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INFLUENCE D'UNE NOUVELLE TECHNOLOGIE SENSORIELLE
SUR L'IMAGERIE MENTALE DE L’INDIVIDU SELON SON DEGRÉ
D’INNOVATIVITÉ INDIVIDUELLE
PAR UNE ANALYSE QUALITATIVE EXPLORATOIRE
Aurély LAO Maître de Conférences
LEM UMR CNRS 9221
Université de Lille 1 - IAE Lille
104, avenue du Peuple Belge
59800 Lille - France
Tél. : 03.20.12.34.50
Résumé : Cette recherche vise à comprendre l’influence d’une technologie sensorielle, soit la sucette
numérique, sur l’imagerie mentale du e-consommateur selon son degré d’innovativité
individuelle. L’importance de la notion d’innovativité individuelle en tant que variable
modératrice est constatée dans cette recherche. Les résultats de cette étude qualitative
exploratoire montrent des influences différentes s’il s’agit d’un individu ayant ou non un fort
degré d’innovativité individuelle, notamment sur l’imagerie mentale et le comportement
d’achat de l’internaute.
Mots-clés : nouvelle technologie, sucette numérique, innovativité individuelle, imagerie
mentale, sensoriel, goût, e-commerce.
INFLUENCE OF A NEW SENSORY TECHNOLOGY
ON MENTAL IMAGERY OF E-CONSUMER ACCORDING TO HIS DEGREE OF
INNOVATIVENESS
BY A QUALITATIVE EXPLORATORY ANALYSIS
Abstract: This research aims to understand the influence of a sensory technology (Digital Lollipop) on
the mental imagery of the e-consumer according to his degree of innovativeness. The
importance of innovativeness as a moderator variable is noted in this research. The results of
this qualitative exploratory study show differents influences if the innovatinevess is strong or
not, notably on the mental imagery and the purchase behavior of online consumer.
Keywords: new technology, digital lollipop, innovativeness, mental imagery, sensory, taste,
e-commerce.
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INTRODUCTION Avec l’expansion et surtout la généralisation d’Internet, le comportement de consommation a
fortement évolué. Le consommateur d’aujourd’hui aspire à consommer différemment et de
manière intuitive. L’achat sur Internet, devenu habituel pour une grande partie des individus,
pousse les sites marchands à se tourner vers de nouvelles technologies toujours plus pointues
pour optimiser l’expérience de navigation de leurs clients et se différencier. Selon Roederer
(2012), l’expérience peut être considérée comme un outil de différenciation permettant une
évolution de l’offre au delà de sa composante fonctionnelle et délivrant davantage de valeur
au consommateur. On parle ainsi de l’expérience produite par l’entreprise vouée à aider le
consommateur à distinguer les acteurs de la sphère marchande grâce aux stimuli assemblés
volontairement par l’entreprise et susceptibles de provoquer l’expérience. Ces stimuli ont
pour objectif de faire vivre aux individus des expériences fictionnelles associées à une marque
(Roederer, 2012) ou un produit. Cette expérience de navigation pouvant être améliorée par les
stimuli proposés par le site marchand (présentation du produit) impacte alors l’imagerie
mentale qui se définit comme un processus cognitif où l’image mentale est considérée telle
une représentation mentale d’une ou plusieurs entités conformes ou non à la réalité (Lao,
2013). L’essai du produit en magasin physique est alors remplacé dans le cadre de la vente à
distance par cette imagerie mentale issue des divers stimuli. Ce processus par lequel
n’importe quelle expérience sensorielle est représentée dans la mémoire de travail de
l’individu, devient un véritable levier commercial pour les entreprises puisqu’il peut
influencer positivement le comportement d’achat des e-consommateurs (Lao, 2013).
L’imagerie mentale suscitée à travers la navigation d’un site web devient alors l’une des
principales préoccupations des sites marchands.
Dans cette étude, nous tentons de comprendre l’impact que pourrait avoir l'utilisation d'une
technologie sensorielle innovante, en l’occurrence la sucette numérique, sur l'imagerie
mentale de l’individu selon son degré d’innovativité individuelle. Le principe de la sucette
numérique, présentée en annexe 1, encore en phase de prototype aussi appelée « sucette
augmentée » ou encore « Digital Lollipop », est de transmettre des vibrations aux papilles de
la langue par l’intermédiaire d’un appareil (sucette), permettant de modifier le goût ressenti
par l’individu. Le domaine de la réalité augmentée est aujourd’hui principalement cantonné
au visuel, voire à l’auditif. Toutefois, le goût, l’odorat et le toucher sont des sens pouvant faire
l’objet de recherches dont le futur peut être prometteur. L’e-commerce alimentaire se
développe de jour en jour, et le sens du goût prend ici toute son importance. L’expérience de
navigation sur des sites marchands pour des produits alimentaires pourrait ainsi être assistée
par la sucette numérique permettant d’ajouter un facteur sensoriel et d’influencer l’imagerie
mentale de l’internaute pour en aval modifier positivement son comportement d’achat.
Une première partie expose les postulats littéraires permettant d’aborder les différents
concepts étudiés et justifiant l’intérêt d’explorer leurs relations et influences, suivi du cadre
méthodologique de l’étude qualitative qui a été menée. Les résultats de l’analyse de contenu
permettent ensuite de répondre à la problématique posée et d’apporter certains constats
supplémentaires d’un point de vue conceptuel. Enfin, les implications managériales sont
mises en avant, suivies des limites menant aux différentes voies de recherche possibles.
CADRE CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE
Dans le cadre de cette recherche impliquant une technologie innovante, l’innovativité de
l’individu en tant que variable modératrice est prise en compte. Cette variable laisse
apparaître une réelle importance par rapport au contexte de notre étude et plus spécifiquement
au choix de la technologie étudiée. La sucette numérique n’est actuellement qu’au stade
embryonnaire et requiert encore aujourd’hui des tests et travaux pouvant approuver sa
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nécessité. Actuellement, les individus sont souvent sujets à de nouvelles technologies mais
sont-ils prêts à accepter ce type de technologie extrêmement innovante ? En prenant en
compte l’innovativité individuelle, nous cherchons à obtenir un échantillon représentatif de la
population française. Sonder uniquement des personnes ayant un attrait fort aux nouvelles
technologies et notamment aux technologies de pointes ne permet pas d’aboutir à des
conclusions significatives de la réalité. Il y a donc un intérêt tangible à prendre en compte
cette variable modératrice : l’innovativité individuelle.
Ce concept désigne la capacité de l’individu à innover et notamment à utiliser les nouvelles
technologies. L’innovativité de l’individu est généralement analysée comme un trait
individuel ou une prédisposition individuelle (Midgley et Dowling, 1978). Il s’agit du degré
auquel une personne adopte une innovation avant les autres dans son système social (Rogers,
1995), soit un trait de personnalité que toute personne possède mais à des degrés distincts.
Roehrich (1994) définit l’innovativité comme la tendance à acheter des produits nouveaux,
comme une attitude générale de la personne qui la rend sensible à la nouveauté. Roehrich et
al. (2002) ont ainsi comparé la validité prédictive de deux conceptualisations de l’innovativité
pour conclure sur le fait que l’approche de Midgley et Dowling (1978) est meilleure (versus
l’approche de Goldsmith et Hofacker) car elle détient une meilleure validité prédictive et
permet de mieux comprendre comment l’innovativité innée et l’intérêt pour la catégorie de
produits se combinent pour influencer le comportement innovatif, soit le fait de s’orienter vers
la nouveauté. Dans la présente recherche, le degré d’innovation de l’individu est intégré dans
sa globalité et non dans un contexte particulier. Cette recherche met davantage en évidence la
notion d’innovativité innée et non l’intérêt pour une catégorie de produits, soit la
prédisposition individuelle à l’innovation des consommateurs.
L’innovativité individuelle a montré son influence sur l’attrait pour la nouveauté (Etzel et
Wahlers, 1984), sur la rapidité du processus de décision et sur la précocité de l’achat. Midgley
et Dowling, (1978) ont souligné le lien important entre le besoin de stimulation et le
comportement innovateur. D’autres chercheurs (Limayem et al., 2000) ont démontré que
l’innovativité individuelle explique une grande partie de la variance totale de l’attitude à
l’égard du magasinage sur Internet. Ils remarquent que les personnes innovatrices sont plus
susceptibles à être favorables à l’achat sur Internet. Ou encore Oueslati (2007) énonce que
l'innovativité individuelle a un effet significativement positif sur l'attitude mais pas sur
l'intention, contrairement aux travaux de Roehrich (1987).
Le degré d’innovativité des individus, et donc leur acceptation aux nouvelles technologies,
peut également influencer l’imagerie mentale. Effectivement, il est supposé qu’un individu
ayant un fort attrait aux nouvelles technologies n’aura pas le même comportement cognitif
qu’un individu ayant un faible degré d’innovativité. Ces influences peuvent tout aussi bien
être plus fortes que plus faibles. Les images mentales suscitées chez l’individu peuvent être
plus faciles à survenir pour un individu connaissant la technologie ou ayant un attrait fort pour
les nouvelles technologies. D’autres dimensions de l’imagerie peuvent également dépendre de
cette variable modératrice : la clarté des images, la quantités d’images mentales suscitées ou
encore l’élaboration de l’imagerie (Lao, 2010).
Les recherches de Lao (2010, 2013) mettent en évidence l’influence positive de l’imagerie
mentale sur le comportement cognitif, affectif et conatif du e-consommateur. Selon le contenu
de la présentation d’un produit sur un site web, l’imagerie mentale peut être améliorée qui en
aval influencera positivement le comportement d’achat de l’internaute. Les travaux d’Helme-
Guizon (1997) peuvent également être cités. Ils portent notamment sur l’imagerie sensorielle
et non visuelle (auditive, gustative et olfactive). Pour le sens du goût, il en ressort que la
congruence de l'œuvre d'art (stimulus utilisé) affecte la valence de l'imagerie mentale
gustative et olfactive, l'élaboration de l'imagerie mentale non visuelle ainsi que la quantité
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d'images gustatives. Toutefois, les stimuli se traduisent par des annonces publicitaires pour
une marque fictive de café, soit des stimuli visuels et verbaux. Dans la présente recherche,
l’utilisation d’une technologie sensorielle, soit la sucette numérique pourrait davantage
influencer l’imagerie mentale sensorielle et notamment l’imagerie gustative, grâce à un
facteur supplémentaire (la sucette) lui-même travaillant sur un sens spécifique de l’homme et
non habituel en e-commerce : le goût. Un stimulus utilisant un mode sensoriel précis (le goût)
peut induire ce même mode sensoriel ou encore une combinaison d’autres modes (Carrasco et
Ridout, 1993), soit des images mentales visuelles (les plus courantes) mais aussi
« gustatives ». Cette étude va ainsi dans la continuité des travaux de Lao (2013) et d’Helme-
Guizon (1997), et tend à développer les postulats littéraires sur les modalités sensorielles1 de
l’imagerie mentale (Lao, 2010).
A l’issue de cette revue de littérature, la problématique de recherche est posée comme suite :
Comment l’imagerie mentale du consommateur peut-elle être influencée par l’utilisation
d’une nouvelle technologie sensorielle (sucette numérique) selon son degré d’innovativité
individuelle ? L’intérêt de cette recherche est également de faire ressortir d’autres liens,
notamment avec l’expérience de navigation ou encore le comportement d’achat.
METHODOLOGIE
En vue de répondre à cette question de recherche, une étude qualitative exploratoire est menée
et s’appuie sur un guide d’entretien segmenté en quatre thématiques : (1) les nouvelles
technologies (dont une sous-thématique est spécifique à la sucette numérique), (2)
l’innovativité individuelle, (3) l’imagerie mentale et (4) le comportement d’achat. Pour
répondre à la sous-thématique liée à la sucette, les répondants étaient exposés à une image
(annexe 1) mettant l’objet en action, et une présentation orale et objective de la part de
l’interviewer était opérée. L’approche qualitative a été privilégiée étant donné le côté très
innovant du stimulus étudié. Méconnue de la population française, il semblait plus pertinent
d’adopter une approche qualitative permettant d’exposer et d’expliquer cette technologie, en
vue de déterminer les différentes variables marketing intéressantes à étudier, qui pourraient
découler de ce type de stimulus, en vue d’aborder dans second temps une approche empirique
plus complète.
La démarche du questionnement semi-directif a été adoptée (Andréani et Conchon, 2005) et a
permis de conforter certains postulats littéraires existants sur les différents concepts étudiés
mais aussi de trouver de nouvelles perspectives de recherche. La méthode utilisée pour
analyser les entretiens est l’analyse de contenu thématique inductive à l’aide du logiciel
Nvivo 11. Bien que ce logiciel ait été utilisé, la méthodologie d’analyse de contenu est
sensiblement identique à l’analyse de contenu manuelle. Les recommandations de Bardin
(2003) sont ainsi appliquées, donnant recours à une classification par thèmes et sous thèmes
de type hiérarchique et permettant de mettre en avant les points essentiels relevés par nos
répondants. La composition de l’échantillon étudié (16 entretiens, annexe 2) vise à regrouper
des personnes représentatives de la cible visée, de segments d’âge distincts et avec un degré
d’innovativité individuel varié. Les entretiens ont une durée comprise entre 40 et 75 minutes.
Concernant la variable modératrice « innovativité individuelle », il existe des échelles de
mesure permettant de classer les individus (Roehrich et al., 2002). Etant dans un cadre
qualitatif, aucune échelle de mesure n’a été soumise aux répondants afin de mesurer cette
variable individuelle. Les recherches de Rogers (1995) sont toutefois prises en compte.
Rogers (1980) classe les individus en cinq catégories, dans l’ordre suivant : les innovateurs,
1 Visuelle, auditive, tactile, olfactive, gustative, sensori-motrice, kinesthésique, organique (sensations ressenties « physiquement », par
exemple : la douleur), somesthésique (ensemble des sensibilités cutanées et internes (chaud, musculaire, mal gorge).
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les adopteurs précoces, la majorité précoce, la majorité tardive et les retardataires ; chacune
d’elles étant constituée d’individus ayant le même niveau d’innovativité. Les innovateurs ont
alors tendance à rechercher des expériences nouvelles à travers des stimuli non familiers, ce
qui est l’opposé des retardataires. A l’issue des entretiens semi-directifs, un classement des
répondants a été effectué sur la base des travaux de Rogers (1980) et prend en compte
l’analyse des verbatim des répondants pour cette classification. Ceci permet d’évaluer la
représentativité de l’échantillon et ainsi vérifier la variété des profils d’individus en termes
d’innovativité individuelle. L’échantillon se répartit de la façon suivante : (3) innovateurs, (2)
adopteurs précoces, (7) majorité précoce, (3) majorité tardive et (1) retardataire. Un tableau en
annexe 2 permet de présenter l’ensemble de l’échantillon avec les caractéristiques
sociodémographiques, ainsi que la catégorie d’innovativité individuelle à laquelle appartient
chaque répondant.
RESULTATS - DISCUSSION
Contrairement à un achat effectué dans un point de vente physique, un achat sur Internet
comporte un énorme inconvénient : le manque de contact physique. L’expérience sensorielle
est réduite, ce qui peut avoir un impact sur le processus de décision de l’individu. Le visuel
réel est soustrait à la présentation du produit sur le site, avec éventuellement une présence de
son. Mais le toucher reste impossible dans l’immédiat, et il en est de même pour le goût et
l’odorat à l’heure actuelle. Les sites marchands cherchent au quotidien à optimiser la
présentation des produits pour améliorer l’expérience de navigation et l’envie d’acheter des e-
consommateurs. Ils tentent ainsi de soigner leurs présentations par un degré de réalisme de
plus en plus élevé. Et c’est aussi ce que recherchent les répondants : « Ça reste du visuel, je ne
peux rien écouter, ni toucher le produit. Une Apple Watch, personne ne sait les sons qu’elle
fait avant de l’avoir. L’aspect touché, on ne l’a pas. Qu’est ce qui me dit que le bracelet […]
ne va pas trop me serrer » (E2.400) ; « quand tu craques pour quelque chose - on va dire
visuellement - il te manque les autres sens, tout simplement… » (E16.670).
Avant de débuter la présentation des résultats, il semble important de mentionner que chaque
individu interrogé n’a pas la même signification du terme « nouvelles technologies ». Certains
vont y intégrer la vision 3D, les nouvelles applications sur Smartphones, quand d’autres
intègre Internet dans les nouvelles technologies. Dans le cadre de cette recherche, nous
intégrons dans les « nouvelles technologies » les diverses techniques de présentation d’un
produit très évolutives et non généralisées sur tous les sites marchands, telles que la
technologie 3D ou encore la réalité augmentée. La sucette numérique intègre les « hautes
technologies » ou « technologie de pointe », étant une technique très avancée, encore au stade
du prototype et non présente sur le marché.
Concernant les résultats, la portée de la variable modératrice dans ce contexte d’étude est
confirmée. Effectivement, plus le degré d’innovativité individuelle est fort, plus l’interviewé
est précis et s’oriente davantage vers la « haute technologie », soit les technologies très peu
présentes voire inexistantes dans le quotidien de tout individu lambda. Un lien étroit entre le
degré d’innovativité individuelle et la veille technologique est donc à constater.
Ce degré d’innovativité individuelle a son importance sur l’analyse des relations existantes
avec les autres concepts étudiés, notamment l’imagerie mentale. En effet, dans un premier
temps, les répondants étaient interviewés sur le sujet des nouvelles technologies au sens
général, pas spécifiquement et directement sur la sucette numérique. Il en ressort que plus
l’individu a un degré d’innovativité individuelle faible, plus la notion d’imagerie mentale est
forte s’il y a utilisation de nouvelles technologies sur le site web. D’après les analyses,
cela se justifie par les attentes liées aux nouvelles technologies par les « innovateurs » ou
« adopteurs précoces ». Un innovateur a l’habitude d’être confronté à ce type d’éléments
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nouveaux et devient ainsi de plus en plus pointilleux : « elle [la réalité augmentée] n’est pas
encore assez efficace par rapport aux nouvelles technologies » (E5.146). Ses exigences seront
alors plus élevées qu’un individu avec un degré d’innovativité faible, même si l’utilisation de
nouvelles technologies influencent tout de même positivement l’imagerie mentale : « ça [les
nouvelles technologies] nous permet, à distance d’augmenter notre perception du produit et de
s’imaginer plus facilement en train de l’essayer » (E12.71) ; « [avec de nouvelles
technologies] le fait de se projeter dans tout ça, je trouve que c’est un moyen de
consommation beaucoup plus enrichissant et ça pousse à la consommation. » (E3.277) ; « je
m’imagine avec le produit grâce aux nouvelles technologies sur Internet » (E6.223).
L’utilisation des verbes « imaginer », « se projeter » illustre bien l’imagerie mentale des
individus et tend à confirmer les travaux de Lao (2013) où selon les stimuli utilisés, l’imagerie
mentale varie plus ou moins positivement. D’autres verbatim propres à la sucette numérique
tendent à évoquer l’imagerie mentale sensorielle : « Imagine je sais pas qu’il y ait trois sortes
de goûts, qu’ils proposent une liste. Vous avez possibilité de tester ces 10 goûts là… Ça c’est
intéressant et ça va éveiller les sens du goût. » (E1.533) ; « ça permettra de mettre en éveil un
autre sens que celui de la vue. C’est déjà fort parce que via un écran nous transmettre un
goût… » (E2.430) ; « Il y a plein de choses dont je ne connais pas le goût, ne serait-ce que des
aliments, plats étrangers, certaines épices… Oui pourquoi pas, pour donner un aperçu. »
(E2.431). L’utilisation d’un stimulus sensoriel lié au goût induit donc l’évocation de ce même
mode sensoriel combiné éventuellement à d’autres modes tel que le visuel (Carrasco et
Ridout, 1993). L’imagerie mentale gustative serait alors améliorée par cette sucette
numérique. Ces résultats vont ainsi dans la continuité des travaux d’Helme-Guizon (1997).
Toutefois, même si l’imagerie mentale est positive, le comportement du consommateur en
aval peut se différencier selon le degré d’innovativité individuelle. En effet, un interviewé
classé dans la « majorité tardive » émet sa réticence face aux nouvelles technologies : « Je ne
me sens pas à l’aise du tout, on n'a pas d'échange avec quelqu'un » (E8.111). Les résultats
montrent que les individus appartenant à la majorité tardive ou aux retardataires peuvent
notamment rejeter entièrement la ou les nouvelle(s) technologie(s). Le comportement d’achat
en aval est alors défavorable : « On voit ça sur les salons e-commerce, t’essaies des lunettes
pour voir si elles te vont bien, tu changes de coiffure, tu essayes des fringues virtuellement,
voir si ça te va bien. Est-ce que c’est la consommation de demain ? je ne sais pas mais moi
c’est sûr je ne le ferai pas comme ça. » (E4.340). En termes de préconisations managériales,
les sites marchands ne peuvent présenter leurs produits uniquement avec une technologie
fortement avancée, au risque de perdre les individus de ces catégories (majorité tardive et
retardataires). Il s’agit d'opter pour de nouvelles technologies afin d’améliorer la présentation
des produits sur un site marchand tout en conservant la possibilité d’avoir une présentation de
produit du type « standard ». Cette possibilité répondra alors aux attentes des différentes
catégories d’individus et favorisera l’imagerie mentale. Par contre, si la nouvelle technologie
n’est pas à la hauteur des attentes des innovateurs, l’imagerie mentale sera moins forte car
demandeurs de nouveautés. Et pour les individus ayant une faible innovativité individuelle, la
présence de nouvelle(s) technologie(s) peut avoir une influence négative sur l’expérience de
navigation ou le comportement d’achat, même si l’imagerie mentale est positive, voire plus
intense que les répondants « innovateurs ».
Concernant la sucette numérique dont la technologie se base sur la diffusion d’un courant
alternatif, qui provoque de légers et très courts changements de température et a pour effet de
tromper les récepteurs de goût, beaucoup d’interviewés nuançaient leurs propos et avançaient
principalement des présuppositions : « dans l’hypothèse où c’est le reflet exact du produit
qu’on essaye de te proposer ou tester… » (E1.520). Les résultats montrent que l’innovativité
individuelle influence la perception de la sucette numérique. Comme pour les nouvelles
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technologies, les personnes les plus disposées à utiliser la sucette numérique, sont celles ayant
la plus forte innovativité individuelle, soit les innovateurs et les adopteurs précoces : « je
serais très curieux de l’utiliser et je trouve ça très novateur, ça peut vraiment être incroyable
en expérience d’utilisation » (E12.292). Ce sont les notions de curiosité et d’expérience qui
reviennent fréquemment lorsqu’il s’agit de tester ce prototype : « ça peut être une expérience
en plus » (E15.407) ; « je suis hyper curieux de voir ce que ça peut donner » (E12.299) ; « ça
sera un côté découverte » (E5.364).
Cependant, certains interviewés appartenant au groupe des « innovateurs » se montrent
néanmoins réticents à l’idée d’utiliser cette technologie : « est-ce que c’est une bonne idée ?
Je n’en ai pas l’impression. Il n’y a aucun goût de stylo [= sucette] qui remplacera une bonne
glace » (E5.339). La sucette numérique concerne le sens du goût et ce dernier est à ce jour
inexploité en e-commerce. Même si la curiosité liée à l’objet est prépondérante, les
consommateurs, même innovateurs, semblent réservés à cette utilisation, comme le sont les
personnes intégrant la « majorité tardive » ou les « retardataires ». Les arguments qui
reviennent en défaveur de cette sucette sont notamment liés au côté gadget et intrusif du
produit : « c’est de la mauvaise technologie parce que ça ne sert à rien. Il y a de la bonne
technologie, il y a des choses qui font avancer le monde et ce truc, ça n’en fait pas parti »
(E7.358) ; « ça me fait un peu peur » (E8.253) ; « je trouve ça très intrusif » (E10.367).
Toutefois, la verbatim « en fait, je ne ferai pas partie des premiers à l’acheter mais je peux
suivre la vague si ça a fait ses preuves » (E11.319) illustre bien la notion de « majorité
tardive » et le fait que l’innovativité individuelle peut être bien présente, mais « paralysée »
par trop de freins liés à l’insécurité. Ce qui est également le cas pour les innovateurs et les
adopteurs précoces. Enfin, en partant du principe que la sucette numérique puisse reproduire à
l’identique les goûts, les personnes interrogées sont, en majorité d’accord sur le fait que son
utilisation influencerait positivement leur comportement, les aiderait à orienter leurs choix,
leur permettrait de découvrir de nouveaux goûts et notamment de changer leurs habitudes :
« ça me pousserait à faire davantage mes courses sur internet qu’en magasin » (E6.265).
Ainsi, le comportement d’achat des internautes peut être favorisé comme le serait l’imagerie
mentale : « c’est plus réel alors forcément, […] on peut plus facilement s’imaginer et on
craque plus facilement » (E12.159). De plus, l’essai en magasin n’est pas non plus
automatique. La sucette pourrait devenir un avantage pour les sites marchands où le test est
possible : « avoir un panel de goût à tester, des trucs que tu n'achèteras pas parce que c'est
compliqué [en magasin] » (E9.333). Les répondants sont actuellement circonspects à la
sucette numérique, car sans doute trop innovant et méconnue de tous, mais chaque innovation
doit faire ses « preuves » pour apparaître sur le marché. Et les répondants sont prédisposés à
suivre : « je serais peut être prêt à l’acheter si tous les utilisateurs utilisent ce service là et que
tout mon entourage l’achète, pourquoi pas » (E11.318 = individu intégrant la majorité
tardive).
CONCLUSION - LIMITES ET VOIES DE RECHERCHE
Cette recherche met en évidence l’intérêt porté par les consommateurs vis-à-vis des nouvelles
technologies. Les entreprises s’intéressent toujours à l’amélioration de leurs sites marchands
par l’intégration de nouvelles techniques de présentation. Elles ne doivent toutefois pas sauter
les étapes et adopter uniquement une technologie innovante, au risque de perdre les individus
à faible innovativité individuelle. La sucette numérique n’est aujourd’hui qu’un prototype.
Même si les répondants montrent une certaine prudence à cet objet, ils ne sont pour autant pas
totalement fermés à l’éventualité de pouvoir un jour « goûter » à distance avant d’acheter. La
différenciation des sites web peut aujourd’hui se faire par ce type de technologie :
« aujourd’hui le seul moyen d’attirer les gens vers toi, c’est de te démarquer en avançant vers
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les nouvelles technologies, des processus d’achat, en agrémentant tout ça » (E3.320).
L’expérience de navigation produite par l’entreprise résulte ainsi des stimuli offerts par celle-
ci (Roederer, 2012) et peut influencer l’imagerie mentale de l’internaute (Lao, 2013) et
notamment l’imagerie « gustative » (Helme-Guizon, 1997). La sucette numérique fait l’objet
d’une certaine curiosité de la part des répondants, par son avancée technologique. La notion
de curiosité semble pertinente à prendre en compte pour de futures recherches. En effet, la
curiosité serait-elle liée uniquement au type de stimulus employé ou la curiosité envers le
produit sur le site serait-elle favorisée ? Le modèle conceptuel en annexe 3 pourrait ainsi faire
l’objet de recherches futures afin de tester empiriquement les résultats et relations constatés
entre les concepts.
Pour conclure, cette étude présente quelques limites et tend à plusieurs voies de recherche.
D’abord, les répondants donnaient leur avis sur cette sucette numérique sans avoir la
possibilité de l’essayer. Obtenir un prototype de cette innovation pourrait concrétiser les
conclusions issues de cette recherche. De plus, le concept d’imagerie mentale est difficilement
verbalisable par les répondants. Et d’un point de vue théorique, la curiosité portée sur la
technologie est prépondérante, mais cette curiosité peut-elle également être portée au produit
exposée sur le site marchand et ainsi favoriser son achat ? Une approche empirique serait à
envisager pour mesurer la réelle influence de ce type de stimulus sur l’imagerie mentale et
aborder la notion de curiosité sous différentes facettes : curiosité envers la technologie,
curiosité « trait » ou « diversive » (en tant que variable individuelle), ou encore curiosité
spécifique envers le produit (Berlyne, 1960 ; Collins, Litman et Spielberger, 2004).
Une recherche empirique future permettrait donc d’appuyer ces premières conclusions et
d’approfondir les relations entre les différentes variables marketing énoncées à l’issue de cette
étude qualitative, dont les variables sont présentées en annexe 3.
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Rogers E.M. (1980, 1995), Diffusion of Innovation, New-York : The Free Press.
10
ANNEXE 1 : Présentation de la sucette numérique « Digital Lollipop »
11
ANNEXE 2 : Présentation de l’échantillon
N° Prénom Nom Âge Profession Situation
familiale
Classification selon
Rogers (1980) à
l’issue de l’analyse
qualitative
1 Luc M. 55 Responsable Marié, 2 enfants Majorité précoce
2 Sonia S. 28 Commerciale Célibataire Majorité précoce
3 Remy R. 27 Commercial En concubinage Adopteur précoce
4 Marie F. 42 Responsable En concubinage Majorité tardive
5 Marius S. 32 Data Miner En concubinage,
1 enfant Innovateur
6 Maria O. 22 Etudiante Célibataire Majorité précoce
7 Audrey L. 26 Employée Célibataire Retardataire
8 Jean-Marc C. 60 Assistant dentaire Célibataire Majorité tardive
9 Marie D. 22 Etudiante Célibataire Majorité précoce
10 Marie-France A. 75 Retraitée Mariée, 3
enfants Majorité précoce
11 Hector D. 22 Etudiant Célibataire Majorité tardive
12 Matthieu D. 25 Ingénieur Célibataire Adopteur précoce
13 Gaétan B. 36 PDG Célibataire Innovateur
14 Sylvie N. 46 Assistante maternelle En concubinage,
6 enfants Majorité précoce
15 Robin W. 22 Etudiant En concubinage Innovateur
16 Charlène C. 22 Employée Célibataire Majorité précoce
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ANNEXE 3 : Proposition d’un modèle conceptuel pour une recherche future
Sujet à la sucette numérique
Expérience de navigation
Innovativité individuelle
Comportement d’achat
Imagerie mentale sensorielle
Curiosité envers le produit exposé sur le
site