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Dossier d’acompagnement pédagogique proposé par le site Conçu et réalisé par : Hélène Chauvineau, professeure d’Histoire-Géographie Claire Marin, professeure de Philosophie et Vital Philippot, Zérodeconduite.net Sommaire du dossier I Un film dans l’Histoire p. 2 II Un film de guerre p. 6 III Comprendre la barbarie p. 10 IV Compléments (Chronologie, glossaire,…) p. 16 L’Ennemi intime Un film de Florent Emilio Siri Au cinéma le 3 octobre 2007 version 21/06/2007

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Dossierd’acompagnementpédagogiqueproposé par le site

Conçu et réalisé par :Hélène Chauvineau, professeure d’Histoire-GéographieClaire Marin, professeure de Philosophieet Vital Philippot, Zérodeconduite.net

Sommaire du dossierI Un film dans l’Histoire p. 2II Un film de guerre p. 6III Comprendre la barbarie p. 10IV Compléments (Chronologie, glossaire,…) p. 16

L’Ennemi intimeUn film de Florent Emilio SiriAu cinéma le 3 octobre 2007

version 21/06/2007

Précisément daté et situé, L’Ennemi intime estun film dans l’Histoire. Son scénario, écrit par lejournaliste et historien Patrick Rotman, s’appuiesur une documentation historique scrupuleuseet surtout sur un travail de recueil de témoi-gnages, qui a déjà donné lieu à deux docu-mentaires (et deux livres) : L’Ennemi intime(2002), mais également La Guerre sans nom(co-réalisé avec Bertrand Tavernier en 1992).Ceux qui ont vu ces films ou lu ces livres retrou-veront d’ailleurs dans le film de Florent Siri cer-taines anecdotes, certains détails tirés de cestémoignages.Mais à la différence de ces deux films, L’Enne -mi intime de Florent Siri est une fiction : ce filma pour ambition de concilier des faits histo-riques avérés et une condensation narrative quis’appuie sur une trame inventée et un nombrelimité de personnages.

1/ Juillet 1959, une guerreà son paroxysme de violenceL’action de L’Ennemi Intime est précisément situéeet datée : “Quelque part en Kabylie” de juillet 1959(premier carton) à décembre 1959. Même si le filmne prend pas soin de le préciser, il s’inscrit doncimplicitement (voir la chronologie de la guerred’Algérie) dans le cadre des opérations du PlanChalle.

Le “plan Challe” (du nom du général qui a succédéà Salan le 19 décembre 1958) débute le 6 février1959. C’est le troisième acte d’une stratégie militai-re lancée en décembre 1956, date à laquelle legénéral Salan remplace le général Lorillot, stratégiedestinée à contrer les actions FLN :

- premier acte, la bataille d’Alger, qui s’étend dejanvier à octobre 1957, et qui répond à la nouvelletactique de guérilla urbaine mise au point par lesdirigeants du FLN.

- Deuxième acte, l’édification en juillet 1957 d’unbarrage électrifié le long de la frontière tunisienne,dit “ligne Morice”, qui coupe le FLN de ses basesarrières à l’étranger et permet d’engager la pacifica-tion du pays.

Ces deux opérations sont d’incontestables succèsmilitaires.

- Troisième acte, le plan Challe a pour but d’écraserdéfinitivement les maquis algériens et de reconqué-rir les territoires contrôlés par les fellaghas. Véritablerouleau compresseur, il progressera d’Ouest (Ora-nie) en Est (Constantinois), procédant par desattaques massives appuyées par l’aviation, par-achevées par les groupes d’intervention qui pour-chassent les derniers rebelles.

Du 5 au 14 juillet 1959, l’opération Etincelles s’enprend aux forteresses du Hodna ; à la fin juillet,l’opération Jumelles s’attaque à la Grande Kabylie,puis l’opération “Pierre Précieuses” à la Petite Kaby-lie. Elles durent jusqu’au 3 mars 1960.

Cette dernière opération fut la plus longue de laguerre d’Algérie. Le bilan officiel décomptera 26000 “rebelles” tués et 10 800 faits prisonniers.

L’Ennemi intime s’inscrit donc dans le contexted’une des périodes les plus violentes de la guer-re d’Algérie, marquée par une intensification trèsimportante des opérations militaires et par une“grande impunité des militaires” (RaphaëlleBranche), qui ont vu leur pouvoir accru par desmesures comme l’instauration de l’état d’urgence enaoût 1955, puis le vote des “pouvoirs spéciaux” enmars 1956.

2/ La guerre “moderne”Les opérations décrites dans le film sont représen-tatives du Plan Challe : il s’agit de localiser et dedétruire les maquis de l’ALN qui se cachent dans lesmontagnes, en combinant le renseignement et lesopérations militaires proprement dites.

Au début de la guerre, la stratégie, l’organisation etle matériel (tanks, artillerie lourde) des forces fran-çaises sont totalement inadaptés face à la guérilla*que mène le FLN : un adversaire constitué en petitsgroupes très mobiles, connaissant parfaitement leterrain et s’appuyant sur les populations, procédantà des attaques surprises et disparaissant avant quel’armée française ait pu riposter.

I Un film dans l’Histoire

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A partir de 1956, avec l’arrivée du général Salan,l’armée française révise sa stratégie et met enœuvre la guerre “moderne” (autrement appelée“anti-subversive” ou “anti-révolutionnaire”), théori-sée par certains de ses cadres à partir des ensei-gnements de la défaite indochinoise.

La guerre qui se développe à partir du commande-ment de Salan est donc une guerre totale, dont lapremière mise en pratique est la bataille d’Alger. Laproclamation de l’état d’urgence ainsi que des pou-voirs spéciaux permettent à l’armée d’épauler, voirede remplacer la police afin de remplir l’objectifdésormais principal : la recherche de renseigne-ments. Il n’y a désormais plus de distinction à faireentre les civils et les militaires, puisque tout Algérienest potentiellement suspect.

A partir de 1957, l’action psychologique est vuecomme une clef de la victoire politique. Comme le ditBerthaut à Terrien, “L’enjeu c’est pas de gagner duterrain mais de contrôler la population. Le FLN, c’estqu’une minorité qui déstabilise tout le pays. On doitl’éliminer.” Il faut à la fois impressionner et gagnerl’adhésion des populations à une “Algérie nouvelle”.Ce double objectif est réalisé à la fois par une poli-tique de terreur (telle qu’on la voit dans le film) etune politique de “bonne conduite” de l’armée,menée principalement par les SAS*.

La variété des situations locales sur le vaste territoi -re algérien explique la division des troupes en forcesde secteur, chargées du quadrillage et de la pacifi-cation, et forces d’intervention, qui doivent rétablirl’ordre dans une région donnée. La section présen-tée dans l’Ennemi Intime fait partie de cette derniè-re catégorie. Celle-ci mène plusieurs opérations enzone interdite1, un espace duquel toute la popula-tion a été évacuée et regroupée dans des “campsd’hébergement”, hors de la zone ; aucune formationmilitaire ne doit y stationner, personne ne doit s’ytrouver, l’armée française peut y tirer sans préavis.

Le but de cette division de l’espace est de “viderl’eau du bocal pour asphyxier le poisson”, c'est-à-

Une guerre qui ne disait pas son nomLa vague d’attentats du 1er novembre 1954 estperçue à l’époque en métropole comme unerébellion qui appelle à des opérations de maintiende l’ordre ou de pacification. Cette idée est ali-mentée par le fait que les fellaghas ne constituentpas une armée au sens traditionnel, mais combat-tent plutôt sous la forme d’une guérilla. C’estpourquoi au début du conflit on ne parle pasencore de guerre.

Par la suite, les gouvernements se refusent àemployer un mot qui reviendrait à reconnaître lemouvement indépendantiste et à légitimer sesreprésentants. Même si elle est en décalage gran-dissant avec la réalité, la phraséologie officielledes “événements d’Algérie” perdurera donc,relayée par les médias sous peine de censure(journaux et livres saisis, films interdits de sortie,télévision sous contrôle direct du pouvoir poli-tique). On voit bien cette entreprise de désinfor-mation à l’œuvre dans le court extrait des Actuali-tés Gaumont repris dans le film : le commentaireparle de “sécurité ressuscitée” et de la construc-tion de “L’Algérie de demain”.

Or ce déni de la réalité de la guerre a des consé-quences concrètes sur le droit les combattants. LaFrance tarde à ratifier les Conventions de Genèvede 1949 et à reconnaître leur validité en Algérie :elle entend régler le conflit comme une affaireintérieure dépendant du Code pénal, d’infractionsde droit commun, et non des “crimes de guerre”selon les préceptes du droit international. Au seinde l’armée, l’euphémisation du langage permet dejeter un voile sur les exactions de l’armée françai-se : “corvée de bois” pour les exécutions som-maires, “bidons spéciaux” pour le napalm, etc.

Il faudra attendre la loi n°99-882 du 18 octobre1999 pour que l’Etat français requalifie les “opéra -tions de maintien de l’ordre menées en Algérie de1954 à 1962” en “guerre d’Algérie”.

dire d’isoler le FLN en le coupant de tout ravitaille-ment en vivres et en hommes2. Dans cette straté-gie, les villages comme Taïda dans le film ont uneimportance cruciale : les fellaghas y cachent desarmes, y collectent un impôt révolutionnaire, de lanourriture ainsi que des informations.

Sur le plan technique, le film montre bien que l’ar-mée française s’adapte aux réalités du terrain, dansun mélange d’archaïsme (l’importance de l’infanteriedans les opérations) et d’innovations technologiques :

- les ondes hertziennes sont massivement utili-sées, car l’ALN scie les poteaux télégraphiques. Onvoit d’ailleurs de nombreux postes de radio dans lefilm, tant à usage militaire que civil.

- l’hélicoptère, qui permet une grande rapidité d’in-tervention, est également une des innovationsmajeures de la guerre d’Algérie. En 1958, 600avions et 100 hélicoptères sont engagés dans leconflit.

- le napalm, arme mise au point peu d’années aupa-ravant par les Etats-Unis, est largué en Algérie pardes bombardiers Douglas B-26 contre les groupesde fellaghas retranchés sur des crêtes rocheusesinaccessibles aux soldats.

1 Ce type d’espace a été créé par la loi sur les “pouvoirs spé-ciaux” du 12 mars 1956, en même temps que les zones decontrôle renforcé, les zones normales ainsi que les zones d’iso-lement, dont les troupes contrôlent strictement les accès.2 Cependant, les zones interdites sont supprimées fin juillet1959, par ordre du général De Gaulle sauf aux frontières, oùelles sont appelées zones de contrôle militaire renforcé. Ellessont remplacées par des commandos de chasse de 15 à 20hommes, parmi lesquels beaucoup de harkis. Ces commandosne sont pas attachés à un secteur spécifique.

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3/ Les hommes dans la guerreA travers le microcosme d’une section, L’Ennemiintime s’efforce de dresser un tableau fidèle de l’ar-mée française en 1959. S’il laisse dans l’ombre l’ar-mée ennemie (l’A.L.N.) et son organisation, ilmontre en revanche bien comment la populationalgérienne, écartelée entre la fidélité à la France etl’allégeance au mouvement indépendantiste, estprise en otage par les deux parties belligérantes.

On peut distinguer plusieurs types de combattantsdans l’armée française :

Les appelés : Terrien, Lefranc et les autres

Ce sont des jeunes gens qui sont envoyés faire toutou partie de leur service militaire en Algérie. A partirde 1956, ils y restent de 27 à 30 mois. Fin août1955, on a également rappelé des jeunes soldats,libérés de leur service militaire, pour prolonger ceservice de 6 mois (on les appelle les « rappelés”).Les appelés peuvent être simples soldats, ou offi-ciers comme Terrien, s’ils ont suivi une formation aucommandement…

Les appelés sont à l’image de la France de l’époque.Dans le dossier de presse, Florent Siri expliqueavoir donné à chacun des jeunes acteurs une iden-tité et une fiche biographique sur son personnage.Lefranc incarne le “titi” parisien, Terrien est, dans lecivil, dessinateur industriel à Grenoble, mais lesappelés et rappelés sont surtout des paysans, desouvriers et, dans une moindre mesure, des institu-teurs, conformément à la structure sociologique dela France de l’époque. Les étudiants bénéficierontde sursis jusqu’en 1960.

Au total, le ministère de la Défense estime qu’il yaurait eu 1,1 million d’appelés en Algérie de 1952 à1962. De leur côté, les associations d’anciens com-battants d’Afrique du Nord estiment ce chiffre à envi-ron 2 millions, selon un débat qui reste encoreouvert.

L’armée de métier : Vesoul, Berthaut, Dougnac

Les soldats professionnels (officiers, sous-officiers,ou simples engagés volontaires) abordent la Guerred’Algérie dans un tout autre état d’esprit que lesappelés. Comme Dougnac et Berthaut, ils ont étémarqués par la longue guerre d’Indochine (1946-1954), qui s’est soldée par une cuisante défaite. Ilscherchent, sinon à se venger, du moins à effacerdans la guerre d’Algérie le souvenir de cette humi-liation.

On peut insister sur le rôle particulier du capitaineBerthaut : en tant qu’officier de renseignement(OR), il dépend directement du Deuxième bureauainsi que du commandant du secteur ; Terrien nepeut donc s’opposer à son intervention. Il est chargéde drainer des renseignements sur tout le territoirealgérien, selon les moyens qu’il jugera adaptés.Ainsi, l’OR peut constituer des fiches sur lesrebelles, leur demander des informations aumoment de leur arrestation ; il peut également enarriver à les torturer, comme il est visible dans lefilm. L’interrogatoire des prisonniers est en effet,théoriquement, réservé à l’OR – même si, en réalité,tout soldat peut être amené à le pratiquer. Ainsi, onpeut dire que cet officier est l’incarnation de la “guer -re nouvelle” développée après la bataille d’Alger.

Les soldats musulmans : Saïd, Rachid

L’armée française comporte également de nom-breuses troupes supplétives. Les harkis, commeSaïd ou Rachid, sont des musulmans engagés dans

l’armée française comme militaires ou comme auxi-liaires de statut civil. Ils sont pas moins de 180 000harkis à avoir combattu aux côtés des Français pen-dant toute la guerre. Leur importance stratégiqueapparaît lors de la bataille d’Alger : leur connaissan-ce du terrain (géographie, population, langue) estindispensable à l’armée française. Aussi leurs effec-tifs sont-ils doublés pendant le plan Challe : ils sont60 000 en 1958, dont 7 000 dans les commandos dechasse.

En face, l’ALN (Armée de Libération Nationale)est à la fois beaucoup moins nombreuse (au nombrede 7 000 en 1954, les combattants sont 29 000 en1959 et 50 000 en 1962), moins organisée et moinséquipée. A ce moment-là de la guerre, elle est ensituation de grande faiblesse, ayant eu à subir derudes pertes à cause du Plan Challe (cf. le bilan ci-dessus).Ses hommes compensent cette infériorité numé-rique par leur mobilité et leur connaissance du ter-rain, qui leur permettent de lancer des attaques sur -prises, et le soutien des populations, acquis par laconviction ou la menace.

L’Ennemi intime montre bien que les frontières nesont pas étanches entre ces deux dernières catégo-ries : souvent ces hommes ont combattu ensembleaux côtés des Français pendant la Seconde GuerreMondiale (Saïd découvre ainsi que le combattant duFLN joué par Fellagh a “fait” Monte Cassino commelui). Des raisons diverses (familiales, géogra-phiques, de circonstance) ont pu les faire basculerd’un côté ou de l’autre. Saïd explique que le FLN aessayé de le rallier, et a tué toute sa famille enreprésailles. Quant à Rachid, ex. FLN, on devinequ’il a également été soumis à des menaces, maisde la part de l’Armée Française (“On l’a rallié” insis-te Dougnac).

D’une manière générale, c’est toute la populationcivile qui est prise en otage par l’une et l’autre desdeux parties en présence, comme le village-martyrde Taïda.

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4/ Un film recontextualisédans le “temps long”Le scénario de Patrick Rotman ne se contente pasde nous plonger en plein cœur du conflit aux côtésde Terrien, Dougnac et de leurs hommes de cettesection. Il s’attache également, dans un souci depédagogie et à destination du spectateur d’aujour-d’hui, à recontextualiser les événements dans uncontexte plus large.

Le carton du début du film rappelle que l’Algérie estcolonisée depuis 1830 : “Après 130 ans de présen -ce française, le Front de Libération Nationale(F.L.N.) déclenche la lutte armée le 1er Novembre1954. A la volonté du F.L.N. de négocier l’indépen -dance, la France répond par l’envoi de 500 000jeunes appelés. En 1959, alors que la France estvivement critiquée à l’O.N.U. les combats s’intensi -fient en Algérie.” Passant sous silence les événe-ments relevant de la politique intérieure française(en mai 1958, la chute de la IVème République etl’arrivée au pouvoir du Général de Gaulle) ce cartoninscrit le film dans le grand mouvement internatio-nal de décolonisation : rappel de la période de lacolonisation (les Français ne sont présents “que”depuis 130 ans), des revendications du soulève-ment (l’indépendance), du contexte international(favorable à la décolonisation, notamment àl’O.N.U.).

De même le carton final indique l’issue et le bilan duconflit : “Deux millions de jeunes Français ont étémobilisés en Algérie. 27 000 y ont laissé leur vie. Onestime entre 300 000 et 600 000 le nombre de vic -times du côté algérien. Ce n’est qu’en octobre 1999que l’état a reconnu officiellement qu’il y avait eu laguerre en Algérie”, tandis que le monologue en voix-off de Dougnac donne la date de la fin de la guerreet insiste sur le caractère inéluctable de cette issue.

Certains dialogues “en situation” permettent égale-ment d’éclaircir le contexte des événements, notam-ment la discussion entre Terrien et Berthaut : d’un

côté, la conviction que “l’Algérie c’est la France”, lapersistance des mentalités coloniales ; de l’autre,incarnée par Terrien, la conscience d’un mouvementinéluctable vers l’indépendance. Terrien rappelleainsi que les anciens protectorats du Maroc et de laTunisie ont chacun obtenu leur indépendance1 (res-pectivement acquises en mars et en mai 1956), etmet le doigt sur la discrimination dont souffre lapopulation musulmane, qui remet en cause les dis-cours sur l’Algérie française.

Le film revient également, avec une insistance quimérite qu’on s’y arrête, sur le Second conflit mon-dial. Il s’agit à la fois de souligner l’engagement dessoldats de l’empire (Saïd et le fellagha joué par Fel-lagh ont combattu à Monte Cassino) aux côtés de laFrance, et de souligner la contradiction historiqueentre l’esprit de la Résistance et le comportement dela France en Algérie.

C’est Berthaut lui-même qui raconte avoir été dansle maquis du Limousin pour mieux désamorcer lacomparaison entre ses méthodes et celles de laGestapo. Si le débat a eu lieu à l’époque (cf. l’articlede Claude Bourdet dans France Observateur —13/10/55—, “Votre Gestapo d’Algérie”, qui avait pro-voqué une levée de bouclier), la comparaison n’ap-paraît avec le recul des années que plus frappante :neuf ans seulement séparent la fin de la SecondeGuerre Mondiale et la Guerre d’Algérie.

Conclusion de la première partieIl était important de poser et de contextualiser cesélément factuels, et de mettre à jour les choix effec-tués par le scénario dans la matière historique.

Mais le cinéma n’explique pas l’Histoire : si, pris iso-lément, tous les faits sont avérés, leur accumulationet leur condensation, indispensables à la fiction,poseront à l’historien un problème de vraisemblan-ce. Il est donc nécessaire de replacer maintenantces faits dans le cadre d’une narration, qui elle-même s’inscrit dans une tradition cinématogra-phique, celle de la guerre d’Algérie, et un genrecodifié, celui du film de guerre.

1 Il faut rappeler que le gouvernement français s’était empresséde régler cette question des protectorats pour mieux pouvoirfaire face à l’insurrection nationaliste d’Algérie.

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Comme on l’a vu, Patrick Rotman et Florent Siriont choisi de placer leur film au paroxysme dela Guerre d’Algérie : en plein cœur de l’opéra-tion Jumelles lancée en Kabylie par le généralChalle, dans le cadre du Plan qui porte sonnom. Ce choix n’est pas innocent d’un point devue historique. Mais il procède avant tout de lavolonté cinématographique d’inscrire le filmdans un genre bien particulier, celui du film deg u e r r e .

Cette inscription dans un genre est importante,sur les plans économique, esthétique, histo-rique : sur un plan économique, c’est elle qui apermis, par la promesse de scènes spectacu-laires qui attireront un large public, de financerle film. Elle a déterminé le choix d’un réalisa-teur, Florent Siri, réputé pour sa maîtrise desscènes d’action (Nid de Guêpes , O t a g e) ,notamment après un passage par le cinémahollywoodien.

Sur un plan esthétique et historique, elle inscritL’Ennemi intime dans une tradition cinémato-graphique qui n’est pas tout à fait celle du ciné-ma français de la guerre d’Algérie. Dans sonlivre Imaginaires de guerre l’historien Benjamin

Stora compare la façon dont le cinéma françaiset le cinéma américain ont abordé les deuxguerres qui ont traumatisé leurs pays respectifsdans la seconde moitié du vingtième siècle, laguerre d’Algérie (1954-1962) et la guerre duVietnam (1964-1973). Il réfute l’idée reçue per-sistante selon laquelle les cinéastes françaisn’auraient pas abordé la guerre d’Algérie (sousentendu : à la différence des Américains avec leVietnam) : ils l’ont fait, mais de manière souventdétournée, allusive, réflexive, intimiste. B. Storaoppose ainsi “un cinéma “au ralenti” entremélancolie et nostalgie, toute en esquives et ensilences, où dans la longue durée de l’événe -ment central (la guerre) viennent converger lespetits et modestes moments de la vie” et “uncinéma américain de la fureur, prédateur, tor -rentiel, outrageusement esthétique, avec uneviolence omniprésente.”

Le projet de Florent Siri, exposé dans sa noted’intention, répond clairement à ce constat : ilentendait “filmer la guerre d’Algérie comme lesAméricains ont filmé le Vietnam ”.

II Un film de guerre 1/ Les codes du genreL’Ennemi intime se présente dès l’abord comme unfilm de guerre : une mission précise est assignée àTerrien et à sa section (localiser et détruire la kati-ba* dirigée par un certain Slimane), qui aura étéaccomplie à la fin du film. Tout au long du film, desincrustations égrènent la chronologie des opéra-tions, de manière froide et technique, à la manièred’un rapport militaire : “Mission sur Taïda. Limite dela zone interdite”, “Deuxième mission sur Taïda”, “18h”). Véritable “huis-clos” à l’intérieur de la section, lapermission de Terrien à Grenoble mise à part(échappée toute relative puisque Terrien renonce àaller voir sa famille, et atterrit dans un cinéma qui dif-fuse les actualités… d’Algérie), le film s’attache àdécrire le microcosme d’un groupe de soldats, alter-nant entre les opérations et le repos, l’extérieur etl’intérieur (le poste), la tension et la détente (l’arrivéedu courrier, les scènes au foyer).

Le film tient également ses promesses de “film deguerre” au sens de “film d’action”. Il commence parun violent affrontement nocturne qui nous plongedans l’action dès les premières minutes, et compor-tera par la suite son lot de spectaculaires scènes decombat. On pourra souligner la virtuosité techniqueet esthétique de la mise en scène de Florent Siri, quiapporte un grand soin à ces scènes. Conformémentà la tendance du cinéma d’action et de guerrecontemporain (cf. la fameuse scène du débarque-ment de Il faut sauver le soldat Ryan de StevenSpielberg), la mise en scène délaisse les scènesd’ensemble et les plans larges, et a pour objectifd’immerger le spectateur au cœur des combats,pour lui faire partager, tant que faire se peut, l’expé-rience du fantassin.

Pour ce faire, Florent Siri privilégie le montage trèsrapide de points de vue toujours subjectifs : en mul-tipliant les plans très courts et frappants, toujours enmouvement (caméra portée à l’épaule) avec ungrand sens du détail visuel (par exemple les mou-

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tons tués par les balles), et l’appui des effetssonores très travaillés (sifflements et impacts deballes), il nous immerge dans le bruit et la fureur descombats, en plein cœur de l’expérience traumati-sante des soldats.

2/ Une dénonciation de la guerreSi L’Ennemi intime est un film de guerre, ce n’estpas à la manière classique des films américains surla Seconde Guerre mondiale : il en refuse deux descaractéristiques essentielles, l’h é r o ï s a t i o n et lemanichéisme. Le film n’exalte pas la geste guerriè-re, les faits d’arme de la section : celle-ci n’a jamaisvraiment la maîtrise des événements. Elle est plussouvent attaquée qu’attaquante, elle réagit plusqu’elle n’agit. Quand elle prend l’initiative, les résul-tats sont souvent catastrophiques : dans la premiè-re scène Dougnac fait tirer par erreur sur sespropres soldats ; l’embuscade tendue à Slimane seretourne contre la section, et nécessite l’emploi dunapalm. Si le film souligne leur abnégation et leurcourage, les soldats ne sont jamais montrés commedes “héros”. Le seul “morceau de bravoure” est àl’actif de Dougnac quand lors de l’embuscade enforêt il se lève sous le feu nourri des balles enne-mies. Mais c’est plus de l’inconscience suicidaireque de l’héroïsme, et sa violence est dirigée contrel’un de ses soldats, le harki Saïd.

Le film n’oppose jamais non plus les méchants et lesbons, camp dans lequel on ne peut certainementpas ranger l’armée française : la cause que défendcelle-ci est douteuse et incertaine (à la fin Dougnacse rendra compte que “les copains sont morts pourrien”), et les moyens qu’elle emploie sont condam-nables. Les soldats français se rendent coupablesde ce qu’il faut bien appeler des crimes de guerre :violences sur des civils, actes de torture, exécutionde prisonniers, et à la fin, le massacre d’un villageentier.

Ces éléments participent d’un point de vue histo-rique sur l’illégitimité et l’horreur de la guerre menéepar la France en Algérie. Ils renvoient également àune tradition de dénonciation de l’horreur et de l’ab-surdité de toute guerre (exaltation du sacrifice dessoldats, dénonciation de la hiérarchie). Si elle faitsigne à un autre genre cinématographique (voir

encadré), on peut ainsi analyser la présence trèsforte de la nature dans le cadre d’une réflexionmorale sur la guerre. La beauté de la nature s’oppo-se en effet aux vilenies humaines. On peut faireréférence la première phrase de La Ligne Rouge deTerence Malick, basée sur cette opposition entrebeauté du monde et horreurs de la guerre : “Qu’est-ce que c’est que cette guerre au sein même de lanature ?”. Une scène caractéristique à ce point devue est celle du napalm : entre la fureur du combatet l’horreur du bombardement s’insèrent desuperbes plans aériens sur les montagnes, qui serévéleront être le point du vue du bombardier à l’ap-proche (dont l’ombre se reflète au sol).

On peut également citer les deux scènes où, devantla section puis Terrien, apparaît un sanglier : les sou-rires qui s’impriment sur les visages montrent unémerveillement enfantin qui nous transporte d’uncoup hors de l’univers guerrier.

L’Ennemi intime, un… “Western” ?Les paysages, magnifiés par l’utilisation d’un formatd’écran très large, concourent pour beaucoup à ladimension spectaculaire de L’Ennemi intime. Si elleparticipe au discours moral sur la guerre, on pourrarapprocher cette utilisation des espaces d’un autregrand genre du cinéma populaire : le western. Pourexpliquer la persistance de la mémoire pied-noiredans l’inconscient français, l’historien BenjaminStora a émis l’hypothèse que l’Algérie colonialeserait à la France ce que le Sud (esclavagiste) étaitaux Etats-Unis : le lieu d’une guerre civile dont lesblessures ne se sont jamais vraiment refermées(voir Le Transfert d'une Mémoire, La Découverte,1 9 9 9 )

On pourrait dire qu’elle fut également son Ouest :une frontière avec un monde sauvage, magnifiquemais plein de dangers. Si les déclarations des poli-ticiens de l’époque insistent sur la continuité admi-nistrative du territoire (“L’Algérie c’est la France”),l’Algérie pour les métropolitains c’était égalementl ’ A i l l e u r s .

Florent Siri magnifie ainsi les paysages algérienscomme les cinéastes américains ceux de l’Ouest.

On pourra comparer le poste avancé Mazel à unfortin implanté en territoire indien, et les fellaghasaux Peaux-rouges : invisibles, insaisissables, indé-c h i ffrables, ils font corps avec la nature, et ne semanifestent que par les traces de leur sauvagerie(guetteur mutilé, village massacré, soldats égorgéset émasculés)…

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3/ Terrien : une descente aux enfersSi en surface et en apparence, L’Ennemi intime estun film de guerre, on peut douter que les opérationsde la section de Terrien soient le sujet du film. Lamission, qui aura finalement été accomplie sansqu’on s’en soit rendu compte (Slimane a été tué lorsdu bombardement au napalm), s’inscrit dans uncombat perdu d’avance, comme le souligne Dou-gnac à la fin.

L’Ennemi intime raconte ainsi moins la marchetriomphale vers la victoire qu’une descente auxenfers, celle du lieutenant Terrien. Le film coïncideavec son passage dans la section du lieutenantDougnac, de son arrivée (après une courte séquen-ce introductive qui justifie son arrivée en racontant lamort de son prédécesseur) à sa mort. La progres-sion dramatique correspond au basculement pro-gressif de Terrien dans la barbarie, sous l’effet deschocs successifs qu’il subit : découverte des corpsdu village massacré de Taïda, mort des camaradesau combat, horreur du napalm…

Il s’agit bien de répondre à la question posée par ledocumentaire L’Ennemi intime : “Comment unhomme ordinaire devient un bourreau banal ”(Patrick Rotman, “Travelling arrière”). Il n’estd’ailleurs pas anodin que le titre de ce documentai-re ait été conservé pour la fiction.

La logique solaire du film de guerre est ainsi sub-vertie, attaquée par une logique nocturne, souterrai-ne. On pourra noter que la musique composée parAlexandre Desplat n’a rien de militaire ou de martial: par ses accents presque jazz, elle rappelle les filmsnoirs des années 60 et 70 plutôt que les classiquesdu film de guerre… Sur un tempo lent et plaintif, elledélaisse les percussions et privilégie les vents(cuivres et bois), qui semblent accompagner le glis-sement progressif de Terrien.

L’univers d’incertitude et d’ambivalence moralesrappelle d’ailleurs les films noirs : on est face à unadversaire sans visage, une guerre sans nom, une

cause dont on doute. Les apparences sont trom-peuses : les paysannes sont des fellaghas déguisés(ou peut-être pas), la musique couvre les hurle-ments des torturés ; les salauds (Berthaut, Dou-gnac) n’en sont peut-être pas, et les innocents (Ter-rien, Amar) deviennent les bourreaux.

La structure de L’Ennemi intime est finalement unestructure tragique : comment Terrien va devenir toutce qu’il détestait, malgré les avertissements (Dou-gnac qui lui dit “vous pouvez rentrer chez vous”),malgré (ou à cause) de son orgueil (“Vous change -rez, comme nous tous” lui dit Berthaut, à quoi ilrépond “Non, je ne crois pas.”) En s’appuyant surplusieurs indices, on pourrait d’ailleurs se demandersi le film, “chronique d’une mort annoncée”, n’estpas l’histoire d’un fantôme : aux deux tiers du filmTerrien commence à rêver à ce qui se révélera êtresa propre mort, comme si tout le film n’était qu’unflash-back depuis cette scène finale. D’ailleursquand Terrien arrive dans la section au début dufilm, c’est déjà un mort qu’il remplace, et le premierplan nous le montre comme momifié par la poussiè-re de la piste.

4/ Deux alter-ego : Dougnac, AmarDeux individualités se détachent de la masse despersonnages secondaires, moins par l’importancede leur présence à l’écran que par l’évolution qu’ilsvivent le temps du film. Alter ego de Terrien, chacunà sa manière, ils sont les témoins de sa chute (denombreux plans nous les montrent d’ailleurs regar-dant Terrien) en même temps qu’un contrepoint àcelle-ci..

Le sergent Dougnac

Interprété par Albert Dupontel, l’autre comédienvedette, il est essentiel à l’économie du film. Audébut il s’oppose point par point à Terrien : soldatd’active/appelé, sous-officier/officier, vétéran/”bleu”,cynique/idéaliste, et le film semble nous promettrel’affrontement entre les hommes. Mais leur relationévoluera plus subtilement vers une forme d’amitié,voire de fascination réciproque.

Si Terrien est le héros du film, Dougnac, dont la pré-sence encadre l’histoire de Terrien peut faire figurede narrateur : son monologue en voix-off qui clôt lerécit.

Dougnac incarne surtout un cheminement symétri-quement inverse à celui de Terrien : ce dernier, quiavait tout pour être un héros, deviendra un tortion-naire. Dougnac, qui avait toutes les caractéristiquesdu bourreau ordinaire, aura le courage de déserter.Sans doute le film entend-il désamorcer ainsi uneidentification trop évidente avec la figure de BenoîtMagimel, et relativiser la fatalité tragique à l’œuvredans la structure du film, en réintroduisant l’idéed’un choix possible.

Amar

Si l’importance de Dougnac/Albert Dupontel est lar-gement annoncée par l’affiche du film et ses pre-mières séquences, le personnage d’Amar, incarnépar un jeune comédien inconnu, fait une entrée plusdiscrète dans le récit. Aperçu lors de l’interrogatoiredes villageois à Taïda, il est recueilli par Terrien

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Quelques films sur la Guerre d’AlgérieLe Petit soldat de Jean-Luc Godard(1960, sortie : 1963)

Muriel ou le temps d’un retour d’Alain Resnais(1962, sortie 1963)

Elise ou la vraie vie de Michel Drach (1970)

Avoir vingt ans dans les A u r è s de René Va u t i e r(1971, sortie 1972)

R . A . S . d ’ Yves Boisset (1973)

La Question de Laurent Heynemann (1977)

Cher frangin de Gérard Mordillat (1988)

La Guerre sans nom de Bertrand Tavernier et PatrickRotman (1992)

Nuit noire 17 octobre 1961 d’Alain Tasma (2005)

La Tr a h i s o n de Philippe Faucon (2006)

Mon colonel de Laurent Herbiet (2006)

… et la guerre du VietnamLes Bérets verts (The green berets) de John Wayne etRay Kellog (1968)

Le retour de Hal Ashby (1968)

Le merdier (Go tell the Spartans) de Ted Post (1977)

Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter) d eMichael Cimino (1978)

Apocalypse now de Francis Ford Coppola (1979)

Rambo (First blood) de Ted Kotcheff

P l a t o o n d’Oliver Stone (1986)

Full metal jacket de Stanley Kubrick (1987)

Outrage (Casualties of war) de Brian de Palma (1990)

après le massacre du village, et intégré à la vie de lasection. Se prenant d’affection pour son sauveur, ilsera révolté par le basculement de Terrien dans labarbarie, qui le poussera à s’enfuir et à rejoindre lesrangs du FLN.

Si le jeune adolescent est important, c’est qu’il incar-ne plusieurs thématiques essentielles au film. C’estd’abord la figure de l’Autre, de l’Algérien, dans touteson ambivalence : il symbolise/représente successi-vement la population martyrisée puis la violenceaveugle du F.L.N. Il représente également la figurede l’innocence, essentielle au film. Si Dougnac peutapparaître comme une figure paternelle (ou degrand frère), Amar représente lui la figure du fils (oudu petit frère) : et ce que Terrien a engendré c’est lapropre violence qui le tuera.

Ces deux figures sont importantes parce qu’ellesenrichissent et nuancent le “message” de L’Ennemiintime : si le film peut paraître justifier la violence deTerrien par la violence du F.L.N., le basculementd’Amar montre une autre généalogie de la violence.S’il présente la barbarie comme une fatalité tra-gique, la trajectoire de Dougnac montre que mêmedans ce contexte un autre choix était possible.

Conclusion de la deuxième partiePour l’historien Pascal Ory, l’impression d’absencede la guerre d’Algérie sur nos écrans renvoie en faità “l’absence d’un “grand” film sur le conflit, ou mêmede film d’action classique comme en génère touteguerre.” En reprenant consciemment les codes desfilms américains sur le Vietnam, L’Ennemi intime deFlorent Siri s’efforce de combler cette absence. Il lefait peut-être au prix d’une condensation d’élémentshistoriques attestés séparément, mais l’entrepriseest d’importance : après la légitimation législative(celle de la loi du 18 octobre 1999 qui reconnaît lequalificatif de guerre), c’est une sorte de légitima-tion cinématographique qu’il s’agit d’offrir à laGuerre d’Algérie et à ses combattants.

Néanmoins, s’il s’agit de rendre justice aux combat-tants, il ne s’agit pas pour autant de réhabiliter cetteguerre : L’Ennemi intime montre la violence descombats, l’utilisation longtemps cachée du napalm,la généralisation de la torture. A travers le person-nage de Terrien, le film souligne que la victoire mili-taire s’est faite au prix d’une défaite morale, que laFrance s’est perdue dans cette guerre pour lagagner. Comme le dit le héros de Platoon d’OliverStone, référence citée par Florent Siri : “L’ennemin’était pas devant nous, mais en nous.”

Le film de Florent Siri mène également cetteréflexion historique sur un plan intime : la fictionreprend la réflexion du documentaire là où celui-cil’a laissée. Le documentaire devait se contenter d’in-terroger les survivants, la fiction permet de faire par-ler les morts.

C’est cette interrogation sur la barbarie ordinaireque nous allons aborder maintenant, à la lumièredes travaux des historiens et des philosophes.

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“Depuis longtemps, je voulais éclaircir le mys -tère du basculement, comment un homme ordi -naire devient un bourreau banal, voire untémoin indifférent.” (Patrick Rotman, L’EnnemiIntime, Le Seuil, p. 8)

Le texte dont est extrait ce passage, intitulé“Travelling arrière”, tient lieu de préface au livreL’Ennemi Intime, pendant du documentaire dumême nom réalisé en 2002. En reprenant letitre déjà utilisé par ces deux œuvres, le film deFlorent Siri reprend et poursuit le questionne-ment : comment des hommes qu’en apparencerien ne prédisposait à cela, ont-ils pu basculerdans la barbarie ?

Alors que le documentaire, à travers l’éclate-ment des témoignages, multipliait lesapproches et les points de vue, la fiction lescondense en la trajectoire d’un seul personna-ge archétypal, dont l’évidence ne manquerapas d’interpeller le spectateur d’aujourd’hui etde provoquer le débat.

Pour mieux comprendre il est indispensable dereplacer le parcours fictionnel du lieutenant Ter-rien dans le contexte historique de l’époque :

une violence banalisée par le système colonial,attisée par la peur de l’ennemi et les discoursbelliqueux, facilitée par l’éloignement de la viecivile et des repères moraux, etc ; mais, il estimportant de le souligner, une violence parfoisrefusée : tandis que chez les civils (politiques,intellectuels…) des voix s’élevaient pourdénoncer la “sale guerre”, des militaires, offi-ciers ou simples soldats, ont refusé l’engrenagede la barbarie.

C’est dire que l’Histoire, si elle peut dégagerdes conditions, des circonstances, des proces-sus collectifs ne résout pas la question deschoix individuels. C’est dire aussi que l’interro-gation posée par L’Ennemi Intime ne se limitepas aux circonstances particulières de la Guerred’Algérie : comment dans des circonstance

C’est pourquoi dans un deuxième temps, nousdélaisserons l’Histoire pour aborder ces ques-tions sous l’angle de la réflexion philosophique

III Comprendre la barbarie A/ Les réponses de l’Histoire

1/ Une violence banaliséeTout système colonial s’appuie en partie sur laforce et sécrète son lot de violences. Cependant,dès qu’il y a des soulèvements indigènes, ces vio-lences s’accentuent fortement. Ainsi, en Algérie, lesémeutes de Sétif du 8 mai 1945 ouvrent la voie auxexactions. Les corps des 300 Européens qui y ontété assassinés sont mutilés ; par répression, l’avia-tion et la marine françaises tuent de 6 à 8 000musulmans. A partir de ces émeutes, les violencesdeviennent peu à peu habituelles.

Elles sont le fait des deux camps. Le FLN est unmouvement de libération très radical, qui obtient leralliement des Algériens non seulement par la forcede ses idées, mais aussi par la force tout court.Ainsi, comme il est visible dans le film, les fellaghascoupent parfois le nez ou les lèvres des fumeursmusulmans déclarés amis de la France, ou massa-crent certains Algériens qui ne sont pas acquis à leurcause – par exemple tous les habitants d’une mech-ta. Il est aussi attesté que l’ALN n’hésite pas à tortu-rer ou assassiner dans ses propres rangs, les indo-ciles ou les opposants dans la lutte pour le pouvoir.On estime aujourd'hui que les purges et exécutionssommaires à la suite de tortures dans le proprecamp du FLN auraient fait 7000 morts durant laguerre. Contre leurs ennemis français, les “vio -lences démonstratives” (R. Branche) des indépen-dantistes sont récurrentes : les cadavres de Fran-çais sont souvent retrouvés égorgés et émasculés –comme celui de Berthaut dans le film. Les soldatsfrançais côtoient donc cette violence au quotidien, etla peur qui va avec. La mort les guette à toutmoment durant les opérations militaires. Près de 16000 Français sont tués au combat de 1954 à 1962.

Les exactions des Français contre les musulmanssont, de leur côté, très nombreuses. A partir de mars

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2/ Une violence justifiéeSelon les théoriciens de la guerre psychologique, laguerre de type nouveau qui est menée en Algériejustifie que l’on n’y applique pas le droit de la guerreclassique et, en particulier, les Conventions deGenève.

La pratique des représailles collectives répond àune situation de guérilla, dans laquelle l’ennemi estinvisible. De plus, dans le cadre de la guerre psy-chologique, les exécutions sommaires veulent éta-blir un équilibre de la terreur. Comme le dit le Géné-ral Massu : “Les moindres exactions (sabotages delignes téléphoniques, coupures de routes, saccagesde vergers) doivent être impitoyablement sanction -nées, beaucoup moins à cause du dommage causéque pour décourager les imitateurs”.

Quant à la torture, elle est prônée pour son eff i c a c i t é ,d’autant plus “prouvée” après la bataille d’Alger. Eneffet, celle-ci a été remportée, entre autres, aumoyen de l’installation de centres de torture. Alorsqu’avant 1957, la France avait perdu la bataille durenseignement, la situation se retourne en raison de

1955, le principe de la responsabilité collective serépand en Algérie, en cas d’attentat ou de sabotage.Il se traduit en général par l’imposition de corvées oud’amendes collectives au village le plus proche encas de destructions matérielles, mais il peut aussiaboutir à des représailles collectives. Le villagedétruit par les Français à la fin de L’Ennemi Intime,la mise à mort de tous ses habitants sont des pra-tiques avérées durant le conflit.

Le système de la “corvée de bois”, qui consiste àabattre un prisonnier en prétextant une tentative defuite, est attesté dès le printemps 1955. Il est relati-vement courant durant toute la guerre puisque letaux de “rebelles abattus lors d’une tentative defuite” par rapport aux rebelles abattus est de 12% en1956, 25% en 1958, 11,6% en 1959. Il descend à2% en 1960, quand l’Etat recouvre lentement sonautorité sur l’armée en Algérie. La scène du filmdurant laquelle le “fell” joué par Fellagh est abattureprésente donc une pratique courante.

A partir de 1957, 18 DOP (détachements opération-nels de protection), structures militaires semi-clan-destines spécialisées dans la recherche du rensei-gnement, s’implantent dans toute l’Algérie. La tortu-re est leur méthode ordinaire. En 1957, il existe ainsi584 centres de torture pour l’ensemble de l’Algérie ;les DOP comptent 2500 personnes en 1960. Que cesoit dans ces centres spécialisés ou dans lessimples sections, après la bataille d’Alger, la tortures’est banalisée du côté français. Les coups, la pen-daison par les pieds ou les mains, le supplice del’eau, celui de l’électricité ou le viol sont les formesrécurrentes d’exactions, le plus souvent utiliséescombinées.

Les soldats de L’Ennemi Intime, comme la plupartdes appelés d’Algérie, doivent côtoyer cette extrêmeviolence, dont la cruauté est sans cesse rappeléepar des photographies ou des discours officiels surle “vrai visage de la rébellion”, et qui les heurte dansleur conscience la plus profonde. En retour, la vio-lence ordinaire contre les musulmans se trouved’autant plus justifiée.

l’usage de cette violence ciblée. De plus, on présen-te aussi la torture comme une méthode adaptée à lanature de la lutte : on justifie la violence par la vio-lence de l’adversaire – d’autant plus qu’une convic-tion profonde est ancrée, chez certains, que les“indigènes” ne comprennent que la force. Les mili-taires voient pas pour autant qu’ils emploient desméthodes équivalentes à celles d’autres tortion-naires, comme ceux de la Gestapo : dans le film,Berthaut souligne le paradoxe qui veut qu’il ait étélui-même été torturé quand il appartenait à un autremaquis, durant une autre guerre, mais il refuse pourautant l’assimilation entre les deux événements. Latorture de la guerre d’Algérie serait différente caruniquement assignée à la recherche de renseigne-ment – sans sadisme, sans gratuité ; Berthaut ditbien, d’ailleurs qu’il “n’aime pas ça.” Au regard de laréalité des faits, il va sans dire que ce distinguo nerésiste pas.

3/ Une violence ordonnéeL’OR Berthaut justifie aussi ses violences contre lesprisonniers par le fait qu’il “obéit aux ordres”. Il fautpourtant signaler que la torture est interdite duranttoute la guerre. Le 21 octobre 1949, le gouverneurMarcel-Edmond Naegeln a en effet condamné sonusage dans une circulaire aux préfets : “La violencedoit être prohibée d’une manière absolue en tantque méthode d’investigation”. Si cette stricte inter-diction, renouvelée en 1952, est restée lettre morte,c’est en grande partie à cause du flou sémantiquemaintenu autour du conflit : puisqu’il ne s’agit pasd’une guerre, la France ne se sent pas tenue d’ap-pliquer les conventions de Genève. Seules quelquesobligations sont édictées par les hommes politiques,comme ne pas utiliser le napalm ni les bombarde-ments à fort chargement – ce qui laisse une largemarge d’appréciation pour le reste.

De plus, L’Ennemi Intime montre que même uneinterdiction comme celle d’utiliser le napalm peut nepas être respectée. Les textes sont interprétés par

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une hiérarchie militaire qui peut les infléchir dans unsens ou l’autre. Or celle-ci laisse de plus en plus lesofficiers subalternes choisir les moyens nécessairespour vaincre – leur donnant implicitement la possibi-lité et la responsabilité d’user de violences illégales.Par conséquent, alors qu’aucun texte n’autorise oun’ordonne des sévices et que beaucoup les interdi-sent, les exactions sont nombreuses.

Le cas de la “corvée de bois” est représentatif decette imprécision propice à toutes les dérives.Durant la guerre d’Algérie, il est parfaitement légald’abattre un ennemi menaçant. Le 1er juillet 1955,un ordre des ministres de l’Intérieur et de la Défen-se signifie que “Tout rebelle faisant usage d’unearme ou aperçu une arme à la main ou en train d’ac-complir une exaction sera abattu sur le champ ; l’ap-parition d’une bande doit provoquer le feu de toutl’armement disponible […]. Le feu doit être ouvertsur tout suspect qui tente de s’enfuir”. Mais la marged’appréciation de l’application de la mesure estentièrement laissée aux soldats. Bien plus : se posele problème de savoir que faire des prisonniers quiont été torturés. Il n’est pas possible de les relâcher,car ils sont devenus compromettants ou sont tropdéfigurés. On a donc souvent recours à la “corvéede bois”, dont la fiction permet d’inscrire l’exécutiondu prisonnier dans le cadre légal du “fuyard abattu”.

4/ Une violence par solidaritéLe basculement de Terrien dans la violence inter-vient dans un contexte d’isolement de sa section,qui favorise la perte de repères et le renforcementd’une solidarité de groupe.

Cette situation a été vécue par certains des combat-tants d’Algérie. Alors que les postes de commande-ment sont implantés en ville, dans une casernebâtie, les garnisons situées dans la campagne sontparfois isolées (à 8 km du PC dans L’Ennemi Inti -m e), et en général peu confortables. Il arrived’ailleurs que l’on construise le poste en arrivant.

Les installations matérielles y sont rudimentaires,contrastant avec le confort auquel les Français desTrente Glorieuses sont habitués. Dans le film, la pré-sence d’objets provenant de la métropole ou la dif-fusion de productions culturelles (le Tcha tcha tchadu loup de Gainsbourg, L’écume des jours de BorisVian…) ont un rôle ambivalent : elles constituent à lafois un moyen d’améliorer l’ordinaire d’un avant-poste, mais aussi un rappel récurrent du décalageavec le reste de la nation. Ce décalage apparaîtd’autant plus quand Terrien revient en métropolepour une permission : les actualités lui signifient àquel point le drame qu’il vit est dissimulé au restedes Français. [cf. l’encadré “Une guerre qui ne disaitpas son nom”].

L’isolement spatial et psychologique des soldatsexplique le recours fréquent à l’alcool ainsi que l’ob-session de la “quille” chez les appelés. Or la lon-gueur du service en Algérie, pour des jeunes gensqui y restent 18, voire 30 mois, contribue à dévelop-per les liens avec leur groupe militaire et à faire deces soldats des éléments plus obéissants que lesrappelés, qui ne restent que 6 mois sur place.

Par conséquent, pour les appelés comme pour lesmilitaires de carrière, il est presque inenvisa-geable de ne pas obéir aux ordres, même si ceux-ci exigent des violences contraires au droit de laguerre : le risque serait de passer pour un lâchemais surtout de mettre en danger le groupe – etaussi de faire perdre la guerre, juste après la défai-te d’Indochine. De plus, les valeurs extérieures àcelles de la guerre s’affaiblissent grandement dansce contexte d’isolement, d’autant plus quand,comme dans L’Ennemi Intime , la solidarité est ren-forcée par la participation à des opérations très ris-quées. Enfin, de nombreux soldats sombrent dansla violence en représailles d’exactions subies parleurs camarades.

5/ Une violence parfois refuséeLes facteurs que nous avons évoqués expliquent enpartie qu’il ait été rare de refuser la violence durantla guerre d’Algérie. Un dernier élément, et de taille,intervient finalement dans l’accomplissement desactes illégaux : les exactions sont souvent ordon-nées par les officiers de grade inférieur. Ainsi, larelation d’autorité et la proximité physique de celuiqui commande font passer au second plan la ques-tion de la légalité des actes ordonnés : malgré larépugnance que connaissent quasiment tous lessoldats amenés à accomplir des violences illégales,pour eux, il s’agit en premier lieu d’être un bon mili-taire, qui obéit à sa hiérarchie.

Cependant, en théorisant le refus dans la bouche deTerrien (“quand un ordre est moralement inaccep -table, il faut le refuser”), en faisant déserter le per-sonnage de Dougnac, le film pose explicitement la question du choix : dans quelle mesure y a-t-ileu des résistances aux ordres durant la guerre d’Al-gérie ?

En avril 1958, le capitaine Eyraud, officier de rensei-gnement, estime que le refus d’appliquer la torturepar certains officiers fait échouer entre 5 et 10% desinterrogatoires. Sur l’ensemble de la guerre d’Algé-rie, d’après les chiffres officiels de l’armée, il n’y a euque 470 objecteurs de conscience condamnés, etenviron 500 déserteurs et insoumis – sur lesquelque un million deux cent mille appelés qui ontparticipé à la guerre d’Algérie.

En fait, tout refus d’obéissance pouvait être sévère-ment réprimé suivant le Code de discipline généralede 1933 (“refus d’obéissance devant l’ennemi”) : lesprotestations d’officiers contre la torture dans leurunité aboutissaient dans le meilleur des cas à unemutation, en général à de graves sanctions dissua-sives. Un refus d’obéissance est puni de une à deuxannées de prison, renouvelables autant de fois quela personne refuse de porter les armes ou d’obéir.Quant à la peine touchant une désertion, elle peut

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aller de six mois d’emprisonnement jusqu’à la peinede mort quand il s’agit d’une désertion “à l’ennemi”.

Rares sont donc les cas de refus des actes illé-gaux pendant la guerre d’Algérie. Les quelquespersonnes qui n’acceptent pas d’obéir aux ordresn’ont pas un profil type : ils peuvent être aussi biencadres d’obédience marxiste qu’officiers se récla-mant de sensibilité chrétienne, par exemple. Cepen-dant, ils sont unis par leur attachement à d’autresvaleurs que celles de la guerre ou du groupe. Onpeut citer, parmi eux, le général Henri Lorillot, com-mandant la 10e RM à la suite du général Cherrièreen juillet 1955-décembre 1956, Alban Liechti, empri-sonné durant de longues années pour refus de com-battre, ou le général Jacques de Bollardière, quidemande à être relevé de son commandement le 21février 1957 ; il est cependant impossible deconnaître et chiffrer tous ces hommes qui ont résis-té. Un seul d’entre eux est un officier général quidonne des ordres très clairs contre l’utilisation deméthodes fortes : il s’agit du général Fernand Gam-biez, commandant le corps d’armée d’Oran. A tra-vers sa “Note relative au comportement des troupesvis-à-vis des populations” du 4 mars 1959, il a misen place des efforts considérables pour éliminer latorture et les corvées de bois de son unité. Il estenfin attesté que de certains refus des dérives de laviolence ont été opposés par des officiers parachu-tistes.

B/ Les questionsde la philosophieTerrien, ou la chute d’un Juste“Quand un ordre est moralement inacceptable, ditTerrien, on doit le refuser”.

Terrien apparaît au commencement du film commela figure du juste, celui qui refusera la barbarie. Dansd’autres circonstances, il aurait pu être un héros : ilse porte volontaire pour aller combattre, alors qu’ilaurait pu “se planquer à Alger” (comme le lui dit leCommandant Vesoul), et il ne manque pas de cou-rage pour s’opposer à l’autorité de ses supérieurs età la loi du groupe.

Pour lui, l’ordre militaire n’est pas un ordre absolu.La loi morale, immuable, transcende les ordres,ponctuels et variables. Sans doute Terrien ne veut-ild’abord pas renoncer à l’idée d’un choix qui engagesa responsabilité et sa dignité. Parce que nos choixnous impliquent et impliquent l’homme en général, ilrefuse dans un premier temps la torture des prison-niers. Comme l’affirme Sartre, dans L’existentialis-me est un humanisme, “il n’est pas un de nos actesqui, en créant l’image de l’homme que nous voulonsêtre, ne crée en même temps une image de l’hom-me tel que nous estimons qu’il doit être”. Les actesne sont jamais distincts de l’affirmation implicite devaleurs. “Choisir d’être ceci ou cela, c’est affirmer enmême temps la valeur de ce que nous choisissons[…] Ainsi notre responsabilité est beaucoup plusgrande que nous ne pourrions le supposer, car elleengage l’humanité entière.”

Mais le film montre que la question du choix ne sepose pas avec la simplicité caractéristique desquestionnements moraux abstraits, qui oppose demanière caricaturale deux branches d’une alternati-ve : dans l’univers incertain de la guerre, les déci-sions moralement bonnes peuvent s’avérer catas-trophiques sur le terrain et le scénario déroule ces

retournements incessants où le passage d’unelogique à une autre (considérations morales ouchoix stratégiques) se joue de Terrien, toujours per-dant. A ce titre, les deux scènes symétriques despaysannes (ou fellaghas déguisés) illustrent l’impos-sibilité de faire d’un principe unique, son principed’action. La logique de la guerre est une logique del’instant, de la réaction immédiate, d’une intelligenceinstinctive. La réflexion et la raison n’y ont pas leurplace, la morale non plus.

La failleCe qui marque d’abord la figure de Terrien, c’est cetécart qu’il maintient entre son être et sa fonction :l’homme a une vie familiale, culturelle (il lit L’écumedes jours de Boris Vian), intellectuelle (il réfléchit auconflit) propre, distinctes de celle du soldat. Or ilsemble que dans le cadre si particulier de la guerre,la seule façon de survivre est d’adhérer absolumentà sa fonction, de se confondre avec elle, commel’illustre la figure de Saïd qui répète inlassablement :“Je suis un bon soldat”. A la différence de Terrien, lesautres soldats semblent n’avoir pas (Dougnac) ouplus (Saïd) de vie propre, de famille. Terrien prétendau contraire d’abord se distinguer de sa fonctionmilitaire et ne pas voir son être s’y résumer. Cettedivision de son être ne fera que s’agrandir au coursdu film jusqu’à l’écarteler. Sa conscience morale,son humanité, au lieu de le renforcer, vont l’épuiser.

C’est que pour être un bon soldat, il faut réussir àfaire taire le “tu ne tueras point”, centre névralgiquede notre conscience morale, comme le rappelleHannah Arendt, dans Eichmann à Jérusalem (1963)dont le sous-titre, essai sur la banalité du mal, pour -rait illustrer la situation de l’armée française en Algé-rie. Lorsque Terrien entre pour la première fois dansle foyer et demande une limonade, on l’accueilled’une remarque significative : “Un officier qui boitpas, c’est pas un soldat”. Ce n’est pas seulementune bravade de militaire, c’est l’énoncé d’une condi-tion de survie : l’enivrement est un des moyens qui

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permettent de supporter la situation, de faire tairel’impératif moral lancinant.

Si Terrien retrouve un équilibre psychique à la fin dufilm, c’est qu’il a réussi à tuer l’homme qui était en luiau profit du soldat : il renonce à aller voir sa familleen permission à Grenoble, il n’ouvre plus les lettresqu’on lui envoie. L’avant-dernière séquence nous lemontre, remontant son arme à toute vitesse : lesavoir-faire technique a pris le pas sur la conscien-ce morale, Terrien est devenu, comme Saïd, un bonsoldat.

L’expérience de “l’énorme”Comment s’est opéré ce basculement ? CommentTerrien renonce-t-il à ses principes moraux et envient-il à occuper, à s’accaparer violemment même,la place du bourreau qu’il avait jusqu’alors toujoursrefusée ? Il s’était pourtant préparé à “ne pasrépondre à la barbarie par la barbarie”. Par la maniè-re quasi hallucinatoire dont il met en scène les chocstraumatiques subis successivement par Terrien (lavision des corps massacrés de Taïda, celle des vic-times du napalm, la première scène de torture), lefilm nous invite à y voir ici la manifestation d’uneexpérience des limites de l’humain. Qu’est-ce qu’unhomme peut tolérer de violence et d’inhumanitéavant de se perdre complètement dans cette expé-rience ?

Dans son ouvrage intitulé La barbarie ordinaire,Jean Clair réfléchit sur l’expérience de l’énorme :“L’énorme, c’est l’écart par rapport à la norme, c’estl’anomique, ce qui ne se laisse pas décrire dans lestermes du nomos. Mieux, c’est l’hétéronomie d’unlieu sans lieu, d’un trou noir dans les cartes, où toutcorps aspiré perdait une à une les distinctions de lavie civile.[…] Ce qui va outre, c’est l’outrance de lavision humaine. C’est ce que les yeux humains n’ontjamais vu ou ce qu’ils ne devraient jamais voir. C’estce qui va outre la mesure des sens de l’homme.L’énorme, c’est l’outrage fait à l’humain.” L’expé-

rience de l’énorme, c’est l’expérience qui par samonstruosité dépossède l’homme de ses repères.Comme si ayant vu ce qui outrepasse certaineslimites, l’homme était défait, déconstruit, dé-limité ausens psychologique et moral. Il y a des limites dupsychisme comme il y a des limites du corps. Sansdoute est-ce ce dépassement de la limite de ce quiest humainement soutenable qui fait basculer Ter-rien dans la violence sauvage qu’il a toujourscondamnée. Pour Terrien, ce franchissement serasans retour. Il ne trouvera jamais la force de revenirdans l’humanité.

Violence légale, violence illégaleEn temps de guerre, la violence va de soi. Elle estl’un des moyens inhérents au conflit. Mais la guerreelle-même a des principes et des règles. Des lois etdes conventions internationales comme celles deGenève, en définissent les limites, en distinguent lesformes “nécessaires”, comme de tuer l’adversaireau combat, et celles indignes et inexcusables,comme le viol, la torture, les actes de barbarie. C’estune manière de concevoir le conflit comme unmoment provisoire, prélude au dialogue diploma-tique et étape dans le développement de la civilisa-

tion : “Un jour, il faudra bien négocier avec eux et nepas répondre à la barbarie par la barbarie” résumeTerrien.

Pourtant, cette distinction qui semble claire au débutdu film, entre violence légale et violence illégale nefera que s’estomper. Tout est fait pour dissimuler laviolence illégitime, en la masquant sous des termesofficiels (“la pacification”) ou anodins (“couper dubois”). Derrière une violence de guerre codifiée,insérée dans les cadres d’une justice internationale,se dissimule une violence insidieuse où se mélan-gent pragmatisme et sauvagerie.

Violence rationnelle / sauvageLa violence a deux visages dans L’Ennemi Intime :

- celui du déchaînement débridé des pulsions, de lasauvagerie primordiale, qui procède de ce que lephilosophe contemporain Jan Patocka appelle “lesforces de la nuit”. Comme le dit Edmond Sanquier,l’un des témoins interrogés par Patrick Rotman dansson livre, “Toutes les barrières tombent” : “Au fondde l’être humain, il y a une bête immonde qui estrefrénée par l’éducation, par l’environnement, parl’éducation parentale. Mais placé dans des circons -tances où si vous ne faites pas cela, vous êtes lelâche des copains, vous êtes le traître, les gens selaissent aller. Ils n’ont pas assez, comme on dirait enpsychanalyse, de surmoi, de défense pour résister àça. Les barrières tombent, toutes les barrières tom -b e n t .” (Patrick Rotman, L’ennemi intime, Seuil,Paris, 2002, p. 238)

- et puis celle, technique, utilitaire, rationnelle, prati-quée froidement par les militaires (Berthaut : “Moinon plus j’aime pas ça.”) dans le cadre de la “guer-re totale”.

Ces deux formes de violence s’opposent dans lascène de la torture du vieil homme : le sergentreproche à Terrien qui, hors de lui, s’est saisi desélectrodes pour prendre la place du bourreau,d’avoir été trop loin, d’avoir succombé à ses pul-

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sions. Mort, le prisonnier ne sert plus à rien. Mais enréalité ces deux formes de violence entretiennentdes liens secrets, un rapport véritablement dialec-tique.

La violence des fellaghas par exemple est en réalitémoins sauvage que calculée. Elle s’inscrit dans unestratégie de la terreur et de l’intimidation : la visibili-té cauchemardesque de cadavres égorgés, defemmes violées et tuées, d’enfants sacrifiés, partici-pe de la démonstration de force, de l’intimidation.Comme le dit Dougnac : “Ne croyez pas que ce soitde la sauvagerie gratuite. Ils ont voulu faire unexemple pour foutre la trouille aux autres villages.”

Cette violence est à son tour récupérée par les Fran-çais pour exacerber les sentiments de la troupe.Comme le soulignait Machiavel dans le Prince, lahaine d’un peuple contre son bourreau est celle quil’unit le plus durablement. Une scène distingue ainsiles deux attitudes possibles face à la violence, aprèsle massacre du village de Taïda : être désarmé,retourné, choqué, comme Terrien (“Je ne sais pasquoi vous dire devant tant d’horreur …”) et l’utilisercomme exhortation à y répondre, comme Dougnac(“ce que le Lieutenant veut vous dire, c’est que cequ’on a découvert à Taïda est absolument dégueu -lasse. Vous ne devez jamais oublier ce que vousavez vu.” ) Même Berthaut, le professionnel de latorture, avoue “s’aider” des photos de camaradesmutilés pour torturer à son tour.

La violence bifideMais cette violence est à double tranchant. Commeune arme bifide, comme la queue du scorpion, ellepeut se retourner contre le sujet lui-même. Ce quinous atteint le plus, c’est la haine dont nous nousdécouvrons capables. C’est la violence archaïque,pulsionnelle et bestiale, qui a été déterrée en nous.C’est une illusion de croire que l’ennemi est à l’exté-rieur de nous-mêmes. Le seul ennemi, comme l’abien exprimé Augustin, est en nous : “Comme si l’on

pouvait souffrir plus de mal d’un ennemi que de lahaine qui vous anime contre lui ; comme si les coupsque l’on porte en le poursuivant pouvaient être plusgrands que ceux que l’on porte à son propre cœurpar cette haine même. Sans aucun doute, il n’y apas de science des mots plus intérieure à nous-mêmes que la conscience, qui nous défend de faireà autrui ce que nous ne voudrions pas qu’on nousfît.”

C’est sans doute pour se punir, peut-être même selaver de toute la violence qu’il a fait subir que Dou-gnac dans une scène de délire et de masochismeprend la place des victimes et subit la torture qu’illeur a lui-même infligée.

Fascination de la violence

Au poste Mazel, le réduit où se pratique la torture estorganisé comme un théâtre : massés sur les litssuperposés comme sur des gradins, les hommesassistent à la torture comme à un spectacle. Cettescène exprime quelque chose de la fascination quela violence exerce sur les hommes.

Dans La barbarie ordinaire, Jean Clair réfléchit surla relation ambiguë, entre répulsion et fascination,que nous entretenons avec le spectacle de l’horreur.Le regard du spectateur oscille entre le voyeurismeet l’indignation. Cette ambiguïté, comme le rappelleJean Clair, est un élément de la nature humaine quePlaton déjà constatait dans La République : “DansLa République, Socrate nous dit que l’horreur, c’estprécisément ce qui est désirable. Léontios, filsd’Aglaïon, remontant du Pirée, à l’extérieur desmurs de la cité, “s’aperçut que des cadavres gisaientprès de chez l’exécuteur public ; à la fois, il désiraitregarder et, à la fois, au contraire, il était indigné etse détournait.” Luttant contre lui-même, tantôt, ditSocrate, il se serait couvert le visage, mais décidé -ment dominé par le désir, il aurait ouvert grand lesyeux. “Et les yeux, ce sont eux, finalement qu’ilapostrophe, ses propres yeux exorbités, pareils à

ceux de puissances diaboliques : “Voici pour vous,dit-il, génies du mal, rassasiez-vous de ce beauspectacle.””

Cette réflexion souligne la responsabilité du mon-treur d’images, du cinéaste : comment suggérercette puissance de la violence sans la subir soi-même ? comment en analyser objectivement lapuissance d’exacerbation par l’image, sans en êtresoi-même le complice ? comment s’assurer que lesimages ne poussent pas le spectateur à réagir aussidans l’immédiateté du sentiment, et non pas dans laréflexion ?

Toute la réussite du film de ne pas tomber dans cepiège, grâce à un choix réfléchi des images de bar-barie : les victimes du massacre de Taïda sont fil-mées dans l’obscurité et le flou des essaims d’in-sectes, les scènes d’émasculation sont évoquées,mais jamais exhibées.

Là encore, c’est toute la question de “l’énorme”, de“l’immontrable” qui se pose au réalisateur. Quelleest la part nécessaire de violence exposée pourexpliquer la démesure de la violence réelle ? Cesont les limites même du regard qui sont interrogéesici. On pourrait ici tracer un dernier parallèle, toutesproportions gardées, entre la réflexion de Jean Clairsur le peintre Zoran Music, survivant du camp deconcentration de Dachau, et le questionnement quis’impose à quiconque est confronté à la représenta-tion de l’horreur : “L’énorme, est ce qui excède lavision, ce que le regard ne peut pas contenir, pasabsorber. Pas même le regard d’un peintre” . Onserait tenté de rajouter “ou d’un réalisateur”.

Si ce film pose la question de la responsabilitééthique du réalisateur, il est également l’occasionpour le spectateur d’interroger sa propre fascinationpour le morbide. D’interroger sa conscience. Quelest son rapport à la représentation de la mort ou dela barbarie ? Il interpelle ainsi le spectateur sur cequ’il attend, consciemment ou inconsciemment dece genre de représentation.

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IV ComplémentsChronologie de la Guerre d’Algérie

• 14 juin 1830. Débarquement français sur la plage de Sidi Ferruch 20 à km àl’ouest d’Alger. 30 ans de “pacification” sont nécessaires pour conquérir l’en-semble du pays.• Dès 1881, “e territoire est divisé en trois départements (Alger, Oran etConstantine) directement rattachés à la France, avant d'être placé, en 1896,sous l'administration du ministère de l'Intérieur.• 1914-1918. 173 000 militaires musulmans sont mobilisés pour se battre dansles tranchées, et 119 000 travailleurs algériens sont réquisitionnés pour tra-vailler dans les usines françaises.• 8 mai 1945. Emeutes arabes et répression sanglante à Sétif et Guelma(Constantinois)• 1947. Nouveau statut des trois départements français de l’Algérie voté à Paris: tous les Algériens ont la citoyenneté française mais l’existence d’un doublecollège électoral assure la sous-représentation des "Français musulmans d'Al-gérie" et donc maintient l’inégalité des droits politiques.• Le 7 mai 1954. La chute du camp retranché français de Dien Bien Phû sonnela fin de la Guerre d’Indochine. Le 21 juillet 1954, les accords de paix sontsignés à Genève.• 1er novembre 1954. Une coordination d’actions armées sur le territoire algé-rien par le FLN marque le début de l’insurrection algérienne.• 20 août 1955. Soulèvement paysan dans le Nord-Constantinois, sévèrementréprimé. Il conduit en septembre à l’envoi des rappelés en Algérie : les effectifsmilitaires sont portés à 100 000 hommes.• 11 mars 1956. L'Assemblée nationale vote les pouvoirs spéciaux au gouver-nement Guy Mollet. Peu après, le contingent français passe à 400 000hommes.• 20 août 1956. Le congrès du FLN à la Soummam (Kabylie) définit les buts deguerre et la stratégie à suivre, fixe les conditions à l’ouverture des négociationsde paix. • Septembre. Les effectifs militaires sont portés à 600 000 hommes en Algérie.• 2 - 5 novembre. Expédition de Suez. La France et la Grande-Bretagne atta-quent l'Egypte.• 15 novembre. L'ONU inscrit la question algérienne à son ordre du jour.

• Janvier 1957. Suite à une campagne d’attentats lancée par le FLN, le géné-ral Massu est investi des pouvoirs de police pour mener la “bataille d’Alger”. Endix mois, les unités parachutistes reprennent la Casbah et arrêtent les princi-paux dirigeants du FLN à Alger.• 13 mai 1958. Pour empêcher l’investiture de Pierre Pflimlin, partisan d’unesolution libérale à propos de l’Algérie, au poste de président du Conseil, lescolons organisent à Alger une grande manifestation. Un Comité de salut publicest institué, sous la direction du général Massu. En métropole, Charles deGaulle devient président du Conseil le 1er juin. “Je vous ai compris”, lance-t-il,le 4 juin à Alger. En septembre se forme le gouvernement provisoire de laRépublique algérienne (GPRA).• 1959. Le “Plan Challe” écrase les maquis algériens de l’Intérieur. 5-12 juillet.Opération "Etincelles" dans le Hodna. Fin juillet. Début de l’opération"Jumelles" en Grande Kabylie. Début septembre. Début de l’opération "Pierresprécieuses" en Petite Kabylie• 16 septembre 1959. Le général de Gaulle, président de la République, pro-clame le droit des Algériens à l’autodétermination. • 24 janvier – 1er février 1960. Semaine des barricades à Alger. Les tentativesde négociations avec le FLN continuent d’achopper.• 20 décembre. Les Nations unies reconnaissent à l'Algérie le droit à l'autodé-termination.• 22 avril 1961. Les généraux Challe, Jouhaud, Salan et Zeller tentent deprendre le pouvoir à Alger. C’est le “putsch des généraux”.• 18 mars 1962. Les accords d’Evian mettent un terme à la guerre d’Algérie. Ilssont ratifiés par les Français de métropole à plus de 90% des voix lors du réfé-rendum du 8 avril 1962 et pas les Algériens à 99,7% le 1er juillet 1962.• 3 juillet 1962. Proclamation des résultats du scrutin qui donne l’indépendanceà l’Algérie.• printemps-été 1962. Près de 500 000 pieds-noirs quittent l’Algérie et arriventessentiellement dans le sud-est de la France.• été 1962. Massacre de 60 000 à 150 000 harkis par le FLN, selon les esti-mations.• 18 octobre 1999. Loi qui reconnaît le principe de la guerre livrée par la Fran-ce en Algérie.

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Glossaire

• ALN. Armée de Libération Nationale, branche militaire du FLN, créée en1954.

• Autodétermination. Le fait pour les Algériens de choisir librement leur statutpolitique.

• Corvée de bois. Au sens propre, le fait qu’un prisonnier peut être emmenéen corvée pour ramasser du bois. Au sens figuré, le fait que le prisonnieremmené en corvée peut devenir un fuyard, et donc être abattu – ce qui donnelieu à des exécutions déguisées.

• Fell ou Fellag(h)a. De l'arabe fellaga, pluriel de fellag, dérivé de l'arabe clas-sique fallag, “pourfendeur, casseur de têtes”, puis “bandit de grand chemin”.Nom (péjoratif) donné aux partisans des mouvements de libération nationale.

• F.L.N. Front de libération nationale algérien, fondé en novembre 1954. Il ras-sembla les partisans de l’indépendance algérienne contre la France. Au coursde la guerre, il réussit à éliminer ses concurrents et s’imposa comme l’organi-sation représentative des Algériens. Il exerça par ailleurs le pouvoir en Algériejusqu’en 1989.

• Gégène. Gégène est un terme de l'argot militaire français, diminutif de géné-ratrice et désignant une dynamo électrique manuelle dont l'utilisation premièreest d'alimenter les téléphones de campagne. L’utilisation de la gégène à desfins de torture remonte à la guerre d'Indochine.

• GPRA. Le Gouvernement provisoire de la République algérienne est créé auCaire en septembre 1958 par les leaders du FLN. C’est lui qui mène les négo-ciations officielles pour l’accès à l’indépendance avec le gouvernement fran-çais.

• Guérilla. Emprunté à l’espagnol guerrilla, ce terme est utilisé pour décrire uneguerre sans ligne de front, menée par des petits groupes, mobiles et flexiblesprocédant par embuscades et attaques surprises.

• Harkis. De l’arabe harka qui signifie “mouvement”. Musulmans engagés dansl’armée française comme militaires ou comme auxiliaires de statut civil (180000 hommes). En 1962, 90 000 d’entre eux se réfugient en France pour éviterles représailles du FLN. Plusieurs milliers ont été massacrés sur place.

• Katiba. Unité militaire de l’ALN, équivalent d’une compagnie (130 hommes),généralement divisée en trois ferkas (sections).

• Mechta. En Algérie, hameau constitué d’un certain nombre de maisons.

• Napalm. Substance aux propriétés incendiaires inventée par l’armée améri-caine en 1942, utilisée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, contre l’Alle-

magne et le Japon, puis par l’armée française lors des guerres d’Indochine etd’Algérie.

• Pacification. Comme “maintien de l’ordre”, c’est un euphémisme utilisé parles autorités françaises pour désigner les opérations militaires en Algérie. Ceterme avait déjà utilisé au XIXème pour qualifier la conquête militaire du payset la répression des mouvements anti-colonialistes.

• Pieds noirs. Nom donné aux Européens installés en Afrique du Nord. Prèsd’un million d’entre eux quittent l’Algérie dans des conditions précaires et sou-vent dramatiques au printemps 1962.

• Section. Une section d’infanterie est constituée de 30 à 40 hommes, com-mandés par un lieutenant ou un sous-officier supérieur. Elle fait partie d’unecompagnie ou d’un escadron de 100 à 150 hommes, commandés par un capi-taine.

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Le film

SynopsisAlgérie, 1959. Les opérations militaires s’intensifient.Dans les hautes montagnes kabyles, Terrien, un lieutenant idéaliste, prend lecommandement d’une section de l’armée française. Il y rencontre le sergentDougnac, un militaire désabusé. Leurs différences et la réalité du terrain vontvite mettre à l’épreuve les deux hommes. Perdus dans une guerre qui ne ditpas son nom, ils vont découvrir qu’ils n’ont comme pire ennemi qu’eux-mêmes.

Fiche artistiqueTERRIEN Benoît MAGIMEL

DOUGNAC Albert DUPONTEL

VESOUL Aurélien RECOING

BERTHAUT Marc BARBÉ

SERGENT TORTIONNAIRE Eric SAVIN

LE PRISONNIER F E L L A G

LEFRANC Vincent ROTTIERS

SAÏD Lounès TAZAÏRT

RACHID Abdelhafid METALSI

Fiche techniqueProduction LES FILMS DU KIOSQUEProducteurs François KRAUS & Denis PINEAU-VALENCIENNEDirecteur de production Antoine BEAUDirecteur de la photographie Giovanni FIORE COLTELLACCIDécors William ABELLOMontage Olivier GAJAN

Christophe DANILOMusique originale Alexandre DESPLATPremier assistant réalisateur Michaël VIGERDirecteur artistique Dominique CARRARASon Antoine DEFLANDRE

Germain BOULAYEric TISSERAND

Costumes Mimi LEMPICKACasting Stéphane FOENKINOS A.R.D.A.

Christel BARAS A.R.D.A.Photographe de Plateau Thibault Grabherr

L’ENNEMI INTIME, de Patrick Rotman, le livre disponible aux éditionsPOINTS avec une préface inédite de l’auteur, le récit qui a inspiré le filmet le scénario du film.

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