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« En vérité, s’il est du mal en ce monde, il réside dans le cœur de l’homme. » Anonyme. Aujourd’hui il ne reste plus rien, mais désormais je connais la vérité. Non je n’avais pas la prétention de tout connaître, loin de là même, mais disons simplement que j’ai fait des erreurs et que maintenant, à l’heure où j’ignore même ce qu’il adviendra de tout cela après mon départ, je ne me fais plus de soucis, enfin. Certes ma vie ne fut pas de tout repos et j’avoue que parfois j’ai été tenté de tout arrêter, et ç’aurait été si facile… Mais ce n’aurait été que confier à un autre la tâche qui m’était désignée aux fondements même de mon existence sur Terre. Une tache lourde, un poids immense, bien au-delà de ce que vous pouvez concevoir. J’ai dû braver les regards, dépasser mes limites, faire voler en éclats les barrières de ma condition première, m’élever au plus près de l’ultime frontière. Le chemin a été long, et grandes furent mes souffrances, mais aussi mes joies…J’ai usé mes pieds à la vie, bien plus que n’importe lequel des garçons de mon âge, trop, peut-être… Je ne regrette rien, je ne dois pas, tout ça en valait la peine, je m'efforce de le croire. Mais pour le comprendre il vous faut revenir à cette base même de mon existence, cette nuit pluvieuse sur ma ville natale le premier octobre 1988… Voici mon histoire. Des jours et des jours que la pluie tombait sans discontinuer, drue, épaisse. De mémoire de météorologue nous n'avions pas connu telles précipitations depuis des années. Si j'étais cynique je vous dirais que c'était comme si la Nature elle-même pleurait ma venue au monde, car cette nuit-là tombaient des cordes, ce genre de nuit où pas un chat ne réussit à échapper au déluge. Dès les premières contractions, ma mère se précipita au petit hôpital de notre ville. Son nom ne vous dirait sans doute rien, elle était une cité comme on en trouvait beaucoup à l'époque. Si vaste en apparence mais dans laquelle on se sentait si serrés... Mon père était encore là ce jour ci et c’est aux environs de minuit, pleurant à chaudes larmes comme s'il ne tombait pas assez d'eau que je découvris le monde pour la toute première fois sous le prénom de Luther. Ma mère aimait à dire que c’était le prénom de l’un de mes de mes ancêtres, un guerrier qu'on disait valeureux, d’une tribu barbare du nord. Elle ne sut jamais m'en dire plus, et à vrai dire je ne sais même pas si je l’ai cru le jour où elle me l’a dit. Ce que je sais en revanche, c’est qu’il a probablement fait de moi ce que je suis aujourd’hui. On dit parfois que le nom influence la destinée, qu'il trace au porteur une voie hantée de la vie de ses illustres homonymes. Croyez-moi, s’il ne fait pas toute notre vie, il a dessus un impact que moi-même n’aurait pas imaginé. Quoi qu’il en soit le bonheur planait

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« En vérité, s’il est du mal en ce monde, il réside dans le cœur de l’homme. »

Anonyme.

Aujourd’hui il ne reste plus rien, mais désormais je connais la vérité. Non je n’avais pas la

prétention de tout connaître, loin de là même, mais disons simplement que j’ai fait des

erreurs et que maintenant, à l’heure où j’ignore même ce qu’il adviendra de tout cela après

mon départ, je ne me fais plus de soucis, enfin. Certes ma vie ne fut pas de tout repos et

j’avoue que parfois j’ai été tenté de tout arrêter, et ç’aurait été si facile… Mais ce n’aurait été

que confier à un autre la tâche qui m’était désignée aux fondements même de mon existence

sur Terre. Une tache lourde, un poids immense, bien au-delà de ce que vous pouvez

concevoir. J’ai dû braver les regards, dépasser mes limites, faire voler en éclats les barrières

de ma condition première, m’élever au plus près de l’ultime frontière. Le chemin a été long,

et grandes furent mes souffrances, mais aussi mes joies…J’ai usé mes pieds à la vie, bien

plus que n’importe lequel des garçons de mon âge, trop, peut-être… Je ne regrette rien, je ne

dois pas, tout ça en valait la peine, je m'efforce de le croire. Mais pour le comprendre il vous

faut revenir à cette base même de mon existence, cette nuit pluvieuse sur ma ville natale le

premier octobre 1988… Voici mon histoire.

Des jours et des jours que la pluie tombait sans discontinuer, drue, épaisse. De

mémoire de météorologue nous n'avions pas connu telles précipitations depuis des années.

Si j'étais cynique je vous dirais que c'était comme si la Nature elle-même pleurait ma venue

au monde, car cette nuit-là tombaient des cordes, ce genre de nuit où pas un chat ne réussit à

échapper au déluge. Dès les premières contractions, ma mère se précipita au petit hôpital de

notre ville. Son nom ne vous dirait sans doute rien, elle était une cité comme on en trouvait

beaucoup à l'époque. Si vaste en apparence mais dans laquelle on se sentait si serrés... Mon

père était encore là ce jour ci et c’est aux environs de minuit, pleurant à chaudes larmes

comme s'il ne tombait pas assez d'eau que je découvris le monde pour la toute première fois

sous le prénom de Luther. Ma mère aimait à dire que c’était le prénom de l’un de mes de

mes ancêtres, un guerrier qu'on disait valeureux, d’une tribu barbare du nord. Elle ne sut

jamais m'en dire plus, et à vrai dire je ne sais même pas si je l’ai cru le jour où elle me l’a

dit. Ce que je sais en revanche, c’est qu’il a probablement fait de moi ce que je suis

aujourd’hui. On dit parfois que le nom influence la destinée, qu'il trace au porteur une voie

hantée de la vie de ses illustres homonymes. Croyez-moi, s’il ne fait pas toute notre vie, il a

dessus un impact que moi-même n’aurait pas imaginé. Quoi qu’il en soit le bonheur planait

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au-dessus de ma tête cette nuit-là, malgré les orages et la violence du ciel. Mais il fut hélas

de bien courte durée, et bien vite s'abattit sur moi la réalité d'une vie plus sombre et plus

amère que ne l'aurait pu jamais être les cieux. Ce n’est que peu de temps après mon premier

anniversaire que mon père sombra dans la démence et devint violent.

A cet âge-là certes je ne pouvais rien faire mais j’assistais impuissant, jour après jour, aux

menaces et coups répétés que portait cet homme, qui devait être pour moi un modèle plus

tard, à l’encontre de ma mère. Mais cela n'avait duré que le temps qu'une main extérieure ne

s'en rende compte, et que je sois placé dans un foyer du jour au lendemain, ne sachant pas si

je reverrais le peu de famille qui était la mienne. Je ne garde pas vraiment de souvenirs de la

période que j'y ai passé, tout ce que je sais c'est que les années filèrent entre mes petites

mains dans la tristesse et le chagrin comme la poussière noir du charbon file entre les doigts.

Ma lumière n'était revenue que le jour où j'avais pu retourner avec ma mère, un jour qui

avait sonné le départ d'une nouvelle vie. Ce jour-là une grande femme était venue me

chercher dans le dortoir et m'avait pris par la main. Je me souviens encore du couloir sale et

sentant le moisi qui menait à la petite pièce où elle se trouvait, ou plutôt ils. Elle était là, et si

je n'avais pas explosé de rire et de pleurs en voyant son sourire, j'aurais remarqué qu'elle

commençait à ressembler à ces vieilles dames qui s'occupaient de moi, elle qui était si

jeune...Dans ma précipitation à la rejoindre, je n'avais pas vu ou je mettais les pieds, et le

couinement qui explosa dans la pièce finit de sonner l'avènement de ce grand jour. Je m'étais

pris les pieds dans une petite chose poilue, qui s'était ensuite cachée sous le bureau, la queue

basse. Je me souviendrais toujours de ces mots que ma mère prononça, la voix partagée

entre rires et sanglots.

"Mon poussin, Je crois que tu as marché sur ton nouveau copain"

C'est alors que je m'étais baissé pour l'apercevoir sous le lourd bureau, cette tout petite chose

avec un air perdu. Je venais de faire la connaissance de Conrad, celui qui fut mon petit bout

de chien. J'avais trouvé ce nom dans un livre je crois, un de ceux qu'on nous laissait

feuilleter au foyer. On nous lisait des livres parfois la bas, dans une sorte de classe tenue par

une dame dont je garde une image sévère, Madame Rémy je crois. Conrad était le héros d'un

des livres dont les images me plaisaient le plus, un livre sur les chevaliers.

Les années qui suivirent auraient pu être les plus belles de ma vie si elles n’avaient pas été

gâchées par l’ombre de ce père dont le souvenir s'estompait peu à peu, au profit de mon

nouveau bonheur, mais qui demeurait présent. Ma mère n'osait pas me le dire, mais il nous

poursuivait sans cesse, mois après mois, procédures après procédures, dans l’espoir de me

récupérer. J'ai donc grandit dans ce climat étrange, à l'image de ces jours ou les oiseaux

chantent dans la joie mais timidement, parce qu'ils sentent l'orage arriver au loin. Et enfin,

un jour je suis entré à l’école pour de vrai.

Je me souviens que ce jour de septembre j'étais un peu perdu, toute cette agitation

m'électrisait mais me faisait peur en même temps. Chaque adulte tenait par la main un petit

garçon ou une petite fille, qui n'avait pas l'air plus rassuré que moi. L'organisation était hors

de ma compréhension, et chacun voguait d'un coin à l'autre de la cour dans l'espoir de

trouver un nom sur une feuille, celui de la classe ou leur enfant allait se trouver. Ça je ne l'ai

compris que bien plus tard, car à ce moment-là je nageais dans un torrent de cartables neufs,

de manteaux de toutes les couleurs sentant encore comme au magasin et de senteurs d'eau de

Cologne jetée à la va vite par un père en retard pour la rentrée de son enfant. Mais c'est dans

ce maelström, cette tempête scolaire que j'ai fait la connaissance de mon tout premier ami,

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Martin.

Dans mon souvenir il avait le genre de regard qui te mettait tout de suite à l'aise, bien qu'un

peu paumé, et puis des taches de rousseur sur le nez. Mais surtout il avait toujours le chic

pour trouver la petite astuce marrante pour retenir les leçons, ce qui faisait de lui non

seulement un excellent ami, mais un élève sacrément intelligent. Je me demande ce qu’il est

devenu, peut-être s'est il lancé dans des études pour reprendre le cabinet de médecin de son

père… Qui sait ? En ce temps-là il n’arrêtait pas de me répéter qu’il voulait aider les gens

en étant pompier ou quelque chose comme ça. Nous étions les meilleurs amis du monde,

comme les deux doigts de la main…Jusqu'à ce qu’il déménage avec sa famille, et dès lors je

n'ai plus eu de nouvelles de lui. Puis à mon tour en cours d’année j’ai déménagé, pas très

loin de mon ancien chez moi, un petit appartement au treize rue de Midgar dans la même

ville, mais j’avais changé d’école. De toutes façons je ne pense pas que qu’il ait survécu à

tout ça…

Dans ce nouvel appartement je vivais seul avec ma mère et mon petit bout de chien, comme

cela avait toujours été, et devait être pour toujours...Oh bien sur ce n'était pas le grand luxe,

par ici le papier peint se décollait, de celui-ci il avait noircit, mais je m'y sentais bien. Ma

chambre donnait sur une petite cour, un petit coin de verdure perdu dans la ville, et aussi

naturel que puissent être un gazon et quatre arbres parmi lesquels débouchent les aérations

du parking souterrain, cela me faisait du bien de regarder par la fenêtre, j'avais l'impression

de respirer. Cela ne faisait pas de mon chez moi un palace c'est vrai, mais j'y aurais vécu

éternellement si j'avais pu, même si je n'y faisais venir aucun camarade... Conrad venait

souvent me tenir compagnie quand je faisais mes devoirs, et cela me suffisait bien. Mais à

mon grand regret il était mon seul et unique ami. J’adorais ma mère et aujourd’hui encore je

l’admire et la respecte, elle qui n'a jamais eu une vie simple comme pouvait l'être la mienne

à ce moment, depuis le début jusqu'à la fin. Dès le début elle fut confrontée à la tristesse et

au découragement. Adoptée alors qu'elle était encore une jeune enfant, elle n’a jamais connu

ses véritables parents. Son père adoptif était un homme bien, mais rongé par les dettes de jeu

il avait sombré peu à peu dans l’alcoolisme, entraînant avec lui une famille qui en soufra

énormément. Sa mère ne supporta pas la situation, et mourra d'un accident de voiture alors

qu'elle conduisait sous l'emprise de médicaments, laissant sa place quelques années plus tard

à une femme sévère et injuste qui n'eut d'yeux que pour l'argent.

C’est dur lorsque les gens que l’on aime ne sont plus là pour vous soutenir dans le besoin, et

ce fut encore plus vrai lorsque son père - celui qui devait être mon grand-père - se suicida

de chagrin avec une arme à feu. Elle se retrouva alors confrontée à ce substitut de mère qui

ne lui avait jamais témoigné la moindre affection dans sa jeunesse, et c’est ainsi qu’à tout

juste dix-huit ans elle se retrouva mise à la porte. Mais elle parvint tout de même à relever la

tête, trouva un travail et un petit studio lugubre dans la banlieue de la ville. Ce n’était pas du

courage, car même le plus courageux des hommes aurait abandonné et se serait laissé

dériver, mais elle, elle n’a jamais baissé les bras. Et c’est dans cette période-là qu’elle fit la

connaissance de celui qui allait être plus tard mon père.

La suite vous la connaissez, je naquis et elle, elle alla de désillusion en déception avec cet

homme qui s’avéra n’être que l’un de ces hommes de la pire espèce, instable et violent. Et

moi dans tout cela ? Eh bien je la suivais et lui faisais confiance car elle demeurait, malgré

les épreuves et les coups durs, la gardienne de ma vie. Une vie qui ne tourna pas tout à fait

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comme j'aurais pu le souhaiter dans ma candeur enfantine.

Je n’ai jamais compris pourquoi je n’attirais personne, je ne sais pas. Avec le temps j'ai

souvent entendu les gens dire que les enfants étaient cruels, c'est sûrement vrai. Ils le sont à

leur mesure, ils n'ont que faire de ce qui peut blesser ou déplaire, ne le comprennent pas...

Peut-être ai-je été rejeté à cause de mon physique ? C'est un classique en la matière, on

pointe toujours du doigt le gros, la petite au nez bizarre, on dédaigne ce qui ne trouve pas

grâce à nos yeux. Mais pour moi je ne pense pas que c'était ça…Je n’étais pas bien différent

des autres, du moins je crois. En tout cas à mon entrée au collège je ne l’étais pas. J'étais de

ces enfants qui craignent ce passage, car il vous fait passer du statut de roi de l'école

primaire à celui du nouveau venu, de valet au collège. Tout à coup l'on se sent petit, stupide,

perdu, et les rois en place ne se privent pas de le rappeler.

C’est peut-être justement le collège qui a fait de moi ce que j’étais encore avant mon

voyage. Pendant ces années-là j’ai côtoyé jour après jour ce qu’il y avait peut-être de pire au

monde en matière de cruauté infantile. Bien sûr je n’étais pas le seul à subir au quotidien les

blagues horribles des troisièmes, fausses informations, vol d'affaires, provocations pour nous

pousser à nous battre, rumeurs et humiliations gratuites... J'ai commencé à me sentir de plus

en plus différent d'eux ; Non pas physiquement mais mentalement, je croyais dans ma

naïveté ressentir déjà toute la souffrance de ces milliers de gens que l’on persécute à cause

de leur différence. Évidemment ce n’était pas comparable à toutes ces violences ouvertement

racistes que l’on voyait chaque jour un peu plus s’accumuler à la télévision, mais n’est-ce

pas dans l’enfance que l’on voit se forger au fil des ans les pires mentalités, les pires

comportements que l'on retrouve ensuite? Moi je le crois, et j’en avais la confirmation

chaque fois que je franchissais le portail de mon collège. Chaque jour apportait son lot de

dangers, lorsqu'il ne s'agissait du spectacle de camarades le subissant...J'ai dû me battre

quelques fois, apprendre à courber le dos à certains moments, à donner de la voix dans

d'autres. J'ai appris à me protéger, à passer inaperçu aux yeux des puissants, sans faire de

vagues. En cours je n'étais ni bon ni mauvais, j'ai appris à mesurer mes paroles et à observer.

Pourtant la rivière s'est frayée un chemin dans les sous-bois et un jour je suis passé de

dominé à dominant, enfin c’est ce que je croyais. Je pensais que le fait de faire partie de ce

qu’il y avait de plus puissant dans cette micro-société, les troisièmes, m’offrirait l’accès à

quelques libertés que je pourrais imposer, et peut être donner l'exemple. Mais dans cette

réplique quasi-parfaite de notre monde de tous les jours, où l’on applique la loi du plus fort,

celui qui n’impose pas sa domination et choisit d'emprunter une voie différente de celle des

autres est jugé durement, comme un phénomène de foire.

Ainsi j’avais jugé bon de me laisser pousser les cheveux, attirant de cette manière l'attention

sur moi et ma façon d'être "spéciale", me faisant devenir à leurs yeux un être à part, un

"garçon bizarre", une sorte d'ermite. Certes c’est un peu fort mais croyez-moi l’humanité

avait atteint de telles bassesses à ses fondements même, à tel point que je commençais à me

demander si le monde entier était ainsi.

En plus de cela ma vie commençait à s’écrouler sous mes pieds au moment même où elle

devait être la plus solide. Je voyais chaque jour un peu plus ma mère sombrer dans la

dépression à mesure que je voyais défiler les problèmes d’argent. L’argent, l’argent …au

fond qu’est-ce que c’était ? Au départ un simple objet universel de troc, il était passé au

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stade de dieu absolu à cette époque. Car dans cette société ou régnait en maître le dieu

dollar, les jeunes, comme tout le monde d’ailleurs, ne juraient que par ces bouts de papiers et

de métal…Shopping, sorties, pas un seul jour ne se passait en ville sans qu'ils n'aient besoin

d'argent, toujours plus. Et pourquoi ? Je me le demande… Le cours de la simplicité et de la

gentillesse semblait s'être écroulé avec la bourse de la raison…

Vous pouvez aisément imaginer…Je n’étais pas pauvre, seulement j’avais juste de quoi

manger dans mon assiette, alors les sorties…Je me trouvais au quotidien des excuses pour ne

pas avoir à montrer aux autres l'état de ma condition…Mais le plus dur était certainement

pour ma mère, qui se privait de manger parfois pour que moi je puisse vivre

convenablement… Non je n’aimais pas ça, mais il fallait pourtant que je finisse mes études

pour m’assurer un avenir. Elle se faisait du mal pour mon bien, pour que j'ai de quoi étudier,

de quoi m'habiller, et je ne pouvais rien y faire sinon la soutenir. Pendant ce temps les

administrations nous convoquaient régulièrement à cause de mon père, et les frais de justice

consumaient à petit feu notre vie, cela a continué comme cela jusqu’au lycée.

Lorsque je suis arrivé pour la première fois dans mon lycée je me suis senti tout de suite à

l’aise, non pas parce que j'entrais dans la dernière ligne droite menant à la sortie, mais parce

que je me sentais comme les autres, c’est à dire différent. C’est difficile à expliquer…disons

que sortant d’un univers de formatage ou la première erreur est considérée comme telle, je

débarquais dans un monde ou la différence était le luxe de chacun. Je vivais dans mon

monde privé, ne prêtant que peu d’importance aux gens qui m’entouraient, vivant ma propre

existence anonyme et paisible, là où l'on ne viendrait pas s'accrocher à moi. C’était ma façon

d’être, à savoir réservé et en quelque sorte associable. Je ne détestais pas les autres, loin de

là, je partageais volontiers les éclats de rire collectifs, je suivais le mouvement et je me

faisais force d'aider avec le sourire lorsque l'on me le demandait. Il m'arrivait parfois de

montrer les faces les plus plaisantes de ma personnalité mais je ne nouais pas de liens, pour

ne pas souffrir. Mais bien vite mon anonymat s’estompa, et ma retraite prit fin en me

replongeant dans les pires réminiscences de mon passé. Je ne sais pas comment, je ne sais

pas qui, je ne sais pas pourquoi, mais l’on me prêta des « tendances » et j'ai commencé à être

mal vu.

Je suppose qu'il était normal qu'on se pose des questions sur moi de cette manière, mais j'ai

commencé à mal vivre le fait qu'elles atteignent de tels sommets. A quoi cela pouvait-il bien

leur servir de savoir ce que je faisais de mon temps libre, ce que j'aimais ou détestais? Rien

de tout cela ne les concernait, en plus du fait que c'était absurde ! Et blessant... Bien vite aux

yeux de tous je suis devenu un drogué, malade, aux tendances bizarres et peu

recommandables. J'ai commencé à haïr le lycée, comme j'avais pu haïr certaines personnes

au collège, et par la force des choses je me suis renfermé sur moi-même, allant même

jusqu'à quitter la ville lorsque c’en était trop.

Avec mes petits moyens, je prenais le bus qui me menait le plus loin possible, et à partir de

là je marchais. J’aimais me réfugier sur un petit pic rocheux à l’Est de la ville, auquel on

accédait en escaladant et d'où l'on dominait toute la vallée. De là, rien ne m'échappait, je

voyais les nouveaux immeubles en construction, je voyais les endroits où il y avait la fête,

des rassemblements, je voyais les grandes avenues bondées aux heures de pointe. Je voyais

les oiseaux qui venait de derrière moi, planant doucement, ils survolaient la vallée sans se

soucier de cours ou de devoirs, eux, peut-être était-il là le bonheur, là-haut parmi les

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nuages... Je voyais toute ma cité ou presque, mais en étant comme déconnecté, loin de son

stress, de son bruit et de ses habitants qui me faisaient du mal. C’était un endroit

merveilleux, ou je contemplais le soleil mourir derrière l’horizon…J’oubliais alors tous mes

malheurs, si on peut les appeler ainsi… Car c’était ma vie, simplement ma vie.

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Ce jour-là je devais aller en cours de maths, j’étais en première, et au programme

nous avions des statistiques et d'autres choses du genre qui franchement ne m'intéressaient

pas trop. Mais je n'avais pas le choix, un peu comme tout le monde d'ailleurs. Alors pour ne

pas changer mes habitudes je serrais les dents et attendais la sonnerie en tâchant d'écrire

clairement mon cours pour ne pas avoir à me fatiguer à le déchiffrer plus tard, si je décidais

de le relire un jour...

C'était le genre de journée qui passait lentement, trop lentement, je griffonnais sur mes pages

de cours des dessins que j'effaçais ensuite, pour que personne ne les remarque. Les cours

s'enchaînaient comme d'habitude, et la seul surprise que l'on pouvait avoir était un contrôle,

et plus rarement un exercice d'incendie. Le reste du temps je m'ennuyais, tout seul à mon

bureau vers le fond de la classe. Je n'étais pas le plus au fond, les places étaient réservées à

ceux qui faisaient quelque chose de constructif de leur temps de cours, téléphoner

discrètement, rattraper les devoirs du cours suivant en retard, dormir... Mais j'étais loin d'être

devant, trop près du tableau et mon dos aux yeux de tous. Je me serais bien vu dormir moi

aussi, mais j'aurais eu trop mauvaise conscience, et malgré le fait que j'étais un élève moyen

mes professeurs ne me remarquaient pas, peut-être justement parce qu'en dépit de mon

niveau je ne faisais pas n'importe quoi. Cette fois-là je regardais passer les voitures dans la

rue, et au fond c’était peut-être mieux que les maths, ses formules, ses tableaux qui n'en

finissaient pas…Enfin bref je regardais les voitures quand quelque chose avait attiré mon

attention. Il s’agissait d’un homme, assit dans une grosse Mercedes brillante, qui klaxonnait

furieusement après une vieille dame qui traversait à petit pas le passage piéton. L'homme

dans la belle voiture noire était hors de lui, et l'on pouvait presque l'entendre rager, pourtant

il ne faisait rien pour débloquer la situation sinon frapper violemment sur son volant.

Lorsqu'enfin il avait pu passer, il avait baissé sa vitre pour dire quelque chose, avant de

partir en trombe.

Je me souviens que ce jour-là sur le chemin pour rentrer chez moi je me suis demandé

comment cet homme avait-il pu arriver à un tel degré de colère pour une chose aussi stupide.

Après tout il aurait pu aider, je ne sais pas...Mais il n'en avait rien fait et avait préféré

l'insulter. C'était le genre de choses que l'on pouvait voir de plus en plus dans ma ville, ce

genre d'incivilité, je commençais même à penser que peut-être les gens se détestaient de

nature. Ce que j'ai pu voir ensuite à la télévision n'avait rien arrangé à ma manière de voir les

choses. Le journal télévisé du soir parlait d'une histoire sordide, de celles aussi surprenantes

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qu'effrayantes : il s’agissait de l'arrestation d’un homme qui massacrait des personnes âgées

esseulées pour le compte d’une entreprise de pompes funèbres. Il les trouvait grâce à un jeu

concours et se présentait ensuite à leur porte en prétendant être un vendeur, je vous passe les

détails de la suite. Je crois que c’est ce jour-là que j’ai compris à quel point la race humaine

était prête à tout pour atteindre les buts qu'elle se fixait, des buts souvent égoïstes et qui

passait par des choses horribles.

Quant à moi, outre mon exclusion par les autres je ne me suis jamais considéré comme

normal, je ne sais pas. Je ne me suis pour ainsi dire jamais senti à ma place au milieu des

autres personnes de mon âge, ou d’un autre d’ailleurs. L’année s’écoulait donc trop

lentement à mon goût et chaque jour apportait son lot d'ennui, il arrivait parfois que l’on

s’intéresse à moi, mais ce n’était jamais pour autre chose que pour me demander un stylo ou

l’heure dans les moments de lassitude. Dans ces cas-là je souriais comme je pouvais, en

tachant d'être aimable, mais ça n'a jamais servi à grand-chose...

Je n’avais jamais aimé les études, c’est vrai, maintenant que j’y pense je me rends compte

que toutes ces années passées sur ces chaises usées et froides, à contempler des gens qui sont

là à prendre les notes d’un cours qui ne nous servira la plupart du temps à rien plus tard,

m’ennuyaient plus qu’elles ne m’apprenaient. Et puis je n’ai jamais vraiment eu de bons

rapports avec les professeurs, du moins je n’ai pas eu ceux que j’aurais souhaités.

Ils me considéraient comme un élève, juste un élève, un numéro comme un autre sur les

listes de présence, et mon seul devoir était de leur faire penser que cela m’intéressait, mais

ce n’était pas le cas. Mais il ne faut pas croire que je me désintéressais complètement des

études, certaines choses me passionnaient. Mes cours préférés étaient sans doute ceux

d’histoire, car ils me montraient parfois combien je n’étais pas seul à avoir le mal de vivre, à

sentir que je n’avais pas ma place dans mon époque. Au travers des grands hommes que

cette terre ait portés je voyais comme un exemple et au travers des plus modestes je voyais

des égaux. J’admirais énormément les grands visionnaires et philosophes, ceux qui

possédaient la raison et étaient respectées pour leur différence.

Je portais également un grand intérêt aux scientifiques, qui s’attachaient jour après jour à

expliquer le monde à l’inverse de tous ces imbéciles qui passaient leur vie à exploiter les

autres, sans se demander pourquoi chaque matin ils pouvaient manger et pourquoi lorsque

l’on blesse un homme, on lui enlève une raison de vivre et gâche son existence. J’aimais

aussi l’art, car il montrait aux hommes les beautés de notre monde en faisant oublier toute la

tristesse et la morosité de la vie, ainsi que la mythologie, qui nous montrait combien notre

vie était désuète par rapport aux mythes de certains grands héros antiques.

Je me reconnaissais parfois dans ces hommes et femmes qui subissaient la force de la fatalité

et qui relevaient la tête devant les épreuves. Malheureusement la plupart mourraient, abattus

dans leur fuite de la destinée. Eh oui ! Il n’y avait pas que des choses malheureuses dans

mon existence, et je vous confis que de temps en temps aller en cours m’évitait de sombrer

dans la folie…qui l’aurait cru ? Et c’est pour cela que je m’accrochais à y aller tous les

jours, pour oublier que chez moi une épée de Damoclès se balançait à quelque centimètre

au-dessus de ma tête. Mais en général ce que je trouvais dans l’enceinte de ce lycée ne

correspondait pas à cet idéal auquel j’aspirais, loin de là, et ce malgré les rares bon

moments.

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Pourtant est venu un jour ou je me suis senti comme important, ce n’était certes pas la

première fois mais je sentais que …enfin …quelqu’un me trouvait de l’intérêt. Je m'étais

levé ce matin-là avec un bon pressentiment, d'un genre nouveau. Une inexplicable

motivation m'habitait en posant les pieds par terre, et Conrad qui m'avait sauté dessus en me

voyant avait achevé de me mettre de bonne humeur. La veille n'avait pas spécialement été un

bon jour pourtant, un lundi banal parmi tant d'autres sans rien de spécial...J'étais rentré,

j'avais fait quelques devoirs, regardé la télé... comme d'habitude, seulement quelque chose

en moi me faisait sentir cette fois que ce n'allait pas être un jour normal, et je venais tout

juste d'en trouver le fil!

Je marchais tranquillement dans la rue qui menait à mon lycée, pour une fois sans même

regarder autour de moi les embouteillages bruyants, les gens qui criaient, et je m’apprêtais à

tourner le coin de la rue quand quelque chose avait attiré mes yeux. Pas le genre de choses

que l'on voyait tous les jours, et encore moins moi. En la regardant j'avais failli rentrer dans

un poteau tant sa présence était étonnante là, seule, au beau milieu de la rue. Une petite fille

qui ne devait pas avoir plus de sept ans semblait flâner dans les rues sans but précis, haute

comme trois pommes et joliment vêtue d'une petite robe blanche sur laquelle tombaient

gracieusement de longues mèches blondes. Elle regardait autour d'elle d'un air détaché qui

jurait avec son âge et visiblement n'attendait personne, pourtant lorsqu’elle avait fini par me

voir, j'avais cru voir son visage s'illuminer. J’étais tout étonné du grand sourire qu'elle

m'adressait, je ne m’attendais pas à une telle rencontre, et visiblement je devais avoir l'air

bête, parce que ses yeux n'en ont que plus pétillé.

Je crois que ce jour-là j’ai pris la décision que je souhaitais prendre depuis maintenant des

siècles sans m’en rendre compte. J'avais décidé au moment précis où elle s'était plantée

devant moi de ne pas aller en cours aujourd’hui. Je ne voulais pas laisser ce petit bout de

fille seul au milieu de la ville, surtout qu'elle semblait ne pas se méfier de moi. Mais avant

d'entreprendre quoi que ce soit il me fallait tout d'abord savoir ou étaient ses parents, nous

nous sommes donc assis sur l’un des bancs du petit parc qui se trouvait près de là, au cas où

ils reviendraient. Et je me suis retrouvé à faire la conversation tout seul, un peu bêtement

d'ailleurs, car elle ne parlait pas beaucoup. Je lui faisais gentiment la morale sur le fait qu'il

ne fallait pas qu'elle reste seule comme ça dehors, parce que ses parents s'inquiéteraient, et

lui ai même indiqué à quoi ressemblait un policier, au cas où elle se perdait. Pas une fois elle

ne cessa de me regarder, avec son grand sourire étonnamment attendri, mais sans jamais

prononcer un mot sur ce que je disais. Ses deux petites prunelles couleur noisette semblaient

ne pas vouloir se détacher de moi, et je me suis senti de plus en plus mal à l'aise, au fur à

mesure que je ne trouvais plus rien à dire. Ma mère disait que dans ces cas-là je rougissais

toujours du bout des oreilles...J'aurais pu jurer que c'était le cas à ce moment-là.

_"Dis donc, tu sais ce que disent les grands? Que c'est pas bien de fixer les gens comme ça,

ça les embête..."

Elle a soudain éclaté d'un rire cristallin devant mon air gêné, et c'est à ce moment que je me

suis rendu compte que c'était la toute première fois que j'entendais sa voix, elle n'avait pas

prononcé le moindre mot jusque-là.

_"Je suis Ariane, mais si tu es gêné tu peux m'appeler Nini !

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Lâcha-t-elle, un sourire lumineux dans la voix.

Sa réaction et sa réponse m'avaient scié, il n'y avait pas que son air ou son sourire qui

juraient avec son âge, mais aussi sa manière de parler! Et aussi peut-être son prénom, mais

bon ça elle n'y pouvait rien...Mais au moins je n'étais pas prêt de l'oublier!

En une seule petite phrase cette petite fille m'avait fait perdre dix ans, elle semblait dotée

d'une maturité étrange, et certainement pas de son âge. J'avais compté lui demander ou

étaient ses parents mais à sa manière de s'exprimer et malgré son apparence elle semblait

parfaitement savoir d’où elle venait et où elle allait. J'ai décidé donc pour plus de sûreté de

ne pas la quitter, jusqu'à ce qu’elle ne décide par elle-même de rentrer chez elle.

Ariane ne parlait pas d’elle, elle semblait plutôt se soucier de moi, elle me posait sans arrêt

des questions d’une complexité effrayante pour une fillette de son âge. Elle m'a demandé par

exemple ce que je pensais faire plus tard dans la vie, ce à quoi je lui ai répondu que je ne

savais pas, qu’aucun métier ne me correspondait, que j’avais encore du temps pour réfléchir;

Elle voulait savoir pourquoi j'avais décidé de rester avec elle plutôt qu'aller en cours, des

choses comme ça, pour me faire parler. Et peu à peu j'ai commencé à me faire à son étrange

personnalité, elle m’intriguait, elle avait un je-ne-sais-quoi qui était un mystère pour moi.

Elle ne répondait jamais à mes questions, elle les évitait, ou déclarait simplement "jte dis

pas!", avec un petit sourire. A force j'ai compris qu'elle ne répondrait à rien, donc je

n'insistais plus, et au fil des heures elle me semblait de plus en plus ne pas être la petite

fillette que j’avais sous les yeux, mais autre chose que je ne m'expliquais pas, et je me

sentais vraiment bien.

Nous avons passé toute la journée à papoter de tout et de rien, et lorsque l'après-midi allait

toucher à sa fin il avait fallu que je songe à la suite de ce que j'allais faire. Je devais rentrer,

mais je ne pouvais pas la laisser comme ça, seule dans la rue! Elle ne paraissait pas être

pressée d'aller ou que ce soit et finalement contre mon avis elle a insisté pour que je lui

montre ou j'habitais. J'ai compris alors que c'était peut-être sa manière à elle de me

demander si je pouvais la faire venir manger chez moi, car en fait nous n'avions rien avalé de

la journée, ni elle ni moi.

Pourtant, arrivés devant la porte de l'immeuble elle avait voulu qu'on s'arrête, parce qu'elle

avait quelque chose pour moi, soit disant. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point il était

étrange de voir cette fillette me demander d'attendre comme si c'était moi l'enfant, le monde

à l'envers! Et alors que je me sentais bête, planté là les bras ballants, elle avait fouillé dans la

poche de sa robe toujours aussi blanche, avant de me demander de fermer les yeux. Que me

préparait-elle encore? Apparemment je n'étais pas au bout de mes surprises avec cette petite,

et je n'osais imaginer la soirée! Elle avait déposé dans ma main une petite chose, que je n'ai

pas eu le droit de regarder tout de suite parce que je devais toujours garder mes yeux fermés.

Je n'ai alors pas compris ce qu'il s'est passé, ni comment elle a fait, mais j'ai sentis sur ma

joue des lèvres se poser, comme une brise légère, tout en douceur. Des lèvres timides mais

extrêmement délicates, les siennes? Elle n'était pas assez grande pour y arriver,

normalement, ni même pour parvenir à me susurrer dans l'oreille, d'une voix tellement plus

mature...

_"J'ai passé une belle journée Luther, t'es un garçon génial, ne laisse personne te dire le

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contraire...merci pour tout. Je te laisse maintenant, ne te perds pas."

Et la seconde d'après elle avait disparu, sans même que je puisse répondre. J'ai alors ouvert

les yeux sur ma main, ou reposait un petit pendentif en forme de glaive dont le manche était

surmonté de deux grandes ailes. Je ne savais pas ce que cela signifiait mais je trouvais dans

ce bijou une forme de sérénité, de plénitude. L'harmonie parfaite entre la dureté de la petite

lame et les deux ailes rondes magnifiquement taillées m'étonnait et me captivait à la fois, je

n'avais jamais vu quelque chose comme ça auparavant. Le petit objet semblait s'accorder

parfaitement à mon cou, et avait trouvé sur ma poitrine une place dont je sentais qu'elle

serait la sienne pour longtemps. Malgré tout ça, je n'ai jamais pu lui demander pourquoi elle

me l’avait donné ni où elle l ‘avait trouvé mais j'ai compris que ce n’était pas par hasard et

qu’elle ne me l’avait pas offert sans raison.

Je ne savais pas où elle était passée, mais dans mon cœur j'avais une impression fugace, un

pressentiment, non je savais qu'elle ne se cachait pas simplement, qu'elle avait vraiment

disparu. Je ne savais pas si j'allais la revoir un jour, je l'espérais, car cette séparation m'avait

laissé un goût amer dans la bouche, et tellement de questions...Ma joue gardait le souvenir

de son baiser, un baiser qui n'était pas de son âge, et mes yeux ne cessait de voir ce grand

sourire qu'elle avait gardé pendant la journée.

Là-haut, chez moi, l'appartement semblait vide, et même Conrad semblait avoir le moral en

berne. Il m'avait rejoint dès que j'avais franchis la porte, mais était vite reparti dans la

chambre de ma mère. J’ai compris alors que c'était sûrement pour elle le genre de journée ou

rien n'allait, et je l'ai alors laissé seule, pleurant sur son oreiller, comme à chaque fois. Je ne

voulais pas la déranger pour chercher à savoir pourquoi...Dans ces moments-là elle préférait

rester avec elle-même, se cacher, pour ne pas que je m'inquiète et que j'angoisse les jours

suivants, je détestais tellement la voir inquiète... J'avais le cœur gros pour elle et le cerveau

remplit de questions, mes yeux fuyaient les murs, cherchaient le vide, alors je suis ressortis

sans même manger. J'ai laissé un mot disant que j'allais dormir chez un ami et que je

l'aimais, et je suis allé m’asseoir au bord de la falaise pour contempler les tout derniers

rayons du soleil qui partaient éclairer d’autres personnes, d’autres problèmes.

Ce soir-là je suis resté jusqu'à minuit passé, pour voir les étoiles apparaître dans le ciel

dégagé et la lune se lever, ronde et brillante. J’ai beaucoup pensé à cette journée, à Ariane...

Elle n'était pas ce qu'elle semblait être, j'en étais persuadé, mais alors qu'était-elle? Je m'étais

senti important pour elle, j'avais aimé les regards qu'elle me lançait, même si ceux-ci me

mettaient mal à l'aise. Du haut de sa petite taille elle m'avait fait me sentir grand et avait

réchauffé mon cœur. Les gens qui ont des amis ressentent-ils cela de cette façon?

Au terme de cette journée j'étais épuisé, alors j’ai regardé ce curieux petit objet qui pendait à

mon cou et je me suis endormi, à même le sol au bord de cette falaise que je connaissais si

bien.

Je ne me suis mis en route pour rentrer chez moi qu’au petit matin, à l’heure ou la rosée pare

la nature de mille miroirs aux reflets d’argent. En réalité je n'avais que très peu dormi, deux,

peut-être trois heures, et je m'étais levé avec un mal de dos particulièrement désagréable

comme si j'avais passé la nuit couché sur une pierre… C'était comme si je sentais encore sa

présence, mais sans son poids. Mais bien vite j'ai mis de côté ce mal pour m'émerveiller

devant toute la beauté que le monde offrait à mes yeux, simple et magnifique, celle du jour

qui se lève avec son voile rose sur l'herbe fraîche et humide. C’était la seule chose qui

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m’apaisait, après le sommeil et les songes qui étaient les miens.

Je cherchais souvent les rêves, car eux seuls pouvaient m’apporter ce que je ne trouvais pas

au quotidien. On raconte souvent qu'ils reflètent notre vie de tous les jours et nos pensées les

plus secrètes, qu'ils sont une sorte de miroir brouillé. Eh bien les miens me renvoyaient autre

chose, des choses que je ne connaissais pas, que je ne pourrais décrire que difficilement et en

enlevant toute la magie qui était la leur.

Dans mes rêves, il n’était pas rare que je me retrouve dans un autre corps que le mien, à

vivre une vie qui n’était pas vraiment la mienne, dans un monde que je ne connaissais pas.

Bien souvent j’étais un guerrier d’un autre temps muni d’une somptueuse épée. Mes

ennemis n’étaient pas mes semblables, mais qui l’était dans mes propres rêves ? Ils n'étaient

qu'à peine humains, des monstres. Leur visage était déformé, et la plupart du temps ces faces

hideuses ressemblaient à leur visage intérieur, je le savais au fond de moi. Ils se vouaient à

faire le mal, à nuire aux autres sans se soucier du malheur qu’ils faisaient au monde. Quant à

moi, je débarquais d’ailleurs, et je sentais le besoin d’aider, alors je combattais des heures

entières, écumant le pays à la recherche de la source du mal, chaque jour nouveau apportait

son lot de bataille et de sang versé sur l’herbe verte des plaines.

Je n’éprouvais aucun plaisir à tuer, mais c’était nécessaire, j’avais une mission, l’on

comptait sur moi et rien au monde n’aurait pu m’en détourner, car je me trouvais là pour ça.

Je tenais à ce monde, car il faisait partie de moi, et j’aurais tué mille et un démons pour le

garder. Je galopais sur le dos de chevaux puissants et robustes, je traversais des paysages

magnifiques, je traversais montagnes et vallées afin de poursuivre ma quête, et c’est

seulement après avoir franchi les portes du royaume des ombres, traversé à la nage le fleuve

des enfers que je la trouvais, la source du mal. Elle se tenait là, et je me réveillais. Chaque

monde était différent à sa manière mais il gardait tout le temps les mêmes caractéristiques,

car c’était le mien, mon monde, dans lequel j’avais ma vie.

Mais là je n’avais pas rêvé de mon monde, j’avais rêvé d’Ariane. Le terne et les dangers de

la civilisation m’oppressaient, et je n'avais aucune échappatoire, il n’y avait qu’elle sur Terre

qui pouvait m’aider à réaliser mes vœux les chers. C’était toute cette pression du devoir et

du jugement que je sentais au-dessus de ma tête alors que je m’engageais sur l’avenue

menant à chez moi, ma douleur dans le dos toujours lancinante. « Chez moi » ces mots me

paraissaient familiers mais il y avait cette voix dans ma tête, une voix profonde, venue des

plus hautes strates de mon être, qui me disait que je ce que pensait être ce « chez moi

»n’était que l'avant-poste d’une demeure plus vaste et plus accueillante. Ce sentiment était

étrange, mais ne venait que renforcer une impression que j’avais au quotidien chaque fois

que je passais dans cette même ruelle, que je voyais ce même escalier, chaque fois que je

poussais cette même porte de l’appartement du 13 rue de Midgar, au dernier étage.

Ma mère ne s’était pas encore réveillée, mais c’était peut-être mieux ainsi. Je ne me sentais

pas encore capable de lui expliquer ou j'avais réellement passé la nuit. Je lui ai laissé tout de

même un second mot, pour lui dire que tout s'était bien passé et qu'aujourd'hui je rentrerais

bien à' l'heure. Un coup d'œil à l'horloge de la cuisine m'indiqua qu'il était près de sept

heures et demi, et que je devais me préparer et aller en cours. Conrad quant à lui dormait

paisiblement dans son panier, lové dans les coussins que je lui avais mis. Je ne sais si c’est

ce jour-là que j’ai pris pleinement conscience de l’importance de cet animal à mes yeux,

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mais en y repensant je l’aimais comme mon frère de malheur, car lui aussi subissait le

contrecoup des épreuves de notre vie, à ma mère et à moi. Ce qu'il s'était passé hier ici

devait être une bien mauvaise nouvelle...

Il arrivait parfois qu’il ne mange pas, mais c’était rare car on s’arrangeait toujours pour lui

laisser les restes de notre repas à nous, et quand il n’y en avait pas, on se serrait la ceinture

pour lui en faire. Je ne sais pas s’il avait conscience de notre situation mais il nous apportait

la joie dont avions besoin dans les coups durs. Il avait beaucoup changé depuis que je lui

avais marché dessus au foyer, et je lui avais appris plein de petits tours très rigolos. Par

exemple il s'asseyait sur son derrière pour lever les pattes en l’air, ou sinon il faisait le mort.

Il me faisait toujours rire lorsqu’il avait les quatre pattes au ciel, qu’il tirait la langue et la

laissait pendre sur le côté. Je n'avais pas mis longtemps à lui apprendre en plus! C'était un

chien vraiment, vraiment intelligent. C’était tellement mignon quand il décidait tout seul de

faire "haut les pattes" pour attirer mon attention, si vous saviez! Et ce matin-là j’aurais aimé

qu’il le fasse, rien que pour moi, mais je me suis promis de lui faire plein de grattouilles le

soir en rentrant. Je me suis souvenu alors que mon absence de la veille n’allait pas être

justifiée au lycée, et sans ma mère je ne pouvais rien faire signer... Tant pis, ils attendraient

bien une journée de plus.

J'ai dû me préparer en quatrième vitesse, et je n’ai pas eu le temps de prendre une douche.

J'ai alors pris rapidement avant de partir quelque chose à manger dans le vieux placard de la

cuisine et j'ai claqué la porte. J'ai descendu quatre à quatre les nombreuses marches qui me

séparaient de la terre ferme et me suis retrouvé à courir dans la rue, pour avoir le moins de

retard possible. Il faut dire que si l'heure était dépassée, je n'avais plus le droit de rentrer en

cours, et je ne tenais pas particulièrement à devoir justifier une seconde absence en deux

jours. En peu de temps je me suis donc retrouvé devant le lycée. Pourtant j’avais mis un petit

peu plus de temps que d’habitude, pendant mes grands jours, sûrement à cause de cette

douleur persistante dans mon dos, ou peut-être simplement à cause du manque de sommeil.

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Alors que je m'installais à mon bureau je sentais déjà que la journée serait difficile,

mes yeux se fermaient tout seul, et lorsque ce n'était pas le cas ils louchaient contre ma

volonté. Je ne savais pas si c'était ma course ou le manque de sommeil, mais je sombrais

inexorablement dans les bras de Morphée, sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Par

chance l'élève devant moi me cachait presque entièrement, et à contrecœur j'ai fermé les

yeux pensant me reposer ainsi une poignée de minutes et repartir normalement après,

comme j'avais coutume de le faire, mais ça ne s'est pas passé comme prévu. Le sommeil s'est

emparé de moi, faisant démarrer sous mes paupières le rêve le plus étrange qu'il m'ait été

donné de faire.

Dans ce rêve je me réveillais au milieu d’une cour, encerclé d’immeubles haut comme des

gratte-ciel, l'endroit était baigné d'une lumière bleutée et froide, qui semblait émaner du ciel

sombre qui écrasait tout au-dessus de ma tête, j’étais alors redevenu un jeune enfant. Je

pouvais le sentir dans mes bras et mes jambes, c'était une impression vraiment étrange ! Je

me sentais plus léger, mais aussi curieusement hébété, et enclin à une sorte de mal-être

bizarre, comme si... Comme si j'avais envie de pleurer parce que j'étais seul. La douleur de

mon dos avait disparu mais pour être remplacée par cette autre, plus insidieuse et difficile à

supporter, la douleur morale. Je me sentais mal, vraiment mal. Mes yeux avaient envie de

pleurer mais n'y parvenaient pas, et dans ma gorge serrée par une sorte d'angoisse mêlée de

tristesse mes cris s'étouffaient avant le moindre son. Dans cette prison je n’avais aucune

issue, et où que portait mon regard je ne voyais rien de familier, une atmosphère pesante

régnait comme avant un orage et je me sentais oppressé, comme une souris sous les yeux de

deux enfants aux intentions malsaines.

J’ai exploré alors tour à tour toutes les directions, et invariablement je tombais sur des murs,

froids comme la glace et rêches comme le granit. Mon errance sembla durer une éternité,

jusqu'à que résonne tout à coup des rires, si forts et stridents que j'en avais mal aux oreilles.

Ils étaient apparus tout à coup, sans crier gare ni même changer quoi que ce soit au décor.

Les échos sur les parois de ma prison de pierre et d'acier blessaient mes sens, et même les

oreilles bouchées le son était à l'extrême limite du supportable.

Les rires ont duré, une, deux puis ce qui m'a semblé être trois heures, puis des jours, des

années. Le temps semblait s’écouler plus rapidement que la normale, marquant pourtant sur

mon corps d'enfant puis d'adolescent les traces de son passage, sans qu'à un moment les rires

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ne cessent... Je me suis accoutumé en partie à ce son horrible, mais il imprimait sur mon

corps un poids immense, une fatigue grandissante et empoisonnante…A tel point qu'au bout

d'un moment je ne marchais plus, je restais assit à même le sol, une sorte d'herbe sombre que

j'avais déjà trop vu. Du ciel tombait parfois ce qui semblait être de la nourriture, je

crois...Car ces mets desséchés et cette eau à la couleur étrange ne m'inspiraient rien de bon.

J'avais la sensation, puis la certitude avec le temps, que ce n'était pas de cela dont j'avais

besoin, et pourtant je vivais encore.

Et lorsqu'enfin j'ai atteint mon âge actuel, peut-être avec des jours en moins, peut-être avec

des jours en plus…je ne sais pas, et je n’avais aucun moyen de le savoir, mon cauchemar est

devenu tout autre, et infiniment plus horrible.

C'est étrange, mais tout ce temps, qui pourtant dans la réalité devait n'avoir représenté qu'une

poignée de minute, m'avait semblé une éternité, et au moment où les immeubles se sont mis

en mouvement j'ai compris que ç'avait été un moindre mal.

Tout a commencé par un grondement, puissant et sourd, puis la terre s'est mise à trembler.

Les parois de ma prison s'étaient alors mise à se rapprocher, d'abord doucement, puis de plus

en plus vite. D'ordinaire les cauchemars m'amusaient, mais celui-ci me faisait vraiment

ressentir la peur, comme si tout était vrai, je sentais dans mon dos une sueur chaude et

collante, mes yeux battaient la mesure au rythme de mon cœur qui s'est emballé, de

nombreuses fois j'ai tenté de me réveiller mais sans succès...J'étais réellement prisonnier.

Ce n'est qu'au moment où les parois ne se sont trouvées qu'à quelques mètres de moi que

quelque chose s'est produit, une lumière éblouissante est apparue là-haut dans le ciel, aussi

brillante qu'un soleil. Dans ma panique j'ai quand même levé les yeux, pour comprendre, et

c'est alors que j'ai vu qu'il s'agissait non pas de quelque chose, mais de quelqu'un. Son visage

avait changé, et sa silhouette n'était plus celle de la petite fille que j'avais rencontrée la

veille, Ariane... Elle avait beaucoup grandit, et sa présence dans mon rêve, sous cette forme

en plus, ne m'étonna pas plus que le fait qu'elle volait, d'autant que je pensais qu'à une chose:

il fallait que je m'échappe au plus vite.

Les murs se rapprochaient dans un grondement plus fort que le tonnerre, et je pouvais déjà

sentir le souffle qui les précédait. Au-dessus de moi Ariane me tendait la main, prononçant

des mots que je n'entendais pas, sa voix se perdait dans le grondement et elle était trop loin.

Une angoisse puissante s'est alors emparé de moi au moment où j'ai réalisé que ma fin

galopait vers moi, je ne pouvais pas m'empêcher de sangloter, je tremblais sans pouvoir

m'arrêter. Désespérément j'ai tenté de lui faire comprendre qu'elle devait venir me chercher,

que je ne pouvais pas y arriver seul, je ne voulais pas mourir! Et ce cauchemar était trop réel

pour que je garde mon calme. Mais pour toute réponse je n'ai eu qu'un signe de venir, assorti

de ce qui me semblait être un clin d'œil. Mon cœur s'est alors serré, et quelque part dans mon

esprit j'ai compris que c'était peut-être là une sorte d'épreuve, et qu'elle ne pouvait rien faire.

J'ai alors respiré un grand coup et saisit mon courage à deux mains, et ai attendu que les

murs soient à portée de pieds pour tenter de grimper, ma respiration était désordonnée et

mon cœur trop effréné pour que je puisse réfléchir correctement, mais je devais agir vite. Je

n'avais alors pas remarqué qu'Ariane n'était plus là.

L'odeur du béton commença à m'envahir les narines, et avec toute l'énergie que j'avais j'ai

tenté de grimper, de toutes mes forces, en m'aidant du mur d'à côté comme appui. Dans la

précipitation j'ai réussi à monter quelques mètres comme ça, jusqu'à ce que je réalise que je

n'aurais pas le temps d'arriver en haut...Bientôt je ne pourrais plus bouger, alors que le ciel

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lui-même s'était effacé, me condamnant dans ce puits sans fond...Je pouvais sentir tout le

poids de ces énormes masses d’acier et de béton qui me comprimaient, m'obligeant à

relâcher mon souffle pour me faire de la place, au détriment de ma vie...J'ai cru ma dernière

heure venu, à cet instant où tous les cauchemars ont normalement déjà prit fin depuis

longtemps... Le mien continuait, et au travers de mes paupières closes et résignées, j'ai alors

vu une lumière. Elle m’aveugla presque totalement, alors que dans mon dos réapparaissait à

nouveau la douleur, si forte qu’elle me réveilla enfin dans un cri venant du plus profond de

mes entrailles.

J’étais revenu en classe et je me trouvais face à trente et un visages interloqués, alors que le

professeur s'était déjà précipité auprès de moi pour voir ce qu'il se passait. Chacun paniquait

à sa façon, je pouvais entendre le bourdonnement des questions qui se chuchotaient dès lors

que j'avais réussis à m'arrêter de crier. La douleur irradiait dans mon dos comme si

quelqu'un m'explorait les entrailles avec la main. J'étais transpirant, plié en deux par cette

souffrance atroce que je ne comprenais pas.

C'est alors que la cloche de la récréation a sonné, signant ma piètre délivrance, je n’avais

qu’une envie : hurler de toutes mes forces et m’éloigner plus possible de ces dizaines d’yeux

qui me fixaient avec pitié et horreur. Rapidement je suis sorti de la salle sans prendre le soin

de ramasser mes affaires, et j'ai traversé la cour remplie de monde, me retenant le plus

possible de gémir.

C'était comme si...quelque chose bougeait dans mon dos, se faisant une place parmi mes os,

tirant sur les nerfs et les muscles sans s'arrêter. J'avais l'impression que je me déchirais de

l'intérieur, ma tête bourdonnait et ma vue se troublait. La cours du lycée semblait plus

grande que jamais alors, et le chemin vers la sortie si loin...Jamais un ciel bleu comme celui

qui trônait au-dessus de ma tête ne m'avait semblé si haut et froid. Je me sentais écrasé,

perdu au milieu d'un désert de béton gris, couvert de chewing-gum séchés et habité aux

coins par des masques de terreur, les façades des bâtiments semblaient bouger à toute

vitesse, me donnant une impression de vertige qui me coupa les jambes. Je devais avoir un

aspect horrible car sur mon passage je constatais sans comprendre que certains d'élèves

riaient de moi, et bientôt toute la cour me fixait, incrédule, alors que je m'effondrais à

genoux. Je ne pouvais pas aller plus loin, je n'en avais pas la force, mon dos s'était mis à me

brûler, comme s’il prenait feu et s’ouvrait en même temps. J'ai enlevé comme j'ai pu le sweat

que je portais, pensant que la fraîcheur calmerait ce qui m'arrivait, mais cela n’allégeât en

rien ma souffrance.

Mon t-shirt s'est alors brusquement tendu et la peau de mon dos aussi, je pouvais le sentir

sur mes épaules et ma nuque, tirant ma peau à son extrême limite, j’étais comme sur le point

d’exploser. Un craquement sourd et sinistre s'est fait alors entendre sous les yeux maintenant

horrifiés des spectateurs et des adultes qui se tenaient près de moi, tous eurent alors un

sursaut général, mais je ne savais pas encore à ce moment précis que ce n’était pas

seulement mon maillot la cause de ce bruit.

La douleur a atteint alors son paroxysme et je n'ai pu m’empêcher cette fois-là de crier de

toutes mes forces, à m'en déchirer la voix, en levant les yeux au ciel, comme pour implorer

dieu de mettre fin à mes souffrances. J'avais mal, tellement mal...J'en avais le souffle coupé,

le corps entier crispé de douleur, la tête bourdonnante et les oreilles bouchées, je n'avais

qu'une envie: que ça cesse...

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Et la douleur s'est arrêtée d’un coup, me laissant pantelant, à plat ventre sur le sol au milieu

de la foule qui arborait maintenant un silence de mort, une nausée indicible au fond de la

gorge. J'ai levé la tête et j'ai pu lire sur le visage de chacun de mes juges une sorte de peur

que je ne connaissais pas, certains même partaient en courant. Autour de moi mon t-shirt

était en lambeaux, deux grandes ailes venaient de sortir de mes entrailles.

J’étais abattu, sonné, et surtout je ne savais pas ce qu’il m‘arrivait, mais la douleur s’était

calmée et lentement je reprenais mon souffle, sans comprendre. J’ai alors essuyé les larmes

qui avaient coulé sur mes joues salies par le bitume, mais je n’osais pas bouger. Plus aucun

bruit ne me parvenait sinon la rumeur de la stupéfaction qui m’entourait. J'ai pris doucement

appui sur mes mains pour tenter de me relever, sous le poids de ces choses qui tombaient

négligemment de part et d'autre de moi, mais la fatigue me rattrapa au grand galop. J'ai

perdu connaissance et me suis effondré de nouveau à terre, la tête et le corps vides.

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Avant même que j'ouvre les yeux, j'ai su que quelque chose n'allait pas. Un instant

j'avais essayé de ressentir le moelleux d'un lit d'hôpital, ou quelque chose de ce genre, mais

l'endroit où je me trouvais était à mille lieux de ça. Je n'avais pas froid, je n'avais pas chaud

non plus, mais il me semblait que j'étais debout ou presque...non...je flottais. Je pouvais

sentir mes cheveux ondoyer doucement autour de moi, et au fur à mesure que ma conscience

revenait et quelques bribes de souvenir avec, j'ai réalisé que je ne respirais pas de l'air

normal. Celui-là était étrange, chaud et frais à la fois, et venait d'un masque qui me

recouvrait le nez et la bouche, alors que je sentais le reste de mon corps entièrement dénudé.

Lorsque j'ai enfin ouvert les yeux, ce ne sont plus les regards d’adolescents paralysés de

stupeur que j'ai vu mais ceux de scientifiques qui observaient mes réactions. Je flottais en

fait dans une espèce de liquide bleuté, au milieu d'une sorte d'entrepôt sale et remplit

d'installations, ou allaient et venaient des hommes en blouse, chacun jetant un rapide coup

d'œil dans ma direction en passant. Je devais être encore sous le coup des sédatifs car je

n’arrivais à faire pour seul et unique mouvement que celui des yeux, mes bras ondoyaient

mollement dans l"eau", bardés de ce qu'il me semblait être des tuyaux. La panique s'est alors

lentement manifestée dans le brouillard de mes pensées, sans qu'elle ne se prononce

vraiment mais plutôt comme une prise de conscience qui ne toucha pas son but, j'étais bel et

bien captif, sujet des attentions...On me regardait avec des yeux froids et méthodiques, sans

une once de respect ni même de compassion.

Ils devaient être au moins une dizaine dehors à contempler fixement mon corps nu qui

flottait dans ce tube, et plus encore sont venus lorsque j’ai croisé sans les voir les premiers

regards. Je ne comprenais rien à ce qu’il m’arrivait, qui étaient ces gens, mais à en juger par

l'écusson qu'arboraient mes ravisseurs j'étais retenu par une sorte d'armée, dans une base qui

ne devait pas se trouver en centre-ville... L’entrepôt était plein à craquer de matériel médical

qui m'était inconnu, et d'une multitude d'ordinateurs qui affichait des choses que je ne voyais

pas de là ou j'étais. C'est à ce moment que j'ai ressentis vaguement qu'en réalité ma peau

était couverte de capteurs, y compris sur mon front... Au dehors il y avait des chariots entiers

de produits en tous genres qui passaient devant mes yeux, escortés par des hommes en tenue

de camouflage, armés... Au fond de moi je me suis mis à espérer a demi endormi que tout

cela n'était pas destiné à m'étudier comme on aurait pu le faire pour un monstre...

Je constatais alors du coin de l'œil que les ailes étaient là, à flotter derrière moi dans ce tube

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de plexiglas, énormes et blanches.

Malgré le souvenir de leur apparition, gravé encore comme au fer rouge dans mon esprit et

mon corps, j'avais dès l'instant où elles m'étaient apparues l'impression qu’elles ne

m’appartenaient pas, je ne les considérais pas comme les miennes, c'était impossible. Un

humain ne pouvait pas avoir des ailes... Et puis pourquoi serait-ce à moi que ça arriverait?

Les capteurs qui mesuraient les battements de mon cœur ainsi que ceux sur mon front

bipaient bruyamment, m'empêchant de me concentrer sur mes pensées. Je songeais

vaguement à tout ce qui s'était passé, il n'était pas seul quand ça lui était arrivé… Étaient-ce

eux qui avaient appelé ces gens pendant qu'il était sans connaissance ? Pourquoi l'auraient-

ils fait...Ce ne sont que des lycéens... Et sa famille... Était-elle au courant ? Et moi...qu'allais-

je devenir maintenant... Tant de questions floues et sans signification tournaient dans ma

tête… Une sorte d'angoisse, ou plutôt de mal-être s'est emparé alors de moi, tous ces tuyaux

me gênaient, je n'aimais pas la situation ou je me trouvais, c'était comme si je me sentais

comme impuissant, prit au piège comme dans une sorte de cauchemar qui ne voulait pas me

laisser partir...J'ai souhaité intérieurement me réveiller, battant des paupières sans les sentir

pour qu'elles s'ouvrent dans la réalité, mais ma délivrance n'est pas venu, jamais. Seule est

venu au fur à mesure des longues minutes passées dans ce tube la certitude d'une chose: il

fallait que je sorte, d'une manière ou d'une autre, que je vois la lumière du soleil, que je

respire de l'air, maintenant.

Lorsque j'ai pu enfin sentir mes bras et le courant froid du liquide sur ma peau, mon esprit

s'est en partie ré-amarré à mon corps, laissant derrière lui dans un vague souvenir la forme

ou il se trouvait jusqu'à ce moment. Un mouvement m'avait suffi pour comprendre que je ne

pourrais pas m'échapper facilement. Ma tête était encore embrumée par les drogues mais

j'avais l'impression de voir mieux, ou tout du moins de mieux comprendre ce que je voyais.

Je n'étais pas vraiment seul dans ce tube... Les choses dans mon dos commençaient à

m'angoisser, sans pour autant que je réalise qu'elles venaient de moi. C'était leur faute si

j'étais là, elles faisaient de moi...Un monstre... si... Peu à peu je reprenais conscience en

comprenant que je me trouvais dans une mauvaise posture, qu'étais je devenu... C'était pas

étonnant qu'ils m'étudient!

Je devais trouver un moyen de leur expliquer avant qu'ils ne m'accusent, de retrouver ma vie

d'avant. Il fallait que je me détache pour leur parler, en dépit de la peur que je pourrais

susciter chez eux...et malgré celle que je suscitais chez moi.

Mais les sangles qui me retenaient était particulièrement solides, à coup sûr quelqu'un c'en

était assuré...Et lorsque les scientifiques qui m’observaient ont enfin remarqué mon réveil

total, une grande agitation a pris possession de la pièce, et une lumière rouge s'est mise à

clignoter doucement avec une sirène dont les échos dans l’entrepôt laissaient deviner

l’étendu de celui-ci. L'homme qui n'avait cessé de me toiser tout ce temps s'est alors adressé

à quelqu'un, comme pour donner un ordre, et tout doucement l'eau de mon tube a commencé

à se vider.

Lorsque mes pieds ont touché le sol j'ai réalisé que j'avais moins de force que je le pensais

jusque-là, il me semblait être plus lourd qu'auparavant, mais c'est la lumière qui me choqua

le plus. A l'intérieur du tube je ne la recevais pas directement, et mes yeux s'étaient habitués

à l'eau bleu, mais dehors...En plus du froid qui commençait à me saisir, je ne pouvais

soutenir les regards tant les néons me blessaient les sens. Au moment où le tube s’est abaissé

à son tour complètement je me suis retrouvé à genoux, trempé jusqu’aux os encore bardé de

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tout l'attirail médical, à la vue de tous, et pendant ce temps celui qui semblait être le plus

gradé ne m'avait pas quitté des yeux. J'étais un monstre démuni, faible, à leur merci, et au

fond de moi j'ai commencé à avoir vraiment peur, car désormais aucune paroi ne nous

séparait, et rien de ce que je pourrais dire n'enlèverait les ailes qui trônaient dans mon dos.

Autour de moi se sont amassés des hommes, pointant cette fois ci leur arme sur moi,

scrutant mes gestes, dans l'attente de quelque chose... Et enfin j'ai entendu le son de sa voix,

une voix grave et sèche, prononçant des mots qui ne lui allaient pas.

_« Ne crains rien mon garçon, nous ne te voulons aucun mal.

Alors pourquoi m'enchaîner comme une bête...Ne voyait-il pas que je n'étais qu'un enfant?

Ne voyait-il pas à quel point j'étais terrifié et inoffensif? Je n'arrivais pas à soutenir son

regard, il m'écrasait de sa présence et lorsque j'ai compris que ce devait être lui qui

commanderait à mon sort, mon espoir de les convaincre en a pris un coup.

_Emmenez-le, il ne nous attaquera pas dans son état, on va lui poser quelques questions.»

J'ai dû me soumettre, paralysé que j'étais par l'angoisse et les sédatifs qui polluaient encore

mon esprit; l'on m'a attaché les mains et les ailes avec des sangles de cuir, et l'on m'a

emmené, escorté par les armes.

Je me souviendrai toujours de l’endroit où ils m’ont conduit, une petite pièce qu'on

rejoignait par un sas, et au milieu de laquelle se trouvait une sorte de table matelassée, posée

à la verticale, et d'où pendaient des chaînes dont l'éclat était irréel. Ce qui m'a frappé le plus

c'était le silence, bien loin des échos du hangar, mais surtout la lumière. Blanche, aveuglante,

plus blanche encore que dans les laboratoires, d'une blancheur de mort... On m’a enchaîné à

la table, face à une vitre teintée à travers laquelle l’on pouvait seulement deviner les

silhouettes des personnes qui se trouvaient au-delà, ceux-là même qui me firent passer

l’interrogatoire.

La voix qui a retentit à ce moment-là ne m'étonna pas, c'était celle de la personne que j'avais

vu, et son ton prétendument teinté de compassion n'avait plus rien de gentil. Cet homme me

traitait comme un criminel, comme si tout cela était de ma faute! Les questions tournaient

autour de mes ailes et de leur provenance, de mon identité...Bref ils cherchaient à

comprendre, alors que moi-même n'y parvenais pas! Pour lui, il était possible que ce soit une

maladie, ou alors une expérience secrète mené par un organisme dont je ne connaissais

même pas le nom... Ma voix sanglotait malgré moi, je ne trouvais pas les mots, pour la

première fois de ma vie je bégayais tant je me sentais mal...Cet homme-là ne me croyait pas,

il avait cette assurance qu'ont les vétérans de tout savoir, et de posséder une intuition hors du

commun. Pourtant après la peur j'ai commencé à ressentir de la colère, contre lui, et contre

tous ceux qui m'avaient fait venir ici... Ne pouvaient-ils pas comprendre une bonne fois pour

toutes que je ne savais rien, que rien n'était de ma faute, que j'aurais voulu que rien de tout

cela ne m'arrive?

Mais les questions s'enchaînaient, sans fin et pendant des dizaines et des dizaines de

minutes, rythmées par mon impossibilité à y répondre alors qu'intérieurement, je découvrais

au fur à mesure celui qu'on disait être mon nouveau corps.

Pourtant une question particulière était arrivée, me faisant réaliser quelque chose, qui

m'avait semblé anodin au début, mais qui me sembla tout à coup vraiment étrange, mon

pendentif... Il ne m'avait pas quitté, même dans le tube, alors que je n'avais conservé aucun

vêtement ni effet. Ne l'avaient-ils pas remarqué? Le soldat qui m'avait attaché ne l'avait

même pas effleuré, ni même regardé...Ce pouvait-il alors que j'en sois arrivé là de par son

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apparition dans ma vie? Et à tout bien y réfléchir, Ariane elle-même était apparue dans ce

rêve que j'avais fait...ce médaillon, ces ailes...Ce devait être son "cadeau" en fin de compte.

Mais alors, savait-elle seulement ou cela me mènerait? "Ne te perds pas", tels étaient ses

mots...Que voulait-elle dire par là?...

Un son strident m'avait alors sorti de mes réflexions, pour que je réponde. M'avait on donné

quelque chose de particulier? Particulier oui...J’en étais désormais persuadé, mais je n’avais

aucune intention de le leur dire, car si cela avait le même effet sur eux, qui sait ce qui aurait

pu se passer par la suite...

L’interrogatoire dura des heures et des heures desquelles sortit pour eux que j’étais une

expérience scientifique menée par un pays étranger à des fins militaires…Ils pensaient ce

qu’ils voulaient, moi je me contentais de répondre ce que je savais, c’est à dire rien, ou

presque. Et c'est seulement après une interminable et inutile journée qu'ils décidèrent de

m’emprisonner dans une des cellules du complexe et de me donner des vêtements, sans

nourriture, juste de l'eau... le lendemain je devais répondre aux questions de nouveau, sans

quoi je finirais par être disséqué.

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Ma cellule se trouvait dans un coin reculé du complexe, au-delà de plusieurs sas

d'isolement. Elle était elle aussi baignée de cette même lumière aveuglante et blanche qui

blessait les yeux, et les barreaux de plexiglas étaient si transparents que l'on aurait pu croire

à leur absence. Mais elle avait autre chose : Une fenêtre avec vue sur l’extérieur. Mes jambes

peinaient à me porter, et la première chose dont j'ai eu envie était de m'allonger sur l'espèce

de matelas posé dans le coin de la pièce, pourtant...Cela faisait du bien d'apercevoir le ciel

après tout ce temps passé sous des lumières artificielles. Au dehors, le soleil nimbait son

monde et les nuages de couleurs rosées et magnifiques, j'avais l'impression que cela faisait

des jours que je ne l’avais pas vu...

Un sentiment nouveau est venu m'habiter à ce moment-là, une impression fugace, un regard

différent...Si je devais garder ces ailes, si finalement elles faisaient partie de moi, en

admettant que c'était bien moi que voulait Ariane pour porter ce fardeau, alors peut-être

que...Désormais, je pouvais peut-être y frayer mon chemin à moi, dans ce ciel que j'avais si

souvent vu de loin, je pourrais essayer de voler...Depuis ma plus tendre enfance j’avais

toujours rêvé de faire comme les oiseaux, être libéré de la société humaine et aller ou bon

me semblait, mais pas une fois je n’avais imaginé qu'il me serait donné la possibilité

d'espérer y arriver...C’est alors que le sas s’est ouvert, laissant entrer un homme jeune à la

mine inquiète.

Il me semblait reconnaître en celui-ci l’un de ceux qui m’avait conduit en salle

d’interrogatoire, à la différence près que son visage semblait plus ouvert, maintenant qu’il se

tenait de l’autre côté des barreaux. Son attitude pourtant n’avait pas que ça d’étrange, à en

juger par les regards qu’il portait à sa montre sa présence devant ma cellule ne devait pas

être autorisée, et ses mouvements rapides et mesurés s’en ressentaient.

_ « Écoutes, j’ai pas beaucoup de temps, alors fais bien tout ce que je vais te dire.

Il parlait d’une voix à peine perceptible, et semblait prendre particulièrement soin de ne pas

apparaître dans le champ de vision de la caméra qui se trouvait dans le coin de la grande

pièce blanche.

_Je peux t’aider à t’échapper, jcrois pas que tu sois aussi dangereux qu’ils le disent…

Sur le moment je n’ai pas compris, mon cerveau semblait comme suffoqué par cette annonce

aussi soudaine qu’étrange, j’ai gardé les lèvres closes sans le quitter des yeux, attendant

d’être sûr.

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_Petit, jpeux pas te laisser mourir ici, ça peut paraître bizarre, mais je sens que je dois

t’aider, mais tu dois me faire confiance, dis quelque chose !

_Pourquoi vous feriez ça ?

Cet homme était étrange… Je le sentais sincère, mais quelque chose chez lui m’intriguait.

Ses yeux cherchaient les miens sans la moindre trace de peur ou de pitié, il était différent des

autres, et pourtant il était des leurs…

_J’ai pas le temps de te l’expliquer, si on m’attrape ici je suis mort…

Il s’arrêta soudainement de parler pour écouter autour de lui, les yeux cherchant quelque

chose, puis reprit d’un ton peu assuré.

_Tout ce que je sais, c’est que tu dois pas être ici, ils ont pas le droit de te faire ça… Voici

mon plan, si tu le suis tu devrais t’en tirer.

_Mais vous ? Il va vous arriver quoi ?

_T’occupe pas de ça Luther, je ferais avec, c’est bon ?

Il venait de prononcer mon prénom, et celui-ci avait sonné dans mes oreilles comme un

tintement de cristal, comment le connaissait-il ? Les gens ici se foutaient éperdument de

savoir que je m’appelais Hervé ou jsais pas quoi ! J’ai décidé alors de me concentrer sur ce

qu’il disait et de m’efforcer de lui faire confiance, quelque chose me soufflait que je pouvais.

_Allez-y, dites-moi.

Et c’est ainsi qu’il m’expliqua son plan, dangereux autant pour lui que pour moi, mais le

seul susceptible de fonctionner, à le croire…Il resta ainsi moins d’une dizaine de minute, sur

le qui-vive, parlant rapidement, expliquant avec des gestes jusqu’à ce que j’ai compris.

_Bon je file, toi, taches de te débrouiller pour t’envoler, ça pourrait te sauver la vie.

_Attendez ! Jconnais même pas votre nom !

Il s’arrêta devant le sas, prêt à le franchir, et sans même me regarder, il prononça les

dernières paroles que j’entendis de lui.

_Ici pour rigoler on m’appelait Thésée, bon voyage Luther. »

Et c’est ainsi qu’il est parti, me laissant seul de nouveau dans ma cellule avec le sentiment

étrange d’exister de nouveau. Je n'avais qu'une envie maintenant: dormir, j’allais avoir

besoin de forces pour le lendemain, mais je devais voir ce ciel qui me regardait là-haut, je

devais voir si j'y avais ma place...Alors je me suis levé sans oser jeter un regard à celles qui

ne me quittaient plus, malgré la fatigue, et je suis allé vers cette ouverture qui me tendait les

bras. De ma fenêtre je pouvais apercevoir des kilomètres et des kilomètres de terre nue et

d’herbes rases battues par le vent, mais où j’étais? De souvenir je ne connaissais pas un tel

endroit dans ma région, même si je n'avais pas assez voyagé pour en être sûr. Ce paysage-là

n'avait rien de semblable avec ce que j'avais pu voir de mes yeux jusqu'ici. Il ressemblait

plutôt à ces déserts que l'on voit dans les livres, un endroit presque idéal pour se cacher

quand on en avait les moyens. Un endroit auquel il me serait difficile d'échapper...du moins

pas à pieds.

Ainsi, lorsque le soleil quitta définitivement les cieux, me laissant seul dans cette cellule, j'ai

décidé de me tourner vers elles, ou plutôt vers moi même...C'est à ce moment-là que j'ai

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compris que la crainte que j'éprouvais à leur encontre me venait des autres avant tout, et pas

de moi-même, car au fond de moi depuis qu'elles étaient présentes je sentais une sorte de

bien-être coupable, un sentiment de complétude nouveau...A l'image de celui que j'avais

ressentis lorsqu'Ariane m'avait confié le pendentif.

Ces ailes étaient si longues que repliées dans mon dos elles me dépassaient, et leur blancheur

n'avait rien de l'angoissante pâleur de l'éclairage. Celles-ci étaient au contraire rassurantes,

chaudes...Chaque plume me semblait parfaite, à l’image de ses voisines, et ensemble elles

étaient douces au toucher et formaient un tapis immaculé et apaisant pour les yeux. Tout

était si irréel et pourtant si présent. Lorsque je tirais sur l'une des plumes, je ressentais une

sorte de douleur, à la fois étrangère et curieusement mienne, si étrange en vérité que je l'ai

provoqué plusieurs fois pour la faire revivre et l'apprécier, la sentir irradier en suivant le

chemin jusqu'à mon dos. Ces ailes faisaient définitivement partie de mon corps, et je les

sentais comme je sentais mes autres membres, présentes...Et essentielles.

Pourtant trouver comment les mouvoir n'a pas été simple, et même pas du tout. Elles étaient

comme engourdies, comme lorsque l'on reste longtemps couché sur son bras. Alors au début

j'ai cherché intérieurement le chemin nerveux pour y parvenir, en faisant bouger mes

omoplates, en contractant les muscles de mon dos, la douleur de leur apparition n'avait pas

tout à fait disparu et m'aiguillait. Mais c'est seulement lorsqu'avec mes bras je les ai fait

esquisser un mouvement que j'ai senti la première réaction.

Ça avait fait comme un sursaut, rapide et involontaire, mais j'avais clairement sentie qu'elles

avaient bougé, peu mais pour de vrai. J'ai essayé de le refaire, une, puis deux fois, puis trois,

guettant l'instant précis où elles tressautaient dans mes mains afin de comprendre...Mais c'est

à la quatrième qu'enfin j'ai trouvé.

Le système pour les bouger me semblait compliqué alors, il s'agissait de focaliser son

attention entre ses omoplates, comme pour faire bouger la peau elle-même. Je parvenais à

bouger les os qui sortaient de mon dos, mais d'une manière timide, car cela demandait et

concentration et force, et au fur et à mesure que j'entraînais ce petit mouvement, je me

sentais fatigué. La sensation n'était pas désagréable mais il me fallut presque trois heures

tout de même pour enfin parvenir à les déplier entièrement et faire le mouvement inverse

une seule fois, le tout sans m'arrêter au milieu. Cela me demandait des efforts considérables

mais je reprenais vite, et après un quart d'heure de pause je reprenais l'entraînement.

Vers le milieu de la nuit, alors que la lune était haute dans le ciel, je commençais réellement

à me sentir en osmose avec elles, et je savais au fond de moi qu'elles seraient malgré les

problèmes qu'elles me causaient mes compagnons jusqu'à la fin, ou du moins je l’espérais.

Ma cellule était trop exiguë pour m’essayer au vol alors je me contentais de les regarder et

de les sentir dans mon corps, les dépliant lentement, puis une seule des deux. Je savais que

j'avais encore pas mal de choses à apprendre, mais je voulais économiser mes forces pour le

lendemain, pourtant il me restait une chose à essayer: Si elles étaient dans mon corps avant

de sortir, peut-être pouvaient-elles y retourner à volonté? Ça me permettrait de sortir, avec

de la chance, de me fondre dans le paysage... Je n'avais alors pas conscience que ma logique

était bancale, mais cela ne m'a pas empêché d'essayer, et de finir par réussir.

Je me suis forcé à les sentir à l’intérieur de moi comme si elles y étaient encore, imaginant

chaque os, chaque plume regagner mon dos de la même manière qu'elles en étaient sortie.

L'idée était d'utiliser les mouvements que j'avais appris précédemment pour les propulser

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vers mon propre corps, en tachant de les y sentir par avance. Je suis entré alors dans une

sorte de méditation qui dura longtemps, une, peut-être deux heures, durant lesquelles je

vivais mon corps au maximum en vidant toutes les pensées qui pouvaient l’entacher. Je

pensais y arriver, j'y croyais...mais une minute de plus et je laissais tomber. Seulement j'ai

senti un mouvement, une vibration jusqu'à la pointe de mes ailes, d'abord comme une

impression, puis vraiment. Progressivement elles se sont repliées puis serrées, et d’un coup

d’un seul elles sont rentrées en moi avec une douleur qui m’était familière, me laissant

hagard et fatigué, mais satisfait. La douleur a persisté quelques minutes, mais je me

retrouvais comme j'étais avant de les avoir, doté d'une sérénité que je n'avais pas jusqu'alors.

Je pouvais sentir leur présence en moi, rayonnantes de leur douce chaleur. Elles étaient au

plus près de moi, et je n'avais plus aucune douleur. J'ai compris alors que c'était leur

naissance que j'avais vécu, au sens propre du terme, mais maintenant qu'elles étaient venues

au monde, plus jamais je n'aurais mal. Trouver comment les faire ressortir n'a pas été

difficile, bien au contraire je pouvais les faire revenir à tout instant, comme je le désirais. Au

début la sensation était surprenante, mais à force de le faire une, puis deux, puis trois fois, la

sensation devenait aussi banale que de tendre le bras. Je me suis entraîné toute la nuit,

jusqu'à ce que mes forces et la raison aient cessé de me le permettre, il fallait que je dorme.

Le lendemain je devais être interrogé une fois de plus, et il me faudrait être suffisamment

éveillé pour ne pas donner de soupçons sur ce que j'avais fait, ni même sur les évènements

qui allaient survenir grâce à « Thésée ». Alors j'ai rentré mes ailes et je me suis laissé porter

par le sommeil, sans me douter qu’un homme derrière les caméras de sécurité avait pu suivre

mon manège toute la nuit...

Et mon repos fut de courte durée, car au petit matin le général en personne se tenait devant

les barreaux de ma prison. C'était un homme entre deux âges, mais dans les yeux duquel se

lisait une jeunesse violente et encore présente. Sa grande stature faisait de lui un chef

impressionnant pour ses hommes, qui imposait le respect, pourtant on sentait dans sa voix

quelque chose qui n'avait rien de la rigueur militaire.

_"Jvais te dire une chose mon garçon, tu t'es bien foutu de nous mais ça va pas durer.

Aujourd'hui tu as le choix, sois tu parles et tu nous explique, sois on regarde nous-même. On

a pas l'intention de laisser un monstre comme toi courir dans la nature comme ça.

Son ton était dur et sans appel, et son regard porté sur moi avait quelque chose

d'effrayant...J'ai alors sentis dans ma gorge une boule se former et les larmes me monter.

_MAIS JE SUIS PAS UN MONSTRE ! JE VOUS L'AI DIS JE SAIS RIEN DU TOUT !

Je criais à plein poumons, ses menaces venaient de me toucher en plein cœur. Il resta

impassible.

_Alors quoi? Ta chère maman a couché avec un moineau?

C'en fut trop.

_DEGAGEZ ! FOUTEZ-MOI LA PAIX!

Mon sang bouillonnait dans mes tempes, comment pouvait-il se permettre...Pas une seconde

son regard ne m'avait lâché, il restait calme, froid.

_Oh que non on va pas te laisser, tu vas même venir avec nous. Tu manqueras surement à

personne, par contre nous deux on va devenir proches. Je me chargerais moi-même d'ouvrir

ce joli dos pour comprendre comment une saleté comme toi a pu naître. Emmenez-le au

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bloc.

_Ah, et au fait, personnellement j'en ai rien à secouer de te tirer dessus, et mes hommes ont

ordre de t'abattre si tu bronche, donc restes calme le pigeon."

Il avait lâché ça avec un sourire...Il jubilait et mon monde s'effondrait tout entier. Je ne

pouvais plus parler, la rage et le désespoir emprisonnait les mots dans ma gorge, je voulais

pleurer. Ses hommes m'attachèrent les mains et me mirent en joug, me commandant

d'avancer vers les sas. Ma tête bourdonnait encore de colère, mais j'avais désormais la

certitude d'une chose: Mon plan d’évasion devait marcher, c'était le moment.

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La veille, Thésée m’avait indiqué le marquage sur le sol au bout duquel se trouvait

l’entrée principale du complexe, je ne savais pas ce qu’il avait en tête exactement, mais il

m’avait assuré que j’aurais l’occasion de m’enfuir. Le marquage devait servir pour

l'acheminement des marchandises au sein de la structure, et possédait d'ailleurs des codes

couleur dont j'ignorais le sens. Tout ce que je savais, c'est que l'entrée se trouvait à environ

trois cent mètres, au bout de la ligne jaune, et que pour l'atteindre il fallait traverser le hangar

au vu et au su de tous. Cette partie-là du plan m’avait travaillé toute la nuit, et je m’efforçais

de croire que mon allié providentiel savait ce qu’il faisait. Mon escorte me fit sortir de ma

cellule pour me conduire dans l'aile du bâtiment qui se trouvait à gauche du hangar, j'allais

donc sûrement retrouver cette ligne jaune à un moment ou un autre. Je marchais au rythme

que l’on m’imposait et j’avais bien réfléchit. Malgré ce que le Général avait dit, s’ils

voulaient m’étudier il fallait que je sois entier, et donc ils ne me tireraient pas dessus, c’était

simpliste comme raisonnement mais il fallait que ça marche.

Arrivé en vue de l'intersection, j'ai pris une grande inspiration, puis d'un coup sec j'ai tiré la

laisse qui me tenait, mais étonnamment elle vint facilement. Derrière moi les deux gardes

s’effondrèrent face contre terre, inertes, ne laissant debout qu’un soldat que j’ai reconnu de

suite malgré son casque et ses lunettes. Thésée tenait en main deux seringues vides, qu’il

fourra dans sa poche avant de se précipiter sur moi pour m’enlever mes chaînes, sur le qui-

vive. Si nous étions surpris ainsi, c’en était finit de lui, il venait de devenir un traitre, mais ni

lui ni moi n’avions le temps d’y penser. Une fois libéré, il me pointa du doigt la ligne que

j’avais sous les pieds, d’un jaune salvateur, et après une tape sur l’épaule il partit dans la

direction opposée, me laissant seul avec la suite du plan. Je suis parti à toutes jambes, alors

que dans mon dos on pouvait entendre les premières réactions aux corps gisants. Mon cœur

tambourinait dans ma poitrine à m'en faire perdre haleine, mes poumons brûlaient alors que

j'essayais de ne pas ralentir. Au-devant de moi des hommes tentèrent de m'intercepter en me

mettant en joug, et lorsque tonna le premier coup de feu, j'ai reçu comme une décharge

d'adrénaline, il fallait que j'y arrive ! Je les ai bousculé aussi fort que j'ai pu et je suis passé

de justesse.

Au-dessus de moi l'alarme commença à retentir, et sur le sol gris du complexe j'entendais les

bottes commencer à s'agiter. Un coup de feu, puis deux. Par chance ils étaient trop loin de

moi pour que je m'en inquiète, alors qu'au sol la ligne jaune continuait sa route. Tout à coup

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une porte se ferma devant moi, me coupant la route. Dans la panique j'ai emprunté le

premier couloir qui venait, priant intérieurement tous les dieux que je connaissais pour

tomber sur le bon, quel que soit le plan, ma discrétion avait tout fait rater ! Un couloir, puis

deux, puis trois et toujours pas de sortie ! L'alarme retentissait fort alors que toute la base

était en alerte, j'étais devenu une bête traquée. Éviter les sas, je n'en avais franchis qu'un,

éviter les couloirs qui partaient trop loin sans coupure, éviter les gardes...J'ai cru que mon

cœur allait exploser tant il battait fort quand soudain je l'ai aperçu, droit devant. Les grandes

portes commençaient à se refermer, alors que devant de plus en plus d'hommes se

rassemblaient, sans compter ceux qui me suivaient...j'étais perdu.

"_Attendez !

Le Général venait de se poster devant ses hommes, un air amusé sur le visage.

Entre moi et lui il n'y avait qu'une poignée de mètres, pourtant je savais que je n'arriverais

pas à l'éviter comme j'avais pu le faire, et les soldats derrière m'arrêteraient eux, si j'y

parvenais.

_Est ce que t'as un prénom au fait, je suis malpolis je t'ai même pas demandé.

_Luther...

_Alors écoutes moi bien, Luther, ici on obéit pas vraiment aux ordres officiels tu vois, car si

on le faisait, on aurait pas besoin de nous dans l'ombre.

_Laissez-moi partir...

_Bien sûr, et avec ça on va te payer des études ! Nan mais qu'est-ce que tu crois? Que tu vas

pouvoir avoir une vie normale dehors, et foutre le bordel dans notre pays?

_Je veux pas faire ça...

_Et on va te croire sur parole ! Pour la seule raison que tu as vu tout ça, tu vas devoir

disparaître, de toutes façons.

_Mais j'ai rien fait de mal !

_Bla, bla, bla. Écoutes, on va pas discuter des plombes, tu veux jouer au rugbyman? Ok,

soyons fous, essayes de passer si t'y arrive. Regarde, de toutes façons, si t’y arrive mes

hommes te bousillent les genoux et jt'apporterai des fleurs dans ta cellule avant de te

disséquer. Si tu n’y arrive pas, je te pète les deux bras et tu vas au bloc directement, ça

marche ?

Et lentement les soldats ont levé leurs armes, me laissant abattu mentalement face à cet

homme détestable, dont chaque mot déclenchait en moi dégoût et colère.

Je n’avais plus aucune chance de m’en sortir à présent, peu importe ce que je ferais, l’issue

serait la même…

Le Général me regardait fixement, il jubilait de la situation, jusqu’au moment où les portes

du hangar explosèrent. La déflagration sema la panique, les morceaux enflammés

constellaient le sol et une odeur âcre de fumé me brulait les poumons. En un instant ma porte

de sortie venait d’apparaître, et avec elle mon occasion de m’enfuir. J’ai couru de toutes

mes forces vers l’homme que je détestais, hagard et sonné, et j'ai projeté de toutes mes

forces mon pied vers son visage, lui brisant le nez dans un craquement sinistre. J'aurais fait

mille fois pire si j'en avais eu l'occasion, mais l'idée était de le mettre KO, je n'avais pas

beaucoup de temps. Se saisissant le visage à pleines mains pour y recueillir son sang qui

coulait à grosses gouttes, il ne vit pas que je sprintais vers la sortie, sous les yeux des soldats

restants ne sachant pas que faire. Thésée venait de m’offrir la liberté, je devais la saisir à tout

prix.

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Mais le répit ne fut que de courte durée, et à peine avais-je eu le temps de franchir les portes

qu'un déchaînement assourdissant de coups de feu s'était mis à retentir, vite dominé par un

cri étouffé et plein de rage.

_"LAISSEZ LE MOI ! JE VAIS LUI FAIRE LA PEAU MOI-MEME, TROUVEZ-MOI

L’ENFANT DE SALAUD QUI A FOUTU CETTE MERDE !!!"

Devant la base se trouvaient une demi-douzaine d'avions de chasse et d’hélicoptères, de

char d'assauts et de convois, mais au loin je pouvais apercevoir que des véhicules plein

d’hommes armés se dirigeaient vers moi, sans compter ceux qui me suivaient de près.

Je courais à en perdre haleine vers le désert, pourchassé par cette bête violente que j'avais

provoqué par ma seule existence. Je sprintais de toutes mes forces sur le tarmac de la piste

d’atterrissage, les poumons en feu et la vue qui se brouillait, transpirant comme jamais,

quand tout à coup j'ai senti une douleur violente à la cuisse, précédé d’une détonation

lointaine. J’étais touché, le Général venait de m'apposer sa marque comme je venais de le

faire sur lui... Ma jambe perdit alors toute force, et avec elle mon espoir de m'échapper, la

douleur était aigu, et irradiait dans tout le bas de mon corps en mettant un coup d'arrêt à ma

fuite aussi soudainement qu'elle avait débuté. Je n'avais dès lors plus qu'une solution, celle

que j'appréhendais depuis la nuit : J'ai rassemblé toute la concentration dont j'étais capable et

j'ai étendu mes ailes avec force.

Mon t-shirt a volé en morceaux alors que claquèrent dans le vent mes deux grandes ailes

blanches, et j'ai sauté de mes toutes dernières forces. C'était le moment de vérité, le grand

saut, mon dernier espoir. J'ai battu des ailes aussi fort que possible, ne sachant rien des

techniques pour voler, et je n'ai pas touché le sol de nouveau. Je ne suis pas retombé, je

volais pour de vrai! Mais je n'avais pas le temps de me féliciter de ce baptême de l'air, car

tout autour de moi fusaient les balles, qui elles n'avaient cure de mon exploit. J'ai donc tenté

de monter le plus haut possible pour être hors de leur portée, oubliant qu'un jour j'avais eu le

vertige...

Pas une fois je me suis retourné, et lentement le bruit s'est atténué; Ils ne pouvaient pas

utiliser d'armes lourdes contre moi, sans quoi ils ne pourraient pas m'étudier, je me suis donc

éloigné de la base militaire dans le désert en battant frénétiquement des ailes, entendant

encore au loin les coups de feu qui fusaient dans ma direction.

En me dirigeant ainsi vers le ciel, j'ai pris conscience que je ne savais pas exactement où je

me trouvais, peut-être étais-je même dans un autre pays ? Qui sait... Mais j’avais d’autres

préoccupations à ce moment-là, ma jambe avait l'air de pas mal saigner et je pouvais

entendre derrière moi des hélicoptères décoller pour se diriger pleins gaz vers ma position.

Bien que j’aie su instinctivement voler sur le coup, je n’étais certainement pas en mesure de

rivaliser en matière de vitesse avec des hélicoptères de combat, et il me fallait vite trouver

une cachette pour les semer. Malheureusement je me trouvais entouré de sable sur

probablement des kilomètres et il n’y avait aucun moyen pour moi d’échapper à cette

nouvelle menace. Ils se rapprochaient à une vitesse inimaginable et je peinais à me maintenir

en l’air pendant ce qui était encore un tout premier vol d’essai. Battre des ailes comme je le

faisais me fatiguait énormément, je m'étais imaginé qu'il suffisait de les agiter pour rester en

l'air, mais c'était en réalité bien plus compliqué...Il me fallait composer avec les courants

d'air, que je sentais comme jamais à l'altitude ou je me trouvais, et malheureusement je

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n'avais jamais été un passionné d'aviation.

Soudain au loin j'ai aperçu une forme qui, faute de m’être familière me paraissait être ma

seule échappatoire à ce moment précis, un canyon. Qui disait canyon voulait dire

probablement cours d'eau, mais surtout pour moi à ce moment-là un coin ou je pourrais me

reposer, à l'ombre. Depuis ma cellule je n'avais pas pris conscience que le soleil serait si

écrasant et sans pitié, je devais donc m'abriter pour me reposer, sans quoi je ne tiendrais pas

longtemps. Mais il y avait un problème, même deux, et de taille en plus : Deux machines de

guerre étaient sur le point de me rattraper. Au loin je pouvais les entendre en plein décollage

sur le tarmac que je venais de quitter, et à coup sûr c'était pour moi...

Je ne pensais pas avoir à me faire de soucis pour ma vie, du moins pas directement, car s’ils

voulaient pouvoir m’étudier ils devaient me garder en un seul morceau, mais c’est lorsque

j'ai aperçu les deux énormes mitrailleuses que j'ai commencé vraiment à m’inquiéter. Le

Général l'avait dit, il n'avait que faire qu'on me tire dessus, et après ce que je lui avais

fait...lui-même n'hésiterait pas une seconde. Il ne restait alors qu’un ou deux kilomètres,

peut-être trois, qui me séparaient de ce canyon, il me fallait l'atteindre rapidement car ils ne

m'y suivraient pas, et ma jambe me lançait douloureusement.

Le premier hélicoptère arriva à ma hauteur plus vite que je ne l'avais escompté, je n'étais

vraiment pas assez rapide pour prétendre les distancer...Mais contrairement à ce que je

croyais il ne tira pas. Réduisant sa vitesse, il passa à côté de moi suffisamment vite pour

perturber mon vol. La violente bourrasque de vent qui suivit son passage me fit faire une

embardée, me forçant à redescendre pour ne pas tomber comme une pierre, eux savaient

vraiment mieux voler que moi...Alors que je reprenais doucement de l'altitude, le second

passa lui encore plus près de moi, à tel point que je mis cette fois plus de temps encore avant

de me rétablir, sentant chaque seconde plus intensément la fatigue dans mon dos et le haut

de mon corps. A ce rythme-là j'allais finir par m'écraser ou me faire prendre dans les

pales...Et au loin déjà le premier hélicoptère s'apprêtait à refaire un passage...C'est alors que

j'ai eu une idée folle, stupide et complètement déraisonné, mais désespérée...

La vitesse de ces engins était certes importante, mais pas pharamineuse. Ils pensaient peut-

être simplement me faire tomber, sans prendre le risque ni de me toucher, ni de trop

s'éloigner, et c'est cette petite attention qui m'avait soufflé ce que j'allais faire, une chose que

je n’aurais jamais imaginé essayer un jour : tenter de m'agripper à l'un de ces engins lorsqu'il

passerait près de moi. Je n'avais pas imaginé une seconde le danger que cela représentait, si

je croisais une pale je risquais d'être déchiqueté, et pire encore si c'était la mitrailleuse qui

venait me cueillir... Si j’avais su que ce serait aussi difficile et périlleux je n’aurais

certainement pas décidé de le faire, mais il le fallait.

J'ai guetté le retour du premier, gardant tout de même le cap du canyon, mais sans chercher à

le fuir, et lorsque celui-ci pointa dans ma direction comme il l'avait fait précédemment je me

tenais déjà près, à seulement une trentaine de mètres du sol. Je n'avais pas idée de ce que

j'allais vraiment faire, mais à force d'être persécuté, poursuivit, menacé, je commençais à en

avoir marre! Marre d'avoir peur, d'angoisser, de craindre pour ma vie...Alors cette fois-là, j'ai

mis de côté mon cerveau, et advienne que pourra ! Lorsque l’hélico se trouva à une

vingtaine de mètre, je fis une embardée pour croiser sa route, me préparant physiquement à

attraper la première prise venue, et à encaisser le choc de la rencontre. Seulement rien ne

s'est passé comme prévu.

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Me voyant me jeter au-devant de son engin, le pilote fut pris de panique et fit un écart si

grand qu'il perdit l'équilibre de l'appareil, et dans la confusion la plus totale, sous mes yeux

hallucinés, le monstre d’acier manqua de percuter son jumeau et piqua vers le sol, éjectant

avant le crash son passager. Cet homme avait eu peur pour nous deux, et pendant une

seconde je suis resté sous le choc. Je ne me l'admettais pas, mais ce coup-ci j'aurais dû avoir

peur pour ma vie comme jamais...On ne s'accroche pas à un hélicoptère de combat en

vol...De là ou j'étais je pouvais sentir l'odeur des flammes qui léchaient les débris de

l'appareil, alors que je filais toujours vers le canyon. Mon esprit restait bloqué sur cette

image que j'avais vu avant l'instant T, le rotor si près de moi...C'était pas passé loin.

Pourtant il y a un qui ne partageait pas mes états d'âme et j'ai dû me ressaisir. L’autre pilote

avait assisté au crash de son camarade et ne semblait pas avoir perdu de vue son objectif,

derrière moi et malgré le vent de face je pouvais clairement entendre le second appareil qui

volait toujours. C’est là que je me suis rendu compte que cette corrida avec les deux

machines m’avait considérablement rapproché du canyon, mon répit me tendait les bras en

sonnant la fin de la poursuite. Il me semblait avoir perdu pas mal de sang et j'étais secoué

lorsque je me suis engagé au milieu des formations rocheuses, je ne devais pas être tout à

fait hors de portée, mais suffisamment pour décourager mon ultime poursuivant pendant un

temps. Les hommes à l’intérieur ne s’étaient certainement pas préparés à l’escalade et

l’engin ne pouvait pas passer dans la faille ou j’avais trouvé refuge.

Mon premier atterrissage fut catastrophique, j'ai manqué de me fouler une cheville et mes

genoux en ont gardé la trace pendant un moment, mais j'étais vivant et provisoirement sorti

d'affaire. De là ou j'étais on ne pouvait pas apercevoir la base, mais c'était peut-être mieux

ainsi, au moins eux ne me verraient-ils pas non plus. Je m'étais mis à l'abri dans une petite

excavation, à mi-hauteur d'une faille naturelle creusée par un petit cours d'eau, aujourd'hui à

sec. Le confort était sommaire, tout juste deux touffes d'herbes sèches et des pierres, mais

dans l'état ou j'étais n'importe quel sol aurait convenu à mon pauvre dos, je n'allais pas faire

le difficile. Ma blessure à la cuisse saignait beaucoup, mais visiblement la plaie était

superficielle, la balle n’avait qu'effleuré ma jambe, sans traverser mais en touchant assez

pour que cela mette un certain temps à cicatriser. Le Général avait visiblement du mal à

viser sans son nez... J'ai déchiré un bout de mon pantalon pour faire office de bandage,

c’était précaire mais suffisant sur le moment, du moins en attendant que je rentre à la

maison. Mais avant ça il fallait que je me repose, et cet endroit me convenait. Quand bien

même les militaires me chercheraient dans le canyon, je n'étais pas à portée de vue, une

bonne hauteur me séparait du sol et à moins d'être sur la face opposée, pas même un

hélicoptère plus léger n'aurait pu me trouver. J’allais donc essayer de dormir un peu, avant

de repartir et de chercher le chemin de la ville.

J'ai passé plusieurs heures sur mon îlot de fortune, sans pouvoir réellement dormir. L'idée

que l'on puisse me poursuivre pour quelque chose dont je n'étais pas responsable m'obsédait

et m'empoisonnait. Quelque part en contrebas allaient peut-être venir des hommes armés,

encore, et avec eux une mort presque certaine...Comment en étais je arrivé là...Et dire que

quelques jours auparavant je me plaignais de mes camarades de classe, un problème

tellement ridicule maintenant...Mais la question qui me harcelait le plus était de savoir

comment je m'étais retrouvé dans cette base, si loin de chez moi et surtout pourquoi ils

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n’avaient pas tiré depuis les hélicoptères…

Je n'avais pas vu un seul kilomètre du voyage qui m'avait emmené ici, ni même entendu le

vrombissement d'un véhicule...Ces militaires, de quelque division qu'ils soient, étaient sans

doute venu me chercher eux même, avec leurs drogues...Mais qui les avait appelé dans ce

cas? Qui était assez stupide, malveillant, pour me livrer à ces mercenaires? Je voyais mal un

élève le faire, ni même un professeur...encore que... La personne qui les avait contactés ne

savait peut-être pas ce qui allait advenir de moi, sûrement même...du moins me fallait-il le

croire, car j'avais l'intention de rentrer et de reprendre ma vie. Clairement pas de la même

manière qu'avant, mais je tenais au peu de choses qui m'y rattachait, à savoir ma mère et

Conrad...Puis les amis que j'aurais peut-être. Mais à tout bien y réfléchir, comment les gens

me verraient-ils à mon retour? J'allais évidemment faire profil bas, mais je ne parviendrais

pas à éviter les regards de ceux qui m'avaient vu, et pour les rumeurs qui animeraient les

autres...Ça j'avais l'habitude.

A présent que j'avais un peu la paix c'est toute ma vie d'avant qui venait me chercher au fond

de ce canyon, et avec elle une foule de questions...Qui pourtant pas une seconde ne

m'empêchèrent de trembler de douleur et des angoisses qui avaient été mon lot jusque-là. Je

suis resté trois heures, peut-être quatre, à réfléchir ainsi car je ne trouvais pas le sommeil.

Mon corps s'était mis lentement à aller mieux, sans pour autant que la douleur à ma cuisse

ne disparaisse. Dans mon dos la fatigue avait commencé à s'atténuer, pour finalement ne

devenir qu'une vague faiblesse, une sorte de courbature. Rentrer...Et vivre, telles étaient mes

seules solutions pour ne pas sombrer dans l'angoisse que quelqu'un dans l'ombre ne

survienne pour me disséquer...Rentrer pour me sentir mieux et en sécurité, le reste attendrait.

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Lorsque j'ai pu me tenir debout je suis parti, la faim commençait à me tirailler

franchement et à quelque distance que je fus de chez moi, je voulais arriver avant la nuit.

Étonnamment, me second envol fut moins désastreux, l'expérience du premier semblait avoir

porté ses fruits, et mon calme retrouvé me permettait de me concentrer davantage. Je suis

d'abord sorti du canyon, en suivant le lit du cours d'eau asséché, pour me diriger vers le

Nord, dans la direction où me semblait se diriger cette piste. Je volais bien au-dessus des

formations rocheuses, puis de la cime des arbres lorsqu'enfin le paysage est devenu plus

vert. De cette manière je pouvais voir suffisamment loin, je craignais de monter trop haut.

Les courants de masse d'air ne me disaient rien pour le moment, je craignais d'être ballotté et

de finir par m'écraser, pourtant je me sentais plus à l'aise. J'avais trouvé un moyen de me

laisser porter à moitié, en réduisant par-là la fréquence de mes battements d'ailes. C'eût pour

avantage de me fatiguer moins rapidement, et pour la toute première fois de mon existence,

de prendre du plaisir, une ivresse qui m'a redonné le sourire.

Le vent fouettait mon visage d'une manière étonnamment douce, charriant avec lui les

parfums de la nature au-dessous. Je pouvais sentir la fraîcheur des feuilles de la canopée

lorsque je survolais une forêt, le parfum sucré des arbres fruitiers au fur à mesure

qu'apparurent les premiers champs. Je me calmais, j'appréciais, et si ma jambe ne m'avait

pas fait mal, j'aurais pu oublier tout ce qui m'était arrivé précédemment, je volais.

Rapidement je suis tombé sur des panneaux de signalisation, m'indiquant par là non

seulement que je me trouvais encore dans mon pays, mais que ma maison ne se trouvait plus

excessivement loin par la voie des airs. Je n'avais pas compté depuis combien de temps je

voyageais tant l'expérience me semblait belle et chaque paysage tel un théâtre de mon

plaisir, mais à en juger par la course du soleil, l'après-midi ne tarderait pas à toucher à sa fin.

Lorsque j'ai pu repérer la direction de ma ville, j'ai suivis la route, sans penser une seconde

que l'on pouvait me voir et se poser des questions. Après tout, ils ne seraient que des témoins

de plus, et lorsque je me poserais et que je rentrerais mes ailes, personne ne pourrait me

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reconnaître. Les routes n'avaient pas la même odeur que les endroits que j'avais traversés,

mais elles étaient à coup sûr plus pratiques pour me retrouver, et enfin, alors que le soleil

commençait à décliner dans le ciel, mon ciel, comme une curieuse rencontre j'ai aperçu les

petits nuages de ma ville natale.

Le voyage ne m'avait pas semblé bien long, et pourtant le soleil déclinait à toute vitesse à

l'horizon, colorant le ciel de toutes les nuances de l'orange et du rose. Je venais de passer la

journée à voler, et j'aurais sûrement continué si la fatigue ne m'avait pas tout à coup rattrapé.

A peine avais-je posé le pied à terre que je prenais pleinement conscience de ce que je venais

d'accomplir, je n'avais plus de force dans les ailes, et mes jambes, bien qu'elles ne m'avaient

pas servies, ne parvinrent pas à me soutenir une fois arrivées au sol. J'avais atterris non loin

du chemin de terre que je connaissais pour l'avoir emprunté pas mal de fois, sonnant ainsi

mon retour dans ma ville natale. Vu du sol, le ciel semblait si haut...j'avais hâte de le

rejoindre, de l'embrasser encore une fois...Mais à ce moment-là je n'en étais plus capable, et

je me voyais mal m'écraser au milieu de la rue parce que j'avais pensé réussir à arriver au

bout, c'est donc après quelques minutes et en boitillant que j'ai rejoint l'arrêt du bus qui me

ramènerait chez moi, encore vêtu de ma blouse déchirée, pieds nus et sans argent. Mais enfin

! Je retrouvais la civilisation et tous ses tracas quotidien, mais surtout ma mère et mon chien.

Je n'avais aucune idée de la manière avec laquelle elle allait réagir en me voyant rentrer

après tant de jours passés loin d’elle, sans nouvelles, ni même l'assurance que je vivais. Je ne

savais pas quoi lui dire, comment me justifier, je ne savais même pas comment j'allais

aborder la question de mes ailes...Pour le moment il fallait juste que je la vois.

Mon appartement n’avait pas changé, je retrouvais les vieilles tapisseries qui se décollaient,

cette légère odeur de poussière qui émanait de la moquette et cette lumière si particulière qui

éclairait l'entrée quand le jour touchait à sa fin. Au moment où j'avais poussé la porte, la

boucle s'était bouclée, je reprenais pied dans ma vie, en oubliant presque tout ce qui s'était

passé. Je re découvrais des envies toutes simples, et pourtant si bonnes, celles qui me

prenaient si souvent lorsque mon existence était un calme plat. Grignoter devant la télé, à

regarder distraitement une émission ou une autre, m'allonger dans mon lit et essayer de

discerner les bruits de l'immeuble, regarder le ciel par la fenêtre... Mais non, quelque chose

était résolument différent lorsque je suis rentré, et à cet instant je n'aurais pas su dire quoi.

Je suis tombé face à ma mère dans cette entrée, allant à ma rencontre dans la semi-

pénombre. Cela faisait près de trois jours que je n’étais plus là, et dieu sait que la peine que

je lui avais faite malgré moi se lisait dans ses yeux, serrant ma gorge et mon cœur. Elle

s'était fait un sang d’encre, mais elle ne me l'aurait pas dit... Seul comptait mon retour. Nous

étions comme ça elle et moi, nous n'avions pas besoin de mots. Pas besoin de mots pour

savoir ce que l'autre ressentait, pas le moindre discours pour traduire nos chagrins. J'ai

compris lorsqu'elle m'a serré dans ses bras que j'aurais eu tort de penser qu'elle m'en aurait

voulu, car dans ses gestes nulle colère ni reproche, juste une joie maladroite et mal contenu.

Savait-elle seulement ce qui m'était arrivé? J'en suis presque certain maintenant, car à tout

bien y penser si le lycée entier le savait... Mais j'étais là, j'étais en vie, et la sienne pouvait

reprendre.

Elle ne m'a pas posé de questions à ce moment-là, pas une seule, mais je m'étais que je lui

raconterai tout le lendemain. J’aimais ce côté d’elle, elle me faisait sentir être quelqu’un de

responsable, sans jamais me laisser oublier qu'elle serait toujours là pour moi, sans même le

dire... Lorsqu’elle a vu ma blessure elle ne s’est pas affolée, au contraire, et son regard de

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reproche forcé, accompagné de ce petit sourire qui n'appartenait qu'à elle m’a fait rire et en

même temps m'a serré le cœur, j'étais doué pour toujours me blesser bêtement. Elle m'a fait

un bandage plus décent après avoir ôté celui que j'avais fait et désinfectée ma blessure, qui

m'a semblé si ridicule à cet instant ! Et elle l'était...Car j'aurais aimé la subir mille fois plutôt

que d'avoir à subir le silence lorsque j'ai demandé, le sourire aux lèvres, où était Conrad...

Pas un mouvement de patte dans l'appartement, pas un halètement de joie à mon retour...J'ai

compris lentement que son absence était la chose que j'avais remarqué dès mon entrée, et les

yeux baissés de ma mère lorsqu'elle me raconta ce qu'il s'était passé me poignardèrent à

même le cœur.

Le premier soir de mon absence, Conrad n'avait rien mangé, ni la nuit, ni le matin du

lendemain, se contentant de tourner dans l'appartement la queue basse. Et les caresses n'y

avaient rien changé...Au soir du second jour elle pouvait l'entendre gémir parfois devant ma

chambre, couché la tête entre les pattes, et lors des promenades il marchait lentement, la

truffe au vent, lui qui aimait tant sortir... Au matin du troisième jour pourtant, à l'heure l'on

me menait vers la salle d'autopsie, il avait semblé vouloir sortir et avait même mangé toute

sa gamelle! Dans l'ascenseur il remuait doucement la queue en regardant ma mère, l'œil

humide, et à grands renforts de léchouilles et de gémissements, il manifestait une sorte

d'impatience, des gémissements comme ceux qu'il faisait lorsqu'il était triste... Mais elle n'en

avait compris la raison que trop tard.

Selon elle, arrivé dans la rue il avait arraché la laisse et s'était échappé, courant droit devant

lui, rendu fou par la tristesse et le désarroi; il partait me retrouver par ses propres moyens,

mais il n'a pas vu le bus arriver... La suite je ne l'ai pas compris tant sa voix était blessée de

sanglot, et ma tête sonnée...Les passants dégoûtés, les passagers en colère parce qu'ils

allaient être en retard....

Conrad était mort pour me rejoindre, au milieu de cette rue que j'empruntais chaque jour...Et

le matin même de mon départ je n'avais pas osé le réveiller pour lui montrer combien je

l'aimais...Mon cœur battait douloureusement dans ma poitrine, je suffoquais. Il était pour

moi plus qu’un animal, il était la seule chose au monde qui me rappelait que l’on pouvait

vivre sans faire du mal ou en être la victime. Il était mon seul ami, le seul qui sans même me

comprendre tenait à moi, juste pour ce que j’étais! Cette petite boule de poils tenait une

partie de mon cœur au creux de ses pattes, au fond de son âme, et aucune caresse au monde,

aucune friandise ne valait le quart du bonheur qu'il m'apportait, et il ne demandait rien, rien

d'autre que ma présence, rien de plus qu'un peu d'attention !! Conrad était mort pour me

rejoindre...Et le matin même j'avais été trop con pour le réveiller... Je pleurais sans pouvoir

m'arrêter, je n'y arrivais pas, je ne voulais pas! Mon chien ne méritait pas une fin pareille,

pas lui...Pas par ma faute comme ça...

L'appartement résonnait du vide de son absence, et aucune larme n'aurait pu couvrir ce

vacarme assourdissant, ni ce soir-là ni jamais...Pourtant j'ai pleuré, encore et encore, jusqu'à

ce que mes joues se couvrent de croûtes de sel et que la fatigue me rattrape, vengeresse mais

salvatrice.

Le matin m'a trouvé amer et maussade, le nœud de mon cœur toujours présent mais le corps

de nouveau lancé dans le torrent du quotidien. La mort de Conrad avait causé un grand

trouble en moi, comme si j'avais désormais la confirmation que cette vie ne durerait pas, et

ça je le savais d’autant plus qu’elle avait basculé du tout au tout en une poignée de jours.

Mais elle devait continuer malgré tout et suivre son cours, et si tel devait être mon nouvel

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horizon, privé de mon ami le plus cher il ne pouvait en être autrement, je devais poursuivre

ma route sur le chemin de la destinée. Pendant mon absence à la maison, notre situation

n’avait pas évoluée, charriant toujours avec elle les mêmes angoisses et menaces. Je savais

au fond de moi qu'une nouvelle s'était faite jour avec l'histoire des militaires, mais je m'en

fichais, d'eux comme de tout... Je devais simplement retourner en cours le lendemain, lundi,

car je ne voyais pas quoi faire d'autre et que si je voulais essayer d'avoir mon année, je

devais en passer par là, qu'importe la suite.

Il devait être onze heures lorsque j'ai fini par me lever, je ne voulais pas voir le vide de mon

petit appartement... Ma mère avait fait des crêpes pour essayer de me remonter le moral,

c'était son remède magique quand je ne me sentais pas très bien, elle avait même voulu m'en

apporter au lit mais devant mon air elle avait préféré me laisser seul et attendre dans la

cuisine. Je n'avais pas vraiment faim à dire vrai, mais je n'avais pas vraiment mangé depuis

quatre jours, et je savais que si je ne me forçais pas ce n'était pas bon pour moi. Je me

souciais guère de ma santé...Mais dans mes malheurs, une personne persistait à le faire, et

c'est pour elle que je devais me forcer. Conrad adorait ça lui aussi, il savait toujours les

demander de manière à ce que l'on puisse pas lui refuser, et on se laissait prendre de bon

cœur, l'imaginant fier de son rapt et heureux de manger.

J'ai passé comme ça toute la journée, à me souvenir...De lui, de nous, de ses tours et de ce

qu'il aimait ou détestait...Au début les larmes me revenaient, mais au fur à mesure je trouvais

une sorte de sourire, celui de la nostalgie. J'ai petit à petit recommencé à penser à moi, il

m'aurait trouvé en bien triste état... J'ai donc prit le chemin de la salle de bain pour redevenir

présentable, mais c'est lorsqu'enfin j’ai eu finit et que je me suis revu pour la première fois

dans le miroir après tant de temps que j'ai pris conscience des changements qui s'étaient

opérés en moi. Je ne me voyais plus de la même manière, car j’avais appris plus de choses

sur moi-même ces derniers temps que durant les deux dernières années. Je me voyais plus

vieux, et il me semblait que mes dernières expériences avaient laissé leurs marques sur mon

visage. Je ne me sentais plus le gamin de quatorze ans se posant des questions existentielles

sans arrêt, rêvant d'une vie à cent à l'heure...Je me posais certes encore pas mal de question,

mais elles prenaient une tout autre dimension.

Ce soir-là je me suis couché tôt, laissant ma mère dormir devant la télé. Elle avait passé plus

de temps que d'habitude avec moi ce jour-là, et ce n'était pas pour me déplaire. Nous n'avons

pas reparlé de ce qui m'était arrivé, et elle n'a pas cherché à savoir, pourtant il m'a semblé

une fois surprendre un regard et un sourire au moment où des colombes passaient à l'écran.

A la nuit tombée elle avait même insisté pour que l'on commande une pizza, chose que nous

n'avions jamais faite! C'était là la force de ma mère, atténuer les peines par la douceur, sans

même y toucher, et j'aurais aimé savoir-faire de même avec elle quand elle n'allait pas bien...

Mais je m'en remettais à elle, c'est ce qu'elle souhaitait...Enfin...Sauf quand elle s'endormait

devant les films du soir, ce qui ne manquait jamais. Dans ces cas-là, c'est moi qui éteignait

tout et la réveillais pour lui dire d'aller se coucher, avant de rejoindre mon propre lit.

Lorsque ma vie devenait dure, elle me la rendait plus douce, et ce soir-là, faute de

m'endormir le cœur léger, je me suis couché avec une peine moins lourde.

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Je me suis réveillé au son du réveil comme je me réveillais chaque jour depuis mon

entrée à l’école, avec l’inquiétude de me faire rejeter et l'appréhension des épreuves qui

m'attendaient. Pourtant cette fois ci ce sentiment était différent, cette fois toute la journée

allait être obligatoirement différente, cela ne pouvait en être autrement. J'allais retrouver

l'endroit dans lequel j'étais venu au monde une seconde fois, serti d'une nouvelle image dont

j'ignorais toute la teneur. Allaient-ils me fuir? Me rejeter bien plus violemment que

jusqu'alors? Allais-je même avoir le droit de revenir, comme ça? Et en effet j'étais à mille

lieux de m'imaginer ce qui m'attendait.

Comme à l'accoutumé j'ai emprunté la petite avenue qui menait à mon lycée, de la même

manière que je l'avais toujours fait, ni plus, ni moins. Il n'était pas question que j'emprunte la

voie des airs, car si tant est que la personne qui m'avait envoyé à la base militaire se trouvait

au lycée, ce dont je doutais mais tout de même, je ne pouvais pas courir le risque de

m'exposer. La ville autour de moi n'avait pas changé d'un iota, au contraire même. Toujours

les même bouchons de circulation aux mêmes endroits, toujours les mêmes boutiques avec

les mêmes vitrines...Je marchais d'un pas normal, pas spécialement pressé ni en traînant des

pieds, pourtant le chemin me paraissait plus long. Était-ce parce que vu du ciel les distances

semblaient plus courtes? Ou était-ce simplement qu'au fond je craignais ce retour...

C'est uniquement lorsque je suis arrivé en vue de mon vieux lycée que j'ai compris que rien

n'aurait pu me préparer à ce que j'allais trouver. Oh oui, les choses étaient différentes, et le

moins que l'on puisse dire c'est que mon enfer avait bien changé.

La première chose dont je me souviens c'est le murmure soudain qui a traversé la foule des

élèves postés devant les grandes portes. Le fait qu'ils se trouvent là n'avait rien d'inhabituel

en soi, mais ce qui l'était moins c'était le calme. D'habitude ça parlait, ça criait même parfois,

ça fumait et surtout ça ne prêtait même pas attention au monde tout autour, mais cette fois...

Je ne suis pas du genre à me sentir observé, mais là je l'étais réellement, et pas seulement par

une personne. Le bruit de ce qu'il m'était arrivé était-il à ce point énorme? Immédiatement

j'avais baissé les yeux, poursuivant mon chemin, et je serais certainement arrivé jusqu'à

l'entrée si l'on ne m'avait pas abordé.

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_"Excuses moi dte déranger, mais c'est vrai ce qui se dit sur toi? Les ailes tout ça...

C'était une fille qui venait de se poser devant moi, je ne l'avais jamais vu avant. Le fait

qu'elle m'aborde comme ça était déjà étonnant, mais pour en plus me dire ça... J'aurais aimé

éviter la question autant que possible, mais j'ai réalisé à ce moment-là que je me devais de

faire bonne figure, au moins pour ne pas attirer de méfiance.

_Euh oui je crois, on t’a dit quoi?

C'est à ce moment-là que j'ai remarqué qu'autour les autres se rassemblaient pour écouter,

d'abord discrètement puis complètement, augmentant par là le poids que je sentais

soudainement sur mes épaules.

_Bah...Que tu criais et que des sortes d'ailes ou jsais pas quoi t'ont poussé dans le dos quoi,

tu sais...

A ce moment un autre intervint, un grand garçon que je savais être en terminal.

_Ouai j'étais là! T'avais l'air d'avoir mal, mais c'était quoi? Un truc de pub, une caméra

cachée? C'était trop bien fait, ça faisait flipper grave! Mais personne nous a expliqué après.

_Non, c'était vrai ! J'ai vu moi aussi!

La voix venait de derrière moi, je n'ai pas vu qui avait crié mais c'est l'autre qui répondit d'un

ton amusé.

_Et ta connerie tu l'as vu ?

La fille qui était venue la première se tourna alors vers moi.

_Mais...Elles sont où maintenant? Tu te les ai faite enlever?

_Bah en fait non, jveux dire, elles font partie de moi on dirait, ce serait comme si je me

faisais enlever un bras ou une jambe...

Tout le monde me regardait attentivement maintenant, certains même avec un air inquiet.

Cette attention soudaine était embarrassante, mais contrairement aux réactions que j'avais

eues chez les militaires, elles étaient cent fois plus plaisantes, au point que ça en

devenait...presque grisant.

_Moui. Donc en fait tu les gardes dans une pokeball !

Le grand étouffa un rire, imité par une grande partie de la foule, y compris moi.

_On peut dire ça comme ça !

La fille me regardait toujours, elle n'avait même pas sourit.

_Mais c'est une maladie? Une sorte de difformité? Genre de naissance ou...

_Je sais pas, mais si ça dérange pas, j'aimerais que vous en parliez pas trop trop...Je sais que

c'est sûrement déjà fait, mais jveux pas attirer l'attention, j'ai eu des problèmes déjà...

Cette fois c'est un de mes camarades de classe qui s'adressa à moi.

_C'est vrai ça t'étais où Vendredi? Ça a un rapport avec le fourgon qui est venu te chercher?

_Quoi? Quel fourgon?

_C'était une équipe de télé jvous dis! J'ai vu le gars de la 6 au volant !

_Celui qui fait les gâteaux?

Le grand éclata de rire en entendant son camarade prendre part à la discussion, et c'est toute

la foule qui y alla de sa blague sur le sujet dans un brouhaha assourdissant. Mon camarade

de classe et la fille eux essayèrent de me poser encore une question, mais la sonnerie se fit

entendre. D'une voix mal assurée, j'ai essayé de capter l'attention de ceux à qui je parlais,

avant de me rabattre sur ces deux-là.

_Euh si vous voulez, on verra ça à la récréation, faut que je file en cours, j'ai des choses à

rattraper.

Et alors que je m'éloignais en me frayant un chemin dans une foule qui se mettait doucement

en mouvement, j'entendis dans mon dos le terminal lâcher une dernière réplique qui me fit

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sourire.

_Hey regardez, il vole super bien !!"

Je me sentais heureux, vraiment. Pas parce qu'on m'aimait, c'était peut-être tôt pour le dire,

mais parce que j'avais de l'attention, et il ne m'en fallait pas plus pour apprécier enfin

l'endroit. Contrairement à ce dont l’on m’avait habitué, c’est à dire un mépris et un manque

cruel de considération, tout le monde me trouvait soudain de l’intérêt au moment où je

traversais la cour. Il y avait une grande diversité de comportements face à moi, du plus

curieux au plus fuyant, en passant par le plus émerveillé, et même des gens qui me

considéraient et m'abordaient comme un ami de toujours, alors qu’ils ne m’avaient jamais

parlé. Chose étrange mon prénom avait circulé, et je l'entendais murmurer sur toutes les

lèvres à mon passage avec un frisson: Celui de savoir que ce n'était pas une rumeur cruelle

cette fois-là.

Je trouvais ça fantastique, même si j'avais compris que ce n’était pas pour moi en tant que tel

qu'on me regardait, mais pour ce que j’avais de nouveau depuis la dernière fois où ils

m’avaient vu. Une fois la rumeur répandue que je possédais toujours mes ailes, de plus en

plus de personnes m'abordèrent sur le chemin menant à ma classe, ils voulaient voir, ils

voulaient toucher, ils jalousaient. Ce sentiment de fierté et d'importance qui naquit alors en

moi m’effrayait un petit peu, ce n'était pas moi...J'avais détesté ces gens-là, et j'étais devenu

en une poignée de jours le centre de leurs attentions. Mais après tout je ne pouvais pas

reprocher leur curiosité, c'était humain, et puis ce pouvait être un avantage d'avoir cette

différence-là. Car en vérité, autant que d’un diplôme, pour réussir ma vie complètement

j’avais besoin d’amis.

Et ce fut facile de m’en faire rapidement, et surtout ce jour-là, car j’étais devenu le

phénomène qu’il fallait s’approprier, le garçon ailé qu’il fallait avoir près de soi. Mes heures

de cours se passèrent vraiment bien, même si le silence des professeurs me semblait

étrange...Passé le premier contact j’avais acquis une notoriété qui me ravissait, mais pas une

seconde je n’oubliais pas que c’était peut-être parmi eux que se cachait la personne qui avait

appelé l’armée...

Les premières heures puis les premiers jours furent les plus beaux de mon existence, on me

posa dès la première récréation et toutes les suivantes des dizaines de question en tout genre,

auxquelles j'avais décidé de répondre, sans toutefois livrer toute la vérité. Bien sur l’on

m’avait demandé dès mon entrée au lycée ou se cachaient mes deux ailes, mais il n’était pas

rare que l’on me la pose pour que j’y réponde par une démonstration...

Et j'ai tout de même finit par le faire, en prenant toutefois la précaution de les montrer

devant un petit comité, au foyer du bâtiment. La première fois il n'y avait eu qu'une dizaine

de personne, puis au fur à mesure le double, puis le triple...Puisqu'ils savaient déjà, je n'avais

pas de raison de leur cacher...Et ça paraissait tellement logique à ce moment-là! Je m'étais

dit qu'en étalant la vérité au grand jour, j'éviterai les rumeurs et mauvaises intentions, et

surtout que j'aurais la paix plus vite ensuite. Je prenais chaque fois soin de leur demander de

ne pas ébruiter le phénomène, faisant miroiter les menaces dont j'avais été la cible. Je

pensais dans la naïveté de ma jeunesse que ça me mettrait à l'abri des problèmes, mais je me

trompais lourdement, et cette erreur je l'ai payé chère par la suite, très chère...Et j'ai

longtemps pensé ensuite que je n'aurais jamais dû revenir dans ce lycée...

Mais avant ça, ma célébrité m'allait comme un gant! Chaque jour je croisais Anna, la fille

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qui m'avait abordé la première fois, et en classe je m'asseyais à coté de Sébastien, que j'avais

découvert ce jour-là aussi. Anna n'était pas mon genre mais elle me saluait tous les jours, et

assistait toujours aux démonstrations que je faisais au foyer. C'était de loin celle qui aimait le

plus voir ce spectacle, qui n'avait pourtant rien d'extraordinaire. Je faisais simplement sortir

mes ailes, et même si je me faisais l'impression parfois d'être une sorte d'animal de foire, les

applaudissements et les regards admiratifs me le faisaient oublier.

Parfois certains professeurs venaient aussi, mais avaient ensuite une attitude que je détestais,

mais viscéralement. Quelques semaines après mon retour, et avec les récréations ou je faisais

le show, ils s'étaient mis à faire des commentaires, quand ils le pouvaient. Chaque fois qu’ils

m’adressaient la parole j'avais le droit à des « tiens, vous qui faites l’intéressant… » Ou

même « Ce n’est pas parce que vous avez quelque chose de plus que nous qu’il faut vous

croire tout permis… » J'avais vraiment du mal avec ces gens qui complexaient et sentaient le

besoin de se sentir supérieur aux autres...

Je ne me suis jamais senti supérieur parce que je pouvais réaliser l’un de mes rêves, et même

lorsque je voulais me faire respecter, c’était toujours en respectant. Même si j'étais connu je

n'en profitais pas, et hors du foyer je tachais d'être le plus discret possible, discret mais

accessible.

La vie reprenait donc lentement son fil presque un mois après mon retour, et je me sentais

presque bien dans ma peau en ce temps-là, j’avais plein d’"amis", et certaines filles étaient

folles de moi, mais je savais que ce n’était pas vrai. Lentement j'ai perdu ce bonheur d'être

une sorte d'icône... Je comprenais chaque jour un peu plus au fond de moi que tous ces gens

qui prétendaient être proches de moi ne l’étaient pas pour eux même, mais pour leurs

camarades à eux, pour leur propre ego. Ils traînaient avec moi, parfois même en dehors des

cours, mais pas un ne s'intéressait vraiment à ma vie. Pas une question sur mon passé autre

que celui de mes ailes. Les conversations portaient systématiquement sur elles, et que je

pose moi-même une question sur eux, et j'avais le droit à une réponse bâclée et évasive,

avant un retour brutal au sujet qu'ils aimaient tant...Au début je les taquinais à ce sujet, et

j'avais le droit aux grands sourires assortis de "mais non! Tu te fais des idées"...Mais à force

j'ai jeté l'éponge...je me suis complu à ne pas voir la vérité en face, à écouter leurs

conversations insipides sur les filles, les cours...C’était la toute première fois que je sentais

des attaches entre moi et les autres, sans que ce soit inné, et même si je me leurrais c'était

mieux que rien.

Je ressentais dans mon cœur une chaleur qui m’était douce et légère, mais qui disparaissait

aussitôt que je voulais en profiter. Je me complaisais dans l’illusion la plus totale et cela me

rongeait car je le savais et j’en avais besoin, je n’y pouvais rien. Ma mère elle ne le savait

pas, et je n’étais pas sûr de lui dire que le fils dans lequel elle fondait tous ses espoirs jour

après jour, n’était pas comme tout le monde, comme elle aurait souhaité. J’aurais sauvegardé

les apparences pour elle, pour qu’elle ne souffre pas.

Mais l’ambiance changea encore avec le temps et après deux mois passés, mon "buzz" était

un peu tombé dans la banalité. J'étais là, j'étais le garçon ailé, mais comme je ne leur servais

à rien j'étais devenu une anecdote. Certains, dont le terminal avec qui j'avais parlé le premier

jour avaient commencé à avoir la même attitude que les professeurs, me provoquait...J'avais

été le garçon ailé, j'étais devenu l'"homme poulet"... Chaque jour des gens m'admiraient,

venaient me parler, mais j'avais cessé d'espérer être une sorte de héros ami de tout le monde,

je voulais maintenant me fondre dans la masse. J’avais décidé de ne plus me servir de mes

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ailes en public, pour ne pas attirer l’attention, et pour le faire je préférais le week-end,

pendant lequel je partais souvent voler loin de la ville pour me détendre et me perfectionner.

J'étais devenu plus rapide, moins pataud. Et si au début ces escapades étaient une fierté que

je racontais à qui voulait l'entendre, elles étaient désormais devenues un moment de liberté

totale, un réconfort face à une petite célébrité qui se fanait doucement...

Ma mère quant à elle était de mieux en mieux, et ma vie se serait approchée de la perfection

si parfois certains de mes camarades ne cherchaient pas le conflit. Elle passait des entretiens

d’embauche pour avoir un travail qui payait mieux- disait-elle- Pour qu'on s'installe dans un

autre appartement, plus décent, avec pourquoi pas un balcon... Le travail qu’elle avait avant

ne lui plaisait plus de toutes façons, et n’était pas assez bien payé pour assurer notre vie

beaucoup plus longtemps, ni pour payer les études qu'elle voulait pour moi.

Elle avait retrouvé une sorte de joie de vivre, de celle que je lui avait rarement vue même

avant la disparition de Conrad. Peut-être était-ce parce qu’elle pensait que ma vie à moi se

portait mieux depuis quelques temps, et c’était vrai, pendant un temps. Le lycée n’était plus

une sorte de "refuge" comme il avait pu l’être lorsque l'on ne me connaissait pas, et malgré

les coups dur qui nous avait frappé, la vie à la maison s’améliorait chaque jour un peu plus.

Ma mère faisait à manger de bon cœur, elle avait de l'appétit. Elle me racontait ses journées,

me parlait des films du soir et s'endormait toujours devant, elle me racontait par avance la

vie que nous aurions, et s'était même remise à dessiner... J'avais cru la voir rajeunir lorsque

j'avais commencé à être bien, elle était chaque jour plus belle, plus sereine. Ce n’était pas la

mort de mon chien qui avait déclenché ce changement, mais elle y avait contribué en

coupant un des ponts qui nous reliait encore à notre vie d’avant, et peut-être était-ce aussi

parce que, pendant mon absence elle s’était fait du souci et se sentait trop seule.

Mais de mon côté, malgré les larmes qui ne coulaient plus, malgré les sourires qui

parcouraient plus souvent mon visage il me manquait cruellement, et je crois qu'à elle

aussi... Nous avions décidé de continuer notre chemin, cherchant la joie pour ne pas nous

morfondre. On dit souvent que si les proches disparus pouvaient parler c’est ce qu’ils

demanderaient, que l'on s'accroche, que l'on ne sombre pas dans la tristesse...Mais Conrad

n'avait jamais parlé, il était mon ami et dans les coups durs il était à mes côtés, me soutenait

de la plus simple des manières, sans mots creux ni réconfort superflu...Non, il ne m'aurait

rien demandé à moi, il aurait agi comme il savait le faire, il aurait fait la marmotte...

J'esquissai un sourire. Ce soir-là, après avoir envoyé ma mère se coucher, j'aurais aimé qu'il

soit présent, dans ma chambre, ses petites pattes en l'air. La journée qui venait de s'écouler

avait été longue. Et ma vie tournait quasiment dans le bon sens, malgré le goût amer du

quotidien, le lycée.

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Chaque jour je prenais le même chemin et cela devenait lassant, mais ce jour-ci

j’avais eu comme un pressentiment, quelque chose n’était pas comme d'habitude mais je

n'arrivais pas à savoir quoi. Ce jour-là le ciel était sombre, l'hiver approchait à grands pas,

charriant avec lui les vents froids du Nord. Le week-end d'avant j'étais allé voler, et j'en

avais tiré un rhume qui me donnait de la peine à respirer. Dans les rues la moindre source de

chaleur commençait à produire cette fumée blanche qui allait nous suivre durant tous les

mois froids, et contre ma poitrine le petit pendentif d'Ariane dégageait une douce tiédeur,

mais ce n'était pas ça qui était étrange. Je ne savais pas si c'était à cause du petit déjeuner, ou

si je couvais quelques chose de plus, mais je ressentais une espèce de malaise, une sorte

d'angoisse...

Une impression de discontinuité m'a alors traversé alors que j'arrivais en vue de la grande

porte dont j'avais tant de fois craint le passage, une agitation inhabituelle habitait les lieux,

répandant dans l'air une tension presque palpable. Le lycée devait avoir ouvert ses portes peu

de temps avant mon arrivée car il y avait encore énormément d'élèves devant, pourtant...Des

professeurs se trouvaient là, criant par-dessus la foule, appelant au calme. Des portes se

déversaient du monde, animé d'une sorte de panique. Un grondement venait de la cour, des

cris, des pleurs...Au loin j'entendais des sirènes de police qui venait par ici. Ce que je ne

compris pas ce sont les regards qu'on me lançait alors que j'approchais, des regards lourds de

colère, et d'autres de larmes, certains me regardaient d'un air vide, d'autres semblaient

effrayés...

_"Toi ! Reste là !

C'est le grand terminal qui avait parlé, dominant la foule d'une bonne tête. Il jetait vers moi

un regard sérieux que je ne lui avais jamais vu.

_Qu'est-ce qu'il se passe?

Anna se trouvait là elle aussi, assise par terre contre le mur.

_C'est toi qui a fait ça...

_Quoi? Mais expliques moi Anna, il se passe quoi?

Quelqu'un me bouscula dans le dos, manquant de me faire tomber.

_TU LE SAIS CE QUI SE PASSE, ESPECE DE MONSTRE !

La voix d'un professeur tonna au-dessus de la cohue.

_Laissez-le ! C'est pas à vous de juger ça, la police arrive, elle tirera ça au clair ! En

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attendant restez en rang!

Un coup arriva dans mes côtes, me jetant au sol, ma gorge était serrée comme jamais...Je

pouvais sentir dans cette foule une haine comme je n'en avais pas connu avant, une haine

contre moi...mais pourquoi?? Je me relevais en titubant pour me rapprocher du professeur.

_Monsieur, dites-moi !! Que se passe-t-il, pourquoi on évacue tout le monde?

L'homme me toisa du regard, sondant dans mes yeux quelque chose, avant de repartir d'une

voix dure.

_La police aura le dernier mot, restes par là et attends les sagement sans faire d'histoire."

Dans ses yeux je pouvais lire une espèce de colère et de retenu...contre moi...Tout autour

personne ne me lâchait du regard, ils avaient l'air comme prêts à me sauter dessus. En moi

j'ai senti monter une rage sourde alors que des larmes m'ont brouillé les yeux, cristallisant

toutes ces années d'école que j'avais passé à être méjugé, calomnié...Elle avait dit que c'était

moi qui avait fait ça...Je devais savoir quoi !

Bousculant tout le monde, je me frayais un passage vers l'entrée de cet enfer, déclenchant

par la même occasion la panique parmi les élèves. On essaya de me retenir, on me cria de

m'arrêter, mais dans mes tempes battait un besoin irrépressible de voir de mes propres yeux

de quoi on m'accusait. Une pierre s'est écrasée à un mètre de moi alors que j'arrivais enfin

dans la cour...Elle était désormais vide, et seuls deux professeurs parmi les plus anciens se

tenaient en son centre, le regard tourné vers le ciel. Et j'ai finis par découvrir l'horreur du

spectacle qui s'était offert aux yeux de tous.

Du sang gouttait doucement sur le bitume de la cour, du sang qui coulait sûrement depuis un

moment, à en juger la flaque qui s'était formée... Devant moi sur le mur, les pieds ballants

au-dessus du vide se trouvait un corps inanimé, un professeur... Empalé sur le fronton du

bâtiment, à quatre ou cinq mètres du sol, sur le drapeau rougit de notre pays, la tête basse et

les yeux vides. La barre d'acier lui sortait du ventre, portant encore les traces de son passage

parmi les entrailles du malheureux...Lorsque j'ai vu cet homme, dont j’avais en public tant

de fois maudit le nom, souhaité la disparition et condamné l’attitude, mon sang ne fit qu’un

tour, la terre tourna sous mes pieds si vite que la nausée me vint, laissant mon esprit figé sur

la vision d'horreur que je venais d'avoir. L'odeur du sang m'avait saisi aux tripes, brouillant

ma vision, une odeur métallique et acre que je n'oublierai jamais, celle de ma première

trahison par ce monde... Dans mon dos arriva la foule qui avait forcé le passage derrière moi,

grondante, lourde d'une centaine de regards accusateurs...Moi seul semblait avoir eu les

moyens de faire ça, et les raisons avec...Je comprenais enfin la raison de la tension qui

régnait parmi mes anciens camarades, et les larmes me vinrent aux yeux. Des larmes de

désespoir, des larmes de colère contre ces êtres dont j'avais cherché la compagnie...Avais-je

seulement compté pour eux à un moment, mérité un semblant de confiance, ou au moins le

bénéfice du doute...Je n'aurais jamais fait ça ! Jamais! Même Anna et Sébastien m'accusaient

du regard en cet instant, faisant voler en éclat les seuls maigres liens que j'avais pu espérer

avoir réellement dans cet endroit...J'étais seul, seul contre tous, avec mes seuls yeux pour

pleurer...Loin de m'imaginer à quel point ma vie venait de prendre un coup. Le temps sembla

suspendu, inquisiteur, lorsqu'enfin, dans un souffle venant du fond des enfers et se répandant

dans le vent comme un funeste nuage de poison, la sentence tomba :

« C’est lui… »

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Un élan de rage destructrice agita alors cette foule comme une rafale de vent, j'étais le

coupable de cette abomination, à leur merci... Plus un mot, plus un doute ne parcourait

l'assemblée, l’idée fut unanime, il fallait qu’ils m'attrapent, il leur fallait venger le sang par

le sang. Alors j'ai agis par instinct, j'ai ouvert mes ailes et prit la fuite le plus vite possible

oubliant même que c’était là le propre du coupable qu'ils chassaient mais qu'importe! Il

fallait que je quitte cet endroit, peu importe les conséquences, au moins en attendant que ça

se calme. Je devais semer ce torrent de haine pour pouvoir rejoindre ma mère et la mettre en

sécurité, car c'est chez moi qu'ils chercheraient s’ils ne me trouvaient pas. J'avais été stupide

de revenir, stupide de croire qu'on m'accepterait si facilement, stupide de m'accrocher

comme ça...Je ne profitais pas du vol, dans ma tête revenait sans cesse l'image de l'homme

empalé, il était mon professeur d'anglais...Qui avait pu faire ça et pourquoi? Pourquoi de

cette manière...Le cauchemar dans lequel je me trouvais continuait encore, et même dans les

airs je me sentais écrasé. J'essayais de réfléchir vite et bien, du mieux que je pouvais, malgré

la boule dans ma gorge et mes tempes qui battaient la mesure d'un cœur brûlé au second

degré. Mes oreilles étaient grandes ouvertes, mais je n'entendais pas, mes yeux voyaient,

mais ne regardaient pas...

Je volais de toutes mes forces, réveillant ainsi mes vieilles courbatures, mais il ne fallait pas

que je ralentisse, je devais aller le plus vite possible. Bientôt se rependrait la nouvelle de ma

destination probable, et au loin il me semblait presque entendre le grondement de leurs pas

sur l’asphalte, ils se rapprochaient.

Lorsque je suis arrivé en vue de mon immeuble j'ai atterris, espérant rejoindre rapidement

mon appartement et partir, mais rien ne se passa comme prévu. Une demi-douzaine de

voitures de police se trouvait devant l’entrée, évacuant les passants curieux et les riverains

qui voulaient rentrer. Parmi eux je pus reconnaître quelques un de mes voisins, mais ils ne

me virent pas de suite. La police ne pouvait pas être là à cause du meurtre du lycée, celui-ci

était trop récent pour que même les autorités me croient coupables, non, c’était autre chose,

mais j'ignorais quoi, seul comptait mon but, rejoindre ma mère. La dernière fois que quelque

chose comme ça s'était produit, c'était à cause d'un colis étrange découvert dans le garage, et

c'est moi qui avais ouvert à l'agent venu nous prévenir de l'évacuation. Après un rapide coup

d'œil aux alentours j'ai compris que ma mère ne se trouvait pas dehors avec les autres, peut-

être ne tarderait-elle pas, après tout elle se méfiait toujours des gens qui sonnaient à la porte,

même si c'était des officiels, mais j'avais l'intention de la rejoindre avant ça.

Pourtant dans mon esprit paniqué une idée se fit jour, une idée que je n'ai pas écouté. Je me

suis précipité dans l'entrée, franchissant le périmètre de sécurité dès que j'ai pu, évitant sans

réfléchir les policiers occupés à poser des questions en faisant mine de chercher mes clés au

fond de ma poche. Une voix dans mon dos m'interpella, me demandant de revenir, mais je

me suis mis à courir...ça de plus ou ça de moins...Et puis je n'en avais pas pour longtemps,

c'est ce que je comptais leur dire. J'ai grimpé les escaliers à toute vitesse pour rejoindre mon

étage le plus rapidement possible, entendant derrière moi qu'on signalait ma présence.

L'adrénaline parcourait mes veines, me faisant aller plus vite, je n'avais qu'un but: Franchir

la porte de chez moi, et prévenir ma mère. On ressortirait de l'immeuble comme on pourrait,

avant de partir le plus loin possible! Seulement...

Des policiers, il y en avait aussi à mon étage, plus encore qu'en bas...Et ma porte était grande

ouverte. Si j'avais compris de suite, mes jambes auraient refusé de me porter, elles

m'auraient abandonné à même le sol...Mais mon esprit électrifié par l'urgence de la situation

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refusa d'essayer de comprendre. Je l'ai appelé, une fois, deux fois, ne voyant pas les hommes

qui me mettaient en joug en m'intimant de me stopper. Trois fois, guettant la moindre

réponse, quatre fois. Je pouvais déjà apercevoir la lumière si particulière du hall d'entrée,

cinq fois...et toujours rien. Une main s'est abattu sur mon épaule pour me retenir, mais je me

suis dégagé, guettant son visage, ses yeux attendant les miens, six fois...Une phrase lointaine

effleura mes oreilles "ne va pas plus loin mon garçon, tu es prévenu", puis un coup de feu

tonna en l'air alors que je franchissais le palier de mon foyer, le cœur au bout des lèvres. Mes

oreilles se bouchèrent une dernière fois et mes yeux oublièrent définitivement le monde

autour de nous, fixés sur une image qui resta gravée dans mon âme comme un coup de

couteau en pleine poitrine.

Ma mère… se trouvait là…gisante…recroquevillée sur le côté au milieu du salon...comme

une bête abattue de sang-froid…morte…assassinée …un morceau de verre dans la

poitrine… son sang qui coulait sur la moquette…son corps inanimé… sans vie…

Le monde se déroba sous mes pieds, emportant avec lui mon énergie, mon empressement,

pour laisser place à la colère...Une rage noire monta en moi comme si rien n’aurait pu

l’arrêter, mon cœur palpitait d’une fureur viscérale, et ce flic dans mon dos qui me tenait en

joug… le morceau de verre je le reconnaissais, il venait du miroir de ma chambre...

Alors c'était comme ça...Moi… avoir tué ma propre mère…ma propre chair, mon

sang…Dans ma tête bourdonnait cette idée, fixe, brûlante...La personne qui avait assassiné

ce professeur étaient sûrement celle qui s'en était pris aussi à ma mère, et désormais c'est

moi qu'on traitait en criminel !

Autour de moi le monde me semblait soudainement froid, hostile, et dans mes veines

explosait une haine qui couvait depuis des années, une haine contre ceux qui devaient être

les miens, ma civilisation tout entière.

L’autre me sommait de me retourner les mains en l’air, tandis qu'au dehors la foule de mes

poursuivants arrivait devant la tour d’acier et de béton, n’attendant que le moment propice

pour me soumettre à leur justice. Je devais partir, m’éloigner de cette civilisation cruelle et

injuste, peuplée d'individus égoïstes et dangereux, j’aurais voulu qu’ils crèvent tous ! Qu'ils

crèvent dans la même souffrance que celle que ma mère avait dû ressentir au moment où…

Elle aussi voyait le vrai visage de ce monde.

Partir.

Je suis sorti de l’appartement en bousculant les policiers, créant une panique générale. Dans

mon dos se plantèrent les griffes d'un tazer, mais je n'ai senti aucune décharge, j'ai continué

encore, cherchant le ciel comme une bête enragée. Une deuxième secousse dans mon dos,

alors que je marchais d'un pas décidé dans le hall, sous les sommations plus violentes que

jamais. Qu'ils m'abattent ! Je n'en avais plus rien à faire ! Ce monde pouvait bien partir en

fumée que j'en aurais été heureux! Cette justice imbécile voulait m’emprisonner pour le

meurtre de ma propre chair, mais je ne les aurais pas laissé faire, pas sans me battre!

Je me suis retrouvé au milieu de la rue, à découvert et encerclé par la police, pointant leurs

armes sur moi, précédant les lycéens qu'ils peinaient à contenir. J’étais au bord des larmes,

au bord du déchirement, j’aurais détruit la moitié de ce monde pour le mal qu’il m’avait fait

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toutes ces années, et plus encore en ce jour!

J'étais encerclé et j'avais le sentiment que le crime de la différence était condamné dans cette

arène des enfers, où les gladiateurs qui y trônaient en maîtres mettaient à mort les innocents

pour le divertissement du peuple. Je sentais qu’il ne m’aurait fallu qu’un seul geste pour leur

montrer la couleur de leur sang, pour qu'ils souffrent! Chacun d'eux...

En face de moi, dans la foule, un visage me fixait, un visage dont je n'avais pas oublié les

traits...Son nez était déformé, mais son sourire était total, il jubilait...C'est alors que j'ai

compris.

Quel con j'avais été de croire que je pouvais reprendre ma vie telle que je l'avais laissé avant

ces ailes! Quel con j'avais été de penser qu'ils abandonneraient ma poursuite...Ils s'étaient

avancés à visage masqué, dans le noir, guettant le moment propice pour couper chacune des

attaches qui me reliait à cette vie. Le général me regardait souffrir et il adorait ça, il tenait le

moyen de m’attraper…

Seul, j’étais désormais seul, seul en ce monde nécrosé et hostile à ma simple présence…Plus

personne pour porter un regard bienveillant sur moi, isolé contre la tempête…Plus rien ne

me retenait nulle part, il avait bien réussit son coup.

Et dire qu’il était là, à ma portée…L’homme qui venait de faire voler ma vie en éclats ! Si

j’avais pu, si j’avais su à ce moment-là…Je l’aurais fait souffrir, longtemps, fort, pour qu’il

paye ! Ma tête me hurlait les sévices qu’il méritait, lui, et tous les artisans qui avaient fait de

ma vie un enfer !! Mais volé, abandonné, jeté à terre que j’étais par cet homme et cette

société, je n’en restais pas moins un jeune garçon…Longtemps après je me suis dis que

j’avais refusé de m’abaisser à leur niveau, que c’aurait été pire que tout...Mais la vérité c'est

que je me sentais mal, tellement mal... Assurément ma place n’était pas dans ce monde, et à

ce moment je me suis même dit que je n’aurais pas dû naître, qu'une seule solution s’offrait à

moi pour rejoindre ma véritable place, fuir et partir loin.

Impuissant, acculé et ne cachant plus ma colère ni ma douleur j'ai hurlé, de toutes mes

forces, du plus profond de mes entrailles j'ai hurlé, tel l’animal blessé refusant la mort. J'ai

déchiré mes vêtements pour laisser jaillir mes ailes sans entrave, les faisant claquer au nez

de mes ennemis, puis d’un coup qui fit trembler le sol je me suis élevé vers le ciel, loin de

cette terre de malheur et de tristesse.

Je n’avais plus qu’une idée en tête, m’éloigner le plus possible de la terre ferme, et trouver le

paradis là où il était censé être. Animé par la douleur j'ai volé en direction du ciel comme un

agneau égaré vers son berger, sans penser à autre chose qu'à fuir.

J'ai franchis la première barrière de nuage sans faiblir, pointant mon but à grands tirs d'ailes,

oubliant la fatigue, les courbatures. Le froid commença à m’engourdir les membres alors

qu'en bas on ne distinguait plus la ville. Je commençais seulement à réaliser ce qu’il

m’arrivait au fur à mesure que je prenais de l'altitude, et que ma haine laissait place à la

tristesse, alors qu'enfin les nuages laissèrent place à la voute céleste, gigantesque et

magnifique.

Et lorsque je suis passé complètement au-dessus de la mer blanche j'ai laissé éclater au ciel

mes larmes ensanglantées. Le sang coulait de mes yeux comme le malheur de toute une vie,

marquée par les désillusions et les coups durs, alors que mon corps dénudé commençait à

ressentir les effets du froid, je contemplais alors les étoiles naissantes et l’atmosphère

mourante.

Je m’étais arrêté de moi-même, prenant conscience de mon imprudence, tiraillé entre froid

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de l’altitude et chaleur du soleil qui me brûlait les yeux, ne voyant que ma déchéance au

milieu du courant de la vie. Mais j’aimais cet endroit et son calme, j’étais près des étoiles et

de leur doux éclat, mon cœur leur chantait mon malheur, battant à tout rompre dans ma

poitrine endolorie. C’est près de cet éclat timide que je me suis laissé aller dans l’océan de

l’inconscient, abandonnant au ciel mes dernières forces, mes dernières attaches à ce monde.

Le manque d’oxygène avait eu raison de ma colère et de ma conscience avec elle, je me suis

mis à tomber irrémédiablement, sentant mon corps piquer à pleine vitesse vers le sol, et je ne

pouvais rien y faire, seul spectateur de ma bêtise. Le froid avait totalement engourdi chacun

de mes membres, et sous mes yeux battus par le vent je me voyais traverser les nuages

comme un ballot sans vie, j’allais être victime de ma folie mais au fond…j’étais résigné.

Dans mon esprit embrumé j’ai vu passer les images de ma vie, du garçon que j’étais, des

gens que j’avais côtoyé. Je revoyais mon existence par les yeux d’un autre, partageant avec

moi-même une seconde fois les joies et les peines qui avaient été les miennes. Ma vie

défilait comme un film que l’on passe en accéléré, mais dont on ne raterait pas une miette, je

connaissais l’histoire par cœur…Chaque caresse, chaque baiser, chaque coup, chaque plaie.

Je pensais que ma vie prendrait fin à ce moment, celui ou mon corps déjà vidé de son âme

rencontrerait de nouveau la terre que je venais de fuir…Une fin stupide, irréfléchie, mais que

j’avais voulu dans le fond. Ce monde n’était pas le mien, il ne l’avait peut-être jamais été

d’ailleurs, et je venais d’en avoir la confirmation, de la pire des manières. Mes repères

avaient disparu et ne reviendraient pas, et tout était de leur faute à eux ! Ces hommes, ces

femmes, qui jamais n’avait posé sur moi le moindre regard amical…Je n’étais pas des leurs,

la sentence était tombée. Mais j’avais bravé le couperet, choisis ma propre fin, comme un

pied de nez au destin qu’ils me réservaient ! J’allais mourir libre finalement, écrasé sur le sol

comme un oiseau abattu en plein vol, avec le sentiment amer de n’avoir jamais trouvé ma

place dans cet univers...

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Lorsque j’ai ouvert les yeux j’étais bel et bien vivant, mais autour de moi ni entrave

ni bitume, juste une odeur de résine fraiche et de terre. Alors que je reprenais lentement

conscience, découvrant par-là que je n’avais mal nulle part, j’ai constaté que je me trouvais

dans une forêt épaisse mais lumineuse. Au-dessus de moi le soleil perçait la canopée avec

majesté, baignant la scène d’une ambiance doré et protectrice. Non, je n’étais pas mort, un

épais buisson avait amorti ma chute sans même me griffer, me laissant hagard mais

inexplicablement serein. J’avais apparemment beaucoup dévié de mon point de départ, car

je ne connaissais pas forêt comme celle-ci dans les alentours de ma ville…enfin…la ville

que j’avais cru être la mienne…Mon esprit refaisait surface et avec lui les souvenirs de tout

ce qui s’était passé, pourtant…Plus aucune rage en moi, et une tristesse timide qui me serrait

la gorge, mais rien de tel que ce que j’avais connu plus tôt. Ma nouvelle maison se trouvait

partout et nulle part, ici ou ailleurs, j’étais seul.

C’est à ce moment que sur ma poitrine j’ai senti le pendentif. Il ne m’avait pas quitté une

seconde, je l’avais même presque oublié, alors que sans lui rien de tout cela ne serait arrivé.

Son apparition dans ma vie avait tout bouleversé, à commencer par mon corps, mais quoi

que je fasse, je n’arrivais pas à lui en vouloir pour le reste…Dès que je l’avais vu j’avais

sentis qu’il faisait comme partie de moi, et dans mon cœur je savais qu’il m’aiderait pour la

suite, que sa présence n’était pas anodine. J’avais souhaité mourir, mais dans ce buisson, au

milieu de cette forêt j’ai compris que ma vie ne devait peut être pas s’arrêter comme ça. Le

simple fait que j’ai survécut était un signe, et si ce n’était le pendentif lui-même qui m’avait

protégé, il me rappelait que j’avais une voie à moi désormais, une voie éloignée de celle de

mes anciens semblables, et que mourir aurait été stupide.

Pourtant j’ai voulu une dernière fois le voir, ce monde dont j’étais issue, il me fallait le voir

pour commencer mon deuil. Aussi, dès que j’ai pu voler, j’ai quitté ma forêt pour tâcher de

retrouver les abords de la ville, ma falaise, pour la regarder une dernière fois et ne jamais

oublier. Je suis monté dans le ciel pour regarder l’horizon, et je l’ai aperçu, j’étais loin, mais

je pouvais la voir, se dessinant dans le paysage. Je pouvais voir aussi le refuge qui avait été

le mien, qui ne m’avait jamais trahie, s’élevant fièrement à l’Est de la cité. Ce monde

m’avait fait du mal, mais il conservait une part de mes origines derrière ses murs tapissés de

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sang. Je me suis posé sur le bord de la falaise qui le surplombait et j’ai contemplé cette page

de ma vie qui s’était tournée. J’ai repensé alors à toutes les choses qui m’étaient arrivés dans

cet endroit, des plus anciennes, aux plus récentes. La tristesse a repris possession de mon

âme et j’ai regretté que ce monde soit comme cela. Comment l’être humain, pourtant si

prometteur à ses origines, avait-il pu dériver à ce point ? Je me le demandais… Comment cet

être si proche de la terre pouvait-il maintenant la détruire elle, qui l’avait enfanté. L’enfant

chéri qui tuait sa mère et tuait ensuite ses frères, s’en était presque risible, et pourtant si

malheureux.

J’haïssais la race humaine, mais je la plaignais encore plus d’avoir régressé à ce point

volontairement, de s’être éloigner aussi loin du chemin de ses ancêtres. Je regardais cette

civilisation, pourvu en erreur par quelques hommes stupides, pervertis par la cupidité et

l’argent. Tout s’achetait, même l’existence, et certaines personnes s’octroyaient même le

droit de vie et de mort sur leurs congénères. Et même ceux qui se disaient intelligent et

capables de comprendre le monde se trompaient sur toute la ligne, et avec eux traînait la

foule crédule que représentait le reste du monde, mais je ne serais pas des leurs.

Maintenant je ne savais plus ou aller, je n’étais pas sans domicile, j’étais sans monde. Il me

fallait trouver le mien, car je venais d’ailleurs j’en étais persuadé, et mon monde m’attendait

la, quelque part, c’était obligé. Non pas à cause de mes ailes, mais à cause de mon esprit, qui

tant de fois m’avait semblé si différent de celui des autres, mes ailes elles ne me donnaient

sûrement que le moyen d’y parvenir… Et ce moyen c’était Ariane qui me l’avait offert.

Je ne savais pas où il était, ni comment le trouver, mais j’avais décidé que je ne pourrais plus

vivre sans m’atteler à le chercher. Ma quête commençait ici, aux portes de mon ancienne vie

et je me suis juré ce jour de consacrer ma vie à découvrir qui j’étais et d’où je venais,

pourquoi c’était à moi que l’on avait offert ces ailes, pourquoi moi et pas un autre.

Mais je ne savais pas par où commencer, alors je suis retourné dans la forêt, alors que la nuit

tombait, et je me suis assis près d’un vieux chêne pour réfléchir et passer la première d’une

longue série de nuit à la belle étoile. Et quelles étaient belles ces étoiles…Ici plus qu’ailleurs

elles prenaient possession du ciel noir, elles brillaient comme jamais elles ne l’auraient pu en

ville. Comment l’homme, un animal comme un autre, un fils de la nature ne pouvait-il pas

être conscient de cette beauté ? J’ai passé quelques jours dans cette clairière à réfléchir à ma

destination prochaine, car je ne comptais pas rester ici toute ma vie en me nourrissant de

baies et de racines. Non je devais m’en aller pour trouver ma destinée, et pour se faire

j’avais décidé de commencer par chercher si quelqu’un avait déjà vécu une histoire comme

la mienne, et je ne connaissais pas meilleur source qu’internet pour cela. On me disait

toujours qu’il se trouvait de tout et de n’importe quoi sur cette grande toile, et surtout

n’importe quoi pour qui ne vérifiait pas ce qu’il trouvait, pourtant, du haut de mon jeune âge

je ne voyais pas d’autre alternative…Je ne me voyais pas passer des heures à chercher des

livres, sans être certain que cela finisse par servir. La simple idée de retourner en ville

m’angoissait, surtout après mon départ fracassant, et encore plus si je devais m’y attarder…

Je ne pouvais plus retourner là d’où je venais, alors j’ai pris mon envol et j’ai cherché la

seconde cité la plus proche et pour ne pas me faire voir j’ai atterris un peu avant les

premières maisons, mais sans vêtements cela ne suffirait pas à me faire passer inaperçu… Je

m’en étais débarrassé sans réfléchir, sous le coup de la colère, mais arrivé là j’aurais eu l’air

bien malin de me balader à moitié nu en ville, d’autant que je n’étais déjà pas très heureux

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de devoir y aller... Mais la chance a fini par me sourire, sous la forme d’une corde à linge

dans le jardin d’une petite maison, des vêtements un peu trop grands mais qui feraient

l’affaire le temps de ma mission. C’était du vol, ma première fois, mais au fond vu la

richesse de la maison, un pantalon de déchiré et une vieille chemise disparus ce n’était pas

grand-chose, du moins je m’efforçais de le croire, et puis j’avais autre chose à faire que de

me préoccuper de ces gens! Il ne m’a fallu qu’un instant pour attraper les vêtements, et bien

moins pour sortir du jardin par les airs, avant de ranger mes ailes et d’enfin prendre la

direction du premier bus.

Après ce qui s’était passé j’éprouvais une sensation étrange à me trouver comme ça au

milieu des gens, pourtant je l’avais toujours fait, mais là…J’avais froid, pas seulement à

cause de ma chemise trop grande, mais parce que je craignais le moindre petit regard, et puis

il y avait cette flamme. Cette flamme en sommeil mais présente, vorace, prête à exploser

pour bruler tout autour de moi en guise de vengeance. Parmi eux se trouvaient surement des

gens qui me toisaient, qui me jugeaient impitoyablement comme l’avaient fait les autres,

j’en étais persuadé. Je me contenais dans l’immobilité la plus totale et la peur, ne levant les

yeux que pour lire le nom des différents bâtiments municipaux affichés sous chaque arrêt.

J’étais peut-être entrain de faire une erreur en m’imposant si vite ce retour, mais si je m’étais

écouté, je serais resté toute ma vie dans ses bois…Je suis resté une demi-heure dans ce bus,

une demi-heure pendant laquelle j’ai éprouvé chaque seconde comme un risque, le ventre

tordu de douleur par l’angoisse d’attirer l’attention, et lorsque j’ai finis par atteindre l’arrêt

que j’avais repéré, j’ai filé sans demander mon reste, sans un regard pour personne.

L’édifice se trouvait sur une grande place, au milieu de laquelle se battaient trois pauvres

arbres et un banc, au milieu d’un parc envahit d’enfants qui courraient dans tous les sens.

J’ai traversé rapidement, afin de pousser les grandes portes en bois et disparaître de toute

cette agitation. La bibliothèque semblait être hébergée par la mairie à en juger par les encarts

dans l’entrée, et sa porte se trouvait quasiment tout de suite en entrant. En général, l’on y

trouvait des ordinateurs avec un accès au net, à condition d’être munis d’un peu de patience

et de temps, mais par chance je n’ai pas eu à attendre bien longtemps avant d’enfin toucher à

mon but et commencer ma recherche. La bibliothécaire n’avait même pas levé les yeux sur

mon passage lorsque j’étais entré, et après un rapide coup d’œil autour de moi, je remarquai

que j’étais pratiquement seul, ce qui me rassurait un petit peu, mais par où commencer…

J’ai d’abord cherché des choses sur moi, sur le phénomène que je représentais, si quelqu’un

d’autre quelque part dans le monde avait déjà été témoin ou même “victime“ de la même

chose que moi, mais rien…Tout le monde sait qu’internet a son lot de bizarreries, d’histoires

étranges, de faits inexpliqués ; Des sites de ce genre-là fleurissait chaque jour en ce temps-

là, des sites dans toutes les langues, dont pas un ne parlait de ce qui m’intéressait vraiment.

“Hommes-lézards“, “hommes poissons“, certaines personnes avaient même des jambes en

plus ! Voir autre chose…mais pas un, pas un seul ne présentant des ailes comme les

miennes, à croire que j’étais unique… J’ai visité des dizaines de site, de toutes les couleurs,

sur tous les tons, cherchant photos, témoignages, sans succès, jusqu’au moment où j’ai finis

par comprendre que mon cas n’était pas à chercher dans la science ou un quelconque cirque

de monstres, mais ailleurs…

Ce nom, je l’avais croisé un nombre incalculable de fois, pour chaque mot clé que j’avais

tapé, sans jamais m’arrêter dessus. Un nom connu, un mythe, de ceux qu’on connaît et qui

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nous plaisent, mais qui ne font pas parti de la réalité, pourtant ce nom, cette histoire aurait dû

vibrer sous mes yeux, depuis l’heure que j’étais là à chercher. J’avais vu son image,

déclinée par tous les peintres, anciens ou modernes, j’avais vu son mythe appliqué aux

technologies, aux astres, aux œuvres, sans une seule fois me sentir concerné, jusqu’au

moment où j’ai cliqué au hasard, par lassitude…Ikaros, Icare. Il se tenait là, sur l’écran,

s’élevant dans le ciel, et son destin tragique l’avait précipité dans la mort, tel était son

mythe. On raconte qu’il s’est noyé dans la mer Égée en voulant monter trop haut vers le ciel

malgré les mises en garde, et que son père l’a enterré sur l’ile qui dès lors porta son nom,

Ikaria. Ses ailes n’étaient pas les mêmes que les miennes mais son histoire m’avait renvoyé à

moi-même. Les points communs qu’il y avait entre nous étaient un véritable mystère pour

moi, des mystères qu’il fallait que j’élucide. Ma vie m’avait toujours semblé être tel un

labyrinthe, dont mon père était le principal architecte, à sa manière…Et la vie de ma mère

résonnait de manière tellement étrange avec celle de Naupacte, la mère d’Icare, une

esclave… Un mythe auquel prenait aussi part Ariane, celle-là même qui m’avait montré

comme à Thésée l’extrémité du fil qui devait mener à la liberté…

Icare…Son nom sonnait dans ma tête comme celui que j’attendais depuis le début. Je n’étais

pas un monstre, je n’étais pas une curiosité scientifique, je l’avais déjà compris mais j’en

avais désormais la certitude, mon destin s’inscrivait ailleurs. Il me menait vers cette mer,

vers l’ile de Nisos Ikaria, au large de l’ile de Samos…Je sentais que la vérité pouvait se

trouver là-bas, que peut-être Ariane m’y montrerait le chemin…Je connaissais maintenant

ma destination.

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Je savais que le chemin allait être long, presque 2 400 kilomètres mais j’étais résolu,

un peu insouciant aussi…Je ne me suis pas demandé une seconde si je pouvais emprunter les

transports « normaux », je fuyais les hommes avec la ferme intention de ne plus jamais me

mêler à eux, sans même penser à ce dont j’avais vraiment besoin. Au sortir de cette ville j’ai

retrouvé mon souffle et mon calme, appréciant le silence, l’air pur, mais aussi cette solitude

omniprésente et jouissive, une solitude je voulais conserver pour le restant de mes jours,

déraisonnée... J’ai volé trois semaines, chaque jour jusqu’à épuisement, jusqu’à ce que mes

ailes paralysées de fatigue ne me forcent à atterrir dans un coin tranquille. Au début j’avais

décidé de voler en journée pour ne pas perdre mon chemin, mais bien vite j’avais décidé

l’inverse pour éviter d’attiser les curiosités, et justement pour pouvoir me poser rapidement.

Les premiers jours furent les plus difficiles, je volais par tranche de quatre heures en suivant

le fleuve qui devait me conduire jusqu’à la méditerranée, ainsi je pensais ne pas m’égarer,

mais il traversait les villes…Alors je les contournais, et parfois cela prenait des heures…Si

j’avais réfléchit deux secondes j’aurais fait l’effort, ne serait que pour boire de l’eau potable

à une fontaine, mais non. Et ce fut-là la partie la plus dure de mon voyage car je devais

uniquement me contenter de ce que je pouvais trouver çà et là pour ne pas mourir de faim et

de soif… Fruits trop murs volés dans les champs, flaques d’eau boueuses pour seule source

d’eau. Je suis tombé malade, obligé de ralentir la cadence alors qu’à l’horizon arrivait la

belle Camargue et ses marais…

Six heures que je volais, faisant taire mon corps endolori pour aller plus loin encore,

simplement éclairé par la lune. J’avais mal au ventre depuis la veille, et cela faisait des

kilomètres que je n’avais rien avalé d’autre que des vieux grains de raisins volés dans un

vignoble, des grains qui seraient volontiers ressortis…Mais ça ne m’aurait pas arrêté, je

voulais continuer tant que je le pouvais, et c’est ce que j’ai fait jusqu’à ce qu’une crampe ne

manque de me faire m’écraser dans une saline.

Si l’eau n’avait pas été froide, je serais surement resté allongé là, le visage à moitié dans

l’eau. Je peinais à retrouver mon souffle, ma tête tournait sans vouloir s’arrêter, faisant

danser dans mes yeux toutes les étoiles du ciel dont je venais d’être jeté. Je me suis extirpé

comme j’ai pu avant de rejoindre un bosquet en bordure d’un chemin, ou je me suis enfin

étendu pour récupérer un peu. Mes vêtements étaient trempés, j’avais froid, mais le sommeil

m’a attrapé sans prévenir, me rappelant que j’avais des limites.

Le matin me trouva avec la nausée, sur cette petite route du Sud de la France, le ventre vide

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mais le corps reposé. J’avais décidé de prendre une journée sans voler, à profiter du paysage

et surtout à chercher de la vraie nourriture. Trois jours que j’avais quitté ma région,

traversant des campagnes que je n’avais jamais vu auparavant, survolant des collines dont je

ne connaissais même pas l’existence, et pas une fois je n’avais pris le temps de regarder

vraiment autour de moi…Et cette journée à pied pouvait s’y prêter ! J’ai donc pris la

direction de la mer, à mon rythme, contentant mon estomac des derniers fruits que je pouvais

trouver sous l’œil étonné de magnifiques étalons libres comme l’air. Et je l’étais moi aussi,

libre, mais si seulement j’avais pu me contenter de manger de l’herbe comme eux, moi aussi

j’aurais eu l’air heureux de gambader…Mais mon ventre gargouillait quand ce n’était pas les

crampes qui me courbaient en deux. Ho bien sûr, j’avais moins mal que la veille, le sommeil

aidant, mais j’aurais tué pour un gros steak, ou même des légumes si je n’avais pas le choix,

tout sauf des fruits à moitié pourris... Et toute ma journée s’est déroulé de la même manière,

parmi les salins, sans que je ne croise la moindre personne, ni même un autre être vivant que

des chevaux et quelques mouettes. La mer se rapprochait à grand pas, et avec elle une

nouvelle étape de mon voyage.

J’allais partir vers l’Est en longeant la côte, en direction de l’Italie. Ainsi je comptais éviter

les longs voyages au-dessus de la mer, où je ne pourrais trouver ni eau potable ni nourriture,

et encore moins d’endroit ou me poser. Je ne doutais pas de croiser des gens, ce serait

inévitable, mais j’avais bien l’intention d’user de la nuit pour me cacher, et pourquoi pas

glaner de la nourriture en ville…si vraiment je n’avais pas le choix. Les derniers jours

avaient été trop durs, et malgré le repos je ne parvenais pas à recouvrer toutes mes forces, il

me fallait faire quelques concessions, en espérant ne pas avoir à trop en faire…

Longer la côte s’est finalement avéré plus facile que je ne l’aurais cru, et à l’aube du

septième jour, je suis arrivé en vue d’une ville appelé Loano. Il faut dire que cela s’était fait

au prix de quelques vols assez peu discrets, mais qui m’ont été vitaux. J’en étais réduit à ça,

voler de la nourriture des mains même des passants, avec plus ou moins de succès au début

d’ailleurs. A hauteur de Hyères par exemple je m’étais écrasé au pied d’un groupe de

touristes horrifiés, parmi lesquels se trouvait celui qui s’était cramponné à son sandwich

comme à sa propre vie. Heureusement pour moi, la surprise de voir un gamin volant se

vautrer sous ses yeux lui avait finalement fait lâcher son trésor, me permettant de fuir avec,

rouge de honte et l’épaule égratignée. Une autre fois encore, vers Nice, j’ai carrément réussit

à faire exploser le gobelet d’une femme en répandant tout son contenu par terre…J’avais

mal évalué la distance et avait attrapé l’objet de travers, me forçant ainsi à aller chercher à

boire beaucoup, beaucoup plus loin.

Je ne doutais donc plus d’avoir été repéré, un bon paquet de fois d’ailleurs…J’espérais au

moins ne pas faire la une des journaux avec un titre ridicule, du genre « Une mouette géante

m’a attaqué »…le reste m’importait peu. Ma destination ne pouvait être découverte par

personne, donc du moment que je ne m’attardais pas et que je limitais mes apparitions je

pouvais être tranquille et poursuivre ma route, mouette ou pas.

J’étais donc arrivé en Italie, la toute première fois que je quittais la France. Petit c’était

quelque chose que j’avais toujours rêvé de faire, voyager, découvrir d’autres manières de

vivre, d’autres gastronomies aussi ! Mais force était de constater que mon enfance ne s’y

était pas vraiment prêtée, donc je m’étais contenté de regarder les photos des classes

revenues de voyage scolaire, avec un peu d’envie. Et voilà que j’y étais ! Mais que je ne

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ressentais rien…Rien d’autre que ce tiraillement entre la joie de la liberté et le froid de la

solitude. Et c’est ainsi que j’ai traversé ce grand pays, tachant de m’endormir chaque soir

avec l’espoir que je ne me trompais pas de destination, que cette petite ile d’Ikaria

m’expliquerait le pourquoi de toute ma vie.

Les jours se sont égrainés au rythme des noms de ville que je rencontrais, que je survolais ou

que j’évitais parfois, chacune m’indiquant le chemin vers la suivante. Genova, Parma,

Vérone Padova puis aux premières lueurs du neuvième jour j’ai reconnu Venise, au sommet

de la côte Est de la grande botte. J’ai retrouvé la mer, ses embruns iodés, ses touristes

maladroits et les larcins faciles, j’allais vraiment mieux.

Au fil des nuits il me semblait parvenir à voler plus vite, à mesure que je sentais de mieux en

mieux les courants aériens, je tombais moins et je me fatiguais aussi moins rapidement. Ça

me permettait de profiter davantage des paysages, au milieu desquels il me prenait parfois

même l’envie de simplement marcher avant de repartir, du moins lorsque j’étais assez loin

d’une ville.

De Venise la belle et de ses canaux ne sentant pas vraiment la rose, j’ai rejoint les abords de

Ravenna puis Pesaro. Moi qui n’avais jamais appris l’italien j’étais servi ! Du haut des cimes je

m’entrainais à prononcer les noms, avec un accent certainement ridicule, m’adressant aux

oiseaux que je croisais et qui semble t’il me regardaient de travers…J’ai survolé la nuit suivante

San Benedetto Del Tronto et Giulianova avant de me poser sous l’éclat lumineux de la pleine

lune, en vue de Roseto degli Abruzzi, d’après ce qu’indiquaient les panneaux et où, heureux

d’avoir parcouru tant de chemin je me suis pris à flâner un peu plus longtemps que d’habitude, en

quête d’une fontaine.

J’adorais les cités balnéaires, leur longue promenade le long des plages, leurs petits commerces

colorés et leurs vendeurs de glace, même de nuit l’endroit respirait une odeur de vacances comme

celles que j’aurais aimé avoir. Je n’en avais que plus mal cœur, que plus d’amertume en me

rendant compte que tout cela n’avait jamais été pour moi, que tous mes rêves d’enfants n’avaient

pas résisté à l’horreur de la vraie face de mon monde. Je voulais y aller comme tout le monde

moi, les yeux brillants, avec pourquoi pas un short à fleur ! J’étais arrivé ici comme un clochard

avec des haillons sur le dos, sale et puant… Sur cette plage, face à la mer, je ne doutais pas une

seconde que je serais la aussi rejeté, car tel était l’être humain pour moi…Égoïste et hurlant

comme un primate face à l’inconnu…Le cadre ou je me trouvais aurait pu être enchanteur si je

n’avais pas été moi, si j’étais né avec leur mentalité, mais les regards moqueurs des jeunes que je

croisais, leurs mots coupant comme des rasoirs malgré la barrière de la langue…tout ça me

rappelait pourquoi je faisais ce voyage, pourquoi je n’avais pas ma place dans ce monde. Je suis

parti avec mes haillons aux toutes premières lueurs du matin en quête d’un endroit où dormir, en

dehors de la ville, et j’ai repris ma route quelques heures plus tard en forçant l’allure, vers le talon

de la Grande Botte.

A la treizième nuit j’ai dépassé Manfredonia, dans la nuit de la quatorzième je suis arrivé à

Brindisi puis Lecce, pour enfin traverser le tronçon de mer et arriver à Orikum en Albanie,

achevant ainsi ma deuxième semaine de voyage au bord de la Mer Adriatique. Deux longues

semaines que j’étais parti…c’était bien trop long mais j’avais fait la plus grosse partie du chemin,

plus que jamais Ikaria me tendait les bras, et j’avais bien l’intention de m’y blottir au plus vite !

Il fallait que je vole plus vite, et pour cela je devais monter plus haut, pour attraper les meilleurs

courants d’air, et surtout récupérer des vêtements un peu plus chauds…Et encore une fois c’est un

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étendage qui m’a apporté ce dont j’avais besoin. Je venais de voler un pantalon de toile marron et

une chemise blanche, dans laquelle j’ai déchiré deux ouvertures dans le dos pour laisser passer

mes ailes, abandonnant sur le même fil les frusques que j’avais porté jusqu’alors.

J’avais à peu près calculé que depuis la côte de l’Albanie il me faudrait rejoindre les environs

d’Athènes en longeant la côte ouest de la Grèce pour arriver à la mer Ionienne, puis à partir de

Corinthe je comptais miser sur les indications de panneaux en espérant que la transcription en

caractères latins soit présente partout… Mais les choses s’avérèrent finalement un peu plus

compliquées.

Jusqu’à Lefkada dans les iles ioniennes je n’ai eu aucun problème, le trajet depuis Orikum ne

m’avait pris qu’une nuit en longeant la côte et je n’avais eu aucun mal à trouver nourriture et lieu

où dormir arrivé là-bas. La mer était d’un bleu turquoise magnifique, et il me semblait même que

j’étais mieux accueillit. Oh bien sûr, je n’ai pas vraiment été accueilli, mais les premiers grecques

que j’avais rencontré ne m’avait pas jeté de regards aussi froids que les Italiens, peut-être parce

que cette fois ci je n’étais pas tombé sur des jeunes, je ne sais pas, mais quelque chose dans cet

endroit changeait radicalement avec ce que j’avais pu voir ailleurs.

Lefkada était ce genre de cité qui respirait bon la mer, bordée de plages de sables fin, à la

différence près avec Roseto que tout semblait plus calme, à l’image de ses habitants croisés par

mégarde qui m’avaient même salué...

Je ne sais pas si c’était le fait que je me rapprochais de mon but, au sein même du pays de la

grande mythologie antique, mais mon voyage avait changé du tout au tout. Je trouvais enfin dans

les paysages et lieux que je traversais une sorte de plénitude, que ce soit au large d’Ithaque ou à

l’entrée du golfe de Corinthe, les terres grecques semblaient transpirer une sagesse comme je

n’en avais pas ressentis ailleurs, et cette mer si claire…tellement loin du fleuve sombre que

j’avais connu toute ma vie. De bonne humeur et plus déterminé que jamais, dans le ciel clair de

la quinzième nuit j’ai dépassé Aegio et à l’aube je suis arrivé en bordure d’Athènes.

Je n’ai pas pris le temps de la survoler pour le tourisme, je ne m’y suis même pas baladé ! Je

n’avais qu’une envie, arrivé si près de mon but, terminer le voyage au plus vite ! Je me souviens

que cette journée-là, je me suis contenté d’une part de tarte volée sur le rebord d’une fenêtre, et

que c’est cette fois que j’ai le moins dormi de tout mon périple. A force j’avais appris à dormir

alors que le soleil était haut dans le ciel, moi qui n’avais jamais aimé faire la sieste. Pour ça je

trouvais un endroit caché ou je bricolais une sorte de couche avec des feuilles ou ce que je

pouvais trouver, de préférence à l’abri pour ne pas qu’on me trouve dans mon sommeil, et en

général ce n’était pas le cas, pourtant…

Cette journée, en vue de la cité millénaire d’Athènes je ne trouvais pas le sommeil, la, par-delà la

mer se trouvait peut être des explications sur ma vie, pourquoi je devais être le porteur de ce

pendentif aux pouvoirs bizarres, pourquoi moi et pas un autre, Ariane se trouvait peut être la bas !

Mon corps semblait réagir tout entier à l’appel de cette petite ile, et plus encore alors que j’étais

si près...Je ne pouvais pas m’empêcher de réfléchir, encore et encore, alors que s’écoulaient les

heures et approchait celle de mon envol. Je savais que ça ne m’aiderait pas de si peu dormir, je

venais de traverser en une nuit la moitié de la Grèce ! Plus rapide que je ne l’avais jamais été

jusqu’alors et mon corps s’en ressentait, mais j’étais tellement près… Il me fallait pour y arriver

franchir la mer Égée, direction Est depuis Athènes sur près de 400km, une broutille comparé aux

milliers que je venais de faire, mais certainement la plus dure de toutes.

Je suis parti bien avant que le soleil ne termine sa descente, il devait être aux alentours de 17h. En

sortant du bosquet dans lequel j’avais trouvé refuge j’avais remarqué que le temps avait changé,

mais la pluie ne me faisait pas peur, aussi j’ai décollé après avoir revérifié ma direction grâce à

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l’ombre des arbres, et tout allait bien jusqu’à ce que je n’atteigne les cotes de la mer Égée Un

vent lourd s’était alors levé, dense, violent, une véritable tempête qui me ballotait dans tous les

sens, m’emmenant au large sans que j’y puisse faire quoi que ce soit. Je battais des ailes de toutes

mes forces pour rester droit, alors que rafales sur rafales je me trouvais dévié de ma route. En

dessous de moi la mer était déchainée, me forçant à monter plus haut encore pour ne pas risquer

de tomber au milieu des vagues acérées. Je battais des ailes à perdre haleine, épuisant mes forces

à toute vitesse, alors que je n’avançais pas… Derrière moi la cote était si loin que je ne la voyais

plus, le vent chargé de pluie me fouettait le visage et mes yeux semblaient bruler sous l’effet du

sel, je ne voyais plus rien. J’ai lutté à l’aveugle, de mes ailes qui commençaient à me faire mal,

j’ai lutté encore et encore, abattu par les bourrasques alors que le ciel grondait à m’en faire mal

aux oreilles. Mes forces me quittaient, et avec elles l’altitude que je tentais de conserver, et

lorsque j’ai sentis mes pieds toucher l’eau, j’ai commencé à paniquer.

Pourquoi je n’avais pas pris le temps de me reposer, le temps que les nuages quittent le ciel ?

Pourquoi j’avais refusé de faire une escale au milieu de cette dernière ligne droite ? Je ne serais

pas perdu comme ça, au milieu de nulle part, de nuit, aveugle et faible dans une tempête que

j’aurais pu éviter ! Si j’avais été moins stupide…Si ça se trouve, il n’y avait rien la bas, rien ! Je

me trompais du début à la fin, je risquais ma vie pour une idée à la con, irréfléchie ! Si ça se

trouve je mourrais noyé dans cette mer, moi qui nageait comme un extincteur…Et tout ça à cause

d’un but auquel je me raccrochais par désespoir…et pour lequel j’allais mourir…

Je déprimais, sanglotais de larmes qui s’envolaient dans le vent, presque résigné, pourtant…

Pourtant j’ai senti à ce moment-là le pendentif qui ballotait contre ma poitrine, ce petit objet qui

avait tout déclenché, qui m’avait donné ma force et qui m’en donnait encore ! Dans la tempête, il

me semblait qu’il dégageait une douce tiédeur, qui tranchait avec l’eau froide et le vent coupant.

Aujourd’hui je me demande si ce n’était pas l’effet de mon imagination, mais à ce moment-là,

j’ai cru sentir un regain de force me parcourir. J’étais là avec lui, grâce à lui, je ne pouvais pas

abandonner !

J’ai alors ouvert les yeux et ai battu des ailes comme jamais je ne l’avais fait auparavant, pour

monter, monter loin de cette eau, puisant dans mes toutes dernières forces l’énergie pour finir ce

voyage…Je me suis remis à avancer franchement, sur dix, peut être vingt mètres, gardant les

yeux ouvert, scrutant l’horizon noir en quête de mon salut ! Mais ça n’a pas suffi…L’épuisement

me faucha en l’air comme une balle tirée de la terre, m’arrachant au ciel noir pour me précipiter

vers les abysses. Mon esprit s’est déconnecté, simple spectateur absent de la chute de mon corps,

je venais de rendre malgré moi les armes et je tombais. Dans le lointain, je me suis senti pénétrer

dans l’eau, avant que ma vague conscience ne décide elle aussi de quitter mon corps.

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Ma conscience retrouva mon corps lentement, offrant à mes papilles la joie de

découvrir le gout du sable, puis celle de la chaleur qui frappait mon dos avec bienveillance.

Si c’était là ce qu’on appelait la mort, elle était humide et faisait crisser les dents avec un

vague goût de sel ! De l’eau me léchait les pieds, froide, et au fur à mesure que je me

réveillais je sentais le rivage sous mon corps qui allait et venait à sous l’effet des vagues.

Mes chaussures étaient imbibées comme tous mes vêtements d’ailleurs, je n’étais pas mort

non, j’étais échoué. Soudain l’idée s’est faite jour dans mon esprit, j’étais vivant !! Je me

suis relevé d’un bon, retombant lourdement faute de force, mi riant, mi m’étouffant tant

j’étais heureux. Je vivais ! Et ma chemise était bonne à jeter…Mais je m’en fichais, je ne

m’étais pas noyé ! Je ne pouvais m’empêcher de sourire, en serrant dans le creux de ma

main la petite épée ailée que j’avais au cou, fidèle et tiédie par la chaleur. Il faisait chaud, il

faisait beau, j’étais sur une plage magnifique ! Du sable plein les cheveux et au milieu de je-

ne-sais-ou, mais j’y étais bel et bien vivant ! A tel point que ce matin-là j’en ai oublié l’objet

de mon voyage et que je suis resté, loin de l’eau, sous un arbre dont je ne connaissais même

pas le nom, le nez tourné vers le ciel et un sourire au coin des lèvres, à savourer ce petit

moment de vie auquel je ne pensais pas avoir droit.

Et j’y suis resté un moment sur cette plage, jusqu’à ce que mon estomac ne m’ordonne de

me lever et avant que la soif ne m’assèche la langue. Ce jour-là, j’ai décidé que je ne

volerais pas, que je me reposerais et que peut-être le lendemain je repartirais, alors je me

suis éloigné de la plage tranquillement une fois mes vêtements secs et quelques forces

retrouvées dans les jambes. Je ne savais pas par ou aller alors j’ai entrepris d’explorer les

lieux à la recherche de nourriture ou d’une source. J’étais apparemment sur une île, et

qu’elle était belle ! Une végétation luxuriante recouvrait cet endroit beau et tranquille,

baigné d’un soleil radieux, bien plus qu’en Camargue ! Je me sentais vraiment reposé de

pouvoir enfin me balader sans me soucier du chemin qu’il me restait à parcourir. A tel point

que je me demandais comment se passait la vie dans le reste du monde en ce moment

présent, comme je l’avais si souvent fait sur ma falaise. Je me demandais comment allait

cette bonne vieille terre, quel temps il faisait en Albanie, en Italie, en France...

J’ai pris tranquillement la direction de l’intérieur des terres en cherchant un je-ne-sais-quoi

qui pourrait me mettre sur la voie d’un village ou d’un point d’eau, peut être une rivière ou

quelque chose de ce genre. Quand j’étais plus jeune, j’avais toujours rêvé de voir de mes

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yeux une ile telle que celle-ci, une ile ou le temps semble s’être arrêté comme on voyait dans

les brochures de voyages. Et c’est vrai que le temps ici semblait s’être figé, je marchais

depuis de longues minutes, passant de l’ombre d’un arbre à une autre, croisant parfois le

chemin de petits animaux que je ne parvenais pas à voir tant ils fuyaient rapidement. Je

mettais les pieds dans leur paradis avec mes pieds sales, mais je me sentais plus proche

d’eux à ce moment que de n’importe qui ! Même en tendant l’oreille, je ne percevais aucun

bruit humain, aucune voix, machine ou autre, l’endroit semblait immaculé, à ma grande

satisfaction. Au bout d’un moment, le sable de la plage s’est fait beaucoup plus rare, et il ne

demeura de lui qu’une pellicule légère voletant au-dessus de la terre, la végétation se fit un

peu plus dense, et avec elle la sensation de fraicheur à ses pieds. Tout au long de mon

voyage, j’avais attrapé des coups de soleil laissant mes épaules dans un état pitoyable,

couvertes de peaux mortes et grises, et je n’osais imaginer l’état de mon visage….J’avais

bien besoin d’ombre, et de me laver aussi, à condition que je trouve de l’eau… Quelle douce

ironie de se dire que finalement, mon allure collait bien avec ma condition d’ermite…Je

devais faire peur à voir, avec mes lambeaux de vêtements sales couverts de sel ! Mais

j’avais faim…Alors pourquoi ne pas trouver un peu de nourriture pour aller avec mon bain ?

Mais ce que j’ai trouvé coupa court aux gargouillements de mon ventre et à mes

considérations sur l’hygiène. Je marchais depuis une vingtaine de minutes, et à vrai dire je

n’avais pas l’intention de m’arrêter, la promenade était sympathique ! Seulement quelque

chose piqua ma curiosité, quelque chose qui se trouvait dans une espèce de petite clairière en

retrait de l’espèce de chemin que j’empruntais. J’avais faillis ne même pas la voir, car elle

était masquée par un épais buisson du genre auquel je n’aimais pas me frotter, pourtant le

peu que j’avais aperçu m’avait vraiment intrigué. La clairière semblait capter la lumière plus

que n’importe quel autre endroit, donnant à l’air une couleur presque dorée. Pour la

rejoindre, j’avais dû revenir sur mes pas pour contourner le buisson d’épines, et enfin arriver

par ce qui semblait être une sorte d’entrée naturelle, dans cet endroit qui semblait pourtant

peu fréquenté. C’est à ce moment-là, dès l’instant ou mes yeux joignirent le centre de cette

clairière minuscule, que j’ai compris que j’étais finalement arrivé à mon but.

L’air autour de moi était doux comme la plus suave des nourritures, frais comme la plus

bienveillante des brises, je flottais dans une espèce d’ambiance étrange alors que

j’approchais du centre. Je n’avais pas chaud, je n’avais pas froid, oubliée la faim et ma

langue sèche, je savais au fond de moi que je venais d’être touché par les dieux…Au milieu

de l’endroit trônait une pierre aux dimensions imposantes, majestueuse, dont on aurait dit

qu’elle avait été sculptée par le plus habile des maitres comme un vibrant hommage à la

Nature, une pierre si sauvage et si belle, dont les formes dures transpiraient de force et de

douceur en même temps, une pierre autour de laquelle se lovait un arbre que l’on aurait dit

millénaire. Celui-ci s’élevait fièrement porté par son tronc épais aux milles nuances de brun

et d’ocre, et dont les branches délicates portaient des feuilles parfaites qui vous éblouissaient

par leur santé. Nulles taches ou trous sur ces feuilles-là, c’était comme si la forêt elle-même

conservait cet être dans son écrin, interdisant aux insectes et au temps d’entacher sa majesté.

L’arbre et la roche formaient un couple surnaturel, isolé et magnifique. Au sommet de cette

pierre se trouvait un étrange petit bassin dans lequel perlaient en continu de délicates gouttes

d’eau offertes par une branche basse, et cette eau coulait sans s’arrêter, bien que ce fût

impossible car autour certains arbres mourraient de soif. Le reste de la forêt s’inclinait

devant son maître, formant un cercle de verdure affaiblit autour du joyau de cette ile, comme

si la beauté que j’avais vu jusqu’alors n’était rien à côté de ça, et que lui seul comptait. Le

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bassin étincelait, offrant au ciel son miroir de pureté sans jamais faiblir ni se vider, irradiant

d’une fraicheur insolente et éternelle sous le soleil de plomb de la Méditerranée.

Le monument se tenait devant moi, impérial, et dans la dureté de la pierre étincelait l’ombre

d’une grande plume, seule et sans défauts, mais qui attirait mon regard plus que tout. J’étais

enfin arrivé, et dans mon cœur brillait l’évidence de ce que tout ceci signifiait : Ici reposait

Icare, le garçon ailé, et ce depuis des milliers d’années ; J’ignorais bien des choses de la

science, mais je savais qu’un tel endroit ne pouvait être le fait des hommes, qu’une eau pure

et limpide ne pouvait s’écouler d’un arbre comme d’une stupide fontaine, que ce lieu était le

premier pavé de la route qui était désormais la mienne. Une route qui s’éloignait de celle des

garçons de mon âge et de celle des hommes en général, un destin qui me poussait à m’élever

moi aussi vers le ciel et le divin.

Je savais à présent vers ou me diriger, ou trouver le second pavé, et à ce moment en mon

cœur j’avais la certitude que ne me trompais pas, du moins je m’efforçais de le croire. J’irais

en la demeure des dieux, le mont Olympe, puisque ce devait être ainsi. J’irais trouver la clé

de mon existence auprès de ceux qui semblaient l’avoir voulu, et si j’avais été choisi pour

porter le pendentif d’Ariane, j’irais demander pourquoi à qui de droit.

Galvanisé par ce nouvel élan, je suis sorti de la clairière pour rejoindre la plage et trouver ma

direction, mais une fois le moment passé, une faiblesse soudaine m’avait envahi. J’étais

bouleversé, écrasé par cette nouvelle aussi soudaine qu’énorme. Il y a peu de temps encore

j’étais un lycéen, et maintenant je comptais traverser tout un pays pour essayer de trouver

des dieux grecs ! Tout ça semblait tellement gros pour moi…J’avais foncé tête baissée

depuis le début, sans interroger une seconde la crédibilité de ce que je faisais, et j’avais eu

raison…Mais trouver des dieux !... Dans cette clairière, tout ça m’était venu comme une

sorte d’illumination, la seconde d’avant j’avais faim, et celle d’après je me retrouvais

comme une sorte d’élu des dieux je-sais-pas-quoi, et en plus j’en étais persuadé ! J’avais

peine à croire que je m’étais senti si sur de moi, si important… Pourquoi moi je devrais

trouver des dieux alors que chaque jour de leur vie des humains les priaient sans jamais

avoir de leur nouvelles !! A la base je n’étais même pas croyant…c’est dire…et maintenant

non seulement j’étais devant le fait accomplie mais en plus j’avais été désigné ! En cet

instant sur mes épaules je sentais un poids énorme, et à cette époque je n’avais pas idée de

l’ampleur de la suite, mais ça m’angoissait tellement…

Alors j’ai fermé les yeux pour me calmer, et j’ai écouté les vagues aller et venir sur la plage.

A mon âge, j’aurais dû être assis devant une télé, à jouer à des jeux vidéo jusqu'à plus soif,

ou encore en cours…Mais j’étais à des milliers de kilomètres de tout ça, et rien autour de

moi ne me rappelait l’âge que j’avais ; pas l’ombre d’une personne pour me surveiller, pas

même une montre à mon poignet pour que je sache quand rentrer, et cette cicatrice sur ma

jambe…La vérité c’est que j’avais déjà fait du chemin dans une voie qui ne me permettait

pas de faire demi-tour, et qu’importe les larmes que je pourrais verser en appelant ma mère,

elle ne reviendrait pas…Je n’étais plus des leurs, j’avais des ailes ! Comme Icare je pouvais

m’échapper du labyrinthe à grands tirs d’ailes, je pouvais m’élever au-dessus de tout ça et

être libre, me laisser griser par le vent et l’altitude. J’étais comme lui, un évadé dont l’avenir

se trouvait dans le ciel et plus haut encore, et ce qui s’était passé dans la clairière auprès de

sa tombe ne disait pas autre chose, nous étions liés. Je devais désormais quitter la terre de

ces hommes stupides pour trouver la mienne, j’en étais convaincu, et qu’importe que je me

trompe ou non, que je suive une pseudo illumination ou pas…Ma voie semblait avoir un

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horizon, et il me fallait avancer vers celui-ci.

Mon voyage a duré deux jours pendant lesquels le temps a été clément et les vents

favorables à mon vol. La traversée de la mer Égée fut épuisante, mais à force d’habitude

j’avais appris à utiliser toutes les ressources du vent pour me porter plus loin et plus vite.

Évidemment ma vitesse n’égalait en rien le plus lent des avions mais elle était suffisamment

plus importante qu’au début pour raccourcir considérablement la durée du trajet, il faut dire

que cela faisait maintenant plus d’un mois que je pouvais voler. J’ai rejoint la côte la plus

proche et je l’ai longée vers le Nord jusqu'à ce qu’apparaisse ma destination, ne m’arrêtant

que pour manger ce que je pouvais trouver et dormir. J’avais par chance une assez bonne

mémoire, et je n’avais pas oublié ou se trouvait à peu près la région que je cherchais, encore

heureux, sinon je me serais certainement égaré je ne sais ou, et obligé de trouver une carte

pour tenter de me repérer…Et honnêtement, je me voyais mal demander. Par contre ce que

j’ignorais, c’est comment j’allais m’y prendre pour trouver des dieux sur cette montagne.

N’ayant aucune notion d’alpinisme, lorsque je suis arrivé au pied de l’imposant monstre de

la nature, je n’ai eu qu’une seule et unique solution : il me fallait voler, encore. J’avais déjà

plus ou moins expérimenté le vol à la vertical, mais la perspective de m’écraser sur la paroi

me faisait un peu peur, d’autant que je ne savais absolument pas ce que j’allais trouver là-

haut, si tant est qu’il s’y trouvait quelque chose…C’est donc avec espoir que je me suis

élancé toutes ailes dehors pour la première fois à l’assaut des deux-mille neuf cent onze

mètres de l’Olympe.

Si j’avais réfléchit une seconde, je ne m’y serais pas pris de cette manière…J’aurais plutôt

directement prit de l’altitude afin de me poser le plus près du sommet…Le fait que sur le

moment je n’y avais pas pensé, et qu’à cause de cela, les choses se sont un peu compliquées.

Je me souviens que sur le moment j’ai ressentie un peu de colère lorsqu’un vent violent et

glacé m’a balayé sur le côté le premier coup. Chaque fois il fallait que je tombe sur une

tempête ou sur un temps de chien…C’aurait été trop facile sinon ! Mais là je ne riais pas du

tout. C’était impossible qu’il fasse si froid en cette période de l’année, surtout avec la tiédeur

qu’il faisait dans la plaine ! Les premières centaines de mètres ont défilé rapidement, la

pente était plutôt douce encore, et malgré la fatigue accumulée je n’avais aucun mal à

progresser, mais lorsque c’est devenu plus raide, et qu’en plus le temps s’est mis contre

moi…J’ai cru que j’allais craquer, comme j’ai été tenté de faire demi-tour et d’abandonner !

L’air s’était raréfié petit à petit avec l’altitude et la fatigue aidant je suffoquais par moment, à

croire que tout se liguait contre moi…Alors j’ai décidé de m’arrêter, il le fallait, n’ importe

où, pour ne pas tomber et mourir.

Seulement l’endroit adéquat ne se trouvait pas à proximité, j’étais au milieu d’une pente

enneigée exposé aux bourrasques, et avec le moins d’oxygène s’est ajouté le froid qui

devenait chaque instant plus mordant sur ma peau nue. Pourtant j’ai finis par entrevoir ma

délivrance : A seulement quelques battements d’ailes se trouvait une alcôve qui m’allait être

salvatrice. J’ai atterris avec difficulté mais sans trop de casse, malgré le froid, et j’ai compris

à ce moment précis que je ne pourrais pas continuer par les airs, que je devais employer mes

forces à escalader la paroi, sans quoi le vent m’expulserait de la montagne.

Les rafales se sont multipliées, de plus en plus chargées de neige comme si…Comme si la

montagne refusait ma présence. Transit de froid, j’ai serré fort le pendentif dans le creux de

ma main en souhaitant qu’il me protège, non ce n’était pas de courage dont j’avais besoin, il

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n’en fallait pas, ce dont j’avais besoin c’était de la volonté.

Et il m’en fallait beaucoup pour sortir de l’alcôve dans laquelle j’étais pelotonné, et encore

plus pour empoigner la petite prise de pierre qui se trouvait sur la paroi au dehors. Elle était

mince mais je n’avais pas le temps de faire le difficile, et je devais ensuite m’en trouver

d’autres pour pouvoir continuer de grimper. J’ai rentré mes ailes pour ne pas offrir de prise

au vent pendant l’ascension et je me suis lancé, avant de me faire abattre et de tomber

lourdement au sol.

Pourquoi fallait-il que ce soit si dur, pourquoi fallait-il que ma vie toute entière ne soit qu’un

amoncellement de difficultés, de bourrasques, de coups ! La colère a lentement grandit en

moi, alors qu’étendu au sol le froid mordait mes mains et mon visage avec encore plus de

rage. La douleur alimentait mes sentiments, emportant avec elle mes forces, je n’y arrivais

pas… Les larmes ne coulaient de mes yeux que pour s’envoler et geler dans les vents

violents qui voulaient ma mort, mes mains saignaient, j’avais mal et plus que tout j’en avais

assez…Jusqu’ici je m’étais accroché à mon but sans le remettre en question, mais la fatigue

m’avait rattrapé, et avec elle le désespoir…Je n’avais jamais été bon en escalade, et encore

moins dans ses conditions, je n’avais jamais aimé le froid, je n’avais pas demandé tout ça !

Si c’était une blague, elle ne me faisait pas rire, quel être cruel et sans pitié pouvait à ce

point vouloir ma fin encore, n’avais-je déjà pas assez souffert ? Couché dans la neige, les

yeux tournés vers le ciel sombre et impénétrable j’ai crié, hurlé de toutes mes forces ma

colère et ma peine, pourquoi me faire ça…Pourquoi s’acharner sur moi encore et encore ?

N’étais-je pas sensé venir ici ? N’avais-je pas été désigné ? Mon cri se perdit dans le vent,

comme l’avait fait le moindre de mes efforts auparavant…Non, personne ne m’écoutait la

haut, quel qu’il soit il se fichait bien de moi ! Je pouvais bien mourir gelé ou écrasé sous un

rocher… La tempête a soudainement redoublé de férocité et le vent qui fouettait mon visage

me força à regagner l’alcôve, me ramenant les pieds sur terre.

Tout ça était trop dur pour moi, mais je n’étais pas prêt à mourir, pas en ce jour, et cette

tempête n’était pas naturelle…peut être s’agissait-il d’une sorte d’épreuve…On m’avait

mené ici, c’était certain, et certainement pas pour me tuer ! Alors pourquoi tant de

difficultés, sinon pour me tester…Je me suis soudain senti honteux de ma réaction, elle avait

été puérile…Je devais continuer, et m’accrocher, encore et encore, c’était peut-être la seule

manière de parvenir à comprendre le sens de ma vie ! Alors j’ai déchiré des morceaux de

mon pantalons pour bander mes mains endolories, et je me suis relevé pour attraper de

nouveau la prise, j’eus grand peine à me maintenir contre la paroi, usant de toute mon

attention au travers de mes yeux mi-clos par le froid pour trouver des appuis stables et les

plus larges possibles. La tâche ne fut pas aisée dans un premier temps, car mes bras

souffraient d’engourdissements et les rafales ne me laissaient qu’une petite fenêtre d’action,

mais je parvins tout de même à atteindre un autre palier pour me reposer. Je tremblais de tout

mon être, obligé de serrer les dents pour ne pas qu’elles claquent. En bas je ne voyais plus la

plaine, ni même la pente dans laquelle je m’étais trouvé plus tôt, je devais être à plus de

mille cinq cent mètres de la terre ferme, et cela me faisait frissonner plus que le froid de

l’altitude. Mes maigres vêtements ne me protégeaient guère de cette neige surnaturelle qui se

collait à mon corps et le froid me brûlait les oreilles. En plus de ça je me trouvais au milieu

d’une étendu brumeuse, une brume étrange, impénétrable, qui ne laissait entrevoir qu’elle

même dans l’air. Mes doigts souffraient du contact dur avec la pierre de cette paroi

maintenant verticale. Je pouvais compter chaque coupure sanguinolente sur ceux-ci malgré

l’engourdissement croissant. Il n’y avait plus qu’une seule alternative qui se présentait à moi

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: malgré les risques je devais voler de paliers en paliers pour parvenir au sommet, pour en

finir vite, car je n’avais plus la force de continuer ainsi.

J’ai redéployé mes ailes dans le vent et j’ai sauté le plus haut possible avant de réfléchir à la

folie de ce que je faisais. Le vent s’est engouffré de toute la puissance et l’opportunisme

dont il disposait, m’éloignant du bord, et je ne dois mon salut qu’au hasard qui a incliné mes

ailes malgré moi de façon à ce que je sois rabattu suffisamment pour toucher la paroi. Je suis

parvenu tout de même à m’accrocher avec force d’efforts au palier suivant. Et de dizaines de

mètres en dizaines de mètres, j’ai usé mes muscles à rester contre cette montagne, luttant

pour ne pas trop redescendre lorsque je manquais ma cible, bataillant pour regagner chaque

fois un endroit où je pouvais me poser et me tenir une seconde, quitte à repartir de suite, me

jouant des bourrasques qui tentaient de m’abattre, et de cette providence qui me faisait tenir.

Malgré la froid mon dos me brulait, et chaque fois l’effort devenait plus dur…Pourtant, au

bout d’une interminable ascension, de nombreuses égratignures et chutes, j’ai finis par

arriver au dernier plateau avant le sommet, une maigre plage couverte d’une neige

scintillante et glaciale ou je me suis effondré, épuisé et engourdit.

Le visage dans la neige, j’ai commencé à réaliser que peut-être cette étrange tempête n’était

qu’un obstacle de ma quête, que peut-être je touchais au but…je m’efforçais de le croire,

mais au fond de moi je n’en étais pas si sûr…Mon cœur battait à tout rompre couvrant le

bruit du vent contre la pierre, tambourinant furieusement dans ma poitrine que ce je venais

d’accomplir était risqué, et si je me trompais, parfaitement stupide. Mais malgré cela,

quelque chose me poussait à espérer que tout ceci n’était pas vain, mon désormais fidèle

pendentif. Il semblait rayonner de douceur sur ma peau au contact de la neige ; C’était lui

qui avait rendu ça possible, je le pressentais, et si lui y croyais, je devais faire l’effort d’y

croire moi aussi. Ce que j’avais vu dans cette clairière, cette fontaine…L’illumination que

j’avais eu sur l’ile d’Ikaria ne devait pas être le seul fait de mon esprit fatigué, je ne pouvais

pas être devenu fou à ce point…J’étais venu ici dans un but précis, et j’avais encore tout à

accomplir ! Mon esprit en berne tout le long de l’ascension semblait se réveiller tout à coup,

charriant avec lui doutes et espoirs, courage et peurs…Et c’est ainsi que, perdu dans mes

réflexions, je n’ai pas levé les yeux, je n’ai pas écouté…Et lorsqu’enfin je suis tombé

d’accord avec moi-même, mes sens ont refait surface, et pendant quelques instant j’ai scruté

autour de moi le paysage qui s’offrait à mes yeux fatigués, en quête d’un signe positif de

mon avancée.

Le froid ne me dévorait plus, le vent avait arrêté de me griffer, la brume avait disparu et en

moi je ressentais comme un calme intérieur inattendu face au spectacle de la montagne. Le

temps semblait comme suspendu dans les airs, comme s’il ne s’écoulait plus ici, à plus de

deux mille mètres au-dessus des hommes cupides.

Il n’y avait plus de neige au-delà d’un mètre devant moi, plus un souffle, plus de questions

qui tournaient dans ma tête. Le froid glacial de la montagne avait laissé place à une

somptueuse clairière d’herbe d’un vert puissant, où des fleurs de toutes les couleurs

semblaient figées dans une beauté que l’on aurait dit éternelle. Je ne voyais plus le ciel gris

et maussade du début, chargé de nuages balourds et imbéciles, mais un ciel d’un bleu

profond, dans ce qu’il y avait de plus beau. Et devant moi ne se dressait plus la montagne

froide et imposante, mais un fier massif rocheux dont seul le sommet était caché sous de

mystérieux et doux cumulus. Des arbres par dizaine prenaient le soleil, tandis qu’au fond, à

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demi masquée l’on devinait une grande porte à flanc de montagne. Une source d’eau claire

coulait au milieu de la scène et le son qu’elle produisait en suivant son chemin était le plus

doux qu’il m’avait été donné d’entendre, un son qui déclenchait une sensation de joie dans

tout mon corps. Je me sentais bien et j’étais irrévocablement attiré vers elle.

Cela faisait plusieurs semaines que je n’avais pas pu me laver et cette source, quelle qu’elle

soit, me faisait l’effet d’une providence. Alors j’ai ôté mes aillons puants et déchirés, j’ai

foulé de mes pieds nus l’herbe tendre de cette divine clairière et pour la première fois depuis

très longtemps, peut-être même pour la première fois de ma vie, je me suis senti en paix.

Mon cœur chantait une douce mélodie alors que de la pointe de l’orteil j’embrassai l’eau

délicieusement tiède de cette source. Elle était claire et limpide, et dans son lit roulaient de

parfaits galets d’un gris sans défaut, je suis rentré complètement, appréciant chaque instant

avec délice, et je me suis assis, appréciant l’eau divine de ce paradis. Elle lava mon corps et

mon esprit, oubliée ma rancœur l’espace d’un instant, ce voyage harassant et ce destin si

flou mais déjà si lourd pour mes jeunes épaules. Le doux clapotis berçait mes oreilles d’une

mélodie aux accents d’amour et de tendresse, tant et si bien qu’ainsi choyé et en paix, je me

suis laissé rejoindre les bras délicats de Morphée.

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A mon réveil j’étais étendu dans l’herbe vêtu d’une toge blanche, mes cheveux

s’étalaient le long de mon dos en toute liberté, propres et peignés. Je ne savais pas qui avait

pu s’occuper de moi ainsi, mais à vrai dire cela m’était égal. J’avais trouvé en ouvrant l’œil

la même plénitude que lorsque je l’avais fermé, et je n’avais pour rien au monde l’envie de

quitter cet endroit et ses délices. Ici le temps était figé en une saison magnifique, éclairée par

un soleil doux et rayonnant, et la nuit était baignée par une lune majestueuse trônant au

milieu d’une fresque d’étoiles. Ici lorsque j’étais fatigué je dormais et lorsque j’avais assez

dormi je me levais, appréciant ce jardin divin comme s’il était ma propre demeure. Je me

sentais choyé, aimé, apprécié, et ce malgré la solitude car jamais personne ne vint à ma

rencontre, me laissant à moi-même et à mon bonheur. Ici ni faim ni soif, ni pluie, ni froid, un

petit univers parfait, à la hauteur de mes désirs, sans contraintes ni tracas. Et c’est surement

pour ça que j’y suis resté un moment, je ne sais pas combien de temps exactement mais à ce

qu’il me semblait facilement une semaine, peut-être beaucoup moins peut être beaucoup

plus. Je passais mon temps à explorer le magnifique jardin qui m’avait accueillit en son sein,

côtoyant cette grande porte de marbre menant je ne sais ou, à me jouer des galets et à gouter

les fruits des arbres de paradis allongé dans l’herbe. Ils étaient meilleurs que tous ceux que

j’avais pu gouter dans toute ma vie, explosaient de saveurs douce et sucrés sous mon palais

trop souvent abandonné, tant et si bien que par gourmandise j’en aurais mangé jusqu’à me

faire exploser le ventre ! Mais pas un instant je n’ai oublié que ce n’était pas mon monde, et

cette pensée m’avait hanté à mille et une reprise depuis que j’étais là, seulement je

m’efforçais de ne pas m’écouter, afin de profiter pleinement de ma chance, de ma

récompense après les épreuves…

Mon cœur disait le contraire de ma tête, il me disait que ma vie se trouvait ici, dans ce lieu

unique, mais d’un autre coté je pensais le contraire. Et si mon pendentif n’était que

l’instrument qui avait exaucé mes vœux les plus chers? Cela voudrait dire que je serais

effectivement de ce monde, que la terre que je tentais d’oublier était ma vraie place, j’avais

un nœud dans l’estomac à cette simple pensée. Si ça se trouve, j’étais devenu le porteur de

l’épée ailée comme c’aurait pu être un autre à ma place, si je n’avais pas croisé Ariane, ou si

je l’avais abandonné dans la rue ce jour la…La seule idée que je pouvais me trouver ici par

hasard me mettait mal à l’aise. Je me suis souvenu alors de son sourire lorsqu’elle m’avait

vu, un sourire qui m’avait fait devenir grand, et dont l’effet ne m’avait pas lâché depuis,

non…Ce sourire là, ces deux yeux bleus s’étaient tournés vers moi et pas un autre. Et cette

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illumination sur Ikaria, c’était à moi qu’elle était venue…Non, il n’y avait pas erreur...Certes

ces ailes n’étaient venues qu’avec ce pendentif, mais avant même que je reçoive celui ci je

savais que ma place n’était pas au milieu des hommes de ce monde, et cela avait été

confirmé tellement de fois depuis le début de ma quête…

Pourtant mes doutes ne me quittaient jamais complètement, ils se calmaient simplement, je

ne me sentais pas vraiment digne d’occuper cette place…J’espérais obtenir des réponses

plus tard lorsqu’un dieu daignerait me rendre visite, puisqu’apparemment j’étais en leur

demeure, ou peut-être que cette porte y menait…Mais dans le fond je crois que craignais

quelque peu cette confrontation, pour ne pas dire que j’étais réellement angoissé…Sur le

papier ça semblait simple mais à tout bien y réfléchir, je ne savais même pas à quoi ils

allaient ressembler ! Ni même si je pourrais leur parler directement, puisque visiblement ils

étaient fana d’illuminations et autres trucs étranges. Si j’avais dû faire un portrait robot de

dieu, de vrai dieu je veux dire, je crois qu’il aurait ressemblé à Morgan Freeman, ou une

personne célèbre que j’aimais bien…Encore que la perspective de croiser une star, divine ou

non, était aussi angoissante, mais dans une autre mesure. Non, il ne valait mieux pas que

j’essaye de m’imaginer ce moment, tout ce que j’en tirais c’était une espèce de trac

prématuré et des éclats de rire nerveux. Il valait mieux que j’aille me baigner, c’était

relaxant, et en général ça me faisait oublier de réfléchir. D’ailleurs, je crois qu’à force je me

serais transformé en poisson à force de patauger la dedans, si à un moment je n’avais pas

enfin décidé de pousser un peu plus loin mon exploration.

Je l’avais depuis le début remarqué cette porte, mais de là à la franchir…J’avais en face de

moi une entrée deux fois plus grande que moi, faite de marbre et épaulée de deux piliers au

moins aussi impressionnant...Ça avait de quoi faire peur ! Pourtant elle piquait de plus en

plus fortement ma curiosité, je ne savais pas du tout ce qu’il pouvait y avoir là-bas et à

compter de ce moment là j’ai senti que ma conscience me poussait irrémédiablement vers

cet inconnu.

Cela faisait à peine une heure que j’étais réveillé, mais en allant examiner de plus près ce

colosse j’ai su que je ne reverrais pas ce paradis de la même manière après avoir vu ce qu’il

y avait derrière. Elle était massive, majestueuse, titanesque, surmontée de motifs anciens aux

significations mystérieuses, ornée d’or massif, elle devait être extrêmement lourde. Large

comme six hommes et haute comme trois elle imposait un respect surnaturel, et devait

surtout cacher un lourd secret.

Il n’y avait pas de poignée, pas de serrure et pourtant elle s’ouvrait sur quelque chose qu’il

fallait que je vois, quelque chose que je savais important pour la suite. Tout d’un coup, alors

que je parcourais du doigt sa surface, dans un grondement assourdissant elle s’est mise en

mouvement, tonnant au milieu du paradis que j’avais fait mien, la porte s’est ouverte. Elle

donnait lieu sur des escaliers qui descendaient en spirale ; des flambeaux, dont les flammes

brillaient dans la pénombre étaient accrochés aux murs. Le chemin était étroit, et ne laissait

pas entrevoir le moins du monde ce qui m’attendait. J’ai posé un pied sur la première

marche, et j’ai entamé ma descente dans les profondeurs de l’Olympe.

Les murs étaient griffés de veines aux couleurs dorées et sombre, formant un motif

complexe et naturel enchâssé dans les parois de ce tunnel sans doute millénaire. Les

escaliers tournaient à en faire perdre la tête, et les marches se succédaient sans fin au fil des

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couches rocheuses. Au fur à mesure que j’avançais, je reconnaissais ça et là des veines de

marbre d’un blanc nacré pur comme le plus beau des ouvrages, et quelque fois même

j’aurais juré apercevoir des pierres brillantes… J’avançais à pas de loup sans pourtant

prendre le temps de regarder autour de moi davantage, mon avancée vers l’inconnu

obnubilait mon esprit, je guettais la fin du voyage les yeux rivés sur la dernière marche

visible, prudent et avec appréhension. Puis j’ai entrevu une source de lumière plus forte, qui

n’émanait pas des torches mais d’une source plus grande et bien plus éloignée, c’était le bout

de la descente, enfin. Je me suis approché doucement sur les dernières marches, écoutant le

bruit assourdissant de mes pieds sur la pierre nue, chaque pas sonnant peut-être la fin de

mon périple, et j’ai fais irruption dans l’immense pièce.

Elle était éclairée de mille torches, toutes identiques, les veines de marbre et d’or

aboutissaient ici, formant un parterre magnifique sous la voute brute de la montagne. Des

statues couleur nacre encerclaient une grande arène lumineuse, et derrière elles se trouvait

une fresque aux proportions impressionnantes, symbolisant la création du monde. De l’eau

coulait en cascades au pied des statues de ces gens dont le visage m’était inconnu, formant

des canaux cristallins épousant l’arène. Au centre se trouvait un immense arbre, un chêne me

semblait-il, qui s’élevait fièrement sous ce ciel sans soleil. Il devait avoir probablement des

siècles, peut-être des millénaires et continuait à vivre malgré l’enfermement et le temps qui

ne passait plus au dehors. Si le temps s’était arrêté dans mon jardin d’Éden, il continuait en

réalité son inexorable course dans cet étrange sanctuaire divin

Des bougies brûlaient mais ne fondaient pas, comme immortelles, de la même manière que

le chêne avait peut-être senti naître et mourir beaucoup de vies, beaucoup d’époques, mais

que la mort elle-même n’avait pas de prise sur lui. Avec précaution, je me suis approché de

l’arbre et sans un mot j’ai posé ma main sur son écorce sombre plusieurs fois centenaire,

comme absorbé par lui. Sous ma main j’ai senti la sève remonter dans chacune de ses

cellules, le faisant regorger de vie, mais j’ai aussi senti une sorte de peine émaner de lui. A

ce moment la, mes doutes se sont envolés comme ils avaient fuit dans la clairière à Ikaria, je

ne croyais pas, je savais…Cet arbre était emplit de tristesse et d’une pointe de haine, à ma

propre image… Il trônait sans joie ici, me révélant au gré des sensations qu’il me faisait

ressentir une amère vérité, claire comme l’eau d’une larme. Cette pièce n’était pas un

sanctuaire, elle ne l’était plus, ce n’était pas un refuge pour l’égaré. Et moi qui croyais avoir

trouvé un monde qui pourrait être le mien, ici, au cœur de l’Olympe, j’avais trouvé le

tombeau d’un dieu.

« Chronos est mort »…Ces mots sonnaient dans ma tête comme les sirènes d’une ville,

répandant en moi un sentiment de malaise indéchiffrable. Cette fontaine dans la clairière

n’en avait jamais été une, mais plutôt une sorte de clepsydre, un indice si énorme…Pourquoi

ne l’avais je pas compris plus tôt…Et cette pièce était alors la sépulture de Chronos, celui

que l’on disait être le dieu du temps…Pourquoi m’avait-il choisit lui, et comment cela

pouvait être possible ? L’on disait les dieux immortels ! Je sentais monter en moi un vertige

indéfinissable, et avec lui une sorte de panique. Pourquoi était-il mort, qui ou plutôt quoi,

l’avait tué ? Surement pas la vieillesse…Une forme de maladie divine ? Les questions

tournoyaient dans ma tête, je ne comprenais pas, et je commençais à réaliser que ma quête

tournait court si même un dieu ne pouvait pas m’aider…A quoi bon m’appeler à un soi

disant destin pour en arriver la ? Qu’allais-je devenir ? L’arbre n’en dit pas plus alors qu’il

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retombait lentement dans le sommeil, me laissant seul assit sur le sol, abandonné et sans but.

C’est à ce moment que j’ai entendu une voix dans ma tête, aussi clairement que si l’on me

murmurait à l’oreille.

« Ce sont les hommes, ce sont eux qui ont tués les dieux.

Chronos a insufflé le temps et au fil des millénaires il a permis aux fils de la terre de se

multiplier et d’évoluer jusqu'à ce qu’ils en oublient d’où ils venaient.

Chronos n’est pas le seul, ils sont tous morts, assassinés par leurs fils, assassinés par la

perte de la foi, par l’oublie des racines, par la haine.

Ils ont essayés de les punir, de canaliser leur avidité, d’empêcher l’inévitable mais les

hommes n’écoutent rien et en vérité, il n’y a rien qui fasse plus de mal que les coups infligés

par ses propres enfants.

Chronos s’est éteint, comme beaucoup d’autres, et les hommes cheminent inconsciemment

par eux mêmes. Certains croient encore aux dieux, mais ils ne vénèrent que les ombres de

ceux-ci. »

Cette voix dans ma tête, si grave et pourtant si fragile me semblait si réelle tant elle

accaparait tous mes sens, m’hypnotisait. A tel point que je n’ai entendu que tardivement les

pas derrière moi, ceux d’un petit garçon d’une dizaine d’années peut-être, les cheveux en

bataille et ses frêles épaules recouvertes d’une toge d’un blanc immaculé. Le moment était

irréel, mon esprit avait été comme vidé par les mots qu’il avait prononcé et mes yeux captés

par son aura ; je n’osai ouvrir la bouche de peur de sa réaction, et lui, du haut de sa petite

silhouette d’enfant, prit la parole. Il connaissait déjà toute ma vie, mes pensées, mes doutes,

les questions que je m’étais posé, et celles que je poserais si j’en avais la force. Sa voix

reflétait chez lui une grande sagesse qui n’était pas en accord avec son apparence, il parlait

sans trace d’émotion ni froideur, et ses yeux dorés plongés dans les miens semblaient

infiniment plus vieux que moi. Il était l’héritier de Chronos, celui à qui revenait la tâche de

faire tourner le monde que j’avais toujours connu. Cela expliquait pourquoi le temps ne

s’était pas arrêté sur terre ou même dans cette pièce, mais il n’avait rien de la fierté que l’on

prêtait aux dieux malgré son rôle. Il se dégageait de lui une sorte d’humilité, et c’était peut-

être la raison de son apparence…Je ne le quittais pas des yeux, comme figé, ne sachant plus

que dire ou faire face à cette apparition.

« Luther, quoi que tu puisse penser ton destin était de venir ici, Chronos il y a des

millénaires l’avait prédit.

Il savait que tu viendrais plus que tout autre dieu, et m’a chargé à sa mort de te guider sur

la voie de la destinée.

Je ne peux pas tout te dire, cela ne t’aiderait en rien, mais sache que ton chemin était tracé

et l’est toujours, chacun de tes choix n’est qu’une nouvelle marche d’un escalier crée bien

avant ta venue au monde.

Ainsi tu te cherches, c’était écrit, et il en sera toujours ainsi ; je connais ton avenir Luther et

sache que rien n’est hasard en ce monde.

Ta quête ne vient que de débuter, le chemin sera long et sinueux, marche cours, voles et

n'oublies jamais : Le vrai pouvoir est celui qui fait battre ton cœur, ne te retournes en aucun

cas, ne regrettes pas tes choix et fies toi seulement à toi même. »

Au fur à mesure qu’il parlait je sentais chacune des ses paroles s’imprimer en moi, mots

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après mots, phrases après phrases, une lumière de plus en plus forte émana de l’arbre et

engloutie alors la pièce, la baignant d’une clarté aveuglante. Les dernières paroles se

perdirent dans le lointain et en un clignement de paupières je me retrouvai au milieu d’un

désert, à genoux dans le sable, la tête bourdonnante. La pression devint alors insupportable

et je vis autour de moi le monde s’agiter rapidement et plus en plus vite.

J’ai vu des pierres émerger du sol, les dunes reculer puis disparaître. J’ai vu des arbres morts

revenir à la vie et rajeunir jusqu'à ce que leurs bourgeons retournent se terrer dans le sol, j’ai

vu de l’herbe renaître puis disparaître sous le coup du temps qui repartait vers ses origines.

Des pierres érodées par le temps rejaillirent des blocs taillés à la perfection, des blocs qui se

réassemblèrent et formèrent des bâtiments, des bâtiments qui reconstruisirent la civilisation.

Les derniers grains de sable se retirèrent, ne laissant sous mes genoux meurtris qu’une fine

pellicule de poussière et de terre, au loin des gens sont revenu repeupler chacune des

parcelles de cette ancienne étendu de désolation stérile, et harassé par la fatigue je me suis

laissé tomber face contre terre, perdant conscience alors que la course effrénée du temps

prenait fin.

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J’ai repris connaissance lentement, recollant un à un les morceaux de souvenirs dans

ma tête pour tenter de deviner où je me trouvais. L’ile d’Icare, le Mont Olympe, l’héritier de

Chronos, une quête qui débutait…Puis le désert, la désolation et ensuite...De toute évidence

j’avais remonté le temps, je ne savais pas quand et où j’étais sur le point de me réveiller.

Alors avant même d’ouvrir les yeux j’ai éveillé mes sens, et j’ai commencé par écouter mon

corps. Un corps fatigué posé sur une sorte de couchette au drap rêche dont l’épaisseur était

très inégale par endroits, une couchette faite de paille à en juger par les petites piqures qui

constellaient mon dos ça et là. Ou pouvais-je bien être exactement ? Je n’avais aucun

souvenir après mon arrivée et j’avais mal à la tête. Chacune des minutes qui s’écoulaient me

paraissaient une éternité et au fur à mesure que mon corps se réveillait et que mon esprit se

relevait de sa léthargie j’entendais de plus en plus ce qu’il se passait autour de moi.

Quelqu’un allait et venait sur la pointe des pieds, la personne étais seule, et c’était autour de

moi qu’elle tournait.

Tout à coup j’ai frissonné, on s’approchait très près, et j’ai senti les gouttes couler sur mon

front précédant un linge humide, c’est à ce moment que j’ai ouvert les yeux en saisissant la

main. La jeune femme au teint hâlé étouffa un petit cri strident à ce moment là, elle tenta de

retirer sa main de la mienne et je l’ai laissé rapidement s’enlever pour ne pas lui faire peur.

Mais quelque chose dans son attitude me laissait penser que la seule frayeur qu’elle

ressentait était seulement due à ma réaction un peu brutale. Elle n’avait eu qu’un réflexe, et

une fois la surprise passée elle ne s’était pas enfuie, n’avait appelé personne. Elle restait à

bonne distance, mais elle avait ce genre de regard qu’ont les gens qui s’apprêtent à dire

« Pfiouu tu m’as fait peur », un visage qui aurait pu être souriant s’il n’avait pas été occupé

par des restes de peur. Alors j’ai reposé ma main doucement et je me suis assit sur le bord de

la couche de paille, sentant tout à coup monter en moi une sorte de gène. Je devais avoir l’air

d’un sauvage à me comporter comme ça, mais cela faisait si longtemps qu’une humaine ne

s’était pas approchée si près de moi sans me menacer ou me condamner…

Ma toge était entrouverte au niveau de mon torse et mes cheveux tombaient sur mes épaules,

les gouttes d’eau sur mon front retombaient le long de mes joues. Je devais avoir une drôle

d’allure, et surtout pour quelqu’un d’une époque si lointaine de celle qui était mienne. Je

n’étais qu’un gosse perdu, apatride, portant des vêtements qu’elle n’avait peut-être jamais vu

ailleurs ! Elle était jeune, peut-être dix huit ou vingt ans, portait une longue robe claire

déchirée par endroits, et ses mains portaient les traces du travail de la terre. Elle ne devait

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pas passer ses journées enfermée à l’intérieur car ses pieds étaient nus et sales, et ses

cheveux noirs de jais avaient poussés sans forme, et étaient extrêmement longs. Cette fille

était belle à sa manière, et pas seulement parce qu’elle ne me regardait pas comme un

monstre, mais aussi parce qu’émanait d’elle quelque chose que je ne comprenais pas encore.

Ses deux yeux d’un vert profond continuaient de me fixer lorsqu’elle croisa les miens, ils

semblaient habités de sentiments contradictoires, dont la peine et autre chose que je

n’arrivais pas à trouver. Elle me rappelait un peu la Ariane que j’avais rencontré la première

fois, mais avec quelque chose en plus… Ma gêne m’aiguillonna tout à coup le cerveau, et

j’ai détourné le regard autour de moi pour ne pas me sentir trop mal à l’aise.

J’ai laissé mes yeux fuir vers ce qui m’entourait, une petite pièce aux murs de terre

recouverts d’un toit de pailles qui laissait filtrer la lumière, une lumière puissante émanant

d’un ciel bleu azur parsemé de petits nuages.

Le sol était recouvert de terre très fine et poussiéreuse, arborant quelques touffes d’herbes

sèches. Les murs étaient ça et là porteurs de diverses choses, des petites étagères de bois fins

que de simples poteries décoraient. Elles n’avaient rien des décorations grecques, à croire

qu’elles n’étaient qu’utiles, elles me laissaient penser que je n’étais pas seulement revenu

quelques années auparavant mais probablement de plusieurs siècles. Au pied de ces murs j’ai

reconnu ce qui semblait être des outils pour creuser, mais pas seulement la terre. Il y avait

une sorte de burin, et d’autres petits objets dont la fonction m’échappait à ce moment là.

Mais pendant que j’observais le monde qui m’entourait la fille s’était rapprochée et me

regardait curieusement, assise à coté de moi. Je n’aurais su dire pourquoi, mais elle

m’inspirait une sorte de confiance, et de timidité aussi ; Il me semblait qu’elle ne pouvait pas

faire de mal à une mouche, je pouvais le lire dans ses yeux, mais peut être était-ce parce

qu’elle était loin du monde que j’avais fuis. Mais quelle langue parlait-elle, au fait ? Cela

faisait des heures que je n’avais pas dis un mot et j’avais de plus en plus envie de

communiquer avec cette inconnue qui m’avait peut-être ramassé alors que j’étais dehors

sous un soleil de plomb.

Et même si elle n’était pas ma bienfaitrice, je lui étais quand même reconnaissant! Elle

s’était occupée de moi et surtout elle ne semblait pas me rejeter, et ce n’était pas rien pour

moi. Une joie inexplicable m’avait envahit depuis quelques minutes, comme si mon but

s’était rapproché tout à coup, et cette fille était l’ambassadrice de ma nouvelle existence.

Mon premier mot fut pourtant le plus banal que j’ai pu trouver sur le moment, prononcé

d’une voix blanche et stupide: « Bonjour ».

Mais la réponse, elle, ne le fut pas, et ses premiers mots me tirèrent un sourire comme je

n’en avais pas eu depuis si longtemps.

_ « Oh, tu parles ma langue ?

J’avais eu envie de sauter de joie, bêtement, tellement cette simple question venait

d’illuminer son visage de la plus belle des manières, et c’était tellement communicatif…

_Oui ! Oui ! Depuis toujours on dirait bien !

A en juger par son petit rire cristallin, je devais être entrain de dire n’importe quoi, mais

qu’importe ! Plus rien ne semblait exister qu’elle à ce moment.

_Bah dis donc, dit-elle dans un sourire, si j’avais su que je te réveillerais avec cette éponge,

je te l’aurais lancé dessus avant de partir en courant !

Je n’arrivais pas à détacher mon regard de ses lèvres d’où s’écoulaient une fontaine de mots

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miraculeux à cet instant de mon voyage, quelle probabilité avais-je de parler la même langue

qu’une fille vivant à des centaines d’années de l’époque ou j’étais né ?

_J’aurais eu l’air bête, je sais même pas ou je suis !

Elle ria de nouveau en détournant le regard, puis revint vers moi.

_C’est vrai ça, mais au fait, d’où viens tu ? Tu as bien un nom ?

Je ne savais pas trop si je devais répondre à la première question, pourtant j’aurais souhaité

ne pas lui mentir et tout lui expliquer, mais je n’en ressentais pas le besoin pour le moment,

plus tard, qui sait.

_Je viens de loin, très loin, et là d’où je viens on m’appelle Luther !

_Ah, un amateur de mystères ! Très bien Luther, moi c’est Terra. Est-ce que tu veux bien me

dire quand même pourquoi un garçon avec de si grandes ailes s’est écrasé dans un endroit

comme celui la ?

Sa question m’a prit de court, je m’attendais à tout sauf à ça, d’autant qu’il ne me semblait

pas les avoir déployé ni en quittant l’Olympe, ni en arrivant dans le désert. Elle du voir mon

désarroi, car elle s’empressa de reprendre la parole.

_T’inquiètes pas va, personne ne les a vu à part moi, il ne t’arrivera rien, puis d’ailleurs

faudra que tu m’explique où elles sont parties toutes les deux, jsuis un peu curieuse.

Et moi donc…Pourquoi étaient-elles sorties malgré moi, et surtout pourquoi cette inquiétude

sur qui les aurait vu ou non ?

_Dis moi, Terra, tu as déjà vu des gens comme moi n’est ce pas?

_En fait non ! Dit-elle gaiement. Mais je sais qu’ils existent, ma mère me racontait souvent

des histoires d’hommes et de femmes touchés par les dieux, j’adorais les écouter ! Mais pour

être franche, tu as eu de la chance que ce soit moi qui te trouve…

Son ton était devenu plus grave, et je pressentais que quelque chose clochait ici. Son sourire

s’était en partie effacé, il y avait visiblement quelque chose qu’elle ne me disait pas.

_Pourquoi ?

_C’est compliqué, essayes juste d’être discret avec ça d’accord ? Je t’expliquerais plus tard,

t’en fais pas. Monsieur le voyageur a faim non ? J’entends ton ventre d’ici. »

Et en effet je mourrais de faim, cela faisait vraiment longtemps que je n’avais rien avalé, et

les quelques pois et la viande séchée que j’ai mangé ce jour la furent les meilleurs de ma vie.

Le repas se passa dans le silence, j’avais trop faim pour m’arrêter de manger et Terra

semblait perdue dans ses pensées. Quelle fille étrange…Elle avait le sourire facile, mais plus

que jamais à ce moment je sentais que sa vie ne devait pas souvent lui permettre de tels

moments d’insouciance. Ses derniers mots avaient été trop évasifs, malgré la bonne humeur

qu’elle voulait afficher, et tôt ou tard elle ne serait plus capable de me cacher ses yeux tristes

qui s’abimaient dans le vide. Elle m’intriguait, elle était gentille comme tout, mais alors

pourquoi vivait-elle si seule ? Le lit était à peine assez grand pour moi, alors elle ne devait

certainement pas le partager…Mais on m’avait apprit à attendre que les gens se confient,

pour ne pas les mettre mal à l’aise, j’attendrais donc.

Une fois le repas terminé je me suis levé pour la laisser un peu seule, l’ambiance pesante qui

régnait dans cette petite chaumière me donnait envie d’air, et peut-être mon hôte avait-elle

besoin d’un peu de solitude, au moins quelques minutes. Après lui avoir brièvement

demandé si ça ne dérangeait pas, je suis enfin sorti découvrir ce nouveau monde dont

j’ignorais tout. Mon monde si j’en croyais le dieu qui m’avait mené ici, un monde que

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j’idéalisais depuis que je connaissais son existence, ce monde ou une jeune fille se

réjouissait d’aider un garçon étrange avec des ailes.

La petite maison se tenait à l’écart d’une sorte de ville, dans une gigantesque vallée sèche,

disputée par la poussière et les herbes rases sous un soleil de plomb. D’ici on pouvait

embrasser toute la cité du regard, une cité à l’allure majestueuse qui s’élevait vers le ciel

dans une robe à mi chemin entre la blancheur des rares nuages et le sable. L’architecture

était simple, et pourtant il s’en dégageait quelque chose de grand, des siècles d’histoire qui

avaient élevé les bâtiments et complexifié les formes. Au centre se dégageait une grande tour

aux formes torturées, qui semblait être le centre névralgique de la cité. Je n’y connaissais

rien en urbanisme, mais dans ce paysage que je ne pensais pas avoir la chance de voir un

jour, j’ai cru voir un peu de ce que seraient les grandes villes dans le futur.

Terra m’apprit plus tard qu’il s’agissait de la cité d’Inoa. Je ne connaissais pas endroit de ce

nom à l’époque d’où je venais, et à vrai dire il ne m’avait même semblé le lire dans les livres

d’histoires…A croire que cette cité avait disparu sous le sable et n’en était jamais ressortie,

ni aucune trace de son existence d’ailleurs. Je ne savais pas du tout de combien de siècles

j’avais reculé mais je savais d’or et déjà que les hommes et femmes qui vivaient la n’y

demeureraient pas jusqu'au second millénaire. Au loin on pouvait voir le désert avancer et

avec lui le sable qui envahirait tout, et un jour la vie dans le désert du Sahara s’éteindrait

sous cette forme, mais en combien de temps ? Combien de temps faudrait-il encore avant

que les dunes n’atteignent le cœur de cette cité que l’on voyait poindre au dessus du reste ?

Cette gigantesque bâtisse colorée que l’on devinait richement ornée devait avoir une place

importante dans la vie des gens d’ici, mais savaient-il seulement comment tout cela

finirait…Il me faudrait tôt ou tard y aller et me mêler à eux, me balader dans ces rues… Je

me posais tant de question. Mais une seule me préoccupait plus que les autres : je ne

comprenais pas encore pourquoi la maison de Terra se trouvait si loin de la civilisation.

C’est après quelques minutes seulement qu’elle m’a rejoint devant la porte, un air amer sur

le visage. Je n’avais pas idée de ce qui lui avait traversé la tête pendant le moment ou nous

étions séparés, mais après un long silence, les yeux dans le lointain elle décida de me

raconter l’histoire de la cité. J’avais tant à apprendre, et elle seule pourrait m’instruire autant

que je le souhaiterais. Cette ville était la cité d’Inoa, fondée plusieurs siècles auparavant par

un ancien général grec avide de pouvoir, a tel point dit-on qu’il entreprit de conquérir le

mont Olympe; La bataille fut un désastre, ses soldats et fidèles furent massacrés, punis pour

leur insolence. Le général, défait et couvert de honte sauva sa peau avec sa garde

personnelle, et fut contraint à l’exil par le peuple qui réclamait son sacrifice pour apaiser le

ciel. Pourchassé par les légions de Sparte il décida d’abandonner son nom et de partir loin

afin de bâtir de ses mains sa cité idéale, loin du joug de la colère divine et de toute forme

d’influence céleste.

Par delà les mers, il trouva en ces terres un peuple qui l’accueillit, et fort de ses qualités

d’orateur il fit des adeptes qui le suivirent et posèrent une à une les pierres d’Inoa, réduisant

au silence quiconque mettrait en doute sa parole. A la tête du pouvoir, le général fit ainsi

bannir toute forme de spiritualité, traquant et persécutant chaque homme et femme tentant de

perpétrer les vieilles traditions, et d’années en années il ne resta bientôt plus que des rumeurs

de la culture qui était celle de cette terre jadis. Les temples furent détruits, les écrits brûlés,

les symboles bannis et la jeune cité d’Inoa oublia ses racines et la terre qui l’avait faite

naître. On raconte dans les écrits glorieux narrant la naissance de la cité, écrits de la main

même du général, que le ciel tenta maintes fois d’envahir à nouveau les esprits, pervertissant

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les cœurs et brouillant la vue. Ces récits épiques, que chaque enfant d’Inoa apprend dès son

plus jeune âge, explique notamment comment le Général en personne sauva son peuple de

l’invasion divine, en faisant le choix douloureux de tuer son propre fils, fomentateur d’un

coup d’état.

L’histoire raconte comment jusqu’au dernier instant les dieux firent mentir la langue du

malheureux face à son père, qui ne trembla pas au moment d’assener le coup de grâce. Et

c’est ainsi que la cité s’est bâtie au fil des siècles, grandissante vers ce ciel qu’elle défie du

regard et sur terre, et à la tête de laquelle se trouve encore les descendants de son légendaire

fondateur. Ceux-ci règnent d’une main de maître, influencée par la rigueur militaire des

écrits glorieux, vénérant la légende du Général qui cracha sur la montagne des Dieux.

La mère de Terra était une archéologue renommée et appréciée, chargée de mener des

recherches sur les traces du voyage qui mena le fondateur sur les terres de la future cité, et

plus précisément elle recherchait son tout premier campement, celui ou furent établis les tout

premiers plans, et ou les puissants pensaient trouver le nom abandonné du héros d’Inoa.

Pourtant, ce qu’elle trouva allait changer sa vie et la précipiter vers la fin…

Terra et sa mère vivaient à l’époque en ville, dans un endroit qui n’avait rien à voir avec

celui où la jeune fille vivait désormais. En ce temps là, Terra n’avait qu’une douzaine

d’années mais voulait déjà suivre la voie qu’on lui avait tracé, celle de la recherche sous le

soleil du pouvoir. Faire revivre le passé pour la gloire des puissants, un travail qu’elle avait

toujours admiré car il vous offrait une place importante en société…du moment que l’on

exhume ce qui plait.

Terra parlait avec gravité, et ses yeux perdus dans le vague revoyaient chaque instant, se

souvenaient de chaque sentiment, et la colère sur son visage lorsqu’elle raconta le jour ou sa

vie à changée m’a serré le cœur.

C’était un jour gris, de ceux qui attristent mais ou il ne pleut pas. Sa mère était rentrée plus

tard que prévue, bien après la tombée de la nuit, et avait un comportement étrange, un air

absent qui inquiète. Elle avait trouvé quelque chose d’interdit, comme cela arrivait parfois,

mais cette fois ci il s’était passé quelque chose. En temps normal, l’archéologue qui trouvait

un artefact prohibé s’attirait la grâce des puissants, car il contribuait ainsi à éradiquer la

gangrène de la croyance, en général ça le rendait heureux, car la récompense est de

taille…Mais nulle joie dans ce visage éclairé par les torches de la riche maison, pas

d’enthousiasme, et les jours suivants pas de liesse ni de fête…juste des murmures et des

regards inquiets. Les jours qui ont suivit la découverte furent étranges, des gens allaient et

venaient dans la grande maison, parlaient à voix basse, s’exclamaient et parlaient de

révolution à demis mots. Il ne fallait pas qu’elle sache, elle ne devait pas voir, c’était trop

dangereux. Pour la fillette qu’elle était, la situation était inquiétante, lourde, et lorsque sa

mère l’emmena pour la toute première fois dans cette chaumière loin de tout, pas une fois

elle ne se douta de la suite des évènements. Oubliée la grande maison, les amis et la douce

odeur de la cuisine, sa vie devait être clandestine pour ne pas s’arrêter. Terra n’eut plus le

droit de quitter cet endroit, ne voyant sa mère que le soir, une mère différente, absorbée par

quelque chose de tellement gros… Une mère devenue conteuse d’histoires fantastiques, où

se côtoyaient la vraie vie et des choses qui n’avaient pas le droit d’exister, des histoires avec

un ciel… Et il y avait ce journal, ou elle écrivait tous les jours des mots que Terra n’avait pas

le droit de lire. Ce journal, elle le tenait dans ses mains depuis qu’elle était sortie me

rejoindre, et le serrait contre elle sans s’arrêter de parler.

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Cette situation étrange a duré longtemps, des mois entiers durant lesquels Terra vit sa mère

chaque jour plus inquiète, et un soir elle n’est pas revenue.

Ce soir la le ciel était sans nuages et à la lueur d’une torche Terra attendait, car elle ne

pouvait pas s’endormir seule, pas ici loin de tout. Les heures s’écoulaient, laissant la jeune

fille à la merci du silence, les yeux rivés sur la maigre porte en bois, et il y avait ce journal

seul sur la table, ouvert à la dernière page… Pour la première fois elle posa ses yeux sur ces

lignes interdites, curieuse de lire ce que sa mère avaient écrit la veille lorsqu’elle la pensait

endormie, et c’est la qu’elle comprit en lisant les derniers mots inscrits à l’encre noir :

« Si je ne rentre pas, Terra, sache qu’en ville plus personne ne saura qui tu es, vas y et

dépose ce journal dans la faille du socle de la fontaine, tu te souviens ? Celle que tu aimais

tellement, ou tu aimais jeter du sable. L’homme qui t’y retrouvera s’occupera de tout. N’en

lis pas plus, s’il te plait, et n’oublies pas que je t’aime.

Maman »

Terra pleurait maintenant doucement et j’avais une boule dans la gorge. Je me sentais mal, et

je savais que ça ne s’arrêtait pas là, cela faisait des années qu’elle avait trouvé ce mot.

Elle n’avait pas écouté, et dès le soir même elle avait entamé la lecture de l’héritage de sa

mère, parcourant ce passé qu’on lui avait caché, pour comprendre. Au fil des lignes elle avait

découvert des messages que le mystérieux homme devait lui transmettre, des messages

tristes parfois, pleins d’espoirs à d’autres moments. C’était comme si sa mère lui avait caché

tous ses sentiments pendant ces longs mois, se retenant de pleurer, de rire en se souvenant du

passé…

Au levé du jour le lendemain matin elle savait. Elle savait pourquoi sa mère avait tellement

changé, mais ne le comprenait pas encore bien, elle savait ce qu’elle avait tenté de lui caché,

mais n’avait pas idée de l’ampleur, elle savait que le pouvoir avait emporté sa mère, mais

elle ignorait tout de l’horreur qui avait suivit. Il avait fallu des années de relecture, de survie

maladroite loin de la ville, à apprendre à se nourrir, à explorer le monde autour d’elle pour

qu’elle réalise l’importance de ce qui s’était vraiment passé.

Sa mère avait trouvé les ruines d’un ancien sanctuaire dédié au culte du peuple dont ils

étaient les descendants. Un sanctuaire habité par une force à nulle autre pareil, une force qui

avait contacté sa mère et lui avait montré la voie de la vérité. Il y avait un ciel au dessus de

cette ville, un ciel qui avait beaucoup à offrir et qui pouvait changer la vie de tout un peuple,

qui pouvait soigner Inoa du vrai mal qui la rongeait depuis sa fondation, la haine et l’avidité

de son créateur. La mère de Terra avait réussit à convaincre des gens, à monter un groupe

clandestin qui tentait en secret de fédérer de plus en plus d’adeptes, de faire ouvrir les yeux

sur cet espoir inattendu qu’on offrait à leur ville. Elle y avait passé des mois, aux dépends

même de sa propre fille, mais rien n’avait fonctionné comme prévu.

La mère de Terra savait que son temps était compté mais ignorait tout de la direction de

laquelle viendrait le couperet. Le gouvernement étoufferait l’affaire, raserait le sanctuaire et

chasserait sans pitié toute personne affichant un penchant pour celui-ci, elle le savait. La

veille de sa disparition elle y était retournée une dernière fois avec un groupe d’adeptes et

deux trois personnes qui suivraient, lui avait on assuré…Terra avait mit peu de temps à

comprendre que de ces personnes la était un traitre, mais n’avait jamais pu savoir de qui il

s’agissait. De tous les adeptes, elle ne savait pas qui était encore vivant ou non, ni même

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combien ils étaient…

Seule, abandonnée, il ne lui restait plus que ce journal et les recherches de cette mère qu’elle

ne reverrait plus jamais. Cela faisait depuis près de cinq ans qu’elle vivait dans cet endroit

reculé, explorant le désert loin des regards pour retrouver le sanctuaire et suivre les traces de

sa mère, envers et contre tout.

Sa voix s’était finalement éteinte, alors que je regardais ses yeux abimés dans le vague.

Cette fille n’était pas beaucoup plus âgée que moi et était tellement abîmée, je n’avais à cette

époque que quinze ans mais je me sentais comme un égal face à cette enfant qui avait du

grandir trop vite…Pourtant quelque chose dans ses mots me faisait penser qu’elle ne

détestait pas son peuple pour autant, mais qu’elle les plaignait. Sa voix n’était pas

tremblante, malgré son jeune âge elle parlait avec la sagesse issue du malheur, qui vous

apprend bien plus encore que toutes les leçons du monde. C’est l’attitude des gens qu’elle

condamnait, et malgré tout elle semblait garder l’espoir de leur faire entendre raison, de

pouvoir changer les choses, quitte à se battre avec eux pour leur propre bien. Si cette divinité

du sanctuaire pouvait vraiment donner un avenir plus lumineux à cette cité, elle avait à son

service la plus triste mais la plus déterminée des adeptes…

A l’époque d’où je venais, le monde avait lui aussi fait le choix du rejet, et au fond de mon

cœur naissait un sentiment qui m’était désagréable…S’ils étaient à plaindre eux aussi…Si là,

dans ce qui serait l’un des plus grands déserts du monde je venais de trouver quelqu’un

comme moi, face au même problème ? Cela voudrait dire que je n’aurais été qu’un lâche de

tout abandonner de cette manière… Mais comment Terra parvenait-elle à emprunter le

chemin du pardon pour le meurtre de sa mère…Je ne comprenais pas. Même ici, à des

milliers de lieux de mon point de fuite, la blessure de cette attaque dans ma propre vie

saignait encore chaque fois que j’y pensais…Non, moi je ne pouvais pas…Pourtant cette

fille que je contemplais, face à la cité d’Inoa, croyait encore à la rédemption des siens...Je

devais comprendre pourquoi.

C’est ainsi que j’ai prit la décision d’aider Terra, d’aider ce peuple pour voir si l’homme de

ce temps pouvait s’améliorer, comme semblait me le suggérer les dieux en m’envoyant là. Si

ma place devait se trouver ici, c’est ainsi que je pensais le découvrir. J’allais aider cette

jeune fille, et peut-être pouvait-elle en échange m’apprendre ce que je voulais savoir sur

moi-même. Mais même si sur le papier la mission semblait simple, je ne savais pas par où

commencer.

Nous sommes rentrés nous asseoir sur le lit que j’avais quitté plus tôt, pensifs ; La

chaumière me semblait alors plus petite et sombre que jamais, c’était peut être ainsi que ma

nouvelle amie la voyait au quotidien, ça me rendait triste…Et plus triste encore lorsque je

vis son air perdu levant les yeux pour regarder les vieux murs qui commençaient à

s’effriter…Je devais la sortir de là, d’une manière ou d’une autre, mais avant cela il fallait

que je décharge mon cœur, que je partage avec elle l’histoire qui était la mienne pour

partager nos peines. Je sentais qu’en racontant ma vie, je pourrais la détourner de la sienne

l’espace d’un instant, pour qu’elle comprenne que je ne la laisserais pas tomber, pour qu’elle

retrouve un semblant d’espoir.

Je lui ai alors raconté mon enfance, comme elle l’avait fait pour la sienne, je lui parlé de ma

mère, de Conrad, je lui ai parlé de la petite et étrange Ariane, de mes ailes et de la

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suite…Elle scrutait mes yeux, buvant chaque mot comme s’ils étaient l’eau d’une fontaine ;

Elle souriait pendant les passages joyeux, ceux avec mon chien, et avait un air triste lors de

ceux qui l’étaient moins. Elle n’en manqua pas une miette, m’aidant à décharger tout le

poids que j’avais sur les épaules depuis trop longtemps, et lorsque j’ai atteint le passage sur

l’ile d’Icare, ses yeux se sont agrandit, elle s’est alors mise à poser plein de questions ; Elle

voulait savoir à quoi ressemblait un dieu, quel genre de symboles on pouvait trouver autour

de lui, quel genre de pouvoir il avait…J’ignorais pas mal de réponses mais son enthousiasme

était communicatif, moi-même je m’amusais de ma propre histoire, alors que pas une fois

elle ne la mettait en doute. Et lorsque je suis arrivé à ma rencontre avec elle, elle souriait

toujours et ça faisait du bien, j’ai alors déployé mes ailes sur sa demande pour qu’elle puisse

les voir de plus près. Elle sembla tout à coup redevenir l’enfant qu’elle décrivait dans son

récit, touchant du bout du doigt, frôlant du visage chaque plume pour en éprouver la

douceur. Cela me procurait des frissons et une étrange sensation dans tout le corps, elle était

la première à connaître toute mon histoire, à ne pas fuir devant ce que j’étais, à m’apprécier

entier…Cela ne faisait que peu de temps que j’étais ici mais je me sentais déjà lié à elle et à

sa vie, et ce moment aurait duré une éternité que je n’en aurais été que plus heureux encore,

si elle n’avait pas d’un sourire fait redescendre mes pieds sur terre.

_ « Tu es un jeune garçon attachant Luther, si je peux t’aider je le ferais. »

Mon cœur semblait s’être prit une porte, je suis resté sur un gout d’inachevé…Mais elle

avait raison, nous avions du pain sur la planche.

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Selon ce que j’en avais déduit à partir de ce que m’avait dit Terra, les gens d’Inoa

n’avaient rien contre les étrangers, à condition qu’ils n’aient et n’affichent aucun genre de

croyance, bien au contraire. L’esprit prosélyte des partisans du Général les poussaient à

convaincre toutes les personnes possibles, à partager avec elles leur haine du ciel. Ainsi

donc, à condition d’être neutre, je ne risquais à priori rien à me rendre en ville, c’est par là

que j’allais commencer. Par chance, Terra avait eu elle même cette pensée avant moi et

m’avait procurée une tenue qui me ferais ressembler à tout le monde, pour parfaire mon

anonymat, j’allais donc pouvoir me fondre dans la masse et partir à la recherche des anciens

membres du groupe clandestin cité dans le journal.

Ces vêtements ressemblaient étrangement à ce que je pouvais imaginer en voyant la ville,

pas extraordinaires, mais plutôt d’une certaine classe. On aurait dit qu’ils étaient tout droit

sortis d’une collection de musée, a mi chemin entre la toge grecque et le saari. Ainsi vêtu, je

pris enfin la direction d’Inoa, seul. Terra craignait que malgré le passage des années

quelqu’un en ville ne la reconnaisse, et si ses intuitions étaient justes, les gouvernants

avaient prit toutes les précautions possible pour éradiquer toute menace venue de l’ancien

sanctuaire. Même s’ils ignoraient l’existence du journal, ils savaient ou trouver Terra si le

moindre doute s’installait sur ce qu’elle savait ou non. Mais moi personne ne me connaissait,

pour l’instant j’étais libre, et j’avais une promesse à tenir.

Habillé incognito je marchais vers les portes de la ville, portant mon regard curieux sur ce

monde que je ne connaissais pas du tout ; Chaque pierre, chaque touffe d’herbe verte me

paraissait être une nouveauté et, assuré d’être seul, je me délectais d’une douce rêverie

chaque fois que mon regard se tournait vers le ciel. Cela faisait un moment que je n’avais

pas parcouru les airs, et de savoir qu’on me tuerait peut-être pour ça en ces lieux me rendait

mal à l’aise. Parfois je me retournais, regardant la maison de Terra, pour voir une fois de

plus mon premier port d’attache en cet univers avant de me plonger dans ma mission. Puis

j’ai croisé une personne, puis deux puis bientôt je me suis retrouvé au beau milieu de la

foule qui était rassemblée au centre de ce qui semblait être une place devant la tour centrale.

Les gens se retournaient parfois vers moi, comme des personnes qui en découvre de

nouvelles, mais sans plus d’intérêt. Au fond cela m’arrangeait pour l’instant, il ne me fallait

pas me faire trop remarquer pour l’instant au sein de ce peuple, en connaissance de cause.

Ils écoutaient tous un homme, perché sur une estrade le faisant s’élever au dessus et à la vue

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de tout le monde, je me suis mis moi aussi à l’écouter. Cet homme avait un certain charisme

qui faisait sûrement de lui le porte-parole de quelque chose, un mouvement peut-être, il

parlait avec une force qui trahissait une sorte de colère mal dissimulée. Ses yeux cherchaient

ses semblables, chaque mot se détachait au milieu des autres comme si ils avaient une

importance capitale, et l’homme essayait par tous les moyens de captiver son auditoire. Il

condamnait la présence en ville de quelqu’un, un homme à qui on prêtait des dons divins,

possédé par le mal et dangereux, a tel point qu’il aurait directement attenté à la vie d’un

fermier à l’Est de la cité. Lui n’était qu’un messager, venu en courant prévenir et chercher

des renforts pour attraper la bête. Il ne précisa pas le sort qui serait réservé à l’homme qu’ils

captureraient, mais je soupçonnais qu’il ne vivrait pas longtemps…

Je me suis alors mis à la place de cet homme, qui aurait pu être moi...Je n’avais aucune idée

de qui il était, ni même s’il n’était pas coupable de ce dont on l’accusait, mais s’il n’avait

rien fait ? S’il s’agissait là d’une exagération provoquée par la peur et les idées reçues ?

Alors dans ce cas la il devait se sentir accablé, traqué…comme un animal. Mais aurait-il la

même réaction que moi, la fuite ?…Ça je ne pouvais pas en être sur. Le comportement que

j’avais détesté des siècles plus tard, je le retrouvais finalement dans cette ville du

passé…Cette foule qui commençait à gronder autour de moi, chacun s’apprêtant à chercher

une arme pour chasser un innocent, cette foule commençant à grouiller furieusement avait la

même cause que celle qui m’avait encerclé et forcé à fuir. Je sentais monter en moi une

colère sourde, contre l’homme en face de moi, transi de conviction, le poing en l’air et

réclamant la mort de cette victime qu’il ne connaissait même pas, j’ai sentis le chagrin de

l’homme qui allait subir cette vague… Lorsque tout serait finit, je partirais d’ici car ce

monde ci n’était pas pour moi. Terra croyait dur comme fer qu’au moment ou la divinité du

temple se réveillerait complètement grâce à la foi, le peuple d’Inoa ouvrirait les yeux…Mais

comment le pouvait il après s’être enfoncé si loin dans le noir…Comment pouvais-je espérer

qu’ils finissent par m’accepter après ce que je voyais en ce moment…Pour l’instant ce

peuple n’était pas différent de celui que je croyais mien, mais cette fois ci ça ne se finirait

pas de la même manière, il fallait que je retrouve cet homme avant eux tous, je le devais.

Il était certain que tout ces gens étaient manipulés par une poignée d’autres plus influents, il

y en avait qui croyaient plus que d’autres ces personnes qui s’arrogeaient le droit de guider

le peuple, et c’est au milieu de cette foule préparant une véritable battue que je m’en rendais

mieux compte. Je me suis éloigné le plus possible du monde pour ouvrir mes ailes et

survoler Inoa, j’espérais qu’ainsi tournés vers leur but les gens ne lèveraient pas le nez au

ciel, mais je prenais un gros risque. Au début je n’ai volé que de toits en toits, pour éviter de

trop apparaître, puis lorsque la foule s’est trouvée loin j’ai gagné en hauteur pour aller plus

vite. Cela me faisait bizarre, cela faisait longtemps que je ne les avais pas ouvertes au vent et

cela produisait en moi comme un relâchement de pression, une pression que je ressentais

depuis que j’étais arrivé. Les plumes de mes ailes ressentaient chacune le vent comme une

délivrance, la blancheur de celles ci pouvait enfin s’étaler dans un monde ou, c’était de

toutes façons une certitude, elles seraient acceptées, je ne savais pas ou ni comment mais

elles le seraient, j’en étais sur.

J’ai pris la direction de l’Est, cherchant l’homme « possédé par le mal ». De ce coté ci de la

ville les champs se succédaient les uns après les autres, chacun reproduisant le même tableau

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agonisant d’une terre qui s’assèche, dans un horizon fade et morose s’étendant sur des

centaines et des centaines de mètres. Il y avait parfois ça et là des fermes et quelques

baraques en bois qui servaient de silos mais c’est à l’extrême bordure de la civilisation, à

l’entrée même de la vallée que se trouvait ce que je cherchais. Il y avait une sorte d’énorme

grange en terre, avec un toit de paille, et devant celle-ci se trouvait un vieil homme tendu les

yeux rivés dans la pénombre et armé d’une sorte de fourche, c’est là que devait se trouver la

fameuse bête. Visiblement il y avait dans cette bâtisse quelqu’un comme moi, et j’étais bien

décidé à y rentrer pour le vérifier...Et ensuite…Je comptais aviser.

Pour ça il n’y avait pas trente six solutions, j’ai atterris, puis à l’écart des yeux j’ai rentré

mes ailes et me suis dirigé vers le vieil homme. Lorsqu’il m’entendit arriver en courant il

sembla tout à coup soulagé, et sans lâcher sa fourche ni détourner le regard il s’adressa à

moi, la voix chargée d’angoisse mal dissimulée.

_ « Vous êtes venu m’aider avec ce monstre, c’est pas trop tôt !

_Les autres arrivent, c’est vous qui avez été blessé ?

En entendant ma voix, il sembla déstabilisé.

_Mince, un gamin ! Non, tu vois bien que c’est pas moi, sinon je serais pas la ! C’est mon

frère, il est allongé dans la maison là-bas, il faudrait que j’aille le rejoindre mais j’attends de

l’aide.

Je ne savais pas si je devais prendre plus mal le fait d’être traité comme un enfant ou de ne

pas être considéré comme une aide crédible…Mais il venait de me créer une ouverture, je

décidai de le jouer au bluff.

_L’aide ne va pas tarder, ne vous inquiétez pas pour moi je sais me défendre, j’ai déjà tué un

monstre comme ça, vous n’en avez pas entendu parler ?

Il lâcha la pénombre des yeux un instant pour me détailler, avant de serrer plus fort sa

fourche.

_Non, jamais ! Ici les nouvelles arrivent pas toujours, tu crois que tu peux tenir le temps que

j’aille voir mon frère ?

_Si ce monstre pointe son nez, il va morfler !

_Il va quoi ?

_C’est bon donnez moi votre fourche et filez, y'a un paquet de monde qui arrive, d’ici très

peu de temps cette affaire sera réglée ! »

C’est comme ça que je me suis retrouvé devant la grange, à monter la garde armé d’une

fourche. Je me suis assuré que le vieux fermier était hors de ma vue, et lorsque je me suis

retrouvé complètement seul j’ai avancé vers la pénombre, ne sachant pas à quoi m’attendre.

Ce que je vis à l’intérieur, je peux vous dire que l’on je ne m’y attendais pas, et je ne suis pas

prêt de l’oublier.

La lumière filtrait au travers des bottes de pailles, l’humidité était plus importante et

l’atmosphère était pesante. Je ne distinguais alors de l’homme qui était recroquevillé sur lui

même que la silhouette, dépassant à peine derrière une sorte de tas de bois. Je ne savais pas

vraiment comment m’y prendre pour ne pas brusquer cette…personne…du moins je

supposais que s’en était une… alors je me suis approché doucement, appelant d’une voix

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faible… Mais à ce moment là ce n’est pas un homme qui me remarqua, c’est une bête

sauvage qui me sauta dessus.

Je ne l’avais pas vu venir, jusqu'à ce que ça surgisse, je n’avais vu que l’ombre d’un être

humain et maintenant je me retrouvais face à un tigre grondant qui ne me lâchait pas du

regard. Malgré la pénombre je pouvais distinguer ses dents luisantes et sa stature

imposante…Je n’avais absolument pas imaginé tomber sur un tel animal là ou je cherchais

un homme. Certes, il était sensé être possédé par le mal mais je pensais que ce n’était qu’une

fable pour se débarrasser d’un gêneur…Maintenant j’avais peur, ce genre de peur qui

paralyse et qui fait trembler jusqu’à l’âme, celle qui coupe la parole. J’ai lâché la fourche qui

a fait un bruit sourd dans la poussière, et j’ai regretté de m’être avancé dans cette grange

sans réfléchir…il me fallait maintenant trouver une solution, et vite, parce que la foule ne

tarderait pas.

Pourtant la situation aurait pu être pire, car même dépouillé de mon arme, à sa merci,

l’animal ne bougeait pas. Il continuait de me scruter, guettant un geste stupide sans

doute…Dans ses yeux il y avait une lueur étrange, et c’est à ce moment la que j’ai remarqué

qu’il saignait du flanc. Dans l’obscurité cela faisait une tache sombre dans son pelage, mais

je ne pouvais pas en voir davantage sans m’approcher, après lui avoir fait comprendre que

j’étais avec lui.

J’ai tendu doucement mon pied vers la fourche à terre pour l’atteindre et la faire glisser loin,

en guise de bonne foi, et j’ai tenté de garder mon calme.

_ « Je suis de ton coté, je ne te veux pas de m… »

C’est à ce moment qu’au dehors un bruit retentit, la foule arrivait et réclamait déjà sa tête,

c’est aussi à ce moment que l’énorme tigre a bondit sur moi dans un grognement féroce, je

ne dois mon salut qu’à un réflexe inattendu.

Avant que la bête ne quitte le sol, la petite épée ailée à mon cou sembla se manifester, faisant

sortir mes ailes, je n’ai compris que trop tard ce que ça signifiait. L’une des pattes de la bête

m’atteignit alors que je tentais de m’envoler. Tombant lourdement, une aile blessée et

hagard, je me suis retrouvé au sol, sonné.

_ « Tu es Luther, n’est ce pas ? »

Ces mots tintèrent dans mes oreilles avec la clarté du cristal, tout venait de basculer.

Alors que je tournais la tête pour voir qui avait prononcé mon nom dans mon dos, je vis le

pelage de ce tigre tomber, chacun de ses crocs rentrer, les yeux de félins se changer en yeux

humains dans le noir de la grange. L’animal petit à petit n’en était plus un, et bientôt aux

pattes succédèrent des jambes et bras au bout desquels les griffes laissèrent place aux ongles.

Je vis un homme sortir des instincts sauvages d’une bête, un homme blessé. Sur son torse je

pouvais deviner un sillon ensanglanté, le coup porté par le vieux fermier à l’homme animal

qui me regardait maintenant.

Je me suis relevé précipitamment alors qu’il s’effondrait à cause de sa blessure, ne voyant

pas la mienne dont j’ignorais encore l’impact. Peu importe qui il était et ce qui venait de se

passer, on en voulait à sa vie, c’en était assez pour que je décide qu‘il fallait que l’on prenne

la fuite rapidement. Par chance les murs de la grange n’étaient fait que de terre, et derrière

l’une des bottes de pailles qui tapissait le fond l’on pouvait deviner la lumière d’un trou,

pouvant être agrandit suffisamment pour nous laisser passer. J’entendis au moment ou l’on

sortait dehors la foule qui arrivait et le vieil homme qui revenait, il fallait faire vite. En le

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portant à demi sur mon dos, nous parvînmes à courir tant bien que mal assez loin pour se

mettre hors de vue, mais cela ne serait efficace que pour peu de temps et c’est derrière un

énorme rocher que nous avons trouvé refuge.

Essoufflés et à hébétés, encore sous le coup de l’adrénaline, nous avons mis du temps avant

de nous regarder à nouveau, cette fois sous la lumière du soleil.

Si l’on m’avait demandé de le décrire simplement, j’aurais dit qu’il ressemblait à un moine

asiatique, à la différence prêt qu’il n’avait ni habit traditionnel, et qu’il était bien loin de tout

monastère bouddhiste, il portait une simple chemise de toile déchirée et un pantalon du

même blanc sale…Malgré sa blessure il souriait en me regardant, étrange image… Il était

couvert de poussière des pieds à la tête et que sa blessure puisse s’infecter ne le tracassait

même pas, et c’est d’ailleurs pour cette raison que ses premiers mots furent un choc pour

moi.

_ « Ne t’inquiète pas à mon sujet Luther, je vais mourir et je le sais, ce n’est pas grave.

Ce n’est pas tant sa voix que son air serein qui me surprenait, et il y avait le fait qu’il

connaisse mon nom…

_ Oui, je sais qui tu es, je t’ai attendu toute ma vie, il était écrit que je te rencontrerais, et que

je mourrais ensuite. Tu es le garçon ailé choisit par les Dieux.

Qui était-il pour savoir tout ça…se pouvait-il qu’il soit… une sorte de guide pour moi, ou

quelque chose comme ça ? Soudain j’ai été prit de vertige, je pensais avoir réussit à accepter

tout ça, mais l’entendre de la bouche d’un autre était à la limite du terrifiant. Je restai lèvres

closes, s’il devait mourir comme il le prétendait, je devais savoir ce qu’il avait à dire.

_Je n’ai aucune idée de quoi sera fait ton destin, l’on m’a donné à lire le déroulement de ma

seule et unique vie, et tu te trouvais à sa toute fin. Il y a pourtant une chose que je sais, et

c’est peut-être là le sens de notre rencontre. Tu es l’exilé d’un monde que tu déteste pour ce

qu’il est devenu, tu es persuadé de connaître le fond de l’âme humaine, tu pense pouvoir

réunir les hommes sous la même bannière de bêtise, mais tu te trompe.

Il semblait déjà tout savoir de moi, et ce depuis bien avant qu’on se rencontre, il parlait de

mes pensées sans la moindre trace d’hésitation dans la voix, et je commençais à réaliser que

tout cela avait l’air si bête…

_Tu te trompe, mais tu es jeune et il n’est pas trop tard pour apprendre…Peut être est-ce la

une partie du sens de ton voyage, je ne sais pas. Mais je voudrais avant de partir que tu

entendes mon histoire, la lumière de sa connaissance éclairera peut-être quelques lieux à

venir dans ton périple, et si cela porte ses fruits, alors ma vie n’aura pas été vaine. »

Et c’est ainsi qu’il commença à me raconter le film de son existence, et je l’ai écouté sans

jamais le couper.

Il n’avait pas de nom, car il n’avait pas de mère ou du moins il ne l’avait pas connu, ni

même son père d’ailleurs, il était né il y avait bien longtemps dans une forêt près de l’actuel

Tibet, si j’en croyais sa description. Toute sa vie il l’avait passée seul, en communion avec la

nature, à tel point qu’a sa mort il fut accueillit en la demeure des dieux qui admiraient sa

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pureté. Il lui fut laissé le choix de renaître à l’endroit ou il le souhaitait, avec le souvenir de

sa première vie et s’il le voulait la connaissance de la seconde. C’est ainsi que lui furent

ouverts les Rouleaux de la Vie, décrivant le parcours de chaque être vivant de sa naissance à

sa mort. Il renaquit avec ce savoir, dans le lieu de sa première vie et doté du don de pouvoir

ressembler à tout ce qu’il avait protégé durant sa vie précédente. Il pouvait être cet oiseau

qui partageait jadis avec lui la canopée, il pouvait être la souris qui rasait la terre à ses pieds,

il pouvait être le tigre puissant qu’il avait respecté et admiré. De ses deux vies, il n’avait

jamais vraiment cherché le contact des hommes et ne s’était jamais mêlé à eux, se

désintéressant des biens terrestres et de leurs querelles, et avec le temps il avait appris la

langue universelle, celle de l’esprit, celle qui ne s’écrit pas. Il avait enfin décidé de quitter

l’Asie pour parfaire sa connaissance du monde et découvrir de nouvelles espèces.

Au fil du temps il avait appris l’histoire des hommes, cette espèce animale à laquelle il

n’avait jamais cherché à ressembler. Il connaissait ses travers, son penchant pour la guerre et

le sang, il connaissait leur amour mais ne le partageait pas comme eux. Il était un électron

libre de la vie, observateur sans attaches ni limite physique, se jouant du ciel pour voir de

haut les grandes cités de l’Est, se faisant chat pour en apprécier l’architecture sans jamais

n’avoir à répondre aux codes. Pour lui l’homme était un enfant querelleur et insouciant,

filant vers une adolescence rebelle, arrogante, dans la droite lignée de la vie de tout à

chacun, même du plus petit animal. Et bien qu’il ne ressente pas le besoin de les rejoindre il

ne les détestait pas, car après tout, m’a-t-il dit, l’homme en dépit de son pouvoir est et

demeure naturel puisqu’issu du même moule que le héron ou la souris.

Il vit la Chine impériale et sa splendeur, les grandes et mystérieuses cités de l’Inde ancienne,

il escalada les montagnes de l’Iran, il vola au milieu des majestueuses pyramides de Gizeh,

nagea au fond du Nil impétueux. Il croisa les peuples sans qu’eux ne le voient jamais, il

écouta les animaux dont ils se nourrissaient et ceux qu’ils craignaient, partageant avec eux

les bienfaits de la nature.

Fort de ses connaissances, il parcourait le monde en quête de nouvelles espèces et de

nouvelles cultures à observer et à comprendre, qu’elles soient à deux ou à quatre pattes.

Mais il n’avait pas prévu de tomber sur une région si chaude à cette époque de l’année…

D’ordinaire, il s’arrangeait toujours pour trouver des points d’eaux isolés, là ou il pouvait

être sûr de ne pas être remarqué, mais arrivé dans cette région il n’avait pas eu le choix.

Avec la fatigue du voyage, même pour un homme qui pouvait changer de forme à volonté et

devenir n’importe quel migrateur, une telle chaleur sous le soleil de plomb paraissait trop

difficile à supporter sans faire de halte.

Et c’est lorsqu’il se posa pour prendre de l’eau dans le puits de cette ferme qui semblait

déserte qu’il fut surpris par le vieux fermier et son frère. Il ne s’attendait pas à ce que celui ci

le voit prendre sa forme humaine, lui qui était si prudent d’ordinaire. Pris de panique face à

cet être dont il ignorait tout hors mis ses dons divins, il l’avait blessé avec sa fourche avant

qu’il ne puisse prononcer le moindre mot et ce dernier avait dû se réfugier dans la grange,

choqué et espérant pouvoir s’enfuir dès qu’il aurait recouvré un peu de force pour se

transformer... Alors qu’il finissait son histoire, son sang avait recommencé à couler et avec

lui son existence, mais il restait calme et souriant. Il n’en voulait pas à ce vieillard d’avoir eu

cette réaction car, dit-il, malgré ses conséquences elle était naturelle pour les gens qui ont

peur. Mais la raison pour laquelle il ne craignait pas de mourir, c’est qu’il savait que sa vie

se terminerait ainsi, et ce depuis son commencement. Soudain silencieux, me laissant

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contempler la portée de ses mots, il tourna une dernière fois son visage radieux vers moi,

avant d’ajouter sans aucune trace de peur ou de douleur dans la voix :

_ « Maintenant que tu as entendu mon histoire, jeune Luther, je sais que ma mission a été

accomplie et que je peux partir en paix, puisse mon humble histoire trouver du sens à travers

toi. Les ailes que tu as sur le dos ne t’ont pas seulement donné la liberté de quitter un monde,

mais aussi de choisir ta voie, et même si tu sais comme moi que le destin à toujours le

dernier mot, il n’est que l’horizon que tu rejoins de par tes seuls choix et moyens.

Maintenant va, tu as une place à prendre dans l’univers. »

Avant que je ne puisse répondre il avait déjà fermé les yeux et s’évaporait dans l’air. Son

corps sans aucune chaleur partit alors en une douce fumée colorée, les volutes montèrent

vers le ciel et se dispersèrent dans le vent, me laissant seul et sceptique. De lui il ne me

restait plus que des mots…Des mots qui résonnaient curieusement dans mon esprit, je

n’aimais pas trop les leçons mais sa compréhension de l’homme de cette époque était

intéressante…Soudain mon aile blessée m’a lancé douloureusement, me rappelant à l’ordre.

J’avais peine à la bouger sans souffrir, peut-être était brisée, je n’en savais rien, sauf qu’il

me fallait la reposer au maximum. Je ne lui en voulais pas pour ça, j’avais compris en

l’écoutant que malgré son statut d’électron libre il avait été profondément humain à ce

moment et je pense qu’il le savait, sa réaction n’avait plus eu d’importance dès lors qu’il

avait compris sa méprise…C’était là une des leçons que je venais d’apprendre et qui allait

me servir.

A présent lui s’en était allé mais je devais rester ici, et il fallait que je tienne ma promesse à

Terra. Je le devais pour elle mais aussi pour lui, car personne ne devrait terminer ainsi, morts

sous les coups de la peur et de l’ignorance. Je n’étais pas triste de cette rencontre éphémère,

mais je ressentais au contraire une motivation nouvelle de réussir, de parvenir à ouvrir les

yeux de ces humains là, je ne devais pas et je n’échouerais pas.

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Après cet étrange épisode je suis retourné vers la ville, contraint à marcher à cause de

mon aile blessée. La bas, le vieil homme avait déclaré qu’il avait vaincu la bête et que celle

ci était partie, folle de rage. Il n’avait visiblement pas mentionné mon existence, pour une

raison que je n’ai jamais vraiment compris mais dont je me fichais, c’était mieux ainsi. Il fut

décoré dans la journée, et à voir son air plein de fierté, j’aurais jeté un sacré pavé dans la

mare si j’avais décidé d’aller à sa rencontre pour reprendre les honneurs qu’on lui faisait,

mais j’avais autre chose en tête.

Ma recherche des anciens membres du groupe clandestin du sanctuaire n’avait rien donné

cette fois la, et au vue de l’agitation qui régnait encore en ville je me suis résigné à rentrer à

la maisonnette de Terra, afin d’y échafauder le plan du lendemain. A mon arrivé je l’ai

découvert entrain de préparer un second lit, à quelques mètres seulement de celui ou je

m’étais éveillé le matin même. Le matin…Il me semblait déjà si loin, le ciel commençait à

rosir déjà, au terme de cette journée qui m’avait semblé si longue. En ce si court laps de

temps, j’avais mis le pied dans une nouvelle vie, une nouvelle culture, j’en avais éprouvé les

limites, je m’étais fait une amie, et les dieux m’avaient fait passer un message…Enfin je

crois. J’avais peine à croire que cela faisait si peu de temps que je me trouvais la, et

pourtant.

Ce soir la nous avons mangé sommairement, Terra préparait ce qu’elle pouvait, et j’avais un

peu honte d’agir ainsi en invité indigne…Si le lendemain mon enquête n’avançait pas, au

moins pouvais-je chercher de quoi manger pour le soir. J’aimais l’ambiance qui régnait dans

cette petite chaumière, parce que même si elle était vétuste, Terra faisait tout pour que je m’y

sente comme chez moi, elle avait même fabriqué un oreiller de plus pour moi, au cas ou.

Alors que le soleil s’était couché depuis quelques heures et que la fatigue nous gagnait elle

et moi, je me suis surpris à regarder dans ses deux yeux tristes qui fixaient encore le bois de

la table. Je ne savais pas ce qu’elle avait fait de sa journée, mais cela avait du l’épuiser

autant que moi, à en juger par les cernes qu’elle affichait.

Elle avait accepté que je l’aide mais ne m’avait pas donné de consignes, juste quelques

recommandations et règles de prudence, mais j’ignorais tout de ce à quoi elle occupait ses

jours. C’était comme si elle me faisait naturellement confiance, mais voulait conserver ses

secrets, un effet peut être de la solitude qui avait été la sienne durant toutes ces

années…J’imaginais qu’elle fouillait le désert, à la recherche de quelque chose, ou même

des ruines du sanctuaire lui-même, mais je n’osais pas lui demander de m’en dire plus, après

tout, même si ça se passait bien entre nous je ne la connaissais que par les histoires qu’elle

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m’avait raconté, et ce que j’avais pu observer. Le journal de sa mère, elle le gardait toujours

avec elle le plus près possible, il était pour elle un trésor inestimable. A tel point que je

n’osais pas le toucher, je ne sais d’ailleurs pas si j’en avais le droit…Et c’est ainsi, la tête

pleine de questions, que je me suis couché pour passer ma première nuit dans le désert, bercé

par le souffle rapide et angoissé de cette fille qui m’avait accueillit chez elle.

Les jours suivants furent plus calmes que ne l’avait été le premier, je suis retourné en ville

quelques fois, tachant de glaner ça et la quelques indices de la présence d’anciens

clandestins…Le problème c’est que si effectivement ils existaient encore, ils étaient

sacrement discrets ! Tant et si bien qu’au terme de mes journées d’investigations, qui se

résumaient à des ballades dans les rues, je n’avais rien à me mettre sous la dent pour faire

avancer les choses… Toutes les archives parlant d’un quelconque sanctuaire ou temple

étaient systématiquement détruites, de même qu’il était formellement interdit d’y faire

allusion sous peine de disparaître. La première conséquence de cela était que fatalement je

n’aurais rien trouvé dans une bibliothèque ou autre, et les gens se seraient encore moins

confiés à moi, si d’aventure j’avais eu le courage de leur parler de choses aussi tabous.

Quelque part je m’en voulais…J’avais dans l’idée de révolutionner ce monde, mais arrivé

sur place mes projets fondaient comme neige au soleil face à la difficulté de la tache…Si

bien qu’au terme de quatre jours passés en ville, j’ai décidé de rester chez Terra et de

prendre mon courage à deux mains pour lui demander si je pouvais la suivre dans ses

journées.

Je me donnais l’impression d’être un gosse, plein de bonnes intentions, qui dit « Regarde

regarde ! Je vais creuser une piscine pour toi, tu va être contente ! » Et qui s’essouffle au

bout de deux pelletés… J’avais honte devant Terra, honte de lui dire que je n’arrivais

finalement à rien comme ça. De son coté pourtant elle ne me jugeait pas, ni en bien ni en

mal, c’était d’ailleurs un peu énervant, à croire que j’étais effectivement ce gosse, et elle ma

mère qui me laissait m’épuiser avec un air attendrit… Elle faisait des choses utiles, elle.

Alors, après ces échecs j’ai arrêté de m’agiter pour rien, passant presque trois jours autour de

la chaumière, à retourner des pierres en m’ennuyant, en pensant au temps qui s’écoulait, à

cette place dans l’univers dont parlait le moine, et à ce qu’elle m’apporterait.

Car chaque jour Terra quittait la maison pour revenir quelques heures plus tard, épuisée. Je

ne savais pas vraiment ou elle se rendait, mais elle m’assurait chaque fois qu’elle reviendrait

et qu’il ne fallait pas que je m’inquiète, ni que je la suive. En plus de ça mon aile blessée

peinait à guérir, et malgré la rééducation que j’essayais de pratiquer, j’avais encore trop mal

pour voler…

Le temps commençait à me sembler long et chaque instant que je passais allongé sur le

maigre lit de paille à penser sans agir m’éloignait de mon but et du chemin de ma vérité. Je

voulais la suivre, je ne comprenais pas pourquoi je n’en avais pas le droit. Elle disait que

c’était pour me protéger, qu’il fallait que je sois discret et que de toutes façons ce qu’elle

faisait de son temps m’aurait épuisé inutilement pour le moment, et ce soir la, celui du

septième jour, le discours ne fut pas différent…Elle avait besoin de rester seule, et pour

l’instant elle n’avait pas besoin de moi. Alors je me suis énervé, j’étais frustré de ne rien

pouvoir faire ! Et tout au long de mon discours ou j’expliquais combien je voulais l’aider,

que je me sentais mal et que j’en avais marre qu’elle me traite comme un petit garçon elle

m’a regardé dans les yeux, le visage fermé.

J’étais aussi grand qu’elle mais je me sentais si petit… J’en avais les larmes aux yeux. Et

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lorsque je me suis calmé, elle s’est approché et m’a prise dans ses bras. Sa chaleur irradiait

mon corps alors que je blottissais mon visage dans son cou, cela faisait si longtemps que

personne ne m’avait serré contre lui comme ça…

_ « Je t’en prie, pardonnes moi, bientôt tu pourras venir avec moi, je te le promets, laisse

moi juste demain, d’accord ? »

Et bien sur j’ai accepté, comment pouvais-je lui dire non…Pourtant plus que jamais

lorsqu’elle est partie le lendemain à l’aube je me sentais mal, la voir s’éloigner dans le désert

en ignorant tout de ce qu’elle faisait était tellement frustrant…Et puis, il y avait ce gout amer

dans ma bouche, que j’ai interprété sur le moment comme un regret que ce « bientôt »

qu’elle m’avait promis n’était pas pour tout de suite...J’ai compris plus tard, trop tard, que ce

mal que je ressentais, cette amertume n’était autre qu’un mauvais pressentiment.

Ce matin la je n’étais rentré que lorsqu’elle avait disparu à l’horizon, et je m’étais assis sur

le lit comme j’avais coutume de le faire, tachant de me changer les idées en inspectant mes

ailes. La douleur était comme une crampe, permanente, elle m’empêchait de la bouger

comme je le voulais. Mais malgré ce mal là mon esprit était ailleurs, je n’arrivais pas à

penser à autre chose qu’à Terra. Le peu que je savais d’elle me portait à croire qu’elle ne

prendrait pas de risques inutiles, peut-être était elle simplement aller gratter la terre encore

une fois, ou cueillir des plantes quelconques dans le désert, et elle reviendrait le soir venu

comme toujours. Je m’efforçais de le croire, après tout je n’avais aucune raison d’imaginer

une quelconque différence entre hier et aujourd’hui. Mais le temps passa et au fil de la

journée ses mots se mirent à tourner dans ma tête, comme une mélodie qui ne s’arrêterait

pas : « Laisse-moi juste demain » … Pourquoi « juste » demain ? Ce jour là avait-il une

importance particulière dans ses recherches ? Ou n’était-ce que le moyen de s’accorder une

dernière journée seule…Lorsque le jour a commencé à mourir à l’horizon, au crépuscule du

neuvième jour passé en ce monde, ma réflexion est devenue une inquiétude. Je suis sorti

devant la maison et j’ai regardé la cité dont les torches commençaient à défier la nuit du

désert, était-elle la bas ?

J’aurais voulu survoler la ville une fois encore pour scruter sa présence mais ma blessure,

malgré le temps passé sans même exposer mes ailes au soleil, n’avait pas disparue et je ne

voulais pas risquer d’aggraver les choses en m’écrasant stupidement. Mais alors…Par où

chercher ? Vers où me diriger ? J’aurais voulu le savoir, mais je n’avais aucune idée de

l’endroit ou elle pouvait être...Elle avait prit la direction du désert, comme à chaque fois,

mais pourquoi n’était elle pas encore revenu ? Il lui était peut-être arrivé quelque chose… Et

même si j’essayais de me convaincre de l’inverse, je craignais d’être loin de la vérité.

Alors que la nuit chutait à toute vitesse, j’ai senti que ça n’allait pas, j’ai soudain été prit de

panique, tout ça n’était pas normal ! Elle devait être la, elle m’avait dit qu’il ne fallait pas

trainer dans le désert la nuit, jamais elle n’aurait fait l’inverse ! Mais que pouvais-je

faire…A toute vitesse, j’ai fouillé la chaumière à la recherche de quelque chose, un indice

qui puisse me mettre sur la voie. Terra était archéologue, comme sa mère, elle devait bien

avoir une carte ou quelque chose de ce genre, une direction au moins… J’ai retourné chaque

feuille, chaque pot, alors que de minute en minute mon esprit paniquait. J’avais une boule

dans la gorge, j’aurais du refuser de la laisser partir seule ce matin !… Au moment ou je

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cherchais sans succès elle était peut –être en danger, ou pire, il était trop tard…Je me

refusais de le penser, et lorsque j’ai enfin trouvé j’ai regagné un semblant d’espoir. Il

s’agissait d’un croquis, abandonné dans un tas de vieux parchemin. Il représentait des points

de repères, jetés au hasard d’une réflexion ; Un gros rocher rouge, un buisson épineux en

forme de nuage, un sillon dans le sol…Je ne connaissais pas la région, mais je tenais quelque

chose ! Elle était là bas, c’était une certitude, elle le devait ! Et c’est là que j’allais me rendre

coûte que coûte ! Peut-être que je m’affolais pour rien, que je m’emportais trop…C’était de

mon âge, mais il fallait que j’en ai le cœur net, même si je devais avoir l’air bête ensuite. J’ai

alors attrapé une torche, une vieille dague de la longueur de mon avant bras et une outre

d’eau, et je me suis mis à courir dans la direction vers laquelle elle était partie, en espérant

qu’il ne soit pas trop tard.

Très vite je me suis retrouvé dans le silence, simplement taché du bruit de mes pas sur la

terre sèche, la nuit noire m’entourait comme un voile oppressant, et je n’avais comme seule

source de lumière que la maigre lueur d’une torche confectionnée avec des vieux chiffons. Je

m’en servais pour comparer les repères de la carte avec le paysage en face de moi. J’espérais

d’eux qu’ils me mènent à Terra, je le croyais, mais ils ne devaient indiquer qu’un site de

fouilles... Aucune piste à suivre au sol, aucun chemin juste une vague direction, celle que je

l’avais vu prendre. De maigres buissons parsemaient les alentours, obscures fantômes

torturés, le soleil avait fait d’eux des squelettes et la lune les allumait d’une lueur

inquiétante. Je marchais d’un pas pressé, je ne voulais pas courir le risque de m’épuiser

avant d’arriver, et je n’avais pas idée des dangers que recelait ce désert. Le sol était couvert

d’une fine pellicule de sable fraichit par la nuit, et les cailloux me blessaient les pieds…

Mais me plaindre n’aurait rien changé, il fallait que je sers les dents et que je la retrouve. Et

lorsqu’enfin j’ai parcourue une distance qui me coupait désormais de toute vie visible, où

personne n’aurait pu me venir en aide, je ne me suis cramponné que plus fort à ma torche en

espérant qu’elle ne me lâche pas… Mais la lumière faiblissait déjà, voilant petit à petit les

quelques mètres que j’avais la chance de voir devant moi. Je n’aurais pas pu le calculer mais

elle s’éteignit plus vite que prévu et je me suis retrouvé dans le noir.

A l’horizon la lune éclairait d’une lumière argentée et froide le paysage autour de moi, tout

à coup j’ai prit conscience de ma solitude et une peur indicible est née en moi. J’étais au

milieu de nulle part, perdu avec un bout de papier stupide couvert de dessins, et une torche

éteinte…

J’ai taché de garder mon calme malgré tout en respirant profondément, j’avais connu

situation pire que celle la, au milieu de la mer Égée par exemple…Mais pas une fois je

n’avais été responsable de quelqu’un d’autre comme ici... Pour me donner de la contenance

j’ai sortie la dague et je l’ai serré fermement dans ma main, c’était la première fois que je

tenais une arme et je ne m’en sentais pas tellement plus rassuré. J’avais juste envie de me

mettre en boule et d’attendre qu’on vienne me chercher…Mais c’est à ce moment la que j’ai

aperçu le rocher rouge. Énorme, pointant vers le ciel, seul et sombre, il se dressait au milieu

de ce vide comme un signe évident, j’étais sur la bonne voie !

J’ai retrouvé du courage et j’ai pressé le pas, concentré sur le second repère que je devais

trouver, fermement décidé à arriver à rejoindre Terra. J’allais moins vite, mais il fallait

absolument que je ne prenne pas de risques inutiles, peut-être avait-elle besoin de moi, mais

elle avait besoin de moi vivant. J’ai prit une rasade d’eau et j’ai continué droit devant,

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avançant à la clarté de la lune pleine, mais soudain un craquement de bois sec dans mon dos

a attiré mon attention.

Quelque chose me suivait, et c’est avec un frisson d’horreur que j’ai réalisé que cela faisait

surement quelque minutes…Dans ma panique je n’avais pas vraiment fait attention à ce

qu’il se passait, si j’avais tendu l’oreille j’aurais peut-être pu entendre plus tôt…Mais il était

trop tard, ce bruit derrière moi avait été provoqué clairement par un être vivant, et à en juger

par le craquement sinistre que ça avait produit, c’était proche et lourd. Soudain, un autre

bruit, plus léger, puis un troisième et un quatrième, tous à des endroits différents ! J’ai serré

la dague plus fortement en continuant d’avancer, tachant de ne pas montrer mon inquiétude,

au cas où ils pourraient le sentir. Je n’osais pas me retourner, ma torche était éteinte depuis

dix minutes au moins, et les braises n’éclairaient plus rien...J’avais peur de ce que je pouvais

voir. Derrière moi ça s’agitait de plus en plus, ça pressait le pas. J’avais l’impression de

sentir une respiration dans ma nuque, une peur insidieuse est montée en moi et j’ai accéléré

encore. Mes poursuivants accélèrent eux aussi, je pouvais entendre leurs pas sur la terre et

leur souffle rauque et rapide à présent. Je commençais à transpirer malgré la fraicheur de la

nuit, ma tête commença à me tourner alors que ma respiration s’est emballée. Prit de

panique, je me suis mis à courir de toutes mes forces, traversant un buisson précipitamment

en me griffant tout l’avant bras et en laissant tomber la torche. Mes poursuivants se mirent à

courir eux aussi, avec une rapidité qui me laissait penser qu’ils ne faisaient que jouer avec

moi depuis le début… Soudain, mes pieds se sont prit dans quelque chose, et je suis tombé à

terre, m’écorchant le genou au sang, et c’est la que je les aies vu.

Dans la pénombre je ne voyais rien de parfaitement définit, mais je pouvais distinguer quatre

formes en face de moi, rassemblées côte à côte, des loups… Mais pas des loups ordinaires,

je pouvais deviner sur leur dos des sortes d’éperons osseux, les même qu’au bout de leur

queue. Leurs yeux brillaient à la clarté de la lune d’une intelligence malsaine et tranchante,

et l’odeur du sang semblait les exciter plus encore que la petite course poursuite qu’ils

venaient de s’offrir. Cette race n’existait plus à l’époque d’où je venais, et je commençais à

comprendre les mises en garde de Terra sur la nuit dans le désert…J’étais à leur merci,

incapable de bouger, ni même de soulever le bras qui tenait la petite épée rouillée, je m’étais

mis dans de beaux draps…

Réfléchir, vite, et bien, c’est tout ce qui me restait à faire, je ne pouvais pas me battre avec

eux, j’aurais été forcement perdant. Soudain une idée m’est venue : Je pouvais peut-être

faire diversion en ouvrant mes ailes, j’avais lu une fois que certains animaux faisaient ça

pour impressionner les prédateurs, si ça pouvait marcher j’obtiendrais une ouverture pour

fuir, en espérant ne pas me tromper… Mais avant que n’ai pu faire quoi que ce soit, les

quatre ont reculés, tout à coup éclairés par une vive lumière dans mon dos.

Le buisson sur lequel je venais de me blesser s’était tout à coup embrasé à cause des braises

de la torche, rayonnant d’une vive chaleur. J’ai pu alors détailler mes prédateurs, leur

découvrant un pelage couleur sable et des dents longues comme mes pouces ; ils devaient

peser chacun une cinquantaine de kilos et à en croire la musculature de leurs pattes, ils

devaient être de trop bons sprinteurs pour que je puisse m’échapper. Ainsi éclairés ils étaient

tout aussi impressionnant, mais à en croire les reflets dans leur regard, ils étaient captivés

par le feu.

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Entre eux et moi la tension était palpable, le feu nous plongeait dans une chaleur étouffante

et je craignais qu’ils ne se désintéressent trop vite de l’effet de surprise. Tout doucement je

me suis rapproché du feu, espérant qu’ainsi ils n’oseraient pas s’approcher, mais les

quelques centimètres de distance rajoutés entre mes prédateurs et moi étaient bien minces, et

je ne pouvais pas supporter trop de chaleur…Pire encore, mon mouvement s’avéra une

bonne occasion pour eux de lâcher le brasier des yeux. Mais la situation semblait avoir

changé, ils me fixaient mais c’était comme s’ils réfléchissaient. Apparemment le feu leur

faisait peur, je tenais peut être la ma solution.

Avant que le brasier derrière moi ne commence à faiblir, j’ai lentement enlevé ma chemise

en soutenant leur regard, et à l’aide d’herbes sèches et de quelques pierres trouvées sur le sol

à mes pieds j’ai confectionné une sorte de masse. Une fois mon système en place, j’avais

entre les mains ce qui pouvait peut-être me sauver la mise…Les loups se sont assis, guettant

la mort de cet ennemi enflammé pour pouvoir enfin attaquer son protégé. Mon plan était fou,

mais mon temps était compté, alors d’un geste je me suis retourné vers le feu et j’ai

enflammé ma masse. Les loups se relevèrent d’un bond, mais ils ne comprirent ce qu’il se

passait que lorsque j’ai bondis vers eux en faisant tournoyer mon arme.

L’adrénaline électrisait mes muscles, comme lorsque j’avais frappé le général, il me semblait

aller plus vite que le temps lui-même. Le premier loup évita ma frappe de justesse, mais dut

sentir la chaleur car il s’empressa de prendre du recul pour examiner son flanc. J’ai foncé sur

le second, hurlant comme un fou et totalement inconscient, et l’atteignit sur le museau.

Celui-ci prit la fuite dans le désert, alors que les deux derniers grondaient tous crocs dehors,

en retrait. Toujours armé de ma masse enflammée j’ai couru vers eux, les muscles tendus et

le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine. Ma masse atteignit le premier sur le sommet

du crane avant de se disloquer subitement, permettant au second de m’attraper la jambe. Une

douleur insupportable explosa en moi alors que ses dents pénétraient mon mollet, me

coupant toute respiration. D’un geste j’ai sortie la dague et j’ai tailladé tout ce qui était à

porté de bras, la tête bourdonnante et rendu à moitié fou. J’aurais fait n’importe quoi pour

me débarrasser de ce mal ! J’ai frappé encore et encore, frappé jusqu’au sang, jusqu’à ce

qu’enfin la pression sur ma jambe cesse, et que s’envole avec elle les dernières secondes de

vie de l’animal…

Mon cœur battait dans mes tempes alors que le feu du buisson s’éteignait lentement. Les

trois loups vivants avaient prit la fuite, me laissant avec la dépouille chaude de celui que

j’avais tué. A la lumière vacillante, j’ai découvert que ma jambe saignait, mais que ce n’était

pas si grave…et au fur à mesure que je m’apaisais, la nausée me vint. J’étais couvert de

sang, du sang d’un être auquel je venais d’ôter la vie…Soudain prit de spasmes, j’ai vomis

tout ce que j’avais dans l’estomac, les yeux ruisselants de larmes. Je tremblais comme une

feuille, je me sentais mal…Dans ma bouche j’avais ce gout métallique qui me faisait tourner

la tête, et l’odeur de la mort accaparait tous mes autres sens…Un instant j’ai cru m’évanouir,

mais au lieu de ça je me suis éloigné lentement pour retourner près du feu mourant, espérant

que la chaleur me ferait du bien. J’avais froid à l’intérieur, et dans ma tête résonnaient

encore les cris du loup agonisant, je venais de tuer…Ma jambe m’importait peu, les

blessures étaient superficielles, mais j’étais sonné.

Lorsque le feu s’est définitivement éteint, je me suis retrouvé dans le noir, simplement

éclairé par la clarté de la lune. Il ne faisait pas si froid, pourtant ce sont des frissons qui

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m’ont tiré de mon désarroi, lorsque l’adrénaline a quitté dans mes veines. Alors lentement,

séchant mes larmes, j’ai essuyé le sang sur moi avec de la terre et j’ai frotté encore et encore

jusqu’à en avoir mal, et que toute ombre disparaisse enfin de ma peau. Ce qu’il venait de se

passer, je ne l’ai jamais oublié, ça m’a changé en profondeur…Et même si à ce moment la je

n’ai ressenti que de la culpabilité, je crois qu’au fond je m’étais endurcit et j’avais gagné en

confiance en moi. Et, titubant je suis reparti vers mon but, me raccrochant à celui-ci pour

avancer, les yeux dans le vague et avec une boule dans la gorge, il fallait que je retrouve

mon amie… Ce que je ne savais pas en revanche, c’est que j’y allais animé d’une force

nouvelle, et ma main serrée sur la garde de la dague affichait une détermination muette

comme jamais je n’en avais eu.

Ce buisson faisait parti des jalons de mon chemin, j’étais sur la bonne voie depuis le début,

ne manquait plus que le dernier signe. Bien vite mes yeux se sont habitués au noir, je

pouvais désormais distinguer le sol sans forcer, mais cela ne me sauverait pas davantage si je

croisais d’autres créatures nocturnes…Au loin j’ai commencé à voir se dessiner des formes,

sortes de petites montagnes rocheuse. Sous la lune elles semblaient bleutés, et elles

occupaient une bonne partie de l’horizon, à croire que mon périple allait passer par un peu

d’escalade…Mes ailes ne me permettaient toujours pas de voler, rien ne m’indiquait ce qui

pouvait se trouver au delà, mais une chose était certaine il me faudrait continuer ! Je n’avais

pas fait tout ce chemin pour rien…J’ai alors commencé à essayer de distinguer une paroi qui

serait abordable pour moi, mais tout à coup j’ai trébuché.

Sur le sol, et ce depuis un moment apparemment, se trouvait un sillon profond comme ma

main creusé dans le sol sec. J’ai d’abord juré contre celui-ci, mais j’ai réalisé que je me

trouvais en présence de mon troisième signe ! Ce qui voulais dire que je ne me trouvais pas

loin du site de fouille, et peut être même de Terra ! A ce moment je ne pensais pas une

seconde qu’il ait pu lui arriver quoi que ce soit, j’étais simplement heureux de la perspective

de la retrouver après m’être autant inquiété, naïf et désespéré…

Le sillon indiquait en réalité un endroit précis de la paroi rocheuse, un endroit ou une faille

permettait de joindre une enceinte rocheuse cachée des yeux du monde, je venais de trouver

le lieu des fouilles.

L’enceinte ressemblait assez à une carrière de pierre, et l’on pouvait en distinguer un

amoncellement dans un coin, certainement le travail de mon amie, mais rien d’autre

apparemment. Il n’y avait dans cet endroit offert aux étoiles aucune lumière, aucun

couchage, pas l’ombre d’une silhouette…J’ai pensé à ce moment la que je m’étais trompé de

direction, ou alors…ou alors peut être qu’elle était sur un autre site qu’aucune de ses affaires

n’indiquait…Je me suis assis par terre, perdu. Que pouvais-je faire d’autre? Je venais de

risquer ma vie pour la rejoindre, et si ça se trouve elle n’était même pas venu ici!

Mais à ce moment là j’ai réalisé quelque chose…Les indices que j’avais suivit devait

forcement mener au sanctuaire, il n’y avait pas d’autres possibilités, mais alors pourquoi n’y

serait elle pas allé…Cette fouille là était sa priorité !

Soudain inspiré je me suis relevé et j’ai commencé à faire méthodiquement le tour de

l’enceinte à la recherche de quelque chose qui puisse m’aider, même la plus petite! Je

cherchais un reste de nourriture, un papier…Dans le noir il me semblait difficile de

distinguer une empreinte d’un trou dans le sol, mais j’ai fait attention tout de même, au cas

où. Quelque chose dans cet endroit me faisait me sentir en sécurité, pas une seule fois je n’ai

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pensé aux loups ou aux autres animaux qui auraient pu roder, j’ai exploré les recoins dans

l’ombre aussi bien que ceux directement éclairés par la lune, sans succès, à croire qu’hormis

l’amas de pierres l’endroit entier indiquait que personne n’était venu ici…Mes espoirs

s’évaporèrent dans le vent, je repartais du point de départ, sans même l’ombre d’une idée.

J’ai prit la direction de l’entrée avec l’intention de rejoindre la maisonnette de mon amie,

après tout peut être était elle effectivement allée ailleurs…Et avec un peu de chance elle

pouvait être rentrée.

J’ai mis moins de temps à parcourir le chemin que j’avais déjà emprunté, j’ai pressé le pas

autant que possible, à défaut de pouvoir voler comme je l’aurais souhaité. Je m’en voulais

d’avoir fait tout ce chemin sans avoir réfléchit davantage au préalable, cette nuit aurait pu

avoir ma peau…Terra ne se serait pas aventurée si tard et si loin après m’avoir mis en garde.

Au loin j’ai aperçu de la lumière, et j’ai senti un sourire apparaitre sur mon visage, la

maisonnette était éclairée, peut être même avait elle comprit ou j’étais allé et m’indiquait le

chemin du retour pour m’aider à la rejoindre ! J’ai pressé le pas encore, je courrais presque,

jusqu’à ce que je me rende compte qu’il ne s’agissait pas d’un feu fait dehors en guise de

phare, mais d’un incendie…La maison de mon amie partait en fumée.

Une épaisse colonne sombre s’élevait vers le ciel et je ne comprenais pas…Il n’y avait

aucune flamme à mon départ, rien qui ne puisse provoquer d’incendie…A moins que…

Je me suis approché du brasier, tentant de distinguer quelque chose qui aurait pu me mettre

sur la voie, mais la chaleur était bien plus insupportable que celle que j’avais connue plus

tôt. Il n’y avait personne aux alentours, pas l’ombre de celui ou ceux qui avaient fait

ça…Mais lentement mes doutes se sont envolés, si… Je savais qui était responsable, ceux

qui avaient intérêt à faire ça, et surtout j’étais désormais persuadé que Terra n’était pas en

ballade quelque part dans le désert.

Sans plus attendre j’ai étendu mes ailes, malgré la douleur, malgré mes appréhensions, et j’ai

pris la direction de la tour au centre de la cité d’Inoa. Chaque battement me faisait souffrir,

mais la colère atténuait la douleur, ils avaient finit par trouver mon amie…Et je n’allais

certainement pas rester sans rien faire ! Parfois une pique m’aiguillonnait le dos, mais je

parvins à me poser tant bien que mal sur le toit du bâtiment, bien décidé à y pénétrer pour

aller chercher mon amie. Je suis entré par ce qui s’apparentait à une fenêtre et je me suis

engouffré dans un couloir sombre, surpris par le silence qui régnait dans la grande bâtisse de

pierre. Je n’avais aucune idée de l’endroit par lequel commencer mes recherches, mais

quelque chose me disait que je ne tarderais pas à trouver quelque chose d’intéressant. Après

tout je me trouvais dans le centre névralgique de la cité, ce même centre qui s’appliquait à

faire disparaître les gêneurs, il était impossible de ne pas y trouver quelque chose d’utile, ou

même quelqu’un à menacer…

Dans le noir total j’étais devenu une bête, implacable et déterminée, ma rencontre avec les

loups avait fait de moi un tueur, et de proie je me sentais devenu chasseur. Les couloirs

s’enchainaient, donnant sur des pièces de toutes les tailles, vides et sombres, un

enchevêtrement d’endroits qui devait grouiller de vie le jour, mais qui révélait sa froideur

morbide la nuit. La lumière de la lune elle même ne parvenait pas à aimer les formes de ces

lieux, et mes yeux habitués à l’obscurité étaient mes seuls guides. Je suis lentement

descendu, sans un bruit, guettant une lumière, une présence, mais ce n’est que lorsque je suis

passé en dessous de la surface du sol que j’ai aperçu la première trace d’activité.

Une volée de marche menait à un sous sol ou crépitaient des torches, et c’est après avoir

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passé deux lourdes portes étonnamment ouvertes à cette heure tardive que je suis arrivé dans

les geôles de la tour.

Il y avait sous la surface une demi douzaine de cellules, alignées les unes à coté des autres et

munies de lourdes grilles de métal, cet endroit servait sans doute aux interrogatoires et à la

détention de ceux qui s’opposaient aux descendants du général. Peut être même était-ce dans

ces cellules que les amis de la mère de Terra, les gardiens du secret du Sanctuaire avaient

finit leurs jours, loin de la lumière du soleil et des yeux de la population. Pourtant cette nuit

là toutes les cellules étaient vides à l’exception d’une seule, et lorsque j’ai vu qui se trouvait

dedans je n’en ai pas cru mes yeux.

Lui m’a d’abord regardé d’un œil incrédule, puis réalisant quelque chose son regard à

semblé s’enflammer et avec lui sa voix, d’abord éteinte puis à pleine puissance

_ « C’est toi ! C’est toi le gosse que j’ai vu à la ferme, celui qui a fait échapper la bête !

C’est à cause de toi que je suis la !! GARDES ! GARDES ! »

Le vieil homme que j’avais proposé d’aider des jours plus tôt était devenu hystérique, et à

ma détermination fit place la panique, je m’attendais à tout sauf à ça !

Dans les murs commencèrent à résonner des pas, de plus en plus rapides, de plus en plus

nombreux. Rapidement j’ai remonté les escaliers, ne sachant pas par quel autre endroit sortir.

D’un coup d’épaule j’ai renversé les hommes qui se trouvaient déjà la, profitant de l’effet de

surprise pour courir de plus belle. Mon cœur battait à cent à l’heure alors que je remontai

quatre à quatre les marches des étages, profitant de l’absence de monde dans les lieux pour

me jouer du noir et de la hauteur. Derrière moi je pouvais entendre crier, alors que les lueurs

des torches à ma poursuite ont commencé à envahir tout le bâtiment. Regagnant le toit j’ai

étendu mes ailes de nouveau, sous les yeux affolés de la garde, et avant que ne pointent des

armes dans ma direction je me suis élancé dans le vide et j’ai regagné le ciel.

Je ne pouvais décrire ce que je ressentais à ce moment précis, la plus horribles des colères

est celle que l’on a contre soit même, c’était ma faute, uniquement ma faute, j’avais été

stupide et négligeant ! Maintenant on connaissait mon visage, on savait ce que j’étais ! Et

Terra, si elle vivait encore, en pâtirait surement davantage…Qu’est ce qui m’avait prit de

foncer comme ça sans réfléchir ! M’introduire la nuit dans un bâtiment officiel sans l’ombre

d’un vrai indice, ni même de plan !

J’ai atterris dans l’enceinte rocheuse des fouilles et la douleur m’a comme percé le dos, me

mettant à genou, la tête toujours plus pleine de colère contre moi-même. J’avais paniqué

devant cet incendie, j’avais été déboussolé et j’avais fait le plus mauvais des choix, celui

d’aller m’écraser sur la vitre d’une lanterne comme le plus inconscient des papillons de

nuit… Et voila ce que j’avais récolté ! Cette mission stupide était un échec, car non

seulement je n’avais pas trouvé mon amie, mais en plus je venais de compromettre ma

propre vie ! Sur un coup de tête…Je n’en pouvais plus de tourner en rond, rageur,

marmonnant dans ma barbe les débordements de mon cerveau en ébullition, j’avais envie de

crier, frapper, mais plus que tout j’avais envie de pleurer. Ou pouvait elle bien être…C’était

leur faute, l’incendie était un signe, mais se pouvait-il qu’elle soit déjà morte… Ma tête

tournait, les émotions de cette nuit semblaient avoir eu raison de mon énergie et d’une partie

de ma raison, tant et si bien qu’au bout d’un moment le sommeil s’empara subitement de

moi sans prévenir.

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Je marchais, je ne savais pas depuis combien de temps ni pour aller ou, mais il me semblait

connaître l’endroit dans lequel je me trouvais. Les rues d’Inoa étaient désertes et silencieuse,

alors que le soleil trônait haut dans le ciel. Le ciel était couleur azur, d’un bleu si profond

que l’on y voyait la lune, pâle et absente, et que les oiseaux qui le traversait semblait y

nager. La tour était là, grande et arrogante, défiant les cieux et imposante au milieu de la

cité. C’est à son pied que je me suis assis, sans le vouloir et que j’ai regardé autour de moi

Inoa vidée de ses habitants. La poussière commençait à envahir lentement ses rues et son

air, sans violence et sans haine, comme si la nature enlevait la vie du bout des doigts, avec

délicatesse. Le vent soufflait lentement, et ce calme apparent avait quelque chose

d’angoissant et de terrible. Cette cité du désert disparaissait, et j’en étais le témoin

impuissant. J’avais compris que j’étais dans un rêve et ce depuis le début, mais je ne pouvais

m’empêcher de ressentir cette ambiance lourde dans tout mon être, quelque chose n’allait

pas.

_« Cette ville se meurt, et rien ne saurait l’arrêter.

Une voix féminine avait retenti dans la cité, forte et atone, une voix que je ne connaissais

pas mais dont je soupçonnais la provenance. L’héritier de Chronos avait lui aussi fait son

apparition de cette manière, les dieux semblaient donc avoir leur manière de faire.

_Vous êtes le dieu du Sanctuaire, ou plutôt la déesse donc, n’est ce pas ?

Quelle impression étrange que d’adresser la parole à quelqu’un au milieu d’un rêve, et plus

étrange encore de le faire en l’absence de la personne, dans le vent d’une ville déserte…Qui

plus est, je ne m’attendais pas à ce que ce soit une femme, enfin..si l’on peut dire.

_Je suis celle qui existait avant même les pierres de cet endroit, celle dont jadis on louait le

nom sur ces terres, celle qui protégeait le peuple qui est né ici.

_Les dieux ne meurent-ils pas lorsque leur peuple les oublis ?

_Tu te trompe, mon heure n’est pas venu car j’existe encore dans le cœur des descendants de

mon peuple. J’existe, affaiblie par le passage des époques mais vivante. Je me nourris des

croyances qui subsistent malgré les siècles, je suis l’ancien temps glorieux, celle par qui

cette société malade doit trouver son salut. Mon nom est mort mais je demeure, je suis

Espoir, et chaque homme ou femme dont les ancêtres foulaient cette terre me porte en son

cœur, ignorant ma présence. La porte de pierre érigée jadis devant mon temps par celui que

les hommes nomment Général emprisonne mes sens et mon savoir. Toi, qui es tu pour que je

puisse ainsi atteindre ton esprit ?

_Je suis Luther, un ami de Terra.

_Terra, fille d’Aurora. Voila longtemps que je n’ai entendu ce nom.

_Vous connaissiez la mère de Terra ?

_Oui. Elle est venue il y a des années au sein de ce sanctuaire, elle croyait en moi mais n’a

pas pu me faire renaitre, ou est elle à présent ?

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_Elle a disparu, et sa fille aussi…Vous ne pouvez rien faire pour les aider ?

_Jeune Luther, je suis impuissante depuis ma prison, c’est la raison pour laquelle je suis

venue vers toi. Ton âme brille d’une lueur étrange, elle m’a permis de t’atteindre alors que ta

fatigue m’a ouvert les portes de ton subconscient. Aide moi à sortir, j’ai une revanche à

prendre sur celui qui a prit mes terres. Il n’est peut être pas trop tard pour rendre son dieu à

ce peuple. Aide-moi, et je t’aiderais de toute ma volonté.

A ce moment la, je songeais à Terra, si je parvenais à mener au bout sa quête, peut être que

cette déesse pouvait m’aider à la sauver s’il n’était pas trop tard. Peut être pouvait elle

également m’aider moi…Si elle retrouvait ses pouvoirs, peut être serait-elle capable de me

révéler mon destin, et la raison de ma présence dans le passé…

_Je vous aiderais, comment puis-je faire ?

_Luther, je ne sais pas qui tu es, mais tu semble être un être spécial, prête-moi ton corps et

ensemble nous changerons la face de monde, tu peux avoir pleine confiance en moi.

La perspective me terrifia, mais je sentais que je pouvais lui faire confiance, alors je décidai

de ne pas trop écouter mes craintes pour le moment, et d’accepter sans attendre.

_D’accord, allons-y.

_Laisse moi d’abord te montrer quelque chose»

Et l’instant d’après je me suis retrouvé dans un endroit sombre, et quelle ne fut pas ma

surprise lorsque je me suis rendu compte que je me trouvais dans le cœur du sanctuaire.

Je ne m’étais pas imaginé une seconde que la déesse qui était venu à moi était une antique

divinité chinoise. Ainsi tel était le point de départ du premier peuple qui avait rejoint les

terres d’Inoa… La pièce était tapissée de rouge et le sol était de porcelaine, au milieu sur un

autel de jade brulait une flamme éclairant mon cœur de sa seule lumière. Elle brûlait

faiblement mais certainement depuis des siècles.

Un grondement soudain réveilla mon corps, qui se releva sans ma volonté, habité désormais

d’une déesse. Devant moi, alors que le soleil de l’aube colorait de rose l’enceinte rocheuse,

je vis chaque poussière se rassembler avec sa voisine, chaque caillou retrouver son alter-ego,

chaque pierre rejoindre son bloc, et ces blocs reconstruisirent les statues et le temple

morceau par morceau, dégageant une entrée belle et majestueuse. Mes yeux fixaient le

spectacle sans ciller, et de mon corps je sentais s’échapper une étrange chaleur que je ne

connaissais pas. Et lorsqu’en le ballet s’acheva j’ai ressenti la même sensation que lorsque

j’étais arrivé à cette époque, celui d’impuissance face au monde.

Maintenant il s’élevait, majestueux, bien plus encore que toute la cité. « Espoir », comme

elle s’était nommée, ressentait désormais une sorte d’apaisement. Je pouvais sentir sa

présence, et je ne pouvais pourtant rien contrôler. Elle envahissait mes pensées, distillant des

sensations envoutantes et puissantes dans mon esprit assiégé, comme pour dompter une

monture. Je me sentais bien, comme détendu, simple spectateur d’un film étrange que je

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voyais depuis le plus doux des canapés. C’est alors que j’ai ressenti quelque chose d’étrange

et de déroutant : « Espoir » ouvrit comme une sorte de…fenêtre dans mon esprit, une fenêtre

par laquelle je sentis s’engouffrer un vent d’informations dont le sens n’était pas pour moi,

un vent rapide et dense. La sensation dura une minute, pendant laquelle son esprit assimila

chaque donnée, alors que de mon coté c’était comme si l’on remplissait un sac sur mon

dos…Je sentais arriver cette connaissance, mais je ne pouvais l’atteindre. Espoir reprenait

des forces au fur à mesure, alourdissant son emprise sur mon esprit, mais alors que la

pression devenait dure à supporter, elle s’arrêta net, et s’adressa à moi, d’une voix étrange :

« Luther…tu n’es vraiment pas n’importe qui… »

Cette affirmation me troubla, que voulait-elle dire ? Avait-elle apprit quelque chose sur moi

qui j’ignorais ? Mes lèvres brulaient de lui poser tout un tas de question sur ce qu’elle venait

visiblement de réaliser, mais en l’espace d’un instant mon corps avait jaillit vers le ciel, plus

rapidement qu’il ne l’avait jamais fait.

C’était comme si le vent s’engouffrait dans les ailes qu’elle avait faites siennes en les

épousant à la perfection. Plus besoin de battements incessants ; De la vitesse, pure et

effrayante. Le paysage défilait à une allure ahurissante, et depuis les nimbes de mon esprit je

fus pris de vertige…Elle se servait bien mieux que moi de mon propre corps…La ou j’avais

mis une heure pour parcourir la distance entre la carrière et la ville, elle ne mit qu’un quart

d’heure, et il n’était plus question de douleur dans le dos, j’étais guérit…comme par miracle.

Mon rêve continuait, il ne pouvait en être autrement, j’étais surement encore étendu face

contre terre sur le site de fouilles…

Mais je ne pouvais pas me réveiller, c’était bel et bien la réalité, et je ne pris véritablement

conscience de ce qu’il se passait que lorsque mon corps, habité d’Espoir, s’est posé devant la

tour au centre de la cité, et à fait tonner le ciel un grand coup pour attirer l’attention.

Les gens se massèrent étrangement devant moi, comme attirés par ma présence, observant

les ailes de la menace que j’étais pour eux, mais ils ne bougèrent pas. Le temps semblait

comme suspendu, et bientôt une foule immense répondit à l’appel de la déesse, et bientôt au

milieu des gens s’élevèrent des voix furieuses.

_« Partez d’ici ! Vous n’êtes pas la bienvenue ! On veut pas de vos mensonges ! »

Une rumeur d’approbation traversa la foule, comme un grondement, puis dans mon dos une

voix se fit entendre, plus forte que les autres, une voix acide.

_ « Mesdames et Messieurs, pas de panique je vous prie. Nous connaissons ce garçon, il

n’est pas bien dangereux.

_C’est un envoyé du ciel, il veut notre perte ! Il faut le tuer avant qu’il n’en fasse venir

d’autres de son espèce !

_Calmez vous, laissez moi gérer cela, faites-moi confiance.

L’homme semblait avoir une trentaine d’années, mais avait l’assurance d’un vieux politicien.

Il portait une robe rouge comme je n’en avais jamais vu. Il semblait me connaître mais

j’ignorais tout de lui, Espoir me souffla qu’il s’agissait du descendant du Général dont

j’avais entendu parler, celui qui régnait sur la cité. Alors que je tentais de comprendre ce

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qu’avait mon invitée en tête, lui s’était rapproché, jusqu'à pouvoir parler à voix basse sans

que la foule n’entende.

_ « Cela fait des jours que l’on t’observe mon garçon, ne crois pas que l’on ignore ton but.

D’ailleurs, ta petite amie nous a parlé de toi.

Terra, il parlait de Terra ! A sa simple évocation mon sang n’avait fait qu’un tour, c’était

donc bien eux qui la tenaient ! Espoir me calma d’une pensée apaisante, et répondit à ma

place à cet homme à qui j’aurais bien mis mon poing dans la figure.

_Cadmus, descendant d’Oriyas, traitre devant les hommes d’avoir asservie un peuple au

nom d’une liberté puérile et tachée de vengeance, comment oses-tu prétendre gouverner en

étouffant ton peuple d’une doctrine injuste et criminelle ?

Le dénommé Cadmus me regarda un instant, incrédule, puis d’un œil nouveau et le sourire

aux lèvres il se tourna vers la foule, tendant alors son doigt vers moi.

-Regardez, peuple d’Inoa, Regardez ! Le visage de l’hypocrisie et du mensonge ! Écoutez

cette langue de serpent qui tente de faire naitre en vous le doute ! C’est contre cela que nous

nous battons, contre ce fléau qui tente d’empoisonner notre vie !

Espoir balaya la foule du regard, observant les mines attentives, le peuple buvait chaque

parole de son dirigeant sans ciller mais elle ne s’en inquiétait pas. A coté de moi/elle,

Cadmus montait la foule contre nous, à grands coups de mises en garde et d’avertissements.

_Ce sont eux qui envoient le sable dans nos rues, dans nos maisons, ce sont les êtres de son

espèce qui tuent cette ville ! Parce qu’ils ne parviennent pas à le faire avec nos cœurs !

En mon fort intérieur je bouillais, même dans l’époque d’où je venais, ce genre d’individu

m’agaçait, et Espoir ne semblait pas décidée à se mettre en mouvement. Cela faisait une

dizaine de minutes que cette comédie stupide se jouait, et c’en était trop. Je devais dire

quelque chose, moi.

_Je euh…

Espoir avait entendu ma supplique, et je me retrouvais seul en cet instant, des milliers de

regards braqués vers moi, écrasants et attentifs.

_Écoutez moi tous, je suis Luther, je viens d’un endroit ou j’étais comme vous ! Je viens pas

du ciel, je suis pas un monstre, juste un garçon de 15ans comme il y en peut être dans votre

famille !

_Il ment, regardez ses ailes, c’est pas humain !

_S’il vous plait ! Laissez-moi parler…Je suis ici depuis peu de temps et …

Cadmus me coupa la parole.

_Alors comment tu peux prétendre parler devant ce peuple ? Tu ne nous connais pas, tu n’as

aucune idée de ce qu’ont vécu nos pères à cause d’êtres comme toi ! Mon ancêtre nous a

sauvé, a créé cette société, et tu prétends pouvoir la juger, toi ? Pourquoi es tu venu ici, sinon

pour nous détruire ?

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Je restai un moment silencieux, les yeux rivés sur mes pieds. Cet homme me faisait penser

aux professeurs que j’avais jadis eut, il ne laissait pas de place à la parole. Je balbutiai un

mot, et il éclata de rire, bientôt interrompu par un enfant qui cria dans la foule.

_Mais laisse le parler !

Sa mère lui mit une petite tape sur la tête, mais l’ordre avait eu son effet et Cadmus s’était

tût, une lueur d’incrédulité dans les yeux. Je pris alors une grande inspiration.

_J’ai remarqué quelque chose… Vous n’avez le droit de croire en rien, même votre histoire

on vous la cache… Vous vous êtes jamais demandé si y’avait pas autre chose derrière ce que

vous racontent ce Cadmus et son ancêtre ? Personne ne demande pourquoi des gens

disparaissent sans raison ? Ce type que vous avez devant vous a tellement peur du ciel que

dès qu’il rencontre quelque chose qu’il ne connaît pas, il le fait assassiner sans chercher à

comprendre ! Mon amie à disparu, elle était de votre coté ! Et votre ville crève, à cause de

lui et de ses idées ! Pourtant il vous suffirait juste de…

_J’en ai assez entendu, faites le taire, gardes ! »

Cadmus s’était reculé et avait haussé le ton pour me couper la parole, déclenchant soudain

une vive agitation dans notre public.

Tout à coup Espoir reprit possession de mon corps, évitant la lance qu’on essayait de nous

ficher dans le dos, puis d’un geste de la main elle fit tomber en poussière toute les armes. La

foule s’agitait furieusement, mais on aurait dit que des camps se formaient. Cadmus partit en

courant vers la tour, suivit de quelques gardes, alors que ceux qui restaient tentaient de

prévenir toute poursuite de ma part, à mains nus. La déesse fit alors gronder le ciel, stoppant

tout mouvement sur la grande place d’Inoa. Un second grondement vint de la tour, et celle-ci

se mit à trembler furieusement. Espoir fit alors s’effondrer l’édifice sur lui-même, sans que

même un gravât ne nous atteigne, en enterrant Cadmus et sa garde sous les décombres. Puis

avant que ne se disperse totalement la foule, elle tendit sa main vers le ciel, et des gouttes se

mirent à tomber, d’abord doucement puis plus fort.

_ »Peuple d’Inoa, écoutez moi ! Vous espériez que ce moment vienne un jour, le voila venu.

Il vous appartiendra dès demain de reconstruire vos vie comme bon vous semblera, sans

influence de quiconque. Certains pleureront la mort de Cadmus, mais il fallait qu’il

disparaisse, et cette pluie que vous attendiez tous depuis longtemps n’aurait jamais pu

tomber tant qu’il vivait et vous empêchait de vous tourner vers le ciel. Je ne vous imposerais

rien, je ne vous demande pas de croire en moi, mais je veillerai sur vous car je sais qu’au

fond de vous-même vous savez qui je suis réellement. C’est pourtant le garçon que j’habite

qu’il vous faudra remercier, car il est celui sans qui rien n’aurait été possible, lui et la jeune

fille que voici. Quant à moi à l’avenir vous saurez ou me trouver. Allez en paix. »

Et l’instant d’après nous étions de retour dans mon rêve, face au Sanctuaire que j’avais vu se

reconstruire. Mon esprit était maintenant seul, et je me trouvais face à une femme d’une

beauté envoutante. Elle portait une longue robe fendu jusqu'à la taille, d’un rouge vif brodé

de motifs compliqués qui rappelait les élégantes ondulations de ses cheveux qui cascadaient

de chaque coté de son visage. Ses yeux en amande brillaient d’un éclat doré, et je devinais à

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son sourire qu’il s’agissait là d’Espoir.

_ « Les choses se sont déroulés plutôt bien, à vrai dire je ne pensais pas que ça irait aussi

vite.

J’étais intimidé, elle gardait sur son visage un sourire étrange, qui n’allait pas du tout avec la

voix que je lui avais entendu quand je ne connaissais pas son visage.

_Bah…Le coup de la tour qui s’effondre c’était plutôt convaincant je trouve.

Elle esquissa un sourire bien plus grand encore, et je me suis même demandé à un moment si

c’était parce que je lui plaisais…

_Tu t’égare dans tes pensées mon garçon !

Elle eut un petit rire, et je me sentis rougir jusqu’aux oreilles. Elle redevint alors sérieuse un

instant, et posa doucement sa main sur mon épaule.

_Ton discours était plutôt mignon, il a eut son petit effet. Je pense que tu as ta part de

victoire la dedans, tu as muri en peu de temps. Tu peux être fier de toi !

« Mignon » ? J’étais mort de peur !! …

_Luther, je sais que tu pense que je peux te révéler des choses sur toi, et sur ce que tu fais

ici…

_Oui, dites-moi ! Pourquoi j’ai été choisit, vous auriez très bien pu me laisser la ou j’étais !

_Tu sais au fond de toi que c’est plus compliqué que cela, tu as voulu quitter ton monde.

Bien sur, je le savais…Je savais que j’avais toujours senti ma place ailleurs, et que

l’opportunité que l’on m’avait offert de m’échapper et de partir à la recherche de cet endroit

dans l’univers était une opportunité unique. La vraie question était d’en connaître la

contrepartie, si l’on peut dire...Pourquoi m’envoyer précisément dans un endroit tel que celui

la, dans le passé ? Pour me caser dans un lieu qui me convienne ?

Dans tous les cas, j’avais compris depuis un moment que mon El Dorado n’était pas Inoa,

car en dépit du fait que je pouvais me défaire de mes ailes si je le souhaitais en me

débarrassant du pendentif d’Ariane, ce cadeau était le mien, il faisait désormais partie de

moi. De toutes façons je ne me sentais proche ni de cet endroit ni de la majeure partie de ses

habitants. J’avançais donc dans le noir, allumant la lumière dans chaque endroit ou je me

trouvais pour décider si je continuais ou non… Je faisais toujours ça quand j’étais petit,

j’éclairais tout sur mon passage pour tracer mon chemin et être sur de ne pas avoir à

traverser l’obscurité, évidemment j’espérais que dans cette version il ne s’agissait pas d’aller

aux toilettes...

_Vous savez où mon voyage s’arrêtera?

_Je l’ignore, je sais juste qu’il ne fait que commencer. On t’attend quelque part, et la

connaissance de cet endroit n’est pas à ma portée, elle me dépasse…Je sais une chose en

revanche, ta recherche est le moteur de ton voyage, et tu parviendras à la destination qui est

la tienne par tes choix et ta propre volonté.

_Euh…D’accord.

C’est ce que j’ai répondu, car ne je voyais pas quoi dire d’autre. Les dieux semblaient avoir

décidément de drôles de manières…Dont celle de faire de grandes phrases dont le sens

n’était pas toujours très clair. Mais mon incompréhension n’avait pas d’importance à ce

moment là, j’avais autre chose en tête.

_Les Rouleaux de la Vie peuvent me le dire, eux ?

Un petit sourire éclaira le coin de ses lèvres.

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_Je l’ignore, mais tu peux essayer de les trouver pour le savoir.

_Je dois aller vers la Chine alors…

_Je t’avais dit que ton voyage ne faisait que commencer ! Mais avant que tu ne décide de

partir ainsi qu’il était écrit, j’aimerais que tu fasses une dernière chose ici. Ah tiens, prends

ça aussi «

Et avant que je n’aie le temps de lui demander quoi, j’avais été éblouît par une vive lumière

et j’étais de retour dans la réalité, mais pas auprès du sanctuaire. Je me trouvais près des

ruines de la maison qui avait été la mienne pendant les premières semaines de ma vie dans le

passé, et devant elles Terra était assise, enserrant ses genoux, le regard perdu dans le vide.

Dans le creux de ma main se trouvait une petite boussole dorée, dont la petite aiguille d’un

rouge sang indiquait le Nord sans vaciller.

Mais déjà une vague de joie irradia tout mon corps, je fourrais l’objet dans ma poche et j’en

oubliais que la Déesse voulait quelque chose de moi. Je me suis précipité vers mon amie

avec un sourire jusqu’aux oreilles et je suis resté sans rien dire à la regarder, elle était

tellement belle…

Quand enfin elle me vit, elle se leva d’un bond et me serra fort contre elle, me remerciant

d’une voix blanche. Je ne savais plus ou me mettre, je devais être encore rouge comme un

piment.

_ « T’as réussis ! Tu l’as fait ! Comme tu l’avais promis !

Je n’osais lui dire que je n’avais rien fait, à part être là au bon moment et permettre à un

Dieu de posséder mon corps…J’en étais d’autant plus gêné que c’était arrivé après un tas

d’échecs...

_Bah qu’est ce qui y'a ? Tu devrais être heureux et fier de toi ! Allez, gonfles moi ce torse !

Elle semblait tellement heureuse…Alors qu’elle n’avait pas retrouvé sa mère pour autant,

c’était sa foi qui parlait à sa place. Une foi inébranlable nourrie par des années de solitude à

attendre ce jour. Terra savait qu’Inoa connaitrait des jours meilleurs, et j’espérais que

l’avenir immédiat lui donnerait raison, sa joie était tellement communicative.

-Ahhh ! Tu vois que tu peux sourire ! J’étais en ville tout à l’heure, je t’ai vu parler devant

tout le monde ! Les gens sont pleins de bonne volonté, ils sont prêts à se réveiller ! J’ai

même retrouvé quelqu’un de ma famille, un frère de ma mère ! Oh bien sur, y'a du travail,

mais ça va aller ! C’est grâce à toi ! »

Je crois que c’est ce jour la que je me suis promis d’arrêter de pleurnicher, ce jour ou Terra

m’a traité en héros alors que pour moi je ne le méritais pas vraiment. Je me suis promis à cet

instant de tout faire dans les temps à venir pour devenir ce garçon qu’elle avait vu en moi,

capable de grandes choses. J’étais décidé à tout faire pour mériter la reconnaissance des

gens, à me battre pour franchir les obstacles, à mériter ce genre de sourire qui me faisait

battre le cœur…

J’ai finis par rire à mon tour, par la force des choses, heureux de la voir pleine de joie. Elle

n’en fut que plus contente, mais je n’oubliais pas une chose : bientôt il me faudrait partir…

Nous sommes revenus en ville, pour découvrir une ambiance complètement différente de

celle que j’avais quittée plus tôt. Les gens ne criaient pas et pas un ne semblait vouloir

rentrer chez lui, ils discutaient de tout et de rien, les enfants jouaient dans les flaques, les

vieux regardaient le ciel, rêveurs. Je sentais en moi qu’une étape avait été franchie par le

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peuple d’Inoa, et même si Cadmus avait raison et que je ne connaissais ce monde qu’assez

peu, j’avais suffisamment passé de temps dans les rues de cette cité pour m’y être un peu

attaché. Peut être que ce n’était que parce que mon amie tenait à croire en son peuple, mais

ce renouveau me faisait plaisir. Les choses ne se feraient pas forcement vite, mais un virage

était amorcé.

Tout au long de cette ballade, alors que le ciel se parait lentement de couleurs rosées, je

songeais à mon amie. La société l’accepterait-elle aussi bien qu’elle le croyait ? Que ferait-

elle à présent ? Autant de question que je regrette aujourd’hui de ne pas lui avoir posé ce

jour là. Elle semblait tellement contente, elle ne cessait de sauter partout, de rire et de me

montrer du doigt les endroits dont elle avait le souvenir de l’époque de son enfance…Celle-

ci semblait revivre en elle, et je ne pouvais qu’en sourire, j’étais heureux que les choses

s’arrangent un peu pour elle.

Et c’est lorsqu’est venu l’homme qui disait être son oncle, un homme qui semblait être plein

d’émotion à l’idée de retrouver une nièce qu’il croyait morte, que j’ai décidé de lui dire.

_ « Terra, il faut que je parte, je dois continuer ma route…

Un instant elle s’arrêta de rire pour me regarder, puis elle me prit à nouveau dans ses bras.

_Elle me l’a dit…Je comprends.

Je sentais qu’elle voulait en dire plus, et d’ailleurs c’est ce que je voulais aussi…Mais je me

sentais bête, je détestais les adieux…Elle n’avait pas l’air plus à l’aise, notre différence

d’âge semblait un fossé, et je n’avais jamais été vraiment à l’aise avec les filles.

_Tu as toi aussi des choses à régler j’imagine.

_Et toi aussi, balbutiai-je bêtement.

Elle sorti alors de son sac la dague que j’avais emprunté plus tôt, et que visiblement j’avais

perdu.

_T’es un peu tête en l’air d’après Elle, prend le, ma mère aurait aimé qu’il te revienne après

ce que tu as fais.

Je serrai la dague dans ma main, avant d’en accrocher le fourreau à ma taille, intimidé par ce

cadeau.

_Merci…Eh bien je crois que euh…bon courage à toi et euh…

_Attends !

C’est alors qu’elle se rapprocha de moi une nouvelle fois, et j’ouvris les bras pour

l’accueillir doucement comme je l’avais déjà fait plus tôt. Lorsqu’elle approcha son visage

du mien, ma bouche chercha sa peau et l’effleura en une bise affectueuse, mais ce n’est pas

ce qu’elle voulait. Ses lèvres évitèrent ma joue, puis avec une infinie délicatesse touchèrent

les miennes et mon cœur manqua un battement, comme sous le coup d’un électrochoc.

Autour de nous plus rien n’exista, le vent retint son souffle, laissant chanter à mes oreilles le

doux bruissement de ses mouvements angéliques. Sa bouche avait la douceur du miel et la

saveur du paradis, ses mains trouvèrent le chemin de ma nuque, hérissant chaque follicule à

la surface de mon corps. En cet instant je crus me retrouver à nouveau dans le jardin de

l’Olympe, j’ai cru toucher à un mets divin fait pour moi, il me semblait même que mes pieds

avaient quitté le sol. J’ai alors revu sous mes paupières closes tout ce temps que j’avais

passé à ses cotés, tout ce temps pendant lequel je n’avais pas imaginé qu’un tel instant se

produirait. Les minutes qui suivirent disparurent complètement de ma mémoire, ne reste que

le souvenir de mes ailes ouvertes dans le vent du désert que je quittais, les yeux humides et

le cœur palpitant, tournant le dos au soleil couchant, volant vers la Chine du passé.

Plus tard, j’ai appris que la cité d’Inoa avait finit par disparaître, et à vrai dire je n’ai jamais

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su exactement pourquoi ni quand exactement. Rien n’avait laissé penser que la déesse Espoir

le présageait, et longtemps je me suis demandé si j’aurais du lui en parler le jour ou je suis

partit. Aurait-elle pu y changer quoi que ce soit ?

Quant à Terra, chaque fois que je pense à elle, même encore à l’heure ou je vous parle, j’ai

cette étrange boule dans la gorge…Ma vie n’était pas à ses cotés, je le savais pertinemment

mais…Je donnerais tout pour savoir ce qu’il est advenu d’elle, si cet oncle revenu du passé

lui a offert la vie qu’elle méritait, si elle a vécut longtemps…Pour moi il ne peut en être

autrement, mais c’est une vérité que je ne saurais jamais. Les sables du désert ont finit par

engloutir la fière cité du désert où ma première amie m’avait fait renaître en ce monde. Dès

lors j’ai vu la vie différemment, j’avais appris que sa complexité allait au delà de ce que je

pouvais concevoir, qu’il ne fallait pas s’arrêter à son visage dur et froid. Ce peuple je l’avais

haï au départ, haï pour sa ressemblance avec celui qui était le mien, haï pour sa cécité ; Mais

les regards que m’avaient offerts ces gens le dernier jour étaient complètement différents.

Pas de joie de me voir dans leurs yeux, pas de gratitude non plus, mais plus de trace de

colère. En les voyant on devinait leur égarement, mais surtout on comprenait que certains

étaient prêts à réécrire des pages de leur vie. Ainsi peut-être, rien n’était jamais

complètement perdu, c’est le sentiment qui m’envahissait alors que je volais vers l’Est, les

doigts effleurant encore mes lèvres et le regard perdu vers l’horizon.

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Ma piste devait me mener jusqu’en Chine, sur les traces des rouleaux de la vie, ainsi

qu’on les appelait J’avais décidé dans le doute de tenter ma chance à Pékin pour les

dénicher. Mais en vérité je n’avais aucune idée de comment j’allais m’y prendre pour mettre

la main dessus ! Mais après tout, cela faisait plusieurs mois que j’étais parti, et je ne me

débrouillais pas trop mal, je crois. Si mes calculs étaient bons, je me dirigeais vers mes

quinze ans, c’est ce que je leur avais dit, mais je ne savais même pas à quelle date je me

trouvais. Je sentais que j’avais changé, la force des choses m’avait endurcie, et la morsure

sur ma jambe guérie par la déesse était la pour me le rappeler. Mais je demeurais encore cet

orphelin chassé de chez lui, contraint à se chercher lui-même pour ne pas sombrer dans la

folie. Bientôt un an après mon départ je portais déjà un regard différent sur moi-même et sur

le monde qui m’avait nourrit jusqu’ici.

Mais il me semblait que ça faisait des années que j’étais parti…Au moins maintenant j’avais

une piste, peut-être que c’est en Chine que j’allais trouver ce qui m’amenait ici. J’allais peut-

être savoir d’où je venais vraiment et pourquoi Ariane m’avait donné ce médaillon à moi et

pas à un autre, et peut-être allais-je même savoir ce qu’il en était de mon destin.

J’ai volé longtemps, absorbé dans mes pensées. Si je situais correctement la position de la

cité d’Inoa, il me fallait me diriger vers l’Est, passer la mer Rouge et rejoindre la mer

d’Oman, et ensuite couper par les terres direction Nord-est une fois arrivé en Inde. Mes

vagues connaissances géographiques ne me permettaient pas de prévoir mon trajet mieux

que ça, mais par chance j’avais la boussole que m’avait donnée Espoir. Je pouvais me fier à

la direction du Nord pour m’orienter à peu près, j’espérais arriver à tenir le cap que je

m’étais fixé ainsi. Cette petite chose m’allait être précieuse. En l’observant de plus près je

remarquai une chose, celle-ci possédait en plus du petit trait de métal rouge une petit aiguille

dorée qui n’indiquait pas de direction parfaitement définie. La petite flèche pointait à peu

près la direction que je prenais, pas complètement Est, mais pas Nord-est non plus. Ignorant

tout des boussoles en général, je ne me suis pas plus posé la question à ce moment la, je

savais ou j’allais de toutes façons.

J’ai volé la nuit durant, appréciant de pouvoir de nouveau frayer parmi les oiseaux. Je ne

volais pas aussi bien que la déesse, mais il me semblait bien plus à l’aise qu’auparavant dans

le ciel, je subissais moins les rafales du vent qui percutaient mes ailes et me déstabilisaient

auparavant. Cette nuit la j’aurais du me reposer, mais j’ai préféré profiter de la fraicheur de

la nuit et de ma motivation encore toute fraiche, espérant rejoindre un coin plus hospitalier

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pour ma première halte. Je m’efforçais de garder le cap, tentant vainement de regarder la

boussole en la sortant de ma poche lorsqu’il me semblait dévier, mais après avoir faillit la

lâcher deux trois fois, j’ai décidé de me fier à mon instinct. J’ai volé ainsi longtemps, avec

une endurance que je ne me soupçonnais pas, et lorsque la nuit laissa peu à peu place au jour

j’arrivai en vue d’un vaste fleuve débouchant sur une étendu d’eau gigantesque. S’il

s’agissait bien du Nil, alors je ne comprenais vraiment pas ou se trouvait Inoa… Je n’y

comprenais pas grand-chose, et à dire vrai je regrettais même de ne pas avoir posé plus de

question à mes hôtes.

C’est en bordure de ce fleuve que je me suis posé, dans ce qui semblait être une petite oasis,

exactement ce que je cherchais ! Je n’étais pas vraiment fatigué –un effet du médaillon ailé

sans doute- mais cela ne pouvait me faire que du bien. L’endroit s’organisait autour d’un

petit plan d’eau, dont une simple trempette m’apprit que son eau était douce et potable, quoi

qu’un peu tiède. J’en profitais pour me laver un petit peu après avoir bu autant que je le

pouvais, car il faut le dire : uriner en volant n’est pas chose facile…D’accord ce n’est pas

très élégant mais je ne pouvais pas m’arrêter à chaque fois, et avec le vent…Bref ! J’ai lavé

mes vêtements rapidement, avant de les étendre un petit peu sous le timide soleil du matin,

usant du temps que cela m’accordait pour explorer les environs.

Il ne me fallut pas longtemps avant de découvrir que je ne me trouvais pas loin de la

première civilisation, mais je ne tenais pas vraiment à être vu dans cette tenue, et de toute

façon je ne comptais pas m’attarder. En revanche je pouvais bien prendre du temps pour

manger quelques dates ! Enfin, je crois que c’en était, du moins ça en avait le goût. Et

lorsque j’en eus mangé assez pour me faire exploser le ventre, il me servit d’appui pour

souffler un petit peu. C’est le moment que j’ai choisit pour regarder de nouveau la boussole

d’Espoir.

Étonnamment, je remarquai soudain qu’elle n’indiquait plus son espèce de Nord-est, et

pourtant l’aiguille dorée ne vacillait pas…elle indiquait derrière moi. Je ne sais pas ce qui

m’a poussé à me lever pour faire le tour de l’arbre, mais je suis allé bon gré mal gré jeter un

œil dans la direction nommée, sans trop savoir quoi y chercher du regard. L’aiguille bougea,

et en vérité elle bougea si vite que je n’eus que le loisir de constater qu’elle indiquait de

nouveau derrière moi…Et c’est en pivotant sur moi-même que j’ai constaté qu’elle pointait

l’endroit précis ou je m’étais assit, comme si elle savait que c’était l’endroit qu’il me fallait.

Un sourire éclaira mon visage malgré moi, grandissant devant ce prodige, quel

extraordinaire objet…

Dès lors je n’ai suivi que l’aiguille dorée, rejoignant dans la journée les rives de la mer

Rouge et ses eaux turquoise, évitant miraculeusement toute présence humaine. Puis le soir

venu j’abordais enfin l’autre coté, bien décidé cette fois ci à dormir, et de préférence sur mes

deux oreilles. La boussole m’indiqua un bosquet en marge d’un palmier, à quelques pas

seulement de la plage. Les lieux n’étaient pas sans me rappeler l’ile d’Icare, sur laquelle je

m’étais échoué et qui avait donné le ton de toute la suite de mon aventure. Et c’est vrai que

ça y ressemblait… Par delà la mer j’ai regardé le soleil se coucher, repensant à cette journée

étrange que j’avais passée là-bas. Le gout du sel dans la bouche, le sable partout sur mes

vêtements trempés, et puis la tombe… J’étais bien loin de m’imaginer que je me retrouverais

sur une plage semblable, presqu’un an plus tard mais des siècles dans le passé, à regarder ce

même soleil mourant à l’horizon, entouré de deux grandes ailes blanches. Avec le temps

elles étaient devenues mes amies fidèles, et je les voyais évoluer de jour en jour. En souvenir

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du bon vieux temps, je les ai lavés dans l’eau de la mer rouge, histoire de les rafraichir. La

douce sensation irradiait jusque dans mon dos, reposant ainsi mon corps mais aussi mon

esprit. Le voyage durerait surement longtemps encore, il me fallait être courageux.

Dès lors, je n’ai plus revu la mer avant un peu plus de six jours, le paysage passa des

montagnes au désert de sable, ponctué ça et la d’oasis. C’est à elle que je dois ma survie, car

en peu de temps je m’étais retrouvé avec d’énormes coups de soleil partout sur le corps, et la

soif que l’astre provoquait chez quiconque arpentait ses terres ne pardonnait pas. La

boussole d’Espoir ne pouvait pas me rendre le voyage agréable, seulement le rendre un peu

moins dur, et c’est vrai que sans elle je serais mort à l’heure qu’il est. J’ai lutté des heures

durant pour maintenir le cap, j’ai battu des ailes à en perdre mon souffle jusqu'à trouver les

terres promises par le petit objet divin, et souvent elles n’étaient pas à la hauteur de mes

espérances.

Dès le second soir, alors que je quittais ce qui semblait être la chaine de montagne Asir, elle

me donna le ton, il ne fallait espérer trouver facilement de la nourriture. Jusque la elle

m’avait indiqué des dattiers principalement, de quoi tromper la faim et reprendre des forces,

mais je me souviens que lorsque j’ai posé le pied au sol cette journée là j’ai cherché l’endroit

qu’elle indiquait pendant vingt minutes au moins, avant de comprendre qu’il ne fallait pas

regarder au sol, mais dessous… La petite aiguille d’or indiquait une sorte de trou entre deux

rochers, et ne vacillait pas. Les fruits me rendaient malades à force, je faiblissais de ne

manger que ça, alors se pouvait-il que… Peu rassuré, j’ai sortie la petite dague qui m’avait

sauvé la vie jadis, et après une grande respiration je l’ai plongé violemment dans le trou,

sans savoir ce qui allait se passer. Un sifflement me fit bondir en l’air, alors que je lâchai

mon arme sous le coup de la peur, un serpent ! J’étais sur que c’était un serpent…L’une de

mes plus grandes phobies…Mais je ne pouvais pas laisser mon arme la.

Maudissant la boussole, j’ai prit un long bâton pour tenter de tirer la petite dague par la

garde, qui par chance ressortait encore du trou, mais j’ai rencontré une résistance qui me

glaça le sang. Bien décidé à récupérer mon arme et à partir en quête d’autre chose, je tirai

plus fortement, et c’est la qu’apparut la bête.

Petite, longue et inerte chose, empalée sur la lame…Je me souviens qu’au dégout à succédé

le scepticisme, même morte cette bestiole me fichait la trouille, pourtant la boussole tenait à

ce que je la trouve…Mais ensuite ? Je savais bien qu’il fallait se méfier de la viande cru, si

tant est que cette chose se mangeait…Dès lors, la boussole a brusquement changé de

direction indiquant un endroit par delà d’énormes rochers. Le soleil n’était pas encore

couché, et je ressentais déjà la vive douleur de mes brulures, mais je n’étais plus à ça près.

Ce n’est qu’arrivé à destination que j’ai compris ce que je devais voir : au sommet de cette

petite crête rocheuse se trouvaient quelques pierres d’une couleur noire de nuit, chaudes

comme l’enfer, ou du moins assez pour faire cuire une petite monstruosité.

J’avais souvent entendu que le serpent avait un peu le gout du poulet, je ne saurais jamais si

effectivement c’est le cas, mais ce soir la il avait le gout de la victoire, une saveur qui me

redonna le moral et calma mon estomac. De quoi me donner le sourire avant de dormir

quelques petites heures, à l’abri dans une espèce de renfoncement à l’abri du soleil et des

prédateurs.

Dès le lendemain j’ai attendu la nuit pour repartir et ne pas bruler comme je l’avais fait, mais

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cela ne m’enlevait pas tous les obstacles…Le désert était vide, inhospitalier, et je ne pensais

pas qu’il serait si dur de trouver de l’eau, je ne connaissais rien de cette partie de la planète

et je m’y étais jeté sans réfléchir.

Pourtant j’ai réussis à trouver une sorte de routine. Je volais dès la nuit tombante, et je ne

m’arrêtais que lorsque la boussole divine m’indiquait de l’eau, et avant que le jour se lève un

coin pour me reposer après avoir mangé un bout. Mes repas furent sommaire, voir parfois

atroces, mais je n’eus pas le loisir de faire la fine bouche. J’ai mangé essentiellement des

scorpions, et de nouveau quelques serpents et lézards. Avec l’habitude, ces bestioles

m’horripilaient toujours autant, mais j’avais trouvé le truc pour les tuer sans prendre trop de

risque. J’utilisais la technique de l’aigle, repérant la proie en vol avant de lui assener un coup

de lame en piqué. Je me suis raté un paquet de fois, et même dans les derniers temps de ce

voyage il m’arrivait encore souvent de me retrouver par terre, le corps endolori par un crash

ridicule, mais tous les jours je mangeais un petit peu et c’était le principal.

Dans la nuit du cinquième jour, alors que je volais péniblement dans un ciel sans nuage, sous

la lumière argentée de la lune ronde qui était devenu mon amie et confidente, j’ai soudain

aperçu une lueur dans le sable du désert. Les heures que je venais de passer à battre des ailes

me convainquirent rapidement de descendre pour marcher un petit peu, reposer mon échine

et voir ce qu’il en était. Arrivé à quelques dizaines de mètres, je cru d’abord à une

hallucination, personne ne pouvait vivre dans un endroit pareil, loin de tout ! Cela faisait des

jours que j’avais entamé ma traversée, et c’était la première fois que je voyais trace de vie.

Je me suis posé à bonne distance histoire de ne pas effrayer la personne qui se trouvait là s’il

en était, et j’ai marché, me dégourdissant les jambes à cette occasion. La boussole confirmait

la direction, elle pointait l’endroit précis ou se trouvait la lueur, elle voulait que j’y aille, ou

alors en avais-je besoin ?

Arrivé à une poignée de mètres seulement, je remarquai soudainement qu’un animal se

trouvait la, couché à coté de ce qui semblait être une tente de toile claire et abimée. Le

chameau me regardait paisiblement, à ses cotés se trouvaient quelques ballots serrés par une

espèce de corde noircie, et derrière la toile s’agitait celui ou celle qui devait être son

propriétaire. La nuit était calme et plutôt fraiche, et quand j’ai finit par atteindre la petite

tente, un homme en est sortie précipitamment, scrutant la nuit. Son visage était sombre et

buriné à la clarté de la lune, et ses traits étaient en partie dissimulés par une sorte de foulard

bleuté, me semblait-il, alors qu’il arborait sur le reste de son corps une sorte de toge ample et

élimée, qu’on devinait plus vieille encore que la tente elle-même, mais pas autant que lui.

Je ne saurais dire si c’est de la surprise ou de la peur que je lus dans son regard, mais

visiblement il ne s’attendait pas à me voir la, qui s’y serait attendu dans un endroit

pareil…De quoi pouvais-je avoir bien l’air, avec mes vêtements déchirés et ma peau rougie

par le soleil ? Mais malgré l’étrangeté de la situation, mon accoutrement et son regard

étonné, il ne produisit pas le moindre son.

_ « Bonjour monsieur…Je suis un voyageur, je viens de très très loin.

A vrai dire, je ne savais pas trop quoi lui dire, j’étais simplement heureux de croiser âme qui

vive après tant de temps à côtoyer les serpents et autres bestioles.

Son regard changea au son de ma voix, ses yeux s’écarquillèrent et il fit brusquement demi-

tour, retourna à l’intérieur de sa tente en me laissant seul et pas très à l’aise. Pourtant

quelques secondes plus tard il ressorti, me tendant à la hâte un récipient qui contenait en fait

de l’eau. A dire vrai, ce geste me fit vraiment plaisir mais je n’en compris pas la raison. Je ne

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m’attendais pas forcement à être chassé, mais pas l’inverse non plus...D’autant que l’homme

n’avait toujours pas fait le moindre bruit, troublant seulement le calme du désert par le

bruissement de ses vêtements et de ses pas.

Il ne devait pas être sourd pourtant, sinon il ne m’aurait pas entendu arriver, s’il m’avait

vraiment entendu. Après avoir bu à grandes lapées le liquide providentiel dont je ne pensais

pas tant manquer, je restai la, interdit…L’homme souriait de toutes ses dents, que je pouvais

deviner pourries malgré la pénombre, et ne me quittait pas du regard. La scène était vraiment

étrange et dura une dizaine de minutes pendant lesquelles j’en profitais, gêné, pour reposer

mes muscles assis à coté de lui. J’étais arrivé sans trop savoir pourquoi, et voila qu’il me

fixait moi, et je ne savais pas non plus pour quelle raison !

_ Vous comprenez quand je parle ?

Il acquiesça sans cesser de sourire.

_Merci pour l’eau, vous étiez pas obligés.

C’est alors qu’il me pointa du doigt, puis le ciel avant de designer ses propres yeux. Je ne

comprenais pas ce qu’il voulait me dire, il ne pouvait pourtant pas m’avoir vu, puisque je

l’avais surpris…enfin, si c’était ce qu’il essayait d’expliquer.

_Je viens de loin, je ne comprends pas ce que vous essayez de me dire…

Il acquiesça de nouveau puis toujours avec ce sourire étrange il mit ses deux mains sur le

coté de sa tête et désigna de nouveau ses yeux. J’étais de plus en plus perdu, se pouvait-il

que le seul humain sur lequel je sois tombé soit fou ?

Devant mon incompréhension, il se releva et fit de nouveau volte face pour s’en aller fouiller

je ne sais ou. Je n’avais aucune idée de l’heure ni même de l’endroit exacte ou je me

trouvais, seule la lune pouvait m’indiquer à peu près à quel point la nuit était avancée, mais

alors que j’essayais de le déduire, le mystérieux bédouin revint vers moi, brandissant un

morceau de tissu.

Au début j’ai cru que c’était encore une de ses lubies que je ne comprenais pas, mais à tout

bien y regarder il ne s’agissait pas d’une simple étoffe, mais d’un dessin. Au regard

interrogatif que je lui lançai, il répondit en me pointant du doigt et ses yeux, comme il l’avait

fait plusieurs fois déjà. Je me suis alors mis près de la lampe qui éclairait l’entrée de sa tente

pour voir ce qu’il m’avait donné, et ce que je vis me faucha littéralement, me faisant

comprendre d’un coup d’un seul tout ce qu’il essayait de m’expliquer depuis cinq minutes.

Sur ce dessin tracé avec une sorte de crayon noir, l’on pouvait voir un homme avec des ailes

volant en direction du ciel, parmi des nuages grossièrement représentés. Dans cette

représentation du ciel, l’on pouvait voir des espèces de rayon pointant dans la direction du

personnage, qui n’avait pas de visage, ce pouvait-il que…Moi…Cet homme m’avait vu moi,

en rêve !

Il dut lire sur mon visage que tout s’était mis en place dans mon esprit, car sur le sien un

sourire encore plus grand s’afficha.

Et en effet une tempête venait de se déchainer dans ma tête…

La boussole m’avait conduit jusqu’ici pour que je rencontre cet homme, au milieu de nulle

part. Elle voulait que je sache qu’il avait rêvé de moi, comme si la direction physique ne lui

suffisait pas, elle m’envoyait des signaux qui me disaient que j’étais sur la bonne voie,

comme si…Comme si l’univers entier semblait s’accorder via ce petit objet pour me

conduire sur ce chemin, un chemin semé d’épreuves et de rencontres, un chemin qui n’était

pas qu’une route mais aussi un périple organisé. Chaque jour qui passait dans ce voyage

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m’endurcissait un peu plus, modelant mon corps et mon âme pour qu’ils deviennent quelque

chose dont j’ignorais tout à cet instant, mais qui était prévu. Cette perspective me donnait le

vertige et en même temps m’effrayait, elle me donnait tantôt l’impression d’être épaulé, et

tantôt celle d’être un sujet d’expérience, un pion sur un échiquier dont je ne voyais pas les

bords. Je devais ma survie à cette boussole, et elle m’apportait beaucoup plus que de la

nourriture à manger et des endroits pour dormir, elle répondait aux besoins de mon âme, ou

à un plan. Je n’arrivais pas à trancher, je détestais l’idée qu’on me contrôle et j’avais

toujours eu le sentiment de faire uniquement ce que j’avais envie, mais cette rencontre dans

le désert me laissait à penser que je me trompais peut être. En cet instant, regardant encore et

encore le personnage de cette image voler ainsi vers le ciel, j’ai ressentit plus que jamais

l’envie de conjurer le sort, de prendre un temps d’avance sur mes aventures et ce sans

attendre d’avoir sous les yeux les Rouleaux de la Vie. Ce bédouin avait rêvé de moi, peut

être en savait-il davantage que ce que ce dessin affichait, et pour le savoir il me fallait le

questionner.

_C’est moi n’est ce pas, vous m’avez vu en rêve ?

Il acquiesça, confirmant ce que je pensais sans cesser d’afficher son sourire que je trouvais

désormais presque inquiétant.

_Vous avez fait d’autres dessins ?

A ces mots il retourna dans son habitation avec précipitation, avec cet empressement brutale

qu’il avait eu à chaque fois, et qui me donnait toujours l’impression qu’il me plantait la…

Mais il revint, comme d’habitude, avec cette fois si plusieurs étoffe. Arrivé à ma hauteur il

trébucha, faisant tomber le petit tas autour de lui. Décidément, ce bédouin était un curieux

personnage…Il rassembla les morceaux de tissu à la hâte et me les tendit, un sourire gêné

sur le visage.

Une boule apparut soudainement dans mon ventre, s’il avait fait d’autres dessins, c’est qu’en

effet il en savait plus sur moi, mais quoi ? Il savait que je viendrais, savait-il ou j’allais et ce

que j’allais y trouver ?

Je me rapprochais à nouveau de la flamme, contemplant les traits noirs imprimés sur le tissu.

La première étoffe représentait le même garçon ailé mais un peu plus grand, entouré des

mêmes rayons que ceux de l’image précédente, comme s’il brillait. Il faisait face à une sorte

de masse que je devinais être une foule. A coté de lui un homme était à genoux, sans visage.

A ce moment la j’ai compris qu’il devait s’agir de mon discours lorsque j’étais possédé par

Espoir, devant le peuple d’Inoa. L’homme à genoux et apparemment abattu par mon aura

devait être Cadmus.

L’étoffe suivante représentait une fois de plus le garçon ailé, que j’avais décidément du mal

à imaginer être moi (j’étais quand même moins grossièrement taillé, enfin je crois), portant

cette fois ci un objet pointu et faisant face à une sorte de loup avec des pointes dans le dos.

Voir cette image la me serra le cœur, j’avais eu du mal à oublier ce passage et le voila qui

refaisait surface. J’entendais de nouveau les couinements de douleur de l’animal à chaque

coup que j’avais porté, je voyais encore son sang sur moi, et la douleur qui avait

suivie…celle d’avoir tué… J’avais depuis tué d’autres animaux, mais il s’agissait de

serpents et d’autres trucs de ce genre, qui me terrifiaient plus qu’autre chose ! Ce n’était pas

pareil…Ma gorge se serra douloureusement, et je tachai de passer à l’étoffe suivante en

chassant les cris de ma tête, espérant qu’ils s’arrêteraient vite cette fois ci.

La troisième étoffe me représentait entrain de grimper sur ce qui semblait être une montagne

dont le sommet brillait… L’olympe, j’imagine… Il ne restait que deux morceaux de tissu et

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j’étais déçu, je pensais en apprendre plus sur ce qui m’attendait mais ce bédouin ne dessinait

que mon passé, et pas le plus heureux...

L’avant dernière pourtant ne ressemblait en rien aux autres, et me laissait penser que peut

être l’ordre dans lequel je devais les voir avait été faussé.

Sur ce dessin on pouvait deviner des flammes partout, et je me trouvais au milieu d’elles.

Mais cette fois ci j’étais tracé différemment…Il me semblait deviner que dans les bras de

cette forme en traits noirs se trouvait quelque chose, quelque chose qui ressemblait à un petit

animal ou je ne sais quoi…L’image me laissa songeur, il ne me semblait pas avoir porté quoi

que ce soit dans les bras les dernières fois ou j’avais vu du feu, et puis… A voir la quantité

qu’il y en avait autour, il devait plus s’agir d’un temple avec des chandelles partout ou un

endroit du genre...Non, cela ne me disait rien du tout.

Au moment où je saisissais la dernière étoffe de tissu, le bédouin s’agita subitement et tenta

de me l’arracher des mains sans que j’ai eu le temps de la voir. Sur mes gardes je m’éloignai

d’un pas et me tournai vers lui, il ne semblait pas tranquille.

_ Qu’est ce qu’il y a ?

En réponse il tendit de nouveau la main, tentant de saisir le morceau de tissu, mais je ne le

laissai pas faire, son comportement était bien trop étrange.

_Vous ne vouliez pas me donner celui la, c’est ça ?

Et joignant le geste à la parole j’ai baissé les yeux vers le dessin, découvrant la chose étrange

qu’il ne voulait pas que je vois. D’un bond il se jeta vers moi et m’arracha l’objet avant de le

bruler dans le feu de sa torche qui produisit une flamme étrangement bleutée, mais je restai

prostré devant ce que je venais d’apercevoir.

Je n’avais vu l’image qu’une fraction de seconde, mais cela avait suffit pour que je n’oublie

aucun détail.

Le personnage que j’avais vu sur les images d’avant était à genoux, et son dos était nu.

D’ailes il ne lui restait que ce qui ressemblait à une unique plume, écrasée sur le sol par le

pied d’un être plus grand, et dessiné avec tant de brutalité que le noir de ses traits s’étalait

autour de lui, à la limite de la déchirure dans l’étoffe. Le vieil homme devait l’avoir dessiné

sous le coup de la colère et de l’empressement, car de délicatesse il n’y avait plus dans la

représentation de cet être. Il attirait le regard, et dans son dos s’étalaient deux ailes

immenses, griffées de la même manière, d’un noir qui se serait étalé sur mes doigts si j’avais

pu les y poser… L’image m’avait secoué, et tout autant la réaction de celui qui l’avait

dessiné.

_Pourquoi vous avez fait ça ?

J’avais du mal à contenir ma colère, j’étais fatigué, affamé, loin de tout et ce dessin était

peut être le seul qui représentait un semblant de futur, un futur qui ne présageait rien de bon,

et il me l’avait arraché !

_Vous avez dessiné ce truc la pour ne pas me le montrer ? Je comprends pas !

Au fur à mesure que je haussais le ton son regard changea, de gêné il devint désolé, mais ça

ne faisait qu’augmenter ma colère…Son mutisme m’agaçait ! Tout comme le silence de tout

le monde à mon égard, à croire que les gens devaient mieux connaître ma vie que moi, et

que c’était normal !

_Pourquoi dessiner des passages de ma vie pour me les cacher ? Il est où l’intérêt ?

Expliquez moi, gribouillez faites ce que vous voulez, mais dites-moi !

Il se contenta d’hausser les épaules avec un air désolé, et si je m’étais un peu plus intéressé à

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lui, j’aurais peut être remarqué qu’il commençait à avoir peur.

_Ok très bien, dans ce cas, plan B ! »

Électrisé par mon humeur je pénétrai dans la tente du vieil homme cherchant du regard

quelque chose, un morceau de tissu quelconque, de quoi écrire. Je ne me rendais pas compte

que tout ça ne me ressemblait pas. Dans ma tête les idées se succédaient, n’apportant que

confusion et malaise ; les questions tourbillonnaient sans réponse, et toujours cette

frustration de ne rien y comprendre.

L’intérieur de la tente était sommaire, une sorte de lit fait d’un vieux tapis aux couleurs

passées, et de par et autres des baluchons ouverts desquels on voyait dépasser des choses que

je ne reconnaissais pas. Dans un coin se trouvait le récipient dans lequel j’avais bu, et une

outre de taille moyenne d’où venait certainement l’eau. Et enfin j’aperçus un coin de tissu et

l’espèce de fusain dont il se servait je les arrachai et me retournais vers l’extérieur, calmé

mais toujours aussi déterminé. Ce n’est que sorti au dehors, me retrouvant face à l’homme

qui m’avait accueillit dans ce désert, à genoux face contre sable, que ma colère s’envola

pour laisser place à un malaise plus profond encore… Je terrifiais cet homme…

Une boule m’a saisit au ventre, quelle image affreuse je donnais de moi… Il voulait m’aider,

rien de plus, et si ça se trouve il ne savait même pas pourquoi il dessinait ma vie, juste un

instrument, comme moi…Et au lieu de le ménager, d’essayer de comprendre avec tout ce

que ça signifiait j’avais voulu m’en servir moi aussi. Si effectivement l’image que j’avais vu

me représentait battu par un autre, peut être avait il voulu simplement me préserver… Après

tout, n’avait il pas prit dans sa propre eau pour me venir en aide ?

Non cet homme n’était pas qu’un panneau dans le désert, il était un pion sur le même

échiquier que moi. Un pion qui peut être n’avait pas voulu jouer le jeu comme le voulaient

les joueurs…Et ma colère envolée, ne me restait que du mal-être devant lui qui semblait

m’implorer de comprendre.

J’ai alors reposé doucement ce que j’avais arraché de sa tente, et n’y tenant plus j’ai ouvert

mes ailes. L’homme releva la tête mais je n’eus pas le courage de le regarder dans les yeux.

De ma poche je sortis la boussole d’Espoir, n’y accordant pas même un regard, et je la lui

tendis, murmurant des excuses pour ma conduite. Et lorsqu’enfin je sentis sa main attraper

l’objet dans la mienne je m’envolai, troublé et honteux.

A partir de ce moment la, je n’ai plus suivit que ce qui me semblaient être mes propres

choix, jaugeant de la direction avec mon instinct. Lorsque j’avais traversé l’Italie pour

rejoindre l’ile d’Icare je ne m’y étais pas prit autrement, à la différence près qu’à l’époque

d’où je venais il y avait des panneaux pour se repérer, et la…pas vraiment. Après cette

curieuse rencontre je suis donc parti tout droit, dans la direction que j’empruntais avant

d’atterrir, et dès lors je n’ai plus posé le pied au sol avant de voir la mer.

Épuisé, déshydraté et brulé par ce soleil que j’avais eu le malheur de narguer de nouveau,

l’étendu bleue frappa mon esprit comme une délivrance, me redonnant un semblant de force

pour chercher un endroit ou me reposer et contempler la merveille qui m’était apparu. Le

soleil était haut dans le ciel, et la magnifique cote de ce dont je me rappelais être la mer

d’Oman resplendissait dans le paysage. L’eau turquoise me tendit les bras, et c’est cette fois

ci avec un plaisir presque pervers, et en dépit du bon sens, que je me suis laissé tomber dans

l’étendue azure. Mes brulures protestèrent violemment, et mes muscles endoloris par l’effort

que j’avais fournit semblaient avoir définitivement abandonné la partie. Je me serais presque

endormi dans ce bain providentiel ! Si mon ventre ne m’avait pas rappelé à l’ordre, de toute

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sa force et avec quelques pirouettes bien senties.

Sans boussole j’étais comme démuni, mais pas handicapé. A force de trouver ce qu’elle

m’indiquait, j’avais apprit à repérer les endroits ou je pouvais dénicher ce qu’il me fallait, et

tant et si bien en vérité qu’il ne me fallut qu’un instant pour me lancer sur la piste d’un

animal que j’aurais pu faire cuire sur ma pierre noire. Les traces laissées dans le sable me

conduisirent jusqu’à un trou entre deux rochers, et d’un savant coup de dague je dénichais

mon premier crabe.

Petit, j’adorais écouter les histoires que me racontait ma mère, lorsqu’elle-même était jeune

et explorait les rochers à marée basse pour trouver elle aussi des crabes mais aussi des

crevettes. Elle y allait souvent lorsqu’elle était de passage sur la côte, et à l’entendre, les

années avaient faites d’elle une professionnelle en la matière ! Elle avait apprit à reconnaître

chaque mare susceptible de convenir, chaque rocher suspect, chaque interstice ou grouillait

la vie laissée la par la marée. Que dirait-elle si elle me voyait comme ça, tel un sauvage

brandissant un crabe au bout d’une vieille dague ? En cet instant de nostalgie je réalisais

combien je pouvais me sentir seul depuis quelques temps, j’avais besoin de savoir que

quelqu’un m’attendait quelque part, même si ce n’était que le fruit du quotidien…Cela

faisait plus d’une semaine que j’avais quitté Inoa et Terra, mais cela me semblait une

éternité.

Mais ce qui ne m’avait pas lâché d’une seconde pendant la journée c’était le dessin du vieil

homme du désert. Je revoyais encore et encore sous mes paupières cette silhouette noire et

maléfique, et je ne pouvais m’empêcher de me demander qui cela pouvait bien être. Était-il

possible que quelqu’un soit destiné à me voler mon don ? Que mon chemin s’arrête aussi

stupidement, à genoux devant un autre ? Je ne pouvais pas le croire, et à vrai dire je

n’arrivais même pas à concevoir cette réalité la. Tout cela était si…Abstrait, si loin de moi et

de ce que je vivais à présent. C’était comme si aucun de ces dessins ne me concernait

vraiment, et pourtant…Je ne savais pas dans combien de temps, ni ou, mais cette possibilité

existait, et elle m’obsédait, même avec une nourriture dont j’avais rêvé roulant sous le

palais.

Et mon voyage dura ainsi longtemps, des semaines durant j’ai volé, encore et encore. J’ai

traversé le golf d’Oman, longé les cotes du Pakistan, survolé l’Inde et ses forets tropicales

jusqu’au Bangladesh, parcouru le ciel du Myanmar, du Laos et du Cambodge jusqu’au golf

du Tonkin. J’ai enfin accroché les cotes de la Chine le trente et unième jour, et de la j’ai

commencé mon ascension vers la mer Jaune en direction du golf de Po Haï.

Je ne savais pas du tout ce qui allait m’attendre là-bas, à Pékin, ma seule certitude était que

l’un des actes de mon destin se déroulerait en ces lieux, et peut être pas forcement en bien...

Mais le simple fait de sentir mon but s’approcher m’avait redonné du courage ! Des jours

que je n’avais pas vraiment le moral. Je ruminais des pensées sombres, je mangeais peu,

volais beaucoup, à tel point que je commençais à voir mes cotes apparaître, et lorsqu’au

trente deuxième jour je suis arrivé en vue du détroit de Taïwan il faisait sombre au-dessus de

la mer, mais j’étais déterminé à foncer malgré la fatigue, animé par l’envie d’en finir avec ce

périple.

Une tempête était sur le point d’éclater, le ciel était noir d’ébène et je pouvais sentir jusque

dans mes ailes que l’air était électrique, j’aurais du me mettre à l’abri au plus vite, mais ce

jour la je pensais réussir à échapper à cette monstruosité.

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Ma prétention et mon inconscience firent que je me retrouvai bien vite ballotté de

bourrasques en vents violents sans pouvoir contrôler ma direction dans le déchaînement des

éléments. La tempête n’avait pas tardé du tout à me faire regretter mon choix tactique et je

me pris ce jour là plusieurs débris venant du continent, bout de bois et sable, mais ma peur

me faisait oublier mes douleurs. J’étais impuissant dans la tempête et je n’avais même pas le

temps de pester contre moi-même tant j’étais bousculé. Ma folie me perdait de nouveau,

comme elle l’avait fait au milieu de la mer Égée, et ce n’étaient pas les vagues tranchantes

qui allaient me faire penser le contraire en cet instant. Malgré tout cette fois ci, au fil des

courants et au prix d’efforts insensés pour mon état physique, je parvins à rejoindre la plage

la plus proche. Épuisé et en colère, je me suis trainé loin du rivage et des vents déchainés,

trempé et blessé dans mon amour propre. Au-dessus de l’eau on pouvait voir les trombes

d’air et d’eau desquelles j’étais parvenu à sortir avec difficulté, et je pouvais mesurer

combien ma prétention pouvait me porter préjudice si je ne faisais pas un tant soit peu

attention à ma vie. Je me suis posé sur cette plage avec la tête un peu tournante et je me suis

adossé sur un arbre en attendant que se calment les vents et mon pouls avec.

Et ils mirent plusieurs heures, des heures interminables, tout au long desquelles j’ai pu

ressasser encore et encore les leçons que j’avais tiré de mon empressement. Cela faisait

longtemps que j’étais partie, alors un peu de temps en plus…Je me suis reposé autant que

j’ai pu, prenant la peine ce jour la de ne pas me contenter de fruits comme je l’avais fait

plusieurs fois les jours précédents. Je m’efforçais de garder en tête l’objectif que je m’étais

donné, pour ne pas trop déprimer et être tenté d’abandonner…En Inde l’envie de m’arrêter

dans un village m’avait tenaillé des heures durant, à ce moment la mon périple me semblait

tellement long que je me disais que vivre un peu parmi les gens, arrêter de voyager quelques

temps pouvait me faire du bien, mais j’avais tenu… Je n’avais jamais vraiment prit le temps

de prêter attention aux paysages que j’avais croisé sur ma route, des paysages variés, le golf

du Bengale, le golf du Tonkin avec ses nombreux petits villages de pêcheurs. Ils m’avaient

regardé passer comme s’ils voyaient passer un train ou même un avion à notre époque,

comme une chose que l’on connaît mais qui nous surprend toujours, tant elle est rare dans la

vie de tous les jours. Mais je ne m’étais pas arrêté pour leur parler ou simplement pour vivre

quelques instants de vie avec ces gens d’une autre culture. J’aurais voulu, mais je regardais

tout le temps devant moi, sans jeter le moindre coup d’œil aux civilisations qui me

découvraient ou m’observaient en train de passer, comme une pub à la télé. J’étais la sur

cette plage, à me demander encore une fois pourquoi j’avais entrepris ce périple, pourquoi je

me faisais suer sang et eau pour rejoindre un pays que je n’avais vu que dans mes livres

d’écolier, pourquoi je courais après une ombre, la mienne, espérant ne pas m’être trompé

dans mes choix...

La tempête se calma au bout d’un long moment, et c’est un paysage nouveau que je

découvris en dessous, un paysage baigné dans la sérénité et le calme de la Mer Jaune. Ici sur

la plage, il n’y avait pas de trace de vie humaine et j’avoue que je trouvais ça dommage,

parce que s’il y avait quelque chose que j’avais envie de voir à ce moment précis c’était bien

des êtres humains, et pourquoi pas un matelas aussi.

Le soleil se remit alors à briller, nimbant le paysage d’un couleur dorée étrange à l’approche

du crépuscule. Il n’était alors plus celui que j’avais connu dans le désert, celui qui avait brulé

ma peau sans remords, il semblait désormais bienveillant, et apaisait mon esprit. Mon corps

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portait encore les traces des épreuves qu’il m’avait fait endurer, mais assis sur le sable je

regardais les lambeaux de ma peau partir dans le vent. Les fines lamelles de ma chair

s’envolaient doucement, ondoyant dans l’air avant de prendre la direction du souffle de la

mer Jaune, emportant avec elles ce que j’avais été et les peines qui avaient été les miennes

plus tôt dans mon voyage. Chaque jour avait participé à faire de moi quelqu’un de nouveau,

et chaque lambeau en moins découvrait un peu plus une peau rosée et neuve, celle du garçon

que ce voyage avait fait de moi. J’avais appris à vivre seul, à ne compter que sur moi-même,

j’avais appris à connaître mes forces et mes faiblesses, j’avais compris que le monde ne

s’offrirait pas à moi. Les peaux mortes que j’ôtais de mes épaules m’enlevaient le poids

d’une partie de mon insouciance, traits inutiles et fanés de ma personnalité, comme si le

soleil en personne avait fait ressortir sur mon corps l’évolution de mon âme…

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Je suis reparti le lendemain, après une courte nuit passée sur la chose dont j'avais

rêvé qu'elle était un lit douillet, mais qui n'était rien de plus qu'une espèce de matelas de

feuille, qui grattaient en plus. J'ai eu la chance de trouver rapidement quelques baies

sauvages, avalées bien vite avec l'espoir qu'elles ne me donneraient pas de nouveau des

maux de ventre, ou alors juste ça et pas le reste... Il n’y avait plus beaucoup de route à faire

entre moi et la cité interdite, car c’est bien la que j’allais, là où devaient en théorie se trouver

les rouleaux de la Vie, ou au moins des informations dessus.

Je suis arrivé en vue de ce qui me géographiquement me semblait être Pékin quatre jours

plus tard, la fatigue m’ayant retardé. Je ne fus pas mécontent de retrouver de la vie autre

qu’animale, mais ce que je vis, eh bien je ne l’aurais jamais imaginé, pas même dans mes

plus étranges rêves.

Pékin à l’époque semblait peu peuplée, et de nombreuses maisonnettes à toit pointues,

semblables à celle que j’avais pu apercevoir depuis le ciel au cours des jours suivants,

composaient le paysage bien avant que je ne distingue ce qui semblait être le cœur de

l’endroit que je m’étais donné pour but. Ce jour la je me souviens qu’il ne faisait pas

particulièrement beau, le vent soufflait par intermittence, me faisant faire de temps à autres

quelques embardées, mais j’avais connu bien pire. Parfois l’on voyait poindre un rayon de

soleil, éclairant ça et la des endroits dans la campagne environnante, à la manière de

poursuites du théâtre contemporain. La ville, si on pouvait l’appeler ainsi, était belle et

paisible, mais n’avait absolument rien de ce que j’imaginais. Je pensais arriver vers une

grande citée recouverte d’habitations qui se prosternaient face à de grand remparts pourpres,

mais il n’y avait rien de tout cela. Si c’était vraiment Pékin -à condition qu’elle ait portée ce

nom la à l’époque ou je me trouvais- elle n’avait rien d’une capitale ! Et ce qui flottait ce

jour la dans l’air ce n’était pas l’aura d’un quelconque pouvoir impérial, mais la fumée

sombre et étouffante d’un incendie, un incendie dans une grande bâtisse située en retrait,

bien plus grande que ses homologues de la cité même, et plus richement décorée.

Je ne connaissais rien ou presque de la Chine, je savais juste, enfin c’est ce qu’il me

semblait, que la cité interdite devait se trouvait ici... Mais alors, se pouvait-il qu’elle ne fût

pas encore bâtie ? Dans ce cas, comment pouvais-je poursuivre ma quête…J’espérais y

trouver un indice, que sais-je, quelque chose pour me mener vers ces fichus rouleaux ! Mais

il n’y avait rien à Pékin, rien d’autre qu’une espèce de gros village et cette maison en

flammes.

Désarçonné et déçu, je me suis posé et j’ai marché vers la foule, sans trop savoir quoi faire

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de plus… Une sorte de panique régnait tout autour de la grande bâtisse et nul ne me prêta

attention alors que je fis rentrer mes ailes, avant de me joindre à la foule amassée face au

feu.

Les gens semblaient prostrés, d’autres criaient des mots dont je ne saisissais pas le sens à

l’encontre d’autres qui tentaient de maitriser les flammes à l’aide de seaux d’eau. La foule

était en grande partie constituée de paysans, parmi lesquels certains se distinguaient un

contingent d’hommes auxquels semblaient appartenir certains des « pompiers ». Ces

hommes là portaient des sortes d’armures faites de plaques de métal sombre sur des lanières

de cuir, et ceignaient tous une longue épée au fourreau richement décoré. A en croire leur

sérieux et leur alignement il devait s’agir là de soldats, mais la raison de leur réserve face à

l’incendie ne m’apparut qu’un instant plus tard. Le groupe constitué de six hommes

entouraient une femme dont je su tout de suite qu’elle n’était pas n’importe qui. Sa robe

d’un rose clair aux motifs colorés était d’une richesse qui n’était pas du coin, et jurait

également avec son attitude. A en juger par son apparat et sa garde rapprochée sa présence

en ces lieux n’était pas anodine, la grande maison qui brulait devait être la sienne, mais

quelque chose me disait qu’elle ne pleurait pas pour ce simple incendie…

De près, la maison était bien plus impressionnante que depuis les airs. Du haut de ses cinq

étages, elle dominait tout le paysage, et en dépit des flammes les rares décorations que l’on

devinait encore laissaient à penser qu’elle devait être magnifique. Mais le feu semblait

habiter complètement la bâtisse, hantant l’intérieur des murs rouges sombres d’une clarté

inquiétante ; sous ce toit aux pointes défiant le ciel couvait une fournaise qui ne laisserait

rien indemne, et ce n’était pas quelques seaux qui l’arrêteraient… La chaleur qui en émanait

me rappela soudain celle du buisson dans le désert, enflammé par ma torche agonisante…

Comment ce feu s’était-il déclarer ? La femme qui sanglotait au milieu de ses gardes se

trouvait elle à l’intérieur au moment ou tout avait commencé ?

On aurait dit que cette noble prostrée devant les flammes était quelqu’un de très important

mais je n’avais aucune notion des convenances de politesse avec la noblesse, je ne pouvais

pas tenter de lui adresser la parole pour en savoir plus… J’étais simple spectateur de son

malheur, comme l’étaient les dizaines de personnes rassemblées autour d’elle. Mais elle était

seule, mis à part ses gardes du corps et ses conseillers, et à en juger par son attitude, aucun

proche, aucun ami ne se trouvait à ses cotés. Elle semblait dans un état d’affolement avancé,

elle criait, pleurait à gorge déployée…

Je pris alors le parti de m’approcher un peu pour entendre ce qu’elle disait dans la cohue. Je

ne savais pas trop pourquoi, mais je me voyais mal rester à rien faire, les bras ballants, alors

pourquoi pas assouvir ma curiosité. J’eus quelques difficultés, la foule dense du peuple

hypnotisé par le gigantesque brasier ne se laissait pas traverser facilement. A une poignée de

mètres seulement je parvins tout de même à entendre sa voix, par delà les paysans et sa

garde personnelle, mais je n’arrivais pas à comprendre ce qu’elle disait…

Une femme se trouvait à coté de moi, tournée elle aussi vers mon inconnue. Elle semblait

elle aussi bouleversée, mais elle n’était pas vêtue comme la majorité de la foule, ni aussi

richement que celle qui m’intriguait. Alors que je j’essayais d’avancer un peu plus, je

l’entendis tenter de s’adresser à cette mystérieuse femme qu’elle connaissait visiblement,

mais qui ne tourna pas une seule fois les yeux vers elle.

Je ne l’ai réalisé que plus tard, mais je venais de découvrir à cet instant précis qu’en ces

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lieux comme à Inoa, les gens parlaient ma langue ! Un mystère qui étonnamment ne me

surprenait pas plus que ça, comme s’il était un cadeau de plus venu du ciel pour mon

voyage.

Tentant alors ma chance, c’est vers cette petite et modeste dame que je me tournai,

l’interrogeant sur ce qu’il se passait. Elle était, mais ça je ne le découvris que plus tard, la

nourrice de l’enfant qui vivait dans cette demeure. Et je n’ai pas tout à fait compris ce

qu’elle m’a dit à cet instant précis, pourtant la certitude qu’elle m’insuffla dès ses premiers

mots éclata dans mon esprit avec une clarté sinistre : le jeune garçon se trouvait encore à

l’intérieur.

Je crois que ce que j’ai ressenti à ce moment là m’a été inspiré par cette pauvre nourrice.

Désemparée par ce spectacle, elle ne savait pas ce qu'elle pouvait faire, ni même quoi dire à

la femme qui l'avait engagé... Mais moi, je pouvais peut-être agir. Pas seulement pour elles,

mais aussi pour moi, parce que je n’avais rien pu faire pour ma mère, parce que j’avais été

impuissant, que j’étais arrivé trop tard. Je devais tenter quelque chose pour aider cette

famille, qu’elle soit noble ou pas. Je ne savais pas comment allait réagir la foule quand elle

me verrait, j’étais à eu près passé inaperçu jusqu’ici, j’avais tout fait pour mais là je n’avais

nulle autre alternative que de faire vite.

J’ai ouvert mes ailes dans un claquement, faisant place nette autour de moi. Les gens firent

volte face, sauf la riche propriétaire qui ne quitta les flammes de ses yeux larmoyants que

pour les y reposer, sans même me remarquer. Qu'importe, un petit garçon se trouvait la

dedans, je n'avais pas le temps de faire le héros.

D'un coup au sol je me projetai dans les airs, avant de voler jusqu’au fronton de la bâtisse,

cherchant une fenêtre ou une issue par laquelle je pourrais me glisser sans trop de risque de

me brûler. La chaleur me repoussa une première fois, m'obligeant à prendre plus d'élan pour

traverser le nuage noir qui s’échappait de la petite fenêtre ouverte au sommet de la maison,

juste sous le toit. Je m’y glissai rapidement, me retrouvant bien vite dans l’un des couloirs

qui par chance ne brulait pas, mais était envahie par la fumée des étages inférieurs. Je ne

devais pas perdre une minute, sans quoi cet étage pourrait lui aussi se mettre à flamber. Je

me suis alors mis à courir droit devant moi, après avoir rentré mes ailes pour ne pas les

enflammer, mais pour aller ou...

Je zigzaguais de couloirs en couloirs, plier en deux pour ne pas respirer trop de fumée et

cherchant des escaliers pour passer au niveau inférieur, étouffant peu à peu. Le nuage noir

avait prit possession de toutes les pièces, ne me laissant entrevoir que le sol à mes pieds et la

lueur criminelle du feu qui poursuivait son œuvre. Au bout d'un moment je parvins malgré

tout à descendre, découvrant un étage bien plus envahit encore...et plus aucune possibilité de

rejoindre les niveaux d’en dessous. Les flammes me toisaient, et les portes de toile et de bois

avaient laissés place à de multiples brasiers qui menaçaient de faire s'effondrer toute la

structure d'un moment à l'autre. C’est certain, si je ne me dépêchais pas il serait trop tard...

Au moment où j’eus cette pensée, une forme dans l’une des pièces attira mon attention,

j’étais passé devant rapidement un instant plus tôt, trop occupé à tousser pour regarder, mais

à cet instant de petits toussotements étouffés par le crépitement du bois étaient arrivés

jusqu'à mes oreilles. Au fond de cette chambre léchée par les flammes il y avait quelqu'un,

mais ce n’était pas un enfant, non, c’était un adulte avec une toux d’enfant. Je m’approchai

prudemment, un tissu sur le nez pour atténuer les effets de la fumée, et constatai avec effroi

qu'il ne s'agissait pas d'un être mais de deux qui se trouvaient là, sauf qu'un seul vivait

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toujours.

J'ai alors retourné doucement le corps inerte de celui qui devait être un précepteur,

découvrant la source des bruits. Le jeune garçon, âgée environ de dix onze ans, devait avoir

vu son maitre mourir en essayant de le protéger et il s’était résigné à faire de même. Les

yeux clos, il toussait de plus en plus faiblement, le visage contre le plancher fumant.

Oubliant que j'étais en présence d'un cadavre, j'ai enlevé rapidement le corps avachi sur

l'enfant et j'ai tenté de le rassurer autant que je le pouvais à ce moment là. Il perdit

connaissance rapidement, et devant mes yeux ruisselant de larmes à cause de la fumée j'ai vu

à mon tour des étoiles danser. Mes efforts jusqu'à présent s'étaient montrés un gouffre

d’énergie, et le manque d'air menaçait de m'emporter si je n'agissais pas vite. Le craquement

sinistre de la charpente au dessus de ma tête à alors agit comme un électrochoc.

Reprenant tout à coup mes esprits, j'ai serré dans le creux de ma main le pendentif ailé que

j'avais reçu des dieux, et l'espace d'un instant je me suis senti plus fort. J'ai alors prit l'enfant

dans mes bras et je me suis élancé vers le couloir. Je devais trouver une fenêtre coûte que

coûte, et pour cela il fallait que je trouve une autre chambre à peu près épargnée par

l'incendie, comme celle que j’avais utilisée pour entrer. Le jeune garçon était inerte et j’avais

du mal à le porter, je n’avais pas une force colossale et l'adrénaline dans mes veines

commençait déjà à s’épuiser.

Les minutes nous étaient comptées, cela faisait un moment que j'étais rentré dans la maison

en feu et je commençais à suffoquer. Mes yeux me brulaient et ma vue à se brouiller de

nouveau, je pouvais clairement sentir le petit cœur de l’enfant ralentir contre moi tandis que

la chaleur des flammes me léchait le visage. A mon tour je me sentis mal, mon esprit

s'enfumait, je ne trouvais pas de sortie. Ressentant les premières brulures sur mon corps je

courrais dans les couloirs, sur le plancher qui brûlait lui aussi et qui par endroits craquait.

Tout à coup mon pied s’enfonça violemment dans un trou et je fus pris de panique, une

poutre se détacha du plafond et se fracassa derrière moi dans un grondement qui ébranla la

maison toute entière. Il fallait que je sorte, et vite, je n’avais plus de choix possible. Je

rentrai dans la première pièce qui se présenta, qui possédait une unique fenêtre aux volets

fermés et rougis. Un tremblement terrible accompagné d'un craquement sourd secoua la

bâtisse et je pris mon élan, m’élançant de toutes mes dernières forces contre la fenêtre qui

vola en éclats.

J'heurtai la lucarne d'un coup d'épaule et passai à travers dans une explosion de braise et de

bois noircie, le garçon toujours dans les bras. Ce qui suivit, je ne m'en souviens que

vaguement, comme un rêve vu par le prisme de mon esprit noircit par le feu:

L'air pur, si soudain, et le vide sous mes pieds. Mes bras crispés sur ce corps qui ne bougeait

toujours pas, le mien qui n'était qu'une gigantesque brulure et mon épaule endolorie, la

chute. Le pendentif porté par le vent contre mon visage, la chaleur vive dans mon dos et mes

ailes se déployant avec force, comme au ralenti. Mes pieds heurtant le sol avec violence et

mes genoux cognant une pierre, le corps du garçon par terre et son visage crispé tourné vers

le mien. Les gens courant dans mon dos, fuyant le fracas infernal de la maison s'effondrant,

puis un nuage de fleurs roses se posant sur mon protégé. Et alors que ma vue s'envola à son

tour ainsi que ma conscience, une seule pensée: l'espoir, celui d'avoir réussit.

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D’une manière générale je n’aimais pas vraiment subir les aléas de mon propre corps, mais

j’avoue qu'au moment ou je revins à moi, j’étais plutôt heureux d’avoir pu lâcher la soupape

et me reposer un peu. Je me suis éveillé doucement dans un endroit féerique, d’une beauté

qui m'aurait coupé le souffle si je n'étais pas content de l'avoir justement retrouvé… c’était

dans un grand lit, richement orné et confortable comme jamais, dans une chambre aux

allures oniriques entourée de panneaux de toile blanche immaculée. Je crois que de souvenir

je n’ai jamais été aussi heureux de me réveiller. J’en soupirais de bonheur! Et j’aurais été

tenté de m’assoupir de nouveau dans le confort de cette magnifique pièce, si la curiosité qui

était mienne ne m'avait pas poussé à me lever pour en découvrir davantage. Ma mémoire se

réveilla doucement alors que je me redressais sur mes jambes et que je constatais chaque

seconde un peu plus la richesse de cet endroit. Je pouvais reconnaître aux murs que je

n’avais pas quitté la Chine, et je n’étais assurément pas dans le « Pékin village » que j'avais

découvert en arrivant, puisque je n'avais pas aperçu de demeure en apparence si aisée depuis

les airs, hors mis celle qui avait brulé.

J'étais à ce sujet moins blessé que ce que j'imaginais, malgré quelques douleurs je me portais

plutôt bien en fait. Mon genou arborait la trace de mon atterrissage ainsi que mon épaule

celle du choc avec la fenêtre, mais hors mis cela et quelques brulures par endroits, j'étais

indemne. Cette chance insolente ne pouvait venir que du pendentif, j'en étais certain,

d'ailleurs celui ci ne m'avait pas quitté et resplendissait comme jamais, un peu comme si l'on

avait prit soin de lui aussi. Tout semblait parfait, jusqu'aux vêtements que quelqu'un avait

disposé à mon égard dans le coffre d'ébène au pied du lit; Et alors que j'enfilais la longue

tunique d'un bleu sombre qui sentait bon les fleurs, je songeais à ce qu'aurait été ma vie si

j’étais né ici, à cette époque. Je n'avais rien vu de la vie de tous les jours, pas même parlé

avec la moindre personne! Mais le sentiment de sécurité et de bien être qui m'envahissait

depuis mon réveil enchantait mes sens. Ces vêtements étaient magnifiques, cet endroit était

magnifique ! Je me sentais comme des années auparavant, comme un gosse qui se déguise.

Je m'imaginais en seigneur, je jubilais de m'étendre dans ce grand lit, je me voyais déjà avec

une grande épée comme celle de ces gardes que j'avais vu. C'est à cet instant qu'un souvenir

de l’incident de la veille brisa ma rêverie et avec lui mon sourire niais. Je me suis demandé

comment se portait le jeune garçon, je ne l’avais pas vraiment vu après mon atterrissage

forcé, et sa mère... Il fallait que je les voie et que je sache, il serait bien temps de rêver

ensuite! Je me suis alors dirigé vers la cloison richement décorée qui fermait la chambre, et

je suis descendu dans le jardin.

J’avais rarement vu un endroit aussi beau, toutes ces fleurs, ce ruisseau qui coulait

doucement sous ce petit pont de bois vernis, ce petit chemin en dalles de pierre ; Nous

devions être au printemps pour avoir de si belles couleurs… En voyant l’intérieur je m’étais

quelques peu attendu à être surprit, mais pas à sourire bêtement juste parce que je trouvais ça

beau ! Tout ici respirait la tranquillité, du genre de celle qu'on voit dans les livres sur les

bonsaïs, à ceci près qu'une photo n'aurait jamais pu être fidèle à ce que je voyais. Je suis

descendu doucement, épousant de la plante des pieds les dalles de pierre étonnamment

douces. Oui, celui qui habitait ici n’était pas n'importe qui, car cette demeure était loin de

tout ce que j'avais vu jusqu'à présent. Le jardin se lovait au milieu de hauts bâtiments d'un

pourpre harmonieux, qui faisaient plus l'effet d'un écrin que d'une muraille, et une galerie à

leur base permettait d'admirer les lieux sans s’inquiéter de les entacher.

J'ai passé quelques instants à regarder les lieux, oubliant la pensée qui avait été la mienne

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avant que je ne franchisse le pas de ma chambre, flânant parmi des fleurs dont j'ignorais le

nom, et parfois même celui de leur couleur elle même. Au détour d'un petit chemin je

trouvai un banc de pierre, sur lequel mes fesses amorcèrent leur atterrissage avant de

remarquer que depuis quelques minutes j'étais observé. A quelques pas de moi seulement se

trouvait la femme que j'avais vu la veille, la mère du garçon qui se tenait timidement derrière

elle...

Dans la précipitation et la panique, je me relevai avant de me prosterner comme je l'avais vu

faire dans certains films, un genou à terre et la tête basse. J'avais oublié dans mon

empressement ma toute nouvelle blessure, et à en juger par le rire contenu de ma spectatrice

mon salut ne devait pas être très gracieux...Ne sachant plus ou me mettre, j'ai gardé la tête

basse et j'ai attendu, honteux, et c'est alors qu'elle s'est mise à parler.

_« Ainsi vous voilà, vous à qui je dois la vie de mon fils. Vous recevrez les honneurs qui vous

sont dues, ainsi que vous les méritez. Mais j'ignore à qui je dois les adresser, qui êtes vous ? Ces

ailes que vous possédez sont un cadeau rare, et ceux qui reçoivent un tel don sont surement

dignes de confiance. Votre cœur doit être pur et votre âme bonne, il ne peut en être autrement,

surtout après ce que vous avez fait pour nous. Vous n’avez pas de compte à me rendre ni de

révérence à avoir à mon égard, c’est moi que vous suis éternellement reconnaissante, et avec moi

tout un peuple.

A ces mots elle esquissa le mouvement que j'avais tenté de faire plus tôt, et avec elle le petit

garçon qui n'avait pas prononcé le moindre mot. J'en suis resté bête, et surtout embarrassé. Nous

étions trois agenouillés en face l'un de l'autre, et personne n'osait dire quoi que ce soit.

_Je euh...enfin vous êtes pas obligés de faire ça, jveux dire, j'ai simplement aidé comme j'ai

pu...Je ne sais même pas qui vous êtes, sauf le respect que je vous dois madame...

Mon cœur s'était gonflé de fierté et de joie dès l'instant ou elle avait commencé à me parler,

j'avais réussit ! Et mieux encore, on m'estimait! Et même si j'ignorais tout de l'identité de ces gens

la, je savais que les choses pouvaient être plus simples ici, ils souriaient encore tous les deux !

Ma renaissance en Chine commençait sous les meilleurs auspices, et aussi une drôle d'ambiance.

_Eh bien, quelle curieuse manière de parler! Relevons nous et discutons un instant, je me réjouis

d'en apprendre un peu plus sur vous ! Mais avant tout, que diriez-vous de boire quelque chose? »

Et c'est ainsi que j'ai fais la connaissance de Mei Ling, veuve d'un général haut gradé de l'armée

de Liu Bei, et de son fils, le jeune Jiang.

En apprenant qui elle était, j'avais compris d’où venait cette impression de solitude qu'elle m'avait

donnée plus tôt, son mari était mort lors d'une campagne et elle était restée seule à s'occuper de

ses terres, confiant son enfant au précepteur et à la nourrice que j'avais croisé. Après l'incident

nous avions quitté Youhzou (Pékin donc) pour rejoindre les terres d'un ami de la famille. Je ne

comprenais pas grand chose aux intrigues politiques qui étaient les leurs, mais j'étais surpris de la

facilité avec laquelle cette mère se confiait à moi. Elle avait besoin de parler, et on pouvait sentir

dans son ton qu'elle n'en avait pas souvent l'occasion. Autant de proximité d'un coup me mettait

surtout mal à l'aise, je n'en avais pas demandé tant...Mais elle semblait vouloir me faire

confiance, et c'est peut être ça qui me poussa à lui raconter mon histoire à mon tour.

Je crois que le plus dur fut de la regarder dans les yeux, et plus encore parce qu'elle ne quitta pas

les miens avant que je n'eusse terminé mon récit, et Jiang fit de même, un grand sourire sur le

visage. Je n'avais pas l'habitude qu'on me prête autant d'attention, même après mon aventure avec

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Terra. Pas une fois elle ne douta de mes paroles, à croire que tout ce que je racontais était

monnaie courante, et lorsqu'enfin j'eus terminé c'est le jeune héritier de feu Xian Ling qui

paraissait le plus enthousiaste. La mère le laissa manifester son intérêt avec un œil complice, il

débordait d’énergie. De séquelles il ne semblait rien avoir gardé que quelques quintes de toux

quand il s'emportait trop et quelques égratignures de rien du tout. Le voir ainsi me faisait chaud

au cœur, je vivais tout cette journée comme dans un rêve et c'est son sourire qui en était le soleil,

un soleil qui à lui seul justifiait ma présence en ces lieux.

Il voulait savoir d’où je venais, de quoi je vivais, il voulait tout connaître et sa curiosité était sans

limite ! Ce petit bonhomme était tellement loin de ressembler au corps inerte que j'avais du

porter. C'est à cet instant précis que m'est revenu en mémoire le dessin de l'homme du désert... Ce

n'était pas une scène du passé qu'il m'avait montré, mais une scène de l'avenir ! Ce n'était pas un

temple dans lequel se trouvait le personnage qui me représentait, mais cette maison en feu, et ce

qu'il portait... Les pièces du puzzle se mettaient en place à toute vitesse dans ma tête, ce garçon

devait avoir une importance particulière dans mon existence, j'en devins persuadé; Et c'est ainsi,

en buvant un thé que je ne trouvais pas terrible, assis dans un jardin de paradis, que je me suis

promis de tout faire pour répondre à ses questions. Je savais ce jour là que je serais amené à

passer du temps avec ce petit gars.

La fin de la matinée se passa ainsi tranquillement à forces de bavardages et de découvertes pour

moi. J’avais tout à apprendre de leur civilisation, les livres de l’époque d’où je venais étaient bien

en peine de retranscrire le quotidien tel qu’il était vécu, et je dois dire que pour moi il

commençait agréablement ! Mei Ling était une dame charmante et intelligente, on sentait dans sa

voix l’assurance qu’elle avait du prendre après la mort de son époux, mais aussi les difficultés

que ça comprenait. Elle devait être forte, d’autre seigneurs la courtisaient et enviaient ses terres,

et surtout elle devait l’être pour Jiang. Celui-ci était d’une lucidité étonnante pour son âge, plus

d’une fois ce jour la il fit des promesses à sa mère de la protéger et de l’aider, malgré sa petite

taille, et contre toute attente, c’est même lui qui aborda le sujet des Rouleaux.

J’en avais parlé rapidement, mais juste assez pour ne pas paraître ingrat de l’accueil que l’on me

faisait, en revanche ça n’avait pas échappé au jeune garçon que mon histoire passionnait.

Selon lui, les Rouleaux ne se trouvaient pas ici, et à vraie dire il ne s’agissait que d’une

légende, mais des chercheurs étaient partis à leur recherche dans le nord où ils étaient sensés

se trouver. Je soupçonnais le défunt précepteur de l’enfant de l’avoir instruit sur ces choses

là, et même assez précisément, mais j’étais tout de même surpris de la précision de ce qu’il

en avait retenu. Mon voyage prenait donc un coup d’arrêt, d’une manière qui aurait pu être

décevante si mes hôtes n’avaient pas immédiatement proposé que je ne reste parmi eux

quelques temps, au moins jusqu'à ce que les recherches donnent des résultats, quels qu’ils

soient. Ceux-ci pouvaient mettre un moment avant d’arriver, le nord n’était pas sur à cette

époque. Un général rival de Liu Bei tenait la majeure partie du territoire, et les tensions entre

les deux armées rendaient difficile la circulation, les recherches se faisaient dans le plus

grand secret.

Je pensais faire ainsi, il m’aurait été inutile de risquer de me faire abattre alors que des

équipes entrainées étaient plus aptes à trouver ce que je cherchais. Mais que pouvais-je bien

faire en attendant, et combien de temps cela allait-il durer ? Tellement de questions se

posaient… Et je n’eus pas toutes les réponses le jour même, à vrai dire je n’en eus même

qu’une seule, le soir même.

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La journée s’était écoulée paisiblement en compagnie de Mei Ling et de son jeune fils, après

avoir bu le thé (qui définitivement me laissa un poids sur l’estomac), nous sommes allés

nous promener à cheval par delà les murailles, et la ballade aurait surement été plus

charmante encore si j’avais su monter… Car en effet ce ne furent pas les quelques gardes qui

nous accompagnèrent qui me mirent une fois de plus mal à l’aise, mais bel et bien l’animal

sur lequel j’étais perché ! J’étais un bien piètre cavalier, et à dire vrai ce ne devait être que la

troisième ou quatrième fois que je m’essayais à l’équitation. Ce qui n’échappa bien sur pas à

mon jeune ami et à sa mère, qui rirent ce jour la bien plus qu’en une semaine. Cette bestiole

prenait un malin plaisir à brouter à la moindre occasion, comme si elle avait attendu de partir

avec un cavalier pour s’offrir un buffet à volonté d’herbe fraiche ! Du coup à force de piler

en permanence attiré comme un aimant par quelques touffes, je fus bien vite agacé de cette

activité, mais je tachais de ne rien en montrer, tant bien que mal. Mon estomac sur pattes –

dont le nom ne m’intéressait que dans l’optique de l’éviter comme la peste les autres fois- se

fit bientôt distancer, au grand dam de la compagnie qui dut s’arrêter pour m’attendre. Et ce

ne sont certainement pas mes coups de talons frénétiques qui ont arrangé mon amour pour

cet animal. Piqué au vif celui-ci s’élança directement au galop, me ballotant comme un fétu

de paille. Dépassés mes hôtes, il continua furieusement, et j’aurais pu comprendre qu’il

s’agissait la d’une espèce de vengeance si une branche ne m’avait pas stoppé net et dans mes

réflexions, et tout court. Au bruit de mon sang tourbillonnant dans ma pauvre cervelle

succéda celui des rires bien vite étouffés de mes spectateurs, foutue bestiole…

Le constat fut sans appel, et la sentence irrévocable : Jiang m’apprendrait à monter à cheval,

quant au reste, mon « sens du divertissement » devint l’une des raisons que firent

officiellement de moi le précepteur du jeune garçon.

Cela ne m’avait pas traversé l’esprit une seconde, jusqu'à ce que Mei me le propose au

retour de la promenade, alors que je marchais sans grande conviction à coté de mon

bourreau. Cette proposition me sembla tout à coup être tout sauf sérieuse ! Que pouvais-je

bien apprendre à un garçon qui pourrait être mon petit frère…Mais mes pitreries ne lui

avaient pas donné envie de plaisanter à son tour, elle était bel et bien sérieuse. Les

expériences qui avaient été les miennes, ma vision objective du monde, mais néanmoins

encore proche de l’enfance, ainsi que le courage et les valeurs dont j’avais fait montre en

sauvant l’enfant me désignaient selon elle comme le candidat idéal. De plus, en ces temps

troublés que j’avais désormais à partager en leur compagnie, j’apparaissais comme

quelqu’un de confiance.

Moi ? Maître d’un jeune garçon, qui plus est de pas n’importe lequel...de lourdes

responsabilités venaient de m’échoir, et sur le coup c’est tout ce que j’ai senti de cette

proposition…Mais en l’acceptant, j’ai réalisé que je tenais la une occasion unique de grandir

moi aussi en transmettant le meilleur de ce que je savais, et le souvenir de la jeune Ariane

que j’avais aidé n’était pas étranger à mon choix, peut être était-ce là la meilleure chose à

faire.

De retour de la promenade j’étais galvanisé, je voulais remplir ma mission au mieux, en

saisissant l’occasion de partager mon expérience avec l’ « ancienne-prochaine génération

»… J’ai donc publiquement et avec honneur acceptée la proposition de dame Mei Ling,

avant que nous ne prenions le chemin de nos chambres afin de nous préparer pour le dîner.

L’on me baigna dans de l’eau parfumée qui sentait bon les fleurs, je me souviens que cela

faisait longtemps que je n’avais pas pris de bain digne de ce nom, je n’avais pu jusqu’ici que

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me contenter d’eau trouble ou salée. Cette journée et toutes les autres avaient été

éprouvantes, et en plus je sentais le cheval…Je relâchai tout mes membres les uns après les

autres pour mieux savourer ce bonheur retrouvé. Mmmmh…. L’eau tiède coulait dans mon

dos, apportée par de jeunes filles qui n’étaient pas beaucoup plus vieilles que moi, et dont

j’essayais de ne pas croiser le regard pour ne pas rougir davantage. J’ai redécouvert mon

jeune corps frêle et usé par les voyages et les changements climatiques.

J’avais changé depuis ces derniers mois écoulés, j’avais été amaigri par l’effort constant du

vol et la rareté de la nourriture. Maintenant que j’étais dans ce confort je ne voulais plus en

sortir, et même les multiples courbatures que j’avais ne pouvaient me détacher de ce moment

si reposant.

Mes cheveux flottaient délicieusement autour de moi et je me rendais compte qu’ils avaient

vraiment poussés, ils me tombaient bien plus bas que les épaules et offraient une caresse de

plus à ma peau fatiguée. Cela me rappelait ce jour ou après avoir gravit l’Olympe je me suis

délassé dans le jardin divin des jours durant, cet endroit existait il a cette époque ? Peut-être,

mais ce jour me faisait l’effet d’être si lointain…Mon voyage venait alors de débuter, j’étais

harassé par un effort inhabituel et surtout seul au monde…Presque un an plus tard, à quinze

ans passés j’étais arrivé tellement loin, entouré par des gens me voulant du bien, l’on me

traitait comme un ange venu du ciel... Je ne pensais plus à rien dans ce bain aux senteurs

envoutantes, j’avais de nouveau le sentiment d’avoir la vie dont j’avais besoin.

Mon bain dura un temps interminable mais je ne m’en suis pas plaint… L’on me sécha et

l’on m’habilla d’une sorte de chemise longue et légère, comme dans les films asiatiques de

mon enfance, c’était marrant. L’on me coiffa également les cheveux en une natte qui était

vraiment lourde, et qui me donnait presque froid à la nuque ! Cela faisait des mois et des

mois que mes cheveux n’avaient pas été attachés, et encore moins de la sorte…du coup je

redécouvrais le monde d’une manière différente, comme si j’étais déguisé, à la différence

près que je me sentais davantage nu que vêtu d’un masque.

L’on me conduisit autour de la grande table basse ou je m’agenouillai en attendant que l’on

serve le repas. Mei Ling arriva un peu après, resplendissante, précédée de Jiang qui lui aussi

dégageait quelque chose de vraiment noble. Chacun baissa la tête à cette entrée, y compris

moi, et je profitai de ce moment pour jeter un coup d’œil aux gens qui m’entouraient.

De ce que j’avais compris, à ce repas devaient être conviés les différents généraux anciens

compagnons d’armes de feu Xian Ling, ainsi que certains seigneurs voisins venus pour

discuter de l’administration des terres et de la conduite à tenir dans la confrontation avec

l’empire Wei.

Ces hommes richement vêtus avaient tous un regard sévère et droit, de ceux que je ne

pourrais pas avoir même si je le voulais. Il s’agissait d’enjeux importants –d’ailleurs je ne

comprenais pas pourquoi j’étais convié- dont dépendaient la suite des événements dans la

région. Le silence régnait lourdement autour de la table, laissé intouchable même par les

respirations des douze hommes d’arme qui se trouvaient la. On aurait dit qu’ils allaient se

battre, ou tout d’un coup renverser la table et hurler. La tension dans l’air était palpable,

surtout pour moi qui ne comprenait que vaguement ce dont il s’agissait, à tel point que je ne

pu m’empêcher tout à coup de rire.

Et bientôt ce qui n’était qu’un pouffement se changea en rire qui ne pouvait plus passer

inaperçu. Tous se tournèrent vers moi, l’air courroucé pour voir qui avait osée s’esclaffer en

présence de personnes de haut rang, mais le poids de leur regard ne fit qu’accentuer mon

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hilarité. Je me sentais tellement mal à l’aise ! Je tentais de rester naturel, au fond, ils ne

massacraient pas les étrangers pour si peu dans ce pays, non ? Des commentaires

s’échangeaient, certains même semblaient s’adresser directement à Mei, mais je ne

parvenais pas à me focaliser sur ce qu’ils disaient. L’un d’eux en particulier me toisait, le

regard furibond, je baissai les yeux en tentant de ne pas lui rire au nez il l’aurait mal pris.

Mais bien malgré moi je ne pu m’empêcher de laisser échapper un gloussement ridicule dont

moi-même j’eus honte. Je me pinçais la cuisse de toute mes forces pour ne pas que cela se

reproduise, mais l’envie de rire en voyant ces visages si outrés était trop forte.

Ma noble hôtesse et son fils avaient assisté à la scène depuis le début, et ils ne comprenaient

pas non plus pourquoi je riais, mais je ne parvenais pas à m’arrêter ! Puis, plié en deux, les

doigts accrochés désespérément à ma cuisse qui commençait sincèrement à devenir violette,

j’entendis un pouffement qui venait du bout de la table. Les yeux ruisselant de larmes je

relevai la tête autant que je pu et vis le jeune héritier qui, dès qu’il croisa mon regard éclata

de rire à son tour. Je l’ai regardé, plié en deux, riant jusqu’aux larmes, et mon rire revint

aussi, et nous avons ri joyeusement, sans retenu. Puis la mère, amusée par la tête que faisait

son fils, se prêta au jeu et bientôt elle aussi n’en pouvait plus de rigoler. Elle rigola en

regardant ses généraux et conseillers qui semblaient embarrassés au possible. Leur tête était

hilarante, et elle semblait vraiment avoir compris vraiment la raison de cette réaction aussi

soudaine qu’inattendu. Enfin, voyant leur hôtesse ainsi détendue, tous les autres eurent un

rire forcé avant de se laisser emporter par l’ambiance du moment, riant à gorge déployée

pour une raison qu’ils ignoraient, et parmi eux se trouvait même celui dont j’avais croisé le

regard tout à l’heure.

Cela dura quelques minutes encore, les uns riant de la figure des autres, puis le calme revint

doucement. Tout le monde avait mal aux cotes et les larmes aux yeux. Après cela l’ambiance

fut plus sympathique, je me souviens que je n’avais jamais autant ri de toute ma vie. Je n’ai

jamais vraiment su si les hommes qui se trouvaient à cette table ce soir là comprirent

réellement de quoi était parti mon fou rire, mais j’espérais en cet instant que leur rire à eux

ne cachait pas une trop mauvaise impression de moi. Tout était si…surréaliste ! La d’où je

venais personne ne se prenait autant au sérieux, et surtout, en dépit du reste, ils n’avaient pas

l’air fâchés en permanence…

Mais le repas se poursuivit pourtant dans une relative bonne humeur. L’on parla des

problèmes de l’empire, des tensions du nord et de l’incendie de la veille. Chacun prononça

un mot sur le défunt précepteur, mais je me contentai d’une minute de silence pour le défunt,

Cet homme là occupait la place que j’avais à présent. L’idée que ce soit moi, un étranger, qui

occupe cette place importante ne plaisait pas à tous et je le savais, et la suite me conforta

dans cette idée.

Ces généraux si austères n’acceptaient pas que quelqu’un leur vole la vedette auprès de ma

noble hôtesse, et tentèrent de formuler tous les risques que ma simple présence faisait courir

à l’héritier de leur ancien camarade. Après tout, disaient-ils, le jeune garçon aurait un jour à

prendre les armes de son père au nom de son seigneur, et il se devait de recevoir l’éducation

adéquate pour en être digne. Mei les laissa s’exprimer, les écoutant attentivement en jetant

un regard furtif de temps en temps vers moi. Le jeune Jiang quant à lui n’avait que faire de

ces considérations là, et c’est d’ailleurs dans un moment comme celui-ci qu’on voyait son

jeune âge. Il s’ennuyait de cette conversation, et préférait s’amuser à me faire des grimaces

et se marrer aux cotés de sa mère sans que celle ci ne s’en rende compte.

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Ce qui n’avait pas échappé aux conseillers qui en firent un argument contre moi, prétextant

que si en si peu de temps j’avais réussit à avoir une si mauvaise influence sur ce garçon je ne

devais absolument pas passer une seconde de plus avec lui. Par ailleurs ils ne me

connaissaient pas et là aussi ce fut l’un des thèmes abordés, je pouvais bien être un espion à

la solde de l’ennemi.

Entendre ces mots venants de gens que je ne connaissais pas réveilla en moi un sentiment de

malaise que j’avais déjà ressenti auparavant. Je ne savais pas comment me justifier, et

puis… Je n’avais rien à dire pour ma défense, puisque chaque mot que j’aurais dit ne serait

que mensonge à leurs yeux, tout juste pouvais-je baisser les miens.

Mais c’est Mei qui vint à mon secours. Je n’avais, d’après elle, aucun intérêt à sauver un

enfant duquel j’aurais refusé les ordres; Si j’étais, comme le pensaient les conseillers, un

espion, jamais je n’aurais fait une chose qui allait à l’encontre de toute logique de guerre.

Pourquoi laisser vivre un enfant engagé sur les traces de son noble père, un ennemi

valeureux ? Quant à mon expérience, qu’ils parlent, elle-même avait foi en mon histoire et la

valeur de mes enseignements pour son fils.

Je m’efforçais de croire en ce qu’elle disait, mais au fond de moi j’espérais être à la hauteur

de la tache, angoissant devant la responsabilité. Docilement les hommes d’arme ne

bronchèrent pas, mais je savais pertinemment qu’il n’était pas aussi simple de gagner leur

confiance, et elle le savait aussi.

Le diner se termina tard, et ce fut un des seuls repas de ma vie où la nourriture ne fut pas ce

qui m’importait le plus. Les conseillers se retirèrent dans leurs quartiers, et Dame Mei et

Jiang firent de même, me laissant seul et préoccupé. J’ai alors prit congé de la grande

demeure et de son jardin magnifique et je me suis envolé en direction de la ville ou du

village le plus proche. Retrouver le vent des hauteurs me faisait du bien et me changeait un

peu les idées, il s’était passé tellement de choses aujourd’hui…

J’avais pu le remarquer lors de notre ballade à cheval -et une créature insupportable pour

moi-, mais le domaine s’étendait sur des kilomètres peuplés de forêts claires et de clairières

ombragées. Ce n’est qu’après une dizaine de minute de vol que je suis arrivé en vue d’une

petite ville qu’éclairaient de nombreuses torches. Il ne devait pas être beaucoup plus tard que

minuit, la lune était haute dans le ciel lorsque les nuages ne la chassait pas, pourtant il

semblait régner une certaine animation.

Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu une ville si peuplée, mais celle ci n’avait rien à

voir avec toutes celles que j’avais pu voir auparavant. Les maisons étaient beaucoup moins

hautes que nos immeubles contemporains et laids. De nombreux petits commerces éclairés

de lampions attiraient les clients nocturnes, et si l’enseigne de toile peinte peinait à se laisser

lire dans la pénombre, la clarté brillante des étales et les senteurs qui s’en dégageaient ne

pouvaient pas tromper. Viandes, épices, poteries, tout semblait pouvoir se trouver, et les gens

ne s’y perdaient pas. Je venais d’atterrir près du premier marché nocturne de la saison, et

l’animation qui y régnait ne laissait pas douter de son succès.

Je me suis prit à flâner, découvrant les charmes de la Chine du passé, m’étonnant des

produits étranges que l’on pouvait y croiser. Je n’ai d’ailleurs toujours pas mis un nom sur

tout ce que j’ai vu cette nuit la, et je ne suis même pas sûr d’avoir compris si certaines

choses que j’ai aperçu se mangeaient ou pas, j’avais la tête ailleurs.

Je suis rentré alors que l’aube s’apprêtait à se lever et je suis retourné dans la chambre que

l’on m’avait donnée. Les gardes à l’entrée avaient été mis au courant de mes allers et venues

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possibles et acceptèrent de bon gré de m’ouvrir les grandes portes de ce qui était pour moi

un palais.

Ma chambre était toujours aussi belle, mais elle m’importait peu et seul le sommeil parvint à

m’enlever cette question existentielle de la tête.

Comment pourrais-je être à la hauteur de la confiance que l’on m’accorde ?

Moi… précepteur…

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Le matin arriva rapidement, trop peut-être d’ailleurs. Ma nuit avait été courte mais ce

ne furent pas les doux rayons de soleil au travers des rideaux de soie qui me tirèrent des bras

de Morphée, mon réveil fut plus…agité. Il avait surgit comme un diable, avec une telle

énergie que je faillis en hurler de peur, Jiang... Le petit garçon avait déboulé dans la chambre

sans crier gare, et sautai déjà sur mon lit avant même que je ne réalise ce qu’il se passait.

“Luther, Luther !!“

Je repris mes esprits, et contenant ma grande surprise je vis ce petit être trépignant et plein

de joie. Ça, je m’en souviens encore parfaitement et je ne peux m’empêcher d’esquisser un

sourire en y pensant maintenant, pourtant à cet époque là j’étais tout sauf enthousiaste.

J’étais ébouriffé, les yeux encore collés et avec de la salive sèche sur le coin de la bouche,

mais certainement pas réveillé comme lui…Quelle heure pouvait il être ?

Je me suis pourtant résigné à m’asseoir sur le bord du lit, tant bien que mal. Le jeune garçon

me regardait attentivement en continuant de hurler mon prénom, et je commençais à me

demander si je pourrais dormir de nouveau ce jour. Pas encore très certain de la réalité de ce

que je voyais, je lui demandai la raison de ce réveil en fanfare.

Il était venu parce que « les cours » commençaient officiellement. Et dire que la veille au

soir je me demandais encore si j’allais pouvoir assurer, je venais d’être parachuté sans

préavis en plein dedans ! Déjà qu’en temps normal c’est le maitre qui devait réveiller

l’élève…

Heureusement pour moi, et un peu moins pour l’image que ça donnerait, le jeune garçon

savait exactement ce qu’il voulait savoir ce matin la, et très vite je fus contraint de répondre

à toutes sortes de question, toutes plus pointues les unes que les autres, mais qui eurent

l’avantage de me sortir les neurones de leur oreiller.

A cette occasion je remarquai qu’il avait retenu plus de choses que je ne m’en souvenais

avoir dit à lui et sa mère sur mon histoire. Ce matin il s’intéressait surtout aux endroits que

j’avais traversés avant d’arriver ici. Il voulait que je lui parle des cultures, des plantes qui

poussaient là-bas, des animaux qu’on y croisait, et puis il était curieux de l’époque d’où je

venais. Ne sachant pas par ou commencer devant cette avalanche d’interrogations j’ai

commencé par le début, lui rappelant les passages de mon histoire, que je ponctuais cette

fois ci de précisions amusantes pour un enfant de cet âge.

Comme la première fois j’ai évité de m’étendre trop sur les passages douloureux, qui

auraient pu le choquer, telle que l’image de la mort que j’avais eut l’occasion d’avoir

jusqu’ici. Et rapidement je me pris au jeu, déviant du sujet pour parler de tout ce qui me

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revenait. Le bédouin, le Moine qui se changeait en animal, la belle Terra, le jardin de

l’Olympe, le paradis de l’ile d'Icare, et je me suis même surpris à parler de mes vieux cours

de français. Je lui ai raconté le monde, sans enlever de sa tête d’enfant toute les espoirs que

l’on fonde sur la vie à son âge, un monde plus beau que ce qu’il était, dans lequel chacun

peut réaliser ses rêves. J’ai enjolivé la réalité que j’avais fuit, en lui expliquant combien la

vie y était différente et que chacun doit trouver sa place dans cette univers, lui ici en tant

qu’héritier de son glorieux père, et moi...je l’ignorais. Je lui ai nommé les étoiles, du moins

celles que je connaissais, lui promettant de les lui montrer le soir venu, je lui ai décrit

l’image que les gens du XXIème siècle avaient de la vie antique.

Il me regardait, émerveillé, il buvait mes paroles sans jamais les mettre en doute. Il posait

des questions lorsqu’il ne comprenait pas, et surtout sur le sujet du cinéma qui semblait le

passionner. Cela me faisait chaud au cœur de sentir quelqu’un de plus près de moi dans ce

nouvel et unique chez moi, quelqu’un qui semblait tenir à mon avis et que j’intéressais.

En parlant, je me découvrais une sorte de…Nostalgie, si l’on peut dire. Je ne regrettais pas

d’être parti, très loin de là même, seulement me remémorer mon ancien monde faisait jaillir

une multitude de sentiments en moi, confus et pas forcement durs…Le monde que j’avais

fuit semblait si beau vu d’ici, et je me prenais à croire moi-même en la vision idyllique que

je peignais au jeune héritier, si seulement les choses avaient été aussi belles, si seulement…

Absorbé dans mes pensées mais continuant pourtant de parler, je ne remarquais pas

l’incohérence de ce que je disais, pas même le changement de sujet radical que venait

d’opérer mon fougueux élève. Bien sur il s’était mit à me poser des questions sur mes ailes,

et même un sacré paquet ! Il ne semblait pas vraiment surpris de voir une telle particularité,

au contraire il s’en émerveillait comme du reste. Je les lui ai montrés autant qu’il a voulu et

je lui ai même expliqué le rôle du médaillon que je portais. Je ne saurais jamais si j’avais tort

ou raison de faire ça, mais j’avais besoin de vider mon sac, et même si je ne pouvais pas le

faire comme je l’aurais fait avec un adulte, je disais un maximum de choses.

Je lui expliquai que c’était ce médaillon qui me donnait cette faculté de voler et que peut-

être lui aussi pourrait en profiter s’il le voulait. Il sauta de joie et voulu essayer tout de suite,

comme je le pensais, et c’est d’abord avec joie que j’ai décidé de partager cette expérience

avec lui.

J’ai fait rentrer mes deux amies, et après avoir prit le temps de sentir la petite épée ailée dans

le creux de ma main, j’ai ôté le pendentif et lui ai mis autour du cou. Le sentiment de nudité

qui s’en suivit me troubla, et avec lui celui d’abandonner une lourde charge qui me revenait,

juste pour plaisanter…Je tachais de garder le sourire, après tout, ce pouvait être une

expérience extraordinaire pour lui ! A cet instant le souvenir de l’“accouchement“ frappa ma

mémoire, accentuant ce malaise que j’essayais de masquer par la joie innocente du partage.

Cette douleur lorsque les ailes jaillissaient du dos, je ne la souhaitais à personne et

certainement pas à lui. Rongé par le remord et électrisé par le sentiment de culpabilité, je

m’empressai de le prévenir, mais il ne se passait rien…Tout à coup mon élève enleva l’objet

de son cou avec précipitation et me le remis aussi sec, et ce n’est que lorsque sa mère entra,

précédée d’un conseiller, que je compris la raison de cet empressement. Visiblement, il ne

voulait pas qu’elle sache ! Et si lui était embarrassé de cette apparition aussi gênante que

soudaine, intérieurement je savourais le retour de mon présent divin, soulagé.

Le temps avait passé et cela faisait des heures que je bavardais avec Jiang. Il était presque

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midi et le repas était servit dans la grande salle ou les convives nous attendaient. L’après

midi le jeune prince devait suivre son cours d’arts du combat, comme il l’appelait, et

visiblement tenait particulièrement à ce que je l’y accompagne. Il me supplia pendant de

longues minutes, pendant lesquels mes regards embarrassés tirèrent force de sourire à sa

propre mère qui assistait à la scène. Quelque part c’était drôle de le voir se comporter

comme le faisaient encore les jeunes de son âge des centaines d’années plus tard, feignant

presque la tristesse pour faire culpabiliser…Mais ce n’était pas à moi qu’il aurait pu

apprendre ça ! De toute façon, j’étais quand même curieux de voir ce que pouvait donner ce

cours. Le maitre dont il m’avait parlé, un certain Tao Fen, avait l’air d’être un sacré

personnage, vu comme il terrorisait mon jeune protégé. Cela dit…J’avais quand même aussi

un peu de mal à dire non à ce moment la, tout pourvu qu’il arrête sa comédie !

Au repas se retrouvèrent certains des généraux qui étaient là la veille, et d’autres manquaient

dont celui qui me regardait de travers en permanence, ce qui m’enleva une espèce de poids

auquel je n’avais pas vraiment fait attention. Nous parlâmes de l’empereur Liu Bei qui

menait une bataille dans la région de Cheng Du, ou l’on racontait que s’étaient révoltés les

turbans jaunes, un peuple de l’est sous l’égide d’un roi puissant qui voulait renverser

l’empereur. L’on raconta aussi les exploits d’un soldat en particulier dont je n’ai pas retenu

le nom à ce moment la et qui aurait, paraît-il, tué à lui tout seul près de mille hommes dans

la bataille.

Je ne savais pas trop quoi en penser. J’avais, c’est vrai, désiré la mort de quelques personnes

mais c’était toujours sous le coup de la colère, une colère qui avait disparu avec le temps

pour laisser place à de la pitié, ou autre chose, mais plus à des envies de meurtres... Ce

soldat prenait-il du plaisir à tuer des hommes obligés de se battre ? La performance était

impressionnante, d’accord je l’admets, un homme qui pouvait abattre tant de monde devait

être quelqu’un de talentueux, mais que pouvait-il bien se passer dans sa tête ? Quel but

pouvait-il bien avoir pour mettre autant de rage dans une guerre ? La question me laissait

songeur, il est vrai qu’une détermination pareille me laissait rêveur, quelle qu’en puisse être

le motif, peut être même étais-je un peu jaloux.

Puis la discussion se fragmenta, chacun parlant dans son coin avec son voisin, et j’écoutais

attentivement les bribes de conversation qui voletaient jusqu'à mes oreilles. L’on parla de

moi, mais a en juger par l’œil en coin qui me surveillait je ne devais pas entendre ce qu’il se

disait, l’on discutait sur le cours du jeune Jiang l’après midi même et de ma participation à

celui ci. D’autres parlaient de terres à cultiver, mais ce n’est pas ce qui m’intéressait. Je

tachai d’écouter le plus possible ce que disaient les hommes à l’autre bout de la table. Ils

parlaient de Tao Fen, qui était à ce qu’on disait un homme d’une sévérité terrible qui n’avait

d’égal que sa grande paresse, ou sagesse, je ne sais pas, et que ce cours n’allait pas être une

partie de plaisir. Je tournai la tête au premier regard vers moi et cessai d’écouter pour ne pas

être impoli.

Le repas se termina lorsque l’on fut prié, Jiang et moi de nous rendre dans la plaine en

contrebas de la demeure. J’avais aperçu cet endroit depuis les airs, mais nous empruntâmes

un escalier pour nous y rendre, l’occasion pour moi de discuter un peu avec le jeune garçon.

_ « Je crois que je commence à comprendre pourquoi tu voulais tant que je vienne avec toi,

tentai-je, ce Tao Fen te fait un peu peur non ?

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A ces mots, le garçon éclata de rire, contre toute attente.

_Maitre Luther, (Dame Mei lui avait explicitement demandé de m’appeler comme ça

désormais, pour faire bonne figure), Maitre Tao Fen me fait pas peur !

_Bah je sais pas, t’avais l’air de tenir vraiment à ce que je sois la, c’est pour me présenter à

lui alors? » Je commençais à avoir de la peine à comprendre, sa petite comédie du matin me

semblait un peu exagérée pour si peu…

_Non non ! Il sait déjà qui vous êtes, il est même au courant pour votre aventure avec le

cheval !

Encore ce satané animal…

_Mais alors pourquoi je dois venir ? Tu y va tout seul d’habitude, jveux dire, je vais pas te

donner de cours pendant le sien !

_Non non, en fait c’est moi qui vous accompagne à ce cours !

_Jiang…

_Bon d’accord, mais ne vous fâchez pas Maitre, j’ai pensé que vous aimeriez apprendre

aussi un peu…

Ah, d’accord, et en plus je m’étais engagé à l’accompagner auprès de sa mère…Si je faisais

demi-tour maintenant, de quoi j’aurais eu l’air ?

_Maitre ? Vous avez peur de lui ? »

Le jeune garçon affichait un sourire diabolique sur son visage, et j’aurais été partagé entre

agacement et malaise si nous n’étions pas justement arrivés dans la vaste plaine.

Et voila que j’avais un peu le trac, je me voyais mal fuir maintenant que j’étais arrivé la, et

ce petit monstre le savait ! J’allais donc apprendre à me battre, et ce n’était pas forcement

une mauvaise chose dans le fond…Mais ce Tao Fen n’allait pas me faire de cadeau et au

nom de tous les conseillers me mettrait surement à l’épreuve pour voir si j’étais de confiance

dans l’éducation du jeune héritier. Par chance, il semblait absent, ce qui avait l’avantage de

différer un peu le moment fatidique.

_ « Euh…Jiang ? T’es sur que c’est ici ? A moins qu’il soit sensé nous rejoindre plus tard,

non ?

_Maitre Fen n’est jamais en retard ! déclara mon jeune élève, la mine confiante.

_Le doute et l’inattention…Voila deux défauts qui pourront t’être fatals si tu ne travaille pas

à les corriger. Pour quelqu’un qui domine depuis le ciel, je te trouve bien aveugle au sol ! »

La voix venait de derrière nous, et semblait avoir coupé le vent lui-même tant sa clarté était

parvenue jusqu’à mes oreilles.

Il se trouvait là, à quelques pas seulement, comme sorti de nulle part, et c’est bien moi qu’il

regardait.

Enfin, regarder est un bien grand mot, car de ses yeux je ne distinguais qu’une lueur vive,

cachée sous un grand chapeau à bout pointu. Je crois que ce qui m’a le plus étonné ce fut sa

taille tout d’abord. Au juger le petit homme devait à peine dépasser son jeune élève, autant

dire qu’il m’arrivait au menton ce qui entamait un peu le mythe. Pour le reste il n’y a pas

grand-chose à en dire, si ce n’est que son visage était à moitié masqué par une espèce de

foulard sombre, et qu’avec ses vêtements abimés il ressemblait plus à un mendiant qu’autre

chose. Quel étrange personnage en effet, mais bien différent de ce que j’imaginais ! Je ne

sais pas, je m’attendais peut être à un homme grand et musclé, à l’armure brillante, dans la

plus pure tradition du héros, mais vraiment pas à… euh…ça, enfin, lui.

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_ « Je peux voir dans tes yeux le jugement que tu porte, ton esprit est plus lisible que celui

d’un âne !

_Quoi ? Pardon ?

_Tu devrais apprendre à ne pas te fier aux apparences, gamin, cela pourrait te jouer des

tours. » A ces mots il s’élança vers moi à toute vitesse, et en l’espace d’un instant je me suis

retrouvé au sol, et lui à sa place initiale, sans trop comprendre ce qui venait de se passer.

_ « Jiang, ton précepteur a-t-il plus de valeur que ce qu’il en montre là ?

_Maitre Fen, Ne soyez pas trop dur avec lui, il n’a pas l’habitude !

Ah c’était comme ça…Je me relevai péniblement, alors que ces deux là se fichaient de moi.

Il n’y avait rien de drôle ! J’étais en colère, contre moi-même et eux qui se tenaient là

comme si de rien était. D’accord j’avais peut être esquissé un sourire en le voyant, mais

comment pouvait il savoir ce que j’avais pensé ?

_Bon, je vois que tu as effacé cet air prétentieux de ton visage, on va peut être pouvoir

commencer.

Oublié mes appréhensions à me battre, l’agacement que je ressentais envers ce petit homme

m’insufflait l’envie irrépressible de lui donner tort, il voulait que je me batte ? J’allais lui

donner ce qu’il attendait !

_Bien…Jiang, assieds toi un instant. Jeune homme, à nous deux. »

Ces mots résonnèrent dans ma tête, moi qui ne m’était jamais vraiment battu de ma vie je me

retrouvais là, provoqué en duel par quelqu’un qui avait l’air de maitriser son sujet…

Inconscience, témérité, folie ? Je ne sais pas ce qui m’a poussé à me mettre à courir vers lui,

les tripes noués. Jiang exultait, il me cria de ne pas retenir mes coups et de ne pas m’en faire,

mais alors que j’élançais mon pied vers lui, je n’entendais rien d’autre que le sang dans mes

tempes.

Un claquement sec se fit entendre et en un éclair le petit homme dont on ne voyait pas le

visage esquiva le coup avec rapidité, lançant à son tour sa jambe vers les miennes, comme il

avait du le faire quand je m’étais retrouvé par terre. J’eus à peine le temps de l’esquiver qu’il

se retrouva derrière moi m’intimant de me battre d’une voix narquoise. Plus furieux encore

je fis volte face et m’élançai de nouveau vers lui sans trop y croire, je ne comptais pas le

frapper, seulement lui montrer que je n’étais pas le bon rien qu’il imaginait. Il disparu d’un

coup d’un seul et me bondit dessus sur la droite, me projetant et me plaquant au sol. Là je

compris qu’il ne rigolait pas et que si je ne bougeais pas un tant soit peu, j’allais subir une

cuisante honte.

Je poussai de toutes mes forces sur mes pieds et le projetai en arrière, profitant de la surprise

je lui fonçai dessus ou je tentai de lui assener un coup dans l’estomac. Il l’arrêta et me

projeta à son tour dans les airs, je retombai durement au sol. Jiang me cria de me relever, et

je me remis sur pieds le plus vite possible. Cette fois ci je l’ai attendu pour le contrer et le

mettre au sol mais il fut plus rapide et avec une force incroyable il me projeta en l’air à une

hauteur inattendue. Je serrai fort mon médaillon et je fis jaillir mes ailes pour ne pas tomber

comme tout à l’heure. Je n’eus qu’a donner un petit coup d’ailes pour me remettre d’aplomb

et atterrir sans encombre. Il s’arrêta et me regarda, Jiang lui aussi était émerveillé, mais je

n’avais pas le cœur à craner, je voulais me battre.

_« Voici donc ce qui à fait votre petite légende, jeune Luther. Mouais… cela n’a rien

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d’impressionnant, et ce n’est pas l’utilisation que vous en faites qui vous fera gagner ce

combat, venez et montrer vous à la hauteur. »

Je courrai de toutes mes forces et tentai de le frapper, il para tout mes coups sans la moindre

difficulté.

_« Reste calme, la rage te donne l’énergie mais t’empêche de réfléchir »

Je ne l’écoutai pas et en payai durement le prix. Son air suffisant et le ton de sa voix me

mettaient hors de moi, et je n’arrivais même pas à le toucher ! Il me projeta une fois de plus

et je retombai à ses pieds, sans même avoir eu le temps d’atterrir. Il ne m’avait pas frappé

une seul fois et pourtant j’avais mal partout, je jetai l’éponge.

_ « Ton pire ennemi était ton propre corps, il te faut t’en servir contre l’adversaire et non

contre toi-même.» Je me suis relevé et Jiang me jeta un regard complice, je suis allé

m’asseoir à sa place pour reprendre des forces, dépité, tandis que lui s’entraînait. Tao Fen

me lâcha un dernier mot avant de prendre en main le jeune garçon, il se contenta de me dire

qu’il fallait que je suive ses cours, que j’avais du potentiel et que je devais savoir me battre,

car les temps qui arrivaient allaient être durs et décisifs.

Mais ce jour la comme le suivant, je n’en avais pas vraiment envie…Je n’étais pas venu de

si loin, je n’avais pas fuit la violence de mes contemporains pour venir en retrouver une

autre…J’avais c’est vrai eut quelques gestes par le passé, j’avais même tué… Mais tout cela

me répugnait et ne m’inspirait qu’horreur et tristesse. J’y avais été obligé ! Et plus que tout

je souhaitais que cela ne se reproduise pas. Je n’avais alors pas idée de la route qui serait la

mienne ensuite, mais en cet instant je m’imaginais trouver un endroit ou vivre paisiblement,

un endroit ou je pourrais enfin trouver la place que je sentirais mienne et qui elle ne serait

pas tachée de colère et de brutalité…Si je m’étais vu à ce moment là, assis dans l’herbe à

compter mes bleues, rouge de honte et me promettant de ne jamais revenir voir cet homme,

je me serais trouvé naïf.

Le cours a continué, et je remarquai que Tao Fen s’était radouci. Il était fier de son élève et

je comprenais pourquoi, ce jeune garçon se battait vraiment bien. Ce garçon qui sautait

encore sur mon lit le matin même se montrait rapide et imparable, et même s’il n’égalait pas

encore son professeur, j’étais certain qu’il avait tout pour porter fièrement les armes de son

illustre père.

Et lorsque le soleil commença déjà à descendre vers l’horizon, le maître nous arrêta, et afin

de nous relaxer et nous faire oublier la fatigue physique, il nous fit faire une séance de

méditation. J’ai cru reconnaître dans ces mouvements lents et successifs les poses qu’il avait

adopté en se battant plus tôt, sauf que dénués de violence et dans le vent des plaines, les

yeux fermés et à l’écoute des sens, ils semblaient posséder une autre signification. Chaque

pore de la peau devait sentir l’oxygène le frôler, sentir l’herbe douce et humide sous les

pieds et la terre en dessous, chaque respiration devait se ressentir profondément. Je

m’efforçais de suivre avec application chaque posture, chaque souffle, me demandant s’il

s’agissait la d’un ancêtre du Taï Chi moderne dont je m’étais quelques fois moqué.

Pourtant pas un rire ne sortit de mes lèvres cette fois la, et pas seulement parce que je

voulais me racheter de ma démission du cours, je sentais en le faisant quelque chose de

nouveau et de délicieux, je sentais vivre cette plaine et ce monde. Sérénité, calme, toutes

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mes courbatures furent oubliées.

Sur le retour je rentrai seul avec Jiang qui tenta de me rassurer sur le bien fondé de cet

entraînement si dur. Je ne m’étais pas douté qu’il existait de tel maîtres en vrai, je me

souvenais encore des films que je voyais à la télévision lorsque je vivais avec ma mère, et

cela n’avait rien à voir, la réalité était tellement plus éprouvante et les êtres plus

humains…Tao Fen m’avait laissé partir sans chercher à me convaincre ni à me rabaisser,

comme si les provocations qui avaient été les siennes n’avait eut de raison d’être que celle

de me pousser à me lâcher. Pourtant cette défaite cuisante et les mots qui avait eut ensuite

me pesaient un peu sur la conscience et je ne cessais de penser à ce que m’avait dit le maître,

il allait falloir que je me batte ? Mais contre qui ?

Non, te mêle pas de ça, laisses ces gens avec leurs problèmes, lorsque l’équipe de recherche

reviendra avec les rouleaux sacrés, tu sauras ce que tu es venu savoir et tu agiras en

conséquence, mais en attendant évites les ennuis. Tu n’es pas d’ici, du moins pas de ce

peuple là, restes discret et attends.

Revigoré et soucieux de couper court à la conversation avec mon jeune élève, je décidai à sa

plus grande joie de le porter et de m’envoler avec lui le temps du retour vers le palais. La

tache fut beaucoup plus difficile que prévu, mais par précaution j’avais volé assez près du

sol, au cas où. Ce garçon faisait son poids ! Un peu moins que lorsqu’il était inerte mais tout

de même…J’avais un peu présumé de mes forces après cette séance de médiation. Pourtant,

passées les frayeurs et les quelques difficultés par endroits, c’est dans la joie et à force de

rire et de quintes de toux que je déposai mon jeune ami, des étoiles plein les yeux et déjà

partant pour un nouveau tour le lendemain. La perspective de recommencer m’épuisait

d’avance, mais j’ai tout de même recommencé et le lendemain aussi, et ce pendant des

semaines.

Le temps s’est écoulé ainsi à une vitesse folle, laissant s’envoler ma timidité avec le garçon,

et faisant de lui un ami qui m’était cher. Chaque jour était fait de promenades, de discussions

interminables sur mon monde, sur le sien, de joie et de découvertes. Peu à peu j’avais apprit

à trouver ma place dans cette grande demeure, et c’est avec une étrange joie que je m’étais

mis à partager tout le savoir scolaire qui me restait avec mon jeune élève. Je lui enseignais

les restes des mathématiques, de géographie, de sciences même lorsqu’un sujet me revenait.

Les cours étaient de ce fait totalement décousus, mais jamais il n’en manquait une miette,

pas plus qu’il ne restait de marbre lorsque je lui parlais des problèmes politiques de cette

époque qui n’était pas la sienne. Ce jeune avait une vivacité d’esprit décidément étonnante,

et il m’arrivait parfois d’espérer qu’il ne pose pas trop de question au gosse que j’étais,

ancien observateur peu objectif d’un monde que j’avais rejeté en bloc…

Il y avait tant à dire, tant à montrer, et croyez-moi je n’étais pas le meilleur des professeurs !

Mais ce quotidien me faisait du bien, je commençais à me faire à tout ça. Il me semblait que

Mei m’appréciait de plus en plus, et avec elle toute la maisonnée ! J’étais le voyageur venu

de loin, le garçon ailé, étrange mais gentil.

Personne n’avait la moindre idée du temps que durerait cette situation. En effet les

recherches des Rouleaux prenaient du temps, et les rares nouvelles qui en parvenaient ne

semblaient tomber que pour repousser l’échéance, alors à force…

Quatre longs mois se sont écoulés, faisant succéder l’été Chinois au Printemps, quatre mois

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passés au gré des visites à la maison, parmi lesquelles cet étrange monsieur à la mine sévère

qui décidément n’en démordait pas de me regarder avec hauteur. Chaque fois qu’il venait il

s’entretenait longtemps avec Mei des semaines qui venaient de s’écouler, puis repartait le

lendemain, pas plus souriant.

Je n’avais pas osé demander à ma noble hôtesse de qui il s’agissait exactement, mais j’avais

cru deviner qu’il devait être vraiment proche vu son attitude. Et en vérité je ne l’ai su qu’au

terme d’une de ces journées d’été que nous passions Jiang et moi à m’apprendre à jouer aux

jeux de cette époque. J’avais parfois du mal à comprendre le sens des règles qu’il

m’expliquait, mais cela se finissait toujours de la même manière, ainsi que toutes les

journées en générale : nous volions.

A force, il m’était devenu presque facile de transporter le jeune garçon, et ce même si je

n’avais plus suivit le moindre entrainement physique depuis ma première rencontre avec le

maitre Tao Fen. Je parvenais à voler plus haut et plus longtemps, et lui à combattre son

vertige. Pas une seule fois nous ne reparlâmes de lui prêter le pendentif ailé, et s’il en eut

l’envie, je n’en su jamais rien, il préférait voir le monde depuis mes bras. Et ce soir ou nous

rentrions de notre partie de Go dans un pré non loin de la maison, son habituel enthousiasme

à recommencer le lendemain ne fut pourtant pas présent. Ce n’est que lorsque je repris mon

souffle, un instant plus tard, que le programme mystérieux du garçon pour la journée à venir

titilla ma curiosité.

_ « Pourquoi pas demain ? T’en as eu assez pour le moment ?

_Demain je dois aller avec Oncle Huan rencontrer des frères d’arme de mon père au village

de Youhzou, je lui ai promis ! Mais si tu veux toi tu peux retourner voir Maitre Fen ! »

Il avait dit ça avec un air si radieux de lui que ce fut un plaisir pour moi de lui rire au nez

pour cacher mon malaise. Non, je n’avais pas l’intention de retourner là-bas, pas sans lui. Le

fait est que je devais passer la journée du lendemain seul, et que je n’avais pas la moindre

idée de ce que je pourrais faire.

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Et finalement je n’ai absolument rien fait à part me promener dans la région. J’aurais

pu rester auprès de Mei, mais ma noble hôtesse s’occupait –une fois n’est pas coutume- des

affaires de son défunt époux, et je ne me sentais pas vraiment à l’aise en tête à tête avec elle.

Au lieu de ça donc je me suis promené dans le coin, d’abord en vol puis à pied lorsque plus

personne ne fut en mesure de me proposer un cheval. J’appréciais particulièrement le calme

des forets et des collines qui bordaient la région, au point de me demander comment un beau

pays comme celui la pouvait souffrir d’autant de guerre à cette époque ci, et à vrai dire je

n’avais vraiment de réponse. Je remarquai juste que certaines zones tendaient à être

défrichées de manière radicale, et que les travaux des cités visaient apparemment à les faire

croitre énormément. Même si c’était plus ou moins le cas, je ne sais pas si j’aurais pu vivre

là-bas toute ma vie… Si ce que l’on disait était vrai, la guerre de territoire engagée pouvait

concerner chaque recoin du pays, et toucher n’importe qui à n’importe quel moment.

Je ne suis rentré qu’en fin d’après midi, à peu près au même moment que Jiang et celui qui

était son Oncle, un Oncle dont j’avais déjà croisé la route… Sur le moment je me suis dit

que j’avais bien fait de ne pas parler de lui en mal à mon jeune élève, et pourtant j’avais eu

quelques fois envie de me moquer de cet homme qui me dévisageait à chacune de nos

rencontre. Seulement quelque chose clochait différemment cette fois là, quelque chose dans

son regard avait changé, et dans celui de Jiang aussi…

A ce moment-là je n’ai pas osé les rejoindre, le sentiment étrange que me donnaient ces

regards me perturbait, que s’était il passé là-bas ? Je me souviens que je me suis couché avec

ce même sentiment, et les rayons du soleil d’été qui égayèrent mon réveil n’y changèrent

rien…Ce matin la, personne ne vint me réveiller, et dans ma grande chambre je me sentais

finalement trop seul…Je m’étais déjà habitué à ce petit garçon et son énergie débordante, et

ne pas le voir me sauter dessus donnait à ce début de journée une ambiance lourde. Je me

levai, bien décidé à comprendre ce qu’il pouvait bien se passer, et me mis en quête de mon

jeune ami.

Il ne fut pas long à débusquer, il me suffit de descendre dans le jardin pour le trouver, assis

sur le banc de pierre que j’avais trouvé le premier jour. Il se trouvait là les pieds ballants, les

yeux plongés vers le sol, absorbé dans ses pensées. Je n’avais pas vraiment idée de ce que

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j’allais lui dire, mais à le voir comme ça je sentais que quelque chose n’allait pas chez lui, je

ne me sentais pas capable de faire comme si de rien était.

_ « Dis moi, ça s’est pas bien passé hier avec ton oncle ?

_Si…

_Alors qu’est ce qui ne va pas ? Je vois bien que t’es pas dans ton état normal.

Il mettait du temps à répondre, et ne levait toujours pas les yeux…Je ne me sentais pas très à

l’aise alors, je n’avais pas tant que ça l’expérience des enfants et puis je ne savais pas trop

quoi lui dire s’il ne voulait pas me parler…

_Maitre, vous pensez que je suis un pleurnichard ?

Il venait de me regarder pour la première fois depuis que j’étais arrivé, et sa voix n’avait

plus aucune assurance.

_Bah non ! Pourquoi tu dis ça ?

_Oncle Huan dit que je suis trop jeune, que je mérite pas de porter le nom de mon père…

_Mais pourquoi ? C’est pas gentil de…

_Maitre ! Oncle Huan dit que je devrais pas passer mon temps avec vous, que je pourrais pas

devenir un homme si je continue à jouer avec vous…

Jouer ? Mais on ne jouait pas ! Enfin…Pourquoi cet “oncle“ se permettait il de dire des

choses pareil ? Pourquoi cette si mauvaise image de moi ?...Il ne me connaissait même pas !

_Jiang, tu en pense quoi toi ?

Son silence me glaça le sang. Ses deux petits yeux avaient trouvé les miens et formaient des

mots que je ne comprenais pas.

_Jiang, qu’en pense ta mère ?

_Mère a besoin que je sois fort, que je devienne un homme ! Elle n’a pas besoin d’un enfant

qui pleure et qui est incapable de la protéger !

Dans ma gorge je sentais une espèce de boule se former, les paroles de mon élève me

faisaient mal au cœur…Étais-je à ce point un mauvais précepteur pour être considéré comme

un gosse par la famille qui m’employait ? Et tout ce temps que je venais de passer avec eux,

ne servait-il donc à rien ? Je n’y comprenais rien, j’étais déçu, en colère contre ce Huan et

ses paroles venimeuses...

_Je ne t’ai jamais vu pleurer ! Tu es loin d’être comme il le dit et tu le sais !

_Il y a plein de choses que vous ne savez pas Maitre… »

Et à ces mots il parti, me laissant seul au milieu du jardin que j’avais trouvé si merveilleux

lorsque j’y avais pénétré pour la première fois, et dont la beauté toujours aussi insolente

éclaboussait mon nouveau statut de gamin à la mauvaise influence…

Désarçonné, je suis allé quérir Mei oubliant pour une fois ma gène à l’interrompre, j’avais

besoin de décharger ce que je venais d’encaisser, de savoir si elle savait quelque chose de

tout ça… Elle me reçut dans la grande salle, un peu surprise de ma venue mais avec ce

sourire protecteur que je lui avais toujours connu. Ce regard me rasséréna, ce devait être un

malentendu et rien de plus, tout rentrerait dans l’ordre une fois qu’elle aurait tout appris et

qu’elle lui aurait parlé, il ne pouvait en être autrement! Et c’est avec le cœur alourdit d’un

nouveau mal que je m’en suis retourné vers ma chambre, car rien ne s’est passé comme je

l’avais appelé de mes vœux…

_ « Mais non tout va bien, tu ne dois pas t’en faire ! Il est venu me parler à moi aussi et je ne

l’ai jamais vu aussi sûr de lui ! Tu as du mal comprendre ses paroles, tu verras demain tout

ira bien, comme avant. »

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Mais je savais déjà que ce ne serait pas le cas, ni le lendemain ni plus tard, car les mots de

mon élève avait été sans équivoques, la sentence prononcée contre ce train de vie que nous

avions mené lui et moi, rien ne serait plus pareil. Alors, assit seul sur mon grand lit, j’ai

ressassé ces mots qu’il avait eu, tachant d’oublier mon sentiment d’injustice pour n’en

conserver que l’essence, la ligne directrice qui avait harponné durement ma fierté et dont

Jiang avait été le vecteur. Ses sentiments troubles étaient né la veille, j’en étais convaincu, et

leur instigateur désigné ouvertement…Oncle Huan.

Que pouvait chercher cet homme en détournant ainsi le garçon de moi ? J’avais beau y

penser je ne comprenais pas mais une chose était sûre : Il y trouvait un intérêt, et ce n’était

pas sur Mei que je pouvais compter pour découvrir celui-ci. Mon hôtesse était en trop bons

termes avec ce Huan pour entrevoir son plan, si on pouvait l’appeler ainsi. Il me fallait

découvrir la raison pour laquelle il me mettait sur la touche de cette manière, et pour le

savoir je comptais d’abord le lui demander.

Mon plan n’en était pas vraiment un, je me faisais simplement violence en m’obligeant à

aller lui parler, simplement. Après tout, une simple discussion pour comprendre ne pouvait

pas me faire du tort, enfin c’est ce que je croyais…Selon sa réaction à mes questions, je

pourrais jauger de ce qui se passait ici, et s’il ne s’agissait que d’un malentendu …eh bien

tant mieux, les choses retourneraient peut être à la normale après tout. Sur le chemin vers la

grande salle j’envisageai donc toutes les possibilités, de la plus favorable pour moi à la plus

tordue, qui impliquait certes beaucoup de choses mais avait l’avantage de me préparer à

faire face à à peu près tout. Pour ce qui est de mon angoisse, je tachais surtout de ne pas y

penser…Je n’avais eu que des relations étranges avec les adultes, et l’optique de demander

des explications à l’un d’eux, qui plus est celui qui me mettait le moins à l’aise, me terrifiait.

Aussi c’est la tête coiffée d’une innocence bien plus acceptable que des accusations que je

me suis porté de nouveau auprès de mon hôtesse pour solliciter une entrevue avec Huan.

Rendez vous fut prit dans ses appartements, il restait à l’homme des sujets importants à

aborder, du genre qui ne devait pas souffrir de retard.

La chambre du fameux “Oncle Huan“ était infiniment plus luxueuse que la mienne, car il

s’agissait davantage d’une maisonnette que d’une annexe. L’on pouvait y recevoir du monde

dans une vaste pièce attenante, et son isolement par rapport au reste de la vaste demeure

garantissait discrétion et calme absolu. Je n’avais pas à me plaindre de mes quartiers, mais il

était clair que l’homme était un invité de choix. Tout dans cet endroit respirait une sorte de

noblesse, depuis les affaires soigneusement pliées aux armes accrochées sur une sorte de

mannequin que je n’ai vu nulle part ailleurs. Tout était si lisse pour un homme qui me

voulait du mal ! Non, je devais forcément me tromper, il ne pouvait en être autrement, et

j’en étais d’autant plus certain à cet instant qu’il me semblait amener moi-même le trouble

dans cet endroit. A un moment j’ai hésité à sortir, mon idée étant devenue trop stupide, mais

les bruits de pas coupèrent mon élan, et l’homme se présenta devant moi, un air

indéchiffrable sur le visage.

Mon courage venait de fondre comme neige au soleil, et avec lui le brillant discours que

j’avais échafaudé en chemin, il ne me restait que quelques idées décousues, mais il me fallait

absolument parler…Faisant taire mes doutes, je me suis donc lancé.

_Monsieur Huan, je suis venu vous parler de Jiang, il…

_Il quoi ?

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Son ton était sans appel, son regard plongé dans le mien plus froid qu’il ne l’avait jamais été.

_Il est plus comme avant, il m’a dit tout à…

_Tes enfantillages ne m’intéressent pas ! C’est pour cela que tu viens me déranger ?

Ma gorge était serrée comme prise dans un étau, cet homme était encore plus détestable que

je ne me l’étais imaginé…Il n’y avait aucun moyen de parler avec lui ! Il dardait sur moi son

regard hautain et ne me laissait pas en placer une !

_Eh bien en fait je…

_Viens en aux faits !

Je me sentais prit au piège, revenu à l’époque des pires heures de cours ou les professeurs

me rabaissaient…Mais je n’étais plus ce garçon la ! Je ne pouvais pas rester sans rien dire et

baisser la tête !

_C’est vous qui…

_Moi qui QUOI ? Tu n’as plus rien à faire ici, va-t’en avant que ton impertinence ne finisse

par me mettre en colère, je n’ai pas de temps à perdre avec un gosse comme toi !

Il avait considérablement haussé le ton, et ce même si je n’avais pas placé le moindre mot

contre lui…Il savait ou je voulais en venir.

Résigné, et tentant de garder mon calme, j’ai alors baissé mes yeux larmoyants, et j’ai pris la

direction de la sortie.

_C’est bien ce que je pensais : Un faible d’esprit, lâche et sans fierté…

C’en fut trop pour moi. Me retournant brusquement, je l’ai fusillé de mon regard le plus noir,

préparant mon discours le plus assassin, mais c’est lui qui frappa le premier.

Sa grosse main attrapa ma gorge, me plaquant fermement contre le mur.

_Écoutes moi attentivement, car je ne le dirais qu’une fois : Tu n’es rien ici, rien ! Mêles toi

de ce qui te regarde, et si tu tiens à Jiang comme tu le prétends, laisse-le faire ses choix. Ça

vaut mieux pour toi, crois-moi !

Il avait craché cette sentence à mon visage, me laissant terrifié et hagard…Et lorsqu’enfin il

me lâcha, je suis sorti en courant, fuyant ce monstre sans un mot comme j’avais fui mon

monde : plein de colère et avec le sentiment d’être trahit par la vie.

Il me fallut des heures pour me calmer. Même en fermant les yeux je voyais ce visage froid

et hurlant sous mes paupières, m’écrasant de toute sa force et de sa haine, mais que pouvais-

je y faire ? Rien…Vraiment rien… Mei ne me croirait pas, quant à Jiang, malgré son

embarras avec moi, il était clair que son Oncle avait réussi à lui imprimer dans la tête ce

qu’il souhaitait. Mais dans quel but précis…

Il avait dit que je n’étais rien, et je commençais à le croire. Il se tramait ici quelque chose

que je ne comprenais pas, et qui -peut-être avait-il raison dans le fond- ne me regardait pas,

mais alors…Que pouvais-je bien faire encore ici ? Ne devais-je être qu’un précepteur,

sérieux et discret, s’effaçant lorsque l’on n’a plus besoin de lui ? Huan semblait penser que

je n’étais même pas digne de l’être, mais Jiang ? Il n’avait pas dit qu’il ne voulait plus rien

apprendre de moi…Et Mei ? Ma présence n’avait que sa confiance pour raison d’être, mais

celle-ci avait sans doute de la valeur…Et même si je ne pouvais lui parler de ce qu’il venait

de se passer, je savais que j’existais pour elle, je l’espérais…

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Le lendemain les cours ont repris, et ce que je craignais avec. Jiang était devenu un

élève appliqué, sérieux –ça il l’avait toujours été- mais qui partait lorsque j’avais terminé.

J’avais décidé de ne rien lui dire, en espérant qu’il changerait de nouveau, qu’il aurait de

nouveau le besoin de se détendre…Mais ce moment ne vint ni ce jour, ni le suivant, le jeune

garçon que j’avais considéré comme le frère que je n’avais pas eu était devenu un étranger.

Les cours tournaient autour de ce qui me restait de politique internationale du XXIe siècle,

les grands ensembles de pays, la triade, tout ça…Tout était encore tellement décousu,

brouillon, mais en dépit de cela mon jeune ami buvait chaque parole sans sourciller, et je me

disais que se trouvait peut être là la place que je devais avoir, celui d’un enseignant que nulle

ne met en doute…Si seulement j’y avais cru moi-même j’aurais trouvé l’expérience

enrichissante, mais face au silence je ne me permettais plus de rire de mes oublis d’avant, de

me moquer de mes erreurs et doutes…J’étais un orateur en roue libre, angoissant de l’état de

ses connaissances et appréciant de moins en moins sa place.

C’est ainsi que ce moment-là est devenu celui que je redoutais, et au fil des semaines

l’organisation rigoureuse de ces entrevues d’une heure me mettait mal à l’aise, au point que

j’étais chaque fois soulagé qu’elles s’arrêtent. Mei quant à elle n’y voyait rien d’anormal,

pour elle tout se passait normalement, comme cela avait toujours été, si seulement elle avait

su le garçon formidable que j’avais eu avec moi toutes ces semaines…Au lieu de ça, elle ne

voyait que le fils sérieux qu’elle avait enfanté, et était fier de mon enseignement quand je

regrettais d’être le seul à en connaitre la pauvreté et à regretter l’insouciance des débuts…

Oncle Huan revenait de temps en temps, et même lorsque nous étions contraints de diner

tous ensemble, je tachais de l’éviter le plus possible. A l’entendre rire, tout se passait bien

pour lui aussi, ses actions en dehors de la villa étaient couronnées de succès, et je savais

qu’en son sein également.

Les temps qui suivirent la dispute furent donc pénibles pour moi, et mes journées

particulièrement longues. J’avais baissé les bras avec mon élève et mon rôle, me contentant

de faire ce qu’on me demandait, parfois en espérant qu’un messager viendrait porter

nouvelles des rouleaux que j’appelais de mes vœux. Si je les avais eu à cet instant, si j’avais

pu parcourir des yeux les lignes de ma vie passée et à venir, j’aurais compris qu’il fallait que

je profite tout de même des temps présents. J’espérais trouver dans ses pages un sens à mon

existence, un sens qu’il me semblait avoir perdu en partie maintenant que Jiang était loin de

moi… Alors aux ballades dans les airs succédèrent les longues journées passées à guetter des

yeux des informations sur mon précieux trésor. Mei m’avait autorisé à lire les documents

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conservés dans l’espèce de bibliothèque du domaine.

La grande pièce boisée devint alors ma seconde chambre, celle où je quêtais un but à ma vie,

celle où je réfléchissais, et parfois m’ennuyais aussi. La quasi-totalité des documents étaient

rédigés sur de longues étoffes de soie enroulées et entreposées dans de hautes étagères de

bois sombre. Il me fallut des jours entiers pour savoir quoi chercher précisément. En effet,

une bonne partie se composait de contes, et une autre de récit de batailles et de stratégie

militaire, qui n’auraient été que des jolis dessins si j’avais possédé le médaillon ailée. Ariane

savait elle que plus que jamais il me serait utile ? Sans doute…Et ce n’est que lorsque mes

yeux ont pu se promener le long des symboles calligraphiés sans s’accrocher que j’ai

compris toute la valeur de ce cadeau ci. J’avais à ma portée toute les écritures du monde, je

pouvais sans doute comprendre chaque langue sans me fatiguer ! C’en était grisant, mais

passé cet instant de découverte de la bibliothèque, cela signifiait surtout qu’il me fallait

absolument découvrir la raison de ce présent, car à n’en pas douter tout cela avait un but.

J’ai ainsi passé plusieurs semaines à explorer ces écritures de soie en quête d’une

information sur les Rouleaux de la vie, où ne serait-ce qu’une mention à ceux-ci. Le Moine

que j’avais rencontré à Inoa avait pu y voir le récit de sa vie, ils existaient donc bien ! Et s’il

se trouvait un endroit où l’on en parlait, ce devait être ici ! J’ai parcouru des dizaines de

contes, vu des dizaines d’estampes, survolé des centaines de bataille du passé après avoir

discuté des futures avec mon élève. L’été s’est achevé sans moi, sans que je ne trouve la

moindre tournure de phrase faisant référence à ce que je cherchais, et avec sa fin vinrent de

gros changements dans le monde extérieur.

Je me souviens que c’était un jour de pluie, je venais de rejoindre mon petit banc de la

bibliothèque, près à en découdre avec l’histoire et peut être un peu de sommeil le visage

écrasé contre la table en bois sombre. Le cours du jour avait porté sur mes souvenirs de la

guerre en Irak, face à un Jiang toujours aussi froid. Notre amitié semblait avoir été

définitivement enterrée avec la dispute que nous avions eue quelques semaines plus tôt, et de

complicité entre nous il ne restait plus rien. Il avait tellement grandit et il me semblait aussi

qu’il s’était musclé, l’entrainement sans doute. C’était comme s’il était un garçon nouveau,

que je n’avais jamais vraiment connu…Tout juste échangions nous quelques mots après le

cours, sur des banalités insipides… Je ne parvenais plus à croiser ses yeux, je ne savais plus

qui il était vraiment.

Ce jour-là il devait rejoindre son cher oncle a quelques kilomètres de la, pour retrouver les

amis de son père. C’était la première fois qu’il avait la permission de partir seul, Huan avait

convaincu Mei qu’il en était capable. Je sentais comme une appréhension chez lui, mais il

n’en parla pas, se contentant de son traditionnel « A demain Maitre ». A ce moment-là je ne

m’en suis pas inquiété davantage, malgré l’orage Jiang était bon cavalier, et le chemin à

parcourir serait court. Pourtant après quelques minutes passées seule je sentis quelque chose

d’anormal.

J’avais appris à me passer de la présence de mon ancien ami, troquant notre vieux quotidien

contre un autre moins amusant mais intéressant, mais, au fond, assis sur ce banc que je

connaissais par cœur, je me sentais nostalgique. D’ordinaire cela passait rapidement le temps

que je trouve quelque chose d’intéressant à lire, mais là c’était diffèrent. Je ressentais une

sorte de malaise qui ne pouvait pas être du aux souvenir, un peu comme si…Un peu comme

si j’assistais à une scène désagréable, un sentiment de discontinuité comme si je voguais

entre deux temps différents. Mon corps vivait un instant mais mon esprit en vivait un autre,

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plus sombre et qui me tourmentait les sens. Et dans cette impression qui s’éternisait, un

élément semblait surfer entre les deux temporalités…Jiang.

Je ne savais pas comment ni pourquoi mais il revenait sans cesse, dans cette impression

désagréable et dans mes souvenirs présents. Je pris ma tête entre mes mains et fermai les

yeux, serrant mon pendentif dans le creux de ma main, tachant de me concentrer pour

comprendre. Il n’était rien arrivé de grave à mon élève, rien à part l’incendie, mais il ne

s’agissait pas de ça, mais alors quand ? C’est alors que j’ai compris que ce sentiment sombre

n’était pas un souvenir, ni même un présage, mais le présent…Il était en train d’arriver

quelque chose à mon protégé !

Désormais sûr, je suis sorti sous la pluie battante, tachant de me souvenir de la direction

qu’il avait dit qu’il prenait. Qu’avait-il dit…il devait rejoindre les amis de son père et Huan,

mais ou l’avait il fait la dernière fois… ? Youzhou ! Ce devait être forcément par-là !

J’ai ouvert mes ailes, et le cœur battant de cette impression encore vivace, je suis parti le

plus rapidement possible dans la direction que je croyais être la bonne. Le vent soufflait une

pluie glacée annonciatrice de l’automne, et le ciel obscurcit masquait parfois le sol sous les

arbres. Je volais sous cette voute sombre, l’esprit nimbé d’un présage qui ne l’était pas

moins. Je devais trouver cet enfant, il avait besoin de moi en cet instant même !

Tout à coup j’ai entendu au loin des cris que je reconnu de suite, à quelques kilomètres

seulement de Youzhou, dans un coin de foret particulièrement dense. Je me suis posé non

loin, mes jambes prenant le relai de mes ailes fatiguées par la course. Ne sachant pas à quoi

m’attendre, je me suis précipité, tombant nez à nez avec trois hommes masqués, dont l’un

portait le corps sans vie du garçon.

Mon sang ne fit qu’un tour. Oubliant les conseils reçus lors de mon seul cours de combat, je

me jetai à corps perdu, projetant mon pied dans le ventre du premier venu. Celui-ci recula, le

souffle cours, alors que je me tournai vers le second qui me faisait face, alors que le

troisième posait Jiang à terre pour rejoindre le combat.

_ « Qui êtes-vous ! Qu’est-ce que vous lui avez fait ?

_Toi tu viens de faire une erreur, ça te regarde pas alors dégage tant que tu le peux encore !

Les muscles en feu je tentai de le frapper au visage, perdant l’équilibre. Le second en profita

pour sortir quelque chose de derrière son dos avec un tintement inquiétant.

_On t’aura prévenu petit. »

Voyant la lame arriver je me baissai, prenant du recul pour faire face aux deux hommes sans

visage. Ils portaient des masques grotesques aux dents longues et à la face hideuse, et leur

vêtements légers et serrés leur donnait un avantage considérable face à mon espèce de

kimono sans forme…Le troisième revint se mettre à leurs côtés, cela n’allait pas être simple.

Lentement je me saisis d’un bâton alors que Jiang commençait à ouvrir un œil, il vivait !

Les trois hommes échangèrent un mot, et celui au katana s’échappa de la formation pour

mettre en joug le jeune garçon. Le pendentif ne pouvait-il pas m’aider ?...

Je fis jaillir mes ailes, espérant reproduire l’effet de surprise que j’avais provoqué chez les

loups des sables, mais aucun de mes adversaires ne sourcilla, et alors qu’ils s’élancèrent vers

moi, je tentai de m’envoler pour leur échapper un instant…c’était sans compter sur les

arbres au-dessus de moi.

Heurtant durement les branches, je retombai lourdement sur le sol, réveillant mes vieilles

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douleurs dans le dos. Je me relevai péniblement, juste à temps pour constater que l’un des

hommes auquel je faisais face avait disparu, et c’est là que la douleur survint.

Je su que ce n’étaient pas les muscles de mon dos, ni même mes os, lorsque je sentis le

liquide chaud couler le long de mon échine… La longue lame d’un poignard venait de me

traverser le dos, arrachant à mon corps une douleur sans nom. Je fus tout à coup tétanisé

alors que ma vue se brouillait et que mes forces me quittaient. J’avais mal à en mourir, et la

lame qu’on retirait alluma de plus belle l’incendie dans mes sens. Je ne voyais plus, je ne

sentais plus, je n’entendais que le bruit de mon cœur sonnant l’alarme sur mes tympans, je

ne respirais plus. Loin de mon corps, je me senti tomber face contre terre, et au loin le cri du

garçon que j’étais venu sauver, l'homme qui le menaçait filant vers la forêt…Un voile blanc

et bourdonnant telle une nuée d’insectes lumineux tomba sur ma conscience, et avant que ne

s’éteigne la dernière lumière, l’homme qui m’avait blessé tomba à son tour, faisant vibrer le

sol jusque dans ma joue s’accoutumant déjà au gout de la terre…

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Un bruit, celui de l’eau que l’on versait dans un bol. Une sensation, celle de la

fraicheur sur mon front et l’odeur florale qui s’en dégageait…Je n’étais pas mort, car la

douleur revint doucement dans mon corps allongé. Une voix, celle de Mei, lointaine et

douce comme je l’avais toujours connu.

_Deux fois que tu sauves mon fils, jeune Luther…Je n’aurais bientôt plus assez de gratitude

à te témoigner.

Un gout désagréable emplit ma bouche, j’avais la gorge desséchée.

_Que s’est-il …

_Doucement…Bois ceci, cela devrait te faire du bien.

Le liquide cristallin coula dans ma bouche, provoquant un frisson de plaisir incontrôlable

aussitôt brisé par la douleur dans mon dos.

_Mes gardes ont été avertis qu’il se passait quelque chose, ils t’ont retrouvé entouré de trois

cadavres, Jiang était là aussi, il nous a tout raconté. Demande moi ce que tu veux et tu

l’obtiendras.

_Mais je n’ai…

_Prends ton temps et repose toi, tu dois guérir vite ! Mon fils à grand besoin de quelqu’un de

ton courage.

Et à ces mots elle s’en alla, me laissant seul, hébété et sceptique.

Visiblement la blessure n’était pas si grave, elle demandait que je me ménage mais ne

menaçait pas ma vie. Mais même si la douleur restait malgré tout importante, mes pensées

me faisaient davantage souffrir. Je n’avais pas su dire à Mei que j’avais échoué face à ces

hommes, que je n’étais pas celui à qui elle devait la vie de son fils, j’avais été ridicule là-

bas…Cette blessure que j’avais récolté me le rappelait encore et encore, je n’étais pas à la

hauteur.

Me relevant péniblement, je tentai de m’asseoir sur le bord de mon lit. Quand avais-je été

ramené ici, et depuis quand étais je inconscient ? Les souvenirs s’emmêlaient dans mon

esprit embrumé. L’on m’avait bandé le dos fermement avec un linge blanc légèrement

parfumé d’une odeur que je ne connaissais pas, et dehors je pouvais entendre les oiseaux

chanter, l’orage avait dû cesser. Soudain la porte de ma chambre s’ouvrit de nouveau,

laissant cette fois ci rentrer celui qui était l’objet de mes pensées.

Jiang portait autour de la tête le même genre de bandage que moi, à ceci près que cela lui

donnait un air bien plus fragile qu’auparavant. Sous l’étoffe blanche, ses yeux étaient ceux

que j’avais perdu des semaines plus tôt, ceux qui me regardait avec la candeur et la joie de

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l’enfance. A sa simple vue le sourire me revint, et lorsqu’il s’assit à côté de moi, je compris

que jusqu’alors j’angoissais de son état. Mais il était là, et me regardait sans un mot, les yeux

tout à coup baissés vers le sol, ainsi que son corps en entier, agenouillé à mes pieds.

_Maitre, je vous demande pardon !

Son attitude me décontenança, j’avais simplement espéré qu’il reviendrait discuter de tout et

de rien, comme avant, mais pas ça…

_Pardon de ?

_Pour mon attitude envers vous, j’ai eu tort d’écouter Oncle Huan ! Je pensais être assez fort

pour voyager seul, pour être un homme et me battre, mais j’en suis incapable…Je veux être

un enfant encore un peu, je veux apprendre davantage de vous ! Ce que vous avez fait dans

cette forêt… Vous me manquez Maitre Luther…

Je ne savais pas trop comment réagir à ça, j’étais partagé entre joie de le retrouver et

tristesse…Celle de ne pas être le héros qu’il me pensait être. Voguant entre ces deux

sentiments, une boule dans la gorge, je décidai alors de changer de sujet, le temps de trouver

une solution pour me sentir mieux.

_Jiang, qui était ces hommes ?

_Je l’ignore, ils étaient masqués…

_Euh oui, ça j’avais vu, mais il n’y pas quelque chose chez eux que tu pourrais reconnaitre ?

_Non…

_D’accord. Écoutes, je vais essayer de dormir encore un petit peu, on se voit plus tard ?

_Bien Maitre, je peux venir plus tôt pour la leçon demain ?

_Aussi tôt que tu voudras Jiang.

Et il partit, me laissant surpris de son calme après cette épreuve…Peut-être avait-il raison en

fin de compte, il devait être encore un enfant quelque temps, le temps d’apprendre la gravité

des choses…Il venait d’échapper à un enlèvement, et il ne se souciait que de son prochain

cours. J’ai pris conscience à cet instant que peut-être était-ce moi qui vieillissait…Car après

ce moment de retrouvailles insouciantes ce n’est pas de la joie qui courrait dans mes veines,

mais de l’inquiétude. Quelque chose ici se mettait en marche, quelque chose qui pouvait être

grave si l’on y prêtait pas d’attention, quelque chose qui ne me permettait plus de laisser ce

garçon seul, quelque chose qui exigeait que j’apprenne à me battre.

J’ai passé la journée entière au lit, ainsi que la suivante, au rythme des visites de la

maisonnée. Mei était aux petits soins constamment, d’une manière presque étrange, tant la

noblesse de mon hôtesse jurait avec son attitude. Cela ne me rendait que plus mal à l’aise,

mais je n’ai pas osé révéler mon secret, à aucun moment. C’était peut-être de la lâcheté, ou

peut-être étais-je simplement heureux de retrouver de l’attention après ces longs mois ou

j’avais fini par faire partie du décor. Aujourd’hui je n’agirais surement pas de la même

manière, toujours est-il que je n’en m’en sentais pas toujours très bien à cette époque-là.

Jiang comme sa mère me prenaient pour un héros, et je soupçonnais que ça ne plaise pas à

Huan. L’homme n’était pas venu me voir, sans doute ne me croyait il pas capable de venir en

aide à qui que ce soit, lui qui avait cherché à éloigner son neveu de moi. Ce qui s’était passé

nous avait rapprochés de nouveau, et le garçon semblait avoir retrouvé sa joie de vivre,

même s’il gardait parfois un sérieux qui montrait qu’il grandissait. Il nous est arrivé de jouer

de nouveau au jeu de Go pendant ma convalescence, au sein de ma jolie chambre, et l’air

concentré qu’il affichait avant son tour me surprenait chaque fois. Quelque chose en lui avait

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changé, et pas forcément pour revenir en arrière. Derrière ses yeux on devinait qu’il n’était

pas sorti indemne, et cela se vit d’autant plus lorsqu’il put enlever son bandage à la tête. Il

n’était plus le garçon d’une dizaine d’années que j’avais ramassé au milieu des flammes,

celui qui posait des questions à en perdre son souffle parfois, mais ça lui allait tellement

bien. En y repensant aujourd’hui, je suis encore fier de ce qu’il était devenu, et malgré la

suite des évènements, si je devais garder un souvenir de lui c’est celui-là, celui du jeune

homme souriant qui avait décidé de vivre avec son âge, mon petit frère.

Au bout d’une semaine la douleur de la blessure dans mon dos se calma suffisamment pour

me permettre de sortir un petit peu. Pas question de voler, seulement j’avais une idée précise

en tête, et il me fallait impérativement la mettre en application le plus tôt possible.

Rejoignant le sentier que j’avais jadis emprunté avec mon élève, je rejoignis la plaine ou

j’avais rencontré pour la première fois Maitre Tao Fen. Je me souviens que le vent soufflait

particulièrement fort ce jour-là, et le ciel couvert était celui de l’automne, rafraichissant l’air

et me faisant légèrement grelotter. Le maitre se trouvait là, assit en tailleur près d’une lourde

pierre grise, entrain de méditer certainement. Respectueux, je m’assis à côté de lui, décidant

de l’imiter quelques instants avant de lui parler. Le petit homme au visage couvert ne

bougea, laissant ses frusques ondoyer dans le vent, ne craignant ni le vent ni la pluie qui

menaçait.

Mon attente dura une minute, puis deux, puis trois…Et au bout de dix minutes et à bout de

patience, je décidai de lui adresser la parole au risque de troubler sa méditation, mais c’était

nécessaire.

_Maitre ? Je peux vous parler une minute ? Après je vous laisse tranquille c’est promis.

_...

Il ne répondit rien ni ne bougea, il me fallait recommencer. Rassemblant mon courage, je

repris.

_Maitre ?

Soudain il eut un sursaut.

_Quoi ? Hein ? Tu es la depuis longtemps ?

Soulagé, je m’excusai du dérangement à nouveau, arguant de l’importance de ma venue.

_Quoi ? Ah mais non, je dormais simplement !

Je ne saurais dire si j’ai été déçu ou si j’avais honte, mais il ne me laissa pas le temps de

rendre mon jugement.

_Je sais pourquoi tu es là, et je t’aiderai.

_Merci Maitre…

Il avait retrouvé son sérieux, et s’il ne s’étirait pas en me parlant ; l’on aurait même pu croire

qu’il ne venait pas de se réveiller. Faisant craquer chacune de ses articulations dans un bruit

sinistre, il respirait profondément.

_En revanche, tu ne devras plus te lancer dans des batailles que tu es sûr de perdre, ces

hommes étaient bien plus forts que toi, pas étonnant que ça ait terminé de la sorte.

_Mais comment vous savez ça ?

Et soudain j’ai compris. Mei avait dit que quelqu’un avait prévenu anonymement les gardes,

et ce quelqu’un devait être celui qui avait tué les trois hommes dans cette forêt. Ce n’était

pas moi le héros, mais lui ! Mais alors pourquoi tout le monde pensait-il l’inverse ?

_Vous auriez pu avoir tous les honneurs, vous n’avez dit à personne ce que vous aviez fait…

Dès cet instant il cessa ses étirements et du haut de sa petite taille il planta son regard dans le

mien.

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_Jeune homme, j’ai vu en toi quelque chose de grand, de bien plus grand que je ne le serais

jamais. La renommée n’a pas d’importance pour moi, en revanche elle te facilitera la vie ici.

Ce n’est pas toi qui viens à moi pour que je t’accorde mon enseignement, c’est moi qui te

demande cette faveur. Accepte mon aide sur la voie qui t’es tracée et nous serons quittes.

Quelque chose me dit que c’est ce qui doit être fait.

_Mais comment être sûr que c’est comme ça que ça doit se passer ? Je n’ai pas les

Rouleaux !

_Luther, les Rouleaux de la Vie ne sont pas le seul moyen de connaitre son destin. Regarde

au fond de toi : tu as pris la décision de venir ici pour apprendre l’art du combat, ne sens tu

pas dans tes entrailles cette nécessité ?

_Je euh…enfin si, j’en ai besoin.

_Alors tu t’apprête à gravir une nouvelle marche de ton ascension, jeune garçon ailé, car ce

sont tes choix et ton désir d’aller plus haut qui forment ta destinée, et ne pas le voir écrit ne

t’empêche pas de le savoir.

_Alors j’apprendrais à me battre pour protéger Jiang et Mei !

_Tu le fera, crois-moi.

Regonflé à bloc, j’aurais pu apprendre sur le champ, j’aurais pu ouvrir mes ailes et

apprendre à combattre, mais ce jour ci la douleur ne me le permettait pas.

Il me fallut presque deux semaines pour remettre à peu près de ma blessure, deux semaines

pendant lesquelles je partageais mon temps entre Jiang et Maitre Fen, et souvent les deux

ensembles. Passer du temps avec le petit homme ne fit pas naitre de complicité entre nous

deux, seulement lorsque mon protégé se trouvait là je sentais cet accord tacite entre mon

maitre et moi, Jiang n’avait pas besoin de connaitre mes inquiétudes face à la situation.

Maitre Tao Fen était jadis le Maitre du père de Jiang, Xian, et cela confortait le jeune garçon

qui progressait de jour en jour. Mei quant à elle ne venait jamais ni même ne rencontrait le

petit homme. Un jour celui-ci me raconta que c’était parce qu’elle avait trop de peine en le

voyant, qu’il lui faisait penser à son défunt mari, et même si elle ne le tenait pas responsable

de sa mort, elle ne voulait pas le voir en sa demeure. Elle savait son fils entre de bonnes

mains, mais c’était plus par raison que par envie, et ça je ne le compris qu’à partir du jour ou

cette histoire me fut contée. C’était aussi la raison pour laquelle Tao Fen n’avait dit mot à

propos de son sauvetage dans la forêt, il valait mieux ne pas l’associer davantage aux

chapitres douloureux de la famille.

Ce jour-là, lorsqu’il nous avait sauvés moi et Jiang, il n’avait pas pu interroger les hommes

qui s’en était pris à nous, ceux-ci avaient préféré se battre jusqu’à la fin plutôt que d’avoir à

faire à ses questions. Il avait ses doutes, et peut être même ses théories, mais il ne m’en

disait rien.

En revanche, cela ne l’empêchait pas d’observer au même niveau que moi, et chose

amusante, à ma grande surprise lui aussi était en mauvais termes avec Huan. Ce dernier ne

lui inspirait pas confiance, mais eut égard à son amitié pour son jeune élève, il n’en disait

jamais mot, se contentant de se tenir à l’écart. En y repensant aujourd’hui, ce petit homme

était vraiment quelqu’un d’étrange, et j’aurais donné cher pour connaitre les pensées qui

traversaient son esprit depuis un nombre d’années insoupçonné. Mais au jour le jour il était

mon maitre et moi l’élève, et ces discussions-là n’avaient rien à faire dans nos cours.

Instant après instant, semaine après semaine Maitre Tao Fen m’enseigna les arts du combat,

une manière qui devait inclure mes pouvoirs. J’ai multiplié les bleus, les courbatures et les

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échecs, j’ai mangé de l’herbe parfois, j’ai souvent déclaré forfait…Mais à force de

persévérance j’ai commencé à perdre ma maladresse d’adolescent, apprenant les gestes et les

postures, apprenant à frapper pour déstabiliser, à contrer pour répliquer. Les combats se sont

faits plus longs, plus intenses, même si le résultat était sans arrêt le même…Il m’enseigna à

sortir mes ailes au bon moment dans la bataille pour atterrir sur mes pieds, il m’apprit à les

rentrer pour ne pas m’exposer, à en user pour masquer mes mouvements. D’un jour sur

l’autre je tentais de nouvelles choses que j’avais imaginé dans la nuit, et lui me montrait

comment les réussir, ou pourquoi je ne devais pas les faire. Un jour, pour me montrer les

risques d’une brillante attaque en piqué depuis les airs que j’avais échafaudé, il se proposa

comme cobaye. Quelle ne fut pas mon erreur !

A peine avais-je eu le temps de pointer mon poing vers lui depuis le ciel qu’il m’avait saisi

le bras puis fait basculer, se servant de mon élan pour m’envoyer durement au sol. Il

m’expliqua alors que je risquais davantage de me casser quelque chose que de faire grand

mal de cette manière…Ma motivation ne faiblit pas un instant, et même si les premiers cours

avait été laborieux, j’avais vite apprit qu’il me fallait tenter de frapper vraiment, me lâcher à

mon maximum et oublier toutes les craintes et doutes que j’avais sur mon propre corps.

Celui-ci me le rendait plutôt bien, les courbatures que je portais fièrement étaient toujours là

pour me rappeler le travail des jours précédents, et avec elles il me semblait que mes

cicatrices prenaient un autre sens.

Je ne savais ce à quoi l’on me destinait, mais une chose était certaine et les vestiges de mes

combats passés étaient là pour m’empêcher de l’oublier : je devais me battre. Je devais me

battre pour vivre, pour grandir et poursuivre ma route, quoi que je fasse et ou que je sois.

Jiang semblait suivre une voie similaire à sa manière, et les nombreux entrainements que

nous suivîmes ensemble nous rapprochèrent davantage encore. Les cours avec lui

continuaient, mais mon incursion dans son monde n’a jamais été plus appréciée qu’à partir

du moment où nous avons pu apprendre de concert. Je n’avais pas son niveau mais je

progressais rapidement, un effet du pendentif ailé pensais-je, mais pas une fois nous ne

sommes battus ensembles. Lorsque je chutais contre Maitre Fen, il ne ratait jamais une

occasion de se moquer, et immanquablement nos essais de combat entre nous viraient au jeu,

au grand dam de Maitre Tao Fen d’ailleurs. Parfois, il arrivait que les leçons du jour avec lui

trouvent écho dans les combats suivants. Nous parlions souvent des sports de combat de

mon époque, au travers des films la plupart du temps, mais aussi des rares informations que

j’avais sur les sportifs en vogue. Je me souviens qu’il avait particulièrement adoré ma

version surjouée des scènes cultes de Rocky, au point même qu’il tentait de les rejouer lui-

même devant notre Maitre, médusé pour l’occasion. Et c’est dans cette ambiance détendue

mais studieuse, loin des soucis du Royaume qui croissaient dans l’ombre, que nous avons

passé l’Automne. Nous étions deux amis ayant chacun un but : lui faire honneur à la

mémoire de son père et moi devenir assez fort pour palier au Destin.

Et c’est lorsque vinrent les premiers jours froids que celui-ci me fit un signe sans équivoque.

Ce jour nous étions dans ma chambre avec Jiang, à parler de dessins animés. Celui-ci

trouvait étrange de faire parler une souris avec de grandes oreilles avec une voix qu’il

jugeait désagréable. Je dois dire que mon imitation n’était pas non plus des plus parfaites,

mais je dois admettre qu’avec du recul cela pouvait être vraiment bizarre. Dehors le vent

soufflait fort, et nous n’avions pas mis un pied hors du cadre chaud de la vaste demeure,

appréhendant l’entrainement de l’après-midi. Soudain, alors que je me lançais dans un

monologue tant pour me convaincre que ma voix de Mickey n’était pas si horrible que pour

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l’amuser, un serviteur se présenta à la porte, nous faisant appeler. A vue de nez il était bien

trop tôt pour manger et il ne me semblait pas avoir entendu parler d’un quelconque

évènement de prévu, mais une chose était certaine j’étais convié moi aussi.

Mei nous reçut dans la grande salle, accompagnée d’un homme que ni moi ni Jiang n’avions

vu jusqu’à présent. L’homme était plutôt jeune, et portait une armure légère côtelée de métal

brillant et ornée de reliefs en forme de dragon. Sa place au coté de mon hôtesse éclipsait tous

les autres soldats présents et j’aurais pu simplement le remarquer et me concentrer sur Mei si

ce dernier ne nous faisait pas face en cet instant. A ma droite Jiang était songeur, visiblement

il n’était pas insensible à la prestance de cet homme-là, et ne devait pas se sentir plus à l’aise

que moi. Lorsqu’enfin nous fumes arrivés devant l’étrange couple, la noble mère de mon

élève esquissa un petit sourire. Il y avait quelque chose d’étrange dans son regard, quelque

chose que j’avais du mal à percevoir…ce n’était pas un sourire normal comme elle nous en

gratifiait souvent, non, celui-ci s’est estompé rapidement, comme rattrapé par des pensées

qui ne le méritaient pas. L’homme à ses côtés affichait un visage sérieux, et son regard

perçant tendu vers nous semblait chercher à voir plus loin, et alors que je baissais les yeux

machinalement, le silence fut rompu.

_Jiang, mon fils, et son précieux percepteur Luther, soyez les bienvenus. Je vous ai fait

appeler ici pour vous présenter quelqu’un.

C’était donc cela…cet homme-là était vraiment présent pour nous. A voix basse je tentai de

prononcer un petit bonjour en levant les yeux, mais celui ne parvint pas à franchir mes

lèvres.

_Voici le seigneur Zhao Yun. Jiang, il était l’un des meilleurs élèves de ton père, du temps où

celui-ci était encore parmi nous.

Les yeux de mon protégé se mirent à briller, son attention soudainement attirée comme un

papillon vers la lumière.

_Il est également un combattant hors pair, expert dans le maniement des armes.

C’est alors que le dénommé Zhao prit la parole d’une voix assurée que sa jeunesse ne rendait

pas moins forte.

_Mes jeunes seigneurs nous vivons des temps troublés, la guerre est à nos portes. Xian Mei

était un Maitre juste et un guerrier redoutable, et si vous me le permettez je mettrais à votre

service toute ma connaissance afin que vous soyez prêts au moment voulu.

_Et Maitre Tao Fen ? C’est Jiang qui avait posé la question, en écho à mes interrogations

intérieures.

_Je suis également ici sur sa demande, il doit s’absenter quelques temps pour des affaires.

Dans tous les cas nous vous enseignerons deux choses différentes, j’en ai discuté avec lui

n’aies crainte.

_D’accord, je vais chercher mon sabre !

Et à mon plus grand étonnement le jeune garçon parti en courant, me laissant seul et ne

sachant plus trop ou me mettre. Mei regarda les portes se refermer avec un sourire franc

cette fois-là, et avec elle le dénommé Zhao, et lorsque l’on entendit plus les pas de l’enfant

courant à en perdre haleine, elle se tourna vers moi.

_Luther, l’équipe chargée de trouver les Rouleaux de la Vie se trouve au-delà des territoires

qui bordent nos frontières et les dernières nouvelles font état d’une piste sérieuse, mais tu

dois comprendre qu’en cas de conflit ouvert nous n’aurons plus aucun moyen de savoir ce

qu’il en est. Aujourd’hui les troupes ennemies sont en mouvement, et nous n’avons aucune

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idée de ce qui se prépare. J’ai besoin de toi ici pour protéger mon fils, et c’est la raison de la

présence de Zhao, il t’aidera à y parvenir. Je veux que tu veille sur lui plus que jamais, ce qui

s’est passée dans cette forêt ne doit plus arriver, et je sens quelque chose dans l’air qui ne

présage rien de bon pour les temps à venir.

_D’accord, je ferais de mon mieux c’est promis.

Alors elle était consciente elle aussi que quelque chose ne tournait pas rond ici, mais avait-

elle seulement idée de son importance ?

_Jeune Luther, j’ai eu vent de tes exploits et de ce que tu es, et j’aimerais te faire moi aussi

une promesse.

Zhao Yun venait de se tourner vers moi, plongeant son regard perçant dans le mien.

_Xian Mei était un grand homme, et tu œuvre pour que son fils suive la même route. Voilà

pourquoi lorsque les tensions avec le Wei se seront apaisées, je t’aiderai personnellement à

trouver ce que tu cherches.

_Euh…bah merci, c’est gentil à vous…

Sa promesse me faisait chaud au cœur comme jamais, mais en cet instant j’aurais donné

n’importe quoi pour que le jeune garçon que j’avais pour élève déboule dans la grande salle,

détournant l’attention de moi.

Et c’est ce qui s’est produit, décochant un rire à l’assemblée et faisant retomber

l’atmosphère lourde que la discussion avait imposé. Tout à coup j’ai pu respirer à nouveau

après la lourde responsabilité que l’on venait officiellement de mettre sur mes épaules. Car à

présent si quelque chose arrivait, elle serait à n’en pas douter plus grave et difficile qu’elle

ne l’avait été dans cette forêt, et cette fois je n’avais plus le droit d’échouer.

Zhao Yun s’avéra être un maitre patient et particulièrement doué, prenant le relai des cours

de Tao Fen, parti pour l’hiver. Dès le premier jour, Jiang et moi avions eu droit à une

démonstration du maniement de la lance comme lui et moi n’en avions jamais vu. Ses coups

filaient à une vitesse inimaginable, fusant dans l’air pour atteindre d’invisibles ennemis dont

je n’aurais pour rien au monde envié la place. Il maniait tout aussi bien le sabre et deux

espèces de bâtons qu’il appela Tonfa je crois. Jiang était admiratif, depuis qu’on lui avait

appris que cet homme était l’élève de son père, il ne voyait en lui que les gestes de son

illustre sang. Quant à moi je ne pouvais m’empêcher de serrer le petit pendentif ailé qui

pendait à mon cou…Celui-ci aurait du travail, car si je devais apprendre tout ça je partais du

niveau en dessous de zéro, moi qui n’avait jamais touché le manche d’une arme de toute ma

vie, hors mis celui de la dague de Terra.

Les premiers cours furent avant tout théoriques, car selon lui, on n’apprenait pas le

maniement des armes si l’on ne les connaissait pas sur le bout des doigts. Nous avons donc

passés de nombreuses journées à passer en revue kunaï, hallebardes et épées diverses,

apprenant à en distinguer les formes et utilisations, envisageant leurs faiblesses et leurs

points forts ainsi que leur rayon d’action. Jiang ne tarissait pas de questions mais je ne m’y

intéressais pas moins ; Nous avions à disposition un véritable arsenal, aussi varié que

potentiellement mortel, bien en deçà de ce que je pouvais imaginer. Et parce que j’étais venu

avec ma pauvre image de guerriers combattants seulement au katana en poussant des cris

ridicules, je m’intéressais particulièrement à ceux-ci, j’avais particulièrement hâte

d’apprendre à m’en servir.

Maitre Zhao Yun n’évoquait jamais la guerre ou son propre passé sur les champs de bataille,

mais il était bien plus bavard que Maitre Tao Fen. En effet, du haut de sa petite trentaine

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d’années, il était bien plus proche de notre âge que ne pouvait l’être le petit homme au

visage masqué. Nous n’avons pas pour autant passé du bon temps, les cours étaient difficiles

et si la menace d’affrontements futurs devait se faire sentir, c’était bien dans l’urgence

d’apprendre le maximum de choses dans un temps réduit. Les cours duraient parfois toute

l’après-midi, au détriment parfois des miens. Ils avaient lieu au sein d’une grande salle claire

de la villa, bien loin de cette plaine que l’hiver avait fini par changer en terrain difficile. La

salle d’entrainement ressemblait un peu à celle dans laquelle nous mangions couramment, à

la différence près qu’on ne trouvait dans celle-ci ni table ni plante d’agrément, juste un

immense tatami de couleur claire et d’innombrables armes. C’était l’occasion pour des

visiteurs de venir de temps à autre assister aux démonstrations avec nous.

J’avais du mal à me concentrer en la présence de Mei, même pendant les cours théoriques.

Envisageait-elle que j’atteigne le même niveau que le professeur qu’elle m’avait présenté ?

Je ne le su jamais vraiment, mais à voir son regard, elle éprouvait énormément de fierté pour

son fils, qui trépignait toujours d’impatience à l’idée de toucher et expérimenter. Mais plus

que tout, le visiteur qui me dérangeait davantage était Huan.

Depuis l’incident dans sa chambre, je m’étais toujours arrangé pour ne pas le croiser trop

longtemps, et même si ses visites étaient plus espacées et parfois vraiment courtes, j’avais

toujours l’angoisse de croiser son regard. Alors quand il vint pour la première fois se joindre

à nous dans la salle d’entrainement, je n’en croyais pas mes yeux. Il faisait comme si de rien

était, m’ignorant au profit de son neveu chéri, qui était ravi du changement d’attitude de son

oncle. De ses propres mots, celui ci avait changé, il ne cherchait plus à le pousser à grandir

trop vite, et permettait même qu’il suive les cours avec moi. Ce qui m’énervait le plus, hors

mis le fait qu’il n’avait pas son mot à dire là-dessus, c’était ses manières…

Lui qui affectait une mine sévère depuis toujours semblait vouloir se racheter une conduite,

en offrant des cadeaux, en partageant des moments avec son neveu, comme s’il avait oublié

que la tentative d’enlèvement dont avait été victime mon protégé n’avait eu lieu que parce

qu’il l’avait encouragé à voyager seul ! Et Jiang qui ne voyait rien… Ce dernier était

enchanté de partager son enthousiasme de l’apprentissage avec un proche de son père, c’était

pour lui l’occasion de prouver qu’il s’était bel et bien engagé sur la voie qui lui échouait, et

il y marchait avec fierté. J’adorais cet enfant, vraiment, mais du haut de mes quinze ans, je le

trouvais parfois tellement naïf…Heureusement, celui-ci avait compris qu’il ne fallait pas

trop me parler du sujet, et ce même sans savoir ce qu’il s’était passé dans la chambre de son

cher oncle…

Tu n’es rien ici…

Les mots qu’il avait prononcé résonnaient encore parfois dans ma tête lorsque j’entendais

parler de lui, et plus encore pendant ces cours ou il s’asseyait à coté de Jiang et faisait

semblant de boire les paroles du maitre, en les ponctuant d’anecdotes bien senties sur les

exploits de son défunt frère d’arme…

Aussi, lorsque les deux partaient après le cours, me laissant seul avec Zhao Yun, je ne

pouvais m’empêcher de rester un instant pour souffler et profiter du seul tintement

métallique des armes que l’on rangeait.

_Il ne te plait pas cet homme-là, n’est-ce pas ?

Le maitre venait de s’asseoir à mes côtés, me tirant à mes rêveries d’un monde sans Oncle

Huan.

_J’aime pas ses manières…

Je n’étais pas disposé à lui parler de l’incident de la chambre. Bien que nous parlions

parfois, le simple fait qu’il puisse le répéter à Mei et provoquer un scandale au sein de la

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grande maison me stoppa net.

_Moi non plus, son sourire de façade cache quelque chose.

_Je pense aussi, il cherche juste à avoir le fils qu’il a pas eu !

_Oh tu crois ?

Je restai silencieux…Quelque chose me disait qu’il ne s’agissait pas simplement d’une

jalousie braquée contre moi et mon influence, mais je n’avais pas le cœur à m’étaler la

dessus.

_Écoute Luther, ton intuition est une arme dont tu dois apprendre à te servir également, car

elle pourrait te sauver de bien des dangers.

_Mais je peux rien faire !

_Tu es jeune, tu as le temps d’apprendre cela, mais en attendant acceptes mon conseil : Ne te

laisse pas abattre, le meilleur cadeau que tu puisses faire à ton ennemi est de lui tendre tes

points faibles, tu te souviens ?

_D’accord…

_Écoutes, je sais par Mei que demain il repart vers le front du Nord. Si tu veux on

commencera la pratique, mais d’ici là je veux que tu fasses quelque chose avec Jiang,

quelque chose qui vous plait à tous les deux et que son oncle ne pourra jamais lui offrir, tu es

d’accord ?

Je ne saurais dire si les paroles de mon maitre m’ont complètement rassuré à cet instant,

mais en sortant de la salle je me sentais habité d’une nouvelle énergie, je savais précisément

ce que j’allais pouvoir faire. Me dirigeant vers les jardins, j’ai retrouvé mon jeune élève et

son oncle, en plein récit de bataille visiblement. L’air de rien j’ai ouvert mes ailes, et

oubliant complètement la présence de l’homme que je haïssais, j’ai appelé mon jeune

protégé.

_Hey Jiang ! Ça te tente une ballade ?

Et lorsqu’il a adressé deux pauvres mots à son oncle médusé avant de courir dans ma

direction, j’ai compris ce que voulait dire Zhao Yun. Je n’avais pas gagné mais c’était tout

comme, je venais de frapper mon ennemi sans me démonter, et alors que nous nous

envolions un grand sourire est né sur mon visage et je n’ai pu m’empêcher de rire de joie. Je

n’avais pas idée de ce que je venais de faire.

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Tenant fermement la garde de la petite épée en bois dans le creux de la main, j’en

jaugeais le poids, évaluant comme on me l’avait appris la force qu’il me faudrait mettre pour

porter un coup sans me faire mal au poignet. En face de moi un jeune garçon aux cheveux en

bataille, tachant de garder son sérieux devant ma mine concentrée.

« Allez-y ! »

Je m’élance contre mon adversaire, plus rapide que moi. Son épée touche la mienne, portée

en opposition sur mon flanc gauche. Déstabilisé je tente de riposter en piquant vers son

ventre, il pare le coup et le bois de nos deux jouets d’enfant s’entrechoquent. S’en suit deux

autres passes, pendant lesquelles je contre un coup portée à la verticale et riposte en

effleurant sa chemise du bout de ma lame factice. Le combat dura ainsi dix bonnes minutes,

durant lesquelles ni Jiang ni moi ne parvînmes à prendre l’avantage ni à toucher réellement,

malgré quelques coups passés près. Zhao Yun arrête le combat et nous tombons assis l’un à

côté de l’autre, à bout de souffle.

Cela faisait trois semaines que nous nous entrainions réellement dans la fraicheur de la

grande salle, à l’abri du paysage enneigé. Nous avions progressé énormément d’après le

Maitre, mais pas un ne parvenait à surpasser l’autre, et si j’en tirais une sorte de fierté, je

craignais que Jiang et ses années d’’entrainements aux arts du combat ne le prennent mal.

Mais au contraire il semblait heureux, et en juger par la mine faussement effrontée qu’il

affichait, il avait hâte d’en découdre de nouveau.

Nous avions passé la journée à ça, seuls avec le Maitre. Mei était affairé à administrer les

terres de son défunt époux, et personne n’était venu assister aux duels fratricides du jeune

seigneur Jiang et de son percepteur ailé. Huan quant à lui n’était pas venu depuis le jour où

je l’avais bravé, et à vrai dire malgré la fierté personnelle que j’en tirais, j’étais soulagé de

ne pas avoir à lui faire face après cela. Je savais que cela n’allait pas durer, mais tout allait

bien dans le meilleur des mondes tant qu’il n’était pas là.

Pour Zhao Yun, l’heure était venu de nous trouver une arme de prédilection, notre première

et celle qui deviendrait notre compagne dans toute bataille qui se jouerait. Pour cela, nous

devions déterminer avec laquelle nous nous sentions le plus à l’aise, et dès lors nous

entrainer avec jusqu’à la maitriser parfaitement. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous

seraient forgées les nôtres, gravées de griffes nous correspondant. Jiang avait une préférence

pour le nunchaku, qu’il maniait de mieux en mieux au fil des séances, et avec lequel il

s’amusait à faire des sortes de figures lorsqu’il ne combattait pas, un peu comme le ferait un

enfant de mon époque avec un yo-yo. Quant à moi j’avais une préférence pour la lance, à

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l’image de mon maitre. Sa grande portée me permettait d’être en sécurité et de frapper

depuis les airs facilement, et je m’entrainais moi aussi dans mon coin à la faire virevolter

comme je l’avais vu faire.

Nos combats prirent alors une autre teinte, plus emportée. Nous devions nous spécialiser et

surpasser l’arme de l’autre, même si elle n’était encore qu’une vulgaire reproduction en bois.

Nous nous battions plus longtemps, plus fort, et aux coups circulaires que je lançais dans ses

jambes pour le faire trébucher il répliquait par de foudroyantes percées que j’avais du mal à

voir venir. Avec ce changement d’arme j’avais gagné le droit d’utiliser mes ailes, pour me

battre dans des conditions plus réelles et ajouter une difficulté à Jiang, qui ne se laissait pas

démonter. Les combats s’étalaient dans le temps, et il n’était pas rare que Maitre Yun nous

interrompe pour nous expliquer nos fautes, un peu à l’image de ce que faisait Tao Fen.

Et petit à petit les gens sont revenus, toujours plus nombreux, plus curieux. Nous

progressions, de la bouche de Zhao Yun, à une vitesse impressionnante, et là ou Jiang mettait

sa progression sur le sang de son père et l’entrainement prodigué, je savais que je devais la

mienne aux pouvoirs que me conférait le pendentif ailé. J’ignore toujours si mon jeune

compagnon pensait la même chose, mais il n’a plus été question pour lui de ceindre la petite

épée à son cou, sans doute préférait-il opter pour une force qui lui serait propre. Quant à moi

je progressais rapidement et le soir, éprouvant mes courbatures comme des récompenses, je

prenais petit à petit conscience que je devenais plus fort et que je m’approchais de mon but,

être capable de protéger ceux auxquels je tenais.

Au début, chaque fois que j’utilisais mes ailes je pouvais entendre les spectateurs chuchoter,

de la même manière que ceux qui venaient me voir en salle de pause lorsque j’étais au lycée.

J’étais redevenu une sorte d’attraction, à la différence près qu’ici je me sentais vraiment

aimé. Dans leur regard je ne trouvais ni crainte ni dédain, uniquement une curiosité parfois

naïve qui ne me donnait que plus envie de me lâcher encore. Les enfants criaient de joie

lorsqu’ils sentaient le vent fouetter leur visage, les vieux affichaient des sourires

énigmatiques, ce qui énervait un peu mon adversaire.

Jiang avait encore grandit, il devenait petit à petit le digne héritier de son père, leur seigneur,

et voulait qu’on le considère comme tel. Même si je savais qu’il ne m’en tenait pas rigueur,

il redoublait de rage en public pour prouver sa valeur, et malgré ce qu’il pouvait croire, tout

le monde le regardait lui aussi, et était fier de lui. Mei ne tarissait pas d’éloges en sa faveur

et clamait à qui voulait l’entendre que dans son style de combat l’on pouvait sentir celui de

son noble Maitre et la gloire de son illustre père, le grand Xian Ling.

Et chaque jour se ressemblait, parfois nous nous entrainions encore seuls, pour apprendre

davantage de notre maitre, parfois nos après-midi tenaient plus du spectacle que du cours, et

cela a duré jusqu’à la fonte des dernières neiges de l’hiver, jusqu’à ce que Huan ne revienne.

Ce jour-là Maitre Zhao Yun avait dû s’absenter quelques temps pour discuter avec Mei, et

Jiang et moi échangions quelques coups pour pouvoir raccrocher les cours de Maitre Fen

sans avoir perdu la main. Je me souviens qu’après une brève altercation, il s’était saisit de

son Nunchaku, prêt à faire basculer le genre du combat, et alors que je me dirigeai vers ma

lance dans un mouvement rapide, la voix désagréable que je craignais d’entendre chaque

jour a retenti.

_Eh bien eh bien ! Je vois que mon cher neveu a fait de gros progrès !

M’arrêtant dans mon élan, je me suis mis en retrait, attendant la fin de leurs retrouvailles

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pour continuer le combat. Mais Jiang avait visiblement autre chose en tête.

Lâchant son arme, il vint à la rencontre de son oncle et le serra dans ses bras, je détournai le

regard. Contre toute attente, il revint pourtant vers moi.

_Mon Oncle, venez voir comme nous sommes devenus forts, presque autant que vous !

C’est alors qu’il se tourna vers moi.

_Voyez-vous ça, le précepteur sait se battre ?

Sa remarque acide frappa mon humeur de plein fouet.

_Pas de réponse ? Eh bien, voyons ce que ça donne !

Étais-je donc le seul à voir son ton acerbe et son dédain ? Jiang était-il à ce point aveugle ?

Huan considéra les armes en bois que nous utilisions jusqu’alors.

_Hum…Et que dirais tu d’utiliser de vrais armes pour voir ? Pas de vrais coups, juste

quelques passes, qu’en dis-tu Jiang ?

Le jeune garçon parut moins enthousiaste tout à coup

_Vous êtes surs ? On ne s’est pas encore entrainés comme ça…

_Eh bien ! Où est passé le grand garçon aventureux que j’ai connu ? Le froid a-t-il eut raison

de ton ardeur ?

Jiang était mal à l’aise, il semblait tiraillé.

_Aller, va demander à ton maitre d’arme ! Je reste ici avec ton précepteur, fais vite !

Une boule se forma dans mon ventre, ou voulait il en venir ? Jiang acquiesça avec hésitation,

et après un bref regard dans ma direction, se dirigea en courant vers la porte, nous laissant

seuls.

L’homme détourna alors son regard ses talons de son neveu et tira son sabre au clair, avant

de lancer d’un ton mielleux

_Que dirais-tu de faire quelques passes d’armes en attendant ?

Sentant venir le danger, je me saisis d’une vieille lance qui nous avait servis en cours

théorique.

_Alors ? Tu as perdu ta langue ? Voilà une chose que tu as été bien avisé de faire !

Et il s’élança contre moi.

Le premier coup frappa la lame de ma lance avec force, pas de celle qu’on met pour

s’entrainer. Je fus déséquilibré mais en profitai pour lui faire un croc en jambe avant de

m’éloigner de lui. Il se releva, et d’un pas toujours lent revint à la charge. Je réussi à parer le

second coup avec le manche de mon arme, profitant de son élan pour laisser glisser sa lame

contre le bois, arrachant le vernis et projetant dans l’air de nombreux copeaux. Je passai

derrière lui et lui frappait le milieu du dos avec le pied. Il fit volteface et fendit vers moi,

raflant ma joue en me tirant une vive douleur. Sous le choc, je sentis le liquide chaud couler

lentement, et son air satisfait…Il s’amusait!

Je fis sortir mes ailes pour prendre de la hauteur sous le plafond, et fendis à mon tour, sans

penser une seconde que je reproduisais une de mes erreurs fréquentes…Il saisit le manche et

me fit tomber lourdement sur le sol dans mon élan. A terre, je décrivis un large mouvement

circulaire pour lui faucher les jambes mais il évita d’un saut, revenant à la charge. Un à un je

parai ses coups, acculé contre le mur et handicapé par la longueur de mon arme…Il fallait

que quelqu’un vienne, et vite !!

Un ultime coup frappa mon manche, qui craqua sinistrement. Dos au mur, je retins la lame

de toutes mes forces, conscient que je ne pourrais pas tenir éternellement…Je priai

intérieurement mon pendentif de m’aider, mais d’un coup la pression sur mes bras

s’estompa, et profitant de ma surprise Huan arracha la lance de mes doigts, ne me laissant

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que le temps de rouler sur le côté pour éviter la lame de son sabre.

La joue en sang et la vue brouillée, je le vis me regarder en souriant, alors qu’il se retournait.

_Alors ? C’est tout ?

A ces mots il brisa la lance d’un coup de genou.

_Pars, quitte cet endroit, tu n’as rien à faire ici ! Tu n’es rien d’autre qu’un parasite, un ver

dans le fruit de cette maison…

Le sang chaud coulait toujours sur ma joue, coulant sur mes mains et me faisant tourner la

tête. Je haïssais cet homme, et plus encore à cet instant…Il me fallait faire quelque chose.

_Si tu essayes de prévenir qui que ce soit, ce sera ta parole contre la mienne, et je te

trouverai. La suite, je n’ai pas besoin de te l’expliquer hein ?

Bondissant vers les armes qui restaient au sol, je me saisis d’un katana, révélant une lame

d’une clarté qui n’avait rien à voir avec celle de ma lance.

_Ah, tu n’es peut être pas si stupide en fin de compte.

Et je me suis jeté sur lui, la tête bourdonnante.

La scène se passa comme au ralenti. Sa lame toucha la mienne dans un tonnerre de métal,

puis d’un coup je la fis glisser pour faire tourner son poignet. De douleur il lâcha son sabre,

qui s’envola pour tomber à ses pieds, me laissant face à lui la lame pointée vers son cœur.

En un éclair il rejeta de côté ma menace puis roula pour récupérer son arme. De rage il cria,

se lançant vers moi de nouveau. Il me semblait qu’il était devenu plus lent, que ses coups

contenaient moins de force. Nos lames s’entrechoquèrent, claquant dans l’air dans un

vacarme assourdissant. Il laissait exploser sa rage dans des paroles incompréhensibles, et

moi je n’entendais plus rien. Dans un ultime choc, nos lames se rencontrèrent et glissèrent

vers le bas. Profitant de la proximité de nos pieds, j’aplatis sa lame au sol, lui faisant lâcher

prise, et dans le même mouvement le fil de mon katana lacera sa joue d’un revers.

Mes tempes battaient la chamade, et mon corps cognait douloureusement dans ma poitrine,

mais je savais qu’il était vaincu, et lui aussi. Il savait que je ne le laisserai pas rebondir

comme il l’avait fait plus tôt, mais savait-il à quel point j’aurais aimé faire couler davantage

de son sang ? La porte de la salle s’ouvrit à la volée, laissant apparaitre Jiang, suivi de sa

mère et de Zhao Yun. Le regard que me lança mon élève me ramena cruellement à la réalité,

que venait il de se passer ici…Ma rage et ma colère laissèrent place à une incontrôlable

panique intérieure, la peur de ne pas être compris. Je m’apprêtai à m’expliquer lorsque Huan

prit la parole, affectant une voix grotesque.

_Voyez ! Voyez le danger que vous tolérez en votre demeure ! Il m’a attaqué, j’ai à peine eu

le temps de me défendre !

Jiang semblait dépassé, cherchant le regard de sa mère pour fuir les nôtres. Celle-ci

considéra la scène alors que je lâchai mon katana, ne sachant que dire ou faire. J’aurais aimé

crier, dénoncer les mensonges de cet homme qui avait voulu prendre ma vie, mais leur

regard m’en dissuada…Qu’aurais-je pu dire ou faire, l’on venait de me surprendre la pointe

de l’épée sur le cou d’un ami proche, d’un oncle…

_Vous deux, dorénavant je considèrerai comme fautif celui qui cherchera de près ou de loin

à atteindre l’autre, quelle qu’en soit le motif. Je ne tolèrerai pas de tels débordements en ma

demeure !

Le ton de Mei était tel que je ne l’avais jamais vu, cassant et froid comme du verre.

Huan prit un ton suppliant, piqué au vif de n’être pas considéré comme la victime.

_Ma Dame, je dois vous entretenir de ce qu’il vient de se passer…

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_Hors de ma vue, nous verrons ça plus tard ! Luther reste ici un instant.

Mais je savais ce qu’elle allait me dire et je ne voulais pas l’entendre…En cet instant je

n’aurais pas supporté de reproche ou de regards chargés de rancœur, je voulais être seul.

Bafouillant qu’il fallait me laisser tranquille, je suis sorti à mon tour, déployant mes ailes

pour partir sans regarder en arrière. Il avait suffi d’un regard de Mei et Jiang pour que je

comprenne que personne ne me croirait, dès lors rien de ce qu’ils pourraient me dire n’aurait

pu atténuer le sentiment atroce que je ressentais de nouveau. Ce jour-là j’ai hésité à partir

pour de bon, quitter la Chine pour aller ailleurs, n’importe où…

Cet homme voulait ma mort je le savais à présent même si j’ignorais exactement pourquoi,

ma joue sanguinolente en témoignait, mais alors, comment pouvais-je encore vivre ici ?

N’aurais-je pas mieux fait de tirer un trait sur ces longs mois passés en leur compagnie et

partir à la recherche des Rouleaux de la vie moi-même ? Assis sur une souche au milieu de

nulle part, face au soleil qui ne tarderait pas à se coucher, j’avais peine à réfléchir, et il y

avait ce regard que Jiang m’avait lancé… J’aurais aimé ne pas lui en vouloir, j’aurais aimé

qu’il prenne ma défense, il avait vu l’attitude de son Oncle face à moi, il avait eu les clés

pour prévoir que ça n’irait pas, comme moi je les avais eu ! Mais il ne s’était rien produit,

dans ses yeux brillants braqués sur le triste spectacle que nous avions donné Huan et moi, je

n’avais vu que de l’incompréhension…Soudain le souvenir de mon passage dans la cité

d’Inoa me revint en mémoire. Les gens que j’avais vu la bas avaient pu amorcer un

changement dès lors qu’on leur avait montré la voie, dès lors qu’Espoir avait fait tomber la

pluie sur le sable chaud de leurs rues, dès lors qu’on leur avait pointé du doigt l’horizon du

ciel. Non, l’incompréhension de Jiang n’était peut-être pas irrémédiable. Non, je ne partirai

pas, et je n’abandonnerai pas non plus ! En fuyant comme je venais de le faire, j’avais de

nouveau exposé une faiblesse à mon ennemi, car il s’agissait bien de ça.

Huan Ling n’aurait pas ma peau, et puisqu’il tenait tant à son neveu, j’allais même l’aider à

faire plus ample connaissance avec lui ! Mon élève verrait le vrai visage de son soit disant

protecteur, j’avais bien l’intention de tout faire pour, à commencer par tenir la tête haute et

raconter ce qui venait de se passer, peu importe les conséquences. Huan pouvait me

menacer, je l’avais battu par les armes, et je comptais bien le battre sur son propre terrain,

celui des manigances.

Je suis rentré après que le soleil se soit couché, évitant –malgré mon courage retrouvé-

l’épreuve du repas dans la salle commune, j’avais l’estomac gargouillant mais pas vraiment

d’appétit de toutes façons. Je ne m’attendais pas à être accueillit les bras ouverts, mon départ

précipité n’avait pas dû être des plus appréciés, mais qu’importe ! Le lendemain serait une

journée instructive pour tout le monde, et tant pis si leur nuit se passait chargée de paroles

suspendues et de questions, pour une fois ce ne serait pas le cas de la mienne ! J’ignorais si

Huan était encore là, mais la grande salle était toujours allumée.

Je trouvai ma chambre telle que je l’avais laissé le matin, les tentures claires des murs

luisant à la lumière de la lune comme d’impassibles fantômes. Sur le lit refait d’une manière

bien plus belle que je n’aurais jamais su le faire, un petit papier m’attendait.

« Retrouve moi dans la plaine, nous serons seuls. »

L’écriture était élégante, finement tracée à la plume d’une encre sombre et sans impuretés,

intrigant message. Un instant j’hésitai à y prêter attention, la personne ayant déposé ça ici ne

devait pas s’attendre à ce que je rentre à une heure si tardive, pourtant je ne me sentais pas

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de réfléchir la nuit durant sur l’identité de l’expéditeur, et puis, un coup d’œil ne coutait rien.

Marchant silencieusement dans les couloirs de la grande maison, j’empruntai les escaliers de

pierre descendant derrière la maison. Dans la fraicheur de la nuit, sous un arbre au tronc

tourmenté près duquel nous nous étions tant de fois écroulés avec Jiang lors de nos

entrainements un feu vacillait, luttant pour garder sa chaleur malgré le vent et l’obscurité.

Après coup je me suis dit que s’il avait s’agit de Huan et que je l’avais su, je n’y serais

certainement pas allé, mais ce n’est pas lui qui se trouvait là, assis en tailleur, son masque

recouvert d’ombres dansantes.

_J’allais finir par penser que tu étais parti pour de bon.

Tao Fen !

_Maitre, c’est bien vous ?

_Qui d’autre ?

La nuit venait de prendre une autre ambiance, s’il y avait bien quelqu’un à qui je pouvais me

confier sur ce qui venait de se passer, c’était bien lui !

_Je suis désolé d’arriver si tard, j’espère que vous ne m’avez pas trop attendu…

_ N’ai crainte, j’avais de la compagnie !

Une autre voix retentit alors, une voix familière.

_Luther, nous devons te parler.

Zhao Yun sorti de l’ombre, dardant un regard que j’imaginais déjà inquisiteur…Celui-ci

devait déjà avoir tout raconté au petit homme, il allait me falloir faire preuve de mon

courage retrouvé bien plus tôt que prévu.

_Maitres, je dois vous raconter ce qui s’est vraiment passé…

La voix claire et douce de mon maitre d’arme interrompit mon élan.

_Ne te donne pas cette peine, nous le savons précisément, nous sommes de ton coté.

Hein ? L’annonce me prit de cours, me coupant l’herbe sous le pied. Après un instant de

silence je me repris, troublé par le silence que m’offraient les deux hommes pour

m’exprimer.

_Cet homme est mauvais, je dois juste le prouver à Dame Mei et à Jiang.

Dans la pénombre j’aperçus un sourire sur le visage de mon maitre d’arme, mon attention

vite rattrapée par Tao Fen.

_Nous t’appuierons dans l’ombre, Huan Ling ne doit pas savoir que nous l’observons, sinon

il deviendra méfiant. Il ne s’attend pas à ce que tu t’opposes à lui, et c’est avec toi qu’il a le

plus de chance de se trahir, il te considère comme un élément extérieur.

Zhao Yun ajouta :

_Et c’est pour cela que tu dois faire très attention, tiens-toi sur tes gardes. Nous serons

derrière toi, mais nous ne sommes pas à l’abri d’un contretemps. Pour le reste…tu as notre

confiance.

Dans sa voix je sentis comme un sourire, une impression qui me fit tourner la tête, et plus

encore lorsque Tao Fen enchaina.

_J’ai ouïe dire que tu as fait de prodigieux progrès, Huan est un adversaire coriace ! Bien

plus que tu ne le crois.

Un sentiment de fierté gonfla dans ma poitrine, et que mes dons viennent du pendentif n’y

changeait rien, mes Maitres me trouvaient forts !

_Gardes la tête froide, tu en aura besoin, de plus durs combats t’attendent encore, d’ailleurs

à ce sujet…

Zhao Yun sorti alors un paquet de son dos, avant de me le tendre sans un mot.

Lentement je dégageai un fourreau aux bas-reliefs représentant des plumes, et à la couleur

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noir d’ébène enluminée de dorures fines. Au bout se trouvait une garde aux reflets dorés et

aux motifs complexes, une sorte de bandage enserrant une poignée dont la forme épousait

ma main. Lentement je tirai dessus, offrant à l’attention des flammes une lame d’un métal si

pur que l’on aurait pu le croire blanc, et au fil coupant jusqu’à la lumière elle-même. Le

katana semblait pulser entre mes mains au même rythme que mon cœur.

_Voici l’arme qui sera la tienne, Luther.

_Un katana? Mais mon arme c'est la lance, non? C'est avec ça que je me suis entrainé !

Mais en réalité, la question ne se posait pas pour moi, elle ne s'était plus posée dès l'instant

où ma main avait saisit la garde de l'épée, à cet instant j'avais su qu'elle était celle qu'il me

fallait...Choisir la lance avait été la facilité, un moyen de m’éloigner du monde, au moins sur

la longueur d'un manche, si court fut il...

_On ne trouve pas son arme, c'est l'arme qui nous trouve, jeune ami. Dans cette salle

d'entrainement, qu'as tu ressenti lorsque tu as vaincu Huan?

_Eh bien euh...j'étais fier de moi...

Le visage de mon maitre d'arme était tourné vers moi, les flammes du feu vivace dansant

dans ses yeux.

_Cette épée est le symbole de ta renaissance, celle qui te rappellera cette victoire et te

donnera la force de te battre et celle de t'imposer au monde.

Il disait vrai, et l'estafilade sur la joue de mon ennemi en était la preuve. Tout ce temps

j'avais été une victime...Une victime de la société lorsque j'étais venu au monde, une victime

de la vie lorsque tout avait basculé, celle de ces loups dans le désert, de la faim lorsque

j'avais du chassé de la nourriture pour survivre... depuis le début j'avais été charrié de

volonté en volonté, de choix qui n'étaient pas les miens et avec lesquels je composais quand

même...J'avais un destin, je l'acceptais même si je n'en connaissais aucun des traits, mais il

me fallait devenir plus fort et pour cela ne pas hésiter et me battre !

_Il te faut lui donner un nom et ne jamais en changer. Un nom qui symbolisera ta

détermination, ta force nouvelle et la flamme qui t'habite. Ce qui sera celui qui fera trembler

tes ennemis, celui qui donnera confiance à tes alliés et te suivra toute ton existence.

Galvanisé par les nouvelles perspectives de mon avenir, je savais en cet instant exactement

quel nom donner à cette lame.

_Choisis bien, ne nomme pas à la légère ! Me sermonna Tao Fen, qui voyait sans doute mon

sourire.

_Vengeance...murmurai-je.

Le silence qui s'en suivit eut une couleur particulière. Sur le moment je cru à un silence

respectueux, et les regards qu'ils s'échangèrent ne me mirent pas la puce à l'oreille,

seulement cru-je à un assentiment commun...Si j'avais su que je me trompais gravement...

_Es tu sûr de ce choix? M'interrogea Zhao, d'un ton neutre.

Et à l'époque je ne pouvais pas l’être davantage. Ce katana à la lame blanche serait

l'instrument de ma vengeance sur la vie, l'arme qui taillerait ma place dans le monde et grâce

à laquelle je n'allais plus être une victime...Je pensais avec naïveté que la vengeance pouvait

posséder un sens positif, que la blancheur de son but resterait immaculée. L'esprit déjà loin

dans le futur, je me voyais vaincre sans peine et être respecté, me vengeant du sort lui même.

_Si je bat Huan, qu'arrivera-t-il?

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Mes deux maitres éclatèrent d'un rire qui me fit rougir de honte.

_Nous n'en sommes pas la ! Pouffa Zhao Yun. Il n'est pas n'importe qui, tu es désormais

attendu au tournant, puis...Tu sais te battre pour blesser désormais, mais es tu prêt à tuer s'il

le faut? La victoire est parfois à ce prix...

_Je ne sais pas...

Et c'était vrai...Ma première expérience avec ce loup avait été si dure...Aurais-je capable de

tuer une personne si j'y étais obligé, de faire couler un sang qui aurait pu être le mien, qui

aurait pu être celui d'un père que ses enfants attendent...J'avais tellement désiré la mort de

certain qu'en ce moment même je me demandais si je n’étais pas stupide de ressentir tant de

scrupules...Tellement de gens tuaient sans se morfondre, que ce soit pour se défendre ou

pour des idées, mais n'était-ce pas ce que j'avais toujours détesté? Je voulais ma vengeance

sans douleur ni peine...Était-ce vraiment la seule solution, celle de se prendre pour dieu en

décidant du dernier sort d'autrui, en décidant de rayer toutes les années d'une vie en seul

recours? Je ne savais pas trop quoi répondre à cette question, cette époque n'était pas celle

ou j'étais né, ma morale n'y avait peut être pas sa place...

_Tuer ou être tué, déclara Tao Fen, philosophe.

_Si je n'ai pas le choix, ajoutai-je, les yeux plongés dans le métal blanc du katana, la mine

sombre.

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Cette nuit la je ne suis pas rentré tout de suite, il me fallait réfléchir. J'avais laissé mes

deux Maitres dans la plaine en emportant avec moi Vengeance, accrochée à ma ceinture. Je

ne comptais l'utiliser en combat puisque je n'avais pas prévu de me battre, mais je l'ai plus

quitté dès cet instant. Si ce qu'avait dit Zhao était vrai, des temps troublés s'annonçaient et il

me fallait prendre garde, plus encore depuis que j'avais vaincu Huan.

Alors que le bon sens m'aurait dicté de ne plus croiser sa route désormais, j'étais bien décidé

à ne pas en rester là avec cet homme, ses manigances au palais ne pouvaient pas durer

éternellement, pour le bien de Jiang et de sa mère. Son attitude avec Mei et dans ma relation

avec son neveu cachait forcément quelque chose, et ça je devais le découvrir...La nuit aidant,

je pouvais aller et venir sans trop de contrainte malgré le froid, la fatigue et l'aube qui

approchait. Mais je n'avais pas sommeil alors autant en profiter ! Mais par ou commencer?

Huan Ling semblait avoir quitté la grande demeure, à en juger par l'obscurité régnant autour

de ses appartements. Les lieux n'avaient pas changés depuis l'incident de l'autre fois, et ce

malgré les quelques mois qui s'étaient écoulés, ce qui me permis de me repérer sans faire

trop de bruit. Aucun garde n'était posté dans cette partie du jardin, me laissant champ libre

pour m'introduire et mener mon enquête. J'étais à la recherche de courriers, d'objets ou

même de traces qui auraient pu incriminer mon ennemi, mais l'homme semblait ne pas avoir

changé lui aussi. L'endroit semblait n'avoir jamais été habité, comme si son locataire avait eu

à cœur de masquer toute trace de passage...Pour un adolescent de 15ans, qu'il soit ailé et des

centaines d'années dans le passé ou non, autant de propreté aurait pu paraître suspecte, mais

je soupçonnais les servantes d'être passées par la avant moi.

J'ai fouillé méticuleusement chaque coin, chaque dessous de lit, jarres et rangements,

observé stupidement la pièce principal au ras du sol, espérant y apercevoir quelque chose de

plus, mais rien...Rien d'autre que la lumière rosée du soleil se levant au travers des grands

panneaux de toile...Ou ce Huan était un fantôme, ou une servante d'ici était une pro du

ménage, auquel cas, pensais-je amusé, il me faudrait la trouver pour lui confier ma propre

chambre.

Avant que la garde ne se lève je décidai de quitter les lieux, en essayant moi aussi de ne pas

montrer trace de mon passage. Par chance les portes ici étaient plutôt silencieuses, et c'est

comme ça que je suis reparti, épuisé et déçu de ma première enquête, sauf que...

Quelque chose attira mon attention dehors. Je m'apprêtais à déployer mes ailes pour arriver

plus rapidement chez moi lorsque je remarquai une forme étrange dessinée sur l'une des

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boiseries de l'entrée. De loin on aurait pu croire à une décoration, en dépit du fait qu'elle était

assez mal placée -au ras du sol- mais la forme semblait trop incertaine. Je me souviens

qu'avant de me rendre compte de ce qu'était réellement cette forme j'ai d'abord ris

intérieurement et pensé Tiens, j'ai pas vu de trucs à brancher sur cette prise pourtant. Mais a

y regarder de plus près, cette forme ronde tracée à la craie m'était curieusement familière.

L'on y devinait une esquisse d'ovale, serti d'une pointe vers le bas et d'un petit cercle en haut.

A bien y réfléchir, ç'aurait pu être n'importe quoi, sauf que fatigué comme je l'étais j'avais la

certitude d'avoir enfin trouvé quelque chose. J'avais faillis passer à coté sans le voir, et

j'avais bien l'intention de lui accorder le maximum de mes réflexions ! Même si je dois

l'avouer, mes pensées étaient à parts égales attirées autant par mon lit que concentrées pour

ne pas oublier la mystérieuse forme. A tel point d'ailleurs que je me suis couché sans penser

une seconde qu'il me faudrait le lendemain parler à Mei, je ne pouvais laisser en suspens ma

fuite de la veille, pas avec elle...Ce serait dur, surement très, mais je ne pouvais pas l'éviter

éternellement.

Combien de temps j'ai dormi? Je ne l'ai jamais su, les seuls souvenirs qu'il me reste de cette

nuit sont celles d'une servante pressée faisant demi tour en me voyant dormir, et le silence de

mort qui régnait autour de moi. Oh, je ne m'étais pas attendu à être réveillé par Jiang,

comment aurait-il pu vouloir le faire ce jour la, mais au moins à entendre quelque chose...

D'ordinaire le palais était toujours plein de vie, même si ce n'était que la garde qui faisait sa

ronde dans le couloir...Je me suis levé l'esprit embrumé, et mal assuré j'ai fait quelques pas

dans la chambre. Du bout des doigts je pouvais sentir sur ma joue du sang séché, courant de

ma pommette à mon oreille, et avec ça un pincement au cœur. Près du lit il y avait ce katana

à la garde noire et or, comment l'avais-je appelé déjà? Vengeance?...Et ce vague souvenir

d'un dessin a demi effacé...Non, tout ça avait été réel, et maintenant que je m'en souvenais,

plus question de me réfugier au fond de mon lit.

Un instant pourtant j'ai espéré me tromper, pouvoir sortir comme si de rien était et saluer

tout le monde comme je le faisais tous les jours depuis maintenant des mois...Je n'avais

aucune idée de l'heure qu'il pouvait être, mais il me fallait trouver Mei et Jiang. Si je pouvais

les convaincre de mon innocence et de la menace que représentait Huan, il me fallait le faire

tout de suite.

En dehors de ma chambre, le palais semblait désert. Dans le jardin pourtant toujours

parcouru pas quelqu'un, qu'il ou elle soit serviteur ou ami de la famille, il n'y avait personne

non plus, ni éclat de voix ou bruit de pas. Si ma blessure à la joue ne m'avais pas picoté pas,

j'aurais pu me croire revenu dans ce cauchemar que j'avais fait, celui ou ma solitude semblait

avoir duré des années et ou j'avais faillit mourir...Il me semblait que les oiseaux eux-même

avaient arrêté de chanter, ne laissant exister que le bruit insolent de l'eau qui coulait au

milieu des fleurs.

_ « Luther, suis moi, dans la grande salle.

Le petit homme masqué qui m'avait appris à me battre se trouvait la, filant en direction du

palais, visiblement préoccupé.

_Maitre Fen ! Je dois vous parler de quelque chose...

_Plus tard, l'heure est grave !

_C'est par rapport à Huan, j'ai trouvé une espèce de...

_Justement ! Allez, viens !

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Le petit homme marchait vite, et en deux temps trois mouvements nous nous retrouvâmes

dans la grande salle, ou tout le monde était rassemblé et parlait bruyamment. S'y trouvaient,

en plus des généraux que je voyais de temps en temps, de nombreuses personnes que je ne

connaissais pas, toutes en armes. Mei se trouvait au bout de la grande table et ne me jeta

qu'un bref regard en coin qui me fit mal, se concentrant sur mon Maitre. Zhao Yun se

trouvait la lui aussi, le regard absorbé par une carte étendue devant lui, je ne voyais pas

Jiang.

_Tao Fen, nous vous attendions.

_Quelle est la situation?

Un général avec une longue barbe lui répondit.

_D'après les informations transmises par mon informateur, l’équipe de recherche est piégée

dans un vallon à trois jours d'ici, dans une caverne qui ne se trouve sur aucune carte.

Toujours selon ces informations, un groupe d'hommes de Sun Jian ont eut vent de leur

découverte et les traque depuis leur départ de Jinzhou. De plus, un détachement de mille de

leurs hommes est actuellement en marche et devraient atteindre la plaine de Wu Zang dans

les jours à venir.

L'équipe de recherche?

_Il faut leur porter secours! M'emportai-je, électrisé.

_Tu n'as pas ton mot à dire jeune homme ! Tonna Mei

Le coup me faucha sans prévenir, me laissant pantelant...Mei...

_Des nouvelles de Liu Bei ? Tempéra Tao Fen.

_Nous avons six cent hommes prêts à nous rejoindre, plus deux cent entrain de s'armer, les

autres sont trop loin de nous. Liu Bei viendra en personne se joindre à la bataille.

_Huan Ling est il à ses cotés?

_Non Maitre, lui et sa garde personnelle espionnent les troupes ennemies, il n'a pas précisé

ou il se trouvait.

_Que fait-on pour l'équipe de recherche? Nota Zhao Yun en jetant un regard vers moi.

_Si vous me confiez quelques hommes, j'irais moi même à leur rencontre, précisa Tao Fen.

Je suis bien trop vieux pour la guerre de toutes façons.

Mei prit alors la parole.

_Noble Guan Yu, je vais dire à tous mes hommes valides de se préparer pour la guerre, leur

loyauté envers mon défunt mari et pour l'empereur vous revient également de droit.

L'homme à la longue barbe eut l'espace d'un instant un petit sourire, qui disparu

immédiatement.

_Dame Mei Ling, veuve du grand Xian Ling, je vous remercies et vous promets que pas un

homme ne portera son arme contre vous ou votre jeune fils. Je m'engage personnellement à

protéger cette noble demeure en votre nom. »

Alors c'était la guerre...La menace qui hantait le palais tout ce temps durant venait de

prendre forme, le sang coulera dans l'herbe verte de la plaine de Wu Zang, et avec cette

bataille se déciderait une partie de l'avenir du Royaume tout entier. Quant au mien, il se

jouait ailleurs, dans une caverne loin d'ici, dans les lignes écrites de la main des dieux.

Un à un, les soldats présents quittèrent la salle; J'avais toujours l'intention de tout raconter à

Maitre Fen, mais en voyant Mei se retrouver seule je m'excusai auprès de lui pour lui parler.

_ « Tu ne devais pas assister à cette réunion, tu n'y étais pas invité.

_Mais madame, c'est Maitre Fen qui m'a dit de venir...

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_Nous verrons cela plus tard.

_Bien euh...je dois vous parler d'hier...

Je sentis tout à coup une pointe de colère dans sa voix.

_Et je ne veux pas en parler, vous m'avez déçu tous les deux! Quel exemple pour Jiang! Son

oncle et son meilleur ami se battant comme des chiffonniers !

Meilleur ami...

_Mais c'est lui qui..

Elle coupa net, maintenant vraiment en colère, je me sentais de plus en plus mal.

_Je sais que Huan n'est pas exempt de reproches, mais il a beaucoup fait pour nous ! Tu ne

peux pas savoir !

_C'est pas ce que je veux dire...

_Et tu as sauvé la vie de mon fils, alors je ne te punirai pas, tu es jeune...Mais je ne veux pas

d'une telle violence dans ma demeure, alors passons à autre chose ! Il y a plus important que

vos querelles, la guerre est à nos portes !

M'étais-je trompé? Peut être que cet homme n'était rien de plus que détestable...C'est ce que

semblait dire Mei, mais mon intuition me criait le contraire, tant de choses ne collaient pas.

En écoutant ma noble hôtesse, j'avais le sentiment de n'avoir été qu'un enfant capricieux et je

ne supportais pas ça, me sentir coupable de quelque chose que je referai...Alors que pouvais-

je faire de plus? Mettre en suspens mes soupçons et me concentrer sur cette guerre? Si les

choses se déroulaient comme prévues, Tao Fen ramènerait les Rouleaux de la Vie et ma vie

prendrait un autre sens...Peut être même y trouverai-je le fin mot de cette histoire avec Huan

Ling!

_Que voulez vous que je fasse, dois-je partir pour Wu Zang?

Son ton fut catégorique.

_Non je veux que tu reste auprès de Jiang, ce qui s'est passé lui a fait beaucoup de peine.

Tâches déjà de le rassurer, et pour le reste nous verrons comment les choses évoluent. »

Et c'est ce que j'ai fait. J'ai décidé de ne pas parler à mes Maitres de l’étrange dessin que

j'avais vu dans les appartements de Huan Ling, et de les laisser un peu seuls. Tao Fen devait

partir pour secourir l'équipe de recherche, quant à Zhao Yun il était chargé de former

rapidement les guerriers disponibles de la région. Cela me laissait tout le temps de parler à

Jiang et de reprendre mon rôle de précepteur, et puis...j'avais une nouvelle chose à lui

enseigner, la patience et la confiance en les autres.

Je l'ai trouvé seul dans sa chambre, dans l'aile opposée à la mienne. De souvenir je n'y étais

entré que très rarement, son jeune propriétaire préférant sauter sur mon lit que sur le sien aux

premières heures du matin. Ce jour la, il n'était visiblement pas dans son assiette. Il était

assit la, le regard perdu dans le vague, serrant son nunchaku fétiche comme il aurait serré un

robot en plastique de mon temps. J'avais décidé d’être honnête avec lui, et d’évacuer le plus

vite possible les questions qui fâchaient, j'avais eu mon lot de gravité dans la journée. Alors

pour ce faire, j'avais amené mon jouet à moi. Mais le jeune garçon prit les devant, contre

toute attente.

_ « Maitre, qui dois-je croire? Oncle Huan m'a dit que c'est vous qui l'aviez attaqué, mais je

l'ai vu s'approcher de vous avant que je parte...Il m'a dit que non, je comprends pas...

_Jiang, si t'as vu ce qui s'est passé, pourquoi tu ne lui en as pas parlé ?

_Il a toujours été la pour moi quand mon père est mort, il nous a toujours protégé mère et

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moi...Quand notre maison a brulé, il était avec elle, il la consolait parce qu'elle était triste...

Huan était présent ce jour la? Je ne me souvenais pas l'avoir vu...Ni avec Mei ni nulle part

!C’était le première fois que mon protégé reparlait de l'accident, je n'avais jamais prit le

temps de intéresser plus que ça à cette journée noire pour lui, pour ne pas lui rappeler de

mauvais souvenirs.

_Je pensais qu'il était pas là, je savais pas du tout...

_Il me l'a dit, il était avec ma mère quand tout brulait, il s’inquiétait beaucoup! Parce que

c'est lui qui nous avait dit d'aller jouer à l’intérieur pendant qu'il discutait.

Ou cet homme lui avait menti, ou mes souvenirs me jouaient des tours, mais peu m'importait

à ce moment la.

_Par rapport à hier, qui est ce que tu crois, Jiang?

_Je sais pas...Je sais que vous ne feriez pas ça, vous n'êtes pas comme ça, mais...

Mei avait raison, son jeune fils était effectivement troublé, mais elle s'était trompée sur le

pourquoi. Ma discussion avec le jeune garçon avait prit une tournure étrange, on pouvait

enfin sentir la petite étincelle de conscience dans son esprit, celle que j'avais voulu voir

apparaître, cette même étincelle qui avait allumé le feu de mes soupçons contre ce Huan

Ling. Mei pouvait en penser ce qu'elle voulait, mais l'homme semblait les manipuler tous les

deux, et ça n'avait pas échappé aux professeurs qui avaient été les nôtres.

_Jiang, quant il sera la, toi, moi et ta mère on ira lui parler d'accord? Tu parlera de tes doutes

et on mettra tout au clair, ça ira mieux, d'accord? »

Je savais précisément ce qui allait se produire en encourageant mon jeune élève à se poser

des questions et à les poser à mon ennemi. Huan voulait manipuler? Je découvrais avec

sadisme que je le pouvais moi aussi...En organisant cette petite réunion pour le bien être de

Jiang, je voulais qu'il se trahisse et qu'il montre son vrai visage. Ce qui en ressortirait serait

peut être brutal, mais il était temps qu'il mette cartes sur table! Quoi qu'il fasse, il serait

piégé, et même si je prévoyais d'emmener mon katana avec moi au cas ou, ma Vengeance ne

ferait pas couler de sang.

Une fois la bonne humeur revenue chez mon jeune ami, lui et moi allâmes voir nos maitres

avant leur départ. Zhao Yun avait rassemblés tous les hommes valides et prêts à partir dans

la plaine derrière la vaste demeure, vu de la haut ils semblaient tellement nombreux! Et

même si je savais que certains d'entre eux mourraient peut être je trouvais l'image belle, un

peu de cohésion dans ce monde brutal ne passait pas inaperçu. Au moment ou nous

arrivâmes près des premières lignes pourtant, les voir me fit un pincement au cœur. Parmi

eux se trouvaient des artisans que j'avais vu parfois au gré de mes balades, certains gardes du

palais avec qui je m'entendais bien, il y avait même l’écuyer qui m'avait confié le cheval

dont je gardais un si horrible souvenir...Cette armée était une armée d'urgence, rassemblée

sur le tas, une armée de gens qui seraient regrettés s'ils mourraient...

Zhao Yun leur donnait les derniers conseils, visiblement chacun s'attendait à une guerre tôt

ou tard, certains groupes piaffaient même d'impatience à l'idée de se battre ! Je n'avais pas

idée de l'enfer que ce serait...Jiang quant à lui les observait avec un grand sourire, la guerre

pour lui était un honneur, lui qui avait eu un père dont la gloire resplendissait encore. Il

saluait les gens de la main, il en encourageait d'autres...Lui et moi étions si différents, mais

quelque chose dans son comportement m'étonnait. Je m'étais attendu à ce qu'il supplie de

rejoindre les troupes pour se battre à leur coté, qu'il tempête de ne pas pouvoir en être...au

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lieu de ça il affichait un grand sourire...Candeur enfantine ou confiance? Je ne le saurais

jamais.

Zhao Yun dirigerait la bas ces hommes la, un lourd poids pesait sur ses épaules, mais c'est

avec calme qu'il se tourna vers nous lorsqu'il nous vit.

_ « La bataille ne sera pas longue ! Ce sont des hommes braves que nous avons la, les

soldats de Sun Jian ne pourront pas nous arrêter.

_Ça fait beaucoup de monde, j'espère qu'il nous reste quelques personnes ici ! Ajoutai-je sur

le ton de la plaisanterie.

Le maitre d'arme ria de bon cœur.

_Ne t'en fais pas pour vous, Guan Yu en personne reste ici au cas ou, et puis je sais que tu es

la toi aussi, d'ailleurs...

Il se dirigea vers son cheval, un grand étalon à la robe sombre, lesté de deux grandes

sacoches. Il en tira un paquet qui semblait lourd, puis revint vers nous.

_J’espère que tu m'excusera, je m'en servait pour entrainer un peu ce monstre que vous

voyez la ! Avec le poids que je ferais pendant la bataille, il a intérêt à tenir la distance !

Il me tendit le paquet avec un sourire.

_J’espère qu'elle te plaira, avec Maitre Fen nous nous sommes dis qu'il valait mieux que tu

te protège un peu, et puis tes vieux vêtements semblent en avoir marre de toi.

Je me regardai un instant, et le constat fut sans appel: Mon espèce de kimono avait ma

supporté les deux entailles que j'avais faites dedans pour le passage de mes ailes, il était

déchiré et pendait misérablement...

_Et Jiang n'a rien lui?

Mon élève trépignait d'impatience.

_J'en ai déjà une moi, fais voir fais voir !

Je déballai une armure légère or et noire faite d'une chemise épaisse côtelée de morceaux de

cuir décorés comme le fourreau de mon épée. Deux coques amovibles assuraient la

protection de mes épaules et dans le dos deux larges fentes enluminées permettaient le

passage de mes ailes. J'en fut tout retourné.

_Eh bien, si tu l'essayais pour voir?

Et ce ne fut pas une mince affaire, la rigidité du cuir ne me permettait pas de la passer aussi

facilement que mes vêtements habituels...Mais à force de contorsions ridicules, et après être

tombé deux trois fois en perdant l’équilibre, le tout sous les applaudissement de la dizaine de

soldats qui m'avaient remarqué, je parvins enfin à enfiler la chose.

Et pour me sentir protégé, je me sentais protégé ! Et plus encore les ailes sorties. C’est vrai

je me sentais un peu plus lourd, mais pour une fois depuis que j'avais mes ailes je ressentais

un vrai sentiment de protection lorsque je volais. Je ne fis qu'un tour au dessus de la plaine

ou je m'entrainais jadis, juste assez pour tester l'aisance et pour constater l’étendu des

hommes se trouvant la, puis je me posai sous les applaudissement de la foule toute entière

cette fois la.

_Merci, c'est vraiment cool !

_C'est quoi?

Jiang me lança un regard complice.

Puis nous avons laissé notre Maitre terminer tranquillement, si comme il le prétendait la

bataille serait vite gagné, rien ne servait de s’étendre en longs au revoir. Il en fut

différemment de Tao Fen.

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Le petit homme nous attendait dans le jardin, un air bien plus calme que celui que je lui

avais vu plus tôt dans la journée. Il s'en étaient passées des choses depuis, et j'en avais

complètement oublié de parler de Huan au jeune maitre d'arme! Même si avec Jiang ç'aurait

été délicat. Par chance, mon élève n’échangea que quelques mots avec lui avant de rejoindre

sa mère, pour lui raconter ce qu'il avait vu dans la plaine j'imagine, ce qui me laissa champ

libre pour parler.

_ « Maitre je voulais vous voir pour vous parler de Huan, il a menti à Jiang sur ce qui s'est

passé dans la salle d'arme, et aussi sur sa présence aux cotés de sa mère pendant l'incendie !

De plus j'ai...

_Du calme mon garçon, je sais tout cela...Tempéra-t'il

_Alors pourquoi le laisser faire?

_Écoute, je ne sais pas comment ça se passait chez toi, mais ici on accuse pas quelqu'un sans

avoir de preuve, voilà pourquoi Guan Yu restera ici avec vous.

_Je ne comprends pas.

_Huan Ling ignore sa présence, et si comme je le soupçonne cette annonce de guerre est

précipité, cela voudrait dire qu'elle pourrait être de son fait et qu'il attend notre départ pour

agir.

_Mais alors pourquoi partir d'ici? Jveux dire, on pourrait l'attendre et l'attraper à ce moment

la !

_On ne peut pas être sur que c'est bien lui derrière ces annonces, j'ai assez confiance en

Guan Yu pour le croire, mais je garde une réserve.

_Alors que fait on Maitre? L'interrogeai-je, dans l'expectative.

_Tu reste ici et tu ouvre l’œil, Guan Yu veillera sur vous trois le temps de notre absence.

_Et vous alors?

_J'irais secourir nos hommes dans cette caverne, et je ramènerai les Rouleaux de la Vie.

L'enjeu est important pour toi, et pour nous aussi. »

Et c'est ainsi que j'ai vu pour la dernière fois s’éloigner ce petit homme, lui qui m'avait tant

appris sur moi même et le monde...Parfois je repense à lui, à ce qu'il me disait, aux mystères

qui étaient les siens...Moi qui n'avais jamais vu son vrai visage il semblait avoir lu en moi

comme dans un livre ouvert, et il n'en disait rien...Mais s'il avait su, s'il avait su ce qu'il s'est

passé ensuite... Que m'aurait-il dit? Aurait-il pu l’empêcher?...

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La nuit fut courte, je ne parvenais pas à trouver le sommeil. La soirée nous l'avions

passé moi Jiang, sa mère, le grand homme barbu qu'on appelait Guan Yu et quelques

hommes que je n'avais jamais vu, à parler du conflit en cours. Les intrigues politique de la

Chine du passé m'étaient décidément bien hermétiques, mais je comprenais mieux pourquoi

Tao Fen nous avait laissé sous l'aile protectrice de son ami à la pilosité étonnante. En effet le

frère d'arme de l'Empereur était en convalescence, car malgré son age avancé, peut être

cinquante ans, il s'avérait être encore un redoutable guerrier, un guerrier qui visiblement

avait eu quelques histoires avant sa venue ici. Il n’en restait pas moins impressionnant avec

sa voix de stentor et ses yeux brillants qu'on aurait dit ceux d'un enfant, et il gardait en

permanence avec lui une de ces grandes hallebardes dont j'avais vu les pales copies dans la

salle d'entrainement. La sienne, il l'avait appelé Dragon d'Or, un nom un peu pompeux mais

que les autres convives connaissaient visiblement. Et nous avons passé les jours suivants à

l’écouter parler de ses récits de batailles, un peu comme nos personnes âgés parlaient des

grandes guerres, à la différence près qu'eux ne portaient plus leur casque.

Il était d'une compagnie agréable, mais il nous faisait un peu peur à moi et Jiang, il faut dire

qu'il était démesurément grand, et son long vêtement couleur vert jade avait de quoi

impressionner. A voir l'ambiance au palais, l'on aurait pu presque croire qu'aucune guerre ne

se jouait, si de temps en temps l'on ne croisait pas une servante à la mine triste et Jiang qui

semblait devenu muet. Nous n'avions aucune information, nous étions en suspend, en

attente de savoir ce qu'il adviendrait le lendemain. Ça a duré quatre jours exactement,

jusqu'à ce qu'un curieux oiseau ne se pose dans le jardin, un petit rouleau accroché à sa patte.

Toute la maisonnée était fébrile, Mei la première, les servantes tendirent l'oreille, Jiang n'en

perdait pas une miette. La bataille avait commencé, et les troupes ennemies s’avéraient plus

nombreuses que prévu...Cette guerre ne serait pas gagnée si facilement alors...

En entendant la nouvelle, l'on entendit gémir du coté des dames de chambres, Jiang quant à

lui parti en direction de sa chambre.

Cela faisait quelques temps qu'il avait le moral en dents de scie, et cette fois ci j'ai préféré le

laisser seul. J'aurais pu aller le voir, lui dire que tout n’était pas forcement perdu, que nous

comptions dans nos rangs les meilleurs hommes du royaume (même si certains étaient de

mauvais éleveurs de chevaux), que bientôt cela se finirait et que tout redeviendrait comme

avant, j'aurais pu...j'aurais dû.

Car alors que la nuit tombait, et qu'après un repas sans lui j'ai prit la direction de ma

chambre plus tôt que prévu pensant rejoindre mon ami ensuite, je suis tombé sur quelqu'un.

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Un des gardes que j'avais aperçu au fil de ces jours, un de ceux que je ne connaissais pas

était entrain de dessiner un grand ovale sur la seconde porte qui menait à ma chambre, à

l'arrière de la maison, un masque relevé sur le crane... J'avais déjà vu ce visage de

porcelaine, un visage aux dents longues, les hommes qui avaient attaqué Jiang !! Lorsqu'il

me vit, je pu lire la panique sur son visage et alors qu'il abaissait son masque en catastrophe,

il poussa un long sifflement qui porta jusque dans les arbres.

On entendit alors en écho une myriade d'autres sifflement, tout autour, et tout à coup quelque

fusait près de mon oreille, une flèche.

Me mettant à couvert, je criai de toutes mes forces, alors que les arbres se mirent à s'agiter

de toutes parts. J’espérais que quelqu'un m'entende, que quelqu'un me vienne en aide, et vite

! Des gardes réguliers arrivèrent en trombe et engagèrent le combat contre ces ennemis

invisibles. L'un d'eux tomba, touché par une flèche allié. Ils portaient tous le même masque

hideux, il n'y avait pas de doute, c'était bien les même hommes! Profitant d'un intervalle de

tir, je me précipitai dans ma chambre à la recherche de Vengeance. Mon cœur battait à tout

rompre contre ma poitrine, ils étaient la pour tuer, ça ne faisait pas de doute, et c'était après

moi qu'il en avait ! Dehors j'entendais crier de toutes part, la grande maison réagissait à

l'assaut.

« Luther, reste à l’intérieur, cache toi ! »

L'ordre avait été donné par une voix grave et puissante, Guan Yu.

Fouillant frénétiquement dans le bazar qui me servait de chambre, plein de choses que

j'avais récolté au fil de ces longs mois, je cherchais toujours Vengeance. Cela faisait deux

jours que je ne l'avais pas vu, et pile quand j'en avais besoin elle disparaissait ! Dans l'air

commençait à monter l'odeur du sang, dehors on entendait clairement le fracas des armes qui

s'entrechoquaient dans l'intention de trancher. J'avais peur, je tremblais comme une feuille,

et cette épée qui n'apparaissait pas !

Tout à coup, un homme entra à son tour, par la porte coté jardin, celui que j'avais vu dessiner

sur la porte.

_ « Eh bien eh bien ! Est ce que ce serait pas notre ami le joli papillon ?

Il parlait d'une voix mielleuse que j'avais déjà entendu, celle de l'homme qui s'était enfuit

dans la forêt après l’enlèvement raté de Jiang.

_Qu'est ce que vous me voulez? Mes yeux ne le quittaient plus malgré pénombre, je devais à

tout prix le désarmer si je voulais avoir une chance de m'en sortir...Mais mes poings contre

son épée ne faisaient pas le poids...

_Tu sais que tu es énervant? Pas pour moi, moi tu me fais rire, mais y'a certaines personnes

qui veulent à tout prix que tu te mêle de tes affaires !

Tout se mettait en place dans mon esprit... Je connaissais cette expression pour l'avoir déjà

entendu, et le dessin que cet homme faisait sur ma porte était le même que celui que j'avais

trouvé chez Huan, il représentait ce masque... Mais si chez moi ce signe avait été une cible,

il en était autrement pour mon ennemi...Il était de mèche avec eux, ce qui voulait dire que...

_Huan Ling...il veut tuer Jiang !

_Perspicace ce petit, mais seulement à moitié ! Il veut effectivement se débarrasser de

l'héritier de ces terres, mais il veut aussi ta peau, tu es un parasite dans son ambition !

_Et Mei ? Il n'oserait pas la tuer !

Temporiser au maximum, il me fallait trouver cette fichue épée....

Il éclata d'un rire de surprise.

_La tuer? Non ! Il veut juste qu'elle lui tombe dans les bras, une femme noble sans héritier

ferait tout pour garder son titre, y compris épouser l'homme qui a tout fait pour elle et lui de

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son vivant, t'avais tellement à apprendre, petit.

_Il aurait pu le faire depuis longtemps !

_C'est la que tu interviens...Et puis y'avait ce nain masqué, toujours dans ses pattes!

_La caverne est un piège...il n'y a plus d'équipe de recherche depuis longtemps...

_Ah bah voilà tu réfléchis ! D'ici peu il fera la connaissance des troupes de Maitre Sun Jian,

et cette maison ensuite !

_Une diversion pour cacher une partie des troupes...Pourquoi me dire tout ça?

_Je suis généreux avec les gosses, c'est tout moi ça! Puis ça t’évitera de te poser trop de

question à ta mort !

Il affichait un sourire satisfait.

_Dis plutôt que c’était plus simple que de le dire la bouche plein de sang !

Aussitôt cette phrase prononcée une flèche vint se ficher droit dans le crane du pauvre

homme, brisant au passage le masque qu'il portait. Guan Yu se tenait derrière lui, la mine

sombre, alors que le soldat s'effondra face contre terre.

_Monsieur Guan Yu, il faut que …

_Je sais, mais tu ne pourra rien faire.

_Comment ça? Il faut sauver Jiang !

_Il avait disparut avant que l'attaque ne commence, je suis désolé, il a laissé ça.

Mon cœur battait à tout rompre, les larmes me montèrent aussi vite que la culpabilité d'avoir

laissé mon ami seul si longtemps...Sur le papier que me tendit Guan Yu se trouvait un mot:

« Je suis parti avec oncle Huan chercher les Rouleaux pour toi, ne t'en fais pas je reviens

vite »

_C'est pas lui qui a écrit ça... grondai-je de rage, il ne me tutoie pas !

Ma main trouva la garde de Vengeance, étonnamment chaude, alors qu'une colère noire

montait en moi, mêlée de tristesse. Il m'avait eu ! Cet enfoiré avait réussit à me berner !

_Guan Yu, je vais à la recherche de Jiang avant qu'il ne soit trop tard.

_Non Luther, moi et mes hommes nous nous occupons de cela, j'ai besoin de toi pour autre

chose. Rejoins la plaine de Wu Zang et préviens L'empereur que l'ennemi tente de nous

prendre à revers, raconte lui tout ce que t'as dit cet homme. Tu pourra rejoindre le champ de

bataille bien plus vite que n'importe quoi, tu es le seul à pouvoir le faire.

_Mais Jiang !

Mon esprit fonctionnait maintenant à cent à l'heure, il me fallait agir, faire quelque chose,

sauver mon élève, mais l'avenir de la région était aussi en jeu... Mon cœur se déchirait

littéralement, je ne savais pas quoi choisir. Guan Yu posa sa grosse main sur mon épaule.

_Mon garçon, Huan ne tuera pas Jiang, malgré ses manigances il tient à lui...Il prétendra

l'avoir sauvé et reviendra réclamer son dû, il ne sait pas que nous savons tout.

_Trouvez le, et tuez le pour moi, faites le souffrir !

J'avais la haine, la haine contre cet homme qui m'avait tourmenté tout ce temps, il ne devait

pas gagner ! Que je lui ôte la vie moi même ou non...Je devais accepter de ne pas le faire

moi même, accepter de régler quelque chose de plus grand, même s'il m'en coutait...

_Je vais à Wu Zang, je reviens vite.

_Courage fiston. »

J'ai passé mon armure plus vite que jamais, accroché Vengeance entre mes omoplates pour

qu'elle ne gêne pas mon vol, et après un ultime regard en direction de la maison et Mei en

larmes, je me suis envolé pour le champ de bataille, bourdonnant de colère.

J'ai volé, volé encore et toujours, pointant la direction que l'on m'avait indiqué. Je volais

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avec rage, tentant de vaincre le Temps lui même. Je voulais revenir le plus vite possible pour

sauver mon ami, et pour ça je ne devais pas perdre une seule seconde !

Je suis arrivé dans la matinée, exténué mais toujours aussi déterminé. La plaine était bien

plus grande que tout ce que j'avais vu auparavant, et le fracas assourdissant qui en émanait

blessait jusqu'aux oreilles. Les affrontements faisaient rage et de ces âmes qui luttaient de

tout leur corps pour ne pas succomber on ne percevait que le métal hurlant. Au milieu d'eux

se tenaient des chevaux, piaffant, frappant de leurs sabots, hennissant de colère parfois,

chevauchés par des hommes étincelants qui se jetaient dans la bataille sans retenu. Des

milliers de personnes se trouvaient sous mes yeux se battant comme des diables, et il me

fallait en trouver un seul, juste un...

M'approchant au plus près, je ne voulais pas risquer de prendre une flèche en volant au

dessus des deux armées, alors faisant fi de mes appréhension je me suis saisit d'un cheval qui

errait la, son propriétaire surement déjà mort ou tentant de ne pas l'être. L'animal fut docile

cette fois la, mais je n’étais pas la pour m'adonner à ma grande passion pour l’équitation.

Tapant des deux talons, rentrant mes ailes pour ne pas me gêner, je me suis élancé vers la

bataille.

Et c'est ainsi que je suis arrivé parmi ces hommes, dans mon armure encore vierge du sang

de l’ennemi, ne sachant pas quelle allait être encore l’ampleur de l’horreur que j’allais vivre.

Mon cœur battait la chamade, et malgré ma mission j’avais ce malaise, cette envie de fuir...

Je regardais ces soldats, qui avaient la rage se battre pour leurs chefs respectifs, corps et

âme, sans retenu. Je n'étais pas des leurs, je n'étais pas la pour ça ! Il me fallait trouver

l'empereur et quitter le combat au plus vite ! Autour de moi du sang, partout, chaque homme

encore valide tentait d'arracher la vie à son adversaire, blessant, jurant, brisant.

Mon cheval surpris se cabra violemment et je perdis l’équilibre, je tombai au sol, Prit de

panique et en un coup d’aile je me remis en selle apercevant Zhao Yun. Il se battait avec

ardeur, et je compris qu'il était bien celui que j'avais entendu appelé le dieu de la guerre,

celui qui avait tué mille hommes à lui seul. Il tranchait les corps de ses ennemis de larges

coups de lance, faisant de son environnement immédiat un piège mortel.

Mon cheval se cabra de nouveau et s’effondra sur des corps inertes, abattu par un soldat qui

voulait m’atteindre. Un reflex me fit m'envoler au dessus de sa tête, suffisamment bas pour

ne pas être remarqué par les archers mais trop haut pour son épée. Volant dans la direction

de mon ami et Maitre, je l'appelai de toutes mes forces, lui seul pouvait m'indiquer la

direction à prendre. En dessous de moi les combattants continuaient de s'entretuer, l'odeur du

sang devenait écœurante, et lui qui ne m'entendait pas...tout à coup une flèche traversa mon

aile droite; Une douleur insupportable envahit alors tout mon dos, je m'effondrai au sol,

arqué et les oreilles bourdonnantes. Un soldat arriva au dessus de moi, brandissant une sorte

de hache. J'eus à peine le temps de rentrer mes ailes et de rouler sur le coté, il tomba à son

tour, mort et les yeux vides.

_ « LUTHER, TU NE DOIS PAS ETRE ICI !!! FUIS TANT QUE TU PEUX !

Zhao Yun se trouvait la, enfin. J'étais hagard, couvert de sang et endolorie, je devais faire

peine à voir.

_Zhao, je dois prévenir …

Il me releva sans ménagement, et esquiva un coup sur sa droite avant de tuer l'assaillant.

_JE NE POURRAIS PAS TE PROTEGER TOUT LE TEMPS, TU DOIS TE BATTRE !

PERSONNE ICI TE FERA DE CADEAU !

Il tira lui même mon épée de son fourreau et me la mit dans les mains.

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_Maitre, Sun Jian prends notre armée à revers, la caverne était une diversion !

Son regard se figea soudainement. Et après un bref coup d’œil vers le sud il bondit, taillant

tout sur son passage.

_SUIS MOI ! »

Il progressait rapidement, tuant sans ménagement le moindre homme qui se présentait

devant lui ou qui avait le malheur de ne pas le voir arriver. Je courrai à en perdre haleine, de

l’adrénaline parcourant tout mon corps encore endolorie, le temps paraissait ralenti. J'étais

encore sous le choc de ma blessure, mais celle ci semblait avoir effacé une partie de ma peur.

J'y étais, j'y étais dans cette bataille dont j'avais rêvé jadis et celle ci ne sentait rien d'autre

que la sueur et le sang...Mais j'étais moi aussi différent, je m'étais endurcit, j'avais apprit à

me défendre, j'avais des pouvoirs qui me rendaient fort et je n'osais même pas m'en servir

pour me protéger...Je regardais autour de moi des hommes que j'avais croisé auparavant,

pleurant de douleur ou implorant pitié, j'en voyais le visage couvert de sang hurler comme

des bêtes sauvages...Ils avaient les deux pieds dans la réalité et faisaient avec, ils

combattaient pour leur peuple.

J'avais ma réponse...Non, ma mentalité ne s'accordait pas à ce monde, se battre n'était pas un

jeu entre amis ou un moyen de tenir tête à un adulte...C'était un moyen de survie, Zhao Yun

avait raison, personne ne me ferait de cadeau et mon aile blessée en était la preuve.

J'ai serré mon pendentif dans le creux de ma main, l'autre cramponnée à la garde de

Vengeance, mon katana à la lame blanche. Je m'étais trompé sur son nom, j'avais imaginé

une vengeance morale et symbolique...Elle vengerait aussi mon sang versé dans cette

bataille! Retrouvant un second souffle je redoublai de vitesse, bien décidé à rattraper mon

noble Maitre. Un soldat ennemi se trouva sur mon chemin, poussé par son adversaire, et d'un

large coup, les yeux plissés pour ne pas voir, je lui entaillai l'arrière des genoux pour lui

sectionner les tendons. Le sang gicla avec force, rejoignant celui de ses camarades dans

l'herbe meurtrie. Je ne m'étais pas arrêté, je n'avais pas flanché en frappant, je venais de

porter mon premier vrai coup...Un simple regard en arrière me suffit pourtant à avoir la

nausée à cause de mon geste, et avec elle un remord indicible... L'homme s'était écroule,

pleurant de douleur les mains pressées contre ses jambes pour stopper l'hémorragie, et

personne pour l'achever...Qu'avais-je fait...soudain dans mon dos un cri retentit:

_LUTHER, FONCE TOUT DROIT SANS T'ARRETER, JE TE REJOINS !

Mon Maitre s'était immobilisé et faisait face à un homme armé d'un long sabre courbé. Il ne

portait pas l'armure des soldats mais un long vêtement couleur sang et or, assortie au

bandeau sur son front. Il fixait Zhao Yun avec un sourire, et s'il ne portait pas les couleurs de

l'ennemi, on les aurait dit frères. Aucun des deux ne comptait aller plus loin avant d'avoir tué

l'autre, je devais continuer seul.

_FAITES VITE, S'IL VOUS PLAIT !... »

La peur avait reprit le dessus sur moi, je tremblais encore à l'image de la douleur de cet

homme...Malgré tout je repris ma course, stoppée nette.

Le sentiment éclata plus rapidement dans ma tête que dans mon cœur et je su

immédiatement ce qu'il s'était passé. C'était le même que celui que j'avais ressenti dans cette

bibliothèque lorsque j'avais senti Jiang en danger, sauf que cette fois ci il ne me prévenait

pas...il tombait dans mon esprit en arrachant tout sur son passage. Mon regard se porta vers

l'objet de ce sentiment, et l'image s'imprima sur ma rétine.

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Un soldat venait de prendre à revers mon Maitre aspiré dans son combat contre son rival, et

l'avait empalé sur son épée...Les yeux vides de Zhao Yun cherchèrent quelque chose avant

de s'arrêter sur moi, mais nul sourire sur son visage ou paroles sur ses lèvres...Juste sa vie

qui fuyait son corps en emportant tout ce qu'il avait été pour moi, un Maitre sage, un ami, un

grand frère...

Oubliant mon dégout pour de bon, ma lame trouva la tête de ce déchet, lui emportant la vie

sans lui laisser le temps de la voir défiler sous ses yeux, elle n'en valait pas la peine...

Je me penchai sur le corps inerte de Zhao Yun, bientôt rejoint par son rival qui affichait un

ton neutre.

_ « Je l'aurais fait moi même si tu n'étais pas intervenu, ce combat était le mien.

La colère bouillonnait dans tout mon corps, crispant mes doigts sur la garde ruisselante de

sang de Vengeance.

_FERMES LA, IL T'AURAIT MASSACRÉ !

_Je sais ce que ça fait de perdre son maitre, petit...

_APPELLE MOI ENCORE UNE FOIS COMME CA ET JE TE TUE !!

Je hurlai de toutes mes forces contre lui, espérant qu'il parte...Mais il n'en fit rien, il ne

rajouta pas un mot, alors après un dernier regard c'est moi qui suis parti.

J'ai ouvert mes ailes, oubliant la douleur, il me fallait finir ma mission et rentrer pour sauver

ce qui pouvait encore l'être. Je me suis envolé avec difficulté, dominant le champ de bataille

à la recherche de l'empereur Liu Bei. Soudain, j’aperçus un étendard de couleur vert jade, et

d'un grand coup d'ailes je pris cette direction la, c'est alors que le deuxième coup survint.

Plus brutal, plus soudain, plus douloureux...Si l'information avait été une masse, celle ci

m'aurait percuté de plein fouet, brisant mes os et ma conscience. Une peine plus forte encore

qui me tira dans les flammes de la rage, me faisant chuter au plus profond des abîmes de la

colère. Un voile ardent recouvrit mes yeux, mon cœur cessant presque de battre au milieu de

la sombre fournaise de ma fureur...La, quelque part, loin de moi, Jiang Ling venait de

mourir, Guan Yu s'était trompé.

Le pendentif sur ma poitrine devint si chaud qu'il brula ma peau, et la blancheur de mes ailes

s’évanouit pour prendre la couleur du deuil...quelqu'un paierait, ils paieraient tous.

Piquant vers le sol, je transperçai la poitrine d'un homme, arrachant le cuir de son armure, la

peau de ses os, le sang de ses veines, la vie de ses entrailles. Je rugissais de toutes mes forces

en coupant la tête d'un autre, en crevant les yeux d'un troisième. Je virevoltai, taillant,

tranchant déchiquetant tout sur mon passage. Aucun de ces hommes ne méritait de vivre plus

longtemps, c'était de leur faute, de leur faute à tous si tous ceux qui m'étaient chers m'étaient

enlevés! Peu à peu un cercle vide se forma autour de moi, mes ailes noires tenaient à

distance les assaillants, et ceux qui avaient l'audace de pénétrer dans le cercle tombait sous le

coup de Vengeance. Le sang coulait dans ma bouche et avait un goût divin, celui de la

revanche. Soudain un groupe armée arriva vers moi, avec en tête celui qui avait été le rival

de mon défunt maitre. Courant à toute allure je l’écartai d'un large coup de pied, esquivant

son sabre avant de planter le mien dans la gorge d'un de ses gardes, il voulait un combat

singulier, il l'aurait!

L'un d'eux me blessa au flanc, je le repoussai d'un coup d'aile avant de lui trancher les

jambes, un second vint qui fit demi tour en voyant mon visage recouvert de sang, je me saisi

d'une épée au sol que je projetai dans son dos. Lorsque vint le troisième je jetai mon arme en

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l'air le temps de lui briser la nuque, puis la rangeai dans son fourreau. J'étais plus rapide

qu'auparavant, plus agile, plus fort ! Je découvrais enfin l’étendu des pouvoirs de ce

pendentif, et combien je n'avais pas su l'utiliser jusqu'alors. Cela redoubla ma rage, le monde

avait profité de mon inexpérience pour me blesser bien trop de fois! Désormais j'étais

devenu un dieu de la guerre moi aussi, plus rien ne pouvait m'arrêter, plus personne ne

pouvait se moquer de moi ou me faire du mal, désormais JE décidais ! Et quiconque se

mettrai sur mon passage en paierait le prix.

Le quatrième garde arriva vers moi et d'une bourrasque lancée par mes ailes je le renversai.

J'inspirais la peur et le respect, enfin...Et lorsque plus aucun garde ne vint à ma rencontre, je

retrouvai enfin seul avec le guerrier rouge, dans un silence morbide.

_ « Mon garçon, tu dois te calmer...

_ET QUI ES TU POUR ME DONNER DES CONSEILS, TU NE CRAINS DONC PAS LA

MORT ?

Autour de nous tout le monde s'était arrêté de combattre et observait, et lui avait l'audace de

me faire face de la sorte !

_La mort ne me fait pas peur, mais avant j'aimerais savoir une chose, quel est ton nom?

Quelle question futile posée par un homme futile...

_JE SUIS LE DIVIN LUTHER ! RETIENS LE BIEN ET ANNONCE LE A TON DIEU

LORSQUE TU LE VERRA !

_Très bien...Mais le dieu de qui alors? Tu étais l'ami de Zhao Yun apparemment, et donc de

son camp...Mais as tu remarqué que tu avais tué certain de tes alliés?

Un vertige me vint et la froide vérité me transperça le cerveau comme un poignard.

_JE...Je...Non..

_Si, regarde autour de toi, certain de ces hommes comptaient sur toi pour la victoire...

C'est vrai...pourquoi les avais je tué, il ne m’avaient rien fait... ils avaient sûrement une vie

cent fois plus importante que la mienne, quel droit avais je de massacrer ces inconnus de

mon propre camp, ces hommes d'un autre temps? Sous prétexte qu’ils étaient de la même

espèce que ceux qui m’avaient conduit ici, je pouvais m’arroger le droit de faire ma loi ?

Une voix sombre venant du plus profond de mon esprit souffla sa réponse.

_Luther...Ils sont un frein à ta destinée, à ton passé, à ton avenir, à toi même… ils sont sur

notre chemin et en payent les conséquences.

_Non ! Je suis sur le leur, et je mets leur vie en pièces…

_Ils te sont inférieurs, ils ne méritent pas de vivre, ce sont les mêmes qui ont tués ta mère,

regardes les ! Ils ne vivent que pour le sang.

_ Non, ce ne sont pas eux, tu tues des innocents...

_ Ce sont tous les mêmes…

_Non eux ne font que se battre pour des idées qui leur sont propres, pour la survie de leur

royaume, pour leur famille !

_ Tais toi !! C’est à cause de gens comme ceux la que tu es seul au monde, tu es la pour

assouvir ta soif de sang...de leur sang.

_ Nan ! Ce n’est pas vrai ! Je suis la pour les aider, je dois prévenir l'empereur !

_ Tu es là pour toi même, tu es venu accomplir ta destinée en ces lieux et eux veulent t’en

empêcher, tu es né pour te battre, pour apprendre à ces gens que l’on ne t’arrête pas, tu es là

pour tuer le mal dans l’œuf…

_Non, je ne veux pas, ce n’est pas à moi que revient cette tache...

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_Pourtant Luther, tu prends plaisir à les tuer… »

Dans ma tête tournaient des milliers de questions, je souffrais intérieurement...Tombant à

genoux, je ne parvins plus à soutenir mon regard sur le monde... Ce n'est pas ce que j'étais, je

n'étais pas un tueur mégalomaniaque froid et sanguinaire, cette folie m’avait conduit trop

loin, bien trop loin... J'avais tué des innocents, et avec eux tout le bon que j’espérais avoir en

moi...Je comprenais désormais le sens de l'image du vieillard dans le désert, cet être

démoniaque et aux ailes sombres, à qui j'avais laissé mes pouvoirs...

C'était moi, et personne d'autre... Je m'étais perdu, j'avais échoué...Deux de mes amis étaient

morts et ces foutus Rouleaux n'étaient qu'une chimère...J'étais devenu un assassin...

Désolé Ariane...

J'ai rentré mes ailes noires une dernière fois et j'ai serré ce petit pendentif qu'elle m'avait

donné. S'attendait elle à ça? A ce que je devienne un monstre...à ce que je tue? Ce n'est pas

ce que moi j’espérais...Ce n'est pas le destin que je voulais...Si c'était là le plan qu'avait les

dieux pour moi, à quoi pensaient-ils? Je n'avais droit qu'à cela, la tristesse et la folie?

J'ai arraché la petite épée ailée de mon cou, et je l'ai jeté à terre, loin de moi, je n'en étais

finalement pas digne...Incapable de m'en servir pour sauver les miens, incapable de garder la

tête sur les épaules, dans le fond je n'étais qu'un gosse...Un enfant stupide et pleurnichard,

capricieux et irresponsable...Tout ça ne me revenait pas !

Alors j'ai fais ce que n'importe quel gosse aurait fait à ma place face à ses erreurs, je suis

parti, abandonnant la Chine du passé à son sort, l'empereur Liu Bei, Guan Yu, Tao Fen, Mei

et les souvenirs des deux êtres que je venais de perdre, Zhao Yun et mon petit frère Jiang

Ling...J'avais été incapable d’être digne de ce qu'ils m'avaient offert tous, eux qui m'avaient

accueillit. Cette voix noire dans ma tête avait raison: je les avais utilisé, et pour en faire

quoi...

La mort dans l’âme, je n'ai pas regardé les soldats et leur silence, je n'ai pas regardé en face

l'homme qui m'avait ramené à moi, et leur tournant le dos je me suis éloigné.

Je suis monté sur le premier cheval encore vivant qui pouvait marcher et j'ai pris la direction

de l’Ouest, abandonnant tout.

Peu importe ma route, peu importe le temps que cela prendrait je ne pouvais pas rester, et si

je devais mourir, je l'aurais accepté avec soulagement.

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Épilogue

Je chevauchais droit devant moi la tête vide, comme un corps sans âme. Je ne peux

pas décrire l’état dans lequel je me trouvais tant celui ci était étrange, quelque chose était

mort en moi. Je ne me suis pas retourné, le regard plongé vers l’horizon je ne pensais plus,

terrible est le sentiment de s’être trahir soi même et les autres avec. J’avais tourné le dos en

un instant à toutes mes convictions profondes, par vengeance... Je devais payer le prix du

sang et de la honte. Le sang qui coulait dans cette plaine maudite n'a bientôt plus atteint mes

pas, mais le souvenir était comme un crochet dans ma chair que je devais arracher, je laissais

la bas bien plus que du temps de vie...J'y laissais des remords, des moments ou j'avais été

heureux mais que j'avais taché de sang. Je me sentais coupable des morts, coupable de ma

jeunesse avec eux, passée à attendre que le vent me porte pour les trahir ensuite... Comment

pouvais-je revenir après ce qu'il s'était passé? Comment oserai-je regarder Mei dans les yeux

désormais, après avoir laissé Huan gagner...Comment pourrais-je rester et espérer de mon

destin en voyant ce qu'il m'avait réservé...Tout quitter avait été la plus lâche des solutions, la

plus infantile...Mais à quinze ans, que pouvais-je faire de mieux? Tout ça me dépassait, tout

ça me faisait souffrir bien plus que je ne pouvais le supporter, je devais partir, j'étais trop

lâche pour me suicider.

Les paysages défilèrent devant moi tout au long de la journée et le soleil se coucha sur des

terres qui m'étaient inconnues. A l’horizon je ne voyais plus mon point de départ, le paysage

était vide, d’un dénuement total et sans vie, de l'herbe à perte de vue sur ces collines vertes

assombries par les nuages du couchant. Un désert émeraude, occupé seulement par de rares

arbres qui ne faisaient que ressortir le vide environnant. Mais dans ce désert je n'étais pas

seul, je ne l'ai pas été une seconde...Des milliers de soldat hantaient mes pensées,

guerroyaient et mourraient autour de moi, et parmi eux je revoyais sans cesse Zhao et Jiang,

m'accusant du regard.

Au terme de cette longue journée je me suis allongé au sol et j'ai contemplé le ciel orangé,

j’avais mal à la tête et mon ventre vide me faisait souffrir, je mangeai quelques racines pour

calmer ma faim et tombai de fatigue. Le matin arriva doucement et je me réveillai avec le

souvenir horrible de la veille, comme un cauchemar bien trop réel. Je détachai mon cheval

de l’arbre et repris ma route vers l’Ouest, n’espérant rien.

Tout au long de ce voyage je fus rongé par la faim, la soif, tel un corps sans âme, mon

cheval pouvait certes s’accommoder de l’herbe des plaines froides mais moi je souffrais un

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peu plus chaque fois. J’étais amaigri et sale mais je vivais, sans but j’errais vers l’Europe,

priant chaque jour de ne pas me réveiller le lendemain... Mais l’aube m’éveillait sans cesse

et je reprenais ma route. Je croisai ça et la quelques guerriers vêtus de peaux mais je les

évitais autant que possible, les hommes m’avaient trahit plus d’une fois. Parfois je volais de

la nourriture chez eux lorsque leur caravane passait près de moi, comme un charognard,

mais la plupart du temps je mangeais des insectes ou des racines.

L'on m'appela parfois mais mon esprit était ailleurs, l'on me faisait signe mais les larmes

brouillaient ma vue. Parfois les jours de pluie je récupérais les gouttes d’eau qui coulait du

feuillage des rares arbres, sinon je buvais dans les flaques ou les cours d’eau boueux. J’étais

souvent malade mais je restais à cheval, continuant ce voyage sans fin. J'étais devenu un

fantôme errant, dont le seul but était d'avancer pour tenter d'occuper ses pensées.

Parfois, lorsque le froid prenait mon corps et que le sommeil se refusait à moi je m'abimais

dans la contemplation de la lune, et au milieu des pleurs de Mei je pouvais percevoir une

mélodie. Des jours durant celle ci hanta mes songes, estompant parfois ma tristesse et ma

culpabilité, un air que je connaissais pour l'avoir entendu tellement de fois...Au cœur de la

bataille des spectres, théâtre de mes nuits et de mes cauchemars, la voix qui la chantait

raisonnait comme un espoir, faible...Timide lueur de joie dans mon esprit torturé...Elle

effleurait mon âme, l'invitant à briller de nouveau, mais disparaissait aussitôt que je voulais

la saisir, me replongeant dans le remord. Au début je pensais à la voix d'Ariane, mais ce

n’était pas elle, cela venait de plus loin, de mes souvenirs. Un souvenir caché derrière le mur

noir de ma nouvelle vie, une berceuse qu'Elle me chantait quand j'avais du chagrin...

Maman...

Penser à elle et ses mots aurait dû me faire du bien, c'était peut être la raison de la présence

de cette chanson, mais le reste de ma vie était un poison qui finit par la rendre douloureuse...

Je ne l’écoutais même plus et peu à peu, au fil des semaines, au fil des mois elle s’estompa

pour ne rester qu’une rumeur. Le doux air ne me traversait plus, il ne voulait plus rien dire,

je n’étais plus digne de lui.

Six mois se sont écoulés et je n’étais plus le même, mon armure de cuir pourrie par

l'humidité et le temps était un poids, et mon katana la punition dans mon échine, celle qui e

rappelait mes erreurs. Je n’avais plus regardé le monde se parer d’autres couleurs, je n'avais

plus remarqué la succession du jour et de la nuit. J’étais à demi mort, accueillit à bras

ouverts par mes fantômes et juges, affalé sur une monture qui n'avançait plus que par sa

seule volonté, jusqu’au jour ou celle ci mourut.

La pauvre bête avait été malade ces derniers temps, à l'image de son cavalier, sauf qu'elle

n'était pas un poids pour moi... Elle allait lentement, ses pattes amaigries tremblotantes à

chaque pas, mais continuant malgré tout. Elle avait eut la volonté de me porter tout ce

temps, calquant son humeur sur la mienne, perdant peu à peu les traits fiers de sa vie de

soldat. Ses côtes saillaient, ses yeux ne voyaient presque plus et même l'herbe fraiche du

matin ne parvenait plus à lui faire de bien. Et un jour c'en fut trop, la vie s'échappa de ses

muscles rachitiques, quitta son cœur fatigué, et c'est ce jour là qu’elle tomba, me laissant

inanimé au sol, à coté d’elle. Au travers de mes yeux embrumés, je remarquai que même elle

je ne l'avais jamais regardé en face...

Devant moi naquit une silhouette, sorte de lueur brillante flottant dans la brume de ce matin

morne de mon purgatoire. La lueur semblait vibrer paisiblement, flottant au dessus du sol,

massive. On aurait pu croire que cela me regardait mais ne bougeait pas, déversant dans mes

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yeux sa clarté aveuglante. Soudain ma tête se mit a me faire souffrir atrocement, un éclair

irradia la forme, brulant ma vision. Le poids de mon armure s'envola, et avec lui mes

douleurs et peines, puis plus rien...