arabus on the first cause Aristotles First Mover in an Arabictreatise attributed to Alexander of Aphrodisiasrdquo in C DrsquoAncona G Serra[2002] p 19ndash74

FAZZO S 1988 laquo Alexander of Aphrodisias and Ptolimy Aristotelianism and astrologybetween the 2nd and 3rd centuries raquo Rivista di storia della filosofia 43 4p 627-649

ndash 1999 laquo Frammenti da Alessandro in De generatione et corruptione nel Kitacircb al-Tasricircf raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 10 p 195-203

ndash 2002a Aporia e sistema La materia la forma il divino nelle Quaestiones di Alessandro diAfrodisia Pise Edizioni ETS

ndash 2003a laquo Alexander of Aphrodisias on the cosmos raquo Rivista di storia della filosofia58 2 p 384-387

ndash 2003b laquo Alexandros dAphrodisias raquo in R Goulet (ed) Dictionnaire des philosophesantiques Suppleacutement Paris CNRS eacuteditions p 61-70

ndash 2004 laquo Aristotelianism as a Commentary Tradition raquo Supplement of the Bulletin ofthe Institute for Classical Studies p 1-19

461

Annexes

ndash 2008a laquo Lrsquoexeacutegegravese du livre Lambda de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans le Deprincipiis et dans la Quaestio I1 drsquoAlexandre drsquoAphrodise raquo Lavaltheacuteologique et philosophique 64 3 p 607-626

ndash 2012 laquo The Metaphysics from Aristotle to Alexander of Aphrodisias raquo Bulletin ofthe Institute of Classical Studies 55 1 p 51-68

FAZZO SWIESNER H

1993 Alexander of Aphrodisias in the Kindī-Circle and in Al-Kindī Cosmology Arabic Sciences and Philosophy 3 p 119-153

FLANNERY KL 1995 Ways into the logic of Alexander of Aphrodisias Leiden Brill

ndash 2003 laquo Logic and ontology in Alexander of Aphrodisiass commentary onMetaphysics IV raquo in G Movia [2003] p 117-134

FREUDENTHAL G 2009 laquo The Astrologization of the Aristotelian Cosmos Celestial Influences onthe Sublunary World in Aristotle Alexander of Aphrodisias andAverroes raquo in AC Bowen C Wildberg (ed) A Companion to AristotlesCosmology Collected Papers on De Caelo Leiden Brill p 239-281

GENEQUAND C 1979 laquo Lobjet de la meacutetaphysique selon Alexandre dAphrodisias raquo MuseumHelveticum 36 p 48-57

GILI L 2011 La sillogistica di Alessandro di Afrodisia Sillogistica categorica e sillogisticamodale nel commento agli Analitici Primi di Aristotele Hildesheim GeorgOlms Verlag

GOULET RAOUAD M

1989 laquo Alexandros drsquoAphrodisias raquo in R Goulet (ed) Dictionnaire des philosophesantiques t I Paris CNRS eacuteditions p 124-139

GRIFFIN M 2009 The Reception of Aristotlersquos Categories c 80 BC to AD 220 Thegravese de doctoratpreacutesenteacutee le 30 mars 2009 agrave lUniversiteacute dOxford

GUYOMARCH G 2008 laquo Le visage du divin la forme pure selon Alexandre dAphrodise raquo Leseacutetudes philosophiques 86 3 p 323-341

ISNARDI-PARENTE M 2000 laquo Alessandro di Afrodisia e il ΠΕΡΙ ΤΑΓΑΘΟΥ di Aristotele raquo in ABrancacci (ed) La filosofia in etagrave imperiale Napoli Bibliopolis p 245-270

JAULIN A 2008b laquo Remarques sur les conceptions de la nature dans les sect2-6 du De fatodAlexandre dAphrodise raquo Les eacutetudes philosophiques 86 3 p 343-352

KUPREEVA I 2003 laquo Qualities and bodies Alexander against the Stoics raquo Oxford studies inAncient philosophy 25 p 297-344

ndash 2004 laquo Alexander of Aphrodisias on mixture and growth raquo Oxford studies inancient philosophy 27 p 297-334

ndash 2010 laquo Alexander of Aphrodisias on form a discussion of M RashedEssentialisme raquo Oxford Studies in Ancient Philosophy 38 p 211-249

LAVAUD L 2008b laquo Matiegravere et privation chez Alexandre dAphrodise et Plotin raquo Les eacutetudesphilosophiques 86 3 p 399-414

LEFEBVRE D 2006 laquo Extrait de ce que dit Aristote sur ce qui deacutepend de nous raquo (Mantissa 16933-172 15) in C Romano J Laurent (ed) Le Neacuteant Contribution agrave lrsquohistoiredu non-ecirctre dans la philosophie occidentale Paris PUF p103-117

LUNA C 2001 Trois eacutetudes sur la tradition des commentaires anciens agrave la meacutetaphysiquedAristote Leiden Brill

MCGINNIS J 2004 laquo Alexander of Aphrodisias on the Cosmos by Charles Genequand raquo Journal ofthe American Oriental Society 124 1 p 103-108

MADIGAN A 1987 laquo Alexander of Aphrodisias the book of Ethical Problems raquo in W Haase(ed) Aufstieg und Niedergang der roumlmischen Welt Geschichte und Kultur Romsim Spiegel der neueren Forschung 361 Berlin W De Gruyter p 1260-1279

462

Annexes

MERLAN P 1957 laquo Metaphysik Name und Gegenstand raquo The Journal of Hellenic Studies 771 p 87-92

MOVIA G 1970 Alessandro di Afrodisia Tra naturalismo e misticismo Padova EditriceAntenore

MOVIA G (ED) 2003 Alessandro di Afrodisia e la Metafisica di Aristotele Milano Vita e pensiero

MORAUX P 1942 Alexandre drsquoAphrodise Exeacutegegravete de la noeacutetique drsquoAristote (Bibliothegraveque de lafaculteacute de philosophie et lettre de lrsquouniversiteacute de Liegravege fasc XCIX) LiegravegendashParis

ndash 1969 laquo Eine Korrektur des mittelplatoniker Eudoros zum Text der Metaphysik desAristoteles in R Stiehl HE Stier (ed) Beitraumlge zur alten Geschichte undderen Nachleben Berlin p 492-504

ndash 1973 Der Aristotelismus bei den Griechen von Andronikos bis Alexander vonAphrodisias Berlin W De Gruyter T 1 Die Renaissance des Aristotelismus im 1 Jh v Chr

ndash 1984 T 2 Der Aristotelismus im I und II Jh n Chr

MORAUX PJ WIESNER (ED)

2001 T 3 Alexander von Aphrodisias

MIGNUCCI M 2003 laquo Alessandro interprete di Aristotele luci e ombre del commento a MetaphΓ raquo in G Movia [2003] p 93-116

MUELLER I 1990 laquo Aristotlersquos doctrine of abstraction in the commentators raquo in R Sorabji[1990] p 463-480

NATALI C 2003 laquo Causa formale e causa motrice in Alessandro di Afrodisia raquo in G Movia[2003] p 153-166

PAPADIS 1991 laquo Lintellect agent selon Alexandre dAphrodise raquo Revue de philosophieancienne IX 2 p 133-151

RASHED M 2000 laquo Alexandre drsquoAphrodise lecteur du Protreptique raquo in J Hamesse (ed) Lesprologues meacutedieacutevaux Textes et eacutetudes du Moyen Acircge 15 Brepols p 1-37

ndash 2004 laquo Prioriteacute de lΕΙΔΟΣ ou du ΓΕΝΟΣ entre Andronicos et Alexandre vestiges arabes et grecs ineacutedits raquo Arabic Sciences and Philosophy 14 p 9-63

ndash 2007a LHeacuteritage aristoteacutelicien Textes ineacutedits de lAntiquiteacute Paris Belles Lettres

ndash 2007b Essentialisme Alexandre dAphrodise entre logique physique et cosmologieBerlin W De Gruyter

ndash 2008 laquo Alexandre dAphrodise de leidocentrisme comme actualisation dunaristoteacutelisme possible raquo Les eacutetudes philosophiques 86 3 p 281-284

ndash 2011b laquo Un corpus de logique anti-platonicienne drsquoAlexandre drsquoAphrodise raquo in TBeacutenatouiumll E Maffi F Trabattoni (ed) Plato Aristotle or Both Dialoguesbetween Platonism and Aristotelianism in Antiquity Hildesheim Olms p 85-94

ndash 2011c laquo Commentateurs antiques raquo in J Brunschwig GER Lloyd P Pellegrin(ed) Le savoir grec Dictionnaire critique Paris Flammarion (eacutedition revue etaugmenteacutee) p 1082-1099

SHARPLES RW 1975 laquo Aristotelian and Stoic Conceptions of Necessity in the De Fato ofAlexander of Aphrodisias raquo Phronesis 20 3 p 247-274

ndash 1982a laquo Alexander of Aphrodisias on divine providence two problems raquoClassical Quarterly 32 p 198 -211

ndash 1982b laquo Alexander of Aphrodisias on Time raquo Phronesis 27 1 p 58-81

463

Annexes

_ 1987 laquo Alexander of Aphrodisias scholasticism and innovation raquo in HTemporini W Haase (ed) Aufstieg und Niedergang der roumlmischen WeltGeschichte und Kultur Roms im Spiegel der neueren Forschung 361 Berlin W De Gruyter 1987 p 1176-1243

_ 1990 laquo The school of Alexander raquo in R Sorabji (ed) Aristotle TransformedLondresndashNew-York DuckworthndashCornell University Press 1990

_ 1994 laquo On body soul and generation in Alexander of Aphrodisias raquo Apeiron 27p 163- 170

_ 1999a laquo The Peripatetic School raquo in DJ Furley (ed) From Aristotle to AugustineLondon Routledge p 147-187

_ 1999b laquo On being a tode ti in Aristotle and Alexander raquo Methexis 12 p 77 - 87

_ 2000 laquo Alexander of Aphrodisias De intellectu 10014 I heard this fromAristotle A modest proposal raquo Classical Quarterly 50 1 p 252-256

_ 2002a laquo Aristotelian Theology after Aristotle raquo in D Frede A Laks (ed) Traditionsof Theology Studies in Hellenistic Theology Its Background and AftermathLeiden Brill p 1-40

_ 2002b laquo Alexander of Aphrodisias and the end of Aristotelian Theology raquo in TKobusch M Erler (ed) Metaphysik und Religion zur Signatur des spaumltantikenDenkens Munich KG Saur p 1 - 21

_ 2003 laquo Pseudo-Alexander on Aristotle Metaphysics Λ raquo in G Movia [2003] p187-218

_ 2005 laquo Alexander of Aphrodisias on universals two problematic texts raquoPhronesis 50 1 p 43-55

_ 2008b laquo Habent sua fata libelli Aristotles Categories in the first century BC raquo ActaAntiqua Academiae Scientarum Hungaricae 48 1-2 p 273-287

_ 2009 laquo The hellenistic period whats happened to hylomorphism raquo in G VanRiel P Destreacutee (ed) Ancient Perspectives on Aristotles De anima Ancient andMedieval Philosophy Series I 41 Leuven Leuven University Press p 155-166

SCHNIEWIND A 2008 laquo Lrsquoacircme est-elle comme un marin dans un navire raquo in C ErismannASchniewind (ed) Compleacutements de substance Paris Vrin p 273-287

FM SCHROEDER 1981 laquo The analogy of the active intellect to light in the De Anima of Alexander ofAphrodisias raquo Hermes 109 p 215-225

_ 1982 laquo The potential or material intellect and the autoship of the De Intellectu areply to BC Bazan raquo Symbolae Osloenses 57 p 115-125

_ 1984 laquo Light and the active intellect in Alexander and Plotinus raquo Hermes 112 p239-248

FM SCHROEDER

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2008 laquo The De intellectu revisited raquo Laval theacuteologique et philosophique 64 3 p 663-680

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TUOMINEN M 2009 The Ancient Commentators on Plato and Aristotle Stocksfield Acumen 2009

_ 2010 laquo Receptive Reason Alexander of Aphrodisias on Material Intellect raquoPhronesis 55 2 p 170-190

464

Annexes

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TWEEDALE M 1984 laquo Alexander of Aphrodisias views on universals raquo Phronesis 29 3 p 279-303

II2 Aristote

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_ 1971 laquo Plotin et le deacutepassement de lontologie grecque raquo in Le neacuteoplatonismeColloque international au CNRS Paris p 101-109

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_ 1981 laquo Neacuteoplatonisme et analogie de lecirctre raquo in Neoplatonisme Meacutelanges offerts agraveJean Trouillard Les Cahiers de Fontenay 1981 p 63-76

_ 1983 laquo Sur linauthenticiteacute du livre K de la Meacutetaphysique raquo in P Moraux JWiesner (ed) Zweifelhaftes in Corpus Aristotelicum Sutiden zu einigen DubiaSymposium Aristotelicum Berlin W De Gruyter

_ 1985a laquo Plotin et Dexippe exeacutegegravetes des Cateacutegories dAristote raquo in AristotelicaMeacutelanges offerts agrave Marcel de Corte Bruxelles Ousia p 7-40

_ 1985b laquo Les origines aristoteacuteliciennes de la thegravese de Kant sur lecirctre raquo inA Cazenave J-F Lyotard (ed) Lart des confins Meacutelanges offerts agrave Mauricede Gandillac Paris PUF p 513-530

_ 1985c laquo Sens et structure de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne raquo in P Aubenque etalii [1985] p 111-152

_ 1991a laquo Une occasion manqueacutee la genegravese avorteacutee de la distinction entre l eacutetantet le quelque chose raquo in P Aubenque M Narcy (ed) Eacutetudes sur leSophiste de Platon Rome Bibliopolis p 367-385

_ 1991b laquo La question de lrsquoontotheacuteologie chez Aristote et Hegel raquo in T de KoninckG Planty-Bonjour (ed) La Question de Dieu selon Aristote et Hegel Paris PUF p 259-283

_ 2000a laquo Peut-on parler aujourdhui de fin de la meacutetaphysique raquo Agora Papeles defilosofia 19 p 5-14

_ 2000b laquo Sur lrsquoambivalence du concept aristoteacutelicien de substance raquo in N-LCordero [2000] p 93-105

_ 2001 laquo Le conflit actuel des interpreacutetations analytique ou hermeacuteneutique raquo inYC Zarka [2001] p 45-58

_ 2004 laquo Ravaisson interpregravete dAristote raquo in D Thouard (ed) Aristote au XIXegraveme

segravecle Lille Presses universitaires du Septentrion p 157-170

465

Annexes

_ 2009a Problegraveme aristoteacuteliciens ndash Philosophie theacuteorique Paris Vrin

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AUBENQUE P (ED) 1979 Eacutetudes sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Actes du VIegraveme symposium aristotelicumParis Vrin

AUBENQUE ET ALII 1985 Eacutetudes aristoteacuteliciennes meacutetaphysique et theacuteologie Paris Vrin

AUBRY G 2002 laquo Dunamis et energeia dans leacutethique aristoteacutelicienne leacutethique dudeacutemonique raquo in G Romeyer Dherbey G Aubry (ed) [2002] p 75-94

ndash 2006 Dieu sans la puissance Dunamis et energeia chez Aristote et Plotin Paris Vrin

BAumlCK A 2000 Aristotles Theory of Predication Leiden Brill

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ndash 19711972

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1994 Aristotele Percheacute la metafisica Milano Vita e Pensiero

BEacuteGORRE-BRET C 2004 Aristote et la deacutefinition de lhomme Thegravese de doctorat preacutesenteacutee le 11deacutecembre 2004 Universiteacute Parix X ndash Nanterre

BERTI E 1971 laquo Multipliciteacute et uniteacute du Bien selon EE I 8 raquo in Untersuchungen zurEudemischen Ethik Berlin W De Gruyter p 157-184

_ 1983 laquo Quelques remarques sur la conception aristoteacutelicienne du non-ecirctre raquoRevue de philosophie ancienne 2 p 115-142

_ 1996 laquo La Meacutetaphysique dAristote onto-theacuteologie ou philosophiepremiegravere raquo Revue de philosophie ancienne 14 1 p 61-85

_ 1998 laquo De qui est fin le Moteur immobile raquo in M Bastit J Follon (ed) Essaissur la theacuteologie drsquoAristote Actes du colloque de Dijon Louvain Peeters p 5-28

_ 2000 laquo Unmoved Mover(s) as Efficient Cause(s) in Metaphysics Lambda 6 raquo inM Frede D Charles [2000] p 181-206

_ 2005a laquo La meacutetaphysique dAristote raquo in Y-C Zarka B Pinchard (ed) Y a-t-il unehistoire de la meacutetaphysique Paris PUF p 45-56

_ 2005b laquo Que reste-t-il aujourdrsquohui de la Meacutetaphysique drsquoAristote raquo in M NarcyA Tordesillas [2005] p 227-238

_ 2006 laquo Y a-t-il une theacuteologie drsquoAristote raquo in P Langlois Y-C Zarka LesPhilosophes et la question de Dieu Paris PUF p 55-71

_ 2008a Dialectique physique et meacutetaphysique Eacutetudes sur Aristote Louvain Peeters

_ 2008b laquo Les passages dits ldquotheacuteologiquesrdquo du livre Gamma raquo in M Hecquet-Devienne A Stevens [2008] p 423-438

466

Annexes

_ 2009 laquo La cause du mouvement dans les ecirctres vivants raquo in G Van Riel P Destreacutee(ed) Ancient Perspectives on Aristotles De anima Ancient and MedievalPhilosophy Leuven Leuven University Press 2009 p 141-154

BIANCHI L 2002 laquo Interpreacuteter Aristote par Aristote Parcours de lrsquohermeacuteneutiquephilosophique agrave la Renaissance raquo Methodos [En ligne] 2httpmethodosrevuesorg98

BODEacuteUumlS R 1992 Aristote et la theacuteologie des vivants immortels Paris Belles Lettres

_ 2005 laquo La substance premiegravere des Cateacutegories agrave la Meacutetaphysique raquo in MNarcy A Tordesillas [2005] p 131-144

BOEHM R 1976 La Meacutetaphysique drsquoAristote le fondamental et lrsquoessential tr fr E MartineauParis Gallimard

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_ 1994 ldquoAristotlersquos Conception of Metaphysics as a Sciencerdquo in TD ScaltsasD Charles ML Gill (ed) Unity Identity and Explantion in AristotlersquosMetaphysics Oxford Oxford University Press p 321-354

BRAGUE R 1988 Aristote et la question du monde Paris PUF

_ 2002 laquo Alexander of Aphrodisias on the Cosmos by Charles Genequand raquoIslamica 94 p 201-202

BRENTANO F 18621992

Von den mannigfachen Bedeutung des Seienden nach Aristoteles Freiburgtr fr 1992 Aristote et les significations de lrsquoecirctre de la diversiteacute de lrsquoecirctre drsquoapregravesAristote tr P David Paris Vrin

BROADIE S 2009 laquo Aporia 8 raquo in M Crubellier A Laks [2009] p 136-150

BRUUN OCORTI L (ED)

2005 Les Cateacutegories et leur histoire Paris Vrin

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_ 1979 laquo La forme preacutedicat de la matiegravere raquo in P Aubenque [1979] p 131-166

_ 2000 laquo Dialectique et philosophie chez Aristote agrave nouveau raquo in N-L Cordero[2000] p 107-130

BURNYEATN M 2001 A Map of Metaphysics Zeta Pittsburgh Mathesis Publications

BYDEacuteN B 2005 laquo Some Remarks on the Text of Aristotles Metaphysics raquo The ClassicalQuarterly New Series 55 1 p 105-120

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ndash 2009 laquo Commentary on Charles raquo Proceedings Boston Area Colloquium in AncientPhilosophy 24 p 30-47

CHARLES D 2009 laquo Aristotles Psychological Theory raquo Proceedings Boston Area Colloquium inAncient Philosophy 24 p 1-29

CLEARY JJ 1985 laquo On the Terminology of Abstraction in Aristotle raquo Phronesis 30 1 p 13-45

_ 1988 Aristotle on the many senses of priority Carbondale Journal of the History ofPhilosophy Monograph Series

_ 1995 Aristotle and Mathematics Aporetic Method in Cosmology and MetaphysicsLeiden Brill

467

Annexes

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CORTE (DE) M 1934 La Doctrine de lintelligence chez Aristote Paris Vrin

COULOUBARITSIS L 1983 laquo LEcirctre et lUn chez Aristote raquo Revue de philosophie ancienne 1 p 49-98 143-195

ndash 1985 laquo Le statut du devenir dans Meacutetaphysique Z et H raquo in J Wiesner [1985] t I p288-310

ndash 1997sup2 La Physique drsquoAristote lrsquoavegravenement de la science physique Bruxelles Ousia

CASSIN B 1991 laquo Les muses et la philosophie raquo in P Aubenque M Narcy (ed) Eacutetudes surle Sophiste de Platon Rome Bibliopolis p 292-316

CODE A 1997 laquo Aristotles metaphysics as a science of principles raquo Revue Internationale dePhilosophie 3 201 p 357-378

CRUBELLIER M 1994 Les livres Mu et Nu de la Meacutetaphysique dAristote Traduction et commentaireThegravese de doctorat preacutesenteacutee le 7 deacutecembre 1994 Universiteacute Charles deGaule ndash Lille 3

_ 1997 laquo La beauteacute du monde Les sciences matheacutematiques et la philosophiepremiegravere raquo Revue Internationale de Philosophie 51 p 307-331

ndash 1999 Recherches sur la constitution de lideacutee de philosophie premiegravere dans la philosophiegrecque classique meacutemoire en vue de lrsquohabilitation agrave diriger les recherchespreacutesenteacute le 23 janvier 1999 agrave lrsquoUniversiteacute Charles de Gaule Lille-III

ndash 2000 laquo Metaphysics Lambda 4 raquo in M Frede D Charles [2000] p 137-160

ndash 2005 laquo Les faits ontologiques et leurs causes raquo in M Narcy A Tordesillas [2005]p 59-80

_ 2008 laquo La tactique argumentative de Meacutetaphysique Gamma 3-6 raquo in M Hecquet-Devienne A Stevens [2008] p 423-438

ndash Agraveparaicirctre

laquo Luniteacute de lOrganon raquo in J Brumberg-Chaumont (ed) LOrganon dans latranslatio studiorum Turnhout Brepols

CRUBELLIER MLAKS A

2009 Aristotlersquos Metaphysics Beta Oxford Oxford University Press

CRUBELLIER MPELLEGRIN P

2002 Aristote le philosophe et les savoirs Paris Seuil

DANCY RM 1986 laquo Aristotle and Existence raquo in S Knuuttila J Hintikka [1986] p 49-80

DECARIE V 1972sup2 LrsquoObjet de la Meacutetaphysique selon Aristote Paris Vrin

DESTREacuteE P 1992 laquo Physique et meacutetaphysique chez Aristote Agrave propos de lexpression ONHE ON raquo Revue Philosophique de Louvain 90 4 p 422-444

DEVEREUX D 2008 laquo Commentary on Sefrin-Weis raquo Proceedings of the Boston Area Colloquiumin Ancient Philosophy 24 XXIV p 286-297

DHONDT U 1961 laquo Science suprecircme et ontologie chez Aristote raquo Revue Philosophique deLouvain 59 p 5-30

DIELS H 1905 laquo Aristotelica raquo Hermes 40 p 301-316

DIXSAUT M 2004 laquo Aristote parricide Note sur la dialectique chez Platon et Aristote raquo in ITsimbidaros (ed) Platon et Aristote Dialectique et meacutetaphysique Bruxelles Ousia p 71-99

468

Annexes

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DUMOULIN B 1986 Analyse geacuteneacutetique de la Meacutetaphysique drsquoAristote Paris Belles Lettres

DUumlRING I 1960 laquo Aristotle on Ultimate Principles from ldquoNature and realityrdquo in I DuumlringGEL Owen (ed) Aristotle and Plato in the mid-fourth Century Goumlteborg Studia Graeca et Latina Gothoburgensia p 35-55

EVANS JDG 1977 Aristotles Concept of Dialectic Cambridge Cambridge University Press

FAZZO S 2002 laquo Lambda 7 1072b2-3 raquo Elenchos 23 p 357-375

ndash 2009 Il libro Lambda della Metafisica di Aristotele Parte I Edizione ndash Parte II Interpretazione ndash Parte III Tradizione Thegravese de doctorat preacutesenteacutee le 15deacutecembre 2009 Universiteacute Charles de Gaule ndash Lille 3

FEREJOHN MT 1980 laquo Aristotle on focal meaning and the unity of science raquo Phronesis 25 2p 117-128

FINE G 1984 laquo Separation raquo Oxford Studies in Ancient Philosophy 2 p 31-87

_ 1987 laquo Forms as Causes Plato and Aristotle raquo in A Gresen (ed) Mathematicsand Metaphysics in Aristotle Bern Stuttgart Verlag Paul Haupt p 69-112

FREDE M 1981 laquo Categories in Aristotle raquo in DJ OrsquoMeara (ed) Studies in AristotleWashington D C The Catholic University of America Press p 1-24

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_ 1987b laquo The Unity of General and Special Metaphysics Aristotlersquos Conception ofMetaphysics raquo in Essays in Ancient Philosophy Oxford Clarendon Pressp 81-95

_ 1990 laquo The Definition of Sensible Substances in MetZ raquo in D Devereux PPellegrin (ed) Biologie logique et meacutetaphysique chez Aristote Paris Eacuteditionsdu CNRS p 113-129

_ 1996 laquo La theacuteorie aristoteacutelicienne de lrsquointellect agent raquo in G Romeyer DherbeyC Viano (ed) Corps et acircme sur le De Anima drsquoAristote Paris Vrin

FREDE MPATZIG G

1988 Aristoteles Metaphysik Z Text bersetzung und Kommentar 2 Bde Muumlnchen

FREDE M CHARLES D (ED)

2000 Aristotlersquos Metaphysics Lambda XIVegraveme Symposium Aristotelicum Oxford Clarendon Press

GAUTIER-MUZELLECM-H

2008 laquo Aristote et le principe du μᾶλλον raquo in M Hecquet-Devienne A Stevens[2008] p 179-215

GAZZIERO L 2008 Rationes ex machina La micrologie agrave lacircge de lindustrie de largument Paris Vrin

GERSON LP 2004 laquo The unity of intellect in Aristotles De anima raquo Phronesis 49 4 p 348-373

GILL M-L 1989 Aristotle on Substance The Paradox of Unity Princeton Princeton UniversityPress

ndash 1996 laquo Metaphysics H 1ndash5 on Perceptible Substances raquo in C Rapp (ed)Metaphysik Die Substanzbuumlcher (Ζ Η Θ) Berlin Akademia Verlag p 209-228

ndash 2005 laquo Aristotles Metaphysics Reconsidered raquo Journal of the History of Philosophy43 3 p 223-251

469

Annexes

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GRANGER H 1997 Aristotlersquos Idea of the Soul Dordrecht Kluwer Academic Publishers

HAAS (DE) FAJ 2009 laquo Aporiai 3-5 raquo in M Crubellier A Laks [2009] p 73-104

HAMELIN O 1953 La Theacuteorie de lrsquointellect drsquoapregraves Aristote et ses commentateurs Paris Vrin

HINTIKKA J 1959 laquo Aristotle and the Ambiguity of Ambiguity raquo Inquiry 2 p 137-151

ndash 1971 laquo Different Kinds of Equivocation in Aristotle raquo Journal of the History ofPhilosophy 9 3 p 368-372

ndash 1986 laquo The Varieties of Being in Aristotle raquo in S Knuuttila J Hintikka [1986] p81ndash114

HECQUET-DEVIENNE M 2004 laquo A Legacy from the Library of the Lyceum Inquiry into the JointTransmission ofTheophrastus and Aristotles Metaphysics Based onEvidence Provided by Manuscripts E and J raquo Harvard Studies in ClassicalPhilology 102 p 171-189

ndash 2005 laquo Lauthenticiteacute de Meacutetaphysique Alpha (meizon ou elatton) dAristote unfaux problegraveme Une confirmation codicologique raquo Phronesis 50 2 p 129-149

HECQUET-DEVIENNE MSTEVENS A (ED)

2008 Aristote Meacutetaphysique Gamma eacutedition traduction eacutetudes Louvain Peeters

HUSSON S (ED) 2009 Interpreacuteter le De Interpretatione Paris Vrin

ILDEFONSE F 2005 laquo Analyse du langage et analyse de lrsquoecirctre dans la Meacutetaphysique raquo in MNarcy A Tordesillas [2005] p 183-198

IRWIN T 1988 Aristotlersquos First Principles Oxford Clarendon Press

ISNARDI PARENTE M 1981 laquo Le Peri ideocircn dAristote Platon ou Xeacutenocrate raquo Phronesis 26 2 p 135-152

JAEGER W 1997 Aristote fondements pour une histoire de son eacutevolution tr O Sedeyn Paris LrsquoEacuteclat

JAULIN A 1999 Eidos et ousia De lrsquouniteacute theacuteorique de la Meacutetaphysique drsquoAristote Paris Klincksieck

_ 2008a laquo La philosophie premiegravere dans le livre Γ raquo in M Hecquet-Devienne AStevens [2008] p 347-360

_ 2008-2009

laquo Le retour de la physique dans la Meacutetaphysique dAristote raquo Philonsorbonne3 p 97-107

JAULIN A ET ALII 2003 La philosophie dAristote Paris PUF

LABARRIEgraveRE J-L 2001 laquo Aristote penseur de la diffeacuterence entre lhomme et lanimal raquoAnthropozoologica 33-34 p 105-112

LAKS A 2000 laquo Metaphysics Lambda 7 raquo in M Frede D Charles [2000] p 207-243

_ 2007 Histoire doxographie veacuteriteacute Eacutetudes sur Aristote Theacuteophraste et la philosophiepreacutesocratique Louvain Peeters

LEAR J 1982 laquo Aristotles Philosophy of Mathematics raquo The Philosophical Review 91 2p 161-192

LESZL W 1970 Logic and metaphysics in Aristotle ndash Aristotles treatment of equivocity and itsrelevance to his metaphysical theories Padova Editrice Antenore

_ 1975 Aristotles conception of ontology Padova Editrice Antenore

_ 1975b Il De ideis di Aristotele e la teoria platonica delie Idee Florence Olschki

470

Annexes

_ 2008 laquo On the science of being qua being and its platonic background raquo in MHecquet-Devienne A Stevens [2008] p 217-265

_ 2010 laquo Lo studio dellΟΥΣΙΑ e lindagine circa le cause i principi e gli elementinella Metafisica raquo in F Fronterotta (ed) La scienza e le cause a partire dallaMetafisica di Aristotele Napoli Bibliopolis p 187-312

LEWIS FA 2004 laquo Aristotle on the Homonymy of Being raquo Philosophy and PhenomenologicalResearch 68 1 p 1-36

LLOYD AC 1962 laquo Genus Species and Ordered Series in Aristotle raquo Phronesis 7 1 p 67-90

ndash 1981 Form and universal in Aristotle Liverpool Francis Cairns

LLOYD GER 2000 laquo Metaphysics Lambda 8 raquo in M Frede D Charles [2000] p 245-273

MANSION A 1956 laquo Lobjet de la science philosophique suprecircme dapregraves Aristote MeacutetaphE 1 raquo in Meacutelanges Mgr Diegraves Paris p 151-168

_ 1958 laquo Philosophie premiegravere philosophie seconde et meacutetaphysique raquo Revuephilosophique de Louvain 56 p 195-221

MARTINEAU E 1997 De linauthenticiteacute du livre E de la Meacutetaphysique dAristote Confeacuterence 5p 445-509

MATTHEWS GB 1995 laquo Aristotle on existence raquo Bulletin of the Institute of Classical Studies 40 1p 223-238

MICHELET KL 1836 Examen critique de louvrage dAristote intituleacute Meacutetaphysique Paris

MIGNUCCI M 1975 Largomentazione dimostrativa in Aristolele Commento agli Analitici SecondiPadova Antenore

MENN S 1995 laquo The Editors of the Metaphysics raquo Phronesis 40 2 p 202-208

_ 2009 laquo Zeller and the Debates about Aristotles Metaphysics raquo in G Hartung (ed)Eduard Zeller Philosophie- und Wissenschaftsgeschichte im 19 JahrhundertBerlin W De Gruyter p 93-122

_ Agraveparaicirctre

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MORAUX P 1951 Les Listes anciennes des ouvrages drsquoAristote Louvain Eacuteditions Universitairesde Louvain

MOURELATOS APD 1984 laquo Aristotles Rationalist Account of Qualitative Interaction raquo Phronesis 291 p 1-16

NARCY M TORDESILLAS A (ED)

2005 La Meacutetaphysique dAristote Perspectives contemporaines Paris Vrin

NARCY M 2000 laquo La dialectique entre Platon et Aristote raquo in NL Cordero [2000] p 69-89

ndash 2003 laquo La Meacutetaphysique Tradition grecque Origine et titre raquo in R Goulet(ed) Dictionnaire des philosophes antiques Suppleacutement Paris Eacuteditionsdu CNRS p 224-229

_ 2008 laquo Philosophie premiegravere heacuteritage ou reniement du platonisme raquo in M Hecquet-Devienne A Stevens [2008] p 361-377

NATALI C 1998 laquo Cause motrice et cause finale dans le livre Lambda de la MeacutetaphysiquedrsquoAristote raquo in M Bastit J Follon (ed) Essai sur la theacuteologie drsquoAristote Actesdu colloque de Dijon Louvain Peeters p 29-50

NATORP P 1888 laquo Thema und Disposition der aristotelischen Metaphysik raquo PilosophischeMonatschefte 24 p 37-65 540-574

MC NUSSBAUM

AO RORTY (ED)1992 Essays on Aristotles De anima Oxford Clarendon Press

471

Annexes

OLIVO-POINDRON I 2003 laquo Οὐσία ὡς ἐνέργεια ou de lexistence chez Aristote raquo Quaestio Annuariodi metafisica 3 p 71-109

OWEN GEL 1957 laquo A proof in the ΠΕΡΙ ΙΔΕΩΝ raquo The Journal of Hellenistic Studies 77 1p 103-111

_ 1960 laquo Logic and metaphysics in some earlier works of Aristotle raquo in I DuumlringGEL Owen (ed) Aristotle and Plato in the mid-fourth Century Goumlteborg Studia Graeca et Latina Gothoburgensia p 163-190

_ 1965 laquo The Platonism of Aristotle raquo in Proceedings of the British Academy 41p 125-150

_ 1980(reacuteeacuted)

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_ 1986 Logic science and dialectic collected papers in Greek philosophy (ed parM Nussbaum) London Duckworth

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_ 2011 laquo La causaliteacute de lintellect dans la Meacutetaphysique et le traiteacute De lacircme raquo inL Couloubaritsis S Delcomminette (ed) La causaliteacute chez Aristote ParisBruxelles Vrin Ousia p 125-137

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Agraveparaicirctre

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VOGEL (DE) CJ 1980(reacuteeacuted)

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ATHANASSIADI P 2006 La Lutte pour lorthodoxie dans le platonisme tardif de Numeacutenius agrave DamasciusParis Belles Lettres

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BEacuteNATOUIumlL T 2006 Faire usage la pratique du stoiumlcisme Paris Vrin

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BRAGUE R 1992 Europe la voie romaine Paris Gallimard

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Annexes

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ndash 2003 laquo Stoic Metaphysics raquo in B Inwood [2003] p 206ndash232

CARRIEacute J-MROUSSELLE A

1999 Nouvelle histoire de lAntiquiteacute T 10 Lrsquoempire romain en mutation des Seacutevegraveresagrave Constantin 192-337 Paris Seuil

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ndash 1999 ldquoSomething and Nothing The Stoics on Concepts and Universalsrdquo OxfordStudies in Ancient Philosophy 27 p 145-213

ndash 2001 laquo Dicaearchusrsquo philosophy of mind raquo in WW Fortenbaugh ESchuumltrumpf(ed) Dicaearchus of Messana Text Translation and Discussion NewBrunswick p 175-193

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ndash 2002 Sostanza movimento analogia Plotino critico di Aristotele Napoli Bibliopolis

ndash 2007 Platonismo e teoria della conoscenza stoica tra II e III secolo d C in M BonazziC Helmig (ed) Platonic Stoicism-Stoic Platonism The Dialogue BetweenPlatonism and Stoicism in Antiquity Leuven Leuven University Press p209-242

ndash 2008b laquo What is Porphyrys Isagoge raquo Documenti e studi sulla tradizione filosoficamedievale 19 p 1-30

CHIARADONNA R (ED) 2012 Filosofia tardoantica Storia e problemi Roma Carocci

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ndash 1990 Suarez et le systegraveme de la meacutetaphysique Paris PUF

ndash 2003a Les cateacutegories de lecirctre Eacutetudes de philosophie ancienne et meacutedieacutevale Paris PUF

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ndash 2005 Inventio analogiae Meacutetaphysique et onto-theacuteo-logie Paris Vrin

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DELCOMMINETTE S 2006 Le Philegravebe de Platon Introduction agrave lrsquoagathologie platonicienne Leiden Brill

DEDURAND GM laquo Lhomme raisonnable mortel pour lrsquohistoire drsquoune deacutefinition raquo Phoenix27 4 p 328 ndash 344

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474

Annexes

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ndash 2001 Meacutetamorphoses de la dialectique dans les Dialogues de Platon Paris Vrin

DRAGONA-MONACHOU M

1994 laquo Divine Providene in the Philosophy of the Empire raquo in W Haase (ed)Aufstieg und Niedergang der roumlmischen Welt 367 Berlin W De Gruyterp 4417-4490

FAZZO S 2008b laquo Nicolas lrsquoauteur du Sommaire de la Philosophie drsquoAristote Doutes surson identiteacute sa datation son origine raquo Revue des Eacutetudes Grecques 121 1p 99-126

FREDE M 1999 laquo Epilogue raquo in K Algra J Barnes J Mansfedl M Schofield (ed) TheCambridge History of Hellenistic Philosophy Cambridge CambridgeUniversity Press p 771-797

GERSON LP 2004 laquo Platonism and the Invention of the Problem of Universals raquo Archiv fuumlrGeschichte der Philosophie 86 p 233-256

GILL C 2003 laquo The Scool in the Roman Imperial Period raquo in B Inwood [2003] p 33-58

GOLDSCHMIDT V 1972 laquo Υπάρχειν et ὑφιστάναι dans la philosophie stoiumlcienne raquo Revue deseacutetudes grecques 85 p 331-344

GLUCKER J 1994 laquo The Origin of hyparkhocirc and hyparxis as philosophical terms raquo inF Romano DP Taormina [1994] p 1-23

GOTTSCHALK HB 1987 laquo Aristotelian Philosophy in the Roman World from the Time of Cicero tothe End of the Second Century AD raquo in W Haase (ed) Aufstieg undNiedergang der roumlmischen Welt 361 Berlin W De Gruyter p 1079-1174

ndash 1990 laquo The earliest Aristotelian commentators raquo in R Sorabji [1990] p 55-81

GOURINAT J-B 2005 laquo La theacuteorie stoiumlcienne de la matiegravere entre le mateacuterialisme et une relectureldquocorporalisterdquo du Timeacutee raquo dans C Viano (ed) Lrsquoalchimie et ses racinesphilosophiques La tradition grecque et la tradition arabe Paris Vrin p 37-62

GUTAS D 1988 Avicenna and the Aristotelian Tradition Leiden Brill

HADOT I (ED) 1987 Simplicius sa vie son œuvre sa survie Actes du Colloque international de Paris

(28 septembre - 1er octobre 1985) Berlin W De Gruyter

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HADOT P 1968 Porphyre et Victorinus 2 vol Paris Eacutetudes Augustiniennes

ndash 1969 laquo Zur Vorgeschichte des Begriffs Existenz Υπάρχειν bei den StoikernraquoArchiv fuumlr Begriffsgeschichte 13 p 115- 127

1972 laquo Existentia raquo Historisches Woumlrtebuch der Philosophie t II Bacircle Stuttgart col854-856 repris dans P Hadot [1999] p 57-61

ndash 1973 laquo Lecirctre et leacutetant dans le Neacuteoplatonsime raquo Revue de theacuteologie et dephilosophie 2 p 101-113

ndash 1979 laquo Les divisions des parties de la philosophie dans lAntiquiteacute raquo MuseumHelveticum 36 p 201-223

ndash 1995 Quest-ce que la philosophie antique Paris Gallimard

ndash 1999 Plotin Porphyre Eacutetudes neacuteoplatoniciennes Paris Belles Lettres

HARVEN (DE) V Agraveparaicirctre

laquo Everything is Something Why the Stoic ontology is principled coherentand comprehensive raquo

HOFFMANN P 1987 laquo Cateacutegories et langage selon Simplicius La question du skopos du traiteacutearistoteacutelicien des Cateacutegories raquo in I Hadot [1987] p 61-90

475

Annexes

ndash 1997 laquo La probleacutematique du titre des traiteacutes drsquoAristote selon les commentateursgrecs Quelques exemples raquo et laquo Titrologie et paratextualiteacute raquo in J-CFredouille et alii (ed) Titres et articulations du texte Paris Collection deseacutetudes augustiniennes p 75-103 et 581-589

ndash 2000 laquoLes cateacutegories aristoteacuteliciennes pote et pou drsquoapregraves le Commentaire deSimplicius Meacutethode drsquoexeacutegegravese et aspects doctrinauxraquo in M-O Goulet-Cazeacute et al Le Commentaire entre tradition et innovation Paris Vrin p 355-376

ndash 2006 laquo What was Commentary in Late Antiquity The Example of theNeoplatonic Commentatorsraquo in ML Gill P Pellegrin (ed) A Companion toAncient Philosophy Oxford Malden Blackwell Publishing p 597-622

INWOOD B (ED) 2003 The Cambridge Companion to the Stoics Cambridge Cambridge UniversityPress

IRIGOIN J 2001 Le Livre grec des origines agrave la Renaissance Paris Bnf

JOLY H 1974 Le Renversement platonicien Logos eacutepisteacutemegrave polis Paris Vrin

LALLOT J 2003 laquo Agrave propos des syncateacutegoregravemes consignification et signification adjacentedans la tradition logicogrammaticale grecque raquo Histoire EacutepisteacutemologieLangage 25 2 p 9-32

LAURENT J 2002 La mesure de lrsquohumain selon Platon Paris Vrin

LAVAUD L 2008a Dune meacutetaphysique agrave lautre Figures de lalteacuteriteacute dans la philosophie de PlotinParis Vrin

LIBERA (DE) A 1993 La Philosophie meacutedieacutevale Paris PUF

ndash 1996 La Querelle des universaux de Platon agrave la fin du Moyen Acircge Paris Seuil

ndash 1999a Lart des geacuteneacuteraliteacutes Theacuteories de labstraction Paris Aubier

ndash 1999b laquo Genegravese et structure des meacutetaphysiques meacutedieacutevales raquo in J-M NarbonneL Langlois [1999] p 159-182

ndash 2005a Meacutetaphysique et noeacutetique Albert le Grand Paris Vrin

ndash 2005b laquo Lrsquoonto-theacuteo-logique de Boegravece Doctrine des cateacutegories et theacuteorie de lapreacutedication dans le De Trinitate raquo in O Bruun L Corti [2005] p 175-222

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LONGO A 2005 Siriano e i principi della scienza Napoli Bibliopolis

MANSFELD J 1992a Heresiography in Context Hippolytus Elenchos as a Source for Greek PhilosophyLeiden Brill

ndash 1992b laquo Physikai doxai and Problemata physika from Aristotle to Aetius (andBeyond) raquo in WW Fortenbaugh D Gutas (ed) Theophrastus hisPsychological Doxographical and Scientific Writings New Brunswick RutgersUniversity Studies in the Classical Humanities 5 p 83-84

MARROU H-I 1977 Deacutecadence romaine ou antiquiteacute tardive Paris Seuil

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MERLAN P 1960sup2 From Platonism to Neoplatonism The Hague Martinus Nijhoff

476

Annexes

ndash 1963 Monopsychism Mysticism Metaconsciousness Problems of the soul in the Neo-Aristotelian and Neoplatonic tradition The Hague Archives internationalesdhistoires des ideacutees 2

MONTET D 1996 Archeacuteologie et geacuteneacutealogie Plotin et la theacuteorie platonicienne des genres Grenoble Millon

NARBONNE J-M 2001sup2 La meacutetaphysique de Plotin suivi de Henocircsis et Ereignis Remarques sur uneinterpreacutetation heideggeacuterienne de lrsquoUn plotinien Paris Vrin

OMEARA DJ 1986 laquo Le problegraveme de la meacutetaphysique dans lAntiquiteacute tardive raquo FreiburgerZeitschrift fur Philosophie und Theologie 33 p 3-22

PASQUINO P 1978 laquo Le statut ontologique des incorporels dans lancien stoiumlcisme raquo in JBrunschwig (ed) Les stoiumlciens et leur logique Paris Vrin p 333-346

PINES S 1987 laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in Themistius Commentaryon Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in JWiesner [1987] t II p 177-204

PRADEAU J-F 2003 Limitation des principes Plotin et la participation Paris VrinREINHARDT T 2007 laquo Andronicus of Rhodes and Boethius of Sidon on Aristotles Categories raquo in

RW Sharples R Sorabji [2007] p 513-529

ROMANO FTAORMINA DP (ED)

1994 Hyparxis e Hypostasis nel Neoplatonismo Florence Leo S Olschki

RUTTEN C 1994 laquo Hyparxis et hypostasis chez Plotin raquo in F Romano FP Taormina [1994] p25ndash32

ROSIER-CATACH I 2009 laquo Sur le verbe substantif la preacutedication et la consignification ndash PeriHermeneias 16b20-25 dans les traductions et commentaires en latin raquo inSuzanne Husson (ed) Interpreacuteter le De interpretatione Paris Vrin p 97-131

SEDLEY D 1985 laquo The Stoic Theory of Universals raquo Southern Journal of Philosophy 23 p 87ndash92

ndash 1989 laquo Philosophical Allegiance in the Greco-Roman World raquo in M Griffith JBarnes (ed) Philosophia Togata Essays on Philosophy and Roman SocietyOxford Oxford University Press p 97ndash119

ndash 2002 laquo Aristotelian relativities raquo in M Canto Sperber P Pellegrin (ed) Le Stylede la penseacutee Recueil drsquohommages agrave Jacques Brunschwig Paris Vrin p 324-352

ndash 2005a laquo Stoic metaphysics at Rome raquo in R Salles (ed) Metaphysics Soul and EthicsThemes from the Work of Richard Sorabji Oxford Oxford University Pressp 117-142

ndash 2005b laquo La deacutefinition stoiumlcienne de la phantasia katalecircptikecirc raquo in G RomeyerDherbey J-B Gourinat (ed) Les Stoiumlciens Paris Vrin p 75-92

SORABJI R 2007 laquo Adrastus Modifications to Aristotles physics of the heavens byAristotelians and others 100BC to 200AD in R Sorabji RW Sharples[2007]

TOULOUSE S 2008 laquo Les chaires impeacuteriales agrave Athegravenes aux IIe et IIIe siegravecles raquo in H Hugonnard-Roche Lenseignement supeacuterieur dans les mondes antiques et meacutedieacutevaux Paris Vrin p 127-174

VOGT KM 2009 laquo Sons of the Earth Are the Stoics Metaphysical Brutes raquo Phronesis 54 2p 136-154

WHITE MJ 2003 laquo Stoic natural philosophy (physics and cosmology raquo in B Inwood [2003]p 124-152

477

Annexes

WURM K 1973 Substanz und Qualitaumlt Ein Beitrag zur Interpretation der plotinischen TraktateVI 1 2 und 3 Berlin W De Gruyter

ZAMBON M 2002 Porphyre et le moyen-platonisme Paris Vrin

II4 La meacutetaphysique et son histoire

ARMSTRONG D 2007 laquo Les universaux comme attributs raquo in E Garcia F Nef (ed) Textes Cleacutes demeacutetaphysique contemporaine Proprieacuteteacutes mondes possibles et personne Paris Vrin

BOULNOIS O 1995 laquo Quand commence lontotheacuteologie Aristote Thomas dAquin et DunsScot raquo Revue thomiste 95 1 p 85-108

ndash 1999 Ecirctre et Repreacutesentation Une geacuteneacutealogie de la meacutetaphysique moderne agrave lrsquoeacutepoque deDuns Scot Paris PUF

ndash 2001 laquo Heidegger lrsquoontotheacuteologie et les structures meacutedieacutevales de lameacutetaphysique raquo Quaestio Annuario di storia della metafisica 1 p 379-406

ndash 2002 laquo Le besoin de meacutetaphysique raquo dans J-L Solegravere Z Kaluza (ed) La Servanteet la consolatrice La philosophie dans ses rapports avec la theacuteologie au Moyen AcircgeParis Vrin p 45-94

ndash 2005 laquo La meacutetaphysique au Moyen-Age Onto-theacuteologie ou diversiteacute rebelle raquoQuaestio Annuario di storia della metafisica 5 p 37-66

BRISSON L 1999 laquo Un si long anonymat raquo in J-M Narbonne L Langlois [1999] p 37-60

CARRAUD V 2002 Causa sive ratio La raison de la cause de Suaacuterez agrave Leibniz Paris PUF

ndash 2003 laquo Linvention de lexistence Note sur la christologie de Marius Victorinus raquoQuaestio Annuario di storia della metafisica 3 p 3-25

CHAUVIER S 2003 laquo Existence et ilyance raquo Quaestio Annuario di storia della metafisica 3 p 413-432

COUJOU J-P 1999 Suarez et la refondation de la meacutetaphysique comme ontologie Louvain Peeters

COURTINE J-F 1999 laquo Meacutetaphysique et ontotheacuteologie raquo in J-M Narbonne L Langlois [1999]p 137-158

DASTUR F 2011 Heidegger et le penseacutee agrave venir Paris Vrin

GILSON E 1972sup2 LEcirctre et lessence Paris Vrin

GREISCH J 1996 laquo La fonction meacuteta dans lespace contemporain du pensable raquo in Le statutcontemporain de la philosophie premiegravere Paris Beauchesne p 5-28

HEIDEGGER M 19611971

Nietzsche Band II Pfullingen Neske tr P Klossowski Paris Gallimard1971

ndash 1968 Questions 1 et II Paris Gallimard

ndash 1991 AristoteMeacutetaphysique Θ 1-3 De lessence et de la reacutealiteacute de la force trB Stevens P Vandevelde Paris Gallimard

KAHN CH 1973 The verb be in ancient Greek Dordrecht Boston Reidel

478

Annexes

ndash 1982 laquo Why Existence Does not Emerge as a Distinct Concept in GreekPhilosophy raquo in P Morewedge (ed) Philosophies of Existence Ancient andMedieval New York Fordham University Press p 7-17

ndash 1985 laquo On the Intended Interpretation of Aristotles Metaphysics raquo in J Wiesner[1985] t I p 311-338

ndash 1986 laquo Retrospect on the verb to be and the concept of Being raquo in S Knuuttila JHintikka [1986] p 1-28

ndash 2009 Essays on being Oxford Oxford University Press

KNUUTTILA S HINTIKKA J (ED)

1986 The Logic of Being Historical studies Dordrecht

MABILLE B 2004 Hegel Heidegger et la meacutetaphysique Recherches pour une constitution Paris Vrin

MABILLE B (ED) 2006 Le principe Paris Vrin

NARBONNE J-M 1992 laquo Note critique Meacutetaphysique et possibiliteacute Agrave propos de Suarez et lesystegraveme de la meacutetaphysique de Jean-Franccedilois Courtine raquo Laval theacuteologique etphilosophique 48 1 p 109-123

NARBONNE J-MLANGLOIS L

1999 La Meacutetaphysique ndash son histoire sa critique ses enjeux Actes du XXVIIe Congregravesde lrsquoASPLF Paris Queacutebec Vrin PUL

MARION J-L 1999 laquo La science toujours rechercheacutee et toujours manquante raquo in J-MNarbonne L Langlois [1999] p 13-36

ndash 2001 De surcroicirct Paris PUF

ndash 2005 laquo La fin de la meacutetaphysique comme possibiliteacute raquo in Y-C Zarka BPinchard [2005] p 343-368

NEF F 2004 Quest-ce que la meacutetaphysique Paris Gallimard

ndash 2009 Traiteacute donto1ogie pour les non-philosophes (et les philosophes) Paris Gallimard

PORRO P 2005 laquo Introduzione Dalla Metafisica alla metafisica e ritorno una storiamedievale raquo Quaestio Annuario di storia della metafisica 5 p IX-LI

ROSEN S 2008 La question de lecirctre Heidegger renverseacute tr E Helmer Paris Vrin

ZARKA Y-CPINCHARD B (ED)

2005 Y a-t-il une histoire de la meacutetaphysique Paris PUF

II5 Autres

ADORNO TW 1977 Uumlber Tradition in Gesammelte Schriften 101 Suhrkamp Verlag Frankfurt amMain

ARENDT H 1972 La crise de la culture tr P Levy Paris Gallimard

ndash 19782005

The Life of the Mind New York Harcourt Brace Jovanovich La vie de lesprit trL Lotringer Paris PUF

BARBARAS R 1991 De lecirctre du pheacutenomegravene Sur la pheacutenomeacutenologie de Merleau-Ponty Grenoble Millon

ndash 1998 Le tournant de lrsquoexpeacuterience - Recherches sur la philosophie de Merleau-Ponty Paris Vrin

479

Annexes

BRETON S 1982 laquoDe lusage philosophique de quelques particulesraquo Revue philosophique deLouvain 80 p 64-84

CASSIN B (ED) 2004 Vocabulaire europeacuteen des philosophies Dictionnaire des intraduisibles Paris SeuilLe Robert

CAVALLO GCHARTIER R (ED)

1997 Histoire de la lecture dans le monde occidental Paris Seuil

DELEUZE G 1968 Diffeacuterence et reacutepeacutetition Paris PUF

ndash 1991 Quest-ce que la philosophie Paris Eacuteditions de Minuit

DERRIDA J 1972a Marges ndash de la philosophie Paris Eacuteditions de Minuit

ndash 1972b La Disseacutemination Paris Seuil

ECO U 1965 LŒuvre ouverte Paris Seuil

FISCHBACH F 2011 La privation de monde Temps espace et capital Paris Vrin

GADAMER HG 19601996

Wahrheit und Methode Tuumlbingen Mohr Veacuteriteacute et Meacutethode tr G Pruchon JGrondin G Merlio Paris Seuil

HENRY M 1976 Marx I Une philosophie de la reacutealiteacute Paris Gallimard

HUSSERL E 1976 La Crise des sciences europeacuteennes et la pheacutenomeacutenologie transcendantale tr fr GGranel Paris Gallimard

MARCHAND S 2008 laquo Entretien avec Jonathan Barnes agrave propos de son interpreacutetation duscepticisme antique raquo Cahiers Philosophiques 115 p 113-123

MARION J-L 2008 laquo Remarques sur lusage de tradition en histoire de la philosophie raquo inC Erismann ASchniewind (ed) Compleacutements de substance Paris Vrin p 1-18

MICHELI R 2006 laquo Contexte et contextualisation en analyse du discours regard sur les travauxde Teun Van Dijk raquo SEMEN 21 p 103-120

MERLEAU-PONTY M 1960 Signes Paris Gallimard

ndash 1968 Reacutesumeacutes de cours collegravege de France 1952-1960 Paris Gallimard

RASTIER F 1998 laquo Le problegraveme eacutepisteacutemologique du contexte et le statut de linterpreacutetationdans les sciences du langage raquo Langages 32 p 97-111

RORTY R 1984 laquo The Historiography of Philosophy Four Genresraquo in R Rorty JBSchneewind Q Skinner (ed) Philosophy in History Cambridge CambridgeUniversity Press 1984 tr in G Vattimo (ed) Que peut faire la philosophie de sonhistoire Paris Seuil 1989

SARTRE J-P 1943 LEcirctre et le neacuteant Paris Gallimard

VOLPI F 2001 laquo Heidegger et la romaniteacute philosophique raquo Revue de Meacutetaphysique et deMorale 3 31 p 287-300

WOLFF F 2010 Notre humaniteacute DAristote aux neurosciences Paris Fayard

ZARKA YC (ED) 2001 Comment eacutecrire lhistoire de la philosophie Paris PUF

480

Annexes

INDICES

Index des passages traduits

Alexandre dAphrodiseCommentaire agrave la Meacutetaphysique9 8-16 p 148-14910 23 ndash 11 2 p 174-17512 7-14 p 175-17619 33 ndash 20 3 p 219134 7-14 p 251147 3 ndash 148 10 p 155-157148 20-27 p 164171 5-11 p 92-93172 13-17 p 131172 18-22 p 127173 27 ndash 174 4 p 131174 7-20 p 129-130178 15-21 p 80196 19-24 p 120237 3-4 p 98237 3 ndash 238 3 p 132 238 3-17 p 254238 14-17 p 134239 6-9 p 227239 22-25 p 180-181239 16-25 p 183241 10-28 p 310-311241 35 ndash 242 3 p 324242 10-17 p 338-339242 29-31 p 339242 34-35 p 340243 5-7 p 340243 15-17 p 215243 29 ndash 244 8 p 304244 6-8 p 182244 9-24 p 331245 12-19 p 289-290245 20 ndash 246 17 p 262-264246 6-13 p 335246 13-24 p 227247 8-16 p 200247 16-21 p 201250 21 ndash 251 38 p 264-266263 25-33 p 343265 24-31 p 230265 30 ndash 266 18 p 269-270

Commentaire agrave la Meacutetaphysique (suite)266 18-28 p 231-232266 32 ndash 267 6 p 232371 17-36 p 206-207375 9-13 p 391375 37 ndash 376 3 p 427376 5-12 p 393387 5-12 p 347-348

Commentaire aux Topiques28 23-26 p 99301 9-27 p 67355 12-17 p 57359 12-18 p 63

Commentaire aux Premiers Analytiques357 32 ndash 358 1 p 116

De anima5 18 ndash 6 6 p 37017 15-21 p 35682 1-3 p 40385 10-11 p 40385 25 ndash 86 2 p 40386 20-28 p 40588 17 ndash 89 12 p 406-40791 24 ndash 92 11 p 359

Mantissa101 3-10 p 193122 4-9 p 365

QuaestionesI 1 4 9-17 p 420I 1 4 22-26 p 422I 3 7 20-28 p 55I 21 35 4-7 p 369

481

Annexes

AlcinoosDidaskalikos XI 166 15-35 p 75

Ammonius In De int 57 18-33 p 210

AristoteMet α 1 993b 23-31 p 152Met Γ 2 1003b 22-29 p 199Met Δ 7 1017a 22-31 p 204

Atticus Fr 9 41-6 p 44

Diogegravene Laeumlrce VII 61 p 62

Numeacutenius Fr 3 et 4b 5-9 p 84-85

Plutarque Sur lE de Delphes 392a p78

Porphyre Isagogegrave 1 9-14 p 52

Seacutenegraveque Lettre 58 sect 12-15 p 64

Stobeacutee I 136 20 ndash 137 6 p 62

Syrianus In Met 105 21-30 p 58

482

Annexes

Index des auteurs anciens et meacutedieacutevaux

ALCINOOS34 75 SV 81 381 457

AMMONIUS210 457 SV

ANDRONICOS DE RHODES29 37 39 SV 119 337 SV

341 351 353 364 388 462

ASCLEacutePIUS5 8 20 37 SV 102 SV 105 SV 120 SV

172 SV 180 182 282 296 306 458

ATTICUS34 44 52 81 86 434 436 458

AVERROEgraveS 8 94 123 SV 139 SV 150 275 294 297

SV 394 398 416 429 458

BOEacuteTHOS DE SIDONhellip103 344 353 SV 366 SV

374 376 387 SV 394

CHRYSIPPE29 51 58

CLEacuteANTHE58

DIOGEgraveNE LAEumlRCE5 SV 36 61 SV 121

GALIEN33 193 SV 196 360 372 437 458 460

MARC AUREgraveLE29 33 42 381

MARIUS VICTORINUS198 216 SV 474 477

NICOLAS DE DAMAS5 123 SV 474

NUMEacuteNIUS32 47 77 SV 84 SV 472

PHILON DALEXANDRIE192 SV 196 469

PLATON3 28 SV 34 SV 37 51 55 65 75 78 81

86 105 130 145 148 190 192 238 SV 244 246

248 273 297 304 SV 325 SV 347 374 396 415

420 432 SV 444 SV 457 SV 460 462 464 467 469

SV

PLOTIN8 30 39 50 54 70 86 185 213 217

273 354 387 414 445 449 460 SV 463 SV 471

473 SV

PLUTARQUEVI 41 75 77 SV 84 193 197

PORPHYREhellip8 37 39 52 SV 70 198 217 273

458 474 477

SEacuteNEgraveQUE31 64 SV

SEXTUS EMPIRICUSVI 56 73 196 SV 381

SIMPLICIUSVI 9 20 36 121 248 318 338 353

372 398 458 474 SV

STOBEacuteE61 SV

SUAacuteREZ6 9 17 477

SYRIANUS8 20 47 58 SV 64 121 179 SV 222

237 296 306 458 SV

THEacuteOPHRASTE3 39 41 106 428 432 435 437

458 469

ZEacuteNON DE CITIUM62 196

483

Annexes

Index des auteurs modernes et contemporains

ACCATTINO P15 28 360 SV 454 459

AUBENQUE P10 SV 14 95 102 105 SV 187 SV

205 300 SV 330 443 464 SV 472 SV

BARNES J 4 38 SV 53 70 453 SV 457 SV 465 471

473 SV 476 479

BERTI E 120 153 160 165 208 335 SV 432 459

465

BODEacuteUumlS R299 395 455 SV 466

BONELLI M 16 SV 132 136 181 186 223 SV

226 230 SV 234 237 274 SV 277 280 SV 283 307

SV 459

BONITZ H173 182 SV 340 452

BRAGUE R30 50 298 SV 391 459 466 472

BURNYEAT M106 135 466 473

CARRAUD V216 477

CASTON V362 SV 409 459 466 473

CHIARADONNA R 460 473

CORDONIER V81 SV 460

COULOUBARITSIS L95 203 467 471

COURTINE J-F70 144 196 296 473 477 SV

CRUBELLIER MI 3 147 189 455 466 SV 469

DONINI P15 28 140 142 147 162 276 SV 279

SV 287 289 SV 292 295 454 459 SV

FAZZO S37 419 SV 454 460 SV 468 474

FREDE M31 51 118 SV 463 465 467 SV 474

GENEQUAND C140 SV 272 SV 276 SV 297 422

454 458 SV 461 466

GILSON E78 191 477

HADOT P104 SV 217 458 474

HAYDUCK M173 182 SV 281 340 452 458

HEIDEGGER M5 10 SV 50 187 446 SV 477 SV

HOFFMANN P 458 474

JAULIN AI 153 455 461 469

KUPREEVA I15 60 357 461

LESZL W162 169 173 290 299 305 335 SV 469

MANSION A108 470

MENN S37 SV 118 470 475

MERLAN P138 SV 144 162 168 170 175 273

462 475

MERLEAU-PONTY M48 478 SV

MIGNUCCI M160 235 237 462 470 473

MORAUX P15 41 123 159 358 360 406 456

462 464 470 472

MOVIA G16 453 459 SV

RASHED M16 SV 27 55 88 96 158 160 SV 326

354 367 369 371 376 SV 382 SV 385 388 SV

391 394 404 435 444 446 452 456 460 SV

ROSS WD 135 153 SV 172 SV 191 205 SV 214

221 237 409 420 455 457

SHARPLES RW9 15 36 426 439 454 457 462

SV 476

STEVENS A I 154 206 455 457 465 467 SV 477

TRICOT J9 116 153 409 455 SV

WOLFF F379 443 472 479

484

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