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Il faut sortir les pauvres de la pauvreté, il faut aider le tiers monde; il faut permettreaux pauvres de profiter de nos richesses…

Et si le meilleur service que l’on pouvait rendre aux « pauvres » était en fait de nepas s’occuper d’eux ? De les laisser tranquilles ? De s’abstenir, selon le principe deprécaution, d’aller faire plus de dégâts qu’autre chose en jouant les bons samaritains ?Outre une critique de la notion et de la pratique de l’aide, cet atelier s’interrogera surles définitions de la pauvreté, des richesses, des besoins, etc. Et si le plus grandscandale n’était pas dans la pauvreté, mais dans la richesse ?

> Majid Rahnema (ancien diplomate, Iran) – Quand la misère chasse la pauvreté> Serge Latouche (La Ligne d’Horizon, France )– Pauvreté et infortune> Lakshman Yapa (Pennsylvania State University, Sri-Lanka/Etats-Unis) – Get off the backs of the poor> Oswaldo de Rivero (diplomate Pérou) – La creatión de la pobreza

Atelier : Get off their backs! Laissez donc les pauvres tranquilles !

> Quand la misère chassela pauvretéMajid Rahnema (ancien diplomate, Iran)

Je suis imprésentable pour plusieurs raisons, la premièreétant qu’avec mes très rares cheveux j’ai porté de trèsnombreux chapeaux. Je suis un ancien diplomate, et toute mavie j’ai suivi cette question de la pauvreté. J’ai un peu vécu àl’ombre de plusieurs pauvretés, la pauvreté qui s’appellemisère dans le pays d’où je viens et où j’ai vécu, l’Iran, et puisla pauvreté institutionnalisée, la pauvreté modernisée, et lamisère morale dans laquelle nous vivons. J’ai côtoyé tout celaet, depuis quelques temps, je travaille sur un ouvrage, à paraîtreen septembre 2002 chez Fayard, qui va s’appeler « Quand lamisère chasse la pauvreté », et déjà cela vous donne déjà uneidée de ce que l’on pourra peut-être discuter aujourd’hui.

Je me suis rendu compte au départ qu’on ne parle jamaisde la même chose quand on discute de la pauvreté et j’aitrouvé personnellement quatre obstacles.

Premier obstacle. Le premier obstacle est d’ordre à la foissémantique et historique. Les mots pauvres et pauvreté, toutautant que riches et richesse, n’ont jamais eu la mêmesignification pour tous. Tous deux sont des constructionssociales, culturellement établies, qui échappent à toutedéfinition universellement acceptable. Tous deux acquièrentdes sens différents, sinon opposés, selon les contextes

spécifiques dans lesquels ils se trouvent placés. Tous deuxsouffrent des sens particuliers qui leur ont été donnés dans lessociétés historiquement constituées. Pour commencer uneconversation il faudra donc tenter de débroussailler le cheminet, si possible, contourner cette difficulté majeure. Pour ceuxqui s’intéressent plus particulièrement à l’histoire de lapauvreté, j’ajouterai ceci. À ma connaissance, le mot pauvretéou le substantif pauvre a été absent du vocabulaire de toutes leslangues, pendant des millénaires. Pauvre existait en tantqu’adjectif et ce, pour indiquer que quelque chose n’était pasà la hauteur de ce qu’il devait être, comme par exemple, un solqui était pauvre, une santé qui était pauvre. Pendant cettemême période, les gens vivaient de très peu, sans jamais penserqu’ils étaient pauvres, ce qui a fait dire à l’anthropologueaméricain Marshall Sahlins que la pauvreté était une inventionde la civilisation. Ou, si l’on prend la pauvreté dans le sensd’un mode de vie qui se suffit du nécessaire, dire commeProudhon l’avait avancé que la pauvreté était la conditionnormale des humains.

En fait, mon hypothèse est que, même lorsqu’un groupeparticulier de gens ont été appelés pauvres, ces derniers étaienten réalité des indigents, dans le sens qu’ils manquaient mêmede ce qui était alors culturellement considéré commenécessaire. De toute façon, le mot avait des sens très différentsdans les différentes langues du monde et, dans chacune d’elles,il y avait de cinq à quelquefois quatre-vingts mots différentspour le mot pauvre. Pour ceux qui s’intéressent à l’histoire des

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mots, je pourrai même ajouter, à titre anecdotique, que le motpauvreté s’appliquait à des choses incroyables. Le dictionnaireRobert de l’Histoire de la langue française raconte, parexemple, que pauvreté était couramment employé avec le sensmoral de “malheur, tristesse” et qu’il désignait euphémi-quement les parties honteuses de l’homme et de la femme (enparticulier dans l’expression pauvreté de Dieu). Huguet notequ’au XVIe siècle, faire la pauvreté, au singulier, se rapportait àl’acte de chair, et que faire ses povretez, au pluriel, signifiait“aller à la selle”.

Dans bien des sociétés antérieures à la naissance de l’homooeconomicus, ceux qu’on appelait couramment pauvresn’étaient pas nécessairement des personnes qui manquaientd’argent, mais des gens qui ne faisaient pas partie de lacommunauté, des “étrangers” qui n’avaient personne dans leurvie. On les appelait des “bi-kas” en persan ou des “ki amul nit”(en wolof), c’est-à-dire des “sans-qui-que-ce-soit”. Une grandemajorité d’entre eux étaient aussi des personnes qui avaient desincapacités d’ordre physique ou avaient été mis au ban de lacommunauté.

Il y avait ensuite des pauvres qui avaient volontairement faitle choix de la pauvreté. On les appelait les pauvres en esprit.C’était des gens qui avaient délibérément décidé vivre avec justele nécessaire et qui pensaient qu’il était indécent, immoral, devivre avec un superflu qui aurait pu appartenir à d’autrespersonnes. Et ceux-là étaient considérés dans toutes les culturescomme les meilleurs des humains. Ils étaient des sages, dessaints pour qui vivre avec seulement le nécessaire était unecondition vitale pour échapper aux servitudes asservissantes.

Comme vous voyez, tous ces pauvres avaient très peu dechoses en commun avec les pauvres modernisés qui sont, engénéral, des personnes physiquement bien capables detravailler, mais qui ne trouvent pas d’emploi. Dans cesconditions, comment parler de pauvreté sans tomber dans laplus grande confusion ? Car il n’y a rien de comparable entreces pauvres et le pauvre modernisé, cet individu qui acomparativement beaucoup plus d’argent et de moyens que lesriches d’antan, mais qui doit mener une lutte incessante eteffrénée entre ce que j’appellerais la boulimie des besoinscréée par la société moderne et l’impossibilité de satisfaire cesbesoins pour la majorité des gens. Ivan Illich a bien comparé sacondition au supplice de Tantale, ce roi légendaire qui étaitcondamné à vivre dans un paradis où tout était en abondance,mais dès qu’il voulait cueillir un fruit la branche de l’arbre qu’iltouchait s’éloignait de lui, et chaque fois qu’il voulait boire del’eau, le fleuve sur lequel il se trouvait reculait devant lui.

Il faudra donc mettre les choses au clair : de quels pauvres,de quelles pauvretés, de quelles misères, physiques ou moralesdes indigents ou des nantis, parlons-nous ?

Deuxième obstacle. Un deuxième obstacle provient du faitque le concept a été maintenant entièrement colonisé par levocabulaire économique. Le pauvre est aujourd’hui considéré

comme un simple sujet de manque, alors que, pendant dessiècles et des siècles, ses prédécesseurs avaient constitué, depar leur façon de vivre ensemble, le rempart le plus durable deleur communauté contre la misère. C’est l’expert qui, dans lestemps modernes, a pris cette place. Notre imaginaire estmaintenant si colonisé par le langage économique qu’il nousest de plus en plus difficile de réaliser qu’un pauvre enracinédans son milieu est souvent plus à même d’apporter desréponses durables à ses questions qu’un expert qui ne voit dansce milieu que chiffres et statistiques. De même, nous avons deplus en plus tendance à donner à la richesse le même sens quelui attribue l’homo œconomicus.

Là encore, il faut être clair. De quelles richesses parlons-nous ? Des richesses et des pauvretés glorieuses qui avaient, detout temps, marqué la condition humaine, et qui furent, par lasuite, détruites, disloquées, déracinées, dénaturées parl’économie ? Ou des richesses matérielles produites par despratiques comme l’usure ou les spéculations financières qui ontété à l’origine de la mondialisation de la misère ?

Sur un autre registre, dans les sociétés vernaculaires, lapauvreté, comme d’ailleurs la richesse, avait été une notioninséparable d’une certaine perception morale de la conditionhumaine. Il ne s’agissait pas, pour ces sociétés, seulement deproduire, à tout prix et à un rythme accéléré. Il s’agissait plutôtd’armer le bon sens des humains, engagés dans leur luttecontre la nécessité, de toutes les possibilités physiques etmorales qui pouvaient leur servir à cette fin.

C’est à l’homo oeconomicus que l’on doit la “dé-moralisation” de toutes les notions antérieures de richesse et depauvreté. L’usure, dont la pratique avait été, de tout temps etdans toutes les cultures, un exécrable péché, fut ainsiréhabilitée sous son nouvel habit vénérable d’institutionbancaire, comme un pilier de l’économie moderne.

Troisième obstacle. J’en viens maintenant au troisièmeobstacle qui porte, cette fois, sur les sujets qui participent à laconversation, plutôt que sur l’objet de la conversation. Cetobstacle provient du fait que nous, les “non-pauvres” qui yparticipons, nous considérons toujours comme des sujetsappelés à résoudre les “problèmes” des pauvres, alors que noussommes nous-mêmes le problème ! Lorsque j’étais lecoordinateur du Programme des Nations unies au Mali, je mesouviens bien que, dans tout projet d’aide aux pauvres, laconsigne était de chercher les réponses dans ce que, dans lejargon des projets, l’on appelait “le secteur de la pauvreté”.

Dans tout projet destiné à “aider” les pauvres, c’est dans cesecteur dit de la “pauvreté”, que les experts cherchaient àtrouver la réponse à leurs questions. Il leur venait rarement àl’esprit que ce secteur-là était seulement le lieu vers lequelconvergeaient la plupart des raretés, des précarités ou descarences produites ailleurs, souvent par suite des choixéconomiques, sociaux et politiques qui avaient aussi été faitsailleurs, par les institutions liées aux différents intervenants.

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Quatrième obstacle. Le quatrième obstacle est que lapauvreté est souvent utilisée comme un masque pour faire tout àfait autre chose. On a généralement tendance à infantiliser lespauvres et à penser qu’ils sont eux-mêmes incapables d’apporterdes réponses adéquates à leurs questions. Tout le monde rivalisealors pour apporter des “solutions” à leurs problèmes. Unecertaine “actomanie” est ainsi créée, qui permet à chacund’avoir bonne conscience et de penser qu’il a les meilleures“solutions” en poche. Dans les meilleurs cas, des sommesconsidérables sont ainsi dépensées sur des projets qui, en vérité,s’en prennent beaucoup plus aux pauvres qu’aux forces qui sontresponsables de leur misérabilisation. La plupart d’entre eux nese rendent pas compte que toutes les solutions auxquelles ilspensent sont, pour la plupart, des tentatives de réponses auxproblèmes qu’ils ont eux-mêmes créés. On engage alors desactions dont l’objet est finalement de donner le plus de chancesà l’insertion des pauvres dans le marché mondialisé.

Les trois catégories de pauvreté et les deux formes demisère. Pour essayer, au moins en partie, de contourner cesobstacles qui nous empêchent souvent d’avoir une bonneconversation sur la pauvreté, j’ai trouvé que quatre types desujets communément appelés pauvres présentaient entre euxcertains points communs qui les distinguaient des autres. Cetexercice m’a alors conduit à faire une distinction fondamentaleentre les deux conditions de pauvreté et de misère.

Dans ce contexte, la pauvreté, proprement dite, sedistinguerait ainsi de la misère ou de la déchéance dans lamesure où, tout d’abord, elle est un mode de vie, une façon deconfronter la nécessité dans des conditions de simplicité, defrugalité et de considération pour ses prochains. Elle exprimeaussi cette condition dans laquelle le sujet pauvre disposeencore d’une certaine possibilité de choix dans sa façon deconfronter ou de subir la nécessité qui lui est imposée. Lepauvre est ainsi un sujet qui garde en lui suffisamment de forceintérieure, morale et physique, pour ne pas sombrer dans unetotale impuissance ou paralysie devant ce qui lui arrive. Alorsque dans la misère, le sujet agit comme un noyé. Il estdépossédé de tous ses moyens de défense physique contre lesconditions extérieures.

J’ai donc distingué trois catégories de pauvreté que jesépare entièrement de ce que j’appelle les misères et lesindigences.

La première, qui est la pauvreté volontaire ou en esprit,représente un choix délibéré de la pauvreté comme un modesupérieur de vie et comme une condition de liberté. Pourcomprendre une dimension importante de la pauvreté, dansson sens pré-économique, il faut bien se dire que si les pauvresen esprit ont fait ce choix, ce n’est pas qu’ils étaient des fous,des rêveurs ou des maniaques, mais parce que cela représentaitpour eux l’accession à des formes autrement plus importantesde richesses.

La deuxième est ce que j’appelle la pauvreté conviviale, unmode de vie inspiré par le bon sens et les exigences éthiques et

pratiques d’une vie en commun. Il s’agit là d’une pauvreté quel’on peut qualifier de semi-volontaire, dans la mesure où lepauvre convivial est amené à adopter un mode de vie inspiré àla fois par la nécessité et les besoins de maintenir la cohésionsociale et d’être en équilibre avec la nature.

Enfin, j’ai distingué la pauvreté modernisée qui fait de savictime un être dont le nécessaire est gonflé de superflus d’untout autre genre, un être déchiré par des besoins socialementfabriqués et des “ressources” qui lui manquent toujours pourles satisfaire.

Puis vient la misère qui, selon une vieille distinctionthomiste représente la condition d’une personne qui manquedu nécessaire vital (alors que la pauvreté représentait selonThomas, le manque du superflu). Cette condition est pour lepauvre ce lieu fatidique d’épreuve dans lequel un ensembleviolent et brutal de facteurs extérieurs tend, soit à le briser dansson corps et dans son âme, soit à le corrompre et détruire sapersonnalité, le conduisant éventuellement à la misère morale.

La misère morale, enfin, est un phénomène qui rapprochedans un sens les extrêmes, puisqu’elle n’est pas seulement lefait d’indigents et de miséreux atteints dans leur âme de pauvre,mais aussi et surtout, une condition des riches et des nantis quiregorgent de superflus. Cette misère-là est, en fait, pluspernicieuse que celle qui frappe les indigents. Car ellereprésente, d’une part, l’obsession pathologique du plus avoir,l’insensibilité aux autres et le désir incessant d’accumuler desbiens matériels et, d’autre part, elle constitue l’ingrédient idéalqui, non seulement produit la misère à l’échelle mondiale,mais sert à fomenter des mouvements extrémistes fascistes oufascisants, populistes et fondamentalistes.

Dernier point : la problématique de l’aide. Je voudraisterminer en disant deux mots sur l’aide, une notion que l’onassocie toujours à celle de la pauvreté, le pauvre signifiant pourla pensée unique quelqu’un qui ne peut pas vivre sans aide.

Là encore, le mot a subi une telle corruption que ce qu’onappelait un jour de ce nom est devenu son contraire. C’est lacélèbre parabole de Jésus, connue sous le nom du BonSamaritain qui peut donner une bonne idée de ce que ce motsignifiait encore il y a 2 000 ans. Il représentait, en effet, legeste spontané de quelqu’un qui voit un autre en difficulté, quiest touché par sa présence et qui n’a d’autre choix que d’allerà sa rencontre pour se mettre à sa disposition. C’est cela l’actede l’aide pur. Or cet acte a passé par au moins troismétamorphoses qui l’ont transformé, en fin de compte, en sonopposé, pour devenir une aide à soi-même, une aide inverséeou à rebours.

C’est d’abord l’institutionnalisation de ce concept par lesÉglises de différentes dénominations, ensuite par les instancesséculières qui ont finalement fait de l’aide une menace auprochain en difficulté. Car dès que ce dernier en a besoin, ilsera entraîné, souvent malgré lui, dans une série dedépendances qui en feront toujours un instrument entre lesmains de l’institution “donatrice”.

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Ce qui est intéressant dans la parabole du Samaritain, c’estque le prochain n’est pas n’importe qui, encore moins uneinstitution. C’est le geste compassionnel qui fait de lui unprochain. Aujourd’hui, l’aide institutionnalisée s’applique àtoutes sortes d’interventions qui cherchent à faire de “l’aidé”,un instrument de pouvoir entre les mains de “l’aidant”. Ce n’estpas sans raison que le gros des dépenses faites sous cetteétiquette, par les institutions spécialisées, va à l’aide militaire,l’aide pour les infrastructures du “développement”, l’aidefinancière pour sauver les institutions bancaires, etc. Là encore,il est important que, dans une conversation sur l’aide, l’onclarifie au départ ce qu’on entend par l’aide, ce qu’on chercheà faire exactement en “aidant” des personnes ou despopulations données. Il est aussi temps de se poser desquestions plus précises et plus substantielles : qui aide qui ? dequelle “aide” un pauvre a-t-il besoin ? Et tout d’abord, en a-t-il,en aurait-il besoin, si on le laissait tranquille,si on cessait des’attaquer systématiquement à sa propre façon de “s’aider” ?

“Laissez les pauvres tranquilles”. Cette célèbre phrase estde Gandhi qui, lui, connaissait bien ce dont les pauvres avaientbesoin. Il savait notamment que les pauvres avaient rarementles besoins socialement fabriqués que leur créaient les riches.Ils n’avaient pas besoin de technologies, de produits, de“services” et de gadgets de toutes sortes qui les rendraientsystématiquement dépendants des autres. Ils n’avaient surtoutpas besoin des illusions de richesse et de confort qui faisaienttoujours partie intégrante des paquets d’“aide” qui leur sontenvoyés. Nous pourrions donc retourner la question : y aurait-il une autre façon de penser l’aide ? Laisser les pauvrestranquilles pour qu’ils puissent continuer à s’entraider commeils l’avaient fait pendant des siècles ? Et, s’ils le voulaient, initierde nouveaux types de dialogues avec des prochains qui lesaimeraient et les respecteraient autant que le Samaritain de laGalilée ?

Pour terminer, je dirai que, dans les débats courants sur lapauvreté, ce dont on discute ne porte que sur certains aspectsde l’aide à l’économie, et comment enrichir, au besoin,certaines couches de la population, de façon à ce qu’ellespuissent satisfaire les besoins que l’économie leur aura créés.L’on ne discute jamais de ce qui a fait, de ce qui fait la richessedes pauvres. L’on ne cherche pas à voir, avec eux, ce qui peutles rendre dépendants de la soi-disant aide des non-pauvres,pour trouver, avec eux, des alternatives différentes à uneinteraction intelligente avec eux. L’on ne discute jamaissérieusement de la façon dont les non-pauvres, comme chacunde nous, créent les conditions de misère qui les acculent à lapauvreté modernisée.

Si l’on procédait ainsi, l’on verrait alors beaucoup mieuxcomment c’est l’économie moderne qui véhicule aujourd’hui àla fois la misère physique et morale, comment elle empêche lafloraison d’une civilisation basée sur la simplicité volontaire etdes éthiques de vie respectueuses des plus démunis. C’estseulement dans ces conditions que l’on saurait alors, à mon

sens, empêcher que les grandes traditions de pauvretévolontaire souffrent moins de l’actuelle avancée inexorable dela misère dans le monde. C’est alors aussi que l’on pourra peut-être arrêter les effets des guerres qui se poursuivent contre lespauvres sous l’étiquette de l’éradication de la pauvreté.

Bien sûr, ce n’est pas en décidant qu’une formule magique,venant d’en haut, pourrait remplacer les politiques actuelles delutte contre la pauvreté, ou qu’un “après-développement”saurait en finir avec un “développement” sans contenu, quel’on atteindrait de tels objectifs. Il s’agit plutôt de pensertotalement différemment, de mieux comprendre d’abordcomment nous sommes tous des constructeurs, pour ensuitechanger nos propres modes de vie, notre propre façon d’agir enprochains, et de réaliser la nécessité de nous refaire un mondeoù nous pourrions toutes et tous vivre autrement à partir desdons et des richesses uniques qui sont les nôtres.

> Pauvreté et infortuneSerge Latouche (La Ligne d’Horizon, France)

Je crois que je n’ai pas besoin de me présenter, je suismaintenant connu comme le loup blanc, celui qui mange lepetit chaperon rouge. Je voudrais, dans les 5 minutes quem’accorde généreusement mon ami Majid Rahnema, d’aborddire que je trouve obscène le discours actuel sur la pauvreté. Jecrois que Gilbert Rist a très bien résumé les choses en inversantla fameuse phrase de la Banque mondiale, pour qui la pauvretéétait scandaleuse au milieu de l’abondance, alors que, si l’oncompte que plus de la moitié de l’humanité vit en dessous du« seuil de pauvreté », c’est en fait l’abondance au milieu de lapauvreté enfin qui est proprement scandaleuse. Et je crois quequand on a dit cela on a presque tout dit. J’ai été très frappéque dès le 12 septembre 2001, le lendemain des attentatscontre les Twin Towers de New-York, le bon docteur JohnWolfensohn, président de la Banque Mondiale, ait déclaré qu’ilfallait lancer des programmes de lutte contre la pauvreté, quela façon de lutter contre le terrorisme était de lancer cesprogrammes. Et il a été relayé immédiatement par son bravecompère Michael Moore, secrétaire de l’O.M.C., quirenchérissait en disant « il faut accélérer à tout prix lalibéralisation du commerce pour en finir enfin avec la pauvreté.Il faut intégrer l’Afrique dans le monde, même un peu plus,pour en finir avec la pauvreté.»

Nous assistons alors à une extraordinaire instrumentationde la misère des victimes qui est ainsi poussée à son comble,et l’une des stratégies utilisée effectivement - et évoquée parMajid - consiste à absolutiser la pauvreté. C’est-à-dire qu’onparle de la pauvreté alors que celle-ci ne fait sens que mise enrelation avec la richesse. On parle de la pauvreté comme d’unabsolu. Le monde est de plus en plus riche et normalement lespauvres sont de moins en moins pauvres, parce si les genss’enrichissent tout le monde s’enrichit. Wolfensohn, lors d’ une

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interview sur France Culture, disait « il faut développer lesprogrammes contre la pauvreté » mais on lui a dit « votrecamarade Mickael Moore dit qu’il faut accélérer lalibéralisation, or depuis l’Uruguay Round on a libéralisé et déjàon s’aperçoit que la pauvreté s’est accrue. Et vous prétendezqu’il faut libéraliser encore plus ?». Alors là il était assez gêné,et a répondu « oui mais c’est parce qu’on n’a pas suffisammentlibéralisé. Parce qu’un peu de libéralisation accroît la pauvreté,mais beaucoup de libéralisation permet d’en sortir.» Je croisqu’on est là vraiment en plein dans l’hypocrisie de ce discoursobscène.

On le voit bien, tout le monde sait comment résoudre lapauvreté : il suffit de renoncer à notre modèle de civilisation.On fait des ronds de jambe, on tourne autour du pot.« Comment va-t-on résoudre la pauvreté ?». Il existe une trèsbonne caricature de Plantu où l’on voit tous ces gens trèsimportants qui se réunissent autour de la pauvreté, des genstrès riches, banquiers, etc. qui disent : « il faudrait faire quelquechose pour les pauvres. Oui mais quoi ? » Alors, effectivement,on sait ce qu’il faudrait faire. Il faut remettre en question notremode de vie occidental qui empêche les deux tiers del’humanité d’exister, tout simplement d’être eux-mêmes, pourpermettre l’amélioration de la situation du Sud. La pauvretém’apparaît comme une pièce importante dudéveloppementisme et l’entreprise occidentale dudéveloppement trouve sa vérité dans un processus demisérabilisation de la planète.

Tout ce que je sais sur la pauvreté, je le doisessentiellement à Majid parce que cela fait longtemps qu’iltaquine ce concept-là. Et, dans mon métier de professeur, j’aides étudiants qui veulent travailler. J’avais un étudiant quivoulait faire une thèse sur la pauvreté et qui avait unfinancement pour la faire au Cameroun. Je l’envoie dans lecadre de l’Orstom armé des idées de Majid, sachant tous lesaspects relatifs de la pauvreté. Il commence à faire desenquêtes et demande aux gens leur situation. Il s’est aperçu trèsrapidement que, quand il parlait aux gens de pauvreté, cela nefaisait pas sens, ne les intéressait pas du tout. Et les genscommençaient à lui raconter des histoires de sorcellerie. c’està dire que les gens commençaient à lui dire « effectivement masituation est très mauvaise, j’ai des tas de problèmes parce queje suis ensorcelé par un voisin qui me veut du mal, j’ai perdumon emploi non pas parce que la Banque mondiale ou le FMIa fait un ajustement structurel, j’ai perdu mon emploi parce quej’ai un beau frère qui est sorcier et qui veut me nuire. », et toutà l’avenant. Nous nous sommes donc aperçu que la pauvreténe faisait pas sens et ne pouvait pas faire sens, au sensoccidental, dans un milieu africain; d’où l’idée que j’aidéveloppé sur ce terme de la pauvreté occidentale etl’infortune africaine.

Parce que ce terme d’infortune, c’est le manque de fortune.Fortune, la déesse de la fortune, c’est la déesse de la chance etêtre infortuné d’une certaine façon, même chez nous, c’est être

victime d’un mauvais sort, d’une malchance et la chance estliée au sort.

Je crois qu’on touche, avec la pauvreté, au problème desrapports sociaux du point de vue occidental, dans l’économie-monde contemporaine. C’est très important parce que l’on voitqu’à l’origine même, il y a un processus d’économicisation denotre imaginaire. Je rapporte toujours le vieux proverbefrançais qui dit « quand on a un marteau dans la tête, on voittous les problèmes sous la forme d’un clou.» Et nous,occidentaux, nous avons mis dans notre tête un marteau qui estl’économie, nous voyons tous les problèmes sous la formeéconomique.

Mais cela ne s’est pas fait tout seul, parce qu’au moyen-âgeon ne voyait pas les problèmes sous la forme économique, onles voyait sous la forme religieuse. On brûlait les gens pour desquestions religieuses, pas pour des questions économiques.Donc dans la mise en place, au XVIIIe siècle, del’économicisation de l’imaginaire, les occidentaux ont décrétéque les non-occidentaux étaient sous-développés, qu’ils étaientmisérables ; voyez Ricardo et Smith. Nous voyons très bien quec’était une pièce importante dans le dispositif, ce décret tiré destextes de Ricardo, comme quoi la richesse d’un roi nègre quicommande sur 10 000 sujets nus est très inférieure au bien-être du dernier des travailleurs anglais, qui dispose de quantitésd’objets. Oui, cela n’a aucun sens, mais c’était pour montrerque les occidentaux avaient fait le bon choix ens’économicisant. C’était extrêmement important, il y a unelongue tradition d’assimilation symbolique entre les pauvres etles sauvages. Et, au fond, nos indigents sont nos indigènes doncles indigènes sont des indigents.

Et cela va très loin, car même un émir du pétroleimmensément riche nous apparaît quand même, parce qu’il estun indigène, comme un indigent parce qu’il appartient à unesociété pauvre, parce qu’il est dévalué, donc c’est un jugementde valeur. Il faut critiquer la pauvreté objective, c’est-à-direcette saisie à travers des batteries de critères qui est vraimentrentrée dans le moule de l’économicisation. Il faut aussi voir lecaractère relatif de la pauvreté qui est toujours un phénomèneculturel. Enfin, dans la situation actuelle, le Sud du monde setrouve souvent dans des situations métisses, hybrides. En effet,dans les enquêtes des étudiants au Cameroun, on voyait bienque les camerounais sont à la fois des africains, maisoccidentalisés d’une certaine façon, c’est-à-dire qu’ils n’ontpas l’intégralité du marteau économique dans la tête mais ils enont quand même une partie. Et, par conséquent, ils peuventsoit alternativement soit de façon complémentaire, se voir à lafois comme membre d’une société holiste dans laquelle lapauvreté ne fait pas sens parce qu’on appartient à unecommunauté mais en même temps comme un individu dansun village-monde où on n’a pas le revenu par tête.

Nous avons donc une pauvreté modernisée, qui traduit ledegré d’occidentalisation des mentalités dans les pays du Sud,qui coexiste avec une autre vision du monde. Cela pose un

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problème non seulement pour les africains mais aussi pour lesasiatiques ou pour les indiens. Deux univers mentaux peuventcoexister, à la fois l’univers mental où l’on va juger que lapauvreté ne fait pas sens et que si on est dans une situationd’infortune c’est parce qu’on a été marabouté et en mêmetemps savoir quand même que si on est dans cette situation-là,c’est parce qu’on est victime de l’exploitation des firmestransnationales. Et l’on n’arrive pas à faire la fusion, la synthèse,des deux univers mentaux.

Get off the backs of thepoorLakshman Yapa (Pennsylvania State University, Sri-

Lanka/Etats-Unis)

My name is Lakshman Yapa, I’m professor of geography atPennsylvania State University. I originate from Sri Lanka. As forthe topic “Get off the backs of the poor”: how should we talkabout it ?

I think that academics, journalists and educated people ingeneral, when they talk about the world they tend to divide itinto two sectors : the realm of the problem and, very logically,the realm of the non-problem. And when we think about thepoor and poverty, we locate that in the realm of the problem.Then we have people who are academics, who have resourcesand foreign aid and people from the World Bank, etc., who alllocate themselves in the realm of the non-problem. And theytry to help people who are in the problem realm.

Now this is a very common academic issue we are dealingwith, because if you study it almost everyone will take a poorarea and a rich area, a poor country and a rich country. And wecompare them because it is a “given” that in the study the poorwill reveal why they are poor and it is understood that thecauses of their material deprivation lie within the so-calledpoverty sector, which is the language used by the World Bankand most governments and NGOs.

What I would like to do here is to address a few commentsto dissolve this dichotomy into its different parts. I mean, it isnot really true that the people, the resources and the thinkingin the non-problem realm are not very deeply implicated increating the very material state of deprivation that poor peopleface. And that is not a variant of the crude argument aboutexploitation. There is exploitation, but it is only a very smallpart of it. So let’s try to explore how we could dissolve thisdichotomy and how this would work.

I want to return to the concept that I introduced in themorning very briefly about the social construction of scarcity,when we spoke about how economics talked about it and Iintroduced this notion called “end-use” of a good or the “end-use” of a commodity, that we may consume something, usesomething, but what is the use to which we put it in the end ?

This morning I developed this point while talking about

automobiles. Let me use a different example. Let’s talk aboutsomething like chemical fertilizers. And I want to use thisexample to address the issue that I just mentioned, how can wedissolve the dichotomy between the problem and the non-problem? If you look at chemical nitrogen and ask what is its« end use », we would say that it is to fertilize the soil, to getnitrogen into the soil. Now suppose, as Ivan Illich did manyyears ago with his concept of radical monopoly, we ask thequestion what are all the different ways in which we can getnitrogen into the soil, then you will find 20 to 25 different waysin which we can do this and chemical nitrogen is just one way.We can talk about the growing of legumes, about crop rotation,about green manure, about compost, and the list goes on andon, but what we have done in the name of economicdevelopment is to marginalize those other ways so that theydisappear. Then a great demand is created for chemicalfertilizers. This increases the cost of production for farmers,making them poor.

Now this is not just about exploitation, the causes are muchmore complicated. In countries like Sri Lanka and India, for along time the governments actually provided subsidies tofarmers so that they adopted chemical fertilization and afterthey’ve done so, these subsidies were removed. So this is apolitical issue, not just business. If you go to an Americanuniversity or even a European one and you take courses inagriculture you do not really acquire any knowledge aboutthose alternative ways in which soil nutrition can be acquired.You only learn about chemical nutrition. So here then is auniversity where we’ve brought students from poor countries.They are educated but they’re educated in the socialconstruction of scarcity.

So it is not just about companies exploiting. You can seethat it happens culturally, it happens socially, it happensacademically: they are all on the site on which scarcity iscreated. Now I ask you the question, are the poor doing this ?Who’s creating this scarcity ? And you can see that it is createdat sites far removed from the place at which we were lookingas the source of the problem. It happens in universities, incompanies, in the United Nations offices. So if you want to getoff the backs of the poor, then let’s understand this and let allthis work be done at the site. You do not have to be in a poorcountry to help poor people. If you can get French agricultureto talk about using compost, you will be helping poor peoplein the Third World. If you can change the agriculturaldiscourse, the transportation discourse in the United States,then you can change things. You do not have to go where thepoor live to help the poor. This is how we can get off theirbacks. Thank you.

> La creatión de la pobrezaOswaldo de Rivero (diplomate Pérou)

Voy a tratar en una forma mas concreta el problema de lapobreza y del empobrecimiento del mundo. Talvez con menos

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Atelier 4 : Get off their backs! Laissez donc les pauvres tranquilles !

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énfasis moral, talvez con mas énfasis científico y político lo queestá pasando en el planeta hoy, es que hay una explosióndemográfica urbana, el planeta se está urbanizando despues dediez mil años de era neolítica, en todo el planeta, en todos loscontinentes estan creciendo ciudades de mas de 1 millión dehabitantes de mas de medio millión de habitantes. Estefenómeno nunca habia ocurrido antes, jamas. El planeta hacediez mil años que era rural. Actualmente se supone que en 17años, en el año 2020, 6 000 milliones de personas vivirán enciudades dentro de 1 millión o medio millión o las megalopolisque van a crecer en América Latina sobre todo en el Asia y enel Africa. Esto indudablemente, todo este crecimiento deciudades, se está haciendo bajo un modelo que yo llamo en milibro el modelo « californien.» Es decir estan creciendo mas omenos como Los Angeles California. Un ejemplo de eso ya lopodemos ver con la ciudad de Mexico, otra es la ciudad deLima o Caracas o Kinshasa o pasado Bombay.

Ese es uno de los problemas de la creación de la pobreza.Porque un crecimiento urbano de este tipo se está haciendobajo dos fenómenos tecnológicos que no son tampoco culpamoral de nadie. Tendríamos que echarle la culpa a todos losinventores. Hay que tener las cosas bien claras, se debe a dosavances tecnológicos. El primer fenómeno es el de ladesproletarización de la producción.

La producción moderna ya no necesita las grandes factoriasllenas de proletarios y eso está sucediendo en el mismomomento en que las ciudades estan creciendo. CuandoLondres, París o Nueva York crecía, detrás de ello había unarevolución industrial y usaba intensa mano de obra y ademashabía grandes espacios donde emigrar, como el Oesteamericano.

Pero hoy no es asi porque el sistema no permite lamigración, las ciudades crecen y siguen creciendo al modelocaliforniano, implica una gran cantidad de uso de energia, deagua y de alimentos. Expandiéndose en zonas donde suelenproducir alimentos, en el tercer mundo. El agua sirve a regar,para criar las plantas y los alimentos, porque a pesar de latecnología no se ha inventado como crecer plantas sin agua.Luego está haciendo los alimentos mas caros para los pobresen las ciudades y no empleados, por este proceso dedesproletización. Ahora la tecnología moderna emplea porunidad industrial menos cantidad de labor de trabajo. Es decirtodos los obreros fundamentalmente estan en las zonas masmarginadas del mundo, no pueden ser empleados con lasmodernas teconologias porque ademas no tienen ni lapreparación, y son ex campesinos que por el crecimientourbano y el modelo californiano, se han venido a la ciudad yno tienen trabajo.

El segundo obstaculo estrúctural tecnológico y es que, ynadie le tiene la culpa tampoco, sino que ha sido el modelo dedesarrollo occidental asi han sido… es que la producción seestá desmaterializando, es decir que ahora se usa con lasnuevas tecnologias menos materia prima, menos productos

exportados por los paises en vía de desarrollo. Asi actualmentepor ejemplo, los minerales estan totalmente reemplazados, unagran cantidad de materiales artificiales que contiene algo demineral, pero en general como la fibre de vidrio o otras, nonecesitan de los minerales como antes. El plomo, el cobre, elzinc son puntualmente usados, las fibras textiles estan hechasen laboratorios con alguna fibre natural pero estan hechas enlaboratorios, por grandes laboratorios. Toda estadesmaterialización de la producción hace que la unica ventajacomparativa que tenían estos paises la perdieron.

Y la unica ventaja comparativa que todavía les queda quees la mano de obra barata, que son ciudades llenas demiserables tambien estan perdiéndola. La producción noutiliza mano de obra que no este bien preparada. Total que estácreciendo una gran demanda creando pobreza, las ciudadestienen cada vez mas pobres, mas « bidonvilles » por todo lado.Una gran demanda de alimentos que son caros porque sonimportados. Ahora casi todos los paises en via de desarrolloimportan los alimentos porque como decia ayer Bové, con losnuevos excedentes producidos por los paises desarrollados, loscampesinos ya non competitivos se van a las ciudades a serobreros, no pueden ser empleados porque no son capacitadosy los paises exportan materias primas que ya no necesitan.Entonces todos estos procesos estan creando del punto de vistacientífico, tecnológico, un proceso de empobrecimientomundial.

En el cual se empiezan a ser basicos tres cosasfundamentales : alimentos para las ciudades que crecen,energia y agua. Y ya estamos viendo que hay crisis energéticasen una serie de ciudades bien desarollados como en Estadosunidos, ya en el Brazil tambien hay crisis de la energia, deagua... se entiende que actualmente el agua segun los estudiosde la naciones unidas asi los 40 % de la población incluyendolos paises desarollados van a sufrir de la escasez del agua enlos proximos 20 años. Este es tambien un problema de caracterecológico, el crecimiento de la pobreza no es simplemente uncrecimiento de falta de ingresos, es un proceso de destrucciónecológica porque las ciudades se expanden desforestando,destruyendo las zonas donde solían tenerse alimentos, laenergía y este es el problema mas fundamental inclusivefilosófico, la energia que usan las ciudades al modelocalifornio es el petroleo. Y el petroleo es la energía fosil mascontaminante del planeta. Un norte americano consume 7toneladas de petróleo al año. Si este modelo se expande portoda China, por todo el América Latina y por todo el Africatendríamos que comprar planeta para poder vivir, porque elrecalentamiento del planeta sería terrible. Tendríamos queadquirir algun planeta para ahi irnos a vivir porque seríaimposible. Porque si todos los chinos consumieran 7 toneladasde petroleo al año, los indios, la mitad de Latino américa o elAfrica. Entonces la energía es una medida de pobreza eso es loparadójico.

Si un pais tiene bajo consumo en energía, es un pais pobre

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Atelier 4 : Get off their backs! Laissez donc les pauvres tranquilles !

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pero si tiene alto grado de energía como los tiene los estadosunidos, entonces nos morimos todos. Entonces todo estodemuestra lo absurbo de la energía, demuestra como nada loabsurbo de todo este modelo de desarrollo y no es repetible elmodelo california. Entonces lo que queda por hacer, porquerealmente hay que hacer algo, yo creo que la gente pobrelocalmente debe organizarse para no caer en la miseria, y debehaber pactos, yo propongo unos pactos de superviviencia, envez del desarrollo tan prometido y que nunca va a llegar. Porlo menos pactos de superviviencia para que haya planificación

familiar, porque tiene que haber planificación familiar en esteplaneta. No pueden seguir creciendo las ciudades porque lasciudades no solamente crecen por nacimientos de bebes sinopor la emigración. Tiene que haber de todas manerasplanificación familiar, tiene que haber seguridad energética yalimenticia. Creo que en eso debería concentrarse lasalternativas al desarrollo para evitar de caer en la miseria. Esdecir debemos pasar de la teoria de la riqueza de las nacionesde Adam Smith a la teoria de la supervivencia de la naciones.Gracias.

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Atelier 4 : Get off their backs! Laissez donc les pauvres tranquilles !

GabriellaMy name is Gabriella, je viens de

l’Italie, but I prefer to speak English. Iwould be very grateful to you, Majid, andto all of you if you could apply your per-spectives to the issue of women’s - let’scall it - work, what women do. Because Ifind there are so many similaritiesbetween the way you are approachingpoverty and the way we have been tryingto make women’s activities visible:women’s activities in our industrializedsocieties, without having to give a valuein monetary terms. I mean we simply did-n’t succeed in getting this across. In orderto make women’s activities visible, wehave to count them as work, to ask forwages, or we have to ask assistance froma UN department or from the nationalbudget. And I can see there are similari-ties also in the way that the value of whatwomen do in our societies is perceived:in fact it becomes visible precisely whenthe relationship between house work andwage work was established.

I am finishing, I’ll just give an exam-ple. I’ve lived and worked in Africa for along time and I remember how shocked Iwas to see how visible women’s work inAfrica is and how impossible it is to say itis not productive. But I would notexchange my position with theirs, num-ber one, because I could see that the rea-son why their work is visible is because itis immediately productive, because thedistinction between productive and non-productive work is not as wide and deep

as it is in our societies. All the same Iwould not say that that way of livingcould be accepted by the whole world.

Pierre JohnsonJe m’appelle Pierre Johnson, je tra-

vaille sur l’économie solidaire et le com-merce équitable. Je voudrais aborder unequestion qui n’a pas encore été évoquée,mais qui rentre je pense dans le sujet, laquantification des activités humaines. Il ya l’économicisme qui va avec la quantifi-cation, donc il y a ce qu’on quantifie, ceque l’on compte et ce que l’on necompte pas et ce qu’on ne compte pasn’est donc pas considéré comme produc-tif, comme source de richesse.

Dans les comptes nationaux, aujour-d’hui, on compte ce qui est fait dans lesentreprises, tout ce qui est fait dans lessecteurs reconnus, tout ce qui est produitdans les entreprises privées et publiques.Mais on ne compte pas tout ce qui est àla frontière de l’économique et du social,tout ce qui n’est pas dans le secteur éco-nomique tel qu’il a été séparé du reste dusocial suivant la grande transformation,pour reprendre l’expression de KarlPolyani. C’est-à-dire qu’il y a eu cetteséparation de l’économique et du social,qui est un fait occidental, qui est le fait dereléguer certaines choses dans le social etnon dans l’économique; alors que dansd’autres sociétés l’économique, le social,le culturel, tout cela étant complètementmêlé.

Il y a tout ce que certains écono-

mistes appellent l’économie informelle,qui peut représenter plus de 50 % desactivités de la population dans les paysdits pauvres. Je sais qu’au Mexique celareprésente la moitié alors que c’est unpays riche potentiellement. C’est uneactivité dont les économistes ne com-prennent pas la logique, qui ne paye pasd’impôt, non comptabilisée et qui nerentre pas dans les comptes nationaux.Cette activité peut obéir à des règles simi-laires (même si cela fonctionne de façonsouterraine, cela peut obéir aux mêmesrègles) mais peut aussi obéir à des règlesqui mélangent l’économique et le social,la solidarité, qui reposent non seulementsur une logique économique, mais surune logique de solidarité.

Je pense donc qu’il faudrait traiteraussi cette question, comment cette dis-cussion sur la pauvreté a rapport finale-ment avec la quantification des activitéshumaines et la séparation entre l’écono-mique et le social.

Frédérique Apfel MarglinJe travaille au centre d’apprentissage

mutuel au Smith College, auMassachusetts. Je voudrais poser unequestion à Gabrielle, elle dit qu’elle nevoudrait pas échanger sa place avec desfemmes africaines qu’elle a connu, etpour entrer dans la discussion je voudraiscomprendre mieux pourquoi elle dit ça,car ce n’est pas du tout évident.

Débat

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Helena Norbert HodgeI’m the director of the International

Society for Ecology and Culture, and alsoa founder of the forum on globalization,the international forum on globalization.I’ve been working for the past 27 years inLadakh, in little Tibet, and I would like tosuggest that we should try to talk a littlebit more about what we can do.

Because I think Serge said we knowwhat we need to do and several otherpeople have said that, including Majid. Ithink that if we get off the backs of peo-ple that would be enough. In my work Isee a tremendous need for much betterinformation to the public in both Northand South, about the impact of develop-ment. So in my institute we’ve been try-ing to suggest that a type of education foraction is actually an activism: that gettingthe word out in images and pictures ofhow development is creating poverty,both spiritual and economic.

And this needs to be got out veryurgently because, especially as thosewho’ve been working in the so-calledThird World know - and it’s been saidbefore - people still view development astheir hope and their future. So I wouldlike to suggest: number one, we need tomuch more actively find ways to get thismessage across and, number two, Iwould also like to suggest that focussingon food and farming to rebuild local foodsystems is a very practical start. And thisdoes not mean that they don’t need any-one’s help now that there is this name ofdevelopment.

AdikariI am Adikari. I come from North

India, one of the coldest places in theworld. I have been living and workingwith indigenous people over the last fiveyears. And I ask, who is poor? The pooraren’t poor for me because of their yearsof experience. But the rich everywherein the world are thinking about theirlivelihood, their joint ventures. For thepast fifteen years we have had economi-cally exploited development, politicallyexploited development, sociallyexploited development, volunteer

exploited development. They studythemselves, not the poor people andthey don’t need anyone’s help now thatthey have this name of development. I’llgive you an example. I was in a villagewhere I met an old woman, illiterate butno fool. She understood everything, forexample about family planning and thattoo many babies will be a problem forthem. So this woman asks me “Why areyou coming here?” I explained that Icame to help you help yourselves. I alsoappreciate that I am very lucky to havethis role of speaking with many promi-nent people in the world, but now wehave to find out the strategies to intro-duce because people are not comingfrom another planet, they are people likeus. Should we just stop our work, orshould we leave them alone? We shouldtalk very seriously about all this. Thereare two concepts: promoting develop-ment and providing development. Wehave been providing development forthe last 15 years to the tune of manydollars now. We have learnt from thismovement in Bangladesh, the GrameenBank. They do fantastic work by them-selves, using their own means. Nowestern, foreign or volunteer sectors, nobig boss required. So what I say as Icome to the end of my intervention,“Please leave them alone.”

Josette CombeBonjour, je travaille à l’université

Toulouse Le Mirail, j’enseigne la métho-dologie de projet auprès d’étudiants quitravaillent dans l’économie solidaire. Jevoulais réagir a ce qu’a proposé ou entout cas suggéré Gabrielle auparavant.J’aurais voulu citer Paul Kaniegen quidisait qu’en occident nous étions de plusen plus riches d’objets pauvres et quenous ne voulions pas troquer le risque demourir de faim contre le risque de mou-rir d’ennui.

Alors, lorsque vous parliez de lamisère morale concernant des paysriches, je crois que nous en sommes là etque nous avons à traiter nos pays riches,comme actuellement le désarroi depopulations qui sont en train de mourir

d’ennui, notamment nos jeunes qui nesavent plus vers où orienter leurs paspour ne pas risquer de tomber danstoutes les chausse-trappes qui sont autourd’eux.

En ce qui concerne les femmes, selonce que je sais du sujet et Dieu sait que jel’ai abordé par plusieurs biais, 70% de lapopulation pauvre sont des femmes, pré-cisément elles sont pauvres parce que lafaçon dont on monnaye, dont on recon-naît socialement leur performance et j’in-siste sur le terme de performance estcomplètement inéquitable, S’il y a uncontinent qui porte les conséquences decette économicisation de la société,c’estbien celui des femmes.

Christophe BakerBonjour, je viens de Rome et d’autres

lieux avant, et je voulais répondre directe-ment parce que je crois qu’il est trèsimportant de parler du domestique quandon parle du développement. Effectivementil faudrait commencer, nous les hommes,à pratiquement répondre à un peu à cetteespèce de mythe de la femme domes-tique. Parce que je crois qu’elle a besoin,avec nous, de se libérer un peu de cecomplexe qui dure depuis quelquesdécennies, qui est justifié au niveau éco-nomique. Mais au niveau de la vie de tousles jours, il faudrait que nous les hommes,on commence à être un peu plus partici-pant de la résolution de ce problème. Parexemple il faudrait qu’on apprenne à faireles lits, à faire la cuisine, à s’occuper desenfants… Je rigole, mais je voudrais vousdire ceci, j’ai eu la chance de vivre enItalie où on a tous des paramètres qui sontoccidentaux, mais aussi des paramètresméditerranéens. Et je voudrais qu’onintroduise dans ce discours que nous fai-sons de l’usage du temps, un concept quidoit être partagé, celui de la lenteur etcelui de la paresse. Alors je mets seule-ment ces deux petites graines, parce quesinon on ne réussit pas à récupérer le quo-tidien, on ne se libère pas de tous lesconditionnements de la vie quotidienne,on ne réussit pas à devenir un peu plustranquille les uns avec les autres.

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Atelier 4 : Get off their backs! Laissez donc les pauvres tranquilles !

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Philippe DufourJe vais aussi intervenir sur la femme

et aussi sur l’homme. Je suis chercheur àl’anciennement Orstom. J’ai vécu un cer-tain nombre d’années au Congo et j’avaisun couple d’amis, mes meilleurs amis,c’étaient des Bateke, des congolais. Lui ilne faisait rien de sa journée. Il m’expli-quait qu’avant l’arrivée des blancs ondéfrichait les champs, et maintenant onne défriche plus puisqu’on ne travailleplus sur brûlis, on travaille grâce auxengrais toujours sur la même parcelle.Avant on construisait des maisons maiselles étaient alors construites en banko,en terre et tous les trois ans la pluie lesdétruisait, et il fallait reconstruire.Maintenant c’est du définitif. Avant onfaisait la guerre, il fallait aller piquer…Avant on faisait la chasse, et maintenantelle est interdite, elle est réservée àquelque privilégiés. Et puis on faisait dela politique, il y avait la gouvernance duvillage ; maintenant la politique vientd’en haut, on est gouverné, il n’y a plusde chef de village. Par contre, lesfemmes, elles, ont une extraordinairerichesse. Il faut réfléchir à cela parce quec’est la misère de l’homme, qui veut res-pecter ses traditions qu’on lui a volé.C’est à dire que tout ce qui faisait sadignité, sa fonction, sa richesse lui ontété volé et maintenant reste l’extraordi-naire richesse des femmes. Les femmesc’est le symbole de la fertilité, ellessèment, elles continuent à produire, cesont elles qui font l’agriculture, élèventles enfants, font les enfants (c’est aussi larichesse). Elles s’occupent du foyer etfinalement on a une espèce de richessequi est passée des mains de l’homme, quiétait partagée disons, qui vient aux mainsdes femmes. Alors on pourrait appelercette richesse aussi exploitation, de lafemme par l’homme, mais on peut aussiporter un autre regard. Je ne dit pas qu’ilest bien, mais essayez de voir commentce mode de vie importé des occidentauxa déstructuré la société pour changer lanature de cette richesse et de cette pau-vreté, ou de cette misère. Et je vous suistrès reconnaissant vraiment d’avoir dis-tingué la misère et la richesse, d’avoir

donné cette définition de richesse et demisère parce que c’est vraiment quelquechose sur lequel on doit plancher long-temps pour progresser.

Joseph PriJe suis étudiant, ma question est plu-

tôt une remarque. On est en train de par-ler de pauvreté et je crois que c’est unrisque de vouloir traiter cette question demanière globale. Et puis j’ai pu constaterque quelques intervenants parlent del’Afrique comme étant une entité uniquealors que l’Afrique, c’est quand mêmevaste et je pense qu’il y a d’énormes dif-férences. Il y a un risque de vouloir par-ler de pauvreté de manière globale. Jepense qu’il faudrait, c’est un peu exa-géré, mais il faudrait prendre les chosesau cas par cas, si on le peut.

TracyI’m from the Society for Ecology and

Culture, just in response to Gabriella.Basically I feel that I don’t have the qual-ities to swap places. I do not like to cook,to build my own house, to look aftereleven children at the same time: to live,in my opinion, a very, very difficult life.So I wouldn’t say that I could live thatlife, but should recognize maybe that wecan’t. It doesn’t mean that it is any lessworthwhile.

Une autre intervenanteOn sait très bien, quand on est une

femme, pourquoi on ne pourrait pas eton ne voudrait pas vivre la vie d’unefemme africaine. Toutes les femmes occi-dentales qui sont dans cette salle et quiont voyagé ont rencontré des commu-nautés de femmes de 40 ans qui ressem-blent à des grands-mères (pour ma partj’ai 40 ans). Par contre je crois que nous,en tant que femmes, ce qu’on romantiseet dont on est jalouse par rapport auxfemmes de ces communautés, c’est que,pour citer sans talent Illich qui nous atous instruit aussi, c’est qu’elles sontreconnues dans leur qualité du genreféminin avec leur droit de genre féminin.Tandis que nous, pour gagner nos liber-tés, il a fallu qu’on abandonne notre

genre et notre spécificité de genre. J’aiaussi connu un peu la spécificité de laculture iranienne par exemple et effecti-vement il y a beaucoup de contraintesmais il y a un gain que nous avons perduen Occident. C’est le respect de lafemme, comme moitié de l’humanitéapportant la moitié du respect, du savoir,de la connaissance. Mais je crois que laréponse est très claire, on n’a pas envied’avoir l’air d’avoir 90 ans et de mourir à40 ans déjà arrière grand-mère.

GabriellaThere was a misunderstanding. I shall

try to be as clear as possible. When I saidI didn’t want to swap places, I meant Iwas extremely happy when I was thereand I keep on going back. I have learnedthe language. But please let us be seriousabout who we are. I don’t have the skillsto live in a subsistence economy, I reallyrefuse to idealize traditional communi-ties, especially when looked at from thepoint of view of women. Because it is nottrue what we heard this morning aboutthe communities being the place whereresources are equally distributed. We allknow that it is not true. You know thisdiscourse is so similar to the one aboutfamilies, that are supposed to be theplaces where resources were equally dis-tributed. Now we know for sure that thisis not true. We know that families areplaces where people kill each other,where for instance women are not treatedequally as men. So I was just trying toremind you that there are other ways tolook at community. I do accept, as I men-tioned, a serious effort to look into tradi-tional knowledge of communities tobuild alternatives. But I’m also very muchafraid of romanticizing things and that’sall.

Lakshman YapaThe story that I told Majid about two

years ago was a story about theInternational Potato Institute in Lima,Peru. In the traditional way of growingpotatoes in the high Andes you had dif-ferent kinds of potatoes being adapted todifferent ecological situations. So when

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you went to a market place you saw pur-ple or yellow potatoes, or long, short etc.In another area you would find tremen-dous boradio potatoes. In fact, you couldmake some really nice maps, matchingthe potatoes to the different ecologicalconditions and mountains. Now whenyou trace the history of this, there are twoprocesses. 0ne is the biological processof adapting to different ecological condi-tions and the other is the knowledge ofthe Quechua-speaking women. Theywould observe what potatoes do welland where, and they had a very richunderstanding of all their traditions,which had been passed down from moth-ers to daughters for generations. So if youlooked at potatoes it was not just thepotatoes you were seeing but what hadactually been constituted from the veryrich contribution of these women, whohad intimate knowledge of the differentparts of the mountains.

Now when the Potato Institute cameand gave them high-yielding potatoesand improved potatoes, generic, uniformpotatoes spread throughout the moun-tains. Genetically, they were very weakpotatoes, not improved potatoes becausethey were not adapted to the differentparts of the mountains. So now you haveto use pesticides and fertilizers to growthese potatoes. But what also happens isthat the knowledge of the women hasbeen devalued. They were marginalized.They had been the keepers of the seedsand producing subsistence and now allthat was lost. This happened in the nameof development.

But the point I was trying to make hereis that several years afterwards, the USAgency for Development had a pro-gramme called WID (Women inDevelopment) and they come there withthe programme to empower women,whereas what they have done is to disem-power women through this new science ofpotatoes. So, what I’m trying to say is that,in the end, there was no understanding ofhow the Indian women were constituted,through their knowledge of geography,their knowledge of potatoes and theirknowledge of subsistence.

Majid RahnemaLà vous voyez l’exemple de femmes

qui ont eu un rôle central dans la com-munauté grâce à l’action qu’ellesavaient, grâce à leurs connaissance,grâce à leur science développée pendantdes siècles et des siècles. Et ici vient d’unseul coup un modèle de développementqui vient tout détruire en même temps.Les femmes en attendant disparaissent,parce qu’elles n’ont plus de place danscette culture justement, dans ce modèlede développement qui était venu. Et lessolutions ne vont pas parvenir de nou-veau d’un centre, d’une organisationinternationale qui va donner du pouvoiraux femmes mais elle va venir justementde cette intelligence de chaque femme,de chaque être humain qui entoure cesfemmes, dans leur façon localement devoir comment on peut préserver ce qu’ily a d’important, justement dans le genrede la femme. Je crois que si on a ce mes-sage, on peut le lier à cette idée du déve-loppement, comment ce développementaujourd’hui détruit les possibilités d’uneautonomie féminine selon la culture, laspécificité féminine.

Pierre NicolasBonjour, j’ai pour ma part derrière

moi une carrière de consultant, de créa-teur d’entreprise, de dirigeant et depuishier j’écoute avec beaucoup de sympa-thie et d’intérêt tout ce qui est développéici et en même temps je suis très insatis-fait. Et c’est là l’objet de ma question. J’aiun sentiment d’inconsistance politiqueradicale du discours de l’après-dévelop-pement, c’est ça que je voudrais explorer.

L’idée de base de mon interventionc’est que tout les mouvements humainsqui ont existé dans l’histoire, qui ont eudes résultats, ont été des mouvements quiont été faits au nom du développementde leurs adhérents. Lorsqu’une secte, et ilen apparaît périodiquement, prône le sui-cide de ses adhérents, la vie de cettesecte est relativement courte. Ceci ditcomme la fascination de la destruction,la fascination du vide existe dans l’esprithumain il réapparaît périodiquement dessectes de ce genre. De la même manière,

dans les années 1965 à 1975, j’étaisabsolument fasciné par Ivan Illich et jesuis très heureux de le retrouver danscette enceinte.

Mais entre-temps qu’est-ce que j’aifait ? J’ai constaté que je n’avais pas assezd’argent, que je ne pouvais pas atteindremes objectifs et j’ai gagné de l’argent.Puis ayant gagné cet argent je suis denouveau dans une assemblée de ce genreet je réfléchis d’une autre manière. Ceque je veux dire par là, c’est que pour ceque j’en comprends pour l’instant, l’idéo-logie de l’après-développement est uneidéologie qui prône une forme de suicidedoux, de suicide économique ou desimple survie. En tant que telle, elle n’adonc absolument aucune chance de suc-cès. Et à ce moment-là je voudrais laregarder un petit peu plus. Si je lisFrançois Partant, premièrement à la ques-tion « que faire ?» il répond : « en fait iln’y a rien à faire » puis dans un mêmetemps il dit « si, il y a quelque chose àfaire, il est possible de mettre en réseaules communautés marginalisées de façonà ce qu’elles aient entre elles deséchanges profitables qui les aident à semaintenir et à se reproduire identiques àelles même.» Mais quand ensuite jecherche des illustrations de ce que celapeut être, ce que je trouve de plusproche, c’est, par exemple, Emmaüs, lescommunautés de l’Abbé Pierre, qui avecdes brisés du développement, au niveauurbain, font effectivement une commu-nauté qui aide à mieux vivre le sous-développement local dans les niches oudans les trous ou dans le mitage de l’es-pace du développement.

Autrement dit, ce que je comprendspour l’instant de la proposition positivequi est faite, c’est « développons uneidéologie qui aidera à supporter subjecti-vement mieux la pauvreté et puis la ren-dra un petit peu plus douce.»Évidemment c’est pas satisfaisant, et à cemoment là je me dis « pourtant j’ai beau-coup de plaisir à entendre toute la partiecritique de ce discours » et je réfléchis àtout ce qui inspire cette partie critique. Etje me dit par exemple on critique ici toutce qui était de l’ordre de l’assistance

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Atelier 4 : Get off their backs! Laissez donc les pauvres tranquilles !

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technique, le travail sur le développe-ment et ainsi de suite, et une des chosesqui revient régulièrement c’est, au fond,il est temps de dire non à la charité bour-geoise missionnaire. Mais ce que j’en-tends dans l’après développement, c’estun néo évangélisme, c’est à dire c’est unretour à la petite communauté évangé-lique auto-centrée qui dit « poor is beau-tiful.» Ce qui n’est pas quand même unprogramme.

C’est très important sur le plan sub-jectif pour les gens qui font partie de lacommunauté mais en rien on n’est à lahauteur de votre programme « défaire ledéveloppement, refaire le monde.» C’estun programme révolutionnaire, or jeconstate qu’ici on nous tient un discoursrévolutionnaire sans discours de prise depouvoir. Il n’y a pas, je n’ai pas entendude stratégie politique. Donc, à partir deça, voyez ce qui nourrit pour moi l’idéed’inconsistance politique du discours surl’après-développement.

Pour que les équilibres dont on faitl’éloge ici, et qui sont émouvants, puis-sent fonctionner, il faudrait qu’il y ait descommunautés autonomes, au sein des-quelles cet équilibre puisse se retrouver,d’ailleurs ce mot est juste puisque, dansbien des cas, je vous trouve très rous-seauiste dans les descriptions d’une sorted’état de nature de la société tradition-nelle, qui pour moi ne correspond pas àgrand chose que je connaisse.

Or cette autonomie des petites com-munautés, elle n’est pas possible, pour ceque j’en sais, ou plutôt elle n’est possibleque dans les non-lieux du monde, dansles trous du monde, mais dès qu’unetoute petite communauté existe dans unlieu avantageux du monde, immédiate-ment elle est envahie, ou encore onachète les moins solidaires de cette com-munauté et puis la communauté dispa-raît, son équilibre est défait.

Alors, à partir de ça je réfléchis à cequ’il est possible d’affirmer positivement,puisqu’à cet instant je fais la critique del’après-développement qui lui même cri-tique le développement, cela ne nousmène pas très loin. Qu’est-ce qui pourraitêtre une approche positive ? Ma première

idée est d’abandonner le discours révolu-tionnaire. D’ailleurs voici le regard que jeporte sur les révolutions : soit c’est pré-tentieux de tenir un discours révolution-naire, on affirme quelque chose qu’on nesera pas capable de faire, soit si on estcapable de la faire c’est dangereux parcequ’en réalité, on va mobiliser des moyensde destruction qui sont considérables, onen a quelques exemples.

Donc la première proposition, c’estsoyons réformistes et si on l’est, dans cecas, il faut prendre le pouvoir ou disonschercher le pouvoir là où il est, c’est àdire chez le puissant. Si on dit, parexemple, ce qui a beaucoup été évoquédans ce que j’ai entendu, qu’il y a l’em-pire américain ou l’empire occidental ehbien dans ce cas là ce que nous avons àfaire, c’est de nous poser en psychothéra-peute du puissant, de l’empire occiden-tal, lequel évidemment se plaint de sesimpuissances locales. J’étais psychothé-rapeute à une époque, lorsque quelqu’unse plaint d’impuissance ou d’un troublequelconque, qu’est-ce que l’on peut faire? On peut lui proposer d’assumer la res-ponsabilité de ses symptômes, les identi-fier, d’en prendre la responsabilité et puisensuite de travailler ses contradictions.

C’est ce que vous faites c’est ce quefait le discours de l’après-développe-ment, c’est à dire qu’il a une partie cri-tique très développée dans laquelle oncherche, parce que nous sommes ici tousdes développés, qui faisons partie de cemonde développé, de cet empire, noussommes des impériaux et des impéria-listes. La partie critique du discours del’après-développement est une partie quitend à vous amener à assumer voscontradictions, mais le programme poli-tique pour l’instant il n’y est pas.

Majid RahnemaEn ce qui me concerne, Serge

Latouche pourra me corriger, mais jecrois que l’idée de ce colloque n’est pasdu tout d’apporter une solution. L’idéeétait celle d’une conversation sérieuseautour d’un problème qui est constam-ment considéré comme la réponse à toutles problèmes, c’est à dire le développe-

ment. Malheureusement la dernière foisque 150 chefs d’État des pays du mondese sont réunis à New York il y a 5/6 anspour le 50e anniversaire des Nationsunies, la seule chose sur laquelle tout lemonde était d’accord, tout le mondeunanimement, c’était le développement.

Le colloque c’était pour une conver-sation d’un autre genre, repenser le déve-loppement, repenser le monde.

Le titre « Défaire le développement,refaire le monde », Serge en a parlé hier,ce n’était pas du tout l’idée de faire uneprescription pour un monde différent,cela aurait été absolument contraire àtout ce que nous disons si on l’interprètede cette façon. Pourquoi donc voulez-vous que, d’un seul coup, on saute sur laconclusion en disant « voilà, nous avonsune réponse révolutionnaire ? » Je ne voispas personnellement que ce colloquecherche tout de suite une réponse univer-selle. C’est impossible et en ce qui meconcerne, je trouverais ça une utopie etune bêtise même, parce que ça revien-drait à avoir exactement le discours dudéveloppement. On veut pas opposer àun discours un autre discours du mêmegenre.

C’est maintenant dans ce sens là queje voudrais inviter à la réflexion. Est-cequ’il y a quand même un consensus surl’idée que ce développement n’est pas ceque les peuples ont voulu ou ont attendu ?Quelques fois on a dit justement que cedéveloppement a une histoire et, quandquelque chose a une histoire, on ne peutplus du tout le juger comme avant. Parexemple le national-socialisme, ce n’estpas le nationalisme et le socialisme, maisc’est une chose qui a été, qui a une his-toire, donc on peut dire que le national-socialisme a été un échec. On peut fairela même chose maintenant pour d’autressujets, et sérieusement, et après repenserles choses différemment. C’est cela qui aété dit hier, de façon intéressante. Et cequ’aujourd’hui, par exemple Lakshman,nous a dit, ou cherche à dire : « repensez,cherchez de nouvelles formes de pou-voir.» Par exemple, j’ai eu l’impressionque vous avez dit « il faut chercher lepouvoir chez les puissants.» Mais qui

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sont les puissants ? Est-ce que l’Amériquec’est vraiment la puissance aujourd’hui ?

Absolument pas, l’Amérique, aujour-d’hui, ne doit pas même être considéréecomme un modèle de pouvoir. Nous nesommes plus dans le concept du pouvoirsouverain, où il y a une monarchie, etc.Le pouvoir américain c’est nous tous,plus ou moins, dans notre façon d’agir, etpuis la façon dont tout ça s’est monopo-lisé dans un pays, etc. Nous devons doncrepenser la question du pouvoir. Qui estle pouvoir ? Le pouvoir, c’est nous. Jeprends l’exemple des femmes iraniennes,parce que je suis originaire de ce pays,qui pendant 20 ans a cherché à détruireles femmes, à leur opposer des notionstotalement stupide de pouvoir. Eh bien,les femmes s’en sont sorti aujourd’hui.Ce sont les femmes qui, plus ou moins,sans que personne le sache, dirigentl’Iran et la république Islamique est deve-nue un genre de fiction, parce que lasociété civile a déjà pris le pouvoir. Lepouvoir est là, il n’est pas chez lesAyatollah, c’est fini.

Donc, repenser le pouvoir, ce sontdes choses auxquelles ce colloque vousinvite. Et, avec votre permission je vaisdonner la parole à Lakshman, pour qu’ildise un mot sur la façon dont il conçoit lepouvoir, où est le pouvoir et qu’il n’y apas de modèle. Nous cherchons, il fautque le modèle soit cherché partout, quechacun de nous fasse ce modèle qui est àvenir.

Lakshman YapaWe have used the term development

and post-development several times inthis conversation. To me – and I said thisin the morning – there is no concreteentities in the world to which this corre-sponds. We use the word at a certainlevel of abstraction to enable the conver-sation, but it quickly disables and dis-courages conversation, and this was anexample. Because the term developmentis very condescending and it leads toinequality. Because when you say devel-opment, it is as if you’re coming here todevelop me and that’s condescending.

The second thing that I would like to

say is that you talked about this pro-gramme as being revolutionary. Let megive some examples. If the automobile isthe dominant way for getting to work,suppose we talk about walking and pub-lic transport , about car-pulling andcycling. If we talk about how we growcrops, instead of using pesticides we talkabout the 12 or 14 different ways inwhich this can be done, in which we val-orize what people have been doing andtheir indigenous knowledge. What is sorevolutionary about this ? Because whenwe use the word revolutionary, we thinkof it as some kind of proletarian party giv-ing us leadership. These things are hap-pening at a thousand different sites andthis is precisely what Michel Foucaultmeans by not serving power. We don’tneed to serve power. We don’t need tocapture State power, we don’t need apolitical party to give us leadership.Political parties can exist but in themeantime there are the 10 to 20 thou-sand different sites on which we canwork politically, culturally, ecologically,academically, etc.. And this is what weneed to do and I don’t know why wehave to call this development, nor do Iknow why we need to call it revolution.It’s the exercise of not serving power on ascale that is proportionate to whom weare. I’m not an army general, I’m not apresident, I’m a college teacher. I shouldbe able to engage in exercises fromwhere I am. It can be a bank clerk, a busdriver, a farmer: we all help to engageourselves from where we are, throughour own agency and not serving power.

Jacques BerthelotJe suis de l’association Solidarité et

très heureux de ce qu’a dit LakshmanYapa à plusieurs reprises, mais « laissezles pauvres tranquilles » cela voudraitdire le désengagement total. Or, lespauvres ne vont pas être laissés tran-quilles, parce que, si les États se désen-gagent, les multinationales et les marchésfinanciers ne feront pas de même. On saitque ce sont eux qui contrôlent de plus enplus la planète et les pauvres ne serontpas tranquilles du tout. C’est donc très

bien d’agir à tous les niveaux, dans toutesles fonctions qu’on peut avoir, profes-sionnelles, militantes ou politiques. Maisil y a aussi des règles du jeu internatio-nales imposées par ces multinationales etles marchés financiers qui exigent de cesmultinationales les taux de rentabilitéque l’on connaît. Il faut donc aussiessayer de maîtriser ces multinationales.Et pour cela la politique est absolumentindispensable. Il faut en effet reconstruirede nouvelles règles politiques pour maî-triser ces multinationales, pour refaçon-ner les règles de l’OMC, il faut s’endébarrasser si possible, du moins les refa-çonner radicalement. Nous ne pouvonsdonc pas « laisser les pauvres tran-quilles », levons d’abord la chape deplomb que nous maintenons sur eux àtravers ces règles internationales, à tra-vers par exemple l’armée française dansde nombreux pays d’Afrique, etc..

C’est cela essentiellement qu’il fautfaire, mais il faut, en même temps, pro-poser de nouvelles règles.

Finalement, dans ce colloque, nousavons appliqué l’après-développementessentiellement aux pays du sud, maisl’après-développement c’est aussi laquestion : « comment peut-on ici, auNord, changer les règles pour que toutchange aussi ailleurs ? » Je crois que lesconférenciers n’ont pas suffisamment dit :« qu’est-ce qu’on fait, nous, pour l’aprèsdéveloppement ? Qu’est-ce que ça veutdire pour nous ? Est-ce qu’on devienttous pauvres, pauvres au sens non pas lamisère, mais que fait-on personnelle-ment, pour changer justement nous-mêmes dans nos façons de vivre ? »

Majid RahnemaJe vais faire une petite rectification :

j’ai eu une part de responsabilité pour lenom de cet atelier. J’ai pris un mot deGandhi qui dit « get off the backs of thepoor. » Pourquoi ce terme ? Comme jel’ai expliqué, je pars du principe que,pendant des millénaires, ce sont lespauvres qui ont eu tous les arts possibles,toutes les sciences possibles d’écarter lamisère et de ne pas tomber dans lamisère. Aujourd’hui, nous les empêchons

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de faire cela. Aujourd’hui, par notreaction, nous empêchons toutes lesrichesses des pauvres d’être mises enaction pour pouvoir exorciser la misère etnous leur faisons passer la misère. Maisça ne veut pas dire que vous voudrezlaisser les multinationales tranquilles.Cela, vous pouvez le faire si vous voulezagir. Mais cela ne veut absolument pasdire que si vous laissez les pauvres tran-quilles, vous ne laissez pas les multina-tionales tranquilles. Parce qu’au fond,dans ces pays là, vous pouvez agir beau-coup plus facilement. Mais je crois quenous, en tant que non pauvres, nousn’avons ni éthiquement, ni physique-ment, les moyens de faire ce que lespauvres pourraient faire si on les laissaittranquilles. Les pauvres savent les choses,mais ne les embêtez pas, ne les assiégezpas par la misère.

Hélène DuhotJe suis mère pas au foyer parce que je

travaille, mais qui essaye d’une manièregénérale de mettre mes actes en rapportavec mes pensées, ce qui rejoint complè-tement ce qu’on est en train de diremaintenant. Je voulais dire qu’effective-ment, aujourd’hui, le pouvoir est com-plètement individuel. Et qu’on est entrain de parler des pauvres aujourd’hui,mais qu’il faut peut-être élargir le débat,et dire que si la pauvreté résulte, en géné-ral, d’une dépossession, elle existe de faitdans nos sociétés. Elle existe à tous lesniveaux parce qu’on est, dans unesociété dite développée, dépossédés del’éducation de nos enfants qu’on donne àun corps enseignant, dépossédés denotre santé qu’on confie à un corpsmédical, dépossédés de nos lienssociaux, de la notion d’entraide. Je vou-drais qu’on se pose la question : « est-cequ’on est pas déjà plus pauvres qu’eux,qui continuent, malgré des conditions devie très difficiles, à manifester tout sim-plement de la vie dans leur quotidien ? »Et je pense que si on veut vraiment avan-cer, il nous faut changer de l’intérieur,changer au quotidien tout ce qu’on peutfaire pour, petit à petit, avancer. Et puisprendre position, très fortement, sur les

sujets qui nous mobilisent tous, c’est-à-dire dans nos actes de tous les jours, lesmettre en pratique et à ce moment-là çapeut changer. Quand on achète une voi-ture au lieu d’en acheter deux, effective-ment cela a un impact, parce qu’à unmoment donné de toute façon il ne s’envendra pas, c’est un exemple trèsconcret. Mais je pense qu’au-delà de cespetits exemples au quotidien, il fautmettre l’accent davantage aussi sur ladimension de l’éducation, parce que tantque nous ne changeons pas l’éducationqui est apportée à nos enfants et qui per-pétue nos modèles de société, nosmodèles de développement, nous auronstoujours du mal à reprendre pied pournous redonner du pouvoir.

Serge LatoucheJe voudrais réagir en partant de ce

qu’a dit Jacques Berthelot. En fait, sontpropos n’est pas tout à fait juste, nousavons parlé aussi de l’action au Nord,puisque nous avons parlé, contre le déve-loppement durable, de décroissanceconviviale et par conséquent d’organisercette décroissance. Évidemment nousaurions peut-être pu développer cela eten faire l’objet d’un atelier particulier.

Je crois que la critique du développe-ment, c’est se libérer d’un carcan quipèse, ce marteau dont je parlais, cet ima-ginaire économique qui est dans nostêtes et qui fait que tous les problèmessont vus sous la forme économique, nonseulement par les firmes transnationalesmais par nous même. Nous avons tou-jours cherché l’ennemi partout, nousl’avons désigné : les firmes multinatio-nales, les États, mais ce n’est pas suffi-sant. L’ennemi, en dernière instance, ilest dans nos têtes. La conception deFoucault et du pouvoir est à la fois sédui-sante et en même temps, on sent bienque c’est pas suffisant.

Lors d’un colloque sur l’économiecriminelle, il y avait un député PS rap-porteur, qui est d’ailleurs porte-parolepour la campagne de Jospin, VincentPeillon, qui a fait une remarque tout a faitintéressante. Il a dirigé la commissionparlementaire qui a été enquêter sur les

paradis fiscaux. Et il disait « je me réjouisqu’il y ait 60 000 militants d’Attac, c’està dire de gens qui luttent en faveur destaxations financières contre l’évasion fis-cale, les paradis fiscaux, la criminalitéfinancière » puisque tout ça est un peulié en fin de compte. Mais, ajoute-t-il « ilfaut que vous sachiez que chaque jourles députés sont harcelés de courrier, caril y a deux millions de français qui ontdes comptes en banque en Suisse. Ce nesont pas uniquement des firmes transna-tionales, ce sont des français moyens.Ces français moyens font de l’évasion fis-cale, indirectement, font placer leurargent au Luxembourg, dans les îlesanglo normandes, à Monaco, sans parlerdes Iles Vierges ou ailleurs.»

Par conséquent, bien sûr nous avonsle pouvoir d’une certaine façon, commedisait Foucault. C’est-à-dire que si nousfaisons la décolonisation de notre imagi-naire, que nous essayions de fonctionnerdans notre coin, oui nous avons le pou-voir. Mais qui c’est « nous », c’est 60 000militants d’Attac. Mais en face il y a2 millions de braves petits français quiont leur compte en banque en Suisse, quiharcèlent les députés de motions pourfaire pression, pour développer les loisd’évasion fiscale, qui indirectement sefont complices du blanchiment de l’ar-gent sale à travers les banques, lesquellesfinalement se font complices de l’argentcriminel des mafias, etc. tout en étant desfrançais bien pensants et honnêtes. Ilnous reste à faire la décolonisation de cesgens-là, de tous ces braves gens qui sonteux-mêmes exploités par le système etvictimes du système, mais qui en mêmetemps le perpétuent.

Et nous avons donc affaire à unegigantesque manipulation des esprits et ànotre niveau, notre entreprise, c’est uneentreprise de décolonisation, de contre-manipulation, mais sur ce plan-là noussommes largement démunis. En effet, lesgens virtuellement victimes du systèmereprésente une immense majorité, maisdans cette immense majorité il n’y aqu’une toute petite minorité qui a vrai-ment entrepris la décolonisation del’imaginaire, qui ne soutient pas artifi-

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ciellement ce système de pouvoir quipermet aux firmes multinationales demondialiser en rond sans problème. Jecrois que c’est là quelque chose de trèsimportant et on le voit bien dans l’inter-vention d’Ivan Illich. Il y a eu un déve-loppement des médecines alternatives àun moment et il y a des développementsaussi d’éco-alternatives, d’entrepriseséquitables et solidaires, on en parleradans divers ateliers. Ce sont bien sûr desinitiatives très intéressantes, mais isolées,portées finalement toujours par les 60000 personnes qui sont concernées dansAttac ou un autre mouvement, une ONGde ceci, de cela. Mais face à ça nousavons des millions de gens qui préfèrentacheter non équitable, pas solidaires, quipeuvent pas vivre dans une économiealternative. Ces initiatives sont toujourscondamnées à être finalement récupé-rées et maintenant on voit que les pro-duits équitables et solidaires comme cecafé Max Havelaar qui nous est proposése trouve sur les étals des supermarchésCarrefour et Cie, lesquels demandentqu’on leur accorde le label équitable etsolidaire. C’est quand même un peu fortde café, c’est le cas de le dire. De lamême façon que les médecines alterna-tives, qui nous sont proposés par la sécu-rité sociale, ont ainsi été complètementneutralisées. Les mouvements alternatifsn’arrivent pas à faire basculer une massede gens suffisante pour renverser le rap-port de force, rapport de force presquemental, dans l’imaginaire, pour qu’il y aittout d’un coup des milliers de gens dansl’alternative.

Quelquefois, à propos d’événementscomme ça - comme en mai 68 ou aumoment de la crise de la vache folle - ondécouvre tout d’un coup que ces bravesgens tranquilles, finalement, ils sont prêtsà remettre en cause un certain nombre dechoses. Castoriadis, le philosophe, pen-sait qu’à la faveur de crises comme ça, onpeut faire basculer les choses. Mais il y alà le problème du jeu du pouvoir, il y a làquelque chose d’extrême ment impor-tant. C’est vrai que nous avons le pouvoir,virtuellement, mais ils ont aussi celui denous manipuler, ce qui fait que nous

avons un pouvoir que nous ne pouvonspas utiliser, parce que nous pensons dansleur sens, et nous sommes dépossédés dece pouvoir que nous avons. C’est un trèsgros problème et je pense que c’est pourcela que nous sommes ici.

Claudine FehndrichJe suis du Monde Diplomatique, en

Suisse. Je voulais intervenir par rapportsurtout à l’intervention de JacquesBerthelot. Je pense qu’effectivement ilfaut qu’on laisse les pauvres tranquilles etj’ai beaucoup aimé le titre de ce colloque« Défaire le développement.» Pour moi,cela semble évident que c’est ici quenous, j’entends nous occidentaux, nousconsommateurs, devons agir. Pour enrevenir aux multinationales, je vais don-ner un petit exemple. Attac, dans le can-ton de Neufchâtel, a réussi à déjouer lesplans de Nestlé, une très grande multina-tionale, qui voulait acheter une sourced’eau. Cela devait être fait en secret.Grâce à l’action d’un petit groupe, Nestléa renoncé à acheter cette source d’eau.Suite à cela, l’information a paru dans lapresse et des gens du Brésil ont contactéce petit groupe en Suisse, en disant voilàce que fait Nestlé chez nous, nous avonsbesoin de votre aide. Et l’aide, c’est defaire passer l’information. Il y a la journéesur l’eau le 22 mars, je sais pas si c’est lecas également en France. L’informationva passer dans les écoles à tous lesniveaux, au niveau des mass médias. Ceque je veux dire c’est que c’est vraimentà nous, ici, d’agir. Je rejoins ainsi cer-taines intervenantes, par rapport à l’édu-cation, c’est à nous ici d’intervenir, noussommes les consommateurs. Noussavons que notre richesse se fait auxdépens des autres, nous devons doncrevoir nos modes de vie.

Je vous dirai juste une anecdote, j’aivécu aux États-Unis dans les années1980, en Iran dans les années 1970. Jepense que la femme était beaucoup pluslibre en Iran qu’elle l’est aux États-Unismalgré tout ce qu’on a dit, qu’on a dia-bolisé ce pays. Il y avait l’Arabie saouditeà côté, on n’en parlait jamais parce qu’ilsétaient soutenus par les États-Unis. Il y

avait les Talibans qui étaient déjà là etmaintenant, c’est là qu’on montre l’hypo-crisie de l’Occident, on a justifié -mêmedes féministes l’on fait - la guerre enAfghanistan en disant que c’était pourlibérer les femmes afghanes du port deleur voile. C’est vraiment une hypocrisie.Je pense vraiment que ce qui est trèsimportant c’est l’information. Je ne saisplus quelle dame a parlé du nouvel acti-visme qu’est l’éducation par l’informa-tion. Nous devons parler de ces différentspays et surtout parler de nous, et de ceque nous pouvons faire ici au niveaulocal. C’est le projet politique, c’est vrai-ment à nous de nous réapproprier toutcela, dans la pratique on voit que c’estpossible. En tout cas merci beaucouppour ce colloque que je trouve extraordi-naire.

Oswaldo De RiveroLe français c’est une langue très

conceptuelle, tellement difficile pourtransmettre des idées pratiques commel’anglais. Et comme j’ai été éduqué dansun milieu anglo-saxon, je vais essayer derendre mon français un peu pratique. Onva parler d’abord de développementpour être clair ici. Le mot développementa été créé vers 1950 c’est-à-dire laconception de développer les pays exac-tement comme ont été développé lesÉtats-Unis et l’Europe. Quels pays ? ceuxqu’on a appelé « arriérés.» Après lestechnocrates ont été plus sophistiqués etont dit « non, pas arriérés, sous-dévelop-pés.» Et maintenant on dit « non, passous-développé - c’est très méchant - ondit en voie de développement.»

On a essayé tous les modèles. Lecommunisme est un modèle de dévelop-pement qui a échoué totalement, a étépire que le capitalisme, a détruit presqueplus l’environnement que le modèleaméricain; et puis il y a le modèle améri-cain, le modèle capitaliste américain eteuropéen, et après le modèle européenavec ce qu’on appelle l’économie mixteavec grande intervention de l’État,comme en France ou dans les pays nor-diques. On a essayé tous ces modèles, lesocialisme à Cuba, le système mixte au

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Pérou, le développement maintenanttout-à-fait néolibéral, tout a échoué.

Et nous voulons défaire le développe-ment; mais si le développement n’existepas, qu’est-ce qu’on va défaire ? C’esttout à fait illogique. On va défairel’Europe, c’est une des choses dévelop-pées, les États-Unis, la Nouvelle Zélande,l’Australie, et les 4 pays NIC « new indus-trialized country », la Corée du sud,Taiwan, Singapour et Hong Kong, mêmela Chine est un pays développé. Qu’est-ce qu’on va faire, on va défaire la sociétéoccidentale ? Je ne crois pas à ça, je suisoccidental, moi. Comme latino-améri-cain, je me crois occidental. Qu’est-cequ’il faut défaire ? Il ne faut pas défaireune chose qui n’existe pas parce que lemodèle communiste, NIC, capitaliste,libéral ont échoués tout-à-fait. C’est-à-dire, nous sommes dans le « post-déve-loppement », c’est une idée intéressantedu fait que tous les modèles ont échoué.

Pratique, j’amène ici une idée pour le« post-développement.» Il faut faire,comme on dit en anglais du« damagecontrol », en français limitation desdégâts. Il faut faire du « damage control »de la grande urbanisation mondiale, quiest inévitable et pas stoppable, c’estimpossible d’arrêter cela. On peut pasempêcher que les paysans marchent versles villes en Afrique, en Amérique latine,c’est tout-à-fait fou, impossible. Maisqu’est-ce qu’il faut faire du « damagecontrol »? Il faut se centrer sur les chosesnécéssaires pour survivre. Pour éviter unecatastrophe écologique, une catastrophesocio-politique, il faut augmenter la pla-nification familiale, c’est très important.

Deuxièmement il faut contrôler cequ’on appelle les biens publics globaux,quels sont-ils ? l’eau, l’énergie, c’est unbien public global parce que l’énergiefossile est polluante. Il faut commencer àdévelopper les énergies alternatives etl’alimentation, parce que les villes vontêtre pleines de gens et il n’y aura pasaccès à la sécurité alimentaire. Et cela,pour moi, c’est peut-être une vision unpeu pessimiste mais c’est réaliste. Si onne met pas des moyens dans l’alimenta-tion, dans l’eau, dans l’énergie et dans la

planification familiale il y aura beaucoupd’éclatements, des troubles sociaux poli-tiques même en Afrique et des « col-lapses » d’États-nation. En Afrique desÉtats-nations ont déjà collapsés, ont com-mencé à collapser, il n’y a presque pasd’États-nation en Afrique non collapsés(collapsé en français signifie effondré).

En Amérique latine, la Colombie esten train de s’africaniser, sans être péjora-tif, par sa façon d’entrer dans ce type deguerre civile. Il y a de l’instabilité auVenezuela, en Équateur, en Argentine.Tout ça parce que tout a échoué, qu’est-ce qu’on va défaire si le développementn’existe pas ? Il faut chercher quelquechose pour le « damage control.»

Le français a toujours des idéesbrillantes, il faut un « post-développe-ment » et une nouvelle théorie, une nou-velle utopie.

Mais il faut être plus pratique, plusanglo-saxon. « Damage control » del’eau, l’énergie, l’alimentation et la plani-fication familiale dans tout le mondeentier. Avec qui ? Avec les associationsciviles, les gouvernements et même avecles transnationales parce que c’est la sur-vie de la planète. Je ne sais pas m’expri-mer d’une façon plus pratique enfrançais.

Un intervenantJe voudrais dire que j’ai pas mal

d’amis qui sont réformistes, je les aimebeaucoup, mais si le réformisme dudéveloppement marchait, cela se sauraitdepuis longtemps. C’est ma premièreremarque. La deuxième c’est que l’échecde la révolution réelle n’est pas l’échecde la pensée, de la critique, radicale.Enfin pour me présenter je suis adhérentà Solidarité, adhérent à la Ligned’Horizon, à Greenpeace entre autres.J’étais pauvre volontaire pendant 25 ans,aujourd’hui j’ai craqué, je suis professeurd’anti-économie, un ancien élève deSerge Latouche. Je travaille à temps par-tiel, donc j’essaye toujours d’être pauvre.J’ai auto-construit ma maison, avec l’aidede quelques amis d’ailleurs, dont certainsétaient réformistes.

Frédérique Apfell MarglinJe voulais répondre à monsieur de

Rivero, faire un commentaire sur le« damage control », la limitation desdégâts. Il me semble qu’il y a beaucoupà faire, au-delà de la limitation desdégâts, c’est-à-dire prendre les choses àla racine. Par exemple au Pérou où celafait 8 ans que je collabore avec des orga-nisations. Dans les écoles rurales, dansles Andes, la sierra de Selva, l’Amazonie,ce qu’on enseigne aux enfants c’est pourvivre dans la ville et quand on veut lespunir et qu’ils ne travaillent pas assez onleur dit « est-ce que vous voulez êtrecomme vos parents ? un rien ? gratter laterre comme vos parents ? » L’éducation,comme l’ont dit les deux jeunes femmesqui ont parlé avant est absolument cen-trale.

C’est une des choses qui pourraientêtre faites parce que l’éducation, qui estmaintenant généralisée dans les coins lesplus reculés des Andes et de l’Amazonie,est une éducation pour la ville et en pluspour la modernité. Il me semble doncqu’un des champs de travail absolumentfondamental est justement l’éducation.De nommer l’oralité comme l’analpha-bétisme, dit tout déjà. Il y a un totalmépris et une mécompréhension volon-taire de l’oralité, des connaissances etdes pratiques rurales qui contribue énor-mément à envoyer les jeunes à la ville (jene dis pas que c’est la seule raison). Moi,je ne dirais pas que la seule chose à fairec’est du « damage control.»

Helena Norbert HodgeFrédérique and I have worked well

together so the idea is very similar. I willalso stress again the need to change edu-cation at the school level not just at thelevel of university. But before we get tothat point I think we need to make use ofevery channel we can, using videos,newsletters to get this message out.Because the belief in conventional edu-cation is tied to globalization. The edu-cation in every country now is beingmore tightly linked to the needs ofmobile corporations. And it’s not onlynational, it is global, it is for a mobile

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Actes du Colloque - Paris 2002

Défairele développement Refairele monde

Atelier 4 : Get off their backs! Laissez donc les pauvres tranquilles !

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global work force and economies every-where are suffering. So we need to wakepeople up in France as well as on theother side of the world about what is hap-pening in the name of education and theway to do that is through this educationfor action. Tomorrow we have a work-shop on the re-appropriation of knowl-edge. For those of you who are interestedwe can discuss further there. Thank you.

Nicolas GardelleJe suis professeur de lettres moderne en

retraite. Je m’intéresse depuis des décen-nies aux êtres humains et aux civilisations.Je n’ai pas vécu longtemps dans des paysde civilisation étrangère, simplementquand j’ai voyagé j’ai ouvert mes yeux etmes oreilles. J’ai vu des femmes très heu-reuses au Maroc, j’ai vu des grands mèresau Maroc écoutées d’une ribambelle depetits enfants à qui elles racontaient deshistoires alors que chez nous nous sommesméprisées parce qu’on est d’un autre âge.J’ai vu ma belle-mère chinoise qui n’auraitpour rien au monde donné sa vie pour lamienne, parce que moi je partais à 7heures moins le quart du matin pour allerenseigner, mes enfants seuls à la maison,ne rentrant qu’à 7 heures le soir. Et quandj’entends ce qui se dit ici j’apprécie beau-coup de choses. Beaucoup de penséesreflètent ma propre pensée, mais ce qui mefrappe aussi c’est pour beaucoup la diffi-culté de sortir de « l’occidentalo-cen-trisme.» Il y a un proverbe de l’Inde quidit : « si tu veux changer le monde, com-mence par te changer toi-même.» Et il mesemble que, pour se remettre en question,en plus de l’autonomie, il faudrait aussifaire l’effort de lire des écrivains étrangerset spécialement d’autres civilisations.Justement pas nos textes, à nous, sur lesautres civilisations mais des écrivainsd’Afrique du nord, iranien, indien,d’Amérique, de l’Inde, japonais, chinois…pour qu’on comprenne ce que c’estl’Afrique noire, qu’on comprenne ce quec’est que le monde et les autres. Et quenous, malgré tout le mal qu’on fait, on n’estqu’une toute petite partie de la populationmondiale, disons que cela remettrait unpeu les choses à leur place.

Yede PetersenJe suis en fin d’étude de gestion

humanitaire, où j’ai beaucoup entenduparler du développement, tellement quej’ai presque fini par en avoir une indiges-tion. Il y avait quelque chose dans ce motdéveloppement qui me gênait. J’ai donccommencé à comprendre. Je voulais direau monsieur qui cherchait un projet poli-tique de la mission de « post-développe-ment » que je n’approuve pas tellementle mot non plus, parce que cela contientle mot développement justement. Mais jevois une possibilité, dans notre monde,que chacun trouve sa place et qu’onpuisse comprendre l’autre à travers desfrontières en pointillé. Et j’ai maintenantbien compris, bien que j’ai mis 50 ans àle faire, que le problème de pauvreté estun problème de rapport de force. Jetrouve que le rôle des pays du Nord peutêtre d’en prendre conscience, justement,malheureusement, une des caractéris-tiques du dominant est qu’il n’en est pasconscient. Et je vais dire aussi au sujet del’éducation des enfants, je pense au motde Gandhi « il faut penser au plus faiblepour chercher une solution », et qu’on nepense pas assez aux enfants.

Jean-François JacquetJe fais partie d’un groupe coopératif

dans le Limousin et je voulais rebondir unpeu sur l’intervention introductive deMajid Rahnema, qui pour moi est trèséclairante sur la définition des différentesformes de pauvreté et qui éclaire aussil’expérience que nous essayons de vivredans la recherche et l’expérimentation denouvelles formes de pauvreté, à la foisvolontaire et conviviale pour reprendre lesmots que vous avez employé. On disait cematin, et je le partage tout-à-fait, que lescandale c’est bien la richesse, au milieud’un monde qui est majoritairementpauvre, car c’est le mode de vie durable,soutenable à l’échelle de la planète. Et,dans ces conditions, je pense que, commel’on fait un certain nombre de personnesau cours du débat, il nous revient de nousinterroger, nous les européens quisommes majoritairement présents ici dansce colloque, sur plusieurs questions.

J’en vois quatre qui me paraissentimportantes.

La première : quel sens peut prendrepour nous la recherche d’une pauvretéchoisie, c’est-à-dire s’organiser pourvivre avec le juste nécessaire, qu’est-ceque le juste nécessaire ? quelle révolu-tion personnelle dans nos comporte-ments cette recherche peut-elle amener àfaire ?

Le deuxième point : quelle forme deconvivialité, d’échange et de partageconstruire entre nous pour sortir d’uneproblématique individuelle face à larichesse et à la pauvreté, commentconstruire des réseaux et des formes devie qui recréent une forme de sociétébasée sur cette recherche du minimumnécessaire

La troisième question : quelles rela-tions établir avec les personnes qui, enEurope notamment, autour de nous, sontdans la misère morale dont vous avezparlé, aussi bien des personnes riches ouexclues, pour chercher ensemble desnouvelles réponses, pour sortir de lamisère et entrer dans une pauvreté choi-sie.

Et le dernier point : quels échangesculturels, et non plus économiques,établir avec des communautés pauvresd’autres continents, pour contribuer à laredéfinition du sens de notre vie ensociété et pour enrichir notre expériencede tout le savoir-faire, et le savoir-être despersonnes d’autres continents qui ont suvivre et qui peut-être savent encore vivredans la pauvreté.

JacolinJe suis un simple citoyen d’infanterie.

Je ne veux pas conclure, Flaubert disaitdéjà que la rage de conclure est une despires qui soit. Ce qui me sembleimportant, c’est d’agir sur lesmécanismes de l’appauvrissement. Parceque combattre de la pauvreté c’estcombattre de l’abstrait, mais combattreles mécanismes de l’appauvrissementsignifie les connaître et en connaître ledéroulement et la perversité. Je croisqu’une des pratiques les plusconstructives de l’anti-appauvrissement

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Défairele développement Refairele monde

Atelier 4 : Get off their backs! Laissez donc les pauvres tranquilles !

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c’est la valorisation de l’autre. Etj’aimerais en donner deux exemples,parce qu’ils concernent les femmes, sujetque vous avez bien abordé MajidRahnema.

Je vois par exemple, au Sénégal,lorsque les jeunes ont mis sur pieds descaisses populaires de crédit, elles n’ontpas demandé un modèle, on leur a pasimposé un modèle, elles ont construitelles-mêmes leur modèle et c’est pour çaque cela marche. Là, je crois qu’il fautvaloriser les capacités inventives desfemmes, et des hommes aussi. Deuxième

exemple : j’ai des amis qui reviennent duNiger en rapportant « 30 façons de semerle maïs et de le conserver », 30 façons.Mais les paysans ne les connaissaientpas. Ils connaissaient bien sûr, les uns oules autres, telle ou telle manière, mais ilsn’avaient pas eu l’occasion de serassembler. Il y a un proverbe wolof «jamonte amonte nieriante »,cela veutdire se connaître,s’apporter ce que l’on a,savoir utiliser le savoir de l’autre. En voiciune illustration : je me promenais le longd’un marigot du côté de Tiesse et là jevois un petit champ de maïs de rien du

tout. Mais c’était le début de l’hivernageet je m’étonne, je dit à la femme qui étaitlà, « mais vous avez planté du maïs là enplein dans le marigot, qu’est-ce que c’estque ça ? » Elle me dit « Moi j’ai pris dumaïs dans les vivres du PAM (ProgrammeAlimentaire Mondial), j’en ai pris 3 ou 4poignées, j’ai planté et ça a poussé.» Etelle conclue par ce proverbe « Essayer,échouer, ce n’est pas grave. Par contrerefuser d’essayer, voilà qui est grave.» Ehbien, cette femme était inventive à samanière. •

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