Aumont, Jacques - L’Objet Cinematographique Et La Chose Filmique

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L’objet cinématographique et la chose filmique 1 Jacques Aumont RÉSUMÉ La valeur anthropologique unanimement reconnue au cinéma, c’est d’avoir permis de rendre compte en temps réel de l’action humaine. On s’est moins souvent interrogé sur la valeur du cinéma en général pour rendre compte du monde non vivant : celui des choses. Cet article examine trois modes d’apparition d’un objet dans des films : l’objet trouvé, c’est-à-dire tout ce qui permet au cinéma de choisir un objet, de le montrer efficacement, de le rendre expressif ; l’objet utile, c’est- à-dire tout simplement l’objet mis en scène, devenu accessoire de la dramaturgie ; enfin, l’objet investi, soit l’objet devenu signifiant (par métaphore ou autre- ment). À ces trois espèces d’objets filmiques, on oppose le cas, plus abstrait et plus rare, où un film cherche dans l’objet ce qui relève de la choséité, de la « chose en soi », par définition inatteignable à notre perception et à notre intellection, mais que l’on peut évoquer ou suggérer par un travail d’ordre figuratif. ABSTRACT The anthropological value of film is unanimously rec- ognized as its capacity to account for human action in real time. Less attention has been dedicated to the gen- eral value of film in accounting for that which is non- living: the world of things. This article examines three modes of the appearance of an object in film: the found-object—in other words, everything which allows the cinema to choose an object, to show it effectively and to render it expressive; the useful-object—quite simply, the mise-en-scène of an object which becomes

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L’Objet Cinematographique Et La Chose Filmique

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  • Lobjet cinmatographique et la chose filmique 1

    Jacques Aumont

    RSUM

    La valeur anthropologique unanimement reconnue aucinma, cest davoir permis de rendre compte en tempsrel de laction humaine. On sest moins souventinterrog sur la valeur du cinma en gnral pourrendre compte du monde non vivant : celui des choses.Cet article examine trois modes dapparition dun objetdans des films : lobjet trouv, cest--dire tout ce quipermet au cinma de choisir un objet, de le montrerefficacement, de le rendre expressif ; lobjet utile, cest--dire tout simplement lobjet mis en scne, devenuaccessoire de la dramaturgie ; enfin, lobjet investi, soitlobjet devenu signifiant (par mtaphore ou autre-ment). ces trois espces dobjets filmiques, on opposele cas, plus abstrait et plus rare, o un film cherchedans lobjet ce qui relve de la chosit, de la chose ensoi , par dfinition inatteignable notre perception et notre intellection, mais que lon peut voquer ousuggrer par un travail dordre figuratif.

    ABSTRACT

    The anthropological value of film is unanimously rec-ognized as its capacity to account for human action inreal time. Less attention has been dedicated to the gen-eral value of film in accounting for that which is non-living: the world of things. This article examines threemodes of the appearance of an object in film: thefound-objectin other words, everything which allowsthe cinema to choose an object, to show it effectivelyand to render it expressive; the useful-objectquitesimply, the mise-en-scne of an object which becomes

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  • an accessory of the dramaturgy ; and finally, thecharged-object, which (metaphorically or otherwise)becomes a signifying object. Opposed to these threetypes of filmic objects is a rarer and more abstract typein which a film seeks in the object that which belongsto its thing-ness, or to the thing-in-itself: by defini-tion something unattainable to our perception or intel-lection, but which may be evoked or suggested by thework of a figurative order.

    Le cinma comme art dattentionSans doute le cinma sest dvelopp, partir des inventions

    initiales dEdison et de Lumire, par-dessus tout comme un artdramatique. Ce qui y a intress des gnrations de spectateurs,de critiques et aussi de crateurs ft-ce pour sy opposervhmentement cest le drame, cest--dire les attitudes, lesgestes des figures humaines que les films ont fabriques etmobilises, et, sous ces gestes et ces attitudes, les sentiments deces tres de fiction que, depuis la plus ancienne thorie dudrame, puis de la littrature, on appelle des personnages.

    Pourtant, le cinma, dont la part visible socialement restebien celle-l, sest aussi, plus obscurment peut-tre, tout aussiprofondment coup sr, construit comme un art de ladescription. Quest-ce que dcrire, pour qui voudrait le faire laide dimages mouvantes ? A priori, loutil est trop parfait,presque encombrant dans sa capacit tout rendre de la ralitquil observe capacit sans cesse augmente par linvention detechniques grossires ou raffines, ajoutant le son, la couleur,mais aussi, moins ostensiblement et plus essentiellement, unenettet absolue et gale de limage, que les plus conscients descinastes documentaristes nont pas manqu de relever commeembarrassante.

    Le cinma, la photo avaient t accueillis avant quedautres techniques les rejoignent et les dpassent commelapoge du savoir-faire humain en matire de rendu desapparences ; lorsque ltat franais, envisageant dacheter leprocd de Daguerre, fit procder une expertise par les plusgrands noms de la science europenne, lanthropologue et explo-rateur allemand Alexander baron von Humboldt ne put

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  • dissimuler son enthousiasme devant la minutie automatique dela reproduction (mieux que lil humain) : Jai pu voir une vueintrieure de la cour du Louvre avec les innombrables bas-reliefs. Il y avait de la paille qui venait de passer sur le quai. Envoyez-vous dans le tableau ? Non. Il me tendit une loupe et jevis des brins de paille toutes les fentres 2. Tout le problmede la photographie, du cinma lorsquils prtendirent devenirdes arts (presque tout de suite) fut dchapper la maldictionde ce brin de paille quils ne pouvaient sempcher denregistrermieux que lil et malgr lui. Lobjectif photographique avaitpouss son degr extrme la capacit de lil du sujet saisir lemonde comme ses images. Il resterait oprer le mouvementinverse, et rendre lart du film, lart de la photo en mesure defaire droit cette autre nature dimage qui ne se cadre pas, ne sesaisit pas, ne sapproprie pas ces images dont Kafka (cit dansRecht 1989, p. 152) a pu dire : Le regard ne sempare pas desimages, ce sont elles plutt qui semparent du regard. Ellesnoient la conscience.

    Linvention des camscopes numriques, avec leur redoutablepouvoir de tout fixer indiffremment et minutieusement duneralit rendue loptique avant mme davoir consist, na rienarrang : limage automate, cest sa maldiction, ne choisit pas 3.Depuis Epstein et son essai LIntelligence dune machine (1946),nous savons que le cinma pense le cinma cest--direlensemble vaste et complexe des machines et des machineriessuccessivement inventes sous ce nom, vido incluse. Si cet tretechnique, au psychisme lmentaire mais immatrisable, veutpouvoir dcrire quoi que ce soit, il faut donc dabord quilapprenne le choix, et pour cela lattention.

    Je ne dispose daucune thorie gnrale psychologique nisimplement logique de lattention, et mon but plus modes-tement est dexaminer certaines dterminations et peut-trecertaines modalits de lattention que le cinma le cinma engnral, donc, sans acception ni de genre ni dpoque peut porter lobjet lobjet en gnral, quitte dfinir unpeu ce que pour les besoins de la prsente rflexion jentendspar l.

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  • Lobjet et la choseUn art du regard et de lcoute, mais je nen parlerai pas ici

    comme le cinma est attentif immdiatement, par dfinition, ce que le monde nous offre sous le nom dobjet. Ob-jet : cequi est pos l, devant moi ; ce qui nexiste qu tre devant moi,devant quelquun. Il ny a dobjet qu raison et en raison de laconscience dobjet, cest--dire, proportion du sujet. Lobjet estune catgorie des philosophies du sujet, lun et lautre conceptne peuvent se prendre quensemble, dfinis lun par lautre, ren-voyant lun lautre, et sans le sujet qui en garantit lexistenceattentionnelle, voire intentionnelle, comment lobjet existerait-il ?

    Epstein, je le rappelais linstant, a voulu faire du cinma unpersonnage, et dans le rle dun philosophe ; si lon sen ton-nait, il rpondait que rien nempche une machine, dans lasomme de ses usages possibles, dlaborer une philosophie laquelle nest jamais au fond quun systme suffisammentcohrent daspects du monde articuls.

    Toute philosophie est un systme ferm sur lui-mme,qui ne peut contenir de vrit quintrieure. [] Ladifficult apparat lorsquon prtend juger qui est leplus vrai [] car il faudrait un critre extrieur auxsystmes compars, une commune mesure emprunte la ralit. [] De quel droit exigerait-on duphilosophe-robot cinmatographique plus que ce quefournissent les philosophes-hommes et qui consiste enune reprsentation de lunivers, ingnieuse et peuprs cohrente, ouverte au jeu de linterprtation desapparences, condition de rester fidle ses loisorganiques, cest--dire exempte de trop graves contra-dictions internes (Epstein 1975, p. 322) ?

    Ce philosophe toutefois, pour ce qui est de lobjet, a du mal apercevoir et apprhender autre chose que lobjet empiriqueou en termes kantiens le phnomne mme si lobjet trans-cendantal parfois lattire (mais il na pas de noumne corres-pondant), et mme si la chose en soi est sa limite (cest en unsens tout ce que jaurai dire). Le cinma, cest une remarquesouvent faite, semble tre un art dapparence et de phnomnes,

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  • et le rapport quil a aux objets du monde est celui de la cons-cience veille , dont les objets sont les seuls dont on puisseparler (Merleau-Ponty 1945, p. 35). Lobjet au cinma, lobjetde film, nest isolable et identifiable que sil est objet dattention,objet de soins, objet de regard, objet de conscience (le cinmadramatique tout entier comme art de la reprsentation decontenus de conscience, acclimatant dans ce sens-l jusqu cer-tains modes de linformel, tel le mlange dimages que fabriquela surimpression).

    En cela lobjet au cinma se diffrencie de la chose, et toute laphilosophie spontane du cinma, de ce philosophe-robot rvpar Epstein, se rsume reprendre mon exprience du monderel, du monde des objets, en la rptant mais comme pourmieux dmontrer sa capacit en tirer dautres consquencesque moi. Comme mon regard (ou mon coute), la camra peuttourner autour de lobjet pour le dcouvrir dans son extension ;comme mon esprit, elle peut mme cest encore la thsedEpstein dduire les aspects cachs de ceux qui sontactuellement visibles, construire lide de lobjet partir de cer-tains de ses aspects ; mais en outre, le cinma est dot duneperspective temporelle, qui lui permet de pratiquer autrementque moi, de faon plus varie, plus illimite, cette construction.Le philosophe-cinma peut transformer linanim en vivant, lesimultan en successif ; il peut penser le monde rel selon uneconscience plus riche que la mienne, moins soumise lavariante la plus raliste de lempirisme. Mais ces diffrences, ettout le pouvoir quavec elles acquiert le cinma, de fabriquer desmondes invus, ne fait pas quil puisse avoir affaire quoi que cesoit dautre que des objets, et mme, des objets dans leur eccit(Jediesheit), pour parler comme Heidegger 4. Lobjet nest pas lachose, lobjectit nest pas la chosit : la limite kantienne nestpas franchie.

    Comment accder lintimit de la chose ? La rflexion scien-tifique de lentre-deux-guerres, qui a tant fait pour changer nosides ce sujet, a impos le modle dune intimit atomique etquantique de la matire, mais les ides alors inventes, puisrapidement popularises, propos de lespace matriel comme propos du temps, ntaient gure accessibles notre exprience

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  • vcue 5. Le modle, thoriquement fcond, dun espace prin-cipalement fait de vide, dun espace-temps habit par la vitessede charges lectriques ou de particules, naide pas penser lachose ; la mme poque o Russell, Eddington ou, plus tard,Gamow vulgarisaient ce modle, Husserl proposait un modlesophistiqu de la conscience, dans lequel lopration de larduction aboutissait rejeter dans linconnaissable ou limpen-sable tout ce qui ntait pas transformable en vis--vis , tout cequi ntait pas visable par la conscience, par le moi pur . Lachose ne se regarde pas, nest pas objet dattention, ne secomprend pas. Mate, bute, elle relve au mieux de lhypothsescientifique ou mtaphysique : elle nengage avec moi aucunrapport, ne peut entrer en relation avec rien ni personne, elledemeure chose, dans son tre de chose.

    Jaimerais donc risquer, propos du cinma et de lobjet,lhypothse suivante. Le cinma a, avec lobjet, un rapportdimmdiatet, presque trop naturel et constitutif ; partir de cerapport qui va de la simple attention porte un objet quelon singularise et dsigne, sur lequel on focalise, la plusgrande signification ou importance que lon peut lui accor-der , le cinma peut viser un rapport la chose, ltre-chose,et souvent a t tent de le faire. Simplement, la chose qui, dansle monde, reprsente en quelque sorte ltat primitif, brut, nontravaill de ce que lactivit et la conscience humaines onttransform en objet, est au cinma le terme peut-tre inacces-sible dun travail rebours, dun complexe labeur, forcmentrflexif et thorique, sur lapparence de lobjet, son usage et sasubstance. Si lhumanit sest faite en donnant le statut dobjet certaines choses et plus essentiellement en crant, avec leconcept dobjet, lide dun rapport subjectif entre moi et lemonde, le cinma au fond inverse cette volution, en sedcouvrant capable de ds-anthropiser lobjet, pour le rendre la chose.

    Seulement ce nest pas nimporte quel film qui accomplit cetravail : avant de pouvoir dsigner quelque exemple le moindre-ment abouti, je parcourrai dabord un chemin, trs simple etempirique, qui me mnera de la constitution (fabrication ou,plus souvent, dcouverte-lection) de lobjet, sa mise en scne,

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  • puis ventuellement sa mise en signe. Pour dcrire lobjet,pour y prter attention, le cinma doit commencer par letrouver, puis trouver sa place dans un bloc despace-dure 6 , lemettre en scne, au risque den faire un personnage, donc delinvestir dune valeur elle aussi dramatique. La chose, alors,sobtient forcment par soustraction.

    Lobjet trouv : llection de lobjetIl y a des objets partout (et nimporte o) : peut devenir objet

    tout ce qui est isol assez nettement et assez longtemps, par ungeste, un regard, un rapport instaur. Si lobjet se dfinit commeobjet de mon attention, celle-ci ne fait pas entrer en ligne decompte genre, classes, voire nature dobjets : cest la libert dusujet qui fait lobjet, qui le trouve ou mieux, llit. (Grandthme empiriste : mon attention est comparable un projecteur,dont la lumire ne change pas sil claire ici ou l, ceci ou cela.)

    Nimporte quoi a pu, au cinma, devenir objet puisquelattention et la singularisation sont des proprits de lappareilcinmatographique, non des fictions auxquelles il se prte.Lumire avait lu, tour tour, la plupart des objets mme banalsde son dcor quotidien : le train qui lamenait sa maison decampagne, aussi bien que la carriole avec ses valises (et aussi,tant quil y tait, le domestique dfrent qui portait les valisesdans la carriole), ou le chat familier, le bocal de poissons rouges.En bon manipulateur, Mlis a beaucoup fait pour ajouter cette liste. Il faudrait ici avoir le temps de revoir des filmscomme LHomme la tte de caoutchouc, Le Mlomane ou LeBourreau turc, o lobjet le plus banal, en mme temps le plusimprobable au titre dobjet, est produit : la tte humaine,transforme en boule manipulable, jetable, accrochable, moinsquelle ne devienne ballon de baudruche. La peinture avait, biensr, dj accoutum lide dune tte dtachable, dcollablecomme celle de saint Jean le Baptiste, mais le cinma sur ceterrain comme sur dautres la prolonge, en mettant aussitt envidence ce que la peinture avait voil par ses fictions : que cestle dispositif reprsentatif mme qui peut lire lobjet, le faire, ledistinguer 7. Quatre-vingts ans aprs Mlis, dans Quoi o,Samuel Beckett sest souvenu de la leon, et a invent un

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  • agencement un peu diffrent, mais qui aboutit au mme, fairedune tte un objet, qui apparat et disparat au gr des sortilgesdun grand manipulateur, une espce de Mabuse peut-treaveugle qui flotte, gigantesque, lui-mme figur comme une tteobjet, au-dessus du jeu.

    Trouver en gnral un objet filmable est lune des premirestches du cinaste, et des poques, des styles, des attitudes decinaste ont pu se dfinir comme recherche dobjets. Qua faitVertov sinon inventer un cinma dans lequel clate la joie filmer une chose nouvelle 8, donner de chaque objet limage laplus inattendue et la fois la plus juste ? Quont fait Lang ouBuuel sinon donner aux objets tout leur poids de prsence etdtranget trs inquitante simplement en les produisant aubon moment, souvent sans avoir mme les faire commenterpar le drame ?

    Le cinma cette personnalit abstraite et gnrique, maisnanmoins pensante, dote dintelligence et de psychisme doncdattention jette trop videmment de ces coups de projecteurqui sont comme mon attention. Dix fois, les thories du cinmaont compar la camra un il, le cadrage un regard : sansdoute le jeu du cadre mobile, de la dcoupe variable du champphnomnal, est le premier geste qui instaure un rapportdattention entre le cinma et son objet. Comment dsignerun objet ? En lisolant, et pour cela le cadre semble tre le premieroutil, surtout dans le jeu de ce quon a dabord appel premierplan , puis gros premier plan , puis gros plan et qui faitlobjet exister imaginairement prs de moi, tout prs ( ce nestpas vrai quil y ait de lair entre nous , dit Epstein de son rapportlittralement cannibale au gros plan). Cependant, le gros plan,parce quil est, quasi invitablement, aussi un plan gros, a presquetoujours une puissance de monstruosit, dnormit, et, passez-moi le mot, dinquitance. Cela aussi a t trs tt reconnu, et deVachel Lindsay Arnheim et dEpstein Eisenstein, on a lou ouvitupr le gros plan pour ce pouvoir dtrangification 9.

    Llection de lobjet a donc plus souvent avantage ne pastre manifeste par sa simple et comme mcanique venue aupremier plan, toujours menace par ce grossissement excessif. Lapremire parade contre les pouvoirs abusifs du plan (en tant que

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  • plan gros, mais aussi, virtuellement, en tant que plan toutcourt), cest bien sr de ne pas laisser le plan agir seul, delinsrer dans une chane, si lenchanement est le plus srmoyen de maintenir lobjet dans sa fonctionnalit ou sa limi-tation. Une bonne partie de lart du cinma comme dramaturgieconsiste faire circuler des objets (je vais y revenir dans uninstant), les rendre sans cesse nouveau praticables, lesmotiver et les justifier en renouvelant chaque instant leurexistence dramatique. Mais cette propension du cinma lachane, la succession et larticulation peut aussi saffirmerhors de la dramaturgie. Lattention pure lobjet, sa dsignationsans quil serve un usage thtral, sont au principe mme, lpoque o rgnaient les objets du design, du Ballet mcaniquede Fernand Lger et Dudley Murphy (1924).

    Le film de Lger est presque trop facile commenter, avec sathmatisation de lil jusquau clin dil, avec son kalidoscopeet son faux choix dobjets dont on souligne plaisir linsigni-fiance et comme lindiffrence dustensiles mnagers unerserve prs : ce qui nindiffre pas, et les fait lire, cest leurplastique (luisance, gomtrie des formes, rptabilit et mise ensrie qualits quvidemment le kalidoscope amplifie enmme temps quil les ironise). Lvident analytisme de ce filmproduit une sorte de dcomposition du tissu filmique, selon sesobjets particuliers (mais ressortissant tous au mme genre), etaussi selon ses proprits sensibles, que lon nous offre commeisoles, autonomises (par exemple le mouvement davant enarrire prsent sparment du mouvement de haut en bas).Cest une belle illustration du pouvoir qua le cinma-philosophe de comprendre lobjet autrement que ma cons-cience, de lui donner une vie, ou au moins un milieu cepen-dant, en le maintenant sous un regard.

    Lenchanement dramaturgique est dun autre ordre, il reposemoins sur lautonomisation de chaque lment que sur linser-tion commune et rgle des lments dans un bloc despace-dure. Lobjet dramatique peut se regarder, sisoler sous le pro-jecteur de lattention du cinma, mais il nest pas besoin pourcela de lisoler matriellement, de le cercler comme faisait lecinma muet avec ses vignettes et ses iris, ni de lamener la

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  • monstruosit du grossissement extrme. Il suffit par exemple delaisser oprer le plus puissant moyen daction quajoute ledrame : le temps. Lobjet regard longtemps est transform, etnous connaissons bien cette esthtique du plan prolong qui, deAkerman Monteiro ou de Bergman Straub, a dmontr ceque peut le simple maintien sous le regard. Soit un magnifiqueexemple de plan long, o ce pouvoir est lui-mme rflchi, parsa fictionnalisation : le dernier plan de Stalker (Andri Tarkovski,1979), o la fillette au pouvoir tlkinsique, pose face nous,en vis--vis direct de notre regard, pose en vis--vis du sien leverre que son attention va dplacer, pousser, faire finalementtomber, tandis que sa tte, lentement incline vers lhorizontale,va devenir en retour un autre objet.

    Lattention porte un objet ne peut pas se prolongerindfiniment, elle bute toujours sur le risque dune perte : telleest la leon mtaphorique de ce morceau potique, mais aussitrs thorique, de cinma. Ce qui est mis en avant ici, cest lesuspens du temps ou sa prolongation (suspens du temps vcu,prolongation dun temps mmoriel ou projectif ) ce qui pourTarkovski (1989, p. 64) relve dune dfinition vritablementpremire du cinma : Limage est cinmatographique si elle vitdans le temps et si le temps vit en elle. Aucun objet, mmemort, aucune table, aucune chaise, aucun verre, ne peut trefilm isolment dans un plan comme sil se trouvait en dehorsdu temps. Notre conscience peut abstraire lobjet de son espace(pour le rduire son essence) mais le cinma sy prendautrement, puisquil ny a pas dabstraction temporelle possible,dans ce systme (radicalement oppos en cela, faut-il le sou-ligner, celui dEpstein).

    Est-ce un hasard si dans le second de mes exemples on aaffaire plutt lobjet lu, tandis que dans le premier, cestlobjet trouv qui se prsente nous ? Sans doute pas : les deuxcinastes cits sont, le second un esprit religieux, le premier unconstructiviste ; mais peut-tre faut-il dj y voir un peudavantage, une propension double du cinma, contemplerlobjet au risque de son absorption dans la mditation sur lachose, ou au contraire lvacuer peine vu et choisi, au bn-fice dun discours, dune chane.

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  • Lobjet utile : mise en scne de lobjetEn trouvant ou en lisant son objet, le film le manifeste

    comme objet dattention, donc il mime forcment, plus oumoins, une conscience et un regard. Lobjet est prt entrerdans le circuit du dsir : devenir un signifiant, circuler desujet en sujet. La tte monstrueuse et dmiurgique de Bom,dans le film de Beckett, a transform les ttes de Bam et Bem enobjets pour mieux les manipuler, pour exercer visiblement sonpouvoir sur elles (et sur eux). Le verre deau de Tarkovski estdevenu le pivot matriel et visible autour duquel tourne touteune scne, tout un monde prsent ou lointain.

    Mise en jeu de lobjet, qui est le plus souvent au cinma lundes moments ou lune des parties de cette activit plus gnralequon appelle la mise en scne. Les objets peuvent fixer lespace,en matrialiser provisoirement le centre ; ils peuvent apparatreet disparatre pour manifester un pouvoir singulier. Mais ilspeuvent aussi cest le plus banal tre simplement ce quischange, de personnage-sujet personnage-sujet, ce qui doubleet conforte lchange de la parole (et des regards).

    Soit le dbut de La Huitime Femme de Barbe-Bleue (ErnstLubitsch, 1938), la clbre squence de lachat du pyjama. Tout,ici, tient exclusivement par la supposition et vritablement ladescription de la consistance imaginaire dun objet commeintressant (et de l, comme support du dsir). Rien de plustrivial, de plus indiffrent et banal, de plus inexistant quunpantalon de pyjama. Inexistant au point que le film trouve aumoins trois moyens de nous signifier son inexistence (dans lecomportement de Gary Cooper, par son absence sur les jambesdu propritaire du magasin, et dans la confidence du chef derayon). Or cest prcisment autour de cet objet inexistant,dnu de valeur comme dimportance, que se noue dabord latresse dune conversation o abondent les sous-entendus et lessurdterminations rotiques et politiques ( cest le commu-nisme ; moi cest autre chose je dors avec seulement unfoulard ) ; puis, plus spectaculairement encore, il est ce quiancre la rplique dentre de Claudette Colbert, prononce off, jachte le pantalon , qui est lune des plus riches de senscondenss de Lubitsch par ailleurs spcialiste de la

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  • condensation des rpliques ; on y entend la fois lattraitrotique (et mme, carrment sexuel) de la fille envers le garon,le retour de la marchandise dans un circuit conomique normaldont lexcentricit du jeune milliardaire avait failli lexclure,enfin, la surprise que reprsente toute rencontre avec unepersonne inconnue, et larbitraire corrlatif qui est celui duraconteur dhistoires (lequel a le droit dintroduire un nouveaupersonnage son caprice).

    Les objets de cette sorte sont innombrables dans les filmsnarratifs ; ils en sont, jusqu un certain point, la substancemme, depuis que le cinma a choisi la pente narrative deprfrence la pente pique (lepos na pas besoin dobjetsfictionnels, dobjets fonctionnels et praticables : il lui suffit dequelques emblmes, toujours les mmes et rcurrents). Dans lemme rayon vestimentaire que le pyjama de Lubitsch, on trou-verait, ple-mle, ltole verte de Marlene Dietrich dans RanchoNotorious, le peignoir jaune de Brigitte Bardot dans Le Mprisou le blouson de Fox, la victime sous-proltaire des exploiteurscapitalistes, dans Le Droit du plus fort de Fassbinder : mtony-mies, en mme temps solides emblmes, de relations o lesexuel et lconomique se nouent, cest--dire de situationsromanesques modernes.

    De cet usage de lobjet comme signifiant du dsir, quiinforme les fictions cinmatographiques classiques, un cinastesest fait le virtuose : Hitchcock, dont luvre dans notre m-moire nest rien dautre quun catalogue dobjets, par eux-mmesindiffrents et aussi triviaux quun vulgaire pantalon de pyjama,mais investis par la grce du montage, du jeu sur le vu et lecach, du jeu magistral avec le temps et sa suspension, aveclattente, la surprise et lattente comble, bref par lart de lesrendre intressants pour la reprsentation des dsirs et desaffects du pouvoir de signifier les ressorts les plus cachs, lesplus intimes, les plus secrets et incomprhensibles des compor-tements humains. Dans ses Histoire(s) du cinma, avec le passagede lpisode 4a intitul Introduction la mthode dAlfredHitchcock , Godard a rsum, en mme temps quil leur rendhommage, ces objets hitchcockiens, notant bien leur stricte in-diffrence, en mme temps leur importance, exactement

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  • proportionnelle cette indiffrence : plus lobjet est faible par sacharge propre, plus il est nul , quelconque, plus est fort lepouvoir du cinaste lequel atteint, dans la phrase de Godard,au contrle de lunivers .

    Lobjet dramatis est le ressort lmentaire du rcit, de lafiction, rle central qui est largement confirm par la logique delaccessoire qui informe le cinma classique. Lobjet est toutautant, quoique plus souterrainement, le lieu de la picturalitcinmatographique ; comme toute mise en scne, celle-ci estthtre et peinture la fois mais lobjet concrtise, force,coagule cette picturalit. De ce point de vue, il nest peut-trepas de cinma o la prsence de lobjet ait t plus forte quecelui qui, inspir de prs ou de loin du cubisme, la glorifivisuellement et plastiquement sous les espces dune volumtrieexcessive. Le film de Fernand Lger est ralis en 1924, aumoment des constructivismes et des avant-gardes 10. Il est lecontemporain des clbrations, dans lclat fugitif du cinmasovitique, de lobjet industriel qui va supplanter, dans la mainet dans lide de lhomme, lobjet naturel o se lit toujours trople hasard, comme trace dune soumission des forces divines. Ilest le contemporain des essais intrpides, fascins par la luisance,la nettet, la fonctionnalit des objets du sicle que ce soitpour en vanter lutilit ou plutt quelque chose de lordre de labeaut. Lobjet dans tous ces films ne joue pas proprementparler un rle ou alors, un rle demble rapport lasocialit, un rle dans la comdie sociale, dans le drame de lasocit et de lHistoire. Les tlphones ou les tramways deLHomme la camra nintressent pas par eux-mmes (encoreque lassemblage de vitres et de mtal de ces derniers, leurinimitable faon dbranler limaginaire en lui imposant limagesonore dun bruit de ferraille bringuebalant, sangle dans dellectricit, aient une forte prsence) ; cest leur fonction sociale,cest plus fondamentalement leur contribution une redfini-tion de tout le social, qui importe. De mme, dans les essais abstraits raliss Paris, la Marche des machines de Deslaw, lesCinq minutes de cinma pur de Chomette, les cingraphismes deDulac, lobjet ne vaut que comme support de formes, de ma-tires visuelles, dvnements de lumire-temps.

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  • Lobjet est donc aussi ce qui autorise le cinma exprimentersa propre nature, son rapport dart du visible au temps, et aumouvement (ces artistes ne sintressent jamais tant lobjet quelorsquil tourne, lorsquil glisse ou coulisse, lorsque ses partiessarticulent, ou tout le moins, lorsque ses formes parfaites,rondes ou polydriques, dnoncent en lui lartefact et lin-dustrie). Le cinma parlant annula, en surface du moins et pourquelque temps, ce rapport de fascination, de joie et parfois dejouissance mais il na cess de revenir, des documentaristesanglais de lcole du GPO lunderground new-yorkais, oumme, trs dguis et en quelque sorte dtourn, dans certainefaon quont les essais de Godard de dire, par lobjet, ce quil estimpossible ou inutile de dire parce que cela est trop essentiel. (Jepense au tourne-disque de la Lettre Freddy Buache, cetteparfaite et muette incarnation du mouvement, de la rotation,mais aussi et fondamentalement, du temps qui passe, cyclique etindiffrent.)

    Lobjet investi : la mise en signePlus encore que son usage dramatique peut-tre, lattention

    visuelle et picturale lobjet le souligne, le gonfle, le fait presquesortir de lcran pour venir me chercher. Dsign monattention (et, comme aurait dit Bazin, mon amour) par ungeste de cadrage, offert mon intention (et mon dsir) par samise en chane, lobjet est alors dot dune personnalit grandis-sante, qui gagne de limportance et de la consistance, il devient comme encore lavait si bien vu Epstein personnage dudrame intime quest toute vision dun film.

    Cest de cette consistance que provient la troisime capacitde lobjet : sa signifiance. Il est dinnombrables objets de cinma(comme aussi bien, de peinture) qui valent surtout, ou seule-ment, par ce quils nous suggrent ou nous crient muettementdun certain sens profond du monde ou de la vie. Symboles,emblmes, allgories mais je pense moins ici tels objets tropdlibrment conus pour me renvoyer un registre de signi-fication, pour tre assigns des rpertoires de sens, qu ceuxqui lvoquent lgrement, et pour ainsi dire, subsidiairement. Ilest clair que la banane et la bote de sardines de Gense dun

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  • repas, conues et excutes comme figurations dun discoursthorique apodictique mais cohrent sur limprialisme etlconomie de pillage, nont pas proprement parler, dans lefilm de Luc Moullet, dexistence en tant quobjet, mais en tantque genre ou classe dobjets, cest--dire, en tant que conceptsquasi purs. De mme, chez Buuel, lobjet se ftichise trsostensiblement selon le double registre du religieux (unestatuette de la Vierge en caoutchouc lavable dans LAngeexterminateur) et du thanato-rotique (la paire de chaussettesaffaisses sur les jambes dune petite fille morte dans le Journaldune femme de chambre). Le monde buuelien se constituedailleurs, dans plusieurs de ses films, autour dune scne ins-tauratrice qui noue ces deux registres (par exemple, le lavementdes pieds au dbut de El ), et lui-mme en avait trouv, avec leChrist cran darrt qui devait tre le titre de ses mmoires,lemblme parfait. Tout cela, presque trop limpide.

    Je pense donc plutt, ici, ce que la peinture de vanits, parexemple, nous a habitus accepter ou trouver ncessaire : lesens cach, le symbolisme dguis , selon lexpression dePanofsky 11, et dont les exemples par lesquels jai introduit laprsente rflexion taient, aussi, dvidentes manifestations. Ilnest que trop apparent que le verre de Stalker renvoie uneiconographie (en loccurrence, picturale et religieuse) du verredeau : leau comme signifiant du baptme et symbole de puret,le verre transparent, mtonymie de la lumire qui le traverse(comme chez Van Eyck dailleurs rfrence avre quoiquevirtuelle de Tarkovski), etc.

    Voici un autre exemple, double, de cette signifiance, o se litplus crment encore la valeur et peut-tre, la valeur ori-ginaire dune composition qui se souvient de la peinture. Lascne douverture de LHomme au crne ras (Andr Delvaux,1966) sachve sur la contemplation dune coupe de fruits,devant laquelle le protagoniste mdite sur la pourriture, letemps, la mort. Ces fruits font un tableau de vanit, videm-ment, ils disent la proximit de la mort jusque dans la plnitudedu fruit, dans la plnitude du consommable. En mme temps ilsappartiennent pleinement cette scne o rgne presquesensoriellement une chaleur touffante de cur de lt. Ce qui

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  • mimporte dans cette ouverture de film (cen est le tout dbut),cest donc quelle travaille en parallle, et galit, le doubleregistre de la scne et du sens, ou, pour parler comme Panofskydans larticle de 1932 o slabore liconologie, le double registredu sens-phnomne et du sens-signification 12. Lhomme quonnous prsente, pris demi par le sommeil lourde sieste dejuillet , pris entirement par sa rverie diurne, est donc dou-blement prsent comme fragile et menac : le sommeil comme singe de la mort , selon la forte image de Jarry, ou comme samtaphore ; la rverie du personnage est dangereuse et finale-ment ltale, elle le mnera lautodestruction dont elle est lamtonymie. Le regard quil jette sur la coupe de fruits demipourris est apparemment dsengag, dsintress, il vientponctuer une mditation amoureuse, une sorte dexaltation lapense de la jeune fille aime mais cette mditation et cetteexaltation sont elles-mmes demi pourries, cet amour est nonseulement impossible mais malsain, et la belle jeune filleconcidera bientt dans le film avec limage traditionnelle de lamort. Les fruits nous lannoncent sans ambigut, pourtantsans insistance excessive. Lobjet fait sens en vertu de symbo-lismes bien tablis (pourriture physique pour pourriture spiri-tuelle, dgradation pour dgradation, imminence pour immi-nence et menace pour menace), mais aussi, parce que cespommes et ces bananes, tout symboles quelles sont, ont t toutde mme achetes au march, disposes l par cette pauvrefemme quon voit et qui sera bientt abandonne, destinespeut-tre cette petite fille qui elle non plus ne sait pas que savie va basculer, etc.

    Cette rminiscence de genres picturaux bien plus int-ressante videmment que les citations ou les pastiches est unpuissant courant de fond du cinma. Dans LAnnonce faite Marie (dAlain Cuny), par exemple, les fruits et lgumes dis-poss sur la grande table de la salle font une nature morte,heureuse celle-ci mais pourtant symbole tout autant que lautrede vanit la vanit des entreprises humaines, puisquelle ap-parat au moment o Anne entreprend son voyage Jrusalemet dcide, catastrophiquement et aveuglment, de marierViolaine Jacques ; cest parce quil y a nature morte, parce quil

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  • y a allgorisme ( peine) dguis quil peut y avoir lquivalence,touchante et nave ou juge grossire, du poireau et du bb,faisant galement de leau, comme deux lgumes. Dans le cinma dart , mais aussi dans lindustrie hollywoodienne,dont les dcorateurs souvent taient issus dcoles darts appli-qus, la culture se manifeste volontiers par ce sort fait lobjet :il ressortit une iconographie.

    Lobjet chosifi : substance, matire, modleDans toutes ces attitudes de cinma devant lobjet, cest le

    rapport humain la chose qui est produit, soulign, travaill.Un verre deau, une coupe de fruits nexistent que parce quunhumain reprsent les regarde, parce quils permettent desrelations entre reprsentations, et pour finir, parce quils me sontdestins et parce que les regardant jaccepte leur offre de devenirdes choses pour moi, entrant en relation avec moi cest--diredes objets. Mais lorsque, rflchissant ce quest un objet,jvoque mentalement son tat propre, dgag de sa relation moi, je sais bien que ce qui me vient lesprit, ce sont dautresimages ou plutt une absence dimage : ou, mieux dit encore, lachose la chose en soi, ce rve sans cesse reform dune imageimpossible, de ce qui par nature me demeure inaccessible. Il y adonc encore, en cinma, un autre choix envisageable quant lobjet qui a t lu : ne plus le figurer comme ob-jet, maistcher de lvoquer comme chose, comme un fragment de rel,de ce que nous ne pouvons connatre ni comprendre, de ce quiest impossible .

    Ce choix est plus rare, plus difficile aussi, cause de la pro-pension du cinma sidentifier au regard, la conscience. Lecinma a souvent t conscient de cette conscience, et il aparfois tent de lui chapper (cest la fameuse quation deDeleuze : le plan, cest--dire la conscience , qui est faite pourprciser que cette conscience nest pas la ntre mais celle duphilosophe-machine 13). La fascination des avant-gardes muettespour limagerie du rve, et le recours cette imagerie commemtaphore de lenchanement des images de film, dans laplupart des thories spontanes du cinma, en tmoignent.Le rve, certainement, est un autre rapport lobjet, manifeste

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  • une autre espce dintrt qui lui est port (non plus la cons-cience mais linconscient, pour le dire vite). Mais cet intrtnest plus lattention, justement ; dans le rve, ce nest pas monattention qui constitue lobjet en contenu de conscience, maisdes enchanements signifiants qui lui chappent, et constituentlobjet en contenu de manifestation de linconscient. La voie durve ne peut tre, pour le cinma, et na t quune inspirationpotique, une source dimages ou de procdures de montage,une imitation gnrique et un peu vague de certains enchane-ments, une renonciation lattention, mais au profit duneimitation de lattention flottante.

    Approfondir en direction de la chose relve dune autredmarche, qui ne passe pas par le flottement de lattention, maisau contraire par sa concentration, par son puration et par unesorte de renonciation son utilit. Les objets que nous avonsrencontrs jusquici relevaient tous, sans forcer, de lenqutedescriptive et interprtatrice telle qua pu la concevoir Panofskydans son article de 1932. Un regard dlibr les avait choisis,slectionns dans le monde de la ralit, dans le sensible, pristels quils taient ; une conscience applique en avait fait dessignes, cest--dire le tiers symbolique par lequel la fois despersonnages entraient en communication, et nous communi-quaient quelque chose ; ils avaient tous un sens-phnomne, etpresque tous un sens-signification (je laisse de ct le sens-document). Que se passe-t-il pour commencer si, au lieu depromener une attention semblable un projecteur, au lieu deslectionner certaines parmi les apparences, le cinma devientune machine fabriquer de lapparence : si, au lieu de voir, etobissant un mot dordre de lart du vingtime sicle, ilfabrique du visible ?

    Un film a superbement illustr cette problmatique de lafabrique du visible (et du voir) et ferait ici pendant au dbutdu film de Lubitsch : cest le dbut du Macbeth dOrson Welles.Comme Lubitsch commenait son film par lintroduction,ludique mais extrmement rationalise, dun objet qui allaitjouer le rle dobjet littralement transactionnel, de mmeWelles commence son film en fabriquant sous nos yeux un objetqui va, lui aussi, la fois engager le rcit (permettre lhistoire

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  • de commencer) et en donner le commentaire en loccur-rence, un commentaire directement symbolique 14. Lobjet enquestion est la petite statue ou effigie limage de Macbeth, queles trois sorcires modlent sous nos yeux, dans une matire quia la plasticit de la glaise, mais quelles semblent avoir directe-ment tire de leur chaudron malfique 15. Est-ce un objet ? Jenen jurerais pas. Le film suggre que cest un morceau de ma-tire informe et il faut ajouter : magiquement informe ,donc que cest un ftiche, un feitio 16, une chose artificielle quisupporte la production du sortilge. Dans le rendu wellesien decette clbre scne de la tragdie de Shakespeare, les sorciresinsistent sur le pouvoir modelant de la main et conjointementde lesprit (cest leur incantation, si rauque et inarticule soit-elle, qui opre la transmutation, et peut-tre la transsubstantia-tion). La figura quelles crent relve, exemplairement, des deuxsens que nous a transmis le verbe fingo : la figurine, la statuettemodele (o se sentent encore la matire dorigine comme legeste de la main) ; la fiction. Dun fragment de matire, unechose a t fabrique, que le film abandonnera avant mmequelle devienne vraiment objet ; de la chose, cet objet gardera,de toute faon, la proximit la matire, lpaisseur ontolo-gique, lnigmatique qualit de matrialit.

    Voil la mtaphore de cette attention ce qui nest pas lobjet pas encore, pas assez ou trop ; voici maintenant en acte, dansun film dont cest la vise expresse, ce quest lattention un telobjet qui nest pas objet mais que tout le film aboutit maintenir autant quil peut (autant que le peut une image) ltat de chose. Sans doute, mme dans cette version mini-maliste, il y a un objet lu, mis en scne puisquil est cadr,et qui mme ne peut oublier sa force symbolique involontaire.Cet objet en effet est une roue de moulin, avec ses aubes, et ilest difficile dchapper la dynamique symbolique qui sattache,au cinma et avant lui dans la littrature, cet objet. La roue estsymbole du temps qui passe, du destin, de lessence mortelle delhomme ; la roue mcanise, avec ses pales qui scandentvisiblement le temps, est en outre une mtaphore figurative dudispositif du cinma. Cest ainsi, par exemple, qua t lue, parplusieurs interprtes, la roue du moulin de Vampyr. Cest aussi

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  • de cette faon que lon peut lire le mouvement vertical de barreshorizontales, qui produit un effet stroboscopique proche dudfilement, dans Roulement Rouerie Aubage de Rose Lowder.

    En fait, ce quinvente la cinaste Rose Lowder, cest ceci :lobjet est saisi dans sa matrialit mais une matire toutediffrente de la glaise de Macbeth : une matire-lumire 17, unematire faite de grains, de grandes plages sombres, de luisances,bref, une matire optique, mais de cette qualit visuelle qui, elleaussi, dit quelque chose dessentiel sur le cinma : le temps y estdonn directement sous forme lumineuse (une ide qui, jus-tement propos de Vampyr, est celle, centrale, de Jean LouisSchefer). La matire ici ne forme plus un objet, ne cre plusune figura objectale ; la matire est informe, mais sans passerpar le modelage, sans passer par lobjet. En un sens, cest bien lachose : lobjet reprsent lest comme chose filmique, et chose aumoins en ceci quelle ne peut entrer dans un circuit dutili-sation, de mise en scne ou dchange. Elle peut seulementaffirmer son existence, son tre-l ; elle peut tre contemple, etrien dautre.

    Je parlais en commenant dobjet trouv ; il existe dailleursdu cinma trouv (found footage), qui pousse une limite, cellede lalatoire, le refus de choisir lobjet. La chose de Lowder estautre : elle na pas t trouve par hasard, par inadvertance ouabandon au nimporte quoi 18 moderniste. Elle a t vraimentlue. Tout le travail de la cinaste consiste la maintenir, durantle film, dans cet tat dlection, de choix permanent (doncforcment dattention permanente, mme si cette attention estdespce particulire). Lowder a dcrit son objet, mais un stadedu descriptif o gnralement la reprsentation (surtout cettereprsentation minemment socialise quest le cinma) nesarrte pas : le stade du priconographique, et mme du prico-nique, ce stade o lblouissement de la vision, o lillusionmme sont cultivs. Limage, coup sr, en reste interprtable :daucuns y ont peru, qui des chos de limagerie mdicale, quiune figuration des phosphnes.

    Mais il y a dans ce film le dsir de ne pas voir lobjet mieuxquune vue affaiblie, attnue, empche ou commenante nesaurait le faire, le dsir de ne voir que ce quon voit avant de voir

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  • des objets, avant de bien distinguer, au moment mme o lavision se forme, o sesquisse lintrt venir pour lobjet quelon va par l dlimiter. Je rappelais plus haut lquation fr-quente entre le cinma et un art de la vue, du phnomne : il estdonc temps dajouter que cela, bien sr, nen fait pas un art phnomnologique , si lon entend par l le rfrer lentre-prise philosophique de Husserl ou de Merleau-Ponty. Aucontraire, seuls des films comme celui de Rose Lowder (ven-tuellement, selon de tout autres modalits) peuvent voquerquelque chose de ce stade prrflexif, ant-prdicatif de laperception, o la phnomnologie voit le fondement mme ducogito. La succession et la dure prolonge des prises, dans cefilm, serait en somme une des images possibles, en cinma, delacte mental de la variation, par lequel Husserl, au dbut de sonentreprise, dfinit les caractres ncessaires dfinir lessence(leidos) de chaque objet sensible : je peux, ou je ne peux pas,dans cet examen mental, supprimer tel trait de lobjet et ceuxqui ne peuvent disparatre sans que lobjet disparaisse avec eux,constituent son essence. De mme ce film : que puis-jesupprimer, que ne puis-je pas supprimer ? (Du mouvement derotation qui semble consubstantiel une rouerie, il dmontrepar exemple quil suffit de garder la scansion rgulire.) Laqualit sensible est habite par une signification prgnante, quinous est donne dans lacte perceptif : voil ce que thorique-ment et pratiquement nous dit Roulement Rouerie Aubage ; voilcomment le cinma se propose dapprofondir ses reprsentationset notre perception en direction de la chose ( en direction ,seulement : la chose, le prperceptible, est jamais inaccessibleaux reprsentations, qui la font disparatre derrire ses appa-rences 19).

    Thoriser, contemplerAu terme de ce parcours succinct, on a retrouv certains

    partages accoutums, commencer par le vieux clivage ducinma entre son tat dramatis et des tats contemplatifs ouexpressionnistes. Lun des apports majeurs, moins stylistique quethorique, de Jean-Luc Godard aura t de rintroduire dans lecinma dramatis le moment de la contemplation, et je ne

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  • pense pas tant ici la vertigineuse, affolante et dsesprantescne des cartes postales dans Les Carabiniers (plus rien voirdans cette accumulation dobjets, lencyclopdisme draille,devient fou) qu de pures visions comme le ver de terre deWeek-end ou la tasse de caf de Deux ou trois choses que je saisdelle. Gros plan lun et lautre, mais dans ce dernier, se disait aufond dj, en rsum, ce dont Lowder donne la versionextensive dans son film : regarder un objet comme sil tait unechose, cest y dcouvrir un monde, parce que la sensation, si oncesse de la rapporter un imaginaire pourvu de coordonnescartsiennes, peut aussi ouvrir sur une topologie dautre nature,o lexpressivit est fleur de surface.

    Lobjet sidentifie, il circule et communique, il signifie, il estle masque humanis, appropri nos usages, converti en signes,de cette entit plus radicale et plus opaque, la chose (y comprisla chose animale) laquelle ne peut que consister. Ds quilsarrte, ds quil met un frein la circulation, le cinma donneau voir une valeur indite, tout autre que celle traditionnellede la perfection picturale 20. Toute apparence suppose unesubstance : en un sens, le cinma est la prise au srieux, logiqueet jusquau bout, de cette philosophie populaire. Comme laobserv Jean Louis Schefer (1997, p. 13) :

    Le cinma na pas invent le mouvement dans limage.Il a appauvri et comme vid les images de leur premiresubstance symbolique, parce que ce que nous croyonstre le mouvement a t lintroduction dun souponde temps dans les images et cela selon un scnarioimmuable. Le hros du monde y a commenc parengager une lutte de vitesse avec la friabilit etlinstabilit du monde des images de choses. Or ceconflit pass inaperu dans le scnario navait jamaisexist comme tel ; jamais lopposition dramatique dutemps mangeant ou vieillissant les hommes et leschoses vue dil, rduisant lunivers en poussiresdatomes, cela navait jamais t une image, tout justeune conscience potique ou morale 21.

    Paradoxalement, cest peut-tre alors dans ces tats liminauxque le philosophe mcanique rv par Epstein et ractualis par

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  • Godard arrive le mieux atteindre un pouvoir de description,ou au moins de dsignation, de ce qui intresse la sensation.

    Si on se limite dcrire la ralit, on ne rencontreaucun obstacle. Mais le problme nest pas de dcrire laralit, le problme consiste bien plus reprer en ellece qui a du sens pour nous, ce qui est surprenant danslensemble des faits. Si les faits ne nous surprennentpas, ils napporteront aucun lment nouveau pour lacomprhension de lunivers : autant donc les ignorer(Thom 1983, p. 130) !

    Sans ambitionner daller jusqu la comprhension de lunivers,allons, avec le cinma, jusqu cette surprise, toujours renou-vele, toujours intressante.

    Universit de Paris III et EHESS

    NOTES1. lorigine de ce texte, il y a une confrence prononce en janvier 1998,

    linvitation de Christophe Carraud, lInstitut des arts visuels (Orlans).2. Lettre Carl-Gustav Carus, 25 fvrier 1839, cite dans Recht 1989 (p. 10).3. Sa maldiction et sa force, comme lont su tous les cinastes qua exalts la

    surhumanit de lil de la camra, de Vertov et Epstein jusqu Bresson louant son indiffrence scrupuleuse .4. Cours de 1935-1936 consacr Kant, publi en 1962 sous le titre Quest-ce

    quune chose ? (Heidegger 1971, p. 27).5. Soixante-dix ans aprs linvention de la thorie quantique, celle-ci reste tout

    aussi rtive limagerie intrieure. Alain Aspect auteur contemporain duneexprience cruciale de vrification de cette thorie avoue lui-mme : Quand jetravaille sur une exprience, je me fais une reprsentation intuitive des particules queje manie. Je me les imagine, suivant les besoins, sous forme ondulatoire ou sous formeparticulaire. Par pure commodit (cit dans Le Monde, 7 novembre 1998, p. 17).6. Au sens o lentendit Gilles Deleuze dans sa confrence la FEMIS de 1988.7. En 1998, en parallle avec lexposition Visions capitales, le Louvre a programm

    plusieurs films consacrs aux ttes coupes, depuis Toby Dammitt de Fellini jusquauxHeads de Peter Gidal.8. Cf. les souvenirs de son frre Michal Kaufman, dans Vertova-Svilova 1976

    (p. 72). Noter que Vertov a invent lide du film comme cin-chose (Sadoultraduit, tort selon moi, cin-objet).9. Les lois de la perspective cinmatographique sont telles quun cafard film en

    gros plan parat sur lcran cent fois plus redoutable quune centaine dlphants prisen plan densemble (Eisenstein 1974, p. 112).10. Cf. Lger 1960, qui dveloppe les mmes ides que chez Epstein, sur lesoulignement de la chose par le gros plan.

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  • 11. Dans son livre sur la peinture primitive nerlandaise, Early NetherlandishPainting.12. Voir Panofsky 1974.13. Le plan est comme le mouvement qui ne cesse dassurer la conversion, lacirculation. Il divise et subdivise la dure daprs les objets qui composent lensemble,il runit les objets et les ensembles en une seule et mme dure. [] Et tant donnque cest une conscience qui opre ces divisions et ces runions, on dira du plan quilagit comme une conscience. Mais la seule conscience cinmatographique, ce nest pasnous, le spectateur, ni le hros, cest la camra, tantt humaine, tantt inhumaine ousurhumaine. [] Le plan, cest--dire la conscience, trace un mouvement qui fait queles choses entre lesquelles il stablit ne cessent de se runir en un tout, et le tout, de sediviser entre les choses (Deleuze 1983, p. 34).14. Dans la version impose lpoque par la firme Republic, qui produisit le film,ce prologue est dailleurs muni littralement dun commentaire, dit en voix off, et quiexplicite de manire assez lourde le sens de cette sorcellerie.15. Georges Didi-Huberman ma fait observer ltranget du film de Welles, qui faitsortir une statuette de glaise dun chaudron, alors que classiquement (et aussi, selon levraisemblable), dun chaudron ne peut sortir quune matire fusible cire ou plomb,lesquels ont lun et lautre leur histoire dans les sortilges et dans la figuration.16. Mot portugais qui est ltymon du mot ftiche, et remonte lui-mme au latinfactitius. Feitio veut dire, comme adjectif, artificiel, comme substantif, sortilge.17. Lisant ce texte, Rose Lowder commente ainsi cette expression : Dans lamatire-lumire de Roulement Rouerie Aubage, il y a le rle de lesprit contestataire,lorsque les images intentionnellement voiles deviennent des lments fonctionnels dela part dun auteur qui a vcu durant une dcennie lobligation de les bannir, au nomde lacceptabilit des phrases visuelles ; puis, dans la matire faite de grains, lespritexprimentateur intervient pour filmer systmatiquement avec diverses pellicules. Rouerie, par exemple (toujours selon les indications de la cinaste) a t film avec despellicules de 80 et 250 ASA (avec une ouverture de f/1,5), et de 500 ASA ( f/4), cettedernire tant une pellicule pour la nuit, ici utilise en plein soleil ; de mme, Aubageest tourn avec une pellicule couleur de 64 ASA ( f/1,5, alors quil est prescrit delutiliser entre f/5,6 et 11).18. Je reprends lexpression de Thierry De Duve, dans Au nom de lart.19. Et par ailleurs il est bien vident que je ne prtends pas, par cette remarquesommaire, rendre justice tout de ce film, qui ne possde pas seulement une grandeforce thorique, mais une vidente, et immdiatement active, puissance plastique(laquelle le rend recevable mme par des publics gnralement rticents devant lecinma abstrait ou exprimental , notamment).20. Il faut voir comme tous les plis de tous les vtements de cette figure et desautres sont vrais. La formule est un lieu commun de la description classique etimplique que la mimsis a atteint un degr de perfection dont le discours ne sauraitrendre compte : il faut voir (Arasse 1996, p. 269).21. Jai pratiqu quelques coupes dans le texte sans les signaler dans lintrt dunelecture suivie.

    RFRENCES BIBLIOGRAPHIQUESArasse 1996 : Daniel Arasse, Le Dtail, Paris, Flammarion, 1996.Deleuze 1983 : Gilles Deleuze, LImage-mouvement, Paris, Minuit, 1983.

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  • Eisenstein 1974 : Sergue Eisenstein, En gros plan [1940], dans Au-del des toiles,UGE, 1974.Epstein 1975 : Jean Epstein, Lintelligence dune machine , dans crits, vol. 1, Paris,Seghers, 1975.Heidegger 1971 : Martin Heidegger, Quest-ce quune chose ?, Paris, Gallimard, 1971.Lger 1960 : Fernand Lger, A New Realism The Object [1926], dans LewisJacobs, Introduction to the Art of the Movies, New York, Noonday Press, 1960, p. 96-98.Merleau-Ponty 1945 : Maurice Merleau-Ponty, Phnomnologie de la perception, Paris,Gallimard, 1945.Panofsky 1974 : Erwin Panofsky, Sur le problme de la description et de linterpr-tation duvres des arts plastiques [1932], dans La Perspective comme formesymbolique, Paris, Minuit, 1974.Recht 1989 : Roland Recht, La Lettre de Humboldt, Paris, Christian Bourgois, 1989.Schefer 1997 : Jean Louis Schefer, Du monde et du mouvement des images, Paris,Cahiers du cinma, 1997.Tarkovski 1989 : Andre Tarkovski, Le Temps scell, Paris, ditions de ltoile/Cahiersdu cinma, 1989.Thom 1983 : Ren Thom, Paraboles et catastrophes, Paris, Flammarion, 1983.Vertova-Svilova 1976 : E. Vertova-Svilova (dir.), Dziga Vertov v vospominaniakhsovrminnikov [Dziga Vertov dans les souvenirs de ses contemporains], Moscou,Iskousstvo, 1976.

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