Attachement maternel et adaptation chez l'enfant en bas âge€¦ · clinique, Mme Danielle...
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Attachement maternel et adaptation
chez l’enfant en bas âge
Mémoire doctoral
Audrey Robinson
Doctorat en psychologie
Docteur en psychologie (D.Psy.)
Québec, Canada
© Audrey Robinson, 2014
iii
Résumé
L’état d’esprit de la mère concernant l’attachement est lié à la sensibilité maternelle, à
la sécurité d’attachement de l’enfant et au développement de symptômes d’adaptation.
Néanmoins, nous disposons de peu de documentation sur le processus liant l’ensemble de
ces variables, et d’autant plus, avant la période préscolaire. L’objectif principal de ce
mémoire doctoral est de documenter le lien entre l’état d’esprit maternel concernant
l’attachement et l’adaptation chez l’enfant, durant la deuxième année de vie, en explorant le
rôle médiateur possible de la sensibilité maternelle et de la relation d’attachement. Ce
mémoire tient compte de la dimension importante qu’est le milieu psychosocial. Au total,
127 dyades mère-enfant ont été évaluées. Des corrélations et des équations de régression
multiple ont été effectuées afin de tester la médiation. Les résultats montrent que les liens
entre les différentes variables sont significatifs et révèlent que le lien entre l’état d’esprit
maternel et l’apparition de symptômes d’adaptation chez l’enfant est médiatisé par la
qualité de la relation mère-enfant.
v
Table des matières
RÉSUMÉ ............................................................................................................................ III
TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................... V
LISTE DES TABLEAUX ................................................................................................. VII
REMERCIEMENTS ......................................................................................................... IX
INTRODUCTION ................................................................................................................ 1
CADRE THÉORIQUE ET EMPIRIQUE .......................................................................... 3
ÉTAT D’ESPRIT RELATIF À L’ATTACHEMENT ........................................................................ 3
ÉTAT D’ESPRIT ET SENSIBILITÉ MATERNELLE ....................................................................... 6
ÉTAT D’ESPRIT MATERNEL ET ATTACHEMENT CHEZ L’ENFANT ............................................ 7
DIFFICULTÉS D’ADAPTATION CHEZ L’ENFANT...................................................................... 9
DÉTERMINANTS DES DIFFICULTÉS D’ADAPTATION CHEZ L’ENFANT ................................... 10
ÉTAT D’ESPRIT MATERNEL ET DIFFICULTÉS D’ADAPTATION CHEZ L’ENFANT ..................... 12
MILIEU PSYCHOSOCIAL À RISQUE ....................................................................................... 13
ATTACHEMENT ET DIFFICULTÉS D’ADAPTATION : LIMITES DES ÉTUDES ANTÉRIEURES ...... 15
OBJECTIFS ET HYPOTHÈSES ...................................................................................... 17
MÉTHODE .......................................................................................................................... 19
PARTICIPANTS .................................................................................................................... 19
MESURES ........................................................................................................................... 20
PROCÉDURE ....................................................................................................................... 24
RÉSULTATS ....................................................................................................................... 27
DONNÉES DESCRIPTIVES .................................................................................................... 27
CORRESPONDANCE ENTRE L’ÉTAT D’ESPRIT MATERNEL ET L’ADAPTATION CHEZ L’ENFANT
.......................................................................................................................................... 27
MÉDIATION PAR LA SENSIBILITÉ MATERNELLE ET LA SÉCURITÉ D’ATTACHEMENT............. 27
RISQUE PSYCHOSOCIAL COMME FACTEUR MODÉRATEUR ................................................... 29
DISCUSSION ...................................................................................................................... 31
ÉTAT D’ESPRIT MATERNEL ................................................................................................. 31
SENSIBILITÉ MATERNELLE ET DE LA SÉCURITÉ D’ATTACHEMENT ...................................... 32
MÉDIATION PAR LA SENSIBILITÉ MATERNELLE ET LA SÉCURITÉ D’ATTACHEMENT............. 33
RISQUE PSYCHOSOCIAL ...................................................................................................... 36
CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES .............................................................................. 37
RÉFÉRENCES .................................................................................................................... 41
vii
Liste des tableaux
TABLEAU 1 ............................................................................................................................ 49
TABLEAU 2 ............................................................................................................................ 50
TABLEAU 3 ............................................................................................................................ 51
TABLEAU 4 ............................................................................................................................ 52
TABLEAU 5 ............................................................................................................................ 53
ix
Remerciements
Ce mémoire doctoral marque l’accomplissement de mes études doctorales et le début
de mon parcours professionnel de psychologue. Il s’agit donc de l’occasion de remercier
différentes personnes qui ont particulièrement marqué mon parcours académique.
Je tiens d’abord à remercier mon directeur, George Tarabulsy, de m’avoir accueillie
au sein de son laboratoire de recherche et permis d’intégrer cette équipe stimulante et
unique. Après avoir admiré cette équipe pendant tout mon baccalauréat, j’en faisais
finalement partie! Cette expérience aura été extrêmement enrichissante tant sur le plan
personnel que professionnel. À titre de directeur de recherche, Monsieur Tarabulsy a su me
guider, me soutenir et m’encourager tout au long de mon parcours doctoral. Je le remercie
d’avoir été présent, disponible, à l’écoute et chaleureux.
Je remercie également Madame Karin Ensink et Monsieur Stéphane Sabourin pour
leurs réflexions et leurs commentaires constructifs; leur contribution a sans nul doute
permis d’améliorer la qualité de ce mémoire doctoral. Je souhaite remercier Mme Ginette
Dionne qui m’a offert ma première expérience d’assistante de recherche, lorsque j’étais
toujours au baccalauréat. Merci de la confiance que vous m’avez accordée.
Je ne saurais passer sous silence la personne qui m’a donné ma première chance en
clinique, Mme Danielle Lefebvre, qui a généreusement aménagé un espace pour me
superviser quand je me suis retrouvée sans milieu de stage pour mon premier practicum. Je
ne vous dirai jamais assez merci! Vous m’avez initiée à la clinique avec une telle passion
pendant 2 ans, je vous en suis très reconnaissante. Je souhaite également remercier mes
superviseurs clinique Stéphane Sabourin et Jean-Pierre Rousseau. Merci Stéphane pour
votre générosité clinique, votre soutien, votre humour et votre calme apaisant. Vous m’avez
permis de développer un regard clinique affiné et humain. En me prêtant bien souvent vos
mots, vous m’avez aidée à développer les miens. Ce fut un réel plaisir de travailler à vos
côtés. Merci aussi à Jean-Pierre de m’avoir accueillie, initiée et guidée dans le vaste milieu
de la Pédopsychiatrie. Merci pour les nombreuses discussions au terme desquelles je me
suis retrouvée sans réponse unique… elles m’ont permis d’évoluer. Merci pour ton
authenticité, ta bienveillance et ta bonne humeur.
x
Je souhaite remercier ma famille, mes parents, qui m’ont toujours encouragée et
soutenue dans les choix que je faisais. Il va sans dire que sans leurs petits plats mijotés, ce
doctorat aurait été beaucoup moins agréable. Merci également à ma chère sœur avec qui
j’ai eu des discussions sans fin. Elle a toujours été disponible, tant dans les moments de
réjouissances que dans les moments de découragement.
À mon cher conjoint, amour, je veux dire merci d’avoir compris que mes études
étaient importantes pour moi. Je le remercie de son soutien continu et inébranlable et
d’avoir toujours su me rappeler que ma vie ne se résumait pas à la psychologie.
De plus, ces études n’auraient jamais été les mêmes sans mes fidèles amies du
doctorat, avec qui j’ai eu la chance d’évoluer au fil de ces quatre années. Sans vous je ne
sais pas comment je les aurais traversées… Nos échanges sur notre vécu de jeunes
cliniciennes ont été précieux. J’espère que nos 5 à 7 se poursuivront encore longtemps.
Je dis aussi merci mes collègues de recherche pour tout leur soutien. Je remercie
également mes collègues cliniques du laboratoire de recherche et d’intervention auprès du
couple. J’ai adoré vous côtoyer!
En terminant, je remercie toutes les mères qui ont accepté de participer à cette étude.
Je souhaite souligner leur générosité d’avoir partager certains moments/souvenirs intimes
de leur histoire afin de permettre la réalisation de cette étude. Merci!
1
Introduction
Auparavant destinée aux enfants, l’étude du phénomène de l’attachement chez les
adultes a connu un essor considérable, au cours des dernières décennies. Dans un contexte
de relation parent-enfant, l’état d’esprit de la mère concernant l’attachement envers ses
propres parents est lié à la relation d’attachement qu’elle établit avec son enfant et à la
qualité des comportements qu’elle adopte à son égard dans le cadre d’interactions
quotidiennes. De plus, les comportements parentaux et la relation d’attachement sont
associés au développement de l’adaptation chez l’enfant. En ce sens, l’étude de
l’association entre l’état d’esprit maternel relatif à l’attachement et l’adaptation chez
l’enfant s’avère pertinente, afin de mieux comprendre les processus liés à l’élaboration du
fonctionnement social et émotionnel de ce dernier. La littérature scientifique documente ces
associations, mais bien souvent de façon isolée et en ne s’intéressant que rarement à des
enfants en bas âge, avant la période préscolaire. Selon la théorie et les données disponibles,
l’exploration des associations entre ces différentes variables s’avère pertinente pour notre
compréhension du début de l’adaptation chez l’enfant ainsi que prometteuse dans une
perspective d’intervention.
Le but de la présente étude est d’examiner les liens entre l’état d’esprit maternel en ce
qui a trait à l’attachement et certains indicateurs du développement social et émotionnel de
l’enfant. De manière plus précise, nous nous intéresserons à la contribution relative de trois
variables, soit l’état d’esprit maternel, la sensibilité maternelle et la relation d’attachement
mère-enfant pour prédire l’adaptation chez l’enfant durant la deuxième année de vie. Ces
relations seront étudiées en tenant compte du risque psychosocial auquel l’enfant est
exposé.
Pour ce faire, dans un premier temps, le concept de l’état d’esprit maternel concernant
l’attachement sera abordé ainsi que les liens qui sont recensés dans la littérature entre cette
variable et 1. la sensibilité maternelle ainsi que 2. la relation d’attachement mère-enfant.
Ensuite, les associations entre l’adaptation chez l’enfant et ces trois variables, soit l’état
d’esprit maternel, la sensibilité maternelle et la relation d’attachement mère-enfant, seront
documentées. Cette mise en contexte des différentes variables permettra de mieux
comprendre l’importance des processus relationnels parent-enfant pour le développement
2
social émotionnel de l’enfant et ainsi de situer la pertinence des objectifs de l’étude
actuelle. Par la suite, la méthodologie et les résultats obtenus seront décrits. Finalement, les
résultats seront discutés.
3
Cadre théorique et empirique
État d’esprit relatif à l’attachement
L’expression du système d’attachement évolue et se modifie au cours du
développement. En effet, l’organisation cognitive du système d’attachement se développe à
l’enfance et se maintient à l’adolescence et à l’âge adulte. Ayant une certaine stabilité, il
peut cependant être modifié au fil des expériences importantes, ce qui est documenté dans
plusieurs études (Waters, Weinfield, & Hamilton, 2000). Chez les adultes, cette
organisation cognitive et émotionnelle se manifeste dans l’organisation du discours
concernant les expériences d’attachement (Main, Kaplan, & Cassidy, 1985). En ce sens, sur
le plan méthodologique et conceptuel, l’étude du phénomène de l’attachement chez l’adulte
nécessite de faire le bond des comportements non-verbaux, observés chez les enfants lors
de la Situation Étrangère d’Ainsworth (Ainsworth et al., 1978) ou en contextes naturels
avec le Tri-de-carte de l’attachement de Waters (1995), vers la sphère des représentations
cognitives (Main, Kaplan, & Cassidy, 1985).
Selon les postulats théoriques de Bowlby (1982), la relation d’attachement devient
gouvernée par un « modèle interne opératoire » que l’individu construit à partir des
interactions avec ses principales figures d’attachement. Le MIO constitue des
représentations mentales de soi, de la figure d’attachement et de la relation entre soi et cette
figure. Ce système de représentations mentales permet de donner un sens aux
comportements, aux émotions et aux cognitions dans les relations interpersonnelles de
façon générale. Il prédispose, en quelque sorte, l’individu dans ses modes d’interaction
avec les gens autour de lui. Dans le même ordre d’idées, Main, Kaplan et Cassidy (1985),
parlent d’un état d’esprit concernant l’attachement. En effet, selon ces chercheurs,
l’évaluation à l’âge adulte des expériences d’enfance et de leur influence sur le
fonctionnement actuel s’organise en un état d’esprit relativement stable qui prédispose
l’individu dans son organisation relationnelle de manière générale. Cet état d’esprit
concernant l’attachement se définit comme un ensemble de règles organisant l’information
relative à l’attachement et permettant ou limitant l’accès à cette information, sur le plan
cognitif.
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Afin de valider l’idée qu’à travers le développement, l’attachement évolue d’une
organisation comportementale chez l’enfant à une organisation cognitive et émotionnelle
chez l’adulte, George, Kaplan et Main (1985) ont élaboré une entrevue semi-structurée,
« l’Adult Attachment Interview » (AAI). Cette mesure permet de dégager trois grandes
catégories d’états d’esprit concernant l’attachement chez l’adulte : l’attachement peut être
de type « sécurisant », aussi appelé « autonome », ou de type « insécurisant », soit
« évitant » ou « préoccupé ». Enfin, dans les cas où il y a présence d’expériences
traumatisantes en lien avec l’abus ou la perte d’une figure d’attachement, dans le passé, il
est possible d’accorder une classification de « non résolu par rapport à un événement
traumatisant ».
Le AAI évalue la capacité de l'adulte à assimiler des épisodes spécifiques de son
enfance à une vision plus globale de la compréhension des relations parents-enfants. Il
porte sur l’évaluation des expériences probables à l'enfance (i.e., telles que rapportées par le
sujet) mais surtout sur la mesure des mécanismes cognitifs déployés par l’individu pour
traiter ces expériences (Main & Goldwyn, 1994). En d’autres termes, l’attention est
concentrée sur la façon de traiter et de raconter les expériences d’attachement. À cet effet,
la cohérence lors de l’entrevue est considérée comme étant une manifestation de
l’organisation cognitive et émotionnelle liée à l’attachement et joue un rôle important dans
la classification des individus aux différentes catégories. De façon plus spécifique, la
cohérence provient de certains éléments clés de l’entrevue. Concrètement, l’entrevue
demande à l’individu de décrire la relation qu’il entretenait avec chacun de ses parents,
lorsqu’il était enfant, en la qualifiant par des adjectifs. Après avoir généré ces qualificatifs,
l’individu doit rapporter des événements précis qui corroborent cette description de ses
premières relations avec ses parents. La cohérence entre cette mémoire épisodique et les
adjectifs rapportés permet d’établir une inférence à l’égard de l’état d’esprit sur
l’attachement. Pour les individus ayant un état d’esprit autonome, il y a absence
d’ambiguïté et convergence simple et cohérente dans le discours. Ceux-ci semblent
confortables lors du récit de leurs épisodes d’attachement et tendent à accorder de
l’importance aux relations d’attachement ou autrement intimes qu’elles peuvent avoir eu
pendant leur développement. Quant aux personnes présentant un état d’esprit évitant, elles
tendent à diminuer l’importance de ces relations dans leur développement et leur
5
fonctionnement actuel. Les personnes manifestant de l’évitement peuvent simplement dire
qu’elles ne croient pas que les relations de leur enfance ont pu avoir un impact sur leur
développement. Parfois l’évitement se manifeste par un phénomène d’idéalisation,
caractérisé par le manque de convergence entre des adjectifs relationnels élogieux, soutenu
par très peu d’exemples épisodiques ou par une absence de soutien à de tels adjectifs. En ce
qui concerne les individus ayant un schème représentationnel préoccupé, leur discours est
moins bien « monitoré » ou supervisé sur le plan cognitif et, par conséquent, la personne
peut se perdre en donnant des explications sur les liens entre les événements et les adjectifs.
Le discours peut devenir plus décousu et les souvenirs peu cohérents avec les adjectifs
employés pour décrire la relation. Ces individus sont encore aux prises avec leurs
expériences passées et ont de la difficulté à les décrire de façon cohérente et objective. La
colère, la confusion ou la passivité peut caractériser leur discours. En effet, dans certains
cas, ces personnes peuvent avoir des problèmes de régulation émotionnelle et devenir en
colère lors de leurs descriptions des événements. Enfin, les individus présentant un état
d’esprit non résolu par rapport à un événement traumatisant, tel l’abus ou la perte d’une
figure d’attachement produisent un discours incohérent ou désorganisé. Des difficultés de
maîtrise de leur raisonnement ou de leur discours sont souvent remarquées (Hesse, 2008;
Main & Goldwyn, 1994).
L’élaboration de cette catégorisation de l’attachement chez l’adulte est calquée sur les
travaux de Ainsworth et ses collègues (1978) et la catégorisation de l’attachement chez
l’enfant, ainsi que sur la description de la désorganisation relationnelle proposée par Main
et Solomon (1990). Le schème de classification d’Ainsworth comprend des modèles
comportementaux correspondant à des schèmes sécurisants, évitant, ambivalents
(préoccupés) et désorganisés (non-résolus).
Plusieurs travaux de validation font la démonstration que l’état d’esprit concernant
l’attachement est lié à divers aspects du fonctionnement, à l’âge adulte, impliqués dans le
domaine des relations d’importance (Hesse, 2008). L’état d’esprit concernant l’attachement
est associé à la façon dont l’individu évalue et interprète les événements, mais également,
sur les comportements émis suite à ces perceptions (Cohn, Cowan, Cowan, & Pearson,
1992; Pederson, Gleason, Moran, & Bento, 1998). De fait, l’attachement tel qu’il est évalué
6
par le AAI a été mis en relation, entre autres, avec l’adaptation sociale, l’anxiété, la
dépression et les symptômes extériorisés chez l’adulte (Dozier, Stovall, & Albus, 1999;
Kobak, Sudler, & Gamble, 1991; Van IJzendoorn, & Bakermans-Kranenburg, 1996)
soulignant l’importance de ce construit relationnel et organisationnel dans le
développement et l’adaptation sociale de la personne. Cette notion a d’autant plus été
confirmée dans le domaine des relations entre les nouveaux parents (surtout les mères) et
leur enfant (Van IJzendoorn, 1995).
État d’esprit et sensibilité maternelle
L’idée que l’état d’esprit maternel relatif à l’attachement puisse avoir un impact sur
les comportements d’interactions de la mère à l’égard de son enfant et, par conséquent, sur
l’élaboration de l’attachement qui se forme, est en fait ancrée dans la littérature clinique à
cet égard et fait partie des postulats centraux de la théorie de l’attachement (Bowlby, 1982;
Van IJzendoorn et al., 2000; Lieberman, 2007).
Afin de pouvoir faire la démonstration empirique de ce postulat théorique, il est
d’abord important de montrer que l’état d’esprit concernant l’attachement est en lien avec
la qualité des interactions mère-enfant. Il est avancé que dans un contexte d’interactions
mère-enfant, l’état d’esprit de la mère représente un concept organisateur pour le
comportement maternel. En effet, l’état d’esprit de la mère est associé à la sensibilité
maternelle, qui se définit comme étant l’habileté de la mère à percevoir les signaux de son
enfant et à y répondre de façon prévisible, cohérente et chaleureuse (Main & Goldwyn,
1984; Van IJzendoorn, 1995; Atkinson et al., 2005; Tarabulsy et al., 2005; Bakermans-
Kranenburg & Van IJzendoorn, 2009). En effet, plusieurs études illustrent l’influence de
l’état d’esprit maternel concernant l’attachement sur la façon dont la mère répond aux
besoins, comportements, signaux et émotions de son enfant, dans les interactions
quotidiennes (Pederson et al., 1998; Raval et al., 2001; Tarabulsy et al., 2005; Van
IJzendoorn, 1995). Notamment, Van IJzendoorn (1995) souligne par une méta-analyse que
l’attachement des parents s’exprime dans la sensibilité des comportements qu’ils ont à
l’égard de leur enfant. En effet, les résultats montrent que les parents dont l’état d’esprit est
autonome perçoivent les signaux d’attachement de leur enfant avec plus de précision, et
sont davantage capables et disposés à réagir rapidement et adéquatement que les parents
7
non-autonomes. Hesse et Main (1999) rapportent également que les mères
autonomes/sécures sont supérieures dans leur habileté à reconnaître des expressions faciales
de peur chez des nourissons. De plus, les parents non autonomes seraient moins compétents
dans la gestion de la détresse de leur enfant (DeOliveira, Moran, & Pederson, 2005). Les
mères évitantes seraient plus susceptibles d’attribuer des émotions négatives à un
nourrisson lors de la présentation de photographies ambiguës et d’attribuer des
caractéristiques négatives à un nourrisson filmé lors d’un épisode de séparation (Zeanah &
al, 1993). Également, une large étude rapporte que les mères évitantes seraient moins
intéressées et sensibles à l’affect de leur enfant, les mères préoccupées, sensibles, mais de
façon inappropriée et les mères autonomes/sécures, les plus susceptibles de faire preuve
d’empathie (Goldberg, Blokland, Cayetano, & Benoit, 1998). Ces travaux suggèrent que
l’état d’esprit de la mère par rapport à l’attachement est important dans l’élaboration de ses
comportements en contexte d’interactions avec son enfant.
État d’esprit maternel et attachement chez l’enfant
L’importance des états d’esprit maternels relatifs à l’attachement pour les jeunes
enfants se concrétise en observant la convergence entre l’attachement maternel et
l’attachement chez l’enfant. Le lien entre l’état d’esprit maternel concernant l’attachement
et la relation parent-enfant est bien documenté. En effet, plusieurs études documentent une
forte corrélation entre ces deux variables. Fonagy, Steele et Steele (1991) rapportent une
correspondance sécure-insécure de 75% et de 66% lorsque calculée en fonction des
catégories préoccupées et évitantes. Ce qui signifie que pour 75% des dyades, l’état d’esprit
de la mère (sécure ou insécure) correspond à la sécurité d’attachement de son enfant.
D’autres auteurs obtiennent, quant à eux, une correspondance de 81% en utilisant
l’approche catégorielle (Benoit & Parker, 1994). Une méta-analyse cumulant 14 études
(854 dyades) explorant cette transmission intergénérationnelle de l’attachement corrobore
aussi ces résultats. Les analyses dégagent une correspondance sécure-insécure de 75% ainsi
qu’une correspondance de 70% en fonction des divers modèles de l’attachement (Van
IJzendoorn, 1995). Ces travaux viennent appuyer, sur le plan empirique, les énoncés
théoriques importants liant l’état d’esprit relatif à l’attachement et la sécurité d’attachement
chez l’enfant.
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À la lumière de ces résultats, plusieurs auteurs se sont intéressés aux mécanismes
sous-tendant la transmission intergénérationnelle de l’attachement. La sensibilité
maternelle, qui s’incarne dans le cadre des interactions quotidiennes entre parent et enfant,
apparaît comme une variable importante impliquée dans ce processus. En effet, l’hypothèse
selon laquelle la sensibilité maternelle serait médiatrice de la relation entre l’état d’esprit
concernant l’attachement chez la mère et le statut d’attachement chez l’enfant a fait l’objet
d’une attention particulière au cours des dernières années. D’une part, les représentations
d’attachement maternelles seraient déterminantes dans l’habileté de la mère à percevoir les
signaux de son enfant et à y répondre de façon prévisible, cohérente et chaleureuse, dans les
interactions quotidiennes. D’autre part, ces interactions répétées entre la mère et son enfant
sont à l’origine de la qualité de la relation qui se développe entre eux (Atkinson et al., 2005;
Pederson et al., 1998; Raval et al., 2001; Tarabulsy et al., 2005; Ward & Carlson, 1995).
Cependant, bien qu’il y ait un soutien empirique pour l’association entre l’état d’esprit
maternel et la sensibilité maternelle ainsi qu’entre la sensibilité maternelle et la sécurité
d’attachement chez l’enfant, les études s’avèrent peu concluantes quant au rôle médiateur
de la sensibilité maternelle, liant l’état d’esprit chez la mère et la sécurité chez l’enfant. En
effet, une méta-analyse influente démontre que la sensibilité de la mère médiatise une faible
proportion (23%) de la transmission de l’attachement (Van IJzendoorn, 1995).
L’importance du rôle de la sensibilité maternelle dans le processus de transmission
était telle que plusieurs chercheurs ont tenté, en vain, de combler cet écart; principalement
en raffinant les mesures d’évaluation des comportements maternels d’interactions avec
l’enfant (Atkinson et al., 2005; Pederson et al., 1998; Raval et al., 2001). Il est important de
noter que la plupart de ces études utilisent une approche dans laquelle seules les variables
en lien avec l’attachement sont évaluées (attachement maternel, sensibilité maternelle et
attachement chez l’enfant). On ne porte que peu de considération aux facteurs écologiques
qui offrent le contexte au développement de l’attachement. Dans cette perspective, il est
important de souligner que des données récentes, tenant compte de facteurs écologiques,
permettent de situer la sensibilité maternelle comme médiateur significatif de la relation
entre l’attachement maternel et la sécurité d’attachement chez l’enfant. En effet, en
contrôlant statistiquement des variables telles que la scolarité et la dépression maternelle, le
support paternel et le support de la grand-mère maternelle, Tarabulsy et ses collègues
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(2005) démontrent la présence d’une telle médiation. Le contexte social, qui donne le cadre
dans lequel la relation d’attachement se transmet, est donc une variable non négligeable
permettant de mieux cerner les processus développementaux liés à l’attachement chez
l’enfant.
Difficultés d’adaptation chez l’enfant
Ces travaux sur la transmission de l’attachement sont pertinents dans la mesure où ils
portent sur le début de l’évolution de la compétence sociale chez l’enfant (Sroufe, Egeland,
Carlson, & Collins, 2005). La question abordée dans le cadre de l’étude actuelle est : ce
début de cheminement se répercute-t-il sur le développement de l’adaptation tel qu’il peut
être conçu en dehors du cadre de l’attachement, notamment en considérant d’autres
éléments du développement social et émotionnel?
Selon Campbell (1995), 10 à 15% des enfants d’âge préscolaire ont des problèmes
comportementaux et émotifs allant de légers à modérés. Les difficultés d’adaptation se
divisent en deux groupes, soit les problèmes internalisés et externalisés. Les difficultés
internalisées apparaissent sous forme de retrait social, d’anxiété, de crainte et de
dépression, contrairement aux difficultés externalisées qui prennent la forme
d’hyperactivité, d’agressivité, de défiance et de comportements destructifs
(Achenbach,1991, 1992; Campbell, 1995). La mesure la plus souvent utilisée pour
identifier de tels symptômes est l’échelle de comportements de l’enfant (Child behavior
checklist, CBCL/1½–5; Achenbach & Rescorla, 2000 ).
L’étude des difficultés d’adaptation chez les enfants d’âge préscolaire, et le fait de
pouvoir mieux comprendre leurs origines socioémotionnelles, constitue une voie
intéressante et prometteuse dans une perspective de prévention ou d’intervention précoce.
En effet, l’adaptation chez l’enfant en bas âge représente un indice pertinent du
développement social-affectif ultérieur. Des études longitudinales montrent que plusieurs
difficultés, tant intériorisées qu’extériorisées, chez les enfants d’âge préscolaire, tendent à
persister à l’enfance et à l’adolescence (Campbell, 1995). En effet, elles seraient liées à des
problèmes d’adaptation à l’âge scolaire, d’agressivité chronique, de délinquance à
l’adolescence et à la psychopathologie à l’âge adulte (Broidy et al., 2003; Caspi et al.,
10
1996; Gagnon, Craig, Tremblay, Zhou, & Vitaro, 1995; Shaw & Gilliom, 2000; Tremblay,
2008). Ces résultats indiquent que, déjà très tôt dans le développement, l’enfant peut
s’orienter vers une trajectoire caractérisée par des difficultés au long cours. Par conséquent,
une réflexion autour de l’intervention, à l’aube de cette trajectoire, paraît essentielle pour
entrer en scène avant que les difficultés ne se chronicisent. Pour ce faire, l’étude du
développement des symptômes d’adaptation en bas âge permettrait une meilleure
compréhension des processus précoces impliqués et ainsi, l’élaboration de stratégies
d’intervention mieux ciblées.
Déterminants des difficultés d’adaptation chez l’enfant
Outre les contributions génétiques et neurobiologiques, les comportements parentaux
revêtent un caractère important dans la genèse des difficultés d’adaptation chez l’enfant. La
vaste majorité des travaux faisant le lien entre le comportement maternel et les symptômes
d’adaptation s’intéressent habituellement, à des enfants d’âge scolaire ou des adolescents.
Afin d’étudier ce phénomène plus tôt dans le développement, les travaux dans le domaine
de l’attachement peuvent constituer une plate-forme permettant de mieux identifier
comment, en début de vie, les dynamiques parentales et relationnelles peuvent contribuer à
l’élaboration de telles difficultés. L’attachement donne un contexte théorique et
méthodologique pour aborder ces idées chez des enfants plus jeunes. En effet, sur le plan
conceptuel, l’étude de l’attachement offre une réflexion sur la manière dont les difficultés
comportementales peuvent se présenter de manière embryonnaire dans le cadre de la
relation parent-enfant. De plus, sur le plan méthodologique, les stratégies d’observation des
interactions parent-enfant, ainsi que des comportements de l’enfant et du parent, ont fait
l’objet de nombreuses études, leur accordant un haut degré de validité. Dans cette
perspective, il est pertinent d’examiner la contribution de l’attachement parent-enfant aux
prémices des difficultés comportementales chez les enfants.
Il existe un consensus quant à l’importance des interactions parent-enfant pour le
développement socio-émotionnel de l’enfant. Notamment, la qualité des comportements
adoptés par la mère à l’égard de son enfant exerce un impact considérable sur l’adaptation
de celui-ci. En effet, la sensibilité maternelle est associée à l’émergence de difficultés
intériorisées et extériorisées (Belsky, Fearon, & Bell, 2007; McKee, Colletti, Rakow, Jones,
11
& Forehand, 2008). D’autres auteurs illustrent le lien entre la sensibilité maternelle et un
attachement de type « sécure », qui à son tour prédit l’adaptation (Bakermans-Kranenburg,
Van Ijzendoorn, & Juffer, 2003). Plusieurs expliquent ce lien par l’influence de la relation
mère-enfant sur certains processus centraux dans l’émergence de la psychopathologie, par
exemple la construction d’un système cognitif-affectif, la capacité de régulation
émotionnelle et comportementale ainsi que les stratégies pour faire face au stress. La
régulation émotionnelle, particulièrement des émotions négatives comme l’anxiété, la
colère et la tristesse, joue un rôle important dans plusieurs formes de difficultés
d’adaptation (Carlson & Sroufe, 1995; DeKlyen & Greenberg, 2008; Izard, Youngstrom,
Fine, Mostow, & Trentacosta, 2006).
Plusieurs études mettent en évidence le lien entre l’attachement et l’étiologie des
difficultés d’adaptation. Selon Sroufe (1988), un attachement insécure dans l’enfance est
associé à un haut risque de dysfonctionnement socioémotionnel, à l’âge préscolaire. De
même, le développement d’un attachement insécure dans les deux premières années de vie
est associé à des symptômes de colère et à une faible capacité d’autocontrôle
comportemental (Carlson & Sroufe, 1995). Une méta-analyse recensant 53 études, publiée
récemment par Fearon, Bakermans Kranenburg, Van IJzendoorn, Lapsley et Roisman
(2010) corrobore ces résultats en ce qui a trait aux difficultés extériorisées. La
désorganisation chez l’enfant est également associée à des difficultés d’extériorisation (Van
Ijzendoorn, Schuengel, & Bakermans-Kranenburg, 1999). De plus, récemment, deux méta-
analyses viennent documenter le lien entre l’attachement et les symptômes intériorisés
(Groh et al., 2012; Madigan, Atkinson, Laurin, & Benoit, 2012).
Considérant l’importance du rôle de l’attachement mère-enfant pour l’adaptation de
l’enfant et le phénomène de la transmission intergénérationnelle, il est pertinent de se
pencher sur la question de l’état d’esprit de la mère concernant l’attachement. De fait, il est
possible de s’interroger sur l’idée que l’état d’esprit maternel constitue le point de départ
autour duquel les processus relationnels s’articulent et que ces processus relationnels
forment la courroie de transmission entre l’état d’esprit et le développement social
émotionnel de l’enfant. En d’autres termes, l’hypothèse que l’état d’esprit de la mère relatif
à l’attachement soit à l’origine du développement de symptômes d’adaptation, via la qualité
12
des interactions quotidiennes mère-enfant et la relation d’attachement paraît être une
avenue à investiguer.
État d’esprit maternel et difficultés d’adaptation chez l’enfant
Sur le plan théorique, Bowlby souligne l’influence de l’état d’esprit concernant
l’attachement sur la qualité des comportements parentaux et, ainsi, sur le développement du
MOI et de la future adaptation de l’enfant. À ce sujet, quelques études obtiennent des
résultats allant dans cette direction, où l’évaluation de l’attachement maternel provenant de
l’AAI est mise en lien avec l’adaptation chez l’enfant (Crowell, O'Connor, Wollmers,
Sprafkin, & Rao, 1991; DeKlyen, 1996; Van Ijzendoorn et al., 1999). L’étude de DeKlyen
(1996) examine l’état d’esprit maternel concernant l’attachement chez 25 mères dont les
enfants, âgés en moyenne de 4 ans, présentent un trouble de comportement diagnostiqué et
chez 25 mères dont les enfants n’ont pas de diagnostic. Les résultats montrent que les
mères d’enfants non-diagnostiqués auraient tendance à décrire leurs propres expériences
d’attachement, avec leurs parents, de façon plus cohérente. Les auteurs concluent toutefois
que l’influence de l’état d’esprit de la mère est secondaire à la qualité de l’interaction mère-
enfant. Une autre étude, effectuée auprès de 49 mères et leur enfant, indique que les enfants
des mères classées autonomes rapporteraient moins de symptômes d’anxiété et de
dépression à l’âge de 5 à 11 ans (Crowell et al., 1991). Il est important de mentionner que
ces deux dernières études explorent ces liens chez des enfants dont l’âge est avancé, ce qui
sous-tend qu’ils sont déjà engagés sur une trajectoire. Ces enfants reçoivent non seulement
les influences de l’attachement parent-enfant, mais aussi celui de l’ensemble des facteurs
qui contribuent aux difficultés d’adaptation. Or, la question demeure en ce qui a trait au
début du développement de l’adaptation. À ce sujet, des travaux s’y adressent chez les
enfants de 24 mois en étudiant, cependant, des extrêmes tels que l’attachement non résolu
et les comportements maternels perturbateurs. Madigan, Moran, Schuengel, Pederson et
Otten (2007), dans une étude longitudinale comprenant 64 dyades mère-enfant, rapportent
une association entre l’état d’esprit non résolu chez la mère, les comportements maternels
perturbateurs, l’attachement désorganisé et les problèmes de comportements externalisés
chez l’enfant. Leurs résultats révèlent que les processus d’attachement médiatisent le lien
entre l’état d’esprit non-résolu et les comportements extériorisés. Cette étude soutient l’idée
13
que l’état d’esprit relatif à l’attachement de la mère contribue au développement de
difficultés d’adaptation chez l’enfant par l’intermédiaire de la qualité des interactions et de
la relation avec celui-ci. De plus, elle documente le phénomène auprès d’enfants en bas
âge. Cependant, de telles études, réalisées au début de l’enfance, restent une exception dans
l’ensemble des études longitudinales sur la question des difficultés d’adaptation chez les
enfants.
Les diverses études rapportées appuient la conceptualisation théorique de Bowlby et
indiquent la présence de processus relatifs à l’attachement dans la genèse des difficultés
d’adaptation chez l’enfant. D’un point de vue clinique, ces données permettent d’envisager
des interventions ciblant la mère et/ou la relation mère-enfant pour prévenir ou diminuer les
symptômes intériorisés et extériorisés chez l’enfant. Cependant, le phénomène reste encore
peu étudié et requiert davantage d’appuis empiriques. De manière plus précise, la question
des mécanismes liant l’état d’esprit concernant l’attachement et le développement de
l’adaptation chez l’enfant reste à être examinée plus profondément.
Milieu psychosocial à risque
Le contexte, à l’intérieur duquel se manifeste chacune des variables abordées et dans
lequel l’enfant expérimente son environnement relationnel, est important à considérer. Le
risque psychosocial concerne habituellement les caractéristiques de l’environnement
familial qui diminuent la probabilité que l’enfant soit exposé à des interactions prévisibles,
cohérentes et chaleureuses avec ses parents, et augmentent la probabilité d’être exposé à
des éléments perçus comme étant négatifs pour son développement (conflits familiaux,
mono-parentalité, insensibilité interactive, etc.). Ces environnements se caractérisent par
des marqueurs précis, étroitement associés au statut socioéconomique de la famille : l’âge
de la mère et/ou du père à la naissance de l’enfant, la scolarité et le revenu des parents ainsi
que le statut conjugal. Ces éléments viennent qualifier le degré de risque qui caractérise le
contexte de développement de l’enfant (Tarabulsy et al., 2010).
Les mères adolescentes sont considérées comme étant une population à haut risque
psychosocial. En effet, l’âge de la mère à la naissance de l’enfant constitue un facteur de
risque important puisqu’il est associé à une multitude d’autres facteurs de risques, tant
14
biologiques, psychologiques, que sociaux. Les études relèvent un plus haut taux de
pauvreté, de monoparentalité, d’isolement, d’anxiété, de dépression et d’abus de substance,
chez les mères adolescentes. Elles seraient également plus susceptibles de dépendre de
l’état pour subvenir à leurs besoins, d’avoir eu des problèmes judiciaires, de décrocher de
leurs études et de vivre des problèmes d’ajustement psychologique (Tarabulsy et al., 2010).
En ce sens, les mères adolescentes constituent une population permettant l’étude du risque
psychosocial.
Le risque est associé à une multitude de facteurs touchant directement ou
indirectement l’enfant. Il joue un rôle important dans la qualité des comportements
maternels à l’égard de celui-ci et dans la qualité de la relation d’attachement. En effet, il
semble que le fait d’être économiquement défavorisé, sans emploi ou de vivre dans un
environnement insalubre engendre du stress, susceptible de diminuer la capacité du parent à
être sensible et attentif à l’enfant (Belsky, Robins, & Gamble, 1984; Booth, Rose-Krasnor,
& Rubin, 1991). De même, les milieux à haut risque sont plus souvent associés à des
relations d’attachement de type « insécure » (Lyons-Ruth & Jacobvitz, 1999). Dans un tel
contexte, un enfant laissé seul ou auquel on ne répond pas lorsqu’il est dans le besoin
apprend que le monde social peut être problématique à son égard et s’adapte seul, créant
ainsi les conditions propices au développement de difficultés intériorisées ou extériorisées
(Tarabulsy, Moran, Pederson, Provost, & Larose, 2011). À ce sujet, plusieurs études
documentent une association entre le risque psychosocial et l’adaptation chez l’enfant. En
effet, un milieu à haut risque serait lié à la présence de davantage de symptômes intériorisés
et extériorisés, tel que rapportés par le CBCL (Ackerman, D'Eramo, Umylny, Schultz, &
Izard, 2001; Fanti & Henrich, 2010 ; Keiley, Lofthouse, Bates, Dodge, & Pettit, 2003). De
plus, les études montrent avec plus d’évidences le lien entre l’attachement « insécure » et
les problèmes psychosociaux chez l’enfant, en contexte de risque élevé (Cicchetti, Toth, &
Lynch, 1995). Il est également pertinent de rappeler que la médiation du lien entre état
d’esprit maternel et sécurité d’attachement par la sensibilité maternelle se manifeste surtout
dans les analyses qui tiennent compte du contexte écologique en lien avec la scolarité et la
dépression maternelles, deux potentiels indicateurs de risque familial (Tarabulsy et al.,
2005). Dans cette perspective, afin de mieux cerner les processus développementaux
15
pouvant lier les états d’esprit maternels en lien avec l’attachement et l’adaptation de
l’enfant, il est important de tenir compte du risque psychosocial.
Attachement et difficultés d’adaptation : limites des études antérieures
Les études se rapportant au lien entre l’attachement parental et le développement de
difficultés d’adaptation chez l’enfant sont encore très peu nombreuses et ne permettent pas
d’élucider l’ensemble des relations impliquées dans ce processus. En effet, la plupart du
temps, ces études ne se sont intéressées qu’à des enfants d’âge scolaire. Qu’en est-il des
enfants en très bas âge? La question du début de l’adaptation reste à explorer. De plus,
certains chercheurs obtiennent des résultats intéressants chez de très jeunes enfants, mais
souvent en ne ciblant que des extrêmes de l’attachement telle la désorganisation (Madigan
et al., 2007). Les résultats obtenus s’inscrivent dans la direction des hypothèses de la
présente étude. Toutefois, les liens entre l’état d’esprit maternel et le développement de
l’adaptation ne sont-ils présents qu’en présence d’un état d’esprit associé à un traumatisme
d’enfance ou d’adolescence? Il est pertinent de pousser ce questionnement sur ces liens en
l’élargissant à l’ensemble des états d’esprit sur l’attachement. Finalement, il semble aussi
que ces études soient limitées par leur manque de considération des variables socio-
économiques permettant de tenir compte de l’écologie dans laquelle l’enfant se développe.
L’étude proposée vise donc à pallier ces lacunes.
17
Objectifs et hypothèses
La présente étude vise quatre objectifs majeurs. Tout d’abord, l’objectif principal est
d’investiguer le lien entre l’état d’esprit maternel et l’adaptation chez l’enfant durant la
deuxième année de vie, et ce, en contrôlant pour la contribution potentielle du risque
psychosocial. Plus précisément, il s'agit d'examiner les contributions relatives de trois
variables impliquées, soit l’état d’esprit maternel, la sensibilité maternelle et la relation
d’attachement mère-enfant, afin de mieux cerner les processus par lesquels ces variables
influencent le développement des difficultés intériorisées et extériorisées. L’état des
connaissances actuelles permet de proposer un effet médiateur de la sensibilité maternelle
et de la sécurité d’attachement dans la relation entre l’état d’esprit maternel et l’adaptation
chez l’enfant. L’étude a donc pour autre objectif de tester le potentiel rôle médiateur de ces
deux variables.
Relativement au principal objectif, la première hypothèse est qu’un état d’esprit « non
autonome » (« évitant » ou « préoccupé ») soit associé à davantage de symptômes de
difficultés d’adaptation chez l’enfant d’âge préscolaire. À l’inverse, qu’un état d’esprit de
type « autonome » soit lié à moins de symptômes. L’étude a également pour objectif de
répliquer les résultats des études antérieures en ce qui a trait aux liens entre les différentes
variables. En ce sens, une autre hypothèse est que les mères dont l’état d’esprit est
« autonome » seront davantage sensibles que les mères « non autonomes ». Il est attendu
qu’un état d’esprit « autonome » sera associé à une relation d’attachement avec l’enfant de
type « sécure » et inversement, qu’un état d’esprit de type « non autonome » sera lié à une
relation d’attachement « insécure ». De la même façon, il est attendu que la sensibilité
maternelle et la sécurité d’attachement seront associées à la présence de moins de
symptômes de difficultés d’adaptation chez l’enfant.
Finalement, un dernier objectif étant d’examiner le possible effet d’interaction entre
le risque psychosocial et l’état d’esprit maternel. Il est attendu que le risque psychosocial
module le lien entre l’état d’esprit maternel et l’adaptation chez l’enfant.
19
Méthode
Participants
Le présent projet s’insère dans le cadre de l’étude longitudinale « Être Parent» menée
par G. M. Tarabulsy (Université Laval) et M. A. Provost (Université du Québec à Trois-
Rivières) (Tarabulsy et al., 2005, 2008). Les mères ont été recrutées avec l’aide
d’infirmières des services de maternité des principaux hôpitaux de deux villes de la
province de Québec et d’infirmières du réseau de la santé publique. Au départ, 144 dyades
mère-enfant participaient à l’étude. Toutefois, dû à l’attrition, les données sont disponibles
pour 127 dyades.
L’échantillon se divise en deux groupes en fonction de l’âge de la mère à la naissance
du premier enfant. Les mères qui avaient plus de 20 ans constituent le groupe dit à faible
risque (n=44) tandis que les mères de 20 ans ou moins, soit les mères adolescentes,
constituent le groupe dit à risque élevé (n=83). Ces deux groupes se distinguent aussi sur le
plan de leurs caractéristiques socioéconomiques : âge moyen, scolarité, revenu familial et
statut marital. Initialement, les mères adultes étaient en moyenne âgées de 28,80 ans
(ET=4,66), avaient en moyenne complété une scolarité 14,36 années (ET=3,54) et avaient
un revenu familial moyen se situant entre 30 000 et 45 000 dollars canadiens. À l’exception
de quatre, toutes ces mères cohabitaient ou étaient mariées au père biologique de l’enfant.
Quant aux mères adolescentes, elles étaient en moyenne âgées de 18,07 ans (ET=1,25),
avaient en moyenne 9,92 années de scolarité (ET= 1,72) et disposaient d’un revenu familial
moyen se situant entre 0 et 15 000 dollars canadiens, soit sous le seuil de la pauvreté de la
province de Québec. Seulement soixante-quatre pourcent de ces mères cohabitaient ou
étaient mariées au père biologique de l’enfant (n=53). Les autres mères vivaient avec un
autre partenaire (n=17), leurs parents (n=8) ou seules (n=5). Dans les deux groupes, les
critères d’inclusion pour les enfants étaient un poids à la naissance supérieur à 2500g et
l’absence d’anomalies physiques ou congénitales.
En ce qui a trait à l’état d’esprit concernant l’attachement et à l’adaptation chez
l’enfant, les données complètes sont disponibles pour 105 dyades mère-enfant. De ces 105
20
dyades 34% faisaient partie du groupe dit à faible risque (n=36) et 66% du groupe à risque
élevé (n=69).
Mesures
État d’esprit maternel (AAI). Le AAI (George et al. 1985) est une entrevue semi-
structurée visant à mesurer l’état d’esprit maternel en lien avec l’attachement. Il mesure
1'état de pensée actuel de l'adulte ou de 1'adolescent quant a l'attachement aux parents et a
d'autres figures susceptibles d'avoir joué un rôle important dans l’histoire personnelle. Le
AAI comprend 20 questions dont la plupart concernent les premières expériences avec les
principales figures d’attachements. Il est demandé à la personne de décrire la relation dans
l’enfance avec chacune de ces figures en appuyant les descriptions par des souvenirs
spécifiques. D’autres questions adressent plutôt les pensées et les sentiments de l’individu
face à l’influence de ces expériences sur leur personnalité à l’âge adulte, les raisons
possibles pour lesquelles leurs parents auraient agi de la sorte avec eux ainsi que la nature
de leur relation actuelle. L’entrevue aborde également les expériences de traumas, de pertes
d’un être cher et de détresse. Elle se termine en ciblant directement leur rôle de parent et ce,
en demandant ce qu’ils espèrent pour le futur de leur enfant et ce qu’ils souhaitent leur
avoir transmis. Le temps nécessaire pour administrer l’entrevue se situe entre 45 à 90
minutes.
La codification du AAI se fait par une évaluation en quatre points : 1. Les
expériences rapportées par l’individu, vécues lors de la relation passée avec chaque parent.
2. Les mécanismes déployés pour rendre compte des ces expériences. 3. La réaction à la
perte d’une figure d’attachement ou le traumatisme, le cas échéant. 4. La cohérence globale
de l’état de pensée et la cohérence du discours. Totalisant 18 échelles en neuf points, cette
évaluation permet de classifier les individus en quatre grandes catégories d’attachement,
soit «autonome» (F), «évitant» (Ds), «préoccupé» (E) et « désorganisé/non résolu » (U/d).
Les individus classifiés comme désorganisé (U/d) se voient aussi attribuer une seconde
classification parmi les trois premières classifications. Différentes études ont confirmé que
les classifications du AAI restent stables sur une période allant de 1 à 15 mois, sont
indépendantes de l'interviewer et ont une excellente validité prédictive et discriminante
21
(Bakermans-Kranenburg & Van IJzendoorn, 1993 ; 2009 ; Benoit & Parker, 1994 ; Crowell
et al., 1996; Hesse 2008 ; Steele & Steele, 2007; Van IJzendoorn, 1995).
Pour la présente étude, les entrevues ont été enregistrées et transcrites verbatim selon
les instructions fournies par les concepteurs de l’entrevue. Le codificateur principal, ayant
satisfait au test de fidélité de Main et Hesse, a codifié les entrevues selon le manuel de
Main et Goldwyn (1998). De plus, pour s’assurer de la qualité, quinze entrevues choisies au
hasard ont été codifiées une deuxième fois par un autre codificateur certifié. Les
codificateurs étaient en accord pour 13 des 15 entrevues lors de la classification à trois
catégories (86.7% ; k = 0.67, p < 0.01) et pour 11 des 15 entrevues lors de la classification à
quatre catégories (73.3% ; k = 0.54, p < 0.01). Les désaccords ont été résolus en utilisant les
résultats du codificateur principal. L’interviewer et le codificateur ont procédé à l’aveugle
de tous les autres aspects de la collecte de données. Dans l’échantillon actuel, 32 mères ont
été classées « autonomes », 9 « préoccupées, 63 « évitantes » et 10 « désorganisée/non
résolu ». Aux fins d’analyses, les mères classées « désorganisée/non résolu » ont été
assignées à leur classification secondaire. Il s’agit en effet d’une catégorie contestée
puisqu’elle ne repose que sur un seul critère, soit la présence d’un événement traumatique à
l’histoire développementale de la mère. Parmi celles-ci, quatre mères étaient classées
« autonome », 1 « préoccupée » et 5 « évitantes ». L’échantillon totalise donc 36 mères
dont l’état d’esprit est de type « sécure » et 78 dont l’état d’esprit est de type « insécure ».
Sensibilité maternelle. Le Tri-de-cartes des comportements maternels (Maternal
Behavior Q-Sort, MBQS ; Pederson & Moran, 1995) est un instrument évaluant la qualité
des comportements de la mère lors de l’interaction mère-enfant à la maison. Il comprend 90
items, chacun décrivant un comportement maternel potentiel. Les items sont d’abord triés
comme étant des comportements correspondant à la mère observée, neutre ou ne
correspondant pas. Les trois groupes obtenus sont ensuite divisés en trois sous-groupes.
Ainsi, neuf groupes de 10 items sont obtenus s’échelonnant de 1 (moins descriptif des
comportements de la mère) à 9 (plus descriptifs des comportements de la mère). Le score
de sensibilité final correspond à la corrélation entre le classement des items pour la mère
observée et le classement critérié des items de la mère sensible fourni par Pederson et
Moran (1995). Les scores varient de -1.0 (peu sensible) à 1.0 (sensible).
22
Le Tri-de-cartes des comportements maternels se campe dans la théorie de
l’attachement et plus spécifiquement dans la description de la sensibilité maternelle
(Ainsworth, Blehar, Waters, & Wall, 1978). Il est l’une des mesures les mieux validées en
ce qui a trait aux comportements maternels d’interaction auprès d’enfants entre 0 et 24 mois
(Atkinson et al., 2000). Plusieurs études ont permis d’obtenir des informations démontrant
la validité et fidélité de l’instrument (Pederson, Gleason, Moran, & Bento, 1998; Pederson
& Moran, 1995; Tarabulsy, Avgoustis, Phillips, Pederson, & Moran, 1997). En effet, cet
instrument possède de bonnes propriétés psychométriques et une bonne validité de construit
(Tarabulsy et al., 2009). Il s’avère corrélé avec d’autres mesures des comportements
maternels, entre autres, l’inventaire HOME (Moran, Pederson, Pettit, & Krupka, 1992) et
l’échelle de Ainsworth (Pederson & Moran, 1995). Les études ont également relevé de
hauts niveaux d’accords inter-juges et de stabilité test-retest (Atkinson et al., 2000;
Pederson & Moran, 1995 ; Tarabulsy et al., 2005).
Dans le présent échantillon, les données du MBQS proviennent d’une visite à la
maison ayant eu lieu lorsque l’enfant avait 10 mois. Le MBQS était complété après la
visite. Des accords inter-juges ont été effectués pour 29 dyades (0.86; p < 0.0001).
Sécurité d’attachement chez l’enfant. Le Tri-de-cartes des comportements
d’attachement (The Attachment Q-Set ; Waters, 1995) constitue une mesure de la sécurité
d’attachement de l’enfant, en contexte naturel. Il est composé de 90 items décrivant
différents types de comportement d’attachement chez l’enfant. La procédure utilisée pour
obtenir le score de sécurité d’attachement est identique à celle employée pour le Tri-de-
cartes des comportements maternels à l’exception que l’attention est dirigée sur les
comportements de l’enfant. Le score de sécurité d’attachement correspond à la corrélation
entre le classement des items de l’enfant observée et le classement des items prototypes
fourni par Waters (1995). Le score obtenu varie de -1.0 à 1.0.
La validité des scores de sécurité obtenus par le Tri-de-cartes des comportements
d’attachement a été maintes fois démontrée (Van IJzendoorn et al., 2004; Pederson &
Moran, 1996; Vaughn & Waters, 1990). Le Tri-de-cartes rempli par des observateurs
experts aurait une bonne validité convergente (r= .31) avec la classification de la situation
étrangère et un excellent lien (r= .39) avec des mesures de sensibilité (Van IJzendoorn et
23
al., 2004). Différentes études ont démontré que le score de sécurité obtenu est
significativement lié à des indicateurs du développement socio-émotionnel ultérieur de
l’enfant (Thompson, 1999; Van IJzendoorn et al., 2004).
Dans l’étude actuelle, les scores de sécurité d’attachement sont issus de deux visites à
la maison, soit lorsque l’enfant avait 15 mois et 18 mois. Des accords inter-juges ont été
effectués à partir de 20 dyades (0.87; p < 0.001). La moyenne totale des scores est de 0.18
(ET= 0.26). Les analyses sont effectuées avec les scores moyens des deux temps de mesure.
Difficultés d’adaptation chez l’enfant. L’échelle de comportements de l’enfant
d’âge préscolaire (Child behaviors checklist, CBCL/1½–5; Achenbach & Rescorla, 2001 )
est une mesure évaluant les difficultés émotionnelles et comportementales. Il s’agit d’une
extension du CBCL qui a été développé à l’origine pour les enfants plus âgés. Ce
questionnaire comprend 101 items décrivant différents comportements auxquels le
répondant indique à quel point chacune de ces descriptions s’applique à l’enfant, pour la
période des 2 derniers mois (0 pas vrai, 1 un peu ou quelques fois vrai et 2 très vrai ou
souvent vrai). Les comportements sont subdivisés en sept dimensions, soit réactivité,
anxiété/ dépression, problèmes somatiques, retrait social, problèmes d’attention, agressivité
et trouble du sommeil. Un score élevé à une échelle indique la présence de plus de
symptômes pour cette dimension. Cet instrument, en plus de fournir de tels scores, offre un
score d’extériorisation (agression, problème d’attention) et d’intériorisation (retrait social,
anxiété/ dépression, réactivité, problèmes somatiques). Cette division en deux types de
difficultés a été largement étudiée et validée (Achenbach & Rescorla, 2001). Il s’agit des
scores qui sont utilisés dans cette étude.
La validité et la fidélité de cet instrument sont bien démontrées. En effet, la validité
de construit de cet instrument est bien établie par des corrélations avec d’autres mesures
déjà reconnues (Reynolds & Kamphaus, 1992; Achenbach & Rescorla, 2001). De plus,
cette version du CBCL a été standardisée auprès de deux échantillons représentatifs de
1728 enfants et de 700 enfants (Achenbach & Rescorla, 2001). Les corrélations test-retest
sont excellentes et les accords inter-juges sont largement satisfaisants (Achenbach &
Rescorla, 2001).
24
Dans la présente étude, les scores au CBCL sont issus d’une visite à domicile lorsque
l’enfant était âgé 18 mois. Le CBCL était complété par la mère lors de chaque visite. La
moyenne des scores d’intériorisation est de 50.9 (ET= 8.99) et d’extériorisation est de
56.95 (ET= 8.37).
Risque psychosocial. Les dyades « mère adulte-enfant » sont considérées comme
étant à faible risque psychosocial tandis que les dyades « mère adolescente-enfant » sont
considérées à haut risque. Le chiffre 0 ou 1 est attribué à l’aveugle à chaque dyade, soit 0
pour les mères adultes et 1 pour les mères adolescentes.
Procédure
Visites à domicile. L’évaluation de l’état d’esprit maternel en ce qui a trait à
l’attachement, l’évaluation de la sensibilité maternelle, de la sécurité d’attachement ainsi
que de l’adaptation chez l’enfant se sont déroulées dans le cadre de visites à domicile
s’inscrivant dans l’étude longitudinale « Être Parent». Les visites ont été effectuées à quatre
temps différents, soit lorsque l’enfant avait 6, 10, 15 et 18 mois, par des observateurs et
interviewers formés. Aux temps 1 (6 mois) et 2 (10 mois) le Tri-de-cartes des
comportements maternels (MBQS) a été administré. Suite au temps 1 (±6 mois), le AAI a
été administré aux mères dans un environnement calme, habituellement à leur domicile. Six
entrevues ont toutefois été effectuées au laboratoire de l’université pour des raisons
pratiques. Également, le Tri-de-cartes des comportements d’attachement (Q-Set) a été
administré aux temps 3 (15 mois) et 4 (18 mois) et le CBCL au temps 4. La présente étude
utilise le AAI (±6 mois), le MBQS (10 mois), le Q-Set (15 et 18 mois) et le CBCL (18
mois).
Pour satisfaire les principes éthiques et certaines conditions théoriques, les diverses
mesures ont été administrées à des temps différents. L’étude comportant plusieurs
questionnaires et entrevues, il a été décidé de faire le AAI lors d’une rencontre distincte de
façon à ne pas surcharger les rencontres avec les participants. Or, il s’agit d’une variable
reconnue pour une bonne stabilité à travers le temps, ce qui nous permet d’affirmer que
cette modalité est sans conséquences majeures pour les résultats (Benoit & Parker, 1994;
Van IJzendoorn, 1995; Sagi et al., 1994).
25
La procédure pour administrer les mesures de sensibilité maternelle et de sécurité
d’attachement a été largement inspirée des travaux de Pederson et Moran (1995, 1996).
Deux observateurs entraînés ont conduit des visites à domicile semi-structurées d’une durée
de 2-3 heures. Chaque visite était dirigée par un des observateurs qui avait davantage de
contact avec la mère et qui complétait le Tri-de-cartes après la visite. Les visites incluaient
une entrevue avec la mère, une évaluation développementale de l’enfant, une période de
cinq minutes de jeu libre avec des jouets apportés par les observateurs et une série de
questionnaires à compléter. Les tâches ont été choisies et effectuées, sauf pour la séquence
de jeu libre, afin de mettre en compétition les procédures de recherche et les demandes de
l’enfant pour l’attention maternelle. L’observateur principal prenant des notes des
comportements de la mère et de l’enfant et de leurs interactions pendant la visite. Suite à la
visite, l’observateur principal complétait le MBQS (6 et 10 mois) et le AQ-Set (15 et 18
mois). Les observateurs responsables de l’évaluation de la sensibilité maternelle lors des
visites à 6 et 10 mois ne complétaient pas l’évaluation de la sécurité d’attachement à 15 et
18 mois. Les temps de mesure pour chacune des variables sont résumés dans le tableau 1.
27
Résultats
La présentation des résultats se divise en quatre sections. Tout d’abord, les données
descriptives ainsi que la correspondance entre l’état d’esprit maternel (AAI) et l’adaptation
chez l’enfant rapportée par le CBCL (intériorisation/ extériorisation) sont examinées.
Ensuite, la médiation par la sensibilité maternelle et la sécurité d’attachement du lien entre
l’état d’esprit maternel et l’adaptation chez l’enfant (intériorisation/ extériorisation) est
investiguée. Finalement, l’effet modérateur du risque psychosocial est exploré.
Données descriptives
Le détail des moyennes et des écarts-types pour chaque mesure, soit la sensibilité
maternelle, la sécurité d’attachement et l’adaptation (intériorisation et extériorisation) de
l’enfant est résumé dans le tableau 2.
Correspondance entre l’état d’esprit maternel et l’adaptation chez l’enfant
Des régressions multiples ont été conduites avec la classification au AAI comme
variable indépendante et les scores au CBCL (intériorisation/ extériorisation) comme
variable dépendante, et ce, en contrôlant statistiquement pour la contribution du risque
psychosocial. Lorsque la variable dépendante est l’intériorisation, l’analyse révèle un effet
significatif de l’état d’esprit maternel (ß = -0.27, p < 0.01). Le modèle explique 8.56% de la
variance de l’intériorisation, F (2, 104) = 4.78, p 0.05. En ce qui a trait à
l’extériorisation, l’analyse montre un effet marginalement significatif de l’état d’esprit (ß =
-0.19, p < 0.10) et le modèle explique 6.72% de la variance de l’extériorisation F (2, 104) =
3,67, p 0.05. Sur le plan strictement statistique, ce lien marginal ne permet pas la
possibilité d’examiner la suite du questionnement, la valeur alpha n’atteignant pas 0.05.
Cependant, nous procèderons à la suite des analyses afin d’examiner la plausibilité des
hypothèses énoncées concernant la médiation par la sensibilité maternelle et la sécurité
d’attachement.
Médiation par la sensibilité maternelle et la sécurité d’attachement
Selon Baron et Kenny (1986), trois conditions sont nécessaires avant d’effectuer un
test de médiation. Premièrement, la variable indépendante (état d’esprit maternel) doit être
28
liée à la variable dépendante (intériorisation/ extériorisation). Deuxièmement, la variable
médiatrice (sensibilité maternelle et sécurité d’attachement) doit aussi être associée à la
variable dépendante. Enfin, la variable indépendante et la variable médiatrice doivent être
reliées entre elles. Les trois conditions ont ici été respectées tant pour l’intériorisation que
l’extériorisation (voir tableau 3). En effet, l’état d’esprit maternel relatif à l’attachement (r
= -0.28, p < 0.005), la sensibilité maternelle (r = -0.20, p < 0.05) et la sécurité
d’attachement (r = -0.32, p < 0.005) sont associés à l’intériorisation. L’état d’esprit
maternel sécure (r = -0.22, p < 0.05), la sensibilité maternelle (r = -0.26, p < 0.01) et la
sécurité d’attachement (r = -0.39, p < 0.001) sont également associés à l’extériorisation.
Finalement, la sensibilité maternelle (r = 0.28, p < 0.005) et la sécurité d’attachement (r =
0.32, p < 0.001) sont aussi liées à l’état d’esprit maternel concernant l’attachement. Par
conséquent, il est possible de tester le rôle médiateur de la sensibilité maternelle au MBQS
et de la sécurité d’attachement de l’enfant au AQ-Set dans la relation entre l’état d’esprit
maternel au AAI et l’adaptation de l’enfant au CBCL (intériorisation/ extériorisation).
La médiation se teste par deux équations de régression multiple. Dans la présente
étude, le risque psychosocial sera contrôlé en l’insérant dans les deux équations. Dans la
première équation, l’analyse de régression est effectuée avec la variable indépendante (état
d’esprit maternel) et la variable dépendante (adaptation : intériorisation/ extériorisation).
Dans la seconde équation, la même analyse de régression est réalisée, mais en contrôlant
statistiquement pour les variables médiatrices (voir tableaux 4 et 5). Suite à cette équation,
une médiation parfaite est présente lorsque trois conditions sont rencontrées : 1- la variable
indépendante ne contribue plus significativement à la variance de la variable dépendante,
2- la variable médiatrice contribue significativement à la variance de la variable dépendante
et 3- le pourcentage de variance expliquée de la variable dépendante augmente.
Intériorisation. Les conditions pour le rôle médiateur de la sensibilité maternelle et
de la sécurité d’attachement dans le lien entre l’état d’esprit maternel et l’intériorisation
chez l’enfant sont respectées (voir tableau 4). D’abord, lorsque la sensibilité maternelle et
la sécurité d’attachement sont insérées dans la régression, l’état d’esprit ne contribue plus
significativement à la variance. Toutefois, il est à noter que la contribution reste
marginalement significative. L’effet de l’état d’esprit diminue de -0.27 à -0.20 lorsque la
29
sensibilité maternelle et l’attachement sont contrôlés, soit une diminution de 25.93%. Il
s’avère également que l’attachement contribue significativement à la variance de
l’intériorisation, répondant ainsi à la deuxième condition. De plus, lorsque la sensibilité
maternelle et la sécurité d’attachement sont insérées dans l’équation, le pourcentage total de
variance expliquée pour l’intériorisation augmente de 8.56% à 15.57%. Le modèle est
significatif, F(4, 102) = 4.52, p 0.005 expliquant 15.57% de la variance de
l’intériorisation avec un effet significatif de l’attachement, t(1) = -2.43, ß = -0.26, p < 0.05.
On peut conclure que la sécurité d’attachement médiatise le lien entre les représentations
d’attachement chez les mères et les symptômes d’intériorisation chez les enfants.
Extériorisation. En ce qui a trait à l’extériorisation, les conditions pour le rôle
médiateur de la sensibilité maternelle et de la sécurité d’attachement ne sont que
partiellement respectées (voir tableau 5). En effet, la première équation de régression
multiple montre une contribution marginalement significative de l’état d’esprit sur la
variance de l’extériorisation, ce qui ne répondrait pas à la première condition. Or, cette
contribution marginalement significative de l’état d’esprit maternel devient non
significative lorsque la sensibilité maternelle et l’attachement sont ajoutés à l’équation. La
valeur du Béta de l’état d’esprit décroît de 47.37%, passant de -0.19 à -0.10. Il s’avère
également que l’attachement contribue significativement à la variance de l’extériorisation,
ce qui répond à la deuxième condition. De plus, le pourcentage total de variance expliquée
pour l’externalisation augmente de 6.72% à 17.82%, lorsque la sensibilité maternelle et la
sécurité d’attachement sont insérées dans l’équation. Le modèle est significatif, F(4, 102) =
5.31, p 0.001 expliquant 17.82% de la variance de l’extériorisation avec un effet
significatif de l’attachement, t(1) = -3.03, ß = -0.32, p < 0.005. En somme, le lien
marginalement significatif entre les représentations d’attachement chez les mères et les
symptômes d’extériorisation chez les enfants est significativement médiatisé par la sécurité
d’attachement chez l’enfant.
Risque psychosocial comme facteur modérateur
L’examen de l’interaction entre l’état d’esprit maternel (sécurité/insécurité) et le
risque psychosocial (mère adolescente/mère adulte) indique que l’interaction est non
significative. Le risque psychosocial ne module pas la relation entre l’état d’esprit maternel
30
et l’adaptation chez l’enfant tant au niveau de l’intériorisation que de l’extériorisation. La
médiation observée par les processus d’attachement semble donc être la même pour les
deux types de dyades présentement considérées.
31
Discussion
L’objectif principal de ce mémoire doctoral était de documenter le lien entre l’état
d’esprit maternel concernant l’attachement et l’adaptation chez l’enfant durant la deuxième
année de vie, et ce, en contrôlant pour la contribution potentielle du risque psychosocial.
Plus précisément, il visait à explorer le rôle médiateur possible de la sensibilité maternelle
et de la relation d’attachement, deux aspects qui incarnent la relation mère-enfant, dans
l’étude du lien entre l’état d’esprit maternel et le développement de difficultés intériorisées
et extériorisées. L’hypothèse principale était que l’état d’esprit maternel est associé à
l’adaptation chez l’enfant à 18 mois et que la sensibilité maternelle ainsi que la sécurité
d’attachement agissent comme médiateurs de cette relation.
Les hypothèses en ce qui a trait aux associations entre l’ensemble des variables ont
été confirmées. En effet, des corrélations significatives ont été observées entre l’état
d’esprit maternel, la sensibilité maternelle, l’attachement, l’intériorisation et
l’extériorisation. Ces liens assuraient que les conditions minimales pertinentes pour l’étude
du lien de médiation étaient présentes et permettaient de passer à la prochaine étape.
État d’esprit maternel
Les analyses ont permis de dégager des corrélations significatives faibles à modérées
entre l’état d’esprit maternel et l’intériorisation ainsi que l’extériorisation chez l’enfant à 18
mois. Ces résultats soutiennent l’hypothèse principale et suggèrent que le système de
représentations mentales concernant l’attachement de la mère est associé au développement
social-affectif de son enfant et de façon plus précise, à l’apparition de symptômes
d’adaptation, tant intériorisés qu’extériorisés. À ce jour, peu d’études avaient documenté
ces relations et, celles l’ayant fait s’intéressaient à des enfants plus âgés ou aux extrémités
de l’attachement comme la désorganisation ou l’attachement impliquant des circonstances
où les parents avaient expérimenté des événements traumatisants. Les résultats actuels
permettent donc maintenant d’affirmer que les représentations d’attachement liées à
l’insécurité chez la mère sont associées à davantage de symptômes intériorisés et
extériorisés chez l’enfant déjà très tôt dans son développement.
32
Des corrélations significatives ont également été obtenues entre l’état d’esprit relatif à
l’attachement des mères et les processus d’attachement avec l’enfant. En effet, une
association faible à modérée a été observée entre l’état d’esprit maternel et la sensibilité
maternelle lors d’interactions avec l’enfant, ce qui soutient l’idée que l’état d’esprit de la
mère représente un concept organisateur pour les comportements maternels dans les
interactions mère-enfant, tel que le suggère la littérature scientifique. En effet, plusieurs
études témoignent du lien entre les modèles de relations de la mère, son habileté à percevoir
les signaux de son enfant, et conséquemment, à répondre de façon prévisible, cohérente et
chaleureuse à ce dernier lors d’échanges avec lui (Main & Goldwyn, 1984; Van
IJzendoorn, 1995; Atkinson et al., 2005; Tarabulsy et al., 2005; Van IJzendoorn et al.,
2009). De plus, les résultats de la présente étude ont montré une corrélation modérée entre
l’état d’esprit maternel et la sécurité d’attachement chez l’enfant à 18 mois. Ce lien était
attendu et réplique les résultats des études antérieures. En effet, le phénomène de la
transmission intergénérationnelle de l’attachement est bien connu. Tarabulsy et ses
collègues (2005) rapportent une corrélation de r= .36 entre ces deux variables. Van
IJzendoorn (1995) obtient également ces résultats par une méta-analyse qui révèle une
association identique r= .36. Les résultats actuels corroborent ceux des études précédentes
en ce qui a trait au lien entre état d’esprit maternel et sensibilité maternelle, ainsi que la
relation d’attachement.
Sensibilité maternelle et de la sécurité d’attachement
Les analyses ont également permis de relevées des corrélations modérées entre
l’attachement et les indices d’adaptation ainsi que des corrélations faibles à modérées
entre la sensibilité maternelle et l’adaptation, et ce, tant pour les symptômes intériorisés
qu’extériorisés. Ces résultats confirment ce qui était attendu et répliquent les résultats des
études antérieures dans le domaine de l’attachement (Belsky, Fearon, & Bell, 2007; Groh,
Roisman, Van IJzendoorn, Bakermans-Kranenburg, & Fearon, 2012; Madigan, Atkinson,
Laurin, & Benoit, 2012; McKee, Colletti, Rakow, Jones, & Forehand, 2008; Van
Ijzendoorn, Schuengel, & Bakermans-Kranenburg, 1999). Ainsi, la présente étude permet,
une fois de plus, de mettre en évidence que la qualité des comportements relationnels de la
33
mère à l'égard de son enfant, ainsi que la qualité de la relation d’attachement qui s’installe
entre eux constituent deux facteurs importants pour le développement ultérieur de l’enfant.
Médiation par la sensibilité maternelle et la sécurité d’attachement
L’étude des associations entre les variables à l’étude indiquait que les liens entre
l’état d’esprit maternel, la sensibilité maternelle, l’attachement et les symptômes
d’intériorisation pouvaient être soumis à une analyse de médiation (voir tableau 3). Les
équations de régression révélaient une contribution significative de l’état d’esprit maternel
sur l’intériorisation, mais un résultat différent, en ce qui a trait aux symptômes
d’extériorisation (voir tableau 4 et 5). En effet, l’équation de régression montrait une
contribution marginalement significative de l’état d’esprit maternel sur l’extériorisation. Or,
la proximité du seuil de signification justifiait la pertinence de procéder à une analyse de
médiation. Ces analyses permettent de savoir dans quelle mesure les liens observés font
partie d’un processus commun ou peuvent être attribuables à d’autres facteurs. Bien que
l’ensemble des résultats aille dans une direction commune, l’importance des résultats varie
selon le type de difficulté d’adaptation qui est considéré. De façon sommaire, l’hypothèse
concernant le lien entre l’état d’esprit maternel et l’adaptation chez l’enfant en bas âge
médiatisé par la qualité de la relation mère-enfant a été confirmée pour l’intériorisation et
partiellement confirmée pour l’extériorisation.
Intériorisation. En ce qui a trait aux difficultés d’intériorisation, les résultats des
régressions multiples indiquent que la sécurité d’attachement médiatise le lien entre l’état
d’esprit maternel et ces difficultés chez les enfants à 18 mois, lorsque le risque
psychosocial est contrôlé. Le modèle est statistiquement significatif, ce qui indique qu’un
processus cohérent impliquant l’état d’esprit maternel et la relation d’attachement peut être
documenté dans le développement de difficultés d’intériorisation chez l’enfant. Cependant,
il est important de noter que la condition 1 d’une médiation parfaite, soit que la variable
indépendante ne contribue plus significativement à la variance de la variable dépendante,
est respectée, mais à peu d’écart du seuil de signification. En effet, en ajoutant la sensibilité
maternelle et la sécurité d’attachement à l’équation, l’état d’esprit continue de contribuer
aux indices d’intériorisation de façon marginale (p = 0.06). Les résultats doivent donc être
interprétés avec précaution. Il est possible que ce résultat soit attribuable à l’âge peu avancé
34
des enfants auxquels s’adresse cette étude ou à certaines caractéristiques et limites
méthodologiques qui seront discutées ultérieurement. De plus, bien que le modèle soit
statistiquement significatif, son pouvoir prédictif demeure relativement faible. Ainsi, les
données confirment l’importance des variables étudiées, mais indiquent la présence
d’autres processus impliqués dans la genèse des symptômes intériorisés.
Extériorisation. En ce qui a trait à l’extériorisation, la condition 1 d’une médiation
parfaite ne peut être formellement rempli puisque l’état d’esprit ne contribue que
marginalement (p = 0.06) à expliquer la variance de cette variable, et ce, lorsque le risque
psychosocial est contrôlé (voir tableau 5). La relative faiblesse de la contribution de l’état
d’esprit concernant l’attachement sur les indices d’extériorisation était imprévue. Les
études qui se sont intéressées à ce lien relèvent, d’une part, une contribution un peu plus
élevée et, d’autre part, une contribution significative entre ces deux variables. Cependant, il
est important de se rappeler que les indices d’adaptation sont rapportés par les mères et que
la présente étude s’intéresse à des enfants âgés de 18 mois, un âge sur lequel aucune
recherche ne s’était encore penchée pour étudier cette question. Ce résultat soulève aussi la
possibilité que d’autres variables sont peut-être plus importantes pour prédire de telles
difficultés, à cet âge. En effet, ces symptômes, à 18 mois, pourraient être mieux prédits par
d’autres facteurs relatifs à l’enfant, aux parents et au contexte. Cependant, bien que la
contribution de l’état d’esprit maternel soit marginalement significative, elle dénote
clairement une tendance dans la direction attendue. L’analyse de médiation effectuée
permet de conclure que cette contribution de l’état d’esprit maternel concernant
l’attachement sur les symptômes extériorisés est significativement médiatisée par la
sécurité d’attachement.
Les résultats suggèrent que pour les deux types de symptômes d’adaptation étudiés,
seule la sécurité d’attachement expliquerait la contribution, de l’état d’esprit maternel.
Néanmoins, l’absence de résultats significatifs concernant la sensibilité maternelle ne
signifie pas qu’elle ne revêt pas un rôle important dans ce processus. Il apparaît nécessaire
d’examiner et de mieux comprendre ce résultat et ses implications. Les analyses effectuées
permettent de conclure qu’à l’exception de la variance partagée avec l’attachement, la
sensibilité maternelle n’expliquerait pas la contribution des représentations maternelles de
35
l’attachement sur le développement de symptômes d’adaptation chez l’enfant, lorsque ces
deux variables sont prises en compte. Considérant que la sensibilité maternelle et la sécurité
d’attachement ont été insérées conjointement dans l’équation de régressions multiples, il est
possible que ce résultat s’explique par l’association bien documentée entre ces deux
variables. En effet, il s’agit de variables corrélées se référant toutes deux à la relation mère-
enfant; l’une observé chez la mère (sensibilité maternelle) et l’autre observée chez l’enfant
(sécurité d’attachement). En ce sens, il se peut que l’attachement explique davantage la
variation des indices d’adaptation, car il s’agit d’indices également observés chez l’enfant.
D’autre part, ces résultats semblent aussi pouvoir s’inscrire dans un modèle où la sensibilité
maternelle serait médiatrice de la contribution de l’état d’esprit maternel sur la sécurité
d’attachement de l’enfant, qui à son tour aurait un impact sur l’adaptation de l’enfant. Un
tel modèle serait cohérent avec la littérature scientifique dans le domaine de l’attachement.
À ce sujet, il serait intéressant de faire d’autres analyses pour mieux comprendre et valider
les processus impliqués et le rôle de la sensibilité maternelle. Par exemple, il serait
pertinent de refaire les analyses en insérant chacune des variables de la relation
(attachement et sensibilité maternelle) seule dans la deuxième équation de régression de
façon à étudier la contribution unique de chacune. Il serait également pertinent de tester le
rôle médiateur de la sensibilité maternelle dans le lien entre l’état d’esprit maternel et la
sécurité d’attachement chez l’enfant.
Somme toute, bien que le niveau de signification de l’analyse de médiation soit
différent pour les deux dimensions de l’adaptation sous investigation, la présente étude
permet de proposer les éléments suivants en lien avec un processus de développement liant
les grands construits présentement considérés. D’abord, les expériences d’enfance de la
mère avec ses parents et ses représentations mentales de celles-ci, tel que rapportés par le
AAI, prédisent le développement de symptômes d’adaptation chez l’enfant. De plus, il est
possible d’affirmer que cet effet n’est pas direct, mais médiatisé par la sécurité de la
relation d’attachement. En effet, les expériences d’enfance de la mère avec ses propres
figures d’attachement, qui constituent son système de représentations des relations avec les
autres, touchent le développement socioémotionnel de l’enfant par l’entremise de la qualité
de la relation qui s’établit entre eux, relation qui se construit au fil des interactions répétées
avec celui-ci. La façon dont la mère répond aux besoins, comportements, signaux et
36
émotions de son enfant dans les interactions quotidiennes permettent de construire une
relation d’attachement. La présente étude suggère que cette relation se trouve au centre
d’un processus cohérent par lequel le monde interne de la mère affecte la qualité de
l’adaptation chez l’enfant. Des auteurs proposent des mécanismes pour expliquer l’impact
de ces variables sur l’adaptation de l’enfant comme la construction d’un système cognitif-
affectif, la capacité de régulation émotionnelle et comportementale ainsi que les stratégies
pour faire face au stress (Carlson & Sroufe, 1995; DeKlyen & Greenberg, 2008; Izard,
Youngstrom, Fine, Mostow, & Trentacosta, 2006).
Risque psychosocial
Les analyses ont permis de déceler des corrélations modérées entre le risque
psychosocial et la sensibilité maternelle ainsi que la sécurité d’attachement de l’enfant. Ces
résultats étaient attendus et s’apparentent à ceux de plusieurs études antécédentes, qui
s’intéressaient cependant à des enfants plus âgés (Belsky, Robins, & Gamble, 1984; Booth,
Rose-Krasnor, & Rubin, 1991 ; Lyons-Ruth & Jacobvitz, 1999). En effet, les
caractéristiques de l’environnement familial sont associées à la probabilité que l’enfant soit
exposé à des interactions prévisibles, cohérentes et chaleureuses avec ses parents et
développe une relation d’attachement sécure. En somme, les résultats actuels tracent le lien
entre la qualité de l’environnement familial, tel qu’il est défini par l’appartenance à l’un des
deux groupes de mères dans l’étude, et les caractéristiques relationnelles en lien avec
l’attachement.
La littérature permettait également de présupposer des corrélations significatives
entre le risque psychosocial et l’adaptation chez l’enfant, tant pour l’intériorisation que
l’extériorisation (Ackerman, D'Eramo, Umylny, Schultz, & Izard, 2001; Fanti & Henrich,
2010 ; Keiley, Lofthouse, Bates, Dodge & Pettit, 2003). Or, ces liens n’ont pu être
confirmés dans l’étude actuelle. L’absence de corrélations entre ces variables est
surprenante et contraire à ce qui était attendu.
Certaines hypothèses peuvent être avancées concernant l’absence de ces liens dans la
présente étude. D’abord, l’adaptation est mesurée en bas âge, soit à 18 mois, un âge auquel
il peut être difficile de bien évaluer la présence de symptômes problématiques chez
37
l’enfant. Des difficultés de mesures peuvent être à la base de résultats non attendus. Il se
peut aussi que l’impact du risque psychosocial sur le développement augmente avec l’âge
de l’enfant – une plus longue exposition augmenterait le lien entre la qualité de
l’environnement familial et les difficultés d’adaptation chez l’enfant (Duncan, Brooks-
Gunn, & Klebanov, 1994 ; McLoyd, 1998). La plupart des études traitant du sujet, se sont
intéressées à des enfants de plus de 2 ans et certains auteurs suggèrent que cette association
entre le statut socioéconomique et le développement social émotionnel est davantage
présente chez les enfants d’âge préscolaire avancé et scolaire (Linver, Brooks-Gunn, &
Kohen, 2002 ; McLoyd, 1998). De plus, contrairement à la sensibilité maternelle et à
l’attachement qui ont été rapportés par des observateurs indépendants, les symptômes
d’adaptation ont été mesurés par le CBCL complété par les mères. Ainsi, il est possible que
les mères adolescentes perçoivent différemment les comportements de leur enfant ou
répondent différemment à cet instrument, par exemple en interprétant certains items
spécifiques différemment. Dans le même ordre d’idées, il est possible que les observateurs
indépendants ne soient pas insensibles aux différences de statuts socioéconomiques et que
cela explique les liens plus étroits obtenus avec la sensibilité maternelle et l’attachement.
Également, dans l’étude actuelle, il est possible que la présence d’autres variables
environnementales, mais celles-ci protectrices, vienne réduire l’effet du risque
psychosocial. Entre autres, des travaux documentent l’influence protectrice d’un bon
soutien social ou d’un milieu de garde de qualité dans de tels contextes (Brody, Stoneman,
& McCoy, 1994 ; Lemelin, Tarabulsy, & Provost, 2006 ; McLoyd, 1998). Il serait
pertinent, dans une séquence d’analyses ultérieures, d’examiner la validité des résultats
actuels en tenant compte de tels facteurs.
Considérations méthodologiques
En plus d’être novatrice à certains égards, l’étude actuelle se penche sur une période
encore peu étudiée, le début de l’adaptation chez l’enfant et l’émergence des difficultés
intériorisées et extériorisée. De plus, elle tient compte du contexte psychosocial dans lequel
prennent forme ces relations, ce qui est trop souvent négligé. Le devis longitudinal, les
multiples temps de mesures et les multiples observations qui sont employés représentent
des forces non négligeables. Certains construits sont représentés par plus d’un temps de
38
mesure, suggérant un degré de validité de construit accrue. En somme, plusieurs éléments
viennent appuyer la qualité de la démarche.
Malgré ces qualités, il demeure important d’évoquer ses limites. D’abord, la taille de
l’échantillon. De fait, certaines associations marginales ou peu significatives auraient pu
l’être davantage avec un échantillon plus important. En effet, la taille de l’échantillon étant
limitée, elle diminue la puissance statistique et rend plus difficile la détection d’effets
significatifs. Bien que le fait d’inclure un groupe de jeunes mères soit important et implique
un degré de complexité additionnel au niveau du recrutement, sur le plan purement
statistique cela limite les conclusions pouvant être tirées. De plus, le modèle explicatif du
développement des difficultés d’adaptation chez l’enfant est de loin plus complexe que les
variables considérées dans cette étude. Ainsi, avec un plus grand échantillon, de façon à
mieux cerner les processus développementaux, d’autres variables auraient pu être
considérées comme les contributions génétiques et neurobiologiques, le tempérament de
l’enfant, la dépression maternelle, la psychopathologie chez les parents, ainsi que les
contributions d’autres contextes auxquels l’enfant est exposé comme les milieux de garde
et les autres figures parentales. En effet, des études appuient le lien entre le tempérament et
les symptômes d’adaptation (Miner & Clarke-Stewart, 2008 ; Schwartz, Snidman, &
Kagan, 1996). La dépression maternelle est une variable importante à plusieurs niveaux.
Elle influence, entre autres, le développement socioémotionel de l’enfant, les conduites
parentales, la relation d’attachement et la relation conjugale des parents (Cummings &
Davies, 1994). Des auteurs rapportent également que la présence de traits antisociaux chez
le père augmente les difficultés socioémotionnelles chez l’enfant (Jaffee, Moffitt, Caspi, &
Taylor, 2003). De plus, les autres contextes et figures parentales auxquels l’enfant est
exposé sont importants (Howes & Spieker, 2008 ; McLoyd, 1998). En ce sens, il serait
pertinent pour une future étude de tenir compte de telles variables.
À ces limites s’ajoute le fait que les symptômes d’adaptation de l’enfant sont mesurés
par des questionnaires rapportés par les mères. Cette mesure est donc soumise à la
perception de la mère et susceptible d’être influencée par ses représentations de son enfant
et de leur relation. En effet, il semble que l’attachement de la mère soit associé à la qualité
de ses représentations de son enfant (Slade, Belsky, Aber, & Phelps, 1999 ; Slade,
39
Grienenberger, Bernbach, Levy, & Locker, 2005). En ce sens, il est possible de penser
qu’une mère non autonome pourrait rapporter davantage de symptômes au CBCL qu’un
évaluateur externe ne le ferait pour le même enfant. Le fait que le CBCL soit complété par
les mères constitue donc une limite importante de cette étude. De futures recherches
pourraient ajouter des mesures d’observation ou des questionnaires rapportés par d’autres
acteurs dans la vie de l’enfant. De plus, dans cette étude, le rôle du risque psychosocial a
été confiné à celui de modérateur. En effet, l’objectif premier était de documenter le rôle de
l’état d’esprit maternel sur les difficultés d’adaptation. Ainsi, de futures études pourraient
s’intéresser à l’impact du risque psychosocial sur l’adaptation de l’enfant en étudiant la
possible médiation par les variables relationnelles. Enfin, bien que le AAI constitue une
mesure valide, d’autres directions auraient pu être envisagées relativement à son utilisation.
En effet, à ce jour, de nouvelles façons de travailler avec cet instrument sont validées. Des
études appuient une approche bidimensionnelle, impliquant deux facteurs continus, plutôt
que catégorielle (Haydon, Roisman, Marks, & Fraley, 2011; Roisman, Fraley, & Belsky,
2007). Dans cette approche, on propose que les deux scores continus reflètent deux facteurs
latents à la base de la structure représentationnelle des mères. Il est possible que ces
facteurs puissent apporter des nuances intéressantes aux éléments présentement sous
investigation. Il faut cependant souligner que la validité de l’utilisation du AAI de cette
façon avec une clientèle de mères adolescentes reste à tester. Il serait donc pertinent pour de
futures études de valider cette approche auprès d’une population adolescente et
d’investiguer et de comparer les relations entre les variables étudiées dans ce mémoire
doctoral.
41
Références
Achenbach, T. (1991). Manual for the Child Behavior Checklist/4-18 and 1991 profile:
Dept. of Psychiatry, University of Vermont.
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49
Tableau 1
Résumé des temps de mesure pour chacune des variables
Variable Temps de mesure
AAI ±6 mois
MBQS 10 mois
Q-Set 15 mois et 18 mois
CBCL 18 mois
50
Tableau 2
Statistiques descriptives
Variable Mères adolescentes Mères adultes
N M ET M ET
Internalisation
105
51.81
8.98
49.32
8.90
Externalisation 105 58.10 8.69 54.92 7.47
Sensibilité maternelle à 10 mois 111 0.30 0.40 0.62 0.21
Sécurité d’attachement à 15 mois 110 0.12 0.27 0.26 0.27
Sécurité d’attachement à 18 mois 105 0.11 0.34 0.38 0.25
51
Tableau 3
Corrélations entre les variables à l’étude
Variable 2 3 4 5 6
1. État d’esprit maternel 0.28**
* 0.32**** -0.28*** -0.22* -0.20*
2. Sensibilité maternelle — -0.20* -0.26** -
0.40****
3. Attachement — -0.32*** -0.39**** -
0.39****
4. Intériorisation — 0.42**** 0.13
5. Extériorisation — 0.18†
6. Risque psychosocial —
† p 0.10, * p 0.05 , ** p 0.01, *** p 0.005, **** p 0.001
52
Tableau 4
Résumé des régressions multiples pour l’intériorisation
Variable B SE Béta t p
Variable dépendante : Intériorisation
Intercept 50.08 3.23 0 15.49 < 0.0001
Risque psychosocial 1.51 1.80 0.08 0.84 ns
État d’esprit maternel -5.08 1.85 -0.27 -2.75 0.01
F (2, 104) = 4.78, p 0.05
R2 = 8.56%
Intercept 54.49 3.86 0 14.10 < 0.0001
Risque psychosocial -0.09 1.94 0.00 -0.05 ns
Sensibilité maternelle -0.95 2.52 -0.04 -0.38 ns
Attachement -8.93 3.67 -0.26 -2.43 0.02
État d’esprit maternel -3.73 1.92 -0.20 -1.94 0.06
F (4, 102) = 4.52, p 0.005
R2 = 15.57%
53
Tableau 5
Résumé des régressions multiples pour l’extériorisation
Variable B SE Béta t p
Variable dépendante : Extériorisation
Intercept 53.87 3.04 0 17.71 < 0.0001
Risque psychosocial 2.54 1.69 0.15 1.50 ns
État d’esprit maternel -3.33 1.74 -0.19 -1.91 0.06
F (2, 104) = 3,67, p 0.05
R2 = 6.72%
Intercept 60.04 3.56 0 16.85 < 0.0001
Risque psychosocial 0.18 1.79 0.01 0.10 ns
Sensibilité maternelle -2.02 2.33 -0.09 -0.87 ns
Attachement -10.25 3.38 -0.32 -3.03 0.003
État d’esprit maternel -1.78 1.77 -0.10 -1.00 ns
F (4, 102) = 5.31, p 0.001
R2 = 17.82%